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1818, 01, t. 5 (3, 10, 17, 24 janvier)
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Texte
MERCURE
DE FRANCE ,
RÉDIGÉ
-
-
PAR MM. AIGNAN , de l'Académie française ; BENJAMIN
DE CONSTANT ; - DUFRESNE SAINT - LÉON ,
conseiller d'état honoraire ; - ESMÉNARD ; - JAY ;
-JOUY , de l'Académie française ; - LACRETELLE
aîné , de l'Académie française ; - TISSOT , etc.
TOME CINQUIEME .
PARIS ,
A L'ADMINISTRATION DU MERCURE ,
RUE DES POITEVINS , Nº. 14.
1818.
240.6
M558
1818
Jan.
1
MERCURE
DE FRANCE.
mun
SAMEDI 3 JANVIER 1818.
ummmm mmmm
LITTÉRATURE .
POÉSIE .
LA NOCE D'ELMANCE .
« Beau chevalier , au pays maure ,
« Voyage et combat pour la foi ;
« Peut- être , aux champs où naìt l'aurore ,
« Il expire en songeant à moi !
« Et moi , jouvencelle plaintive ,
« Tout le jour j'attends en ce lieu ,
« Où de sa voile fugitive
« J'aperçus le dernier adieu . »
Ainsi chantait la jeune Elmance ,
Sur la vieille tour des remparts ;
( Là , naguère , en quittant la France ,
Osval lui dit : j'aime et je pars !
Là , les doigts errans sur sa harpe ,
La vierge , en croyant refuser ,
Laissa tomber sa blanche écharpe
Et pensa mourir d'un baiser. )
Elmance allait chanter encore ,
Mais sa mère accourt à grands pas ;
TOME 5 .
4
MERCURE DE FRANCE.
Sa mère qui sans doute ignore
Que l'amour ne se guérit pas :
« Eteins , lui dit - elle , une flamme
« Dont le ciel se montre ennemi :
« Osval t'a retiré son âme ,
« Ou dans la tombe est endormi .
« Ecoute : George d'Eristole ,
« Demande ton coeur et ta main ;
« Il a ma foi , j'ai sa parole ,
« Tu seras sa femme demain . »>
- Ciel ! s'écrie Elmance effrayée ,
« Quelle image osez - vous m'offrir !
« Osval ne m'a point oubliée ,
« Et s'il est mort , je veux mourir . »
George , baron farouche et sombre ,
Au pied de la tour vient s'asseoir ;
Debout devant lui , comme une ombre ,
Elmance apparaît vers le soir.;
Il s'émeut ; une joie étrange
Brille sur son front menaçant ;
Mais elle , de la voix d'un ange ,
Lui dit ces mots en rougissant :
« J'aime Osval ; la fée Armentine
« M'a promise au beau chevalier ;
« A son départ en Palestine ,
« J'ai pleuré sur son bouclier ;
a Osval ! ... il a baisé ma bouche ,
« Et ma main a cherché sa main !
« Lui seul doit visiter la couche
« Que la pudeur cède à l'hymen .
« Mais si mes plaintes étouffées
« Ne me rendent point mou Osval ,
« Tu connais le pouvoir des fées ,
« Malheur, malheur à son rival ;
«<< Au moment où ta vaine flamme
« Croira triompher de ma foi ,
« Il n'aura qu'un spectre pour femme !
« A présent , George , épouse-moi . »
1
JANVIER 1818 . 5
1
Elle dit , et dans les ténèbres
Elle précipite ses pas ,
En murmurant des mots funèbres ,
Que George écoute et n'entend pas ;.
Mais est-il un frein légitime
Pour cet impie au coeur de fer ?
Il rit des pleurs de sa victime
Et des menaces de l'enfer.
Déjà , la vieille basilique
S'orne de feuillage et de fleurs
Et la cloche mélancolique
Appelle l'hymenée en pleurs ;
Beaux pages , en habits de noces ,
Cherchent Elmance à pas pressés ; .
Ils la trouvent près d'une fosse ,
Chantant l'hymne des trépassés !
On l'entraîne ! ... Triste et parée ,
La victime est devant l'autel ;
Mais loin d'une chaîne abhorrée
Son âme s'enfuit dáns le ciel ;
Vers son épouse infortunée
George se tourne en souriant ;
Déjà le voile d'hymenée
Ne convrait qu'un spectre effrayant .
La cérémonie est troublée ,
Le prêtre se tait , l'époux fuit ;
Voilà qu'à travers l'assemblée
Le fantôme ardent le poursuit ;
Il le poursuit , pendant une heure ,
Dans les sombre bois d'alentour ,
Et le ramène à sa demeure ,
Et monte avec lui dans la tour.
Depuis , quand l'horloge prochaine
Lentement a sonné minuit ,
Un spectre , que l'enfer déchaîne ,
Du cercueil s'échappe à grand bruit -
Au lit du veuf il prend sa place ་
6 MERCURE DE FRANCE.
Froid , à ses côtés il s'étend ,
Et par un sourire de glace ,
Réclame un hymen révoltant .
En vain l'infortuné s'agite ,
Et pousse de longs hurlemens ,
Le spectre s'acharne et l'irrite
Par d'horribles embrassemens ;
Et , pour un moment , s'il succombe
Au poids d'un sommeil plein d'effroi ,
Une voix qui sort de la tombe ,
Soudain lui crié : « épouse- nroi ! »>
Emile DESCHAMPS .
ÉNIGME .
Une consonne , avec les cinq voyelles .
J'en ai trop dit , je fuis à tire - d'ailes .
wwwwwww
CHARADE .
Dans Rome triomphante , autrefois mon premier
Portait pompeusement maint illustre guerrier ;
Mon second fut fatal au vainqueur de Bovine :
Pour deviner mon tout , contemplez Augustine.
( Par M. Félix MERCIER , de Rougemont ( Doubs ) .
mının⌁v
LOGOGRIPHE.
En cinq pieds que j'offre à vos yeux ,
Je suis ce qu'un coeur amoureux
Est pour la beauté qu'il adore ;
Coupez ma tête , et dans ses noeuds
D'être moi toujours il s'honore ;
Sans vons lasser coupez encore
Et sur ses pas , avec les jeux ,
Il est sûr de me voir éclore.
"
(ParJ. A. P. )
A
JANVIER 1818. 7
Mots de l'Enigme , de la Charade et du Logogriphe
insérés dans le dernier numéro .
Le mot de l'énigme , est ame ; celui de la charade ,
est milieu; et celui du logogriphe , vache , où l'on
trouve ache.
mm
NOUVELLES LITTERAIRES .
mmma
De l'organisation de la force armée en France ,
considérée dans ses rapports avec les autres institutions
sociales , les finances de l'Etat , le crédit
public , etc. , etc. ( extrait d'un plus grand ouvrage
sur la même matière , présenté aux chambres , en
leur session de 1817 , aux électeurs , aux gardesnationaux
, etc. , etc. ) ; par M. H. de Carrion-
Nisas (1 ) .
Depuis que nous avons annoncé , dans notre numéro
du samedi 15 novembre , que nous donnerions une analyse
détaillée de cet ouvrage , il a acquis un nouveau
degré d'intérêt , par la comparaison que le public doit
naturellement en faire avec le projet de loi sur le recrutement
que le ministre vient de présenter à la
chambre des députés . Sans doute le plan du ministre ,
( 1 ) Chez l'Huillier , libraire - éditeur , rue Serpente , n. 16 ;
Magimel et compagnie , rue Dauphine ; Delaunay , au Palais-
Royal.
$ MERCURE DE FRANCE .
offert à des hommes très -éclairés , ne nécessite pas les
développemens de principes , les argumentations de
détail , les reproductions d'exemples qu'un écrivain
isolé est obligé de rassembler pour donner quelque
autorité à ses propositions et quelque poids à ses théories
. L'un ne présente que les surfaces et les sommités ,
et , en offrant la perspective de l'édifice , il a brisé
l'échafaudage qui lui a servi à l'élever ; l'autre doit
fouiller le terrain sur lequel il se propose de bâtir ; il
doit justifier toutes les dimensions qu'il donne à son
ouvrage , faire connaître l'origine de tous les matériaux
dont il se sert , et rendre compte des raisons qui l'engagent
à les placer de telle ou telle façon . Tout ce qu'un
ministre devra ajouter au texte de son plan officiel ,
dans les communications confidentielles avec les législateurs
délégués pour son examen , l'écrivain doit le
dérouler d'avance à son lecteur ; ainsi l'un finit par où
l'autre commence , et commence par où l'autre finit . De
cette différence essentielle il résulte que les coïncidences
qui peuvent se trouver entre les intentions du
dépositaire de l'autorité et les méditations du citoyen ,
ne peuvent être aperçues d'abord , et ne se révéleront que
dans la pratique et dans l'application de détail des principes
qui peuvent être communs à l'un et à l'autre.
Ainsi donc , bien qu'on puisse déjà signaler quelques
points où les vues de l'écrivain que nous analysons se
rencontrent évidemment avec les directions que l'autorité
se donne à elle-même dans cette circonstance , nous
n'établirons point ici une comparaison , dont le moindre
inconvénient serait d'être imparfaite et insuffisante .
Nous examinerons à part , et en lui- même , l'ouvrage
de M. Carrion - Nisas , et sur- tout les principes généraux
sur lesquels se fondent les institutions qu'il propose .
Leurs modifications dépendent de la pratique et d'une
JANVIER 1818.
foule de circonstances particulières ; mais les maximes
fondamentales , les bases théoriques sont communes à
tous les temps et à tous les lieux où les gouvernemens
constitutionnels sont établis ; et , comme les gouvernemens
constitutionnels ne sont eux - mêmes que le meilleur
développement possible des intérêts primitifs et
organiques de la société humaine ; ce sont ces questions
essentielles que nous allons d'abord considérer
sous un point de vue qui n'a peut -être pas été jusqu'à
présent examiné avec assez d'attention . Il nous semble
que les questions que nous allons indiquer à nos lecteurs
, se cachent derrière les théories desquelles part
M. Carrion-Nisas , et nous croyons qu'il ne les a point
assez indiquées à ses lecteurs .
L'enfance sauvage des peuples est , à notre avis ,
l'époque où , se levant tout entiers pour leurs querelles
ou celles de leurs chefs , ils se précipitent en
masse, population contre population , ou peuplade contre
peuplade. Les guerres alors ne finissent que par la servitude
des vaincus qui survivent à la défaite , et par
le
changement de dominateur pour leur territoire . Alors
nulle trace de droit des gens , nulles lois de la guerre ,
nul adoucissement à la rigueur de ses fléaux que les
peuples éprouvent sans compensation , sans remède et
sans autre terme que la fin de leur existence même . Ces
conditions ont paru si dures , à mesure que les peuples
se sont éclairés , que , ne pouvant détruire les passions
nées avec eux , ils ont voulu du moins pouvoir durer
conjointement avec elles , et les soumettre à une espèce
de mords et de frein qui rendit leurs effets moins destructifs
; de là les armées permanentes , de là le droit de
la guerre et des gens , espèce d'ordre dans le chaos , et
de vie dans la mort. Il a été réglé , entre les peuples ,
qu'un certain nombre d'hommes armés et disciplinés ,
10 MERCURE DE FRANCE .
établis de part et d'autres , représentans et champions
de la multitude , rassembleraient pour ainsi dire en eux
toutes les passions et toutes les fureurs de la guerre ,
mettant à l'abri le reste de la population qui devait
suivre les lois de la victoire sans participer aux combats .
De ce qu'une quantité d'hommes bornée , marquée
d'un sceau particulier et partout reconnaissable à des
insignes qui lui étaient propres , était seule et d'un consentement
mutuel chargée de faire la guerre , elle était
seule aussi censée connaître les lois qui la règlent et
Fadoucissent ; de là , par une conséquence naturelle ,
l'interdiction à ceux qui n'étaient pas censés connaître
les lois de la guerre , qu'aucune marque particulière ne
rendait responsables envers aucune discipline militaire ,
de se mêler d'une querelle que leur intervention semblait
devoir ramener à ces premiers termes d'hostilités ,
entre les hommes , que nous avons signalés comme des
époques et des actes de barbarie.
Il n'y a nul doute que ce ne soit sur ces raisonnemens
très -plausibles que repose la justice convenue et
généralement adoptée de ces proclamations de chefs
d'armée , qui punissent , avec la dernière sévérité , l'intervention
des habitans d'un pays dans les querelles
soutenues sur leur territoire par les champions enrégimentés
des deux parties contendantes ; car ce n'est point
comme homme , comme habitant , comme citoyen , qu'on
peut trouver mauvais un droit de défense qui redeviendra
juste s'il devient individuel ; mais on punit en
eux cette subversion de l'ordre convenu , qui remet à
quelques - uns , sous des formes adoptées des deux côtés ,
la querelle de tous pour la rendre moins désordonnée
et moins sanglante.
Mais il suivra des mêmes raisonnemens que si une
nation entière , se mettant sous les armes , se décorait
JANVIER 1818 . II
d'insignes militaires , se soumettait , par conséquent ,
à toutes les lois de la guerre régulière , en professait
la science , en avouait les procédé cette nation serait
toute entière dans ces mêmes termes du droit des gens
où se trouve une armée ; car elle aurait suivi la même
marche , et se serait annoncée au dehors par les mêmes
signes et les mêmes déclarations en quoi consiste toute
la garantie donnée et reçue .
Le jour donc où une nation , parcourant le cercle
entier de la civilisation , se sera organisée , en telle
sorte que chacun de ses citoyens portera écrit sur
son front qu'il est prêt à faire la guerre , à subir et
à réclamer ses lois , il n'y a plus de prétexte pour
ne pas traiter cette nation précisément comme une
armée si elle en a les charges , elle doit en avoir
les avantages , et nous pensons fermement que cet état
de choses est un tel complément de civilisation qu'il
finirait par rendre la guerre à peu près impossible ,
qu'il rendrait du moins les conquêtes impraticables ;
car un pays , ne pouvant envahir que par une petite
portion de sa population , échouerait infailliblement
contre un pays qui lui opposerait sa population
toute entière . Alors il faudrait en revenir comme
aux jours primitifs à se battre , peuple contre peuple ,
et non pas avec la force grossière de la barbarie ,
mais avec tout le raffinement des arts meurtriers , et il
s'en suivrait une telle et si rapide destruction de part
et d'autre qu'elle effrayerait les plus hardis , amollirait
les plus féroces et désarmerait les plus ambitieux.
Ce n'est pas une route imaginaire que nous traçons
aux peuples et aux nations , c'est celle qu'elles ont parcourue
, et aux termes de laquelle elles ne sont peutêtre
pas très - loin d'atteindre , du moins en Europe ,
L'abus que nous avons fait de notre force a enseigné
12 MERCURE DE FRANCE .
aux peuples à faire usage de la leur , et , suivant leur
génie , ils ont commencé par l'attaque ou par la résistance
. Ainsi , en Espagne , le territoire envahi a de
toutes parts enfanté des vengeurs ; ainsi la Germanie ,
trop long - temps foulée aux pieds , a versé sa population
presque toute entière sur le territoire du dominateur
.
Si nous avions été préparés à ce genre de lutte ; si
nous n'avions pas déjà été énervés par de trop grands
efforts ; si nous n'avions pas été divisés d'opinions comme
d'intérêts ; si nous avions mis dans la résistance autant
d'intensité et d'universalité que dans l'attaque , on aurait
vu déjà de ces effets grands et terribles qui doivent
amener les nations à se respecter et à se ménager mutuellement
, quand elles seront parvenues au complément
de leur civilisation respective , objet d'une juste
terreur pour les agresseurs , et d'une juste confiance
pour les attaqués.
Nous nous trompons , ou M. Carrion- Nisas recon- ›
naîtra , dans les aperçus que nous venons de développer ,
le germe et la première impulsion de ce beau système
par lequel il naturalise la guerre , ses droits , ses devoirs
, ses charges , ses efforts , ses vertus. dans toutes
les classes de la société , en commençant par celles qui
sont la perfection de l'ordre social , et en qui on trouve ,
selon sa propre expression , la réunion de ces trois influences
: avoir, pouvoir et savoir. Il nous semble que
cette clé que nous venons de donner de son système ,
le rend encore plus plausible dans ses moyens , plus
palpable dans ses effets. Nul ne tend à un but plus
digne d'un peuple civilisé ; car il tend à inspirer aux
peuples voisins deux idées également heureuses
la
première , que si désormais on pénètre dans un pays
ainsi organisé , on trouvera une destruction assurée ; la
:
JANVIER 1818 . 13
seconde , que ce pays n'a point préparé sa force pour
l'extravaser à une grande distance hors de son territoire
, et menacer l'indépendance des autres nations . Il
nous semble que c'est dans cet esprit et avec ces données
qu'on doit lire le plan de recrutement et de formation
d'armée que M. Carrion - Nisas présente sous la
forme d'un projet de loi , en dix-neuf titres composés
chacun d'un assez grand nombre d'articles , et accompagnés
d'observations et de développemens . D'abord ,
il met les armes dans les mains des hommes les plus
intéressés à l'ordre public ; ceux -là se choisissent des
auxiliaires , le plus possible semblables à eux . Les
uns et les autres , aidés du sort et corrigeant sa rigueur
par diverses chances et combinaisons , choisissent en
quelque sorte parmi les prolétaires , ceux entre les mains
desquels ils doivent remettre les armes , les adoptant
d'une manière plus ou moins directe , et établissant
avec eux une communauté d'intérêts et d'affections .
Toutes les dispositions dont on peut voir le détail dans
l'ouvrage , ne sont , au fait , que les moyens de ce but
et les procédés de ce système , organisés d'après l'expérience
et avec la plus grande analogie qu'il a été possible
de conserver entre les anciens usages et un avenir
frappant par sa nouveauté , sa force et sa fécondité.
sus-
Parmi ces propositions nouvelles , trois points d'une
inégale importance nous ont paru , entre autres ,
ceptibles de contestations : le premier concerne la faculté
donnée à une certaine classe de citoyens d'adopter
dans une autre classe , avant l'âge auquel les lois et
même les réglemens militaires permettent à un jeune
homme de disposer de lui-même et de son obéissance.
L'autorité paternelle, trop faible peut-être chez nous sous
d'autres rapports , prendrait ici un caractère d'influence
despotique qui entrerait difficilement dans nos idées et
14
MERCURE DE FRANCE .
dans nos moeurs ; le second consiste en un plan plus in
génieux qu'utile d'amortissement qui nous paraît offrir
une ronte et une filière trop longue et trop compliquée.
Un gouvernement de bonne foi , et portant dans l'économie
une bonne volonté décidée , suppléera , par des
moyens plus directs et aussi efficaces , aux moyens que
l'auteur propose , quoiqu'ils aient , au premier coup
d'oeil , un aspect séduisant dans leur complication même ;
le troisième objet , et le moins important des trois , consiste
dans l'obligation imposée à une certaine classe de
gardes nationaux de conserver un double habillement,
armement et équipement . Il paraît généralement convenu
qu'à une pareille précaution on peut appliquer
le proverbe qui dit : Provision , profusion . En effet ,
dans un Etat civilisé et industrieux , où tout peut se
trouver à l'instant , il paraît raisonnable de n'admettre
aucun genre de thésaurisation ni en choses ni en espèces ,
et d'avoir , pour toute richesse et pour toute ressource
un crédit habilement et sagement maintenu .
"
Nous avons donné à nos lecteurs une idée des trois
premières parties de cet ouvrage . La première traite la
perception des rapports entre l'armée et la cité ; la seconde
établit , sous une forme sentencieuse , les nouveaux
caractères de la force armée depuis l'introduction
et le perfectionnement des armes à feu ; la troisième
offre , comme nous l'avons vu , l'application des principes
au plus grand développement d'une force militaire
dans une société nombreuse.
La quatrième partie est spécialement consacrée aux
rapports que l'auteur établit entre l'armée de ligne permanente
et les ressources nationales , où elle doit puiser
pour son aliment continuel en temps de paix , pour ša
rapide extension et son maintien au moment de la
guerre et tant qu'elle doit durer . Plus la force natio-
"
JANVIER 1818. 15
1
nale défensive est fortement organisée , plus la force permanente
ou armée de ligne semble pouvoir se réduire ,
en temps de paix , à de'simples cadres , principalement
pour l'infanterie. Les autres armes donnent lieu à des
considérations particulières que l'auteur traite de manière
à les mettre à la portée de tout le monde, malgré la
concision qu'il semble affecter en cette partie , laquelle
effectivement ne rentre que d'une manière indirecte
dans l'objet actuel de son ouvrage. Cet ouvrage n'est
lui-même , comme l'auteur a soin de le répéter plusieurs
fois , qu'un extrait d'un travail conçu d'après un
plan et des bases que l'auteur indique dans une note
d'une manière sommaire, mais suffisante pour en donner
une idée aussi vaste que favorable ..
La cinquième partie discute les rapports financiers et
les ressources sans lesquelles cette organisation n'a ni
vie , ni mouvement , ni continuité . Dans cette cinquième
partie , résultat de recherches laborieuses , l'auteur
présente une histoire sommaire des dépenses de la
guerre , de leurs variations et de leurs modifications
dive ses depuis le milieu du siècle dernier jusqu'à nos
jours. Tout est appuyé de tableaux et de preuves matérielles
qui semblent ne rien laisser désirer ; à mesure
qu'ils se rapprochent de l'époque actuelle , ces tableaux
acquièrent un nouveau degré de développement , et
rien ne peut jeter plus de lumières sur la discussion du
budget de la guerre , que les matériaux rassemblés
comme documens et pièces justificatives de cette cinquième
partie. Les raisonnemens qui appuyent et expliquent
les calculs , rendent ces derniers accessibles et
maniables aux esprits les moins exercés sur ces matières.
Nous ne craignons pas d'en recommander l'étude aux
législateurs spécialement appelés à débattre les intérets
financiers de la nation , et l'application des deuiers
16 MERCURE DE FRANCE .
publics aux besoins de la société et à ses efforts dans
toutes les branches de l'administration .
La sixième partie , qui consiste , ainsi que la quatrième
, en aperçus et en indications , plutôt qu'en développemens
et en applications complettes et détaillées ,
se termine par plusieurs pages éloquentes et empreintes
d'un esprit remarquable de patriotisme et de modération
. L'ouvrage finit comme il a commencé , par un
hommage plein d'enthousiasme et de sensibilité pour
cette armée qui a rempli l'Europe tour -à -tour de crainte
et d'admiration , également recommandable dans le
malheur et dans la prospérité , et qui , toujours glorieuse
dans ses débris comme dans son ensemble , fera
rendre , par les âges futurs , à notre âge et à notre patrie
, ce témoignage rendu au peuple romain par un de
ses historiens , Tite - Live , et avoué par la postérité :
facere et patifortia romanum est .
www
Le général TH. Beauvais ..
VARIÉTÉS .
www
PENSÉES MORALES ET LITTÉRAIRES.
Sous les coups de la fortune , la subite impression
d'un malheur consommé , nous trompe sur notre courage
d'abord il se ramasse pour lutter ; bientôt il
s'épuise , n'ayant plus le secours de ce premier ébranlement
dans les sens de ce premier soulèvement de
l'âme ; et dès que l'âme détaille à sa peine , sa peine
l'accable .
- Il est deux espèces de joie , auxquelles tous les
coeurs s'associent volontiers , celle des enfans et celle
JANVIER 1818.
17.
des bonnes gens : cela fait honneur à la nature humaine.
La mauvaise honte va des sottises aux mauvaises
actions.
-
1
- La postérité ne loue plus , ne blâme plus les
hommes qui arrivent jusqu'à elle : elle les consacre ou
les flétrit.
:
-La simple vertu a des grâces , dont il faut embellir
Pintérêt qu'elle inspire mais que les fleurs ,
compose sa couronne , soient modestes , comme ellemême.
-
La franchise du jugement sur un ami honorable
est une preuve de plus d'un réel mérite.
-
C'est une des misères de l'amour propre de ne
pas recevoir comme un bienfait une honorable critique .
Lorsque les femmes veulent vraiment désarmer
ceux qui les blessent , elles ne font plus de reproches ,
elles montrent leur douleur .

-
Je ne repousse pas dans des sujets profonds une
sagacité travaillée , des traits cherchés , mais bien rencontrés
, unc manière tendue , mais nerveuse ; surtout
si je sens que tout cela est de caractère dans l'auteur.
--Les caractères , les passions , les situations , les souvenirs
de l'histoire donnent à la scène une éloquence
plus véhémente .
-C'est au théâtre , que nous jouissons de l'invincible
justice de la conscience sur les forfaits , couronnés par
la fortune.
-
:
Au théâtre , nous devenons de nobles amis pour
les héros nous aimons mieux leur gloire que leur vie .
L'amitié entre Henri IV et Sulli était née de l'amour
du peuple , différent dans le ministre et dans le roi.
-
-
On est éloquent par son âme et son imagination .
Mais il n'y a pas toujours lieu d'être éloquent ; et l'éloquence
vit de moindres mérites qu'elle-même.
-
style .
Je ne conçois pas l'art du style , sans le don du
Populariser une science , c'est l'achever.
Modération. Impartialité.
- En politique , le juste milieu ne peut être que
dans le principe qui doit régir la chose à faire ; car ,
2
18 MERCURE DE FRANCE .
en - deçà , rien n'est bien ; au- delà , tout est mal . En
politique , rien de modéré comme un principe.
-
Dans la morale , tout principe engendre un devoir .
On peut faire mieux que le devoir ; on ne peut faire
moins. Le devoir est la borne où peut s'arrêter la vertu .
La modération , dans la vertu , n'est que sagesse envers
soi- même .
--L'arbitraire reste seulement dans les choses de
goût. Là des règles inviolables , des règles précieuses ,
d'une part ; et de l'autre , des règles à discuter et mème
à franchir .
Là , la sincérité de son impression et le respect de
celle d'autrui sont la modération .
- La vraie modération est une force dans l'âme et
une dignité dans le caractère .
-La fausse modération n'est qu'une composition
ou avec la vérité , ou avec le devoir , ou avec la conscience.
1 .
Elle est tour-à-tour ou tout ensemble ' faiblesse , lacheté
, calcul déguisé.
L'impartialité est dans l'esprit ce qu'est la modération
dans l'âme.
L'impartialité n'est pas la nullité d'affection ; il faut
aimer le bien et hair le mal ; mais l'affranchissement
de toute préoccupation ou prévention ; ce qui est la garantie
du discernement entre le bien et le mal.
-La haute impartialité ne veut se rendre qu'à la
justice sentie ou la vérité démontrée .
La petite impartialité , toujours flottanté , toujours
soigneuse de ne pas se commettre , ne sait adopter que
ces honteuses capitulations , qui étouffent la raison et
l'honnêteté publique , par la crainte de trop facher la
sottise et la perversion .
Le faux modéré ou le petit impartial se tourne à
6 et 6 , combien ? Ah ! trop de
droite :
rigueur.
Il se tourne à gauche :
-Ah ! exagération .
12.
A
6 et 6 , combien ? 14
Alors il se fait conciliateur et dit : un petit sacrifice
de part et d'autre ; convenez que 6 et 6 ne feront ni
12 , ni 14 ; mais 13 ; et vivez en paix .
JANVIER 1818.
19
Voilà le sublime de sa coopération et dans les affaires
publiques et dans les affaires privées .
LACRETELLE ainé.
wwwwww ww
Sur le débat relatif à la liberté de la presse.
J'aime , dans la chambre de nos députés , les discussions
hardies avec sagesse et vives avec modération ;
une chaleur douce est la santé du corps social , comme
de tous les corps animés.
Le debat sur la liberté de la presse , où ont brillé tant
de patriotisme et de talent, laissera d'heureux et d'ineffaçables
souvenirs. Il a offert ce phénomène , que les dé
fenseurs du projet de loi , emportés par la chaleur de
l'âme et par les forces de l'esprit, se sont rangés , potir la
plupart , à côté de ses antagonistes , pareils à Diomède ,
qui , guidé par Minerve , et entraîné par son rapide courage
, laissait l'oeil incertain de savoir s'il combattait
avec les Grecs ou avec les Troyens .
Il semblerait qu'il ne restât plus rien à dire sûr anė
matière où se sont déployées tant de ressources de la
dialectique et de l'éloquence ; mais elle est si féconde ,
elle est si neuve pour nous , l'intérêt général accueillė
avec tant d'avidité tout ce qui s'y rapporte , que j'oserai
présenter , sur le même sujet , quelques vues prises
d'un aspect différent .

On sait que
l'asservissement des communications de
la pensée est une tyrannie qui ne remonte qu'à l'ibère.
Sous Auguste encore , aucune loi
mettaient les magistrats à couvert de la plus stricte cenaucune
défense ne
sure des citoyens. C'est dans le
hommes , et dans le caractère de leur
administration. génie de ces deux
qu'il faut chercher la raison de cette différence , car la
difficulté des temps était
incomparablement plus grandė
pour Auguste que pour son successeur.
La legislation de Tibere s'etait
singulièrement perfectionnée
en France , lorsque , le 16 juillet 1618 , un
poète , nommé Durant , fut rompu vifen place de Grève ,
pour avoir écrit contre le Roi , et lorsque deux jeunes
20 MERCURE DE FRANCE.
nobles Florentins furent exécutés après lui , pour avoir
traduit en italien son ouvrage .
Bénissons la législation constitutionnelle , qui n'applique
à aucun crime de pareilles barbaries . Bénissons
la charte qui consacre le principe de la liberté de la
presse , et nous en promet un jour tout le bienfait.
C'est à combattre ou à justifier les restrictions , dont les
circonstances actuelles ont paru devoir imposer la rigueur
, que se sont attachés spécialement les orateurs
qui ont occupé la tribune nationale ; j'éviterai mieux
de me rencontrer sur leurs traces , et je me rapprocherai
plus des études de l'homme de lettres , en considérant
la question théoriquement et dans ses rapports
généraux.
Et d'abord , je remarquerai , philosophiquement parlant
, que l'idée de la liberté de la presse ne serait
pas prise d'assez haut , si on ne la rattachait à côté de
la liberté des communications sociales . En effet ,
pour une société composée primitivement de quelques
sauvages , la pensée était suffisamment interprétée
par des gestes ou par des cris inarticulés ,
glapissement chez ceux-ci , gloussement chez ceuxlà
, sifflement ou hurlement chez d'autres , selon
les impressions du climat et les variétés de l'espèce ,
L'agrégation des familles , la construction des huttes ,
en compliquant les rapports , ont conduit , par un prodige
en quelque sorte inexplicable , aux articulations
de la parole , d'où est née plus tard l'écriture , et plus
tard encore l'imprimerie , moyens de communication
qui n'ont été ouverts et perfectionnés que parce qu'ils
étaient devenus nécessaires. Ainsi donc : doit- on retrancher
, au dix- neuvième siècle , le libre usage de l'imprimerie
, est la même question que celle - ci : devait-on
gêner le quatorzième dans l'usage de l'écriture , ou
l'enfance des sociétés dans celui de la parole et des
gestes ? et la réponse se présente naturellement on
doit , dans tous les temps et dans tous les lieux , protéger
la liberté des communications sociales , sous quelques
formes qu'elles soient amen es à se produire , sauf
les restrictions que réclame impérieusement le bon
ordre de la société .
Geci posé , voyons toujours , en thèse générale , sur
quels objets et dans quelle mesure la manifestation de
JANVIER 1818. 21
la pensée peut s'exercer sous un gouvernement représentatif.
Sur quels objets ? Un arrêt de condamnation tout récemment
rendu par le tribunal correctionnel de Paris
que ne renieront pas sans doute les adversaires de nos
franchises , a pris la peine de les déterminer : « la li-
« berté de la presse , y est- il dit , emporte le droit de
« publier et de faire imprimer ses opinions sur toutes
« sortes de matières , de discuter et d'examiner tous
« les actes du gouvernement sans exception , tant ceux
« directs et immédiats qui émanent de la puissance législative
et de la puissance exécutive , comme les
« lois , ordonnances et réglemens signés du Roi et con-
« tresignés par un ministre , que ceux directs et mé-
« diats , qui émanent des ministres et des fonctionnaires
« publics , comme les arrêtés , instructions et autres de
« cette nature , signés d'eux seuls . »
(F
A présent , dans quelle mesure ? dans la même mesure
, évidemment , que tout député est appelé à exa→
miner ces actes à la tribune , puisque le droit de publique
discussion , qui lui est laissé , serait incomplet
s'il était apporté plus d'entraves aux élémens qui doivent
concourir à former son opinion , qu'à l'émission
de son opinion même. La différence du caractère de
député ou de celui de simple citoyen , n'influe que sur
l'enceinte où il est permis de dire les choses , et nullement
sur les choses à dire ou sur la manière dont elles
doivent être dites . Que si quelque retenue plus grande
était imposée à l'un des deux , il semble que ce devrait
être au député dont les paroles reçoivent une gravité
particulière du lieu où elles sont proférées , et du mandat
qui lui est confié . Lors donc qu'il a gardé la juste
mesure de la liberté qui lui est permise , ce qui se reconnaît
quand le rappel à l'ordre n'a pas été prononcé
contre lui , on peut conclure , avec assurance , que le
courage et le zèle du citoyen ne s'égareront pas en
s'exerçant dans les mêmes limites .
Après avoir établi ces principes généraux , je me bornerai
à présenter , sans chercher à les résoudre , quelques
questions qui naissent de leur application à la loi
proposée .
Les tribunaux auxquels cette loi continue de confier
22 MERCURE DE FRANCE.
la répression des délits de la presse , n'ont-ils jamais
condamné , dans les écrivains , des libertés beaucoup
moindres que celles qui s'échappent et qui doivent s'échapper
de la tribune nationale?
Les tribunaux ne seront- ils point, par la nature propre
de ces délits , les parties nécessaires de ceux qu'ils sont
appelés à juger , puisque la législation et l'administration.
de la justice , champ , le plus vaste , ouvert aux utiles
rétléxions des citoyens , sont unies si intimement à
toute l'économie de l'Etat , que la moindre secousse ,
de quelque autre côt qu'elle se manifeste , produit en
elles un retentissement ?
Et comment concilier la juridiction correctionnelle
des délits de la presse , avec la loi proposée sur le concordat
, qui veut que les personnes engagées dans les
ordres sacrés ne soient justiciables que des cours royales?
Or , si la dérogation est admise en faveur des sousdiacres
, en quoi serait-il plus difficile de la prononcer
en faveur des écrivains ? Si l'écrivain était ou se faisait
sous - diacre ne se trouverait- il pas tout naturellement
justiciable des jurés ? Quelle bonne fortune , quel privilège
pour deux ou trois de nos journaux !
Enfin , la loi du 9 novembre 1815 , qui continuera
d'être le Code pénal des délits de la presse , n'a- t- elle
pas été rendue , non-seulement comme temporaire et
momentanée , ainsi qu'il a été dit à la tribune ; mais , ce
qui est bien plus fort , bien plus inconciliable avec une ´-
législation régulière et définitive , comme repoussant
(ce sont ses propres paroles) l'action sage et mesurée des
tribunaux ordinaires , et invoquant des formes plus simples
et une justice plus rapide ? Les dispositions de cette
loi qui déclarent séditieux ( art . 5 ) tout écrit portant ,
tentative d'affaiblissement du respect dû à l'autorité du
Roi , ou excitation à désobéir au Roi et à la charte constitutionnelle
, ou seulement ( art . 9 ) donnant à croire
que des délits de cette nature seront commis , ou répandant
faussement qu'ils ont été commis , sont - elles compatibles
, je ne dis pas avec la charte , dont il parait
convenu qu'on doive modifier l'exécution , mais meme
avec la loi proposée , mais avec quelque exercice que
ce puisse être de la plus légère liberté d'écrire ?
Je pourrais multiplier ces questions ; mais le zèle du
JANVIER 1818. 23
eitoyen doit borner sa tâche , quand la sagesse des
pairs s'occupe de remplir la sienne.
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E. AIGNAN..
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ANNALES DRAMATIQUES.
Pendant quelques jours le public semblait avoir oublié
jusqu'à ses plaisirs pour suivre les importans débats
de la chambre des députés ; il se délassait des affaires
privées , en s'occupant des affaires de l'Etat , et les amateurs
les plus assidus des thé tres donnaient la préférence
à ces réunions multipliées , où l'on juge le soir
les opinions exprimées le matin à la tribune nationale.
Tandis que les esprits étaient ainsi captives , le Prince
d'occasion s'est glissé presque incognito à l'Opéra- Comique.
Il y reparaît encore sans faire sensation , et ne
tardera pas à disparaître sans qu'on s'en aperçoive. Ce
Prince d'occasion est assez bien nommé ; c'est en effet
un personnage usé depuis long-temps , et qu'on n'a pas
pris la peine d'orner de nouvelles couleurs.
M. Durmont a un château et une nièce . Il attend un
prince étranger à qui il veut vendre le château , et il
lui arrive un jeune officier qui est amoureux de la nièce .
Il prend l'officier pour le prince , mais le jeune homme
est bientôt remplacé dans ce rôle , par un comédien
que son valet met en jeu , sans que personne se doute
de la supercherie. Le nouveau prince accepte une fete ,
courtise les villageoises , achète le château , et marie
l'officier , dont il a fait son chambellan , avec la nièce
de Durmont . Lorsqu'il faut signer l'acte de vente , un
conducteur de diligence vient annoncer à son altesse
qu'il est temps de se remettre en route ; tout se découvre ,
et Durmont , pour prix des mystifications qu'il a éprouvées
, confirme le consentement qu'il a donné au mariage,
Comme l'analyse d'une pièce ennuyeuse ne saurait
être amusante , je me borne à indiquer le fonds de cet
opéra , sans parler des scènes accessoires , amenées tant
24
MERCURE DE FRANCE .
bien que mal , pour remplir trois actes ; je me tais
aussi sur l'uniformité des situations que produit le rôle
du prince , joué successivement par deux personnages .
Le dialogue et la versification ne sont pas propres à faire
excuser les vices du plan. L'auteur est M. Lamartellière
.
La musique est écoutée avec plaisir ; elle est gracieuse
, légère , et fait honneur au talent de M. Garcia.
Baptiste , dans le rôle du valet , reçoit des applaudissemens
qui lui sont dûs . On remarque avec plaisir les
progrès de mademoiselle Môre comme actrice et cantatrice
. Quant à mademoiselle Palar , maintenant chargée
d'un rôle de soubrette , abandonné par madame
Boulanger , sa voix n'est pas sans agrément ; mais je
m'abstiendrai de parler de l'affectation de ses manières
et de sa prononciation sur ce point , on ne peut être
juste à son égard sans s'exposer à paraître malveillant .
Le compte que j'ai à rendre de l'Héritière , 'autre
opéra en un acte , joué à Feydeau , lundi dernier ,
n'exige pas de détails. Le public a condamné cette
pièce , et c'est bien jugé ; sa chute est mortelle . Cependant
, M. Frédéric Kreubé , qui en a composé la
musique , n'est pas compris dans cette disgrâce ; il a
été nommé et justement applaudi . L'auteur des paroles
ne s'est pas fait connaître par son nom .
Le Vaudeville donne , depuis quelque temps ,
l'Homme Vert , petite pièce qui a besoin d'indulgence
si l'on juge l'intrigue , mais qui a droit à des éloges
pour quelques scènes plaisantes , des mots heureusement
trouvés , et des couplets faits avec esprit. Cet
Homme Vert est un jeune officier écossais qui se fait
passer pour sorcier , afin de sauver la petite Fanny des
pièges d'un séducteur , et l'empêcher d'épouser nn
vieil alderman , envieux de s'approprier la fortune qui
est assurée à Fanny sans qu'elle en sache rien . C'est
l'Homme Vert qui l'épouse après lui avoir appris qu'elle
est fille naturelle d'an lord dont il est le neveu.
Je ne vois pas le motif qui a déterminé les auteurs
à transporter la scène en Ecosse. Je crois bien que nous
n'avons pas en France de magistrats burlesques ni intéressés
comme l'alderman , mais je crois encore mieux
que nous possédons des officiers animés de sentimens
JANVIER 1818. 25
généreux , et que nous n'avons nul besoin d'aller emprunter
chez l'étranger les modèles de ce caractère .
Le théâtre des Variétés , faisant trève aux bouffonneries
qui l'enrichissent en appauvrissant le goût , a
joué avec un succès mérité la pièce intitulée : Il n'y a
plus d'Enfans. C'est l'intérieur d'un pensionnat , où de
jeunes filles passent leur temps à discuter sur les affaires du
gouvernement , et à se quereller en jargon politique . De
la naïveté , de la malice , des couplets bien pensés et
bien tournés ont valu à la pièce des marques fréquentes
d'approbation . Les auteurs ont gardé l'anonyme . A
quoi bon cette réserve ? l'un d'eux ne nous a-t- il pas
dit que
« Toujours à l'oeuvre on connaît l'ouvrier. »
- L'intrépide Chevert vient d'être mis en scène au
théâtre de la Porte Saint - Martin ; mais ce n'est pas le
premier personnage de la pièce ; il n'y figure que pour
assister à la cérémonie d'un baptéme , surveiller l'exécution
des édits contre le duel , et remplir , durant un
quart-d'heure , un rôle de dupe . Il s'épuise en félicitations
envers un de ses officiers , qu'il a chargé d'une mission '
importante , dont celui- ci ne s'est point acquitté , parce
qu'il a été blessé en se battant contre son beau-frère .
Le public a été choqué de la méprise du général . Ne
devrait-on pas se faire un scrupule de défigurer ainsi un
homme illustre ?
Chevert , né dans une des classes inférieures de
la société , semble avoir été le précurseur de tous les
héros , également issus de parens obscurs , qui sont
venus , un demi-siècle après lui , ajouter un si grand
éclat à la gloire des armes françaises. Il tirait vanité
de devoir son élévation à son courage et à son talent ,
et non pas au hasard de la naissance . Voici un trait
qui le fera mieux connaître que tous les discours que
lui prêtent les auteurs de la pièce nouvelle . Un gentilhomme
, croyant se rendre agréable à ce général , cherchait
à lui persuader qu'ils étaient de la même famille .
« Cela n'est pas possible , lui dit Chevert , vous êtes
« gentilhomme ; moi je suis le premier , le seul noble
« de ma famille , nous ne sommes point parens . »
Tant que les ressorts du mélodrame ne seront pas
26 MERCURE DE FRANCE .
mieux employés que dans le Baptême et le Duel , ee
genre -là sera sans conséquence , et ne deviendra pas
dangereux. Le succès de la pièce a été fort équivoque.
Les auteurs sont MM. Boirie , Merle , et Melesville .
Après une assez longue maladie , Lafon a fait sa
rentrée au Théâtre- Français , par le rôle du Cid. La
manière dont il l'a joué me fait craindre qu'il ne soit
pas encore parfaitement rétabli . DL.
MERCURIALE .
mmun

Que je vous embrasse , mon cher Senneval ! Vous ,
à Paris ! quel hasard propice rassemble deux jeunes
amis de collége au Théâtre français ? Il paraît que
Vous vous amusez encore aux chefs- d'oeuvre de Corneille....?
Toujours orginal ! toujours sauvage ! Mon cher
Senneval , embrassons- nous . Quoi ! c'est vous Sainville
! Depuis trois ou quatre révolutions , que nous ne
nous sommes vus , votre bonne humeur n'est point
changée ; croyez qu'il en est de même de mon amitié .
-
• !
En vérité , Senneval , je suis d'un bonheur .
je sors d'ètre étouff ' aux Variétés par la foule la plus
distinguée de Paris ; j'étais venu respirer , à Nicomède ,
tout en regrettant Potier ; mais je vous retrouve , il
n'est plus question de regrets . C'est fort obligeant .
-
- -
A propos , j'ai à vous parler de choses sérieuses ?
Cela n'est pas possible ; mais , en effet , à votre air singulier
... . , m'allez-vous entretenir de politique ? -
Ecoutons encore ces deux vers :
De quoi se mêle Rome , et d'où prend le sénat ,
Vous vivant , vous régnant , ce droit sur votre Etat ?
et sortons .
JANVIER 1818 . 27
Nous sortimes , et j'entraînai le grave Senneval au
café des Circassiennes , où tous les amateurs sont attirés
une fois par un nom qui est synonyme de beauté :
en voyant ces dames , mon ami me demanda si le
carnaval était commencé , et aussitôt la mascarade nous
apporta des glaces et la Gazette. Vous saurez donc ,
dis-je à Senneval , que je me suis mis en tête , pendant
les voyages de notre ingénieux Ermite dans la
province , de m'emparer de l'obervation des moeurs
parisiennes , de gronder les fantaisies anti-nationales ,
et de ramener , s'il se peut , l'esprit public jusque dans
les caprices de la mode . Il est vrai que , jusqu'en 1814 ,
une plume supérieure s'était tracée un plan à peu près
semblable , et qu'elle l'a exécuté avec un talent et un
succès décourageans ; mais après un siècle , il doit s'être
opéré bien des innovations en toutes choses , et de nouveaux
ridicules appellent de nouvelles Mercuriales :
c'est le titre que j'ai adopté ; cependant , pour accomplir
ce grand dessein , mon insuffisance a besoin d'un
habile auxiliaire ; et en s'adressant à vous , Senneval ,
ce n'est pas mon coeur seul qui choisit il me semble ,
si vous voulez vous associer à mon ambition , que ces
esquisses de moeurs pourront acquérir un genre d'intérêt
assez neuf sous le pinceau de deux jeunes gens qui seront
souvent les historiens de leurs propres aventures ( les
plus douces exceptées ) . Je ne me dissimulais pas les
difficultés littéraires d'un pareil travail et tous les
périls de la franchise et de l'indépendance , aussi ne
saurais-je trop me féliciter d'avoir rencontré un collaborateur
d'un savoir peu commun et d'une taille de
cinq pieds huit pouces vous voyez bien que je parle
raison . Vous m'étonnez , et je crois à toutes les >>
:
28 MERCURE DE FRANCE.

innovations depuis que je vois Sainville moraliste ; au
surplus , c'est un nouveau trait qui vous manquait pour
compléter la sympathie entre nous. Il y a long-temps
que nous avions rêvé une association littéraire , et c'est
avec l'empressement de l'amitié et du plaisir que j'accueille
celle que vous me proposez . Nés tous les deux
avec quelques dispositions que se plut à cultiver M. Luce
de Lancival , enlevé trop tôt aux muses et à ses élèves ,
nous sortimes du Prytanée , vous avec le démon de
la comédie , moi avec une fureur tragique . Je me
rendis auprès d'un oncle à qui le génie des affaires
avait fait une fortune assez ronde . Ce pauvre riche
n'aimait pas les vers ; il voulut que je fisse mon droit ;
cela me donna du goût pour les voyages , et je trouvai
moyen de me faire attacher à une légation qui partait
pour l'Allemagne ; c'était à la chute de je ne sais plus
quelle pièce ou quel trône . La politique guerrière alors en
usage promena , pendant quatre ans , ma diplomatie
de capitale en capitale , de catastrophes en catastrophes.
Ah ? mon ami , quelle bonne fortune pour un
poète tragique ! comme l'imagination s'agrandissait au
spectacle de ces victoires lointaines qui proclamaient à
l'Europe la supériorité du peuple français ! Mais vous ,
Sainville ; vous , frivole ami des plaisirs , que faisiezvous
pendant que j'assistais à ces mémorables triom- :
phes ? Je dansais , ne vous déplaise , et je ne chante
pas maintenant . Enfin , lorsqu'il n'y eut plus de
traités d'aucun genre à faire , je pris l'épée dans les
plaines de Champagne ; et quand l'épée elle -même fut
devenue un secours inutile , je retournai dans le sein
de l'étude me consoler des revers de notre gloire par
les promesses de la liberté constitutionnelle ; j'allai re-
-
JANVIER 1818 .
trouver , à Arcis-sur-Aube , ma cousine la Champenoise,
et c'est moi qui ai mis à la poste sa réponse à son correspondant
de Paris , qui a trop d'esprit pour croire
à tout ce qu'il dit. Je voulus moi-même faire le publi~
ciste , mais , pour cela , il fallait être au courant des
nouvelles , et nous ne recevions que les journaux . Je
me suis donc vu forcé de venir en personne chercher
des notions officielles sur notre situation ' politique ,
dont certaines circonstances sont du domaine de votre
Mercuriale aussi bien que les abus littéraires ; comptez
donc sur moi , et , dès demain , je suis à vous . A
demain donc., bonne nuit .
-
- Bon jour , Sainville , il est de grand matin ; allons
méditer notre premier tableau de moeurs dans un cabinet
de lecture ; nous y lirons un journal pour les
connaître tous , et nous chercherons l'opinion publique
réfugiée dans les brochures avec la liberté de la presse .
Entrons . - Cela n'est pas gai ; quel silence immobile !.
- Ils ont tous l'air de Ce sont des hypocrites .
En voilà un qui s'amuse . Vous vous trompez ; il lit
-
penser.
Ce n'est pas
M. Fiévée . Je vous assure qu'il a ri .
toujours un signe de plaisir.- O mon ami ! que d'esprit ,
d'originalité et d'indépendance dans cette autre brochure.
Je parie que son auteur n'est plus archevêque.
-
-Je vou-
Achetons l'ouvrage de M. Azaïs. Nous l'aurons à
bon compte. Quel est donc ce nouvel OEdipe aux
prises avec les peusées de ce sphyux gothique ? - Je
n'ai pas le temps d'attendre qu'il ait deviné .
drais bien obtenir les Annales de la Session par M. Benjamin
de Constant ; tout le monde doit les avoir lues , et
cependant tout le monde les tient .-- C'est qu'on ne se lasse
pas des doctrines constitutionnelles , surtout quand elles
50 MERCURE DE FRANCE .
|_
sont ainsi défendues, Eh ! mais quelle bizarrerie !
n'aperçois -je pas dans les mains de ce lecteur honteux
un recueil de poésies ? - Au contraire , mon ami , c'est
l'Almanach des Muses . Eh bien ! Senneval , que pensezvous
de ce vertige nouveau qui fait déserter les burcaux ,
les magasins et jusqu'aux ateliers pour ces espèces
d'écoles primaires de la politique , n'est-ce pas là un bon
ridicule à signaler ? J'y vois plutôt une disposition à
encourager ; j'y vois l'éducation paisible d'un peuple qui
apprend à s'intéresser à son gouvernement par raison et
non plus par une servile et aveugle habitude ; j'aime à
voir ce peuple sortir , par degrés , de la barbarie du
despotisme à la voix courageuse de ses députés et d'un
souverain constitutionnel. Ne faisons donc pas l'objet
de notre dérision de ces comités où la science politique ,
pour être à bas prix , n'est pas d'une faible importance.
C'est peut-être de là que sortira enfin une nation , et
que la France remontera , malgré tous les obstacles ,
à son rang légitime !
Nous revenions plongés dans ces idées d'orgueil national
, lorsqu'un équipage anglais nous éclaboussa en
passant devant la porte d'un de nos écrivains à sys
tèmes ; par compensation , il se trouvait là une colonie
de ces petits artistes de carrefours , dont le pincean offi→
cieux répare , pour dix centimes , les insultes des chars
nous confiâmes à l'un d'eux notre chaussure outragée ;
nous aperçûmes bientôt les pleurs de l'enfant qui prêtaient
à son éponge un douloureux office soupçon →
nant quelques bizarres caprices de la fortune ,
interrogéâmes sa tristesse , et i nous raconta comme
quoi lui et ses compagnons , frappés , dans leur insdustrie
, par une ordonnance de la mairie de Lyon , furenț
nous
JANVIER 1818. 31
;
contraints d'exiler leur brosse hérétique loin des fleuves
paternels , et comme quoi ils vinrent s'établir à Paris ,
ville de grande ressource pour leurs nomades fonctions
il ajouta qu'après avoir long-temps étudié les avantages
des divers emplacemens les plus boueux de la capitale
, ses compagnons et lui avaient enfin fixé leurs destins
errans devant la porte lucrative de ce monsieur à
systèmes .
Nous abandonnâmes, à cette peuplade de proscrits les
restes de notre bourse ; faible compensation de la patrie
absente !
Si l'on en croit des bruits de coulisses et une
lettre écrite par plusieurs amateurs , le petit Vaudeville
va s'attirer de méchantes affaires . On prétend que ,
dans un budget arrêté à huis - clos , il a , sous le pr ‹-
texte de faire des réformes , supprimé ou diminué des
sujets agréables au public pour en augmenter d'autres
qu'il supporte à peine , et que le vain simulacre d'économie
qui pèse sur le talent , n'est , au fond , qu'un
surcroit de dépense au profit de l'intrigue . Le petit
Vaudeville se donnerait-il les airs de mépriser l'opinion
publique ? Qu'il y prenne garde ; lui qui chante tout le
monde pourrait bien être chansonné lui - même. On cite ,
parmi les victimes de l'arbitraire , madame Hervey et
Philippe . Au reste , les griefs des mécontens paraîtront
bientôt au grand jour. Le budget ne sera pas étouffé dans
un comité clandestin ; il doit être soumis à l'assemblée
générale des actionnaires , et on demandera sans doute
des explications sur l'emploi des fonds qu'on ne tire
pas , à coup sûr , de la poche du public pour abreuver
de dégoûts ceux qui lui conviennent , et pour combler
de faveurs ceux qui lui déplaisent.
SS.
52 MERCURE DE FRANCE .
*
POLITIQUE .
§ . I.
SESSION DES CHAMBRES .
CHAMBRE DES PAIRS .
Après un exposé succinct de la législation des journaux
en France , depuis 1814 , M. de Lally - Tollendal , rapperteur
de la commission , examine le projet sous deux points
de vue ; savoir : le principe général de la matière , et la loi
d'exception.
« Quant au principe général , dit - il , ce serait sinon
sortir de notre sujet , au moins abuser de votre patience ;
ce serait argumenter pour prouver la lumière en plein
midi , que de remonter encore aux premières notions , et
de prétendre embrasser de nouveau , dans toutes ses parties
, cette grande et immense question de la liberté de la
presse . Sur aucune vérité , la théorie et l'expérience n'ont
porté plus loin la démonstration . Sur aucun principe ,
l'opinion , ou plutôt la croyance publique , ne s'est plus
fortement prononcée. Sur aucun voeu national , l'autorité
ne s'est plus solennellement engagée . Ce n'est pas seulement
un organe ministériel ; ce ne sont pas seulement
les serviteurs de la couronne ; c'est la voix du souverain
et sa parole écrite ; c'est la Charte royale qui nous a promis
, et qui s'est promis à elle-même la liberté de la presse.
Nous disons qu'elle se l'est promise à elle - même , parce
que si c'est par la Charte , c'est aussi pour la Charte que
cette liberté doit exister, pour la faire chérir à qui lui
obéit , pour la défendre contre qui l'attaque , pour l'expliquer
à qui la dénature , pour en assurer l'exécution , en
maintenir l'inviolabilité , en éterniser les bienfaits . Ainsi
l'intérêt dont il s'agit est l'intérêt de tous ; et défendre la
liberté de la presse , si elle était attaquée , ce ne serait pas
JANVIER 1818 . 33
défendre la cause de telle ou telle faction , de tel ou tel
parti , de telle ou telle classe de la société ; ce serait défendre
la cause commune de toute la nation , et la cause
individuelle de tous les êtres qui la composent , depuis le
chef suprême qui la gouverne , jusqu'au moindre des sujets
qui lui obéissent . »
Mais la liberté des journaux est-elle une condition de la liberté
de la presse ? Il semble à quelques publicistes , qu'au
lieu de mériter une exclusion , les journaux réclameraient
plutôt une faveur. Pendant qu'un écrivain use sa vie à composer
un livre , les abus qu'il combat restent maîtres du terrain.
Pendant que Beccaria écrivait à loisir son Traité des
Delits et des Peines , « d'horribles supplices étaient accumulés
çà et là sur des têtes plus désordonnées que coupables
, sur de jeunes insensés qu'une réclusión tempo .
raire eût justement , mais suffisamment punis d'un jour
d'ivresse et de scandale. » Le livre enfin a-t il vú le jour?
que de difficultés pour le faire lire , et même pour le faire
comprendre ! Les sottes critiques se jettent à la traverse.
Les préjugés attaqués vont réveiller les autres préjugés ;
car ils font tous cause commune. « On lisait dans quelques
bibliothèques le chapitre de l'Esprit des Lois contre
les commissions judiciaires ; et pendant ce temps- là , de
grands guerriers , d'illustres magistrats , livrés à des commissions
extraordinaires , expiaient , dans les donjons ,
l'envie qu'ils avaient excitée. v Les journaux , au contrane
, ne laissent pas à l'abus le temps de prendre racine.
Aussi prompts , aussi répandus que l'erreur, ils circulent
avec elle pour la neutraliser. Un livre peut à la longue
influer sur l'opinion ; mais les journaux seuls donnent à
l'opinion le mouvement et la vie. Tout en accusant d'exagération
certains points de cette doctrine , l'orateur estime
« qu'il en faut rappeler les bases , précisément parce qu'il
est encore nécessaire de les voiler. »
Ceci lui fournit une transition naturelle pour arriver à
la seconde partie de l'examen . Il n'est pas temps encore ;
' c'est la substance de cette seconde partie. « Beaucoup
d'esprits ne sont pas prêts pour la loi ; la loi n'est prête
pour aucun. » Suit un tableau vif , animé , pathétique ,
peut- être un peu chargé , de la situation où se trouve la
France : c'en est fait d'elle , suivant l'orateur, si l'on ouvre
împrudemment la lice à tous les champious qui voudraient
3
34 MERCURE DE FRANCE.
s'y précipiter. Sa conclusion du moins est consolante,
Elle nous fait espérer que « même pendant la suspension
de l'indépendance des journaux , le caractère moral de
Pautorité y placera ce que le privilége légal de la liberté
n'aura pas encore le droit d'y insérer . »
On avait proposé deux amendemens , le premier tendant
à augmenter la loi d'un article , le second à limiter
sa durée au mois de mars prochain. La question préalable
a écarté l'un et l'autre amendement , et le projet a passé
tel qu'il était présenté par les ministres.
Sur une pensée de M. de Bonald , et une facetie de
la Quotidienne .
J'ai lu , puisque cette formule a tant d'attraits pour
certaines gens ; j'ai lu la nouvelle diatribe de la Quotidienne
, et je n'y ai rien trouvé qui ne fût digne d'elle. Au
contraire , ce journal gagne tous les jours. Quoi donc !
renfermer en une page et demie plus d'indignités et d'absurdités
qu'il n'en faudrait pour souiller tout un in-folio ,
certes le trait est neuf ; et si l'on institue un prix pour la
difficulté vaincue , l'anonyme n'a qu'à se présenter hardiment.
Ce qui a choqué surtout l'anonyme , dans une critique
d'un discours maintenant oublié , aussi bien que ma critique
, c'est que j'ai témérairement prétendu que les droits
politiques ne sont autre chose que des droits naturels
garantis
par la société. Voyez l'hérésie ! j'ai eu la sottise de
croire que , pour justifier un droit politique , il en faut
toujours chercher la source dans un droit naturel , j'ai
même poussé la démence jusqu'à me figurer qu'il n'était
pas possible de concevoir un droit politique étranger à un
droit naturel , encore moins contraire à ce droit . Et paisqu'il
faut confesser mes torts jusqu'au bout , j'avais été
jusqu'à penser qu'il était bien au pouvoir du despotisme
de suspendre ou d'étouffer l'exercice de nos droits ; mais
qu'il n'était pas au pouvoir du plus farouche despote de .
créer un droit. Cette doctrine , me dit-on , ne vaut pas la
peine d'être réfutée. A genoux Burlamaqui , à genoux
vous aussi , Montesquieu , venez subir la pénitence qu'il
plaira au maître de vous imposer car c'est bien à vous
qu'est tout le tort . C'est vous , grands esprits faux , qui
JANVIER 1818. 35
\
avez fausse le mien. Vous , Burlamaqui , vous avez osé
dire quelque part , que les idées du droit sont manifestement
relatives à la nature de l'homme . Et si l'on vous
demande ce que c'est que la nature de l'homme , vous
répondez que l'homme est un animal doue d'intelligence
et de raison. Et vous concluez que le droit en général
n'est autre chose que ce que la raison reconnaît certainement
comme un moyen sûr et abrégé de parvenir au
bonheur. Et ce grand Montesquieu lui -même ( pardon de
l'épithète ; c'est une vieille habitude ) ne dit - il pas que la
loi en général est la raison humaine , en tant qu'elle
gouverne tous les peuples de la terre ; et que les lois politiques
ou civiles de chaque nation ne doivent être que
les cas particuliers où s'applique cette raison humaine .
La tâche de notre critique maintenant est de montrer
un seul droit politique qui ne soit pas établi par la raison
, ou un acte de la raison qui ne soit pas un acte naturel
. Il faut qu'il prouve que l'objet de la politique est
contraire à l'objet de la nature ; que la société n'a pas été
instituée pour le perfectionnement de notre nature , etc. ,
et tant d'autres théorèmes dont la démonstration coûtera
peu à son esprit inventif. Monsieur le docteur à confondu
un pouvoir avec un droit , et voilà ce qui l'a rendu si
rogue . S'il eût pensé avant d'écrire , il aurait compris que
le droit de sûreté , le droit de propriété , le droit de pårler,
le droit d'agir, sont autant de droits naturels devenus
droits politiques , parce qu'ils s'exercent en société ; que
si quelqu'un de ces droits subit des modifications , il n'y
a que d'autres droits naturels qui puissent le modifier.
Par exemple , le droit naturel de sarete modifie le droit
naturel de liberté. J'avoue que dans le catalogue de ces
droits , je ne trouve point ceux de main-morte , ni les corvées
, ni les lettres de cachet , ni le droit de jambage , etc. ,
etc. Voilà ce qui fâche l'anonyme qui pourtant , j'en ferais
la gageure , n'est qu'un vilain.
La discussion s'était élevée à propos d'un propos de
M. de Bonald qui , tout colosse qu'il est , n'est pas infaillible.
M. de Bonald , pour mieux nous prouver que le
droit de publier ses opinions est un droit politique , et
non point naturel , arguait du pouvoir public exercé par
l'écrivain. Ne lui en déplaise , voici encore de la confusion.
C'est l'amour du pouvoir, je l'accorde , qui pousse
3.
36 MERCURE DE FRANCE.
quelquefois un rêve- creux à débiter des fadaises , comme
de hautes et sublimes conceptions . Mais l'amour du pouvoir
n'est pas le pouvoir. Vous publiez vos opinions , pour
influer sur l'opinion publique ; mais si cette opinion repousse
ou dédaigne vos rêves ! Votre ambition aspire à
maîtriser les esprits ; mais si les esprits indociles renversent
dans la boue celui qui prétendait les dompter ! Vous
vous élevez un tribunal , et vous vous armez d'un sceptre;
mais si d'un coup de sifflet , ce tribunal se change en tréteau
, et ce sceptre en marote , où sera le pouvoir ? Un
pouvoir public est irrésistible , et il ne tient qu'à moi de
me soustraire au vôtre. Il est universellement reconnu ;
et , si j'en excepte la coterie où vous régnez , l'on vous
ignore ou l'on vous bafoue. Est-ce là un pouvoir ?
Voulait-
on dire que le droit de publier sa pensée est l'exercice
d'une faculté , est un acte de puissance ? Certes , voilà
du nouveau . Etendre mon bras aussi est un acte de puissance.
Faut- il que la société intervienne toutes les fois
qu'il me prendra fantaisie de l'étendre , à moins que mes
cinq doigts ne laissent quelque part une empreinte ?
On me reproche de n'en avoir pas assez dit sur la définition
de l'esprit faux d'après M. de Bonald . Il faut
satisfaire ces messieurs.
« L'esprit faux ( d'après M. de Bonald , Monit. du
21 décembre) , n'est autre chose qu'un esprit borné sur un
point , quoiqu'il puisse être juste , fort , et étendu sur tous
les autres. » J'avais cru jusqu'ici que l'esprit faux était
celui qui considérait les choses sous un faux jour , qui
réunissait ce qu'on doit séparer , et qui divisait ce qu'on
doit unir. M. de Bonald m'apprend tout le contraire.
Mais je doute fort que la raison et lui soient ici d'accord.
Je n'en veux donner qu'une preuve , ou , pour mieux
dire , je ne veux qu'indiquer cette preuve. On appréciera,
le sentiment de convenance qui retient ma plume. Si ,
pour avoir un esprit droit , il faut avoir un esprit qui ne
soit borné sur rien , il n'y a pas d'esprit droit ; s'il n'y a pas
d'esprit droit , il n'y a pas de certitude ; s'il n'y a pas de
certitude...... je vous laisse achever.
Encore un mot à l'anonyme qui a si bien mesuré ma
petite taille et mes petits bras , et qui sûrement , si les
naturalistes ne nous trompent pas , doit avoir , lui , de longs ,
bras , et très -longs , et traînant jusqu'à terre. Je sigue
JANVIER 1818, 37
mes articles , je le somme de signer les siens ; écuyer avec
ou sans mission , vous ne nous montrez que vos armes
laissez - nous voir votre personne. Que nous sachion's à quel
titre vous le prenez sur un ton si haut. Il n'est guère pos
sible d'ajouter au respect que vous inspirez ; mais on
pourra vous en donner des témoignages plus directs,
S. II.
REVUE DES NOUVELLES DE LA SEMAINE.
Du 26 au 31 décembre.
Des observateurs faciles à effrayer ou à inquiéter peuvent
croire qu'il se prépare quelque chose d'extraor
dinaire. Demander ce qui se prépare , c'est demander
la solution , quand les données manquent. Elles n'abondent
aux yeux de ces observateurs que pour constater
le fait. Quant à ses circonstances , à sa nature , c'est le
secret des dieux.
-
-
-
-L'Allemagne est travaillée d'an mal que la violence
des remèdes aigrirait , et que les calmans ne serviraient
qu'à déguiser. Les fonds baissent à la bourse de Londres
. Lord Castlereagh se renferme dans son cabinet ,
pendant plusieurs jours , pour écrire des dépêches.
L'ambassadeur de France a de longues entrevues avec
S. S. et lord Bathurst . Les bruits d'une rupture entre
r'Espagne et le Portugal se renouvellent dans certaines
feuilles. Il est aussi question de la cession prochaine
ou de la vente des Florides. Si elles sont à vendre
l'Angleterre se met sur les rangs , et réclame la préférence.
La politique poursuit son chemin, Pendant que
les journaux officiels des Etats- Unis ne parlent que de
neutralité , d'autres journaux des Etats-Unis annoncent
l'envoi de trois commissaires d'un haut rang , dans les
provinces espagnoles. Je vois s'épaissir , s'avancer le
nuage. Que recèle t-il dans ses flancs ?
ANGLETERRE . Le parlemement a été formellement.
prorogé au 27 de janvier..
38 MERCURE DE FRANCE.
1
On assure que le duc de Cambridge
, gouverneurgénéral
du royaume
de Hanovre
, va épouser
la plus
jeune des filles du landgrave
de Hesse .
Un libraire , accusé d'avoir mis en vente des
livres impies , s'est excusé sur l'intention . L'excuse
n'aurait pu être admise dans le temps où la question
soumise au jury était uniquement cette question de
fait « A-t-il troublé ou non la paix publique ? » Aujourd'hui
l'intention et le fait se cumulent dans un
verdict-général , grossière transaction entre la raison
et l'usage , et qui ne satisfait ni l'un ni l'autre. Il semble
qu'en Angleterre les lois dorment , mais qu'elles ne
meurent jamais. N'avons- nous pas vu le Jugement de
Dieu près de reparaître au dix-neuvième siècle ? On
est convenu de vanter beaucoup la législation de nos
voisins . Mais qui voudrait ou qui pourrait passer en
revue tout ce cortége de lois étrangères ou indigènes ,
décrépites ou florissantes , sorties les unes de l'antique
Forum , les autres des forêts de la Gothie , ou de la
Gaule , ou de la Saxe , ou de la Normandie , toutes
prétendant à la jeunesse et au pouvoir , aurait peine à
reconnaître dans cette diversité de caractères , de langage
et de couleurs , ce qui est l'âme d'une législation ,
ce qui la supplée , la raison publique . On a toujours
dans la bouche ce mot de réforme parlementaire. Est- ce
qu'une bonne révision de la jurisprudence ne vaudrait
pas autant ? Les juristes , j'en conviens , n'y trouveraient
pas leur compte. Serait-ce donc un grand mal ?
-Les nouvelles de l'Inde calment les inquiétudes
excitées par l'insurrection de la province de Cuttack ,
et annoncent la conclusion d'un traité avec le Peishwa .
L'honorable J. Rush , ministre des Etats -Unis ,
est arrivé à Portsmouth sur un vaisseau de 74. C'est le
premier vaisseau américain de ce rang qu'on ait encore
vu en Angleterre . Il se rend dans la Méditerranée pour
se réunir à l'escadre des Etats-Unis .
RUSSIE . L'empereur donne une belle et grande.
leçon à ces ministres du Dieu de vérité , qui font servir
sa parole sainte d'interprète à la flatterie.
Voici l'ukase qu'il adresse au saint synode :
« Pendant mon dernier voyage dans les provinces ,
j'ai été forcé , à mon grand regret , d'écouter des disJANVIER
1818.
39
cours prononcés par divers membres du clergé , et contenant
des éloges peu convenables de ma personne ,
éloges qui n'appartiennent qu'à Dieu seul . Je suis convaincu
, au fond de mon coeur , de cette vérité chrétienne
, que toutes les bénédictions nous viennent de
notre seigneur et sauveur Jésus-Christ ; et que , sans
Jésus-Christ , tout homme , quel qu'il soit , est plein de
péchés. Donc attribuer à moi la gloire des événemens
dans lesquels la main de Dieu se manifeste si visiblement
, c'est donner aux hommes la gloire qui appartient
au Tout-Puissant seul . Je regarde comme un devoir de
défendre des éloges aussi peu convenables , et je recommande
au saint synode de donner des instructions
aux évêques diocésains , pour qu'eux , et tous les membres
du clergé , s'abstiennent , dans de semblables occasions
, de prononcer des éloges aussi désagréables à mes
oreilles. Que désormais ils rendent au seul seigneur des
armées leurs actions de grâces , pour les bénédictions
qu'il a répandues sur nous , et qu'ils le prient de continuer
à nous accorder sa grâce , enfin , qu'ils se conforment
aux paroles de la Sainte-Ecriture , qui nous ordonne
de rendre à jamais honneur au Roi éternel , immortel
, invisible , au Dieu seul sage . »
ALLEMAGNE . Depuis le retour du maréchal prince
de Schwartzenberg
àVienne , on s'aperçoit d'une grande
activité dans le bureau des guerres . On parle de la
vente prochaine des domaines de la couronne ou de
leur mise en loterie , pour former la dotation de la
banque.
ne
Le gouvernement prussien ne voit pas le moindre
'doute que toutes les ventes des domaines westphaliens,
lorsqu'elles ont été faites conformément aux lois ,
doivent être maintenues. Dans les cas où il s'éléverait
des réclamations contre la validité primitive de ces ventes
, on discutera les principes qui doivent fonder la
décision.
Le même gouvernement exempte , par réciprocité ,
les sujets français de tout droit de sortie et de détraction
.
-PAYS-BAS. Les journaux , de Bruxelles contiennent
tous la nouvelle suivante . « La sentence portée par contumace
, le 8 novembre 1817 , contre M. l'évêque de Gand ,
40
MERCURE DE FRANCE .
a été affichée par le bourreau , le 19 , au marché aux
grains ; à Gand. Joseph Vervaete , convaincu de vol
avec escalade , et Joseph Schiescat , convaincu de com
plicité de vol avec effraction , forçats libérés tous deux ,
condamnes aux travaux forces à perpétuité , subissaient
en meme temps , et sur le même échafaud , la peine de
la flétrissure et de l'exposition publique . »
-
On se souvient que le duc de Wellington avait
porté plainte en calomnie contre l'éditeur du Journal
de la Flandre orientale et occidentale ; que , sur le rejet
de sa plainte , S. G. avait interjeté appel. Cet apel a été
jugé le 18 de ce mois . L'avoué du journaliste opposait à
l'avoué du général une fin de non recevoir , motivée sur
les limites de sa procuration . Là-dessus , grand débat ,
citations nombreuses , comme il arrive entre les jurisconsultes
qui ne savent jamais dire autre chose , sinon
autrefois on a jugé ainsi , sans trop se mettre en peine si
l'on devait juger ainsi . Les défenseurs du prince de
Waterloo ont surtout fait valoir en sa faveur l'autorité
de M. Merlin ; mais , en dépit de cette autorité , lè
prince n'a pas été plus heureux dans son appel que dans
sa plainte.
-
1
SICILE. Encore des innovations ; c'est la folie du
jour. Au lieu d'ètre divisée en trois provinces , la Sicilé
sera divisée en sept intendances. Les communes éliront
leurs magistrats . Le système municipal remplace le système
féodal. Comme tout change !
ITALIE . Le Saint Père évoque à une congrégation
particulière , toutes les actions intentées devant les tribunaux
contre les acquéreurs des domaines . La hiérarchie
qu'il établit dans cette congrégation même ,
pourra sembler bizarre. Le secrétaire seul juge en première
instance ; et les membres de la congrégation , a
l'exclusion du secrétaire , jugent l'appel . Si l'on peut
hasarder une conjecture , le Saint Pere a sacrifié la
régularité à la tranquillité. Peut-être s' levait- il d'étranges
discussions devant les tribunaux ordinaires ; peut-être
les avocats touchaient- ils , dans leurs plaidoyers , à des
cordes delicates sous prétexte de prouver la contravention
aux réglemens antérieurs , on pouvait se donner
carrière sur le principe de ces réglemens. S'il en est
ainsi , la décision de S. S. aura prévenu un mal. Mais st
JANVIER 1818.
41
.
l'exemple reste , s'il faut qu'à chaque circonstance difficile
on abandonne les chemins battus pour se jeter dans
les mesures d'exception , n'en résultera-t-il pas un plus
grand mal ? J'aime qu'un Etat sache supporter une
crise sans changer son régime . Il se fait , par cette
épreuve un peu dure , j'en conviens , plus de bien qu'on
ne pense . Avec le système contraire , il lui faut une
jurisprudence pour chaque situation , une loi pour
chaque événement ; en perdant la continuité de ses
institutions , ne court-il pas risque de perdre la conti
nuité de son existence ?

ESPAGNE. On croit aux Etats-Unis que l'offre faite
par l'Angleterre à l'Espagne au sujet des Florides ,
a mécontenté le cabinet de Madrid. Les Etats-Unis
pourraient bien profiter de ce mécontentement. On
assure même qu'ils en profiteront. Pour repeupler
l'île de Cuba , S. M. C. promet de grands avantages aux
colons qui s'y viendront établir. Le Star observe que
cette invitation s'adresse particulièrement aux Anglais
et Irlandais catholiques.
GENÈVE. - L'un des prévenus impliqués dans l'émeute
du mois d'octobre , a été condamné à quatre aus de
prison ; les autres à une détention plus ou moins considérable.
Les débats ont prouvé qu'il n'y avait point complot
, ni même sédition .
---
Quelques détachemens de troupes sardes avaient
paru sur les frontières de la Savoie pour réprimer la
contrebande . L'apparition de ces troupes aurait pu jeter
de l'inquiétude dans le canton , si les motifs n'en eussent
été connus .
EGYPTE . Mohamed-Ali n'est point de ces indolens
pachas , que les Mamelucks tenaient sous la clé dans un
vieux chateau , leur permettant seulement de se montrer
dans les jours solennels. Conquérant et politique ,
tandis qu'il envoie ses ministres négocier avec les cours
d'Europe , son fils porte le dernier coup à la puissance
des Wechabites .
COLONIES . Les nouvelles d'Amérique annoncent
de nouveaux succès des indépendans. Morillo quitte
Carracas , mais non pas les mains vides . Son lieutenant
Calzada se joint au général insurgé Padz . Plus heureux
sous ses nouveaux drapeaux , il met en déroute Corréa et
MERCURE DE FRANCE .

Gorrin . Marino se rend maître de Cumana et de Barcelone
. Piar trouve dans Varinas un butin de 200,000 dollars.
Bolivar règne dans Guyana. Les habitans de Maracaybo
s'apprêtent à secouer le joug de l'Espagne . Des prises
immenses enrichissent le port de Buenos-Ayres . La
nouvelle même du mauvais succès de Mina ne se confirme
point. Si des lettres particulières du mois de septembre
le représentent battu , fugitif , d'autres lettres
particulières du mois de septembre annoncent qu'il tient
encore la campagne.
-Une affreuse épidémie ravage la Nouvelle -Orléans ,
et menace d'en faire un désert . Il est défendu aux bedeaux
de sonner les cloches , et aux prètres de chanter
dans les rues. Ceux-ci passent leur journée à faire le
trajet de l'église au cimetière , et du cimetière à l'église ,
où de nouveaux convois les attendent toujours .
corsaires mexicains infestent ces parages . Ils pillent les
vaisseaux américains , et s'arrogent même sur les vaisseaux
anglais le droit de visite .
----
Les
On dit que pour se concilier ses sujets d'Europe ,
le roi du Portugal et du Brésil a établi pour eux seuls un
privilége d'importation et d'exportation ; que l'augmentation
des droits sur les vins étrangers sera équivalente
à une prohibition ; que la cour et l'armée consommeront
uniquement des objets sortis des fabriques du Portugal
; enfin , , que la vente du bois de Brésil et des dents
d'éléphant , qui se faisait ordinairement à Londres , ne
se fera plus qu'à Lisbonne . Parmi ces diverses mesures ,
il y en aurait de justes , il y en aurait de fausses ; le
Courrier les enveloppe toutes dans une même proscription
. Du reste , elles sont trop absurdes , selon lui , pour
être probables . Peut- être n'y croit - il que trop .
-
Des tribus sauvages ont cédé aux Etats-Unis plusieurs
millions d'âcres de terre , dans les limites de
l'État d'Ohio . Les avantages de ce traité sont incalculables
. D'abord un territoire dont la fertilité peu commune
attire les colons , ensuite un moyen sûr de lier et
de fortifier tous les points extrêmes de la frontière nord-
Quest. Ajoutez un commencement de civilisation pour
ces tribus , qui , en vertu du même traité , feront partie
de l'État d'Ohio . Augmenter le nombre de ses colons
JANVIER 1818 . 43
J
et de ses défenseurs , et peu à peu fondre ces deux
races étrangères l'une à l'autre , par les moeurs , plus
encore que par le sang, l'entreprise est grande et imposante
, et riche en bienfaits . On ne sait où s'élevera
cette puissance un jour ; mais elle fait des pas de
géant.
FRANCE . M. le duc de Wellington est arrivé à
Paris le 29 .
-
Le conseil général de la Banque de France a fixé le
dévidende du deuxième semestre de 1817 à 46 fr . par
action .
-
La cour d'assises de Bordeaux a condamné à mort
un parricide.
Ordonnance du Roi qui continue pour un an les
taxes additionnelles aux droits d'octroi , et les augmentations
de remise dans les halles et marchés de la ville
de Paris.
Autre ordonnance , portant que les soies gréges et
moulinées de toutes sortes , ne paieront à l'entrée
dn royaume , qu'un droit de balance égal à celui des
cocons.
BÉNABEN .
SIXIÈME LISTE DES SOUSCRIPTIONS
Reçues pour les naufragés du radeau de la Méduse ,
jusqu'à la date du 2 janvier inclusivement.
Dons remis immédiatement chez MM. Perregaux-
Lafitte et comp.:
-
MM. Bonneau Lestang , de Nevers , 10 f.-Le baron Mounier ,
intendant des bâtim , 50 f. Pissot , trésor . de la loge des commandeurs
du Mont -Thabor , orient de Paris , 25 f. De L. 5 f.
C. B. Tonniges , 100 f. Meyer-Bing , pour le chapitre de
Rouen , 100 f. Le recev. part. à Milhau , 40 f.- Blaquier , conservateur
des hypoth . à Milhau , 10 f. — Un anonyme , 50 f.
- ―
44 MERCURE DE FRANCE .
Dons remis aux bureaux du Journal du Commerce et
du Mercure :
MM. les membres de la Société lyrique de Saint-Omer , 40 f.
Lefort ( Henri ) d'Elbeuf , 10 f. - Beauchau , 20 f. Perret
10 f.- Legendre , 5 f. Mercier , méd. à Arras , 5 f. -Eusèbe
Salverte , homme de lettres , 20 f . — Charles Dusaulchoy , empl .
réformé , 5 f. —Marcadet , méd . à la Magistèré , 5 £.— Ducoster ,
capit. trés. du régim. de Salis , 23 f. - Gachet , 10 f. - Goupy
fils , banquier , 5 f. David F. , nég. , 10 f. E. , 5 f.-C. H. 5 f.
Lucas de Pelouan , d'Avesnes , 10 f - C. T. , 5 f. Elie
Moreau , 3 f.-M. , 3 f. Madame Olympe Girault , 20 f.
Mesdemoiselles Z. F. et F. C. , d'Elbeuf , 5 f.-. C .... de Fleurieu,
fille d'un ancien ministre de la marine ,
Montant des cinq listes précéd. ,
Montant de la présente liste ,
5 f.
• • 13,259 f. 95 c
610 f.
TOTAL ( déposé chez MM. Perregaux-
Lafitte et compagnie ) , 13,878 f. 95 c.
-
NÉCROLOGIE ,
LE COLONEL MONCEY .
Qu'un guerrier tombe dans les batailles , les hon
neurs dont la patrie et l'armée l'environnent à ses derniers
momens , peuvent adoucir même au coeur de ses
parens , la douleur de sa perte ; mais qu'un jeune mifitaire
, qui comptait autant de combats que d'années
dont la gloire avait cicatrisé les nombreuses blessures ,
périsse au sein de la paix , victime de l'accident le plus
fatal et le plus imprévu , aucun soulagement , aucune
consolation ne se mêle aux larmes , aux regrets dont
un pareil malheur devient la source . Tel est celui dont
gémit en ce moment la famille du colonel Moncey,
sur la tombe duquel l'amitié fait entendre ses plaintes .
Pour tout éloge d'une vie irréprochable , je citerai les
JANVIER 1818. 45
faits dont elle se compose ; et , dans l'accomplissement.
d'un devoir si pénible , mes regrets n'emprunteront
rien à l'exaltation du sentiment qui les fait naître. Tout
est vérité , tout est douleur dans ce simple récit .
Né le 7 novembre 1792 , l'éducation de .... Moncey
fut toute militaire ; à seize ans , il obtint une lieutenance
de cavalerie , et parut sur le champ de ba
taille . La décoration des braves fnt la récompense de
sa belle conduite au combat de Valontina où il fut
dangereusement blessé .
Promu successivement , en moins d'une année :
du grade de capitaine à celui de chef d'escadron , il
ne quitta jamais ses drapeaux que pour panser ses
blessures ; celle qu'il reçut à Montmirail , sous les
ordres du lieutenant-général Doumerg , et qui paraissait
d'abord nécessiter l'amputation de la cuisse gauche
dans sa partie supérieure , mit , pendant deux mois ,
sa vie en danger.
Le 5 mars 1814 , à peine âgé de vingt-trois ans , ....
Moncey fut nommé au commandement du 3º régiment
de hussards , et tel était l'éclat de son mérite personnel
que , malgré sa jeunesse , malgré le nom , le rang ,
et la haute réputation de son père , toute idée de faveur
resta étrangère à la distinction dont il était l'objet , et
que ceux de ses compagnons d'armes qui l'avaient précédé
dans la carrière de la gloire , applaudirent à sa nomination
au grade élevé qu'ils n'avaient pas encore
obtenu .
Lors des événemens de 1815 , le jeune colonel suivit,
à la tête de son régiment , cette armée , plus admirable
alors dans ses revers , qu'elle ne l'avait été dans ses prodigieux
succès. Il était dans la destinée de ce jeune héros
de verser son sang pour sa patrie ; un des derniers coups
de feu tirés par l'ennemi l'atteignit dans le côté droit
sous les murs de Béfort.
La paix avait désarmé son bras , mais l'étude de la
guerre occupait un repos qui lui faisait violence ; et la
patrie à laquelle il avait encore un si long avenir à consacrer
, le comptait avec, orgueil au premier rang de
ses généreux défenseurs .
La mort la plus déplorable devait arrêter un si bril46
MERCURE DE FRANCÈ.
lant destin , et tromper tant de nobles espérances . Le
colonel Moncey , frappé à la chasse d'un coup de fusil
parti entre ses mains , vient d'expirer à Valence entre
es bras du lieutenant- colonel Dupont , compagnon de
son enfance et de sa gloire , et , auprès le brave colonel
Jaqueminot , l'ami le plus cher à son coeur . Blessé mortellement
, il a reçu la mort comme il l'avait bravée tant
de fois , avec calme et dédain . Sa dernière pensée a été
pour son illustre père ; il a eu la force de tracer pour lui
quelques lignes interrompues...... Le vainqueur de
Saragosse et de Villanova apprit bientôt que l'héritier
de son nom , de son courage et de ses vertus avait cessé
d'exister.
AUG. FABREGUETTES .
ww
ANNONCES ET NOTICES.
L'Esprit de parti , comédie en trois actes et en vers ;
par MM. Bert et O. Leroy ( conforme à la deuxième
représentation ) ; avec cette épigraphe :
Du public en tumulte au public attentif.
Prix : 2 fr. , et 2 fr. 50 c . par la poste . Paris , chez
madame l'Advocat , libraire , au cabinet littéraire , galerie
de bois du Palais- Royal , n. 197 .
Cette comédie ne peut manquer d'être recherchée , car beaucoup
de gens voudront juger des causes du tumulte qu'elle a
excité à la représentation. C'est en effet un événement digne
d'observation. Si nous ne croyons pas devoir réformer l'opinion
peu favorable qui a été brièvement énoncée dans le Mercure ,
sur le mérite littéraire de l'Esprit de parti , du moins demeu →
rons-nous plus que jamais persuadés , après la lecture de la
préface , que les auteurs n'ont pas eu d'intentions répréhensibles
, et que c'est , pour ainsi dire , à leur insu qu'ils ont
armé l'ennemi qu'ils voulaient combattre.
JANVIER 1818 .
47
Le Temple des vertus et des graces , ou Recueil
des meilleurs morceaux en prose et en vers sur le mérite
des femmes . Un vol. in - 16 , pap . vél . sat . , avec
six jolies gravures et titre gravé. Prix : 5 fr . et 5 fr.
50 c. , franc de port . A Paris , chez Delaunay, libraire ,
au Palais-Royal ; et chez E. Hocquart , éditeur , rue
Notre-Dame-des - Champs , n. 19 .
C'est une idée heureuse d'avoir réuni dans un recueil les
morceaux où nos poètes et nos prosateurs distingués ont célébré
les graces , les talens , les vertus des femmes . C'est l'hommage
le plus flatteur qu'on puisse leur offrir .
Essai sur l'esprit des lois françaises , relatives à
l'adoption des enfans naturels ; par M. Moureau ( de
Vaucluse ) , avocat . Prix : 2 fr. , et 2 fr . 50 cent . par la
poste. A Paris , chez Delaunay, lib . , au Palais-Royal ;
et chez Royole , lib . , rue Saint-Jacques.
L'auteur de cet Essai voudrait qu'un père pût réparer des
torts de conduite , et que le repentir ne fût pas stérile ; il plaide
éloquemment la cause de la nature , mais sans porter atteinte à
la morale , ni aux droits sacrés du mariage , qu'il reconnaît
pour la première des institutions sociales .
Le docteur Bompard vient d'enrichir la littérature française
du Traité d'éducation physique da professeur Sinibaldi .
Cette traduction paraîtra dans le courant de janvier 1818 , a
raison de 4 fr . pour les souscripteurs . On souscrit chez le traducteur
, rue du Faubourg Saint - Denis , n. 93 ; et chez les principaux
libraires . Nous regrettons de ne pouvoir , faute d'espace
, donner un aperçu de cet ouvrage , qui intéresse les lecteurs
de toutes les classes .
·Bible en estampes , par l'auteur du Musée de l'Enfance
, avec un texte explicatif d'environ dix feuilles
d'impression , et soixante-quatorze superbes vignettes
d'après Raphaël et les grands maîtres. In-8° . oblong ,
vélin satiné , épreuves avant la lettre . Prix , cartonné ,
figures en noir , 10 fr.; figures coloriées , 15 fr .; relié ,
avec étui , papier glacé et gaufré , tranche dorée , 20 fr.:
papier ordinaire , cartonné , 5 fr.; figures coloriées
7 fr. Chez A. Eymery , lib . , rue Mazarine , n. 50 .
La représentation , en fort belles gravures , des principaux traits
48 MERCURE DE FRANCE.
de l'Histoire Sainte , est un moyen ingénieux d'en conserver le
souvenir dans l'esprit des enfans , et de déguiser à leurs yeux
l'austérité des lectures de la Bible. Ce sont des avantages qui
doivent garantir le succès de ce livre.
Choix de nouvelles contre- danses et walses , n° . 2
extrait des bons auteurs , et arrangées en quadrilles à
l'usage des bals de société pour un flageolet ; par Collinet
, professeur et directeur d'orchestre de bals particuliers.
Prix : 3 fr. Chez l'auteur , rue Saint-Honoré ,
n. go ;
Et chez P. Mongie aîné , boulevard Poissonnière , n . 18 .
Cours complet de mathématiques et de navigation.
M.Sauteyron , professeur en l'université , dont nous garan
tirions au besoin les talens , a été autorisé par la commission
royale de l'instruction publique , à faire l'ouverture de ce cours
dans l'une des salles du Cercle littéraire de la rue Neuve-des-
Petits-Champs , n. 5 , passage du Pavillon , au premier.
TABLE.
Pag. Poésie. La Noce d'Elmance ; par M. Emile Des-
-
champs.
Nouvelles littéraires .
-
De l'organisation de la force
armée en France ; par M. le général Th. Beauvais .
Variétés. Pensées morales et littéraires ; par M. La-
-
crelle aîné
Sur le débat relatif à la liberté de la presse ; par
M. Aignan.
Annales dramatiques .
Mercuriale .
Politique.
Session des chambres.
velles de la Semaine ; par M. Bénaben.
Notices et Annonces.
16
19
23
་26
Revue des Nou-
32
46
IMPRIMERIE DE C. L. F. PANCKOUCKE, ¦
MERCURE
ROYA
TIMBRE
DE FRANCE.
wwwmn
SEINE
200
SAMEDI 10 JANVIER 1818.
wwww mm
LITTÉRATURE .
POÉSIE.
ODE
Sur le désastre de la frégate la Méduse ( 1 ) .
M. L. Brault , animé d'une inspiration doublement
heureuse , exprime , en beaux vers , des regrets fort
touchans sur ce désastre , et consacre le produit de son
ode au soulagement des naufragés. On ne saurait présenter
des titres à l'estime , plus respectables que les
siens , puisqu'ils sont fondés sur l'accord du talent et
de la bienfaisance . La meilleure manière de recommander
ce petit poème , est de le faire connaître ; nous
sommes fachés que le défaut de place nous ait obligés
à supprimer quelques strophes .
«
"
Que la fille des Eaux , que les frères d'Hélène ,
« Astre propice et radieux ,
Et
' Eole enchaîne ,
« Des noirs Autans , qu'i
« Répriment l'effort odieux ;
que le seul Zéphir , la tète couronnée ,
« Déploie , en souriant , son aile fortunée
« Sur les flots calmés par les Dieux !
( 1 ) Prix : 75 cent . Chez Delaunay , au Palais-Royal.
TOME 5.
4
50. MERCURE DE FRANCE .
« Allez ainsi , volez sur la plaine liquide ,
Brillant Navire , oiseau léger : "
« Que Jupiter vous fasse un guide
« De son céleste messager !
« Surtout , puisse des mers la déesse inconstants
« Amener , sans péril , votre voile éclatante
« Au rivage de l'Etranger ! »
Tels étaient nos discours , dont la voûte éthérée
Redit les nobles fictions ,
Quand la Nef aux vents consacrée
Leur déroulait ses pavillons ;
Tels étaient les désirs que nous formions encore
Alors qu'elle avaitfui pour chercher de l'Aurore ·
Les lumineuses régions.
O vaisseau , je te vois ! je découvre la proue
Qui trace un sillon écumant ;
Zéphir en tes voiles se joue ,
Et te balance mollement ;
Thétis autour de toi soupire avec tendresse
Et de vagues d'azur t'enlace et te caresse
Comme la vierge son amant .
Moins tranquille , aux détours d'une rive fleurie ;
Voyage le cygne argenté ,
Que les nymphes de la prairie
Suivent d'un oeil de volupté :
Roi du canal paisible , où son orgueil se mire ,
Lui-même il s'applaudit , et noblement admire
Et sa grâce et sa majesté .
Sous l'équateur brûlant , modernes Argonautes ,
Ainsi des Français courageux ,
D'un bois fragile aimables hôtes ,
Percent l'air du bruit de leurs jeux ;
Et , tournant leurs regards du côté de la France .
Nous adressent des chants de gloire et d'espérance
Qui bravent les vents orageux.
Insensés , que font- ils ? Ah ! retenez la joie
Qui va déplaire au dieu des mers !
Songez que le ciel nous envoie
Moins de succès que de revers.
Souvent c'est près du port que sévit la Fortune ;
Vous cinglez sous un chef oublié de Neptune ,
Et vous fendez les flots amers.
JANVIER 1818. 51
Hélas ! en vain l'espoir leur offre un doux prestige !
Qui d'entre eux reverra le port ?
L'esprit de trouble et de vertige
Semble présider à leur sort.
Cette main , qui jura de veiller sur leurs tètes ,
Sans souci du devoir , les dévoue aux tempêtes
Et les abandonne à la mort .
Levez , levez vos fronts , ô vertes Néréides !
1
Amis du calme et des beaux jours ,
Tritons , de vos conques humides
Prêtez -nous l'utile secours ,
Et que , sur tant d'écueils , notre barque jetée ,
Des troupeaux confiés aux soins du vieux Protée ,
Apprenne à franchir leurs détours !
Mais non ! ces dieux jaloux , que l'infortune implore ,
Dans leur courroux sont obstinés :
L'éclat du jour se décolore ;
Tous les vents soufflent mutinés ,
Et le feu des éclairs , le fracas des orages
Se font un jeu cruel d'accabler des courages
A tant d'épreuves destinés .
O plus heureux cent fois ceux qui , près de nos rives ,
Levant un bras ensanglante ,
Des foudres , qu'il croyait captives ,
Frappait l'Anglais épouvanté ,
Et dans le sein des eaux descendant avec gloire ,
Mouraient en saluant par des cris de victoire
L'étendard de la liberté (1 ).
La faim , qui lentement nous conduit au Ténare ,
N'avait pas épuisé leur sein ;
D'un ami nul ami barbare
N'était devenu l'assassin ;
Et nul , pour reculer une mort ignorée ,
N'avait , avec horreur , de Thyeste et d'Atrée
Renouvelé l'affreux festin.
Et vous , rares débris , sur cette mer immense ,
Que le hasard a conservés ,
Dans la course qui recommence ,
De périls soyez préservés !
Ranimez la chaleur de votre âme flétrie ,
Et , fiers de vos tourmens , rendez à la patrie
Tous les jours que vous lui devez !
( 1 ) Le vaisseau le Vengeur , au combat du 13 prairial an 2
( 1er juin 1794 ) . ( Historique ) . Voyez le 3º , volume des Vic
Loires , Conquéles , etc.
4.
MERCURE DE FRANCE.
La patrie !... ils l'ont vue ; ils baisent le rivage
Objet de leur sainte amitié .
Sur leur front quel affreux ravage !
Il doit commander la pitié.
A leur aspect , pourtant , d'où vient cette contrainte ?
La malheur est-il fait pour engendrer la crainte
Ou produire l'inimitié ?
Qu'ils redisent leur plainte , un instant méconnue !
Qu'ils montrent leur noble pâleur !
En tous lieux voilà parvenue
La voix de leur mâle douleur .
La puissance n'est rien où n'est pas la justice :
Tremblez ! que cet exemple , ingrats , vous avertisse^.
Qu'il faut respecter le malheur !
Gloire au sage ! salut à l'ami de l'étude ,
Du malheur illustre héraut ,
Qui , du sein de la solitude ,
A nos coeurs livre un doux assaut !
Quels accens ! quelle voix religieuse et tendre !
L'égoïsme se taît aux sons qu'il fait entendre ,
Et la pitié parle plus haut .
A son appel touchant , de toutes parts ouverte ,-
La route de l'humanité
Ne cesse plus d'être couverte
Des trésors de la charité :
Le denier du soldat , le jouet de l'enfance ,
Le riche , l'indigent , tout paie à la constance
Le tribut qu'elle a mérité.
Mais quel est ce tombeau , sous la mobile arêne ( 1 )
Que dévore un soleil ardent ?
Ah ! d'une vertu plus qu'humaine ,
Muse , consacrez l'ascendant ;
Et portez ces parfums , qu'exhale votre bouche ,
Jusqu'au fond des déserts où le Maure farouche
Promène un front indépendant !
Et , brûlante toujours du délire qu'avoue
La fierté d'un coeur généreux ,
De la Fortune et de sa roue
Fuyez les amis dangereux .
(1 ) Le major Peggy, anglais , qui secourut , à l'hôpital de
Saint-Louis , les malheureux naufragés abandonnés de leurs
concitoyens , et leur fournit les moyens de retourner en France.
Cet ani de l'humanité mourut , peu de temps après son bienfait
, dans une expédition chez les Caffres.
JANVIER 1818. 55
Immolez l'oppresseur à celui qu'il opprime ,
Célébrez la vertu , faites pâlir le crime ,
Et consolez les malheureux.
www
ÉNIGME.
Sur ma discrétion plus d'un amant se fonde ;
Je recèle en mon sein tous les secrets au monde ,
Et tu me vois , lecteur , au gré de tes souhaits ,
Toujours ouvrant la bouche et ne parlant jamais.'
( Par M. RICHOMME. )
CHARADE .
On avance , on recule en faisant mon premier ;
Mon second est un mont fameux dans la Judée ;
Malheureux le mortel de qui l'âme est guidée
Par l'aveugle transport qu'inspire mon entier !
( Par M. F. MERCIER , de Rougemont ( Doubs ) .
wwwmu
LOGOGRIPHE .
Je suis ronde partout , et telle qu'une orange ;
Un pied de moins , lecteur , je ne suis plus que fange.
(Par M. A. DE CHAMPCOUR. )
Mots de l'Enigme , de la Charade et du Logogriphe
insérés dans le dernier numéro.
Le mot de l'énigme , est oiseau ; celui de la charade ,
est charmante ; et celui du logogriphe , épris , où l'on
trouve pris et ris.
54 MERCURE DE FRANCE.
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
LITTÉRATURE ÉTRANGÈRE ,
Judas Machabée , de Calderon .
Les lectures faites tous les mois à l'Académie française
, devant les membres des autres Académies , écartent
chaque fois un coin du voile sous lequel se cachent
encore les nouvelles richesses littéraires qui nous sont
promises . Pour ne parler que de la poésie , on a vu
succéder à des extraits de la Jérusalem délivrée , traduite
en vers par M. Baour - Lormian , des fragmens
de deux poèmes épiques , Philippe Auguste , par
M. Parseval , et Judas Machabée , par M. Raynouard .
Sans doute , de ces deux sujets , le plus intéressant
pour nous est celui qui nous reporte au berceau de nos
institutions , de nos moeurs et de nos lois ; cependant
l'épopée nationale n'est point la seule qui ait été cultivée
avec un grand succès , même par les anciens , plus
exclusifs que nous dans leurs goûts et dans leurs sentimens.
Hésiode et Ovide , en revêtant des couleurs poétiques
les traditions religieuses de leur pays , semblent
avoir indiqué la carrière dans laquelle d'illustres modernes
ont marché avec plus ou moins de renommée .
L'exemple du Tasse , de Milton , de Klopstock , a encouragé
M. Raynouard , qui , après s'être montré un
poète éminemment national dans les Templiers et les
Etats de Blois , a voulu essayer aussi la puissance des
accords sacrés sur l'imagination des hommes , et éprouJANVIER
1818. 55
ver si la harpe sainte ne serait pas plus rebelle à ses
doigts , que ne l'a été la lyre profane . Personne , plus
que le chantre de Jacques Molay , n'est en état de sortir
victorieusement d'une telle épreuve . Judas Machabée
et son père , et ses frères et leurs enfans , sont au
nombre de ces grandes figures qui se dessinent largement
dans le tableau des âges , et pour la peinture desquelles
M. Raynouard a fait preuve d'un talent particulier.
Leurs exploits, leurs aventures, offrent une source
continuelle d'émotions fortes et attendrissantes , soit
dans la Bible , soit dans cette Histoire universelle de
M. de Ségur , qui , présentée modestement à la jeunesse
, est l'une des plus attachantes lectures dont les
hommes faits puissent se pénétrer .
En attendant que M. Raynouard livre au public son
poème , je vais essayer de faire connaître sommairement
un autre Judas Machabée , dont peu de personnes ,
je pense , ont entendu parler , celui de Calderon .
Ces sortes d'excursions dans les parties ignorées de la
littérature étrangère , plaisent à l'esprit et au goût ,
qui se nourrissent de comparaisons .
La pièce , selon l'usage des Espagnols , est divisée
en trois journées , ce qui est bien loin de vouloir dire ,
pour eux , trois espaces de vingt- quatre heures ; car
autant ils sont peu scrupuleux sur l'unité de temps dans
l'intervalle d'une journée à l'autre , qui embrasse quelquefois
quinze à vingt ans , autant ils la respectent dans
la durée des journées mêmes , réduite à celle de la représentation
, sauf le passage d'un lieu dans un autre.
Jornada , journée , dont nous avons fait , après eux ,
le synonyme de bataille , a de plus , en espagnol , une
signification toute farticulière , que Brantôme a fort
bien expliquée. Ce mot se prend , dit-il dans ses Mémoires
sur Philippe II , « pour quelque siège et entreMERCURE
DE FRANCE.
« prise , ou autre expédition grande et signalée , comme
« ont été le voyage et la bataille des Gerbes , etc. »
Ainsi les journées sont , pour l'économie des pièces espagnoles
comme pour la vie d'un personnage célèbre ,
des masses distinctes et remarquables dans la distribution
de la matière du drame . Ce sont nos actes , à proprement
parler . J'ai cru devoir insister sur ce point ,
parce qu'il me semble qu'il n'a pas encore été suffisamment
éclairci , ou que même il l'a été quelquefois à
contresens .
L'ouvrage est annoncé comme devant former plusieurs
parties ; ce n'est ici que la première. Les autres ,
si elles ont été traitées, ne se trouvent pas dans l'édition
des OEuvres du poète , en 14 volumes in-4° . Le sujet
est la Ville Sainte reprise sur Antiochus , par les armes
victorieuses des illustres frères . C'est une Jérusalem
délivrée , où il ne faut chercher ni l'art , ni la noble
régularité de celle du Tasse , mais assez curieuse par
l'imagination bizarre qui en a disposé l'édifice .
Parmi les personnages , on peut à peine compter le
vieux Mathatias qui ne paraît , au lever du rideau , que
pou écouter le long recit de la victoire de ses enfans
sur Gorgias , lieutenant d'Antiochus , déplorer la perte
du plus jeune , tué dans le combat , et aller , comme
Lusignan , mourir dans la coulisse , de vieillesse et
d'excès d'émotion . Les autres acteurs sont , du côté des
Hébreux, les trois frères , Judas , Simon (que l'auteur appelle
Siméon ) , et Jonathas ; Zarès , leur cousine ,
amoureuse de Judas , qui la dédaigne , et vivement aimée
de Jonathas et de Simon , qu'elle rebute ; Ptolomée
, guerrier sous les ordres de Judas ; enfin , un
paysan , bouffon insipide , ce qu'on appelle dans toutes
les pièces espagnoles , tragiques ou comiques , le gracieux.
Du côté des Syriens , l'auteur ne met en scène
JANVIER 1818. 57
que deux généraux d'Antiochus , Gorgias et Lysias
et Cloriquée , maîtresse de ce dernier.
La première journée se coupe en deux parties. L'une,
qui nous transporte au camp des Juifs , sous les murs
de Jérusalem , débute par des chants en l'honneur de
la victoire des trois frères sur Gorgias ; puis elle nous
découvre, et les préparatifs formés par Judas pour chasser
de la Ville Sainte , Lysias , successeur du général
vaincu , et la résolution que prend Zarès de se vêtir
en guerrière et de suivre les camps , dans la vue de
plaire à son cher Judas . L'autre partie nous ouvre l'intérieur
de Jérusalem . Gorgias remet le bâton de commandant
à Lysias , qui , après l'avoir accablé d'outrages
, reçoit une fête de Cloriquée ; dans cette fête , on
chante une chanson d'un Hébreu , qui porte aux nues
la beauté de Zarès . Lysias conçoit soudainement un
violent désir de la connaître et de s'emparer d'elle ; et,
comme il s'aperçoit d'un mouvement de dépit dans sa
maîtresse : « Je voudrais , lui dit - il , vous faire présent
« d'une si belle esclave . » Ce compliment adroit ne
rassure point Cloriquée , qui maudit la fète et la chanson
. Bientôt on introduit Jonathas , venant au nom de
Judas , son frère , sommer l'ennemi d'évacuer la ville .
Ici le poète s'est emparé , sans doute au grand plaisir
de la fierté castillane , du trait hardi d'un ambassadeur
de Charles-Quint à Soliman Jonathas, blessé de ce que
Lysias le reçoit debout , s'assied sur son manteau ,
expose sa demande , qui est rejetée , comme on pouvait
croire , et se retire . « Vous oubliez votre man-
« teau , » lui dit Lysias . « Je l'oublie à dessein , répond
«< le jeune guerrier ; ce n'est pas la coutume des ambassadeurs
de mon pays d'emporter leur siége avec
eux. »»
:
Il eût été puéril de transporter cette anecdote sur la
58 MERCURE DE FRANCE.
scène sans en tirer ultérieurement parti ; aussi le manteau
n'est - il point inutile aux incidens de la seconde
journée. Lysias s'en revêt pour pénétrer seul au camp
des Juifs sous la conduite d'un soldat , tant c'est un
impérieux besoin pour lui de connaître cette Zarès si
vantée ! Le soldat la lui montre vêtue en amazone , et
Lysias , frappé d'enchantement , n'accuse plus la renommée
d'exagération . Ce général , déjà si imprudent et
juge si sévère de son prédécesseur , oublie tout- à- fait
ses périls et les devoirs de sa position . Il déclare son
nom et son amour à Zarès qui lui répond en franche
coquette , et le conjure de se retirer . Lysias , pour
emporter du moins un gage de son ardeur téméraire ,
détachait , sans trop d'efforts , l'écharpe de Zarès ,
lorsque Jonathas et Simon accourent la lui disputer .
Dans la lutte qui s'engage entre eux , et pendant laquelle
il se fait connaître , sans que les deux frères cherchent
à abuser de sa situation , l'écharpe se déchire en deux ;
une moitié est dans les mains de Lysias, Jonathas lui abandonne
courtoisement ce trophée avec lequel il se retire ;
mais les deux frères étaient au moment de se battre pour
la moitié qui restait soudain Judas paraît et les fait
rougir d'un si indigne combat . Il semble voir , dans
l'opéra de Félix , le vieux Morin gourmander ses enfans
trop occupés de la petite servante . Le héros appelle
ses frères à la délivrance de Jérusalem , et promet
la main de Zarès à celui des deux qui s'y sera le plus
signalé. Ptolomée , resté seul avec Jonathas , lui propose
un plus sûr moyen de posséder cette beauté fameuse
. Il tient en main un blanc-seing de Judas , sans
expliquer de quelle manière il en est porteur . Ce blancseing
va être rempli par un rendez - vous nocturne donné ,
au nom de Judas , à l'amoureuse Israélite , et Jonathas
se présentera au rendez-vous avec la lance et l'écu de
JANVIER 1818 . 59
son frère , qu'il sera facile à Ptolomée de lui dérober
pendant son sommeil . Jonathas ne trouve aucune objection
à ce projet ; il s'y livre avec avidité .
Cependant Lysias est rentré dans Jérusalem , tourmenté
de son nouvel amour . Le paysan gracieux , qui
lui est amené comme espion , allait être pendu par sou
ordre ; mais cet homme a été témoin de l'entrevue de
Lysias et de Zarès au camp des Hébreux , et il a la présence
d'esprit de se dire un émissaire de la belle juive. A
ce nom chéri , Lysias le renvoie sain et sauf. C'est entièrement
, comme on voit , l'ingénieuse situation de Blondel
au second acte de Richard Coeur-de - Lion. Vraisemblablement
la rencontre est fortuite , mais on ne se figure
pas combien nos romanciers et nos poètes dramatiques
de tous les genres pourraient tirer profit de la
lecture de Calderon.
La nuit vient ; Cloriquée est endormie dans sa tente ;
Judas s'y introduit , et l'on ne peut admirer assez l'extravagance
de ces généraux d'armée qui , pour les motifs
les plus futiles , s'exposent à être pris , et circulent
au milieu des ennemis avec autant de facilité que dans
leur propre camp . L'auteur , afin de sauver l'absurdité
de ce dernier moyen , a eu soin de dire que le mot
d'ordre , donné par Lysias , était Judas ; mais cet expédient
ne sert qu'à couvrir d'un plus grand ridicule son
héros qui , s'étant nommé aux postes syriens , attache ,
dans sa pensée , à la terreur de son nom , un pouvoir.
surnaturel , sous lequel tombent toutes les barrières.
Peut-être convient- il de remarquer , pour excuser de si
fortes invraisemblances , que la générosité castillane
les trouvant toutes naturelles , le poète s'abandonnait
plus facilement à des fautes que ses juges s'empressaient
de lui pardonner . Quoi qu'il en soit , Judas , irrité du
larcin d'un débris de l'écharpe de Zarès, entre, ainsi que
во
MERCURE
DE FRANCE.
je l'ai dit, dans la tente de Cloriquée , l'enlève elle-même ,
et sort. Arrivent aussitôt après , chacun de leur côté ,
Jonathas et Simon, animés du désir de vaincre Lysias et
de mériter Zarès . Jonathas , mécontent de rencontrer
là son frère , le supplie de s'éloigner , de peur que Lysias
n'imagine qu'ils se sont réunis pour le combattre.
Lysias , qui les écoutait , met fin à ce débat en se montrant.
« Choisis ton adversaire , lui dit Simon. — Je
«< choisis l'aîné , répond Lysias , afin que vous sortiez
« de la vie dans le même ordre que Vous y êtes entrés . »
L'aîné est Jonathas , et Simon s'indigne d'être spectateur
oisif du combat . Quelle confiance chevaleresque
que celle d'un chef qui se bat en duel sans autre témoin
que le frère de son ennemi ! et maintenant considérons
la conduite de ce frère. Lysias , sans être blessé , tombe .
Jonathas veut lui faire rendre l'écharpe ; . Simon , soit
magnanimité, soit jalousie, s'interpose, et ne consent pas
que son frère tire avantage d'un accident. Le duel recommence
. Les soldats de Lysias , attirés enfin par le
bruit , accourent en foule , ardens à défendre leur général
; mais celui-ci leur interdit d'avancer ; il sabre
ceux que leur zèle emporte à braver sa défense, et favorise
la retraite des deux frères .
Nons rentrons à présent dans le camp de Machabée.
Ptolomée présente à Zarès le faux rendez - vous de Judas ;
elle l'accepte avec transport , et le complaisant ami du
prince court annoncer à Jonathas le succès de sa ruse.
Au même instant paraît Judas amenant à Zarès , abusée
et charmée de plus en plus , la belle syrienne Cloriquée
qu'il a enlevée , comme on l'a vu , et qu'il a transportée,
sans escorte , à travers le camp de Lysias.
6
Il faut convenir que voilà une journée suffisamment
pleine , fût-elle de vingt- quatre heures . Au commencement
de la troisième , la nuit dure encore , et Jonathas 2
JANVIER 1818. 6r
Accompagné de Ptolomée , et tepant en main la lance
et le bouclier de Judas , entre dans la tente de Zarès .
Au moment où il va pénétrer jusqu'à celle dont il
cherche à triompher par un crime , on entend du bruit
au dehors.
PTOLOMÉE .
C'est le bruit des armes.
Des armes !
JONATHAS .
PTOLOMÉE .
Oui : ne l'entends-tu pas ?
Aux armes ! aux armes !
( Dans la coulisse . )
PTOLOMÉE ( regardant hors de la tente. )
Une troupe s'avance de la ville ; c'est quelque attaque
de Lysias .
JONATHAS .
Que dois - je faire ? Ici , la douce voix des délicieuses
voluptés ; là , le bruit cruel des combats . L'amour
d'un côté , l'honneur de l'autre . Amour , honneur,
auquel de vous deux faut- il répondre ? Renoncerai -je
à me venger des dédains superbes , ou perdrai -je l'espoir
d'un illustre laurier ? Je ne vois en mon sein que confusion
et ténèbres . Amour , honneur , que voulez -vous
de moi ? Qu'ai - je dit ? Suis - je bien le descendant
d'Israël ? suis -je bien le frère de ce Judas Machabée , à
qui Jérusalem prépare déjà les trophées de la victoire ?
suis-je enfin Jonathas ....? ( Jetant le bouclier et la
lance de son frère. ) Hors de moi , vains désirs ! dangereuses
séductions ! Marchons à l'ennemi ; c'est là que
l'honneur m'appelle . Lysias , c'est moi seul que tu dois
62 MERCURE DE FRANCE .
de
craindre ; seul , je vais triompher de toi ; j'aurai peu
peine à te vaincre , quand moi - même je me suis vaincu.
Il sort , à ces mots , sans songer à emmener Ptolomée .
Celui- ci , qui n'a point des sentimens si héroïques , réfléchit
qu'il serait bien fou de laisser échapper pour
lui - même l'occasion préparée avec tant d'adresse en
faveur d'autrui : il ramasse les armes de Judas et s'enfonce
dans l'intérieur du pavillon .
Le bruit qui a fait voler aux armes le second des
illustres frères , était causé par l'arrivée de Lysias.
Ce guerrier , furieux de l'enlèvement de Cloriquée ,
est accouru pour la ressaisir . I voit sortir de la
tente de Zarès , Ptolomée qu'il prend pour Simon ,
et qui se félicite , dans un à parte , d'avoir recueilli
le fruit de sa ruse et de son audace . Ptolomée , de
son côté , aperçoit Lysias , et frémit en croyant voir
dans lui Jonathas qu'il vient d'outrager si cruellement .
Il lui raconte sa bonne fortune , avec la précaution de
substituer le nom de Cloriquée à celui de Zarès , et
l'invite à entrer dans la tente pour faire de Zarès une
autre Cloriquée . Voilà de bien mauvaises moeurs mises
sur la scène d'un grand peuple , et des héros misérablement
travestis .
Lysias , quoique furieux en écoutant cette fausse confidence,
ne gêne point la sortie de Ptolomée ; lui - même se
retire . En vain Cloriquée , qui a cru reconnaître sa voix,
sort de la tente et l'appelle ; il ne lui répond que dans
l'éloignement . Tout à coup une marche funèbre se fait
entendre . Cloriquée ne doute point que son amant ne
soit mort , et que son esprit ne soit venu lui dire un
dernier adieu . Peut- être les Espagnols nomment - ils ces
choses - la des effets ; notre scène , plus sévère et plus
sage , les nommerait des folies .
Après le départ de Cloriquée , la pompe funéraire
JANVIER 1818. 65
approche ce sont les obsèques de Gorgias , tué dans
une sortie , et dont le cercueil est religieusement escorté
par Judas , Simon , Jonathas et Ptolomée. Le poète
ajoute à cet imposant spectacle , en montrant Lysias
avec ses soldats sur les murs de Jérusalem . Judas le
somme de nouveau de lui rendre la ville , sinon il s'y
fera jour au milieu du carnage. Lysias lui répond en
homme de coeur , et défie , corps à corps , chacun des
trois frères . Tous trois acceptent avec transport. Judas ,
pour lui prouver que la gloire est le seul prix qu'ambitionne
sa vaillance , va lui renvoyer Cloriquée et la reconquérir
dans ses propres bras . Les chefs hébreux se
retirent et appellent leurs troupes à l'assaut .
yeux
Mais la pauvre Cloriquée , ramenée dans Jérusalem ,
est repoussée avec horreur par son amant qu'a trompé
le mensonge de Ptolomée . Tandis qu'elle se désole de
cet accueil injuste et inexplicable , un nouvel assaut
est livré . Zarès , armée et plus aguerrie encore depuis
l'aventure de la nuit , vient pour signaler , sous les
de Judas , son amour et sa vaillance . C'est en vain que
Jonathas s'efforce de la retenir . Enfin , les Juifs sont
vainqueurs , et Jérusalem est délivrée . Ptolomée , l'un
des auteurs ( et auteur bien impur ) de cette délivrance ,
est le premier à venir pieusement la proclamer. Zarès
reparaît alors , et présente à Judas sa lance et son écu .
« Vaillant Machabée , lui dit - elle , puisqu'il est d'u-
« sage chez les Hébreux de rendre la justice en chan-
« tant la victoire , je viens te demander justice de toi-
« même. Ces armes sont les tiennes . >>
JUDAS .
O prodige ! et qui donc , Zarès , te les a données ?
Comment se fai.- il que tu me les présentes ?
64
MERCURE DE FRANCE .
ZARÈS .
Ou tu mets en doute mon courage , ou tu me voles
mon honneur ; ce bouclier , cette lance , c'est de toimême
que je les tiens .
De moi, Zarès ?
JUDAS .
ZARÈS .
:
De toi , seigneur, et tu m'as dit avec amour : lorsque
j'entrerai vainqueur dans Sion , je serai ton époux ......
Mon honneur a grand besoin que tu tiennes ta promesse.
JUDAS .
C'est le chaos que tout ceci . Moi , Zarès , je t'ai donné
ces gages ! moi j'ai pu .......
PTOLOMÉE ( vivement ).
Voici tes frères .
Simon et Jonathas se présentent , sortant chacun par
une porte de la ville , au bruit des fanfares et à la tête
de nombreux soldats ; ils disputent à qui des deux a
mérité Zarès par de plus grands exploits . Simon est
entré le premier dans Jérusalem , et montre l'éteudard
qu'il a conquis ; mais Jonathas a tué Lysias , et il découvre
sa tête qu'il tient à la main . Judas était embarrassé
de prononcer entre eux , lorsque Cloriquée arrive
à cheval , armée de toutes pièces . Elle vient défier au
combat , d'abord Simon qu'elle croit celui qui a calomnié
son honnenr , et ensuite Jonathas , qu'elle accuse d'avoir
vaincu Lysias en traître . Tous deux repoussent les injustes
reproches de Cloriquée , et refusent de se battre
contre une femme.
Zarès déclare que c'est elle qui va soutenir le combat ,
elle , bien plus offensée , et qui ne peut tirer vengeance
de l'offenseur. « Et quel est ce déloyal ? » dit Jonathas . ་
JANVIER 1818
ZARÈS.
Cette lance et ce bouclier sont les témoins de ma
honte.
JONATHAS .
ROYA
5
200
Que vois-je ? Tandis que je me battais , un autre
pris ma place. Hola ! Ptolomée.
PTOLOMÉE.
'Seigneur , j'implore à tes pieds mon pardon,
JUDAS ,
Que veut dire ceci , jeune homme ?
PTOLOMÉE ( à Judas ).
SEINE
Que c'est moi qui ai trompé Zarès avec tes armes ;
( à Cloriquée ) que c'est moi qui t'ai calomniée auprès
de Lysias.
CLORIQUÉE.
Ah! traître ! il faut que je te tue .
JONATHAS .
-C'est à moi de lui donner la mort,
SIMON.
C'est à moi de l'immoler .
ZARÈS.
Arrêtez tous.
JUDAS .
ZARÈS .
Tu le défends ?
Oui , je le défends , tout offensée que je suis ; je pré
fere le moindre mari vivant au plus bel honneur décédé.
JUDAS .
Puisque Zarès lui pardonne , nous devons lui pardonner
tous.
5
66
MERCURE
DE
FRANCE
.
CLORIQUÉE.
Enfans des hébreux , je veux embrasser votre loi ; je
veux adorer votre dieu.
Telle est l'analyse fidèle du Judas Machabée de
Calderon. Les courts fragmens que j'ai donnés du
dialogue en sont les traits les plus remarquables . Il s'en
faut bien que le poète espagnol brille en cette partie ,
comme Shakespeare , première colonne du théâtre romantique
, et puisse lui être comparé pour la profondeur
et l'originalité des caractères ! Tous ses personnages ,
à quelque siècle , à quelque pays qu'ils appartiennent ,
sont dessinés sur le modèle de ses compatriotes ; les
formes et les couleurs chevaleresques se reproduisent
dans toutes ses peintures . Mais la prodigieuse fécondité
de son imagination en fait un homme à part ; et quoiil
est rarement qu'il soit presque toujours extravagant ,
ennuyeux . J'ajouterai que plusieurs de ses ouvrages sont
supérieurs à Judas Machabée que je n'aurais pas extrait
de préférence , si le poème de M. Raynouard ne m'avait
pas offert l'intérêt du rapprochement .
On peut demander comment une nation , aussi spirituelle
et aussi polie que la nation espagnole , s'accommode
d'un théâtre si imparfait et si grossier ; mais là
réponse mériterait à elle seule un long article , et peutêtre
est-il plus que temps de terminer celui -ci.
E. AIGNAN.
JANVIER 1818 . 67
L'ERMITE EN PROVINCE.
TOULOUSE .
Palladiæ non inficienda Tolosoe
Gloria quam genuit pacis alumna quies.
MART. Epig.
(Toulouse palladienne cultive les lettres doux enfans
de la paix . )
Je me suis souvenu , en arrivant à Toulouse , que
j'avais autrefois passé dans cette ville , et que j'avais
logé dans un hôtel qu'on appelait alors le Grand
Soleil d'Or. Informé que cette auberge subsistait encore
à la même enseigne , et qu'elle était encore tenue
par madame Daumont , dont je me rappelais
avec reconnaisance les aimables soins , j'ai cru devoir
donner la préférence à l'Hôtel du Grand Soleil
d'Or sur l'Hôtel de France aujourd'hui plus en
vogue. Un de mes compagnons de voiturin , qui croyait
me décider sans doute en faveur du dernier , m'apprit
qu'à certaine époque , un étranger fameux y avait gracieusement
élu son domicile . J'ai pris en hâte le chemin
de mon ancien Soleil .
Il y a des rencontres dans ce monde qui ne sont
faites que pour moi . Tandis que j'attendais , dans une
salle de la maison où le voiturin s'était arrêté , qu'on y
déchargeât mes effets , je remarquai , à l'extrémité de
la chambre , quelque chose approchant d'une figure
humaine , aux trois quarts enseveli dans un énorme
fauteuil à roulettes . Je m'approchai ; c'était un homme
en effet , mais un homme si gros , si court , si vieux
5 .
68 MERCURE DE FRANCE .
qu'il fallait faire une sorte de travail d'esprit pour retrouver
et rajuster les parties constitutives de cet énorme
mannequin . Avec une voix qui paraissait sortir d'une caverne
obstruée , ce personnage , physiologiquement inexplicable,
m'adressa la parole, et me demanda , en ajustant
devant ses yeux une loupe de la largeur d'un miroir à
barbe , « si je venais de Paris , et si j'étais janséniste. »
Je lui fis observer qu'il y avait à peu près un siècle
d'une question à l'autre , et que c'était tout au plus si
je savais moi -même ce que signifiait la seconde.- Dans
ce cas , continua -t - il , j'espère que vous n'êtes pas député
, ou du moins qu'on ne vous chargera pas du rapport
sur le concordat . » Je ne remplirai pas les lacunes
qui séparent ces idées disparates , et je ne dirai pas par
quelles étranges transitions ce docteur impotent en
vint à me démontrer , à sa manière , que la révolution
n'était que la conséquence de la grande querelle du
jansénisme et du molinisme, déguisés sous d'autres noms ;
et que l'on serait bien étonné un jour d'apprendre que
tout le mal qui s'était fait depuis trente ans , et qui se faisait
encore, était l'ouvrage des jansénistes . Je suis pressé
d'en venir à la singulière reconnaissance que cet entretien
amena . — Monsieur , lui dis - je , je dois convenir
avec vous que je suis moins frappé de la justesse d'une
pareille proposition que du souvenir qu'elle réveille dans
mon esprit : vous me rappelez qu'il y a , je ne sais plus
combien de vingtaines d'années , j'ai connu , dans cette
même ville , chez un M. Chaunou , aux soins duquel
j'avais été particulièrement recommandé , un petit prestolet
qui faisait les délices de la bonne compagnie de
Toulouse , et qui professait , exactement dans les mêmes
termes , une doctrine tout-à- fait semblable à la vôtre. -A
ces noms de Chaunou et d'abbé , la tête de ce personnage
s'eleva comme par ressort du milieu de ses deux épaules
-
JANVIER 1818. 69
où elle était encaissée jusqu'aux oreilles , et braquant
de nouveau sa loupe sur mon visage : Votre nom ?
me dit- il , en forçant sa voix . Je me nommais alors
Pageville.Pageville ! un bambin de quinze à seize
ans , qui faisait de mauvais vers et de méchantes caricatures
où figuraient d'ordinaire madame Chaunou et
l'abbé Saturin , Saturin ! C'est cela même. - Eh
bien ! monsieur, cet abbé Saturin , ce petit prestolet ,
c'est moi- même. - Impossible ! Pas plus impossible
que vous ; on me reconnaît du moins à mes principes ,
et j'espère que le temps et l'expérience auront opéré
dans les vôtres une révolution complette. »
-
J'interromps un entretien qui demande des explications
antérieures ; et après avoir promis à mon vieil
abbé de le revoir souvent pendant mon séjour à
Toulouse , je vais prendre possession de mon logement
au Soleil d'Or, où toutes les circonstances de mon ancienne
liaison avec l'abbé Saturin se retracent à mon
esprit.
Quand je vins , pour la première fois , à Toulouse ,
au sortir du collége , j'avais été recommandé à un négociant
nommé Chaunou , qui demeurait rue des Salins ,
dans la maison qu'avait occupée l'infortuné Calas, laquelle
était restée plusieurs années vacante à defaut de loca→
taires qui voulussent habiter des lieux également en
horreur aux persécuteurs fanatiques et aux amis de
l'humanité. Ce M. Chauuou qu'on avait surnommé le
grand sans flatterie et tout simplement à cause de sa
haute taille , n'avait obtenu qu'avec beaucoup de peine la
faveur d'épouser sa maîtresse , excellente femme d'ailleurs
, mais infatuée de sa noblesse , au point de croire
qu'elle avait pu , sans déroger , donner cinq enfans à
un roturier , mais qu'elle compromettait son honneur
et celui de ses aïeux en épousant leur père . L'abbé
MERCURE DE FRANCE .
Saturin , ami de la maison , qui l'avait maintenue dans
ces nobles dispositions pendant quelques années , crut
devoir la décider à se relâcher de ses principes , et mademoiselle
de . . . . . . de . . . . et autres lieux , était ,
dipuis six mois , madame Chaunou , lorsque j'eus l'honneur
de lui être présenté .
Ce qu'il y avait de singulier dans ce ménage , c'est
que le mari avait autant d'aversion pour la noblesse
que la femme en avait pour la bourgeoisie , et qu'il
avait été convenu entre eux que chacun aurait sa société
distincte qu'il réunirait à des jours différens . Mon âge
ne tirait point à conséquence . Je fus admis dans toutes
les deux . L'abbé Saturin jouissait du même avantage à
plus juste titre peut - être , mais moins explicitement
reconnu . Cet abbé , que le temps s'est amusé à défigurer
d'une si étrange manière , était alors brillant de
jeunesse , de vivacité et d'esprit . Elevé chez les jésuites ,
il en avait conservé l'esprit et les maximes , et croyait
fermement que cette société religieuse dispersée , mais
non pas détruite , devait ressaisir un jour le sceptre du
monde , et régner de nouveau par la grâce de Molina . Je
ne dirai pas de quels argumens il se sert pour prouver
que nous touchons à l'accomplissement de cette prophétie.
Quand je lui parle des progrès toujours croissans de
la philosophie et des lumières , il me répond que les
voies de Dieu sont grandes , et que les jésuites sont
vivaces...
Je viens de voir l'Hôtel- de- Ville . En entrant dans la
eour , j'ai bien examiné la place que l'on m'avait indiquée
sur la muraille , et je n'y ai reconnu qu'en idée les
traces du sang de ce brave et infortuné duc de Montmorency
que l'implacable cardinal fit décapiter dans
cette cour , le 30 octobre 1632 , à l'âge de trente - sept
ans , au pied de la statue de Henri IV !! Son corps était
JANVIER 1818. 70
souvert de quinze blessures , et l'on conserve encore
dans sa famille les cinq balles qui en furent extraites
et que les ennemis y avait logées .
Dans la salle appelée des Illustres , j'ai remarqué les
bustes de Cujas , le celèbre jurisconsulte , qui répondait
si sagement à ceux qui lui parlaient des progrès du
calvinisme .«Cela ne regarde point l'édit du préteur ( 1 ) ; »
de Pibrac , l'auteur des quatrains ; du poète Mainard
qui ressembla trop , dit Voltaire , « à ces mendians qui
appellent les passans monseigneur , et qui les maudissent
s'ils n'en reçoivent pas l'aumône ; » de Goudouly ,
l'Homère des Gascons ; du président Duranty , digne
d'être mis en parallèle avec l'illustre président Molé, et
de plusieurs autres grands hommes à qui Toulouse se
glorifie d'avoir donné le jour , et sur lesquels je me propose
de revenir . Une notice des hommes célèbres est ,
en tout pays , le chapitre le plus important de l'Histoire
des Maurs.
Dans une autre pièce , je me suis arrêté avec intérêt
devant la statue , en marbre blanc , de l'institutrice de
l'Académie des Jeux Floraux , de la célèbre Clémence
Isaure. Cette noble protectrice des arts semble avoir
hérité des honneurs que l'on rendait autrefois dans cette
ville à la déesse Pallas , comme l'indique , le surnom
de Palladienne que lui donne Martial dans les vers
que j'ai cités en tête de ce discours .
S'il est rare que l'amour des lettres soit une source
de fortune pour les individus , l'exemple de Toulouse
semble prouver que les villes n'y trouvent pas mieux
leur compte, quand cette passion des lettres , unie dans les
moeurs des habitans aux préjugés que l'orgueil enfante,
leur fait perdre de vue les avantages qu'ils pourraient
(1 ) Nihil hoc ad edictumprætoris .
72 MERCURÉ DE FRANCE .
retirer de la culture des arts industriels : de la vient que
Toulouse , une des plus grandes villes de France et des
mieux situées pour le commerce , est peut-être encore autjourd'hui
l'une des plus pauvres et des plus dépeuplées .
Fiers autrefois de posséder dans leurs murs une Académie
des Jeux Floraux , une Université , un présidial ,
une sénéchaussée , un hôtel des monnaies , une généralité,
un parlement et un capitole , les habitans de Toulouse
ne voyaient rien au-dessus d'une charge de robe
´ou de capitoul qui donnait la noblesse , et dédaignaient
l'industrie commerciale et manufacturière , où ils ne
voyaient que de l'argent à gagner. Il est plus facile.de
faire une révolution dans les lois d'un pays que dans
ses moeurs. Les modifications que celles des Toulousains
ont subies n'en ont point effacé ce caractère distinctif.
<
Je n'ai point encore acquis la preuve qu'ils aient
conservé pour la beauté ce sentiment d'enthousiasme
dont la tradition leur fait honneur: Les registres de
l'Hôtel -de-Ville que je n'ai point consultés , renferment ,
m'a- t- on dit , une ordonnance des magistrats , en vertu
de laquelle une dame , connue sous le nom de la belle
Paulo , était obligée de se montrer, deux fois par semaine
, à sa fenêtre , afin que le peuple eût le plaisir de
la contempler. Loin de se plaindre de cette exposition
publique à laquelle on l'avait , en quelque sorte , condamnée
, on assure que cette dame la vit , avec beaucoup
de peine , tomber en désuétude. Vers le milieu du
siècle dernier , on montrait encore aux curieux ( qui
n'y mettaient pourtant pas autant d'empressement que
leurs devanciers ) , le corps de la belle Paulo , déposé
dans un caveau de l'église des cordeliers , lequel avait
la propriété de dessécher les chairs sans altérer sensiblement
les traits de la figure . Les gens qui expliquent
pourquoi la dent est d'or avant de s'être assuré qu'elle
JANVIER 1818 . 75
soit d'or , avaient découvert que cette propriété conservatrice
du caveau des cordeliers venait de la chaux
dont il avait été saturé , lorsqu'on bâtissait cette vaste
église .
:
Je n'ai point quitté l'Hôtel - de - Ville sans voir la
salle des armoires de fer où l'on conservait les Annales
de Toulouse , et dans laquelle s'assemblaient les
capitouls. On y lit encore cette ancienne formule romaine
: Videant consules ne quid detrimenti respublica
capiut. Ces maudits Romains ont laisse partout
des traces de gloire et de liberté .
Cette ville célèbre n'a conservé aucun des grands
monumens de son ancienne splendeur ; les édifices y
manquent de noblesse ; les rues y sont fortueuses et
les places irrégulières . En traversant la rue Croix -Baragnon
, j'ai regretté de n'y plus voir cette croix destinée
à perpétuer le souvenir d'une de ces erreurs fatales
de la justice , dont l'Histoire de Toulouse offre malheureusement
plus d'un exemple . Racontons en peu
de mots l'épouvantable aventure de Baragnon , ne
fût-ce que pour inspirer une erainte salutaire aux juges
de Wilfrid - Regnault , s'il en est temps encore.
Baragnon était un cordonnier très-honnête homme ;
un de ses amis fut assassiné devant sa porte : celui -ci
avait appelé Baragnon à son secours . Des témoins plus
irrécusables qu'un Ménil , bétat , attestèrent devant les
juges qu'ils avaient entendu la victime crier , en expirant
: Baragnon me tue ! Cette preuve parut suffisante ;
le malheureux cordonnier fut roué vif.Très peu de temps
après , un malfaiteur , condamné à mort , et près de
subir sa sentence , déclara qu'il était l'auteur du
meurtre pour lequel Baragnon avait été condamné.
L'erreur venait des témoins, qui croyaient avoir entendu
distinctement Baragnon me tue , tandis que le mal74
MERCURE DE FRANCE .
heureux que l'on assassinait appelait son ami à son se
cours, en criant : Baragnon , on me tue . En réparation
d'un malheur irréparable , le nom de cet infortuné fut
donné à la rue qu'il habitait ; une croix fut dressée à
côté de sa demeure , et d'autres fondations pieuses furent
provoquées par les juges eux -mêmes. Des agens révolutionnaires
se montrèrent assez stupides pour faire disparaître
, en changeant le nom de cette rue , les traces
de la barbarie de notre ancienne législation , qu'ils
avaient tant d'intérêt à conserver , ne fût-ce que pour
servir de prétexte à d'odieuses persécutions que nous
avons vu se renouveler au même lieu , sous d'autres
couleurs.
La même inconséquence avait , selon moi , présidé
au changement du nom de la rue de l'Inquisition
. Les vestiges d'une ancienne porte rappelaient aux
Toulousains que l'inquisitiom , par la malheureuse influence
du voisinage de l'Espagne , s'était un moment
introduite dans leur ville : ce souvenir perpétué avec le
nom de la rue , était une espèce d'expiation ; les inquisiteurs
révolutionnaires en firent un monument déri→
soire , lorsqu'ils donnèrent le nom de la Tolérance à
cette même rue , où ils entassaient dans des cachots ,
en attendant qu'ils les envoyassent au supplice , ceux
qui ne partageaient pas leurs opinions inhumaines.
A défaut de ses monumens , cette ville peut citer ses
promenades publiques ; l'Esplanade est la plus belle et
la plus fréquentée ; les vastes allées qui l'ombragent sont
peuplées , dans la belle saison , de femmes assez généralement
remarquables par leur beauté , l'élégance de
leur taille , et le bon goût de leur parure.
Le cours de Dillon , situé sur la rive gauche de la.
Garonne , est la promenade à la mode , dans les soirées
d'été ; la petite bourgeoisie paraît s'y plaire davantage,
JANVIER 1818.

Surtout après le coucher du soleil ; je ne prétends pas
expliquer cette prédilection , en ajoutant que l'affront
fait à la qualité est plus rare à Toulouse qu'à Montauban
; que les grisettes , moins jolies que les dames ,
passent pour avoir des moeurs assez faciles ; et que les
jeunes étudians , en grand nombre dans cette ville ,
* aiment beaucoup la promenade du soir.
Les allées qui commencent au pont de Montendron ,
et longent le canal des deux mers jusqu'à son embouchure
dans la Garonne , forment , sur un espace de
plus de deux mille toises , une promenade recherchée
des voyageurs , pour la variété des sites qu'elle présente.
Le bosquet de l'embouchure , et les avenues qui bordent
le canal de Brienne jusqu'aux remparts de l'arsenal
, composent une autre promenade également pittoresque
les Pyrénées se montrent au fond du tableau ,
et l'on aperçoit les dernières ramifications de ces mon→
tagnes , qui se terminent à l'extrémité du faubourg
nommé Saint-Michel .
:
J'ai parcouru le champ de bataille où , dans la mémorable
journée du 10 avril 1814 , vingt-cinq mille
Français , sous les ordres du maréchal Soult , disputèrent
la victoire , pendant quatorze heures , à une armée
de cent mille hommes , Anglais , Portugais et Espagnols
, commandés par le duc Wellington . Si le
gain d'une bataille doit être assigné à celui qui en retire
les avantages , l'armée française , obligée d'évacuer
la ville , vingt- quatre heures après la bataille de Toulouse
, doit s'avouer vaincue ; s'il appartient à celui qui
enlève les positions de son ennemi et reste maître du
champ de bataille , aucune des deux armées n'a obtenu
cet honneur ; mais si le nombre des hlessés
et des morts décide de la victoire , si les succès ba-
Jancés , dans une lutte si inégale , s'estiment en raison
+6
MERCURE
DE FRANCE
.

des efforts de courage qu'ils ont dû coûter à l'un des
deux partis , la bataille de Toulouse sera inscrite dans les
fastes militaires de la nation française , au nombre des
victoires les plus glorieuses . L'affaire a commencé à la
pointe du jour , par l'incendie de quelques maisons
éparses dans la campagne , et ne s'est terminée qu'à la
nnit. Attaqués successivement dans toutes leurs positions
par des forces infiniment supérieures à celles qu'ils
pouvaient opposer , les Français se maintinrent partout,
ét sur quelques points prirent l'offensive , avec tant de
valeur et d'audace , que l'ennemi eût été forcé à la retraite
, si quatre régimens de cavalerie , que multipliait
cependant l'habileté du général qui les commandait
( 1 ) , avaient pu suffire pour déterminer le mouvement
rétrograde de l'armée anglaise . On s'étonnera moins des
prodiges de nos soldats , dans cette journée mémorable,
en se rappelant qu'ils avaient pour chef le vainqueur
'd'Oporto , les généraux Drouot , Rey, Soult , Closel ,
Harispe , Gazan et Berton . Les Français perdirent trois
mille hommes dans cette journée, où l'ennemi évalua luimême
la sienne à six mille morts et douze mille blessés .
Je suis loin de vouloir poser en fait une opinion que
des espérances cruellement déçues ont peut-être accréditée
; mais tous les militaires que j'ai consultés semblaient
convaincus que si les divisions aux ordres du
maréchal Suchet et la garnison de Montauban eussent
marché sur Toulouse et se fussent jointes à la petite armée
du maréchal Soult , une victoire décisive eût été ,
pour l'armée française , la récompense d'une aussi glorieuse
journée.
Du haut des remparts et des monumens publics , les
habitans de Toulouse purent assister aux manoeuvres et
( 1 ) Le général Soult , frère du général en chef.
JANVIER 1818 .
77
suivre les mouvemens des deux armées : les étudians en
droit et en médecine se distinguèrent par leur zèle à travailler
aux redoutes et aux têtes de pont ; plusieurs périrent
sur le champ de bataille , où ils allaient relever les
blessés , en partageant leur péril : des femmes ( je ne dirai
pas à quelle classe de la société le plus grand nombre appartenait
) , couraient de rang en rang , sous la mitraille
ennemie , portant des rafraîchissemens et des secours aux
soldats , déchirant leurs propres vêtemens pour étancher
leur sang , et couvrir leurs blessures . La garde nationale
de Toulouse s'acquitta de tous ses devoirs , dans cette
grande journée , en maintenant l'ordre ' au sein d'une
cité où s'agitaient les passions les plus funestes , au
milieu des horreurs de la guerre . Je me prive du plaisir
de citer des traits d'héroïsme , de dévouement et de générosité
, auxquels je ne pourrais payer le tribut d'admiration
qu'ils méritent , qu'en les mettant en opposition
avec des faits d'une autre nature , sur lesquels un
Français doit jeter , d'une main pudique , le manteau
du patriarche.
L'ERMITE DE LA GUYANE.
nm
POLITIQUE .
S. I.
SESSION DES CHAMBRES.
CHAMBRE DES PAIRS .
Suite de la discussion sur les journaux.
On lit dans le Moniteur le texte ou la substance des
discours de MM . le duc de la Rochefoucault , le duc de
58 MERCURE DE FRANCE .
Doudeauville , le comte de Castellane , le comte Mold .
j'y ajouterai une courte analyse du discours de M. le duc
de Broglie , qui est rapporté par un ou deux journaux.
"
M. le duc de la Rochefoucault pense que des journaux
libres , en instruisant les classes inférieures , ôteraient à
l'anarchie son plus puissant auxiliaire , l'ignorance . Car
ce n'est point seulement de son propre fonds qu'un journal
tire l'instruction qu'il répand ; il tient lieu de livres
il les fait connaître à ceux qui manquent de moyens pour
les acheter , et de temps pour les lire . C'est un dépôt , sans
ccsse renouvelé , d'utiles avis , de sages observations , de
vérités importantes. On veut que les bienfaits de la charte
soient de ceux qu'on ne doit recevoir qu'un à un , comme
on boit goutte à goutte une liqueur , dont l'excès pourrait
devenir funeste , c'est - à-dire , en d'autres termes , que nous
ne sommes pas mûrs pour la charte. Et quelle est cette
nation , dont on semble se méfier ainsi ? une nation , dont
la plus cruelle disette n'a pas épuisé la patience , dont les
plus énormes sacrifices n'ont pas étonné le courage ! Déposera
- t-elle tout à coup , à la voix d'un journaliste , ce
caractère de grandeur , que tant de privations et de souffrances
n'ont pu altérer ; et quelques déclamations ferontelles
ce que la faim n'a pu faire ? La charte , la charte
sans restriction , avec toute la pureté de ses principes , et
toute l'étendue de ses conséquences ! tel est le voeu des
Français .
M. le duc de Doudeauville commence par demander
ce qu'a produit , depuis trente ans , même depuis cinquante
, cette liberté de la presse tant vantée . Puisqu'il
remonte si haut , on pourrait lui répondre qu'elle a produit
la tolérance ; et en descendant vers notre époque , on
trouverait que la vaccine et l'enseignement mutuel lui
doivent beaucoup ; mais le noble pair ne compte parmi
les produits de cette liberté , que des parodies et des sophismes.
L'affranchissement des journaux est à ses yeux
quelque chose de si terrible , que rien que d'y penser le
fait tressaillir d'effroi . Quelle puissance nous serions ,
nous autres journalistes , si nous avions seulement la
moitié de la force ou de l'adresse que le noble pair nous
suppose ! A l'entendre , les lois n'opposent à nos ruses
qu'une faible digue. Désespérons-nous de la renverser ?
JANVIER 1818.
79
mous glissons à côté , ou nous passons à travers Ainsi
Virgile peignait Protée :
:
Omnia transformat sese in miracula rerum. ›
le
La censure fait mieux que la loi , ce n'est pas que le
censeur ait plus d'esprit que le juge ; c'est qu'il doit s'armer
à tout événement de ses ciseaux , bien averti de tout
écourter , de tout abattre , à gauche , à droite , à toit et à
travers , pour peu qu'il voie devant lui quelque ombre
qui l'épouvante. Le noble pair est presque tenté de rétorquer
contre les adversaires du projet , l'exemple de l'Angleterre.
L'Angleterre , dit- il , s'efforce tous les jours de
restreindre la liberté de la presse . Apparemment il n'avait
point encore lu dans les feuilles publiques le procès du
libraire Williams Hone ; mais ce n'est peut-être qu'une
de ces figures qui consistent à prendre la partie pour
tout. Ainsi , au lieu de ce mot l'Angleterre , il faudrait
lire le ministère anglais . Je n'oserais affirmer que le gouvernement
représentatif soit l'objet spécial des méditations
du noble pair. D'abord il reproduit contre le gouvernement
, l'argument de M. Jollivet, qui , n'en déplaise
à M. Jollivet et au noble pair lui-même , est bien le plus
vicieux de tous les cercles vicieux. Ce gouvernement ,
disent-ils , abonde en garanties . Donc il n'a pas besoin de
la garantie de la presse . C'est comme si l'on disait : cet
homme est très- riche ; donc il n'a pas besoin de son or ,
et que , sous ce prétexte , on le dépouillât successivement
de tout ce qu'il a . L'orateur reproche à notre siècle son
penchant à la démocratie. C'est au gouvernement représentatif
qu'il veut dire ; car , excepté quelques petites démocraties
éparses sur des montagnes , je ne vois guères ,
nulle part , aucun exemple de ce gouvernement que repoussent
nos moeurs et nos besoins , qui ne convient qu'à
de petites nations , parce qu'il les empêche de devenir la
proie des plus grandes ; mais qui les place dans l'isolement
, et ne s'entretient que par une sorte d'intolérance
et de fanatisme. Le système représentatif doit être si peu
confondu avec la démocratie , qu'il est incompatible avec
elle. En effet , on se figure bien la coexistence de ce système
avec le gouvernement monarchique . On voit la représentation
s'associer depuis plusieurs siècles à la momarchie
, et ne lui ôter de force , que ce qu'il en faut pour
"
So
MERCURE DE FRANCE
la conserver. Comment un gouvernement serait-il représentatif
et démocratique à la fois ? c'est comme si l'on disait
que le citoyen serait à la fois , et ne serait pas représenté.
La démocratie compte par têtes , le système représentatif
procède par des garanties ; par cela qu'il est représentatif,
il exclut le vote direct , sans lequel la démocratie
n'existe point . Par cela qu'il est représentatif , il
stipule des conditions d'éligibilité , et par conséquent institue
naturellement des différences de classes , institution
que les démocraties adoptent à la vérité quelquefois ,
mais par besoin , plus que par nature , et qui tendrait infailliblement
à les detruire , si le législateur ne plaçait
dans quelque autre institution le contrepoids de celle-ci,
Sur le même gouvernement représenta if, voici comme
s'exprime M. le comte de Castellane : « La liberté de la
« presse est essentielle aux gouvernemens représentatifs ,
« Ils ne peuvent être considérés comme tels , que dans les
pays où rien n'entrave cette liberté. C'est dans cette
« conviction , que le roi l'a mise au nombre de nos droits
politiques
, dans l'article
8 de la charte
. » L'orateur
ne
pense
point
que , sous prétexte
de prévenir
un abus , il
faille borner
l'essor
des facultés
humaines
. Où n'existe
-t-il
point
des abus ? Montesquieu
a dit qu'il raconterait
des
choses
effroyables
, s'il passait
en revue
les maux
qu'ont
produits
les différens
gouvernemens
. Est ce à dire qu'il
ne faut point
de gouvernement
? On craint
pour les
hommes
en place une censure
indiscrète
; mais n'est elle
pas quelquefois
une conseillère
utile ? Et chez nos voisins
, bien des hommes
d'état ne lui doivent
-ils pas quelque
portion
de leur gloire?
Après avoir déclaré que les exceptions affaiblissent
à la longue le principe , et qu'un provisoire qui se rcnouvelle
sans cesse , differe peu du définitif , M. lẹ
comte Cornet conclut que rien ne nous est bon maintenant
comme le provisoire . Pour ses motifs , il ne va
pas les chercher dans une source qui soit suspecte au
ministère , puisqu'il se fonde sur la déclaration meme
du ministère . Sou raisonnement peut se traduire ainsi
« Ceux qui , par état , croient avoir quelque chose à .
craindre de la liberté des journaux , viennent vous déclarer
qu'il serait dangereux de rendre les journaux
libres il ne faut pas chercher d'autres motifs ni d'au- :
JANVIER 1818 . -81
ROYAL
203.
tres juges. Différons la liberté des journaux. » M. le
comte Molé vota l'an dernier , contre les journaux .
Voter , cette année , pour , serait une inconvenance
dont le noble pair n'est point capable . Ce n'est pas que
l'état de la France ne s'améliore un peu ; mais il fau- BRE
drait , pour affranchir les journaux , qu'il se fût amélioré
beaucoup. Quant au degré de cette amélioration , je
ne le trouve ni dans le discours du noble pair , ni dans
aucun des discours prononcés par les défenseurs du
projet. Pourtant il semblait nécessaire de fixer invariablement
ce degré ; car enfin le droit qu'on suspend est
un droit réel , positif , précis . Puisqu'on lui oppose un EINE
besoin , ce besoin ne devrait pas être moins réel ,
moins précis , moins positif. Pour appuyer son opinion
sur des faits , l'orateur s'attache à représenter les jourmalistes
comme les auteurs de tous nos maux . Ce n'est
pas même de Fox et de Sheridan que nous sommes les
auxiliaires .
Tant d'honneur convient mal à tant d'obscurité .
Nous ne prêtons des armes qu'aux orateurs de Spafields
et aux conspirateurs de Manchester , c'est-à-dire qu'il
n'y a que des malhonnêtes gens qui travaillent dans
les journaux . Je ne me permettrai qu'une observation.
L'orateur ressemble assez à un magistrat qui , après
avoir accusé quelqu'un de parricide , concluerait à une
amende. Si les journaux sont ce qu'il prétend , ce n'est
point les enchaîner qu'il faut , c'est les supprimer tous .
Je regrette de ne pouvoir citer en entier le discours
de M. le duc de Broglie , ce discours si neuf et si vrai, si
plein de choses et si brillant d'images , si remarquable
par la profondeur de la pensée et par l'originalité de
l'expression. Il tire son exorde du culte que , depuis
trente ans, nous rendons aux circonstances ; les circons
tances ! parole mystérieuse et magique dont le noble
pair avoue en toute humilité qu'il ne comprend pas
le sens. « C'est une sorte de superstition politique qui
« a faitson profit, comme toutes les autres superstitions,
« de notre ignorance et de nos craintes ... Nous
<< nous bandons volontairement les yeux tous les ans ,
« et puis nous argumentons à tout hasard l'année sui-
<< vante sur les dangers qui nous environnent. Le seul
6
82 MERCURE DE FRANCE .
* ་ motif que nous ayons de voter ce qu'on nous pro-
« pose cette année , c'est la facilité avec laquelle nous
« Pavons voté l'année dernière ; ce qui nous promet ,
pour l'année prochaine , un à fortiori tout- à-fait
<< concluant. :))
Mais en admettant même cet irrésistible ascendant
des circonstances , sont- ce des restrictions ? n'est- ce
'pas plutôt la fin des restrictions qu'elles commandent ?
Le raisonnement de l'orateur est digne de remarque :
les
S'il existait une nation qui eût été ravagée par
'excès du despotisme le plus capricieux , dont les affaires
eussent passé dans les mains de l'administration la plus
remuante et la plus minutieuse , qui eût été le théâtre
de tous les genres de violence , de toutes les sortes dé
vexations , de tous les abus les plus crians , et que , par
un changement de fortune inconcevable , le même
gouvernement fût réduit à y introduire la liberté de la
presse ; oh ! certes , ce gouvernement-là aurait tout à
risquer.
« Mais , si un autre lui succédait , un autre s'annonçant
sous de meilleurs auspices , porteur de paroles de paix
et de liberté , intéressé au suprême degré à discréditer
la tyrannie précédente , qu'aurait- il de mieux à faire que
laisser tomber tous les voiles ?
« Le mal est immense , dirait-il ; mais ce n'est pas moi
qui l'ai fait ; vos plaies sont profondes ; me voici pour
les guérir ; venez de toute part , dites-moi , dites toutes
vos souffrances. Je me réserve seulement l'autorité nécessaire
pour arrêter toute autre vengeance que la publication
de la vérité. La presse est pour tout le monde,
pour l'attaque comme pour la défense. Parlez : qué
tout soit connn afin que tout soit réparé.
« Quelle position ! messieurs ; nous l'avons traversée »
sans y regarder.
« Aujourd'hui , j'en conviens , l'état des choses est
moins favorable ; il y a déjà deux ans que tout le mal
qui arrive se fait pour le compte de l'administration actuelle
; ce mal ne vient plus d'en haut ; je veux croire
que l'arbitraire est exilé du cabinet des ministres ; mais
que empire lui reste encore ! Rien n'est changé que les
hommes , et ce n'est pas toujours pour le mieux . Il n'est
pas possible qu'une nation de vingt-cinq millions d'âJANVIER
1818. 85
mes , qui n'a pas un seul pouvoir municipal , pas un
seul protecteur de son choix , qui vit sous un régime
qui exclut la publicité , ne soit pas sujette à bien des
tribulations de tous genres. Il est impossible que la justice
y soit bien exacte , et l'autorité bien sobre de toute
démonstration de sa prérogative qui n'est pas diminuée .
« Et , puisqu'il est admis , dans cette discussion , de
faire allusion aux choses que tout le monde sait et que
tout le monde taît , j'en appelle à la bonne foi de ceux
qui m'écoutent ; que de faits nous savons dont nous ne
parlons pas ! Que de faits les ministres savent que nous
ignorons ! Et ce n'est rien en comparaison de ce qu'ils
ignorent eux-mêmes.
« J'ai promis de n'entrer dans aucun détail , et de ne
point récriminer.
« J'avertis seulement que les véritables difficultés qui
s'opposent à la liberté des journaux , bien loin de s'aplanir
, ne font que s'accroître de jour en jour ; j'avertis
que le temps s'écoule , pendant lequel il sera possible
d'imputer les révélations que les journaux ont à nous
faire , soit au gouvernement précédent , soit à toute
autre force majeure ; les oracles de la chaire nous disent
sans cesse ne vous fiez pas à l'avenir , ne comptez pas
sur une réforme tardive , vous mourrez comme vous
vivez ; et moi je dis , d'une voix plus humble , mais avec
la même conviction n'espérez pas le temps où la liberté
des journaux sera agréable à tout le monde , et
douce au gouvernement; le moment fatal arrivera ; votre
goût ne sera pas consulté ; prenez garde qu'avec ces
délais et ces retards , avec cette manie de gagner du
temps , et de remettre au lendemain , elle ne vous
échappe un jour , et ne vous apparaisse armée de toutes
pièces au moment où vous n'y serez pas préparés . »
On connaît le sort de la discussion .
CHAMBRE DES DÉPUTÉS .
M. Ravez est élu vice-président à la place de M. Faget
de Baure.
M. le comte d'Ambrugeac, rapporteur de la commis-
6.
84 MERCURE DE FRANCE .
sion spéciale , nommée pour l'examen du projet de lot
relatif au recrutement , devait justifier d'abord les recrutemens
périodiques , lesquels ôtés , la loi serait sans
objet. Une expérience de deux années , dit-il , a trop
prouvé l'insuffisance des enrôlemens volontaires. En
vain a-t-on offert des primes ; malgré les ressources que
présentait le licenciement d'une armée encore nombreuse
, ces offres n'ont rien produit . Et cependant la
nation ne devait point abdiquer son ráng parmi les nations
; sans prétendre aux conquêtes , il ne fallait pas
qu'elle se présentât désarmée aux tentatives du premier
agresseur. Maintenir la dignité de l'Etat , en respectant
la sûreté des États voisins ; n'effaroucher personne , mais
ne point rester audessous de soi-même , tel est le double
but de la loi .
L'orateur en examine successivement tous les titres .
La différence des modes de recrutement établis dans le
premier titre , a dû frapper tous les esprits judicieux .
Il est vrai que le gouvernement , dans l'exposé de ses
motifs , indiquait ces dispositions comme purement
provisoires , et subordonnées à l'expérience qu'il se proposait
de tenter. Mais pourquoi du temporaire et de
l'incertain dans une loi fondamentale ? Ne vaut- il pas
mieux, dès cette année même , assurer au gouvernement
des moyens réguliers ? Il n'en reste pas moins le maître
de tenter l'expérience . On pourrait craindre une augmentation
de contingent ; mais l'article 5 fixant d'un
côté un complet de paix qui ne peut être dépassé , et de
l'autre , le maximum des appels annuels , toute crainte
s'évanouit devant ces deux limites. Quant à la garde
royale , pourquoi ne présenterait-elle pas une expectative
à la bravoure et à la bonne conduite ? Pourquoi ne
serait-ce point le poste d'honneur de l'armée , et l'élite
de tous les corps ?
Dans l'examen du titre 2 , la commission a cru devoir
modifier , par un amendement important , le dernier
paragraphe du premier article (sixième du projet) , qui
est ainsi conçu : Le tableau de cette répartition sera publié
et affiché. La commission propose d'ajouter que ce
tableau sera communiqué à la chambre. C'est ici le
principe du vote annuel. L'espace me manque pour
développer la nécessité de ce vote. Peut-être le ferai -je
JANVIER 1818 . 85
ailleurs. En attendant , voici les principales idées qui se
présentent d'abord à l'esprit.
La base du recrutement de l'armée ne saurait être la
conscription ; l'article 12 de la charte abolit formellement
la conscription . C'est donc l'engagement volontaire
. Car il n'y a pas de parti moyen entre servir de
force ou servir de gré. Aussi le recrutement périodique ,
ou l'appel , n'est présenté dans le projet de loi que
comme un moyen subsidiaire . Et j'oserais affirmer qu'il
n'y a point d'autre cause de cette distinction , au premier
coup d'oeil si étrange , qui réserve aux corps d'élite le
seul mode constitutionnel de recrutement. S'il arrivait
donc que les engagemens volontaires parvinssent à
remplir tous les vides ( quelque faible que soit la probabilite
, vous ne pouvez l'exclure , puisqu'elle sert de base
à la loi même) ; s'il arrivait , dis-je , que ce moyen ,
insuffisant aujourd'hui , fût suffisant demain , est -ce que
les appels devraient toujours avoir lieu ? Est-ce que
vous vous occuperiez des auxiliaires , si vous étiez par
vous-même assez fort ? Et prendriez-vous plaisir à prolonger
un ordre de choses qui répugne à la charte ,
lorsque , sans violer la charte , il vous serait facile de
subvenir à tout ? Je ne dis pas que ce temps vienne
sûrement , ni même qu'il soit très -probable qu'il vienne
jamais. Je veux prouver que la loi qu'on nous présente
comme fondamentale , n'est fondamentale , comme on
dit , que positis ponendis. La reconnaître comme fondamentale
, ce serait porter atteinte , par cela même , à
la charte qui pose un principe tout contraire . J'en conclus
que les appels étant une mesure conditionnelle ,
sont , par la force des choses , susceptibles d'extension
et de restriction. D'où le vote annuel.
C'est de ce même principe que je tire un motif en
faveur du titre VI que la commission n'approuve point .
Il faut le dire en principe , la nation ne doit rien
au recrutement. L'article 12 de la charte l'a libérée .
Ce qu'on lui demande maintenant n'est plus un tribut
nécessaire , c'est un tribut volontaire . Elle est , à l'égard
du gouvernement , comme le particulier qui stipule les
conditions de son entrée au service ; car tout engagement
suppose des conditions. Les ministres ont donc
sagement raisonné , lorsqu'ils ont offert à la nation'des
.86 MERCURE DE FRANCE .
règles immuables d'avancement pour la dédommager
d'un tribut dont elle est constitutionnellement exempte .
.
Je tire de ce même principe , tant il me semble
fécond , une réponse à des objections que la commission
n'a pas cru devoir résoudre. Un sentiment de justice
l'avait portée d'abord à voter l'exemption des fils
uniques . Elle a parfaitement compris toutes les considérations
morales qui fondaient cette exception . Il semble
au moins qu'il y a quelque inhumanité à priver de leur
seul appui , de leur unique nourricier des parens pauvres
et décrépits . On a représenté cette exemption comme un
privilége . Même en reconnaissant dans la loi le caractère
principal qui lui manque , je ne sais si l'objection
ne serait pas plus spécieuse que solide. A ce compte , il
faudrait considérer comme un privilége l'exemption des
jeunes ecclésiastiques , et l'on sait que mon argument serait
bon en Espagne . Mais si la loi n'est , par la force des
choses , que conditionnelle , et nécessairement révocable
dans la supposition d'un nombre suffisant d'enga-
-gemens volontaires , s'il reste prouvé que la nation stipule
avec le gouvernement dans ce nouveau contrat ,
non pas un tribut , mais un prêt aux conditions les plus
avantageuses , pourquoi ne ferait- elle pas entrer parmi
ces conditions les droits de l'humanité ? Les considérations
morales , qui devraient céder la place aux motik
politiques dans une loi constitutive , reprennent toute
-leur force dans une loi qui est nécessairement de circonstance
, et qui , se perpétuât-elle de génération en
génération , ne pourrait jamais être qu'une loi de cir-
1
constance .
La commission a sagement approuvé , selon moi , te
dernier paragraphe de l'article 7 , qui excepte des obligations
imposées par la présente loi , tous les jeunes
gens mariés dans les dix jours qui auront suivi la présentation
du projet . Substituer le mot de publication à
celui de présentation , c'est ouvrir la source à des mariages
précoces et mal assortis , source trop commune
de ruine et de honte .
L'ancien tirage de la milice avait paru d'abord à la
commission préférable au nouveau mode . Le billet était
blanc ou noir. On connaissait sur-le-champ som sort ,
JANVIER 1818 . 87
au len que les numéros prolongent l'inquiétude longtemps
après le tirage. Deux moyens se présentaient
pour établir l'ancien mode . Le premier , c'est que le
conseil de révision juge d'avance toutes les réclamations
; mais l'expérience a condamné ce moyen. On est
prodigue d'exemptions qui ne blessent , en apparence ,
personne , et l'on se croit toujours obligé de rendre la
condition d'un individu meilleure , quand on ne voit
pas que celle des autres en devienne plus mauvaise . Le
second moyen , ce serait un supplément d'appel ; mais
ce supplément , comment le déterminer ? Les rapports
entre la population recrutable et la population valîde ,
sont si variables qua chaque pays il faudrait presquù sa
règle. Un terme moyen est bientôt trouvé , mais un
terme moyen n'est qu'approximatif ; c'est de l'exactitude
par abstraction , et de la justice en chiffres.
Le projet de loi enrichissait la réserve de tous ces
vétérans qui furent long-temps l'admiration de l'Europe.
La commission n'a pas jugé qu'on dût les arracher
à un repos si chèrement acquis . On allègue les congés
accordés ou prodigués dans un moment de confusion
ce motifme paraît bien faible . On a licencié les hommes
qui avaient plus de huit ans de service . S'il faut proeéder
par analogie , la nouvelle loi exige douze ans.
D'ailleurs , sans ce noyau , quelle réserve aurez-vous ?
et sans réserve , aurez-vous une armée ? M. le rapporteur
a dit que le ministre de la guerre était d'accord
avec la commission sur ce point ; peut- être s'est- il rendu
trop tôt .
Je saisis l'occasion de faire connaître ou de rappeler
l'ouvrage de M. Cheff sur le recrutement. Combiner
de telle manière les dispenses et les prestations , que
ele bien-être du soldat se lie à celui de la société , que
l'Etat soit délivré des pensions de retraite , que la discipline
se maintienne , moins par les châtimens que par
la crainte de perdre des récompenses , composer enfin
une armée vraiment nationale ; à la première lecture ,
j'avais pris ce projet pour le rêve d'un homme de bien ;
en y réfléchissant , je me suis convaincu que ce pourraie
bien n'ètre pas un rêve . J'aurai peut être l'occasion d'y
revenir.
88 MERCURE DE FRANCE,
S. II.
REVUE DES NOUVELLES DE LA SEMAINE.
Du 1er au 8 janvier.
RÉCOLTES , FINANCES . Les fonds baissent à Londres.
Si j'en crois le Courier , c'est une manoeuvre de spécula
teurs. Et là-dessus , il offre l'inventaire des richesses publiques.
Le Courier oublie qu'on n'étale point ses ressources
, tant que dure le crédit .
--
Voici une opération de finances , qui n'est sûrement
pas le fruit d'une spéculation . Le Roi d'Espagne a déclaré
fanx tous les vales émis par duplicata , sous le règne de
l'intrus. Cette mesure n'atteint pas les amis de l'intrus ,
qui furent les premiers endosseurs ; elle atteint les porteurs
actuels qui , sur la foi publique , ont pris ces billets
pour du comptant. Il est vrai , nous dit -on , que ces
billets étaient tombés au dessous du quart de leur valeur
nominale ; ce qui fait que l'opération ne porte pas sur
vingt millions , mais sur trois ou quatre ; c'est-à- dire,
qu'avec trois ou quatre millions , le gouvernement aurait
pu retirer ces billets de la circulation. C'est un singulier
moyen d'excuser une rigueur outrée , que de prouver
qu'elle était à peu près inutile.
Les droits sur l'importation des thés sont réduits de
moitié dans les Pays-Bas ; si l'Angleterre maintient son
tarif, elle offre aux contrebandiers une de ces séductions
auxquelles ces messieurs résistent peu. Il est très -probable
que le Roi des Pays-Bas , en rendant à ses sujets fe service
de boire du thé à meilleur prix , rendra le même service à ses voisins .
-Il résulte de plusieurs expériences faites dans nos
ports , que l'eau de mer distillée peut servir de boisson .
Précieuse découverte pour les voyages de long cours !
AMÉLIORATIONS POLITIQUES. En est- ce une , que la
conscription d'Espagne ? Ce n'est pas moi qui conteste rai
jamais les avantages de l'égalité. Mais il y a , comme on
sait , deux sortes d'egalité. Une seule est respectable et
sainte , parce qu'elle prend sa source dans la nature ;
l'autre n'est que l'oubli de tous les droits .
JANVIER 1818 . 89
J'ajouterai , sans prétendre faire ici aucune allusion offensante
, que dans un ensemble de lois , il faut que tout
se lie , que tout s'enchaîne par une correspondance parfaite.
Une loi de liberté jetée au milieu d'une législation
despotique , serait là comme une étrangère , dont on
n'entend point le langage , et qui n'entend point qu'on
parle autour d'elle . J'aime les priviléges dans une`monarchie
absolue , autant que je les hais dans un gouvernement
constitutionnel. C'est qu'ils tempèrent la monarchie
absolue , et se tempèrent entre eux . Ce n'est point là
l'ordre légitime , mais c'en est le simulacre. C'est un tribunat
sans titre , mais non pas sans influence.
Quoi qu'il en puisse être , le Roi d'Espagne soumet au
tirage , et astreint au service militaire les gentilshommes ,
à moins qu'ils ne se rachètent par une contribution de
vingt mille réaux , les tonsurés qui n'ont pas de bénéfice
ecclésiastique , lors même que , par l'ordre de leurs évêques
, ils suivraient leurs études dans les universités et les
séminaires ; les novices des ordres religieux , et jusqu'aux
familiers de l'inquisition.
rap-
Le plus difficile de tous les systèmes militaires
parce qu'il se complique d'un plus grand nombre de
ports , c'est celui de la confédération germanique. Mais
l'Allemagne , dans sa politique extérieure , dans son organisation
judiciaire , dans toutes les conditions de son
existence , a l'habitude et la tradition de ces complications
laborieuses. C'est sur de telles complications qu'elle
fonde son unité artificielle , et travaille sans relâche à
conserver le faisceau que mille causes naturelles travaillent
sans relâche à délier.
Le Roi de Naples forme deux régimens de tous les
soldats qui auront été condamnés à des peines afflictives .
Espère- t -il beaucoup de ces deux régimens-là ?
L'article 13 du pacte fédéral est , dès ce moment ,
l'objet des espérances de toutes les nations allemandes , des
travaux de tous les cabinets , et des délibérations de la
diète. D'après cet article , il faut que le système représentatif
étende ses rameaux sur l'Allemagne entière . Dès le
13 septembre 1814 , la Prusse avait proposé d'accorder
spécialement aux états le vote de l'impôt , et une part à lá
législation. Enfin le système des deux chambres entrait ,
dit-on , dans ce projet qui fut renouvelé au mois de
1815 , sauf la condition des deux chambres , à
༡༠ MERCURE
DE FRANCE .
laquelle on parut renoncer. Un accord parfait semble
régner à cet égard entre les cours de Vienne et de Berlin.
Les grands- ducs de Mecklenbourg-Schwerin et Mecklenbourg-
Strelitz , après avoir organisé une autorité locale
indépendante ( s'il en peut être ) chargée de prononcer
sur les différends qui pourraient s'élever entre le souverain
et les états , demandent que la diète s'explique sur ce fameux
article 13 .
--
Parmi toutes ces concessions , ou tous ces projets
de concession , je n'ai garde de comprendre la liberté
de la presse . Il n'en est pas dont on se montre partout
plus avare. Je veux croire que ce refus prend sa source
dans un amour paternel qui se montre jaloux d'épargner
des troubles aux nations . Du reste , jamais ligue plus
formidable ne menaça cette liberté . Il n'a pas été permis
à des libraires allemands de publier l'historique
d'une fête qui avait eu des milliers de témoins. Un canton
suisse , accusé de protéger des écrits révolutionnaires
, se prosterne et chasse l'imprimeur , et publie le
certificat honorable de soumission qu'il a reçu . Un article
de Vienne , publié par le Correspondant de Hambourg
, porte textuellement que , « pour assurer aux
« peuples allemands la jouissance d'une liberté raisonnable
de la presse , il faut , avant tout , restreindre la
liberté de la presse. »
:
Comme il n'y a point de médaille sans revers , la liberté
de la presse proscrite , ou du moins fortement
attaquée en Allemagne et ailleurs , vient d'obtenir en
Angleterre une triple victoire . Trois jurys successifs ont
acquitté le libraire Hone , et un club fameux l'a comblé
de présens et de distinctions . Il ne faut pas demander
si le Courrier lance ses foudres accoutumées et l'èditeur
, et le jury , sa mordante ironie n'épargne rien ;
on peut bien juger que notre pauvre siècle , et ses
idées libérales , ne sont pas oubliés . Il n'y aurait pas de
bonne fête où ils ne seraient pas. Cependant , comme
c'est l'Angleterre qui a donné le signal , comme c'est
d'elle que sont sorties ces idées libérales qui ont si bien
pris dans tous les terrains , on voit sur qui retombe le
trait lancé par l'énergumène .
Voici une chose qui touche de très - près à la
liberté de la presse ; c'est l'instruction publique. Le roi
JANVIER 1818.
de Wurtemberg vient d'établir dans son université de
Tubingen une faculté d'économie politique . Je ne connais
pas de promesse plus loyale et plus authentique
d'un gouvernement constitutionnel .
-
A propos d'instruction publique , il m'est tombé
sous la main un article du Moniteur , envoyé sans doute
par l'autorité ou par une des autorités de Villefranche
(département du Rhône) . Get article porte , qu'une per
sonne , qu'on veut bien ne pas nommer , et qui paraissait
chargée d'une mission par la société de l'instruction
élémentaire , a tenu des propos fort inconvenans sur les
frères des écoles chrétiennes , dont je veux bien à mon
tour ne pas dire l'autre nom ; et le Journal de Toulouse,
en rendant compte d'un legs de 47,000 fr. , que ces frères
ont sans doute reçu d'un de leurs anciens élèves , dit ,
en propres termes , « qu'une expérience récente a fait
« sentir l'utilité de ces excellens maîtres . » Je suppose
qu'il entend , par cette expérience récente , l'établissement
des écoles lancastériennes . Voilà donc l'autorité
des frères consacrée . Il n'est pas plus permis d'y toucher
qu'à l'arche sainte . Les efileurer par un mot à double
entente est presque un crime d'Etat . Et je recommande
fort à tout paisible voyageur de garder le tacet sur eux ,
quand il passera par Villefranche , comme il aurait dû
faire sur la sérénissime république , en passant à Venise .
Il faut pourtant approfondir les causes de cette, sainte
colère. Est-ce que les écoles d'enseignement mutuel se
servent de mauvais livres ? Est- ce qu'au lieu du Caté-
`chisme et de l'Évangile on met entre les mains des enfans
Voltaire ou Rousseau ? S'il en est ainsi , j'ai tort ,
l'institution a tort ; le gouvernement qui la tolère a tort.
Mais point du tout ; ce sont précisément les mêmes
livres dont on fait usage dans les écoles des frères , et
dans les écoles mutuelles. Qu'est - ce donc qui vous effarouche
tant ? Ce n'est point la doctrine , c'est la méthode
; c'est ce chef adolescent ,
Qui , fier d'ètre obéi dans un âge si tendre ,
Apprend pour enseigner , enseigne pour apprendre ( 1 ) .
C'est , en un mot , que , si l'enseignement mutuel dure
(1 ) Épître en vers sur l'enseignement mutuel , par M. Brés .
92
MERCURE DE FRANCE .
encore quelques années , il n'y aura bientôt plus personne
en France qui ne sache lire ……….. Et que ne lê disiez-
vous donc ?
-
La province de Malmohus , secourue efficacement
dans une crise inattendue par le gouvernement suédois ,
est venue offrir au roi et au prince royal l'hommage de
sa reconnaissance . « Après le bonheur qu'éprouve un
" prince lorsqu'il a été utile à ses concitoyens , ce qu'il
« doit désirer le plus , c'est de voir ses services appré-
« ciés. Vous le savez , messieurs , je n'ai pas provoqué
«< ces remercîmens , mais ils me font plaisir , et je vous
« en tiens compte. » Marc-Aurèle n'aurait pas autrement
répondu.
COLONIES. - Le gouvernement des Etats-Unis négocie
avec quelques nations sauvages , et se dispose à
la guerre contre d'autres nations . Sept Américains ayant
été assassinés par les Seminoles , il a exigé qu'on lui livrât
les meurtriers. Pour toute satisfaction , voici la réponse
qu'il a reçue : « Vous avez tué dix des nôtres ; nous
avons tué sept des vôtres ; la balance n'est pas encore
égale . »
Le corps-législatif de l'Etat de Tennessée a décidé
que le peuple serait consulté sur la question de savoir
si la constitution serait revisée ou maintenue.
On dit que chaque membre du congrès a reçu la copie
d'une pétition à peu près conçue dans ces termes :
Je suis noir, mais je suis homme ; Dieu est notre père
à tous ; vous ne voulez point nous vendre ; un pas de
plus ; sévissez contre qui nous vend ; que tout bâtiment
négrier , capturé par vos bâtimens de guerre , soit irrévocablement
confisqué ; vous formez des associations
en faveur des nègres ; une loi de trois lignes fera plus
que toutes ces associations .
Le congrès avait voté pour chaque soldat une récompense
de cent soixante arpens de terre . Les spéculateurs
qui ne laissent passer aucun profit sans en réclamer une
part , avaient trouvé commode d'exploiter cet acte du
congrès , et le pain du bien méritant était devenu leur
patrimoine. Le gouvernement a mieux aimé traiter luimême
avec les soldats . C'est un marché avantageux au
gouvernement comme aux soldats .
- Il paraît que les Etats de Buenos-Ayres , du Chili ,
JANVIER 1818.
93
de Vénézuela ont desa gens accrédités dans les Etats-Unis.
Le commodore Aury a proclamé la loi martiale
dans l'île d'Amélie . Ce gouverneur parle beaucoup de
liberté , de république ; et il se sert des esclaves fugitifs
pour enchaîner les habitans.
-Les gazettes de la Havane contiennent les détails de
la reddition du fort de Sombréro . Tout ce qui était dans
le fort , à l'exception des femmes et des enfans , fut
passé au fil de l'épée . Dans le nombre des morts , on
compte soixante-onze étrangers. Mina , et quelques aútres
chefs , se sauvèrent par une brêche , à la faveur de
la tempête et de la nuit. Mina , constamment repoussé
dans toutes ses tentatives pour secourir la place , voulut
se jeter sur la ville de Miquel el Grande , où il ne fut
pas plus heureux .
-
Suivant une lettre de la Trinité , le parti des indépendans
n'en triomphe pas moins. Ils ont déjà remporté
deux ou trois victoires sur les royalistes .
-Nous voici arrivés au chapitre des conjectures . On
prépare à Rio-Janeiro , une expéditisn pour Monte-
Video ; qu'y va- t- elle faire ? Les opinions se partagent .
Suivant les uns , cette expédition va porter du renfort
aux troupes de Lecor ; suivant les autres , elle va retirer
ces troupes. Une troisième conjecture est qu'elle va
secourir le directeur Puyerredon , menacé par le général
Artigas. Car on sait qu'Artigas tient la campagne
pour son compte , également ennemi des Espagnols ,
des Portugais et de Buenos-Ayres. La première de ces
opinions me paraît la moins probable. S'il est vrai que
les troupes de Lecor l'aient presque toutes abandonné
pour les indépendans , qui répondra des nouveau-venus ?
Une alliance avec Buenos-Ayres serait une démarche
décisive qui donnerait l'explication de ces conseils si
fréquens , tenus à Londres , et peut- être de la conscription
d'Espagne . Mais comme ce serait fonder une conjecture
sur une conjecture , en attendant que l'on daigne
nous donner la clé de tant d'énigmes , je m'en tiens à
cette opinion , que la cour du Brésil rappelle ses troupes
d'une position où elles se consument sans profit et sans
gloire .
RELATIONS POLITIQUES . Les journaux publient l'extrait
d'une lettre écrite de Tauris , par un officier fran ·
94 MERCURE DE FRANCE .
cais attaché à l'héritier du trône de Perse , en qualité
d'aide-de -camp. II y'a dans cette lettre un passage
remarquable « Nous entendons ici parler d'événe-,
« mens que l'on suppose prochains . Le traité qui doit
« accorder à la Russie le libre passage , pour son com-
« merce , jusque dans l'Inde et jusques au Golfe -Per-
« sique , ne paraît souffrir aucune difficulté . Il est éga-
« lement avantageux aux deux pays . »
www
PROCÈS MARQUANS . Dans le nombre des objections
lumineuses que renferme le mémoire de M. Ódilon-
Barrot , contre le jugement qui vient de fermer au
malheureux Wilfrid Regnault son dernier refuge , il en
est une surtout qu'on ne peut rapporter sans un senti-,
ment de terreur : les juges n'avaient pas lu toutes les
pièces du procès . Quelle dangereuse lutte , que celle de
l'opinion contre les tribunaux ! Elle est telle que la société
la mieux constituée n'y résisterait pas, Grâces à la
publicité de l'instruction , les preuves de l'innocence
ne peuvent rester ensevelies dans la poudre des greffes.
Mais lorsque des mains habiles exposent au grand jour
toutes ces inexplicables omissions , toutes ces préventions
obstinées , tous ces vices de raisonnement qui ne
sont pas toujours des erreurs de l'esprit ; la justice n'en
a pas moins perdu sa dignité ; la morale publique n'en
a pas moins reçu une profonde , une irremediable atteinte
, puisqu'elle a pu mettre la loi et la justice en
doute. L'année qui vient de s'écouler n'a pas été heureuse
pour les tribunaux ; je désire dans toute la sincérité
de mon coeur qu'il en soit autrement de l'année
qui commence. Je le désire pour les particuliers , moins
encore que pour l'Etat.
NOUVELLES DIVERSES.- Le prince d'Orange est
réintégré dans toutes ses fonctions.
--
Il est entré dans le port de Cronstadt , pendant la
dernière saison , dix-sept cent cinq bâtimens , et il en
est sorti dix-sept cent huit . Ce nombre est sans exemple,
.MM . le duc de Richelieu et le comte de Cazes
sont nommés membres de la Légion - d'Honneur .
-
Ismail Gibraltar envoie dans le port d'Alexandrie
quatre navires chargés de boulets . Un autre officier du
pacha d'Egypte parcourt la Suisse , dans le dessein ,
suivant quelques-uns , d'engager des manufacturiers et
JANVIER 1818. ,
95
des artisans ; suivant quelques autres , ce dessein , s'il
existe , n'aura point de succès . Les argumens de ces
derniers ne sont pas sans réplique. Ils allèguent le climat.
Combien d'Européens transplantés en Egypte , y
parviennent à une extrême vieillesse ? Les moeurs ! l'on
vit chez soi . La religion ! il n'est pas de contrée musul-
`mane où l'on en défende l'exercice . Les révolutions ! et
quel coin de la terre habitée est à l'abri des révolutions ?
La peste ! et la Suisse n'a- t - elle pas le typhus ?
-
- Puisque nous sommes sur le chapitre du typhus ,
on craint qu'il n'en existe des germes à Vienne.
Liége est en proie à un autre geure de typhus ,
c'est l'esprit de controverse . Il circule dans cette ville
des écrits contre le pape , contre l'archevêque de Malines.
Et ce sont des ecclésiastiques qui colportent ces
écrits ! Les visites domiciliaires commencent . Serait- ce
le second tome de nos querelles sur la Constitution ?
Le prince d'Hardenberg est arrivé à Coblentz . Sa
mission a pour objet l'organisation des provinces du
Rhin . Il paraît que le prince fixera son séjour à Boǹn .
Des bandes armées parcourent la Franconie , menaçant
d'incendier les villes si l'on ne réduit le prix
des denrées. L'alarme est au comble.
-On parle toujours d'une nouvelle alliance plus
intime entre toutes les puissances chrétiennes d'Europe
, fondée sur les principes de la sainte alliance .
Des rafraichissemens, sont préparés pour les équipages
de la flotte russe . Le ministre de Russie est arrivé
de Cadix à Madrid.
Les Barbaresques ont déjà fait un grand mal aux
puissances du Nord , par les précautions si gênantes
pour le commerce , qu'ils les ont forcées de prendre .
Dans tous les ports septentrionaux , les lois sanitaires
s'exécutent avec rigueur. Dernièrement à Cuxhaven , on
a chassé à coups de canon un bâtiment anglais venant
de l'Inde , qui tentait d'abréger la quarantaine .
-Ce jeune favori de la fortune , qui possédait de si
vastes domaines et de si riches trésors dans toutes les
parties de l'Europe , dont les revenus égalaient ceux
des rois , dont le ministère briguait déjà l'appui , dont
plus d'une belle lady convoitait en secret la main ... ,
se trouve n'être qu'un escroc . Mais voici pour le coup un
96 MERCURE
DE FRANCE .
véritable favori de Plutus : c'est un maltotier portugais
qui s'est fait enfermer dans une bière d'or , pour imiter
sans doute ces rois barbares , qui voulaient que ce
qu'ils avaient le plus aimé les suivit dans la tombe . La
postérité de l'orateur Hortensius demandait l'aumône
aux portes du sénat ; la postérité de Shakespeare meurt
de faim en Angleterre ; celle du grand Corneille n'est
guère mieux en France . L'homme à la bière d'or à
laissé quinze millions de florins ; sa postérité sera honorée
.
-
Un M. Mély Jannin s'est fait le bouc - émissaire de
la Quotidienne. J'avais cru d'abord que ce n'était qu'un
nom de comédie. Je ne m'étais trompé que de moitié :
c'est au moins le nom d'un personnage comique .
BÉNABEN .
-
M. G. Biagioli , propose par souscription le Dante avec un
nouveau Commentaire en italien dont il est l'auteur. Si l'on en
juge par le prospectus , la nouvelle édition de ce grand poete
ne laissera rien à désirer aux littérateurs . M. Biagioli a suivi
scrupuleusement le texte de l'édition de la Crusca , et s'est
contenté d'indiquer dans les notes , sans jamais les introduire
dans le texte , les variantes qu'il a pu recueillir sur les passages
douteux ; mais il a eu soin de faire disparaître les nombreuses
fautes de ponctuation qui défigurent cette édition , comme toutes
celles du Dante. Dans son Commentaire , il s'est attaché
faire ressortir toutes les beautés de pensée , de style et d'har
monie poétique , ainsi qu'à développer le sens de tous les pass
sages difficiles dont plusieurs ont été mal expliqués jusqu'à ce
jour.-L'ouvrage formera trois forts volumes in-8° . , imprimés sur
papier fin et en caractères entièrement neufs. Le prix , pour
les souscripteurs , est de 36 fr . On paie le premier volume en
souscrivant ; le second , en recevant le premier ; et le troisième ,
en recevant le second. Il y aura cinquante exemplaires sur
papier vélin , dont le prix sera double. -Le prix , pour les nonsouscripteurs
, sera d'un tiers en sus du prix de souscription.
Les noms de MM. les souscripteurs seront imprimés à la fiu
du troisième volume. On souscrit , à Paris , chez G. Biagioli ,
rue Rameau , n. 8 ; Delaunay , Palais - Royal ; Galignani , rue Vivienne
, n . 18 ; et autres principaux libraires . -L'ouvrage est
-
sous presse en ce moment.
2 ERRATA. Dans le numéro précédent , pag. 20 , lig. 17, au lieu
de : rattachait à côté , lis. rattachait à celle. Pag. 46 , lig. 5 ,
au lieu de et , auprès le brave , lis. et , après le brave.
-
IMPRIMERIE DE C. L. F. PANCKOUCKE ,
www.
MERCURE
DE FRANCE.
SAMEDI 17 JANVIER 1818 .
mmmmmmmmmmm……………mmmmmmm⌁
LITTÉRATURE.
L'article littéraire sur les OEuvres de M. Andrieux étant terminé
par la citation d'un excellent morceau de poésie , nous
nous dispensons d'en placer un en tête de ce Numéro.)
ÉNIGME .
Dans les forêts , dans les châteaux ,
Sur les trônes , sur les tréteaux ,
Aux humains je sers de parure
Et quelquefois de nourriture ;
Tantôt je suis enfant des arts ,
Tantôt enfant de la nature ;
Je décore les étendards ,
Sur la toilette je figure ;
Ici je sais plaire aux regards ,
Et là , d'un vil troupeau je deviens la pâture .
( Par M. J. I. ROQUES . Y
CHARADE.
Si tu vas choir sur mon entier ,
Qu'on sonne pour toi mon dernier ,
On te verra bientôt rongé par mon premier.
TOME 5.
(Par le même.)
7
98
MERCURE
DE
FRANCE
.
nwmmy
LOGOGRIPHE .
Mes amis , c'est en reculant
Que mon père me met au monde ;
Je sers alors à tout venant ;
Je suis sur la terre et sur l'onde ,
Et je ne crains pas qu'on me fronde
Pour mon amour propre , en disant
Que sur notre machine ronde
Je suis l'être le plus liant.
Voyons , en me décomposant ,
Ce que ma nature féconde
Présentera d'intéressant :
D'abord , un recueil contenant
Ce qu'en sa sagesse profonde
Thémis a rendu tout puissant ;
Ce que le marin navigant
Redoute de trouver sous l'onde ;
Ce que l'avare va cachant ;
Un instrument retentissant
Une lieue au moins à la ronde ;
Enfin , je trouve , en finissant ,
Cel ornement riche et brillant
D'une salle ou d'une rotonde ,
Ouvrage d'un peintre à talent .
( Par M. A. DE CHAMPCOUR.)
Mots de l'Enigme , de la Charade et du Logogriphe
insérés dans le dernier numéro.
Le mot de l'énigme , est boîte-aux - lettres ; celui de la
charade , est passion ; et celui du logogriphe , boule,
où l'on trouve boue.
1
JANVIER 1818 .
99
NOUVELLES LITTÉRAIRES .
OEuvres de François - Guillaume - Jean - Stanislas
Andrieux , membre de l'Institut royal de France ,
Académie française : avec gravures d'après Desenne
( 1 ).
( Premier Article . }
« Arrivé au déclin de l'âge , dit M. Andrieux , je
« fais moi -même l'édition de mes oeuvres ; j'échappe
ainsi à la maladresse des éditeurs qui , trop souvent ,
<< étouffent la réputation de leur auteur sous l'amas vo-
« lumineux de ses plus faibles productions . >>
་ ་
Il est plus aisé de se garantir de la maladresse des
éditeurs futurs que d'échapper à l'adresse de certains
éditeurs actuels , qui saisissent un homme tout vif , ‹ t
l'enterrent , bon gré malgré , dans leurs catacombes
alphabétiques , vulgairement nommées biographies .
M. Andrieux nous apprend que ces biographes lui ont
fait l'honneur d'enregistrer son nom et de lui composer
un article dans leurs dictionnaires . Il se plaint de leur
légèreté , qui le force à parler de lui- même , et à rectifier
, dans un avertissement placé à la tête du premier
volume de ses oeuvres , des faits dont ils ont négligé de
vérifier l'exactitude. Cette notice de trois pages , écrite
avec un goût parfait , et un sentiment délicat des convenances
, peut servir de modèle aux hommes de lettres
qui se trouveraient dans la nécessité , toujours un peu
( 1 ) A Paris , chez Nepveu , libraire , passage des Panoramas ,
n. 26. Trois volumes in - 8° . Prix : 18 fr. , et 21 fr. par la poste.
7.
100 MERCURE DE FRANCE .
fâcheuse , de se mettre en scène sous les yeux du public.
M. Andrieux raconte avec une aimable et toutchante
simplicité les principaux événemens d'une vie
long-temps partagée entre l'activité de diverses fonctions
publiques et les studieux loisirs d'une retraite
honorable. Cette narration est pleine d'intérêt ; elle
prouve que l'homme doué d'un véritable talent n'avait
besoin , à une autre époque , que des ressources qu'il
trouvait dans la culture de son esprit et dans l'honnêteté
de ses penchans , pour sortir de la foule , pour se
soustraire aux rigueurs de la fortune ,
enfin pour
tenir la considération due au mérite littéraire et à la
vertu modeste.
ob-
A l'époque dont je parle , et qui est déjà si loin de
nous , une vive émulation existait entre les hommes de
lettres ; mais elle n'excluait ni une estime réciproque ,
ni les liens d'une généreuse amitié . Les écrivains distingués
par leurs travaux et par leurs succès se rendaient
mutuellement justice ; s'il leur arrivait de discuter
contradictoirement des questions littéraires , ils se
gardaient bien d'empoisonner les flèches de la critique ,
d'opposer la suffisance d'un sot orgueil à la vérité et à
la force des raisonnemens ; ou de se venger lâchement
par la calomnie de la supériorité de leurs rivaux . Ils
s'efforçaient de mieux faire , et le public profitait de
sette noble émulation qui élève la pensée et qui est nécessaire
même au génie.
Si quelqu'un devait se croire à l'abri des attaques
de la haine et des sourdes manoeuvres de l'intrigue ,
c'était sans doute M. Andrieux , si honorablement
connu par l'aménité de son caractère , par l'élévation
de son âme , par cette bonté naturelle qui accueille
avec une faveur particulière le mérite inconnu , et qui
trouve une douce jouissance dans un service désintéJANVIER
1818 . ΙΟΙ
ressé. Toutefois , il n'a pu échapper aux regards de
l'envie , ni aux agressions de la méchanceté couverte
du voile de l'hypocrisie ; mais avant de présenter au
lecteur quelques réflexions sur ce point , je veux lui
faire connaître la notice biographique de cet estimable
écrivain .
« J'offre au public , dit - il , un recueil d'ouvrages ,
« dont la plupart ont déjà été imprimés , mais séparément
; j'y joins des pièces jusqu'à présent inédites .
« Ces productions ont été mes délassemens plutôt
« que mes occupations habituelles.
« Dans ma jeunesse , une grande défiance de moi-
« même me détourna de suivre exclusivement la carrière
« de la littérature , de laquelle je n'osais espérer des
« succès remarquables .
« J'avais fini mes études à dix -sept ans . Mes parens
<< me placèrent chez un procureur ; j'y travaillai sérieu-
« sement ; je m'appliquai en même temps à l'étude du
« droit . Je pris goût à la jurisprudence ; je prêtai ser-
<< ment d'avocat en 1781 , et , l'année suivante , je sou-
« geai à devenir professeur de la Faculté de droit ; je
« préparai ma thèse de docteur , et j'étais prêt à la
« soutenir , lorsqu'un aggrégé èn droit me proposa , de
<« la part de M. le président de Lamoignon , d'entrer ,
« en qualité de secrétaire , chez M. le duc d'Uzès .
« Ce qui me détermina , ce fut la certitude prochaine
« de pouvoir aider ma famille . Nous venions de perdre
« mon excellent père , homme d'un grand sens , homme
« irréprochable , d'un désintéressement et d'une éléva-
« tion d'âme dignes des siècles antiques . J'ai toujours.
"
interrogé sa mémoire , lorsque j'ai eu à prendre un
« parti dans quelque circonstance délicate ou difficile ;
« je me suis demandé : qu'aurait fait mon père ? et la
« réponse ( puissé- je ne m'y être jamais trompé ! ) m'a
102 MERCURE DE FRANCE.
« servi de règle . Il nous laissait sans fortune , et j'étais
« l'aîné de ses enfans le droit ne me présentait qu'une
perspective éloignée ; j'acceptai la place qui m'était
«<< offerte.
་་
« Cette existence toute précaire ne put me convenir ;
་ j'aspirai de nouveau à me faire un état indépendant .
« Je ne mis en stage à la fin de 1785 , et je suivis le
« barreau , quoique la faiblesse de ma poitrine et de
« ma voix dût m'interdire la plaidoirie , et que je ne '
« pusse jamais parvenir qu'à être avocat consultant .
« Je devais ètre inscrit sur le tableau des avocats en
1789 ; mais on ne fit point de tableau cette année ,
<< et l'ordre fut dissous par les événemens de la révolution .
« Depuis ce temps , chef de bureau à la liquidation
« générale , juge en la cour de cassation , député au
« corps législatif, et membre du tribunat , j'ai porté ,
« dans ces différens emplois , de l'exactitude , du zèle ,
l'amour de mes devoirs et la volonté constante de
« faire le bien .
« J'ai rempli des fonctions importantes que je n'ai
« désirées , ni demandées , ni regrettées ; j'en suis sorti
« aussi pauvre que j'y étais entré , n'ayant pas cru qu'il
« me fût permis d'en faire des moyens de fortune et
« d'avancement .

1
« Je me suis réfugié dans les lettres ; heureux d'y
« retrouver un peu de liberté , de revenir tout entier
« aux études de mon enfance et de ma jeunesse , études
« que je n'ai jamais abandonnées , mais qui ont été
« l'ordinaire emploi de mes loisirs , qui m'ont procuré
« souvent du bonheur , et m'ont aidé à passer les mauvais
jours de la vie !
« J'ai professé , pendant douze ans , la grammaire et
<«< les beiles- lettres à l'école polytechnique ; et , sur la
« présentation du College Royal , de l'Académie fran-
7
JANVIER 1818. 105
« çaise et du ministre de l'intérieur , j'ai été nommé ,
« en 1814 , par le Roi , à la chaire de littérature française
«< au College Royal. » '
M. Andrieux s'occupait exclusivement de la culture
des lettres et des devoirs de professeur , lorsque son
repos fut un instant menacé par un de ces fabricateurs
de mensonges et de scandales , qui sont à l'affût des
circonstances pour servir les passions du moment , et
pour faire parade d'un zèle dont l'esprit de parti assure
ordinairement le salaire . C'était peut - être moins à
M. Andrieux qu'à ses places qu'on en voulait . Quoi
qu'il en soit , il fut accusé de regarder Rousseau et
Voltaire comme des écrivains d'un grand talent , et de
n'être pas lui -même tout- à-fait assez bon chrétien pour
enseigner les principes des belles- lettres . Dans un autre
temps on se serait moqué d'une pareille sottise ; mais
en 1815 , la chose était sérieuse ; c'était l'époque où
des hommes , qui savaient bien où ils voulaient nous
conduire , profitaient de l'agitation causée par des calamités
récentes , pour dénoncer avec fureur et préparer
des tables de proscription . Ces individus , dont la
pureté aurait eu besoin d'être prouvée , ne parlaient
que d'épuration , expression qui ne serait que ridicule
si elle n'avait été trop souvent un signal de vengeance
et d'odieuses réactions .
M. Andrieux n'a répondu à son calomniateur que
par une épître pleine d'esprit , de modération et de
raison , qui paraît imprimée pour la première fois dans
le Recueil de ses oeuvres. On y reconnaîtra sa douce
philosophie et le talent distingué dont il a donné tant
de preuves . Cette poétique vengeance était la seule qui
pût convenir à un écrivain suffisamment défendu par
l'estime publique . L'épitre dont je parle est intitulée :
« la Parabole du Samaritain. » Les abonnés du
104 MERCURE DE FRANCE.
Mercure me sauront gré d'avoir renvoyé à un autre
numéro la suite de mes observations sur les oeuvres de
M. Andrieux , pour leur procurer le plaisir de lire cette
charmante production .
A. JAY.
LA PARABOLE DU SAMARITAIN.
(SAINT-LUC , chap . x. )
A l'auteur anonyme d'un pamphlet dirigé contre moi.
Toi , qui par un libelle as cru me diffamer
Délateur courageux qui n'oses te nommer ,
Tu nuis dévotement ; et ta haine , mon frère ,
Emprunte un beau dehors de piété sincère ;
De zèle et de ferveur colorant ton venin ,
Tu vas calomniant , dénonçant ton prochain ;
Ce sont de gros péchés ; que Dieu te les pardonne !
Il est une leçon qu'il faut que je te donne ;
Ou plutôt que Jésus , que mon maître et le tien ,
T'enseigne dans mes vers comment on est chrétien .
Un docteur de la loi , cherchant à le surprendre ,
Lui dit : « Maître , parlez ; ne pourriez-vous m'apprendre
« Quel chemin le plus court doit nous conduire au ciel ,
« Et comment on est pur aux yeux de l'Eternel ? »
Jésus lui répondit : « Vous avez le saint livre ;
« Qu'y lisez-vous ? Comment vous prescrit- il de vivre
-On y lit vous devez , en tous temps , en tout lieu ,
« Aimer par dessus tout le Seigneur votre Dieu ;
« D'esprit, de coeur et d'âme il commande qu'on l'aime.
« Aimez votre prochain à l'égal de vous-même .
" Ainsi le veut la loi ; le texte m'est connu . »
Jésus dit : « Vous avez sagement répondu .
« Allez ; accomplissez cette loi salutaire . »
Un docteur a toujours de la peine à se taire .
Le nôtre donc insiste : « Et quel est mon prochain ? »
Jésus lui répondit par ce récit divin :
« Un homme descendait de la montagne sainte 5
« Des murs de Jéricho ses pas gagnaient l'enceinte
« Lorsque par des voleurs il se vit dépouillé
JANVIER 1818. $105
« Ces brigands , dont le bras d'horreurs était souillé ,
L'ayant meurtri , navré des coups qu'ils lui donnèrent ,
« Sur le bord du chemin mourant l'abandonnèrent.
« Un prêtre vers ce lieu tourna d'abord ses pas ;
« Il vit ce malheureux... et ne s'arrêta´ pas .
« Un Lévite à son tour vient sur la même place ;
" Il voit ce malheureux , l'entend gémir... et passe.
« Vient un Samaritain ; que croyez-vous qu'il fit ?
<< Il entend des sanglots ; la pitié le saisit ;
Il s'arrête , il s'émeut ; et mettant pied à terre ,
« Court à ce malheureux , entre ses bras le serre ,
« Le soulève , lui fait reprendre ses esprits ,
« Se dépouille , et partage avec lui ses habits ;
« Des flots d'huile et de vin baignent ses meurtrissures ;
« D'une main secourable il panse ses blessures ,
<< Et dans ses soins pieux ne pouvant se lasser ,
« Sur sa monture enfin parvient à le placer.
« Il le conduit lui-même en une hôtellerie ,
« Veille auprès de son lit , charme son insomnie .
« Le lendemain matin , obligé de partir :
« Aux maux qu'il souffre encor vous saurez compâtir ,
« Dit- il à l'hôtelier , soutenez sa faiblesse ,
« Usez de cet argent que pour lui je vous laisse .
« S'il ne suffisait pas , ajoutez ce qu'il faut ;
« N'épargnez rien enfin ; je reviendrai bientôt ;
Et je vous rendrai tout . Il eut sa récompense ;
« Le malade guérit . Or , que faut - il qu'on peuse
« Des trois qui tour-à- tour sur la route ont passé?
« Lequel fut le prochain du malheureux , blessé ?

Sur la réponse est-il quelqu'un qui ne s'accorde ?
« Celui qui sur cet homme a fait miséricorde .
- Il est vrai , dit Jésus ; allez , et montrez-vous
« Comme lui , bon , humain , charitable
envers tous. »
O le bel apologue ! O la douce parole !
Docteurs haineux et durs , allez à cette école ;
Faut-il vous expliquer l'ingénieux dessein
Qui pour modèle aux Juifs montre un Samaritain ?
Savez-vous qu'autrefois l'enfant de Samarie
Fut aux yeux des Hébreux un païen , un impie ;
Qu'ils avaient en horreur cet ennemi du ciel ,
Et du mont Garizim le sacrilège autel ?
C'est ce païen , pourtant , dont la noble conduite
106 MERCURE DE FRANCE .
Condamne ici le prêtre et fait honte au Lévite !
Que ce précepte saint , désormais mieux compris ,
Pénètre en tous les coeurs , règne en tous les esprits ;
Amené lentement jusqu'à la tolérance ,
Le monde ira plus loin , j'en conçois l'espérance ;
Se tolérer , c'est peu ; ce n'est que se souffrir ;
Il faut nous entr'aimer , nous entre-secourir ;
Avec tous les humains en frères sachons vivre ,
Quel que soit leur prophète , et leur culte, et leur livre .
Et toi, mon bon prochain , qui m'as calomnié ,
Mon coeur ne nourrit point pour toi d'inimitié ;
Viens m'offrir , s'il se peut , l'occasion propice
D'exercer ma vengeance ... en te rendant service ;
Viens , dis-je , et souviens -toi que le Samaritain ,
Malgré ta haine injuste , est encor ton prochain.
m
DU JURY .
Quelques réflexions relatives à l'instruction criminelle
que j'ai publiées , comme juré , dans un procès
politique , étaient appuyées sur des faits d'une telle
gravité que l'attention des députés mêmes en a été
frappée , et qu'à cette occasion est sorti de la tribune
nationale le voeu d'une révision prochaine dans l'organisation
du jury. Qu'on juge par là combien il importe ,
lorsque l'initiative des lois est concentrée dans le ministère
, que la liberté de la presse , ou accordée par la
sagesse des législateurs , ou conquise par le courage des
citoyens , établisse des communications vives et pénétrantes
de l'opinion publique avec les mandataires de
la nation ! Tout porte à faire espérer que la réforme du
jury est enfin devenue le sérieux objet de la sollicitude
législative ; c'est le moment pour les écrivains de préparer
les voies aux méditations des hommes d'état .
Déjà M. Ricard d'Allauch a jeté de vives clartés sur
JANVIER 1818. 107
cette matière dans un écrit dont le Mercure a rendu
compte. M. Benjamin de Constant ne pouvait omettre
le jury, en composant un Cours de politique constitu→
tionnelle , qu'il est interdit à ses collaborateurs de louer
ici , mais dont l'éloge est renfermé dans le nom même
de son auteur ; enfin M. C ...... , conseiller à la cour
royale de Paris , vient de publier , sur le même sujet ,
une brochure faite pour appeler l'attention publique .
Je me propose d'en parler dans un article prochain . Mon
objet aujourd'hui est d'examiner ce qu'était le jury pour
nos pères , afin que nous puissions déterminer mieux
ensuite ce qu'il doit être pour nous.
J'entends répéter de toutes parts que le jury est une
institution populaire ; il importe d'empêcher que les
esprits ne soient imbus de ce préjugé politique dont on
essaie de tirer de fausses conséquences .
4
Il est bien vrai que , dans les temps populaires de
la France , le jury , revêtu de sa forme actuelle , a été
emprunté des populaires constitutions de l'Angleterre ;
mais que ces circonstances ne nous fassent point illusion
; il est d'origine française et monarchique : les
Anglais , en nous le communiquant , n'ont fait que nous
rendre le présent qu'ils tenaient de nos aïeux ; c'est un
ruisseau qui est retourné vers sa source ; et si le jury
est le fondement de l'égalité des droits des citoyens
nous serons conduits à reconnaître , dussent en frémir
quelques hommes , qu'alors cette égalité fut , dès le
principe , la substance même de notre monarchie ; car
le jury a pris naissance avec elle , et il faut descendre
à des temps bien modernes pour l'en séparer ; le mot
mème , si nous y prenons garde , va nous mettre sur
la véritable trace de la chose .
Au temps où les rois francs n'étaient encore , proprement
parler , que des chefs militaires ; et , avant
108 MERCURE DE FRANCE .
que Clovis eût imprimé à la monarchie française son
premier caractère , dont les traits ne se sont bien fixés
que sous Philippe - Auguste , le roi , soit par lui -même ,
soit par ses envoyés , rendait les jugemens à la manière
expéditive des camps , sur la simple affirmation
de l'accusé. Lorsque les formes de la société commencèrent
à devenir plus distinctes , on reconnut le vice de
ce mode de procédure , et le serment fut substitué à
l'affirmation . L'on ne s'en tint pas là . Pour entourer
d'un plus grand appareil la religion du serment , on
voulut que douze amis de l'accusé jurassent avec lui
son innocence ; ainsi les premiers jurés n'étaient autres
que les assesseurs mêmes du prévenu ; circonstance
remarquable dont il faut bien se garder de laisser périr
le vestige. Les jurés doivent se considérer encore les
amis de l'accusé. Ce sont les délégués de la patrie autour
d'un de ses enfans en deuil et en péril . Ils ne
viennent plus , comme autrefois , s'associer avec une
confiance aveugle au serment de son innocence ; ils
viennent en balancer les preuves , et ne se séparent de
lui que lorsque l'examen a jeté sur les faits l'irrésistible
et désolante lumière de la culpabilité . L'allégorie
nous peindrait le jury sous les traits d'Apollon protégeant
Hector à son jour fatal , combattant à ses côtés
sans être vu , et ne l'abandonnant qu'après que la
Parque et le Destin ont déjà saisi leur victime . Telles
ne sont pas , je le crains , les idées de quelques - uns de
nos vieux et même de nos jeunes criminalistes ; mais
en seraient- elles pour cela plus mauvaises ? La rigueur
des formes de jugement , comme celle des lois pénales ,
sont-elles donc de bien sûrs préservatifs du crime ? La
société n'a- t - elle pas tout à gagner à l'adoucissement des
moeurs ?
Reprenons l'historique de la formation du jury .
JANVIER 1818. 100
Tandis que , chez les Anglais , Alfred - le -Grand méritait
une reconnaissance éternelle , en préparant pour
tous les citoyens , par la division du royaume en décuries
et en centuries , le futur bienfait de cette magnifique
institution , la barbarie féodale venait au contraire
établir parmi nous, sur ses débris , l'usage déplorable des
épreuves et des duels judiciaires , et réserver le jugement
par pairs aux seuls grands vassaux de la couronne . Alors
plus de législation , plus de justice pour nos pères ; l'état
social devint un chaos à travers lequel toutefois ne cessaient
de percer les souvenirs et les regrets d'un meilleur
temps. Nous en trouvons , dans Mathieu Paris , un
frappant témoignage . Cet historien rapporte que , sous
Philippe-Auguste , à l'occasion de prisonniers illégalement
détenus , il s'éleva une réclamation universelle ,
et qu'on invoqua hautement l'ancienne coutume des
Francs , d'après laquelle personne , sans le jugement
de douze de ses pairs , ne pouvait être dépouillé de ses
droits . A ces cris généreux , répétés dans plusieurs circonstances
, se réveillèrent les idées de règle , d'ordre ,
d'équité. Les jugemens confiés aux comtes et aux seigneurs
furent rendus publiquement en présence des
parties , et toujours par l'intervention des pairs , c'està-
dire des jurés . « Cette loi fut tellement rigoureuse
« que , dans les petits fiefs , lorsqu'il ne se trouvait pas
<< un assez grand nombre de pairs pour le jugement
« d'un vassal , on était obligé d'en emprunter du sei-
« gneur suzerain . » (M. de Montlosier, de la Monarchie
française, tom. 1º , pag. 120) . Le même auteur, qu'on
n'accusera pas de tendre à la popularité des institutions ,
ajoute « que le jugement par pairs fut regardé comme la
« première garantie de toute équité et toute liberté . »
Il n'est pas douteux qu'un tel ordre de choses n'eût
Conduit rapidement les Français sur la route de l'orga110
MERCURE DE FRANCE .
((
nisation actuelle du jury , surtout depuis la charte de
Louis X , proclamant que selon le droit de nature ,
chacun doit être franc , si l'introduction subite des
lois romaines dans la législation française n'était venue
enlever à cette législation son noble caractère , et substituer
des idées de domination despotique à celles d'une
sage et nationale liberté . Les légistes ne se montrèrent
pas moins que les moines une milice ultramontaine , un
peuple séparé , champion de servitude , au milieu de la
bonne et généreuse nation des Gaulois et des Francs .
Mais c'est encore dans M. de Montlosier , auteur non
suspect, qu'il faut lire le détail de cette humiliante révolution.
« Les hommes instruits, dit- il , pag. 179 , ont dû
« être assez étonnés , dans ces derniers temps , d'entendre
rappeler , comme une antique maxime française , le
« fameux adage : Qui veut le roi , si veut la loi. On
« peut être bien assuré que nos pères ne pensèrent et
« ne prononcèrent jamais rien de semblable . C'est aux
jurisconsultes romains qu'il faut faire honncur de
« cette doctrine ; elle leur appartient. Ce qui plaît au
prince , disent - ils , doit faire loi ; car , comme le
peuple a transmis en lui et dans lui sa toute- puis-
« sance , c'est à lui seul qu'appartient de faire des lois
« et de les interpréter ..... On voit actuellement pourquoi
le droit romain ..... reçut tant de faveur de la
« part du monarque . Ses maximes lui convenaient beau-
« coup plus que les anciennes moeurs franques . Ou ne
« se contenta pas de s'y complaire ; on les produisit
« avec affectation ; on les répandit partout ; on les adressa
« à toutes les écoles comme la raison du genre humain .
« Il se produisit ainsi comme un double empire ; l'un qui
« s'obstina à se gouverner selon les moeurs franques et
« les principes de la liberté propre aux Francs ; l'autre
« voué aux moeurs et aux principes de servilité des temps
«
«<

JANVIER 1818. III
« dégradés de Rome, » Ne croirait- on pas fire l'histoire
contemporaine ?
Je me résume. Le jury est d'origine française et inhérent
aux principes constitutifs de notre monarchie .
C'est le jugement par pairs .
Tout autre mode de jugement est odieux aux Français
, non seulement comme oppressif, mais comme
anti-national .
-
Le jury , renversé deux fois parmi nous , s'est relevé
avec plus de force et d'éclat malgré ses constanṣ
ennemis.
La jurisprudence qui le repousse est une jurisprudence
étrangère et servile . Il est dans la nation même ,
c'est le mode d'être des Français .
L'administration , en l'attirant à soi , l'usurpe et le
dénature .
De ces principes et de ces faits , il résulte que la mesure
la plus urgente est de mettre le jury en harmonie
avec la charte , ou plutôt avec l'essence même du peuple
français , et que l'intérêt public doit accueillir avidement
toutes les observations qui tendront vers ce but .
E. AIGNAN.
VARIÉTÉS.
MÉTÉOROLOGIE.
AM. le Rédacteur du Mercure ( ·) . .
14 décembre 1817 .
Vous vous rappelez , monsieur , qu'il y a deux mois ,
(1 ) Cet article nous a été communiqué il y a déjà un mois.
112 MERCURE DE FRANCE.
l'apparition de quelques froids précoces induisit nos
Laensberg à nous menacer d'un grand et rude hiver
comme 1709 et 89.- Par cas piquant , nous n'eûmes
jamais de si beaux et de si doux mois d'octobre et de
novembre ; aussi les plaisans se moquent- ils des prédiseurs
; mais , monsieur , au risque de passer pour contrariant
, je ne suis de l'avis ni des uns ni des autres .
D'une part , les plaisans n'ont pas encore raison , puisque
l'hiver n'est pas réellement commencé , et que nous
avons à traverser deux époques où le froid a coutume
de poindre ( celle de Noël aux Rois , et celle de la Chandeleur
) ; d'autre part , je soutiens 1 °. qué les prédiseurs
auront tort , quand même l'hiver serait rude. D'abord je
demande qu'ils s'expliquent nettement sur le mot , autrement
ils auront toujours des portes échappatoires sur
l'intensité et la durée : moi je dis nettement que même ,
avec 18 degrés sous glace , comme en 94 et 89 , ils n'auront
pas l'honneur d'ètre prophètes . Pourquoi cela ?
parce que leur prédiction est établie sur des bases
totalement fausses en raisonnement et en fait. Il y
aura un grand hiver , ont- ils dit , parce que la période
de dix -neufans en ramène de tels, et ils ont invoqué les
tables météorologiques , entre autres celles du père Cotte
de Montmorency. Mais d'abord les grands hivers marqués
1709 , 1776 , 1789 et 1794 , ne présentent point
de série de dix-neuf ans ; 2 ° . les tables du père Cotte
n'en offrent pas davantage ; car je puis citer des témoins
vivans qui consultèrent ce savant , il y a quatorze ou
quinze ans , sur la question de retours périodiques des
vents et des pluies , et qui en reçurent , par écrit , la
réponse que , « sur trente - sept années dépouillées de ses
« registres , il y avait eu des variations de pluie , depuis
« neufpouces au minimum par an , jusqu'à trente - cinq
«< pouces ; qu'il y avait eu dix - sept années où le
« thermomètre , à la saint Jean , était tombé à 8 et g
« degrés au- dessus de zéro , par conséquent avait forcé
« de se chauffer ; què , du reste , il lui était impossible
« de trouver aucun retour périodique , aucune ressem-
« blance dans les vents ni des mois , ni des saisons , ni
« des années . » Le père Cotte est mort , mais les tables
de l'Observatoire royal subsistent , et leurs résultats jourmaliers
, publiés par le Journal de Paris, sont un monuJANVIER
1818. 113
ment précieux pour le passé et pour l'avenir. Il serait
curieux et instructif de publier, chaque année , sur deux
colonnes en regard , d'un côté , le temps tel qu'il a été
prédit par les almanachs et les annuaires de nos Laensberg
( Mathieu ) , Maret ou Jérôme ; d'autre côté , le
temps vrai noté à l'Observatoire et dans le Journal de
Paris : celá éclairerait les croyans. Je ne prétends pas
dire que cela les désabusàt , car c'est surtout pour l'erreur
qu'existe le droit de prescription ; il est amplement
acquis à celle- ci , puisque son origine remonte aux
astronomes ou astrologues chaldéens , inventeurs , nous
assure - t- on , de la période lunaire de dix -neuf ans ;
mais l'usage que l'on veut faire de cette période lunaire
est - il bien conforme à sa nature ? Les historiens nous
disent que , selon les Chaldéens , la lune se retrouvait ,
avec les planètes , le soleil et les astres , dans la même ·
position où ils étaient tous , dix-neuf ans auparavant.
Ils ne nous disent pas que ce retour ramenât les
meines phénomènes de l'air et de la végétation , comme
le veulent conclure nos Laensberg ; et quand même les
Chaldéens l'auraient conclu ainsi , cela ne prouverait
rien pour nous et notre climat , vu la différence extrême
qui existe entre nos latitudes et celles de l'Euphrate.
Cette confusion de climats est une grave et constante
erreur des faiseurs d'almanachs : une autre , qui est la '
source de toutes , c'est de vouloir que la lune soit
le grand régulateur des mouvemens de l'air , de ces
grands et variables courans que l'on nomme vents , desquels
dépend éminemment le caractère des saisons . A
la vérité , leurs raisonnemens sur cette thèse sont construits
de manière à échapper à toute objection ; car ,
posant en fait que tout quartier cause un changement
de temps , ils ont d'abord quatre époques à leur ordre
en vingt - huit jours ; ensuite tout changement qui
arrive dans les vingt - quatre heures avant et après le…
quartier , est encore censé en être l'effet ; et , comme
le demi - quartier a aussi son influence , il s'ensuit
que la lune régit directement au moins quatre jours
sur sept ; ce qui lui laisse peu à désirer et cela est
difficile à contester ; car ainsi l'ont imaginé nos pères
qui , à la vérité , croyaient que la terre était un cube ,
autour duquel le soleil et les astres tournaient , chaque
8
114 MERCURE DE FRANCE .
vingt-quatre heures , il fallait se presser ; mais si la
lune est la cause des vents ( qui nous donnent la pluie -
et le sec ) , pourquoi ces vents diffèrent-ils du tout au
tout sur un espace souvent très-borné de pays ? pourquoi
ne sont-ils pas en un rapport général , constant et
périodique avec le cours de cette planète ? Les lunaristes
appellent à leur aide le grand mouvement des
marées océaniques qui correspondent à ses phases et à
ses distances ; mais en admettant que la lune soit ici
l'agent unique , ce qui n'est pas démontré , rien n'empèche
de concevoir qu'elle presse l'atmosphère en masse,
comme on presserait un ballon , sans que le fluide inté
rieur cessât d'éprouver des mouvemens partiels , causés
par d'autres agens internes.Or ces agens internes ou plutôt
ce grand agent unique de tout mouvement , est le feu ,
tant calorique qu'électrique , qui , selon ses degrés divers
et variables d'intensité , rompt l'équilibre des couches
de l'air , et cause les courans de ce fluide que nous
appelons vents . Le soleil étant le principal créateur ou
moteur de ce feu , c'est à cet astre d'abord et à ses phases
qu'il faut rapporter le plus ordinairement les mouvemens
de l'air , c'est-à-dire les vents ; depuis quelques
années , ce que de savans physiciens et voyageurs ont
écrit sur cette théorie , dispense d'y insister .
Il est
-
démontré que sous l'équateur règne un grand courant
d'air , un vent alisé de l'est à l'ouest , qui suit constam→
ment la trace du soleil : dans cette zone , tout est régulier
, exception faite des orages qui sont un accident
du feu solaire . Si l'on sort de ce grand courant équatorial
, l'on entre à droite et à gauche , vers sud et vers
nord , en deux larges zones parallèles ( qui sont nos
zones tempérées entre les tropiques et le pôle ) , où l'air
n'étant point soumis à une action aussi directe du soleil,
est essentiellement passif et variable ; là , il arrive en
grand ce que l'on peut observer en petit dans les
fleuves rapides où le courant du milieu perdant de sa
force vers l'une et l'autre rive , y jette ses eaux qui vont
tournoyant de mille manières bizarres , figurant ce que
l'on appelle des remous : vouloir tracer des règles fixesà
ces remous , c'est vouloir régler le hasard . L'irrégula- ›
rité est donc le caractère essentiel de nos zones ; mais à
cette cause fondamentale viennent se joindre deux causes .
JANVIER 1818 . 115
- -
secondaires très-puissantes et non moins accidentelles
et variables . L'une , les orages occasionés à l'improviste
par l'action du soleil sur des masses de nuages
plus ou moins volumineuses , et qui , subitement réduites
à zéro par la détonation électrique , causent les
tourbillons , les trombes , les ouragans ; l'autre , les
éruptions de volcuns , par qui , sur un ou sur plusieurs
points , s'établissent tout-à-coup d'énormes et terribles'
courans d'air dont la sphère d'action s'étend à des distances
incalculables . Jusqu'ici , les physiciens n'ont
point assez étudié cette classe d'agens des mouvemens
de l'air : l'on n'en peut citer que quelques exemples ;
mais ils suffisent à donner une haute idée de leur influence
sur les irrégularités de nos saisons. 1º . Elles furent
généralement troublées , ces saisons , pár les éruptions'
qui suivirent le tremblement de Lisbonne . Elles le
furent encore , et l'air , pendant plus de cinq mois ,
prit un aspect trouble et violet à la suite des éruptions
de l'Etna et du Vésuve en 1785. A une autre date
voisine , une éruption de l'Hekla en Iceland , troubla ,
pendant plusieurs mois , l'atmosphère jusqu'aux rivages
de Bordeaux où la cause en fut connue des marins .
-

Enfin , pour ces deux dernières années où le dérangement
de notre température a été si marqué , si continu
, au lieu d'aller chercher des causes dans la lune ,
ne serait-il pas plus raisonnable d'en chercher dans
cette continuité de tremblemens de terre dont les
journaux ont fait la remarque avec étonnement ; et ,
dans les éruptions de volcan qui en sont l'effet concomitant
, remontant jusqu'à celles qui , aux mois de
mars' , avril et mai 19 : 6 , ébranlèrent toute la charpente
de l'ile Sombaona , au sud de Borneo , à l'est de Java ,
et qui , selon le récit des journaux anglais ( 1 ) , après
avoir couvert de neuf pouces de cendres des vaisseaux
stationnés à soixante lieues de distance vers nord - ouest ,
encombrèrent la mer d'une telle quantité de pierresponces
, que le sillage était pénible jusqu'à vingt lieues.
de l'ile citée . Remarquez que le désordre de notre
température date de cette époque - Si main tenant vous
considérez que , par un cas inoui , le pôle du nord s'est
(1) Voyez le Journal intitulé : Asiatick Journal.
8.
116
MERCURE
DE FRANCE
:
-
trouvé libre cet été dernier , et qu'il est encore dégagé de
ses glaces qui sont venues flotter jusqu'au 40 ° degré dans
l'Océan atlantique , vous serez encore plus porté à croire
que notre planète éprouve en son corps une convulsion
intestine qui dérange sa transpiration ( l'atmosphère) ; et
si vous ajoutez à cela que cette transpiration s'est montrée
altérée même en ses élémens , puisque tantôt nous
avons vu l'air se résoudre en pluie par tous les vents ,
même par ceux qui la refusent d'ordinaire ( comme il
arriva l'an passé ) , tantôt ne vouloir en donner aucune
même par les vents qui en donnent le plus ( comme il est
arrivé cette année notamment depuis juin ) , vous serez
porté à croire que c'est aux volcans et aux tremblemens
qu'il faut attribuer des gaz ayant la propriété de résou-
Phénomène qui
dre les nuages , ou de les résorber.
se lie intimement aux maladies épidémiques si répandues
..... Mais je crains d'abuser de votre journal .
Je me résume et je que , laissant à part les Laensberg
pour ce qu'ils valent , on ne peut tirer aucuns pronostics
des phases de la lune relativement aux vents et
aux saisons , ainsi que l'a démontré négativement un
annuaire publié , il y a quelques années , par un naturaliste
estimable : j'ajoute que , pour faire des progrès en
météorologie , il faudrait que les sociétés savantes de
l'Europe organisassent un système étendu d'observations
et de correspondance , au moyen duquel on pût se
rendre compte de la marche simultanée des courans de
l'air. Par exemple , étant donué le vent d'ouest qui ,
de l'Océan , arrive en France par le golfe de Gascogne ,
et pendant neuf mois sur douze , remonte aux Alpes
suisses , savoir ce que devient ce courant d'air de l'autre
côté des Alpes ? .. ., etc. , etc.
dis
J'ai l'honneur d'être , etc. , etc.
que
Le comte DE VOLNEY .
-
P. S. S'il est permis d'augurer de cet hiver , je dirai
le solstice décidera de son caractère par les vents
qui domineront dans les dix jours suivans : il est probable
que le froid le plus marqué sera fin de janvier et
début de février.
JANVIER 1818. 117
CORRESPONDANCE .
mwmmme
A l'Ermite dela Guyane , à Toulouse.
ESTIMABLE ERMITE ,
Je m'empresse de vous écrire dans l'espoir que ma
lettre vous trouvera encore à Toulouse. Vous n'étiez
point à la bataille qui s'est donnée sous les murs de
cette ville , quoique vous soyez digne de figurer dans
le rang des braves , car on m'a assuré que vous aviez
fait vaillamment plusieurs campagnes dans votre jeunesse
, et vous vous montrez toujours l'ami de la gloire
et de l'honneur français . La manière avec laquelle vous
définissez la victoire de Toulouse prouve en outre que
vous comprenez bien la guerre.
Je vous remercie d'avoir bien voulu citer mon nom
parmi ceux qui doivent être attachés à l'affaire de Toulouse
. Je commandais trois des sept régimens de cavalerie
légère qui ont eu le regret de ne pouvoir assister
à cette bataille que comme spectateurs : le terrain et
les circonstances ne leur ont permis que de faire agir
quelques hommes. L'honneur de cette journée est due
au caractère du chef , au génie , à l'infanterie et à l'artillerie
françaises ; mais , parmi les généraux qui ont pris
une part très - active à cette bataille , je suis étonné qu'on
ait oublié de vous parler du lieutenant-général Reille ,
commandant l'aile gauche , qui défendit , avee sa valeur
et ses talens déjà tant de fois appréciés , la ville et le
beau pont de Toulouse qu'on ne voulut point endommager
; des lieutenans-généraux Darricau et Maransin ,
commandant chacun une division d'infanterie , et qui
se sont particulièrement distingués . Le général Drouet ,
comte d'Erlon , et non Drouot , commandait le centre ;
Clausel avait le commandement de l'aile droite , et de
la cavalerie qu'il n'a pu employer ee jour-là,
218
MERCURE
DE FRANCE
.
Le général Rey , que vous avez cité , commandait,
une brigade d'infanterie de la division du général Taupin
qui mourut glorieusement à la tête de ses troupes.
Je vais , respectable Ermite , vous citer un fait héroïque
qui s'est passé sous mes yeux :
Le maréchal Soult , qui avait savamment choisi et
déterminé la position de sa petite armée sous Toulouse
avait fait mier quelques ponts sur l'Ers ; et , lorsqu'il
vit que la bataille était décidée , il rappela la portion
de sa cavalerie qui , depuis la pointe du jour , se battait
en avant de cette rivière . Je repassai avec ma brigade
sur le pont de l'Ers , vis-à-vis Saint-Martin , et restai
en observation à cent toises en arrière avec quelques
pelotons, pour m'opposer à la nombreuse cavalerie qui
me suivait , dans la crainte qu'elle n'en tentât le passage
avant qu'il ne fût rompu . Les minutes sont alors
bien longues ; il s'en était écoulé plusieurs , et le pont ne
se détruisait pas. Les conséquences en devenaient terribles
. Le nommé Vincent , maréchal - des - logis au
22 régiment de chasseurs , 5 compagnie , témoin de
mon impatience , de toute mon inquiétude , de son
propre mouvement , se précipite vers le pont , suivi
d'un chasseur qu'il appela pour tenir son cheval , met
pied à terre près de la foudre qui pouvait éclater , va
examiner la mèche de la fougasse qu'il trouva éteinte ,
bat le briquet , et y remet le feu avec un morceau d'amadou
; il s'élance précipitamment sur son cheval , et ,
ayant à peine eu le temps de s'éloigner , l'explosion
fut si prompte qu'on craignit pour les jours des deux
soldats qui s'étaient si courageusement exposés pour l'intérêt
de l'armée . La première récompense que je crus
devoir donner à ce brave sous- officier fut de l'embrasser
devant tous ses camarades , et je crois que ce fut la seule
qu'il reçut .
J'ignore si Vincent vit encore ; je désirerais qu'il
pût lire ces lignes , et qu'il apprît que je ne l'oublierai
jamais .
Continuez à prendre des renseignemens , bon Ermite ,
tandis que vous êtes sur les lieux , et vous apprendrez
que , si l'armée de Catalogne , qui brûlait de venir partager
la gloire de celle de Toulouse , lui eût seulement
envoyé trois mille de ses braves , une division
}
JANVIER 1818. 119
anglaise eût été prise ou jetée dans l'Ers avant le milieu
du jour , et l'issue de la bataille eût été une victoire
décisive pour la France.
L'armée alliée n'avait pas tout -à-fait cent mille hommes
; la nôtre n'en avait pas vingt-cinq mille ; on ne
vous a pas trompé sur les proportions .
Après la bataille , vingt mille Français restèrent vingtquatre
heures sur le théâtre de leur gloire , et se retirèrent
de Toulonse , sans être attaqués , avec tous leurs
blessés qui pouvaient être transportés sans danger pour
deur vie . Ils se sont arrêtés à Avignonet où ils ont établi
leurs avant-postes . Les Anglais n'ont paru devant eux
que le jour suivant .
Recevez , bon Ermite , l'hommage de mon dévouement
,
Le maréchal- de- camp BERTON.
A MM. les auteurs du Mercure de France.
MESSIEURS ,
Vous avez inséré dans le carton du Mercure , Nº . 39 ,
une notice fort intéressante sur Jean Le Hennuyer ,
évêque de Lisieux , dans laquelle j'ai remarqué cette
phrase qui la termine : « Ainsi il faut réduire le
nombre des hommes vertueux qui eurent le noble
« courage et la piété réelle de s'opposer au commandement
exprès du roi ; et ne citer avec le juste éloge
« qu'ils méritent , que le vicomte d'Orthes , le comte
« de Tende , le comte de Cordes , Chabot- Charny ,
« Saint-Héran , La Guiche , Leveneur de Carrouges
« Matignon et Fumichon . »
Il faut ajouter à cette trop courte liste d'hommes
généreux , le nom de Thomasseau de Cursay, gentilhomme
angevin , que ses blessures avaient obligé de
quitter le service et de se retirer dans sa province . Le
duc de Guise qui connaissait le dévouement de ce brave
officier , lui écrivit pour l'engager à diriger en Anjou
le massacre des protestans ; et pour l'y déterminer plus
sûrement , sachant qu'il n'était pas riche , il lui fit des
120
MERCURE DE FRANCE .
offres de fortune et d'avancement. Voici quelle fut la
réponse de Thomasseau :
MONSEIGNEUR
16
« Je porte d'honorables marques de mon zèle et de
« ma fidélité pour le service de mon roi . Je chéris plus
« ces blessures que les marques d'honneur dont votre
<< altesse me veut décorer , parce que je les ai acquises
«< par des actions nobles . Vous me dénigreriez dans
« votre coeur , monseigneur , si je les acceptais , en
« vous obéissant dans un office qui ne convient qu'aux
<«<< ennemis du roi et de son état. Il n'y a pas ici un seul
« homme dans les citoyens , ni dans la raffetaille , qui
« ne soit prêt à sacrifier son bien et sa vie pour le sex-
« vice du roi ; mais il n'y en a pas un seul , dans
«< ces différens états , qui voulût exercer un office si odieux
« et si contraire à l'humanité . »
Je suis , etc.
THOMASSEAU DE CURSAY ..
13 août 1572.
Occupé depuis plusieurs années à recueillir tout ce
qui peut honorer l'Anjou , j'ai pensé que je ne devais
pas laisser échapper l'occasion de faire placer un Angevin
parmi ce petit nombre d'hommes qui , par leur
vertueuse désobéissance , se sont acquis , outre leur
gloire militaire , un nouveau titre à la reconnaissance
de la patrie . Peut - être , messieurs , trouverez-vous cette
réclamation un peu tardive ; mais s'il est vrai de dire
des bonnes actions , qu'il n'est jamais assez tard pour
qu'on en soit dispensé ; on pourrait ajouter avec autant
de raison qu'il n'est jamais trop tard pour les publier.
J'ai l'honneur d'être avec respect , messieurs
votre très-humble serviteur ,
BODIN.
Launay, près Saumur , 19 décembre 1817,
JANVIER 1818 . 121
MERCURIALE .
Plusieurs fètes m'ont séparé de vous , mon cher Senneval
: d'abord un diner de grands parens où je me
suis trouvé dans la continuelle alternative de caresser des
nièces de quinze mois , ou de courtiser des tantes de
soixante-dix ans ; puis un bal où se montraient dix
Anglais contre un Français , comme cela, s'est vu plus
d'une fois ; enfin , une soirée de musique où mademoiselle
B *** a déclamé le rôle d'Iphigénie , et
où une jeune mariée a chanté , d'une voix fausse , la
Fidélité conjugale. Fort heureusement , je me suis réveillé
de ces ennuyeux plaisirs au souper de Mad . *** .
C'est une maison dont la société est sortie victorieuse
de l'épreuve des circonstances ; tout le monde s'est
obstiné à s'y parler et à s'entendre ; ce qui devient tous
les jours plus rare depuis trois ans ; on s'y tient ferme
dans les rangs de l'amitié et des opinions libérales ; enfin
, madame *** n'a encore éprouvé que la défection
de deux transfuges qui n'ont plus le temps de fréquenter
son salon , attendu qu'ils le perdent dans les antichambres
. Il y a peu d'hommes d'un grand talent ou
d'un beau caractère qui ne soient honorés de l'accueil
de madame *** ; et , dans sa société , on pourrait se
croire ramené aux mémorables réunions de Mad . Geoffrin
ou de madame d'Houdetot , si les femmes n'y faisaient
pas de la politique , ce qui , au reste , n'est peut -être
pas plus étrange que des colonels faisant de la tapisserie
; il a bien fallu que nos Françaises , pour se soustraire
aux rigueurs d'un silence presqu'aussi pénible
pour elles que pour nous , se conformassent à la tyrannie
de nos conversations constitutionnelles . D'ailleurs ,
des projets de réforme ou de recrutement , des ordres
de congé ou de mise en activité ne me semblent pas
trop déplacés dans la bouche d'une jolie femme , et il
n'y a pas de mari qui ne s'estimât heureux de retrouver
dans son ménage la balance et l'économie du budget .
122
MERCURE
DE FRANCE.
Lorsque j'entrai chez madame *** , un intérêt contemplatif
rassemblait toute la société autour d'une lecture ,
qu'au silence religieux des auditeurs , je pris pour la
sainte narration de la vie de quelque vierge , entrée martyre
dans la maison du Seigneur . Le mot de maison Bancal
vint bientôt m'avertir de mon quiproquo sacrilége , et
je compris qu'on tenait en main les Mémoires de madame
Manson (1 ) , dont la curiosité publique a déjà
épuisé quatre éditions . La lecture terminée , je m'emparai
du problématique volume ; et , après avoir promené
mon attention du portrait de cette femme extraor¬
dinaire à celui de son jeune fils et du fac simile d'une
de ses lettres , à l'effigie de la cellule qui l'emprisonne ,
je parcourus de nouveau l'intéressante préface du
Siénographe parisien , éditeur de ces Mémoires. Si
vous me demandez maintenant quel est ce secret si
inconcevablement gardé pendant quinze audiences , je
me tairai à mon tour ; je ne veux pas vous frustrer du
plaisir de le chercher vous-même dans la confession
générale de madame Manson. Un secret qu'elle ne sait
point cacher , c'est celui de son esprit piquant , de sa
grâce originale et de son ardente imagination.
Toutefois si votre pressante curiosité me demandait
quelle est la première impression produite par la lecture
du Mémoire , je répondrais qu'elle fait naître la
conviction de la parfaite innocence de Mad. Manson .
Ce ne sont point ses argumens qui nous ont le plus
persuadé , ce sont les raisons qu'elle a puisées dans son
coeur, et qui doivent être entendues de tous les coeurs généreux.
Elle consentait , pour épargner à sa famille de plus
grands malheurs , à sacrifier sa réputation , en avouant
qu'elle était présente au meurtre . Ses avenx ont été
le fruit de la persuasion de ses interrogateurs , de la
torture morale qu'on lui faisait subir. A ces considérations
, qu'on ajoute celle d'un caractère indépendant,
pour qui l'ennui est un supplice ; songez surtout à sa
vive tendresse pour son fils qui languissait loin d'elle
pendant de longues heures d'inquisition , et vous aurez
toutes les causes vraisemblables de l'abandon qu'elle a
( 1 ) Un vol. in-8° . , orné de charmantes gravures . Chez Pillet ,
rue Christine. Prix : 4 fr.
JANVIER 1818 . 123
mis à reconnaître pour des vérités les suppositions dont
on la rendait l'objet.
Une chose qui frappe en ouvrant le joli volume ,
c'est la singulière dissemblance du portrait de madame
Manson avec les images qui avaient déjà été placées à
la tête des différentes notices publiées sur le procès .
Cela s'explique , si les traits qu'on nous a donnés , pour
être les siens , ont été jusqu'ici l'idéal de quelque maladroite
imagination , et que le nouveau dessin ait été
saisi à Rodez d'après nature.
Entre autres nouvelles , une dame vint nous apprendre
que la princesse de Canino , femme de Lucien
Bonaparte , déjà célèbre par son esprit et ses dispositions
poétiques , était sur le point de publier un poëme
vraiment patriotique , qu'elle a composé sur la terre de
l'exil et dans les jours de la captivité : c'est déjà un
titre à l'indulgence ; mais cette dame qui a tenu l'ouvrage
manuscrit , assure qu'il n'en a pas besoin .
Je vis ensuite arriver l'Etrenne Mignonne d'un monsieur
un peu tardif dans son offrande , c'était un
Voltaire de l'édition compacte de M. Desoer , dont le
sixième volume , complettant la moitié de l'ouvrage ,
vient d'ètre livré au public . Le cadeau philosophique
fut très - favorablement accueilli , d'abord à cause de
Voltaire , ensuite pour l'édition elle-même , et l'on a
remarqué que M. Desoer avait habilement profité , dans
ce sixième volume , des reproches adressés au papier et
à quelques négligences typographiques des précédentes
livraisons.
A l'Etrenne compacte , succéda le Gâteau des Rois ;
un caprice de la fortune me donna la royauté ; mon
règne s'annonça par un bienfait qui ne trouva point
d'ingrats ; je voulus que la première harangue de mes
dignitaires fût une chanson de M. de Béranger ; il fallut
ensuite procéder à l'élection de la reine du festin ; mon
coeur m'indiquait une jeune dame , dont les beaux.
yeux valaient bien une couronne ; mais l'étiquette me
désigna sa voisine , qui n'avait pour elle que le droit
d'aînesse ; je choisis donc la douairière , non sans me
plaindre tout bas de cette restriction à la liberté individuelle
.
Il était minuit ; c'est le moment de la liberté pour
124 MERCURE DE FRANCE .
les rois comme pour leurs sujets ; il me prit fantaisie
d'aller égayer ma grandeur au bal de l'Opéra. Ce mot
rappelle tout ce que la folie a de plus aimable , et la
mode de plus bizarre . Eh bien ! figurez- vous , mon
ami , une promenade d'automates silencieux qui ont
l'air de s'amuser comme des chartreux qui réfléchiraient
dans un cloître sur le jugement dernier : ce sont
les paroles de M. Lemontey , dans son charmant livre
de Raison , Folie , à propos des bals masqués de Londres
, et il serait impossible de trouver une définition
plus piquante et plus juste des bals actuels de l'Opéra
de Paris ; plus d'intrigues agacantes , de spirituelles
anecdotes , plus de scandale enfin , partant plus de
plaisir. On n'entend plus parler de grands seigneurs
tourmentés par un domino plébéïen , ou de quelque
mari aveuglé au point de faire une déclaration d'amour
à sa femme , et assez heureux pour croire avoir été
infidele .
Je n'ai guère rencontré , au dernier bal de l'Opéra ,
que des femmes qui n'ont pas besoin de masque pour
tout entendre , et des hommes à qui j'en aurais souhaité
un pour dissimuler l'ennui de leur physionomie.
On m'a répondu à cela que la bonne compagnie n'est
pas si dupe que d'aller se divertir aux premiers bals
masqués , et qu'il est du grand ton d'attendre à la dernière
extrémité pour prendre du plaisir : ce n'est donc
qu'au bal de la mi- carême que je pourrai me faire une
idée du carnaval.
Pendant que vous vous divertissiez , man cher
Sainville , moi j'étais à l'académie qui a tenu , le jour
des rois , sa troisième séance d'éloquence et de poésie .
Vous savez que nul profane n'est admis à ces solennités
mystérieuses de chaque mois ; il faut être Dieu pour
pénétrer dans l'enceinte sacrée ; et pourtant moi , faible
mortel , j'ai franchi le seuil inexorable , j'ai tout vu ,
tout entendu , invisible ´et présent ; cela ticnt aussi un
peu de la Divinité ; comment me trouvais- je là ? avaisje
, comme Enée, endormi la surveillance des cerbères
du lieu , avec un gâteau doré , ou bien m'étais- je déguisé
en homme de génie pour m'introduire frauduleusement
dans la compagnie des immortels ? Quoi qu'il ca
soit , j'ai assisté , seul de mon espèce , à cette fele littéJANVIER
1818. 125
1
raire , c'est tout ce que je puis vous dire , d'abord parce
que je suis bien aise d'avoir un secret pour vous , ensuite
parce que je veux , pour l'avenir , me ménager
encore ces entrées illicites , dont la première épreuve
n'a point lassé mes désirs ; c'était la curiosité qui m'y
avait attire , ce sera désormais un sentiment plus vif
qui m'y rappellera.
Les quatre académies s'étaient , pour ainsi dire ,
donné rendez-vous à cette séance ; cette affluence était
sans doute un hommage bien légitime à la renommée
de M. Raynouard ; et , d'ailleurs , on conçoit facilement
que plusieurs académiciens , qui sont en même temps
législateurs , soient venus chercher la distraction d'un
poëme épique entre deux projets de loi .
M. Raynouard s'est glorieusement justif , dans cette
solennité , du silence dont notre théâtre l'accusait depuis
trop long-temps ; on voit maintenant qu'il ne laissait
reposer sa première gloire que pour en commencer une
nouvelle ; la lecture du premier chant de son poëme
de Machabée , a prouvé qu'il ne tentait rien en vain.
On a reconnu , dans la hauteur des pensées , un émule
de Thomas , dont le poëme inachevé n'en mérite pas
moins le premier rang parmi nos compositions épiques ;
semblable à ces grands fragmens de sculpture antique
qui , dans nos Musées , occupent une place glorieuse à
côté des Dianes et des Apollons ; un seul défaut a pu , avec
quelque raison , étre reproché à l'auteur de la Péréide
il n'a pas su éviter la monotonie du sublime et l'abus
du génie ; averti par ce grand exemple , M. Raynouard
a eu le bon goût de se contraindre et d'éluder les
écueils du genre , sans en abandonner les avantages ;
ce discernement éclate dans le choix du sujet de Machabée
, qui permettait de revêtir la philosophie des
couleurs solennelles de la poésie sacrée ; il est pourtant
à regretter que cette épopée ne soit pas puisée dans
les annales françaises ; mais le poète y présente un
peuple luttant contre l'oppression , et des héros martyrs
de la liberté cet intérêt est toujours national.
D'imposantes images , des hardiesses de langage
toujours irréprochables , une multitude de vers énergiques
, qui n'étonnent point dans la bouche de M. Raynouard
, et quelques descriptions locales , pleines de
126
MERCURE DE FRANCE.
charmes , qui sont une nouvelle conquête de sa muse ,
ont recueilli , dans la docte assemblée , de nombreux
et bruyans suffrages auxquels moi , public , je me suis
vu douloureusement contraint de ne pas mêler les té→
moignages de mon admiration , de peur de trahir l'ins
cognito de ma présence. Ce sont surtout une peinture
de la pâque des Hébreux et un magnifique portrait
d'Alexandre , qui ont mérité à M. Raynouard le même
triomphe déjà remporté aux deux premières séances
par MM. Baour-Lormian et Parseval-Grandmaison . Si
je ne craignais de trahir le secret des Muses , je vous
citerais ici un bon nombre de vers que j'étais venu seulement
pour entendre et que j'ai retenus ; ma mémoire
pourrait être indiscrète mais non pas infidèle .
M. Laçretelle jeune a fait succéder au fragment poćtique
un morceau philosophique sur la Pitié et la Bienfaisance
, deux vertus à l'ordre du jour . L'orateur a été
entendu avec un grand intérèt , surtout dans la seconde
partie de son ouvrage ; on y a reconnu le talent accoutumé
de cet historien moraliste dont le nouveau livre
ne prêchera point les bienfaits dans le désert ; ainsi ,
l'on peut s'attendre à un bon ouvrage et à de bonnes
oeuvres de plus .
La fin de ces lectures n'a pas été celle de la fète ; il
s'est établi aussitôt une discussion éclairée à laquelle
tous les académiciens ont également participé ; des
observations critiques sur quelques détails des deux
ouvrages si justement applaudis , ont été tour- à -tour
proposées , soutenues et réfutées par le savoir , l'esprit
et l'urbanité ; en effet , c'est lorsque la critique est
exercée par ceux-là mème qui produisent les chefsd'oeuvre
qu'elle devient honorable et utile , et c'est
encore à l'Académie qu'il faut aller chercher la véri–
table censure littéraire .
Quatre heures sonnèrent ; c'était l'heure où les
nourrissons du Pinde sont attirés par une autre fumée
que celle de la gloire , et quittent les doctes Soeurs pour
les Fieres Provençaux. La foule des dieux commença
donc à s'écouler par groupes de convives , et je me
disais , en voyant passer devant moi ces incontestables
réfutations des moroses détracteurs de notre siècle :
De quoi se plaint Melpomène ? Voilà les chantres .
JANVIER 1818 . 127
'Agamemnon , des Templiers , de Tipoo - Saib et
d'Omasis. Pourquoi s'attrister sur Thalie ? N'a- t - elle
pas MM. Andrieux , Duval , Picard et J'ex-immortel
M. Etienne , exilé de l'Académie , comme si l'immortalité
ne devait pas ètre inamovible ? Quant à la muse
épique, se plaindra -t -on encore de son veuvage , lorsque›
le premier mardi de chaque mois révèle une épopée à
la France , lorqu'on voit à l'Institut MM. de Châteaubriant
, Raynouard , Parseval- Grandmaison , Fontanes ,
et qu'on devrait y voir M. Chennedollé ? On déplore la
décadence du goût et de la poésie , lorsque la Jérusalem
, composée en italien , et exécutée en français ,
va créer à M. Baour - Lormian une gloire contestée
jusqu'à présent aux traducteurs ; lorsque M. Aignan
accomplit l'immense travail de la traduction entière
d'Homère , et nous promet une Odyssée supérieure
encore à son Iliade ! et cependant l'histoire , la philosophie
et la politique soutiennent l'éloquence à la hauteur
où l'avaient placée les orateurs sacrés ; et une jeunesse
, riche d'espérances , se lève pour protester contre
la dégénération des lettres en France. Il y a vingtcinq
ans qu'on ne nous dispute plas en Europe le
sceptre des sciences exactes et des beaux -arts ; je ne
vois non plus aucune nation qui puisse nous opposer
l'équivalent vivant des chefs actuels de notre littérature .
Certes , un siècle qui , à dix-huit ans , compte déjà
cent immortelles victoires , la charte et six poëmnes éșiques
, ne doit pas inspirer tant d'alarmes pour son
avenir .
SS .
SEPTIÈME LISTE DES SOUSCRIPTIONS
Reçues pour les naufragés du radeau de la Méduse ,
jusqu'à la date du 15 janvier inclusivement.
Dons remis immédiatement chez MM . J. Laffitte et
comp .:
MM . J. M. Thurm frères et comp . , de Nismes , 30 f.
-- Le
128 MERCURE DE FRANCE .
---
-

-
doyen de la facult . de droit, au nom de plusieurs étudians, 118 f.
M. P. , 100 f. A. G. F. H. , 50 f.—A. R. H. , 10 f.-H. E. M. ,
5 f. Le général Fornier d'Albe , 10 f. Luce , pour le comm .
de charbon par eau, 50 f.- Le direct . du dépôt de mend . à Poitiers ,
20 f. L. R. B. , 5 f. - Une société du café Crepin , à Amiens ,
100 f. La loge maçonn . des arts et de l'amitié , à l'Orient de
Louviers , 100 f. - Deux anonymes , 24 f. - Une dame anonyme ,
10 f.
---
Dons remis aux bureaux du Journal du Commerce et
du Mercure :
-
-
-
-
-
MM. Chauvot , 10 f.-R. R. , abonnés au Mercure , 10 f. — Les
chefs de bataillon en demi - solde , Chaillou , Villemeureux et
Larouy , chacun 10 f. Les capitaines en demi- solde , Binet ,
Chapelle , Cousin et Coste , chacun 5 f. — Agron , lieutenant
en demi- solde , et son frère , 20 f. - Gerard père , ancien directeur
de l'enregistrement à Auch , 20 f. De la Rue , de Montfort-
sur - Risle , 10f. - Auguste de la Bouisse , 10 f.- Alphonse
Manuel , 5f. Anet , chirurgien -accoucheur , 5 f. — Chailly ,
docteur en médecine , 5 f. Lopez- Dubec et compagnie , à
Bordeaux , 20 f. - Duhamel aîné , négociant à Rouen , 20 f.
Brokenheimer , employé aux subsist . militaires , 5 f. - Soccard-
Magnier , 25 f. - Ledru , recev. de l'enregistr . à Pontcroix , 5 f.-
Trehot de Clermont à Pontcroix , 5 f. — Peterson , 10 f. Benoît
, négociant , 5 f.-Dammiens , commis-négoc . , 5 f. - Marchais
, accoucheur , 5 f. A. M. , 10 f. De Montricher , 20 f.
Victor G. d'Elbeuf , 31 f. - Le lieut.-génér. baron Lacoste ,
25 f.— Lauson, ex - directeur en chef de l'habillement , 10 f.
Desroziers , ex -audit . , sous - préfet , 5 f. -Guiard , doct.
médec. , 5 f. Deux clercs de M. Gilbert , notaire , 10 f.
Mingenet , médecin , 5 f. Coutisson -Dumas , adjud.-major en
retraite à Gentioux , 50 f. Mad . Michalon , 11 f. 50 c. - Mademoiselle
Demerson , socrétaire du Théâtre -Français , 20 f. —Un
anonyme de Rouen , 20 f.

-
Montant des six listes précéd .
Montant de la présente liste ,
"
-
-
TOTAL ( déposé chez MM. J. Laffitte
et compagnie ) ,
13,878 f. 95 c.
1,104 f. 50 c .
14,983 f. 45 c.
en
JANVIER 1818. 129
TIMBRE
ROYA
POLITIQUE.
S. I.
SESSION DES CHAMBRES.
SEL
Cinq propositions ont été soumises à la chambre des
députés en comité secret ; celle de M. Duvergier de Hauranne
sur l'admission des députés ; celle de M. Laisné de
Villévêque , sur la restitution aux emigrés de leurs rentes
sur l'état ; celle de M. Bourdeau , tendant à proroger le
sursis accordé aux émigrés , sur les biens qui leur ont été
rendus ; celle de M. Brun de la Lozère , sur la nécessité
d'un Code rural ; enfin celle de M. Cassaignoles , député
du Gers, sur l'abrogation de l'article 11 de la loi du 1 1 novembre
1815.
M. Duvergier de Hauranne avait considéré l'admission
sous trois points de vue. Faut- il avoir quarante ans révolus
, et payer mille francs de contributions , pour être
élu , ou seulement pour être admis ? Un député nouvellement
élu doit- il se présenter dans un délai déterminé ,
sous peine d'être réputé démissionnaire ? Enfin , peut-on
être à la fois député de plusieurs départemens ? Le rap
porteur , M. Mestadier , a mis beaucoup de clarté dans
l'examen de ces trois points. Le premier ne souff at point
d'objection sérieuse ; un mot suffisait pour être élu ,
faut-il être éligible ? Il n'y a guère plus de difficulté sur
le second point . On ne s'avisera point de contester à un
député le droit de donner sa démission ; or le refus de
siéger , n'est- ce pas une démission tacite ? ni à la chambre
le droit de réclamer son intégrité : or , l'absence prolongée
d'un membre ne porte-t- elle pas atteinte à cette
intégrité ? Quant au troisième point , il n'est certainement
pas au pouvoir de la chambre d'empêcher que le
même homme n'inspire à plusieurs départemens une
même confiance ; mais il est en son pouvoir , il est de son
devoir d'empêcher que l'intégrité de la représentation ne
souffre de ce concours de suffrages. Les conclusions du
rapporteur sont adoptées . Le Roi sera supplié de propo-
9
150 MERCURE DE FRANCE.
ser une loi qui prévienne toutes les ambiguités relatives
à l'admission , et qui oblige tout député , nommé par plusieurs
départemens , à opter , faute de quoi il y sera pourvu
par le sort . La seconde question n'est point comprise dans
le projet , sans doute parce qu'elle porte en elle-même
sa solution .
:
Le projet de M. Laisné de Villévêque s'adresse à la
générosité nationale ; c'était donner à ce projet un puissant
auxiliaire. Sans doute , s'il était au pouvoir des Français
de réparer toutes les infortunes , il n'y aurait plus de
malheureux ; mais nous ne connaissons point d'infortune
privilégiée. Je crains qu'on n'oppose à M. Laisné de Vilfévêque
des considérations bien puissantes . La première
est tirée de notre position même ; ce sont trois millions
de rentes que l'on nous demande , à nous , accablés de
tant de fardeaux , à nous , qui sortons à peine d'une année
de détresse et de famine ! On les demande à ceux
dont les parens sont morts de faim , parce que l'herbe des
champs leur a manqué ! Secondement , il ne s'agit pas ici
de restitution , mais de contribution ; les propriétés que
l'état a rendues existaient , celles dont il s'agit n'existent
plus. 11 Ꭹ a quelque différence entre une cession de propriétés
encore intactes , et une création de propriétés nouvelles.
Enfin , le dirai -je ? l'un des principaux motifs allégués
par l'orateur , me semblerait à moi une objection.
C'est parce qu'on a restitué aux émigrés leurs domaines
invendus , qu'il veut qu'on rétablisse pour eux des créances
éliminées , c'est-à-dire qu'il réclame des secours , au nom
des secours déjà obtenus. Il m'en coûte d'opposer ainsi
J'économie à la générosité , et je voudrais , de bon coeur ,
que l'on pût trouver le moyen de soulager un mai , saus
en aggraver un autre.
La proposition de M. Bourdeau ne présente pas un
moindre intérêt . En 1814 , ce qui restait des biens dés
émigrés , se trouvait en partie entre les mains de l'état ,
et formait en partie le fonds de la caisse d'amortissement
et la dotation des hospices. Une loi survint , ( celle du
5 décembre 1814 ) qui restituait aux émigrés ces biens invendus
, et en même temps accordait jusqu'au 1er janvier
1816 un sursis à toute action des créanciers . Les circonstances
malheureuses de 1815 ayant troublé la rentrée en possession
des émigrés , un nouveau délai fut jugé nécessaire
et la loi du 16 janvier 1816 prorogea ce délai jusqu'au
JANVIER 1818.
131
*
premier janvier 1818. Voici maintenant les deux questions
que M. Bourdeau propose : 1. ce sursis doit -il
être prorogé encore ? 29. Les actes conservatoires des
créanciers doivent-ils être restreints à la propriété des
biens réunis , et aux prix et valeurs qui les représentent ?
Quant à la première question , l'orateur croit que la
promesse tacite d'un réglement des droits et actions des
créanciers , se cachait dans la loi du 5 décembre. D'abord,
on ne conçoit guère comment une promesse lacile peut
être cachée dans une loi expresse . Et si cette promesse y
était cachée en effet , il semble que la chambre de 1815
aurait bien trouvé le secret de l'en retirer. Or, la chambre
de 1815 qui a prorogé la loi de la chambre de 1814 , ne
s'est pas occupée de ce prétendu réglement. Dans le système
de l'orateur , les créanciers déchus auparavant de
tout recours contre l'état , doivent aujourd'hui considerer
leur créance comme une bonne fortune. Bonne fortune ,
soit ; au moins ne faut - il pas qu'elle soit illusoire. Ce sont
eux qui font tous les frais de la loi ; ils supportent le delai
; on les menace d'une réduction ; l'on borne le gagee'de
leurs créances . Voilà bien des dispositions qui ne me paraissent
guère d'accord avec le droit commun des Français.
Je respecte fort une loi de circonstance ; mais la loi
du 5 décembre est expirée. Une loi qu'on propose de renouveler
est comme une loi qui n'a jamais existé . Rien
ne me force donc à taire ou à déguiser une objection qui
me paraît insurmontable. Avez - vous le droit de surseoir
par un acte législatif au payement d'une dette , avez vous
le droit de la réduire ? Ce sursis , cette réduction , ne
sont- ce pas de véritables lesions ? Et pour ne parler que
du sursis , unique objet de la loi du 5 décembre , me priver
de l'emploi de mon agent , ou me priver d'une partie
de mon argent , n'est -ce pas une même chose ? J'ai lu
que , dans les anciennes républiques , on abolissait quelquefois
tout d'un coup les créances ; mais je n'ai pas lu
qu'on les abolit en effet , avec toutes les apparences d'un
grand zèle pour les conserver. L'hypocrisie est un vice
affreux dans la conduite privée ; mais l'hypocrisie d'une
loi , quel mot ! et que de choses il exprime !
La seconde partie de la proposition , quoiqu'illégale au
fond , puisqu'elle établit un privilége , me semble moins
choquante que la première. On pourrait alléguer en sa
9, *
132 MERCURE DE FRANCE.
"
*
faveur , que les créanciers n'avaient eu pour gage primitif
, que les propriétés primitives des émigrés ; qu'en rentrant
dans leur patrie , ceux- ci ont , en quelque sorte
commencé une existence nouvelle. Enfin , si un principe
éternel peut être modifié par des circonstances variables ,
c'est ici le moment , ou jamais.
Il nous manque une législation rurale ; et je crains.
fort qu'elle ne nous manque long- temps . M. Brun nous
parle de lacunes. Ce ne serait rien encore sans les contradictions.
Car les lacunes coûtent moins à remplir ,
que les contradictions à concilier. L'orateur distingue
avec raison, dans l'objet du Code rural , des intérêts généraux
et des intérêts locaux . Il voudrait une loi pour
les uns , et des dispositions administratives, qui tinssent
lieu de loi , pour les autres. Mais ne serait- ce pas renouveler
cette ancienne bigarrure de droits coutumiers,
qui faisait plusieurs nations d'une seule nation ? Ensuite,
la puissance législative n'est-elle pas inaliénable ? Et
pense - t- on qu'il fût au pouvoir même des trois branches
de la législature , de conférer le caractère de loi
à des actes qui ne seraient pas émanés d'elles ?
L'article 114 du Code d'instruction criminelle donne
aux tribunaux le droit de mettre provisoirement en liberté
, moyennant caution solvable , un homme prévenu
de délits qui n'emporteraient qu'une peine correctionnelle
, et l'article 485 du Code pénal autorise
les mêmes tribunaux à réduire la peine et l'amende audessous
même du minimum fixé par la loi ; par une rigueur
qui n'a de modèle que dans des lois heureusement
oubliées , la loi du 9 novembre 1815 avait dérogé spécialement
à ces dispositions tutélaires. L'art . 18 de la
nouvelle loi sur la liberté de la presse , les rétablit en
faveur des écrivains. Ce que l'on accorde à des écrits ,
le refusera-t- on à de simples paroles ? « Il n'y a point
« de premier mouvement pour celui qui écrit , moins
« encore pour celui qui se fait imprimer ; » au lieu
que celui qui se rend coupable de l'autre genre de delit
, « est souvent un homme inculte , un pauvre ma-
« nouvrier , un homme peu accoutumé à peser ses pa-
« roles. » « Crovez-en l'expérience d'un ancien magis-
« trat , dit M. de Cassaignoles ? un propos séditieux ne
suppose pas toujours un esprit de sédition . Ce que
JANVIER 1818. 155
« vous avez résolu , commande avec toute la tyrannie
de la raison ce que vous avez à résoudre ; et ma
« proposition n'est que le simple résultat de vos propres
pensées . >>
Debats sur le recrutement.
Il y a dans le projet deux titres sur lesquels doit se
porter naturellement tout le feu de l'action ; ce sont
les titres 4 et 6. L'un crée une force intérieure véritablement
nationale , qui ne se meut qu'en vertu d'une
loi ; l'autre prévient les infractions malheureusement
possibles aux articles 1 et 3 de la charte , et enlève pour
jamais à une certaine classe d'hommes le privilége
exclusif de commander aux autres classes. On avouera
qu'il y a doublement là de quoi irriter . ceux qui se figurent
le soldat comme un instrument , et l'armée
comme un patrimoine. Avec ces idées héréditaires ,
il est difficile d'apercevoir la nuance qui sépare un rọi
constitutionnel d'un monarque absolu ; aussi se montre-
t-on plus ami de sa prérogative que lui-même. On
trouve mauvais qu'il la limite , ou plutôi qu'il l'explique
; on ne lui reconnaît pas assez de puissance pour
borner sa puissance . Quand il s'agit de cacher un sen~
timent profond puisé avec la vie , et qui se mêle dans
les moindres mouvemens de notre âme , la plus industrieuse
rhétorique a bien peu d'industrie .
Il faut donc l'avouer à ces messieurs . L'idée mère ,
l'idée constitutive du projet , c'est de nationaliser
l'armée. Une armée qui ne serait pas nationale serait
une armée ennemie . Ñ'est-il pas temps de rendre chaque
chose à sa destination naturelle ? et cet accord si
nécessaire et si désiré de tous les esprits peut- il exister
avec des institutions qui ne s'accorderaient pas entre
elles ? C'est dans les titres 4 et 6 , et dans l'article 19
du titre 2 , qu'est principalement déposée la pensée qui
a dicté la loi . L'article 19 porte que les jeunes gens
appelés , ou leurs remplaçans , seront immatriculés
dans la légion départementale ou dans la légion la
plus voisine ; ainsi , le jeune legionnaire n'est pas
brusquement séparé des siens . Quoique appelé à
des soins tout nouveaux , il n'abandonne point brusquement
ceux auxquels il sera rappelé un jour. Lorsque
134 MERCURE DE FRANCE .
la voix de son prince et de sa patrie lui commande un
grand sacrifice, auprès de lui , autour de lui , il trouve
qui l'encourage : c'est encore parmi les siens qu'il
marche au combat ; c'est à leurs yeux qu'il brigue de
sanglantes palmes. Si un lache amour de la vie l'entraînait
hors des rangs , une voix secrète lui . crierait :
on saura tout ; tu déshonores ton père . Comme il est
sorti par degrés de sa condition première , il y rentre
aussi par degrés ; comme il n'avait déposé qu'insensiblement
ses habitudes casanières , il ne d posera qu'insensiblement
ses habitudes belliqueuses , et la séparation
et le mélange se font sans trouble et sans secousse ;
et le soldat apprend à redevenir citoyen , comme le
citoyen avait appris à devenir soldat . On ne croirait
jamais de quel raisonnement un honorable membre
s'est avisé pour attaquer ces dispositions tutelaires. Je
suppose , a t - il dit , qu'une légion soit plus maltraitée
que d'autres . Lorsque la nouvelle du désastre parviendra
dans le département , ceux qui jugent de tout par analogie,
se figureront que , parce qu'il n'y a plus de l'gion
pays, il n'y a plus d'armée , et , dans cette croyance ,
Dieu sait quels troubles on excitera , c'est-à-dire que le
premier mouvement , causé par une grande douleur
est un mouvement séditieux , et qu'un père privé de
son enfant tourne sur-le-champ son désespoir sur d'autres
pères . La faiblesse de cette objection prouve incontestablement
le désir qu'on aurait d'en pouvoir proposer
de meilleures.
du

La grande pierre d'achoppement , c'est l'avancement ,
car tout aboutit là . Des soldats arriver aux grades supérieurs
par
le seul mérite de l'ancienneté ! quel attentat
aux droits de la couronne ! Ce n'est pas cela qu'on voulait
dire. Des plebeiens arriver aux grades supérieurs
par leur seul mérite ! quel attentat à nos droits ! On
invoque ici fastueusement la charte . Mais que l'on
daigne nous montrer quelque part dans la charte une
disposition , une seule qui présente le moindre obstacle
' à la mesure proposée . En vertu de l'article 14 , « le roi
commande les forces de terre et de mer. » Est-ce que
les hommes , parvenus aux grades en vertu d'une loi ,
échappent au commandement du roi ? Officiers comme
soldats ne sont- ils pas sous sa main ? Bien plus , le
JANVIER 1818 . 135
même article qui porte textuellement que le roi nomme
tous les emplois d'administration publique , semble
laisser une place à quelque disposition législative pour
les emplois militaires. Que l'on parcoure la charte , on
n'y trouvera rien qui legitime cette véhémente opposition
; mais on y trouvera les articles 1 et 5 qui reconnaissent
l'égalité des Français devant la loi , et leur aptitude
à tous les emplois civils et militaires ; mais on y
trouvera qu'à la place de la conscription abolie , c'est
la loi qui doit déterminer le mode de recrutement. Il
reste à prouver que le mode d'avancement ne fait point
partie du mode de recrutement , c'est-à- dire que la
nation n'a que des soldats à fournir . Nous nous accoutumerons
insensiblement , je l'espère , à ce régime vigoureux
des gouvernemens représentatifs , mais il faut
en toutes choses une éducation .
3.
Je n'ajouterai pas un mot aux raisons que j'ai données
pour le vote annuel , quoique je convienne qu'il y
en a d'autres . Mais elles peuvent prêter à la controverse;
au lieu que les miennes préviennent la discussion ; et je
crois inutile d'accumuler des preuves , quand on croit
en tenir une sans réplique . Le recrutement constitutionnel
, ai-je dit , ce sont les engagemens volontaires .
Or , les engagemens volontaires sont susceptibles de
plus et de moins ; donc le complément de ces engagemens
est susceptible de plus et de moins. H ne peut
donc être invariablement fixé .
J'abrège , ce qui vaut mieux à mon sens que d'amplifier
; car , en présentant uniquement le fond des choses
, sans pitié pour les accessoires , on ne sacrifie que
des enveloppes.


Dans la séance du 14 , trois orateurs ont combattu le
projet ; MM. Josse de Beauvoir , Caumont et Courtar
vel ; deux l'ont soutenu , ou du moins en ont soutenu
les principes , MM. de Bondi et de Brigode .
Dès le début , M. Josse de Beauvoir demande si le
projet est à la fois monarchique et constitutionnel , et
il le déclare inconstitutionnel , parce qu'il ne le trouve
pas assez monarchique. Cette disposition du titre 4 , qui
défend qu'on arrache les vétérans à leurs foyers , sans
une loi expresse , est pour lui un sujet d'indignation.
Quoi donc , s'écrie-t-il , le Roi ordonnera aux légion136
MERCURE DE FRANCE .
naires de marcher , et les légionnaires pourront répondre
nous ne marchons pas , nous n'obéissons qu'à la
loi ! Il faut calmer les appréhensions de l'orateur , en
lui disant que le Roi ne donnera pas un pareil ordre.
Mais si le péril est imminent ! Comme , eu général , il
faut quelques façons pour envahir un État , on peut bien
supposer que le Roi , dans un péril imminent , saurait
bien s'entourer des auxiliaires que la constitution lui
donne ; et que la loi serait portée presque aussitôt que
l'ordonnance rendue . Le titre 6 paraît presque à l'orateur
une tentative de crime . « La loi punit celui qui
déplace les bornes d'un champ ; et nous déplacerions
nous-mêmes les bornes de la prérogative royale ! » Ici ,
comme plus haut , un seul mot sert de réponse. C'est le
Roi lui-même qui établit ces limites , le Roi tout aussi
bon juge qu'un autre de sa prérogative . « Nous avons
une armée royale , ajoute - t -il ; qu'elle le soit toujours . »
Sans doute ; mais il faut bien aussi l'envisager comme
nationale , s'il est vrai que tous les Français sont citoyens ,
et que tous doivent défendre l'Etat , suivant le mode
prescrit par la loi . Ce sont les propres paroles du même
orateur « Le soldat français ne crie pas vive la loi',
mais vive le Roi . » Où serait le danger , s'il criait en
même temps l'un et l'autre ? On a remarqué , dans ce
discours , un passage extrêmement animé contre les
ministres , où l'orateur , entre autres choses , leur impute
« d'avoir désigné les royalistes comme ennemis du
trône , et d'avoir bafoué la fidélité. » Il ne m'appartient
pas de discuter ces reproches. Mais je trouve la transition
peu ménagée.
*
A toutes ces raisons , ou plutôt à ces raisonnemens ,
M. de Caumont ajoute l'objection que j'ai déjà réfutée ,
contre la réunion des jeunes gens d'un même département
dans un même corps ; et M. de Courtarvel , muni
de la promesse que l'Europe nous a faite de nous rendre
libres et heureux , semble s'étonner que l'on songe
à créer une armée . Il ne faut pas demander si le titre 6
l'offusque . D'après lui , la science militaire serait innee ,
et ce serait parmi les jeunes capitaines qu'il trouverait
le plus de mérite . M. de Bondy n'a pas de peine à repousser
des argumens usés et peu adroits . Il démontre
l'utilité des légionnaires-vétérans , par l'exemple des
JANVIER 1818. 137
T
"
Romains , nos maîtres dans l'art de la guerre , et par
celui du grand Frédéric , qui , après quarante ans , fit
à sa vieille armée , un appel qui sauva la Prusse. A ceux
qui voient d'un mauvais oeil la réunion des jeunes gens
d'un même canton dans un même corps , il oppose
l'exemple du Béarnais entouré de ses Gascons . Pénétrant
profondément dans la pensée des adversaires de
la loi , « S'ils osaient la manifester , dit-il, ils avoueraient
que leur dessein véritable est de réserver l'avancement
à une classe qu'ils supposent plus distinguée que les autres
. C'est là le but qu'ils déguisent sous ces vains noms
d'instruction et de talens dont leurs argumens sont remplis.
Ont-ils donc vu que , pendant vingt - cinq ans , nos
militaires aient rien ignoré de ce qu'ils devaient savoir ?
Est-ce le hasard qui a si long - temps fixé la victoire sous
-nos drapeaux ? Qu'ils le demandent aux étrangers qui
s'honorent d'avoir eu de tels adversaires . » Quant à la
question du vote annuel : « La constitution de l'État ,
dit-il , n'a pu nous refuser pour nos personnes , les garanties
qu'elle nous offre pour nos propriétés . »
Le vote annuel est aussi défendu par M. de Brigode .
C'est un impôt d'hommes , et l'orateur ne voit pas comment
un tel impôt pourrait se soustraire au vote annuel
qui légitime seul les autres impôts . Après avoir parcouru
les différentes phases du système militaire , il reconnait
deux principes , d'abord , que les nations ont un besoin
commun de paix , de liberté , d'économie, de garanties ;
besoin qui triomphera de toutes les résistances ; ensuite ,
que les siècles de conquête sont passés , que les nations
s'appartiennent désormais à elles-mèmes ; et qu'ainsi
tout système militaire , dans l'état actuel des choses en
Europe , ne saurait être qu'un système défensif. Il tire
de ces considérations , les données du problème trouver
un mode qui , réduisant les forces militaires au plus
petit nombre , facilite les moyens de les élever rapidement
au nombre le plus fort , suivant le besoin , sans
toutefois alarmer ses voisins.
:
Telles sont les bases de ces différens discours. Il y a
bien , par-ci , par- là , quelques ressentimens de cette
vieille maladie des pouvoirs municipaux et provinciaux.
L'on doit s'attendre à la voir percer , toutes les fois que
l'occasion lui en sera offerte ; ce qui ne manquera pas
d'arriver souvent:
158
MERCURE DE FRANCE.
wwwww
S. II.
REVUE DES NOUVELLES DE LA SEMAINE.
Du 9 au 15 janvier.
RÉCOLTES , FINANCES . — Le tableau comparatif des
revenus de l'Angleterre , pendant les années 1816 et
1817 , présente , pour la seconde de ces deux années ,
un résultat moindre environ de deux millions sterl. Ce
qui ne veut point tout-à-fait dire que les impôts soient
diminués en proportion de la diminution des charges . Car
si vous exceptez la taxe de guerre , que l'Angleterre ne
pourrait supporter sans qu'il y eût double emploi , la plupart
des branches de l'impôt sont plus productives aujourd'hui
que jamais . Est-ce là un signe de richesse ? On a tant
confondu les mots , que l'on ne s'entend plus sur les
choses.
Le Courier attribue la rareté des espèces à l'amélioration
de l'agriculture et du commerce. S'il en est
ainsi , la prospérité d'un Etat serait en raison inverse
des affaires de la bourse . Ce même journal ajoute que
le paiement prochain des dividendes fera reparaître
l'argent. Mais il ne reparaîtra pas pour long temps , si
le prix des terres continue à prendre faveur , et que le
commerce ne tombe point. Il y a quelque contradiction
à vouloir donner en même temps la baisse actuelle
et la hausse future des fonds publics pour des preuves
d'opulence . La contradiction était en effet dans les
idées et non dans les choses. Car même après le paiement
des dividendes , la baisse a continue.
A AMÉLIORATIONS POLITIQUES . Nans sa cinquantehuitième
séance , la diète germanique a mis ad acta la
pétition présentée par les bourgeois et artisans de l'électorat
de Hesse-Cassel , tendante à obtenir le maintien
des paiemens qui leur ont été faits sous le royaume
westphalien , par la cession des , créances et des capitaux
originairement hressois. La diète se refère à la délibération
prise par elle dans sa quarante -unième séance .
De grands changemens ont lieu dans l'adminis
JANVIER 1818. 139
tration autrichienne . Un ministère supérieur est institué
pour tout l'empire ; les trois grandes chancelleries en
dépendent. On parle aussi d'un établissement de préfectures
qui paraîtrait devoir accélérer la marche des
affaires , si ces préfectures n'étaient point des autorités
intermédiaires , et par conséquen un rouage de plus
dans une machine à tant de rouages .
- On affirme que la diète germanique sera trans-
*férée de Francfort à Vienne. Cette translation pourrait
bien être un indice du rétablissement de l'ancien empire
d'Allemagne. Ou je me trompe fort , ou , si l'on
veut de bonne foi l'unité , tôt ou tard il en faudra
venir là .
-La diète de Saxe-Gotha s'est séparée sans qu'il ait été
question des changemens projetés dans la constitution .
Je ne sais si l'on peut dire que le roi de Saxe et
les Etats s'entendent parfaitement . Les Etats avaient
demandé un ajournement . N'ayant pu l'obtenir , ils ont
réduit leur demande à un simple congé pour les fêtes
de Noël . Le congé leur est refusé comme l'ajournement.
Ils alléguaient l'économie. On leur a opposé la nécessité
d'un travail rapide ; mais cette économie et cette grande ·
ardeur du travail étaient- elles , de part et d'autre , les
véritables motifs ? Is insistent sur la réduction de l'ar
mée . On leur a répondu que c'était demander l'impossible
.
--
Comme les temps sont changés Le roi d'Espagne ,
par un décret solennel , abolit la traite des nègres. Il est
dit dans ce décret que si l'E pagne auterisa jadis l'esclavage
des Africains , c'était pour les rendre chrétiens.
Aujourd'hui qu'une nation éclairée entreprend de les
civiliser dans leur propre pays , l'effet doit cesser avec
la cause. Ce décret restera comme un monument. Ferdinand
y rend hommage aux progrès de l'esprit humain
; il proclame hautement l'ascendant du siècle. Le
Saint Père lui en avait donné l'exemple .
-
Naples organise son armée . Nous connaissons les
efforts du roi d'Espagne pour en créer une . Les débats
s'ouvrent à Paris sur le recrutement.
-
Pendant que toute l'Allemagne ne rêve que de
liberté , voici un brave paladin ( M. le lieutenant -général
Diericke ) , qui jette le gant aux vertusroturières ,
-140
MERCURE DE FRANCE .
et proclame , en face de l'univers , que , hors des seize
quartiers , il n'y a ni courage , ni honneur :
Rien n'est plus dangereux qu'un ignorant ami ;
Mieux vaudrait un sage ennemi .
COLONIES . La session du congrès s'est ouverte le
2 décembre . On a fait lecture du message accoutumé.
a La terre , dit le président, nous a donné d'abondantes
récoltes ; un commerce étendu et avantageux a beaucoup
augmenté nos revenus . Le crédit public s'est élevé
à une hauteur extraordinaire . Un système sage préside
à nos préparatifs de défense , en cas de guerres futures,
puisque l'expérience de toutes les nations nous apprend
que nous n'en serons pas toujours exempts ; ces préparatifs
avancent avec toute la promptitude que permet un
ouvrage aussi important. Notre gouvernement libre , qui
a pour base les intérêts et l'affection du peuple , s'est
consolidé , et se consolide encore tous les jours . Les jalousies
locales , les vues particulières disparaissent avec
rapidité , pour faire place aux vues plus généreuses , plus
vastes , plus éclairées de la politique nationale . » Jamais
tableau plus imposant de la prospérité publique , ne fut
offert aux regards d'une nation . Agrandissement immense
du territoire , huit cent mille hommes de troupes
, augmentation de la valeur des terres , enfin excédant
des revenus sur les dépenses , avantage que ne
présente peut- être aucun autre état sur la terre , et qui
répond victorieusement à ce sophisme accrédité , je ne
sais pourquoi ni comment , qu'une grande dette est une
grande richesse .
Ce gouvernement parait méditer , dans le secret et
le silence , quelque vaste projet . On ne peut nier que
ses regards soient tournés vers la Floride. Quand il s'en
défendrait , son zèle à s'entremettre dans les affaires
d'Amélia , semblerait le prouver. Il est certain que l'expédition
de Sainte-Marie est dirigée sur cette île. Si ce
que l'on dit des troubles qui l'agitent est vrai , le plus
grand bien qui lui puisse arriver , c'est de faire partie
des Etats-Unis ; et ce serait aussi un bien pour elle
quand ce que l'on dit serait faux.
La grande question est de savoir quel parti prendront
les Etats-Unis dans la grande lutte. Les paris sant qu-
.
JANVIER 1818. 141
tel
verts . Tel croit à la neutralité de ce gouvernement ,
autre aperçoit des indices de guerre. Ce qu'il y a d'etrange
, c'est que le discours du président sert de motif
à l'une comme à l'autre conjecture .
Le gouvernement de Vénézuela , quoiqu'on ait pu
dire, ne traite point les étrangers , qui se dévouent pour
sa cause , comme les habitans de la Tauride traitaient
ceux que la mer avait épargnés. D'après une lettre de
l'agent de cette république à Londres ( car elle a un
agent à Londres aussi bien qu'à Wasinghton ) , les volontaires
européens reçoivent , à leur arrivée , une indemnité
de mille francs .
-Les troupes royales paraissent avoir éprouvé des
échecs à Cumana et à Barcelone ; Paez , vainqueur de
Morillo , commande quatre provinces ; des avis reçus
de la Nouvelle-Orléans portent qu'au lieu de fuir , Mina
est à six lieues de Mexico .
-Un esprit de défiance et de trouble, inséparable des
révolutions , et encore aigri par la dureté des moeurs ,
vient se mêler à des élans généreux , et gâter , pour
ainsi dire , la gloire . Les vainqueurs ont répandu le sang
des vainqueurs . Piar est fusillé . Un même sort attend
peut- être Marino. Bolivar dirige ces arrêtés sanguinaires
, par fanatisme peut-être , et plus vraisemblablement
par ambition .
- RELATIONS POLITIQUES. Le baron de Strogonoff
négocie toujours avec la Porte , mais lentement , selon
l'usage du divan .
Le bruit du prochain établissement d'un royaume
d'Arménie acquiert de la consistance . Peut-être la tentative
d'un prince persan , qu'on a pu croire désavouée
seulement en apparence , a-t- elle suscité ce bruit . Peutêtre
ce bruit a-t-il inspiré la tentative . Quant à moi' ,
j'avouerai qu'il me faudrait plus que l'autorité des journaux
pour y croire . L'intérêt des puissances d'Asie me
parait en ceci d'accord avec celui des puissances d'Europe.
Le comte de Palmela est revenu de Paris à Lon- ·
dres. Sa mission a , comme on sait , pour objet , les
difficultés survenues entre les cours de Madrid et de
Rio-Janeiro .
PROCÈS MARQUANS. - Cinq principales affaires exci142
MERCURE DE FRANCE .
tent en ce moment l'attention du public le procès de
l'individu qui ose se dire Louis XVII ; celui du duc
d'Orléans contre l'acquéreur du Théâtre-Français ; celui
de MM. Ræderer et Maret contre les éditeurs du Journal
de Paris ; celui de M. Scheffer , auteur de l'écrit
qui a pour titre : Etat de la liberté en France ; enfin ,
l'éternelle affaire de Rodez , qui commençait à vieillir
un peu mais que la brochure de madame Manson est
venue rajeunir.
-
-L'aventurier , se disant fils de Louis XVI , est traduit
devant le tribanal de police correctionnelle à
Rouen . Il semble qu'une tentative d'usurpation méritait
un tribunal plus solennel.
M. Jullien acquit , en 1703 , la propriété du théâtre
Français ; il sut la maintenir contre cinq attaques suc
cessives. Aujourd'hui , M. le duc d'Orléans revendique
cette propriété . A quel titre ? L'avocat de S. A: commence
par écarter toute idée de récrimination contre
une vente nationale , ce qui n'est point sans doute une
précaution oratoire. D'un autre côté , S. A. ne peut
nier d'avoir consenti à ce que la vente se fit , puisqu'elle
accuse ses mandataires d'avoir outrepassé leur mandat.
Mais elle ajoute que la qualité d'apanage , attachée à
la propriété du Palais-Royal , frappe cette vente de nullité.
En ce cas , pourquoi préposer des mandataires à la
vente ? Si M. le due d'Orléans agit comme apanagiste,
il invoque des droits qui ne sont avoués ni de la loi ,
sous l'empire de laquelle cette vente se fit , ni de la
loi , sous l'empire de laquelle sa réclamation s'élève. Si
c'est comme émigré , l'article 9 de la charte répond à
tout. Si c'est comme particulier ( car , dans son systeme ,
il ne serait point émigré ) , il semble qu'une possession
de vingt - cinq années emporte prescription contre un
adversaire qui n'a pas été dans l'impuissance de faire
valoir ses droits.
Encore une propriété contestée . La loi du 21 octobre
1815 ayant , comme on sait , défendu la publication
des journaux qui ne seraient pas spécialement autorisés
par le Roi , et l'ordonnance du 8 août , ayant ré
voqué toutes les autorisations précédentes , les éditeurs
du Journal de Paris s'adressèrent au ministre de la po
lice générale , qui donna de vive voix son consentement
*
7
JANVIER 1818. 143
A cette époque , MM. Roederer et Maret , anciens propriétaires
de ce Journal , furent compris dans le partage
des actions , pour deux septièmes. Lorsqu'il fallut
solliciter ensuite un consentement écrit par une demande
écrite , des considérations d'un certain genre
firent omettre les noms de ces deux actionnaires . Ainsi
l'autorisation , accordée par S. Exc . , parut ne s'adresser
qu'aux signataires de la pétition. Et pourtant , lorsque
MM. Ræderer et Maret , n'ayant pu être admis au
tage du dividende , eurent sollicité des explications
auprès du ministre , S. Exc. répondit , comme elle devait
, que l'autorisation accordée par elle , ne préjugeait
aucun droit de propriété particulière.
par
Cela posé , je ne vois guères par quel artifice on échapperait
à ce dilemme . Ou bien les droits respectifs de propriété
sont indépendans de l'autorisation, c'est - à -dire que
l'autorisation à pour objet le journal , et non point les
éditeurs du journal , et dans ce cas , il ne faut pas arguer
contre ces bailleurs de fonds , qui ne paraissent point, de
l'autorisation accordée aux bailleurs de fonds qui se montrent
; ou bien , la propriété n'a pour fondement que cette
autorisation même ; et dans ce cas , l'autorisation accordée
explicitement aux signataires de la demande , s'adressait
implicitement à tous les propriétaires , s'il en faut
croire le meilleur interprète de cette autorisation , je veux
dire , le ministre qui l'a donnée. Cependant , le tribunal
de première instance n'a pas jugé favorablement les récla
mations de MM. Ræderer et Maret. Il faut qu'il y ait du
mal-entendu.
-M. Scheffer est traduit en police correctionnelle ,
pour un écrit intitulé : De l'état de la liberté en France.
Avait-il qualité pour écrire ? A-t -il qualité pour invoquer
les dispositions de la charte ? Cette double idée fournit
à M. Marchangy un bel exorde ; il s'élève avec force
contre les étrangers qui viennent nous régenter chez nous.
Malheureusement les circonstances ont amené bien des
interventions de ce genre ; un des principaux griefs contre
l'accusé , c'est le peu de respect qu'il témoigne à nos lois.
Si l'exemple sert d'excuse , M. Scheffer pourrait dire
qu'il pleut des pamphlets , où l'on attaque ouvertement
l'ordonnance du 5 septembre , qui n'est que l'exécution
littérale de la charte , et la loi des élections , qui en est la
conséquence rigoureuse .
144 MERCURE DE FRANCE.
A la première lecture des Mémoires de madame
Manson , j'ai cru qu'ils ne disaient rien ; à la seconde
lecture , j'ai trouvé qu'ils disaient beaucoup. Au reste , je
ne veux, ni ne dois hasarder des conjectures . Quoique
j'aie lu deux fois , il se peut que j'aie mal lu . Le soir de
l'assassinat , on battit la retraite plus tôt que de coutume ;
c'est une des circonstances les plus remarquables du procès
, et d'où jaillira peut - être la lumière .
Un empoisonneur , condamné par la cour d'assises
de Toulouse , est mort de repentir ou de terreur..
Quel que ce soit des deux , cet homme n'était pas né pour
le crime.
NOUVELLES DIVERSES . - La tranquillité publique a été
troublée un moment à Smyrne par les querelles des Grecs
et des Turcs.
On raconte que le pacha de Janina ayant condamné
à mort plusieurs dames grecques , à défaut de bourreau ,
les a lui- même précipitées dans la mer.
-Le pacha d'Egypte vient de rétablir le marché de
Suez . J'ignore s'il aspire à l'indépendance ; mais je vois
qu'il aspire à la gloire.
--
place.
!
Le maximum est établi à Alger. C'est bien là sa
Des brigands chinois ont surpris et massacré l'équipage
d'un bâtiment américain , dans la rade de Macao.
Un ukase de l'empereur Alexandre ordonne que le
traité de la Sainte-Alliance sera lu dans toutes les églises
le 26 septembre de chaque année , jour de la signature du
traité. I
On disait que la Feuille d'opposition de Weymar
avait reparu sous des conditions qui feraient qu'elle ne
serait plus feuille d'opposition : Elle a pris le nom d'Ami
du peuple.
-
- Un page centenaire ! Il vient , dit - on , d'en mourir
un à Londres. Nos dames croiront que l'on se moque.
-
Bat funèbre en l'honneur de la princesse Charlotte.
On a dansé parmi les urnes et dans une salle tendue de
noir , et décoréé de cyprès. Voilà une tristesse fort gaie ,
ou une gaieté fort triste . Il n'y a que l'Angleterre pour
accorder tout cela.
BÉNABEN .
IMPRIMERIE DE C. L. F. PANCKOUCKE,
MERCURE
STIMERE
DE FRANCE.
SAMEDI 24 JANVIER 1818.
wwwm
LITTÉRATURE.
( L'abondance des matières nous oblige supprimer pour
SEINE
cette fois l'article poésie . )
mmmmmmmm
ÉNIGME.
Dans tous les lieux , à toute heure ,
Je suis poli , dur et froid.
Dans les palais on me voit ,
Et soit qu'on rie ou qu'on pleure ,
Plus qu'en toute autre demeure ,
On me trouve , en cet endroit ,
Toujours poli , dur et froid.
Quoique sans coeur , sans entrailles ,
J'ai de superbes dehors .
Aux Tuileries , à Versailles
Je puis représenter les vivans et les morts ,
Et pourtant je suis sourd autant que les murailles.
( Par M. J. I. ROQUES. )
kumu
CHARADE .
Vous qui faites , lecteur , en marchant , mon premier ,
Si , de ce monde abjurant la fole,
Vous voulez être mon dernier ,
Comme mon tout envisagez la vie.
( Par M. le chev. DU BUAT DE SASSEGNIES , géomètre. )
TOME 5 . 10
C.
* 46 MERCURE
DE FRANCE
.
wwwwww
LOGOGRIPHE.
Sur quatre pieds , lecteur , je mouille et l'on me trempe ;
Sur trois , on me refuse à l'insecte qui rampe ;
Sur trois autres , je suis l'ouvrage des démons ;
Et mon tout partagé , présente deux pronoms.
(Par M. TAILLANDIER . )
པའི ས ཏེ
Mots de l'Enigme , de la Charade et du Logogriphe
insérés dans le dernier numéro ,
Le mot de l'énigme , est gland; celui de la charade ,
est verglas ; et celui du logogriphe , corde , où l'on
trouve code , roc , or , cor et décor.
NOUVELLES LITTERAIRES .
Collection complète des ouvrages politiques de
M. Benjamin de Constant ( 1 ) .
Nous avons attendu pour donner une analyse de la
collections que M Benjamin de Constant publie de ses
oeuvres , que le premier volume eût paru en entier.
Comme il serait sans convenance que nous prononçassions
sur le mérite de l'ouvrage d'un de nos collaborateurs
, nous en citerons simplement quelques extraits ,
et nous commencerons par l'introduction , qui est en-
(1) Chez Plancher , libraire , rue Poupée , no . 7
JANVIER 1818. 147
sore inédite , et qui donne une idée de ce que cette collection
renferme.
་«
Si les ouvrages que je publie de nouveau étaient des
ouvrages purement de circonstance , il y aurait de la
présomption à vouloir en occuper le public . Ecrits pour
servir un but du moment , ces ouvrages devraient disparaître
avec le but qui les a dictés . Mais ceux que j'ai
réunis dans l'édition actuelle , contiennent tous des
principes généraux et toujours les mêmes principes : ces
principes me paraissent applicables à toutes les formes
de gouvernement. Ils peuvent donc n'être pas sans
quelque utilité , même aujourd'hui que beaucoup de
circonstances sont changées .
Il y en a une qui ne l'est pas c'est le besoin qu'éprouve
la nation d'ètre libre , et de jouir des garanties
que toutes les institutions politiques , quelque nom
qu'elles portent , doivent assurer aux citoyens .
Il nous a fallu des expériences assez douloureuses ,
pour apprendre que les mots n'étaient d'aucune importance
, quand les choses n'existaient pas .

A l'époque où le mouvement national de 1789 , détourné
de sa tendancé naturelle par l'ignorance de beaucoup
d'hommes , et par l'égoïsme de plusieurs , eut dégénéré
en agitation convulsive , sans but précis et sans
direction fixe, une portion nombreuse et bien intentionnée
de la nation fut la dupe de quelques axiomes vrais
en eux- mêmes , mais faussés par l'application qu'on en
faisait.
Le dogme de la souveraineté du peuple devint un
instrument de tyrannie , et durant quelque temps , le
peuple se laissa opprimer au nom de sa souveraineté.
A
Nous sommes plus éclairés aujourd'hui . On a tenté
naguères d'exciter dans la masse nationale , avec d'autres
mots , aussi métaphysiques que celui de souverai-
10.
148 MERCURE DE FRANCE .
neté du peuple, un enthousiasme qu'on aurait voulu
rendre différent dans son symbole , et pareil dans sa
violence à celui de 1793. L'on n'a pas réussi . Le prestige
des mots est brisé .
Je pense donc que des ouvrages destinés à revendiquer
nos libertés en les appuyant sur des principes
clairs , applicables , indépendans des formes , et qui
tendent à nous préserver des erreurs et des fraudes qui
nous ont tant fait souffrir , serviront la cause à laquelle
depuis de longues années , j'ai consacré ma vie.
J'avais d'abord conçu le projet , comme je l'ai dit
ailleurs , de faire entrer dans cette collection tout ce
que j'avais écrit , même sous les gouvernemens antérieurs
qui ont régi la France . J'aurais ainsi prouvé , que
si j'ai cherché la liberté sous diverses formes , je n'ai
jamais cherché que la liberté.
Beaucoup d'hommes se sont rapprochés de nos gouvernemens
successifs , pour leur prodiguer des hommages
et les inviter à prendre plus de pouvoir . Je me
suis aussi rapproché quelquefois de ces gouvenemens ;
mais pour répéter des vérités qui ne pouvaient me valoir
aucune faveur , et pour avertir les hommes puissans
que la sûreté n'était pas dans l'excès de la puissance
.
J'ai craint toutefois que , si je faisais réimprimer des
ouvrages où je développais les moyens de concilier la
liberté qui convient aux nations modernes , avec des
formes républicaines trop empreintes jusqu'ici des souvenirs
de l'antiquité , l'on ne me prêtât des intentions
qui ne sont pas les miennes , puisque je pense que la
monarchie constitutionnelle , lorsque le pouvoir ministériel
est bien séparé du pouvoir royal , contient toutes
les garanties de liberté désirables . J'ai donc renoncé à
cette idée , qui me plaisait surtout , comme prouvant
JANVIER 1818. 149
que je ne suis ni intéressé , ni disposé à désavouer aujourd'hui
ce que j'ai pu écrire autrefois ( 1 ) .
J'ai dit , en annonçant cet ouvrage , que c'était par
cette collection que je désirais que ma vie politique fût
jugée . Je n'ai , en conséquence , retranché aucun des
passages où j'avais exprimé mes opinions . Je dois cependant
convenir avec franchise , que le désir de per
fectionner ce que je publiais , m'a engagé souvent a y
introduire des changemens notables ; mais ils ne portent
jamais sur la base de mes théories . Ils consistent en
développemens de ces théories , en preuves nouvelles
, soit de raisonnement , soit de fait , et en inférences
qu'autrefois j'avais ou moins clairement apereues
, ou moins soigneusement déduites .
Le premier volume de ce recueil se compose presque
en entier des réflexions sur les constitutions et les garanties
, publiées peu de jours avant la promulgation
de notre charte actuelle ; mais j'y ai fait entrer , avec
toute la portion de mes principes de politique que j'y
avais ajoutée en 1815 , une foule de notes qui m'ont
été suggérées par mes observations postérieures .
Une de mes brochures sur la liberté de la presse
forme le dernier quart de ce premier volume . Elle n'a
que le mérite d'avoir ouvert la carrière , quand peu
d'écrivains songeaient à y marcher . L'on désirait la liberté
de la presse , plutôt parce qu'on avait entendu
vanter les résultats heureux que cette liberté a produits
chez un peuple voisin , que parce qu'on appréciait réellement
ses immenses bienfaits . Nous avons acquis , depuis
cette époque , bien plus de lumières sur cette
matière .
( 1 ) Le lecteur verra combien toute espèce de désaveu est
loin de ma pensée , s'il consulte la page 238 de ce volume.
150 MERCURE DE FRANCE.
Le second volume contient une réponse à un discours
ministériel de 1814. Vient ensuite l'essai sur la
responsabilité des ministres , Cet essai n'était qu'une
esquisse très- imparfaite ; et bien qu'il ait , malgré ses
défauts , obtenu du public un accueil favorable , je me
suis convaincu , en le relisant , que beaucoup de corrections
étaient nécessaires. Je dois ajouter que cette
conviction n'a pas été l'effet des critiques qui ont été
dirigées contre cet ouvrage . La théorie de la responsabilité
était alors si peu connue , que je n'ai pas eu le
bonheur de pouvoir profiter d'une seule des observations
qui m'ont été faites. L'on ne me trouvera converti
ni sur la neutralité du pouvoir royal , condition
essentielle et inséparable de l'inviolabilité royale , ni
sur l'obéissance passive , dogme absurde , vide de sens
quand on le définit ; exécrable quand on l'applique ,
Mes censeurs m'ont laissé la peine de chercher seul à
découvrir les erreurs que j'avais commises ; car ils ne
m'ont attaqué que sur ce que j'avais pu dire de justę
et de vrai.
·

Les principes de politique étant réunis aux réflexions
sur les constitutions et garanties , n'occupent point dans
cette collection une place à part ; mais tout ce qui a
rapport aux bases d'une constitution libre , en a été
fidèlement extrait . J'aurais pu indiquer plus souvent ,
ét démontrer avec plus de force que je n'ai cru conve
nable de le faire , le soin que j'avais pris de relever ,
dans cet ouvrage , les vices du gouvernement antérieur
de l'homme duquel j'avais accepté des fonctions . Puz
bliés au moment de son retour , mes principes de politique
étaient une protestation perpétuelle contre les
abus de sa première administration .
Je serais bien aise qu'un de nos courtisans , anciens
ou nouveaux , un habitué des Tuileries impériales ou
JANVIER 1818. 151
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2
royales , produisit un second exemple d'une indépendance
aussi complète , d'une persévérance aussi opiniâtre
dans les mêmes principes , professée à côté du
pouvoir , en sa présence , dans ses conseils ; j'aurais un
courtisan de plus à estimer , et un de plus n'est pas peu
de chose . Il m'eût été facile de comparer ma conduite
dans cette circonstance , et lorsque j'ai cru devoir me
réunir au gouvernement intérieur de la France avec
celle de beaucoup d'hommes , qui , aujourd'hui , espèrent
, en vantant une courte résistance , effacer la
mémoire d'une longue servilité . Le lecteur se serait
amusé , peut-être , si je lui avais montré ceux que ,
durant huit ou dix années , nous avions vus obéir
avec une infatigable ardeur à tous les caprices de
Napoléon , se mouvoir dans tous les sens , opérer
dans toutes les places , s'adapter à tous les usages , tourà-
tour auditeurs , préfets , intendans de provinces ,
nistres , négociateurs , proconsuls , toujours également
actifs et dociles , zélés pour le but et indifférens sur les
moyens ; si je lui avais peint ces hommes , dis-je , témoignant
soudain une horreur invincible à l'idée que
le régime sous lequel ils s'étaient formés se rétablirait.
Rien de plus curieux assurément que des Tigellins de
douze ans se réveillant des Traséas de trois mois , soit
que leur conscience subite et tardive , voulût solder un
long arriéré , soit qu'ainsi que les femmes trop sensibles ,
qui ont une faiblesse à se reprocher , ces convertis
fussent plus en garde que d'autres contre leur nature ,
frêle devant le pouvoir ( 1 ) ; mais ce tableau , séduisant
IN
mi-
( 1 ) On doit , ce me semble , diviser endeux classes les hommes
qui ont servi Napoléon. Le plus grand nombre de ceux qu'il a
revêtus d'importantes fonctions au moment où il est , pour la
première fois , arrivé à la puissance , a pu croire que l'affermis
152 MERCURE DE FRANCE.
à retracer , m'aurait détourné d'objets plus graves , et
je me bornerai à donner un seul conseil à ces hommes .
Quand ils se sont prosternés devant Napoléon , dès
l'origine de sa puissance , ils l'ont fait spontanément .
Les circonstances les auraient favorisés , s'ils eussent
voulu défendre , ou seulement ne pas attaquer les libertés
nationales . Une constitution , très - imparfaite à la vérité,
leur offrait cependant des moyens d'opposition , ils les
ont brisés d'un chef constitutionnel , ils ont fait un
despote. Quand nous nous sommes réunis à Bonaparte ,
en 1815 , il n'y avait point de constitution , tout annonçait
une dictature militaire . Nous avons essayé de
transformer un despote en chef constitutionnel ; par
pudeur , par prudence , nos adversaires devraient cesser
de nous accuser. >>
( Le reste dans un numéro prochain .)
sement de son autorité naissante était le meilleur moyen de
dicter la paix à l'Europe et de calmer les factions de l'intérieur .
C'était une erreur , je le pense , et j'ai prouvé que telle était ma
pensée ; mais cette erreur , qui était excusable , puisqu'elle était
sincère , les ayant engagés dans la route glissante des conces
sions et de l'obéissance , ils ont suivi cette route en faisant le
bien qui dépendait d'eux , et en donnant même fréquemment ,
par des résistances partielles et soutenues , des preuves de conscience
et de courage . Lorsqu'ils se rattachent maintenant à la
liberté , on doit rendre hommage à leur bonne foi . Ils ont agi
d'après leur conviction , et sont éclairés par l'expérience .
Mais ceux qui n'ont pas à nous citer une seule action courageuse
, ceux qui jusqu'en 1814 , ont toujours applaudi , toujours
loué , et , ce qui pis est , toujours servi ; ceux qui ont vanté la
prospérité de la France , tandis qu'elle gémissait sous la tyrannie
et pliait sous le poids de ses victoires ; ceux qui ont apporté
sans cesse en tribut à la puissance la même fureur de servilité ,
ceux -là nous démontrent que ce n'était ni le bien de l'Etat , ni
un faux système qui les avaient dirigés jadis , et que s'ils sont
éternellement esclaves , c'est par goût , par nature et par calcul
JANVIER 1818. 153
www wwwwwww
L'ERMITE EN PROVINCE.
BIEN ET MAL.
En combien de façons , hélas ! le genre humain
se fait à soi-même la guerre.
(LA FONTAINE , Voyage en Limousin . )
« Je ne me fâche
pas du portrait que vous faites de
moi , me disait mon vieil abbé , à qui je montrais mon
dernier discours , avant de l'envoyer à Paris ; la forme
du corps , les préjugés de l'esprit ne sont rien au terme
où je suis parvenu ( et vers lequel vous vous acheminéz
à grands pas , soit dit sans vous déplaire ) : un vieillard
à cela d'heureux , qu'on ne peut plus médire que de
son coeur mais aussi , malheur à l'homme à cheveux
blancs que peut atteindre le reproché de méchanceté ;
c'est incontestablement , de toutes les créatures humaines
, la plus odieuse ; cela se démontre aussi clairement
qu'une règle de mathématiques . Toute mauvaise
action est un mauvais calcul ; rien ne calcule plus mal
que la passion ; les passions sont le partage de la jeudonc
le vice ne peut trouver d'excuse que dans
l'âge des passions : le bonheur qui se présente sous
vingt formes différentes aux yeux d'un jeune homme ,
peut l'égarer à sa poursuite : son imagination et ses sens
qui ne lui montrent que des plaisirs , ont sans cesse à
lutter contre le devoir qui lui impose des privations :
mais un vieillard qui touche aux bornes de sa carrière
qu'aucune illusion ne saurait tromper , qu'aucune espérance
ne peut séduire , qui ne vit plus que dans ceux
nesse ,
154
MERCURE DE FRANCE.
qui doivent lui survivre , en un mot , qui n'a plus d'intérêts
personnels à défendre de ce côté du tombeau ; un vieillard
, dis-je , est un monstré dans toute la force du mot ,
si l'idée d'une mauvaise action , dont il ne peut recueillir
que la honte , peut encore entrer dans son coeur.- Je suis
entièrement de votre avis, lui répondis - je , et j'en tire une
conséquence bien peu favorable à l'époque où nous vivons.
Ce n'est point l'envie de soutenir un paradoxe ,
mais bien le résultat de mes observations , qui me porte
à poser comme une règle ( dans les exceptions de laquelle
je me hâte de vous placer ) , que cette espèce de monstres
caducs est malheureusement trop commune de
nos jours ma consolation est de croire qu'elle est soumise
à la loi générale , et qu'elle ne laissera pas de
postérité. Je tiens registre , à deux colonnes , des bonnes
et des mauvaises actions publiques qui se sont faites en
France depuis mon retour ; et je rougis de le dire , les
barbes grises n'y figurent qu'en très - petit nombre , du
bon côté Cela ne m'étonne pas , la France est encore
pleine de vieux jansénistes . »
:
Je vis le moment où ce mot de janséniste ( qui produit
sur la cervelle du bon abbé le même effet que celui
de chevalier errant sur la raison de Don- Quichote) , allait
faire déraisonner complétement un homme éminemment
sage sur tout autre point : cette fois j'en fus
quitte pour la peur ;
il continua très - sensément .
« J'attends à déjeûner un de mes neveux , jouvenceau
de votre âge à peu près ; vous l'inscrirez , j'en
suis sûr, en lettres rouges, dans votre calendrier , quand
je vous l'aurai fait connaître , et quelques mots suffiront
pour cela. Au commencement de notre révolution , deux
de ses frères et plusieurs de ses amis , dont il ne partageait
pas les opinions politiques , émigrèrent après
s'être brouillés ouvertement avec lui ; le malheur ne
JANVIER 1818. 155
tarda pas à les atteindre sur la terre étrangère où ils
s'étaient réfugiés : ce fut le moment d'une réconciliation
dont mon neveu fit bien noblement les avances ; il était
riche , et garçon ; renonçant pour toujours au mariage ,
il consacra , pendant vingt - cinq ans , sa fortune à secourir
, au péril de sa vie , ses amis et ses parens exilés ,
en faveur desquels il avait ouvert chez lui une caisse où
il versait annuellement les deux tiers de ses revenus .
La fortune , en un tour de roue ( qu'elle mit un quart
de siècle à achever ) , a replacé la France où elle l'avait
prise ; cette nouvelle évolution ne s'est pas opérée sans
une forte secousse en sens contraire , dont le résultat
devait être de rendre quelques enfans à la patrie ,
d'en rejeter quelques autres sur la terre de l'exil : mon
neveu Bertrand rouvrit sa caisse , qu'il avait fermée
pendant cent jours , et se déclara une seconde fois banquier
de l'infortune : ses fonds ne sont malheureusement
pas assez considérables pour faire honneur à toutes les
traites qu'elle pourrait tirer sur lui , mais il s'occupe
en ce moment de grossir ses capitaux , en augmentant
le nombre de ses co - associés . >>
L'abbé parlait encore , lorsque le neveu Bertrand arriva
, et confirma , par des discours pleins de la plus
douce philosophie , du patriotisme le plus sage , et de la
vertu la plus modeste , l'éloge bien rare que l'on venait
d'en faire . M. Bertrand G .... avait amené avec lui un
jeune homme , dont le nom seul , dans cette ville de
Toulouse , suffisait pour attirer mon attention . Je l'entendis
nommer Duvoisin-Calas.
Pendant le déjeûner j'appris qué ce jeune homme ,
aussi recommandable par ses talens que par les malheurs
de sa famille , était le petit-fils de l'infortuné Calas , et
que le produit de son travail était destiné à soutenir une
mère , très -avancée en âge , dernière fille vivante d'un
156 MERCURE DE FRANCE.
homme dont le portrait devrait être placé dans la salle
d'audience de tous les tribunaux criminels . M. Calas ?
en me remettant un exemplaire des stances élégiaques
( 1 ) qu'il a composées sur la mort de la princesse
Charlotte d'Angleterre , crut devoir me faire
observer que , protestant et rejeton d'une famille dont
les malheurs ont été spécialement honorés de l'intérêt
de la maison régnante d'Angleterre , il n'avait cru manquer
en rien à sa qualité de Français , en payant ce tribut
poétique à la cendre d'une jeune princesse digne ,
par ses vertus et ses qualités , de l'estime et des regrets
des honnêtes gens de toutes les nations. On trouve
dans quelques strophes du mouvement et de la chaleur ;
je citerai la dernière :
Non , ce n'est point une muse vulgaire
Qui peut tenter un si sublime effort.
Renais , Young , de ta froide poussière !
Reprends ton luth ; que l'hymne funéraire
Fasse au loin retentir les voûtes de Windsor !
M. Duvoisin Calas partait le lendemain pour Paris ;
j'ai cru pouvoir lui faire espérer que ses talens y trouveraient
un honorable emploi .
Mon vieux jésuite , auprès de qui j'ai trouvé , sur
tout ce qui a rapport à l'histoire littéraire de ce pays ,
des lumières dont je saurai profiter dans mon prochain
discours , n'a pu m'être d'aucune utilité dans l'examen
des moeurs sociales , auxquelles il est étranger depuis si
long-temps . Je me trouve réduit , dans cette ville , où
je ne connais personne , à mes seules observations ;
(1 ) Ces stances se vendent chez Gagliani , libraire , rue Vivienne
, où une souscription , déjà honorée de la signature de
S. A. le duc d'Orléans et de l'ambassadeur d'Angleterre , a été
ouverte au profit de l'auteur .
JANVIER 1818 . 157
c'est une raison pour moi de les exposer avec réserve ;
je parle avec plus de confiance quand je puis m'aider de
l'expérience locale de quelque ancien de la contrée.
J'ai déjà dit que l'amour des distinctions était le
trait le plus caractéristique de la physionomie des
habitans de Toulouse ; cette vanité native , d'où peutêtre
découlent tous les défauts qu'on leur reproche ,
est aussi la source des qualités qui les distinguent.
Les Toulousains sont , en général , polis , affables ,
affectueux même , et ce n'est pas dans les simples relations
de société que l'on peut découvrir en eux un
fond d'égoïsme , caché sous les dehors de la plus aimable
bienveillance . Je n'ai remarqué chez aucun
peuple , une plus grande aptitude aux lettres et aux
sciences , un esprit plus prompt , une imagination plus
facile à exalter on aurait beaucoup de peine à concilier
ces dispositions d'un naturel ardent et passionné , avec un
caractère souple jusqu'à la faiblesse , si l'on ne découvrait
le principe de cette inconséquence dans le ressort
de l'ambition qui seul met en mouvement toutes les
facultés des hommes de ce pays : capables des efforts
les plus violens , aussi long- temps que ce mobile détermine
et soutient leur action , ils s'affaissent pour ainsi
dire sur eux-mêmes , et n'ont plus la moindre énergie
du moment qu'il s'arrête .
La beauté déroge ici moins fréquemment que partout
ailleurs ; c'est dans les classes élevées que se trouvent
les femmes les plus belles ; je voudrais pouvoir ajouter
qu'à d'autres égards elles conservent tous leurs avantages
, mais je suis juste, et ne suis pas gulant . Je dirai
donc que la bonne compagnie où se trouvent tous les é! -
mens qui la constituent ailleurs , la beauté , l'esprit et les
talens , est trop souvent, à Toulouse , le rendez - vous des
prétentions et de l'ennui ; que les femmes y manquent
158
MERCURE
DE FRANCE
. t
d'abandon et de gaieté ; qu'elles y sont , plus que partout
ailleurs , tourmentées de petites passions haineuses
qui les isolent jusque dans leur réunion . On ne sait pas
tout ce qu'une marchande de modes de Paris qui expédie
à madame de N*** une toque d'un goût nouveau
que n'ont point encore reçue mesdames de L..., de
B..., de R. amasse de charbons ardens sur la tête
de celle qui se montrera la première avec cette coiffure
élégante au cercle de madame la baronne de C ... On cite
ici des haines de famille aussi vigoureuses que celle des
Montaigu pour les Capulets , qui n'ont pas eu de fondement
plus solide.
2
Dans les classes inférieures , les moeurs , avec plus
de facilité , ont moins de bienséance ; à population
égale , aucune autre ville de France ne compte un aussi
grand nombre de filles publiques . La paresse se fait
une ressource des vices qu'elle engendre.
L'amour du luxe et des amusemens publics , quelque
violent qu'il soit dans cette ville , y lutte avec désavantage
contre l'esprit d'économie, qu'on peut appeler l'ins
dustrie des gens paresseux . Cette qualité très -commune
parmi les habitans du Toulouse , y dégénère facilement
en avarice , et trouve le moyen, à l'aide des sacrifices
qu'elle commande dans l'intérieur des familles , de
s'allier , avec une sorte d'ostentation , dans les habitudes
extérieures , dont la vanité se contente plus faci→
lement que le plaisir.
Toulouse est la première ville du monde pour les
processions , et l'on peut , en ce genre de cérémonies ,
offrir , pour modèle à l'univers , la procession du lundi
de Pâques , où les quatre confréries de penitens noirs ,
gris , bleus et blancs , figurent en première ligne , et
dont le développement sur l'esplanade , est , à ce qu'on
assure , d'un effet merveilleux : on y promène , m'aJANVIER
1818 .
159
t-on dit , les précieuses reliques de quelques saints qui
se sont miraculeusement conservées pendant huit ou
dix siècles dans les caveaux de l'église de Saint-Saturnin
l'on dit être bâtie sur un lac .
que
Quel que soit mon goût pour ces solennités , je pardonne
néanmoins de grand coeur à la révolution d'avoir
aboli la procession des quarante cadavres , établie à
Toulouse en commémoration du supplice de quatre mille
igounaous ( huguenots ) , qui furent précipités, du haut
de la porte Matabian , dans les fossés de la place. Je
ne regrette même pas celle du grand Suisse d'osier que
l'on promenait jadis à Paris , et que l'on finissait par
brûler en réparation de l'outrage fait à la madone de
la rue aux Ours ; en tout , je ne vois pas très - clairement
quel bien peut résulter pour un peuple de perpétuer
des souvenirs déshonorans . La vertu et l'intérêt
des fils est d'oublier les crimes et les sottises des pères ;
les célébrer , c'est s'en rendre complice.
Je regrette que le temps qui me reste à passer à
Toulouse ne me conduise pas jusqu'à l'époque des
fenetras ( au fêtes patronales des divers faubourgs ) . Les
plus renommées sont celles de l'esplanade , de saint
Cyprien et des boulevards de ce nom , depuis la grille
Muret jusqu'à la Patte -d'Oie . Ces fêtes ont lieu tous
les dimanches depuis le jour des Cendres jus qu'à Pâques ,
et l'on y déploie , comme à Longchamp , un grand luxe
de chevaux et d'équipages .
C'est dans un but tout contraire que je dirai quelques
mots ( et seulement à l'acquit de ma conscience d'historien
moral) de ces verdets qui se chargèrent , pendant
quelques mois de 1815 , de la police de cette
ville. Sans m'arrêter aux vexations , aux indignités de
toute espèce que les honnêtes gens eurent à souffrir
de cette autre espèce de jacobins , je citerai un fait
160 MERCURE DE FRANCE.
4
malheureusement trop connu , dont la honte et l'horreur
semblent appartenir aux affreuses journées de septembre.
On voit déja que je veux parler de l'assassinat
du général Ramel . Je ne suis , en ce moment , que l'organe
de vingt témoins oculaires.
Le général Ramel voulait que les verdets fussent
désarmés et incorporés dans la garde nationale ou dans
la ligne , à leur choix . On savait qu'il avait écrit au
ministre pour faire dissoudre ces dangereuses compagnies.
Dès l'avant - veille de l'horrible catastrophe ,
des cris de rage s'étaient fait entendre jusque sous les
fenêtres de son logement : M. de Maralet , maire de
Toulouse , également en proie à la haine honorable de
ce ramas de factieux , se voit contraint à fuir. Le général
connaît toute l'étendue de ses devoirs ; il demeure.
Le 15 du mois d'août , un repas est préparé dans l'ancien
couvent des Minimes pour une de ces bandes ,
composée d'environ soixante hommes . Le général se
met à table à six heures et demie , au retour d'une
procession solennelle à laquelle il avait assisté il reçoit
une lettre anonyme , datée de Saint- Gaudens , où
l'on vante , avec une sorte d'ironie dont il est frappé ,
ses travaux, son zèle pour le service du Roi , et la
récompense qu'il va bientôt en recevoir. Cet avertissement
effraya les amis du général Ramel qui le pressent
en vain de se dérober à la fureur de ses lâches ennemis.
Il achevait de dîner lorsque des hurlemens annoncèrent
l'approche des assassins . Le général , aussi grand , aussi
malheureux dans cette circonstance que le fut jadis
l'amiral Coligny , fait ouvrir la porte de son hôtel et se
présente à ces forcénés : « Voici Ramel , leur dit-il
avec calme , retirez-vous , séditieux ,je vous l'ordonne
au nom du Roi qui m'a confié ... » Il parlait encore
, lorsqu'il fut frappé d'une balle qui le renversa
....
:
JANVIER 1818 . 161
uprès du factionnaire qui pérít lui- même en cherchant
à le défendre.
On parvient à transporter le général , horriblement
blessé , dans une chambre de la maison , où l'on se hâte
de lui procurer des secours : deux heures s'écoulent ; il
était dans son lit , assisté par des médecins et par un
ministre du culte . Le premier appareil avait été mis
à sa blessure : tout-à-coup les portes sont enfoncées ,
des cannibales , armés de coutelas , se précipitent dans
la chambre , se jettent sur leur victime qu'ils déchirent
et dont ils se disputent les membres palpitans ……………. Le
général Ramel expire en prononçant les noms sacrés
que ses bourreaux ne craignent pas d'invoquer dans leur
exécrable délire........ Qu'on rapproche , par la pen→
sée , cette scène épouvantable , de celles dont nous avons
gémi à une autre époque , et l'on y reconnaîtra , sous des
masques différens , sous des noms également chers au
coeur des Français , les mêmes hommes , les mêmes instrumens
des passions féroces qu'enfante l'esprit de
parti , et contre les excès duquel la France n'a désormais
d'autre garantie que la force invincible d'un régime
constitutionnel .
L'école de droit , composée dé huit ou neuf cents
étudians , est une petite république dont les membres
sont moins souvent rassemblés sur les bancs de l'école
que sur ceux du théâtre ; c'est là que se traitent les
objets les plus importans ; les parties de plaisirs , les
querelles d'opinion , les intrigues amoureuses et les
affaires d'honneur qui en sont trop souvent la suite :
c'est là qu'on délibère sur l'admission ou le rejet d'une
débutante , qu'on se décide sur le choix d'un nouveau
café, sur l'abandon d'une ancienne salle de billard . Les
élèves de chaque département nomment leurs députés ;
on entend des orateurs pour et contre , et l'on vote à
LL
162 MERCURE
DE FRANCE .
haute et intelligible voix depuis qu'on a reconnu les in²
convéniens du scrutin secret . Dans ces séances un peu
tumultueuses , les questions de droit sont rarement
agitées , et , s'il faut en croire l'abbé Saturin , ce n'est
pas tout à fait la faute des élèves à l'entendre , les
professeurs ont en général plus de prétentions que de
savoir ; j'ai su qu'il fallait du moins excepter M. Rufat ,
pour le droit romain , et M. Furgole pour le droit
français . Ce dernier , vieillard vénérable , et fils du
célèbre Furgole , qui fut honoré de l'estime particulière
du chancelier d'Aguesseau , et qui ne s'est pas
moins illustré par ses Traités des donations et des testamens
, que le fameux Pothier , d'Orléans , par son
Traité des contrats et par ses Pandectes. J'ai jeté un
coup d'oeil sur l'ensemble de la société toulousaine , il
me reste à parler , avec quelques détails , des personnages
distingués qui ont honoré et qui honorent encore
cette cité célèbre .
L'ERMITE DE LA GUYANE.
ANNALES DRAMATIQUES.
Les noires vapeurs que l'enfer des Danaides avait ex
halées , finissent par se dissiper ; et grâce à une puissance
magique , la cohorte des démons et des furies
rentre dans l'abîme pour faire place à une troupe légère
de sylphes et de génies . Ce prodige , qui purifie le théâ
tre de l'Opéra , est dû à certaines fleurs enchantées dont
on vient de le décorer; elles ont été cueillies dans le riant
domaine de la féerie , où nos auteurs de drames lyriques
ne font pas mal de se transporter , pour puiser des
inspirations nouvelles .
Ces fleurs enchantées sont des roses dont la puissance
JANVIER 1818 . 163
est de ramener toujours la personne qui les reçoit , vers
la personne qui les offre la dernière . La fée Urgande en a
fait présent au prince Almédor , et lui persuade qu'elles le
préserveront de tout danger. Elle est éprise de ce jeune
prince , qui ne répond point à son amour , bien que la suivante
Zirphile ait fait l'impossible pour vaincre son insen
sibilité . L'enchanteur Merlin , jadis amant de la fée , vient
après deux ans d'absence , pour reconquérir ses droits
sur le coeur d'Urgande. Il arrive , porté sur un nuage ,
menant avec lui Zéloïde , jeune princesse douée d'un
charme irrésistible , qui la fait aimer de tous les hom
mes , mais dont l'indifférence égale la beauté. Travestie
en bergère , par l'ordre de Merlin , elle ne tarde pas à
se rencontrer avec Almédor . Ses attraits , plus puissans
que le talisman de la fée , inspirent la plus vive passion
au jeune prince , qui trouve aussi le secret de se faire
aimer de Zéloïde . Elle témoigne des craintes sur les entreprises
de sa rivale ; Almédor , pour la rassurer , lui fait
hommage du bouquet , dont elle lui rend la moitié, et ce
partage du talisman les attache plus tendrement l'un à
l'autre .
Quelques bergers accompagnés de leurs maitresses
voient Zéloïde , et dans leur admiration , ils tombent à
ses pieds ; les jeunes filles délaissées demandent vengeance
au seigneur Colibrados , gouverneur de l'ile
qui leur promet de punir l'étrangère ; il la fait venir devant
lui , soulève le voile qui la cache , et perd soudain
la raison comme les autres .
Cependant Urgande , pleine de confiance dans ses
enchantemens , et se croyant aimée d'Almédor , se présente
, entourée de sa cour , pour célébrer son union avec
le prince ; celui - ci , conduit par Merlin , tombe aux pieds
de Zéloïde , et la fée , obligée de se soumettre au destin ,
consent à l'union des jeunes amans , et donne sa main à
l'enchanteur .
Cette pièce présente tout l'intérêt que comporte le
genre léger auquel elle appartient . Il y a y plusieurs
scenes qui font reconnaître un auteur habitué à préparer
les situations avec art . Tels sont au premier acte
l'entrevue de Zéloïde et d'Almédor , et le moment où les
bergers abandonnent leurs maîtresses ; au second acte
on a écouté avec plaisir l'interrogatoire que Colibrados
JI,
164 MERCURE DE FRANCE .
fait subir à Zéloïde , et surtout la scène où Merlin oblige,
par enchantement , la suivante Zirphile à avouer , sans
qu'elle se doute de son indiscrétion , les projets infidèles
de la fée Urgande . Les rôles de Zéloïde , de Zirphile
et d'Almédor , sont les plus remarquables . - La
musique ne manque ni de douceur , ni de grâce. On
peut citer sept ou huit morceaux qui ont été vivement
applaudis. Le récitatif a paru un peu trop grave et trop
solennel ; il contraste en effet avec le ton des paroles ,
surtout dans le rôle de Colibrados , personnage à demi
grotesque.
Les principaux sujets ont concouru à la représentation ,
aussi laisse- t - elle peu de chose à désirer .
Cette pièce est , après le Rossignol, celui des ouvrages
gracieux que l'on reverra avec le plus de plaisir , et qui
servira le mieux à faire diversion à l'héroïque monotonie
de la plupart des grands opéras. Les costumes , les
décorations et les ballets sont d'un fort bon goût. - M.
Etienne , auteur du poème , et M. Lebrun , compositeur
de la musique , ont été nommés au milieu des applaudissemens
, avec M. Millon qui a composé les divertissemens
.
-
Le théatre Feydeau vient aussi de jouer avec
succès un joli opéra-comique , en un acte , intitulé :
Frère Philippe . Le sujet est tiré , comme on peut
en juger par le titre , des Contes de La Fontaine ,
qui sont couramment admis au théâtre comme coutes
moraux . Les scènes et les incidens de l'invention de
l'auteur annoncent de l'esprit et du goût.
Philippe , en se faisant ermite , a donné sa maison
à Anselme qui l'habite avec sa fille Elisa , dont l'esprit
est fort développé , malgré son jeune âge et malgré la
surveillance rigoureuse de sa gouvernante Gertrude ,
vieille fille d'un caractère revêche et hargneux. Philippe
, obligé de laisser sortir son fils Lubin de la solitude
où il l'a tenu jusque là , le conduit chez Anselme
en prenant la précaution de le couvrir d'un manteau,
Pour mieux lui inspirer la haine des femmes au moment
où il va lui révéler leur existence , il veut que Gertrude
paraisse la première aux regards du jeune homme,
et qu'elle lui fasse éprouver de mauvais traitemens .
Elisa , qui a furtivement entendu ce projet , songe à
JANVIER 1818.' 165*
le faire échouér en se montrant à Lubin ; il l'aperçoit en
effet par une fenêtre , et cette vue le jette dans un
trouble extrême. Son père lui affirme que cet étre
inconnu, qui a pris la fuite , est un oiseau d'espèce malfaisante
, et il lui envoie Gertrude pour l'en convainere ,
Elle y parvient réellement , d'abord par ses cajoleries qui
ne plaisent point à Lubin , puis par les menaces qu'elle
lui adresse , en se retirant , pour le punir de ses dédains.
Lubin se désespère ; dans son agitation , il frappe rudement
une porte secrète qui s'ouvre par hasard sous sa
main , et qui conduit à la chambre d'Elisa . La jeune
fille , qui était demeurée en dehors , a bonne envie de
rejoindre Lubin ; mais , malgré sa candeur , un sentiment
secret lui défend de le suivre ; elle s'avise alors d'un
stratagème ; elle crie au secours ; on arrive : « Ger-
« trude , dit- elle , vient de causer une telle frayeur à Lu-
« bin , qu'il a franchi le mur du jardin , et s'est sauvé dans
<< la campagne . » Les vieilles gens se hâtent de courir
après lui ; les enfans , restés seuls à la maison , sont
bientôt réunis ; l'étonnement de Lubin , ses questions
naïves , les réponses piquantes d'Elisa , leur naissantetendresse
qui s'accroît rapidement , forment une situation
charmante qui se prolonge jusqu'au moment où
les parens rentrent , tout essoufflés , pour surprendre
Lubin aux pieds de la jeune fille , et décider leur mariage
.
Les difficultés du sujet ont été éludées avec habileté
sans que la pièce perde rien du ton naturel qu'elle doit
avoir. Les premières scènes sont un peu languissantes ;
la porte secrète n'est pas un moyen heureusement imaginé
, parce qu'il semble promettre , dès le premier
moment , des situations plus fortes que celles qu'il fait
naître . L'auteur de la pièce est M. Duport , et la musique
est de la composition de M. Dourlen . Elle porte
un caractère de pureté et de correction qui décèle un
excellent professeur. Les motifs de plusieurs airs ont
paru fort agréables . Les rôles d'Elisa et de Lubin ont
été joués par madame Gavaudan et mademoiselle
Môre avec une grâce parfaite .
-
J'aborde maintenant le récit de quelques disgrâces.
Le Théâtre -Français a joué une seule fois une
comédie qu'on nommait de son vivant la Réconciliation
166 MERCURE DE FRANCE .
-
par Ruse. L'anteur avait trouvé le secret de se rendre
obscur dans une pièce sans intrigue , et de paraître
extrêmement long dans un seul acte.. Madame de
Valcour , après avoir rompu avec Senange son amant ,
parce qu'il est jaloux , a pris en haine tous les hommes ,
et s'oppose au mariage de sa soeur avec Charles . Celui- ci
acquitte de ses propres fonds les dettes des deux amans ,
mais c'est à leur insu , et pour leur faire croire qu'ils
se sont rendus mutuellement ce bon office . Voilà la
ruse : la réconciliation s'ensuit , les explications aussi ,
et madame de Valcourt témoigne son admiration pour
Charles en s'écriant :
D'un si beau trail , ma soeur , soyez la récompense ,
Et le public a témoigné son mécontentement en sifflant
à outrance cette comédie , qui valait tout au plus la peine
d'être jouée sur un théâtre de société , en présence d'une
bénévole assemblée de famille .
- On représentait Warwick au Théâtre-Français , et
j'ai malheureusement donné la préférence à une prétendue
comédie en trois actes , qui se jouait le même soir
à l'Odéon , sous le titre des Diables de la rue d'Enfer ,
ou le Château de Vauvert . Ce n'est qu'un tissu d'extravagances
puériles , faites pour exciter le dégoût .
Je n'aurais pas parlé de cette représentation , si elle
n'avait donné lieu à l'exécution d'une sage mesure de
police qui vient d'être prise , et dont le but est de purger
les spectacles de cette foule de cabaleurs à gages ,
qui applaudissent et sifflent tour à tour , selon qu'ils
sont mis en jeu par la vanité ou par la basse jalousie de
quelques auteurs ou acteurs. Les entrepreneurs de chuies
et de succès crieront sans doute à l'injustice , et ne
manqueront pas de faire valoir la longue jouissance de
leurs droits . Il est sûr que les commencemens de leur
institution se perdent dans les siècles , car Ovide a été
obligé de remonter au temps de Romulus , pour trouver
une époque de laquelle il pût dire : Plausus tunc arte
carebat. Heureusement que de nos jours , les prétentions
fondées uniquement sur l'antiquité d'origine ne
sont pas reconnueș.
Je ne permets encore une prosopopée , pour évoquer
une autre comédie du même théâtre intitulée : la VieilJANVIER
1818. 167
Lesse de Preville . Ce personnage est représenté dans un
état d'aliénation mentale , où l'a réduit la crainte d'étre
livré aux tribunaux révolutionnaires ; cette première
idée si gaie en elle-même , est encore enjolivee par une
foule de détails qui font allusion au régime de la terreur,
Proville comparait devant un prétendu représentant du
peuple en tournée , qui l'interroge et proclame son innocence
; se croyant hors de danger , il recouvre la
raison . Cette cure en deux actes était indigne de la scène
et du talentde son auteur. Elle se terminait par le voeu et
l'espoir , assez adroitement exprimés , de voir bientôt
l'Odéon transformé en second théâtre Français. En permettant
la manifestation de ce désir , M. le directeur
s'est montré , selon moi , fort désintéressé ; car si le plan
dont on parle venait à s'exécuter , il n'est pas probable
qu'il conservât la direction du nouveau théâtre. Elle ne
peut convenir à aucun auteur dramatique , sans faire acception
d'un seul . Ce serait prendre plaisir à faire succomber
un auteur , que de le placer ainsi entre ses
devoirs et la conservation de ses intérêts et de sa réputation
littéraire : .
Pour être directeur on n'en est pas moins homme.
Une revue très - prochaine , renfermera l'examen des ou
vrages représentés sur les théâtres secondaires.
DL .
MERCURIALE .
Vous êtes étonné de me revoir déjà , mon cher
Sainville ; je reviens de la noce ; voyez ma tristesse ,
tout est rompu....... Quittez l'inspiration que je vous
avais commandée , et suspendez la complainte nuptiale
commencée en l'honneur des jeunes fiancés dont vous
saviez à peine le nom , et que vous n'auriez pas moins
chantés avec une scrupuleuse fidélité ; car , puisqu'il
s'agit d'un militaire français , vous ne pouviez pas vous
égarer , en parlant de valeur et de patriotisme ; et
168 MERCURE DE FRANCE .
quant à la jeune personne , il est convenu qu'il faut
toujours célébrer son innocence je vous le répète ,
tout est rompu , et les
pour éclater ; ainsi , unc mère crédule ne conduira pas
sa fille à l'alcove conjugale en chuchotant à son oreille ,
et la mariée virginale ne fera pas semblant d'apprendre ,
Et quel est , me demanderez -vous , l'esprit funeste qui
a soufflé le trouble et la mésintelligence entre deux
familles héréditairement amies ? c'est le plus bête de
tous les esprits , l'esprit de parti.
orages n'ont pas attendu l'hymen
Vous savez que le jeune Edouard Salins , vétéran
de vingt- cinq ans , avait eu occasion , à Paris , de
voir et d'aimer la belle Victorine qui , du reste , avait
été amenée dans la capitale pour faire son éducation.
Madame Salins , asservie au bonheur de son Edouard ,
écrivit de Dijon où elle était retirée depuis trois
ans , à son amie madame de Vernac , mère de Victorine
et habitante de Toulouse ; après quelques solides.
renseignemens de part et d'autre , et tout bien pesé ,
on convint que les jeunes gens se convenaient : ce
mariage fut accueilli des deux côtés avec d'autant plus
d'empressement qu'il devait accomplir un projet de
réunion rêvé depuis long-temps par les deux tendres
amies. Paris fut désigné pour la résidence adoptive ;
on arrêta le jour de la double arrivée , et la grande fète
était pour aujourd'hui .
En effet , ce matin la poste de Dijon et celle de
Toulouse entrent ensemble dans l'hôtel préparé , où les
deux mères sont reçues par la cohorte des amis elles
se voient , veulent se parler et s'évanouissent de tendresse
; mais les caresses d'un fils et d'une fille les ont
bientôt rappelées à elles -mêmes , et déjà l'on passe à la
reyue détaillée des communs pénates : voilà , disait
madame Salins , l'appartement que vous occuperez ,
mon inséparable amie, Oui , répondait madame de
Vernac voilà le vôtre , et nous ne serons séparées que
par la chambre de nos enfans ; et bientôt de vos petitsenfans
, ajouta un prophétique plaisant en regardant ,
d'un air malin , les deux jeunes gens ; propos qui fut accueilli
par un sourire et par une rougeur. Je n'essaierai
point de vous retracer les amicales protestations , accompagnées
d'embrassades redoublées , dont ces deux dames,
:
JANVIER 1818.
169
ont signalé leur réunion . Rien n'a manqué à cette solennité
sentimentale , si ce n'est que madame de Vernac
m'avait paru lancer un regard ennemi sur le buste de
l'un de nos héros modernes , le plus bel ornement de la
salle de réception , et que j'ai cru m'apercevoir qu'elle
avait poussé à terre par un geste malintentionné , le
livre qui renferme les Annales de nos victoires , et qui
fut relevé par madame Salins avec des égards marqués.
Cependant , la bonne intelligence était parfaite ; et
la compagnie , rassemblée dans le salon , en attendant
le dîner des fiançailles , se prit à causer , c'est-à- dire à
parler de politique. On agita plusieurs questions à la
mode , dans la discussion desquelles on aurait pu deviner
que les deux voyageuses étaient parties de points
opposés . Une conversation animée épuisa le chapitre
des libertés. Retirés un peu à l'écart , Edouard et Victorine
n'en parlaient pas ; l'entretien dégénérait insensiblement
en dispute , et l'exagération méridionale
commençait à aigrir la voix de madame de Vernac ,
lorqu'un perroquet jaseur , compagnon de voyage de
madame Salins , vint donner le signal de la discorde en
se mêlant de la conversation. Ce malheureux animal
qu'on n'avait pas tenu au courant des circonstances ,
poussa effrontément un cri séditieux : « J'aime à voir
comme vous l'instruisez , reprit , avec amertume , ma→
dame de Vernac , en apostrophant madame Salins . » '
Toute la société interposait déjà des paroles pacifiques
dans cette contestation hostile. Nos jeunes gens ne s'en'
étaient pas encore aperçu ; enfin , averti par les excla
mations des deux dames et les bruyantes récidives du
perroquet , Edouard accourut pour apaiser sa seconde
mère en l'embrassant . - Qu'est ceci ? ' s'écria-t - elle ,
en indiquant une balafre qui traversait le visage du
jeune guerrier . Il essaya en vain d'excuser sa cicatrice ,
acquise dans ces derniers combats où nous ne perdimes
que la victoire ; en vain la jeune fille objectait
que cette blessure ne le défigurait pas. Elle est factieuse
, repartit madame de Vernac avec horreur.
Mais c'est en servant mon pays ..... Vous êtes un
traître. Le triste Edouard pleura , pour la première fois ,
sa blessure et sa gloire. Cette insulte faite à l'honneur
--
1
170
MERCURE DE FRANCE .
de son fils mit le comble à l'indignation de madame
Salins , dont le double orgueil de mere et de française ,"
s'emporta contre ces gens , pleins de suffisance et
d'incapacité , qui ne savent qu'injurier ; en un mot ,
les deux amies se jurèrent une haine éternelle , et
s'évanouirent une seconde fois , avec les espérances
des deux amans et celles de plusieurs convives qui ne
voyaient de véritablement déplorable dans ce refroidissmentque
celui du diner vainement annoncé à plusieurs
reprises . Tous les autres avaient pris parti dans la crise
politique ; c'était une conflagration universelle , et il n'y
eut pas jusqu'à un enfant de quatre ans à qui je voulus
offrir des bonbons et qui les refusa , parce qu'ils n'étaient
pas de son opinion,
SS.
RÉCLAMATION .
Au Redacteur du Mercure,
MONSIEUR ,
L'impartialité qui préside généralement à la rédaction
du Mercure , justifie l'estime publique dont il est en
possession . Cette qualité , si rare aujourd'hui , me fait
espérer que vous regarderez comme un devoir de publier
les observations suivantes , en réponse à une note
de M. Bénaben , relatíve à la contestation qui s'est élevée
entre M. le duc d'Orléans et M. Jullien , laquelle
note se trouve dans le dernier numéro du Mercure.
Il est évident que M. Bénaben ne connait pas meme
les faits de la cause sur laquelle il prononce avec une
assurance qui étonne de la part d'un écrivain aussi judicieux
.
1º . Ce n'est point en 1793 que M. Jullien acquit la
propriété du Théatre- Français.
2º. S. A. peut nier qu'elle ait consenti à ce que la
vente se fit , puisque la vente a été faite par les mandataires
du feu duc d'Orléans , sans que ce prince luiméme
en cut connaissance.
JANVIER 1818 . 171
Comme tous les raisonnemens de M. Bénaben portent
sur deux faits évidemment faux , il n'est pas étonnant
qu'il en ait tiré de fausses conséquences .
Il demande pourquoi on a proposé des mandataires
à une vente , si cette vente avait pour objet un domaine
inaliénable .
Cette question prouve un examen inattentif de la
question. Des mandataires avaient pouvoir d'aliéner ce
qui était aliénable , par autorisation légale , dans une
partie de l'apanage ; ils ont vendu ce qui n'avait pas
perdu le caractère d'aliénabilité ; il est donc avéré
qu'ils ont excédé leurs pouvoirs , et qu'ils n'ont pu
transmettre un droit qu'ils n'avaient pas .
M. le duc d'Orléans agit comme apanagiste , parce
qu'il est rentré dans son apanage . Ayant reconnu qu'une
partie de cet apanage , inalienable de sa nature , a été
frauduleusement aliéné par des particuliers au profit de
quelques particuliers , il a droit et action contre la
fraude et le dol . Il ne s'agit point ici de vente nationalement
faite .
M. Bénaben invoque la prescription en faveur de
M. Jullien ; c'est une fin de non- recevoir qui n'empê-'
cherait pas qu'au fond la demande de S. A. ne fût juste ,
mais qu'il serait trop long de discuter ici . Les juges
prononceront sur cette question comme sur les autres
questions subsidiaires qui ont été élevées dans la cause.
Ces magistrats n'iront pas puiser leurs motifs de décision
dans les feuilles publiques où l'on devance peutêtre
avec trop de précipitation , du moins en certains
cas , les jugemens des tribunaux .
Les ventes dites nationales avaient un caractère qui
leur était propre . Elles étaient faites au nom et au
profit de l'Etat. Les formalités étaient prescrites .
9
Dans la vente dont il s'agit , c'est , il faut bien le
répéter , puiqu'on l'oublie sans cesse c'est au nom d'un
particulier que la vente a été faite à des particuliers.
Si cette vente est frauduleuse , comment pourrait- elle
être valide ? La décision des magistrats nous apprendra
ce que nous devons penser à cet égard .
Agréez , monsieur, etc.
L'un de vos Abonnés et habitué du palais ,
SAINT-MARTIN.
172 MERCURE DE FRANCE.
6
POLITIQUE .
S. I.
SESSION DES CHAMBRES.
CHAMBRE DES PAIRS.
Dans sa séance du 15 , la Chambre a entendu le rapport
de M. Pastoret , sur le projet de loi relatif à la liberté
de la presse . L'orateur , dès le début , venge la procédure
du dédain qu'on affecte contre elle. La procédure, dit- il ,
est conservatrice et protectrice de nos intérêts les plus
chers. Il y a sans doute dans la loi fondamentale des garanties
plus générales , plus solennelles , mais non plus
importantes ; et s'appuyant de l'autorité de Montesquieu :
<<On peut en croire ce grand homme , poursuit l'orateur ,
car ce n'est pas l'intérêt de ses goûts et de ses travaux
qu'il défendait : des méditations plus élevées avaient toujours
occupé son génie » . Après avoir donné son approbation
à la hiérarchie des responsabilités , qui fonde la
première partie de la loi , l'orateur passe à la différence
des deux provocations. Il oppose à ceux qui nient la provocation
directe , des souvenirs atroces et douloureux ;
quant à la provocation indirecte , & elle exige , dit - il ,
» une grande sagacité pour être aperçue ; il faut souvent
» aller reconnaître les intentions réelles de l'auteur , à
» travers des mots qui les cachent , les dénaturent , ont une
» apparence opposée ; elle échappe à des preuves lé-
» gales , et ne peut offrir que sans elles ou hors d'elles
» la conviction de son existence . » Il semble qu'une définition
si vraie conduisait naturellement l'orateur à cette
idée , que les provocations indirectes ne sont point matière
à procès ; car , qu'est - ce qu'un procès sans preuves
legales ? Qu'est- ce qu'un procès fondé sur une chose si
subtile , si déliée , si équivoque même de sa nature , qu'il
n'existe ni règles pour la déterminer , ni moyens pour la
saisir ? Ne parait-il point qu'un jugement de cette sorte ne
1
JANVIER 1818 . 173
sera jamais fondé que sur une probabilité , sur une conjecture
, sur une prévention ; que tel auteur assez adroit pour
donner un sens favorable à une expression ambiguë , sortira
sain et sauf de l'épreuve , quoique son intention n'ait
pas été bonne ; et que tel autre qui ne pourra éclaircir
une expression obscure, mais innocente, succombera ! Que
les juges descendent au fond de leur coeur ! je les adjure
de me dire s'ils comptent assez , je ne dis pas sur leur
impartialité , quoique dans ces sortes de choses on soit
partial , même à son insu ; mais sur leurs lumières . Il en
faudrait avoir d'immenses , d'universelles ; il faudrait être.
Dieu même. On m'opposera le scandale de l'impunité , et
je répondrai par le scandale de l'injustice . Or , dans une
matière si peu accessible aux regards humains , l'injustice
ne sera-t - elle pas plus fréquente que l'impunité ; et l'impunité
même ne pourra-t - elle pas être l'injustice ?
Le point capital du rapport , c'est la discussion de l'article
8. La seconde partie de cet article assimilait le dépôt
à la publication. Et voici par quels argumens , dans
la séance du 7 , M. le garde-des- sceaux avait tenté de justifier
cette assimilation . « Dans le fait , disait- il , et dans la
» réalité , le dépôt tel qu'il s'exécute , et tel qu'il peut
>> seulement s'exécuter , n'est autre chose de la part de
» l'auteur ou de l'imprimeur , qu'une déclaration qu'il
>> publie ; c'est un avertissement qu'il donne en remettant
» le premier exemplaire distribué , et cela est tellement
» exact , qu'il n'y a aucun moyen de lui refuser le récé-
» pissé du dépôt. » Le dépôt n'est autre chose qu'une déclaration
que T'on publie , soit ; mais une déclaration conditionnelle
, ou plutôt une déclaration qu'on se propose
de publier , sans quoi le dépôt serait sans objet ; c'est ce
que le rapporteur a très - bien fait sentir . «< On dit que le
» dépôt est le commencement de la publication ! Le dépôt
la précède ; il ne la commence pas . Il la commence
» si peu , qu'il pourra devenir un moyen de l'empêcher. »
L'orateur passant à des considérations étrangères à la
valeur intrinsèque de l'article , mais qui peuvent ne pas
être sans influence sur son adoption , se plaint des changemens
successifs et graduels qui ont été faits depuis deux
ans dans la présentation des lois à la Chambre des pairs .
Il observe avec surprise que l'amendement actuel est
placé en note hors du texte , comme pour mémoire et
»
978
MERCURE DE FRANCE.
sans avoir été consenti par le roi . « Ce qui rend la discus-
» sion plus compliquée , plus difficile , et porte atteintė
» à la proposition royale , et au droit de sanction , con-
» servateur des autres droits . >>
Tout ami de son pays acceptera l'augure que présente
la péroraison .
Nous ne pouvons qu'unir nos voeux aux voeux si bien
exprimés par le noble pair rapporteur de la loi sur les
journaux , de voir enfin la France jouir d'une législation
complète et durable sur l'exercice du droit de la presse
et sur la répression de ses abus ; c'est un travail difficile
sans doute , et plus on a étudié le coeur de l'homme et la
science des lois , mieux on sent ces difficultés . Beaucoup
d'articles à ce sujet sont épars dans les législations des
peuples un véritable code reste à faire , malgré tant
d'excellers écrits ; l'ordre social attend encore ce grand
bienfait. Puisse-t-il le devoir à la France !
:
CHAMBRE DES DÉPUTÉS.
Suite des débats sur le recrutement.
Il serait à souhaiter que tous les discours des orateurs
de l'opposition ressemblassent au discours de M. Barthe-
Labastide ; celui - ci porte un caractère de modération qui
le rend très-recommandable. Ses argumens , tirés de la prérogative
royale , n'en sont pas moins faux , car la question
n'est pas de savoir s'il est au pouvoir du roi de ceder
cette prérogative , c'est - à -dire de cesser d'être roi . La question
est de savoir si cette prérogative existe dans le sens
qu'on lui donne. Or , la Charte dit très-positivement que
le roi commande l'armée ; mais elle ne dit nulle part
qu'il est le maître absolu de la composition de l'armée
la Charte dit bien que le roi nomme à tous les emplois
d'administration publique ; mais peut - elle assimiler les
emplois militaires à des emplois d'administration ?
Les reflexions de l'orateur sur les avantages qui résulteraient
pour tous d'un système de prestations pécuniaires
et de libérations anticipées , m'ont paru très-justes ;
et il n'est peut- être pas impossible d'en faire la matière
d'un amendement , sans détruire Féconomie du projet de
loi.
JANVIER 1818.
155
Voici un des passages du discours de M. de Chauvelin
« Qui doute qu'il ne fût fort commode aussi pour un
gouvernement , d'être en pouvoir de lever chaque année ,
de son chef , et sans rendre aucun compte préalable , une
certaine portion des revenus publics ! La demande de
cette faculté pourrait être appuyée aussi dé toutes les considérations
les plus spécieuses , tirées des besoins du service
, de la nécessité d'entretenir la confiance et le crédit
du dedans et du dehors , d'alimenter raisonnablement un
complet qui n'approchât jamais du dénuement. Et pourtant
, messieurs , cette loi première , cette foi des nations
représentées n'en subsiste pas moins dans toute sa force ,
qu'aucune fraction , si petite qu'elle puisse être , des revenus
publics , ne peut être assise et perçne sans le vote an
nuel et préalable des chambres représentatives ; et si de
'cette disposition entière , absolue , perpétuelle et inévi
table ; il résulte mille avantages pour le sort du contri
buable qui paie , qui peut douter aussi , messieurs , que
d'une disposition correspondante et parfaitement identique
, quant aux levées d'hommes , il ne doive aussi revenir
autant d'avantages pour le contribuable appelé à
marcher ? »
Admettez pour un seul instant le plan proposé , suppo
sez- en l'effet acquis , et suivez- en les conséquences ; vous
verrez qu'après vingt années de paix , après vingt ans
d'usage de la levée des quarante mille hommes attribuée
au gouvernement , en dehors de toute action et de toute
influence des chambres , si quelque circonstance extraordinaire
amenait la nécessite de recourir à leur pouvoir ,
pour quelque levée d'hommes plus considérable , les tuteurs
nés de la nation , les représentans de toutes les familles
, étrangers' alors , tous également , aux questions si
importantes des levées d'hommes , à toutes les notions qui
s'y rapportent , seraient tout à- fait inhabiles à les discuter
, et dans les occurrences les plus graves , ne pourraient
ni s'éclairer eux - mêmes , ni instruire le pouvoir, ni preserver
leurs commettans . >>
L'orateur ne vote en faveur du projet , que sous la
condition expresse du vote annuel.
M. le comte Dupont entre dans des développemens
fort étendus sur les différentes parties dont le systeme de
loi se compose. D'abord il s'applaudit que la discussion
176 MERCURE
DE FRANCE
.
soit ouverte dans des circonstances comme celles oй
nous nous trouvons. Moins paisibles , elles auraient peutêtre
précipité la résolution des chambres ; et l'on pare
mieux un danger vu de loin , que vu de près .

Le recrutement en lui-même , qu'il soit volontaire ou
qu'il soit obligé , est de droit naturel , si quelque chose
peut l'être , puisqu'il n'est autre que le droit de défense,
c'est-à -dire , de conservation. Mais deux grandes causes
modifient l'exercice de ce droit ; l'une est l'état relatif
du pays , l'autre est sa constitution organique . Comme
la prudence fait à l'individu isolé une loi de proportionner
ses moyens de défense aux moyens de défense de
ses voisins , lesquels peuvent se tourner en moyens
d'attaque , la politique fait , à chaque société , une loi
de porter ses regards sur le système militaire des nations
qui l'environnent , avant de fonder le sien. L'autre
cause , c'est la constitution de l'État . Il ne faut pas ou
blier que nous vivons sous le gouvernement représenta⇒
tif. Toutes nos institutions doivent être en harmonie
avec le gouvernement représentatif; et , comme l'a
très-bien observé, un autre orateur , la loi de recrutement
n'est que le complément de la loi des élections .
Or , le gouvernement représentatif est par dessus toute
chose , ennemi des priviléges . Et n'en serait- ce pas un
que ce mode exclusif de recrutement appliqué à certains
corps , tandis que « toute la jeunesse des campa
gnes , cette portion si pure et si saine de nos plus laborieuses
familles , serait reléguée dans des corps inférieurs
? Et pourquoi semblez -vous faire deux armées différentes
, des deux moitiés de votre armée ? Pourquoi
créer deux esprits militaires , que vous vous exposez
voir jaloux , et bientôt ennemis l'un de l'autre ? » Ce
danger m'avait frappé dès la première lecture du projet
de loi. Et l'on peut se souvenir que , dans mon numero
du 6 décembre , j'avais déjà manifesté les craintes qu'il
m'inspirait.
à
Avant de terminer l'examen du premier titre , l'orateur
appelle , sur la rédaction de l'article 2 , toute l'attention
de la chambre . Cet article est ainsi conçu : Tout
Français sera reçu à contracter un engagement volontaire
, etc. L'orateur voit bien , dans cet article , l'admission
de tout Français ; mais il voudrait voir l'excluJANVIER
1818.
sion formelle de tout étranger ; et je ne pense pas que
son désir trouve de nombreux contradicteurs .
Quant au vote annuel , l'un des points en conteste
on pourra juger de la pensée de l'orateur par l'amendement
qu'il propose. Cet amendement est ainsi conçu
« Les appels n'ont jamais lieu qu'en vertu d'une loi ;
la loi fixe le nombre total des hommes à appeler , et
celui que chaque département doit fournir.
« Il sera appelé , dans le cours de l'année 1818 , le
nombre de .... suivant le tableau de répartition entre les
départemens , qui fait partie de la présente loi . »
L'orateur s'étonne que le mème paragraphe , qui fixe
le complet de paix des légions , ne statue rien sur le
complet de paix de tous les corps des autres armes ,
comme si , du droit constitutionnel de fixer les comptes
des dépenses totales de l'armée , ne suivait pas le droit
de régler aussi annuellement chaque partie de ces dépenses
; et de prononcer sur l'admission de tout corps
étranger dans les troupes françaises.
L'orateur propose d'étendre , à tous les cultes chrétiens
, le bénéfice de l'article 15. On ne manquera pas
de lui opposer cette disp sition de la charte , qui déclare
la religion catholique , seule religion de l'Etat.
Mais l'État , en préférant ce culte , n'exclut pas
tres. A défaut d'adoption , il leur promet , il leur doit
protection . Or , cette protection, à quoi s'appliquera-telle
, si ce n'est à la condition fondamentale de leur
existence ?
les au-
L'orateur , en s'abstenant d'approfondir le titre 6 qui
ne lui parait pas assez développé , s'étonne qu'on ait pu
laisser dans l'oubli les plus nobles créanciers de l'Etat ,
les fondateurs de notre capital de gloire.
"
Ces nombreux officiers en non -activité , en faveur
desquels je cherche à regret, sans la rencontrer, la plus
simple mention dans tout le projet , et dans l'exposé
qui le précède , ne doivent-ils pas , pour offrir à leurs
jeunes émules le tableau qui exciterait le plus leur ardeur
, se voir traiter de plus en plus avec confiance ,
avec une entière justice , et voir cesser contre eux des
préventions et des mesures d'exception et de rigueur ,
qui ne les contristent pas seuls . »
Deux autres vices , non pas capitaux , puisqu'ils n'at-
12
158 MERCURE DE FRANCE .
taquent point l'esprit même de la loi et son principe
constitutif , mais du moins très-importans , puisqu'ils la
rendent incomplète , ont dû fixer l'attention d'un si bon
juge . Le premier , c'est que la garde nationale n'est
comptée pour rien dans l'organisation de la force publique
, « tandis que cette institution serait si bien adaptée
au déploiement de la plus formidable réserve . » L'autre
vice dont se plaint l'orateur , c'est de la modique part
des sous- officiers aux emplois vacans. Ils concourent
un tiers , et les élèves des écoles militaires
pour
les
pour
deux autres tiers ; et cependant ils sont plus de onze
mille , et les élèves de cette école ne sont que cinq cents .
La proportion est donc de un à plus de quarante .
Le discours de M. Dupont est de ceux qu'il faudrait
pouvoir citer tout entiers ; et je l'eusse fait , si l'économie
que j'ai dû m'imposer , me l'eût permis .
Le discours de M. de Salaberry serait fort réjouissant
, s'il ne portait l'empreinte de cet ardent amour du
passé , qui rend le présent insupportable . Parmi tant de
choses qu'il est incroyable qu'on ait prononcées à la tribune
nationale , on y lit qu'une loi proposée par le Roi
est une loi anti - monarchique (reproche qui , pour le
dire en passant , cache une supposition très-peu monarchique)
; qu'une loi , textuellement fondée sur plusieurs
articles de la charte , est contraire à la charte ; qu'une
loi qui tend à replacer la France dans son rang parmi
les nations , est une loi que repoussent nos rapports extérieurs
( sur quoi j'observerai que ceux qui citent taut
à propos les magnificences du jeune Curion , devraient
ne pas oublier ce sénateur carthaginois qui , en plein
sénat , menaçait Annibal de la vengeance des Romains) ;
qu'une loi toute de conciliation , porte un caractère
odieux ; que le culte rendu à la loi , est un culte idéal ;
que la nation et la loi sont des êtres de raison , et le mot
d'ordre des factieux ; que c'est ici un pacte conclu entre
les jacobins des deux hémisphères ; et sur lequel on
n'aura sans doute pas manqué de consulter Bolivar et
Mina . Après quelques développemens de même force ,
le discours va se perdre dans une accusation contre le
ministère , qui favorise en secret , et dirige même les
conspirateurs. Accusation si puissamment prouvée , que
si l'honorable caractère de l'orateur ne repoussait pas
JANVIER 1818 . 179
des insinuations de ce genre , on serait tenté de la regarder
comme une diversion .
Profondeur et clarté , ce sont les deux caractères du
discours de M. Royer-Colard ; caractères , du reste ,
que je ne devrais pas distinguer ; car si quelquefois ils
paraissent inconciliables , c'est la faute des hommes ,
plus que celle des choses .
Etre ou n'être pas , voilà , suivant l'orateur , toute la
question . Entourés de nations puissantes et armées , si
nous attendions tout de notre landsturm , ou de nos
guérillas , ou de ces autres armées improvisées , que des
orateurs , qui ne furent jamais guerriers , élèvent audessus
de nos immortelles phalanges , il se pourrait que
nous attendissions long - temps . Et pourtant , liés par
toutes les conditions de notre existence , à l'observation
religieuse de la charte , si sa toute - puissante voix selevait
contre le mode proposé , ce serait une erreur d'admettre
ce mode , sous prétexte que nous péririons en ne
l'admettant pas ; car nous péririons bien plus sûrement en
violant la charte . Mais la charte proscrit- elle en effet
ce genre de recrutement ? On lit bien dans l'article 12
que la conscription est annullée . Mais on y lit tout de
suite que le recrutement sera fixé par une loi , ce qui
ne peut s'entendre que des recrutemens obligés. Car ,
que peut la loi sur l'autre sorté de recrutemens ; et
qu'a-t- elle à régler dans un ordre de choses uniquement
fondé sur des stipulations volontaires ?
L'orateur pense que l'appel n'a pas besoin d'être écrit,
puisqu'il résulte d'une loi antérieure à la loi écrite . La
charte a voulu que la France fût . Donc elle a voulu
que la France eût une armée. La charte a déclaré tous
les Français égaux devant la loi . « C'est donc le sort ,
« ministre de l'égalité , qui doit présider au recrute-
« ment. ))
que On ne peut pas dire le vote annuel est prouvé
dans le discours de M. Royer-Colard ; mais qu'il est
mathématiquement
démontré. « Les chambres , dit-il ,
« seront appelées chaque année à prendre connaissance
« de l'universalité
de nos besoins , à régler et consentir
« l'universalité
des charges , à surveiller l'action du gou-
« vernement
, et l'exécution
des lois. Voilà la constitu-
« tion qui nous a été donnée . Je ne raisonne point ; je

12 .
180 MERCURE DE FRANCE .
lis la charte. » Si la chambre consentait une charge
quelconque à perpétuité , il est évident qu'elle se mettrait
à la place des chambres futures . En vain prétendon
assimiler le recrutement forcé aux contributions indirectes
, c'est plutôt à l'impôt foncier qu'il devait être
assimilé , puisqu'on a la rage des analogies. La contribution
indirecte , c'est l'engagement volontaire qui est
éventuel comme elle . Mais on veut qu'il y ait dans le
recrutement forcé un élément invariable , une quantité
constante ; et cet élément invariable , cette quantité
constante , c'est le minimum assignable . L'orateur nie
l'hypothèse . Le minimun du recrutement est une fraction
du minimum de l'armée . Or , le minimum de l'armée
, c'est le pied de paix ; et le pied de paix , chez
nous , c'est le résultat du pied de paix chez nos voisins .
On assignera une valeur fixe à notre pied de paix ,
lorsqu'on aura pu déterminer par avance la situation
politique de nos voisins ; leurs richesses , le système de
leurs alliances , leur esprit et celui de leurs gouvernemens
; encore ce calcul repose - t - il sur une donnée
fausse , c'est qu'il n'entre pas deux sortes d'élémens
dans la composition de l'armée ; or , elle se compose
de l'engagement volontaire qui est le principal , et de
l'engagement forcé qui est l'accessoire . Les produits
de l'engagement volontaire étant nécessairement variables
, comme tout ce qui dépend uniquement de la
volonté des hommes , l'engagement forcé , qui en est
le complément , n'est-il pas variable par cela même ?
Ainsi , en votant un recrutement fixe , « on vote une
armée inconnue ; et voter une armée inconnue , c'est
voterune dépense inconnue . » Pour rendre cette vérité
plus sensible par un exemple , l'orateur se transporte en
idée dans un temps où l'armée étant en effet de deux
cent cinquante mille hommes , les besoins de l'Etat
exigeraient qu'elle fût réduite à deux cent vingt mille .
Que fera la chambre ? Votera -t-elle la dépense necessaire
à l'entretien d'une armée de deux cent cinquante
mille hommes, avec la conscience qu'une armée de deux
cent vingt mille suffit ? Dès -lors , « les institutions sont
uun jeu, et la liberté un rève . » Prétendra-t- elle atteindre,
parla réduction de la dépense , à la réduction de l'armee
? Mais sur quel chapitre de dépenses tombera cetté
JANVIER 1818. 181
réduction , qui ne soit garanti , sanctionné , inviolable ?
et s'il est en sa puissance de rayer trente mille hommes,
elle en peut rayer tout aussi bien cent mille ; et si elle
ne le fait pas , elle les inscrit de nouveau , ce qui est
un même acte de puissance . « Le même levier dont
« elle se sert contre l'armée , elle s'en servira pour
« ébranler la dette publique , l'établissement judiciaire ,
« toutes les lois , tout l'Etat . » Tout à l'heure , ce n'était
qu'une chambre oisive , muette , servile ; maintenant
c'est une chambre despotique , absolue ; c'est le premier
des pouvoirs , c'est l'unique pouvoir.
La force de ces argumens n'effraie point M. le
comte de Vogué qui met , de son chef , les soldats de
la Vendée fort au-dessus des vainqueurs de Fleurus et
d'Arcole. Son discours , en général pauvre d'objections ,
ne laisse pas d'en présenter une qu'on ne saurait passer
sous silence , puisqu'elle est tirée de la plus respectable
source , l'humanité. « Sera-ce parler français , dit l'ora-
« teur , que dire à un malheureux : voilà de l'argent ,
« allez mourir à ma place . » Heureusement on peut lui
répondre que ce malheureux qui consent à prendre la
place de l'autre , se serait sans doute engagé volontairement
, et par conséquent à des conditions moins avantageuses.
Ce n'est donc pas un tort que lui fait la loi ;
c'est un bénéfice qu'elle lui procure . Voici qui serait
plus exact : Les impôts d'hommes ne tombent que
sur les pauvres ; les riches , ou par leur admission
dans les écoles spéciales , ou par les arrangemens dont
on a parlé , ou par tant d'autres avantages inséparables
de leur condition , sauront toujours s'exempter de la
loi commune ; il n'y a que le sang du pauvre qui coule ,
et c'est une raison de plus pour lui en offrir le prix
dans l'avancement. J'exprime ici , pour la seconde
fois , un voeu pour lequel j'implore l'appui de nos orateurs
, c'est que les fils uniques soient tous exempts de
droit . S'il était encore , ce dont je ne voudrais pas répondre
, quelque chose dans nos souvenirs qui ôtât au
projet de loi cette popularité si nécessaire à la durée ,
et même à la puissance d'une loi , il suffirait , peut-être
pour la lui rendre , du grand caractère moral qu'elle recevrait
d'un privilége de cette sorte ; car , quoi qu'en
182 MERCURE DE FRANCE .
disent leurs détracteurs , les idées libérales sont des idées
morales .
Je m'étonne que M. Bourdeau , qui venait d'entendre
M. Royer-Colard , n'en ait pas moins lu à haute et trèsintelligible
voix , la partie de son discours relative au
vote annuel. Il me semble , pour moi , que si au moment
de soutenir une opinion insoutenable , quelque
lumière inattendue frappait mes yeux , j'aimerais mieux
perdre mon travail , que de m'exposer à prouver que
deux et deux ne font pas quatre . C'est , à mon sens
l'un des inconvéniens des discours écrits . On n'a pas
réfléchi que la nature d'une discussion est d'avancer
jusqu'à ce qu'on ait trouvé l'évidence. Quand on l'à
trouvée , et elle se fait bien sentir , quel besoin de
poursuivre ? Au delà de la vérité , il n'y a pas de progrès.
Le sage est ménager du temps et des paroles .
7
L'orateur avait pu entendre , sur les effets de l'avancement
, ún guerrier célèbre . juge par état d'une telle
mesure et cependant il a réchauffé tous ces sophismes
contre l'avancement qu'un seul mot réduit en fumée ;
enfin , parce que cette dénominatión de gouvernement
représentatif renferme une ellipse , et qu'il faut entendre
sous ces deux mots , gouvernement associé à un
système représentatif, l'orateur va deníander à la grammaire
des objections contre ce gouvernement , et triomphe
à prouver que l'hérédité n'est pas élection .
Les raisons de M. de Labourdonnaie sont celles
de MM. de Caumont , de Salaberry , de Vogué. Tous
ces discours ont un air de famille si frappant , que le
moins expert ne saurait s'y tromper : la prérogative
attaquée , une armée parlementaire instituée ,
sations ou méfiances , les voilà tous .
асси-
« Ainsi que le gouvernement , dit M. Bignon , la nation
veut une armée , et ne veut point la guerre . Elle
veut une armée , parce que sans armée , un peuple n'existe
pas. Un grand homme a dit que les fondemens des Etats ,
ce sont de bonnes lois et de bonnes armées . » L'oratcur
examine le projet de loi sous quatre aspects différens :
Est-il en harmonie avec la Charte ? est - il favorable à la
liberté publique ? au maintien de la paix extérieure ?
l'affermissement de l'ordre intérieur ? Sur le premier
JANVIER 1818. 100
point , l'orateur prouve qu'une armée n'est vraiment nationale
qu'autant que tous les citoyens sont appelés sans
exception au service militaire. « Le fonds des armées françaises
, dit-il , est devenu meilleur à mesure qu'il s'est
dégagé d'élémens étrangers ; il ne sera parfait que lorsqu'il
n'en restera plus aucun dans leur composition. » Le
plus grand tort du projet de loi , c'est d'arriver trop tard.
S'il eût existé plus tôt , au lieu de cette jeunesse brillante
et valeureuse sans doute , « mais qui n'a vu encore que
sur les bords de la Seine la fumée d'un camp ennemi , »
nous verrions , à la tête des corps , ces vieux guerriers ,
nobles débris que l'Europe respecte après leur chute , et
dont la seule présence eût compensé la faiblesse numérique
de nos bataillons. Et , cependant , par une contradiction
étrange , tandis que l'on conteste à nos braves le bénéfice
de l'ancienneté , en vertu de l'ancienneté , « des
hommes qui se sont couchés capitaines ou lieutenans , se
sont réveillés officiers-généraux . >>
Pour établir que le projet de loi n'est pas aussi favorable
à la liberté publique qu'il est en harmonie avec la
Charte , l'orateur assure que , grâces à notre système de
crédit , le gouvernement a mille moyens de porter audelà
du complet la force des régimens. « Si , par une loi
de recrutement une fois votée , le ministère dispose d'une
population nombreuse , ne peut- il pas , sous prétexte
d'une guerre qu'il redoute , allumer lui - même une guerre
qu'il désire ? La guerre une fois engagée , les députés du
peuple iront- ils , entravant les efforts du gouvernement ,
hasarder et la gloire nationale , et les destinées de la patrie
? Votre ame française répond que vous ajourneriez
vos plaintes , et même après la conclusion de la paix . Si
la conduite des ministres se présentait couverte seulement
du voile si flatteur pour nous d'une gloire stérile , aurionsnous
la force de les accuser ? » Le vote annuel prévient
seul de tels dangers . Le vote annuel est une garantie ,
non - seulement pour la France , mais pour l'Europe ; et
c'est en ce sens que le projet de loi favoriserait le maintien
de la paix extérieure. Quant à l'ordre intérieur
l'orateur ne connaît qu'un moyen de l'établir , c'est la
réconciliation de tous les esprits ; c'est la fusion de tous
les intérêts dans l'intérêt national . « L'un des princes de
la famille royale a , par ces seuls mots d'union et d'ou-
2
184 MERCURE DE FRANCE .
bli , répandu sur sa route la joie et le bonheur. Et quel
Français n'a pas besoin d'oubli ? l'erreur a été dans tous
les dans les mars camps , , hors des murs , sous toutes les
bannières. Il est temps qu'un mur d'airain s'élève entre le
présent et le pass . Que le ministère se confie à la nation
et à la vieille armée , la nation et la vieille armée se confieront
au ministère ».
Le discours de M. Camille Jordan est empreint de ce
qui anime tous ses discours , la double éloquence de la
raison et du coeur. Après des considérations d'un ordre
très élevé sur les deux grands mobiles des sociétés humaines
, le pouvoir politique et la force publique , il
embrasse , dans toute sa vaste étendue , la création nouvelle
qui s'offre à lui . C'est de M. Camille Jordan cette
pensée profonde que j'ai citée plus haut : « la loi des
élections et celle du recrutement sont deux lois fondamentales
et presque corelatives . » Quatre principes fondamentaux
président , suivant l'orateur , à la formation
d'une armée nationale ; c'est l'appel qui la fonde , c'est
la loi qui l'organise , c'est la réserve qui la soutient , c'est
l'avancement qui en est la garantie. Sur chacun de ces
quatre points , l'orateur entre dans des développemens
dont je regrette de ne pouvoir montrer que de faibles
aperçu . Veut il peindre les bons effets d'une armée nationale
? « De tels soldats, dit- il , protégeront les citoyens ,
au lieu de servir une faction , et ne méconnaîtront pas la
voix de la patrie pour la voix de quelques chefs. Ce
n'est point d'eux qu'il faudra redouter et le mépris affecté
des institutions civiles , et la joie cruelle de voir
éclater des troubles intérieurs , et des provocations irritantes
contre des citoyens égarés. De tels soldats au dehors
ne seront point un instrument pour l'ambition des conquêtes
; ils ne porteront pas, sur la terre étrangère, ce dur
oubli de la patrie , cette inquiète activité qui entraîne
souvent les chefs dans les routes d'une fausse gloire . »
Parle -t -il du vote annuel ? Le vote à ses yeux n'est pas
seulement légitime , il est indispensable. Le gouvernement
, même après avoir conquis le vote permanent , se
trouverait ramené au vote annuel . Ce qui l'y ramènerait ,
ce sont les inévitables variations dans les contingens , et
le mode des répartitions . Son éloquence triomphe surtout
à justifier l'avancement. « Anciens nobles , dit - il , non
JANVIER 1818 . 185
vous n'êtes pas descendus ; mais d'autres Français sont
montés jusqu'à vous . Tout militaire s'est reconnu gentilhomme
, tout grenadier a trouvé son titre sur son sabre .
Chacun a dit et moi aussi je revendiquerai mon droit ;
et le point d'honneur d'une caste est devenu l'honneur de
la nation entière. >>
On peut lire le discours de M. Cardonnel dans tous
ceux de ses honorables amis . Même esprit , mêmes objections
, mêmes préventions , mêmes craintes. Il faut distinguer
toutefois dans celui - ci le tableau trop vrai des abus
de la conscription , « alors que la jeunesse française était
devenue marchandise comme l'argent. » Et peut- être , en
effet , le projet laissait- il beaucoup à désirer sur les examens
préliminaires et les moyens de libération.
Je terminerai cette analyse , déjà bien longue , par un
aperçu des discours de MM. de Bonald et de Vilèle , les
deux plus redoutables adversaires du projet. Le premier
s'enfonce , et , j'ose le dire , se perd dans les espaces de
l'idéal , et dans les tenebres d'une antiquité de sa façon.
Il y a dans le discours de son collègue du positif , du
réel , des objections de détail difficiles à résoudre ; car ,
pour celles qui touchent aux points fondamentaux du
projet , on ne ruine pas l'évidence.
L'un et l'autre orateur nient que le projet soit conforme
à l'article 12 de la charte qui abolit la conscription
. Et je conviens avec eux de l'obscurité que présente
la forme de cet article. Car, à côté de la phrase qui prononce
l'abolition du principe , se trouve une autre phrase
qui semble le ressusciter, et qui ne dit rien , si elle ne dit
pas cela. Dans ce conflit , faut - il ne rien conclure ? Mais
ce serait conclure en effet . Vous vous hàtez , dit M. de
Vilèle , de rejeter comme inutile un instrument dont
vous n'avez pas fait usage. Le ministre et la commission
assurent, au contraire, que c'est pour en avoir voulu faire
usage que l'on s'est convaincu de son peu d'utilité. Qui
croire ? Qui ? La nature des choses , plutôt que des
allégations contestées. Et la nature des choses veut que ,
dans la division actuelle des propriétés et le perfectionnement
de l'industrie, le recrutement volontaire soit rare.
Plus les attraits de la vie civile sont nombreux , plus les
prestiges militaires perdent de leur éclat . Plus il y a d'hommes
occupés , moins il y en a de disponibles. Et comme
186 MERCURE DE FRANCE.
les populations barbares sont plus guerrières que les populations
industrieuses , quand les élémens d'industrie
augmentent dans une population, les élémens de la force
militaire diminuent : ceci est un fait rationnel supérieur
à un fait matériel ; car le premier doit être nécessairement
, au lieu que le second peut tout aussi bien ne pas
être.
M. de Bonald me paraît avoir largement usé du privilége
que s'arrogent tous les orateurs , de choisir dans un
exemple , précisément ce qui convient à leur doctrine ,
et de négliger ce qui n'y convient pas. Faut -il repousser
l'avancement légal? sur - le- champ, voilà l'Angleterre
qui lui fournit des armes. Mais il se garde bien , dans
la discussion du vote annuel , de citer cette même Angleterre
, où l'existence des armées de terre et de mer
est tous les ans recommencée par la vertu d'un bill , sans
que le pays ait trop à souffrir de cette intermittence. Je
ne sais
qui a pu inspirer au même orateur ces deux étranges
idées premièrement , qu'une armée a plutôt pour
but le maintien de l'ordre intérieur , que le maintien de
l'ordre extérieur ; c'est -à - dire , qu'elle est plutôt la force
du gouvernement contre les citoyens , que celle de la
nation contre des agresseurs étrangers : secondement,
que les longues guerres ont commencé en Europe , du
moment où il est entré dans les états des élémens démocratiques
. Est-ce qu'il entrait des élémens démocrati¬
ques dans cette longue , ou plutôt dans cette éternelle
guerre de la féodalité , lorsque la trève du seigneur venait
marquer dans la semaine , la part du repos et celle
du meurtre ? est - ce le trop d'élémens démocratiques
dans l'État , qui poussèrent Louis XIV à ces brillantes
guerres dont nous reverrons le monument sur la place
des Victoires ? Des élémens démocratiques , puisqu'on
s'obstine dans l'emploi de ce mot , attiédissent le penchant
à la guerre , au lieu de l'exciter ; et je ne vois
pas que , depuis la conquête de leur indépendance , les
Suisses aicut cherché d'autres conquêtes .
Mais puisque nous en sommes à ces républicains si
pacifiques comme nation , si belliqueux comme individus
; m'expliquera - t-on par quelle étrange fantaisie , le
même orateur qui tonne contre ce qu'il nomme la traite
des blancs , emploie toute son éloquence pour le mainJANVIER
1818 . 187
tien de ces auxiliaires ? n'est ce donc pas aussi une traite
que les capitulations ?
L'honorable membre donne un singulier motif de son
aversion pour les appels . L'appel forcé , dit- il , ôte à un
peuple tout esprit militaire . Et la raison , c'est qu'un
peuple qui solde des troupes , est comme un riche qui
a de nombreux domestiques , et ne peut se servir luimême.
Mais , c'est précisément pourquoi l'appel vaut
mieux que l'enrôlement , puisque , par l'un de ces systèmes
, la nation se fait servir ; et que par l'autre , elle
se sert elle -même.
César , Cromwel , Bonaparte peuvent fournir matière
à de brillantes déclamations ; mais qu'est-ce que des
déclamations ? C'est précisément pour ne pas être
nationales , que les armées , du triumvir romain et
du général français , opprimèrent la liberté publique .
Devenues conquérantes , elles avaient perdu dans l'ivresse
de la gloire , le souvenir de leurs premiers devoirs
. Loin du sol natal , au milieu des peuples soumis
et des rois prosternés , elles ne voyaient point la patrie ,
elles ne voyaient qu'un homme. On les ravitaillait , on
ne les renouvelait pas ; sous ces drapeaux si glorieux et
si redoutés , le citoyen apprenait bientôt à devenir soldat
, et par la même raison , le soldat désapprenait à
être citoyen . Une armée ainsi permanente n'était pas
moins dangereuse aux libertés nationales qu'une chambre
de députés qui se déclarerait perpétuelle . Quant à
Cromwell, M. de Bonald sait trop bien que ce n'est
pas
tant le général que le sectaire , qui a soumis son pays .
Pour se représenter l'ascendant de cet homme audacieux
sur ses frères rouges , et tous les fanatiques armés pour
établir l'empire du seigneur , il faudrait entrer dans un
ordre d'idées presque entièrement neuf pour nous ; du
reste , on cite avec complaisance les armées nationales
dans l'origine , et despotiques dans la main d'un chef ;
et l'on ne consacre pas une ligne aux armées vraiment
nationales , qui ont fondé la liberté de leur pays. Puisqu'il
vous faut des exemples antiques , pourquoi ne parlez-
vous point des soldats de Themistocle et de Léonidas
, arrêtant les innombrables armées du grand roi ; et
le souvenir des Thermopyles est -il donc effacé de l'histoire
des nations?
M. de Villèle nous fait craindre la spoliation succes188
MERCURE DE FRANCE.
sive du trône. Aujourd'hui , dit-il , une loi fixe le mode
d'avancement militaire ; bientôt une loi fixera le mode
d'avancement dans les finances , dans la justice , dans
l'administration civile. Quel abus d'analogies ! Si la loi
règle l'avancement militaire , c'est d'un côté qu'il n'est
pas dit dans la charte que le Roi nomme à tous les emplois
militaires ; et d'un autre côté , qu'il y est dit que
le mode de recrutement est fixé par une loi. Mais la
charte porte textuellement que le Roi nomme à tous les
emplois d'administration publique ; elle porte textuellement
aussi qu'il nomme et qu'il institue les juges . Il n'y
a done point d'induction raisonnable d'un procédé à
l'autre.
La fixité , on nous offre la fixité , hâtons-nous de l'accepter,
s'écrie l'orateur ; c'est le plus beau présent qu'on
puisse faire à la France . Et , tout de suite , sa mordante
ironie flétrit , comme l'ouvrage de la violence , des actes
que l'opinion publique accuse peut-être de mollesse . Il
est donné à Lyon de fournir des traits à l'éloquence de
M. de Villèle , comme à celle de M. Camille Jordan.
L'orateur , après avoir tonné contre les ministres qui
ressuscitent le fléau de la conscription , après avoir exagéré
la peinture de ce fléau , enfin , après tous les lieux
communs nés de son sujet , conclut... à une levée de
quarante mille hommes , pendant six ans. Il est vrai
que pour sauver sa logique , il les place dans la réserve .
Mais l'orateur sait trop qu'une réserve plus nombreuse
que l'armée , ne tarde pas à devenir l'armée elle-même.
mmmm
S. II.
REVUE DES NOUVELLES DE LA SEMAINE.
Du 16 au 22 janvier .
- RÉCOLTES , FINANCES. Les fonds sont en baisse à
Londres , et les journaux officiels toujours en quête de
quelque invention pour faire que baisse et discrédit ne
soient pas synonymes . On se rappelle qu'ils avaient singulièrement
haussé depuis quelques mois .
Pendant cette crise des fonds anglais , les nôtres pren
JANVIER 1818 .
189
ment faveur. Ce phénomène n'est pas inexplicable. On doit
compter la facilité des placemens parmi les moyens et
même parmi les motifs de crédit . L'ordonnance du premier
mai 1816 avait déjà établi cette facilité, en dispensant
les fondés de pouvoir , de représenter l'extrait d'inscription
; l'ordonnance du 9 janvier étend l'effet de cha→
que procuration à toutes les inscriptions possédées par les
propriétaires au moment du mandat ; et même , pourvu
qu'il en soit fait mention expresse , à toutes celles qu'on
pourrait acquérir par la suite. La Prusse négocie un
emprunt de trois millions sterlings , portant intérêt de
cinq pour cent. Cet emprunt sera fait en Angleterre ,
pour une période de trente- six ans . Les revenus du royaume
et certains domaines royaux servent d'hypothèques.
Les vents d'est ont amené dans le port de Marseille
plusieurs bâtimens chargés de blé , venus de la mer Noire
et de la Barbarie.
--
-
AMÉLIORATIONS POLITIQUES. La diète germanique
prépare le code militaire de la confédération. Ces sortes
de travaux , où il entre tant d'élémens de tant de sortes ,
coûtent souvent beaucoup , et ne valent pas toujours ce
qu'ils ont coûté.
-
On sait pour quelles causes le roi de Suède n'a pas
attendu l'époque ordinaire de la tenue des états . On a vu
par quels témoignages solennels la province de Malmoë
a fait éclater sa reconnaissance envers ce prince et le prince
royal. L'ordre de bourgeoisie avait proposé une adresse
de remercimens aux deux princes ; l'ordre du clergé avait
ajouté à cette adresse des actions de grâces pour les dis
tributions de blé qui ont arraché une partie de la popu-
1 lation aux horreur de la famine . C'est au milieu d'un accord
si unanime , si touchant , que deux membres de
l'ordre équestre proposent des remontrances , sur la stagnation
du commerce et la misère publique. C'est vouloir
que l'on supplie le roi de faire précisément ce qu'il fait.
Est-
-ce que les deux honorables membres auraient plus
à souffrir du discrédit que les commerçans ? ou s'ils seraient
plus touchés de l'infortune du peuple , que ses
consolateurs naturels ?
COLONIES. -
C'était donc la guerre avec Buenos
Ayres , que le Portugal méditait , s'il en faut croire le
Courier; cette expédition partie de Rio -Grande , c'était
MERCURE DE FRANCE .
un renfort pour les troupes de Monte -Video . Ce serait là
une étrange issue d'une grande et solennelle médiation
!
-
RELATIONS POLITIQUES . La flotte russe , qui a relâché
à Portsmouth , le 21 décembre , était encore dans
ce port le 13 janvier. Elle attend un vent favorable pour
se rendre à Cadix ,
-
Aly Osman , officier des gardes du pacha d'Egypte ,
est arrivé le 3 janvier à Berne ; il a obtenu , le jour d'après
, une audience de M. l'avoyer Régnant.
-
PROCÈS MARQUANS . — J'ai déjà rapporté que le soir
du 19 mars , à Rodez , on avait battu la retraite plutôt
que de coutume . Il résulte de l'interrogatoire subi par
les sergens de police , qu'ils avaient reçu congé , ce soirlà
, sous un prétexte spécieux . Le journal de Toulouse
laisse entrevoir d'affreuses clartés , et , le dirai-je ? les
mêmes clartés me sont venues des mémoires de madame
Manson. Il est des choses qui ne peuvent rester
cachées , même aux regards des hommes.

-Tous les journaux se sont égayés à raconter l'aventure
d'un mari qui endossa dernièrement une lettre de
change de cent coups de bâton , souscrite par l'amant
de sa femme . Cette scandaleuse affaire a été portée devant
les tribunaux , où la femme a paru comme auxiliaire
de celui qui avait fait un double outrage à son
époux. Et cette femme est mère ! On n'accusera pas
cette fois M. l'avocat du Roi de trop de sévérité. En
considération de la naissance du jeune homme , de la
bouillante susceptibilité trop ordinaire aux gens de sa
profession ; de l'éducation qu'il a reçue , c'est à- dire ,
en considération de tout ce qui devrait aggraver la
peine , il conclut à deux mois de prison , et cinquante
francs d'amende .
On a cruellement blâmé , violemment combattu le
divorce ; on a tant fait , qu'il n'existe plus . Je n'entreprendrai
pas sa défense , puisqu'une loi quelconque est
sacrée pour le citoyen , par cela seul qu'elle est loi ,
mais serait-ce une témérité d'affirmer la morale publique
rachetera , par bien des outrages , celui qu'on a
voulu lui épargner ?
que
La chambre des pairs est de nouveau constituée en
JANVIER
191
1818 .
tribunal . Voici l'ordonnance du Roi qui l'investit de
ces attributions extraordinaires :
Sur le compte qui nous a été rendu par notre gardedes
-sceaux , ministre de la justice , que la dame , de
Saint-Morys a porté plainte devant les tribunaux de Paris
, pour raison de l'homicide commis sur la personne
de son mari ; que dans une plainte additionnelle ladite
dame désignant entre autres comme complice de ce
prétendu crime un individu revêtu de la dignité de pair ,
le juge d'instruction s'est dessaisi de la connaissance de
l'affaire , en exécution de l'article 34 de la charte constitutionnelle
; que les pièces de la procédure ont été renvoyées
à notre chancelier , président de la chambre des
pairs , et qu'il devient nécessaire pour que l'instruction
soit continuée d'une manière régulière , de constituer la
chambre des pairs en cour de justice ,
Nous avons ordonné et ordonnons ce qui suit :
Art. 1er Les fonctions attribuées par les lois aux officiers
du ministère public , dans l'instruction et le jugement
des affaires criminelles , seront exercées près la
chambre des pairs , constituée en cour de justice , pour
connaître des plaintes portées par la dame de Saint-
Morys , à l'occasion de la mort de son mari , par le sieur
Bellard , notre procureur-général en la cour royale de
Paris .
2. Le sieur Cauchy , secrétaire- archiviste de la chambre
des pairs , remplira les fonctions de greffier.
3. Notre garde-des-sceaux , ministre secrétaire- d'état
de la justice , est chargé de l'exécution de notre présente
ordonnance .
L'affaire de M. Scheffer occupe en ce moment le
tribunal , investi du droit de juger la pensée . M. Scheffer
est un jeune homme passionné pour la vérité , ce qui
ne l'empêche pas de prendre quelquefois pour elle ce
qui lui ressemble le moins , comme lorsqu'il nous conseille
les corporations politiques . M. l'avocat du roi
avant de discuter l'accusation , discute la patrie de l'accuse
, question oiseuse à mon avis . Car , pourquoi la
condition des étrangers établis parmi nous , serait- elle
pire que la nôtre ? j'en appelle à l'urbanité française.
M. l'avocat -général reproche à l'auteur d'avoir imprimé
les noms des jurés qui prononcèrent le verdict de non192
MERCURE DE FRANCE.
culpabilité , en faveur d'un assassin pris en flagrant délit.
Certes , ce n'est point la première liste de juges ou
de jurés qu'on ait imprimée , sans que personne l'ait
trouvé mauvais ; au moins , une liste est un fait . Mais
ces biographies d'hommes vivans , que l'on débite ,
que l'on publie , que l'on colporte , qui circulent
sans opposition ! Il semblerait , d'après la doctrine
de M. l'avocat du roi , que , pour échapper à la censure
des tribunaux , il n'y a que l'hypocrisie ou les
ténèbres du style . Et voyez comme les opinions diffèrent
; j'aurais cru , quant à moi , que le caractère naturel
des délits obliques , c'était l'obliquité . Or , l'obliquité
est également dans le bonjour mielleux du courtisan
et dans le langage nébuleux du philosophe . Ce n'est pas
l'homme grossier et meme dur qui cherche à vous tromper.
-
NOUVELLES DIVERSES . L'intérieur de l'Afrique
sera donc toujours pour nous un mystère ! l'expédition
de Sierra -Lione n'a pas été plus heureuse que les autres.
Il semble qu'une haine de tradition ou d'instinct , repousse
les Européens de ces contrées . Est ce qu'il y aurait
là quelque peuple heureux qui craindrait la contagion
?
BÉNABEN .
Exposé de l'état actuel de l'Instruction publique en
France , contenant un examen comparatif de ce qu'elle
futjusqu'à 1790 , de ce qu'elle a été depuis , et de ce qu'il
convient qu'elle soit d'après les résultats bien appréciés
de ces différens systèmes , présenté au gouvernement
et aux pères de famille ; par Jh. Izarn , de la société
royale de Gættingue , inspecteur-général de l'Université
de France . Prix : 2 fr . 50 c . , et 3 fr . par la poste.
Chez J. G. Dentu , au Palais-Royal .
Nous rappelons avec plaisir cet ouvrage , qui fut accueilli
avec une grande faveur lorsqu'il parut en 1815. Il n'a pas emprunté
son mérite seulement des circonstances de cette époque ,
et il peut encore aujourd'hui éclairer les longues méditations
des hommes d'Etat chargés de concourir à l'organisation définitive
de l'instruction publique.
IMPRIMERIE DE C. L. F. PANCKOUCKE.
Qualité de la reconnaissance optique de caractères
Soumis par lechott le