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Nom du fichier
1813, 07-12, t. 2, n. 7-12 (Mercure étranger)
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398
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Texte
MERCURE ÉTRANGER,
ou
.
ANNALES
DE LA LITTÉRATURE ÉTRANGÈRE.
PAR
MM. LANGLÈS, GINIGUENÉ
,
A MAURY-DUVAL, Membres
de l Institut Impérial de France; VANDERBOURG,
SEVELINGES, DURDENT, CATTEAU-CALLEVILLE, Hommes et autres de Lettres, tant français qu'étrangers.
DE L'IMPRIMERIE DE D. COLAS.
A PARIS,
Et chez les principaux Libraire de l'Europè.
i8i3.

MERCURE ÉTRANGER.
N° VII.
LANGUES ORIENTALES.
Grandeur et puissance de Dieu, actions de grâces qui lui
sont dues. (1)
(Traduit du Persan par GRANGERETDE LAGRANGE.)
QUI pourrait compter lesattributs de l'Eternel ?qui pourrait
lui rendre de dignes actions de grâces pour un seul de
ses innombrables bienfails ?
Ouvrier étonnant et sublime
,
il a fait de l'univers un
vaste tableau où il a représenté les êtres sous mille formes
diverses
, et les a revêtus des couleurs les plus variées et
les plus séduisantes.
C'est pour offrir aux yeux du sage un spectacle magnifique,
que sa main toute puissante a formé la voûle des
cieux et a suspendu ces globes de lumière qui roulent avec
pompe et harmonie au-dessus de nos têtes.
Il a déployé la terre comme un vaste tapis, il l'a affermie
au-dessus des mers ; et il a posé les montagnes sur des
bases inébranlables.
(1) Cette pièce est du célèbre Sady
,
le prince des poëtes et des
philosophes persans. Ceux qui savent la langue persanne trouveront
à la suite du Gulistan et du Bostan le texte de ce morceau ; ils le
trouveront également dans la Vie des Poëtes persans , par Dew/eth
Schah
,
à l'article Sady.
La terre
,
la mer et les forêts; le soleil
,
la lune
,
les
étoiles, la nuit et le jour, l'homme, sont les oeuvres de sa
puissance créatrice.
Prodigue de ses bienfaits
,
il les répand sur toute la face
de la terre ,
il en couvre l'immensité des cieux.
Sur un bois sec et fragile il fait naître des fruits savoureux,
il remplit de sucre l'intérieur d'un roseau, il arrondit
au fond des mers la perle éblouissante.
Il commande au soleil de porter la vie et la fécondité, et
la terre devient tout-à-coup fertile ; les yeux ne rencontrent
que riches vergers ,
qu'abris délicieux, que parterres de tulipes
et de roses.
Du sein des nuages il fait descendre ces pluies bienfaisantes
qui rafraîchissent les plantes altérées. Les branches
étaient nues ,
il les revêt au printems d'une robe éclatante
de verdure et de fleurs.
Crois-tu que l'homme seul dans la nature jouisse du
glorieux privilège de proclamerl'unité infinie duTrès-Haut?
Les oiseaux en remplissant les airs de sons mélodieux
, publient les louanges du Dieu unique et indépendant.
0 prodige de puissance et de générosité ! Il a tiré tous
les êtres du néant. Quels cantiques peuvent lui rendre
hommage ! l'âme interdite succombe sous tant de merveilles
, et la langue embarrassée reste muette dans la
bouche de l'éloquence.
Ses mains ne s'ouvrent que pour nous verser des dons;
mais le plus grand
,
le plus ineffable de tous, c'est d'avoir
gravé dans le coeur de l'homme l'espérance d'une vie future
et bienheureuse.
0 faible mortel ! pose la tête de l'humilité sur le seuil
de l'adoration, et souviens-toi que pour s'être abandonné
à l'orgueil, Eblis (2) est à jamais condamné à la honte et
au désespoir.
(2) Lucifer, le prince et le chef des Anges prévaricateurs et apostats.
Voy. la Bibliothèque Orientale de Dherpelot, pag. 307.
Fais le bien
, car le Souverain des cieux n'ouvrira les
portes des demeures éternelles qu'à l'homme sage et inébranlable
dans la voie de la justice.
Quiconque n'a point essuyé de fatigues ne trouvera
point de trésor. Travaille, et tu recevras la récompense
due à tes peines.
Insensé ! tu n'as point fait de bonnes oeuvres et tu veux N avoir part aux faveurs du Dieu Très-Haut ! Tu n'as point
semé et tu prétends recueillir une moisson abondante !
Le monde que le saint Prophète nomme le pont qui
mène à l'ail ire vie
,
n'est point le lieu où nous devons fixer
notre demeure ; passons donc rapidement.
Le jardin des suprêmes délices est le séjour éternel de
l'homme. Cette terre n'est qu'une route j marchons sans
nous arrêter.
Que sont-ils devenus tous ces ossemens entassés par
les mains de la mort ? La meule (3) des siècles les a
tellement broyés qu'ils se sont confondus avec la terre
que nous foulons sous nos pieds et la poudre qui obscurcit
les airs.
L'homme injuste meurt, mais les traces de ses iniquités
subsistent après lui; le juste meurt, mais sa mémoire est
honorée.
L'orgueilleuxKaroun (4) a méprisé les lois de l'Eternel
pour courir après les biens terrestres , et aussitôt lui et ses
richesses ont disparu. Aigle dégénéré, il n'a pas eu honte
de poursuivre un vil corbeau.
Tout ce que tu adores à l'exclusion de Dieu n'est rien.
(3) Il y a dans le persan le mortier des siècles. Le mortier ne broye
pas ,
c'est le pilon qui broye dans le mortier. Mais le pilon des siècles
est insoutenable en français.
(4) Voyez la Bibliothèque Orientale de Dherbelot, page 259 ,
et l'élégante traduction du Coran
, par Savary, tome second,
page. 160.
Hé quoi, malheureux ! oserais-tu préférer le néant à l'Etre
infini ?
Meis plutôt ta confiance en la miséricorde du Dieu
Très-Haut ; implore son secours , et ne t'appuie pas sur
les biens passagers de ce monde. lis ne sont qu'un prêt,
dois-tu donc y aitacher Ion coeur?
Heureux, qui docile à la voix dela sagesse, pourra suspendre
à l'oreille de son âme les anneaux précieux des
conseils de Sady 1
Tout poète qui consacre ses veilles à la louange des rois,
obtient pour prix de ses vers une pelisse d'honneur, et
l'espoir de nouvelles récompenses enflamme encore son
génie.
MaisSady humblement prosterné devant l'Eternel dont
il vient de célébrer les bienfaits toujours renaissans
,
le
supplie de jeter sur son fidèle serviteur un regard de compassion
et d'approuver ses chants religieux.
POÉSIE TURQUE.
Baky chante dans la pièce suivante le printems, lesfleurs
et les louanges d'Ali Pacha (i).
Doux printems, image du créateur, viens ranimer le
monde, viens, que les fleurs engourdies par l'âpre froidure
, reprennent leur fraîcheur et leur éclat.
A ton approche
,
la terre reçoit une nouvelle vie
,
la nature
naguère épuisée, se remet de ses fatigues. Déjà le
cyprès et le platane balancent mollement dans les airs
leurs branches rajeunies.
Le lys odorant ombrage sa tête d'un panacheblanc hausse quere- l éclat de l 'or. Orgueilleux il s'élève
, et semble régner
sur les fleurs.
Plus modeste, l'iris embellit nos bosquets. Les arbres
protégent les plantes d'une ombre tutélaire, et couvrent
la prairie de leurs tentes verdoyantes.
Le printems
,
tel qu'un sultan magnifique fait son en- trée glorieuse dans les campagnes et pour le recevoir, la
nature a déployé sur son passage le tapis émaillé de
fleurs.
Le sensible rossignol commence ses chants d'amour.
(1) Baky est un poëte turc moderne ; il vivait dans le onzième
siècle de l'Hégire. Ses poésies sont généralement estimées dans son pays. Il se distingue par la facilité de sa composition
,
la variété
de ses sujets et les graces de son style. Peu semblable aux autres poëtes Turcs qui ne sont pour la plupart que de froids traducteurs
ou de mauvais imitateurs des Arabes et des Persans, il , tout tiré de a presque son propre fonds, et il ne doit qu'à lui ses diverses
productions.
La pit-ce de vers dont j'offre ici la traduction
, je l'ai extraite d'un
des manuscrits de la Bibliothèque impériale. J'ai consulté aussi un autre manuscrit de Baky que M. Rhasis, jeune et savant professeur
de grec moderne à l'école spéciale des langues orientales, a eu la
complaisance de me prêter. Les deux textes ne s'étant pas trouvés d accord
,
j'ai choisi, autant qu'il m'a été possible
,
la leçon qui m'a
paru la meilleure et la plus naturelle.
Il vient saluer l'aurore et annoncer aux. arbres, enfans
de la plaine
,
l'arrivée: des beaux jours.
Les nuages déposent sur la tête des plantes les perles du
matin. Ainsi la tendre nourrice orne d'unerangée de diamans
ou de pièces d'or le front chéri de l'enfant commis
à ses soins.
Le bouton captif-se hâte d'éclore. Il spmble entr'ouvrir
des lèvres vermeilles et conter mille douceurs à la rose qui
sourit et l'écoute avec un vif-plaisir.
Le bosquet dans sa magnificence, est à mes yeux une
belle idole. Les tulipes colorent ses joues , le jasmin couvre
sa faille
, et la rosée lui prête ses colliers humides et transparens.
Venez
,
chers amis
, ne perdons point l'occasion fugitive
des plaisirs ; loin de nous le triste habit religieux;
point de faux sentimens, et que désormais les gouttes d'un
vin pur et,délectable soient nos seuls chapelets.
Je chante Aly Pacha
, ce prince dont la majesté s'élève
jusqu'aux cieux
, et dont la gloire est si imposante que ma
pensée, dans son vol hardi i ne peut- en mesurer la hauteur.
Oui, si le rosier se couvre, de ses fleurs
,
si le pêcher
prodigue ses fruits, c'est qu'ils voudraient les répandre
comme un respectueux tribut sur les pieds du héros objet
de m,es chants.
Il sait, ce prince magnanime, prendre quand il lui plaît,-
la coupe enchanteresse du plaisir. Il sait allier la grandeur
deDjem à la sagesse de Djemchid.
Qu'il passe dans une plaine stérile, sa présence seule
est capable de changer l'eau saumâtre en eau de rose , et
l'argile desséchée en un musc odorant.
Noble et désintéressé, il prévient tous nos besoins.
Larbre de sa générosité, toujours fertile, nous rapporte ses
fruits, et nous combl-e de ses dons.
Près du pavillon élégant où repose sa grandeur, la
forlune ne saurait porter aucun coup ,
et jamais le vent
destructeur de l'adversité ne souffla dans les contrées heureuses
ou il a fixé sa demeure.
Sous ce prince équitable, personne n'a le droit de se
plaindre
,
les larmes ont cessé de couler
, el l'on n'entend
plus gémir aujourd'hui que la corde tremblante sous les
doigts du musicien.
Aly Pacha
,
tandis qu'occupé de toi, et pour te cueillir
quelques fleurs je parcourais le vaste champ de tes louanges,
tout-à-cmip cette douce poésie
, sur un rhythme uniforme
m'a été inspirée.
Que puis-jedire à ta gloire? Ta beauté mâle est au-dessus
de mes faibles éloges. La grenade orgueilleuse s'est sentie
piquée de jalousie en reconnaissant sur la fleur du
jasmin l'éclatante blancheur de tes dents.
Peindrais-je ton port majestueux? Parlerais-je du trouble
que causent à tes maîtresses, et tes cheveux plus noirs que
l'ébène, et tes cils imprégnés de parfums, et ton oeil plus
doux que celui de la gazelle
, et ce regard enfin plus redoutable
pour une belle, que la lance d'un Tartare.
Le sourire qui se répand sur tes lèvres
,
fait renaître l'espoir
consolateur au fond d'un coeur ulcéré de chagrin ; tel
un sorbet délicat
,
rend à la bouche affadie du malade sa
fraîcheur et sa pureté.
Abaisse un regard de bonté sur ton humble esclave; tends
une main secourable à celui que tu peux dédaignercomme
celte goutte inutile qui resle au fond d'un verre.
Fier de ton appui, qu'il s'agisse désormais de célébrer
tes louanges, Baky ne craint plus ses rivaux. Qu ils paraissent
tous, fussent-ils mille, plus éloquens
,
plus harmonieux
que le chantre des amours ,
Baky saura se mesurer
avec eux , et remporter la victoire.
Traduit du Turc par DUVAL-DESTÂINS.
LANGUE ESPAGNOLE.
ODA
De el maestro Frai Luis de ZCO/Z (i).
i Que descansada vida
La del que huye el mundanal ruido,
Y signe la escondida
Senda
, por donde han ido
Los pocos sabios que en el mundo han sido!
Qué no le enturbia el pecho
De los sobervios grandes el estado;
Ni del dorado techo
Se admira fabricado
Del sabio Moro en jaspes sustentado.
No cura si la fama
Canta con voz su nombre pregonera,
Ni cura si encarama
La lengua lisonjera
Lo que condena la verdad sincera.
¡ Qué presta à mi contento
Si soi del vano dedo senelado (2) ,
Si en busca deste viento
Ando desalentado
Con ansias vivas, con mortal cuidado !
¡ Oh monte ! oh fuente! oh rio!
Oh secreto seguro ,
deleytoso !
Roto casi el navio
A vuestro almo reposo
Huyo de aqueste mar tempestuoso.
(1) L'histoire de la littérature espagnole par Bonterwek fait connaître de la
manière la plus intéressante le beau talent et le noble caractère de ce poete du
seizième siècle. Tom. I.
(3) At pulchrum est digito monstrari
,
etdicier: : M Hic est! »
( PEKSIUS, Satyv. 1. )
« Quod monstror digito prceterenntem. » ( UORAlIUS, )
Un no rompido sueño ,
Un dia puro, alegre
,
libre quiero :
No quiero ver el ceño
Vanamente severo
De h quien la sangre ensalga, o el dinero.
Despierten-me las avés, Efl
Con su cantar sabroso no aprendido,
No los ,cuidados graves
De que es siempre seguido
El que al ageno arbitrio esta atenido!
Vivir quiero conmigo ;
Gozar quiero del bien que devo al cielo,
A solas, sin testigo
, Libre de amor, de zelo ,
De odio, de esperanças ,
de rezelo.
Del monte en la ladrera
Por mi mano plantado tengo un huerto Que, , con la primavera,
De bella flor cubierto
, Ya muestra en esperanca el fruto cierto :
Y, como codiciosa,
Por ver y acrecentar su hermosura,
Desde la cumbre ayrosa
Una fontana pura
Hasta llegar corriendo se apresura.
Y luego sossegada
El passo entre los arboles torciendo
El suelo ,
,
de pessada,
De verdura vistiendo
, Y con diversas flores va esparciendo.
El ayre el huerto orea ;
Y ofrece mil olores al sentido
,
Los arboles menea
Con un manso ruido
Que del oro y del cetro pone olvido.
¡ Tengan-se su tesoro
Los que de un falso leño se confian!
No es lUio ver el lloro (3)
De los que desconfian
Quando el cierco y el abrego porfian.
La combatida antena
Cruxe
, y en ciega noche el claro día
Se torna,¡al cielo suena
Confusa vocería,
Y la mas entiquecen á porfia!....
A mi una probecilla
Mesa, de amable paz bien abastada
Me basta ; y la baxilla
De fino oro labrada
Sea de quien la mar no teme ayrada!
Y, mientras miserable- (4)
Mente se están los otros abrasando
Con sed insaciable
Del peligroso mando Tendido , yo h la sombra es tí: cantando ;
A la sombra tendido
De yedra y lauro , eterno coronado,
Puesto el atento oido
Al son dulce acordado
Del plectro sabiamente meneado.
Traduction.
QUELLE est paisible la vie de l'homme qui fuit le tumulte da
inonde et marche dans le sentier solitaire où l'ont précédé les pas
d'un petit nombre de sages !
La pompe superbe qui environne les grands de la terre ne trouble
point le calme de son coeur j il n'admire pas les toits dorés soutenus
sur des colonnes de jaspe ,
magnifiques ouvrages du Maure industrieux.
(3) Noi> est meum ,
si mugiat africis
3Vialus procellis
,
ad miscras prsces
Decurrere ,
ctvotis pacisci
Ne (:Spriae Tyriæque merces
Addant avaro diviiias mari.
( HORAT. lib. 3
,
ode a3. )
(4) Miserablemente
, mot unique , est ainsi 60upé dans l'original ; ce qui est
un peu bizarre pour les oreilles françaises ; mais ici le rythme et la rime espagnole
le veulent évidemment,
Il ne s'inquiète point si la renommée proclame son nom d'une
Voix éclatante
„ ou si sa langue mensongère est dans ce monde l'organe
de l'imposture.
Qu'importe à mon bonheur que du doigt, en passant, l'on me signale, si, haletant après ce vain bruit de la gloire, je ne vis que
d'angoisses et de soucis mortels !...
0 Montagne ! ô fontaine! ô fleuve ! ô délicieuse et sure retraite !
mon frêle navire à demi-brisé sur cette mer orageuse se réfugie dans
votre doux repos.
Un sommeil que rien ne trouble, un jour pur et riant, une vie
innocente et libre
,
voilà mes voeux. Puissé-je ne point voir le front
sourcilleux de l'homme vain qui s'énorgueilLit de sa race et de
son or !
Que les seuls oiseaux me réveillent par ces chants mélodieux
qu'ils n'ont point appris ! Loin de moi les ennuis pesans qui suivent
toujours l'esclave infortuné d'une volonté étrangère !
Solitaire et sans témoins, je veux vivre avec moi-même ; je
veux, libre d'amour et de jalousie, de soupçons, de haine, et
même d'espérances, jouir de ce peu de biens que je dois à la bonté
du ciel.
Au penchant de la montagne ,
je possède un jardin que j'ai planté;
le printems le couvre des plus belles fleurs, et déjà l'espérance me
montre les fruits que je dois cueillir.
Jalouse de contempler et d'embellir cette heureuse retraite, fontaine limpide une se précipite du riant sommet de la montagne.
Bientôt plus paisible, et dirigeant son cours sinueux entre les
arbres, elle revêt en passant la terre d'une molle verdure, et l'émaille
de mille fleurs.
Les zéphirs y entretiennent une fraîcheur aimable et m'apportent
des parfums exquis : au murmure harmonieux des arbres qu'ils balancent
,
j'oublie et les jouissances de l'or et la toute-puissance du
sceptre.
Ah ! qu'ils gardent leurs trésors ceux qui se confient au bois
d'un frêle et perfide vaisseau ! Puissé-je n'être jamais témoin des
larmes du nocher qui pâlit d'effroi quand l'auster et l'aquillon s'a'-
taquent avec furie !
Que les antennes entrechoquées fassent entendre un horrible
craquement ! Que ton éclat, ô jour, se change en nuit ténébreuse !
que de confuses clameurs retentissent jusques dans les cieux, que la mer avare s'enrichisse des débris de ces misérables !....
Que me faut-il à moi ? une table modeste où l'aimable paix fasse
les frais de mon frugal repas ; je ne dispute point les riches vaisselles
d'or à celui qui brave l'Océan courroucé :
Et, tandis que d autres insensés brûlent de la soif insatiable d'un
pouvoir entouré d écueils
, puissé-je assis à l'ombre jouir du charme
des beaux vers !
Oh! puissé-je chanter sous l'ombrage
,
le front couronné de lierre
et de l immortel laurier, ne prêtant mon oreille attentive qu'aux
accords mélodieux de cette lyre que peut-être je ne touche pas sans
art !..... S...sÉ.
Del Comercio de los Romanos, etc. — Bu Commerce
des Romains depuis la première guerre de Carthage.
( Voyez l'annonce entière dans le N° VI du Mercure
étranger. )
(SECOND ARTICLE. )
MESSIEURS
, en accueillant un premier article qui
appelait l attention de vos lecteurs sur un ouvrage espagnol
ayant pour titre : Del Comercio de los Romanos
,
etc., vous m avez déterminé à vous adresser quelques
nouveaux morceaux de cet ouvrage, pour répondre
à votre témoignage de bienveillance.
Iere époque, chap.Ier. ML'existence des Romains commença
au milieu des guerres; c'esl par les guerres qu'ils s'accrurent.
Un concours prodigieux de circonstances fit de
Rome un camp de soldats. Personne n'ignore l'origine obscure
et vile, pour ne pas dire ignominieuse, de cette célèbre
cité. Une troupe de vagabonds et d aventuriers ne pouvait
exister que par la force et les armes j les lois de Rome
se dirigeaient toutes vers ce but. Leurs exercices guerriers,
leurs jeux, les danses militaires
,
la course ,
le Tibre qu'ils
s exerçaient à traverser à la nage ,
étaient autant de moyens
employés pour fortifier les muscles de la jeunesse romaine
, car leurs muscles étaient les seuls garans de leur
liberté. La discipline militaire était le premier soin et la
première éducation des Romains i les couronnes ;
les
colliers et les pompes triomphales portaient l'émulation
et l'arrogance dans leurs ames féroces et belliqueuses j la
superstition
,
souveraine tyrannique des peuples ignorans
et grossiers, les enflammait du plus cruel fanatisme : la
divine origine de leurs aigles, les piques sacrées
,
les sermens
et les féciaux, les oblaTions pour les défunts
, et les
sacrifices aux dieux de la guerre, imprimèrent chez les
Decius un si grand courage et un si grand désir d'éterniser
leur nom ,
qu'ils s'immolèrent volontairement eux-mêmes
pour le salut de la patrie. Les prétendus descendans de
Mars eurent peut-être toute l'ignorance et l'enthousiasme
des disciples de Mahomet et d'Odin."
Après avoir indiqué la position géographique et politique
de Rome, après avoir fait connaître l'influence
de ses voisins sur le génie des habitans de cette ancienne
capitale du monde, l'auteur continue ainsi :
u Ces détails sont peut-être connus de beaucoup de
personnes ; mais un bien petit nombre ont pensé qu'il est
extrêmement difficile, et peut-être impossible
,
d'unir en
même tems et chez un même peuple le caractère d'un
soldat à celui d'un marchand : l'un est diamétralement
opposé à l'autre ; l'un est hardi, orgueilleux et féroce,
l'autre est timide, réservé et pusillanime : l'un ne pense
qu'à détruire
,
l'autre cherche constamment à conserver;
l'un acquiert par la force et les armes ,
l'autre avec la paix
et l'industrie : de sorte que pour joindre l'esprit de conquête
à l'esprit du commerce ,
il faudrait pouvoir concilier
la férocité avec la timidité
,
l'arrogance avec la pusillanimité,
la violence avec l'industrie
,
la guerre et la destruction
avec le repos et la paix.
» Outre ces divers penchans qui s'excluent entr'eux,
un peuple fier et conquérant regarde le commerce comme
une occupation vile et indigne de sa propre grandeur ; les
idées vastes ,
les plans étendus, les projets bnllans
,
les
pensées ambitieuses de gloire et de renommée
,
la splendeur
et la célébrité des victoires
,
la pompe et l'ostentation
des triomphes
,
les titres fastueux ne s'accordent pas aveC
, les petites idées et les calculs minutieux d'un marchand
(i). -
n L'histoire de tous les peuples barbares et conquérant
vient-à l'appui de ce principe Ces peuples ont une certaine
force d'âme que n'ontjamais connue les nations civilisées
et commerçantes j ils regardent comme indigne
d'un homme libre de travailler aux plaisirs et aux- jouissances
des autres. Lès anciens Germains, comme l'observe
Tacite
,
tenaient, pour vil et digne d'un lâche, de
se procurer par le travail ce quel'on pouvait acquérir
les armes à la main (2). Ires peuples barbares préférèrent
toujours le brigandage et la guerre au commerce; tejs
étaient les héros des Grecs avant leur civilisation; teis
étaient les Huns et les peuples septentrionaux qui désolèrent
l'empire j tels étaient les Danois dans les premiers
siècles ; et tels furent les Romains
, comme nous le verrods
bientôt : c'est pour cela qu'à Rome on' n'appréciait
que l'art militaire (3). La guerre procurait la noblesse,
les honneurs, les magistratures
,
les préséances ,' les inscriptions
,
les statues, les triomphes et les richesses. Rien
ne paraissait grand et digne d'un Romain que la guerre.
L'on peut en conclure avec raison que dans les premiers
siècles de Rome le caractère
,
l'esprit national
,
les institutions
,
les usages ,
les maximes politiques et religieuses,
et l'opinion publique, étaient entièrement opposées au
commerce. »
Pour faire connaître combien l'auteur avait approfondi
les moeurs de ces fiers conquérans, voici quel langage
il leur fait tenir au sujet de la loi Flaminia (4).
(1) Il faudrait supposer dans cet Etat, que chaque particulier eût
la tête pleine de grands projets
, et cette même tête remplie de petite,
ce qui est contradictoire. Esprit des Lois
,
liv. XX, ch. IV.
(2) Tacite de mor. Germ. 14.
* (3) Cie. pro-. Mur.
(4) Deuxième Ep., chap. !..
-Le sénat-craignait d'affaiblir, par le commerce , et.
d'abattre le courage, les sentimens élevés, orgueilleux et
féroces, qui formaient le caractère de la nation. Pour y
mettre obstacle, un publia la loi Flaminia
,
appelée Claudia
par. quelques-uns. La loi défendait expressément le
" commerce aux Patriciens
, et réservait cette profession au
peuple.
In Lorsque l'on discuta l'approbation d'une semblable
loi dans la Curie, il est probable que le consul L. Emilius
parla en ces termes :
n En vous conseillant,d'approuver une- loi qui proscrit
la profession la plus indigne des Romains., je suis certain
de rendre un plus grand service à la patrie, qu'en subjuguant
Démétrius, ily a un mois
,
et en assujétissant les
Illiriens : celte loi décide pour toujours de 11 grandeur
du nom romain. Nos pères se rendirent-ils maîtres de
l'Italie, en faisant le commerce avec les Eques
,
les Samnites
et les Lucaniens, ou.bien en combattant valeureusement
contre eux? Emilius Papus
,
Elaininius et Furius,
qui m'entendent et qui obtinrent de magnifiques triomphes
sur les Liguriens
,
les Gaulois et les Boïens j et celui qui
se trouve ici à mes côtés, Claudius Marcellus,I° llustre.
vainqueur de Britomarus et de l'Insu-brie, ont-ils porté
les limites de l'Empire jusqu'aux Alpes, en faisant le
commerce avec ces divers peuples, ou en les subjuguant
à la tête des légions? C'est la guerre qui nous a rendus
puissans, c'est elle qui a rendu votre nom redoutable à
toutes les nations j elle fut la profession de vos pères
, et
elle doit être la keule.digne des Romains nés pour donner
des lois au monde. Quelle honte ne serait-ce pas pour les
descendans des Camille, des Décius et des Papirius, de
se convertir en commerçans ! Et si quelques-uns sont possédés
d'une basse inclination ppur l'argent
, comme il y atout lieu de le craindre", car l'antique sévérité de vos
moeurs commence à se corrompre ,
même chez la plupart
de ceux auxquels je parle ici ; y a-t-il donc un champ plus
fertile que la guerre pour acquérir des richesses? Les
peuples efféminés et commerçans sont destinés à être
votre proie; ils amassent des richesses pour vous. Les
Etrusques furent vaincus sans peine ; les Tarentins, malgré
les secours de Pyrrhus
, ne purent vous résister; les
Campaniens vinrent, de le1V propre mouvement, vous
rendre hommage et vous reconnaître pour maîtres. Je
n'existerai déjà plus
, vraisemblablement
,
lorsque la
Grèce
,
la Macédoine
, et les royaumes d'Asie
,
obéiroht
aux Romains; mais ils leur obéiront un jour, je vous le
prédis. Rome versa toutes les richesses de la terre dans
ses murs ; il en coûta plus à vos ancêtres pour vaincre les
pauvres et belliqueux Volsques et les Sabius
,
qu'il ne voua
en coûtera pour conquérir une foule d'autres nations efféminées
et opulentes. laissons donc travailler les autres
peuples pour nous, et ne pensons qu'à les vaincre et à
les dépouiller. Suivons l'exemple de nos pères
r
qui se
rendirent puissans par la guerre, tandis que les peuples,
livrés au trafic, devinrent nos esclaves. n
» Telles étaient les maximes et les vastes idées des Ro-
-mains de ce tems. La loi Flaminia fut donc approuvée et elle opposa , un obstacle invincible au commerce des
Romains
, en discréditant et en déshonorant cette profession
,
qui fut regardée, dès ce moment, comme ignoble
et méprisable. Cette loi politique jeta une espèce d'infamie
sur le commerce , et toutes les lois, qui suivirent cette
époque jusqu'à Constantin
,
furent fondées
, comme on le
verra , sur ce principe absurde, que cette profession était
répréhensible et infâme. Il est certain que les préjugés,
une fois enracinés chez une nation
, ne peuvent y être détruits
si une main puissante ne s'en occupe, secondée,
d'ailleurs,par les doctes ouvrages d'écrivains infatigables,
occupés sans relâche à les combattre, et encore faut-il de
longues années pour y parvenir.
» Cicéron lui-même, orateur et philosophe, grand en tout, instruit parmi les Grecs dans le siècle le plus éclairé
de Rome., ne fut pas exempt de ce préjugé général de sea
concitoyens. Il faisait très-peu de cas du commerce et de
tous ceux qui vivaient du travail de leurs mains (5). *
Dans le troisième chapitre de la seconde partie
, sous
le titre de Butin immense des Romains, 1 auteur commence
de cette manière :
» Rome qui pendant l'espace de cinq siècles s'était glorifiée
de sa pauvreté, qui condamna un dictateur à l'infamie
pour avoir fait usage d'un vase d'argent ; qui eut tous
ses Dieux, même les plus vénéré.., en bois et en argile j
Rome devint tout-à coup la ville la plus opulente de l'univers.
Les Romains dépouillèrent toutes les nations, et
accumulèrent d'immenses et prodigieuses richesses. Quelque
pénible qu'en soit le récit, je ne puis me dispenser
d'en, présenter ici un t ibleau
,
qui n'a été tracé, jusqu'à
présent, par aucun historien, et qui peut jeter un grand,
jour sur ce sujet. »
Je me propose, Messieurs, de vous adresser la suite
de ce chapitre dans un troisième article. Je fonde l intérêt
qu'il pourra inspirer à vos lecteurs, sur un rapprochement
dont Fauteur n'a pu s'occuper, sans offrir à
l'imagination un de ces résumés importans, qui sont le
fruit d'une étude réfléchie de l'histoire. C. V.
(5) Opifices omnes in sordida arte versantur; nec enirn quidquam
ingenuum potest halere officina. Cic. lib. I. cap XLIl. Et autre part.
Nolo eumdem populum imperatorem esse terrarum et portitorem.
LANGUE ANGLAISE.
INGÉNIEUSE LEÇON SUR L'EXISTENCE DE DIEU.
LE fragment suivant est tiré d'un Mémoire ou Notice
du docteur Jeames Bealtie, professeur de philosophie
morale et de logique à l'Université d'Aberdeen, contemporain
et émnle des Roberson, des Hume, des Ferguson,
des Reid
,
des Smith
,
des Stewart et des Blair j auteur des
Essais sur la Musique et la Poésie, traduits en français,
il y a quelques années, d'un beau Traité de l'immuabilité
de la vérité, des Elémens de la philosophie morale, de
poésies élégantes, et sur-tout d'un petit poème célèbfe en
Angleterre, le Ménestrel.
Il perdit en 1790 l'aîné de ses fils, Jeames Bealtie,
jeune homme de la plus haute espérance, et qui, à peine
âgé de dix-neuf ans, avait été norqmé parle roi professeur
adjoint à son père. Dans la même Notice oh il déplore
cette grande perte avec l'accent de Quintilien frappé d'un
même malheur, il rend compte des soins qu'il donna à
l'éducation de ce fils chéri, des méthodes qu'il pratiqua
pour développer une intelligence qui semblait tardive,
de sa première leçon sur l'existence de Dieu.
-Son enfance, dit le docteur, n'avait eu rien de remarquable,
si ce n'est peut-être une douceur de caractère et
une docilité inaltérables, qualités qu'il conserva pendant
toute la durée de sa trop courte vie. Les premières leçons
de morale que je lui inculquai furent de nejamais mentir,
et de garder religieusement un seciet 5 je puis assurer qu'il
ne transgressa pas une seule fois ces préceptes.
r. Je me réservais d'imprimer dans cette jeune amie les
premières notions religieuses, quand je la jugerais suffisamment
préparée à les recevoir. Je n'apercevais point Ja
nécessité de surcharger la mémoire de mon fils de dogmes
et d'aphorismes théologiques. Eu tout genre d'instruction
et de connaissances
,
je ne voulais lui enseigner que ce
qu'il lui serait possible de comprendre. Je désirais ardemment
qu'une occasion s'offrît naturellement à moi d'éprouver
jusqu'à quel point, en la mettant légèrement sur la
voie, sa raison pourrait s'élever d'elle-même jusqu'au
grand principe, au principe fondamental de toute religion,
l'existence de Dieu. Je raconterai le fait suivant, non
comme la preuve d'une sagacité supérieure; en pareille
circonstance, d'autres enfans, je n'en doute point, auraient
senti et parlé de même ; mais comme une expérience
morale.
#
M Il entrait dans sa sixième année, et commençait à
bien lire : je ne lui avais encore rien dit de l'auteur de son
être; j'aurais craint de troubler sa jeune intelligence, et
j'avais appris par mon expérience personnelle que condamner
un pauvre enfant à répéter des mots qu'il ne comprend
pas ,
c'est porter le plus grand désordre dans ses
facultés naissantes. Profitant un jour de son éloignement
momentané, je traçai sur un petit carré de mon jardin
que je lui avais abandonné pour ses plaisirs, son nom ,
James Bealtie ; je semai du cresson dans ces petits sillons
assez profondément creusés et je nivelai la terre avec soin.
Dix jours se passèrent ; je le vis courir de toutes ses forces
à ma rencontre : ses traits exprimaient la plus grande surprise
et même une sorte de stupeur. Il saisit ma main et
me dit : oh ! venez voir ! voilà mon nom qui croît dans les
herbes du jardin ! Je souris et feignis de ne point
ajouter foi à cette prétendue merveille. Il me pria, me
supplia; il mit dans ses instances un ton caressant et surtout
une énergie que je n'avais point encore remarquée
dans ce doux et paisible caractère. Je me laissai conduire
en le raillant un peu de sa crédulité. Vous le voyez,
s'écria-t-il, James Beattie!..... Mais comment cela a-t-il
pu se faire? ajouta-t-il avec beaucoup de vivacité. Je
réponds négligemment : vous ne vous êtes pas trompé ,
je le vois
,
mais il n'y a rien en tout ceci de bien merveilleux
j le hasard fait de ces choses-là. Et je lui tournai la
dos pour entrer dans tine autre partie du jardin. I! me
suivit, saisit avec force un pan de mon habit, et fixant
sur moi un regard où brillaient à-la-fois la curiosité la plus
ardente, une impatience impétueuse et quelques rayons
cl une vive intelligence
,
il me dit : le hasard n'a point fait
cela lout seul ; il faut bien que quelqu'un ait tout préparé,
tout arrangé exprès. Ainsi son jeune esprit entrevoyait
déjà les rapports abstrails d'effet et de cause ,
de conséquences
et de principe, d 'oeuvre et de dessein ; j'éprouvais
une secrète et inexprimable joie. —Ainsi donc, luidis-je,
vous ne croyez point que le hasard ait produit cet arrangement
régulier des lettres de votre nom?-Je ne le crois
pas, répondit-il avec beaucoup de fermeté. — Eh bien !
r egardez-vous vous même. Examinez votre doigts main , vos
, vos bras
, vos pieds ; ne sont-ils pas aussi régulièrement
arrangés, et n'en tirez-vous pas de grands services?,
Oui certainement.— Et qui vous a mis dans ce monde?
Qui vous a fait tel que vous êtes? Est-ce le hasard? - Non, cela ne peut-être; il faut assurément que l'on
m ait fait. — Et qui vous a fa t? — Je ne sais, répondit-il
après un court silence. Je notai celle réponse; elle n'était
point celle que Rousseau met dans la bouche de son fantastique
élève, après une question toute semblable.
Maintenant, continuai-je
,
regardez le ciel, la terre, ce beau soleil : si le hasard n'a pu même produire un aussi
frêle ouvrage que cet arrangement régulier de quelques
lettres, pensez-vous qu'il ait pu créer le monde ! — Oh !
cela n'est pas possible î
« Je l'avais enfin amené au point où je l'attendais. Je
vis que, sans pouvoir s'exprimer suffisamment, sa raison
percevait non-seulement l'idée d'effet et de cause, mais
encore d'une cause intelligente pour un effet régulier.
Alors je lui prononçai le nom de l'être infini qui l'avait
créé, lui, le monde, et toute la création vivante; je lui
exposai quelques-uns des grands traits de cette divine
sagesse, de cette intelligence souveraine partout empreinte
dans l'oenvre de ce merveilleux univers ; toutefois je ne
lui parlai qu'avec mesure et sobriété de son admirable nature
et de ses attributs; me bornant à ces notions générales
et primitives que la pure raison d'un enfant pouvait comprendre
: mais j'établis fermement dans son esprit l'idée
et la croyance d'un être créateur ; c'est ce que j'avais uniquement
désiré j je ne pouvais lui rendre un plus grand
service comme père
, comme homme
,
et comme citoyen.
Cette leçon lui fit une impression profonde : il ne l'oublia
jamais, et elle est pour moi-même un des souvenirs qui
me rappellent le plus douloureusement sa perte. Ainsi
sont trompées toutes les espérances humaines ! Oh vains
projets et vain orgueil d'un père ! Siccine separat amara
-mors ! ....... » BIBL. S..É.
The Shipwreck, hy WILLIAM FALCONER. -Le Naufrage
; par GUILLAUMEFALCONER. ( Poème anglais en
trois chants. )
L'AUTEUR de ce poëme n'est point du nombre de ceux
dont la vie uniforme et sédentaire offre pour toutes
époques celles de la publication de leurs ouvrages.
Falconeréprouva les vicissitudes d une existence agitée;
c'est ce qui me porte à dire quelque chose de lui
,
avant d'en venir à l'analyse de sa production la plus remarquable.
Voici donc le résumé d une notice placée a
la tête de son poëme.
Jusqu'à l'année 1751
,
tout ce que l'on sait de lui,
c'est qu'il naquit en Ecosse, et vécut dans une situation
très-gênée. Alors, il commença de se faire connaître
par un poème sur la mort du prince de Galles.
En 1762
,
il publia la première édition du Naufi-
age
,
poëme en trois chants. Il y décrit la perte de
la Britannia
,
vaisseau marchand
,
qui
,
allant, d'Alexandrie
à Venise fut submergé sur les côtes de la
Grèce. Quand il n'aurait pas choisi pour épigraphe le
passage de Virgile:
quceque ipse miserrima vidi
Et quorum pars magnafoi;
on ne pourrait méconnaitre en le lisant qu'il n'eut décrit
un événement dont il avait été le témoin et presque totalement
la victime. Les beautés réelles de l'ouvrage ;
l'heureuse idée qu'il eut de le dédier au duc d'Yorck,
frère du roi, et alors officier dans la marine royale
,
eurent une influence avantageuse sur sa fortune : de
simple marin qu'il avait été jusqu'alors, il devint commissaire
des vivres à bord du vaisseau de ligne le Royal
Georges.
Le Naufrage avait eu trois éditions
,
lorsqu'en 1769,
Falconer, espérant tirer un parti avantageux d'un
voyage aux Indes-Orientales
,
s'embarqua sur la frégate
YAurore. Il avait échappé avec deux seuls de ses
compagnonsau désastre de la Britannia; moins heureux
cette fois, il fut enveloppé dans celui du vaisseau qu 'il
montait. L'Aurore quitta le cap de Bonne-Espérance
au mois de décembre; et depuis ce tems on n'eut
plus de nouvelles ni de celte frégate
,
ni de son équipage.
Falconer, outre le Naufrage
, composa une Ode au
duc d' Yorck, sur son second départ d'Angleterre, comme
contre-amiral ; Une Satyre contre lord Chatam, et un
Dictionnaire de marine, fort estimé.
Dès le début du Naufrage
, on sent que l'énergie de
l'expression et l'imagination poétique ne manqueront
pas à l'Auteur. Il se représente dans une grotte sur le
bord de la mer, prêt à chanter ses propres malheurs et
ceux de ses compagnons ; tandis que l'univers est en
armes, et M que l'océan entend de redoutables tonnerres
M gronder d'un pôle à l'autre sur ses flots épouvantés. »
Il invoque les muses ; mais daigneront-elles l'inspirer ?
Un jeune homme, unsimple matelot, inconnu d'Apollon
et des divinités du Parnasse pourra t-il obtenir l'entrée
de leur temple ? Ici est une indication rapide et animée
de toutes les côtes, de tous les pays qu'il a visités dans
ses voyages, cherchant envain la fortune, «n'ayant pour
» compagne que l'adversité
,
et marquant chaque chan-
» gement de lieu par un changement de malheurs. » De
tous ces détails
,
fort bien exprimés, il résulte qu'il avait
parcouru une grande partie de l'univers
,
et qu'il devait
être déjà familiarisé avec la détresse, lors de l'événement
qu'il va décrire.
Après une nouvelleinvocation, adressée à la Mémoire,
il représente la Britannia, faisant voile de l'Egypte à
Venise. Son joyeux équipage avait déjà parcouru les
plus riches ports de l'Afrique
,
et ceux de la belle Italie.
Ignorant le sort qui lui était réservé
,
il espérait revenir
bientôt des bords du Nil dans sa patrie, lorsqu'il aurait
touché à Venise; et déjà
,
il était arrivé à Candie.
« Puissances éternelles ! s'écrie Falconer, comme la
» ruine et la désolation marquent au loin les traces bar-
«bares de la guerre ! » et aussitôt, il oppose à l'état jadis
florissant de cette île la triste situation où elle est aujourd'hui.
Ce contraste est si naturel qu'il ne faut pas en
faire un mérite au poëte. Il n'est point d'écrivains
,
ayant
voyagé en Grèce
,
chez qui cette même idée première
ne se retrouve. C'est quelquefois pour eux une sorte
de désavantage; puisque tout lecteur, doué de sensibilité
et ayant quelqu'érudition, a pensé d'avance une
partie de ce qu'ils vont lui dire. Il reste à ces auteurs la
ressource d'attacher, en multipliant les images; et, sous
ce rapport, Falconer est digne d'éloges; quoiqu'il n'ait
pas plus que bien d'autres évité tout-à-fait la monotonie,
attachée à un tel sujet. Il a d'ailleurs un mérite qui lui
est particulier et qui se fait souvent sentir. On éprouve
quelque surprise de ce qu'un marin qui a parcouru le
monde, de ce qu 'un matelot connaisse si bien et sache
rappeler si à propos les faits fabuleux ou authentiques
mais toujours intéressans dont , se compose l'histoire de
F ancienne Grèce. On en conclut que cet homme
,
ayant
reçu une bonne éducation, n'était pas à la place qui lui
convenait; et le poëte, comme son ouvrage, n'en inspirent
que plus d'intérêt.
Falconer se demande comment il est possible que «les enfans de Neptune, généreux, braves et hardis
» s exposent a tant de hasards et de peines pour acquérir
un or sordide. » La réponse est simple : elle se trouve
dans la puissance de l'or • puissance décrite par le poète,
en quelques vers , avec une force qui annonce en lui
un talent prononcé pour le genre satyrique.
Il nous fait ensuite connaître Albert, capitaine du
vaisseau, et plusieurs officiers. Il faut se représenter la
satisfaction mélancolique éprouvée par le poëte lorsqu'il
traçait ces portraits, pour ne pas les trouver un
peu trop étendus; mais du moins, l'épisode du jeune
Palémon offre d'heureux détails. Amoureux d'Anna,
fille d'Albert, il n'a pu obtenir" de son propre père,
homme avare et dur, la permission de s'unir à elle; on
l'a forcé de s'embarquer, et il a depuis ce tems parcouru
les mers avec Albert, en conservant à sa. belle
Anna un amour éternel.
Palémon a du moins un ami dans le jeune Arion ; et
il lui raconte ses peines, tandis que le vaisseau est à
i ancre, attendant un vent favorable. Ce récit est fort
touchant, sur-tout lorsque Palémon retrace le moment
où il fut obligé de se séparer d'Anna. Les sentimens sont
vrais, les expressions justes i ainsi, au talent de décrire,
Falconera prouvé qu'il savait joindre le talent plus grand
sans doute
,
de bien peindre les affections de l'âme
,
et
de faire parler aux passions leur véritable langage.
Cette confidence se fait à la vue du paysage charmant
et classique dont est entourée la ville de Candie
,
fameuse par un siège si long et si meurtrier. De
tels souvenirs, habilement rappelés, rendent fort attachante
cette partie du poëme. Le chant finit très bien
par une description du vaisseau, tel qu'on l apercevait
de la terre. Elle est faite avec l'enthousiasme d'un
marin, et une magnificenced'expressions qui annoncent
le véritable poëte.
On peut regarder tout ce qui a précédé comme une
espèce d'introduction
,
qui, du reste, n'est nullement
déplacée ; mais, dès le second chant, le poème commence
à prendre une physionomie essentiellement originale.
La nécessité de resserrer cette analyse m'oblige
à m'en rapporter ici à l'imagination des lecteurs
, sur
une foule de circonstances que je ne pourrai pas même
indiquer. Ils doivent se représenter Falconer, parfaitement
versé dans la connaissance de la navigation
,
et se
faisant un devoir de ne rien omettre de ce qui précède
ou accompagne le désastre du vaisseau. Son second
chant est donc une narration circonstanciée qui se rapproche
des relations des voyageurs , par les matières
qu'il traite; mais l'auteur saisit toutes les occasions possibles
de se montrer poëte. Par exemple, le commencement
de ce chant est un adieu à la belle contrée qu'il est
forcé de qbitter; et il exprime
, en vers très-bien faits,
les regrets d'un marin
,
qui va voir succéder à ce
spectacle délicieux et paisible celui des vicissitudes
inséparables de son état.
Il y a de l'intérèt et une extrême vérité dans la peinture
des accidens qui rendent la, situation du vaisseau
de plus en plus périlleuse; mais cette vérité ne se re- trouve pas à un aussi haut degré dans la délibération du
capitaine avec ses officiers, sur le parti qu'il convient
de prendre. On voit que le poëte a voulu déployer éloquence son dans d assez longs discours
,
et que ce désir
lui a fait perdre un peu de vue la situation de ses personnages.
Le troisième chant commence par un bel éloge de ia
poésie et d'Homère, dont le nom en est inséparable ; ensuite l auteur a l adresse de faire sentir que le choix
de son sujet doit lui mériter l'attention, l'intérêt même
de ses compatriotes; et il continue à raconter les désastres
de la Britannia.
Ce vaisseau est poussé
, par la tempête, vers les côtes
de la Grèce; et Falconer saisit cette occasion de faire
une revue poétique des villes, des personnages, des
principaux événemens qui ont illustré cette 'contrée à
jamais fameuse. C'est-là qu'oubliant, quelques instans,
l'état critique où se trouve placé l'équipage an- glais
,
il s'abandonne à tout son enthousiasme pour célébrer
les héros des anciens tems. Tout en payant son tribut d'éloges à l'immortelle Athènes
,
à Corinthe, etc.;
c est sur-tout pour Lacédémone qu'il professe une admiration
sans bornes. Après avoir exalté Léonidas et
son dévoûment sublime, il s'écrie, en apostrophant
Sparte : « l 'Asie vaincue n'entendit prononcer ton
» nom qu'en tremblant, ta renommée fit pâlir Thèbes et
» Athènes! ton état politique, appuyé sur les lois de
» Lycurguemérita, comme ta gloire militaire, des-ap-
» plaudissemens unanimes. Le grand Epaminondas
11 lui-même s'efforça vainement de courber sous le joug
» de Thèbes l'esprit public qui t'animait. » Puis vient l position de l'état actuel de Misitra, et ie ces tems si glorieux pour l'antique Sparte. Il en est
de même lorsque le poète peint les vallées del Arcadie,
autrefois habitées par des pasteurs aussi heureux que
paisibles. « Maintenant, quel douloureux contraste
!
la
J) main de fer de l'oppression enchaîne ses enfans
,
et
» dévaste son sol. Intrépides, et ne respirant que la
» rapine, des troupes de brigands exercent
,
pendant la
« nuit, leurs ravages sur ces champs désolés. »
, Now
,
sad reverse ! Oppression's iron hand
» Enslaves her natives
,
and despoils the land.
3) In lawless rapine bred , a sanguine train
s With midnight ravage scour th' uncultur'd plain ».
Cette citation fait voir, d'abord
, que le poëme est en
vers rimés, ce qui donne à Falconer le mérite d'avoir
vaincu une assez grande difficulté, ensuite que je n 'ai
pas loué sans raison l'énergie de ses expressions. Une
foule d'autres citations, s'il m'était possible de les faire,
ne pourraient que confirmer cette dernière assertion.
Quand le poëte a, en quelque sorte ,
épuisé son érudition
à retracer tant d'imposans souvenirs, il revient à
ses compagnons ; mais c'est pour les montrer dans l état
le plus déplorable. La tempête exerce toute sa rage; le
vaisseau, qù'on ne peut plus gouverner, est poussé
contre un rocher ; une première secousse l'entr'ouvre,
un seconde l'engloutit. Ah! que le poëte n 'a-t-il, comme
Virgile, le talent d'émouvoir les coeurs, il peindrait le
malheureux Albert voyant, à sa dernière heure
,
périr
autour de lui tous ses compagnons, comme Priampérit
au milieu de sa famille et dans sa ville en flammes
,
etc.
Tels sont les regrets de Falconer. Du moyis, toute
comparaison à part, le tableau qu il trace est d un habile
maître, c'est-à-dire d 'un poëte qui sait laire partager
aux lecteurs son émotion profonde. Les vers où Albert,
près de périr, sent son coeur brisé par des maux
bien plus grands que l'approche de la mort, sont d'une
rare beauté. L'infortuné capitaine se reorésente alors î * 1 His faithful wife for ever doom'd For to mourn him
,
alas ! who never shall return j To black adversity's approach expos'd, With want and hardship unforesseen enclos'd;
His lovely daughter left without a friend
Her innocence to succour and defend , By youth and indigence ; To set forth a prey lawless guilt, that flatters to betray.
u Sa fidèle épouse condamnée à le pleurer sans cesse ; lui qui, hélas ne retournera jamais près d'elle, exposée
a, l'affreuse adversité et à des maux, des besoins qu'elle
n avait point prévus j sa charmante fille, abandonnée
sans avoir un ami qui puisse la secourir ou défendre son innocence } et devenant, par sa jeunesse et sa misère, la
proie du crime effréné qui flatte la beauté pour causer sa ruine. n ~ Alors
, par une de ces circonstances malheureuses
qui se renouvellent souvent dans les naufrages
,
tenant d'Albert, le lieu- jeté près de lui par les vagues au mo- ment où il se noie ,
s'attache à lui fortement, et, l'ayant
saisi par la jambe, l'entraîne sous les flots..
» Le malheureux Albert sent que sa fin approche; il se débat pour se dégager, mais c'est en vain, car la mort veut qu'il ne puisse échapper à ses étreintesfatales Ci). JLpuise
,
il élève au ciel ses yeux mourans ; il s'écrie : Ah ! protégez ma femme et mon enfant Les vagues interceptent
sa voix : il pousse un dernier soupir; il meurt et est jeté vers le-rivage.
n
*.
A
(I) Cette pensée si poétique
.
si terrible est exprimée dans un vers d u„e tournure très-originale
,
mais qu'on ne peut guère traduire littéralement. vu la ressemblance de signification des trois derniers
"For death bids ev'ry clinching joint adhere.
Arion, ce jeune homme à qui Palémon a raconté ses
amours, parvient à se sauver avec deux autres. Il cherche
son ami et l'aperçoit entre des rochers, vivant encore,
mais dans l'état le plus affreux. Sur sa poitrine brille,
attaché par une chaîne d'or, le portrait d'Anna. Palémon
charge Arion d'exécuter ses dernières volontés,
dans un discours dont l'unique défaut est peut-être encore
un peu de prolixité. Après l'avoir prononcé, il rend
le dernier soupir.
Les vers qui terminent le poëme sont d'une teinte mélancolique
,
et d'une simplicité parfaitement convenables
au sujet.
« Les Grecs arrivent alors pour secourir le petit nombre
de ceux qui avaient échappé à la tempête ; ils voient en
passant les flots couverts de débris et de cadavres
, et
trouvent seulement trois Anglais encore vivans : ils étaient
couchés sur un rocher
,
faibles
,
engourdis et gardant un
morne silence. Les généreux habitans
,
touchés d une
tendre pitié
,
soutiennent dans leurs bras ces étrangers
affaiblis ; ils déplorent, par des soupirs de compassion
,
leur cruelle destinée
, et les conduisent, encore tout tremblans
,
loin de ce fatal rivage. »
Observons, en terminant, que, quoiqu'il fut l'un des
trois marins sauvés, Falconer n'a nullement songé à
entretenir de lui ses lecteurs ; pas un mot ne le désigne.
Il a mieux aimé tracer des tableaux pathétiques
du malheur de ceux qui tenaient à la vie par les plus
doux liens, que de se livrer au plaisir, qu'on lui eût
pardonné sans doute, d'attirer sur lui-même l'attention
et l'intérêt. S'il y a dans une telle manière dépenser une
modestie très-rare
,
il y a aussi beaucoup de jugement,
et ce trait doit ajouter à l'estimequ'a méritée, à plusieurs
titres
,
le chantre énergique et touchant du Naufrage.
R. J. DURDENT.
LANGUE HONGROISE.
SUITE DES OBSERVATIONS sur la Littérature HONGROISE.
AVANT de parler des ouvrages d'Etienne Gyongyosi, il
ne sera pas hors de propos d'offrir à nos lecteurs la biographie
abrégée de ce célèbre poëte hongrois du dixseptième
siècle
,
qui a si justement mérité d'occuper place distinguée, même parmi une les meilleurs poëtes de
i Europe ses contemporains (i).
M. Dugonics qui a publié, en 1796, les oeuvres de
Gyongyosi, a tracé en même tems la biographie de cet illustre poëte ; mais
,
malgré ses recherches, il n'a pu par- venir à savoir précisément l'époque de sa naissance.
Ayant cependant trouvé dans les archives du comitat de Gomor qu'Etienne Gyongyosi avait été
, en i653, membre
du tribunal de ce comitat tabuloe judiciarioe), l'auteur suppose qu'il naquit en 1620. Ayant achevé ses
études en 1640, il fut accueilli par le comte Veselényi de Hadad, dans la maison duquel il jouit d'une estime par- ticulière pendant treize années.
En 1653 il se maria, et fut nommé, ainsi que nous
venons de le dire, membre du tribunal du comitat de
Gomor.
(r; Horanyi, dans son ouvrage intitulé : Memoria Hungarorum
et pronincialium scriptif editis notorum, qui a paru en 1776, en par- lant d 'Etienne Gyöngvösi, s'exprime en ces termes :
c< Quantum Tasso Italia, Yoltairo Gallia, Opizio Germania,
tantum profecto Gvongjosio suo debet Bungoria. Nihil enim pul- •hrius ipsius versihus. Carmen ejas nitidwn et sponte flnens , cogilationesJcecundce
atque aeuia. Omitto tlegantissimas deseripiione.c , adrec/us amoris , ocfii, cnmmiserationis, aliasque animivicissitudines,
natipis quasi coloribus depictas, acfere oculis subjectas
, quas vi.,
mflltus aut eiegantius vel in priscorum poetarum monumentis repenamus.
J>
^
hn 1681
, à l âge de 61 ans ,
il fut envoyé en qualité député du de comitat dans celui de Heves, pour des affaires
publiques. Ayant rempli cette mission à la satisfaction de
ses commetlans, il fut député dans la même année à la
diète du royaume, assemblé à Oedenbourg. f' En i685, il fut chargé d'une mission importante auprès du comte Antoine Carafa. La relation qu'il en fit à son retour dans l'assemblée des Etats du comital de Gümor,
se trouve insérée dans le protocole de ce comitat.
En 1686, Gyongyosi
,
âgé de 66 ans, d'après les voeux de p usieurs grands personnages et de la noblesse, est proclamé vice-president (2) dans son comitat.
En 1687, il fut député de nouveau à la diète tenue à Presbourg.
En 1688 et 1690, il est confirmé dans sa place par les suffrages unanimes des Etats. L'année suivante, accablé
par le poids des années, il veut résigner; mais
,
mande générale à la de- des Eiats, il continue ses fonctions. Depuis
cette époque, il remplit cetie charge presque sans interruption jusqu'en 1704. C'est alors qu'après avoir
parcouru une carrière des plus honorables, il mourut
âge de 84 ans.
(2) Dans chaque comitat, et il y en a cinquante-trois .
les Etat,
se rassemblent tous les trois ans ;
à une époque fixe
, majorité des pour élire à la voix, ou plutôt par acclamation, le vice-président ( vice-comes),le second vice-président et les autres fonctionnaires du comitat. Chaque comitat est gouverné par un président (supre- muscomes),quiestnommé parleroi(a). Le convoque les Etats toutes les fois qu il a des affaires importantes à leur communiquer, et alors l'assemblée des Etats est générale ( congre- gralio generalis). Ordinairement c'est le vice-président quifait
rassembler les Etats, et dans ce cas ,
l'assemblée prend lenom d assemblée part.cuhère C congregatioparticularisé Le vice-président
a un suppléant qui s'appelle substitutus rice-comes. Les autres fonc-
Ily a des magnats datis les familles desquels la présidence est perpétuelle (a)Ilya transmissible aux aînés. ;
Pendant son séjour auprès du comte Veselényi
,
il
composa un poëme en quatrains qui a pour titre : la Vertus
de Murány, et qu'il dédia par reconnaissance à l'épouse
du comte, Marie Szécsi. II y décrit la valeur du comte
Veselényi, devenu parla suite palatin de Hongrie, ses
exploits contre les Turcs, le stratagème par lequel il s'empara
du fort de Murâny, alors entre les mains des partisans
du fameux Râkôczi ; il y chante la beauté, la sagesse
de la comtesse Szécsi, renfermée dans ce même
fort, l'amour qu'elle avait inspiré à ce héros
, et leur
hyménée,par lequel le comteVeselényi devint le seigneur
du château de Murâny (3).
tionnaires sont le premier notaire ou greffier ( notarius ordinarius ),
deux vice-notaires
, et par chaque district
,
il y a un juge (judex
nobilium ), un juge-adjoint, un juré (jurassor (b), un receveur
particulier, et pour tout le comitat un receveur-général des contributions.
Les autres membres (assessores ) sont choisis
, comme les
premiers, dans le corps de la noblesse. Les villes libres royales y
envoient deux députés qui n'ont qu'une seule voix. L'entrée dans ces
assemblées est ouverte à tous les nobles; mais ils n'y ont aucune
voix
,
excepté à l'occasion de l'élection des fonctionnaires qui se fait
toujours
, comme nous l'avons remarqué
, par acclamation. Des trois
candidats que le président propose ,
celui qui réunit le plus de voit
est proclamé. Les bourgs et les villages y envoient aussi des députés,
mais ils n'ont pas le privilège de voter.
(3) Le fort de Murany, situé dans le comitat de Gômor, était
autrefois regardé comme inexpugnable ; il est bâti sur un rocher
extrêmement élevé. L'inscription latine qu'on lit sur les murs du fort
atteste qu'il a été pris par le comte Veselényi, en 1646. Il n'y a pas
pas long-tems qu'on y a trouvé plusieurs tombeaux
, parmi lesquels
(b) Aucun procès ne peut être intenté en Hongrie que les parties ne se présentent
,
parleurs fondés de pouvoir
,
devant le juge et le juré du district auquel
appartientla partie qui est attaquée. Nous remarquerons en cette occasion que
cette forme de procédure a e!e empruntée à la France sous Charles I, en 1309.
Depuis J'an 999, époque de la naissance du roi saint Etienne
,
jusqu'en 1309,
par conséquent pendant 310 ans ,
les jugemens se rendaient par l'épreuve du
feu et de l'eau bouillante
, comme cela se pratique encore dans quelques pays
asiatiques
, et notamment à l'île de Ceylan
1.
parmi les Cingalais.
Ce poëme renferme beaucoup de beautés, sur-tout
dans le genre descriptif; les tableaux y sont bien tracés, il y
règne un grande variété dans les images, ce qui contribue
à donner du mouvement et de la rapidité au style. On a
seulement à reprocher à ce poële des allégories entassées
qui nuisent à l'ensemble et fatiguent. Mais malgré ce
défaut, qu'on aperçoil dans la plupart de ses poésies
,
elles
peuvent servir de modèle aux poètes modernes hongrois
qui regardent Gyongyosi comme le premier poëte épiclue
de leur nation (4).
est celui de Marie Szécsi, née Drngeth de Homonna, épouse de
François Veselényi, palatin de Hongrie il porte l'épitapke suivante :
Hcec ego quondam comes Szc%eni.a Dmgetlz
HOllll1l01maid!llllMaria nomine clara^fui.
Claudor in angusla , post novis.sirna, tumla A/7 , moror : hic placide nam recubare licet.
Tristes sæpe dedi , devoto pectore, planctus , EiXtiniulans Christum voce gcmente meum.
Ingredior terrce gratasjam lceta latebras , l.cPtsor ad Christi mox oritura tuhas.
uic licet hoc antro , prostrato corpore , condar;
Liber at in ccelo spiritus astra movet.
Quisquis es , lit mecum ccelo condiscere, nee non
In Domino raleas vivere, disce mori.
Le fort de Murany est bien déchu aujourd'hui de sa célébrité. Les
palais qui en faisaient jadis l'ornement, à peine laissent-ils encore
quelques vestiges de leur magnificence. II appartient aujourd'hui
à la famille des comtes Kohari, et l'on a bâti depuis une nouvelle
ville au pied du fort qui ea a conservé le nom.
(4) Gyöngyösi n'a pas été moins apprécié par ses contemporains,
ainsi que le prouvent les vers suivaus
,
d'ailleurs assez médiocres
t[ui lui ont été adressés de , son vivant.
Virgilius rates Romaicr gloria gentis ;
Hlwç;,:/"iæ nostrcp gloria tuque manes.
Anna virumque tuba grandi mll.fæ ille canebat,
Sic tua be/ligeros clangit et ipsa duces,
II composa son second poème sous le titre de. Palinodia
Prosopopeïa Hungarioe, en 1681, et le dédia au
comte Paul Eszterhâzy, palatin de Hongrie. Le sujet du
poëme est la décadence de la splendeur et de la puissance
de la couronne de Hongrie. Le poëte y retrace l'ancienne
gloire de sa patrie, et les victoires remportées sur les différentes
nations ses ennemies. Il altribue les calamités qui
accablaient la nation aux divisions qui régnaient parmi
les Hongrois. Il les exhorte à rétablir dans leur l pays union et la concorde sous les auspices du nouveau palatin auquel le poëme est dédié.
Le troisième a pour titre : Couronne de roses ; il fut
publié en 1690. L'entreprise si épineuse de passer de la
mythologie à l'histoire sainte
, sans que les tableaux profanes
de la première nuisent aucunement aux images etaux
mystères de l'autre
,
n'a pas été tentée sans succès
.YV Gyogyosi tibi quod prceclarum (gemmeus idem (a)
Majores tribuunt nomen , et omen habes.
Namque tuos quotquis versus expendit amcenos, Tot gemmas musce colligit illa tucc.
Atque tuce elarce stirpis tam nobile nomen , Virtute , arte auges nobiliore tuum.
Prceelarce fateor te stirps tua nomine donat,
Clarius at Vatem Masa adamata suum.
Nam te mille inter laudes , prceconia mille
Hcec vatum lauro tempora cingit ovans.
Jactetjamque suum spectatuin Mantua Vatemy
yLssurget try ijr/eyos , concinet hcecque suum.
Fulge orgo nostrique PolidoctceHungarice astrum
'
uic G-jongyosiadumgloriafisque decus.
Semper IIOIIOS nomenque tuum celebrabitur omni
- (la i9ua tuas gemmas , carmina docta leget.
(a) Allusion à son nom , qui veut dire gemmens ,
de perle.
dans ce poëme. Gyongyosi, après avoir presqu'épuisé la.
mythologie, embrasse le sujet de l'histoire de la vie de la
sainte Vierge avec une rare habileté. Ses vers sont coulans
, et son style est à la hauteur du sujet qu'il traite.
Le poëme qui a pour titre Jean Kemény fut imprimé
en 1693. Le poëte décrit le mariage de Jean Kemény,
prince de Transylvanie, avec Anne Lonnyai, sa captivité
en Turquie, ses exploits militaires contre les Turcs pendant
sa souveraineté
, et sa mort héroïque. Ce poëme est
le plus estimé parmi ses productions. Le charme et l'harmonie
qu'on trouve dans ses vers, et la richesse de son
imagination en rehaussent infiniment le prix; enfin, le
talent rare que le poëte déploie dans le genre descriptif,
lui a assuré une place honorable parmi tous ses, contenir
porains.
Les deux derniers poëmes de Gyongyosi sont Cupidon,
composé en 1695, et Chariclia, qui a paru en 1700. Dans
tous les deux, on voit le même génie poétique. Dans ce
dernier, il a dénaturé, on ne sait pourquoi, les noms
grecs tels qu'on les trouve dans Héliodore. Photius et tant
d'autres écrivent Charicléa, Théagénes, Thiamise3 etc.,
le poëte hongrois a changé ces noms en ceux de Chariclia,
Theogènes, Thiamuse.
LANGUES DU NORD.
Analyse du poëme de LIDNER
,
intitulé LA MORT DE
LA COMTESSE SPASTARA.
CE poëme est un tribut payé par le talent et la sensibilité
aux mânes d'une femme intéressante, qui périt
dans le tremblement de terre de Messine en 1783, victime
de l'amour maternel.
u Dans quelque lieu que ce soit, dit le poëte, parmi
les âpres rochers de la Nouvelle Zemble, ou dans les
champs brûlés de Ceylan
, partout où il se trouve malheureux, un il est mon ami, mon frère; en apprenant
ses infortunes, ô nature l je t'offre ma douleur et mes larmes. »
» Le vent de l'adversité a flétri les fleurs de mon printems
; mais me plaindrai-je de ma destinée? si je n'avais
compté qué des jours heureux, j'ignorerais peut-être encore
que j'ai un coeur. Lorsque tu péris, ô Spastara ! parmi
les flammes, au milieu des ruines, en suivant la voix de
l amour maternel, je ne serai pas insensible, je ne serai
pas dur comme le ciel semble l'être trop souvent.
n Au bord de cette source solitaire que la mélancolie
environne
,
je te porte l'offrande qui t'est duc ; ici je prends
ma lyre ,.ici je veux laisser couler mes pleurs : c'est le seul
tribut que je puisse te présenter, et ton ombre sans doute
n'en demande point d'autre (1) *.
Tel est le début du poëte ; il trace ensuite le tableau
du sort déplorable de Spastara
, en suivant la relation
qui en avait été publiée, mais en se livrant en même
(1) Le poëte a pris pour épigraphe : His saltem accumulem donis
ttfungar inani munere. VlRG. Eneide VI.
iems à l'élan de son imagination et à l'émotion de son
ame.
Spastara (i) née en France, et fixé par son mariage
à Messine, coulait des jours heureux dans la paix, dans
l'union, et se faisait remarquer par ses vertus autant
que par ses graces et sa beauté. Devenue, depuis peu ,
mère d'un fils, elle lui prodiguait les soins les plus tendres
,
et partageait son coeur entre son enfant et son
époux.
M Le prinlems conduit sur des nuages d'or et tenant
dans sa main la corne d'abondance renouvelle autour des
riches bords de Messine sa gloire et son triomphe. Messine
brille entre les cités, et la richesse, la prospérité
régnent dans son sein ; mais parmi les trésors qu'elle possède
,
le pins beau c'est Spastara.
» Au déclin dv jour
,
la voix mélodieuse du rossignol
appelle Spastara vers un ruisseau que les zéphirs arrosent
de leurs douces haleines. En y portant ses pas ,
elle apperçoit
son fils qui se joue dans le berceau ; passera-t-elle
sons l embrasser? elle s'approche de lui, le couvre de
baisers ; ô mères ! vous sentez son bonheur! L'heureux
époux qui l'accompagne, les serre l'un et l'autre contre
sou coeur, et se livre aux mouvemens de la joie la plus
pure.
n Dieu! s'écrie-t-elle en portant ses yeux vers la mer qui
déjà commence à s'agiter, mon bonheur est trop grand
pour pouvoir durer long-tems. Cependant, ô! mon bien
aimé, rassurons-nous ; celui qui est la source, le père
de la vertu, doit à la vertu sa protection ; pourrait-il être
jaloux de la voir heureuse sur la terre? n
(i) Elle était fille d'un conseiller au parlement d'Aix en Provence,
et avait environ vingt-deux ans ; son mari était de la famille distinguée
des marquis Spadara ; plusieurs personnes dans son pays
natal se rappellent encore l'avoir connue. Le poëte a changé le
nom de marquise Spadara en celui de comtesse Spastara.
Mais le moment fatal est arrivé ; le tremblement de
terre commence à se faire sentir, et bientôt les phénomènes
les plus sinistres répandent l'effroi.
« Le jour s'est obscurci ; au milieu des ténèbres, les
éclairs étincellent et la foudre éclate • une pluie de soufre
se précipite ; les entrailles dela terre sont déchirées, fondcmens ses s ebranlent
• elle mugit, elle s'entr'ouvre......
Dieu de miséricorde ayez pitié des mortels.
" Les rochers se balancent ; la mer s'enfle et s'élève
vers les nues; les vaisseaux arrachés de leurs ancres sont lances dans les airs par les vagues écumantes; encore une
secousse, encore un moment, et les temples sont embritsés,
les palais disparaissent et s'ensevelissent dans les
-abîmes : Dieu de miséricorde ayez pitié'des mortels ! » Accablé par ce spectacle, Spastara a succombé à
1 'effroi
,
elle s est évanouie; son époux la transporte au milieu des plus grands obstacles et au péril de sa vie
jusqu 'aui seuil de la porte de leur maison qui commence déjà à s'écrouler. Entraîné par sa douleur, uniquement
occupé de la femme qu'il adore, il néglige tout autre soin, et vole au poit de la ville pour s'assurer d'un
vaisseau ; l'enfant est resté dans la maison.
" Cependant les flammes sortant de la terre détruisent
et consument tout ce qu'elles rencontrent sur leur passage. Les secousses redoublent el les ruines s'entassent. Puissance
éternelle suspends ton couroux et conserve tes oeuvres
! nous adorons tes décrets mystérieux; mais serais-tu
plus admirable dans Je tonnerre qui promène la destruction
, que dans la pluie bienfaisante qui fertilise les
champs
, ou dans les rayons de cet astre qui embellit la
nature ? »
» Vain espoir ! les carreaux de la foudre sortent des
nuages ensanglantés, ils menacent les jours de Spastara ; traits redoutables de la vengeance du ciel, approcherezvous
d elle ? frapperez-vous la vertu? arrêtez jusqu'à ce
que vous ayez trouvé le coupable qu'accusent les larmes
de la veuve, les gémissemens de l'innocence ; tombez sur
sa tête, satisfailes votre fureur; mais respeclez Spastara :
en l'immolanLvous nous forceriez à douter de la miséricorde
,
de la justice éternelle. n
Spastara ayant repris connaissance porte ses regards
autour d'elle, et aperçoit partout le tableau de la mort
et de la destruction ; le souvenir de son enfant se présente
aussitôt à son esprit j elle ne le voit point, existet-
il encore?
uInsensible à toute crainte, elle se précipite à travers
les flammes ; les pierres embrasées se détachent des murs
et tombent autour d 'elle, un nuage de vapeurs obscurcit
ses yeux, mais l'instinct maternel la dirigera; elle porte
ses pas en avant, s'arrête un moment et entend un cri
plaintif; elle avance encore, atteint le berceau, saisit
l'objet de sa tendresse, le serre contre son coeur, et
s'écrie :
» Reviens
,
ô mon époux ! reviens pour contempler mon
bonheur ! 0 mon fils ! mon seul eufant, mes lèvres peuvent
donc encore presser les tiennes ! je puis encore t'embrasser
, tu vis ,
ô mon fiL 1 et lu es avec moi ! Traversons
ces flammes, passons au milieu de ces débris, la main
qui vient de me conduire vers toi ne nous abandonnera
point.
n Elle se dirige vers l'issue de la maison ; en même
tems les craquemens des murs retentissent autour d'elle,
et les flammes se répandent de toutes parts. 0 toi, ditelle
, qui recueillis les enfans dans ton sein ! Jésus entends
ma voix. Par les larmes que répandit ta mère dans les
vallées de Salem, lorsque, remplie d'angoisse, elle te
cherchait, s'écriant : 0 mon fils ô mon fils Par ces accens
plaintifs, qui attestaient sa douleur, je te conjure
d avoir pitié de moi Je suis mère aussi, Jésus, viens à
mon secours »
Après avoir erré parmi les ruines, sans pouvoir trouver
aucune issue
,
Spastara cherche un asile sur un balcon
qui avait été conservé.
"Les cheveux épars
,
la pâleur sur le front, elle jelle des
cris douloureux, et supplie toutes les mères, tous les
pères de la secourir ; que mon fils soit sauvé, et je craindrai ne pas d'être écrasée sous ces ruines !
n 0 I mère infortunée
, que n 'étais-je dans les murs de
Messine j 'aurais.... Mais peut-être les dangers que l'on
court soi-même rendent insensible aux dangers des autres. Non, ] 'en jure par tes cendres sacrées, par l'émotion
dont mon âme est pénétrée, j'aurais bravé les flammes
et, quoique jeune encore, j'aurais , cru avoir assez vécu, si
j'eusse été englouti dans l'abîme en volant à ton secours;
le héros, qui meurt sur le champ de bataille, n'a pas une
fin plus glorieuse?
n Ne pouvant sortir de l'affreuse situation où elle est
réduite, abandonnée au milieu des débris et des flammes,
seule avec ses vertus et son fils
,
elle donne à celui-ci un
dernier baiser, et pendant qu'elle lui adresse quelques
paroles de tendresse
,
les murs s'écroulent, et la mort immole
ses victimes.
» Arbitre de nos destins, père de tous les êtres, tu
voulus jadis épargner une ville criminelle en faveur de
quelques justes; de quoi donc se rendit coupable ce tendre
enfant? quel fut donc le crime de sa mère? ils sont
écrasés
,
ils périssent.; Dieu d'Abrabam
,
puis-je te reconnaître
à ce trait ?
« Mais lorsque tel est le sort de la vertu sur celle terre
où se promènent l'injustice et le revers , son innocence la
rassure ; tranquille au milieu de la foudre et des éclairs
elle attend dans , un autre séjour de meilleures destinées Le poète, n . qui avait perdu depuis peu sa mère, et qui
luttait contre un sort peu propice, termine son poëme
par cette apostrophe à celle dont il a représenté la déplorable
fin.
« Spastara, si ma voix plaintive peut atteindre jusqu'à
toi dans ce séjour où tu es allée te réunir aux anges, si là
tu rencontres une beauté céleste
, un coeur pur comme la
pensée de Dieu, un coeur qui compatit à mon sort, si tu
la vois
,
pendant qu'elle porte ses regards vers la terre , et
que ses soupirs attestent qu'elle tut arrachée trop tôt à un
fils chéri, ô Spastara ! vole dans ses bras
,
c'est elle
,
c'est
ma mère ".
Tels sont les traits les plus remarquables du poëme, qui
a principalement établi en Suède là réputation de Lidner.
Nous avons tâché de conserver dans cette analyse
l'intérêt du sujet et la manière, le ton général de l'auteur,
autant que le permet la différence du génie des
deux langues. Une imagination ardente, une sensibilité
aigrie par le malheur, entraînent quelquefois le poëte
suédois au-delà du vrai, et lui font négliger les nuances
du coloris, la précision du style, et l'art des transitions
; mais il a un élan soutenu
, une verve brillante, et
cet abandon qui plait tant aux âmes sensibles (1).
Né vers l'année 1760, Lidner avait fait de très bonnes
études dans son pays; il fit ensuite un voyage en France,
et fut très-bien accueilli par le comte de Creutz, alors
ambassadeur à Paris. Son imagination prit un nouvel
essor dans ce séjour des lettres et des arts; mais d'un
autre côté elle allait l'entraîner à des écarts dangereux,
et l'ambassadeur engagea Lidner à retourner en Suède.
De retour dans sa patrie
,
il se fit bientôt remarquer par
(1) Le poëme sur la mort de Spastara a eu plusieurs éditions. La
seconde
,
publié à Stockholm en 1786
, est dédiée à la princesse
royale Sophie-Albertine
,
qui avait arraché aux flammes les orphelins
d'un institut de bienfaisance voisin de son palais , en les recueillant
dans ce palais pendant l'incendie qui détruisit une grande partie
des bâtimens de l'institut. Cette dédicace, écrite en vers, se termine
ainsi : «Princesse
,
l'ombre d'une mère
,
l'ombre de Spastara applaudit
à votre noble bienfaisance ; soit que vous portiez vos pas vers le
trône de votre frère et que vous paraissiez dans l'éclat de la majesté
royale
,
soit que vous vous cachiez au sein de la retraite, elle vous
accompagne et bénit votre nom ».
son talent, et il publia des poésies qui eurent un grand
succès. Cependant son goût pour l'indépendance lui fit
négliger la fortune
,
et rendit sa carrière orageuse. Il vit
s'éloigner de lui ceux qui auraient pu lui procurer les
encouragemens dont il avait besoin; niais, au milieu
de la fougue de son caractère, il conservait les sentimens
nobles et généreux qu'il avait reçus de la nature
et son talent f se développait de plus en plus. Plusieurs
productions distinguées étendirent sa réputation
,
et intéressèrent
le public en sa faveur. Il venait de contracter
un mariage honorable, et sa destinée allait changer
lorsque la mort l'enleva à la fleur de son âge : peu
après ,
le recueil de ses oeuvres fut publié, par souscription
, au profit de sa veuve. Le poëme qui, après celui
de Spastara., fut lu avec le plus d'empressement, a
pour titre tAnnée 1,83. Lidner y chante les principaux
événemens de cette année mémorable
,
le siège de
Gibraltar, la paix qui sanctionna l'indépendance de
l'Amérique, la suppression des couvens par Joseph II,
le tremblement de terre de la Calabre, et la famine,
qui désola une grande partie du Nord. Lidner a fait
de plus y
, un poëme sur le jugement dernier, des odes
des épîtres. Quoique , ces productions présentent moins
de beautés
,
et qu'elles soient assez inégales, on y retrouve
un talent original et des traits remarquables.
L'extérieur de Lidner annonçait son génie ; son regard
était plein de noblesse et de feu, ses traits avaient
quelque chose d'élevé, de poétique, et rappelaient ces
vers d'Ovide.
Os hormnl xuhlime dedit ccr.lu.mque vicle.ro
Jussit, et erectos ad sidera tollere vultus.
Un habile sculpteur a fait son buste, et plusieurs
poètes ont répandu des fleurs sur sa tombe.
J. P. CATTEAU-CALLEVILE.
Imitation du chant de mort du roi RagnarLodbrog.
OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES.
ON néglige beaucoup trop en France l 'étude de l'ancienne
littérature du nord: cependant nous avons dans
notre langue quelques ouvrages qui auraient dû nous inspirer
le désir de la connaître ; mais ils sont moins lus
qu'estimés. Mallet ni Kératio n'ont pu faire revivre parmi
nous la gloire des Scaldes
,
et les savans seuls connaissent
les hymnes énergiques de Ragnar-Lodbrog
,
des Star-
Kotter, d'Ervitid-Frodeet de Harald.
'M. Pougens, membre de l'Institut, a fait paraître
il y a quelques années un mémoire sur les Antiquités
du nord et les anciennes langues septentrionales
,
dans
lequel on trouve des détails curieux sur les Runes et la
mythologie des Scandinaves, et des extraits de Sagas ; un
savant étranger naturalisé parmi nous ,
M. Malte-Brun
, a
promis une traduction de la Voluspa avec un commentaire
; on annonce aussi que M. Bruun Neergaard, également
recommandable par sa vaste érudition
, son goût
pour les arts et ses connaissances en minéralogie, s'occupe
de la littérature runique. Espérons que tant de travaux
nous donneront l'envie d'étudier les essais poétiques d'un
peuplé auquel l'Europe moderne doit peut-être sa civilisation.
M. Graberg de Hemso a publié en 1811 un Saggio istorico
su gli Scaldio antichi poeti scandinavi J ai achevé la
traduction de cet ouvrage et je compte la publier incessamment.
Je sais que l'original a essuyé quelques critiques;
mais elles tombent toutes sur des erreurs de fait qu'il est
facile de faire disparaître, et M. Calleau-Calleville, si
versé dans l'histoire du nord, a rendu une entière justice
à M. Graberg en annonçant son ouvrage dans le Mercure
étranger.
Matraductioncontiendra plusieurs morceauxdes Scaldes
que j'ai imités en vers ,
tels sont le chant de mort de
Hagward, le poëme d'Ervind Skaldaspiller, le nom d'éloge. du roi Salon connu sous dAdelstan) Adelstensfostre ( élève fils de Harald aux beaux \cheveux, (Haarsagre
) l'ode de Harald le Vaillant, traduite en prose par Mallet et plusieurs fiagmens des Star Kotter et d'Erik Frode.
J'y ai joint aussi un grand nombre de notes dont plusieurs
sont très-étendues
, une traduction du vafthrudnismalet
un autre du havamaal ou discours sublime d'Odim
Le éhant de mort du roi Ragnar Lodbrog que j'ai imité
en vers, fera partiedema traduption. M. Graberg a inséré
dans son ouvrage une version italienne de ce poëme faite
sur celle (Je Mallet qui est en prose. L'imitationen vers que l'on trouvera à la suite de cetta notice, contient toutes les idées de l'original quoiqu'elle
soit moins longue de moitié
,
j'ai retranché ces répétitions
qu on rencontre dans presque toutes les strophes .• on n'y
trouvera donc pas si souvent les phrases par lesquelles
Lodbrog peint le carnage; ainsi, toutes les foisqu'il parle d un combat, et il en est question. dans la plupart des strophes, il dit qu'il à préparé une abondante nourriture
aux animaux sauvages et aux oiseaux de proie.
-^.qnilcB impeiravimus tuno sldJicientem
Hospitii sumptum in illa strage• : Multa prceda dabaturferis,j etc. ^ etc.
-
Ces expressions de là férocité et beaucoup d'autres
semblables
,
belles que celles-ci., ruit pluma sanguinis de
Gladiis : omnis erat vulnus unda vadavit corpus in san- guine coesorum : cucurrit arcus; advulnus
, etc.
,
plus fi'équentes
peut-être dans Ragizar que dans aucun autre
Scal de, sont trop hideuses pour être répétées plusieurs fois
en français. Ces idées appartiennent aux moeurs d'un
peuple toujours en guerre et qui pensait que pour jouir de
a vie éternelle il fallait mourir de mort violente, afin
a ler au valhalla s'asseoir à la table des dieux, où l'on
buvait a biere, la cerpoise et ïhydromel dans le crâne san. glant d un ennemi.
Les strophes de l'original sont régulières et ont chacune
six vers ,
je n'ai pu observer la même régularité dans mon
imitation
, parce que je l'ai faite d après la version de
Mallet
,
qui a retranché les fréquentes répétitions
, et a
souvent réuni deux strophes en une. Cependant j 'ai profité
de plusieurs idées qu'il a négligées, et qui m'ont paru
mériter d'être connues. Je laisse aux lecteurs le soin de
juger jusqu'à quel point j'ai conservé le caractère de cet
étonnant et bizarre poème. Ils trouveront à la suite de
ma traduction de l'ouvrage de M. Graberg, une version
littérale des vingt-neuf strophes de l'ode originale, à laquelle
j'ai joint plusieurs notes mythologiques
,
historiques.
et grammaticales.
Olaiis Wormius a publié le texte runique du chant de
Ragnar, dans son ouvrage intitulé : Danica litteratura ,
antiquissima vulgo Gothica dicta
,
luci reddita (Hafniæ ,
in-40, 1636); il y a joint une traduction latine, et c'est
d'après ce travail que j'ai fait le mien.
Chacune des strophes du poëme commence par le
même vers que Wormius a traduit ainsi : pugnavimus
ensibus
,
et que Mallet a mis en français de celte manière :
nous nous sommes battus à coups d'épées.
M. Creusé de Lesser, qui a imité quelques passages
du chant de Ragnar pour les mettre dans son poëme
d'Amadis, a rendu le vers de l'original par celui-ci :
Nous nous sommes battus
»
et l'épée a brillé.
J'ai cru devoir conserver aussi ce refrain que j'ai arrangé
à ma manière, pour le placer en tête de chacune des dix
strophes plus ou moins longues dont se compose mon
imitation. Mais avant de mettre sous les yeux des lecteurs
ce singulier monument de poésie, de courage et de férocité,
il faut en faire connaître l'auteur et les circonstances
dans lesquelles il l'a improvisé.
Ragnar Lodbrog, qui régnait au huitième siècle sur le
Danemarck et sur d'autres contrées du Nord
, ne se fit pas
moins distinguer par son talent pour la poésie que par sa
valeur et ses connaissances dans la navigation. Ses exnédicontre
les îles Britanniques dont
il fit, dit-on,
la conquête, ses courses dans la Méditerranée, où il a pillé la
Corse, la Sardaigne, les îles de la l'Archipel, portantle mer Ionienne et de 1er et la flamme jusqu'aux portes de Constantinople, lui ont mérité le nom de pirate
hrigand; mais et de ,1 est un des plus grands poëtes dont les annales du Nord fassent mention. Brage, Boddasson, et troisième Star-Kotter ou Slar-Koddcr, Scaldes non moins célébrés que lui, vécurent à sa cour. La RagnaraSaga, qui contient l'histoire de ce roi est un monument curieux à consulter, malgré les fablesque
l'auteur de cette Saga ou chronique a recueillies, car avec de attention on peut reconnaître ce qu'elles contiennent
de vraisemblable.
Après tant d'expéditions heureuses et de victoires, la fortune contraire attendait Lodbrog sur les côtes du Nor- tumberland. A peine échappé au naufrage avec un petit nombre de ses compagnons, il osa s'y livrer à ses bri- gandages accoutumés, mais ses forces ne répondirent pas à son courage; environné par un ennemi supérieur en nombre, il fut pris , et Ella, roi du pays, le fit jeter dans
une fosse pour y être dévoré par des serpens. Au milieu de cet affreux supplice, il improvisa son chant funèbre dans lequel il vante la gloire de ses anciens triomphes et
le mépris que les héros doivent avoir pour la mort- il exalte ensuite la félicité qui l'attend dans le palais d'Odin,
et annonce que ses quatre fils vengeront sdu trépas. Voici
mon imitation des plus beaux passages de ce chant célèbre,
dont quelques strophes seulement sont de Ragnar. Les
autres ont été composées par le Scalde chargé de chanter
ses louanges, où suivant une opinion assez accréditée et très-probable, par Aslang, épouse du héros.
CHANT DE MORT.
Mon glaire teint de sang a prouvé mon courage Lorsque sur mes vaisseaux à la fleur de , Vers des bords mes ans , éloignés je portai le carnage :
A mon bras les loups dévorans
Durent une abondante proie,
Et sur les braves expirans
Les corbeaux par leurs cris témoignèrent leur joie.
Mon glaire teint de sang a prouvé mon courage,
Ce jour où j'envoyai dans la nuit des tombeaux
Les enfans d'Elsingie immolés à ma rage : Ensuite vers Ifa porté par nos vaisseaux,
Du sang des ennemis nos lances s'abreu vèrent,
Sous de terribles coups leors armes se brisèrent,
Et la mort par nos mains moissonna les héros.
Mon glaive teint de sang a prouvé mon courage Dans la grande journée où t dix mille soldats
Mordirent la poussière au milieu des combats , Et d'Albion couvrirent le rivage.
Plus heureux que l 'amant enivré des faveurs
De la beauté qui lui livre ses charmes
Je contemplais le , sang qui rougissait nos armes
Et je voyais Hélah (1) suivre nos traits vainqueurs.
Mon glaive teint de sang a prouvé mon courage , Lorsque d'un bras victorieux
J'étendis du trépas le funèbre nuage,
Sur ce jeune guerrier fier de ses beaux cheveux,
Et qui dès le matin suivait d'un pied rapide
La , veuve qu'il trompait ou la vierge timide
L homme traîne ses jours dans un honteux repos
S 'il n est jamais atteint par la flèche ennemie Mais , aux combats perdre la vie
Ce sont là les destins qu'attendent , les héros.
Mon glaive teint de sang a prouvé mon courage : Eh quoi! ne faut-il pas qu'au printems de son âge,
Un brave des guerriers éprouve la vigueur Et fasse de la gloire , un noble apprentissage ?
Pour plaire à la beauté , pour mériter son coeur, Un amant doit briller dans le champ du carnage
Et faire à ce qu'il aime admirer sa valeur.
Mon glaive teint de sang a prouvé mon courage : Mais voilà qu'aujourd'hui les vierges du Destin
Viennent guider mes pas vers le palais d'Odin
,
(1) La Mort.
Et mon trépas est leur ouvrage.
Ah ! quand près d'expirer et que d'un fer vengeur
Je semais dans les rangs la mort ou la terreur,
Je préparais sa proie à la bête sauvage , Et des vaisseaux brisés je hâtais le naufrage ;
Devais-je d'unsupplice éprouver la douteur?
Mon glaive teint de sang a prouvé mon courage;
Mais je pense avec joie au festin somptueux
Qu'on prépare pour moi dans le séjour des Dieux;
Bientôt le Vaxhalln (2) deviendra mon partage ; Oui.... bientôt j'y boirai dans un crâne sanglant
* L'hydromel
, aux guerriers agréable breuvage
Et méprisant la mort, , je mourrai triomphant.
Mon glaive teint de sang a prouvé mon courage;
Ail! si tues fils connaissaient mes tourmens!
Ah ! s'ils savaient que d'horribles serpens
Sur mon sein sans défense assouvissent leur rage , Pour frapper mes vainqueurs respirant les combats,
Puisqu'au sang des héros ils doivent la naissance Leur rapide valeur servirait , ma vengeance , Et sur mes ennemis punirait mon trépas.
Mon glaive teint de sang a prouvé mon courage s
Le venin maintenant parvient jusqu'à mon coeur,
De la mort, sans pâlir. je reçois ce présage,
Et je sens de mes jours s'éteindre la chaleur;
Mais bientôt l'affreux cimeterre
De mes enfans servira la fureur Ils fuiront , le repos ,
appelleront la guerre , Et frapperont enfin mon farouche oppresseur.
Mon glaive teint de sang a prouvé mon courage
En cinquante combats où flottaient mes drapeaux i
A diriger la lance instruit dès mon jeune âge
Je la plongeai , souvent dans le sein des héros
, Et jamais aucun d'eux n'égala mes travaux ;
Mais tout finit...... d'Odin la prompte messagère ,
Conduit mes pas vers ce dieu qui m'attend
, Dans ses festins je vais boire la bière
Mon heure , est arrivée et je meurs en riant.
L. A. M. BOURGEAT.
(*) Le Paradis dus braves.
1
VARIÉTÉS.
ANTIPATHIE NATIONALE.
Anecdote donnée pour ivraie.
UN Anglais riche, nommé Péters, était né d'une
famille catholique et eut la fantaisie de recevoir les ordres
sacrés. Il partit pour l'Espagne
,
où il se flattait de voir
sa religion florissante sousl'aîle de la sainte inquisition.
Pressé par son zèle
,
il négligea avant de parlir d'apprendre
au moins un peu d'espagnol
, ce qui l'exposa
dès l'instant de t son débarquement en Espagne
,
à beaucoup
de désagrémens.
Heureusement que dans le séminaire où il fut adressé,
il se rencontra un étudiant Irlandais très-peu pécunieux-
Lespauvres fermiers catholiques en Irlande, s'imaginent
.gagner le paradis et relever beaucoup leur famille en faisant
étudier au moins un de leurs enfans pour la prêtrise - et ces pauvres jeunes gens, lorsqu'ils sont une fois bien
farcis de théologie
, ne se trouvent plus propres à rien
, si
ce n'est à être soutenus par charité soit dans des collèges
étrangers, soit dans quelques châteaux oii l'on professe
leur religion
, et où ils jouent le rôle d'aumoniers honteux.
X Irlandais consentit donc avec empressement à enseigner
l'espagnol à son confrère, et en attendant il se fit
son interprète. Habitant l 'Espagne déjà depuis plusieurs
années, il s'exprimait facilement en Espagnol, et il savait
de l'anglais tout ce qu'un Irlandais peut jamais eu .savoir.
La convenance réciproque resserra peu à peu leur intimité.
Tous deux étaient fort' honnêtes gens, et s'entendirent
fort bien. Les revenus de Péters qui étaient bon3
et qui arrivaient régulièrement servaient pour tous les
deux. L'habitude est une seconde nature; lors même que l'Anglais parla bien l'Espagnol, il n'avait aucun motif
de rompre avec le complaisant Irlandais. Tous deux éloignés
de leur pays ,
ils s'étaient confié leurs secrets et
leurs espérances. Tous deux avaient reçu les ordres ensemble
j
mais enfin des arrangemens de famille rappelèrent
Pelers en Angleterre. Il ne pouvait laisser en arrière
son compagnon ,
dont il s'était d'ailleurs fait une habitude.
Il n'aurait pas voulu non plus altérer l'odeur de
sainteté et de bienfaisance qu'il voulait laisser après lui.
Il déclara donc au pauvre Irlandais
, en présence des supérieurs
de la maison, qu'il se chargeait de son sort s'il
voulait le suivre. Celui-ci y consentit avec empressement,
le comblant de remercimens, et confessant qu'abandonné
de son généreux frère
,
il mourrait de faim, n'ayant pas
même de quoi regagner son pays.
u Nos deux voyageurs arrivent à Londres ; et, soit
dans cette capitale
,
soit dans la province où Péters avait
ses biens
,
leur union
,
leur charité chrétienne fait l'édifia
cation de tous ceux qui les connaissent. Tout-à-coup Péfers
est attaqué d'une maladie grave, pendant laquelle
le prétre irlandais donne à son frère tous les soins qu'on
peut attendre d'un chrétien et d'un ami. Le mal augmente,
et bientôt Peters esi dans le cas de mettre ordre à ses affaires
pour èe monde-ci et pour l'autre. Il reçoit les secours
spirituels de son ami ; mais il semblait toujours
avoir un grand poids sur la conscience et le besoin de la
soulager. Il fit enfin approcher l'irlandais
, et tout le monde
s'étant retiré i ,1 Mon très-cher ami et bon frère, lui dit-il,
il dépend de vous que je meure en paix: accordez-moi
votre pardon
,
je vous en conjure, pour mériter d'être pardonné
à votre tour! *
u Mon digne ami, répondit l'Irlandais
, vous ne m'avez
jamais fait la moindre offense; mais
,
si le repos de votre
conscience en dépend
,
confiez-moi les reproches que vous
croyez avoir à vous faire, et soyez assuré que je vous pardonnerai.
"
Le moribond lui dit alors : « Je suis le plus grand hypocrite
que la terre ait porté. Vos qualités vous rendent
digne de l'amitié de tout homme vivant; vous m'avez
constamment rendu des services, vous avez même fait
une étude d'aller au-devant de tous mes désirs
, et, quoiqu'on
apparence j'en aye été reconnaissant
,
il faut que je
confesse que vous êtes l'homme que je déteste et méprise
le plus ; tout en vous, jusqu'à vos prévenances , me déplaît,
et cent fois, dans le fond démon âme ,
je vous ai
envoyé à tous les diables. Le besoin que j eus de vous en
Espagne
,
m'obligea à me rapprocher de vous ,
à ne pas
vous quitter; une certaine honte
, un besoin machinal
que je maudissais, me fit continuer mes relations, et finalement
vous emmener en Angleterre. Je trouvai plus
commode d'être un hypocrite et un coeur faux que de me
séparer de vous. J'ai cherché à surmonter ce profond dégoût
,
mais tous les efforts de ma raison et de la religion
ont échoué devant ma haine. Vous êtes Irlandais. Il ne-
* m'a pas été possible de surmonter une antipathie, nationale
,
sucée avec le lait de ma nourrice
,
fortifiée depuis
par toutes les plaisanteries
, par toutes les histoires qui
m'ont poursuivi depuis l'école jusque dans le monde
, sur
le compte de votre pays. J'ai, depuis plusieurs années ,
été à l'affût d'une occasion
,
d'un prétexte de vous faire
un grand affront, qui put réjaillir sur votre nation ; mais
il a plu à Dieu
, sans doute pour le salut de mon âme ,
d'amener l'instant de ma mort avant celui de commettre
ce péché ; mais je n'ai point encore le degré de contrition
et de repentance que je crois nécessaire
,
et n'attends mon
salut que de votre pardon nécessaire. 0 mon frère! par
la miséricorde divine que vous espérez pour vos propres
péchés
,
accordez-moi la rémission des miens ! n
Le prêtre irlandais
,
après l'avoir écouté tranquillement,
prit la parole
, et , sans la moindre émotion
,
lui répondit r
« Mourez en paix, mon cher frère; je vous pardonne et
vous demande la même grâce à mon tour. Mes besoins
étaient si grands
, que , sans vous,je ne savais que devenir
j mais la douleur de devoir quelque chose à un Anglais
,
ét&it pour moi si forte, qu'elle a toujours surmoulé
la gratitude que- je devais à mon bienfaiteur:
Quand je réfléchissais aux mauvais traitemens que mon
pays reçoit du vôtre
,
je ne pouvais considérer le bien
que vous me faisiez que comme un trop faible dédommagement
des maux auxquels nous sommes en proie à cause
de vous. Je ne croyais pas vous devoir plus de reconnaissance
que le prophète Elysée n'en devait aux corbeaux
que Dieu lui avait envoyés pour lui porter sa nourriture.
Tous les sentimens contraires que je vous ai montrés
é:a enl de purs mensonges. Si votre antipathie nationale.
est extrême
,
la nôtre n'est pas moindre j mais nous avons,
de plus que vous ,
le tort que ,
si vous nous haïssez, au
moins voire conduite est en général conforme à vos sentimens,
au lieu qiie nous autres, en Irlande
, nous vous,.
trairons avec une hospitalité
,
fruit de notre timidité et de
notre sottise, quoiqu'au fond nous n'en ayons pas moins
de haine pour vous, ni moins de dignité nationale. Ainsi
donc, mon très-cher frère
, nous n'avons rien à nous reprocher
a puisse la tombe effacer nos torts mutuels ; je fera:
tous les efforts possibles pour vous aimer dans l'autre
ïnonde. t
Sur cette assurance, l'anglais rendit l'âme médiocre..
ment satisfait.
( Extrait du MONTBLY REPERTORY. )
Notice sur ALEXANDRE ADAM
,
Recteur de l'Ecole-Haute
d'Edimbourg ( i ).
ALEXANDRE Adam naquit à Coats
,
de Bergie
,
paroisse
de Rafford
, au comté de Moray. Son père cultivait nue
de ces petites fermes qui nlors se trouvaient en grand
nombre dans le nord de l'Ecosse. Peu favorisé de la for-
(r) Cet ar'icle et le suivant contiennent ce qui a paru le plus intéressant
à recueillir des Notices insérées dans les papiers anglais
, sur
le dueteur Adam et le docteur Huid.
tnne ,
il n'essaya pas moins de procurer à son fils les avanr
lattes d'une bonne éducation. Un maître de villagelui donna
les premières leçons du latin. Le jeune Adam étudia cette
langue avec assiduité, espérant avoir dans quelque université
une bourse qui pût lui fournir les moyens de se perfectionner
^ mais quand il se présenta au Collège-Royal
d'Aberdeen
, pour obtenir cette faveur
,
il eutle chagrin
d'être refusé et renvoyé à son instituteur.
Doué de persévérance
,
il se rendit une année après
(en 1758) à Edimbourg. Là son ardeur pour acquérir
des connaissances fut cruellement contrariée par son défaut
de fortune. Rien n'est plus triste et en même tems
plus honorable pour lui que les détails dans lesquels entrq
son biographe, sursa situation et sur le courage avec lequel
il la supporta. Forcé de donner des leçons particulières
à un jeune homme ,
il n'en recevait qu'une guinée tous
les trois mois
, et ce qui paraît à peine croyable
, cette
faible somme le faisait subsister. Mais aussi de quelle ma,'
ïiière ! logé dans une petite chambre
,
à l'extrémité d'un
faubourg, pour quatre sols par semaine; il ne mangeait
ordinairement
,
à l'exception du dîner
,
qu'un potage fait
de gruau d'avoine et d'e petite hierre
,
dont il n'achetait
qu'une demi-bouteille àla fois. Quant à son dîner, il consistait
en un petit pain d'un sol qu'il mangeait en se promenant
si le tems était beau
,
et., dans les jours de pluie,
en montantquelqu'escalier, $'il avoit froid
,
il s échauffait
en courant ; et les soirs
,
il étudiait chez quelqu'un de ses
camarades. A ce moyen ,
il n'avait pas besoin de se procurer
de lumière ni de combustibles.
Il paraît que cet état pénible dura long-tems
,
puisque
sa Grammaire Latine ,
le premier ouvrage qui commença
sa réputation
, ne fut publiée qu'au mois de mai 1772. Le
mérite de ce livre ne- fut pas d'abord convenablement apprécié
j mais Adam
,
ayant fait paraître un Sommaire de
Géographie et d'Histoire
, on commença à rendre justice
aux soins qu'il prenait pour donner à ses ouvrages tout le
degré d'utilité dont ils. étaient susceptibles. Ses travaux
étaientjustement estimés depuis long-tems, lorsqu'en
le ; nn au P ses Antiquités Romaines
,
dont
Le "
p
' payé 600 livres sterling. ( 13500 fr. )
nom d Adam fut alors placé parmi ceux des savans les
plusdistingués l'Angleterre.60
reconnut dans™
tait
déjà dernier ouvrage était supérieurà tout ce qui existait
a
mêmes matières; et il obtint les honneurs
Il
d v ait
en Allemagne
. en France et en Italie.
tin avait consacré sept ans à un vaste dictionnaire tin,lorsqu'en la.. 1800 il fit paraîtreà Edimbourg une Bio- graphieClassique '' dontiln'avait pensé d'abord qu'à faire cedecetouvrage.L'étendue que ses recherches
publier à
, supp lément projetté lui fil naître l'idée de le
publier leà T en eut300 livres sterling malgré ! qne
d
ps considérable qu'il employait à la compomandable
une ses productions, cet homme recomdune,
"
V avait sn long-tems se résigner à une vie si
enfindansladernière partie de ~
place qu'il * publication de ses livres et à la
d occupait avec un applaudissement général.
Notice sur le Docteur Hurd
,
êvêque de Worcester.
Ce savant Prélat naquit en 1718, à Penford, paroisse de Te tenball en Staffodshire
, dans et étudia d'abord à Brewood le même comté, sousWilliam Budworth, à la mé- moire duquelil rendit hommage lorsqu'il composa la dédicace
d un d, ses ouvrages. Il passa ensuite à l'université
__
Cambridge et devait membre du Collège Emmanuel. La première de ses productions fut une pièce de vers sur £ paixd'Aix-la-Chapelle.En 1?49 , il publia
Q.
Horatii
FlaciiepistoloeadPisonesetAugustum,avecuncommentaire
L'éloge qu'il V fit de Warburlon
,
lui valut
la proleclinn de ce prélat qui, de son côté, donna an corn, membre de Hnrddes louanges dont personne ne contesta la justice. En 17571 a765 , et 1776, ce complaire fut
réimprimé avec trois dissertations que l'auteury avait successivement
ajoutées.
En 1750, les divisions qui troublèrent 1 'université, four -
nirent àHurd l'occasion de faire paraître quelques écrits pot
lémiques. Deux ans après
,
il entra dans les Ordres, et fut
nommé un des prédicateurs de Whitehall ; en 1753, il e
vint ministre de Saint-André le petit, à Cambridge. Parmi
plusieurs sermons qu'il prêcha et fit imprimer, il en est
un dont le sujet paraît très-digne d 'être remarque. Il traite
des dangers de l'enthousiasme et de la bigoterie.
Lié de plus en plus avec Warburton
,
Hurd composa
en sa faveur un pamphlet contre le dotteur Jortin
, et
l'évêque, dans une lettre au docteur Lowth, combla
d'éloges son savant défenseur.
Hurd avait vécu dans une laborieuse solitude sans avoir
ressenti aucunes faveurs remarquables de la fortune, lorsqu'en
1756, il fut nommé recteur de Thurcaston
, comme
doyen des membres du collège Emmanuel. Depuis ce
tems ,
il occupa plusieurs autres places aussi honorables
que lucratives ; mais son ardeur pour le travail fut loin de
se ralentir. Nous passerons sous silence la plus grande
partie des ouvrages qu'il fit paraître ; mais nous croyons
devoir indiquer des remarques adressées à Warburton
,
à
l'occasion de l'Essai sur l'Histoire naturelle dela Religion.
Hurd s'efforça d'y convaincre le célèbre David Hume,
auteur de cet ouvrage, de défaut de logique. En 1772, il
réunit en deux volumes douze sermons qu 'il avait prêchés
à Lincoln's Inn
,
devant des assemblées aussi nombreuses.
que distinguées. Il intitula ce recueil : Introduction à
l'Elude des prophéties
,
concernantl'Eglise chrétienne, et
en particulier l'Eglise de Rome.
En 1774, par les soins de lord Mansfield
,
«La mitre,
» dit le biographe de Hurd, fut placée, comme elle de-
» vrail toujours l'être, sur la tête du génie el du savoir.»
Hurd devint évêque de Litchfield el de Coventry
, sans
pvoir sollicité cette dignité, et fut en conséquence nommé
précepteur de l'héritier présomptifdu trône. Ses nouvelles
fonctions ne l'empêchèrent point de publier encore quelques
ouvrages.
En Mai 1781, il passa à l'évêché de Woroester, fut clerc du cabinet du Roi (clerk of the closet), refusa et en 1783 1 archevêché de Cantorbery.
En 1788, il rendit un hommage solennel à la mémoire
de Warburton : il publia ses oeuvres , 7 vol. in-4°., et
en 1794, pour completter celte édition
,
il y joignit
discours enforme de préface générale, renfermant quelques
détails sur la vie, les écrits, et le caractère de fauteur.
On lui attribue une adresse du clergé du diocèse der Worcester à Sa Majesté sur sa dernière proclamation1 juin 1792 t • adresse que son biographe qualifie d'admirable.
Hurd mourut au palais épiscopal de Hartlebury, le 28
mai 1808, à 90 ans ; regretté de ses nombreux amis, et autant estimé pour ses vertus que pour le goût et I 'érudition
dont ses écrits théologiques offraient des modèles. Il
n avait point borné ses travaux à ces seules matières
, et 1 auteur de la Notice qui nous a servi de guide déclare
expressément «que ses Dialogues sur la Constitution sont
" des productions d'un rare mérite, que les politiques
" peuvent étudier avec beaucoup de fruit » .
Tous ces détails authentiques prouvent que le docteur Hurd fut un des écrivains qui, dans ces derniers tems, ont le plus. ' honoré l'église anglicane.
Ç/ivette littéraires.
ANGLETERRE.
M. KINNEIR qui a accompagné l ambassadeur que les
Anglais ont envoyé il y a peu d'années à la cour de Perse
?
4t publié un Mémoire géographique sur l'Empire persan
( A geogrophical niemoir of the Persian empire)
,
qui paraît
être ce qu'on a non-seulement de plus récent
,
mais
de plus exact sur ce pays. La carte qui accompagne l'ouvrage
est sur une fort grande échelle ; les provinces
,
les
chemins, les montagnes, les rivières, et tous les lieux
remarquables y sont soigneusement indiqués
, et les positions
déterminées
, pour la plupart, par dçs observations
faites sur les lieux. Celté carte seule se vend une guinée et
demie
, ce qui peut donner une idée du travail de son
exécution.
Voici quelques traits de la description que M. Kinneir
donne de Teheran (qu'il écrit Tehraun) le siège actuel
du gouvernement.
Au sud s'étendent les ruines de la fameuse ville de Rae
ou Ragès, à l'est les monts Elburz fameux dans les traditions
persannes comme étant l'habitation des démons j
au nord le sommet du Domavend couvert de neiges ; eu
douchant une riche plaine embellie par la culture
, et
de nombreux villages présentent des contrastes frappans.
Theran a une circonférence de quatre milles environ, avec
une enceinte formée d'une forte muraille flanquée de tours,
et d'un large fossé. Il y a un glacis entre le mur et le fossé.
Le seul édifice de quelque conséquence est la citadelle qùi
contient le palais du prince. Durant les chaleurs, le roi
habite sous des tentes dans les plaines de Sultanée ou de
Oujan j tout ce qui est attaché à sa cour le suit, çt la viljp
ne compte pas alors beaucoup plus de dix mille habitans * en hiver on prétend que le nombre s'en élève à soixante
mille.
Ispahan, Schiras, Teheran ont été successivement le
siège dugouvernement j cette instabilité forme un des traita
du caractère persan.
M. Kinneir recherche et fixe avec soin l'emplacement
des ruines célèbres et particulièrement de celles de Babytone
; mais les ruines des plus illustres cités laissent moins
de traces en Perse que par-tout ailleurs
,
à cause de l'usage
immémorial des Persans de bâtir en briques. Les
briques dont se font les maisons des particuliers et même
I intérieur des murs des plus grands édifices, sont simplement
cuites au soleil, et lorsqu'elles dant sont exposées pen- un certain laps de tems à l'action de l'air et de la
pluie
,
elle se réduisent en poudre et deviennent semblables
au reste du terrain Quant aux briques de revêtement
des principaux édifices, et qui étaient cuites, au four,
elles sont perpétuellement enlevées pour resservir dans
d 'autres constructions. Il faut voir dans l'ouvrage mêmç
la description des informes restes de la grandeur des Babyloniens
exposées à ces causes de dégradation.
ALLEMAGNE.
AUTRICHE.
—- M. Suppantschitsch, professeur à Cilly,
aété chargé par l'archiduc Jean de recueillir tout ce que la nature ,
l art et l'histoire offrent de remarquable dans
le cercle de Cilly
, pour être déposé dans le musée Johanneum
à Gratz. D'après l'encouragement que S. A. R. a daigné donner, on s'occupera de la description topographique,
géographique et statistique des comitats limitrophes
de la Hongrie
,
du côté de la Slyrie; tels qu'OEdembourg
, eszprim
,
Raab
, et Wieselbourg
, et dans la
suite de celle des autres comilats. Cette description sera
accompagnée de paysages, de cartes, etc. pour servir à
un Voyage pittoresque en Hongrie.
Aperçu général des Journaux qui paraissent à Vienne
en l8l3.
IL Y a quinze ans qu'à l'exception de quelques feuilles d'annonces
hebdomadaires, il ne paraissait en Autriche aucun journal littéraire.
Depuis cette époque le nombre s'en est successivementaugmente,
au point qu'on en compte actuellement trente-trois.
1. I.es Feuilles patriotiques méritent d'être placées au premier
rang pour leur utilité. Elles paraissent sous les auspices du gouvernement,
et contiennent des pièces officielles, des mémoires histo-
Tiques
,
géographiques,statistiques, d'économie rurale
, et des morceaux
relatifs aux arts, à l'industrie, etc. Il en parait un cahier
gr. in-40. par mois.
a. Les Annales de Médecine pour l'Autriche ,
publiées sous la direction
de la faculté de médecine de Vienne , et rédigées par leg
professeurs du collége de médecine. Elles contiennent, outre les mémoires
de médecine et de chirurgie
,
les ordonnances relatives à la
police médicale.
3. Le Journal militaire , dont les matériaux sont fournis par les
archives de la guerre. L'éditeur est le lieutenant-colonelM. deRothkirch,
et il en parait un cahier in-8° par mois.
4. Les Mines de l'Orient, ouvrage périodique d'un mérite généralement
reconnu ,
publié par les soins et la libéralité de M. le comte
de Rzevuski, et rédigé par M. de Hammer.
5. Le Musée allemand, publié par Frédéric Schlegel. Il est principalement
destiné à l'histoire, à la littérature et aux progris des
beaux-arts en Allemagne. Il en paraît un cahier gr. in-8°. par mois.
6. Les Archives d'histoire, de géographie
,
de statistique et d'art
militaire, renferment tout ce qu'il y a de plus intéressant dans ces différens
genres. L'éditeur est M. Joseph de Hormcyer, et il en paraît
deux feuilles par semaine, chez Strauss. in-8D.
7. L" Observateur autrichien,. Journal politique et littéraire, qui
contient des analyses critiques d'ouvrages nouveaux, de pièces de
théâtres, annonces de musique, etc. Le rédacteur est M. Pilat, secrétaire
particulier de M. le comte de Metternich.
8. Les Annales de la littérature autrichienne. Le plus ancien journal
littéraire de l'Autriche, fondé en 1801 parle professeurSchultes,
e t rédigé par lui jusqu'en 1806. Le Dr Sartori le rédigea ensuite pendant
cinq ans, et fut remplacé en 1810 par M. Glatz. Ce journal a
cessé avec la fin de l'an 1812.
9. Les Archives de Cosmographie
,
de géographie et de statistique,
publiées par M. de Liechtenstern. Journal intéressant qui offre des
extraits
' etdes mémoires originauxsur plusieurs
branches des ditferentes sciences. Il en parait un cahier par mois. accompagné de cartes gr. in-8° et de planches.
to. L'Esprit du Tems, publié à Brunn, M Moravie, par le capitaine de Tielke. On y trouve de, extraits bien faits de totis l sur des objets es et
II.Kronos nouveau Journalcommencéenà janvier,parM. Brahm, Prague. Il doit embrasser tout ce qui a rapport à l'histoire du tems, à la géographie, Ihistoire naturelle, la physique, etc. à12. Le Collecteur (der SammIer). journal d'amusement qui parait Vienne,rédigé par M. de Portenschlag. 11 contient deshistosique,
etc. ,
des nouvelles de spectacles , de mu.
13.Thalie, journal consacré beaux-arts, aux analyses de pièces de théâtres. Il est actuellement rédigé par M. Bernard et pa. rait par mois , accompagné de costumes de théàtre. y
14. Le Journal de la languefrançaise est exclusivement destiné à M.deLaunoy.ceuxquiveulent~ s'exercer dans cette langue. Le actuel est
15. Les Lettres d'Eipeldan, journal populaire qui jouit d'une grande vogue depuis plusieurs années Le rédacteur est M. Richter.
1 (> Journal mercantil, contenant des mémoires sur l'industrie, manufactures, le commerce, etc. de l'Autriche et des pays étran- gers , tant originaux que traduits. On y joint le cours de change,
1 annonce des faillites
. etc. °
17. Les Nouvelles économiques, publiées par M. AndréàPrague.
Elles sont fort, répandues en Bohême et en Moravie.
18. Hesperus, journal d'instruction et d'amusement du même ré- dacteur ,
publié à Prague.
19.Magasin de l'industrie, publiéàPragueparlemême. c ompi- lation de journaux allemands et étrangers.
20 et 2r. Deux journaux théologiques
, le premier publié à Graea
sous le titre de l'Esprit de la Religion catholique; l'autre, à Prague . sous le titre de Bibliothèque des Prédicateurs.
22. Journal des Spectacles
,
publié à Vienne par M. Bauerlé.
23. Jocus ou l'Antihypochondriaque, recueil d'anecdotes, de
bons mots, etc., sans beaucoup de choix.
24, Jocus, ou l'Ami de la maison en bonne humeur. Journal du même genre que le précédent, publié à Prague.
25. La Gazette de Graez est accompagnée chaque semaine d'une feuille littéraire, sous le titre VAttentifoul'Observateur. Cesontdes
traits de livres et de journaux sur l'économie rurale et domestique ,
la médecine populaire
, et la géographie, accompagnés de nouvelles
de théâtre. Le rédacteur est M. Kolman.
26. Karinthia. Ce journal, qui paraissait à Klagenfurt en Carintliie
, a été supprimé.
27. Journal en langue esclavonne, commencé en 1813, sous le
titre de Cjsarské kralowské widnuské nowiny
,
rédigé par le professeur
Hrornadko. Journal destiné à l'instruction du peuple slave
, et
gui contient des extraits d'autres journaux et ouvrages. Il paraît à
Vienne.
28. Le prof. Palkowitsch publie à Presbourg un autre journal slave,
sous le titre de Tjdényk.
29. M. de Kultsar pwblie à Pesth un journal hongrois, sous le titre
de Hasai Tudositasok.
30. L'archimandrite grec A.nthime Gazi, à Vienne, publie un
journal littéraire en grec moderne , sous le titre de ~ÈPIÛjÇ 6~
31. La Gazette de musique ,
publiée à Linz et rédigée par le maître
de chapelle M. Gloeggel.
32. Le Journal d'économie rurale, rédigé à Vienne par M. J.
Kreutz, et publié à Vienne depuis janvier 1813.
33. Un autre Journalde musique,publié à Vienne
, par M. J. de
Schoenliolz, depuis la même époque.
Outre les journaux, il existe à Vienne plusieurs cabinets de lecture
subordonnés à la police. Les livres sont divisés en ouvrages nécessaires
à l'étude et à l'instruction, et en ouvrages imprimés ou
réimprimés par permission dans les états autrichiens.
Les principaux établissemens de ce genre, à Vienne , sont : le cabinet
de M. Charles Armbruster, fils du secrétaire-général de la police
et de la censure ; celui de M. Binz ,
libraire-antiquaire, et celui
de M. J. Tauer. ( Journal de la. Littérature'étrangère. )
HONGRIE. Il vient de paraître à Bude le 2e et le 3 volume
de I i Statistique du royaume de Hongrie , en allemand
(deuxième édition
,
augmentée et corrigée), par
M. de Schwartner, professeur de diplomatique, premier
conservateur de la bibliothèque
, et sous-doyen de F 'université
royale
,
à Pest, assesseur du comitat de Pest.
Dans le 1er volume qui a déjà été publié
,
F auteur donne
la description du pays ,
de ses habitaus, de ses productions
naturelles et industrielles.
La I partie du 2.® volume contient des idées générales
sur la constitution hongroise, les lois fondamentales et la
littérature de ce pays. La seconde traite de la succession
héréditaire àu trône, de la minorité et de la tutelle du roi et de son couronnement. La 3e parle de , sa personne , dignité sa
, son rang et de son titre ,
des ornemens royaux des armes p ,
de la résidence
,
de la cour, de la reine ,
des
princes et princesses. Dans la 4e, il s'agit des droits du roi
relativement à l'église et à l'Etat, des Etats, de la diète et
de la procédure adoptée dans cette assemblée.
Le3 volume traite de la division politique du royaume, des départemens ( dicasterla ), de l'administration de la
justice
,
de l'armée, des nuances
,
des écoles, etc.
Il est superflu d observer que c'est la meilleure statistique
qui ait paru jusqu 'à présent sur le royaume de Hongrie,
M. Schwartner a été à portée de puiser, dans les
meilleures sources, tous les renseignemens dont il avait
besoin pour achever un ouvrage qui doit être apprécié
non-seulement dans les Etats autrichiens, mais encore en France, où des écrivains, mal instruits, n'ont donné jusqu
à présent qu'une idée faible et souvent fausse sur ce
pays intéressant. {Gazette littéraire de Gottingue.) - M. Marton vient de publier, à Presbourg; les oeuvres
de poésie de Michel Vitez de Csokonai.
OEdenbourg. — A l'exemple de la société hongroise et allemande,
qui existe depuis plusieurs années dans le gymnase
protestant de cette ville, il s'est établi aussi, cette
année
, une société latine
,
qui a nommé, pour son prési*
dent et directeur, le docteur Rumi, professeur de philosophie
et d'histoire. En prenant possession de son fauieuil,
le 24 mars ,
il a prononcé un discours sur le Beau.
La société se propose de publier, tous les ans; un prospectus
de ses travaux.
t
1, MERCURE ÉTRANGER.
' No VIII.
E o corpo tenrinho,
Depois enfadado,
Incauto reclina
Na relva do prado.
Marilia formosá j "
Que ao Deos conhecíá, "
Occulta espreitava
Quanto elle fazia.
Mal julga que dorme...
Se chega contente As , armas lhe furta, IR
,E o Deos o naó sente.
Os Faunos mal viram
As armas roubadas,
Sahiram das grutas
Soltando risadas ....
(1) Liras, chanson pour la lyre
,
la scolie grecque, et notre ode anacrcon- tique. Ce morceau est tiré de la Marilia deDirceo, poème pastoral de Thomas
Antonio Gonzaga
, poëte vivant.
Acorda Cupido
E a causa sabendo
, A quantos o insultam
Responde dizendo :
Temieis as setas
Nas minhas maós cruas?
Vereis o que podem
Agora nas suas!....
Traduction.
CUPIDON avait-déposé son carquois, et folâtrait, heureux, dans
un champ émaillé de fleurs.
Après le jeu vient la fatigue : il étend ses membres délicats sur la
pelouse, et ne redoute aucun danger.
La belle Marilia ( elle connaissait bien le Dieu ) épiait, sans être
vue, tous ses mouvemens.
A peine le croit-elle endormi.... triomphante elle s'approche, et
d'une main furtive qu'il ne sent pas, lui dérobe ses flèches.
Voyant désarmé le fils de Vénus, les Faunes sortirent de leurs
grottes en riant aux éclats.
Cupidon se réveille à ces bruyantes risées.... « Insolens, leur
dit-il, vous redoutiez mes armes quand elles armaient mes mains
cruelles; vous verrez ce qu'elles peuvent dans les mains de cette
jeune beauté ...... s S..É.
LANGUES ORIENTALES.
LITTÉRATURE GRECQUE MODERNE.
LEs QUATRE SAISONS DE L'AMOUR.
Traduction.. ;
" AINSI que l'année, l'amour a ses quatre saisons : comme
« elle il suit une marche régulière.
« D'abord c'est un priutems aimable où la fleur du sonn
liment nouvellement éclose
,
croît dans un coeur qu'a
f subjugué la beauté; pour lapis de verdure
,
l'oeil aperçoit
» le visage enchanteur de l'objet aimé; et pour ramage,
71 on entend ces douces conversations où s'échappent de
" tendres aveux.
» Mais bientôt à ce tems calme succède un été brûlant
» qui embrase de ses feux deux coeurs bien unis. Alors
n s élèvent mille peines cuisantes : la jalousie
,
les soupçons,
M
les alarmes leur livrent de cruels assauts.
n Au milieu de ces orages, quelque rayon d'espérance
n vient-ilà briller, l'automne de l'ennui commence à se
» faire sentir ; cette vive ardeur se rallentit, et ces premiers
n feux du coeur s'éteignent promptement.
» Les feuilles mourantes des égards et des petits soins
n tombent à terre, et l'amour, agitant ses ailes, s'apprête
« à voler vers d'autres lieux.
" Peu-à-peu s'approche l'hiver de l'indifférence; peu-àn
peu le vent glacé du repentir souille dans le coeur attristé.
n Telle est la marche rapide ci périodique que suivent
" les années de l'amour; en commençant il n'est rien
, en
» finissant il n'est rien encore , et toutes nos peines sont
" perdues. n
CETTE petite pièce est dans le goût oriental. Le style se
rapproche beaucoup de celui des Arabes et des Persans,
qui n'écrivent souvent que par figures et métaphores.
Ce genre, fatigant lorsqu'il domine
,
rend la traduction
difficile, et exige une certaine fidélité pour conserver à
l'ouvrage une teinte locale et naturelle. Je n'ai point adouci
les figures, ni corrigé ce qui pouvait paraître un peu outré
; je sais bien qu'en prenant plus de liberté
,
j'aurais pu
rendre ma version plus élég.inte, mais le texte qui l'accompagnait
eut déposé contre moi, et je ne me suis permis
que ce que j'ai cru nécessaire pour le français.
Je vais faire quelques observations sur plusieurs mots
qui se trouvent dans le texte , et qui paraissent irréguliers,
ou qui s'éloignent du grec ancien.
Premier distique. —Premier vers ,
~[ pour ~ Dans les
vers, lorsque la mesure l'exige, on rt-tranche ordinairement
ai. Ici on n'a ôté que l ~, on a laissé l't, parce qu'en
joignant le x' à l'article o on eut été obligé de prononcer
~ O , ce qui eut été trop dur. Plus bas au contraire, distique
6, vers Ier, on a retranché, comme d'habitude, at;
mais le mot qui suit commence par un a, et la prononciation
n'a rien de désagréable, ~K'ê7rivw.
Deuxième distique. — est l'accusatif féminin de
~7W0; pour~On trouve aussi, au distique suivant,
~ÀlJxOVr; comme accusatif pluriel. On dirait en grec ancien
~wsîç.
Troisième distique. ~—voçipic. Dans le grec moderne,
comme dans le dialecte attique, on place l'accent sur l'antépénultième,
quoique la dernière syllabe soit une longue.
~7rpa<rivâ<îaiç devrait être à l'accusatif à cause dela préposition
Me pour ~MiTa., mais en grec moderne
, on emploie souvent
le datif pour le nominatif et l'accusatif. On voit, au 5e
distique
, au 1er et au 2e vers ,
les mots ~ntxpau; et
au datif, quoiqu'ils soient au nominatif dans la construction
de la phrase.
Huitième distique.—~pour~ On a changé
la tenue en aspirée
, et l't en s. ~Tt^a pour~ La préposition
Six s'est changée en ~-lix par euphonie.
~ÉprMGCr; pour~Dans les noms imparisyllabiques masculins
,
l'accusatif pluriel sert de nominalif; dans les noms
féminins, c'est l'accusatif singulier. On dit ~",/lJlICoCty.Ct,
pour ~yovïj,
Neuvième distique. — Le trait qui est sous les mots
TÉrotav ~[AIXV rsrotot indique que ces deux syllabes doivent se
prononcer d'une seule émission de voix : c'est la mesure
qui l'exige. Peu familier avec la prosodie grecque, je ne
connaissais pas la valeur de ce trait, j'en dois l'explication à
M. Rhazis, professeur de littérature grecque: c'est sous
lui que j'ai étudié
, et c'est à lui que je dois les connaissances
que j'ai pu acquérir dans cette langue.
DUVAL-DESTAINS
.
LITTÉRATURE ARABE.
BEHRAM GOUR et son fils, ou les heureux effets de
l'amour (i).
( Traduit de l'Arabe par GRANGERET DE LAGRANGE.)
L'AFFRANCHI d'Ibrahim a raconté :
Ibrahim m'envoyait souvent, avec quelques personnes
allachées à son service, dans le Korasan, auprès d'un religieux
célèbre par son instruction
, par la douceur de ses
moeurs et la longue expérience qu'il avait des choses passées.
Allez
, nous disait Ibrahim
,
allez trouver ce bon religieux
,
il vous enseignera la sagesse , et vous donnera de
salutaires conseils. Nous partions donc pour le Korasan ;
et à noire retour Ibrahim nous questionnait avec empressement
et voulait savoir tout ce que le religieux nous avait
appris. Un jour nous allâmes voir le religieux, et après
avoir eu avec lui'un long entretien
,
il nous dit, au moment
de notre départ : «Mes amis, je vous ai enseigné à
être bons et sages ; dites-moi maintenant, est-il quelqu'un
parmi vous qui aime? Non, lui répondîmes-nous. Eh
bien, reprit-il, aimez donc • que tardi z-vous? Faites-vous
chacun une tendre maîtresse. L'amour développe l'intelligence
de l'être le plus stupide
,
il délie la langue de l'imbccille,
ilf'ail couler de nos lèvres des expressions délicates et
pleines de douceur, il rend l'esprit plus vif et plus péné-
Irant, il donne à l'âme des ressorts inconnus, il lui ins-
(ij JJehram Gour est le nom d'un roi très-célî'bre de la Perse.
On peut consulter la Bibliothèque Orientale, par Dherbelot, p. 172.
Ed. in-fol.
J'ai extrait cette Nouvelle de T.a Prairie èmaillée de fleurs et le
parfum délicieux, par le Schérif Assoiouthy. Cet ouvrage mêlé de
prose et vers, est divisé en cinq chapitres qui out chacun autant de
subdivisions. Il roule tout entier sur l'amour
,
le vin
,
les fleurs et
autres sujets riants et susceptibles de recevoir les couleurs brillantes
de la poésie.
pire des sentimens généreux et sublimes: enfin il est le
charme de la vk-, la source inépuisable du bonheur. Ah !
mes amis, puisque vous êtes dans la fleur de voire âge, je
vous en supplie
, que les flammes d'un chaste amour embrâsent
désormais vos coeurs. « Lorsque le religieux eut
achevé ces paroles nous retournâmesversIbrahim,
^ quinous
demanda, suivant son usage, quels étaient les préceptes
que nous avions entendus. D'abord nous n osâmes rien
répondre ; mais , comme il insistait, nous dîmes qu il nous
avait parlé de l'amour et des merveilles qu'il opère. Oh! il
a eu bien raison
,
s'écrie avec transport Ibrahim. Mais savez-
vous pourquoi il vous a tenu un pareil discours? Non,
répliquâmes-nous. Behrarn Gour, reprit Ibrahim, avait
un fils qu'il devait nommer un jour son successeur au.
trône. Loin de répondre aux espérances de son père, il
croissait avec des inclinations basses, et ne faisait paraître
ni génie, ni grandeur d'âme, ni amour pourla gloire et pour
les sciences. Un si mauvais naturel affligeait extrêmement
Behram Gour. Il prit enfin le parti de l'entourer de maîtres
sages et éclairés qui, par des soins assidus, essayâssent de
corriger ces graves défauts, et de réveiller en son âme 1 amour
de la vertu et de la gloire. De tems en tems le roi
demandait de ses nouvelles
, et le compte désavantageux
qui lui en était rendu était pour ce malheureuxpère un sujet
d'amertume et de douleur. Une fois il questionna en particulier
le maître le plus habile et le plus prudent de son
fils. Hélas! répondit-il au roi, tous nos efforts sont vains,
et d'après ce qui vient de lui arriver, nous avons perdu
l'espérance de le rendre meilleur. Eh! que lui est-il donc
arrivé? interrompit vivement le père. Dernièrement, reprit
le maître, il a vu la fille d'un gouverneur de province,
et aussitôt il a conçu pour elle une violente passion : il ne
voit qu'elle par-touty il ne s'occupe
,
il ne s entretient que
d'elle. Agréable nouvelle! s'écrie tout-à-coup Behram
Gour, bonheur inattendu! Mon fils aime, oui, j'espère
qu'il va devenir sage. Puis il mande sur-le-champ le gouverneur
de province, et après lui avoir fait jurer de garder
le secret, il lui dit : « Sachez que mon fils adore votre fille
et que je désire la lui donner pour épouse. Mais , auparavant
,
il faut que vous ordonniez à sa maîtresse d'enflammer
de plus en plus la passion qu'il a pour elle, et d'entretenir
correspondance avec lui sans qu'il puisse la voir ni l entendre un seul moment. Lorsque son amour sera au plus haut^degré
, votre fille aura soin de feindre du refroidissement
à son égard
, et même de lui faire savoir qu'elle
l'a banni de sa pensée. Mon fils ne manquera pas de lui
adresser des plaintes amères 5 elle lui répondra qu'elle re- fuse de prendre pour époux un homme que ses penchans
vils et méprisables rendent indigne du trône : qu'elle
veut un roi et non pas un être qui préfère une vie lâche et
sans honneur au travail et à la gloire. Vous m'instruirez
alors, ajouta Behram Gour, de tout ce qui se sera passé
entre nos deux amans. n Ensuite le roi fit venir le maître
de son fils et lui enjoignit de l'exciter à entretenir correspondance
avec sa maîtresse
, en lui recommandant toutefois
de se renfermer dans les bornes que l'honnêteté lui
prescrit. Le gouverneur de province et le maître étant
sortis de chez le roi, ils se mirent à exécuterles ordres qu'ils
venaient de recevoir. Voilà donc la jeune fille qui envoie
lettres sur lettres a son amant, et celui-ci de répondre aussitôt.
Peu de tems après elle affecte des dégoûts,puis des
mépris
,
puis enfin ne veut plus entendre parler du fils de
Behram Gour. La cause de ce changement ne reste pas
long-tems inconnue au jeune homme j et soudain
,
ô prodige
de l'amour ! il rentre en lui-même, il déteste sa conduite
passée, et, sans perdre de tems, il met tous ses
soins et toute son application à orner son âme et à cultiver
son esprit. Que ne fait-il pas pour plaire à sa maîtresse?
Déjà il sait monter à cheval, manier adroitement la lance
et l'épée, et faire arriver la flèche à son but. Ce jeune
homme, naguères si indocile, si farouche, si grossier
dans ses manières
,
si plein d'aversion pour toutes les
choses honnêtes, le voilà devenu pour jamais aimable
charmant, doux, soumis et vertueux. , « Mon pure, dit-il
a Behram Gour, donnez-moi donc des chevaux, des
armes, des étoffes précieuses et des esclaves; je veux travailler
pour la gloire et soutenir mon illustre origine.
Transporté de joie
, son père lui accorde tout ce qu'il demande.
Au bout de quelques jours
,
le jeune homme parle
de sa maîtresse au roi, et le prie- de la lui accorder pour
épouse. Behram Gour consent à cette union
,
il en presse
les douxmomens,
et nomme son fils l'héritier du royaume.
Lorsque Ibrahim eut terminé ce recit, il ajouta : uAllez
maintenant demander au Religieux pourquoi il vous a exhorté
à aimer. " Nous partîmes à l'instant, et arrivés chez
le bon Religieux, nous l'interrogeâmes et il nous raconta
l'aventure merveilleuse de Behram Gour et de son fils.
LANGUE ANGLAISE.
THE DEATH-SONG OF AN INDIAN CHEROKEE WARRIOR.
THE sun sets in night, and the stars shun the day;
But glory remains
,
when their lights fade away.... Begin, ye tomentors! Your threats are in vain,
For the son if^ilknomook will never complain.
Remember the arrows he shot from his bow!
Remember your chief; by his hatchet laid low!
hy so slow ? Do you wait till j shrink from the pain?
No •' the son of^rlllcnomook can never complain.
Remember the wood where in ambush we lay, . And the scalps which we bore from your nalion away!...
Now the flame rises high.... you exult in my pain
But the son ifyllkuomook shall never complain.
J go to the land where my father is gone ; His ghost shall rejoiced in the fame of his Death son : comes like a friend
, to relieve me from p:lin
And the , son of Alknomook has scorn'd to complain.
DY Mr* HUNTER.
Traduction.
i
CHANT DE MORT D'UN GUERRIER DE LA NATION DES
IROQUOIS.
LE soleil se couche dans les ténèbres
, et les étoiles fuient l'éclat j
du jour ; leurs clartés s'effacent, mais la gloire demeure Coni- ^
mencez
1
ô bourreaux ! vos menaces sont vaines, car le fils d'Alknomouk
ne fera pas entendre un soupir.
Vous souvient-il des flèches qu'il décocha de son arc? Vous souvient-
il de vos chefs que sa hache de guerre abattit dans la poussière ?
Quoi, vous tardez encore! Attendez-vous que je recule d'effroi
devant les tortures? Non, le fils d'Alknomook ne fera pas \
entendre un soupir.
*< Rappelez-vous les bois où nous vous attendîmes
,
postés en emiuscade....
Que de chevelures sanglantes nous arrachâmes des tètes
4
de vos guerriers! Enfin la flamme s'élève et monte dans les
airs Le fils d'AJknomook ne fera pas entendre un soupir.
Je m'en vais dans la terre où tu m'as précédé, ô mon père (1) !
Ton ombre sera heureuse de la renommée de ton fils.... 0 mort! tu
viens, comme une amie, me délivrer de la douleur, et le fils
d'Alknomook a dédaigné de pousser un soupir.
Par Mistriss HUNTER.
THE DYING PERUVIAN CACIQUE.
THE dart of Isdabel prevails! 'twas dipt
In double poison J shall soon arrive
At that blest island
,
where no tigers spring
On heedless hunters ; where ananas bloom
Thrice in each moon; where rivers smoothly glide,
Nor thuudering torrents whirl the light canoe
Down to the sea; where my forefathers feast
Daily on hearts of Spaniards! Oh my son!
J feel the venom busy in my breast....
Approach, and bring my crown, deck'd whith the teeth
Of that bold christian who first dar'd deflour
The Virgins ofthe Sun And
,
dire to tell!
Robb'd Pachacamao's altar of its gems
J idark'd the spot where they interr'd this traitor ,
And once , at midnight, stole i to his tomb
,
And tore his carcase from the earth, and left it
A prey to poisonons flies Preserve this crown
With sacred secrecy : if e'er returns
The much-lov'd mother from the desert woods
Where
, as i hunter late, i hapless lost her,
Cherish her age Tell her i ne'er have worshipp'd
With those impious strangers ; and when disease
Preys on her languid limbs, then kindly stab her
With thine own hands
, nor suffer her to linger,
Like christian cowards, in a life of pain !....
J go! great Capac beckons me!.... Farewell!...
By the Rev. JAMES WHARTOIX.
(1) Lepays des ames, selon le système rclisienx des Indiens d'Amérique.
Traduction.
LE CACIQUE PERUVIEN MOURANT.
ELLE a vaincu la flèche lancée par Isdalel; trait fatal qui fut deux
fois trempé dans un poison mortel Encore quelques instant ,
et
j' arriverai sur tes bords, île fortunée ! où des tigres féroces
ne fondent
point sur 1 imprudent chasseur, où l'ananas fleurit trois fois dans
une lune (i), où les fleuves roulent mollement où, leurs paisibles ondes, bruyans comme le tonnerre, des torrens qui tourbillonnent
n engloutissent point la faible pirogue dans l'abîme des mers ; terre heureuse! où dans la joie des festins, mes nyeux se repaissent des
coeurs arrachés aux Espagnols....
0 mon fils! je sens le poison qui dévore mes entrailles...., approche
, apporte-moi ma couronne ; elle est ornée des dents de
ce hardi chrétien, qui, le premier, osa ravir les Vierges du Soleil,
qui dépouilla ( ô forfait exécrable ! ) l'autel de Pachacamac (2) des diamans dont il étincelait Je remarquai la place où ils avaient inhumé ce traître, et quand sonna l'heure de minuit, je me glissai silencieusement jusqu'à sa tombe ; j'arrachai du sein de la terre son horrible cadavre , et l'abandonnai en proie aux insectes dévorans. Conserve bien cette couronne , qu'elle soit un mystère inviolable
et sacré. Si jamais ta mère, ta mère bien aimée, revient de ces bois déserts où j'eus naguères le malheur de la perdre à la chasse
prends un soin pieux de sa vieillesse , ; dis-lui que je n'ai point adoré
e Dieu de ces étrangers impies; et quand les infirmités du vieil âge
rongeront ses membres affaiblis, alors aie pitié d'elle
,
poignarde-la
de ta propre main; ne permets pas qu'elle traîne
, comme ces lâches
chrétiens
,
les tristes restes d'une vie languissante, en proie à la douleur
Je pars; je vois le grand Manco-Capac (3); il m'appelle..... Adieu!... Sc ..É• . •
(1) Un mois.
(2) Le Soleil, dieu des Péruviens.
(3) Le fondateur de l'Empire des Incas.
Notice biographique sur JOHN ANTES (I).
JOHN ANTES naquit le 24 mars 1740
>
à Frederik-Town
,
comté de Philadelphie, dans l 'Amérique septentrionale.
Peu de tems après sa naissance son père connut le fameux
comte de Zinzindorf, et entra dans la société des
frères Moraves.
,À Quand le comte, dit M. Antes, prit congé de mon
" père, il désira voir tous ses en fans
,
et plaçant alors sa
n main sur ma tête de la manière la plus solennelle
, me
" recommanda il la grâce de Dieu notre sauveur, le priant
71
de me protéger et de me guider pendant toute ma vie.
« Cette circonstance fit sur mon esprit une impression
" in effaçable. »
On doit l'en croire, car il fut un ardent missionnaire
de sa secte. Il s'était rendu habile dans la mécanique
, et
principalement dans l'horlogerie, lorsqu en 1769 il
désigné pour faire partie delà mission qui se formait alors
au Caire.
Nous n'entrerons point dans plusieurs particularités de
son voyage, qu'il a décrites avec un soin assez minutieux}
elles n'auraient probablement pas pour nos lecteurs autant
d'intérêt qu'elles peuvent en avoir eu pour lui ; mais nous
nous arrêterons sur une circonstance qu il décrit avec
beaucoup de chaleur et de vérité.
Habitant depuis neufansla capitale de l'Egypte
,
il avait
en le bonheur et l'adresse de ne pas tomber dans les
mains des Beys et de leurs satellites " qui, dit-il, supposent
" toujours que les Européens sont riches. 71
Mais le 15 no-
(1) M. Antes étant mort à la fin de 1811
,
la Société religieuse à
Lujuelle il appartenait publia sur sa vie un Mémoire dont la plus
grande partie avait été écrite par lui-même. Ce mémoire vientd être
inséré par fragmens dans le n- du Monthly Repertory. Nous
avons cru devoir en extraire ce qui nous a paru le plus digue d être
conservé.
vembre 1770, se promenant dans consulvénitien,ilfutassailliparqulaelqcuamesp-uagnnse avec le
desMa-
»
Ilsnous dépouillèrent incontinent de nos habits, de
leur • n
et e tout ce qui pouvait avoir quelque va- :" leur j nous demandant cent maktufs ou sequins turcs (1) nousne lesmenaçantde nous mener versleurmaîtresi
M A
donnions pas aussitôt. M.Antes et * son
'
ami n'avaient que quelques pièces d'argent; ilslesoffrirent,mais furent refusées avec dédain. On voulut que le vénitien restât pour otage, tandis que M. Antes irait chercher dans la ville la somme
exigée;
mais lesgénéreux frère morave mieux demeurer
entre mainsde ceux qu'en Angleterre il aurait sans douteappe lés "gentlemen degrand chemin.. On l'amena
devant le bey qui le reçut très-mal. Mis en prison, il voulut essayer d obtenir la liberté en donnant à son geolier
le peu d'argentT avait. Ce dignegardien prit la somme, et le conduisit dans un cachot où il le lia de la manière la plus cruelle. M. Antes fut ensuite amené de rechef
devant le bey, et alors sa patience, sa résignation chré- tienne furent mises aux plus cruelles épreuves.
« En entrant, je vis un petit tapis de Perse que l'on
» avait placé là pour moi. C'était une marque de civilité
« car quand les gens du commun doivent recevoir la basr
« tonade on les étend sur la terre nue. Le bey me de-
" manda denouveau qui j'étais. -Anglais.-Que faites-
» vous ; —Je vis de ce que Dieu m'envoie ( phrase usitée
« chez les Arabes). Il s'écria : jetez-le à terre 1 Je de-
« mandai ce que j'avais fait. - Quoi, chien
, répondit-il,
" vous osez demander ce que vous avez fuit 1 jetez-le à
» terre l » )
(2)Evaluéspar l 'auteur en monnaie anglaise à euviroD 9 francs
Après avoir décrit les préparatifs du supplice, il ajoute :
» J'étais dans cette position, lorsqu'un officier vint me
n dire à 1 oreille : — Ne vous laissez pas battre
,
donnez-
* lui mille dollars et il vous délivrera. — Je réfléchis
« que si j'offrais alors de l'argent
,
le bey, probablement,
n enverrait avec moi quelques-uns de ses gens pour le re-
» cevoir, et qu'ainsi je serais obligé d'ouvrir mon coffre-
» fort
,
dans lequel je gardais non-s: ulement mon argent,
" mais des sommes considérables qui m'avaient été con-
" fiées. Le tout, très-probablement, aurait été emporté en
rt même tems. Déterminé en conséquence à ne point en-
» velopper les autres dans mon malheur, je répondis : Je
n n'ai pas d'argent à donner, n
Cette réponse vraiment héroïque produisit un effet auquel
on devait s'attendre. M. Antes fut cruellement bâtonné
à la plante des pieds. On voulut savoir si, à défaut
d'argent, il n'aurait pas quelque objet précieux. «J'offris,
" dit-il, une carabine richement montée en argent , que
7)
je pouvais donner sans ouvrir mon coffre-fort. » Cette
offre fut rejettée
, et les bourreaux recommencèrent.
Tous ces actes d'oppression et de cupidité n'avaient eu
jusqu'ici rien de bien extraordinaire; mais nous arrivons
à un incident remarquable.
Le bey et ses gens, enfin persuadés que réellement
leur victime n'était pas riche, résolurent de la relâcher,
et voici le parti qu'ils prirent.
» Quand j'arrivai encore une fois devant le bey
,
il dit à
" un de ses officiers : —Est-ce-là l'homme dont vous
n me parliez?— L'officier marcha vers moi, me regarda
n en face, comme pour bien démêler mes traits, puis,
n tout-à-coup
,
élevant les mains : — Par Allah
,
s'écria-
" t-il, c'est lui-même! c'est le meilleur homme qui soit
n dans tout le Caire
, et mon ami très-intime ; oh
, que je
n suis affligé de n'avoir pu vous en informer plus tôt ! —
M
Quand il eut prononcé diverses expressions dans ce
M sens, le bey lui répondit : — En ce cas, emmenez-le
,
n je vous le donne; et s'il a perdu quelque effet, ayez
" soin qu'on le lui rende. — De ma vie je n'avais vu cet
" officier, et je m'apperçus bientôt que c'était là une ma-
« nière trompeuse de se défaire de moi. Je fus obligé de
" marcher encore jusqu'à ce que je fusse hors de la pré-
" sence du bey. Ensuite les domestiques de mon ami prén
tendu me portèrent à sa maison qui était fort loin de là.
M Il m'offrit quelque chose à manger, et me fit faire un
« assez bon lit; ce qui me fut le plus agréable
, car la plus
« grande partie de mes vêtemens m'ayant été enlevée
,
" j éprouvai un grand froid. Tout ce qu'on me rendit, ce
» fut un vieux schall de Cachemire. Je demandai à l'offi-
" cier si ce qui m arrivait était une preuve de l'hospitalité
M tant vantée de ses compalriotes envers les étrangers;
« mais je n'eus d'autre reponse que:—Min Allah 1 Makn
tub! Makkadder!—Celavientde Dieu ! Cela est écrit dane
n le livre du destin t auquel on ne peut rien changer! Et n après avoir donné à son ami ces consolations, l'offi-,
cier du bey lui fit payer 2oliv. sterling, dont probablement
son maître eut sa part.
Le malheureux Antes souffrit long-tems des suites de
cette avanie. Au mois d 'août 1781, il fut rappelé en Europe
pour assister à un synode général de ses frères, en'
Saxe. Cinq ans plus tard il se maria
, et enfin en 1808
ayant eu la permission de , renoncer à un emploi qu'il avait
çxercé avec tant de zèle, de courage, et aussi avec de
grandes peines, il choisit Bristol pour son séjour. Ses ta-,
lens en mécanique lui procurèrent une existence agréable,
dont il lui eût sans doute été très-possible de jouir plus,
tôt, si, au lieu de se livrer à son enthousiasme religieux
il se fût contenté d 'être , un artiste habile. Des maladies
qui s'accrurent successivement le mirent au tombeau le
J7 décembre 1811.
LANGUE ALLEMANDE.
Extrait d'un ouvrage ayant pour titre : SUR L'ACTION,
SYMPATHIQUE DES ÊTRES ; par M. J. LoEW (L).
{ Dissertation inaugurale au grade de docteur à V Université
royale de Landshuth en Bavière. )
l L'AUTEUR se propose de traiter dans cet ouvrage de
ce qu'il y a d'éternel dans la médecine
,
et de nous faire
connaître ce que, dans son langage mystique, il appelle
le médecin né des lumières de la grâce. Il n'y a d'éternel
dans la médecine que cette sympathie que le titre annonce,
mais que l'auteur se garde bien de préciser ou
(i) Un savant étranger à qui nous avions demandé de coopérer au
Mercure étranger, nous a envoyé cet article en y joignant une lettre
que nous croyons également utile de publier.
» J'ai été sensible à votre invitation; vous jugerez si le morceau
que j'ai l'honneur de vous adresser, peut trouver place dans vos
annales. Comme vous avez pris l'engageaient de rendre compte du
mouvement intellectuel des peuples qui cultivent les lettres
, vous
vous êtes imposé , à ce qui me parait,, l'obligation de nous faire
connaître et les progrès et les égaremens de l'esprit humain. L'expo,
sition de ces égaremens ne sera pas la partie la moins utile de votre
entreprise, car le bon sens n'est jamais assez sur ses gardes contre
les chimères de la crédulité et de la superstition, qui tendent sans
cesse à s'établir sur les ruines de la saine philosophie. Dans ses
conjectures sur les prpgrès à venir de l'esprit humain
,
M. de Condorcet
n'a eu nul égard à l'influence. des passions. Ce défaut de
calcul affecte les belles perspectives qu'il présente et les rend
illusoires. Les lumières n'épurent pas toujours les passions, et cellesci
emploient souvent les lumières pour attaquer et pour resserrer le
domaine de la raison. L'insouciance d'ailleurs qui accompagne
l'accumulation des richesses
,
la présomption
,
l'exaltation et le goût
de la nouveauté
, ouvrent un champ facile à l'erreur.
de définir. Qualité occulte, elle anime tous les points
de l'univers. C'est dans elle que repose la toute puissance
du verbe; c'est d'elle que proviennent les facultés
créatrices dont nous jouissons dans de certains momens et c est par elle que le médecin né des lumières de la,
grace obtient cette plénitude de vertus curatives ou médicinales
qui n est autre chose que l'esprit de Dieu ou
plutôt Dieu lui-même dans un mode donné de révélation.
L'appétit est la première et la plus énergique des sympathies
qui puissent exister d'un objet à un autre.
La cause du mouvement des corps ,
qu'on appelle
gravitation, n'est qu'un appétit, qu'un désir immense
de s'unir au principe de toute action. Cette même cause
porte nos sentimens sur un être invisible. Ainsi tous
les sujets de la nature tendent à se replonger dans le
» Nous avons vu les Français, abusant des principesde la politique
spéculative
, en renverser tout l'édifice ; et nous voyons aujourd'hui
la philosophie spéculative des Germains provoquer le retour des
sciences .occultes dont le l8* siècle se glorifiait d'avoir triomphé.
En changeant de formes et de langage ces extravagances peuvent
faire beaucoup de chemin
,
s'il est dans les destinées de l'Europe de
retomber dans l'ignorance
, suite ordinaire des grandes crises
politiques.
» L'ouvrage dont je vous présente l'extrait est une dissertation inaugurale
au grade de docteur. Elle respire
,
st4on l'usage de ces sortes
d'écrits
.
l'esprit de l'école. Ainsi tout un corps enseignant ( l'Université
de Landsbuth en Bavière ) professe comme doctrine le
mélange le plus bizarre qu'il soit possible de concevoir
,
de théologie
et de physique
.
de spinosisme et de cabale. Une pareille doctrine ne
serait que ridicule el plaisante, si on ne l'appliquait pas à la vie
pratique et particulièrement à l'art de guérir. L'amour est le
spécifique universel de cette nouvelle école ; s'il est adopté les
débutans auront un avantage décidé sur les anciens de la
Faculté, etc. Il
sein de la Divinité
, source unique de la pensée, du
vouloir
,
de la force
,
de la santé
,
de la convalescence
,
du bien-être et du bonheur.
Le moteur qui transporte dans les plages éloignées
les oiseaux de passage, les poissons, les insectes
,
et qui
les ramène dans leurs anciennes demeures
.
est le même
que celui qui fait passer les astres de l'aphélie au périhélie
et qui les renvoie à leur point de départ. Il préside
aux migrations des peuples, il conduit dans des pays
inconnus les hommes à découvertes et les conquérans
qui ne sont proprement que de grands voyageurs. C'est
lui qui fait que l'aiguille aimantée tourne sympatiquement
dans le sens de l'axe terrestre ; c'est lui qui fait
qu'un pôle trouve l'autre, qu'un sexe s'approche de
l'autre, et c'est d'après la même loi motrice que nos
pressentimens et nos voeux nous lancent dans un séjour
plus pur que celui de la terre ; ces pressentimens apparaissent
avec plus d'énergie peu de tems avant la mort,
particulièrement chez les personnes étiques ou qui sont
attaquées de phthisie. Vers le dernier terme de leur
existence, leurs rêves les transportent dans des contrées
délicieuses et dans un pays de merveilles. L'envie de
voyager est dans beaucoup de maladies un présage
certain des approches de la mort.
La médecine a pris naissance dans les temples
,
elle
doit y rentrer. Le sommeil préparatoire et mystérieux
qu'y subissait le malade, provenait de l'emploi du magnétisme
animal. C'est par le magnétisme animal que la
médecine va se régénérer.
Toutes les grandes opérations de la nature s'exécutent
pendant le sommeil, tel que l'accroissement du foetus,
celui des plantes. *
Il en résulte que le somnambulisme est le meilleur
état pour y voir clair.
Pour qu'une guérison devienne ce qu'elle doit être,
c'est-à-dire sympathique, il faut qu'elle s'effectue par
l'amour et par la foi.
Toute action dans la nature est ou génération ou conception.
;
Les différentes forces de la nature aspirent à l'égàlité
ou à se mettre en équilibre. La force supérieure appelle
la force inférieure ; elle y excite du désir et de la volonté
; et la force inférieure s'évertue à s'élever au niveau,
de la force supérieure.
,
La pesanteur, la cohésion, les corps métalliques,
magnétiques, électriques
,
les astres attirent ce qui leur
est analogue, ou plutôt provoquent une .suite d'opérations
qui ont rapport à cette conformité.
La vie dès corps organiques consiste dans le jeu mys;
férieux des sphères consensitives : c'est de la magie.
L'esprit s'incarne dans là matière ; le cerveau communique
sympathiquementses dispositionsà tousies organes
du corps, et tout le corps en acquiert une tendanc-e à se
changer en cerveau. Déjà le lait et le sperme sont des
matières cérébrales; niais certaines maladies, la mort et
la putréfaction, produisent l'achèvemçnt de cette transformation
en cerveau et en sont l'accomplissement.
Chaque maladie n'est proprement qu'un açte de digestion
'ou de putréfaction par lequel l'organe en souffrance
ou tout le corps (particulièrementdans les fièvres
putrides ) se digérant luimême, prépare une nouvelle
génération. Aussi existe-t-il la plus grande analogie entre
les produits-de la maladie çt la substance du cerveau
qui est le type de toute susceptibilité vitale..
Dans toute sensation qu'on éprouve, on s'éprouve
soi-même. Le son que- j'entepds me fait retentir; la yuç
d'un objet développe ma propre lumière.
Il en résulte que l'efficacité du magnétisme et celle du
ï
1
galvanisme peuvent s'élever à un degré d 'autant plus
éminent que l'exercice a développé l'activité des organes.
C'est ainsi que la faculté de prévoir l'avenir
,
de prophétiser et celle d'apercevoir les esprits augmentent
avec la foi et l'humilité de celui qui s 'y abandonne.
Le magnétisme animal est le premier, le dernier et
l'unique instrument par lequel les corps puissent agir
les uns sur les autres.
La vue d'un mets ragoûtant et le souvenir seul de ce
mets produisent la salivation. La vue de certaines drogues
(telles que la rhubarbe et l'émétique) agit sur l 'estomac
, sur le rectum et le foie comme si on les avait
prises. C'est ainsi que la volonté du magnétisme,quoique
opérant de loin
,
porte l'estomac a vomir ou un abcès à
s'ouvrir. Toutes les idiosyncrasies et la plupart des passions
naissent de la même manière.
Les animaux phosphoriques, qui par le simple attouchement
laissent échapper des étincelles, comme les
chats ; les fleurs et les fruits qui répandent de fortes
odeurs excitent chez certaines personnes un état semblable
au somnambulisme.
On connaît les effets que produisent quelques reptiles
venimeux dont le poison agit -à une grande distance
, ou
dont le regard
, comme celui du crotalus horridus

étourdit les rats, les belettes, les oiseaux
,
les écureuils,
au point de les faire descendre des arbres pour se jeter
dans sa gueule.
Il est des maladies telles que l'épilepsie
,
la manie
,
l'hypocondrie qui se communiquent par l'aspect ou la
description de ces maladies.
De-là les effets des émotions qu 'éprouvent les femelles
des animaux lorsqu'elles sont pleines
,
et qu eprouvent
plus particulièrement les femmes enceintes..
C'est dans la femme que repose le secret de la terre :
elle est le sanctuaire de toutes les révélations thiques. sympa-
Voilà pourquoi la femme est si susceptible de tous
les genres d'impressions
,
pourquoi elle sent si pro- fondément et avec tant de délicatesse : elle est dominée
par le bas-ventre et par les organes qui sont dans le
rapport le plus immédiat avec la terre
,
tandis que l'homme est gouverné par la tête et les parties supérieures
du corps , ce qui lui donne plus d'analogie avec les astres qu'avec la terre.
La femme est plus susceptible que lui de magnétisme
animal. Les maladies du bas-ventre sont plus fréquentes
et plus dangereuses chez les femmes, celles de la tête et
de la poitrine le sont chez les hommes.
La plus haute et la plus mystérieuse révélation sym- pathique, c est la conception et la grossesse. Cette con- ception provient réellement du Saint-Esprit dont l'homme
n'est que l'organe : par cet acte la femme devient génératrice
et créatrice à l'exemple de l'homme ; elle s'élève
à la dignité virile par une création qui lui appartient.
Par cette exaltation de son être elle acquiert une plus
grande aptitude à recevoir des impressions
,
à être affectée
par la colère, par la surprise
, par l'envie. Ces affections
produisent des effets sur le foetus dont la mère,
qui a acquis une qualité virile, représente le cerveau, le système nerveux, l'organe des sens. C'est par cette
raison que les maladies des païens se communiquent
aux enfans et qu'on voit paraître les macules appelées : Naevi materni.
Ces macules, taches ou autres difformités, se mon- trent ordinairement à la tête, au front, aux organes des
sens, à la poitrine et au bas-ventre.
C est le front qui marque le plus dans la colère. La
poitrine et le bas-ventre ressentent davantage les commotions
magnétiques ; la frayeur sur-tout agit sur ces
parties.
C est du bas-ventre que naissent les rêves que Dieu
nous envoie et qu'il est bon de consulter.
Les organes d'où proviennent les rêves ; l estomac
>
le
foie, les parties sexuelles de la mère et du foetus se
font face réciproquement, et cela nous explique pourquoi
les femmes enceintes éprouvent si fréquemment
des visions, des extases, etc.
L'acte de vision est une véritable génération comme
toute autre action des sens. La lumière, la flamme
,
les
couleurs sont l'esprit créateur des choses dans sa plus
haute manifestation de sa gloire. 1
L'action réciproque des étoiles
,
du soleil et des planètes
est une animation réciproque par intuition, une
génération par lumière.
L'idée de l'accouplement des sexes est inadmissible
dans plusieurs espèces de végétaux; mais un sexe provoque
l'activité de l'autre par le simple fait de l 'intuition.
L'action la plus intime des choses se réduit à un contact
sympathique; il n'arrive jamais de mélange ni corporel
ni spirituel. Aussi d'après un mythe indien les
espèces se propageaient autrefois d abord par un
regard, puis par un sourire, dans un tems plus
grossier par un baiser, puis par l'attouchement des
mains
,
et à mesure que la dégénération s'accrut par le
contact du corps entier.
Par la raison que le contact est la plus matérielle des
actions
,
il en est aussi la plus spirituelle
, ses effets pénètrent
le plus loin dans l'intérieur. Tout attouchement
est une magnétisation.
Vous ne pouvez toucher une pierre sans la mettre en
commotion, ni sans la rendre vivante.
C'est par l'attouchement et par la friction que le fer
devient vivant et vivifiant, et c'est par une friction logue ana- que l'air et la lumière changent les fluides en gaz et les élèvent au plus haut degré d'existence.
La secousse magnétique, ou électrique, le mouve- ment des corps, la friction et le frottement, tout acte
e création enfin est accompagné de son, de lumière
-ou de chaleur. Un coup violent, une pression forte sur le cerveau , sur les poumons
, sur le foie
, sur l'estomac
ou sur tout autre organe du corps, après nous avoir fait soudain apparaître un éclair ou entendre le bruit
u tonnerre, produit sur le patient un sommeil magnétique
qui, avec une rapidité extrême, le met dans un état de parfaite clairvoyance en le livrant à la putréfaction.
1
Les souffrances et la mort épurent le corps et te rendent susceptible de recevoir le principe d'une existence
supérieure à celle qui vient de s'évanouir. C'est
par ce fait qu'on a remarqué que les personnes mortes dans de grands tourmens sont entourées d'une zone lumineuse, et que les hommes pieux et les saints qui
s'abandonnent aux macérations de la chair, se trouvent pendant le sommeil entourés dune sphère de rayons. Dieu a imprimé à tous les êtres un instinct mystérieux
à l'aide duquel ils s'aperçoivent, se reconnaissent
, touchent réciproquement se et jouissent l'un de l'autre en amour. C est ainsi que les médicamens agissent sur l organe en souffrance qui les désire sympathiquement.
Nous devons à cette sN mpathie la découverte des médicamens
que la folie humaine a très-injustement attribués
au hasard.
Comme toute guérison s'effectue par l'amour et par la fui, le meilleur médecin est celui qui connaît l'amour,
qui en est pénétré et qui en exerce l'action magique.
Ce n est que peu à peu et par la suite d'un accroissement
de corruption parmi les hommes que la médecine
a cessé de puiser dans les sources de la magie
céleste, et qu'elle a eu recours aux viles productions
de la terre pour y chercher des vertus curatives. Abjurant
le vrai culte
,
l'art de guérir s'est plongé dans
l'idolâtrie.
L'atmosphère anime le métal, et le fer devient sensible
pour toutes les destinées de la terre ; il devient
pour l'univers ce que le système nerveux est pour les
êtres organiques.
Les élémens dont se compose l atmosphère (l eau ,
l'électricité, le calorique, la lumière) développent la vie
métallique avec d'autant plus de force que ces métaux
sont plus oxidables, plus fusibles, plus portés à se volatiliser.
Les métaux oxidables (tel que le zink) sont ceux que
les rabdomantiquesreconnaissent avec le plus d'énergie
et de préférence à tous les autres.
Les métaux renferment le principe et le germe de
toute animation. C'est des métaux qu'on retire les médicamens
les plus efficaces : ils régénèrent la partie
matérielle de la vie, la masse nerveuse.
Dans les animaux la partie terreuse l'emporte sur la
pallie métallique. L'ame de l'homme au contraire est un
son métallique
, ses idées en sont la musique.
L'oreille nous révèle l'intérieur de l'homme. Les
fonctions qu'elle remplit par rapport au système des
os, le métal les remplit par rapport à la planète entière;
il en est l'organe d'ouïe
,
de langage
,
de mouvement.
Entendre
,
parler, sonner, mouvoir ne sont que les
- différrns modes d'un même acte d'existence. Voilà
pourquoi il y a de la sympathie entre les idées et le
langage
,
entre le son et les gestes, entre le mouvement
1
et les figures des sons ,
les figures de la danse et celles
de la rotation des astres.
Le noyau des planètes est de nature métallique. Le
métal est la substance primitive de tout ce qui existe et
le monde métallique est la racine de l'arbre de la vie.
Mais comme le son est lame des métaux, -l'ame de
toutes les choses de ce monde réside dans la voix
dans le chant, dans le langage, et voilà pourquoi la,
musique est si salutaire dans beaucoup de maladies.
Elle est le verbe par qui tout a été créé; elle est la plus
parfaite révélation du magnétisme universel.
De même que le métal la racine des plantes a aussi
un sens profond pour les secrets de la terre. Selon les
anciens, la racine de la mandragore révèle des choses
miraculeuses qui se passent dans l'intérieur du globe.
Par la fleur et les parfums les sympathies des plantes
s étendent fort loin. Les végétaux sympathisent surtout
avec les insectes : les uns et les autres ont un instinct'profond
pour la lumière. Dans les uns et les autres
l amour des sexes, qui se cherchent et qui se trouvent
à des distances très-éloignées
,
excite en eux des odeurs
pénétrantes.
Quelques espèces d'insectes s'exaltent par l'amour
jusqu 'à la phosphorescence. On connaît leur sympathie
avec l atmosphère. Les insectes en présagent les changemens.
L'eau communique aux êtres qu'elle nourrit dans son
sein une force vitale particulière. L'efficacité de l'eau
se fait sentir dans la plupart des maladies. Les poissons
sont remarquables par leur lascivité
, par leur fécondité
, par leurs migrations (où ils suivent le mouvement
de l'axe magnétique du globe), par leur phosphorescence
et par l'électricité de plusieurs de leurs espèces.
Les gymnotes, la raie torpille, le trichiures, les silures,
la loche d'étang ainsi que différens genres d'amphibies
sont météorologiques.
La vertu curative des lézards dans le scirrhus, la
syphilis, et dans plusieurs maladies de la peau, est
un fait reconnu.
Les oiseaux vivent dans une sphère d'activité plus
élevée.
Dans l'élément le plus mobile cette classe d'êtres
représente la vie métallique avec le plus de liberté.
Le développement de leurs organes d'ouïe et de mouvement
,
la prépondérance du système des os, l'éclat
phosphorique et le serrement métallique du plumage,
leur chant, leurs migrations qui arrivent au printems et
en automne, d'accord avec le mouvement et la direction
du magnétisme terrestre; toutes ces circonstances réunies
annoncent la sympathie des oiseaux avec le monde
métallique. Comme les métaux ressentent le plus les
variations intérieures du globe, de même les oiseaux
sont afl'ectés des changemens de l'atmosphère et de l'influence
des astres. C'est avec raison que le vol des
oiseaux a toujours été regardé comme prophétique.
Leurs migrations sont soumises aux lois physiques avec
la même rigueur que l'aiguille aimantée est assujettie
à l'influence de l'astre terrestre et que la limaille obéit
à l'influence de l'aimant. Tout cela, jusqu'à la rotation
des étoiles, n'est qu'une révélation physique, une imitation
matérielle de l'éternelle rotation, des esprits autour
du centre d'amour dé celui qui a créé l'univers.
La révélation de la vie, soit extérieure, soit intérieure,
soit par rapport à la ferme, soit par rapport
au mouvement, est par-tout ellyptique. Voyez les orbites
des astres, la direction des mines métalliques,
celle des grandes chaînes des montagnes. La forme et le
mouvement ellyptiques se découvrent dans la circulation
des liquides chez les êtres organiques. On tes retrouve
dans l 'histoire. Les migrations des peuples ne
sont pas ar bitraires comme on pourrait croire; elles ont
suivi la direction du magnétisme terrestre et de ses variations. Si des causes particulières ont modifié leurs
mouvemens, il faut regarder ces modifications comme
les perturbations et les excentricités des mouvemens
planétaires. Les moeurs
,
les religions
,
les formes politiques
des Etats, les maladies épidémiques sont soumises
aux mêmes lois : elles ne sauraient franchir le
cycle magique qui les retient dans leurs orbites.
L'atmosphère est l'esprit dégagé du globe
,
c'est l'élément
de la métempsycose
,
l'ascension céleste des êtres
terrestres, l'empire de la résurrection, le paradis de
l'amour.
L'homme est l'image de Dieu sur la terre. Les métaux
et les élémens exécutent ses ordres. Il crée l'aiguille
aimantée, il fait mouvoir la baguette divinatoire, il
arrache des sons harmonieux au verre. Son haleine et
son attouchement magnétisent l'eau, les métaux
,
les
vêtemens.
Il faut donc respecter les talismans
,
les amulettes
,
la
magie des signatures, l'efficacité des conducteurs dans
les maladies, On connaît la vertu des monnaies de fer,
d 'argent, de plomb, de sou Ire dans les hémorragies,
dans l 'épilepsie 5 celle de la chorca saticli viti dans les
spasmes, celle du jaspe, de l'agathe et de l'émeraude
contre les hémorroïdes et contre la gravelle. On connaît
l'effet du camphre sur les parties sexuelles, de l'imposition
de la tanche sur le coeur dans l'ictérus. C'est
ainsi que par une simple friction on guérit les douleurs
rhumatiques, arthritiques, spasmodiques.
La transmission et la diversion des maladies se fait
voir de la manière la plus profonde et la plus mystérieuse
dans le rapport de la mère avec le foetus pendant
la grossesse ,
le rajeunissement de la mère
,
l'amélioration
de sa constitution physique, la cessation de différentes
maladies.
Tout cela n'est pas uniquement du magnétisme animal,
c'est quelque chose de plus relevé; c'est un esprit
vivifiant, un esprit qui jadis produisit dans la médecine
cette époque romantique où un amour plein de foi
mariait le ciel à la terre
,
où l'astrologie
,
l'alchymie et
la magie fleurissaient à côté de beaucoup d'autres merveilles.
La grande science de l'homme, c'est celle de sa volonté.
Par une volonté forte
,
toute remplie de-Dieu, un
médecin ne peut manquer de faire des miracles.
L'esprit de Dieu reste avec ceux qui l'aiment sincèrement.
L'inspiration de l'artiste ne se sépare pas du chefd'oeuvre
que cette inspiration a produit. Ainsi l'esprit
de Dieu entoure sans cesse les choses que des hommes
saints ont touché ou qui ont rapport à eux. De-là provient
la vertu miraculeuse des images, des lieux consacrés
,
des temples
,
etc.
L'homme n'est pas seulement en contact avec la terre,
il est en conjonction avec le monde des astres. Son
corps est une image du ciel, une image du corps astral.
L'un et l'autre sont animés du même esprit.
Tout ce (lue les astrologues ont dit sur la concordance
des étoiles avec le corps humain sur les sympathies
particulières entre tel ou tel corps céleste, et les
organes de l'homme, tout cela est très-vrai. Les animaux,
les planètes, les métaux exercent leurs influences, et
les corps célestes exécutent au haut du ciel des mou..
vemens analogues à ceux qui se passent dans l'intérieur
de l'homme.
Le soleil correspond avec la tête ; il touche immédiatement
la sphère du cerveau.
Cela est démontré par les phases de la plupart des
maladies nerveuses, par celles de l 'épilepsie
,
de la catalepsie
,
de la manie
,
de l'évanouissement et de l'apoplexie
, par les correspondances de certaines céphalalgies
avec le cours du soleil, par l'influence du soleil
sur la circulation du sang, par les différences du pouls
au matin, à midi, au soir, à minuit, par la période
journalière du sommeil et de la veille, et par les mouvemens
du cerveau qui correspondent avec ceux du
soleil.
Je craindrais de fatiguer la patience du lecteur si
je m engageais dans le développement des correspondances
que l'auteur croit découvrir entre les planètes
les plus rapprochées du soleil et les organes des sens,
entre les astérides et les organes dela respiration, entre
les comètes et le sang. Il traite bien à fond des influences
de Jupiter et de celles de la lune, des oppositions et
des conjonctions des planètes qui influent sur les glandes
du cou, sur les organes de la digestion, etc. Saturne
et Uranus, dont les orbites occupent plus d'espace que
les orbites des autres planètes
,
réagissent le plus fortement
sur le soleil. C'est ainsi, dit-il, que l'estomac
,
le
foie et les parties sexuelles réagissent sur le cerveau.
La différence des deux moitiés du système planétaire,
supérieure et Inférieure
,
et des deux hémisphères de
chaque planète se renouvelle, selon notre auteur, dans
le dualisme de la conformation du corps, dans le rapport
positif et négatif des cotés droit et gauche. Il en
conclut que la vie astrale et la vie animale s'avancent
dans les mêmes formes et d'après les mêmes lois.
Les rapports numériques des astres, les tems de leurs
rotations
,
leurs distances, la grandeur de leurs orbites,
l'accroissement et la diminution de leur lumière, tout
cela est significatif.
Le secret de la création de tout être vivant se trouve
dans le nombre trois. La faculté créatrice
,
la faculté
conceptrice et l'incarnation. On reconnaît l'influence de
ce nombre dans l'acte de la digestion et dans celui de
la supuration, dans les paroxismes de la fièvre, dans
plusieurs maladies pernicieuses où le troisième jour est
un jour décisif. Le troisième jour est également celui
où commence une génération d'un autre ordre : la putréfaction.
C'est le jour de la résurrection
,
le jour où
une nouvelle vie s'élève du sein même de la mort. Le
nombre sept est le nombre le plus important de tous....
Mais en voilà assez. Je finis mon extrait qu'on pourrait
étendre encore fort loin.
LE GERME ET LE FRUIT DIT TALENT,
V
Anecdote véritable
, sur le célèbre graveur SCHMITZ.
LE professeur Krahe occupait, vers la fin du siècle dernier,
la place de sur-intendant de la galerie de tableaux de l'électeur
palatin à Dusseldorff. Un jour, il reçut la visite d'un
jeune garçon boulanger de la ville, lequel, après un court
préambule
,
lira de sa poche un livre et le lui présenta en
montrant l'intention de le lui vendre. Le professeur ouvre
le volume et voit que c'est un livre de prières, orné,
comme au tems des momeries religieuses
,
de quantité de
miniatures et de gravures ; et après un plus mur examen,
il reconnut que c'était celui même dont l'électeur de Cologne,
Clément-Auguste de Bavière (élu en 1723), avait
ordonné la publication
, et dont les exemplaires étaient devenus
fort rares et fort chers. Son premier mouvement
fut de s'enquérir d'où provenait ce livre : le jeune homme
,
en rougissaut de modestie, répondit que ce n'était qu'une
imitation entreprise par quelqu'un qui en avait emprunte
le modèle. — Et de qui cette copie? ajouta M. Krahe. —
De moi, répartit le timide imitateur. Le professeur recommença
avec plus de soin l'examen du livre j et quoiqu'il
y mît la plus scrupuleuse attention, ses yeux, quelque
exercés qu'ils fussent, pouvaient à peine dislinguerla
copie de l'original. Il ne fut plus maître de sa surprise, et
demanda au jeune garçon, pourquoi il ne s'était point
adonné à l'art de la gravure plutôt qu'au métier de boulanger?
— Le jeune homme répliqua ; que c'eût été son
voeu le plus cher j mais que son père
,
chargé d'une nombreuse
famille, était hors d'état de subvenir aux frais de
l'instruction convenable à un graveur. J'ai résolu
,
reprit U,
de m'appliquer à cet art y mais attendu., comme je vous
l'ai dit, que mon père ne peut rien faire pour moi, et
connaissant votre passion pour les dessins, j'ai conçu
l'espoir de vous faire acheter ma copie, et de faire rèssource
du prix. Je me crois fondé à espérer de mon industrie
et de ma bonne fortune des progrès ultérieurs. —
Venez demain ici, mon ami
y venez-y sans faute
,
s'écrie
aussitôt M. Krahe
, avec une énergie qui peignait à-la-fois
son admiration et son plaisir.
Le lendemain, de grand matin, le bon professeur se
rendit chez un ami, à Keyzersweth
,
petite ville distante
de quelques milles de Dusseldorfï, d'ou était natif son
son jeune protégé. Cet ami, par sa fortune
,
pouvait faire
le bien
, et il en avait le désir. Krahe lui fit le récit de son
aventure de la veille, lui exposa les rares dispositions du
jeune homme, et le pria de prêter a ce naissant artiste
deux cents couronnes. Il deviendra indubitablement un
graveur distingué
,
ajouta-t-il, et sera ,
dans peu d'années,
en élat de vous rembourser : au surplus, je vous en garantirai
le paiement. — Je ne veux point de garantie, interrompt
avec feu le généreux ami ; et il avança trois cents
couronnes. - Krahe revint combler les voeux de son intéressant jeune
homme
,
qui reçut l'argent avec les transports du plus .vif
enthousiasme. Il quitta aussitôt four et pétrin, s'instrui-
-sit dans la géométrie, s'appliqua au dessin
, et acquit une
connaissance suffisante de l'histoire.
Deux ans d'un Ir ivail assidu firent faire au jeune homme
des progrès tellement rapides
, que M. Krahe lui conseilla
de quitter Dusseldorff, où il ne pouvait espérer d'étendre
davantage ses connaissances, et de se rendre à Paris avec
des lettres de recommandation qu'il lui promit pour M. "YVille, graveur célèbre de cette capitale.
Schmitz (c'était le nom du jeune artiste) suivit le conseil
de son digne patron ; et; pour ménager d'autant mieux
son petit trésor, fit à pied le voyage de Dusseldorffà Paris.
Mais le malheur voulut qu'il tombât malade, au moment
oil il y arrivait; et quoiqu'il eût trouvé asile dans un
couvent où il fut admis avec tous les égards de l'hospitalité
et soigné avec toute l'attention possible, néanmoins
les dépenses accidentelles auxquelles il se vit forcé pendant
sa maladie, qui fut assez longue, épuisèrent ses
moyens pécuniaires.
Lorsqu'il eut recouvré sa* santé, le sentiment de cet
amour-propre délicat, qui accompagne si fréquemment
le véritable génie
,
l'empêcha de se présenter chez
M. Wille, aux yeux duquel il ne pouvait plus offrir l'aspect que, repoussant des livrées de la misère.
Un jour, que, tristement préoccupéde sa triste situation
il errait çà et là dans les rues, il fut rencontré , par deux
soldats de la garde suisse : l'un d'eux l'accosta et entama
une conversation en ces termes : —Jeune homme
,
n'êtespas
Allemand? — Oui. — De quel endroit?—De Keyzerwerth
près Dusseldorff.—Eh! vous êtes mon compatriote
! Que faites-vous ici? Schmitz lui raconta son histoire,
qu'il termina en observant qu'une longue maladie
avait consumé une grande partie de son tems et absorbé
la totalité de son pécule ; il ajouta qu'il ne pouvait cepenet
qu'il lui laisserait le loisir de suivre la pente de son génie.
Schmitz accepta la proposition ,
fut présenté à pitaine du régiment, un ca- enrôlé pour quatre ans; et peu après
enfin
,
présenté, par son capitaine même
,
à M. Wille. Il
obtint, pour se livrer à l'étude de la gravure sous la direction
de cet illustre artiste
, tout le tems que la nature de
son service permettait de lui accorder, et continua ainsi,
pendant quatre ans, à la fin desquels il eut son congé.
Pour atteindre, s 'il était possible, la perfection, il prolongea
de deux ans son séjour à Paris, et mit tous ses soins
il vaincre, par de nouveaux efforts,les difficultés de son art.
A l'expiration de ces deux années, il retourna dans sa patrie, muni des meilleures attestations sur ses talens,
son amour pour le travail et la moralité de sa conduite.
Le bon M. Krahe le reçut à bras ouverts ,
fut enchanté
de ses progrès, et l'employa aux travaux du cabinet dont
il avait la surintendance. Schmitz continua, pendant deux
ans, de travailler sous l'inspection de ce professeur, se conduisant toujours de manière à mériter de plus en plus
l'affection de son estimable chef.
Un jour, vers la fin de cette époque, M. Krahe invita
noire artiste à uu repas ou devaient assisler plusieurs de
ses amis. Réuni à cette bande joyeuse
,
Schmitz se livrait
aux charmes de leur société et partageait de son mieux
l'-allégresse commune ,
lorsque tout-à-coup il apprit que
le repas avait pour objet de fêter un étranger j et quel
étranger, ô ciel! l'heureux mortel destiné à devenir l'époux
de la fille cadette du professeur; d'une demoiselle
belle
,
à ses yeux , comme un ange, et sage comme
Minerve. Frappé de saisissement, l'éperdu Schmitz ne
pensa plus qu'à faire une prompte retraite
, et l'effectua
aussi tôt que la décence le lui permit, laissant les convives
chanter et rire en toute liberté.
Le lendemain matin
,
il retourna au cabinet, l'esprit
abattu et dans la plus morne contenance. Ce changement
subit fut remarqué par son bienfaiteur qui le pressa de lui
en faire connaître la cause. Schmitz
?
s'exprimant à peine
et d'une voix altérée, confessa qu'il avait grandement
failli de s'être aussi fortement épris d'une demoiselle
qui, dans si peu de tems ,
devait passer dans les bras
d'un autre.— Avez-vous fait connaître à ma fille toute
l'étendue de votre affection? lui dit le père. —Jamais,
répondit le noble jeune homme ; je ne l'ai pas même
laissé entrevoir. Pouvais-je
,
moi qui n'ai ni titres, ni
fortune, ni prétentions quelconques
,
être assez peu honnête
pour parler d'amour à la fille de mon ami, de mon
patron, de mon bienfaiteur! c'était assez pour moi de
la voir; j'observais sans cesse ma conduite, afin d'écarter
tout soupçon et maintenant, j'apprends que dans peu
je vais être privé de la seule satisfaction à laquelle j'osais
aspirer
Le bon professeur, attendri, mit tout en usage pour
consoler Schmitz
, et relever son courage. Il l'assura de
toute son amitié ; lui déclara qu'il le chérissait comme son
propre enfant; mais en même-tems il l'exhorta vivement
à surmonter son amour pour Henriette
,
lui faisant apercevoir
l'inconvenance qu'il y aurait, sur-tout dans les conjonctures
présentes
,
de nourrir plus long-tems cette passion.
Le pauvre jeune homme convint de la justesse de ces
représentations
, et promit d'obéir. Mais la secousse était
trop violente pour sa constitution; il tomba malade, et
fut en danger pendant plus de quatre mois. M. Krahe eut
pourluitoutes les attentionsimaginables, et lui donnatoutes
les consolations qui étaient en son pouvoir ; mais
,
jamais
dans aucune de leurs entrevues
1
le nom d'Henriette ne fut
prononcé. Cependant, la triste situation de cette victime
de l'amour le plus discret ne put rester cachée à celle qui
en était la cause innocente : elle en fut touchée
, et le plaignit
de tout son coeur; mais, quoique la pitié soit bien
voisine de l'amour, le devoir et l'honneur maintinrent rigoureusement
la barrière qui existait entre eux.
Pendant que tout cela se passait
,
le prétendu était retourné
chez ses parens ; et il n'était pas difficile de juger,
par la teneur de ses lettres, qu'il cherchait à faire naître
des prétextes pour se soustraire à l'union projetée
,
quoiqu'il
n'osât point exprimer clairement sa façon de penser à égard. cet Henriette le devina et lui donna pleine liberté de
suivre la pente naturelle de ses inclinations
à se prévaloir jamais de , en renonçant sa promesse. La réponse fut telle
qu elle l'avait prévu. Son amour-propre fut un peu blessé
-
de la facilité avec laquelle son prétendu renonçait à elle ; mais bientôt après elle songea à la modération et aux souffrances
de Schmitz ; et sa compassion se changea peu-àpeu
en un tendre penchantj alors elle ne .craignit plus
de § adresser à son père : u Cher auteur de mes .jours,
lui dit-elle
,
je sais que vous avez toujours souhaité d'avoir
Schmitz pour gendre : tous les obstacles sont écartés j annoncez
lui que Henriette consent d'être à lui
,
si elle peut
encore contribuer à son bonheur. « .. '
Le père, enchanté, informa des dispositions de sa fille
l amoureux Schmitz, à qui ces bonnes nouvelles faillirent
d abord être funestes ; mais enfin
,
il revint à lui, et son
constant protecteur le serrant dans ses bras
,
le conduisit
aux pieds du généreux objet de sa passion. En passant la
soirée auprès de sa chère Henriette, il recouvra sa raison
et ses forces.
Mais quelle fut la surprise de tout le monde lorsque
,
le
lendemain matin
, on apprit que ce modèle des amans
venait de quitter la ville dans une voiture à quatre chevaux
, emportant avec lui ses planches et ses dessins !
Quel coup de foudre pour le bon Krahe ! quelle douleur
pour la pauvre Henriette l
On prit tellement cette frasque pour l'acte d'un cerveau
désorganisé, que l'on redouta bientôt autant le retour
du fugitif que l'on avait pleuré son départ. On ne
recevait pas un mot*de lui, rien qui pût calmer les inquiétudes
; enfin, le neuvième jour, il revint de Munich,
portant un ordre au trésorier du palatinat de payer désormais
,
chaque année à Schmitz
, une pension de 600
florins.
Il était allé se jeter aux genoux de l'électeur-palatin ) il
lui avait découvert son amour, sa position j il avait mis
sous ses yenx les certificats de sa bonne conduite et les
preuves de ses talens : le coeur de son altesse avait été
fortement ému
, et elle lui avait donné cette pension. —
Ah J mon prince, disait en se relevant le sensible Schmitz,
me voici donc à l'avenir plus digne d'Henriette.
( Cette anecdote, qui se rapporte au période de 1770 à 1782, est
extraite d'un ouvrage allemand très-estimé, qui a pour titre : Muséum
LANGUES DU NORD.
OBSERVATIONS SUR LA FiNLANDE
,
tirées de plusieurs ouvrages
et mémoires qui ont paru en Finlande même
et en Suède.
ERIC, surnommé le saint, qui monta sur le trône de
Suède dans le milieu du douzième siècle
,
montra dant pen- tout son règne un grand zèle pour la propagation
du christianisme. Vers l'an 1155, il entreprit une croisade
contre les Finois établis entre les deux grands golfes
de la Baltique, celui de Bothnie et celui de Finlande,
et voisins d'un côté de la Russie, de l'autre de la Laponie.
Attachés à leurs idoles et jaloux de leur indépendance
,
les Finois opposèrent aux Suédois une résistance
opiniâtre et leur livrèrent des combats sanglans.
Ayant rencontré Henri, évêque d'Upsal, qui avait accompagné
le roi, ils le mirent à mort, pendant qu'il
passait un lac couvert de glace. Eric parvint cependant
à établir le christianisme et la domination Suédoise dans
les parties du pays situées au S. et au S.-E., qui ont formé
depuis la Finlande proprement-dite et le Nyland. Environ
un siècle après, en 1249, Birger, comte du pa- lais et ensuite régent pendant la minorité de Valdemar
> son fils qui était parvenu au trône, pénétra plus avant
et soumit les contrées connues depuis sous le nom d'Ostrobothnie
et de Tavvastland. Il établit des forts, augmenta
le nombre des églises, et fit venir des colonies
suédoises. L'an 1293, les Suédois firent de nouveaux progrès; sous la conduite de Torkel-Canutson, régent
de Suède, pendant la minorité du roi Birger; ils avancèrent
dans les provinces de Sawolax et de Carélie. Ce
fut ainsi que la Suède acquit peu-à-peu une vaste étendue
de pays qui reçut depuis le titre de grand duché de Finlande.
Les limites du côté de la Russie furent fixées par
plusieurs traités. Gustave-Adolphe-Le-Grandles étendit
le plus par le traité de Stolbowa conclu en 1617. Niais
après la mort de Charles XII, en 1721 ,
la Russie obtint
par le traité deNystad le gouvernement deWiborg
entre le lac Ladoga et le golfe de Finlande $ en »
elle se fit encore céder à la paix d'Abo un district limitrophe
jusqu'au fleuve Kymene, et par le dernier traité
conclu récemment la Finlande lui est tombée en partage
dans toute son étendue (1).
La première culture de la Finlande fut l ouvrage des
colonies suédoises qui s'établirent le long de la côte.
Les indigènes se formèrent ensuite aux travaux agricoles
et aux arts mécaniques. On fonda des villes où ,
sous le règne de Gustave Vasa
, se fixèrent des marchands
allemands et écossais. Mais, vers la fin du seizième
siècle
,
le pays devint un théâtre de dévastation.
Sigismond, roi de Pologne, appelé au trône de Suède,
après la mort de Jean III son père, eut pour compétiteur
Charles son oncle, duc de Sudermanie. Claude
Fleming
,
homme puissant, revêtu des premières charges
militaires
, se déclara pour Sigismond et entreprit
de conserver à ce prince la Finlande où il s établit
avec un corps de troupes ; il rejeta toutes les propositions
,
tous les ordres qui arrivèrent de Stockholm ; il
s'empara des ports et ferma le passage aux troupes que
le duc envoya de Suède. Les paysans finois se soulevèrent
dans plusieurs provinces et prirent part à la
(1) Voy. les Histoires de Suède de Dalin, Botin
,
Lagerbring, et
la Description de la Finlande deDiurberg, imprimée à Stockholm
en 1808.
lu te desrivaux qui se disputaient la couronne de
Suède. Fleming fit marcher ses contre eux ; ils
se
défendirent avec des massues et des piques, mais il
en périt n ooo dans la province d'Ostrobothnie. Les
campagnes furent ravagées et un grand nombre tations devinrent d'habi- la proie des flammes. Cependant Si- gismond avait succombé en Suède
, et Charles avait
obtenu autorité suprême. Ce prince se rendit en Finlande
avec une armée ; Claude Fleming était mort depuis
peu ; mais son fils, également attaché à Sigismond, fut pris et condamné à avoir la tête tranchée ; Charles
or donna plusieurs autres exécutions et se livra à la ven- geance sans écouter aucune représentation. Il prit ce- pendant ensuite des mesures pour relever le pays ; il
rétablit la police, encouragea l'industrie et jeta les fondemens
de quelques villes.
Pendant la minorité de Christine, une circonstance
particulière contribua au progrès de la prospérité des Finois. Le sénateur comte Pierre Brahé, n'étant pas toujours d'accord dans le conseil avec le chancelier
Oxenstiern
,
fut nommé gouverneur-général de la Fin- lande. Voulant signaler son administration, il fit les
p lus grands efforts pour faire fleurir le pays. Arrivé
dans la ville d'Abo en 1637, il entreprit l année
suivante
un voyage pour connaître par lui-même les localités.
Il observa le sol, le climat, les productions : il
remonta et descendit les fleuves et les torrens
,
déploya et une activité infatigable
, un courage intrépide.
Se trouvant aux limites septentrionales, il examina les établissemens des Russes près de la mer Blanche. De retour à Abo, il envoya à la régence un rapport détaillé et le plan des améliorations qu'il se proposait de taire. Ayant obtenu les pouvoirs nécessaires, il donna
aux paroisses trop étendues des arrondissemens conve*
nables et fit ouvrir de nouvelles routes ; il fonda des
villes
,
ordonna de construire des églises
,
établit des
écoles et un collège et prit des mesures pour procurer
aux Finois une bonne traduction de la Bible dans leur
langue. Il donna aussi le plan de l'Université d'Abo qui
fut organisée en j64o (2).
Mais la Finlande eut de nouvelles époques de calamités.
Vers la fin du règne de Charles XI, trois années
consécutives de disette, accompagnées de maladies épidémiques
firent périr près de cent mille habitans. Les
Russes ayant fait des invasions
,
après les revers de
Charles XII, de nouveaux malheurs accablèrent ce
pays. Les champs restèrent sans culture ; des maladies
contagieuses se répandirent, et un grand nombre d 'habitans
passèrent en Suède pour chercher des asiles.
Après le rétablissement de la paix
,
le gouvernement
suédois s'occupa des moyens de réparer les revers du
grand duché de Finlande. Il parut plusieurs édits favorables
à l'agriculture et à l'industrie manufacturière , les
Finois obtinrent une plus grande liberté dans le commerce
extérieur, et on leur envoya de Suède des hommes
éclairés qui dirigèrent leurs travaux. En 1775, Gustave
III, qui connaissait l'importance de la Finlande,
fit un voyage dans ce pays, et en examina la situation
intérieure dans le plus grand détail. Il fonda une nouvelle
cour de justice dans la ville de Wasa, et donna
lui-même le plan de l'édifice où elle devait siéger. Il
ordonna de mesuser les terres vagues ,
et de les répartir
entre les fermiers les plus voisins, ou de les concéder
à des colons avec plusieurs années de franchise. Il traça
aussi le plan de plusieurs canaux, désigna des empla-
(2) Voyez Fandt. Essai d'un Cours d'histoire de Suède, et le
Diction. biograp. de Gezelius , art. Pierre Brahe.
cemens pour de nouvelles villes, et assigna des terrains
pour des plantations d'arbres utiles, dont il donna direction la au professeur Gadd. Quelque tems après, il
se forma en Finlande une Société économique, composée
d'un grand nombre de citoyens éclairés
, ayant pour but de répandre 1 instruction
,
de faire connaître les bonnes méthodes de culture, et de recueillir des renseignemens
sur le sol, le climat, les productions (3). Il s'est fait,
sous ces auspices favorables, des défrichemens d'une
grande étendue et des entreprises importantes pour rendre les eaux navigables
, pour mettre les termes à
1 des inondations, et pour perfectionner l'industrie
manufacturière.
^
Le grand duché de Finlande a une surface très-r étendue, tant du midi au nord, que de l'ouest à l'est;
les lacs, les rivières, les torrens occupent cependant
une partie considérable de cette vaste contrée. Le long
des côtes, et dans plusieurs parties de l'intérieur on voit
déjà une nature qui s'est embellie et régularisée sous les
mains industrieuses de l'homme ; mais dans d'autres divisions
,
et sur-tout dans celles du nord, les aspects sont
encore assez sauvages : des forèts épaisses servent d'asiles
à une multitude d'animaux nuisibles; les rochers,
les pierres
,
les marais dominent, ainsi que les végétaux
agréâtes et les plantes parasites; le travail agricole con- siste principalement à mettre le feu aux bois pour en- semencer un terrain qui s'est couvert de cendres. Le
climat de la Finlande est rude, et l'hiver durelong-tems.
On a cependant observé que la température génélalo
(
3,
Cette Société a publié des mémoires qui sont essentiels pour la connaissance topographiqueet statistique delaFinlande;
• Diurberg
en a tiré un grand parti dans sa description de ce pays , que nous avons citée dans une note précédente.
s'est adoucie beaucoup depuis les défrichemens qui ont
été faits dans les derniers tems, que les récoltes sont
devenues moins précaires
,
et que les mauvaises années
ont diminué d'une manière sensible. Le sol, dont l'industrie
s'est emparé
,
produit du seigle, de l 'orge, de
l'avoine, du lin, du chanvre
,
du houblon, du tabac,
et plusieurs espèces de légumes. Les fourrages sont ordinairement
assez abondans pour qu on puisse entretenir
une quantité considérable de bétail, sur-tout dans
les districts méridionaux. En 1807, il y avait dans toute
l'étendue du pays i35,6oo chevaux, 46,450 boeufs,
349,930 vaches, 519, i3o moutons. Les chevaux finnois
sont recherchés pour leur vitesse à la course; mais il
faut beaucoup de soin et de tems pour les dresser
,
et ils
conservent presque toujours une partie de leur naturel
rétif. Les habitans peuvent exporter du beurre, du
fromage, de la viande salée. La capitale de la Suède a
sur-tout fait une grande consommation de ces objets,
ainsi que du bois de chauffage que fournil la Finlande.
Outre ce bois, les forêts donnent des planches, du
goudron, de la potasse qui se répandent dans le commerce.
Quoique les mines de fer ne soient ni nombreuses
ni abondantes, il y a des usines dans plusieurs
provinces ; elles ont tiré du minerai de la mine d Utoe
,
à peu de distance de Stockholm, et de ces dépôts inépuisables
que la nature a placés à Danmora en Uplande
,
à
huit lieues environ d'Upsal. En 1800, les usines du
gouvernement d'Abo avaient fourni 4105 scheppund (4)
de fer en barre. Vers l'année 1760
, on commença d 'exploiter
la mine de cuivre d'Orijaervi, gouvernement de
(4) Mesure de Suède
,
donnant dans les ports de France environ
28o livres.
Tawastehus, province de Nyland, paroisse de Kisko."
En 1785, elle avait donné 110 scheppund ; en 276, et dans les dernières années, on en a retiré au-delà
de 3oo. Les habitans de la campagne façonnent, dans
quelques cantons méridionaux, une grande quantité
d ustensiles et meubles de bois, et des toiles qui trouvent
un bon débit dans les contrées de la Baltique.
C est dans les pays plus nouveaux, où l'homme peut
encore faire de grandes conquêtes sur le sol et sur les
élemens, qu 'il se multiplie de la manière la plus sible, lorsque sen- son travail est secondé par des circons"*
tances propices, qu 'il ne rencontre pas trop d'obstacles
naturels, et qu'il est parvenu à saisir les principes d'une
culture raisonnée. Pendant que les productions de la
terre sont augmentées, les familles trouvent de nouvelles
ressources; bientôt croissant dans une proportion
analogue à ces ressources, elles se répandent pour
étendre leur domaine; et c'est ainsi que la culture et la
population marchent de front, et se prètent un appui
réciproque, selon les intentions de la nature. On peut
inférer des calculs qui ont été faits en Finlande pour - déterminer le rapport des naissances et des morts pendant
la première moitié du dernier siècle, qu à la paix
de Nystad
, en 17ai, il y avait en Finlande, non compris
le district cédé à la Russie, à-peu-près 200 mille
ames. Aussitôt que la guerre et les maladies contagieuses
eurent cessé, et que les habitans eurent été encouragés
aux défrichemens par des mesures efficaces, leur nom- bre s 'accrut avec une rapidité remarquable, et ce progrès
est devenu encore plus frappant dans les derniers tems.
Lorsque le bureau de population fut établi à Stockholm
en 1749, on trouva que la population de la Finlande,
dans l'espace de trente ans, avait doublé, malgré la perte
du district cédé en 1743, et que le nombre des habilans
se montait à 408,8395 par le dénombrement tait
en 1800, il a été constaté que cette population
, comme
on avait déjà eu lieu de le croire, s'était accrue de plus
de 4oo,ooo aines ,
et que le total était de 837,1 5 2 individus
de tout âge et de tout sexe. Les progrès ont
continué depuis; en 18o5
, on comptait 895,703 ames,
et en 1807, au-delà de 900,000. Les tableaux particuliers
des districts et des paroisses prouvent que les accroissemens
ont sur-tout été sensibles dans les endroits
où il y avait le plus de terres vagues non exploitées, et
que dans 1 Ostrobothnie et en Sawolax, il y a des paroisses
où, pendant cinquante ans, le nombre des habitans
a été non-seulement doublé, mais plus que triplé,
les productions ayant augmenté considérablement, et
avec elles les nouveaux établissemens et les mariages.
C'est le long des côtes qu'on trouve les villes les plus
remarquables;celles de l'intérieur ont peu d activité et
une population très-faible. En général, le rapport que
présentent les pays plus avancés dans le grand ensemble
des arts
,
entre la population des cités et celle des
campagnes,n'a pas encore pu s'établir en Finlande.Abo
fait remonter son origine aux premières époques de
l'établissement du christianisme dans le pays. Cette ville
est située au 600 27' de latitude, sur les deux rives de
l'Aurajocki, vers l'embouchure de cette rivière dans la
mer. Le nombre des habitans était, en 1807
»
d 'en-
"iron 11,000. Il y avait, la même année, vingt-cinq
navires pour le grand commerce et quinze à seize pour
le cabotage. On comptait six manufactures de laine,
trois de soie, quatre d 'acier, trois fabriques de tabac et
une raffinerie de sucre. Abo doit en grande partie sa
prospérité aux établissemens publics dont elle a toujours
été le siège. Pour ainsi dire depuis sa fondation,
elle a été la résidence d'un évêque et d'un gouverneur.
En y 623, Gustave-Adolphey établit une cour de justice.
L université, fondée pendant la minorité de Christine,
fut dès lors très-fréquentée; c'est cependant depuis milieu du dernier le siècle qu'elle a eu le plus de vogue, et que les jeunes gens s'y sont rendus de plusieurs
provinces de Suède. En 1807, elle avait seize professeurs
ordinaires, plusieurs maîtres pour les langues
modernes, une bibliothèque d'environ 10,000 volumes,
un laboratoire de chimie, un théâtre anatomique. Parmi
les professeurs qui t'ont illustrée dans le dernier siècle,
on peut remarquer : Daniel Juslenius; il enseigna les langues et la théologie, et déploya pour les antiquités de
la Finlande autant de zèle qu'Olaus Rudbeck en avait
montré pour celles de Suède; il devint successivement
évêque de Borgo en Finlande et de Skara en Suède, et
mourut en 1752;il publia en 1745 un dictionnairede
la langue finnoise, et en prenant possession de la chaire
des langues orientales
,
il prononça un discours en latin
sur l'analogie du finois avec l'hébreu et le grec : Jean Rrowallius, aussi versé dans les langues et la théologie
que dans l'histoire naturelle; il professa quelque
lems cette dernière science, et devint ensuite évêque
d Abo; il est connu par un ouvrage en suédois sur la
diminution des eaux, dirigé contre Celsius qui soute- nait cette diminution, et par d'autres productions estimées;
il mourut en 1755 : Frédéric Mennander ; il avait
également joint à l'étude de la théologie celle de plusieurs
autres sciences, et il s'était appliqué en particulier
à l'économie politique qu'il enseigna pendant plusieurs
années; il fut nommé ensuite évêque d'Abo et
parvint enfin au siège archiépiscopal d'Upsal. On a de
lui des dissertations latines et des mémoires insérés
dans le Recueil de l'Académie des Sciences de Stockholm
dont il était membre ; il est mort vers la fin du
dernier siècle
,
et son fils
,
ennobli sous le nom 'de
Fredenheim
,
lui a fait ériger dans la cathédrale d'Upsal
un très-beau monument en marbre, ouvrage d'un habile
sculpteur de Rome. Pierre-Adrien Gadd, chimiste
et naturaliste, mort également vers la fin du dernier
siècle; il a composé plusieurs ouvrages relatifs à la
connaissance physique et économique de la Finlande:
Henri Porthan
,
mort depuis peu; il était sur-tout versé
dans l'histoire
,
dans les antiquités et a fait beaucoup
de recherches sur l'ancien état de la Finlande ; il a
laissé un grand nombre de dissertations et des mémoires
insérés dans le Recueil de l'Académie des belleslettres
de Stockholm qui le comptait parmi ses membres.
Pendant une assez longue suite d'années, il a paru
dans la ville d'Abo un journal littéraire rédigé par les
professeurs de l'Université. Après Abo viennent Helsingfors
qui a 4237 habitans, Uleoborg qui en a 3345
, Wasa qui en a 2538, Bioerneborg qui en a 25io. Ces
villes sont situées agréablement, et leurs environs ont
été embellis par la culture. En 1754, Abo n'avait qu'un
jardinier et trois jardins ; en 1784, elle avait treize jardiniers
et quinze jardins.
Toutes les provinces finnoises relevant de la Suède
fournissaient à ce pays à-peu-près 18,000 hommes et
un assez grand nombre de matelots ; elles étaient administrées
comme les provinces suédoises
,
et les habitans
avaient le droit d'envoyer des députés à la diète.
Les Finois ressemblent d'ailleurs, pour les moeurs,
les usages et la langue
,
à quelques peuplades de Russie
auxquelles ils touchent ; leur langue a aussi du rapport
avec le lapon. On lui a trouvé de plus de l'analogie avec
l'hébreu, le grec et le hongrois. Ils appellent leur pays
Suomi ou Suomenmaa, et les habitans portent le nom
de Suomalaiset. Le comte Gustave Bonde, connu par
son érudition, mais en même-tems par la singularité de
plusieurs de ses opinions en chimie
, en physique et histoire en
,
regardait les Finois comme les descendans des
tribus dispersées d'Israël (5).
En i8o5, M. Axel Silverstolpe, membre de l'Académie
des sciences et de l'Académie suèdoise de Stockholm,
qui faisait un séjour en Finlande, eut la complaisance
de m'envoyer les détails suivans sur le pays et sur les habitans :
« D après ce que j 'ai pu recueillir on ne trouve guères
de livre en langue finoise, que le Code civil et criminel
de Suède
,
la Bible, le Catéchisme
,
des livres de sermons
et de prières, des cantiques, des almanachs, un dictionnaire et un nombre d'édits et de proclamations
du roi. De ces livres il n'y a que ceux de dévotion
et les almanachs qui se trouvent entre les mains ydu
peuple. Dans le petit nombre d'écoles qu'il y a dans le
pays, on ne se sert pour l instruction que de la langue
suédoise. Les écoles
, en général bonnes, sont la plupart
placées dans les villes ; à peine en trouve-t-on deux ou
trois à la campagne, quelque vaste que soit l'étendue
du pays. Un M. Ahiman
, mort il y a cinq ou six ans,
est le seul qui se soit distingué dans ces derniers tems en songeant efficacement à l'instruction morale du , peuple.
Il a légué des fonds pour établir des écoles dans les
environs de la petite ville de Tamerfors, et dans quelques
paroisses voisines. Il y a lieu de croire que ces
écoles
,
dont l organisation est confiée à la Société éco-
(5) Voyez sur les divers objets dont il vient d'être question
,
les
Mémoires de la Société économique de Finlande,- les Mémoires de
Porthan et de Gadd, le journal d'Abo
,
la Gazette pour l'éducation
publiée à Stockholm par Gjoerwell. la description de la Finlande
par .
le Diction, biograp. de Gezelius, etc., etc.
nomique, seront mises en activité dans peu d'années.
Dans aucune école on n'enseigne à lire le finnois ; ce
sont les pârensqui l'apprennent à leurs enfans, et ce -sont
eux aussi qui leur enseignent le catéchisme 5 il n'est du
devoir des pasteurs que de s'informer, par des examens
annuels, des connaissances religieuses du peuple dans,
chaque paroisse, et de les étendre par des sermons sur
-le catéchisme, qu'ils font annuellement à des 'époques
déterminées
, et dans la langue, qui à cours dans la paroisse,
ou dans les.deux langues, si les paroissiens sont
en partie Suédois, en partie Finnois. En général les gens
du peuple savent lire assez correctement, mais on en
rencontre encore rarement qui sachent écrire.
n H est assez difficile d'éclaircir si la langue suédoise a
fait des progrès sensibles. Pour ce qui est des classes élevées
,
la question "est m'oins embarrassante ; dans toute la
Finlande, les individus de tout ordre
,
depuis le premier
fonctionnaire public jusqu'à la plupart des artisans,
parlent très-bien le suédois, ou du moins s'expliquent
avec facilité dans cette langue ; j'ajouterai qu'il y a dans
le Nyland, en Ostrobothnie et en général le long des
côtes, des paroisses où le suédois est la langue domi-"
nante, même parmi le peuple., quoiqu'il n'y en ait dans
tout le pays aucune, où cette langue le soit absolument.
Mais s'il est question des classes inférieures, c'està-
dire d'une grandepartie des artisans, des paysans, des
personnes dans l'état de domesticité., et que l'on excepte
les portions du pays indiquées ci-dessus, non-seulement
il paraît certain que le finnois est en général la seule
langue qui soit parlée dans ces classes, mais il est plausible
qu'il faudra des siècles pour faire triompher le
suédois, quoique tous les actes publics s'expédiènt dans
cette langue, et qu'on en fasse usage dans les écoles des
villes et dans plusieurs églises. Les personnes à qui j'ai
parle à ce sujet, prétendent, que de leur mémoire, pas
un seul village n'a changé de langue j que si un certain
nombre de domestiques de la campagne apprennent
passablement le suédois pendant leur service dans les
familles suédoises, ils le négligent et finissent par l'oublier,
lorsqu'ils retournent chez les paysans , ou qu'ils
deviennent fermiers 5 enfin qu'un coup-d'oeil général le sur pays doit mettre en évidence que le nombre des Suédois
, ou de ceux qui se servent de la langue suédoise,
comparé à celui des Finnois, ne passe nullement la pro- portion d 'un a douze, ou peut-être à seize. Et en effet,
cette dernière assertion me paraît très-plausible, ne
l ut-ce que par la seule raison que la faible instruction
élémentaire des habitans de la campagne reste presque entièrement entre leurs mains. »
J. P. CATTEAU-CALLEVILLE.
VARIÉTÉS.
LA SORCIÈRE DE BERNE.
Fragment des lettres inédites de JULIE BONDELI (1)
à M. ÇT.
,
à Zurich.
Neufchâtel, 26 janvier 1771.
...... Il me paraît qu'avant d'en venir au chapitre des
physionomies, il faut que la philosophie morale
,
particulièrement
celle des sensations morales
,
soit plus développée,
de même que la métaphysique des arts. Toutes
les données sur la physionomie n'étant pas complètes, il
s'en faut bien
, nous sommes, selon moi, en arrière d'un
siècle au moins pour faire un bon système sur la physionomie.
Je dis un jour à Lavater
, ejq plaisantant,
qu'ayant eu le projet d'écrire sur ce sujet, il s'est trop
:pressé de venir, qu'il aurait fallu attendre que la matière
et le siècle fussent plus mûrs.
A propos de physionomie, je me rappelle une sorcière
physionomiste dont je vous ai parlé à Berne. Il y a dix ans
qu'elle m'étonna en devinant mon caractère dans une
tasse de café. J'avais vingt raisons pour croire qu'elle ne
méconnaissait pas ; et d'ailleurs m'eût-elle même connue
par mon nom, ou par cette réputation vraie ou fausse
que nous fait le public
,
il était impossible qu'elle pût
deviner par là ces nuances profondes
,
fines et déliées ,
qui même dans le carac.ère le plus franc sont souvent
un secret entre Dieu et nous. Je ne fus pas assez sotte
pour croire qu'elle voyait cela dans le marc du café j je
pensais que ma physionomie la servait bien mieux j je
(1) Nous donnerons
,
dans quelque autre No, des détails sur l'auteur
de cette lettre et de plusieurs autres que nous nous proposons
de publier.
pensais bien aussi qu il ne fallait point de commerce le diable avec pour juger que des carnations vives
, et les teintes
les plus noires d;lns les cheveux, les yeux et les sourcils
doivent faire conclure à une grande vivacité. Mais ce n'est
pas de cela seulement qu'il fut question : la sorcière descendit
jusqu'au fond de mon âme, et y vit jusqu'aux
rapports qui modifient cette vivacité dont mon organi.
sation extérieure donnait l'indication première. Voilà tout
ce dont je fus étonnée, car je n'entendis pas même ma bonne fortune.
Je trouvai cette femme par hasard dans la maison d'unede
mes connaissances : j'ignorais qui-elle était • elle appréciait
de vieux meubles et ne parlait que de cela, conver- sation dans laquelle je ne me mêlai point; mais je fus
presque épouvantée de deux yeux grands et noirs
,
dont
le regard, tel que je n'en ai jamais vu, pensa me faire
fuir. La femme sortit et mon premier mot fut de dire r quels chiens d'yeux sont-ce-là
, et qu'est-ce qu'une reven- deuse en fait? On m'apprit alors qu'elle avait l'honneur
d'être sorcière; et en faveur de ses étranges yeux je con- sentis qu elle vînt lire dans ma tasse avec cette répugnancedédaigneuse
que j'ai eue toute ma vie pour les arts et les
sciences de ce genre.
Il y a dix ans de cela, et depuis lors je n'avais vu cette
femme ni de près ni de loin lorsqu'au mois d'octobre,
passé
,
étant encore à Berne
,
je dînais en maison de con- naissance. On apporta des lettres de la poste ; la dame de
la maison pâlit en lisant une lettre de Hollande. Je fus
alarmée, croyant qu'elle contenait de mauvaises nouvelles : point du tout, c 'en étai t de bonH es et d'inattendues ; mais
elles avaient été prédites par la sorcière. On en raisonna
beaucoup, je persistais dans mon incrédulité ; on me joua
le tour de faire chercher la femme. Elle vint ; elle prédit.
On crut mon orgueil philosophique, bien humilié lorsque
je fus obligée de convenir qu'elle avait encore devine
très-bien quelques traits intimes de mon caractère. Quant
aux prédictions sur l'avenir, je fis comme j'avais fait di<
ans auparavant, je n'écoutai point, ou à peine.
Quelque tems après il m'arriva ua évènement bizarre
et très-inattendu. L idée de la sorcière me revint dans
l'esprit ; mais il me fut impossible de me rappeler ce
qu'elle m'avait prédit. J'allai voir la dame chez qui la prédiction
s'était faite; et je lui demandai, par forme de
conversation
,
si elle se souvenait des prédictions de la
prétendue sorcière ; elle m'en. rendit compte , et je fus un
peu confuse d'y reconnaître l'événement qui m était arrivé
; mais je ne voulus pas me désister de mes raisonnemens
philosophiques. Dans le conciliabulele plus intime
de ma coterie
,
je trouvai deux hommes qui ne se fout pas
remarquer par une foi bien catholique ; l un et l autre me
racontèrent ce qui leur était arrivé aveè cette femme, et
convinrent que tout en ne croyant pas à son art, elle les
avait cependant étonnés. Je pris la liberté de me moquer
d'eux
,
et eux s'indignèrent contre la raisonneuse. Après
bien des discussions
,
je me décidai, à leur sollicitation ,
d'en tâter encore, mais conditionnellement. J allai dans
une maison où je n'avais encore été qu'une fois ; j 'y laissai
mutasse brouillée j et on fit venir la femme après mon
départ. Comme vous le pensez bien, on ne nomma point
la personne à qui la tasse appartenait. Encore des traits
de caractère intimes et bien devinés
, et quant aux evenemens
,
aussi quelques rapports avec ceux qu'elle m'avait
prédits à moi-même. Je fus un peu plus étonnée que les
autres fois, mais point convaincue, tant s'en faut, ex-'
cepté sur l'art de la physionomie, dans lequel je ne puis
m'empêcher de reconnaître à cette femme des connaissances
profondes.
J'ai voulu me rendre raison de son talent ; je l'ai fait
questionner par un homme qu elle a souvent étonné , sans
qu'il croye à sesprophéties, et pour qui elle a une grande
considération. Elle paraît être de bonne foi et ne sait ellemême
à quoi tient son talent, pas même son art de lire sur
les physionomies. D'après l explication qu'elle en donne,
on voit que c'est en elle l'effet d'un certain tact qui précède
tout raisonnement et qui n'est suivi de presque aucune
réflexion de sa part. Je j'ois ainsi ; cela me paraît vrai ;
j'en suis persuadée
, et je dis ce que je rois et ce queje
Crois Cetle femme fut souvent pour nous un sujet de
Conversation et plus souvent encore un sujet de plaisanterie
et de dispute. On trouva presque mauvais qu'elle
n' eût pas seulement ébranlé mon incrédulité ; mais quand
jè demandais bien sérieusementr y croyez-vous ? on me répondait
que non j et pourtant on recommençait à soutenir
et à alléguer des faits, et je n'avais que la même suite de
Taisonnemens à opposer.
Si j'accorde qu'il peut y avoir dans le nombre de nos
facultés intellectuelles une faculté de divination , elle est
ou générale ou particulière : générale dans toutes les ames,
pourquoi se développe-t-elle si rarement ; et sur ces cas
Tares ,
combien s'en trouve-t-il encore qui sont manifestement
faux? particulière
,
d'ou vient une distinction semblable
, et quel moyen ai-je pour la reconnaître? Sur la
première indice de ce don
,
je dois croire aux prophètes
et devins de tous les tems et de toutes les nations. J'aime
mieux croire ce talent un résultat, une combinaison particulière
de plusieurs autres facultés ; par exemple
,
beaucoup
de sagacité et un esprit d'observation très-prononcé
,
sans parler d'autres nuances secondaires qui deviennent
moyens à leur tour, étant appropriés à un objet commun.
L'exercice est dnns cet art, comme dans tous les autres,
la première condition du succès. Je vous suppose à vous.,
et à moi un degré égal de sagacité
,
d'esprit d'observation,
de promptitude dans les jugemens
,
de tous les tacts mo-
TâuX ,
physiques et métaphysico-morauxj je vous suppose
à vous et à moi un degré de tout cela, égal à celui que
possèdent les gens que nous nommons devins. Mais vous
et moi heurtés, croisés, choqués, occupés dès notre enfanée
de mille événernens et de mille idées différentes
,
nous devons rester bien loin en arrière
,
tandis que cent
qui en font métier n'ont que cet objet unique1 en vue.
Joignez à une somme déterminée de sagacité, un objet
constamment le même
, constamment observé sous toutes
ses faces multipliées ; faites-en le ressort de la réputation
, souvent celui de l intérêt alimentaire, et vous verrez jusqu'on
il vous conduira. Rien n'est négligé, rien n est oublié,
on ne passe point avec distraction près de tout ce qui
peut fournir de nouvelles idées sur l'objet principal dont
on s'occupe, ou près de tout ce qui peut servir à combiner
de nouveau les idées qu'on avait déjà.
Ma Sorcière de Berne trotte , par exemple
,
souvent par
les rues. Elle me voit ; qui est-ce? telle on telle ; et on y
ajoute une anecdote; elle me revoit encore: qui est-ce?
mademoiselle B., et on y ajoute une autre anecdote 5 elle
me voit ainsi dix ans de suite, s'informe toujours, rassemble
toujours des faits vrais ou faux, elle les combine ;
bonne physionomiste
,
du reste ,
elle voit ce qui peut s 'accorder
avec ma physionomie
, mon air, ma démarche
,
mes circonstances civiles 5 toute cette peine paraît inutile
: ce n'est pas une peine, c'est son métier de goût et de
préférence. Cela peut aussi ne pas être inutile, car quoique
je ne me sois jamais adressée à elle
,
cela peut venir, et
si cela vient, elle ne veut pas être prise sans verd. Toute
sorcière de ce genre pense bien que toute personne qui est
absolument contente de son sort n'aura pas recours à son
art pour savoir si eUe en aura un meilleur; mais les gens
absolument contens sont rares : de-là toute cette kirielle
obscure de tracasseries, d'intrigues, d'héritages
,
de mariages
,
qui dans le fond sont l'étoffe de la vie humaine } on
ne dit que du vraisemblable ; et cela arrive demain si cela
n'est pas arrivé hier : au moindre rapport la crédulité fait son
rôle ; on aime tant l'extraordinaire, sur-tout on aime tant
à croire! De-là on presse ensemble
, on enchâsse de force
souvent un événement qui n'a qu'un rapport bien léger
avec la prédiction. Voici comme la sorcière s'est trompée
avec moi : elle ignorait qu'on l'avait fait chercher à mon
insçu
,
elle ignorait que je suis heureuse, et personne ne
sait mieux que moi combien je le suis ! Aussi je pâlis de
frayeur quand je l'entendis assurer que dans peu mon sort
serait changé du tout aujout et d'une manière très-favorable
: j'eus besoin deo toute la somme de mon incrédulité
pour ne pas m'inquiéter du bonheur qu'elle m'avait
annoncé..... etc.
Çcnette littéraires.
TURQUIE D'EUROPE.
SILYMNO.—Il est mort il y a quelque tems
,
dans celle
ville, un Grec nommé Basilios, qui a légué sa maison
et toute sa fortune à l 'école publique
, pour être employées
à la propagation des bonnes études et à l'encouragement
lies professeurs. Il a particulièrement recommandé à ses
compatriotes l 'étude approfondie de la littérature grecque
ancienne, comme le principal moyen de former le goût
de la jeunesse studieuse. Cet homme respectable laisse
une mère et des frères inconsolables de sa perte, et qui
ont mis le plus grand zèle à exécuter ses volontés patriotiques.
Les exemples de cette touchante générositéen faveur
des lettres ne sont pas rares aujourd'hui chez les Grecs.
( Extrait d ~Ep o ~.)
HONGRIE.
Nécrologie.—Joseph de Grigely, docteur en philosophie,
connu et estimé comme homme de lettres et comme professeur,
est mort à Presbourg
,
le31 mai dernier, à l'âge de
53 ans. Il naquit à Hamri, dans le comital d'Arva ; il entra
de bonne heure dans l'ordre des écoles-pies, qu'il
quitta ensuite pour se consacrer à l'enseignement des
sciences et lt l'éducation de la jeunesse hongroise. Pendant
32 ans ,
il remplit son emploi honorable avec un zèlo
qui lui a acquis la reconnaissance de ses compatriotes. Il
a enseigné
,
pendant dix ans, la grammatique dans les
gymnases à Pest, Caloaza, Neutra et Schemnitz. Il a été
ensuilé professeur dans le gymnase d*- Neusohl, et en dernier
lieu à Bude : il a obtenu sa démission l'année passée,
à cause de la faiblesse de sa son té, Son amour pour les
sciences
, son zèle et son habileté à les enseigner, conserveront
long-tems la mémoire de Grigely parmi ses compatriotes.
On a de lui plusieurs morceaux de poésie en latin. Il a
aussi traduit la Philosophie de Stôger de l allemand en
latin ; mais, ce qui relève encore plus son mérite, c est
d'avoir arrangé les livres classiques latins pour 1 usage
des gymnases en Hongrie ; il avait été chargé de ce travail
par les autorités supérieures.
,
ALLEMAGNE.
NUREMBERG
,
8 août. — La société littéraire qui subsiste
depuis deux siècles et demi sous le nom d'ordre des
Jeux floraux de la Pegnitz, pour témoigner la profonde
vénération que lui inspire la mémoire du célèbre Wieland,
a fait ériger à ce poëte, dans un bois près de Krafishof,
un monument d'un style simple, qui a été consacré,
le 4 août, par un discours prononcé par le digue
président de l'ordre, M. le doyen Seidel, en présence
d'une assemblée npmbreuse. Il a ensuite récité une
pièce de vers composée par le vice-précident M. Porth
,
et fait lecture d'une lettre que l'immortel poëte a écrite
après avoir été reçu membre honoraire de l'ordre des Jeux
floraux.
—Quelques romans nouveaux paraissent en ce moment
à Leipsick ; en voici la liste :
Isabelle d'Egyple, première maîtresse de l'empereur
Charles V, par M. d'Anim; I vol. in-8".
Le Château de la Forêt, ou Histoire de la famille d'un
forestier, par Stranssbach ; 2 vol. in-8°,
L'Exilé, ou la Fuite nocturne du château de Morawitz,
3 vol. in-8°.
Nouveaux; Contes des Fées, parMme Wilmar; 1 vol.
in-8°.
Phantesus, ou Choix de contes, d'historiettes et de velles nou-
, par M. Tieck; i vol. - M. J. T. Kreyssig a publié à Leipsick une dissertation
- curieuse intitulée : De codicis membranacei
TitiLivii patavini historiarum libros olim complexi, fragmento ; Norimbargoe in bibliothecâ Murrianâ re- perfo. L'éditeur avait acheté dans la vente des livres de
Murr une dissertalion de Millier sur Tite-Live, à la-* quelle le fragment en question s'est trouvé joint. Ce mor* ceau, écrit sur parchemin
,
avait servi de couverture de livre et élait considérablement endommagé. Il contient
sur ses quatre pages des fragmens de Tite-Live
,
savoir : les paragraphes i5 et 16 du 27* livre, relatifs à la reprise
de Tarente par Q. Fabius Maximus. M. Kreyssing a donné
un fac simile de ce fragment qui ne paraît pas être aussi
ancien que le prétendait M. Murr, son premier posses.
Beur, qui le faisait remonter au 11e siècle. Au reste, on y retrouve les fautes de la plupart des autres manuscrits. L 'éditeur actuel y a joint plusieurs notes philologiques et critiques.
ANGLETERRE.
Ow a publié à Londres, l'année dernière, chez lé libraire Beldwin
, un vol. in-12 de 220 pages, intitulé Account ofthe british seulement ofHonduras, : etc. ; c'està-
dire, Description de l'établissement britannique dans la baie de Honduras, avec un aperçu des moeurs et usages des Indiens Mosquites
, par le capitaine Henderson.
L auteur a eu occasion de parcourir cet établissement à la suite d une expédition militaire dont son régiment faisait
partie. Il donne des notions assez étendues sur la situation
géographique du pays, ses côtes et les établissemens qu'on
y a formés, sur le climat, le sol, les productions, les es- claves
,
les colons
,
le commerce , etc. Il évalue le nombre
des habitans blancs de la colonie à 200, celui des nègres libres et des mulâtres à 5oo, et celui des esclaves nègres
à environ 3ooo. On lira avec curiosité les détails que rapporte
l'auteur sur la nature, la coupe et le commerce du
bois de Mahagony
,
qui est indigène dans cette haie
,
et où
il a vu un seul arbre de douze mille pieds carrés de surface;
lequel fut estimé iooo liv. sterl. M. Henderson visita ensuite
les Indiens Mosquites
,
peuplade qui compte environ
2000 hommes en état de porter les armes. Leur pays est
agréable et fertile. Il y a souvent parmi eux des troubles
occasionnés par la succession de leurs chefs. Leur dernier
foi, Georges, fut, à ce que rapporte l auteur, assassiné
par son frère Etienne. Les messagers qui portent les ordres
du roi à ses sujets sont obligés d'être toujours armés de
son bâton pour inspirer plus de respect.
— Voici les titres de quelques romans nouvellement
publiés à Londres :
Le Château de Mortimer, ou la Récompense du laboureur,
par mistriss Brigitte Bluemendel. Quatre volumes.
Fitz Edward, par Mm. Emma Delille. Deux volumes.
UnMénage et trois Mariages, par JacquesNorrisBrown.
Quatre volumes.
Le Fermierde laForêtd'Inglewood, par mistrissHelme.
Quatre volumes.
Un Conte d'hiver, par J. N. Brown. Quatre volumes.
Le Despotisme, ou la Chute des Jésuites, roman politique
accompagné d'anecdotes historiques
, par... Deux
vol. in-8°.
Les Montagnards du Valais, par Mower. Deux vol.
in-12.
Tel maître, tel valet, histoire par John Palmer, acteur,
avec une préface sur la critique des auteurs vivans, par
G. Golman. Deux vol. iu-12.
Elnathan, ou les Ages de l'Homme, par un philosophe.
Trois vol. in-12.
Les Habitans de la Terre, ou les Folies des Femmes,
par Holstem. Cinq vol. in-12.
Elfride, ou l'Héritière de Belgrove
, par Emma Parker.
Quatre vol. in-12.
J
Sir Ralph de Bigad, par Edouard Mawc. Quatre vol.
in-12. /
Glencarron, histoire écossaise
, par Sara Wigley. Trois
vol. in-12. ^
Et la Bibliomanie, ou la Folie des livres, roman bibliographique
divisé en six parlies ,
paf F. Dibdin. Un vol. de
800 pages in-8° avec beaucoup de gravures. Les six par- ties dont est formé cet ouvrage bizarre sont intitulées : la
Promenade du soir, le Cabinet, la. Salle de Venle, la Bibliothéque
, le Cabinet de gravures et l'Alcove.
—Tes derniers cahiers du Bulletin des séances de la
Société royale de Londres, contiennent une lettre fort curieuse
de M. Hamilton de Nevis
,
lue dans la séance du
II février 1813. Elle renferme un délail circonstancié
de I éruption de la soufrière dans File de Saint-Vincent,
en mai 1813. Ce volcan n'avait pas éprouvé d'éruption
depuis 1 an 1718. La dernière fut précédée d'environ deux
cents secousses de tremblement de terre dans les douze
mois qui s'écoulèrent de mai 1811 à l'époque de l'éruption.
Le phénomène le plus remarquable dont M. Hamilton
fait mention, est le bruit des éruptions, qui ressemblait
tellement à des décharges alternatives de gros canon et
(le mousquelterie,que le capitaine d'un vaisseau de guerre, qui convoyait une flotte de batimens marchands
, croyant
qu un corsaire avait attaqué quelques-uns de ceux de l'arrière,
fit signal à sa flotte de se serrer et gouverna vers fe
lieu d 'où le bruit paraissait venir. On remarqua aussi que
le son était beaucoup plus fort à une grande distance de
h île que dans l'île même, particularité que M. Hamilton
n'a pu expliquer. Deux rivières furent desséchées
,
et il
sortit des volumes énormes d'une fumée épaisse avant qu'on
vit paraître aucune flamme à la bouche du cratère; l'apparition
de la flamme était accompagnée de secousses successives
de tremblement de terre, de roulemens semblables
au tonnerre, et de jets de gros fragmens de pierre-ponce
pendant huit heures , sans interruption. Le tremblement de
terre renversa plusieurs édifices à Kingston ,
et plusieurs
nègres furent blessés dans les plantations parla chute des
pierres-ponces.La soufrière appartientà une grande chaîne
de montagnes qui passent par Nevis et par d autres îles de
cet archipel. Le cralère a un mille de diamètre et environ
900 pieds de profondeur.
— On a mis en vente l'année dernière à Londres, chez
le libraire-Harding, un ouvrage singulier, intitule : Account
afa mode ofroqfing with paper, etc ; Rapport sur
la manière de couvrir les toîts avec dit papier, exécutée à
Towlodge dans l'Oxfords'hire et autres lieux, par J. C.
London. Un vol. in-8° avec une planche. Cette méthode
,
dont la découverte toute récente peut devenird une grande
utilité par la suite
, a été employée avec succès
,
d'après le
témoignage de Fauteur
, pour les constructions rurales
,
les églises, les magasins
, et offre autant d'économie que
de solidité et d'élégance. Il serait à désirer que l'on nous
donnât promptement une traduction française de cet ou--
vrage.
— On lit dans le Philosophical Magazine, l'annonce de
la découverte de la filasse dans le genêt et la manière simple
de l'extraire, d'après le procédé de M. Hall de Walchanstow.
Il suffit pour cela de laisser tremper dans l'eau stagnante,
pendant deux ou trois semaines, plus ou moins,
selon la chaleur de la saison , ou de faire bouillir dans
l'eau pendant une heure
,
de jeunes branches ou jets de
Yannée précédente
, en choisissant de préférence ceux dont
la branche-mère ou tenant au tronc de l arbrisseau annonce
plus de vigueur. Après cette immersion, des enfans ou
des femmes peuvent, au 'défaut d'une machine convenable
,
détacher la filasse du genêt, à moins que le bois
ne soit trop sec, avec autant de facilité qu ils séparent le
chanvre de sa tige. La branche ainsi dépouilléede sa filasse
et tenue dans l'eau bouillante pendant quelque tems, devient
coriace, d'un blanc magnifique et propre a former
d'excellens balais de tapis.
Quant à la filasse, on la lave dans l'eau froide
, on l'exprime
j on la secoue et on la suspend avec soin
;
afin de la
sécher parfaitement avant de l'envoyer aux manufactures
de papier. M. Davy en a blanchi un échantillon qui fut filé
ensuite.
L 'on pourrait profiter de celte découverte pour occuper
utilement une portion de la classe indigente, en tirant
parti d une plante extrêmement répandue dans la nature et qui , n exige ni soins ni sol choisi. Peut-être serait-ce
encore un excellent moyen de tirer parti des landes en France.
— L 'ouvrage suivant a paru à Londres au Commencement
de 1812 : Elements of science and art., etc. ; c'està-
dire Elémens de la science et de l'art, ou Introduction
familière à la physique et à la chimie
, avec leur application
à une variété d arts utiles et élégans ; par Johil1 Imison
y
nouvelle édition considérablement augmentée, et
adaptée à l état actuel des sciences par Thomas Werster,
2 vol. in-8', avec trente planches
,
gravées par Lowey '} à
Londres, chez Cadell et Daviès.
Imison, auteur de l'ouvrage original, intitulé : Ecole
des arts , était un médecin plein de génie; et son livre
fut regardé comme tellement utile, par le nombre et la
variété des instructions positives qu'on y trouvait, qu'il
fut mis au premier rang des ouvrages de celte classe
, et
qu'on en fit plusieurs éditions consécutives. Elles étaient
épuisées, et lorsqu'il s'est agi de le réimprimer de nouveau
,
les sciences physiques et chimiques avaient fait
tant de progrès dans un assez court intervalle, qu'il a fallu
presque le refondre eu entier, pour le remettre au niveau
des connaissances actuelles. M. Werster, l'un des professeurs
de l'institution reyale,. entrepris cette tache ; et
certes, il serait difficile de réunir plus de choses en deux
volumes, de les choisir mieux et de les décrire avec plus
de clarlé et de précision que ne l'a fait ce savant estimable.
La netteté et l'élégance des gravures ,
qui ont été exécutées
par le premier artiste de Londres dans ce genre, n'ajoutent
pas peu de prix à cette production. Le premier vo-
Inme est consacré en entier aux connaissances physiques
classées sous les titres suivaus : Mécanique, Pneumafique,
Hydrostatique
,
Hydraulique
,
Optique
,
Electricité
,
J
Galvanisme et Magnétisme. La première partie du second
volume est consacrée à l'exposition des principes de chimie
; et la seconde a un nombre considérable d'applications
aux manufactures et, et non-seulement aux arts mécaniques,
mais à la partie mécanique des beaux-arts, indépendamment
de plusieurs articles de chimie et de physique
amusante ,
compris sous le titre de Mélanges. Cet — ouvrage a obtenu le plus grand succès, et toutes les
feuilles périodiques se sont empressées d'en faire l'éloge.
INDES-ORIENTALES. — Depuis quelques années l'Académie
de Calcutta a publié plusieurs ouvrages accompagnés
de traductions et de notes, pour servir à l'instruction de
ses élèves asiatiques et Européens. Parmi ces ouvrages on
distingue : une traduction duKoran en langue hindostane;
un ouvrage en langue sanscrite, intitulé : Histopadassa
de Vishun Sarman, et une traduction persane ,
intitulée : Avari Scheili, par Hussein Vaiz el Keshisi j deux traductions
en dialecte bengalois des deux poèmes indiens, Ramaya
et Rahabharat. Les missionnaires catholiques de
Siram ont traduit l'Ancien et le Nouveau-Testament dans
presque tous les dialectes de FInde ; un de ces missionnaires
a publié une Grammaire sanscrite, et la traduction
presque entière du Ramaya. Quantà la littérature persane
et arabe, l Académie a publié le Mirback Awalim et trois
dissertations sur la grammaire arpbe. Elle a de plus mis
sous presse une Grammaire persane ,
quelques Vocabulaires
persans, un Dictionnaire portatif, arabe persan , et
le Gulistan
, accompagné d'une traduction et d'observations
grammaticales.
HELVÉTI E.
IL se publie en ce moment à Freiburg une nouvelle
Histoire ujiiverselle
,
depuis l'origine des connaissances
historiques jusqu'à nos jours, par M. de Rottel. Le
premier volume a paru. Il contient l'introduction et le
commencement de l'histoire ancienne.
— Il se publie également à Saint-Gall un ouvrage
Intitulé : die Moyloendische Felzûge, etc. ,
c'est-à-dire,
Campagne des Suisses dans le Milanais, par M. Fuchs. ,
cure. Les campagnes des Suisses dans le Milanais furent
très-glorieuses
,
elles marquent l'époque de la plus grande
influence de ce peuple dans les affaires politiques de l'Euron
-. Un duc de Milan
,
placé sur le trône parle secours
de leurs armes ,
appela les Suisses ses peres, et se qualifia
de leur tres-obeissant fils. Une semblable époque est heureux un sujet d 'histoire. Le tableau qu'en trace M. Fuchs
est tire des sources et se lit avec intérêt. Les deux premiers
volumes de l ouvrage ont paru ils conduisent jusqu'en
1512.
ITALIE.
L'OUVRAGE suivant est sorti récemment de presse À
Florence : Trattato teorico-pralico sulla cultura della vite
con l'arte difare il vina, Vacqua-i ite, la spirto divino , e
gli aceti semplici e composa de' signori Chaptal, Rozier,
Parmentier et Jussieux, opera tradolla sulla seconda edizioni
francese. Trois vol. in-8° d'ensemble 448 pages.
Chez Piatti, à Florence.
NAPLES. — LeMoniteur Napolitain contient la li te des
prix annuels proposés par le gouvernement pour la meilleure
tragédie
,
le meilleur mélodrame et la meilleure comédie.
Les ouvrages doivent être écrits en langue italienne.
Une médaille d'or de la valeur de 132o francs est destinée
à la meilleure tragédie j une de la valeur de 880 francs
, au meilleur mélodrame tiré d'une histoire héroïque, et un
autre de 660 francs à un mélodrame comique. Le prix
proposé de la meilleure comédie se compose d'une médaille
de la valeur de 880 francs. L'auteur restera propriétaire
de l'ouvrage couronné y il en sera donné une représentation
a son bénéfice, et il jouira de l'entrée gratuite dans
tous les théâtres du royaume. Les ouvrages des étrangers
seront admis au concours. Les prix seront distribués par < le ministre de l'intérieur, le 25 mars prochain. j
MERCURE ÉTRANGER.
N° IX.
» L..ANGUE PORTUGAISE.
o ricco, E O pobre. — Fabula.
Quanto vale o saber! r
Houve dous cidadaôs n'uma cidade ,
( Que per nome naô perca) '
Um delles ricco
, e como é ja costume ,
Tam fàtuo
, quanto ricco:
P6bre éra o outro , mas ás lettras dado.
Que bem diz o Garcao
. — que naô passeia
i Em dourada berlinda o saber raro. *
Dizia o ricco ao pobre :
^
;III Tens tu , com tanto estudo
,
lauta meza?
Barretadas ? — Mesuras de senhoras?
Quando vas pela praça , Vem fallar-te o FiJaIgo
, o Beca
, o Cura?
Com meu Iuxo sustento t
Pintores guapos ,
sabios architectos ;
Amaô-me as damas, lonvaô-me os poétas.
SeT tudo
, sem estudo. í-
( Toda a gente m' o diz
, e eu qnasi o creio )
Sou gentil-hoen
, guapo , Tenho mil prendas
,
tenho mil pilherias.
E para ver como essas nlOças todas
Me gabaô — que é um pasmo —( e é sem lisonja )
Habito n' um palacio ,
Opulentas alfayas
,
-
Riccas libres, chapéos acairelados
Fazem mais fausta a reluzente placa,
Que no peito blazona.
E tu , com todo o teu saber inutil
Mal-enroupado,
Desconhecido
En , cargo da republica
,
dás volta
As mas todas, s6
, e jejuando
De affavel cortezìa :
Cansado vas scismar na agua-furtada
Em quanto , eu stou com damas , com amigos ; Trinco sâudes
,
festival emhórco
Champanhas
,
Malvasias.
Ser ricco é tudo
, ser letrado é nada. » Naô acabava
,
quando um terremoto
Derriba as cazas —lavra o fogo, e queima
M6veis
,
papéis — o p6, a chamma
O ruido arrazado das parêdes , o fumo— —
O claraô de alongadas labaredas
Que , em roda lambem templos
, e patacios- Os gritos
, o tropél. o estrago , a morte,
Ays
,
soluços
,
mortiferos arrancos
Poem em fugida os peitos mais valentes :
Foge a piedade
,
foge o parentesco , Até o amor deixava ao desamparo
A suspirada amante. —
os dous cidadaês. a pôr-se em c6bro
O ricco, , e o póbre fogem. Ambos levaô...
Levao o que é so proprio
Que , com elles sempre anda
E , em que llaô tem poder tremor"? nem fogo : L£va ignorancia o ricco, e o pobre estudos. — Com seu saber, proficuo em tal désastre,
O póbre acha agasalho
, acha respeito ;
O ricco
, sem riqueza, acha ludibrio.
F°. Manoii,.
Traduction.
LA RICHESSE IGNORANTE ET LE TALENT PAUVRE. Fable.
COMBIEN la science a son prix! Deux bourgeois habitaient une
cité dont le nom échappe à ma mémoire. L'un était riche, et comme
à l'ordinaire sa fatuité égalait son opulencej l'autre était pauvre ,
mais tes lettres faisaient ses délices. « Le haut savôir
, a très-bien dit
notre poëte Garçaô, ne roule pas en berline dorée. a Le riche disait
au pauvre :
» Avec toute ta science., as-tu, comme moi, une table splendide?
met-on devant toi chapeau bas ? les dames te font-elles de gracieuses
révérences? vois-tu sur la place publique , accourir à ta rencontre le
gentilhomme
,
le magistrat et le curé ? à l'aide de mon luxe
, j'entretiens
les peintres les plus en vogue, les architectes les plus fameux les dames ; me font la cour ; les poëtes me portent aux nues. Je n'ai
point fait d d'études, et je passe pour un homme universel. ( Tout le
monde me le dit au moins
, et je suis fort tenté de le croire). Gentilhomme
renforcé, je suis doué de mille talens; mill e bons mots
jaillissent de ma bouche. Il faut voir comme les jeunes filles me flattent et me cajolent! ( cela soit dit sans vanité). J'habite un palais ; mes somptueux ameublemens
chapeaux richement galonnés relèveut , mes superbes livrées, mes avec grâce la plaque brillante
que l'on voit étinceler sur ma poitrine.
» Et toi, avec ton inutile savoir et tes guenilles, méconnu de tous vil fardeau de la société ,
, tu vas battant le pavé des rues ,
seul aveo toi-même. et sans jamais recevoir la moindre marque de courtoisie.
Un peu d'eau que tu dérobes est ton seul breuvage ; moi, cependant,
au milieu d'un cercle de dames et d'amis, je porte de joyeuses
santés, et j avale à longs traits le Champagne et le Malvoisie. Etre
riche est tout ; la science n'est rien. m Il avait à peine dit.... Un tremblement de terre renferme les
édifices de fond en comble. L'incendie s'allume, il dévore meubles
et papiers; la poussière
,
la flamme, la fumée, le bruit tonnant des
murs qui s écroulent l'effrayante lueur des flammes qui vont se prolongeant dans les airs, enveloppent à la fois les temples et les
palais. Les cris, le tumulte, la mort, les ravages, les sanglots
ébranlent les coeurs les plus intrépides. Père, mbre
,
enfans, parens , tout fuit; plus de pitié! l'amant même abandonne sa maîtresse
éplorée !....
Nos deux bourgeois, le riche et le pauvre, fuient à toutes jambes
devant ce grand désastre. Chacun d'eux emporte il emporte le
seul bien qui lui soit personnel, bien qui ne le quitte jamais
, qui la et sur terreur et la flamme n'ont aucune prise. Le riche emporte son ignorance ; le pauvre ,
le fruit de ses études. Avec son savoir, dont
il sait tirer un utile parti dans son malheur
,
le pauvre trouve partout bon accueil et considération; le riche, dépouillé de son oripeau n'est plus qu'un misérable objet de risée. ,
S.,E.
LANGUES ORIENTALES.
LITTÉRATURE ARABE.
Poésies de Moténabby.
( Article de M. D UVAL - DE S TAINS. )
ABOUL TA'IB AHMED BEN HOSAN MOTÉNABBT, ancien
poëte arabe fort célèbre
,
naquit à Coufà \ ville de Chaldée
ou de l'Iraque babylonienne, sur la rive droite de l'Euphrate,
l'an 3o3 de l'Hégire (927 environ de l'ère chrétienne).
Ses compositions, pleines d'énergie et de chaleur,
ses traits hardiment dessinés, et sa touche aussi
belle que vigoureuse
,
lui ont assuré parmi les auteurs
arabes le rang distingué qu'il occupe. Il a consacré le
plus souvent sa muse à la louange des actions guerrières
et des grands auprès desquels il a vécu. Modéré dans son style, ori ne voit pas chez lui ces éloges bas et forcés,
langage ordinaire des poètes orientaux, vet que la crainte
leur arrache
, ou qu'une sordide cupidité leur fait tenir.
Moténabby peint avec force et loue avec délicatesse j il
sème ses poësies de pensées morales et philosophiques qui
attachent le Jecteur et donnent à ses ouvrages un nouveau
degré d'intérêt • mais il n'est pas exempt des défauts
communs aux poëtes de son pays ; pas de plan dans ses
compositions
, pas d'ensemble dans s,cs détails
,
ni de
gradation dans ses idées. On y rencontre des digressions
peu naturelles
, et des transitions maladroites qui détournent
l 'attention et paraissent souvent étrangères au sujet j
enfin il n est point guidé par les règles du goût, et il
ne suit que les élans de son imagination ardente et vagabonde.
Je vais traduire une pièce de vers en forme d'élégie,
qu il a composée sur la mort d'un guerrier. Ce morceau
le fera mieux connaître que tout ce que j'en pourrais dire.
Les personnes qui désireraient avoir sur cet auteur plus
de renseignemens que la nature du Mercure étranger
ne me permet d'en donner, n'ont qu'à consulter la Bibliothèque
Orient, de d'Herbelot, au mot Moténabby;
Aboulf'éda, Ann. Mosl. tom. 2,pag. 483 etsuiv.; Pococke"
Spécimen hisloricr arab.
, etc. ; enfin la Chrestomathie
,
arabe de M. le baron Silvestre de Sacy. Je pourrais
,
en citant ce dernier ouvrage, lui donner les éloges qu'il
mérite
,
mais je craindrais
, en cédant au désir d'exprimer
les sentimens d'estime et d'admiration que j'ai pour son
auteur, de blesser sa modestie.
Poeme de MOTËNABBY
, sur la mort du guerrier
ABou CRODJA FATIK.
LE chagrin me dévore, mais l'inébranlable fermeté dè
mon ame m'arrache au désespoir
, et mes larmes
, tour à
tour obéissantes et rebelles
,
cèdent au combat de ces deux
affections contraires.
Depuis qu'Abou Chodja est mort ,
le sommeil a fut
loin de ma paupière ; il me semble même que la nuit, pour
augmenter mes douleurs
,
suspend sa course , et que les
étoiles immobiles restent toujours à leur lever.
La vie n'est exempte de peines que pour l'insensé ou
pour l'indifférent, qui jamais ne ramène ses regards sur le
passé, ou ne les p'romène sur l'avenir,
Et pour l'homme qui s'endort sur ses inévitables destinées
,
et qui, berçant son ame d'un espoir trompeur,
nourrit en lui-même des desirs insensés.
Oil est-il ce mortel dont les mains audacieuses ont
élevé les hautes pyramides de Djizé'? Qu'est devenue la
nation qui l'a vu naître? Comment est--il péri?
Les monumens survivent un peu à ceux qui les ont
élevés
,
mais ils deviennent ensuite la proie du tems , et
ils finissent comme ont fini leurs fondateurs.
Aucun terme de grandeur ni de gloire ne pouvait
satisfaire l'ame noble et belle d'Abou Chodja j aucun lieu
1
n'était assez vaste pour lui, lorsque sa main libérale répandait
les bienfaits.
Nous pensions que l'or regorgeait de toutes parts dans
les lieux qu'il habitait ; la mort l'a frappé
, et ces lieux
n'ont point offert à nos regards étonnés ces richesses
imaginaires.
Des actions grandes et magnagnimes
,
des épées
,
des
lances
,
des coursiers jeunes et pleins de vigueur j voilà les
trésors qu'il accumulait.
Le trafic de la gloire et des belles actions est trop ruineux
dans ce siècle ingrat et pervers, pour que l'homme
généreux y trouve de quoi soutenir son existence.
Sans doute les hommes de ton tems, ô Fatik! étaient
trop viis et tes vertus trop sublimes, pour que tu daignasses
vivre au milieu d'eux.
Non, jamais avant ce funeste jour, tu n'as dit une parole
, tu n'as commis une action qui pût alarmer ou blés-*
ser un ami.
Jamais la fortune envieuse ne t'avait porté de coup
que de ton coeur magnagnime tu n'en aies repoussé les
atteintes.
, Mais il est arrivé ce jour fatal où tes lances trompées
n'ont pu terrasser l'ennemi qui est venu t'assaillir, ni tes
épées le percer de leurs pointes aigues.
La main qni t'a renversé
,
ô Fatik ! ne met aucune
différence entre l'épervier intrépide et le sinistre corbeau.
Qui conduira maintenant au combat nos cohortes guerrières?
Qui donc présidera aux banquets hospitaliers?
Hélas ! le monde a perdu en toi un astre qui ne lancera
plus ses rayons bien faisans.
Fortune cruelle
,
opprobre soit à ton visage
j à ce visage
qui semble se faire un voile de tout ce qu'il y a de bas et
de honteux.
Tu as donné la mort au plus grand
, au plus vertueux
de tous les héros ; tu as enlevé le plus suave, parfum qui
embaumait l'air de ses douces exhalaisons.
Désormais plus de choc impétueux, plus de lance teinte
de sang, plus d'épée qui brille dans les combats.
Aujourd'hui toute bête féroce est sûre de la conservation
de son sang, qui naguères était toujours près de couler
sous l'épée de Fatik.
Les coursiers de ce héros, et les noeuds dont ses fouets '
sont armés
, ont fait entre eux une paix éternelle; on dirait
que ses chevaux ont recouvré la possession de leurs
jambes
, tant celles - ci semblaient auparavant fuir leur
corps par la rapidité de la course.
Falik a disparu
, et tous ceux qui vivaient familièrement
avec lui ont vu se rompre la chaîne de leur douce union j
ils se sont dit un éternel et pénible adieu.
Il n'est plus ce grand homme auprès de qui les peuples
avaient un port et un asile : il n est plus ce Héros
dont le glaive redoutable trouvait chez tous ses ennemis
une pâture libre et assurée'.
De tous les cavaliers il avait toujours été le plus prompt
à terrasser son rival ; mais enfin la mort fut plus prompte
que lui. *
Puisqu'il a cessé de voir la lumière, qu'à l avenir aucun
guerrier n'ose manier la lance
, qu aucun coursier ne
se précipite plus dans les combats.
LITTÉRATURE PERSANE.
Poésies d'Hâfiz (i).
SCHIRAZ, ville célèbre de la Perse, a la gloire d'avoir
donné le jour aux deux,plus grands poëtes que les Persans
aient jamais eus, Sady etHâfiz. Ce dernier naquit sous le
(i) J'engage les personnes qui désireraient avoir d'amples détails
sur la vie et les ouvrages d'Hâfiz
,
4 lire une traduction de la vie de
ce poëte, donnée dans le quatrième volume des Notices et extraits des
manuscrits de la Bibliothèque impériale, par l'illustre M. Silvestre
de Sacy dont je serai toujours fier d'avoir été l'élève.
règne des Mozhaffériens, et vivait encore lorsque Tamer.
landefit Schah Ma"sor, le cinquième sultan de cette dynastie.
Il mourut vers l'an 794 de l'Hégire. Après sa mort,
.ses poésies, qui étaient dispersées de côté et d'autre.
lurent rassemblées et mises en ordre avec le plus grand
soin.
Hâfizse concilia
, par ses talens
,
l'estime et l'admiration
des princes et des grands qui
, tous à l'envi, voulurent i attacher par leurs se caresses et leurs libéralités: mais il
pré féra toujours, au luxe des cours, une vie tranquille et retirée où il pût, sans contrainte, se livrer à son goût dominant pour la poésie.
Quelque soin cependant qu'il prit de demeurerinconnu
en vivant dans la pauvreté et dans l'exercice des pratiques religieuses, le bruit de sa réputation parvint jusqu'aux
cueilles de Tamerlan. Ce fameux conquérant voulut àvoir
un entretien avec lui, et fut tellement satisfait de la finesse de ses réparties qu'il lui promit de lui donner toujours des
marques d amitié et de bienveillance. . Le genre de poésie dans lequel'Hâfiz s'est exercé et dontSady passe pour être l'inventeur, se nomme
gazel,
c 'est-à-dire vers amoureux. Les gazels sont des espèces d'odes très-courtes, et qui, roulant le plus souvent sur l amour et le vin ,
doivent se faire remarquer par des
images prises dans la nature, par des graces naïves, et par
un si vie élégant et harmonieux. Ce n'est pas sans raison qu'on a comparé Hâfiz à Anacréon, dont il a la mollesse
la douceur et le badinage. Le style d'Hâfiz et de tous les
poètes persans en générai t ressemble beaucoup aussi à celui des pastorales et des sonnets des Italiens. Comme
ces derniers, les Persans sont pleins de concetti, d'antithèses
et de jeux de mois; ils éblouissent en étalant avec profusion les fleurs, les perles et les diamans, ils repro- duisent leurs idées sous mille formes diverses et sèment
une telle multitude de couleurs et d'images, qu'ils fatiguent
à la longue un lecteur ami du naturel. Hâfiz a com- posé un grand nombre de gazels, la plupart difliciles à -
étendre, parcp qu'on y rencontre des allégories, et que y
sous"la peinture d'un amour profane, il cache un sens religieux
, et fait des allusions à l'amour divin. Ce langage
mystérieux et allégoriquene contribue pas peu à rendre quelquefois
ses poésies extrêmement obscur&s. Hâfiz lui-même
semble insinuer qu'il n'a pas voulu toujours s'exprimer
d'une manière claire
,
quand il dit dans un ,de ses gazeïs :
« Qu'ilsejréjouisse celui qui comprend le sens caché de mes
" pensées: j'ai quelques sentences douteuses ; mais à qui
» puis-je confier tousmes secrets?» De pieux musulmans
m et quelques commentateurs, croyant trouver dans ses poésies
beaucoup de mystères et de sainteté lui ont donné le
surnom de la langue mjstérieuse. Il y a de célèbres
Orientalistes
, et même des savans du pays d'Hâfiz qui ont
prétendu, au contraire, que les gazels de ce poëte ne
renferment aucune variété de sens, et qu'il ne faut
point chercher de rapport entre ses vers et les choses
divines. Néanmoins, comme les Orientaux aiment naturellement
le langage mystérieux et allégorique, on peut
présumer.qu'Hâfiz à voulu donner à ses poésies un sens
figuré et spirituel, puisqu'on le trouve effectivement en
étudiant ce poëte avec quelqu'attention. Mais ce que je
dis ici ne doit pas s'entendre de tous ses gazels, et je
crois qu'il y en a beaucoup ofi il n'est question que d'un
amour terrestre et profane, et ,où il serait impossible de
découvrir un sens autre que celui qui se présente. Et il est
à remarquer qùe celles-ci sont les plus faciles à entendre
elles plus susceptibles d'être traduites à cause du naturel
et-des graces qui y régnent, joint à tout ce que la poési-e
persane a de riche et de séduisant. Quoi qu'il en soit,
les ^écrivainsPersans relèvent, par des éloges magnifiques,
le mérite et l'excellence d'Hâfiz. « Ses poésies
,
disent-ils
,
» ont les graces et la beauté des Houris, elles sont aussi
» douces que les eaux de la Fontaine de vie
,
elles font
n les délices de tous les hommes
,
elles renferment en peu
m de mots un sens merveilleux et sublime, aussi sont-elles
n répandues par toute la terre. Point de charme dans les
» discoursct les entretiens des savans, sil'on ne cite des vers
" d Hafiz j point d éclat *ni de pompe dans les cérémonies
» des rois, point de gaîté dans les festins ni dans les cercles
n biillans
,
si r harmonie des vers d'Hâfiz ne vient enchann
ter les oreilles. Les amans plaintifs et désespérés trouvent
« lorsqu'ils lisent Hâfiz un soulagement à leurs maux; et
" ceux dont les feux sont couronnés, augmentent encore,
» en murmurant quelques vers d'Hâfiz, les voluptés dont
" ils s'enivrent. «
. Je vais maintenant essayer de traduire trois odes de ce
poëte, quoique ses ouvrages, passant dans une langue
étrangère, perdent beaucoup de leurs graces et de leur
délicatesse, et que d'ailleurs leur mérite ne peut être bien
apprécié que de ceux qui les lisent dans la langue originale.
ODE PREMIÈRE.
Je pose mes lèvres sur les lèvres de ma bien-aimée, et
je m'enivre de son souffle. Oui, je puise vraiment à la
Fontaine de vie.
Je ne puis exprimer les délices que je goûte
,
je ne puis
souffrir qu'un autre jouisse auprès de ma maîtresse d'un
bonheur à moi seul réservé.
Jeune échanson
, verse dans ma coupe un vin pétillant.
La saison des roses est arrivéè
;
livrons-nous, sans crainte,
au délire de la gaîté.
Et toi, musicien
,
vite saisis ta lyre
, et de tes doigts rapides
,
fais-en frémir les cordes : ma voix va se mêler à
tes mélodieux accords.
0 mon amc, voudrais-tu abandonner mon corps,
tandis que le jus de la treille porte la chaleur et la vie dans
toutes mes veines.
Les bosquets sont jonchés de fleurs. Allons, bannissons
une piété austère. Moi, l'esprit libre de soucis, le visage
rayonnant de joie, je veux boire au souvenir de ma belle
maîtresse.
0 mon coeur, cherche en tous lieux l'objet qui t'enflamme,
comme Medjnoun
,
brûlant d'amour, cherchait sa tendre
Leila (i).
Si je couvre de baisers les lèvres de ma bien-aimée
,
la
coupe s'en indigne j si je contemple l'éclat de ses joues,
la rose en sèche de dépit.
Lorsque les oiseaux, au lever de l'aurore, font retentir
le bosquet de leurs doux concerts, n'oublie pas, jeune
échanson
,
de remplir ma coupe d'un vin délectable.
Hâfiz
,
suspends tes chants voluptueux
,
et prête l'oreille
aux soupirs mélodieux de la flûte.
ODE DEUXIÈME.
0 doux zéphir, va murmurer autour de ma bien-aimée,
dénoue légèrement les boucles de sa noire chevelure, et
viens m'apporter le parfum qu'elles recèlent.
Adresse-lui ces tendres paroles : Idole de mon coeur, ô
toi qui es insensible à mon amour, reviens, car, abattu
sous le poids de l'attente, ton amant est près de rendre le
dernier soupir.
Je t'ai donné mon coeur, j'ai acheté ton amour au prix
de ma vie. Ah ! je t'en conjure, ne m'abandonne pas aux
douleurs de la séparation.
Cruelle, tu as oublié celui qui t'adore ! laisse-toi toucher
aux plaintes d'un esclave si soumis et si fidèle, ne rejète
pas ses timides prières.
Ah ! s'il ne m'est pas donné de savourer dans tes bras
les délices de l'union
, au moins n'efface pas mon image
de devant tes yeux !
Aie patience, ô mon coeur, fais-toi aux ennuis de la
séparation ; et vous, ô mes yeux , cessez de pleurer l'absence
de ma bien-aimée.
(i) Medjnoun et Lei/asont les noms de Jeux amans célèbres chez
les Orientaux. Le meilleur des poêmes composés sur lenrs amours
est celui de Djami, dont un orientaliste distingué, M. Chéz]
, a
donné une élégante traduction.
Hafiz, le monde sera-t-il toujours l'objet de tes soins ? Crois-moi, oublie tes peines
,
les triens du monde si rapidement passent
ODE TROISIÈME (1).
AVEUGLES, sourds et fragiles, nous ne pouvons en- tendre ni prévoir les coups terribles et inévitables de la
Fortune.
0 combien d'ambitieux mortels portaient jusqu'aux
cieux leurs vastes désirs, et qui maintenant gisent renfermes
dans un lit étroit de brique et de terre
Quelle cuirasse peut repousser les traits sûrs et rapides
du Destin? Quel bouclier peut-on opposer à son glaive
, destructeur?
En vain, contre la mort, tu te construirais une forteresse
de fer ou d airain ; en un clin-d'oeil, elle brisera tes
portes, et renversera tes impuissantes barrières.
Prends bien garde de - te laisser séduire par les plaisirs
de la vie. Ne compte ni sur tes forces, ni sur ta jeunesse : les ténèbres succèdent à la lumière, et le poison est mêlé
avec le sucre.
Si la Fortune semble te sourire et t'accorder quelques
légères faveurs
, n'ouvre pas néanmoins la porte à tous les desirs, ni un champ trop vaste à tes passions.
Ta route est semée de précipices, ne marche pas les
yeux fermés. Il y a du poison dans ton breuvage, ne l'approche
pas de tes lèvres avant de l'avoir éprouvé.
La Fortune quelquefois te prend dans son sein, te flatte
et te berce d'espérances, mais ne te lie pas à ces feintes
caresses. Elle affecte à ton égard la tendresse d'une mère,
mais elle n'est qu'une marâtre que tu dois redouter. .
(i) Cette pièce n'est pas-à proprement parler un gazel, parce
que ni l'amour ni le vin n'en font le sujet, et que de plus le nom
de l'auteur ne se trouve pas au dernier vers, ce qui, daus ces sortes .«
de poésie, est une règle indispensable.
Sois toujours attentif aux vicissiludes de la Fortune
v,ois ce qu'elle peut t'accorder en un tems, te refuser en
un autre ; replie le tapis des projets insensés et déchire le
vêtement de la cupidité.
(Article de GRANGERET DE LAGRANGE.)
LITTÉRATURE GRECQUE MODERNE.
— C'est-à-dire : Art Oratoire en trois livres, par M.
CONSTANTINOS OIKONOMOS, Professeur de Philologieau
Gymnase Philologique de Smyrne, à l'usage des élèves
de cet établissement.-Vienne,
,
1813. Un vol. in-8°.
de 258 pages , avec un Discours préliminaire de
34 pages.
DES savans distingués
,
dont s'honore la France, ont
composé sur l'Art Oratoire des ouvrages aussi élégans
que profonds. Les Fénélon, les Rollin, les Voltaire,
les Marmontel, les La Harpe, etc. et de nos jours M.
le cardinal Maury, n'ont pas seulement mérilé l'estime
et la reconnaissance de leur patrie; ils ont excité l'admiration
de tout le monde savant, et de la Grèce renaissante
en particulier.
Mais si l'on applaudit justement tous les bons auteurs
des régions fortunées de l'Europe, combien ne doit-on
pas admirer un homme qui, au milieu d'un peuple accablé
de tant de malheurs
,
et opprimé par un maître
absolu et barbare dans toute la force du terme, a surmonté
toutes les difficultés
,
bravé tous les obstacles, et
publié un excellent ouvrage sur un art aussi important
que la Rhétorique. L'érudition, le talent et le goût d'un
tel homme doivent d'autant plus frapper tous les savans
amis de la Grèce, et particulièrement les Hellénistes
humains et reconnaissais, que sa patrie est dépourvue detous lesbienfaits de la législation
; bienfaits qui
échauffent i imagination
,
enflamment le prospérer génie font les sciences et les arts, et rendent enfin les peuples heureux, autant qu'on puisse l'être dans cette courte vie.
Nous nous faisons un devoir d'annoncer la Rhétorique
de M. C. Oikonomos, comme une nouvelle preuve des efforts que font depuis long-tems les Grecs pour recouvrer leur ancienne splendeur, et se mettre en état
de rivaliser avec les nations de l'Europe chrétienne et savante.
L' ouvrage de M. Oikonomos n'est pas, il est vrai,
une production tout-à-fait originale, et qui puisse fixer
1 attention des savans Rhétoriciens de la plus illustre
Université de l'Europe, dont la prospérité est due au génie qui gouverne la France, et aux soins assidus d'un
sage directeur, digne successeur de Rollin; notre au- teur a pris pour base la rhétorique d'Aristote, cette
source intarissable, dans laquelle ont puisé presque tous
ceux qui ont écrit sur l'Art Oratoire après cet homme
extraordinaire.
M. Oikonomos a mis aussi à contribution, avec beaucoup
de goût et de discernement, les écrits de Platon ,
d 'Isocrate
,
de Denys ù Halicarnasse
,
de Lucien, de
Longin, de Cicéron, de Quintilien etc. Il n'a consulté qu'un très-petit nombre de modernes, tels qu'Heineccius
(i), l'abbé Batteux, Buhle (2) et Fuhrmann (3).
(0 Fundamcnta stjrli cut/toris.
(2) Editeur d'Aristote. Il n'a paru de l'excellente édition de ce savant Allemand
, mort il y a quelques années en Russie , que les
cinq premiers volumes, imprimés à Deux-Poats en 1701. (3) Handbuch der Rassischen literatur.
Cependant son ouvrage eût été, ce nous semble, encore
plus utile et plus curieux, s'il avait puisé tout ce
qu'il y a de plus important sur l'Eloquence dans les auteurs
dont nous avons parlé au commencement de cet
article. Il aurait pu aussi consulter avec beaucoup de
fruit l'excellente Rhétorique de Blair (4), qui est déjà
devenue classique.
Du reste, M. Oikonomos, semble avoir composé la
sienne d'après le plan de Fénélon, et c'est le plus grand
éloge que nous puissions faire de son ouvrage. « Une
» excellente rhétorique, dit cet immortel prélat, serait
» bien au-dessus de tous les ouvrages bornés à per-
» fectionner une langue. Celui qui entreprendrait ce
» travail y rassemblerait tous les plus beaux préceptes
» d'Aristote, de Cicéron, de Quintilien, de Lucien, de
» Longin et des autres célèbres auteurs : leurs textes
» qu'il citerait serait les ornemens du sien ». Notre auteur
, en effet, cite à chaque page, avec beaucoup de
justesse,les plus beaux passages des anciens sur l'Eloquence.
Il ne s'est pas borné aux préceptes de l'art; il y
a joint bien à propos un très-grand nombre de pensées
de la plus saine morale, prises dans les Poëtes et les Philosophes
du premier ordre ; et à ne le considérer que
sous ce dernier point de vue, l'ouvrage de NI. Oikonomos
est d'un genre neuf et d'une grande importance
pour la jeunesse.
L'auteur a divisé son. intéressant travail en trois
livres.
(4) Le Cours de rhétorique et de belles-lettres de ce professeur
célèbre a été traduit en italien par François Soave. M. Pierre
Prévost, professeur de philosophie à Genève
, nous a aussi donné
une excellente traduction de ce même ouvrage. C'est un service
très-important que cet illustre professeur a rendu à la littérature
française.
Le premier traite de l'invention en général, difïérens et de genres d'Eloquence.
-
Le second a pour objet la division, l'ordre et la
disposition des parties constitutives du discours.
Le troisisième, enfin, traite de l'Elocution, des différens
genres de style, de ses divers caractères, de ses qualités essentielles, etc.
A la fin de son ouvrage, M. Oikonomos donne quelques
apperçus intéressans sur la déclamation oratoire;
il y parle avec justesse des accens convenables aux diverses
affections de lame, ainsi que du geste de l'orateur;
enfin, pour prouver à ses élèves combien le talent
du débit et de l'action est nécessaire pour émouvoir 'et persuader les auditeurs
,
il s'appuie sur les autorités les
plus respectables
,
et cite sur-tout l'exemple si connu de
Demostenes qui, interrogé sur les parties essentielles à
i orateur, disait que la première était l'action, la se- conde l'action et la troisième l'action ; il n'a pas non
-
plus omis ces paroles remarquables d'Eschines : « Que
» serait-ce donc, si vous l'eussiez entendu lui-même! Nous » croyons inutile de répéter que toutes les citations
de l'auteur sont d'un choix aussi heureux que celles que nous venons d'indiquer, et elles répandent
beaucoup d'agrément sur son ouvrage. D'ailleurs
,
il n'a
point abusé de son érudition
$ il a voulu instruire et
plaire en même tems ;
· · - · ... miscuit utile dulci.
M. Oikonomos a donc rendu un service très-important
à la jeunesse studieuse de la Grèce, en lui offrant une Rhétorique complète et écrite avec une méthode vraiment
philosophique. Un semblable ouvrage manquait à
l 'enseignement. Il est vrai qu'il existait plusieurs Rhétoriques
a l usage des écoles de la Grèce, publiées par
-des savans Grecs après la prise de Constantinople par
les Turcs; mais la plupart de ces ouvrages sur l'Eloquence
sont aujourd'hui réprouvés par le goût, qui renaît
depuis trente ans dans la Grèce moderne et fait tous
les jours de nouveaux progrès.
M. Oikonomos a fait précéder sa Rhétorique d'un
Discours préliminaire très-étendu
,
dans lequel il exhorte
/
ses élèves à l'étude des beaux monumens de l'Eloquence
antique. Il s'élève ensuite avec véhémence contre
la jalousie littéraire, ce vice incurable et dangereux
cet ennemi éternel du mérite et de la vertu
,
qui ne pardonne
qu'à l'obscurité
,
qui noircit et envenime le coeur ~
humain, et.éteint même les sentimens les plus nobles.
Après .avoir exposé, avec une éloquence maie et énergique,
tous les malheurs que peut produire cette passion
funeste, l'auteur s'écrie: « Puissiez-vous, mes amis,
.
» ne jamais tomber dans cette maladie dangereuse !<
» Souvenez-vous toujours que le talent de- la parole ne
« doit jamais être séparé de la bonté des moeurs. Exer-
» cez, dans des entretiens particuliers, vos facultés
» intellectuelles avec toute la dignité qui convient à
» l'homme. Fuyez les disputes et les querelles dans les-
» quelles se plaisent lès Sophistes de nos jours. L'état
3) actuel de la littérature en Grèce n'est plus assez malw
heureux pour que la jeunesse se livre entièrement à
i) l'étude des problèmes et des sophismes de la Dialec-
» tique Vous êtes destinés à vous enrichir de con-
» naissances solides, à enrichir votre Langue matern
nelle et à la rendre digne de vos illustres ancêtres
"
» dont la langue a éclairé l'univers ; etc., etc. »
Vers la fin de son important discours
,
l'auteur trace
d'une manière brillante, le portrait de l'homme de
lettres. Après avoir parlé des devoirs et des qualités
précieuses qui distinguent le vrai savant du commun
des hommes, M. Oikonomos s'exprime en ces termes :
te Enfin le vrai savant est pieux envers son créateur,
» ses parens, ses amis et sa patrie. Il se fait un devoir
« sacré de servir ses concitoyens ; il aime la vérité,
» il déteste le mensonge ; il est juste envers les autres ;
>» il est humain, il est bienfaisant envers tout le monde ;
» en un mot, il marche toujours dans le chemin de la
» raison et de la vertu. »
L'auteur parle ensuite de l'organisation des Ecoles
nouvellement établies en Grèce. « Tout conspire, dit-il,
» aujourd'hui à la propagation des lumières. Des Gym-
» nases et des Lycées s élèvent de toutes parts; les négo-
» cians et tous les hommes riches font de grands
« sacrifices pour la prospérité des bonnes études; le
M nombie des professeurs augmente tous les jours;
M celui des bons élèves devient prodigieux, et la lu-
» miëre de la sagesse luit heureusement sur notre ho-
M rison ; etc. etc. »
Le style de notre auteur est en général noble et
Vigoureux; il réunit presque toujours la clarté à l'élévation.
En lisant le discours de M. Oikonomos dans l'original
, on sera convaincu j'espère, que le grec d'aujourd'hui
est encore, dans l'état a'ctuel des choses ,'une
des plus belles langues de l'Europe. C'est, comme l'a
dit dernièrement un savant plein d'esprit (i)
, « un beau
* marbre de Paros qui riattend que la main d'un Phi-
» dias ou d'un Praxitèle. »
Les Grecs de Smyrne peuvent se glorifier justement
d'avoir
,
dans la personne de M. Oihonomos, un des
plus illustres et des plus vertueux professeurs de la
(5) M. Dureau de la Malle, fils dû traducteur de Tacite.
Grèce moderne, qui connaît à fond presque toutes les
Langues savantes, qui joint l'exemple au précepte, et
qui n'aspire qu'au vrai bonheur de sa patrie.
Le Gymnase Philologique de Smyrne a pour directeur
M. Koumas de Thessalie, homme vénérable
,
littérateur
et mathématicien célèbre
,
et auteur de plusieurs
excellens ouvrages.
Parmi les négocians de Smyrne qui ont contribué
à la prospérité de l'instruction publique, on doit citer,
avec le plus d'éloges et de reconnaissance, M. Stephanos
Rhallis, le Mécène de la patrie d'Homère et le premier
-qui ait fondé dans cette ville greco - européenne une
Société d'encouragement pour les Sciences et les Arts.
C'est à ce généreux patriote que M. Oikonomos a dédié
son intéressant ouvrage par cette inscription simple,
dictée par la gratitude :
C'est-à-dire, « l'auteur a dédié ce Livre à Stephanos
» Rhallis, fils d'Amvrossios, à cause de sa vertu, et de
n sa munificence envers le Gymnase Philologique de
» Smyrne. »
Cet excellent établissement possède aussi un professeur
de Chimie appliquée aux Arts. M. Stephanos
Oikonomos
,
digne frère de notre auteur
,
et l'un des
plus habiles Médecins de Smyrne, y professe avec
un grand succès la Science de l'immortel Lavoisier : il
réunit à des connaissances profondes en Chimie et
en Histoire naturelle, celle des Langues anciennes et
modernes. C'est lui qui vient de publier une élégante
traduction en grec moderne de la fameuse Grammaire
grecque de Buttmann, dont nous avons parlé dans le
N° V de cette feuille.
Nous nous sommes permis de donner tous ces détails,
persuadés que les amis des Lettres qui auront bien
voulu lire cet article
, ne nous sauront pas mauvais
gré de leur avoir communiqué quelques aperçus sur
une nation moins connue en Europe qu'elle ne devrait
l'être, et que de soi-disant voyageurs ont injustement
censurée, sans en avoir étudié les moeurs ni les
progrès.
CONSTANTIN NICOLOPOULO de Smyrne,
Professeur de Littérature grecque.
LANGUE ITALIENNE.
STORÏA DELLA SCULTURA dal suo risorgimento in ltalia
sino al secolo di Napoleone, per servire di continuazione
aile opere di WINCKELMANN e di DAGINCOURT.
Volume 1°. In Venezia
,
nella tipografia Picoui.
1813. In-fol.
HISTOIRE DE LA SCULPTURE, depuis sa renaissance en
Italie jusqu'au siècle de Napoléon
, pour servir de
suite aux ouvrages deWINCKELMANNet de DAGINCOURT.
Ier volume. A Venise, de l'imprimerie de Picolti.
1813. In-fol.
EN annonçant, dans leN° III du Mercure Étranger, les
Discours siti- le Beau de M. Léopold Cicognara, chevalier
de l'ordre royal de la Couronne de ter et président
de l'Académie royale des beaux-arts à Venise, nous
fimes aussi connaître le Prospectus de son grand ouvrage
sur la Sculpture, et nous dîmes alors quelles étaient nos
espérances pour l'exécution de cette belle entreprise.
Elles n'ont point été trompées. Le premier des trois volumes
que le prospectus promettait a paru ; il justifie
l'opinion que les amis des arts en avaient conçue; l'auteur
y prouve , par la richesse des matières, par l'ordre dans
lequel il les dispose, par le talent avec lequel il les
traite, par les notions saines sur l'art dont il entremêle
ses recherches, qu'on n'avait point trop espéré de lui.
Il donne d'abord
.
dans un Discours préliminaire, une
idée de son sujet, de son plan, et de ce qui distingue le
plus particulièrement son travail de ceux qui ont été
entrepris jusqu'à présent sur l'histoire des arts. Les
ouvrages de Winckelmann et de Dagincourt auxquels
le sien doit faire suite sont suffisamment connus. L'un
laisse peu à désirer sur -l'art chez les anciens ; quand
l'autre sera complet
,
il ne satisfera pas moins sur
l 'époque du moyen âge ; le savant Lanzi a écrit avec
profondeur et sagacité 1 histoire de la peinture en Italie ; Fiorillo, italien d'origine, a écrit en allemand cinq volumes
de 1 histoire des arts du dessin
,
où il a embrassé les
écoles d 'Italie, de France, d'Espagne, et consacré un
volume entier a l 'Angleterre ; il lui reste encore à publier
ce qui regarde la Flandre, la Hollande et l'Allemagne.
Enfin, sans parler de plusieurs opuscules qui
ne peuvent avoir rapport qu'à quelques parties de l'art,
ou traiter trop sommairement de tous, M. d'Hanckcrville
a commencé, vers la fin du dernier siècle
,
à publier
à Londres, mais en français, un grand ouvrage sur
1 histoire des arts chez les anciens
,
dont il n'a paru que
les deux premiers volumes, et un volume de supplément.
M. le chevalier Cicognara vient après eux ; il se
renferme spécialement dans ce qui regarde la sculpture
,
depuis sa renaissance en Italie ; mais il entoure
ce sujet intéressant de tous les accessoires qui
peuvent y donner plus de relief et y jeter plus de lumière.
Le premier des quatre livres que contient ce
premier volume
,
comprend, en huit chapitres, sous le
titre de Considérations préliminaires, des espèces de
prolégomènes qui pourraient appartenir à une histoire
générale des arts depuis l'origine jusqu'à nos jours.
Le but principal de l'auteur a été de faire d'abord
connaître au lecteur ses opinions sur quelques points
sujets à discussion, afin de n'être plus arrêté, dans
le cours même de son histoire, par la nécessité de
longues digressions.
Le premier chapitre qui traite de l'origine des arts
d'imitation, et dps causes qui les ont fait naître, contient,
entr'autresobjets dignes d'attention, une analyse abrégée
mais curieuse de l'ouvrage de M. d'Hanckerville, qui
attribue aux anciens Indo-Scythes l'invention des arts,
transmis ensuite à la Grèce. Ce morceau est d'autant
plus intéressant que les deux volumes dont il est extrait,
ayant éprouvé beaucoup de critiques en Angleterre, y
sont devenus très-rares (i), et que M. Cicognara luimême
n'a pu s'en procurer un qu'avec beaucoup de
peine. Malgré l'érudition surabondante dont ce livre est
chargé, cet extrait donne le desir de le connaître; peutêtre
donne-t-il aussi le moyen de s'en passer.
Le second chapitre qui roule sur les monumens
élevés à la gloire des hommes
, sur la nature et la forme
de ces monumens, ouvrait à l'érudition un champ vaste,
que l'auteur prend soin de circonscrire pour ne pas
égarer l'attention du lecteur. Le troisième, qui traite
des cultes et des figures qui y ont été employées par
les différons peuples anciens, était sujet au même inconvénient,
dont le sage auteur s'est-garanti de même.
Il n'a point l'injustice trop commune de s'arrêter à l'extravagance
apparente de la plupart des cultes anciens,
sur-tout à leur origine, et il reconnaît dàns leurs objets
les plus bizarres des symboles et des emblèmes dictés par
beaucoup de pénétration, de raison et de philosophie.
En recherchant, dans le troisième chapitre, les traces
historiques des anciennes révolutions de la sculpture
chez les Egyptiens, les Etrusques
,
les Grecs et les Ro-
(i) Ils parurent à Londres, en 1785, sous ce titre: Recherches*
sur l'origine, l'esprit et les progrès des arts de, la Grèce, sur leur
connexion avec les arts et la religion des plus anciens peuples connus ,
sur les monumens antiquesde l'Inde , de la Perse , du reste de l'Asie,
de l'Europe et de l'Egypte.
mains, en les suivant dans leur décadence pendant
que les Italiens appellent si bien i bassi tempi, et dans
leur résurrection à la fin du moyen âge, il parcourt
rapidement un espace immense, et sans nuire à cette
rapidité, il trouve le moyen de semer sur sa route des.
observations judicieuses ou piquantes.
Toutes les parties de l'habillement- .. ^ des. deux sexes chez les anciens Grecs et les anciens Romains
,
qui ont
été représentées dans lesmonume'ns dela sculpture, sont
décrites dans le chapitre suivant, et l'auteur sobre de
paroles et de détails, comme le goût ordonne de l'être,
a resserré dans dix-sept à dix-huit pages ce qui pouvait
fournir matière a un livre entier. Le sixième chapitre
offre l affligeant tableau de la destruction des monumens
anciens les plus admirables par le fléau de la guerre ensuite par cet autre fléau , non moins funeste, la su- perstition. Le sujet du septième est singulier. L'auteur
y cherche l'origine des images ou des figures sous lesquelles
les artistes chrétiens ont représenté les princi-; '
paux objets de leur culte; la Trinité, figurée par un
seul emblème ; les Anges, Archanges, Séraphins et
Chérubins ; ensuite séparément le Père éternel, le Fils
de Dieu et le Saint-Esprit. La seconde de ces trois personnes
l'occupe le plus long-tems
,
et il fait remonter le
plus haut qu'il est possible l'espèce de tradition qui
nous a transmis de siècle en siècle les traits de la figure
du Christ. La figure idéale que l'on a donnée à Homère
lui fait penser qu'on pourrait mettre aussi plus d'idéal
que les plus grands artistes n'en ont mis dans celle du
Sauveur des hommes ; et nous ne croyons pas la foi plus
• compromise que la raison a adopter cette conjecture.
Mais les images qui obtiennent de la multitude le
plus de vénération sont toujours les plus grossières,
celles à qui leurs imperfections mêmes donnent l'appa- j
rence de la plus haute antiquité. Les premiers artistes
qui essayèrent de sculpter la figure de Jésus-Christ ne
cherchèrent à y exprimer que la patience, l'humilité,
la résignation
,
la souffrance
, sans songer à y rien
mettre de divin. L'impression des siècles sur ces grossières
ébauches les a rendues vénérables et le caractère
qu'elles portaient est devenu une tradition dont on n'a
plus osé s'écarter. Le grand Michel-Ange lui-même s'y
est soumis. Il en est arrivé autant des images de la
Vierge ; les plus parfaites n'ont jamais eu le même
succès que cette Notre-Damede Lorette que les curieux
ont pu voir à Paris pendant plusieurs années, et qui, *
dépouillée des magnifiques vêtemens dont on la couvre,
n'était plus qu'un squelette enfumé. Ce sujet conduit
notre auteur à parler des portraits de la Vierge attribués
à saint Luc, vieille fable que Manni et Tiraboschi ont
réfutée, il y a long-tems, mais dont le vulgaire n'est
pas encore entièrement détrompé. C'est cette fable qui
a fait prendre aux peintres pour patron l'apôtre saint
Luc, qui ne toucha de sa vie un pinceau
,
et qui était
médecin.
L'objet du huitième chapitre est d'examiner ce qui
reste de l'ancien costume dans les vêtemens, et principalement
dans les habits etlesornemens ecclésiastiques;
ce que la bizarrerie des modes a exercé d'empire sur
les productions de l'art, et la résistance qu'il convient
d'opposer à ses caprices, enfin les raisons de convenance
qui défendent de s'écarter de l'antique dans la
forme des monumens.
Après ces préparations générales
,
M. Léopold Cicognara
consacre son second livre à l'examen particulier
des principaux temples où les premières sculptures modernes
ont été placées en Italie. La décoration de ces
temples ayant évidemment été la cause du grand progrès
des arts, et sur-tout de la sculpture, qui en fait 1«
principal ornement, il était indispensable de commencer
par ces recherches. Elles amènent des considérations
importantes sur les différens styles d'architecture, celle qu'on sur appelle communément architecture gothique,
sur l originalité italienne de celle de quelques
autres églises, sur la puissance des moyens employés
pour les construire, et sur l'influence des- circonstances
dans lesquelles elles furent bâties; enfin elles présentent
un tableau historique des premières causes de la véritable
renaissance des arts dans ce pays, qui a bien le
droit dé se regarder comme leur seconde patrie.
Une comparaison judicieuse entre les temples an- tiques et les églises modernesremplit le premier chapitre
dece livre; l auteur rassemble dans les huit suivans des
Mémoires historiques, suffisans pour l'objet qu'il se
propose, sur l'église de Saint-Marc à Venise; sur le
Dôme ou la Basilique de Pise, l'église Saint-Jean, la
fameuse Tour et le Campo sanio; sur les Dômes de
Sienne et d Orviete; sur le Dôme de Florence et les
édifices adjacens, et sur l'église de Saint-Antoine à
Padoue ; sur le Dôme de Mitan
, sur l'église de Saint-
Pétrone à Bologne ; sur la basilique de Saint-Pierre de
Rome, et enfin sur la Santa Casa de Loreto.
On sent qu 'il nous serait impossible de suivre l'auteur
dans ces recherches
,
dans les questions qu'il examine
dans les discussions auxquelles il , se livre au sujet de ces
divers monumens. Il y montre partout une érudition
dirigée par deux excellens guides, le jugement et le
goût. Ce qu 'il dit par exemple, de l'antiquité ou plutôt
de la permanence de l'art de la mosaïque, dont il
établit que l usage n 'a jamais été totalement interrompu
en Italie, et du caractère de style arabe que l'on observe
dans l église de Saint-Marcj sa dissertation sur l'époque
i
de la fondation du Dôme de Pise, dans laquelle iL
discute les diverses opinions des savans à ce sujet, iL
fait voir d'où sont venues les erreurs de quelques-uns
d'entr'eux, et il rend aux Pisans la gloire qu'on leur a.
disputée d'avoir construit ce majestueux édifice sans
avoir eu recours à des artistes grecs; un grand nombre,
d'autres morceaux répandus dans ces différens. chapitres,
mériteraient d'être particulièrement connus,,
mais cela nous entraînerait dans trop de longueurs.
s
Cette crainte ne doit cependant pas nous empêcher
de nous arrêter un moment sur un décret remarquable
du peuple de Florence p-our la construction du Dôme à
la place où était la vieille église de Santa Reparata. Le
voici traduit sur le texte que rapporte M. Cicognara au
commencement de son cinquième chapitre. Nous y
conserverons même cette longue période qui le compose
tout entier, et qui contribue à lui donner unair d'antiquité
et de dignité. « Attendu que la haute prudence
d'un peuple fier de son origine est de conduire ses
affaires de manière que ses opérations extérieures
fassent connaître la sagesse et la magnanimité qui le font
agir, il est ordonné à Arnolphe, architecte en chef de
notre commune, de faire le modèle ou le dessin de la
reconstruction de Santa Reparata
, avec une si noble et
si somptueuse magnificence que l'industrie et la puissance
humaine ne puissent rien inventer de plus grand
ni de plus beau ; conformément à ce que les citoyens
les plus sages de cette ville ont dit et conseillé en
assemblée publique et privée, savoir qu'on ne doit
rien entreprendre au nom de la commune sans le proportionner
aux sentimens d'un coeur parvenu au dernier
degré de grandeur, puisqu'il est composé de l'ame de
plusieurs citoyens réunis en une seule volonté. »
C'est ainsi que pensait et s'exprimait, vers la fin du
XIIIe siècle (i)
, un peuple de marchands et d'artisans '
agité de guerres intestines et menacé de guerres extérieures
,
divisé en Guelphes et en Gibelins, et prêt à
l'être en Blancs et en Noirs. Cet Arnolphe qu'il chargeait
de l'exécution de son décret
,
était alors occupé
à construire le palais de la Seigneurie ou du Gouvernement,
à entourer la ville d'une troisième enceinte, à
incruster de marbre l'extérieur de l'église de St.-Jean,
à élever l'édifice grandiose de Sainte - Croix ; et deux
ans étaient à peine écoulés, au milieu des mêmes agitations
politiques, qu'il avait posé la première pierre
du Dôme
,
qui ne fut achevé que cent-soixante ans
après.
Ce fut aussi par un décret de la cité de Padoue que fut commencé dans le même siècle, et même assuret-
on dès 1231
,
le temple magnifique de Saint-Antoine
terminé en 1307, , a l 'exception de la coupole qui ne le
fut qu'en 1424.
L un des chapitres les plus curieux de ce livre est le
sixième
,
qui contient l'histoire et la description du
Dôme de Milan, de cet édifice singulier-immense, dont
l'exécution est si riche et si travaillée, et que ses proportions
gigantesques ont fait appeler un colosse ou
une montagne de marbre. Un siècle avant que la construction
en fût commencée ( celle du fameux
Dôme de Strasbourg était finie 5 il y avait dès lors en
Allemagne et en France des architectes célèbres, dont
plusieurs furent employés à l'érection du Dôme de
Milan, et principalement ceux qui avaient élevé celui
de Strasbourg. De là vient le styleen partie gothique de
ce temple, puisque l 'on s'est habitué à donner ce nom
(1) En 1294.
au style qui dominait alors en France et en Allemagne
,
mais que 1\1. Cicognara, ainsi que plusieurs autres
bons critiques, n'attribuent point aux anciens Goths. Il
s'arrête à en rechercher l'origine, à en décrire les
caractères
,
les beautés et les défauts
,
il revient ensuite
au Dôme de Milan et fait connaître les époques où il
reçut ses divers accroissemens
,
celle où il fut terminé
,
et les principaux artistes qui contribuèrent à l'élever et
à l'orner.
Le temple qui fait le sujet du se chapitre porte avec
lui un intérêt encore plus grand, c'est la Basilique de
Saint-Pierre. L'histoire de sa construction embrasse
plus d'un siècle
,
la vie de plusieurs grands artistes
et les règnes de plusieurs papes. Les prodigieuses
dimensions de ce monument ont donné à M. Cicognara
l'idée de le comparer, sous ce rapport, avec les temples
anciens les plus célèbres, tels que ceux de Jupiter Olympien
à Athènes, du même Dieu à Olympie
,
de Diane à
Ephèse, etc. Il le compare aussi avec le temple de Salomon,
avec ceux de Ste.-Sophie à Constantinople, de
St.-Paul à Londres, et avec le Dôme de Milan. Saint-
, Pierre se trouve non-seulement plus grand, mais hors de
tout parallèle, et dans des proportionstoujours plus surprenantes
, on pourrait même dire plus effrayantes ; mais
à l'égard des formes, de l'ensemble, du style etmêmedu
caractère religieux, cette masse énorme ne conserve pas
les mêmes avantages, et notreauteur avoue quecepremier
temple de la chrétienté ne remplit pas complètement son
principal objet, qui est d'inspirer la vénération, le recueillement;
effet auquel s'opposent évidemment la variété
des formes et des couleurs, et la multiplicité des
décorations qui donnent trop de distractions à l'esprit et
ne parlent point au coeur. ,
Le neuvième chapitre est le plus court; il n'a objetque pour la Santa Casa de-Lorète
,
célèbre dans d'autres
fastes que ceux des arts, mais que les arts ont aussi
contribué à decorer de leurs plus riches et de leurs plus
élégantes productions. L auteur retrace le plus sérieusement
qu il peut, et avec tout les égards qu'une tête
saine peut avoir pour celles qui ne le sont pas ,
l'histoire
de la translation miraculeuse de cette sainte case du
voisinage de Ptolemaïde
,
jusqu'en Dalmatie
, au bord
de la mer Adriatique, en 1291 ; de là
, en traversant à
vol d oiseau cette mer, dans un bois près de Recanati,
vers la fin de 1294 ; et enfin, après quelques autres petits
voyages, dans l'endroit où elle esttoujours restée, depuis
le XIVe siècle. Après avoir reconnu que Renzolius,
Tursellin et beaucoup d'autres forts bons prêtres,
cnanomes , mineurs de l'observance et mineurs conventuels,
se sontrendus garans dé ces faits, M. Cicognara
se permet seulementd'observerque dans ce XIVe siècle,
qui en Italie n était point du tout barbare, où fleurirent
Dante
,
les Villani, Dino Compagni, et d'autres auteurs
et historiens, tous très-dévots et ttès-sincères dans leur
foi, aucun n 'a fait mention d'un événement si surnaturel
et si étrange; que même deux historiens contemporains
qui ont écrit la vie de Boniface VIII, qui ont parlé des
outrages faits aux chrétiens dans les lieux saints par les
infidèles
,
et des efforts que fit ce pape pour exciter
l'Europe entière à en tirer vengeance, et qui ont même
rapporté plusieurs autres miracles attribués à Célestin V,
ne disent rien de ce!ni qui devait avoir fait en Italieplus
de sensation que tous les autres.
Enfin dans son troisième livre l'auteur commence
l'histoire spéciale de la Sculpture
,
précédée comme on
l'a vu,de toutes les notions et de tous les éclaircissemens
qui y préparent. Ce livre en contient la première
époque qui s'étend depuis sa renaissance en Italie
jusqu'au tems de Donatello. Il est divisé en huit chapitres
; le premier présente l'état de l'Italie depuis la paix
de Constance jusqu'en 1400
,
époque de la renaissance
de l'art ; le second, l'état de la Sculpture en Italie avant
Nicolas de Pise ; le troisième traite de l'Ecole de Nicolas
et de Jean de Pise ; le quatrième
,
des sculpteurs contemporains
et des élèves de Nicolas et de Jean ; le
cinquième, des sculpteurs Sienois et de Nicolas Aretin;
le sixième, de la sculpture vénitienne; le septième,
d'André de Pise, de ses fils, de ses élèves et des premiers
sculpteurs Napolitains; le huitième, de la
sculpture hors de l'Italie à cette même époque.
C'est sur-tout ici qu'il nous est impossible de suivre
l'auteur dans sa marche
,
d'indiquer même légèrement
les faits les plus intéressans qu'il rapporte, les observations
ingénieuses dont il les accompagne ,
les digressions
et les anecdotes qu'il y répand comme un moyen
piquant de variété, les recherches savantes auxquelles
il se livre, et les résultats souvent nouveaux qu'il en
tire. L'idée qui domine dans ces premiers chapitres, à
laquelle il revient souvent dans les livres précédens
,
qu'il paraît avoir le plus à coeur de prouver, et dont il
donne en effet les preuves historiques les plus claires
,
est qu'à aucune époque les arts ne s'étaient entièrement
éteints en Italie. Il rappelle que dès le XIe siècle fut
écrit un Traité complet sur l'art de la peinture; que
dans les archives de St.-Zenon à Vérone, on conserve
un rouleau écrit par l'empereur Louis, la J 6e année du
IXe siècle
,
dans lequel est cité le témoignage d'un
peintre italien ; qu'enfin l'évêque Raterius
,
écrivain du
Xe siècle, reprochait dans un de ses ouvrages aux
Italiens et en particulier aux Véronais
,
l'usage fréquent
des peintures lascives
,
pogmentorum vctierem nutrientium
frequentior usus ,
etc.
Après ce que deux savans tels que Maffei et Muratori
ont r assemblé de témoignages à cet égard, il ne reste
plus de doutes sur la question de la peinture en général,
conservée en Italie, même dans les siècles qu'on
appelle barbares ; mais l'invention de la peinture à
l'huile est encore assez universellement attribuée à
Jean de Bruges ou Van Eick
, au XVe siècle. Quelques
doutes cependant se sont élevés ; et ils se fondent en
partie sur un manuscrit du XIIe siècle, attribué à un
moine Théophile, et trouvé en 1774 par Lessing dans
la bibliothèque de Wolfenbuttel. Le savant abbé
Morelli
,
bibliothécaire de St.-Marc à Venise, a écrit
avec étendue sur une copie de ce manuscrit conservée
clans la bibliothèque Nani; d'autres auteurs allemands et
italiens en ont parlé. Il est divisé en trois parties, dont
la première traite de la peinture à l'huile et des procédés
qu'on y doit employer. M. Cicognara présente ses
idées sur ce T raité du moine Théophile
,
dans une
longue note du second chapitre de ce livre. C'est un
mémoire fort bien fait, où l'exactitude des faits, la
sagacité des vues et la saine- critique, concourent à
prouver que trois siècles au moins avant Jean de
Bruges, on connaissait la peinture à l'huile, dont
V asari et la plupart des auteurs lui attribuent l'invention.
On trouve à la fin du cinquième chapitre une autre
note
, ou un autre mémoire sur une question particulière
qui intéresse sous le rapport de l'art, et en même tems
sous un point de vue littéraire, puisqu'elle tient à
l histoire de Pétrarque et de Laure. Le peintre Simon
'de Sienne, qui fit le portrait de Laure
,
était-il en même
tems sculpteur? Ceux qui se sont décidés pour l'affirmative
se fondent sur quelques expressions de deux
sonnets de Petrarque, et sur un ancien marbre où est
gravé derrière les portraits du poëte et de sa maîtresse
le nom de Simon de Sienne comme auteur de ces
portraits. M. Cicognara prouve très-bien que l'on se
trompe sur le sens que l'on veut donner aux deux
sonnets de Petrarque
,
et que quant à l'inscription
,
elle
est d'un caractère postérieur au XIve siècle, et a été
gravée après coup. Il entre ensuite dans un examen
plus particulier de ce marbre; il rejette l'idée de son
authenticité, et il donne ensuite une notice de tous les
anciens portraits que l'on prétend ètre ceux de Laure. IL
accorde la préférence sur tous les autres à celui qui est
peint en miniature sur un beau manuscrit des poésies de
Petrarque dans la bibliothèque Laurentienne ; et il
regarde comme vraisemblable que ce portrait fut copié
d'après le tableau ou le dessin de Simon de Sienne.
Pour mettre le lecteur en état de mieux juger la
question
,
l'auteur a fait graver au trait tous les portraits
dont il parle; il en devient plus difficile, en les considérant,
de n'être pas de son avis. Ils remplissent les trois
dernières planches de la collection qui termine ce
volume. Il y en a en tout 43
,
dessinées et gravées dans
ce même genre avec beaucoup de goût et de soin. Cette
partie si importante d'un ouvrage de la nature de celuici,
est d'une exécution parfaite. La plupart des objets
qu'elle retrace
,
quoiqu'ils soient de la première époque
depuis la renaissance de l'art, ont de la beauté, de la
grandeur, de la grâce. En les examinant à mesure que
l'on avance dans la lecture du texte, l'oeil jouit en même
tems que l'esprit s'éclaire ; et le burin rend plus durables
les impressions que l'on a reçues d'un style abondant,
rapide
,
élégant et toujours clair.
Les amis des arts ne peuvent que désirer vivement
,et attendre avec impatience la suite de cet important,
ouvrage. Il place M. le chevalier Léopold Cicognara,
au premier rang parmi ceux qui ont écrit sur les arts dans
sa patrie, et fort au dessus des auteurs qui en ont écrit
avec du savoir et de l'érudition sans philosophie, sans
une connaissance pratique des arts et sans en avoir le
sentiment.
GINGUENÉ.
LANGUE ANGLAISE.
.OPTIMUS et PESSIMUS, ou notre bonheur est dans notre
caractère.
(Conte traduit de l'anglais de SALOMON SAUNTER. )
LE principe de notre bonheur est dans nous-mêmes.
Cette disposition qui porte quelques mortels privilégiés
à voir toujours le beau côté des choses de ce monde,
rie la cherchez point ailleurs que dans leur ame. Ce
besoin d elre heureux, dont nous sommes tous invinciblement
possédés, est-il un don de la nature? Est-il
'possible
, ail contraire, de l'acquérir? Mais par quels
moyens, quelle étude, quelle succession d'efforts?........
Graves questions, et bien dignes d'occuper les philosophes.
Combien d'argumens, de traités, de paroles perdues sur
celte vieille et inépuisable matière? La santé, l'empire
sur soi-même
, une fortune aisée, également distante des
soucis de la richesse, et des angoisses dela misère
,
la
mediocritas aurea, sont des moyens de bonheur doute, sans mais combien ils sont frêles et changeans ! Attendez
les maladies, les contrariétés
,
les procès
,
les révolutions
! Quelle misérable garantie du bonheur qu'une
condition de l'esprit et du corps sujette à l'influence ennemie
de toutes les causes extérieures !
Il faut cependant l'avouer j un parfait empire sur soimême
serait le premier pas et le plus important à faire
pour arriver à cette heureuse disposition d'esprit dont je
parlais. D'abord il faudrait meltre totalement hors de la
question ce turbulent, ce bisarre
, cet exigeant individu
qu on appelle moi, et ne former jamais nos jugemens que
sur des conséquences générales. Nous découvririonsbientôt
qu 'un mal partiel est généralement un bien j et nous serions consolés, calmes ; heureux, si l'on veut.
Maisj'en en reviens toujours à ma thèse favorite; naissons heureux nous comme l'on dit que nous naissons
poètes j et, en fait de bonheur
,
les chances les plus sûres
sont encore pour ce pelit nombre d'élus que la nature y prédestine. J'en ai vu qui, depuis l'enfance jusqu'à la vieillesse, ont défié la fortune et ri de son inconstance;
a quinteuse déesse n'avait point de prise sur ces carac- tères singuliers
, et toutes les choses de la vie semblaient
se plier, comme d'elles-mêmes
,
[1 l'intérêt de leur félicité ils n'ont été sérieux : que sur le lit de mort; c'est bien là
qu 'il faut l'être un peu. Heureuse et bien désirable disposition
de l'esprit humain 'Aucune ne mérite d etre cultivée
et conservée avec plus de soin. Avec elle, il n'est point d'accidens
,
de contrariétés, de calamités qu'on n'aborde
sans effroi, qu on ne subisse même avec grâce ; et, s'il est
un mal contre lequel l'éducation doive s'armer de toute
aa puissance, c'est cette tristesse de l'ame qui dispose à
ne contempler le spectacle du monde qu'à travers un sombre rideau.
J ai connu deux frères jumeaux, Optimus et Pessimus
frères seulement de par la nature, car jamais deux , tères carac- ne furent plus dissemblables. A peine arriva-t-il
une seule fois au petit Optimus de crier dans son berceau
et bien qu ils fussent nés le même jour, son premier , rire précéda de plusieurs sou- semaines celui de son frère. Les
mères savent seules quel charme est attaché au premier
sourire d 'un enfant ; elles ne s'élonneront point de la
secrète prédilection Optimus obtint presqu'en naissant
do la sienne. Pourtant ne l'accusez pas : elle aimait avec tendresse son petit Pessimus, et il semblait en avoir grand
besoin ; il pleurait, criait toujours
, et la pauvre mère
empressée et craintive, disait : "Vous le voyez bien ; cet
» enfant est malade ! » Ils grandirent, et la même opposition de caractères se manifesta dans les rapides années de leur enfance. Tout
était hochet pour Optimus; le rire ne quittait pas ses lèvres ; il ne cherchait pas le plaisir, le plaisir semblait le
Venir trouver de lui-môme. Il était fort difficile d'amuser
Pessimus; il ne connut point les joies naïves de son âge.
Vous lui présentiez un joujou; le maussade enfant le
rejetait avec dédain, ou le donnait froidement à son frère t
celui-ci le saisissait avec transport; le joujou le rendait
heureux; Pessimus alors poussait de grands cris pour le
ravoir : le petit Pessimus n'était point aimable.
Ils furent de bonne heure orphelins de père et de
mère. Leur grand père maternel, respectable vétéran de
la marine anglaise, adopta le petit Optimus. Cet enfant le
charmait par son inaltérable gaîté. Le vieillard n'était pas
riche, mais le père d'Optimus était mort pauvre ; c'était
donc une bonne fortune pour l'orphelin. Pessimus fut
plus heureux encore. Un oncle célibataire, négociant
considérable, qui avait acquis de grands biens dans le
commerce , se chargea de son sort et l'initia aux secrets
des affaires. Le caractère sérieux et grave de son neveu
convenait parfaitement au sien ; le bon oncle était d'un
naturel assez triste
, et nous avons tous cette faiblesse
d'aimer qui nous ressemble. « Il perpétuera ma maison,
" disait-il avec complaisance, et nul autre ne sera mon
t héritier. »
Le grand père avait conservé dans le vieil âge l'activité
turbulente et l'esprit aventureux d'un marin. La mer! la
mer! c'était-là le sujet de tous ses entretiens. Son seul
regret, disait-il, était de ne point mourir à bord, de
n'êtrepoint enseveli dans le grand abîme avec un boulet
attaché à la tête et un autre aux pieds. On conçoit que ce
déterminé marin n'était pas homme à laisser long-tems
Optimus à terre; il le fit embarquer dans un âge encore
tendre.
Pauvre optimus ! Il avait eu ,
depuis qu ils étaient séparés
,
bien peu d'occasions de cultiver l amitié de son
frère : d'ailleurs
,
il faut avouer que Pessimus doué au
suprême degré de l'esprit des affaires
,
et puissamment
intéressé par les rapides mouvemens d'un commerce toujours
heureux, ne s'occupait guères que de ce qui se passait
a la bourse.Le vieil oncle mourut, et Pessimus sp vit
a têted'un établissement considérable
,
dont il avait
agrandi personnellement la sphère. Les quatre parties du
onde lui apportaient de riches tributs. Comme il avait
acquis la renommée et la grande considération de l'un
des premiers négocians de Londres, on cherchait à l'intéresser
dans toutes les spéculations l aibitre choisi dans importantes ; il était tous les débats commerciaux. Il épousa une jeune personne accomplie dont il eut des
enfans aussi doux que la mère et de la plus grande espé- àvingt" superbe hôtel à Londres
, une villa magnifique
à Vmgt milles d-e la capitale
, un des plus beaux parcs
des trois royaumes tache , une charmante famille, un nom sans ; que manquait-il à sa félicité? autour de lui tout sonnait..... le seul Pessimus ne souriait jamais.O nature "
indomptable nature!..,. Envoyez des philosophes haran-
.guer ce malade, et vous verrez s'ils y feront oeuvre ! Une fois il permit à sa famille d'aller passer l'été dans
une des petites villes maritimes du comté de Kent! ta
beauté du site et le riant paysage qui se déployait à l'entour,
y attiraient dans cette saison les riches oisifs de la métropole et des cités voisines : mais le rien-faire était
pour Pessimus un joug d'une pesanteur insupportable
: il
laissa sa femme et ses enfans dans cette délicieuse re- traite, promit de revenir bientôt, et retourna précipilamment
a Londres se plonger de nouveau dans le tourbillon,
des affairés. Elles le captivèrent tellement qu'il ne rejoignit
sa famille que deux mois après le ferme assigné. La belle saison touchait à sa fin
-, et les vents d'automne ré- sageaient les tempêtes. p
L-e soir même de son retour, lé ciel se couvrit de
nuages épais d'où jaillissaient de longs éclairs. lin orage
terrible éclata la nuit suivante : on entendit plusieurs fois,
du côté de la mer, le canon de détresse dont le bruit lu- gubre se mêlait aux sourds mugissemens des rafales. On
apprit le lendemain qu'un navire des Indes s'était perdu à ¡
a cote, et que le malheureux équipage
, recueilli après
dès efforts inouïs par des chaloupes sorties du port, allait
bientôt mettre à terre. Les habitans, les étrangers même
que leurs plaisirs avaient attirés à B
, se portèrent en
foule sur la plage pour voir débarquer les pauvres matelots.
Pessimus s'y rendit avec sa famille. C'était une belle
occasion de donner carrière à son humeur morose : il enlamait
un discours pathétique sur la vanité de nos désirs
et la folie de nos projets 5 il l'ornait de reflexions mélancoliques
sur la triste condition de ces malheureux marins y
déjà le petit groupe qui l'écoutait commençait a fondre
eri larmes lorsque la première chaloupe aborda : des cris
de joie
,
des félicitations empressées se firent entendre de
toutes paris et couvrirent tont-à-f'ait la voix du lugubre orateur.
Grands et petits, les lords et les ouvriers, toutes
les classes d'habitans exercèrent à l'envi la noble hos-
< pitalité. Chaque ménage aisé s'empara de quelques-uns
des malheureux naufragés
, et le peuple entraîna le reste
dans les tavernes. La bierrey coulait à grands flots. Ces
hommes durs
,
à peine arrachés à une mort qui semblait
inévitable, ranimés par les liqueurs fortes, comme par
l'accueil hospitalier qu'ils recevaient, remplissaient l air
de leurs chansons grivoises et de leurs bruyans éclats de
rire ; en un mot, ce jour de terreur et de deuil se trouvait
transformé, comme par enchantement, en un jour de
fête Pessimus était furieux.
Il continuait sa philippique
,
lorsqu'une seconde chaloupe
toucha terre. Celte fois
,
il regardait sans beaucoup
»
d'émotion les malheureux qui en sortaient, quand 1 un
d'èux tout-à-coup pousse un cri de joie et s'élance vers
Pessimus
, en disant à l'un de ses camarades : — Ne te
l'avais-je pas dit que j'étais d'un bonheur décidé ! ... »
(
Pessimus ouvrait de grands yeux. Quel est cet hommepâle,
échevelé
,
demi-nu
,
tout ruisselant de l'eau de la
mer ,
qui le serre dans ses bras
,
l'étreint contre son coeur
avec toutes les marques de la plus vive joie?... Pessimus
lui rend toutes ses caresses j Pessimus baigne de ses larmes
les joues du pauvre naufragé; c'est son frère; c'est^
Je bon
,
le naïf, le joyeux
,
l'heureux Optimus qu'il dans revoit cette misérable situation.
Après ce moment d 'extase Pessimus exprima du ton le plus douloureux sa tendre pitié pour son frère : — u La
;m cruelle aventure ! quel épouvantable désastre ! quel
« affreux revers de fortune.' sans doute tu as tout perdu !
" voilà tout le fruit de les travaux enseveli dans ce perfide
" et inexorable élément Mon pauvre , mon cher Opti-
« mus ...... - Ah ! tu es toujours le cher Pessimus, lui
» répondit en riant le marin; mais garde
,
je t'en prie, ta
« pitié pour ceux qui en ont besoin j je m'en passerai fort
» bien, frère : j'ai été toute ma vie, je suis toujours le
« plus heureux des mortels j et si tu pouvais seulement
" comprendre ce qu'on éprouve de bonheur à se trouver
" sain et sauf à terre, quand on a couru la chance d'être
* digéré par un requin
, tu avouerais que tu me dois des
comphmens
, et non des doléances, n
M Inconcevable original J murmura Pessimus.
« Nous causerons de tout cela plus à notre aise à la ta-
» verne, reprit le marin j je n'ai pas mangé depuis seize
» heures
, et mon estomac se fâche. » Pessimus leva les
mains et les yeux vers le ciel et se laissa conduire à la
taverne au milieu d'un groupe de matelots. Quelle joie
bruyante ! quelles clameurs quel tapage ! il les vit tom- ber avidement sur un large roast-beefet vider maint pois d aie (i) , en portant des toasts à leurs maîtresses
,
à leurs
amis, à la vieille Angleterre. Les uns chantaient à tue- tête, les autres racontaient leur filial voyage et les divers
incidens de la tempête, tous exprimaient leur bonheur de'
se voir sauvés avec une vivacité, une vérilé si énergiques,
une naïveté si intéressante que Pessimus sentit en luimême
un mouvement qui ressemblait à la jalousie.
Quand ils furent abondamment salurés
,
Pessimus put enfin jouir de son frère. Il l'emmena dans sa maison
,
lui
choisit des habits décens dans sa garde-robe, le présenla
(1) Sorte de bierre anglaise.
à sa famille et le pria de raconter son histoire. «— Très-
>1
volontiers
,
frère
,
répondit Optimus ; mais raconte-moi
n d'abord la tienne : il me semble que tu fais une assez
n belle figure dans ce drôle de monde ; je m 'en réjouis du
* fond du coeur, n
ajouta-t-il en lui secouant la main
avec une chaleureuse cordialité.
Pessimus qui n'était jamais heureux que quand il trouvait
une occasion de se plaindre
, se mit à jouir largement
de ce singulier bonheur : Ah ! tout n était pas roses
dans le commerce; il s'en fallait bien : les énormes frais
d'un armement et la désolante incertitude des retours ,
les oscillations de la politique
,
l alarmante situation du
crédit public, une guerre imminente, les chances dela
mer, les révolutions de la bourse
,
les banqueroutes ,
des
traités de commerce qui n'avaient pas le sens commun ,
des douaniers si âpres ! et puis celte jeune famille qui
poussait comme l'herbe, ces jeunes garçons qu il faudrait
établir dans le monde
, ces jeunes filles qu'il faudrait pourtant
marier, des dépenses toujours croissantes, enfin le
luxe
,
l'effroyable luxe des femmes ! — " Je suis ,
comme tu le vois ,
fort loin d 'être heureux
, mon cher
Optimus ! n Telle fut la conclusion officielle de cette harangue
chagrine sur les tribulations des pauvres négocians
millionnaires.
— u Goddam ! que te faut-il donc pour l'être? s'écria
« le marin avec un peu de colère, pourquoi cette figure
n de Jérémie
,
quand tu devrais être vermeil et joufflu
n comme Silène? J'ai peur, moi, que tu ne sois malade
» d'un excès de prospérité. Je te plains pourtant de n être
n pas satisfait de ton sort 5 mais passons i je vais h mon
n tourte raconter mon histoire.
» Figure-toi, mon cher, que j'ai toujours été le plus
* heureux des hommes
, et, soit dit sans sottise , je n ai
« jamais eu à me plaindre de la fortune; quand elle me
» souriait, vivat! m'écriai-je
, et je la saisissais aux che-
* veux : me tournait-elle le dos? j'attendais que son ca-
» price fut passé ; mais je la guettais toujours
,
et la bou*
deuse revenait à moi tôt ou tard. Notre grand-père
n n admettait comme réelles que deux espèces de bon-
» heur ; la vie de marin dans le monde et le paradis dans
>1
l'antre. Je partageais son enthousiasme
, et le bon-
* homme était charmé. Il effectua ses desseins sur moi
M de bonne heure, pour m'empêcher, disait-il, dé pourrir
» à terre. Un beau jour, il me donna deux guinées
, sa
n vieille bible, sa bénédiction, m'embrassa tendrement
n et me lança en mer sur un vaisseau tout neuf qui appan
reillail pour Halifax, sous le commandement de son
« ami le capitaine Harris
,
vieux loup de mer , tenant plus
n de la nature du poisson que de celle de l'homme. Là
» jeunesse est aventureuse ; je m'embarquai avec joie et
n le coeur échauffé des plus riantes espérances. Le capin
taine avait cordialement assuré à mon grand-père qu'il
» ferait de moi un joli garçon, et pour tenir parole, il
n me fit mener tout d'abord une vie très-dnre. Je m'y
n accoutumai vîte; à quoi ne s'accoutume-t on pas avec
" un inépuisable fonds de gaîté
, soutenu d'une santé ro-
» buste ? J'avais cependant appris le métier dans les deux
« voyages que je fis sous ce hardi marin qui me traitait
n comme un nègre et m'aimait comme son fils. Il faut
» convenir que je lui étais précieux à plus d'un titre :ily
n a toujours à bord quelques jeunes recrues que le maldu
n pays gagne, quand ils ont perdu terre et la vue de leur
» clocher. Je les amusai par mes saillies, je les forçais à
n rire
,
leur faisais danser des rigaudons sur le gaillard d'an
vant au son de' ma cornemuse galloise, et au diable la
M
mélancolie, les vapeurs, les langueurs! Notre benêt
M
de chirurgien n'en revenait pas. Mais les saillies et
n les rigaudons ne charmaient pas la fièvre jaune : mon
» pauvre capitaine en mourut à la Jamaïque
, et comme
" j'étais déjà son second, je lui succédai dans le commann
dement du navire.
» De retour en Angleterre, je rendis de bons comptes
« à mes commeltans qui me donnèrent gracieusement
n mon brevet Je capitaine. Ma bonne étoile me fit, à cette
époque, lier connaissance avec une charmante mie,
» Nancy B J'avais .toujours été sage ,
frère, ! j'en den
vins amoureux comme un fou ; j'extravaguais
,
je déli-
» rais..... Elle était si bonne
,
si jolie
,
si vive
,
si gaie !
« Mais son père
,
vieux ladre s'il en fut. jamais
,
était
" riche, et noire grand père était presque pauvre; il ne
" pouvait m'aider. Je mè hasardai cependant à demander
" au père de Nancy la main de cette aimable fille.—
M
G;agnez de l'argent et vous l'aurez, sf un plus riche que
n vous ne la demande. Telle fut sa sèche réponse.
» Je n'avais d'autres ressources que mon navire et mon
» industrie ; mais j'étais capitaine, j'étais jeune ; ne devais-
» je pas réussir comme tant d'autres qui s'étaient enrichis
n dans.ma périlleuse profession? Je dis ces belles
" choses à ma Nancy; j'y ajoutai timidement la proposi*-
« tion d'un mariage secret. Nancy était soumise et respecr
tueuse envers son père ; elle me refusa net; et, tout en
n murmurant, un peu, je l'en aimai davantage
, car une
" bonne fille peut devenir une bonne femme. Nous .nous
n fîmes des adieux fort tendres et je mis sous voiles.
* Ce voyage fut assez heureux. Notre grand père mourut
" dans l'intervalle
, et tu sais que sa succession se réduisit
n à très-peu de chose. Je pleurai sincèrement ce respectable
n aïeul qui m'avait produit de son mieux dans le monde;
v mais je revisNancy, et je fus consolé plus vite. J'abordai
n timidement son père, et lui présentai mon bilan : celte
M
fois encore il le trouva trop léger; il ajouta même,
n pour achever de me désoler
,
qu'avec ce qu'il lui donne-
« rait en mariage, sa fille pouvait prétendre à la main
» d'un lord, et je fus éconduit. J étais au désespoir;
n Nancy me calma d'un mot. - "Mon père a le droit
n d'empêcher notre union ; mais il ne me forcera jamais,'
» à donner ma main à un autre ,
lorsque mon coeur ,
cheiâ
» Optimus, est à vous seul. » — Encore un voyage ,
m'éx
criai-je, et que la Providence m'assiste! ce sera le der-,
M nier. L'or que j'apporterai cette fois
,
amollira
,
j'espère
,
n ce coeur endurci. Six mois encore, et nous serons l'un à
» 1 autre. Le ciel le veuille, murmura-t-elle en baissant
» ses beaux yeux; ses joues se colorèrent du carmin le
" S
b
pur; j'v scellai précipitamment une demi-douzaine
e aisers, je crois qu'elle m'en rendit un , et muni de cor ce dia vivifiant, poussé par une jolie brise
,
j'appareillai
pour les Antilles • j aurais pu faire le tour du
» monde.
Ce voyage fut pauvre , et cependant le plus heureux
» de tous. Ma Nancy avait eu la petite-vérole, et cette
» maladie, tant redoutée des belles, avait fait de terribles
» ravages sur sa charmante figure. Son père, autrefois si
» fier de sa beauté
, et qui avait fondé de brillans projets
« sur celle qualité fugitive, son père lui dit, lorsqu'elle
" entrait à peine en convalescence
,
qu'elle pouvait épouser
» son matelot et s'aller pendre
,
qu'il ne lui donnerait que '
" cent guinées; la dot qu'il lui destinait, quand elle était
jolie
,
devait appartenir à sa fille cadette, jeune per-
» sonne assez gentille, à qui cette riche dot procura l'al-
» hance d'un lord très-délabré.
" J'arrivai chez Nancy peu de jours après la nôce. La
pauvre fille vient à ma rencontre avec un empressement tendre et timide. «Je vais, me dit-elle, entrer chez
» une ouvrière j mon père le trouve bon
,
il m'y exhorte
» même; ce mariage, qu'ils appellent brillant, lui a tourné
« la fêle. Changée comme je suis, et si différente de ce
» que j étais
, sans fortune, je ne puis plus être votre
» femme.......—Vous la serez, si vous m'aimez tou-
» jours, lui répondis - je avec ardeur. Quant à moi, je
7» vous aime autant que jamais, et je vous estime
,
s'il est
» possible, davantage : vous venez de me montrer toute
» la générosité, toute la bonté de votre coeur, je suis à
« vous jusqu'à la mort; et, de grâce, dépêchons les
n épousailles.
» Elle ne se rendit pas si vite : elle était si troublée,
t et, comme elle avait la bonté de le dire, si reconnaism
sante "Vous le voulez, me dit-elle enfin, j'accepte ;
« et c est sans effort, cher Optimus, que je me dévoue à
" votre bonheur.n -Vrai, mon frère, elle me parut alors
r aussi jolie qu'autrefois. Je menai les choses avecl'acti-
« vité d'un navire. Il n'y eut jamais fille meilleure, il n'y
* a pas une meilleure femme. L'âpre beau-père nous
« compta, non sans humeur, sa bénédiction et les cent
» guinées; j'y joignis mes épargnes soigneusement mé-
* nag,;es, car mon amour pour Nancy m'avait rendu
M économe, sans que je ne me sois jamais refusé un bowl
vi amical avec quelque brave compagnon de mer. Nous
n nous sommes établis dans une jolie petite maison. J'ai
y fait encore quelques bons voyages ; ce dernier était le
M
meilleur, mais que veux-tu? la houle a tout dévoré.
« Deux choses me consolent: je vais trouver Nancy heun
reusement délivrée, je l'espère, de notre quatrième enfant,
et j'ai eu le bonheur de te rencontrer, mon cher Pesy>
simus. Notre habitation n'est pas loin d'ici ; tu nous
» feras bien une petite visite; tu verras un ménage de
>1
colombes. Je veux que tu embrasses ma pauvre Nancy
51
qui n'est pas si laide
,
je t'assure, et mes enfans qui sont
* jolis comme des anges. Nous nous extasierons ensemble
>1 sur le dernier venu; je ne le connais pas encore, mais
» je te le garantis beau comme ses frères : la bonne race
M
de marins que j'élève là pour la vieille Angleterre ! J'ai
>1
perdu mon navire; il était bien un peu délabré, sa vieille
* quille avait tant battu les flots! Mais la perte est com-
* mune ,
et je ne dois rien à mes commettans ; je me porte
M
bien
, et je puis tenir encore long-tems la mer. Voilà,
M
frère
, tout ce que j'avais à te dire. »
Ce calme parfait, cet à-plomb immuable, au milieu
des plus cruelles vicissitudes, cette invincible hilarité, cet
air de bonheur dans une situation dont tant d'autres auraient
été accablés
,
remplissaient d'étonnementPessimus.
Il alla volontiers chez son frère, et fut présenté à sa bellesoeur
: ce n'était plus la belle Nancy d'autrefois
,
mais sur
sa figure brillait l'expression de la plus vive intelligence
et de la plus excellente bonté. Elle reçut son Optimus avec
un sourire qui lui fit oublier pour jamais son naufrage et
tous ses malheurs. Pessimus se conduisit en bon frère : il
remit au marin uu porte-feuille qui contenait assez de
valeurs pour fairevivre, dés cet Instant, toute la famille
dans l'abondance et même avec une refus bien sorte d'éclat : un net le rendit stupéfait. - „ Mais tu n'as rien
"
,
dit-itaucapitaine-voilà Voilà un quatrième
« bambin qu il faudra pousser dans le monde, et Dieu
» sait s it en vaudra bien d'autres » j'e voudrais assurer le
« repos de tes vieux jours. - Je saurai bien y pourvoir
» par mon travail.-Tu es fou /mon cherOptimus.-
» Je veux être libre, mon cher Pessimus.—Cela n'est
>i n, Optimus, de s'e montrer 'fier avec son frère.
» -Tu m'aideras, si ma vieille maîtresse (*il appelait
" ainsi a mer ) nie joue encore quelques mauvais tours.. Ils s échauffaient; l'aimable Nancy vint s'interposer
cdhime un bon ange, enlre ces hommes généreux. Après
de longs débats, Optimus consentit à accepter une somme suffisante polir rétablir sa petite 'fortune dans le même
état où elle se trouvait avant le naufrage. Pessimus insista
long-tems pour qu'il prît dans sa maison de commerce un intérêt, dont il lui ferait l'avance; Optimus lie voulut
accepter que le commandement d'un de ses navires. — " Bien entendu
,
frère, ajouta-t-il
, que je te rendrai
" compte jusqu'au dernier schelling.
Ainsi fut fait » : après avoir pris quelque repos à terre Optimus monta le meilleur vaisseau de son frère
,
voilier, fin et dont la cargaison était d'une valeur immense.
Il fit ainsi plusieurs voyages, et bien qu'il n'eut jamais
rien accepté au-delà du modique intérêt proportionné à sa mise de fonds, il acquit, par sou active industrie, une fortune aisée qu il appelail de l'opulence.
Et le plaintif Pessimus ? Il retourna dans son bel
hôtel de Londres, dans sa magnifique maison des champs,
avec ses trésors toujours grossissans
, sa bonne renommée,
sa conduite irréprochable, déclamant toujours contre les
douanes et les traités de commerce, et toujours émerveillé
de F intarissable joie, du facile contentement, du bonheur
obstiné de son humble frère invincible! : tant notre naturel est tant il est difficile d être heureux, quand il ne
1 a pas voulu !.... S 1;.
LANGUES DU NORD.
Analyse du poëme suédois de LIDNER
,
intitulé
L'AN 1783 (i).
LE succès du poëme sur la mort de la comtesse
Spastara (2) ayant encouragé Lidner, il fit paraître peu /
après celui dont nous venons d'indiquer le titre, et que
nous allons faire connaitre à nos lecteurs. Ce poëme se
compose d'une suite de tableaux qui n'ont d'autre liaison
que celle des transitions plus ou moins heureuses du
poète
,
mais qui la plupart présentent des traits frappans
et des beautés supérieures.
Le siège de Gibraltar, la paix qui sanctionna l'indépendance
des 'Etats-Unis d'Amérique
,
la suppression
des couvens ordonnée en Autriche .par l'Empereur
Joseph II, la découverte des aérostats et les premiers
essais des ascensions, le tremblement de terre de la
Calabre, la famine qui désola une partie du Nord,
et sur-tout la Suède; tels sont les événemens dont il
s'agit, et que le poëte suédois a chantés.
« Du haut de cette tour antique, dit-il, retentit l'heure
de minuit; la lune s'avance parmi des nuages argentés
qui se brisent autour d'elle. 0 nuit mélancolique
, recois-
moi dans ton sein! Quel auguste silence! Quel
calme imposant ! Mon ame est émue, et se plonge dans
(r) Aret 1783.-L'An 1783 par Lidner, Stockholm de l'imprimerie
royale 1784, in-8a, 3o pages. Ce poème a été réimprimé
dans la collection complète des oeuvres de Lidner, qui a paru plus
récemment.
(2) Poyez l'analyse de ce poëme dans le Mercure Etranger,
N° VII, mois de juillet.
la méditation. Encore une année écoulée! Conduite
sur les ailes du tems, elle a fui pour se perdre dans
l'immense espace de l'éternité. Ainsi le Nil, prenant son
cours du haut de ses sources abondantes, répand avance et se sur les campagnes de l'Egypte; l'Egypte est fertilisée, et le fleuve disparaît. 0 toi qui te montreras
grande et majestueuse dans le vaste ensemble des âges
année mémorable, je vais chanter , un hymne à ton honneur,
je vais recueillir les lauriers que tu as fait croître
pour l'héroïsme, l'humanité et le génie. » Le poëte porte d 'abord un coup-d'oeil général sur l époque mémorable, objet de ses chants; les exploits
du courage, les heureux efforts du patriotisme, les
progrès des lumières
,
les travaux du génie
,
les grandes
révolutions de la nature se retracent tour à tour à son imagination. Ce morceau se distingue sur-tout par le
passage suivant.
« Je vois de jeunes guerriers
,
oubliant les caresses
de leurs mères, s'élancer sur le théâtre des combats, et
affronter les périls. Ainsi les hommes destinés aux
grandes actions sortent accomplis des mains de la nature;
c est la force de l'ame qui donne la vigueur aux bras. Pompée n avait que dix-sept ans lorsqu'il triompha
îles Parthes. Celui qui peut servir son roi, quel que soit
son âge, est parvenu à la maturité: et les blessures qui
attestent le mâle courage des jeunes héros sont plus
glorieuses que ces cheveux argentés qui voudraient
parer un front vieilli dans l'indolence. Ils sentaient leur
' force étant encore au berceau, et avant qu'ils eussent
vu l'épée leurs pleurs demandaient des lauriers.
» Mais dans cette riche moisson qui s'offre à ma
muse ,
où se fixera-t-elle? Ainsi que l'abeille qui voltige
dans les champs
,
elle s'arrêtera à la première fleur dont
elle verra le calice s'ouvrir. »
Celte image douce et gracieuse semble annoncer un
sujet du même genre; mais le poète plus accoutumé
aux objets grands et terribles, aux tableaux sombres
et mélancoliques, débute par le siége de Gibraltar. Il
rappelle ainsi l'appareil effrayant d'une lutte fameuse
dans les annales de la guerre:
« La trompette a donné le signal ; des forteresses flottantes
s'avancent contre le redoutable rocher s'élevant
du sein de la mer : les bombes retentissent, et la mort vole
sur leurs ailes enflammées. Fier de sa force, le rocher
reste inébranlable ; il se change en Vésuve
,
et la vague
ensanglantée recule avec les combattans terrassés. Au
bruit de cette explosion formidable, la mer mugit, et
la foudre même s épouvante sur son trône. Mais l'assaut
est renouvelé ; la vengeance étillcèle dans l'oeil des guerriers
,
et la fureur qui les entraîne leur fait oublier le
danger; ce n'est qu'en bravant la mort qu'on marche à.
la victoire. Ceux-ci luttent encore contre les flots irrités
pendant que déjà la flamme s'empare de leur vaisseau ;
ceux-là, couverts de blessures
,
flottent au gré des o^es
sur des débris couverts de leur sang; d'autres s'élancent
au haut des mats; tandis qu'ils implorent le secours du
ciel, la mort leur répond
,
et l'abîme les engloutit. Aucune
valeur, aucun élan de courage ne peut triompher
des obstacles que présente ici la nature, et sa puissance
fait échouer les combinaisons du génie.»
Il fallait un conslraste à ces images, et le poëte le
trouve dans la liaison des événemens. « Cependant,
dit-il, la terre sera-t-elle par-tout le théâtre de l'horreur
et de l'épouvante? Non
,
ô ma muse, volons où la joie
nous appelle. » lise transporte en Amérique, célèbre
le triomphe de YV ashington, et représente la paix venant
couronner les longs efforts des Américains.
« L'armée victorieuse est revenue : uiie mère'y vient
chercher son fils ; elle approche, aperçoit un convoi
funèbre et pâlit. C'ést l'objet de sa tendresse maternelle
que l'on conduit au tombeau; son coeur soupire, les
larmes coulent de ses yeux ; mais bientôt elle se rassure , retourne dans ses foyers
,
et bénit le ciel de ce qu'elle a
pu donner le jour à un fils qui a combattu pour l'Etat,
et qui est mort au sein de la victoire. »
» La jeune Fanny reconnaît son amant; il vole dans
ses bras : arrête, dit-elle, Ariste es-tu digne de moi;
as - tu su combattre et cueillir des lauriers ? Il se
jète à ses pieds, et soulevant sa cuirasse
,
il lui montre
ses blessures; Fanny les contemple avec transport, et
s'applaudit de son choix ; ils volent au temple et se
vouent solennellement un amour que la patrie pourra
seule partager. »
Ce passage nous rappelle celui-ci d'un autre poëte
suédois : « Que les femmes brillent par les vertus qui
établissent l'empire des moeurs et des sentimens généreux;
qu'elles se plaisent à faire don de leur coeur aux
mates appas des guerriers courageux ! Que les mères
oublient leurs enfans plutôt que de céder à une lâche
tendresse
,
et que semblables aux mères de Sparte
, elle pleurent comme perdu le fils qui prit la fuite, et
non celui qui est tombé dans le combat (3). »
(3) Le passage rapporté ici est tiré d'une ode sur les devoirs du
Citoyen, par G. A., insérée dans un recueil périodique publié à
Stockholm depuis l'année 1784, par Régner, sous le titre de
Parnasse Suédois. Ce recueil qui a paru pendant plusieurs années,
renferme un choix de poésies, des extraits de plusieurs ouvrages de
littérature, des biographies, des mémoires historiques et littéraires
,
et des notices sur les artistes et sur les arts. On y trouve entr'autres
morceaux intéressans la description d'une collection de plâtres des
plus belles antiques, envoyée par Louis XIV au roi de Suède
Charles XI , vers la fin du 17e siècle. Cette collection est répandue
,
Un édit de Joseph II fit supprimer plusieurs couvens
dans les états autrichiens. Après avoir dépeint ces demeures
religieuses où
, sous les apparences du calme
-,
se cachent les tempêtes
.
et au sein desquelles pénètrent
plus d'une fois les soupirs et les regrets
,
le poëte passe
à un épisode plein de sensibilité. Laure aime Villis ;
mais elle doit sacrifier son amour pour prendre le
voile.
« Semblable à une fleur qui se fane dès l'arrivée du
printems et au moment où elle s'épanouissait, Laure
tombe accablée dans les bras de sa mère ; sa voix
presqu'éteinte implore le secours du ciel et de la terre.
Mais sont sort est arrêté; déjà le jour est fixé pour
l'acte solennel qui la séparera du monde et qui doit
mettre une barrière éternelle entr'elle et son amant. »
» La douce gaîté ne peut plus briller dans ses yeux ;
une morne tristeste les attache à la terre; couverte
d'ornemens de la blancheur du cygne ,
elle marche
vers le temple
,
pareille à ces fantômes que l'imagination
nous représente sortant des tombeaux; ses cheveux
noirs tombent sur un sein arrosé de larmes ; elle avance
d'un pas chancelant dans l'auguste sanctuaire, et les
saints qui l'environnent semblent en pâlissant prendre
part à sa touchante émotion. L'ange que le ciel lui
dans les salles de l'Académie des beaux-arts de Stockholm à l'usage
des élèves ; elle présente l'Apollon du Belvédère
.
le Laocoon. la
Vénus de Médicis, l'Antinous, l'Hercule Farnèse , le Gladiateur
Borghèse
,
les Lutteurs
,
le Centaure
,
le Rémouleur. Niobé avec
ses enfans, l'Hermaphrodyte ,le Torse et plusieurs autres.Tous ces
plâtres ont été faits avec beaucoup de soin
, et sont la plupart bien
conservés. Ils ont beaucoup contribué à perfectionner l'étude de
l'art en Suède, et c'est à l'aspect de ces beaux modèles que l'habile
sculpteur Sergel, associé de l'Institut de France
, a senti les premières
inspirations de son talent.
avait donné pour veiller sur ses jours monte vers le
trône immortel pour y porter ses soupirs et ses
pleurs. »
Elle est au pied de l'autel, et prononce le serment
qui doit la lier pour jamais à l'état qu'elle embrasse.
« Dieu qui un jour me jugeras, je jure devant ta
troix que mon coeur ne respirera que pour toi ; si jamais
il s'élève dans ce coeur des sentimens contraires à
ceux que je te dois, si jamais il se nourrit d'une autre
foi que de la tienne, que la foudre du jugement réponde
à mon dernier soupir; je jure d'oublier tout ce
que j'ai aimé jusqu'ici, et je prends ce voile comme le
signe sacré de mon éternel dévouement. Que ce temple
en soit témoin ! que l'abîme entende mon serment, et
venge le ciel si je deviens infidèle. »
Mais bientôt l'amour de Villis reprend son empire;
Laure est agitée par les plus terribles combats ; le désespoir
s'empare de son ame, et sa main va s'armer d'un
fer destructeur, lorsque l'arrêt émané du trône devient
le signal de sa délivrance. Nous ignorons si l'auteur a
été inspiré par l'épître d'Héloïse à Abailard ; mais il y a
dans cette épisode des traits auxquels Pope eût apt
plaudi, et qui décèlent un talent supérieur.
Quittant cette scène de sensibilité
, nous devrions
suivre le poète dans sa description des voyages aëriens. -
C'est une espèce de saut difficile à Faire
,
et qui ne pa- j raît avoir éié approuvé ni par le coeur, ni par l'esprit
du puëte lui-même. Aussi se hâte-t-il de passer à un
sujet plus analogue à son talent, et de présenter des
peintures moins disparates
,
moins tranchantes. Le
tremblement de la Calabre fixe son attention et lui ; fournit de nouveau l'occasion de se montrer dans un
genre qu'il semble aimer de préférence.
u Dans ce terrestre séjour
;
dit-il, la tristesse renaît

plus souvent que la joie. Dieu! qu'est-ce que l'homme?
Poursuivi par une destinée malheureuse
,
il se promène
ici bas sous la foudre, au bord des précipices; n 'oserais-
je plaindre les souffrances de mes semblables? Que
le rocher reste insensible, le rocher ne reçut point un
coeur. Victimes infortunées, je vous dois ma douleur,
recevez-en le tribut, n
Au milieu des objets douloureux qui l'environnent
par-tout sur ce théâtre de la destruction
, une mère
éplorée fixe ses regards ; elle a perdu son enfant parmi
les flammes et les ruines. « 0 mer! ô terre! ô retraites
sombres ! dites, où est-il? c'était mon enfant chéri,
mon fils unique 5 je le réservais a d autres destinées; si
les cieux ont des bornes, depuis que je suis mère,
ma tendresse n'en connaît point. » Se rappelant l 'infortunée
Spartara, qu'il avait chantée auparavant, Lidner
lui adresse un nouvel hommage, et dans un élan poétique,
il la place avec son enfant parmi les astres.
« Au lever de l'aurore
,
elle le serre dans ses bras
f
et son coeur maternel goûte dans les célestes régions
une félicité dont les anges mêmes pourraient être
jaloux. »
Pendant que la plus terrible révolution de la nature
répandait l'etfroi dans le midi, une partie du nord était
accablée d'un autre fléau. La famine se répandit, et
dans plusieurs provinces de Suède, un grand nombre
d'habitans expirèrent victimes de la faim
, ou des maladies
occasionnées par la disette. Les ravages furent surtout
accablans dans le Smoland, province montueuse,
couverte de bois, de rochers, et de pierres dans sa plus
grande étendue.
a Hélas! s'écrie le poëte, où suis-je entraîné; au
milieu des allarmes, des inquiétudes, j'approche d'une
chaumière, et le premier objet qui frappe mes yeux,
c est un cadavre étendu devant une porte chancelante ici les pleurs : ne coulent plus ; ceux qui peuvent pleurer
ne sont pas au comble du malheur; ce sont les cris du
désespoir qui retentissent. La nature recule à ce spec- tacle; ils demandent du pain ces enfans pâles et livides:
du pain! du pain! crient-ils d'une voix plaintive, la
mort dans les yeux, et se traînant aux pieds des auteurs
de leurs jours. Leur mère les embrasse encore, mais
ne souhaite plus que d'être engloutie dans l'abîme avec
eux. Le père livré à une douleur sombre et farouche,
l'oeil hagard, s'enfonce dans les bois, et meurt en disputant
leur pàture aux animaux sauvages. »
A la fin de ce morceau, le poëte adoucit son pinceau
,
et arrêtant l'émotion qui l'entraîne
,
il présente
les principes consolans et les grandes idées, qui peuvent
relever l humanité souffrante ; il parle ainsi aux malheureux accablés par un destin funeste: « Laissez
le sort appeler la foudre sur vos têtes ; mais conservez
la vertu dans vos coeurs ; avec elle vous pourrez résister, et si vous succombez
, vous triompherez en succombant. »
Un autre poëte (4) de la même nation avait dit dans
un ode sur le Revers :
« Qu'une foule insensée s'agite dans les chaînes d'un
brillant esclavage ; je ne demande qu'une modeste ca-
(4) Olaus Bergklint,mort vers la fin du dernier siècle; c'était un ecclésiastique estimable qui desservait une cure à la campagne , et
qui consacrait ses loisirs à l'étude. On a de lui, outre quelques
morceaux de poésies qui respirent une morale pure et une douce
sensibilité, plusieurs ouvrages d'histoire et de littérature destinés à
l'instruction de la jeunesse, et qui ont servi à répandre dans le pays des connaissances utiles.
bane, où je puisse être à l'abri du besoin et du mépris.
J'ai appris en vivant à juger le bonheur et l' infortune.
La vertu, fut-elle même environnée de toute sa gloire,
reste souvent sans récompense et sans soutien. »
« Cependant je lui resterai fidèle ; je ne haïrai point
un monde qui souvent m'afflige et me persécute. Quel
que soit mon sort, il ne pourra m'abattre, et jamais je
ne murmurerai contre le ciel. Je remplirai les devoirs
qui me sont imposés, je ferai du bien à mes semblables,
et j'attendrai le moment où le bonheur deviendra
le partage de ceux qui savent oublier la haine, l'injustice
et dédaignent la vengeance. »
L. P. CATTEAU-CALLEVILLE.
VARIÉ'TÉS.
LETTRES INÉDITES DE. CESAROTTI (t).
Al célébré signor Vicenzo Monti.
Pada., 2o luglio i8o5.
AMICO PREGIATISSIMO , avrete già inteso dall' amico
Fortis il motivo che non mi permise prima d' ora di
ringraziarvi e congratularmi con voi del vostro insigne
componimento. Non altro che una recidiva de febbre
potea trattenermi dal compir tosto con voi questo doppio
e ugualmente caro dovere. La vostra Visione è un i-nonumento
magnifico del vosfro lalenlo che solo basterebbe
a meritarvi il litolo di poeta primario d'Italia. Se tulle
le visioni fossero simili alla vostra ,
ogn' uomo collo e
assennato diventerebbe visionario. Non vi parlo del vostro
stile del quale ognuno vi riconosce da molto tempo per
sovrano maestro. Ma la scella del disegno, la grandezza
dei sentimenti, e l' aggiustatezza dell' idee, e la loro con- ve.nienza con tutte le parti del vostro soggetto rendono
questocomponimento singolare, e fra tanti, allri de' foslri
tutti degnissimi di memoria, il più memorabile. Sopra
tutto l' introduzione dell' ombra di Dante, in tal circoslenza
è un'immaginazione felicissima, appropriatissima
, e che fa il più grande onore alla vostra desterità. Quai
altro poi era piu degno di voi di rappresentarci Danlè
nella robustezza del suo carattere , e nell' energia e dignirà
del suo stile ? Intesi con esultanza che le gencrosità del
nuovo sovrano abbia corrisposto degnamenteal valore del
suo poeta. Le rimunerazioni liberaliai grandi scrittori fnrono
sempre il segreto dei principi accorti per prévenir
(1) Ces lettres nous ont été communiquées par un littérateur de
Paris
, très-connu et très-digue de confiance.
la poslerilà. Napolcone pno esser munifico senza timore d'impovcrir l' erario perché i Monti non abbondano nel
regno d'Italia. Ho veduto con ammirazione e trasporto
mad. Siael, degna filia di Necker. Ella mi parle di voi
con amicizia e coo quella stima che meritate. Io vi riflnovo
le proteste cordiali dell' una e dall' altra.
CESAROTTI.
A Monsieur (i)
OSSIAN. et moi nous avons a vous des obligations communes
,
lui à votre talent
, et moi à votre politesse.
L'impromptu qui m'est sorti du coeur plus que de la
plume n'est qu'un petit à-compte que j'aime à vous payer
pour moi et pour mon vieux Barde. Dans ma lettre à la
comtesse Albrizzi, dame d'un goût exquis dans la belle
littérature
,
j'ai dit nettement ce que je sens sur vos essais ;
c'est-à-dire, que tout ce qu'il y a de beau vient de votre
habileté ; ce qu'on pourrait y souhaiter ne regarde que
voire langue.Boileau lui-même
, en travaillant surOssian
,
ne l'aurait trouve quelquefois moins rebelle. Un auteur
italien, dans un tel travail
,
avait bien plus de facilité,
et dans la langue plus libre, et dans le vers plus harmonieux
,
plus varié, plus pittoresque. Ces caractères appartiennent
en particulier à nos vers blancs
, que le
commun des Français croit inventés par nous afin de nous
soustraire aux entraves de la rime, au lieu que c'est sa
propre beauté qui le recommande ; beauté qui
, aux
oreilles italiennes
, ne laisse point envier l'agrément de la
consonnance, et d'autant plus estimable, que ses charmes
se font plus sentir que pressentir. On pourrait lui ap-
(i) On ne tait pas à quel littérateur français cette lettre a été
adressée par Cesarotti. Telle qu'on la donne ici elle a été copiée
sans changemens sur le brouillon même de l'auteur: on a môme
conservé les fautes de langage qui sont dans l'original.
pliquer le mot d 'Horace : Ut sibi quivis speret idem,
sudet multum frustraque laboret ausus idem. Vous pouvez,
Monsieur, assurer vos nationaux qu'eu Italie ne fait
pas de vers blancs qui veut, et il y a chez nous plus
d un rimeur très-heureux qui ,
dans une pièce de vers
libres
, y perdrait tout son latin. N'allez pas croire cependant
qu il ne nie fallut aussi lulter avec des obstacles
considérables : si j'ai pu les vaincre
,
je le dois bien
plus à ma hardiesse qu'à mes talens. Le style d'Ossian ne
trouvait dans nos écrivains rien d'analogue à son caractère.
Notre langue, toute féconde et flexible «qu'elle est,
était, grâce à nos grammairiens, devenue stérile, pusillanime
,
superstitieuse, et notre sciolto n'avait jusqu'alors
reçu de nos auteurs plus célèbres qu'une majestueuse
sonorité périodique
, un peu monotone. J'osai braver les
préjugés de l'usage et les criailleries des pédans ; je hasardai
de nouveaux tours, je donnai un mécanisme
,
si
j ose le dire, pantomime, et mes efforts ont été assez
heureux pour trouver quelque grâce auprès du public.
Mais malgré la séduction de vos louanges
,
je ne saurais
accepter sans scrupule le titre dont vous m'honorez, du
Delille de l'Italie. Je veux croire que mes vers vaillent les
siens • mais Delille a donné beaucoup du propre , et moi
je n'ai bâti que sur le fonds d'autrui. Professeur de littérature
grecque ,
il me fallut travailler sur les auteurs de
cette nation j et de plus
, presque tous mes ouvrages de
prose et de vers ne furent que commandés. Il n'y a qu'Ossian
dont j'ai entrepris la traduction par un mouvement
spontané; mais enfin ce n'est qu'une traduction, et s'il y
a quelque chose d'original, cela ne regarde que le style.
Quelque droit plus solide à l'originalité pourrait me donner,
j'ose m'en flatter, mon Homère j tel en particulier
qu'on l'a publié à Venise avec le titre de l'Iliade, ou la
Mort d'Hector. Ce n'est pas une traduction
,
ni une imitalion
,
mais on peut l'appeler une réforme
, et presque une
régénération de l'Iliade. C'est de tous mes ouvrages celui
sur lequel le public et les connaisseurs peuvent former ua
jugement plus fondé de ma faculté poétique quel qu'elle
soit. Mais quoiqu'on en juge
, ma carrière est fournie.
Fatigué par dè longs travaux, et de plus
,
aflaissé sous le
poids d'une atmosphère qui n'a rien d'électrique, je dejnandai
mon congé aux muses , et je l'ai obtenu sans
peine. A présent retiré de la lice
,
j assiste
, spectateur
tranquille, aux jeux des talons
,
prêt à applaudir sans
jalousie à ceux qui remportent les prix. Vos essais me
font présager que plus d'une couronne vous attend : il
ne tiendra qu'à vous de l'obtenir. Qu'il me sera doux
de l'entendre ! et que je serai heureux de votre gloire !
Agréez, Monsieur, les sentimens sincères d'estime, de
reconnaissance et d'amitié avec lesquels je suis
, etc.
CESAROTTI.
POÉSIE ALLEMANDE (1).
L'Amour, peintre de paysage; par GOÈTHE.
ASSIS de bon matin sur la pointe d'un rocher, je regardais
d'un oeil fixe le brouillard qui, étendu comme une
toile grisâtre, couvrait de tous côtes l'espace. Un jeune
garçon s'avance et me dit : Cher ami, comment peux-tu
contempler celle toile nue- ton goût pour le dessin et la
peinture t'a-t-il tout-à-fait quitté? Je regarde l'enfant et
je dis en moi-même : Qu'il est plaisant avec son air de
maître ! Si lu persistes dans les vagues rêveries, continue
l'enfant, tu ne feras jamais rien qui vaille. Tiens, je veux
à l'instant esquisserun joli tableau, et l'enseigner à en faire.
Il dirige son petit doigt teint de l'incarnat de la rose vers le
large tapis étendu devant nous, et se met à dessiner avec
(1)Un homme de lettres rient de nous adresser cette traduction
a'un morceau de Goethe ; et il nous assure que l'original est d'un
goût exquis. Il regrette ,
ajoute-t-il (sans doute avec trop de modestie),
de n'avoir pas su lui conserver la tournure naïve etanacréonlique,
qui fait le chaime de la pièce allemande.
ce doigt. Toni en haut, il peint un beau soleil qui puissamment
m éblouit la vue, il dore le contour des nuages,
et fait percer les rayons à travers ces nuages. Puis il trace
les sommités tendres et légères d'arbres ranimés par la
fraîcheur, derrière lesquels il trace avec facilité
,
l'un après
I autre , une suite de coteaux. L'eau ne manquait pas au
paysage. Il y jette un fleuve avec tant de naturel que les
eaux semblaient étinceler des reflets du jour, et écumer
contre les bords élevés. Ah! quelle moisson de fleurs le
long du fleuve, quelle variété de couleurs prodiguées sur
la prairie! L'or, 1 émail, la pourpre, le vert y brillaient
comme d'e l'émeraude et de l'escarboucle. Il achève par
l azur d 'un ciel serein et pur, et par le lointain des bleuâtres
montagnes. Tout ravi et comme transporté dans un
nouvel univers, j admire tantôt le peintre, tantôt l'ouvrage.
Je pense ,
dit-il, t avoir prouvé que je sais manier le pinceau
,
mais ce qu'il y a de plus difficile este encore. Alors
avec la pointe de sondoigt, et bien soigneusement, il dessine
tout juste au sortir du petit bois, où le sol réfléchissait
fortement la lumière
,
il dessine une femme charmante
,
bien faite
,
mise avec grace ,
les joues fraîches sous
une chevelure brune, et les joues de la même teinte que
le doigt qui les avait colorées. 0 mon enfant ! m'érriais-je,
quel maître t'a formé à son école? Qui t'a appris à si bien
rendre la nature et exécuter tes ouvrages en si peu de
tems? Tandis que je parle ainsi, un souffle s'élève,
agite les cimes des arbres
,
fait couler les 'eaux du fleuve
gonfle de , son haleine le voile de la figure angélique que je
vois ; et ce qui vient mettre le comble à ma surprise extrême,
la jeune beauté fait mouvoir le pied, marche et
s'approche du lieu où je suis assis avec le petit malicieux.
Lorsqu'enfin tout s'agite, les arbres
,
le fleuve, les fleurs,
et le voile et le pied délicat de la plus belle, pouvez-vous
croire sans peine que je sois resté sur mon rocher, immobile
comme lui!
Çàjette .Littéraires.
AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE.
IL a paru à Salem et à Boston, un Dictionnaire biographique,
contenant une histoire abrégée des premiers Colons
et d'autres personnages éminens parmi les magistrats,
les ministres et les savans dans la Nouvelle-Angleterre,
par John Eliot, secrétaire correspondant de la Société historique
du Massachusett.
ALLEMAGNE.
M. Louis Schellenberg, libraire et imprimeur de la
cour, à Wiesbaden
, se propose de publier une belle édition
complète des OEuvres de Wieland, à un prix trèsmodéré.
Elle comprendra non-seulement tous ses ouvrages qui
ont paru chez M. Goeschen
,
mais aussi tous les poëmes et
opuscules de Wieland, épars dans différens journaux littéraires
de l'Allemagne
,
ainsi que ses traductions des anciens
et ses oeuvres posthumes. A la fin sera jointe une
table chronologique.
Pour satisfaire tous les amis de ce poëte immortel, et
pour que chacun d'eux ne soit point obligé d'acheter l'édition
complète
,
M. Schellenberg a l'intention de la diviser
en trois parties. La première se composera des oeuvres de
poésie, la seconde des ouvrages en prose, et la troisième
des traductions, de sorte que chacune de ces divisions
formera une collection enlière et séparée.
Les livraisons se succéderont de trimestre en trimestre,
ou de quatre mois en quatre mois. Chacune d'elles comprendra
cinq volumes en grand in-8°, d'un alphabet le
volume.
Elle présentera à-la-fois , un volume des oeuvres de
poésie, deux volumes des ouvrages en ptose, et deux yolumes
des traductions.
Toute l'édition sera à-peu-près de douze livraisons. Il y
en aura sur papierordinaire
, et sur papier fin. *
Les personnes qui ne voudront souscrire que pour une
certaine division, paieront davantage pour chaque volume.
Le terme de rigueur pour la clôture de la souscription,
est à la fin du mois de décembre i8i3. Ce terme échu t le
prix augmentera du tiers.
Les Parisiens s'adresseront à M. Dielitz., vérificateur au
ministère de l'administration dela guerre, rue de Grenelle,-
n° 66, faubourg Saint-Germain.
—II a paru à Mayence, en allemand, un ouvrage intitulé :
Saint-Pétersbourg, par Christian Muller, I vol )n-8°.
C'est une suite de lettres écrites par l'auteur pendant son
séjour de 1810 à 1812. M. Muller fait connaître Pétersbourg
sous les rapports de la topographie
,
des institutions
,
des moeurs, des usages, des sciences et des arts. Il
a observé avec attention et jugé avec impartialité, et il a
su mêler aux détails historiques des tableaux animés et
pittoresques. La carte qui.accompagne l'ouvrage a été
dessinée avec soin et exactitude. Cet intéressant ouvrage
vient aussi de paraître en français.
HONGRIE. — Samuël Mindszenti, ministre de l'église
réformée à Comorn
,
vient de publier, en langue hongroise,
un Dictionnaire en deux volumes, contenant la vie
et les ouvrages dès empereurs ,
rois
,
souverains, généraux
d'armée, héros, papes, cardinaux, archevêques ,.évêques,
savans ,
peintres
,
sculpteurs, etc., en un mot de tous les
hommes remarquables qui se sont distingués dans les teins
modernes jusqu'à la fin du XVIII* siècle.
—On a publié aussi à Presbourgun Recueil d'anecdotes
sur Mathias, roi de Hongrie
,
tirées d'ouvrages tanl-étrangers
que hongrois.
— Alexandre Kovàsznai, professeur au collège de Vasarhely,
a fait publier sa traduction en hongrois des Trois livres
de Cicéron,surles devoirs del'homme envers ses enfans.
Il a paru aussi à Presbourg les ouvrages suivans :
Lettres morales , eu vers et en hongrois
, par Etienne
CsÍzi.
Dqfnis , ou le Premier Navigateur, par Gessner, traduit
de l'allemand.
Ortus et Occasus Imperii Romanorum in Dacia Mediterranea,
cui accedunt nonnullce de monumento quodam
e ruderibus colonice Apu/ensis erutce opiniones. IJn vol.
in.8°.
ITALIE.
ON publie à MILAN un ouvrage qui doit intéresseras
amateurs du théâtre, les comédiens, pemtres, statuaires
, etc. ; il est intitulé : Costumi dei Popoli antichi e
moderni, etc. — Costumes des Peuples anciens et modernes,
représentés en diverses figures gravées et coloriées,
avec des dissertations sur la forme des vêtemens
, et des
observations historiques et critiques. Il en a déjà paru trois
livraisons.
Nous rendrons un compte plus détaillé de cet ouvrage ,
que l'éditeur nous a adressé.
Notes et Correspondance.
DANS noire dernier Numéro, pages 125 et 126, nous
avons ,
d'après le Philosophical Magazine, attribué à
M. Jacques Hall, de Walchamstow, la découverte de la
filasse dans le genêt et la manière simple de l'extraire.
C'est une erreur involontaire que nous nous empressons
de réparer. Nous avons sous les yeux un Traité complet
du genêt considéré sous le rapport de ses différentes
espèces ,
de ses propriétés et des avantages qu'il offre
à l'agriculture et à l'économie domestique, publié en.
1810 par M. Arsenne Thiébaut de Berneaud (i), dans lequel
nous voyons non-seulement que la filasse du genêt a
été employée dès la plus haute antiquité, chez les Egyp-
(1) Brochure in-8°de 100 pages. Paris, chez D. Colas, imprimeurlibraire
, rue du Vieux-Colowbier
,
n° 26.
tiens, les peuples de l'Asie
,
de la Grèce et de l'Italie ; niais encore que déferas immémorial les Espagnols
,
les
Toscans et les habitans de quelques villages des environs de
Lodève, département de l Hérault, obtiennent du genêt
un fil très-bon, susceptible d'acquérir une grande blancheur
,
plus fin et plus souple que celui du chanvre
,
mais
pas autant que celui du lin. Les procédés indiqués par le
Philosophical Magazine sont absolument ceux qui sont en
usage en Italie, dans les Apennins, dans les délicieux
environs de Casciana en Etrurie
,
dans le Volterran
,
chez
les Luquois industrieux, et enFrance dans les Cévennes.
On peut, sur tout ce qui se rapporte au genêt, consulter
l 'excellente monographie publiée par M. Thiébaut de
Berneaud. Il a traité de cette plante en observateur fidèle:
On trouve dans son ouvrage tous les détails nécessaires
surles diverses méthodes employées pour extraire la filasse
du genêt et la convertir en toile de ménage
, et même en * draps grossiers, il est vrai, mais d'un bon user. Les cultivateurs
instruits citent ce traité comme un bon guide *
l
nous l'indiquons aux manufacturiers et à nos lecteurs
comme un livre utile.
A Monsieur le Rédacteur du Mercure Etranger.
MONSIEUR, j'ai souvent ouï dire avec peine, et l'un de vos plus
estimables collaborateurs m'a rappelé encore dernièrement, que des
personnes se plaisent a m'attribuer toutes sortes d'articles imprimés
dans les journaux littéraires allemands, et concernantJa France.
Permettez que je déclare dans un journal qui s'occupe spécialement
de littérature étrangère, qu'il ne me reste point de tems m'occuper d'autre chose pour que des objets qui tiennent'plus ou moins
à l'art que j'exerce
, et que toute ma vie je n'ai cru devoir entretenir
le public que d'objets et de personnes dont je pouvais dire du bien ou parler au moins avec ménagement. Ce n'est , pas à l'égard d'uu
pays qui m'a accueilli avec hospitalité
, que j'eusse jamais été capable
de changer de maxime sur ce point.
Veuillez accorder une petite placé à cette réclamation, touchant
assez à mon honneur pour que je me crois enfin obligé de lui donner
de la publicité. - J'ai l'honneur d'être
,
Monsieur le Rédacteur
, votre etc. , M. FRIEDLANDER
,
Docteur-Médecin, rue
Neuve-St.-Augustin, N° 4, Ce 200 septembre 1813.
MERCURE ÉTRANGER.
N° X.
LANGUES ORIENTALES.
LITTÉRATURE ARABE.
( Le poète SELAH EDDIN KALIL BEN JBEK ASSAFADY
déplore l'éloignement de la tribu qui était voisine de la
sienne et où se trouvait sa maîtresse. Il emprunte,
comme font souvent les poëtes orientaux
,
le langage de
la passion pour exprimer à ses amis la tendresse qu'il a
pour eux, puis il passe subitement aux louanges de celle
qu'il adore (i). )
0 mes chers compagnons ! depuis votre départ mon
coeur est devenu la proie des tourmens. Ah s'il bait succom- sous le poids de la douleur, il ne s'acquitterait pas
encore d'une portion de tout ce qu'il vous doit.
Vous êtes partis, mais mon coeur est resté enchaîné
comme un captif à voire palanquin. Et serait-il possible
qu'il retournât dans sa demeure, l'infortuné à qui votre
cruauté a ravi toutes ses forces?
(1) Cette pièce est tirée du recueil de poésies arabes intitulé
Almerdj alnadhir oual ardj olathir , c'est-à-dire : La Prairie émaillée
de fleurs et le parfum délicieux. Manuscrits de la Bibliothèque
impériale.
Pourrai-je loin de vous couler des jours sereins et libres
de soucis
,
tandis que tous mes sens sont bouleversés et
que mes larmes coulent en abondance.
Les colombes du désert ont par leurs chants plaintifs
compati à ma peine. Hélas-, il rie faudrait pas s'étonner si
elles déploraient mon trépas.
Du milieu du feuillage elles me récitent d'un ton
mélodieux leurs aventures amoureuses; et, sensibles à
leurs doux concerts ,
les branches s'agitent mollement.
0 mou unique et fidèle compagnon! je te conjure au
nom de Dieu
, procure du repos à mon ame en m'entretenant
sans cesse de mes amis absens ; peut-être le fardeau
de mes peines sera-t-il allégé.
Et toi (2)
, o messager rapide
,
décris-leur mes longues
veilles
,
dis-leur que mes yeux soupirent nuit et jour après
la visite de leur image chérie.
O
(2) C'est ainsi que dans le 4e livre de l'Enéide, Didon prie sa
soeur d'aller trouver Enée et de tâcher par ses prières d'attendrir le
coeur de ce héros.
Anna
,
vides toto properari littore circum
Undique convenere :
Miserae hoc lamen unum
Exsequere, Anna
,
mihi; solam nam perfidus ille
,
r
Te colere
, arcanos etiam tibi credere sensus ;
Sola viri molles aditus
, et tempora noras. I, soror, atque liostem supplex affare superbum.
Racine pensait sans doute à ce beau passage de Virgile, lorsqu'il
a mis dans la bouche de Phèdre s'adressant à AEnone, ces vers
fouchans "et pleins d'harmonie:
Va trouver de ma part ce jeune ambitieux
/Enone; fais briller la couronne à ses yeux. ...................................
................................... Pour le fléchir enfin tente tous les moyens :
Tes discours trouveront plus d'accès que les miens.
Supplie-les de m'accorder en présent un peu de sommeil
pour nies yeux fatiguas. Puissent-ils me rendre une légère
partie d'un repos qu'ils m'ont enlevé tout entier!
Tiens-leur des discours tendres et insinuans, ne les
importune pas par des demandes multipliées, essayé de
les toucher en leur peignant les douleurs que l'amour et
l'exit fout endurer.
Laisse échapper mon nom comme par hazard. S'ils te demandent, le connais tu ? Alors réclame leur indulgence
en ma faveur; mais si tu les vois courroucés, jure que tu
ne me connais pas.
Rappelle-leur ces nuits que je passais au milieu d'eux,
ces nuits délicieuses où eux seuls remplaçaient pour moi
les sept astres voyageurs qui parcourent la voûte céleste.
Ils sont l'objet de tous mes désirs, je fonde en eux tout
mon espoir , je ne vis que pour eux, je ne demande et recherche qu'eux. ne
Si l'orage des adversités vient assaillir ma tête, ils sont
mon port et mon asyle : si un déluge de maux vient fondre
sur moi, je trouve auprès d'eux un refuge assuré.
Ils sont l'ame qui anime mon corps : c'est d'eux que , pour son malheur
,
il reçoit une vie consacrée aux souf:"
frances et à l'amertume.
Mes amis sont-ils présens ,
les pleurs qui inondent mes
paupières forment un nuage cruel qui me cache leur visage. Ils sont préscns. et je ne puis les contempler! Hélas, ils
sont éloignés pour moi.
Presse, pleure, gémis
,
peins lui Phèdre mourante,
Ne rougis point de prendre une voix suppliante.
Je t'avouerai de tout; jen'espère qu'en toi.
Va
,
j'attends ton retour pour disposer de moi.
Le rapport qui se trouve ici entre les poëtes arabe, latin et français
est frappant. Tous les trois ont senti et se sont exprimés à peu près
8e même. Les vers arabes ont toute la grâce ét toute la mélodie dés
vers latins et des vers français.
Sont-ils absens, leur image enchanteresse vient-elle
dans le silence de la nuit voltiger autour de ma tête
,
ah 1
l'insomnie m'empêche d'en jouir.
Les filles du Turquestan sont parées de mille attraits;
et si l'astre du jour et celui de la nuit offrent à nos yeux
quelques charmes, ils les doivent à ces jeunes beautés (3).
Mais te font-elles des promesses d'amour
,
jamais tu
ne les trouveras fidèles. Non
, ce n'est pas ainsi qu'agissent
les filles de l'Arabie.
Excepté la timide gazelle qui fait les délices de mon
coeur. Ciel, que de qualités nobles et brillantes se trouvent
réunies en elle
Les voluptueux regards qu'elle laisse échapper de ses
cils languissans et serrés ont él argi la plaie douloureuse
d'un amour qui embrase et consume mon coeur.
Lorsque les épées de ses cils délicats viennent à s'agiter,
ce sont elles qui percent et qui déchirent les flancs et
non pas ces glaives acérés que l'Inde nous envoie.
Si ma bien-aimée se tourne ,
si elle déploie les mouvemens
variés de sou corps, c'est par la force irrésistible
des grâces qu'elle découvre et non par les coups des lances
d'Alkhat que les coeurs reçoivent des blessures mortelles.
(3) Un poëte italien en décrivant les attraits d'une princesse, se
sert à peu près de la même pensée. Il dit que les étoiles ne sont
belles qu'autant qu'elles ressemblent à ses yeux :
Tanto son belle
Quanto simili à lor sono le stelle.
Le Testi exprime aussi la même idée dans ces vers :
Adorerò nel sole e ne le stelle
Gli ocelli, che del mio cor sono il focile ;
Quello è vago 'Uro. queste son belle
Sol perche havran sembianza à voi simile.
Ces pensées subtiles et brillantes où l'esprit domine plus que le
sentiment
, ne sont peut être pas de nature à plaire à tous le#
gens de goût.
Ma bien-aimée parait-elle
,
la lune qui brille sur l 'horizon
,
honteuse de se voir effacée par F éclat de cette belle,
abaisse sur son front le voile des nuages.
0 rameau du désert
, tu me ravis, il est vrai, lorsque
le zéphir te caresse doucement ; mais si ma bien-aimée se
balançait, tu t'approcherais delle; et, saisi de respect et
d'étonnement, tu te prosternerais à ses pieds pour lui
payer le tribut de l'adoration.
Le milieu de son front virginal est le flambeau qui m'éclaire
; ses joues sont le parterre où je cueille mes roses,
son haleine est la liqueur que je savoure.
Depuis que je me suis enivré de son souffle ,ni le jus
exprimé de la grappe , ni ces bulles argentées qui brillent
sur la surface d'une onde fraîche et limpide, ne peuvent
plus captiver mes sens.
Traduit de l'arabe par GRANGERET DE LAGRANGE.
TABI.EAU GÉNÉRAL DE L'ARMÉNIE, par M. J. CHAHANDE
CIRBIED
,
professeur de l'arménien à l'Ecole spéciale
des langues orientales vivantes.
(Annoncé dans le Magasin Encyclopédique, N° d'avril 1813.)
TOUT ce que nous savons de l'histoire ancienne de
l'Asie
, nous l'avons puisé dans les auteurs grecs et latins r
et nous devons à quelques voyageurs le peu de connaissances
que nous possédons sur son histoire moderne.
Mais que de faits encore ignorée ï que de monumens à
recueillir. Il était donc à souhaiter: pour notre littérature
que l'Asie elle-même l'enrichît un jour du secret
de ses annales. Tel est le but que M. le professeur
Cirbied paraît s'être proposé dans l'ouvrage qu'il annonce.
Rien de plus curieux
,
de plus intéressant que
l'esquisse légère qu'il trace de ce tableau immense
qu il a exécuté. ' - iv
Il n est point étonnant que ce soit spécialement dans
les fastes de l 'Arménie que I on trouve le plus de détails
et de renseignemens sur l'histoire générale de l'Asie.
l'Arménie autrefois fut pour l'univers, comme la Colchide
pour les princes grecs ,
le champ de gloire où les
plus grands héros de l'antiquité sont allés moissonner
des lauriers. Tous ces noms fameux dont le génie anime
et embellit l'histoire ancienne, ornent aussi les pages de
l'histoire particulière d'Arménie. On voit alternativement
présider à ses destins les Bélus, les Séiniramis
,
les
Sésostris
,
les Cyrus, les Alexandre
,
les Antiochus, les
Mithridate
,
les Annibal, les Lucullus
,
les Antoine, les
Pompée, les Julien, jusqu'aux Tartares Ginghiz-Khan
. et Tamerlan.
L'Arménie n'a pu servir de théâtre à tant de scènes
tragiques sans que les diverses nations de l'Asie y aient
joué des rôles différens. Son histoire doit donc nécessairement
nous donner des notions sur les anciens peuples'
orientaux
, sur l'Assyrie, les Medes
,
les Babyloniens,
les Géorgiens, les Perses, les Parthes
,
les Scythes, etc.,
sur leurs moeurs ,
leurs usages, leurs lois et leur religion.
Ainsi dans le tableau particulier de l'Arménie nous devons
trouver le tableau eu raccourci de l'Asie entière. Pour
être plus fortement persuadé de cette vérité, il suffit de
lire la table analytique ;de l'ouvrage annoncé. Dans un
cadre assez resserré et habilement tracé, l'auteur a
réuni unemultitude des faits liés entr'eux parune chaîne
chronologique qui tient par le premier anneau au berceau
du genres humain et s'étend de là jusqu'à nos
jours.
-
En général l'élude de l'histoire est incomplète et peu
satisfaisante quand on n'a, pas connaissance des lieux
où les événemens énoncés se sont passés. C'est ce qui
a déterminé M. Cirbied, après avoir donné dans la.
première partie de son ouvrage une description generate
de l état politique, littéraire, religieux et commercial
de sa patrie, à donner dans la seconde partie une
description géographique de ce pays jusqu alors peu
connu en Europe.
Enfin si un ouvrage par sa nouveauté, par la variété
des matières, la curiosité et l utilité mérite les suffrages
du public, M. Cirbied doit être assuré que le sien est
digne du plus brillant succès.
PASSAGES extraits du Tableau général de 1 Arménie,
Liv. X, ch. 12, sur l'entrée des Tatorx en Arménie.
APRÈS la mort du sulthan Djelaleddyn et sous le
règne de Rouzouthan, reine de la Géorgie, les T artares
s'avancèrent vers la partie occidentale de F Asie, du
côté de la grande Arménie. Oukhata ou Hokata-Ghaïan
Khan / surnommé Saïn (c'est-à-dire bon), fils aîné de
Genghis Khan, y envoya des armées nombreuses sous le
commandement général de Tcharmaghan ou Tcharma-
Khan
, avec deuxintendans généraux, Bénal Nouïn (1)
et Moular Nouïn, et avec quinze généraux particuliers,
savoir: Ghadaghan, Tchaghatha, Thoughatha, Sanita,
Tchola, Assoutou
,
Batchou Toutou, Assar ou Aslan,
Okota, Khoïa%, Khouroumgi
,
Khounan, Khouttou et
Gharabougha. Ces chefs, à la tête de leurs troupes ,
inondèrent rapidement le Schirvan, toute la grande Arménie
et la Géorgie. Ils avaient ordre -d'épargner tous
ceux qui se soumettraient sans résistance à F empire des
(1) Nouïn, mot tartare qui signifie Prince ou Seigneur. Avec la
particule ian qui s'emploie dans le même seus eu arménien comme
en tartare, écrit de cette manière Nouvian ou Nouïan signifie fils de
Prince. Voyez M. Langlès
,
Instituts de Timour, traduits du Persan
,
pag. 173
, 174 et 389. Ciamcian
, tom. 3, p. 204.
Tartares, et de se contenter alors de la conquête de
leur pays ,
et d enlever leur argent; mais de impitoyablement massacrer ou d araser sous les ruines de leurs
maisons tous ceux qui voudraient leur résister.
L'historien Ghiragos de Cantzag, ou Ghengé, donne
des détails assez curieux sur ces conquérans avec lesquels
il a eu des relations pendant long-tems. a Ces
bar bares, dit cet auteur, avaient presque tous une
» figure hideuse
,
la tête grosse , peu ou point de
barb e au menton, les yeux petits et enfoncés, mais
« vifs et perçans ,
le nez écrasé et court, la taille mince,
« les pieds petits, la voix aigre. Ils parvenaient ordi-
» nairement à une vieillesse très-avancée. Il mangeaient
» tout ce qu'ils trouvaient, beaucoup s'ils avaient beau-
» coup; mais quand ils navaient rien à: manger, ils
» passaient aisément plusieurs jours sans prendre de
» nourriture. Leur mets favori était la chair de cheval
« qu ils faisaient cuire sans sel ; ensuite ils la coupaient
» par petits morceaux, la trempaient dans l'eau salée
» préparée exprès; puis ils la mangeaient sans pain.
» Pendant les repas on ne faisait pas dç distinction
» entre le maître et les valets
,
les portions fuient toutes
» égales. Celui qui présentait à manger ou à boire,
» goûtait d abord de ce qu 'il offrait ; après quoi les autres
» mangeaient et buvaient.
,
» Ils portaient tous une marque distinctive sur le
» corps. Lorsqu'on avait imprimé ce signe sur quel-
» que étranger, il était regardé comme noble (2) '; il
» n 'é ait plus permis de l'insulter, quand même il eût
» été d'une religion différente. La religion des Tartares
» était un amalgame bizarre de vérités et d'erreurs. Ils
Langlès, dans ses Notes sur tes Instituts de Timour
p. ,
(2)
* au mot Tamgha.
n prononçaient souvent le nom de Dieu et ne savaient
)i pas l'honorer. Quand quelqu'un mourait, on faisait
M brûler une partie de, son corps, on enterrait l'autre
)i avec les armes et les objets précieux du défunt. Si le
» mort avait été un grand personnage , on l'enterrait
» avec ses domestiques mâles et femelles, tout vivant,
« pour le servir dans l'autre vie. On l'enterrait souvent
M avec son cheval aussi
,• parce qu'ils supposaient qu 'on
» avait des guerres à soutenir dans l'autre monde.
)) C'était, selon eux, une oeuvre très-méritoire en F hon-
» neurdes morts de fendre le ventre d'un cheval vivant,
J) d'en arracher la chair, de la faire cuire et de la
n manger. On jetait au feu tout ce qui se trouvait dans
» le reste du corps, et on exposait la peau de l 'animal
» au bout d'une perche placée dans un lieu fort élevé,
» pour être vue de' tout côté. Leurs1 femmes étaient
» adonnées à la magie: leur passe- tems le plus agréable,,
» c'était d'imaginer différens genres d'enchantement.
» Les Tartares n'avaient d'autre coiffure qu'un bonnet
n pointu : ils parlaient la mème langue que les Turcs.
» Ils nommaient Dieu, Tanghri; le roi, melik ; le frère,
» agha; la soeur, aghagi; le mari, éré; la femme, émé;
» la mer ,
danghez ; l'eau, sou; le vin, darassou; le
M fleuve, oulansou ; le pain, otmak ou etmak; l'aigle
,
» ghousch ; le pigeon, koghergïn; le mouton, ghoina;
» l'agneau
,
ghouzan; la barbe
,
saghkhal; le visage
, uz ;
» le noir, ghara; la loi, yassakh; etc. (3}. »
'On a supposé, sur de vains fondemens
, que les Tartares
pendant leur séjour dans ces contrées avaient entre-
(3) Ciam., tom. 3
, p. 2o5 et suiv. Le fameux Code Gengis-
Khan se nommait Yaçac ou Yaça. Voyez les fragmens de ce Code
recueillis et publiés par M. Langlès
,
dans le vol. des Notices et
extraits des manuscrits de la Bibliothèque impériale, p. 192, 229.
tenu des correspondancessuivies avec la Cour de Rome,
et qu'ils étaient véritablement chrétiens. Quelques khans
et un certain nombre d autres personnes embrassèrent
la religion de l 'Evan.gite, et ce changement s'opéra le
plus souvent par le zèle des femmes syriennes, arméniennes
et géorgiennes que les Tartares avaient épousées.
Il est vrai qu alors ils s'attachaient davantage aux
Chrétiens qu'aux Mahométans.
Ces conquérans se réunirent d'abord dans la plaine
dp Moughan
, en Albanie, sous le commandement général
de T charma Khan. Les quinze généraux nommés
plus haut tirèrent au sort les provinces de la grande
Arménie et de la Géorgie. Puis ils envoyèrent des espions
pour connaître la position des lieux et les dispositions
des habitans. Ensuite ils se dispersèrent de côté
et d'autre, exerçant par-tout de grands ravages; mais
aussi ils éprouvèrent par-tout une vigoureuse résistance.
LANGUE ESPAGNOLE.
Coup-d'oeil sur la Littérature Espagnole, tant ancienne
que moderne.
( Lettre au Rédacteur. )
Paris, i5 octobre 1813.
MoNsiEuR
, vous me faites l'honneur de m'offrir un peu
de place dans votre Journal, et vous m'invitez à vous
p.arler de la littérature espagnole. Mon désir est de vous
satisfaire j mais la chose n est pas absolument facile. Il
faut que je consulte beaucoup ma mémoire qui doit faire
tous les frais ; car les livres dont l'aurais besoin ne se
trouvent pas facilement à Paris. Cependant vous avez
piqué mou amour-propre ; d'ailleurs j'acquitterai avec plaisir
une delte de reconnaissance, en essayant quelquefois
de traduire ces auteurs que j'ai eu tant de plaisir à lire,
et dont nos faiseurs actuels n 'écrivent jamais le nom sans
le défigurer. En vérité
,
Monsieur, ne serait-il pas conv.
enable, qu'avant de juger ou de mépriser une littérature
étrangère
, on se donnât la peine de la connaître? Depuis
l'avocat Liiiguet, de sophistique mémoire, jusqu'à ce
bon Cailhava qui se mêlait d'assigner les rangs sur le
Parnasse espagnol, sans autre donnée qu'une prétendue
analogie entre le patois de sa province et la langue, de
Garcilaso, je ne trouve qu'un.e série de jugenaens
ridicules, de bévues et d 'anachronismes
,
dans tout ce qui
a. été dit sur l'Espagne littéraire. M. Bourgoing est peutêtre
le seul qui mérite une exception. Il avait séjourné
quelque tems à Madrid, et tâché d'observer les hommes
et les choses du pays qu'il habitait. Il est il désirer que
M. Alex. de la B.... puisse corriger, dans une troisième
édition
,
les inexactitudes qu'on trouve dans son Itinéraire
dont l'Introduction fait honneur à son talent et à
son caractère. Mais une description générale de l'Espagne
demande pins de soins et de connaissances positives des que voyages rapides ne permettent d'en acquérir.
Quant à moi, Monsieur, une longue résidence au-delà
des Pyrénéen m'a du moins rendu assez familière la langue
qu'on y parle. Mon goût et mes relations m'ont porté à
étudier l'histoire du pays et les livres qu'il possède : vous
pouvez compter sur une grande exactitude dans ce que
j 'aurai I honneur de vous en dire.
Et d abord
,
il n est peut-être pas inutile de poser en principe
,
qu'à cette époque mémorable où Léon X accor- dait une protection
,
devenue le plus beau titre de gloire
de sa famille, aux lettres abandonnées pendant une longue
suite de siècles, les Espagnols les cultivèrent avec plus
d'ardeur et de succès que les autres nations civilisées de
l'Europe.
Ce qui manque de régularité aux productions des Muses
castillannes est souvent compensé par la vivacité de l'esprit,
la richesse de l'imagination et la pompe du langage
poétique. Corneille trouva le Cid dans cette mine aujourd'hui
si négligée j Molière y découvrit plus d'une fois
son bien qu'il aimait à reprendre ; et je ne voudrais pas affirmer la légitimité de ce fameux Gilblas dont !e costume
et la physionomie trahissent l'origine étrangère.
Louis de Léon, Herrera, surnommé le Divin, F/gi/eroa,
Villegas
, ont excellé dans le grnre lyrique, et dans la
poésie légère.
Ereilla
,
Lope de Vega ont écrit des épopées où
,
à côté
des plus grands défauts
,
brillent desbeiulés du premier
ordre, et sur-tout des peintures admirables.
Villa Viciosa , et ce même Lope de Vega, célèbre par
sa fécondité
, nous ont laissé deux poèmes héroï-comiques
( la Guerre des mouches et la Guerre des chats ), qui n'ont
été surpass 's chez aucune nation.
Hernandez de Velasco enrichit sa langue d'une traduction
o en vers de l'Enéïde. Jean de Jauregui fit passer
danscette même langue toutes les gentillesses de l'Aminta
du Tasse. Iriarte et Samaniego ont composé fables :
le premier n'a pas moins d'esprit que La Mothej le second
rappelle quelquefois le bon La Fontaine.
Je vous fais grâce d'une foule de noms distingués qui
n'ont jamais été prononcés en France ) et je passe aux
historiens.
Du sein de l'obscurité du moyen âge de l?'Europe, a^
travers une foule de mémoires et de chroniques qui abondent
en Espagne plus que par-tout ailleurs, s'élève un
monument régulier qui est l'histoire du jésuite Mariana.
Cet ouvrage est remarquable par l'immensité du travail el
la beauté du style qui a cependant un peu vieilli. Il fat
d'abord écrit en latin, et l'auteur, à ce que je crois, le
traduisit ensuite lui-même en espagnol. Jerome Zuriia
publia les Annales de l'Aragon, vaste recueil d'érudition
et de faits historiques, dans lequel tous les peuples méridionaux
civilisés doivent chercher leur origine et leurs
titres. Antoine de Solis , panégyriste de Fernand Gortez,
a souvent la chaleur et la rapidité de l'historien de
Charles XII ; mais on peut lui reprocher, ainsi qu à Voltaire,
d'avoir nu peu trop arrondi les formes de son héros-,
Hurtado de Mendoze, en écrivant la Guerre des Maures
de Grenade dont il fut témoin
,
acquit et justifia le surnom
de Tacite espagnol.
Le grand succès de l'Histoire de Charles V, qu une
plume élégante a pour ainsi dire naturalisée parmi nous,
n'a pas diminué le mérite de l'évêque Sandopal, à qui
nous devons une histoire particulière de ce monarque.
Le docteur anglais
,
toujours occupé de masses et de grands
tableaux, nous a privés d'une foule de détails precieux
qu'on aime à retrouver dans la vie des hommes célèbres.
Sandoval nous fait mieux connaître les moeurs et le caractère
de ces fiers Castillans, que le petit-fils d Isabelle
voulut assujétir aux formes allemandes, et dont la résistance,
punie par le dernier supplice
,
excite encore aujourd'hui
l'intérêt de leurs compatriotes. La touche de Robertson
est plus mâle et plus philosophique sans doute, mais son
livre,fait en Angleferre ,parut vers la fin du dix-huitième
Siècle
, et e prélat espagnol écrivit sous le regard çant de Philipe II qui, mena- sur des soupçons équivoques,
précipita un archevêque de Tolede (l) dans les cachots du
Saint - Office
bourreaux. Pl,aceét dlaivnrsa son propre fils à la hache des cette position difficile
,
l'évêque de
Pampelune ne trahit point les devoirs d'un historien
lidelle ; il n omet aucune des circonstances qui peuverit fixer 1 opinion de la postérité sur l'insurrection des com'- munes, appelée la sainte ligue, et jette même, à la dérobée
quelques fleurs sur la tombe des martyrs de là cause populaire. Ce trait de courage vaut bien les déclamations
des écrivains modernes qui bravèrent, sans danger, des
souverains dont ils ne redoutaient point la colère (2). Antoine Herrera, qu'on cite beaucoup sans l'avoir lu
fut 1 auteur d une Histoire de la découverte de l'Amérique., Robertson ne dédaigna point de puiser dans celle source. -Le style manque d'art et de précision ; mais on aime la
sagesse et la probité de l'auteur. Sa manière a quelque ressemblance avec celle de Plutarque : ses tableaux sont
e a p lus grande vérité. La morale est toujours en action. Il écrivait à la fin du seizième siècle (3).
La science de la législation, la politique, l'économiè
publique out été en honneur chez les Espagnols avant que la France et 1 Angleterre songeassent à s'en occuper. Les
(1) Barthelemi Carranza.
(2) Voltaire n'en eut pas été quitte avec Philippe Il, pour lui
renvoyer sa clef de chambellau ; et Raynal n'eût pas été invité à
souper chez le grand inquisiteur, le soir du jour où son livre eût été
mis sur le tableau de réprobation du saint office.
^
(3) On a publié, il y a dix ans , un Recueil de dissertations historiques
et politiques de cet auteur; elles furent trouvées parmi les
papiers de sa famille dans l'archive des marquis de San-Felices
,

je les ai vues, avec une épitaphe écrite de la main d'Herrera , et
destinée à être mise sur son tombeau.
Codes de la Castille et de l'Aragon remontent à la plus
baille ancienneté parmi les peuples modernes. Les Essaii
politiques de Solorzano et de Saavedra méritaient d'être
consultés par Moniesquieu. On est surpris de voir le
nombre prodigieux d'écrivains castillans qui ont traité les
matières d'admnistration publique. Leurs ouvrages, dictés
par le désir du bien
,
sont d'une simplicité touchante
,
libres de toute espèce de système et d'esprit de parti Vers
la fin du siècle dernier, Campornanès et Jovellanos ont
excité une juste admiration. Le Rapport sur la loi agraire
de ce dernier est un modèle de sagesse et de véritable
éloquence.
Les théologiens, les auteurs mystiques,parmi lesquels
j'indique seulement Fr.-Louis de Grenade et le père Yepes,
composeraient seuls une vaste bibliothèque. On sait que
les prélats espagnols eurent la plus grande influence au
Concile de Trente et firent admirer leur doctrine.
Tous les bons ouvrages de l'antiquité grecque et latine
furent traduits dans le 16e et 17e siècles.
Il ne manque donc à l'Espagne que des philosophes ,
dans le sens attaché à ce mot, depuis une certaine époque.
Il ne serait pas difficile d'en expliquer le motif; mais qu'il
serait imprudent de supposer que les écrits de Voltaire,
J. J. Rousseau, Diderot, Helvétius et de tous les auteurs
de cette école n'ont jamais franchi la limite des Pyrénées
! Je me hâte de revenir à la littérature proprement
dite.
J'ai oublié de nommer Garcilaso parmi les premiers
poëtes de sa nation. Il naquit en i5o3. Moissonné par
la guerre à l'âge de trente-trois ans ,
c'est au milieu du
tumulte des armes qu'il écrivit cette belle églogue
,
digne
de Théocrite et de Virgile, dont trois siècles ont assuré
le mérite, et que l'inconstance de la mode, en fait de
langue, comme en toute autre chose, a inviolablement
respectée. Que ne devait-on pas attendre de ce jeune
guerrier s'il n'eût pas été enlevé à la littérature par une
mort si prématurée ?
Aucune nation n'a produit autant de poëtes ni d'écrivains
aussi féconds que les comiques Espagnols. Moreto
Solis, Rojcas ,
,
Lopede Vega et Calderon ont fait plus de
pièces de théâtre que n'en contiennent tous les répertoires
des autres nations. Toutes ces pièces sont écrites en vers. La prose est exclue de la scène au-delà des Pyrénées : il
D'y a qu'un seul ouvrage dramatique moderne qui fasse
exception à la règle : c'est le Delinquente honrado, ou le
Crime de l 'honneur, de M. Jovellanos. Celle intarissable
fécondité n'a pas manqué de nuire beaucoup à la perfection
du genre. Cependant l'anatheme de Boileau n'est pas tout à fait sans réplique : j'en demande pardon à l'ombre
de ce législateur du Parnasse. Lorsqu'un peuple doué de
toutes les qualités de l'esprit et d'une imagination pas- sionnée, fruits heureux d 'un soleil aussi brillant que celui
de la.Grèce, a consacré par un plaisir constamment éprouvé
à la lecture et à la représentation
,
le succès d'un ouvrage quelconque, qui oserait affirmer que.ce peuple s'est tou- jours trompé
, et lui opposer des règles qui n'ont pas été
les siennes ? N'est-il pas du moins juste de penser que
ces productions si défectueuses aux yeux des sévères par- tisans des trois unités, renferment des beautés indépendantes,
des peintures, des situations qui excusent l'enthousiasme
de ceux qui les applaudissent ?
Quand on ne peut juger le théâtre espagnol que par celui de Linguet, ou par les traductions écourjées, les
citations infidelleg et mal choisies d'autres compilateurs
non moins superficiels, peut-on avoir le droit d'énoncer
une opinion ?
Vous remarquerez une espèce de lacune dans l'histoire
de la littérature de nos voisins. Depuis le commencement
du 16e siècle jusque vers le milieu du 17e, sons tes règnes
orageux de Ferdinand et de Charles V, les arts et les
belles-litres fleurirent en Espagne. Philippe II recueillit
l 'héritage des talens formés à l'école de son père et de son bisaïeul, mais il ne les encouragea pas; et l'inquisition
définitivementorganisée , par ce monarque, produisit l'effet
qu'on devait en attendre
,
et que, sans doute, il en attendait
lui-même. Elle enchaîna la pensée La théologie,
qui fut la seule profession utile et honorée, absorba toutes
les facultés de l'esprit.... Les Muses profanes s'éloignèrent
à l'aspect des redoutables docteurs de Salamanque et
d'Aleala. Philippe III ne songea point à les rappeler.
L'ignorance et le mauvais goût jetèrent de profondes
racines.
Philippe IV aima passionnément la comédie, et Calderon
ne tarda pas à paraître. Ce génie extraordinaire;
réveilla l'imagination de ses compatriotes; mais il ne put
créer et perfectionner à la fois : il finit par retomber dans
la théologie qu'il voulut transporter sur le théâtre. Charles rI
n'est connu que par son dernier testament. Philippe V
employa quatorze années à disputer sa couronne, et le
reste de sa vie à lutter contre les intrigues de ses confesseurs,
ou les accès d'une infirmité morale qui le rendit
incapable de régner. Enfin Charles III, passant du trône
de Naples qu'il avait conquis
,
à celui de Castille que son
frère Ferdinand n'avait pas illustré, ranima les talens et
les arts. Les progrès rapides et universels de ia Fiance
et de l'Angleterre
,
pendant le sommeil de l'Espagne
, s'étendirent chez celle nalion el la tirèrent dela profonde
apathie où elle était plongée. Le bon goût
,
lu saine critique
trouvèrent des partisans. Cette heureuse révolution
est marquée par tous les écrits qui parurent à celte époque.
Ci oiriez-vous que le signal fut donné par des moines ?
Feijoò
,
Sarmiento combattirent les préjugés et l'ignorance.
Un infant d'Espagne s'honora d'être l'interprète de Salluste.
L'astronomie et l'histoire naturelle ne furent plus négligées.
Les noms de Ulloa, de Georges Juan furent cités
à côté de ceux de Bouguer et de la Condamine. Clavijo
Faxardo traduisit Buffon et conserva toutes les beautés du
stvle de son modèle. Huerta, auteur de la tragédie de
Rachel et d'une traduction de Zaïre
,
le moine Gonzalez,
fameux par sa poétique invective contre la chaîne souris j
Cienfuegos
,
Ayala, connus par des tragédies régulières et
noblement écrites; Cadalso
,
dont le talent et la mort glorieuse
, au siège de Gibraltar, rappellent le souvenir de
Garcilaso ; quelques autres encore, rétablirent le culte de
la poésie.
Et, dans ce moment de guerre et d'alarmes
,
la France
peut se glorifier d'avoir offert un asyle à une foule d'hommes
distingués. Je ne veux nommer ici que Melendez,
cet heureux rival du chantre d'Eléonore, aujourd'hui
Conseiller-d'Etat de S. M. C. ; Moratin, qui a la gloire
d'avoir créé, dans son pays, la bonne comédie ; Joseph
A. Conde, traducteur d'Anacréon t et l'un des plus savans
Orientalistes de l'Europe ; qui font renaître les plus beaux
jours de leur ancienne gloire nationale, et qui ne redouteraient
aucune comparaison avec les écrivains les plus
renommés des autres parties de l'Europe.
Vous voyez donc
,
Monsieur, que la matière est riche.
Je pourrai donner quelques développemens à cette esquisse
rapide. Je me garderai bien de prononcer d'une manière
absolue et tranchante sur le mérite respectif des auteurs
espagnols qui ne sont pas même exactement classifiés
parmi leurs compatriotes : je me contenterai de vous fournir,
de tems en tems ,
des échantillons de leur manière ;
cela peut exciter la curiosité de quelques lecteurs capables
d'entreprendre l'étude d'une littérature ignorée, et qui
mérite d'être connue autant par les richesses qu'elle possède
que par les services qu'elle a rendus à la nôtre.
J'espère que vous me saurez gré de n'avoir pas seulement
cité Cer-vantes dans celte nomenclature. Je ne
veux pas abuser de tous mes avantages ; et ,
d'ailleurs
, quel est le français
,
même le plus modeste, qui ne croye
l'avoir lu ?
J'ai l'honneur de vous saluer. ESMÉNARD.
POÉSIE ESPAGNOLE.
AL VIENTO. —Oda.
VEN
,
plácido favonio;
Y agradable recrea
Con soplo regalado
Mi lánguida cabeza.
Ven
,
ó vital aliento
Del año, de la bella
Aurora nuncio, esposo
Del alma Primavera,
Ven ya: y entre las flores
Que tu llegada esperan.
Ledo susurra y vaga ;
Y enamorado juega.
Empápate en su seno
De aromas y de esencias ; y adula mis sentidos
Solícito con ellas.
O de este sauz pomposo
Bate las hojas frescas
Al ímpetu süave
De tu ala lisonjera.
Luego á mi amable lira
Mas bullicioso llega ;
Y mil letrillas toca
Meciéndote en sus cuerdas.
No tardes
, no ; que crece
Del crudo Sol la fuerza
Y el ánimo desmaya
Si tú el favor le niegas.
Limpia, oficioso
,
limpia
Con cariñosa diestra
Mi ardiente sien; y en torno
Con raudo giro vuela.
Yo regaré tus plumas
Con el alegre néctar
Que da la vid, cantando
Mi alivio y tu clemencia.
Así el Abril te ria
Contino así las tiernas
Violas quando pases
Te besen halagüeñas.
Así el rocio corra
Qual lluvia por tu huella j
Y en globos cristalinos
Las rosas te lo ofrezcan.
Y así quando en mi lira
Soplares
, yo sobre ella
A remedar me anime
Tus silbos y tus quejas.
Traduction.
LE ZÉPHIRE.—Ode par M. Melendez (i).
VIENS aimable Zéphire: que ta douce fraîcheur ranime esprits languissans.Viens, mes toi qui donnes la vie à la nature, messager de la brillante aurore ,
époux de la déesse des fleurs ; viens
,
dans
ces jardins qui t'appellent, promener ta course amoureuse , et faire
•entendre ton agréable murmure.
(1) M. Jean Antoine Melendez Valdés est un littérateur du
premier rang. Il a publié trois volumes de poésies.
La gravité de ses fonctions de magistrat qu'il a dignement
exercées, le caractère éminent dont il est aujourd'hui revêtu, sa
modestie sur - tout l'empêche, dit-on
,
de donner au public une
foule de productions dignes de figurer à la suite de ces premiers
volumes.
Cette ode est la 24e du l*r tome de ses oeuvres, édition de
Valladolid, 1797.
La langue française est un instrument bien faible pour rendre la
grâce et l'harmonie des poésies lyriques et érotiques de cet auteur.
Ses épîtres sont des modèles d' élégance, et respirent la plus douce
philosophie. Sa comédi- des Noces de Gamache n' est considérée eue
comme une espèce de pa 'orale ou d'églogne Ainsi classifiée, elle
esl pleine de beautés. On fait moins de c .s de ses poèmes serieux.
Mais M. Melendez peut être satisfait de la part de g loire qui lui
est acquise Sa réputation est irrévocablement fixée. L est le chef
et le modèle de la poésie modeL e en Espagne. Le mérite de ses
ouvrages et la noblesse de son caractère
, ne peuvent être l'objet
d'une contradiction parmi ses compatriotes.
Viens chargé de mille parfums ; fais moi respirer voluptueusement
ton haleine embaumée : communique un doux frémissement au
feuillage de ce saule touffu : voltige autour de ma tête
,
balance toi
sur les cordes de ma lyre, et prête lui des sons harmonieux.
Viens, déjà l'astre du jour est au milieu de sa course. Je succombe
à la force de la chaleur : ah ! je t'appelle à mon secours, que ton
-aile officieuse essuye mon front humide et brûlant! je vais faire
couler, en ton honneur, le nectar joyeux de la vigne; je vais
célébrer tes bienfaits et ma nouvelle existence.
Viens, Zéphire ; que la tendre violette te.prodigue les baisers à
ton passage dans la prairie! que la rosée, comme une pluie légère,
suive tes traces ! que la rose t'en offre l'hommage, en globules de
cristal, qui brillent sur sa feuille entr'ouverte !
Et moi
,
lorsque tu feras tressaillir les cordes de ma lyre
,
puisséje
en tirer des sons aussi doux. que ton souffle et tes murmures
délicieux.
LANGUE ITALIENNE.
PIGMALIONE POEMETTO.-Pigmalion, petit poëme.
M.EvasioLeone, poëte vivant, a fait paraître en 1812,
à Plaisance, trois volumes de ses oeuvres. Elles se composent
de traductions en vers du Cantique des Cantiques
,
et des Lamentations de Jérémie; de quelques
poëmes faits pour diverses circonstances particulières
, telles que mariages et naissances de personnes titrées,
d'Eloges en prose, etc. J'ai cru devoir m'occuper seulement
du petit poëme de Pigmalion, parce que parmi
les compositions originales, elle offre un intérêt plus
général que les autres.
Le poète, ayant à raconter un miracle opéré par la
bienfaisance de l'Amour, fait sentir d'abord à ceux qui
sont mal disposés envers ce Dieu, qu'il n'est pas cruel,
comme on l'a si souvent prétendu. Peut-être un prosateur
se serait-il borné à demander que l'on mît dans
la balance les bonnes :et les mauvaises actions du fils
de Vénus. M. Evasio Leone, fort du privilége de tout
oser, accordé aux poëtes depuis si long-tems, traite
de fables les reproches adressé. à l'Amour de se plaire
à faire verser des larmes.
« Che all' altrui pianto ei rida empio fanciullo
a Favole son »
Et pour convertir au culte du Dieu les ames rebelles,
il va leur raconter la grande et véritable histoire de
Pigmalion :
« Dans l'île couverte de forêts où la Déesse, fille de
)) l'onde, eut son premier temple, Pigmalion dédai-
» gnant l'hymenée, et roi d'un Etat fort borné, passait
« sa vie dans la félicité ; destinée que les Dieux n 'ac-
» cordent que rarement aux grands de la terre et aux
» monarques. »
En donnant ainsi à Pigmalion un royaume , on voit
que M. Evasio Leone a eu soin de lui ménager les
moyens de s'adonner à la culture des arts. En effet,
pour n'être pas mis au nombre des rois fainéans, et
dans la vue d'exercer ses talens merveilleux pour la
sculpture
,
le bon prince multipliait ses ouvrages ,
comme s'il eût dû en retirer sa subsistance. Alcide avec
Iole
,
Vénus pleurant sur le corps d'Adonis
,
l'enlèvement
d'Europe
,
l'aventure d'Actéon, où Diane se montra
si cruellement pudique ; son entrevue avec Endimion
où elle joua un rôle tout opposé ; tels étaient les sujets
que Pigmalion aimait à représenter; mais l'ouvrage
dont il voulait faire son chef-d'oeuvre, c'était la figure
d'une jeune fille.
Pour y parvenir il eut recours au moyen si connu ,
employé par le peintre Xeuxis ; il étudia les diverses
beautés de plusieurs femmes, avec le dessein de les rassembler
dans sa statue. Ici, le poëte adresse à une
dame de sa connaissance cette galante apostrophe :
c Ah s'ei
,
Kramer gentil
, te allor vedea,
::D
Qualche nuova belta forse apprendea. »
« Ah, charmante Kramer, s'il vous eût vue alors,
« peut-être eût-il eu connaissance de quelques nou-
» veaux charmes. »
Bientôt voilà Pigmalion devenu aussi fou que celui
de J. J. Rouseau. Il s'était orgueilleusement moqué des
amans infortunés, et Cupidon les venge. L'artiste-roi
adresse à l'ouvrage de ses mains les paroles les plus
passionnées. On en jugera par cette jolie strophe :
« Troppo di te minor
,
ben sotto
,
è un regno ,
» E un talamo regal, Dea del mio core ;
» Ma gì' immortali ancor non hanno a sdegno
» I voti tìi mortale adoratore:
» Che se al tuo lìi('. sul reco un core, un trono ,
» Quel che posso douar, tutto ti dono. H
« Je le sais, Déesse de mon coeur, un royaume et
» une couche royale sont trop indignes de toi ; mais
» les immortels ne dédaignent pas les voeux des mortels
» supplians. Si je ne mets à tes pieds qu'un coeur et un
» trône, tout ce que je peux te donner, je te le donne. » Alors arrive t époque de la fête de Vénus; cinq
strophes sont consacrées tant aux louanges de la Déesse
qu aux voeux de ceux et de celles qui l'invoquent. On peut
les H,re avec beaucoup de plaisir, même quand on connaît
la fameuse invocation de Lucrèce, à qui M. Evasio
Leone a eu le bon esprit d'emprunter plusieurs idées.
P igmalion ne manque pas de se trouver à une telle
solemnité ; mais son aspect fait assez connaître l.amour que le tourmente. Le poëte saisit cette occasion
d obseiver que la dignité royale ne peut le soustraire à
son mal, et qu 'uin simple berger est plus heureux que lui; petite moralité qui n'est là nullement déplacée.
L amant désolé adresse à la Déesse une fervente
prière. Il la conjure de lui donner une épouse qui
ressemble à sa statue. Dans le fond de son coeur il
voulait prier Vénus d'animer ce marbre, mais il ne l'osa pas.
« Dir voleva in suo cor, ma non l'ardio :
» Venere avviva il simulacro mio. »
Mais la Déesse sut entendre à demi-mot ; et, ce qu'il
y eut de plus avantageux pour Pigmalion
,
elle ne trouva point sa demande trop déplacée. Quatre vers délicieux font connaître le consentement qu'elle ac- corda aux voeux de cet amant passionné.
« Gli azzuri lumi, onde s'abbella il cielo ,
a Al Prence inchina. e fausto al voto audace
» L'arbitro degli Eterni amabil viso
» Lampeggiò del più bei d'ogni sorriso. »
(e Elle inclina vers le prince ces yeux azurés dont le
» ciel s'embellit; et, favorable à son voeu audacieux
,
M ce visage charmant, à qui les Dieux même rendent
« hommage, brilla du plus doux sourire. »
(Il convient d'avouer que, toute fidelle qu'est cette
version, elle est loin de rendre l'effet de l'original.
C'est sur-tout dans ces sortes de tableaux que la langue
italienne
, sous la plume d'un poëte habile, déploie la
grace qui lui est particulière. )
Des signes favorables achèvent de porter l'espérance
dans le sein de l'amoureux monarque ; et il se hâte de
se rendre près de sa statue.
L'Amour, entouré des Jeux
,
des Ris, des douces
brouilleries, des doux raccommodemens, en un mot
de tout son cortège ,
était alors près de sa mere, sur un
nuage dont la blancheur surpassait ce.lle de l'argent.
Vénus lui confie le soin d'assurer le bonheur de Pigmalion.
« Vas, lui dit-elle; que la statue sente la puissance
» de ton dard, et que ce miracle favorable fasse ta gloire
)i et la mienne. »
« Va
,
il tuo quadrel senta la statua, e sia
> Il portento gentil tua gloria e mia. »
Aussitôt il vole vers le palais, avec plus de rapidité
que l'aigle de Jupiter. «Au même instant (ajoute M.
Evasio Leone
,
dans un vers dont la concision mérite
d'être remarquée), il arrive, décoche son trait, et
frappe la statue. »
« Giùnger
, scoccar, colpir è un punto solo. J8
« La flèche traverse le marbre, et, chose mervcU-
» leuse ! ce coup lui communique la vie. »
« Passa la freccia il marmo , e alla ferita
» Compagna vien ( strano ad udir ! ) la vita. »
Le récit bien fait de la manière dont la statue s'anime,
offre ces deux beaux vers :
« Nascon le idee non ben distinte ancora ,
a Come in nubilo ciel dubbiosa aurora. »
« Les idées naissent, non encore bien distinctes, et
« telles que l'aurore douteuse apparaît dans un ciel
» nébuleux. »
Après s'être plu à tracer ces détails gracieux, le
poëte exprime par une ingénieuse comparaison la surprise
qui en Pigmalion se joint au ravissement. Il assimile
son étonnement à celui du laboureur qui, dans
une nuit d'été, voit jaillir du sein de la terre une flamme
soudaine.
Pour dissiper tous ses doutes, Pigmalion prend, avec
sagacité, le parti d'aller embrasser son amante nouvellement
parvenue à la vie. « Et tandis qu'il la serre
» dans ses bras, il sent un doux souffle, semblable au
» vent léger du mois de mai, il sent un soupir languis-
» sant sortir des lèvres qui prennent une couleur vern
meille. »
E mentre ei stringe,
» Simil di maggio a ventolin leggiero
» Un molle fiato, un sospirar languente
» Del labbro che s'imporporisce sente. a
Une description assez vive des transports des deux
amans est suivie d'une courte indication de la cérémonie
du mariage, et le poème se termine par ces deux
vers ,
à la fois poétiques
,
gracieux et pleins de convenance
:
(f Imen sorrise, e colla fronte china
i Chiuse verginità l'aurea cortina. »
«L'hymen sourit, et la virginité, les yeux baissés,
» ferme les magnifiques rideaux du lit nuptial. »
Tel est ce petit poëme dont l'auteur a fait preuve d'un
talent très-aimable. On voit qu'il n'a rien ajouté d 'important
à ce sujet si connu ,
et qu 'il s est sur-tout appliqué
à faire ressortir ce qu'il présentait de gracieux. On
doit le louer de ne s'être jamais permis aucun de ces
jeux d'esprit déplacés, de ces concetti dont on sait que
les plus illustres poëtes de son pays ne se sont pas toujours
défendus.
En louant son aptitude à peindre dans des vers doux
et pleins d'harmonie des scènes voluptueuses, je ne dois
pas oublier de faire connaître qn'il sait aussi s'élever
quand ses sujets l'exigent. Pamiles diverses preuves que
'j'en pourrais citer, je me contenterai d'indiquer une
Ode au baron dell' Aglio, officier supérieur dans les
armées de l'empereur d'Autriche. Une note apprend
qu'il la composa sur l'invitation du célèbre imprimeur
M. Bodoni, mari d'une cousine de ce militaire. En
voici la seconde strophe :
< Allor, che non poteò ne' figli tuoi,
» Ausonia
,
il patrio amor, l'amor di gloria ?
» A un magnanimo popolo d'Eroi
» Serviva la vittoria :
» Dal duro Scita agli ultimi Britanni
» Scioglea l'Aquila i vanni ;
» E al paventato voi mutola e doma
» S'incurvava la terra al piè di Roma.
« Alors, Ausonie, que ne pouvaient pas sur tes fils
» l'amour de la patrie et l'amour de la gloire? La vic-
» toire obéissait à un peuple magnanime de héros. Ton
)) aigle déployait ses ailes, des contrées du Scythe fa-
« rouche jusqu'à celles des Bretons, placés à l'extrémité
» du monde. Muette et soumise à l'aspect de son vol
» redoutable, la terre s'inclinait aux pieds de Rome. »
Une lettre, adressée à M. Evasio Leone par le cardinal
Brancadoro, archevêque-évêque d Orviette, apprend
aux lecteurs que ce poëte est professeur d'éloquence
dans l'Université de Fermo. Sa prose élégante
et nombreuse achève de prouver qu'il est très-digne
d'occuper cette place honorable. M. Evasio Leone doit
donc être considéré dans l'Europe savante comme un
de ces hommes recommandables qui soutiennent aujourd'hui
la gloire littéraire d'un pays où le génie des
arts a brillé d'un éclat impérissable.
R. J. DURDENT.
LANGUE ANGLAISE.
ON THE ORIGIN, NATURE, PROGRESS AND INFLUENCE Ot
CONSULAR ETABLISHMENTS ; by D. B. WARDEN
,
consul
generalofthe United States.ofAmerica at Paris
,
etc. - DE L'ORIGINE
,
DE LA NATURE
, DES PROGRÈS ET OS
L'INFLUENCE DES ETABLISSEMENS CONSULAIRES ; par D.
B. WARDEN
,
consul général des États-Unis d'Amérique
à Paris
,
etc. *
CET ouvrage que M. Warden vient de publier à Paris,
doit son origine au desir qu'a eu l'auteur « de signaler
n à son gouvernement quelques défauts du système
» consulaire des Etals-Unis. » Mais l'abondance des
matières se trouvant ici, comme il arrive toujours, en
raison des recherches et des connaissances positives de
l'écrivain
,
il en est résulté un livre que M. Warden caractérise
très-bien lorsqu'il dit: « Il peut offrir quelque
n instruction aux dgens diplomatiques, aux magistrats,
» aux gens de loi et aux commerçans ; il peut encore
» attacher, par la nouveauté, d'autres classes de lecteurs
» pour qui te sujet est d'une moindre importance. »
C'est là sans doute le moindre prix que M. Warden
puisse se proposer d'obtenir d un travail où la matière
est présentée sous tous ses aspects, et toujours traitée
avec autant de clarté que d exactitude. Un pareil ouvrage
se refuse nécessairement à une analyse détaillée;
mais nous croyons devoir indiquer les titres de quelquesuns
des chapitres. Ils suffiront pour prouver que l'auteur
a su voir son sujet de très-haut, et en embrasser tout
l'ensemble ; seule manière de composer des ouvrages
instructifs et durables.
Il commence par exposer les avantages commerciaux
des établissemens consulaires ; puis il passe à leurs
avantages politiques et économiques. Alors il trace un
excellent tableau des devoirs d'un consul commercial,
et des qualités qu'il doit posséder ; il soutient, avec
toute la force que donnent une saine logique et la certitude
d'avoir raison, qu'un consul ne doit pasfaire le
commerce; opinion qui ne peut guères être rejetée que
par les personnes intéressées à penser différemment.
Le chapitre intitulé Origine de la Juridiction consulaire,
est rempli d'érudition; et doit intéresser les lecteurs
les plus étrangers au commerce. L'auteur y examine
d'un coup-d'oeil rapide, mais sûr, ce que fut le
commerce parmi les principales nations de l'antiquité et
aux diverses époques de l'histoire moderne. Ses profondes
connaissances et ses immenses recherches sont
très-propres à lui concilier l'estime et la confiance;
mais ce morceau offre un autre mérite dont nous avons
été frappés. Jamais M. Warden ne perd son sujet de
vue ; et avec tant de moyens de s'en écarter, il n'a pas
voulu qu'une seule de ses phrases s'éloignât du but qu'il
se proposait. On doit lui savoir gré d'une telle méthode,
dans un tems où les divagations, et, si l'on peut s'exprimer
ainsi, le luxe d'érudition gâtent et dénaturent le
plus souvent des ouvrages d'ailleurs recommandables.
L'auteur, après avoir traité de quelques matières
d'administration relatives aux consulats, examine ensuite
,
chacun à part, les systèmes consulaires des
diverses nations commerçantes. Ces dissertations où
l'on reconnaît un publiciste qui n'a rien épargné pour
acquérir, sur tant de sujets, les notions les plus
exactes
,
sont terminées par une Notice sur les vies et
les ouvrages des consuls les plus distingués des différens
pays. Là, des noms français ont reçu et reçoivent encore
beaucoup d'illustration.Pour ne parler que des consuls
qui n'existent plus; on verra que la France a possédé
plus qu'aucun autre pays des hommes éclairés que leurs
fonctions n'ont pas empêchés d'enrichir leur pays, ainsi
que le monde savant et lettré, d'ouvrages justement estimés.
Le consulat français s'honorera toujours d'avoir
pu compter parmi ses membres
,
Chénier, auteur des
Recherches historiques sur les Maures
,
et père des deux
poëtes du même nom, Crevecoeur, à qui l'on doit les
Lettres d'un Cultivateur américain, etc.; d'Arvieux, de
Guignes, et même Savary et de Maillet, quoique la
véracité de l'un ait été révoquée en doute, et que l'esprit
systématique de l'autre lui ait souvent attiré les
censures des savans et les plaisanteries de ceux qui
s'amusent de tout.
Les autres nations, et principalement l'Angleterre
,
ont eu aussi des consuls distingués par leurs connaissances
,
et dont les écrits feront vivre honorablement
la mémoire. Il n'est pas surprenant que les Etats-Unis
d'Amérique, constitués depuis si peu de tems en corps
de nation, n'aient pas encore à citer beaucoup de consuls.
M. Warden toutefois ne pouvait oublierM. JoelBarlow,
auteur de plusieurs ouvrages ,
parmi lesquels son poëme
de la Colombiade a sur-tout contribué à la réputation
dont il jouit en Europe. Tous ceux qui liront le livre
de M. Warden reconnaîtront que si son nom est omis
dans cette liste d'hommesrecommandables, c'est qu'elle
a été dressée par lui-même ; mais ils sauront bien lui
rendre la justice qui lui est due, en suppléant à son
silence.
LANGUE HOLLANDAISE.
REVUE LITTÉRAIRE.
Het Bock Job, etc., c'est-à-dire, le Livre de Job, rais
en vers par Jean Meschert van Vollenhoven; à Amsterdam
j
chez J. W. Yntema
,
1812 j in-Bo de 121
pages.
La poésie sacrée est cultivée en Hollande avec une sorte
de prédilection. L'auteur de cette nouvelle traduction de
Job est honorablement connu sur le Parnasse batave. Elle
prouve que son talent ne vieillit pas avec lui. Richesse,
élégance, facilité la caractérisent, en même tems qu'elle
nous semble déparée par un peu de diffusion et de redites.
Nous avons cru remarquer aussi un peu d'anachronisme
dans la mesure de science qu'elle attribue à l'un des plus
étonnans poëtes de l'antiquité.
Muséum
y etc., c'est-à-dire, Muséum
, ou Recueil de pièces
relatives aux-beaùx arts et aux siences, par Mathieu
Siegenbeek, professeur d'éloquence et de littérature
hollandaise à l'Académie de Leyde ; à Harlem, chez
A. Loosjes
, Pz. 1812, in-8° de 233 pages.
Ce Recueil est une continuation de celui que M. Siegenbeek
a publié, en société avec M. Kantelaar, sous le
titre d:Euterpe. Il offre 1" un morceau curieux sur le coryphée
des grammairienshollandais Lambert Ten Kate
, par
M, le professeur Tollius • 2° une dissertation de M. Siegenbeek
sur Laurent de Médicis, principalement puisée
dans Roscoe ; 3° un Mémoire sur le Choeur des femm es
corinthiennes de la Médée d'Euripide
, par M. Ten Brink,
suivi de quelques fragmens de la traduction de cette tragédie
en vers hollandais, laquelle a paru depuis peu, et
fait également honneur au poêle et au philologue; 40 un
morceau sur Bossuet, par M. Siegenbeek, et 5° la traduction
en vers hollandais de l'épisode de Nisus et d'Euryalus,
de Virgile. L'érudition et le goût recommandent'
également ce Recueil et doivent en faire désirer la continuation.
De laalste Zeetogt, etc, c'est-à-dire
,
La dernière expédition
de l'AmiralRui/er, en 12 livres
, par A. Loosjes
Pz., à Harlem j chez l'Auteur; 1812, in-8a de 456
pages. w
Ce poëme historique en douze chants est d'un grand
intérêt national j ce qui, indépendammentde la réputation
littéraire de l'auteur, lui assure un succès distingué. Le
nom de Ruiter est comme sacré en Hollande : l'homme
et le héros sont également admirés
,
chéris en lui. M.
Loosjes ne pouvait donc choisir un sujet pins heureux.
Sa versification est abondante, facile; le vice du genre est
couvert par le mérite de l'exécution.
Nieuwe Prysverhandelingen , etc., c'est-à-dire
,
Nouveaux
Mémoires couronnés parla Société médicale d'Amsterdam
; tom. 1, part. 2 ; à Amsterdam
,
chez R. J. Berutrop
,
1812 ; in-BQ de 3io pages.
On trouve ici un Mémoire étendu et curieux sur l'amputation
, par MM. Reich et Loggef.
Natuur-kundige Verhandelingen, etc., c'est-à-dire, Mémoires
de Physique et d'Histoire naturelle, publiés par
la Société des sciences de Harlem; tom. VI, part. 1 ;
à Amsterdam, 1812; in-8° de 171 pages.
La Société avait désiré un travail étendu sur la fermentalion
du pain
, et M. L. A. Van Meerlen a parfaitement
répondu à son attente. Son savant Mémoire est suivi de
la description d'un écho singulier que l'on remarque à
Muiderberg près d'Amsterdam
, par M. J. Buys, et d'un
Catalogue des objets d'histoire naturelle et de curiosités
recueillis tant au cap de Bonne-Espérance qu'à Java, par MM. J. A. de Mist et S. H. Rose, et dont ils ont fait
hommage à la Société des sciences de Harlem.
De Hollandsche natie, etc., c'est-à-dire, La Nation hollandaise,
en six chants j par J. F. Helmers ; à Amsterdam
,
chez J. Allart, 1812 ; in-8° de XVIII et 192
pages.
Ce poëme a été le chant du cygne de son auteur, enlevé
à la littérature hollandaise
,
dont il était un des ornemens
les plus distingués
,
le 26 février dernier, dans la quarantecinquième
année de son âge. Il a du moins pu dire avec
Horace : Exegi monumentum. La moralité du peuple
hollandais
, ses héros de terre et de mer, sa navigation,
ses mérites dans la culture des sciences et dans celle des
arts j tels sont les sujets des six chants du poëme que nous
annonçons , et qui fait également honneur à la verve , au
talent et au patriotisme du poëte. \
Nagelatene Schriften
, etc. ,
c'est-à-dire
,
OEuvres posthumes
de Jérome Van Alphen
,
ex-trésorier-général
des Provinces-Unies, publiées par son fils D. F. Van
Alphen; à Utrecht, chez J. G. Van Terveen, l8l3 j
in-8° de XX et 141 pagés.
Feu M. Van-Alphen doit être compté parmi les polygraphes
hollandais les plus distingués. Des productions
Originales et des traductions multipliées, toutes marquées
au coin de l'utilité ou de l'édification
,
recommandent sa
mémoire. On lui doit un bon recueil de poésies sacrées.
TI a sn, comme poète
,
prendre l'essor le plus élevé de
l'ode, et s'accommoderà l'intelligence du premier âge. Zélé
partisan de la révélation évangélique
,
il aimait à la mettre
en rapport avec une raison éclairée et avec une philantropie
sans bornes. Les trois pièces que publie M. Van
Alphen fils
,
portent ce caractère. Elles sont intitulées 10
Un mot, pour l'esprit et le coeur , sur Jésus-Christ, sur le
christianisme et sur la philosophie ; 2" Démonstration que
les trois objets capitaux de l'humaine sagesse ,
Dieu
, l'homme et la nature, se réunissent dans un point central ;
3° Fragment d'un essai de théorie générale des sciences
sous le point de vue de la perfectibilité de l'homme
, et
sous celui du rapport de la religion et du christianisme.
De gronden myner geloofs-belydenis, etc., c'est-à-dire,
Les fondemens de ma profession defoi exposés à mes
enfans, par Jérôme Van Alphen; troisième édition j
à Utrecht
,
chen Van Ter \ een ,
1813; in-8° de 259
pages.
Le succès de cet ouvrage est constaté par la rapidité avec
laquelle se multiplient les éditions. Le nom seul de M. Van
Alphen est parmi ses compatriotes un gage de succès. Il
est rare de trouver si orthodoxe ( bien entendu dans le sens
de l'Eglise reformée ), un homme qui a tant réfléchi et qui
sait autant. Le caractère connu de M. Van Alphen garantissait
sa bonne foi.
Nieuwe Verhandelingen
, etc., c'est-à-dire
,
Nouveaux
Mémoires de la Société consacrés à la défense de la religion
chrétienne contre ses modernes agresseurs, t. 111 ;
à la Haye, chez Thierry etMensing, 1813; in-8° de
272 pages.
Ce volume offre un seul Mémoire du pasteur L. Valk,
dont l'objet est de prouver que tout ce que les systèmes
des philosophes
,
antérieurs ou postérieurs à J. C.
,
offrent
de meilleur sous le rapport d'une doctrine religieuse assortie
au bonheur de l'homme
, a été enseigné dans un plus
haut degré de perfection et sans aucun mélange d'erreurs
par J. C. et par ses apôtres.
Dieu, la providence
,
la religion et la vertu
,
la résipiscence
, une économie future de rétribution \ tels sont les
points sur lesquels roule tout l'ouvrage de M. Valk,
et qui lui servent successivement à établir sa thèse.
Nieuwe Prysverhandelingen, etc., c'est-à-dire
,
Suite du
Recueil des Mémoires couronnéspar la Société médicale
d"Amsterdam, tom. II, part. 1; à Amsterdam, chez
Berntrop
,
1813;
5 in-8° de J99 p. , avec fig.
Ce volume offre un Mémoire de M. Gottlieb Salomon,
médecin et professeur d'accouchemens à Leide, membre
de plusieurs Sociétés savantes
, sur l'utilité de la section
de la symphyse, et sur la préférence qu'en certains
cas elle mérite sur-la section césarienne.
Zeemans Woordenboek, etc., c'est-à-dire, Dictionnaire
de la Marine, ou Collection de mots et de termes tec hniques
hollandais, traduits en français et en anglais
l'usage des marins , et des employés.
Naval Dictionary, etc., par A. C. Twent, capitaine
de vaisseau
,
à Amsterdam
,
chez. P. Den Hengst et fils
l8l3 ,
,
in-8° de 192 pages.
Cyropédie
, etc., c'est-à-dire, laC'yropédie de Xénophon,
traduite du grec par Jean Tell Brink, tom. 1; à Amsterdam,
chez J. Ten Brink, g. z., 1813, in-8° de 331
pages.
Le savant auteur de cette traduction en annonce le 2*
volume pour la fin de la quatrième année; il y rendra
compte de son travail, ainsi que de l'original même auquel
il a consacré ses veilles. Sa traduction est accompagnée
de notes qui prouvent sa compétence pour l'entreprise
qu'il a formée. Cet ouvrage est une intéressante
acquisition pour la littérature hollandaise.
De Drfften, c'est-à-dire
,
Les Passions
, en six chants
, par
Henri-Armand Klyn; à la Haye
,
chez J. Allard, 1812 j
in-8°.
Poème égalament recommandable sous le rapport de la
conception et de l'exécution.— Le même auteur a publié
en 1809 un poème de l'Astronomie.
Vyftig Gezange.n, c'est-à-dire, Cinquante Cantiques, par
Jean Lublink le jeune ; à Utrecht, chez F. D. Zimmerman,
née Fortmeyer, 1813; in-8° de 131 pages.
La poésie sacrée
,
destinée
,
soit au culte public, soit à
la dévotion domestique, a été cultivée en Hollande avec
distinction par Camphuisen
,
Vollenhove , Lodeslcin ,
Jean-Eusèbe Voet, Schutte, Jérôme Van Alphen
,
Feith,
et elle n'a pas moins d'obligations à notre auteur, avantageusement
connu, soit par des productions originales,
soit par d'excellentes traductions, mais qui, au grand
regret de ses appréciateurs éclairés, n'est plus jeune que
de surnom.
LANGUE POLONAISE.
Fragment extrait d'une Histoire inédite de Pologne (t).
APRÈS avoir fait la paix avec l'Empire d'Occident ,
Boleslas pouvait enfin porter ses forces vers les frontières
orientales du royaume , attaquer les Russes et tirer sur
leur territoire vengeance de ces insultes par lesquelles ils
avaient si souvent provoqué les Polonais. Il avait rassemblé,
au mois de juillet 1018, l'armée polonaise
,
à laquelle
il joignit 5oo hommes de troupes hongroises, 1000Pieczyngowiens
(2)
, et 3oo hommes de troupes saxonnes que
l'Empereur Henri II s'était obligé de fournir par le dernier
traité. Il faisait manoeuvrer ces troupes en sa présence
,
afin de les accoutumer à agir de concert et à reprendre
leurs rangs sans confusion
,
quelques mouvemens
qu'elles eussent eu à exécuter. Il connaissait par leurs
noms tous ses généraux et même les officiers d'un rang
(1) Le Moniteur et le Journal de l'Empire des 3 et 4 avril 1802
9
ont annoncé qu'un savant français, M. Gley, de Gérarmé, département
des Vosges, travaillait depuis quelque tems à une Histoire
générale de Pologn6
,
de concert avec une commission que l'Académie
de Varsovie avait nommée pour continuer en polonais
l'Histoire de Naruscewitz. Les Annales des Voyages
,
de la Géographie
et de l'Histoire ( cahier 62
, p. 236 et suiv. ) ont fait connaître
le prospectus de cet ouvrage imprimé à Varsovie, et dans lequel
M. Gley développe le plan de cette grande, entreprise qui doit
venger l'histoire
,
de la compilation peu exacte et très-incomplète
publiée par Solignac. L'auteur ayant bien voulu nous communiquer
son manuscrit, nous en avons extrait le passage suivant, tiré du IIe
chapitre de son ouvrage , et qui appartient a la seconde période de
l'histoire de Pologne, c'est-à-dire, aux plus beaux momens de la
monarchie polonaise.
(2) Peuples Slaves qui habitaient les bords du Pont-Euxin, entre
l'embouchure du Dnieper et celui du Dniester.
inférieur. Siéciech
,
oyewode de Cracovae
,
nommé Hefman
ou major-général, recevait du prince les ordres
qu 'il communiquait aux chefs de l'armée. Boleslas se mit
en mouvement à la tête de ses troupes pour entrer sur le
territoire russe, et pour aller remettre Swientppelk, son gendre, en possession du duché deKiow, d'où Iaroslas
1 avait chassé. Celui-ci était occupé à pêcher à la ligne
dans le Dnieper, lorsqu'il reçut la nouvelle , que les Polonais
s 'avançaient vers le Bug ; abandonnant là son attirail
de pcche, il dit : MAllons, laissons un moment les poisn
sons en repos, de peur que l'ennemi ne vienne nous
» prendre nous-même à la l igne. » Ayant rassemblé les
Russes-W aregiens et les Slaves-Cisdniépriens; il vint prendre
position sur le Bug, qui servait alors de limite entre
les deux empires.
L'armée polonaise était au>si arrivée sur la rive gauche
de cette rivière. Quelques jours se passèrent en escarmouches
de la part des avant-posles, qui se lançaient des
pierres el dos flèches d'un bord de la rivière à l'autre. Un
conseiller d'Iaroslas, nommé Blud, se tenait sur la rive
drol ie du Bug, d'où il provoquait les Polonais et le Roi
lui-même
,
leur reprochant qu'ils n'avaient point le courage
de venir se mesurer avec leurs ennemis; il n'avait
pas honte de donner à Boleslas le nom d'un de nos animaux
domestiques, parce que le prince avait alors beaucoup
d 'embonpoint. Le Roi indigé, en entendant si souvent
les cris de cet homme barbare, donne ordre à ses
troupes de le suivre ; il se jette le premier dans la rivière
l'armée le suit. Les Russes coururent f aux armes en désordre
; Boleslas ne leur donna pas le tems de serrer leurs
rangs : on se battit dans leur camp pèle-mêle pendant
plusieurs heures; enfin ils prirent la fuite, abandonnant
le champ de balaille couvert de leurs morts; on les poursuivit
et on rassembla dans le camp un grand nombre de
prisonniers. Iaroslas eut une seconde fois le bonheur d'échapper
par la fuite, n'étant suivi que de quatre de ses
gardes ; de Kiow il se sauva jusqu'à Novograd. Boleslas
fit fortifier Brzesc sur le Bug, afin d'assurer ses communications
avec la Pologne.
De-là il marcha droit sur Kiow, s'emparant des places
qu'il rencontrail. Kiow
, celte ville alors si puissante
, est
située sur le Dnieper, qui ayant reçu à quelque distance
de là les eaux de la Dezna
,
coule avec impétuosité à travers
les terres des peuples Slaves, pour aller se perdre
dans la mer du Pont. Les anciens auteurs nomment Kiow
la rivale du sceptre de Constantinople, à raison de ses richesses
,
de son commerce et du grand nombre de ses
habitans, parmi lesquels on en trouvait de toutes les nations
de l'Europe orientale et de l'Asie occidentale. Sa
population s'était considérablement accrue par l'arrivée
d'un grand nombre de familles grecques qui, fuyant les
troubles qui agitaient tout l'empire d'Orient, étaient
venu chercher un asyle dans cette ville commerçante ,
alors l'entrepôt d'où la Grèce fournissait aux peuples barbares
les objets de son industrie, en recevant d'eux en
échange les produits de leurs troupeaux ,
de leurs forêts
et de leurs terres. Ces Grecs avaient rendu depuis peu
un service signalé à Kiow. Les Pieczyngowiens , ces peuples
barbares que Constantin Porphirogénète appelle Patzinaces
,
étaient venus tomber sur Kiow, qu'ils espéraient
prendre d'assaut. Les Grecs ranimèrent par leur exemple
le courage des autres habitans
, et les Pieczyngowiens
furent repoussés avec honte. Suivant le témoignage de
Ditmar, Kiow avait alors quatre cent églises
,
huit places
publiques
, et on DO connaissait pas le nombre de ses habitans
; la ville, selon d'antres auteurs contemporains,
avait huit mille de circonférence, ce qui paraît un peu
exagéré. Il est assez probable que Kiow a été bâti par les
Grecs Chyonites qui
, avant l'ère chrétienne, avaient des
relations de commerce avec les Scythes
,
et qui avaient
établi des colonies entre le Dnieper et le Danube. Il est
possible qu'ils ayent donné leur nom à la ville qu'ils fondèrent
et qui dans les annales saxonnes et hongroises est.
souvent appelée Chue, Chio, Chiow. Suivant Nestor, la
père de l histoire russe ,
Kiow a été fondée dans le neu- vième siècle
, par Kii, un chef slave qui vivait peu avant
Hurick 5 cette opinion ne s'accorde que difficilement
avec d 'autres faits qui appartiennent à l'histoire de cette
ville.
Arrivé devant Kiow, Boleslas fit investir la place par
terre et du côté du Dnieper, espérant pouvoir la forcer
par la famine
,
d autant ptus aisément que sa population
s 'était considérablement augmentée par l'arrivée des habilans
de la campagne qui, à l'approche de l'armée polonaise,
étaient venus y chercher tin asyle. Les habitans
para-issant disposés à tout souffrir plutôt que de se rendre Boleslas , ne pouvait, disent nos historiens, se décider à
Commander l' assaut, craignant qu'il ne pût contenir l 'ar- deur du soldat et qu'on ne détrutsît dans un jourles mo-
Bumeps des arts et des sciences
, que l'industrie des habitons
avait rassemblés pendant une longue suite de siècles
(tarns cette ville opulente.A la fin cependant, la résistancede-
s habitans l'aigrit tellement qu'il donna l*ordre d'attaquer.
On mit le feu aux faubourgs et la ville futemportée
après un léger combat. Boleslas s'avançait à cheval, précédé
de sa garde magnifiquement vêtue ; arrivé à la porte
d'Or, il lui donna un grand coup de son sabre, que depuis
ôn a appelé en langue slave Szezerbza(dent ou entaille),
parce que la lame se reeour-ba sous le coup. Pendant le»
tems de la monarchie polonaise, on con-servait ce sabre
avec un respect religieux, dans le trés-erroyal àCracovie;
on en ceignait celui qui avait été élu roi, pour l'avertir
qu'il devait être l'héritier du courage d-e Boleslas, comme
il était devenu son successeur; Le peuple en'Pologne
croyait fermement à une tradition pieuse
,
d'après laquelle
Boleslas devait avoir reçu ce sabre miraculeux de la main
des anges.
De la porte d'Or
,
Boleslas se rendit au monastère de
Sainte-Sophie, où il fut reçu par l'archevêque Anastase,
à la tête de son clergé
,
devant lequel on portait la croix
archiépiscopale et les reliques des saints qui reposaient
clans cette église. Le Roi trouva dans ce couvent, a l 'enceinte
duquel appartenait aussi, à ce qu'il paraît, la résidence
des Ducs
,
des trésors immenses qu'il partagea en
partie entre les chefs et les soldats de son armée ; il envoya
le reste en Pologne. Il fil sortir de ce couvent la
belle-mère et la femme de Iaroslas, ainsi que huit prin-r
cesses soeurs de ce prince ; il en épousa une, après avoir,
selon Ditmar, renvoyé sa quatrième épouse.
Ayant rendu à Swientopelk, son gendre, le gouvernement
de Kiow \ Boleslas congédia les troupes alliées ,
après leur avoir fait de riches présens. Il mit garnison
dans les places fortes
, pour assurèr ses communications
avec les frontières de Pologne, et donna à l'armée ses
quartiers d'hiver dans la ville et ses environs. De Kiow,
il envoya trois ambassades 5 la première à l'Empereur
d'Orient, pour lui offrir paix et amitié, pourvu que luimême
voulut se conduire en bon voisin ; si non, il le
menaçait de venir jusqu'à Constantinople
, pour y faire
sentir la pesanteur de son sabre. L'histoire ne dit point
quelle réponse il reçut. Il envoya l'abbé de Tynier vers
l'Empereur Henri Il, avec de riches présens pour le chef
de l'Empire Germanique et avec des ornemens précieux
pour l'église de Mersebourg.Enfin
,
il députa l'archevêque
de Kiow vers laroslas, pour l'inviter à lui renvoyer sa
fille, épouse de Swientopelk, s'offrant de rendre en échange
la mère
,
la femme et les soeurs du prince russe.
On ne sait pas quelle fut l'issue de cette troisième
mision ; ce qui est bien certain, c'est que Iaroslas,
découragé par ses malheurs, prit la résolution de
quitter secrètement Novograd et s'enfuit au-delà de la
mer; il voulait probablement demander des secours aux
Varèges. Les habitans, qui avaient découvert son dessein
, mil eut hors d'état les bateaux qu'il faisait préparer; ils
vinrent le trouver, le priant de ne point perdre courage
et de les conduire à l'ennemi. On convint qu'ils payeraient
un impôt sur leur bétail et sur leurs fourrures
, avec
cela Iaroslas rassembla une nouvelle armée composée de
Russes
,
de Varèges et de Slaves.
Boleslas avait près de lui un autre ennemi qui méditait
en silence la ruine des Polonais. Swientopelk voyait peine avec qu 'il n avait que le titre de duc de Kiowy la ville et
les places fortes étant entre les mains de Boleslas qui y avait nus garnison • devant fournir à l'armée ce dont elle
avait besoin
,
il répondit aux demandes qu'on lui adressait
que le pays était ruiné. Fière de ses victoires, l'armée se
permettait souvent des excès
, sur-tout dans les campagnes.
Les Russes s'en vengeaient sur les soldats qu'ils
rencontraient seuls ou en petit nombre. Boleslas, qui
voyait s 'augmenter tous les jours la liste de ces victimes
immolés à la haine du peuple, reprochait à Swientopelk'
la conduite lâche des Russes ; mais remarquant que le
prince n'y apporlait point de remède et se doutant bien
que cela se faisait même à son instigation
,
il donna l'ordre
que l'armée se rassemblât et que la ville de Kiow, qu'il
avait jusque-là épargnée avec tant de bonté, fut, ainsi
que les environs, livrée au pillage. Ayant envoyé en Pologne
, comme otages ,
les principaux Bojards ou seigneurs
du pays, ainsi que deux des soeurs de Iaroslas,
nommées Przeslawa'et Meislawa
,
il se mit en marche à la
tête de son armée pour retourner en Pologne.
Solignac dit, en parlant des deux princesses que nous
venons de nommer : u L'une avait déjà éprouvé un mal-
" heur qui devait lui être plus sensible que l'esclavage j
» livrée sans défense à la passion de Boleslas, ou elle n'a-
" vait osé lui résister, ou ses efforts avaient trahi son
» innocence. » On ne trouve dans l'histoire du lems aucun
fait que l'on puisse alléguer à l'appui de celte réflexion
inconvenante et mensongère. En effet, il n'est
point naturel qu'une princesse renfermée
,
suivant l'usage
des peuples orientaux
,
dans un sérail oit elle était privée
de toute liberté
,
ait repoussé avec de si grands efforts la
main que lui présentait un des plus grands princes de son
8iècle. Les historiens contemporains ne citent pas un fait,
pas un seul mot d'où l'on puisse conclure que Boleslas
ait abusé de sa position pour faire violence a la volonté
de la princesse ; car , en parlant de sou union avec elle,
après avoir renvoyé son épouse
,
ils se servent du mot
duxerat, qui n'a jamais été en usage que pour désigner
un mariage légitjime.
Ce qui est bien certain
,
c'est que celte expédition porta
un coup fatal à la splendeur de Kiow. uDepuis ce mon
ment, dit Dlugosz, celle ville a perdu ses richesses, sa
n magnificence et son immense population
,
dont une
n grande partie fut emmenée en esclavage. C'est en vain
n que les ducs de Kiow ont depuis fait tant d efforts pour
n la rebâtir et pour la ramener à son premier état, la
n ville d'aujourd'hui n'est qu'une ombre de l'ancienne
n Kiow. n
On assure que Boleslas voulut
, avant de quitter la
Russie
, v laisser un monument des victoires qu'il y avait
remportées, et qu'il fit ériger des statues en fer sur les
bords du Dnieper, au confluent d'e la Sala. Une tradition
populaire ajoute qu'il avait fait jeter dans le même fleuve
des trompettes en métal travaillées avec tant d'art, que
les eaux du fleuve en les traversant rendaient un son
merveilleux
, et que l'on accourait de loin pour les entendre.
En retournant en Pologne, Boleslas fut attaqué lorsqu'il
s'y attendait le moins
, et la situation où il se trouva
est lé moment où il développa certainement, avec le plus
d'éclat
,
la supériorité de ses talens militaires. Iaroslas
avait, comme nous avons dit plus haut, rassemblé son
armée h la hate ; stimulé parles reproches de ses sujets,
il s'était avancé vers le Bug; espérant surprendre les Polonais
qui s'en retournaient chargés de butin et occupés
de la garde de leurs prisonniers, il se réjouissait d'avoir
trouvé l'occasion de venger d'une manière éclatante ses
premières défaites. Boleslas était déjà arrivé sur le Bug ; se
croyant en sûreté près de ce fleuve qui avait été jusque-là
si fatal aux Eusses
, et apercevant déjà les terres de son
empire il avait licencié son armée, en permettant à ses
soldats de prend re ielle roule qu ils voudraient pour s'en retourner dans leurs pays. Taroslas instruit de sure impolitique celle me- el bien étrange, avait redoublé sa marche
a fravers les forêts des Euczans ; il vint tomber inopinément
sur Boleslas. Ce prince rassembla promprement le
petit nombre de braves qui se trouvaient encore auprès
de 1 el dans les villages voisins. « La situation dans la-
- quelle nous nous trouvons, leur dit-il en peu de mois,
- est pénible
, on ne peut se le dissimuler; nous ne
* sommes peul-être pas un contre cent; mais pensez,
» amis, que c'est une épreuve que le ciel nous envoyé
» pour montrer an monde entier que nous sommes vrai-
« ment dignes de la gloire acquise jusqu'ici à nos dra-
» peaux par notre insigne valeur. Soldais, mettrons-nous "notre vie c-n sûreté par une fuite honteuse? loin
» de nous une pensée aussi lâche. Portons l'épouvante et
» l'effroi au milieu de celle multitude barbare qui nous
- entoure; je me mets à votre tête - amis , suivez-moi; la
» victoire est à nous. » Les Russes ne s'attendaient pas que Boleslas dût les
attaquer avec une poignée d'hommes; ils se défendirent
quelque tems avec valeur, mais sans ordre filait adroitement de leurs ; Boleslas pro- fautes et de leur irrésolution:
l'héroïsme, l'expérience et la sagesse l'emportèrent enfin
snr le nombre, et l'ennemi prit la fuite. Le carnage fut
sr grand que le Bug fut teint de sang, et c'est depuis ce
moment que les Russes ont donné à celle rivière le nom de Plugawa et Czarna
, ce qui signifie hideuse, noire.
Boleslas s'empara du camp d'laroslas et s'en retourna en Pologne
, emmenant le riche butin et les nombreux prisonniers
qu'il venait de faire. Le prince russe ,
après avoir
quitté toutes les marques de sa dignilé, s'enfuit déguisé
et monté snr un cheval qu'it avait pris à un de ses soldats.
Le3 chroniques russes ne font point mention de celte dernière
expédition sur le Bng; elles rapportent seulement
qu "Iaroslas
, après le départ de Boleslas, était venu aliaquer
son frère Swientopelk ; que celui-ci s était mis en
défense, ayant avec lui les Pieczyngowiens ; qu après un
combat opiniâtre Swientopelk avait été vaincu sur cette
place même de Kiow, où il avait fait mettre à mort son
frère Boris ; que s'étant sauvé à Brzesc sur le Bug, il avait
été bien accueilli par l'officier général qui y commandait
au nom de Boleslas
, et qu 'enfin
,
après avoir erré quelque
fems en Pologne, il élait mort sur les frontières de la
Bohême, accablé sous le poids de ses malheurs et de sa
douleur. On ne voit pas ce qu'était devenu sa femme qui
était fille de Boleslas.
L'église métropolitaine de Gnesne avait, dans le mois
de mai 1018
,
été réduite en cendres par un incendie fortuit
} Boleslas, à son retour en Pologne
,
la fit reconstruire
et l'enrichit des dépouilles enlevées a l 'ennemi. Nous
n avions, dit un auteur russe, en ravageant la Cherso-
" nèse, pillé les églises que les Empereurs grecs v avaient
" fait bâtir ; avec les pierres précieuses et les objets de
" grand prix que nous y avions trouvés , on avait orné lesn
temples de notre ville de Kiow ) Boleslas a tout enleva
n pour enrichir sa basilique de Gnesne. «
C'est sans doute aussi à Gnesne qu'eut lieu cette solennité
imposante ,
dont parlent les historiens du tems ,
lorsque Boleslas rassembla ses braves
, qu il appelait ses
Towarsyszs ou compagnons d armes , pour leur distribuer
ce qui lui restait encore des dépouilles de l 'ennemi , pour
les élever en grade
, et pour rendre un hommage éclatant
à leur valeur, en racontant publiquement les actions par
lesquelles ils s'étaient illustrés pendant la campagne. C est
depuis cette expédition que les Russes lui ont donné le
nom de Chrahri ou Chrnbri, ce qui en langue slave sisuine
,
intrépide, terrible par son courage. Boleslas fit
bâtir
,
près de Wielicza en Guilicie
, un château qn il appela
Chroberg, du nom glorieux que les l\usses lui avaient
donné et que la postérité lui a conservé.
LANGUES DU NORD.
Précis historiques sur les Académies de Stockholm.
QUOIQUE les sciences et les lettres eussent été cultivées
en Suède pendant plusieurs siècles
, ce ne fut qu'au
commencement du dix-huitième qu'elles obtinrent dans
ce pays une attention plus suivie et plus générale. A
F enthousiasme pour les entreprises guerrières, succéda
le zèle pour l'instruction, pour les connaissances utiles;
et les travaux scientifiques et littéraires des Suédois devinr
ent fameux en Europe. Dès l'année 1720, Eric
Benzelius
,
alors bibliothécaire de l'université d'Up- sal, et depuis archevêque, Olaus Rudbeck le fils, fesseur de médecine, pro- et quelques autressavans, fondèrent
à Upsal la Société des sciences
,
qui existe encore dans cette ville sous le nom de Société royale, et qui a publié des Mémoires en latin (i). Vers l'année 1739,
(1) Ces mémoires parurent d'abord sous le litre d'Acta litteraria
succioe Upsahoe publicata , vol. i, cont. an. 1720-1724. Vol. 2, 1725-1729, Ups. et Stock., in-40. Ces volumes contiennent en partie des annonces et des extraits de livres, en partie des recherches
historiques et des biographies intéressantes. Ensuite la Société fit
paraître Acta litteraria et scientiarum suecioe, vol. 3,4, Ups. 1742 , 111-40, pour 1730 à 1739. Les mémoires de l'Académie des sciences
de Stockholm ayant commencé alors à paraître . ceux de la Société
d 'Upsal reçurent le titre d'Acta societatis reg;oe scientiarum Upsal. Il en parut 3 volumes in-40 à Stockholm, de 1744 à 17.50. pour 1740 à 1744. Les mémoires furent alors interrompus et ne recom- mencèrent à paraître qu'en 1773 sous le titre de Nova acta reg. socielatis
sciertiarum Upsaliensis. Ils ont été imprimés à Upsal à peu près dans le même format que les autres, mais à d'assez longs
intervalles.
plusieurs hommes, distingués par leurs talens et leur
patriotisme
, se réunirent à Stockholmpour établir dans
cette capitale une Académie des sciences. Le fameux
Linné était du nombre
,
et fut le promoteur le plus
zélé d'une institution, dont il devait être dans la suite
un des plus grands ornemens. Il fut sur-tout secondé
dans ses efforts par Jonas Alstroëmer, qui à une fortune
considérable, joignait une grande ardeur pour tous les
genres de connaissances; et qui avait déjà rendu à sa
patrie plusieurs autres services importans.
La première séance eut lieu, le 4 juin 1739, dans
l'hôtel où s assemble la noblesse pendant la diète. On fit
un projet de règlement, et l'on détermina les travaux
auxquels se livrerait l'Académie. Le 3T mai 1
743
> roi Frédéric confirma cette Société savante, et approuva
les réglemensqu'elle s'était donnés. Ces réglemens portaient
en substance, que les académiciens s'occuperaient
principalement des objets ayant un rapport direct avec
le bien public et la prospérité générale ; de la physique
expérimentale, de la mécanique
,
de l'histoire naturelle
,
de la chimie, de la médecine, de l'économie
rurale, du commerce et des manufactures ; qu'il y aurait
un président nommé à la pluralité des suffrages, et
qui resterait en fonctions pendant trois mois ; un secrétaire
perpétuel et un archiviste ; que tous les membres
contribueraient aux travaux, et qu'on publierait, par trimestre
,
le résultat de ces travaux en forme de Mémoires.
Il ne fut question d'aucune espèce de traitement ou
honoraire pour les académiciens, et le noble désir de
contribuer aux progrès des connaissances, et de se
rendre utile à la patrie, parut un motif suffisant de
zèle et d'activité.
Comme, en vertu des réglemens
,
il devait appartenir
au président de diriger l'élection à cette place, on recourut
au sort pour la nomination du premier ; et ce
fut Linné qui fut proclamé. Il rendit sa présidence trèsutile
, en achevant l 'organisation de la Société naissante
avec autant de sagesse que de zèle. Lorsqu'il remit sa charge à son successeur, il lut un Discours qui fixa
l'attention, et cette idée du premier président devint
une loi pour l'avenir. Ainsi l'Académie française
,
après
avoir entendu le discours, de Patru le jour de sa réception,
imposa la même tâche à tous les récipiendaires.
Après avoir été remplie pendant quelque tems par le
baron de Hoëpken, depuis comte et sénateur, et par le'
feld-maréchal Ehrenswaerd, très-versé dans les sciences
mathématiques et physiques, la place de secrétaire fut
confiée à Jacques Faggot, savant laborieux, et connu
par ses travaux géodésiques. Il fut remplacé par Pierre
Elvius, physicien et mécanicien habile, auteur d'un
Traité desforces de l'eau. Elvius étant mort en 1749
l'Académie choisit PierreWargentin, mathématicien , et
astronome, qui, pendant trente ans, remplit les fonctions
de sa charge avec une grande intelligence, un dévoûment
soutenu, et dont l'esprit d'ordre, de modéralion
et de sagesse eut la plus heureuse influence sur les
progrès de la Société savante, dont il fut l'interprète.
Le nombre des académiciens s'accrut rapidement, et
les choix tombèrent sur les hommes du premier mérite.
Nous indiquerons André Celsius, qui avait accompagné,
en 1736, les mathématiciens français 11 Torneo
,
et qui
était un des premiers physiciens, des premiers astronomes
de son tems; Klingenstiern, qui a écrit sur le
calcul intégral et sur l'optique ; Brandt, Swab et SchefJer,
distingués par leurs connaissances en chimie et en minéralogie;
Rosén de Rosenstein
,
habile médecin et auteur
de plusieurs ouvrages qui ont marqué; Wallérius,
minéralogiste, dont les ouvrages ne sont pas moins remarquables
; Poihem
,
mécanicien plein de génie
,
qui
a enrichi les mines et les forges d'inventions précieuses,
et qui a fait creuser dans le roc le beau bassi n de répa-'
ration du port de Carlscrona. Plus récemment, l'Académie
a compté parmi ses membres
,
Jonas Bergius,
connu par la Flore du Cap; les deux célèbres voyageurs
Kalm et Hasselquist, les deux grands chimistes Scheele
et Bergman, le savant minéralogiste Cronstedt; Prosperin
et Melanderhielm, astronomes généralement estimés
: et quoique les choix aient été faits depùis d'après
des principes moins sévères, on trouve encore sur la
liste des académiciens des noms distingués
,
tels que
ceux d'Olaus Schwartz, Berzelius, Schultén, Thunberg.
Les membres de l'Académie ne furent point répartis
en classes ou en sections ; ce n'est que dans les derniers
tems qu'on a introduit une espèce de classification, peutêtre
devenue nécessaire, mais qu'on aurait dû fonder
sur des bases plus réelles et plus philosophiques que
celles qu'on a admises. Le nombre des académiciens a
ordinairement été de cent; mais comme il y en a plusieurs
qui sont répandus dans les provinces
,
les séances
ne se composenthabituellementque de trente à quarante.
En 1)48,il fut résolu d'associer à l'Académie des savans
étrangers. Parmi les premiers qui furent choisis
, nous
trouvons Guettard
,
Messier, Macquer, Bailly, Charles
Bonnet, Don Antoine Ulloa, Frisi
,
Spallanzani, Banks,
]Pallas
,
Niebuhr, Hell, de Born, Forster(Jean-Reinhold),
Suhm, Schloezer.
La générosité de plusieurs de ses membres mit l'A,
cadémie en état de fournir aux dépenses que demanda
sa première organisation. En 1748, elle obtint du gouvernement
le privilège des almanachs. Elle fit ensuite
imprimer à son profit trois ouvrages, le Traité desforces
de l'eau par Elvius, celui des maladies des elifans
par Rosénde Rosenstein, et les Lettres du comte Charlcs
Gustave Tessin
,
adressées au prince royal
,
depuis
Gustave III5 les deux derniers ouvrages lui donnèrent
un bénéfice considérable. La considération dont elle
jouissait, et le zèle dont elle était animée pour le bien
public engagèrent plusieurs personnes à faire en sa faveur
des legs et des donations. Un jeune baron de
Sparre lui légua toute sa fortune, dont elle ne put cependant
recueillir qu'une partie, la famille du1 baron
ayant réclamé le reste en vertu de la loi. En 1776, une
Société anonyme lui fit remettre une somme d'environ
vingt-quatre mille francs destinée à établir un second
secrétaire (2).
Quelques années avant, un riche négociant de Gothembourg,
Nicolas Sahlgren, avait remis à l'Académie
environ quarante mille francs, pour fonder des prix
d'agriculture. Cette Société lui adressa une lettre de
remerciment, lui ouvrit ses portes par acclamation, et
fit frapper à son honneur une médaille ayant pour inscription:
Certammageorgica lnstituit, anno 1 ^3. Mais
l'essentiel était de répondre aux vues de Sahlgren
, et
l'Académie l'a fait avec un zèle éclaira ; elle a proposé
pour sujet de prix la culture des légumes et des arbres
fruitiers adaptée au climat ; les diverses espèces de
terres de Suède et leur différence caractéristique; la
manière de sécher et de vanner tes grains, l'éducation
du bétail dans ses rapports avec l'économie rurale.
Dès l'année 1748
,
Adolphe-Frédéric, prince royal
(2) On trouve des détails sur les donations faites à l'Académie
, et
sur d'autres objets relatifs à son organisation
,
dans un discours de
Sandels imprimé à Stockholm en 1771 , et dans un discours du
baron de Rosenhane, lu plus récemment dans une séance publique
,
et que l'auteur de cet article a vu en manuscrit à Stockholm.
de Suède, avait pris le titre de protecteur de l'Académie.
Ce prince se rendit peu après à une séance publique et
prononçaun discours auquel répondit le sénateur comte
Ehrenpreus. Parvenu au trône
,
Adolphe-Frédéricdonna
à l'Académie de nouvelles preuves de l'intérêt qu'il prenait
à sa gloire et aux progrès de ses travaux. En 1761,
il lui procura les moyens de faire faire par quelques-uns
de ses astronomes des observations correspondantes à.
celles que l'abbé de la Caille faisait dans le même tems
au cap de Bonne-Espérance. Lorsqu'en 1769 on vit le
passage de Vénus par le disque du soleil, le roi fournit
également les frais pour l'observation de ce phénomène.
Adolphe-Frédéric étant mort en 1771, Gustave III
son fils, qui le remplaça sur le trône, voulut aussi le
remplacer dans la protection qu'il avait accordée aux
sciences. Gustave s'étant déclaré le protecteur de l'Académie
, se rendit au sein de cette Société dont il appréciait
les travaux, et le sénateur comte deRudenschoeld,
vieillard vénérable que Frédéric-le-Grand honnorait de
son amitié (3)
,
adressa ce discours au jeune monarque.
« SIRE
,
» L'Académie
,
après avoir obtenu la faveur de
» posséder en votre auguste personne un puissant pro-
» lecteur, ne pouvait attendre de satisfaction plus pré-
« cieuse que de voir ses délibérations honorées de la
» présence de votre majesté.
» Sire, votre majesté a dans ce moment sous les yeux
» une Société qui travaille en silen'ce à s'éclairer elle-
» même et les autres, une Société qui bannit de son
(3) Le comte de Rudenschoeld avait été ministre de Suède à
Berlin pendant plusieurs années.
» sein la défiance
,
la jalousie et l'esprit de parti, qui
» n'admet d'autre ambition que celle d'être utile et de
» remplir en tout point les devoirs de sujets fidèles et
» de citoyens zélés
, en un mot, une Société qui n'est
» n'est pas entièrement indigne des regards de son au-
» guste protecteur, et de la faveur dont elle ose solli-
» citer la continuation. »
Le'roi répondit lui-même à ce discours de la manière
suivante :
« Les travaux de l'Académie sont si utiles au public,
» et les vues de ceux qui la composent si honorables
» au royaume, qu'elle a des titres suffisans à ma bien-
» veillance.
» En me choisissant pour son protecteur, l'Académie
M me donne l'occasion de mieux connaître les services
» qu'elle rend à la patrie.
» Je tâcherai de faire de ma présence à vos assem-
« blées un moyen d'augmenter mes lumières, d'encou-
» rager par mon exemple les sciences utiles que vous
» cultivez avec tant de succès, et de vous offrir un
M appui au ca& où, contre les apparences, vous vous
J) trouviez exposés aux contradictions et aux obstacles
» que la jalousie et l'ignorance ont souvent suscités à la
» vertu et au génie.
» Je vous demeure affectionné avec toute ma bien-
M veillance royale à tous en général et à chacun de vous
H en particulier.»
Gustave III fut fidèle à ses promesses ; il assistait
souvent aux séances académiques, s'entretenait avec
les académiciens et prenait un grand intérêt à leurs
travaux.
L'ordre et le désintéressement dans l'administration
des fonds avaient assuré à l'Académie un revenu considérable.
Vers l'année 1776, le président Rosenadier
mit à sa disposition une somme d'environ trente mille
francs. Au moyen de cette somme jointe à d 'au tres
capitaux disponibles
,
elle se vit en état d 'acquérir l hôtel
qu'elle a possédé depuis dans la grande rue Neuve de
Stockholm (4). Cet édifice où se tiennent les séances
publiques et particulières, qui sert de dépôt aux archives,
et où logent plusieurs employés, renferme aussi le
Cabinet ou Musée de physique et d'histoire naturelle,
ainsi que la bibliothèque. Le Musée s'est formé peu-àpeu
par la munificenee de plusieurs académiciens et de
quelques autres personnes distinguées par leur naissance
et leur fortune. Le baron Gustave Hoepken, Magnus
Lagerstroëm,.directeur de la Compagnie des Indes
,
et
Nicolas Psilanderhielm
,
conseiller au département des
mines, ont fourni une riche collection de minéraux et
autres objets intéressans pour la physique, la zoologie
et la botanique. La veuve du baron Charles de Geer (5),
qui avait cultivé les sciences avec succès, a donné la
collection de son mari, rangée dans le meilleur ordre,
et l'une des plus complètes pour l'histoire naturelle qu'un
(4) Cet hôtel avait été construit et embelli par un réfugié français
Jean Lefébure
,
originaire de Saintonge. Il fit en Suède une fortune
considérable par le commerce , et acquit de vastes propriétés. Il avait
cédé pendant quelque tems la grande salle de sa maison aux Protestans
réformés pour y exercer leur culte.
(5) Le bnron de Geer appartenait à une famille hollandaise-,
établie en Suède depuis le règne de Gustave Adolphe. Le premier de
-
cette famille qui vint en Suède, Louis de Geer
,
introduisit dans le
pays les meilleures méthodes pour exploiter les mines, et pourtravailler
le fer et le cuivre. Il fit venir à ses frais le fameux Amos
Commenius pour perfectionnerl'éducation
, el établit aux usines de ^
Danmora en Uplande une colonie de vallons des pays bas et de
Liège
,
dont les descendons existent encore en grand nombre, et sont
les meilleurs ouvriers des grandes forges de Gimo
,
Oesterby et
Loefstad.
particulier ait possédée, L'Académie a reçu de plus du
sénateur Ulric Scheffer, six armoires remplies d'oiseaux,
d insectes et de plantes ; et, en dernier lieu, elle est devenue propriétaire de la collection d'oiseaux du président
Carlson
,
dont le docteur Sparrman donne la
description sous le titre de Muséum Carisonianum. Une
grande partie des objets rares et précieux rapportés Sparrman par et Thunberg de leurs voyages en Afrique
et au Japon, est également déposée dans le Musée de
l 'Académie, où l 'on voit aussi une pharmacie chinoise,
apportée en Suède par Martin Staaf, supercargue et
directeur de la Compagnie des Indes de Gothenbourg.
Mais le plus beau monument que l'Académie de
Stockholm a élevé aux sciences
,
c'est son Observatoire.
Il fut commencé en 1748 et achevé en 1750. On en fit
l inauguration avec une grande solennité, le 20 sep- tembre de l'année suivante, en présence du roi Adolphe
Frédéric, Il est placé sur une hauteur dans un des plus
beaux quartiers de la ville, et entouré de plantations.
Cet Observatoire
,
fourni des meilleurs instrumens
,
et
pourvu d'une bibliothèque considérable, est devenu
fameux par les travaux de Pierre Wargentin
,
secrétaire
de l 'Académie
,
et connu de tous les astronomes par ses tables des Satellites de Jupiter. Peu de savans ont
fourni une carrière plus active et plus honorable. Eloigné
de toute distraction
,
W argentin consacrait tous ses
momens à l étude et à l 'observation. Il remplissait avec le plus grand zèle ses fonctions de secrétaire, et en
meme tems il correspondait avec les principaux savans de 1 Europe; il faisait les relevés de la population du
royaume ; il observait tous les phénomènes du ciel. et ' en rendait compte à i'Académie. Il mourut peu après
avoir été nommé associé étranger l'Académie des
sciences de Paris. Ses qualités morales n étaient pas moins remarquables que les dons de son esnrit. Il avait
cette modestie qui accompagne toujours le vrai talent,
cette simplicité qui sied si bien à l 'homme supérieur,
cette élévation d'ame qui ne connaît ni les petites passions
,
ni les petits intérèts, et cette sérénité constante ,
qui est le fruit d'une conscience pure. Lorsque, dans une
de ces belles soirées, où la nature jouit du calme et du
repos ,
cet infatigable observateur se trouvait vis-à-vis
d'un ciel pur, tranquille, il contemplait son image.
Jeune encore, je fus admis dans sa société ; ses vertus
captivèrent mon coeur, et je répandis sur sa tombe des
larmes sincères (6).
Wargentin fut remplacé en 1784
»
comme premier
secrétaire, parle savant physicien Jean-CharlesWilke.
On chargea des observations astronomiques le second
secrétaire Henri Nicander. Dans les derniers tems
,
l'Académie a eu un premier secrétaire Daniel Melanderliielm
,
mort depuis peu ,
et deux sous-secrétaires, le
physicien Sioestén et l'astronome Swanberg.
Il faut maintenant faire connaître plus en détail les
travaui de l'Académie des sciences de Stockholm. Depuis
sa fondation jusqu'en 1782
,
elle a publié quarante
volumes in-8° de Mémoires
,
dont la suite a paru sous le
titré de Nouveaux Mémoires. Cette suite forme maintenant
à-peu-près trente volumes. Ce Recueil
, comme
tous les travaux de l'Académie, est rédigé en suédois.
Il renferme un grand nombre d'observations neuves et
curieuses sur la physique, la zoologie, la minéralogie
,
la botanique
,
la chimie, sur-tout celles qui seconde les
progrès des arts ; sur l'économie politique et rurale, et
sur le climat, la population, le sol, les productions des
pays du Nord en général, et de la Suède en particulier.
(6) C'est principalement à ce respectable savant que je dois les
détails que je donne sur l'origine et les progrès de l'Académie des
;
sciences de Stockholm.
Plusieurs volumes sont accompagnés de planches et de
cartes. On peut remarquer, sur-tout, pour leur solidité
etleurutilité générale, les Tables météorologiques de
W argentin, et ses Relevés de la population du qui sont accompagnés pays de vues et de considérations,
dont les arithméticienspolitiques d'Allcmagneet d'Angleterrp
ont tiré parti. Les volumes qui ont paru dans les dernieres années n'offrent pas toujours le même intérêt,
et contiennent quelques Mémoires peu approfondis. Le
volume de 1806 se distingue avantageusement par le Mémoire de Schultén sur les crues de la Baltique, dont
on trouve le résumé dans le Tableau de cette mer par 1 auteur de cet article. Outre les Mémoires, l'Académie
a fait imprimer les éloges des académiciens décédés, et
les discours des récipiendaires et ceux des présidens
sortant de charge. Parmi les éloges
,
il y en a de Wargentin,
de Bergman, de Melanderhielm, qui sont des
morceaux précieux pour l'histoire des sciences et des
arts. La plupart des discours sont des espèces de traités
sur des objets relatifs aux sciences physiques
,
mathématiques
et économiques. On peut citer comme remar- quables ceux de Jonas Bergius sur l'état de Stockholm
il y a deux cents ans ; de Sandels sur les exportations et les importations de Suède depuis les anciens tems ; de Feruer sur t hypothèse de la diminution des eaux ; du
président Lillienberg sur les progrès de l'exploitation
des mines du pays ; du sénateur Bielke sur l'état inté- rieur du royaume pendant le règne de Gustave Wasa de Benoît Bergius ; sur les friandises des divers peuples
dela terre, sujet singulier, qui est traité par l'auteur
avec la plus grande érudition. Ce discours de Bergius a été traduit en allemand. L'Académie a publié de plus
un Dictionnaire suédois, plusieurs ouvrages élémentaiies
,
et un grand nombre de Mémoires pour l'instruction
des cultivateurs et des manufacturiers. La plupart
des jeunes savans ont obtenu d'elle des encouragemens.
Elle a présidé aux voyages d Hasselquist et de Kaim en
Asie et en Amérique
,
et à celui de Wahlenberg en Laponie
; c'est elle aussi qui a dirigé les travaux entrepris
par Swanberg et OEfverbom aux environs de Torneo,
pour perfectionner les calculs et les mesures qui servent
à faire connaître la figure de la terre.
Le professeur Kaestnei de Goettinguea traduit en allemand
les Mémoires à mesure qu ils ont paru. A Venise
on a donné une traduction latine d'une partie de ceux
qui roulent sur la physique et l histoire naturelle (7) ; et
Keralio a fait paraître en français une traduction ou
plutôt une analyse raisonnée de vingt-neuf volumes (8).
Nous devons encore faire connaître deux institutions
qui dépendent de l'Académie des sciences de Stockholm.
Dès l'année 1727, le conseiller de commerce Sébastien
Tham, avait remis au corps de la noblesse une somme
pour établir une chaire de physique et de mathématiques
dans la capitale. Cette somme fut confiée à l'Académie
peu après sa fondation : le-secrétaire étant encore sans
appointemens fixes, les académiciens furent d'accord
(7) Analecta trcrlSalpTna, tomus I ,
venetiae typis et impensis nic.
pezzano 1762, annuentibus superioribus.
Analecta tranS. , tom. 2 , venet. typ. et imp. nie. pezzauo 1763
,
ou comme porte la page suivante.
Epitome commentarinritm reg. scient. aead. sueciae pro annis
iy3n j746
,
suecicoidiomate conscviptornm sive Anahct. transalp.
,
vol. I. subnexae snnt tabulae aeri incisae i3. Epit. comment.
reg. scient. acad. suecia; pro an 1747—1752, sive anal. trans.,
vol. 2; subnex® sunt tabulcE aeri incisae II.
(8) Mémoires de V 'Académie dei sciences de Stockkolm , concernant
l'histoire naturelle
.
In médecine
,
la chimie, l'économie, les
arts, traduits par M. de Keralio. chevalier de l'Ordre royal et
militaire de Saint-Louis. capitaine aide-major à l'Ecole royale
militaire. A Paris, chez Panckoucke) ia-40, 1772.
pour le charger des leçons, en lui assignant annuel un revenu sur la somme donnée par le conseiller Tham.
Cependant on s'aperçut bientôt qu'il ne pourrait suffire
a ce nouveau travail, et il en fut dispensé
,
à condition
qu d mettrait à la tête de chaque trimestre des Mémoires,
un morceau sur 1 histoire des sciences. Ce travail com- mencé par Elvius fut continué par Wargentin. En 1759,
l Académie se voyant en état d'assigner au secrétaire un traitement sur ses propres fonds
,
employa le capital de
Tham à fonder un cours de physique et de mathématiques
,
qui se donne dans une des salles de son hôtel,
et qui a été sur-tout très-suivi pendant que la chaire a été occupée par le professeur Wilke.
Les frères Jonas et Benoît Bergius avaient dans un faubourg de Stockholm, à peu de distance de l'Observatoire,
une habitation avec un jardin très-étendu
,

ils cultivaient des plantes étrangères (9) ; ils avaient
aussi rassemblé une bibliothèque riche sur-tout en livres
de voyages et de botanique. Cette propriété est devenue
après leur mort
, en vertu de leur testament, celle de
I Académie; et de plus
,
les frères Bergius ont légué un capital pour fonder dans le même local une chaire de
jardinage et d'économie rurale. Cette chaire est occu- pée par M. Olaus Swartz
, un des plus habiles botanistes
de l'Europe, et qui a voyagé en Amérique.
Dans un autre numéro nous parlerons de l'Académie
d'histoire, d'antiquités et de belles-lettres; de l'Académie
suédoise, fondée sur le modèle de l'Académie française,
et de l'Académie des beaux arts.
J. P. CATTEAU-CALLEVILLE.
(9) Ils essayèrent sur-tout de cultiver la rhubarbe
,
rheum palmatum
, et obtinrent plusieurs récoltes dont le produit entra dans Je
commerce après avoir été approuvé par le conseil de médecine.
Çmette j?ttteraire~j>.
HOLLANDE.
Jean-Frédéric Hennert, l'un des mathématiciens les
plus distingués de son tems , auteur de plusieurs bons ouvrages
et d'excellens Mémoires, est mort à Utrecht, où il
professait la philosophie depuis 1764, le 3o mars dernier,
âgé de 80 ans.
ALLEMAGNE.
VIENNE.—Les frères Kapélanaki de Smyrno
,
résidant
dans cette capitale, sont sur le point de publier leur Géographie
universelle. Des personnes éclairées, à qui MM.
Kapétanaki ont montré leur manuscrit, assurent que cet
ouvrage est écrit d'une manière très-satisfaisante, et que
la parlie, qui est consacrée à l'Empire Ottoman, renferme
sur-tout des notions entièrement neuves et lumineuses.
( Extrait d'une lettre de M. Anthimos Gazis. )
— Le troisième volume du Grand Dictionnaire Grec
ancien et moderne
,
du savaut et laborieux père Gazis de
Thessalie
, est déjà sous presse.
—Voici les ouvrages qu'a publiés depuis quelque tems
à Vienne M. Néophytes Doukas savant ecclésiastique grec.
Histoire Romaine d'Eutropius
, 2 vol. in-8".
Les OEuvres d'Arrien , 7 vol. in-8° ; avec des notes savantes.
Les Discours de Dion Chrysostomes ,
3 vol. in-8°.
Les Discours de Maxime de Tyr, 1 vol. in-8°.
La Bibliothèque Mythologique d'Apollodore
, avec les autres
mythographes
, 1 vol. in-8*.
Les Orateurs Grecs, 10 vol. in-8°.
Histoire Romaine d'Hérodien
, i vol. in-8".
Pédagogie, ou Leçons d'Education, 3 vol. in-8°.
Terpsithea, ou Grammaire grecque ancienne j d'après la
méthode de feu Lampros Pholiadis
,
célèbre professeur
Grec; i vol. in-8°, deuxième édition corrigée mentée. et aug-
Grande Carie chronologique de tous les Royaumes de la
terre ; avec une brochure explicative.
La plupart de ce» ouvrages sont accompagnés dénotés
critiques et instructives
,
de différens index, etc. La Grèce
moderne doit aussi à 1 'infatigable père Doukas une tra- duction en grec vulgaire de tonte l'Histoire de Thucydide,
imprimée à Vienne, avec le texte en regard, et formant
Io vol. in-8°. De plus
moderne , un Dictionnaire français et grec en 2 vol. in-40. Cet homme respectable et mo- deste a sacrifié presque toute sa fortune pour rendre à sa patrie tous les services qui pouvaient dépendre de lui. Nous
venons d'apprendre, avec une viveémotion de joie, qu'il
va partir pour la Grèce, dans la seule intention de fonder
un grand collège
,
à la manière européenne
,
dans une des.
principales villes de Thessalie. On assure que ce collège
sera établi sous les auspices du Patriarche de Constantinople
, et aux frais de plusieurs négocians grecs, amis
zélés de leur patrie reconnaissante.
Nous apprenons aussi, avec la plus grande satisfaction
que les Grecs de Chios viennent d'établir ,
,
dans la capitalè
de cette île, une grande bibliothèque publique, pour laquelle
ils ont du faire des dépenses énormes. A l'égard
de l instruction publique
, nous savons depuis long-tems
qu'elle est à Chios dans un état florissant.
( Extrait d'une lettre particulière. )
HONGRIE.
PEST.—Le choix des membres de l'Université de celle
ville a eu lieu à la fin du mois d'août. M. François
d 'Eckstein
,
docteur en médecine et en chirurgie, et profeseur
de chirurgie pratique, a été élu président. Les
quatre doyens sont : 1° pour la faculté théologique ,
M. Jean de Predanotzi, professeur de la théologie morale
j 2* pour la faculté juridique, M. Paul Markovics
,
docteur en droit et professeur des droits naturel et civil j
3" pour la faculté médicale
,
M. Jean de Reisinger, docteur
en médecine et en chirurgie, et professeur d'histoire
naturelle j 40 pour la faculté philosophique, M.Jean de
Kereszturi, docteur en philosophie et professeur d 'histoire
universelle et de l'histoire pragmatique hongroise.
L'année passée, il y avait à l'Université de Pest, 694 étudians,
et au gymnase et à l école nationale 996, en tout
1690 étudians.
VALACHIE.
BUCHAREST.—M. Michaïl Schinas
,
premier secrétaire
du nouveau Prince régnant de Valachie
, a été nommé ,
il
y a quelque tems, Directeur-général de l instruction publique.
M. Schinas
,
qui est lui-même un homme de lettres
plein de savoir, montre déjà un zèle ardent pour la
propagation des lumières. C'est un élève distingué du célèbre
Dorothéos Proies
,
ci-devant professeur des Sciences
Physiques et Mathématiques à Constantinople
, et aujourd'hui
Archevêque de Philadelphie dans r Asie-Mineure.
Notre ancien Archevêque Ignatios
,
fondateur du Lycée
grec, qui avait acheté la riche bibliothèque de feu Sonnini,
célèbre naturaliste de France, eu a fait présent à la ville
de Bucharest.
ILES IONIENNES.
CORFOU.— Nous n'avions jusqu'à présent aucune histoire
de l'île de Corfou, ni des autres îles; car on ne
saurait appeler comme telle quelques recueils de faits
détachés ou quelques notices obscures mal rédigées
,
offrant de nombreuses lacunes : il n'y avait pas d 'apparence
que quelqu'un voulût se donner la peine de compiler
l'histoire de toutes les îles ioniennes j et quand même
quelque citoyen, mu par un sentiment généreux I et par amour de la patrie, aurait songé à en tenter l'entreprise,
abandonné à ses propres forces, il n'aurait peut- cire pas réussi.
Lorsque le gouvernement seplinsulaire se proposa de
charger M. André Mustoxidi de composer l'histoire des
îles ioniennes, qui plus ou moins eurent toutes quelque
part aux grands événemens dont l'ancienne Grèce fut le théâtre, il ne douta point dès-lors que ce savant répondrait
entièrement aux voeux de la patrie.
Consulter les anciens écrivains qui ont traité des affaires
de la Grèce, lever les doutes qui pourraient quelquefois
s attacher à des faits qui remontent â des époque. si éloignées,
recueillir des notices éparses, les classer, coordonner
et réduire dans la forme qui appartient à l'histoire, voilà le
travail qui fut confié à M. Mustoxidi, et qui suppose dans
celui qui devait l'entreprendre,non-seulement de l'étude et de 1 érudition
,
mais un discernement profond et une cri- tique solide ; travail long et pénible, mais encourageant
par lui-même
, et utile et agréable en même teins
, peut dire, car on avec l'abbé Coudillac, que jamais pays n'a
produit plus de vertus ni plus de talens que la Grèce : aussi les vicissitudes et les faits de la plus petite partie
de cette éminente nation doivent-ils intéresser et plaire.
Dans nos îles
,
qui par l'inclémence des tems restèrent
constamment privées de ces établissemens utiles que la
sollicitude des gouvernemensa fondés pourl'accroissement
de la civilisation
,
il n'était pas facile à M. Mustoxidi de
se procurer les élémens qui lui étaient les plus nécessaires,
et il fut obligé d'aller en France et en Italiç pour puiser
dans les bibliothèques, dans les cabinets numismaliques,
et auprès des savans, et s'y procurer les lumières qui lui
manquaient. Il suivit le conseil que donne aux écrivains
d histoire le grave Plutarque au commencement de la vie
de Démosthène, en leur recommandant de séjourner dans
les grandes villes où règne la culture, 'pour rendre leurs
ouvrages plus parfaits.
ta patrie regretta l'absence si longue d 'un fils qui dès
sa première jeunesse en était l'ornement; mais elle fut
amplement dédommagée par l'accueil favorable que sou
ouvrage rencontra partout.
M. Mustoxidi en publia une partie en igo5
, sous le titre
de Notices pour servir à l'histoire de Corcyre depuis les
lems héroïques jusqu'au douzième siècle. En 1811, il la
publia de nouveau sous le titre d'Illustrations Corcyréennes.
Cette fois l'ouvrage a été considérablement augmenté
par l'auteur, qui y a fait beaucoup de changemens
et l'a étendu jusqu'à l'aristocratie de Venise.
Aussitôt qu'il parut, il eut le succès le plus complet.
Les savans n'ont pas dédaigné de lui accorder une place
distinguée parmi les bons ouvrages des historiens modernes.
Les journaux littéraires de France, d'Italie et
d'Allemagne en ont fait les plus grands éloges.
Dans ce premier volume
,
l'auteur parcourt avec rapidité
les tems fabuleux et héroïques, et passe ensuite aux historiens
de son pays jusqu'à la guerre illyrienne. Il parle
de quelques hommes remarquables par leur érudition qui
vécurent à l'époque dont il trace les événemens, et de
quelques inscriptions publiques qui ont été conservées
jusqu'à nos jours, et il termine cette première partie en
rendant compte des jeux des Corcyréens.
De l'ordre dans la distribution des matières, un jugement
droit dans l'examen des faits, une critique sévère dans la
distinction de ce qui est vérité historique d'avec ce qui n'est
que conjecture
, une vaste érudition
, une scrupuleuse
impartialité dans la description des vertus et des vices,
des victoires ou des défaites
,
de la bonne ou mauvaise
conduite des Corcyréens dans plusieurs circonstances
graves , et de leurs malheurs domestiques
, un style élégant
et pur, que n'offrent pas les ouvrages de tous les
écrivains d'aujourd'hui, et dans lequel on retrouve le
langage divin de Dante et de Boccace; voilà les titres
qui ont mérité à l'ouvrage et à son auteur les suffrages
des savans. * Le second volume que l'auteur promet de publier, avant
la fin de cette année, paraîtra sans doute sous des auspices
non moins heureux. Celui-ci contiendra quatre dissertations.
La première sur les moeurs et la vie des Phéaques la seconde ; sur la république Corcyréenne ; la troisième
sur la religion de ses habitans et sur leurs anciens usages
et instituions. Il y sera joint un appendice d'inscriptions
avec des notes qui se rapportent àla première période,
ainsi que les Mémoires historiques et les inscriptions qui
regardent la seconde période, c'est-à-dire l'espace de tems dévolu depuis la guerre illyrienne jusqu'à la division de
l'Empire de Constantinople.
Nous espérons que l'auteur continuera ses savantes recherches pour compléter snn ouvrage, et qu'il donnera
aussi l histoire des autres îles. Pour ce qui concerne la Céphalonie,
il trouvera un excellent appui en M. Marino
Pignatorre
,
Céphalonien
, connu par diverses productions
littéraires, et qui a presqu achevé t histoire de cette île : cette histoire, lorsqu'elle aura été publiée
, sera sans doute
accueillie par les savans avec intérêt et satisfaction.
Nous aurons encore occasion de parler de M Mustoxidi,
et de faire mention d'un fragment importantd'Isocrate
qu 'il a publié, après l'avoir retiré de l'obscurité ou il
était resté jusqu'à nos jours.
I TA LIE
PADOUE.—On vient de publier dans cette ville l'ouvrage
suivant : La prima Nemea di Pindaro
, recala in versi
italianidalSig. Porto; c'est-à-(Iire, lapremie re Néméenne
de Pindare, mise en vers italiens par M. Porto.
L auteur de cette traduction est un jeune homme plein
d'esprit et de goût, qui cultive avec succès la littérature
grecque, et se distingue particulièrement dans la société
par ses. vertus et ses qualités estimables. Il a dédié son
ouvrage à M. Costa
,
littérateur célèbre, dont nous avons
une excellente traduction latine de toutes les oeuvres de
Pindare
,
imprimée à Padoue en 1808.
( Extrait du Poligrafo )
MERCURE ÉTRANGER.
N° XI.
LANGUES ORIENTALES.
LITTÉRATURE GRECQUE MODERNE.
~Mt^aiîX ~n'prJtxcÍpr¡ ~AtofJ-y¡rJtwloç. - LA DiOMÉDIADE
,
Poème
épique de M. Michel Perdicaris.—(FRAGMENT.)
LORSQU'HOMÈRE a éloigné de nos yeux le bouillant fils
de Pelée, en l'abandonnant à sa colère et en le renfermant
dans sa tente ,
il a bien senti que cette absence causerait
du vide à son vaste Jableau et pour le prévenir, il
nous a présenté des héros dont l'éloignement d'Achille
faisait ressortir la valeur, et qui étaient dignes d'occuper.
un instant la scène. Nous voyons donc paraître tour-à-tour
Ulysse, Diomède, les deux fils d'Atrée, les Ajax, Idoménée
,
Patrocle
, etc. , et jusqu'au moment où revient
Achille, ce sont les guerriers qu'Homère oppose au redoulable
Hector, mais que cependant, par une savante
Combinaison
,
il n'a pas rendus assez puissans pour terminer
la guerre de Troie et faire oublier le héros qui s'est
retiré des combats. Celle sage ordonnance de l'Iliade, en
semant le poëme d'épisodes heureux, en efface les longueurs,
répand un intérêt égal sur les chants où l'on cesse de voir Achille
, et prépare l'événement qui doit le ramener
à nos yeux et faire briller son triomphe dans tout son
éclat.
te cinquième chant de l'Iliade est consacré presque
tout entier à Diomède. Nous avions déjà, dans les livres
précédens
, aperçu ce jeune guerrier, mais aucun exploit
signalé n'avait encore illustré sa valeur. Ici il va paraître
et attirer tous les regards : une sage déesse le défend sans
que cette auguste protection diminue en rieti l'intérêt qu 'il
inspire : elle l'augmente même lorsqu'on se rappelle que
des Dieux ennemis des Grecs favorisaient les Troyens.
Diomède commence par punir le traîtrePandarus
, attaque
Enée, blesse Vénus qui voulait défendre son fils, cède un
instant aux Troyens secourus par le Dieu de la guerre , et
bientôt ranimé par Minerve retourne au combat, chasse
ses ennemis et frappe le terrible Mars lui-même. Ses
autres actions répandues dans le cours du poëme ne sont
pas moins remarquables et glorieuses; il se montre toujours
sous les couleurs les plus favorables, alliant par un
heureux assemblage la bravoure à la piudence, la modestie
à la générosité ; il a toutes les belles qualités des,
principaux chefs grecs , sans être entaché de leurs défauts,
et il est, on peut le dire, un des acteurs de l'Iliade que
l'on voit avec le plus de plaisir, et que l'on admire à plus
juste titre.
C'est d'après ce caractère de valeur et d'héroisme qu'Homère
donne à Diomède, qu'un poète grec moderne
, M.
Michel Perdicaris
, a conçu, il y a quelques années, le
projet d'un poëme épique divisé sur le plan de 1 Iliade
,
en vingt-quatre chants eu rapsodies
, et intitulé la Diomédiade.
On devine aisément la matière première de son
ouvrage : Vénus irritée contre le fils Tydée, ne peut lui
pardonner comme mère d'avoir blessé son fils
, et comme
déesse de la beauté de l'avoir méconnue en osant la combattre
, ru levant conlr'eJle une main téméraire. On prévoit
de-là tons les malheurs qui vont fondre sur ce héros ,
et on-le suit avec inquiétude dans les courses lointaines
qu'il est obligé de faire pour rentrer dans sa patrie après
la guerre de Troie. 4
J'annonce avec un bien vif regret que j'ignore si ce ,
aoëme a été terminé. Je n'en connais que le fragment
iont je vais donner la traduction. Si quelque chose m 'a
léterminé à publier ce morceau tout imparfait qu il est,
l'est l'espoir au'il pourrait faire plaisir, eu promettant un
ouvrage tracé sur le plus beau modèle que nous ait laissé
~l'antiquité, et écrit dans une langue encore peu connue
les littérateurs
,
et qui me semble trop dédaignée
,
malgré
les morceaux curieux et intéressans qu'elle renferme.
Le texte ne pouvant entrer dans ce Journal, je publierai
dans un recueil de poésies orientales que j'espère donner
incessamment, les passages grecs les plus remarquables
soit par les idées
,
soit par les graces du style et
la beauté des vers.
LA DIOMÉDIADE.— Chant premier.
Vénus excite contre Diomède une violente tempête
,
mais Amphitrite l'apaise et lui fait succéder le calme et
la sérénité.
« Je chante les hauts faits du héros magnanime et ver-
» tueux qui après que l'imprudente Troie, prise par ses
» ennemis
, eut satisfait à leur vengeance et fut réduite en
n cendres
,
revint en Grèce triomphant et couvert des
n lauriers de la gloire. Sur terre , sur mer et par-tout où
M
il s'arrêta, il éprouva mille maux affreux. Il combattit
n et dompta les tyrans, fit régner dans le monde une sage
n administration, et éleva comme un monument'de sa
» gloire, Argirippe, ville illustre à qui l'Hespérie dut un
» jonr sa liberté.
" 0 muse ! toi qui jadis' inspirant Homère et Virgile
,
» leur fis célébrer des hommes dont les exploits fu-
» rent souvent bien funestes
,
toi qui chantas la colère
« insensée de l'ardent Achille
,
les courses incertaines
n d'Enée
,
les ruses de l'astucieux Ulysse, ne t'offense pas
* si la Grèce, tout esclave qu'elle est, ose encore t'ho-
M norer dans ses fers
,
daigne jeter sur moi un regard
M favorable et propice à mes voeux, me prêter de nobles
M accens , me dicter des vers harmonieux pour louer di-
» gnement un héros ami de la nature et de l'humanité.
n Dis-moi, quand cet homme illustre éprouva-t il tant
n de malheurs 1 quelle en fut la cause, et quelle déesse1
* ennemie l'accablant de son courroux , arma pour le,
n perdre jusqu'aux élémens eux-mêmes ? » Ce début Vst sage ; on reconnaît aisément que l'auteur
a imité
, pour la première partie
,
celui de l'Odyssée ou de
l'Enéide. Ainsi que dans ces deux poëmes, on nous annonce
sans le nommer, un homme illustre et malheureux.
Nous cherchons aussitôt en nous-même quel est cet
homme
, et ce mystère adroit de l'auteur éveille notre intérêt
et notre curiosité. Dans l'invocation à sa muse ,
la
poëte saisit l'occasion de parler de sa patrie
, et par deux
vers seulement, il nous peint sa triste situation, et appelle
nos yeux sur un peuple généreux abattu sous le poids de
ses maux. Il entre ensuite en matière.
« Vénus ne pouvait oublier ce jour funeste où les
» Dieux prenant part à la guerre de Troie, avaient comn
battu parmi des héros
, ce jour où Diomède lançant
n contr'elle un trait audacieux avait blessé sa main délin
cate et faible. L'inconsolable déesse
,
enflammée de
n dépit et de colère
,
gémissait en silence et méditait
» contre son ennemi mille projets d'un terrible châtiment.
« Elle ne s'occupait que des moyens de faire périr le mor-
» tel téméraire qui l'avait outragée. L'encens de Chypre
,
n les sacrifices d'Idalie n'avaient plus de charmes pour
n elle
,
puisque Diomède vivait encore et qu'elle voyait
n inutiles et impuissans les efforts qu'elle faisait pour le
n pérdre ; elle ne respirait plus que la vengeance et voulait
n tout sacrifier pour l'obtenir. n Voici Ja cause des persécutions que le héros doit
éprouver. Elle est exposée en peu de mots ,
mais on entrevoit
lout d'un coup la grandeur de la faute et du ressentiment
qu'elle excite. L'auteur a imité Virgile dans ce premier
chant, ses vers rappellent :
Mavet alta mevtt reyoslum.
Il paraît même l'avoir assez constamment suivi, quoiqu'en
traitant un sujet différent, ainsi qu'on le verra par
la lecture des passages suivans :
M Cependant Diomède était sorti (1) des montagnes
n arides où l'horrible Poliphème a fixé son séjour. Il triom-
» phait du courroux de la déesse, levait l'ancre et déployait
» ses voiles légères. Le ciel était pur, la mer offrait le plus
» grand calme, les flots à peine agités s'étaient colorés de
w bleu et d'azur ; le zéphir et les autres vents à la douce
» haleine soufflaient sur les navires qui, tels que de rapides
H oiseaux, semblaient voler sur la plaine humide et tran
çaient dans l'onde qu'ils fendaient avec bruit
, un fugitif
n sillon.
n Que vois-je
, se dit la déesse
, en brisant sa couronne ,
n et en jettant sur les flots un oeil courroucé. Quoi
,
l'inn
digne fils de Tydée a levé contre moi sa main sacrilége :
n faible mortel, il a pu blesser une déesse que l'enfer luin
même respecte, que les cieux honorent, et a qui toute
» la terre rend hommage ! Le farouche dieu des combats
« redoute mes regards 5 le maître de l'Olimpe, Jupiter,
" est soumis à mon empire 5 je puis
,
si je veux, détruire
ti d'un seul coup-d'oeil la terre et les cieux, et cet homme
n téméraire m'aurait outragée aussi cruellement sans qu 'il
n fut puni de son crime
, et qu'il éprouvât ma colère ! que
p nous sert à nous autres habitans du ciel, que les humains
n brûlent de l'encens sur nos autels, si nous sommes un
n seul instant en butte à leurs injures. Non
, par les eaux
" du Styx
,
je ne pardonnerai pas cette offense
,
dusse-je
" envelopper le monde dans ma fureur, et l'anéantir tout
" entier. Tremble
,
tremble
,
impie Diomède
,
redoute ma
n haine
, ma vengeance t'attend. Envain déjà tu m'as
» échappé
,
appelle maintenant à ton secours Minerve
x et Jupiter, ils ne pourront plus te sauver. Tu vas rece-
» voirie châtiment dû à tes crimes et reconnaître ma toute
(r) Vix e conspectu. ENÉIDE, livre Ier.
71 puissance :c'estau milieu de ces eaux et de leurs sombres
« abîmes que tu sentiras la colère de Vénus. L'auteur » a donné à ce morceau tout le développement
dont il était susceptible. Il a peint avec force l'amourpropre
et l 'orgueil blessés
} et le sentiment d'une injure
profondément gravée dans le coeur. Il a même imprima
aux menaces qui terminent le discours de Vénus
, tout
la fureur qui l 'anime. Il n est personne qui en lisant ce
passage, ne se rappelle ces beaux vers que Virgile met
dans la bouche de l'altière Junon.
Cum Juno cetcrnum servans sub pectore vulnus
Hcec secum : ne mccepto desisteve victatn.
u4st ego quce dipum incedo regina, Jovisque ..
Et soror et conjux)
. , , , ,
Quelles que soient l'énergie
,
la fierté et la hauteur qui
règnent dans ces vers , et l'admiration profonde que je
porte à Virgile, je ne crains pas néanmoins de mettre en parallèle les vers grecs, et si je pouvais les présenter de
suite aux yeux des littérateurs, ils conviendraient avec moi
que pour la marche des idées, la coupe et la dignité des
vers ,
le poëte grec suit de bien près son illustre modèle.
« A ces mots la déesse met sur sa tête une couronne de
n rosés , se calme
,
adoucit ses regards, et fait briller des
« charmes que le feu de la colère anime encore et rend
» plus séduisans. L'Amour contemple sa mère
, et ap-
» plique sur ses lèvres fraîches et vermeilles les baisers les
» plus délicats. La colère de la déesse s'était évanouie en
" un léger sourire qui avait conservé cependant une cerv
taine empreinte d'humeur et de fierté. Vénus adresse
» ensuite ces paroles à l'aimable enfant qu'elle voit toujours
n empressé de lui obéir.
* 0 mon fils
,
ô toi
, mon unique espoir et ma seule
» consolation, combien de tems verrons-nous notre coinr
mun enhemi se rire de nos efforts et se jouer de notre
" courroux. Minerve (2) un jour offensée par un homme
w a su le punir en l'ensevelissant dans les flots, et en
» l'immolant à la plus cruelle vengeance, et moi je tais
» d'inutiles efforts contre un barbare
, un impie , qui s est
„ rendu digne de mon ressentiment. Minerve serait-elle
* plus puissante que moi, moi fille de Jupiter, moi qu il
« aime sans doute plus tendrement ? Ainsi donc je reste-
* rais outragée, et le cruel remporterait sur moi Non
« c'en est fait, il va périr aujourd'hui ,
faudrait-il, je le
» répète, frapper pour l'atteindre l'univers entier. Pré-
« pare mon char, et conduis-moi de suite chez Neptune,
» lui seul peut venir à mon secours ,
j'espère qu il ne me
„ refusera pas son appui. L'Amour répond par un sourire,
n prend son carquois
,
aiguise ses flèches
,
et con ucteur
« aimable
,
s'apprête à mener le char qui doit porter la
« séduisante déesse. Vénus contente de son empresse-
» ment le contemple avec une tendre émotion, l encou-
» rage par ses regards
,
et avant de monter dans le char ,
» prend dans ses bras cet espiègle conducteur, et le ser-
» rant de la plus douce étreinte
,
le presse sur son coeur
« et le couvre de baisers : elle entre ensuite et se dispose à
« partir. Ses colombes favorites, attelées par l'Amour,
« .déploient aussitôt leurs ailes dorées
, et traînant légère-
» rement le char de leur maîtresse, font entendre dans les
« plaines de l'air le frémissement de leur vol rapide. Mais
n l'Amour, enfant sans expérience, ne suit point de
* marche réglée, il les conduit selon son caprice ou son
* humeur volage, et quelquefois trop distrait, il se retourne
« vers sa mère et la regarde avec un sourire tendre et
« malin. Il s'égare dans l'espace et s'élève bientôt à la hau-
„ teur des astres les plus reculés. De ce point éloigné,
« notre globe immense qui renferme tant de montagnes ,
» de mers ,
de nations et de peuples divers, ne paraît plus
« qu'un faible grain d'orobe que l'on distingue à peine.
(2) Pallas ne exurtre classem.
EnbidE
,
livre Icr.
* L'Amourdescend
avec la rapidité d'un éclair
» dont l'oeil effrayé ne peut suivre la course, il se précipite
» dans I océan, et disparaît sous les profonds abymes. Les
« poissons ,
les monstres marins, voient avec surprise la
» déesse de la beauté entrer dans leurs sombres retraites.
» Ils accourent en foule au-devant d'elle, se réunissent
' » en un respectueux cortège, et la conduisent en triomphe
" au palais de leur souverain. Ce n morceau est plein de détails charmans ; l'allégorie
de I _Amour, qui précède la déesse de la beauté, les co- lombes aux ailes dorées, le conducteur qui guide leur marche incertaine, etc., offrent des images très gracieuses
et de la plus délicate poésie. L'auteur, il est vrai, les a empruntées aux poëtes anciens
,
mais il a su les employer
avec art et les orner des grâces d'un style toujours élégant
et harmonieux. Je sens bien cependant que ces fréquentes
imitations seront regardées par quelques littérateurs un peu sévères, comme des espèces de copies : il faudrait
lire le poëme entier de M. Perdicaris, pour voir s'il a toujours
suivi aussi fidèlement ses modèles, et porter un jugement sain et équitable sur sa production. S'il a toujours
imité de même, en lui refusant le mérite de l'invention
, on reconnaîtrait au moins le talent du versificateur,
et on ne pourrait s'empêcher d'applaudir aux heureuses
dispositions d'un homme qui se servant d'une langue dé- chue de sa beaulé première
,
mais injustement appelée
corrompue, transporte dans ce nouvel idiôme l'antique
langage d'Homère et de Virgile. DUVAL-DESTAINS.
( La suite à un autre numéro de ce Mercure. )
LANGUE ESPAGNOLE.
AU ZÉPHIRE.
IMITATION D'UNE ODE ESPAGNOLE DE MELANDEZ (i).
en plácido Jiafionio.
0 toi dont la douce fraicheur
A nos vallons rend la verdure !
Toi dont le murmure enchanteur
Donne la vie à la nature,
Et qui d'une volupté pure
Fait toujours palpiter mon coeur!
Zéphire, amant léger de Flore ,
De l'Aurore doux messager,
Dans ce délicieux verger
Où mille roses vont éclore
, Reviens
,
fils aimé du printems,
Rendre à ma lyre inanimée
Ses accords jadis si touclians,
Et, sur les gazons renaissans,
Promener ta course embaumée.
Des plus éclatantes couleurs
, Viens animer l'émail des fleurs ;
Et, sur cette rive charmée
De tes présens consolateurs,
Fais-moi respirer les odeurs
De ton haleine parfumée.
Viens d'un tendre frémissement
Agiter cet épais feuillage :
Sur moi balancé mollement,
Voltige autour de mon visage.
Ah! ne quitte plus ces beaux lieux !
Et daigne à ma voix amoureuse,
Depuis long-tems silencieuse,
Prêter des sons harmonieux.
(i) Voyez le texte dans le dernier numéro du Mercure étranger,
page 211.
De feux embrâsant la carrière
Déjà le grand , astre du jour
A
,
dans sa course régulière , Marqué la moitié de.son tour.
De la chaleur qui .me tourmente , Ah! viens tempérer la rigueur !
Ton haleine rafraîchissante
A ma démarche défaillante
Seule peut rendre la vigueur.
Que doucement Ion aile essuie
Mon frout humide de sueur , Et je vais faire
, en ton honneur
Couler ,
,
dans ma co,upe tarie Le , nectar si cher au buveur :
Puis, sur ma lyre qui t'appelle
Chanter ,
, sous ces ombrages frais,
Le printems
,
l'amour, les bienfaits
, Et mon existence nouvelle.
Que la reine de nos coteaux,
La violette humble et timide,
Quand tu rases d'un vol rapide
Le cristal argenté des eaux , Dégageant sa tête craintive
Du noeud qui semble la presser , Paye du plus tendre baiser
Ton inconstance fugitive.
Les pleurs humides du matin
Bientôt vont briller sur tes traces ,
Et la rose, ornement des Grâces
, T'en offrira le doux butin.
De ma lyre encore incertaine
, Heureux, cent fois heureux alors ,
Si je puis tirer des accords
Aussi purs que ta douce haleine.
A. M.
A M. le Rédacteur du MERCURE ÉTRANGER.
Paris, i5 novembre 1813.
MONSIEUR, j'ai l'honneur de vous annoncer que ,
dans
une petite ville située au pied des Pyrénées, du côté dt
l'Espagne, il vient de paraître un nouveau Don Quichotte,
armé d'une plume, d'un écritoire, d'un feuilleton
,
et de
beaucoup d'arrogance. Ce moderne chevalier de la triste
figure, gâté comme l'autre par des lectures dangereuses,
a pris le Courrier de Géronne pour champ de bataille.
Anglais
,
Français, Espagnols
,
il n'épargne personne. Il
en veut même à tous ses compatriotes qui ont écrit depuis
trente ans. Dans sa première sortie, il a rompu des lances
contreDelille, Milton, MM. Ducray-Duminil,Pixérécourt,
et l'Université de France, fille aînée de nos rois.
Je viens de lire celte incartade dans les Nas 2o3
,
2l3
,
2.15 dela Gazette de Géronne. Ce journal n'est pas encore
très-connu dante Paris 5 mais, à la faveur de son accoutrement
moitié français et moitié espagnol, il pourrait
bien se glisser dans le monde
, et faire du bien et du mal
comme un autre. Ce motif me détermine à vous en communiquer
l'avis
, pour que les intéressés ne soient pas
privés du droit de la défense qui est si naturelle en pareil
cas.
A l'exemple du héros de la Manche, il parait que cet
aventurier a pris un nom de fantaisie. Il s'appelle Porras
Machuca : ce premier mot signifie massue; le second
vient du verbe actif machucar, écraser. Ce dernier nom
fut donné à un fier Castillan qui assomma beaucoup de
Maures, avec une branche d'arbre dont il fut réduit à se
servir en guise de lance. Il n'y a pas de vieille chronique
espagnole qui néglige de rapporter le fait.
Vous voyez ,
Monsieur, qu'on ne badine pas , et que
l'intention n'est pas douteuse. Je ne sais rien de positif
sur la patrie de M. le bachelier Porras Machuca. Quand
je lis sa colonnefrançaise, il me paraît tout à fait Espagnol.
Quand je lis sa colonne espagnole, je suis prêt à
jurer qu'il est du midi de la France. Un petit mot de
souvenir en faveur de la Garonne, qui se trouve dans ses
vers latins, donne beaucoup de poids à cette dernière
opinion. Pour ce qui est du mérite de ces vers latins, je
les abandonne à M. Teissedre qui les examinera avec
plus de soin que moi. Je ne doute point que l'habile fesseur qui pro- vient de rendre un hommage éloquent aux
mânes de Delille ne s'empresse de relever le gant pour défendre la gloire de son maître.
MM. Ducray-Duminil et Pixérécourt n'ont besoin que d 'être avertis j ils sont dans toute la force de leur talent : ils
ont du papier et de l'encre à leur disposition. L'Université
ne manquera pas d 'appui si toutefois on veut entrer en lice pour Crevier, que Voltaire a passablement ridiculisé.
^
La Gazette de Géronoe se ressent du lieu de son origine
: elle est toute à la guerre. Cette ville, disent les
Catalans, a toujours été funeste aux François
,
qui cepen- dant n ont guère manqué de s'en emparer quand ils l'ont
assiégée. Ses habitans m'ont raconté plus d'une fois que, dans les tems passés
,
le glorieux saint Narcisse, leur
patron ,
suscita des mouches d'une espèce venimeuse qui
détruisirent une armée de nos compatriotes.
Je vous fais grâce ,
Monsieur, de la colonne écrite en espagnol qui est en face du texte français. J'invile à cette lecture les amateurs du style du quinzième et du seizième
siècles de la littérature castillane. Il paraît queM. le bachelier
Porras Machuca dédaigne Id manière actuelle de parler
de ses contemporains. C'est une ressemblance de plus
avec Don Quichofle, qui aimait à s'exprimer dans le
vieux langage des livres de chevalerie lesquels, comme chacun sait, causèrent sa maladie. Monsieur, j'ai l'honneur
de votis prévenir en même tems que je suis parfaite.ment
neutre dans la querelle qui va s'engager M. le bachelier
et ses adversaires peuvent me savoir gré de les avoir mis
en présence. Dieu fasse que la discussion contribue à
l 'amusement et à l'instruction du public. Il ne serait pas
moins utile de redresser les torts de l'esprit que les torts
imaginaires qui excitaient la bile du héros de la Manche.
Je vous salue, J. ESMÉNÀRD.
Voici le prospectus et la lettre.
Copie littéralement prise de la Gazette de Géronne,
mardi i3 octobre l8l3.
Avis. - A compter du 1er décembre 1813, chaque
Numéro de cette Gazette (à moins que l'abondance des
matières politiques ne l'empêche ) contiendra un feuilleton
en français et en espagnol, consacré spécialement à faire
connaître les écrivains classiques espagnols en prose et en
vers. Nous y donnerons la théorie de chaque genre, modifiée
par le génie de la langue castillane, par les moeurs , le caractère et l'esprit nationaux : nous appuyerons nos
assertions de l'autorité des meilleurs orateurs et poëtes :
nous parcourrons les genres differens, ceux où les Espagnols
ont eu plus de succès, et ceux où ils ont moins
réussi. Nous indiquerons les causes des progrès des uns,
de l'abandon des autres, de la bonne ou mauvaise direction
qu'on a donnée à la culture de tous. Nous analyserons
quelques-uns des meilleurs ouvrages espagnols, et nous
insérerons des morceaux et des compositionschoisies avec
la traduction en français à côté. Quelquefois on mettra
dans ce feuilleton des morceaux des meilleurs auteurs
français, anglais, latins, allemands et italiens, avec la
version espagnole en prose ou en vers; c'est-à-dire, les
orateurs ,
les historiens et les philosophes en prose , et les
poëtes en vers : car le rédacteur est persuadé que la
divine poésie ne saurait convenablement se rendre dans
le langage dont s'est servi M. Jourdain quand il disait à sa
servante : Nicole, vas me quérir mes pantoufles et me les
apporte. Quelques feuilletons pourront contenir des productions
du rédacteur. Il n'ose promettre qu'elles soutiennent
la comparaison avec celles des Argensalas et des
Herrera; mais, certainement elles ne seront pas écrites
dans la langue à la mode dont on trouve tant de beaux
modèles dans la plupart des livres espagnols qui paraissent
depuis trente ans, et qui ressemblent au castillan comme
la langue franque des patrons des vaisseaux génois au
toscan de VArioste et du Tasse. Ces messieurs sont dans
1 habitude d'étudier la langue castillane dans les romans
soi-disant français de Ducray-Duminil et les mélodrames
de Pixérécourt. Grands génies qui ne se doutent pas
qu'aux bords du Guadalquivir, du Tormes et du Pisuerga
la lecture de leurs immortelles productions ait remplacé
celle des vers de Rioja, et de la prose de Léon, Solis et
Mariana !
On promet solennellement que les articles espagnols
de ce journal seront de l'espagnol : et ils pourront servir
de cours de langue aux étrangers qui chercheraient à apprendre
le castillan dans les livres modernes
, et se trouveraient
aussi dupes que feu Poinsinet, qui voulant savoir
l'allemand avait pris des leçons de bas-breton.
L'abonnement commencera à dater du Ier décembre
1813. Cette Gazette paraîtra trois fois par semaine,
dimanche
,
mardi et jeudi.
Les lettres ade,ssées au rédacteur, qui ne seront pas
affranchies, resteront à la poste. Son adresse est à M. le
rédacteur de la Gazette de Géronne, à l'imprimerie de la
Gazette
, par Perpignan
,
à Géronne.
On s'abonne à tous les bureaux deposte.ChezM.Alzine,
libraire à Perpignan ; et à l'imprimerie de la préfecture du
Ter, à Géronne.
Gazette du 28 octobre 1813. N° 213. — MÉLANGES.
SUR UNE ODE LATINE EN L'HONNEUR DE L'ABBÉ DELILLE.
Don FRANCISCO DE PORRAS Y MACHUCA, bachelier en
sainte théologie à F Université de Salamanque, et chanoine
de la cathédrale de Solsona,
A M. TEISSEDRE
,
professeur de rhétorique au Lycée
de Versailles, et docteur de l'Université.
MONSIEUR LE PROFESSEUR
,
je n'ai lu de votre ode latine
que quatre strophes
,
celles qui ont paru dans le Journal
de l'Empire du 10 octobre : hélas je crois que si , par
malheur, j'avais lu l'ode entière
,
j'aurais été infailliblement
atteint de cette éternelle léthargie, perpetuus sopor~
que vous avez placée pour épigraphe de vos mètres
,
afin
que les lecteurs sachent à quoi s'en tenir. De quoi vous
avisez-vous, monsieur le docteur? Si le poëte Delille
n'était pas digne d'une couronne de laurier, il ne méritait
pas non plus une de pavots.
Sans doute
, vous avez voulu que l'ombre de votre héros
jouît du même bonheur dont vous l'avez gratifié lui-même
de n'avoir point d'envieux, et je vous réponds que personne
ne sera tenté de lui enlever un tel chantre.
L'abbé Delille, Monsieur, eut le malheur de n'avoir
guère DIUS d'idées à lui qu'un docteur sur les bancs ou
hors des bancs ; mais il rendait assez élégamment les
idées des autres ,
quand il les avait comprises
, ce qui ne,
lui arrivait pas toujours. Il a imité en vers faciles et souvent
heureux les Géorgiques deVirgile, et ceux qui ne
savent pas le latin trouvent du plaisir dans cette gracieuse
et faible copie du plus parfait des originaux. Son poëme
sur l'imagination en manque totalement ; il paraît que
l'auteur était de l'avis de Figaro écrivant sur les finances,
qu'il ne fallait point tenir la chose sur laquelle on faisait
un livre. J'ai lu sa Pitié, et même son Enéide ; et comme
je sais celle de Virgile par coeur ou à peu près, vous pouvez
bien penser dans quel tourment je me trouvai pendant
cette lecture. Les compositions de Delille ont presque
toujours les adjectifs de trop. On pourrait les en retrancher,
et ses substantifs y gagneraient d'autant.
Avant d'entrer dans l'examen du fragment de votre ode
inséré dans le journal, ne me serait-il pas permis de vous
dire que les anciens n'ont jamais fait d ode pour déplorer
la mort de qui que ce soit; et que celle d'Horace dont
vous avez pris l'épigraphe
,
ainsi qu'une autre du même
poëte où il est question de la mort de Mysté, sont des
consolations adressées à Virgile et à Valgius qui se désolaient
de la perte de Quintilius et de Myslé, et non pas
des hommages rendus aux ombres de ceux-ci : c'est
La plaintive élégie en longs habits de deuil,
qui était consacrée à pleurer les morts. C'est dans une é légie qu Ovide a jeté des fleurs sur la tombe de Catulle Tibulle, snr celle de son frère, et Domitius Marsus, sur celies de Tibulle et de Virgile. Un bachelier ne doit pas faire la leçon à un docteur. Si cependant j'avais voulu
faireune élégie latine sur la mort de Delille
,
j'aurais pu la
commencer ainsi : r
Quid tam inrss/n Pales
,
demisso floraque vullu,
Liber et ipse pater non temulentus adest ?
IJnde Garumna cietJluctus
Nec nympJzis , magnusque Stquana , cura est disposuisse comas ?
Funere nempe tuo , thyrsi, merentia rura,
Et plangunt Njmphce, plangit et alma Ceres.
At tu, quce irriguos hortos
.
lymphasque salubrcs
Diva, colis , sigricolceflores , Parce , heu !jjam lacerare genas. tumulo propter date vatis
Lylia nec desint purpureceque rosce. Martibus, ala lfiustrà saltem cumulemus honores , Quand61 est in lucem non remeanda via.
Peut-être pensez-vous, Monsieur le Professeur, que l' auateuruteur de l'Homme des Champs et le traducteur des
Géorgiques devait être loué dans des vers tels que ceux
où Daphnis mort est célébré et pleuré par les bergers de
Virgile. Je ne serais pas de votre avis. Delille me semble
plutôt le poëte des jardins et des châteaux que des villages
et des chaumières. Mais, si cela était
, comme les
bergers des Bucoliques sont eux-mêmes des poëtes
,
j'aurais
pu leur faire commencer leur complainte par des vers semblables à ceux-ci :
Quid pietas , puri mores , aut carmina prosunt,
Si nunquam parcceve manusf/gisse nefandas , tNec vitassedatum nunquamfallentia tela? averat huic Phæbus , doctcefosere sororcs ;
Attam.n invisas sedes , umbrasque silenles
Haud secius miserandus adit, Ie/rique fJranni
Ingratis paretjllsÚs ccterno compede vinctus. I, nunc , pierio totum te proluefonte ;
Cocyti nautam horrendi
,
Eumenidumquephalanges
-Yel' molles cantus , nee dulcia carminaflectunt.
Teius hic vates nescit cantare Batlryllum
Dedidiaitqlle Marojusto pede dicere bella.
J'aurais pourtant préféré à tout ce fracas de grand vers
le doux et tendre hendecasyllabe, consacré par Catulle à
plaindre le joli moineau de Lesbie, enlevé à sa maîtresse
par l'impitoyable Atropos. Delille n'avait point la voix d'un
cygne ; quoi que vous en disiez; ses chants ressemblaient
plutôt au ramage d'une allouette ou au doux gazouillement
d'un serin. Que n'avez-vous donc pas dit, Monsieur le
docteur?
Sifoas carmina si movere nostra ,
Mulcere et rapidos lupos valerent,
Non ditis reserare claustra possint
,
Nec prcedam semel a charonte raptam
In auras , ilerum diemque ducant.
Innandus semel est lacus timendus ,
Cujus Jupiter ipse nomcn harret.
æternll1n vale
,
vatis umbra cara ;
Nam te nunc placidi tenent averhi
Fontes
, atque beata mista vadis
jiscrcei, atque maronis
, et britanni
Fatis
, tartarea tuba canentis
Iras , arinaque , numilwm que bella ,
Umbris ; collnquiisquegaudes alrna.
Vous me passerez, M. le professeur de Versailles, le
tartarea tuba, car les vers de l'Homère de la Tamise sont
parfois aussi rauques que la trompette infernale qui appelle
au conseil le diable.
Chiamagli abitator dell'ombre eterne
Il rauco suon della tartarea tromba.
Que si vous vouliez, Monsieur, à toute force faire une
ode
,
il vous fallait (aire l'apothéose de votre héros ; musa
vetal mori eut du être votre épigraphe ; au lieu de cette
léthargie de mauvais augure que vous n'avez que trop justifiée
,
il fallait dire :
Quid tit poeta triste parasunus ?
Compesce,fletus ; atirea sidera ,
Solisque miratur sororem,
sistraqu* sub pedibus minora.
Credisne natas quos Polyhymnin
Vulgo profano seposuit, mori?,
Tollunturad ccelum,jovisque
Concilio adnumerantur almo.
Quant à vos vers ,
Monsieur, ils soni bien mauvais j j'en
suis très-fâché, mais je ne saurais adoucir l'expression.
Jamais en latin on n'a dit : iii hoc revivunt multi poeta,
atque in altum remeant pindum. Cela n'est ni latin, ni
même d'aucun idiôme. Comment voulez-vous que plusieurs
poëtes retournent sur les hauteurs du Pinde dans
DELILLE? Ah ! Monsieur le professeur, votre expression
me rappelle 1 histoire d'un garçon de mon village qu'on
examinait pour lui conférer la prêtrise. L'évêque examinateur
lui dit de traduire la prière de Saint-Nicolas qui commence
par ces mots : Deus qui decorasti sanctum Nicolaum
innumeris miraculis ; et le candidat la traduisait
ainsi : Deus, oh! Dieu, qui, toi qui, decorasti
,
avalas,
sanctum Nicolaum, saint Nicolas, innumeris, par les
épaules j l'évêque tout surpris lui dit, comment voulezvous
que Dieu ait avalé saint Nicolas par les épaules ?
miraculis, répondit mon compatriote, voilà le miracle.
C'est sans doute par un miracle semblable que tous ces
poëtes revenus à la,vie ont remonté le Pinde dans le pauvre
Delille, qui, arrivé au sommet, devait être bien fatigué
de la charge qu'il avait portée. Non debuerat mori; ne
veut pas dire, il ne devait pas mourir. Dans le sens que
vous donnez à cette phrase, il vous fallait dire : ne/as erat
mori : debemurmorti, nos, nostraquej nous nous devons
à la mort, nous, et tout ce qui est à nous; non pas dans
le sens que ce soit un devoir de mourir, comme vous paraissez
en faire un pour la parque d'épargner Delille,
mais dans le sens d'uu sort auquel on ne saurait se soustraire.
Debere, en latin
, veut dire
, avoir des dettes, et
non pas des devoirs.
PlaifSuJavcntumgaudeat unici.
Ne signifie pas non plus, jouirdes applaudissemens, mais
bien
,
aimer les applaudissemens; unicè gaudere, est, y
prendre uil plaisir exclusif, qui absorbe tous les autres-
Le jeune homme, dit Horace,
Gaudel equis, canibusque
, et aprici gramine campi.
lime les chevaux
,
les chiens, et la course dans un champ
ouvert.
Il ne veut pas dire qu'il jouisse de tout cela. Votre latin,
M. le docteur, ressemble quelquefois au français du professeur
du petit comte d'Escarbagnas ; vous vous êtes soutenu
de Lhomond presqu'aussi souvent que d'Horace. Ce
Lhomond ue fut-il pas un de vos illustres prédécesseurs
dont les beaux ouvrages démentent les diatribes de J.-J.
et d'autres novateurs contre l'instruction qu'on recevait
dans les collèges? Il est vrai qu'on n'y enseignait que le
atin
,
auquel on ne consacrait guères qu'une dixarne d'auoées
, et qu'on en sortait si savant, que les Français
avaient la réputation d'être la nation européenne qui
connaissait moins la langue latine; et je ne pense pas 'ntre nous , , que vos odes fassent changer d'avis l'Europe
avante.
Ignorez-vous
,
M. le professeur, (lue ce ne sont pas les
Universités qui ont perfectionné la langue française
,
qui
)ut fait les découvertes dout s'honorent le dix-septième et
e dix-huitième siècle
,
qu'avant et après Ramus leurs disjutes
ont toujours été du cancan ? Est-ce votre Crévier,
'rudit comme un fesaur de vaudevilles et léger comme un
bénédictin de la congrégation de Saint-Maur
, que vous
apposerez aux Fergusson et aux Gibbon ? Le système de
'attractton et la chimie pneumatique ont-ils pris naissance
dans votre Université? Pascal n'était point docteur, et
Fous chassâtes de vos bancs le grand Arnauld, qui, instruit
par Jésus-Christ même
, comme dit Boileau
,
défendait
la morale sociale et religieuse contre les maximes
bominables des casuistes relâchés, et ces casuistes, Monicur,
étaient presque tous des docteurs.
Tout cela, M. le professeur, est, je l'avoue, de la vanité^
Il n'y a de solide que la charité et les bonnes oeuvres.
-Demain
, en offrant le saint-sacrifice de la messe, je prierais
Dieu pourl'ame de Delille, je l'implorerai pour vous, ainsi;
que pour moi, misérable pécheur, et lui demanderai pour
nous deux
, non pas les inspirations d'une muse profane,
mais le souffle de la grâce sanctifiante
, pour qu'un jourj
nous soyons rassemblés dans le paradis céleste
,
où avec?
le fils et le saint-esprit
,
il règne pendant les siècles desj
siècles. Ainsi soit-il.
BACHELIER FRANCISCO DE PORRAS MACHUCA.
Solsonge , 24 octobre 1813.
P. S. Quoique je ne conserve plus dans ma bibliothèques
ni Horace, ni aucun autre auteur profane
,
je me rappelle
fort bien que le troisième vers de chaque strophe du genre
que vous avez choisi pour votre ode, a quatre pieds et und1
césure à la fin, et que les pieds impairs sont toujours des
spondées
, et les pairs des iambes. Je ne crois point qu'ont,
trouve d'autre exception à cette règle
, que ce vers de l'ode
à la Fortune : |
Ad arma , cessantes, ad arma ,
dont le premier est iambe, mais je ne pense pas que cettej
licence autorise suffisamment le vers de votre ode : ,
Et voce cjcnea videntur. \
où trois iambes se suivent sans interruption : Horace dit
de ce genre de vers :
Spovdceos injura paterna reaepit
Non ut de sede secundd
Cederet
,
, aut quarta socialiter
Disons pourtant avec Coheleth, vanité de vanité, tout est
wanité. 1
LANGUE PORTUGAISE.
0 HISSOPE,
, poema heroi-comico de ANTONIO DINIZ DA
CRUZ E SILVA. Em Londres, ho anno 1802. — LE
GoupiLLON
, poème héroï - comique
, par ANTOINE
DINIZ DA CRUZ E SILVA. Avec cette épigraphe
.
Ridiculum acri. HORAT.
Londres, 1802.
L'AUTEUR de ce poème mourut, il y a environ douze
ans. Il était chancelier de la cour souveraine de la Baie
de tous les Saints, l'un des principaux établissement
portugais au Brésil.
Dans l'exposé rapide que nous avons donné, il y a
quelques mois, de la littérature portugaise (1), nous
avons essayé de caractériser le talent souple et élevé de
ce grand poëte. Il doit évidemment à Boileau son cadre,
les masses principales de son plan et le type original de
plusieurs des fictions qu'il y a très-habilement enchaînées
; mais il en est qui lui appartiennent exclusivement.
Les unes sont très-belles, et il est facile de
reconnaître que ce sont précisément celles où il s est le
plus rapproché du maître ( on sent alors que Boileau
l'a bien inspiré. Les autres, puisées à des sources moins
pures, pèchent par la bizarrerie, par un défaut de goût,
de convenances et de proportions. Le merveilleux dont
Diniz fait usage est bien pauvre, bien froid. Quand
Boileau personnifie la discorde, la chicane, la mollesse
,
la justice et la pitié, il emploie aussi des êtres
métaphysiques ; mais sans même compter le génie qui
(1) Voir le N° V.
tes met en action, ces êtres sont connus et consacrés
ils ont, en quelque sorte, une existence poétique, ils sont essentiellement agissans, l'imagination leur pose sans effort des passions sup- vraies, c'est-à-dire déci- dées, nécessaires, identiques à leur nature: ce sont,
en un mot, des êtres complets et nettement définis.
Diniz n est pas aussi heureux que son illustre modèle : il fallait un talent comme celui du premier des poètes
portugais modernes pour rendre supportables cette Excellence, cette Seigneurie
,
figures incertaines et déco
lorées
^ sans passions déterminées, sans attributs
fixes et nécessaires, sans intérêt et sans grâce. Diniz ai encore eu le tort de délayer en huit chants un sujet
dont le fonds est aussi simple que celui du Lutrin : aussi;
peut-on fui reprocher des longueurs, des répétitionsJ
des endroits faibles, une marche lente $ il ne court pas
à l'événement.
Mais hâtons-nous de l'avouer imperfections, : sur ces torts,, ces ces faiblesses, Diniz sème la poésie à
-pleines mains ; il les couvre de toutes les beautés queJ
lui fournit un idiôme charmant, qu'il manie avec une dextérité merveilleuse. Il séduit, 1 il captive par l'éclat et]
les heureuses ressources d'un style où le bonheur des !
expressions, la vérité, la couleur antique des images
s'allient toujours à une extrême pureté. On admire cet
esprit ductile qui se plie sans contrainte à des genres si divers, et combien cette muse sérieuse, qui planait
avec Pindare dans les hautes régions de la poésie lyrique,
sait manier habilement l'arme badine de la plaisanterie.
Comme Boileau, Diniz conserve, avec une gravité railleuse le ton épique, en peignant des sottises. , J
Il connaît et pratique à merveille cet artifice qui con- I
siste à affecter les grandes images et les grands mots
poùr exprimer des choses très-petites; c est le véritable
accent et le caractère du genre ; c'est aussi sa grâce.
Le poème du Gouptllon contient de curieuses peintures
de moeurs : il nous montre le clergé portugais au
dix-huitième siècle,sa vie indolente et molle, son
ignorance et ses travers, les ridicules prédicateurs,
casuistes, canonistes et juristes de ce tems là 5 mais un
poëte exagère toujours, et l 'on sait à quoi s 'en tenir sur
la justice et la conscience des poëtes satyriques : celle
des lecteurs suppose et admet toujours de nombreuses
et honorables exceptions. Ce qu'il y a de très-remarquable
,
c'est la singulière liberté, la hardiesse même de
ce poème dans un pays ultrà-catholique; il est probable
toutefois que cet ouvrage fut long-tems un secret entre
Diniz et ses amis
,
et qu'aucun imprimeur n'aurait osé
le publier en Portugal. On n'a point encore songé à le
traduire en français : il y perdrait beaucoup par la
difficulté de faire passer dans notre langue une foule
d'allusions fugitives qui ont trait aux personnes et aux
choses
,
et dont l'éclaircissement exigerait un commentaire
sans proportion avec le texte. Nous nous bornerons
à faire connaître cette production par une exacte
et rapide analyse et par des citations choisies. Voici le
sujet du poème.
Joseph Charles de Lara, doyen de l'église d'Elvas
,
voulant faire sa cour à son évèque D. Lourenço de
Lancastre, très-fier de sa haute naissance (2), s'était
assujéti à lui présenter le goupillon à la porte du chapitre,
toutes les fois que ce prélat irait officier à la
(2) Ce prélat descendait. mais du coté gauche
,
dune branche de
la maison royale de Lancastre ,
qui d'Angleterre vint s'établir en
Portugal. à l'occasion du mariage d'une fille du duc de Lancastre
avec le roi Jean 1.
cathédrale. Cet excès de zèle ne dura paslong-tems. Mn
par des motifs qui nous sont inconnus, le doyen changea
brusquement de résolution et s'interdit toute espèce
cl 'hommage. Cette versatilité de conduite fut, du prélat, aux yeux le plus grand affront fait à sa personne : pour empêcher le doyen de renoncer à son officieuse
déférence, il alla solliciter auprès de quelques membres
du chapitre
,
et obtint d eux une sentence qui enjoignit;
au doyen, sous peine d'une forte amende, de ne point
déroger à un usage consacré par une possession ac- quise. Le doyen interjeta appel de cette sentence injuste
qui fut infirmée. Tel est le sujet du poëme.
Peu de tems après cette sentence rendue, survint la
mort du doyen. Il eut pour successeur son neveu Ignace
Joachim Alberto de Matos qui, refusant de s'assujétir,
comme son oncle, à cet acte humiliant, fut vivement
réprimandé et même menacé par l'évêqueson supérieur.
Alors le conseil du roi fut saisi de l'affaire. Ce tribunal
suprême fit demander au prélat les motifs de sa prétention.
Celui-ci, saisi de frayeur, s'empressa de se désister
de ses prétentions imaginaires, et nia d'avoir jamais
provoqué une pareille sentence sur un sujet aussi peu
grave.
Ces derniers incidens amènent ce que les rhéteurs
appellent la vision épique; c'est la prophétie du magicien
Abracadabra : elle termine le poème.
CHANT Ier.
« Je chante cet évêque et cette guerre terrible qui,
» pour un goupillon, mit en feu l'église d'Elvas. Muse
* favorable ! toi qui, sur les rives aimables de la Seine,
» et sous de frais ombrages, inspiras le fécond génie du
» grand Boileau, enflamme mon imagination $ dis-moi
M les causes de cette étrange fureur dont furent trans-
» portés le prélat et son chapitre. »
Descriptionde l'Empire de la Mode que le poëte place
dans le pays des Chimères (3).
« Au centre de ce vide immense que rêvait Epicure,
s'étend le grand pays des Chimères
,
qu'habite un peuple
sans nombre, différent de figures
,
de moeurs et de langage
: la mode y naquit. C'est de-là qu' elleenvoie aux
futiles mortels toutes ces formes si variées d'équipages,
d'habillemens et de coiffures
,
de jeux
,
de festins et de
vaines paroles, unique aliment des têtes écervelées.
Trois cents belles, superbes filles du caprice, composent
sa cour ; elles n'ont d'autre occupation que d'enchérir
de jour en jour sur l'art frivole de la toilette.
C'est là que prit naissance cette vaine et épineuse philosophie
scholastique qui se répandit, comme un torrent,
dans les cloîtres, et que les perfides Jésuites (4)
embrassèrent jusqu'à la mort. De-là- s 'échappèrent,
(3) It Nos vastos intermundios de Epicuro
O graô payz se estende das Chymeras,
Que habita immenso povo ,
diflerente
Nos costumes , no gésto, e na linguagem.
Aqui nasceu a Móda
, e d'aqui manda
Aos vaidosos mortcies as varias formas
De sfcges
,
de vestiaos
,
de toucados
De jògos ,
de bnquêtes
,
de palavras ,
Unico imprêgo de cabeças occas.
Trezentas Leilas
,
caprichosas fìlhas ,
Presumidas a cèrcaò ; e se occupao
Em buscar novas artes de adornar-se. »
,
(4) En portugais
,
Solipsos. Voyez le livre fameux autrefois
,
intitule : Monarchiedes Solipses ; expression qui équivaut à celles-ci :
Se ipse solus, et qui peint l'égoïsme des Jésuites.
pour infester les champs de la noble poésie, les grammes, les acrostiches, ana- les labyrinthes, les haches (5), les charades, et mille autres monstres à la vue desquels
les muses épouvantées se tinrent long-tems cachées
dans les grottes du Parnasse, laissant tomber leurs lyres. C'est là (ô honte pour ma patrie!) que l'insipide opéra
bouffon leva pour la première fois sa tête insolente tyran du théâtre, il 5 en bannit indignement Melpomêne,
l'halie
,
et reçoit les sots applaudissemens d'une nation
efféminée (6). »
Dans cette foule immense et bizarre (7), les uns fol- lement prodigues
,
échangent avec transport leurs
richesses réelles contre un coquillage maritime, un papillon ou même une fleur rare qui étale les vives
çouleurs de l'arc-en-cielj les autres, écrivains infatigables,
(5) Le poêle veut parler de ces misérables jeux d'esprit qui con- sistaient à disposer des vers de différens mètres, de manière à figurer
des labyrinthes, des haches, des roues, des urnes, des vases
1
des tours, etc.
(6) Nous doutons que cette boutade obtienne le suffrage des Dilettanti de l'Odéon ; mais il faut remarquer qu'elle s'adressait à
mne mauvaise troupe italienne établie à Lisbonne.
(7) Do denso povo que o payz povôa , Um com prodiga maô riccos thezouros, A trôco d'uma concha
, ou borboleta,
Ou d 'uma estranha flor, que représente
As vivas côres do listrado Iris;
Dispendem satisfeitos : outros passaô,
Sem cessar, revolvendo noite e dia
Do antigo Lacio antigos manuscripto, s
Do roaz tempo meio-consumidos ,
Para depois tecer grossos volumes
Do H sobre a pronuncia; on se se deve
'
A conjunçaô unir ao verbo, ou nome,
Que marchao antes della no discurso.
passent les nuits et les jours à feuilleter de vieux manuscrits
de l'antique Latium à demi rongésl par le tems,
pour en fabriquerde gros in-folios sur la prononciation
del'H, ou pour résoudre la question de savoir si la
conjonction doit s'unir au verbe ou au nom qui le
précèdent dans le discours (8); quelques-uns (espèce
misérable!) forgent vainement de longues Iliades, et
dédient à des grands qui suffoquent d'orgueil, mille
sonnets
,
mille odes pindariques
,
mille épigrammes qu a
peine ils daignent lire. Ces foux singuliers dont trois
Anticyres (9) pourraient à peine guérir les cerveaux
malades
, se croient embrâsés du feu sacré, et s'imaginent
entretenir un commerce amical avec les Dieux.
Maîtres de la renommée aux ailes d'or, et dispensateurs
de ses largesses, ils s'identifient naïvement avec leurs
héros, et dans leur délire, ils s'estiment plus heureux,
plus opulens que le grand empereur de Trébizonde; et
cependant, couverts de haillons et de risées, ils deviennent
aux yeux de la richesse ignorante et de la cour
dédaigneuse, un objet de mépris et de pitié.
Le Génie tutélaire des Bagatelles tient en paix le
sceptre de ce vaste et populeux empire. Dans un palais
majestueux (10) dont le faîte touche aux nues, réside
(8) Allusion à des grammairiens ridicules de ce tems.
(9) « NavIget anticyras ! » Horat.
(ro) N'um magestoso alcàçar. que se efeva ,
Com estranha structura .
até as nuvens
Assiste o grande Nume ; e d'nlli rege
A lunatica gente a seu arbitrio.
De transparente talco fabricado
E o largo edificio
. que sustentao
t
Cem delgqdas columnas de missanga. _
Nos quatro lados
, em igual distancia
,
celte grande divinité, c est delà qu'elle gouverne à gré son son peuple lunatique. Un talc transparent compose toute la structure de ce vaste édifice, que soutiennent
cent légères colonnes de cristal. Aux quatre côtés, et à
une égale distance, s élèvent dans les airs quatre tours
de fer-blanc, oeuvre du caprice, où l'art surpasse de
beaucoup la matière.
C est là que le Génie convoque les principaux magnats
de sa cour. L 'assemblée se réunit dans un pompeux salon, décoré d'une tenture d'oripeau, et chacun se place selon son rang. Aux pieds du trône, incrusté
d'ambre et de verroteries
, on voyait laflaiterie, l'excellence
(i i) et la seigneurie; plus bas les révérences affectées
,
les complimens, le vampirisme, les sortilèges, les
sylphes, les salamandres, les gnômes, et tous les génies
de la subtile cabale. L*Etiquette, entourée des vaines
cérémonies (12), distribue à chacun les places et les
siéges.
Il se fait un grand silence
, et le Génie, du haut de
son trône, prononce un discours où il fait le plus ma- gnifique éloge du grand prélat à qui sont confiées les
ouailles du bercail d'Elvas. « Il est notoire à tous que
» cet évèque est le sujet le plus dévoué au culte des ba-
Quatro terrée de lata se levantaô,
De Capricho ôbra
, em tudo muito prima
Onde , a materia cède muito à arte , etc.
(il) Excellence est, en Portugal, le titre des évêques, au lieu
de Grandeur;Seigneurie ( senboria ) est le titre du doyen. Diniz personnifie
ces formules honorifiques. L'Excellence protège les destins
du prélat ; la seigneurie défend les droits du doyen. Tout le poëme
est établi sur ce froid merveilleux que font excuser des détails charmans,
et souvent des beautés du premier ordre.
(is) Ir De mil vaâs ceremoDias rodeada
, Os assentos reparte a jPredecencia. »
)) gatelles. Négligeant ses pieuses et monotones fonc-
» lions, il ne s'occupe que de sa généalogie tant soit
« peu corrompue, bien que toute royale (T3), de ses
» belles pantouftles brodées, de ses parures pontificales;
» sans cesse il se mire dans le saphir qui étincelle a son
» doigt, tournant et retournant toujours dans sa main
» sa superbe tabatière
, où , sous le vernis de Martin,
» on voit briller la divine Amphitrite traînée par des
» dauphins sur une conque d'or. » Le Génie ajoute que
pour récompenser ce zèle magnanime et donner une
nouvelle pàture à la vanité du prélat, il a résolu que le
doyen l'attendrait habituellement à la porte du chapitre
pour lui présenter le goupillon. ;
Il s'élève dans le conclave (i4) un doux murmure,
semblable à celui de Zéphire, quand
,
dans les fraîches
soirées d'été, il poursuit en soupirant la déesse des
fleurs qui, volage et capricieuse, se dérobe en riant à
ses ardentes caresses : mais la vaine Seigneurie, qui se
souvient de l'accueil empressé qu'elle reçut toujours
dans la maison du doyen; qui sent encore son oreille
chatouillée du bruit de son nom pompeusement répété
par les laquais, secoue dédaigneusement sa tele superbe,
trois fois tousse, et d'une voix hautaine : « Quoi ! dit-
» elle
,
ravaler à ce point la dignité d 'un doyen à la fri-
» sure poupine et à courte vue (i5), cela est-il juste?
(i3) A corrupta, mas real genealogia.
t r
(14) Um susurro no conclâve se espalha
,
Ao zèphiro em tudo similhante
,
Quando nas frescas tardes suspirando ,
,
A bella Flora segue , que travessa
Cà e là, entre as flores
, se llie furta. ,
(l5) Il était du bon ton d'affecter les clignottemens
,
la myopie ,
tous les symptômes d'yeux fatigués par l'étude.
» Cela est-il généreux? Manque-t-il donc des moyens
» d'honorer son Excellence? N'y a-t-il pas dans l'église
» d 'Elvas
,
et même dans le chapitre, un Bastos, un
» Souza
,
deux Aporros
,
des Pirras et d'autres gens de
» cette étoffe
,
( tout F évêché en fourmille! ) dont on
» peut impunément exiger toutes sortes de déférences
» et de services (i 6)? »
Transportée de courroux, l Excellence se lève impétueusement
de son siége. Cette extrême fureur dérange
la gravité de son noble visage ; elle suffoque; ses paroles
entrecoupées se font jour avec effort...., elles s'échappent
enfin, et sa tonnante voix fait trembler la salle (17).
«- On ose comparer à son évêque un petit doyen!...
» On s oppose aux honneurs que tu veux rendre à un
» prélat révérendissime!.... Un doyen. comparé à son
» évêque! Qu'est-ce, grands dieux! l'hissope auprès
» du cèdre ? Puissante divinité! Si tu ne soutiens pas tes
M augustes arrêts, je » Elle dit et. frappe du pied
la terre ; le trône est ébranlé, le parvis tremble
,
les
sièges renversés tombent et les assistans étourdis vont
mesurer la terre (18). « C'en est assez
,
s'écrie le dieu !
» Je n'aime pas le bruit; mon arrêt est écrit sur mon
» mémorandum, et quod scripsi, scripsi. » Il lève la'
séance.
Le Génie appelle la Flatterie, son principal ministre
,
(16) Traits malins contre certains membres du chapitre d'Elvas.
Ici l original porte l'imitation de la vérité jusqu'au cynisme.
(17) « Ate que nèstas descompostas vozes
Finalmente atroou a grande salla. ))
(18) « Tremeu o regio sollo
, e o pavimento. > '
Assentos
, e assis'.entes assustados
Cahiraô pela terra.... »
ce monstre souple et cauteleux qui sait changer cent
fois de figure, d'habit
,
de langage
,
et n'aborde les
grands qu'avec des paroles emmiellées. Le Génie la
charge de cette grande entreprise. Plus rapide (19) que
le trait lancé par un arc Ituréen, ou que ces astres mensongers
que l'on voit dans la sombre nuit tomber du
ciel, le perfide messager part, fend les airs et s'abat
près du lac d'Averne. Un petit ruisseau (20) d'une onde
trouble et sale arrose en murmurant ces tristes bords.
On n'y voit point grandir les arbres majestueux 5 des
herbes rampantes croissent sur ce sol ingrat ; et si quelqu'arbuste
plus vigoureux s'élève
, ses feuilles tombent
languissamment vers la terre ; funeste influence de
l'onde impure qui corrompt et appauvrit sa sève ! La
Flatterie remplit une petite fiole de cette eau malfaisante
,
déploie de nouveau ses ailes, et s'abat sur les
murs d'Elvas. Elle prend la figure d'un laquais du pim-
(19) « Mais veloz que a lève sfctta
Parte do Itureo arco , ou n'alta noite
Caliir se ve do ced brilhante estrella
,
Vôa o falsu ministro, abrindo os ares. '
(20) « Cujos campos retalha
,
murmurando ,
Urn pequeno ribeiro de àgua turva.
Naô cria em suas margens tronco altivo;
Mas s6 hervas liumildes, e rasteiras
Froduz o seu humor ; se algum arbusto
Mais viçoso rebenta, as seus fôlhas
Tem para à tèrra todas inclinadas.
Funesto influxo do liquor maligno
, 1 ,
Que o succo the ministra ! I.
II nous semble que, même sans entendre parfaitement la langue
. il suffit d'avoir le sentiment de la poésie pour apercevoir la belta
harmonie imitative que produisent la molle langueur de ces vers , leur coupe, et leurs cadences si habilement combinées.
pant doyen. Celui-ci se promenait en robe-de-chambre
et en pantouffies. Cependant le soleil en feudévorait la
terre; la chaleur était accablante (21)
,
et le doyen
altéré demandait à grands cris de l'eau et des sorbets au
caramel.
La Flatterie verse la liqueur fatale dans quatre sorbets.
Le doyen hume avec de gracieuses minauderies le
nectar rafraîchissant, vide les coupes..... Soudain il se
sent embrâsé du plus violent désir de présenter à son
évêque un copieux encens ; il ne sait comment s'y prendre
pour lui faire sa cour, pour l'accabler de ses hommages;
il roule dans sa tête creuse mille plans de galanteries
recherchées, de basses déférences, de politesses serviles
et de rampantes adulations. La nuit vient, et ces
grandes pensées ne lui laissent pas un instant de sommeil.
Il s'agite
,
il se retourne en tous sens sur l'élastique
et bouffant édredon où repose mollement son corps
rebondi (22). Tantôt il lui vient à l'esprit de présenter
au prélat son arbre généalogique tracé sur du papier
doré; mais, hélas! le pauvre doyen n'est pas fort sur
l'art héraldique; tantôt il lui prend fantaisie de chausser
humblement les pieds de Monseigneur. Toute la nuit
se passe en vains projets
,
il ne s'arrête à aucun.
Il s'endort enfin
,
quand l'aube commence à poindre;
et la Flatterie
,
prenant la forme d'un doux songe (23),
lui apparaît au milieu de mille fantômes, vains enfans
du sommeil; elle lui inspire l'idée lumineuse d'aller attendre
l'évêque à la porte du chapitre
,
le goupillon à la
main. « Honorer nos supérieurs est chose sainte
,
lui
(:u) a: Ardia entam em calma toda a terra. »
(22) « Sobre os fôfos colchoês revolve o Corpo. »
(23) « Tomando a lève forma
D'mn doce soaho. »
» dit-elle, et plus nous serons humbles
,
plus nous sen
rons illustres. »
Notre prébendier s'éveille, s'habille h la hâte, court à
l'église, où il oublie de faire sa prière
,
saisit le goupillon,
et, muni de cet instrument sacré, il se rend à la
porte du chapitre pour y attendre Son Excellence. A
peine a-t-il aperçu de loin le panache du premier mulet
de sa litière (24), qu'il se prosterne (25), et dans cette
humble posture, présente le goupillon au prélat au moment
où celui-ci met pied à terre. Respirant avec délices
la vapeur enivrante d'une sainte vanité, Monseigneurle
saisit avec transport, et d'un geste discret et benin lance
sur l'heureuxdoyen un gracieux aspergés. Monseigneur
pense en lui-même que toutes ces profondes déférences
sont bien dues à sa naissance illustre; et gonflé de ces
vaines idées
,
il va chanter dévotement sa messe pontificale.
S...É.
(24) En Portugal les évêques ont le privilége de se faire porter
en litière par deux superbes mulets ornés de panaches
, et que
mènent deux laquais à pied.
(i5) « Por terra se prostrou , e desta sorfe
Ao pastor , que se apeia
, o hyssope oif' rece,
Que uma xancta vaidade respirando
, Nelle alegre pegou, e o sacro aspèrges
Circumspecto the lan ça ; em si cuidando
Que todo este profundo acalamento
A sen illustre berço era devido ;
E , nèstas vans idfeias engolfado
, Foi devoto cantar a grande missa. »
LANGUE ITALIENNE.
Revue de quelques ouvrages italiens, nouveaux ou nouvellement
réimprimés.
JAMAIS l'étude de cette belle langue ne fut plus répandue
en France qu'aujourd'hui, et jamais la littérarature
de chacune des deux nations n'eut de plus grands
rapports avec celle de la nation voisine. Sans parler des
traductions ou des ouvrages de critique sur les auteurs
italiens dont nous n'avons point à nous occuper, nous
remarquerons que les réimpressions d'anciens écrivains
qui ont acquis tant de gloire à l'Italie, et les éditions
d'ouvrages italiens nouveaux se multiplient en France
depuis quelque tems. Nous avons aujourd'hui sous les
yeux quatre de ces ouvrages dont nous allons dire quelques
mots.
L'un est une édition nouvelle, faite à Avignon, chez
Seguin, de la Secchia rapita du Tassoni. Ce poëme
héroï-comique, et sur-tout très-satyrique, est connu
depuis plus de deux cents ans, et ses défauts comme
ses beautés ont été appréciés. Nous nous bornerons
donc à dire que l'édition nouvelle renferme quelques
notes indispensables pour l'intelligence d'un grand
nombre de stances oÙ le poëte fait allusion à des usages
locaux et à des personnages de son tems. L éditeur a
cru de plus devoir accentuer les mots pour en faciliter
aux Français la prononciation, précaution assez utile
sans doute, mais qui ne pourra jamais atteindre qu'en
partie le but proposé.
Un ouvrage italien en deux forts volumes in-12 vient
de sortir des presses de M. Didot aîné. Il a pour titre :
Opere d'Isocrate, etc. OEuvres d'Isocrate, traduites
du grec en italien, accompagnées de notes, et dédiées
à S. M. Napoléon-le-Grand, Empereur des Français,
Roi d'Italie, Protecteurdela Confédérationdu Rhin, etc.;
par G. M. Labanti, professeur de langue italienne à
Paris
,
approuvé de l'Université impériale. Cet écrivain
a placé au-devant de sa traduction une épître dédicatoire
et une préface, dans laquelle il exalte Isocrate, et,
se félicite d'avoir publié ses discours en italien. Il y a
joint la vie d'Isocrate, telle qu'on la trouve dans les
OEuvres de Plutarque; mais en observant que plusieurs
doutent qu'elle soit de ce biographe. Il ajoute qu'elle
contient quelques contradictions et des faits qui ne méritent
pas de croyance. Ce qui, sans vouloir rejeter
l'opiniondescritiquescités, neprouveraitpas absolument
que Plutarque n'en fût pas l'auteur; puisque cet écrivain,
d'ailleurs si recommandable, n'est pas toujours,
dans ses autres productions, d'accord avec lui-même
,
et
que l'on peut trop souvent l'accuser d'une extrême
crédulité. Au reste, l'étendue du travail de M. Labanti,
et les soins qu'il a pris pour donner, par des notes
,
des
argumens. etc., une connaissance complète des discours
d'Isocrate et des circonstances dans lesquelles il les
composa, ne peuvent que mériter l'attention de tout
ami de la littérature et de l'éloquence anciennes.
Ce ne sont pas seulement les écrivains illustres de
l'antiquité que plusieurs littérateurs italiens s'occupent
aujourd'hui de traduire. M. Stefano Egidio Pétronj,
déjà connu en France par plusieurs ouvrages ,
et spécialement
par une Traduction des fables de La Fontaine,
vient de commencer un nouveau travail, non moins
difficile. Employant, comme le célèbre Alfieri, les vers
tndecasyllabiques, non rimés, il a commencé une
traduction des tragédies de Racine. Phèdre et Andromaque
ont déjà paru. L'attention scrupuleuse qu'a
eu le traducteur de marcher le plus près possible sur
les traces de son immortel modèle, dont il paraît sentir
parfaitement les beautés, doit faire désirer qu'il achève
son honorable entreprise.
Nous avons déjà faitconnaitre aux lecteurs du Mercure
Étranger le quatrième ouvrage italien dont il nous reste
à parler. Dans notre N" Ier, nous avons inséré
,
et traduit
(pag. 21 et suiv. ) deux pièces de M. Francesco
Gianni, poëte et improvisateur italien. Elles faisaient
partie d'un recueil intitulé : Saluti del mattino e délia
sera. (Saluts du matin et du soir.) Ce recueil vient
d'être imprimé à Paris, avec une dédicace à M. Ennius
Visconti, membre de l'Institut, et une traduction française,
par M. H. Domenjoud. La préface contient, sur
les poëtes improvisateurs, des détails curieux. On y
verra sans étonnement qu'ils furent tous italiens, à
moins que l'on ne veuille penser, avec l'auteur de cette
Dissertation
, que nos trouvères ou troubadours avaient
aussi le talent d'improviser
,
opinion qu'il ne paraît nullement
difficile d'admettre.
Au reste, il faut l'avouer : la liste des poëtes de ce
genre a offert jusqu'ici peu d'écrivains véritablement
dignes de vivre dans la mémoire des hommes. Nous
dirions même que, jusqu'à M. Gianni exclusivement,
elle n'en présente pas un seul, si parmi un assez grand
nombre de noms plus ou moins obscurs
, nous ne rencontrions
celui de Métastase.
« Dès sa première jeunesse, nous diton, il montra
» un talent rare pour improviser; mais l'exercice de ce
M talent était en lui un effort violent de la nature.
3) Lorsqu'il avait improvisé pendant quelque tems, il
» tombait dans un affaiblissement, un épuisement de
» force extraordinaire ; on était obligé de le mettre
» au lit, de le ranimer par des cordiaux, et il ne
» recouvrait ses forces qu'après au moins vingt-quatre
» heures. Les,médecins lui dirent que, s'il voulait con-
» server sa vie
,
il fallait renoncer à -ce talent si dan-
» gereux ; et ce n'est qu'avec peine qu'il y renonça. »
Métastase eut raison sans doute de prendre ce parti i
et ses plus illustres devanciers firent encore mieux de
ne pas courir une carrière qui peut-être eut privé l Italie
et l'Europe savante de productions durables ; telles que
la Divina Commedia, l'Orlando furioso ou la Gerusalemme
Liberata. Quant à M. Gianni, ses chants anacréontiques
n'ont point mis sa vie en danger. Ils ont été
inspirés par un beau ciel, une situation pittoresque, et
sur-tout par la présence d'une dame très-aimable qui
voulait vainement se dérober à ses poétiques hommages.
Aux deux iSaluts que nous avons déjà cités, nous allons
en joindre un troisième, persuadés qu'ils ne pourront
qu'inspirer le désir de les connaître tous.
Voi, notturni zeffiretti,
Che
,
le penne ventilando,
Ite il sonno lusingando
De ' ruscelli e de' fioretti.
A l'orecchio vi appressate
De l'Amica mia, pian piano
,
E i sospir ch'io spargo invano,
Zeffiretti, sospirate;
Ch'or, sopita in dolce calma,
Sua ragione non potrebbe
Impedir, come vorrebbe,
Che le passino ne l'alma :
Se l'amica alfin con noi,
Ridestandosi sospira,
Zeffiretti, su la lira
Io non vùo cantar che voi.
Voici la traduction de cette pièce par M. Domenjoud.
Nous 1'avons dit : les traducteurs ne doivent point nous
occuper ; mais il nous paraît convenable de ne pas
placer ici une version autre que celle qui accompagne
le texte de M. Gianni.
« Doux zéphirs de la nuit, vous qui, en agitant mollement
vos ailes, provoquez le sommeil des ruisseaux
et des fleurs
,
zéphirs
,
volez auprès de mon amie, et
répétez à son oreille mes inutiles soupirs. Envain elle
voudrait opposer de la résistance; sa raison, assoupie
en ce moment et comme ensevelie dans un calme voluptueux,
ne saurait empêcher qu'ils pénètrent dans son
ame, et si, à son réveil, elle partage enfin nos soupirs,
je ne veux plus chanter que vous sur ma lyre, heureux,
zéphirs. »
LANGUE ANGLAISE.
LITTLE THINGS ARE
BEST.-Ajeu-d'esprit a-dressed to
mies C***, a little, short lady.
When any thing abounds, we find
That nobody will have it,
But when there's little of the kind.
Don't all the people- crave it?
If wiwes are evils
, as 'tis known
And woeffully oonfess'd.
The man who's wise will surely own
A little one is best.
The god of love's a little wight,
But beautiful as thought;
Thou too art little, fair as light.
Aud ev'ry thing—in short!
O happy girl! J think thee so ,
For mark the poets' song :
« Man wants but little here below,
Nor wants that little long ! »
Traduction.
LES PETITES CHOSES SONT LES MEILLEURES.—Jeud' esprit
adressé à miss c***femme petite et mignonne.
Ce qui abonde n'est l'objet des voeux de personne ; mais au
eontraire ce qui est en petite quantité chacun désire l'avoir.
Si les femmes sont des fléaux , comme on est malheureusement
forcé d'en convenir, le sage avouera assurément que la plus petite
doit être la meilleure.
L'amour est un petit dieu , mais aussi beau qu'on saurait se 1 imaginer.
Vous aussi, vous êtes petite ,
mais vous êtes belle comme le
jour, et vous offrez un abrégé des merveilles de la nature.
0 fille charmante ,
félicitez-vous d'être ainsi, car , comme le dit
un poëte : «L'homme n'a besoin ici bas pour son bonheur que de
petites choses, encore ne lui est-il pas donné d'en jouirlong-tems.»
Sur les traits distinctifs et les beautés pittoresques des
paysages anglais (1).
UN des traits particuliers aux paysages anglais vient du
mélange de bois et de cultures existant plus souvent dans
ces pays que dans ceux des antres nations. En France,
en Italie, en Espagne, et dans beaucoup d'autres pays la
culture et les bois ont leurs limites séparées. Les arbres
s élèvent en grouppes détachés ; la culture occupe des
champs vastes et sans bornes. Mais en Angleterre, l'usage
de diviser les propriétés par des haies et d'en planter
des rangées prévaut si universellement que presque partout
oil il y a de la culture, on trouve aussi des bois.
Quoique ce mélange régulier produise souvent un
mauvais effet dans les champs voisins; à une certaine
distance c est la source d'une grande beauté. Sur le sol,
sans nul doute
, et même aus distances les plus voisines,
les traces de la bêche et de la charrue
,
les haies et les
fossés ainsi que l'alignement des arbres de clôture et les
divisions en caré des propriétés sont fort désagréables j
mats quand toutes ces formes régulières sont adoucies par
la distance ; quand les arbres de clôtures commencent à
s'unir et s'étendent presqu'à l'horison ; quand les fermes
el les bâtimens perdent ce que leur aspect à de trop vulgaire,
quand ils composent des masses d'une forme indécise,
il est inconcevable quelle richesse, quelle beauté
ces masses difformes, lorsqu'elles sont réunies, ajoutent
au paysage. Une vaste portion de pays sauvage et inculte
lie peut produire le même effet, à moins qu'elle ne soit
(1) Ce morceau intéressant pour les amis de la campagne et pour
les artistes vient de paraître en anglais
, sans nom d'auteur
,
dans
Je 7Óe N° du Monthly repertory. Nous avons cru deyoir le tridulre
; mais en T *abrégeant, et en supprimant principalement de
longs détail sur les diverses époques de l'architecture appelée gethique
; détail-, fjui nous ont paru assez étrangers au sujet.
variée par de grandes parties ou par quelques accidens
de lumière. On n'obtient pas non plus cet effet par d immenses
étendues de pays cultivées qui
,
si elles ne sont
entremêlées de bois
,
n'offriront point un riche aspect à
certaine distance.
Uu autre trait caractéristique du paysage de l'Angleterre
provient de la grande quantité de chênes. Ceux d 'aucun
pays n'ont autant de beauté
,
et il n'est point d arbres qui
produise un aussi bel effet. Le chêne est le plus riche
ornement du devant d'un paysage, lorsqu'il étend de Côtéet
d'autre ses branches tortueuses et son feuillage riche
des teintes de l'automne. Il paraît avec un égal avantage
dans l'éloignement quand il déploie ses belles masses
plus variées peut-être dans leur couleur que celles de tout
autre arbre. Le pin d'Italie a sa beauté lorsqu'il s'étend
sur le fronton brisé de quelque temple ruiné. Le châtain
gnier de Calabre est fameux par l'ornement qu'il donne
aux premiers plans de Salvator Rosa. L'orme
,
le frêne et
le hêtre ont aussi chacun leurs beautés; mais aucun arbre
dans les forêts n'est aussi propre que le chêne d'Angleterre
à tout ce que l'on cherche dans un paysage.
Aux traits caractéristiques des paysages Anglais. il faut
ajouter les jardins ornés et les parcs. Dans les autres
pays, les environs des grandes maisons sont encore soumis
à des règles : la main de l'art qui cherche sans cesse
à étonner par ses cascades régulières, ses fontaines jaillisantes
, ses longues terrasses, et d'autres travaux , est
encore en possession des jardins des rois et des princes.
En Angleterre seulement on prend la nature pour modèle.
De même que nous recherchons dans les sauvages
productions de la nature le sublime
,
ici nous recherchons
le beau. Partout où il y a une réunion de plaines
,
de bois
. et d'eaux naturellement combinés ensemble, et que des
bâtimens n'ornent pas trop, nous trouvons une sorte de
paysage qu'aucune contrée ne peut offrir avec la même
perfection que l'Angleterre, non-seulement parce que le
1
goût dans ces sortes d'objets ailleurs ne se montre pas autant
, mais parce que l'on ne trouve pas également
ailleurs les matières essentielles.
Notre atmosphère humide et vaporeuse qui donne à
nos plaines leur riche verdure, produit encore un carac- tère particulier de nos paysages ; cette obscurité qui se fait souvent sentir à un certain éloignement. Dans les
pays plus chauds l air est plus pur : ces vapeurs et ces rosées qui couvrent la terre pendant la nuit se dissipent
an soleil du matin. Sous le ciel de l'Italie, des objets trèséloignés
s'aperçoivent distinctement doute : cet aspect a sans sa beauté, comme l'ont toutes les opérations de la
nature; mais enfin il n'y a là nulle variété. Notre atmosphère
plus grossière ( mais qui a toutefois ses tems de
pureté) présente différens aspects, dont plusieurs sont en eux-mêmes plus beaux que le point de vue le plus distinct.
Les brouillards ont leurs beautés. Quand quelque grand
promontoire, sortant d'un nuage de vapeurs confondues
avec son sommet, s'avance dans un lac ; l'imagination ne
peut découvrir d'où il vient, ni à quelle hauteur il tend à
s'élever. L'effet s'augmente avec l'obscurité, et la vue est
quelquefois on ne peut plus imposante.
A ces traits naturels, qui pour la plupart sont particuliers
aux paysages anglais, nous en ajouterons un autre : les ruines des abbayes, qui naturalisées avec le sol, peuvent
sans beaucoup d'impropriété être classées parmi nos beautés naturelles.
Les ruines sont communément de deux espèces : les
châteaux et les abbayes. Pour les premiers
,
d'autres pays
peuvent rivaliser le nôtre ; mais pour les ruines des
abbayes, certainement aucun ne le peut.
Plusieurs de nos édifices ruinés ont été bâtis dans ce
qu'on appelle le style saxon. C'est un genre d'architecture
très-lourd, et qui rarement offre de belles ruines ; mais
les architectes anglais en employèrent un nouveau, dont
le continent ne leur fournit point les modèles. On l'appelle
gothique
, et il serait difficile d'en donner la raison : car les
Goths
,
qui jamais ne vinrent en Angleterre ,
étaient oubliés,
lorsqu'il fut inventé
, vers le règne de Henri II. On
ne le trouve, je pense, qu'en Angleterre, et dans les
provinces de France que les Anglais ont possédées. Les
antiquaires lui donnent trois époques.
Les abbayes furent autrefois si nombreuses en Angleterre
qu'à peine trouvait-on quelqu'agréable vallée où il
n'y en eût quelques-unes L'emplacement même de plusieurs
de ces anciens édifices est maintenant sillonné par
la charrue; cependant il reste encore tant de ruines de
cette espèce .qu'on peut non-seulement les considérer
eomme un des traits caractéristiquesdes paysages anglais,
mais encore les mettre au nombre de ses beautés les plus
pittoresques.
LANGUES DU NORD.
Précis historique sut les Académies de Stockholm.
( SUITE. )
LE roi Adolphe Frédéric, que nous avons fait naître dans con- notre article précédent comme le premier
protecteur de l'Académie des Sciences de Stockholm,
avart épousé une princesse qui se distinguait par ses taiens et ses connaissances autant que par sa beauté et
ses grâces
, c était Louise Ulrique, soeur du Grand-
Frédéric. Douée par la nature d'une imagination active,
d une mémoire heureuse et d'une raison mâle et forte,
Louise Ulrique s'appliqua dès sa première jeunesse à
I étude avec autant d'ardeur que de succès. Peu encouragée
par son père
,
l'austère Frédéric-Guillaume, pour qui les muses n'avaient aucun charme, elle profita d'autant
plus des lumières et des conseils de tous ces hommes
pleins de mérite que la révocation de l'édit de Nantes
avait conduit à Berlin
,
et parmi lesquels se distinguaient
Beausobre, Lenfant, Desvignolles. Le savant
La Croze, qui s était retiré dans le même tems à Berlin,
s'occupa plus particulièrement de son éducation littéraire,
et lui donna le goût des connaissances historiques.
Lorsque Frédéric II fut monté sur le trône, elle
eut de nouvelles occasions de cultiver ses talens; elle
s'entretint souvent avec Maupertuis, Algarotti, et Voltaire,
qui fit des vers en son honneur. Le roi lui-même,
qui lui était très-attaché, se plaisait à orner son esprit
et à lui procurer tous les moyens de développer ses dispositions
naturelles.
Arrivée en Suède
,
Louise Ulrique donna bientôt les
preuves de son zèle pour le progrès des sciences
,
des
lettres et des arts, et sa cour retraça le souvenir de celle
de Christine. Elle forma une bibliothèque nombreuse
et choisie
,
et un musée qu'elle enrichit des productions
les plus intéressantes des trois reines ; elle rassembla
des tableaux précieux
,
et un grand nombre de médailles.
Les savans et les hommes de lettres étaient admis dans
sa société
,
et recevaient d'elle des encouragemens
flatteurs.
Ce fut en i 1753 que Louise Ulrique fonda,àStokholm,
une Académie des belles-lettres
,
dont elle se déclara la
protectrice
,
et que le roi son époux ,
confirma la même
année, par des lettres-patentes. Elle en confia principalement
l'organisation à Dalin, qui était déjà connu
par ses poésies et par son histoire de Suède
,
et qui paraissait
souvent à la cour en sa qualité de précepteur
du prince royal, depuis Gustave 111. Dalin fut aussi
le premier secrétaire de t 'Académie, et composa, pour
diriger ses travaux, une Histoire de l'origine et des
progrès de la Littérature en Suède
.
où l'on trouve
des recherches et des observations intéressantes. Le
nombre des Académiciens ne fut d abord que de cinq à
six
,
parmi lesquels étaient les sénateurs comtes André
de Hoepken et Charles-Frédéric Scheffer (i)
,
qui l'un
et l'autre -cultivaient les lettres avec beaucoup de zè1e
et qui ont fait plusieurs ouvrages. La reine nomma
quelques associés étrangers dont Voltaire et d'Alembert
furent les premiers. Le passage des Belts, par Charles
(i) Il descendait de Jean Scheffer de Strasbourg. qui fut
appelé en Suède
, sous le règne. de Christiue
, pour occuper une
chaire d'éloquence et de politique à Upsal. et qui était un des
hommes les plus savans de son tems. Christine le distingua beaucoup,
et le conduisit elle-même à Upsal dans une chaloupe royale.
Gustave, fut le premier sujet de prix pour la poésie, et
ce prix fut remporté par un Danois, le conseiller privé
Luxdorph
,
qui avait envoyé au concours un poëme
latin. Il parut aussi bientôt un volume de mémoires
,
la plupart en langue suédoise. La reine assistait souvent
aux séances et communiquait aux académiciens ses observations
sur leurs travaux.
Mais les troubles politiques suspendirent cette activité
littéraire. Les événemens de la diète de 17 56 avaient
répandu la consternation, et la cour privée de ses amis
les plus zélés
, que leurs antagonistes avaient fait périr
sur l'échafaud, était plongée dans le deuil. Les jalousies
des factions divisèrent les citoyens, mirent en mouvement
les passions, et amenèrent une suite de persécutions
et de vengeances. Dalin eut ordre de quitter la
capitale, et plusieurs des membres de l'Académie furent
enveloppés dans les proscriptions. Louise Ulrique vit réduite se à céder aux circonstances, et le temple
qu'elle avait ouvert aux Muses fut fermé pendant plusieurs
années. Cependant l émulation qu'elle avait déjà
répandue continua à se développer en silence, et plusieurs
hommes d 'un talent distingué entrèrent avec ar- deur dans la nouvelle carrière que le génie de la reine
avait ouverte.
Dalin fut rappelé en 1763
,
et obtint de nouveau plusieurs
distinctions flatteuses. Mais il termina peu après
sa carrière, et ne put ranimer l'Académie des belleslettres,
dont il avait été, sous les auspices de Louise
Ulrique, le principal promoteur. Quelque tems après
mourut aussi le savant'mathématicien et philosophe Samuel
Klingenstierna qui avait remplacé Dalin dans la
charge de précepteur du prince royal, et qui était connu dans l'Europe savante par des ouvrages remarquables.
En 1759, la reine résolut de réunir dans un même tombeau
la dépouille mortelle de ces deux hommes qu'elle
avait honorés de son estime, et qui avaient acquis par
leurs travaux des droits aux hommages de la postérité.
Elle fit construire dans l ite de Loloen
, non loin du
chàteau de Drottningholm
,
et en face d une belle alléequi
conduit à ce château
, un tombeau de forme antique
sur lequel elle fit placer un obélisque orné d'inscriptions
latines à l'honneur des deux savans. Leurs cercueils furent
transportés dans le tombeau avec une solennité
imposante. La reine elle-même et toute la famille royale
assistèrent à cette cérémonie, ainsi que plusieurs sénateurs
,
plusieurs académiciens
,
et les parens et les amis
les plus intimes de Dalin et de Klingenstiern. Le conseiller
de la chancellerie Sotber^prononça un discours
analogue à la circonstance
,
et lorsque les cercueils eurent
été placés dans le tombeau, la reine et le prince
royal son fils les couvrirent de fleurs. Ces obsèques retracent
le souvenir de celles de Newton. Lorsque la
cour eut appris la mort de ce grand homme, elle ordonna
que son corps fût exposé sur un lit de parade,
et qu'il fùt ensuite transporté à Westminster. Le cercueil
fut soutenu par le grand chancelier, par deux
ducs et trois comtes, et l'archevêque de Cantorbéry
prononça l'oraison funèbre. On éleva un monument
avec une épitaphe,qui finit ainsi, Sibi gratulentur
mortales tale tantumque extitisse humani generis decus.
— Que les mortels se félicitent qu'il ait existé un si
grand ornement du genre humain (i).
(I) Voici les epitaphes ou les inscriptions de l'obelisque plac6 sut
le tombeau de Dalin et de Klingenstieriia. Pour Dalin: Jubente Lud.
Ulrica rcgina conjestus tumulus , ubi quiescat vir afortuna multum
jactatus , et litteris nobilis Olaus Dalinus, eques auratus ,
aultx
rjg. eancelar, Gustavi principis juctnt. quondam magister. quique.
Adolphe Frédéric étant mort en 177 1, Gustave III,
son fils, monta sur le trône, et l'année suivante, une
révolution, conduite avec beaucoup de sagesse, mit un
terme aux troubles intérieurs et à l'animosité des partis.
Louise Ulrique rouvrit alors l'Académie des belles-lettres
et lui continua ses soins jusqu'à sa mort.
Eric de Sotberg, qui avait été précepteur de la princesse
Sophie Albertine, et qui, à des connaissances étendues,
joignait une grande activité
,
remplaça Dalin sous
tous les rapports, et fut secondé par le maréchal de la
cour Sten Piper, homme aussi aimable qu'instruit, quela
reine plaça au nombre des académiciens; les autres
membres les plus dignes d'attention furent, Jean Jhre
critique savant et profond, , corrnu sur-tout par son
Glossaire suéogothique, Charles Reinhold Berch, versé
dans l'histoire et dans la numismatique, et qui a fait
l'histoire de plusieurs rois de Suède, et des hommes
remarquables du pays ,
d'après les médailles ; Jean
Ellérs
,
auteur de quelques poésies, et d'une description
de Stockholm exacte, mais diffuse; Swen Lagerbring,
qui a écrit une histoire de Suède, jusqu'au règne de
GustaveWasa, et plusieurs autres ouvrages historiques
benemerertdociilesfie. sui memores ; argo oculatior
, nee tristis tamen
morum censor, idem poeta ,
mpolin. ipso , et patriae historicus veritate
duce. Nat, 1708 .oF 1763
,
Sie illi sit terra levis
, ut sale, et liberalijocn
reg. curas levavit. Pour Klingenstierna: Jacet communi sub
lapide S K/ingenstierna mathematicorum eximililn decus, Gustavo
sol. reg. liceredi ad superiora studia substitutus comes ,
hinc
, plaudentibus
bonis , seeretnriu.c status, et eques uur. factus ; iisdem
maerentibus deceders a. X765 cetat 67. advorte viator, quantulo colle
claudatur qui maxima mentis vi terrarum orbem metatus nomine suo
litteratum implevit. Ces inscriptions
, outre leur precision elegante ,
ont le merite de la v£rit£
, que les monumens eriges aux morts ne
blessent que trop sourent.
et statistiques, qui ont moins le mérite du style et de la
méthode, que celui des recherches; André Botin, qui
a t'ait également une histoire de Suède jusqu à Gustave
Wasa, d'après un plan très-vaste, et d'une manière
très-intéressante. L'Académie continua de proposer
des prix
,
et de publier des mémoires dont le quatrième
volume parut depuis1 la mort de la reine. On trouve dans
ces mémoires des poésies latines et suédoises
,
des
essais de traduction de Tacite et de Pline le jeune,
en langue suédoise, et plusieurs, dissertations
,
dans
cette même langue, sur des sujets d'histoire et d'antiquité.
Une des plus remarquables de ces dissertations
est celle qui traite de l'état de la marine en Suède dans
les anciens tems ,
et en particulier sous le règne du roi
Eric XIV, fils et successeur de Gustave Wasa. Eric,
doué de plusieurs qualités estimables, régna pendant
quelques années avec gloire
,
et s'appliqua sur-tout à
faire fleurir la marine et le commerce ; il porta le
nombre des vaisseaux de guerre à plus de soixante
,
et
pendant plusieurs années ses amiraux furent maîtres
de la Baltique. Mais de-grands revers fondirent ensuite
sur Eric, et l'empêchèrent de poursuivre l'exécution
de ses plans. Entraîné par les accès d'une humeur
sombre et mélancolique, qu'il avait héritée de sa mère
égaré , par son penchant pour l'astrologie, il se livra à
une conduite imprudente, et souvent cruelle, et provoqua
une révolution qui lui fit perdre le trône, la liberté
et la vie. Il eut pour successeur Jean III, qui
avait été le principal instrument de sa chute
, et qui
après l'avoir détenu prisonnier pendant plusieurs années,
lui envoya du poison.
Mais détournons nos regards de cette catastrophe
, et reprenons le sujet qui doit nous occuper principalement
dans cet article. Louise Ulrique mourut en 1782.
Son oraison funèbre fut prononcée dans toutes les universités
; celle que prononça M. Fandt à Upsal renferme
le passage suivant : « Son vaste génie ne connaissait
d autres bornes que celles qui sont prescrites à
l'homme par la providence. Ou la voyait tantôt donner
à la Suède, et cultiver de ses propres mains cet insecte,
trésor de l'Orient, et dont le travail industrieux augmente
l'éclat de la beauté ; tantôt honorer de ses soins
le métal le moins noble en apparence, mais le plus
utile
,
et lui faire obtenir sous sa direction le plus haut
degré de valeur; tantôt descendre au fond de nos mines
y observer la richesse du pays ,
et les pénibles travaux
de ses habitans ; tantôt enfin suivre l'oeil de l'astronome
à la voûte céleste, admirer la nature et ses productions
avec le naturaliste, ou élever un temple aux Muses, »
Gustave III rendithommage à la mémoire de samère
,
en soutenant l'Académie des belles-lettres
,
qui avait
commencé à languir depuis la mort de sa fondatrice. Il
la fenouvella en 1786, sous le nom d'Académie des
belles-lettres
,
d'histoire et de& antiquités ; il lui donna
en mème tems de nouveaux réglemens
,
et lui prescrivit
de distribuer annuellement quatre prix : le premier,
pour l'histoire ; le second, pour les langues anciennes ;
le troisième
, pour les antiquités
,
et le quatrième pour
les inscriptions. Le roi ordonna aussi de prononcer annuellement
le 24 juillet, jour de naissance de Louise-
Ulrique l'éloge de cette princesse, et de placer son buste
dans la salle des séances. Ce buste est en marbre blanc
, et le piédestal sur lequel il est placa porte l'inscription
suivante : Divoe Ludovicæ Ulricoe Academioe lilterarum
humaniorum creatrici immortali in pii amoris tesseram
posuit Gustavus 111
,
ejusdem academioe restaurator,
amplijicator, et protector 1786. Quelques années après
, le comte de Hertzberg
,
ministre des affaires étrangères
en Prusse, reçut le diplôme de membre de l'Académie,
accompagné d'une lettre du roi, et d'une belle médaille
en or. Cette attention flatta beaucoup le ministre prussien
,
qui aimait à s'en entretenir
,
et qui rendit à Gustave
III plusieurs services importans. Quelques autres
étrangers furent aussi associés à l'Académie. Parmi les
hommesde lettres suédois
,
qui en turent nommés membres
, nous nommerons ,
Henri Porthan
,
professeur de
l'université d'Abo
,
qui a fait insérer dans les mémoires
des recherches sur la Finlande, et une traduction suédoise
du périple d'Other et Wulfstan avec des remarques
; le baron de Rosenhane, qui a donné un mémoire
sur les historiens suédois
,
et qui est auteur de
plusieurs ouvrages historiques (J); le conseiller George
Adlerbethqui a enrichi le recueil de l'Académie de plusieurs
morceaux intéressans sur les antiquités du nord;
le conseiller Bergstedt, qui a lu assez nouvellement
dans une séance publique, un discours sur les Pyramides,
et qui a publié une traduction suédoise du
Voyage de la Propontide et du Pont-Euxin
, par Lechevalier
(2), qu'il a accompagnée de remarques et
d'observations recueillies pendant les voyages qu'il a
faits lui-même dans ces contrées. La place de secrétaire
est occupée depuis plusieurs années par Jonas
Hallenberg
, en même tems historiographe du royaume.
(1) La famille Rosenhane est distinguée depuis long-tems dans
les charges et les lettres. Le baron Schering Rosenhane fut ambassadeur
au congrès de Westphalie
, et à Paris sous le règne de Christine.
Il entretint avec cette reine une correspondance littéraire pendant
son séjour en Allemagne et en France
, et lui fit parvenir des livres
% des médailles et des tableaux. On a de lui un ouvrage curieux et
rare ,
intitulé : Observationes politicoe super nuperis gallice motibus
( 1649 )
,
qu'il composa a l'occasion des troubles de la fronde.
(2) Voyage de la Propontide et du Pont-Euxin, par J. B. Lechevalier.
— Paris, in-8°, chez J. G. Dentu
,
imprimeur-libraire, rue
du Pont.-de-Lodi, nO 3
, et Palais-Royal, Galeries de bois
,
n° 265.
Outre les mémoires qu'il a fait insérer dans le recueil de
la société littéraire
,
dont il est t'interprète
,
il a donné
au public en suédois une Histoire universelle depuis le
seizième siècle
, une Histoire de Gustave Adolphe-le-
Grand
,
qui n'est cependant pas achevée
,
et plusieurs
dissertations latines. Ce savant travaille aussi depuis
long-tems à un Dictionnaire étymologique, où il rassemble
une multitude d observations sur l'origine des
langues en général
,
et sur celle des langues du nord
en particulier. Son manuscrit forme déjà plusieurs lumes vo- in-folio
, qu 'il a bien voulu communiquer à
l'auteur de cet article
,
qui lui en témoigne ici publiquement
sa reconnaissance. Les nouveaux mémoires
de l'Académie se composent d'une suite de plusieurs
volumes in-8°, qui est aussi le format des anciens
mémoires.
La même année où Gustave III renouvela l'Académie
des Belles-Lettres, qui avait été fondée par la reine sa
mere, il établit une autre Société littéraire sous le nom
d'Académie suédoise. Il prit pour modèle dans l'organisation
de cette Sociétél'Académie française; le nombre
des Académiciens fut cependant borné à dix-huit
,
et
l'on dit en Suède l'un des dix-huit, comme W1 disait en
France l'un des quarante. Le but de l'Académie est de
perfectionner la langue nationale et le goût, en publiant
un dictionnaire et en proposant des prix pour la poésie
et l'éloquence. Gustave fit lui-même l'inauguration de
l'Académie par un discours qu'il prononça devant une
assemblée brillante et nombreuse ; en même tems il
nomma aussi une partie des membres ; parmi les noms
qu'il proclama, on remarqua sur-tout ceux du comte
AxelFersen, sénateur et feld-maréchal, qui s'était distingué
par son éloquence à plusieurs diètes importantes,
et qu'un long séjour en France avait rendu familier avec
les meilleurs écrivains de ce pays i les comtes deGyllenborg
et Oxenstiern, et Henri Kielgrin, poètes, dont
nous avons eu occasion de faire connaître les ouvrages
dans le précis sur la poésie suédoise; l évêque de Lund
Olof Celsius
,
auteur d'une histoire de Gustave Wasa
,
et d'Eric XIV
,
l'évêque de Gothenbourg
,
Wingard
,
orateur éloquent
,
le conseiller Botin
,
dont nous avons
parlé précédemment ; le conseiller Rosenstein, qui fut
en même tems nommé secrétaire perpétuel. Le choix
des autres membres fut abandonné au scrutin, et l 'Académie
a nommé successivement avec l approbation du
roi la plupart des écrivains du pays connus avantageusement
par leurs productions en prose ou en vers. Elle
a commencé ses travaux pour le perfectionnement de la
langue par un traité de l'ortographe très-étendu, et
rédigé principalement d'après le principe qu 'il fautécrire
comme on prononce. Ce principe n'a cependant pas été
généralement approuvé, quelques efforts que les académiciens
,
et sur-tout le secrétaire, aient faits pour l 'accrééditer.
Une dame de la cour ,
qui n aimait pas les innovations,
dit à ce sujet, qu'on la mettrait dans le cas
d'écrire l'ortographe comme sa femme de chambre.
Il n'a encore rien paru du dictionnaire ; mais plusieurs
des membres de l'Académie s'en occupent avec zèle. On
a couronné un grand nombre de pièces en vers, parmi
lesquelles le public a distingué celles de Blom, Sioeberg,
Wallin, Wallerius. Les prix d'éloquence ont été
accordés la plupart aux éloges des hommes illustres du
pays. Gustave III concourut lui-même pour l'éloge du
fameux général Torstenson, et le prix lui fut décerné
aux applauclissemens d'une nombreuse assemblée dans
une séance publique. En 1787, l'Académie couronna un
autre éloge digne d'attention, c'est celui de Birger, comte
du palais, par Lehnberg. Birger, qui vécut au treizième
siècle, fut un de ces hommes supérieurs qui donnent de
fortes impulsions aux destinées des peuples. Il introduisit
en Suède de nouvelles institutions et de nouvelles
lois qui facilitèrent les progrès de la civilisation ; ayant
fait une expédition en Finlande, il propagea le christianisme
dans ce pays ,
et y consolida la domination suédoise.
Son fils Valdemar fut placé sur le trône, et commença
en Suède une nouvelle dynastie. Birger est aussi
regardé comme le fondateur de la ville de Stockholm.
L'orateur développe avec dignité et avec force ces divers
traits de la vie de son héros; il s'élève souvent à des
vues générales et présente des considérations sur le
moyen âge, sur les usages des peuples à cette époque,
et sur les grands principes de la législation civile et religieuse.
Son style est harmonieux, noble et pittoresque,
et ne peut-être repris quelquefois que sous le rapport
de la précision. Lorsque Lehnberg présenta son discours
à l'Académie, il était vicaire d'un pasteur de Stockholm,
le roi frappé de son talent le nomma aussitôt aumônier
de la cour, et peu après, il fut admis parmi les académiciens.
Après la mort de Gustave III, il devint successivement
prémier pasteur de la capitale, président
du consistoire, et évêque de Linkoeping. Il est mort
depuis quelques années dans un âge peu avancé. Ses
grands talens, sa conduite irréprochable, son caractère
doux et tolérant, sa grande bienfaisance, l'ont fait regretter
généralement. Il n'était pas moins éloquent dans
la chaire chrétienne que dans les séances académiques,
et il 11 servi de modèle à tous les prédicateurs du pays , qui sont entrés depuis dans cette carrière. L'évêque de
Linkoeping s'était formé lui-même surFénélon et Massillon
,
qu'il avait étudié avec beaucoup de soin. Ses
sermons ont été imprimés nouvellement à Stockholm.
L'Académie fait aussi frapper des médailles à l'honneur
des hommes illustres du pays, dont on lit les biographies
lorsque les médailles sont distribuées. Ces biographies
sont ordinairement rédigées par l'évêque
d'Hernoesand
,
Nordin
,
l'un des académiciens
,
et qui a
un talent particulier pour ce genre. Les discours de réception
,
les pièces couronnées, les biographies dont
nous venons de parler
,
les éloges des académiciens
décédés, forment le recueil des mémoires qui paraissent
à-peu-près annuellementformat grand in-8°. Nous
indiquer comme des morceaux très-intéressanspour 1 histoire
de la littérature et des sciences, les biographies de

Stiernhielm, savant universel (i), qui vécut pendant le
dix-septième siècle, et de Polhem, mécanicien, qui
jouissait de l'estime particulière de Charles XII, et qui
exécuta après la mort de ce prince plusieurs travaux
remarquables.
L'espace nous manque pour parler de l'Academie des
beaux-arts de Stockholm, et nous devons d'autant plus
renvoyer cet article à un autre numéro, que nous nous
proposons d'y joindre des observations générales sur les
progrès des beaux-arts dans le Nord, et des anecdotes
sur plusieurs artistes français qui ont séjourné dans cette
partie de l'Europe. ' J. P. CATTEAU-CALLEVILLE.
(1) George Stiernhielm
.
né en 1598 mort en 1672
,
était mathématicien,
physicien, historien, antiquaire et poëte; il composa
des pièces de théâtre en plusieurs langues pour la cour de Christine.
Celte princesse lui donna de grands témoignages d estime et de considération
; elle lui aecorda des titres de noblesse et l'é leva au rang
de chancelier. Ce savant fut le premier qui fit connaître dans son
pays les vers ardens et le microscope. S'étantun jour amuse à mettre
le feu à la barbe d'un paysan avec un verre ardent, il excita une
grande rumeur, et fut accusé de sortilège. On a de Stiernhielmplu- -
sieurs ouvrages, dont les principaux sont : Archimedes reformatus,
Stock.
,
in-4° .
dédié à Christine; Runa siutica in-4°, sans lieu
d'impression ; Musoe suetizantes, in-4°. Upal, 1653, et Stock.. 16
68;
Anticluverius,
sive Je originibus sueo gothtcu , Stock., 1685. Il avait
commencé un Glossaire sous le titre de Magog aramoeogothicus ,
et un Dictionnaire de la langue gothique, mais il n 'a paru de cesdeux
ouvrages que la premU-re lettre. Stiernhielm correspondait arec la
plupart des savans d'Europe; il fut aussi un des premiers associés
étrangers de la Société royale de Londres. Il avait 1 humeur trèsenjouée
, et ses amis lui demandant quelle épitaphe ils mettraient sur
son tombeau, écrivez-y ces mots, répondit-n, viftt ium vixit loetus .
VARIÉTÉS.
A Messieurs les Rédacteurs du MERCURE ÉTRANGER.
T***, le 14 octobre 1813.
MESSIEURS
.
j'ai retrouvé avec une bien agréable surprise
,
dans le No IXdu Mercure Etranger, page i83. et ail nombre des lettres
inédites de Cesarotti qui vous ont été communiquées
, une de celles
que j'ai reçues de cet excellent homme et rélèbre poëte
j'avais des relations d'amitié et de littérature, et à qui j'ava,isavadecreqssuéi quelques imitations d'Ossian
, son poëte favori.
Vous ignorez, dites-vous dans la note au bas de cette lettre
,
Français le à qui elle est adressée. Je vous le fais connaitre avec con- fiance
, vous priant néanmoins de ne pas produire son nom ,
attaché ainji à de faibles essais de sa jeunesse, dont il fait aujourd'hui très-peu de cas.
Ossian ou Macpherson séduisent une imagination jeune
,
ardente
et passionnée : une morale élevée, des sentimens belliqueux
,
quelques
mouvemens pathétiques ferment les yeux ,
à cet âge où le goût
est incertain, sur le gigantesque des images et leur continuelle répé- tition, sur le ton monotone et la couleur vaporeuse de ces poésies herses ou écossaises. Mes essais furent le résultat de cette séduction
très-naturelle à l'âge auquel je les composai. Chargé aujourd'hui
du fardeau d une importante magistrature administrative
, et absorbé
dans de toutes autres pensées, je revois ces essais avec la maturité
de l'âge
,
de l'expérience et de la raison, et je les juge bien moins favorablement que Cesarotti, vieillard aussi aimable qu'illustre, et qui sans doute n'avait voulu qu'encourager ma jeunesse et récompenser
ma prédilection pour un poëte qu'il a prodigieusement
embelli dans son harmonieuse traduction. et à qui il devait par conséquent les plus belles fleurs de sa couronne poétique.
Les imitations d'Ossian de M. Baour-Lormian, bien supérieures
aux miennes ont encore confirmé la très-franche opinion que je vous exprime ici sur ma jeune tentative.
Tels sont les motifs
, Messieurs, qui me portent, en vous faisant
connaître mon nom à le taire au public dans cette circonstance.
Pourquoi donc, direz-vous cette lettre et ces explications ? Le
voici. C'est que j'ai pensé qu'il vous serait peut-être agréable
d'insérer dans votre très-intéressant ouvrage une nouvelle lettre
inédite de Cesarotti, et les beaux vers qu'il m'avait adressés, et qu'il
appelle un à compte dans celle que vous avez fait imprimer.
Si ces étincelles éparses d'un des plus beaux génies de la poésie
italienne moderne vous paraissent mériter d'être recueillies dans
votre ouvrage, je serai très-flatté
.
Messieurs
,
de m'être, même pour
un seul moment, associé à des littérateurs dont l'entreprise a un
succès garanti par les talens distingués, les vastes connaissances et
la réputation justement établie de ses auteurs, et prouve que les
amans des muses et des lettres
.
dans quelque pays qu'ils soient nés
et qu'ils habitent, quelque langage qu'ils parlent, appartiennent
tous à une même nation
,
à la fois mêlée et distincte parmi toutes les
autres.
Agréez, je vous prie
,
Messieurs
,
l'hommage de ma profonde
estime et de ma haute considération. Le Baron * * *.
Lettre de Fabbé CESAROTTI à Mme la Comtesse ALBRIZZI.
Selvariono 6 luglio.
CON sommo aggradimento ho ricevuto il gentil dono
che si compiacque di farmi il signor della sua traduzione
di Ossian. Sono consolalissimo di veder che la
fede del mio venerabile Bardo abbia trovalo il suo apostolo
auche in Francia ; benche non già tanto disposto a credere
quanto il suo traduttore che la della fede possa colà
propagarsi tanto felicemente quanto in Germania e in
Italia. Una nazione che è gia da gran tempo la dittatrice
del gusto , avezza a tutte le squizittizze del' arte, brillante
di lumi
,
lussureggiante di spirito, non è facile che s'arresti
a contemplar con trasporto le bellezze d' una natura
selvaggia, ne' i canti d' un Bardo"che non ha ne filosofia
,
ne quanto basta grammatica. Forse, la mancanza totale
di machinismo potrebbe conciliargli qualche favore. Ma
come sperar grazia per quelle povere ombre abitratrilei'
dellc'nubi e cavalcatrici delle meteore?
Malgrado a tulio ciò, Ossian ha a quesli giorni una
raccomandazione assai forte che potrebbe operare una
rivoluzione favorevole. Egli è il poeta di Napoleone. Di
fatto
, se Alessandro confini alla gloria d' Omero e Augusto
a quella di Virgilio, Giusto è che il poeta Caledonio non
lo ceda a quei due suoi emuli in ripulazione, come l'eroe
protletlore non teme il confronto ne del Romano
, ne del
Macedonia.
Il Signor...... dal suo canto ,
può confluir felicemente
a secondar il genio del console dei consoli, e a disporre
i suoi nazionali al cullo d'Ossian. Egli vo!le prima saggiar
il spirto dei Francesi per avvezzargli poco a poco a quelle
singolarità che danno allo stile del suo poeta un color
troppo esotico. Le bellezze le pin eminenti di Ossian, la
sublimita delle imagini
,
la nobilta dei sentimenti, sono
da lui rapresentate o imitate con felicita; ma nel tempo
istesso ne adolci a quando le maniere
,
gli levò quel
brusco, quelle sprezzature, quella concisione eccessiva, che
poteano renderlo men caro a suoi lettori. Procacciò al di
lui stile passaci più sensibili ; diede alle sue concezzioni
pili di regolarità e di chiarezza, e sviluppò alcuni sentimenti
che pareano tenir del mistero. Cio fa che taluno
per avventura potrebbe talora nella sua traduzzione non
riconoscer interamente la fisionomia del originale. Ma
che? egli avea a lottare coi prejudici della sua nazione
e della sua lingua
,
et di più a vincere gli ostacoli che gli
opponeva ad ogni tratto il suo verso che per la monotonia
sempiterna della sua struttura e la continuita perpetua
delle consonnanze è forse il meno atto d'ogni altro
a rappresentar un stile vario, spezzato, rapido, sparso,
per rosi dire, di lampi e di folgori che abbagliano e
passano.
Ad ogni modo
,
io confesso con ingenuita
,
eh' io trovai
molli squarci che gareggiano coli' originale. Tale fra vari
altri il fine sublime del poema di cartone. Tale il sonno
di Ossian, la nuvola, i lamenti di Malvina. Questo è il
mio parere, del quale voi farete quel uso che può suggerirvi
la vostra delicatezza.
Ringraziate intanto sinceramente per me il valoroso traduttore.
Congratulatevi a mio nome con liii
, e ditegli
ch'io mi compiaccio di riconoscerin lui un mio confratello.
Non lo ringraziate pero ugualmente delle lodi troppo esuberanti
di che egli mi carica nel suo avvertimento. Come
mai darmi il nome del Delile deli'ItaliaJ poss' io sostener
un tal confronto? Esso m'avilisce più di quello che mi
lusinghi. GESAROTTI.
Versi dell' abbate CESAROTTI al Signor ***:
SOPRA il Gallico ciel, d' Ossian sul vento
L' ombra già da molt' anni errando giva
, E stupia pur che al suo divin concento
Non t'cheggi un sol antro al' Senna in riva.
***, Cantasti: ei s'arrestò. — Che sento?
Chi la mia gloria
,
anzi me stesso avviva ?
Questo dell' Arpa mia, si questo b'l suono.
Senna
,
tardasti assai; ma ti perdono.
Çàjette Littéraires.
ANGLETERRE.
Surquelques ouvrages d'érudition , récemment publiés en
Angleterre.
M. Elmsley a donné
, en 1813
, une édition des Héraclides
d'Euripide, avec de savantes notes. Il s'était déjà
fait connaître par des éditions des Acharniens d'Aristophane
et de l'OEdipe-roi de Sophocle. C'est lui qui a revu
le Thucydide d'Edinburgh. Ila donné d'exceUens articles
de littérature classique dans l'Edinburgh review , et dans le
Quarterly review. La critique qu'il a faite
,
dans cette dernière
feuille
,
des Suppliantes et des deux Iphigénies
d'Euripide de l'édition de Markland
, est un chef-d'oeuvre.
On attend de lui une nouvelle édition de l'Hélène d 'Euripide.
— M. le professeurMonka donné l'Hippolyte d'Euripide.
Ily en a eu deux éditions.
— M. Blomfield
,
qui promet une édition des Perses
d'Eschyle
, a déjà publié le Prométhée et les Sept chefs
devant Thèbes. Le Prométhée a déjà eu deux éditions.
Dans le premier cahier du Muséum crilicum, imprimé à
Cambridge, il y a du même M. Blomfield une collection
des fragmens de Sapho
, avec des notes critiques.
— M. Gaisford
,
professeur de grec à Oxford
, a publié
une édition du traité d'Héphestion
,
de Metris
, revu sur les
manuscrits des bibliothèques d'Angleterre. Il y a joint la
Chrestomathie deProclus. Il est aussi auteur du catalogue
des manuscrits du docteur Clarke. La première partie
,
la
seule qui ait paru jusqu'à présent, contient la notice des
manuscrits orientaux. Les manuscrits du docteur Clarke
ont été achetés par l'Université d'Oxford et font partie de I
la bibliothèque bodléienne. !
— Le docteur Burney a publié un essai sur les Choeurs
d'Eschyle
, et le lexique inédit de Philémon
,
dont M. de
Villoison avait donné quelques extraits dans ses notes sur
Apollonius. Il se propose de faire imprimer bientôt trois
autres ouvrages inédits : le vocabulaire étymologique
d'Orion, l'apparat sophistique de Phrynichus; et ~l'cino,
~ùXfâSnroç, dictionnaire fort remarquable à cause des nombreuses
citations prises dans les anciens auteurs dramatiques.
Le docteur Burney est frère de la célèbre miss
Burney
,
aujourd'hui MmB d'Arblay.
— On a imprimé à Cambridge les Adversaria du feu
professeur Porson. C'est un recueil de notes critiques sur
les trafiques grecs, sur Alhenée, Stobée
,
les fragmens
des comiques, et une foule de poètes grecs. Elles sont
dignes de la haute réputation de Porson et de son rare
talent. Les éditeurs de ce recueil sont M. le professeur
Monk et M. Blomfield. Ily aura à ce volume une suite qui
contiendra les remarques de Porson sur Aristophane.
L'Université de Cambridge en a confié la publication à
M. Dobi ée
,
l'un des éditeurs du Muséum criticum.
— Le professeur Gaisford fait espérer qu'il donnera une
édition de Platon d'après l'excellent manuscrit du docteur
Clarke.
— Le docteur Maltby prépare une édition du Thesauus
de Morell. Il a recueilli beaucoup de mots omis par Morell;
il indiquera les sources avec exactitude
,
et profitera de
tout ce qui a été écrit dans ces dernières années sur la
métrique grecque.
— Le Rév. Th. Kidd doit faire réimprimer le Miscellanea
de Dawes, avec des notes inédites de Bentley et de
Porson.
—Un savant anglais s'occupe d'une nouvelle édition de
Callimaque.
Le quatrième et dernier volume de l'Eschyle du docteur
Butler est sur le point de paraître.
* ITALIE.
GÈNES. — Il a paru dernièrement ici, en langue italienne,
un ouvrage de M. D. Giovanni Lorenzo Federico
Gavotti, écrit en Italien
, avec des notes , et intitulé Sogni
ou les Songes. Cet ouvrage est écrit en vers. L'auteur étale
dans ses notes presque toute son érudition. Le Songe XV,
intitulé la Fama , et composéde i5o vers , est accompagné
d'environ 9r) notes ou remarques, dans lesquelles l'auteur
nous apprend tout ce que la Fable dit de Mars
,
de Vénus,
de Neptune
, etc., et tout ce que l'Histoire raconte de
Socrate
,
de César, etc. Cet ouvrage de M. Gavotti n'a
obtenu aucun succès.
MILAN.— On vient de publier dans cette ville l'ouvrage
suivant : Dialoghi de' Morti di Luciano
,
volgarizzati dal
greco. Milano ,
dalla Stamperia Reale
,
l8l3 ; c'est-à-dire
Dialogues des Morts
,
de Lucien
,
traduits du grec. Milan
,
de l'Imprimerie Royale
,
l8l3.
Mme Buonadratta Pastoni, qui est l'auteur de cette traduction
, a voulu garder l'anonyme. Ce trait de modestie
ne peut qu'ajouter à la réputation qu'elle s'est justement
acquise par la connaissance profonde qu'elle a de la langue
d'Homère. Les Dialogues que Mm. Pastoni a traduits
, sont
au nombre de vingt. Elle a fait précéder son ouvrage d'une
préface très-élégante, dans laquelle elle parle d'une manière
succincte de la vie et des écrits de Lucien
,
du style de cet
aimable satyrique, etc. Le Polygraphe, en rendant compte
de la traduction de Mm. Pastoni, lui prodigue les éloges
les plus flatteurs. Voici les propres paroles du Rédacteur
Italien
,
dont l'exagération nous a frappés. « Questa Italiana
Dacier ha sullafrancese il pregio di unire alla più
scrupolosafedetlà moltissima eleganza di slile, di modo
che quasi direbbesi che colle grazie, dicui continuamente
è cosperso il suo testo, ella manifesta il gentilsesso. etc. n
C'est-à-dire : "cetteDacier Italienne a sur celle de la France
l'avantage de joindre à la plus scrupuleuse fidélité une
très-grande élégance destyle; on dirait que, par les
grâces qu'elle y répand continuellement
,
elle fait clairement
voir quel est son sexe. etc. « Dacier a traduit
Homère, Anacréon et une foule d auteurs Grecs et Latins elle les ; a aussi commentés d'une manière ingénieuse.
L 'érudition de celte femme célèbre excite encore l'admiration
des savans. Mm. Pastoni, auteur de la traduction
de quelques dialogues de Lucien
, est , aux yeux de
MM. les Rédacteurs du Palygraphe
,
la Dacier de l'Italie'
En vérité , c est pousser trop loin la galanterie italienne.
M. le Chevalier Lamberti a dernièrement mis au jour
son ouvrage intitulé : Illustrazioni Omeriche
, ou Eclaircissemens
sur Homère. On remarque dans cet important
ouvrage une critique sage, un goût épuré, et particulièrement
beaucoup de sagacité dans les conjectures. Il
serait à désirer que nous eussions sur Pindare et sur d'autres
poëtes du premier ordre des éclaircissemens de ce
genre.
— M. Londonio vient de nous donner le troisième et
dernier volume de son excellent ouvrage intitulé: Storia
delle Colonie Inglesi in America ou Histoire des Colonies
Anglaises en Amérique. Cet ouvrage est écrit avec beaucoup
de clarté, et d'élégance ) il a obtenu tout le succès
qu'il méritait. M. Londonio termine son histoire à l'indépendance
des colonies américaines.
— M. le comte Agostino Paradisi vient de publier
une fort jolie pièce de vers intitulée : « Coro di Romani» divisée , en deux parties
,
dont la seconde est un Hymne
à Romulus. On remarque dans ces vers une harmonie
et une majesté dignes du talent flexible de l'illustre auteur
qui, quoique homme d'état, ne dédaigne point de consacrer
une partie de ses veilles à la culture des muses
d'Ausonie.
—On vient de mettre en vente la troisième livraison du
fameux ouvrage intitulé- : « Vite et ritratti d'illustri Italiani.
» Celte livraison renferme la vie et le portrait du
célèbre Gian-Baltista della Porta, né à Naples en 1540
,
et mort dans la même ville en 1615. L'auteur de cette vie
est M. Francesco Deciani, écrivain sagemènt pur et élégant
( saggiamente puro ed elegante scrittore ). Après,
avoir décrit les hautes qualités de son héros
,
et donné
une liste détaillée de fous ses ouvrages qui sont trèsnombreux
,
le panégyriste finit en ces termes : « On
« ne sait ce que l'on doit admirer le plus dans cet il-
" lustre Italien
, ou de son savoir ou de son génie. Il fut
" constamment, pendant toute sa vie, l'ami des sciences et
* des lettres. Un l'admira, de son vivant
, comme poëte ,
» comme philosophe, et même comme physionomiste.
« De nos jours encore ,
il est apprécié comme un philo-
" sophe très-célèbre, qui, parmi plusieurs erreurs de l'es-
" prit humain, découvrit et publia des vérités remar-
» quables. n
PAVIE. — L'ouvrage suivant vient de paraître : "Saggio
» di Meditazioni Jilosofico-morali sulle Ode di Horazio
n Flacco , esposte in alcune letterefamigliari ad un vero
* amico, da G. B., Pavia 1813. « C'est-à-dire : « Essai
de Méditations philosophiques et morales sur les Odes
d'Horace
,
exposées dans des lettres familières
,
adressées
à un ami véritable, par G. B. Pavie l8l3. " L auteur de
cet ouvrage est un jeune homme , ami de la sagesse et de
la vertu. Ses efforts méritent les plus grands encouragemens.
Sa morale est pure et austère j les conseils qu'il
donne à ses semblables, sont vraiment salutaires. Son
érudition peut être appelée encyclopédique ; mais par
malheur, le style de notre jeune auteur est trop souvent
diffus et ampoulé. Du reste, ce défaut est compensé par
des réflexions morales du plus grand intérêt, et par une
modestie douce et touchante.
PISE. — Le savant et respectable abbé Sebastiano
Ciampi a dernièrement mis au jour une nouvelle édition
de son excellent ouvrage intitulé :"u Vila e Poésie di
Messer Cino da Pistoja « Cette édition est revue avec
beaucoup de soin et augmentée considérablement. Elle
? ajoute à la réputation de l'abbé Ciampi, qui depuis longtems
a bien mérité de tous les amis des lettres grecques
et italiennes, par ses nombreux et utiles travaux.
VENISE. — On vient de publier dans cette ville le re- cueil suivant : u Tragedie di Gio. Beltin Roselh ricentino.
» C 'est-à-dire : « Trag dies de Gio. Bellin Roselli
de Vicence. » L auteur a pris pour modèles Sophocle
Euripide, Racine et Rucellai. Ses pièces , sont accompagnées
d 'observations sur la Tragédie ancienne et mo- derne ; mais elles ont eu peu de succès auprès des
connaisseurs.
(Extrait du POligrqfo et d'une Lettre particulière. )
HOLLANDE.
L'Institut des Sciences
,
Belles-Lettres et Arts d'Amsterdam
, a renouvelé ses bureaux au commencement du
mois de septembre dernier. La première classe a nommé,
pour son président M. le professeur Van Swinden.
( sciences ); la deuxième
,
M. Jérôme de Vries ( littérature
hollandaise ) ; la troisième, M. le professeur Van
Lennep (littérature ancienne ); la troisième, M. Apos-
- toll ( arts ).
— L'exposition biennable de tableaux et autres objets
d 'arts, a commencé à Amsterdam le 27 septembre dernier.
Elle oflre 142 tableaux ( on remarque 32 peintres de la
seule ville d'Amsterdam qui ont contribué à enrichir cette
galerie), des miniatures, des dessins, des gravures.
Pour la sculpture, elle ne laisse à former que des voeux.
— On promet à Leyde un prix de trois cents florins à
celui qui d'ici au Ier décembre 1814 aura adressé aux
libraires Staak et compe, un mémoire jugé digne de ce
prix, dont le sujet sera: établir la divine autorité de
î'épître catholique de saint Jacques. La lice est également
ouverte aux savans nationaux et étrangers Les mémoires
devront être ecrits daus les langues latine, française,
hollandaise ou allemande. On aura soin que la compétence
des juges ne puisse être contestée.
MERCURE ÉTRANGER.
N° XII.
LANGUES ORIENTALES.
LITTÉRATURE ARABE.
Ilistoire du Schéryf d'Halep (i).
LE Sultan Mousthafa Khan, ayant déclaré la guerre
aux Perses, partit de Constantinople à la tête d'une puissante
armée
, et vint camper aux environs d'Halep afin
de donner du repos à ses troupes. Comme il avait besoin
d'argent pour fournir aux frais de la guerre, il envoya à
Halep un député chargé de demander en son nom aux
négocians
, et aux principaux de cette ville, la somme de
deux mille bourses en promettant par écrit qu'il la leur
rendrait à son retour de la guerre. Ce député était le grand
eunuque. Dès qu'il fut arrivé chez le ministre de la justice
,
il fit assembler en diligence les personnages les plus
distingués de la ville
,
leur si-gnifia les ordres du Sultan et
les engagea à s'y conformer au plus vite. Les principaux
(l) Le mot Schéryf, qui signifie noble, d'illustre naissance, est
le titre particulier de oeux qui descendent de Mahomet par Aly son
gendre et par Pathime sa fille. Les Schéryfs portent le turban vert
pour se distinguer des autres Musulmans qui le portent blanc.
t Voyez la Biblioth. Orient., par d'Herbelot, nu mot Schéryf. )
d'Halep ayant demandé un délai de trois jours pour recueillir
celle somme ,
le grand eunuque le leur accorda en
les avertissant toutefois que si, les trois jours écoulés
,
les
deux mille bourses n'étaient pas prêtes
,
ils courraient
risque eux et lui, d'avoir la tête tranchée. Aussitôt les
grands travaillèrent à imposer sur tous les citoyens la
somme que chacun pouvait donner. Au premier bruit de
cette nouvelle, les uns prirent la fuite, tes autres se cachèrent
} il y en eut qui refusèrent hautement de payer
quoi que ce fut
,
alléguant qu'il leur était impossible de
faire le moindre sacrifice; d'autres qui se mirent sous la
protection de quelques grands. L'alarme et le trouble
croissaient de plus en plus
,
et ceux d'entre les principaux
de la ville qui devaient fixer ce que chacun apporterait,
ne savaient quel parti prendre. Le premier et le second
jour se passèrent en disputes et en réclamations j on allait
à la poursuite des fuyards et l'on renfermait ceux qui ne
voulaient pas payer. Enfin
,
le troisième jour arriva et l'on
n'avait pas recueilli seulement un dirhem. Si quelqu 'un
des grands disait : écrivez telle somme au nom d 'un tel j
- un autre, soigneux de prendre sa défense se récriait à l 'instant
: vous demandez trop à cet homme, songez qu'il est
pauvre et que sa famille est nombreuse. Alors
, nouveaux
sujets de disputes et de mouvemens séditieux. Le grand
eunuque voyant que les trois jours étaient passés
, que les.
deux mille bourses n'étaient pas prêtes et que les contestations
ne finissaient point, entra dans une grande colère et
lit aux principaux d'Halep
, ces terribles menaces: «Je
suis venu le troisième jour à midi ; mais si à deux heures
les deux mille bourses ne me sont pas remises
,
je le jure ,
et fen atteste ici
,
le dieu de puissance et de majesté, son
glorieux et saint prophète et la tête sacrée de notre Sultan,
je vous ferai trancher la tête
,
et aucun de vous ne sera
épargné. * Après avoir ainsi parlé, le grand eunuque fit
venir des bourreaux et ordonna à des soldats armés d'investir
la ville. La frayeur et le tremblement s'emparent
des principaux habitans: on s'agite, on se trouble ; le
désespoir est à son comble. Tout-à-coup un Schéryf entre
dans le lieu de l'assemblée. Un grand bonnet entouré
d'un turban vert couvrait sa tête ; une barbe blanche descendait
sur sa poitrine; sou air était vénérable, sa démarche
majestueuse. Il salua l'assemblée et s'assit au
dernier rang. Comme personne ne faisait attention à lui,
parce que tous les esprits étaient agités et saisis d'épouvante
,
il se leva et se tournant vers les assistans :
«Citoyens d'Halep
,
dit-il, veuillez me faire part de l'objet
de vos contestations. n Vieillard, lui répondit quelqu'un
de l'assemblée
,
de quoi te mêles-tu? crois-moi, demeure
dans ta condition. Qu'y a-t-il de commun entre toi et
les nobles d'Halep? Le plus vil de leurs esclaves vaut
encore mieux que toi. Sors donc de ce lieu et reste
'dehors avec les derniers du peuple. n — Insolent, s'écrie
le Schéryf irrité
, tu oses outrager de la sorte un homme
que tu ne connais pas! Mais, ô habitans d'Halep, c'est
votre usage de respecter un homme qui est vêtu magnifiquement
et de mépriser, à cause de ses habits simples
et négligés , celui dont les vertus doivent forcer l'estime
et la vénération ! Grands d'Halep, poursuivit le Schéryf,
si notre auguste Sultan savait que vous lui refusez la
somme qu'il demande
,
il punirait votre ingratitude en
Vous faisant subir le dernier des supplices. Quoi! les trois
jours de délai sont expirés et vous délibérez encore sur
ce que vous devez faire ! Ah ! si vous vouliez priver vos
femmes de quelques bijoux inutiles et leur retrancher une
partie de leurs ornemens superflus, alors vous trouveriez
de l'argent et en plus grande quantité qu'il n'est nécessaire
; mais non ,
il vous est plus doux d'être avares pour
votre souverain, afin d'être prodigues pour la parure de
vos femmes. Vous refusez tout à un prince qui protège
votre religion
,
qui vous défend contre vos ennemis
,
qui
met en sûreté vos terres , vos enfans et vos, femmes
, et
qui est enfin voire soutien, votre gloire et votre ornement.
Quand même il aurait exigé que vous lui fissiez
don des deux mille bourses, vous ne devriez pas différée;
un instant de les lui remettre, puisqu'il ne veut les employer
que pour votre avantage; mais vous savez qu'il ne
vous les demande qu'à titre de prêt
,
qu'il a juré de vous
les restituer toutes, et vous pouvez balancer ! et vous ne
courez pas les déposer entre ses mains ! Rentrez donc en
vous-mêmes et reconnaissez que la gloire de le servir est
une gloire sans égale
, et que vous n'êtes redevables aujourd'hui
de cet honneur insigne qu'à son attachement
pour vous. Mais puisque vous êtes les plus misérables et
les plus ingrats de tous les hommes, puisque tous les,
sentimens nobles et généreux sont étouffés dans vos coeurs,
allez, Dieu vous prive de cet honneur et il en revêt un
homme que vous accablez de mépris
, et cet homme ,
c'est moi. 0 mon maître, ajouta le Schéryf en s'adres--
sant au grand eunuque, daignez venir chez moi, et je
Vous donnerai de mon argent les deux milles bourses»
Ainsi parle le Schéryf, il sort, et le grand eunuque le suit.
Le discours que venait de prononcer le Scbéryf fit unô
forte impression dans les esprats : tous les grands se
turent et demeurèrent dans l'étonnement et le respect.
Arrivé dans sa maison, le Schéryf dit au grand eunuque x
— 0 mon maître, de quelle espèce de monnaie voulezvous
que je compose les deux mille bourses? Le grand
eunuque frappé de cette demande, quoi! dit-il en luimême
,
il y a plus de vingt espèces de monnaie et cet
homme veut que je choisisse celle qui me convient-Il
possède sans doute plus de richesses que jamais ni le
Sultan, ni ses ancêtres n'en ont rassemblé dans leurs
trésors.—Eh bien,, dit le grand eunuque à haute voix,
remplissez de séquins les deux mille bourses. Aussitôt le
Schéryf fit peser deux mille bourses de sequins
,
les
remit au grand eunuque et lui dotina en outre pour son
usage cinq mille sequins
,
puis il le quitta après avoir
chargé sur des chameaux les deux mille bourses. Lorsque
le grand- eunuque se fat rendu auprès du sultan
Mousthafa, il lui raconta la conduite indigne des négocians
et des principaux habitans d'Halep
,
les réprimandes
amères du Schérvf, et comment il lui avait donné les deux
mille bourses. Ce rapport étonna le Sultan.-A mon
retour de la guerre contre les Perses, dit-il, je passerai
par cet endroit ; et quand mes s&jets viendront me feliciter
de la victoire que j'attends de la protection de Dieu ,
tu te tiendras auprès de moi; et aussitôt que tu auras
aperçu ce Schéryf extraordinaire, tu me le montreras. Le
grand eunuque promit à son souverain obéissance et soumission.
Lors donc que le Sultan eut remporte sur lez
Perses une victoire complète, il revint et s 'arrêta aux environs
d'Halep. Le premier jour, les sayans et les grands
de la ville vinrent en corps pour lui témoigner la joie
qu'ils avaient de sa victoire. Le second jour
,
les négociant
et ceux qui exerçaient une profession quelconque lui présentèrent
à leur tour leurs hommages. Le troisième jour,
on vit paraître la troupe nombreuse des pauvres et des
infortunés. Le grand eunuque qui se tenait auprès du
Sultan
, ayant reconnu le Schéryf au milieu de la foule ou
il était confondu avec les derniers du peuple, avertit son
maître. Le Sultan ordonna qu'on fît approcher le Schéryfi
il le plaça à ses côtés
,
Yaccueillit avec un ait gracieux
,
fit signe ensuite à tous les assistans de se retirer et resta
seul avec lui. —Homme respectable et généreux ,
lui dit-il,
tum'as renduun grand service. Je te remercie du zèle et de
l'amour que tu me témoignes. Sois donc assuré pour jamais
de ma reconnaissance. Mais
,
je te l'avoue
,
le récit qu 'on
m'a fait de toi me paraît incroyable. Dis-moi d'abord
pourquoi tu t'es présenté dans l'assemblée des principaux
d'Halep
,
et as voulu toi-même payer la gomme que je
demandais, puisque tu étais inconnu de tout le monde à
cause de l'obscurité delon rang. Dis-moi ensuite comment
tu as amassé tant de richesses : car, si l'on en juge par le
choix que tu as donné à faire à mon grand eunuque, il
faut que tu possèdes des biens innombrables.—Que Dieu
prolonge les jours du Sultan mon maître
,
répartit le
Schéryf. Si j ai voulu payer les deux milles bourses
,
c'est
que ) 'ai eu pitié de mes concitoyens, parce que je voyais
qu ils étaient imposés au-dessus de leurs forces, et que si
néanmoins ils ne satisfaisaient pas à vos ordres, ils couraient en- voire indignation. De plus
,
j'ai brûlé du désir
d'être utile en quelque chose à voire majesté, persuadé
que le devoir d un sujet est de se dévouer tout entier à,
son prince, et que celui qui ne peut le servir les armes à
la main
,
doit le servir de son argent. Quant à la manière
dont j'ai acquis mes richesses
,
si votre majesté daigne
m'honorer un moment de son attention ; je lui raconterai
à ce sujet une aventure qui m'est arrivée. —Tu peux par- ler, dit le Sultan. Alors le Schéryf commença en ces termes :
« Je suis fils d'un riche négociant d'Halep. Mon père
étant mort, j'héritai de grandes richesses :j'avais alors
quinze ans. Ravi de me voir libre
,
je fréquentai quelques
jeunes gens de mon âge et les associai à mes plaisirs.
Tous m'étaient également chers ; je les comblais tous de
présens
, et ils me juraient tous une amitié constante.
Mais ce train de vie épuisa bientôt les trésors que je pos- sédais
, et je ne pus plus subvenir à la variété de mes divertissemens. Mes perfides amis, qui s'étaient enrichis
à mes dépens
, m'abandonnèrent. Ils évitaient ma présence
; et si je m'avançais vers l'un d'eux par un chemin,
l ingrat aussitôt, baissant méchamment les yeux, en prenait
un autre. J étais accablé de douleur, la vie me devenait
à charge
, et il ne me restait pas un ami -qui put
me consoler. Un jour, dans l excès de mon désespoir, je
me jetai aux genoux de ma mère et je la suppliai
,
les
yeux baignes de larmes
,
de me donner du poison pour
mettre fin à mes tristes jours. Comme une mère se laisse
facilement attendrir, la mienne fut touchée de mes pleurs. 0 J mon fils
, me dit-elle, si tu suis mes conseils Dieu te
récompensera. Je tombai de nouveau aux genoux de
mère et lui jurai la plus entière soumission. Mon fils ,
reprit-elle, tous ceux qui voyagent et font le commerce
acquièrent de la fortune 5 tiens, voici mon bracelet 5 va e
vendre; tu garderas pour toi la moitié de sa valeur, et tu
me réserveras l'autre moitié. Ensuite, pars avec des voyageurs,
etjeprierai Dieu qu'il t'assiste dans tes entreposes.
Alors je pris le bracelet, et je courus le porter chez un
bijoutier qui me l'acheta mille dynars. En revenant a la
>
maison, je passai par le marché aux chevaux. J'y vis un
superbe cheval, et je l'eus pour deux cents dynars. J en
dépensai tout de suite cinquante autres pour me procurer
une besace
,
des vivres et ce qui était nécessaire a mon
cheval. Comme je traversais le marché aux esclaves, je
vis une jeune fille qui était à vendre. Sa beauté éblouissante
frappa mes regards
,
et je dis en moi-même : achetons
cette jeune esclave, et cette nuit je m'inonderai de voluptés
en imprimant sur ses lèvres des baisers delicieux.
Demain matin
,
avant mon départ
,
je la laisserai chez ma
mère
,
qui la vendra et vivra de son prix pendant mon absence.
Aveuglé
,
vaincu par mes désirs, je l'achetai sept^
cents dynars et l'emmenai avec moi ; mais je ne voulus
pas rentrer avant la nuit
, parce que je craignais que ma
mère ne mevîtetne me réprimandât sévèrement. Lorsque
la nuit fut venue, je mis promptement mon cheval a 1 écurie
; ensuite prenant par la main ma charmante esclave,
je la fis monter dans ma chambre dont je fermai bien la
porte. Je tirai de ma besace quelque nourriture, et nous
nous assîmes auprès d'une fenêtre qui avait vue sur une
mosquée. Pendant que nous mangions, je fis tout-à-coup
réflexion sur ma conduite passée, sur la manière dont
j'avais dissipé mes richesses, et sur le peu de déférence
que je montrais pour les sages conseils de ma mère. Alors
mes yeux se remplirent de larmes
,
et mes tourmens intérieurs
furent si cruels que je conjurai la mort de venir à
mon secours. J'avais passé la moitié de la nuit dans cette
douloureuse situation
,
lorsqu'une voix
,
semblable à celle
qui appelle à la prière, s'éleva de la mosquée jusqu'à moi
et proféra ces mots : .Que celui qui veut recevoir de Dieu
une récompense prochaine me donne un cheval, jeune fille et une cinquante dynars. « O.ciel! dis-je en moimême,
je possède tout ce que cet homme demande;
ÎI "ons , que ses désirs soient accomplis
, bonté et espérons en la divine. Aussitôt je me lève, j'emmène la jeune
fille, je tire le cheval de l'écurie, je mets les cinquante
dynars dans la besace, je pars et j'abandonne tont à cet homme, que je reconnais pour être un religieux, puis je
reviens dans le trouble et dans l'agitation; je m'assieds,
bien résolu d'attendre le point du jour
,
afin de prendre
la fuite avant que ma mère fut levée. Cependant
la douleur m'avait extrêmement abattu , comme et que j'avais passé
une partie de la nuit sans goûter aucun repos ,
le sommeil
surprit mes sens agites
, et je ne me réveillai qu'à l'instant
ou la chaleur du soleil fit impression sur mon corps. Je
me levai saisi de frayeur et de crainte
, et je m'empressai
de sortir. Lorsque j'eus ouvert la porte de ma chambre,
le premier objet qui s'offrit à mes yeux fut la jeune esclave
qui dormait étendue sur un tapis. Ce spectacle m'étonna.
Peut-être, dis-je en moi-même, que son maître me la rend
parce qu'elle ne lui convient pas. Alors je la réveillai et lui dis avec surprise : eh ! ne t-ai-je donc pas donnée à ce religieux?- C est vrai, reprit-elle
,
mais il n'a pas voulu
de moi et il m a ramenée chez vous. Je la fis entrer dans
ma chambre et je sortis pour m'évader sans que ma mère
s en aperçût. En descendant l'escalier, j'entendis un hennissement
qui partait de l'écurie ; j'entrai et je vis le cheval
et la besace, et lorsque j'eus ouvert la besace
,
je trouvai la bourse et les cinquante dynars que j'y avais mis. Au
iond de cette bourse
,
il y en avait une autre : je l'ouvris
et je vis quelque chose qui ressemblait à de la cendre et dans celte cendre il y avait un billet où étaient écrits ces mots : Une bonne oeuvre ne se perdjamais, mais elleprocure
le bonheur à celui qui l'a,!faite. 0 mon ami, ton présent
a été agréable à Dieu , et non-seulement il te rend ce
que tu as donné de si bon coeur, mais encore ily joint la
récompense que mérite ta bonne action. Ce qui te paraît
delà cendre est quatre gros depoudrephilosophale. Prends
un quintal de cuivre,fais le chaufferjusqu'à ce qu'ilbrûle,
et jette dessus un gros de cette poudre ; alors il changera
' de couleur et se convertira en or véritable. Dès que j'eus
lu ce billet, je sortis précipitamment, j'achetai un demi
quintal de cuivre et un quintal de charbon
,
je fis chauffer
le cuivre; et lorsqu'il fut brûlant, je jetai dessus un demi
gros de poudre philosophale. Tout-à-coup un bruit pareil
à celui du tonnerre se fait entendre: j'attends avec impatience;
et puis, fixant un oeil avide, je découvre, ô surprise!
ô miracle! un or pur et resplendissant. Je tressaille d'allégresse,
j'embrasse, je dévore une si belle proie, je suis
ravi en extase. 0 mon souverain invincible, je recouvrai
bientôt tout ce que je possédais auparavant ; des maisons, '
des jardins, des terres, de riches tapis, des étoffes précieuses
et un grand nombre d'esclaves. L'expérience
m'avait instruit : je devins plus sage et plus modéré dans
mes dépenses, je me mariai et je n'eus point d'enfans.
Mes richesses se monten't à plus de dix mille bourses, et
c'est le produit de deux gros seulement de poudre philosophale.
Comme je n'ai point d'héritiers
,
je lègue à votre
majesté toutes mes possessions et les deux gros de poudre
philosophale qui me restent. "
Lorsque le Schéryf eut achevé son récit, le Sultan lui
-dit : — 0 sage et vertueux Schéryf, ton aventure est merveilleuse
: mais doit-on s' étonner qu'un homme qui fait le
bien dans la vue seule de'plaire à Dieu. reçoive une récompense
aussi magnifique? Viens donc avec moi j tu
habiteras dans mon palais
, mes sujets te respecteront et
tu seras toujours à mes côtés. — 0 mon puissant et glo-'
rieux Souverain
,
repartit le Schéryf, qui pourrait ne pas
accepter 1 honneur que vous me faites! n\ais votre majesté
Voudrait-elle avant tout m'accorder une chose qui
conserve ma mémoire parmi mes concitoyens — Je suis
prêt à te donner ce que tu désires, dit le Sultan., fût-ce
même la moitié de mon empire. Parle, que veux-tu? —
Votre majesté
,
répondit le Schéryf, a mis sur chaque maison
d'Halep un dynar pour impôt; les habitans de la rue
où je demeure sont pauvres et hors d'état de payer. Je
vous supplie, ô magnanime Sultan
,
de les exempter de
cette charge. Mousthafa ayant conseil ti à ce que le Schéryf
demandait, fit publier incontinent un édit par lequel il
délivrait de cet impôt les habitans de la rue du Schéryf.
Et ce fut en mémoire de cet événement que les citoyens
d'Halep appelèrent cette rue la rue du Schéryf. Elle porte
encore aujourd'hui le même nom , et les maisons sont
encore affranchies de toute espèce de tribut. Quant au
Schéryf, il demeura dans le palais impérial de Constantiiiople
,
comblé d'honneurs et de dignités jusqu'à la fin de
ses jours. On prétend que les deux gros de poudre philosophale
existent encore , et qu'ils sont conservés dans le
trésor des princes ottomans.
Traduit de l'Arabe par GRANGERET DE LAGRANGE.
POÉSIES TURQUES (I). - Pensées morales.
QUEL est le coeur exempt de troubles '? quel est l'état où
l'on soit à l'abri du souffle des événcmens? Jetez les yeux
sur ce vaste parterre du monde où nous croissons tous et
qu'on appelle la vie
, vous n'y verrez jamais de rose sans
épine
,
d'été sans orage ,
de vin sans un peu de lie.
Regardez l'hommebizarre dans ses désirs, insensé d-ins
ses projets, consumer tous les instans de sa vie pour des
(i) Tiré du Zubdet ul ach-ar
,
Recueil de poésies turques , manuscrit
de la Bibliothèque impériale.
affaires qui l'agitent sans cesse ; tel que le ver-à-soie
,
nuit
et jour il se fatigue à tisser, puis il expire au milieu du
tissu qu'il a formé.
Servir un prince jeune, et monter un cheval indompté,
sont deux choses bien dangereuses.
Espérer d'un avare ,
c'est faire un trou dans l'eau.
Injustice'dans un roi, soif de l'or dans un savant , avarice
dans un riche
,
voilà trois vices odieux à tout le
monde.
La sévérité d'un maître vaut mieux que la douceur d'un
père.
As-tu des livres, apprends vîte ce qu'ils contiennent
,
car de quatre choses il arrive l'une, ou l'eau les submerge,
ou le feu les brûle, ou les rats les rongent, ou le voleur les
emporte.
Si parler est d'argent, se taire est d'or.
Traduit du turc par DuvAL-DESTAINS.
LANGUE ESPAGNOLE.
CANCION
DE FRANCISCO DE RIOJA.
ESTOS
,
Fabio
, ay dolor f que ves ahora
Campos de soledad
,
mustio collado,
Fueron un tiempo Italica famosa.
Aqui de Cipion la vencedora
Colonia fue : por tierra derribado
Yace el temido honor de la espantos»,
Muralla. y lastimosa
Reliquia es solamente r
De su invencible gente
Solo quedan memorias funerales
Donde , erraron ya sombras de alto egempla»
Este llano fue plaza
,
alli fue templo;
De todo apenas quedan las señales.
Del gimnasio y las thermas regaladas
Leves vuelan Cenizas desdichadas.
Las torres que desprecia al ayre fueron
A su gran pessadumbre se rindieron.
Este despedazado anfiteatro,
Impio honor de los dioses
, cuya afrenta
Puhlica el amarillo xaramago , Ya reducido a tragíco teatro
T O fábu-Ia del tiempo representa
(guanta fue su grandeza y es su estraga.
Cómo en el cerco vago
De su desierta arena
El gran pueblo no suena ? o
n Dónde, pues fieras hay
,
está el desnudo
I.uchador ? dónde está el atleta fuerte? »
Todo despareció : cambió la suerte ,
Voces alegres en silencio mudo :
Mas aun el tiempo dá en estos despojos
Espectáculos fieros a los ojos :
Y miran tan confusos lo presente
Que voces de dolor el alma siente.
Aqui nació aquel rayo de la guerra,
Gran padre de la patria, honor de España,
Pio, felice, triunfador Trajano
, Ante quien muda se postró la tierra
Que vé del sol la cuna . y la que baña
El mar también vencido Gaditano.
..Aqui de Elio Adriano ,
De Teodosio divino
, De Silio peregrino
Rodaron de marfil y oro las cunas.
Aqui yá de laurel, ya de ,azmines
Coronados los vieran los jardines
Que ahora son zarzales y hgunas.
La casa para el Cesar fabricada
Ay! yace de lagartos vil morada.
Casas, jardines
,
Cesares murieron,
Y aun las piedras que de ellos se escribieron.
Fabio
,
si tú no Horas
, pon atenta . La vista en luengas calles destruidas,
Mira mármoles y arcos destrozados
Mira , estatuas soverbias que violenta
Nemesis derribo
, yacer tendidas,
Y ya en alto silencio sepultados
Sos dueiíes celebrados.
Asi ii Troya frgnro
, Asi a su antiguo muro , Y a tí Rama a quien queda el nombre apenas,
« O patria de los dioses y los Reyes »
Y a tí a quien no valieron justas leyes ,
Fabrica de Minerva, sabia Atenas :
Emulación ayer de las edades, '
Hoy cenizas
,
hoy vastas soledades
, Que no os respetó el hado, no la muerte ,
Ay ! ni por sabia a tí, ni a tí por fuerte.
c Mas ,pora que la mente se derrama
En buscar al dolor nuevo argumento »
Barta egemplo menor, basta el presente , Que aun se vé el humo aqui, aun se vé la llama
Aun , se oyen llantos hoy
,
hoy ronco accento Tal genio , o religion fuerza la mente
De la vecina gente ,
Que refiere admirada
Que en la noche callada
Una voz triste se oye que llorando
Cayó Italica ,
,
dice ; y lastimosa
Ecco reclama Italica en la hojosa
Selve que se le opone resonando
Itelica , : y el claro nombre oido
De Italica
, renuevan el gemido
Mil. sombras nobles de su gran ruina
Tanto t aun la plebe a sentimiento inclina. .............
Traduction.
LES RUINES D'ITALICA ; par FRANÇOIS RIOJA, poete
espagnol du XVIIe sièle.
REGARDE
,
Fabius
, cette vaste solitude, cette campagne déserte
etflétrie C'est là que fut jadis la fameuse ltalica, la noble co- lonie du grand Scipion : où sont ces murailles superbes qui causèrent
tant de jalousie et d effroi ? La terre est inondée de leurs débris.
Les guerriers invincibles d'Italica n'ont laissé que de vains souve- nirs. Leurs ombres généreuses ont abandonné cette enceinte désolée.
Ce champ couvert de ronces fut une place publique ; Jà s'élevait un temple.... A pein.e en reste-t-il de faibles vestiges. Le gymnase célébré
,
les thermes voluptueux réduits en poussière, sont le jouet
des vents. Ces tours menaçantes qui bravèrent l'outrage des élémens
conjurés
, ont enfin succombé sous leur propre masse Ce monument d'un culte profane
,
dont les décombres cachés sous
1 herbe accusent l'impie vanité
, cet amphiléâtre où le tems victorieux
se plait à insulter à la fragilité des grandeurs humaines.....
Quelle fut autrefois sa magnificence ! 0 Fabius! quelle affreuse métamorphose
! Pourquoi la voix bruyante du peuple d'Italica ne frappe-t-elle plus mon oreille ? des bêtes féroceshabitent encore ces lieux Où est le Gladiateur prêt à les combattre? Où est l'athlète
vigoureux dont la seule présence excitait les transports de la multitude?
Tout a disparu: les destins sont changés. Un silence de
Mort a succédé aux éc!ats tumultueux de l'allégresse populaire.....
La majesté des siècles imprimée sur ces ruines, donne encore un grand spectacle : l 'homme qui le contemple est frappé d'étonnement,
et la douleur'-assiège son âme.
En ces lieux naquit ce fameux guerrier qui fut aussi le père de la
patrie ,
l 'honneur immortel de l'Espagne, le pieux, le fortuné,
l'invincible Trajan qui vit se prosterner eu silence à ses pieds les
peuples que le soleil éclaire de ses rayons naissans, et ceux de 1 antique
Hespérie dont l'Océan, soumis aux lois de ce héros
.
baigne
les rivages délicieux. C'est ici que roulèrent sur la pelouse fleurie
les berceaux d'ivoire et d'or, dans lesquels, couronnés de jasmins et
de lauriers
,
Adrien, le beau Silius, le divin Théodose furent exposés
aux regards de la foule qui se précipitait sur les pas de
ses souverains. Témoin des jeux de leur première enfance, ces
jardins autrefois si brillans
, sont aujourd'hui hérissés de buissons
sauvages, ou couverts de marais pestilentiels. Le palais des souverains
du monde sert d'asile aux reptiles impurs. 0 destinée! le
teins a tout détruit; les palais. les jardius et les Césars eux-mêmes,
; et les marbres chargés de transmettre leur gloire à la postérité.
. 0 Fabius ! si les pleurs n'offusquent point ta vue ,
regarde ces
longues rues solitaires, ces colonnes mutilées
, ces arcs de triomphe
brisés
, ces statues que la vengeance a précipitées de leur piédestal.
Les maîtres de ces riches demeures
, ceux qui furent l'objet de tant
d'adulations et d'hommages sont ensevelis dans un silence éternel.
Ainsi, malheureux Ilium
,
s'écroulèrent tes nobles remparts ! Ainsi
périt cette Rome si fibre
,
patrie des rois et des dieux
, et qui n'a
conservé que son nom. Ainsi tu disparus, ô toi, l'ornement de la
Grèce
,
brillant édifice de Minerve! Villes superbes dont la gloire
fixa les regards de l'univers ; vous n'offrez plus aujourd'hui qu'une
morne solitude. La fatale destinée n'a respecté ni la vertu guerrière
des enfans de Romulus, ni les sages lois de Solon.
i Mais pourquoi chercher d'autres sujets de douleur? L'exemple
d'ltalica frappe mes yeux. Je vois encore la flâme qui dévore la colonie
de Scipion ! Des tourbillons de fumée s'élèvent dans les airs....
Les peuples voisins de ces ruines entendent encore , au milieu du
silence des nuits, une voix effrayante qui crie : Italica n'est plus.
L'écho
,
retentissant au loin dans la forêt, répète le nom d'Italica....
Les mânes de la ville infortunée répondent à ce cri par un douloureux
gémissement...... , et le mortel le plus insensible est saisi d'une
t.er.r.eu.r.re.l.ig.i.eus..e................................. * N. R. Cette poésie
,
pleine d'images et d'harmonie
, est un monument
du XVIIe siècle. On sait que l'auteur naquit vers l'année 1600.
{ Nous donnerons, dans le numéro prochain
, un article assez étendu
sur Italica, que M. le comte Alex... de Laborde nous a fait connaitre
d'une manière qui ne laisse rien à désirer; nous y joindrons
une notice biographique sur l'auteur de ce fragment. Rioja, si peu
connu parmi nous, est mis sans difficulté au premier rang des
poëtes espagnols. ESMENARD.
f
LANGUE ANGLAISE.
Conseils aux Peintres de paysages et aux Dessinateurs.
( Extrait du deuxièmevolume du Voyage de l'archevêque BALDWTI*
dans le pays de Galles, par GIRALDÙS DÉBARRY, en l'an 1188,
et traduit du gallique en anglais, par Sir RICHARD COLT HOARE
BART.)
« PLUSIEURS contrées possèdent une réunion de beautés
locales, et en même tems une grande richesse de détails
pittoresques propres aux artistes et aux dessinateurs j mais
le printems est la seule saison favorable aux voyages et
aux recherches. Il faut alors que le voyageur ou l'artiste
ne se borne pas à de simples esquisses et aux recherches
superficielles d'un voyageur passager; il faut qu'il tasse
station dans les lieux les plus remarquables, dans ceux où
la nature lui présente une plus grande abondance et variété
de sujets propres à ses études. Il faut aussi qu'il étudie
les beautés de détails , qu'il fasse des esquisses séparées
de rochers, de montagnes, de pierres, d'arbres, de bosquets
et de forêts, en un mot, de tout ce qui compose les
diverses parties du paysage. Les jeunes peintres sont
beaucoup trop pressés de composer un ensemble, avant
d'avoir appris la science des détails. Cependant il y a une
grammaire pour le paysage , comme il y a une grammaire
pour la langue. Il est aussi nécessaire d'être bien instruit
dans la grammaire des bois, des rochers et des arbres
pour devenir un grand peintre, qu'il est nécessaire de
connaître la grammaire des noms, des pronoms et des
verbes pour être un bon professeur.
Pour obtenir un grand nombre de sites riches et variés,
l'artiste doit parcourir les nombreuses et belles vallée.
qu'on trouve dans le nord et dans le sud du pays de Galles.
Celles de Wye
,
d'Usk, de Taf, de Towi et de Teivi dans
les Galles méridionales présentent les plus admirables
beautés pittoresques • c'est à la vallée de Towy qu'est due
la prééminance sur toutes les autres j mais dans mon opinion
particulière la valiée de Towy a une puissante
rivale dans celle d'Usk, qui la surpasse quant à l'étendue
et à la beauté du site et des scènes romantiques. Ses vues
près de Crickhowel peuvent être placées à côté de celles
de Towy près de Llandilo. La vallée de la rivière d'Ovy,
qui forme la limite entre les provinces du nord et du sud,
a aussi de gra ndes beautés du côté de Machynlleth
, etc.
Les vallées de Dée, de Conwy et de Clwyd sont les
plus renommées dans la principauté de Galles pour la
beauté de leurs sites ; et il est impossible qu'il se trouve
des beautés pittoresques qui surpassent celle de la vallée
de Dée près de Langollen.
La vallée de Conwy, dans une chaîne de montagnes qui
s étend jusqu 'à Llanrwst, présente plusieurs magnifiques
sites dignes du pinceau des meilleurs artistes, sur-tout
dans ses ponts et dans ses torrens et cascades. Dans le
cours de cette vallée à travers Conwy, ces torrens prennent
un grand caractère en formant une forte rivière. La partie
haute dela vallée de Clwyd est plus propre à la proportion
exigée par les peintres. Mais dans son ensemble, cette
vallée est trop étendue et trop riche pour un tableau, j et
il faut l 'admirer, bien plus pour son aspect riche et pour
sa fertilité que pour ses grands tableaux et ses sites pittoresques.
Je ne peux oublier la délicieuse vallée de Festiniog,
quoique la dernière ( et non cependant la dernière en beauté), parce que de tous côtés
, et sous quel aspect qu'on
la considère, elle est digne de renommée, et renferme
tous les genres de beautés qu'on peut trouver dans une
vallée ) de beaux et grands arbres
,
des montagnes majestueuses,
des ponts vraiment pittoresques, des ruisseaux
rapides, et une masse de sites qui ne sont pas d'une proportion
trop grande soit pour l'oeil, soit pour le pinceau.
Voici comment s'exprime lord Litleton
, en parlant de la
vallée de Festiniog : « C'est la vallée la plus parfaitement
belle de toutes celles que j'ai vues. On a , sur le haut du
village, une vue qui s'étend sur la mer. Les collines sont
tapissées d'un gazon toujours vert et couronnées de bois
et de forêts. Là coule un charmant ruisseau qui serpente à
travers la plaine j de chaque côté sont -de riches prairies,
et plus loin des champs de blés sur le penchant des coteaux.
A chaque extrémité s'élèvent de hautes montagnes,
qui semblent placées pour préserver celle charmante
retraite de toute invasion. On pourrait y vivre un siècle ;
et ce siècle passerait comme un jour, si l'on y était avec
une femme qu'on aimât, avec l'amie de son coeur, et
•avec quelques livres pour se livrer de tems en tems a
l'élude, n
Cependant plusieurs de ces ruisseaux peu remarquables
et quelques-uns de ces torrens tributaires
,
possèdent des
beautés qui n'ont jamais été découvertes ou aperçues que
par les pêcheurs
, qui en poursuivant la truite ou le saumon
, ne sont jamais occupés de suivre l'agréable cours
•de ces ruisseaux. Tous ces objets sont bien plus du ressort
des jeunes artistes, parce qu'ils leur présentent de simples
sujets de forêls., de bois
,
de rochers et d'eaux, plus analogues
à leurs études.
Les comtés de Merioncth et de Caernarvon leur offriront
de plus beaux sites et de plus beaux modèles de
paysages montagneux. Ils pourront fixer leurs stations et
l«urs travaux dans le Tan-y-Bwich, dans Betgelerd
,
dans
Cappel Cerrig et Dolgelley ; ils trouveront dans chacun de
ces lieux de belles études à t'aire et de magnifiques vues à
copier.
Les bordures écaillées de Fraeth Mawr Byehan
,
ainsi
-que les marées de la rivière Maw
,
depuis le pont de Laneltid
( près de Dolgeïïey ) jusqu'à Barniouth, offrent au dessinateur
et au peintre les plus belles masses imaginables de
•rochers, de bois et d'eaux 5 mais pour l'artiste ou le peintre
qui voudra étudier les grandes masses de rochers avec
quelque détail, ils doivent visiter la côte de la merdePembrokeshire,
et faire leur pélerinage au couvent de Saint-
Gowen.
Quant aux amateurs de l'architecture religieuse et militaire,
ils trouveront une ample moisson à faire dans les
abbayes de Tintcrn, deLanthoni, de Margan
,
de Neth ,
de Valecrucis
,
de Wenloch, elc., etc., etc.; ainsi que
dans les églises cathédrales de Llandaff et de Saint-David.
Les châteaux de Goudrich, de Chepstow, de Cardiff, de
Kiduelly
,
de Pembroke, de Manorbéer; de Newport, de
Cilgarran , de Caernarvon et de Couwy.
Traduit par M. B. BARÈRE DE VIEUZAC.
CALAMITIES OF AUTHORS, etc., Calamités des Auteurs,
renfermant des recherches sur leurs caractères littéraires
et moraux , par l'auteur des Curiosités de la
littérature. Deux vol. in-8°. — A Londres, chez
John Murray, Fleet-Street; W. Blackwood, à Edimbourg
-, et F. Cumming, à Dublin.
L'AUTEUR de cet ouvrage a choisi pour épigraphe une
phrase de Hume, honorable pour les lettres. Il eût peutêtre
mieux iait de citer ce vers de Térence :
Hcec nosse omnia salus est adolescentulis.
Son livre en effet paraît spécialement composé pour
effrayer les jeunes gens qui tenteraient de s'aventurer
dans la carrière des lettres, sans avoir d'ailleurs une
existence indépendante; et le ciel sait si les exemples
funestes manquent d'appuyer ses observations. Il faut cependant ne pas croire qu'il ait reproduit ces faits
connus de tout le monde, et qui nous présentent à diverses
époques et dans divers pays tant d'hommes doués
d'un rare génie, luttant contre l'infortune. Il ne rappelle
ni Homère, ni le Tasse, ni Camoëns, etc.; les
infortunés sur le sort desquels il veut nous attendrir sont
tous nés en Angleterre, ou du moins dans l'un des trois
royaumes; et il résulte de la lecture de son livre quelques
démonstrations fort tristes et fort peu honorables
pour son pays. On y voit d'abord que dans les tems reculés,
plusieurs hommes de mérite n'ont pu y triompher
de l'adversité; ensuite que chez une nation éclairée, et
qui souvent a pu se vanter d'avoir encouragé le savoir
et le talent, de nos jours même, je ne sais quelle fatalité
a condamné au sort le plus rigoureux et à la mort
funeste et précoce d'un Chatterton ou d'un Malfilâtre
plus d'un jeune écrivain dont les veilles eussent honoré
le Parnasse et sa patrie. Insere nunc Meliboee pyros
Il faut ajouter cependant, pour être équitable et ne
pas présenter sous un aspect trop sombre un sujet fort
peu gai en lui-même, que souvent, ces auteurs (poëtes
pour la plupart), qui lurent ainsi en butte à l'infortune
auraient pu s'accuser d'avoir contribué à leurs malheurs.
Par exemple, au chapitre intitulé : Désespoir
des jeunes poètes, nous voyons Pattison quitter brusquement
le collége de Sydney à Cambridge où il était
fort aimé, et faire à son tuteur et à ses maîtres des
adieux satiriques en vers. Il vient à Londres, persuadé
que les plus brillantes protections ne lui manqueront
pas; et bientôt, il se voit obligé d'écrire une lettre où
se trouve cette horrible phrase : « Depuis deux jours
,
» je n'ai pu satisfaire les premiers besoins de la vie! »
A l'exemple de Pattison, l'auteur en joint un grand
nombre d'autres. Il cite sur-tout plusieurs jaunes Irlandais
ou Ecossais qui s'imaginèrent aussi que Londres
leur offrirait la gloire et la fortune. Ils se virent cruellement
trompes ; et les sages réflexions que fait ici l'auteur
peuvent s'appliquer aux provinciaux de tous les
pays ,
qui seraient tentés de partager une erreur si
funeste.
Quelquefois l'idée que l'on prend du caractère d'un
jeune écrivain ne permet pas qu'on se livre à tous les
sentimens de commisération que d'ailleurs son état
pourrait inspirer. Voici un trait de Chatterton qui fera
peut-être sourire, mais qui ne le montrera pas sous un
aspect bien favorable. Le lord Maire, son protecteur,
vient à mourir au moment où, sous ses auspices, le
jeune auteur allait publier une brochure; et Chatterton
se console de sa mort par le calcul suivant. « Je perds,
» dit-il, par cet événement, i livre II sous 6 deniers
M ( sterling), mais j'y gagne, en essais et en élégies,
» 5 livres 5 sous. Ainsi je suis, de 3 livres i3 sous
* 6 deniers, charmé ( glad ) qu'il soit mort. » Il faut
avouer que de pareils traits ne sont pas propres à multiplier
le nombre des Mécènes.
L'auteur de ce livre cite des écrivains qui méritaient
l'admiration, qui l'avaient même obtenue; et dontl'existence
fut presque toujours malheureuse. Ainsi, malgré
des succès multipliés et une réputation pour ainsi dire
colossale, Dryden
,
auquel il donne le titre de grand,
n'en fut pas moins obligé, à près dcjo ans, de s'engager
à fournir dix mille vers à un libraire, à raison de six sous
chacun (ou douze sous de notre monnaie ). Nous voyons
encore que l'Histoire de Hume, dont l'Ecosse et l'Angleterre
sont aujourd'hui si fières, fut d'abord reçue
avec l'indifférence la plus décourageante.
Mais dans cette liste lugubre, l'écrivain dont le sort
accuse peut-être avec le plus de force ses compatriotes
de dureté d'ame, c'est le laborieux Robert Héron, qui
a vécu de nos jours. Dans un écrit qu'il traça en 1807,
il expose sa vie entière. Il en résulte que, ne se livrant
à aucune illusion de gloire, adonné à l'étude au point
de travailler, vingt ans de suite
,
de douze à seize heures
par jour, il produisit un grand nombre d'ouvrages utiles,
soit originaux, soit traductions. La liste en serait trop
longue, je dirai seulement qu'on y trouve une Histoire
d'Ecosse
, en 6 vol. in-8° ; les traductions des ouvrages
de Fourcroy sur la chimie et des Voyages de Savary, etc.
Héron, après tous ces détails, exposés avec autant de
candeur que d'exactitude, annonceque depuis dix mois
sur-tout il s'est vu en butte à la plus cruelle détresse; et
finit en disant : « Je frémis à la pensée de mourir dans
» une prison. » C'est qu'effectivement il écrivait ceci
dans celle de Newgate, où trois mois plus tard la fièvre
mit fin à sa triste et laborieuse existence.
L'auteur a eu l'idée singulière, mais heureuse, de
placer au milieu de tant de tableaux affligeans, dont je
n'ai pu donner qu'une légère indication, celui d'un écrivain
très-favorisé dela fortune, et toutefois malheureux à
sa manière. C'est Horace Walpole qui lui a fourni le
sujet d'un de ses chapitres les plus curieux; Horace
Walpole, fils d'un ministre célèbre, et qui, avare,
insolent avec les gens de lettres, fut tourmenté toute sa
vie du sentiment de sa médiocrité. Il est intéressant de
voir l'auteur d'un roman absurde, qui n'a pas même le
mérite du genre (le Château d'Otrante)
,
s'efforcer de
se croire un génie. et se désoler ensuite de ce que sa
raison ne lui permettait pas de s'en fier tout-à-fait à son
amour-propre. Il avait établi, pour ses ouvrages exclusivement,
une imprimerie chez lui, à Strawberry-
Hill. Jamais ses éditions n'étaient que d'un très-petit
nombre d'exemplaires (trois cent, par exemple)
,
il en
donnait beaucoup ; et toujours il remarquait avec dépit
que l'ouvrage ne s'épuisait pas. Sa consolation était
alors de traiter avec dédain les gens de mérite. Il écrivait
un jour : « Je n'ai aucune envie de connaître le
» reste des gens de lettres
, mes contemporains ; depuis
» l'absurde et emphatique docteur Johnson jusqu'au
» simple docteur Goldsmith Ne me prenez paspour
» un homme dédaigneux. Rappelez-vous que j 'ai vu
» Pope. et vécu avec Gray. » Il oubliait ou taisait semblant
d'oublier que ce même Gray l'avait quitté, du milieu
d'un voyage qu'ils avaient entrepris ensemble sur le
continent de l'Europe.
Si la carrière des lettres offre de grandes difficultés
aux hommes sans fortune, elle est encore plus pénible
pour les femmes qui ne la parcourent pas dans l' unique
vue de s'occuper agréablement. L'auteur rapporte sur
une dame Elisa Rives, qu'il avait connue, plusieurs
particularités touchantes. l( Cette martyre de la littérature
, » comme il l'appelle
,
descendait d'une famille distinguée
en Irlande, mais le monstre de la chicane avait
dévoré le bien de ses ancêtres. Douée d'une imagination
ardente et d'un coeur sensible
,
elle crut que les lettres
lui procureraient le bonheur et l 'aisance. Elle fit des
vers, des comédies, elle voulut même entreprendre des
ouvrages d'érudition. Rien ne lui réussit 5 et pour dernière
consolation, elle se vit réduite à retracer ses
malheurs dans un roman intitulé : l'Hermite de Snowden.
C'est là qu'elle se représente sous le nom de Lavinia
,
dans l'abandon et dans la détresse; n ayant
d'autre compagnie que celle d'une chienne. « Mainte-
» nant, dit-elle, je m'occupe d'elle plus qu'autrefois.
» Le coeur el besoin d'aimerquelque chose ! Et l'on se conn
sole d'être privé de société, en voyantmême un animal
» heureux des soins qu'on prend de lui. » Elle mourut peu
de tems après, jeune encore', et presqu'au moment où
elle venait de déplorer sa destinée dans une petite allégorie
pleine du sentiment le plus mélancolique.
Quoique l'ouvrage dont j'ai essayé de donner quelqu'idée
ne soit pas précisément bien fait ; qu'il manque
d'ordre, et contienneun assez grand nombre d'inutilités;
on voit qu'il offre souvent de l'intérêt, et que la pensée
n'en a pu être conçue que par un véritable ami des
gens de lettres ; ce qui, joint aux réflexions utiles qu'il
peut inspirer, doit, je crois
,
lui mériter plus que de
l'indulgence.
R. J. DÛRDENT.
P. S. Au moment où l'on imprimait cet article,
j'apprends que l'auteur de l'ouvrage est M. D'Israeli , et
que son livre obtient beaucoup de succès en Angleterre.
LANGUE HOLLANDAISE.
~ÍnnOKPATHI. Magazyn , etc., c'est-à-dire, Hippocrate.
Mogasin consacré à tout le domaine de la médecinet
considérée comme science et art. Publié par Chrétien-
Auguste-Louis Sander, Jacques-Jean IValop, médecins
attitrés de la ville, et George-Henri Wachtcr, maitre-
ès-arts, docteur en philosophie, en médecine et en
chirurgie (à Rotterdam). Tom. I, part. 1 ; à Rotterdam,
chez J. Hendriksen ; 1813
,
in-8° de VI, 26 et
102 pages.
M. Sander se propose d'établir dans le premier morceau
de ce recueil l'axiome d'Hippocrate
, que la nature
elle-même guérit les maladies. Un peu trop d ambages
avant d'en venir à son sujet j une définition un peu trop
diffuse et qui n'en est pas plus claire, de ce qu'il faut entendre
ici par la nature, définition qui a encore le malheur
de commencer par une faute grave contre la langue
( dien rei ) ; et trop peu de détails et de preuves pour la
partie essentielle ; voilà ce qui nous a frappés dans cette
espèce de préambule.
Suivent des considérations générales sur la médecine
pratique
, et enfin des observations :
1°. Sur un traitement du morbus maculoso-hoemorrhagicus
Werlhnfii, par M. "Wafop j
2°. Sur les tumeurs de la matrice
, et spécialement
sur les squirres de ce viscère
,
ainsi que sur le traitement
qu'en a proposé M. le conseiller aulique Biander de Got-
/ tengue , par M. Wathter ;
3°. Sur deux cas de paralysie de la paupière supérieure
,
traités avec succès par M. Van Onsselen, chirurgien-accoucheur
à Rotterdam.
Celte annonce suffit pour faire voir combien ce recueil
peut devenir utile.
~'ApçoréXovç ~Mïj^avtxà ~npoë^ptara. Arisfoielis Quoestiones
Mechanicoe. Recensuit et illustravit Joannes Petrus
Van Cappelle. A Amsterdam
,
chez P. den Hengst et
fils j 1812
,
in-8° de XVI et 288 p.
- Il n'est pas commun de réunir le goût des sciences
exactes à celui de la littérature ancienne. M. Van Gàppelle
a puisé l'un et l'autre dans les meilleures sources j
le premier à l'école de M. le professeur Van Swinden j le
second dans les leçons de M. le professeur Van Lennep.
Aussi leur a-t-il dédié son ouvrage, et cet hommage est
digne d'eux, digne de lui. Notre jeune savant s'est attaché
à donner le texte original dans toute sa pureté
,
à le
rendre fidèlement en latin, à en éclaircir .dans ses remarques
les passages les plus difficiles. Six éditions différentes
et trois manuscrits, dont deux de la bibliothèque
impériale de Paris
, et un de la bibliothèque de Leide
, lui ont été utiles à ce dessein. Nicolas Léonici, professeur
de médecine à Ferrare, donna dans l'édition Florentine
des OEuvres de Physique d'Aristote, en ï527,
une traduction latine de ses Problèmes de Mécanique
et c'est cette traduction que M. Van Cappelle a principalement
suivie. Henri de Monanteuil, à l'école duquel
se formèrent pour le grec les de Thou
,
les Lamoigpon et
d'autres personnages célèbres, fit imprimer ce traité avec
- un savant commentaire
,
à Lyon
, en 1600
,
iii-40. Bernardin
Balde
,
abbé de Guestalla
, en 1621
, et Jean de Guevara,
en 1627, ont publié, le premier des Exercilaiiones
, le deuxième des Commentarii sur le même ouvrage. M.
Van Cappelle a encore bien mérité après eux. Il a quelquefois
osé introduire de ses corrections dans le texte
, mais jamais sans en avertir et sans justifier celle espèce
de licence.
Mcngeldichten, c'est-à-dire, Poésies mêlées d'A. Loosfes
P. Z. A Harlem, chez l'auteur, l8l3, in-8° de 138 p.
Nous avons déjà honorablement mentionné M. Loojes,
Nous ne manquerons pas d'occasions de reparler de ce
poëte : il est également fécond en vers et en prose ; mais
peut-être oublie-t-il trop qu'on risque de ne pas aller a
l'immortalité avec un si gros bagage; Sa tendresse paternelle
pour ses productions l'alarme sur le danger d en
voir périr la moindre. Il est lui-même imprimeur ; n'aurait-
il pas d'autant plus à se reprocher cette perte? il nous
a semblé toutefois que plusieurs des pièces recueillies
dans ce volume auraient pu, sans inconvénient ,
rester
dans le portefeuille du poëte ou dans l'incognito de sa
société. Il y en a d'un peu trop insignifiantes ou même
de niaises. Dans d'autres qui sont à prétention (dans la
première, par exemple, intitulée La Jeunesse), il y a
trop de vague ; on n'y voit pas un but assez déterminé
;
la redondance de la rime y frise quelquefois le non-sens;
et puis
,
quelles rimes que celles de schoonheid et ten
toon spreid dans la troisième strophe de la pièce déjà
citée cela ne sent-il pas le Avnold Van Ovei-beek
.
Dans la strophe qui précède
, nous remarquons une faute
contre le genre. Uur ( heure ) est neutre ( het uur) ; mais
urc, comme l'emploie l'auteur, est féminin (de ure).
L'estime pour M. Loosjes nous a seule inspiré ces observations.
Muséum, qf Verzameling, etc., c'est-à-dire
,
Muséum ,
ou Recueil de pièces relatives aux beaux arts et aux
sciences ; par Mathieu Siegenbeek, tom 11; à Harlem
,
chez Loosjes, 1813
,
in-8* de 231 pag.
Cette deuxième partie ne dépare pas la première que
nous avons annoncée. Elle contient 10 un Mémoire sut
Coornhert ( Dideric fils de Volcard)
,
considéré comme
moraliste; 2' un morceau sur le Dante et sa divine comédie
; 30 quelques notices sur des poètes hollandais peu
connus ,
accompagnées d'extraits de leurs ouvrages ; 4 la
traduction des six premiers chapitres du deuxième Discours
de Cicéron contre Rullus ; 5° un morceau sur le
Tasse et sur la Jérusalem délivrée, avec la traduction en
Vers hollandais.
Derde Zestal, etc., c 'est-à-dire, Troisième sixain de Sermons, par J. H. Van der Palm. A Leide, chez D.
Du Mortier et fils ; 1813, in-8° de 235 pag.
M. Van der Palm est un homme du premier mérite
comme philologue, comme orateur sacré, comme littérateur
hollandais. Les langues orientales sont la partie de
a littérature ancienne à laquelle il s'est spécialementvoué. Il est chargé de les enseignerà l'Académie de Leide, et il
se montre digne de marcher dans cette carrière sur les traces
des trois Schnltens
, ses illustres devanciers. Sa nouvelle
traduction hollandaise du prophète Isaïe (Leide, i8o5
3 vol. in-8o) ,
, et les notes à la fois savantes et populaires
qui l 'accompagnent, suffiraient seules pour le placer ici
en première ligne. Comme orateur sacré, il est également
sage, élégant, profond ; il sait parier à l'esprit et au coeur
avec la persuasion la plus entraînante et la véritable onc- tion évangélique. Il réimprime aujourd'hui, en les réunissant
par sixains
, une suite de Sermons qui avaient déjà
eu, à leur première publication
,
le même succès qu'ils ne
manquent jamais d'avoir quand il les prononce; car il est
aussi doué, dans un degré peu commun ,
du talent de la
parole. Comme littérateur hollandais, son idiôme natal
lui a des obligations toutes particulières. Dans le tems qu'il
était agent de l'éducation nationale (ce qui, en d'autres
termes, équivalait au ministère de l'instruction publique), il
s'est spécialement occupé du soin de fixer l'orthographe
hollandaise; c'est lui qui a provoqué les utiles travaux de
MM. Weiland et Siegenbeek, et qui y a honorablement
concouru. Dans tout ce qui sort de sa plume
,
mais surtout
dans ses Sermons
, son style est pur, sa diction claire
et facile; tout en s'élevant avec son sujet, il se tient toujours
à la portée de son auditoire ou de ses lecteurs En un mot, il orne également et la chaire professorale, et la
chaire évangélique.
Redevoeringen, etc., c'est-à-dire, Discours sur des sujets
pris dans l'histoire naturelle, par A. H. Van Gelder,
pasteur anabaptiste à Amsterdam. A Leide et à Amsterdam
,
chez Mortier et Ten Brink, 1813
,
in-8° de 134
pages.
Dans les réunions de la respectable Société hollandaise
dite tot nut van 't Algemeen ( c'est-à-dire de l'Utilité générale
)
,
M. Van Gelder a prononcé depuis quelque teins
des discours sur des sujets pris dans l'histoire naturelle
,
et ayant spécialement pour objet de faire bénir le créateur
dans la créature. Il s'est occupé successivement des diverses
espèces d'animaux
, et a consacré trois premiers
discours à ceux qu'il appelle bêtes de proie, c'est-à-dire ,
aux animaux carnassiers ou carnivores en général. Il fait
à l'homme l'honneur de le mettre à leur tête. Il décrit la
nature, la manière d'être et le régime de ces animaux j il
traite de leur utilité spéciale pour l'homme, et il y trouve les
preuves de la sagesse, de la puissance et dela bonté de
Dieu. Cet ouvrage prouve beaucoup de lecture, d'observations,
de recherches
,
unies à une piété éclairée et sentie.
C'est dans le même esprit qn'on nous a fait une Théologie
astronomique ( Derham )
, une Théologie de physique ( le
même)
, une Théologie des insectes (Fabricius), etc. Un
grand nombre des auditeurs de ces discours ayant témoigné
le désir de les voir imprimés
,
l'auteur y a consenti.
L'accueil que ceux-ci recevront du public le déterminera
sans doute à faire imprimer les autres.
Dichcoefeningen
, etc. ,
c'est-à-dire
,
Essais de poésie de'.
la Société ayant pour devise : Kunstliefde spaart geen
vlyt ( c'est-à-dire : L'amour de l'art n'épargne point sa
peine ). Tom. 1 ; à La Haye, chez les frères Van Cleef,
1813
,
in-8° de 188 pag.
Aucun préambule ne nous fait connaître quel rapport il
y a entre la société qui publie ce volume, et une autre
qui, dès 1773
, se forma à la Haye sous la même rubrique
et à laquelle nous sommes redevables d'un assez grand
nombre de volumes de poésies ,
qui ont servi de réponse
à ses programmes et avaient été couronnées par
elle
, ou qui sont émanées de ses membres. Quoi
qu'il en soit, la Société se compose de vétérans et d'élèyes
qui se font imprimer les uns et les autres. Parmi
les vétérans
, nous avons reconnu avec plaisir M. le sénateur
comle de Meerman
, qui a fourni à ce volume deux
pièces traduites de Klopstock. Nous avions cru reconnaître
aussi le coryphée du pnrnasse batave
,
M. Feilh j
mais une initiale de plus dans les prénoms nous a détrompés.
Nous présumons seulement que c'est ici le cas d'appliquer l e fortes creantur fortibus d'Horace. L'ode
signée P. R. Feith et intitulé l'Avenir, bien qu'elle n'ait
pas l'élévation ordinaire des odes de M. Rhynvis Feith
, prête beaucoup plus à l'éloge qu'à la critique. En général
les pièces contenues dans ce volume sont du genre sérieux
,
marquées au coin de la morale et de la piété ; mais
nous aimerions encore dans ces recueils un peu plus de
choix, et ce volume laisse aussi à désirer du côté de la
correction typographique.
LANGUE ALLEMANDE.
>
HISTOIRE DES CROISADES D'APRÈS LES AUTEURS OCCIDENTAUX
ET ORIENTAUX; par FRED. WILKEN
,
professeur
d'histoire à l'université de Heidelberg, et correspondant
de l'Institut de France.
DEs deux volumes de cette histoire qui ont déjà paru,
le premier, qui a été publié en 1807, contient la fondation
du royaume de Jérusalem; le second
,
publié en 1813
,
l'agrandissement de ce#royaume, ses guerres contre les
Infidèles jusqu'à la perte du comté d'Edesse,et la croisade
de Conrad III et de Louis VII dans l'an 1146.
L'auteur de cet ouvrage possède toutes les qualités
, requises dans un historien : il sait un grand nombre de
langues, et peut en conséquence choisir, confronter les
récits différens des Arabes, des Grecs et des auteurs
occidentaux; et à cet avantage, il joint le zèle infatigable
qu'exige une pareille entreprise. Pour écrire une
Histoire complète des Croisades
,
il y a une foule
d'auteurs à comparer ; il faut avoir en même tems sous
les yeux plusieurs nations différentes
,
et savoir démêler
entre des récits le plus souvent contradictoires,
le récit le plus vrai ou le plus vraisemblable : c'est donc
un des ouvrages dont l'exécution offre le plus de difficultés.
L'introduction nous fait d'abord connaître le talent
de l'auteur ; cette partie d'un ouvrage, toujours trèsimportante,
l'est sur-tout dans une histoire où l'on
doit commencer par détruire l 'opinion mal fondée que
les croisades ont été un événement inattendu et subit,
prouver qu'une longue série d'années les avait préparées
et presque rendues inévitables, et qu'elles furent
un résultat de l'esprit de religion et de chevalerie
dominant à cette époque. C'est là le but que l'auteur
a parfaitement atteint dans son introduction. Nous y
trouvons aussi très-bien développées les causes des
pèlerinages. Nous citerons celle-ci entre autres. Les
peuples qui envahirent la partie occidentale de l'Empire
romain, en recevant une nouvelle religion, durent sans
doute concevoir une grande vénération pour les lieux
d'où elle tirait son origine; mais ils étaient déjà enclins
aux pèlerinages par leur religion ancienne. En effet,
Tacite nous apprend que les peuples du Nord faisaient
des pélerinages vers le saint fois, dans le pays des
Senons
,
et vers le bocage de Hertha, sur une île située
dans la mer du Nord.
L'auteur finit son introduction en donnant l'histoire
de ces pèlerins allemands qui, au nombre de sept mille,
partirent pour le pays saint, et qui, par le nombre et le
nom qu'on leur donnait d'armée du Seigneur, firent
pressentir les croisades : il trace aussi le tableau de la
malheureuse situation des pèlerins et des chrétiens
orientaux sous la domination des Turcs dans la Palestine.
Nous devons remarquer ici que M. Wilken, à l'occasion
des affaires des Croisés avec les Grecs, donne
l'exemple d'une grande impartialité. La plupart des auteurs
occidentaux sont prévenus contre ces derniers, et
expliquent tout à leur désavantage. M. Wilken reconnaît
leurs torts, comme ceux des Occidentaux, mais il
n'aggrave pas ceux des Grecs pour excuser la brutalité
et l'orgueil des Occidentaux.
L'auteur, après avoir raconté la prise d'Antioche,
explique, avec cette clarté qui lui est propre, pourquoi
les musulmans ne s'opposèrent pas davantage aux succès
des chrétiens, sur-tout lorsque ces derniers firent le
' siège de Jérusalem. A cette occasion
,
il passe en revue
l'histoire des Turcs, leur politique et l'état de leurs
affaires après la mort de Malekschah, et fait voir qu'il
était impossible alors au sultan de Bagdad de faire de
*
plus grands efforts.
Enfin, on ne peut s'empêcher d'admirer l'art avec
lequel l'auteur a décrit le caractère des chrétiens qui,
après s'être rassasiés du sang des infidèles à la prise
de la ville sainte, allaient remercier le fils du Dieu de
paix, de la victoire qu'il leur avait accordée, et donnaient
avec libéralité à l'église ces biens pour l'acquisition
desquels ils venaient de massacrer hommes,
femmes
,
enfans et vieillards.
Le dernier chapitre du premier volume contient les
1 lois et la constitulion du royaume de Jérusalem, que
M. Wilken a cru nécessaire de faire connaître plus que
n'avait fait aucun des auteurs qui ont traité des croisades.
La raison en est que ces lois ont eu une très-grande
influence sur le sort de ce royaume, et qu'ainsi le
lecteur pourra trouver plus aisément les ressorts se-
,
crets des événemens les plus importans.
Parmi les pièces justificatives, qui sont au nombre de
six
, on en remarque une sur l'origine des Turcs Seljoucides
d'Iconium. Cette pièce, qui est un récit fait d'après
les auteurs arabes et byzantins, jette beaucoup de jour
sur cette grande question.
Dans le second volume, l'auteur ne s'est pas beaucoup
éloigné de la marche qu'il a suivie dans le premier.
Il n'a pas voulu s'abstenir des citations et de la
comparaison des sources, ce qui sans doute ne peut
être que très-agréable au lecteur savant : celui qui ne
lit que pour s'amuser, n'a qu'à se dispenser de les lire.
L'auteur a eu un autre motif pour ne les pas omettre :
c'est que la fidélité et la bonne-foi avec laquelle les historiens
de tous les partis ont rendu compte de ces guerres,
sont d'une grande conséquence pour bien apprécier ce
siècle en général si naïf et de bonne foi. Enfin, M.
VVilkenn'a rien négligé pour offrir au lecteur un tableau
fidèle et attrayant du zèle pieux, de la confiance inébranlable
en Dieu et en la sainte croix qui animait les
héros chrétiens combattant contre les musulmans, et
leur faisait souvent oublier les plus sages précautions.
M. Wilken observe dans la préface du second volume,
que le tableau de ces aventures, la plupart trèsembrouillées
,
et dont la confusion et le défaut de plan
caractérisent bien ce siècle
,
lui aurait été plus facile à
tracer s'il n'eût dédaigné de donner aux chevaliers
pieux, mais la plupart imprévoyans et animés plutôt
par le sentiment de leurs forces que par aucun autre
avantage, des motifs bien raisonnés, et la manière de
penser de notre tems; s'il eût voulu juger et mesurer
leurs plans et leurs entreprises d'après nos opinions
et nos connaissances acluelles.
On trouve dans ce second volume des descriptions
très-délaillées de batailles ou de tout autre événement
important. L'auteur a cru devoir les donner pour mieux
faire connaître les moeurs de ce tems, comme il le dit au
sujet de la belle et intéressante description de la défaite
et de la mort du prince Roger. L'auteur pense que si les
chrétiens ne perdirent pas entièrement courage après
de telles défaites, c'était parce qu'ils les regardaient
comme une punition méritée de leurs péchés
,
et qu ils
espéraient qu'après les avoir expiés
,
ils pourraient
aisément rétablir leurs affaires, et se rendre de nouveau
la divinité favorable.
Les caractères des principaux héros des croisades
sont très-bien tracés dans cet ouvrage ; on y distingue
sur-tout ceux du prince Boemond et des deux rois
Baudouin.
Plusieurs écrivains ayant regardé les croisades comme
un résultat de la superstition générale, d'autrès comme
celui de la cupidité des chefs qui voulaient s'enrichir
en dépouillant la Syrie, il est important de savoir sous
quel point de vue l'auteur considère ce grand évènement.
Nous dirons donc qu'il en attribue la cause à
l'esprit du moyen âge. Mais voici comment M. Wilken
termine la préface de son second volume: « Sans doute
» Godefroy de Bouillon, les Baudouins, Boemond,
n Tancrède, paraissent devant le tribunal du bon sens
» comme des insensés qui sacrifient la douceur d'une
» vie commode et tranquille dans leurs châteaux, à une
» vie inquiète, pleine de dangers et n'offrant que peu
» de jouissances
,
dans la Syrie et dans le voisinage du
» saint sépulcre : nous nommons le siècle des croisades
» le siècle d'un fol enthousiasme. La postérité saura
» trouver le nom qui convient au nôtre.... »
M. Wilken
,
dans la préface, nous promet encore
deux volumes
,
dont le premier contiendra les combats
contre les deux plus grands héros de l'Islamisme
Nureddin et Salaheddin. Dans le second , on verra le
zèle pour la conquête des saints-lieux s'affaiblissant de
plus en plus ; l'histoire de la croisade forcée de l'empereur
Frédéric Second, et celle des efforts pieux
,
mais
malheureux, de Saint-Louis ; celle de la destruction de
la puissance chrétienne dans la Syrie
,
de même que les
tentatives et les plans faits dans le quatorzième siècle
pour son rétablissement. L'auteur nous promet qu'il y
joindra peut-être un cinquième volume sur les effets des
croisades, sur la littérature, la poésie, la politique, le
commerce à cette époque et dans les siècles suivans.
Les pièces justificatives de ce second volume sont au
nombre de dix
,
toutes plus ou moins intéressantes.
Il reste encore un mot à dire sur les auteurs que
M. Wilken a cités dans son ouvrage. Sans faire ici une
liste des noms arabes, grecs, latins de ces auteurs, il
suffira d'observer que ce savant infatigable a consulté
tous les ouvrages écrits sur ce sujet, dont il a eu connaissance
et qu'il a pu se procurer.
Après avoir rendu un compte fidèle de cette histoire,
ainsi que peuvent le vérifier tous ceux qui entendent
l'allemand, je n'hésite nullement à la présenter comme
un ouvrage recommandable, et qui fait beaucoup
d'honneur à la littérature allemande déjà si riche dans
tous les genres. M— H.
N. B. Il ne sera pas inutile sans doute de dire ici
quelque chose d'un compte qui a été rendu de l'ouvrage
de M. Wilken dans un autre journal français. Noter les
erreurs que contient cet article, ce sera le réfuter :
1° le critique avance d'abord que M. Wilken a entrepris
de traiter le sujet des croisades, encouragé par le
succès qu'avait obtenu l'ouvrage de M. Michaud. —II n'y
a ici qu'un mot à répondre: l'ouvrage de M. Wilken
est antérieur à celui de l'auteur français. 2° En parlant
des auteurs cités par M. Wilken, le critique parait oublier
que ce savant est professeurde langues orientales ; que,
bien loin de suivre les traductions données par Dom
Berthereau, il le corrige souvent dans ses noies.
3° M. Wilken n'a pas pu consulter principalement la
traduction française de l'Histoire d'Alep de Kemaleddin,
publiée par M. de Sacy, puisque ce savant orientaliste
n'a jamais publié cette histoire.
Je pourrais prouver encore à l'auteur de la critique
qu'il ne sait pas l'allemand, ou qu'il n'a pas lu le livre
dont il s'agit ; mais ce serait m'occuper plus qu elle ne
mérite
,
de cette critique superficielle
,
inexacte, erronnée
sur tous les points. Je prierai seulement son auteur
de me nommer les journaux dans lesquels il prétend que
l'on a reproché au style de M. Wilkèn d'être plein de
néologismes du plus mauvais goût, et à son ouvrage de
n'offrir qu'une compilation décousue. Je sais moi
,
de
bonne source , que les savans Allemands sont fort contens
et de l'ouvrage et du style. J'en excepte les envieux;
ils ne manquent jamais à l'homme de mérite.
Notre critique dit à la fin que si l'auteur publie son
troisième volume, on pourra décider sur le mérite de
l'ouvrage entier. Est-ce qu 'on a besoin d attendre le
second ou le troisième volume de l Histoire des Croisades
de M. Michaud, pour prononcer que son ouvrage
fait autant d'honneur à la littérature française qu'il a
procuré de gloire à son auteur?...
LANGUES DU NORD.
PRÉCIS HISTORIQUE SUR LES ACADÉMIES DE STOCKHOLM.
SUITE OU Précis sur /'Académie des beaux-arts, précédé
d observationsgénérales sur les progrès des beaux-arts
en Suède.
EN cherchant l'origine des beaux arts en Suède
, on
en trouve les premières traces vers la fin du treizième
siècle. Les historiens suédois rapportent qu'en 1287,
le roi Magnus
,
surnommé Ladutas
,
fit venir de Paris
un architecte, nommé Bounveil ou Bonveil, pour diriger
la construction et l'embellissement dela cathédrale
d 'Upsal. Cet édifice qui, pour le plan
,
ressemble d'une
manière assez frappante
,
à'l'église de Notre-Dame dé
Paris
, reçut, sous les règnes suivans, plusieurs décorations
intérieures qui furent l'ouvrage de quelques
autres artistes étrangers. Environ dans le même tems
les habitans de Wisby ,
,
à l'île de Gothlande
,
affiliés à
la ligue anséatique
,
et enrichis par le commerce, firent
élever dans leur ville plusieurs temples dont il n'existe
maintenant que des ruines ; à en juger par ces ruines
quelques-uns des temples étaient d'une étendue consi-,
dérable et avaient des ornemens, en peinture et en sculpture. Les ruines des principales églises de Wisby
ont été dessinées et gravées depuis quelques années à
Stockholm et ce travail est très-intéressant pour l'histoire
de l'architecture gothique,
Sous le règne de Gustave Wasa
, au seizième siècle
Hubert Langnet (1) , passa de Dantzig en Suède. Le roi
(r) Savant français. connu par plusieurs ouvrages ; né à Vitteaux
en Bourgogne, l'au 1518, il mourut à Anvers en 1581
,
après avoir
qui voulait embellir le château de Gripsholm (2)
,
et en
faire construire quelques autres, eut un entretien avec
Langnet, et le chargea de lui procurer des artistes
français. Ce trait, long-tems inconnu, est rapporté
par le professeur Fandt dans son histoire de Suède,
publiée il y a quelques années. Les deux fils de Gustave
Wasa
,
Eric XIV et Jean III eurent le goût des arts et
rassemblèrent des tableaux
,
des gravures, des médailles.
Au commencement du règne de Charles IX
,
troisième fils de Gustave, arriva en Suède un Flamand,
nommé Jean de Besche, qui avait étudié le dessin et
l'architecture dans son pays et en Allemagne; il reçut
le titre d'architecte du roi, et fut chargé de construire
deux tours pour orner l'église d'Upsal et divers édifices
publics ; il arriva aussi peu après en Suède, un autre
architecte flamand ou français, nommée Simon de la
Vallée; mais il n'eut pas dans ce pays une destinée
heureuse; un baron Oxenstiern avec qui il était en
procès, l'assomma dans une place publique. Il laissa
un fils, Jean de la Vallée, qui s'appliqua également à
l'architecture
,
construisit plusieurs églises à Stockholm,
et donna le plan de l'hôtel, où la noblesse tient ses
séances pendant la diète. Cet édifice est d'un style
simple, mais noble, et forme encore avec ses entours
un des principaux ornemens de la capitale (3).
Marie-Eléonore de Brandebourg
,
femme de Gustave
Adolphe et mère de Christine avait la passion.des arts ;
voyagé en Allemagne où il se lia avec Melanchton
. et dans plusieurs
contrées du Nord. Le fameux curé de Saint-Sulpice, J. B. Langnet.
était son arrière petit-neveu.
(2) Situé à seize lieues environ de Stockholm, au bord du las
Maelar.
(3) La grande salle est décorée des armoiries des familles nobles
du pays.
mais elle n'y joignait pas assez de goût et de discernement
,
et le dérangement continuel de ses finances
l 'empècha d 'encourager efficacement les travaux utiles,
ou glorieux. Pendant les voyages qu'elle faisait dans le
pays, elle était ordinairement accompagnée de deux
architectes italiens, qu'elle payait avec une trop grande
générosité, et a chaque site intéressant qu'elle rencon- trait sur sa route, elle s'arrêtait pour faire dessiner le
plan d'une maison de plaisance ou d'un château.
Christine dit un jour en parlant de ce goût dispendieux
de sa mère : il est nouveau qu'on se ruine à ne pas bâtir; mais si la reine, ma mère
,
veut toujours faire
des châteaux en l'air, je ne suis pas disposée à les lui
payer.
Les généraux suédois, pendant la guerre de trente
ans, s'emparèrent dans les villes d'Augsbourg
,
Wurtzbourg,
Olmutz, Prague d'une multitude de tableaux,
de médailles, et d'autres objets des arts. Ces objets
passèrent en Suède et furent placés les uns à Stockholm
dans le palais, les autres à Upsal dans la bibliothèque,
de l'université;parmi les tableaux, se distinguaient ceux
que le général Koenigsmarck avait pris à Prague en
1648; cette collection composée de chefs-d'oeuvre des
premiers peintres d'Italie
,
et en particulier du Corrège,
venait originairement du prince deMantoue, Louis de
Gonzague, et avait été enlevée de Mantoue, lors de
la prise qe celte ville par les Impériaux. Les tableaux
retournèrent ensuite en Italie lbrsque Christine fixa son
séjour à Rome
,
et après la mort de la reine, la plupart
furent achetés par le régent de France.
Si l'on en croit quelques mémoires et quelques recueils
d'anecdotes, tous ces trésors ne furent pas d'abord
appréciés sur les bords de la Baltique. Quelques
tableaux du Corrège furent, dit-on, employés à servir
de contrevens dans les écuries de la cour, et on découpa
ceux du Titien
,
de Carrache, de Paul Véronèse
pour décorer le plafond dune gallerie, de manière
qu'on appliqua une tète, un bras ou une jambe selon
que les dimensions et les formes du plafond s 'y prétaient
le mieux. Quoi qu'il en soit de ces rapports, ce
qui est sûr, c'est que Christine, parvenue à régner
elle-même, accorda aux beaux-arts une protection
éclatante, et que son palais devint un vaste musée où
elle recueillit ce que le dessin, la gravure ,
la peinture,
la sculpture offraient d'intéressant et de curieux. On
peut en juger par ce passage d'une lettre que Nandé
,
bibliothécaire de la reine
,
adressa à Gassendi en
i652.
« Pour la bibliothèque de la reine, elle est très-riche
en manuscrits tant à cause de ceux de M. Pétau, de
M. Gaulmin
,
de monseigneur le cardinal Mazarin
,
de ceux d'un nommé Stephanidès
,
de Ravius et d 'autres
Outre cela, elle a une gallerie de statues,
tant en bronze qu'en marbre, de médailles
,
tant d 'or et
d'argent, que de bronze, de pièces d'ivoire, d'autres de
corail, de cristal travaillé, de miroirs d'acier, d'horloges
de table, d'esquisses, bas-reliefs et autres choses
non moins artificielles que naturelles, telles que je n'en ai
jamais vu en Italie de plus riches. Restent les tableaux
desquels elle a aussi une merveilleuse quantité
,
et ainsi
vous voyez que habet animum apertum ad omnia
M. Bochart travaille ici sur son livre de animalibus sa-,
croe scripturoe
,
où il mettra bien de l'Arabe; M. Meibomius
prétend démontrer bientôt quelques fautes dans
Euclide : Coeteraturba siiet. Pour moi. j'ai assez d 'affaires
à ranger les livres, à cause qu'il y en a beaucoup
qu'il faut quasi porter tous les jours d'un lieu à l'autre
,
celui où ils doivent être à demeure ne pouvant encore
être prêt d 'un an.n (Tiré de l'append. epistolarum
Naudoei ad Gassendum (4).
Le peintre Bourdon s'étant rendu en Suède, Christine
lui fit un accueil très-flatteur ; on a dit qu'elle voulut
lui faire présent des tableaux de Corrège, mais Bourdon refusa que de les accepter; cette anecdote peut
cependant |tre révoquée en doute, parce qu'elle n'est
fondée que sur un rapport rempli d'anachronismes
,
inséré
assez long-tems après dans une feuille périodique
de Paris. Mais Bourdon reçut de riches présens et
même une pension. La reine récompensa aussi trèsgénéreusement
Nanteuil et Parise qui, l'un et l'autre,
avaient travaillé pour elle. Dufrêne Trichet fut le garde
de ses médailles. On prétend qu'il en fit fondre plusieurs
qu'il croyait peu importantes, et que Christine lui fit
présent des lingots d'or et d'argent provenus de la
fonte. Il est sûr que cette princesse poussa quelquefois
l abandon de ses intérêts et la générosité jusqu'à l'excès
et que des savans mêmes abusèrent de , ce penchant d'une
manière peu délicate. Le moins scrupuleux fut Isaac
Vossius
,
qui se fit payer froids de l'or les manuscrits
et les livres qu'il procura, et qui même , en emporta
plusieurs
,
lorsqu'il quitta la cour de la reine de
Suède.
Christine, en partant pour l'Italie, fit transporterà
Rome la plupart des objets précieux, dont elle pouvaient
disposer, et la Suède en fut privée. Mais ils
avaient déjà servi à former le goût des arts dans ce
pays, et il en resta assez, tant à la cour que chez les
(4) Gassendi s'était mis en relation avec Christine, en lui adressant
line lettre où il applaudissait a son zèle pour les sciences. La reine
lui répondit dans les ternies les plus flatteurs, et l'appela l'oracle de
la véflité.
grands (5), pour offrir des modèles, et pour aiguillonner
le talent. Charles X ne régna pas assez longtems
pour s'occuper d'autres soins que de ceux qui se
rapportaient aux circonstances politiques. Pendant son
séjour à l'île d'Oeland
,
comme prince royal, il avait
cependant fait construire le château de Borgholm, et
il avait créé un vaste parc, qui est encore une des
choses remarquables qu'on trouve dans 1 île. CharlesXI,
son successeur, quoique dirigé pendant tout son règne
par les principes d'une économie sévère
,
donna de
grands encouragemens aux beaux-arts. Louis XIV qui
connaissait son goût pour le dessin et la sculpture,
lui fit présent d'une collection de plâtres des plus belles
antiques, qui est répandue maintenant dans les salles
de l'académie des beaux-arts (6). Ce fut la première
fois qu'on pût admirer, près du cercle polaire, l Apollon
du Belvédère, 'la Vénus de Médicis
,
l'Hercule Farnèse
,
et se faire une idée, dans ces régions septentrionales,
du beau idéal conçu sous l'heureux ciel du midi. Les
batailles de Charles XI furent peintes avec un grand
succès par Lemke, venu de Livonie. Le tableau du
couronnement de ce prince fut l'ouvrage de David
Klocker Erenstrahl, né en 1628 à Hambourg, mais attaché
au service du roi de Suède dès ses plus jeunes
années. Le gouvernement lui fit faire un voyage à
Rome où il travailla sous la direction de Pierre de
Cortone, et se fit remarquer par son talent pour le
dessin et le coloris. Le tableau du couronnement de
(5) Ou eu voit sur-tout au château de Skogkloster. bâti par le
feld-mar^chal Wrangel, et possédé maintenant par le comte de
Brahè.
(6) Nous avons donné une notice plus détaillée de ces plâtres
dans le N" IX du Mercure Etranger.
CharlesXI est sa production la plus distinguée ; celui du
Jugement dernier, qu'on voit dans la cathédrale de
Stockholm, est d une conception et d'un goût bizarre ; il peignit aussi des animaux, des fruits
,
des fleurs
,
et
laissa un grand nombre de portraits. Il fit lui-même
une histoire et une description de ses ouvrages ,
qui parut
a Stockholm en 1694. Le roi lui donna des lettres
de noblesse, et lui fit ériger un monument : il mourut
en 1698. Sous le même règne, on vit en Suède, le
premier graveur de médailles suédois Arvid Kiellander,
ennobli sous le nom de Karlstein. Il avait commencé
par faire dans son pays des pièces monnayées au grand
atelier de cuivre d 'Avestad en Dalécarlie 5 mais ayant
fait un voyage dans l 'étranoer, il apprit l'art de graver
les médailles
,
et s'y perfectionna au point que le roi de
Pologne et 1 électeur de Brandebourg voulurent rengager
à leur service. Il préféra de retourner en Suède,
et Charles XI l 'attacha à sa cour. Ses médailles pêchent
quelquefois par le dessin et les draperies 5 mais elles
sont estimées pour le naturel et la vivacité d'expression
des figures. Karlstein, né en 1647
»
mourut en 1718 (7).
Pendant que ces divers artistes produisaient les ouvrages
qui les ont rendus fameux, le feld-maréchal
comte de Dahlberg
,
les encourageait, non-seulement
par sa protection, mais par son exemple. Ce grand capitaine,
distingué par son courage et ses exploits
, ne
l'était pas moins par ses connaissances dans les arts
,
et
son talent pour le dessin, dont il avait fait une étude
approfondie en dirigeant la construction des places
fortes. Ce fut lui qui donna le plan du Suecia anliqua
et hodierna (Suède ancienne et moderne)
,
recueil qui
contient plus de trois cents estampes
,
faisant connaître
(7) Voyez Gezelius
,
Dictionnaire biographique de la Suède.
les châteaux, les sites remarquables
,
les ports, les
antiquités du pays 5 il fit lui-même plusieurs dessins,
dont quelques-uns offrent cependant des édifices qu 'on
chercherait vainement en Suede
,
et qui nont existé
qu'en projet. Le comte de Dahlberg donna aussi les
dessins des gravures qui accompagnent la grande histoire
de Charles X par Pufendorf.
Quoique Charles XlI, fils de Charles XI, n 'ait pu
laisser aucun monument de son goût pour les arts
,
il
est connu en Suède qu'il aimait a s 'en occuper. Pendant
son séjour à Bender, il écrivit plusieurs lettres à
Nicodème Tessin
, connu sur-tout par son talent pour
l'architecture. Dans ces lettres
,
qui ont été conservées,
mais qui n'ont pas été rendues publiques
,
le roi indique
ses idées sur les embellissemens qu'il se proposait de
faire dans sa capitale lorsqu'il serait de retour et jouirait
de plus de calme. Il voulait que le palais fût reconstruit
sur un plan vaste et noble, qu'il fût orné de
sculptures
,
et que les places publiques fussent décorées
de statues représentant les grands hommes du pays.
Nicodème Tessin, que nous venons de nommer, fit
époque dans les beaux-arts en Suède. Son père, né à
Stralsund en Poméranie, avait été architecte de la cour
de Suède
,
et s'était fait connaître par la construction
de plusieurs édifices
,
dont l'église de la ville de Calmar
est le plus remarquable. Le fils, envoyé très-jeune en
Italie, étudia avec la plus grande attention les monumens
de l'architecture
,
et donna à son retour des
preuves du fruit qu'il avait retiré de ses observations et
de ses travaux. Chargé de reconstruire le palais du roi,
consumé en grande partie par les flammes
,
il fit de cet
édifice un modèle de noblesse et d'élégance. Le palais
de Stockholm est admiré par tous les voyageurs, et il y a
peu de demeures royales dont l'aspect soit plus frappant.
Tessin donna aussi le plan du château de Drottningolm,
à quelques lieues de la capitale, et celui d'un
très-beau monument érigé au sénateur Benoît Oxenstiern
dans la cathédrale d'Upsal. Charles XII faisait le
plus grand cas de cet homme aussi distingué vertus par ses que par son talent. Il lui donna les titres de
comte et de grand maréchal, le nomma sénateur et lui
confia la surintendance de tous les châteaux, parcs et jardins de la couronne de Suède. Mais le crédit de
Nicodème Tessin baissa après la mort de Charles, et les
dissensions politiques le firent tomber dans la disgrâce
du roi Frédéric. Il fut cependant défendu avec beaucoup
de dignité par son fils Charles Gustave. Né
en 1654, il mourut en J 728.
Sous le règne de Frédéric
,
le célèbre graveur Hedlinger
fut appelé en Suède, et fit une suite de très-belles
médailles. Ce grand artiste forma plusieurs élèves
parmi lesquels on doit remarquer le , graveur de médailles
Fehrman. Quelque temps après on appela de
France Larchevêque, sculpteur d'un talent supérieur.
Il fit les modèles de la statue pédestre de Gustave Wasa,
placée en face de l'hôtel de la noblesse, et de la statue
équestre de Gustave-Adolphe-le-Grand, érigée sur la
plus belle place de la ville, en face du palais.
' Le comte Charles Gustave Tessin avait étudié les
arts dès sa première jeunesse sous les-yeux de son père.
Il en prit l 'enthousiasme pendant ses voyages en France
et en Italie
,
et il s 'en occupa toujours avec- la plus
grande ardeur, malgré les travaux des charges importantes
dont il fut revêtu. Ce fut lui qui
,
secondé par le
surintendant des bâtimens Horleman
,
jeta, en 1733,
les fondemens d'une académie destinée à former des
élèves pour la peinture, l'architecture, la sculpture, et
à répandre le goût de ces arts. Celte académie fut con,
firmée par Frédéric et Adolphe Frédéric, mais ne parvint
à une consistance solide que sous le règne de Gustave
III. Ce prince, dont le comte deTessin avait dirigé
l'éducation pendant plusieurs années
,
fit les plus grands
efforts pour donner aux beaux-arts de l'éclat dans son
royaume. En 1773, il fit rédiger les nouveaux réglemens
pour l'académie, et en 1775, il lui assigna des
fonds. Il encouragea les professeurs
, en leur accor4
dant des titres et des distinctions flatteuses, et en se rendant
souvent dans leurs atteliers pour s'entretenir avec
eux et pour examiner leurs travaux. Un artiste nommé
Meier fit don à l'académie d'une maison bien située,
et d'un capital pour l'entretenir. Il naquit une grande
émulation
,
et le public prit un grand intérêt à une institution
qui honorait le pays. Le comte de Tessin, qui
en avait été le premier promoteur, était mort en 1770,
dans sa terre d'Akesoe, où il avait vécu loin des affaires
pendant plusieurs années; mais une médaille conserva
le souvenir du service qu'il avait rendu aux arts
dans sa patrie. Cette médaille représente, d'un côté, le
buste du comte, et de l'autre, une boussole dont l'aiguille
se dirige vers le nord : elle a pour inscription :
Arctos ubique scopus ,
et pour légende : Ob merita et
instilutam picturoe academiam.
L'ensemble des travaux que les réglemens de Gustave
III prescrivent à l'académie
,
embrasse la peinture,
la sculpture, l'architecture, et le dessin appliqué aux
arts et métiers. L'enseignement étaut gratuit, un grand
nombre de jeunes gens en profitent; il y a ordinairement
deux à trois cents élèves
,
dont la plupart se répandent
ensuite dans les atelier? de la capitale
, et
appliquent les connaissances qu'ils ont acquises à la
menuiserie, à l'ébénisterie
,
a l'orfèvrerie, et à divers
genres de manufactures. Tous les ans ou tous les ueux
ans, selon les progrès des élèves, il y a un concours ,
et l'on distribue des médailles dont la première donne
droit a une pension pour taire le voyage d 'Italie. Après
le concours, il y a une exposition qui fait connaître au
public les travaux des principaux élèves, et ceux des
professeurs de l'Académie et des autres artistes de la
capitale. A l exposition de 1784, on vit un portrait de
Monvel, qui était alors engagé au service de la cour de
Suède. Le peintre, M.Van Breda, l'avait représenté dans le
rôle de Ladislas de la tragédie de Venceslas, au moment
où il exprimait la jalousie du prince apercevant Cassandre
avec le duc de Courlande. A l'exposition de 1786,
une espèce de phénomène étonna le public : parmi les
tableaux exposés, il y en avait plusieurs d'un paysan
de la province de Smolande, que l'instinct avait rendu
peintre, et qui n'avait reçu d'autre instruction que
celle d'un mauvais maître de dessin de la campagne.
Ses ouvrages indiquaient le germe d'un talent remarquable,
et il reçut beaucoup d'encouragemens. Ayant
fréquenté pendant quelques années les leçons de l'Académie,
il retourna dans sa province, et fut employé à
décorer des églises et des châteaux : les tableaux d'autel
qu'il a faits pour plusieurs églises se font remarquer
par la richesse de la composition ; mais ils pèchent par
le dessin et le coloris.
* L'Académie a un président, un vice-président, un
directeur, plusieurs professeurs, quelques sous-maîtres
et des membres choisis parmi les artistes et les amateurs.
La charge de directeur étant très-importante
, on la
confie ordinairementà des hommes d'un mérite éminent,
et qui au talent joignent une longue expérience. Elle a
été occupée long-lems par C. Pilo, qui sans avoir
voyagé avait le goût très-formé, et réussissait dans le
genre de l'histoire. Son principal tableau est celui du
couronnement de Gustave III : la mort l'enleva, avant
qu'il pût y mettre la dernière main y mais tel qu'il est, ce
tableau assure au peintre qui l'a produit un rang distingué
parmi les artistes modernes. Pilo fut remplacé
par J. Pasch, qui peignait le portrait, et qui eut pour
successeur P. Marelier, mort depuis peu. Cet habile
artiste était né à Paris, mais avait passé très-jeune en
Suède avec sa famille. Le gouvernement l'envoya en
Italie
,
où il resta plus de dix années, et ensuite il fit un
voyage en France. Il a fait peu de tableaux; mais un
grand nombre de dessins pour les decorations des châteaux
du roi, c'était la partie où il excellait : son crayon
était aussi correct qu'agréable et brillant, et son goût
toujours pur, lui indiquait les formes et les attitudes
les plus heureuses.
Le directeur Marelier était lié d'une amitié ancienne
au célèbre sculpteur Sergel, professeur de l'Académie.
Ces deux artistes avaient séjourné ensemble à Rome
,
et
s'étaient formés l'un et l'autre dans cette terre classique
des arts. M. Sergel est né à Stockholm d'une famille
allemande. Son grand talent pour la sculpture a été
admiré en Italie, et il n'aurait jamais quitté ce pays sans
les sollicitations réitérées de Gustave III, qui lui fit les
offres les plus généreuses pour le fixer à Stockholm.
Mais les souvenirs de Rome sont toujours restés dans
son coeur, et il n'a cessé de regretter ce beau ciel, cette
nature inspirante
,
et toutes ces productions immortelles
des arts
,
qu'il avait admirés pendant près de vingt ans.
Il est même tombé depuis quelque tems dans une mélancolie
qui le consume, et qui paralyse son talent. Le
groupe de Psyché et de l'Amour est la production la plus
remarquable de ce grand artiste
,
c'est celle qui atteste le
mieux l'étude profonde qu'il a faite de l'antique (8). Le
(8) Ce groupe fut acheté par Gustave III, et placé au pavillon de
Haga.
groupe de Mars et de Vénus qu'il a commencé il y a
déjà quelque tems n'est pas encore terminé, et il est à
craindre qu'il ne le soit jamais, la santé de M. Sergel
lui laissant peu d'intervalles pour le travail. Les bustes
qu 'il a faits pour la cour et pour plusieurs grandes
familles portent tous l'empreinte de la justesse de son
coup-d'oeil, de la vérité de son expression et de la pureté
de son goût. C'est aussi M. Sergel qui a fourni le
modèle de la statue pédestre de Gustave III, érigée à
Stockholm depuis la mort de ce prince. Quoiqu'il ait
été gèné par le costume prescrit, il a donné à ce monument
un caractère frappant de noblesse et de grandeur.
Des travaux aussi dignes d'attention, un caractère élevé,
une conduite toujours dirigée par la sagesse et l'honneur,
ont assuré à M. Sergel la plus haute considération.
Son talent est d'ailleurs connu dans l'Eu,rope entière
: le sculpteur Schadow de Berlin a fait le voyage
de Stockholm pour voir son attelier et pour s'entretenir
avec lui ; on lui a demandé des bustes de plusieurs
pays, et l'Institut de France l'a placé parmi ses associés.
Nous devons encore citer parmi les professeurs de
l'académie M. Von Breda, d'origine hollandaise, maitf
né à Stockolm. Il a un talent supérieur pour le portrait,
et il s'est principalement formé à l'école de Reinholz
, pendant son séjour à Londres. S'il avait pu séjourner
en France et en Italie
,
il aurait perfectionné sa manière
,
qui est un peu froide et monotone. Il possède
une collection précieuse de tableaux, la plupart flamands
(9) et il a une connaissance très-étendue de
l'histoire des beaux-arts. On a de lui quelques productions
dans le genre de l'histoire
,
qui ne sont pas sans
(g) Il s'y trouve plusieurs Vandyk d'un très-grand prix.
mérite
,
et qui présentent des conceptions neuves ,
des.
rapprochemens ingénieux et des détails terminés avec
soin.
Parmi les membres de l'Académie
,
il y a plusieurs
artistes çonnus très-avantageusement
,
et nous pouvons,
surtout nommer MM. Lavrence, Spargrén, Kraft, Sundwall.
Le vice-président, M. de Piper, se distingue par
son talent pour la décoration du payage. C'est lui qui a, dirigé les embellissemens des jardins de Drottningholm;
et de Haga, et il a fourni un grand nombre de dessins
à plusieurs riches propriétaires
,
qui ont formé autour
de leurs habitations des jardins et des parcs. Ayant séjourné
en Angleterre
, en Italie et en France
,
il s'est
lait une théorie qui combine les divers genres reçus
dans ces pays, et qu'il applique avec discernement au
climat et aux sites du Nord.
L'Académie s'était attachée par des rapports étroits,*
un artiste français
,
Louis Desprez, mort en i8o5. Il
était né à Lyon
,
et avait cultivé la peinture d'abord
dans cette ville
,
et ensuite à Paris. S'étant rendu en Italie, il eut part au Voyage pittoresque de Naples par
Saint Non. Gustave III apprit à le connaître à Rome,
et le nomma peintre de sa cour. L'imagination vive et
ardente de Desprez embrassait tous les genres. Il se fit
connaître d'abord par les belles décorations de l'opéra
de Gustave Wasa, ; il traca ensuite les dessins d'un
château et d'un parc près du pavillon de Haga
,
à
une demi-lieue de Stockholm. Le projet du roi n'a être exécuté, pu et il n'existe du château que les fondemens
; mais à en juger par les dessins
,
cet édifice
eût été un des beaux monumens de l'architecture mo- derne. Après la guerre entre la Suède et la Russie
,
Desprez
fit les batailles de Hogland et de Suensksund, qui
sont remarquables par la hardiesse de la composition
la chaleur et la verve répandue dans toutes les parties.
L'exagération se montre quelquefois, et le gigantesque
prend la place de ces. formes vraiment nobles et grandes
que le goût ne réprouve point; c'était le penchant de
Desprez; il le manifestait dans ses ouvrages ,
et sa conversation
en portait également l'empreinte ; son imagination
s'exaltait facilement
,
et l'entraînait au-delà du
vrai et même de la vraisemblance; mais d'un autre côté
que d'idées neuves et belles
, que d'aperçus brillans
elle lui fournissait! qu'on aimait à le voir s'enflammer
au souvenir des grandes scènes de la nature
,
et des
monumens fameux qu'il avait vus dans ses voyages !
avec quelle éloquence il parlait des phénomènes du
Vésuve et de l'Etna
,
du laurier de Virgile
,
des ruines
d'Herculanum, de la basilique de Saint Pierre ! A ces
élans de l'imagination se mêlaient les saillies d'un esprit
fin
,
et les observations d'une raison supérieure aux
intérêts
, aux idées vulgaires. Le talent d'observer:
inspirait souvent à Desprez les sujets de petits tableaux
allégoriques ou satiriques
,
pleins d'originalités ; il aimait
aussi à peindre les costumes, et il a laissé un recueil,
considérable de ceux du Nord.
Avant que l'Académie eût été réorganisée par Gus--
tave III, elle avait déjà eu un très-habile professeur
Jean-Pasch, né , en 1706
,
à Stockholm. Il fit ses études
en Flandres et en France, et fut en. état, à son retour
,
de remplacer Lapiée
,
Baptiste
,
et Domt
,
qu'on
avait fait venir de France pour les décorations du'
palais. Il peignait aussi le portrait, les fleurs, les animaux
,
et réussissait dans le paysage. On lui donna le
titre d'intendant des bâtimens. Les connaisseurs regardent
comme son chef-d'oeuvre le plafond de la chapelle
du palais
, que le peintre français Taraval avait commencé,
mais dont Pasch fit la partie principale. Il
s'appliqua à former des élèves habiles, et mourut en
1769
,
laissant une très-belle collection de tableaux et
de gravures, qui ont servi à répandre dans le pays le
goût et les bons principes (10).
Les jeunes gens qui fréquentent maintenant les leçons
de l'Académie ont occasion de voir et d'étudier des chefsd'oeuvre
de peinture et de sculpture dans le Musée
du palais, mis en ordre depuis plusieurs années, et ouvert
à tous les artistes. Il renferme un grand nombre de
tableaux italiens, français
,
flamands des meilleurs maîtres,
une suite considérable de dessins et de médailles
,
et plusieurs antiques, parmi lesquels on remarque surtout
l'Endymion, acheté par Gustave III pendant son
séjour à Rome.
J. P. CATTEAU-CALLEVILLE.
(10) Voyez le Dictien. biograph. de Gezeliul.
VARIÉTÉS,
NOTICE sur le Docteur HENRI MoYES
,
aveugle, traduite
d'un Journal anglais.
LE docteur Henri Moyes, qui faisait de tems des discours en tems SUT la chimie à Manchester
,
avait, comme Saunderson
,
le célèbre professeur de Cambridge, perdu
la vue dans son enfance parla petite-vérole. Il ne se rap- pelait pas d avoir jamais joui de ce sens ; mais
,
disait-il,
les premiers souvenirs que j'aie se rapportent à quelques
idées confuses du système solaire. Il eut le bonheur de
naître dans un pays où les sciences sont cultivées, etd'appartenir
à une famille adonnée à l'élude.
Possédant naturellement du génie, il fit de rapides pro- grès dans diverses parties du savoir, et non-seulement ac- quit des principes fondamentaux des mécaniques
,
de la
musique et des langues
,
mais encore il se rendit habile
dans la géométrie
,
l'optique, l'algèbre
,
l'astronomie
,
la
chimie, en un mot, dans la plupart des branches dela
philosophie Newtonienne.
Des travaux mécaniques furent dans sa jeunesse son occupation favorite. A un âge peu avancé
,
il savait si
parfaitement employer les outils
, que ,
malgré sa cécité
complète
,
il faisait de petits moulins à vent ; il fabriqua
même un métier de tisserand.
Quand il allait en société
,
il gardait, pendant quelque
tems ,
le silence. Le son le mettait à portée de juger les
dimensions de l'appartement ; et les voix différentes lui
indiquaient le nombre des personnes. Sa mémoire était
à cet égard ,
,
excellente : il reconnut un jour, au seul son de la voix
trouvé depu,is udneeuxpersonne avec laquelle il ne s'était pas ans. Il déterminait assez bien la taille
de ceux qui lui parlaient, par la direction de leurs voix
et faisait d'assez bonnes conjectures , sur leur caractère par
la manière dont ils conversaient.
Ses yeux n'étaient pas tout-à-fait insensibles a une lumière
éclatante. Le rouge lui faisait éprouver une sensation
désagréable qu'il comparait au toucher d 'une scie. A
mesure que les couleurs diminuaient de vigueur ,
l 'impression
pénible s'affaiblissait jusqu 'à ce que le vert le
flattât agréablement. Les surfaces polies et douces lui
fonrnissaient les moyens de rendre l 'idée qu il avait de
la beauté
, et il exprimait l'aversion ou la terreur par
les surfaces irrégulières
, pointues et hérissées. Il excellait
dans la conversation
,
faisait d'heureuses allusions
aux objets visibles
, et discourait sur la nature ,
la composition
et la beauté des couleurs avec exactitude et précision.
Dans le voisinage de cette même ville de Manchester
,
vit JeanMetcalf, qui
,
dans un âge très-peu avancé , est
devenu aveugle au point de ne plus connaître la lumière
ni ses effets. Cet homme passa la plus grande partie de sa
jeunesse dans l'élat de voiturier
, et , par occasion
,
il
servit de guide
,
pendant la nuit
,
dans les chemins difficiles
ou couverts de neige. Maintenant il a un emploi
encore plus extraordinaire, et que l'on ne soupçonnerait
pas un aveugle capable d'exercer. Il est constructeur et
inspecteur de grandes routes dans un pays montagneux
et difficile. A l'aide seulement d'un long bâton
,
il parcourt
les chemins
,
les précipices
,
les vallées
,
et détermine
leur étendue
,
leurs formes et leurs situations, de la,
manière la plus exacte. Tel est en ceci son talent bien reconnu
,
qu'il est constamment employé. Plusieurs chemins
du Derbyshire ont été modifiés d'après ses plans
, et
il en a fait pratiquer un qui communique avec la grande
route de Londres. On est étonné de la sagacité avec laquelle
il décrit l'étendue et la nature des différens terrains
sur lesquels ce chemin est pratiqué. On lui parla un jour
d'un endroit marécageux. Il remarqua que c'était le seul
endroit de toute la route qui ne lui parut pas bon j et
ajouta qu'il craignait bien que ,
s'écartant de son projet
.
ses ouvriers n'y eussent trop épargné les matériaux.
NÉCROLOGIE.
A MM. les Rédacteurs du MERCURE ÉTRANGER.
Parme
,
le 6 décembre I8I3.
LA ville de Parme
, ou plutôt les lettres et les beaux-arts
perdu le célèbre typographe. Bodoni. Il est décédé le 3o novemb, roenàt
la suite d'une fièvre catarrhale
,
âgé de 73 ans, universellement re- gretté
,
non-seulement pour ses talens supérieurs
, sa vaste érudition
et son profond savoir, mais aussi pour ses excellentes qualités mo- rales
1
civiques et domestiques : les hommes du premier rang ou du
premier mérite s'honoraient de son amitié.
Il était né à Saluce en Piémont le i3 mars 1740. 11 étudia son art
à Rome et fut appelé à Parme sous le ministère du célèbre Dutillut,
Français qui portait dans ce petit État le goût de sa patrie pour les
grandes choses.
Les magnifiques éditions qu'on lui doit sont le résultat de la vie
la plus laborieuse. Sans ressources pour cet art .
dans un pays où,
l 'on n avait aucune aptitude pour les arts mécaniques
,
il fabriqua ses poinçons
, ses matrices
, et il n'a pas cessé jusque sur son lit de mort'
de travailler à les perfectionner. 1
Sa modestie
, sa grandeur d'ame. sa générosité et la simplicité de
ses moeurs autant que ses talens
,
lui méritèrent les plus honorables
distinctions. Plusieurs souverains et grands princes l'ont visité et
récompensé honorablement.
En i8o3, la ville de Parme lui décerna publiquement une médaille
d'honneur et le rang de chevalier.
Il reçut du roi de Naples l'ordre des Deux-Siciles et enfin du
Grand-Napoléon celui de l'ordre de la Réunion.
La ville de Parme vient de lui donner un second témoignage de
son affection
, en lui décernant les honneurs funèbres dans sa cathédrale.
Le 2, l'intérieur de l'église fut tendu de noir
, un catafalque
reçut le corps sur un lit de mort couvert et surmonté de ses décorations
,
entouré de ses principaux ouvrages.
L'office fut célébré en grande pompe; un littérateur distingué,
son ancien ami
, prononça son oraison funèbre. le coeur pénétré
d'une douleur qui fut vivement partagée. Monsieur le préfet, les
autorités civiles et mililaires, la garde départementale
,
la gendarmerie
, et un grand concours de citoyens, assistèrent à cette pompe
funèbre.
Un caveau creusé à cet effet dans une des chapelles de la cathédrale
. a reçu les restes de cet homme célèbre, auquel le voeu de ses.
concitoyens cousacle déjà un monument.
Ces détails vous paraîtront sans doute mériter d'être consignés
dans les journaux consacrés à la littérature et aux sciences.
J'ai l'honneur d'être, etc. ,
SLRET, ingénieur en chefdu corps impérial
des Ponts-et-Chausseés.
ÇajeUe littéraire—).
ANGLETERRE.
Revue de quelques ouvrages publiés depuis peu en
Angleterre.
PARMI ces productions dont le nombre est assez consw
dérable, on a cru devoir indiquer comme les plus intéressantes
celles dont voici les titres.
Voyages dans les années 1809, 1810 et 1811, à Gibraltar
, en Sardaigne, en Sicile, à Malte, à Cérigo et,
en Turquie ; par John Galt. L 'auteur est un de ces hommes
éclairés qui savent à-la-fois plaire et instruire; mais on
peut lui reprocher, comme à plusieurs de ses compatriotes,
quelques-uns de ces préjugés nationaux qui seront toujours
très-peu philosophiques
,
lors même que les écrivains
aspireront au titre de philosophes.
u Aujourd'hui, disait Voltaire
, on écrit in-folio l'hisr
toire de quelques villages. » Cette pensée revient à la
mémoire lorsque l'on a sous les yeux une Histoired Aberdeen
,
petite ville d'Ecosse, par M. Walter Thom : elle
n'est
,
à la vérité, imprimée qu'in-12, niais elle a deux
volumes.
—L'histoire et les antiquités du comté de Leicester, par,
M. John Niçois
, est à sa seconde édition. C'est un ouvrage
savant et bienfait.
— Galerie deportraits ,
in-fol. —Tous sont anglais. On y
trouve plusieurs personnes titrées et quelques hommes
célèbres.
On a réimprimé en douze vol. in-8° les ouvrages de
l'évêque Warburton
,
commentateur de Shakspeare, et à
qui Voltaire a fait en France une réputation dans le genre
de celles de Lelranc de Pompignan
,
La Baumelle
, etc. ;
ce qui n'empêche pas que Warburton ne soit considéré
comme un des plus savans prélats d'Angleterre.
— Un ouvrage qui fixera l'attention des amis de la raIe, est celui qu'a publié M. William mo- Hale, sous le titre
d e Considérations sur les causes et les progrès delaprosti- tution desfemmes. Par malheur, la société est aujourd'hui
constituée de manière que l'on range ce mal très-réel au nombre des maux dils nécessaires. On connaît ce mot
d'un ancien lieutenant de poliee au fameux curé de Saint-
Sulpice,Langnet,qui avait prêché contre les prostituées.
* Monsieur, tout ce que vous venez de dire est excellent :
» on ny peut rien répondre; mais il m'en faut encore " quinze cents pour cet hiver. —-Le Pèlerinage dujeune n Harold, poëmeparlordByron,
a obtenu les honneurs d'une seconde édition. Il les doit L
l'imagination de l'auteur, à la vigueur de ses tableaux, et peut-être aussi au ton de misanthropie qui domine dans
J ouvrage. Lord Byron paraît être un de ces poëtes qui
pourraient acquérir une réputation durable, si le goût
réglait davantage les élans de leur muse. Puisqu 'il s'agit de goût, on sait que celui des écrivains
anglais n est pas toujours sur. Le roman historique, genre bâtard qui gâte l'histoire pour la rapprocher du/roman
est, on le pense bien ,
,
cultivé en Angleterre comme parmi
nous, et y obtient aussi de déplorables succès. Mistriss West a donné sous le titre des Loyalistes un ouvrage de
cette sorte
,
où du moins les sentimens honnêtes et le buf
moral rachètent autant qu'il se peut les défauts du genre. On vient de plus de faire paraître à Londres un ouvrage
en deux vol. in-4° intitulé Voyage : a Tour through Italy , elc. ; eu Italie, etc. II renferme des remarques classiques
et d'autres observationspropres à le faire distinguer
dans ce nombre immense de livres dont l'Italie est depuis
si long-tems l'objet. Dans un prochain N° du Mercure
étranger on en donnera une analyse.
HOLLANDE.
IL vient de paraître à Leyde et à Utrecht, une traduction
hollandaise du roman d'Adriana, ou les Passions
d'une jeune Indienne, de M. R. J. Durdent
, un
des collaborateurs du Mercure étranger.
ALLEMAGNE.
ON a publié à Heidelberg
,
chez le libraire Engelmari
, un ouvrage allemand intitulé l'Architectonique
de toutes les connaissances humaines et des lois des
nations , présentée en six tableaux, par F. C. Weiss.
Ces tableaux, disent les journaux étrangers , sont accompagnés
d'une introduction dans laquelle l'auteur établit
un nouveau système de philosophie
,
qu'il nomme philosophie
de la raison éclairée, par opposition à la philosophie
expérimentale. Ce n'est autre chose qu'une espèce
d'idéalisme fondée sur le dogmatisme et le panthéisme
di1 Spinosa
,
Schelling et autres élèves de l école
de Knnt. Ce dernier cependant ne paraît grand aux yeux
de l'auteur que dans ses erreurs. Son héros est Schelling,
qui, dit-il, a été choisi par la Providence pour rétablir le
panthéisme dans toute sa splendeur.
DANNEMARCK.
M. Ba ggessen , un des poëles danois les plus distingués
,
vient de publier à Copenhague un écrit satirique
contre les Juifs. Le public ignore les motifs qui
ont excité la bile de M. Baggessen contre les sectateurs
de Movse.
Ce même poète annonce un ouvrage dans lequel "il
prouvera que la langue danoise
,
d'après son affinité avec
e sanscrit
,
doit être une des plus anciennes du monde.
Il promet encore un poème en dix chants
,
intitulé la
Chute d'Adam.
Il avait également promis un poëme en vingt chants,
sur les voyages du capitaine Cook j mais cet ouvrage n'a
pas encore paru.
HONGRIE.
M. Pethe de Kissántó
,
ci-devant professeur de mathémafiques
,
d'économie rurale est de technologie
, auteur de
plusieurs ouvrages imporlans, vient d'obtenir du gouver- nement un privilége pour la publication
, en langue
hongroise, d 'un journal économico-technologique. Il déjà annoncé, dans a un prospectus écrit en hongrois, le
plan qu il a adopté. Comme M. Pethe s'est associé plusieurs
savans , on doit attendre de leurs travaux et de leur zèle
réunis beaucoup d'avantages pour la Hongrie et la Transylvanie,
soit du côté de l'utilité
,
soil du côté du style
par lequel M. Pethe , -Le premier se distingue particulièrement. volume de l'ouvrage inlitulé, Monumenta
hungarica, nativa sermone scripta , par le professeur
Rumi
, vient d'être achevé
, et il est dans ce moment
sous les yeux de la censure à Vienne.
ITALIE.
M. Onofrio Gargiuli, professeur de littérature grecque à Naples
,
quia déj,à traduit en italien les hymnes de Tyriée,
de Callimaque
, et d'autres poètes grecs, vient de publier
une bonne traduction de la Cassandra de Lycophron
dont il n'existait jusqu'ici aucune traduction italienne. ,
—Le roi de Naples a ordonné la formation d'une bibliothèque
publique dans le ci - devant monastère de
Monte-Olivetto. Elle portera le nom de Biblioteca Gioacchina.
— M. Nicolas a publié à Naples une espèce de Guide
des Voyageurs, rédigé par M. R. Paolini, sous ce titre ; Memorie su i monumentidi antichifa e di belli arli ch' esistono
in Misenzo
,
Banli, Baja, Cuma
,
Pozzuoli
,
Napnli , Capua antica, Ercolaus, Pompeji et in Pesto ; i vol.
in-4° de 410 pages.
— L'académie de Lucques a couronné, dans sa séance
du 18 mai
,
les deux mémoires suivans :
1. Sur les progrès des langues, et particulièrement de
la langue italienne, faits pendant le dix huitième siècle
par les efforts des savans italiens , j par M. Cesare Lucchesini.
TABLE
DU TOME SECOND. 1813,
MERCURE ÉTRANGER.
LANGUE ALLEMANDE.
EXTRAIT d'un ouvrage ayant pour titre : De l'action s'ympathique
des êtres. ( Artiole de M. CE***. ).. •
Page 8l
Le Germe et le Fruit du talent. — Anecdote sur le célèbre
graveur Schmitz 95
Histoire des Croisades ; par Fréd. Wilken. ( Article par
M. M. H.) 351
LANGUE ANGLAISE.
Ingénieuse leçon sur l'existence de Dieu; traduite de l anglais
par M. S..é.
Le Naufrage ; par M. Guillaume Faleonner....... 23
The Death-Song, etc. — Chanson de mort d'un guerrier de la
nation des Iroquois. — Le Cacique mourant. • • • 74
Notice biographique sur John-mériter » • • • 77
Optimus et Pessimus, conte traduit de l'anglais; par M. S..é. 1.3
De l'Origine, etc., des établissemens consulaires ; par M.
Warden 221
Little Things , etc. — Les petites choses sont les meilleures.
-Vers 295
Sur les traits distinctifs et les beautés pittoresques des paysages
anglais
Conseils aux Peintres de paysages. —Morceau traduit de l'anglais;
par M. Barrère de Vieuzac... 336
Calamities ofauthors , etc. — Calamités des auteurs , etc. ( Article
de M. Durdent. )
LANGUE ESPAGNOLE.
Ode de Frai Luiz de Léony avec sa traduction... 10
Del Commercio, etc. — Du Commerce des Romains
,
( suite
- de l'article commencé dans le 110 VI)....... 14
Coup-d'oeil sur la Littérature espagnole , tant ancienne moderne que ; par M. Esmenard 203 Al Viento. — Le Zéphire
, ode
Traduction en vers français de cette Ode ; par M. A. M. 265
Lettre de M. Esmenard au Rédacleur, sur un Journal publié
h Géronne
Les ruines d 'Italica
,
Ode par François de Rioja; traduite par M. Esmenard 2
LANGUE HOLLANDAISE.
Revue de plusieurs Ouvrages publiés en l'an i8i2et 1813. 224 et 345
LANGUE HONGROISE.
Suite des Observations sur la Littérature hongroise ; par
M. Charles de Bérony .32
LANGUE ITALIENNE.
Storia della Scultura, etc. —Histoire de la Sculpture depuis
sa renaissance en Italie; par M. Leopold Cicognara. (Article
de M. Ginguené. )
Pigmalione. — Poëme. ( Article de M. Durdent. ) 214
Revue de quelques Ouvrages italiens, nouveaux ou nouvellement
réimprimés 299
LANGUES DU NORD.
Imitation en vers français du Chant de Mort du roi Ragnar
Lodbrog ; par M. Bourgeat.... ^5
Analyse du poëme de Lidner, intitulé la Mort de la comtesse
Spartara
— d'un poëme du même auteur, intitulé l'An 1783... 175
Observations sur la Finlande
,
extraites d'ouvrages suédois.. 102
Précis historique sur les Académies de Stockholm. 238, 3ooe/358
LANGUES ORIENTALES
Grandeur et puissance de Dieu. — Pièce traduite du persan.. 3
Le Printems , l.s Fleurs et les Louanges d'Aly-Pacha. Traduction
de la laugue turque 1
Les Quatre saisons de l'Amour. — Traduction du grec moderne....
67
Behram Gour et son fils. — Traduction de l'arabe 70
Poésies de Montenabby, poëte arabe......... 132
— d'Hâfiz , poëte persan i35
Chant d'Assafady, traduit de l'arabe......... 194
La Dioiriédiade
, po'ime. épique, en grec moderne
,
de M. Michel
Perdicaris 257
Histoire du Schérif d'Halep ; traduit de l'arabe 321
Poésies turques ; traduction 33o
( Tous ces articles sont de MM. Grangeret de la Grange
et Duval-Destains. )
Littérature grecque moderne. — Art oratoire ; par Constantinos
Oikonomos. (_ Article de M. Canstantin Nicolopoulo f de
Smyrne 141
Tableau général de l'Arménie; par M. Chahan de Cirhied,
Arménien 191
LANGUE POLONAISE.
Fragment extrait d'une Histoire inédite de Pologne ; par
M. Gley..... 229.
LANGUE PORTUGAISE.
Chanson pour -la lyre 65
0 Ricco, etc. -Le Riche et le Pauvre
,
fable
, avec sa traduction
129
Le Goupillon
,
poëme héroï-comique. (Article de M. S..¿.).. 277
VARIÉTÉS.
Correspondance. — Anecdotes. — Découvertes, etc.
Antipathie nationale. — Anecdote extraite du Monthly Repertory
5r
Notice sur Alexandre Adam
.
54
Notice sur le docteur Hurd, évêque de Worcester.... 56
La Sorcière de Berne. — Fragment des Lettres médites de mademoiselle
Iiondeli 115
Lettres inédites de Cesarotti 184. 3ia
L'Amour peintre de paysages ; traduit de Goethe... 187
Notes et Correspondance.—Sur la filasse de Genêt... 192
Déclaration d'un médecin à qui l'on attribue divers ouvrages. 191
Notice sur le docteur Henry Moyes
,
aveugle; traduite d'un
Journal anglais 374
Nécrologie. — Lettre sur le célèbre typographe Bodoni, mort
à Parme. 376
GAZETTE LITTÉRAIRE.
ALLEMAGNE. —Moyenspris pour enrichir le musée Jobanneum. 60
Aperçu des Journaux de Vienne. 6r
Monument érigé à Wieland; — Romans nouveaux... I2r
OEuvres de Wieland,proposées par souscription.... 189
Livres grecs publiés à Vienne, ......... 251
Ouvrage nouveau de métaphysique 379
ANGLETERRE.
— Annonce d'un Mémoire géographique sur
l'empire persan. 59
Ouvrages qui paraissent à Londres ; — Sur l'éruption de la
soufrière de l' île de Saint-Vincent ;—Toits en papier Filasse ; — de genêt ; —Ouvrrges imprimés à Calcuta. 122 et suiv.
De Quelques ouvrages d'érudition publiés à Londres... 3i5
Revue de quelques ouvrages publiés depuis peu à Londres. 377
AMÉRIQUE. — Dictionnaire Biographique
,
publié à Salem et
à Boston.
DANNEMARCK.— Ouvrage contre les Juifs , par un poëte
danois 379
HELVÉTIE. — Livres nouveaux 127
HOLLANDE. — Mort de Jean Fred Hennert.... Nomination des Présidens de l'Institut ; — Exposition de
C tableaux; — Prix proposé 3ao
Tradition d'un roman français 379
HONGRIE. — Annonce de la Statistique de ce royaume... 63
Société latine à OEdenbourg. 64
Mort du docteur Grigely... 120
Nomination des membres de l'Universitée dePest... 25a
Publication d'un journal d'économie
, etc. , en langue
hongroise • ... 380
ILES IONIENNES. —Publication de l'Histoire de Corcyre ; par
M. Mustoxidi.... ' 253
ITALIE. — Ouvrage sur les Costumes des différens peuples,
publié à Milan 191
Prix proposé par le gouvernement de Naples 128
Traduction en vers italiens de la ire Néméeve de Pindare. 256
Livres nouveaux publiés à Gênes
. etc
Etablissemeut d'une nouvelle bibliothèque à Naples... 38o
1 Ouvrages d'antiquités Ib.
Prix décernés par l'Académie de Lucques lb.
TURQUIE-D'EUROPE.— Legs fait par un grec 120
VALACHIE. — Nomination
Qualité de la reconnaissance optique de caractères
Soumis par lechott le