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Nom du fichier
1815, 01, t. 62, n. 667-668, 02, n. 669-672 (4, 11, 18, 25 février)
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17.50 Mo
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Texte
MERCURE
ROYA
TIMBRE
DE
FRANCE ,
JOURNAL LITTÉRAIRE ET POLITIQUE .
mmm
TOME SOIXANTE - DEUXIÈME .
VIRES
ACQUIRIT
EUNDO
!
A PARIS
Au Bureau du MERCURE , rue de Grétry , No. 5 .
1815.
C.
THE NEW YOPR
LA
PUBLIC LIBRARY
335416
ASTOR, LENOX AND
TIILDEN FOUNDATIONS
1905
DE L'IMPRIMERIE DE FAIN , rue de Racine
place de l'Odéon.
...
MERCURE
DE FRANCE .
N° . DCLXVII. - Janvier 1815.
INTRODUCTION.
Le Mercure de France est un des journaux littérairesles
plus anciens de l'Europe, et le seul que longtemps
la France ait possédé. Depuis le commencement
du siècle dernier , son histoire se lie à celle de
notre littérature; comme elle, il eut ses jours de gloire
et ses jours d'erreur , et , comme elle , il peut espérer
de briller de nouveau d'un éclat qui, devenu
plus pur , sera aussi plus durable .
L'époque où le Mercure a jour de plus de faveur
auprès du public , est sans contredit celle qui s'est
écoulée depuis 1748, année où parut l'Esprit des
lois , jusqu'à la catastrophe qui a amené la chute du
trône , et couvert la France d'une longue et sanglante
nuit ; époque étrange , où le corps politique
ne sembla jouir du repos et même d'une rare pros
4 MERCURE DE FRANCE ,
périté que pour se prêter avec plus de loisir et de
confiance aux expériences de ceux qui entreprirent
d'en démolir l'édifice ; époque funeste où quelques
hommes sans mission , se mirent en guerre contre
tout ce que le temps avait consacré, et, sur la foi des
rêves de leur esprit , annoncèrent orgueilleusement
aux nations une ère nouvelle. Les rédacteurs du
Mercure partagèrent l'illusion commune : leurs succès
, leur renommée , et l'histoire de leurs travaux ,
se rattachent au progrès des doctrines philosophiques.
Ils leur prêtèrent les ressources de leur esprit
et l'autoritéde la réputation que laplupart d'entr'eux
s'étaient justement acquise dans les lettres,
et ils reçurent en échange cette vogue populaire et
bruyante , qui flatte le talent , quoiqu'elle en soit
indépendante , et qui , en s'attachant constamment
aux opinions nouvelles , semble bien plutôt les signaler
que les recommander à l'attention publique .
Au moment où nos troubles politiques éclatèrent
, la cause de la monarchie ne fut pas cependant
entièrement abandonnée dans le Mercure .
Deux hommes à cette époque en dirigeaient l'opinion
: l'un né dans une république , mais nourri des
leçons de l'histoire entrevit tout ce que pouvait
causer de matix l'introduction des férmens révolutionnaires
dans une monarchie dont la philosophie
avait détendu tous les ressorts, et il en défendit les
principes conservateurs avec un courage et un talent
dignes d'un meilleur succès , mais non pas
d'un plus noble emploi. Le second, doué d'un es
JANVIER 1815 . 5
prit juste et même sévère , nédans le sein de lamonarchie,
mais élevédans les rangs de la secte philosophique
, ne sut se garantir que de la contagion des
fausses doctrines littéraires ; par orgueil , par ignorance
, et aussi , peut-être , par cet esprit d'imitation
qui joue un si grand rôle dans tous les genres
de contagion , il se laissa entraîner au délire des
opinions révolutionnaires . L'un et l'autre sont morts
pendant la durée de ce drame , dont ils avaient si
diversement jugé le commencement; ila été dans la
destinée du second , de vivre assez pour reconnaître
et déplorer ses erreurs , et fournir un exemple de
plus , que le repentir , et trop souvent le remords ,
attendent tous ceux qui s'égarent loin des voies de
l'expérience.
Le Mercure , dont la publication avait été interrompue
pendant les années les plus orageuses de la
révolution , reparut aussitôt que l'horizon fut
éclairci. On se rappelle qu'une aurore trompeuse
brilla alors aux yeux de la France , et sembla annoncer
les jours de la restauration, qui ne devaient luire
que long-temps après . Le Mercure se montra digne
depropager cette lumière nouvelle ; les principes religieux
et monarchiques y furent défendus avec un
talent,nous dirons mêmeun éclat qui leur rendit aux
yeux du vulgaire des esprits , une partie de cette illustration
, qu'autrefois ils recevaient de leur ancienneté
et des institutions qui les protégeaient , et
qu'alors ils ne pouvaient tenir que de la supériorité
du talent de leurs défenseurs . A cette époque courte
6 MERCURE DE FRANCE ,
et brillante de l'existence du Mercure , se rattachent
les noms de deux hommes qui sont encore l'un et
l'autre l'honneur de notre littérature , et que nous
louerions avec moins de scrupule , si nous n'avions
pas l'honneur de compter l'un des deux au nombre
de nos collaborateurs . Cependant l'instant du triomphe
de la cause à laquelle ils s'étaient voués n'était
pas arrivé ; les intérêts de l'usurpation devaient prévaloir
momentanément sur les principes de la monarchie.
Toutes les nobles pensées devaient être
comprimées sous un gouvernement qui , né du hasard
des circonstances , n'avait rien de Français ,
rien même d'Européen , et qui , comme les gouvernemens
d'Asie , frappait les âmes de stérilité , avant
même de les enchaîner , en leur offrant sans cesse le
triomphe de la force brute et matérielle . Son ombre
fatale ne tarda pas à s'étendre sur toutes les brauches
de la littérature ; elle y dessécha jusque dans
leur germe les fleurs et les fruits de cet arbre de la
civilisation , qui ne s'élève jamais davantage que
lorsqu'il croît au pied d'un trône légitime .
Quelques hommes , mûs par le pur amour des
lettres et par l'espoir d'un meilleur avenir , continuèrent
cependant la publication du Mercure. Mais
tel a été le malheur des temps que depuis près d'un
an, cette feuille ne paraissait plus qu'àdes époques indéterminées
. Cette circonstance devait håter sa fin ;
aussi le nombre de ses souscripteurs a-t-il progressivement
diminué. Enfin , les anciens éditeurs
ayant déclaré que leur intention était d'en cesser
JANVIER 1815.
7
entièrement la publication àcompter du rer. janvier
1815 , il s'est formé une nouvelle société de
gens de lettres , qui s'est flattée de l'espoir, sinon de
donner de l'éclat , au moins de rendre la vie au seul
journal littéraire que possède la France. Elle commence
son entreprise sous de meilleurs auspices
que ses devanciers , c'est le seul avantage qu'il lui
convienne de réclamer sur eux .
Le nouveau Mercure traitera , comme autrefois,
de la littérature et des arts , de la philosophie et des
sciences, et enfinde la politique tant intérieure qu'extérieure
.Cette universalité est le caractère des esprits
éclairés de nos jours, et doit appartenir plus particulièrement
encore à unjournal qui s'adresse à toutes
les classes de la société .Nous ne nous dissimulons pas
que les journaux quotidiens qui traitent , pour la
plupart , des mêmes objets , ont plusieurs avantages
sur nous ; mais , peut-être le Mercure en a-t-il aussi
quelques-uns qui lui sont particuliers. Nous ne prétendons
pas toutefois les discuter ici ; en toute chose
le difficile n'est pas de connaître ses avantages, mais
de savoir en profiter ; et le public nous jugera sur
des preuves et non pas sur des assertions .
L'art de la critique, d'accessoire qu'il devrait être,
est malheureusement devenu aujourd'hui la partie
principale de notre littérature. Il nous paraît donc
désirable qu'il prenne plus d'étendue et de profondeur,
qu'il s'exerce sur des sujets plus graves , et s'élève
à des considérations plus générales, enfin qu'il
se rapproche davantage des autres productions de
8 MERCURE DE FRANCE ,
l'esprit qu'il remplace dans l'état actuel des lettres
parmi nous . Onjugera peut-être que les formes du
Mercure sont plus propres à lui donner ces déve
loppemens et à lui imprimer cette direction qui nous
semblent désirables . Ce sera au moins vers cebut
que sedirigeront nos efforts.
Tout le monde convient que notre littérature est
beaucoup trop frivole. Ce qui devrait être le délassement
des esprits en est devenu trop généralement
l'occupation. Il est permis de penser que les feuilles
quotidiennesqui sont obligées d'offrir chaque jour un
aliment à la curiosité et un attrait à la frivolité , ne
sont pas étrangères à cet état de choses , surtout si
l'on réfléchitque pendant un grandnombre d'années
toute discussion sérieuse leur a été interdite par
un despotisme ombrageux , qui croyait voir une
menacedans l'expression de tout sentiment indépendant,
une accusation dans toute investigation sur des
matières morales ou politiques; et enfin un danger
à venir dans toute étude dont il n'était pas le but ,
et dont il ne dirigeait pas le mode.-Cependant
qu'est-ce que les lettres sans études sérieuses , sans
habitude de méditation , sans un véritable exercice
de la pensée? 1
Si le Mercure peut contribuer à ranimer parmi
nous le goût de la littérature grave, il aura bien mérité
de la société. La culture élevée de l'esprit , les
pensées qu'elle fait naître , les sentimens qui en découlent
, peuvent seuls , au milieu des ébranlemens
de toute espèce que la révolution a laissés dans les
1
JANVIER 1815.
9
و
imaginations comme dans les existences , rendre
du calme aux ames y rétablir l'équilibre , et
y épurer les notions de ce qui est juste et convenable.
Les lettres promettent des heures de bonheur à
ceux qui les cultivent ; mais , pour qu'elles tiennent
leur promesse , il faut qu'elles nous captivent, et
nous arrachent aux influences étrangères. Les jouissances
frivoles d'une littérature superficielle énervent
notre esprit au lieu de le fortifier .-Le faible
et insignifiant sourire qu'elles font naître sur les
lèvres ne peut ni épanouir une âme en proie aux
agitations, ni éclaircir un front chargé d'ennuis . Les
études sérieuses et les méditations élevées ont seules
le privilége de nous créer une existence particulière
, de nous offrir un abri dans la vie , de faire
taire ces vains bruits qui retentissent au-dedans de
nous par suite des craintes et des espérances qui
chaque jour se renouvellent , s'enchaînent et composent
la trame de nos jours. Elles étaient graves ,
elles se rattachaient aux plus hautes spéculations
de la philosophie, ces lettres dont l'orateur romain
nous a laissé un si bel éloge ; il leur dut un
bonheur , dont il goûta les douceurs au milieu
de la gloire et des prospérités de sa vie , et qui
ne l'abandonna pas dans la vieillesse , dans l'exil ,
et jusque sous le couteau de la proscription. Les
lettres ( et nous employons ce mot dans son
acception la plus élevée ), n'ont , dans aucun siècle,
dans aucun état de la société , perdu ce noble pri
10 MERCURE DE FRANCE ,
vilége que leur reconnaissait Cicéron . Qu'il nous
soit permis de citer ici les paroles d'un moderne qui
vécut aussi au milieu de grandes commotions politiques
, et que la douceur de ses moeurs et la modération
de son caractère ne purent mettre à l'abri de
beaucoup de peines et de vicissitudes. « C'est avec
>> raison que les poëtes appellent la vie une mer
> orageuse et pleine d'amertume » , écrivait Érasme;
>> quand je porte mes regards en arrière , je vois que
>>nous sommes le jouet des événemens au milieu
>> desquels le sort nous fait vivre. Ce sont des flots
» que notre volonté n'a pas soulevés , et qui en di-
>> rigeant notre course , ne consultent pas nos voeux
>> et trahissent trop souvent nos plus chères espé-
> rances . Il existe cependant pour l'homme stu-
>> dieux , sur cette mer orageuse et pleine d'amer-
>> tume , des îles toujours calmes et verdoyantes ,
>> dont s'éloignent et le tumulte des flots et le bruit
>> des tempêtes. Ces îles fortunées où j'ai joui du
>>repos et du bonheur, et vers lesquelles me repor-
>> tent mes plus doux souvenirs , ce sont les heures
» que j'ai consacrées à l'étude » .
JANVIER 1815.
POÉSIE .
ÉLOGE DE LOUIS XVI
MALESHERBE A SAINT-DENIS .
Heu pietas ! heu prisca fides !. .......
Manibus date lilia plenis .
His saltem accumulem donis et fungar inani
Munere.
ÉNÉIDE , Livre 6º.
Apeine de janvier la vingtième journée
Venait de s'éloigner du cercle de l'année :
Il commençait ce jour , où le roi des Français
Devait sur l'échafaud expier ses bienfaits !
Sous un voile de deuil la nature tremblante ,
Des plus vils assassins la rage menaçante ,
Ce lugubre silence , enfant d'un sombre effroi ,
Ce peuple consterné du supplice d'un roi ,
Tout oppressait mon coeur. Fuyant , d'un pas rapide ,
Et la cité muette et le char parricide ,
Je portai dans nos champs , que j'aimais à revoir ,
Ma douleur impuissante , et mes voeux sans espoir.
Ma course me conduit aux voûtes révérées
Que par son nom divin Denis a consacrées .
Ce temple de la mort recevait autrefois
Dans ses caveaux pieux les restes de nos rois .
Là , sur la foi du temps , reposaient cent monarques ;
Et , d'un dernier respect pour garder quelques marques ,
On n'avait point encor , troublant leur longue paix ,
Exilé du cercueil la cendre des Capets ( 1 ) .
Plein de leur souvenir , et saluant leur ombre ,
(1) Cette profanation n'eut lieu qu'au mois d'octobre 1793 .
12 MERCURE DE FRANCE ,
1
J'entrai silencieux dans cet asile sombre.
J'allais leur demander pourquoi le sort cruel
Privait leur descendant du tombeau paternel.....
Des sanglots ont frappé mon oreille attentive ;
J'ai surpris d'un Vieillard la prière plaintive :
« Grand Dieu! s'écriait-il , par qui nous fut donné
>>Le plus juste des Rois , le plus infortuné ;
» Toi , qui devais léguer à des temps plus prospères
> Cet illustre héritier des vertus de ses pères ,
» Dans un monde pervers quand ses jours vont finir ,
• Récompense un bonprince et couronne un martyr !
>>D'un emploi glorieux briguant la préférence ,
>>Puisque j'ai vainement défendu l'innocence ,
» Soutiens ses droits sacrés. Ma défaillante voix
> Implore pour Louis le souverain des rois » .
Il a dit , et , le front courbé dans la poussière ,
Il semble prolonger sa touchante prière.
- « Est- ce vous, de Louis courageux défenseur ,
» Qui m'offrez la vertu pleurant sur le malheur ?
» Oui , c'est vous , Malesherbe » .... A ces mots il s'étonne
- « Compagnon généreux que la pitié me donne ,
Toi qui viens dans ces lieux gémir en liberté ,
Approche , me dit-il; cette faible clarté
M'instruit deton jeune âge et me montre tes larmes.
Ah ! puisque lavertu pour ton coeur a des charmes ,
Puisqu'à seize printemps à peine parvenu ,
Tu pleures sur un Roi que tu n'as point connu ,
Apprends quel fut Louis : ta fidèle mémoire
Retiendra mes récits ; et , devançant l'histoire ,
Ma voix , ainsi qu'aux jours de leur prospérité ,
Sur la cendre des Rois dira la vérité.
» D'un grand Prince (2) , montré seulement à la France ,
Justifiant déjà l'amour et l'espérance ,
(2) Le dauphin , fils de Louis XV.
JANVIER 1815. 13
Offrant de la bonté les attributs vainqueurs ,
Louis , encore enfant , régnait sur tous les coeurs.
Bientôt formant les noeuds d'un riant hyménée ,
Modèle des époux , dans la cour étonnée ,
De la foi conjugale il se montra l'appui,
Et le vice honoré dut rougir devant lui.
>>Qu'elle méritait bien sa fidèle tendresse ,
La fille des Césars , cette auguste princesse
Qui sut toujours unir , pour doubler ses attraits ,
Le pouvoir de la grâce au pouvoir des bienfaits !
Fuyant le vain éclat d'une cour importune ,
Souvent ce couple heureux visitait l'infortune ,
Et savait , réprimant de frivoles désirs ,
Acheter avec l'or de vertueux plaisirs .
« Mais le destin l'ordonne , et la parque ennemie
DuMonarque français a terminé la vie .
Tu vas régner, Louis. O touchant souvenir !
Doux espoir , que le sort devait sitôt trahir !
On crut les voir , suivis d'un avenir immense ,
Ces beaux jours que Henri promettait à la France.
Mille bienfaits déjà nous révèlent son fils .
Tous les fers sont brisés (3), tous les pleurs sont taris ;
Par unRoi protecteur Thémis est rappelée (4);
De ses sages conseils l'intrigue est exilée ;
Par lui du Mont-Jura les habitans vengés ,
D'un antique esclavage enfin sont dégagés (5) .
Il délivre nos champs de ces tributs serviles
Qu'imposá le pouvoir à des vassaux dociles (6) .
De ces chrétiens , soumis au joug d'une autre loi ,
(3) Mise en liberté des prisonniers d'état du règne précédent.
(4) Rappel des parlemens .
(5) Affranchissement des main-mortables et des serſs du Mont-Jura .
(6) Suppression de la corvée.
14 MERCURE DE FRANCE ,
Il assure l'état et respecte la foi (7) .
Il ravit aux bourreaux cette horrible puissance
Qui forçait la douleur à trahir l'innocence (8).
La pudeur consolée a repris ses honneurs :
L'exemple de Louis nous a rendu les moeurs .
Quel spectacle nouveau ! la vertu s'en étonne ,
Et devient un degré pour approcher du trône.
» Pardonne , mon cher fils , si vers cet âge d'or
Mes yeux reconnaissans se reportent encor.
Le nom seul d'un tel Prince et m'anime et m'enflamme ;
Onn'a vu que son règne et j'ai connu son âme .
M'appelant à sa cour , d'un titre révéré
Par son auguste choix quand je fus honoré,
Seul avec moi souvent : « J'ai bien peu fait encore ,
>>Me disait ce Monarque , et mon peuple m'adore.
>>Ne pourrai-je avec lui m'acquitter quelque jour ,
>>Et lui rendre en bonheur ce qu'il m'offre en amour>> ?
> Jaloux de ce destin , formant ce voeu sincère ,
La paix , fille des cieux , lui devait être chère ;
Mais Albion menace , et soudain cent vaisseaux ,
Que des soins prévoyans ont lancés sur les eaux (9),
Traversent l'Océan pour venger nos outrages .
L'audacieux Suffren vers de lointains rivages
S'élance , et va frapper dans un autre univers
Le colosse orgueilleux qui pesait sur les mers.
>>Tandis que chaque jour les fils de la victoire
Illustraient leur patrie en assurant leur gloire,
Sous la France vieillie un volcan destructeur
Des générations préparait le malheur.
(7) Ordonnance en faveurdes protestans.
(8) Abolition de la question.
(9) On sait que Louis XVI donna les plus grands soins à la marine , et
qu'elle fat plus florissante sous lui que sous aucun de ses prédécesseurs.
JANVIER 1815. 15
D'un péril imminent plus d'un triste prélude ,
Des esprits exaltés la vague inquiétude ,
L'amour des changemens , dans ses sombres accès ,
Sous le nom de réforme appelant les excès ,
Tout menaçait l'état , le prince et sa puissance .
Louis n'a qu'un seul but ; sa noble confiance
Aupeuple qu'il convoque adresse ce discours :
« Français , pour vous sauver, prêtez-moi vos secours ( 10 ) » .
>>Hélas ! à cet appel que sa bonté prononce
Des crimes odieux vont servir de réponse,
Pourrais-je détailler les malheurs inouis ,
Les affronts , les tourmens réservés à Louis?
Captifde ses sujets , amené comme otage
Dans ce palais brillant , surpris d'un tel outrage ( 11 ) ,
Quels furent ses destins , et par quels nobles traits
Il savait chaque jour se venger des forfaits !
Lorsque des serviteurs , animés d'un saint zèle ,
Voulaient se dévouer pour venger sa querelle ,
<<Non, disait-il , mes jours que le ciel a comptés ,
Du sangd'un seul Français seraient trop achetés ( 12) » .
» Vous qui bravez de Mars la foudre et les tempêtes ;
Vous pour qui les dangers , les combats sont des fêtes ,
Guerriers , que le vulgaire admire avec transport ,
Venez voir le courage attendre une autre mort.
Quand vingt mille brigands profanent un asile ( 13 ) ,
Tout frémit pour Louis : Louis seul est tranquille ;
Calme, il entend leurs cris , reçoit leurs dons affreux ( 14) ,
Place une obscure main sur son coeur généreux :
(10) Convocation des états-généraux.
(11) 6 octobre 1789.
(12) Mots du roi à plusieurs époques de la révolution .
(13) 20juin 1792 .
(14) Le bonnet rouge , dont cette horde féroce exigea qu'il se coiffat.
:
;
16 MERCURE DE FRANCE ,
« Ce coeur bat- il plusfort ? » ( 15) tel est son mot sublime,
Et Santerre une fois tremble devant un crime.
>> Triomphe passager , qu'un désastre a suivi!
Un nouveau jour de deuil , du Monarque asservi
Décide la ruine (16) ; et par sa confiance
Devant ses ennemis amené sans défense ,
Traîné de son palais dans une affreuse tour ,
Des geoliers insolens ont remplacé sa cour.
Que dis-je ? Il règne encor dans ces tristes murailles.
Là , plus Roi que jamais , là plus grand qu'à Versailles ,
Sa fermeté contient de vils séditieux,
Et son front dépouillé leur fait baisser les yeux .
>> Mais quel nouvel excès d'horreur et d'infortune !
La vertu dans les fers est encore importune ,
Et des monstres cruels ont juré d'obtenir
La mort d'un souverain qui n'a pas su punir.
On va juger Louis ; j'accours pour le défendre ;
Ames voeux empressés Louis daigne se rendre ,
Et , dévouant son coeur à mon coeur attendri ,
Pour la seconde fois un Roi trouve un ami.
Impuissante amitié ! la sentence fatale
Condamne à l'échafaud la victime royale.
Pénétrons dans sa tour ; traçons pour l'avenir
De ses derniers instans l'immortel souvenir.
Par ces douces vertus qu'il porta sur le trône ,
Remplaçant aujourd'hui les soins de la couronne ,
Voyez-le consoler une épouse , une soeur ,
Leur montrer dans le ciel le terme du malheur;
Pleurer sur cet enfant , qui , touchante victime ,
Ne comprend pas encor le destin qui l'opprime ;
(15) Historique. Ces paroles furent adressées par le roi à un homme du
peuple.
(16) 10 août 1792.
JANVIER 1815.
17
n'aplus
sa modeste fille , image des vertus ,
Donner , en gémissant , un espoir qu'il
Et fidèle à sa foi , léguer à,ma patrie
L'admirable récit d'une innocente vie ( 17)
TIMBRE
O mon fils ! a-t-il dit , si le ciel quelque jour,
• Au malheur d'étre Roi te condamne à ton tour ,
» Pardonne un attentat que ton père pardonne (19)
Louis , ah ! quel que soit l'héritier que te donne
L'ordre de la naissance et le voeu de nos lois ,
Né de ta branche anguste , il entendra ta voix.
Qui voudrait révoquer l'arrêt de ta clémence ?
Dans le coeur des Bourbons il est écrit d'avance.
ROYAL
تام
C.
» Mais de l'humanité quand je plains le héros ,
Peut-être en ce moment des monstres , des bourreaux ! ..... »
Malesherbes s'arrête. Au milieu des ténèbres ,
Un long gémissement remplit ces lieux funèbres.
<<Fuyons , mon fils , fuyons ; .... le crime est consommé !
» Par la voix des tombeaux, le ciel l'a proclamé....
» Fuyons .... » . Je suis ces pas; nous rentrons dans le temple:
Devant l'autel sacré je tombe à son exemple ;
Mais soudain quel transport a ranimé son coeur !
L'espoir vient dans ses yeux tempérer la douleur.
Il s'écrie : « Omon Roi ! tu m'entends , tu m'appelles
>> A partager bientôt tes palmes immortelles.
» Tes destins sontremplis; sanglant et radieux ,
» Lefils de saint Louis est entré dans les cieux » . (19)
Pénétré des discours du vieillard vénérable ,
Détestant le forfait de ce jour déplorable ,
(17) Testament de Louis XVI .
(18) « Je recommande à mon fils , s'il avait lemalheur de devenir roi ,
>desonger qu'il se doit entièrement au bonheur deson peuple; qu'il doit
> oublier toute haine et tout ressentiment , et nommément tout ce qui a rap.
>port auxmalheurs et aux chagrins que j'éprouve ».
(19) Fils de saint Louis , montos au ciel.
(Testament. )
2
MERCURE DE FRANCE ,
Et quittant le parvis par la mort habité,
Je regagnai les murs de la vaste cité ,
Qui , veuve de son Roi , dans un morne silence ,
Semblait de l'Éternel attendre la vengeance.
Il se vengea long-temps !... long-temps la France en pleurs
Changea de souverains pour changer de malheurs;
Et la faux du supplice , et la faux de la guerre ,
Servirent tour à tour la céleste colère.
Elle a cessé. Des Rois le fils est couronné :
Puisqu'il nous rend Louis , le ciel a pardonné.
Par M. OURRY.
FRAGMENT d'un poëme en douze chants, intitulé Palmyre conquise ,
par M. DORION ( 1 ) .
DÉBUT DU PREMIER CHANT.
AMANTE des hauts faits que l'univers admire ,
Muse , chante avec moi la reine de Palmyre.
Viens donc parmi les Dieux de l'Olympe riant
Ceindre ton noble front des palines d'Orient .
Dis comment d'Odenat la veuve infortunée
Vitd'un règne éclatant la grandeur moissonnée ;
Dis comment des Romains le superbe empereur
Sur une reine illustre assouvit sa fureur ,
Et sous les yeux de Mars , garant de sa victoire ,
Des beaux murs du soleil anéantit la gloire.
Jadis pleurant son culte et ses fameux autels ,
Des neuf savantes soeurs les lauriers éternels ,
Et ces jeux où , rivaux de splendeur , de génie ,
Les arts de leurs concerts unissaient l'harmonie ,
Apollon , roi de Delphe et si cher à Délos ,
Du rapide Ilissus revit encor les flots.
( 1 ) Get ouvrage doit paraître très- incessamment
:
JANVIER 18:5.
19
Du brillant Parthenon il franchit le portique.
Dans son temple embaumé des parfums de l'Attique ,
La vierge méditant des chefs-d'oeuvres nouveaux ,
Des Nymphes au coeur chaste anime les travaux ,
Des plus rares trésors l'éclat brille autour d'elle .
Il arrive ; il implore ; il fléchit l'immortelle .
Minerve ordonne aux arts , ministres de sa cour ,
D'élever un palais où le père du jour ,
Des autels de la Grèce et du culte des mages
Réunit à la fois la pompe et les hommages.
Un illustre prodige , enfanté sous leurs mains ,
De sa splendeur subite éblouit les humains ;
Et le dieu du Plisthus trouve aux champs de l'Aurore
Plus de voeux et d'encens qu'il n'en obtint encore .
Palmyre , du désert merveilleuse cité ,
Cache aux regards mortels sa haute antiquité.
Du plus sage des rois son berceau fut l'ouvrage ;
De quelques frais palmiers l'hospitalier ombrage ,
D'un cristal jaillissant le précieux trésor ,
Unit des voyageurs au vallon de Tadmor ,
Des errantes tribus solitaire patrie .
De tous les immortels également chérie ,
Palmyre , par ses lois , ses monumens , ses arts ,
Des peuples de l'Aurore étonnait les regards ;
Elle voyait l'Égypte à son sceptre soumise
Lorsqu'aux enfans de Mars sa chute fut promise.
Tyanes , Antioche , après d'affreux combats
De César vers Émèse ont assuré les pas.
Émèse enfin cédait ,les phalanges romaines
Menaçaient du désert les stériles domaines
Et les murs où Phoebus choisit d'être honoré,
Noble asile , à la gloire , à la paix consacré.
Le secret des desseins d'un monarque suprême ,
Le dieu ne l'apprit point, il le sait de lui-même ;
Sa vaste prescience envahit l'avenir.
20 MERCURE DE FRANCE,
Le passé tout entier remplit son souvenir,
Il vole , et sur le char à Phaéton funeste ,
Franchit le vaste azur de la plaine céleste.
De leurs brûlans naseaux quatre coursiers fougueux
Versent rapidement un déluge de feux.
L'immortel s'enveloppe en des flots de lumière.
L'Aurore au front vermeil devance sa carrière ,
Lorsqu'à l'entour du dieu les Heures et les Jours
Suivent le vol du Temps et divisent son cours.
Déjà grandit l'Olympe , et déjà dans les nues
Du céleste séjour brillent les aventes ;
Là siége l'immortel , arbitre des enfers ,
Celui dont le trident régit les vastes mers ;
Et toi dont la pensée en prodiges féconde
Embrasse sans effort les limites du monde ,
Jupiter , qui peindrait ces parvis radieux ,
Et le trône où s'assied le monarque des Dieux ?
Quel pompeux édifice offrirait le modèle
Du palais où réside une cour immortelle ?
Sa base est notre globe et son dôme l'éther ,
Immuable séjour du puissant Jupiter.
Là le plaisir enivre et jamais ne consume.
Des ennuis , des regrets , l'inquiète amertume
Ne trouble point des Dieux l'éternel souvenir.
Leur oeil calme et serein contemple l'avenir ,
Tout séduit , tout ravit les yeux et les oreilles.
Jupiter célébrant les divines merveilles ,
Des astres infinis redit le cours divers ;
Les prodiges fameux de l'antique univers ;
Comment du vieux chaos l'amas informe et sombre
Engendra la lumière et les êtres sans nombre ;
Des superbes Titans le vaste orgueil dompté ;
Au rang des immortels Alcide enfin monté ;
Et comment des grands Dieux la puissance féconde
Maintient l'ordre du ciel , de la terre et de l'onde.
JANVIER 1815. 21
Toujours le casque en tête et le fer dans les mains ,
Mars vante fièrement ses fidèles Romains .
Minerve dans Palmyre aime à voir son ouvrage ;
Junondéplore encor la chute de Carthage ,
Et sur un lit de fleurs l'adorable Cypris
Se retrace l'hymen d'Hélène et de Paris :
Elle pense déjà dans l'orgueil de son âme
Voir le sceptre du monde en la main d'une femme,
L'Amour seul invincible et ses autels vengés :
C'est ainsi que du ciel les voeux sont partagés .
Rayonnante d'azur et de pourpre et d'opale ,
Ony voit resplendir l'amante de Céphale.
De son empire illustre et si chéri des Dieux ,
Elle voudrait bannir les Romains odieux .
L'aigle repose en paix sur la foudre assoupie ,
Quand Phoebus s'offre au Dieu que révère Olympie.
Ce Dieu doute un moment si le palais des cieux
Peut contenir l'éclat de ce front radieux.
D'une sainte terreur soudain Hébé saisie
Laissa de l'urne d'or s'exhaler l'ambroisie .
ÉNIGME.
Bon et mauvais , triste et joyeux ,
Léger et lourd , excellent , furieux ;
Consolant les mortels au sein de la détresse ,
Je les renverse aussi même dans l'allégresse .
Je suis froid , je suis chaud, je suis etfaible et fort ,
Je provoque au sommeil , j'excite le transport ;
Je suis né doux , je deviens aigre ,
Je rends pesant , je rends alègre .
1
Je remplis de courage et raffermis les coeurs ;
Je fais que l'on chancelle, et cause des vapeurs.
Je fais faire la paix , j'excite les querelles ;
22 MERCURE DE FRANCE.
J'éclaircis les cerveaux , je brouille les cervelles :
Pour me rendre meilleur , on me met en prison ;
Je mousse de colère , et force ma cloison.
A la glace parfois , bouillant en ma jeunesse ,
Plus je suis vieux et plus on me caresse.
Je suis vif , petillant , plein de feu , plein d'esprits ;
J'en procure aux humains et je les abrutis .
LOGOGRIPHE .
GARE , gare , lecteur , range-toi de côté ,
Ou je ne réponds pas que tu ne sois crotté ,
Comme l'on dit , jusqu'aux oreilles .
S........
- Crotté? par qui ?- Par moi , par mes pareilles ;
Car je suis à Paris un de ces superflus
Qui gratis au public se prodiguent le plus.
J'ai douze pieds. Quand on me décompose ,
Le premier objet que j'expose
A tes yeux , c'est de la boue et de l'eau ;
C'est pour cela , dit Jean- Jacques Rousseau ,
Qu'à bon droit Lutèce est nommée :
Ville de boue et de fumée.
S........
CHARADE .
Atable mon premier sert à faire bombance ,
Sur la mer mon second se meut et se balance ;
Mon tout est un sallon destiné pour la danse.
:
S........
Mots de l'ÉNIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARADE insérés
dans le dernier Numéro.
Le mot de l'Enigme est Lanterne.
Celui du Logogriphe est Rose.
Celui de la Charade est Serpenteau.
LITTÉRATURE ET BEAUX - ARTS .
HISTOIRE DE J.-B. BossUET , évêque de Meaux ,
composée sur les manuscrits originaux , par
M. L.-FR. DE BAUSSET , ancien évêque d'Alais .
L'HISTOIRE de Bossuet par M. de Bausset , attendue
avec impatience , vient enfin de paraître , et ne
tardera pas à prendre place dans les bibliothéques à
côté de l'Histoire de Fénélon par le même auteur.
C'est une idée heureuse pour un écrivain , c'est
un beau monument élevé par un évêque à la gloire
de l'église et de sa nation , que l'histoire des deux
prélats qui ont le plus honoré leur pays , la religion
et les lettres par toutes les vertus de leur état et par
tous les dons du génie ; modèles achevés de tout ce
que l'esprit a de plus gracieux ou de ce qu'il a de
plus fort , sans cependant que la force ait manqué à
lagrâce de l'un, ou la douceur et l'onction à la force
de l'autre . Tous deux vécurent à la cour , s'attachèrent
d'illustres amis , élevèrent les enfans des rois ,
et leur nom fut mêlé aux affaires les plus importantes
de la religion. Long-temps unis et à la fir
engagés l'un contre l'autre dans une querelle théologique
, ils déployèrent , dans une controverse que
leur nom a rendue célèbre , toutes les ressources et
toute la fécondité de leur esprit , l'un pour justifier
les pieuses illusions d'une âme aimante et d'une
24 MERCURE DE FRANCE ,
imagination exaltée ; l'autre pour dissiper ce vain
fantôme de perfection : la raison forte et lumineuse
de Bossuet triompha; mais le vaincu honora sa défaite
, et sa religieuse docilité fit oublier le succès
d
de son adversaire. Fénélon, éloigné de bonne heure
du théâtre de l'ambition et des affaires , se renferma
dans les fonctions épiscopales ; Bossuet , en possession
jusqu'à sa fin des respects de la cour et de
l'estime des grands plus encore que de leur faveur ,
appuya de l'autorité de son nom et de son génie les
plus importantes décisions .
C'est ce que M. de Bausset avait à raconter , et
c'est ce qu'il a fait dans l'histoire de ces deux hommes
célèbres , avec cette religieuse fidélité qui , pour ne
présenter au lecteur que des faits avérés , interroge
tous les monumens , recueille toutes les traditions ,
consulte tous les écrits contemporains , laisse toujours
parler celui dont il écrit la vie et ne le supplée
que pour ce qu'il n'a pas pu nous dire ou nous apprendre.
Après avoir admiré cette conscience littéraire ,
premier devoir d'un historien , et mérite trop rare
dans tous les temps , parlerons-nous du style de
M. de Bausset , modèle de style biographique ou
plutôt historique , car la vie des grands hommes est
encore de l'histoire ; style vrai , grave, élégant, correct
, facile , surtout naturel ; s'élevant sans effort
avec le sujet ; simple avec grâce quand le sujet le
demande ? Il est, ce style .... il est l'auteur lui-même
avec toutes les qualités de l'esprit et du coeur qui
(
1
JANVIER 1815. 25
lui font des amis de tous ceux qui le connaissent ,
et des admirateurs de tous ceux qui l'apprécient :
et jamais cette maxime de Buffon : « Le style est
l'homme même >> ne reçut une application plus juste
et plus étendue.
Et nous qui nous honorons de l'estime et de
l'amitié qu'il nous accorde , si nous osons joindre
notre suffrage à celui du public , nous dirons que
ces deux ouvrages , chefs-d'oeuvres de biographie ,
sont des ouvrages finis , et c'est le plus bel éloge
que nous puissions en faire ; c'est-à-dire , des ouvrages
que , dans notre littérature où il y a tant de
livres à refaire , on ne refera pas .
Deuxméthodesse présentent lorsqu'on veut écrire
l'histoire d'un hommepublic et d'un écrivain célèbre;
on peut suivre l'ordre chronologique pour ses travaux
littéraires comme pour les circonstances de sa
vie; mais alors des travaux semblables , exécutés à
des époques différentes , obligent à de fréquens retours
sur les mêmes objets. On peut abandonner
l'ordre des temps et s'attacher uniquement à la nature
des travaux; mais alors on voit l'écrivain, l'orateur
, le savant plutôt que l'homme , et l'auteur
n'a fait qu'une histoire littéraire .
M. de Bausset a sagement suivi les deux méthodes
à la fois. Il raconte sous leur date les circonstances
personnelles ou publiques de la vie de Bossuet , et
il renferme sous une même division de son ouvrage
tout ce qu'il peut réunir des écrits de ce grand
homme lorsqu'ils traitent d'objets semblables , sans
26 MERCURE DE FRANCE ,
avoir égard à leur date , et il fait ainsi l'histoire de
Bossuet et l'histoire de ses écrits .
Une réflexion générale se présente à l'esprit lorsqu'on
a lu l'histoire de Bossuet , c'est qu'elle est
moins l'histoire particulière d'un homme que l'histoire
morale de l'âge où il vécut ; et sous ce rapport
, on peut dire que le récit de la vie de Bossuet
est le siècle de Louis XIV mis en action .
C'est en effet dans cet ouvrage qu'on peut juger
l'importance que le public et le gouvernement
attachaient alors aux choses morales ; avec quel respect
et quelle gravité ils traitaient tout ce qui y avait
rapport , et la place que la religion , son enseignement
et ses ministres occupaient dans la société.
Louis XIV , âgé de vingt-trois ans , et entouré de
toutes les séductions de son âge , de la cour et du
pouvoir dont il vient de prendre les rênes , entend
pour la première fois Bossuet dans la chaire chrétienne.
Le grand sens du roi devine le génie de
l'homme qui devait illustrer son règne , il fait écrire
au père dujeune orateur pour le féliciter d'avoir un
telfils . On est aujourd'hui confondu d'étonnement
en voyant les noms les plus célèbres de la cour la
plus brillante , ensevelir dans l'obscurité du cloître
les espérances ou les illusions de la jeunesse , de la
naissance , de la fortune , de la beauté , et le sexe le
plus faible embrasser les règles les plus austères .
Toutes les grandeurs et même celles du génie ,
s'abaissent devant la hauteur des dogmes du christianisme
ou la sévérité de sa morale. Racine expie
JANVIER 1815.
27
ses chefs-d'oeuvres dramatiques par le long silence de
son talent , comme la Vallière expie ses faiblesses
dans la retraite et la mortification . Corneille se
punit d'avoir fait Polyeucte et Cinna en traduisant
en vers l'humble livre de Umitation ;
Et l'auteur de Joconde est armé d'un cilice .
Les hommes les plus distingués par leur naissance
ou leurs emplois , engagés dans une voie suspecte ,
s'adressent à Bossuet pour éclairer leurs doutes ou
dissiper leurs erreurs . « Les femmes les plus célè-
>> bres par leur esprit , dit l'historien de Bossuet ,
>> font des plus graves discussions l'objet de leur
>> étude , et y développent une sagacité qui fait au-
> tant d'honneur à leur intelligence qu'à leur zèle .
» On eût été honteux d'entendre parler de tant de
>> questions qui avaient excité de si violens débats
>> et amené des résultats si importans , sans chercher
>> à connaître , jusqu'à certain point , les raisons et
>>les autorités que présentaient les défenseurs des
>> opinions opposées » .
C'était , il faut en convenir , une nourriture plus
solide pour les esprits que celle qu'ils cherchent aujourd'hui
dans des lectures frivoles ou coupables ; la
raison qui s'applique à tout ce qui gouverne les
affaires des particuliers comme celle des États , se
fortifie par les ouvrages de raisonnement, et même,
s'il ne résulte pas toujours de ces hautes discussions
des idées bien distinctes, il en reste au fond du coeur
de sérieuses et salutaires impressions .
28 MERCURE DE FRANCE ,
:
Les disputes religieuses furent, dans le siècle de
Louis XIV , des affaires d'état . Je sais le ridicule et
l'odieux qu'on a jeté sur ces déplorables querelles ,
dont l'obstination des novateurs ou la faiblesse des
administrations , ont fait trop souvent un instrument
d'irritation et de trouble , qui plus d'une fois ont
entraîné les gouvernemens hors de leurs mesures ,
et les esprits loin de toute modération. Les controverses
religieuses sont un malheur ; l'indifférence
religieuse en est un plus grand encore. Le fanatisme
dur et féroce des guerres de religion , pendant deux
siècles , a causé à la France des maux infinis , je le
sais , mais les doctrines les plus voluptueuses , la
plus aimable facilité de moeurs , le mépris ou
l'oubli de la religion , les plaisirs devenus
l'unique affaire de la société ; en un mot , les
jeux , les grâces et les ris , nous ont conduits en
moins de cinquante ans au délire le plus complet ,
à la révolution la plus sanglante , au renversement
total de la société , au bouleversement général de
l'Europe , parce que nous avons voulu traiter avec
légèreté les choses sérieuses , et faire une affaire importante
des choses frivoles .
Tout , en un mot , était grave dans les pensées ,
dans les occupations , même dans les manières ; la
politesse était cérémonieuse , et jusque dans l'intérieur
des familles , la tendresse était sans familiarité;
les différentes classes des citoyens conservaient soigneusement
leurs vices et leurs vertus , sans se les
communiquer l'un à l'autre ; et il ne s'était pas fait
JANVIER 1815 .
29
encore entre les diverses professions cet échange
de moeurs qui les a perdues , en inspirant aux
classes inférieures le mépris de la médiocrité ,
le goût des vices ruineux et d'un luxe qui est une
des charges de la grandeur ; tandis que les grands ,
oubliant eux-mêmes leur destination dans l'état
social , sont descendus aux vices aisés , aux plaisirs
faciles , ou aux devoirs sans gène de la vie privée .
<< Tel était l'esprit du siècle qui a produit Bossuet,
>> et ce siècle était digne de Bossuet » .
Bossuet était né dans une famille honorable de
magistrature , sorte de sacerdoce alors aussi décent ,
aussi sérieux que l'autre. « On sait assez , dit M. de
>> Bausset , combien à cette époque ces deux corps
>> comptèrent d'hommes instruits , et combien ils
>> se prétaient un mutuel appui pour défendre la
>>religion et la morale publique. Renfermés dans
>> les devoirs de leur état , le plus grand nombre des
>>magistrats et des ecclésiastiques restaient étran-
>> gers au mouvement et à la frivolité du monde
> où leur présence aurait paru déplacée » .
Le spectacle des moeurs , des occupations et des
habitudes de ces familles respectables , frappa les
premiers regards de Bossuet; et malheur à la société
qui ne verrait pas dans cette première instruction
de l'exemple , un des plus puissans moyens de direction
pour la jeunesse de l'homme , et même
pour toute sa vie !
M. de Bausset , qui a recueilli avec soin tout ce
qui pouvait lui donner quelques lumières sur la vie 4
30 MERCURE DE FRANCE ,
de son héros , a eu connaissance du livre defamille
où le père et le grand-père de Bossuet consignaient
la naissance de leurs enfans en accompagnant cette
inscription de quelques paroles de piété qui expriment
une touchante sensibilité , et souvent de quelques
présages , ou plutôt de leurs voeux , sur la destinée
qui les attend; pieuse coutume jadis fidèlement
observée dans les familles chrétiennes , et qui yperpétuait
d'âge en âge la tradition des sentimens religieux
et le souvenir des affections paternelles ! Il a
trouvé la naissance de Bossuet marquée par ces paroles
prophétiques : « Le Seigneur a daigné lui
>>servir de guide , il l'a conduit par divers chemins ,
>> il l'a instruit de sa loi , il l'a conservé comme la
>> prunelle de son oeil » . Deuteronome , ch . 23 .
Bossuet fit ses premières études au collége des
jésuites de Dijon , et sa philosophie à Paris , à celui
de Navarre. Dans notre siècle la première classe
de la société a eu la prétention de donner à ses
enfans une éducation plus libérale , parce qu'elle
les a gardés dans la maison paternelle , au milieu
de toutes les distractions du monde, et les a , à
grands frais , confiés aux soins d'un instituteur philosophe
qui , après leur avoir donné quelque teinture
de littérature ancienne , et une connaissance
plus étendue des ouvrages modernes, après leur avoir
fait faire un voyage obligé en Suisse et en Italie , les
a lancés dans le monde , vides de connaissances et
surtout de principes .
Alors les grands envoyaient leurs enfans au col
JANVIER 1815. 3
lége , où ils étaient élevés avec les enfans des autres
citoyens , et peut-être ces premières amitiés de collége
, les plus durables de toutes , n'étaient-elles pas
sans influence sur les sentimens réciproques des
différentes classes de la société. Le grand Condé
fut élevé au collège de Bourges comme aurait pu
l'être le fils d'un simple gentilhomme, sans autres
distinctions que celle d'une chaise un peu plus haute
que celles de ses condisciples .
« Lorsqu'on lit l'histoire du collège de Navarre
>> par le docteur Launoy , dit M. de Bausset, on est
>> frappé de la longue suite de princes , de grands
> et de seigneurs qu'on y envoyait recevoir les pre-
>> mières teintures des sciences et des lettres , sans
>> que l'éclat de leurs titres et l'élévation de leur
>> rang pussent les affranchir du régime exact et
>> sévère auquel ces institutions étaient soumises .
>> On ne connaissait pas alors toutes ces distractions
>> prématurées que les fêtes , les spectacles et la ten-
>> dresse peu éclairée des parens , s'empressent d'of-
>> frir à la jeunesse » .
L'éducation de Bossuet et les résultats qu'elle a
eus peuvent donner lieu à quelques observations .
A l'époque où Bossuet et tous les grands
hommes de son temps commencèrent leur carrière
, il n'y avait en France que des colléges dirigés
par des religieux. C'est cependant dans cette
institution monastique , où l'on n'enseignait que
du grec , du latin et la religion , et encore
32 MERCURE DE FRANCE ,
en province , que se forma Bossuet. C'est là que se
formèrent ses illustres contemporains , et ces véritables
philosophes n'étudièrent d'autre philosophie
que la philosophie scolastique où notre moderne
idéologie n'a vu que des inutilités et d'inintelligibles
abstractions .
Il n'y avait alors d'autres modèles littéraires à
offrir aux jeunes gens que les écrivains de l'antiquité
profane ou sacrée ; les ouvrages que vit éclore
le siècle de Louis XIV , ces ouvrages aussi classiques
, et pour nous plus classiques peut-être , que
ceux des anciens , parce qu'ils sont écrits dans notre
langue et avec nos pensées , n'existaient encore que
dans le génie de leurs auteurs , et la jeunesse studieuse
était réduite , pour les modernes , à quelques
strophes de Malherbe , ou aux écrits de Montaigne ,
dont les meilleurs esprits de ce siècle méprisaient
le cynisme , et la philosophie vaniteuse et sceр-
tique.
Et nous , avec tant de secours et d'établissemens
littéraires inconnus alors , académies , athénées ,
cours publics et particuliers, prix académiques, etc. ,
que la vanité ou l'intérêt personnel , bien plus que
l'intérêt des lettres , ont multipliés , nous qui joignons
à une connaissance plus approfondie peutêtre
de l'antiquité , ou du moins à une plus longue
jouissance de ses chefs-d'oeuvres , l'étude des onvrages
immortels du grand siècle,comment se peut-il
que nous soyons restés si loin de leurs auteurs dans
tous les genres qu'ils ont traités ? les esprits sont-ils
JANVIER 1815. 33
-
a
e
affaiblis ? la nature est-elle épuisée ? Non sans doute ,
mais la société est changée. La nature , si l'on me
permet cette comparaison, est le père des esprits ,
mais lasociété est la mère et la nourrice des talens ;
et les germes qu'elle reçoit de la nature , elle les
développe avec plus ou moins de succès , elle loom
donne une direction plus ou moins heureuse , st
vant ses propres dispositions, son tempérament , s
j'ose ledire,etl'esprit quiydomine. Sous Louis XIV,
lasociété, occupée dereligion, de morale, de choses
élevéeset sérieuses, offrait aux bons esprits unenourriture
substantielle, et il lui suffisoit des livres sacrés,
des pères de l'église, et de quelquesauteurs de l'antiquité,
pour produire les écrivains , les orateurs , les
philosophes , lesmoralistes,les poëtes,qui ont illustré
cette belle époque de l'esprit humain, et cette
littérature si grave même dans les genres les plus
familiers et les sujets les plus plaisans. La société
qui a succédé , dissipée , dédaigneuse , irréligieuse ,
frivole, occupée d'intrigues , de plaisirs et d'argent ,
avec tous les modèles de l'antiquité et tous les
chefs-d'oeuvres de l'âge précédent , n'a pu faire que
des géomètres , des physiciens , des naturalistes; car,
quoique le siècle de Louis XIV ait eu des géomètres
etdes physiciens, et le XVIII . siècle des écrivains
célèbres , c'est l'éloquence et la poésie qui distinguent
entre tous les autres le dix-septième siècle ,
et le progrès des sciences physiques qui est le plus
beau titre de gloire de l'âge suivant ; et l'on peut
remarquer qu'en rendant au siècle de Louis XIV
TIMBRE
SEINE
ROYAL
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5
c.
3
34 MERCURE DE FRANCE ,
les hommes ou les ouvrages du dix-huitième siècle
qui lui appartiennent encore , et qui vont jusque
vers 1740 , ce qui nous reste des uns ou des autres
est bien loin d'être sans reproche. Voltaire , dans
la dernière moitié de sa vie littéraire , est un
dangereux et coupable bel esprit ; J.-J. Rousseau ,
un sophiste qui combat tout le monde et se combat
lui-même. Montesquieu eût été jugédans lesiècle de
Louis XIV avec bien moins d'indulgence que dans
le nôtre , et son style n'aurait pas obtenu grâce pour
ses erreurs . Que l'on suppose ces mêmes hommes
nés dans le siècle de Louis XIV, et élevés par cette
forte société , ils auraient marché les égaux des plus
beaux génies de cette époque , mais leur malheur
ou le nôtre a été qu'ils aient voulu se faire docteurs
en morale et en politique dans une société qui ne
pouvait produire que des savans en physique; qu'on
nous rende le siècle de Louis XIV , ses moeurs ,
son esprit , et il s'élèvera des Bossuet et des Corneille
. La nature est inépuisable ettoujours féconde,
mais ou bien la société ne la seconde pas , et alors
les esprits avortent , ou elle la contrarie, et il paraît
des talens dangereux qui déchirent le sein qui les a
portés.
Je reviens d'un peu loin à M. de Bausset. C'est un
bienfait pour la société qu'un bon ouvrage sur les
hommes utiles ou sur les choses nécessaires , et ce
bienfait , nous le devons , comme tant d'autres , à
l'événement qui nous a rendu un roi pour qui la
vérité n'est pas unreproche , ou l'histoire une satire.
JANVIER 1815. 35
L'Histoire de Fénélon parut au commencement
de la tyrannie ,
« Toujours la tyrannie a d'heureuses prémices » .
un peu plus tard elle eût été défendue , et l'Histoire
de Bossuet n'eût jamais vu le jour. Quoi qu'il en
soit, c'est d'un heureux augure pour le siècle de la
restauration , que de voir ce siècle s'ouvrir en quelque
sorte sous les auspices de Bossuet , son histoire
commencer une nouvelle ère , et l'auteur nous rappeler
aux bonnes doctrines moralescomme aux vrais
principes littéraires . Quand Bossuet reparaît au milieu
de nous , après un si long oubli de ses leçons ,
il semble que l'intervalle qui nous sépare de ce
grand homme disparaît et que nous l'entendons
encore adresser aux chefs des nations , après une si
terrible expérience , ces paroles prophétiques qu'il
leur fit entendre en vain sur la tombe de la reine
d'Angleterre : Et nunc, reges, intelligite , erudimini
qui judicatis terram. « Et maintenant , o rois
>> écoutez! instruisez-vous,vousquijugezla terre(1 ) » .
DE BONALD .
,
(1) Je crois plaire aux lecteurs du Mercure, et faire en quelque
sorte une digne inauguration d'un journal consacré désormais
à toutes les saines doctrines , à tous les souvenirs touchans
et vertueux , en insérant ici la harangue que M. de Bausset
adressa à feu madame Élisabeth , en 1786 , au nom des États
de Languedoc. Ce discours fut dans le temps extrêmement remarqué
, et d'ailleurs tout ce qui rappelle cette femme céleste ,
36 MERCURE DE FRANCE ,
cet ange de vertu et de bonté , protecteur de la France , a toujours
et partout le mérite de l'à-propos :
<<Madame , si la vertu descendait du ciel sur la terre , si elle
» se montrait jalouse d'assurer son empire sur tous les coeurs ,
>>elle emprunterait sans doute tous les traits qui pourraient lui
>>concilier le respect et l'amour des mortels .
» Son nom annoncerait l'éclat de son origine et ses augustes
>> destinées; elle se placerait sur les degrés du trốne ; elle porte-
» rait sur son front l'innocence et la candeur de son âme. La
» douce et tendre sensibilité serait peinte dans ses regards. Les
>> grâces touchantes de son jeune âge prêteraient un nouveau
> charme à ses actions et à ses discours : ses jours purs et sereins
» comme son coeur , s'écouleraient au sein du calme et de la paix
» que la vertu seule peut promettre et donner : indifférente aux
>> honneurs et aux plaisirs qui environnent les enfans des rois ,
» elle eu connaîtrait toute la vanité ; elle n'y placerait point son
>>>bonheur; elle en trouverait un plus réel dans les douceurs et
>> les consolations de l'amitié ; elle épurerait au feu sacré de la
>>religion ce que tant de qualités précieuses auraient pu conserver
> de profane. Sa seule ambition serait de rendre son crédit utile à
>>l'indigence et au malheur : sa seule inquiétude de ne pouvoir
>>dérober le secret de sa vie à l'admiration publique : et dans ce
• moment même où sa modestie ne lui permet pas de fixer ses
>>regards sur sa propre image , elle ajoute sans le vouloir un nou-
>> veau trait de conformité entre le tableau et le modèle » .
JANVIER 1815. 37
HISTOIRE MORALE DE L'ÉLOQUENCE , ou Développemens
historiques sur l'intelligence et le goût ,
parrapport àl'éloquence ; par ÉDOUARD LANDIÉ .
Seconde édition . A Paris , chez Antoine-
Auguste Renouard.- Prix 5 fr . , et par la poste ,
6fr. 50 cent.
-
-
Ce serait bien à tort que l'on séparerait entièrement
l'histoire littéraire et l'histoire politique. Quel
est le but de l'histoire en général ? C'est de peindre
les hommes autant que de nous instruire des événemens;
c'est de nous montrer à chaque époque l'état
de l'esprit humain et des moeurs. Ces deux parties
de l'histoire sont insuffisantes l'une sans l'autre . Si
l'on ne connaissait pas bien les événemens , on ne
connaîtrait pas les hommes , et la postérité , surtout
, est placée de manière à juger des causes par
les effets . Si , d'un autre côté , on ne s'instruit
que des événemens sans s'occuper des acteurs , on
s'aperçoit bientôt combien ce spectacle peut devenir
monotone. On se lasse de voir des armées se
battre contre des armées , de voir des rois mourir ,
des rois naître et se succéder. Tel homme embrasse
dans sa vaste mémoire une multitude de
noms et de dates ; il sait quels princes ont régné
sur l'Égypte ; il peut disserter savamment sur
les empereurs de Chine et les souverains des Indes ;
et , cependant , cet homme ne sait pas l'histoire. Ce
qu'il importe surtout de connaître , c'est la physio
38 MERCURE DE FRANCE ,
nomie de chaque siècle : il faut être capable de suivre
les progrès des institutions humaines , les éclipses
de la raison et ses perfectionnemens successifs . II
faut être initié dans toutes les habitudes , tous les
rapports des peuples et des âges que l'on étudie ;
pouvoir s'y transporter et y vivre avec leur religion
et leurs lois , avec leurs institutions , leurs vertus et
même leurs préjugés. Tout cela ne s'apprend pas
uniquement dans les historiens . Une multitude de
causes participant à la civilisation générale , pour
connaître cette civilisation , il faut connaître cette
multitude de causes, et prendre, dans tous les arts ,
dans les usages de toute espèce , ce caractère de
ressemblance et de fraternité qu'ils ne peuvent
manquer d'avoir à une même époque , parmi des
hommes unis par de fréquentes relations . Pour acquérir
ces connaissances, la littérature est d'un grand
secours . On se peint soi-même dans ses ouvrages ,
même à son insçu , même contre son gré. On peint
surtout l'esprit de son siècle , qui se montre , se trahit
par les choses qu'on loue , qu'on blame , que l'on
raconte avec , ou sans réflexion . C'est donc une
heureuse pensée que de compléter l'histoire de chaque
siècle par l'examen des écrits de ce siècle même.
L'éloquence , surtout , offre une matière très-abondante
pour ces sortes d'observations , car ilfaut, pour
persuader et pour émouvoir, approprier ses paroles ,
ses mouvemens, au caractère de ceux à quil'on parle,
et à l'esprit qui les anime , surtout lorsqu'on s'adresse
à la multitude .
JANVIER 1815.
39
Nous avons montré l'intention et l'utilité de cette
histoire de la partie morale de l'éloquence , qui ,
d'après les moeurs et l'état de chaque siècle , de
chaque peuple , d'après son agitation ou sa tranquillité
, ses vertus ou ses vices , ses institutions de toute
espèce , apprécie et caractérise les vicissitudes diverses
de l'éloquence , dans chacun de ces peuples
et de ces siècles. Comment l'auteur du livre qui
nous a suggéré ces réflexions , a-t-il rempli la tache
qu'il s'imposait? c'est ce que nous allons examiner
en commençant par quelques remarques dont on
ne tardera pas à apercevoir l'importance , et qui
mettront le lecteur dans le cas de porter lui-même
un jugement sur le mérite de l'ouvrage qui nous
оссире.
Deux éditions ayant pour titre, la première : Développemens
de l'éloquence ; et la seconde : Histoire
morale de l'éloquence , ont été publiées à peu
de distance l'une de l'autre . Toutes deux sont bien
imprimées. La première , tirée à cent exemplaires
seulement , est même exécutée avec luxe , mais elle
est défigurée par les fautes les plus nombreuses et
les plus ridicules.
Par exemple : Socrate , Epicure , Nemours ,
pour : Isocrate , Epictete , Revers ; tonne , goût ,
sophistes , mollesse , livres, siècles , comptés , capone ,
pour : tombe , joug , scrupules , noblesse , lèvres ,
sectes , complices , cepoëte. Je lis dans la première éditión:
La lumière de l'Évangile est la seule qui éclaire
les préceptes au milieu de cette sécurité profonde
40 MERCURE DE FRANCE ,
encore : Je lis dans la seconde : La lumière de l'Evangile
est la seule qui éclaire les peuples au milieu
de cette obscurité profonde ; encore .... etc ....
Ce sont-là, sans coutredit, des fautes de copiste , et
ces erreurs ont été rectifiées dans la seconde édition .
Mais comment ont-elles pu s'introduire , même
dans la première surtout , puisque ce livre sortait
des presses de M. F. Didot? Comment s'est-il rencontré
un auteur, étranger à cette tendresse paternelle,
qu'il est si naturel de sentir pour ses produc--
tions, au point de se laisser mutiler et défigurer par
d'aussi grossières erreurs ? Faudrait-il donc en croire
certain bruit qui attribue ces erreurs à M. Landié
lui-même , et qui lui conteste cet ouvrage ? Ce ne
sont pas les fautes de la nature de celles que je viens
de citer , qui m'embarassent le plus ; car , après
tout, on peut toujours les rejeter sur un copiste
maladroit. Mais ce n'est pas le copiste qui est coupable
, et de la première épître dédicatoire , et de
l'intercallation d'une quarantaine de vers si gauchement
répandus dans la première édition et retranchés
dans la seconde. ( Voyez première édition ,
pag. 50 , 64 , 100 , 101 , 111 , 153 , 179, 180. )
Tout en suspendant mon jugement sur un sujet
aussi délicat , oserai-je cependant faire en sorte de
revendiquer cette Histoire de l'éloquence pour un
homme qui ne pourrait la réclamer lui- même, car
-il est mort depuis plus de soixante ans ?
Le nouvel ouvrage offre de nombreuses conformités
avec ceux d'un illustre écrivain, citoyen plus
JANVIER 1815 . 41
illustre encore. Sans doute on peut prendre tel où
tel auteur pour modèle , adopter ses idées et ses
principes , former son style sur le sien ; mais avec
quelque fidélité que l'élève s'attache sur les pas
du maître , il est bien difficile qu'il ne diffère de lui
sous quelques rapports , surtout s'il a été forcé d'étudier
aussi d'autres écrivains, et si ce maître , malgré
tout son talent , n'est point placé à cette élévation
où tout est admirable , où les défauts même sont
enveloppés avec les beautés dans un culte respectueux.
Les principes , la masse des idées, le genre
d'études , le style enfin, le style , qui est l'homme
même, et que l'on peut fidèlement imiter , parodier
même entièrement dans des morceaux assez courts ,
mais que l'onne reproduit pas constamment et avec
une étonnante ressemblance dans un volume entier;
tout, dans le nouvel ouvrage , semble appartenir
au chancelier d'Aguesseau .
Commençons par indiquer plusieurs passages de
l'Histoire morale de l'éloquence qui se retrouvent ,
ou absolument les mêmes , ou à peu près semblables
dans les oeuvres de d'Aguesseau , et principalement
dans deuxdiscours d'une vingtaine de pages chacun .
Discours sur la connaissance de l'homme , prononcé
par d'Aguesseau en 1695, ( tom. 1er. p. 19
et 43)..
Les vingt premières lignes offrent beaucoup de
rapports avec l'introduction de l'Histoire morale ;
les mêmes principes y sont développés ; le même
plan y est exposé.
42 MERCURE DE FRANCE ,
D'Aguesseau I. 20. L'orateur
exerçait une tyrannie si
douce et si agréable, qu'on laprenait
pour ladomination légitime.
Histoire Morale. p. 70. Périclès
exerçait nne tyrannie sidouce
qu'on était forcé de la prendre
pour la domination légitime .
Vient ensuite un morceau sur Démosthène qui
se retrouve tout entier dans l'Histoire de l'éloquence
, où seulement il est beaucoup plus long.
Je n'en citerai que cette phrase :
H. M. 87. C'est là qu'il
forge des armes dont l'éclat
étincelant et terrible fera trembler
les rois sur leurs trônes ,
p. 86. La morale lui ouvre le
sein de la sagesse , c'est là qu'il
se plonge avec ardeur..... Il se
remplit d'une politique hardie
et généreuse , d'une liberté in-
D'Ag. 21 et 22. Ce ne sont
point des armes préparées dans
l'école d'un déclamateur. Ces
foudres , ces éclairs , qui font
trembler les rois sur leurs trônes ,
sont formés dans une région
supérieure . C'est dans le sein
de la sagesse qu'il avait puisé
cette politique hardie et généreuse
, cette liberté constante et ❘ trépide , d'un invincible amour
intrépide , cet amour invincible
de la patrie. C'est dans l'étude
de la morale.....
de la patrie .
Voyez d'autres rapports plus ou moins marqués
entre les pages de d'Aguesseau , 23 , 24, 27 , 36, 38 ,
et les pages de l'Histoire morale de l'éloquence , 74,
105, 72, 12 , 148 , 154. Rapprochons ici deux morceaux
sur le discours pour Ligarius .
D'Ag. 39. Le conservateur
de la république , celui que
Rome libre appela le père de la
patrie , parle devant l'usurpateur
de la liberté. Il défend un
de ces fiers républicains qui
H. M. 150. Il ( Cicéron )
mérite le nom de père de la
patrie. Après la journée de
Pharsale , le vainqueur avait
juré la perte d'un de ces fiers
républicains qui s'étaient signaJANVIER
1815. 43
avaient porté les armes contre
César, et il a César même pour
juge
C'est peu de parler pour un
ennemi vaincu en présence du
victorieux , il parle pour un
ennemi condamné, et il entreprend
de le justifier devant
celui qui aprononcé sa condamnation
avant que de l'entendre ,
et qui bien loin de lui donner
l'attentiond'unjuge, ne l'écoute
plu,s qu'avec lamaligne curiosité
d'un auditeur prévenu.
Mais l'orateur connaît la
passiondominante de son juge ,
etc'en est assez pour le vaincre.
Il flatte sa vanité pour désarmer
sa vengeance; et malgré
l'indifférence obstinée de César
, .... son émotion ne peut
plus se contenir au-dedans de
lui-même , le trouble extérieur
de son visage rend hommage à
la supériorité de l'éloquence ,
il absout celui qu'il avait déjà
condamné , et Cicéron mérite
l'éloge qu'il donne à César ,
d'avoir su vaincre le vainqueur
et triompher de la victoire.
lés en portant les armes coutre
lui..... ( Ici est un passage
inintelligible dans la première
édition , et que l'on a interprété
dans la deuxième , en
ajoutant unmembre dephrase,
tandis qu'on aurait dú , je
crois , retrancher simplement
les mots : ce citoyen. ) César
lui-même est le juge de celui
que l'orateur entreprend de
défendre. C'est un juge ennemi
, un maître .... Il a condamné
d'avance Ligarius , et
Cicéron s'est promis de fléchir
ce coeur irrité , et pour le
vaincre de l'enivrer par le
charme de la victoire. Il parle
César n'écoute qu'avec une maligne
curiosité. Mais déjà la
vengeance chancelle dans son
coeur; sa vanité flattée le désarme
et l'attendrit ; il ne peut
plus contenir au-dedans de lui
les mouvemens qui l'agitent .; il
laisse tomber de ses mains l'arrêt
de condamnation , et Cicéron
mérite l'éloge qu'il donne
à César , d'avoir su vaincre le
vainquenr et triompher de la
victoire.
Discours prononcé en 1699 sur les causes de la
décadence de l'éloquence , ( tom . 1er. , p. 43 et 46. )
Voici lecommencement de ce discours : « La des
4.4 MERCURE DE FRANCE,
tinée de tout ce qui excelle parmi les hommes , est
de croître lentement , de se soutenir avec peine
pendant quelques momens , et de tomber bientôt
avec rapidité..... Les sciences les plus sublimes ,
ces vives lumières qui éclairent nos esprits, éternelles
dans leur source puisqu'elles sont une émanation
de la divinité même , semblent devenir
mortelles et périssables par la contagion de notre
fragilité » . Ce morceau se retrouve mot pour mot
à la page 159 de l'Histoire morale de l'éloquence,
Nous bornerons ici nos citations , et nous nous
contenterons de renvoyer à d'Aguesseau lui-même
pour tout le reste de ce discours ; dans les autres
parties de ses oeuvres on peut confronter les pages
du tom. 1 , 304 , 305, du tom. 2 , 166 , 180 et 1gr,
315, 326 avec les pages de l'Histoire de l'éloquence
15 et suiv. 71 , 26, 274 , 266 et suiv. 17 , 15 .
Il résulte de cet examen qu'il y a sans contredit
dans l'Histoire morale de l'Eloquence , plusieurs
morceaux qui appartiennent à d'Aguesseau. Or , ces
morceaux ne paraissent nullement rapportés , et en
outre sont évidemment du même style que tout le
reste. La conclusion à tirer de là est facile : c'est que
si cet ouvrage n'est pas de d'Aguesseau , il offre avec
les écritsde cet auteur une ressemblance telle , qu'on
peut facilement s'y méprendre. En effet , c'est là ,
comme dans tous les écrits de d'Aguesseau , un style
brillant , remarquable par la pompe , l'éclat et l'élégance
, mais pas toujours assez exempt des défauts
JANVIER 1815 .
45
qui touchent de près à ces qualités , l'enflure et l'affectation
. Ce sont les mêmes inversions , le même
goût pour le langage métaphysique ; la même prédilection
pour certaines figures , l'antithèse , par
exemple , et pour certaines comparaisons ; la même
profusion de métaphores souvent ingénieuses , mais
quelquefois aussi un peu usées et pas assez bien
suivies. Sil faut remarquer une différence , je dirai
que le style du nouvel ouvrage a plus de jeunesse :
plein de verve et d'éclat , il est moins correct et
moins châtié.
La ressemblance est aussi étonnante, aussi marquée
entre les idées qu'entre le style. Même doctrine
littéraire , mêmes principes religieux , mêmes
conséquences tirées de l'état de l'homme avant et
après le péché originel. Surtout dans les deux discoursque
nous avons cités , on retrouve tout le plan
dunouvel ouvrage . La distinction et l'union établies
entre l'histoire de l'éloquence et celle des moeurs ,
entre l'art de convaincre et celui de persuader, entre
l'étude de la rhétorique et celle de la philosophie ,
enfin , entre l'esprit et le coeur ; mots , qui , pour le
dire enpassant , se reproduisent avec une persévérance
quelquefois fatigante, et dans tous les écrits de
d'Aguesseau et dans l'Histoire morale de l'Éloquence.
Ces preuves générales sont d'autant plus fortes
qu'elles s'accordentmerveilleusementavec lesinductions
quel'on peut tirer de quelques détails que nous
allons faire remarquer.
46 MERCURE DE FRANCE ,
;
Je lis , page 8 de l'Introduction : « C'est pour vous
» que j'écris , o mon fils ! vous entrerez dans cet
» âge où l'âme se remplit d'un feu capable de tout :
>> consumer par son activité ; hatez-vous alors de
>> tourner vos regards vers les grands objets qui vont
>> se présenter ; ce sont les esprits les plus sublimes
>> et les plus délicats de tous les siècles , qui veulent
>> vous associer à leur gloire ; vous apprendrez que
>> la société a des droits sacrés sur votre existence ;
>> pourriez-vous négliger un talent aussi propre que
» celui de la parole , à vous mettre en état de payer
» le tribut que vous lui devez !>> ( Je lis cette phrase
autrement et mieux dans la seconde édition : «Et
>> puisque le talent de la parole peut si honorable-
» ment vous acquitter envers elle , pourriez-vous
>>>négliger cet heureux moyen de lui payer le tribut
» que vous lui devez » . Voilà, si je ne me trompe,
deux dédicaces dans le nouvel ouvrage , et celle-ci
vautmieux que la première. Je ne doute pas que
M. Landién'acquière des titres nombreux pour parler
ainsi . Ce langage n'est pasdéplacédans sabouche ,
mais comme il est bien placé dans celle de d'Aguesseau
! Ce n'est pas un vague lieu commun; c'est un
monument de plus à ajouter à tous ceux qu'éleva
pour son fils ce coeur tout paternel. Il lui recommande
surtout l'éloquence , si propre à le mettre en
état de payer à la patrie le tribut qu'il lui doit. Ce
grand magistrat avait bien le droit de transmettre à
ses enfans ce bel héritage , qui semble comme un
patrimoine de cette respectable maison, et de les
JANVIER 1815. 47
1
2
charger par un louable orgueil du noble fardeau
qu'impose la gloire d'un père .
Un motif qui me porterait à croire que ces développemens
historiques sur l'éloquence ont pu être
composés du temps de d'Aguesseau , c'est l'imperfection
même avec laquelle l'ouvrage est terminé.
Ce siècle de Louis XIV , cet âge classique de
notre langue , n'y est qu'ébauché , comme il devait
l'être, s'il a été écrit par un contemporain . L'histoire
de l'éloquence ne se termine pas là pour la
France , et si un auteur moderne ne voulait point
parler encore du rôle important de l'éloquence politique
durant nos derniers troubles , de peur de
réveiller de pénibles souvenirs , du moins devait-il
ne point passer sous silence le dix-huitième siècle ,
qui pouvait offrir aussi quelques modèles.
Une phrase sur laquelle je crois pouvoir appeler
l'attention du lecteur se lit à la page 282 : « Heu-
» reux celui qui trouve un Bossuet pour développer
>> son génie , et un Fénélon pour cultiver son âme !
Ne dirait-on pas que cette phrase est une flatterie
noble et délicate pour le dauphin fils de Louis XIV ?
Ledauphin est mort en 1711 , à cette époque le fils
aîné de d'Aguesseau avait une quinzaine d'années :
nous voyons une preuve que ce fils était plus jeune ,
que le dauphin , et par conséquent , n'était point
mort lorsque l'Histoire de lÉloquence fut composée,
dans le passage que nous avons cité plus haut : Vous
entrerez dans cet age où...... Hatez- vous alors ......
Un pareil langage est adressé à un enfant en assez
48 MERCURE DE FRANCE ,
bas âge. On voit que ces deux dates s'accordent parfaitement.
De tout cela , je conclus que l'ouvrage qui nous
occupe a été composé par d'Aguesseau ; qu'il le fit
probablement vers l'âge de trente ans ; qu'il l'abandonnaavant
d'y avoir mis la dernière main , et sans
l'avoir terminé dans toutes ses parties .
Je ne garantis pas la justesse des preuves que je
viens d'accumuler; mais j'avoue qu'elles me séduisent
: je puis être dans l'erreur; mais j'y suis de
bonne foi. J'aime cependant à espérer que mes conjectures
sont fausses , car cet ouvrage nous promettrait
unbon écrivainde plus. Au reste , je ne m'excuserai
pas auprès de M. Landié des remarques que
j'ai faites; un auteur doit pardonner que l'on attribue
son ouvrage à d'Aguesseau , car cette méprise
estunéloge; et le talent seul court de semblables
risques. M. Landié peut d'ailleurs nous fermer la
bouche par une réponse victorieuse. Un artiste ,
c'est je crois Michel-Ange, pour mettre en défaut
les aveugles et exclusifs admirateurs de la sublime
antiquité, fit unestatue à laquelle il rompit unbras,
et l'enfouit dans la terre. Par un hasard qu'il sut
diriger , on fit bientôt la découverte de la statue.
Chacun des'extasier sur la beauté d'un si précieux
monument; c'était une production digne du ciseau
de Phidias ou de Praxitèle. Michel-Ange la réclama
vainement, on ne pouvait plus créer de semblables
chefs-d'oeuvre. Alors il montra le bras qu'il avait
gardé , et tout le monde fut forcé de se taire. Que
JANVIER 1815
49
TIMBRE
ROYAT
M. Landié veuille ainsi convaincre notre incredulité
; qu'il nous montre le bras qui manque la sa
statue ; qu'il fasse plus , qu'il marisse , quit pure
son beau talent ; qu'il nous donne un nouvel ouvrage
, et remplisse les espérances que doivent inspirer
même ses défauts , et nous nous hâterons de
le proclamer avec joie , presque avec reconnaissance
, comme un des écrivains destinés à faire la
gloire de notre siècle .
MÉLANGES.
VINGT ET UN JANVIER .
R. C.
VINGTET UN JANVIER ! Je n'attacherai pas à cette date une notice
frivole. Quand un jour est dévoué à l'histoire par de semblables
souvenirs , il u'appartient plus à la misérable chronique des
années qui lui succèdent. Le vingt et un janvier , un Français qui a
l'âme d'un Français ne peut avoir qu'un sentiment. Il s'étonne que
ce jour exécrable ne soit pas effacé du nombre des jours , suivant
l'éloquente expression de Job , et qu'il doive encore attrister le
coeur d'un homme de bien au bout d'une longue suite de siècles .
Quel jour que le vingt et un janvier ! Quel tableau épouvantable
il présente à la pensée ! La France remplie de terreur dans l'attente
de l'horrible événement dont on lamenace , les bons citoyens consternés
; le crime lui-même indécis et muet comme s'il craignait de
s'associer à l'erreur de ses instrumens ou aux fureurs de ses complices;
Paris frappé d'épouvante, immobile, silencieux ; ses places ,
ses rues , ses lieux publics convertis en solitude ; quelques hommes
audacieux , mais effarés , cherchant inutilement à solliciter la pitié ,
à ranimer le courage , et changeant trop tard leur audace en désespoir;
le parricide sanctionné par une fausse justice; le meurtre sacrílége
d'un roi , escorté et garanti par la force publique, et ce roi, >
4
50 MERCURE DE FRANCE ,
le meilleur des rois tué de la main du boureau , tandis que dans la
prison dont il vient d'être arraché gémissent une épouse , une
soeur , un fils destinés comme lui à la mort , une fille plus malheureuse
condamnée à l'éternelle douleur de les avoir vus mourir et qui
portera jusqu'auprès du trône de son père cet ineffable regret que
la religion seule peut tempérer ! Famille auguste et infortunée , si
respectable par les idées qui l'entourent , si touchante par les vertus
qui la décorent , si inviolable par le sceau que Dieu lui a imprimé
et par les lois qui la protègent , et que les arrêts inévitables
de la providence ont dévouée pour un temps marqué à l'exil ,
aux cachots et à l'échafaud!
Loin de nous l'idée de réveiller des souvenirs funestes , de troubler
ce temps de paix , d'oubli , d'amuistie générale , par un coupable
appel à la vengeance ; de lui signaler , de lui vouer la tête
d'un homme qui a pu se tromper, pour qui Louis XVI intercède
à qui Louis XVIII pardonne , et que le ciel laisse maître encore
d'un long avenir et d'un long espoir : le soldat qui frappa Jésus-
Christ même de sa lance sur la croix du salut , est assis dans les
rangs des saints parce qu'il s'est repenti .
Mais si nous avons frémi de la seule idée de consacrer ce fatal
anniversaire à la vengeance , ne le refusons pas à la pitié. Oublions
pour toujours les sacrificateurs ou égarés ou coupables , mais n'oublions
jamais la victime. Ne laissons pas s'effacer le sentiment le
plus social , le plus tendre , le plus respectable de l'homme , celui
qui l'attache au malheur et qui rend commune à tous la cause de
ceux qui ont beaucoup souffert; cet instinct d'affection et de dévouement
que les grands malheurs développent dans les âmes généreuses,
et qui est un des caractères les plus remarquables de
notre nation. Elle y joint peut-être même un certain esprit d'opposition
courageuse qui lui fait chercher de préférence les opinions
qui ne sontpas sans audace et les affections qui ne sont pas sans
péril. La peine la plus légère, subie par l'homme le plus indifférent
et quelquefois le plus coupable , inquiète ou révolte sa sensibilité,
tandis que des calamités sans exemple cessent de l'occuper à
,
1
JANVIER 1815. 51
mesure qu'elles sont emportées par le temps. Cela est plus remarquable
que jamais à la suite d'une révolution , où la générosité
s'est exercée si souvent qu'elle est devenue l'habitude la plus essentielle
du coeur , et où l'on a contracté le besoin d'aimer le malheur
, parce qu'alors le malheur et la vertu étaient ordinairement
la même chose.
Les circonstances ont changé sans changer tout-à-fait une inclination
touchante qui n'a besoin que d'être éclairée par la raison
pour ne pas cesser d'être estimable: mais il n'y a que le plus inconcevable
aveuglement qui puisse essayer de détourner une pitié
si noble de son premier objet , pour la prodiguer à toutes les causes
perdues sans acception de leurs droits.
Ah! s'il est de notredestinée de nous attacher au malheur, ne le
cherchons pas hors de la maison de nos princes. La prospérité qui
les environne est bien loin d'avoir guéri toutes les blessures que
P'adversité leur a faites. C'est là , n'en doutez pas , c'est au milieu
de tout l'éclat du pouvoir que vivent les plus mortelles douleurs ,
les chagrins les plus amers et les plus incurables. Cette famille , orpheline
par la violence et par la cruauté , n'a point oublié ce
qu'elle a perdu; elle pleure encore sur le trône qui lui est rendu ,
: en comptant les degrés par lesquels elle y est remontée; un long
deuil , un deuil éternel se mêle à ses pompes royales .
Ona proposé un monument et des solennités d'expiation; et la
cruelle inquiétude des méchans prompte à saisir toutes les idées
de malheur a déjà rêvé une expiation de sang. Du sang , grand
Dieu! Et qui parle de sang ! Quel est le bonFrançais qui n'exposerait
pas le sien pour en épargner aux hommes eux-mêmes que l'on
dit menacés , et pour remplir à ce prix les pieuses intentions du
Roi, qui veut que l'histoire de son règne soit pure de sang ! Il faut
laisser cette tache horrible à d'autres annales .
Oui, tous les Français doivent concourir à la cérémonie expiatoire
du 21 janvier, car il n'y a que le jugement d'oublié. L'innocent
ne l'est pas . Le Roi peut tout pardonner , il le doit puisqu'il
ľa promis , mais il n'a pas pu prescrire à la tendresse filiale d'oublier
sa désolation , à la fidélité d'oublier ses regrets , à l'égarement
52 MERCURE DE FRANCE ,
d'oublier son repentir , à la fureur d'oublier ses remords. Allons
pleurer sur ces tombeaux , allons y pleurer ensemble et sans écarter
personne , car Louis XVI les appelle tous. Cet ange de miséricorde
ne demande qu'une larme pour effacer dans le ciel ce que
son frère bien-aimé a effacé sur la terre .
A l'approche d'un jour consacré au deuil , aux regrets et
à ladouleur, tout bon Français se recueille dans la méditation du
passé , se rappelle tous les souvenirs qui peuvent lui retracer les
vertus d'un monarque adoré , recherche jusqu'aux moindres traces
des bienfaits qui ont fait bénir son règue , et qu'un petit nombre
de factieux a transformés en crime .
M. Amelot , fils de l'ancien ministre de la maison du Roi , a conservéprécieusementplusieurs
lettres écrites de la main de LouisXVI .
Il a bien voulu nous en communiquer unc , et nous permettre de
la publier, comme une offrande qu'il dépose sur l'autel expiatoire, le
jour de la première commémoration solennelle du bon Roi dont
les Français déploreront à jamais les infortunes , les longues angoisses
et l'atroce condamnation , mais auquel la religion promet
déjà la palme du martyre. Nous avons vu , nous avons touché ,
nous avons arrosé de nos larmes , et respectueusement approché de
nos lèvres ce papier précieux , ces caractères sacrés , où sont empreints
les sentimens d'amour et de bonté du meilleur des Rois pour
son peuple... Tous les coeurs français partageront notre attendrisment.
Copie d'une lettre écrite de la main même de Louis XVI , le
31 mai 1775 , à M. le duc de la Vrillière , et trouvée
par M. Amelot , ancien intendant de Bourgogne , dans les
papiers de son père , ancien ministre de la maison du Roi.
Les brigandages qui se sont exercés sur les grains , Monsieur
me causent d'autant plus d'affliction , que ceux qui les ont commis
ne paraissent avoir pour but que de ruiner les fermiers , les laboureurs
, les marchands , et d'amener la famine , en détruisant les
provisions rassemblées pour les subsistances. Je prends les mesures
,
JANVIER 1815 . 53
nécessaires pour arrêter ces excès , et je sens que les malheureux
qui ont été pillés ont droit du moins à des soulagemens , puisque
l'étendue du mal me mettra dans l'impossibilité de les dédommager
en entier. Tout cela coûtera beaucoup , et rend plus nécessaires
des retranchemens qui le sont déjà tant d'ailleurs . Il faut réduire
encore , s'il est possible , les frais de mon sacre ; je veux aussi retrancher
les fêtes projetées , tant à l'occasion de cette cérémonie
que pour les couches de madame la comtesse d'Artois et le mariage
de madame Clotilde. Je ne ferai pas non plus de séjour , que pour
pen de jours , à Compiègne , et les sommes destinées à ces différens
objets serviront à payer en partie les dépenses qu'exigent la protection
et les secours que je dois à ceux de mes sujets qui ont été les
victimes des séditieux .
Je vous prie d'informer snr- le-champ de mes intentions le con
trôleur général , et les différens ordonnateurs chargés des dépenses
qui ne doivent plus avoir lieu ; vous marquerez aussi au prévôt des
marchands de Paris , que je ne veux pas qu'il y ait de fêtes en
cette ville , et que l'argent qu'elle y destinait doit être employé à
la sûreté et au soulagement de ses habitans.
Signé , LOUIS.
BULLETIN LITTÉRAIRE.
- INSTITUT ROYAL DE FRANCE. Première Classe . - La classe
des sciences physiques et mathématiques a tenu sa séance publique
le 16janvier. Les amis des sciences ont dû remarquer avec intérêt
que la salle était remplie. De jeunes élèves de nos grandes écoles
publiques , des savans étrangers et nationaux, et même un assez
grand nombre de femmes composaient l'auditoire.
M. Cuvier a ouvert la séance par l'éloge du vertueux Parmentier
, à qui l'on doit l'extension de la culture de la pomme-deterre.
Son introduction en Europe garantit désormais les états de
ces grandes famines qui les désolaient à certaines époques ; qui ,
54 MERCURE DE FRANCE,
dans les Grandes - Indes , font souvent périr plusieurs millions
d'hommes.
Le même savant a prononcé l'éloge de M. le comte de Rumford ,
dont le nom seul rappelle un si grand nombre d'inventions utiles ,
trop bien connues jusque dans les dernières classes de la société ,
pour qu'il soit nécessaire d'en faire ici mention. En rendant justice
aux vues philantropiques de M. de Rumford , l'orateur n'a point
dissimulé ses défauts. Son air froid et dédaigneux , sa vanité lui
faisaient peu d'amis. Il paraissait mépriser l'espèce humaine , à qui
pourtant il rendait service avec tant de zèle et de constance .
Au reste , nous espérons pouvoir donner textuellement dans
cette feuille , ces précieuses notices biographiques , dans lesquelles -
on retrouve souvent la manière et le style de Fontenelle et de
d'Alembert .
M. Delambre a lu une notice sur les ouvrages de l'abbé Bossut ,
autre académicien que la classe a perdu l'année dernière. Il a
excusé , avec beaucoup d'adresse , les lacunes que l'on remarque
dans l'Histoire des mathématiques , dernier ouvrage de l'abbé
Bossut.
M. Prony a lu un mémoire sur les Marais Pontins , dans lequel
il prouve qu'il ne serait pas impossible de les dessécher , en
traçant , sur le revers des montagnes dont ils sont environnés , un
canal qui porterait à la mer les eaux des torrens , et empêcherait
qu'elles ne se précipitassent dans le bassin qui forme les marais ,
et qù leur séjour devient si nuisible.
Cette séance a offert beaucoup d'intérêt.
PRIX DISTRIBUÉS dans la séance du 9janvier 1815.
Prix d'astronomie.- Lamédaille fondée par M. Lalande , pour l'Obserservation
la plus intéressante , ou le Mémoire le plus utile à l'astronomie ,
qui auraparudans l'année , a été décernée à M. Piazzi , astronome royal
de Palerme , pour son grand catalogue de près de 7,500 étoiles , publié en
1814. Ce travail immense a été repris par les fondemens , et par la comparaisou
directe des principales étoiles avec le soleil. Les commissaires chargés
de rechercher et d'examiner les ouvrages qui pouvaient concourir , ont pensé
JANVIER 1815 . 55
:
que la classe des sciences mathématiques et physiques devait aussi des éloges
àM. Cacciatore , pour le soin et le zèle avec lequel il a coopéré à l'amélioration
d'un ouvrage aussi éminemment utile.
Prix du galvanisme. Laclassen'a eu connaissance d'ancun ouvrage
publiépendant cette année , qui ait paru mériter le prix du galvanisme .
Prixproposés au concours pour les années 1816 et 1817 .
La classe avait proposé , pour le sujet du prix de physique qu'elle devait
décerner dans cette séance , la question suivante :
Déterminer la chaleur spécifique des fluides élastiques de 20 en 20 legrés
centigrades , entre la température de la glace fondante et celle de
l'eau bouillante , et sous deux pressions différentes , mais dans le rapport
de un à deux , soit en ne faisant point varier leur volume , soit en le
laissant se dilater librement par l'action de la chaleur .
Aucune des pièces envoyées au concours n'ayant été jugće digne du prix ,
laquestion est retirée et remplacée par le programme suivant :
Lorsqu'un corps se refroidit dans l'air , la perte de chaleur qu'il éprouve
à chaque instant est d'autant plus grande , qu'il y a plus de différence entre
sa tenipérature et celle de l'air. Cette perte de chaleur n'est pas le résultat
d'une seule cause : elle est due au calorique rayonnant que le corps lanca
detoutes parts, et au calorique qui lui est enlevé par l'air environnant. Il se
raitdone important de déterminer l'influence de ces deux causes de refroidissement
, non-senlement par rapport à l'air , mais même par rapport à
d'autres fluides elastiques à des températures et sous des pressions différentes .
Onpourrait , pour ces recherches , se servir du thermomètre à mercure ordinaire;
mais comme on ne connaît pas assez exactement les quantités de chaleur
indiquées par chaque degré du thermomètre , il serait nécessaire d'en
constater la loi pardes expériences .
En conséquence la classe propose pour sujetdu prix de physique , de
déterminer 1º. la marche du thermomètre à mercure , au moins depuis zero
jusqu'à200º centigrades; 2°. la loi du refroidissementdans le vide ; 3°. les
loisdu refroidissement dans l'air , le gaz hydrogène et le gaz acide carbonique
, à differens degrés de température , et pour differens états de
raréfaction.
Leprix seraune méd aille d'or de la valeur de 3000 francs.
Le termedu concours est fixé an 1er, octobre 1816.
Le résultat en sera publié le premier lundi de janvier 1817 .
La classedes sciences physiques etmathématiques propose , pour un antre
sujet de prix de physique , qu'elle adjugera dans sa séance publique de janvier
1817.
56 MERCURE DE FRANCE ,
Les fruits acquièrent des propriétés nouvelles en parvenantà la maturité ,
même lorsqu'on les a soustraits à la végétation : ils passent ensuite promptement
à un autre état , et l'on ne connaît point encore les changemens qui se
fontdans leur composition , et les causes qui les produisent .
La classe des sciences plhysiques et mathématiques appelle l'attention des
physiciens sur un phénomène qui peut jeter un grand jour sur la théorie des
combinaisons végétales , et dont le développement promet des résultats utile,
àla société.
Elle leur propose , pour le sujet du prix qui sera décerné le premier lundi
de janvier 1817 ,
De déterminer les changemens chimiques qui s'opèrent dans les fruits
pendant leur maturation et au-delà de ce terme .
On devra , pour la solution de cette question , examiner avec soin
L'influence de l'atmosphère qui environne les fruits , et les altérations
qu'elle en reçoit .
On pourra borner ses observations à quelques fruits d'espèces différentes
, pourvu qu'on puisse en tirer des conséquences assez générales.
Le prix sera une médaille d'or de la valeur de 3000 francs .
Le terme de rigueur pour l'envoi des Mémoires est le 1er. octobre 1816.
Les Mémoires devront être adressés , francs de port , au secrétariat de
l'Institut , avant le terme prescrit , et porter chacun une épigraphe ou
devise qui sera répétée, avec le nom de l'auteur , dans un billet cacheté
joint au Mémoire.
1
Les concurrens sont prévenus que l'Institut ne rendra aucun des ouvrages
qui auront été envoyés au concours ; mais les auteurs auront la liberté
d'en faire prendre des copies , s'ils en ont besoin .
La Classe des Sciences Physiques et Mathématiques de l'Institut Royal
de France a fait publier , dans le Moniteur du 5 septembre 1814 , l'avis
suivant :
La Classe avait proposé , pour le sujet d'un prix qu'elle devait décerner
dans sa séance publique de 1814 , la distribution de l'électricité à la
surface des corps conducteurs . N'ayant reçu aucun Mémoire qui répondit
pleinement à ses vues , elle a arrêté de retirer ce sujet et de le remplacer
par un autre qui laisse plus de latitude aux personnes qui voudront concourir.
Elle donnera ce prix au meilleur Ouvrage ou Mémoire , imprimé ou
manuscrit , sur l'application de l'analyse mathématique à une question de
Physique , ou aux meilleures expériences de Physique générale dont elle
aura connaissance avant le 1er, octobre 1815 , et qui n'étaient pas connus
avant le 1er, octobre 1813 ; de sorte que ces expériences , ces Mémoires ,
JANVIER 1815. 57
!
on ces Ouvrages , puissent être censés appartenir à l'intervalle compris
entre les deux époques fixées par le concours.
Le prix sera une médaille d'or de la valeur de 3000 francs.
Le terme du concours est fixé au 1er . octobre 1815.
Le résultat en sera publié le premier lundi de janvier 1816.
Les auteurs dont les ouvrages n'auraient point encore été publiés , devront
les adresser, francs de port , au secrétariat de l'Institut, avant le terme
prescrit. Il leur en sera délivré des récépissés .
Classe de la langue et de la littérature française. -M. de
Jouy , auteur de la tragédie de Tipo-Saib , de l'opéra de la
Vestale , de l'Ermite de la Chaussée d'Antin , etc. , a été élu ,
dans cette classe , à la place que la mort de M. de Parny laissait
vacante.
Classe d'histoire et de littérature ancienne. Cette classe vient
de nommer deux correspondans : M. Delarue , professeur d'histoire
à Caen , savant très-versé dans l'histoire du moyen âge , et M. Revers
, d'Evreux , auteur de savans mémoires d'archæologie et de
géographie.
-
L'aimable auteur d'Aline , et d'un grand nombre d'ouvrages
spirituels et piquans , M. de Boufflers , notre collaborateur dans le
Mercure , vient d'être enlevé aux lettres et à ses amis. Une commission
de l'Institut, dont il était membre , est allé lui rendre les
derniers devoirs , hier vendredi , 20 janvier. Nous donnerons une
notice détaillée sur sa vie et ses ouvrages .
POLITIQUE ( 1 ) .
NOTRE intention était de donner le programme des cérémonies
qui doivent avoir lieu , aujourd'hui même 21 janvier ,
pour la célébration de l'anniversaire de la mort de Louis XVI.
Mais pourrions-nous les décrire avec autant d'éloquence et de seusibilité
que l'écrivain célèbre qui , dans le Journal des Débats ,
(1) Dans le prochain No. , nous commencerons les Tableaux politiques ,
qui doivent précéder les nouvelles de la cour et les actes du gouvernement.
58 MERCURE DE FRANCE ,
vient de faire le panégyrique du saint Roi , comme Pline celui
de Trajan , comme Thomas celui de Marc-Aurèle ! Nous préférons
de répéter ici cettedigne apothéose.
« Le 21 janvier approche : on se demande depuis long-temps :
Que ferons-nous ? Que fera la France ? Laissera-t-on passer encore
ce jour de douleur sans aucune marque de regret ? Où sont
les cendres de Louis XVI ? Quelle main les a recueillies ? Sans la
piété d'un obscur citoyen , à peine saurait-on aujourd'hui où repose
la sainte dépouille de ce roi qui devait dormir à Saint-Denis
auprès de Louis XII et de Charles-le-Sage. Pendant quelques
années on avoulu que lejour de la mort de ce juste fût un jour
de réjouissance ; mais combien les factions s'aveuglaient ! Tandis
qu'elles prétendaient soulever le crêpe funebre qui couvrait notre
patrie, tandis qu'elles ordonnaient des pompes dérisoires , les citoyens
multipliaient les marques de leur douleur ; chacun pleurait
dans la solitude , ou faisait célébrer en secret le sacrifice expiatoire.
En vain quelques hommes appelaient la foule à d'abominables
spectacles ; la tristesse publique semblait leur dire : Non , la
France n'est point coupable avec vous ; elle ne prend aucune
part à vos crimes et à vosfétes.
>>Louis XVI , dès le commencement de son règne, avait aboli les
corvées , amélioré les branches de l'administration , relevé sur la
mer la gloire de nos armes , et fait retentir nos victoires sur les
côtes de l'Inde et de l'Amérique. Au milieu des orages de la révolution
, malgré la chaleur des partis , on fut si persuadé de ses
vertus , qu'on le nomma d'une commune voix le plus honnête
hontme de son royaume. Abreuvé d'amertume, accablé d'outrages ,
on l'amena à Paris , précédé de la tête de quelques-uns de ses
gardes ; on l'y réduisit à vivre dans les fers , à languir dans la douleur.
Mais ce n'est point devant la famille royale qu'il convient
d'achever le récit de telles adversités. L'orpheline est là , et sa
seule présence nous en dit assez . Témoins et juges , vous vivez :
vos yeux ont vu ce qu'ily eut dé public , et votre conscience vous
racontera ce qu'il y a de secret dans l'histoire de nos malheurs.
JANVIER 1815. 59
>>ADieu ne plaise qu'aucun de nous cherche à trouver des coupables
et à alimenter des haines ! Mais si nous prétendons aux
vertus , il faut avoir le courage d'être hommes : il faut , à l'exemple
des peuples de l'antiquité , que notre caractère soit assez mâle
pour soutenir la vue de nos propres fautes. Quiconque craint de se
repentir ne tire aucun fruit de ses erreurs . Oublions donc le criminel
, mais souvenons-nous toujours du crime. Eh bien! si tandis
que nous pleurerons , quelques hommes se croient obligés de fuir
nos larmes , cette innocente vengeance ne nous serait-elle pas permise?
Faut-il que tout un peuple étouffe dans son coeur la morale
et la religion; qu'il renonce à toute justice; qu'il ait l'air d'approuver
dans sa raison ce que sa faiblesse lui fit supporter , parce
qu'il est des consciences ombrageuses , quine croient la patrie tranquille
qu'autant qu'elles ne sont point troublées par leurs remords,
et qui prennent la voix de ces remords pour le cri de nos factions ?
>>Chez presque tous les peuples on a vu de grands crimes, et partout
on a établi des sacrifices pour les expier. Lorsque Agis périt à
Lacédemone en voulant , comme Louis , donner à son peuple de
meilleures lois , « les citoyens de Sparte estimèrent , dit Plutarque,
> qu'il n'avait oncques été commis un si cruel , si malheureux ,
> ni si damnable forfait depuis que les Doriens étaient venus habiter
le Péloponèse ». "
>>Après la restauration de Charles II enAngleterre, on éleva une
statué sur le lieu même où Charles Ier. avait été décapité , et le
jour anniversaire de la mort de ce roi devint un jour de jeûne et
deprière.
>>Mais il ne s'agit ici d'imiter aucune nation étrangère : tous les
bons exemples peuvent être trouvés parmi nous. Après la bataille
de Poitiers , les états de la Langue-d'Oe ordonnèrent « qu'homme
>> ni femme pendant l'année , si le roi ( Jean) n'était délivré , ne
>> porteraient sur leurs habits , or , argent ni perles , et qu'aucuns
ménestriers ni jongleurs ne joueraient de leurs instrumens » .
21
>> Nos pères furent plus heureux que nous : ils purent se livrer à
leur naïve douleur aussitôt qu'ilsl'éprouvérent . Cette douleur même
60 MERCURE DE FRANCE ,
cessa bientôt : le roi Jean revint de sa captivité. Mais les marques
de nos regrets seront éternelles : Louis XVI ne reparaîtra plus
parmi nous.
>>Du moins nous allons voir s'accomplir ce que nous avons tant
désiré , ce que toute l'Europe attendait ; notre douleur , si longtemps
comprimée , va enfin sortir du fond de notre âme : le Roi
vient encore , pour ainsi dire , au-devant du besoin de nos coeurs :
il va satisfaire à la piété de son peuple , nous rendre aux idées morales
et religieuses , comme de sa paisible main il nous a soustraits
au despotisme , et rangés sous l'empire de nos antiques lois.
>>>Le 21 janvier , MONSIEUR , Monseigneur le duc d'Angoulême ,
Monseigneur le duc de Berry , se rendront au cimetière de la Madeleine
, appartenant aujourd'hui à M. Descloseaux. Le terrain a
été également reconnu ; on s'est assuré d'avance du lieu où repose
le corps du Roi ; on croit pouvoir aussi retrouver les cendres de la
Reine . Par un hasard touchant , les Suisses tués à la journée du 10
août , sont enterrés aux pieds de Louis XVI. La fosse où notre monarque
fut jeté avait dix pieds de profondeur. On n'a pas voulu
remuer la terre avant le moment de l'exhumation. Rien ne doit
être secret dans cet acte saint : toute la France a vu mourir son
Roi , toute la France doit voir reparaître au même moment sa dépouille
mortelle. Ah ! que ne sentiront point les spectateurs , quand
la terre enlevée laisséra voir les os blanchis de Louis XVI , son
tronc mutilé , sa tête déplacée et déposée à l'autre extrémité dé son
corps , signe auquel on doit reconnaître le descendant de tant de
Rois ! Se représente-t-on bien les trois Princes tombant à genoux
avec le clergé dans ce moment redoutable , la religion entonnant
son hymne de paix et de gloire , les reliques du martyr sortant
triomphantes du sein de la terre pour protéger désormais notre
patrie , et attirer par leur intercession la bénédiction du ciel sur
tous les Français !
» Les restes sacrés du Roi étant retrouvés , ainsi que les cendres
de la Reine , le cortége se mettra aussitôt en route pour Saint-
Denis. Les malheurs de Louis XVI feront toute la magnificence de
JANVIER 1815. 61
cette pompe funèbre. La modestie convient au triomphe de tant de
vertus, et la simplicité à la grandeur de tant d'infortunes . Les
passions humaines ne doivent point troubler le calme et la majesté
de cette cérémonie. Tout ce qui accuse en sera banni ; on n'y
verra que ce qui console : le père de famille , en retrouvant son
tombeau , veut que tous ses enfans ensevelissent dans ce tombeau
leur dissensions et leurs inimitiés .
» Le convoi suivra la route que prit , il y a six siècles , celui de
saint Louis , premier aïeul des Bourbons. « Et leva , dit Joinville ,
le saint corps l'archevêque de Reims ; et après qu'il fut levé ,
>>frère Jehan de Seymours le prêcha. Et entr'autres de ses faits
>> ramenta souvent une chose que je lui avais dite du bon Roi :
» c'était de sa grande loyauté..... Quand le sermon fut fini , ajoutent
les Chroniques , le Roi ( Philippe-le-Hardi ) prit son père
>> sur son col , et se mit à la voie tout à pied à aller droit à Saint-
Denis en France. >>>
>> Quel abîme de réflexions ! Quelle comparaison à faire entre les
événemens , les temps , les lieux et les pompes funèbres de saint
Louis et de Louis martyr !
>>Le cortége se rendra donc à l'église de l'apôtre de la France;
mais les successeurs de ces Religieux qui vinrent avec l'oriflamme
au-devant de la chasse de saint Louis , ne recevront point le descendant
du saint Roi. Dans ces demeures souterraines , où dormaient
ces Rois et ces Princes anéantis ; dans ces sombres
lieux , où les rangs étaient si pressés qu'on pouvait à peine y
placer Madame Henriette , Louis XVI se trouvera seul.... ?
Comment tant de morts se sont-ils levés ? Pourquoi Saint-Denis
est-il désert ? Demandons plutôt pourquoi son toit est rétabli;
pourquoi son autel est debout ? Quelle mam a reconstruit la voûtede
ces caveaux, et préparé ces tombeaux vides? La main de celui même
qui était assis sur le trône des Bourbons. O Providence ! il croyait
préparer des sépulcres à sa race , et il ne faisait que bâtir le tombeau
de Louis XVI ! L'injustice ne règne qu'un moment , il n'y a
que la sagesse qui compte des aïeux et laisse une postérité. Voyez
62 MERCURE DE FRANCE ,
enmême temps le maître de la terre tomber au milieu de ses violences ,
Louis XVIII ressaisir le sceptre , et Louis XVI retrouver la sépulture
de ses pères. La royauté des légitimes monarques avait dormi
pendant vingt années ; mais leurs droits , fondés sur leurs vertus ,
étaient indestructibles comme leur noblesse. Dieu finit d'un seul
coup cette révolution épouvantable , et les Rois de France reprennent
à la fois possession de leur trône et de leur tombeau .
>>Tandis que les restes mortels de Louis XVI et de Marie-Antoinette
seront portés à Saint-Denis , on posera la première pierre du
monument qui doit être élevé sur la place Louis XV.
Ce monument représentera Louis XVI , qui déjà , quittant la
terre , s'élance vers son éternelle demeure. Un ange le soutient et
le guide , et semble lui répéter ces paroles inspirées : Fils de saint
Louis , montez au ciel! Sur un des côtés du piédestal paraîtra le
buste de la Reine, dans un médaillon ayant pour exergue ces paroles
si dignes de l'épouse de Louis XVI : J'ai tout su , tout vu ,
et tout oublié. Sur une autre face de ce piédestal , on verra un portrait
en bas-relief de madame Élisabeth . Ces mots seront écrits au
tour : Ne les détrompez pas ; mots sublimes qui lui échappèrent
dans la journée du 20 juin, lorsque des assassins menaçaient ses
jours en la prenant pour la Reine. Sur le troisième côté , sera grayé
le testament de Louis XVI , où on lira, en plus gros caractères ,
cette ligne évangélique :
JE PARDONNE DE TOUT MON COEUR A CEUX QUI SE SONT FAITS MES
ENNEMIS .
>>La quatrième face portera l'écusson de France avec cette inscription
: Louis XVIII à Louis XVI.Les Français solliciteront sans
doute l'honneur d'unir au nom de Louis XVIII le nom de la
France, qui ne peut jamais être séparée de son Roi .
>>Ce monument sera aussi touchant qu'admirable . Un autel funèbre
, au milieu de la place Louis XV, n'eût été convenable sous
aucun rapport. Cette place est une espèce de grand chemin où la
foule passe pour courir à ses plaisirs , ou pour étaler ses vanités .
JANVIER 1815. 63
Dans les distractions naturelles à la faiblesse de nos coeurs , les accens
de la joie auraient trop souvent profané un monument de douleur.
Non , aucun Français ne sera obligé de détourner ses pas ou
ses regards du monument projeté. Les uns y trouveront , dans le
testament de Louis XVI , l'origine et la confirmation de l'article de
notre charte , qui les met à l'abri de toutes recherches . Les autres
y recueilleront ces souvenirs qui , dépouillés par le temps de leur
amertume , ne laissent au fond de l'âme qu'un attendrissement religieux.
Le Roi , qui jusqu'à présent n'a osé fouler le champ du
sang, pourra peut-être y passer un jour, sinon sans tristesse , du
moins sans horreur, tandis que le juge de Louis XVI , à l'abri du
monument demiséricorde , pourra lui-même traverser cette place ,
sinon sans remords , du moins sans crainte. Enfin , ce monument
expiatoire deviendra pour tous les Français une source de consolations
: nos enfans y puiseront à l'avenir ces graves leçons , ces
utiles pensées qui forment dans tous les temps et dans tous les pays
les grands peuples et les grands hommes.
>>Ce monument ne sera pas le seul consacré au malheur et au repentir
; on élèvera une chapelle sur le terrain du cimetière de
la Madeleine . Du côté de la rue d'Anjou , elle représentera un
tombeau antique; l'entrée en sera placée dans une nouvelle rue
que l'on percera lors de l'établissement de cette chapelle. Pour
mieux envelopper les différentes sépultures , l'édifice entier se déploiera
en forme d'une croix latine , éclairée par un dôme qui n'y
laissera pénétrer qu'une clarté religieuse. Dans toutes les parties
du monument on placera des autels où chacun ira pleurer une
mère , un frère , une soeur, une épouse , enfin toutes ces victimes ,
compagnes fidèles , qui , pendant vingt ans , ont dormi auprès de
leur maitre dans ce cimetière abandonné : c'est là qu'on viendra
particulièrement honorer la mémoire de M. Malesherbes. On
nous pardonnera peut- être d'associer ici le nom du sujet au souvenir
du Roi : il y a dans la mort , le malheur et la vertu , quelque
chose qui rapproche les rangs.
>>Le Roi fondera à perpétuité une messe dans cettechapelle : deux
64 MERCURE DE FRANCE , JANVIER 1815 .
prêtres seront chargés d'y entretenir les lampes et les autels. A
Saint-Denis , une autre fondation plus considérable sera faite au
nom de Louis XVI , en faveur des évêques et des prêtres infirmes
qui , après un long apostolat , auront besoin de se reposer de leurs
saintes fatigues . Ils remplaceront l'ordre religieux qui veillait aux
cendres de nos rois. Ces vieillards , par leur âge , leur gravité et
leurs travaux , deviendront les gardiens naturels de cet asile des
morts , où eux-mêmes seront près de descendre . Le projet est encore
de rendre à cette vieille abbaye les tombeaux qui la décoraient
, et auprès desquels Suger faisait écrire notre histoire ,
comme en présence de la mort et de la vérité.
>> Quand on songe que le prince qui vient de consacrer nos libertés
, que le prince qui , sans verser une seule goutte de sang , a fait
cesser nos divisions , et rendu le repos à la France , que le prince
qui , par la politique la plus généreuse , défend au-dehors les droits
des souverains malheureux ; quand on songe que ce prince est le
même monarque par qui de si grands exemples de religion vont
être donnés , peut-on trouver assez de bénédictions pour les répandre
sur sa tête ? Et , qui ne voit déjà que les siècles le placeront
au rang des meilleurs et des plus grands rois de sa race ?
Pendant la cérémonie funèbre , MADAME se retirera à Saint-
Cloud. Nous avons dit que les princes accompagneraient les cendres
de Louis XVI à Saint-Denis ; le Roi seul restera à Paris , pour
confier sa douleur à son peuple , pour mêler des consolations à nos
pleurs , et pour adoucir l'amertume de nos regrets par sa présence
vénérable » .
DE CHATEAUBRIAND .
Le prix de la souscription au Mercure de France est de 56 fr.
pour l'année ; 30 fr. pour six mois ; 15 fr. par trimestre.
Les souscriptions , lettres , livres , gravures , musique , etc.
doivent être adressées ,franc de port, au directeur du Mercure
de France , rue de Grétry , nº. 5. Aucune annonce ne sera
faite avant que cette formalité ait été observée.
TIMBRE
C
MERCURE
DE FRANCE .
N. DCLXVIII . — Janvier 1815 .
POÉSIE .
LES TOMBEAUX EXPIATOIRES ,
ODE ÉLÉGIAQUE ;
A l'occasion de la cérémoniefunèbre du 21 janvier 1815.
Que le marteau sacré frappe l'airain sonore !
Qu'un nuage d'encens sur l'autel s'évapore !
La mort tient un flambeau :
Levez-vous , paraissez , ô victimes célèbres ,
Vous qui depuis vingt ans par vos soupirs funèbres ,
Demandez un tombeau.
Elle sonne cette heure où la bonté céleste
Attendrit les mortels dont un astre funeste
Éclaira les forfaits ;
Ses douleurs du remords doivent les faire absoudre,
Les pleurs du repentir vont éteindre la foudre
Dans les cieux satisfaits .
Pourdes morts ignorés quelques grains de poussière ,
Quelques cyprès voisins d'une tombe grossière ,
Attestent notre deuil ;
SEINE
5
T
66 MERCURE DE FRANCE ,
٦
Et du meilleur des rois la dépouille sacrée ,
Par unsable de feu dans unjour dévorée ,
N'a point eu de cercueil.
Mais au temple chrétien , rival du Capitole ,
Descend d'un roi pieux , notre amour , notre idole ,
Ledivin héritier ;
Le pontife Romain ouvre la porte sainte ,
EtBOURBON pénétrant dans la céleste enceinte ,
Se survit tout entier .
Sur le luth des douleurs poursuis , muse funèbre ,
Console des Césars une fille célèbre ,
Et chante sa vertu ;
Du séjour éternel tu la verras descendre ,
Mais lorsqu'elle viendra te demander sa cendre ,
Que lui répondras-tu?
Vois-tu ce bel enfant qui s'avance auprès d'elle?
Ah ! c'est un jeune élu de la race immortelle!
II veut la consoler ;
Quel souvenir! quels traits ! ô ressemblance étrange !
C'est lui .... Vers l'éternel sous la forme d'un ange ,
Je le vois s'envoler.
Quoi ! tu reviens encor ,de janvier jour sínistre ,
L'ange exterminateur , de nos fureurs ministre ,
S'arrête sur Paris :
Son vol silencieux attriste la naturé ,
Il mêle aux tourbillons d'une vapeur obscure
Et le sang et les cris .
Lorsque de Pharaon le peuple sacrilége
Immolant aux faux dieux , entre au temple et l'assiége
De cris profanateurs ,
Sur les rives du Nil , théâtre de misère ,
Le ciel a déchaîné dans sajuste colère
Sept fléaux destructeurs .
JANVIER 1815. 67
Que des autels vengeurs le culte expiatoire
Aux yeux de l'univers qu'effraya notre histoire ,
Signale nos douleurs;
Du ciel consolateur l'écharpe solennelle ,
L'arc , signal de la paix , à la voûte éternelle
Déploiera les couleurs .
Qu'au lieu même où tomba le couteau régicide ,
Louis , ton mausolée en sombre pyramide
S'élève dans les cieux;
Là , d'un lugubre autel nos coeurs marquent la place ;
Il sera consacré par l'immortelle trace
De ton sang précieux.
Non: il veut que sa tombe , ô coupable Lutèce ,
Loind'être un monument de deuil et de tristesse ,
Soit propice aux Français ;
Quele funèbre airain soit une urne féconde ,
Qui versant chaque jour le tribut de son onde ,
Rappelle ses bienfaits .
Dans les fastes pieux de l'antique Solyme ,
Dérobons , s'il se peut , un usage sublime ,
Enfant du repentir ;
Honorant la vertu des princes de la terre ,
Venez , venez , Français , boire une eau salutaire ,
Au tombeau du martyr !
Vous , chaste Élisabeth , courageuse Antoinette ,
Cessez de regretter la royale retraite
Due à votre grandeur ;
Dans son vert élysée ( 1 ) un Français vous attire ;
Il sut y marier les roses du martyre
Aux lis de la pudeur.
(1) L'estimable M. Descloseaux,
1
68 MERCURE DE FRANCE ,
Ah! France,si le crime au roi daus l'esclavage
De Varennes jamais n'arrêtant le voyage
N'eût enchaîné ses pas ,
Grâce à vous , des sujets admirables modèles ,
Grâce au triumvirat ( 2) de ses gardes fidèles ,
Tu ne gémirais pas !
Mais quels accens plaintifs ont frappé mon oreille !
Du sang.... toujours du sang.... je doute si je veille ;
Fuyez , lâches bourreaux !
Quel fantôme me suit ? .. Ce n'est pas un mensonge ,
Une secrète voix m'avertit dans un songe
Que j'oublic un héros .
Le chêne où le saint roi dispensait la justice ,
Du valeureux d'Enghien vit l'horrible supplice
Dont frémissait la loi ,
Depuis l'instant fatal, quand la nuit devient sombre ,
Sur la tour de Vincenne on entend gémir l'ombre
Du vainqueur de Rocroi .
Pour calmer du héros la douleur solitaire ,
Consacrons à son fils un marbre funéraire
Porté par des guerriers ;
,
Les palmes de d'Enghien renaîtront à Vincenne ,
Et l'ombre d'un Condé jamais ne se promène
Qu'en un bois de lauriers .
Mais pleurons ces captifs dont un bateau perfide
Confondait , dans l'horreur d'un hymen homicide ,
Et le sexe et le rang ;
Et des ministres saints la troupe lapidée,
(2) MM. de Valori , de Maldan et du Moutier , que Louis XVI honora
de son choix; il y avait dix-huit mois que les Gardes- du- corps étaient
dispersés et réformés .
JANVIER 1815. 69
Recevant avec joie aux champs de la Vendée
Le baptême du sang .
Victimes de l'exil , votre âme est consolée :
Mamain veut embellir le royal mausolée
De vos noms glorieux ;
Ces noms que des exploits , que des vertus honorent ,
Du marbre , du ciment, de l'airain qu'ils décorent
Seront victorieux.
Ta douleur méditait ces honneurs légitimes ,
France, et tu réclamais pour ces grandes victimes
Un tombeau révéré ;
Alors l'ange de paix chez toi daigna descendre ,
Et pour prix de ce voeu voulut enfin te rendre
Un BOURBON désiré.
De l'antique abbaye ouvrons le tabernacle !
Pénétré du bonheur que la voix d'un oracle
Lui promitautrefois ,
Déjà le peuple en foule inonde ses portiques ,
Etjoint des chants pieux aux sublimes cantiques
De la fille des rois .
Nos yeux , nos tristes yeux n'ont pas assez de larmes
Pour pleurer , dans ce jour de tristesse et d'alarmes ,
Un prince infortuné ;
Mais pleins du repentir que le ciel nous accorde ,
Embrassons les autels de la miséricorde !
Louis a pardonné.
Le comte HENRI DE VALORI.
TRADUCTION DE L'ODE XIV DU LIVRE II D'HORACE.
POSTHUMUS , Posthumus ! que les ans sont rapides !
La douce piété brille et n'enchaîne pas
70 MERCURE DE FRANCE ,
La vieillesse qui vient nous couvrir de ses rides ,
Et l'inévitable trépas .
Que tes prodigues mains offrent des sacrifices
Au dieu qui tient captifs Titye et Gérion ;
Livre au couteau sacré chaque jour tes génisses ;
Rien ne pourra fléchir Pluton.
Tout ce que la nature a doué de la vie ,
De cette loi commune est né sujet soumis .
Les rois idolâtrés , le pauvre qu'on oublie
Aux enfers seront réunis .
Tu fuis en vain de Mars les bannières sanglantes ,
Et les flots irrités de l'Océan fougueux ,
Et le souffle empesté dont les ondes stagnantes
Frappent l'automne généreux.
Traînant le noir limon de ses ondes fangeuses ,
Le Cocyte à ses bords nous verra descendus ,
Nous offrira Sisyphe et ses vieilles offrandes ,
Et la race de Danaüs .
Il te faudra quitter maison délicieuse ,
Vergers charmans , épouse , objet de ton amour.
Le seul cyprès suivra , sur ta tombe envieuse ,
Sonmaître qui vécut un jour.
Du Cécube vieilli sous tes milles serrures
Tes fortunés neveux , plus dignes , enivrés ,
Feront couler le vin , répandu sans mesures ,
Plus exquis qu'aux banquets sacrés.
P/D. G.
JANVIER 1815.
REMERCIMENT adressé à ceux de mes amis qui ont contribué
à me faire obtenir la Croix de la Légion d'Honneur ;
chanté à table le 29 décembre 1814.
AIR : Au soin que je prends de ma gloire ,
ou bien : Si Pauline est dans l'indigence .
Les arts et la philosophie
Avaient d'abord fait mon bonheur ;
De l'austère géographie
Je devins zélé sectateur ;
Puis , pour les vers quittant la prose ,
Je fus au Parnasse écolier :
Pour dernière métamorphose
Mes amis m'ont fait chevalier.
Non pas de ceux dont la vaillance
Pourfendait monstres et géans ;
Ces grands combats à toute outrance
Feraient pålir mes cheveux blancs :
Auprès de jeunes jouvencelles
J'aimerais mieux me rallier ;
<<Mais que faire ( me diraient-elles )
>> De si débile chevalier » ?
Depuis long-temps , à tire-d'ailes
L'Amour m'a quitté sans pitié :
Je n'ai plus les faveurs des belles ,
J'ai les trésors de l'amitié .
A cette déité chérie
Je m'abandonne tout entier ;
Elle embellit par vous ma vie ,
J'en jure Foi de chevalier.
E. MENTELLE , membre de l'Institut ,
et de la Légion d'honneur .
72 MERCURE DE FRANCE ,
ÉPIGRAMME.
Te voilà donc enfin membre de l'Institut ?
C'était depuis long-temps ton espoir et ton but :
Mais pour avoir ce rang dont tu te félicites ,
De bonne foi , mon cher , qu'as-tu fait ?-Des visites .
VICTOR AUGIER, étudiant en droit.
ÉNIGME .
AIR : Ah ! quel plaisir en ce momentje sens !
AMI , lecteur , si le coeur vous en dit ,
Je vais offrir à votre esprit
Un agréable fruit :
Sa couleur est rembrunie ,
Sa peau lisse , douce , unie.;
Son jus rafraîchit .
Si l'on en croit l'épithète qui suit ,
Tel est son acabit ,
Qu'un grand qui le mit en crédit ,
De son nom l'ennoblit.
S........
LOGOGRIPHE .
SANS ma tête je suis pour les observateurs
La science des lois du monde planétaire ;
J'apprends avec ma tête , à certains ainateurs ,
L'art de la gourmandise admis par l'art de plaire.
BONNARD , ancien militaire.
JANVIER 1815 . 73
...
CHARADE.
MON premier est souvent entre vos mains ,
Dans vos vergers , vos bois et vos jardins ;
Mon second chez un fat est insolent et leste ,
Montout à son auteur est quelquefois funeste.
S........
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARADE insérés
dans le dernier Numéro.
Lemot de l'énigme est Vin ( le ) .
Celai du Logogriphe est Éclaboussure , dans lequeron trouve cau et
boue.
Celui de la Charade est Rotonde.
LITTÉRATURE ET BEAUX - ARTS.
HISTOIRE DES SOCIÉTÉS SECRÈTES DE L'ARMÉE , et
des conspirations militaires qui ont eu pour
objet la destruction du gouvernement de Bonaparte.-
Un vol . in-8° . de 348 pages . Prix ,
5 fr. A Paris , chez Gide , rue Saint-Marc , -
-
n°. 20 , et chez Nicolle , libraire , rue de Seine ,
n°. 12 .
Il n'y a personne qui ne se soit aperçu pendant
la longue tyrannie de Bonaparte , d'une action
sourde qui paraissait tendre à sa ruine , mais qui
n'était sensible que par quelques résultats , et dont
il était impossible alors de reconnaître la cause .
Presque toutes les conspirations ourdies contre ce
gouvernement injuste , se liaient par des rapports
inexplicables , mais évidens , et il restait toujours
dans leur histoire une énigme singulière dont l'information
juridique elle-même ne pouvait donner
le mot. L'existence d'une conspiration immense ,
immuable , permanente , manifestée par des tentatives
partielles , mais réitérées , par des essais imparfaits
, mais successifs , qui ne la révélaient jamais
toute entière , et qui exerçaient ses forces sans les
épuiser , était une chose presque démontrée aux
esprits judicieux. Ils ne doutaient même point que
1
MERCURE DE FRANCE , JANVIER 1815. 25
la chute de Bonaparte ne fût tôt ou tard déterminée
par cet effort vaste et prolongé auquel l'Europe entière
semblait concourir ; et s'il est très-difficile de
se rendre raison du moyen occulte dont je parle
quand on n'en a pas pénétré tout le secret , il faut
convenir qu'il y a une foule d'événemens très-remarquables
dont il serait plus difficile encore de se
rendre raison sans lui .
On a essayé de pourvoir au vide que ce problème
indécis laisse encore dans notre histoire , par je ne
sais combien de solutions plus ou moins vraisemblables
, mais plus ou moins hasardées. Une de ces
solutions résulte des mémoires de différentes sociétés
secrètes d'Italie et d'Allemagne , publiés sur les
lieux , et qui rattachent à un système qu'elles ont
créé tous les grands événemens politiques de notre
siècle. Il était tout simple que la France , qui n'a
pas eu l'initiative de cette publicité , réclamat du
moins pour la priorité de l'entreprise , et il paraît
assez bien démontré que cet avantage lui appartient .
L'historien des sociétés secrètes de l'armée le lui
rend tout entier , et renoue à son tour les fils nombreux
des conjurations européennes qui ont eu lieu
depuis vingt ans , à la trame merveilleuse des Philadelphes
. Tout contribue à prêter à sa narration ,
quelqu'étrange qu'elle soit , un caractère incontestable
d'authenticité morale , jusqu'à la bizarrerie
des moyens , jusqu'à l'obscurité des noms , jusqu'à
la nullité de la plupart des résultats ; et ce reste de
- ténèbres laisse l'esprit dans une espèce d'anxiété
76 MERCURE DE FRANCE ,
curieuse qui n'est pas désagréable . On sait que l'on
n'invente point ainsi, et que s'il faut pardonner de
temps en temps aux auteurs quelques rapprochemens
un peu forcés qui ne se présentent que trop
naturellement à une imagination fortement préoccupée
de son sujet , il faut leur tenir compte aussi
d'une infinité d'éclaircissemens qui ne pouvaient
provenir que d'eux , et que rien ne peut remplacer .
La conduite de Moreau , par exemple , et la tentative
de Malet , seront des choses également inexplicables
pour l'avenir , sous quelque rapport qu'on
les considère , si on ne les considère pas comme
elles le sont dans cette histoire. Les accusateurs
n'ont point tout-à-fait compromis le premier ; les
apologistes ne l'ont point tout-à-fait justifié. Le
second occupe encore une place incertaine entre
les conspirateurs maladroits et les téméraires malheureux.
Ici seulement tous les doutes sont levés ,
toutes les préventions détruites , toutes les hypothèses
converties en faits . La coalition même de
l'Europe et la part qu'y ont prise quelques Français ,
n'a plus rien qui étonne ou qui révolte un coeur
français, puisque les succès de cette coalition étrangère
sont sortis de nos propres conceptions et n'ont
point déshonoré nos armes , dont la gloire vivra
autant que la monarchie .
L'écrivain regrette en commençant qu'un sujet
pareil ne se soit pas offert à la plume de Salluste ou
de Saint-Réal. Je crois qu'il méritait un Tacite .
Ce long et audacieux enchaînement de conspira
JANVIER 1815.
77
tions dont la connexion est mieux démontrée que
le but , serait digne encore de toute l'attention de
l'histoire , de toute la curiosité de l'avenir , quand
il n'aurait exercé sur les événemens qu'une influence
équivoque ou inutile. Il n'y a pas un seul exemple
d'une conjuration aussi prolongée dans les annales
des peuples, et les nôtres n'ont point de monument,
sinon plus important , du moins plus curieux pour
l'époque à laquelle celui-ci se rattache que l'ouvrage
dont je rends compte. Il serait à souhaiter sans
doute , et c'est le sentiment que fait naître généralement
sa lecture, qu'il offrit moins de circonstances
vagues , moins d'hypothèses romanesques ,
moins de faits qui manquent de garantie , moins
de portraits qui manquent de modèles , moins de
réticences enfin et plus de choses ; mais cette circonspection
même qui paraît dictée par la juste
réserve d'un homme d'honneur que des sermens
dissous et des considérations détruites retiennent
encore par habitude, ajoute à la vraisemblance du
récit , parce qu'on sait qu'il aurait été trop aisé à
une imagination heureuse d'en faire une fiction
cent fois plus intéressante que la réalité. C'est effectivement
trop peu pour un roman, et il n'en faut
pas davantage pour prouver que c'est une histoire ,
surtout dans un temps où l'histoire a pu souvent
ressembler au roman .
Je ne dirai que peu de choses aujourd'hui du style
ou plutôt des styles de cet ouvrage , qui passe pour
avoir occupé huit ou dix plumes différentes , et dans
78 MERCURE DE FRANCE.
lequel il est aisé de reconnaître ces différentes transitions,
quoiqu'il n'y ait pas une page qui n'annonce
un écrivain plus ou moins exercé. Une partie de la
narration , et c'est la plus étendue , est d'une simplicité
correcte et claire qui ne s'élève pas jusqu'au
ton de l'histoire , mais qui convient assez bien à
cette espèce de relation naïve où la vraisemblance
des faits s'augmente du naturel de l'expression . Certains
endroits indiquent au contraire une prétention
remarquable au genre du récit oratoire , et cette
prétention quelquefois heureuse rappelle bien moins
Salluste et même Florus , que des écoles plus modernes
qui ont eu en littérature le bonheur de la
vogue, mais qui n'y auront peut-être jamais l'autorité
du génie. Entre ces deux termes opposés , ily a
encore beaucoup de nuances qui tiennent moins
aux modifications du sujet qu'aux variétés de la rédaction.
La plus sensible est celle qui se remarque
dans toute la partie de l'Histoire des sociétés secrètes
, dont Moreau devient le héros, et surtout
dans celle qui a rapport à ce procès célèbre sur
lequel on a dit, écrit et pensé tant d'absurdités.
Ce grand épisode est traité d'une manière ferme ,
avec une chaleur sans excès , avec une élévation
sans enflure , et l'élocution m'y paraît aussi bonne
que la dialectique. C'est aussi ce qu'il y a de plus
important dans ce livre qui n'aurait pas besoin
d'autre recommandation , et qui remplira sous ce
rapport la lacune la plus regrettable de notre histoire.
Il est possible que je me trompe , mais je ne
15
JANVIER 1815.
79
crois pas que Moreau ait jamais été aussi justement
apprécié , et qu'un homme célèbre puisse l'ètre
nieux dans un ouvrage contemporain.
L'Histoire des sociétés secrètes n'est pas un ouvrage
frivole. Elle a besoin de l'épreuve du temps ,
et elle peut donner lieu à des polémiques très-vives
qui en fixeraient l'authenticité et qui en détermineraient
la valeur. Telle que je la vois, et abstraction
faite de tout ce mystère peut-être chimérique
dont on s'est plu à l'envelopper , elle renferme une
foule de notions singulières , d'aperçus piquans et
ingénieux , de vues tout-à-fait nouvelles sur les
hommes , sur les choses , sur les institutions, qui
me paraissent propres à attirer la curiosité , si sujète
å se repaître d'alimens plus vains et à se tromper
dans ses choix. Si c'est un roman , ce n'est du moins
pas celui de l'ambition ou de la cupidité , car on
n'y nomme pas un homme vivant , pour un fait
qui ne soit antérieur à la restauration. On arrange ,
on répète , on colporte beaucoup d'histoires qui
pourraient bien n'être pas si vraies , et qui sont certainement
beaucoup moins désintéressées . La conspiration
dont il s'agit a été scellée , à ce qu'on
assure , par le sang de tous ses chefs , et bien que la
communauté de tant de périls doive faire descendre
quelque gloire sur ceux qui leur ont survécu , ils
n'ont pas souffert qu'on les indiquât dans ce récit
autrement que par des noms historiques empruntés
à l'antiquité , et dont la clef demeure un secret à
jamais inviolable pour le gouvernement , pour le
80 MERCURE DE FRANCE ,
public , pour la postérité. Cet exemple d'abnégation
est d'un genre si rare dans l'état de nos moeurs,
qu'il nuira probablement à la vraisemblance du
livre. L'anonyme de l'héroïsme est un phénomène
auquel on ne peut plus croire depuis que tant de
paladins de nouvelle date écrivent leur nom en
grosses lettres sur leur écu .
En dernière analyse , je ne suis pas bien sûr moimême
que l'Histoire des sociétés secrètes soit une
histoire dans toute la sévérité de l'acception de ce
mot , mais je crois fermement que l'histoire ne
pourra pas s'en passer .
:
Χ.
ALMANACH DES MUSES , pour l'année 1815.
-A Paris, chez Louis, libraire . Un vol . in- 16.
* L'ÉDITEUR de l'Almanach des Muses avait à
célébrer cette année la cinquantaine de ce recueil
poétique. C'est en 1765 qu'il parut pour la première
fois. Ce fut un versificateur très-médiocre ,
nommé Sautereau de Marsy, qui le publia , avec
des notes sur les principales pièces qu'il y avait
insérées. Ces notes sont fort plaisantes , ou plutôt
très-ridicules . M. Sautereau se permet d'éplucher
les hémistiches de Voltaire , Gresset , Bernis , etc. ,
en écolier grammairien , plutôt qu'en judicieux critique
. C'est sur ce premier éditeur de l'Almanach
des Muses que Gilbert a fait ce vers malin' :
Fournissez-lui des vers , sinon il en va faire.
JANVIER 1815.
OYAL
ומס
Dieu fasse paix à M. Sautereau ! L'éditeur
1815 n'aurait pas causé les mêmes alarmes au sati. SEINE
rique , car il fait beaucoup mieux lés vers que les
trois quarts de ceux qui lui en ont fourni ; mais
cet ingénieux éditeur n'est point à l'abri de quelques
reproches plus gravés. Nous ne serons , en les publiant
, que les interprètes de l'opinion publique ,
et si nous nous faisons une loi de ne point nous
écarter de cette politesse et de cette urbanité qui ont
toujours distingué les bons critiques , nous pensons
que la vaste complaisance des journalistes , depuis
vingt ans , acausé les plus grands préjudices à la
littérature , et que l'amour de l'art doit l'emporter
surles ménagemens qui amèneraient par degrés son
entière décadence .
En célébrant la cinquantaine de l'Almanach des
Muses , l'éditeur aurait dû peut-être s'efforcer de
rendre à ce recueil un peu de son ancien éclat. En
ce jour , consacré dans les familles à des actions de
grace , à de tendres et pieux souvenirs , les parures
de la jeunesse sont permises au vieillard , et l'on
aime à voir , au moins une fois , les fleurs du printemps
couvrir les glaces de l'âge et faire oublier
l'hiver de la vie. Et quel moment eût été plus favorable
à cette espèce de solennité que celui de la
restauration miraculeuse de notre roi chéri ! Que
dehautes pensées , que de sentimens nobles et touchans
cet événement mémorable aurait pu fairė
naſtre!quelvaste avenir il ouvre àl'imagination ! ....
6
82- MERCURE DE FRANCE ,
Hélas ! combien l'éditeur a peu profité de ces secours
si naturels et si faciles !
: L'intentiondu fondateur, assez bien remplie pendant
plusieurs années , était d'offrir chaque année
un choix de poésies fugitives propres à faire connaître
à la France , à l'Europe , à l'univers , au moins
un échantillon des richesses de notre Parnasse . Cette
année , il semblerait que l'éditeur aurait voulu renchérir
encore sur les nobles vues de ses prédécesseurs
, et apposer à son recueil le cachet de la perfection
en le publiant sous l'invocation d'Homère ,
dont on voit le buste gravé et enrichi d'emblèmes
sur la première page. Promesse d'éditeur fut-elle
jamais plus complètement démentie ? Si tel est le
Parnasse français de nos jours , on pourra bien s'écrier
: Hei mihi ! qualis erat , quantum mutatus ab
illo ! Cent quinze poëtes y sontadmis . Quelle foule !
Ce n'est pas tout ; l'éditeur nous apprend que tous
les aspirans n'ont pu être introduits , qu'il lui a fallu
en mettre plusieurs en réserve pour l'année prochaine.
« Cette année , nous dit-il , les envois ont
>> été considérables et multipliés ; et , malgré les sa-
>> crifices que le libraire a faits pour augmenter le
>>nombre des pages consacrées aux poésies , il a
>> été impossible de satisfaire tous les aspirans » .
Il console pourtant ces poëtes de la réserve en leur
promettant que , dès lors ( c'est-à-dire par la raison
qu'ils ont été mis en réserve cette année), ils entreront
les premiers dans la composition du volume
JANVIER 1815. 83
de l'année prochaine . Cruelle attente , sans doute ,
mais du moins adoucie par une promesse aussi formelle
! Le libraire ne sera sûrement pas aussi-bien
dédommagé de ses sacrifices , car ce n'est pas le
nombre , mais la qualité des poésies que le public
apprécie , et nous craignons que ce public ne s'écrie
douloureusement , avec le prophète : Multiplicasti
gentem , non magnificasti lætitiam .
De quels poëtes en effet l'éditeur a-t-il peuplé
son Parnasse ? On cherche en vain dans son recueil
les noms , chers aux amateurs de la poésie , les
noms honorables d'Andrieux , Baour - Lormian ,
Campenon , Parseval Grandmaison , Michaud , Berchoux
, etc. , etc. Ces estimables poëtes seraient- ils
donc réformés ? auraient-ils leur congé définitif et
absolu , pour ne plus jamais reparaître sur le contrôle
annuel des habitans des rives du Permesse ?
MM. Ducis , Saint-Victor et Millevoye y figurent
encore , comme par grâce , chacun pour une pièce ,
mais ils auront sans doute bientôt leur retraite . Au
fait , que feraient-ils au milieu de tant de nouveaux
venus ? Ils dédaigneraient la trop facile gloire d'éclipser
tant de petits astres naissans .
Il faut s'expliquer. Ou la destinée de l'Almanach
des Muses est d'être livré aux doublures du
deuxième ou troisième ordre, et alors il faudrait
avoir soin d'en prévenir les étrangers pour sauver
au moins la réputation de nos muses françaises ,
ou l'homme de lettres estimable qui s'en ocсире
sentira qu'il y va de son honneur de faire preuve
84 MERCURE DE FRANCE ,
dejugement et de goût; et, puisqu'il veut bien aussi
contribuer par ses jolis vers au succès de son Almanach
, il aimera mieux s'associer à des hommes d'un
vrai talent , que de régner sur un peuple de poëtes
inconnus:
On a remarqué avec raison qu'en France , depuis
une vingtaine d'antiées , on négligeait la qualité
pour s'attacher presque uniquement à la quantité.
Nos vignobles , tant vantés dans les quatre parties
dumonde , ont beaucoup perdu de leur renommée.
Le vigneron ne cherche plus à faire du vin parfait,
mais à faire et à vendre beaucoup de vin.
Des hommes à talent qui pourraient publier d'excellens
ouvrages s'ils se donnaient la peine de les
travailler , de les corriger , de les perfectionner , se
hâtentde composer un livre pour en faire , le plus tốt
possible , de l'argent. La littérature est devenue un
trafic , et l'esprit une marchandisë. On ne faitmême
plus d'honnêtes crédits ; tout se vend au comptant ;
on veut jouir tout d'abord , et vivre aujour le jour.
Mais qu'arrive-t-il de ces spéculations mercantiles?
c'est que le profane vulgaire finit par ne plus avoir
aucune confiance dans les négocians littéraires , dont
le crédit baisse en raison de la multiplicité de leur
papier.
Unhomme de lettres tel que l'éditeur de l'Al
manach des Muses ne souffrira jamais qu'on puisse
le confondre avec de pareils spéculateurs. Trop coffvaincu
que c'est dans l'intérêt de la gloire nationale
pour l'honneur de la poésie française qile ce recifeil
JANVIER 1815, 85
devrait être composé, il ne se contentera plus d'attendre
tranquillement chez lui le tribut de la médipcrité;
il prierales poëtesdontla France peutencore
s'honorer de vouloir bien contribuer , par quelques
fleurs , au bouquet destiné pour nos étrennes poétiques
, il ne dédaignera même pas d'aller recevoir
de leurs mains leur offrande. Alors nous pourrons
espérer de voir renaître quelque émulation parmi
nos poëtes ; alors nous ne verrons plus un misérable
impromptu sur les débuts du chien de Montargis
placé à côté de Stances dithyrambiques sur le retour
de l'auguste famille des Bourbons , ni l'épitąphe
du chien de M. Bobée , sur le même plan que
le Tombeau de Louis XVI et de Marie-Antoinette .
Et nous serait-il permis d'ajouter qu'il serait à
désirer que , sur les sujets essentiellement nationaux
, on n'insérât ; dans un recueil annuel et pour
ainsi dire solennel , que des pièces dignes d'être
avouées par la nation? En voyant tant de pièces
faibles sur les événemens qui causent notre joie ,
ou retracent nos regrets , on se demande avec l'accent
du dépit : où sont donc nos bons poëtes ?.
Si cette exclamation nous est trop souvent échappée
en lisant l'Almanach des Muses , il serait injuste
cependant de passer sous silence un petit
nombre de morceaux graves et remarquables par
le talent poétique , et de petites pièces légères et
agréables , qui s'y rencontrent par intervalles . Dans
lapremière classe , nous indiquerons le Procès de
Louis XVI, fragment d'un poëme sur la révolution ,
86 MERCURE DE FRANCE ,
par M. Vigée ; la représentation de Tartufe , l'un
des moins médiocres morceaux de poésie de M. André
de Murville , que la mort vient d'enlever récemment
à la littérature, et une Építre à M. Pougens
, par madame la comtesse d'Haupoult. On
remarque avec plaisir parmi les pièces moins étendues
, des Fables ingénieuses de MM. Le Bailli et
De Boilleau ; un fragment d'un poëme de Praxitèle ,
par M. Fouqueau de Pussy ; de jolies romances ,
par madame Desbordes ; une imitation de Shakespear
, énergiquement versifiée , par M. Laya ; une
Romance de M. Edmond Géraud , et quelques
poésies diverses par M. Henri Larivière , qui paraît ,
croyons - nous , pour la première fois dans la lice
poétique , et qui s'était fait remarquer sur un plus
grand théâtre par les opinions les plus courageuses
et par des discours très-éloquens.
Nous voudrions terminer cet article , suivant
l'usage , par quelques citations de pièces très-courtes,
mais nous éprouvons le plus grand embarras pour
satisfaire nos lecteurs à cet égard. Serait-ce des épigrammes?
elles n'ont point de trait; des madrigaux?
ils sont insipides ; des bons mots ? ils n'ont ni sel ,
ni originalité ; des contes ? ils manquent de naturel ,
de simplicité et de saillies. Enfin le nombre des
pièces qui pourraient être exceptées de ce jugement
est si petit , que nous prions les auteurs de nous
permettre de les passer sous silence , dans la crainte
où nous sommes d'armer contre eux le nombreux
troupeau des petits versificateurs , qui ne pardon
JANVIER 1815. 87
neraient jamais la préférence que nous aurions donnée
àleur détriment .
Les mêmes principes d'après lesquels nous avons
cru devoir critiquer le recueil des poésies , peuvent
malheureusement s'appliquer à la notice qui termine
le volume. L'éditeur nous trouvera peut-être
d'abord un peu sévères ; mais comme il est homme
de talent et comme il ne désire pas moins vivement
que nous la régénération de la littérature française ,
nous ne doutons pas qu'il ne profite des observations
que nous nous permettons de lui faire , uniquement
, nous le répétons , comme interprètes du
public.
Ce serait une chose fort bonne et fort utile qu'une
notice bien faite des poésies et pièces de théâtre qui
'ont paru l'année précédente . Mais il faudrait qu'elle
fut complète. Celle de l'éditeur de l'Almanach des
Muses ne l'est pas ; et pourquoi? Le motif nous en
est révélé dans un avis important. Cet avis porte
que les auteurs devront faire parvenir à l'éditeur les
pièces dont ils désireraient qu'il fût parlé dans sa
notice. Ainsi pour être annoncé dans cet almanach ,
il ne suffira pas qu'une pièce fasse honneur aux
lettres et à la France , il faudra que l'auteur prie
humblement M. l'éditeur de vouloir bien agréer
son offrande et lui donner place dans son recueil .
C'est sans doute parce que des écrivains distingués
auront été trop fiers pour mendier cette protection,
que nous ne trouvons ni jugés , ni même indiqués
dans la notice plusieurs ouvrages que nous avons
88 MERCURE DE FRANCE ,
lus avec beaucoup d'intérêt dans le cours de l'année.
Une soixantaine d'auteurs ont été plus obséquieux
ou plus vains, et ce sont les élus dont l'éditeur passe
en revue les productions . En général , ses jugemens
sont fort doux et très-obligeans , ce qui fait dire
aux malins : « L'éditeur a ses raisons pour ne pas
>>être sévère , il ne veut pas décourager les fournis-
>>seurs , de peur que l'année suivante il y ait disette
>>de matériaux pour un nouveau volume » .
Nous bornerons ici une critique faite dans l'intérêt
de l'éditeur autant que dans celui des lettres . Si
Y'Almanachdes Muses continuait à être rédigé avec
autant de négligence qu'il l'est depuis quelques
années , il mériterait de perdre son nom , et de ne
plus être appelé que l'almanach de monsieur tel.
Que l'éditeur dédaigne toutes les petites considérations
qui finiraient par faire de son recueil un avorton
littéraire , qu'il ait désormais le noble orgueil
d'élever un véritable monument poétique aux
muses françaises , à la gloire de sa nation , età celle
du bon et sage monarque qui se montre si digne de
la gouverner , et il ajoutera un nouveau titre de
considération à tous ceux que lui ont mérités ses
sentimens , son esprit et ses talons .
0.
JANVIER 1815. 89
RÉFLEXIONS ET MAXIMES ; par M. de LINGRÉE ,
avec cette épigraphe :
Lemépris de notre nature est une erreur de notre raison.
( Vauvenargues ) .
- Brochure in-8°. de 124 pages . Chez Didot
l'aîné , imprimeur-libraire, rue du Pont-de-Lodi,
nº. 6; Neveu , libraire , passage des Panoramas ;
et chez Delaunay , libraire , Palais-Royal , galerie
de bois , n°. 243.
N Dans les maximes de La Rochefoucault , que
Jean-Jacques n'aimait pas et auxquelles il donne
le nom de triste livre , on remarque avec un sentiment
pénible que l'auteur semble avoir pris à tâche
de présenter l'amour-propre , l'amour de soi , l'in
térêt , l'envie , les humeurs et le tempérament
comme les mobiles de toutes les actions des hommes,
tandis que selon lui leurs vertus ne seraient que des
vices déguisés .
Dans des réflexions morales , qui seront du goût
de tous leshonnêtes gens et de tous les gens d'esprit,
qui les appelleront sans doute un excellent livre ,
M. de Lingrée s'est attaché à réhabiliter nos qualités
et nos vertus , en signalant toutefois nos travers ,
nos défauts et nos vices. Il pense avec raison que
mépriser notre nature , ce n'est pas l'apprécier , et
que « si on ne cherchait pas tant à prouver aux
>> hommes qu'ils sont méchans, ils le seraient
>>moins » .
90 MERCURE DE FRANCE ,
-
Le point de vue satirique auquel La Rochefoucault
semble avoir réduit son système d'observations
, est cause qu'une certaine humeur chagrine
et caustique s'est mêlée à son style , et que ce qui
donne du prix à la vie, ce qui ennoblit l'homme ,
ce qui , à juste titre , en fait le roi de la nature ; que
les plus nobles vertus , l'amitié , la justice , la générosité
, la grandeur d'âme , ne sont à ses yeux qu'illusion
et chimère ; en sorte qu'au lieu d'élever
l'homme il l'abaisse ; au lieu de l'affermir dans son
noble héritage , il le déshérite de sa grandeur ; loin
d'embellir son image , il la décolore; loin de juger
le coeur , il le calomnie.
M. de Lingrée , en se plaçant dans une sphère
différente , a envisagé les choses humaines sous une
face différente aussi. Ses pensées ont une autre
teinte, ses expressions un tout autre coloris .
Son ouvrage porte l'empreinte d'un caractère
aimable et doux , d'un tact fin et délicat , d'une sensibilité
vraie et pénétrante .
On peut dire qu'il n'a pas écrit contre leshommes,
mais plutôt pour les hommes ; qu'il ne s'est pas
montré injuste , mais indulgent; qu'il n'a pas été
systématique , mais observateur ; qu'il n'a pas lancé
des épigrammes , mais rassemblé des réflexions ;
qu'il n'a pas fait une satire , mais de la morale .
Il serait possible de donner , au rapprochement
que nous venons de faire , l'appui de la démonstration
, et le caractère de l'évidence, en comparant ce
que les deux auteurs ont écrit sur les mêmes idées ,
JANVIER 1815.
91
et en les mettant ainsi , en quelque sorte , aux prises
l'un avec l'autre. Cette comparaison acquerrerait un
nouvel intérêt , si on ne considérait pas seulement
dans M. de la Rochefoucauld , l'auteur des Maximes
, mais encore l'un des personnages les plus remarquables
des guerres de la Fronde. Faisons la
part de l'inévitable influence que le temps , au milieu
duquel il a vécu, et le rôle qu'il a joué dans
cette guerre de folie , d'intrigues et de corruption ,
ont exercée nécessairement sur ses pensées; et nous
trouverons juste d'attribuer à l'empire des circonstances
, ce qu'il y a de triste , d'anti-social , d'exagéré
dans l'ouvrage de M. de la Rochefoucauld.
Mais ce n'est pas le moment de compléter ce que
nous aurions encore à dire sur ce penseur, d'ailleurs
si célèbre par la précision et l'énergie de son style ,
par le tour hardi et la profondeur d'une partie de
ses maximes.
Revenons à M. de Lingrée. - Pour prouver
qu'en parlant de lui , nous n'avons pas hasardé
l'expression d'un sentiment irréfléchi , ou d'une
admiration aveugle , nous n'avons pas de moyen
plus sûr que de le citer.
« L'affectation empêche d'être soi , et ne permet
>> pas d'être un autre » .
« Le misantrope est un honnête homme qui n'a
>> pas bien cherché » .
« La prudence, pour être une vertu , ne doit pas
`>> déconseiller le courage » .
« La prudence , simple qualité quand elle n'est
99 MERCURE DE FRANCE ,
>> utile qu'à nous-mêmes , devient une vertu quand
>>nous l'employons pour les autres » .
« On doit son coeur à peu , on doit son indul-
>> gence à tous » .
« L'on ne jouit qu'une fois du plaisir de se ven-
>> ger , l'on jouit toujours du plaisir de ne s'être pas
>> vengé » .
« On blame la vanité des autres , et l'on ne cesse
>>>de les flatter : on se plaint de la chaleur d'un feu
>>> qu'on attise » .
« Il ne sert de rien de taire un secret lorsqu'on
>>>le montre » .
1
« Un défaut ne nuit qu'à nous; un vice nuit à
>>>nous et aux autres ; une qualiténe sert qu'à nous ;
>>une vertu sert à nous et aux autres » .
>>Quand on a le secret d'être heureux , il ne faut
>>>p>as le garder ».
>>Un livre est unelettre écrite à tous les amis in-
>> connus qu'on adans le monde » .
Oh! sans doute , il y a des amitiés secrètes , mystérieuses,
qui se contentent en dépitde la séparation,
de l'éloignement et des distances : il y a des noeuds
indissolubles qui se forment dans le recueillement
de la pensée , dans le silence de la méditation , dans
le repos inspirateur de la solitude ; en un mot , il y
ades personnes que l'on aime sans les avoir vues :
ce mot est une confidence qui nous échappe. Mais ,
nous nous plaisons à le dire , nous appartenons à
cette classe d'inconnus dont parle M. de Lingrée :
toutefois ce serait mériter le reproche qu'il exprime
JANVIER 1815. 93
si bien, que de ne pas mériter la même franchise
dans la critique que dans l'éloge. « Celui qui craint
> de relever un défaut dans un ami , s'empare d'une
> profession dont il ignore les devoirs » .
En composantun livre de pensées isolées , comme
P'auteur ne s'occupe, s'il est permis de le dire , qu'a
faire la fortune d'une seule idée à la fois , le lecteur
n'est-il pas fondé à exiger que chaque pensée forme
un tout complet , c'est-à-dire , que toutes les parties
en soient assorties avec un art délicat, que toutes
les conséquences , que toutes les modifications , que
foutes les nuances qui en dérivent soient rassem
blées comme dans un faisceau ; que dans ée tout ,
on trouve la réunion de ce qui peut lui donner du
prix et l'absence de ce qui pourrait l'affaiblir ; que
le nécessaire y soit , et que le superfluy manque ?
Je demande maintenant , s'il ne manque pas quelque
chose au complément moral de la pensée suivante?
« Si le suicide n'était pas déjà une folie , ce serait
* du moins une grande impatience » .
Le suicide est un crime aux yeux de la religion ,
aux yeux de la morale , aux yeux de la société , qui
n'est autre chose qu'une suite de rapports , dont la
combinaison forme un lien commun qui réunit tous
les hommes. Chacun me paraît être placé tout à la
foisdans une sphère particulière et dans une sphère
commune d'activité. Sous le premier point de vue,
l'homme peut être envisagé comme un agent , doué
d'une existence individuelle , et de la libre disposi
94 MERCURE DE FRANCE ,
tionde ses actions ; mais comme en même temps il
sert à l'accomplissement des vues cachées de la Providence
, qui , suivant la réflexion de M. de Bonald,
s'est réservé la conduite des événemens , sous cet
autre aspect , l'homme doit être considéré comme
un instrument et comme un être collectif et commun
, qui n'a pas le droit de disposer de lui , parce
qu'il n'est pas le maître de lui-même , parce qu'il
appartient à sa famille , à la société , à son pays, à
Dieu. Celui qui attente à ses jours , dispose d'une
chose qui n'est pas la sienne , usurpe sur les droits
de la nature , pénètre criminellement dans le mystère
de la mort , déserte le poste qui lui était confié,
rompt avec violence un des anneaux de cette vaste
chaîne qui rapprochant les parties isolées de la société
, n'en forme qu'une famille .
Lorsque celui qui se tue a le cerveau dérangé ,
lorsqu'il est réellement fou , la société le plaint :
mais lorsque c'est avec réflexion et pour se débarrasser
du fardeau de la vie , qu'il consomme sur luimême
cet acte violent, la nature l'accuse et la société
le condamne.
Il convenait donc à un écrivain vraiment moraliste
surtout , de voir d'abord dans le suicide un
crime.
Cela convient plus particulièrement encore à
celui qui semble avoir emprunté à Pascal les deux
pensées suivantes :
« La vertu comme Dieu a ses incrédules , et
JANVIER 1815. 95
>>comme lui , elle ne croit pas devoir les priver de
>>>ses bienfaits » .
« Plus l'homme s'élève au sein des sciences , plus
>> il apprend à s'abaisser devant l'auteur de toute
>> science >»>.
Si dans la pensée que nous venons de critiquer
il y a quelque chose de moins , n'y a-t-il pas , au
contraire , quelque chose de trop dans celle-ci ?
« Les assurances répétées de reconnaissance n'en
>> sont qu'un signe équivoque. La véritable recon-
>>>naissance a cela de commun avec la véritable sen-
>> sibilité , que renfermée au fond de l'âme , et s'y
>> nourrissant en secret , satisfaite du sentiment de
» son existence, et retenue par une sorte de pudeur,
>> elle attend quelquefois des occasions importantes
>> pour éclater » .
Ce n'est pas seulement quelquefois que la reconnaissance
attend des occasions pour éclater ; ce ne
sont pas uniquement des occasions importantes
qu'elle exige ; elle est toujours prête à saisir toutes
celles que la fortune lui présente; elle s'évertue
même à les faire naître , elle est heureuse d'en profiter;
loin de se contenter du sentiment de son existence
, la reconnaissance fermente dans le coeur, elle
a besoin d'éclater , de paraître au grand jour;
l'épanchement la soulage.
Il y a encore , en très-petit nombre il est vrai ,
quelques pensées où la longueur de certains développemens
nuit à la précision ; il y en a d'autres
1
96 MERCURE DE FRANCE ,
1
trop communes pour trouver place dans un recueil
que l'esprit , le coeur et le goût , l'élégance et la délicatesse
semblent avoir formé. Lorsque les légères
imperfections qui s'y trouvent auront disparu , lors
que la méditation , qui creuse et féconde les idées
justes, qui les complète et les réalise par la propriété
de l'expression , aura donné à certaines parties du
livre de M. de Lingrée quelque chose de plus éner
gique , de plus grave encore et de plus concis , son
ouvrage peut devenirclassique, et ajouter à la gloire
denotre littérature.
MÉLANGES.
Quelques mots sur le mémoire justificatif de M. le comte
Excelmans .
Je ne suis pas écrivain;je pourrais peut-être m'honorer du titre de
militaire , puisque , sans avoir de grade dans l'armée,j'ai suivi pendantvingt
ans nos guerriers aux champs dela gloire , et , plus d'une
fois, exposéma vie pour la défense de mon pays; mais c'est uniquement
comme administrateur et comme passablement instruit des
règlemens et de ladiscipline militaire , que je hasarderai quelques
réflexions sur le mémoire justificatifde M. le comte Excelmans .
J'ai lu attentivement ce factum , composé , dit-on , par des
jeunes gens dont l'ignorance serait digne du plus grand mépris , si
Jeurmauvaise foi et leur insolence n'excitaient pas l'indignationde
tous les bons Français .
Ces écoliers , abusant d'abord de la liberté de la presse , puis
échappant, par la consistance du volumé, à la loi qui limite son
usage , se constituent les défenseurs de la charte. A la faveur de
cettemission usurpée , on les voit attaquer, avec un acharnement
1
JANVIER 1815 .
TIMBRE
ROYA
1
S
tout-à-fait inquisitorial , les actes ministériels, les disséquer avec
une partialité sans exemple , en exagérer les consequences avec
une aigreur dont rien n'égale la violence.
Le dernier écrit qu'ils viennent de publier est le comble dy scapdale.
Il est tel , que personne ne pourra plus douter de leurs arrières-
pensées , et il est du devoir de tout bon Français d'éclafrer
ses concitoyens sur les dangers de cette coupable tactique' , qui ne
tend à rien moins qu'à détruire le bonheur, hélas ! si chèrement
acheté ,dont nous jouissons .
1
Je vais essayer d'analyser les observations préliminaires de la
défense de M. le comte Excelmans , et j'espère porter jusqu'à la
dernière évidence la preuve de leurs perfides intentions .
Le ministre de la guerre a pris , le 16 décembre dernier, un arrêté
qui oblige les officiers généraux ou particuliers , jouissant d'un
traitement militaire , à quitter Paris , s'ils n'y sont employés , ou en
activitéde service , ou domiciliés , à moins d'une autorisation spéciale.
Pour assurer l'exécution de cet ordre , le ministre a voulu
qu'il fût sursis aux revues de paiement en faveur des réfractaires .
Aussitôt de petits frondeurs s'élèvent et s'écrient : Voilà bien lame
sure la plus odieuse , la plus arbitraire et la plus impolitique ! Is
ont , disent-ils , recueilli les plaintes et l'indignation des officiers à
la vue de cet arrêté. Ils ont été les témoins de leurs justes et chaleureux
éclais . D'après la véhémence avec laquelle ils ont écrit, on
s'aperçoit aisément que les jeunes insensés se sont plû à envenimer
ces plaintes par leur virulente âcreté. Mais , sans m'appesantir sur
l'invraisemblance et l'exagération de leur philippique, je me contenterai
de dire que , s'ils avaient entendu ces injustes vociférations,
il était bien impolitique ou bien perſide de les publier; mais
qu'il est bien plus vraisemblable que ce n'est qu'une affreuse calomnie
qu'ils ont répandue contre de loyaux et fidèles militaires ,
pour déchirer un ministre distingué parmi tous les braves , et dont
les débuts , dans la carrière ministérielle , donnent de si hautes espérances.
Mais , ce qui achève dejeter le plus grand jour sur la pureté de
A
7
98 MERCURE DE FRANCE ,
leur zèle et la loyauté de leurs intentions , ce sont les derniers mots
de leur péroraison , ils n'auront pas besoin de commentaire : «Es-
>> pérons que sa propre sagesse ( du ministre) l'aura déjà convaincu
» que dans notre France , pour les militaires comme pour les ci-
>> toyens , toute espèce d'ordre et de commandement ÉPROUVE-
>> RONT RÉSISTANCE , EXCITERONT RÉCLAMATION quand ils ne seront
>> pas fondés sur la réalité , du moins sur l'apparence de la loi
» et de l'honneur » . :
Ils sont si fortement attachés à cette doctrine désorganisatrice ,
qu'ils l'avaient déjà consignée dans le même écrit : « Un homme
>> d'état , disent-ils plus haut , administrant l'armée française , a-t-il
» pu se persuader qu'un ordre aussi révoltant serait d'une exécu-
"
" tion possible et non QRAGEUSE » ? Peut-on plus ouvertement
émettre le désir de voir se renouveler les orages , n'est-ce pas donner
le conseil et annoncer le criminel espoir de l'insurrection ,
cette arme favorite des factieux ? D'après cette doctrine insurrectionnelle
et meurtrière , un militaire ou citoyen , à la réception
d'un ordre , se constitueradonc juge dans sa propre cause , il aura
donc le terrible droit de dire : Cet ordre n'a ni la réalité , ni l'apparence
de la loi et de l'honneur; je vais réclamer et résister ?
Est-ce avec des principes aussi destructifs de tout ordre , estce
en prêchant aussi impudemment l'insubordination qu'on prétend
affermir l'autorité publique , sans laquelle il n'est plus que
désordre , confusionet anarchie ?- De ces deux articles ainsi rapprochés
, il résulte assez clairement que ces messieurs , s'ils n'ont
pas calomnié les militaires dont ils prétendent avoir entendu les virulens
éclats , ont donné à leur chaleureuse indignation , une
publicité perfide , et qu'ils ont voulu provoquer la désorganisation ,
en donnant le droit de discuter avant d'obéir, en espérant que les
chefs manqueront à la subordination , qui est le principe et la vie
de la discipline militaire Que de mauvaise foi , que de délits
dans ce peude mots ! - Je passe à la discussion de l'ordre .
....
« Le ministre , disent-ils , a bien le droit de disposer des mili-
> taires qui lui doivent obéissance passive; il peut les envoyer
JANVIER 1815.
99
» d'un bout de la France à l'autre, les confiner dans un village ,
>> les tenir réellement dans un lieu d'exil ; mais il faut , ajoutentils
, qu'il invoque les besoins du service militaire » .
Non, ce n'est qu'un insidieux sophisme; non, cela n'est point nécessaire.
Il est censé que le ministre , lorsqu'il dispose des militaires
, le fait au nom du roi , d'après les plans concertés avec le
monarque , plans coordonnés avec la situation politique , diplomatique
ou militaire de l'état , et qui , d'après eux-mêmes , doivent
étresecrets. Le militaire doit se rendre au poste qui lui est assigné
, sans réclamation , sans résistance et sans délai. Il ne
peut pas avoir le droit de demander si c'est en vertu des besoins
toujours présumés du service. S'il en était autrement, il pourrait
enrésulterdes retards oudes explications funestes pour l'exécution,
qui quelquefois exige autant de célérité que de mystère .
Ceshypocrites défenseurs de la liberté étendent encore plus loin
leur tendre sollicitude sur les droits des militaires comme citoyens ,
et voici la subtile distinction sur laquelle repose leur défense. « On
>> prétendra peut-être que les militaires à la demi-solde n'ont pas
» cessé d'être en activité ; qu'ils sont toujours disponibles , et que
■ c'est-là une demi-activité qui suffit pour les mettre absolument
>> aux ordres du ministre » .
"
Oui , sans doute , on le prétendra, et on aura raison. Il n'y a et
ne peuty avoir que la retraite absolue qui puisse soustraire les militaires
aux ordres du ministre. Eh ! qui aurait pu croire avant
vous que la demi-solde était une retraite ou un licenciement? Assurément
, les militaires dont vous prétendez avoir entendu les
plaintes , ne vous l'ont jamais dit ; et, s'ils avaient cru que la
demi-solde n'était autre chose qu'une mesure commandée par la
pénurie des finances , ils se seraient retirés sur leurs foyers pour se
délasser de leurs fatigues , et jouir de leur gloire dans le sein de
leurs familles . Le militaire à la demi-solde est absolument
comme celui qui est en semestre. Nul doute que celui-ci ne puisse
être rappelé par le ministre avant l'expiration de son congé , qu'il
ne puisse être même désappointé , même puni en cas de désobéis-
-
535416
100 MERCURE DE FRANCE ,
sance. Vainement dirait-il , pour se justifier, je n'étais pas en activité
, je n'avais aucun poste militaire , aucun service à faire ; il ne
serait pas moins condamnable ,parce que son état de semestrier ne
le dégage pas de l'obéissance passive. Les rapports du militaire à
la demi-solde avec le ministre , sont absolument de la même
nature.
A ces mauvais argumens succède une supposition ridicule pour
avoir le droit de faire encore untour de force déclamatoire , et une
inconvenante apostrophe au ministre. « Mais pourquoi , diront en-
> core les ministériels , pourquoi vous plaindre de l'ordre du mi-
> nistre? Permis à vous de ne pas obtempérer, seulement il vous
১১ arrivera dans ce cas de ne pas recevoir votre solde. La mesure
>>ne touche pas votre personne , elle est purementfinancière » .-*
Quelle étrange logique ! Eh quoi ! toujours la même marche!
Une supposition gratuite et absurde pour avoir le prétexte d'une
déclamation ! Eh! qui vous a dit que le ministre avait entendu prendre
une mesure definance? Où avez-vous donc trouvé ce ridicule
aveu ? Tout à l'heure vous lui donniez vous-même un autre motif,
puisque vous insinuiez que la mesure générale n'avait été
inspirée que par le désir secret d'éliminer quelques individus suspects.
Labonne foi est plus indulgente et plus raisonnable ; au lieu
de supposer de ridicules aveux oudes motifs perfides , elle recherche
et présente des motifs justes et honnêtes ; et voici ce
qu'elle ne craintpoint de dire hautement : le ministre, au lieu d'être
dirigé par des motifs de vengeance ou de ridicules calculs de
finance , n'a cédé qu'à des considérations de prudence , qu'à sa
sollicitude envers ses compagnons de gloire. Une ville immense
comme Paris recèle dans son sein des oisifs , des frondeurs , des
malintentionnés , surtout des mécontens . Dans ces dangereux élémens
, les militaires , déjà froissés dans leurs intérêts , déçus
d'ailleurs de l'espoir d'un rapide avancement , pourraienty recevoir
des impressions qui , si elles n'ébranlaient pas leur fidélité ,
pourraient du moins renforcer le pénible sentiment de leurmalJANVIER
1815. 101
aise momentané , de leurs espérances déçues. N'est-il pas prudent .
de les éloigner de ce dangereux foyer ? Quel honorable motif pour
un administrateur qui , dans son humaine et sage prévoyance ,
aime mieux prévenir le mal qu'être dans la douleureuse nécessité
dele punir!
D'ailleurs la demi-solde est insuffisante à Paris pour leurs besoins
, et elle pourra leur procurer une existence plus heureuse en
province.
Voilà ce que la bonne foi répond à ces investigateurs du
mal , à ces éternels déclamateurs , qui trouvent presque toujours
les vices oules maux qu'ils dénoncent , ou dans une manie
atrabilaire , ou dans un coeur corrompu , ou dans un mécontentement
secret , ou dans un indomptable orgueil.
Que devient maintenant cet entassement de phrases déclamatoires
relativement aux prétendues difficultés de constater légalement
la présence de l'officier à son poste? Toutes ces énumérations
d'obstacles portent sur une fausse base : c'est que le militaire
est en surveillance , tandis qu'il n'est qu'en résidence , et
s'il était permis de mêler, à l'exemple de ces messieurs , le burlesque
au sérieux , je dirais que cette énumération ressemble assez
au comique détail que fait Scapin pour dissuader le bonhomme
Géronte deplaider, avec cette différence que le fourbe du théâtre
nes'en sert que pour arracher une légère somme au vieux avare ,
au lieu que ceux des défenseurs des principes n'étendent avec
une complaisance perfide cette fausse nomenclature que pour provoquer
des orages , pour conseiller l'insurrection , sous le nom
de résistance , but avoué de leurs coupables espérances.
Mais enfin , quand il serait vrai que le ministre a commis un
acte répréhensible , est-ce avec cette insolence et cette amertume
qu'il convenait de le dénoncer ? Un militaire aura combattu pendant
vingt-cinq ans; il aura mérité d'être placé à la tête de cette
armée où la bravoure n'était plus un caractère distinctif , mais une
qualité générale ; après une longue etglorieuse carrière , ne soupi102
MERCURE DE FRANCE ,
rant qu'après le repos dont il abesoin, son roi l'appelle à de pénibles
fonctions ; il fait encore à cette voix toute puissante sur le
coeur d'un bon Français le sacrifice de sa santé , altérée par les
fatigues militaires et les blessures ; et si dans le rapide mouvement
nécessaire à la réorganisation d'une immense machine , il lui
échappe un acte de sévérité , ni sa vie entière consacrée à ladéfense
de sa patrie , ni son ancienne et incontestable gloire , ni ses
derniers sacrifices ne lui seront comptés , et il pourra être impunément
vilipendé et baffoué par des avocats imberbes ; on cherchera
à déchaîner contre lui les passions , à lui faire perdre la confiance
de son roi... Ah ! sans doute , tant d'audace et de perfidie sera
enfin réprimé , et une aussi révoltante doctrine ne sera plus
propagée , sans que l'on examine enfin jusqu'à quel point la
liberté de dénoncer, d'injurier et de calomnier peut être mise
enbalance avec la stabilité de l'état , la sécurité publique et le
besoinque tous les Français éprouvent de voir détruire à la fin
tous les obstacles que l'on oppose à la marche d'un gouvernement
protecteur et réparateur.
D. F. , ancien commissaire des guerres .
-
ILparaît chez Lenormand , imprimeur-libraire , rue de Seine ,
n°. 8 , un nouvel écrit intitulé : Le Pelletiaire , ou Réponse au
Mémoire adressé au roi par M. le comte de Saint- Fargeau ,
ci-devant Félix Le Pelletier , par M. F. G. S. D. T. , avec cette
épigraphe : Quousque tandem abutere patientia nostra? Cette
Catilinaire nouvelle se distingue par une logique forte et serrée ,
par les sentimens les plus purs , et par un style ; quelquefois incorrect
peut-être , mais rempli de chaleur et d'énergie. Après avoir
battu en ruines les misérables argumens du citoyen Félix Le Pelletier
, sur la formule du sermentà prêter au roi , l'auteur s'exprime
ainsi:
«Nous avons successivement présenté M. le comte comme un rigoriste
outré , comme un politique dont la haute prévoyance s'élance si heureuseJANVIER
1815. 103
ment dans l'avenir , et comme un fidèle amant de la république qu'il
voudrait exhumer. Il faut maintenant l'envisager sous de nouveaux rapports
, afin qu'il ne puisse nous reprocher d'avoir négligé aucun de ses
avantages , et que sa haute vertu paraisse dans tout son éclat. Nous allons
voir le respect que montre pour les convenances cet homme qui , ayant recu
une éducation soignée , doit mieux qu'un autre savoir ce qu'elles exigent.
-Après avoir fait une sortie pesamment emphatique contre la doctrine de
Machiavel, il dit : Je laisse à cettefraction gangrenée de l'humanité, cette
facilité étonnante de sacrifier tout ce qui est libéral aux combinaisons
funestes et momentanées de tous les intérêts honteux . Mon langage ,
Sire , sera celui de la vérité , et ne se sentira de la présence du Monarque
quepar le respeet que l'on doit à une autorité constituée.
>> Il n'est donc pour vous qu'une autorité constituée , ce Monarque dont
votre infernale société a égorgé le frère , ce descendant de tant de rois ,
ce petit-fils de Henri IV , ce prince dont la longue adversité n'a pu , ni
abattre le courage , ni vaincre la clémence; ce prince auquel la France
doit la paix et sa réconciliation avec l'Europe ! Et s'il est vrai , comme l'a
ditMontesquieu , que les infortunes des rois ont quelque chose de plus touchantque
celles des hommes vulgaires , que doit-on penser de celui qui ,
dejàplacé loin des événemens , sur lesquels une postérité anticipée a déjà.
imprimé le sceau d'une réprobation éternelle , n'ayant donc plus pour
prétexte la tourmente révolutionnaire , qui pouvait momentanément entrainer
, ose adresser à son roi cette irrévérencieuse qualification ? Ce n'est
point ici , comme on le voit , le préjugé d'une idolatrie superstitieuse pour
la royauté que j'invoque , c'est le respect pour ce qu'il y a de plus auguste
et de plus sacré sous le ciel , c'est le cortége des plus sublimes vertus ,
des plus lamentables souvenirs, de ces terribles adversités si majestueusement
caractérisées par Bossuet. Par quel inconcevable excès de dépravation ces
titres malheureusement immortels peuvent- ils s'évanouir'pour M. le comte
de Saint-Fargeau ? Ah ! n'arrêtera- t-on jamais ces explosions d'une démence
séditieuse et incendiaire qui menace l'ordre social d'une nouvelle subversion?
»Après tant d'horreurs que j'ai été forcé de dévorer , on croirait peutêtre
qu'il ne me reste plus qu'à gémir sur la perversité qu'amène l'oubli do
la morale et de la religion , qu'à appeler la sollicitude des Français , la vigilance
des magistrats , l'énergie des écrivains contre ces monumens d'une
audace si ostensiblement conspiratrice; point du tout, notre tâche n'est
pas remplie: il faut reprendre ses pinceanx , et broyer de nouvelles couleurs
pour peindre denouvelles monstruosités. C'est ici qu'il faut rassembler toutes
les forces de son âme pour surmonter la douloureuse horreur qu'inspire un
104 MERCURE DE FRANCE ,
.
paragraphe forcené, et qu'on ne pourra jamais caractériser dans aucune
langue. Sire , les temps de révolution sont des époques de douleur ;
T'histoire prouve qu'elles sont inhérentes àla nature humaine ; la véritable
gloire est qu'au moins des leçons si chères soient profitables aux
nations .... De grandes victimes tombent.... mais les vengeances particulières
déshonorent.... Sire , les mémes vingt- quatre heures sont pour
VotreMajesté et pour celui qui se présente devant le tróne , la source
de regrets éternels et des plus HAUTES douleurs.
>> J'ai n'ai pas d'abord compris cet énigmatique passage; mais , à force
d'y réfléchir , j'en ai démêlé la profonde horreur. C'est dans les mêmes
vingt-quatre heures qu'ont péri le vertueux Louis XVI et le régicide Lepelletier
, et il a eu l'affreux courage de placer sur la même ligne l'assassin
et sa victime. Que dis-je ? l'assassinat du Roi est d'un intérêt bien secondaire;
ce n'est qu'une grande victime immolée à la raison d'état, il fautła voiler....
mais lamort de Lepelletier estune vengeance qui déshonore.... Et à
quiadresse-t-il cette effroyable conception d'un délire infernal? au frèrede
Ja victime , à son Roi , auquel il retrace , sans ménagement et sans humanité
, de déchirans souvenirs , dans le coeur duquel il enfonce encore et retourne
le poignard! A cette idée horrible , tout mon sang s'allume , et
des larmes d'indignation coulent de mes yeux ! N'etait- ce donc pas assez
d'avoir immolé la vertu la plus céleste qui ait jamais honoré le trône , un
Français, exalté par une généreuse horreur , rencontre un régicide , l'immole
en expiation aux manes de son Roi ; le grand forfait commis sur un
Roi , auquel on ne peut reprocher qu'une vertueuse faiblesse , n'est rien .
auprès de la déshonorante vengeance exercée sur un régicide...... c'est pour
celui-ci que sont réservées les plus hautes douleurs !.... Aquel excès d'horreur
vos manes étaient-ils donc réservés , infortuné Monarque ? Destiné
pendant votre vie à être en proie à tout ce que la perversité d'un siècle indigne
de vos vertus a pu concevoir de plus féroce ; condamné , après une
longue et cruelle agonie , à périr comme un vil criminel , tant d'horreurs
ne peuvent désarmer vos bourreaux ! L'un prétend justifier votre mort
en accusant votre faiblesse , qui n'était cependant qu'une vertu sarhumaine
; l'autre , en la présentant comme un simple coup d'état , vous met
en regard avec votre assassi'n ; et , par cet outrageant parallèle , cherche à
atténuer la douleur qu'inspire l'horrible catastrophe qui termina vos jours ? ...
Quand finira donc , grand Dieu ! l'effroyable audace de ces hommes dégouttant
de sang ? quand cesseront-ils d'insulter leurs victimes , et d'épouvanter
l'humanité par leurs cris féroces? et si ce n'était pas assez de ce que
je viens de signaler , jetez les yeux sur ce passage : Peut-être dans notre
France aussi lesang de quelques hommes libres et courageux est-il destinéàcoulersur
des échafauds , et à partager la gloire de ces insulaires
JANVIER 1815. 105
(Sydney et Russel ) ; mais on lira toujours sur de pareilles tombes
EXORIARE ALIQUIS NOSTRIS EX OSSIBUS ULTOR !
» Français , magistrats , écrivains , que vous faut-il de plus pour redoubler
de zèle et d'énergie ? Les factieux ne s'agitent plus dans l'ombre , ils
semontrent àdécouvert; ils ne cachent plus leurs complots. Ralliez-vous
donc plus que jamais autour du trône ; expiez , par une union et une fidélité
inaltérables , la honte d'avoir laissé succomber Louis XVI sous les coupe
*d'une poignée de scélérats. Ne vous reposez pas exclusivement sur la justice
de votre cause ; helas ! la Providence a plus d'une fois permis qu'elle fût
cruellement trahie. Ne perdez pas de vue les crimes que votre isolement a
laissé commettre , et déjouez , en formant un faisceau impénétrable , l'audace
effrénéede ces hommes qui ont laissé tantde monumens de leurs homicides
fureurs ; qui ont même encore l'imprudente hardiesse de publier
leurs regrets sur la perte de leur puissance , et le désir affreux de la ressaisir.
Ah ! sans doute je n'aurai pas fait , au nom d'aussi grands intérêts , un
inutile appel à votre antique amour pour vos Rois » !
BULLETIN LITTÉRAIRE.
SPECTACLES.
GRANDS THEATRES. -La bibliographie raisonnée , ou , si l'on
veut, la critique littéraire , s'est d'abord occupée d'un siècle , d'un
âge , d'une époque particulière. A mesure que la curiosité des
bommes s'est tournée vers cet objet , que le talent a multiplié ses
productions , que le goût a raffiné ses jouissances , que le plaisir
rare mais sensible qui résultait pour les anciens d'un spectacle
annuel , a fait place pour les modernes à un divertissement froid
qui se reproduit tous les jours ; le journal quotidien a succédé a
celui de la semaine , qui avait succédé aux mémoires du mois. On
ne cherche plus en effet dans une feuille publique l'histoire de
l'état de l'art , le tableau de ses progrès , de ses pertes , de ses
espérances , son passé et son avenir ; on y exige le tableau frivole
d'une représentation déjà oubliée , l'anecdote du parterre ou celle
de la coulisse , le secret d'un succès ou celui d'une cabale ; on se
dédommage de la nullité de quelques vues par le piquant de quelques
personnalités , et on nous prive , sans conséquence , d'un
:
106 MERCURE DE FRANCE ,
principe qui intéressera tous les temps , si on peutnous indemniser
par une anecdote qui nous amuse une minute. Cette manie superficielle
d'envisager les choses s'est glissée partout ; il serait fort à
souhaiter qu'elle se fût arrêtée à la comédie.
Le rétablissement d'une feuille hebdomadaire nous autorise à
examiner l'art sous un pointde vue plus sérieux , c'est-à-dire dans
ses rapports avec la morale et avec l'esprit de la nation , dont la
comédie est chez nous comme partout l'expression la plus exacte.
Nous avons contracté l'habitude de chercher l'esprit tous les jours
dans un feuilleton ; mais notre goût n'est pas si difficile qu'il ne se
contente de trouver de semaine en semaine la raison sans ornemens
et la vérité sans prétentions , au défaut des jeux de mots et
des saillies. On verra peut- être quelqu'intérêt à observer la marche
progressive de la civilisation et de la littérature dans les vicissitudes
correspondantes du théâtre , qui en éprouve toutes les révolutions
; on trouvera un certain plaisir à rapporter ces effets à
leurs causes , et les modifications de l'esprit à celles du caractère.
L'histoire et la théorie d'un art charmant qui fait les délices de
tous les peuples , sont probablement assez piquantes par ellesmêmes
pour pouvoir se passer quelquefois sans inconvénient de
l'attrait des allusions fines et des plaisanteries mordantes . Nous
n'écrivons point dans le seul but d'exercer la critique , mais nous
n'hésiterons pas à l'exercer avec modération quand l'intérêt de
l'art dramatique l'exigera de nous , et toutes les fois que la vogue ,
si souvent déterminée par le'caprice , consacrera le succès d'une
fausse école ou les innovations d'un talent dangereux. Dans cette
hypothèse même , nous ne promettons pas le scandale ingénieux
d'une censure épigrammatique qui blesse souvent sans corriger.
Notre unique intention est d'être utiles; notre désir le plus vif est
de l'être sans désoler la médiocrité modeste , et surtout sans offenser
le talent. Si nous attaquons quelques réputations , ce sera toujours
sans aigreur; si nous nous trompons dans quelques critiques ,
ce sera toujours sans dessein. Quand on est sûr d'être impartial , on
peut espérer d'être juste.
JANVIER 1815.
107
Théatres lyriques.- Depuis long-temps les nations voisines
nous contestent non-seulement un goût épuré et des connaissances
réelles en musique ; elles prétendent même que la nature nous a
refusé l'organisation nécessaire au sentiment et àla culture de cet
art enchanteur. Elles ont oublié trop tôt qu'il fut un temps où les
musiciens et les chanteurs français étaient invités avec honneur à
la cour des princes étrangers . L'Italie elle-même , dans le siècle le
plus glorieux pour elle , ne dédaigna pas de rendre hommage aux
talens de nos artistes ( 1 ) . Elle ne tarda pas , il est vrai , à acquérir
une supériorité qu'elle dut principalement à l'invention , ou plutôt
à la renaissance du drame lyrique ou mélodrame. Pendant que
l'art faisait ainsi des progrès rapides au-delà des Alpes , il dégénéra
tellement parmi nous que ce fut l'Italie , à son tour , qui nous
fournit des maîtres et des modèles. L'enthousiasme qu'ils excitèrent
enfanta bientôt un profond dédain pour nos compositions et même
pour nos facultés musicales. Ces préventions défavorables furent
propagées dans l'Europe entière par quelques écrivains célèbres.
Aucun n'y contribua plus que Rousseau : la peinture , plus burlesque
encore que maligne , qu'il fit du grand opéra français , dans
sa Nouvelle Héloïse , sert d'argument , depuis plus d'un demisiècle
, à tous les déclamateurs qui ont un motif quelconque pour
déprécier nos théâtres lyriques .
:
Et, de nos jours encore , n'est-il pas vraiment singulier que les
voies mêmes qui nous sont ouvertes pour éclairer et ramener nos
voisins , soient précisément celles dont nous nous servions pour
leur fournir de nouvelles arines contre nous ? La critique de l'art
musical est livrée dans la plupart de nos journaux à quiconque
veut s'en emparer. Un littérateur refuserait d'y parler de médecine,
unmédecin d'architecture , un architecte de théologie , un
jurisconsulte de peinture : mais s'agit-il de musique? le littérateur
, le médecin, l'architecte et le jurisconsulte ne font nulle
(1) Voy. l'Histoire littéraire d'Italie , par M. Ginguene ; tom. 6,
chap. XXVI,
108 MERCURE DE FRANCE ,
difficulté de prononcer magistralement sur le mérite d'une partition
toute entière , et de donner des conseils àl'auteur. Ce n'était
pas assez que des feuilles éphémères tendissent à persuader à une
partie de l'Europe que nous n'étions pas capables de nous élever
enmusique au-dessus du vaudeville et des ponts-neufs : des ouvrages
revêtus d'un titre spécieux auraient achevé de décréditer le
goût français , si l'absence des notions les plus vulgaires n'eût décrédité
les auteurs mêmes dès les premières pages.
Sans être injustes envers les étrangers , il faut savoir être justes
envers nous-mêmes. L'amour de la musique , et surtout l'étude de
cet art , sont sans contredit plus généralement répandus en Italie
et en Allemagne qu'en France. Mais qui oserait , sans décéler la
plus insigne prétention, soutenir que l'art lui-même est arriéré
parmi nous? Nos compositeurs , nos professeurs , n'ont aucune
T
concurrence à redouter; l'exécution instrumentale est portée à
Paris à un degré de perfection dont l'on ne se fait pas même d'idée
dans les autres capitales de l'Europe(2). Enfin il s'est formé dans
nos écoles des chanteurs , et particulièrement des cantatrices , du
talent le plus distingué. Si ce talent ne s'est pas conservé chez
tous également pur et brillant , il faut en accuser , non les principes
qu'ils ont reçus ,non le goût des vrais connaisseurs français ,
mais cette manie déplorable qui , portant nos acteurs lyriques à
rivaliser avec nos acteurs tragiques , leur fait trop souvent oublier
que sur un théâtre chantant la première condition est de chanter.
Dans la revue successive de nos trois grands theâtres lyriques ,
nous nous proposons d'exposer avec plus de développement ce
simple aperçu de l'état actuel de la musique en France. Le perfectionnement
de l'art doit être le seul but de celui qui l'aime sincèrement
: c'est y concourir que d'encourager par de justes éloges
l'artiste qui obéit aux lois du goût, et de chercher , par une saine
critique, à y ramener celui qui s'en écarte .
S. :
(2) Ce sont les propres paroles par lesquelles l'empereur de Russie etle
roi de Prusse exprimérent leur étonnement et leur satisfaction , lorsque ces
souverains assistèrent à un exercice du Conservatoire .
JANVIER 1815.
109
PETITS THEATRES.- Théatre de la porte Saint-Martin. -
Première représentation de Haine aux deux Sexes , et des Six
Ingénus , divertissement pantomime.
La gent auteur est un peu moutonnière , imitatorum servum
pecus. Que l'on donne à un théâtre une pièce dont le titre soit
original , aussitôt tous les autres spectacles offrent au public des
copies , des contre-épreuves , etc., etc. C'est ainsi qu'après l'Enfant
du Bonheur on a vu le Père , le Frère , l'Oncle du bonheur , ét
je ne sais plus quel chansonnier malin annonça qu'il avait un plan
pour la Tante. M. Bouilly a fait jouer un vaudeville intitulé ,
Haine aux Femmes , et nous avons aperçu à la suite Haine aux
Hommes , Haine aux Filles , Haine aux petits Enfans ; et
voilà qu'un auteur a fait représenter , à la porte Saint-Martin ,
Haine aux deux Sexes ; c'était une manière de dire haine à tout
le monde. Le titre n'était pas heureux , le sujet l'était encore
moins , et l'ouvrage ne l'a pas été du tout. Lcs amateurs connais -
sent l'intrigue et le fond des pièces que j'ai citées plus haut , je
me dispenserai d'analyser la nouveauté qui n'en est vraiment pas
une: non bis in idem : on a pourtant remarqué quelques mots
heureux, mais des mots ne font pas une pièce ; c'est ce qu'on ne
saurait trop dire à ces auteurs qui prennent un peu d'esprit pour
beaucoup de talent. La pièce est de M. Grétry neveu , qui a du
moins une consolation dans sa disgrâce , c'est que son nom ne
mourra jamais.
Le ballet des Six Ingénus , qu'on a donné ensuite, a obtenu
unsuccès complet: ce sont les Innocens en pantomime. Ce divertissement
, que M. Duport a composé pour le théâtre de Vienne ,
n'était pas connu à Paris : il a été exécuté par les danseurs du
théâtre Saint-Martin avec une grâce , une légèreté et un à-plomb
qui a enlevé tous les suffrages : le niais surtout , M. Pierson ,
chargé du rôle d'Innocentin , adansé de la manière la plus originale;
son genre , ridiculement prétentieux , exige un très-grand
talent, car s'il faut de l'esprit pour faire la bête, il faut beaucoup
d'adresse pour paraître gauche.
110 MERCURE DE FRANCE,
Thédure de l'Ambigu- Comique.-Les choses les plus décriées
sont celles qui ont le plus de vogue; cela semble contradictoire ,
et pourtant rien n'est plus exact. Depuis Molière on n'a cessé de
critiquer les médecins , il n'y a presque pas de pièce nouvelle où
ils ne soient tournés en ridicule , et jamais on n'a accordé une plus
grande confiance à leurs talens. Les procureurs ont été de même
continuellement en butte aux sarcasmes et aux plaisanteries bonnes
ou mauvaises , et quand on a une légère contestation , vite on les
consulte , et l'on n'agit que d'après leurs avis. Les mélodrames
sont traités avec la même inconséquence ; on les critique et l'on
y court. Les directeurs des spectacles où l'on joue ces tragédies
bourgeoises sont dans une singulière position , ils tremblent pour
leur entreprise quand ils jettent les yeux sur les journaux qui
parlent de ce genre bâtard avec le mépris et le dédain qu'il mérite
; mais ils sont bientôt rassurés en voyant la foule assiéger dès
quatre heures les portes du théâtre ; et ils s'écrient : « Le bon
>>goût nous condamne , mais le mauvais goût nous protége ; aussi
>> notre salle est pleine » .
Le mélodramme du Fils banni; donné pour la première fois
à l'Ambigu-Comique , le jeudi 12 janvier , remplit toutes les conditions
imposées par le genre ; on y rit , ony pleure , on y frémit
, on y danse , on y crie , on y meurt : le succès a été complet.
L'auteur est M. Frédéric.
Théâtre du Vaudeville.-Première représentation des Trois
Sapho Lyonnaises , ou la Cour d'Amour.
La scène est à Lyon , tout y est en mouvement pour célébrer
l'arrivée de Marguerite , reine de Navarre. Rabelais qui l'accompagne
, et Clément Marot qui a été exilé dans cette ville , se
chargent de plaider à la Cour d'Amour Il y a trois accusatrices ,
Louise Charly , Clémencé de Bourges , et Perrine du Guillet ( célèbre
lyonnaise ). Ces dames accusent leurs amans , l'un de s'être
endormi au rendez-vous où il attendait sa maîtresse , l'autre d'y
être venu gris , et la troisième de n'y être pas venu du tout.
Marot defend le premier , Rabelais le second , l'autre se défend
1
JANVIER 1815.1 . , III
lui-même; son plaidoyer n'est pas long et paraît victorieux : il
n'est pas venu au rendez - vous , parce qu'il se battait pour sa
maîtresse avec un jeune étourdi qui l'avait offensée par des propos
indécens. Les six amans se réconcilient et s'épousent.
Cette nouvelle production est de MM. Barré , Radet et Desfontaines
; son principal defaut est d'être longue , froide , et de n'être
animée ni par des mots heureux , ni par des couplets saillans : tout
le monde disait au foyer qu'ils feraient bien de réduire leur pièce
endeux actes , et même en un; j'avoue que je pense comme tout
lemonde.
Madame Hervey , qui joue le rôle de Marguerite , présidente de
la cour d'amour , a été ce qu'elle est toujours , agréable , piquante
et enjouée; peu d'actrices poussent aussi loin qu'elle l'étude et
l'art du jeu muet : Mesdemoiselles Desmarres , Arsène et Rivière
représentent les trois dames qui viennent se plaindre. Elles ont
joué demanière à ce que personne n'a été tenté de les imiter.
A. D. C.
Extrait de la correspondance de Grimm, du 1er juin 1772 .
Ire. part. , t. 2, pag. 242 et 243 .
« Vous avez reconnu Voltaire à son sermon (sur la tolérance ) ,
>> moi je n'y reconnais que l'écho de feu M. de Voltaire . Ah ! il rabache
trop à présent. Sa Catherine est une maîtresse femme ,
> parce qu'elle est intolérante et conquérante. Tous les grands
hommes ont été intolérans , et ilfaut l'étre : si l'on rencontre
> sur son chemin un prince débonnaire , il faut lui prêcher la tolé-
» rance , afin qu'il donne dans le piège , et que le parti écrasé
ait le temps de se relever par la tolérance qu'on lui accorde , et
• d'écraser son adversaire à son tour. Ainsi , le sermon sur la
>> tolérance est un sermon fait aux sots ou aux gens dupes , ou à
>>des gens qui n'ont aucun intérêt dans la chose » .
112 MERCURE DE FRANCE ,
:
M. Comte , physicien et habile escamoteur , est fort en vogue
aujourd'hui . C'est un homme de fort bon ton; rienn'égale sa dextérité
dans les tours de cartes et sa précision dans les tours de physique;
les scènes de ventriloque qu'il exécute sont surprenantes
par la variété des inflexions , on peut ajouter même , des articulations.
Sous tous ces rapports , M. Comte mérite les plus
grands éloges. Si nous nous permettons d'y joindre quelques critiques
, c'est encore par intérêt pour lui , persuadés qu'il peut
travailler à perfectionner son talent. M. Comte parle assez bien le
français; il n'a aucun accent , n'emploie aucune locution étrangère
, et si ce n'est pas un défaut , c'est peut-être un malheur pour
un sorcier , qui veut enchanter Paris. Il faut donc suppléer à ce
piquant de l'étrangeté par un grand fond d'esprit. M. Comte n'en
manque pas , mais il en faut davantage pour amuser pendant deux
ou trois heures. Il ne faut pas toujours répéter les mêmes mots ,
les mêmes lazzis. On désirerait que ses scènes de ventriloque
fussent plus variées et plus ingénieuses ; mais , ce qui est un bien
plus grand défaut , c'est de vouloir faire des choses trop surprenantes
pour le vulgaire des spectateurs , et qui prouvent trop le
compérage à ceux qui sont plus éclairés. On pourrait dire , en
parodiant un axoime très-connu , qui veut trop surprendre ne
surprend plus. Rien ne paraît d'abord plus difficile , mais rien
n'est plus facile en effet que de faire trouver tout ce qu'on veut
dans tel endroit que l'on désignera. Il ne s'agit que du temps etdes
moyens , qu'on a eus à sa disposition. Onsait ce que le plus grand
escamoteur du siècle a fait avec des millions d'hommes et des millions
en argent. Nous dirons enfin à M. Comte qu'il n'y a riende
biensaillant dans les amphigouris qu'il fait, en alliant une trentaine
de mots sans suite et sans rapport entr'eux. Il est bien vrai
que cela est inintelligible , mais il n'est pas aussi sûr que cela soit
plaisant. Si M. Comte profite de ces avis , il ne laissera rien à
désirer, et n'aura rien à craindre du caprice de la vogue.
JANVIER 1815.
5
TIMBRE
ROYAL
3
NÉCROLOGIE .
SEINE
UNE maladie de quelques jours a enlevé mademoiselle Raucourt
au public , à ses amis et à ses camarades , au moment même où
une représentation donnée à sonbénéfice allait être le prix de ses
longs et utiles services ( 1). Malgré le cercle circonscrit de son répertoire
et ses fréquentes absences sa mort laissera au Théâtre
Français un yide difficile à remplir. Aucune des actrices destinées
à la remplacer n'a encore osé s'essayer dans les rôles de Cléopâtre
, d'Agrippine , de Médée et de Léontine , où elle excellait .
Athalie, Jocaste, Cornélie et Viriate, convenaient aussi beaucoup à
ses moyens; mais ces deux derniers personnages , se trouvant dans
des tragédies qu'on joue rarement , le regret qu'ils laissent est
moins vif. Je ne parle ni de Clytemnestre , ni de Mérope , ni de
Sémiramis ; la nature avait refusé à mademoiselle Raucourt la sensibilité
; elle remplaçait par des cris les véritables accens de la
nature.
Il serait injuste d'apprécier cette tragédienne d'après le jugement
énoncé par La Harpe dans sa Correspondauce littéraire ; il
l'a rétracté lui-même dans une note où il dit que depuis ses observations
le talent de mademoiselle Raucourt afait des progrès
réels . En réfléchissant sur le degré d'estime qu'on doit lui
accorder, une pensée douloureuse se présente aux amateurs de la
tragédie , qui voyent disparaître successivement les plus fermes
appuis du temple de Melpomène . Sans être à beaucoup près caudator
temporis acti , j'avoue que mademoiselle Raucourt m'a toujours
paru bien inférieure à mademoiselle Sainval aînée, qui l'était
elle-même aux Clairon et aux Dumesnil , d'après l'opinion de tous
ceux qui ont été à même de les comparer ; quant àmoi , je n'ai pu
jouir de cet avantage . Cependant la prééminence de mademoiselle
Raucourt sur les actrices qui partageront sa succession , me semble
(1) Elle a débuté à la comédie française en 1772.
c .
:
1
8
114 MERCURE DE FRANCE ,
:
incontestable . La dûreté de son organe se refusait , il est vrai , à
l'expression des sentimens doux et tendres ; mais ce défaut était
peu sensibles dans les personnages de son emploi qui lui conve-
*** naient le mieux. Qui peut-on lui comparer actuellement pour l'intelligence
, pour l'art , pour la connaissance de la scène et pour la
pureté de la diction? Sa tenue était superbe ; jamais reine de
théâtre ne porta plus dignement le diadême. A ses débuts sa beauté
subjugua tellement les spectateurs , que bien des gens la proclamaient
supérieure , non- seulement à sa rivale (2) mademoiselle
Sainval , mais encore aux Clairon et aux Dumesnil .
Mademoiselle Raucourt à ses talens joignait de l'esprit et de
l'instruction ; elle est auteur d'un drame en trois actes et en prose,
intitulée Henriette , où elle joua un rôle d'homme. Cette singularité
procura quelques représentations à la pièce , d'ailleurs fort
médiocre .
Une qualité de cette actrice , précieuse à l'époque actuelle ,
c'est de n'avoirjamais adopté ce déplorable système d'une déclamation
chantante et monotone, qu'on peut reprocher plus ou moins
à tous les artistes de la tragédie , et dans lequel ils persistent malgré
les réclamations continuelles des amis de l'art ; ils semblent
avoir pris à tâche de ressusciter la mélodie de mademoiselle Duclos .
Rien n'est cependant plus destructif de toute illusion , de toute vérité;
la tragédie doit être noblement parlée et non pas chantée .
Lapublication de quelques fragmens d'une lettre que mademoiselle
Raucourt m'adressa le printemps dernier sur eet objet , n'a plus
pour elle aucun inconvénient , et pourra être utile à l'art , en
(2) Laharpe , en parlant de la rivalité de ces deux tragédiennes , et des
cabales qui en étaient la suite , s'exprime ainsi : Mademoiselle Sainval a
ssu , mieux que personne , mettre en oeuvre une foule de polissans sou-
> doyés qui composent aujourd'hui un tiers du parterre , et s'en rendent
> quelquefois les maîtres ». N'accusons donc pas toujours le présent , et
convenons que les abus dont on se plaint aujourd'hui avec raison existaient
autrefois. N'y aurait-il pas cependant des moyens d'y mettre un
terme?
JANVIER 1815. 115
ce qu'elle fait connaître la cause du mal , et par conséquent les
moyens d'y remédier. Jepartage entièrement , monsieur, votre
opinion sur le vice de la déclamation généralement adoptée ;
elle tend à détruire l'art : ce qui propage cette dangereuse méthode
, c'est l'école dite Conservatoire , où tous les professeurs
en sont engoués. Je nepuis y opposer que mon exemple , et
peu d'aspirans et surtout d'aspirantes à la cour de Melpomène
sont tentés d'essayer un genre qui leur présente plus de difficultés
, et que leurs professeurs eux-mêmes ne veulent ou ne
peuvent adopter. Voilà , monsieur, la cause de ce système
destructeur des principes de la pure diction , et par conséquent
de l'état du comédien . Corneille est mon auteur de ....
prédilection ; mais par malheur, ou par une suite du système
de déclamation , ce n'est pas celui qu'on joue le mieux ; il demande
à étre parlé noblement , et rien n'est plus difficile pour
ceux qui ne veulent ou ne peuvent entrer dans les secrets de
l'art .
On ne peut parler de mademoiselle Raucourt sans rendre hommage
àla conduite honorable qu'elle a tenue pendant tout le cours
d'une révolution qu'elle détestait . Son âme était ouverte à la bienfaisance
; de telles qualités doivent faire tirer un voile sur des
écarts trop ordinaires , dans la carrière , non moins dangereuse que
séduisante , du théâtre . A.
1
--------------------
1
NOUVELLES DE LA COUR.
L'accident arrivé à S. A. S. la duchesse d'Orléans douairière , a
profondément affligé tous ceux qui ont pu apprécier les vertus de la
digne fille de M. le duc de Penthièvre , et leur avait causé d'abord
les plus vives alarm . Aujourd'hui que l'état de la princesse est
plus satisfaisant , et que toutes les inquiétudes sont dissipées , nous
communiquerons à nos lecteurs quelques-unes des circonstances
qui ont accompagné et suivi cet accident. Au moment de sa chute ,
S. A. S. , entourée de ses amis et de ses serviteurs en larmes , ou116
MERCURE DE FRANCE ,
:
bliait ses souffrances , et ne s'occupait que de leur douleur. La se
rénité brillait dans tous ses traits , et il ne sortait de sa bouche que
des paroles affectueuses et touchantes : Pourquoi vous effrayer?
» disait-elle , ce n'est rien , c'est une jambe cassée , eh bien ! on la
>> remettra » . Transportée dans son palais sans avoir encore
reçu aucun des secours de l'art , tous les coeurs étaient navrés du
spectacle de cette jambe nue et souffrante , qui attendait les premiers
soulagemens. La princesse , seule , ne montrait ni douleur, ni
inquiétude , et si quelques pleurs roulaient dans ses yeux , c'étaient
ceux de la sensibilité qu'elle éprouvait de tant de témoignages
d'amour et de reconnaissance .
Aussitôt après l'accident , M. de Fraguier, premier écuyer de
S. A. S. , s'est transporté chez le roi. Ayant eu l'honneur d'être
introduit auprès de sa majesté , M. de Fraguier eut à peine la force
dedire que madame la duchesse d'Orléans venait de se casser
jambe chez madame la duchesse de Duras. « Chez madame de
>> Duras , s'écrie le roi , en se levant subitement de son fauteuil. »
Sa majesté , croyant que c'était au château des Tuileries que l'accident
était arrivé , allait se rendre auprès de la princesse , lorsque
M. de Fraguier lui dit : Sire, c'est chez madame la duchesse de
Duras , douairière. Alors le roi se rassit , et prodigua à M. de
Fraguier les témoignages d'intérêt et de bonté les plus touchans
pour la princesse.
Depuis ce moment , S. A. S. madame la duchesse d'Orléans a
reçu les secours les plus assidus tant des premiers hommes de l'art
que de tous ceux qui ont le bonheur de l'approcher. Elle a conservé
, sur son lit de souffrances , ce calme affectueux , cette douce
aménité qui la fait si généralement chérir. Elle veut que tous ses
amis viennent la voir comme de coutume. C'est assez dire qu'elle
reçoit beaucoup de monde , trop peut-être pour son état , mais qui
sait ce qu'un coeur aimant reçoit de soulagement de ce qui pourrait
importuner et fatiguer les indifférens et les égoïstes ? C'est le
secret de la princesse .
Voici le dernier bulletin :
• La nuit dernière a été la meilleure que son altesse sérénissime
JANVIER 1815.
117
ait encore passée depuis son accident. Ily a eu quelques heures d'un
sommeil continu. Ce matin l'état de son altesse sérénissime est
excellent. La douleur a encore diminué dans la jambe fracturée ,
et son altesse sérénissime se trouve très - bien jusqu'à présent du lit
mécanique.
27 janvier 1815 .
P. Elisée , Boyer, Gueydant , méd.; Roux.
POLITIQUE.
L'EUROPE est toujours dans l'attente du résultat
du congrès de Vienne . Depuis quatre mois qu'il est
rassemblé, lesconjectures et les spéculations de toute
espèce, que font naître les grands intérêts qui s'y traitent
, n'ont cessé d'être l'aliment journalier des Gazettes
de l'Allemagne , del'Angleterre et de la France .
Mille plans d'indemnités , d'organisation et de balance
politique , ont tour à tour été présentés à la
crédulité et à l'impatience du public ; mais tels sont
les voiles qui couvrent les opérations du congrès , et
les doutes même qui se sont élevés sur la réalité de
ces opérations ; que l'active inquiétude des esprits ,
après avoir épuisé toutes les combinaisons possibles ,
se trouve encore aujourd'hui réduite à se nourrir de
craintes , d'espérances , et d'incertitudes de tout
genre.
Lorsqu'on vit au mois de septembre dernier , les
Souverains alliés se réunir à Vienne , on dût croire
que les grandes bases de l'organisation future de
l'Europe étaient convenues entr'eux ; qu'ils se réu118
MERCURE DE FRANCE ,
:
nissaient , non pas pour discuter ou débattre des intérêts
en litige , mais pour consacrer , par leur présence
, la grande époque du congrès européen , et
rendre plus sacrées et plus durables les dispositions ,
d'où devaient résulter , pour l'Europe , de longues
années de paix . Aujourd'hui on peut croire , d'après
la durée du congrès , et d'après ce qui a transpiré
des discussions qui s'y sont élevées , que la présence
des Souverains à Vienne aura eu un autre genre
d'utilité , et que ce n'était pas trop de l'estime mutuelle
qu'ils s'inspirent , et de l'esprit de conciliation
qui les anime , pour écarter les nouveaux orages qui
auraient pu s'élever sur l'horizon politique. Il paraît
en effet que les cabinets des Souverains alliés , en
s'unissant sincèrement pour un but commun ,
s'étaient cependant communiqué qu'en partie leurs
vues ultérieures .
el
N
te
E
d
S
ne
10
Les prétentions particulières que chaque ministre
a apportées au congrès , n'étaient d'avance connues
qu'imparfaitement de ceux qui devaient ou les seconder
, ou s'y opposer. Les cabinets appelés à coopérer
au grand oeuvre de la restauration européenne,
n'avaient d'idées bien fixes et bien arrêtées que sur
le rôle qu'ils se croyaient en droit d'y jouer. C'était
la seule partie du tableau qui fût éclairée à leurs
yeux , le reste était demeuré vague et confus. Dans
une telle disposition des esprits , le moment de l'explication
était à craindre ; de l'aveu des prétentions
réciproques, il pouvait naître un tel conflit d'intérêts ,
que l'Europe , qui a le malheur d'être encore toute
a
Y
JANVIER 1815 .
119
entière sous les armes , pouvait se voir tout à coup
replongée dans les horreurs d'une guerre , dont le
terme aurait été d'autant plus incertain que les mo-,
tifs en auraient été plus compliqués et les forces plus
balancées . La présence des Souverains à Vienne n'a
sans doute pas peu contribué à écarter un tel avenir;
et peut-être l'Europe n'a-t-elle eu d'autre garantie
contre les nouveaux malheurs dont elle était menacée
que le caractère personnel des Souverains , auxquels
ses destinées sont aujourd'hui confiées , et l'influence
directe que leur présence au congrès aura
dû avoir sur les négociations .
Mais dans quel état sont ces négociations ? Quels
sont les résultats qu'elles ont déjà eus ? et quel terme
auront-elles? Voici le cercle de questions dans lequel
on se trouve sans cesse ramené , et auxquelles nous
n'avons pas la prétention de pouvoir répondre d'une
manière plus satisfaisante que les autres Journaux
français et étrangers, qui s'occupent de leur solution
depuis quatre mois. Cependant toutes les lettres particulières
de Vienne s'accordent à dire que les deux
grandes questions relatives à laPologne et à la Saxe ,
sont décidées , et que si les résolutions du congrès
à cet égard , ne sont pas encore rendues publiques ,
c'est qu'on attend le retour d'un courrier , expédié à
Londres ; le ministre anglais ayant cru devoir, avant
de donner son adhésion aux arrangemens projetés ,
consulter de nouveau sa cour. Ceux qui connaissent
la responsabilité qui pèse sur les agens diplomatiques
de l'Angleterre , et la circonspection timorée qui en
120 MERCURE DE FRANCE ,
:
est la suite , seront moins étonnés de cet incident ,
qu'affligés du retard qu'il occasionne. On croit que le
départ de lord Wellington pour Vienne, où il n'était
nullement attendu au départ des derniers courriers ,
aun rapport direct avec la réponse de la cour de Londres
à la communication faite par lord Castelreagh ;
on va même jusqu'à dire , dans les cercles de la capitale
, que l'on doit supposer être les mieux instruits ,
que lord Wellington a laissé transpirer , avant de
partir , la nature de la réponse dont il est porteur ;
et si l'on en croit des bruits qui ont couru à ce sujet ,
et qui ont même été assez accrédités pour influer
d'une manière avantageuse sur le change , cette réponse
du gouvernement Anglais serait de nature à
lever toutes les difficultés .
1
Lesort de la Pologne et de la Saxe étant fixé, l'attention
du congrès se portera vraisemblablement sur les
affaires d'Italie . C'est le seul pays de l'Europe aujourd'hui
dont le ciel se montre encore chargé d'orages
et de tempêtes politiques . Les peuples de la Pologne
, de l'Allemagne , et des pays situés sur le haut
et Bas-Rhin , souffrent sans doute de l'état d'incertitude
où ils sont laissés ; obligés de nourrir des armées
immenses , et de payer des impôts que le
malheur des temps a fait tripler , ils n'éprouvent
encore , des avantages de la paix , que l'espoir d'un
meilleur avenir ; mais la plus profonde tranquillité
règne dans toutes ces contrées, et l'anxiété que font,
naître les circonstances , trouble à peine la confiance
et la sécurité publique. Il n'en est pas de même en
!
JANVIER 1815. 121
Italie. Une fermentation sourde agite les esprits ;
des cris de sédition et des appels aux armes se sont
fait entendre sur plusieurs points ; des complots ont
été formés et découverts ; les routes sont interceptées
pour toute communication diplomatique; des
assassinats politiques ont été commis sur des officiers
français voyageant sous la garantie du droit
des gens. Par des menées sourdes , on cherche à
ébranler la fidélité des sujets envers leurs souverains
légitimes , enfin si l'on en croit les dernières nouvelles
; une vaste conspiration aurait été ourdie jusque
dans la capitale de la Lombardie. Ne peut-on
pas , jusqu'à un certain point , attribuer cet état de
choses au voisinage d'un homme , à qui de semblables
moyens sont familiers , qui ne dédaigna pas
de s'en servir alors même qu'il disposait des forces
d'un grand Empire et qui y a recours aujourd'hui
avec d'autant moins de scrupule que se sont les seuls
qui lui restent pour troubler le monde. Mais son
beau-frère , son élève demeure encore debout à
l'extrémité de la peninsule , seule et dernière colonne
d'un édifice odieux à l'Europe entière ; il
commande des armées , il menace , il intrigue ; et
le Saint père à peine échappé de la prison où il a
gémi , à peine rentré au sein de ses états y trouve
encore un Napoléon qui l'outrage . Dans le prochain
numéro du Mercure , nous examinerons jusqu'à
quel point il peut être compatible avec la sûreté de
l'Italie , avec la tranquillité future de l'Europe , et ,
avec la dignité des dynasties légitimes de conserver
1
122 MERCURE DE FRANCE ,
:
sur le trône de Naples , un soldat qui cherche aujourd'hui
à se maintenir et voudra demain s'agrandir
par les mêmes moyens qui ont servi à l'élever ,
par des troubles et des séditions ; un soldat enfin
dont on a épuisé l'éloge lorsqu'on a dit qu'il fut
brave , mais que mille voix , dans les places de Madrid,
mais qu'une voix solitaire , dans les bois de
Vincennes , accusent d'avoir fait verser du sang ailleurs
que dans les combats .
1
:
PIÈCES OFFICIELLES ET ACTES DU GOUVERNEMENT ( 1 ) .
( N°. 576. ) Ordonnance du roi relative à l'imprimerie royale.
Louis , par la grâce de Dieu , Roi de France et de Navarre , etc.
Art. 1º . A dater du 1er . janvier 1815 , l'imprimerie royale cessera d'être
régie aux frais de l'état ; son administration sera rétablie sous la conduite et
au compte d'un directeor garde des poinçons , matrices , etc.
2. Le directeur de l'imprimerie royale préiera serment entre les mains
de notre chancelier .
3. L'imprimerie royale restera établie dans l'un des bâtimens du domaine
de l'état. Les dépenses de grosses réparations en seront payées par l'administration
du domaine; les dépenses ordinaires d'entretien seront à la
charge du directeur.
4. Il sera dressé un inventaire des poinçons , matrices , caractères , etc. ,
tant en langue française , qu'en langues étrangères et orientales , ainsi que
des presses et ustensiles composant le fonds de ladite imprimerie.
5. Un double de l'inventaire sera remis au directeur , qui demeurera
responsable de tous les objets y compris , et sera tenu de les représenter à
toute requisition .
6. Lorsque les besoins de notre service exigeront la gravure de nouveaux
poinçons , ou la frappe de nouvelles matrices , il y sera pourvu sur les fonds
de notre chancellerie , d'après les ordres qui en seront donnés au directeur
de l'imprimerie royale : dans ce cas , lesdits poinçons et matrices seront
ajoutés à l'inventaire mentionné en l'article précédent.
(1) Notre intention est d'insérer ici les lois , ordonnances , instructions
entin tous les actes du gouvernement qui nous paraîtront être d'un intérêt
général.-A des époques déterminées , nous donnerons des Tables qui en
faciliteront la recherche .
:
1
JANVIER 1815 . 123
7. La fonte des caractères, l'entretien et le renouvellement des presses
et autres ustensiles , les appointemens et salaires des protes et ouvriers , et
généralement toutes les dépenses courantes d'exploitation en achat de matières
et en main-d'oeuvre , seront à la charge du directeur .
8. L'imprimerie royale restera exclusivement chargée ,
1º. Des impressions nécessaires au service de notre cabinet et de notre
maison, conformément à l'arrêt du conseil du 23 mai 1789 ;
2º. Du service de notre chancellerie et de nos conseils ;
3º. De l'impression , distribution et debit des lois , ordonnances , réglemens
et actes quelconques de l'autorité royale ; renouvelant à cet effet , et
entantque de besoin , les dispositions des arrêts du conseil du mois d'août
1717 etdu 26 mars 1789 ;
4°. De l'impression des ouvrages dont nous autoriserons la publication
sur les fonds que nous affecterons à cet effet , en faveur des auteurs on editeurs
auxquels il nous plaira d'accorder cette marque de notre munificence ,
entout ou enpartie , à titre de recompense ou d'encouragement ;
5°. Enfin de l'impression des objets qui par leur nature , exigent ou le
secret , ou une garantie particulière , tels que les effets royaux et valeurs du
trésor; billets de loterie, congés des troupes , brevets , timbres , cartesfigures
, passe-ports , etc.
l'article
9. Afin d'assurer , autant que possible , l'authenticité des impressions
désignées en précédent , les types de l'imprimerie royale continueront
à porter les signes et marques particulières qui les distinguent des
caractères gravés pour les imprimeries du commerce. Une épreuve en sera
déposée à la direction générale de l'imprimerie et de la librairie; et il demeure
interdità tous graveurs , fondeurs et imprimeurs d'en graver , fondre
ou employer de semblables , sous les peines portees contre les contrefracteurs.
10. Le directeur de l'imprimerie royale sera remboursé de ses frais
d'impression sur ordonnances de nos ministres , chacun dans leur département
respectif, d'après des tarifs approuvés par notre conseil.
Toutefois les derniers tarifs du 26 février 1814 pourront être suivis
jusqu'à ce qu'il en soit autrement ordonné.
11. Chacundenos ministres paiera au directeur de l'imprimerie royale le
prix du nombre d'abonnemens au Bulletin des lois qui scra nécessaire au
service de sondépartement.
12. Néanmoins , sur le produit général desdits abonnemens , le directeur
de l'imprimerie royale sera tenu de fournir gratuitement six mille
exemplaires du Bulletin, pour être distribués selon la répartition qui en
sera arrêtée par notre chancelier , et notamment à nos ministres , aux
préfets et sous préfets , cours et tribunaux du royaume , et commandans
des divisions militaires etdépartemens .
13. Iln'est rien innové d'ailleurs aux précédens réglemens en ce qui
concerne l'impression et la distribution du Bulletin des lois ,ainsi que le
prix fixépour l'abonnement et le recouvrement de ses produits .
14. Au moyen des dispositions précédentes , le privilége général exclusivement
attribué à l'imprimerie royale cessera d'avoir son effet , à dater
du 1. janvier prochain.
15. En conséquence , il sera loisible à nos ministres de traiter , soit avec
le directeur de l'imprimerie royale , soit avec tout autre imprimeur du
commerce, pour les impressions nécessaires au service de leurs bureaux.
124 MERCURE DE FRANCE ,
16. Sortiront toutefois leur plein et entier effet les marchés passés au
nom etpour le compte de l'administration actuelle de l'imprimerie royale.
Ceux desdits marchés qui auraient pour objet le service général des ministères
et administrations publiques resteront à la charge du directeur de
l'imprimerie royale.
Ceuxqui auront été passés pour le service spécial et d'après les ordres
ou instructions des divers chefs d'administrations publiques resteront à la
charge desdites administrations , pour en remplir les conditions et prendre
livraison des approvisionnemens faits en conséquence.
17. Il demeure interdit au directeur de l'imprimerie royale d'imprimer
aucun ouvrage pour le compte des particuliers , sans une autorisation spé
ciale de notre chancelier .
18. Il lui est en outre expressément défendu de vendre aucune fontede
caractères français ou étrangers dont les poinçons appartiennent à l'imprimerie
royale.
19. Les fonds en caisse , les recouvremens arriérés , et l'état des magasins,
seront constatés au 1er. janvier prochain , pour être employés de
préference ,
1º. A liquider et solder toutes les dépenses et créances antérieures à
ladite époque du 1er. janvier 1815 ;
2°. A former un fonds spécialement affecté au service , soit des pensions
acquises à la même époque , soit de celles qui deviendront exigibles à
l'avenir d'après les réglement qui seront établis;
3º. Aux indemnités à accorder aux chefs et employés de l'imprimerie
royale qui se trouveraient supprimés par l'effet de la présente ordonnance ,
sans droit acquis à la pension de retraite.
زا
20. Dans le cas où les fonds constatés au 1er . janvier 1815 ne se trouveraient
pas entièrement absorbés par les dispositions qui précèdent , sera par nous
statue sur l'emploi des fonds , d'après le rapportde notre chancelier.
21. Tous les précédens réglemens seront confirmés en ce qui n'est pas
contraire à la présente ordonnance.
Donné à Paris , le 28 décembre 1814.
( N°. 606. ) Ordonnance du Roi portant classification des départemens
frontières pour l'exécution de la loi sur l'exportation
des grains , et désignation des ports et bureaux de
sortie.
LOUIS , par la grâce de Dieu , etc.
Vu la loi du 2 décembre courant , concernant l'exportation des grains ,
farines et légumes ;
Sur le rapport de notre ministre secrétaire d'état de l'intérieur ,
Nous avons ordonné et ordonnons ce qui suit :
Art. 17. Les départemens composant les frontières deterre et de mer d
notre royaume sont classés, pour l'exportation des grains, farines et légumes,
de la manière suivante ; savoir :
Lapremière classe comprend les départemens du Doubs , du Jura , de
l'Ain , du Mont-Blanc , de l'Isère , des Hautes-Alpes,des Basses-Alpes , du
JANVIER 1815. 125
Var,desBouches-du-Rhône , du Gard , de l'Hérault , de l'Aude , des Pyrénées-
Orientales , de l'Arriége, de laHaute-Garonne, des Hautes-Pyrénées ,
desBasses Pyrénées , des Landes et de la Gironde ;
Laseconde classe , les départemens de la Charente-Inférieure , de la Vendée,
de la Loire-Inférieure , du Calvados , de l'Eure , de la Seine-Inférieure
, de la Somme , du Pas -de-Calais , du Nord , du Bas-Rhin et du
Rhin-Haut;
La troisième classe , les départemens du Morbihan , du Finistère , des
Côtes-du-Nord , d'Ille-et-Vilaine , de la Manche , de l'Aisne , des Ardennes ,
de la Meuse et de la Moselle .
2. La sortie des grains , farines et légumes , ne pourra avoir lieu que
parles ports et bureaux de douanes désignés dans le tableau annexé à la
présente ordonnance.
3. Toute exportation on tentative d'exportation de grains , farines et
légumes , par d'autres points des frontières de terre et de mer , sera poursuivie
et punie conformément aux dispositions de la loi du 26 ventose
anV.
4. Notre amé et féal chevalier , chancelier de France , et nos ministres
secrétaires d'état de l'intérieur et des finances, chacun en ce qui le concerne ,
sont chargés de l'exécution de la présente ordonnance , qui sera insérée au
bulletin des lois.
Donné au château des Tuileries , le 18 décembre de l'an de grâce 1814 ,
etde notre règne le vingtième .
Tableau des ports et bureaux de douanes par où l'exportation
des grains , farines et légumes , aura lieu dans chacun
des départemens de la frontière .
Aisne.-Hirson, Aubenton,
Ardennes . Florennes , Flavion , Anthée , Hastière , Falmignoule ,
Givet, Vaulin , Pondrome , Voneiche , Gédine , Bièvre , Bellevaux , Bouil,
lon , Messincourt , Puilly , Sapogne , Carignan , Saint-Menges , Floing ,
Sedan , Charleville , Gespunsart , Walcourt.
Meuse. Fagny, Montmedy , Thonne- la-Longue , Marville .
Moselle.-Longwy , Mont-Saint-Martin , Sierck , Apach , Becking ,
Rheinbach, Dilling ,Rorbach, Bitche , Bliesbrucken , Schweyer , Stultzelbrounn.
Bas-Rhin. Marckolsheim , Rhinau , Strasbourg , le pout de Kehl , la
Wantzenau , Gambsheim , Drusenheim, Fort- Louis , Mimmbausen , Lauterbourg
, Leimersheim , Ruhlsheim , Belheim , Landau , Kinuelsheim ,
Lembach , Wissembourg.
Haut-Rhin. Croix, Delle , Pfetterhausen , Levoncourt , Winckel ,
Kiffit , Wolschwillers , Ottingen , Leymen , Neuwillez , Hégenheim ,
Bourgfeldein , Saint-Louis , Huningue , Chalampé , l'Ile-de-Päitle , Artzheim.
Doubs. -Mortean , Pontarlier , Verrières-de-Joux , Jougue , Montbéliard.
Jura. Morez,
Ain.- Versoix , Divonne , Grand-Sacconex , Meyrin.
Mont-Blanc.- Trivier , Faverges , Saint-Julien , le Chable , le Plot.
Isère-Chapareillans , le Touvet, Pont-Charra , laChapelle- du-Bai 1,
Bourg-d'Oisans.
126 MERCURE DE FRANCE ,
Hautes-Alpes.-Briancon , Mont-Genèvre , Guillestre , Abries .
Guillest
Basses-Alpess..- Barcelonette , SSaaiinntt--PPaaul , Larche , Fours , Allos ,
Colmars, Entrevaux, Aunot , SSaaiinntt--PPiieerrrree,, les Sausses.
Var. Toulon, Antibes , Saint-Laurent-du-Var , Saint-Tropès , les
Salins , Bandol , Cannes , Saint-Raphael .
Bouchesd- u-Rhône. Marseille , Arles , Cassis , Badon , Vignoles ,
Martigues , Port-de- Bouc , la Valduc , Berre , la Ciotat.
Gard. Aigues-mortes.
Hérault. - Cette , Agde.
Aude.- Narbonne , la Nouvelle .
Pyrénées-Orient .- Collioure , Port-Vendre , Saint-Laurent de la Salanque
et Canet , par mer ; Perthus , Prats-de-Mollo , Saint-Laurent-de-
Cerdanset Saillagoune , par terre .
Arriége. Tarascon , Ax , Seix , Sentein .
Haute-Garonne. -Bagnères-de-Luchon , Saint-Beat.
Hautes-Pyrénées.-Argelès , Arreau.
Basses-Pyrénées . Baïonne , Saint-Jean-de-Luz , par mer; Saint-
Jean-Pied-de- Port , par terre.
Landes . -Saint- Esprit-lès-Baïonne.
Gironde.- Bordeaux , Libourne , Blaye , Panillac , la Teste-de-Buch.
Charente-Inférieure. - Marans , la Rochelle , Marennes , Charente ,
Rochefort , la Tremblade.
Vendée. Lucon , Saint-Gilles , Moricq , Saint-Michel- en-l'Herm , les
Sables-d'Olonne , Beauvoir , Noirmoutier , Bonin .
Loire- Inférieure . Nantes et lieux de chargement situés au-dessous jusqu'à
Paimboeuf , Paimboeuf , Saint-Nazaire , le Pouliguen , le Croisic ,
Mesquer , Pornic , Bourgneuf.
Morbihan.-Lorient , Hennebond , Auray, Vannes , Sarzeau , Penerf,
la Roche-Bernard .
Finistère.- Quimper , Quimperlé , Brest , Morlaix , Roscoff , Pont-
Aven , Pont-l'Abbé , Audierne , Landerneau.
Côtes-du-Nord.- Dinan , Ahouet , le Legué , Pontrieu , Paimpol ,
Lannion , Tregnier , Port-à-la-Duc , Portrieux .
Ille-et-Vilaine.- Redon , Saint-Malo , Saint-Servan .
Manche. Cherbourg , Barfleur , la Hougue , Avranches , Saint-Léonard
, Granville , Regneville , Port-Bail , Carteret.
Calvados.-Caen,Honfleur Isigny.
Eure.-Quilleboeuf.
,
Seine- Inférieure.- Rouen , Caudebec , le Havre , Fécamp , Dieppe ,
Saint-Valery-en-Caux.
Somme.-Saint-Valery-sur-Somme.
Pasd- e-Calais. - Boulogne , Calais , Étaples.
Nord. Maubeuge , Bavay , Malplaquet , Bettignies , Rouvroi , Solresur-
Sambre , Beaumont , Valenciennes , Quievrain, Condé, Maulde, Saint-
Amand , Hallnin , Commines , Werwick , Armentières , Pont-Rouge ,
Baisieux, Bailleul, Steenwoord, Dunkerque, Gravelines, Bergues, Hondtschoote
, Oosp-Cappel.
(N°. 613. ) Ordonnance du roi sur les enrólemens .
LOUIS , par la grâce de Dieu , etc.
Sur le rapport de notre ministre de la guerre ;
Voulant encourager tous nos sujets à suivre leur goût naturel pour le
JANVIER 1815 .
127
service militaire , et assurer , autant qu'il dépendra de nous , le recrutement
de l'armée, par des enrôlemens volontaires ,
Avons ordonné et ordonnons ce qui suit :
Art. 17. Tout homme qui , réunissant les qualités requises , contractera
l'obligation de servir pendant six ans dans l'un des corps de notre armée ,
recevra , comme prix d'encouragement , une somme de cinquante francs .
Il ne sera fait sur cette somme aucune retenue .
Le moitié des cinquante francs sera touchée au départ ; l'autre moitié à
Parrivée aux drapeaux.
2. Il sera en outre payé à l'enrôlé volontaire quinze centimes par liene ;
pendant toute la route qu'il aura à parcourir pour se rendie au corps qu'il
aura choisi , à compter du chef-lieu de l'arrondissement dans l'étendue duquel
il aura contracté son enrôlement.
3. Notre ministre de la guerre est chargé de l'exécution de la présente
ordonnance.
Donné au château des Tuileries , le 30 décembre 1814.
(No. 632. ) Ordonnance du roi qui rectifie l'article 27 du décret
du 23 juin 1806 , concernant le poids des voitures et la police
du roulage , et renouvelle , en tant que de besoin , les dispositions
des lois , décrets et réglemens relatifs aux voitures
publiques.
LOUIS , par la grâce de Dieu , etc.
Sur le rapport de notre ministre secrétaire d'état an département de l'intérieur;
Vu les articles 5, 6, 7 et 27 du décret du 23 juin 1806 , concernant le
poids des voitures et la police du roulage ;
Considérant que; d'après l'article 7 , il est accordé cent kilogrammes de
tolérance sur le poids fixé par l'article 6, des voitures publiques , diligences ,
messageries , fourgons , allant en poste ou avec relais et berlines ;
Qu'aux termes de l'article 5 , la tolérance de deux cents et de trois cents
kilogrammes n'est accordée que sur le poids des voitures de roulage , telles
que le charrettes et chariots ;
Considerant que le silence de l'article 7 du décret précité relativement
aux voitures publiques et messageries , tendrait à laisser impunies les contraventions
desdites voitures , lorsque leur changement excède, outre le poids
fixé par l'article 6 , la tolérance de cent kilogrammes accordée par l'article
suivant;
Considérant que toute extension à ce sujet serait non - seulement contraire
àl'esprit de la loi , mais encore qu'il en resultetait un prejudice incalculable
pour la viabilité des routes , et un danger pour la sûreté des voyageurs ;
Notre conseil d'etat entendu ,
Nous avons ordonné et ordonnons ce qui suit :
Art. 1º . L'art . 27 du décret du 23 juin 1806 , concernant le poids des
voitures et lapolice du roulage , est rectifié , en ce sens que les contraven
tions des voitures publiques , diligences , messageries , fourgons et berlines ,
seront punies des peines portées audit article , à partir d'un excédant de
cent kilogrammes sur les chargemens fixés par l'article 6 dudit decret.
2. Sout et demeurent renouvelées , en tant que de besoin , les dispositions
des lois , décrets et réglemens relatifs aux voitures publiques , et no128
MERCURE DE FRANCE , JAVIER . 1815.
tamment la défense contenue en l'art. 6 du décret du 28 août 1808 ,
d'admettre dans lesdites voitures un plus grand nombre de voyageurs que
celui énoncé dans les déclarations , et d'en placer aucun sur l'impériale ;
ladite défense comprenant mème le conducteur , qui ne peut , à cet égard ,
prétendre ancun droit d'exception, le tout sous les peines portées auxdites
lois, décrets et reglemens , et aux anciennes ordonnances.
3. Notre ministre secrétaire d'etat au département de l'intérieur est
chargé de l'exécution de la présente , qui sera inserce au Bulletin des lois.
Donné au château des Tuileries , le 24 décembre 1814.
NOTICES BIBLIOGRAPHIQUES ; ANNONCES , AVIS , etc.
Lettres parisiennes , par Antimèle. Prix , 3 fr . Chez Germain Mathiot ,
libraire , quai des Augustins , nº . 25.
Les Encouragemens de la jeunesse , par J. N. Bouilly , auteur des
Contesetdes Conseils à mafille. Un vol. in-12 , orné de neuf gravures .
Prix,5 fr. , et 5 fr. 80 c. franc de port. A Paris, chez mademoiselle Deville ,
éditeur , rue de Seine , nº. 48 ; etLenormant , imprimeur- libraire , mème
rue , nº. 8 .
La Mort de Louis XVI , poëme épico -élégiaque . Par M. L. C. D. C.
Prix, 1 fr . , et 1 fr. 25 frane de port. Chez Arthus- Bertrand , libraire , rue
Hautefeuille , nº. 23. 1
De la nécessité d'employer quelque marin auprès des négociateurs
Français , lorsqu'ils ont à traiter avec l'Angleterre , et principalement
dans la circonstance actuelle du congrès assemblé à Vienne ; soutenue
sur quelques détails intéressans relativement aux deux marines de France
etd'Angleterre. Par un officier de la marine en non activité. Prix , 1 fr.
50 c. , et a fr . franc de port. A Paris , chez les marchands de nouveautés.
Cominentaire littéraire sur l'art poétique d'Horace; précédé du texte ,
poelique
par M. Martine . A l'usage des lycées . Prix , I fr. 50 c. , et 1 fr. 80 c franc
de port. A Paris , chez Brunot-Labbe , libraire de l'Université , quai des
Augustins,, n°. 33 .
Exposé des principales questions dont M. Blondin , secrétaire interprête
à la bibliothèque du roi , donnera la solution dans son cours élémentaire
de grammaire générale , applicable aux differentes langues de
l'Europe; présenté au roi , et accueilli avec bonté par S. M. A Paris , chez
l'Auteur , rue Saint-Germain-l'Auxerrois , nº . 65.
Le prix de la souscription au Mercure de France est de 15fr.
pour trois mois , 29 fr. pour six mois , et 56 fr. pourl'année.
-On nepeut s'ouscrire que du premier de chaque mois.-En
cas de réclamation , on est prié de joindre une des dernières
adresses imprimées ou d'indiquer le numéro de la quittance .
- Les souscriptions , lettres , livres , gravures , musique , etc.
doivent être adressées ,franc de port, au directeur du Mercure
de France , rue de Grétry , nº. 5. - Aucune annonce ne sera
faite avant que cette formalité ait été observée.
TIMBR
E ROYAL
MERCURE
DE FRANCE .
N°. DCLXIX. Samedi 4février 1815 .
POÉSIE .
ÉLÉGIE SUR LA MORT D'ÉVARISTE PARNY .
L'amant d'Éléonore a terminé ses jours :
Unissons nos douleurs à celles des Amours .
Quoi ! verrai-je toujours , de deuil environnée ,
Sur la cendre des morts ma muse prosternée ?
Faut-il , du tendre Ovide empruntant les couleurs ,
Tirer des sons plaintifs d'un luth baigné de pleurs ?
Eh! quel temps fut jamais en pertes plus fertile ?
La France donne encor des larmes à Delille :
La muse de Buffon , éteignant son flambeau ,
Descend , avec Saint-Pierre , au fond de son tombeau ,
Et du tendre Grétry la lyre détendue
Sous le toit de Rousseau repose suspendue ( 1 ) .
L'amant d'Eléonore a terminé ses jours :
Unissons nos douleurs à celles des Amours .
(1) Grétry avait acheté l'héritage de Montmorency , où il est demenré
jusqu'à sa mort.
5
C.
SEINE
1
9
130 MERCURE DE FRANCE ,
Il n'est plus : tel , voilé par un nuage sombre ,
L'astre heureux de Vénus décroît, pâlit dans l'ombre.
Tel meurt avant le temps un myrte desséché,
Que le cruel hiver dans son vol a touché :
Chaque jour vainement une main complaisante
Lui prodigue les flots d'une onde bienfaisante ;
Vainement de Vulcain les secours empruntés
Du soleil refroidi remplacent les clartés ;
Dans ses rameaux mourans la sève s'est tarie ,
Et le foyer reçoit sa dépouille flétrie.
L'amant d'Éléonore a terminé ses jours :
Unissons nos douleurs à celles des Amours.
D'Achille égal aux Dieux mère désespérée ,
Si Thétis déplora sa mort prématurée ,
Si les nobles destins de nos chantres fameux
Ont touché quelquefois les Muses et les Dieux ,
Prends tes habits de deuil , ô plaintive élégie !
Soutiens de mes accords la touchante énergie :
Notre Tibulle est mort. L'Amour , comme autrefois (2) ,
Brise ses traits dorés, renverse son carquois :
Une amère douleur voile ses jeunes charmes ,
Et ses cheveux épars sont arrosésde larmes.
Vénus , en gémissant , suit les pas de son fils.
Il semble que Vénus pleure encore Adonis !
Telle était sa douleur , lorsque de Syracuse ,
Pour le bel Adonis, elle inspira la muse (3).
L'amant d'Éléonore a terminé ses jours :
Unissons nos douleurs à celles des Amours .
Un lis majestueux brillait dans la prairie;
Flatté par les zépbyrs , abreuvé par la pluie ,
(2) Voyez l'élégie d'Ovide sur la mort de Tibulle.
(3) Théocrite de Syracuse , et Bionde Smyrne, ont fait chacunune élégie
sur la mortd'Adonis.
1
:
FÉVRIER 1815. 131
Idominait en roi tout un peuple de fleurs;
Le soleil l'animait de ses feux créateurs :
Ilbuvait chaque jour les larmes de l'aurore :
Le papillon léger , volage amant de Flore ,
L'abeille , conposant son trésor parfumé ,
Effleuraient, caressaient son calice embaumé ;
Mais l'hiver l'aperçoit : il commande à l'orage ,
Al'aquilonjaloux de préparer sa rage ,
Et bientôt des zéphyrs l'amant infortuné
Tombe languissamment sur la terre incliné .
Tel périt des amans le chantre aimable et tendre.
Ilmeurt : uncoin de terre est vaste pour sa cendre.
L'amant d'Éléonore a terminé sesjours :
Unissons nos douleurs à celles des Amours .
Mais pourquoi ces vains sons dont ma lyre résonne ?
Craignons , en y touchant , d'effeuiller sa couronne.
Ses accords tour à tour sublimes , gracieux ,
Nobles enfantemens d'un luth mélodieux ,
Ses vers où la mollesse à la grâce est unie ,
De son style enjoué la piquante harmonie ,
Ses concerts amoureux , tendrement cadencés ,
Sont d'immortelles voix qui nous parlent assez .
Heureux qui de ses chants peut savourer les charmes ,
Etde la volupté laisser couler les larmes !
L'amant d'Éléonore a terminé ses jours :
Unissons nos douleurs à celles des Amours .
Ettoi , dont les poisons abreuverent sa vie ,
Ton règne est expiré , lâche et cruelle envię!
Le cercueil éteignit ses jours et ton flambeau.
Fuis , ne t'acharne plus à poursuivre un tombeau.
De l'Érèbe attendri l'inexorable abîme ,
Enfaveur de ses chants épargne sa victime.
L'Euménide a pleuré sur sa couche de fer ;
Qui pourrait condamner quand pardonne l'enfer ?
132 MERCURE DE FRANCE ,
Parny n'est plus à nous. Déjà , d'un vol immense ,
Du Styx à l'Élysée il franchit la distance ,
Il se revêt de gloire et d'immortalité ,
Et s'empare en vainqueur de la postérité.
Déjà s'offrent à lui ces antres frais et sombres
Où des illustres morts errent les grandes ombres ,
Ces plaines de lumière , asiles glorieux
Où des astres nouveaux éclairent d'autres cieux ,
Où brille une autre aurore , où la nuit a des voiles ,
Et monte sur un char environné d'étoiles (4 ) .
Là , sous ses yeux charmés viennent se réunir
Les chantres des vieux temps , les chantres à venir;
Mélésigène (5) assis près d'un futur Homère ,
Horace prodiguant le flambeau qui l'éclaire
Auxmânes assemblés de vingt jeunes rivaux ,
Et les formant dans l'art de chanter les héros .
A son peintre immortel il voit sourire Achille ,
Il voit le grand Énée auprès du grand Virgile ,
LeTasse sur sa lyre exprimant tour à tour
Les fiers accens de Mars , les doux chants de l'Amour,
Tibulle soupirant sur le sein de Délie ,
Catulle badinant dans les bras de Lesbie ,
Et les flots attentifs d'un peuple curieux
Qui boit avidement leurs sons mélodieux (6).
C'est là , dans les douceurs d'une éternelle vie ,
Loin du bruit des combats , loin de la pâle Envie ,
Qu'il goûte des plaisirs purs et délicieux
Ignorés des mortels et créés pour les Dieux .
Délie a dans Parny revu Tibulle encore.
Parny trouve en Délie une autre Éléonore .
(4) Virg . Én. vi .
(5) Nom d'Homère dérivé du fleuve Melės.
(6) HOR. Densum humeris bibit ore vulgus .
LÉON THIESSÉ.
FÉVRIER 1815. 133
LA MAIN DROITE ET LA MAIN GAUCHE .
1 CHACUN connaît deux soeurs jumelles ,
Aussi pareilles que les yeux ,
Et qui s'accorderaient parfaitement entr'elles ,
Si des parens capricieux
Ne faisaient naître à plaisir leurs querelles.
La plus sotte prévention
A l'une refusant toute éducation
Et la tenant dans l'ignorance ,
1
Al'autre la soumet pour ses moindres besoins ,
Tandis qu'à celle-ci , dès la plus tendre enfance ,
Elle aime à prodiguer les leçons et les soins.
Un jour , la soeur disgraciée
Disait : « Est-il un sort plus cruel que le mien?
» De la nature , hélas ! suis-je donc oubliée ?
>> On neme juge bonne à rien.
>>Le préjugé m'interdit tout ouvrage ,
> Et ne m'en permet pas même l'apprentissage.
>> Si par hasard , ou par nécessité ,
>> Ma soeur à ses travaux quelquefois m'associe ,
>> Loin de me savoir gré de ma docilité ,
>> On me maltraite , on m'humilie ,
» On rit de mon air emprunté,
>> Que l'on appelle gaucherie.
> Qu'arrivera-t-il cependant ,
>> Si , victime d'un accident ,
>> Ma dédaigneuse soeur est malade ou blessée?
>>De sa compagne délaissée ,
>> A qui peut-elle avoir recours ,
>> Si contre les dangers dont elle est menacée ,
>> D'avance , on ne lui sut ménager mes secours ?
1
134 MERCURE DE FRANCE ,
>> N'espérant plus fléchir les auteurs de mes jours ,
» C'est à vous désormais que ma plainte s'adresse ,
» Sages instituteurs , amis de lajeunesse !
» De la justice enfin vous entendrez la voix ;
>>Vous protégerez ma faiblesse ,
» Et vous rétablirez mes droits » .
DE KÉRIVALANT.
L'AIGLE ET LE PASSANT . - DIALOGUE.
LE PASSANT.
QUEL est ce Dieu qui sur tes ailes
Parcourt ainsi les vastes cieux ?
L'AIGLE.
C'est Jupiter, maître des Dieux.
LE PASSANT .
Il n'a plus ses foudres cruelles
L'AIGLE.
Non; depuis que son coeur brûle des plus doux feux.
LE PASSANT.
Et quel objet charmant peut fixer tous ses voeux ?
L'AIGLE.
C'est la nymphe Égérię.
LE PASSANT.
Sur ses lèvres d'où vient ce souris gracieux ?
L'AIGLE.
C'est qu'il parle de son amie .
F. L.....
FÉVRIER 1815. 135
ÉNIGME .
LORSQUE de moi vous aurez pris lecture ,
Vous me devinerez , c'est chose à peu près sûre.
Or donc , je suis une charge en peinture :
Sur de certains objets j'exerce la censure ,
Sans trop garder avec eux de mesure ,
Soit que j'esquisse avec ou sans enluminure
Un chevalier de la triste figure ,
Sancho son écuyer ou même sa inonture ,
Un vieux cassandre ou sa future ;
Soit que d'un Ramponeau je peigné l'encolure,
D'un Gargantua l'entournure ,
Ladémarche d'un Démasure ( 1 ) ,
D'une madame Angot la bizarre coiffure ;
De quelque Jeanot la tournure ,
Ou de quelque Blaise l'allure :
Ce n'est qu'en dépassant tant soit peu la nature ,
Que je deviens vraiment une ........
S........
LOGOGRIPHE .
Oui , tu me recherchas dès ta plus tendre enfance;
Je fis cesser tes pleurs, je calmai ta souffrance ,
Lecteur , il t'en souvient; mais aussi quelquefois
Ma trop grande douceur , hélas ! te fut fatale ,
Pour prix de ton amour je te mis aux abois ,
Et sans monsieur Purgon et sa docte cabale ,
Peut-être aurais-tu joint déjà tous tes aïeux .
Transpose un de mes pieds , je puis peindre à tes yeux ,
(1) Personnage de la Fausse Agnès.
136 MERCURE DE FRANCE , FÉVRIER 1815.
La crainte , la pitié , la tristesse , la joie ,
Achille , Ajax , Hector , l'embrasement de Troie ,
Une bergère , un arbre , une chèvre , un troupeau ,
Une chasse , une pêche , une ville , un hameau ,
La beauté, la laideur , les parques et les grâces ,
Le chevalier d'Assas , le combat des Horaces ,
Alexandre , César , et Marius et Sylla ,
Le phare de Messine , et Charybde et Scylla ,
Un mausolée , un temple , une statue equestre ,
Le plus affreux désert , le paradis terrestre ,
Le grave ménuet , le joyeux fandango ,
La bataille d'Ivry , les champs de Marengo ,
Les noces de Cana , le réveil du Lazare ,
De Garnerin l'audace , et la chute d'Icare.
V. B. ( d'Agen ).
CHARADE.
Le paresseux vote pour monpremier ;
Le jardinier façonne mon dernier ;
L'homme sans énergie est en toutmon entier.
S........
Mots de l'ENIGME , du LogoGRIPHE et de la CHARADE insérés
dans le dernier Numéro.
Le motde l'Enigme est Prunes-de-Monsieur.
Celui da Logogriphe est Gastronomie.
Celui de la Charade est Feuilleton,
T
LITTÉRATURE ET BEAUX - ARTS .
LE MARTYRE DE LOUIS XVI et la Captivité de
PIE VI, Poëmes élégiaques ; par M. TRENEUIL .
-Brochure in-8°.-A Paris , chez Firmin Didot .
Prix 2 francs .
De tous les hommages expiatoires dont la tombe
de l'infortuné Louis XVI est l'objet en ce moment ,
l'un des moins indignes de cette Ombre illustre et
sacrée pour nous , est celui , sans doute , du poëte
généreux qui pleura dans le silence sur ces augustes
calamités ; qui , long-temps avant les jours où un
libre essor devait être rendu à tous les sentimens
nobles et patriotiques , confia ses pieuses douleurs
à des feuilles solitaires, qui, connues seulement de
quelques amis , ne pouvaient avoir alors ni la
prétention , ni l'espoir même de la célébrité . La
célébrité ! est-ce bien une pareille chimère qui
pouvait abuser l'auteur des Tombeaux de Saint-
Denis , de l'Orpheline du Temple , du Martyre de
Louis XVI, lorsqu'il s'attachait de préférence aux
pages les plus sanglantes de notre révolution ; lorsqu'il
se plaisait à en suivre les plus touchantes victimes
, aussi loin que des yeux mortels ont pu les
atteindre ? Non ; son âme toute française cherchait
seulement à s'épancher ; et , secondée du talent le
138 MERCURE DE FRANCE,
,
plus distingué, prêtait à ses sentimens cette éner
gie d'expression , cette noblesse , cette élévation
d'idées et de style , qui le caractérisent plus particulièrement
, et lui assurent un rang à part sur le
Pinde français . Il y sera désormais honoré comme
le poëte spécialement dévoué au culte des grandes
infortunes . C'est la Croix d'une main, et les Lis dans
l'autre , que je me plais à voir M. Treneuil ouvrir
une carrière nouvelle, où s'empresseront de le suivre
tous ceux qui verront autre chose dans la poésie ,
que l'art frivole d'amuser un moment les oreilles
oisives , par des bagatelles sonores , par des riens
plus ou moins harmonieusement cadencés. Mais
elle rentre dans ses droits , mais elle exerce une
vraie puissance , ou plutôt une espèce de sacerdoce ,
lorsqu'elle donne aux hommes ces hautes et terribles
leçons , profondément empreintes sur les débris
même des grandeurs terrassées. Eh ! quand son langage
sera- t-il jamais plus imposant , que quand il
se fait entendre du milieu des Tombeaux de nos
rois , si indignement violés; du fond de cette Tour
douloureuse, où gémit si long-temps captive la fille
de ces mêmes rois ; du haut enfin de l'échafaud de
Louis XVI? Mais quel Français ne doit pas
apprécier aujourd'hui tout ce que de pareils sujets
renferment de grave et d'important ? et s'il était
possible qu'après plus de vingt ans de calamités ,
pendant lesquelles le sang de cette royale victime
n'a cessé de pleuvoir sur nous , ily eût encore deux
sentimens à cet égard , nous laisserions les uns à
-
FÉVRIER 1815.
139
leur douleur , les autres à leur repentir ; et nous
nous bornerions à les plaindre également , les supposant
également malheureux .
Toute notre tâche ( et elle est assez belle encore )
se réduit donc ici à suivre la marche du talent dans
l'exécution de son ouvrage , et nous apporterons à
cet examen l'exacte impartialité que commandent
à la fois le sujet et la réputation de l'auteur.
Franchissons donc avec le poëte ces voûtes horribles
; pénétrons dans ce cachot où Louis ,
Toujours grand , toujours roi ,
Sans se plaindre , et toujours au-dessus de l'effroi ,
Attendait son supplice , innocente victime ,
Destinée à périr sur l'échafaud du crime.
Il a imploré de ses bourreaux une grâce dernière,
celle de revoir encore une fois sa famille , dont il
est séparé depuis long-temps !
Cette grâce , à ses voeux promise dès l'aurore ,
La nuit règne , et Louis n'enjouit point encore.
Sa bouche l'a vingt fois sollicitée en vain :
On est sourd à sa voix , tous les coeurs sont d'airain.
Il craint que les tyrans, pour combler leurs injures ,
N'abusent son malheur de promesses parjures ;
Et ce nouvel outrage est suivi du pardon .
Enfin les portes s'ouvrent : sa famille paraît. Ici
commence cette scène de douleur qui dura sept
quarts d'heure , pendant lesquels , dit M. Cléry , il
fut impossible de rien entendre . J'insiste à dessein
sur cette dernière circonstance, parcequ'en rendant,
selon moi, la tâche de M. Treneuil bien plus diffi
140 MERCURE DE FRANCE ,
cile , elle ajoute aussi au mérite d'avoir heureusement
vaincu cette difficulté. Les faits sont par eux
mêmes si éloquens ; les personnages augustes de
cette scène déchirante nous sont si chers et si connus
, que toute espèce de fiction semblait interdite
au poëte : indiscrètement introduite dans un pareil
sujet , elle l'eût complètement dénaturé ; l'on parle
en vain à l'imagination , lorsque c'est l'âme qu'il
faut profondément émouvoir. Aucune tradition ne
pouvait guider ici M. Treneuil , puisque rien n'a
transpiré , puisque l'on n'a pas entendu un seul mot
de ce mémorable et dernier entretien de Louis XVI
avec sa famille ; et cependant M. Treneuil nous répète
, dans toutes leurs circonstances , les discours
du roi , ceux de la reine , de madame Élisabeth et du
Dauphin; aucun trait ne lui a échappé de ce tableau
si douloureusement terrible ; il a tout vu , tout entendu
! c'est bien-là ce que le roi a dit et dû dire ;
voilà bien ce que l'on a dû lui répondre. M. Treneuil
, enfin , nous raconte ce dont il a été témoin ,
il était dans cette tour fatale , il nous y transporte
avec lui , l'illusion est complète ! .... et d'où résultet-
elle ? de la vérité des sentimens éprouvés et rendus
par le poëte , avec l'onction touchante qui leur
convenait et qu'ils eurent sans doute alors. C'est , à
mon gré , l'un des plus beaux triomphes de la poésie,
et l'un des plus grands mérites du poëme qui nous
occupe ; presque tout y est feint , et tout cependant
y est vrai , soit que l'on considère la pensée en elleen
1
FÉVRIER 1815. 141
même , soit que l'on examine les couleurs qu'elle
emprunte.
Quel moment , par exemple , que celui où la famille
royale pénètre dans la prison de Louis XVI !
On entre..... » Ah ! c'est donc vous , dit-il , que je revois !
Ciel! Je les puis encore embrasser une fois.
Famille si long-temps interdite à ma vue ,
Vous m'êtes donc enfin toute entière rendue !
Je sens que Dieu nous aime à ce dernier bienfait;
J'oublie , en vous voyant , tout le mal qu'on nous fait.
Ah ! mourons , dit la reine , ah! mourons tous ensemble !
Oui , dit Élisabeth , oui , que Dieu nous rassemble
Où les méchans enfin ne nous atteindront plus!
Toutes les nuances me paraissent également bien
observées ; la douleur de la reine est vive , impétueuse
; celle de madame Élisabeth douce et calme ;
celle du Roi , profonde , mais tranquille et résignée .
Fortifié d'avance de tous les secours qu'une âme
telle que la sienne cherchait ailleurs que sur la terre,
c'est lui qui console , qui rassure cette famille éplorée
, qui modère son désespoir et s'efforce de lui rendre
un courage qu'il n'a pas lui-même . Quelle haute
sagesse , dans les derniers conseils qu'il donne à son
jeune et malheureux héritier !
Si Dieu permet un jour que le trône des lis
Dans toute sa splendeur sorte de ses débris;
S'il fait , en vous plaçant sur ce haut précipice ,
De votre cause un jour triompher la justice ;
Sachez ( grande leçon pour tous les potentats ! )
Que l'esprit novateur est la mort des états ;
Et maintenez toujours , dans vos conseils austères ,
1
142 MERCURE DE FRANCE ,
Et lesmoeurs et les lois et le dieu de vos pères ( 1) .
Que la clémence enfin règle votre pouvoir ;
Elle est votre premier, votre plus saint devoir ,
La vertu des Bourbons , votre noble héritage.
Mais Louis est homme, Louis est époux et père :
la nature reprend ses droits, et la religion elle-même,
qui resserre et consacre ces noeuds chéris , va leur
prêter un accent plus touchant encore et plus sublime.
Son jeune fils lui promet de suivre ces généreuses
maximes , de régler sa conduite sur celle de
Saint Louis, de Henri IV et du Martyr du Temple .
Le roi s'écrie , dans toute l'effusion d'une âme chrétienne
, royale et paternelle :
O quels délicieux , o quels divins tourmens
Tu mêles , mon cher fils , à ces trop courts momens !
O sainte piété , digne de mon martyre !
Digue de votre sang et de dieu qui l'admire !
J'espère ( et cet espoir me suivradans les cieux )
Qu'un jour tous les Français , fidèles et pieux ,
M'offriront des regrets , des larmes pour hommages.
Venez , entourez-moi , consolantes images ;
Affermissez le coeur d'un prince infortuné ,
D'un prince qui , demain à l'échafaud traîné ,
Sait que du jour de sang où va tomber sa tête ,
La loi consacrera la parricide fête!
Quel présage soudain vient combler ma terreur ?....
Ma mort demes tyrans n'éteint point la fureur :
Quand j'aurai , chers amis , rempli ma destinée ,
Pourrez-vous recueillir ma cendre abandonnée ?
( 1 ) Maintenir un Dieu, me semble une expression au moins
un peu hasardée.
:
FÉVRIER 1815. 143
Ah! je crains qu'on n'envie à ce malheureux corps
Cet asile qui s'ouvre au plus obscur des morts :
Demain vos coeurs pieux me suivront au supplice...
Mais s'il est vrai qu'un feu sacrilége et complice
Dévore tout à coup ce vêtement mortel ! ....
De l'échafaud , mon frère , ils vous suivront au ciel ,
S'écrie Élisabeth ! Les enfans et leur mère :
Au ciel , mon cher époux ! au ciel , notre bon père !
Et ce mouvement sublime, ce cri, échappé à la fois
de tous les coeurs qui l'environnent , retentit aussitôt
dans celui du Roi, lui rend toute sa force , tout
son courage ; le rend tout entier à la religion .
Louis à ces accens , vainqueurs de son effroi ,
Transporté tout à coup sur l'aile de la foi ,
Croit déjà de la vie avoir franchi l'enceinte ;
Il est tout dans les cieux ; mais sa famille sainte
Lui demande à genoux un précieux trésor ,
Dont il peut l'enrichir , la consoler encor ,
Sa bénédiction ! Louis , à ces instances ,
Pleure , et levant ses mains vers le dieu des souffrances ,
Tel qu'autrefois Jacob , à son suprême jour ,
Deux fois il les bénit ensemble et tour à tour.
Ace tableau d'une teinte si douce , et dont l'impression
religieuse tempère si délicieusement les
commotions un peu fortes , dontl'âme ne cesse d'être
agitée , au milieu de ces lamentables scènes , l'art ,
ou plutôt l'inspiration du poëte , la marche des
choses et le développement successifdes impressions
qu'il éprouve lui-même , va faire succéder un tableau
d'un genre et d'un effet bien différent : ce sont les
derniers adieux , l'éternelle séparation de Louis et
de sa famille .
1
144 MERCURE DE FRANCE ,
Déjà l'heure, marquée à leurs adieux funèbres,
D'un son lugubre et lent frémit dans les ténèbres :
Chacun pâlit , écoute ; et glacé de terreur ,
Au dernier coup , demeure immobile d'horreur !!
Je m'arrête à ces quatre vers , dont l'harmonie
sombre et lugubre rend si bien ce que le poëte a
voulu exprimer , pour répondre à ceux qui demandent
quelquefois ce que c'est que la poésie descriptive
: la voilà. Transportez-vous un moment avec
M. Treneuil , sur le lieu de la scène. Écoutez , comme
lui, sonner l'heure terrible ; et si vous êtes Français ,
si vous avez une âme , vousfrémirez , à ce son fatal ,
vous pálirez , comme lui , et au dernier coup , vous
resterez glacé d'effroi. Or, si le poëte a peint ce que
vous avez senti , ce que vous sentiriez en pareille
circonstance , il a fidèlement traduit la nature ; il a
fait un tableau achevé. Je ne ferai remarquer la
coupe du quatrième vers , que pour observer que
c'est un de ces traits heureux que l'on ne doit qu'à
l'inspiration , et que l'on ne trouve jamais moins ,
que quand on les cherche. Cet endroit n'est pas le
seul du poëme, où je pourrais distinguer des beautés
du même genre ; mais quand le talent est presque
partout au niveau du sujet qu'il traite, les remarques
de détail sont inutiles , elles ne font que glacer en
même temps le lecteur et le critique lui-même. C'est
avec l'âme , et l'âme seulement , qu'il faut lire et juger
les productions de l'âme . Poursuivons ; armonsnous
d'un nouveau courage , pour assister aux derniers
momens , qui réunissent et vont séparer pour
FÉVRIER 1815.
45
jamais cette illustre etdéplorable famille. Quelspectacle
mérita mieux jamais , sur la terre , d'attirer
les regards du ciel , l'admiration et le respect religieux
des hommes ?
Odélirę ! ó tendresse ! ô lamentable scène !
Viens , ô religion ! ta vertu souveraine
Peut seule séparer , par un dernier effort ,
Ces coeurs déjà liés des chaînes de lamort.
Quelle autre vertu en effet , c'est-à-dire , quelle
autre force que celle de la religion , pouvait triompher
de l'horreur d'une pareille situation ; élever la
nature au- dessus d'elle-même , et la soutenir contre
tant d'attaques , si douloureuses et si multipliées !
Mais ce même sentiment de force et d'énergie que
prête ici la religion à ces augustes victimes , ranime ,
console et soutient aussi le spectateur il semble
qu'on les plaigne moins , qu'on les trouve moins
malheureuses, en voyant l'étendue et l'efficacité des
secours que leur offre un bras aussi puissant. Mais il
ne suffisait pas pour le poëte d'avoir employéce grand
moyen, le seul capable d'adoucir l'amertume de
son sujet , et d'exciter notre attendissement , au
lieu de soulever et d'irriter notre jaste indignation ,
ce qu'un déclamateur n'eût pas manqué de faire ; il
fallait encore que la dignitédoble et simple du langage
répondit ici à la majestueuse simplicite des
choses; il fallait que les mystèresde la religion, que la
confession, l'absolution , le sacrifice de la messe , etc.
fussentpoétiquement rendus , sans que le poëtecependant
se montrat jamais. Mais c'est dans l'ouvrage
:
!
10
146
MERCURE DE FRANCE ,
même qu'il faut voir , et que l'on remarquera sans
doute , avec quel bonheur M. Treneuil a franchi ce
nouvel écueil du sujet.
Je m'empresse d'arriver à l'une des plus belles
inspirations que l'auteur des Tombeaux de Saint-
Denis ait jamais eues ; à ce songe de Louis dans sa
prison , morceau dont le mérite a été et sera généralement
senti dans tous les temps .
L'ange , à qui le Très-Haut , arbitre de nos jours ,
A confié le soin d'en retrancher le cours ,
Des barrières du ciel sur la terre s'élance ;
Et sur ses pas , la Foi , l'Amour et l'Espérance ,
Pénétrant le cachot où repose Louis ,
Dans l'extase d'un songe , à ses yeux éblouis
Se découvrent soudain les célestes rivages ,
Où des rois ses aïeux rayonnent les images :
Ils lui tendent les bras , ils implorent pour lui
Du monarque des rois la lumière et l'appui.
S'il est , dans notre poésie , un morceau que l'on
puisse opposer à celui-ci , c'est , sans contredit , le
songe de Henri IV dans la Henriade. Mais quelle
différence de situations et par conséquent d'effet !
Saint Louis , dans la Henriade , n'apparaît au digne
héritier de son nom, que pour lui prédire des jours
de gloire et de prospérité , que pour lui dérouler les
plus brillantes pages de notre histoire. Ici; cette imposante
assemblée de rois Français ne s'offre à Louis
que pour lui montrer la place qui l'attend parmi
eux , que pour lui tracer la route sanglante qui doit
l'y conduire :
C'est au plus haut degré de la gloire immortelle ,
FÉVRIER 1815. 147
Que brille , disent-ils , le trône qui t'appelle !
Viens y siéger , Louis !
La sainte héroïne, qui fit un si noble échange des
pompes du trône contre le cilice et les austérités
du cloître , Madame Louise , assise au premier rang
des épouses du Christ , se lève tout-à-coup ;
Et sa voix et sa lyre ,
Joignent ce nouvel hymne aux hymnes du martyre
Chérubins , apportez ces roses et ces lis ,
>> Qui du sang le plus pur fleurissent embellis ;
» Voici le jour de fête où le Très-Haut lui-même ,
Sur le front de Louis les pose en diadême ! "
1
Le jour de féte ! et l'échafaud est dressé ! et les
bourreaux sont là ! Il n'y a qu'un poëte éminemment
religieux qui puisse trouverde pareilles choses .
" Lamort d'un roi martyr présente au roi des cieux
Des spectacles humains le plus grand à ses yeux ;
> J'annonce à l'univers ce spectacle sublime ;
» J'annonce la vertu luttant contre le crime .
* Prends tes armes , Louis , c'est ton dernier combat ;
>>De ton règne en mourant éternise l'éclat ;
"
La terre te bénit et le ciel te contemple ;
Ton obscure prison va devenir un temple ;
20 La France en deuil , livrée aux pleurs , au repentir ,
» Invoquera le nom de ton royal martyr ;
>> L'église s'enrichit de ce titre de gloire ,
» Et Dieu tient dans ses mains le prix de ta victoire. >>>
» Chérubins , etc.
» Viens recevoir le prix de ta fidélité :
>>De la religion et de la royauté
>> Ton sang raffermira les bases immortelles .
A
148 MERCURE DE FRANCE ,

>> Vois toutes les vertus t'ombrager de leurs ailes :
>>>De l'échafaud , pour toi dressé dans cet instant ,
»
»
»
Vole au sein de ton Dieu qui t'appelle et t'attend ;
O fils de Saint Louis ! ô magnanime athlète!
Franchis encore un pas , et ta course est complète » .
>> Chérubins , apportez , etc. »
Ce retour lyrique des mêmes idées , heureusement
ramenées , et que l'on peut supposer chanté
par tout le choeur des bienheureux , donne à tout
le morceau quelque chose d'auguste et de solennel ,
qui nous rappelle à chaque instant que nous avons
quitté la terre , et déjà suivi Louis dans les cieux .
Le jour de fête , trois fois représenté à notre imagination
dans un si court espace , semble en avoir
effacé toute autre idée; elle ne voit plus que la
palme du triomphe ; elle n'entend plus que des
chants de victoire et presque d'allégresse .
Hatons-nous cependant d'arriver au dénoûment
de cette affreuse catastrophe ; et suivons la sainte
victime jusqu'à l'autel même du sacrifice. Louis
siége enfin dans le char de la Mort.
Monté sur l'échafaud , devenu son calvaire ,
O mon peuple ! ô Français! dit-il en gémissant ,
>> On me traite en coupable etje meurs innocent;
>> Que la paix, le bonheur puissent enfin renaître ,
" Et devenir le prix du sang de votre maître !
Un exécrable monstre oppose à ce discours
Lebruyant roulement des lugubres tambours :
Crime lâche ! dernier et sacrilége outrage ,
Le scul qui de Louis ait glacé le courage .
Du moins on entendit ces accens retentir :
FÉVRIER 1815 . 149
K Demon amour pour vous , Français , je meurs martyr !
Pardonnez-leur , mon Dieu , comme je leur pardonne.
>> Seigneur , entre vos mains mon âme s'abandonne >> !
A ces mots une voix cria du haut des airs :
« Pars , fils de Saint-Louis ! les cieux te sont ouverts » !
Louis n'est plus , et la noble tâche de son poëte
est achevée . Je ne me sens pas la force , en terminant
la mienne, de revenir sur quelques expressions
négligées , sur quelques tours faibles ou prosaïques
, sur quelques vers enfin qui pourraient être
mieux faits ; ces taches légères , et si faciles d'ailleurs
à effacer , se perdent au milieu de tant de beautés
de poésie et de sentiment. Ce n'était point ici le cas
de cette critique froide et minutieuse qui tue l'esprit
en s'attachant exclusivement à la lettre. Peut-être
même ai-je cédé trop facilement au plaisir d'admirer
, presque sans restriction ; mais j'avais moins
encore un bon ouvrage à faire connaître , qu'une
belle action à louer , qu'un trait de courage et de
dévouement à célébrer. AMAR.
P. S. L'un de nos collaborateurs rendra compte
incessamment de la Captivité de Pie VI.
...........
ÉLÉGIES EN TROIS LIVRES , par CHARLES MILLEVOYE .
in-18 ; chez Klostermann , libraire , rue du Jardinet
, n° . 13 , et chez Frimin Didot, rue Jacob ,
n°. 24.
M. MILLEVOYE est un des écrivains qui , dans un
siècle anti-poétique , se sont dévoués avec le plus
150 MERCURE DE FRANCE ,
de ferveur au culte des muses. Cette noble résolution
mériterait les plus grands éloges , si ce jeune
auteur ne nous contraignait lui - même à y mettre
des restrictions par l'abus qu'il fait depuis quelques
années d'un désir très-louable en soi , celui d'ajouter
toujours quelque chose à sa réputation poétique . Six
mois s'écoulent rarement sans que les journaux nous
avertissent que M. Millevoye a fait un nouveau classement
de ses poésies . Tantôt il nous en livre la collection
en cinq ou six volumes ; quelque temps après ,
il les réduit à trois. Tel poëme ne sera qu'un fragment
dans la prochaine édition , et tel fragment sera
devenu un poëme .Véritable chimiste littéraire , l'auteur
á , par exemple , tellement opéré son Belsunce ,
que cet ouvrage est aujourd'hui méconnaissable pour
qui n'en a lu que la première édition . Jamais le proverbe
si connu : le mieux est ennemi du bien , n'a pu
être plus justement appliqué.
Un Journal , consacré à combattre les fausses doctrines
littéraires , peut aussi quelquefois combattre
le système vicieux adopté par un écrivain , quand le
talent de cet écrivain mérite qu'on l'avertisse qu'il
s'égare . M. Millevoye a des droits à entendre cette
vérité . Je poursuivrai donc ces observations critiques
; et les appliquant au recueil qu'il publie aujourd'hui
, il s'est dit : Je veux conquérir le titre de
poëte élégiaque , et soudain il a extrait de ses ouvrages
tout ce qui lui a paru tenir à ce genre ou du
moins s'en rapprocher. C'est ainsi que plusieurs petites
pièces , rangées autrefois dans ses oeuvres , sous
1
FÉVRIER 1815. 151
la dénomination de poésies fugitives , sont devenues
tout à coup des élégies ; et si M. Millevoye publie
quelque jour un volume d'idylles ou d'églogues , je
ne serais pas étonné de les y retrouver ; j'avoue
même qu'elles auraient d'aussi bonnes raisons à produire
pour justifier leur admission .
En effet , il est permis de douter que , dans les pièces
même composées exprès pour ce recueil , M. Millevoye
ait eu le véritable instinct de l'élégie (et quelle
espèce de poëme motivedavantage cette expression ?)
quand on le voit diviser symétriquement les siennes
en élégies amoureuses ou funéraires , prises dans
une nature étrangère et imitées du genre élégiaque
ancien. Ce n'est pas ainsi que Parny , Bertin et
Made. Dufresnoy ont naturalisé chez nous la muse
sensible et passionnée qui inspira Tibulle , Ovide et
Properce. Ils n'ont pas froidement calculé une distribution
en trois livres de genres différens , pour
éviter l'uniformité. C'est leur ame qui leur a fourni
les moyens d'échapper à la monotonie , et leur pinceau
n'a pas eu besoin de s'astreindre à des divisions
méthodiques pour varier ses teintes .
Un seul exemple suffira pour montrer combien
M. Millevoye est loin d'avoir surpris le secret de
l'élégie . Sajolie pièce,intitulée : la Chute des Feuilles ,
placée à la tête de ce nouveau recueil , finissait autrefois
par ces vers :
" Mais son amante ne vint pas
» Visiter la pierre isolée ;
» Et le pâtre de la vallée
1
152 MERCURE DE FRANCE ,
>> Troubla seul du bruit de ses pas
» Le silence du mausolée »
Tous ceux qui ont le sentiment de la poésie avaient
remarqué la teinte vague et mystérieuse répandue
sur ce dernier tableau ; mais le démon du mieux n'a
pas oublié son rôle dans cette occasion. Il s'est empressé
de souffler à l'oreille de l'auteur qu'un trait
sur lequel il avait dû glisser était au contraire celui
qu'il fallait indiquer fortement au lecteur ; et trop
docile à sa voix , le poëte nous donne aujourd'hui
la version suivante :
« Sa mère peu de temps , hélas !
Vint tous les soirs dans la vallée ,
" Visiter la tombe isolée ,
> Et son amante ne vint pas » .
Mais quel autre démon a pu inspirer à M. Millevoye
l'idée de nous assurer, dans une note , que cette
chute épigrammatique est ce qu'il y a de plus élégiaque
dans cette pièce ? N'est-ce pas là donner l'éveil
à la critique et braver imprudemment ses traits en lui
désignant la place où ils doivent frapper. ".
Au reste , il est facile de s'entendre. Que M. Millevoye
me permette d'oublier le titre de ce recueil ;
et dispensé dès lors de le rappeler au genre que ce
titre annonce , je pourrai accorder de justes éloges
à beaucoup de jolies pièces , telles que l'Inquiétude
, la Colombe , la Néréide , Homère mendiant ,
etc. , etc. Je ferai remarquer un heureux emploi des
couleurs locales dans ces vers adressés au Phénix
par l'interprète des peuples de la Lycie :
1
FÉVRIER 1815 . 153
■ Depuis l'heure où ton vol tranquille et solitaire
Se balance au milieu des globes éclatans ,
>> O ! combien de mortels ont passé sur la terre ,
Nomades engloutis dans les déserts du temps !
> Las d'errer sans espoir , caravane oubliée ,
En des sables mouvans sans ruisseaux et sans fleurs ,
>> Ils ont enfin trouvé le terme des douleurs ,
>> Et leur tente d'un jour pour jamais s'est pliée » .
L'élégance , la grâce , la facilité sont les caractères
distinctifs du talent de M. Millevoye ; mais quelquefois
son ambition littéraire l'a entraîné à traiter des
sujets qui pouvaient lui faire demander davantage .
On doit espérer qu'on ne le lui demandera pas toujours
infructueusement , d'après ce passage de son
Pauvre Nègre :
N Deux jours entiers jetant sa nourriture ,
>> Il haleta sous un ciel embrasé;
» Et du matin jusqu'à la nuit obscure ,
>> De ses sueurs le sol fut arrosé .
> Vers le retour de la troisième aurore ,
» La verge en main , le maître reparut :
ת -Lève-toi. -Non:jepuisdormirencore,
>> Je deviens libre » , et sur l'heure il mourut.
Il me semble qu'il y a ici concision et énergie ,
qualités trop souvent confondues. Le premier vers
seul est faible d'expression. Le goût de M. Mil–
levoye lui en signalera quelques autres qui offrent
le même défaut. Il lui demandera aussi le sacrifice
facile de quelques Car étonnés sans doute de l'hospitalité
que leur donne un poëte , lorsqu'un prosateur
élégant cherche lui-même à éviter leur trop fréquent
usage.
154 MERCURE DE FRANCE ,
Tous les amis qui restent à la poésie formeront sans
doute avec moi le voeu que M. Millevoye , au lieu de
multiplier fictivement ses ouvrages , ajoute à ceux
qui ont obtenu le suffrage public , quelque composition
dont le but et le genre soient bien déterminés .
J'ose même lui prédire que sa persévérance à suivre
ce système contribuera à répandre plus de force et
de couleur sur son style , auquel on a pu quelquefois ,
avec justice , appliquer ce mot d'un ancien : Magis
extrà vitia quàm inter virtutes .
.......
MÉMOIRES SUR LA GUERRE D'ESPAGNE , par M. DE
Rocca , officier de hussards et chevalier de la
Légion d'Honneur. II . édition . Un vol . in-8°.
PREMIER ARTICLE.
La guerre d'Espagne est sans contredit l'acte le
plus impolitique et le plus immoral de la puissauce
de Buonaparte. Cette proposition n'a pas
besoin aujourd'hui d'un grand développement pour
paraître dans toute son évidence ; c'était même une
vérité déjà reconnue par toute l'armée française ,
pendant la durée de cette guerre injuste et désastreuse
. Mais ce que peu de personnes avaient prévu
d'abord , c'est l'influence que cette invasion devait
exercer sur les destinées de l'Europe et sur celles
de son oppresseur. La résistance opiníâtre, héroïque
et désespérée des Espagnols donna un grand exemple
, réveilla les peuples de leur stupeur, et mit en
10
bi
ap

10
26
d
e
r
t
FÉVRIER 1815. 155
jour une vérité que les victoires du conquérant semblait
avoir rendue problématique. L'Europe entière
apprit qu'une nation ne peut être subjuguée , tant
qu'elle a le courage et la constance de se résigner à
tous les sacrifices nécessaires au maintien de son
indépendance . Quand les peuples et les souverains
se furent une fois pénétrés de ce grand principe ,
tous les projets , toutes les entreprises de Napoléon
devinrent un acheminement continuel vers sa perte ;
et, sous ce rapport, la nation espagnole peut se glorifier
d'avoir porté à ce colosse de puissance , mons-
- trueux autant qu'éphémère , les coups qui devaient
plus tard déterminer sa chute .
,
Quoique les motifs qui ont guidé Buonaparte
dans sa conduite à l'égard de la famille royale d'Espagne
soient assez connus il est à remarquer que
l'on n'en devinerait qu'une faible partie si l'on voulait
ne les chercher que dans son insatiable ambition .
Un autre motif , bien plus puissant pour lui , le
faisait agir. Dès que l'étranger eut osé s'asseoir, au
milieu de nous , sur le trône des Bourbons , il jugea
nécessaire à son repos , à l'établissement de ce qu'il
appelait sa dynastie , de poursuivre partout les branches
régnantes de l'auguste famille de nos rois. Une
première usurpation n'était que le prélude de toutes.
celles qui devaient se succéder avec une rapidité
dévorante . Le roi de Naples et la reine d'Étrurie
furent sacrifiés les premiers à sa crainte haineuse :
leur crime était d'appartenir à la famille des rois
de France, Les Bourbons d'Espagne devaient tôt
156 MERCURE DE FRANCE ,
----
--
ou tard éprouver le même sort ; la captivité dans
laquelle il parvint à les attirer , fut le résultat des
machinations les plus odieuses. Un simple décret
avait expulsé le roi de Naples de son trône , et ,
sans autres formalités , l'armée d'Italie avait été
chargée de l'exécution du présent décret. Mais l'Espagne
sembla exiger d'autres mesures , et il employa
àl'égard de ce royaume toutes les ressources de sa
politique; la force ne fut montrée que d'une manière
passive et indirecte : ce dernier moyen était là
pour suppléer au premier en cas qu'il vint à manquer.
La situation intérieure de la monarchie espagnole
secondait singulièrement les projets de Buonaparte.
Un favori , odieux à toute la nation, homme
d'une naissance peu distinguée , parvenu , on ne sait
comment , à être le premier personnage de l'état ,
n'employait depuis douze ans l'ascendant qu'il s'était
acquis sur l'esprit de son maître , qu'à augmenter
son pouvoir et ses richesses , humilier les grands ,
élever ses créatures , et qu'à fomenter la discorde
parmi les membres de la famille royale , surtout
entre le monarque et son fils . Ce favori avait eu l'art -
de supposer des complots et de les faire attribuer
au prince ; le fils avait été accusé devant son père ,
et l'héritier de la couronne avait éprouvé l'humiliation
de recevoir son pardon par l'organe du favori
qui l'avait calomnié. Plusieurs scènes de cette nature
indignent les grands et le peuple : l'exaspération des
esprits s'accroît de jour en jour; le favori , fort de
la faiblesse de son roi, continue d'exercer une auFÉVRIER
1815 . 157
torité presque despotique , ayant soin surtout d'empêcher
le prince d'avoir accès auprès de son père ;
la nation , quoique comprimée , prononce et manifeste
en mille occasions sa haine pour le favori , et
son dévouement au prince des Asturies. Dans cette
fermentation générale , on peut dire qu'une révolution
était inévitable en Espagne. Buonaparte résolut
de la diriger selon ses vues ; maître des secrets
du royaume , par les communications que lui faisait
le favori , il profite des circonstances , et fait entrer
quatre-vingt mille hommes en Espagne . Le gouvernement
de ce pays répand que les troupes françaises
vont en Portugal , à Gibraltar : le roi pense qu'elles
viennent le protéger contre les partisans de son fils;
la nation croit que Napoléon va lui donner le bonheur
, rétablir la paix et l'harmonie dans la famille
royale , et surtout qu'il va punir ou renverser le favori
. Les troupes françaises occupentsuccessivement
les points principaux de l'Espagne ; Murat s'établit
à Madrid d'où il dicte des lois , et la cour se rend à
Aranjuez. Le plan était parfaitement combiné; l'asservissement
de la nation espagnole semblait en
être la suite inévitable ; mais un élan spontané de
cette brave nation renverse en une nuit tous les
projets formés contre elle.
Les ennemis du favori répandent dans Aranjuez
le bruit que la famille royale doit partir avant le
jour; que le roi et tous les princes doivent être
conduits secrètement à Malaga où l'on doit les faire
embarquer pour l'Amérique. Le peuple se rassem158
MERCURE DE FRANCE ,
,
ble , les têtes s'échauffent , l'imagination s'exalte , et
l'on ajoute que le favori a formé le complot de
faire périr en mer toute la famille royale. Une
foule immense se porte au palais , criant : Vive le
prince des Asturies ! meure le prince de la Paix !
et menaçant d'enfoncer les portes et de ne rien
respecter si on ne lui livre ce dernier pour le
mettre en pièces. Les vociférations redoublent , la
sédition prend un caractère terrible et le roi
Charles , pour sauver son favori, juge à propos
d'abdiquer. Cette résolution est sur-le-champ notifiée
au peuple ; Ferdinand VII est proclamé roi :
lui-même se montre sur un balcon à la lueur des
torches , et il est accueilli par les acclamations de
l'enthousiasme et du délire. Murat n'apprend ces
nouvelles qu'à la pointe du jour : elles se répandent
avec une rapidité extraordinaire dans toute
l'étendue du royaume , à Madrid , partout , en présence
des garnisons françaises , on célèbre l'avénement
de Ferdinand VII avec des démonstrations
inouïes de joie et de bonheur ; on élève des inscriptions
, des chiffres , des emblèmes ; les fêtes les
plus brillantes consacrent cet événement si désiré ,
et les Espagnols invitent les Français à partager
leur ivresse , les embrassent comme des frères , et
leur font honneur de l'exaltation de Ferdinand ,
comme si l'armée française ne fût venue chez eux
que pour le couronner. Il paraît que Murat fut
étourdi de ce mouvement inattendu , car il ne prit
aucunes mesures pour en arrêter les suites : un tel
10
ΟΙ
S
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SO
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SU
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et
A
P
G
FÉVRIER 1815 .
159
-:
incident n'avait sans doute pas été prévu dans ses
instructions . Il se hata d'en faire part à son maître ;
on sait ce que fit ce dernier, et par quel artifice ,
bien digne de lui , les souverains de l'Espagne furent
mis en captivité. Dès que Napoléon eut levé le
masque , les Espagnols , furieux d'avoir été joués
si cruellement , poussèrent des cris de rage et de
vengeance , et coururent aux armes de toutes parts .
Il fallut combattre à force ouverte un peuple que
l'on n'avait pu prendre par trahison .
Tout l'odieux de la guerre d'Espagne ne pèse que
sur un seul homme. Lorsque les troupes françaises
sont venues chercher dans la péninsule de nouveaux
combats et de nouveaux périls , elles n'ont fait que
suivre leurs drapeaux et obéir passivement au chef
éventuel de l'état. L'injustice de cette usurpation
sans exemple dans l'histoire moderne , ne saurait
porter aucune atteinte à la gloire de nos troupes , ni
étouffer le tribut d'éloges que méritent leur bravoure
à toute épreuve et leur constance infatigable
pendant le cours d'une guerre plus pénible et plus
désastreuse que toutes celles que nous avons faites
depuis dix- neuf ans. Les Espagnols déployèrent alors
un caractère de grandeur et de courage mêlé d'une
certaine férocité qui les rendait redoutables . Les
Français eurent à surmonter des obstacles dont on
n'avait point encore eu d'exemple . On commit des
excès monstrueux et révoltans; mais ils sont également
imputables aux deux partis ; ils ont souillé trop
souvent et l'héroïsme espagnol et la valeur française .
160 MERCURE DE FRANCE ,
Les actes de cruauté donnaient lieu de part et d'autre
à d'horribles représailles qui , se renouvelant
sous mille prétextes , firent prendre à cette guerre
un caractère terrible. Elle offre , sous tous ses aspects
, une foule d'événemens extraordinaires et
quelquefois incroyables , bien digne d'exercer la
plume de l'histoire. Il est à souhaiter que les relations
particulières se multiplient , pour guider l'écrivain
qui se chargera de coordonner les faits et de
composer une histoire de la guerre d'Espagne. Il a
déjà parů , sous ce titre un peu ambitieux , un ouvrage
de M. le maréchal-de-camp Sarrazin; les lacunes
et les omissions , les erreurs et la partialité. -
qui se trouvent quelquefois dans son livre , ne permettent
pas de le regarder comme une histoire ; c'est
plutôt un cadre dans lequel cet officier général a
voulu présenter au public ses jugemens , ses opinions
et surtout ses plans : il s'est occupé de tracer en
grand , et d'après ses idées , un tableau des opérations
militaires , sans entrer dans aucun détail sur les
particularités qui distinguent la guerre d'Espagne de
toutes les autres . Ce sont ces détails mêmes qui peuvent
le plus nous intéresser aujourd'hui ; nous ne demandons
pas encore une histoire proprement dite :
tous les acteurs qui doivent y figurer sont trop près
de nous .
L'ouvrage de M. de Rocca mérite un accueil favorable.
L'auteur y rend compte de ce qu'il a vu , de
ce qu'il a éprouvé ; ces mémoires offrent une lecture
qui attache et qui intéresse . Son but n'a pas été d'exposer
les causes de la guerre d'Espagne , ni de prén
20
TIMBRE
FÉVRIER 1815.
senter lé développement historique des opérations
militaires , il n'en parle qu'autant qu'elles se lient
aux circonstances qui lui sont personnelles : néanmoins
, ce qu'il dit des événemens majeurs en donne
une idée qui suffit au plan qu'il a adopté . Il ne parle
en détail que des événemens dont il a été témoin ,
des lieux qu'il a parcourus , des combats où il s'est
trouvé, des missions qu'il a eues à remplir , et enfin
de tous les incidens qui l'ont frappé. Son ouvrage
offre beaucoup de particularités qui tiennent à l'esprit
d'observation : M. de Rocca brille surtout par
cette qualité ; il a parfaitement décrit tout ce qui
-tient à la couleur locale de la guerre d'Espagne ; ses
observations sur les moeurs , quoique trop circonscrites
, sont rendues avec exactitude et justesse , et il
a bien saisi le caractère espagnol . En général sa relation
a beaucoup de vérité ; c'est une justice que je
crois pouvoir lui rendre avec quelque connaissance
de cause, ayant servi moi-même en Espagne pendant
cinq ans , et je me plais à donner mon témoignage
sur la fidélité de ses tableaux et l'exactitude de ses
observations.
Je ne suivrai point M. de Rocca dans tous les lieux
qu'il décrit et dans toutes les expéditions qu'il raconte
; il y a dans son style narratif une manière
heureuse et pittoresque , qui fait que ses récits perdraient
beaucoup à passer par l'analyse . Je veux seulement
offrir à mes lecteurs quelques remarques et
quelques considérations générales que je puiserai en
partie dans l'ouvrage même , et qui pourront donner
SEINE
520
C.
I1
162 MERCURE DE FRANCE ,
une idée de la guerre d'Espagne à ceux qui n'auraient
pas sous les yeux la relation de M. de Rocca.
Lorsque le roi Joseph eut été forcé à se retirer
sur l'Ebre , au mois de juillet 1808 , les Espagnols
acquirent une confiance dans leurs propres forces ,
qui devait leur être fatale en bataille rangée , contre
des troupes accoutumées à combattre et à vaincre
les armées les mieux disciplinées. Les inquiétudes
des Espagnols , quand ils devaient se mesurer avec
nous , ne se portaient pas tant sur les moyens de
nous résister ou d'assurer leur retraite en cas de
revers, que sur la crainte que les Français ne leur
échappassent. Ils préjugeaient de l'événement du
combat par le désir ardent qu'ils avaient de vaincre
et de détruire leurs ennemis ; ne sachant pas manoeuvrer
, craignant de ne pas développer assez tốt
leurs colonnes pour nous envelopper , ils se plaçaient
sur de longues lignes sans profondeur , dans
des plaines où la supériorité de notre tactique , la
méthode des lignes par bataillons serrés en masses ,
et surtout notre cavalerie devaient nécessairement
nous donner l'avantage. Aussi , trois grandes victoires
et quelques combats portèrent sur-le-champ
les troupes françaises devant Madrid , devant Sarragosse
et au fond de la Galice. Pas un Français ne
doutait alors que des victoires aussi rapides n'eussent
décidé du sort de l'Espagne. Nous croyions ,
et l'Europe le croyait peut-être aussi , qu'une fois
maître de Madrid , Bonaparte pouvait compter sur
la soumission du reste de l'Espagne, et organiser le
1
FÉVRIER 1815. 163
pays à sa manière , c'est-à-dire , accroître les moyens
de conquête par toutes les ressources des ennemis
vaincus . Les guerres que nous avions faitesprécédemment
nous avaient accoutumés à ne voir dans une
nation que ses forces militaires , et à ne compter
pour rien l'esprit qui animait ses citoyens . Mais le
caractère des Espagnols ne ressemble en rien à celui
des autres nations de l'Europe. Ils étaient généralement
animés par un sentiment de patriotisme religieux;
ils étaientfanatisés , comme nous le disions
dans l'armée française; ils n'avaient aucune connaissance
pratique de la discipline et des lois de la
guerre ; ils abandonnaient facilement leurs drapeaux
après les revers , et les rejoignaient ensuite au bout
de quelques jours ; ils ne sé croyaient point obligés
à garder la foi promise à leurs ennemis ; ils s'imposaient
froidement les sacrifices les plus pénibles : ils
n'avaient qu'un seul intérêt , qu'un seul désir, celui
de se venger par tous les moyens possibles du mal
que les Français faisaient à leur pays. La discipline ,
fondée sur le point d'honneur, a fait triompher les
armées des conquérans ; mais le patriotisme politique
ou religieux rend seul lés nations indomptables.
Les habitans abandonnaient leurs demeures à
l'approche des Français , emmenant avec eux , au
loin, dans les montagnes , leurs bestiaux et leurs
bêtes de somme , chargées de leurs effets les plus
précieux et de toutes leurs denrées . La solitude que
laissent d'ordinaire après elles les armées ennemies ,
semblaient nous avoir devancé partout où nous ar
164 MERCURE DE FRANCE ,
rivions. Au milieu des bourgs et des villages déserts ,
nous nous trouvions dans un manque absolu de
tout. D'abord après le départ des troupes , les paysans
descendaient des hauteurs voisines , et sortaient
de toutes parts comme du sein de la terre ,
des lieux où ils s'étaient cachés ; ils se hâtaient
de regagner leurs demeures. Ils étaient tous
armés ; nos soldats ne pouvaient s'éloigner de la
route ou rester en arrière des colonnes , sans s'exposer
à être assassinés ; on n'osait pas , comme en
Allemagne , former partout des ambulances , ou bien
faire conduire isolément les blessés et les malades
aux hôpitaux. Les soldats , qu'une cause quelconque
empêchait de suivre , étaient perdus sans remède et
périssaient cruellement ; ceux surtout qui s'écartaient
pour le pillage , avaient le même sort : c'est
ce qui peut expliquer la quantité effroyable d'hommesquelaguerre
d'Espagne nous a coûté. La population
était partout , excepté dans lesvilles ou villages ,
partout où elle pouvait nous nuire , sur nos traces ,
sur nos flancs et dans les intervalles mêmes de nos
lignes ou de nos colonnes .
:
Les victoires des Français et leur entrée à Madrid
ne firent qu'étonner les Espagnols sans les décourager
aucunement. Les proclamations foudroyantes
de Bonaparte annonçaient ses triomphes à l'Europe ,
et faisaient craindre un sort terrible aux parties de la
péninsule qui résistaient encore . Cependant les provinces
de l'Espagne ne s'empressèrent pas de faire
séparément des démarches pour adoucir un vainFÉVRIER
1815. 165
queur implacable , et détourner le coup funeste
qu'elles devaient craindre . Personne ne se présentait
pour apporter aux pieds de Napoléon , avec les
tributs exigés , ces éloges obséquieux auxquels d'autres
pays l'avaient accoutumé. Une députation de
la ville de Madrid et douze cents chefs des principales
familles de cette ville , furent appelés pour
prêter , en sa présence , serment de fidélité au roi
Joseph . Mais les prêtres les avaient , dit-on , dégagés
d'avance des sermens de soumission qu'ils pourraient
lui faire.
La partie la plus éclairée de l'armée française conservait
, au milieu des chants de victoire dont nos
bulletins retentissaient , un sentiment d'incertitude
sur les avantages même qu'elle avait remportés ; on
aurait dit que nous avions vaincu sur des volcans .
Les peuples des provinces manifestaient généralement
la plus grande incrédulité sur nos succès ; aucun
Espagnol ne voulait croire aux désastres de l'Espagne
et l'avouer vaincue; le peuple eût mis en
pièces quiconque eût semblé ajouter foi à nos victoires
: ce sentiment , qui était l'âme de tous , rendait
la nation invincible , malgré ses pertes continuelles
. L'orgueil national des Espagnols était si
grand, qu'ils ne voulaient jamais attribuer leurs
revers à leur manque d'expérience , ou à la supériorité
militaire de leurs ennemis ; dès qu'ils étaient
battus , ils accusaient leurs chefs de trahison , ils les
destituaient et même les pendaient. Les juntes et
les généraux n'avaient d'autorité que lorsqu'ils agis
166 MERCURE DE FRANCE ,
saient dans le sens de l'opinion de ceux auxquels ils
commandaient. Ils ne pouvaient ni arrêter leurs
soldats dans les succès , ni les contenir au milieu
des revers ; et ces bandes indisciplinées entraînaient
avec elles leurs chefs à la victoire ou à la fuite.
L'armée française , peu nombreuse , dépourvue souvent
des ressources les plus nécessaires , avait sans
cesse à lutter contre tous les fléaux et contre des ennemis
redoutables par leur acharnement et par la
grande supériorité de leur nombre .
Le mouvement de la nation devait être d'autant
plus durable , qu'elle se l'était imprimé elle-même .
Les Espagnols considéraient la guerre d'alors comme
une croisade religieuse et patriotique contre les
Français ; chacun se croyait obligé de concourir à
cette grande et sainte entreprise. Le nom de Ferdinand
VII était leur cri de ralliement : Vencer o
morir por la patriay por Fernando septimo , telle
était ladevise de la nation . Ils ne se laissèrent jamais
abattre par des revers multipliés . Après deux batailles
perdues en Andalousie , la junte de Séville
déclara pár un décret que les soldats et leurs chefs
avaient bienmérité de la patrie , et leur fit décerner
les mêmes récompenses que s'ils eussent été vainqueurs
, imitant la conduite du sénat romain après
la défaite de Cannes. Dans les circonstances où se
trouvait l'Espagne , blåmer les troupes , c'eût été
s'avouer vaincu , et c'est ce qui répugnait à la fierté
espagnole. Leurs armées se réorganisaient toujours ,
peu de temps après leurs défaites , et reparaissaient
FÉVRIER 1815.
167
de nouveau. Au premier appel , les hommes de
toutes les provinces se rendaient presque nus aux
grands rassemblemens qu'ils appelaient leurs armées .
Là, le désir ardent qu'ils avaient de se venger, leur
faisait supporter , avec une patience admirable , des
privations auxquelles toute la puissance de la discipline
la plus sévère n'aurait pu assujétir les troupes
de ligne. Le sort des troupes françaises était encore
plus dur ; elles ne trouvaient , sur une terre inhospitalière
, que la solitude , la famine , la mort à chaque
pas et sous les formes les plus horribles; il fallait ,
après avoir vaincu , recommencer sans cesse à vaincre
; les victoires étaient rendues inutiles par le caractère
indomptable et persévérant des Espagnols ;
et les corps français se détruisaient, se fondaient faute
de repos , dans des fatigues, des marches , des veilles
etdes inquiétudes continuelles . Lavaleur ne pouvait
rien contre tant de difficultés . Telle est , en général ,
l'idée qu'on doit se faire de la guerre d'Espagne .
Dans un second article je parlerai plus particulièment
des Guerillas et des moeurs espagnoles .
DE SAINT ANGE.
MÉLANGES .
HORACE ET LYDIE .
NOUVELLE .
FILS de pauvres parens , Horace se livra , jeune encore , au
noble métier des armes. Après la bataille de Philippes , il ne profita
du pardon qu'on accordait aux soldats de Brutus que pour
apporter à Rome l'ennui de son oisiveté et la tristesse de son sort .
168 MERCURE DE FRANCE ,
Sans protecteurs , sans fortune , l'avenir à ses regards seprésentait
vide de gloire et de bonheur. Fatigué de son inquiétude ,
cherchant à la distraire , il se promenait un jour sur la rive du
Tibre , lieu fréquenté par tout ce que Rome offre de jeune et de
brillant . C'était l'instant où la chaleur la plus ardente du jour
invite la foule à chercher l'ombre épaisse des platanes ; Horace
marchait au hasard; tout à coup autour de lui un bruit confus
semblable au doux frémissement du feuillage qui s'agite au souffle
des vents , s'élève , et vient l'arracher à sa rêverie. Fille de la
beauté , plus belle encore que sa mère , Lydie , qui paraissait sur
un char éclatant de pourpre et d'azur , avait fait naître ce murmure
flatteur . Jamais Vénus , dans les rians jardins de Gnide ou
de Paphos , ne s'offrit à ses peuples avec plus de charmes dans sa
figure , plus de volupté dans son maintien. Horace étonné attache
ses regards sur Lydie; soudain un feu dévorant se glisse dans ses
veines avec autant de rapidité que l'éclair sillonne la nue , ou que
la flèche poursuit l'aigle dans les airs. Dès ce moment , plus de
repos , plus de bonheur pour Horace : sans cesse on le voit parcourir
le Forum et les places publiques ; indifférent à tout ce qui
-l'entoure , il ne cherche pendant le jour, il ne demande que
Lydie; la nuit il l'appelle encore. Seul , sous les arbres qui ombragent
le palais qu'elle habite, il vient confier à la solitude les
plaintes de son coeur amoureux .
« Que fais- tu , Lydie , s'écrie-t-il , tandis que je me consume
> durant les longues nuits ? Quoi ! ta porte cruelle ne se déta-
>> chera-t-elle donc jamais du seuil pour m'ouvrir un passage jus-
» qu'à toi ? Infortuné , j'endure les rigueurs du vent de la Thrace ,
» et peut-être tu sommeilles , ignorant même les tourmens que tu
» me causes. Tu dors , tandis que pour toi je veille , que pour toi
> je veillerai toujours ! Tu dors , Lydie , sans que jamais un
▸ songe , prestige enfanté par l'amour , vienne présenter àta pen-
>> sée mon image embellie » !
Cependant Horace ne peut plus résister au feu brûlant qui le
dévore : il veut voir enfin celle dont les charmes soumettent tout
à leur empire; veut lui parler. C'en est fait ,un seul moment
FÉVRIER 1815.
169
décidera son sort; il s'abandonne audélire qui l'entraîne , il oublie
que son coeur bercé d'une vague espérance va peut-être la perdre
sans retour , et prodiguant le peu d'or qu'il possède , il séduit un
esclave qui le guide, et l'introduit dans l'asyle que Lydie enchante
de sa présence.
Mollement étendue sur un lit arrosé de parfums , la jeune
Romaine laisse entrevoir , sous une draperie légère , une taille
dont l'Amour lui-même a pris soin d'arrondir les contours . Sa tête ,
couronnée de fleurs , repose sur un bras dont la blancheur pourrait
le disputer au marbre de Paros. Horace fléchit un genou , et
dit en baissant les yeux vers la terre :
« O Lydie ! si la reine des amours fuyant le séjour de Gnide ,
>> vient quelquefois sous l'habit d'une nymphe parcourir nos forêts,
>> et se montrer aux regards étonnés des chasseurs ; si elle permet
>> aux mortels de brûler dans ses temples les parfums et l'encens ;
» pourrais -tu t'offenser de me voir à tes pieds ? Belle comme une
>> déesse , comme elle , souffre les hommages que l'on doit à la
>>>beauté » .
-
- -
-
Je
Je
Lydie étonnée regarde , sans répondre , l'inconnu qui lui parle.
La simplicité du vêtement qui le couvre l'a plutôt frappée que la
noblesse d'une figure qui annonce un mortel supérieur à son sort.
Rompant enfin un dédaigneux silence , elle dit : Esclave , quel est
donc celui qui t'envoie ? Je ne suis point un esclave , répond
Horace , plût aux Dieux que mon coeur fût aussi libre que ma
personne!-Quel est ton nom ? Horace. Ton état?
ne suis qu'un soldat sans renommée . -Que demandes-tu ?
te l'ai dit ....- Quoi ! rendre hommage à mes charmes est le scul
motif qui t'a conduit vers moi? Hélas ! il en est un autre .
Quel est-il? Je tremble de te le faire connaître . -Parle , je le
veux. O de quel trouble Horace est tout à coup saisi ! Non , jamais
ses lèvres n'oseront trahir les secrets de son coeur , de ce coeur
oppressé par la crainte d'irriter l'objet sacré de son idolâtrie ; il le
promet , il le jure ! ..... Mais un regard de Lydie , que le hasard
vient de faire tomber sur lui , un seul regard emporte le serment
crsqu'à peine il est prononcé : c'en est fait, l'univers disparaît aux
-
170 MERCURE DE FRANCE ,
yeux d'Horace. Lydie , Lydie seule absorbe et maîtrise toutes
les facultés de son âme ; il croit se taire encore , il croit l'adorer
en silence , et le malheureux ne s'aperçoit pas que déjà le mot
d'amour s'est échappé de sa bouche tremblante.
A ce mot d'amour , Lydie , la fière Lydie s'est levée ; une vive
rougeur a coloré son front : - Quelle audace ! s'écrie-t-elle , un
soldat ! un soldat inconnu ose m'aimer , ose me le dire ! C'est peu
d'avoir pénétré dans cet asyle où les premiers citoyens de Rome
ont seuls le droit de paraître ; il vient me révéler un feu que je
rougis d'avoir allumé. Quoi ! mes charmes accoutumés à subjuguer
les rois , peuvent-ils faire connaître l'amour à ceux que la fortune
ajetés dans les derniers rangs de l'armée , et le respect qui doit les
saisir quand Lydie paraît à leurs yeux , peut-il permettre à leurs
coeurs un autre sentiment. Elle a dit , et d'un pas rapide elle s'est
éloignée.
Non , la foudre qui tombe aux pieds du voyageur égaré dans les
profonds détours d'une forêt , le reptile caché sous l'herbe , qui
tout à coup pressé par un pied imprudent s'élance , et présente un
dard enflammé au mortel qu'il menace ; l'aspect d'un rocher que
les flots entr'ouverts par l'orage découvrent soudain aux pâles
matelots , produisent un effet moins prompt et moins terrible que
le discours de Lydie courroucée n'en produit sur Horace. Recueillant
avec peine ses esprits , il jette autour de lui des regards incertains
, il cherche à repousser la réalité qui l'accable ; et lorsque sa
mémoire lui rappelle le discours de Lydie, lorsqu'il sent dans son
coeur le trait mortel qui l'a frappé , il s'arrache des lieux témoins
de sa honte, et va cacher dans son obscure retraite les tourmens
affreux qui le déchirent. Mais que l'amour est puissant ,
lors même que l'espérance l'abandonne! Combien les armes de la
raison , combien celles du dépit ont peu de force pour le combattre
! En vain Horace veut oublier l'orgueilleuse beauté qui le
dédaigne ; en vain sa fierté blessée lui commande de rendre mépris
pour mépris ; son coeur commande l'amour , et le coeur ne parvient-
il pas toujours à se faire obéir ?
Cherchant à soulager le sombre ennui qui le consume , Horace
FÉVRIER 1815.
171
invoque Apollon; il consacre tous ses momens au culte des muses ;
il trouve dans leur commerce enchanteur un plaisir que son âme
en proie à la tristesse semblait devoir ne plus goûter. Horace a
saisi la lyre des poëtes; elle rend sous ses doigts des sons harmonieux.
Victime de l'amour , Horace , dans ses premiers vers , se
livre à cette mélancolie profonde quifait le tourment et le charme
de celui qui l'éprouve. Si l'amant couronné de fleurs et pressé
dans les bras de la beauté qu'il aime se plaît à chanter le bonheur
qui l'enivre , l'amant dédaigné trouve quelque douceur à chanter
sa peine; c'est ainsi qu'il la trompe; la plainte est le dernier plaisir
des malheureux .
Déjà Rome entière a prodigué ses éloges aux écrits d'Horace ;
à ces écrits qui traverseront les âges , et feront encore les délices
des hommes , lorsque Rome même avec ses palais , ses monumens
et ses richesses aura cessé d'exister , lorsque le laboureur promènera
sa charrue indifférente sur la poussière du Capitole. Déjà
le nom d'Horace s'allie aux noms de Virgile et de Varus. Honoré
des suffrages d'Auguste , comblé des faveurs de Mécène ; ami des
poëtes et des philosophes qui font l'orgueil de Rome , c'est ainsi
que le hasard offre un jour Horace aux regards de Lydie. Oh !
qu'elle est loin de croire que cet homme , idole du peuple et des
grands, est ce jeune soldat méprisé par elle ! et de même Horace
enivré , Horace , qui vient de sentir à l'aspect de Lydie qu'un
amour mal éteint conserve quelquefois toute sa violence , songe
à peine à rappeler l'outrage qui jadis le fit rougir : trop de distance
sépare aujourd'hui le favori de Mécène du soldat de Brutus.
Horace est tout entier à l'accueil séduisant qu'il reçoit de Lydie.
Comme elle lui prodigue la louange ! En vain autour d'elle se
rassemble ce que la noblesse offre de plus brillant , un seul homme
occupe sa pensée et fixe ses regards. Jamais elle ne désira plus
vivement de paraître belle; jamais tant de magie ne se répandit
dans ses yeux et dans ses discours ; on aurait dit que celle qui
d'un regard soumettait tous les coeurs , craignait pour la première
fois d'en trouver un qui lui fût rebelle.
1
172 MERCURE DE FRANCE ,
Sous les yeeuuxx de Lydie,pleindu dieu qui le maîtrise ,Horace
a saisi sa lyre :
<<Muses ! dit-il , vous qui sur le sommet du Pinde formez des
>> choeurs , et d'un pied léger frappez la terre en cadence , sus-
>> pendez vos jeux et vos chants. Lydie a paru devant moi : sa
>> folie agaçante , ses yeux voluptueux et séducteurs ont embrasé
» mes sens .
» Abandonnant le séjour de Cypre , Vénus toute entière s'est
> précipitée sur moi. Elle me défend de chanter le Scythe sau-
>> vage , le Parthe redoutable encore sur un coursier qui fuit , et
>>tout ce qui est étranger au culte des Amours. Esclaves ! appor-
>>tez le gazon verdoyant ; apportez la verveine , les parfums de
>> l'Arabie , et une coupe de ce vin vieilli par deux années . Une
> victime immolée rendra Vénus propice à mes voeux ( i ) » .
Ainsi finit le chant d'Horace : de bruyantes acclamations retentissent
de toutes parts ; l'orgueil de Lydie est à son comble. Son
nom , sa beauté viennent d'être chantés par Horace ! Quelle douce ,
quelle délicieuse récompense sera le prix du triomphe qu'elle lui
doit ! Heureux favori des Muses et des Dieux , ne crains plus les
dédains , ne crains pas les refus : bientôt tu jouiras de cette ivresse
que les mortels ne connaissent que lorsque l'amour leur a dévoilé
ses mystères les plus secrets .
Mais , hélas ! au sein du brûlant délire de la volupté , le coeur
d'Horace n'est point satisfait. Le feu des sens n'est point celui de
l'ame , et pour l'amant délicat , sincère , un sentiment vaut bien
mieux qu'un plaisir. Horace , sans pouvoir définir ce qu'il éprouve,
en gémit et s'en étonne. Toujours il rencontre un regret au milieu
des transports les plus vifs. O combien son coeur a besoin d'être
entendu ! et combien plus encore il a besoin qu'on lui réponde !
Parmi les jeunes femmes qui brillent dans Rome par leur beauté
et les grâces de leur esprit , Horace , malgré lui , se sent entraîné
( 1) Je demande pardon au lecteur de lui offrir une traduction si faible
d'une ode citée comme un modèle de grâce et de pureté; mais je n'ai osé
faite parler Horace qu'en lui empruntant ses pensées.
FÉVRIER 1815. 173
vers Lycé à la chevelure ondoyante. Toujours pensive , elle paraît
étrangère à la joie bruyante dont les éclats retentissent autour
d'elle. Sa figure , pleine de charme , d'expression et de douceur ,
annonce que Lycé mérite d'être heureuse ; mais sa mélancolie laisse
deviner que Lycé ne l'est pas .
Amour ! c'est à toi de porter le bonheur dans cette âme qui
n'est triste que de ton absence ! Horace le soupçonne ; il parle à
Lycé , Lycé rougit et se tait ; il parle encore ; elle soupire , le regarde
, lui répond , et Lydie a perdu son amant. Lydie le voit , et
ne peut défendre son coeur de la plus cruelle jalousie ; mais aussi
maîtresse de cacher les sentimens qu'elle éprouve qu'elle est habile
à feindre ceux qui lui sont étrangers , elle impose silence à son
orgueil humilié. Bientôt par un billet baigné de pleurs qui attestent
son dépit , et qui , trompeuses comme elle , vont faire croire
qu'elle aime , Lydie rappelle son infidèle amant : dès qu'il paraít ,
loin de faire éclater la plainte importune , elle se montre plus
folâtre et plus séduisante que jamais. Horace , aux pieds de la beauté
qu'il vient d'outrager , abjure l'erreur que son coeur regrette en
secret : il promet la constance , et dès le lendemain retourne à
Pinfidélité. Nouvelles alarmes pour Lydie; nouveau rappel , et le
coupable qui revient montre bientôt un nouveau repentir. Lydie
pardonne encore ; elle prouve combien l'indulgence est facile
lorsque le coeur n'a point saigné de la blessure.
Par ce manége adroit , par cette coquetterie dont le charme voile
la fausseté, Lydie ramène le volage chaque fois qu'il s'éloigne d'elle:
c'est ainsi qu'elle est toujours aux yeux des Romains l'objet adoré
par Horace. Fière de la gloire de son amant , elle se persuade
qu'elle la partage , et voilà tout le mystère de son amour , puisqu'elle
appelle amour ce triste calcul de la vanité. Dans Rome , on
ne l'ignore point ; ce n'est pas pour Horace que Lydie brûle
d'une flamme sincère; son coeur nourrit en secret pour le jeune
Sybaris une passion qui subjugue , qui dévore Lydie . Sybaris ,
jeune adolescent aux cheveux brillans de l'éclat de l'or . est celui
qui pénètre chaque soir dans son asyle solitaire ; elle le cherche
174 MERCURE DE FRANCE ,
encore à l'heure où Phébus , arrivant au milieu de sa course , force
la Nayade à se cacher dans ses roseaux .
Lydie s'égare alors avec son amant sous les arbres touffus qui
couronnent le mont Aventin; et là, dans la profondeur d'un antre
propice à l'amour , elle presse l'adolescent sur un lit de feuilles et
de fleurs. Elle ne le quitte , la perſide , que pour revenir dans les
bras d'Horace , feindre et jurer un sentiment dont Sybaris obtient
seul toute la réalité. Que veut-elle donc ? que cherche-t-elle ? l'immortalité.
Sans Horace , les neveux de Lydie sauraient-ils que
Lydie fut belle ? Ses charmes s'éclipseront un jour , mais les écrits
de son amant prolongeront jusques aux siècles les plus reculés le
souvenir de cette beauté qui n'aura brillé sur la terre que d'un
éclat passager. H. AUDIBERT.
BULLETIN LITTÉRAIRE.
SPECTACLES
ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE . - Castoret Pollux .
Depuis quatre-vingts ans , c'est toujours une sorte de solennité,
à l'Opéra , que la remise de Castor et Pollux. Il semble que la
surprise dont furent saisis nos grands-pères et nos grand's-mères ,
envoyant tant de merveilles réunies dans le même cadre , se soit
prolongée jusqu'à nous. Nos yeux sont cependant plus accoutumés
que ne l'étaient les leurs à tous les prestiges de la magie théâtrale ;
mais , dans les grandes comme dans les petites choses , la prévention
agit souvent sur les esprits les plus réfléchis ; et celle qui existe
en faveur de la beauté incomparable de Castor ne paraît aucune--
ment avoir perdu de sa force. Il ne s'agit ici , au reste , que de la
pompe et du charme du spectacle ; car l'on ne peut nier que l'admiration
pour le poëme ne se soit prodigieusement refroidie ,
malgré toute la tendresse que conservent encore pour le Gentil
Bernard ceux qui ne connaissent de lui que son nom. Quand VolFÉVRIER
1815. 175
taire , auquel il devait ce joli nom , déclara que son opéra manquait
d'intérét ; lorsque , depuis , Grimm , avec ce tact qui ne
l'abandonne presque jamais , ne voulut y voir qu'un ouvrage médiocre
rempli de jolis madrigaux , on les trouva peut-être bien
sévères l'un et l'autre , et ils ne furent que justes . Il s'en faut
même beaucoup que tous ces madrigaux soient jolis : on en citerait
un assez grand nombre qui ne sont que fades. Laharpe , qui ,
d'ailleurs , vante avec une complaisance inexplicable le plan de
cette singulière tragédie lyrique , s'attache précisément au morceau
le plus fameux pour en critiquer le style, et il semble dire :
Ab uno disce omnes. Il relève avec un soin particulier les expressions
impropres et même les pensées fausses qui déparent
l'hymne à l'amitié : Présent des Dieux , doux charme des humains
, etc.
A la musique de Rameau avait succédé celle de M. Candeille ;
à l'ouvrage de M. Candeille celui de M. Winter ; et voilà aujourd'hui
M. Candeille qui se ressaisit de la place d'honneur , ou qui ,
dumoins , se remet en évidence. Par une de ces combinaisons ou
de ces fatalités si communes au théâtre , il avait éte réglé pour
cette nombreuse partie du public qui a besoin qu'on lui fasse une
opinion , que la musique du compositeur français était prodigieusement
supérieure à celle du compositeur allemand. Comme ,
en fait d'arts et de talens , on peut et on doit même mettre l'amourpropre
national de côté , les juges impartiaux n'hésitent plus à
énoncer nettement leur avis. Il faudrait qu'un homme tel que
M. Winter , c'est-à-dire , un artiste célèbre par des productions du
premier ordre , se fût étrangement oublié pour être descendu plus
bas que le Castor qu'on nous donne aujourd'hui. Le défaut eapital
de cette musique , défaut si saillant qu'il frappe les oreilles les
moins exercées , c'est d'être plate et commune. Les airs de danse ,
particulièrement , sont presque tous empreints de ce caractère
ignoble. Mais on serait tenté de leur pardonner , lorsqu'on les voit
servir d'accompagnement ou de prétexte aux pas les plus gracieux ,
aux ballets les plus agréablement dessinés que l'on ait peut-être
jamais applaudis à ce théâtre , où la chorégraphie , acquérant de
176 MERCURE DE FRANCE ,
jour en jour une prééminence si marquée et si affligeante sur l'art
du chant , de partie accessoire est devenue partie principale. C'est
ce qui explique parfaitement l'affluence extraordinaire qu'attire et
attirera chaque représentation de Castor et Pollux. On donnera
à cet opéra toute la perfection dont il est susceptible , lorsque l'on
en fera un ballet-pantomine.
THEATRE DE L'OPÉRA - COMIQUE .-La Redingote et la Perruque.
Oh! leplaisant projet d'un poëte ignorant
Qui, de tant de héros , va choisir Childebrand !
On serait presque tenté d'appliquer ces vers de Boileau à l'au -
teur, moins ambitieux encore qu'irréfléchi , qui, pour principal personuage
d'un opéra-comique , s'est avisé de choisir le grave , l'austère
Washington. Ce nom imposant offre un contraste assez bizarre
avec le titre bouffon de la pièce. C'est , à la vérité , tout ce
qu'elle a de risible .
:
Dès le lever du rideau l'on se trouve avec un fils déshérité par
un père impitoyable et repoussé par un frère dénaturé . Le délit
le mieux constaté de ce malheureux jeune homme se réduit ,
cependant , à avoir affublé un paratonnerre de la redingote et
de la perruque qui , d'après les termes formels du testament ,
doivent constituer tout son héritage. Il l'accepte avec une soumission
exemplaire aux dernières volontés de l'auteur de ses jours .
Le ciel ne tarde pas à l'en récompenser : il rencontre , dans une
taverne , un officier américain qui est sur le point de tomber dans
lesmains d'un parti anglais. Le généreux Édouard lui prête sans
hésiter sa redingote et sa perruque : à l'aide de ce travestissement
l'officier se sauve. Quel est ce militaire qui a chanté , et bu du
punch au cabaret ? c'est l'immortel fondateur des États -Unis , le
grand Washington. Que peut-il faire pour témoigner sa reconnaissance
à son libérateur ? Le congrès a confisqué une portion des
biens de cette noble famille , qui se trouve réduite à 30,000 livres
sterling de rente ( près de 750,000 fr. ); Washington prononce la
restitution en faveur d'Édouard.
:
FÉVRIER 1815.
TIMBRE
177
SEINE
Il fut un temps où quelques situations de ce mélodrame ( il faut
appeler les choses par leur nom ) eussent produit peut-être quel
qu'effet sur les spectateurs . Mais beaucoup d'entr'eux ont émoussé
leur sensibilité aux théâtres des boulevarts , et le héros de l'Amérique
les a trouvés de glace. De peur que sa pièce ne ressemblåt à
un opéra ordinaire , l'auteur n'a presque rien laiss & à faire au compositeur.
Un seul eût donc été plus que suffisant pour ce travail; et
il s'en est présenté deux. MM, Kreutzer et Frédéric Kreubé ont
fait trop d'honneur à ce canevas. Ayant à faire chanter des acteurs
qui ne chantent pas , il a fallu recourir presque continuellement à
la romance et à la chansonnette . Si les nations musiciennes sourient
en nous entendant décorer du nom d'opéra nos comédies à
si longs dialogues et à si petites arriettes, que diront-elles en voyant
notre second théâtre lyrique se mettre en rivalité avec le vaudeville?
Le second acte de la Redingote offre néanmoins un morceau
d'ensemble où les compositeurs ont essayé de faire usage du
talent dont ils ont déjà donné de meilleures preuves. Il faut qu'ils
saisissent l'occasion de nous en donner de nouvelles : celle-ci ne
leur sera pas comptée. Avis aux musiciens trop complaisans pour
les auteurs anti-musiciens !
THEATRE DE L'ODÉON . -
ne s'achète pas avec de l'or ) .
Oro non compra amore, ( l'amour
Voici un poëte italien qui se déclare le chevalier du beau sexe ,
probablement en expiation de ce que tant d'illustres écrivains de
son pays se sont permis d'outrageant contre l'honneur des dames.
Pour mieux faire ressortir leur délicatesse et leur incorruptibilité ,
il a placé son héroïne au village et dans un état voisiu de l'indigence.
Mais soit que la lutte du besoin et de la faiblesse contre
l'éclat des richesses et des grandeurs se soit trouvée d'abord audessus
des forces de la jeune paysanne , soit que l'auteur ait oublié
sontitre pendant tout le premier acte , il est certain que le séducteur
riche et puissant l'emporte , sans beaucoup de difficulté , sur
l'amant obscur et pauvre. Courtisée très-vivement par son seigneur,
Lisette va au-devant de ses désirs, en se feignant plus mi.
1
FOYA
5
YC.
T
>
12
178 MERCURE DE FRANCE ,
sérable encore qu'elle ne l'est réellement. Elle lui demande véritablement
la caristad; et après cette démarche humiliante pour elle
et dégoûtante pour le spectateur , il n'est plus surprenant qu'elle se
laisse enlever. Georges , son prétendu , se,déguise en baron grotesque
pour s'introduire auprès d'elle. Il la trouve mise en dame
de la ville, et paraissant fort satisfaite de sa nouvelle fortune. Il
ne lui faut cependant que peu de minutes pour la décider à revenir
aux champs avec lui. Pourquoi? parce que l'auteur s'est rappelé
tout à coup l'engagement qu'il avait pris sur l'intitulé de sa
pièce.
Peu importe , au reste , pour la plus grande partie du public.
La morale d'un opéra italien est d'un intérêt prodigieusement
inférieur au mérite de la musique. Celle que Portogallo a composée
pour cette pièce ne fera pas oublier la Vilanella rapita de Bianchi ,
que les situations rappellent à chaque instant. Porto a chanté avec
un goût parfait ; Crivelli a mérité aussi des éloges auxquels il est
accoutumé , si ce n'est dans le fameux air de Paësiello : mi perdo ,
si mi perdo , qui demande beaucoup plus de nerf et de chaleur.
Madame Morandi est sans doute persuadée que la justesse et la
pureté du son est le premier mérite de toute cantatrice : par
quelle fatalité , quand elle est en scène , semble-t-elle négliger ce
soin indispensable ? On attribue à Madame Morandi l'ouverture
du nouvel opéra. Elle est gracieuse et légère : mais quel morceau
de musique ne produirait quelqu'effet , exécuté par l'incomparable
orchestre de ce théâtre ?
Théâtre du Vaudeville. - Le siècle de Louis XIV, qui doit
garder à jamais l'immortel surnom du grand siècle , n'était pas
exempt de ce ridicule qui , depuis , s'est multiplié d'une manière
offrayante : je veux parler de cette manie absurde qui fait désirer
le succès qu'on ne doit pas obtenir , et qui donne la prétention du
talent qu'onn'aura jamais . Louis XIV, dont le mérite suprême était
de deviner les hommes , voyant unjour Cavoye se promener avec
Racine , dit : Voilà Racine qui se croit courtisan, et Cavoye qui
se croit poëte. C'est sur cette phrase qui renferme une idée si fine
:
FÉVRIER 1815.
179
et si ingénieuse , qu'on a construit la pièce donnée le 30 janvier
au Théâtre du Vaudeville , sous le titre du Poëte et le Courtisan ,
ou Racine à Versailles . Les auteurs ont supposé que , pendant
les vingt-quatre heures que dure leur action , Cavoye et Racine ,
aspirant à des succès nouveaux pour eux , attendaient le résultat ,
le premier , d'une tragédie , et le second , d'un mémoire politique.
Leurs espérances sont déçues : la tragédie est siflée à outrance , et
le mémoire très-mal accueilli par Louis-le-Grand. Le courtisan
poëte, et le poëte courtisan , sont ainsi guéris du double accès de
leur ambition ridicule , et reconnaissent qu'il faut toujours préférer
le talent qu'on a à celui qu'on cherche.
Cette pièce n'a pas obtenu un succès complet; mais ce qui me
fait croire que cet échec n'est pas sans appel , c'est que la seconde
moitié a été beaucoup mieux reçue que la première : on a géné
ralement désapprouvé le caractère que les auteurs ont donné à Racine;
ils enont fait un courtisan qui renie le Parnasse ; ce n'est assurément
pas une traditiou historique ; Racine a bien pu désirer
les faveurs de son roi , mais il n'a jamais renoncé à celles des
muses. Le public a vivement applaudi, deux scènes charmantes , et
plusieurs jolis couplets , que nous citerons ; le jeune page dit à
Racine:
AIR: Si Pauline .
Denotre scène la merveille ,
Plus qu'Euripide tendre et doux ,
Vous balancez , dit-on , Corneille ,
Et Sophocle revit en vous .
RACINE.
Contre l'éclat de votre hommage ,
Grâce au ciel, je suis affermi ;
D'un ami seul c'est le langage.
EUGÈNE.
L'univers est donc votre ami.
Cavoyedit à Racine , qu'on peut réussir à la cour avec un peu
habitude.
AIR : D'abord je chante pour bon.
Ici cette expérience
N'est pas un act si savant,
180 MERCURE DE FRANCE ,
Il ne faut qu'avec prudence
Voir qui monte et qui descend ,
Les plus grands succès y tiennent
Atourner , du même front ,
Le visage à ceux qui viennent ,
Le dos à ceux qui s'en vont.
Ce couplet séduit d'abord ; mais en y réfléchissant , je ne conçois
pas trop comment on peut tourner le visage et le dos du
mémefront.
Je conviens que c'est-là ce qu'on appelle faire la guerre aux
mots , aussi je m'empresse de convenir que ces légers défauts sont
plus que rachetés par des intentions fines , par d'excellens motifs
de science , et par un ton de comédie qui annonce un talent distingué
: cet éloge n'étonnera personne quand j'aurai dit que cet
ouvrage est de MM. Dieu-la-Foi et Guérin.
:
La classe des beaux-arts de l'Institut royal de France , dans sa
séance particulière du 28 janvier , a admis au nombre de ses correspondans
MM. Castellan , peintre , et Rousseau , architecte , l'un
et l'autre également recommandables , et méritant à divers titres
cette marque d'estime et de considération .
Comme paysagiste , M. Castellan a produit depuis long-temps ,
aux expositions du Louvre , des tableaux d'un style héroïque , et
d'une composition riche et animée. Comme littérateur , il s'est fait
connaître par plusieurs ouvrages dont il a recueilli les matériaux en
Grèce et en Italie ; et en les publiant , il les a ornés d'un grand
nombre de planches , gravées par lui d'après ses propres dessins.
Les principaux ouvrages de M. Castellan sont : des lettres sur la
Morée. D'autres lettres sur la Grèce et sur Constantinople , sur les
moeurs et les usages des Ottomans : des notices surPratolino, maison
de plaisance des grands-ducs de Toscane , sur le couvent de
Valombroso , etc. Elles ont été insérées dans les Annales des
voyages , et extraites d'un ouvrage inédit sur l'Italie.
Quelques jours avant cette dernière séance , M. Castellan avait
lu à l'Institut un mémoire sur la peinture des anciens , sur l'usage
7
FEVRIER 1815. 181
et les procédés de l'encaustique , l'une des trois manières de
peindre qu'ils ont pratiquée , et que l'auteur du mémoire pense
avoir reproduite par l'effet des nombreuses expériences dont il s'est
constamment occupé depuis son retour de Grèce et d'Italie. Cette
présomption paraît d'autant mieux fondée , que les résultats présentés
à la classe des beaux-arts , semblent éclaircir certains passages
de Pline , qui jusqu'à ce jour avaient fort embarrassé ses traducteurs.
Interprétés d'une manière équivoque , ces mêmes passages
avaient fait prendre le change à quelques artistes ouamateurs , qui ,
de nos jours , ont essayé de faire revivre la peinture encaustique
des anciens , mais n'ont obtenu de leurs recherches qu'un succès
très-incomplet.
M. Castellan a justifié ses essais en soumettant à l'examen de la
classe , non-seulement ceux qui lui appartiennent , mais encore
:les résultats qu'il a obtenus en dirigeant dans ce travail une main
étrangère. Plusieurs tableaux peints sur toile ( car la peinture encaustique
se pratique également sur cette matière , sur le bois et
sur toutes sortes d'enduits ) ont été présentés à l'institut , savoir :
un assez grand paysage peint par M. Castellan ; un tableau de
genre , par M. Taunay; deux portraits en buste , par le même ; un
autre portrait , par un jeune peintre , élève de l'académie. Ces artistes
assurent que les moyens indiqués dans le mémoire de M.
Castellan , et que nous ferons connaître quand il en sera temps ,
leur ont semblé d'un emploi aussi facile , plus commode dans les ouvrages
d'une grandeur moyenne , et surtout plus expéditif que ceux
de la peinture à l'huile telle qu'on la pratique de nos jours . Parmi les
tableaux que M. Taunay vient d'exposer au salon , il en a exécuté
quatre par ce nouveau , ou peut-être par cet ancien procédé , et il
est impossible d'y rien remarquer qui les distingue de ceux qui ont
été peints à l'huile. Le temps seul décidera de la supériorité dés
deux manières ; mais tout porte à croire que les morceaux peints à
l'huile siccative , qui a l'inconvénient de faire jaunir , noircir et
gercer les couleurs , auront perdu une grande partie de leur éclat ,
lorsque les autres offriront encore toute la fraîcheur des teintes et la
transparencedes ombres.
182. MERCURE DE FRANCE ,
La classe des beaux-arts a nommé une commission chargée d'examiner
le mémoire de M. Castellan , et les procédés qu'il a mis en
usage. Les membres de cette commission sont MM. Vincent , Taunay
, Visconti , Quatremère et Chaptal. Si , comme nous n'en doutons
pas , ils reconnaissent l'importance d'une découverte qui , tout
à la fois , pique la curiosité des amateurs , intéresse les artistes , et
surtout doit avoir une grande influence sur le perfectionnement de la
peinture , l'auteur , qui n'a jamais fait mystère de ses moyens d'exécution
, ni spéculé sur le résultat de ses recherches , a promis d'y
faire participer , par l'impression de son mémoire , tous ceux qui,
pourraient en tirer quelque utilité.
M. Rousseau , architecte , qui , dans la même séance , a été
nommé correspondant de la classe des beaux-arts , est auteur des
dessins sur lesquels a été construit l'hôtel de Salm , aujourd'hui le
palais de la légion d'honneur , et l'un des plus élégans édifices de
la capitale. Bâti peu avant la révolution , pour être l'habitation
d'un prince étranger , il parut alors sortir du caractère propre d'hôtel
et même de palais , et affecter les apparences demonument public
, c'est-à-dire , d'un édifice consacré àdes institutions et à des
usages qui exigent de l'étendue dans les plans , et une sorte de
pompe extérieure. En changeant de destination , il semble avoir
perdu cette espèce de défaut qu'un goût sévère avait pu trouver.
dans la composition de son ensemble.
Sa porte d'entrée, qui donne sur la rue Bourbon, Faub . S. Germ. ,:
est dans la forme d'un arc de triomphe , flanqué de chaque côté par
une colonnade d'ordre ionique , qui s'appuie à des bâtimens dont la
masse est parallèle à celle de la porte , et dont l'attique , orné de
bas-reliefs , rattache ces corps avancés à la décoration et au motif
de l'ensemble. 1
La colonnade se réunit dans l'intérieur de la cour à celle des parties
latérales , forme tout autour un promenoir couvert , et aboutit
à un frontispice en colonnes d'ordre corinthien , lequel s'élève au
fond de la cour , annonce le corps-de-logis principal , et donne
entrée dans un vestibule où l'on monte par quelques marches , pour
arriver au sol des appartemens. Le reste du palais consiste en cours
:
FÉVRIER 1815. 183
:
adjacentes et en un corps d'habitation qui se prolonge sur le quai
d'Orsay , et se termine par une partie demi-circulaire et deux corps
de bâtimens continus. Cette partie , qui forme le derrière de l'édifice
, étant devenue , par les circonstances qui en ont dégagé l'aspect
, celle qui est le plus en évidence , on regrette assez généralement
que sa façade ne réponde , ni par son élévation , ni par
son caractère , au reste de la composision. Lebesoin de placer dans
cet hôtel le palais de la légion d'honneur , y a fait opérer diverses
additions et restaurations dirigées ( en l'absence de M. Rousseau ,
fixé , depuis plusieurs années , dans un département éloigné ) par
M. Peyre , architecte , membre de l'Institut. D'assez nombreux
embellissemens y ont été exécutés .
M. Rousseau a construit à Paris plusieurs autres bâtimens particuliers.
Nous avons cité le plus considérable , et celui qui a le plus
contribué à sa réputation. C. P.
L'ARTICLE suivant aurait dû paraître dans notre numéro du
21 janvier; comme il est destiné à rappeler le nom d'un des plus
fidèles serviteurs de Louis XVI , nous l'insérons ici ; il n'est jamais
trop tard pour rendre hommage à la mémoire d'un homme vertueux
qui mourut pour son roi .
« La Providence s'est prononcée , les précieux restes de
Louis XVI et de Marie-Antoinette sont rendus à cette église antique,
tour à tour le berceau et le tombeau de nos rois. La religion
les a reçus et consacrés. Avec quel sentiment profond de reconnaissance
les fidèles ont répété avec l'église ces mots prophétiques :
et ossa tua liberabit , etc. , vos os seront délivrés .
>>Oui , tandis que des insensés dans leur fureur impie se flattaient
d'en avoir détruit jusqu'à la trace , une puissance tutélaire
veillait d'en haut à leur conservation , elle plaçait auprès d'eux un
gardien à qui elle en confiait ledépôt pour le révéler au jour marqué
par ses décrets. La fidélité de ce vigilant et courageux dépositaire
ne sera pas sans récompense. La maison de M. Descloseaux
va devenir un temple où se perpétueront d'âge en âge les bénédic184
MERCURE DE FRANCE ,
1
1
tions qui lui sont dues. C'est là que toutes les familles qui ont à
pleurer des victimes qui leur furent chères viendront honorer leur
mémoire , et s'il leur est donné de reconnaître la tombe où ces
victimes reposent , pourront- elles oublier à qui elles en seront
redevables ?
>>C'est là que , s'il existe encore quelques-uns de ceux qui ont
connu et aimé le vertueux Laporte ( 1 ) , ils viendront lui faire un
monument de leurs souvenirs. Ils se diront : c'est lui en qui
Louis XVI a trouvé dans les jours de son adversité l'ami le plus
sûr et le sujet le plus dévoué , qui , associé aux plus secrètes pensées
de son roi , a mérité de l'être à tous ses malheurs , et d'entrer le
premier dans cette carrière funèbre où , des furieux se sont empressés
de le précipiter , comme pour faire sur lui l'essai du grand
crime qu'ils méditaient. Épreuve glorieuse où, pour achever la touchante
conformité de sentimens et de moeurs qui l'unissait à son
maître , il a été conduit et soutenu comme lui par une religion consolatrice.
>>ils le diront , et la mémoire du juste ne sera pas en oubli » .
Sur un sujet de comédie trouvé dans un mot de LouisXIV.
Nous disions dans un de nos derniers numéros que la littérature
était devenue un trafic et l'esprit une marchandise , et
nous ne manquerions pas de preuves pour appuyer cette assertion.
Nous pourrions ajouter que cette nouvelle espèce de commerce
est celle où l'on est le moins difficile sur le choix des moyens
de réussir . Nous en citerons un exemple.
V
Tout le monde sait que Louis XIV voyant , dans la galerie
de Versailles , Racine qui s'entretenait avec Cavoye , maréchal du
palais , dit à ceux qui l'entouraient , ce mot aussi ingénieux que
profond : « Voyez-vous Cavoye , qui se croit un homme de
>> lettres , parce qu'il cause avec Racine , et Racine qui se croit un
> homme d'état , parce qu'il cause avec Cavoye » ?
(1) M. Ferrand. Éloge de Madame Élisabeth.
:
FÉVRIER 1815. 185
Un poëte comique, connu par un grand nombre de succès ,
conçut , il y a près de deux ans , le plan d'une pièce pour le
Théâtre-Français , où il se proposait de développer d'une manière
comique l'opposition qui résulte de ces deux caractères , du poëte
et du courtisan , placés dans cette situation piquante. L'auteur a
terminé son ouvrage. Il est reçu. Nous attestons que plus de la
moitié du premier acte a été lu en notre présence il y a plus d'un
an.
Cependant deux auteurs du Vaudeville , qui comptent aussi
beaucoup de succès mérités dans ce genre agréable , viennent de
traiter le même sujet pour ce petit théâtre ( 1 ) .
Voici les réflexions que nous a fait naître cette coïncidence .
Après tant d'accusations de plagiat dont on a occupé le public
depuis quelques années , l'équité et l'impartialité nous font une
loi de prévenir de nouvelles discussions , qui seraient aussi fastidieuses
que préjudiciables à la gloire de la littérature .
Le mot de Louis XIV appartient à tout le monde. Cela ne fait
aucun doute.
Mais dans cette circonstance il est à propos d'éclaircir si le
premier qui a conçu l'idée de le mettre en scène , n'a pas acquis
une possession qui équivaut presque à une propriété.
Rarement l'auteur qui a trouvé un sujet heureux , est assez
discret pour n'en point parler . Nous sommes certains que le
poëte du Théâtre - Français a tellement ébruité sa découverte ,
que depuis un an il n'y a pas un littérateur à Paris qui n'ait su
que cette comédie était sur le métier.
Ce serait un prodige , si les auteurs du Vaudeville n'en eussent
pas eu connaissance. On peut donc regarder comme à peu près
certain , qu'ils en étaient instruits.
En se proposant de traiter ce sujet pour leur petit théâtre , ils
se sont probablement demandé si ce serait un plagiat. Leur
conscience a pu les absoudre sur la considération , établie plus
(1 ) Voyez ci -dessus l'article Vaudeville.
1
186 MERCURE DE FRANCE,
1
haut , que le mot de Louis XIV était du domaine public. Ils
n'auraient pu recevoir une absolution aussi complète sur d'autres
considérations que nous allons essayer de développer.
Une comédie en deux ou trois actes , et en vers , demande
nécessairement plus de vrai talent , et par conséquent plus de
temps qu'une pièce en un acte mêlée de couplets. En composant
avec plus de facilité et en faisant représenter plus promptement
la pièce en Vaudeville, les auteurs n'ont pu se dissimuler
qu'ils enlevaient la fleur d'un sujet qu'un autre avait le premier
choisi, et qui exigeait plus de soin , plus de lenteur de la part
de celui qui s'efforçait de le rendre digne du premier théâtre du
royaume. Ils n'ont pu se dissimuler qu'en paraissant les premiers
sur la scène , ils exposeraient l'auteur de la comédie à de nouvelles
accusations de plagiat, d'autant plus redoutables pour lui ,
qu'on l'avait déjà poursuivi pour un pareil délit avec une injustice
et un acharnement déplorables .
Les auteurs du Vaudeville sont assurément trop délicats pour
avoir songé à profiter des restes d'une prévention défavorable à
l'auteur de la comédie ; mais il serait digne de ces deux littéra
teurs estimables de détruire , par une déclaration franche et
loyale , le germe des discussions fâcheuses que pourrait entraîner
la ressemblance de deux pièces jouées sur deux théâtres différens
dans un intervalle de temps , qui serait très-court , s'il est vrai
que l'on s'occupe déjà au Théâtre -Français de la répétition de
la comédie de Racine et Cavoye.
A M. LE RÉDACTEUR DU MERCURE DE FRANCE .
Onparlebeaucoup, Monsieur , des prodiges opérés parM. Comte ,
qui change à volonté et en un instantdes graines en fleurs fraîchement
écloses , et qui vous fait trouver dans les mains une colombe ou un
lapin, quand vous croyez tenir un ruban ou une boucle d'oreille.
Je connais des gens de beaucoup de goût qui font , dans un
autre genre , des tours à peu près semblables , et si ces messieurs
étaient moins habiles et moins honnètes , ces tours quelquefois
pourraient devenir de très -mauvais tours. Ils ont bien voulu me
prendre pourpatient dans quelques-unes de leurs séances , et vous
FÉVRIER 1815. 18
:
7
me croirez aisément , quand je vous assurerai que je n'ai point du
tout été leur compère.
J'avais , dans quelques Réflexions ( 1 ) sur l'intérêt général de
l'Europe , établi en principe la nécessité de la prépondérance politique
de la France , et l'écrit tout entier m'avait paru évidemment
dirigé vers ce but. Croiriez-vous que les magiciens , au moyen
de quelques paroles , ont escamoté tout cela , et montré à la place
la suprématie politique du Pape , qui est tout aussi loindela raison
et demapensée que la suprématie religieuse des Rois ?
J'avais parlé de l'unité religieuse , en rappelant que Bossuet ét
Leibnitz y avaient travaillé , et même avec succès. Or l'un et l'autre
entendaient sans doute obtenir cette unité par voie de persuasion ,
eten les citant , je ne pouvais pas l'avoir entendu autrement. A mon
grand étonnement , ces messieurs ont transforiné d'un coup de baguette
, la persuasion en persécution , et d'une opinion raisonnable
et tout-à-fait innocente , ils ont fait une opinion atroce et la
plus insensée qui puisse aujourd'hui tomber dans une tête humaine.
J'avais parlé de monarchie et de religion ; sous leurs mains , monarchie
et religion ont disparu et sont devenues despotisme et intolérance
,et tout cela s'est fait avec une prestesse et une facilité
qui suppose un long exercice et une merveilleuse adresse .
ce
J'avais présenté la noblesse comme une institution nécessaire à
toute société , et qui se retrouve également dans la démocratie , où
les magistrats temporaires sont de vrais nobles , tant qu'ils sont magistrats
, et sous le despotisme asiatique qui a ses visirs et ses pachas. ,
Je l'avais présentée comme le service de la société publique ,
qu'elle est réellement et uniquement , ce qu'elle a toujours été , ce
qu'elle sera toujours , ce qu'elle ne peut pas ne pas être : j'avais fait
remarquer qu'autrefois en France toutes les familles avaient droit
d'y parvenir , et tendaient toutes ày arriver , qu'aucune n'en était
exclue , et qu'ainsi elles étaient toutes nobles de droit , en attendant
qu'elles le fussent de fait; javais dit que toutes les familles ,
même les familles royales , avaient commencé par l'état privé , et
àce sujet, j'avais cité la chanson si connue de Coulanges :
« D'Adam nous sommes tous enfans ,
>> La preuve en est connue ,
>> Et que tous nós premiers parens
>> Ont méné la charrue ;
(2) Nous donnerons dans un prochain No. l'analysede cet ouvrage remarquable
par la force et la justesse des idées , autant que par l'élévation des
sentimens .
! (Note du Rédacteur ) .
188 MERCURE DE FRANCE ,
T
>> Mais , las de cultiver enfin
>> La terre labourće ,
» L'un a dételé le matin ,
» L'autre l'après-dinée.
Pour cette fois je me croyais sûr de mon fait, et j'aurais défié le
plus habile escamoteur de faire de cette opinion vraiment libérale ,
une opinion arrogante , injurieuse pour qui que ce fût , et mal
sonnante même pour les oreilles les plus accoutumées aux sons
flatteurs de liberté et d'égalité. Eh bien , Monsieur , je me suis
trompé. Je ne sais comment cela s'est fait , ni quel biais ils ont
imaginé ; mais ils ont si adroitement opéré , que je n'ai vu à la
place , que maîtres et esclaves , despotisme et tyrannie , moi qui
croyais avoir fait preuve de quelqu'indépendance de caractère et
de quelque résistance à l'oppression.
J'ai vraiment peine à en croire mes yeux sur ce que j'ai vu. Vous
croyez avoir dit une vérité , il se trouve que vous n'avez fait
qu'un calembour ; vous avez voulu être franc et simple , et vous
êtes tout étonné de vous trouver profond et presque mystérieux.
Non-seulement ces messieurs sont magiciens , mais ils sont sorciers
, ils pénètrent les intentions , ils entendent le silence , ils interprètent
les affections ; et là où peut-être vous éprouvez des
craintes , ils tournent si bienles choses , qu'ils les métamorphosent
en espérances.
Du reste , ils sont pleins d'esprit et de politesse ; ils vous tiennent
les propos les plus agréables , même les plus flatteurs , et ils poussent
la complaisance jusqu'à vous apprendre sur votre esprit et vos talens
des choses dont vous ne vous êtes jamais douté. En vérité ,
Monsieur , c'est de la magie blanche ou noire , comme vous voudrez ;
mais j'y soupçonne quelque diablerie , et j'y remarque un peu d'esprit
malin. Mais au lieu de mystifier de bonnes gens et qui n'y
entendent pas malice , pourquoi n'escamotent-ils pas , par exemple ,
certains écrits périodiques ou non , d'une ou de vingt feuilles , que
je pourrais leur indiquer ? Ils en feraient habilement disparaître
tout ce qu'il y a de violent , d'injurieux , de séditieux , d'injuste .
Il est vrai qu'il ne resterait guères de ces écrits que le titre et la
couverture ; mais ils substitueraient à la place , de bons principes ,
de saines doctrines , des vues raisonnables , des paroles de paix et
de conciliation. L'auteur serait tout émerveillé de se trouver ainsi
plus d'esprit que la nature ne lui en a donné , et surtout de meilleures
intentions ; et on pourrait dire de lui :
Miraturque novasfrondes et non suapoma.
:
1
FÉVRIER 1815.
189
Les lecteurs , s'ils en ont , n'y perdraient rien , et le public
y gagnerait beaucoup.
Je regrette sincèrement , Monsieur , que le Mercure (3) ne
se permette pas ces amusemens littéraires. Mais peut- être en
craignez-vous l'abus. Une critique si habile peut aisément devenir
injuste, à peu près comme l'imitation des prestiges de M. Comte
peut servir lamauvaise foi. D. B.
POLITIQUE.
Les réflexions que l'on va lire sont extraites du
Moniteur des Deux-Siciles , journal officiel de Murat
Elles nous ont paru un monument rare d'impudence
et d'hypocrisie , et comparable , sous ce double rapport
, avec ce que Bonaparte a jamais publié de
plus étrange . Nous nous empressons de les mettre
sous les yeux de nos lecteurs , qui pourront juger
par eux-mêmes jusqu'à quel point le roi Joachim
Napoléon se montre un digne élève de l'empereur
son maître . Ce fût en le trahissant , au plus fort du
péril , qu'il lui prouva qu'il avait su profiter de ses
leçons ; aujourd'hui il cherche à l'imiter dans ses
procédés à l'égard de ses voisins . Il envahit leurs
provinces , il les frappe de réquisitions et d'impôts
(3) Les rédacteurs du Mercure de France, fidèles à leurs principes , ne
se permettront jamais ni les calomnies piquantes , ni les doucereuses perfidies
, ni de laches outrages . Ils feront peu d'usage des quolibets et des calembourgs;
mais ils ne renoncent pas pour cela aux amusemens littéraires.
Seulement leur gaîté ne cessera jamais d'être accompagnée de la bonne foi
et de l'urbanité.
(Note du Rédacteur ) .
190 MERCURE DE FRANCE ,
de toute espèce , et , après avoir épuisé le pays , il
cède au voeu de la population entière , qui sollicite
de vivre sous ses lois. C'est ce qui se passe aujourd'hui
dans les deux marches d'Ancône , provinces
dépendantes du Saint - Siége et occupées par les
troupes napolitaines. Murat a forcé les corps de
la noblesse et du clergé , et toutes les autorités
du pays à lui faire des adresses pour le prier de réunir
les deux marches à la couronne de Naples , et il
a employé , à cet effet , tous les genres de terreur et
de vexations dont il connaît depuis long- temps
l'usage. Le journal de Rome , qui n'a point trouvé
cette conduite du roi Joachim conforme aux lois du
bon voisinage , s'est permis à ce sujet des réflexions
qui lui ont attiré de la part du Moniteur des Deux-
Siciles la réprimande suivante , que nous traduisons
littéralement :
« Le Journal de Rome ,jadis uniquement consacré aux objets
qui concernent le culte de Dieu , et aux augustes cérémonies qui
accompagnent la célébration des saints mystères , en reparaissant
après le rétablissement de l'ordre , a cru devoir quitter le langage
de la religion pour parler celui de la politique. Les rédacteurs de
cette feuille , en s'éloignant du but de son institution , se sont imprudemment
exposés à tous les dangers que courent ceux qui quittent
des sentiers battus pour en suivre d'inconnus. Animés par des
vues purement mondaines, ils ont exhalé leur bile d'une manière
qui rappelle ces temps déplorables de révolution ; où l'on faisait
servir les feuilles publiques à détruire toutes les idées de morale et
de religion , et à relâcher les liens qui unissent les rois et leurs sujets
, liens sacrés d'où dépend le bonheur des nations » ( 1 ) .
(7) Il y adans ce langage une hypocrisie et une mauvaise foi qui sautent
rx yeux ; mais, pour en sentir tout l'odieux et même tout le ridicule , il
FÉVRIER 1815 .
igi
:
» Au renouvellement de l'année , la population entière des Marches
voulut donner une preuve de son dévoûment au roi de Na- :
ples , à qui elle est redevable de tant de bienfaits (2); et tandis que
chacun voyait , dans ce concours de voeux , le témoignage unanime
de la reconnaissance des Marches pour le roi , le Journal de
Rome s'est avisé (3) d'attribuer ces félicitations et ces voeux à l'infamie
des autorités du pays , et il leur prodigue à cette occasion
les injures les plus violentes.
>>Lorsque toutes les puissances de l'Europe ont abjuré sur l'autel
de la paix tout ressentiment , lorsque l'on invoque la paix des
bords de la mer Glaciale jusqu'aux rivages de l'Adriatique , et que
tous les rois de la terre la proclament , il est vraiment douloureux
de voir un misérable journaliste s'efforcer d'exciter les peu-
•ples à la révolte (4) ; mais, en dépit des hommes qui pensent comme
le Journal de Rome , et qui , à son imitation , voudraient exciter
des troubles , le peuple est partout content et tranquille , et il
prouve par le calme de son attitude (5) que c'est en vain que l'on
cherche à égarer l'opinion publique sous un gouvernement juste et
libéral , comme celui de S. M. le roi de Naples.
» Le compilateur de Rome cherche à jeter des doutes sur l'authenticité
des adresses que les habitans des Marches ont envoyées
à Sa Majesté ; mais nous pouvons assurer notre confrère qu'il se
faut avoir présent à l'esprit que c'est Murat qui parle , que c'est Morat qui
croit devoir rappeler au Saint- Père ces temps déplorables de révolution cù
Tonfaisait servir les feuilles publiques à la subversion des idées de morale ét
dereligion !
(2) On connaît la naturede ces bienfaits, que la race des Napoléons porte
partout avec elle.
(3) S'est avisé est une expression heureuse que nous avons traduite littéralement
de l'italien ( si è avvisato ) .
(4) Exciter le peuple à la révolte. Ainsi les habitans des Marches , nes
anjets du Saint-Père, qui refusent de prêter serment à Murat , sont des
rebelles.
(5) Lecalme de son attitude s'explique par la présence de 20,000 hommes
de troupes qui occupent militairement le pays.
:
192 MERCURE DE FRANCE , FÉVRIER, 1815.
trompe (6) . Nous avons sous les yeux plusieurs centaines de ces
adresses , et elles portent toutes le caractère de la vérité et de la
parfaite liberté qui a présidé à leur rédaction ; elles sont l'expression
de la reconnaissance publique envers un prince généreux auquel
l'humanité , la philosophie et la religion sont également redevables
(7 ) .
>> Parmi ces adresses dont le Journal de Rome ose révoquer en
doute l'authenticité , il en est un grand nombre qui sont signées
par les prélats et les ecclésiastiques les plus respectables de ces provinces
, qui ne cessent de bénir la providence de les avoir placées
sous la protection d'un prince né pour le bonheur de ses sujets.
Il serait bien temps enfin que les véritables principes de lamorale
fussent rétablis et s'unissent à ceux de la religion , pour que
les peuples s'habituassent à reconnaître dans les bons rois les bienfaiteurs
de l'humanité , et le don le plus précieux que le ciel puisse
faire à la terre (8). La subversion de ces principes a coûté trop de
sang et de malheurs aux nations rappelées enfin aujourd'hui à leur
état naturel (9) , par la ligue auguste à laquelle nous devons tous ,
à laquelle le compilateur du journal de Rome lui-même, et l'Europe
entière , doivent le repos après tant d'années de trouble et
de souffrances » .
ERRATA DU DERNIER NUMÉRO .
Pagega , qui se contentent , lisez : qui se contractent.
Même page , mais nous nous plaisons à le dire ; mais est à supprimer .
Page 93 , que de ne pas mériter la même franchise , lisez : que de ne pas
montrer. 1
(6) Voila nue garantie bien respectable que l'assertion du Moniteur des
Deux-Siciles !
(7) Le rédacteur ne nous dit pas de quelle nature sont ces services dont
l'humanité , la philosophie et la religion sont redevables à Murat ; il suppose
sans doute que c'est une chose connue de l'univers entier : mais nous
lui dirons à notre tour qu'il se trompe.
(8) Il est vraiment curieux de voir Murat prendre ce ton d'onction en
s'adressant au pape.
(9) Est-ce quedans l'opiniondu rédacteur du Moniteur des Deux-Siciles
l'état naturel des Marches serait d'obéir à Murat ?
MERCURE
DE FRANCE .
TIMBRE
N°. DCLXX.- Samedi 11 février 1815.
POÉSIE
LES DOUZE PREUX.
NOUVELLE DE CHEVALERIE .
ROYAL
SEINE
255
c .
(Un chevalier portugais est censé raconter cette aventure à ses compagnons
d'armes. )
JEUNE , aimable et vaillant , Sanche , fils de nos rois ,
Aux peuples de Lusus faisait bénír ses lois ,
Tandis que la discorde , en désastres féconde ,
De l'antique Albion troublait la paix profonde .
Des chevaliers félons insultèrent un jour
Douze jeunes beautés , ornement de la cour.
Soit que depuis long-temps , assidus à leur plaire ,
Ils n'eussent en effet obtenu pour salaire
Qu'un sourire orgueilleux ou le plus froid dédain;
Soit qu'ils eussent formé le coupable dessein
D'opprimer à la fois l'innocence et les belles ,
Parjures à l'honneur , à la gloire infidelles ,
On les vit , en champ clos , appeler hautement
Tous ceux que blesserait leur vif ressentiment .
13
194 MERCURE DE FRANCE ,
Les dames cependant , pour venger cette offense ,
Des preux et des barons imploraient la défense.
Qui le croirait , grand Dieu ! contre leurs oppresseurs
Elles ne trouvaient pas de loyaux défenseurs .
Nul n'osait leur répondre ou combattre pour elles .
Dans l'espoir de laver ces injures nouvelles ,
Au duc d'Yorck enfin leur prière a recours .
Il n'eût pas attendu pour offrir son secours
Qu'à ses yeux la beauté vînt répandre des larmes ;
Mais craignant que son rang et l'éclat de ses armes
N'entraînent les héros de sa noble maison ,
Et de la haine encor n'aigrissent le poison,
Il répond en ces mots aux dames affligées :
« Par des audacieux vous fûtes outragées .
» Il vous faut des soutiens : puisque le sort jaloux
>>Me refuse l'honneur de combattre pour vous ,
>> Je cède aux Lusitains cet illustre avantage.
>> Il est aux bords fleuris , arrosés par le Tage ,
>> Un peuple dont le coeur fidèle et généreux
>> S'honore de fléchir sous le joug amoureux.
» Je connais sa valeur , et loin de l'Angleterre ,
>> Jadis sous ses drapeaux j'étudiai la guerre.
>>De l'affront que son bras en ces lieux doit punir
>>Par mes ambassadeurs je vais le prévenir ;
» Et bientôt à ma voix empressés de se rendre ,
>> De vaillans chevaliers sur ces bords vont descendre.
» Livrez-vous à l'espoir d'un triomphe éclatant » .
Le duc fait plus encor ; il leur nomme à l'instant
Douze jeunes guerriers , orgueil de ma patrie ,
Servans d'amour et fleur de la chevalerie.
Les dames à ces noms fameux dans l'univers
Ont déjà pressenti la fin de leurs revers .
Sur un doux avenir leur espoir se repose ,
Et de leur teint déjà s'épanouit la rose .
FÉVRIER 1815.
195
Les messagers anglais arrivent dans nos ports.
A peine contenant ses belliqueux transports ,
Le monarque leur prête une oreille attentive .
Ce pouvoir dont l'orgueil tient sa valeur captive ,
Et des rois ses aïeux le sceptre et le bandeau ,
Pour la première fois lui semblent un fardeau.
Que ne peut-il guider aux bords de la Tamise
Une ardente jeunesse à ses ordres soumise ! .....
Il cède en murmurant à la nécessité.
Par la voix de l'honneur au combat excité
Chacun laisse éclater sa noble jalousie .
Mais la troupe brillante et par le duc choisie
Se dispose au départ. Nul ne saurait entre eux
Nommer le plus aimable ou le plus valeureux.
Une vive allégresse en leurs traits se déploie .
La tunique où l'or pur serpente dans la soie ,
Le casque étincelant , l'impétueux coursier ,
La lance , la devise et l'armure d'acier ,
Tout est prêt , et déjà , d'une ardeur intrépide ,
Les preux vont s'élancer sur le vaisseau rapide ,
Lorsque le jeune Alvar leur adresse ces mots :
* Depuis long-temps , honteux d'un vulgaire repos ,
>> A l'ombre de nos bois , sur nos rives fertiles ,
>>Je traînais mes destins à la gloire inutiles .
>> Je brûlais d'observer d'autres moeurs , d'autres lois .
>> Puisque Dieu m'associe à vos futurs exploits ,
» Amis , ne trompez pas ma plus chère espérance .
>>Laissez-moi parcourir l'Ibérie et la France .
>> Mon serment vous répond de ma fidélité.
" Si la mort est le prix de ma témérité......
>>Mais pourquoi m'occuper d'un sinistre présage ?
> Les hasards , les périls semés sur mon passage
» M'opposeront en vain des obstacles jaloux .
" L'honneur me trouvera fidèle au rendez-vous » .
,
196
MERCURE DE FRANCE ,
Il dit. Ses compagnons à ses désirs se rendent ;
Mais le vent est propice et les flots les attendent.
Ils séloignent. Alvar traverse vingt cités ,
Sort vainqueur des périls contre lui suscités ,
Protège la vertu , la vieillesse , l'enfance ,
A l'infortune en pleurs consacre sa défense ,
Redresse tous les torts , venge tous les forfaits ,
Et remplit l'Occident du bruit de ses hauts faits.
Cependant les héros , après un long voyage,
De la sombre Tamise ont touché le rivage ,
Et le palais d'Yorck les reçoit dans son sein.
Les ordres sont donnés pour le combat prochain.
Du champ clos spacieux l'enceinte est aplanie.
Les guerriers d'Albion , de la Lusitanie ,
N'attendent que le jour. Il brille; mais , hélas !
Près de ses compagnons Alvar ne s'offre pas.
Leur amitié fidèle et s'étonne et murmure.
Chacun d'eux à regret se couvre d'une armure.
Le monarque , entouré de sa brillante cour ,
Vient présider lui-même aux exploits de ce jour.
Les dames près de lui se placent en silence.
Les prodiges de l'art et ceux de l'opulence
Ont paré de concert leur riche vêtement.
L'or y mêle sa pompe au feu du diamant ;
Les saphirs , les rubis , fastueuses merveilles ,
Ceignent leurs bras de lis , pendent à leurs oreilles.
Une seule à l'écart laisse tomber des pleurs ,
Et sous un crêpe noir se livre à ses douleurs .
Alvardut la défendre et n'est point dans la lice.
C'est en vain que les preux , touchés de son supplice ,
A la jeune beauté veulent rendre l'espoir.
» Qu'importe qu'un de nous trahisse son devoir ,
Disent-ils : apaisez ces injustes alarmes ,
Le ciel va se ranger du parti de nos armes !
FÉVRIER 1815.
197
Vains efforts ! Elle pleure et détourne les yeux .
Jamais l'astre immortel dans son cours radieux
N'éclaira les apprêts d'un combat plus horrible.
Dans la foule au loin règne un silence terrible ;
Les nombreux spectateurs d'avance ont frissonné.
Enfin aux combattans le signal est donné.
Chacun s'ébranle ariné de la lance et du glaive ......
Soudain parmi le peuple un bruit confus s'élève :
La foule considère un nouveau chevalier
Qui presse avec ardeur les flancs de son coursier.
Il entre dans la lice et salue avec grâce
Lemonarque et la cour charmés de son audace.
C'était le jeune Alvar : à l'instant jusqu'aux cieux
Ses braves compagnons poussent des cris joyeux.
On l'entoure , on l'admire , et la dame outragée
Que sa fatale absence avait tant affligée ,
S'éloigne , va quitter ses vêtemens de deuil
Et reparaît brillante et d'atours et d'orgueil.
Une seconde fois la trompette guerrière
Adonné le signal. On ouvre la barrière .
Les lances en arrêt , l'un et l'autre parti
Court , vole,et sous ses pas la lice a retenti.
Les lances sur l'airain en mille éclats se hrisent ;
Nos héros que déjà les destins favorisent
Font resplendir le glaive , et d'un vaillant accord
Pressent de toutes parts les chevaliers du Nord.
De ces vils combattans l'audace enfin chancelle ;
Lesang à flots pressés sous leurs armes ruisselle.
L'un tombe et se débatà son dernier moment ,
L'autre amordu la poudre et meurt en blasphémant;
Tel saisi d'épouvante est contraint à la fuite ,
Mais le glaive vengeur s'attache à sa poursuite ;
Tel se jette hurlant sur le trait acéré,
Et contre le trépas lutte désespéré.
198 MERCURE DE FRANCE,
Enfin les Portugais obtiennent l'avantage.
Honneur à nos guerriers: la gloire est leur partage.
Les traîtres ne sont plus . L'airain sonne , et les preux
Sont à l'instant conduits vers les siéges pompeux ,
Où les jeunes beautés que sauve leur vaillance ,
Ont vingt fois palpité de crainte et d'espérance .
Là , chacune , à son tour , offre à son chevalier
Ou l'écharpe d'albâtre , ou le brillant collier ,
Ou de ses longs cheveux une tresse embaumée.
Ces superbes vainqueurs , chers à la renommée ,
Timides maintenant , n'osent lever les yeux.
Le seul Alvar , plus jeune et plus audacieux.....
Oh ! de quel oeil brûlant il contemple sa dame!
Quel transport inconnu s'élève dans son âme !
C'en est fait; un regard a détruit son repos.
Mais la beauté toujours protège les héros ,
Alvar ! ne doute pas de sa reconnaissance ;
Ates heureux transports on applaudit d'avance ,
Et déjà sur ton front s'imprime un doux baiser
Prix charmant ! Désormais que ne peut-il oser ?
Au culte de l'honneur et de l'amour fidèle ,
Des nobles chevaliers il sera le modèle.
,
:
Par M. BAOUR-LORMIAN.
L'APOTHÉOSE DE LOUIS XVI ET LE RETOUR DE -
LOUIS XVIII ( 1 ) .
AU-DESSUS de ce gouffre , à mes yeux éblouis ,
Sur un céleste mont , royaume de Louis ,
Mille arcs-en-ciel ouverts , enceinte magnifique ,
D'un temple aérien composent le portique.
(1 ) Ces vers composent la seconde partie d'un morceau sur la révolution
et la restauration .
FÉVRIER 1815.
199
D'autres arcs lumineux plus voisins du soleil
Portent pour léger dôme un nuage vermeil ,
Et de l'astre enflammé , couronnant ce nuage ,
Dans un azur serein , toujours exempt d'orage ,
Au milieu des rayons d'un triangle de feu ,
Le disque éblouissant offre le nom de Dicu.
Sous ce dôme Louis lève un front noble et calme.
Son trône est un autel et son sceptre une palme.
Son riche vêtement de pourpre est coloré ,
D'une sainte auréole il brille décoré ,
Douce émanation de son âme modeste ,
Rayonnante splendeur d'une flamme céleste .
Sous un dais de lumière , à sa droite , son fils
Dans les bras maternels avec grâce est assis.
Quelques lis en bouton composent sa couronne ,
Sur son manteau d'azur un Saint-Esprit rayonne ,
De sa main enfantine il lève un sceptre d'or ,
Et , le front incliné , semble écouter encor
D'un père vertueux ces paroles augustes :
« Les rois sans être bons ne peuvent être justes.
>> Sur mon peuple égaré si tu règnes jamais ,
>>Ne me venge , mon fils , qu'à force de bienfaits » .
Des frères de Louis les épouses royales ,
Sa soeur le front couvert de roses virginales ,
Lamballe aux blonds cheveux ceints d'immortelles fleurs ,
D'Enghien , jeune héros l'objet de tant de pleurs ,
Malesherbes , Brissac , tous ces amis fidèles ,
Jadis martyrisés par des sujets rebelles ,
S'enivrant des douceurs d'un ineffable amour ,
Composent des deux rois l'éblouissante cour.
O fille de Louis , dans vos tendres alarmes
Qui levez des regards toujours mouillés de larmes ,
Combien de fois du haut de ce mont radieux ,
En inclinant leur luth , ces habitans des cieux
200 MERCURE DE FRANCE ,
Sur vous ont de l'exil répété le cantique
Etversé la douceur d'un accord prophétique!
Vós voeux s'accompliront , apaisez vos douleurs.
Des enfans de Henri finiront ces malheurs :
Chargé par le Très-Haut d'exaucer la prière
De son prédécesseur au séjour de lumière ,
Le frère de Louis présente au repentir
Le testament sacré du monarque martyr .
Un riant arc-en-ciel se peint sur les nuages ,
Le nom seul des Bourbons a chassé les orages .
La guerre au front d'airain brisant ses étendards ,
Le carnage sanglant fuyant les crins épars ,
Le désespoir , la rage et la faim et la peste ,
Tous ces monstres enfans de la haine funeste ,
Replongés avec elle aux cachots de l'enfer,
Rugissent de fureur sous cent chaînes de fer.
Sur la religion , sur l'ordre monarchique
Louis établissant la liberté publique ,
Montre que la candeur , l'honneur , la bonne foi
S'étaient réfugiés au coeur sacré du roi.
Son horreur de la nuit où la ruse se plonge
Dans les obliquités des routes du mensonge,
Repoussant les conseils imprudens ou pervers ,
Met sa couronne auguste àl'abri des revers .
Vous qui le consoliez de la perte du trône ,
Vous dans son long exil sa fidèle Antigone ,
Au souris répandu sur vos traits gracieux ,
A l'éclat du plaisir renaissant dans vos yeux ,
Va refleurir soudain la couronne flétrie
De cet amour objet d'antique idolâtrie
Qui de nos vieux parens avait fait le bonheur,
Et qu'a désenchanté notre esprit raisonneur ;
Ah ! puissé-je , planant sur les monts d'Aonie
Où retentit.sans cesse une douce harmonie ,
::
:
37
FÉVRIER 1815 . 201
Nouveau Malherbe , assis sur l'aigle audacieux
Dont l'essor ravissait Pindare au haut des cieux ,
Mariant aux accords d'une lyre enflammée
Ma poétique voix d'allégresse animée ,
Inondé de splendeur sous la source du jour ,
De Louis dans mes vers célébrer le retour ;
Opposer sa lumière à ces folles maximes
Dont l'intérêt colore à son gré tous les crimes ,
Proclamer les Bourbons de la haine vainqueurs ,
A la fille des rois enchaîner tous les coeurs !
Louis est parmi nous comme le lis superbe
Dont la tige tranchée avait péri sous l'herbe :
Aux feux de Sirius soudain reparaissant ,
Il lève sur les fleurs son front éblouissant ,
Et de l'albâtre ouvert de ses brillans calices
Où des abeilles d'or pompent avec délices
Le liquide nectar élément de leur miel ,
Exhale un doux parfum agréé par le ciel.
Que sur les rejetons de son antique race
L'ange que la pudeur, rougissant avec grâce ,
D'une timidemain voile d'obscurité ,
Agite le flambeau de la fécondité !
O toi , dont le soleil éclaira la naissance ,
France , élève les voeux de ta reconnaissance !
L'absence de tes maux , les biens dont tu jouis ,
Ton heureux avenir sont les dous de Louis .
De la religion ouvre l'antique temple ,
Illumine l'autel , que ton peuple contemple
Son roi , devant le Dieu d'où naît toute splendeur ,
Humilier l'orgueil de l'humaine grandeur.
Brûlons un pur encens : l'encens est le partage
Du Dieu qui de Clovis protège l'héritage.
Le sceptre en vain reçut un sacrilége affront :
O Louis ! ô mon roi ! les voilà sur ton front
Ces lis miraculeux dont couronna sa tête
202 MERCURE DE FRANCE ,
Le Franc qui de la Gaule acheva la conquête ,
Digne fils du héros qu'une unanime voix
Avait au bord du Rhin porté sur le pavois .
Vous que la tyrannie osa déclarer traîtres ,
Vous le soutien des lis , vous l'orgueil de vos maîtres ,
Revenus purs aux lieux que le crime a souillés ,
De gloire revêtus et de biens dépouillés ! ...
Et vous , hélas ! vous tous disparus dans l'orage ,
Sour les échafauds , soit aux champs du carnage ,
Intègres magistrats et pontifes sacrés ,
Sur le seuil des prisons , à l'autel massacrés ,
Guerriers , femmes , vieillards , qui tombâtes victimes
De votre dévouement à vos rois légitimes ,
Agréez qu'aux clartés de funèbres flambeaux
Notre pieux encens fume sur vos tombeaux !
Quelle que soit l'erreur qu'en ces temps trop célèbres
De prestiges brillans et d'épaisses ténèbres
Dans ses illusions suivit chacun de nous ,
Sous le sceptre sacré qui nous réunit tous ,
La main levée au ciel , sur la croix , sur l'épée ,
De l'intérêt public l'âme toute occupée ,
Pour nous , pour nos enfans , pour nos derniers neveux ,
Près des tombeaux d'où sort la voix de nos aïeux ,
Comme eux , répétons tous : « Je jure de répandre ,
Avec un noble orgueil , tout mon sang pour défendre
Le trône où Dieu lui-même a couronné nos rois ,
Et la charte où Louis a consacré nos droits » .
1
F. O. DENESLE , ancien officier du régiment de Provence
, auteur des Stances sur le retour des Bourbons
insérés dans le Mercure du mois de juin 1814 , et
d'une Déclaration contre lejugement de Louis XVI,
rapportée dans l'histoire duprocès de ce prince, par
M.Méjean.
FÉVRIER 1815. 203

VOEUX DU NOUVEL AN
A MADAME LA BARONNE DE RICHEPANCE.
DIGNE compagne du héros
Qui , dans l'un et l'autre hémisphère ,
Moissonnant des lauriers nouveaux ,
Fut grand dans la paix , dans la guerre ;
Puissent n'être point superflus
Ces voeux que j'offre à sa mémoire !
On verra , chez nous , vos vertus
Vivre aussi long-temps que sa gloire.
Par M. J. H. C. D. ,
Ex-secrétaire du général Richepance .
ÉNIGME .
Je marche sur six pieds : je fus dans tous les temps
L'enfant gâté de messieurs les savans .
Chez les peuples polis et de Rome et d'Athène
J'obtins les plus brillans succès ;
Et maintenant encor sur les bords de la Seine
Je suis la gloire des Français.
Au milieu des combats je gagne la victoire ,
Par moi dans les temps de la paix
Tous les arts deviennent parfaits ;
Et c'est moi qui conduis au temple de mémoire.
LOGOGRIPHE .
MORTELS ambitieux ,
Marins audacieux ,
Pour parvenir à la fortune ,
Bravez les fureurs de Neptune ;
1
204 MERCURE DE FRANÇE , FÉVRIER 1815.
Et vous , harpagons odieux ,
Vous que la soif de l'or domine ,
Épargnez ,ramassez ,
Faites maigre cuisine ,
Jeûnez , thésaurisez ;
Pour moi , par un moyen plus simple , plus facile ,
Je saurai riche devenir :
De ma tête j'irai me faire raccourcir ,
Car, en la conservant , je suis pauvre , stérile.
V. B. ( d'Agen ).
CHARADE .
MON premier est un mot latin
Qui désigne le dieu du vin;
Lecteur , par lui , dès ton enfance ,
Tu fis peut-être connaissance
Avec le vertueux Caton ;
Maintenant il peut dePlaton ,
D'Hippocrate , d'Euler , de Cujas , de Newton ,
Et de tous les auteurs qui soient connus au monde ,
Te révéler la science profonde.
Les jours de fête monsecond
Dans bien des lieux fait carillon .
Par le même .
Mots de l'ENIGME , du Logogriphe et de la Charade insérés
dans le dernier Numéro .
Le mot de l'Enigme est Caricature .
Celui du Logogriphe est Tapisserie.
Celui de la Charade est Tardif,
LITTÉRATURE ET BEAUX - ARTS .
HISTOIRE DE J.-B. BossUET , évêque de Meaux ,
composée sur les manuscrits originaux , par
M. L.-F. DE BAUSSET , ancien évêque d'Alais .
(DEUXIEME EXTRAIT. )
IL est difficile de faire l'extrait d'un ouvrage historique
qui est lui-même un extrait ; et qui n'offre
ni système à discuter , ni point de critique à éclaircir.
M. de Bausset a voulu faire connaître Bossuet
tout entier , que les gens du monde , et même la
plupart des littérateurs , ne regardent que comme
le plus éloquent de nos orateurs , et dont ils n'admirent
que cette partie de ses écrits à laquelle Bossuet
, bien au-dessus de toutes les faiblesses du bel
esprit ou des complaisances de l'amour-propre , attachait
le moins d'importance , et qu'il n'avait pas
même songé à publier. Aujourd'hui qu'on fait imprimer
jusqu'aux thèmes et aux versions des écoliers
, il est bon de remarquer que Bossuet n'avait
pas fait imprimer ses oraisons funèbres , et qu'une
grande partie de ses ouvrages n'a paru qu'après sa
mort. J'imiterai donc l'exemple de l'historien de
Bossuet , et pour faire connaître l'ouvrage , j'en ferai
connaître le héros . Quant au style, il est partout
à peu près d'une telle égalité de naturel , de clarté,
206 MERCURE DE FRANCE ,
:
d'élégance ou de noblesse , qu'on éprouve àtout mo
ment l'embarras du choix. Je serais plutôt tenté de
tout transcrire que de citer quelque chose : et je renonce
au triste mérite d'éplucher dans un ouvrage
de cette étendue et de cette importance , des points
et des virgules.
Rien ne prouve mieux la liaison secrète et nécessaire
de la société religieuse et de la société politique
, l'analogie qui existe entre leurs principes
constitutifs et l'influence qu'elles exercent l'une sur
l'autre , que de voir les novateurs du 15º. siècle ,
forcés de réformer en politique , en même temps
qu'ils réformaient en religion, et Bossuet lui-même,
entraîné par la controverse sur le terrain de la politique
, devenu publiciste lorsqu'il croyait , lorsqu'il
voulait n'être que théologien .
Il ne nous appartient pas de discuter le mérite de
Bossuet comme théologien , ou plutôt cette discussion
n'appartient à personne. Bossuet est jugé. Ses
contemporains le proclamèrent , de son vivant, père
de l'église , et ce titre , qu'il partage avec de si beaux
génies , lui a été confirmé par l'assentiment général
de l'Europe chrétienne .
Mais dans les matières politiques , si Bossuet a
le même génie , il n'a pas la même autorité. Il rentre
dans la classe des écrivains , dont les opinions
peuvent être l'objet d'un examen permis à tous ceux
qui ont fait une étude particulière de la constitution
des sociétés .
Bossuet au reste n'a rien à perdre même sous ce
FÉVRIER 1815 . 207
rapport . Politique ou théologien, il est toujours Bossuet
; aussi profond, aussi concis, aussi lumineux dans
les ouvrages de raisonnement , qu'il est fécond, majestueux
, entraînant dans ses écrits oratoires ; car
ce grand homme me paraît avoir réuni ce qu'on
pourrait appeler les deux extrêmes de l'esprit humain
, la dialectique la plus pressante et l'éloquence
la plus animée .
On peut même remarquer que si la théologie polémique
de Bossuet a vieilli, et est en quelque sorte
surannée à cause du silence de ses adversaires , et
des nouvelles et dernières variations que leur doctrine
a subies depuis un siècle , la politique qu'il
combattit est précisément celle de notre temps , la
politique à la mode , si l'on me permet cette expression
; car les nations qui n'ont pas su retenir leurs
moeurs, les remplacent par des modes, et semblent,
en changeant sans cesse , chercher ce qu'elles ont
perdu.
Ainsi Bossuet n'est pas moins profond publiciste
que grand théologien ; et précepteur éternel de la
société , après avoir enseigné la religion à son
siècle , il peut apprendre au nôtre la politique .
Quand la réformation eut affranchi les peuples
de toute autorité religieuse , extérieure et visible ,
en attribuant à chaque fidèle le droit et la faculté
d'interpréter les livres dépositaires de la doctrine
religieuse et morale , elle fut conduite par une conséquence
irrésistible à soulever les peuples contre
l'autorité politique et à attribuer aussi à chaque su
208 MERCURE DE FRANCE ,
jet le droit et le pouvoirde faire partie du souverain .
Effectivement si l'homme ne devait plus reconnaître
aucune autre autorité sur ses pensées que celle dont
la raison était juge , comment aurait-il souffert sur
ses actions , une autre autorité que celle dont sa volonté
était le principe ?
L'Allemagne avait propagé dans le nord de l'Europe
et jusqu'en France de nouvelles doctrines religieuses
; elles avaient pénétré en Angleterre où
une constitution depuis longtemps populaire s'assortissait
merveilleusement aux principes populaires
des nouvelles religions . L'Angleterre à son tour
répandit sur le continent de nouveaux principes
politiques ; et le jus regni in sotić, de Buchanan, et
le Junius Brutus d'Hubert Languet , établirent
comme des dogmes :
<< Que c'est le peuple qui fait le souverain et donne
>> la souveraineté :
>> Qu'il est contre la raison qu'un peuple se livre
» à un souverain sans quelque pacte , et qu'un tel
>> traité serait nul et contre la nature :
>> Que le peuple n'a pas besoin d'avoir raison
>> pour valider ses actes :
>> Principes si excessifs , selon M. Bossuet , qu'ils
>> ont été détestés par les plus habiles gens de la ré-
>>>forme >> ; mais dont nos philosophes du 18. siècle,
moins habiles et surtout moins modérés , ont fait
le nouveau code des sociétés .
« Le Ve . Avertissement aux protestans, dit M. de
» Bausset , est le plus beau traité de politique qui
FÉVRIER 1815.-
209
>> ait peut-être jamais été offert à la méditation
>> des hommes d'état et de tous ceux qui , sans as–
>> pirer à cette prééminence d'opinion et de renom-
>> mée , aiment à écouter , dans le silence des pas-
>>> sions , la voix de la raison et ces maximes éter-
>> nelles que l'expérience des siècles a consacrées
>>>pour le repos de la société.
» Il s'agit dans cet Avertissement d'une des plus
>> grandes questions qui aient été agitées parmi les
» hommes sous quelque forme de gouvernement
>> que la Providence les ait destinés à vivre . Bos-
>> suet entreprend d'examiner si le fondement des
>> empires repose sur l'autorité des rois ou sur la
>> volonté du peuple , dans lequel on prétend placer
>> l'origine et le droit de toutes les souverainetés » .
M. de Bausset n'en dit pas assez ; car Bossuet ne
pose le fondement de la société sur l'autorité des
rois , qu'en faisant émaner cette autorité de la volonté
de Dieu même dont les rois sont , à ses yeux ,
les lieutenans et les ministres, comptables à lui seul
de l'usage qu'ils font de leur pouvoir. En sorte
que la question se réduit au fond à chercher le fondement
du pouvoir dans la souveraineté de Dieu
sur l'homme , ou dans la souveraineté de l'homme
sur son semblable.
C'est cette prétendue souveraineté de l'homme ou
du peuple dont nous avons fait une si terrible expérience
que Bossuet combat dans ce Ve. Avertissement
avec une telle puissance de raison et de talent
que , lorsqu'on compare ce qu'il en dit avec ce que
14
210 MERCURE DE FRANCE ,
des philosophes de notre temps ont écrit en faveur
de cette opinion, on est humilié pour son siècle et
pour sa nation , que le bel esprit ait pu remporter
une si honteuse victoire sur le génie , et les passions
sur le bon sens .
Bossuet défend dans tous ses ouvrages le pouvoir
indépendant des rois. Il ne faut pas trop s'étonner
que ce grand homme ait cru cette forme de gouvernement
plus propre que toute autre à assurer le bonheur
des peuples et la stabilité des États . Nourri dès
son enfance des vérités de la religion, il s'était accoutumé
à chercher dans les livres sacrés le type de la
perfection sociale , comme il y avait trouvé les vrais
modèles de la perfection oratoire. Il voyait dans le
décalogue le texte de toutes les lois , et dans les accidens
de la société hébraïque constituée par Dieu
même , un exemple pour toutes les sociétés. Il ne
donnait pas à la société une autre origine que celle
que racontent les livres de Moïse et qui est si conforme
à la raison et même à l'expérience ; le genre
humain sorti d'une première famille , les familles en
se multipliant , rapprochées par la parenté par la
communauté d'habitation et de besoins, formant des
peuplades où un ancien , sous le titre modestedejuge,
apaise les différens , réunit les volontés ou dirige
les forces ; les peuplades enfin confondues par les
alliances , les intérêts , quelquefois par la conquête ,
devenues des nations et dans cet état ultérieur de la
société, s'élèvant au gouvernement monarchique, le
seul qui puisse les conserver et qui retient dans ce

FÉVRIER 1815. 211
dernier développement du corps social, toute l'indé
pendance du pouvoir paternel qui a été son premier
état.
A ces sentimens, ou si l'on veut , à ces préjugés en
faveur de l'indépendance du pouvoir monerelique?
se joignaient contre le gouvernement populaire des
préventions , fortifiées par des événemens récens
qui avaient rempli l'Europe d'horreur et d'épouvante
. Les troubles de l'Angleterre et le meurtre juridique
de Charles Ir. livré par les institutions politiques
de l'Angleterre à toute la fureur des sectes religieuses
, étaient encore présens à tous les esprits ,
et Bossuet, qui dans l'oraison funèbre de l'épouse de
ce prince infortuné , en avait fait le sujet de ses
éloquentes méditations, ne pouvait que redouter des
formes de gouvernement qui permettent tant aux
peuples contre les rois . Il redoutait « ce principe de
>> rébellion caché dans le coeur des peuples , qui ne
>> peut être déraciné qu'en ôtant jusque dans le
>> fond , du moins aux particuliers en quelque
>> nombre qu'ils soient , toute opinion qui puisse
)) leur rester de la force ni autre chose que les prières
>> et la patience contre la puissance publique .
»
)) C'est une grande erreur , disait-il dans son style
à la fois si simple et si fort , de croire qu'on ne
>> puisse donner des bornes à la puissance souve-
>> raine qu'en se réservant sur elle un droit souve-
>> rain. Ce que vous voulez faire faible à vous faire
>> du mal , par la condition des choses humaines , le
>> devient autant à vous faire du bien : et, sans borner
212 MERCURE DE FRANCE ,
>> la puissance par la force que vous vous pouvez ré-
>> server contre elle , le moyen le plus naturel pour
>> l'empêcher de vous opprimer , c'est de l'intéresser
>>> à votre salut » .
Peut-être aussi que ce beau idéal, éternel entretien
des âmes fortes et des esprits élevés , son génie,
plein de hautes pensées et de nobles sentimens, le
trouvait uniquement dans ces idées simples et naturelles
de royauté à la fois divine et paternelle , où le
pouvoir se compose de douceur et de force ; l'obéissance,
d'affection et de respect; où gouverner est un
devoir et être gouverné un droit.
Mais si Bossuet parle aux peuples de leurs devoirs
envers les rois , il ne parle pas aux rois avec moins
de force de leurs obligations envers celui de qui ils
tiennent leur puissance :
<< Je n'appelle pas majesté , dit-il , cette pompe
>> qui environne les rois , ou cet éclat extérieur qui
>> éblouit le vulgaire ; c'est le rejaillissement de la
>> majesté , et non pas la majesté même. La majesté
>> est l'image de la grandeur de Dieu dans le prince ;
>> leprince autantque prince n'est pasregardécomme
>> unhommeparticulier, c'est un personnage public,
>> toutl'État est en lui, lavolontéde tout le peuple est
>> renfermée dans la sienne. Quelle grandeur qu'un
>> seulhomme en contienne tant! Lapuissance deDieu
>> se fait sentir en un instant de l'extrémité du monde
>> à l'autre , la puissance royale agit en même temps
>> dans tout le royaume ; elle tient tout le royaume
>> en état, comme Dieu y tient tout le monde : que
FÉVRIER 1815. 213
>> Dieu retire sa main , le monde retombera dans le
>> néant; que l'autorité cesse dans le royaume , tout
>> sera en confusion. Ramassez ce qu'il y a de plus
>> grand et d'auguste ; voyez un peuple immense
>> réuni en une seule personne; voyez cette puissance
>> sacrée , paternelle et absolue'; voyez la raison se-
>> crète qui gouverne tout le corps de l'État, renfer-
>> mée dans une seule tête : vous voyez l'image de
>> Dieu et vous avez l'idée de la majesté royale . Oui,
>> Dieu l'a dit : Vous êtes des dieux ; mais, ô dieux
>> de chair et de sang , ô dieux de boue et de pous-
>> sière , vous mourrez comme des hommes ! ô rois,
>> exercez donc hardiment votre puissance, car elle
>> elle est divine et salutaire au genre humain ; mais
>> exercez-la avec humilité, carelle vous est appliquée
>> par le dehors ; au fond elle vous laisse faibles ,
>> elle vous laisse mortels et elle vous charge devant
>> Dieu d'un plus grand compte » .-
Du reste , en se déclarant pour le pouvoir indépendant
des rois , « Bossuet , dit son historien ,
» n'examine point d'une manière absolue quelle
>> est la meilleure forme de gouvernement , et il ne
>> censure ni ne condamne aucune des formes de
>> gouvernemens qui ont régi les nations anciennes
>> ou modernes » . Je le crois : ces discussions politiques
n'entraient point dans le plan de Bossuet ,
et il n'était pas encore devenu necessaire d'en occuper
les esprits . L'exemple de l'Angleterre ne tentait
aucune nation , et malgré les germes de démocratie
répandus en Europe par les avantages que la réforme
214 MERCURE DE FRANCE ,
avait obtenus au traité de Westphalie , les idées religieuses
sur l'autorité des rois avaient encore une
grande force , même en Angleterre. Cependant il
ne faut pas croire que Bossuet fût resté indifférent
sur ces grandes questions. Dans son Discours sur
l'Histoire universelle , en parlant des institutions
politiques de la Grèce : « Je n'examine pas , dit-il ,
>> si ces institutions étaient aussi sages qu'elles sont
>> spécieuses .... enfin la Grèce en était charmée » .
Ce qui est dire assez clairement qu'il les trouvait
plus spécieuses que raisonnables. Dans le cinquième
Avertissement : « J'ai vengé , dit-il , les droits des
>> rois et de toutes les puissances souveraines , car
>> elles sont toutes également attaquées, s'il est vrai ,
>> comme on le prétend , que le peuple domine
>> partout , et que l'état populaire , qui est le pire
soit de tous , le fond de tous les États
il prouve que le gouvernement le plus commun , le
plus ancien et le plus naturel est la monarchie , et
par conséquent entre la démocratie , le pire de tous
les états , et la monarchie , qui lui paraît le meilleur ,
on peut croire que Bossuet aurait classé les divers
degrés de bonté des institutions politiques , selon
qu'elles se rapprochent ou s'éloignent de l'une ou
de l'autre de ces deux formes extrêmes de gouver
))
nement.
» . Ailleurs
M. de Bausset ajoute : « On peut croire que , si
» Bossuet fût né dans une république , il en aurait
>> été le citoyen le plus zélé, comme il fut le sujet plus
> soumis d'une monarchie . » Bossuet , homme d'é
FÉVRIER 1815 . 215
glise , aurait été citoyen tranquille dans un état
même populaire , si toutefois on peut être tranquille
dans un Etat qui ne l'est pas je le crois ; mais je
n'oserais assurer la même chose de Bossuet , s'il y
eût été homme d'État , je crois qu'il s'y serait senti
à l'étroit . Les hommes vulgaires , qui n'ont ni assez
de force morale pour gouverner seuls , ni assez de
modération pour rester à leur place , s'attroupent
pour dominer ensemble , comme des voyageurs timides
pour traverser une forêt : et c'est ce qui a fait
toutes les républiques. Mais les hommes forts d'esprit
et de caractère ne consentent à vivre dans un
Etat populaire que pour y faire prévaloir leur pouvoir,
et, siles circonstances les favorisent, pour s'emparer
de celui desautres; et comme César, Cromwel
et tant d'autres , s'ils flattent le peuple , c'est pour
l'asservir. Cicéron lui-même , à qui l'expérience
avait donné des sentimens qu'il n'aurait peut-être
pas trouvés dans son caractère , était dégoûté du
gouvernement populaire à un point qui lui faisait
dire : Mihi nihil unquàm populare placuit .
Quoi qu'il en soit , lorsque les gouvernemens
veulent tous des constitutions , je ne dis pas écrites ,
mais datées , ce qui est bien différent , il leur faut
plus jamais de fortes administrations , et le régime
doit être plus sévère à mesure que le tempérament
est plus faible . Une constitution est l'ordre dans les
choses , mais l'administration est l'ordre entre les
hommes ; et plus les hommes se multiplient , plus
il y a entr'eux de points de contact ; et alors il est
216 MERCURE DE FRANCE ,
plus difficile aux administrations de concilier tant
d'intérêts et de contenir tant de passions . Or, sans
parler des causes locales ou générales qui tendent à
accroître la population en Europe et à l'y retenir
toute entière , les peuples modernes sont sous ce
rapport dans une position particulière , et qui met
entre eux et les peuples de l'antiquité une différence
à laquelle on n'a peut-être jamais fait attention.
Jamais les sociétés anciennes les plus peuplées ,
peut-être pas même l'empire romain , n'ont eu ,
je crois , autant d'hommes dans l'État que nos
grandes monarchies d'Europe , parce que les esclaves,
partie si nombreuse de la population totale ,
gouvernés despotiquement par leurs maîtres , appartenaient
uniquement à la famille , ne faisaient
point comme sujets une partie de l'État ( puisque
l'esclave n'était pas même compté, caputnon habet) ,
et que même , à cause de la constitution plus forte
de la famille et plus faible des pouvoirs publics , les
femmes et les enfans étaient bien moins de l'État
qu'ils ne le sont aujourd'hui , et que ne le sont
même les domestiques , qui ont remplacé les esclaves
. Le christianisme , qui a appelé tous les hommes
à la liberté des enfans de Dieu , a rendu à
l'homme , même le plus faible d'âge , de sexe ou de
condition , sa dignité primitive et naturelle , il a
rendu à la nature humaine ses justes droits , et sans
affaiblir la subordination légitime des personnes
de la famille envers le pouvoir domestique , il a fait
FÉVRIER 1815. 217
passer dans l'État la famille elle-même avec toutes
ses personnes .
D'un autre côté, le christianisme a initié l'enfance
aux plus hautes vérités de la morale ; la connaissance
s'en est répandue jusque dans les dernières
classes de la société , les esprits se sont éveillés , et
l'ignorance étant dissipée , ils sont devenus plus
capables de saisir la vérité , et par cela même plus
disposés à tomber dans des erreurs , qui ne sont
jamais que des vérités incomplètes. Il y a donc aujourd'hui
dans la société publique , c'est-à-dire dans
les États, plus d'esprits , si on peut le dire, et plus
de corps ; et par conséquent il faut , dans les administrations
plus de force morale pour diriger les esprits
, et plus de force physique pour contenir les
corps . La force morale est toute dans la religion et
ne peut être ailleurs : ainsi quand l'autorité politique
est forte , l'autorité religieuse ne doit pas être faible ,
et ce serait assurément une bien triste compensation
à offrir aux peuples pour la rigueur du gouvernement
, que l'affaiblissement de la religion : car
une société est également en souffrance , et lorsque
le gouvernement est plus fort que la religion , et
lorsqu'il est plus faible , parce qu'alors il n'y a pas
assez de morale pour seconder la police , ou il n'y a
pas assez de police pour appuyer la morale.
Ainsi , si d'un côté la religion chrétienne a multiplié
pour les gouvernemens les soins de l'administration
, en répandant plus de lumières , et en faisant
membres de l'État ceux qui ne l'étaient que de la
218 MERCURE DE FRANCE ,
famille , de l'autre , elle a rendu plus facile et plus
douce l'action des gouvernemens , en inspirant aux
hommes des principes d'obéissance envers ceux qui
les gouvernent , et surtout des sentimens d'amour
et de fidélité inconnus aux peuples anciens : le pouvoir
est devenu une paternité , le ministère un service,
l'état de sujet une dépendancefiliale. Ce changement
dans l'état des nations s'est même étendu
aux relations de paix et de bon voisinage entre les
peuples , et jusqu'à l'état de guerre ; et ce droit
public moderne est , suivant Montesquieu , « un
>> bienfait de la religion chrétienne , que la nature
>> humaine ne saurait assez reconnaître » .
Ainsi , gouvernans et gouvernés, nous devons tout
à la religion : tout ce qui produit la sécurité des uns
et la juste liberté des autres. Nous lui devons surtout
cette confiance réciproque , cette indulgence
mutuelle , qui fait que les gouvernemens peuvent ,
sans danger pour leur stabilité , pardonner aux peuples
les fautes de l'ignorance et de la légèreté ; et
les peuples , sans danger pour leur liberté , pardonner
aux gouvernemens les erreurs involontaires et
inévitables de l'administration ; et il a été désormais.
aussi facile de gouverner par la religion , que difficile
ou même impossible de gouverner sans elle .
Je le répète , nous lui devons tout , force , raison ,
vertu , lumières , liberté personnelle et liberté publique;
et lorsque nous lui préférons une philosophie
qui, par la licence de ses opinions et la mollesse
de ses maximes , en poussant les hommes à la ré
FÉVRIER 1815.
219
volte , ne peut que forcer les gouvernemens au
despotisme , nous sommes des insensés et des ingrats
, et nous abandonnons une épouse qui a fait
notre fortune , pour suivre une courtisane qui nous
ruine.
M. TRENEUIL . -
DE BONALD .
LA CAPTIVITÉ DE PIE VI , poëme élégiaque ; par
A Paris , chez Firmin Didot ,
imprimeur du Roi et de l'Institut royal de France ,
libraire , rue Jacob , nº . 24 .
( DEUXIÈME EXTRAIT. )
Sı la première parole de l'homme fut une inspiration
, son premier cantique fut un chant de reconnaissance
et d'amour. Ses communications avec
Dieu ne furent même , tant qu'il lui resta fidèle ,
qu'une suite non interrompue d'actions de grâces
et d'hymnes de joie. L'homme déchu de son bonheur
connut le regret et le repentir : du fond de
son coeur sortit l'expression plaintive de sa misère .
Toute la nature qui , jeune et vierge encore , avait
pris part à sa félicité en déployant à ses yeux tant
d'harmonie et de charme , lui parut alors se ressentir
de ses agitations et de ses tourmens , et devenue
la compagne de son deuil , s'associer en quelque
sorte à ses chants expiatoires. Une grande promesse
, jointe à l'arrêt de sa condamnation , avait
heureusement déposé dans son coeur une vive espérance
, pour en écarter le découragement , pour le
ramener au bonheur et à la vérité , pour le consoler
et le soutenir dans sa lutte avec les maux et les
220 MERCURE DE FRANCE ,
erreurs de la vie. Un désespoir sans retour , une
rigueur sans clémence ne lui eussent laissé que
l'affreux délire des imprécations. Mais sous l'oeil de
l'éternelle bonté et de l'infinie miséricorde , innocent
ou coupable , heureux ou repentant , plein de
joie ou de regret , de sérénité ou d'espoir, l'homme
devait donner tour à tour à ses cantiques l'expression
et l'accent qui sortaient si naturellement de
ces deux états de son âme .
La plus haute poésie , joyeuse ou plaintive , n'a
pas 'une autre origine : elle touche au berceau du
monde ; elle a célébré les grandeurs de l'homme ,
déploré sa déchéance , et annoncé sa régénération :
elle a présidé à la naissance de la famille et de la
société : il est même permis de croire que, dans
son auguste simplicité , elle formait à elle seule la
langue primitive ; elle a, sans doute , emprunté des
formes diverses et moins pures en assistant à la
dispersion du genre humain ; mais on est entraîné
à penser qu'elle a conservé du moins au sein des
familles patriarchales , et dans la langue du peuple
choisi , toute la magnificence , l'énergie et la sublimité
touchante de ses premières inspirations.
C'est donc dans les livres saints , dans les cantiques
de Moïse , dans le psalmiste et les prophètes ,
que la poésie élevée doit aller puiser ses impressions
et ses images , lorsqu'elle a à consacrer par
des chants solennels ou de grandes félicités , ou de
grandes infortunes . C'est lorsque la société en deuil
réclame pour d'augustes victimes des chants publics
FÉVRIER 1815. 221
de regrets , d'expiation et d'amour, oui , c'est surtout
alors que l'on aurait besoin d'entendre de
nouveau la mélodie sublime et tendre , la majesté
sombre et imposante de cette voix prophétique ,
qui seule , au jugement de notre plus grand orateur
, a su égaler les lamentations aux calamités .
Honneur donc au poëte inspiré , qui , rappelant
parmi nous l'élégie à son plus noble caractère , est
allé , avec Jérémie , soupirer d'héroïques douleurs
sur les tombeaux vides de nos rois . Honneur à celui
dont le goût formé par les méditations solitaires ,
et l'étude de l'antiquité sacrée , s'est attaché à faire
passer dans ses nouveaux chants de douleur la vérité
des sentimens , des pensées , et des images empruntées
aux saintes écritures . La première des élégies
qu'il vient de publier a déjà subi l'examen de
plusieurs critiques. Un littérateur distingué en a
rendu compte dans le Mercure. Nous allons nous
occuper de l'examen de la seconde élégie qui apour
objet la captivité de Pie VI.
« Ce pontife , dit l'auteur dans sa préface , considéré
seulement comme souverain temporel, tiendra
un rang très-honorable dans l'histoire. Le musée
Clémentin , les fouilles d'Otriculum , les gravures
de tous les monumens rassemblés par ses soins , les
fortifications et les embellissemens du port d'Ancône
, la magnifique voie Appienne , et plusieurs
autres grandes routes rendues au jour et aux voyageurs
, l'abbaye de Subiaco construite aux lieux
même où fleurit le berceau de l'ordre de Saint-Be-
1
222 MERCURE DE FRANCE,
noist , des hameaux , des manufactures , des hospices
élevés dans presque toutes les provinces , et surtout
le desséchement des marais Pontins recommanderont
éternellement sa mémoire à la reconnaissance
des sujets du St. -Siége » .
Ainsi ce pontife , d'ailleurs si vénérable par ses
qualités personnelles , ses lumières et ses travaux
apostoliques , était encore un grand souverain, cher
à ses peuples et digne de l'admiration du monde.
Cependant , ajoute l'auteur : « Arraché de son palais
au milieu d'une nuit orageuse , il est transféré sans
pitié pour son grand age et ses infirmités , sans respect
pour ses malheurs et son caractère , à travers
les Apennins et les Alpes , et de prison en prison,
d'abord jusqu'à Florence , ensuite jusqu'à Valence ,
qui ne devait pas même être le terme de son exil . Le
but des dominateurs de la France était d'avilir la
religion dans la personne de son premier ministre.
Mais Pie VI sur le trône du Vatican , environné de
toute sa gloire , ne parut jamais si grand que dans
les fers et l'humiliation » . Interpellé sur son lit de
mort , en présence de son dieu , s'il pardonnait à ses
ennemis : De tout mon coeur , répondit-il , de tout
mon coeur , à l'exemple de mon divin maître ; parole
simple et touchante qui rappelle le testament
évangélique de Louis XVI .
Nous verrons comment le poëte a mis en action
ce vénérable et infortuné pontife , et s'il a été fidèłe
et vrai dans l'expression d'un si beau caractère.
L'épigraphe du poëme est heureuse ; c'est l'appli-
:
FÉVRIER 1815. 223
cation d'un beau passage de saint Ambroise sur le
patriarche Jacob ; en voici la traduction : Quel
homme a été aussi puissant dans son pays que cet
homme dans une terre étrangère , aussi courageux
dans le jeune âge que celui-ci dans la vieillesse ,
d'une joie aussi pure au printemps de la vie que
cet homme sur le seuil de la mort ? Qui jamais a
été aussi riche dans son héritage que ce voyageur
sur une rive lointaine ? Quel homme a déployé autant
deforce dans l'âge viril , que celui-ci a montré
de vigueur dans la caducité ?
Après s'être donc bien pénétré de tout ce que son
sujet lui présente de grave et d'intéressant , le poëte
saisit la harpe sainte et commence ainsi :
Omuse du Cédron , toi dont la voix divine
Ade Jérusalem illustré la ruine ,
Du suprême pontife , et de l'église en pleurs
Que tes chants aujourd'hui consolent les malheurs .
Proscrit , chassé de Rome , et captif dans Valence ,
A ses amis , long-temps privés de saprésence ,
Pie unjour racontait l'histoire de ses maux ,
De son apostolat les stériles travaux ,
Et les jours glorieux réservés à l'église .
Des hauteurs du Nébo tel autrefois Moïse ,
Rassemblant à ses pieds les tribus d'Israël ,
Mêlait à ses adieux les promesses du ciel :
Le pontife animé du feu de ce prophète ,
Et de Dieu , comme lui , devenu l'interprète ,
Parle , et du Rhône ému les échos gémissans
Vont au monde chrétien transmettre ses accens .
L'invocation me paraît avoir quelque chose d'an-
:
224 MERCURE DE FRANCE ,
tique. Le poëte indique en peu de mots la simplicité
de son plan . Les trois vers soulignés présentent un
certain caractère de brièveté , sans doute un peu
sèche ; ils manquent d'harmonie : mais on est tenté
d'excuser le poëte ; on sent , on voit qu'il est pressé
de mettre en scène son héros , artifice ingénieux et
dramatique qui va donner le mouvement et la vie
à toute sa composition. J'aime la comparaison du
pontife inspiré avec Moïse, qui, de la cime du Nébo,
contemplant la terre promise , fit sur cette montagne
un de ses plus beaux cantiques, et donna sa dernière
bénédiction à tout le peuple d'Israël . J'ai noté
aussi le mot parle , monosyllabe rejeté avec intention
au commencement du vers , mais dont l'effet
me semble froid et sourd , et trop peu en accord
avec ce qui l'environne : dans la chaleur et le début
de son inspiration , le pontife ne parle pas : il prophétise
, il éclate par un mouvement digne d'Isaïe,
Dieu vengeur ! quel triomphe étale Babylone !
Lève-toi , de l'orgueil foule aux pieds la couronne.
Regarde , il en est temps , la fille de Sion;
Fais d'un joug odieux cesser l'oppression :
Vois du Carmel désert la cime ravagée ,
Et dans des flots de sang l'arche sainte plongée , etc.
Après cette véhémente et douloureuse exclamation
sur le triomphe de l'impiété , après avoir rappelé
ses inutiles prédictions sur les conséquences des
principes anti - religieux , le pontife raconte à ses
amis quelques-unes des circonstances , qui accompagnèrent
son exil , et la réponse qu'il fit à l'offre
FÉVRIER 1815. 225
d'une pension qu'on lui proposait comme le prix
d'une complaisance coupable .
TIMBRE ROYAL
En vain espérez-vous d'envahir mon royaume ;
Il n'est pas de ce monde : ah ! sous un toit de chaume
L'humilité chrétienne est mieux que sous le dais ;
Cessez donc de m'offrir vos perfides bienfaits .
Le pain de la pitié sera ma nourriture ;
Un roseau mon appui ; mon vêtement la bure;
Vos rigueurs ma couronne , et mes plus doux tréso
Devant vous sans effroi , devant Dieu sans remords ,
Je ne demande rien , et je ne dois prétendre
Qu'à vivre sous la haire , à mourir sur la cendre.
こC.
SEINE
Quoiqu'il suffise de citer de pareils vers pour en
faire l'éloge , nous remarquerons qu'indépendamment
de la grâce , de l'onction , et de la noble simplicité
du style , ils ont encore le mérite d'exprimer
avec une heureuse précision le vrai caractère
du désintéressement évangélique , et toute l'énergie
de l'héroïsme chrétien .
La persécution n'est pas désarmée par cette belle
réponse. Le récit abrégé que fait le pontife de son
voyage à travers les monts , est autant en sentimens
qu'en images. S'il a pu supporter tant de fatigues et
de souffrances , il le rapporte à Dieu seul :
J'ai senti de sa main l'invisible secours :
Et quel autre que Dieu , protecteur de mes jours ,
Des Alpes sous mes pas eût aplani les cimes ,
Dissipémon effroi sur le bord des abîmes ,
Et dans ces lieux où règne un éternel hiver ,
Adouci pour moi seul l'inclémence de l'air ?
Quel autre à tant de maux aguerrit ma vieillesse ,
15
226 MERCURE DE FRANCE ,
Demes pieds chancelans appuya la faiblesse?
Quel autre me nourrit , trompant l'oeil des tyrans ,
Des fruits de la montagne et de l'eau des torrens ?
Voilà de fidèles imitations de l'écriture . Avec
quel charme on retrouve ses naïves couleurs şi habilement
fondues , et reproduites sans altération
dans l'ensemble de ce tableau! Ce qui suit est moins
heureux, Le vicaire de Jésus déplore l'absence de
ses amis, comme le plus douloureux sacrifice qui lui
ait été imposé.
Tous brûlaient de me suivre. Un arrêt trop sévère
D'un bien si consolant dépouille ma misère.
Terrassé par ce coup,je ne le cèle pas ,
J'ai souvent , comme Paul , invoqué le trépas ,
Et la justefrayeur du sort qu'on me prépare
Aggrave sur mon front le poids de la tiare.
Le pontife a retrouvé ses amis ,c'est à eux-mêmes
qu'il s'adresse . C'est dans leur sein qu'il dépose le
récit de son exil : leur présence devrait lui faire
éprouver quelque nouveau soulagement. Ily adonc
là , si je ne me trompe , une petite lacune , quelque
chose de défectueux et d'incomplet que le goût de
l'auteur pourra reconnaître , et que son talent saura
remplir ou réparer. Les mots se ressentent de ce que
la transition a de brusque et d'embarrassé . L'avantdernier
vers qui la commence n'a point un rapport
assez clair avec ce qui le précède. La critique qui
doit mettre autant de franchise à reprendre les défauts
, que de chaleur à faire valoir les beautés, aurait
eru démériter d'un ouvrage si distingué , que
FÉVRIER 1815.
227
de ne pas énoncer tout ce qui peut tendre à sa perfection.
Boileau regardait l'artifice des transitions
comme ce qu'il y a de plus difficile. Toutefois celle
que j'attaque ici se développe mieux qu'elle n'a été
préparée ; il faut en convenir , elle finit par amener,
dans une vision foudroyante , dont le saint pontife
est comme accablé , l'énergique peinture de l'athéisme
envahissant les temples des chrétiens , et renouvelant
, jusque dans les sanctuaires du vrai Dieu ,
toutes les folies et les horreurs du paganisme .
Quels fronts doivent orner ces sacriléges fleurs ?
Quelles divinités et quels adorateurs ,
Quels hymnes inouïs , quels voeux , quels sacrifices
Sont d'un culte nouveau les bizarres prémices !
Les pompeux ornemens dont se pare l'autel ,
Les vases destinés au banquet immortel
Brillent dans leurs festins et deviennent leur proie.
Quelle impie allégresse en longs cris se déploie!.
Ciel! ils ont profané le redoutable lieu
Où d'un voile apparent se couvre l'homme-dieu ;
Et sans frein , sans terreur , ces pontifes immondes
Foulent aux pieds ce Dieu qui fait trembler les mondes.
On sent que le poëte est à la hauteur de son sujet :
tout le tableau est fait de verve : il ne raconte pas
il fait voir , il met sous nos yeux
Les ossemens des morts chassés de leurs tombeaux ,
Tous les prêtres errans , ou livrés aux bourreaux ,
Et du Christ méconnu la chaire abandonnée ,
Tandis quc de Baal la chaire empoisonnée
Divinise le crime en tous lieux triomphant,
Proclame l'athéisme , enseigne le néant....
:
228 MERCURE DE FRANCE ,
:
A ce tableau si vrai d'une épouvantable subversion
, le lecteur partage l'effroi et le découragement
du saint pontife.
Il croit que le faux Christ , souverain de la terre ,
Va de l'iniquité consommer le mystère ;
Il croit que de l'église , indigne de secours ,
L'Éternel irrité veut éteindre les jours ;
*Et déjà son oreille entend mugir la joie
*De l'enfer qui s'apprête à dévorer sa proie.
On frémit à ce dernier trait qui achève de pein
1
dre la situation accablante du chef de l'église .
Soudain , chargé pour lui d'un message des cieux ,
L'ange de la constance apparaît à ses yeux ,
Cet ange protecteur , qui du fils de Marie
Au mont des Oliviers consolait l'agonie .
Cette image si poétique , et cependant si naturelle
, qu'elle n'a pas même l'air d'une fiction , ce
passage si heureux , et qui n'appartient qu'à une
âme vivement inspirée , est encore remarquable
comme un des secrets de l'art. Ici le poëte a pris
sa revanche : la transition est d'autant plus belle
qu'elle est plutôt dans les choses que dans les mots ,
et qu'en opposition avec l'effrayante peinture que
nous venons de voir , elle amènera le tableau suave
et animé des consolations , des grandeurs nouvelles
réservées à l'église . Le style s'élève d'abord à toute la
sublimité du langage prophétique , pour assurer le
nouveau triomphe de cette église qui toujours est
sortie glorieuse de tant de combats .
Elle a pour boulevart la parole éternelle
Du Dieu qui l'a fondée et qui veille sur elle ;
FÉVRIER 1815.
229
1
De ce grand Dieu , dont l'oeil est exempt de sommeil ,
•Dont le trône est assis sur le front du soleil ,
Qui promène , suspend les fleuves sur nos têtes ,
Et , dans leur vol de feu , maîtrise les tempêtes.
A cette pompe d'expressions , que l'auteur a si
hardiment dérobée au livre de Job , va succéder
une suite d'images douces et gracieuses qui forment
avec celles qui précèdent le contraste savant que j'ai
annoncé, et dont les deux termes composent même
l'idée essentielle du poëme :
Satisfait de sa foi , l'arbitre du destin ,
Atravers la vapeur d'un horizon lointain ,
Lui découvre un désert , où l'Église voilée
Se cache , et va bientôt refleurir consolée.
Ici , dans leur exil , sans orgueil triomphans ,
De Rancé , de Bruno s'embrassent les enfans ,
Vrais anges voyageurs , fervens anachorètes ,
A qui le Seigneur même a bâti des retraites .
Là volent à l'envi tous ces pieux mortels
Qui vivaient attachés au culte des autels :
Les épouses du Christ , de leurs cloîtres bannies ,
Vont transporter plus loin leurs chastes colonies , etc.....
Je voudrais pouvoir citer tout ce morceau ; mais
son étendue ne me laisse que le plaisir de l'indiquer
aux connaisseurs . Ils y trouveront bien peu de
choses à reprendre. En général , le style y répand
une lumière douce et pure comme la beauté de
cette église réfugiée dans les déserts .
On sent que l'auteur a approfondi ses études sur
la poésie sacrée . Il en a tiré des richesses sans nombre
qu'il employe à sa manière; et reproduire ainsi
1
230 MERCURE DE FRANCE ,
c'est créer. L'incomparable Racine a dû lui servir de
modèle pour l'heureuse imitation des beautés antiques
de l'Ecriture : c'est à cette source de vie que
tous les élèves de notre meilleure école poétique
sont toujours allés puiser cette variété de mouvemens
et de tons , ce mélange de force et de grâce ,
cette simplicité si naturelle , et quelquefois si sublime
dans le tour et l'expression .
,
Pie VI , après avoir successivement prophétisé
les consolations de l'église dans la ferveur des solitudes
ses nouvelles tribulations au milieu du
monde , et enfin son triomphe pour jamais affermi
, termine cette espèce de chant lyrique par ces
beaux vers dignes de nos grands maîtres :
Jours de gloire , ô beaux jours chantés par les prophètes ,
Je n'assisterai point à vos tardives fêtes !
Letemps , qui dans son cours sème les changemens ,
Enfante avec lenteur les grands événemens ;
Mais Dieu permet du moins que vos saintes images
Rayonnent à mes yeux dans le lointain des âges .
Tandis que le nouveau Moïse se repose ainsi à
contempler la future splendeurde lareligion, l'heure
de sa mort lui est révélée comme jadis àsaint Pierre .
L'ange qui préside à la tombe , et qui l'appelle au
séjour de la paix, lui montre cependant l'église invoquant
, dans ses dernières douleurs , le secours du
martyr de Valence :
Le pontife humblement accucille cette idée :
Aussitôt les beaux noms de l'antique Judée
Viennent de son exil sanctifier le lieu;
FÉVRIER 1815. 231
Ettoutprend une voix pour lui parler de Dieu.
Le solitaire enclos qui touche à sa retraite ,
Et d'où s'élève au ciel sa prière secrète ,
Lui peint des Oliviers le douloureux jardin .
Le Rhône perd son nom et devient le Jourdain ;
La montagne qu'il baigne est un nouveau Calvaire , etc.
Si cette tendre et consolante fiction ne s'est pas
naturellement présentée à la vertu modeste du saint
pontife mourant , il appartenait du moins au poëte
de ce martyr de consacrer par une aussi touchante
et ingénieuse application le théâtre de son exil , de
ses souffrances , de ses dernières prières , et de sa
mort.
Il n'y a que l'hémistiche que j'ai souligné qui ne
me semble pas digne des autres vers .
Le saint Père adresse au ciel des voeux pour son
successeur , dont il prévoit aussi l'exil , et le retour
dans la métropole du monde chrétien . O mon cher
successeur , s'écrie-t-il ,
Oui , tu verras enfin. , plus heureux que Moïse ,
La terre par ta foi , par tes pleurs reconquise ;
La croix triomphera... Cet oracle est certain .
Accourez donc , rivaux des chantres du Jourdain ,
Que vos lyres , long-temps muettes ou plaintives ,
Apprennent ce triomphe à nos joyeuses rives .
La terre vous écoute , et vos hymnes pieux
Seront chantés un jour dans les fêtes des cieux.
Et pourquoi ce noble élan d'enthousiasme ne serait-
il pas permis aux chantres sacrés comme aux
poëtes profanes ? ah ! sans doute que les élus dans le
ciel comme les hommes justes sur la terre avoueront
232 MERCURE DE FRANCE ,
avec plaisir de pareils cantiques , puisqu'il n'y a
parmi eux , ni passions haineuses , ni dédains jaloux,
et que leur essence est l'amour du vrai et du beau.
Nous touchons au terme de l'analyse de cette
noble composition; les habitans de Valence , sans
distinction d'état, de sexe et d'âge, viennent en pleurant
assister aux derniers momens du vénérable apotre
, et lui demander à genoux de les bénir.
Pie attachant sur eux ses regards défaillans :
« Laissez venir à moi ces pauvres , ces enfans ;,
Pauvres , le souverain du céleste royaume
Voulut vous honorer en naissant sous le chaume ;
Humbles enfans , croissez sous l'aile du Seigneur;
Lévites , au torrent d'un siècle empoisonneur ,
D'une vie angélique opposez les exemples ,
1
Et que Dieu dans vos coeurs trouve ses plus beaux temples .
1
Vierges , qui m'apportez ces roses etces lis ,
Emblèmes du martyre en mon honneur cueillis ,
Que sur vosfronts cesfleurs , parure de votre age ,
D'une vertu sans tache offrent toujours l'image.
O chrétiens , servez Dieu , vos frères , votre roi ,
Et que le Tout-Puissant vous bénisse avec moi .
Je m'arrête avec plaisir à ce dernier morceau.
Les huit premiers vers surtout sont pleins d'onction
et de charme ; j'avoue que les quatre suivans,
bien qu'ils me présentent le complément du tableau
, me laissent quelque chose à désirer pour la
facilité et la grâce. Les deux derniers , qui disent
beaucoup en peu de mots , devraient terminer le
роёте.
FÉVRIER 1815. 233
Nous nous sommes attachés à considérer cet ouvrage
sous un rapport purement poétique et littéraire
; nous l'avons examiné avec toute l'attention
qu'il méritait. Comme il réunit à l'importance du
sujet , un grand intérêt dans le style , nous avons
cru devoir en laisser le plan se développer , pour
ainsi dire de lui-même dans de nombreuses citations,
ce qui fait bien connaître à la fois le système de composition
d'un auteur , et son talent d'exécution . Les
bons juges en matière de goût , qui forment seuls
le public littéraire , n'aiment point à juger sur parole
: un pareil ensemble de citations est à leurs
yeux le plus bel éloge d'un ouvrage. Nous nous plaisons
à le dire , tout ce poëme nous a paru étincelant
de beautés , bien conçu , bien conduit , et richement
versifié. Quelques légers défauts y peuvent aisément
disparaître ; et c'est le cas de répéter avec un ancien ,
Verùm ubi plura nitent in carmine , non ego paucis
Offendar maculis .
Les connaisseurs s'accorderont peut - être à prononcer
que le talent de M. Treneuil n'avait déployé
nulle part autant de richesses poétiques , autant
de flexibilité et d'harmonie dans le style. Peut-être
jugeront-ils que l'auteur des tombeaux de St.-Denis ,
de la piété fraternelle , de l'orpheline du temple , et
du martyre de Louis XVI , s'est surpassé lui-même
dans son élégie sur la captivité de Pie VI .
L. F.
234 MERCURE DE FRANCE ,
MÉLANGES.
IL paraît chez H. Nicolle , à la librairie stéréotype
, rue de Seine , nº. 12 , un nouvel écrit de
M. Benjamin de Constant , intitulé : de la Responsabilité
des ministres. On y remarque , comme dans
toutes les autres productions du même écrivain , des
idées saines , et des idées systématiques ; une érudition
substantielle, mais dontles applications ne sont
pas toujours justes ; une dialectique habile, mais
dont l'artifice se fait trop souvent sentir; une théorie
quelquefois spécieuse , mais à laquelle on préfèrerait
une connaissance plus approfondie des hommes ,
des temps , de la nature des gouvernemens et de
leurs différences ; une prédilection trop aveugle
pour le gouvernement anglais , et un dédain trop
marqué pour les anciennes institutions de la monarchie
française. Il serait injuste de ne pas reconnaître
, dans ce nouvel écrit de M. de Constant, plus
de mesure et plus de sagesse que dans ceux qu'il a
précédemment publiés. Cependant on ne peut s'empêcher
de remarquer, même dans les concessionsque
la force de la vérité lui arrache , on ne sait quel embarras
, quelle contrainte , qui lui ôte l'heureux pouvoir
de la persuasion .
En attendant que nous nous occupions de l'examen
de cet ouvrage , nous citerons les trois ou
quatre pages qui le terminent.
«Sur quoi , je le demande , se fonderait aujourd'hui cette oppo
FÉVRIER 1815. 235
sition prétendue ? Que pourraient vouloir les amis de la liberté ,
pour se placer en opposition?
» La république ? Mais la charte observée nous assure les
avantages d'une république ( 1 ) , l'égalité des droits , les garanties
contre le pouvoir, la libre manifestation de nos opinions , une
part légitime à l'administration de nos intérêts , et toutes les
espérances que peut exiger une raisonnable et noble ambition .
>>Serait-ce Buonaparte que regretteraient les défenseurs de ces
vérités ineffaçables (2), dontl'empreinte est gravée sur notre siècle,
et contre lesquelles on évoque vainement d'impuissans prestiges et
des souvenirs effacés ? Mais Buonaparte était l'enuemi le plus
acharné , le plus implacable de ces vérités. Il s'était emparé de la
philosophie comme de la civilisation pour les retourner contre ellesmêmes.
L'ironie (3) , qui , dans Voltaire , n'était que le dérégleneut
a un esprit mobile ,l'égoïsme qui n'était dans Helvétius qu'un
jeu de mots systématique dont il ignorait le danger , étaient devenus
pour Buonaparte des moyens pratiques de tout rabaisser ,
de tout flétrir, de tuer dans le coeurde l'homme tout enthousiasme ,
toutdévouement , toute puissance d'estime , toute faculté de sympathie
, toute distinction entre le bien et le mal , entre le juste et
l'injuste , enun mot , tout ce qui peut établir et tout ce qui peua
conserver la liberté ; chaque jour , sous son empire (4) , l'esprit
(1) N'y a-t-il pas là une lacune? On aurait désiréque M. de Constant
parlåt franchement des effroyables abus , des dangers hortibles qu'une longue
et cruelle expérience nous a révélés. Pourquoi ne parle-t-il encore que des
avantages d'une république?
(2) Il serait trop long d'examiner ce que c'est que ces vérités ineffaçables
dont notre siècle s'est enrichi . Mais nous nous defions beaucoup de ces défenseurs
de vérités , qui croient que l'on peut gouverner les hommes sans
prestiges , et malheur à nous si nous laissons effacer nos souvenirs !
(3) Nous ne concevons pas trop comment l'ironie était devenue pour
Buonaparte un moyen pratique de tout rabaisser , etc. U nous souvient au
contraire que cet homme là était un fort mauvais plaisant.
(4) Cette longue phrase ne nous paraît remarquable que par la bizarrerie
et l'incohérence des métaphores et des images. L'âme depeuplée de toute
236 MERCURE DE FRANCE ,
se sentait plus découragé de tout effort , l'âme plus dépeuplée de
toute vertu , et la vie morale s'éteignait , pour être remplacée par
un grossier mécanisme , dont tous les ressorts , privés de spontatanéité
et d'indépendance , réagissaient l'un sur l'autre , et transformaient
l'espèce humaine entière en une machine immense , instrument
aveugle d'un seul être en dehors de cette espèce.
» Certes , un pareil système ne peut exciter les regrets des
hommes qui réfléchissent. Si au milieu du bonheur incontestable
de la délivrance , leurs voix s'élèvent quelquefois contre certains
projets , présumés à tort sans doute , contre certaines mesures
partielles , c'est qu'ils redoutent ce qui pourrait troubler ce bonheur
nouveau dont ils n'ont pas encore l'habitude, La liberté dont
ils profitent n'est point un acte d'hostilité , mais une preuve d'espoir
et un témoignage de confiance.
,
Ou
>> Que si , dans l'entraînement (5) du zèle , ou dans l'ardeur de
la vigilance , ils laissent échapper des expressions amères
manifestent des alarmes excessives , j'oserai dire à ceux qui s'en
effraient : Ne prenez point pour de nouvelles tempêtes l'agitation
des flots après l'orage apaisé. Considérez que la liberté nous est
chose toute neuve. Pendant long-temps , rien n'a été simple , rien
ne s'est fait sans péril. Atravers lé tumulte des factions , il a fallu
forcer sa voix pour se faire entendre . Sous la tyrannie, la réclamation
laplus légitime est devenue un prodige de courage, et pour s'élever
jusqu'à ce prodige , il fallait un effort qui était destructif de toute
mesure. Où donc aurait-on pris des leçons de modération , de savertu
pourrait être une assez belle hardiesse dans un morceau oratoire, toutefois
en employant vertu au pluriel , mais il ne faudrait pas voir à la suite , la
vie moralequi s'éteint pour être remplacée par un mécanisme grossier, etc.,
et les ressorts de ce mécanisme , qui transforment l'espèce humaine en
une machine immense , etc.
(5) Il résulte de ce paragraphe que tous les scandales causés par un
trop grand nombre d'écrits séditieux et incendiaires , ne sont que de l'entraînement
du zèle, une ardeur de vigilance, et qu'ils ne doivent pas nous
effrayer le moins du monde. Nous sommes loin de partager cette admirable
sécurité.
FÉVRIER 1815 .
237
gesse et de calme? C'est aujourd'hui que ces habitudes peuvent
naître , aujourd'hui que le courage est sans danger, et par- là même
l'imprudence et l'exagération sans mérite.
» Mais en même temps , je m'adresserai aussi aux hommes dont
je justifie les intentions (6). A quoi bon , leur dirai-je , ces formes
âpres et blessantes qui travestissent le zèle en attaque , et la surveillance
en inimitié ? Sans doute, à la moindre approche de l'arbitraire
, tous les Français doivent le repousser. Si les droits d'un
seul sont violés , tous lui doivent leur intérêt, et leurs réclamations
intrépides. Mais après de longs troubles , il y a des phrases décréditées
, qui ne sauraient qu'aigrir les esprits et séparer la nation de
ceux qui les répètent. Si la prévoyance peut concevoir encore
quelques inquiétudes , la malveillance elle-même (7 ) ne peut alléguer
aucun grief sans remède , aucune injustice irréparable . Le
jugement d'aucun tribunal n'a été annulé , la conscience d'aucun
juge n'a été forcée. Aucune forme constitutionnelle , aucune
garantie judicaire n'a depuis six mois été enfreinte. L'exécution
même des lois défectueuses a été empreinte de modération. Je me
suis élevé plus qu'un autre contre les entraves dont on a voulu
entourer la presse , et je n'ai pas changé d'opinion. Mais si la
loi même a été fautive, qui peut nier que l'application n'en ait été
libérale et presque insensible? Qui peut douter que dans quelques
mois la pensée ne soit affranchie de ces restrictions inutiles , qui
n'offrent point à une autorité paternelle les mêmes ressources qu'à
la tyrannie , et qui lui enlèvent les avantages qu'elle tirerait de la
liberté?
(6)C'est uneprécaution fort adroite que de justifier les intentions , il ne faut
se brouiller avec personne. Mais nous croyons que c'est pousser un peu loin
l'indulgence que de ne voir , dans des écrits où respirent l'esprit de révolte,
et d'insurrection , et la menace ardente et féroce , que des formes apres et
blessantes et des phrases décréditées .
(7) Un avocat prendrait acte des aveux consignés dans ce peu de lignes
bien précieuses . Nous ne nous en servirons que pour faire voir la singularitéde
la conséquence que l'auteur se hâte d'en tirer , c'est que dans quelques
mois il faut que la pensée soit affranchie des restrictions , etc.
238 MERCURE DE FRANCE ,
>> Pour être forts contre ce qui est mal (8), soyez justes envers
ce qui est bien. Reconnaissez qu'à aucune époque, sous aucun
règne , sous aucune forme de gouvernement , la France n'a été
aussi libre qu'aujourd'hui . Ne repoussez pas des hommes qui se
rallient à la constitution (9) que vous défendez comme eux. Ne
fixez pas des regards ombrageux sur leur point de départ : voyez
la route qu'ils suivent et le terme vers lequel ils marchent. Qu'importent
des regrets sur le passé,quand ilya convictionde lanécessité
du présent ? Gardez-vous surtout de prêter des intentions douteuses
(8) Il faut lire ce qui serait mal , puisque l'auteur a dit plus haut que
tout était bien , mieux sans doute que l'on n'aurait pu l'espérer.
(9) Il y a quelque chose de bien remarquable dans cette espèce de discours.
Aqui l'auteur l'adresse-t- il? Aux amis de la liberté? Quels sont-ils?
Où sont-ils ? Il y a dans cette manière de s'exprimer une obscurité , un
vague fort étranges. Il nous semble, à nous, que le premier, le plus puissant,
leplus généreux ami de la liberté , c'est le Roi qui nous adonné la constitution.
Les ministres etles conseillers qui l'exécutent , les premiers corps de
l'état qui la maintiennent , ne sont-ils pas aussi des amis de la liberté? Plas
nous y réfléchissons , et moins nous pouvons deviner à qui M. Benjamin
deConstant s'arroge le droit de dire : Ne repoussez pas des hommes qui se
rallient à la constitution ..... Ne fixez pas des regards ombrageux sur
leurpointdedépart .... Gardez-vous de préter des intentions douteuses aux
talens supérieurs et aux caractères honorables , etc. , etc. Les phrases qui
suivent nous expliquent bien que l'auteur a voulu désigner ici M. de Chateaubriant
, mais cette explication nous cause un autre embarras. Quels
sont les amis de la liberté qui ont songé à repousser M. de Châteaubriant,
àlui préter des intentions douteuses ? Tous les journaux ont retenti de son
triomphe ; tous les bons écrivains lui ont donné la palme ; tous les amis du
roi se sont réjonis de sa gloire , se sont enorgueillis d'avoir M.de Châteaubriant
pour interprètede leurs sentimens et de leurs principes.... Un seul
pamphlet bien impudent et bien lâche contient une diatribe virulente
contre cet écrivain , dont le talent supérieur et le caractère honorable ne
peuvent offusquer que la médiocrité seditieuse..... Serions -nous réduits à
penser que les auteurs de ce libelle sont les amis de la liberté à qui M. de
Constant adresse l'humble prière de ne point repousser le peintre de Genseriç
et d'Hieroclès , et de ne point lui préter des intentions douteuses ? .....
Non , cela n'est pas possible..... Mais quels sont donc les amis de la liberté
qui s'adresse M. de Constant?
FÉVRIER 1815. 239
aux talens supérieurs et aux caractères honorables. Le talent, le
génie , l'élévation de l'âme , sont des alliés inséparables et indispensables
de la liberté; et j'ajouterai que l'amour de la liberté se
trouve toujours , sous une forme quelconque,partout oùils existent.
L'injustice porte sa peine avec elle. Quand vous auriez persuadé
à l'Europe que l'écrivain qui peignit avec tant d'éloquence les
fureurs sauvages de Genseric , et le silence effrayant de Constantinople
, est pourtant un ami du despotisme , et qu'il ne rend à la
constitution qu'un hommage forcé , vous auriez remporté , certes ,
une bien déplorable victoire. Vous auriez appauvri nos rangs , et
doté nos ennemis d'un superbe héritage.
» Une double vérité doit pénétrer tous les esprits etdiriger toutes
les conduites . Je parle ici de tous les royaumes européens comme
de la France : les amis de la royauté doivent se convaincre que
sans une liberté constitutionnelle il n'y aura point de monarchie
stable; et les amis de la liberté doivent reconnaître que sans une
monarchie constitutionnelle , il n'y aura point de liberté assurée » .
MM. LES RÉDACTEURS DU MERCURE .
ANCIENmilitaire , retiré du service depuis plus de vingt ans , je vis
tranquillementdans monpetitdomaine,oùjem'occupe tour à tour des
travauxde la campagne et de l'étude de mes anciens auteurs , que
jepossédais assez bien autrefois. Abonné au cabinet littéraire de la
ville voisine, je reçois tous les journaux et toutes les brochures. Je
ne vous dirai pas ce que j'en pense, et je me hâte d'arriver à l'objet
dema lettre .
L'histoire m'apprend que , dans tous les temps et dans tous les
pays , on s'est disputé , injurié , battu , pour des mots , et c'est surtout
parce qu'ils n'étaient point déſinis , et què personne ne pouvait
les comprendre que l'on se battait avec plus d'acharnement. Mais
que dis-je l'histoire ? Faut-il donc remonter si haut pour avoir des
preuves terribles de cet aveuglement !
Bon citoyen etbon Français ,je voudrais , s'il est possible , contribuer
à éclairer mes concitoyens , en obtenant une définition sa
240 MERCURE DE FRANCE ,
tisfaisante de deux mots que je trouve dans presque tous les écrits
du jour, qui sont dans toutes les bouches , et que je tremble de voir
devenir signes de ralliement , inscrits sur des bannières , et sur tous
les édifices publics , comme fraternité ou la mort du bon temps
de la république une , indivisible et impérissable.
Ces mots sont : idées libérales.
Je ne sais pas , Messieurs , ce que c'est que des idées libérales
et quoique je ne sois pas bien riche , je n'hésite pas à payer un
léger tribut pour en avoir, comme on dit , le coeur net.
J'ose donc vous faire l'envoi de la modique somme de trois cents
francs , pour une médaille d'or à décerner à celui qui remplira le
mieux lc programme suivant :
Déterminer d'une manière précise , 1º. ce que l'on doit entendre
par les mots : idées libérales.
2º. Si les grands hommes de l'antiquité ou ceux des siècles modernes
, tels que Bacon , Leibnitz , Bossuet , Newton , etc. , etc. ,
avaient des idées libérales.
3°. Les rapports des idées libérales avec la religion , la morale,
les institutions monarchiques , enfin avec les principes conservateurs
de la société.
4°. Dans le cas où l'auteur prouverait que les idées libérales
sont le produit du progrès des lumières , déterminer à quelle
époque elles sont nées , et à quels philosophes nous en sommes redevables
.
Je suis avec une parfaite considération , Messieurs ;
1. février 1815.
Le comte de *** , maréchal des
camps et armées du roi.
Conformément au voeu de notre correspondant , nous nous empressons
de publier son programme :
Leconcours sera ouvert jusqu'au 1 **. mai 1815.
Les mémoires , dissertations ou discours seront adressés sous enveloppe
et francde port au directeur du Mercure de France , rue deGrétry, nº. 5.
Ils ne pourront excéder une feuille et demie d'impression.
lis seront examinés par quatre rédacteurs du même journal.
La pièce qui aura été jugée digne de la médaille sera publiée dans le No.
du20 mai .
Il sera fait un rapport sur celles qui auront mérité d'être mentionnées
honorablement.
5
FÉVRIER 1815.
ROYAL
1
TIMBRE
2
SEINE
BULLETIN LITTÉRAIRE.
SPECTACLES .
ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE .-Reprise de Tamerlan , pour
la représentation de retraite de mademoiselle Maillard.
Depuis plus de trente ans , mademoiselle Maillard avait rempli
avec un succès soutenu les premiers emplois de la scène lyrique .
Les règlemens et l'usage lui donnaient droit, dès le commencement
de l'année dernière , à une représentation à son bénéfice ; mais il
n'y avait ni lois , ni coutumes à invoquer pour quiconque était
suspecté de ne point aimer le maître d'alors ; et mademoiselle Maillard
avait l'honneur d'être du nombre des suspects. Elle avait donc
un double titre pour demander justice sous un gouvernement qui
ne la refuse à personne.
Il est à regretter que diverses circonstances se soient opposées à
çe que cette représentation extraordinaire ait eu tous les genres de
succès dont elle paraissait susceptible . Malheureusement , il faut en
chercher la première cause dans le choix qu'avait fait l'actrice ellemême
qui avait le plus d'intérêt à exciter la curiosité du public.
Tamerlan , quoiqu'écarté de la scène , depuis douze ans , n'était
pas une nouveauté pour la plupart des personnes qui composent
ordinairement ces grandes réunions théâtrales. Elles savaient trop
bien que cette prétendue tragédie lyrique n'était que l'Orphelin
de la Chine , remis en vers par un des plus intrépides arrangeurs
d'opéras qui aient existé. La comparaison du style de Voltaire et
de celui de M. Morel , quoique très-divertissante , ne l'a point paru
probablement assez pour faire braver l'ennui d'un des sujets les
moins propres à être transportés sur la scène lyrique. La longue'
lutte d'Idamé et de Zamti , leurs touchantes lamentations ne répugnent
point à notre système tragique et au langage parlé : la
marche rapide d'un opéra et le langage chanté ne peuvent , au
contraire, s'y prêter en aucune façon.
16
242 MERCURE DE FRANCE ,
Le musicien avait donc à triompher du plus redoutable des
obstacles : la monotonie . Toutes les ressources d'un talent aussi
distingué que celui de M. Winter n'ont pu y réussir complètement.
Combien de partitions beaucoup moins riches , mais plus variées
que la sienne , jettent plus d'éclat à la scène !
Tamerlan avait cependant unmérite sur lequel il était permis
de fonder quelqu'espoir : l'ancienne police avait empêché les représentations
de cet opéra. On y entend le conquérant et ses tartares
chanter en chorus : « Cessons de ravager la terre » ! Cette
résolution inattendue à laquelle le public aurait pu , un jour , joindre
ses voeux indiscrets , ne devait-elle point sembler bien pusillanime
, bien ignoble , au grand homme qui ne regardait la dévastation
du globe que comme l'ébauche de ses plans de régénération
universelle ?
-
2..
Concert de madame Catalani. La plus célèbre des virtuoses
d'Italie avait annoncé qu'elle donnerait , le 4 de ce mois
un concert aux bénéfices des incendiés du département de l'Aube :
et soudain , Paris s'est trouvé plein d'une multitude innombrable de
philantropes , prêts à tous les sacrifices , à toutes les fatigues , pour
concourir à cette bonne oeuvre. Le prix des places était doublé , et
la vaste salle de l'opéra s'est trouvée trop petite pour contenir tous
Jes bienfaiteurs de l'humanité qui se pressaient aux portes. A la
douce satisfaction de leur conscience , ils auront pu ajouter un
plaisir profane qui n'est pas sans quelque prix : celui d'entendre ce
qu'aucun d'eux n'eût voulu croire s'il ne l'eût entendu. Tous les
prodiges des temps antiques se sont renouvelés dans cette soirée
mémorable : ces lions , ces tigres qui venaient baiser les pieds d'Orphée
, ces arbres ( auritas quercus ) qui prenaient des oreilles
pour jouir de ses accords , n'ont plus étonné personne. Des gens
qui , jusques-là , s'étaient montrés profondément insensibles aux
charmes de la musique , n'ont point voulu rester au-dessous des
chênes et des ormes , et tout à coup ils ont aussi trouvé des oreilles
et un sens nouveau . Madame Catalani aura même réalisé un autre
prodige de la fable , qui doit avoir bien plus de prix à nos yeux.
FÉVRIER 1815.
243
1
Semblable à Amphion , elle va voir , à ses accens enchanteurs , des .
villes et des hameaux sortir de leurs ruines et recueillir leurs habitans
dispersés.
Madame Catalani a chanté quatre morceaux de différens caractères
: celui qui a produit le plus d'effet est un air de la Flútę enchantée
de Mozart , sur lequel elle a exécuté des variations qui
eussent semblé plutôt écrites pour un instrument que pour une voix
humaine. Le public enivré a redemandé ce morceau ravissant , et
l'inimitable cantatrice s'est rendue à ses voeux avec une complaisance
extrême .
On ne peut raisonnablement entreprendre de donner une idée
satisfaisante de ce talent incompréhensible à ceux qui n'ont pas été
témoins des merveilles dont nous venons de jouir. Il faut se borner
à leur faire connaître les moyens nou moins extraordinaires que la
nature a mis à la disposition de l'artiste la plus parfaite : le diapason
ordinaire de sa voix embrasse , sans nulle espèce d'effort , les
deux genres extrêmes : le contralto le plus grave et le soprano le
plus élevé.
Les dons particuliers que le Roi et monseigneur le duc de Berry
ont ajoutés à la recette , portent les secours destinés aux malheureux
au-delà de tout ce que l'on aurait pu espérer.
THEATRE- FRANÇAIS. Les Voisines , ou les Prétés rendus
comédie en un acte et en vers .
,
Julie et Clarisse apprenant que Charles et Victor, à qui elles
sont sur le point d'être unies par les liens du mariage , se rendent
secrètement à Paris , dans l'intention d'y assister au bal de l'opéra ,
prennent , un peu légèrement peut-être , la résolution de les y
suivre incognito poury épier leurs démarches . Descendues à l'hôtel
de M. Dumoulin , traiteur , à l'enseigne du Croissant , leur air
éveillé et leur ton mytérieux les ont bientôt mises en butte aux
mauvais propos et aux caquets de madame Dumoulin et de madame
Maigret , sa voisine , femme d'un libraire , amı de M. Dumoulin.
Instruites de tout par une soubrette espiegle , nos deux jeunes étourdies
se promettent bien de se venger des deux vieilles prudes par le
1
1
244 MERCURE DE FRANCE ,
1
même coup qui les vengera de leurs trop légers amans. Affublées
d'un domino , elles volent au bal de l'opéra , et l'on s'imagine aisément
que les premières personnes qu'elles y rencontrent , c'est ce
même Charles et ce même Victor qu'elles y sont venues chercher.
Après les avoir lutinés une bonne partie de la nuit , sous les noms
de madame Dumoulin et de madame Maigret , elles laissent un peu
désarmer leur fierté , et finissent par leur accorder un rendez-vous
pour les dix heures du matin , à l'hôtel du Croissant. Nos deux
jeunes gens n'ont garde d'y manquer: ils sont reçus par M. Dumoulin
, à qui ils n'ont rien de plus pressé que de confier leur bonne
fortune de la nuit , et de s'informer s'il ne connaîtrait pas une certaine
madame Dumoulin , une certaine madame Maigret. Lehasard
avait voulu que ces deux dames eussent passé la nuit hors de chez
elles , pour vaquer à des devoirs de charité. A leur retour, les
dominos de Julie et de Clarisse, laissés à dessein dans l'antichambre,
leur font naître l'idée de s'en revêtir , pour s'égayer un peu aux
dépens de leurs crédules époux. Charles et Victor , trompés par le
costume , deviennent très-pressans ; les voilà aux genoux de leurs
belles , qui se prêtent de bonne grâce à tout ce manège : les maris
furieux sont hors d'eux-mêmes , et l'on ne sait comment aurait fini
cette scène extrêmement comique , sí la pendule ayant sonné dix
heures , Julie et Clarisse , qui observaient tout , et qui se croient
assez vengées , ne fusseut accourues et n'eussent dénoué le noeud
de l'intrigue à la satisfaction de tout le monde.
Tel est le canevas de cette petite pièce , où parmi quelques
gaîtés un pen triviales , on a remarqué des intentions vraiement
comiques . Plusieurs vers ont été très-applaudis et méritaient de
l'être.
M. Dumoulin , parlant des dangers du bal de l'opéra , dit assez
plaisamment de ceux qui , pour séduire de certaines beautés
cruelles , ont recours à des déguisemens ridicules :
<< Et , pour mieux triompher de leur coeur trop crédule ,
<<Une masstre en main se donnent pour Hercule.
FÉVRIER 1815. 245
Le libraire , M. Maigret , porte envie au sort de son voisin le
traiteur :
«Dont à tous les instans la cuisine embanшее ,
<<Voit en lingots d'argent s'obscurcir la fumée.
tandis que lui , pauvre diable ,
« N'ayant pour aliment que sa bibliothéque ,
« Il dîne de Buffon et soupe de Sénèque .
On a beaucoup ri d'un mot de Dumoulin , refusant d'accepter le
cartel que lui offrait Charles en réparation de son honneur offensé:
« Vous ne me connaissez point , n'est-ce pas , et sûrement
« Vous n'aviez pas dessein , par cette injure extrême ,
« Physiquement parlant , de m'offenser moi-même .
Mademoiselle Leverd , qui ne dédaigne aucuns rôles parce
qu'elle sait prêter à tous le charme de son talent , s'était chargée
de celui de Clarisse, qu'elle a joué avec esprit , et dans lequel elle
a déployé un enjouement plein de malice et de naturel. Mademoiselle
Bourgoin l'a très-bien secondée dans celui de Julie ; Michot
et Baptiste cadet sont très-comiques , l'un dans le rôle de Dumoulin,
l'autre dans celui de Maigret.
Les auteurs ont été demandés ; ce sont MM. Désaugiers et
Geutil.
Théâtre du Vaudeville.- La pièce intitulée les Trois Souhaits
, représentée à ce théâtre le 5 du courant, n'a eu aucun
succès : comme elle a disparu de l'affiche dès le lendemain , je n'en
donnerai point l'analyse , et je n'en ferai pas ressortir les nombreux
défauts , de peur que l'auteur ne s'écrie : Bis morior. Le sujet est
d'ailleurs trop connu pour qu'il soit besoin de le rappeler : depuis
1660, les dix ou douze générations qui nous ont précédés , ont
toutes lu , de père en fils , ce conte de Perrault , où l'on voit
comme quoi un homme que le destin avait laissé le maître de faire
des souhaits désira pouvoir manger un plat de boudin , comme
quoi ensuite , impatienté par sa femme , il désira que ces boudins
lui pendissent au nez , ce qui ne laissa pas de défigurer la dame , et
246 MERCURE DE FRANCE ,
de la rendre douce et bonne , de méchante et de hautaine qu'elle
était dans son menage.
C'est de ce vieux conte qu'on a essayé de faire une pièce nouvelle
; mais la mauvaise humeur du public n'a pas permis qu'elle
fût achevée : peut-être que jouée au théâtre des Jeunes élèves ,
devant des bonnes et des pensionnaires , elle ne serait pas tombée ;
mais les spectateurs du Vaudeville n'out pas voulu rire : ce qui a
décidé la chûte , c'est le talent fort singulier d'un mécontent , trèsbon
musicien , qui accompagnait tous les airs avec un sifflet , dont
il tirait un parti merveilleux : jusqu'à présent cet instrument aigu
n'avait pas paru susceptible de modulations si douces et de variations
si nombreuses : le siflleur mérite un brevet d'invention , c'est
une manière de ne pas ressembler à l'auteur.
Théâtre des Variétés.-Qu'on se représente Potier en jeune
étourdi , ayant cent cinquante francs à dépenser, et voulant s'amuser
à la foire de Sceaux; qu'on se le figure , battu , trompé , mis à
l'amende , et s'écriant à chaque fâcheux événement : est-on plus
heureux que moi? jefais mesfarces ( titre de la pièce ) , et l'on
aura uné idée de la folic de carnaval dans laquelle Brunet et Tiercelin
jouent aussi , de peur qu'on ne rie pas assez : de pareilles
bouffoneries échappent à l'analyse ; c'est un assaut continuel de
lazzis , de rébus , de calembourgs, de quolibets , de pointes; à la
dernière scène , une dispute très-sérieuse s'engage entre les trois
acteurs comiques , dans un théâtre de marionettes : Brunet tombe
sur Potier, Potier tombe sur Tiercelin , le théâtre tombe sur eux ,
et la pièce seule reste debout. Les auteurs ont gardé l'anonyme;
souvenons-nous qu'en France on n'arrache pas les masques.
Théâtre des Variétés. -Pendant qu'on voulait renverser de
son trépied la Sibylle du boulevard , on applaudissait aux Variétés
le Bachelier de Salamanque : si l'extrême simplicité de l'intrigue
est un mérite , celui de ce vaudeville n'est pas douteux .
Gonsalės , chirurgien niais, est obligé de faire un voyage; sa
fille profite de son absence, pour introduire chez sa belle-mère ,
Scipion , son amant , et la belle-mère en profite à son tour pour
FÉVRIER 1815 .
247
:
donner à souper à ses amis; Carambola , bachelier de Salamanque
, arrive sur ces entrefaites et sa gaîté anime le festin que le
retour imprévu de Gonsales vient interrompre : la belle - mère
tremblante est sur le point d'avouer qu'elle a caché Scipion lorsque
Carambola , se donne pour un necromancien', d'un coup de baguette
fait reparaître le souper, ainuse Gonsales et obtient son
consentement au mariage des deux jeunes amans .
Le titre de la pièce rappelle l'auteurdu Diable boiteux, cet écrivain
spirituel et fécond dont le dialogue est si naturel et si comique ;
plusieurs personnes ont reproché à M. Dupui de l'avoir imité :
si elles avaient vu son vaudeville , elles se seraient convaincues qu'il
ne mérite aucun reproche.
Théâtre de la Gaité. - L'opéra féerie donné à ce théâtre
le 18 janvier , sous le titre de la Sibylle , n'a pas réussi le premier
jour ; les auteurs , pour avoir voulu trop bien faire , ont échoué.
Ils ontmis dans leur pièce , de la danse , des ariettes , des couplets,
des travestissemens , des changemens à vue , etc. , etc. Ils ont couru
après la variété , ils n'ont rencontré que du désordre. Ce n'était ni
un mélodrame , ni une comédie , ni un vaudeville , ni un opera ;
c'était un amalgame bizarre de tous les genres , c'était la confusion
des langues , enfin une vraie tour de Babel. Le public , trouvant
qu'on ne l'amusait pas , a été obligé de se suffire à lui-même ,
et a sifflé pour se divertir : on assure que le lendemain , des
changemens heureux , et un acte supprimé , ont métamorphosé la
chute en succès ; je doute pourtant que cette féerie arrive à deux
cents représentations , comme les Ruines de Babylone , Charlesle-
Téméraire , et le Chien de Montargis , et toutes ces pièces
célèbres qui sont les Cid , les Phèdre , et les Iphigénie du
genre.
Cirque de Franconi.-On se rappelle que plusieurs beaux
esprits malins , mystifièrent un jour Fontenelle chez Madame
Geoffrin: ils fabriquèrent huit vers bien précieux , bien alambiqués
, bien amphigouriques , et les lui présentèrent comme un
madrigal charmant. Fontenelle en fut dupe,admira l'amphigouri ,
1
248 MERCURE DE FRANCE ,
et ne pouvait se lasser de le lire ; quand il eut épuisé les éloges ,
Madame Geoffrin le regarda en riant , et lui dit : grosse bête , ne
voyez-vous pas que c'est du galimathias double. Mafoi , reprit
Fontenelle , cela ressemble tellement à ce quej'entends ici tous
les jours , que j'y ai été pris.
Plusieurs habitués de Franconi , qui ne sont pas des Fontenelle ,
ont été mystifiés de même , à la première représentation d'Isoline
des Cyprès : cette folie n'est qu'une critique continuelle des mélodrames
, on y voit une prison de quatre pieds carrés , qui renferme
trois personnes et un enfant : une forteresse imprenable
dans laquelle on pénètre en montant sur une chaise ; il y a un
tyran , une victime , un niais , un embrasement , etc. , etc.; mais
tout cela ressemble tellement à ce que les amateurs de mélodrames
voient tous les jours qu'ils n'ont pas senti ce que cela pouvait avoir
de fin , et qu'ils ont sifflé : il est pourtant certain que la pièce a
réussi elle était suivie d'un divertissement de carnaval. Ces deux
productions ont produit un effet bien opposé à leur institution et à
leur but ; le mélodrame a fait beaucoup rire , et le divertissement
n'a pas amusé.
On a demandé l'auteur , et le niais est venu annoncer dans son
langage qu'il y en avait sept; la pièce , a-t-il dit , est d'un habitant
de Charenton ; les paroles , d'un habitant de la rue Bétizy ;
lamusique , d'un habitant de la rue du Grand-Hurleur , la pantomime,
d'un employé au télégraphe ; les combats, d'un habitant de
la rue de l'Homme-Armé ; les décorations , d'un habitant de la rue
des Teinturiers; et les machines , d'un habitant de la rue Copeau-
Plusieurs voix avaient déjà crié , qu'ils paraissent, mais cette menace
n'a pas eu de suite. A. D. C.
Iz paraît depuis le rer. janvier un petit ouvrage périodique ,
intitulé : Le Dimanche ou la Récréation de la jeunesse. On
dit que les collaborateurs de ce nouveau Journal sont mesdames
Dufresnoy et de Beaufort d'Hautpoul , et MM. Le Bailly , Armand-
Gouffé , Justin , Gensoul et Lablée.
FÉVRIER 1815. 249
Ces noms promettent de l'esprit , de la gaîté , de la grâce et du
sentiment , et les six premiers numéros qui ont déjà paru n'ont
point trompé les espérances du public. On y trouve des vers inédits ,
des anecdotes , des historiettes , des fables , des bons-mots , des
chansons ,des énigmes , enfin une grande variété de récréations ;
mais nous ne pouvons nous empêcher de faire sur ce mot une petite
réflexion morale. Autrefois le dimanche était bien unjour de repos,
mais un jour religieux et solennel , où la récréation n'était permise
qu'après l'rccomplissement de devoirs plus sacrés ; comment
se fait-il que le mot de religion ne soit pas même prononcé dans
le Prospectus d'un journal consacré à la jeunesse , et qui a pour
titre : le Dimanche ? Pauvres jeunes gens ! cent ouvrages ne sont
publiés que pour votre récréation , n'est-il pas temps qu'il en soit
composé quelques-uns pour vous rappeler vos devoirs ? C'est leur
accomplissement qui remplit l'âme et donne le contentement du
coeur , sans lequel il n'est point de plaisirs purs.
Acette omission près , le Dimanche renferme les principes
d'une bonne morale et des leçons fort ingénieuses .
POLITIQUE.
Au moment où le lien qui unissait les destinées
de notre patrie aux destins d'un insensé fut rompu ,
on put craindre que la France ne portat long-temps
la peine des égaremens où sa politique avait été entraînée
, que de longues injustices n'amenassent de
longs ressentimens, et que le rêve sanglant du grand
empire dont l'imagination des peuples avait été si
vivement frappée, ne nuisît pendant long-temps encore
à la noble et pure influence que de tout temps le
royaume de France a été appelé à exercer au milieu
de la confédération européenne . Ces craintes , que
250 MERCURE DE FRANCE ,
des esprits chagrins étaient disposés à s'exagérer ,
furent seules capables de faire naître quelques nuages
sur l'horizon de la restauration. Car tel est parmi
nous le sentiment de l'honneur national, qu'il n'est
point de paix , point d'espoir de bonheur, point de
félicité même réelle , que l'idée de la France humiliée
, de la France déchue du rang qui lui appartient
, ne put empoisonner et détruire. Les philosophes
anglomanes qui nous ont accusé de manquer
de patriotisme, parce qu'ils n'ont jamais pu nous
en donner un à leur manière , n'ont pas rendu justice
à ce qu'il y a de patriotique et de noble dans
notre caractère comme nation. Il est un trait qui
nous distingue éminemment parmi les peuples modernes
, c'est le sentiment presque exclusif de l'honneur
qui est chez nous une vertu publique comme
une vertu particulière , et qui occupe le premier
rang dans nos affections publiques comme dans nos
affections privées . Ce noble sentiment se modifie et
prend des formes différentes suivant les classes de la
société où il se manifeste , mais il est inné chez
toutes . Il a résisté et il survit à toutes les expériences
età toutes lesinnovations que l'on a tentées sur notre
caractère . Depuis vingt-cinq ans , on a voulu nous
donner ce qu'on est convenu d'appeler de l'esprit
public ; on l'a fait tour à tour consister à penser , à
agir , à nous nourrir, à nous vêtir différeniment que
nous n'avions coutume de le faire. Combien de
fois nos instituteurs politiques ne nous ont - ils
pas cité pour exemple les Anglais, qui mettent du
FÉVRIER 1815. 251
patriotisme jusque dans les plus petits détails de
leur vie privée. Ce genre d'esprit , ou plutôt de calcul
politique , n'aura jamais de prise sur notre caractère
. Les Français ne feront jamais consister leur
patriotisme à se priver d'une jouissance ou à renoncer
à une habitude qui leur plaît; mais s'il s'agit de
T'honneur de la France , la menace d'un affront ou
d'une humiliation agit sur la nation entière comme
sur un seul individu. La fibre qu'elle émeut fait
battre tous les coeurs , depuis le tròne jusqu'à la
chaumière. Ce patriotisme se rattache à tout ce
qu'il y ade noble et d'élevé dans notre nature , et il
croirait se dégrader en s'exerçant minutieusement
sur les objets matériels de l'économie domestique
ou publique. Tous les faits de notre histoire , tous ces
traits qui semblent nous appartenir plus particulièrement
, que nous aimons à nous rappeler , et dont
nous sommes disposés à nous enorgueillir , appartiennent
à ce sentiment noble et clevé. Une flétrissure
, une atteinte à l'honneur est pour nous
un malheur sans compensation. C'est le plus exalté
et peut-être le seul sentiment national qui nous
anime. C'est lorsqu'il éclate vivement dans les
actions de nos princes , que leur gloire devient
populaire et que leur nom vit dans nos souvenirs
. Citons un exemple contemporain. Après vingtcinq
ans d'exil , un roi de France rentre dans
ses états , il les trouve occupés par 300 mille
étrangers ; ceux - ci peuvent devenir ses alliés ,
mais ils veulent faire des conditions , ils deman-
-
252 MERCURE DE FRANCE ,
dent des garanties , ils parlent de cession de territoire
, de places de sûreté , le roi refuse tout.
Cependant il est à peine sur le trône , il a eu à
peine le temps de voir ses anciens serviteurs , de
faire connaissance avec les nouveaux , il est entouré
de trois cent mille baïonnettes , n'importe , il refuse
tout : « La fortune , dit-il , peut me condamner à
de nouveaux outrages , mais jamais je ne signerai
rien qui puisse porter atteinte à l'honneur de la
France et de ma couronne. » Ce trait sera unjour
un des ornemens de notre histoire; et en lisant la
page qui le consacrera , nos neveux admireront la
grandeur d'âme d'un roi dont la bonté épuise aujourd'hui
nos hommages et notre amour.
La pensée des améliorations qui , sous son influence
, s'opèrent chaque jour dans l'intérieur de la
France nous occupe presque exclusivement , et nous
distrait du spectacle que sa politique déploye audehors
. Moins préoccupés que nous , les étrangers
observentmieux le changementqui, depuistrois mois
s'est opéré dans la situation relative de la France à
l'égard des autres nations . C'est en déplorant le
succès même de sa politique qu'ils rendent un éclatant
hommage à la prudence et à l'habileté d'un
monarque qui , dans ses rapports avec les autres
puissances , avait tout à conquérir , et qui a tout
obtenu de la haute estime qu'il inspire personnellement.
Ces réflexions nous sont inspirées par les dernières
lettres que nous avons reçues de Vienne , et qui
FÉVRIER 1815. 253
1
nous représentent le ministre de France comme
jouissant de toute l'influence qui appartient à la
couronne du roi très-chrétien. La France , contre
laquelle, il y a moins d'un an , étaient liguées
toutes les puissances de l'Europe , a déjà repris
parmi elles le rôle de modératrice qui lui convient.
Sans cesser d'être en paix avec toutes , elle a déjà
pu se montrer l'appui des plus faibles . Ce triomphe
de la sagesse et de la modération sur des ressentimens
encore si récens , et sur des rivalités encore
subsistantes , étonne et irrite les journalistes anglais .
Voici comme s'exprime à ce sujet le Courrier ,
journal ministériel . << Lord Castlereagh a quitté
>> Vienne , et nous sommes certains qu'à son départ
>> il n'y avait point d'arrangement nouveau conclu .
» Les retards qui ont eu lieu doivent en grande
>> partie être attribués à l'admission de la France au
>> congrès . Le grand objet de la France est de s'op-
>>poser à l'aggrandissementde toute puissance quel-
>> conque aux dépens des petits états d'Allemague ,
>> parce que ces aggrandissemens la mettraient hors
>> d'état d'avoir une influence sur ces petits états , et
>> de s'en servir comme d'instrumens contre les
>> grands . Mais , pour cela , elle affecte d'être uni-
>> quement dirigée par l'amour de la justice et par
>> l'attachement aux droits des souverainsqui seraient
>> attaqués. L'Autriche ne peut pas sans doute voir
>> d'un oeil favorable l'aggrandissement de la Prusse ;
>> mais son opposition à l'incorporation de la Saxe à
>> la Prusse aurait probablement été moins ab
254 MERCURE DE FRANCE ,
>> solue si elle n'avait pas été appuyée par la France .
>> Ainsi l'Autriche et la France sont réunies contre
>> une mesure qui est tellement nécessaire à l'indé-
>> pendance de l'Allemagne et à une balance bien
>> entendue des puissances , que , si elle n'est pas
>> adoptée , nous espérons en vain avoir une longue
>> et profonde paix. Combien les nations , ainsi que
>> les individus , oublient promptement le danger
>> et négligent l'épreuve qu'ils en ont faite , après
>> que le danger est passé ! Les puissances du conti-
>> nent viennent à peine d'échapper comme par mi-
>> racle aux dangers et à la honte d'être soumises à
>> la France , et elles reviennent déjà à ces vieilles
>>jalousies personnelles qui ont le plus contribué à
>> assurer à la France les succès qu'elle a obtenus ;
>> elles permettent que la France prenne une part
>> importante à leurs délibérations et y exerce une
>> grande influence , et elles l'écoutent avec simpli-
>>cité , et sans rien soupçonner à ce qu'il paraît ,
>>faire des harangues contre l'ambition et le danger
>> d'étendre les royaumes . Cela rappelle l'usurier du
>> Diable Boiteux , qui; après avoir écouté un ser-
>> mon contre l'usure , dit à celui qui venait lui em-
>>prunter de l'argent : Le prédicateur vient de faire
>> son affaire , faisons la nôtre » .
On n'est point étonné de trouver des injures
contre la France dans un journal anglais ; l'on sait
que c'est une condition obligée pour ces sortes d'écrits
. Tout Anglais nous hait par patriotisme , et
tout journaliste nous injurie par calcul, c'est pour
F
FÉVRIER 1815. 255
lui un moyen de succès. Aux yeux de la populace
de Londres , une injure contre les Français , équivaut
à peu près à une raison ; les bonnes raisons en
général sont si rares , et ce moyen d'y suppléer est
si facile , qu'il n'est pas surprenant que les journalistes,
anglais y aient recours souvent. Cette haine
toujours vivante est un des élémens , mais un triste
élément du patriotisme des Anglais. Nous sommes
plus heureux , nous pouvons aimer la France sans
haïr personne , pas même nos voisins : nous nous
plaisons même à rendre justice à ce qu'ily a de noble
et de grand dans leur caractère ; mais nous leur
demandons la permission de ne croire ni à leur modération
ni à leur esprit de justice envers les autres
nations .
Le Courrier se plaint de l'admission de la France
au congrès et de l'influence qu'elle y a acquise ; il
attribue à cette double cause les obstacles qui entravent
la marche des négociations , et en éloignent
les résultats. Le plus simple bon sens suffit pour
voir que le journaliste anglais est égaré ici par ses
préventions nationales . La France venait de signer
un traité de paix avec toutes les puissances de l'Europe
lorsqu'elle s'est présentée au congrès : elle est
donc la seule qui y soit arrivée pour ainsi dire neutre
et impartiale au milieu des intérêts qui devaient s'y
débattre ; et l'on peut croire que son intervention
n'a pas peu contribué à amortir ce qu'il pouvait y
avoir de violent et d'exagéré dans les prétentions de
chacune des autres puissances , et à prévenir le choc
256 MERCURE DE FRANCE , FÉVRIER, 1815.
qui en serait résulté. Le Courrier accuse encore la
France de prêter son appui aux petits états de l'Allemagne.
Cette accusation , si elle a quelque fondement
pourrait être offensante pour la Prusse , pour
l'Autriche , pour l'Angleterre même , mais non pas
pour la France. La puissance auprès de laquelle
les plus faibles viennent chercher un appui n'est
pas celle qui montre des vues ambitieuses ou des
desseins contraires à la bonne foi. Les faibles sont
habiles à discerner d'où vient le danger qui les menace
, et leur confiance honore autant que leurs
alarmes accusent .
Quoiqu'il en soit de l'effet que l'intervention de
la France , dans les délibérations du congrès , a pu
avoir sur la marche des négociations , nous avons
la conviction qu'elle était indispensable pour en
rendre les résultats durables . Un grand état ne peut
jamais être privé pendant long- temps de l'influence
qui lui appartient dans les affaires générales
de l'Europe , et tout arrangement où la
France n'aurait pas été appelée , n'eût été que transitoire
. La sagesse du roi , en écartant des préventions
peut- être fondées , en reportant sur sa couronne
la confiance que sa personne inspire , a su
hater la marche du temps; et en plaçant dès à présent
la France dans une position à vouloir ce qu'elle
voudra dans 20 ans , il a imprimé , aux opérations
du congrès , la plus forte garantie de stabilité qu'il
fut en son pouvoir de leur donner.
1
TIMBRE
MERCURE
DE FRANCE.
SEIVE
N° . DCLXXI .-Samedi 18février 1815.
POÉSIE .
LE DEVOIR DES PASTEURS ( 1 ).
Stances imitées des Prophètes.
Le fils d'Ézéchias , fier d'un règne prospère ,
Déjà foulait aux pieds l'exemple de son père :
Sur son trône avec lui siégeait l'impiété.
Je priais.... une voix soudain se fit entendre,
Je vis un long éclair m'environner , s'étendre ,
Et lanuit resplendir d'une vive clarté.
« J'entends gémir ton coeur , mais ta bouche est muette.
>> Que fais-tu , fils de l'homme ? es-tu doncmon prophète ?
>> L'organe de mes lois et de ma volonté ?
> Ne sais-tu que gémir ? est-il temps de se taire?
► Au fond de ta retraite oisifet solitaire ,
" Vois-tu s'amonceler ces flots d'iniquité » ?
(1) Cette pièce a étécomposée en 1797 , à l'époque où lapersécution contre
les prêtres non assermentés était la plus active et oùelle avait glacé le zèle
de tous les pasteurs .
258 MERCURE DE FRANCE ,
Le regard de mon Dieu pénètre dans mon âine ,
Il y voit mon amour , le zèle qui m'enflamme ,
Il voit aussi l'ennui qui pèse sur mon coeur.
Sion n'est plus qu'un lieu d'horreurs et de ténèbres ;
Ma bouche vainement , poussant des cris funèbres ,
Évoquerait ces morts que pleure ma douleur.
Lorsque Jérusalem n'est bientôt qu'une tombe ,
Aux veilles , aux travaux faut-il que je succombe ?
Dois-je prostituer l'honneur de votre nom ?
Vivent-ils devant vous ? et que puis-je en attendre?
Leurs yeux craignent de voir , leurs oreilles d'entendre ,
Et leurs crimes heureux ont troublé leur raison .
J'ouvrirai devant vous mon âme toute entière :
Oui , ce peuple fougueux, dans son humeur altière ,
Abesoin qu'on l'accable , et veut un jong d'airain.
Au sein de l'abondance , indomptable , insensible ,
La seule adversité le rend souple et flexible ,
Et même , en frémissant , il ronge encor ce frein,
Eh! que peut une faible et vile créature
Sur cette mer d'erreurs , d'audace et d'imposture ,
Et qui veut dans ses flots moi-même m'engloutir ?
Mon zèle enflamme encor mes voeux et ma prière ;
Mais vous seul , ô mon Dieu , brisant ces coeurs de pierre ,
Pouvez les pénétrer des traits du repentir .
« Règles-tu les délais que ma clémence accorde ?
" Et dans les profondeurs de ma miséricorde
>> Peux-tu voir si par moi l'impie est oublié ?
» Ce pécheur qui s'agite au fond du précipice ,
» Qu'un mot arracherait de la fange du vice ,
» Mon décret éternel te l'avait confié .
» Quels regrets ont frappé mon oreille attentive ?
Enchaînée en ton coeur, ma parole est captive ;
L
FÉVRIER 1815. 259
> Eh quoi! t'appartient-elle , et n'est-elle qu'à toi ?
>> Soulagement du pauvre , épouvante du crime ,
>> Elle est à l'oppresseur , à celui qu'il opprime ,
>>Et doit porter partout l'espérance ou l'effroi.
>> D'autant plus malheureux que ma juste vengeance
>> L'abreuve chaque jour de gloire et de puissance ,
Israël a besoin de frémir à mon nom.
>> Que ta main plante , arrose et cultive ma vigne ;
Élevé par mon choix à cet honneur insigne ,
>> M'obéir est ton prix. Qu'importe la moisson>> !
Qui suis-je ? qu'ai-je fait ? Serviteur infidèle ,
Aux ordres de mon Dieu je dérobais mon zèle :
Ce peuple infortuné périt dans l'abandon!
De ta miséricorde , ô puissance infinie !
Ma lâcheté , grand Dieu , par toi n'est point punie;
Tu viens , du haut des cieux , m'apporter mon pardon!
Je te livre , Israël , et mes soins et ma vie ;
Entends la vérité que mon Dieu me confie .
Puis-je l'envelopper de nuages obscurs ?
Elle échappe à ma bouche : il n'est plus de réfuge;
Éternelle , immuable , elle vous voit , vous juge ,
Et par moi Dieu l'élève au milieu de vos murs.
Aumilieu de ce peuple où son ordre m'envoie ,
Que ton bras , ô mon Dieu ! daigne assurer ma voie,
De ma vie à ton nom consacre chaque instant.
Qui pourrait m'arrêter dans ma noble carrière ?
La raison et la foi me prêtent leur lumière ,
Et je vois dans les cieux la palme qui m'attend.
Par M. DE MAISONNEUVE ,
Auteur de Roxélane et Mustapha.
260
MERCURE DE FRANCE ,
LE PROBLÈME .
Fecisti rem , Line , difficilem .
( MART. ép. 66 , lib . IV ).
Vous vécûtes toujours comme un simple bourgeois ,
Sans aucun luxe , et même avec parcimonie ;
Vous ne mettiez d'habit que quatre fois le mois ,
Les jours de fête ou de cérémonie ;
De vos fruits , de votre gibier ,
Du poisson de votre vivier ,
Votre table frugale en tout temps fut garnie ;
Et d'un vin étranger votre coupe jamais
N'eut la gloire d'être rougie.
Point de Cloris logée et nourrie à grands frais ;
Point d'élégans et paresseux laquais .
Un jardinier bien lourd et bien rustique
Composait seul tout votre domestique ;
On n'a point vu périr vos superbes troupeaux ,
Ni la mer submerger votre or et vos vaisseaux ;
La canicule en feu n'a point brûlé vos plaines ;
Vous évitiez du jeu les chances incertaines.
Qu'est devenu l'argent que vous a dû laisser
Une mère bien riche et surtout bien avare ?
Se ruiner sans perdre et sans rien dépenser ,
C'est vraiment un problème insoluble et bizarre!
DE KÉRIVALANT.
IMITATION DES VERS DE SANNAZAR SUR VENISE .
LORSQU'AU milieu de cent canaux ,
Il vit la superbe Venise
Qui semblait , en sortant des eaux ,
Commander à l'onde soumise ,
Neptune dit à Jupiter :
FÉVRIER 1815. 261
α Préférant le Tibre à la mer ,
• Me vanterez-vous toujours Rome
» Et son Capitole orgueilleux ?
► Sur ma cité jetez les yeux !
• Si l'une est l'ouvrage de l'homme ,
L'autre est vraiment celui des Dieux.
Par le même.
ÉPIGRAMME.
PAUL n'est pas fripon à demi ,
Sans cesse à tromper il s'occupe ;
Et quand il dit : c'est mon ami ,
Chacun peut dire , c'est sa dupe.
1
Par M. VICTOR VIAL.
ÉNIGME .
AIR : De la Baronne.
LORSQU'ON me choque ,
Je suis bien loin de me choquer ,
Et si j'use du réciproque ,
C'est surtout pour ne pas manquer
Aqui me choque.
Lorsqu'on me choque ,
Je sens qu'on veut me provoquer ;
Mais loin que cela m'interloque ,
Je m'empresse de retorquer
Aqui me choque.
Lorsqu'on me choque
Loin que l'on veuille m'attaquer ,
Ce sont les Dieux que l'on invoque ,
Etnon moi que l'on veut piquer ,
Lorsqu'on me choque.
262 MERCURE DE FRANCE , FÉVRIER 1815.
Ce qui te choque
C'est de ne savoir appliquer
Au vrai sens le sens équivoque ,
Ce qui t'empêche d'expliquer
Le mot qu'on choque.
S........
LOGOGRIPHE.
Un animal cruel de la zône Torride
Et la bête la plus stupide
Forment mon être , et cependant
Je fus jadis , de mon vivant ,
Un souverain dont le noble courage
Sut contre un peuple conquéraut
Disputer mes états avec quelqu'avantage.
V. B. ( d'Agen ).
CHARADE.
QU'IL est à plaindre mon premier ,
Qui sur la fin de mon dernier ,
Avec trop jeune batelière
Va s'embarquer dans mon entier!
Autant vaudrait dans la rivière ,
La pierre au cou s'aller jeter.
Par lemême.
Mots de l'ÉNIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARADE insérés
dans le dernier Numéro.
Lemot de l'énigme est Talent.
Celui du Logogriphe est Friche.
Celui de la Charade est Libertin
SCIENCES ET ARTS .
SUR L'ÉTAT DES SCIENCES EN FRANCE , DEPUIS 1789.
Nous étant proposé d'analyser dans ce journal les principaux
ouvrages qui pourront désormais paraître dans les diverses parties
des sciences physiques et mathématiques , il nous a semblé qu'il
serait utile de présenter d'abord un aperçu rapide dans lequel on
indiquerait l'état actuel de ces sciences , et les progrès remarquables
qu'elles ont faits depuis vingt-cinq ans ; afin que partant
avec nous de ces données communes , nos lecteurs puissent apprécier
de même le présent et l'avenir , nos richesses et nos espérances.
Mais comme les longues dissensions qui ont agité notre
patrie portent encore trop souvent à chercher la couleur d'un
parti jusque dans les discussions les plus désintéressées , nous
déclarons que notre unique but dans cet écrit est d'être historien
fidèle : s'il se trouve que du milieu des malheurs publics il est
sorti quelque bien , loin de le rejeter ou de le méconnaître ,
tâchons de le conserver et de l'étendre. Soyons assez éclairés pour
le voir , assez sages pour en profiter .
A l'époque où la révolution française éclata , les sciences
venaient d'être enrichies par des découvertes brillantes , qui , sans
changer leur marche désormais invariable , éclairaient et agrandissaient
la route qu'elles avaient à parcourir. La chimie venait de
reconnaître les différentes espèces d'air qui entrent comme principe
dans la plupart des corps naturels . On était parvenu à décomposer
l'eau et plusieurs autres substances qui jusqu'alors avaient été
regardées comme simples. Le phénomène de la combustion venait
d'être complètement expliqué. On avait vu qu'il consistait uniquement
dans la fixation d'une certaine quantité d'air vital qui s'unis-
1
264
1
MERCURE DE FRANCE,
sait à d'autres substances; et comme on trouvait qu'une combinaison
semblable s'opérait aussi dans la calcination des métaux ,
dans la respiration, et dans la formation de plusieurs acides , on
en avait tiré la conséquence assurée , mais imprévue , que ces
phénomènes et beaucoup d'autres analogues n'étaient que de
véritables combustions. Presqu'en même temps la physique avait
produit deux grandes découvertes , les paratonnerres et les aérostats
, elle avait mesuré, par des expériences précises , les attractions
de l'aimant et de l'électricité. L'astronomie annonçant une nouvelle
planète , reculée aux dernières bornes du système solaire , avait
rompu le prestige des nombres mystérieux si vantés par les anciens
philosophes , et montrait les lois de Newton subsistantes dans ces
espaces inconnus que la nature semblait s'être réservés pour
donner un jour une confirmation plus éclatante de la gravitation
universelle. La perfection récente de toutes les méthodes astronomiques
et de tous les procédés d'observation , avait permis de
chercher , dans une grande entreprise sur la figure de la terre , la
base d'un système de mesures complet , régulier , uniforme , et
qui, indépendant de toutes les jalousies nationales par la généralité
des élémens dont il dérive , pût devenir un jour commun , nonseulement
à toutes les provinces de la France , mais à tous les
peuples civilisés . Au milieu de ce grand mouvement des connaissances
humaines, les mathématiques , planant sur toutes les autres
sciences , en dirigeaient les procédés , leur communiquaient l'esprit
de précision et de mesure ; et tout en achevant d'assujétir à leurs
calculs les derniers détails des phénomènes célestes , elles cherchaient
déjà dans la chimie , dans la physique , d'autres sujets
d'application nouveaux et nonmoins fertiles , qui pussent suppléer
aux cieux désormais connus.
Dès que la révolution eut éclaté , toutes ces belles méditations
furent éteintes et absorbées par les discordes politiques . La destructionde
la monarchie entraîna bientôt celle de toutes les institutions
sociales. Les établissemens destinés à entretenir et à
propager les lumières furent renversés comme instrumens d'escla-
!
e
1
1
FÉVRIER 1815. 265
age et de superstition. Les universités , les académies furent
dépouillées , supprimées ; et cette France , naguères si instruite ,
si polie , si florissante , maintenant plongée dans l'anarchie la plus
ignorante et la plus féroce , ne songea uniquement qu'à la guerre.
Chose étonnante ! ce fut la guerre qui cette fois sauva les
sciences et les arts . Elle y chercha , elle y trouva tous les moyens
de la défense publique. A défaut de communication extérieure on
tira tout du sol. La fabrication des armes , de la poudre , le travail
des métaux furent perfectionnés ; mais l'utilité , la nécessité de
ces résultats ne suffisaient pas pour assurer la vie de ceux à qui on
les devait. Les sciences firent de grandes pertes. Bailly , Lavoisier
périrent sur l'échafaud; et Condorcet proscrit ne put y échapper
qu'en sedonnant la mort.
Heureusement pour l'humanité ce systèmedestructeur dura peu ;
dès qu'il fut passé , on s'empressa de réparer le mal qu'il avait fait.
Quelques amis des sciences profitèrent de ces circonstances favorables
pour leur rendre plus encore qu'elles n'avaient perdu. De toutes
parts, on chercha, on appela les hommes qui pouvaient ranimer le
flambeau des lumières prêt à s'éteindre. On vit partout renaître des
écoles publiques , où le bienfait d'un enseignement gratuit était
offert à tous. Les grands établissemens d'instruction qui honoraient
la France furent relevés, et on en créa de nouveaux. On rétablit
les académies sous une autre forme. On fonda cette école polytechnique
, dont les nombreux élèves sont aujourd'hui répandus
dans la carrière militaire , administrative , manufacturière , dans
les lettres , les arts , les sciences , et tous les genres de services
publics. Enfin , sous le rapport des sciences , l'état de la France
pouvait secomparer à celui de Rome, rebâtie plus belle après avoir
été brûlée par Néron.
C'était assez sans doute. Mais , comme au ton où les esprits
étaient montés , il fallait que tout fût exagéré et gigantesque , on
imagina de créer une grande école , appeléc l'école normale , où
toutce qu'ily avaitde personnes instruites en France, quels que fussent
leur profession etleurâge, seraient appelées successivementpour
266 MERCURE DE FRANCE ,
entendre les leçons des hommes les plus célèbres dans toutes les
parties des connaissances humaines ; et pour mieux entretenir les
principes d'une égalité morale , à peu près aussi raisonnable que
l'égalité physique , il fut résolu que cette multitude aurait le droit
d'attaquer librement les professeurs , et de disputer pied à pied
avec eux. Cependant , il faut le dire , puisque c'est assurément un
phénomène bien remarquable , quelque désordonnée que doive paraîtreune
semblable institution, qui n'a eu que peu de mois de durée,
il est de fait qu'elle a exercé sur l'enseignement des sciences
en France une influence incalculable , et qu'on lui doit en grande
partie les progrès rapides qu'elles ont faits depuis parmi nous . Car
les hommes du premier ordre , qui jusqu'alors n'avaient écrit
que pour eux seuls , ayant été appelés à expliquer leurs idées
à un auditoire si nombreux et si peu préparé à les entendre ,
ils durent nécessairement faire beaucoup d'efforts pour réduire tout
l'ensemble de chaque science à des principes simples , clairs , et
pour ainsi dire à ses moindres termes. Ils s'attachèrent donc à
éclaircir les obscurités qui pouvaient rester encore , à lever les
difficultés qui auraient arrêté des esprits ordinaires ; et poussés par
l'amour de la science, aussi-bien que par l'extrême attention avec
laquelle leurs leçons étaient accueillies, ils firent entrer dans l'enseignement,
à force de simplicité et de génie, une foule de théories qui
jusqu'alors n'avaient pu être accessibles qu'à un petit nombre de lecteurs.
Le précis de leurs leçons devint donc, par l'effet de ces circonstances,
le meilleur des livres élémentaires qui eût paru jusqu'alors ;
et ce fut le fruit unique mais précieux de cette institution gigantesque
( 1) . Il a depuis servi de guide et de modèle à tous les ouvrages
du même genre que de bons esprits ont publiés ; et souvent
ledéveloppement de leurs leçons est devenu la matière d'un traité
(1 ) Il est presque superflu de remarquer que cette première École normale
était toute différente de l'École normale actuelle : celle-ci , établie
dans l'Université , et spécialement destinée à former de bons professeurs ,
a tous les avantages réels de l'autre , sans avoir ses inconvéniens.
FÉVRIER 1815. 267
-
pour les auteurs eux-mêmes. Alors, au lieu de voir, comme autrefois,
ce genre de travail , si important et si utile , abandonné presque
uniquement à la médiocrité , nous avons eu de la main des
hommes les plus habiles un ensemble complet d'excellens traités
sur la chimie , la physique , l'histoire naturelle , le système du
monde , les mathématiques pures et appliquées ; qui jetés dans le
foyer d'activité qu'une révolution laisse toujours après elle, ont élevé
chez nous l'enseignement des sciences plus haut qu'il n'est aujourd'hui
chez aucune nation .
En même temps que cette restauration s'était opérée , les autres
parties des sciences avaient repris leur cours ordinaire . Dès qu'il
avait été possible de voyager et de porter des instrumens d'astronomie
sur les montagnes sans être suspect au peuple , les opérations
de la méridienne avaient été reprises ; on les avait poussées
jusqu'à Barcelonne , et l'arc entier , compris entre cette ville et
Dunkerque, donna la valeur du mètre tel qu'il devait être définitivement
fixé. Telle fut l'exactitude de cette grande opération ,
qu'en la prolongeant depuis, jusqu'aux îles Baléares , au moyen
d'une chaîne de triangles appuyés sur la côte d'Espagne , l'addition
de ce nouvel arc n'a pas apporté le plus léger changement
aux premiers résultats que l'on avait obtenus .
Pendant l'isolement où l'anarchie et la guerre avaient placé la
France , les nations voisines n'étaient pas restées oisives ; l'Italie
venait de découvrir le galvanisme , action singulière qui s'exerce
au contact des substances diverses , et qui produit en elles un développement
durable d'électricité . Volta, à qui le hasard avait refusé
le plaisir de voir le premier ce genre de phénomènes, en pénétra seul
la cause , en multiplia , en agrandit les effets , et s'éleva ainsi jusqu'à
la construction de l'appareil électromoteur auquel l'Europe a
donné son nom ; instrument admirable qui , par le torrent d'électricité
qu'il développe , excite dans les organes animaux , même
après la mort , les contractions musculaires et presque les apparences
de la vie; qui décompose l'eau , les sels , les acides , et
qui , en un mot , paraît être l'agent le plus énergique que la chimie
268 MERCURE DE FRANCE , FÉVRIER 1815 .
puisse employer. Ces belles découvertes ne se transmirent que tard
en France; mais dès qu'elles y furent connues , on les accueillit
avidement et on les suivit avec la plus grande activité. C'est un
des effets du progrès général de l'instruction , qu'une grande découverte
ne peut pas rester long-temps ignorée; il y a partout des
observateurs qui l'éprouvent , la vérifient ; et leur opinion , toujours
unanime sur les questions de fait , la place bientôt au rang
que son importance lui assigne.
Nous voici arrivés à peu près à l'époque où la France , lasse de
l'anarchie , commençait à se livrer au despotisme militaire. Nous
verrons bientôt quel a été le sort des sciences sous ce dernier système
; mais à travers les entraves dont il les a enlacées, nous reconnaîtrons
les effets de l'impulsion qu'elles avaient reçue auparavant;
et nous en suivrons l'influence sur les progrès qu'elles n'ont cessé
de faire quand tout conspirait à les arrêter.
ΒΙΟΤ.
LITTÉRATURE ET BEAUX - ARTS.
VOYAGE HISTORIQUE , CHOROGRAPHIQUE ET PHILOSOPHIQUE
DANS LES PRINCIPALES VILLES DE L'ITALIE
, EN 1811 ET 1812 ; par P. PETIT-RADEL , etc.
Trois vol . in-8° . , avec une carte. A Paris ,
chez Chanson , imprimeur-libraire , rue des Mathurins
, et chez Firmin-Didot , imprimeurlibraire
, rue Jacob.- Prix , 22 fr .
-
( 1CF. ARTICLE. )
-
Il n'existe peut-être aucun pays sur la terre qui
réunisse, au même degré que l'Italie, les merveilles
de la nature et les chefs-d'oeuvres de l'art ; il n'en est
point qui laisse dans l'âme des souvenirs plus délicieux
. Les voyageurs de toutes les classes y trouvent
un aliment à leur curiosité, une source féconde
d'agrémens et d'instruction : aussi l'enthousiasme
paraît-il avoir inspiré presque tous ceux qui ont
écrit sur l'Italie. Dans la prodigieuse multitude de
livres qui ont pour objet cette terre classique des
sciences et des beaux-arts , auquel donnez-vous la
préférence , me demandait un jour l'illustre Félix
Fontana? Je lui répondis que de tous les ouvrages
publiés sur l'Italie , celui de Lalande me semblait
incomparablement le meilleur. « J'approuve votre
choix , me dit le malin Fontana ; cependant vous
270 MERCURE DE FRANCE ,
saurez que la première édition fourmillait d'erreurs;
j'en signalai un grand nombre que l'auteur corrigea,
en sorte que l'édition de 1790 ne contient guère
plus d'un millier de fautes ou d'inexactitudes» . Cette
décision n'est pas seulement trop sévère , elle est
souverainement injuste ; et si j'avais l'intention de
revoir ces contrées charmantes qu'arrosent le Tésin,
l'Arno , le Tibre et le Sebeto , je choisirais encore
aujourd'hui pour guide le voyage de Lalande :
faut-il en conclure que celui du docteur Petit-Radel
est inutile ?Non sans doute . L'Italie n'a point été à
l'abri de ces étonnantes révolutions qui depuis vingtcinq
années ont en quelque sorte bouleversé toute
l'Europe . Trop faible pour résister aux armes d'une
nation valeureuse , elle a dû céder au vainqueur ces
statues magnifiques , ces tableaux admirables qui
faisaient l'ornement de ses places publiques , de ses
galeries , de ses musées . M. Petit-Radel ne s'est pas
borné à indiquer ces changemens, il a fait connaître
ceux qui se sont opérés dans la république littéraire .
Sur ce point , comme sur beaucoup d'autres , le
nouveau voyageur n'est pas toujours d'accord avec
Lalande. Sans prétendre m'établir juge entre ces
deux savans , je dirai ce que m'ont appris un long
séjour chez les Italiens , une constante observation
de leurs moeurs , et une étude raisonnée de leur
littérature .
C'est par le Simplon que M. Petit-Radel arrive
dans les plaines fertiles de la Lombardie. Milan est
la première ville qu'il décrit ; et si cette description
FÉVRIER 1815.
274
-
n'offre qu'un faible intérêt, il faut moins en accuser
l'impuissance de l'auteur que la stérilité du
sujet. Le voyageur philosophe ne peut séjourner
dans cette vaste cité , ni parcourir ses environs sans
être accablé par un sentiment pénible. Un ciel
presque toujours obscurci par de sombres nuages ,
des hivers longs et rigoureux, des prairies immenses
tantôt couvertes de frimas , tantôt transformées en
marais fétides : telle est la peinture fidèle de l'atmosphère
milanaise. Le physique et le moral des
habitans sont à tous égards en rapport avec un
pareil climat. Le nombre des boiteux , des estropiés
, des rachitiques , est prodigieux à Milan. Le
peuple est stupide, gourmand, crapuleux; sa langue
est un patois aussi dur , aussi choquant , aussi grossier
que ses moeurs . Les classes les plus élevées de
la société sont infectées des mêmes vices, seulement
un peu plus masqués. Je compulse les annales de
Milan , je déroule ses archives , et je cherche vainemeut
un grand homme dans une ville qui vante
son antique origine , et qui , nonobstant sa dépopulation
, compte encore aujourd'hui cent trente
mille âmes . Lorsque le ministre Firmian , juste appréciateur
des sciences , voulut établir à Milan des
académies , des colléges , il fut contraint d'appeler
du dehors presque tous les professeurs et les artistes .
Croirait-on que , malgré cette précaution et les encouragemens
les plus flatteurs , le succès ne répondit
point à l'attente du digne gouverneur ? Les
savans transplantés sur une terre anti-scientifique ,
272 MERCURE DE FRANCE ,
et pour ainsi dire au milieu des barbares , semblèrent
perdre leur énergie , comme on voit les
plusbelles fleurs s'altérer , se dénaturer , se flétrir
sur un sol ingrat et stérile.
Presqu'aux portes de Milan s'élève la plus fameuse
université de l'Italie. C'est là que naguères se faisaient
entendre les voix éloquentes de Borsieri , de
Tissot, de Scopoli , de Spallanzani , de Jean-Pierre
Frank. Il est inutile d'observer qu'aucun de ces
professeurs illustres n'avait pris naissance sur le territoire
milanais . Ceux qui soutiennent encore avec
distinction la splendeur de l'école de Pavie sont
tous étrangers. Pour suppléer au silence de M. Petit-
Radel, je vais retracer les droits de quelques-uns
d'entre eux à l'estime publique. Les importans travaux
d'Alexandre Volta lui assignent le premier
rang parmi les physiciens ; il n'a presque jamais
tenté une expérience nouvelle sans faire une découverte;
il a répandu des lumières sur la doctrine
des gaz en général, et sur l'hydrogène en particulier;
il a coordonné , perfectionné la science météorologique,
et personne n'ignore combien il a agrandi
le domaine de l'électricité, à laquelle il a rattache
tous les phénomènes du galvanisme. Scarpa est a
peu près pour l'anatomie et la chirurgie ce qu'est
Volta pour la physique : on admire ses recherches
sur les plexus etganglions nerveux , sur les organes
de l'ouie ct de l'odorat , sur les nerfs du coeur , sur
la structure des os, sur les anévrismes , sur les ma
ladies des yeux , sur les hernies , sur l'orthopédie.
FÉVRIER 1815.
273
Je connais peu d'écrivains plus féconds que le professeur
de chimie Brugnatelli : la plupart de ses
oeuvres ne sont à la vérité que des recueils de
mémoires , de pures rapsodies. Le jugement que
Voltaire a porté du littérateur Trublet convient
parfaitement à Bruguatelli :
Onle voyait sans cesse écrire , écrire
Ce qu'il avait jadis entendu dire;
Au peu d'esprit que le bonhomme avait
L'esprit d'autrui par supplément servait.
Toutes les fois que Brugnatelli a voulu renoncer
au métier de copiste , ses entreprises ont été malheureuses.
Plus juste appréciateur de son talent ,
moins confiant dans ses propres forces , cet homme
laborieux n'aurait pas augmenté le nombre des
pharmacopées médiocres ; il n'aurait point créé l'acide
électrique, l'acide cobaltique , et d'autres monstres
scientifiques , morts , par bonheur , en naissant .
L'hygiène , la thérapeutique et la matière médicale
ont exercé tour à tour l'éloquence et la plume du
professeur Carminati . Si parfois il n'est pas complètement
au niveau des connaissances les plus
modernes , si l'on remarque un certain désordre
dans ses classifications , si même l'oeil pénétrant et
sévère de la critique aperçoit quelques autres taches
dans son ouvrage , on y retrouve du moins une
élégante latinité , des recherches curieuses , et des
observations importantes .
En quittant Pavie , M. Petit-Radel va visiter la
Chartreuse. On sait que l'empereur philosophe
18
274 MERCURE DE FRANCE ,
Joseph II a fait rentrer dans la société les religieux
qui habitaient ce vaste et magnifique monastère
.
Brescia présente à notre voyageur le spectacle
intéressant d'un peuple actif et industrieux. Vérone
lui offre son superbe amphithéâtre , ses arcs de triomphe
, son muséum , et le souvenir des hommes célèbres
qu'elle a produits , parmi lesquels il suffit de
citer Catulle , Pline le naturaliste , Fracastor et
Maffei.
Padoue n'est certainement pas une belle ville ;
mais elle est située dans une plaine agréable , et
son université jouit depuis plusieurs siècles d'une
réputation méritée. La plupart des professeurs ont
justifié par des ouvrages utiles le choix du gouvernement.
Les noms de Caldani, de Gallini , de Brera,
de Malacarne , de Fanzago , sont avantageusement
connus de tous ceux qui cultivent les sciences
exactes .
Quel est l'homme assez froid , assez apathique ,
pour n'être pas saisi d'étonnement et d'admiration
en voyant une grande ville s'élever majestueusement
du sein des eaux ? L'âme éprouve une sensation
plus délicieuse encore en songeant que cette
citě merveilleuse doit son origine à l'amour de la
liberté. Aussi la superbe Venise a- t- elle souvent
inspiré les poëtes et les peintres. M. Petit-Radel
lui-même n'est pas insensible à ce spectacle enchanteur
: sa verve se rallume , et par une heureuse réminiscence
, il applique à la reine de l'Adriatique
1
FÉVRIER 1815.
MDRE
ROY
quelques vers de sa Pancharis , qui doit être un
poëme fort intéressant , car l'auteur en fait des citations
très-fréquentes dans le cours de son Voyage
Du reste , les élans poétiques ne nuisent point à
l'exactitude de l'historien ; il décrit avec un soin
scrupuleux la magnifique place Saint - Marc et les
monumens dont elle est ornée , le beau pont de
Rialto , la bibliothéque confiée au savant Morelli ,
l'arsenal , qui semble être une forteresse à part ; les
théâtres , que j'ai été scandalisé de trouver si peu
nombreux et si mesquins , dans une ville dont les
habitans sont renommés par leur goût pour les
plaisirs.
De Venise , notre voyageur se rend à Ferrare ,
qui fut long-temps le siége d'une cour brillante .
C'est-là que les deux plus grands poëtes de l'Italie
composèrent leurs chefs - d'oeuvres immortels ; c'estlà
que Le Tasse languit sept années renfermé dans
un hôpital , par ordre de ce magnanime Alphonse
auquel il avait dédié sa Jérusalem délivrée.
SLINE
Bologne est une des villes les plus dignes de fixer
ľattention . Située au pied des Apennins , sur un
sol prodigieusement fertile , elle est percée de belles
rues , ornées de chaque côté de portiques dont les
arcs reposent tantôt sur des colonnes, tantôt sur des
piliers , en sorte qu'on peut parcourir presque toute
la ville à pied sec , à l'abri du soleil , de la pluie et
des voitures . Qu'il me soit permis de prouver , parun
exemple irrécusable , l'influence rapide et salutaire
d'un bon gouvernement sur le caractère et
5
с.
276 MERCURE DE FRANCE ,
les moeurs d'une nation . Lorsque je visitai Bologne
pour la première fois , les places publiques , les
portes des temples , des palais , des auberges étaient
encombrées de malheureux couverts de haillons et
demandant l'aumône. A mon second voyage , Bologne
faisait depuis quelques années portion du
royaume d'Italie : de nouveaux établissemens avaient
été formés; des maisons de travail avaient été créées ;
je les vis en pleine activité , parfaitement administrées
, et je fus aussi surpris que charmé de parcourir
toute la ville sans rencontrer un seul mendiant.
Les Bolonais sont généralement laborieux ,
amis de l'indépendance , et savent allier le goût des
plaisirs , des sciences et des beaux-arts . Qui n'a pas
entendu parler du fameux Institut , fondé par le
savant Marsigli ? M. Petit-Radel , dont l'ouvrage est
plein de recherches curieuses , me paraît ici beaucoup
au-dessous de lui-même : il félicite Bologne
d'avoir été le berceau de plusieurs femmes célèbres ,
et pourtant il se borne à citer madame Martinelli ,
aimable personne qui parle très-bien le français
quoiqu'elle ne soit jamais venue en France. Certes ,
voilà un singulier genre de célébrité , et une grande
illustration pour la ville de Bologne ! M. Petit-Radel
ignorait-il que dans le sein de l'académie créée par
Marsigli , Laure - Marie - Catherine Bassi obtint le
doctorat et une chaire de philosophie ! C'est-là que
j'ai vu l'intéressante Clotilde Tambroni , professeur
de langue et de littérature grecques , traduire en
vers italiens les plus belles odes d'Anacreon ; c'est
FÉVRIER 1815.
277
là que Marie Dalle Donne fut proclamée , en 1800 ,
doctrice en philosophie et en médecine , après avoir
soutenu de la manière la plus distinguée une thèse
latine d'anatómie et de physiologie .
La bibliothéque de l'Institut est riche en livres
imprimés et en manuscrits . Le conservateur , Pompilio
Pozzetti , s'est acquis , je ne sais comment , une
haute réputation . J'ai vu avec beaucoup plus d'intérêt
l'archéologue Schiassi , l'helléniste Butturini ,
l'agronome Rè , le chimiste Salvigni , le physicien
Baccelli, le physiologiste Azzoguidi, le thérapeutiste
Ungarelli , tous professeurs de l'université.
Après avoir fait une excursion aux admirables
cascades de Terni , M. Petit -Radel reprend la route
de Rome , et s'arrête aux portes de cette ville célèbre
, en terminant le premier volume de son ouvrage.
C.***.
HISTOIRE DU PROCÈS DE LOUIS XVI , dédiée à Sa
Majesté Louis XVIII ; par MAURICE MÉJAN ,
avocat, chevalier de l'ordre du Lion de Bavière ( 1 ).
L'HISTOIRE du procès de Louis XVI était un
ouvrage indispensable ; c'était surtout un ouvrage
difficile . Il y avait beaucoup de générations à instruire
, mais il y avait une génération à juger.
( 1) Deux vol. in-8°. Prix 12 fr . , et 15 fr. franc de port. Chez
Patris , imprimeur , rue de la Colombe; et chez Favre , libraire ,
au Palais-Royal.
278 MERCURE DE FRANCE ,
Elle était indispensable pour venger la nation de
tant d'imputations calomnieuses , si souvent et si
odieusement hasardées par les journaux étrangers ,
dans le dessein de prouver que la mort de LouisXVI
était le crime de la France. Elle était indispensable
pour venger la nation de l'impudente assertion
des prétendus juges du roi , qui osaient soutenir
que la nation avait provoqué ce forfait exécrable
, ou qu'elle l'avait approuvé.
Elle était difficile , puisque l'historien écrivait en
présence des hommes qui s'étaient rendus coupables
de cet attentat ; quand ces hommes exerçaient
encore des fonctions publiques , des emplois élevés ;
et quand ils ne répondaient à la clémence du monarque
, qu'en affectant une attitude menaçante et
audacieuse qu'ils avaient oubliée sous le tyran .
On doit savoir gré à M. Méjan de s'être livré à
ce travail important. On doit le féliciter de l'avoir
exécuté de manière à mériter que S. M. lui permit
de le publier sous ses auspices.
Son livre , que nous avons lu avec attention ,
offre selon nous le recueil le plus exact , le plus
complet , le mieux ordonné de tous les renseignemens
qu'on peut désirer sur l'événement le plus
déplorable de l'histoire . On croit assister aux séances
de ce sénat égaré ou furieux , qui foula aux pieds
toutes les lois divines et sociales ; on croit entendre
les forcenés qui se disputaient l'affreuse gloire d'outrager
leur victime ; on saisit avec facilité tous les
fils de cette trame infernale ; on y trouve enfin les
FÉVRIER 1815.
279
preuves les plus authentiques qu'elle appartient toute
entière àun petit nombre d'hommes que l'histoire
condamnerait à une horreur éternelle , si le testament
de Louis XVI ne les avait absous , et si
Dieu ne leur laissait pas la ressource du repentir .
M. Méjan a d'autres titres à la reconnaissance de
ses lecteurs ; il a cherché , recueilli , publié des
pièces originales et rares de la plus grande importance
; certaines par exemple qui sortent de la plume
de Louis XVI , et qui placentce prince à la tête des
hommes les plus distingués par leurs lumières et
par la noblesse de leur caractère comme à la tête
des meilleurs rois. Nous en citerons une qu'on ne
peut lire sans avoir les yeux noyés de larmes , et
qui donne l'idée la plus juste et la plus élevée de
celui qui l'écrivait, et de celui à qui elle était adrssée.
C'est la lettre du roi à son frère , le lendemain du
10 août :
A MONSIEUR.
Dans le seinde l'assemblée nationale , 11 août1792.
« Le sang et le feu ont tour àtour signalé l'af-
>> freuse journée d'hier , mon cher frère. Contraint
>> de quitter mon palais avec ma famille , de cher-
» cher un asile au milieu de mes plus cruels enne-
>> mis , c'est sous leurs yeux mêmes que je vous
>>> trace pour la dernière fois peut-être mon affreuse
>>position. François Ier. dans une circonstance pé-
>> rilleuse écrivit : Tout est perdu , hors l'honneur.
>>>Moi je n'ai plus d'autre espoir que dans la justice
> de Dieu , dans la pureté des intentions bienfai
280 MERCURE DE FRANCE ,
>> santes que je n'ai cessé d'avoir pour les Français.
>> Si je succombe , comme tout me porte à le croire,
>> souvenez-vous d'imiter Henri IV pendant le siége
>> de Paris , et Louis XII lorsqu'il monta sur le
>> trône.
>> Adieu ; mon coeur est oppressé. Tout ce que
» je vois , tout ce que j'entends est fait pour m'af-
>> fliger. J'ignore quand et comment je pourrai
>>>vous écrire .
» LOUIS » .
Félicitez-vous , Français , d'avoir vécu sous deux
frères si dignes l'un de l'autre ! Louis XVI a dit à
Louis XVIII , souvenez-vous de Henri IV et de
Louis XII , et Louis XVIII s'en est souvenu. Ces
quatre noms étaient faits pour aller ensemble .
L'ouvrage de M. Méjan n'est pas seulement recommandable
sous les rapports que nous venons
d'indiquer , il l'est encore par le zèle que l'auteur
a mis à recueillir tout ce qui pouvait constater ,
non l'innocence de Louis XVI qui n'a jamais été
douteuse , même pour ses bourreaux , mais les
droits qu'il avait à l'amour de la nation ; non l'innocence
de la nation qui n'a jamais été douteuse ,
même pour ses accusateurs , mais les actes de courage
et de fidélité qui signalèrent son dévouement.
C'est-là , comme dans un monument consacré à la
mémoire des justes , que se retrouve l'histoire héroïque
de Manuel , de Kersaint, de Noël , de Rouzet
, de Dalmas ; la généreuse protestation de Marignié
et de Le Joyant, et une compensation toute
:
FÉVRIER 1815. 281
1
entière de vertu et de sang ! C'est-là que s'est manifesté
pour la premtère fois le voeu touchant de la
France pour la solennité expiatoire dont nous venons
d'être les témoins. C'est-là qu'on peut lire
à tout moment des réflexions fortes et sensées
comme celles que nous copions presque au hasard ,
parce que nous n'aurions eu d'ailleurs que l'embarras
du choix :
<<En présentant l'histoire du procès de Louis XVI
>> dans tous ses détails , tour à tour horribles et hé-
>> roïques , nous avons averti les nations de la fu-
>> neste influence que les passions les plus odieuses
>> peuvent exercer sur les hommes sans principes;
>> les passions les plus nobles , sur les hommes qui
>> ont plus d'esprit que de sens ; et la terreur enfin ,
>> sur les hommes sans caractère . Nous avons cru
>> que cet avertissement ne serait pas perdu pour
>> les nations qui vivent sous un gouvernement re-
>> présentatif , et pour la nôtre en particulier.
>> C'est en effet (nous le croyons du moins ) en
>> lisant avec attention le procès de Louis XVI , que
>> les corps électoraux se pénétreront de la sainteté
>> de leurs devoirs et s'imposeront la loi de n'y man-
» quer jamais .
>>C'est là qu'ils apprendront toute l'importance
» qu'ils doivent attacher désormais au choix des
>> hommes qu'ils appellent à représenter la nation ;
>> c'est là qu'ils trouveront la preuve que des choix
>> inconsidérés peuvent compromettre , non-seule-
» ment le bonheur , mais la renommée de la patrie ;
282 MERCURE DE FRANCE ,
>> c'est là qu'ils liront en caractères indestructibles
>> que , dans le choix de leurs députés , ils doivent
>> compter pour tout l'honneur , la fermeté de ca-
>> ractère , le bon sens des candidats , et pour bien
>> peu de chose l'esprit et l'éloquence qui ne seraient
>>pas accompagnés des qualités plus essentielles que
>> nous venons d'indiquer.
>>On ne saurait trop le répéter , et l'histoire du
>> procès de Louis XVI le dit mieux et plus haut
>> que nous ne pourrions le dire , les électeurs d'une
>> nation dont l'honneur a toujours été la devise ,
>> sont infidèles à leur premier devoir s'ils oublient
>> que, pour être dignes de leur choix , il faut justi-
>> fier avant tout d'une réputation d'honneur , in-
>>> contestable et incontestée .
>>> Et qui doute en effet que le sentiment de l'hon-
>> neur ne puisse produire dans la carrière civile
>> des actions aussi héroïques que dans la carrière des
>> armes ? Certes , le chevalier d'Assas ne fut ni plus
>> beau , ni plus grand en criant : A moi , Auvergne !
>> que ne l'a été , par exemple , le député Duchastel
>> en se faisant porter malade au sein de la conven-
>> tion pour y voter contre la mort de Louis XVI ,
>> car ce député n'ignorait point que par cet acte
>>de courage et d'honneur il votait sa propre mort ».
L'ouvrage de M. Méjan réunit , suivant nous ,
trois genres de mérite très-rares , la sagesse des principes
, l'exactitude et le talent. Χ.
FÉVRIER 1815. 283
HISTOIRE DE LA CAMPAGNE DE 1814 et de la Restauration
de la monarchie française , avec des
pièces justificatives ; par M. ALPHONSE DE BEAUCHAMP
.-Deux vol . in-8 °. - Prix 13 fr. 50 cent . ,
et 16fr. par la poste .-A Paris , chez Lenormant,
imprimeur-libraire , rue de Seine .
PREMIER ARTICLE.
DEPUIS long-temps on assure , avec trop de fondement
sans doute , que le champ de la littérature
est devenu une arène où les auteurs de nos jours
ne descendent guère que pour combattre. Ne pourrait-
on pas le comparer aussi , avec quelque raison ,
à une lice où il ne s'agit le plus souvent que de se
disputer le prix de la course ? Aussitôt qu'un sujet
se présente , vingt écrivains sout là pour s'en emparer.
C'est à qui devancera l'autre de quelques semaines
ou même de quelques jours. Cette précipitation
, déjà très-nuisible aux sujets purement littéraires
, est l'écueil le plus redoutable pour quiconque
veut écrire l'histoire , et surtout l'histoire
contemporaine. Tremblant toujours d'être prévenu
dans la carrière , l'auteur n'est occupé , pour ainsi
dire , qu'à regarder derrière lui , et chaque nouvelle
appréhension lui fait redoubler de vitesse. Comment
veut-on qu'il lui reste du temps pour comparer ,
pour discuter les témoignages et les relations qui
lui servent de matériaux ? A peine a-t-il celui de
leş analyser et d'en faire un résumé , qu'il présente
284 MERCURE DE FRANCE ,
àses lecteurs comme une histoire complète et exacte.
Et cependant , que doit-on voir en lui ? Un abréviateur
de journaux , qui a pu épargner quelques
recherches aux curieux , mais qui ne servira pas
même de guide aux historiens futurs.
Il était facile de prévoir les objections . Aussi
M. de Beauchamp a - t - il consacré la plus grande
partie de sa préface à tâcher de les détruire , ce qui
était plus difficile. Aqui persuadera-t-il qu'il ait pu,
en quelques mois , ajouter aux soins qu'exigeait la
rédaction d'un ouvrage aussi considérable , tous
ceux que l'exactitude du récit et la discussion scrupuleuse
des faits auraient exigé ? Aussi qu'est - il
résulté de cette précipitation , nécessitée en quelque
sorte par les causes que je viens d'exposer ? Beaucoup
d'erreurs de détails , faciles , il est vrai , à rectifier
, mais qui nuisent toujours à cette confiance
qu'un historien ne saurait trop inspirer aux lecteurs .
Je n'entends rien préjuger ici sur les reproches
faitsà l'auteur relativement à des erreurs qui seraient
d'une nature beaucoup plus grave , puisqu'elles
pourraient flétrir la réputationde plusieurs citoyens .
Quand , par l'effet d'une accusation , les tribunaux
sont appelés eux-mêmes à prononcer sur l'exactitude
d'un récit , la critique doit s'interdire toute discussion
préliminaire et respecter des droits supérieurs
aux siens .
Lorsque je m'occuperai de la seconde partie de
l'ouvrage de M. de Beauchamp , je parlerai de
certainesréclamations beaucoup moinsimportantes,
FÉVRIER 1815. 285
relatives aux événemens des premiers jours de la
restauration , adressées aux journaux par quelques
personnes mécontentes du silence de l'auteur.
L'amour-propre offensé seul exige moins de ménagemens
, et la critique peut sans inconvénient évoquer
à son tour de pareilles causes à son tribunal ,
qui ne doit jamais frapper les coupables que de
ridicule.
Loin de moi l'idée de faire à M. de Beauchamp
un reproche plus sérieux et non moins injuste , en
le blamant de n'avoir point conservé dans la peinture
d'une aussi heureuse révolution ce calme ,
cette impassibilité que de froids censeurs voudraient
exiger de l'historien. Malheur à qui pourrait retracer
sans indignation les excès de la tyrannie , parler
sans émotion du retour inespéré d'un souverain
chéri , peindre avec la même indifférence les ravages
du génie de la destruction , et les bienfaits
de l'autorité légitime ! Qui ne hait point assez le
crime , a-t-on dit avec raison , n'aime point assez la
vertu. Non, ce n'est pas avec la froideur d'un narrateur
compassé qu'il révèle les forfaits de Néron et
de Domitien , l'écrivain caractérisé par ce vers heureux
:
Quand il peint les tyrans ils sont déjà punis .
N'oublions pas cependant que l'histoire n'est
point la satire . Juvénal accuse les grands coupables
et Tacite les condamne. M. de Beauchamp me paraît
avoir bien saisi cette nuance ; il ne déclame
286 MERCURE DE FRANCE ,
point contre l'oppresseur de la France , mais en sa
qualité d'historien , il lui prononce son arrêt , et
son indignation n'est que celle d'un juge convaincu.
Partout l'auteur de la Campagne de 1814 rend
l'hommage le moins équivoque à la valeur des
armées françaises, de ces phalanges contre lesquelles
il a fallu voir ligués les élémens , l'Europe entière et
la démence de leur chef, pour qu'elles cessassent un
moment de vaincre; mais quelques personnes auraient
voulu qu'en retraçant les succès des troupes
étrangères sur le territoire de la France , il eût fait
sentir davantage , dans ses récits , cette vérité proclamée
par M. de Châteaubriand , au moment même
où l'armée Européenne entrait dans Paris : « Les
>> souverains alliés croient-ils qu'ils seraient par-
>> venus aussi facilement jusqu'au Louvre , si les
>> Français n'avaient espéré en eux des libérateurs » ?
Il faut pardonner cette susceptibilité à cet honneur
national , non moins délicat , non moins facile à
s'alarmer que la pudeur , et respectable jusques
dans ses craintes les moins fondées. Mais les intentions
de l'auteur ne sont-elles pas suffisamment justifiées
par le dévouement sincère que respire son
ouvrage pour l'auguste famille des Bourbons , et
surtout pour ce prince magnanime , qui , en remontant
sur le trône , a solennellement déclaré que la
gloire des armées françaises était le plus bel apanage
de sa couronne , comme le plus ferme appui de son
pouvoir? Qui pourrait avoir la pensée de porter la
FÉVRIER 1815. 287
moindre atteinte à cette gloire que le monarque a ,
pour ainsi dire , adoptée ?
Suivons donc sans crainte M. de Beauchamp dans
ses récits , pourvu que nous conservions un doute
raisonnable sur des détails de campemens, de marches
, de contremarches , etc. , peu importans , au
surplus , pour des lecteurs qui n'ont point étudié le
terrible art de la guerre , et que nous ne demandions
que ce qu'on peut appeler la partie visible de l'histoire,
à un écrivain trop pressé de décrire les résultats
pour avoir beaucoup réfléchi sur les causes.
Un tableau de l'élévation et de la puissance de
Buonaparte devait précéder celui de sa chute. Il
est le sujet du premier livre de cet ouvrage. Trop
souvent simple narrateur dans la suite de cet écrit ,
l'auteur se montre ici véritablement historien . II
retrace avec une rapide énergie , les premiers triomphes
et les premiers crimes de cet héritier de la révolution
, qui , feignant d'abord d'être satisfait du
titre modeste de consul , scelle bientôt son pacte
avec les régicides par l'assassinat d'un Bourbon ,
« et n'osant pas être roi , s'élève à la dignité d'em-
>> pereur » .
« Mais il croit ne pouvoir régner sur la France
» qu'en bouleversant l'Europe. Il jette d'abord le
>> désordre dans tous les cabinets et la confusion
>> dans toutes les relations politiques » .
... < Bientôt l'empereur-soldat fond à l'improviste
» sur les grandes puissances de l'Europe , qu'il
>> trouve désunies et sans plan de résistance .... La
1
288 MERCURE DE FRANCE ,
>> fraude et le mensonge marchent devant lui; se
>> montre-t-il l'olivier à la main , chaque négocia-
» tion couvre un piége , chaque traité n'est qu'un
>> simple armistice ... Dans l'enivrement de sa puis-
>> sance , il n'imagine point que la nature puisse
>> résister à ses volontés. Les Pyrénées , l'Océan ,
>> l'immensitéde la Russie , n'étonnent point sa pen-
>> sée ; partout où il est des hommes , il se croit
>> appelé à les vaincre » .
Machiavel n'était qu'un enfant , disait , après le
18 brumaire , un homme qui , dans Buonaparte consul
, avait deviné le dominateur de l'Europe. En effet,
par un système plusque machiavélique, la moitié des
ennemis de Napoléon lui avait servi à triompher de
l'autre ; mais bien convaincu qu'il ne pouvait compter
sur aucun de ses alliés tributaires , il forme le
gigantesque projet d'entourer son empire d'une
ceinture de royaumes , qu'il distribuera à ses frères ,
sentinelles avancées de son trône . Une aussi effrayante
ambition tire les antiques souverains de
leur léthargie, La guerre d'Espagne leur avait appris
qu'on pouvait résister à Napoléon; la campagne
de Russie leur apprend qu'on peut le vaincre. Une
coalition redoutable se forme contre lui ; la fortune
qu'il a voulu braver, en reportant la guerre au sein
de l'Allemagne , lui retire entièrement ses faveurs ,
et celui qui n'avait jamais combattu qu'à une grande
distance de ses états , va être attaqué sur son propre
territoire .
Ici commence dans l'ouvrage de M. de Beau
FÉVRIER 1815.
280 SAMBRE
ROY
hamp, le tableau de la campagne de 1814. Les évémens
se pressent; le colosse qui menaçait d'écraser
le monde, perd chaque jour quelque chose de sa
masse. Déjà la Hollande , que Napoléon avait menacéede
rendre à la mer, a secoué son joug tyrannique.
Enfin , l'Alsace et la Franche-Comté sont
entamées; mais la valeur française n'a rien perdu
de son énergie , quoique deux campagnes aussi désastreuses
, aient considérablement affaibli , et cette
force morale d'une armée qui naît du souvenir des
succès , et sa force physique , qui résulte moins du
nombre des hommes que de celui des guerriers
exercés ; le terrain est défendu pas à pas , et après
deux mois d'invasion , aucune place forte n'est encore
tombée au pouvoir de l'ennemi .
,
M. de Beauchamp , au style duquel je me plais à
rendre justice , en reconnaissant qu'il ne se ressent
point de la précipitation de son travail, raconte ,
presque jour par jour , ces différens combats. Cette
minutieuse attention à ne rien passer sous silence
a jeté quelqu'aridité sur cette partie de son ouvrage .
Il aurait dû songer que la curiosité , qui se nourrit
de détails , accueille avec avidité , avant le dénouement,
ceux que lui fournissent les bulletins , rapports
, etc. , et que le lecteur , instruit des résultats ,
demande plutôt à l'historien une explication lumineuse
des faits que des relations circonstanciées.
Espérons que , dans une nouvelle édition , l'auteur
aura le temps d'étre plus court.
Revenons auxévénemens. LaBourgogne, laCham
SLIA
19
290 MERCURE DE FRANCE ,
pagne sont envahies , et Buonaparte est encore dans
les murs de Paris. Frappé d'un esprit de vertige et
d'erreur , il a durement repoussé la vérité que lui
offrait , sous les formes les moins sévères , le corpslégislatif.
« Enfin , il part le 25 janvier; il sort pour
>> la dernière fois du palais des rois , pour opposer
>> aux alliés une activité sans plan et un courage sans
>> prévoyance » .
Je m'arrête à cette époque remarquable , bientôt
les Bourbons vont débarquer sur le sol paternel où
les appellent tous les voeux. Leurprésence donnéra
une nouvelle direction à cette guerre mémorable ,
et l'invasion , le plus grand des malheurs qui puisse
peser sur un peuple , va , par une admirable disposition
de la Providence , devenir pour notre patrie un
moyen de salut. E.
DELA RESPONSABILITÉ DES MINISTRES ; par M. BENJAMIN
DE CONSTANT . -Brochure de 100 pages .
- A Paris , chez Nicole , libraire .
On trouve dans l'ouvrage que nous avons sous
les yeux un ton de modération qui dispose favorablement
envers l'auteur , et des preuves de talent
qui imposent à la critique. Ces deux motifs de circonspection
ne pourraient toutefois nous absoudre
d'une connivence répréhensible. Il faut donc , en
dépit de tout scrupule , et sans écouter aucune
crainte , attaquer un ennemi retranché derrière un
mérite reconnu et une longue habitude de succès ;
FÉVRIER 1815.
291
mais pour agir prudemment, je commencerai par
entamer avec lui un pourparler dont la réussite
amènerait bientôt la paix entre nous . La concession
à laquelle j'ose prétendre n'est pas considérable . II
ne s'agit que d'un léger changement dans le titre
de la brochure , et qui pourrait se faire à l'aide d'un
errata ainsi conçu : De la Responsabilité des Ministres
; lisez : De la Responsabilité des Ministres
en Angleterre . Alors je me haterai d'applaudir au
travail de M. Benjamin de Constant. Il m'aura
fourni des éclaircissemens curieux sur un des articles
pratiques de la constitution britannique, et un
supplément fort instructif à l'essai de son compatriote
M. de Lolme. Je n'aurai plus à lui reprocher
des définitions inexactes , des suppositions hasardées
, et des pétitions de principes d'autant plus
facheuses qu'elles discréditent les excellentes raisons
qu'il oppose à l'exagération des défiances antiministérielles
.
M. Benjamin de Constant est atteint d'un singulier
optimisme ; il regarde la constitution d'Angleterre
comme la meilleure possible : soit. Il nous
l'a proposée avant que notre charte constitutionnelle
eût paru : rien de mieux. Il nous a même dit
alors , et il nous répète aujourd'hui , qu'en fait de
législation , il ne faut jamais être arrêté par les disparates
qui se rencontrent entre les institutions et
les peuples, attendu que c'est à ceux-ci de faire leur
éducation . Voilà encore qui est tout simple. Après
avoir manqué notre éducation de 1791 , de 1793 ,
292 MERCURE DE FRANCE ,
1
de 1795, de 1800 et de 1804 , nous sommes trèslibres
de prendre des instituteurs anglais , parmi
lesquels je rangerais volontiers M. Benjamin de
Constant. Ce qui m'étonne , ce n'est point la doctrine
de l'auteur , c'est sa foi qui ne lui fait point
transporter les montagnes , mais bien une constitution
toute entière de Londres à Paris , et qui , malgré
une belle et bonne charte française dont il ne
peut ignorer l'existence , dont il invoque même le
nom, ne lui fait regarder comme lois fondamentales
et constitutives de notre monarchie , que les lois et
même les coutumes de nos voisins. En vain ses voeux
ont été déçus ; en vain , malgré la brochure qu'il
publia au mois de mai dernier , nous avons une
constitution autre que celle d'Angleterre , il s'obstine
à nous voir régis par le gouvernement qu'il a
déclaré être le plus parfait du monde, et il nous
prouve sans doute par là , bien mieux que par l'origine
de ses ancêtres , les droits que nous nous empresserons
de lui reconnaître , en le considérant
comme Français. N'est-ce point là en effet une
marque de patriotisme bien grande qu'il nous
donne , et ne traite-t-il pas la France en amant passionné
, qui voit dans celle qu'il aime jusqu'aux perfections
qu'elle n'a pas ?
Pour moi , qui porte d'autres voeux à ma patrie ,
et qui en comparant notre charte à celle de Jeansans
-Terre , nos codes aux lois normandes , nos
libertés avec le bill des droits , nos chambres avec
celles qui forment la descendance des barons et
i
FÉVRIER 1815.
293
l'élection des francs-tenanciers anglais , je ne puis
me persuader que toutes les monarchies limitées et
constitutionnelles soient identiques; moi qui vois
la nôtre , par exemple , admettre une division toute
différente entre ses pouvoirs , une autre répartition
de richesses , une autre classification d'intérêts , j'en
conclus que la responsabilité ministérielle en France
ne doit point être fixée d'après les rapports , et les
formules empruntées à une constitution étrangère.
Nos ministres doivent être responsables ; ils le sont
par la charte constitutionnelle , mais ils ne le sont
pas , ils ne doivent pas l'être par analogie . C'est
dans l'intérêt public, c'est dans l'équilibre particulier
de nos institutions politiques qu'il nous est prescrit
de chercher les élémens de cette responsabilité.
M. Benjamin de Constant les trouve dans une
définition dont je me garderais bien de constester
l'exactitude , s'il m'accordait d'en faire l'application
exclusive au gouvernement anglais . Je dirais alors
que la distinction qu'il a déjà faite dans un autre
ouvrage entre le pouvoir royal et le pouvoir exécutif
ou ministériel , tels qu'ils existent en Angleterre
, me paraît ingénieuse ; mais s'il s'agit de la
France , je soutiens qu'on y définit, qu'on doit y
définir autrement la nature de l'autorité dont le
monarque est constitutionnellement investi , et j'en
appelle au texte de la charte pour le démontrer. Je
ne pense pas que notre Roi-Législateur ait imaginé
trouver dans les Français , les ambitions rivales d'une
opulente aristocratie , qui , renfermant toujours les
294 MERCURE DE FRANCE ,
élémens d'un double ministère , distribuent les rôles
législatifs selon l'intérêt des partis. Il a dû voir dans
nos conseils nationaux , moins de forces collectives ,
plus de patriotisme individuel , des suffrages,plus
sincères , des ambitions plus indépendantes ; et dèslors
il a conçu un autre système de représentation
et d'équilibre . Cependant , lorsque nous recueillons
chaque jour le fruit de sa sagesse , irons-nous chercher
dans des habitudes étrangères le principe de
notre législation ? Que M. Benjamain de Constant
s'écrie : Ayons un ministère anglais , c'est-à-dire ,
un ministère de parti ; une opposition anglaise ,
c'est-à-dire , une opposition de parti ; une liberté
de la presse dans l'acception anglaise , c'est-à-dire ,
des journaux et des pamphlets à la disposition d'un
parti ; et bientôt nous aurons une responsabilité
des ministres telle qu'il nous la faut , telle qu'aucune
loi positive ne pourrait la définir et la fixer;
mais la voix de M. Benjamin de Constant aura-telle
la force créatrice que se sont yainement attribuée
tant de réformateurs abusés ? Tout d'ailleurs
ne se tient-il pas dans une organisation politique?
et si les conseils qui nous ont été donnés avant la
promulgation de notre charte constitutionnelle n'ont
pu nous faire accorder le droit de naturalisation au
renouvellement simultané de nos députés , à l'hérédité
exclusive de la pairie , aux élections sans intermédiaire
, à l'initiative des chambres , au simple véto
royal , pourquoi de nouvelles invitations nous trouveraient-
elles plus dociles , lorsqu'il ne s'agit plus
FÉVRIER 1815 .
295
seulement d'admettre des lois constitutionnelles ,
mais de nous rendre propres les effets de celles que
nous n'avons pas adoptées ? M. Benjamin de Cons=
tant ne peut-il , ne veut-il renoncer à Genève qu'en
se faisant naturaliser Français avec toute une constitution?
Nous avons trop de discernement pour accepter
un marché dont nous aimons à croire que sa
modestie a seule dicté les conditions.
En faisant remarquer la source étrangère où il
puise ses principes , nous avons suffisamment fait
apercevoir dans quelles méprises il doit tomber.
Aussi débute-t-il par affirmer que dans toute monarchie
constitutionnelle le pouvoir royal est une
« autorité neutre et préservatrice qui départage les
>> pouvoirs actifs en cas de dissentiment » ; tandis
que cette proposition , comme nous l'avons déjà
observé , est contredite par nos lois , désavouée par
nos voeux et par nos besoins. Nous avons une monarchie
constitutionnelle qui ne distingue point ,
qui ne sépare point ainsi le monarque de ses ministres
, parce qu'une telle distinction serait maintenant
injurieuse au souverain dont la volonté a fixé
nos heureuses destinées , et offrirait dans tous les
temps une impraticable extension de l'autorité ministérielle
. Les ministres , que l'on nomme aussi en
Angleterre les serviteurs de la couronne , n'y sont
en réalité revêtus de la puissance exécutive que
parce qu'ils forment la tête d'un parti ; mais l'existence
de deux partis qui se disputent le pouvoir ,
est- elle indispensable à une monarchie constitution
296 MERCURE DE FRANCE ,
nelle? M. Benjamin de Constant se déclare implicitement
pour l'affirmative ; mais je ne pense pas
que sa doctrine fasse beaucoup de prosélytes parmi
nous . Les Français sentiront plutôt l'avantage que
leur assure une constitution où les bornes de la
puissance royale sont posées d'après une plus noble
et plus juste idee de notre caractère national ; où
l'on a placé le monarque comme un père au milieu
de son conseil de famille , et où ne pouvant , où ne
voulant pas fonder sa liberté sur la base aristocratique
des rivalités parlementaires , on lui a donné
pour appui des intérêts plus calmes , des combinaisons
plus assorties aux sentimens d'une nation fière
et sensible qui dédaigne le patriotisme simulé d'une
opposition systématique , comme elle veut aimer
dans ses Rois les bienfaits qu'elle veut devoir à leurs
vertus .
Sans tenir compte , même de ces dissemblances ,
entre deux constitutions où l'on prétend à toute
force ne rencontrer que de parfaites analogies , comment
du moins ne pas apercevoir les singulières
concessions que prescriraient les principes dont on
nous propose l'application ? Si le pouvoir royal est
tel qu'on nous le dépeint , un pouvoir neutre et
départageant , et que l'autorité ministérielle soit la
seule agissante , en raison de sa responsabilité ,
comme par notre constitution l'initiative des lois
n'appartient pas aux chambres, il s'ensuivrait qu'elle
n'appartiendrait qu'aux ministres. Les voilà done
législateurs, et en cette qualité, pouvant revendiquer
FÉVRIER 1815.
297
leur portion d'inviolabilité ; les voilà chargés de faire
exécuter les lois , et comme tels , responsables envers
elles. Cette simple observation suffit pour restituer
pleinement au roi cette portion de la puissance
législative , qui s'allie si naturellement à son
inviolabilité et à ses autres droits . Dans tous les cas
on sent que l'espèce de volonté active dont il doit
sans cesse faire usage en exerçant une semblable
initiative , le place dans une situation totalement
différente de celle où se trouve le roi d'Angleterre.
L'erreur la plus ordinaire de ceux qui traitent la
question de la responsabilité des ministres , est de
ne point chercher dans une loi commune à tous les
gouvernemens , le principe de cette responsabilité ,
qui ne pèse pas en tous lieux , de la même manière ,
sur les agens de l'autorité , mais qui n'en est pas
moins partout une loi expresse ou tacite , à laquelle
ils doivent être assujétis. Le despotisme se
rapproche en cela , comme à beaucoup d'autres
égards , de la démocratie , et c'est dans ces deux
gouvernemens que la responsabilité des hommes
d'état porte le caractère le plus redoutable. En effet ,
le cordon de Constantinople et l'ostracisme d'Athènes
, ont été toujours regardés comme un frein
cruel , mais nécessaire au pouvoir arbitraire d'un
visir , comme au dangereux ascendant d'un magistrat
populaire. Dans les monarchies tempérées ,
où des lois plus stables , des moeurs plus douces , ont
établi , sur ce point , des usages moins sévères ,
l'homme en place , exposé à la censure publique ,
-
298 MERCURE DE FRANCE ,
n'échappe guère à la catastrophe dont elle menace
ses malversations , ou même son incapacités Enfin ,
dans les pays qui , comme l'Angleterre , confient le
dépôt des lois à un corps de représentans , il est évident
que la surveillance , dont les ministres sont
l'objet , devenant plus constante , et la voix publique
ayant toute la force que lui donnent les organes
légaux qu'elle se choisit , la responsabilité y devient
, par là même , une loi plus rigoureuse et plus
religieusement observée. S'ensuit-il , néanmoins ,
qu'elle y puisse être plus légalement fixée , plus explicitement
définie; je ne le crois pas : je ne connais
point , en Angleterre , de statut relatifà cet objet
particulier. Les Anglais ont pensé que la responsabilité
des ministres , lorsqu'elle sortait des
crimes d'état , ou des délits individuels , ne reposait
plus que sur l'ensemble des institutions et sur l'équilibre
des pouvoirs , et quoique M. Benjamin de
Constant ait avancé que toutes les fautes d'un ministre
doivent être imputées à la trahison , jamais
cette doctrine n'a été consacrée par la constitution
à laquelle il emprunte son évangile politique . ›
Avant de terminer ces réflexions , où l'on apercevra
que je n'ai pas tant cherché à rendre compte
d'un ouvrage auquel le nom de son auteur a dû
déja donner trop de vogue pour ne pas en rendre
l'analyse superflue , qu'à relever les erreurs qui s'y
rencontrent , en opposant de simples faits à de hasardeuses
théories , je veux revenir sur une méprise
fondamentale à laquelle j'attache la plus haute im-
5
FÉVRIER 1815.
299
portance. C'est dans la responsabilité des ministres
que M. Benjamin de Constant aperçoit la preuve
de leur indépendance absolue du pouvoir royal
proprement dit ; et , de son raisonnement, pris dans
toute sa rigueur , il résulterait que le monarque qui
les emploie n'aurait jamais un ordre à leur donner.
Cependant , même en Angleterre , dout la constitution
admet bien plus que la nôtre , ainsi que je l'ai
déjà remarqué , les principes de l'auteur , l'on n'en
a jamais tiré de semblables conséquences . Dans une
conjoncture récente, la volonté personnelle du souverain
y a prévalu sur l'autorité des conseils qui lui
suggéraient de faire participer les catholiques aux
droits et priviléges de ses autres sujets , sans que
jamais on ait regardé une pareille manifestation de
son pouvoir royal comme inconstitutionnelle . Les
ministres seuls sont attaqués , parce que le roi ne
pourrait l'être sans ébranler tous les principes du
gouvernement. C'est une fiction qui d'ailleurs existe
dans toutes les monarchies , même dans celles où
l'on est loin de supposer au souverain une force
dépourvue d'action et de volonté. Là , comme en
Angleterre , avec d'autres formes il est vrai , et une
bien moindre autorité , les remontrances du peuple
n'inculpent que les conseils et la conduite des ministres
. Là comme en Angleterre , lorsqu'il est question
de censurer la puissance souveraine , ce n'est
jamais qu'à ses agens amovibles et responsables que
l'on impute le mal dont leur éloignement offre le
facile remède. Sans cette supposition salutaire ,
1 300 MERCURE DE FRANCE ,
lors même qu'elle ne serait pas fondée , quel moyen
praticable existe-t-il de redresser de pareils griefs ?
Les ministres justiciables au tribunal des rois , à
celui de l'opinion , à celui des corps représentatifs ,
n'en sont pas moins dans la dépendance du monarque
qui les choisit , mais qui , ne pouvant les forcer
à rester dépositaires de son pouvoir , ne leur
fait jamais encourir injustement le blame qui résulte
de leur responsabilité.
J'aurais pu découvrir dans l'ouvrage de M. Benjamin
de Constant quelques autres opinions à contester
; j'y aurais rencontré bien des argumens àfaire
valoir contre les erreurs qu'il combat et même contre
celles qu'il adopte ; mais je me suis trouvé entraîné
loin de cet examen détaillé par deux ou trois idées
que je n'ai pas même suffisamment approfondies ,
pour éclaircir plusieurs questions constitutionnelles
sur lesquelles il est si important de s'entendre et si
dangereux de se tromper.
Ces réflexions ne seront pas tout à fait stériles , si
elles paraissent de nature à exercer la méditation
des hommes expérimentés , qui savent se garantir
des illusions des théories , et qui , toujours en garde
contre les conséquences pernicieuses que l'on peut
tirer d'un principe mal établi , s'occupent constamment
des moyens d'assurer le triomphe de la raison
sur les méprises du talent :
On le peut, je l'essaye , un plus savant le fasse.
J.
FÉVRIER 1815. 301
BULLETIN LITTÉRAIRE.
SPECTACLES.
THEATRE FRANÇAIS .- ON annonce beaucoup de nouveautés à
ce théâtre ; mais on les annonce long-temps , et elles durent peu.
La reprise de Ninus avait attiré lundi un grand nombre de spectateurs
, une indisposition de mademoiselle Bourgoing est venue à
la traverse : et quoique Ninus soit , de toutes les tragédies trèsnouvelles
, celle qui a été le mieux accueillie par le public et qui a
conservé le plus de part à sa faveur , il s'est fort bien arrangé d'une
tragédie ancienne , le Manlius de la Fosse. Cette pièce , excel-
Iente sous beaucoup de rapports , n'a presque pas souffert de l'improvisation
, et tous les acteurs savaient plus ou moins leurs rôles ,
ce qui n'arrive pas toujours dans des représentations plus longuement
préparées . Talma ne cesse pas d'être étonnant dans Manlius ,
même pour ceux qui l'y ont trouvé étonnant dix fois. , c'est l'imitation
la plus parfaite à laquelle l'art puisse parvenir , ou plutôt
c'est la nature et Manlius lui-même. Le caractère de Rutile , qui
estle plus impassible qu'on ait jamais conçu , conviendrait merveilleusement
à Saint-Prix , s'il ne mettait pas quelquefois une
froideur glaciale et malheureusement contagieuse à la place d'une
gravité austère. Damas serait meilleur encore dans celui de Servilius
, s'il ne mettait pas trop souvent le délire à la place de la chaleur.
Mademoiselle Petit est la plus belle de nos actrices , et dans
certains endroits de ses rôles , elle justifie toutes les espérances que
ses débuts ont données. Elle a besoin d'étudier , de sentir et de
chercher dans son propre coeur des moyens d'effet que son maître
n'a pas pu lui enseigner , et auxquels elle ne supplée que par un
artifice pénible ; je veux parlerde cette concentration fausse qu'elle
essaye d'exprimer par une roideur convulsive des membres et par
un tremblement factice de la voix. Il est visible qu'elle doit cette
mauvaise pratique à une mauvaise école , et il lui est aisé de s'en
A
302 MERCURE DE FRANCE ,.
défaire . Elle n'a qu'à lire , se rendre compte de ce qu'elle lit , et
dire ce qu'elle éprouve , sans mettre une recherche affectée dans
l'expression. La nature a tant fait pour elle qu'elle ne peut que gagner
à se défier de l'art .
Après Manlius , on a donné l'Ecole des Maris , jouée comme
on joue ce malheureux Molière au Théâtre Français , et comme on
ne le joue que là depuis qu'il n'est plus de bon ton. Il faut convenir
cependant que mademoiselle Volnais n'a pas méprisé le rôle d'Isabelle
, et l'a rempli en conscience , c'est-à-dire , avee l'intelligence
et la finesse dont elle est capable. Je doute qu'on s'en acquitte aussi
bien en province , où Molière n'est pas si dédaigné qu'à Paris , et
où l'on accorde encore quelques soins à la représentation de ses
pièces. C. N.
On a exposé , la semaine dernière , dans une salle du palais des
Beaux-Arts , une collection intéressante de dessins d'architecture
envoyée de Rome , suivant l'usage annuel , par les élèves pensionnaires
de l'Académie de France . Les dessins de cette année offrent
presque tous des restaurations de monumens antiques .
M. Huyot a fourni celle du Temple de la Fortune à Palestrina ,
petite ville située à vingt-trois milles de Rome , sur le penchant
d'une des montagnes des Apennins , dans le Latium. Ce travail ,
très-considérable , a nécessité des recherches très-multipliées ,
puisque la ville actuelle est bâtie presque en entier sur les ruines
de divers monumens qui se rattachent à l'ensemble du temple , et
dont les restes se trouvent enclavés dans les maisons de la ville .
Cette restauration se compose de six grands dessins , savoir : deux
plans , dont l'un indique l'état présent de Palestrina avec les restes
des constructions antiques ; l'autre plan est celui du temple avec ses
bâtimens accessoires , tel que l'auteur suppose qu'il pouvait être :
une élévationdes constructions antiques qui subsistent encore ; une
autre élévation d'après le plan restauré; enfin , trois coupes : deux
de l'état actuel des bâtimens antiques , la dernière d'après l'élévation
restaurée.
FÉVRIER 1815. 303
M. Le Clerc a choisi pour objet de ses études le Panthéon de
Rome : vingt et un dessins sont le fruit de ce travail immense , et
donnent une idée très-exacte non-seulement de l'état actuel de l'édifice
, mais encore de ce qu'il pouvait être avant les dégradations
qu'il a éprouvées à différentes époques. On ne pense pas qu'il soit
possible de donner sur ce magnifique monument des indications
plus sûres et plus complètes. Tout , jusqu'aux moindres détails , a
étémesuré et examiné avec une scrupuleuse exactitude ; et , dans
ses hypothèses , l'auteur paraît fondé en raisons .
Le Panthéon , en comparaison des autres édifices de Rome , a
souffert peu de dégradations . M. Le Clerc a joint aux plans de ce
monument , tel qu'il est aujourd'hui , des élévations et des coupes
qui permettent de comparer son état ancien avec son état actuel.
Plusieurs dessins , très-soigneusement exécutés , sont consacrés aux
détails , et donnent une idée très-satisfaisante de la belle construction
des Romains et des riches profils de leur architecture . Cette
restauration , qui ferait honneur aux maîtres les plus habiles , assure
incontestablement au jeune artiste qui s'en est occupé , un
rang très-distingué dans notre école. Le travail de M. Le Clercet
celui de M. Huyot que nous venons de citer, méritent d'être placés
en première ligne. Les recherches de ce dernier piquent peut-être
davantage la curiosité , celles de son émule sont appuyées sur des
notions plus certaines .
M. Gauthier a fourni , sur le Temple de la Paix à Rome , un
plandes constructions encore existantes et de celles qu'il a ajoutées
pour rétablir l'ensemble de l'édifice d'après des restes authentiques
et les versions de divers auteurs . Plusieurs dessins font connaître les
détails du même monument , et quelques fragmens de constructions
antiques trouvés dans les fouilles . L'auteur y a joint les dessins du
Temple de Jupiter Stator et de la Clef de l'Arc de Titus .
1
M. Suye en a donné quatre sur le Temple de Mars Vengeur ;
trois autres sur le Temple de Marcellus ; M. Châtillon , cinq dessins
sur la Colonne Trajane ; M. Provost , plusieurs études du Temple
de Jupiter Tonnant , à Rome . Ce travail ,moins important que les
1
304 MERCURE DE FRANCE ,
précédens , est néanmoins d'un grand intérêt , en ce qu'il fait voir
dans toutes leurs parties les trois colonnes qui subsistent seules de
ce templed'une immense proportion , dégagées des terres qui les
couvraient aux trois quarts de leur hauteur.
Des six élèves que nous venons de nommer , trois ont déjà terminé
leurs études à Rome, et sont de retour à Paris : ce sont
MM. Huyot , Le Clerc et Provost. L'école d'architecture ne s'était
depuis long-temps montrée aussi brillante qu'elle l'est aujourd'hui .
Nous regrettons de n'en pouvoir dire autant de l'école de peinture
à Rome. On vient d'exposer les travaux des pensionnaires dans le
même local. Il en sera question dans un article prochain , en attendant
que la classe des beaux-arts de l'institut , à l'examen de laquelle
ils sont soumis , ait prononcé sur le mérite respectifde ces
divers ouvrages . Nous ferons connaître ensuite le rapport de la
classe. C. P.
Les deux morceaux de sculpture les plus importans de l'exposition
actuelle au salon , sont l'Hercule de M. Bosio , et l'Oreste de
M. Dupaty ; ils se partagent l'attention et les suffrages du public ,
et ne laissent pas néanmoins d'exercer diversement la critique.
L'Hercule , de grandeur colossale , est représenté terrassant
Achéloüs , métamorphosé en serpent. Dans le groupe d'Oreste on
voit ce jeune héros tourmenté par une Euménide au moment où il
vientde poignarder Clytemnestre. Les figures ont de six à sept pieds
deproportion.
Nous n'entreprendrons pas un examen détaillé de ces deux ouvrages
; nous nous bornons à dire que l'opinion des personnes ,
dont le jugement peut être de quelque poids , s'accorde assez généralement
sur leur mérite très-réel comme sur leurs imperfections.
Nous avons été à portée de recueillir , au licu même de l'exposition
, les observations suivantes :
La pose de l'Hercule est un peu académique , et l'intention qu'a
eue l'auteur de faire pyramider cette figure n'est peut-être pas
FÉVRIER 1815. 305
exempte d'affectation. Les muscles des membres et du corps ,également
tourmentés , forment , sous ce rapport , une disparate trèssensible
avec ceux du visage , dont les traits manquent d'actionet
sout peu expressifs. On a cru remarquer des inexactitudes de pro
portion : le bras droit est un peu court , le bas du torse a peu
serré pour l'ampleur des cuisses. Quelques détails , fruits d'une mi
tation individuelle , laissent désirer une exécution plus large. Au
surplus , ce morceau , digne d'éloges , se distingue par un aspect
imposant , par la facilité et le fini du travail. L'auteur qui , jusqu'à
ce jour , n'avait produit que des compositions d'un style gracieux
, a montré qu'il pouvait s'élever aux conceptions sévères et
énergiques. On regrette que la figure du serpent n'ait pas été traitée
plus largement. On eût préféré à l'extrême fidélité des plus
petits détails , une exécution même un peu plus négligée ; celle de
l'objet principal brillerait avec plus d'avantage.
с.
La scène d'Oreste , par M. Dupaty , n'a peut-être pas été conçue
dans tous les rapports de composition , de liaison et d'agencement
qui constituent , selon les idées consacrées par l'habitude , ce
que l'on nomme rigoureusement un groupe en sculpture. Quelques
personnes ont cru même y reconnaître l'intention première de produire
un bas-relief , dont l'auteur aurait , au moment de terminer
son travail , dégagé les figures du fond , pour les offrir ensuite de
ronde bosse , et les rendre visibles sur toutes les faces. Peut-être
aussi n'y trouve-t-on pas cette exacte unité de style sans laquelle il
n'y a point d'ensemble parfait. Le style dans lequel M. Dupaty a
traité la figure de l'Euménide, figure d'un grand et beau caractère,
et dans le goût de l'antique , contraste évidemment avec celui de
l'Oreste qui semblait demander des formes plus soutenues , et un
mouvement plus déterminé. La tête ,entièrement de profil sur un
corps vu de face , présente un peu de gêne dans l'attitude et de
froideur dans l'attachement du cou. La figure de Clytemnestre ,
tombée et expirante aux pieds d'Oreste , a peu de développement ;
mais le mouvement en est naturel , et , d'ailleurs , ce personnage ,
comme l'a fort bien senti l'artiste , ne devait tenir que le troisième
-
20
306 MERCURE DE FRANCE ,
rangdans la composition, nous ne disons pas du groupe , maisde
cette scène tragique.
Telles sont à peu prés les observations critiques auxquelles cet
ouvrage, capital paraît avoir donné lieu , et que nous résumons
avec une exacte impartialité. Au surplus , on se plaît à y reconnaître
une heureuse réunion des qualités qui constituent un talent
très-distingué ; l'étude de l'antique et celle de la nature , un grand
amour de l'art , une haute idée des principes qui ont dirigé les
anciens , un goût d'érudition qui , malheureusement , est tout-à-fait
négligé par la plupart des artistes de nos jours .
On voit depuis quelques jours au salon un portrait en buste
de madame la duchesse d'Angoulême , peint par madame Villers ,
dont les ouvrages se sont toujours fait remarquer par une exécution
gracieuse. On reconnaît à la vérité dans celui-ci les traces d'un
pinceau féminin , c'est-à-dire , une touche trop fondue et un peu
timide; on pourrait encore reprocher à l'artiste quelques demiteintes
un peu ternes , et de l'incertitude dans la direction de la
lumière qui éclaire la figure sur un fond de ciel du bleu le plus
clair ; mais on s'arrête peu à ces légères imperfections , lorsque l'on
considère que ce nouveau portrait de madame la duchesse d'Angoulême
est le plus agréable et le plus ressemblant de ceux pour
lesquels S. A. R. a bien voulu accorder des séances .
- PARMI les estampes nouvelles exposées au salon , celle
d'Adam et Ève , gravée d'après Raphaël , par M. Richomme , a
paru réunir le suffrage des gens du monde et celui des hommes de
l'art . En effet , cette gravure joint à la netteté de l'effet , à la
pureté et à la délicatesse du burin , surtout dans les nus , tous les
avantages que peut procurer le choix d'un original qui approche de
la perfection. Le tableau que M. Richomme a pris pour modèle et
qu'il a dessiné lui-même avant d'en exécuter la gravure , ne laisse
rien à désirer pour l'élégance du dessin , la grâce , la noblesse et la
douce naïveté de l'expression. Ce sujet , peint à fresque dans la
salle de la Signature , au palais du Vatican , se voit à l'un des
angles du plafond où sont les fameux tableaux de l'école d'Athènes ,
FÉVRIER 1815. 307
du Parnasse, de la Dispute' , du Saint-Sacrement , et de la Jurisprudence.
Ceux des trois autres angles représentent le Jugement de
Salomon , le Supplice de Marsyas et la Fortune. Ces quatre fresques
, de proportion demi- nature , sont peintes sur un fond d'or ,
dans un genre de travail imitant la mosaïque , mais que le burin n'a
pas dû chercher à rendre. Ces chefs-d'oeuvre ont été endommagés
en plusieurs endroits par l'effet de la dégradation des mûrs et le sel
de nitre qui en a altéré les couleurs. La célébrité de ces peintures
ne laisserait bientôt plus que des regrets , si la gravure n'eût pris
soin de les perpétuer. L'auteur de l'estampe d'Adam et Eve (1)
s'occupe déjà de lui donner , pour pendant , la gravure d'un des
autres tableaux que nous venons de citer : le Supplice de Marsyas .
Le vaisseau de roi , le Lys , commandé par M. le capitaine de
vaisseau P.-B. Milius, de retour à Brest d'un voyage en Amérique ,
a apporté diverses curiosités d'histoire naturelle , parmi lesquelles
on remarque une collection de plantes parfaitement choisies et
bien conservées . Les principales espèces sont :
Le cocotier , le cafier , le cotonnier , l'acajou , le bananier , là
figue banane , le balisier , le tamarin , le géroflier , le canellier ,
le poivrier , la vanille , le kinkina , l'ayapana , l'herbe à serpent ,
le sapotillier, le papayer, le goyavier, le manguier, le corrossolier ,
le franchipanier , l'arbre à pain d'Otaïti , la canne à sucre d'Otaïti ,
diverses autres espèces de cannes à sucre, diverses cspèces d'ananas ,
la pomme de Cythère , le chou caraïbe , la raquette à cochenille ,
l'arbre à soie , le cucume , le karata .
Parmi les animaux et les insectes , on cite :
L'angouti , des tortues de terre et de mer , des tourterelles , des
perdrix , des flamans , des pélicans , des ramiers , la cochenille ,
des singes et des perroquets .
(1) Prix 12 fr. , et 24 fr. avant la lettre. Chez l'auteur , rue Pierre-
Sarrazin , nº. 14.
308 MERCURE DE FRANCE ,
NÉCROLOGIE .
........
LES obsèques de M. le marquis de Boufflers , maréchal-de-camp
des armées du roi , chevalier de Saint-Louis et de la Légion d'honneur
, membre de la classe de la langue et de la littérature française
de l'Institut royal, ont eu lieu hier à l'église de Saint-Philippe
du Roule , sa paroisse. Le corps a été ensuite transporté au cimetière
dit du Père la Chaise , où il a été inhumé près du tombeau
de Jacques Delille. M. le comte de Ségur , membre de l'Institut , a
prononcé sur la tombe du défunt le discours suivant :
<<Messieurs , la mort , depuis quelque temps , éteint avec rapidité les
plus éclatantes lumières de l'Académie , et nous enlève les plus riches ornemens
de la France littéraire . En peu de mois nous avons perdu Delille ,
Bernardin de Saint-Pierre , Parny , et nous conduisons aujourd'hui au
tombeau M. de Boufflers .
» Ah ! combien de grands talens sont renfermés dans cette étroite et fnneste
enceinte ! C'est donc ici seulement , à l'abri de ces tristes cyprès, que
nous pourrons désormais nous entretenir avec les ombres de ces hommes
illustres dont la gloire nous était si chère , dont la société nous fut si douce;
et ce funèbre lieu , peuple trop rapidement de tant d'esprits fameux , devient
aussi pour nous la seule image de ces jardins de l'Académie antique,
où se trouvaient réunis les orateurs les plus éloquens , les poëtes les plus aimables
, et les plus illustres philosophes .
>> Tombes sacrées , vous renfermez les dépouilles de nos amis ; mais
leur gloire vivra long-temps sur la terre , leur âme existera dans le cicl ,
leur image restera gravée dans nos coeurs ! Nous redirons sans cesse leurs
nobles vertus , leurs tendres sentimens , leurs qualités aimables qui faisaient
le charme de la vie.
>>>On voit dans leurs écrits ce qui doit les faire admirer par la postérité ;
on saura par nous ce qui les faisait aimer de leurs contemporains .
» Et quel homme réunit à un plus haut degré le talent de briller , le
don de plaire , le droit d'attacher , que cet académicien distingué , que cet
aimable et célèbre chevalier de Boufflers ?
>>Modèle de grâce , de douceur , d'esprit , de bravoure et de bonté, la
vivacité de son imagination , la variété de ses talens , l'enjouement singulier
de sa verve brillante , le sel piquant de sa conversation , l'élégante facilité
de ses lettres , son inimitable talentde raconter , l'esprit grâcieux et
original de ses poésies légères , sembleraicut exiger qu'autour de sa tombe
FÉVRIER 1815. 309
on ne vit que des fleurs , et qu'on n'entendit que des chants. Mais c'est l'amitié
qui vous parle ; elle ne peut que verser des larmes ; elle ne peut exprimer
ici que des regrets .
>> Et combien de pleurs ne mérite pas cet homme rare ! Jamais personne
n'ent plus de véritable bonte; aux piquantes saillies de l'esprit de Voltaire,
il joignait la bonhomie de Montaigne. La nature l'avait armé de l'aiguillon
le plus fin; il ne l'employa jamais pour blesser , et ne voulut pas
même s'en servir comme l'abeille pour se venger , lorsque dans les derniers
temps de sa vie quelques écrivains jaloux se permirent d'outrager sa
respectable vieillesse.
> Que de témoins touchans je pourrais appeler ici , pour faire un juste
éloge de son noble caractère !
>> M. de Boufflers , digne du sang illustre dont il sortait , sontint d'abord
l'éclat de son nom par les armes , et mérita l'estime et l'amitié de
ses braves compagnons pendant la guerre de Sept Ans .
>> Chéri dans sa jeunesse par l'ami de Charles XII , par le roi Stanislas ,
apprécié par Voltaire , ces deux hommes célébres prédirent et commencerent
sa réputation littéraire .
>>>Ornement de la cour de France , mais peu propre à l'ambition , il savait
mieux mériter que demander , et l'amour des lettres l'éloigna presque
toujours de la fortune.
>> Cependant on lui donna le gouvernement du Sénégal ; dans cette importante
place, il justifia le choix du maréchal de Castries , par la justice, la
douceur , la fermeté de sa conduite , par l'étendue de ses connaissances ,
par la sagesse de son administration .
» Il répandit d'utiles lumières sur le commerce de cette partie da monde,
et les Africains lui durent l'adoucissement de leur sort .
» M. de Boufflers , de retour en France , se livrait plus que jamais aux
travaux de l'Académie , dont il augmentait l'éclat. Une funeste révolution
vint déchirer notre patrie , et le plus long orage succeda rapidement
à ces beaux jours de victoire et de paix .
» Le nom et le mérite de M. de Boufflers l'avaient fait élire par ses concitoyens.
> Membre del'assemblée nationale , il recommanda toujours l'union dans
ces temps de discorde ; ses voeux ne furent pas exauces ; mais sa voix sage
se fit entendre avec succès , pour proposer des lois favorables au conниerce ,
à l'industrie nationale et aux orphelins. Le temps les a respectées .
>>Après avoir honorablement rempli ses devoirs de député , renonçant
aux combats d'une politique orageuse , M. de Boufflers , rendu à ses passions
consolatrices, les lettres et les voyages , trouva chez le prince Henri
de Prusse un asile convenable à son caractère , à ses goûts , à ses sentimens .
(
310 MERCURE DE FRANCE ,
>> Dans cette contrée étrangère , il sut faire honneur à la France par sa
conduite et par ses écrits .
» Il revint dans sa patrie lorsqu'on y vit l'ordre renaître : privé de biens ,
il soutint l'infortune avec ce noble courage qui ne laisse pas deviner l'effort.
. >> Le malheur , l'âge , les privations n'avaient pas eu le pouvoir d'aigrir
son caractère , d'abattre son esprit , de vieillir son talent.
>> Il donna successivement au public plusieurs morceaux de métaphysique
, de morale ct de littérature.
>> L'éloge de M. le maréchal de Beauveau , qu'il prononça devant vous ,
est encore présent à votre pensée , et suffirait peut- être pour faire celui de
son talent , de son style et de son âme.
>> Epoux d'une femme aussi distinguée par ses vertus que par son esprit
, ses travaux soutenaient avec peine son existence et celle de sa famille .
>>Atteint par une maladie mortelle , son courage lutta long-temps contre
Janature: il dissimulait ses souffrances pour éloigner nos inquiétudes; il cachait
à la tendresse , à l'amitié, cette funeste mort dont il sentait l'approche ..
>> Il se traînait mourant au milieu de nous , et jusqu'au dernier moment
quelques lumières jaillissaient de son esprit ; et quelques paroles aimables
sortaient de sa bouche.
» Le voilà séparé de nous pour toujours ! Les termes me manquent pour
exprimer ma douleur : pleurons sa perte , aimons son ombre , et gardons
àjamais son souvenir ».
POLITIQUE.
DANS un des derniers numéros du Mercure , en
annonçant le départ de lord Wellington pour
Vienne , nous dîmes que l'on avait lieu de croire
qu'il était porteur d'instructions propres à lever la
plupart des difficultés qui entravaient la marche des
affaires au congrès , et que , selon toute apparence ,
son arrivée à Vienne en hâterait la conclusion. Les
dernières lettres , venues de cette capitale , confirment
à çet égard nos conjectures et nos espérances .
Depuis l'arrivée du noble lord , les négociations ont
FÉVRIER 1815 . 311
4
pris une activité nouvelle ; l'on assure même qu'elles
ne roulent plus aujourd'hui que sur des objets d'une
moindre importance , tous les grands arrangemens
relatifs à la Pologne , la Saxe et l'Italie ayant été
arrêtés et signés entre tous les ministres des grandes
puissances. Ces nouvelles , que toutes les feuilles
d'Allemagne répètent et que toutes les lettres particulières
confirment , ont répandu partout une joie
proportionnée à l'anxiété que commençoit à faire
naître la prolongation du congrès européen . Nous
croyons devoir nous abstenir de toute conjecture
prématurée sur des résultats qui nous seront probablement
connus d'ici à quelques jours ; mais nous
espérons plus que jamais qu'ils seront conformes à
ce qu'on a le droit d'espérer d'une assemblée que
la présence de tant de personnages augustes rend
à jamais mémorable , et à laquelle l'Europe et l'humanité
devront un long repos , puisque , comme
nous aimons à le croire , elle aura aussi appelé à
siégér dans ses conseils la justice et la modération ,
seules divinités qui aient reçu le pouvoir d'imprimer
le sceau de la durée aux ouvrages des hommes .
Après les opérations du congrès , les affaires intérieures de l'Angleterre
sont celles qui excitent le plus vivement la curiosité publique.
Le parlement vient de faire sa rentrée ; mais , comme il était
facile de le prévoir , l'absence de lord Castlereagh , chargé de.
défendre les intérêts du ministère dans la chambre des communes ,
a paralysé les débats. En effet , toutes les questions ont été abordées
; aucune n'a reçu de développemens , et la première séance
s'est passée en conversations déconsues bien plus qu'en discustions
régulières. Les ministres , qui craignent de se compromettre avant
312 MERCURE DE FRANCE ,
Je retour de ce noble lord, se sont refusés à toute espèce d'explication;
ils ont néanmoins déclaré que la taxe sur les revenus serait supprimée
, mais ils ont ajouté qu'il serait nécessaire de la remplacer
par d'autres mesures financières qu'ils ont constamment refusé d'indiquer.
Il est à présumer que ces mesures , par cela même que les
ministres craignent tant de les faire connaître d'avance, sont de nature
à rencontrer dans le parlement une forte opposition. La taxe des
revenus a toujours paru aux Anglais odieuse , vexatoire , et même
arbitraire , en ce qu'elle porte non-seulement sur les revenus fonciers
, mais encore sur les richesses commerciales et sur les fortunes
présumées en portefeuille. Aussi long-temps que l'Angleterre a été
engagée dans la guerre qui vient de se terminer , la nation s'y est
soumise avec une rare patience ; mais dans ces dernières circonstances
il s'est élevé un cri général contre cet impôt , et de tous les
comtés des milliers de pétitions ont été adressées à la chambre des
communes pour en demander la suppression. Néanmoins comme
son produit ne s'élève pas à moins de 14 milliers sterling ( environ
336 millions de France ) , on conçoit qu'il est de toute nécessité
de trouver quelques moyens de combler , au moins en partie ,
l'immense déficit que la suppression de cette taxe produira dans
les revenus publics. On croit que pour y parvenir , et dans l'impossibilité
de créer de nouveaux impôts , le ministère aura recours
à l'éternelle et inépuisable ressource des emprunts. Le parlement
aura ensuite à s'occuper du renouvellement du bill qui suspend les
paiemens de la banque en espèces , et qui expire le 25 mars prochain.
Ce bill sera-t-il renouvelé ? ou la banque sera-t-elle enfin
tenue de payer en numéraire ? La solution de ce problème n'est
pas douteuse ; la banque sera autorisée à suspendre pour un certain
laps de temps encore ses paiemens en numéraire , soit parce
qu'elle n'en a pas une quantité suffisante pour payer à bureau
ouvert ; soit parce que le gouvernement croira avoir encore besoin
de l'arme puissante que lui fournit le crédit presque incroyable
d'une banque dont le papier fait fonction de monnaie et ne perd
presque rien , quoiqu'il y ait une impossibilité réelle et reconnue
de le convertir en numéraire à volonté.
FÉVRIER 1815. 313
Quant aux opérations du congrès , il est facile de prévoir que
les ministres continueront à ajourner toute explication et même
toute discussion jusqu'à l'arrivée de lord Castlereagh . Il faudrait
connaître la nature des nouvelles dont il sera porteur pour
prévoir les discussions auxquelles ses communications au parlement
pourront donner lieu ; mais comine après les guerres même
les plus heureuses on est toujours obligé de rabattre quelque
chose des espérances que l'on avait conçues , et que d'ailleurs
il est douteux que l'état de paix où nous allons entrer soit
aussi avantageux au commerce et à la puissance de l'Angleterre
que l'ont été les vingt années de guerre d'où nous sortons , il
est possible que les ministres éprouvent plus de difficultés à triompher
de l'opposition lorsqu'il s'agira de faire agréer à la nation
les conditions de la paix , qu'ils n'en ont eu dans les sessions
précédentes , lorsqu'il s'agissait de la convaincre de la nécessité
de continuer la guerre .
Le traité de paix qui a terminé la guerre avec les États-Unis ,
sans pourtant opérer la cessation des hostilités , sera sans doute
aussi l'objet d'une vive discussion. Si le traité de Gand est ratifié ,
les ministres pourront impunément braver les clameurs de l'opposition
. Mais si M. Maddisson refuse d'y attacher son nom , ces clameurs
pourraient bien prendre un autre caractère , et le peuple
anglais demander aux ministres compte des trésors prodigués dans
une guerre entreprise avec tant de moyens , et dont les résultats
ont si peu répondu à l'attente générale et aux prédictions des
journaux ministériels .
Nous croyons devoir recueillir ici le document
suivant qui a été publié dans la gazette de Nuremberg
, et qui jette le plus grand jour sur les prétentions
de la Prusse; d'autant plus que de toutes les
notes échangées entre les puissances au congrès ,
c'est la première qui ait été rendue publique.
314 MERCURE DE FRANCE ,
/
Extrait de la note remise au congrès par le prince de
Hardenberg , chancelier de la Prusse , relativement à la
réunion de la Saxe à la Prusse.
α Maintenant tout dépend principalement de la décision par
rapport à la Saxe. Les motifs les plus prépondérans s'opposent au
morcellement de la Saxe : le bien-être et les désirs de la nation qui
se prononcent tous les jours plus fortement , la parole de S. M.
l'Empereur de Russie , l'intérêt de la Prusse , ainsi que celui de
toute l'Europe elle-même. Jusqu'ici on ne s'est point écarté du
point de vue , que , pour maintenir l'équilibre et la tranquillité ,
la Prusse doit être forte. On veut qu'elle ait une étendue qui lui
donne les moyens de pouvoir se défendre , et qui ne la mette pas
dans le cas de chercher à s'agrandir pour conserver la force indispensable
à sa défense.
>>Les traités lui assurent , en outre , le nombre d'habitans qu'elle
avait en 1805 ; il est vrai qu'il n'y est pas question de la force des
possessions ; mais ils lui assurent cependant un état géographiquement
arrondi sous tous les rapports. La justice demande pour elle
qu'elle soit renforcée de la même manière que tous les alliés et tant
d'autres États l'ont été. Où peut- on lui procurer tout cela , si l'on
ne lui donne pas toute la Saxe ?
» Il serait expédient , sous tous les rapports , de fonder un autre
établissement pour le roi de Saxe et ses successeurs . Son existence
ultérieure en Saxe présente une situation désagréable , qui , loin
d'être satisfaisante pour lui , ne pourrait être au contraire qu'onéreuse
et précaire.
১) Seś possessions seraient toujours resserrées par les deux puissances
voisines , l'Autriche et la Prusse. Les habitans du territoire
qu'il conserverait, auraient nécessairement des relations continuelles
avec ceux de la partie cédée; ce qui donnerait lieu à des désagrémens
et à un mécontentement qui seraient également désavantageux
pour les souverains et leurs sujets . Il se formerait un centre d'intrigues
et de cabales qui compromettraient sans cesse la tranquillité inFÉVRIER
1815. 315
térieure des deux États , et même la bonne harmonie qui doit toujours
régner entre la Prusse et l'Autriche .
» Le roi de Prusse a offert , à des conditions peu onéreuses ,
Munster , Paderborn et Corwey , avec 310,000 hommes , pour
former l'établissement que l'on demande pour la maison de Saxe .
Si ces offres ne paraissent pas suffisantes , le soussigné est chargé de
proposer des possessions deux fois plus considérables que les premières
sur la rive gauche du Rhin , et dans lesquelles se trouve une
ville propre à former une résidence très-agréable . Luxembourg serait
une forteresse commune à toute la confédération germanique .
" Dans la note du 22 octobre , M. le prince de Metternich a
consenti , au nom de son souverain , sous certaines conditions , à
la réunion de toute la Saxe avec la Prusse. Il se borna à manifester
le désir que l'on conservât à son souverain une partie du royaume
de Saxe qui confine à la Bohême. On développa l'impossibilitéd'acquiescer
à cette demande. On offrit la possession d'un pays considérable
, dont les habitans professent la même religion que le roi ,
ce qui , pour la puissance , lui donnerait rang immédiatement après
Bade , ainsi qu'un vote au premier conseil de la confédération ,
montre que la situation de ce pays n'est point de nature à devenir
l'objet d'une jalousie continuelle entre la Prusse et l'Autriche ; il
serait ainsi préférable , sous tous les rapports , à la conservation
de la Saxe , qui serait moins sûre et indépendante.
>>Qu'il me soit permis d'examiner les conditions auxquelles
S. M...... a donné son consentement.
" 1 °. Que cet objet reste en connexion avec les autres arrangemens
territoriaux de l'Allemagne ; que par rapport à cette connexion
, S. M. regarde comme une base fondamentale le plus parfait
équilibre de l'influence à laquelle l'Autriche et la Prusse
pourraient être appelées à l'égard de l'Allemagne , de manière que
dans le système de défense de l'Autriche et de la Prusse , aucune
de ces deux puissances ne puisse empiéter directement sur l'autre .
Mais si l'égalité de protection ou d'influence de deux puissances
allemandes venait à cesser , S. M. regarderait alors la ligne sur le
316 MERCURE DE FRANCE,
Mein , y compris Mayence , comme nécessaire pour la défense de
l'Allemagne méridionale , et la sûreté de sa monarchie; le cours
du Mein et celui de la Moselle seraient en conséquence considérés
comme la ligne méridionale de défense , et il faudrait , d'après
cela , régler les parties de territoire qui pourraient servir d'indemnité
et de compensation pour les princes de l'Allemagne septentrionale
et méridionale .
>>2º. Sous la réserve expresse des arrangemens à conclure entre
les deux puissances par rapport aux frontières , à la fortification de
quelques places , aux rapports de commerce et à la libre navigation
de l'Elbe.
>>3 ° . S. M. a compté sur un parfait accord des deux cours , et
l'appui mutuel qu'elles se donneraient par rapport à ce qui regarde
laPologne.
>> Quant au premier point, la Prusse entre entièrement dans
toutes les vues et les principes de S. M. l'empereur. Elle est toutà-
fait disposée à abandonner à l'Autriche l'influence et les arrangemens
en question , tant sur la rive gauche du Mein que sur la rive
droite de la Moselle , sans entrer dans une explication sur la question
de savoir si la forteresse de Mayence est plus nécessaire pour
la défense du nord que pour celle du midi de l'Allemagne. La nécessité
de la conserver pour l'avantage de la commune patrie est si
évidente et si prononcée par la plupart des princes d'Allemagne ,
que la Prusse , qui n'a jamais eu le dessein d'augmenter ses possessions
par cette place , n'a point d'autre vue que de la regarder
comme un boulevard commun de la Confédération . Cette forteresse
serait gardée par les troupes du corps germanique , et entretenue
à frais communs.
A l'égard du deuxième point , on acontracté l'engagement de
ne pas fortifier Dresde. Le soussigné ne sait pas de quel autre point
ou place frontière il pourrait encore être question ; mais les arrangemens
à prendre , par rapport à Dresde , aux relations de commerce
d'un intérêt mutuel , et à la libre navigation de l'Elbe ,
sont sujets à aucunes difficultés.
ne
FÉVRIER 1815. 317
>>Pour le troisième point , la Prusse a déjà tant fait , suivant ses
moyens , que l'on peut espèrerde le voir terminer d'une manière
satisfaisante .
>>A l'exception de..... , le soussigné ne connaît aucune puissance
allemande qui se soit déclarée contre la réunion de toute la
Saxe à la Prusse .
» Cette puissance ne veut point que le pacte fédératif soit établi
sur une base qui , entraînant l'incorporation des premiers États
de l'Allemagne , pourrait être si inquiétante pour sa propre sûreté.
Mais la sureté de l'existence de l'Allemagne , et de ses membres ,
n'a-t-elle pas été encore beaucoup plus menacée , lorsque le roi
de Saxe est resté opiniâtrement attaché jusqu'au dernier moment
àla cause de l'ennemi?
» S. M. le roi de Prusse compte que S. M. l'empereur consentira
à l'incorporation de la Saxe à la Prusse , et représentera au roi
de Saxe et aux membres de sa famille les avantages qui résulteront
pour eux de l'établissement offert sur la rive gauche du Rhin. S. M.
ne désire rien plus ardemment que de contribuer , d'un côté , autant
que possible, à tout ce qui peut conserver l'intime union entre
les grandes puissances alliées , afin d'atteindre le but important
pour lequel on ne doit épargner aucun sacrifice ; mais , d'un autre
côté , S. M. ne peut consentir à aucun arrangement qui imposerait
à la Prusse seule un sacrifice permanent. S. M. réclame ce à quoi
elle peut justement prétendre par suite de traités et par les efforts
qu'elle a faits » .
PIÈCES OFFICIELLES ET ACTES DU GOUVERNEMENT.
LOUIS , PAR LA GRACE DE DIEU , ROI DE FRANCE ET DE NAVARRE , etc.
Atous ceux qui ces présentes verront , salut :
Les états ne fleurissent que par la justice; elle fait au-dehors la gloire et
la force des empires ; c'est elle qui au-dedans est la plus sûre garantie de
Thonneur et de la fortune des citoyens et le lien commun des familles .
Le droit et les devoirs de la royauté nous prescrivent de remettre à des
tribunaux l'administration de la justice , que plusieurs de nos prédécesseurs
rendirent autrefois eux-mêmes à leurs sujets . Toute justice émane du roi
(art. 57 de la Charte) ; mais nous en déléguons l'exercice àdes juges dont la
318 MERCURE DE FRANCE ,
nomination nous est exclusivement réservée , et auxquels l'irrévocabilité
que notre institution leur imprime , assure cette indépendance d'opinion
qui les élève an-dessus de toutes les craintes comme de toutes les espérances ,
et leur permet de n'ecouter jamais d'autre voix que celle du devoir et de la
conscience .
La plupart des magistrats de notre royaume attendent avec impatience
l'institution royale qui va consacrer le reste de leur existence aux fonctions
dans lesquelles nous les avons établis ou maintenus ; mais nous devions ,
avant tout , chercher à recueillir tous les renseigneniens qui pouvaient
éclairer ou diriger nos choix ; nous voulions encore préparer à l'avance des
fonds de retraite pour les magistrats que l'âge ou les infirmites mettaient
hors d'état de continuer leurs utiles services , désirant que tous ceux qui
laisseront dans nos tribunaux d'honorables souvenirs , emportent avec eux
des récompenses méritées de leurs longs services , et que ces récompenses
elles-mêmes deviennent autant d'encouragemens pour ceux qui les remplacent.
Nous commençons l'institution générale des juges par la cour de cassation
, la première de nos cours dans l'ordre hiérarchique des tribunaux , où
elle est spécialement chargée de maintenir l'observation rigoureuse des lois
etdes formes tutelaires de la vie , de l'honneur, et des propriétés de tous nos
sujets.
Cette cour, qui a déjà rendu de grands services , les continuera avec un
nouvean zèle , quand nous aurons définitivement réglé sa composition, quand
chacun de ses membres tiendra de nous des pouvoirs dont notre institution
aura assuré l'irrévocabilité , et qu'aucun d'eux ne sera plus distrait de ses
importans travaux par desinquiétudes ssuur l'avenir. La même sécurité passera
de la cour de cassation aux autres cours et tribunaux de notre royaume,
parce que le très- petit nombre de changemens que nous aurons faits dans
les personnes rassurera tous ceux qui pouvaient en craindre , et devenant
conime le type des changemens qui nous resteront à faire , suffira presque
pour les produire.
Aces causes , sur le rapport de notre amé et féal chevalier, chancelier de
France , le sieur Dambray, commandeur de nos ordres , nous avons ordonné
et ordonnons ce qui suit :
Art. rer. La cour de cassation restera telle qu'elle est réduite , au nombre
de quarante neuf membres , y compris un premier président et trois présideus.
Le parquet restera composé d'un procureur-général et de six avocatsgénéraux.
Elle continuera d'avoir un greffier en chef nominé par nous , et
quatre commis-greffiers nommés par le greffier en chef.
2. Nous avons nommé et nommons , institué et instituons membres de la
cour de cassation ; savoir : premier président , le sieur Desèze ; présidens ,
les sicurs Barris , president actuel ; Henrion de Penscy , idem ; Brisson ,
president à la cour royale de Paris . Conseillers , les sicurs Bailly, Cochard ,
Coffinhal-Dunoyer , Schwendtde Saint- Etienne , Lasaudade, Audier
Massillon , Aumont , Babille , Basire , Borel de Bretizel , Boyer, Brillat de
Savarin , Busschop , Cassaigne , Chasle , Gandon , Liger de Verdigny ,
Minier , Pajon , Poriquet , Rataud , Rousseau , Ruperou , Sièyes . Vallee ,
Vasse de Saint-Onen, Vergès , Zangiacomi , Carnot, Botton-Castellamonte ,
Lefessier de Grandprey , Chabot , Favard de l'Anglade , Lasagny , tous
conseillers actuels ; Pinson de Menerville , ex-président à la cour des aides ;
Clauzel de Coussergues , conseiller à la cour royale de Montpellier , Olivier,
avocat-général à la cour royale de Grenoble ; Blondel d'Aubers , conseiller
à la cour royale de Paris; Pajot de Marcheval, maître des requêtes honoraire
; Jaubert , conseiller d'état honoraire ; Legonidec , ex-procureur
FÉVRIER 1815.
319
général à la cour de Rome ; Robert de Saint-Vincent , conseiller à la cour
royale de Paris .
3. Nous nommons pour remplir les fonctions de notre procureur-général ,
Ic sicur Mourre ; et pour remplir les fonctions d'avocats- generaux , les sieurs
Jourde , avocat- general actuel ; Lecontour, idem ; Giraud- Duplessis , idem ;
Joubert , avocat-général actuel ; Lebeau , conseiller à la cour royale de
Paris ; Fréteau de Peny , avocat-general à la même cour , lesquels exerceront
tant qu'il nous plaira lesdites fonctions .
Nous nommons le sicur B. Jalbert , greffier en chef.
4. Les membres de la Cour de Cassation et du parquet nommés par
les précédens articles , le greffier en chef et les officiers ministériels actuellement
en fonctions , se rendront aux jour et heure qui leur seront indiqués,
au lien ordinaire des séances , sur l'ordre qui leur sera individuellement
adressé , pour y être installés par notre chancelier , et y prêter
entre ses mains le serment de nous être fidèles , de garder et faire observer
les lois du royaume , ainsi que nos ordonnances et règlemens , et de se
conformer à la Charte constitutionnelle que nous avons donnée à nos
peuples. Le même serment sera préalablement prété entre nos mains par
le premier président et le procureur-general.
5. Il sera tenu un registre de ladite prestation de serment , et mention
en sera faite par le greffier en chef , sur les provisions signées de nous , qui
seront incessatument délivrées à tous ceux qui sont compris dans la présente
nomination .
,
6. Les membres de la Cour de Cassation et du parquet qui ne sont
pas compris dans la présente nomination pourront porter le titre d'honoraire,
s'ils obtiennent de nous les lettres à ce nécessaires . Ils sé retireront
, dans le delai d'un mois , par-devant notre chancelier pour y faire
liquider lear pension de retraite , qui sera payée de la même manière et
sur les mêmes fonds que ceux portés au budget pour le traitement de
la Cour de Cassation .
7. Sont maintenus tous règlemens relatifs à la Cour de Cassation qui
ne sont pas contraires aux présentes.
8. Notre amé et féal chevalier , chancelier de France , le sieur Dambray,
commandeur de nos Ordres , est chargé de l'exécution des présentes ,
dont il adressera uue expédition en forme au sieur Mourre , notre procureur-
général , qui déclarera la Cour de Cassation en vacance jusqu'au
moment de sa nouvelle installation .
Donne à Paris , le 15 février 1815 .
AM. LE RÉDACTEUR DU MERCURE DE FRANCE .
Tables logarithmiques , pour les nombres , les sinus et les tangentes ,
disposées dans un nouvel ordre par M. de Prasse , professeur de mathematiques
àBerlin , corrigees et précédées d'une introduction traduite de l'allemand,
et accompagnée de notes et d'un avertissement , par M. Halma.
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M. de Fénaigle , avec la traduction interlinéaire , les étymologies et les dérivations;
suivies des règles de la prosodie en 39 phrases, et des conjugaisons
latines également mnémonisécs , et avec gravure. Prix , 3 fr. , et 3 fr. 25 c.
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Cette partie contient les Guerres d'Italie ; la seconde partie , qui contient
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Les tomes 2 et 3 séparément, 4 fr .
ERRATA du dernier numéro dejanvier.
Page 70 , vers 17 , on lit : ses vieilles offrandes ; lisez : ses vieilles affreuses.
Le prix de la souscription au Mercure de France est de 15fr.
pour trois mois , 29 fr. pour six mois , et 56, fr. pour l'année.
-On nepeut s'ouscrireque du premier de chaque mois.- En
cas de réclamation , on est prié de joindre une des dernières
adresses imprimées ou d'indiquer le numéro de la quittance.
-Les souscriptions , lettres , livres , gravures , musique , etc.
doivent être adressés , franc de port, au directeur du Mercure
de France , rue de Grétry , nº. 5. -Aucune annonce ne sera
faite avant que cette formalité ait été observée.
TIMBRE
RO
MERCURE
DE FRANCE.
N° . DCLXXII .-Samedi 25 février 1815.
POÉSIE .
LA NUIT DE NOEL.
TANDIS que les flots du torrent
Inondaient la forêt par l'hiver dépouillée ;
Une mère , à côté de son fils expirant ,
Prolongeait sa triste veillée .
Muette , et pâle de douleurs ,
Dans sa cabane solitaire ,
Elle pleurait .... et sur la terre
Nul mortel n'a daigné s'informer de ses pleurs .
Sans se plaindre à l'Étre Suprême ,
Elle a vu fuir tous ses amis :
Pauvre mère ! peut-être il faudra qu'elle-même
Du funeste linceul enveloppe son fils !
Son fils ! elle succombe à ces tristes pensées .
Tout à coup du hameau les cloches balancées ,
Vers le temple des champs appellent les mortels ;
On célébrait alors , au pied des saints autels ,
Cette nuit chaste et fortunée
21
322 MERCURE DE FRANCE ,
Qui vit naître l'enfant délices d'Israël ;"
Et , de rayons purs couronnée ,
L'étoile de Jacob se montrait dans le ciel.
Sa miraculeuse lumière ,
L'airain qui retentit de momens en momens ,
Dans le coeur navré d'une mère
Font naître par degrés d'heureux pressentimens .
Hélas! à force de tourmens ,
Elle avait oublié jusques à la prière .
Faible , le front couvert de deuil ,
Confiant à son Dieu l'objet de ses alarmes ,
De sa triste cabane elle passe le seuil ,
Et bientôt les autels sont baignés de ses larmes .
»
»
ת
«
»
Toi ! dont le secours est promis
Au chrétien souffrant et fidèle ,
ÉpouseduSeigneur , écoute-moi ,di-etlle;
J'abandonne pour toi la couche de mon fils.
» De tes demeures éternelles ,
>>Daigne descendre dans ce lieu ;
Tu sentis , comme moi , les craintes maternelles ,
Tu tremblas pourton fils , et ton fils était Dieu.
» Contre la tempête inhumaine ,
>>Protège un lis mourant qui n'a plus de soutien ;
>> Mon enfant commençait à peine
» A prononcer le nom du tien .
" Ne m'en sépare pas : je l'entends qui m'appelle ;
د De son lit de douleur je reprends le chemin :
» Adieu , je reviendrai demain
>> Déposer son berceau dans ta sainte chapelle » .
Elle dit , et déjà ses pas
Se sont tournés vers sa chaumière ;
Mais , au retour de la lumière ,
Dans l'église rustique elle ne revint pas .
1
FÉVRIER 1815. 323
Les cierges des morts s'allumèrent ,
Et devant le temple attristé ,
Le soir , à leur pâle clarté ,
Deux cercueils inégaux passèrent.
Par M. ALEXANDRE SOUMET.
---
ANECDOTE .
Un monarque était en voyage
Incognito , c'est souvent le moyen
D'être remarqué mieux , et l'on n'y gagne rien ;
J'en vais offrir le témoignage.
Puisqu'il cachait son nom , qu'on ne s'étonne pas
Que je l'ignore , ainsi que le nom du village
Où de sa majesté l'on servit le repas.
Ce repas fut très-court : deux oeufs , pas davantage ;
Acoup sûr ce monarque-là
N'était pas unGargantua.
Le repas fait , l'hôte avec son acquit
Présente humblement son mémoire.
Rusé , plaisant , homme d'esprit ,
Desbarres fut son nom , à ce que dit l'histoire ,
Et comme un autre il visait à la gloire ;
Aussi son nom nous est-il parvenu ,
Quoique celui du roi nous demeure inconnu.
De rester ignorés que cela nous console !
Le roi lit le mémoire, et voit..... deux cents florins !
Quoi ! dit-il , vous osez.... quel affreux monopole ! ...
Chose rare en effet ! des oeufs ! ... de tels coquins
Mériteraient , sur ma parole ,
Qu'on en fit pendre quelques-uns .
<<Réprimez ce courroux , Sire , répond Desbarres ,
>>Dans ce pays les oeufs ne sont pas rares ,
>>Mais les rois n'y sont pas communs » .
324 MERCURE DE FRANCE ,
Que fit le roi ? le roi se mit à rire ,
Paya l'hôte , et reprit sa route sans rien dire.
F. C.
VIVE LE ROI.
AIR : Du premier pas .
Vive le Roi!
Vive notre bon père !
Voeux , cri touchant, qu'avec un doux émoi ,
Dans le château comme dans la chaumière ,
Tout bon français ajoute à sa prière :
Vive le Roi !
Vive le Roi!
Sans le voir , si j'y pense ,
Ce cri m'échappe , et presque malgré moi ;
Le coeur si bien nous l'apprend que l'enfance,
En bégayant , déjà répète en France :
Vive le Roi !
Vive le Roi!
Dit ce vieux militaire ;
Sur tes lauriers , mon fils , repose-toi .
Louis le veut ; laissons en paix la terre ,
Reviens chanter prés de ta bonne mère :
Vive le Roi !
Vive le Roi !
Chante aussi l'Angleterre.
Louis dix ans fut commis à sa foi :
D'un tel dépôt reconnaissante et fière ,
A sa rivale elle a dit : plus de guerre ;
Vive le Roi !
Vive le Roi !
PrierDieu pour sa vie ,
FÉVRIER 1815. 325
Français , Français, ah ! c'est prier pour soi.
Prions aussi pour sa nièce chérie
Qui, comme nous , veut qu'à toute heure on crie :
Vive le Roi !
H. ED . PORTALE.
.....
MORALITÉ.
IL en est de nos jugemens
Comme de nos montres ; sans peine
On consulte celle des gens ,
Mais on s'en rapporte à la sienne.
ÉNIGME.
SEMBLABLE à l'ours tapi dans sa tanière ,
Des hommes que je fuis , des villes que je hais ,
Je ne me rapproche jamais ,
F. C.
Car j'aime à m'isoler de la nature entière :
Et je puis dire cependant ,
Qu'étant monté sur un pied très-brillant ,
Je suis prisé dans le grand monde ,
Présenté chez le roi par maint ambassadeur ,
Et produit en Autriche auprès d'un empereur ,
Sur les vertus duquel l'espoir du nord se fonde.
Sous un certain rapport ,
Ce qui paraîtra fort ,
C'est que seul dans mon gîte ,
Où je vis en ermite ,
Lorsque je veux , je puis ,
Pour charmer mes ennuis ,
Oubien pour me distraire ,
Jouer avec mon frère ,
Frère de nom s'entend .
Devine maintenant.
V. B. ( d'Agen ).
326 MERCURE DE FRANCE , FÉVRIER 1815.
LOGOGRIPHE .
CHEZ un peuple qu'on croit le plus vieux de la terre ,
Je suis homme d'état , je suis homme de guerre ,
Aussi brave au combat que prudent au conseil ;
Mais , hélas ! à quoi tient ici-bas notre gloire!
Si je perds un seul pied, aussitôt mon histoire
Est celle d'un brigand qui n'eut point de pareil.
Je porte enmoi cet être plein d'audace
Qu'a su si bien dépeindre Horace ;
Un animal alerte et fort léger;
L'objet auquel les arts , l'architecture ,
La broderie et la peinture
Doivent tous leurs produits; enfin un étranger ,
Vrai Normand , dit-on , mais d'origine lapone ,
Visitant maintenant les bords de la Garonne ,
Et que bouche béante et les yeux ébahis
Allaient voir l'an dernier bien des gens à Paris.
CHARADE.
On fait la glu de mon premier,
Plante qui croît sur l'aubépine ;
On use fort de mondernier
Pour une tisane anodine ;
Par le même.
Rien n'est plus doux que mon entier
Pour une mauvaise poitrine.
BONNARD , ancien militaire.
Mots de l'ENIGME , du Logogriphe et de la Charade insérés
dans le dernier Numéro.
Le mot de l'Enigme est Verre ( à boire ).
Celui du Logogriphe est Tigrane.
Celui de la Charade est Mariage,
L
LITTÉRATURE ET BEAUX - ARTS.
DES MODES ACCIDENTELS DE NOS PERCEPTIONS , ou Examen sommaire
des modifications que des circonstances particulières
apportent à l'exercice de nos facultés et à la perception des
objets extérieurs . - A Paris , chez Delaunay , Palais-Royal ,
galerie de bois , nº. 243 .
CET ouvrage est également intéressant par la nouveauté et l'importance
du sujet , et par la manière dont il est traité. L'auteur
s'y montre à la fois métaphysicien profond , physiologiste instruit ,
moraliste distingué , écrivain élégant. Nous regrettons qu'il ne soit
pas entré dans plus de détails. Il semble avoir voulu seulement
exciter la curiosité de ses lecteurs , et les engager à réfléchir sur
les phénomènes les plus merveilleux , en les rapprochant de ceux
qui se présentent continuellement et dont l'habitude nous empêche
de nous étonner. Nous l'invitons à développer son sujet dans un
ouvrage plus étendu . Nous ne pourrons donner de celui-ci qu'une
idée imparfaite. Les raisonnemens et les faits y sont tellement enchaînés
qu'il n'est pas susceptible d'analyse.
Il est difficile de distinguer dans nos idées ce qui nous vient du
dehors de ce qui tient à la nature de notre entendement. En reconnaissant
que notre âme est le miroir du monde sensible , il reste
à savoir si ce miroir rend fidèlement les images ; et l'on ne peut
résoudre cette question qu'en comparant les impressions que les
mêmes objets font sur nous dans des circonstances diverses .
Notre âme est affectée d'une manière différente pendant la veille
et pendant le sommeil. Outre ces deux états qui se succèdent tous
les jours , il en est d'autres dans lesquels l'homme peut se trouver
accidentellement , tels sont celui de noctambulisme , celui de folie
328 MERCURE DE FRANCE ,
ou de délire , celui de catalepsie , enfin celui de somnambulisme
magnétique.
L'auteur décrit ces divers états ; il montre quedans chacun d'eux
ily a un changement dans le mode de nos perceptions , et il est
conduit à supposer un mode de perception primitif dont les autres
ne sont que des modifications .
Pendant la veille , la connaissance des objets arrivé ànotre âme
par nos cinq sens , dont les uns ne sont affectés qu'au contact , et
dont les autres se portent à d'immenses distances , à l'aide d'un
fluide intermédiaire. Les idées se conservent dans la mémoire , la
raison les combine , et l'activité propre de l'esprit les reproduit à
volonté.
Dans le sommeil la faculté locomotive est suspendue ; les sens
ne nous transmettent plus les impressions des objets ; la mémoire
et l'imagination sont mises en jeu par un moteur inconnu : nous
assistons à un spectacle, sans faire usage de notre jugement et de
notre volonté.
Le noctambule a la perception des objets d'une autre manière
que dans l'état de veille , et l'exercice de ses facultés se rapporte
uniquement à la série d'idées intérieures qui l'occupe.
Dans la folie , l'imagination présente les objets qu'elle crée avec
une force supérieure ou du moins égale à celle qu'exercent les
sensations , et l'on ne distingue plus les chimères des réalités. La
raison n'est point anéantie , mais l'instrument qui lui fournit les
idées sur lesquelles elle doit s'exercer , est dérangé .
Dans la catalepsie le corps n'a point de mouvement. Les perceptions
arrivent à l'âme sans le secours des yeux et des oreilles .
Cet état se rapproche de celui de noctambulisme et de celui de
somnambulisme , qui en sont cependant distingués chacun par un
caractère essentiel .
Ici l'auteur trace le tableau des phénomènes qui se manifestent
dans le soinnambulisme : on voit qu'il les a examinés avec l'attention
la plus scrupuleuse , qu'il les a comparés avec ceux que présentent
les autres états de l'homme : et ce n'est point un léger
FÉVRIER 1815. 329
mérite d'avoir porté sur un pareil sujet le flambeau de la phi
losophie.
Il faut voir dans l'ouvrage même ce tableau extrêmement curieux.
Nous nous bornerons à dire que le somnambulisme differe
totalement de la veille et du sommeil par le développement d'un
nouveau mode de perception .
En essayant de ramener les phénomènes à une cause principale
, l'auteur ne s'arrête point à en prouver la réalité ; il invite
seulement à s'en assurer par l'expérience.
« On aurait tort , dit-il , de rejeter sans examen des faits attestés
par des témoins croyables ; mais lorsqu'ils sont d'une nature
extraordinaire , il faut les vérifier avec une extrême rigueur. Le
bon sens ne permet pas d'admettre des prodiges , et personne ne
doit y ajouter foi avant d'en avoir connaissance par soi-même , ou
par des témoignages nombreux et irrécusables » .
L'auteur expose ensuite les motifs qui le determinent à appeler
notre attention sur des choses qui paraissent problématiques. II
pense que l'examen des phénomènes du somnambulisme conduirait
à une connaissance plus profonde des facultés morales et physiques
de l'homme; qu'on pourrait en tirer parti pour la guérison
des maladies ; et que si les gens éclairés et bien intentionnés s'en
occupaient plus généralement , il cesserait de pouvoir se trouver
entre les mains des ignorans , des enthousiastes et de ceux qui en
abusent sans savoir à quel point ils se rendent coupables .
Le mystère et les abus , dit- il , ont presque toujours marque
les premiers pas de l'homme dans la carrière des sciences. Des
faits isolés paraissent inexplicables , miraculeux. L'amour-propre
et l'intérêt s'en emparent pour en faire un patrimoine exclusif et
mettre à profit la crédulité. Les commencemens de la physique
ont donné naissance à la magie , la chimie à l'alchimie , la géométrie
à la géomancie , l'astronomie à l'astrologie. A mesure que les
faits se sont multipliés , que la connaissance en a été répandue ,
on a tâché de les ramener à des principes connus ou d'en déduire
des principes nouveaux. On en a formé des corps de doctrine ;
330 MERCURE DE FRANCE ,
l'enseignement les a mis à la portée du public : la publicité a fait
disparaître le mystère et les abus » .
L'auteur est enfin conduit à des considérations du plus haut
intérêt. Puisque notre âme peut avoir des perceptions par une
voie différente de celle des cinq sens dont nous jouissons dans
l'état de veille , n'est-il pas probable qu'après la mort nous aurons
unmodede perception plus exact , plus étendu , et que tout changera
de face pour nous ?
« Quedeviendront alors les fruits de tant d'années de travail, detoute
cette expérience recueillie pendant le cours d'une vie souvent
pénible et agitée ? Tout ce que nous avons appris avec tant d'effort
s'évanouira peut-être ; .... mais la raison appartient à toutes les
phases de notre existence , et les conséquences de nos bonnes actions
nous suivront partout » .
Nous désirerions pouvoir rapporter ici ce que l'auteur dit sur
le soin que nous devons prendre d'écouter et de perfectionner
notre raison , sur le développement futur de nos facultés et de
notre intelligence , sur l'existence de l'âme indépendamment des
organes dont elle est ici-bas obligée de se servir , et sur la force
que la certitude d'un avenir doit nous donner pour combattre,
pendant notre passage sur la terre , les passions qui nous écartent
à la fois de la vérité et de la vertu. Ce morceau est écrit avec une
éloquence qui part du coeur. Nous n'en citerons que la dernière
phrase.
« Que d'idées grandes et consolantes viennent nous entourer
de toutes parts ! Lorsque nous voulons bien les admettre , les maux
disparaissent , le calme succède à la tempête , un courage intrépide
remplit notre coeur , les malheurs de la vie ne sont plus qu'une
source d'expériences salutaires , et la mort le commencement d'une
nouvelle existence » ,
Si des critiques rejettent plusieurs des faits admis dans cet
ouvrage , nous nous flattons qu'ils les combattront par des raisonnemens
appuyés sur des observations contraires, et qu'ils s'abstien-
!
FÉVRIER 1815. 33 г
dront d'attaquer par le ridicule des opinions qui se lient aux plus
grands intérêts de l'homme , et qui tendent à augmenter à la fois
son bien-être physique et ses connaissances morales . D.
HISTOIRE DE LA CAMPAGNE DE 1814 et de la Restauration
de la monarchie française , avec des
pièces justificatives ; par M. ALPHONSE DE BEAUCHAMP
.- Deux vol. in-8° . - Prix 13 fr. 50 cent . ,
et 16 fr. par la poste .-A Paris , chez Lenormant,
imprimeur-libraire , rue de Seine .
(DEUXIÈME ET DERNIER ARTICLE. )
ENFIN Napoléon avait quitté Paris pour se mettre
à la tête d'une armée étonnée de sa longue inaction ,
et ce départ était , selon ses partisans , le réveil du
lion. Ses premières opérations parurent justifier
leur confiance ; mais bientôt , trahi par le sort des
combats à Brienne , dans ce séjour même où avait
commencé son éducation militaire , il fut obligé
de se replier sur Troyes , et de là surNogent. Alors
commençant à se défier de la fortune , il prononça
lui-même ce mot de pacification si long-temps
rejeté par lui avec dédain , et le congrès de Châtillon-
sur- Seine commença ses opérations sans interrompre
celles des armées .
Ce congrès , qui n'était pour Buonaparte qu'un
ressort de plus ajouté à ceux de sa tortueuse politique
, fournit , pendant sa durée , plus d'une nouvelle
preuve de sa duplicité. On sait que les instrue
332 MERCURE DE FRANCE ,
tions adressées à son ministre , variaient chaque
jour, d'après les différens succès d'un combat ou
d'une manoeuvre. On sait que maître de conclure
la paix aux conditions les plus honorables , il
déchira , après une victoire, le projet de traité , et
que cet homme, qui en défendant les environs de sa
capitale rêvait encore la conquête du monde , s'écria
à la suite d'un avantage qu'il avait remporté : « Je
» suis à présent plus près de Vienne qu'ils ne le
>>> sont de Paris » .
Mais déjà les alliés , convaincus de sa mauvaise
foi par son refus de signer,des préliminaires basés
sur les concessions qu'il avait précédemment annoncées
, commençaient à écouter des voeux que leur
conduite et la terreur inspirée par le dominateur
de la France avaient long-temps comprimés. La
ville de Troyes peut réclamer , avec justice , l'honneur
d'avoir fait la première parvenir ce voeu pour
la restauration de la monarchie , jusqu'aux souverains
étrangers ; M. le Marquis de Widranget et
M. de Gouault , victime infortunée de son généreux
dévouement, furent les principaux promoteurs
de cette noble résolution . Déjà , malgré les précautions
de la tyrannie , on savait que les princes de
l'auguste famille des Bourbons , réfugiés en Angleterre
, s'étaient embarqués pour venir en personne
réclamer leurs droits imprescriptibles, et reconquérir
, s'il le fallait, comme Henri IV , l'héritage
de saint Louis; enfin l'espoir des amis de la royauté
légitime avait un point d'appui , et du moins les
FÉVRIER 1815. 333
1
périls à braver conduisaient, par une route glorieuse
, vers un but certain .
En effet , tandis que des alternatives de succès et
de revers différaient le dénouement de ce grand
drame , tandis qu'on faisait défiler des prisonniers
dans Paris et que ses faubourgs étaient encombrés
de blessés , que les villes de la Bourgogne , de la
Champagne , etc. , étaient tour à tour occupées par
les deux partis , le précurseur de notre auguste monarque
, Monsieur , Comte d'Artois arrivait à Vesoul
en Franche-Comté. « Il arrivait seul , dit l'auteur ,
>> sans soldats , sans appui , inconnu aux Français ;
» mais il était mûri par les vicissitudes . Il exhalait,
>> pour ainsi dire , cette aimable bienveillance ,
>> cette fleur de chevalerie française , ce feu sacré
» de l'honneur presqu'éteint et qui allait se rallu-
» mer. Aux premiers éclats de ces sentimens et à
>> cette entrée seule , on reconnaissait le prince
>> légitime » .
Sans doute la nouvelle de cette arrivée dut inspirer
à Buonaparte plus d'inquiétude que n'eût fait
celle d'un renfort de cent mille hommes survenu
aux troupes confédérées . Celui dont on avait dit
que le nom seul de Henri IV lui semblait un manifeste
contre lui , devait regarder comme l'arrêt de sa
perte , la présence sur le territoire français d'un
descendant de ce grand Roi. Mais le silence des
alliés à l'égard des Bourbons, l'hésitation qu'ils
-paraissaient éprouver sur ce point, l'espoir même
qu'il pourrait amenerla division parmi eux , le rassu
334
MERCURE DE FRANCE ,
raient encore , et il résolut de faire les derniers :
efforts pour retenir une couronne qui commençait
à chanceler sur sa tête .
Alors commença cette campagne active , où ,
secondé par le courage et l'ardeur naturelle aux
Français , on le vit attaquer tour à tour les différentes
armées étrangères , les forcer souvent
d'abandonner le terrain qu'elles avaient conquis ,
et de quitter des provinces entières dont elles avaient
déjà pris possession . Je ne suivrai point l'auteur
dans tous ces détails encor présens à notre mémoire
, et qui pourraient me fournir l'occasion de
relever plus d'une erreur. Impatient d'arriver avec
lui au terme de cette lutte et de nos malheurs , je
passe à l'époque où la capitale vit le théâtre de la
guerre transporté sous ces murs qui , depuis nos
guerres civiles , n'avaient eu aucune aggression à
redouter .
Les souverains étrangers avaient senti que l'occupation
de Paris serait l'écueil du pouvoir de Napoléon.
Ils dirigèrent donc presque toutes leurs forces
vers ce but important , et par un étrange aveuglement
, celui-ci ne soupçonna point leurs véritables
desseins . M. de Beauchamp attribue cette
grande faute à des motifs peu vraisemblables , et ce
problème historique reste encore à résoudre , si l'on
ne consent pas à y reconnaître l'irrésistible main
de ce Dieu , que Bossuet nous a peint créant et renversant
les empires , selon les desseins de sa pro-
-vidence.
FÉVRIER 1815. 335
Trompé par tous les rapports que faisait circuler
le gouvernement , Paris se croyait à l'abri de l'orage,
quand la foudre grondait près de lui . « Cependant
>> les yeux commencèrent à s'ouvrir à l'aspect des
>>> scènes déchirantes dont les boulevarts furent le
>> principal théâtre dans la matinée du 28 mars. Ces
>> promenades paisibles, embellies d'équipages bril-
>> lans , de femmes élégantes , de tout le cortége du
>> plaisir et du luxe , se couvrent tout à coup de
>> soldats blessés , de villageois abandonnant leurs
>> chaumières ou leurs fermes , traînant avec eux
>> les débris de leur fortune rustique. Ici , plusieurs
>> charrettes se succèdent , où quelques bottes de
>> foin et de paille servent de lit à des familles en-
>> tières ; là , des troupeaux suivent leurs maîtres
>> expatriés ; plus loin des groupes de Parisiens
>> troublés , éperdus , accablent de questions de
>> malheureux paysans, que le récit de leurs désastres
>> semble soulager>> . Ne pouvant alors douter du
péril , un peuple si long-temps trompé était loin
encore d'en soupçonner l'étendue . La postérité aura
peine à croire qu'une capitale entière ait cru n'être
assiégée que par vingt-cinq à trente mille hommes ,
quand elle en avait cent cinquante mille à ses portes ;
tous les canaux de la vérité étaient obstrués.
On lira , avec un vif intérêt , dans cette histoire ,
les détails de cette mémorable journée du 30 mars ,
dans laquelle une petite armée de braves s'illustra
par la plus héroïque résistance. Ici nous pouvons
tous être garans de la fidélité du récit; nous les
336 MERCURE DE FRANCE ,
avons tous vus « ces grenadiers , ces braves vété-
>> rans , que le peuple désigne sous le nom de vieilles
moustaches , se traîner en dedans des barrières ,
>> atteints de plusieurs blessures mortelles , et là ,
>> expirer le fusil à la main , en s'écriant d'une voix
» éteinte : Ils sont trop ! >>.
Hatons-nous de reporter le souvenir de nos lecteurs
sur des tableaux moins lugubres , de leur
montrer dans lajournée du lendemain, et suivantes,
le voeu bien prononcé des habitans de Paris en faveur
des Bourbons , fixant enfin l'irrésolution des
puissances étrangères ; et le résultat, déjà prévu ,
de leur détermination , consolant tous les bons
Français d'avoir vu des armées étrangères maîtresses
de nos remparts. Dès lors , la tâche de l'historien
devient facile; il n'a plus à retracer que des scènes
d'ivresse et de bonheur. L'entrée de Monsieur dans
Paris , l'exil de l'oppresseur de la France , l'arrivée
de Louis le Désiré et de son auguste famille , le
bienfait de la Charte constitutionnelle , enfin l'oubli
des souffrances et l'aurore de la félicité publique ,
tels sont les divers objets sur lesquels il arrête nos
regards ; et , dans de semblables récits , on ne peut
craindre que de rester au-dessous de l'impression
produite par les faits eux-mêmes
Pour ne point interrompre le fil des événemens
majeurs qui ont amené la restauration , j'ai négligé
de parler, dans cette analyse , de la partie de cette
histoire qui concerne les batailles livrées dans le
midi, par l'armée du maréchal Soult à celle de lord
FÉVRIER 1815.
Wellington ; l'occupation de Toulouse , de Bordeaux
, etc. Des témoins oculaires s'accordent à
reprocher beaucoup d'inexactitudes au récit que fait
M. de Beauchamp de cette Campagne du midi. II
convient lui-même , dans sa préface , qu'il a vainement
sollicité des renseignemens utiles sur cet objet .
On sait qu'en pareil cas l'abbé de Vertot faisait
lui-même ses siéges , et l'on peut craindre que
M. de Beauchamp n'ait cru devoir prendre Vertot
pour modèle.
Il réparera sans doute plusieurs autres omissions
dans une nouvelle édition , qui n'en sera pas plus
volumineuse , s'il veut en retrancher des détails
minutieux qu'il auroit pu, sans inconvénient, laisser
dans les gazettes .
Quelques personnes , qui n'ont peut-être pas
même remarqué cet oubli d'une armée entière ,
se sont formalisées de ce que leurs noms étaient
omis dans la relation , assez étendue cependant , que
M. de Beauchamp a donnée des dispositions concertées
entre les royalistes de Paris , pour provoquer
le rappel de la dynastie légitime . Quelques-uns
de ces réclamans ont même cru devoir apprendre
à l'univers à quelle heure ils s'étoient levés le 31
mars , et quel avait été l'emploi d'une matinée
si utile à la cause royale . Le ridicule , cette arme
favorite des Français , a fait justice de ces prétentions
auxquelles le bon La Fontaine , cet instituteur
perpétuel des hommes , avait déjà répondu par la
fable de la mouche du coche. Ajoutons tous , à
22
338 MERCURE DE FRANCE ,
l'honneur de notre nation , que , satisfaits d'avoir
rempli cette honorable tâche, bien d'autres Français ,
non moins dévoués à leurs souverains , n'ont point
cru devoir réclamer un éloge public. J'en pourrais
citer plusieurs exemples , surtout parmi ce sexe
aimable , qui montra dans cette circonstance tant de
zèle pour son roi , et auquel il eût été permis d'attacher
plus de prix à un courage qui suppose plus
d'efforts .
En refondant une partie de son ouvrage , en prenant
des informations plus exactes sur plusieurs
objets , et réparant quelques omissions, M. de Beauchamp
rendra entièrement digne de l'attention publique
un ouvrage qui ne mérite que des éloges sous
le rapport de la correction , et même de l'élégance
du style.
LA FEMME
...........
: E.
ERRANTE , roman traduit de l'anglais de Miss BURNFY ,
auteur d'Evelina, Cécilia , Camilla.- AParis , chez Chaumerot
, Palais Royal , galeries de bois .
* D'APRÈS le plan adopté par les nouveaux rédacteurs du Mercure,
les articles insérés dans ce Journal auront peu de rapport avec ceux
des feuilles quotidiennes : nous ne rendrons un compte détaillé
que des ouvrages qui , par le mérite de la composition, sontdignes
de prendre un rang dans la littérature , ou du moins de fixer l'attentiondes
lecteurs. Ce plan sera suivi même pour les romans :
ceux qui ne se recommandent que par le nombre et la bizarrerie
des aventures , pourront tout au plus prétendre à une modeste
place dans quelques revues , et les honneurs de l'analyse ne seront
accordés qu'aux romans qui réuniront à une fable sagement combinée
des caractères bien tracés , et une peinture exacte des moeurs
FÉVRIER 1815. 339
A ces divers titres , nous devons rendre compte de la Femme
errante, production nouvelle de miss Burney, aujourd'hui madame
d'Arblay. Trois romans , qui tous trois ont eu un succès mérité en
France et en Angleterre , avaient déjà établi sur des bases solides
la réputation de cet aimable auteur. Très-jeune encore , elle avait
composé à l'insu de son père Evelina ,, ou l'Entrée d'une jeune
personne,dans le monde : on fut étonné du talent qu'annonçait un
pareil début. Douée d'un esprit fin et observateur , miss Burney ,
possédait ce don heureux de la nature , qui nous permet de transmettre
aux autres , d'une manière piquante , les impressións que
nous recevons des objets qui frappent nos ycux. Avec toutes les
qualités qui peuvent faire réussir dans la société , elle aimait la
solitude : aussi un homme d'esprit disait-il qu'elle avait deviné le
monde plutôt qu'elle ne l'avait vu. Le bruit de sa réputation
étant parvenu à la cour, la reine d'Angleterre désira la connaître,
et l'attacher à sa personne. Miss Burney obéit malgré sa répugnance;
et elle remplit dans la société particulière de cette princesse
à peu près les mêmes fonctions qu'avait remplie autrefois mademoiselle
de Launay auprès de la duchesse du Maine. Miss Burney
était à la cour lorsqu'elle ſit paraître Cécilia, roman qui est considéré
comme son meilleur ouvrage. On y remarque plus de variété dans
les caractères que dans Évelina. Il y a beaucoup d'art dans la narration
, de cet art qu'on n'aperçoit point , qui soutient l'intérêt ,
ménage et prépare les incidens , et amène le dénouement d'une
manière naturelle. Cependant la marche générale de l'ouvrage
parut unpeu lente , et quelques détails furent jugés trop minutieux.
Malgré ces légères taches , Cécilia eut un succès prodigieux , et
valut à l'auteur pour trois mille guinées de souscription. On ne
parlait que de miss Burney à Londres : elle pouvait jouir de sa
gloire sur ce grand théâtre , mais elle préféroit une vie tranquille.
Elle obtint la permission de se retirer, retourna à la campagne , et
peu après elle devint presque notre compatriote en épousant un
Français. Là , elle composa le roman de Camilla : on prétend
qu'elle y peignit l'aimable société dont elle était environnée. Le
340 MERCURE DE FRANCE ,
caractère charmant de sir Hugues Tyrol , qui a quelques points de
ressemblance avec l'oncle Tobie de Sterne , et le sir Roger Coverley
d'Adisson , offre , dit-on , le portrait du père de l'auteur. Outre ces
trois romans , madame d'Arblay a publié en 1793 un pamphlet
intitulé : Courtes Réflexions sur les Prétres francais émigrés ,
soumises avec instances à l'attention des dames de la Grande-
Bretagne. Le produit de cette brochure fut totalement appliqué
aux besoins du clergé français .
Dans tous ses ouvrages , madame d'Arblay s'est moins attachée
àmultiplier les aventures qu'à tracer des tableaux fidèles dumonde
et des différentes classes de la société. Son roman dernier est
composé d'après ce plan.
L'idée d'une femme errante est une conception qui paraît
d'abord singulière , et qui , dans l'exécution , présentait beaucoup
d'écueils. De tous les êtres sur lesquels la fortune appesantit sa
main , le plus à plaindre sans doute serait une jeune personne
élevée au sein d'une famille opulente , et qui se trouverait tout à
coup abandonnée à elle-même , et réduite à se procurer par le travail
de ses mains la plus chétive existence. Figaro prétend qu'il lui
a falludéployer plus de talent et d'industrie , seulement pour exister
, qu'un souverain n'en a besoin pour gouverner ses états .
Qu'aurait-il dit d'une femme placée dans les mêmes circonstances ,
et qui n'aurait voulu se servir d'aucun des moyens que la morale
deFigaro permettait d'employer?
L'auteur de la Femme errante n'a pas jugé une telle situation
assez pénible pour son héroïne : afin de ne lui laisser ni appui , ni
*protecteur, elle l'a transportée en pays étranger : elle a fait plus ,
elle a combiné les événemens de telle sorte que la jeune personne
est obligé de taire son nom , sa famille , et que par son silence ,
* non-seulement elle repousse l'intérêt des âmes généreuses , mais elle
provoque encore les plus odieux soupçons. Il était difficile d'empêcher
qu'un pareil personnage ne fût avili ; et madame d'Arblay a
montré tout son talent en lui conservant une dignité de caractère ,
FÉVRIER 1815. 341
qui la soutient au milieu des scènes les plus humiliantes. Donnons
une idée de la marche de l'ouvrage .
Plusieurs Anglais arrêtés en France pendant le régime de la terreur
sont parvenus à s'échapper ; déjà le bâtiment qui doit , au
milieu de la nuit , les transporter dans leur patrie est prêt à lever
l'ancre , lorsqu'une voix plaintive se fait entendre du rivage , et
réclame avec instance une place sur le frêle esquif. On hésite
d'abord , mais enfin on se laisse attendrir, et l'on admet une jeune
femme dont il est impossible de distinguer les traits , mais dont les
vêtemens annoncent l'indigence. Le trajet est heureux , on débarque
: l'inconnue suit les voyageurs à l'auberge ; et là se trouvent
réunis les principaux personnages qui doivent figurer dans le
roman. Leur caractère se prononce en parlant de la pauvre inconnue
, qui vient d'annoncer qu'elle a perdu sa bourse . Mistriss
Mapple , bourgeoise hautaine , n'estime que ceux qui ont un rang ,
une existence brillante : elle est sans pitié pour l'étrangère. Elinor ,
sa nièce , ne la considère que du haut des préjugés philosophiques
qu'elle a puisés en France : elle n'est ni méchante , ni insensible ;
mais les infortunes particulières ne méritent pas de fixer son attention
, et elle ne secourt l'inconnue que pour contrarier sa tante.
M. Riley et M. Ireton déploient l'impertinence de jeunes gens mal
élevés, qui se croient tout permis àl'égard d'une infortunée. L'amirał
Powel n'écoute que les mouvemens de son coeur : il aime mieux
s'exposer à mal placer un bienfait que de laisser une personne malheureuse
sans secours. M. Harleig se montre tel qu'il est , noble,
bon , discret dans son obligeance : il réunit toutes les qualités ,
c'est le héros du roman. Il ne faut pas oublier mistriss Ireton ,
la femme la plus capricieuse , la plus insupportable des trois
royaumes..
Nous avons déjà dit que les vêtemens de l'étrangère annonçaient
la pauvreté ; ses bras et ses mains semblaient appartenir à une
éthiopienne , une espèce d'emplâtre lui couvrait une partie du
visage , et l'un de ses yeux était caché sous un bandeau. En vain
on la questionnait sur sa famille , sur son nom , sur l'objet de son
J
342 MERCURE DE FRANCE,
voyage; elle gardait le silence , et priait seulement qu'on lui
fournit les moyens de se rendre à Brighthelmetone, petite ville
située à peu de distance de Lewes, habitation ordinaire de mistriss
Mapple et de ses nièces. L'amiral donne une guinée à l'inconnue ,
et mistriss Ireton consent à lui laisser dans sa voiture une place
qu'elle lui fait acheter par les plus mauvais traitemens. La guinée
est employée à se procurer des habits un peu moins chétifs ; au
bout de quelques jours , mistriss Ireton est fort étonnée de voir les
mains et les bras de son humble compagne dégagés de leur couleur
noirâtre . Peu à près , l'emplâtre de la figure tombe , et au lieu
d'une créature hideuse , elle a devant les yeux que jeune personne
charmante. La métamorphose donne lieu à d'innombrables
sarcasmes. L'inconnue demande asile à mistriss Mapple , celle- ci
refuse; motifplus que suffisant pour qu'elle soit admise par Elinor:
on renouvelle les questions ; la jeune personne garde le silence ,
à chaque instant on la menace de la renvoyer; elle est traitée plus
durement que les derniers domestiques.
Unjour la famille était allée dîner en ville; en rentrant dans
la maison on entend le bruit d'une harpe , on écoute , l'exécution
semble parfaite , on n'admire pas moins la voix qui se mêle aux
sons de l'instrument : c'était l'inconnue qui chantait et qui s'accompagnait
sur la harpe. Le lendemain on la surprend qui dessinait
un paysage d'après nature ; on trouve un papier écrit par elle , le
style et le caractère de l'écriture sont d'une délicatesse et d'une
élégance exquise : d'autres circonstances amènent la découverte
de ses talens pour la danse 'et pour tous les ouvrages d'aiguille.
Ainsi l'étrangère avait reçu une éducation brillante , on ne pouvait
le nier; mais pourquoi cachait- elle son nom , pourquoi gardait-elle
le silence sur ses projets , sur ses espérances ? Elle ne pouvait être
qu'une aventurière; et plus mistriss Mapple lui découvrait de perfections
, plus elle brûlait de s'en débarrasser .
Cependant un autre talent qu'on était loin de soupçonner à
l'inconnue la fit rentrer en grâce. Il était question de jouer la comédie
chez mistriss Mapple. Miss Arbe qui devait remplir un des
FÉVRIER 1815. 343
rôles principaux , s'excuse et l'on charge l'inconnue de la remplacer.
Qui le croirait ? elle s'en acquitte avec plus de succès que l'actrice
laplus consommée: elle enlève tous les suffrages de la nombreuse
société qui était réunie chez mistriss Mapple , elle est
fètée , recherchée par tout le monde , et la maîtresse de la maison
se voit forcée de lui supposer un nom et une existence ; ce talent
merveilłeux pour jouer la comédie devait la faire considérer plus
que jamais comme une aventurière . L'auteur en a jugé autrement ,
car personne n'en fait la remarque. Peut-être aussi miss Burney
avait- elle besoin de ce moyen pour renouer son intrigue et pour
lancer l'inconnue dans le monde; mais il nous semble qu'elle a ici
sacrifié les convenances à son plan : quoi qu'il en soit, Aurora Granville
et lord Melburg son frère, se passionnaient tous deux un peu
légèrement pour miss Ellis ( c'est le nom qu'on avait donné à l'inconnue)
. Elle est admise chez lady Aurora , elle y passe plusieurs
jours , elle espère enfin un avenir plus tranquille, lorsqu'une indiscrétion
de mistriss Mapple vient tout brouiller. Elle est de nouveau
traitée d'aventurière, les parens d'Aurora la séparent de sa nouvelle
amie ; elle revient à Lewes essuyer les mépris de toute la famille.
Ellis avait cependant trouvé un protecteur, mais ce protecteur lui
avait laissé entrevoir des sentimens qu'elle ne pouvait partager ,
ou du moins qu'elle ne pouvait laisser paraître : c'était Harleig ,
pour surcroît de malheur, Elinor, la fière Elinor était éprise de ce
jeune homme ; elle avait choisi Ellis pour confidente , et la rendait
souvent témoin de ses extravagances moitié passionnées , moitié
philosophiques .
Ellis est obligée de quitter la maison de mistriss Mapple. N'ayant
d'autre ressource qu'une faible somme , qu'Aurora lui avait fait accepter
, elle essaie de donner des leçons de musique ; mais ses
écolières ne la paient point. L'une trouve que la somme qu'on
réclame est trop modique et qu'il serait ridicule de s'occuper d'une
semblable bagatelle ; celle-ci ne fait solder ses comptes qu'à la fin
de l'année ; une autre ne peut concevoir comment on exige de
l'argent pour chanter et pour pincer de la harpe, quelle peine cela
:
344 MERCURE DE FRANCE ,
donne-t- il ? De prétendues protectrices , qui s'obstinent à se mêler
de ses affaires , mettent le comble à l'embarras de sa situation.
Lady Aurora lui envoie un nouveau secours ; des protectrices
s'en emparent , et dépensent malgré elle en superfluités , ce qui
était nécessaire pour son existence. Ne trouvant point de ressources
suffisantes dans la musique, elle entreprend de travailler à l'aiguille ,
mais l'ouvrage lui manque ; elle entre dans un magasin de modes ,
des tracasseries l'en éloignent; elle est admise chez une couturière
et ne peut y rester. Les assiduités de Harleig , les impertinences
de quelques fats compromettent sa réputation ; toutes les femmes ,
jalouses de ses talens , se réunissent pour l'accabler , quoique sa
conduite soit irréprochable. Réduite aux dernières extrémités ,
miss Ellis est trop heureuse d'être reçue à titre de demoiselle de
compagnie chez cette mistriss Ireton , dont nous avons parlé
plus haut.
On ne saurait se figurer tout ce que la pauvre Ellis est obligée
de souffrir dans cette maison. Une circonstance imprévue fait découvrir
qu'elle est soeur de lady Aurora et de lord Merbury; on
croit qu'elle va jouir de quelque repos , mais des considérations
majeures la forcent à fuir et à se cacher. Elle se réfugie à Londres
chez une amie ; à peine y est-elle établie , qu'elle apprend qu'on
est à sa poursuite. Elle fuit de nouveau, parcourt seule les environs
de Londres sous divers déguisemens, sollicite souvent sans l'obtenir
un asile dans les plus humbles chaumières ; et devient véritablement
la femme errante : elle est exposée sur les grandes routes , dans les
bois , à tous les dangers qui menacent une jeune fille ; enfin elle
est arrêtéc , réclamée par un commissaire de la convention nationale
, qui se trouve être son mari , et qui se dispose à la reconduire
en France. Sir Jaspar Harrington , espèce de vieux fou dont le
caractère a une bizarrerie un peu trop fortement prononcée , et
qui aime Ellis sans se rendre compte de ses sentimens , la délivre
d'une manière assez invraisemblable. Ellis n'en est pas plus
heureuse ; elle est encore obligée de se cacher; enfin l'auteur jugeant
qu'elle a subi un assez grand nombre d'épreuves, tue le com-
1
FÉVRIER 1815. 345
missaire de la convention, fait reconnaître Ellis par toute sa famille
et la marie avec Harleig.
On n'a point parlé dans cette analyse des amours épisodiques et
véritablement extraordinaires d'Elinor. Cette jeune personne a
merveilleusement profité des principes philosophiques qu'elle a
puisés en France. Elle méprise toutes les idées reçues , toutes les
convenances sociales ; elle est athée , matérialiste , ne connaît
d'autre loi que sa volonté , et se livre sans réserve à ce que lui
suggère l'imagination la plus déréglée. Ne pouvant supporter l'indifférence
d'Harleig elle est résolue à se tuer ; mais une pareille
action doit être faite avec un grand apparat; il faut qu'Harleig et
Ellis soient présens : Elinor ne veut s'ôter la vie qu'après avoir
philosophé tout à son aise : il y a des gens si malheureux qu'ils ne
peuvent pas même se tuer, Elinor est de ce nombre. Elle essaie
dès le premier volume , renouvelle trois fois ses tentatives dans le
cours de l'ouvrage , et au dénouement elle se porte à merveille .
Ce caractère paraît outré , mais il n'est pas absolument hors de
nature ; car à quels excès les principes d'Helvétius et de Diderot
ne peuvent-ils pas entraîner une femme jeune et passionnée ?.
L'auteur a tiré parti de ce personnage pour couper le récit un peu
monotone des infortunes de son héroïne .
Il est impossible de parler avec détail de la multitude de portraits
qui sont dessinés plus ou moins heureusement dans cet ouvrage.
On se contentera d'en indiquer quelques-uns . Sélina , soeur
d'Elinor, est disposée à aimer la pauvre Ellis ; elle lui montre beaucoup
d'attachement quand elle est seule avec elle. En public elle
ne la regarde pas , ou se joint à ceux qui l'outragent. Miss Bydell
croit fermement que la parole ne nous a été donnée que pour faire
des questions. Cette femme ne cesse de tourmenter l'inconnue.
Miss Arle spécule sur la protection qu'elle accorde aux artistes ;
elle se charge de présenter miss Ellis , de lui procurer des écolières
, mais il faut qu'on lui donne des leçons gratuites de harpe
et de chant. Sir Digby se soucie fort peu que ses enfans fassent ou
nondes progrès , pourvu qu'on sache qu'il leur a donné les maîtres
346 MERCURE DE FRANCE ,
les plus célèbres. Mistriss *** se prive des choses les plus nécessaires
dus l'intérieur de sa maison , afin de pouvoir étaler un espèce
de luxe aux yeux du monde. Miss *** a voulu se choisirun époux
trop parfait , elle a refusé beaucoup de partis convenables. La
jeunesse est passée , elle est réduite à rechercher en vain les prétendus
qu'elle a dédaignés .
M. Scope ne conçoit pas ce que l'on peut dire quand on ne
s'occupe pas de politique. Il est à l'affût des étrangers afin de
tirer d'eux quelques détails sur M. Robert Speer, et sur l'être
suprême qu'on vient de décréter en France.
Tout en applaudissant à l'esprit d'observation qui a tracé ces divers
caractères, on peut reprocher à miss Burney les nuances qu'elle
a données à quelques autres ; par exemple , que signifie ce sirHarrington
avec ses sylphes , sur lesquels il revient sans cesse ? Comment
qualifier le chevalier Arhe , qui n'offre qu'un mélange grossier
d'ineptie et de distraction , et dont les distractions sont peu
divertissantes? En voici un exemple : il a été piqué par un cousin
et le poursuit à outrance dans l'appartement : l'insecte va se poser
sur la joue d'une dame : sir Arhe ne voit que son ennemi, et
donne un grand soufflet à la dame pour tuer l'insecte . Il y a
quelque chose de pareil dans La Fontaine , mais le héros de l'aventure
est un ours . On remarquera en outre que l'auteurde la Femme
errante laisse trop voir la prétention de peindre tout ce qu'elle
rencontre. Après avoir passé en revue les différentes classes de la
bourgeoisie , elle descend aux marchands , aux ouvriers , aux cultivateurs
, et jusqu'aux simples manoeuvres des campagnes. En
parlant de ces derniers , elle montre les villageois fort peu sensibles
à ces beautés champêtres que les habitans des villes admirent
presque toujours sur parole , ou bien peut-être parce qu'ils en
jouissent rarement. L'observation estjuste , et le tableau que l'auteur
fait de l'intérieur d'une ferme considérable est aussi neuf que
piquant.
En général ,le roman de la Femme errante se distingue plutôt
par les détails que par la conception première de l'ouvrage . Lá
FÉVRIER 1815. 347
curiosité est assez vivement excitée , l'intérêt se soutient ; mais la
vraisemblance n'est pas toujours respectée , quoiqu'il y ait peu
d'aventures extraordinaires ; les combinaisons de l'auteur sont trop
romanesques .
En terminant cet article , nous sommes obligés d'avouer que si
nous n'avions pas eu l'ouvrage anglais sous les yeux , il nous eût
été à peu près impossible de nous en former une idée sur la traduction
française. Autant le style de miss Burney a de charmes ,
autant celui du traducteur est incorrect , barbare , trivial et repoussant.
Lorsque Cécilia parut en 1784 , on se plaignit avec
quelque raison de la négligence avec laquelle ce roman avait été
traduit. Que dire de la version française de la Femme errante ,
qui est absolument illisible ? Madame de la Fayette comparait les
sots traducteurs à des laquais qui changent en sottises les complimens
dont les chargent leurs maîtres. Miss Burney méritait un
meilleur interprète . Y.
PARALLÈLE DE THAMAS KOULI-KAN (OU NADIR SCHAH )
ET DE BUONAPARTE .
Fata viam inveniunt. VIRG.
Dans tous les siècles , chez tous les peuples , le grand tableau
des révolutions politiques offre , à des nuances près , mêmes couleurs
, mêmes contrastes , mêmes effets ; les mêmes traits caractérisent
aussi ces hommes redoutables que Voltaire appelle ,
quelque part , d'illustres bandits , quoique le vulgaire les décore
du titre fastueux de conquérans. Leurs actions dérivent effectivement
d'un même principe,, l'ambition qui , sous des masques divers ,
avec des moeurs opposées , joue cependant un rôle assez uniforme.
Attila , Gengis -Kan , Tamerlan , Thamas Kouli-Kan ( ou Nadir )
et Buonaparte , aux yeux d'un observateur éclairé , ont une physionomie
très-ressemblante. Chacun d'eux , fanatiques dans leur
348 MERCURE DE FRANCE ,
le
genre , visionnaires , superstitieux , eurent la férocité en partage
, et se regarderent comme les fléaux de Dieu, les messagers
du Très-Haut et les hommes du destin. Sans la
puissance accidentelle qui seconda leur ambition , sans
prestige de leurs victoires , on serait tenté , à l'exaltation de
leurs idées , de prendre ces conquérans pour des insensés , au
lieu de les prendre pour des génies extraordinaires. La cruauté
surtout marque leur rapide passage sur la terre. Est-il besoin de
produire ići Attila ? L'histoire de ses fureurs et de ses ravages
n'est que trop célèbre. Quel chef de sauvages commit plus d'actes
debarbarie que Gengis-Kan? Au sac de Bokkara et de Karizim ,
ce prince fit périr deux millions d'hommes ; et néanmoins Voltaire
, l'ennemi des conquérans ,peu conséquent dans ses maximes ,
peu fidèle à sa haine , ose faire le panégyrique du plus cruel
d'entr'eux , et prononce cet étrangejugement dans son Essai sur
les moeurs : « Gengis-Kan était unprince éclairé , philosophe ,
tolérant, politique » . Risum teneatis, amici. Oui , philosophe et
tolérant à la manière d'Attila , et des brigands de notre révolution .
Ce conquérant si philosophe avait coutume de dire : « Un prince
n'a jamais moins à craindre d'un ennemi , que lorsqu'il l'a précipité
dans le tombeau (1) » . A ce prix , Vitellius mériterait également
le titre de philosophe.Gengis-Kan , pareil à ces comètes
qui , malgré leur distance infinie , effraient la terre , inspira , du
fond de l'Asie , une terreur universelle , dévasta des contrées entières
, moissonna , le fer à la main, leurs habitans , et fit pålir tous
les rois sur le trône.
Les cinq conquérans que nous venons de citer , furent des espèces
d'illuminés qui croyaient ( ou feignaient de croire ) remplir
une mission divine en couvrant le monde de ruines , et en le jonchant
de cadavres . On connaît le langage habituel que tenaitAttila.
Gengis-Kan , se déguisant à lui-même l'horreur de ses grands massacres
, s'annonçait comme le vengeur envoyé du Ciel pour châtier
(1) Cardonne , Mélanges de littérature orientale , p. 438.
FÉVRIER 1815. 349
1
les nations. « Quand je suis monté à cheval , disait Tamerlan , cent
cinquante cavaliers , visibles à moi seul , marchent devant moi et
me servent de guides (2) . » Ainsi , il n'y a réellement encore rien
de nouveau sous le soleil , et le langage à moitié mystique du
Tamerlan moderne ne saurait nous étonner. Tamerlan fut peutêtre
de tous les conquérans celui qui eut les connaissances les plus
variées , qui fut le plus spirituel, et qui se servit avec le plus d'adressedes
ressources du fanatisme. Le même scélérat qui construisit
des tours avec des prisonniers vivans , symétriquement entassés par
étage , les uns sur les autres , composa des écrits remarquables pour
le bon sens , la finesse et quelquefois la délicatesse des pensées.
Aucun homme n'eut la repartie plus prompte ni des saillies plus
vives. Ce fut un tigre civilisé .
Mais ni Attila , ni Gengis-Kan , ni Tamerlan ne punirent une
simple plaisanterie comme un crime , et ne s'entourèrent d'une
nuée d'espions. Ily eut une sorte de franchise dans la tyrannie de
ces monarques barbares , et l'on peut assurer qu'ils l'exercèrent
dans leur camp , à la face de leurs armées. On cite de leur part
plusieurs traits de générosité et de clémence. Thamas Kouli-Kan
et Buonaparte furent absolument dépouvus de ces deux sentimens ,
et voilà pourquoi ces deux fameux personnages me semblent avoir
entre eux une conformité frappante. Mêmes passions irascibles ,
même caractère ombrageux , même despotisme , mêmes excès de
tyrannie,même affectation de mépris pour tous les cultes , et néanmoins
même penchant à la superstition, et à vouloir rattacher leurs
actions à l'influence de ce sombre , de ce sinistre destin qui causa
tant de malheurs à l'Asie aussi-bien qu'à l'Europe. A considérer
attentivement les exploits del'un et de l'autre , on ne voit plus que
de la folie où d'abord l'on trouvait du génie.
Peindre à grands traits Thamas Kouli-Kan , c'est , je ne crains
point de l'avancer , tracer le portrait de Buonaparte. L'esquisse
très-rapide que nous allons hasarder sur la vie de l'usurpateur de
(a) D'Herbelot , Bibl. orient. , tom. VI, p. 50.
350 MERCURE DE FRANCE ,
la Perse , servira à former un parallèle avec le tyran de la France ;
quoique les faits ne fournissent pas toujours les mêmes rapports ni
-lesmêmes résultats , un parallèle n'exclut nullement la dissemblance ,
et il est facile de s'en convaincre en lisant les Vies des Hommes
Illustres de Plutarque , en lisant le parallèle d'Alexandre et de
Thamas Kouli-Kan , par M. de Bougainville , secrétaire de
l'Académie Royale des Sciences. Quoique l'histoire de ces deux
conquérans soit absolument différente , quant aux points essentiels ,
l'auteur , pour établir un semblable parallèle , s'est contenté ( et il
le déclare lui-même ) du rapprochement de plusieurs faits. Nous
allons comparer Thamas Kouli- Kan suivant une méthode beaucoup
plus exacte , et nous verrons que ce parallèle , fondé sur les points
essentiels , offre de nombreux traits de similitude , qui sont une
répétition curieuse de caractère , de charlatanisme , d'aventures
romanesques et d'exploits qui portent l'empreinte du merveilleux ,
plutôt que celle de la sagesse et de l'habileté.
On ignore le véritable nom de Nadir et celui du lieu qui le vit
naître. Cet homme serait éternellement resté dans les abîmes de
l'oubli , sans la guerre civile qui désola la Perse , et bouleversa
cette belle contrée. Il débuta , sous les auspices du crime , dans la
carrière de la gloire , et comme chef de brigands. Ce chef étant
tombé au pouvoir des troupesde Thamas , fils du souverain détrôné
par les Asghwans , fut condamné à mort et conduit au supplice.
Thamas , frappé de la bonne mine du criminel , lui fit grâce de la
vie , et par cette imprudente pitié , se donna lui-même un bourreau.
Le chef de voleurs devint un héros , car tels sont la plupart des
hommes que le flot des révolutionsélève au faîte des grandeurs : vérité
que Callisthène laissa échapper un jour à la table d'Alexandre ,
et qui causa la fin tragique du philosophe grec. L'aventurier persan
se distingua , les armes à la main, de manière à se concilier l'estime
du prince , et par flatterie , beaucoup plus que par reconnaissance ,
adopta les noms de Thamas Kouli-Kan , c'est-à-dire esclave
du Kan Thamas .
Le climat de la Perse avait énervé les sauvages Asghwans , qui
FÉVRIER 1815. 351I
ue déployaient plus la même valeur dans les combats ; piller , afin de
s'enrichir était leur unique politique. Un esprit commun de haine
et de vengeance animait les Persans contre ces ennemis barbares ,
ces dominateurs avides. Au commencement de l'année 1750 ,
Kouli-Kan , après avoir vaincu l'armée asghwane , entra dans
Ispahan, et plaça sur le trône Schah Thamas , prince qui méritait
de régner pour son humanité et sa piété filiale. Ses sujets le chérirent
bientôt universellement. L'ambitieux général vit , avec un
dépit secret , éclater les sentimens de respect et d'amour que les
Persans conservaient pour le sang des Sophis , sentimens vifs qui
n'avaient pas très-peu contribué à ce mémorable changement de
fortune.
La guerre seule pouvait rendre Kouli-Kan nécessaire , et le
maintenir dans l'admiration de ses concitoyens : la paix eût infailliblement
démasqué le héros. La guerre fut donc résolue. Contre
l'attente générale , il fut vaincu deux fois sous les murs de Bagdad ,
par les Ottomans. Le souverain, sur un autre point , essuya des
revers non moins fâcheux. Kouli-Kan se mit à décrier la faiblesse
du prince , lui imputa les malheurs publics , et redoubla de soins
pour captiver la bienveillance des soldats aux yeux desquels l'in
grat avait fait briller une rare intrépidité. Il aurait voulu que le
monarque s'exposât aux dangers comme un simple particulier ; il
l'aurait voulu , afin qu'une main ennemię lui évitât la peine de
commettre le forfait qu'il méditait au fond de son coeur. Accréditer
les plus odieux soupçons , recourir aux plus insignes fourberies ,
s'assouplir à tous les caprices de la multitude , ce furent les principaux
moyens qu'il imagina pour renverser la puissance de son
maître. Les soldats s'aperçurent un moment des piéges grossiers
que Kouli-Kan tendait à leur crédulité , et peu s'en fallut qu'il ne
devînt la victime de ses abominables stratagèmes. Si Thamas eût
montré plus de fermeté , plus de présence d'esprit , le fourbe général
terminait dès lors sa carrière , et bien des hommes , bien du
sang eussent été épargnés à l'humanité; mais , daus tous les siècles ,
la faiblesse perdit les rois et les peuples .
352 MERCURE DE, FRANCE ,
Le souverain laissa le temps à Kouli de se reconnaître , de renouer
ses intrigues , de tromper , d'égarer une seconde fois les
troupes et de les aigrir contre Thamas. Le Sophi est arrêté et relégué
dans une forteresse. L'exécrable général , n'osant encore
lever entièrement le masque , fit , au mois de septembre 1732 , proclamerSchah
le fils du monarque prisonnier, sous le nom d'Abas III ,
qui à peine était âgé de trois ans : excellente ressource pour un
ambitieux qu'une telle minorité , et qui lui permettaitde se préparer
les voies à la domination suprême ! Pour mieux cacher ses vues,
pour mieux étourdir les Persans sur ses attentats , et empêcher ses
compatriotes d'y réfléchir , il rompit le traité de paix conclu avec
les Turcs . La fortune seconda Kouli-Kan au-delà de ses espérances
, et il vola de victoires en victoires. En une seule journée ,
trente mille Ottomans mordirent la poussière près de Bagdad.
Kouli-Kan recouvra la Géorgie , et força l'impératrice deRussie ,
Iwanowna , de restituer cent lieues de pays à la Perse. Une armée
de 80 mille Turcs s'étant engagée dans les défilés d'Érivan , fut
attaquée , culbutée , mise en déroute par l'impétueux vainqueur ,
et vingt mille hommes restèrent sur le champ de bataille. Un plus
grandnombre tombèrent en son pouvoir.
Vers le commencement de l'année 1736 mourut Abas III. Cet
enfant génait l'ambition de Nadir , c'était le nouveau nom de
Kouli-Kan , nom qui , en langue persane , signifie victorieux.
L'histoire n'ose point affirmer que le dernier rejeton des Sophis
ait péri tragiquement . Elle se contente de le conjecturer : un
ambitieux qui détrône le père est également capable de se débarrasser
du fils par le fer ou par le poison. Tant d'exploits éblouirent
les Persans , et leur déguisèrent l'horreur d'une aussi monstrueuse
ingratitude. Nadir , restaurateur de la puissance persane , le vainqueur
des Turcs , la terreur des Russes , crut désormais n'avoir
aucunbesoin de la dissimulation, et.prit hardiment l'aigrette royale,
après avoir feint de consulter , pour la forme , sur les bords de
l'Araxe , le voeu de la nation entière , voeu dont il était d'avance
bien résolu de se passer. Cette comédie politique fut jouée avec
ROYAL
5
C.
FÉVRIER 1815.
unsuccès complet. Nadir eut autant de suffrages que l'ambition lu
en suggéra , et son charlatanisme suppléa facilement à la réa
Eh ! quel usurpateur fut jamais embarrassé de prêter aux nations
qu'il veut tyranniser des intentions et un enthousiasme que c
nations n'ont point effectivement ? Elles pensent, et parlent
presque toujours , ou du moins on les fait penser et parler au gré
de ses désirs . Ainsi la couronne fut déclarée héréditaire dans sa
famille. A la demande du nouveau Schah , les Persans consentirent
à cesser de maudire Omar , Osman et Abubeker , qui furent les
trois mortels ennemis d'Ali. La tolérance de Nadir était une hypocrisie
, puisque devant ses favoris il se moquait d'Ali , de Mahomet
même , et qu'il se plaçait hors du cercle de toutes les religions . Il
ne tarda point d'afficher une sorte de mépris pour l'islamisme ,
pour les Molhahs et les Derviches , appelant ses soldats les véritables
prétres du Très-Haut , et se disposant à n'user pour les
malheureux Persans que d'un pareil sacerdoce . L'usurpateur athée
affectionnait singulièrement les chrétiens , sans doute parce qu'il
n'avait point à les redouter, et qu'il voulait braver ses sujets Musulmans.
4
La perfidie et le brigandage furent donc constitués en dignité
dès que Nadir eut été proclamé souverain . On devait au moins présumer
que l'usurpateur s'estimerait heureux de s'asseoir sur le plus
beau trône de l'Asie , que ceserait-là le terme de son ambition , et
qu'il s'empresserait de cicatriser les plaies de la Perse ; mais le coeur
de l'homme , de l'homme même porté de la plus basse extraction
au faîte des grandeurs , peut-il jamais être satisfait ? Nadir voulut
être plus despote que les Sophis , et réduire les Persans à ramper
devant lui . Le fanatisme réel du nouveau Schah s'arma contre
le fanatisme imaginaire des Imans , et il avilit les prêtres afin d'affaiblir
le respect pour la religion. Cette abominable politique réussit
jusqu'à un certain point , et ses volontés servirent de lois aux peuples
. Le terrible conquérant , affichant aussi une sublime philosophie
, prêchait la tolérance universelle , parce que tous les dogmes
religieux lui paraissaient à peu près indifférens. A ses yeux , la
TIMBR
F
SEINE
23
354 MERCURE DE FRANCE ,
meilleure religion était l'obéissance passive ; plein d'une sauvage
arrogance , violateur des lois divines et humaines , il alliait néanmoins
les actes de la plus bizarre superstition aux actes de l'impiété
laplus ouverte.
Un désir immodéré de la gloire tourmentait Nadir : la paix lui
était odieuse ; et peu propre aux soins de l'administration civile ,
il ne pouvait , coinme notre Buonaparte , régner qu'au son bruyant
de la trompette guerrière. Il fallait attaquer , piller les royaumes
voisins afin de s'enrichir , et de fatiguer incessamment les cent
voix de la renommée. Ce besoin , cette malheureuse nécessité , lui
tinrent lieu de manifeste avant de marcher à la conquête de l'Inde .
En se précipitant des montagnes du Kandahar , il sembla avoir
adopté pour devise cette pensée de Virgile : Fata viam inveniunt.
Les destins le servirent merveilleusement dans une expédition ou
un capitaine plus habile aurait pent- être succombé en tout autre
siècle. La providence avait ses vues secrètes en augmentant la
puissance et la gloire de l'usurpateur déjà invisiblement condamné
à justifier , par l'exemple d'une chute soudaine , cette vérité appliquée
si énergiquement par Claudien aux ambitieux de tous les
siècles , de tous les pays .
... Tolluntur in altum
Ut lapsu graviore ruant.
La providence le faisait grand pour le malheur de ses sujets , et
c'était la verge destinée à châtier leur rébellion. Ils avaient refusé de
combattre en faveur de Schah-Hussein , leur légitime maître , le
plus doux , le plus clément des rois , et l'avaient laissé honteusement
égorger. Les Persans ignoraient que , peu d'années après la
consomination d'un si exécrable régicide , ils expieraient leur insouciance
, leur lâche égoïsme , qu'ils seraient contraints de verser ,
sans aucun but d'utilité , leur sang pour le plus impitoyable , le
plus cruel conquérant , le plus déréglé dans son ambition , pour
un insensé , un furieux qui ne leur accorderait aucune relâche , qui
exigerait de leur part les sacrifices les plus douloureux au coeur de
FÉVRIER 1815. 355
l'homme , et qu'ils seraient forcés de seconder toute l'énergie du
crime , après avoir indignement abandonné la cause de la vertu .
,
les
Long- temps Nadir , ainsi que Buonaparte , retint la victoire sous
ses drapeaux , et se regardant comme à l'abri des traits de l'adversité
, reçut d'une servile adulation les honneurs de l'apothéose . Le
nombre de ses exploits se multipliait rapidement : « Lafortune ,
dit Montaigne , n'ayant pu faire les malhabiles sages ,
rend heureux à l'envi de la vertu » . Un tel bonheur n'éblouit
que le vulgaire ; les personnes accoutumées à juger sainement les
faits historiques , savent que , pour me servir des expressions du
même écrivain : « L'issue autorise souvent une très-inepte conduite.
et que les événemens sont maigres témoins de
notre prix et capacité » . Le prix du héros persan et du héros
français , envisagés sous ce rapport philosophique , serait assez médiocre
, puisque tous les deux également furent incapables de soutenir
l'éclat de la prospérité , puisqu'elle troubla leur raison , et
que l'un et l'autre succombèrent à l'ivresse que leur causa cette
prospérité si éclatante. On ne tient pas tout ce que l'on emprunte ,
et leur exemple prouve la vérité d'un pareil adage. La gloire militaire
dont ils se montraient si jaloux , ne la devaient-ils pas encore
plus à l'aveuglement des ennemis , à la nature des circonstances ,
et à la bravoure de leurs soldats que le feu des révolutions avait
électrisés ; ne la leur devaient-ils pas encore plus qu'à leur génie ?
Vers le milieu de l'année 1738 , Nadir conduisit ses troupes
dans l'Indostan . Toutes les places lui ouvraient leurs portes : il
battit et dispersa les armées indiennes que la trahison livrait au
conquérant. Le Grand-Mogol , au lieu de chercher son salut dans
la fuite , et d'aller ranimer le courage de ses sujets , vint se
constituer prisonnier dans le camp du vainqueur : Est-il possible
, s'écria celui-ci , en l'apercevant , que vous ayez eu l'imprudence
de vous engager dans une entrevue avec moi qui
suis en guerre avec vous ?... Je connais assez vos sujets pour
savoir que tous , grands et petits , sont des laches , et même des
traîtres. Mon dessein n'est pas de vous enlever la couronne.
356 MERCURE DE FRANCE ,
Je veux seulement voir votre capitale , m'y arréter quelques
jours , et retourner ensuite en Perse (3). Que répliquer à un tel
harangueur ? Il entra effectivement à Delhi , le 19 mars 1733 , et
avec lui entrèrent tous les fléaux. Ce conquérant philosophe méditait
bien d'autres idées que celles d'un observateur curieux de
s'instruire ! Une légère émeute , vraisemblablement occasionnée
par sa politique , par son avarice , fut punie avec la dernière atrocité
. Le Schah fit mettre le feu dans les principaux quartiers de la
capitale , et plus de deux cents mille habitans périrent , soit dans
les flammes , soit par le fer de ses soldats. Le farouche héros comtempla
, du haut d'une mosquée, l'effroyable spectacle du désordre ,
du pillage , du carnage , de l'incendie ; et les cris du désespoir, de
la douleur, de la mort , furent le concert que se procura ce tigre
royal , qui , pendant ce temps , s'amusait à prendre du sorbet , et
riait aux éclats , entouré de ses officiers. On raconte qu'un derviche
, perçant la foule , osa se présenter devant l'impitoyable
héros , et lui parler en ces termes : » Si tu es un dieu agis en dieu.
Si tu es prophète, conduis-nous dans la voie du salut. Si tu es roi,
rends les peuples heureux et ne les détruis pas » . Nadir répondit
avec un sang-froid ironique : Je ne suis pas dieu pour agir en
dieu , ni prophète pour montrer le chemin du salut. Je suis celui
que Dieu envoie contre les nations sur lesquelles il veut
faire tomber sa vengeance. Ainsi se comporta , ainsi parla , en
véritable illuminé , l'Attila moderne de l'Asie .
Nadir, après cette sanglante exécution , adressa une insolente
réprimande au Grand-Mogol , dont il venait d'épouser la fille ,
sur les décombres fumans de Delhi , et se retira le 6 mai , emше-
nant des richesses immenses , évaluées à plus de trois milliards , richesses
qu'il extorqua aux propriétaires , en livrant ces malheureux
à des tortures indicibles , et telles que nos chauffeurs n'en
imaginèrent jamais de semblables. Tant de trésors le perdirent.
L'or, l'argent , les pierreries devinrent les uniques objets de sa
passion. Il ne connut plus de repos. Tout ce qui l'entourait com-
(3) La Maniye-Barberac. Hist, de Perse , tom. II. Otter.
i
i
357
FÉVRIER 1815.
mença à lui inspirer de l'ombrage ; le seul désir d'augmenter
ses richesses aiguillonnait sa valeur et son génie. Ce fatal , ce
monstrueux génie , il l'employa à fouler ses peuples , à les écraser
d'impôts , à les traiter avec toute la fureur d'un scélérat qui a perdu
la tête. Ce n'était plus ce Nadir qui , simple général , affectait
la modestie , la simplicité des moeurs , qui s'étudiait à gagner les
bonnes grâces du souverain , du peuple et de l'armée . C'était une
bête féroce qui n'épargnait pas ses plus fidèles amis. Et pourtant
il se trouvait des flatteurs qui ne rougissaient point de vanter le
bonheur des Persans ! Il fallait bien se contenter du nom au défaut
de la réalité. Une cruelle famine vint à désoler la Perse , et Nadir
fit publiquement trafic de l'infortune de ses sujets , en leur vendant
le blé à un prix excessif. L'Asie entière tremblait devant l'usurpateur
; il lui était facile de régner enfin paisiblement , et de transmettre
le sceptre à sa famille ; mais le démon de la guerre l'agitait
continuellement. Il essaya de ranger les Lesghiens sous sa domination.
Il avait tout à perdre , et rien à gagner dans cette expédition
lointaine , contre un peuple retranché sur les hauteurs
inexpugnables du Caucase. Il s'y engagea témérairement parce
qu'il se figurait qu'aucune puissance humaine ne saurait l'arrêter
dans ses injustes projets de conquête. La fortune , ou plutôt le ciel
en décida autrement. Ces braves montagnards taillèrent en
pièces son armée , et lui apprirent enfin qu'il n'était pas invincible .
De nouveaux revers aigrirent son humeur , dérangèrent davantage
sa tête , le rendirent plus sombre , et l'enflammèrent de vengeance.
Nadir appesantit un sceptre de fer sur les Persans , et déchargea
sur eux tout le poids de sa rage. On aurait dit qu'un bourreau
les gouvernait . L'usurpateur avait résolu de leur faire les adieux
de Médée , d'entraîner dans son abîme la population entière du
pays , et de convertir le royaume en un vaste cimetière , avant de
terminer sa criminelle vie. La haine contre sa personne était parvenue
au comble . Le Schah qui regardait les hommes comme un
vil troupeau destiné à la boucherie ; le Schah , non content
d'avoir mis jusqu'alors , la nation en coupe réglée par des levées
annuelles , appela sous ses étendards honteusement flétris ,
358 MERCURE DE FRANCE ,
tous les Persans depuis l'âge de seize jusqu'à cinquante ans. Les
peines les plus terribles furent prononcées contre les réfractaires à
ses ordres . Cette levée extraordinaire et la misère publique contraignirent
des milliers de familles de s'enfuir dans les steppes
d'Astoukan , dans les déserts de la Tartarie et jusque dans l'Indos
tan. Les malheureux Persans étaient las de cette gloire militaire ,
qui , en les ruinant , les arrachait à toutes leurs habitudes , à toutes
les affections de la nature. Est-il besoin de rapprocher ici les deux
sanguinaires héros de l'Asie et de l'Europe ? N'avons-nous pas vu ,
en France , les hommes obligés , sous peine de mort , de prendre
les armes depuis dix-neuf jusqu'à soixante ans , et (j'emprunte les
expressions d'un écrivain de beaucoup d'esprit ) le vieillards cacochistes
, obligés de se mêler parmi les voltigeurs. La mort planait
de toutes parts sur notre patrie , comme elle avait plané sur
la Perse , et l'on aurait pu certainement planter sur nos frontières ,
un poteau couvert de cette inscription de l'Enfer du Dante , Voi
ch'intrate , lasciate ogni speranza , car un génie infernal voulait
aussi dévorer toute la population française.
1
Nadir menait invisiblement à sa suite les destructeurs de la plus
affreuse tyrannie , les vengeurs de l'humanité éplorée. Étant campé
dans les plaines de Soltan-Méidan , comme l'usurpateur reposait
sous sa tente , cinq officiers persans , conduits par Saleg -Begh ,
commandant de la garde asghwane , fondent sur lui à l'improviste.
Le Schah , se réveillant en sursaut , tire son cimeterre , se
défend avec intrépidité , et tue deux assaillans ; mais Saleg-Begh
le frappe aussitôt d'un coup mortel : « Gráce , s'écrie le tyran ,
etje vous pardonne tout.-Point de grace , répartit le meurtrier ,
à celui qui n'enfit jamais àpersonne ».. Il dit, et abat la tête de
Nadir, qui fut assassiné le 23 mai 1747, dans la soixante et unième
année de sa vie , et la douzième de son règne. La tête de ce conquérant
si redouté la veille , est plantée à la pointe d'un pieu que
l'on enfonce dans la terre près du camp même. Elle fut enlevée
de là quelques jours après , transportée de lieux en lieux , et
perdue ensuite , sans qu'on fit de recherches pour la retrouver.
Ainsi vécut, ainsi périt Nadir, modèle dont Buonaparte a été la
FÉVRIER 1815.
359
fidèle copie. Ce parallèle n'est point établi sur des rapports superficiels
: un examen sérieux du caractère de l'un et de l'autre conquérant
prouvera la justesse de ces rapports qui , plus d'une fois ,
frappèrent les Français capables de réfléchir et de profiter des
exemples si instructifs du passé. Le génie brut de Nadir, comme
celui de Buonaparte , se développa au milieu des horreurs de
l'anarchie . Toute la Perse , après l'expulsion des Asghwans , proclama
le premier son libérateur . On sait les résultats de cet enthousiasme
pour Thamas , pour le fils de cet infortuné prince et pour
les Persans . On sait encore mieux les résultats de l'enthousiasme
que le second inspira en renversant la tyrannie du directoire , et
les maux que causèrent à toute la France cet aveugle sentiment .
Tous les deux , pour consolider leur injuste puissance , épousèrent ,
l'un la fille de Muhamed , souverain légitime de l'Indostan , l'autre
une princesse du sang de l'illustre Marie-Thérèse d'Autriche , et se
méprirent dans les calculs de leur ambition : de tels gendres
épouvantèrent leurs beaux-pères mêmes , qu'ils avaient inhumainementdépouilles
, outragés plus inhumainement encore. Avec Nadir et
Buonaparte finit ce qu'ils appelaient leur dynastie . Tous les deux ,
oubliant la bassesse de leur origine, se crurent nés pour commander
à la fortune , pour vaincre tous les obstacles, et chargés par le destin
de soumettre et de ravager l'univers. La gloire fut leur unique
divinité , et c'est à cette idole qu'ils sacrifièrent tant de millions de
victimes . La fausse grandeur étant plus séduisante que la véritable,
tous les deux poursuivirent ce vain fantôme de la gloire , dédaignèrent
les bienfaits de la paix , et méprisèrent ceux d'une sage
administration . De même que Nadir , Buonaparte , au milieu des
scènes de carnage , entr'autres sur le champ de bataille d'Eylau ( 1 ) ,
insulta aux malheurs de l'humanité , et son esprit étincela de ces
(1) Voyez le bulletin de la bataille d'Eylau et de quelques autres journées.
Ces horribles phrases où la blancheur de la neige tranche sur la rougeur du
sang des cadavres , où il est question de belles charges , de jolis coups de
sabres , ne révoltent- elles pas le coeur de l'homme sensible , et ne formentelles
pas un étrange langage pour les peuples civilisés de l'Europe ?
.
360 MERCURE DE FRANCE ,
1
۱
traits d'éloquence que l'enfer seul pouvait suggérer. Ce que M. de
Bougainville dit en parlant du Schah , s'appliquerait facilement à
Napoléon : « Il commande à la fois , et du même ton, l'embrasement
de la ville ( Delhi ), et les apprêts d'un festin.... Sa conduite
est celle d'un brigand , d'un meurtrier, d'un incendiaire , d'un fléau
du genre humain » . Buonaparte lui-même sentait la force, connaissait
la vérité de ce parallèle , puisqu'aucun écrivain , avant l'heureuse
restauration du trône des Bourbons , n'osait s'exprimer
librement sur le compte du brigand de la Perse. Tamerlan et
Thamas-Kouli-Kan étaient devenus deux personnages suspects et
redoutables à la police. Leur ombre effrayait l'imitateur de leurs
sanglans exploits.
On m'objectera peut-être que ce parallèle pèche aussi , comme
celui de M. de Bougainville fait en 1752 , sur un point
essentiel , Nadir ayant péri d'une manière si tragique. Dans les
Vies même des Hommes illustres de Plutarque , les deux personnages
mis parallèlement en scène , ne le sont pas sur une ligne
égale , et n'eurent pas toujours une pareille destinée. Il me suffit
de citer Philopémen , surnommé le dernier des Grecs , que les
Messéniens accablent d'outrages , et qui est forcé de boire la ciguë,
tandis que Flaminius , qui certes ne fut pas le dernier des Romains,
se trouve placé en regard du héros de la ligue achéenne , et
meurt tranquillement dans ses foyers .
Abien considérer la nature des peines , la chute de Buonaparte
ne me semble pas moins effrayante , moins instructive pour les
ambitieux , pour les usurpateurs que la chute de Schah Nadir. L'un
est assassiné , et ne survit point à sa honte; l'autre , condamné
au supplice de la vie, portant , malgré sa devise ubicumquè
felix, le deuil de son ambition déçue sur les rochers de l'ile
d'Elbe , survit à sa puissance , à sa honte , et reste placé
entre sa grandeur passée , et son humiliation actuelle . Ses
destins sont accomplis. Il n'a plus désormais l'aspect imposant
d'un héros ce trop fameux aventurier , aujourd'hui réduit à
exister loin du tumulte des armes , banni du continent qu'il
couvrit de ruines , et maudit de l'humanité entière. Ulysse , dans
FÉVRIER 1815. 36r
sa petite, dans sa misérable île d'Ithaque, pouvait s'estimer heureux,
parce qu'il n'était ni dévoré par les remords , ni tourmenté par les
souvenirs du crime , et que la sagesse modérait ses désirs . Comment
Buonaparte jouirait-il de quelque félicité dans son île d'Elbe , lui
qui se trouvait trop à l'étroit dans l'Europe , lui qui ne saurait jouir
du témoignage d'une bonne conscience , lui que les souvenirs da
crime assiègent sans cesse , lui , en un mot , que les rêves de l'ambition
agitent , tourmentent jour et nuit ?
Grâce au ciel , il est parti ce héros qui fit répandre tant de sang
et tant de larmes. Maintenant , ses regards attristés se promènent,
du haut des rochers escarpés de son île , sur une mer
dont les flots sont aussi bouleversés que son âme. L'ignorance
et la barbarie se sont éloignées avec cet homme ; l'auguste
famille qui , durant huit siècles , a déjà régné sur la France , est
remontée sur le trône de ses pères , et a ramené dans notre patrie
le cortége detoutes les vertus . JONDOT.
BULLETIN LITTÉRAIRE.
SPECTACLES.
-
THEATRE FRANÇAIS.-Reprise de Ninus II. La reprise
d'une pièce de théâtre est une épreuve très-dangereuse pour les
succès qui ne sont dus qu'à la cabale , mais très-favorable au vrai
talent. Il semble que l'effet général d'un ouvrage est mieux senti
quand on commence à s'éloigner de l'époque où il a été jugé pour
la première fois . Le temps qui prête son autorité à toutes les choses
humaines ne l'exerce nulle part avec plus d'empire qu'en littérature.
On pourrait citer beaucoup de réputations que personne ne
s'avise de contester , et qui ne se maintiennent toutefois que par
droit de prescription.
Les apologistes les plus passionnés de Ninus ne regardent point
cette tragédie comme un ouvrage sans défaut ; mais ses critiques
les plus malveillans y reconnaissent des beautés extrêmement remarquables.
Tout le monde s'accorde sur l'heureuse intention de
362 MERCURE DE FRANCE ,
plusieurs scènes , sur la perfection de certains détails , et sur la
pureté soutenue , élevée et souvent nerveuse du style. Le public
ne cesse de la voir avec intérêt , comme une des meilleures nouveautés
en ce genre , et comme le gage des nouvelles jouissances
que lui promet un jeune auteur qui a débuté d'une manière si
avantageuse .
Une des choses qui nuisent le plus , selon moi , à la marche de
l'action dramatique dans cette tragédie , et surtout à l'ensemble
de son exécution théâtrale , c'est la multitude des personnages accessoires
, et ce défaut sort du fond. Il y a trop de secrets dans la
pièce , et par conséquent trop de confidens. Cela est d'autant plus
sensible que ces rôles secondaires sont ordinairement fort maljoués,
et qu'ils le sont plus mal au Théâtre Français que sur aucun autre
théâtre du monde. Talma fait illusion dans le rôle de Ninus : c'est
un vrai despote asiatique. Il n'y a aucune proportion entre lui et
tout ce qui l'entoure .
Mademoiselle Duchesnois exprime admirablement dans le rôle
d'Elzire tout ce qui est sentiment , et rachète par une foule
'de traits touchans et d'intentions sublimes la langueur habituelle et
incorrigible de sa diction. Malheureusement , c'est elle qui tient
le bâton de mesure de la diction notée , et tout le monde ne peut
pas offrir les mêmes indemnités à l'auditoire. Autrefois , une pause
habile , une suspension éloquente , un silence plus expressif que la
parole , était regardé comme une heureuse inspiration de la nature ,
ou comme une découverte précieuse de l'art. Maintenant c'est
un artifice qui se renouvelle entre tous les vers , entre tous les
hémistiches , entre tous les mots , et pour certains acteurs , entre
toutes les syllabes. On croirait qu'on cherche au Théâtre Français
la solution d'un problème de métaphysique , la divisibilité de la
pensée à l'infini . Si cette ridicule affectation se raffine encore , il
n'y aura bientôt plus de raison pour qu'une tragédie arrive au
dénouement , à moins qu'on n'ait recours à l'ingénieuse précaution
de Gracchus , qui faisait placer un joueur de flûte derrière la tribune
aux harangues pour ralentir ou précipiter suivant le besoin
les mouvemens de son éloquence. La décadence des beaux- arts est
FÉVRIER 1815. 363
cequi ressemble le plus à leur commencement , et puisque la déclamation
est si près de se confondre avec le chant , l'accompagnement
ne serait pas de trop.
1
THEATRE FRANÇAIS DE L'ODÉON .- Ce théâtre où les débuts ne
sont pas rares , n'en a point offert depuis long-temps de plus remarquable
que celui de madame Sainte-Suzanne dans l'emploi desmères,
pour lequel elle a paru seulement un peu jeune. Ce reproche qui
n'est pas d'une critique sévère et dont les actrices s'accommodent
généralement assez bien , est le seul que j'aie entendu faire à la débutante.
Son talent que l'on croit digne d'un théâtre plus élevé , a
même excité des comparaisons très-flatteuses. Je lui rendrai une
justice plus complète , sans doute , quand j'aurai eu occasion de la
revoir.
C. N.
Théâtre du Vaudeville.- Le Canal de l'Ourcq , pièce do
circonstance, un peu hors de propos , puisque le canal n'est plus
fréquenté depuis long-temps , a éprouvé , m'a-t-on dit , une chute
complète à la première représentation : je n'ai vu que la seconde ,
et je crois qu'on ne m'a pas trompé. Je ne m'engage point à donner
l'analyse de ce vaudeville : on ne peut analyser que les plans , et
non les scènes épisodiques : celles de la nouveauté offrent aux regards
le tableau plus fidèle que piquant de tout ce qu'on voit sur
les bords du canal : un marchand de marrons , un marchand de
tisane , un maître de patin , etc. , etc. Les auteurs y ont joint , pour
animer l'action , une madame de Saint-Charles , qui a pris une
pelisse à crédit chez son fourreur , et qui le rencontre à la promenade;
celui -ci lui fait une scènepour être payé, et la dispute devient
très-vive , lorsqu'un vieux baron allemand , doublement ridicule ,
et par ses prétentions , et par son amour pour madame de Saint-
Charles , acquitte la dette , et satisfait l'honnête fourreur .
Les couplets ne m'ont pas paru piquans : presque tous les traits
sont dans le genre de celui-ci :
Et c'est en courant sur la glace
Que j'enflamme les coeurs .
L'antithèse est toujours dans le mot, et jamais dans l'idée.
364 MERCURE DE FRANCE ,
Le refrain du vaudeville était fort bien choisi : Glissez , n'appurez
pas. Je n'ai pas entendu les couplets , ils ont été chantés
avec un accompagnement général de cannes , qui m'a fait perdre
les paroles : toute la salle a pris part à ce concert bruyant : il me
serait facile de prouver que le public avait en gaîté toute celle qui
manquait à la pièce. Je pourrais indiquer aisément tous les défauts,
mais il me semble que j'entends les auteurs me dire : Glissez,
n'appuyez pas . Je me bornerai donc à leur faire remarquer qu'ils
auraient peut-être été moins malheureux au théâtre des Variétés;
je regarde leur pièce comme une hostilité ; c'est une véritable violation
de territoire .
Théâtre de la Gaité.- Le mariage de Clovis , mélodrame
en trois actes joué pour la première fois jeudi 17 du courant , n'a
obtenu qu'un demi -succès : le directeur de ce théâtre , trompé par
la réussite du Maréchal de Luxembourg et de Charles-le- Téméraire,
a cru qu'un sujet tiré de l'histoire de France était sûr d'avance
de la faveur publique : il n'a pas réfléchi que les deux pièces que
je viens de citer ontpour elles cet intérêt chevaleresque, qui captivera
toujours des spectateurs français ; mais le tort de l'auteurduMariage
de Clovis est d'avoir embrouillé les fils de son intrigue , sans aucun
résultat heureux pour le plaisir de ceux qui la suivent ; les décorations
annoncent que l'on comptait beaucoup sur cet ouvrage , et
sont assez belles pour attirer la foule : elles sont de M. Allaux. Les
paroles sont de M. Léopold , la musique de M. Alexandre , et les
danses de M. Hullin : c'est ce qu'il y a de mieux dans la pièce ; et
il est juste de dire que si le mélodrame est digne des boulevarts ,
le ballet est digne de l'Opéra.
Théâtre de la Porte Saint-Martin.-Tous les jours on dit :
Comment peut-on encore faire des épigrammes contre les femmes ,
les médecins et les procureurs ? et tous les jours on en fait , on en
répète , et l'on en rit : tous les jours de même on se demande quand
on proscrira du théâtre ces mystifications de tuteurs dupés , nées de
l'enfance de l'art ? et tous les jours on les renouvelle , et tous les
jours on réussit.
FÉVRIER 1815. 365
LeBerger de la Sierra-Morena en est la preuve : toute l'intrigue
roule sur les tours que deux amans jouent à un tuteur et à
unniais. Le compositeur a tiré un très -bon parti de ces situations
connues : il les a rajeunies par de jolis pas et des mouvemens de
scènes agréables : ce théâtre possède pour la danse ce qu'il aura
sans doute plus tard pour le vaudeville , la comédie et le mélodrame ,
des sujets distingués ; qu'il s'en tienne donc pour le moment à des
ballets ; et toujours va qui danse.
Cirque Olympique.-Diane et les Satyres , ou une Vengeance
de l'Amour, pièce nouvelle par le titre , n'a pas de droit
à un article , parce que ce n'est qu'une reprise ; ce mélodrame de
M. Hapdé , joué sous le titre d'Acteon changé en cerf, a déjà été
jugé dans ce Journal. Non bis in idem. A. D. C.
MERCURIALE .
Le mot mercuriale tire , comme on sait , son étymologie du
mot Mercure. Ila plusieurs acceptions. Il ne nous appartient pas
d'adopter celle qui le rend synonyme de réprimande. Il en est
une autre qui aurait plus de rapport avec l'application que nous
nous proposons d'en faire. On sait que les discours prononcés par
les premiers magistrats des cours souveraines s'appelaient mercuriales
. Celles du chancelier d'Aguesseau sont immortelles . Comme
elles avaient pour but de signaler les abus et les désordres qui
s'étaient introduits dans l'exercice du pouvoir judiciaire , nous
avons pensé que des réflexions sur les circonstances présentes ,
qui auraient pour but de signaler les abus et les désordres de
tout genre , pourraient être aussi nommées , par analogie , mercuriales.
Cette explication nous a paru nécessaire pour nous mettre
à l'abri du reproche d'avoir voulu faire un jeu de mots sur le titre ,
fort ancien , de notre feuille.
La Mercuriale sera composée de pensées, anecdotes et réflexions
diverses , etc.
Toute personnalité en sera sévèrement bannie.
366 MERCURE DE FRANCE ,
On n'y admettra par conséquent ni anagrammes , ni sobriquets,
ni lettres initiales , ni aucun de ces artifices dont la méchanceté se
sert pour échapper à la censure , et frapper ses victimes avec
impunité.
1
On y combattra avec énergie , mais toujours avec bonne foi ,
décence et loyauté , tous ceux qui l'attaqueraient à visage découvert.
Elle sera impitoyable pour ceux qui se cachent et qui
portent leurs coups dans l'ombre.
Les rédacteurs recevront avec reconnaissance les articles qui
leur seraient envoyés pour y être insérés .
La Société des Jacobins , d'exécrable mémoire , s'est appelée
pendant deux ans : Société des amis de la constitution .
Cette remarque doit au moins nous apprendre combien il est
essentiel de savoir distinguer les vrais et les faux amis. Nous les
signalerons par leurs menées , sans attendre qu'ils se signalent euxmêmes
par leurs oeuvres.
- Un homme d'esprit , qui n'en a pas assez pour savoir ce que
c'est que des idées libérales , mais qui a vu travailler autrefois
plusieurs de ceux qui prennent ces deux mots pour devise , disait :
" Je ne comprends pas les mots , mais je connais les masques , ce
>> sont des jacobins à la demi-solde » .
Ce mot ingénieux peut être applicable à quelques-uns ; mais
nous en connaissons beaucoup d'autres qui , en défendant les idées
libérales , sont jacobins sans le vouloir , et même sans s'en
douter.
- Un homme d'un grand talent , qui signe tout ce qu'il écrit ,
a, dans une production nouvelle , recommandé aux amis de la
liberté de ne point repousser M. de Châteaubriant. Deux jours
après , des libellistes anonymes chantent la palinodie , et M. de
Châteaubriant est obligé de subir leurs éloges. Étrange et malheureuse
co-incidence contre laquelle M. Benjamin de Constant ne
protestera pas , parce qu'il est au-dessus de tout soupçon de connivence.
FÉVRIER 1815. 367
- On payait autrefois pour occuper des places; aujourd'hui ,
Pon ne veut que des places largement payées . On injurie , on dénonce
, on calomnie , on foule aux pieds la morale , la probité ,
T'honneur , pour y arriver. Quelqu'un disait : « En voyant cette
" foule qui se presse , qui s'agite , se heurte sur le chemin des em-
>> plois , je serais tenté de croire que tous ces gens-là ont mal
> interprété la constitution , ou bien qu'ils en ont lu une version
>> infidèle , où l'on aura mis : Tous les Français doivent avoir
» des emplois civils et militaires , au lieu de tous les Français sont
> admissibles aux emplois militaires et civils » .
Combien de gens interprètent ainsi les lois et les doctrines selon
leur ambition , ou leur intérêt !
22 Septembre ! ... cette date est répétée tous les jours dans
toutes les feuilles à l'article du cours de la bourse. Je ne puis la
lire avec indifférence , et sans me rappeler que c'est ce jour-là
que l'effroyable convention nationale s'est constituée , et que la république
a été proclamée par l'organe d'un histrion , devenu
bientôt le plus féroce Cannibale. Espérons que l'on fera bientôt
disparaître tout ce qui nous reste de signes qui retracent à notre
souvenir une ère de sang et de désastres , en horreur à tous
les Français.
Unvice , un déshonneur sont assez peu de chose ;
Tout cela dans le monde est oublié bientôt ;
Un ridicule reste , et c'est ce qu'il nous faut.
Ces trois vers du Méchant sont devenus des articles du code effrayant
des pamphlétaires obscurs. Si ces maximes pouvaient être
adoptées dans l'espèce de monde , peinte par Gresset , elles ne sout
plus de mise aujourd'hui ; alors la morale de la nation était absolument
pervertie. Ce que l'on y appelait la bonne compagnie était
composée de fats et de coquettes , de libertins et de femmes sans
principes On ne s'y occupait que de choses frivoles et d'anecdotes
scandaleuses . Dans une telle société , le ridicule est une arme à
l'usage de tout le monde , et, comme le dit très-bien Cléon dans la
même comédie :
On reçoit et l'on rend , l'on est à peu près quitte .
368 MERCURE DE FRANCE ,
Mais lorsque vingt-cinq ans de révolution ont fait sentir le besoin
des principes de religion et de morale , dont l'oubli a causé
tant de calamités; lorsque tous les esprits sont dès long-temps habitués
aux plus hautes contemplations , attentifs à tout ce qui pourrait
désormais troubler l'ordre social , et surtout fortifiés par les
combats sans cesse renaissans qu'ils ont eu à livrer pour leurs plus
chers intérêts ; alors le ridicule est sans pouvoir et sans force , telum
imbelle sine ictu . Les pointes , les sobriquets et les petites
noirceurs n'ont plus de vogue , quand il s'agit de défendre la société
toute entière , et de la garantir des attaques audacieuses , ou
des manoeuvres sourdes , à l'aide desquelles on voudrait tenter de
nouveau d'en ébranler les fondemens .
Il est des hommes que les traits du ridicule ne peuvent atteindre.
Il est des hommes qui n'ont pas le droit de les lancer. Qui
sait ce que nous découvririons sous le voile qui cache tant de braves
anonymes ? Quel contraste hideux présenteraient les grelots de Momus
dans les mains d'un Catilina , d'un Narcisse ou d'un Bradshaw
!
Un écrit clandestin n'est pas d'un honnête homme.
Cependant des libellistes ont osé imprimer qu'ils avaient pris
toutes leurs mesures pour que l'on ignorát à jamais les noms
de ceux qui composent les poisons qu'ils distribuent.
Chez une nation généreuse et sensible à l'honneur , on ne tolérera
pas long-temps de vils pamphlets , où , sous le voile de l'anonyme
, on outrage périodiquement les personnages les plus honorables
et les écrivains les plus distingués. Ces pamphlétaires osent
se mettre sous la protection des guerriers et des belles . Qu'ils se
nomment donc ! les belles et les guerriers méprisent les lâches .
O prodige ! j'ai vu sur la même affiche l'annonce à jour fixe de
çinq pièces de nos meilleurs écrivains dramatiques , savoir :
Les Templiers , de M. Raynouard .
Omasis , ou Joseph en Égypte , de M. Baour-Lormian .
Ninus II, de M. Briffault.
Les deux Gendres , de M. Étienne.
FÉVRIER 1815. 369
La Jeunesse de Henri V, de M. Duval..
Sans compter la petite pièce de carnaval de MM. Désaugierset
Gentil , et l'annonce de Jeanne Gray, tragédie nouvelle .
Voilà une semaine qui sera remarquable dans le répertoire
moderne du Théâtre Français. Les comédiens commenceraient- ils
à sentir que leur négligence et leur inertie causent les plus grands
préjudices à l'art dramatique?
Les abus et les désordres des sociétés théâtrales seront signalés
dans la Mercuriale.
Les comédiens se justifient souvent , en disant : Il n'y a pas de
nouveautés. On pourrait leur répondre : Moins vous en jouerez ,
moins ily en aura ; mais on pourrait leur dire encore aussijustement
: Ily en a , mais vous ne les jouez pas. Nous savons , par
exemple , que M. Lemercier a plusieurs tragédies reçues ; que l'un
de nos plus estimables auteurs , M. de Maisonneuve , a trois ou
quatre ouvrages également reçus depuis fort long-temps. On se rappelle
le brillant succès qu'ont obtenu les deux premières tragédies de
cet écrivain : Roxelane et Mustapha a eu quarante représentations ,
Odmar et Zulna a été suspendue à la seizième; et depuis vingtsept
ans , ces deux tragédies n'ont pas été reprises ; et le tour de ses
autres ouvrages ne peut jamais venir. Comment , après cela , ne
pas être découragé d'écrire pour le théâtre ?
POLITIQUE.
LES Saxons n'ont plus rien à envier aux Espagnols , ils viennent
à leur tour de donner au reste du monde une grande et belle
leçon ; l'inaltérable attachement qu'ils ont hautement manifesté
pour un monarque malheureux , n'a pas été la moindre des considérations
qui ont influé sur les déterminations du congres . Leur
fidélité vient de recevoir sa récompense ; Frédéric - Auguste est
rendu à son peuple dont le bonheur va devenir plus que jamais sa
plus douce habitude. Nous qui avons été témoins du retour d'un
père au milieu de ses enfaus , nous pouvons trouver dans nos souvenirs
l'image des transports que fera éclater la Saxe entière quand
elle reverra dans son sein le prince que son amour a , pour ainsi
24
370 MERCURE DE FRANCE ,
dire , disputé aux calculs d'une politique ambitieuse , et sauvé des
récriminations que pouvait faire naître contre lui une alliance et
une conduite dont , sans doute , il n'avait pas eu le choix , mais
dont il pouvait porter la peine.
C'est le 9 de ce mois que le congrès a réglé définitivement le
sort du royaumede Saxe; il contenait environ deux millions d'habitans
, il en conservera un million deux cent mille. Le roi de
Prusse augmente du surplus le nombre de ses sujets. Les pays de
manufactures et les villes commerçantes les plus riches , telles que
Dresde et Leipsick resteront au roi de Saxe , ainsi que Bautzen;
les mines et les salines de Duremberg , le territoire et la ville de
Thorn , dans le duché de Varsovie , qui devaient être déclarés libres
, sont aussi donnés à la Prusse : le royaume de Saxe , dans sa
nouvelle circonscription , sera composé de la plus grande partie
du cercle de Meissen , des cercles de l'Erzgebirg , du Voitgland ,
de Leipsick et de la presque totalité de la Haute- Lusace ; les possessions
des maisons ducales de Saxe et des princes de Schwarzenbourg
et de Reuss , se trouvant enclavées dans le royaume de
Saxe , en seront en quelque sorte des dépendances , et leur population
, réunie à la sienne, formera une masse de plus de deux millions
d'individus , qui , interposée entre les possessions de la Prusse
et celles de l'Autriche et de la Bavière , préviendra les froissemens
qu'aurait pu amener leur contact immédiat.
Un courrier extraordinaire avait été expédié , dès le 7 février ,
au roi de Saxe , alors au château de Frédéricksfeld près Berlin ,
pour lui faire connaître cette importante décision , et pour l'inviter
à se rendre à Vienne. Des nouvelles postérieures , mais sur
l'authenticité desquelles on doit peu compter , annoncent que le
roi de Saxe a refusé de donner son adhésion aux arrangemens
arrêtés par le congrès ; qu'il a déclaré qu'il ne voulait rien céder
de ses provinces , et que sa devise était tout ou rien. Une semblable
détermination est peu probable ; elle serait vraie qu'elle ne
changerait rien aux décisions du congrès ; et l'on peut croire que le
roi de Saxe , mieux conseillé , finirait par se rendre aux voeux de
ceux de ses sujets qui lui restent.
C'est le premier acte important du congrès qui soit connu d'une
manière authentique ; il estde nature à faire augurer favorablement
de ceux que nous ne connaissons pas encore. La France a jouédans
toute cette affaire lerôle le plus honorable. Dès le 19 décembre dernier,
son ministre avait remis au congrès une note dans laquelle l'indépendance
du royaume de Saxe comme état, et le principe en général
de la légitimité étaient défendus avec une force d'argumens et
une hauteur de vues qui paraissent avoir fait une vive impression
FÉVRIER 1815. 371
sur tous ceux qui étaient appelés à prononcer dans ce grand procès.
C'est de cette époque que les affaires de Saxe ont pris une tournure
favorable .
Adéfaut du principe de la légitimité qui le repoouussssee du trône ,
Murat appelle à son secours les intrigues , les dévastations , l'hypocrisie
et les menaces . Ses troupes continuent à occuper et à ravager
les Marches et la légation de Ravenne , et dans le moment où il
dépouille le St. Père , il se fait présenter par son clergé des
adresses exprimant des voeux ardens pour la durée du règne de
Joachim Napoléon , protecteur de l'église et de la religion catholique.
Murat parodie en tout la politique du Grand Napoléon ,
c'est la petite pièce après la grande.
Cependant , le peuple napolitain regrette le roi Ferdinand , et
envisage l'avenir avec effroi : les contributions sont énormes ; la
stagnation du commerce et la rareté du numéraire excitent beaucoup
de murmures; le bas peuple est dans la plus affreuse misère et
désire un changement ; chaque fois qu'il entre un vaisseau dans le
port , les Lazzaronis y courent comme s'ils allaient voir arriver le
roi Ferdinand.
La noblesse craint Murat , et l'abandonnera aussitôt que Ferdinand
lui aura garanti la conservation de ses priviléges . L'opinion
la plus générale enfin est que ce gouvernement , qui
contraste d'une manière si choquante avec le système de légitimité
consacré enEurope , ne peut se soutenir quelles que soient ses forces
militaires , et quelqu'appui qu'on lui suppose dans la politique de
l'Autriche et de l'Angleterre. Puisse sa chute ne pas entraîner une
nouvelle effusion de sang !
En attendant la ratification du traité de Gand , par M. Maddison
, la guerre se poursuit avec activité entre l'Angleterre et les
États-Unis. L'expédition des Anglais contre la Nouvelle-Orléans
paraît avoir opéré son débarquement sans beaucoup de résistance ;
le général américain Jackson s'est retiré dans l'intérieur des terres ;
les journaux anglais supposent que les forces dont il dispose, et surtout
leur composition, ne lui permettent pas de tenir la campagne
devant les troupes anglaises , et ils paraissent ne faire aucun doute
que la Nouvelle Orléans ne soit en ce moment au pouvoir de ces
derniers.
Un fait plus positif, c'est la prise de la frégate américaine le
Président par les frégates anglaises la Pomone et l'Endymion .
Le combat a duré une heure et demie , et ce n'est qu'après avoir
reçu vingt-cinq boulets dans son entrepont que le Président , qui
était sur le point de couler à fond , s'est vu contraint de baisser
pavillon etde se rendre. Ainsi , la fortune qui , dans cette guerre ,
a été jusqu'ici à peu près balancée entre les deux partis , paraît
372 MERCURE DE FRANCE ,
vouloir se déclarer pour les Anglais au moment où la ratificationdu
traité de Gand , par M. Maddison , va probablement leur enlever
tout le fruit qu'ils pourraient se promettre de ces faveurs tardives
de la fortune. Beau sujet de déclamation etde regrets pour le Times
qui n'a cessé de s'élever contre le traité de Gand , et même contre
toute espèce de traité avec les États-Unis !
INTÉRIEUR.
Le21 de ce mois , la Cour de Cassation a été installée par
Monseigneur le Chancelier de France. De tous les discours qui ont
été prononcés à cette occasion , nous ne pourrons insérer ici
textuellement que celui de Monseigneur le Chancelier. C'est une
pièce très-importante , par les grands principes de droit public
qu'elle contient.
Discours de Monseigneur le Chancelier de France à la Cour
de Cassation .
« Messieurs , l'amour de la justice est la vertu distinctive des bons
rois. L'histoire a consacré les noms de ceux qui , pendant plusieurs siècles',
rendirent eux-mêmes la justice à leurs sujets . Mais les devoirs de la
royauté se sont trop multipliés , et les difficultés des jugemens trop accrues
pour qu'un monarque , obligé de veiller à la fois sur toutes les
branches d'administration d'un grand royaume , pût s'occuper par luimême
de l'adıninistration de la justice. Nous sommes loinde ces jours
d'innocence où les premiers principes du droit naturel , que la saine
raison découvre sans le secours même de l'étude , pouvaient suffire pour
appliquer des lois d'éternelle justice qui n'ont pas besoin d'être apprises.
Il a fallu des lois formelles pour assurer la propriété , régler l'état des
citoyens , fixer la nature de leurs conventions ; il en a fallu d'autres
pour prévenir et réprimer tous les genres de delits , regler la forme dans
laquelle ils devaient étre poursuivis , établir les peines , en déterminer
l'application . Tout est devenu positif dans une legislation immense : les
connaissances du juge ont dû s'accroître dans la même proportion que
les affaires qui lui étaient soumises. Il était indispensable que la science
du bien fit les mêmes progrès que la malice de l'homme , et dans un
combat presque continuel de Thomme contre la loi , qu de la loi contre
l'homme , les règles si souvent éludees par la chicane et l intrigue , ont dû
se multiplier dans une progression effrayante.
>> La multiplicité des procis devait amener la multiciplité des juges ,
et pour établir une harmonie parfaite , une concordance exacte entre
ces tribunaux de tous les ordres , un tribunal regulateur et nécessairement
unique , devait maintenir dans tous les mêmes formes de procéder , annuler
tous les jugemens contraires , rappeler au besoin tous les juges å
l'observation rigoureuse des formes et des lois tutelaires de l'honneur ,
de la fortune et des proprietés des citoyens .
» g- temps réservées Ces hautes fonctions furent long- temps au conseil du roi ,
où le roi quelquefois présent , et toujours représenté , examinait , en
quelque sorte par lui-meme , si les juges qui avaient rendu la justice
en son nom, avaient suivi fidèlement les règles qui leur étaient prescrites.
4
FÉVRIER 1815. 3
Jamais les questions de fait , et presque jamais les questions de droit n'étaient
remises en jugement au conseil du roi : le conseil n'examinait que
les formes , ne recherchait que les contraventions à la loi. C'est ainsi
qu'il remplit, pendant plusieurs siècles , les fonctions qui lui étaient attribuées;
fonctions tellement royales , que ľavis du conseil ne recevait le
caractère d'arrêt que de l'approbation formelle du roi.

>> La cour de cassation , qui reprend aujourd'hui une nouvelle exis .
tence , a succédé sans réserve à ces attributions , auxquelles même elle en
a joint plusieurs , telles que la police et la discipline des tribunaux ,
les jugemens de compétence , quelques prises à partie. Nos formes de
procéder en matière criminelle , devant multiplier les recours en cassation ,
l'activité d'un tribunal divisé en plusieurs chambres , pouvait seul suffire
à de si immenses travaux. C'est ainsi qu'une cour spéciale est devenue
nécessaire au complément de la justice dans ce grand royaume , et n'a
pas cessé de l'être , quoique la France soit rentrée dans ses anciennes
limites. La sagesse du roi , en laissant quelques places vacantes , se réserve
d'éprouver si la réduction du territoire ne peut pas en permettre
dans le nombre des magistrats qui la composent ; mais il importera toujours
à la dignité d'une cour unique , qu'elle reste assez nombreuse pour
inspirer un grand respect par une grande réunion de talens , de lumières
et de vertus. Le gouvernement modéré que le retour du souverain légitime
rend à la France , y laissant un libre cours à la justice , ouvre un
champ plus vaste à l'action des lois , qui se taisent souvent au bruit
des armes , et qu'on songeait moins à réclamer , quand la France , levée
presque entière , ne s'occupait pour ainsi dire que de combats . Chez un
roi qui ne veut régner que par amour , tout se fait par justice , et les
tribunaux ne sont jamais pplluus occupés que sous un gouvernement qui
s'interdit toutes les mesures arbitraires . De-là , Messieurs , le maintien
provisoire de la cour de cassation à un nombre supérieur à celui qui
avait été jugé suffisant lors de sa première formation , de-là aussi cette
prévoyance royale qui veut assurer à tous ses membres une indépendance
d'état qui leur garantisse une indépendance absolue d'opinion.
>> Toute justice émane du roi ; c'est ainsi que s'exprime la Charte
constitutionnelle (art. 57) ; c'est le roi qui nomme tous les juges (art. 57) ;
il n'y a que les juges nommés par le roi qui soient inamovibles ( art. 58 ) .
Peu importe , par conséquent , que les juges existans aient été créés à vie
par le dernier gouvernement , toutes les inductions tirées de leur titre
de création , viennent à échouer contre les dispositions précises de la
Charte. Il n'y a que la nomination et l'institution du roi qui puissent
imprimer aux juges le sceau d'inamovibilité.
>> Il tardait donc à Sa Majesté d'instituer les juges pour fixer toutes
les incertitudes qu'ils pouvaient conserver sur leur sort. Depuis plusieurs
mois , l'intrigue et la malveillance s'agitent en mille manières pour leur
inspirer des alarmes ; recherches sur leurs opinions et sur celles même
de leurs proches ; analyses de leurs principes ; inquisitions jusque sur
leurs pensées , tous ces moyens ont été mis en oeuvre pour affaiblir leur
confiance , et peut-être ébranler leur fidélité. Il n'appartenait qu'au roi
de tranquilliser ces magistrats sur leur avenir. Sa volonté est beaucoup
moins de réformer que d'affermir et de consolider les tribunaux : s'il nous
est prescrit d'être sévères sur les torts de conduite , il nous est commandé
d'être indulgens sur les torts d'opinion ; le zèle même avec lequel on a
pu servir le gouvernement renversé ne doit nous inspirer aucune prévention
d'infidélité contre le gouvernement paternel que la Providence
nous a rendu. La France entière s'est ralliée à son roi ; nous ne voyons
plus autour du trône que des sujets fidèles , nous n'avons plus à craindre
de partis contre un gouvernement légitime.
374 MERCURE DE FRANCE,
(
que
Tel est l'esprit qui a présidé au très-petit nombre de changemens
volre composition a reene. La Cour de cassation a rendad'importans
services . Considerée en masse , elle etoit composée de manière à
mériter la confiance et l'estime publique ; mais qquuaanndd iill s'agissait d'ac
corder des institutions individuelles , on ne pouvait se dissirauler qu'il
s'y trouvait quelques individus auxquels le roi ne pouvait , sans blesser
les convenances , accorder une institution qui devenait une vraie nomination
: ils étaient au surplus en très-petit nombre , et plusieurs s'étaient
jugés en quelque sorte eux-mêmes , par une retraite volontaire ; trouvant
sans doute qu'il y avait des occasions où c'était réellement servir l'état
que de s'abstenir de le servir.

>> La cour de cassation avait aussi dans son sein quelques magistrats estimables
que l'âge où les infirmités mettaient hors d'état de continuer leurs
utiles services et qui avaient acquis le droit d'en recevoir la récompense.
On y trouvait enfin plusieurs étrangers qui n'appartenaient plus à la France;
il étoitjuste de leur préférer des Français , en retenant cependant ceux qui
avaient trop bien mérité de leur nouvelle patrie pour ne pas obtenir l'adoption
qu'elle-même réclame. Ace petit nombre d'exceptions près, lajustice
du roi se plaît à conserver ce grand nombre de magistrats consommés dans
l'étude des lois françaises , accourus de tous les points du royaume à la voix
de la patrie pour mettre en commun leurs talens et leur expérience , et former
, par leur réunion , ce faisseau de lumières qui devoit à son tour éclairer
etdiriger tous les tribunaux de France .
,
sans
>> Si vons perdez un chef recommandable par ses connaissances et ses longs
travaux , par son courage dans des circonstances difficiles , et par les persécutions
dont il a partagé l'honneur , la sagesse du roi , ne craignons pas de
ledire, sa reconnaissance appelle à votre tête undes hommesde sonroyaume
auxquels il a voué le plus d'estime ; celui qui , liant àjamais son nom à l'époque
la plus douloureuse de notre histoire , honoradu moins sa patrie par un
grand acte de dévouement , comme il avait honoré le barreau pardestalens
superieurs , et brava courageusement tous les dangers pour défendre
espoir de succès , la cause de tous les peuples conime de tout les rois. Appaisez-
vous , mâncs immortels de l'illustre Malesherbes , qui devez encore voltiger
dans cette enceinte, où les noms révéres de l'antique magistrature ont
Jaissé tant de souvenirs glorieux pour votre famille! C'est vous aussi qu'on
honore dans la personne du vertueux émule de votre zèle et de votre fidelite;
Le meilleur et le plus indulgent des rois a pu renoncer au droit de punir ,
mais il s'est reservé celui de récompenser. Les haines s'éteignent, les crimes
s'effacent , mais la vertu reste , et tot ou tard elle reçoit sa récompense.
>>> C'est aussi , Messieurs , le mérite et le talent comme la fidélité , qui motivent
et justifent le choix des nouveaux magistrats que la sagesse du roi vous
associe. Quelques-uns ont figuré avec éclat dans l'ancienne et dans la nouvelle
magistrature , plusieurs se sont distingués dans nos assemblées politiques ;
tous ont donne des gages de leur attachement aux vrais principes.
>> Anciens et nouveaux magistrats , vous n'aurez qu'un même esprit ;
l'amour et la fidelité pour le monarque adoré que la providence nous a rendu ,
sont le lien commun qui va nous réunir. Dispensateurs d'une partie bien
importante de l'autorité royale , vous ne l'exercerez que dans les termes de
la loi , et dans les formes qu'elle a si sagement établies. Dépositaires de la
saine et solide doctrine , vous la professerez et l'appliqucrez sans acceptionde
personnes . Pendant que le roi maintiendra de tout son pouvoir la charte
constitutionnelle qu'il a donnée à son peuple , vous vous conformerez soigneusement
à son esprit , en ramenant tous les tribunaux à l'exécution exacte et
littérale des lois , dont vous devenez les premiers gardiens et les plus sûrs
conservateurs.
<<Tel est , Messieurs , l'objet du serment queje suis change de recevoir ,
1
1
FÉVRIER 1815. 375
et qui va vous lier plus étroitement que jamais au service du roi et de la
patrie. Heureux moi-même de conimencer ainsi mes relations directes avec
une compagnie dans laquelleje retrouve avec tant dejoie quelques-uns de mes
premiers amis, des premiers compagnons de mes premiers travaux , et parmi
ses chefs , l'estimable magistrat qui , dès mes premiers pas , me servit de
guide , comme il peut aujourd'hui ine servir de modèle dans une carrière
qu'il a parcourue avec tant d'honneur .
PIÈCES OFFICIELLES ET ACTES DU GOUVERNEMENT .
LOUIS , PAR LA GRACE DE DIEU , ROI DE FRANCE ET DE NAVARRE ;
A tous ceux qui ces présentes verront , salut .
Nous étant fait rendre compte de l'état de l'instruction publique dans
notre royaume , nous avons reconnu qu'elle reposait sur des institutions destinées
à servir les vues politiques du Gouvernement dont elles furent l'onvrage
, plutôt qu'à répandre sur nos sujets les bienfaits d'une éducation morale
et conforme aux besoins du siècle ; nous avons rendu justice à la sagesse
et au zèle des hommes qui ont été chargés de surveiller et de diriger l'enseignement;
nous avons vu avec satisfaction qu'ils n'avaient cessé de lutter
contre les obstacles que les temps leur opposaient , et contre le but même
des institutions qu'ils étaient appelés à mettre en oeuvre ; mais nous avons
senti la nécessité de corriger ces institutions et de rappeler l'éducation nationale
à son véritable objet , qui est de propager les bonnes doctrines , de
maintenir les bonnes moeurs , et de former des hommes qui , par leurs lumières
et leurs vertus , puissent rendre à la societé les utiles leçons et les
sages exemples qu'ils ont recus de leurs maîtres.
Nousavonsmûrement examiné ces institutions , que nous nous proposons
de réformer , et il nous a paru que le régime d'une autorité unique et absolue
était incompatible avec nos intentions paternelles et avec l'esprit libéral
de notre Gouvernement.
Que cette autorité , essentiellement occupée de la direction de l'ensemble,
était en quelque sorte condamnée à ignorer ou à négliger ces détails et
cette surveillance journalière qui ne peuvent être confiés qu'à des autorités
locales mieux informées des besoins , et plus directement intéressées à la
prospérité des établissemens placés sous leurs yeux.
Que le droitde nommer à toutes les places , concentré dans les maius
d'un seul homme , en laissant trop de chances à l'erreur et trop d'influence
à la faveur , affaiblissait le ressort de l'émulation et réduisait aussi les maîtres
à une dépendance mal assortie à l'honneur de leur état et à l'importance de
Jeurs fonctions .
Que cettedépendance et les ddééppllaacceemmeennss trop fréquens qui en sont la
suite inévitable , rendaient l'état des maîtres incertain et précaire , nuisaient
à la considération dont ils ont besoin de jouir pour se livrer avec zèle à leurs
pénibles travaux , ne permettaient pas qu'il s'établit entre eux et les parens
de leurs élèves cette confiance qui est le fruit des longs services et des anciennes
habitudes , et les privaient ainsi de la plus douce récompense qu'ils
puissent obtenir , le respect et l'affection des contrées auxquelles ils out
consacré leurs talens et leur vie.
Enfin , que la taxe du vingtième des frais d'études levée sur tous les élèves
des lycées , collèges et pensions , et appliquée à des dépenses dont ceux qui
la paient ne retireut pas un avantage immediat et qui peuvent être considérablement
réduites , contrarierait notre désir de favoriser les bonnes études
etde répandre le bienfait de l'instruction dans toutes les classes de nos
sujets.
376 MERCURE DE FRANCE ,
Voulant nous mettre en état de proposer le plus tôt possible aux deux
chambres les lois qui doiventfonder le système de l'instruction publique en
France, et pourvoir aux depenses qu'il exigera , nous avons resolu d'ordonner
provisoirement les reformes les plus propres à nous faire acquérir
l'expérience et les lumières dont nous avons encore besoin pour atteindre ce
but, et, en remplacement de la taxe du vingtième des frais d'etude , dont
nous ne voulons pas difierer plus long-temps l'abolition , il nous a plu d'affecter
, sur notre liste civile , la somme d'un million qui sera employee .
pendant la présente annce 1815 , au service de l'instruction publique dans
notre royaume ;
Aces causes , et sur le rapport de notre ministre secrétaire-d'état an départementde
l'intérieur ;
Notre conseil-d'etat entendu ,
Nous avons ordonné et ordonnons ce qui suit :
TITRE PREMIER .-Dispositions générales ,
Art. 1er. Les arrondissemens formes sous le nom d'Académies , par le
décretdu 17 mars 1808 , sont réduits à 17 , conformément au tableau annexé
à la presente ordonnance.
Ils prendront le titre d Universités .
Les Universites porteront le nom du chef-lieu assigné à chacune
d'elles.
Les Lycées acuellement établis seront appelés Colleges royaux..
2. Chaque Université sera composée , 1º. d'un conseil présidé par on
recteur; 2°. de facultés ; 3°. de colleges royaux; 4°. de colleges conmunaux.
3. Lenseignement et la discipline dans toutes les Université seront réglés
et surveillés par un conseil royal de l'instruction publique.
4. L'Ecole normale de Paris sera commune à toutes les Universités ;
elle formera , aux frais de l'Etat , le nombre de professeurs et de maîtres
dont elles auront besoin pour l'enseignement des sciences et des lettres .
TITREII.-Des Universités .
persiste
SECTION PREMIÈRE-Des conseils des Universités .
des deconseilde
5. Le conseil de chaque Université est composé d'un recteur président ,
college royal du chef-lieu , ou
du plus ancien des proviseurs , s'il y a plusieurs colleges royaux , et de
trois notables au moins , choisis par notre conseil royal de l'instruction publique.
6. L'évêque et le préfet sont membres de ce conseil; ils ont voix delibérative
et séance au-dessus du secteur .
7. Le conseil de l'Université fait visiter, quand il le juge à propos , les
colléges royaux et communaux , les institutions , pensionnats et autres éta-
Blissemens d'instruction , par deux inspecteurs , qui lui rendent compte de
l'etat de l'enseignement et de la discipline , dans le ressort de l'Université ,
conformement aux instructions qu ils out reçues de lui.
Lenombre des inspecteurs de l'Universite de Paris peut être portéà six .
8. Le conseil nomme ces inspecteurs entre deux candidats qui lui sont
présentés par le recteur.
9. Il nomme aussi , entre deux candidats présentés par le recteur, les proviseurs
, les censcurs ou préfets des etudes , les professeurs de philosophie ,
de thétorique et de mathematiques supérieures, les aumoniers et les économes
des colleges royanx .
10. Les inspecteurs des Universités sont choisis entre les proviseurs , les
préfets des études , les professeurs de philosophie , de rhétorique et de ma
FÉVRIER 1815. 377
thématiques des colléges royaux, et les principauxdes colleges communaux ;
les proviseurs entre les inspectents , les principauxdes colleges
communaux
et les préfets des études des colléges royaux; ceux- ci entre des professeurs de
philosophie , de rhétorique et de
mathématiques supérieures des mêmes
colleges.
11. Le conseil de l'Université peut révoquer, s'il y a lieu , les nominations
qu'il a faites : en ce cas , ses délibérations sont motivées , et elles n'ont leur
effet qu'après avoir reçu
l'approbation de notre conseil royal de l'instruction
publique.
12. Nul ne peut établir une institution ou un pensionnat , ou devenir
chefd'une institution ou d'un pensionnat déjà établis , s'iln'a été examiné et
duement autorisé par le conseil de l'Université ,et si cette autorisation n'a
été approuvée par le conseil royal de l'instruction publique.
13. Le conseil de l'Université entend etjuge
definitivement les comptes
des facultés et des colleges royaux ; il entend le compte des dépenses de l'administration
générale rendu par le recteur, et il le transmet , après l'avoir
arrêté , à notre conseil royal de l'instruction publique.
14. 11 tient registre de ses délibérations , et en envoie copie tous les mois
ànotre conseilroyal.
15. Il a rang après le conseil de préfecture dans les cérémonies publiques.
SECTION II . Des recteurs des
Universités .
16. Les recteurs des Universités sont nommés par nous , entre trois candidats
qui nous sont présentés par notre conseil royal de l'instruction publique
, et choisis par lui entre les recteurs dejà nommés , les
inspecteursgéneraux
des études dont il sera parlé ci-après , les professeurs des facultés ,
les
professeurs des Universités , les
fesseurs de philosophie , de rhétorique et de
mathématiques supérieures des
proviseurs , prefets ets des études ,
colléges royaux.
et pro-
17. Les recteurs des Universités nomment les professeurs , régens et maîtres
d'études de tous les colléges , à l'exception des professeurs de philosophie ,
de rhétorique et de
mathématiques supérieures et des colleges royaux , qui
sont nommés , comme il est dit en l'art 9.
18. Ils les choisissent entre les professeurs , régens et maîtres d'études deja
employés dans les anciens ou les nouveaux
établissemens de l'instruction ,
ou parmi les élèves de l'école normale qui , ayant achevé leurs exercices , ont
reçu lebrevetd'agrégé.
19. Les professeurs et régens ainsi nommés , ne peuvent être révoqués
quepar leconseilde l'Université , sur la proposition motivéedu recteur.
20. Les professeurs et régens , nommes par un ou plusieurs recteurs autres
que celui de l'Université dans laquelle ils sont actuellement employés , peuvent
choisir l'Université , et accepter l'emploi qu'ils préfèrent; mais ils sont
tenus d'en donner avis , un mois avant l'ouverture de l'année scholaire , au
recteur de l'Université de laquelle ils sortent.
21. Les élèves de l'école normale , appelés par d'autres recteurs que celui
de l'Université qui les a envoyés , ont le même droit d'option , à la charge
de donner le même avis .
22. Le recteur de l'Université préside , quand il le juge à propos , anx
examens et épreuves qui précèdent les collations de grades dans les facultés.
23. Il est seul chargé de lacorrespondance.
24. Il présente au conseil de l'Université les affaires qui doivent y être portées
, nommeles rapporteurs , s'il y a licu , règle l'ordre des déliberations , et
signe les arrêtés .
25. En cas de partage des voix , la sienne est
prépondérante .
378 MERCURE DE FRANCE ,
SECTION III .-Desfacultés .
26. Le nombre et la composition des facultés dans chaque Université ,
sont réglés par nous , sur la proposition de notre conseil royal de l'instruction
publique.
27. Les facultés sont placées immédiatenient sous l'autorité , la direction
et la surveillance de ce conseil .
28. Il nomme leurs doyens , entre deux candidats qu'elles lui présentent.
29 Il nomme à vie les professeurs entre quatre candidats , dont deux lui
sont présentés par la faculté où il vaque une chaire , et deux par le conseil
de l'Université.
30. Outre l'enseignement spécial , dont elles sont chargées , les facultés
confèrent , après examen , et dans les formes déterminées par les règlemens,
les grades qui sont , ou seront exigés pour les diverses fonctions et professions
ecclesiastiques , politiques et civiles .
31. Les diplômes de grades sont délivrés en notre nom , signés du doyen ,
et visésdu recteur qui peut refuser son visa , s'il lui apparaît que les épreuves
prescrites n'ont pas été convenablement observées .
32. Dans les Universités où nous n'aurions pas encore une faculté des
sciences et des lettres , le grade de bachelier-ès-lettres pourra être conféré
après les examens prescrits par les proviseur, préfet des études , professeur
dephilosophie et de rhétorique du college royal du chef-lieu. Le préfet des
études remplira les fonctions de doyen ; il signera les diplômes , et prendra
séance au conseil de l'Université après le proviseur.
SECTION IV . Des Collèges royaux et des Colléges communaux .
33. Les colleges royaux sont dirigés par un proviseur, et les colleges communaux
par un principal.
34. Les proviseurs et principaux exécutent et font exécuter les règlemens
relatifs à l'enseignement , à la discipline et à la comptabilite.
35. L'administration du collége royal du chef-lieu est placée sous la surveillance
immédiate du recteur et du conseil de l'Université .
36. Tous les autres colleges , royaux ou communaux , sont placés sous la
surveillance immédiate d'un bureau d'administration compoossee du SOUSprefet,
du maire , et de trois notables , au moins , nommés par le conseil
de l'Université.
37. Çe bureau présente au recteur deux candidats , entre lesquels celui-ci
nomme les principaux des colléges communaux.
38. Les principaux , ainsi nommés , ne peuvent être révoqués que par le
conseil de l'Université , sur la proposition du bureau , et de l'avis du recteur.
39. Le bureau d'administration entend et juge définitivement les comptes
des colléges communaux.
40. Il entend et arrête les comptes des colléges royaux , autres que celui
du chef-lieu , et les transmet au conseil de l'Université.
41. Il tient registre de ses délibérations et en envoie copie , chaque mois ,
au conseil de l'Université.
42. 11 est présidé par le sous- préfet , et , à son défaut , par le maire.
43. Les éveques et les préfets sont membres de tous les bureaux de leur
diocèse ou de leur département ; et quand ils y assistent , ils y ont voix dé-
Jibérative et séance au-dessus des présidens .
44. Les chefs d'institutions et maîtres de pensions établis dans l'enceinte
des villes où il y a des colleges toyaux ou des colleges communaux , sont
tenus d'envoyer leurs pensionnaires comme externes aux leçons desdits colléges.
45. Est et demeure néanmoins exceptée de cette obligation, l'école secon-
1
FÉVRIER 1815.
9
37
daire ecclésiastique qui a été ou pourra être établie dans chaque département
, en vertu de notre ordonnance du .
ladite école ne peut recevoir aucun élève externe . ..... ; mais
TITRE III . De l'École Normale.
46. Chaque Université envoie tous les ans à l'école normale de Paris , un
nombre d'élèves proportionné aux besoins de
l'enseignement.
Cenombre est réglé par notre conseil royal de l'instruction publique.
47. Leconseilde l'Université choisit ces élèves entre ceux qui , ayant terminé
leurs études de rhétorique et philosophie , se destinent , du consentementde
leurs parens , à l'instruction publique.
48. Les élèves , envoyés à l'école normale,y passent trois années , après
lesquelles ils sont examinés par notre conseil royal de l'instruction publique ,
qui leur délivre , s'ily a lieu , un brevet d'agrégé.
49. Les élèves qui ont obtenu ce brevet, s'il ne sont pas appelés par les
recteurs des autres universités , retournent dans celle qui les a envoyés , et
ils y sontplacés par le recteur, et avancés suivant leur capacité et leurs services.
50. Le chef de l'école normale a le même rang et les mêmes prérogatives
que les recteurs des Universités .
TITRE IV. - Du Conseil royal de
l'instruction publique.
51. Notre conseil royal de l'instruction publique est composé d'un président
et de onze conseillers nommés par nous .
52. Deux d'entr'eux sont choisis dans le clergé, deux dans notre conseild'Etat
, ou dans nos cours , et les sept autres parmi les personnes les plus
recommandables par leurs taleus et leurs services dans l'instruction publique.
53. Le président de notre conseil royal est seul chargé de la correspondance;
ilprésentelesaffaires au conseil , nomme les rapporteurs
règle l'ordre des délibérations , signe et fait expédier les arrêtés , et il en pros'il
y a lieu ,
cure l'exécution .
54. En cas de partage des voix , la sienne est
prépondérante.
55.
Conformément à l'article 3 de la présente ordonnance , notre conseil
royal dresse , arrête et promulgue les réglemens généraux relatifs à l'enseignement
et à ladiscipline .
56. Il prescrit l'exécution de ces réglemens à toutes les Universités , et il
la surveille par des inspecteurs-généraux des études , qui visitent les Universités
quand il le juge à propos , et qui luirendent compte de l'état de toutes
les écoles .
57. Les inspecteurs sont au
facultés de droit, deux pour celles de médecine ; les huit autres pour les
nombre de douze , savoir : deux pour les
facultés des sciences et des lettres , et pour les colléges royaux et communaux.
58. Les inspecteurs-généraux des études sont nommés par nous , entre
*rois candidats quinous sont présentés par notre conseil royal de l'instruccion
publique , et qu'il achoisis entre les recteurs et les inspecteurs des
Universités , les proviseurs des facultés , les proviseurs , préfets des études ,
et professeurs de philosophie , de rhétorique etde mathématiques supérieures
des colièges royaux.
59. Sur le rapport des inspecteurs-généraux des études , notre conseil
royal donne aux conseils des Universités les avis qui lui paraissent néces-
Saires; il censure les abus et il pourvoit à ce qu'ils soient reformes .
1
380 MERCURE DE FRANCE ,
1
60. Il nous rend un compte annuel de l'état de l'instruction publique
dans notre royaume.
61. Il nous propose toutes les mesures qu'il juge propres à ameliorer
Pinstruction , et pour lesquelles il est besoin de recourir à notre autorite.
62. II provoque et encourage la composition des livres qui manquent à
l'enseignement, et il indique ceux qui lui paraissent devoir étre employés.
63. Il révoque , s'il y a lieu , les doyens des facultés , et il nous propose
larévocation des recteurs des Universités .
64. Il juge définitivement les comptes de l'administration générale des
Universites.
65. L'école normale est sous son autorité immédiate et sa surveillance
spéciale ; il nomme et révoque les administrateurs et les maîtres de cet établissement
. ,
66. Il a le même rang que notre cour de cassation et notre cour des
comptes , et il est place,dans les cérémonies publiques, immédiatement
après celle-ci.
67. Il tient registre de ses délibérations et il en envoie copie à notre ministre
secrétaire d'état au departement de l'intérieur , qui nous en rend
compte, et sur le rapport duquel nous nous réservons de les reformer on
de les annuler .
TITRE V. - Des Recettes et des Dépenses.
68. La taxe du vingtième des frais d'études imposée sur les élèves des
colleges et des pensions est abolie , à compter du jour de la publication de la
présente ordonnance.
69. Sont maintenus : 1º les droits d'inscription , d'examen et de diplômes
de grades an profit des facultés ; 2°. les rétributions payées par les
élèves des colleges royaux et cominunaux au profit de ces etablissemens;
3º. les rétributions annuelles des chefs d'institutions et de pensionnats , au
profit des Universités .
70. Les communes continueront de payer les bourses communales et les
sommes qu'elles accordent , à titre de secours , à leurs colleges ; à cet effet ,
le montant desdites sommes , ainsi que des bourses , sera colloqué à leurs
budjets parmi leurs dépenses fixes , et il n'y sera fait aucun changement sans
que notre conscil royal de l'instruction publique ait été entendu.
71. Les communes continueront aussi de fournir et d'entretenir de grosses
réparations , les édifices nécessaires aux Universités , facultés et colleges.
72. Les conseils des Universités arrêtent les budjets des colleges et des
facultés.
73. Les facultés et les colleges royaux dont la recette excède la dépense ,
versent le surplus dans la caisse de l'Université.
4. Les conscils des Universités reçoivent les rétributions annuelles des
chefs d'institutions et de pensionnats.
75. Ils regissent les biens attribués à l'Université de France qui sont situés
dans l'arrondissement de chaque Université, et ils en perçoivent les revenus.
76. En cas d'insuffisance des recettes des facultés , etde celles qui sont
affectées aux dépenses de l'administration générale , les conseils des Universités
forment la demande distincte et détaillée des sommes nécessaires
pour remplir chaque déficit .
77. Cette demande est adressée par eux à notre conseil royal de l'instruction
publique , qui la transmet , avec son avis , à notre ministre secrétaire
d'état au departement de l'intérieur.
78. Les dépenses des facultés et des Universités , arrêtées par notre
ministre sécrétaire d'état au département de l'intérieur , sont acquittees
sur ses ordonnances par notre trésor royal,
FÉVRIER 1815 . 381
1
79. Sont pareillement acquittées par notre trésor royal : 1º . les dépenses
de notre conseil royal de l'instruction publique: 2º. celles de l'école normale;
3º. les bourses royales ..
80. A cet effet , la rente de 400,000 francs , formant l'apanage de
l'Université de Francè , est mise à la disposition de notre ministre-sécrétaire
d'état au département de l'intérieur .
81. De plus , et en remplacement provisoire de la taxe abolie par l'art.
68 de la présente ordonnance , notre ministre secrétaire d'état au départementde
l'intérieur est autorisé par nous , pour le service de l'instruction
publique dans notre royaume , pendant l'année 1815 , à s'adresser au
ministre de notre maison , qui mettra à sa disposition la somme d'un million
à prendre sur les fonds de notre liste civile .
82. Le fonds provenant de la retenue du vintg-cinquième des traitemens
dans l'Université de France , demeure affecté aux pensions de retraite : notre
conseil royal est chargé de nous proposer l'emploi le plus convenable de
ce fonds , ainsi que les moyens d'assurer un nouveau fonds pour la même
destination dans toutes les Universités .
TITRE VI . - Dispositions transitoires .
83. Les membres de notre conseil royal de l'instruction publique qui
doivent être choisis ainsi qu'il est dit en l'article 52, les inspecteurs genéraux
des études , les recteurs et les inspecteurs des Universités seront nommés
par nous , pour la première fois , entre toutes les personnes qui ont été on
qui sont actuellement employées dans les divers établissemens de l'instrution.
Les conditions d'éligibilité déterminées audit article , ainsi qu'aux articles
10 , 16 et 58 , s'appliquent aux places qui viendront à vaquer.
84. Les membres des Universités et des congrégations supprimées qui
ont professédans les anciennes facultés ou rempli des places de supérieurs
etdes principaux de colléges ou des chaires de philosophie et de rhétorique ,
comme aussi les conseillers , inspecteurs-généraux , recteurs et inspecteurs .
d'académies , et professeurs de facultés dans l'Université de France, qui se
trouveraient sans emploi par l'effet de la presente ordonnance , demeurent
éligibles à toutes les places .
85. Les traitemens fixes des doyens et professeurs des facultés , et ceux
des proviseurs , prefets des études et professeurs des colléges royaux , sont
maintenus.
86. Les doyens et professeurs des facultés qui seront conservées , les
proviseurs , préfets des études , et professeurs des colléges royaux , les
principaux et regens des colleges communaux présentement en fonc .
tions , ont les mêmes droits et prérogatives , et sont soumis aux mêmes
règles de révocation que s'ils avaient été nommés en exécution de la présente
ordonnance.
Mandons et ordonnons à nos cours , tribunaux , préfets et corps administratifs
, que les présentes ils aient à faire publier , s'il est nécessaire , et
enregistrer partout où besoin sera ; à nos procureurs-généraux et à nos
préfets d'y tenir la main et d'en certifier , savoir : les cours et tribunaux ,
notre chancelier ; et les préfets , le ministre secrétaire d'état au département
de l'intérieur .
Donné à Paris , en notre château des Tuileries , le 17 février de l'an
degrâce 1815 , et de notre règne le vingtième.
Signé, LOUIS.
1
TABLE
DU TOME SOIXANTE- DEUXIÈME .
NTRODUCTION.
..........
POÉSIE .
3
Éloge de Louis XVI. - Malesherbes à Saint-Denis ; parM. Ourry.
Fragment d'un poëme en douze chants intitulé : Palmyre conquise ,
parM. Dorion.
Les tombeaux expiatoires, ode éléĝiaque; par le comte Henri de Valori.
Traduction de l'ode XIV du livre II d'Horace ; par M. P. D. C.
Remercîment adressé à ceux de mes amis qui ont contribué à me faire
obtenir la croix de la Légion-d'Honneur ; parE. Mentelle.
Épigramme ; par M. VictorAugier .
If
18
65
69
71
72
Élégie sur la mort d'Evariste Parny ; par M. Léon Thiessé. 129
La main droite et la main gauche ; par M. de Kérivalant.
133
L'Aigle et le Passant .- Dialogue ; par M. F. L.... 134
Les douze Preux. - Nouvelle de chevalerie. Par M. Baour-Lormian . 193
L'apothéose de Louis XVI et le retour de Louis XVIII, par M. F. O.
Denesle. 198
Ven du nouvel an à Madame la baronne de Richepance ; par
M. J. H. C. D. 203
Le Devoir des Pasteurs ; par M. De Maisonneuve. 257
Le Problème ; par M. de Kérivalant. 260
Imitation des vers de Sannazar sur Venise ; par le même . Ib.
Épigramme ; par M. Victor Vial. 261
La nuit de Noël ; par M. Alexandre Soumet. 321
Anecdote ; par M. F. C. 323
Vive le Roi. Par M. H. Ed. Portale.
Moralité ; parM. F. C.
Enigmes.
324
325
21, 72, 135, 203, 261, 325
Logogriphes .
Charades .
22, 72, 135, 203, 262, 326
22, 73, 136, 204, 262, 326
SCIENCES ET ARTS .
Sar l'état des sciences en France depuis 1789 ; par M. Biot. 263
TABLE DES MATIÈRES . 384
LITTÉRATURE ET BEAUX-ARTS.
( EXTRAITS. )
Histoirede J.-B. Bossuet, évêque de Meaux, par M. L.-Fr. de Bausset :
(Art. de M. de Bonald ) . 23, 205
Histoire morale de l'Éloquence, ou Développemens historiques sur l'intelligence
et le goût , par rapport à l'éloquence ; par Edouard
Landié : ( Art. de M. R. C. ) 37
Histoire des sociétés secrètes de l'armée , et des conspirations militaires
qui ont eu pour objet la destruction du gouvernement de Bonaparte
: ( Art. de M. X. ) 74
Almanach des Muses pour 1815 : ( Art. de M. O. ) 80
Réflexions et Maximes ; par M. de Lingrée . 89
Le Martyre de Louis XVI et la Captivité de Pie VI, poëmes élégiaques;
parM. Treneuil : ( Article de M. Amar. ) 137
Elégies en trois livres ; par Charles Millevoye. 149
Memoires sur la guerre d'Espagne, par M. de Rocca : ( Article de M. de
Saint-Ange ) . 154
La Captivité de Pie VI , poëme élégiaque ; par M. Treneuil : ( Article
de M. L. F. ) 119
Voyage historique , chorographique et philosophique dans les principales
villes de l'Italie , en 1811 et 1812 ; par P. Petit -Radel :
(Art. de M. C***. )
1
269
Histoire du Procès de Louis XVI , dédiée à Sa Majesté Louis XVIII ;
par Maurice Méjan : ( Art. de M. X. ) 277
Histoire de la Campagne de 1814 ; par M. Alphonse de Beauchamp :
(Art. deM. E. ) 283, 331
De la Responsabilité des Ministres ; par M. Benjamin de Constant :
(Art. de M. J. ) 290
Des Modes accidentels de nos perceptions : (Art. de M. D. ) 327
La Femme errante , roman traduit de l'anglais de MissBurney : ( Art.
de M. Y. ) 338
Parallèle de Thamas Kouli-Kan ( ou Nadir Schah ) et de Buonaparte ;
parM. Jondot. 347
Vingt et un janvier.
(MÉLANGES. )
Quelques mots sur le mémoire justificatif de M. le comte Excelmans ;
par M. D. F. , ancien commissaire des guerres .
Sur l'ouvrage intitulé : Le Pelletière , ou Réponse au mémoire adressé
au roi.
49
96
102
384
TABLE DES MATIÈRES .
Horace et Lydie.- Nouvelle; par M. H. Audibert .
Sur un ouvrage intitulé : De la responsabilité des ministres .
A MM. les Rédacteurs du Mercure de France; par M. ***.
167
234
239
VARIÉTÉS.- BULLETIN LITTÉRAIRE .
Spectacles. - Grands théâtres.
- Théâtres lyriques .
- Académie royale de Musique.
Théâtre Français.
Théâtre Feydeau .
Théâtre de l'Odéon .
Théâtre du Vaudeville.
Théâtre des Variétés .
Theâtre de la Gaieté.
Théâtre de l'Ambigu-Comique.
105
107
174, 241
143, 301, 36г
176
177, 363
110, 178, 245, 363
246
247, 364
110
-
Théâtre de la Porte Saint-Martin . 109, 364
- Cirque de Franconi. 247, 365
Institut royal de France.
52, 180
Extrait de la correspondance de Grimm . 111
Sur M. Comte.
113
Nécrologie .
113, 308
Nouvelles de la cour.
115
Sur M. Descloseaux.
183
Sur un sujet de comédie trouvé dans un mot de Louis XIV. 184
A M. le Rédacteur du Mercure de France ; par M. D. B. 186
Sur un ouvrage intitulé : Le Dimanche. 248
Exposition d'une collection intéressante de dessins d'architecture. 302
Morceaux d'architecture exposés au salon. 304
Objets d'histoire naturelle, etc., apportés par le vaisseaudu roi , le Lys. 307
Mercuriale. 365
POLITIQUE .
Programme des tristes cérémonies qui doivent avoir lieu, le 21 janvier,
pour la célébration de l'anniversaire de la mort de Louis XVI ; par
M. de Châteaubriand. 57
POLITIQUE .
Ordonnances du Roi .
117, 189, 249, 310, 369
122, 317, 375
Discours de Monseigneur le chancelier de France à la Cour de Cassation . 372
NOTICES BIBLIOGRAPHIQUES ; ANNONCES ; AVIs , etc. 128, 319.
Fin de la Table du Tome soixante-deuxième.
MERCURE
DE FRANCE ,
OUVRAGE PÉRIODIQUE ,
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES.
N°. DCLXVII. - JANVIER 1815.
DE L'IMPRIMERIE DE FAIN, RUE DE RACINE , PLACE DE L'ODÉON.
A PARIS ,
AU BUREAU D'ABONNEMENT , rue de Grétry, nº. 5.
INTRODUCTION.
TABLE.
POÉSIE.
Éloge de Louis XVI.-Malesherbe à Saint-Denis ; par M. Ourry .
Fragment d'un poëme en douze chants intitulé , Palmyre con-
3
11
quise, par M. Dorion. 18
Enigme; par M. S........ 21
Logogriphe; par le même. 22
Charade ; par le même.. 1b.
Mots de l'énigme , du Logogriphe et de la Charade. 16.
LITTÉRATURE ET BEAUX-ARTS.
Histoire de J.-B. Bossuet, évêque de Meaux , parM. L.-Fr. deBausset:
(Art. de M. de B. ) . 23 ...
Histoire morale de l'Éloquence, ou Développemens historiques sur
l'intelligence et le goût, par rapport à l'éloquence; par Edouard
Landié : (Art. de M. R: C. ).....
37
MELANGES.
Vingt et unjanvier.
BULLETIN LITTÉRAIRE.
Institut royal de France. .....
POLITIQUE.
Programme des cérémonies qui doivent avoir lieu , le 21 janvier,
pour la célébration de l'anniversaire de la mort de Louis XVI;
par M. de Chateaubriand..
49
63
57
MERCURE
DE FRANCE,
OUVRAGE PÉRIODIQUE ,
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES.
N°. DCLXIX. - Samedi 4 Février 1815.
DE L'IMPRIMERIE DE FAIN , RUE DE RACINE, PLACE DE L'ODEON.
A PARIS,
AU BUREAU D'AFONNEMENT , rue de Gréry, nº . 5.
TABLE .
POÉSIE.
ÉLÉGIE sur la mort d'Evariste Parny ; par M. Léon Thiesse.
La main droite et la main gauche , par M. de Kérivalant ..
L'Aigle et le Passant.- Dialogue; par M. F. L........
Énigme; par M. S........
Logogriphe ; par M. V. B. ( d'Agen )..
Charade ; parM. S........
Mots de l'énigme , du Logogriphe et de la Charade .
LITTÉRATURE ET BEAUX -ARTS .
tag
133
134
135
16.
136
16.
149
Le Martyre de Louis XVI et la Captivité de Pie VI , poëmes élégiaques
; par M. Treneuil. ( Article de M. Amar )... 1..137
Élégies en trois livres ; par Charles Millevoye..
Mémoires sur la guerre d'Espagne , par M. de Rocca . ( Article de
M. de Saint-Ange ). 154
MÉLANGES.
Horace et Lydie.- Nouvelle ; par M. H. Audiberi........ 169
BULLETIN LITTÉRAIRE.
Spectacles .- Académic royale de musique. 174
Théâtre de l'Opéra-Comique.. 176
Théâtre de l'Odéon. 177
Théâtre du Vaudeville. 178
Institut royal de France .
180
Sur M. Descloseaux.
183
Sur un sujet de comédie trouvé dans un mot de Louis XIV.
184
A M. le Rédacteur du Mercure de France; par M. D. B.
186
POLITIQUE...... 180
MERCURE
DE FRANCE ,
OUVRAGE PÉRIODIQUE ,
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES.
N°. DCLXIX. - Samedi 4 Février 1815.
DE L'IMPRIMERIE DE FAIN, RUE DE RACINE, PLACE DE L'ODEON .
A PARIS ,
AU BUREAU D'AFONNEMENT , rue de Gréry, u" . 5.
TABLE.
www
POÉSIE.
ÉLÉGIE sur la mort d'Évariste Parny ; par M. Léon Thiessé.
La main droite et la maingauche, par M. de Kérivalant..
L'Aigle et le Passant. - Dialogue; par M. F. L.........
Enigme; par M. S........
Logogriphe; par M. V. B. (d'Agen).......
Charade; par M. S........
Mots de l'énigme, du Logogriphe et de la Charade.
LITTÉRATURE ET BEAUX - ARTS.
129
133
134
135
16
136
Ib.
Le Martyre de Louis XVI et la Captivité de Pie VI , poëmes élégiaques
; par M. Treneuil. ( Article de M. Amar )... 1..137
Élégies en trois livres ; par Charles Millevoye.
Mémoires sur la guerre d'Espagne , par M. de Rocca. ( Article de
M. de Saint-Ange).
149
MÉLANGES .
Horace et Lydie.- Nouvelle ; par M. H. Audiberi... 169
BULLETIN LITTÉRAIRE.
Spectacles.-Académic royale de musique.
174
Théâtre de l'Opéra-Comique.
176
Théâtre de l'Odéon.
177
Théâtre du Vaudeville .
178
Institut royal de France . 180
Sur M. Descloseaux.
183
Sur un sujet de comédie trouvé dans un mot de Louis XIV.. 184
A M. le Rédacteur du Mercure de France; par M. D. B. 186
POLITIQUE..........
180
MERCURE
DE FRANCE ,
OUVRAGE PÉRIODIQUE ,
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES.
N° . DCLXX . - Samedi 11 Février 1815.
DE L'IMPRIMERIE DE FAIN, RUE DE RACINE , PLACE DE L'ODÉON.
A PARIS,
AU BUREAU D'ABONNEMENT , rue de Grétry, nº. 5.
TABLE.
POESIE.
Lrs douze Prenx. -Nouvelle de chevalerie . Far M. Baour-Lormian.
L'apotheose de Louis XVI et le retour de Louis XVIII ; par l
F. O. Denesle , ancien officier du régiment de Provence.
Voeux du nouvel an à Madame la baronne de Richepance; par
M. J. H. C. D. , ex-secrétaire du général Richepance.
Enigme.
Logogriphe; par M. I. B. (d'Agen )..
Charade; par le même .
Mots de l'énigme , du Logogriphe et de la Charade .
LITTÉRATURE ET BEAUX -ARTS.
Histoire de J.-B. Bossuet , évêque de Meaux , par M. L.-F. de
Bausset. (Art. de M. de Bonald ) .
La Captivité de Pie VI , poëme élégiaque ; par M. Treneuil. (Article
de M. L. F. ).
MÉLANGES.
Sur un ouvrage intitulé : De la responsabilité des rinistres....
A MM. les Rédacteurs du Mercure de France; par M. ***.
BULLETIN LITTÉRAIRE.
Spectacles.- Académie royale de musique.
Théâtre Français..
Théâtre du Vaudeville.
Théâtre des Variétés .
Théâtre de la Gaieté.
Cirque de Franconi.
Sur un ouvrage intitulé: Le Dimanche.
POLITIQUE........
100
2
MERCUR- E
DE FRANCE ,
OUVRAGE PÉRIODIQUE ,
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES.
N°. DCLXXI. -Samedi 18 Février 1815 .
DE L'IMPRIMERIE DE FAIN, RUE DE RACINE, PLACE DE L'ODÉON.
A PARIS ,
AU BUREAU D'ABONNEMENT ; rue de Gréiry , no. 5 no
TABLE.
POÉSIE.
Le Devoir des Pasteurs; par M. De Maisonneuve..
Le Problème; par M. de Kérivalant.
Imitationdes vers de Sannazar sur Venise ; par lemême.
Épigramme; par M. Victor Vial..
Enigme; par M. S.......
Logogriphe; par M. V. B. (d'Agen ).......
Charade; par le même.
Mots de l'Enigme , du Logogriphe et de la Charade.
SCIENCES ET ARTS.
Sur l'état des sciences en France , depuis 1789 ; par M. Biot .
LITTÉRATURE ET BEAUX -ARTS .
257
260
261
be
263
16.
16.
263
Voyage historique , chorographique et philosophique dans les principales
villes de l'Italie , en 1811 et 1812; parP. Petit-Radel:
(Art. de M. C. ***. ).. 269
Histoire du Procès de Louis XVI, dédiée à Sa Majesté LouisXVIII;
par Maurice Méjan : (Art. de M. Χ. )..
Histoire de la Campagne de 1814; par M. Alphonse de Beauchamp
: ( Art. de M. E. ).
257
283
Dela Responsabilité des Ministres; parM. Benjamin de Constant :
( Art. de M. J. )..... 290
BULLETIN LITTÉRAIRE.
Spectacles .-Théâtre Français .
Exposition d'une collection intéressante de dessins d'architecture. За
Morceaux d'architecture exposés au Salon.
Objets d'histoire - naturelle , etc., apportés par le vaisseau de roi ,
le Lys.
Nécrologie.
304
307
305
POLITIQUE.
Ordonnances du Roi....... 310-317
NOTICES BIBLIOGRAPHIQUES; ANNONCES; AVIS, etc. 319
MERCURE
DE FRANCE ,
OUVRAGE PÉRIODIQUE ,
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES.
N° . DCLXXII.-Samedi 25 Février 1815.
DE L'IMPRIMERIE DE FAIN, RUE DE RACINE , PLACE DE L'ODÉON.
A. PARIS ,
AU BUREAU D'ABONNEMENT , rue de Grétry, nº . ab
TABLE.
POÉSIE.
Lanuitde Noël; par M. Alexandre Soumet.
Anecdote; par M. F. C. .
Vive le Roi. Par M. H. Ed. Portale.
Moralité ; par M. F. C.
Enigme : par M. V. B. ( d'Agen).
Logogriphe; par le même.
Charade; par M. Bonnard , ancien militaire..
Mots de l'Enigme , du Logogriphe et de la Charade.
LITTÉRATURE ET BEAUX- ARTS.
321
323
324
325
L.
326
Гь.
Ib.
Des Modes accidentels de nos perceptions : (Art. de M. D. )... 327
Histoire de la Campagne de 1814 ; par M. Alphonse de Beauchamp
: ( Art. de M. E. ) .
331
LaFemme errante , roman traduit de l'anglais de Miss Burney :
(Art. de M. Y. ).
338
Parallèle de Thamas Kouli-Kan ( ou Nadir Schah ) et de Buonaparte
; par M. Jondot.
347
BULLETIN LITTÉRAIRE.
Spectacles .- Théâtre Français .
- Théâtre de l'Odéon..
-Théâtre du Vaudeville.
361
363
16.
Théâtre de la Gaieté. 364
-Théâtre de la Porte Saint-Martin. Ib.
-Cirque de Franconi.
365
Mercuriale.
76
POLITIQUE.. 369
Discours deMonseigneur le Chancelier de France à la Courde Cassation.
2375
Ordonnances du Roi, 1375
Qualité de la reconnaissance optique de caractères
Soumis par lechott le