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1811, 04-06, t. 47, n. 507-519 (6, 13, 20, 27 avril, 4, 11, 18, 25 mai, 1, 8, 15, 22, 29 juin)
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Texte
MERCURE
SEINE
ᎠᎬ
FRANCE
DEPT
DE LA
5 .
Cen
JOURNAL LITTÉRAIRE ET POLITIQUE.
TOME QUARANTE - SEPTIÈME
VIRESACQUIRIT
EUND
A PARIS ,
CHEZ ARTHUS-BERTRAND , Libraire , rue Hautefeuille
, N° 23 , acquéreur du fonds de M. Buisson
et de celui de Mme Ve Desaint.
1811 .
THE NEW YORK
PUBLIC LIBRARY
632401
ASTOR, LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS
1005
DE L'IMPRIMERIE DE D. COLAS , rue du Vieux-
Colombier , N° 26 , faubourg Saint-Germain .
HHOY WOU
OLIGUR
MERCURE
DE FRANCE.
N° DVII . - Samedi 5 Avril 1811.
POÉSIE.
L'EXIL
ABANDONNEZ une terre étrangère ,
Légers oiseaux , venez , ne craignez plus :
Les noirs frimas qui vous fesaient la guerre,
Loin de ces bords sont enfin disparus.
Dans le vallon la rose vient d'éclore ;
Ses doux parfums appellent le zéphyr ;
L'onde murmure , et la naissante aurore ,
En s'éveillant , vous invite au plaisir.
Ne tardez plus , cédez , troupe fidelle ,
Cédez encore à de nouveaux désirs ;
Chaque arbrisseau , chaque feuille nouvelle
Vous redira de touchans souvenirs.
Voici l'ormeau dont le mobile ombrage
Vous protégea durant vos premiers jours ;
Ce marronier couvrit de son feuillage
Le doux secret de vos jeunes amours.
Enfans de l'air , que je vous porte envię!
Dans votre essor échappés au vautour ,
A 2
4
MERCURE
DE FRANCE
,
Vous reverrez demain votre patrie ,
Elle entendra votre chant de retour.
Et moi , traînant mes ennuis solitaires ,
J'appelle en vain mes tranquilles vergers :
Pauvre exilé , loin du toit de mes pères ,
Je vais pleurant sur des bords étrangers.
DELISLE SEJOURNÉ.
LE TROUBADOUR ET LA BERGERE.
ROMANCE.
TROUBADOUR de belle
apparence
Cherchait aventure d'amour :
Dans les montagnes de Provence ,
Par hasard il errait un jour ;
En sortant de joli bocage ,
Tout au bas d'un riche coteau ,
Il voit assise sous l'ombrage
Fillette gardant un troupeau.
Désir que jeunesse fait naître
Brûle déjà le troubadour :
L'espoir vient , avant de connaître
L'objet de son nouvel amour.
Tant de beautés du haut parage
Ont loué sa témérité !
Doit-il craindre près d'un village
D'éprouver la sévérité ?
LE TROUBADOUR .
Dieu vous gard' jeune pastourelle .....
Que faites seule en ce vallon ?
LA BERGÈRE.
Je caresse la fleur nouvelle
Et la garantis du frelon .
LE TROUBADOUR.
Chantiez , me semble , une romance .....
Et tant doux étaient vos accens !
LA BERGERE .
Si voulez que la recommence ,
D'un peu loin écoutez mes chants,
AVRIL 1811 . 5
LE TROUBADOUR.
Eh quoi ! gentille pastourelle ,
Craignez de me voir près de vous ?
LA BERGÈRE.
Veux plaire à mon ami fidelle ,
Dont le coeur est un peu jaloux .
LE TROUBADOUR.
Vous ignorez , fille innocente ,
Qu'amour s'accroît par le tourment .
LA BERGERE .
L'amour de mon ami s'augmente
Quand lui donne contentement.
LE TROUBADOUR.
Me direz votre nom , la belle ?
Faut qu'il se grave dans mon coeur.
LA BERGÈRE, en souriant .
Long-tems on me nomma cruelle ,
Ne la suis plus pour mon bonheur.
LE TROUBADOUR.
Montrez un peu trop de finesse ,
Bergère ; parlez sans détour.
LA BERGERE.
Pour bien-aimé n'ai que simplesse ,
Pour les trompeurs ai plus d'un tour .
LE TROUBADOUR.
Voyez-vous dans cette aumonière
Bourse pleine de pièces d'or ?
LA BERGERE .
Mon ami n'a que la rivière .
Et ses filets pour tout trésor ;
Mais à votre bel équipage ,
A tous vos anneaux de rubis ,
Préfère le bien d'être sage :
Jamais il ne baisse de prix .
Le Troubadour avec instance ,
Priait Nice de l'écouter :
La pastourelle avec prudence
S'enfuit sans vouloir s'arrêter.
Amant léger , va , ta conquête ,
Dit-elle , n'a rien de flatteur :
Point ne verras femme coquette
Quand amour vrai règne en son coeur.
Par Mme DE MONTANCLOS.
6 MERCURE DE FRANCE, AVRIL 1811 .
ENIGME .
Pour parler , comme chacun sait ,
Il ne faut pas être muet.
Pour bien s'entendre en toute affaire
Il faut parler ; c'est un point nécessaire ;
Et c'est ainsi que tout accord se fait.
Onpeut ensuite écrire ou faire écrire
Afin de prévenir le tort de se dédire.
,
J'en dirais trop , c'est assez discouru :
Car celui qui voudrait ( et c'est bien entendu ) ,
Seulement une fois relire
Tout bref qu'il soit , ce qu'il a déjà lu ,
Soit entier , soit coupé , quatre fois m'aura vu .
JOUYNEAU DESLOGES ( Poitiers J.
LOGOGRIPHE .
Né d'un poétique cerveau ,
Je suis aussi l'enfant de la musique ;
Avec mon chefje prends le surnom de nouveau ,
Et sans lui je suis antique.
$ ........
CHARADE .
VEUX-TU voir s'écouler chaque jour de ta vie
Sans qu'elle soit jamais de repentir suivie ?
N'expose pas ta bourse aux coups de mon premier ;
Ne va pas , s'il est plein , renverser mon dernier ;
Prends garde à qui tu dois confier mon entier .
S ........
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARADE
insérés dans le dernier Numéro .
Le mot de l'Enigme est Poisson-d'avril.
Celui du Logogriphe est Frange , dans lequel on trouve : rang,
ange, rage , âne , âge ,fa et an.
Celui de la Charade est Houpelande.
LITTÉRATURE ET BEAUX -ARTS .
- -
ΜΥΘΩΝ ΑΙΣΩΠΕΙΩΝ συναγωγή. RECUEIL DES FABLES DÉSOPE .
Imprimé aux frais des frères ZoSIMA, pour l'instruction
de ceux qui étudient la langue grecque . Un vol.
in-8 ° de près de 600 pages . A Paris ,
merie d'Eberhart. ( 1810.)
A Paris , de l'impri-
Qui ne sait combien notre esprit trouve plus de charme
dans la contemplation des vérités morales , lorsqu'elles
lui sont offertes sous le voile transparent de la fable ou
d'une ingénieuse allégorie , que lorsqu'on les lui présente
dans un langage simple et austère , plus propre à convaincre
la raison qu'à toucher le coeur ou à séduire
l'imagination ? En effet , soit que le léger effort que nous
faisons pour apercevoir ce qu'on veut nous faire entendre
, et qu'on ne nous dit pas , nous rende plus attentifs
, ou que notre amour propre soit flatté de deviner ce
qu'on avait l'air de vouloir nous déguiser ; soit enfin
que cette lumière de reflet , si l'on peut s'exprimer ainsi
qui semble se porter comme par hasard sur nos défauts ,
nos vices ou nos ridicules , nous blesse moins qu'une
lumière directe qui viendrait les frapper tout-à- coup , et
étaler aux regards tout ce qu'ils ont de hideux ou de
choquant ; il est certain que les fables nous plaisent et
nous attachent souvent plus que la vérité même , et que
par leur moyen celle- ci se grave plus sûrement et plus.
profondément dans notre esprit.
Tous les peuples de l'antiquité ont connu l'usage de
cette sorte de fictions que nous désignons plus particulièrement
par le nom d'apologue , et qui consiste à prêter
aux animaux , aux plantes mêmes , et quelquefois aux
êtres inanimés , un langage , des passions , ou des actions
analogues à celles des hommes. Dans cette vie toute
champêtre des premiers peuples , soit pasteurs , soit cultivateurs
, on avait sans cesse occasion d'observer les
8 MERCURE DE FRANCE ,
habitudes des animaux , leurs ruses , leurs divers moyens
de pourvoir à leur subsistance ou à leur sûreté . Il était
impossible de méconnaître dans toutes leurs démarches
une intention , un but déterminé ; et de là à leur supposer
une raison à-peu-près semblable à la nôtre , à leur prêter
notre langage , il n'y avait , pour ainsi dire , qu'un
pas . On supposa même , et l'on alla jusqu'à croire qu'il
y avait eu un tems où les animaux parlaient. L'aventure
de l'ânesse de Balaam , et la fable du cheval d'Achille ,
pourraient prouver que cette opinion fut , à une certaine
époque , plus sérieuse qu'on ne serait porté à le croire
d'abord ,
Esope fut , chez les Grecs , non pas le premier qui
créa ce genre de fictions , mais celui qui , par l'usage heureux
et fréquent qu'il en fit , parvint , en quelque sorte ,
à se l'approprier, tellement qu'on appelait fables d'Esope
ou Esopiennes toutes celles qui furent composées par
quelques-uns de ses contemporains , et même par les
auteurs qui le précédèrent ou le suivirent immédiatement.
Les Athéniens attachèrent tant de prix au talent
d'Esope , il leur parut avoir si bien mérité de l'humanité
en rendant la morale tout- à- fait populaire , et accessible
même à l'enfance , qu'ils n'hésitèrent pas à lui faire ériger
une statue par leur célèbre sculpteur Lysippe ( 1 ) , à
côté de celles des sept sages de la Grèce . « Ainsi , dit
» Phèdre , ils consacrèrent par un monument immortel
» la mémoire d'un esclave , afin de convaincre tous les
» hommes qu'il n'est personne qui ne puisse aspirer à la
» gloire , et qu'elle n'est pas le partage du rang ou de la
» naissance , mais celui de la seule vertu ( 2 ) .
Ce sont ces fables répandues autrefois parmi les Grecs
sous le nom d'Esope , dont un homme profondément
(1) Voyez , à ce sujet , une très - jolie épigramme grecque d'Agathias
, dans les Anal. Gr . de Brunck , tom . III , p . 45 .
(2) Æsopo ingentem statuam posuêre Attici ,
Servumque collocarunt æterna in basi ,
Patere honoris scirent ut cuncti viam ,
Nec generi tribui , sed virtuti gloriam.
( Phædr. Epil. 1. 2. )
: 9
AVRIL 1811 .
versé dans la connaissance de leur langue nous a donné
récemment un recueil extrêmement intéressant sous plusieurs
rapports . Tandis que l'un des premiers corps littéraires
de l'Europe décernait aux nombreux et utiles travaux
de M. Coray une récompense honorable , tandis
que la médiocrité jalouse se consumait en vains efforts
pour égarer l'opinion sur son compte , ce savant modeste
, loin de songer à repousser les attaques de ses
adversaires , poursuivait en paix le cours de sa vie laborieuse
, et tout en continuant de donner ses soins à
l'édition des Vies de Plutarque , dont le troisième volume
doit bientôt paraître , et à la traduction de Strabon , qui
lui a été confiée par le gouvernement (3) , il terminait
cette édition des Fables d'Esope , formant le septième
tome de la Bibliothèque grecque , dont il a entrepris la
publication il y a quelques années .
Cevolume se compose : 1º d'un discours préliminaire ,
en langue grecque moderne , sur Esope , et sur la présente
édition des fables qui lui sont attribués; 2º du texte
grec , divisé en deux parties , dont l'une contient quatre
cent vingt-six fables , et l'autre , sous le titre de Fables
parallèles ( παράλληλοι μύθοι ) , présente à-peu-près tous
les mêmes sujets , au nombre de trois cent soixante-six ,
traités d'une manière un peu différente ; des notes placées
au bas des pages indiquent les sources où chacune
de ces fables a été puisée , les imitations qui en ont
été faites par les meilleurs écrivains et l'indication
des divers endroits de leurs ouvrages où ils y ont fait
allusion; 3º vient ensuite une partie de trente-deux pages
d'impression, en petits caractères , contenant de courtes
annotations sur le texte de la partie précédente , puis
une table comparative du texte donné par le nouvel éditeur
, etde celui qu'avaient adopté les éditeurs précédens ;
4º le volume est terminé par les index des auteurs cités ,
des fables , des noms et des mots remarquables , etc. , et
,
(3) Concurremment avec deux savans célèbres , MM. Laporte
Dutheil et Gosselin , membres de l'Institut. Ilen aparu deux volumes.
Les livres III et IV , avec les notes qui les accompagnent , sont de
M. Coray.
10 MERCURE DE FRANCE ,
1
par un appendice de trente - six fables , en langue
grecque moderne , composées par un des amis de l'éditeur.
Deux gravures représentant l'une le buste d'Esope ,
et l'autre celui d'Archiloque , d'après l'iconologie grecque
du célèbre M. Visconti , ajoutent à l'intérêt de ce volume ,
imprimé d'ailleurs avec beaucoup de correction .
M. Coray , dans la lettre à M. Alexandre Basili , qui
sert d'introduction à son édition du roman d'Héliodore
(4) , avait tracé l'histoire complète de ce genre de
littérature chez les Grecs ; il a suivi la même marche dans
ce nouvel ouvrage , et son discours préliminaire est un
morceau d'histoire littéraire également distingué par la
vaste érudition que l'auteur y déploie , par le choix judicieux
qu'il a su faire des nombreux matériaux dont il a
fait usage , et par le goût sévère qui a présidé à leur emploi
. Peut- être ne nous saura-t- on pas mauvais gré de
donner ici , d'après lui , une esquisse rapide de l'histoire
d'Esope et du genre dont il fut regardé comme le créateur.
Chez les Romains , les fables d'Esope succédaient
immédiatement aux contes des nourrices , comme dit
Quintilien (5) ; c'est la même chose parmi nous , et notre
nation a de plus la gloire d'avoir produit le plus ingénieux
et sans aucune comparaison le premier des fabulistes anciens
et modernes ; plusieurs même de ses successeurs
se sont montrés avec éclat dans la même carrière , et
trouveraient chez les nations voisines bien peu de rivaux
qu'on pût leur comparer (6) : que de raisons pour appe-
(4) Les Æthiopiques , en deux volumes in-80. Paris , 1804 .
(5) Instit. Orat . 1. I , c . 9. Æsopi fabellas , quæfabulis nutricularam
proximè succedunt , narrare sermone puro ... ( pueri ) ... condiscant
, etc. Tout ce passage mérite d'être lu et médité par les instituteurs
de l'enfance . Le conseil que leur donne Quintilien , pratiqué
avec discernement , pourrait produire les plus heureux résultats .
(6) Le charmant recueil publié récemment par M. Ginguené ,
justifie l'opinion que nous osons énoncer ici. Il joint au mérite des
fictions ingénieuses et d'une morale toujours noble et élevée , celui
d'un style qui rappelle la pureté et la correction de Phèdre , mais
souvent ornée et embellie par ce coloris poétique , par cette vérité de
détails dont La Fontaine offrit le premier de si nombreux et de si
brillans modèles.
AVRIL 1811 . 11
ler notre intérêt sur ce genre de littérature et sur son
histoire !
C'est à un Français ( Bachet de Méziriac ) , également
distingué par son érudition et par ses rares connaissances
dans les mathématiques , que l'on doit d'avoir réduit la
vie d'Esope aux faits les plus authentiques et les mieux
constatés , et de l'avoir dégagée de ce nombre considérable
de fables absurdes et ridicules qu'y avait mêlées Planude,
moine grec du quatorzième siècle. On ne sait pointquelle
fut la patrie du célèbre fabuliste : l'opinion la plus
communément reçue est qu'il était Phrygien. Il naquit
esclave , de parens esclaves , vers la 52 olympiade ,
environ cinq cent soixante-dix ans avant l'ère vulgaire .
Il fut contemporain de Solon et des autres sages de la
Grèce célèbres à cette époque ; il paraît qu'il se trouvait
à la cour de Cræsus , roi de Lydie , lorsque le législateur
d'Athènes y arriva , et l'on ne saurait douter qu'Esope ne
fût dès-lors célèbre par sa facilité à inventer sur-le-champ
des apologues , et par le tour ingénieux qu'il leur donnait.
Envoyé à Delphes par Cræsus , il offensa les Delphiens
et sur-tout les prètres du temple d'Apollon , en leur reprochant
de vivre du produit de leurs vaines jongleries plutôt
que de cultiver leurs terres , et sur-tout en se contentant
d'offrir au Dieu les sacrifices qu'il devait lui faire ,
et renvoyant au roi les riches présens que ce prince avait
destinés aux Delphiens . On sait par quelle horrible perfidie
ceux-ci se vengèrent de cette injure : qu'ils firent
cacher des vases sacrés dans le bagage d'Esope au moment
de son départ , et qu'ensuite ils le firent arrêter
comme coupable d'un vol sacrilége , et le condamnèrent
à être précipité de la roche appelée Hyampie. C'étaient
pourtant, dit Plutarque (7) , ces mêmes hommes qui
consentirent à recevoir de la courtisane Rhodopis , qui
avait été la compagne d'esclavage d'Esope , la dime des
produits de son infâme métier; c'étaient eux aussi qui
ne rougirent pas dans la suite d'admettre dans leur
temple une statue d'or de Phryné , autre courtisane non
(7) Voyez le Traité: Pourquoi la prophétesse Pythie ne rend plus
ses oracles en vers , S. 14.
12 MERCURE DE FRANCE ,
moins célèbre . Une contagion furieuse qui ravagea le
territoire de Delphes , peu après la mort d'Esope , parut
être l'effet et la punition du crime de ses habitans .
Quant à ce qu'on dit communément de la difformité
d'Esope , que Planude et tous ceux qui ont écrit depuis lui
et d'après lui , nous représentent comme bossu , extrêmement
laid , et bègue , le savant Bentley, en rapprochant
avec beaucoup de discernement tout ce que les
anciens en ont écrit , semble avoir réfuté victorieusement
cette assertion , et le passage d'Himérias (8) qui
avait échappé à ses recherches , et qu'on lui oppose ,
n'est peut-être pas aussi décisif que l'on a paru le croire ;
et en ceci du moins , j'avoue que je ne partage pas toutà-
fait l'opinion du savant éditeur .
Il est probable , suivant M. Coray , qu'Esope n'a jamais
rien écrit , mais que ses apologues se transmirent par
tradition de génération en génération. D'ailleurs , ajoutet-
il , en admettant qu'Esope eût écrit ses fables , il est
hors de doute que celles que nous avons aujourd'hui
sous son nom ne ressemblent nullement à celles qu'il
avait composées . En effet , chaque époque a , comme
chaque écrivain , un caractère de style quilui est propre :
le langage d'Esope , contemporain d'Alcée , de Sappho ,
de Solon , deMimnerme , de Stésichore , de Théognis , etc.
dut avoir au moins quelque analogie avec celui de ces
écrivains célèbres , et sur-tout s'éloigner entiérement de
l'enflure barbare ou de la plate niaiserie qui nous choquent
dans un grand nombre des fables que nous avons
aujourd'hui sous son nom.
Le plus ancien et le premier de tous les apologues
connus , se trouve dans le livre des Juges de l'Ancien
Testament ( c. 9 , vers. 8 suiv . ) . L'auteur est , à ce
qu'on croit , le prophète Samuel. Cette fable (le Buisson
(8) Sophiste du quatrième siècle. Voy. Orat. XIII, 5 , p . 592 ,
ed. Wernsd. Il me semble que tout ce que dit Himérias dans cet
endroit , peut aussi bien s'entendre de la mobilité des traits , de la
variété des tons dans la voix,que de ladifformité du visage ou d'un
vice naturel de prononciation.
AVRIL 1811 . 13
et les Arbres ) se trouve aussi dans l'historien Josephe .
La seconde fable qui soit venue à notre connaissance , et
la première qui ait été écrite en grec , PEpervier et le
Rossignol, est du poëte Hésiode ( 9 ) , qui florissait environ
300 ans avant Esope . Deux siècles après , Archiloque ,
de Paros , également célèbre par la beauté de son génie
et par l'usage cruel qu'il en fit dans des vers pleins de fiel ,
paraît avoir mêlé aux satires violentes qu'il composait ,
quelques apologues , tels que ceux du Renard et de l'Aigle
, du Renard et du Singe , etc. à moins que peut-être ces
satires ne fussent une suite d'apologues liés entr'eux et à
une action unique , et formant une espèce de poëme àpeu-
près dans le genre de celui de l'ingénieux abbé
Casti , intitulé Gli animali parlanti: mais il est impossible
d'établir aucune probabilité un peu satisfaisante sur les
deux très-courts fragmens qui nous restent de ces poésies
d'Archiloque. Enfin Stésichore , contemporain d'Esope ,
passe pour être l'auteur de l'apologue du Cheval et du
Cerf, qu'il adressa , dit- on , aux citoyens d'Himère pour
leur faire entendre le danger qu'ils couraient de tomber
sous la tyrannie de Phalaris , suivant Aristote , ou de
Gélon , comme le témoigne Conon . Quant à Alcée , qui
vivait aussi vers le même tems , ce n'est qu'en passant,
pour ainsi dire , qu'il fait allusion à la fable intitulée le
Serpent et l'Ecrevisse.
Jusqu'ici , continue M. Coray , nous ne trouvons que
des fables écrites en vers ( à l'exception peut -être de celle
de Stésichore ) et cela ne pouvait pas être autrement,
puisque la prose ne commença à être généralement en
usage que long-tems après la poésie . Il est donc trèsprobable
qu'Esope , s'il écrivit ses fables , les écrivit en
vers. La première fable écrite en prose est celle du
Joueur deflûte , rapportée par Hérodote , postérieur à
Esope de cent vingt-six ans . Peu à près cet historien , le
poëte comique Aristophane , Socrate et ses deux disciples
Platon et Xénophon , et ensuite Aristote disciple de Platon
, ou rapportent des fables qu'ils attribuent positive-
(9) Voyez le poëme intitulé : Opera et Dies , v . 201—211.
14 MERCURE DE FRANCE ;
ment à Esope , ou font allusion à des apologues connus
de leur tems et généralement attribués à ce célèbre fabuliste.
Ajoutons à ces écrivains qui tous ont fleuri avant
l'ère vulgaire , Denys d'Halicarnasse , Diodore de Sicile
et Nicolas de Damas , contemporains d'Auguste , qui
font aussi mention d'Esope et de quelques- unes de ses
fables ; on connaît assez celle des Membres et de l'Estomac,
ainsi que l'application qu'en fit Agrippa Ménénius
aux divisions du peuple et du sénat , comme le témoignent
Tite-Live et Denys d'Halicarnasse .
Démétrius de Phalère , disciple de Théophraste , fut le
premier qui s'occupa de recueillir les fables connues sous
le nom d'Esope , et après lui , Théopompe , ami de Jules
César, fit une collection du même genre ; mais ni l'une
ni l'autre de ces collections n'ont put échapper aux ravages
du tems ; elles étaient probablement en prose , car
on ne connaît jusqu'à cette époque que Socrate qui se
fût appliqué à mettre en vers quelques fables d'Esope ,
particuliérement pendant le tems qu'il resta en prison
'avant sa mort .
Un écrivain nommé Babrius , ou Babrias , avait mis en
vers choliambiques ces mêmes fables , qu'il avait partagées
en dix livres , selon Suidas , qui ne nous apprend rien de
plus à ce sujet. A quelle époque cet auteur a -t-il vécu?
On l'ignore entiérement . Un savant Anglais ( Tyrwhitt) ,
d'après quelques indices qu'il a rassemblés , se croit
autorisé à conjecturer que Babrias est un peu plus ancien
que Phèdre ; « Mais , ajoute M. Coray , l'élégance
» facile et continue de son style , à n'en juger que par
» les fragmens assez nombreux que Suidas nous a con-
» servés , me le ferait croire contemporain de Bion et de
» Moschus , ces deux poëtes bucoliques chez lesquels se
» retrouve encore la grâce propre aux bons écrivains de
» la Grèce. Il est probable , poursuit notre savant éditeur ,
» que Babrias avait pris ses fables de la collection de
» Démétrius , etla perte de ces petits poëmes est d'autant
» plus affligeante pour nous , qu'ayant , dans tous les
» autres genres , des poëtes ou des écrivains illustres à
» opposer à ce que les nations éclairées de l'Europe mo-
» derne ont de plus distingué , la fortune jalouse nous a
!
AVRIL 1811 . 15
>> privé du seul qui fût digne d'être comparé au charmant
>>fabuliste de la France , à La Fontaine ( 10) , etc. >>>
: C'est probablement à la fantaisie qu'eut un certain
diacre nommé Ignatius Magister, de réduire en quatrains
les fables deBabrias , que l'on doit imputer la perte des
ouvrages de cet ingénieux écrivain. Dans le cours du
neuvième siècle , où vécut cet Ignatius , le goût de la
saine littérature avait depuis long-tems été étouffé chez
les Grecs; depuis long-tems on avait la manie des abrégés
, et l'idée qu'il eut de réduire ainsi un ouvrage précieux
, parut sans doute un trait de génie qui fut accueilli
avec la plus grande faveur. Dès-lors on négligea le livre
de Babrias , on multipliales copies de ces misérables quatrains
où il était horriblement mutilé , et maître Ignace
usurpa le nom de l'auteur qu'il remplaçait ; car on le
trouve dans les manuscrits tantôt sous le nomde Babrias ,
tantôt sous celui de Gobrias ou Gabrias , qui n'est évidemmentqu'une
corruption de l'autre nom. C'est ce prétendu
Gobrias que La Fontaine a voulu désigner ( liv . 6,
f. 1. ) lorsqu'il dit :
Mais sur-tout certain Gree renchérit et se pique
D'une élégance laconique ;
(to) La fable de Philomèle et Progné ( La Font. 1. 3 , f. 15 ) est
imitée et presque traduite littéralement de Babrias : c'est la même
grace , lamême naïveté touchante dans le dialogue , et le peu que
LaFontaine y a ajouté lui donne un nouveau charme ; entr'autres ge
vers qui n'est pas dans le poëte original :
Ledésert est-il fait pour des talens si beaux ?
Dans les deux vers suivans :
Je ne me souviens pas que vous soyez venue
Depuis le tems de Thrace habiter parmi nous ,
La Fontaine a rendu avec autant de bonheur que de fidélité une
expression grecque(μετὰΘράκηy) que Tyrwhitt , tout versé qu'il était
dans cette langue , a mal comprise , et que les interprètes latins ont
rendue d'une manière inintelligible ,tant il est vrai que le génie est
une espèce de divination bien supérieure à l'érudition ; ce qui , au
reste , ne doit pas autoriser , même ceux qui eroyent avoir du génie ,
àdédaigner l'instruction qui leur manque.
16 MERCURE DE FRANCE ,
Il renferme toujours son conte en quatre vers ;
Bien ou mal , je le laisse à juger aux experts.
Ce n'est pas ici le lieu d'entrer dans de plus grands
détails sur cette multitude de compilateurs , plus ou
moins instruits , mais tous aussi dépourvus de goût que
de jugement , qui , depuis le neuvième jusqu'au quatorzième
siècle , depuis le diacre Ignace jusqu'à Planude , ont
recueilli les fables attribuées à Esope , ou , ce qui estplus
fâcheux encore , nous ont donné sous ce nom leurs
propres productions . Nous ne pourrions , en abrégeant
cette partie du travail de M. Coray , que citer des noms
obscurs et barbares , et le mérite des réflexions judicieuses
du savant éditeur , l'intérêt qui résulte de l'exactitude
de ses recherches , en ce qu'elles se rattachent à
l'histoire générale de la littérature , dont elles sont un
fragment précieux , serait perdu pour les lecteurs . Bornons-
nous donc à citer la conclusion qu'il tire lui -même
de l'examen détaillé dans lequel il est entré sur ce sujet.
« Nous avons fait voir , dit-il , que la source primitive
» des fables d'Esope fut la tradition , c'est- à- dire , les
>> récits que firent ceux qui les avaient entendues de la
» bouche même de leur auteur , et qui les transmirent
» également de vive voix à leurs descendans ; j'ai dit que
» Démétrius de Phalère , Théopompe et Nicostrate les
» recueillirent dans la suite par écrit en tout ou en par-
» tie , et que Babrias les mit en vers choliambiques . Nous
» ne savons jusqu'à quelle époque les trois premiers
» recueils ont subsité. Quant à Babrias , on peut conjec-
» turer d'après le titre du recueil d'Ignatius , et d'après
» les fragmens conservés par Suidas et par Tzetzès , qu'il
» existait quelques copies de l'ouvrage de cet élégant
>> écrivain jusque dans le neuvième et même dans le
» douzième siècle . Il est donc évident que les fables qui
>> portent le nom de quelque écrivain connu , comme sont
» celles d'Aphthonius , de Libanius , etc. , ont été puisées
>> à cette source , et on ne peut guères douter que celles
» qui sont anonymes n'en soient également tirées. A dire
» le vrai , les expressions barbares , les vices de langage,
» le mélange monstrueux du sacré et du profane , les
AVRIL 1811 . יל
OFDE LA SET
> idées bizarres qui se trouvent dans les affabulations ou
> moralités ajoutées à ces fables anonymes , montrent
> assez qu'elles sontl'ouvrage de divers écrivains du neuvième
siècle et des suivans , jusqu'au quatorzième , et
que la plupart d'entr'eux étaient voués à l'état monast
>> tique.>>>
Ainsi , sur la fable du Rossignol et de l'Hronttelle
que quelqu'un de cès pieux anachorětes a eu soind'écrire
en prose et de dépouiller de tous les ornemens dont il
l'avait trouvée embellie dans l'ouvrage de Babras , if fait
cette judicieuse réflexion : « On peut comparer Thirondelle
aux hommes qui vivent dans le monde , et le rossi
gnol représente les moines , amans de la solitude , où ils
se consacrent à Dieu . » Ailleurs le même compilateur ,
ou quelqu'autre non moins inepte , fait la plus bizarre
application d'une maxime de Salomon (prov . c. 3. ) à
la fable des Deux Coqs . Le vainqueur s'élève dans les
airs et y chante sa victoire , mais il est soudain déchiré
par un aigle qui fond sur lui , tandis que le vaincu , qui
s'était caché tout honteux dans un coin obscur , revient
sans crainte
Ason sérailailé prodiguer ses tendresses .
C'est ainsi , ajoute l'auteur de la moralité , que le
Seigneur punit les orgueilleux et accorde sa grâce aux
humbles.>> Ne voilà-t-il pas un bel emploi de l'Ecriture
Sainte? هراگ
Au reste , quoique mutilés et défigurés par l'ignorance
et l'ineptie des siècles barbares , ces restes du génie des
anciens pour la fable sont encore précieux , et quand
on ne voudrait y voir que le fonds d'idées qu'un grand
nombres de poëtes modernes ont enrichi avec plus ou
moins de succès , sous ce point de vue encore ils au
raient un intérêt très-réel. Il faut donc savoir gré à
M. Coray de nous en avoir donné la collection la plus
complète qui ait encore été publiée. Il a réuni à tout ce
qui avait déjà été mis au jour dans les collections de ce
genre , comme celles de Nevelet , d'Ernesti , d'Hauptmann
, etc. , les fables jusqu'alors inconnues qui ont
été données dans les notices des manuscrits de la
B
18
MERCURE DE FRANCE ,
bibliothèque de Paris , et tout ce que contenait de
nouveau l'édition donnée à Florence , en 1809 , par
M. Furia , d'après un manuscrit qui n'avait été vu par
aucun des précédens éditeurs . Mais ce qui distingue
éminemment le travail de M. Coray , c'est la correction
qu'il a donnée à son texte , c'est le soin qu'il a pris de
rapprocher du langage barbare des compilateurs le style
des grands écrivains toutes les fois qu'ils ont traité les
mêmes sujets . C'est d'avoir restitué les vers dans plusieurs
fables que des copistes ignorans avaient écrites
comme si c'eût été de la prose , et qui étaient restées
sous cette forme dans l'édition de Florence (11) .
2
Enfin , notre savant éditeur a donné un nouveau prix
à son recueil en y joignant quelques allégories célèbres
dans l'antiquité , telles que celle d'Hercule entre le vice
et la vertu , attribuée à Prodicus de Céos , et rapportée
par Xénophon ; celle de la Richesse et de la Pauvreté
tirée du Banquet de Platon , etc. On trouve dans la vie
d'Apollonius de Tyane , par Philostrate , une fiction ingénieuse qui aurait fort bien pu entrer dans ce recueil .
Apollonius , en faisant l'éloge du célèbre fabuliste , récite
à ses amis un conte que sa mère , dit- il , lui avait fait
dans son enfance , au sujet d'Esope . Nous le donnerons
ici pour dédommager , s'il se peut , nos lecteurs de la
:(11) La réimpression de cette édition , faite à Leipsic en 1810 , eд
un volume in-80, sur très-beau papier , est de beaucoup préférable
àcelle de Florence , parce qu'on y trouve de plus : 1º tout l'article
de Æsopo et aliis fabularum scriptoribus de la bibliothèque grecque
de Fabricius , édit. de M. Harles ; 2º la dissertation de Bentley sur
Esope; 3º celle de Tyrwhitt sur Babrias ; 4º enfin celledeM.Huschke
sur Archiloque et sur ses fables , morceau plein de goût et d'une
excellente critique. Il parait que c'est le savant M. Schæfer qui a
soigné cette édition. On la trouve chez M. Fr. Schoell , libraire , rue
des Fossés-Saint-Germain -l'Auxerrois. En la joignant à celle de
M. Coray , on aura ce qu'il y a de plus complet sur cette matière.
On trouve aussi , chez le même libraire , deux petites éditions
d'Esope , également imprimées à Leipsic , qui ne contiennentque le
texte grec , à l'usage des écoles , et qui ne sont que l'abrégé de l'édi-
Lion dont nous venons de parler. 1

AVRIL 1811 .
19
sécheresse des détails dans lesquels nous avons été obligés
d'entrer .
« Esope , dans sa jeunesse , avait été berger; il faisait
paître ses troupeaux dans le voisinage d'un temple consacré
à Mercure , et comme il avait un ardent amour de
la sagesse , il demandait sans cesse au Dieu de la lui
accorder . Mais il n'était pas le seul qui désirât cette
faveur; beaucoup de gens apportaient , dans la même
vue , de riches offrandes dans le temple : ceux-ci , de
l'or ou de l'argent ; ceux-là , un caducée d'ivoire; d'autres
, des présens également magnifiques . Esope cependant
, à qui sa pauvreté ne permettait pas d'offrir rien
d'aussi précieux , et qu'elle forçait même à ménager le
peu qu'il possédait , se voyait réduit à apporter sur l'autel,
avec un peu de miel , le lait que lui fournissait une
de
,
ses brebis. Pardonne , disait-il , ô Mercure : mais
quoi! dois-je m'amuser à tresser des guirlandes , et ,
pendant ce tems-là , négliger le soin de mon troupeau ?
Enfin arrivalejouroù le Dieu devait distribuerlasagesse :
si Mercure préside à l'éloquence , il préside aussi au
gain , et n'est pas insensible aux présens : toi , dit-il à
celui qui lui avait consacré les plus riches offrandes
je te donne la philosophie ; et toi , s'adressant à celui
dont les présens lui avaient été ensuite les plus agréables ,
tu seras orateur ; toi , astronome , dit-il à un troisième ;
il accorda encore à un quatrième le talent de la musique,
àun autre celui de la poésie épique , et à un autre celui
de la poésie iambique. Mais lorsqu'il eut ainsi , malgré
sa profonde prudence , distribué , sans le vouloir, toutes
les parties de la sagesse , il se trouva qu'il avait entiérement
oublié le pauvre Esope. Alors il se ressouvint que
les Heures , lorsqu'elles le nourrissaient sur le sommetde
l'Olympe , et qu'elles le veillaient dans son berceau , lui
avaient raconté la fable que la génisse avait dite àl'homme
au sujet d'elle-même et de la terre , et que c'était ce qui
lui avait dès-lors inspiré la fantaisie de dérober les boeufs
d'Apollon ; il accorda donc à Esope le talent des fables .
Reçois , ajouta-t-il , la dernière part qui reste dans le
domaine de la sagesse , et la première instruction qui
m'ait été donnée. Telle fuť, ajoute Apollonius , l'origine
Ba
20 MERCURE DE FRANCE ,
de ces formes variées sous lesquelles se montra le génie
d'Esope , et de cet art de composer des fables , qui l'a
rendu à jamais célèbre . >> THUROT..
LETTRES DE LOUISE ET DE VALENTINE ; par l'auteur de
Marie de Sinclair .-Deux volumes in- 12.-A Paris ,
chez Mongie jeune , libraire , Palais-Royal , galeries
de bois , nº 208 ; et chez Ferra , aîné , libraire , rue
des Grands-Augustins .
Le législateur du Parnasse a dit aux poëtes :
N'offrez point un sujet d'incidens trop charge .
,
Que le début soit simple et n'ait rien d'affecté.
N'allez pas dès l'abord , sur Pégase monté
Crier à vos lecteurs d'une voix de tonnerre :
> Je chante le vainqueur des vainqueurs de la terre ! »
D'après un goût aussi prononcé pour les débuts simples,
et sans affectation , il est à croire que Boileau eût
froncé le sourcil au premier aperçu de ces modestes
préfaces , où maint auteur de roman moderne appelle
à peu près en ces termes , l'attention de l'univers sur sa
personne et sur ses ouvrages : « Le public a accueilli
>> mes essais avec un empressement si vif , que je ne
> puis me refuser aux sollicitations de mes amis qui
>> veulent absolument que je le fasse jouir encore de
» cette production échappée à mes loisirs. On peut
> croire que je ne fonde pas ma renommée sur cette
>>bagatelle ; mais je me persuade cependant qu'elle ne
>>sera pas dépourvue d'un certain charme pour les amanteurs
du beau et du merveilleux. Mes personnages ont
>> des caractères si peu communs qu'ils n'ont même rien
>> d'humain ; quant aux incidens , il y en a , grâce au
>> ciel , presque autant que de pages ; et le dénouement
>> est tellement imprévu qu'à l'avant-dernière ligne on ne
>> fait encore que le conjecturer. Il ne m'appartient pas
>> de vanter mon style : mais quelques connaisseurs très-
>> exercés trouvent qu'il est, tantôt véhément et passionné
>>comme celui de la Nouvelle-Héloïse , tantôt rapide
AVRIL 181r. 21
> et piquant comme celui de Zadig et de Candide. Ces
>> éloges sont peut-être exagérés : il m'est permis , du
>>moins , d'en réclamer de plus chers à mon coeur, pour
» l'instruction solide et la morale pure que la jeunesse
» des deux sexes recueillera de cet ouvrage comme des
>> précédens . J'y enseigne , tout en jouant , l'art de gou-
>> verner un empire comme celui de régir une ferme ;
>>j'y professe tour-à-tour la physique , la chimie , la
>> botanique ; et je ne dédaigne pas de donner les meil-
>> leures recettes pour faire la cuisine , la lessive et des
> onguens pour la brûlure. En un mot, je dois déclarér ,
> sans orgueil , que mon roman est également propre à
>> former des héros et des mères de familles . >>>
Ala suite des vers que nous citions plus haut, l'auteur
de l'Art poétique dit qu'il aime bien mieux ces auteurs
dont
La muse en arrivant ne met pas tout en féu ,
Et , pour donner beaucoup ,ne nous promet que peu.
Si l'on applique aux romanciers ce qu'il dit des poëtes ,
onse convaincra facilement qu'à tout le pathos des plus
pompeuses préfaces de nos faiseurs ou de nos faiseuses
du jour , ce juge sévère eût préféré ces lignes vraiment
simples et sans apprêt , qui composent , à-peu-près ,
tout l'avertissement des Lettres de Louise et de Valentine:
ת
«Les lettres que nous publions et auxquelles nous
» n'osons pas même donner le nom de roman , sont
>>écrites par une femme. On n'y trouvera point le talent,
> l'esprit , l'imagination qui pourraient les faire attribuer
> à l'une de celles qui occupent aujourd'hui un rang
>>distingué dans notre littérature. Une situation fort
naturelle , ou même , si l'on veut, fort commune, voilà
> le fond de l'ouvrage. Une suite de petits incidens
>> semblables à ceux qui naissent chaque jour dans la
» société , sans y causer la moindre surprise , voilà les
> moyens employés pour faire marcher l'action princi-
>>pale. Un homme que toutes les femmes adorent , parce
> qu'il a une figure agréable , beaucoup d'esprit et plus
> encore de fatuité ; deux femmes aimables et jolies
> aussi raisonnables qu'il est possible de l'être avec un
> coeur bien tendre , voilà les principaux personnages .
,
22 MERCURE DE FRANCE ,
>>>Quant au style , le lecteur sévère trouvera peut-être
>> des incorrections où le lecteur bienveillant ne trou-
> vera que des négligences ; mais , sans doute , l'un et
>> l'autre tomberont d'accord qu'il est difficile d'écrire
>> avec moins de prétentions . Etre simple et naturelle
>> n'est-ce donc pas avoir des droits à l'indulgence ? >>
,
Assurément ; et je n'hésiterai pas à dire plus : c'est
avoir des droits à l'estime de ses lecteurs ; car n'est pas
simple et naturel qui veut. Il faut dix fois plus de talent
pour savoir l'être , et pour oser l'être , que pour composer
péniblement ces ridicules amphigouris , où la mulfitude
croit que l'auteur a caché des choses bien profondes
, lorsqu'il n'a pas même su y peindre un sentiment
ou une pensée. C'est précisément parce que les
Lettres de Louise et de Valentine n'offrent que des incidens
semblables à ceux qui naissent chaque jour dans la
société , qu'elles ont droit d'intéresser toutes les personnes
qui la composent. Quel esprit droit ou quel coeur
sensible n'est incomparablement plus touché de reconnaître
la situation où il s'est trouvé , les peines et les
plaisirs qui ont été son partage , que d'entendre le long
récit d'événemens hors de sa sphère , ou même d'aventures
totalement fabuleuses ? Dans le petit nombre de
romans auxquels un intérêt profond et soutenu procure
Thonneur d'être relus , et dans le nombre plus petit
encore de ceux qui doivent passer à la postérité , je
doute qu'on puisse en citer un seul dont le charme secret
ne consiste pas dans la peinture fidèle des scènes
les plus familières de la vie privée.
,
Le choix du sujet, autant que la rare modestie do
l'auteur qui nous occupe , doivent donc concilier à son
ouvrage la bienveillance des gens de goût , avant même
d'en avoir entrepris la lecture. Cet auteur se déclare
d'ailleurs , pour appartenir à un sexe éminemment pourvu
de cet esprit d'observation et même de divination , si
j'osem'exprimer ainsi , qui lit jusque dans les replis du
coeur humain et perce des mystères impénétrables à des
yeux vulgaires .
Voilà de puissans attraits pour faire désirer d'acquérir
une idée plus précise d'un livre annoncé sous d'aussi
1
AVRIL 1811. 23
heureux auspices ; mais au moment d'en entreprendre
l'analyse , il me vient une réflexion , et même des scrupules
. N'est-ce point précisément parce que tout le
monde lit ou voudra lire les Lettres de Louise et de
Valentine , que je dois m'abstenir de porter une main
indiscrette sur le sujet qui leur a donné naissance ? Une
femme qui aime avec délire un homme séduisant ,
quoiqu'elle ait ou parce qu'elle a cruellement à s'en
plaindre ; une jeune personne qui , sans y songer , conçoitpour
ce même homme , tandis qu'elle se croit obligée
à faire des voeux pour un autre , une inclination qui la
rend rivale de sa meilleure amie ; enfin , un homme ,
riche de tous les moyens de plaire , qui porte par-tout
l'enivrement et le désespoir : voilà , peut-être , tout ce
que saura faire entrevoir un extrait bienméthodique et
bien froid , dépouillé de ce coloris frais et naturel , de
ces nuances imperceptibles qui sont le secret d'un artistehabile
; le tableau qui enchante les regards , ne sera
même plus reconnaissable dans la copie informe qui
n'en retracera que l'ordonnance. Il m'a toujours semblé
que vouloir soumettre à l'analyse ces ouvrages qui
tirent toute leur magie de la profondeur du sentiment ,
de la délicatesse des pensées , de la vérité des détails ,
du choix heureux et quelquefois même du vague des
expressions , c'était entreprendre de rendre palpable et
matériel le charme ineffable attaché à ces vers intraduisibles
où le Tasse dépeint la ceinture d'Armide :
Tenori sdegni , o placide e tranquille
Repulse, cari rezzi, e licte paci,
Sorrisi , parolette , e dolci stille
Dipianto , e sospir tronchi, e molli baci.
Mais les lecteurs qui me sauront gré de n'avoir pas
éteint leur curiosité par la maladresse que je viens de
blâmer , me reprocheraient peut-être de ne pas leur
donner , du moins , un échantillon du talent qu'a déployé
l'auteur dans l'exécution . Elle a déclaré (il faut
toujours se rappeler que c'est une dame ) qu'elle avait
laissé courir sa plume sans nulle espèce de prétention =
c'est undes moyens les plus sûrs , quand on a d'ail14
.
MERCURE DE FRANCE ,
leurs autant d'esprit et de goût qu'elle en annonce , de
donner au style épistolaire toute l'aisance et toute la
grace qui en font le caractère distinctif. En voici des
exemples que je prends à-peu-près au hasard , sûr de
toujours bien rencontrer ; c'est une lettre de Louise à
Mélanie , soeur de cet Albert qu'elle idolâtre : .
« Chère Mélanie , pourquoi n'ai-je pas suivi vos sages
» conseils ? Je vais vous affliger ; mais si mon repentir
>> peut m'excuser à vos yeux , croyez qu'il n'est pas de
>> reproche que je ne me fasse . Oui , j'aurais dû éviter la
» dangereuse présence d'Albert ! . connaissant si bien le
» malheur de l'aimer , formant le voeu sincère de ne
» jamais reprendre pour lui des sentimens que je croyais
» éteints , il fallait que j'eusse une défiance continuelle
» de son empire et de ma faiblesse . Hélas ! il y a quel-
» ques minutes que je me faisais encore à cet égard une
» inconcevable illusion ; je dois vous avouer , mon amie ,
» que je ne puis plus la conserver , et vous expliquer ,
» en même tems , pourquoi j'appréhende que votre frère
» ne soit aussi éclairé que moi sur la disposition de mon
» coeur .
» A deux heures , lorsqu'Albert est rentré , je venais
» de descendre avec Valentine dans la bibliothèque ; elle
» avait pris place devant une table de dessin ; moi , je
» m'étais assise à quelque distance avec des ouvrages de
» broderie que j'avais apportés dans l'intention de me
» distraire . Albert est venu aussitôt nous trouver..... Il
>> me paraissait d'une gaîté extraordinaire , et il voulait
>> absolument nous la faire partager alternativement il
» s'adressait à Valentine , à moi , nous reprochant à
» toutes deux notre réserve . Enfin , il m'a demandé tout
>> bas ce qui me portait à une si grande mélancolie ; je
» lui ai répondu avec froideur que je lui conseillais de
» ne pas perdre des instans qu'il n'avait pas eu le projet
» de me consacrer ; alors , il a été tout de suite s'asseoir
» à côté de Valentine , et , après des éloges , qu'il a pris
» soin de varier avec recherche , il a commencé à faire
» un grand nombre d'observations à sa jolie écolière .
» Elle en était interdite autant que surprise ; il prenait
les crayons avec lesquels elle travaillait , effaçait les
AVRIL 1811 . 25
pesquisses qu'elle venait de tracer; et comme il m'a
semblé positif qu'elle en éprouvait beaucoup d'impa-
>>>tience , je ne sais pourquoi j'ai été jalouse , même de
> cette vive impression ressentie contre Albert.>>>
Cette dernière ligne cache , sous la simplicité de l'expression
, un trait d'une grande profondeur. Y a-t- il
beaucoup de nos romanciers modernes assez bons observateurs
, pour remarquer qu'une femme qui aime et
vent être exclusivement aimée , sera toujours prête à
s'indigner contre toute autre femme qui se permettra un
dépit contre l'objet de sa passion? Ces dépits-là sont trop
près du sentiment qui semble leur être le plus opposé.
Au tableau des tourmens qu'éprouve une ame qui ,
loin de s'en dissimuler la cause , se l'exagère sans cesse ,
il peut paraître piquant de faire succéder la peinture
naïve de la passion naissante qu'éprouve la jeune Valentine
pour ce dangereux Albert , objet de tant de voeux
secrets .
:
« Tu prétends , ma chère Elisa , que je faisais autre-
■ fois les plus beaux raisonnemens du monde ( je ne
m'en souviens guère) pour démontrer que la possibilité
> d'un mariage devait seule décider de notre inclination,
>>c'est- à-dire, que nous ne devions aimer que celui qui
>>nous était destiné pour époux. Tu dis que je ne tiens
» plus le même langage. D'abord , chère amie , c'est
> peut-être pour ne pas te contrarier.... Mais laisse-moi
> te cacher encore , s'il se peut , ainsi qu'à moi-même ,
» ce que je ne voudrais jamais m'avouer , ce qui me
>>rendrait trop malheureuse. J'étais assez gaie au com-
>mencement de ma lettre , et voilà de bien tristes pen-
▸sées , n'en parlons plus ; c'est toujours Alphonse que
> j'aime , puisque je vois , quoiqu'on ne s'en explique
■ pas clairement , que l'on veut qu'il soit mon époux :
> il mérite tant ma reconnaissance ! il est si bon , si vrai ,
> si sensible! oui , c'est lui que je devrais préférer ,
>mais .... pour ne te rien dire de plus sur ce sujet , il
faut te quitter . >>>
Dans une lettre suivante , Valentine trace un portrait
si ressemblant d'Albert , que l'on se dit qu'il est impossible
que l'original de ce portrait là n'existe pas quelque
26
MERCURE
DE FRANCE
,
part puis la jeune personne ajoute avec une candeur
charmante : « Je ne suis pas étonnée qu'il ait rendu tanf
» de femmes malheureuses . On a cependant eu tort de
» me répéter cela aussi souvent , car c'est peut-être ce
qui m'a fait le plus penser à Albert . Sans cesse je me
» disais Dieu ! qu'on serait à plaindre si on l'aimait
» d'amour ! Et , comme je me disais cela , cette occu-
» pation a pris peu- à - peu la place du sentiment que
» j'éprouvais pour un autre . »
Lorsqu'après avoir trouvé dans le cours de l'ouvrage
une foule de choses aussi délicatement pensées , aussi
élégamment exprimées , on reporte les yeux sur la première
phrase de l'avant - propos , où l'auteur déclare
qu'elle n'a pas même osé donner à sa production le titre
de Roman , on se sent empressé de convertir en acte de
justice ce qui n'est , de sa part , qu'un trait de modestie :
non , certainement , les Lettres de Louise et de Valentine
ne sont pas un roman comme tant d'autres . L. S.
LE CENTENAIRE DES ALPES , ou L'AVALANCHE .
ANCIENNE ANECDOTE SUISSE . ( Suite *. )
CEPENDANT Philippe continuait sa course dans les montagnes.
Tantôt il traversait une belle prairie couverte de
troupeaux , auprès desquels étaient couchés les pâtres qui
les gardaient ; tantôt il assurait avec peine ses pas sur le
glacier , au moyen d'un bâton ferré , qu'il enfonçait dans
fa glace ; bientôt il passa auprès d'une immense caverne
creusée dans le rocher ; un peu plus loin il découvrit un
nouveau glacier qu'il n'avait pas aperçu ; il gravissait d'une
pointe de rocher à l'autre . Les pâtres qu'il rencontrait de
tems en tems , lui indiquaient le chemin qu'il devait tenir
pour arriver à la montagne du vieux berger. Ce vieillard
presque centenaire , jouissait auprès des habitans de ces
contrées d'une grande considération ; ils le consultaient
sur tout ce qu'ils voulaient entreprendre ; ils étaient flattés
qu'on vint le chercher , et ne renvoyaient jamais ceux qui
témoignaient l'envie de lui parler . Philippe était arrivé au
* Voyez l'avant-dernier numéro .
AVRIL 1811
27
sommet d'une roche escarpée , il voyait les yallons au
dessous de lui à une immense profondeur , la cabane de
sou Hildegarde lui paraissait comme un point. Dieu !
s'écria-t-il , le lieu où je suis est peut-être celui qui doit être
la cause de leur destruction. Et il regardait dans l'abîme ,
enfoncé dans ses pensées .
Aquoi songes-tu ? dit une voix derrière lui. Il se retourna,
et vit le vieux berger de la montagne.
Ah! sois le bien-venu , c'est toi que je cherche , lui dit
Philippe en lui tendant la main.
C'est ce que j'ai appris là bas des bergers , répondit le
vieillardavecun ton amical , etje suis accouru pour t'avertir
de ne pas trop approcher du précipice ; ce lieu-ci est trèsdangereux
cette année .
-Pourquoi plus dangereux que d'autres , dit Philippe
en reculant un peu , et jettant un regard d'effroi dans le
vallon.
-C'est ce que je te dirai , jeune homme , si tu veux
m'accompagner dans ma demeure ; aussi bien je vois que
tu as encore d'autres choses à me demander , et que ta vie
endépend.
-Tu le vois ! es-tu donc plus qu'un mortel ? parle , bon
vieillard.
-Non , mon bon Philippe Sarnen , je ne suis pas plus
qu'unmortel.
-Et tu me connais? et tu sais monnom ?
-Comment ne connaîtrais-je pas le fils du brave Bertrand
de Sarnen , un de nos plus dignes Suisses ! Tous les
bergers savent que tu es le fiancé de la belle Hildegarde de
là bas , et cette belle fille ne cache surement rien à celui à
qui elle a donné son coeur; elle t'aura dit ....
-Oui , elle m'a dit les choses horribles que tu lui avaís
fait entendre .
-Nous en parlerons ; à présent viens avec moi, viens
partager mon frugal repas .
Ils allèrent dans la cabane que le vieillard habitait pendant
l'été dans ces régions élevées ; elle était entrelacée de
branches de sapins et de plantes alpines ; la grande et belle
gentiane jaune fleurissait tout autour. Le berger offrit à
Philippe des galettes de seigle et du laitage; ce repas lni
parut délicieux après une marche de deux jours ; il avait
couché à la belle étoile et mangé du pain qu'il avait apporté.
Un doux songe lui avait présenté son Hildegarde ;
la bienfaisante nature lui avait épargné, cette nuit-là , les
P
1
28 MERCURE DE FRANCE ,
funestes pressentimens qui le tourmentaient depuis quelque
tems .
Après qu'ils eurent bu et mangé , le vieillard lui parla
ainsi :
Jeune homme , tu n'as pas l'air de pouvoir trahir celui
qui te donne sa confiance; cependant il faut que tu me
promettes le secret avant que je te découvre ce qui m'a
engagé à dire à ton Hildegarde les paroles qui l'ont alarmée
; l'avis que je lui ai donné n'a eu encore aucun effet.
Mais tu ne lui as pas donné d'avis , bon vieillard , tu
n'as fait que la plaindre .
-
-Je n'ai pas osé lui en dire davantage . Crois-tu , jeune
homme , que la vie et la liberté n'aient pas encore quelque
prix aux yeux d'un vieillard ? Je compte aujourd'hui má
centième année , mes membres ont encore de la force ,
etmon sang de la chaleur ; eh ! pourquoi ne désirerais-je
pas d'avancer dans mon second siècle , et d'étudier encore
et la nature et les hommes? Je sais que celui qui aime , a
le coeur bon , c'est pourquoi je puis me fier à toi ; écouté
donc, et tu sauras sur quoi sont fondés les marques d'intérêt
que j'ai témoignées à ta fiancée sur son sort à venir.
As-tu remarqué le glacier près duquel tu étais lorsque je
t'ai abordé? as-tu vu comme sa pente est rapide ? Si nous
avons cethiver dés neiges abondantes , il s'y formera une
avalanche qui doit tomber sur le vallon , et la cabane de
Conrad sera la première que les neiges couvriront .
Aces mots Philippe serait tombé à la renverse d'effroi,
si le vieillard ne l'avait retenu : Eh bien! n'avais-je pas raison
de la plaindre ? ajouta-t-il d'un ton solennel .
La plaindre ! la plaindre ! s'écria Philippe : il faut la
sauver, et la chose n'est pas difficile.
-
N'est pas difficile ! crois -tu y réussir .
Sans doute... je ne la laisserai pas périr, je le dirai
à ses parens , il faut qu'ils quittent leur cabane et qu'ils
viennent près de nous .
Le vieillard secoua la tête. Pourquoi cet air de doute?
ditPhilippe tout interdit.
-Parce que je vois queje me suis trompé à ton sujet;
je t'ai cru plus de réflexion , Philippe ...... Pauvre jeune
homme, qui te croira? lorsque tu annonceras ces choses, et
des malheurs qui ne leur sont pas encore arrivés , on te
prendra pour un insensé ; et si tu dis que tu le tiens du
prophète demalheur de montague, la on enfermera le
AVRIL 181 29
..
1
i
!
pauvre vieux berger comme un radoteur dangereux. Voudrais-
tu être la cause de la perte du vieux berger ?
Le berger se tut , Philippe réfléchit quelques momens.
-Nonpar le ciel, dit-il enfin ,je ne voudrais pas en être
la cause. Mais comment sais -tu ces choses? est-tu en rela
tion avec des êtres d'un ordre supérieur ? Tu dis , s'il
tombe d'abondantes neiges , mais en tombera-t-il?
-Je suis bien aise que tu me fasses cette question ; à présent
je commence à prendre plus de confiance en ton jugement.
Eh bien ! c'est en effet ce que je ne sais pas positivement;
si je le savais , je te parlerais de l'événement avec
certitude; je ne puis donc te prédire qu'à moitié ce qui doit
arriver.
-
Tu peux donc prédire? mais encore , vieillard , d'où
tiens-tu ce don?
- Par des moyens à la portée de tous les hommes; la
nature est la source où je puise mes prédictions ; quand on
a vécu cent ans , on peut observer au moins pendant
quatre-vingts , et quatre vingts ans d'observations peuvent
apprendre biendes choses. Né , élevé sur ces montagnes ,
yayant passé une longue vie , elles me sont devenues
familières , elles ont un langage intelligible pour celui qui
veutyfaire attention. Oui, elles m'ontappris biendes choses,
ces roches qui te semblent muettes . D'abord c'était par
curiosité que je les observais. J'ai visité dans monjeune âge
tous les coins et recoins de ces montagnes; les chasseurs
de chamois les plus hardis n'osaient pas aborder les lieux
oùmon avide curiosité a su trouver des passages; j'ai roulé
dans des précipices où j'aurais dû périrsans une protection
particulière de la Providence. Plusieurs fois , après m'avoir
vn gravir de certaines parties des glaciers , on a dit pour
moi la messe des morts , dans l'idée que je n'en reviendrais
plus : la main du Tout-Puissantm'a toujours soutenu.
Philippe écoutait avec admiration le vieux berger; il se
montrer par lui les sommets qu'il avait atteints ; il se fit
conduire au bord des précipices dans lesquels il était
tombé.
Dans les commencemens , lui disait le vieillard , une
mainpuissante m'a préservé ; bientôt j'appris à marcher
avec plus de précaution, je sus distinguer les quartiers de
glace ou les amas de neige auxquels je pouvais me fier , et
ceux qui étaient dangereux; je visitais plusieurs fois chaque
crevasse, chaque fente des glaciers; j'en reconnaissais les
30 MERCURE DE FRANCE ,
1
progrès et la marehe jusqu'au moment où prévoyant une
chute prochaine , je n'en approchais plus .
Quand me parlerez-vous de l'avalanche ? dit Philippe
qui s'impatientait de ne rien entendre de relatif au but de
sonvoyage.
Bientôt, jeune homme , répondit le vieillard ; patience ,
elle ne tombera pas encore. J'ai pu souvent observer des
éclats semblables au bruit du tonnerre , qui ont lieu au
moment où il se forme une nouvelle fente dans le glacier ;
j'observais avec soin ces ouvertures ; je voyais que le quarfier
de glace entr'ouvert n'attendait pour se détacher que le
moment où surchargé de neige , il serait entraîné par la
pesanteur ; qu'il amassait en roulant les neiges qui se trouvaient
sur son passage , et finissait par couvrir de ses débris
touteune portion de terrain au pied de la montagne. Ces
événemens devaient nécessairement m'occuper; je pouvais
alors en quelque sorte prévoir à l'avance le moment où
ils arriveraient , et sauver peut-être quelques-uns de mes
semblables : cet espoir donnait encore plus d'activité à
mes recherches et à mes observations .
Le premier essai que je fis en ce genre ne me réussit pas ;
j'avertis les habitans d'une contrée menacée ; ils écoutèrent
mes avis et s'éloignèrent à grands frais mais il ne tomba
que peu de neige cette année-là , les cabanes ne furent
point couvertes , et leurs possesseurs revinrent en me faisant
mille reproches ; l'année suivante ils furent ensevelis
sous l'avalanche , et on les oublia .
Ma seconde prédiction eut lieu dix ans après la première ;
on n'écouta pas mes avis , l'avalanche tomba et fit périr une
foule d'habitans du pied de la montagne. Alors mes amis
me conseillèrent de cesser mes prédictions; ils me dirent
que l'on m'accusait d'être un sorcier, d'avoir des intelligences
avec le diable , et de provoquer par lui la chute des
neiges pour justifier mes prophéties . Je n'avais aucune
enviede me faire brûler, même pour une bonne cause ; je
me tus ; je me persuadai même que je n'avais aucune
vocation à intervenir dans des événemens qui peut- être
étaient des jugemens de Dieu . C'est ainsi que j'ai cessé de
prédire , mais ma réputation est restée.
Bon vieillard , dit Philippe en lui serrant les mains ,
sauvez -moi , sauvez mon Hildegarde et ses parens .
- Laissez -moi finir mon récit ; à mon âge , jeune
homme , on aime à raconter , et j'en ai rarement l'occasion.
Depuis une couple d'années , en approchant mon
AVRIL 1811 : 31
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oreille des fentes de ce glacier , j'ai entendu dans l'intérieur
une espèce de bruit sourd; ce bruit est devenu toujours
plus fort : enfin j'avais observé du pied du glacier une
espèce de vapeur s'élevant de la fente principale , et ce
signal qui ne manque jamais m'annonça que sa chute
n'était pas éloignée. Je revenais de faire cette dernière
observation lorsque j'ai rencontré votre Hildegarde ; reconnaissant
en elleune habitante de la cabane la plus exposée,
et l'ame encore remplie de l'idée de cette masse énorme
prête à se détacher , je n'ai pu retenir cette exclamation ,
de pitié sur son sort, qu'elle vous a rapportée. — Je n'ai
palaretenir, vous dis-je, carje ne lui aurais point parlé ainsi
sije m'étais donné le tems de réfléchir. L'homme est tranquille
lorsqu'il ignore le danger qui le menace; Hildegarde
ne peut plus l'être à présent , et va souffrir mille fois la
mortjusqu'au moment où les glaces la couvriront .
Homme insensible ! s'écria Philippe avec colère , comment
peux-tu parler avec ce sang-froid d'un événement
aussi horrible?
-Pourquoi pas ? nous devons tous mourir ; une mort
aussi prompte , aussi imprévue que celle -là me semble une
des plus heureuses .
-Imprévue ! et depuis des mois ma raison s'égare en y
pensant , et depuis ta rencontre la pauvre Hildegarde l'attend
à chaque minute .-Non; bon vieillard , tu ne serais
pas assez cruel pour nous annoncer cette mort , si tu ne
savais pas les moyens de nous en garantir. Hâte-toi de
me dire ce qui peut me tranquilliser .
Jusqu'à la neige , dit le vieillard , vous pouvez être toutà-
fait tranquilles ; il en faut même une quantité assez considérable
pour déterminer la chute; il faut pour cela qu'il
en tombe pendant quelques jours sans discontinuer. J'ai
l'oeil assez exercé pour juger du pied de la montagne en
quelle quantité tombe la neige , et je puis vous aviser du
danger deux jours à l'avance ; c'est à vous alors à trouver
un prétexte pour éloigner Hildegarde et ses parens .
Je ne suis pas encore très à mon aise , dit Philippe ; qui
m'assure que la chute et l'avalanche n'auront pas lieu
plutôt que tu ne le dis ?
Jevous le garantis ; mais , si vous connaissezun meilleur
expédient , jeune homme , prenez-le , si vous le voulez ;
vous le pouvez encore .
-Ne te fâche pas , bon vieillard , dit Philippe , sois,
toujours mon ami ,mon consolateur , mon ange tutélaire ;
32 MERCURE DE FRANCE ,
sans toi je mourrais de mes inquiétudes . Je t'aiderai , dit
le berger , je te le promets : aye confiance en Dien et en
mon expérience , et tu seras sauvé. Ils prirent congé l'un
de l'autre avec attendrissement.
Hildegarde attendait impatiemmentle retour de Philippe;
dès qu'elle l'aperçut sur la montagne , elle vint en courant
au-devant de lui ; elle crut voir sur sa physionomie un présage
de bon augure : Tu m'apportes de bonnes nouvelles
lui cria-t-elle de loin .
De très-mauvaises , au contraire , lui répondit-il ; mais
nous avons , toi et moi , un bon ami de plus . Il fit le récit
de tout ce qui s'était passé . Hildegarde fut profondément
affligée , et ne regarda plus qu'avec ferreur le beau glacier
dont on lui annonçait la chute. Après avoir un peu réfléchi
, sa physionomie se ranima : Je l'ai trouvé , dit- elle
à Philippe , le moyen de nous sauver tous .
Le ciel en soit loué , lui dit son ami en l'embrassant , et
déjà tout rassuré.
La douce espérance , ce baume que le ciel donna a
Phomme pour lui montrer au milieu du mal présent la
perspective du bien à venir , entra dans l'ame de ces jeunes
gens . J'arrangerai , dit Hildegarde , que notre noce se fasse
chez tes parens , et nous la renverrons jusqu'au moment
où nous serons avisés de l'approche du danger par notre
vieux ami .
Bertrand de Sarnen fut mis dans le secret , parce qu'il
savait la visite de sonfils chez le vieux berger. Philippe lur
fit jurer de ne rien dire qui pût le compromettre , et de
n'en pas parler à Conrad. Celui-ci n'était pas à son aise
il s'apercevait de la préocupation de ses enfans ; c'est l'inquiétude
de la passion qui les tourmente , se dit-il à luimême;
ils seront plus calmes quand la noce sera passée :
n'étais-je pas ainsi avant d'épouser Elisabeth ? et sans
l'aimer moins , ne me suis-je pas calmé depuis ?
La franchise était dans le caractère d'Hildegarde , et la
dissimulation lui était étrangère ; il lui en coûtait beaucoup
de cacher quelque chose à ses bons parens . Pour les engager
à consentir que la noce eût lieu hors de chez eux , il
fallait un prétexte . Elle leur dit que pour prix de sa complaisance
de leur céder son fils , le vieux Sarnen désirait
que la noce se fit chez lui ; ils prièrent Bertrand de dire de
même , pour ne pouvoir être accusés de mensonge .
BonneHildegarde , tu ne faisais pas attention que le mensonge
n'en existait pas moins dans ton coeur; tu voulais
AVRIL 18tt . 33
VA
SEIN
la faute
hommes éviter l'apparence de la faute , mais tun'évitais pas l
et voilà ce qui arrive souvent aux enfans des
c'était un premier pas vers la dissimulation , heureusement
tu n'as plus eu d'occasion d'en faire d'autres ; et
lorsque le jour de la vérité viendra où tous les mensonges
seront découverts , il sera fait , sans doute , une distinetion
entre ceux dont le but était louable , ainsi que le tien
et ceux qui portent le caractère de la méchanceté : mais
heureux mille fois celui quin'eut jamais besoin de déguiser
sapensée !
Philippe allait souvent chercher du courage chez le vieux
berger , et lui rappeler sa promesse. Il ne lui avait pas
encore raconté l'origine de ses pressentimens sur le malheur
qui menaçait Hildegarde , il voulait que ce récit eût
lieu en présence d'Hildegarde elle-même.
Il avait choisi pour cette entrevue une des places les.
plus intéressantes qui se fussent encore offertes à lui dans
les montagnes ; le hasard la lui avait fait découvrir ; elle
était inconnue à tout autre qu'au vieux berger , et peut-être
à quelques chasseurs de chamois. C'était un petit vallon
tout entouré de collines vertes et peu élevées ; il était traversé
par un torrent qui , dans cette saison de l'année
perdait de sa violence , coulait avec tranquillité , et formaitdans
le milieu un joli bassin semblable àun petit lac ,
dans lequel se jouaient des oiseaux aquatiques , sansparaître
craindre la visite des hommes. Philippe s'était
souvent approché d'eux sans que leurs jeux et leurs chants
eussent été interrompus . Sur les bords de ce bassin , la
nature avait préparé des siéges de mousse ; une prairie
émaillée de fleurs et des bouquets d'arbustes de montagne
formaient une enceinte circulaire : le parfum des plantes
alpines venait encore charmer un autre sens dans ce site
délicieux. Philippe , en le visitant pour la première fois ,
eut d'abord l'idée de le faire connaître à son amie , il voulait
qu'elle sentît en jouissant avec lui de cette belle nature,
que la vie est un bien ; mais le chemin qui y conduisait
était dangereux et presque impraticable ; sur un espace
d'environ cent pas , on n'en faisait pas un qui n'exposât au
dangerdeperdre la vie dans d'horribles précipices ; il fal-
Hait marcher sur un rocher nu presque à pic , où y il avait
àpeine place pour poser le bout du pied. Et comment
exposer sonHildegarde à un danger presque aussi grand
que celui de l'avalanche ? mais s'il ne pouvait pas écarter
C
E
3/4 MERCURE DE FRANCE ,
les neiges et en diriger le cours , il pouvait tailler le roc ,
et il l'entreprit.
Avec des peines infinies il parvint à rendre le chemin
praticable pour deux personnes. Souvent le vieux berger
l'avait surpris travaillant à cet ouvrage . Je t'aiderais volontier
, lui disait-il , mais des bras de cent ans ne sont plus
propres au travail. J'admire ton entreprise ; tu fais présent
du joli vallon à cette contrée , et la postérité te bénira lors
même que ton nom lui restera inconnu. Philippe regarda
le vieillard : Je ne travaille pas pour la postérité ; faire un
plaisir à celle que j'aime est le seul motif qui m'anime .
- C'est ainsi , mon fils , qu'il se fait beaucoup de bien
dans le monde sans que ceux qui le font s'en doutent ; l'influence
du présent sur l'avenirest presque toujours hors
de la portée des hommes ; la Providence en ourdissant sa
toile en conduit seule les fils; elle seule est dans le secret
de son ouvrage. Les malheurs qui frappent une génération.
préparent peut-être le bonheur de celles qui doivent
suivre .
Ala bonne heure , dit Philippe , mais c'est pour Hildegarde
que j'ai travaillé. Dimanche prochain , après le servicedivin
, attends-moi dans ce beau vallon , je m'y rendrai
avec elle .
Philippe revint avecHildegarde au jour désigné ; le vieux
berger était arrivé le premier , mais il s'était caché pour
jouir de la surprise de sa jeune amie. On pouvait à juste.
titre appeler ce petit vallon l'Elysée des Alpes . Hildegarde
en avait entendu parler à quelques chasseurs , mais elle
savait qu'il était inaccessible aux femmes ; elle fut bien
étonnée d'y pénétrer aussi facilement , et ne se douta
pas que la route avait été aplanie pour elle.
Au moment où elle eut tourné le rocher qui lui dérobait
lavue du vallon , elle resta immobile d'extase ; son regard
s'anima , ses joues se colorèrent plus vivement ; jamais
Philippe ne l'avait vue plus belle , elle paraissait la divinité
du vallon. Les yeuxaarrddeenns de Philippe se portaienttour-.
àrtour sur sa bien-aimée et sur la belle nature qu'elle,
admirait en silence. Il la serra dans ses bras. Mon Hilde
garde , lui dit- il , c'est ici que je voudrais vivre avec toi et
oublier le reste du monde. Vois ces douces collines verdoyantes
! Ici rien ne nous menace , ici la crainte ne peut
pas pénétrer ; c'est l'empire de la paix , de l'amouret de
monHidelgarde,
4
AVRIL 1811 . 35
Ah ! mon ami , lui répondit-elle , je vois à présent que
c'est à toi que je dois d'être arrivée ici sans effroi.
Oui , c'est à lui que tu le dois, dit une voix derrière eux,
qu'elle crut reconnaître ; elle se retourna et poussa un cri
de frayeur en apercevant le vieillard. Rassure-toi , Hildegarde
, lui dit-il en souriant , il n'y a plus de danger pour
toi.
Ne t'offense pas , lui dit-elle , du mouvement de frayeur
que je viens d'éprouver; je sais que tu es notre ami , mais ,
bon berger , je te l'avoue , ta vue m'a rappelé l'idée de
T'avalanche : il serait doux , peut- être , de mourir avec tout
cequ'on aime; mais il serait si doux d'y vivre !
Tu as raison , dit le vieux berger, celui qui ne sait pas
aimer et apprécier cette vie , n'est pas digne de celle qui
doit la suivre. Tu peux t'en fier à ma longue expérience ,
je n'ai pas toujours couché sur des roses , et cependant je
n'ai jamais perdu de vue le but auquel je devais tendre et
pour lequel j'ai été placé dans cemonde.
Quel est-il , bon vieillard , apprends-le moi? dit Hildegarde.
-C'est de mériter , en supportant les peines de cette
vie , le bonheur qui nous attend dans l'autre. Qu'ils sont
insensés ceux qui se plaignent des maux qu'ils se font
souvent eux-mêmes , et qui ne songent qu'aux jouissances
d'un instant !
Assis sur la pierre mousseuse , ils continuèrent un doux
entrefien animé par les discours pleins de sagesse du centenaire.
Hildegarde ne pouvait se lasser d'admirer cepetit
vallon d'où l'on n'apercevait ni glace , ni neige , ni aucun
objet menaçant. Dieu , disait le vieillard , a placé ce lieu
de paix et de délices an milieu des dangers pour donner
une idée des biens qui nous attendent et qui nous sont
réservés.
Ce mot de danger rappela aux jeunes gens celui dont ils
étaient menacés. Le vieux berger répéta à Hildegarde la
promesse qu'il avait faite à Philippe ddee l'avertir à tems
pour qu'il pût sauver non seulement Hildegarde et ses
parens , mais aussi tous leurs voisins. J'ai lieu de croire
dit-il , d'après mes observations , qu'il tombera beaucoup
*de neige cette année ; mais soyez tranquilles , et avisez à
vos plans avec courage .
,
Ces assurances ramenèrent la gaïté dans l'ame d'Hildegarde.
Ils firent ensemble une collation de fraises parfumées
des Alpes , que le berger avait cueillies en les
Ca
36 MERCURE DE FRANCE ,
attendant , et de laitage qu'il avait apporté. Ah ! comment
ne pas aimer la vie , disait la jeune fille en s'en allant , et
serrant contre son coeur la main de son Philippe ; uneheure
telle que celle que je viens de passer , compenserait un
siècle de peines. En traversant avec facilité le sentier que
son ami avait fait pour elle , des larmes de reconnaissance
coulaient des yeux d'Hildegarde. C'est ainsi , lui dit-elle
avec tendresse , que nous aplanirons l'un pour l'autre la
route difficile de la vie ; et ils revinrent gaîment à la
cabane.
Le voisinage du vieux Conrad était composé de six
familles , avec lesquelles il vivait en parfaite intelligence.
Philippe proposa que tous ces bons voisins prissent part à
la fête de son mariage. Ils en auraient tous été , dit-il à
Conrad , si je m'étais marié chez vous ; je ne veux pas
qu'ils perdent rien à la fantaisie de mon père ; ilm'a
chargé de les inviter tous.
Il alla chez eux et les pria d'assister comme témoins à
son mariage , et de passer quelques jours tous ensemble
chez son père , la noce devant se faire en hiver et dans un
moment où il n'y avait point de travaux. Comme je veux
toutes les mères , dit-il , j'invite aussi tous les enfans ; cela
portera bonheur à mon Hildegarde. Le jour n'est pas
encore fixé , ajouta-t-il , à cause des préparatifs pour recevoir
autant de monde ; je vous en préviendrai ,et je vous
demande votre promesse de vous y rencontrer tous ; je
veux que vos cabanes soyent fermées et que vous preniez
tous part àmon bonheur.
Ils le lui promirent , ils aimaient Conrad et se faisaient
un plaisir d'assister à une fête qui l'intéressait autant ; ils
regardaient déjà Philippe comme leur bon voisin , et ne
voulaient pas lui refuser sa première demande .
( La suite à un prochain Numéro. )
VARIÉTÉS .
SPECTACLES .-Théâtre du Vaudeville. Aumilieu de tant
de nouveautés si heureusement écloses pour fêter la naissance
du roide Rome , il était difficile que d'autres nouveautés
trouvassent à se faire jour. Cependant le théâtre du Vaudeville,
toujours prompt profiter des circonstances , n'apas
⚫voulu en laisser échapper une, qu'en effet il était plus quo
à
AVRIL 1811 . 37
tems de saisir. Le succès incertain d'une tragédielui fournit
toujours une parodie. Tel a été celui de Mahomet II . Malgré
les sifflets qui en troublèrent la première représentation ,
cet ouvrage est arrivé tant bien que mal à la huitième ;
c'était appeler la parodie , et le parodiste s'est trouvé , par
unecirconstance particulière , dans le cas de ne pas perdre
un instant . M. Baour de Lormian a retiré sa pièce ; il fallaitdoncla
travestir avant que les amateurs en eussent perdu
la mémoire , sous peine de rendre le travestissement inintelligible
et d'en perdre ainsi tout le fruit. Peut-être même
eût-il été plus saged'y renoncer et de ne pas juger de nouveau
unauteur qui venait de se juger lui-même. Ily aurait
euà cela de lajustice ou même de la générosité , mais la
générosité n'est pas la vertu des parodistes . Ils ont donc
remis en cause le Mahomet de M. Baour; ils l'ont fait juger
parles femmes , et l'acte d'abnégation par lequel l'auteur
aurait dûles désarmer , leur a fourni contre lui de nouvelles
armes . L'action de leur parodie commence au moment où
celle de la tragédie finit . La clémence de Mahomet a enhardi
les femmes de Constantinople; elles prennent les armes ,
s'emparent du sérail , saisissent la personne du sultan et
vont lui faire son procès. On lit l'acte d'accusation , qui
n'estqu'une critique abrégée de la pièce. Aucun défenseur
neseprésente et Mahomet va être condamné ; mais tout-àcoup
une jeune Grecque paraît déguisée en avocat ; elle
aime Mahomet malgré sa férocité et entreprend de plaider sa
cause. L'apologie qu'elle fait du personnage est la critique
de l'auteur; elle ne justifie Mahomet de toutes les actions
qu'on lui reproche qu'en faisant voir que d'autres héros de
théâtre s'en sont rendus coupables avant lui , d'où elle
conclut qu'il n'y a rien d'extraordinaire , de neuf ni d'originaldans
sa conduite. Après ce beau plaidoyer Mahomet
est absous; on veut même lui rendre l'Empire , mais il
avoue qu'il n'est pas dans le moment en état de le gouverner
, et demande la permission de faire dans un couvent
une retraite de six mois pour réformer son caractère.
Nos lecteurs trouveront peut-être qu'il n'y a rien de plus
neuf ni de plus original dans cette parodie que dans la
tragédie dont elle estl'objet. Les spectateurs qui l'ont jugée
ontpensé de plus qu'il s'en fallait de beaucoup qu'elle eût
'attaqué l'ouvrage original par ses endroits les plus faibles.
Cependant elle aréussi , d'abord parce qu'on y trouve des
plaisanteries très-piquantes , quelques couplets spirituels ,
de la gaîté quoiqu'un peugrivoise ,et peut- être aussi parce
38 MERCURE DE FRANCE , AVRIL 1811 .
1
que dès l'ouverture , dont les motifs étaient fort heureusement
choisis , il s'était manifesté une opposition très-maladroite.
Si le sifflet qui l'a troublée venait de quelqu'ami de
l'auteur parodié , on peut dire que son amitié ne valait pas
mieux que celle de l'ours du bon La Fontaine.
Les parodistes demandés et nommés sont MM. Dieulafoi
etGersain . Μ... :
Numismatique. - On vient de découvrir 44 médailles d'or à 4
kilomètres au N.-O. de la ville d'Alençon , à l'extrémité de la commune
de Lonrai , à une portée de fusil du Pont-Percé et de la route
deBretagne.
Le vendredi rer mars un jeune berger , remuant la terre sur le bord
d'un fossé avec la pointe d'une baguette , trouvaune pièce qu'il soupconna
être d'or, et qui était en effet une médaille d'or de Valentinien.
Le bruit de cette découverte se répandit dans le village , et le lundi
suivant ( 4mars ) trois enfans , qui gardaient leurs bestiaux dans le
même champ , essayèrent de remuer la terre à l'endroit indiqué.Ala
surface du sol , c'est-à-dire à quelques doigts de profondeur,ilsrencontrèrent
rassemblées en bloc sur une pierre informe 43 pièces d'or
pareilles à celle qui avait été trouvée le vendredi précédent. Parmi
ces dernières pièces une était fausse : elle était en fer très-oxidé et
recouvert seulement de deux feuilles d'or. Celles de ces médailles que
j'ai eu occasion de voir et que je possède sontà 18 karats : cesontdes
Valentinien , des Sévère, des Zénon , et un Honorius. Trois appartiennent
à l'empire d'Occident . Honorius . Valentinien et Sévère;
l'autre appartient à l'empire d'Orient. Ces médailles , assez grossièrement
frappées , rappellent l'époque de la chute du goût et de l'invasionde
labarbarie. Elles sont d'une belle conservation ettrès-faciles à
lire. Toutes ont été frappées à Constantinople , ainsi que l'annoncent
ces mots : CON OB. ( Constantinopoli obsignatum ). Le Valentinien
Lest évidemment VALENTINIEN III . tué à Rome en455 : c'est ce qui
résulte de la légende D. N. Plac. Valentinianos , etc. Il est incontestable
que le Sévère est SÉVÈRE III , qui fut élu empereur en 461 , et
quimourut vers 464; la légende le prouve , puisqu'elle porte D. N.
Libivs Severos , etc. Quant à Honorius et à Zenon, il ne peuty avoir
dedoute,puisqu'ils sont les seuls empereurs de leur nom. On lit sur
toutes ces pièces l'exergue : VICTORIA AUG. ( Victoria Augusta. )
Il y a lieu de croire que ces pièces , qui sont du 4e et du 5e siècles ,
ont été, peu de tems après leur émission , ou perdues ou cachées dans
le champ où l'on vient de les découvrir; car les empreintes n'ont
souffert aucune altération , et les reliefs n'ont éprouvé aucun frottement.
POLITIQUE.
LA grande , l'heureuse , on pourrait dire l'unique nour
velle attendue en Europe dans le cours et comme sous
les auspices de Mars , a été en Allemagne et en Italie
l'objet de la joie universelle ; toutes les cours confédérées
ont donné les témoignages les plus éclatans de la part
qu'elles prennent à un événement qui se lie si heureuser
ment à leurs destinées. On croira sans peine que c'est surtoutàVienne
que la nouvelle était impatiemmentattendues
elle ya été rapidement portée , elle y a calmé l'inquiétude
paternelle et comblé tous les voeux. La lettre de l'Empereur
des Français a été remise dans les formes les plus
solennelles à son auguste beau-père , et l'échange des félicitations
diplomatiques a eu lieu de la manière accontumée.
On prépare des fêtes brillantes à la cour pour la
naissance du roi de Rome. Cette ancienne capitale du
monde , rentrée aujourd'hui dans une partie de ses glorieux
domaines , puisqu'elle est devenue la seconde ville
du grand Empire , a appris le 26 mars que son roi avait
vu le jour. On conçoit quel a été l'enthousiasme public , et
par quels signes éclatans il s'est signalé dans une ville toute
poétique, où tout respire le génie des arts , où les vers s'improvisent
, où le chant d'allégresse de tout un peuple est un
concert harmonieux. Jamais Rome ne fut plus belle que
dans la soirée de ce jour où l'éclat d'une riche illumination
frappant ses antiques monumens, ses arcs triomphaux, ses
temples , son capitole , son colysée , semblait la rappeler à
son ancienne gloire et évoquait d'illustres souvenirs . Jamais
aussi Rome n'avait réuni un plus grand nombre d'étrangers
de distinction , qui , témoins des restaurations entreprises,
regardenten quelque sorte Rome sortir de ses ruines , tandisque
tous les arts reçoivent une impulsion nouvelle , que
les fameuses écoles romaines sont rouvertes , que Zingarelli
tient la lyre , et Canova le ciseau .
La campagne est rouverte en Turquie. Le 31 janvier ,
M. le comte Saint-Priest a battu un corps turc de 15000
hommes à Lafaja , a enlevé d'assaut cette place et tué
4000 hommes à l'ennemi , fait 3600 prisonniers , enlevé..
i
40 MERCURE DE FRANCE ,
L
beaucoup de butin et de munitions. Les vainqueurs marchent
sur d'autres places fortifiées. Les opérations contre
Tisnowo et Schumla , où le visir est toujours retranché ,
vont être reprises . Le général en chef russe Kamenski est
très-grièvement malade , le 11 février il était à l'extrémité ;
le comte d'Essen doit s'être mis enen route pour le remplacer.
L'armée du grand-visir vient d'être renforcée ; on croit
que la flotte turque mettra à la voile au commencement
d'avril; on travaille à son équipement avec la plus grande
activité , et l'on enrôle tous les gens en état de servir.
Tout est en activité en Servie; les Russes préparent le
siége de Widdin; les Turcs disposent, de leur côté , des
forces considérables pour couvrir cette place importante ;
on écrit, en outre, de Constantinople , la note suivante qui
ménte d'être reproduite telle que l'a publiée le Moniteur :
« Les Anglais ont renouvelé la demande de faire entrer
une de leurs escadres dans la mer Noire , sous prétexte de
combattre les Russes dans la cause des Turcs. Le caïmacandugrand-
visir a répondu que les Turcs tenaient encore
une clé, et qu'ils ne s'en dessaisiraient pas. Alors
l'envoyé anglais a reproché au divan de n'être point un
ami sincère de l'Angleterre. Il a même ajouté à ce reproche
des menaces pleines de hauteur. Mais le ministre
ottoman , sans s'étonner de cette arrogance , a tenu ferme,
et adéclaré , comme fit il y a quatre ans Ibrahim-Halimi-
Pacha , que la Porte persistait dans son refus , et qu'elle
s'exposerait à toutes sortes d'extrémités plutôt que de permettre
aux forces britanniques de dominer dans la mer
Noire. Il a ajouté qu'elle saurait bien s'y défendre seule
contre les Russes , et que l'Empire ottoman ne se croyait
point encore assez en danger pour avoir recours à une ast
sistance qui pourrait un jour tourner contre lui-même . »
Le roi de Suède vient d'être obligé , par l'état affligeant
mais non pas alarmant de sa santé , à s'abstenir pendant
quelque tems des travaux indispensables de l'administra
tion des affaires publiques. Une
que S. M. se repose de ce soin sur le prince royal ;
patente royale annonce
P'administration du royaume et des états qui en dépendent
lui est confiée ; tous les ordres seront signés par S. A. R. ,
et précédés seulement de cette formule : Pendant la maladie
de mon très-gracieux roi et souverain , d'après ses
ordres. S. A. ne pourra cependant , pendant l'exercice de
la puissance royale , déférer la dignité de noblesse , celles
AVRIL 1811 . 41
de comte , de baron et de chevalier. Ces places ne seront
remplies que provisoirement , et sauf l'approbation du roi.
Au moment où nous annoncions que le bruit de la
prise de Badajoz se repandait à Madrid , la nouvelle en
arrivait officiellement à Paris . Elle a été apportée par l'adjudant-
commandant Avy , parti de Badajoz le 14mars.
La place s'est rendue le io mars , après un siége long ,
difficile et meurtrier. Les ennemis avaient le projet de
faire de Badajoz une seconde Sarragosse ; mais l'habileté
des chefs, la constante intrépidité des troupes ont triomphéde
tous les obstacles .
Dès les premiers jours du siége , la garnison , forte de
8 à 10 mille hommes , avait fait des sorties vigoureuses .
L'infanterie de tranchée , dirigée par legénéralGirard, les
avait repoussées avec une grande perte , et les travaux du
génie et de l'artillerie se poursuivaient avec la plus grande
activité. C'est dans le journal du siége publié par le Moniteur
qu'il faut suivre tous les mouvemens , reconnaître
le nom des braves de toutes les armes qui se sont distingués
, et des victimes honorables de leur courage.
Pendant les premiers tems du siége , le général Latour-
Maubourg, à la tête de la cavalerie de réserve, s'était porté
au nord de Badajoz , éclairant sur les frontières du Portugal
la marche de l'ennemi qui venait au secours de cette
place. On savait que deux divisions espagnoles avaient
quitté Lisbonne et l'armée anglaise , qu'elles avaient passé
leTage , et se dirigeaient sur la ville assiégée. Dans la nuit
du 5 au 6 février les troupes parurent , et se mirent en
communication avec celles qui défendaient Badajoz . Ces
mouvemens donnèrent lieu dans le voisinage de la place
àdes affaires partielles et à des sorties de la garnison , où
les troupes du général Latour-Maubourg et celles du
siége soutinrent leur vieille réputation. Ces mouvemens
p'étaient que le prélude de l'affaire générale qui devait
décider du sort de la ville , aussitôt que le passage de la
Guadiana serait possible.
Le II mars , le fort de Pardaleras est emporté à la suite
d'une de ces actions brillantes qui caractérisent le grenadier
français et les officiers généraux qui marchent à sa
tête , actions dont l'impétuosité diminue le danger , et
dans lesquelles l'effroi qu'inspire l'audace de l'assaillant ,
empêche l'ennemi de tirer parti de la supériorité de sa position.
Quatre cents grenadiers emportent le fort le sabre
àlamain, et n'ont que sept àhuit hommeshors de combat.
1
42 MERCURE. DE FRANCE ,
Cette position assurait le succès des travaux du génie, mais
il fallait une action sous les murs de la place contre les
troupes qui étaient venues la secourir , et la bataille de
Gebora a été livrée. Nous suivrons ici les principaux détails
de cette brillante affaire dans le rapport de M. le maréchal
duc de Dalmatie .
"L'ennemi avait dressé son camp sur les hauteurs de
San-Christoval , à la rive droite de la Guadiana , et pendant
qu'il s'occupait à le perfectionner et à rendre impraticable
le passage de la Gebora , le fort Pardaleras lui était enlevé;
il se croyait inexpugnable dans sa position , et paraissait
jouir avec sécurité des communications avec Elvas et
Campo-Mayor , qu'il avait rétablies ; cependant des dispositions
étaient faites pour l'attaquer dans cette position ,
mais il fallut forcément attendre que les eaux de la Guadiana
et de la Gebora , qui s'étaient répandues dans les
terres , fussent écoulées , et nos moyens de passage assurés .
M. le capitaine du génie maritime Royou , et M. le capitaine
Gillet , commandant les pontonniers , travaillèrent
avec une telle activité , que le 18 on eut moyen de porter
à la rive droite , de l'infanterie et du canon ; la nuit suivante
on en profita pour faire passer les troupes que M. le
maréchal duc de Trévise avait à cet effet désignées ; M. le
général de division Latour-Maubourg mit en ligne la cavalerie
de réserve , et le même jour une nouvelle batterie
de mortiers qui avait été établie à la gauche de l'attaque du
centre , obligea les ennemis à changer de camp et à se
mettre hors de la protection du fort San-Christoval .
» Le 19 , avant le jour , le général de division Latour-
Maubourg fit passer sa cavalerie aux gués de la Gebora audessus
du pont que deux jours auparavant l'ennemi avait
détruit ; il se porta rapidement sur la route de Badajoz à
Campo-Mayor , où il commença l'attaque contre la gauche
de la ligne ennemie. Le 2º de hussards pénétra même un
instant dans leur camp. Pendant ce tems l'infanterie et
l'artillerie aux ordres de M. le général de division Girard
passaient les gués à droite et à gauche du pont , malgré la
rapidité du courant , et que la troupe eût de l'eau jusqu'à
la ceinture. Aussitôt que les colonnes furent formées
M. le maréchal duc de Trévise douna ordre au général
Girard de se diriger sur la droite de l'ennemi , et de faire
en sorte de gagner la hauteur , en se plaçant entre lui etle
fort San-Christoval; cette droite forcée , le général Girard
devait changer de direction à droite , et se cabattre sur le
AVRIL 18ιι . 43
grosde l'armée ennemie,tandis que M. le général Latour-
Maubourg , avec sa cavalerie , l'attaquerait par son flanc
gauche, et ferait en sorte de l'entamer. Ce double mouvement
s'exécuta avec toute la perfection que l'on peut
attendre dans un champ de Mars de la troupe la plus instruite
, malgré la vivacité du feu de l'ennemi. Les 34ª et
88 régimens formant la brigade du général Philipon ,
étaienten première ligne , et avaient un bataillon déployé,
et deux autres en colonne . Le 100 suivait en réserve à
demi-distance de ligne. La 2ª compagnie du 3º régiment
d'artillerie légère marchait en deux batteries à hauteur de
l'infanterie ; à cent pas , le feu de nos troupes commença ,
et elles lecontinuèrent sans interrompre leur mouvement,
une partie ayant cependant la baïonnette croisée , jusqu'à
ce que toutes les masses de l'ennemi eussent été enfoncées
etmises en déroute ; la cavalerie , qui suivait sur les derrières
de l'ennemi le progrès de l'infanterie , a alors exécuté
diverses charges , qui toutes ont été couronnées du plus
grand succès . Adix heures du matin , les deux divisions
espagnoles , qui douze jours auparavant étaient arrivées de
Lisbonne, n'existaient plus .Huit cent cinquante des leurs
élaient étendus sur le champ de bataille ; 6 drapeauх , 17
pièces de canon , 20 caissons , et 5200 prisonniers étaient
au pouvoir de l'armée impériale. Ce qui a pu s'échapper
a été se jeter confusément dans Elvas et dans Badajoz .
Mendizabal etla Carera , qui étaient dans le dernier carré ,
se sonthonteusement sauvés dans la première de ces places .
Douze cents hommes de cavalerie portugaise et espagnole
qu'il y avait à la bataille , ont abandonné l'infanterie. "
Lemaréchal duc de Dalmatie termine sa relation par
nommer tous les généraux , officiers supérieurs et simples
officiers qui ont eu une part distinguée à ces importans
succès : il les désigne par leurs traits de courage , par ceux
qui les ont déjà honorés , et qui leur ont mérité des récompenses
dont il renouvelle la demande. On ne peut commander
sans doute de plus braves troupes , mais il est
impossible de se montrer plus dignement et avec un plus
grand sentiment de justice , leur interprète auprès du souverain
qui ne laisse jamais une belle action sans récompense,
quel que soit le nombre dans lequel elles se présententà
lui.
Le maréchal pensait bien que la victoire de la Gebora auraitpour
résultat la chute prochaine de Badajoz : elle a en
lieu en effet peu de tems après , au moment terrible où ,
44 MERCURE DE FRANCE ,
+
la brêche praticable , un assaut livré à la garnison lamettait
à ladiscrétion du vainqueur. Cette garnison a capitulé ;
elle est prisonnière de guerre : le nombre des prisonniers
estde7,500 hommes . La place ne manquait pas de vivres .
Desmunitions immenses et une grande quantité d'artillerie
ont été pris. Cette capitulation et la victoire de la Gebora
achèvent la destruction de ces divisions espagnoles , que la
trahison de la Romana avait rendues honteusement célèbres
et qui sont venues expier sur le Tage le crime commis
surles côtes de la Baltique , d'avoir faussé leur serment .
Mais dans cette situation des affaires , au moment où
l'armée anglaise était tenue en échec par celle du prince
d'Essling , que le siége de Cadix s'avançait , que la marche
rapide des Français sur Elvas annonçait aux Anglais de
nouveaux points d'attaque à surveiller , les ennemis ont
cru l'occasion favorable pour opérer une diversion puissante.
Le maréchal duc de Bellune avait été chargé de la
continuation du siége de Cadix , pendant que les maréchaux
ducs de Dalmatie et de Trévise se portaient contre
Badajoz . Les ennemis ont cru cet instant propice. Une
division de 6000Anglais et de 7 à 8000 Espagnols débarqua
à la fin de février àAlgésiras. Cette colonne , forte
ainsi de 14,000 hommes , avait le projet de prendre à revers
le duc de Bellune et de faire lever le siége de Cadix . Ce
projet a été entiérement confondu . Le duc de Bellune l'a
battue et a jetél'ennemi dans l'île de Léon , après avoir pris
trois drapeaux , quatre pièces de canon et760 hommes. Il
a tué ou blessé aux Anglais le tiers de leur monde .
Au 10 mars , le siége de Cadix avait repris avec une
nouvelle ardeur . Tous ces événemens avaient frappé
d'admiration nos amis en Andalousie , et confondu nos
ennemis .
Le Moniteur, en relevant le mérite d'une action où le
maréchal de Bellune a couvert et maintenu le siége de
Cadix, et repoussé seul une attaque aussi forte qu'imprévue,
exprime quelques regrets sur le défaut d'ensemble et d'unité,
qui dans cette circonstance a sauvé une expédition
anglaise qui pouvait être prise les armes à la main.
Il est fâcheux , dit-il, que le duc de Dalmatie , en se
portant en Estramadure , n'ait pas laissé toute l'Andalousie
et le royaume de Grenade sous les ordres du duc de Bellune.
Le 4º corps s'est trouvé indépendant , ainsi que les
troupes des généraux Godinot et Darricau , et le duc de
Bellune n'a pu disposer que des troupes du siége pour gar
AVRIL 1811 . 45
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S
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t
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der son immense ligne , repousser les attaques vraies ou
fausses faites sur tous les points , et faire face au corps
qu'il avait devant lui ; et tandis que l'ennemi avait réuni
tous ses moyens, le 4º corps et le corps d'observation du
général Godinot , c'est-à-dire plus de 25,000hommes , ne
servaient à rien dans cette affaire importante.
Le4 corps a supposé que le débarquement d'Algésiras
menaçait sa droite , en même tems que l'insurrection de
Murcie altaquait sa gauche. Ce n'est que trop tard que le
général Sébastiani a appris que le débarquement se dirigeait
contre la gauche du blocus . Si une de ses divisions
avait pris en queue le corps ennemi , et si le duc de Bellune
n'avait eu qu'à s'opposer à son introduction dans l'île
de Léon , ce corps tout entier aurait mis bas les armes .
Balasteros avait marché sur Séville avec les débris échappés
au combat de Castillegos : le général Darricau l'a
chassé , poursuivi , et lui a pris une partie de son monde.
Lecommandant deRonda arepoussé et dispersé l'insurrec
tion des montagnes .
Aussitôt que le général Sébastiani a été averti de la
marche du corps ennemi sur le 1ºt corps , il a envoyé une
division sur Cadix. Le général Godinot a aussi fait partir
neufbataillons; mais ces renforts , qui eussent été si utiles ,
sont arrivés trop tard. L'ennemi , après sa défaite , s'était
mis en sûreté dans les murs de Cadix .
Au surplus, cette affaire est une source de discussions et
demécontentemens entre les Anglais et les Espagnols , et
nous allons voir que les Anglais la citeront comme une
victoire.
Déjà nous en avons sous les yeux les détails tels qu'ils ont
été publiés enAngleterre. Le général Graham, qui y commandait
les Anglais , y varie tantôt sur le but de son expédition,
tantôt sur le nombre d'hommes qu'il commandait;
tout ce qu'on voit même d'après son aveu , c'est qu'il est
sorti de Cadix , qu'il a pris des renforts , et qu'au lieu de
faire lever le siége de Cadix , il a évité d'être jeté dans la
mer en réussissant à rentrer dans la place.
Le but de l'expédition était de faire lever le siége de
Cadix ; à qui persuadera-t-on que le général Graham eût
eu cette prétention avec 5000 hommes seulement? La
vérité est, etl'état des blessés anglais par régimentle prouve,
que le général Graham commandait 7000 Anglais , 8000
Espagnols , 100o Portugais , ce qui forme 16,000 hommes .
Les Français conservant leurs lignes devant Cadix , et
46 MERCURE DE FRANCE ,
occupant en force Medina Sidonia , n'ont pu mettre en
ligne que 5000 hommes , et ce sont ces 5000 hommes qui
ont glorieusement soutenu l'effort d'un ennemi plus de
trois fois plus nombreux.
Ici la part du courage est assez noblement faite ; voyons
celle des résultats ; c'est par les résultats qu'il faut juger
toute entreprise de cette nature . Général Graham ! dit
le Moniteur , vous vous êtes embarqué à Cadix le 25 février
, et vous avez débarqué le 28 à Algésiras avec votre
division et les Espagnols ; faites-nous donc connaître
pourquoi vous avez entrepris cette promenade militaire et
fait de si grandes dépenses . Vous vouliez tourner les
lignes du duc de Bellune ; l'avez-vous fait ? Vous vouliez
faire lever le siége de Çadix ; l'avez-vous fait ? Vous vouliez
surprendre Chiclana ; l'avez-vous fait ? Si vous avez tout
mis à feu et à sang , pourquoi vous êtes-vous arrêté en si
beau chemin ? Ce n'est pas à l'île de Léon, c'est à Chiclana
, que vous aperceviez du champ de bataille , et qui
est à très-peu de distance, que vous deviez coucher le 5;
vous auriez pris 100 pièces de canon , 60 chaloupes canonnières
, des équipages et des magasins immenses , des hôpitaux,
etc , elc. C'était votre mission; l'avez-vous remplie
? Vous avez été battu ; vous avez perdu la moitié de
votre monde , et vous avez failli être pris . Votre nombre
et la bonne contenance de vos troupes vous ont sauvé
d'une ruine entière. Etait-ce donc pour rentrer à Cadix que
vous en étiez sorti dix jours auparavant ? N'eût-il pas mieux
valu pour vous y rester? Vous auriez sous vos ordres
4000hommes de plus , Anglais ou Espagnols . "
En résultat , un mot suffit pour caractériser cette affaire
sur laquelle nous verrons que les orateurs du parlement
ne se méprendront pas.
Quinze mille hommes ont menacé de prendre à revers
les lignes des Français devant Cadix ; cinq mille Français
sont sortis de ces lignes et les ont défendues . Les efforts
de l'armée navale anglaise contre les batteries de siége out
été enmême tems également impuissans , et le siège continue.
Toute réflexion ultérieure est inutile..
Nous venons de parler du parlement. Le régent lui demande
en ce moment 2 millions sterling pour soutenir
T'armée portugaise dans sa résistance . M. Parceval a merveilleusement
démontré combien cela était juste , glorieux ,
nécessaire ; mais de nombreux orateurs se sont permis
d'être d'un avis différent .
AVRIL 1811 . 47
ca
Ct
115
re
25
SL
-
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نوم
3-
1
5
5
M. Ponsonby , par exemple , a remarqué qu'on avait
naguère demandé un million , qu'aujourd'hui l'on en demandait
deux , que demain on en demanderait trois ; et il
s'est écrié que jamais les ministres n'avaient pu faire prendre
à l'Angleterre un engagement si téméraire et si ruineux.
Qu'entend-on par la défense du Portugal , a dit l'honorable
membre ? est-ce celle du terrain qu'occupent nos troupes ?
mais ceterrain est celui qui existe depuis Lisbonne jusqu'à
nos lignes ; est-ce pour cette défense qu'on compromet le
sortde l'armée anglaise , celui des finances du pays , peut
être la défense du pays lui-même ? M. Ponsonby ajoute ,
sur les dépenses dont il s'agit , des détails très -curieux.
:
Il est bon qu'on sache , dit-il , toute l'étendue des
sacrifices que l'on est obligé de faire pour faire passer de
L'argent à Lisbonne. Sur toutes les sommes que l'on envoie
on perd d'abord trente pour cent ( Ecoutez , écoutez ! )
mais ce n'est pas tout , les lettres -de-change sur Lisbonne
sont acquittées , moitié en numéraire et moitié en papier
portugais , qui est déjà grandement déprécié. Sur ces
diverses assertions , M. Ponsonby défie la contradiction ;
et il demande pendant combien de tems l'on suppose que
l'Angleterre pourra soutenir de pareilles dépenses. Il n'a
point l'intention de diviser la chambre , mais il la prie de
comparer un instant le but que l'on peut raisonnablement
espérer d'atteindre dans cette lutte inégale , et les dépenses
effrayantes qu'elle entraîne. La dépense des transports est
de3millions; celle de l'armée , de 15 à 16 ; celle de la marine
, de 4 à 5 ; enfin , d'après les états soumis à la chambre
, la dépensetotale ne peut pas être estimée à moins
de 23 millions sterl .
Dans la chambre des pairs , lord Grenville a tenu le
même langage ; mais le bill a passé malgré ce que son
expérience et ses lumières donnaient de poids aux sinistres
prédictions qu'il a faites , si les ministres ne changent pas
de système..
Lebill sur le crédit commercial a également passé dans
la chambre des communes , mais non sans que M. Whitbread
indiquât, comme la plaie profonde de l'Angleterre ,
la ligue du continent contre les produits de son industrie.
Le texte de ces divers orateurs peut se réduire à ces
termes :
Qu'au lieu de persister dans un système d'entêtementet
d'exagération , au lieu de soutenir une cause perdue , de se
ruiner dans des expéditions désastreuses , notre gouver
48 MERCURE DE FRANCE , AVRIL 1811.
nement cherche les moyens de traiter de la paix. Dans la
paix seule est la restauration de notre crédit , de notre industrie
, de notre commerce ; dans la paix seule notre
indépendance et notre salut .
PARIS.
S....
DIVERS décrets impériaux organisent les cours impériales
de la Haye , de Metz , de Nanci , d'Orléans , de Rouen ,
d'Amiens , de Lyon et de Bruxelles .
-Dimanche dernier , ily a eu audience et présentations .
S. M. a tenu ensuite un conseil de la Légion-d'honneur et
unconseil privé.
-Mercredi prochain , l'Académie française tiendra une
séance pour la réception de M. Parseval : dans cette séance
les prix de poésie mis au concours pour 1811 , seront décernés.
- Tous les travaux publics sont repris avec la plus
grande activité. On passera au 1er octobre sur le pont
d'Iéna . Le quai de ce pont , du côté des Invalides , portera
le nom du duc de Montebello .
-Grandmesnil se retire du Théâtre-Français. Caumont
qui y partageait son emploi , et qui était retiré depuis deux
ans , vient de mourir. Vigny est reçu sociétaire .
ANNONCES .
Précis historique de la révolution française. - DIRECTOIRE Exf-
CUTIF , par Lacretelle jeune . Seconde édition. Deux forts vol. in-18 ,
avec quatre gravures. Prix , 10 fr. , et 12 fr. franc de port. Sur papier
vélin, figures avant la lettre , 15 fr . , et 17 fr. franc de port.
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maisonde commerce , rue de Lille , nº 17 ; Arthus-Bertrand , libr. ,
rue Hautefeuille , nº 23 .
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parRabaut-de-Saint-Etienne , et aux Précis historiques de
l'Assemblée législative et de la Convention nationale, par Lacretelle
jeune , il complète l'Histoire de la révolutionfrançaise en six volumes
in-18. Prix des six volumes , sur papier ordinaire , 3o fr . , et35 fr.
francde port ; pap. vélin, 45 fr. , et 50 fr. franc de port. Ces divers
ouvrages se trouvent aux mêmes adresses indiquées ci-dessus.
DEPT
DE
LA
TABLE
5.
cen
MERCURE
DE FRANCE.
N° DVIII . Samedi 13 Avril 1811 . -
POÉSIE .
ODE
Sur l'heureux accouchement de S. M. l'Impératrice-Reine
MARIE-LOUISE D'AUTRICHE , et sur la naissance de S. M.
leROI DE ROME .
4
DANS les coeurs palpitans d'une illustre famille ,
Dans ses yeux attendris , quelle espérance brille ,
Lorsqu'éprouvant ces maux que l'amour rend si doux ,
Vierge naguère encore , au lit de l'Hyménée
Par Lucine enchaînée ,
Une épouse , d'un fils va doter son époux!
Mais combien cette joie est entière , unanime !
Comme le genre humain tressaille et se ranime ,
Quand ce fils , que les cieux marquèrent de leur sceau ,
Ce fils , qu'avec ardeur nos prières demandent ,
Vingt nations l'attendent ,
Etque , népour régner , un trône est son berceau !
C'est là que la victoire , et la paix consolante ,
Qui l'atteint tôt ou tard en sa marche plus lente ,
D
50 MERCURE DE FRANCE ,
Reçoivent dans leur sçin ce plus cher des dépôts ,
Que les ames en proie aux haines criminelles ,
Désormais fraternelles ,
Goûtent innocemment un vertueux repos .
Ce fils , dont les faveurs sont d'avance implorées ,
Est comme un rejeton de deux tiges sacrées ,
Qui va naitre et grandir sous leurs troncs protecteurs ,
Et qui , de leurs rameaux reproduits d'âge en âge ,
Eternisant l'ombrage ,
En couvre au loin les champs , les troupeaux , les pasteurs .
Enfant , qu'un Dieu promet à la terre ravie
Apparais , tout brillant , aux portes de la vie ,
Comme l'astre du jour , qui , dans son vol hardi ,
Conquérant bienfaiteur de l'horizon qu'il dore ,
Même dès son aurore ,
Par des flots de lumière annonce son midi.
Ces obscurs factieux , dont la fureur contrainte
Garde un espoir coupable en cédant à la crainte ,
L'Anglais , dont un héros a comprimé l'essor ,
Et qui voit sur son ile , en sa détresse urgente ,
Sa richesse indigente
Enfler ses magasins , et tarir son trésor ,
Se disaient l'un à l'autre : « Il n'est point de rivage
• Où l'aigle des Français n'ait , domptant notre rage ,
> Vaincu de nos soldats les belliqueux essaims ;
■Mais cet aigle , malgré son héroïque audace ,
> Ne voit point dans l'espace
• D'aiglon qui suive encor son vol et ses desseins .
Si tout frémit , tout tremble au bruit de son tonnerre ,
> Nul fruit de son amour n'a fécondé son aire ;
> Il triomphe , mais seul , sous la voûte des cieux :
■Ehbien! n'attendons pas que , croissant sous son aile ,
> Une race nouvelle
> Par degrés s'enhardisse à vaincre sous ses yeux.
1
> La victoire est sa force , opposons-Lui l'intrigue .
> N'épargnons ni complots , ni largesse , ni brigue ,
> Pour troubler l'univers , et pour le désunir ;
• Et si , jouets encor du héros qui nous frappe ,
AVRIL 181г. 52
> Le présent nous échappe ,
•Anos projets du moins enchainons l'avenir . »
Cet avenir , l'espoir de ceux qui désespèrent ,
Grâce au pudique amour dont les doux soins prospèrent ,
Trahit déjà vos voeux par le ciel rejetés .
Voyez-vous ces apprêts , ces voiles , ces parures ,
Et les pompes futures
Du fils-roi que j'annonce , et que vous redoutez ?
Hercule en lui renait : vous êtes les couleuvres
Que cehéros enfant .pour essai de ses oeuvres ,
Vainqueur dès le berceau , se hâte d'étouffer ;
Jugez par cet exploit , ce jeu de son courage ,
Comme, dans un autre âge ,
Des hydres , des lions il saura triompher .
Voyez-le, sous sonpère , et plein de son génie ,
Briguer, par ses travaux , la gloire réunie
Des vertus qui du trône affermissent les droits ,
Etdans son sein auguste , où sa tendresse vole ,
Trouver la triple école
Des favoris de Mars , des sages et des rois .
Voyez-ledu trident , que l'orgueil insulaire
Crut être dans vos mains le sceptre de la terre ,
Partager les bienfaits à cent peuples rendus ,
Et vous déshériter des trésors que le Gange
Vous payait en échange
Des fléaux avec vous sur ses bords épandus .
Il chérira les arts , ces arts dont lamagie
Des tems , des lois , des moeurs tempérant l'énergie ,
Unit Minerve à Mars , et la lyre au clairon :
Il saura que leur voix un jour fait tout connaître ,
Et qu'Homère doit naitre
Dès qu'Achille a saisi l'arc tendu par Chiron.
Réjouis-toi , héros, le seul dont la sagesse
N'ait point d'orgueil secret , ni le bonheur , d'ivresse :
Unpère d'un tel fils peut se glorifier.
Pourdoubler ton présent , son avenir se lève ;
Jamais plus digne élève
Ates vastes projets ne vint s'associer.
Da
52
MERCURE DE FRANCE ,
Toi , vierge du Danube , aujourd'hui de la Seine ,
De l'Eridan , du Tybre et la nymphe et la reine ,
Hâte-toi ; mets au jour ce fils tant souhaité :
Lucine vient ; confonds , dans tes yeux pleins de charmes ,
Le sourire et les larmes ,
La joie et la douleur de la maternité.
Mais ,pour clianter ce prince , autre espoir de l'Europe ,
Tandis qu'imprudemment je prête à Calliope
Une voix prophétique et des voeux indiscrets ,
Quelle autre voix me crie , et sévère et secrète ,
« Qui t'a fait l'interprète
► Du Destin , dont la nuit couvre encor les décrets ?
1
> Sais-tu , lorsque ta muse , en promesses féconde ,
» Peint cet aiglon naissant pour le bonheur du monde,
› S'il veut qu'avant la soeur le frère soit éclos ?
> Va , d'Hercule et d'Hébé , quand l'amour les enlace ,
> Il peut naître une Grâce ,
› Quoique d'un demi-Dieu l'on attende un héros. >
Eh bien! avec transport j'embrasse l'assurance
De ce double avenir qu'espère aussi la France.
L'homme heureux , qui sourit à ses champs fécondés ,
Ne s'inquiète pas si Flore , si Pomone ,
Le Printems ou l'Automne ,
Ont hâté ces présens , ou les ont retardés :
Sans cacher de son coeur la juste préférence ,
Il jouit de leur nombre et de leur différence ;
Aumatind'un jour pur aime à les voir s'ouvrir ;
Etse console, auprès de la rose odorante ,
De la pénible attente
D'un fruit plus cher encore , et plus lent à mûrir.
Maisj'entends cet airain , ees foudres pacifiques ,
Le signal des plaisirs et des fêtes publiques ;
Je vois vers le palais tout le peuple entraîné ;
Lajoie éclate au loin bruyante , universelle;
Notre sort se révèle ;
NAPOLÉON est père , et le héros est né.
Par P. N. ANDRÉ - MURVILLE.:
AVRIL 1811 . 53
Début d'une Epître sur quelques genres dont Boileau n'a
pointfait mention dans son Art poétique (1 ) .
LORSQU'AU sein de la plaine un grand fleuve s'avance ,
Superbe , et , sur ses pas épanchant l'abondance ,
Partage son cristal en fertiles canaux ,
Et livre à vingt cités le trésor de ses eaux ,
Il délaisse parfois une agréable rive ,
Qui seplaint de l'oubli de l'onde fugitive ;
Des naïades alors si la plus humble soeur
Fait d'un ruisseau timide éclore la fraîcheur ,
Larive consolée et s'anime et l'embrasse :
Tant le bienfait modeste a de force et de grâce !
C'est ainsi que ma muse , aux doctes nourrissons ,
En l'absence du maître apporte des leçons .
Je cultive le coin qu'il a laissé stérile :
Le zèle est mon talent; la gloire est d'être utile.
Auteur divin, souris à ma témérité !
Si dès mes premiers ans , jour et nuit feuilleté ,
Tu le sais , loin des jeux , ma studieuse enfance
Du charme de tes vers s'enivrait en silence ;
Si dans l'humble réduit que toi-même habitas ,
Avec un saint respect interrogeant tes pas ,
Et dès-lors te vouant des hommages sans nombre ,
Mon jeune enthousiasme évoquait ta grande ombre ;
Et si de tes beautés notre Pindare épris (2) ,
Souvent me révéla leurs secrets et leur prix ,
Aton livre immortel quand j'ajoute une page ,
Boileau , que ton nom seul protége cet ouvrage;
Je le mets à tes pieds : soutiens ma faible voix ;
Commençons ; de l'Epître osons tracer les lois , etc.
Par P. J. B. CHAUSSARD.
(1 ) Nous rendrons compte , dans peu de tems , de cette Epître qui
vient de paraitre , et qui a plus de cinq cents vers. Ledébut que nous
insérons ici, motive le projet de l'auteur et annonce le but qu'il s'est
proposé.
(2) Lebrun.
54 MERCURE DE FRANCE , AVRIL 1811 .
ENIGME .
J'ACCOMPAGNE la rose aux beaux jours du printems ;
Elle passe en un jour , et je reste en tout tems .
Quel que soit d'un mortel le bonheur ou la gloire ,
Il est difficile de croire
Qu'il puisse de ses jours voir arriver la fin ,
Sans que jamais je nuise à son heureux destin.
Pour m'éviter il faut veiller sans cesse ;
Dans le champ de la vie on me trouve souvent;
Or , si l'on m'attrappe en passant ,
Pour me tirer dehors , il faut beaucoup d'adresse.
.........
LOGOGRIPHE .
MON corps a d'une demi-lune
La ressemblance assez commune.
Ma tête est droite , et l'est ma queue aussi ,
Et toutes deux sont droites comme un i.
Lecteur , si je ne t'importune ,
Trouve bon que je sois ici.
S........
CHARADE .
JAMAIS sans mon premier on ne dit le mot j'aime ;
Jamais sans mon second on ne peut solfier ;
Une exclamation se voit dans mon troisième ;
Ontrouve dans mon quatrième
De quoi s'amuser , s'ennuyer ,
Se corrompre , s'édifier ,
Mais mon tout d'illustre mémoire
Ne se voit plus que dans l'histoire .
J. DEB.
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARADE
insérés dans le dernier Numéro .
Lemot de l'Enigme est Pourparler.
Celui du Logogriphe est Cantique , dans lequel on trouve : antiqus.
Celui de la Charade est Dépôt.
LITTÉRATURE ET BEAUX-ARTS .
,
ITINÉRAIRE DE PARIS A JÉRUSALEM ET DE JÉRUSALEM
A PARIS , EN ALLANT PAR LA GRÈCE , ET REVENANT PAR
L'EGYPTE , LA BARBARIE ET L'ESPAGNE ; par F. A. DE
CHATEAUBRIAND . - Trois volumes in-8° , ornés de
cartes géographiques . Prix , 18 fr . , et 22 fr . franc
de port . A Paris , chez Lenormant, imprim. -libraire ,
rue de Seine , nº 8 .
IL est peu de lectures qui nous intéressent autant que
celle des voyages ; la relation d'un simple matelot
échouant sur un rivage inconnu , nous racontant sans
art ses dangers et ses naufrages , nous parlant dans un
style barbare d'une peuplade barbare , excite notre
curiosité , est lue avec empressement , avec avidité ;
c'est sur-tout de ces histoires particulières que Pline
aurait pu justement dire : Historia quocumque modo
scripta placet. Si vous donnez néanmoins un attrait de
plus à cette curiosité naturelle et générale , et que changeant
le lieu de la scène vous transportiez le voyageur
obscur dans des contrées fameuses , alors les grands
souvenirs de l'histoire suppléeront à l'insuffisance de
l'écrivain et du peintre , animeront ses récits et ses
tableaux , donneront de l'éclat à ses couleurs , de l'intérêt
à ses informes descriptions . Mais si des lieux célèbres
sont parcourus par un célèbre écrivain , par un
illustre voyageur; si des pays particulièrement favorisés
de la nature exercent les pinceaux d'un homme dont le
talent descriptif sait reproduire toutes les richesses de la
nature , et les présente à nos yeux dans des tableaux
vifs , animés , pittoresques ; si sur-tout de grands
hommes et de grandes actions , dont le seul souvenir enflamme
les imaginations les plus froides , ont illustré
ces contrées et sont peintes par une imagination forte ;
si le coeur noble et généreux du voyageur nous retrace
56 MERCURE DE FRANCE ,
les vertus généreuses , les sentimens nobles , les glorieux
triomphes , les revers honorables de ceux qui habitèrent
les villes et les républiques florissantes dont il ne voit
aujourd'hui que les ruines ; si le contraste de ce qu'elles
furent autrefois , de ce qu'elles sont aujourd'hui , est une
occasion fréquente et naturelle , et de grandes pensées ,
et de rapprochemens frappans , et de touchans regrets ;
enfin , si la première patrie des beaux arts et du génie
est parcourue par un digne admirateur du génie , par un
homme sensible à tout ce qui est beau , à tout ce qui est
grand ; si la première patrie de la religion , le berceau
de ces divines institutions qui ont changé la face du
monde , le théâtre de tant de prodiges , de tous ces miracles
de grandeur , de puissance , de dévouement et de
charité , ont été visités par un homme dont la plume est
déjà illustrée par la peinture des bienfaits de cette religion
, et de tous les sentimens qu'inspirent si puissamment
ces lieux sacrés , que pourrait-il manquer àla relation
d'un pareil voyageur , à son itinéraire , pour plaire ,
intéresser , toucher , émouvoir , puisqu'à l'attrait universel
pour les voyages se joindraient de si rares et de si
heureuses circonstances , et que les lieux les plus célèbres
de l'univers auraient été parcourus par un des
hommes les plus dignes de les peindre ?
,
Telles sont les contrées décrites dans l'Itinéraire de
Paris à Jérusalem , et de Jérusalem à Paris . Tel est
l'auteur de cet ouvrage. Athènes , Sparte , Jérusalem
Alexandrie , Carthage ; le Parnasse , l'Olympe , l'Eurotas
, le Nil , le Jourdain ; les monumens de Periclès
ceux des Pharaons , ceux des Maures ou des Arabes ;
la gloire passée et la honte présente ; la liberté turbulente
et l'abjecte servitude ; les descendans des vainqueurs
de Marathon , de Salamine et dePlatée , gouvernés
par un stupide pacha , ou même par un vil eunuque
noir ; la patrie d'Homère , de Sophocle , de Platon , de
Zeuxis , de Phidias, plongée dans l'ignorance et la barbarie
; la montagne de Sion , la fontaine de Siloé , les
coteaux d'Eugaddi , les champs d'Ascalon ; cette Palesfine
entière illustrée par tant de prodiges de douceur, de
miséricorde et de courage , foulée maintenant par d'inAVRIL
1811 . 57
solens spahis ou de cruels bedoins , quels lieux , quels
souvenirs , quels contrastes , quels tableaux s'offrent à
l'imagination ! elle est là dans son empire . Il n'est donc
pas étonnant qu'un écrivain en qui cette brillante faculté
de l'esprit domine , ait long- tems nourri et enfin exéculé
le projet de visiter ces contrées fameuses où tant
d'objets s'offraient à sa curiosité , à ses méditations , à
ses pinceaux.
Long-tems avant M. de Châteaubriand , un homme
d'une imagination riche et sensible comme lui , l'auteur
de Télémaque , s'était plu à former le même dessein ;
l'idée seule de ce voyage le remplit d'enthousiasme , et
il peint avec un naïf abandon l'aimable exaltation de ses
sentimens dans une lettre qu'on croit adressée à Bossuet
, et dont je rapporterai quelques fragmens : premièrement
, parce qu'une lettre de Fénélon à Bossuet
est toujours bonne à citer ; en second lieu , parce que ,
dans le petit nombre d'objets qui peuvent être traités ou
plutôt indiqués dans une très - courte lettre , on verra
une grande conformité d'idées entre Fénélon et M. de
Châteaubriand . C'est de part et d'autre un profond mépris
, une grande aversion pour les Turcs , et l'horreur
de leur domination ; l'amour des beaux arts et de l'antiquilé
, une haute admiration des anciens Grecs , une
vive compassion pour les Grecs modernes ; enfin dans
l'un et dans l'autre des sentimens religieux plus hautement
exprimés , sans doute , dans Fénélon qui voulait
aller dans le Levant en qualité de missionnaire , mais
assez marqués dans M. de Châteaubriand , qui avoue ,
sans pudeur, comme il le dit lui- même , qu'il est allé
en Palestine visiter les saints lieux en qualité de Pélerin .
« La Grèce entière , s'écrie Fénélon , s'ouvre à moi ,
» le sultan effrayé recule ; déjà le Péloponèse respire en
» liberté , et l'église de Corinthe va refleurir ; la voix de
» l'apôtre s'y fera encore entendre . Je me sens transporté
dans ces beaux lieux et parmi ces ruines pré-
» cieuses , pour y recueillir avec les plus curieux monu-
» mens l'esprit même de l'antiquité . Je cherche cet
» aréopage où saint Paul annonça aux sages du monde
» un Dieu inconnu ; mais le profane vient après le sacré ,
58 MERCURE DE FRANCE ,
>> et je descends au Pirée où Socrate fait le plan de sa
>> république . Je monte au double sommet du Parnasse .
>>Je cueille les lauriers de Delphes , et je goûte les dé-
>>lices de Tempé. Quand est-ce que le sang des Turcs
>>se mêlera avec celui des Perses sur les plaines de Ma-
>> rathon , pour laisser la Grèce entière à la religion , à
>> la philosophie , aux beaux arts qui la regardent comme
>>leur patrie ?
Area, beata
Petamus arva , divites et insulas .
« Je ne t'oublierai pas , ô île consacrée par les cé-
>> lestes visions du prophète bien aimé ; ô heureuse
-> Pathmos , etc. »
Il m'a semblé qu'une pareille citation n'était point
étrangère à l'objet qui m'occupe , et qu'elle ne déplairait
point aux lecteurs ; on n'est point faché , et M. de Chateaubriand
n'en sera sûrementpas plus fàché qu'un autre,
de voir cette analogie d'idées et de sentimens entre deux
écrivains célèbres qui , avec des talens sans doute trèsdivers
, mais doués néanmoins l'un et l'autre d'une bril
lante et féconde imagination , nous ont offert encore
une autre conformité dans leurs compositions littéraires .
C'est , en effet , à Fénélon et à M. de Châteaubriand que
nous devons deux ouvrages dans le même genre , et dans
un genre tellement difficile , que les difficultés , malgré
un grand nombre de tentatives , n'ont pu être vaincues
que par eux seuls ; et de ces deux ouvrages , l'un est
depuis long-tems et incontestablement rangé parmi les
chefs - d'oeuvre de notre littérature , et l'autre , qu'il n'est
peut-être pas tems de classer encore , offre souvent de
ces grandes beautés qui font les chefs-d'oeuvre.
C'est , comme on le sait , pour perfectionner ce dernier
ouvrage ( l'auteur dit modestement pour le rendre
moins imparfait ) , que M. de Châteaubriand avait entrepris
son voyage de la Grèce , de l'Egypte , de la Palestine
; il voulait que la description des lieux où il a placé
l'action principale des Martyrs fût vive , animée , exacte ,
telle qu'on ne peut l'obtenir que d'un témoin oculaire ;
il voulait que l'inspiration de ces lieux sacrés et poéliAVRIL
1811 . 59
ques se fit sentir dans sa composition , et donnât de la
vie à ses tableaux . Les détracteurs mêmes des Martyrs
ont été forcés de convenir que ce noble but donné par
l'auteur à ses voyages avait été rempli . Heureux voyage
pour les lettres , puisque de deux ouvrages remarquables
, l'un par des beautés d'un ordre supérieur , l'autre
par l'agrément et l'intérêt , il a fait naître celui - ci , et
rendu celui-là meilleur !
Jusqu'ici on avait reproché au style de M. de Châteaubriand
des couleurs trop poétiques , des figures trop
hardies , des tours peu naturels , des expressions et des
alliances de mots un peu extraordinaires . Je n'examinerai
point si ces reproches étaient fondés , ni jusqu'à
quel point ces défauts si amèrement reprochés , si fort
exagérés par l'envie et l'esprit de parti , étaient , les uns
excusés par le genre de compositions auxquelles se livrait
l'auteur , les autres rachetés par un talent original qui
n'était pas toujours également pur , mais qui toujours
noble , brillant , élevé , savait compenser des taches légères
par des beautés supérieures . Ce qu'il y a de certain
, c'est que de pareils défauts eussent été beaucoup
plus déplacés et infiniment plus sensibles dans la relation
d'un voyage ; le goût de M. de Châteaubriand les a
évités avec soin , et son talent flexible s'est prêté avec
une heureuse facilité au nouveau ton qu'il devait prendre.
Un voyageur est le héros de sa relation , et c'est
sur-tout lorsqu'on parle de soi qu'il faut éviter la recherche
, l'affectation et l'enflure ; le naturel , la simplicité ,
la grâce , tels doivent être alors les seuls ornemens du
discours ; tels sont aussi ceux qu'on remarquera dans la
narration de M. de Châteaubriand , toutes les fois du
moins qu'il s'agit de lui , toutes les fois qu'il est en scène .
Cependant des pensées touchantes , des sentimens généreux
, des rapprochemens heureux , des traits rapides ,
vifs , énergiques , qui sortent sans effort de ce fonds si
simple , n'en reçoivent que plus d'éclat , et font une impression
plus infaillible et plus forte sur le lecteur . Mais
ce n'est pas de la personne seule du voyageur que le
récit du voyage doit prendre son ton ; il doit le recevoir
aussi des lieux que le voyageur parcourt ; il doit s'élever
бо MERCURE DE FRANCE,
et s'ennoblir suivant l'importance de ces lieux , les brillans
souvenirs qu'ils rappellent , les grandes destinées
qu'ils ont eues , et celles qu'ils peuvent avoir. Le talent
connu de M. de Châteaubriand s'accordait trop naturellement
avec cette règle de composition pour qu'il ne s'y
conformat pas . Il parle noblement des nobles objets qui
s'offrent sur sa route , ou plutôt qui sont rappelés à sa
mémoire par l'histoire des peuples qu'il visite , des villes
et des lieux qu'il parcourt : le spectacle de cette illustration
perdue et de la dégradation de la Grèce , jadis si
florissante , si libre , si polie , aujourd'hui humiliée ,
avilie , presqu'aussi barbare que ses barbares dominateurs
, lui arrache des regrets éloquens , lui inspire une
éloquente indignation contre les stupides oppresseurs de
Sparte et d'Athènes , et de nobles voeux pour un meilleur
avenir . A ces tableaux historiques et politiques succèdent
ceux de la nature physique des pays célèbres , des
beaux lieux que parcourt l'illustre voyageur , et le lecteur
applaudit tour-à -tour aux réflexions vives , neuves
et originales d'un esprit élevé , quelquefois même profond
, aux nobles sentimens d'une ame généreuse , aux
riches pinceaux d'une brillante imagination .
Les plus beaux morceaux de ce genre qui ornent et
varient l'Itinéraire de M. de Châteaubriand sont trop
longs pour pouvoir être cités dans un journal , et ils perdraient
beaucoup à être abrégés ; je serai donc obligé de
choisir mal , ou plutôt de ne pas choisir le mieux possible
, et de gâter un peu ce que je choisirai pour le réduire
à de plus courtes dimensions . Après avoir prévenu
du tort que je fais à l'auteur , je vais néanmoins , pour le
plaisir du lecteur , mettre sous ses yeux quelques-uns
des fragmens de l'Itinéraire . M. de Châteaubriand venait
de visiter , et même de reconnaître et de fixer plus
clairement qu'on ne l'avait fait avant lui , les ruines de
Sparte ; il était sur les ruines d'Athènes : on voit que ses
affections sont pour cette dernière ville , et pour les
Athéniens du tems de Miltiade , de Sophocle , de Péricles
, et même d'Alcibiade ; mais il n'est point injuste
envers Sparte et les Spartiates ; et à la vue des ruines et
des débris de ces deux peuples et de ces deux républiAVRIL
1811. 61
ques , il fait ainsi le parallèle de leurs moeurs et de leurs
institutions ( 1 ) . « Je m'avançais vers Athènes avec une
espèce de plaisir qui m'ôtait le pouvoir de la réflexion ,
» non que j'éprouvasse quelque chose de semblable à ce
» que j'avais senti à la vue de Lacédémone . Sparte et
» Athènes ont conservé , jusque dans leurs ruines . leurs
» différens caractères ; celles de la première sont tristes ,
» graves et solitaires ; celles de la seconde sont riantes ,
» légères , habitées . A l'aspect de la patrie de Lycurgue
>> toutes les pensées deviennent sérieuses , mâles et pro-
» fondes ; l'ame fortifiée semble s'élever et s'agrandir :
» devant la ville de Solon , on est comme enchanté par
» les prestiges du génie ; on a l'idée de la perfection de
» l'homine considéré comme un être intelligent et im-,
» mortel ; les hauts sentimens de la nature humaine pre-
> naient à Athènes quelque chose d'élégant qu'ils n'avaient
» point à Sparte . L'amour de la liberté et de la patrie
» n'était point pour les Athéniens un instinct aveugle ,
>>mais un sentiment éclairé , fondé sur le goût du beau
» dans tous les genres , que le ciel leur avait si libéra-
» lement départi ; enfin , en passant des ruines de Lacé-
» démone aux ruines d'Athènes , je sentis que j'aurais
» voulu mourir avec Léonidas , et vivre avec Périclès. »
Mais cette patrie de Léonidas , ainsi que celle de Périclès
, gémit sous le même joug , et voici un des nombreux
tableaux de cette affreuse servitude que nous
présente M. de Châteaubriand ( 2) . « Le Péloponèse est
» désert.... Les Albanais ont massacré une partie de la
» population ; on ne voit que des villages détruits par
» le fer et par le feu…... De criantes avanies , des outrages
» de toutes les espèces achèvent de détruire de toutes.
⚫ parts l'agriculture et la vie ; chasser un paysan grec
» de sa cabane , s'emparer de sa femme , le tuer sous le
>> plus léger prétexte , est un jeu pour le plus petit aga du
▸ moindre village . Parvenu au dernier degré du malheur ,
>>le Moraïte s'arrache de son pays , et va chercher on
» Asie un sort moins rigoureux : vain espoir ! Il ne peut
(1) Tome I , page 169.
(2) Tome I , pag, 262.
62 MERCURE DE FRANCE ,
» fuir sa destinée ; il retrouve des cadis et des pachas
>> jusque dans les sables du Jourdain et dans les déserts
» de Palmyre ! L'Attique , avec un peu moins de misère ,
» n'offre pas moins de servitude . Athènes est sous la
>> protection immédiate du chef des eunuques noirs dans
» le sérail . Un disdar ou commandant représente le
» monstre , protecteur auprès du peuple de Solon . Ce
» disdar habite la citadelle remplie des chefs-d'oeuvre de
» Phidias et d'Ictinus sans demander quel peuple a
» laissé ces débris , sans daigner sortir de la masure qu'il
» s'est bâtie , sous les ruines des monumens de Périclès ;
» quelquefois seulement le tyran automate se traîne à la
» porte de sa tanière ; assis , les jambes croisées sur un
» sale tapis , tandis que la fumée de sa pipe monte à
>> travers les colonnes du temple de Minerve , il promène
» stupidement ses regards sur les rives de Salamine et
» sur la mer d'Epidaure . »
Ailleurs , les souvenirs brillans du passé , le spectacle
douloureux du présent , inspirent à M. de Châteaubriand
un touchant retour sur sa patrie (3) . « J'arrêtais souvent
» mon cheval au milieu des pins , des lauriers et des
» myrtes pour regarder en arrière . Je contemplais tris-
>>> tement les deux mers , sur-tout celle qui s'étendait au
>> couchant , et qui semblait me tenter par les souvenirs
» de la France . Cette mer était si tranquille ! le chemin
» était si court ! dans quelques jours j'aurais pu revoir
>> mes amis ! Je ramenais mes regards sur le Péloponèse ,
» sur Corinthe , sur l'Isthme , sur l'endroit où se célé-
>> braient les jeux : quel désert ! quel silence ! infortuné
>> pays ! ' malheureux Grecs ! La France perdra - t-elle ainsi
» sa gloire ? Sera-t-elle ainsi dévastée , foulée aux pieds
» dans la suite des siècles ? Cette image de mon pays , qui
» vient tout-à-coup se mêler aux tableaux que j'avais
» sous les yeux , m'attendrit : je ne pensais plus qu'avec
» peine à l'espace qu'il me fallait encore parcourir avant
» de revoir mes pénates ! J'étais comme l'Ami de la Fable
>> alarmé d'un songe , et je serais volontiers retourné
vers ma patrie , pour lui dire :
Vous m'êtes , en dormant , un peu triste apparu ;
( 3) Tome I , pag. 146 .
AVRIL 1811 . 63

J'ai craint qu'il ne fût vrai ; je suis vite accouru ,
Ce maudit songe en est la cause .
Voilà des sentimens pleins de naturel , des réflexions
touchantes , une heureuse citation ; veut-on des tableaux
de la nature physique , des descriptions vivos , animées ,
pittoresques (4) ? « Il faut maintenant se figurer cet espace
>> tantôt nu et couvert d'une bruyère jaune , tantôt coupé
» par des bouquets d'oliviers , par des carrés d'orge , par
» des sillons de vigne ; il faut se représenter des futs de
» colonnes , et des bouts de ruines anciennes et mo-
» dernes sortant du milieu de ces cultures .... Il faut ré-
» pandre dans les campagnes des Albanaises qui tirent
» de l'eau ou lavent à des puits les robes des Turcs....
» Il faut supposer toutes ces montagnes dont les noms
>> sont si beaux , toutes ces ruines si célèbres , toutes ces
>> îles , toutes ces mers non moins fameuses , éclairées
» d'une lumière éclatante . J'ai vu du haut de l'Acropolis
» le soleil se lever entre les deux cimes du mont Hymette ;
» les corneilles qui nichent autour de la citadelle , mais
» qui ne franchissent jamais son sommet , planaient au-
» dessous de nous ; leurs ailes noires et lustrées étaient
>> glacées de rose par les premiers reflets du jour ; des
>> colonnes de fumée bleue et légère montaient dans
» l'ombre , le long des flancs de l'Hymette , et annon-
» çaient les parcs ou les chalets des abeilles ; Athènes
» Acropolis et les débris du Parthenon se coloraient des
» plus belles teintes de la fleur du pêcher ; les sculptures
» de Phidias , frappées horizontalement d'un rayon d'or,
» s'animaient et semblaient se mouvoir sur le marbre par
» la mobilité des ombres du relief ; au loin la mer et le
» Pirée étaient tout blancs de lumière , et la citadelle de
>> Corinthe , renvoyant l'éclat du jour nouveau , brillait
» sur l'horizon du couchant comme un rocher de pour-
» pre et de feu . »>
J'ai peine à sortir de ce premier volume si plein , si
nourri , si intéressant . Je quitte à regret cette Grèce tant
célébrée et si souvent décrite , et qui après cette foule
de voyageurs et d'historiens est encore présentée à nos
(4) Tome I , pag . 205 .
64 MERCURE DE FRANCE ,
regards avec un nouvel intérêt par un talent si remarquable.
Je suis fâché sur-tout de ne pouvoir pas faire
connaître au lecteur ces réflexions politiques sur les
causes de la décadence des Grecs qui terminent le premier
volume , et le tableau de cette contrée fameuse .
Rien n'est plus intéressant , rien n'est plus fertile en
útiles leçons que ces morceaux d'histoire philosophique ,
lorsqu'ils sont le fruit des méditations d'un Bossuet ,
d'un Montesquieu , ou d'un génie heureux qui n'est
point indigne d'être le disciple de ces grands maîtres ,
et de marcher sur leurs traces . Mais ces réflexions occupent
trop d'espace pour pouvoir être citées , et il faut
d'ailleurs faire voir que M. de Châteaubriand n'est pas
moins bien inspiré par les autres contrées qu'il parcourt ,
et qu'il ne peint pas moins bien , par exemple , les Arabes
du désert que les Grecs anciens ou modernes ; avant de
rencontrer ces peuplades errantes et nomades , il passe
à Smyrne , dont il donne cette légère esquisse . « Je
>>> trouvai chez eux ( chez les habitans de Smyrne ) , des
» femmes élégantes qui semblaient avoir reçu le matin
» leurs modes de chez Leroy . Placé entre les ruines
» d'Athènes et les débris de Jérusalem , cet autre Paris
» où j'étais arrivé sur un bateau grec , et d'où j'allais
>> sortir avec une caravane turque , coupait d'une ma-
>> nière piquante les scènes de mon voyage : c'était une
» espèce d'Oasis civilisé , une Palmyre au milieu des
» déserts et de la barbarie . J'avoue néanmoins que na-
» turellement un peu sauvage , ce n'était pas la société
» que j'étais venu chercher en Orient ; il me tardait de
» voir des chameaux , et d'entendre le cri du cornac . »>
Il a bientôt ce plaisir , bientôt il est transporté au milieu
des sauvages arabes qu'il compare avec les sauvages
de l'Amérique , par ce brillant parallèle (4) : « Ce qui
>> distingue sur-tout les Arabes des peuples du Nouveau-
>> Monde , c'est qu'à travers la rudesse des premiers ont
» sent pourtant quelque chose de délicat dans leurs
» moeurs on sent qu'ils sont nés dans cet orient d'où
>> sont sortis tous les arts , toutes les sciences , toutes
(4) Tome II , page 205 .
AVRIL 1811. 65
SEINE
» les religions . Caché aux extrémités de l'occident , dans.
» un canton détourné de l'univers , le
Canadien.habite
» des vallées ombragées par des forêts éternelles ,
>> arrosées par des fleuves immenses ; l'Arabe , pour ainsi
» dire , jeté sur le grand chemin du monde ,
» l'Afrique et l'Asie , erre dans les brillantes régions de
» l'Aurore , sur un sol sans arbres et sans eaux. Il faut
» parmi les tribus des descendans d'Ismaël , des maîtres ,
» des serviteurs , des animaux domestiques , une liberté
>> soumise à des lois ; chez les hordes américaines
» l'homme est encore tout seul avec sa fère et cruelle
» indépendance ; au lieu de la couverture de laine , il a
» la peau d'ours ; au lieu de la lance , la flèche ; au lieu
» du poignard , la massue ; il ne connaît point et il
» dédaignerait la datte , la pastèque , le lait du chameau ;
>> il veut à ses festins de la chair et du sang .... Il n'a
» point dompté le cheval pour poursuivre la gazelle , il
>> prend lui-même l'orignal à la course . Il ne tient point
» par son origine à de grandes nations civilisées ; on ne
» rencontre point les noms de ses ancêtres dans les fastes
» des Empires ; les contemporains de ses aïeux sont de
» vieux chènes encore debout ; monumens de la nature
» et non de l'histoire , les tombeaux le ses pères s'élèvent
» inconnus dans des forêts ignorées . En un mot , tout
>> annonce chez l'Américain le sauvage qui n'est point
>> encore parvenu à l'état de civilisation ; tout indique
>> chez l'Arabe l'homme civilisé retombé dans l'état sau-
>> vage . »
Le cheval de l'Arabe n'est pas moins heureusement
peint que l'Arabe lui-même. M. de Châteaubriand le
représente durement traité par son maître malgré le prix
qu'il y attache et l'espèce de passion qu'il a pour lui ;
exposé à l'ardeur du soleil , attaché en terre à des piquets
par les quatre pieds , de manière à le rendre immobile :
ce dur traitement ne lui fait rien perdre de sa vigueur et
de son courage. « J'ai souvent admiré , dit M. de Châ-
>> teaubriand , un cheval arabe ainsi enchaîné dans le
» sable brûlant , les crins descendans épars , la tête
» baissée entre les jambes pour trouver un peu d'ombre ,
» et laissant tomber de son oeil sauvage un regard oblique
DE
5.
LA
Ε
66
MERCURE
DE FRANCE ,
>> sur son maître. Avez - vous dégagé ses pieds des >> entraves ? vous êtes - vous élancé sur son dos ? il >> écume , il frémit , il dévore la terre ; la trompette >> sonne : il dit allons (5), et vous reconnaîtrez le cheval
>> de Job . >> Je ne suis point encore parvenu avec l'illustre voya- geur au terme de ses courses , au principal but de son voyage , à la cité sainte , texte fécond de tableaux d'un
autre genre ,
de réflexions touchantes et religieuses
qu'inspirent naturellement les lieux sacrés , de sentimens chevaleresques que rappellent les exploits des croisés . Je ne puis rien dire des souvenirs que font naître et la vue de Carthage et le tombeau de Saint-Louis . L'espace me manque aussi pour faire quelques critiques ; et d'abord j'aurais remarqué que ce morceau même d'histoire , à Toccasion de Carthage , est ici déplacé , quoique d'ail- leurs très-bien fait , parce que ce n'est point dans Plti- néraire de Paris à Jérusalem qu'on va chercher et qu'on
C'est s'attend à trouver guerres puniques .
P'histoire des
peut-être un heureux défaut ; mais c'est undéfaut de
composition. Parmi ces sentimens si nobles , si élevés , si généreux , si touchans , si éloquemment exprimés , j'en aurais peut-être rencontré qui m'auraient paru peu naturels ou peu naturellement amenés : je les aurais trouvés un peu prodigués . Sans doute ces mouvemens d'une ame sensible et noble , ces idées d'avenir , de vanité de l'homme , d'inconstance et de vicissitudes
de choses humaines , de tristesse , de mélancolie , tou- chent et émeuvent le lecteur , et sont , en général , par- faitement exprimés par l'auteur ; le tour de son esprit et la conscience de son talent l'y ramènent naturellement , et peut-être en abuse-t-il un peu. J'aurais pu disputer
sur quelques tours moins réguliers , quelques expres- sions un peu hasardées ; et après avoir épuisé ces criti- ques minutieuses , je dirais presque ces chicanes , j'aurais
encore , avec plaisir , reporté l'attention du lecteur sur tant de pages éloquentes , de détails simples et aimables ,
(5) Fervons etfremens sorbet terram ; ubi audierit buccinam , divit
vah !
AVRIL 1811 .
67
de tableaux pleins de chaleur et de vie , qui donnent à
cet ouvrage un intérêt soutenu , et lui obtiendront infailliblement
une célébrité égale à celle des autres productions
du même écrivain . F.
DES ERREURS ET DES PRÉJUGÉS RÉPANDUS DANS LA SOCIÉTÉ ;
par J. B. SALGUES. Avec cette épigraphe :
Nihil magis præstandum quam ne pecorum ritu
sequamur antecedentium gregem , pergentes
non quà eundum est , sed quà itur .
SENEC . de Vit . Beat. C. I.
Tome second.-A Paris , chez F. Buisson , libraire ,
rue Gilles- Coeur , nº 10 ; et chez Delaunay , libraire ,
Palais Royal , n° 243 .
0
IL n'y a pas encore un an que M. Salgues nous a
donné le premier volume de cet ouvrage. Son succès
nous paraît suffisamment constaté par la publication de
celui-ci. En effet , les journalistes et les lecteurs se sont
généralement accordés à reconnaître que l'auteur avait
combattu avec autant de force que d'adresse certaines
erreurs plus communes que l'on ne pense , certains préjugés
qui pour être devenus ridicules n'en conservent
pas moins en secret un pouvoir assez étendu . Les anecdotes
singulières et peu connues dont il a semé ce premier
volume amusèrent les lecteurs frivoles ; une érudition
sobrement et judicieusement dispensée lui concilia
les suffrages des gens instruits ; son esprit plut à tout
le monde , et si l'on eut à lui reprocher d'outrer quelquefois
l'ironie , de pousser trop loin la plaisanterie , et
de n'être pas toujours soigneux de ménager la délicatesse
des femmes à qui son livre pouvait tomber entre
les mains , ces défauts purent être excusés par le genre
même de l'ouvrage où l'on ne pouvait guères relever des
erreurs ridicules sur un ton sérieux , ni passer sous
silence certains préjugés dont la discussion amenait
nécessairement certains détails difficiles à exprimer avec
une délicatesse parfaite. Tout bien examiné , les jugęs
E2
68 MERCURE DE FRANCE ,
impartiaux durent prononcer que l'auteur avait rempli ,
autant que son sujet le permettait , le sage précepte
d'Horace : Utile dulci.
M. Salgues s'y est-il aussi heureusement conformé
dans son second volume ? A-t- il su y mêler avec autant
d'adresse l'amusement à l'instruction ? Voilà les questions
que nos lecteurs sont en droit de nous faire , et
auxquelles nous nous félicitons de pouvoir répondre
affirmativement . Ce second volume ne doit pas avoir
moins de succès que le premier , car l'auteur y a suivi
la même méthode . Lorsqu'il veut attaquer une erreur ,
un préjugé qui jouit encore de quelque influence , il
commence par le présenter dans toute sa force , appuyé
de toutes les autorités , étayé de tous les faits qui peuvent
contribuer à l'établir ; puis il attaque ouvertement avec
les armes de la raison , il sape avec celles de la plaisanterie
l'édifice imposant qu'il vient d'élever, et il le
détruit sans retour, puisqu'il a renversé à la fois tous ses
moyens de défense.
Et que l'on ne croie pas que dans ce combat M. Salgues
ait fait le Don Quichotte , qu'il ait attaqué des
géans et des monstres qui n'avaient d'existence que dans
son imagination. Quoique nous vivions dans un siècle
qui se vante de ses lumières , dans une société qui passe
pour exempte d'erreurs et de préjugés , M. Salgues en
a encore trouvé de très -réels à combattre et à détruire .
Peut- être n'est-ce que le peuple qui conserve encore
quelque confiance dans les Bohémiens , qui se flatte de
trouver dans les lignes de sa main le secret de sa destinée
; peut- être n'est-ce qu'au village que l'on a encore
quelque foi dans la science des curés et quelque frayeur
du grimoire ; mais si l'on ne cherche plus l'avenir par
le secours de l'astrologie et de la chiromancie , on veut
le lire dans les cartes , et M. Salgues en administre une
bonne preuve dans la fortune de Mlle Lenormant. On ne
croit plus à Mathieu Lansberg ni à l'Almanach de Milan ;
mais que de gens consultent encore Nostradamus ! quel
bruit n'a pas fait le liber mirabilis faussement attribué à
Saint-Césaire ! Le chapitre où M. Salgues fait connaître
cette prétendue prophétie , en raconte l'histoire et en
AVRIL 1817. 69
explique le succès , n'est pas le moins curieux de son
ouvrage .
En médecine , des erreurs scientifiques ont succédé
aux erreurs superstitieuses . On ne cherche plus à guérir
les maladies par la vertu de quelques mots , par le
moyen des amulettes ; mais le jugement des Académies
n'a pas fait abandonner à tout le monde les mystiques
baquets de Mesmer. Plus d'une femme flétrit encore
son teint , détruit sa santé par l'usage pernicieux des
cosmétiques. Plus d'un vieillard qui ne croit pas à la
fontaine de Jouvence , n'a pas renoncé à trouver dans
la nature des moyens de recouvrer sa première vigueur.
Bien des gens , enfin , étudient encore sérieusement la
science physionomique et se préviennent pour ou contre
les individus avec qui ils ont à vivre , selon que leur
physionomie est heureuse ou malheureuse d'après les
règles de Lavater . Il s'en faut de beaucoup que même
de nos jours ces erreurs soient sans conséquence . Qui
sait combien de haines se seraient éteintes ou ne seraient
pas nées sans les préjugés physionomiques ? Combien
d'hommes auraient prolongé la durée de leur vie , et de
femmes celle de leur beauté , sans les aphrodisiaques ,
les cosmétiques , les baquets magnétiques ? Combien de
gens doués d'un bon coeur, mais affligés d'un esprit un
peu faible , se seraient égargné des inquiétudes , des
angoisses , et même une mort prématurée , s'ils n'avaient
pas eu la folie de consulter des devins et des devineresses
, et de se frapper de leurs prédictions ? M. Salgues
en dissipant leurs illusions a donc fait une oeuvre méritoire
.
Au reste , comme notre but n'est ni d'exagérer le
mérite de notre auteur , ni d'enfler la liste des erreurs
et des préjugés dont peuvent encore être infectés quelques-
uns de nos compatriotes , nous avouerons de
bonne foi que tous ceux que M. Salgues a attaqués dans
ce second volume n'étaient pas également importans à
déraciner . Les connaissances en histoire naturelle sont
aujourd'hui trop répandues pour qu'il reste parmi nous
beaucoup de gens qui croient à la vue perçante du lynx
et à la cécité de la taupe , au chant du cygne ou des
MERCURE DE FRANCE ,
sirènes , et aux merveilles du Caméléon ; nous pensons
même qu'à l'exception , peut- être , de M. Malte-Brun ,
qui a rapporté le fait dans ses Annales des Voyages,
personne en France ne voudrait admettre qu'un brochet
peut vivre 267 ans et plus . On croft moins encore aux
satyres , aux faunes et aux fées , à la sainte larme de
Vendôme et aux trois soleils du dimanche de la Trinité .
Mais nous ne saurions en vouloir à M. Salgues de s'être
occupé , dans son ouvrage , de toutes ces vieilles erreurs .
Si les chapitres où il les rapporte sont les moins utiles
ils ne sont pas les moins amusans , et peut-être même
serait-il injuste de leur refuser toute utilité , puisqu'ils
tiennent à l'histoire de l'esprit humain dont les aberrations
même sont instructives .
,
Quoi qu'il en soit , nous avons encore à parler de
divers chapitres de M. Salgues qui semblent rentrer
moins naturellement dans son plan, et qui cependant, aux
yeux des lecteurs éclairés , seront la partie la plus précieuse
de son ouvrage. Ce sont moins des erreurs et des
préjugés qu'il y combat que des questions qu'il y traite.
Tel est leproblême historique de la disgrâce de Bélisaire ,
que l'on croit généralement avoir été privé de la vue par
ordre de l'empereur Justinien. Les lecteurs y verront ,
avec plaisir , cette fable solidement réfutée . Telle est ,
mais en sens contraire , l'histoire du miroir ardent d'Archimède
, qui fut long-tems traitée de chimère par les
savans , mais dont la possibilité a été prouvée de nos
jours par la science plus avancée. Nous rangerons encore
dans cette classe tous ces phénomènes d'incombustibilité
dont tant de charlatans tiraient un parti si lucratif ,
tandis que la plupart des hommes éclairés refusaient d'y
croire , et qui enfin répétés et dévoilés par M. Sementini
, physicien de Naples , sont rentrés dans la classe
des expériences chimiques qui n'ont rien que de vrai et
naturel.
D'autres questions , quoique discutées avec beaucoup
de sagacité par notre auteur , n'ont pu être aussi complétement
résolues . Il expose fort bien , par exemple ,
comment la rosée monte de la ferre au lieu de tomber
du ciel ; mais il n'a pu trouver dans les expériences dés
AVRIL 1811 . I 7ז
1
physiciens assez de données pour en expliquer tous les
phénomènes. Il rend un compte très-satisfaisant de tout
ce qu'on a su jusqu'à ce jour sur les pluies de pierre ; il
propose les différentes hypothèses par lesquelles les
savans ont cherché à expliquer un phénomène qu'on
avait si long-tems nié , etil convient , avec raison , que
dans l'état actuel de nos connaissances on n'est pas encore
assez avancé pour prendre un parti . Il traite aussi
sagement la question des étoiles filantes , qu'un de nos
savans les plus distingués a tenté récemment de résoudre
parune hypothèse trop peu vraisemblable ; et l'on peut
dire , en général , que dans la discussion des phénomènes
d'histoire naturelle ou de physique , M. Salgues a
fait tout ce qu'on avait droit d'attendre de lui , et que
ses doutes ne seront pas moins instructifs que les décisionsqu'ilaadoptées.
۱-
Il est cependant un fait sur lequel nous croyons qu'il
a pris parti d'une manière trop légère . La plupart des
voyageurs qui ont parcouru les contrées désertes qu'habitent
les bêtes féroces , s'accordent à dire qu'on peut
se préserver , pendant la nuit , de leurs attaques en s'entourant
d'une enceinte de feux. M. Salgues le nie ; il
prétend que ces voyageurs n'ont voulu que s'amuser à
nos dépens ; il aime mieux en croire Tavernier , qui
raconte que des soldats usèrent vainement de cette précaution
en Afrique , et qu'elle n'empêcha pas un lion de
se jeter sur l'un d'eux pendant qu'ils étaient endormis .
Nous ne discuterons pas le fait en lui-même , car nous
n'avons pas l'ouvrage original sous la main , et d'après
la manière dont M. Salgues le raconte il ne prouverait
rien en safaveur : mais M. Salgues aurait dû se rappeler
que de tous les voyageurs , Tavernier est peut-être celui
dont l'autorité est la plus suspecte , et qu'ainsi elle est
loin de pouvoir contrebalancer le témoignage de tant
d'autres , qui tous affirment le fait contesté. Il est vrai
que quelques -uns d'entr'eux ont aussi avancé qu'on se
garantissait des tigres et des lions en mettant seulement
sa pantoufle à quelque distance du lieu où l'on est couché
; mais une chose absurde ne détruit pas celle qui est
vraisemblable , par la raison que toutes deux sont affir
72 -
MERCURE DE FRANCE ,
mées par les mêmes témoins . M. Salgues s'en apercevra
comme nous s'il veut relire la phrase par laquelle il
termine cet article. « La faim , dit- il , ne connaît point
de dangers , elle brave toutes les pantouffles et tous les
élémens .>> S'il y a quelque chose de frappant dans l'association
de ces deux mots , ce n'est sûrement que sa
bizarrerie .
Cette légéreté de notre auteur nous a d'autant plus
étonnés qu'elle est opposée à l'esprit dans lequel il nous
avait accoutumés à le voir discuter toutes les questions
de ce genre . Il en est une sur-tout qu'il a traitée avec
une méthode , une impartialité , un esprit de justice que
nous ne saurions trop louer. Les nègres sont-ils inférieurs
aux blancs ? c'est ainsi qu'elle est énoncée . M. Salgues
n'a rien omis de tous les argumens , de tous les faits mis
en avant par leurs défenseurs , et nommément par M. le
sénateur Grégoire ; et quoi qu'il ne connût pas la véritable
valeur de plusieurs de ces faits , quoi qu'il n'en ait
pas recueilli d'autres qui les contredisent , il est arrivé
d'une manière victorieuse, en employant leraisonnement
et les observations physiologiques , à l'opinion que partagent
tous les hommes instruits qui ont vécu avec les
noirs et qui regardent cette race d'hommes comme inférieure
à la race blanche . <<Mais (se demande alors
M. Salgues ) s'ensuit-il que les Européens doivent regarder
les Africains comme une race flétrie et née pour l'esclavage
? S'ensuit-il qu'il faille les accabler de mépris et
de mauvais traitemens ? Non , sans doute ; la religion ,
Thumanité et la philosophie ont toujours réclamé en
faveur des nègres . Leur intelligence est moindre que la
vôtre ! Plaignez-les et essayez de l'accroître . Des barbares
les ont vendus comme esclaves ! Respectez leur
malheur , adoucissez leurs maux , soyez pour eux un
maître généreux et compâtissant. L'expérience prouve
que le nègre est sensible et reconnaissant ; il est satisfait ,
heureux , fidèle , quand on le nourrit bien et qu'on ne
le maltraite pas. Combien d'exemples de dévouement
héroïque ne pourrait-on pas citer en sa faveur ! Mais cet
amour des noirs a besoin d'être contenu dans de justes
bornes, et ne doitpas dégénérer en haine pour les blancs.n
AVRIL 1811 . 73
Il est impossible de mieux raisonner et de mieux conclure
, et nous terminerions notre article par cette citation
, si nous ne jugions nécessaire de répondre nousmêmes
à une questionque nos lecteurs ont sans doute
encore à nous faire. Vous nous avez prouvé , diront-ils ,
que ce volume n'est point inférieur en mérite à celui qui
l'a précédé ; s'il était exempt des défauts que l'on a
reprochés à celui-là , son prix augmenterait encore ?
Nous répondrons avec franchise que ces défauts , sans
avoir entiérement disparu , sont extrêmement adoucis ;
et qu'à notre avis ce second volume doit être reçu avec
une faveur encoreplus marquée par ceux qui ont accueilli
lepremier.
VARIÉTÉS .
CHRONIQUE DE PARIS.
Μ. Β.
Lettre à MM. les Rédacteurs de la Chronique .
Paris , le 9 avril 1811 .
MEURS ET USAGES .- Messieurs , l'espèce de délit dont
je viens d'être victime ne peut être atteint par les lois , et
l'opinion publique peut seule en faire justice ; ainsi je
m'adresse à vous pour traduire à son tribunal ( du moins
eneffigie ) ces messagers de ténèbres , ces auteurs et facteurs
d'écrits anonymes , fléau le plus odieux dont la
société puisse être infectée , puisqu'il n'est aucun moyen
de s'en garantir . Il n'y a pas encore huit jours que j'étais
un des hommes les plus heureux de Paris , entouré d'aimables
enfans que j'idolâtre , plein de confiance dans leur
mère qui a fait pendant quinze ans le bonheur de ma vie ,
au sein d'une société brillante dans laquelle je comptais
beaucoup d'amis : eh bien ! Messieurs , une lettre anonyme
a troublé , peut-être même a détruit pour jamais
mon repos. Vous me répéterez , sans doute , ce que j'ai
cent fois entendu dire , ce que j'ai souvent dit aux autres ;
qu'il faut mépriser ces écrits clandestins dictés par l'envie
ou la haine , et qui ne prouvent bien évidemment que la
lâcheté de celui qui emploie de pareilles armes ; mais ce
conseil si facile à donner l'est beaucoup moins à suivre .
74
1
MERCURE DE FRANCE ,
C'est en vain que l'on se croit prémuni contre le soupçon
par une longue habitude de confiance , il se fait jour , et
une fois tombé dans le coeur il y germe , se développe et
finit par empoisonner tous les autres sentimens. C'est du
moins ce qui m'est arrivé. Je n'entrerai point avec vous ,
Messieurs , dans le détail de mes chagrius domestiques ,
il me suffit de vous en avoir indiqué la cause ; c'est à vous
de combattre le mal en signalant ses odieux propagateurs .
P. S.
que
Notre correspondant ne nous propose pas une tâche nouvelle.
Que pourrions nous dire sur un pareil sujet qui n'ait
été dit mille fois ? à qui s'agit-il d'inspirer de l'aversion et
du mépris pour les lâches auteurs de ces délations anonymes
contre lesquelles la puissance elle-même n'a point
d'abri ? Ce crime , qui ne diffère de l'empoisonnement
par l'impunité légale dont il jouit, annonce , en se multipliant
, le dernier degré de la corruption des moeurs , et
ce n'est pas sans inquiétude que nous observons qu'il
devient ici , de jour en jour , plus commun. Les avis , les
lettres , les libelles anonymes , de tout tems ont fait partie
de la correspondance des hommes en place et des hommes
de lettres ; aujourd'hui le poison circule dans toutes les
classes , et peut- être n'est-il qu'un seul moyen d'en arrêter
les progrès . Que les chefs de famille , que les maîtresses
maison sur-tout , apportent plus de soin dans le choix
maison,
leurs liaisons : que l'on prenne le parti de bannir de la
société ces gens que l'on reçoit par-tout et que l'on n'estime
nulle part; ces hommes qui cachent sous un vernis
de talens et de politesse la bassesse de leur caractère , le
danger de leur commerce , et la honte de leurs succès .
de
de
-
ou
Nous avons eu plus d'une fois l'occasion de faire
remarquer l'asservissement des Parisiens au joug de la
routine , leur dédain pour toute espèce d'innovation quelque
soient les résultats avantageux qu'on leur promette ,
même qu'on leur assure ; mais entre tous les exemples
qu'on pourrait citer de cette badauderie routinière , il en
est un qu'on a besoin d'avoir chaque jour sous les yeux
poury ajouter foi.
La classe du peuple de Paris la plus nombreuse , celle
qui n'a pas le moyen de se procurer des fontaines épuratoires
, était condamnée , pendant neuf mois de l'année
environ , à boire une eau sale et bourbeuse : une compaguie
se présente , et doit se croire bien assurée du succès
AVRIL 1811 .
75
de son entreprise ; elle offre , au même prix , une cau
limpide , clarifiée par le procédé le plus salubre , transportée
chez le consommateur dans des vases d'une extrême
propreté, dont la capacité n'est pas moindre que celle du
seau ordinaire , et , ce qu'on aura peine à croire , au bout
de deux ans d'expérience les deux tiers de la population
de Paris s'obstinent à employer les anciens porteurs d'eau ,
qui dédaignant l'usage qui les mettait jadis en vogue ,
d'aller puiser l'eau à la pointe Saint-Louis , vont aujourd'hui
remplir leur tonneau à l'arche Marion , tout juste à
Pendroit où la Seine reçoit les immondices de tous les
égoûts de Paris .
-Les abus de plusieurs siècles peuvent être abolis dans
unjour, mais pendant long-tems encore on en découvre
les traces. Un des plus grands bienfaits du gouvernement
est sans doute l'abolition de la hiendicité , cette plaie honteuse
des Etats européens. Paris est délivré de cette foule
demendians dont les promenades et les rues mêmes étaient
couvertes , mais à leur place se montre depuis quelque
tems une foule de petits vagabonds , qui sous le nom et
Thabit
De ceshonnêtes enfans
Qui de Savoie arrivent tous les ans ,
Etdont la main légèrement essuie
Ces longs canaux engorgés par la suie ,
i
passent la journée sur les boulevards et harcèlent les passans
avec une obstination que rien ne rébute . Les uns
cherchent à surprendre votre attention au moyen de certains
tours de souplesse; d'autres balaient en courant devant
vous des bouts de passage de huit ou dix pas ( ce qui
ne laisse pas d'être fort utile à des gens qui courent à pied
tout le long du jour ): mais la plupart , sans avoir recours
àcette apparence d'industrie , se bornent à demander l'aumône,
et répondraient volontiers à ceux qui seraient tentés
de leur reprocher cette manière de vivre , ce qu'un pauvre
répondit à Diderot qui l'engageait à travailler : Hélas
Monsieur , je suis si paresseux !
-Du pain et des spectacles ! C'était le cri des Romains ;
c'est celui des Français ; et nous avons vu dans la révolation
, qu'il y avait moins d'inconvénient à fermer les
boutiques de boulanger que les théâtres . Il faut aujourd'hui
des spectacles de tous les gepres et pour toutes les
classes.Le besoin desreprésentations dramatiques, qui n'est
76 MERCURE DE FRANCE ,
pas moins vif chez le peuple que dans les classes plus
élevées , a donné l'idée de ces cafés -théâtres du boulevard du
Temple , où cinq à six mille spectateurs achètent tous les
soirs , au prix d'une bouteille de bière ou d'un bol de
punch qu'ils boivent en famille , le plaisir d'assister à deux
ou trois mauvaises farces décorées du nom de comédies .
Déjà les directeurs des petits théâtres alarmés , avec raison ,
du succès des cafés dramatiques , ont provoqué des mesures
qui ôtent à ces derniers la faculté d'avoir une toile
d'avant-scène , de jouer des pièces entières , de faire paraître
plus de deux acteurs à la fois , et d'avoir plus de quatre
musiciens à l'orchestre . Ces défenses n'ont pas empêché
un nouvel entrepreneur , de verser cinquante mille écus
dans l'entreprise du fameux café d'Apollon , où l'or , les
glaces , les cristaux , les granits , et les bois les plus précieux
sont prodigués jusque dans la construction des meubles
les plus communs . Le pourtour de la salle est orné de
deux rangs de loges , dont l'élégance et la commodité font
autantdejolis boudoirs . Le parterre est distribué de manière
à ce que le service du café puisse s'y faire commodément ,
et le théâtre à machine permettra d'y représenter depuis
le plus simple proverbe , jusqu'au plus sublime mélodrame .
Tout est prêt , les mémoires mêmes des ouvriers sont acquittés
, on n'attend plus que la permission d'ouvrir la
salle ; formalité qu'il eût peut-être été prudent de remplir
avant de débourser les cinquante mille écus .
EVÉNEMENS , ANECDOTES. Le nombre des délits que la
loi punit de la peine capitale , est peut-être moins considérable
à Paris , depuis quelques années , qu'il ne le fut à
toute autre époque; mais l'audace des coupables et la nature
des crimes ont quelque chose de plus effrayant . C'est
en pleinjour, dans les quartiers les plus populeux , et ,
pour ainsi dire , en public , qu'ont été commis les assassinats
du sieur Cotentin , de la demoiselle Jolimay , etc .;
les mêmes circonstances ont accompagné le meurtre de
Mme P.... , assassinée dans son logis , à onze heures du
matin , dans une maison habitée par plusieurs locataires ,
et située dans une des rues les plus fréquentées de Paris .
Le coupable , sur les traces duquel on est en ce moment ,
et qui avait été signalé comme déserteur à la police , est
une nouvelle preuve que la lâcheté est le premier pas vers
le crime.
-C'est une singulière destinée que celle des grands
AVRIL 1811 .
77
hommes; tourmentés par l'envie et la haine pendant qu'ils
vivent, et par leur propre gloire quand ils sont morts ;
sous prétexte d'honorer leur mémoire , on se partage leurs
dépouilles mortelles , dont on déshérite leur monument.
Lejournal de Paris rapportait , ily a quelques jours , que
le crâne de M. de Sévigné que l'on a fait venir de Provence
à Paris dans une boîte à perruque , a été soumis à
l'examen du docteur Gall qui , par parenthèse , n'y a trouvé
ni la bosse de l'esprit , ni celle de l'amour maternel .
Un manipulateur s'est avisé , il y a douze ou quinze ans ,
de soumettre à l'action chimique les restes du docteur
Arnauld; il les a réduits à deux livres et demie d'une liqueur
aromatique qu'il donne aujourd'hui comme un antidote
merveilleux , probablement contre .... le molinisme .
On peut ajouter à ces deux anecdotes assez curieuses ,
qu'une dent de Molière sert en ce moment de breloque à
la montre d'un académicien , et que le cerveau de Voltaire
inhumé dans un bocal , sert d'enseigne à un apothicaire .
ARTS ET MONUMENS . Le nouvel éclat que le décret de
S. M. l'Empereur vient de jeter sur le magnifique établissement
des Invalides , en réglant son administration avec
tant de munificence , nous a donné occasion de rechercher
quelques détails sur un des plus beaux monumens dont
s'honore la France . L'hôtel des Invalides fut commencé en
1671 , sur les dessins de Liberal Bruant , qui l'emporta sur
cinq ou six architectes , dont les plans furent mis au concours.
Bruantne dirigea les travaux que pendant l'espace
de sept ans , et Mansart fut chargé de la construction de la
nouvelle église , dont la coupole est enrichie de la magnifique
fresque de Lafosse. Mansart fit preuve de génie dans
lamanière dont il éclaira cette coupole , fort inférieure à
celles de Saint-Pierre et de Sainte-Sophie , sous le rapport
des dimensions , mais qui peut cependant leur être comparée
pour la pureté , l'élégance , et le fini de l'exécution.
-Depuis que le salon du Louvre est fermé , les amateurs
se portent en foule à la galerie de M. Lebrun , où cet
artiste vient d'exposer les tableaux qu'il a recueillis en
Flandre et en Hollande. On se rappelle la superbe collection
qu'il avait réunie dans le même local , il y a deux ans ,
au retour d'un voyage dans le midi de la France et en
Espagne. C'est le nord qu'a mis cette fois à contribution
cet estimable ami des arts , dont la nouvelle collection se
compose des morceaux les plus distingués des grands maî58
MERCURE DE FRANCE ,
,
tres de l'école flamande , sortis des cabinets célèbres de
MM. de Smeth d'Amsterdam , Clément de Jough de Rotterdam
, Robert de Bâle , etc. Le public jouira de cette
exposition pendant les quinze premiers jours de cemois.
-Une vente de tableaux qui ne sera pas aussi riche
mais dont nous croyons devoir faire mention , parce
qu'elle se rattache au souvenir d'un artiste estimable , est
celle de M. Lelu , peintre d'histoire , mort dans le cours
de l'année dernière . Son cabinet se compose de quelques
morceaux précieux au nombre desquels on cite un Saint-
Pierre du Corrège , quelques Etudes du Guide,le Jardin
des Olives de Lebrun , un tableau du Titien , une marine
de Vernet , quelques dessins de Rubens , du Carrache , de
Lebrun et de Bouchardon ; mais c'est principalement la
collectiond'estampes qui fixera l'attention des connaisseurs ;
elle est composée des chefs-d'oeuvre des trois écoles .
-On parle avec le plus grand éloge de la statue de
S. M. l'Impératrice , exécutée à Rome par Canova ; et l'on
assure que le ciseau de cet artiste célèbre n'a rien produit
de plus beau que ce dernier ouvrage .
NOUVELLES BIBLIOGRAPHIQUES. Le succès des Lettres de
Louise et de Valentine , dont on a rendu compte dans le
dernier numéro du Mercure , est une preuve que l'éruption
des romans anglais et tudesque dont nous sommes inondés
depuis vingt ans ,n'a pas entièrement corrompu le goût
des Français. On pouvait craindre qu'un ouvrage qui ne
se distingue que par l'élégance , la grâce et la pureté du
style , par des aperçus pleins de finesse , par une peinture
vraie de moeurs et de caractères dont il ne reste plus qu'un
très-petit nombre de modèles , on pouvait craindre , disonsnous
, qu'un pareil ouvrage ne parût un peu froid à des
lecteurs accoutumés au fracas des événemens , aux effets
phantasmagoriques , à toutes les prétentailles sentimentales
des romans d'outre-mer . Nous félicitons moins l'aimable
auteur des Lettres de Louise et de Valentine sur le succès
qu'elle a obtenu que sur celui qu'elle a mérité .
-Le roman d'Eugénie et Mathilde , par l'auteur d'Adèle
de Sénange , est conçu plus fortement que celui de Louise
et Valentine ; le premier est l'ouvrage d'une imagination
plus vive , le second d'un esprit plus fin. On lira l'un
avec plus d'avidité , et l'autre avec plus de réflexion .
On doit vendre incessamment , dans la salle de
M. Silvestre , une Bible latine , in-4° , imprimée à Paris
AVRIL 1811 .
79
en 1497. Cet exemplaire , très-curieux , a , dit- on , appartenu
à l'infortunée reine Marie Stuart , dont il porte le
nom sur le frontispice , avec ces deux vers :
Meieux ne peult advenir
Qu'àmon Dieu toujours me tenir.
Sur ce même frontispice , à la date de 1571 , se trouve
lasignature de ce Besme qui , l'année suivante , assassina
Pamiral Coligny. Il y a cinq lignes de sa main , par lesquelles
il demande à Dieu , au sujet de cette Bible , de lui
faire la grâce d'y recueillir profit. On sait de quelle manière
son voeu fut exaucé .
Parmi les ouvrages utiles qui ont paru dans cette dernière
quinzaine nous avons remarqué :
Une nouvelle édition des Voyages de Chardin , augmentée
d'une notice sur la Perse par le savant orientaliste
Langlès ;
Un premier volume d'un nouveau dictionnaire de Bibliographiefrançaise
, au moyen duquel le plus chétif marchand
de brochures du boulevard peut en savoir autant
que les Barbier et les Vanpraet .
Un Prospectus raisonné , ou Aperçu d'un nouveau
système des tems , par feu Gibert .
- Il est bon de savoir aussi que M. Dorat-Cubières-
Palmezeaux vient d'ajouter son théâtre à notre collection
dramatique . Nous sommes fachés seulement qu'il diffère
encore à mettre au jour son Corneille refait , dont il nẹ
nonsa , jusqu'ici , donné que des fragmens qui font attendre
le reste avec bien de l'impatience .
NOUVELLES DES THEATRES . La comédie française n'est
occupée que de ses pertes. La santé de Fleury fait craindre
qu'il ne reparaisse plus sur le théâtre. Caumont vient de
mourir , et Grandmesnil , qui s'est retiré , emporte avec lui
les bonnes traditions de Molière . Un seul acteur pourrait
nous consoler de cette double perte ; mais comme la
paresse chez lui , l'emporte encore sur le talent , il faut nous
décider à la supporter dans toute son étendue.
Avant le grand ouvrage de Daleyrac , Faydeau va jouer
une petite pièce en un acte , dont la musique prouvera
qu'un compositeur français peut être aussi bien inspiré
sur les bords de la Néva que sur ceux de la Seine. Il est
aussi question , à ce théâtre , d'un opéra comique intitulé :
Lully et Quinault. Les succès toujours croissans de M
1
80 MERCURE DE FRANCE ,
Boulanger ont soulevé contre cette jeune et charmante
actrice , cette foule de talens subalternes qui pullulent sur
le théâtre de l'Opéra-Comique , et qui ne négligeront aucun
moyen d'en écarter un sujet dont le voisinage leur est
si désavantageux.
Al'Odéon , les Dilletanti ( gens qui voyent tout en musique
comme Mallebranche voyait tout en Dieu ) ne sont
occupés , pour le moment , que de M. Tachinardi , dont
les succès comme primo tenore dans l'Opera seria , pourraient
fort bien nuire à ceux de M. Crivelli ; on commence
àles opposer l'un à l'autre , et cette comparaison ne paraît
pas devoir être à l'avantage du dernier. Il est vrai qu'on
n'a encore entendu M. Tachinardi que dans un concert ,
et que sur le théâtre il serait possible que sa taille nuisît
un peu à sa voix.
Clozeļ va bientôt reparaître sur ce théâtre , où Firmin ,
qui se dispose à débuter aux Français, sera remplacé par
le jeune Pelissier , dont les progrès deviennent chaque jour
plus sensibles .
Les administrateurs du Vaudeville , dont la salle doit
être démolie , par suite de la construction de la galerie
parallèle à la grande galerie du Louvre , hésitent encore sur
le parti qu'ils doivent prendre : feront-ils bâtir une salle
nouvelle? s'arrangeront-ils d'une salle toute bâtie ; Louvois
est trop triste , Favart est trop vaste , Montansier trop
petite , et la salle Olympique trop isolée. Rien n'est plus
difficile à concilier que les avantages nécessaires à ces sortes
d'établissemens . Le Vaudeville a mieux qu'un succès dans
le retour de Julien ; revenu de ses erreurs , l'enfant prodigue
est rentré sous le toit paternel , et le public a fêté sa
bien-venue.
Les Variétés vont faire succéder à la farce de Mahomet
Barbe-Bleue , un ouvrage d'un genre tout-à-fait différent ,
intitulé : Quinze ans d'absence .
1 MODES. Les administrateurs de Tivoli ont bien mal
choisi leur jour d'ouverture en le fixant à dimanche dernier.
La journée a été froide et pluvieuse , et la semaine
entière a été soumise à cette influence boréale ( pour parler
le langage de certaine gazette ).
On a pu craindre un moment que cette variation de la
température ne nuisît aux fêtes de Long-Champ pour lesquelles
on avait fait de grands préparatifs ; mais nous pouvons
affirmer que depuis vingt ans , elles n'avaient pas eu
TAVRIL 181, அ
autantd'éclat. Pressés par le tems et l'espace , nous sommes
obligés de remettre , au prochain numéro , à rendre compte
de nouveautés brillantes en parures et en équipages que
nousy avons remarquées ..
Les femmes ont repris , comme au mois de décembre ,
les par-dessus et des pélerines fourrées; les calèches ont
disparu , et nos élégantes se sont dans leur berline. Lesplumes placdéees nàoluaveCoarutèesnfoenrtméfeaist DE LA
SEINE
place aux branches de fleurs disposées de la même ma
nière. Ces fleurs sont le lilas , l'aubepine et l'hortensi
Les rubans paille à liserés verts , sont bons à tout , et s'emploient
de toutes manières . Les lingères ont ajusté pour
premiers jours de beau tems des canezous de tulle, et o
petites robes à guimpe , boutonnant sur le dos .
: Sans nous adresser à personne en particulier , nous
dirons àtout le monde, que Mlle Martin , si célèbre par son
rouge, est parvenue à manipuler ce végétal de manière à
ne porter aucun préjudice à la peau la plus délicate , à se
nuancer, dans toutes les proportions , et à se prêter à l'embellissement
des figures de tous les âges , de tous les caractères
et de toutes les couleurs. Avec tant d'avantages ,
comment se figurer que Mlle Martin puisse donner ce précieux
comestique pour 96 francs le pot? Aussi ne peut-elle
suffire aux demandes qu'on lui fait .
INSTITUT DE FRANCE. - Séance publique de la Classe de
la langue etde la littératurefrançaise , du 10 avril 1811 .
Réception de M. Parseval Grandmaison à la place de
M. de Saintange.-Distribution de deux prix de poésie
ayant pour sujet : l'un , les Embellissemens de Paris;
l'autre , la Mort de Rotrou .
La séance publique que l'Institut a tenue mercredi dernier
présentait un double intérêt , celui attaché à la récep
tion d'un poëte et d'un citoyen que les voeux de tous les
amis des lettres et de la société y appelaient depuis longtems
, et un autre non moins puissant dans le spectacle
des couronnes décernées à deux jeunes talens , M. Victorin-
Fabreet M. Millevoie , qui en remportèrent déjà plusieurs
également méritées , et dans la lecture des vers du
premier sur les Embellissemens de Paris , qui a obtenu le
prix, et des poëmes du second , dont l'un sur le mênie
sujet n'a enlevé que l'accessit , et l'autre sur la Mort de
Rotrou, a conquis llaa palme.
F
७० ....
5.
cen
MERCURE DE FRANCE ,
د
La salle de l'Institut était remplie par un nombreux
concours de littérateurs , de femmes jolies et parées d'un
négligé élégant , et de spectateurs de toutes les classes ,
qu'avait attirés l'espoir d'un plaisir digne des esprits cul-
عا
M. le comte Regnault de Saint-Jean-d'Angely, président',
a ouvert la séance par un rapport sur le concours ,
composé par M. le secrétaire perpétuel , et qui porte les
caractères du goût et de l'esprit de M. Suard , et par la
proclamation du nom des vainqueurs .
Après cet exposé rapide , M. Parseval Grandmaison a
prononcé son discours d'usage ; et déjà avantageusement
connu par le poëme charmant des Amours épiques , et par
la promesse d'une vaste épopée dont Philippe-Auguste est
le héros , il a parfaitement répondu à sa réputation et à
l'attente de ses auditeurs .
Son sujet qui était la traduction en vers français des
Métamorphoses d'Ovide , et d'autres ouvrages de ce poëta
latin, quia immortalisé son prédécesseur, lui fournissaitde
nombreux avantages par le rapport qui lie M. de Saintange
et lui comme traducteurs. Il en a paru profondément
pénétré. Il acommencé par l'aveu de sa défiance qui a fait
honneur à sa modestie , et ensuite il a passé aux règles de
la traduction en vers. Après des principes généraux sur co
genre , exposés avec autant de justesse que d'élégance , et
laconnaissance des chefs-d'oeuvre de la littérature ancienne,
il a parlé d'Ovide . Il a loué avec transport la brillante imagination
et la riche fécondité du chantre des Métamorphoses
, et a blâmé avec une noble équité ses défauts et
l'abus de son esprit , et il a prodigué de grands éloges à
M. de Saintange sur le choix qu'il en a fait pour le traduire
, comme sur la constance inébranlable et le talent
supérieur qu'ily a déployés. C'était le moment de rappeler
au public que ce traducteur avait toujours travaillé au
milieu des souffrances d'une maladie de langueur , et des
attaques réitérées dinjustes critiques, dont il n'a pentêtre
pas été assez dédommagé . Le récipiendaire n'a point
négligé de rouvrir cette source de regrets qu'a laissés son
prédécesseur. Il a saisi aussi l'occasion de payer un tribut
de reconnaissance et d'enthousiasme à son ami M. Delille,
cet interprête si célèbre de Virgile dans les Géorgiques et
l'Enéide , et dont il s'est glorifié d'être l'élève. Ses vers ,
s'est-il écrié , sont, comme ceux des anciens , dans la mémoire
de tout le monde ; ils ont déjà quelque chose d'anAVRIL
1811 83
tique et l'on peut dire que ce grandpoëte a anticipé son
avenir. Cet hommage aussi juste qu'exprimé dans les
termes de l'admiration et de la sensibilité , a recueilli les
applaudissemens de toute l'assemblée. Un rapprochement
d'Ovide et de Lucrèce a paru encore très-piquant sous sa
plume. L'un , a-t- il dit, semble toujours chercher à déguiser
la vérité sous les illusions de l'erreur , et l'autre à
donner à l'erreurl'apparence de la vérité.
Tous ces tableaux et l'attente du poëme épique qu'il a
promis aux amis des lettres , l'ont naturellement conduit à
un morceau sur l'Epopée. Il l'a écrit avec toute la verve ,
toute la chaleur d'un poëte qu'occupe cette grande et pénible
entreprise. Dans un siècle, a-t-il dit , où l'on a tenté
tant d'innovations malheureuses , le plus sûr moyen de
faire du neuf serait de devenir antique .
Leplande ce discours , ses pensées , son goût et sa diction
tantôt élégante , tantôt passionnée , toujours claire et
correcte , ont mérité au récipiendaire les signes de la faveur
de l'auditoire , comme ils ont renouvelé la preuve du
talent très-recommandable qui distingue ses morceaux de
prose et ses diverses poésies. Enfin son débit même , un
peu timide , y a ajouté un nouveau charme .
M. le comte Regnault de Saint-Jean d'Angely , en qualité
de président , a répondu au récipiendaire , et il a rappelé
, dans son discours , ce grand talent oratoire qu'on
lui connaît, et qu'il a signalé avec tant d'éclat dans la
séance de la réception de M. Esménard. Cette nouvelle
réponse se distingue par une foule d'aperçus très-profonds
et d'observations fort ingénieuses sur le mérite et
l'importance des traductions en verss , dont Voltaire fit si
puissamment un système. On juge qu'il l'a appliqué avec
éloge à M. de Saintange , et même à M. Parseval Grandmaison
connu par une imitation extrêmement poétique .
Ensuite il a prononcé un mot aussi spirituel qu'obligeant
sur le choix et l'expectative de son poëme épique ; et s'est
plu à réclamer la reconnaissance que les femmes , qui
ignorent la langue des plus grands poëtes épiques , doivent
àM. Delille pour les traductions de Virgile et de Milton ,
à M. Aignan pour celle d'Homère , et à M. Daru pour
celle d'Horace.
Acette habile ordonnance, ila mêlé des portraits pleinsde
pensées fines , d'images énergiques , et aussi remarquables
par labeauté du coloris que par la fidélité de la ressemblance.
Tel est assurément celui du fameux ministre Tar-
Fa
84 MERCURE DE FRANCE ,
got : Son système , a-t-il dit , était dans son coeur plus que
dans son esprit, et iln'eut pour sectateurs que des hommes
de bien . Tacite ne désavouerait pas ce trait, non plus que
les couleurs éloquentes , justeset saillantes , du portrait
d'un grandhomme à-la-fois législateur , guerrier , pacificateur
et homme d'état. On ne pouvait mieux terminier que
parcette peinture qui , gravée d'avance dans tous les coeurs ,
et présentée avec cet organe si pur , si sonore , si puissant,
l'un des avantages de l'orateur , a été vivement sentie par
toutes les ames , et entendue au bruit des applaudissemens
les plus expressifs .
Après ces deux beaux discours , M. le sénateur Garat a
lu la pièce de vers de M. Victorin-Fabre sur les Embellissemens
de Paris , M. le sénateur François de Neufchâteau le
poëme de M. Millevoye sur la Mort de Rotrou, et M. le
président celui de ce dernier sur les Embellissemens de la
Capitale. On peut se représenter , en les écoutant , la
tendre émotion des mères , des soeurs , des épousés , des
amis qui augmentait l'intérêt de la séance. Chacun de ces
ouvrages qui ont été lus a été fort applaudi , mais le
dernier, oùse retrouve ce talent poétique dontM. Millevoye
adonné tant de preuves , a paru plaire davantage . Nous
en parlerons en détail quand ils seront tous imprimés , et
nous n'oublierons pas l'accessit remporté parM1 .Guimond
de la Touche , dontle nom-en rappelle dans l'auteur de la
tragédie d'Iphigénie en Tauride un si justement estimé.
:
1
LE GOUVÉ.
١٠
Cinquième lettre de l'un des Rédacteurs du MERCURE
à ses confrères sur les Concerts de l'Odéon (1 ) .
Paris , 4 avril 1811 .
יו
Nous autre Français , Messieurs, nous nous connaissons
beaucoup mieux en musique de concert qu'en musique
de théâtre . Nous nous sommes fait, sur cette dernière, des
systèmes qui n'appartiennent qu'à nous et qui , pour la
plupart , n'en valent pas mieux; au lieu que nous croyons
comme tout le monde que dans un concert , ou dans ce
qu'on nomme ailleurs une académie , les instrumens et les
(1) Cette lettre devait paraître dans le Nº précédent; l'abondance
des matières ne l'a pas permis.
AVRIL 1811 . 85
voix qui exécutent seuls sont là pour faire preuve de leur
habileté, et que les compositions , soit vocales , soit instrumentales
, doivent , généralement parlant , être dirigées
vers ce but. Nous y avons , de tems immémorial , entendu
des talens du premier ordre , tant nationaux qu'étrangers.,
èt s'il est vrai que les orchestres de nos théâtres pêchent
presque tous dans l'accompagnement des voix , parce
que la plupart des instrumentistes qui les composent ,
sont trop forts pour vouloir se subordonner comme ils le
doivent, il l'est aussi que dans les concerts , lors même
qu'ils ne font qu'accompagner , plusieurs raisons rendent
če défaut moins sensible , et que dans ce qui n'est que
symphonie leur force individuelle forme en quelque sorte
une force collective et générale , qu'on trouve rarement
ailleurs .
Le premier des trois concerts donnés récemment à
POdéon , était au bénéfice de Me Correa; le public lui a
témoigné en si rendant en foule , que si elle a eu à Paris ,
comme on l'assure , quelques sujets de plainte et quelques
contradictions , il n'y a jamais été pour rien . On voyait aussi
avec intérêt que tous les premiers talens de ce théâtre
hommes et femmes , taient empressés de donner à
Mme Correa un témoignage d'intérêt et d'amitié , en y
chantant avec elle et pour elle. L'assemblée était aussi
brillante que nombreuse . Le programme du concert divisé
en deuxparties n'annonçait pas moins de onze morceaux;
c'est beaucoup; mais le choix de quelques-uns de ces
morceaux n'a pas paru tel qu'on le désirait et qu'il l'eût
fallu.
Pour commencer par les instrumens , ce qu'il y a eu de
meilleur , ce qui est toujours excellent , c'est une symphonie
d'Haydn parfaitement exécutée. Celles de ce grand
maître sont non-seulement les meilleures , mais seules de
ce genre; et ce genre , depuis qu'elles existent , est regardé
comme le seul bon. Elles sont si connues qu'il n'y a plus
rien à en dire , et si belles qu'on ne les entend jamais trop .
M. Callault , dans un concerto de harpe , de la composition
de M. Dalvimare, a prouvé qu'on peut être très- fort sur cet
instrument , ety jouer de la musique fort agréable , sans
faire beaucoup deplaisir; sans doute par la faute de l'instrumentmême,
plus propre,comme le forte-piano, à la musique
de chambre qu'à celle de concert. Dans la symphonie
concertante de harpe et de cor exécutée par le même
M. Callault et par M. Dauprat , la partie de cor a enlevé
1
86 MERCURE DE FRANCE ;
tous les suffrages : il est impossible de tirer des sons plus
doux , mieux liés, plus justes etplus touchans . Laharpe avait
le double désavantage de ses propres défauts et de leur
contraste avec les qualités qui y sont les plus contraires.
Mais les passages où les deux instrumens étaient rénuis
plaisaient par ce contraste même , et l'effet en a été généralement
heureux .
,
Venons au chant. J'ai peu de choses à dire de l'air de
Cimarosa , chanté par M. Porto. Il ne m'a pas paru l'un
des meilleurs de cet habile maître . Peut-être aussi la voix
de Baritono , ou , comme nous disons , de basse-taille ,
quelque belle qu'elle soit , et celle de M. Porto est superbe ,
est-elle peu faite pour réussir seule dans un concert; ou
bien il lui faudrait des morceaux composés soit exprès , soit
dumoins dans un genre différent de presque tous ceux que
l'on écrit pour ces sortes de voix.
Mme Correa a chanté un fort bel air de Mayer avec des
choeurs , et elle l'a chanté comme on le pouvait attendre
d'elle; mais ce grand air , fait pour la scène , ne pouvait
faire ailleurs le même effet. Il faut laisser dire les gens qui
prétendent que la musique italienne n'est que de lamusique
de concert. Son vrai caractère , au contraire , est d'être
dramatique , de la manière dont il convient que la musique
le soit. Quand elle sort de ce caractère pour faire briller
les cantatrices et les chanteurs , ce n'est point-là véritablement
l'art, ce sont de riches abus de l'art, et c'est parmi
les morceaux où règnent ces abus , que les artistes les plus
habiles doivent choisir s'ils veulent briller dans un concert.
Cen'estpas tout : Mayer est un savant compositeur; mais
il n'est pas italien : son style est mixte ; quelquefois il tient
de la manière italienne , quelquefois aussi il cherche des
effets dramatiques dans des moyens que l'école italienne
n'avoue pas , ou qu'elle n'emploie que depuis peu , à l'imitation
de l'école allemande et de la nôtre. Or, c'est précisément
dans ce genre qu'est le morceau qu'avait choisi
Mme Correa. On n'a pas pu n'y point admirer son beau
talent; mais dans un morceau d'un meilleur choix , il aurait
eu plus d'éclat et de succès .
!
Le duo de Nazzolini qu'elle a chanté avec Mm Barilli ,
a un peu du même défaut , quoiqu'il soit d'un autre style.
Sa vraie place est la scène , et il perd à paraître ailleurs .
Mais ces deux voix, si belles , et qui le sont si différemment,
ces deux cantatrices rivales qui paraissaient , non
pas se disputer la palme , mais s'aider mutuellement à la
AVRIL 1811. 24 δη
conquérir, l'ont toutes deux obtenue, et ont été couvertes
d'applaudissemens. Mms Festa et M. Crivelli ne l'ont pas
été moins dans un duo de Farinelli, de ce même composi
teur dont est celui qu'ils chantent ensemble dans Pirro,
au premier acte. On y reconnaît la verve et la chaleur
qui paraît appartenir à ce maître. L'effet en a été très-brillant
; je suis pourtant encore persuadé qu'au théâtre , il en
fait bien davantage. M. Guglielmi a rendu avec les grâces
etlabonne méthode qu'on lui connaît , une fort jolie cavatine
du célèbre Guglielmi son père, le condisciple de Trajetta,
dePiccini , de Sacchini , sorti commeeuxde la grande
école deDurante , et qui a été leur égal dans tout ce qu'il a.
faitavec soin.
Si l'on avait vu avec intérêt Mmes Correa el Barilli chanter
ensemble , cet intérêt a été plus grand et s'est plus vivement
exprimé quand on les a vu reparaître avec Me Festa
pour chanter untrio fort agréable de la Cosa rara de Martini.
Ce morceau très -connu a paru tout nouveau , rendu
par ces trois voix si pures , si habilement conduites , etdont
l'art consiste , quand elles se font entendre ensemble , à se
fondre et à s'identifier si bien qu'on n'en distingue plus
aucune.
C'était sans doute le souvenir de nos anciens concerts
spirituels qui avait engagé à terminer chacune des deux
parties de celui-ci par deux grands et très -beaux morceaux
de musique d'église , l'introduction de la messe des morts
deDurante, et un offertorio de Jomelli. Ce sont deux chefsd'oeuvre
, et les six artistes des deux sexes que je viens de
nommer , et tout ce que ce théâtre a d'autres talens , et les
choeurs qui les ont secondés avec intelligence , ont exécuté
ceite musique savante et vraiment admirable , avec toute
la perfection qu'on pouvait désirer. Cependant l'effet en a
étémédiocre. Un mot en dit la cause ; non erat his locus ;
cen'est point-là leur place. C'était leur place au Concert
spirituel, consacré en grande partie à de la musique de ce
genre ; ce l'est encore au Conservatoire impérial de musique,
où on les entend avec plaisir comme morceaux
d'étude pour le chant , comme grands et parfaits modèles
de composition dans ce genre austère; mais à l'Odéon ,
non erat his locus .
On l'a si bien senti qu'au second concert, donné le 25 ,
il n'a plus été question de rien de pareil. Ce concert a été
d'un caractère différent du premier. Il était donné par les
artistes de l'orchestre : la partie instrumentale y a brillé
"
883 MERCURE DE FRANCE ,

davantage. Deux grandes symphonies d'Haydn ont com
mencé les deux parties. Une symphonie concertante pour
flûte , hautbois , cor et basson , exécutée par MM. Tulou ,
Wogt, Colin jeune et Fougas , et de la compositiondu premier,
a satisfait tous les goûts et obtenu tous les applaudis
semens. Ceux qui connaissent et qui aiment ce grand et
utile établissement du Conservatoire de musique , qui en
ont suivi avec intérêt les développemens et les progrès, y
out vu pour ainsi dire ces quatrejeunes talens éclore. Les
voilà devenus quatre habiles professeurs; et combien d'autres
sont sortis et sortent encore chaque année de la même
école? N'est-ce pas encore elle qui nous donne ce jeune
M. Vidal , qui , à l'âge de vingt ou vingt et un an tout au
plus , nous a joué un superbe concerto de Viotti , avec
toute la hardiesse , la justesse , la sûreté , l'habileté d'un
maître , et même avec une partie de cette belle expression
que possède au plus haut degré le maître par excellence
dont il exécutait la musique , et dont on dirait qu'il a reçu
directement les leçons?
Je ne sais à quoi celatient, mais la plupart des morceaux
de chant n'ont pas jeté dans cette soirée tout l'éclat que
l'on devait attendre. Trois airs ont été chantés , l'un de
Païsiello, par M. Crivelli; l'autre de Pavesi , par M Barilli
; le troisième , de la Camilla de M. Paër , par
Mme Correa; tous trois ont été justement applaudis , mais!
aucun n'a produit l'effet que promettaient le nom des compositeurs
et le talent des artistes. Laraison en est la même
que j'ai indiquée plus haut. Ces trois morceaux , très -bien
placés sans doute au théâtre , sont moins faits pour en sortir
que ne le seraient d'autres morceaux des mêmes maîtres
auxquels on reproche peut-être à la scène d'être de la musique
de concert . Le dernier des trois airs est fort beau , et
précédé d'un récitatif obligé plein d'expression : mais faut-il
le dire? Mm Correa paraissait distraite et peu contente;
elle a chanté syllabiquement ce récitatif, elle qui le dit
ordinairement du meilleur style ; elle n'a chanté qu'avec sa
voix le grand air qui demandait, avec sa voix , son talent
encore et son ame. Cette habile cantatrice n'en emporte
pas moins nos regrets , et n'en laissera pas moins à ce
théâtre , dans plusieurs rôles , un vide qu'il sera toujours
difficile de remplir.
Le sextuor duDon Juan de Mozart qui a terminé la pre
mière partie du concert est aussi beau , aussi savant, aussi
admirable que l'on voudra , mais quoique très-bien exé
AVRIL 1811 . 89
cuté, il n'a produit aucun effet. De l'effort , de la prétention
, même de la surcharge et de la confusion dans les
parties , un style toujours laborieux , tendu , jamais libre
et fluide, une harmonie continûment pleine , et dont l'effet
ne vient pas quelquefois , comme dans celle d'une meilleure
école,de ce qu'on ôte des accords autant etmême plus que
de ce qu'on y met; quelques-uns de ces accords durs et
presque sauvages , sans but et sans nécessité , tels sont les
défauts que les oreilles exercées , et non dépravées , sentent
facilement dans ce morceau , et qui les empêchent en géné
ral d'être aussi enthousiastes des savans ouvrages de ce
maître , que l'est aujourd'hui un certain nombre de nos
amateurs. Le trio de Martini qui a fini ce concert , est le
même qu'on avait entendu dans l'autre; il avait été rede
mandé avec raison , et a fait un nouveau plaisir.
• Parler aujourd'hui du troisième concert , serait excéder
les bornes de cette lettre déjà trop longue. M. Tachinardi
en aprincipalement fait les honneurs. Ilavait à remplirune
grande attente; il l'a parfaitement remplie , peut-être même
surpassée; et ce n'est pas en courant et en peu de lignes
que l'on peut s'expliquer convenablement sur un talent si
supérieur et si parfait. CCeeci vous expose nécessairement ,
Messieurs , à recevoir encore une lettre de moi , dont ce
concert sera le principal objet.
Agréez mes salutations les plus sincères , G.
I T
8
TAR
1
و
ل
POLITIQUE.
٤٢
> LESRusses ont occupé outre Belgrade plusieurs places
de la Servie , d'oùils semblent menacer les Bosniens , qui ,
voyant le danger qui les menace , font de grands préparatifs;
tout fait presumer que cette contrée sera le théâtre
d'opérations importantes . Le Grand-Seigneur a envoyé un
firman qui enjoint à tout Bosnien en état de porter les
armes , de se rendre sous les drapeaux du prophète . L'ambassadeur
de France devait quitter la capitale vers le 15
mars; M. le comte Lauriston son successeur y était attendu
pour le remplacer. Ce dernier est en effet parti de Paris
pour se rendre à son nouveau poste , après avoir reçu,
dimanche dernier son audience de congé de S. M. l'Empereur
et Roi.in
La maladie du roi de Suède dure encore , mais aucun
symptôme violent ne s'est manifesté. Les trois derniers
bulletins sont très -rassurans. Voici la lettre par laquelle le
prince royal a répondu à la patente royale qui le charge,
de l'administration provisoire du royaume .
« SIRE , la grande preuve de confiance dont V. M. vient
de m'honorer , aurait trop coûté à votre plus fidèle sujet ,
àvotre fils respectueux , s'il avait dû l'obtenir au prix des
plus vives alarmes ; mais rassuré par l'espérance que V. M.
sera bientôt rétablie , je ne vois dans cette mesure qu'une
nouvelle marque de son estime pour moi , d'amour pour
ses peuples.
" J'accepte le pouvoir que V. M. me délègue ; j'aurai
pour appui dans mes importantes fonctions les hommes
distingués qu'elle a appelés à ses conseils , et pour guide
l'exemple des vertus publiques et privées de V. M. Puissé-je,
comme elle , acquérir l'affection d'une nation généreuse ,
à qui j'ai consacré toute mon existence ! Dieu veuille aussi
que V. M. puisse bientôt s'occuper elle-même de l'administration
de ses Etats !
» Nommé par vous , Sire , chef de l'armée , je n'aspire
qu'à perfectionner son organisation , afin de la mettre de
plus enplus en état de répondre à l'attente de la nation ;
et s'il est permis à l'homme public de se rappeler qu'il est
père , je ne forme qu'un seul voeu, celui d'être l'heureux
1
F
MERCURE DE FRANCE , AVRIL 1811 . gri
lien entre V. M. et mon fils ; de voir mon roi poursuivre
assez loin sa carrière pour laisser immédiatement sur le
trône un prince qui' ,'par ses qualités éprouvées , soit digne
de commander aux Suédois .
J'ai l'honneur d'être , etc.
Stockholm , le 18 mars 1811 .
On avait parlé d'un voyage du roi de Prusse à Koenisberg,
et d'une revue de troupes dans la Prusse orientale.
Cette nouvelle ne s'est pas confirmée. Le roi est toujours à
Berlin. Plusieurs régimens prussiens qui étaient en cantonnement
se sont rendus sur les côtes , où la surveillance
est toujours très-sévère. A Swinemunde , les marchandises
qui étaient à bord des vaisseaux séquestrés , ont été
brûlées publiquement. L'opération se continue dans les
ports de la Poméranie. Les ventes des denrées confisquées
auprofitde lacouronne se poursuivent aussi avec activité
àPétersbourg.
AVienne , les caisses publiques commencent de nouveau
à se remplir de sommes considérables en or et en
argent de convention .
On assure que le comte Wallis se propose , sous peu ,
de mettre en circulation une somme de 30 millions en numéraire,
et de retirer une somme égale en billets .
Une circulaire de la régence de la Basse-Autriche prescritdiverses
mesures relativement aux nouveaux billets de
banque. Les propriétaires de maisons ne pourront réclamer
le paiement des loyers qu'en nouveaux billets , de même
les contributions de leurs maisons seront calculées dans la
même monnaie . Les sommes dues aux établissemens de
bienfaisance , aux églises et aux écoles , seront payées de
manière à ne faire subirà ces établissemens que les moindres
pertes possibles. Cette circulaire se termine par un
sévère avis aux marchands de ne point élever le prix de
leurs marchandises ; on les menace , en cas d'infraction ,
de toute la rigueur des lois .
LaSuisse a reçu une nouvelle et touchante preuve d'affection
et d'intérêt dans la lettre suivante
, que son gouvernement
a reçu de son puissant médiateur. Cette lettre,
ainsi que son heureux sujet , a été dans tous les cantons
unis Poccasion de la plus vive allégresse et de la plus profonde
reconnaissance.
Anos très-chers et grands amis le landamman et membres
composant la diète de la Confédération Suisse :
Très-chers' et grands amis , la conviction où nous
92
MERCURE DE FRANCE
1"
sommes de l'intérêt que vous prenez à tout ce qui nous
touche ne nous permet pas de différer à vous informer
que l'Impératrice , notre très -chère et bien-aimée épouse
ef compagne , vient d'accoucher très-heureusement d'un
" prince qui , par sa naissance , a reçu le titre de Roi de
Rome. Enpartageant la satisfaction que nous fait éprouver
»un événement si intéressant pour notre famille impériale
et pour le bonheur des peuples que la Providence
nous a confiés , vous nous donnerez un nouveau témoi
gnage des sentimens que vous nous avez souvent mani
n festés . Vous ne devez pas douter de la disposition constante
où nous sommes de vous donner des marques de
l'attachement que nous avons pour vous , et c'est avec
→un, véritable plaisir que nous saisissons cette occasion
>>pour vous renouveler les assurances de la parfaite estima
t de la sincère affection que nous vous portons. Sur
> ce nous prions Dieu , très-chers et grands amis , qu'il
» vous ait en sa sainte et digne garde .
Votre bon ami ,
Paris , 20 mars 1811 .
Signé, NAPOLÉON.
La Suisse envoie une nombreuse députation à Paris
pour porter à l'Empereur ses hommages et ses félicitations
al'occasion de la naissance du roi deRome . Sa diète s'assemblera
extraordinairement le 17 avril.
Les derniers papiers anglais , en date du 3 avril , offrent
peu de détails politiques intéressans . La reine est malade ;
on dit que sa maladie est une attaque de paralysie. Le
général Graham a été blessé à l'affaire de Chiclana. Les
Anglais en rejettent tout le malheur sur les Espagnols .
dont ils annoncent n'avoir pas été secondés. L'objet de
P'expédition était , disent-ils , de faire lever le siége de
Cadix , et nous n'y avons pas réussi. Si les Espagnols
avaient fait leur devoir , les Français n'eussent pu se
défendre ; mais Cadix a été bombardé à la date du 14
mars , et les opérations du siége se poursuivent . On a
appris , dans cette ville , que le Pérou avait déclaré son
indépendance.
Le Moniteur a publié sur le mouvement de l'armée du
Portugal la relation suivante :
"Un aide-de-camp du maréchal prince d'Essling est
arrivé à Paris . Il est parti le 23 mars de Celorico , où était
le quartier général.
" Tous les magasins que l'armée avait formés se trouvaient
entièrement épuisés au 28 février. Les fourrageurs
!
OAVRIL 1811. 93
que l'on envoyait jusqu'à vingt lienes du quartier-général ,
ne rapportaient plus rien.
Le rer mars, lon était réduit à entamer la réserve de
biscuit, qui pouvait tout au plus fournir pour quinze jours
devivres ; et il n'y avait aucune possibilité d'attendre la
récolte , puisquơn në pouvait espérer aucune ressource
avant juin. Ilne restaitdoncau prince d'Essling que trois
partis à prendre :
1. 1
Ou d'attaquer lesAnglais dans les lignes de Lisbonne ;
mais les principes de la guerre lui défendaient de le faire
tant que sa grosse artillerie ne serait pas arrivée..
ת Ou de passer leTage pour faire sa jonction avec l'armée
d'Andalousie , et par-là se trouver en communication
par la grande route avec Séville et Madrid; trouver ses
moyens d'artillerie dans Badajoz , tirer ses vivres de l'Alentejo
, changer sa ligne d'opération , et tenir la double tête
de pont que l'armée avait construite sur la rive droite et
sur la rive gauche du Zezere à Punhete.
>Le général Eblé , par une activité et une vraie connaissance
de toutes les ressources de son métier , qui lui fait le
plus grandhonneur , ainsi qu'à l'artillerie de l'armée , était
parvenu à construire 200 bateaux. On pouvait donc jeter à
la fois deux ponts sur le Tage , menacer d'un passage devant
Punhete, l'effectuer plus bas vis-à-vis Santarem , en
se portant ensuite sur les derrières de la division du général
Hill que les Anglais tenaient devant Punhete , ou rejeter
Parmée anglaise dans Lisbonne par un mouvement par
Leyria , et , par là , l'obliger à rappeler la division Hill ,
afin de venir au secours de Lisbonne ; enfin , profiter de
ce mouvement pour jeter un pont aux environs de Punhete.
Le Tage passé au moyen de l'une ou de l'autre de
ces opérations , on se trouvait en communication avec
Séville et Madrid , et on pouvait se renforcer de toutes les
ressources de l'armée de l'Andalousie .
Le troisième parti qui se présentait était de repasser le
Mondego , se reportant sur Guarda , et se mettant en
communication avec Ciudad-Rodrigo où étaient les souliers
, les effets d'habillement, les munitions , les ressources
de l'artillerie , les magasins et le trésor de l'armée , qui
n'était pas payée depuis six mois .
Le 3mars , le prince d'Essling se décida pour ce dernierparti.
Le4 , tous les bagages et les malades , chargés sur la
grande quantité de mulets et de bourriques qu'avait l'a
mée , se mirent en route , et gagnèrent deux marches .
94 MERCURE DE FRANCE ,
L'arrière-garde fun confiée au duc d'Eichingen , qui , de
Leyria s'avançant jusqu'à Moliano , menaça de tourner la
position de Cartaxo. Le 10 , l'arrière-garde se trouva à
Pombal. 1
» Nos tirailleurs qui étaient restés en avant de la ville ,
et l'avant-garde anglaise , s'engagèrent ; ce qui donna lieu
au combat de Pombal. Nos avant-postes se replièrent ;
l'avant-garde anglaise entra dans la ville . La 1 brigade de
Ia 1ªdivision du duc d'Elchingen marcha sur l'ennemi la
baïonnette en avant , le chargea et tua ou blessa 4 à 500
hommes. Notre perte , dans ce combat , se monte à 5
hommes tués et 18 blessés . L'avant-garde anglaise n'avait
pas d'artillerie ; l'artillerie de notre arrière-garde était en
batterie , et jouait constamment contre elle..
» Le 11 , l'arrière-garde française était sur les hauteurs
de Redinha. Le général anglais s'avança avec toute son armée;
à deux heures après midi , il déploya environ 25,000
hommes sous le feu de 40 de nos pièces , qui tiraient avec
unegrande activité. Tous les coups portaient dans la masse
des ennnemis sans qu'ils eussent démasqué aucune batterie.
Ledésordre se manifesta plusieurs fois dans leurs co-
Ionnes. Vers cinq heures , leur artillerie arriva , et ils montèrent
quelques batteries : on vit avec plaisir qu'une de
leurs divisions manoeuvrait sur leur droite pour tourner
notre gauche par la vallée de Redinha: on la laissa faire.
Aussitôt qu'elle fut suffisamment engagée , le 50° et le 27
de ligne marchèrent sur elle à la baionnette et la mirent
dansune parfaite déroute. L'officier anglais qui commandait
fut tué. Le 3º de hussards fit une fort belle charge.
La perte des Anglais , qui se sont trouvés plusieurs heures
sous le feu de notre artillerie , a été considérable. Notre
perte s'estmontée à quatre-vingts hommes tués ou blessés,
Le 15 , l'avant-garde s'est trouvée à Foz de Arome.
Notre artillerie était en position sur la rive droite de la
Ceira , qui domine beaucoup la rive gauche. On engagea
fort adroitement l'ennemi dans une affaire d'avant-garde
qui lui fut funeste. On l'attira sous le feu del'artilleriedela
rivedroite; en même tems le 39 et le 69 le chargèrent ,
et tandis que le village était pris etrepris plusieurs fois , les
colonnes anglaises étaientenbutte à tout le feu de nos batteries
. Le désordre se mit dans leurs rangs et se communiqua
bientôt à toute la ligne ennemie fatiguée du désavantage
d'une pareille opposition; quelques fuyards anglais
arrivèrent jusqu'à Louza et Pinherios .
1181 JAVA AVRIL 18110 IDAM 95
Le village de Foz de Arome resta à l'arrière-garde française.
1 1.
Notre perte se monte à 200 hommes; celle de l'ennemi
à1200. Un officier-général anglais a été tué. 30
> C'était le momentoalors de marcher contre l'armée, anglaise
et de l'écraser. Cette résolution fut un instant agitée
dans l'armée française ; mais nous étions au 15 ; la retraite
avait commencé le 5. On n'avait fait qu'une lieue et demie,
ou deux lieues par jour; ilne restait de vivres que pour
deux à trois jours à demi-ration. Ily avait donc impossibilité
de s'arrêter : on n'avait pas unjour à perdre ; l'armée
continua son mouvement . 5
Le 17 , l'arrière-garde eut entiérement passé l'Alva.
> Instruit par les combats de Pombal , de Redinhal et de
Foz de Arome , l'ennemi ne se montra plus .
» Ces trois combats ont été avantageux à l'armée française.
Pas un seul caisson , pas une voiture de bagage , pas
un malade n'est resté en arrière. On a mis douze jours pour
aller de Santarem aux rives de l'Alva. Tous les mouvemens
de retraite ont été calculés , non sur les mouvemens des
Anglais, mais sur la nécessité des subsistances. ر
Enfin , le 22 , l'armée était dans la meilleure position ,
et le soldat dans le meilleur esprit. Les convois partaient
de Salamanque et de Ciudad-Rodrigo , et chaque jour l'ar
mée recevait des effets d'habillement , des souliers , et tout
ce qui lui était nécessaire pour se refaire .
Ainsi , l'armée de Portugal a vécu six mois avec les
ressources du pays ; elle a changé de place lorsque toutes
les ressources ont été épuisées , et que les difficultés des
transports etdes chemins ne laissaient aucun espoir de rien
tirer des dépôts . Les mois qui précèdent la récolte sont, en
général , les plus difficiles pour les subsistances , parce
qu'alors les greniers sont vides ; mais , à plus forte raison ,
cesdifficultés ont-elles dû exister dans un pays ennemi et
déjà dévasté. T
Le Moniteur contient aussi le détail d'un combat livré
dans l'Adriatique entre la division navale commandée par
le capitaine Dubourdieu , dont plusieurs actions d'éclat
avaient déjà rendu le nom recommandable , et trois frégates
anglaises soutenues par des vaisseaux rasés . La relation
prouve que l'intrépide Dubourdieu n'a pas été le
maîtredeson courage à la vue de l'ennemi , qu'il s'est engagé
sans attendre que sa division fût tout-à-fait ralliée à
lui ; il l'avouait lui-même dans le moment décisif: Voilà
leplus beau jour de ma vie , s'écriait-il , mais je me suis
96 MERCURE DE FRANCE, AVRIL 1811 .
ont
a
Le
trop pressé; encore un peu de courage , notre division va
nous rallier..... C'est en proférant ces mots qu'il a été
emporté par un boulet. Les équipages français et italiens
rivalisé de courage.
résultat du combat à foncés
inégalés , puisque toute la division française n'a pu y
prendre part, été la perte de deux frégates quiJont ontpéri,
et du côté des Anglais , celled'une frégate et d'un vaisseau
rasé. La division s'est rendue à Raguse pour se réparer.
Toute la côte de Dalmatie a montré le meilleur: esprit.
Les bâtimens de toutes les îles sont venus offrir des secours ,
etdetoutes parts les gardes nationales ont offert leursservices
. La perte des Anglais est énorme , la moitié de
leurs officiers et une partie des équipages ont été tués .

1

:
11.07
PARIS.
ه ز ا
Dile
1
1.S. M. a reçu les félicitations des cours de Vienne , de
Wurtemberg , de Bade , de Munich et de Cassel. Elle a
chassé , le 6 , dans la forêt de Saint-Germain . S. M. le roi
de Naples , le grand-duc de Wurtzbourg, le prince Borghèse
, le prince vice- roi, le duc de Conegliano , les générauxMoraire
et Wrede ont eu l'honneur de chasser avec
S. M.
۱
Il ya eu , le 7; audience diplomatique et présentations.
ensuite conseil d'administration de la S. M. tenu a
Légion d'honneur.
:
Elle a présidé cette semaine le conseil d'état , et tenu le
conseilde commerce et de manufactures ,et celui de l'art
tillerie. 2.
- Divers décrets organisent les cours impériales de
Dijon et de Douai , divisent en trois classes les auditeurs
au conseil d'état , déterminent leurs attributions , leurs traitemens,
leur costume , règlent en Hollande l'application des
lois sur les domaines nationaux , la nature des denréés
coloniales dont l'entrée peut être permise par le Holstein
, et la levée des marins dans les départemens nouvellement
réunis .
!
Par décret , M. Gérard , peintre d'histoire , membre
de la Légion d'honneur, est nommé professeur à l'école
spéciale des beaux arts en remplacement de M. Barthelemy
décédé.
-M. Villeterque, littérateur très-estimé , vientde mourir.
Les lettres ont aussi perdu M. Dorange , jeune poëte qui
donnait les plus justes espérances.
DA
SEINE
MERCURE
DE FRANCE.
Nº DIX . - Samedi 20 Avril 1811 .
POÉSIE .
LES EMBELLISSEMENS DE PARIS .
Pièce qui a remporté le prix décerné par la Classe de la
langue et de la littérature française de l'Institut , dans
sa séance du 10 avril 1811 ; par MARIE-J. -J. VICTORIN
FABRE.
QUAND l'heureux Amphion , placé par la victoire
Au trône de Cadmus qu'ennoblissait sa gloire ( 1 ) ,
Posant le bouclier , le glaive des combats ,
Agrandit les remparts défendus par son bras ,
On dit que du héros reconnaissant l'empire ,
Les pierres s'élevaient aux accords de sa lyre .
Tels furent les récits dont Thèbes autrefois
Honora les bienfaits du plus grand de ses rois ;
Bienfaits environnés d'héroïques prestiges .
Français ! voici le tems d'expliquer cės prodiges .
1
(1) Amphion ne fut couronné roi de Thèbes qu'après avoir vaincu
de nombreux ennemis. D'autres princes avant lui avaient régné dans
cette ville fondée par Cadnus ; mais Amphion fut le premier qui
T'entoura de remparts et lui donna des monumens publics .
G
98
MERCURE DE FRANCE ,
Chez un peuple guerrier , sur la terre deMars,
Cette lyre divine élevant les remparts ,
Ades chants belliqueux mêlant son harmonie ,
C'est l'accord du pouvoir , des arts et du génie.
J'en atteste nos murs , et ces hardis travaux ,
Ces ares triomphateurs , ces temples des héros;
Qui , des grands souvenirs nobles dépositaires ,
Diront à nos neveux la gloire de leurs pères.
Tandis que de nos tours dominant la hauteur ,
Le bronze des vaincus prend les traits du vainqueur (2) ;
Quand le marbre s'anime au flambeau de l'Histoire ;
Quand , sous le char d'airain que guide la Victoire ,
La porte triomphale , au sein de nos remparts ,
Joint sa pompe guerrière à la pompe des arts ;
Vous tous qui mutilés , et chargés d'un long âge ,
Cédez avec lenteur au tems qui vous outrage ,
Edifices pompeux des François , des Henris ,
Affermissez vos murs , rejetez vos débris ,
Et d'un luxe nouveau déployant la richesse,
Recommencez le cours d'une longue jeunesse.
Toi sur-tout qui vieillis avant d'être achevé ,
Monument que dix rois n'avaient pas élevé ,
Répare ces lenteurs d'une imparfaite gloire
Qui ,même en l'honorant , accusait leur mémoire.
NAPOLÉON a dit à ce Louvre orgueilleux :
Sois le palais des rois et l'Olympe des Dieux .
Soudain , avec cent bras , la grue obéissante
Elève sur ces murs la poutre frémissante ;
La pierre qui gémit sous l'acier des marteaux ,
En socles s'arrondit , se courbe en chapiteaux ;
Le monument s'achève ; et sa pompe nouvelle
Pare , sans la cacher , sa vieillesse immortelle .
Oui , ne l'effacez point , respectez ses débris;
Les nobles souvenirs errent sous ses lambris .
Ici , Colbert , Villars et Tourville et Turenne ,
Illustraient de Louis la grandeur souveraine ;
(2) ... Ex are capto. ( Inscription de la colonne élevée sur la place
Vendôme. )
1
AVRIL 1811 .
Ici deMontausier la généreuse voix
Instruisait aux vertus l'héritier de nos rois.
Ici viennent s'unir leurs augustes images
A cesmarbres chargés de vingt siècles d'hommages ,
Aces Dieux , de la Grèce immortels habitans ,
Quiprotégeaient ses lois , guidaient ses combattans ,
Se couronnaient de fleurs aux jours de ses conquêtes ,
Partageaient ses plaisirs , ses travaux et ses fêtes .
Hélas ! ils ont aussi partagé ses revers !
La Grèce , qui de Rome avait reçu des fers ,
Avu , dans leur exil , ces familles divines
Aborder , en tremblant , le Dieu des sept collines ,
Son aigle inexorable et son sénat de rois .
Conquis , après mille ans , par de nouveaux exploits ,
Ces illustres bannis que le droit de la guerre
Adeux fois réservés aux vainqueurs de la terre ,
Ont trouvé dans nos murs, pour fixer leurs destins ,
Et l'olivier d'Athènes et l'aigle des Romains .
Le Capitole même , où n'est plus la victoire ,
Avu passer comme eux du parti de la gloire
Ses héros , ses grands Dieux , ses pénates mortels (3).
Sans changer de patrie, ils ont changé d'autels ;
La Rome des Césars n'est plus aux bords du Tibre.
Rome de Léon dix, et Florence encor libre ,
Des chefs-d'oeuvre d'un siècle ennobli par les arts ,
Ontpayé nos succès , enrichi nos remparts .
Le crayon d'Ausonie et les pinceaux belgiques (4)
Décorent ce palais , séjour des Dieux antiques ;
Et lamain des Lebruns , sur les peuples vaincus
Y fait régner encor les rois qui ne sont plus.
O pouvoir du génie et des veilles savantes !
Des marbres immortels et des toiles vivantes
99
(3) On sait que les anciens distinguaient les grands dieux , magni
dii, dii immortales; les dieux citoyens , dii indigetes; les dieux particuliers
des familles , que chacun était libre de choisir àsa fantaisie ,
penates , etc.; tous divisés en deux classes principales, dii majores ,
dii minores .
(4) On a voulu exprimer dans ce vers ce qui distingue le plus
eminemment l'école italienne et l'école flamande , dont l'une est
célèbre sur-tout par la perfection du dessin , l'autre par la beauté du
coloris.
G2
880101
100
MERCURE DE FRANCE ,
Dans ce temple des arts rapprochent tous les lieux ,
Les siècles , les talens , les héros et les dieux.
Tels , si vous parcourez le jardin qui rassemble
Cés végétaux lointains surpris de vivre ensemble ,
Dans cet espace étroit 'offriront à vos yeux
Ce dattier dont Memphis adora les aïeux ;
Cet arbre qui nourrit l'Indien des Deux-Mor des
Et lui verse un lait pur de ses grappes fécondes ;
La flèche du palmiste et ses chapiteaux verts ;
Le coton blanchissant qui mûrit dans les airs ;
Les cèdres parfumés; et la palme inodore
Qui s'abandonne aux vents dans les champs de l'aurore ;
Exilés , aujourd'hui citoyens dans nos bois .
Ainsi de tous les arts conquis par nos exploits
Ont fleuri dans nos murs les palmes immortelles .
Le génie enflammé par d'éclatans modèles ,
Illustrant le ciseau , le crayon , le burin ,
D'une héroïque ardeur fait palpiter l'airain ( 5 ) ;
Donne au marbre les traits et la voix de l'Histoire (6) ;
Transporte sur la toile où se peint la victoire
Le choc des légions ... que verra l'avenir ;
Où , fier d'éterniser un plus doux souvenir ,
Sur les foudres éteints de Bellone enchaînée ,
Aux autels de la paix il conduit l'hyménée (7).
Cependant à l'éclat de ces arts fastueux
S'allie avec noblesse un luxe fructueux.
La Seine sans offense a pu gonfler ses ondes ;
Des remparts élevés sur ses grottes profondes
Le sommet s'élargit , et protége ses bords .
Je vois ces ponts nouveaux unir ses nouveaux ports :
Leur voûte s'affermit sur la plaine mobile ;
Et les chars vont rouler où fuit la rame agile.
Jardins , bordez le fleuve ; et vous , frais boulevards ,
D'une double ceinture ombragez nos remparts ;
(5) Statue colossale de l'Empereur.
(6) Bas -relief du Louvre , par M. Moitte.
(7) Un grand nombre de peintres connus ont traité ces divers
sujets . Il serait superflu de nommer les plus célèbres.
AVRIL 1811 . 101
Tombez , cachots impurs (8) ; naissez , grands édifices ,
Auxmoeurs , à l'indigence , au commerce propices :
Lamain qui fait les rois posa vos fondemens .
Tu les avais prévus ces sages monumens ,
Immortel écrivain , peintre éloquent d'Alzire.
Quand ta plume légère embellit Cachemire (9 ) ,
Tu disais : Des saisons prévenant les hasards ,
Empruntez à Delhy ses prévoyans Bazars .
-Ils s'élèvent : déjà leur utile prudence
De la moisson prodigue enferme l'abondance ,
Etdes secrets trésors de la fécondité
Conserve l'héritage à la stérilité (10) .
Tu disais : Dans vos murs où la misère implore
Ce pain qui la fait vivre , et qui la déshonore ,
Verrai-je aux malheureux quelque asyle s'ouvrir ?
Roi ! ce sont tes sujets qu'il te faut conquérir ;
Mets l'outil nourricier dans leur main diligente .
-Ces voeux sont exaucés : à la foule indigente
S'est ouvert l'atelier de nos arts plébeïens (11 ) ;
Asyle où le travail forme des citoyens ,
Rend les coeurs au devoir , les bras à la patrie.
Tu disais : Des Romains imitez l'industrie :
Qu'au sein de vos cités multipliant leurs cours ,
Les fleuves asservis vous prêtent leur secours .
-Eh bien! sous nos remparts une route secrette ,
De la nymphe d'Arcueil et du dieu de l'Yvette ,
Qui dans un lit de fer y grondent enchaînés ,
Fait couler avec art les flots disciplinés .
L'air qui les comprimait les rend à la lumière :
Dans les plaines de l'air , leur fougue prisonnière
S'échappe en frémissant de ce lit souterrain :
Naïades ! respirez par vos tubes d'airain;
(8) Le Temple, le Châtelet , etc.
(9) Voyez dans le Voltaire de Kell , XXXVI volume , le premier
des Dialogues ou Entretiens philosophiques , intitulé : Des embellissemens
de la ville de Cachemire.
(10) Greniers d'abondance .
(11 ) Dépôts de mendicité.
102 MERCURE DE FRANCE ,
Au faîte des palais lancez vos girandoles ;
De vos franges d'albâtre entourez ces coupoles ;
Montez , tourbillonnez , flottez au gré des vents
En voile diaphane , en panaches mouvants ,
Et tandis qu'au soleil votre gerbe limpide
Disperse le brouillard de sa poussière humide .
Etdans l'air qui s'épure à son flot argenté ,
Verse au loin la fraicheur et répand la santé;
Tombez sur cės gradins en bruyantes arcades ;
Sur le pavé glissant retombez en cascades ;
Que le flot qui serpente et qui lavé nos murs ,
Chasse un limon bourbeux dans des canaux obscurs.
C'est ainsiqued'un roi la féconde puissance
Fait du luxe un bienfait , même pour l'indigence.
Mais d'un peuple nombreux prévenir les besoins ,
Est-ce donc tout le fruit de ses généreux soins?
Non; il veut que des arts la pompe tutélaire
Imprime à tout ce peuple un noble caractère.
Il dispute à l'oubli les vertus , les exploits ;
Fait asseoir l'Hôpital aux portiques des lois (12) ;
Place un guerrier fameux sous le dais funéraire ,
Près de l'autel funèbre où repose Voltaire ;
Et sur ces grands débris confiés au tombeau ,
De l'immortalité fait veillerle flambeau .
Par lui , des monumens la visible éloquence
Raconte le bienfait, redit la récompense ;
Agrandit le passé d'un noble souvenir ;
D'un vertueux exemple enrichit l'avenir ;
Propage des talens la sainte idolatrie ;
Et grave dans les coeurs la gloire et la patrie.
Oui , ranimer l'honneur , enflammer le devoir ,
Tel des grands monumens fut toujours le pouvoirs
Etsans chercher ailleurs tant d'exemples célèbres
Qui de la nuit des tems ont percé les ténèbres ,
Voyez chez les Romains , au mépris des licteurs ,
Un nouveau Marius braver les sénateurs .
1
(12) Il serait sans doute superflu de désigner plus particulièrement
les statues , les temples , les monumens de tout genre auxquels on fait
allusiondans ces vers , et qui sont exposés auxyeux de tout lemonde.
AVRIL 1811 . 103
Catonmême se tait; tout est glacé de crainte.
Le consul s'est levé : sa voix terrible et sainte
Implore les autels de Jupiter Stateur (13).
Ace grand souvenir , à ce nom protecteur ,
Le sénat se rassure; il voit l'auguste idole ,
Comme au tems de ses rois , sortir du Capitole :
Catilina frémit , le foudre manaçant
Semble déjà tombé sur son front pâlissant :
Il fuit; l'aigle vengeur poursuit l'incendiaire :
Il meurt. Et le sénat , le peuple , Rome entière ,
Dans le temple où jadis triomphaient ses aïeux ,
Ace nouveau triomphe appelle encor ses Dieux ;
Et croit que du consul éclairant la victoire ,
L'astrede Jupiter luit sur le chat d'ivoire (14).
Ainsi, cheznosneveux, endes siéeles nouveaux ,
Leur roi , si la victoire avait fui ses drapeaux ,
S'écrierait : « Je t'implore , 6 temple tutélaire (15)
› Où des mânes guerriers le culte héréditaire
> Sur un marbre vieilli fait triompher encor
» Les vainqueurs d'Iéna , les vainqueurs du Tabor !
Sa douleur des héros invoquerait l'exemple :
Leshéros indignés sortiraient de leur temple ;
(13) Allusion à cette fin de la première Catilinaire : « Et toi ,
› Jupiter Stateur , dont le temple a été élevé par Romulus , sous les
> mêmes auspices que Rome même ! toi , nommé dans tous les tems
> le soutien de l'Empire romain ! tu préserveras de la rage de ce bri-
> gand tes autels , ces murs et la vie de nos citoyens , etc. »
(14) Ces deuxderniers vers sont une imitation de Virgile qui peint
le vainqueur d'Antoine : Stans celsá in puppi , et ajoute : Patriumque
aperitur vertice sidus . On n'a fait que substituer à la poupe guerrière
le char des triomphateurs , et l'astre de Jupiter Capitolien , dieu tutélaire
de Rome , à l'étoile de César , génie tutélaire de son fils adoptif
Octave-Auguste. Personne n'ignore combien ces sortes d'images
étaient familières aux poëtes de l'antiquité. On pourrait en citer de
nombreux exemples ; et j'ai cru qu'il était encore permis de les employer
dans des sujets tirés de l'antiquité même .
(15) Le temple de la Gloire qui va s'élever en face du palais du
Corps-Législatif.
104 MERCURE DE FRANCE ,
Et nos soldats , conduits par ces chefs belliqueux ,
Forceraient la fortune à les suivre comme eux.
Monument protecteur, hate-toi de paraitre !
Sur le marbre et l'airain hâtez-vous de renaître ,
Vous que dans son enceinte appellent vos exploits !
Oh! quand viendra le jour où l'arbitre des rois
Sur le char de la paix conduira la victoire
Du Palais de l'Honneur au Temple de la Gloire ! ...
Il est venu : déjà l'aigle triomphateur ,
De ce dôme élancé , plane sur sa hauteur ,
Et porte dans les cieux la palme et le tonnerre ;
Le bronze retentit sans alarmer la terre ,
Et , chassant les vapeurs de l'orient vermeil ,
Aux fêtes de la Gloire invite le soleil .
Les clairons belliqueux , les lyres poétiques ,
Des fêtes de la Gloire entonnent les cantiques .
«Gloire ! » le char paraît ; devançons les coursiers :
Gloire ! suivez le char et semez les lauriers ...
Le temple s'ouvre : aux yeux de la foule attendrie
Paraissent les Héros qu'a pleurés la Patrie ;
Voilà leurs noms , leur cendre et leurs traits immortels (16) .
La Patrie , en ce jour , au pied de leurs autels
Apporta le tribut de sa reconnaissance .
Enflammant tous les coeurs , la voix de l'éloquence ,
Fait retentir ces murs du bruit de leurs exploits :
Et , comme aux chants du Barde on voyait autrefois
Des fantômes guerriers s'agiter les nuages ,
J'ai cru voir des Héros tressaillir les images .
Atout ce qui fut grand et qui servit l'Etat ,
Sur les mers , dans les camps , au Lycée , au Sénat ,
La déité du Temple apporte la couronne.
Le marbre la reçoit , le Monarque ladonne.
Et, tel que Jupiter environné des Dieux ,
Sur un trône entouré de ces morts glorieux
Qu'invoque la Patrie , et que l'Europe admire .
De ses vastes regards il parcourt son Empire ;
Sur des monts applanis il voit les chars rouler ;
Loin du lit paternel des fleuves se mêler :
(16) Les urnes , les statues des grands-hommes , les tables de
marbre où leurs noms doivent être gravés.
AVRIL 1811 . 105
La gerbe des marais fatiguer la faueille ;
Tandis qu'à ses côtés , l'espoir de sa famille ,
Un fils qui , le front ceint du bandeau des Césars ,
Régna , dès le berceau , sur la ville de Mars ,
Se plaint que , de sa gloire épuisant l'héritage ,
Unpère ne réserve à son jeune courage
Que des rivaux vaincus , que des trônes amis ,
Des remparts achevés et des fleuves soumis .
LES EMBELLISSEMENS DE PARIS
Pièce qui a obtenu le premier accessit au jugement de la
Classe de la langue et de la littérature française de
l'Institut ; par M. MILLEVOYE .
ILS ne sont plus ces jours où des rois avilis
Dans un lâche repos dormaient ensevelis .
D'un héros souverain l'activité féconde
Sur sa France immortelle attache l'oeil du Monde .
Il peut tout , et , d'un mot , au sein de nos remparts ,
Des tributs de la guerre il enrichit les arts .
Venez , bronzes captifs , dépouille des batailles ,
En pyramide altière embellir nos murailles ;
Venez du vieux soldat frapper les yeux ravis ;
Que du bras qui lui reste il vous montre à ses fils .
Tombe aux champs de Rosbac , insolent témoignage
Qui d'un jour de revers éternisait l'outrage !
Glaive de Frédéric ! brille au Temple de Mars .
Livre -nous , ộ Memphis ! tes monumens épars ;
Et vous , marbres conquis dans la superbe Rome ,
Vers la grande cité précédez le grand-homme.
Peindrai-je , aux flancs neigeux de l'Apennin soumis
Sur l'abîme , à sa voix , les chemins affermis ?
A travers les sommets , perdus dans les nuages ,
Le verra-t-on frayer d'audacieux passages ;
Partager aux cités l'urne immense des eaux ;
Sous la terre profonde étendre les canaux ,
Et, traçant au commerce une route hardie ,
Rapprocher les confins de la France agrandie ? ...
Mais Paris me rappelle en son sein triomphant.
C'est-là que du guerrier le belliqueux enfant,
106. MERCURE DE FRANCE ,
,
Sur le bronze amolli , sur la pierre animée ,
D'un père à chaque pas trouve la renommée.
Acent jours de victoire il assiste en un jour.
Le passé , le présent lui parlent tour-à-tour.
La colonne éclatante et dans l'air élancée ,
Atteste de Trajan la grandeur surpassée.
Les voilà ces parvis où l'éloquent burin
Sur des pilastres d'or et des tables d'airain ,
De tant de morts fameux doit graver la mémoire ,
Et raconter aux yeux leur immortelle histoire !
Plus loin s'élève et brille un arc triomphateur ,
Dont Septime lui-même eût envié l'honneur :
Là semblent tressaillir , devant la noble enceinte ,
Ces bronzes dont Lysippe enorgueillit Corinthe ,
Ces coursiers voyageurs , conduits par leurs destins..
De la ville éternelle aux murs des Constantins ,
Et qui , formés jadis pour le char de la gloire ,
Sont venus jusqu'à nous de victoire en victoire.
Atous ces monumens de pompe et de grandeur
Vient s'allier encore une utile splendeur :
Des toits du vieux Paris la masse informe et sombre,
Voit le soleil percer les vapeurs de son ombre :
De ponts majestueux le fleuve est couronné;
Le rivage s'enchaine au rivage étonné ;
La fontaine s'épanche et le quai se déploie ;
L'espace s'élargit dans la publique voie ;
Les pieux hôpitaux dotent la pauvreté ;
Les marchés abondans nourrissent la cité ,
Et Cérès établit ses granges opulentes
Où Mars amoncelait ses armures sanglantes (1 ) ;
Seine ! réjouis -toi , le propice canal
Qui vient grossir ton cours de son cours libéral ,
Fait voguer jusqu'à nous les fruits de l'industrie ,
Enrichit de ses flots la Naïade appauvrie ,
Epure au loin les airs ; et , dans Paris charmé ,
Arrête l'incendie en son vol enflammé.
Pour enchanter les yeux , un luxe moins austère
Imprime à ses travaux un plus doux earactère ;
(1) Greniers d'abondance sur le terrain de l'Arsenal.
AVRIL 1811 . 107
Arrondit cette enceinte où l'oeil doit voir eneor
Des filles d'Hespérus éclater les fruits d'or (2) ;
Dessine ce jardin , vaste et savant domaine ,
Qu'embellissent les dons de la Flore lointaine ;
Etend ce Luxembourg où semble quelquefois ,
Des enfans de Bruno gémir encor la voix ;
Rajeunit ce palais , de royale mémoire ,
Qu'éleva Médicis dans les jours de sa gloire ;
Et , non loin . déployant nos pompeux boulevards ,
Ouvre une lice immense à la course des chars .
Rienne reste imparfait : ce Panthéon célèbre
Qui menaçait Paris de sa chute funèbre ,
Moderne Capitole à la mort consacré ,
Doit à d'heureux efforts son faîte rassuré ;
Et , sa houlette en main , la bergère céleste ,
DontNanterre cachait l'ermitage modeste ,
Protégeencor, du haut de son temple immortel ,
Lavilledu héros qui protégea l'autel.
Superbe , et délivré de la rouille des âges ,
Ce Louvredésormais l'orgueil de nos rivages ;
CeLouvre qui long-tems , solitaire , avili ,
Accusa de nos rois l'héréditaire oubli ,
S'achève , et , consolé de ces affronts antiques ,
Aux noces du monarque il prête ses portiques .
O fortuné présage offert à nos regards !
L'hymeneut son autel dans le Temple des arts ;
Les arts paraient la fête ,et leur foule attentive
Honorait la beauté dont la main les cultive .
Dans le mêmepalais éclatent rassemblés
Ces monumens lointains parmi nous appelés ,
Ces chefs-d'oeuvre rivaux qu'au fond de l'Ausonie
Fit éclore jadis le ciseau du génie.
Le Tibre , glorieux de ses destins futurs ,
De richesses sans nombre a décoré nos murs:
Paris sert de refuge à la splendeur romaine ;
Et , dépouillant pour lui le nom de souveraine ,
Des Dieux et des Césars l'imposante Cité
Lui transmet sa puissance et son éternité.
(2) Orangerie projetée .
108 MERCURE DE FRANCE , AVRIL 1811 .
ENIGME .
LORSQUE je suis du genre masculin
Sur l'eau je joue un triste personnage ;
Lorsque je suis du genre féminin ,
Sur le vin je me joue avec plus d'avantage :
Utile sur les eaux , aimable sur le vin ,
Lorsqu'une belle au teint de rose ,
Au frais d'une épaisse forêt ,
Voluptueusement repose ,
Je suis encor pour elle édredon et duvet.
S........
LOGOGRIPHE .
MON tout vaut beaucoup moins que ma moitié première ;
Cette moitié souvent montre un grand caractère ,
Et dans plus d'une occasion
Elle a su prouver comme
Avec plus d'un grand homme
Elle pouvait faire comparaison .
Mon tout est le matin un être qui s'habille ,
Qui le reste du jour babille ,
Et qui le soir se déshabille.
S........
CHARADE .
Un joueur effréné s'adonne à mon premier ,
Un lâche , un paresseux s'adonne à mon dernier ,
Un impudent coquin s'adonne à mon entier.
S ........
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARADE
insérés dans le dernier Numéro.
Le mot de l'Enigme est Epine.
Celui du Logogriphe est Ici.
Celui de la Charade est Aréopage.
LITTÉRATURE ET BEAUX-ARTS.
RELATION DE L'EGYPTE ; par ABD - ALLATIF , médecin
arabe de Bagdad ; suivie de divers extraits d'écrivains
orientaux , et d'un état des provinces et des villages de
l'Egypte dans le quatorzième siècle ; le tout traduit et
enrichi de notes historiques et critiques par M. SILVESTRE
DE SACY , membre du Corps-Législatif , de la
Légion-d'Honneur et de l'Institut de France , etc. -
Un volume in-4° de plus de 750 pages ( de l'imprimerie
impériale ). Prix , 24 fr . , et 28 fr. franc de
port. Papier vélin , 48 fr . , et 52 fr. franc de port .
A Paris , chez Treuttel et Würtz , rue de Lille , nº 17 ;
et à Strasbourg , même maison de Commerce .
DANS le domaine de l'esprit comme dans celui de la
fortune , ce ne sont point de vraies richesses que celles
qui ne circulent pas : c'est en entrant dans la circulation
qu'un objet précieux qui faisait partie d'un trésor devient
partie de la richesse . C'est un véritable trésor, et l'un des
plus opulens sans doute , que la collection , l'on dirait
presque l'amas de manuscrits orientaux que possède
notre Bibliothèque impériale ; grande reconnaissance
est due aux savans qui y choisissent ce qui peut être
d'utilité publique , qui ont l'art et la patience d'en extraire
ce qui était comme enfoui , le produisent au grand
jour , et mettent ce qui n'était accessible qu'au petit
nombre à la disposition de tous .
Pour faire sentir le prix du nouveau service que
M. Silvestre de Sacy rend à la littérature par la publication
de cette Relation de l'Egypte , nous tirerons
d'abord de l'avertissement qui précède sa traduction
quelques particularités sur la nature de l'ouvrage , et de
la vie d'Abd-Allatif qu'il a traduite et insérée dans son
appendix , quelques détails sur la personne de cet au
teur.
210 MERCURE DE FRANCE ,
,
,
Parmi les collections nombreuses de manuscrits arabes
qui enrichissent les principales Bibliothèques de l'Europe
, la classe des ouvrages historiques est celle qui a
toujours paru la plus digne d'attention , et de toutes les
contrées qui ont fait partie de l'Empire des Musulmans
l'Egypte est peut-être celle qui a le plus exercé la plume
des écrivains arabes; mais parmi ceux de ces écrivains
dont les travaux sont parvenus jusqu'à nous , les uns
par amour du merveilleux , n'ont recueilli que des fables
puériles et des contes absurdes ; les autres , heureusement
plus nombreux , ont mêlé à cette partie fabuleuse
de l'histoire de leur pays une masse de faits et d'observations
utiles ; d'autres , enfin , n'ont fait que compiler
et rédiger sans art et sans ensemble ce qui avait été écrit
avant eux. L'auteur de la Relation de PEgypté est exempt
de tous ces défauts . Tout ce qu'il raconte est le fruit de
sa propre expérience , de ses observations , de ses recherches
. Il est seulement à regretter que des circonstances
particulières l'aient empêché de parcourir toute
l'étendue de l'Egypte , et de donner sur le pays entier
des descriptions aussi exactes et aussi intéressantes .
Mowaffik-Eddin Abd-Allatif , particulièrement connu
sous le surnom d'Ebn-Allabbad , était originaire de
Mosul et naquit à Bagdad l'année 557 de l'hégire , décembre
1161. Il acquit une grande réputation par son
savoir , ses talens , son éloquence et ses nombreux ouvrages.
Dès sa première jeunesse il avaitmené une vie
studieuse et préféré le travail aux vains amusemens .
Il joignit à l'étude des autres sciences celle de lamédecine
, et y devint assez savant pour en donner des leçons
auxquelles accourait un grand nombre d'étudians et
même de médecins . La connaissance de tous les ouvrages
qui traitaient des sciences naturelles , le conduisit
à en connaître qui avaient pour objet l'alchymie. Il ne
les lut pas impunément , et il voulut pénétrer tous les
secrets de cette fausse science ; mais il revint bientôt de
son erreur , et c'est lui-même qui raconte , dans des
mémoires sur sa vie , qu'il s'était mis à travailler au
grand oeuvre , à cet art mensonger , et à en répéter les
expériences illusoires et frivoles . Il y a rapporté aussi
AVRIL 1811 . 111
comment et à quelle occasion il se dégoûta des écrits
d'Ebn-Sina , dont l'étude l'avait entraîné dans cette
fausse route , et comment il reconnut la frivolité et les
dangers de la chimie . Ce qu'il ajoute prouve que de son
tems , dans ces régions orientales , cette prétendue
science avait fait plus de mal qu'on ne pourrait le croire ;
il est même permis d'y soupçonner un peu d'exagération .
« Je rendis de grandes actions de grâces au Tout- Puissant
, dit-il , car la plupart des hommes ont dû leur perte
aux ouvrages d'Ebn-Sina et à la chimie . »
Abd-Allatif alla de Damas , en pélerinage , à Jérusalem ,
d'où il se rendit au camp de Salah-Eddin ( Saladin) devant
Acca. Il se présenta d'abord à Boha-Eddin , kadhi de
l'armée , le même qui a écrit la vie de Saladin ( 1 ) . Il
en reçut le meilleur accueil ; Boha- Eddin le conduisit
dans la tente d'Omad-Eddin Cateb , et ils se rendirent
avec ce dernier auprès du kadhi Fadhel , personnage
illustre , et qui possédait toute la confiance du sultan .
Ce que raconte Abd-Allatif lui -même de l'audience qu'il
eut de Fadhel prouve qu'un prince aussi généreux et
aussi éclairé que Saladin , savait choisir des ministres
dignes de lui. « Nous entrâmes , dit-il , dans le lieu où
était le kadhi . Je vis un homme maigre qui était tout
tête et coeur. Il écrivait , et il dictait en même tems à deux
personnes . Son visage et ses mains faisaient des contorsions
, à cause des efforts qu'il faisait pour prononcer ;
on eût dit qu'il écrivait de tous ses membres . »
Fadhel proposa d'abord à Abd-Allatif une difficulté
de grammaire qui se trouve dans un passage de l'Alcoran
; satisfait de sa réponse , il lui fit plusieurs autres
questions , sans cesser pour cela d'écrire et de dicter.
Abd-Allatif lui ayant fait part du dessein qu'il avait
d'aller en Egypte , Fadhel lui remit un petit billet pour
son intendant au Caire ; avec ce billet , il fut accueilli
en Egypte avec tous les égards dus à un hôte du
kadhi Fadhel , fut logé , nourri au Caire , et reçut
de riches présens . Ce qui lui avait fait entreprendre ce
voyage , était le desir de connaître trois savans qui
( 1) Publiée en arabe et en latin , en 1755 , par A. Schultens ,
112
MERCURE DE FRANCE ,
avaient alors beaucoup de réputation . Il trouva dans
T'un un imposteur ; dans l'autre qui était le fameux
Moïse Maïmonide , un homme d'un grand mérite , mais
plein d'ambition et d'orgueil ; dans le troisième seul
docteur , à ce qu'il paraît , peu connu aujourd'hui , un
vrai philosophe et un sage .
Saladin ayant alors conclu une trève avec les Francs ,
'Abd-Allatif fut obligé de se rendre auprès de lui . Il l'alla
trouver à Jérusalem , emportant avec lui tous les ouvrages
des anciens auteurs musulmans qu'il avait pu rassembler.
Il représente ce prince entouré d'un grand
nombre de savans , les écoutant , prenant part à leurs
'entretiens , et discutant avec eux des questions dont il
pouvait tirer parti pour le succès de ses desseins . « H
était alors tout occupé à entourer de murs et de fossés
la ville de Jérusalem ; il conduisait lui-même ces ouvrages
, portait même les pierres sur ses épaules , et
tous , riches ou pauvres , forts ou faibles , suivaient
son exemple , jusqu'à Omad - Eddin Cateb , et au kadhi
Fadhel. »
Abd-Allatif , comblé des bienfaits de Saladin , obtint ,
tant de lui que de ses enfans , un traitement de cent
pièces d'or par mois pour aller enseigner dans le collége
de Damas . Il y vécut heureux jusqu'à la mort du sultan ,
dont la cause fut , comme on sait , une saignée faite
mal à propos dans un accès de fièvre . Il passa, ensuite
au Caire où il fut fixé par les bienfaits de l'un des fils de
Saladin ; mais lorsque ce jeune prince eut été dépossédé
par son oncle Séif- Eddin Abou- Becr , Abd- Allatif
quitta l'Egypte , retourna d'abord à Jérusalem , et définitivement
à Damas . Dans toutes ces différentes stations ,
son unique passion fut l'étude , et son état l'enseignement.
Il avait eu jusqu'alors de la célébrité comme
grammairien ; il se distingua sur-tout à Damas par
l'exercice de la médecine , sur laquelle il composa plusieurs
traités .
Quelque tems après , il se rendit à Alep , et de là dans
l'Asie mineure . Il s'y attacha à un prince , auprès duquel
il séjourna plusieurs années , étudiant , enseignant , et
écrivant toujours .. Ce prince fut détrôné , fait prisonDE
LA SEINE
AVRIL 1811 .
hier , etAbd-Allatif , après plusieurs déplacemens revint
à Alep . Là , il eut un grand nombre de disciples et composa
beaucoup d'ouvrages. Sa réputation , répandue dans .
tout l'Orient , lui attirait de toutes parts des lettres et des
hommages ; il répondait régulièrement , et tous ses mo
mens étaient employés soit à enseigner , soit à écrire.
On ne dit pas dans quelle année il mourut ; il paraît que
ce fut à Alep.
Parmi les nombreux ouvrages qu'il a laissés sur différens
sujets de grammaire , de philosophie , de théologie
et d'histoire , on distingue principalement sa Relation
de l'Egypte . Ce livre avait fixé , il y a plus d'un
siècle , l'attention du savant orientaliste Edward Pococke.
Son fils , du même nom que lui , aidé sans doute par ses
conseils , en avait entrepris une traduction latine . Ce
qu'il en avait fait passa d'abord entre les mains du docteur
Hyde , ensuite dans celles de plusieurs savans.
Enfin le célèbre M. White , après avoir achevé cette traduction
latine , l'a publiée avec le texte en 1800 , in-4°.
Il en avait paru une traduction allemande , avec des notes ,
àHalle , en 1790 .
M. White se proposait de publier , sous le titre
d'Ægyptiaca , un ouvrage destiné à servir de commentaire
à quelques-uns des endroits les plus importans
d'Abd -Allatif. La première partie de ce travail a paru ,
en effet , en 1801 ; la seconde devait contenir une traduction
anglaise , accompagnée de notes . M. Sylvestre
de Sacy s'était proposé de concourir à cette entreprise ,
en communiquant au savant Anglais ses observations ,
soit sur le sens des passages obscurs , soit sur quelquesuns
des sujets traités par l'écrivain arabe ; mais des occupations
multipliées ont forcé M. White de renoncer à
ce projet ; et c'est lui-même qui a engagé M. de Sacy
à l'exécuter en français .
Le premier soin du savant Français devait être de
se procurer un bon texte de son auteur , celui que
M. White a donné en 1800 ne lui paraissant pas
exempt de fautes , non plus que celui d'une autre édition
donnée à Tubinge en 1789 , in-8° , par M. le professeur
Paulus , et qui avait été originairement dirigée par le
H
114 MERCURE DE FRANCE ,
même M. White . La Bibliothèque Bodléienne d'Oxford
possède le manuscrit original que Pococke avait autrefois
apporté du Levant , et le seul qui existe en Europe ;
mais M. White en avait fait faire une copie figurée qui
était restée entre les mains de M. Paulus ; il l'a indiquée à
M. de Sac'y; celui-ci s'est adressé à M. Paulus avec une
confiance qui n'a point été trompée ; ce savant lui a fait
obligeamment passer cette copie unique en lui en laislant
l'usage . Ces petits détails nous paraissent loin d'être
sans intérêt : ils montrent d'un côté l'activité , la suite et
l'espèce d'obstination dont on a quelquefois besoin dans
la carrière des lettres pour parvenir à bien faire , de l'autre
les dispositions officieuses et communicatives où sont
entr'eux les véritables gens de lettres , indépendamment
des lieux et de toutes les circonstances qui les séparent.
Quoique l'ouvrage d'Abd-Allatif soit court , la traduction
en offrait des difficultés que M. de Sacy fait trèsbien
sentir . En s'écartant souvent du sens de la version
allemande , qu'il a trouvée très-imparfaite , il avoue qu'il
a beaucoup profité des notes qui l'accompagnent, Il y
en a lui-même ajouté un très-grand nombre , pour éclaircir
les endroits du texte qui lui ont paru obscurs : il a de
plus compulsé un grand nombre d'écrivains arabes et
de voyageurs ; et comme l'ouvrage d'Abd-Allatif offre
beaucoup de détails relatifs à la botanique , à l'histoire
naturelle des animaux et à l'anatomie , le zélé traducteur
a eu recours pour les premiers à M. Desfontaines ,
pour les seconds à M. Geoffroy Saint-Hilaire , pour les
troisièmes à M. Cuvier , qui ont revu toutes les notes ,
chacun en ce qui les concerne. Il leur en témoigne publiquement
sa reconnaissance , que le lecteur doit partager.
La relation de l'Egypte est intitulée , dans le manuscrit
d'Oxford : Considérations utiles et instructives ,
tirées des choses que l'auteur a vues et des événemens dont
il a été témoin en Egypte ; et c'est en effet le titre qu'y
avait mis l'auteur , qui le rapporte ainsi dans les mémoires
de sa vie. L'ouvrage est divisé en deux livres ,
qui le sont , le premier en six chapitres , et le second en
trois. Des six chapitres du premier livre , le premier
AVRIL 1811 . 115
contient des Observations générales sur l'Egypte ; le
second traite des Plantes particulières à l'Egypte ; le
troisième , des Animaux particuliers au même pays ;
le quatrième offre la Description des monumens antiques
(etparticulièrement des pyramides ) vus en Egypte par
l'auteur; le cinquième traite des Particularités remarquables
concernant les bâtimens et les barques ; et le
sixième , des Mets particuliers à l'Egypte .
On voit quelle variété d'objets présente ce premier
livre . L'auteur ne parle que de ce qu'il a vu ; il s'exprime
en peu de mots , sa relation étant destinée à des
lecteurs auxquels la plupart de ces objets n'étaient pas
entièrement étrangers ; mais on sent aussi combien cette
concision doit souvent avoir d'obscurité pour des lecteurs
européens ; et c'est pour n'en laisser aucune sur
tout ce qu'il était intéressant d'éclaircir que le traducteur
a joint à chaque chapitre un grand nombre de notes .
Elles roulent quelquefois sur l'éclaircissement du texte
et alors elles ne peuvent servir qu'aux lecteurs instruits
dans les langues orientales ; mais elles seront pour eux
une nouvelle preuve du profond savoir qu'ils reconnaissent
unanimement dans M. Silvestre de Sacy; souvent
aussi elles portent sur l'explication des choses , et celleslà
seront utiles à toutes les classes de lecteurs .
,
de
Le second livre est d'un genre différent . L'auteur
parle , dans le premier chapitre , du Nil et de la manière
dont sefait la crue de ce fleuve ; ily expose les causes
cette crue et de la marche ordinaire de ce phénomène . Le
titre des deux autres chapitres est extrêmement simple :
Evénemens de l'an 597 ( 1200 de notre ère ); Evénemens
de Pan 598 ( 1201 ) ; mais ces terribles événemens ne
sont rien moins qu'une famine horrible et une affreușe
mortalité qui survinrent au Caire et dans la plus grande
partie de l'Egypte , pendant le séjour qu'y fit Abd-
Allatif.
La description la plus détaillée de ce double fléau
remplit entièrement ces deux chapitres . Il paraît que
cette description fut le principal objet de l'auteur , et
ce qui lui donna l'idée de toutl'ouvrage. Ce qui précède
n'est qu'une espèce d'introduction préparatoire: ilpensa,
.
H2
116 MERCURE DE FRANCE ,
et avec raison , que l'on s'intéresserait davantage aux
malheurs d'un pays que l'on connaîtrait mieux .
La traduction française et les notes sont suivies d'un
appendix composé de huit morceaux importans ; le premier
est la vie d'Abd-Allatif, dont nous avons extrait
ci-dessus quelques détails . Les autres pièces ne sont pas
moins intéressantes , et contribuent toutes à éclaircir
des questions que présentent les différentes parties de
l'ouvrage .
M. Silvestre de Sacy s'occupe ensuite plus particulièrement
des savans qui cultivent les langues orientales ;
et c'est pour eux qu'il ajoute à cet appendix le texte
arabe de la préface d'Abd-Allatif , que M. White a omis
dans son édition , ceux de deux extraits compris aussi
dans l'appendix , le texte syriaque d'un autre extrait , et
le texte persan d'un passage dont le même appendix
offre les traductions .
Ces textes sont suivis d'un Etat des provinces et des
villages de l'Egypte dressé en l'année 1376 , traduit de
l'arabe et précédé d'un Avertissement qui en fait connaître
l'importance et l'authenticité , et qui nous montre
aussi les nouvelles difficultés que le traducteur a eu à
vaincre dans cette partie considérable de son travail .
Une table des mots hébreux , chaldéens , syriaques ,
arabes , persans , turcs et coptes cités ou expliqués dans
les notes de la Relation d'Egypte , et une table trèsample
et très-exacte des matières , terminent ce curieux
et utile volume .
Nous avons cru devoir nous borner à faire connaître
ce qu'il renferme. Ce simple exposé suffit pour en prouver
l'utilité ; et nommer le savant et judicieux traducteur,
c'est dire assez que tout y est rangé et distribué avec
ordre , écrit avec élégance et avec clarté , et que dans
tout ce qui est à la portée des lecteurs étrangers aux
langues orientales , on trouve , joint à une instruction
solide , tout l'agrément que pouvait comporter la sévérité
des matières . GINGURNE .
AVRIL 1811 ,
POLME SUR L'HEUREUSE GROSSESSE DE S. M. MARIE - LOUISE
IMPERATRICE DES FRANÇAIS ET REINE D'ITALIE , composé
en vers latins par N. E. LEMAIRE , professeur de
poésie latine , traduit en vers français par M. LEGOUVĖ ,
membre de l'Institut et de la Légion-d'Honneur , et
imité en vers italiens par ANT. BUTTURA . Deuxième
édition . Paris , chez Brunot-Labbe , quai des Augustins
, n° 33 ; Delaunay , Palais- Royal ; Lenormant,
rue de Seine , nº 10 .
-
C'ÉTAIT aux muses du Latium qu'il appartenait surtout
de célébrer la naissance du roi de Rome . Cet événement
mémorable est leur fête particulière , et c'est
aujourd'hui qu'elles peuvent réellement rappeler les oracles
antiques , et chanter les nouvelles destinées dont
le cours va commencer pour elles . Quel sujet plus digne
de leur lyre ! Il se rapporte à tout ce que la gloire du
trône , la stabilité de l'Empire , la fortune et la sûreté des
peuples ont de plus important . Ces idées grandes et simples
sont les premières qui doivent s'offrir au poëte.
Pourquoi la plupart de ceux qui ont entrepris de monter
leur luth pour cette occasion solennelle ont - ils été si
malheureux dans leurs essais ? C'est que , dans le cercle
de leurs idées étroites , ils n'ont pas vu ce que leur sujet
renfermait de véritablement grand; c'est qu'ils ont cru aussi
que dans un sujet extraordinaire , il fallait un langage et
des pensées extraordinaires ; c'est qu'ils sont sortis de la
sphère des idées justes et naturelles pour se jeter dans
les régions imaginaires de l'emphase et de l'exagération .
Ils n'ont pas vu que chaque objet avait sa mesure et son
caractère propre , et que le secret de l'art consistait à les
reconnaître et à les saisir avec justesse . L'artiste habile
sait peindre également Hercule et les Grâces .
Quand Virgile célèbre en vers harmonieux la naissance
du fils de Pollion , j'admire la noblesse , la pureté ,
la grace de ses chants , mais j'y cherche en vain la mesure
et la justesse d'idées qui distinguent éminemment
le chantre de l'Enéide ; je ne vois point qu'Astrée doive
descendre du ciel , que les raisins doivent se suspendre
118 MERCURE DE FRANCE ,
aux buissons , les brebis naître avec des toisons de pourpre
, la terre enfanter sans culture , et le miel couler de
l'écorce des chênes , parce qu'un Consul romain doit
bientôt être père. Il faut de la proportion en tout.
Cette réflexion n'a point échappé à l'auteur du poëme
latin , dont je dois maintenant m'occuper.
Nam si , vulgares ignoti infantis ob ortus ,
Tot rerum explicuit Cumano carinine pompas,
Ut nunc vaticinans de Napoleonefuturo ,
Aurea per terras descendere regnajuberet ,
Ordine ab integro magnos procedere menses ,
Atque exultantem tanti patris incremento ,
Sponte novis sese submittere legibus orbem !
Virgile ne chanta dans ses sublimes vers
Qu'un enfant étranger au sort de l'univers :
Si de NAPOLÉON sa muse heureuse et fière
Avait dû peindre un fils venant à la lumière ,
Il eût , dans ses tableaux plus magiques encor ,
Fait descendre du ciel les tems de l'âge d'or ,
Recommencé les mois du grand siècle de gloire ,
Et , dans NAPOLÉON présenté la victoire ,
Quidu haut de son char , aux peuples satisfaits ,
D'un pouvoir paternel prodigue les bienfaits.
Cette observation annonce un esprit juste , et nous
promet un poëme fécond en pensées naturelles et vraies .
Tel est en effet le mérite qui distingue particulièrement
l'ouvrage de M. Lemaire : il a su , par une heureuse
alliance , joindre la vérité des idées à la richesse des images
, à l'éclat du style .
L'auteur n'a point attendu la naissance du jeune monarque
pour exprimer les sentimens dont il est animé.
Il a saisi l'époque où le Prélat éloquent , qui siége sur le
trône épiscopal de Paris , a fait entendre sa voix aux
fidèles , et invoqué la faveur du ciel pour l'auguste
princesse qui nous promettait un héritier du trône ; c'est
par cette circonstance que M. Lemaire entre en matière .
Undèpio strepitu , templorum è turribus altis ,
Æra cient populos ad limina sacra ruentes ?
Undè tot insoliti tolluntur ad æthera cantus ,
AVRIL 1811.
119
Et stant votivis cumulata altaria donis?
Quæ vox grandè sonans , et summo numine digna,
Non audita diù ex adytis oracula pandit ,
Implet inexhausto desuetas lumine mentes ,
Imploratque Deum pro Napoleonis amatà
Conjuge, ut optatifelicia munera partûs ,
Perpetuum solii columen , pacisque beata
Non unum populis orantibus annuat omen ?
Pastoris vocem agnosco , quifundere puros
Doctrinæ latices , et relligionis avitæ
Tollere vexillum reginâjussus in urbe ,
Cogit oves, nullo nuper custode vagantes ,
Et docet unanimes uni parere magistro.
Ces vers sont nobles et élégans , l'expression en est
pure , le tour harmonieux et facile. Mais les muses latines
n'ont parmi nous qu'un petit nombre d'adorateurs ,
et la plus belle moitié du genre humain serait privée du
plaisir de les entendre , si elles ne trouvaient un interprète
digne de rendre leurs accens . M. Lemaire a eu le
bonheur d'en trouver un parmi les plus illustres favoris
du Parnasse français. La lyre de M. Legouvé s'est associée
à la sienne , et voici de quelle manière il a traduit
la pensée de son modèle :
Pourquoi ces nouveaux sons , qu'élève dans les nues
L'airain retentissant de cent cloches émues ?
D'où vient cet appareil , qui vers les saints parvis
Appelle le concours des citoyens ravis ,
Et fait, sur les autels parés de dons propices ,
Fumerde toutes parts l'encens des sacrifices?
Quelle imposante voix , digne organe des cieux ,
Chante en accens hardis ces oracles pieux
Qui cessèrent long-tems de pénétrer les ames ;
Et, d'une sainte ardeur y rallumant les flammes ,
Célèbre cet hymen , où la jeune beauté ,
Qu'avec NAPOLÉON joint un noeud respecté ,
Dans ses bras obtenant le doux titre de mère ,
Promet le gage heureux du salut de la terre ?
C'est ta voix , ô Pasteur , qui , cher à ton troupeau ,
Denotre antique foi relevant le drapeau ,
129 MERCURE DE FRANCE ,
Et rouvrant dans Paris les fontaines sacrées ,
Ramènę près de toi les brebis égarées ,
Qui , prenantde tes mains le céleste aliment ,
Ne suivront qu'un seul chef et qu'un seul sentiment..
Après cet hommage aux talens , à l'éloquence et au
zèle de l'illustre prélat , le poëte contemple la France
heureuse par la naissance d'un enfant précieux , gage
du bonheur et de la sécurité de l'Empire .
Opatria , heroum genitrixfecunda, superbum ,
Gallia , tolle caput !jam surgunt aurea verè
Tempora ; plaude tibi ; te vastis ardua ramis
Protegit , et primam generoso è stipite prolem
Arbor agit , longos quæ duratura per annos
Ventorum immota ridebit frontefurores .
O France ! ô mon pays ! ta gloire est achevée ,
De tes nouveaux destins l'époque est arrivée .
Si l'arbre de l'État , vaste , majestueux ,
Inébranlable aux coups des vents impétueux ,
Te couvre de l'appui de son ombre adorée ,
Nul rejeton encor n'assurait sa durée .
Le premier va paraître , et le monde ravi
Sourit à l'avenir dont il sera suivi .
Ces pensées , pleines de justesse , sont rendues avec
noblesse et dignité. La muse du poëte français marche
ici l'égale de la muse latine , et l'on reconnaît que M. Legouvé
sait également bien imiter et créer. Après avoir
fait à sa patrie l'hommage de ses premières pensées ,
l'auteur du poëme tourne ses regards vers l'Autriche ;
il voit dans l'hymen de Marie et la naissance de son
royal enfant un gage de paix et d'amitié entre les deux
Empires , et rappelle ce vers célèbre :
Bella gerant alii , tufelix Austria , nube .
Ce passage conduit naturellement le poëte à l'éloge
de la Princesse chérie , dont les grâces et les vertus ont
captivé le coeur du plus grand des monarques et désarmé
son bras . Il peint en traits vifs et animés le bonheur que
son heureux hymen doit assurer aux deux Etats ; il nous
montre , du haut du céleste séjour , l'illustre Marie
AVRIL 1811 . 121
Thérèse veillant sur son auguste petite-fille , et rassemblant
autour d'elle le cortége de toutes les vertus pour la
rendre digne du trône. Cette image est noble , élevée,
et rendue en très-beaux vers :
Salve, & terrarum tu lumen amabile ; salve ,
OGermanorum dignissima Filia Regum ,
QuæRegeş paritura venis ; tu gaudia nostræ
Gentis , et alter amor ,jungis cum Patre Maritum ;
Sicut ad æstipos pubescens vinea soles ,
Pampineis sociat geminas amplexibus ulmos ,
Dùm gentes hilarem inter se Paana canentes ,
Hospitibus gaudent choreas agitare sub umbris .
Te regnaturam patriis signavit ab astris ,
Inter avos Rex pace potens , Rexfortior armis
Theresia, augustoque caput sacravit honore ,
Dùm nascentem aleret puro Sapientia lacte ;
Regia te Virtus , Pietas te sancta , benigno
Crescentemfovêre, sinu , studioque fideli
Certantes , habilem sceptrisfinxêre gerendis.
Salut , astre adoré; salut, Fille des Rois
Qu'à l'Empire d'Autriche ont portés leurs exploits !
Du bonheur de la France accomplis les prémices ,
Toi , sa nouvelle joie et ses autres délices !
Tonhymen , de Bellone appaisant le courroux ,
Unitdans ses liens ton père à ton époux ,
Commeau soleil d'été la vigne florissante ,
Dans les embrassemens d'une chaîne pressante ,
De deux ormes pompeux sur nos rians coteaux
Joint amoureusement les flexibles rameaux ;
Tandis que , pour charmer l'oubli des jours d'orage ,
Les bergers en chantant dansent sous leur ombrage.
Tu naquis pour régner : veillant sur ton berceau ,
De l'empire à ton front elle imprima le sceau ,
Cette illustre héroïne aux Germains toujours chère ,
Qui fut roi dans la paix , qui fut roi dans la guerre.
La SAGESSE , en ses bras , de son lait bienfaisant
Sur ta lèvre naissante a versé le présent .
La VERTU des grands rois , la PIÉTÉ sincère
P'échaufferent croissant sur leur sein tutélaire ,
Formèrent ta jeune ame , et leurs fidèles mains
Tapprirent à porter le sceptre des humains.
132 MERCURE DE FRANCE ,
Peut-être les zélateurs de la poésie latine trouverontils
que ces derniers vers n'ont pas toute l'énergie de
l'original ; que la pensée du poëte latin est plus serrée ,
ses images tracées plus vigoureusement , son coloris plus
brillant ; mais ceux qui connaissent toutes les difficultés
de l'art de traduire et la supériorité marquée de la langue
latine sur la nôtre , ne s'étonneront point de trouver
quelques passages moins parfaits que les autres ; c'est le
sort de tous les ouvrages ; et si on en peut faire la
remarque ici , M. Legouvé reprend bientôt ses avantages
dans tout le cours du poëme. Un des tableaux les plus
grands et les plus poétiques dont M. Lemaire ait conçu
l'idée , c'est la prosopopée par laquelle il éveille , au
fond de ses grottes humides , le dieu du Tibre , et
évoque de leurs tombeaux les ombres de ces antiques
Romains , l'orgueil de l'Italie , dans les jours de sa puissance
et de sa gloire. Je citerai , pour cette fois , les
vers français les premiers .
De ce chant prophétique entendant l'harmonie ,
L'antique souverain des fleuves d'Ausonie ,
Le Tibre au loin tressaille , et de son lit doré
Levant soudain son front de roseaux entouré ,
S'élançant tout entier de ses grottes profondes ,
Donne à son roi futur le salut de ses ondes .
Ces mouvemens du Tibre ébranlent les tombeaux.
Les mânes glorieux des sages , des héros ,
Dont le noble concours sur sa rive ramène
Le colosse imposant de la grandeur romaine ,
Sortent des vieux cercueils où l'art grava leurs noms ;
Et, spectres animés, debout sur les sept monts ,
Dressent avec orgueil leurs têtes couronnées
Du bandeau lumineux des ombres fortunées
Admirent l'appareil , où les hymnes , l'encens
Suivent NAPOLÉON dans leurs murs renaissans ,
Sentent leur gloire entière , autrefois infinie ,
Pâlir près des rayons de son puissant génie ,
Révèrent son épée , instrument des destins ,
Et sont étoile heureuse , et ses vastes desseins ;
Et d'héroïques feux leurs ames échauffées
Applaudissent enchoeur à de si grands trophées.
AVRIL 1811 . 123
Les vers latins ne sauraient être plus majestueux et
plusbeaux.
Fatidicos sensit Tusco sub gurgite cantus ,
Sensit et obstupuit priscus regnator aquarum
Tibris ; arenosoflavum caput extulit amne ;
Cæsareæque iterùm sperans ditionis honores ,
Venturum ultoremfluctu assurgente salutat .
Hujus in adventum præsago agitata tremore
Sponte sepulcra patent : nocte emersêre profundâ ,
Etpopuli quondam regis sanctique senatûs
Unanimes hodiè manes , radiisque decori ,
Per septem geminos tollunt capita ardua montes ;
Concilium trabeatum , ingens ! stupuêre trophæis
Et sceptro insignem , solemni incedere pompâ
Napoleona suæ rediviva ad mania Romæ ;
Miratique omnes uni succumberefamæ ,
Ensemfatiferum , et venerabile sidus adorant.
En général le poëme de M. Lemaire se recommande
par la richesse des idées , le choix des images , l'éclat ,
la rapidité et la chaleur du style ; si l'on pouvait y trouver
quelque défaut , ce serait peut-être l'excès de ces qualités;
les transitions ne sont pas toujours bien ménagées;
le ton de quelques passages approche un peu de
celui de l'ode ; mais ces fautes sont bien excusables ,
puisqu'elles ont leur source dans les plus nobles motifs ,
l'admiration et le dévouement. Il était difficile de trouver
une plus belle association de talens , que celles de
•M. Lemaire et de M. Legouvé ; unis depuis long-tems
par l'amitié , ils le sont encore par les qualités de l'esprit ,
l'amour et le goût des lettres . Alexandre seplaignait de
n'avoir point un chantre digne de ses exploits , M. Lemaire
a trouvé un interprète que tout le monde envierait.
Il me reste à parler,de l'imitation de M. Ant. Buttura .
Les muses italiennes lui doivent déjà une excellente traduction
de l'Art poétique de Boileau . Il était digne aussi
de s'associer aux deux habiles professeurs qui mettent
si glorieusement à profit les leçons du poëte français .
Ses vers sont faciles , souvent brillans , et rendent assez
bien les beautés de son modèle ; mais quelquefois aussi
124 MERCURE DE FRANCE ,
il me paraît ne pas s'y attacher assez fidèlement , et dessiner
trop légèrement quelques images qui demandaient
un burin plus profond ; la belle prosopopée des ombres
romaines n'occupe dans son poëme qu'une seule strophe :
Vedi pei sette colli , alto consesso !
L'ombre Romane , onde piùfama dura ,
Mirar , con volto di stupore impresso ,
Il semmo Eroe che ogn' altro nome oscura .
Dans le poëme de M. Lemaire , je vois du haut des
cieux Marie-Thérèse veillant sur son auguste petitefille
; cette belle image n'existe plus dans le poëme de
M. Buttura ; elle se trouve remplacée par ce seul vers :
Te di Teresa illuminò la luce .
M. Buttura , il est vrai , n'a voulu qu'imiter ; mais c'est
imiter un peu trop librement. SALGUES .
LE CENTENAIRE DES ALPES , OU L'AVALANCHE .
ANCIENNE ANECDOTE SUISSE . ( Suite et fin *. )
L'ÉTÉ se passa , l'automne de même , sans qu'il fût
question de la noce . Les parens d'Hildegarde ne comprenaient
rien au silence de Philippe et à sa longue patience .
Je n'étais pas ainsi , Elisabeth , dit Conrad à sa femme ,
lorsque tu m'eus dit oui et tendu la main ; je ne pouvais
plus attendre le jour où tu serais toute à moi , et cependant
j'avais le double de l'âge de Philippe .
Philippe leur avait dit que tous les voisins étaient invités
à la noce : c'est un grand surcroît de dépense pour Bertrand
, disait Conrad .
Cela fait plaisir à Philippe , répondait Elisabeth ; son
père est riche ; et nous , n'avons-nous pas les bijoux de
l'empereur ?
Tu as raison , répondit Conrad , je les avais oubliés ;
prenons-les avec nous à la fête , je les lui donnerai , il en
fera ce qu'il voudra ; je ne garderai que le portrait de l'empereur
; je veux voir encore à mon lit de mort mon bon
Rodolphe , et lorsque j'arriverai dans ce lieu où l'on est ,
* Voyez les numéros des 23 mars et 6 avril du Mercure.
:
AVRIL 1811 . 125
dit-on, tous égaux , je lui dirai : Mon bon maître , il n'y a
pas long-tems que je vous ai quitté .
Enfin l'hiver arriva , il s'annonça par un peu de neige ;
dès qu'Hildegarde vit la plaine se blanchir , elle s'inquieta.
Il faut fixer le jour , dit-elle à son ami .-Il faut attendre
les ordres du vieux berger , répondit Philippe .
Dieu ! pourvu qu'ils n'arrivent pas trop tard , s'écria la
jeune fille. Cependant l'amour ne perdait pas ses droits ;
lorsque Philippe était près d'elle à la cabane , leurs craintes
se dissipaient ; ils regardaient tomber cette neige , qui pouvait
être leur tombeau , avec tranquillité. Nous mourrons
ou nous vivrons ensemble , se disaient-ils l'un à l'autre .
Mais c'est lorsqu'ils étaient séparés que la crainte s'emparait
de leurs ames. Souvent Philippe accourait au milieu
de la nuit , hors d'haleine , pour s'assurer qu'il n'était rien
arrivé ; il attendait devant la cabane qu'elle fût ouverte.
Lesmontagnes au-devant de lui ne présentaient plus qu'une
masse uniforme et éclatante de blancheur : il viendra aujourd'hui
le vieux berger , se disait-il; il faut qu'il vienne ,
on ce sera trop tard.
Enfin arriva le messager de malheur et de consolation .
Fixe le jour de ton mariage après demain , dit le vieux
berger à Philippe : les nuages s'accumulent sur le glacier ;
dans peu de jours il aura sa charge complète de neige , et
il sera entraîné .
Philippe se hâta de se rendre à la cabane des parens
d'Hildegarde , il leur fit sa demande pour le lendemain :
ils n'avaient rien compris à ses délais , ils ne comprirent
pas mieux cette détermination si soudaine . L'ame de Philippe
était partagée entre la joie de l'approche de son bonheur
et les inquiétudes sur l'événement qui se préparait.
Il était retourné chez son père pour l'aider aux préparatifs .
La nuit qui précéda son mariage fut terrible , les vents
étaient déchaînés, la neige tombait en aboridance , chaque
minute lui semblait devoir être la dernière de ses espérances
il aurait voulu pouvoir aller à la cabane de Conrad
s'assurer que ses amis existaient encore , mais la nuit
obscure , l'impossibilité de trouver son chemin sur la neige
amoncélée par les vents , étaient des obstacles insurmontables.
Le vieux berger, qu'il avait retenu chez lui , était sa
seule consolation ; il lui assurait que pour cette journée
encore il n'y avait rien à craindre , et que tant qu'on n'entendrait
pas des craquemens dans l'intérieur du glacier il
pouvait être tranquille.
pour
126 MERCURE DE FRANCE ,
Le jour arriva enfin , et la tempête se calma ; le vieux
Sarnen envoya ses serviteurs ouvrir le chemin couvert
de neige , et Philippe se mit en route sur un traîneau
pour aller chercher sa bien-aimée. Oh ! comme son coeur
battait en approchant de la cabane ! il ne fut tranquillisé
que lorsqu'il vit son Hildegarde qui venait au-devant de
lui , car le toit de la cabane était tellement couvert de
neige , qu'à peine pouvait-on s'apercevoir qu'elle existait
encore .
Hildegarde n'avait pas passé une meilleure nuit que
Philippe ; ils sejetèrent dans les bras l'un de l'autre . Encore
quelques instans , dit Philippe , et tu es sauvée.
L'état d'anxiété dans lequel ils vivaient les avait rendus
encore plus chers l'un à l'autre . Philippe pressait tellement
le départ , que le père Conrad lui dit en riant : Quelles
sont les chimères qui t'occupent de nouveau , mon fils ? je
parie que tu penses encore à ton avalanche, et que tu crois
nous sauver ; tu auras beau faire , il n'en sera que ce que
le bon Dieu voudra ..
L'activité de Philippe en redoubla ; il fit dire à tous les
voisins qu'il comptait sur eux , et qu'il se croirait trèsoffensé
si unseul individu , grand ou petit , manquait à sa
noce.
,
Enfin tous les chars et tous les traîneaux furent prêts .
Philippe y avait fait mettre presque tous les ustensiles du
ménage de Conrad , disant que son père en avait besoin
pour la noce . Il resta le dernier pour fermer la cabane
mais il eut bientôt rejoint les voyageurs : son coeur nageait
dans la joie , car son Hildegarde était sauvée . Que
Dieu soit à jamais béni ! lui dit-il en passant près du traineau
où elle était avec son père et sa mère. Amen , dit
Conrad , sans savoir l'objet de cette pieuse exclamation .
Hildegarde levait au ciel son regard reconnaissant. Je vais
vous devancer pour vous annoncer à mon père , dit le
jeune homme , et son traîneau glissant légèrement sur la
neige, ils l'eurent bientôt perdu de vue ; ils allaient très-vite
aussi et arrivèrent bientôt chez le vieux Sarnen , qui les
attendait à la porte et les introduisit chez lui. Quel ne fut
pas leur étonnement de trouver la cabane exactement pareille
à la leur !
Où suis -je ? dit Conrad.
*
Chez toi , camarade , lui dit Bertrand. Mon fils a voula
que vous fussiez ici comme chez vous , et que lorsqu'il
vous prendra fantaisie de venir dans notre vallon , vous y
AVRIL 1811 .
127
trouviez toutes les choses auxquelles vous êtes accoutumés.
Emus et touchés , ils entrèrent, et tout était comme chez
eux ; la grande armoire de bois sculpté , le coffre de même
où ils serraient leurs vêtemens , le rouet d'Elisabeth à côté
de celui d'Hildegarde , les hautes escabelles de bois reluisant;
mais ce qui toucha le plus Conrad , fut de voir son
épée , sa lance , et son casque attachés en trophée à la
paroi et surmontés du portrait de son empereur. Philippe
avait pris ces derniers objets en fermant la maison.
Conrad l'embrassa tendrement. Je te remercie , mon fils ,
lui dit-il , d'avoir invité mon maître à ta noce , j'en aurai
plus de joie encore ; mais il reviendra avec moi dans ma
cabane , car je ne veux pas m'en séparer .
On allait partir pour l'église , lorsqu'Hildegarde observa
qu'un des convives manquait encore , c'était le vieux berger
dela montagne. Le voici , dit Bertrand; il entra en effet ,
et chacun fut bien aise de le voir; il était considéré généralement
malgré ses prophéties , à raison de son grand
âge.
On se rendit an temple ; le nouveau couple était d'une
beauté remarquable ; l'ame des parens était pleine de
joie , et celle des époux d'une tendre émotion ; un respectueux
silence régnait dans la nombreuse assemblée . Le
prêtre fit un discours simple et touchant , et leur donna la
bénédiction . Elle est à moi , s'écria Philippe , et rien ne
peut plus nous séparer.
Onrevint à la maison et tout le monde était disposé à la
joie. Le vieux berger saisit un moment où il se trouva
seul avec Philippe . Heureux mortel ! lui dit-il , tu dois te
féliciter de ce que tout a si bien réussi ; cette nuit même ,
ouje suis bien trompé , arrivera la destruction des cabanes
de la vallée. J'y ai passé il y a quelques heures , j'ai entendu
le bruit sourd qui présage toujours le danger prochain;
une portion considérable du glacier se détachera ,
et la chute de l'avalanche sera terrible. Tu as eu soin , je
pense , que personne ne restât en arrière?
Je vais m'en informer , dit Philippe .
La gaîté présidait au repas , et la coupe joyeuse passait à
la ronde : le vieux Sarnen avait fait plusieurs campagnes
elles lui avaient valu quelques tonneaux de vin du Rhin ,
le meilleur ne lui paraissait pas encore assez bon pour ce
jour- là; il était presque aussi amoureux d'Hildegarde que
son fils : sije n'avais point eu de fils , lui disait-il, il aurait
fallu que tu fusses ma femme. Le berger centenaire était
2.
8 MERCURE DE FRANCE ,
comme un jeune homme ; le sentiment d'avoir sauvé tout
cemonde , faisait circuler dans ses veines un feu électrique .
Le soir arrivé , la joie continuait à régner dans l'assemblée
, on buvait , on chantait , on racontait et on riait . Touta-
coup une forte explosion se fit entendre. Une seconde
suivit , chacun se leva de table ; ce bruit , trop bien connu
des montagnards , porta l'épouvante datis tous les coeurs .
Une avalanche ! une avalanche ! crièrent- ils à-la-fois .
Elle a frappé toutes vos maisons , dit le vieux berger ,
bénissez le ciel ....
Une jeune femme tomba de sa chaise à genoux en
s'écriant : Ma mère ! Dieu ! ma pauvre mère ! ell elle était
peu malade et n'a pu venir avec nous .
uh
Elle vit , dit Philippe. Au même instant deux de ses
valets enfrèrent portant la bonne femme incommodée , et
la déposèrent sur un grand fauteuil de bois. Sur le propos
du vieux berger , Philippe avait pris des informations; cette
femme seule avait été laissée avec une servante pour la soigner,
étant un peu indisposée ; il avait envoyé deux hommes
avec ordre de l'emmener de force , si elle avait voulu s'y refuser;
elle y avait consenti après quelques difficultés : on
l'avait mise dans un traîneau avec la paysanne qui la ser
vait, et à peine étaient-elles en route que la chute de l'avalanche
était arrivée . Sa fille , que l'on rappela à la vie ,
ouvrit les yeux , vit sa mère devant elle , et fut près de se
trouver mal encore de surprise et de joie . Bientôt arri
vèrent d'autres habitans du vallon , qui ignoraient que ceux
du pied du glacier eussent été sauvés :jamais on n'avait
vu, disaient-ils , une aussi terrible avalanche , on ne voyait
pas trace des habitations qu'elle avait couvertes .
Conrad et Elisabeth étaient immobiles comme des statues
en écoutant ces récits . Tu as été plus sage que nous ;
dit Conrad à Philippe , nous te devons la vie , et tout ce
qui nous y attache .-Et notre Hildegarde , dit Elisabeth .
Et le portrait de mon empereur , dit Conrad. -Et le
bonheur devivre tous ensemble , dit le vieux Sarnen , car
nous ne nous quitterons plus; le ciel lui-même , en détruisant
votre cabane , a rompu votre serment d'y rester , et
vous la retrouvez ici .
Les nouvelles que l'on avait apportées mirent tout le
monde en mouvement; les voisins de Courad prirent des
flambeaux de poix pour aller se convaincre eux-mêmes du
danger auquel ils avaient échappé . Il ne resta qu'Elisabeth ,
AVRIL 181t .
Conrad, Bertrand Sarnen , les jeunes époux, le vieuxberger
, la femme malade et quelques enfans .
DE LA
SEINE
Le vieux berger , pour ranimer les esprits abattus, les in-5.
vitaàfaire circuler la coupe ; il réussit dans son dessein , an
douce joie vint se rétablir au milieu d'eux : le centenan
qui leur avait sauvé lavie à tous , était devenu le héros de
la fête , on le regardait avec étonnement ; Sarnen et Conrad
lui-même lui parlaient avec amitié , chacun lui faisait des
caresses . Comme on t'a méconnu jusqu'à présent , disant
Conrad ! combien j'ai moi-même de reproches à me faire
àton sujet! je ne t'ai pas nui , mais je me moquais inté
rieurement de ta science et de tes prophéties. - Cene
sera plus ainsi , disait Bertrand de Sarnen; il deviendra
notre oracle .
Animé d'un esprit prophétique , l'ancien des montagnes
se leva en secouant sa tête couverte de cheveux argentes :
Oh ! mes amis , dit-il , ainsi va le monde ; c'est un com-
> posé d'erreurs et d'imperfections ; on opprime ceux qui
> cherchent à s'instruire , on poursuit comme sorciers ceux
qui étudient avec attention les lois de la nature. Il
> viendra le siècle où il sera permis de se livrer à cette
» étude , d'interroger le cours des astres et les entrailles de
> la terre , de parler aux fils des hommes de leur origine et
> de leur destination : nais dans ce siècle qui sera fier do
ses lumières , l'homme borné ne pourra cependant pas
aller contre les décrets de l'être tout-puissant , ni changer
la marche de la nature et les lois du mouvement. Cepena
> dant si l'on voulait suivre avec attention les traces que j'ai
> observées , on pourrait au moins se garantir des plus dé-
▸ sastreux événemens ; on pourrait de siècle en siècle per-
> fectionner cette étude , établir des observatoires sur nos
> montagnes ; on saurait comment les abymes se comblent ,
*comment les rochers et les glaces se détachent de leurs
■ bases , comme ils sont entraînés par leur propre poids , et
> former là-dessus des systèmes de préservation pour les
> hommes . J'ai rempli ma tâche et ma carrière , c'est à
> d'autres à aller plus loin dans ces connaissances , que le
> simple et vieux berger de la montagne . ( Il s'était animé
> en parlant. ) Aujourd'hui , continua-t-il d'une voix plus
ת faible , j'ai obtenu un beau résultat des peines que jeme
> suis données , mais je sens que ma vieillesse a été forte-
→ ment ébranlée par les inquietudes et l'état d'angoisse de
> moname; la joie même de cette journée est une épreuve
trop forte pour mes sens affaiblis . "
1
130 MERCURE DE FRANCE ,
Cependant la nuit s'avançait , et les curieux ne revenaient
point encore ; les vieux parens avaient besoin de repos;
Tous accompagnèrent le nouveau couple dans la chambre
nuptiale : le vieux Sarnen conduisit ensuite Conrad et
Elisabeth dans celle qui leur était destinée ; le vieux berger
fnt aussi placé dans un bon lit. Sarnen ne put dormir;
l'idée du malheur auquel son fils avait échappé , était continuellement
présent à son esprit; il attendit le retour de ceux
qui étaient allés voir l'avalanche. Ils n'avaient trouvé que
desmontagnes de neige à la place où étaient leurs cabanes ,
mais ils étaient si contens d'avoir sauvé leur vie , qu'ils ne
se plaignaient pas : ils avaient sur eux leurs plus beaux
vêtemens et leurs chaînes d'argent , qu'ils avaient mis pour
la fête : leurs vaches passaientl'hiver dans des chalets plus
bas , en sorte que leur perte ne consistait guères qu'en quelques
meubles bien simples et dans leurs cabanes . Dormez
tranquilles cette nuit , leur dit Bertrand , demain nous verrons
ce qu'on peut faire pour vous aider ; vous vivez , vous
êtes à l'abri , consolez-vous du reste . Il les invita àbien
se reposer. Pour lui , retiré dans sa chambre , il ne cessa
de penser au vieux berger à qui il devait la vie de son fils
et de sa belle-fille; il s'occupa du projet de recueillir , pour
le bien de l'humanité , les précieuses connaissances de cet
homme respectable ; il voulait aussi , de concert avec Philippe
et Conrad , chercher à le rétablir dans l'opinion publique
, et à détruire les préventions défavorables qui existaient
sur son compte , et pour tout cela il résolut de lui
proposer d'achever près d'eux sa longue carrière .
Le jour revint , on se réunit insensiblement autour de
la longue table où Sarnen avait fait servir un bon déjeuner.
Il était intéressant d'observer comme chaque convive
entrait avec un air triste et soucieux , et comment en
s'approchant de Philippe et d'Hildegarde leur physionomie
se ranimait ; ils remerciaient les jeunes époux de les
avoir ainsi préservés , ils leur serraient les mains , et les
priaient de leur pardonner s'ils n'apportaient pas à cette
fête de la joie et de la gaîté . Dans ce moment entrèrent
Conrad et Elisabeth , qui portaient une petite cassette. Ils
se mirent au-dessus de la table. Chacun voulaitleur parler.
Silence , mes enfans , dit Conrad en élevant la voix ;
écoutez-moi , et vous parlerez après .
« Les souverains ne savent souvent pas eux-mêmes comment
et pourquoi ils font le bien ; mais Dieu qui est là
" haut, et qui leur en donne l'idée , sait ce qui en résul
AVRIL 1811 . 131
tera. Ilya bien des années que mon bon maître Rodolphe
, dont le corps est dans le tombeau , l'ame en
» Paradis , et le portrait là au-dessus de mes armes,,jugea
> à propos de me donner beaucoup de pierres précieuses ,
» qui valent une bonne somme d'argent . Jusqu'à ce mo-
> ment je n'ai su que faire de ces bijoux ; je voulais les
> donner pour présent de noce à mon fils Philippe et à ma
> fille Hildegarde , c'est pour cela que j'ai eu le bonheur
> de les prendre avec moi , et les voilà dans ce petit coffret ;
* mais ils serviraient aussi peu entre leurs mains que dans
les miennes . Actuellement , mes amis , je veux qu'on
▸ les envoie à Bâle pour y être vendus , et l'argent qui en
⚫ proviendra servira à rebâtir vos cabanes et à les garnir
comme elles l'étaient de meubles et d'ustensiles .
Etjusqu'alors, ajouta Philippe , vous resterez avec nous ;
nous pouvons bien garder quelque tems nos bons amis de
noce.
Ils tombèrent à genoux , élevant leurs mains vers leurs
bienfaiteurs et poussantdes cris de joie . Relevez-vous , dit
le vieux Sarnen , c'est Dieu qui vous a préservés , c'est lui
quevousdevez remercier; quand vous vous serez acquittés
de ce devoir, il vous en restera encore un autre à remplir
auprès du vieux berger de la montagne ; c'est de lui que
Dieu s'est servi pour vous sauver , c'est à lui que vous
devez ici bas votre reconnaissance. Il n'est pas encore au
milieu de nous . Venez , mes enfans , allons tous ensemble
entourer sa couche ; qu'il voie autour de lui , en s'éveillant,
ceux qu'il a préservés de la mort. On se rendit dans sa
chambre : on y trouva en effet le bon vieillard couché sur
son lit , mais son ame était auprès de Dieu ; son visage
était blanc comme ses cheveux , et comme la longue barbe
argentée qui couvrait sa poitrine , le sourire du bonheur
était encore autour de ses lèvres . Il est allé , dit Sarnen ,
auprès de celui qui l'avait envoyé pour vous sauver ; il lui
rend compte de sa mission. Bon vieillard , sois encore
notre proiecteur. Tous tombèrent à genoux autour de la
couche du centenaire et répétèrent cette prière ; tous accompagnèrent
le lendemain son cercueil dans sa dernière
demeure.
Les joyaux de l'empereur Rodolphe furent vendus ; les
cabanes furent relevées dans le vallon de l'avalanche , et
habitées par des coeurs bons et reconnaissans , dévoués
aux enfans de Conrad et de Bertrand. Les deux familles
restèrent ensemble. La vie des vieillards fut prolongée
12
132 MERCURE DE FRANCE ,
pendant ungrand nombre d'années , et le vieux berger de
lamontagne ne fut jamais oublié ; Philippe et Hildegarde
en parlaient souvent à leurs enfans , etleur disaient : Sans
lui vous n'existeriez pas , car depuis long-tems vos parens
seraient ensevelis sous les neiges de l'avalanche .
Philippe écrivit cette histoire pour conserver parmi nous
lamémoire du berger centenaire .
Par M ISABELLE DE MONTOLIEU .
VARIÉTÉS .
Sixième lettre de l'un des Rédacteurs du MERCURE à ses
confrères sur le troisième Concert de l'Odéon.
CE Concert , Messieurs , du lundi premier avril , avait un
objet qui intéressait vivement les amateurs; c'était le début
deM. Tachinardi, primo tenore, dont la grande réputation,
faite depuis long-tems en Italie, avait passé les Alpes
avant lui. Cette fois le chant, a dominé entiérement , et la
partie instrumentale réduite à deux seuls morceaux n'y a
même pas jeté autant d'éclat qu'à l'ordinaire. La symphohie
de Mozart , en sol mineur , est fort connue. C'est la
meilleure , et rien ne peut mieux faire sentir la différence
qui existe entre Mozart et Haydn que de comparer avec
l'effet de cette symphonie de choix du premier , celui de
l'une des symphonies du second , prise au hasard parmi
plus de vingt-cinq des principales ( 1) .
Le concerto de cor qui a ouvert la deuxième partie du
concert était exécuté et composé parM. Dauprat ; on avait
admiré précédemment la douceur , la pureté de ses sons ;
il a voulu y ajouter cette fois les traits difficiles , les sauts á
grands intervalles , les batteries détachées et précipitées ,
sur-tout dans les sons graves , qui font briller l'adresse mécanique
de l'exécutant , mais qui étonnent l'oreille sans
la charmer . Des artistes célèbres se sont fait admirer par
leur perfection dans ce genre : M. Dauprat ne me paraît
pas encore parvenu à cette perfection , et j'avouerai sans
détour que je désire peu qu'il y parvienne.
Sur les huit morceaux de chant contenus dans le pro-
(1) On en compte entout plus de soixante -douze.
AVRIL 811 . 133
gramine , M. Tachinardi était annoncé quatre fois . Les
quatre morceaux où il n'a été pour rien sont une cavatine
enautée par M. Porto, et de la composition d'un maître
napolitainpeuconnu en France , dont le nom est Pintaora;
un air de Zingarelli , chanté ppaar Mme Festa; un de Cimarosa
, par Mme Barilli ; aucun des trois , malgré le talent
mis dans l'exécution par ces trois artistes , n'a produit
beaucoup d'effet. Le quatrième en a fait davantage ; c'est
un duo de Païsiello , plein d'expression , de simplicité , et
cependant d'originalité , parfaitement rendu par Mmes Festa
etBarilli.
C'est dans un duo de Mayer que M. Tachinardi a paru
pour lapremière fois . L'extrême simplicité de son extérieur
a paru ne pas exclure une assurance qui siedà la supério
ritédu talent. Cette supériorité s'est fait sentir aux connais
seurs dès sa première phrase de chant. Sa voix est parfaitement
belle , et sa manière de la porter et de la conduire,
est de la meilleure et de la plus grande école. Il a été bien
secondé parM Festa, et ce duo , quoique en le considérant
commemorceau de concert , ily eût peut-être encore
quelque chose à dire sur le style dans lequel il est écrit ,
■été vivement et généralement applaudi .
trois
Letrio des Horaces de Cimarosa , où il a reparu aveo
MeBarilli et M. Porto, a encore obtenu et mérité plus
d'applaudissemens. La musique en est admirable; et ces
belles voix ont excité, soit quand on les entendait
seules, soit quand elles se mêlaient ensemble , un véritable
enthousiasme. Le public en a renouvelé les témoignages à
M. Tachinardi lorsqu'il est revenu chanter un fort bel air
deMayer , entremêlé de choeurs . C'est-là sur-tout qu'il a
déployé toute la beauté de ses sons , la perfection de son
art, la pureté de sa prononciation , l'expression profonde et
vraiede son chant , et qu'il a aussi reçu de toutes les parties
de la salle des applaudissemens réitérés et universels ...
Iln'en est pas revenu avec moins de simplicité contribuer
pour sa part à l'effet du beau quatuor de Guglielmi quia
terminé le concert. Cet effet a été , je dirais presque aussi
grand que l'avait été celui du trio. Il est écrit du meilleur
style de ce maître , et rendu , pour le premier soprano , par
Me Barilli; pour le second, par Mme Festa, dont la voix
pure et fraîche dans les cordes hautes , est si pleine et si
ronde dans les tons graves qu'elley prend le caractère d'un
contralto; pour le tenor, parM. Tachinardi, etpour la basse
eu baritono par M. Angrisani. C'estdans l'accord de quatre
1.34 MERCURE DE FRANCE , AVRIL 1811
voix aussi belles , et qui savent si bien garder entr'elles les
proportions et l'équilibre d'on résulte une exécution parfaite,
c'est dans cet accord si difficile et si rare ailleurs qu'en Italie
que consiste véritablement toute la puissance d'une harmonie
mélodieuse . En général , dans ce concert , le chant
a, comme je l'ai dit , tenu son rang qui doit toujours être
le premier , il y a fait sentir tout son charme et exercé tout
sonempire.
Il n'y a eu qu'un avis sur M. Tachinardi , et jamais
peut-être un chanteur n'a réuni à un plus haut point tous
les suffrages. Voici ce qu'un journal italien disait de lui ,
il n'y a que deux mois , à Turin , où cet artiste célèbre a
eu le plus brillant succès dans deux opéra de suite , Trajano
in Dacia etAngelica e Medoro . Ce tenore possède
une plus grande étendue que n'en ont généralement ces
sortes de voix. La sienne qui est très-belle et très-sonore ,
unit si parfaitement les cordes de tête à celles de poitrine ,
qu'elle ne forme qu'un seul regitre. Une prononciation
claire et expressive , l'emphase théâtrale tempérée par le
goût , le clair obscur , le doux et le fort placés à propos ,
les passages etles ornemens faits avecjugement , avec précision,
à leur place , pour enrichir la phrase musicale , sans
endéfigurer le caractère , forment les qualités distinctives
de son chant. Il joint à cela une assurance dans ses talens
qui est exempte d'orgueil , et une hardiesse dans les difficultés
, où l'on ne voitjamais ni témérité ni incertitude...
Rien assurément de plus juste , de mieux observé , ni
demieux exprimé. J'avais lu depuis très -peu de tems ce
passage ; je l'avais très-présent en écoutant M. Tachinardi ,
et plus je l'entendais , plus j'en reconnaissais la vérité.
C'était pour moi comme le portrait d'une personne inconnue
envoyéd'avance , etdont on vérifie la ressemblance
quand l'original est arrivé.
N.B. La fin de cette lettre qui a pour objet le quatrième
et dernier concert , n'a pu entrer dans ce numéro. Nous
l'avons réservée pour le numéro prochain .
POLITIQUE.
ILne s'est rien passé en Turquie qui mérite d'être rapportécomme
événement militaire , depuis la prise de Lofeza
par les Russes , sous les ordres du comte de Saint-
Priest. L'état du général en chef Kamenski ne donne point
d'espérances . Le lieutenant-général comte de Langeron a
le commandement de l'armée par interim . Les préparatifs
à Constantinople , pour soutenir la guerre , sont continués
avec la plus grande activité. On croit que l'armée sera portée
à 150 mille hommes , et que le Grand-Seigneur la commandera
en personne. Il est parti de ce port douze vaisseaux,
de ligne appartenant à la division qui doit agir dans
la mer Noire. On travaille sans relâche à l'arsenal pour
équiper le reste de la flotte le plus tôt possible. C'est Vely
Pacha qui est destiné à agir offensivement contre les Russes
dans la campagne prochaine. Il aura sous ses ordres les
meilleurs généraux turcs . Le grand-visir restera à Schumla
sur la défensive .
La maladie du roi de Suède n'a pas fait de progrès alarmans
: les médecins comptent sur son prochain rétablissement
, et le font espérer. Le comte d'Essen passe en
Pomeranie , où il aura le commandement des troupes suédoises
destinées à garantir ces côtes des incursions et des
tentatives anglaises. Sur toutes les côtes de la Baltique où
une nouvelle expédition anglaise , une seconde fois commandée
par l'amiral Saumarez , est attendue , des cordons
de troupes se grossissent. Les Prussiens les garnissent en
même tems que dans divers ports les saisies et les confiscations
continuent à réprimer la contrebande anglaise ,
et à désoler son commerce qu'elle ne peut plus tenter que
par des fraudeurs . Les Danois ont fait une tentative contre
l'ile d'Anholt occupée par les Anglais ; ils y ont apporté
une valeur au-dessus de tout éloge , mais leur tentative
n'a pas réussi , et les divers assauts livrés à la forteresse
ont été repoussés avec perte . Les Anglais ont eux-mêmes
rendu un éclatant témoignage d'estime à la bravoure des
assaillans dans la lettre que leur chef a écrite , pour conve
nir d'un échange de prisonniers.
136 MERCURE DE FRANCE ,
4
La situation de la banque anglaise devient de jour en
jour un sujet d'inquiétude plus vive pour le gouvernement,
les capitalistes et le commerce ; d'après les docu
mens recueillis depuis le 1er mars , l'Alfred fait à cet
égard les réflexions les plus frappantes qu'il appuie par
des calculs positifs ; au lieu de croire , dit-il , que l'argent
a éprouvé une hausse de 10 pour 100 , il faut reconnaître
que le papier a subi une baisse de 10 pour 100 , qui
ajoutée à la dépréciation précédente , forme un agio de 20
pour 100. Je défie , dit l'écrivain que nous citons , de
réfuter cette assertion et les conséquences qu'on en doit
tirer pour l'avenir. Quant au remède qu'il est instant
d'apporter , il n'y en a qu'un ; c'estde revenir bien vite
à la vieille manière anglaise , et de payer en guinées , en
demi-guinées et en argent au pair, ce qui est moins facile
à faire qu'à conseiller . La quantité de billets de banque
en circulation est de 17 millions sterling : à 20 fr . , c'est
340 millions de francs de billets de banque en circulation.
Un mémoire et des représentations contre l'émission
d'un plus grand nombre de licences d'importation , signés
par les premières maisons de commerce de Londres , ont
été présentés au bureau du commerce : les pétitionnaires
demandent la révocation entière de ce privilége , comme
étant le plus sûr moyen de contrecarrer les vues du gou-
Vernement français .
Il n'y a aucun de nos lecteurs , dit à cet égard le Courrier,
qui ne sache que la France se départ , selon le besoin,
de ses restrictions commerciales , et que de tems à autre il
s'établit des relations de commerce avec ce pays . Elle s'approvisionne
ainsi des objets dont'elle a besoin , et ses resfrictions
reprennent vigueur lorsqu'elle a ce qu'il lui faut.
Les négocians les plus éclairés ont été d'avis qu'il ne fallait
pointdonner les mains à ce petit manége , qui , sans un
avantage réel pour ce pays , empêche que l'ennemi ne
souffre de ses propres mesures; ils demandent en conséquence
au gouvernement de ne point donner de licences
d'importation , et leur pétition à cet effet au conseil de
commerce présente cette mesure comme le moyen le plus
efficace de contrarier les vues du gouvernement français .
Cette demande est sage et à-propos . Si pareille mesure eût
été adoptée dès les premières restrictions imposées par la
France, nous l'aurions depuis long-tems réduite à s'en dé
gister; mais il n'est pas trop tard encore , et nous espérons
AVRIL 1811 . 137
quele conseil de commerce acquiescera à la demande des
négocians.
On peutdémontrer encore mieux , dit le Morning-Chronicle,
le tort que font éprouver ces importations immenses
pour le compte de l'étranger , par la perte qu'elles font
éprouverà nos colonies et à notre navigation , en ce que
plusieurs des articles qui nous sont apportés du continent,
établissent une concurrence avec les mêmes articles de nos
colonies et des Etats de nos amis , qui en sont exportés sur
des vaisseaux anglais et fournis en paiement de produits
de manufactures anglaises . Nous citerons entr'autres le
coton et le chanvre . Nos manufactures reçoivent le coton
de nos colonies des deux Indes et de celles des Portugais et
des Espagnols , qui ne trouvent plus de débouché , et le
chanvre est à six bas prix qu'il porte grand préjudice à sa
sulture dans le royaume. Quant aux pertes que ces prohi
bitions causeraient au revenu de l'Etat , et aux réglemens
que l'on ferait pour ne recevoir les denrées utiles au pays ,
que contreune exportation de ses produits , l'on observera
que quand bien même ces restrictions ne provoqueraient
point des échangés , elles auraient du moins l'avantage de
suspendre la chute si rapide de notre change..
La crainte de trouver des non-valeurs , quelque légères
qu'elles puissent être , au milieu de toutes les dépenses
qu'il nous faut faire à l'étranger , poursuit vivement nos
ministres; on sait qu'il faut lui attribuer l'émission des
licences sans condition , et qu'elle est seule l'obstacle que
le commerce trouve à faire accueillir ses représentations .
Cependant nous savons qu'une assemblée générale du
commerce s'apprête à les faire valoir de nouveau , et nous
espérons que l'on cédera enfin à l'unanimité des opinions
sur cette matière.
La pétition que les manufacturiers deGlascow et des
environs se proposent de présenter à la chambre des communes
, contient les tristes résultats suivans :
Sur 9560 métiers dans Glascow et les lieux les plus
voisins , 3889 étaient sans travail à l'époque du 8 février
dernier; le mois suivant en a ajouté 500 autres à ce premier
nombre ; ce qui forme un total de 4389 métiers sans
travail. Les manufactures des villes et villages de l'intérieur
dupays manquaient encore plus d'ouvrage : sur 825 métiers
dans la ville d'Hamilton , il y en avait , à la même
époque ,365 sans travail.
Les autres villes en proportion ; de sorte queles métiers
138 MERCURE DE FRANCE ,
sans travail , dans la partie occidentale de l'Ecosse , sont
calculés au-dessous de leur véritable nombre , quand on les
évalue à 15,000. On sait assez que chaque métier sans travail
laisse également sans travail les tourneurs , les garçons
d'ateliers , les dessinateurs , etc ; ce qui , joint à ce premier
compte , faitmonter à 30,000 individus le nombre des personnes
privées de travail . »
La décision définitive prise par les Etats-Unis , vient
d'ajouter singulièrement aux embarras d'une telle position .
Le bill supplémentaire de non-intercouse a passé au
sénat et dans la chambre des représentans . D'après la loi
qui est maintenant en vigueur en Amérique à ce sujet ,
tous bâtimens arrivant dans les ports d'Amérique , ayant
fait voile d'Angleterre ou de quelques-unes de ses dépendances
après le 2 février 1811 , sont sujets à la confiscation ,
ainsi que leurs cargaisons , et seront en conséquence confisqués
. M. Joel Barlow est nommé ministre plénipotentiaire
du gouvernement des Etats-Unis , à la place du général
Armstrong ; et il est arrivé en Amérique un nouveau
ministre français , à la place de M. Turreau .
Le Moniteur contient une seconde relation de la bataille.
de Chiclana , telle que l'a décrite le maréchal duc de Bel-
Lune. La disposition générale de cette affaire , la situation
dans laquelle s'est trouvé le duc deBellune par le défaut
deconcours des corps sur l'appui desquels il comptait , le
but de l'ennemi et le résultat de son entreprise sont assez
connus , d'après la dernière relation ; nous nous bornerons
à citer le passage de la lettre du maréchal , où il retrace le
moment le plus vif de l'engagement général de ses 8mille
braves contre 22 mille ennemis . Les Anglais ont vainement
prétendu qu'ils n'avaient pas été soutenus par les
Espagnols ; les informations prises sur la dénonciationdu
général anglais contre le général espagnol Lapena , et l'indication
des régimens engagés , prouvent le contraire.
« L'ennemi , dit le duc de Bellune , sentant qu'il n'était
pas question de combattre pour la victoire , mais pour son
salut, se battit avec courage , supportant; un feu qui lui
renversait des hommes par centaine. Mais il était sinombreux
qu'aussitôt qu'une ligne était culbutée , elle était
remplacée par une autre . Nos soldats se battaient enlions.
Un corps espagnol gagnait sur la droite du général Leval;
ce qui me détermina à faire un mouvement sur sa droite ,
et à ordonner au général Ruffin de se rapprocher de sa
gauche. Après deux heures et demie d'une action extrê
AVRIL 1811 . 139
mement vive, il était trois heures après-midi, le feu cessa
de part et d'autre , l'ennemi renonça au projet pour lequel
il était en mouvement depuis deux mois , et qui était de
prendre Chiclana etde tourner nos lignes . De notre côté ,
je renonçai à l'espérance de le détruire; espérance qui aurait
été insensée du moment où j'avais reconnu que sa
force montait à 22,000 hommes , parmi lesquels étaient au
moins 8000 hommes des meilleures troupes des Anglais ,
au nombre desquelles étaient plusieurs corps des gardes .
→ Je le répète , l'armée ennemie était de 22,000 hommes ,
ycompris 8000 hommes d'infanterie anglaise , 700 hommes
de cavalerie espagnole et 500 cavaliers anglais. Les renseignemens
des prisonniers , des habitans du pays , et tous
mes rapports , ne laissent aucun doute sur ce nombre . Si
j'avais seulement été aidé par le quart du 4º corps , toute
cette armée était perdue. Nous avons pris trois pièces de
canon., trois colonels , 100 officiers et 600 soldats , pour la
plupart Espagnols. Les Espagnols ont beaucoup souffert ;
on évalue leur perte à 2000 hommes : mais la perte éprou
vée par les Anglais a aussi été très-forte. Les calculs les
plus modérés la portent à 2500 hommes tués ou blessés .
» Le général Ruffin , blessé avec ses tirailleurs , a été fait
prisonnier.
Les 8°, 24 , 54° et 96° régimens se sont distingués .
- Le général Rousseau , officier du plus grand mérite , et
le colonel Autié ont été tués . Notre perte est très-sensible ,
vu le petit nombre de nos combattans. Nous avons eu
300 hommes tués et 1400 blessés. L'ennemi ne nous a pas
fait de prisonniers , si ce n'est une soixantaine d'hommes
qui étaient grièvement blessés. Un bataillon du 8º ayant
chargé dans un pays couvert , et son porte-aigle ayant été
tué, nous n'avons pas retrouvé son aigle .
Pendant que l'ennemi marchait sur Chiclana , les insurgés
des montagnes se jetaient sur nos derrières par
Arcos et Medina. Tous les points de notre ligne ont été
attaqués : mais la valeur du premier corps l'a emporté sur
le grand nombre de nos ennemis. Cette affaire a porté au
dernier point l'admiration des habitans de l'Andalousie .
Ils ont peine à concevoir comment si peu de monde a
résisté à tant d'efforts combines. J'ai beaucoup à me louer
demes aides-de-camp , et sur-tout de mon premier aidede-
camp le colonel Chataux. Je ne puis d'ailleurs citerpersonne
: officiers et soldats , tout le monde a fait son devoir.
140 MERCURE DE FRANCE ,
Le général Cassagne , avec la garnison de Médina , n'est
arrivé que deux heures après l'action . "
Toutes les provinces du Nord sous le commandement
du maréchal duc d'Istrie , la haute Catalogne sous le commandement
du général Baraguay-d'Hilliers , jouissent de
la plus parfaite tranquillité. A Gironne , le général Baraguaya
donnéune fête magnifique à l'occasion de la naissance
du roi de Rome. L'allégresse des Français a été
partagée par tous les habitans , et la part qu'ils ont prise
à ce grand événement s'est manifestée de toutes les manières
possibles .
A Madrid , la fête donnée pour le même objet , a eu
le plus grand éclat . La foule qui s'est portée aux combats
du taureau et aux magnifiques illuminations des grands
édifices , était immense ; aucun accident n'a troublé la
fête. Ily a eu galas à la cour deux jours de suite. Les
spectacles et le cirque ont été ouverts gratuitement. On
remarque que les opéras français traduits en espagnol ,
ontuntrès-grand succès à Madrid.
Le roi a été passer quinze jours àAranjuès. Une divis
sion de sa garde s'y est rendue. La plus parfaite tranquil
lité continue à régner dans la capitale . Les troupes qui
s'y trouvent sont toujours sous les ordres du général Béliard.
La ville de Séville continue à être le centre des
administrations militaires , et il y règne une grande activité
, occasionnée par le passage continuel des troupes,
Les travaux continuent dans le grand arsenal ; chaque jour
ony fabrique des munitions de guerre, Dernièrement il
est encore parti pour le camp devant Cadix une division
de mortiers de nouvelle invention . Des détachemens partent
sans cesse de Séville pour la même destination . On
dit que le maréchal duc de Trévise conservera le commandement
du corps qui a occupé Badajos , et que le
maréchal duc de Dalmatie reviendra à Séville pour se
porter partout où sa présence sera nécessaire . La route
militaire passe de Séville par Santa -Ollala , Cala , Monasterio
et Zofra . Les postes principaux de cette route sont
occupés par des garnisons françaises ; et les fortifications
de Zofra , qui avaient été détruites dans ces derniers tems ,
ontde nouveau été réparées pour former une place forte.
Le jeudi saint , l'Empereur a admis à son audience le
prince d'Hasfeld , chargé par S. M. le roi de Prusse de
féliciter l'Empereur sur la naissance du roi de Rome.
M. de Czernicheff, aide-de-camp de l'empereur de Rus
AVRIL 1811 . 141
sie et colonel des chevaliers-gardes , est aussi arrivé à
Paris; il a eu l'honneur de chasser le 16 avec S. M. dans
la forêt de Saint-Germain , avec le grand-due de Wurtz
bourg, le roi de Naples , le prince Borghèse , le prince
vice-roi ,plusieurs maréchaux et généraux également admis
à cet honneur .
On attendait avec intérêt la fixation de l'époque de la
célébration des fêtes pour la naissance du roi de Rome.
La note officielle ci-après , vient de dissiper tous les
doutes à cet égard :
« Le 2 juin , jour de la Pentecôte , LL. MM. se rendront
, suivant l'usage , dans l'église métropolitaine de
Notre-Dame pour rendre grace à Dieu de la naissance
du roi de Rome , et pour assister à son baptême ; à l'issue
duquel il sera chanté un Te Deum , solennel.
Après cette cérémonie , LL. MM. iront à l'Hôtel-de-
Ville , où elles dîneront et d'où elles verront tirer un feu
d'artifice .
„ Ce jour-là et les suivans , les fêtes qui ont été projetées
auront lieu à Paris et dans tout l'Empire .
Le Corps-Législatif est convoqué pour la même époque .
L'ouverture de sa session aura lieu le 2 juin
Le mercredi 17 , ont été présentés par S. A. S. le prince
archichancelier de l'Empire , au serment qu'ils ont prêté
entre les mains de S. M.: M. le duc de Bassano en qualité
deministre des relations extérieures , et M. le comte Daru
en qualité de ministre secrétaire-d'Etat . S....
PARIS.
PAR décrets impériaux du 17 avril , S. M. a organisé les
cours impériales de Grenoble , de Riom , de Rennes et
deBourges.
-Par décret du même jour, M. le sénateur Fabre est
nommé procureur-impérial près la commission du sceau
destitres.
- S. M. l'Impératrice a reçu , lundi dernier , les félicitations
des princes et princesses de la famille impériale , des
grands-dignitaires et des dames du palais .
-Le mardi , S. M. a reçu également les cardinaux , les
ministres , les grands-officiers de l'Empire , et les femmes
des ministres et des grands-officiers .
- Mercredi S. M. , après avoir fait une promenade sur
142 MERCURE DE FRANCE ,
laterrasse des Tuileries , a reçu les officiers et lesdames de
la maison de l'Empereur. 1.
-Jeudi , S. M. a reçu le corps diplomatique . Avant
cette audience , elle était sortie en voiture et était allée se
promener jusqu'au Bois de Boulogne .
- S. M. est entiérement rétablie .
-Les facultés de théologie , des sciences et des lettres
de l'Académie de Paris , ont été installées le mercredi 17 ,
avec la plus grande solennité , par son Excellence le grand
maître de l'Université Impériale. Son Excellence a prononcé
le discours d'installation , et M. Lemaire a immédiatement
après improvisé , en quelque sorte , sa première
leçon de poésie latine. Elle a été entendue avec le plus
viť intérêt. Les citations faites par le professeur ont donné
lieu à des allusions aussi vivement senties qu'elles étaient
choisies heureusement .
- Le célèbre médecin M. Desessartz , doyen de l'ancienne
faculté de médecine de Paris , vient de mourir
dans un âge très -avancé .
ANNONCES .
•Pharmacopée générale à l'usage des pharmaciens et des médecins
modernes , ou Dictionnaire des préparations pharmaceutico-médicales
simples et composées et les plus usitées de nosjours , suivant les nouvelles
théories chimiques et médicales ; par L. V. Brugnatelli , médecin
de Pavie , professeur de chimie générale en l'Université de certe
ville , de l'Institut national d'Italie , de la Société italienne , de l'Académie
impériale des sciences , de la Société d'Agriculture de Turin ,
etde la plupart des Académies et Sociétés savantes de l'Europe. Ouvrage
traduit de l'italien , avec des notes par L. A. Planche , pharmacien
, membre de l'ancien Collége et de la Société de pharmacie
de Paris , de la Société de Médecine , etc. , etc. , etc. Deux vol.
in-8° , imprimés en caractères neufs , sur beau papier , avec le portrait
de l'auteur , cinq planches gravées représentant divers appareils,
et un grand nombre de tableaux . Le traducteur y a joint un Appendice
contenant différentes préparations pharmaceutiques . Prix , 10 fr .
50 c. , et 13 fr . franc de port; papier vélin , 21 fr . , et 24 fr . franc de
port. Chez D. Colas , imprimeur-libraire , rue du Vieux- Colombier ,
nº 26, faub. Saint-Germain.
AVRIL 1811 . 143
Epitre sur quelques genres dont Boileau n'a pointfait mention dans
son ART POÉTIQUE ; par J. B. Chaussard , aîné , professeur académique
dans l'Université impériale , ancien directeur-général des bureaux
de l'instruction publique , membre de l'Académie de Rome ,
de l'Institut d'Amsterdam , et de plusieurs autres corps savans et littéraires.
Brochurein-4° . Prix, 1 fr . 50 c. , et 1 fr . 70 c . frane de port ;
papier vélin , 3 fr. , et 3 fr. 20 c. franc de port. Chez Pierre Didot
l'ainé , rue du Pont-de-Lodi ; Arthus-Bertrand , libraire , rue Hautefeuille
, nº 23 ; et chez D. Colas , imprimeur-libraire , rue du Vieux-
Colombier , nº 26, faubourg Saint-Germain .
LeLivredePoste pour 1811 , ou Départ de Paris des courriers de
la Poste aux Lettres , imprimé avec autorisation de l'administration
générale des postes . Prix , I fr . 50 c. Chez Lecousturier l'ainé , rue
J.-J. -Rousseau , nº 12 , en face de la Poste aux Lettres . Dansles
départemens , s'adresser aux directeurs des postes .
Le Livre de Poste indique les endroits où sont établis les bureaux
de Poste aux Lettres , en les dénommant par leurs véritables noms ,
les départemens dans lesquels ils sont situés , et les jours de départ de
Paris , suivant le Calendrier Grégorien , par lundi , mardi , mercredi ,
jeudi , etc. Le nouveau service des bureaux de Poste aux Lettres établis
en Hollande depuis le rer avril , est détaillé avec la plus grande
exactitude. On trouvera à la suite les jours de départ pour les villes
et pays étrangers avec la distinction de ceux pour lesquels il faut
affranchir, de ceux pour lesquels on est libre d'affranchir , et de ceux
enfin pour lesquels on ne peut affranchir. Vient après un état des
communes et de tous les endroits de la banlieue de Paris , qui sont
servis par la poste de Paris .
Histoires saintes les plus remarquables et les plus intéressantes de
l'ancien Testament , propres à commencer l'instruction de lajeunesse ,
extraites du P. Berruyer, rapportées de manière à en rendre la lecture
agréable à tous les âges , et à faire connaitre les moeurs et les usages
des Israélites , à l'usage de tous les lycées , pensions et écoles secondaires.
Un vol. in-12, orné de 8 gravures , représentant 16 sujets .
Prix, broché , 3 fr . , et 4 fr. franc de port. Chez Belin , fils , libr . ,
quai des Augustins , nº 55 ; et chez Arthus -Bertrand , libraire , rue
Hautefeuille , nº 23 .
GRAVURES.-Etudes de fleurs dessinées par Mme Vallager-Coster ,
de la ci-devant académie royale de peinture , et gravées par L. J.
Allais. Prix de chaque cahier composé de quatre feuilles ; sur grand
papier, 9 fr .; sur papier ordinaire , 6 fr . Estampes coloriées par l'Au
144 MERCURE DE FRANCE , AVRIL 1811 .
teur. sur grand papier . chaque feuille, 12 fr . , et sur papier ordinaire,
12 fr . chaque cahier. Chez l'Auteur , rue des Bons-Enfans , nº 19 ; et
chez Bance , marchand d'estampes , rue Saint-Denis . nº214.
On connaît le rare talent de Mme Vallager-Coster pour la peinture
des fleurs . Reçue à l'ancienne Académie dans un âge où les succès des
écoles sont encore flatteurs pour la plupart des artistes , elle a fait depuis
un nombre très -considérable de dessins et de tableaux dont plusieurs
ne seraient pas indignes des meilleurs maîtres . C'est donc un
service réel qu'elle rend aujourd'hui aux amateurs en publiant ses
savantes études , où elle représente les fleurs dans leurs différens degrés
de développement. La vérité parfaite de l'imitation les rendra sur-tout
fort utiles aux personnes qui s'exercent dans ce genre de peinture .
M. Allais a su conserver dans ses gravures toute la pureté du dessine
Les estampes coloriées de la main de l'Auteur paraissent de véritables
gouaches , très-dignes d'être encadrées comme ornement. Enfin , il
nous semble que ces Etudes peuvent être utiles , non-seulement aux
amateurs , aux élèves , aux professeurs de dessin , mais encore aux
manufacturiers , qui y trouveront des modèles pleins de vérité et de
goût.
AVIS.-Le conseil de jurisprudence , séant à Paris , rue de M. le
Prince , nº 12. près l'Odéon , vient de faire paraître , en deux volumes
in-80 , le Mémorial , ou Tableau analytique de ses décisions , rédigé
par M. Lefebvre , ancien avocat , fondateur en l'an IX ( 1800 ) de
l'université de jurisprudence directeur général du conseil. Cet
ouvrage contient un grand nombre de solutions sur des questions
neuves et d'une haute importance qui ont été soumises à la décision
du conseil pendant les années 1808 , 1809 et 1810 : il contient aussi
plusieurs morceaux sur la législation , l'éloquence judiciaire et surdes
parties importantes du droit qui présentant le plus grand intérêt . Nous
rendrons compte de cet ouvrage. A compterdu 1er janvier 1811. la
suite est publiée périodiquement par numéros de quinzaine en quinzaine
(1 ) ; les quatre premiers numéros ont été livrés aux abonnés
avant le rer mars . Le premier numéro renferme un article intitulé :
Coup-d'oeil sur la nouvelle organisation judiciaire et la solution du
conseil accueillie par la Cour suprême , d'une question neuve en matière
de divorce , qui a fixé l'attention de tous les jurisconsultes.
Le jardin du fleuriste Tripet est dans tout son éclat. Les amateurs
des jardins sont invités à visiter le parterre de ce fleuriste célèbre
poury contempler de vraies merveilles en tulipes , en jacynthes , etc.
Ce parterre est au bout des Champs-Elysées , nº 20.
-
(1) Quarante-huit feuilles par an , en 24 livraisons. Prix , 15fr.
franc de port.. On souscrit à Paris , au conseil de jurisprudence..
LA
HER
SEINE
MERCURE
DE FRANCE.
N° DX.
-
Samedi 27 Avril 1811 .
POÉSIE .
LA MORT DE ROTROU ,
PAR M. MILLEVOYE .
Cen
Pièce qui a remporté le prix de poésie aujugement de là
classe de la langue et de la littératurefrançaises de l'Insa
titut impérial.
CELUI qui dans ses vers , dictés pour l'avenir ,
Evoque des héros l'imposant souvenir ,
Doit prétendre sans doute à d'éternels hommages ;
Mais quel plus digne encens obtiendront ses images ,
Si , doublement fameux , il offre à son pays
Le chantre et le héros en lui seul réunis !
Dreux ainsi , dans Rotrou , vit l'accord magnanime
D'un sublime talent et d'une ame sublime.
Cette ville où le sort jadis avait gardé
Un revers à la France et des fers à Condé ,
Honorant le poëte , à sa main illustrée
Confiaitde Thémis la balance sacrée .
K
146
MERCURE DE FRANCE ,
:
:
Vers Paris un instant par la gloire entraine ,
Des palmes du théâtre il marchait couronné ,
Etdu Cid méconnu défendant la merveille ,
Devant Richelieu même osait louer Corneille.
:
Le cirque était ouvert. Rotrou voyait les pleurs
Applaudir Venceslas et ses nobles douleurs .
Corneille , dont l'estime et l'enflamme et l'honore ,
Assisteà son triomphe et l'embellit encore.
Voilà qu'un bruit fatal , trop prompt à circuler ,
Aux applaudissemens est venu se mêler .
Des tragiques douleurs la vue est détournée ;
Demoment en moment , la foule consternée
Attache sur Rotrou son regard inquiet.
On le plaint , il s'étonne; il s'informe , on se tait.
Sontrouble s'en augmente : il insiste , il arrache
Le déplorable aveu du malheur qu'on lui cache.
O revers ! Dreux périt sous un mal destructeur.
Rotrou frémit. Il sait qu'un hameau protecteur
Retient loin des dangers les enfans qu'il adore;
Mais ses concitoyens sont sa famille encore.
Ni les transports flatteurs de ce peuple exalté,
Ni ses amis en deuil , ni son frère attriste ,
Ni les touchans regrets , ni l'amitié sincère
Du grand homme chéri qui le nomme son père ,
Rien nel'arrête ; il part seul à travers la nuit ,
Et cherche les périls comme un autre les fuit.
Mais sur sa route il croit , dans les vastes ténèbres ,
Entendre des sanglots et des plaintes funèbres ,
Et voir de ses amis les fantômes errer.
Le jour , qui de ses feux commence à l'éclairer ,
Lui semble enveloppé de sinistres nuages.
Ces vallons si connus , ces coteaux , ces ombrages ,
Tout est changé pour lui ; du deuil , de la couleur ,
Tout prend à ses regards la lugubre couleur.
Il arrive : àla mort il voit sa ville en proie.
Hélas ! ce n'étaient plus ces longs accens de joie
Qui fètaient son retour en des tems plus heureux.
Tout demeure absorbé dans un silence affreux .
Iln'entend plus , au sein de ces tristes murailles ,
Que le bruit gémissant du char des funérailles.
AVRIL 1811 .
147
Il appelle en pleurant ceux qu'il a tant chéris :
Lacloche du trépas répond seule à ses cris .
Cepeuple entier , cédant au malheur qui l'accable ,
De vivre et de mourir à-la- fois incapable ,
N'ose pour son salut tenter un noble effort :
L'effroi produit l'effroi , la mort produit la mort.
Cherchant à s'isoler des publiques misères ,
Chacun fuit. Seulement on voyait quelques mères
Affronter sans pâlir le fléau désastreux ,
Et sauver leurs enfans en s'immolant pour eux .
Rotrou , dieu tutélaire, en ces lieux de tristesse ,
Dispute avec la mort d'ardeur et de vitesse.
Son zèle,infatigable au milieu des travaux ,
Donne aux uns des secours , aux antres des tombeaux.
Il est partout ; son ame au loin se multiplie :
Il agit, il ordonne , il menace , il supplie ,
Et lui-même affrontant l'hydre au souffle infecté ,
Rassure la terreur par l'intrépidité.
Digne fils d'Apollon , sa noble insouciance
De l'avare Plutus dédaigna la science ;
Mais offrant au malheur d'héroïques secours ,
Adéfaut de trésors, il prodigue ses jours .
Dix fois l'astre nocturne a chassé la lumière ,
Sans que le doux sommeil ait touché sa paupière ,
Le poids dela fatigue en vain l'accable ; en vain
La fièvre de la mort fermente dans son sein :
Il marche , et des héros enfans de sa pensée
La gloire disparaît , par la sienne effacée.
Nul danger , nul effroi ne peut le retenir :
Tant de travaux heureux qu'espérait l'avenir,
Tant d'écrits imparfaits , tant de riches idées
Que son génie encore eût long- tems fécondées ;
Tantde lauriers nouveaux à sa gloire promis ;
Il ne regrette rien , s'il meurt pour son pays.
D'un frère vainement le fidèle message
Arappelé ses pas sur un plus doux rivage :
Sa vertu rougirait d'hésiter un instant.
Il voit venir la mort , il la voit et l'attend.
K 2
148 MERCURE DE FRANCE ,
Immuable , il répond au frère qui l'implore :
«Pour la vingtième fois j'entends depuis l'aurore
Sonner à mes côtés le lugubre beffroi ;
Ce soir , si Dieu l'ordonne , il sonnera pour moi..
Il disait ; mais , vaincu par tant de vigilance ,
Le fléau dévorant se retire en silence ;
Déjà , de bouche en bouche à l'envi répétés ,
Les bienfaits de Rotrou jusqu'aux cieux sont portés .
Des palmes à la main, vers le toît qu'il habite
Unpeuple délivré vole et se précipite.
Insensés ! retenez un aveugle transport;
Nemêlez point vos chants aux soupirs de la mort ,
Votre libérateur touche au moment suprême ;
Des coups qu'il vous épargne il est atteint lui-même ;
C'est pour vous qu'il expire ! ... Etcette foule en deuil ,
Muette, tient les yeux attachés sur le seuil.
On entendait encor dans la funèbre enceinte
Le murmure affaibli de la prière sainte ;
Le ciergedes mourans versait encor ses feux ....
Aux bruits confus succède un calme ténébreux ;
C'est celui des tombeaux. Près du lit d'agonie ,
Le cierge s'est éteint, la prière est finie.
Unpâle serviteur se présente interdit.
Il se tait : sa pâleur , son silence a tout dit.
Les citoyens , poussant des clameurs déchirantes ,
Ont cru voir se r'ouvrir les tombes dévorantes ;
On dirait qu'à-la-fois frappés des mêmes coups ,
Delamort d'un seul homme , ils vont expirer tous .
On le pleure : et déjà les demeures heureuses
Ont ouvert devant lui leurs portes lumineuses ;
Il visite déjà les bosquets éternels ,
Aubruit des harpes d'or et des chants solennels ,
Etpasse tour-à-tour , dans ces belles retraites ,
Du séjour des héros au séjour des poëtes .
Tantôt il se couronne à leurs yeux enchantés
Deces lauriers que Mars n'a point ensanglantés ;
Tantôt , seul à l'écart , sur la lyre fidèle
Il chante les vertus dont il fut le modèle .
O rivages de l'Eure ! ô bords délicieux !
Il vous cherche toujours ; et , jusque dans les cieux ,
Gardant le souvenir de sa ville chérie ,
Il forme encor des voeux pour la douce patrie.
AVRIL 1811 . 143
LA MORT DE ROTROU ,
PAR M. DE LATOUCHE.
Pièce à laquelle la classe de la langue et de la littérature
françaises , dans sa séance du 10 avril 1811 , a accordé
un premier accessit , en regrettant de n'avoir pas un
second prix à donner.
Il était digne d'avoir des talens , car il eut des vertus .
THOMAS , Essai sur les Eloges.
Tour entier à l'ardeur de ses illustres veilles ,
Le vieux contemporain de l'aîné des Corneilles
Achevait Venceslas ; et dans son noble coeur ,
Il sentait quelqu'espoir d'égaler son vainqueur.
Tout-à-coup , cet écrit qu'il médite en silence
Est tombé de ses mains; il se lève , il s'élance;
De Paris , dans une heure , il va fuir les remparts .
Plein de pensers plus grands que la gloire et les arts ;
Il apprend qu'un fléau dévaste sa patrie .
• Cruel , de l'amitié lui dit la voix chérie ,
> Arrête ; je dois suivre ou détourner tes pas.
-Je vole aux murs de Dreux. - Tu cherches le trépas .
› Oui , de tes jeunes ans ce berceau déplorable
› L'offre horrible partout , partout inévitable.
› Amille malheureux penchés vers le tombeau ,
> L'airain à chaque instant annonce un deuil nouveau ;
> De la contagion s'il aborde l'asyle ,
› L'art lui-même est puni de sa pitié stérile ;
> Jusqu'au pied des autels , un peuple infortuné
› Respire le trépas dans l'air empoisonné ;
> Et tu cours vers ces murs !- Le devoir me l'ordonne.
> Cette triste cité que l'horreur environne
› A, dans ses magistrats , vu périr son soutien:
> Leur exemple m'appelle , et leur poste est le mien,
Avant de s'éloigner , il va revoir encore
Ce rival glorieux dont le respect l'honore ;
Emu , silencieux , renfermant sa douleur ,
Lepeintre des Romains l'a pressé sur son ecoeur
۱
:
150 MERCURE DE FRANCE ,
۱
Il part : noble écrivain plein de force et de charmes ,
Qui vis un peuple entier t'applaudir de ses larmes ,
Ces vertus , ces héros que tu sus refracer ,
L'exemple de ta mort les va tous effacer.
De la cité natale il revoit les murailles :
D'un seul guide escorté , le char des funérailles
Entraînant confondus , vers leur vaste cereneil ,
Des corps que la terreur a privés d'un linceuil.
Son frère , que surprit le fléau trop rapide
Et qu'enferme en ces murs la prudence homicide ,
Prévoit que le grand homme , au premier bruit de mort ,
De ses concitoyens viendra subir le sort.
Prêt à périr , d'un frère il veut sauver la tête ;
Et sur le seuil fatal il l'attend et l'arrête :
« Fuis , dit-il , dans mes bras je ne puis te presser ;
> Malheureux ! c'est la mort que tu veux embrasser. >
Le héros s'avançait , rebelle à ses instances ;
Tout-à-coup terrassé par d'affreuses souffrances ,
L'infortuné du mal sent le dernier effort ,
S'agite; et sur le seuil tombe livide et mort.
Rotrou , mouillant ses yeux d'une larme stérile ,
Afranchi le cadavre et marche vers la ville.
Il entre : le malheur reconnait un appui ,
L'ange consolateur entre et marche avec lui.
Tout un peuple , semblable à ces spectres funèbres
Quele sommeil croit voir errans dans les ténèbres ,
Entoure , en l'admirant , l'héroïque mortel.
Il ne peut leur parler ; mais il montre le ciel ,
Et laisse sur son front éclater l'espérance .
L'ami , pour un ami , réclame sa présence.
Les mères , l'implorant , portent devant ses pas
Leurs fils , contre la mort luttaut entre leurs bras .
Par ses soins prévoyans , dans les airs se déploie
La flamme de ces feux , image de la joie ,
Que le deuil maintenant consacre , dans ces lieux ,
Adétourner le vol d'un mal contagieux .
H porte sous le toît qu'assiége la misère
Et ses modestes biens , et ce noble salaire
Que paie à ses talens un peuple admirateur;
Ces tributs de la gloire , il les offre au malbenz
AVRIL 1811 . 151
Mais, lui-même , au milieu de ses veilles pénibles ,
Asenti du fléau les atteintes horribles ;
Il résiste , il combat : « Dieu ! pour les secourir ,
› Laissez-moi vivre ; après , je consens à mourir . >
Pour affermir son coeur , quel est l'écrit sublime ,
Pur et fécond modèle où sa vertu s'anime ,
Où , rempli d'un respect toujours religieux ,
Dans le loisir des nuits il attache ses yeux?
OEDIPE ROT. Sa main sous la douleur tremblante ;
Vientde marquer la scène où , d'une voix touchante ,
Edipe , pour le peuple implorant leurs secours ,
Offre au dieux irrités etson trône et ses jours .
Ainsi , l'art qu'il chérit , les maitres qu'il révère
Lui tracent des vertus l'exeinple salutaire ;
Traversant deux mille ans sans perdre son pouvoir ,
La voix du vieux Sophocle a dicté son devoir.
Sur le lit douloureux , sa prévoyance active
Occupe , arrête encor son ame fugitive;
Son oeil est attendri , mais on voit que ses pleurs
Ne sont pas répandus sur ses propres malheurs.
Il a calmé les cris , le trouble , l'épouvante ,
Le vaste désespoir d'une cité mourante;
Parmi les malheureux dont lui seul est l'appui ,
Iln'a riennégligé , rien oublié que lui .
Tantde soins cependant , tant d'efforts magnanimes
Ont sauvé du trépas d'innombrables victimes .
Le mal affreux s'arrête ; il mourra consolé ,
Et ce coeur paternel , si long- tems désolé ,
Offre l'hymne de grâce à la bonté divine.
Oh! descends des hauteurs de la double colline ,
Déité qui voyais , vengée d'un long affront ,
Tes lauriers immortels reverdir sur son front !
C'est lui qui , le premier , rappela sur la scène
Ton génie oublié sous les débris d'Athène ;
Ses écrits , ses vertus onthonoré ses jours :
Muse , tu peux sans crainte en remonter le cours.
Unministre absolu que son siècle vit naître
Pour asservir la France et l'Europe et son maître ,
Trop jaloux d'un laurier qu'il brûlait d'obtenir ,
Et qu'à sa gloire immense il ne put réunir ,
152 MERCURE DE FRANCE ,
Voulut, aux vils censeurs dont l'impuissante ligue
Opposait au talent les clameurs de l'intrigue ,
Joindre du fier Rotrou le suffrage imposant ;
Maisdes palmes du Cid généreux partisan :
«Aux écrivains , dit-il , laissez l'indépendance ,
> La liberté de l'ame échappe à lapuissance.
→ Consacré par la voix , par les pleurs de Condé ,
> Sur tous les nobles coeurs son triomphe est fondé.
> Quand la patrie ensemble avec orgueil vous nomme ,
» Grand homme , gardez -vous d'outrager un grand homme.
> Les talens sont sacrés ; fort de votre grandeur ,
> Ne cédez pas le droit d'être leur bienfaiteur .
> Par cet usage auguste honorez la puissance ;
> La gloire de Corneille est celle de la France . »
Il dit , et confirma ce refus glorieux.
En sa tendre amitié , fidèle , ingénieux ,
Déployant de son art et l'audace et l'adresse
Dans les jeux de la scène il sut avec noblesse
Offrir à son rival un encens généreux (1 ) ,
EtParis enchanté les admira tous deux.
,
Muse , si son génie osa rouvrirton temple ,
Que sur le litde mort ton orgueil le contemple ,
C'est à toi , vierge auguste , à toi de recueillir
Et son souffle immortel et son dernier soupir ;
Viens , de sa faible main reconnaissons les traces .
L'auteur de Venceslas à l'auteur des Horaces :
Ami , tu l'as prévu , je partais sans retour ;
> J'ai combattu la mort qui me frappe à mon tour .
> Nos adieux fraternels en vain nous attendrirent ,
→Tu ne m'arrêtas point ; nos ames s'entendirent !
>> Je confie à toi seul , ami tondre , assidu ,
› Le soin de consoler les coeurs qui m'ont perdu ,
> Et mourant , sûr du moins de vivre en ta mémoire ,
> Je laisse aux écrivains mon exemple et ta gloire.
» L'airain qui doit gémir sur chaque infortuné ,
> Pour la vingtième fois depuis l'aube a sonné ;
(1 ) Dans sa tragédie de Saint- Genest.
:
AVRIL 1811 , 3
1
› Quand le voudra du ciel le décret inflexible,
> Il sonnera pour moi; je l'attendrai paisible. >
Apeine il atracé ces mots avec lenteur ,
De lamort sur ses traits se répand la pâleur ;
La plume qu'il guidait échappe à sa faiblesse ;
Melpomène frémit : il meurt ! et la déesse
Enveloppant son front d'un long voile de deuil ,
De lauriers , en fuyant , a couvert le cercueil .
Traduction du passage du second livre de l'Enéide qui
décrit la mort de Laocoon .
MAIS à nos coeurs émus s'offre une autre infortune .
Laocoon, élu pontife de Neptune ,
Sur la rive troyenne , en habits solennels ,
Du sang d'un fier taureau consacrait ses autels .
Soudain ( à ce récit tout mon coeur s'intimide )
Vomis par Tenedos dans un calme perfide ,
Deux serpens , vers nos bords , ennemis monstrueux ,
S'allongent sur les flots en orbes tortueux.
Tous deux , voguant de front ,hors des ondes tremblantes ,
Dressent leurs cols gonflés et leurs crêtes sanglantes ;
Le reste de leurs corps plonge , et , fendant les eaux ,
Déroule en mille tours leurs immenses anneaux.
L'onde écume et frémit : déjà les fiers reptiles
Touchent enmenaçant nos campagnes fertiles .
Leur orbite sanglant roule un oeil enflammé ;
Leur langue siffle , et darde un trait envenimé ;
Tout pâlit et s'enfuit : le couple affreux s'avance ,
Court à Laocoon , sur ses deux fils s'élance ;
Embrasse en longs replis ces enfans malheureux ,
Les serre , les déchire , et s'acharne sur eux .
Le père vole armé : les monstres le saisissent ,
De leurs liens étroits l'entourent , l'investissent ,
Serrent deux fois ses flancs , deux fois son col nerveux ,
Des cercles écaillés de leurs corps tortueux ,
Et , dressant sur son front leurs têtes triomphantes ,
Dominent fièrement leurs victimes mourantes .
En vain l'infortuné , dont les sacrés festons
Pégouttent de son sang etde leurs noirs poisons ,
154 MERCURE DE FRANCE ,
Veut rompre avec sa main leurs chaînes redoutables ,
Et pousse vers les cieux des cris épouvantables.
Tel mugit un taureau , qui , du temple échappé ,
Se dérobe en hurlant au fer qui l'a frappé .
Enfin les deux serpens abandonnent leur proie ,
Vont au temple , où Pallas reçut l'encens de Troie ,
Etdéposent tous deux leur courroux meurtrier .
Sous ses pieds immortels et son saint bouclier.
LEGOUVÉ.
ENIGME.
LES nones et les rois me portent sur le front ;
Robespierre en mourant me portait au menton ;
Colin à certain jeu jouant avec Lison ,
L'attrape , me détache et m'applique au tendron ,
Au même lieu , de la même façon ,
Queme porte toujours un petit dieu fripon.
Jeune fille et jeune garçon
Me portent sur le bras , quand la religion ,
Après qu'ils ont souffert un salutaire affront ,
Les oint de certaine onction.
Je deviens lors un précieux torchon
Qu'à l'église ils offrent en don.
S .........
LOGOGRIPHE .
QUOIQU'EMBLEME de la justice ,
Quoiqu'emblême aussi de la loi ,
La violence et l'injustice
Font souvent usage de moi .
J'arme la main du criminel ;
Mais je le frappe sur l'autel
Où , par un arrêt légitime ,
On l'envoie, expier son crime .
J'ai six pieds bien comptés ; combine,si tu peux
Tu trouveras que trois d'entr'eux ,
AVRIL 1811 . 155
( Ce sont les trois derniers ) te donnent
Ce que les six entiers moissonnent ;
Unmal qu'on gagne , deux oiseaux ,
Ce qui reste au fond des tonneaux ;
Ce que n'est pas un homine accablé de tristesse ,
Ce qui procure aux oiseaux la prestesse ;
Uneplante , ce que l'on gagne avec le tems ,
Enfince que l'on voit échapper des volcans .
S........
CHARADE .
MON premier est un substantif
Qui reverdit dans la saisondes fleurs ;
Mon second est un adjectif
Qui convient aux amours et qui convient aux coeurs ;
Mon tout est un infinitif
Qui ne convient qu'aux grands seigneurs .
S........
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARADE
insérés dans le dernier Numéro .
Lemot de l'Enigme est Mousse ( matelot ) , mousse ( écume ) , et
mousse ( herbe menue ) .
Celui du Logogriphe est Femmelette.
Celui de la Charade est Délit .
LITTÉRATURE ET BEAUX-ARTS.
ETUDES DE L'HISTOIRE ANCIENNE ET DE CELLE DE LA GRÈCE ;
de la constitution de la république d'Athènes et de
celle de Lacédémone ; de la législation , des tribunaux
, des moeurs et des usages des Athéniens ; de la
poésie , de la philosophie et des arts chez les Grecs ;
parPIERRE-CHARLES LEVESQUE , chevalier de la Légiond'Honneur,
membre de l'Institut , professeur d'histoire
an Collége impérial de France et dans la Faculté des
lettres de l'Université impériale .-Cinq vol . in-8° .-
A Paris , chez Fournier frères , libraires , rue Poupée ,
n° 7 . ( 1811. )
IL est très-permis à un homme d'esprit , qui veut
s'amuser un moment à soutenir un paradoxe , de s'écrier
dans l'accès d'une feinte indignation :
Qui me délivrera des Grecs et des Romains ?
Un pareil vers est très-bon dans un ouvrage qui n'est
évidemment qu'un badinage ingénieux , parce qu'il n'y
a pas un homme de bon sens qui puisse y être trompé ;
mais nous avons vu ces hommes féroces et grossiers
qui travaillaient en révolution , comme on s'exprimait
dans ce tems-là , prendre cette idée au pied de la
lettre ; c'était très -sérieusement qu'ils songeaient à nous
délivrer des Grecs et des Romains ; déjà même ils
avaient commencé à mettre à exécution ce beau projet ,
et ce n'est pas peut-être un des moindres maux qu'ils
ayent faits . Cependant la même main puissante qui
nous a délivrés d'eux , a rétabli , au contraire , par
de solennelles institutions la culture des langues et de
l'histoire des Grecs et des Romains , et c'est un bienfait
dont la postérité ne devra pas être moins reconnaissante
que la génération actuelle. En effet , c'est à cette
culture que les peuples éclairés de l'Europe doivent la
civilisation qui leur assure une supériorité incontestable
MERCURE DE FRANCE , AVRIL 1811. 157
sur toutes les nations qui habitent le reste de la terre.
L'étude de la littérature grecque et latine , qui a été une
des causes les plus efficaces de cette civilisation , est
encore , dans l'état présent de nos connaissances , nécessaire
à son maintien et à ses progrès . Or il est bien
démontré que , dans cette route , on ne s'arrête jamais
impunément ; une nation qui cesse de croître en civilisation
, ne devient pas l'égale des peuples barbares ; elle
leur devient inférieure , et finit , un peu plus tôt ou un
peu plus tard , par être leur conquête et leur victime.
On doit donc accueillir avec quelque faveur les ouvrages
qui , comme celui de M. Lévesque , ont pour but
de porter une lumière plus sûre et plus abondante sur
l'un des premiers et des principaux objets de nos études;
qui , étant le fruit de longues et savantes méditations ,
tendent à donner plus de rectitude et de précision à nos
idées et à nos connaissances sur les points les plus importans
de l'histoire des anciens peuples . Si , comme on
ne saurait en douter , l'expérience est le principal guide
de notre raison , si nous trouvons dans ses leçons la règle
la plus sûre de nos jugemens et de notre conduite , de
quel prix ne doit pas être à nos yeux une étude qui nous
met à même de suppléer , par les richesses accumulées
dans une longue suite de siècles , àl'indigence à laquelle
la nature semblait nous avoir condamnés , sous ce rapport
, enrenfermant notre vie dans des limites si étroites !
Mais ce trésor de faits précieux , qui nous est parvenu
à travers tant de générations successives , ne nous a élé
transmis ni dans toute son intégrité , ni dans toute sa
pureté. Le tems en a détruit des portions considérables;
d'autres ont été altérés dans leurs sources par l'ignorance
ou par la mauvaise foi. Souvent les écrivains contemporains
ont envisagé les événemens , dont ils étaient témoins,
avec un esprit prévenu, ou trop peu éclairé pour
les apprécier avec justesse ; quelquefois aussi ils les ont
falsifiés à dessein , au gré des passions diverses dont ils
étaient animés . L'ensemble desmoyens qui peuvent nous
aider à démêler les erreurs produites par cette double
cause , compose une science qui n'est née , pour ainsi
dire , que de nos jours ; c'est la critique historique,
158 MERCURE DE FRANCE ,
destinée à faire de grands progrès entre les mains de
ceux qui viendront après nous , parce qu'elle a besoin ,
pour assurer sa marche , du perfectionnement des connaissances
de tout genre auxquelles l'esprit humain peut
s'appliquer.
Il ne faut donc pas s'étonner que l'auteur de l'ouvrage
que nous annonçons ait cru pouvoir entrer , à son tour ,
avec succès dans une carrière que le sage Rollin et l'illustre
auteur du Voyage d' Anacharsis ont déjà parcourue
avec gloire. Un autre point de vue , un but un peu différent
, ont dû lui donner l'espérance que son travail
quoique portant sur des objets déjà traités par ces deux
auteurs , ne serait ni sans intérêt , ni sans utilité . On
avait déjà observé qu'un des inconvéniens du plan
adopté par l'abbé Barthélemy dans son ingénieux et
brillant ouvrage , c'est que , par la supposition même
qui lui sert de base , il semblait s'être interdit , au moins
en grande partie , le secours des lumières acquises depuis
le quatrième siècle avant notre ère , époque où le
prétendu voyage devait avoir eu lieu ; de plus , un pareil
cadre circonscrivait nécessairement beaucoup la période
de l'histoire grecque que ce livre pouvait embrasser.
Quant à Rollin , on convient généralement que cet écrivain
, dont on ne saurait trop admirer le zèle pour l'instruction
de la jeunesse , et dont on prise également le
goût et la manière d'écrire toujours simple et attachante ,
n'a pas porté une critique assez sévère dans l'examen des
faits qu'il adoptait. Une position différente , et même le
titre modeste d'Etudes qu'il donne à son livre , faisaient
à M. Lévesque une loi de discuter avec sévérité les faits
ou les opinions de toute espèce qu'il avait à exposer , et
lui donnaient le droit , comme il le dit lui-même , de ne
pas se borner au rôle d'humble adorateur de tout ce qui
porte la sanction de l'antiquité . C'est , en effet , sous ce
rapport que son livre nous a paru véritablement utile et
recommandable ; c'est par la sage réserve qui en fait le
caractère distinctif qu'il peut être plus particulièrement
propre à former le jugement des jeunes lecteurs ; ceuxmême
qui seraient tentés de lui reprocher un scepticisme
peut-être un peu exagéré sur quelques points , hésiteront
AVRIL 1811 . 159
sans doute encore à le condamner absolument , s'ils
réfléchissent que la pente naturelle de l'esprit humain le
porte , en général , vers un excès opposé , qui a souvent
de plus graves inconvéniens .
,
Il serait au moins superflu d'entrer dans de grands
détails sur un ouvrage dont le sujet est dès long-tems
familier à la plupart des lecteurs instruits ; il suffira
donc ici de faire connaître en peu de mots ce qui compose
les cinq volumes de M. Lévesque. Le premier
contientdes notions sur la Judée , et sur les vastes contrées
de l'Asie qui n'ont été que peu connues des écrivains
grecs et latins , ou même qui leur ont été tout-àfait
inconnues comme l'Inde proprement dite , le
Thibet , la Chine , le Japon , la Tartarie. L'auteur entre
ensuite dans cette partie de l'histoire ancienne qui nous
a été plus particulièrement transmise par les Grecs , et
dont il ne nous reste malheureusement que des fragmens
remplis d'obscurités et de difficultés de toute espèce.
Telles sont les histoires des Phéniciens , des Assyriens ,
des Mèdes , des Perses et des Egyptiens , de ce dernier
peuple sur-tout , de qui les lois , les opinions , les usages
etles monumens chargés de figures symboliques (dont
l'intelligence était peut-être perdue au tems même d'Hérodote
) , présentent à l'observation un phénomène unique
et d'autant plus curieux , qu'il paraît n'avoir eu , sous
tous ces différens rapports , aucun point de ressemblance
avec aucune autre nation du globe. Quelle lumière
ne jetterait pas sur la législation et la constitution politique
des Juifs , par exemple , une connaissance plus
parfaite de la forme du gouvernement chez les Egyptiens
, au milieu desquels Moïse était né , et avait été
élevé !
M. Lévesque a traité toute cette partie avec beaucoup
de soin, et ce qui distingue particulièrement son travail
de celui des écrivains qui l'ont précédé , c'est qu'il s'est
aidé des lumières que lui fournissaient des vastes collections
de faits recueillis par les modernes , et en général
du progrès des différentes sciences dans le siècle précédent.
Il a mis à contribution les précieux Mémoires de
la Société asiatique de Calcutta , les Voyages les plus
160 MERCURE DE FRANCE ,
récens en Egypte , etc .; et il est évident qu'en suivant
cette marche , il a dû donner plus d'intérêt à ses vues et
de précision à ses résultats . Il est même probable que
le tems amènera de nouvelles lumières sur ces objets
importans , et que les efforts des savans chez tous les
peuples éclairés de l'Europe , dirigés aujourd'hui par des
méthodes plus sûres , éclairciront plusieurs difficultés
qui nous arrêtent encore ; mais ce qu'on pourra recueillir
de l'histoire des anciens peuples ne sera jamais que le
débris d'un vaste naufrage ; et Bacon , qui avait porté un
coup-d'oeil si profond sur toutes les parties des connais
sances humaines , en désignant celle- ci sous le nom
d'Histoire imparfaite , reconnaissait que cette imperfec+
tion est le résultat nécessaire de la nature même des
choses .
L'histoire de la Grèce , à partir des tems héroïques ;
celle de la Sicile et de la Macédoine jusqu'au règne
d'Alexandre , et depuis cette époque , l'histoire d'Athènes ;
de Lacédémone et de la ligue Achéenne , jusqu'à la réduction
de la Grèce entière en province romaine ; enfin
l'histoire de la dynastie des Ptolémées en Egypte , jus
qu'à la réunion de ce pays à l'Empire romain , tels sont
les objets compris dans les trois volumes suivans de l'ou +
vrage de M. Lévesque. Le cinquième , présente un ta
bleau rapide du développement des différens genres de
connaissances , d'arts et de sciences chez les Grecs
depuis Homère , Hésiode et les poëtes cycliques , jusqu'au
cinquième siècle avant notre ère , et des notices
intéressantes sur tous les hommes célèbres qu'a fournis ,
dans toute cette période , ce pays si fécond en génies.et
en talens de toute espèce . Le plan adopté par l'auteur ,
lui laissait la liberté de traiter avec plus d'étendue les
objets qui lui paraissaient les plus dignes de fixer l'attention
, et de s'arrêter sur ceux dont le développement lui
semblait le plus utile , sans s'assujétir à cette juste pro
portion qu'il aurait fallu établir entre les diverses parties
d'une histoire suivie et régulière . Ainsi il a donné avec
plus de détail et d'étendue l'histoire de la guerre des
Mèdes et celle de la guerre du Péloponèse ; et ce sujet
appartenait de droit à l'écrivain à qui nous devons la
NE
AVRIL 1811 .
DEPE
DE
LA
SE
meilleure traduction de Thucydide qui ait été faite en
notre langue.
5.
Dans un autre genre , on trouvera beaucoup intérêt.
et de sagacité dans la manière dont il a traité la question
de l'ancienneté des inscriptions et de l'écriture chez
Grecs . M. Lévesque adopte et appuie de nouvelles
preuves l'opinion avancée , il y a quelques années , par
le célèbre M. Wolf dans ses prolégomènes sur l'Iliade
d'Homère ; et quelque paradoxale que cette opinion paraisse
au premier abord , il faut convenir qu'il s'en faut
beaucoup que ceux qui l'ont combattue , l'aient réfutée
d'une manière victorieuse . Il reste au moins très-douteux
que l'écriture fût connue du tems d'Homère , et trèsprobable
que l'usage n'en était pas universellement répandu
parmi les Grecs à cette époque .
On trouvera également de l'exactitude , de la clarté
et de la précision dans ce que l'auteur dit de la constitution
de la république d'Athènes , des moeurs et des
usages des Athéniens ; ces détails , qui ont le mérite
d'être puisés aux sources par un écrivain dès long-tems
familiarisé avec la lecture des historiens grecs , seront surtout
utiles aux jeunes gens qui s'occupent de ce genre
d'études ; et certes on peut en croire l'auteur lui -même ,
lorsqu'il dit , avec ce ton de candeur et de modestie qui
accompagne ordinairement le véritable mérite , « que
> son travail ne sera pas sans utilité pour une classe nombreuse
de lecteurs , qui du moins y trouveront l'avanntage
d'acquérir en peu de tems des connaissances
» qu'il n'a pu se procurer à lui-même que par un assez
>>>long travail , quelque méditation et beaucoup de loisir . »
Dans les notices sur les hommes célèbres , poëtes , orateurs
, philosophes , artistes , etc. , dont M. Lévesque a
esquissé la vie en traits rapides et caractéristiques , les
pensées et les anecdotes sont choisies avec discernement
et avec goût , et si quelquefois le style n'a pas toute la
correction ou toute la précision qu'on pourrait désirer ,
il faut l'attribuer sans doute à la forme même de l'ouvrage
composé d'un nombre infini de pièces de rapport ,
d'extraits destinés d'abord à l'utilité particulière de l'au
L

162 MERCURE DE FRANCE ,
teur , et dans lesquels il pouvait sans inconvénient se
permettre quelques négligences .
Ses réflexions générales sur les faits ou sur les personnes
sont d'un esprit sage et sincérement ami de la
vertu et de la saine morale , et j'hésiterai d'autant moins
à me permettre quelques remarques critiques sur un ou
deux points sur lesquels je ne partage pas l'opinion de
M. Lévesque , qu'il est aisé de voir que partout il a eu
en vue de dire uniquement ce qu'il croyait utile et vrai .
« Les Juifs , dit-il , eurent des supplices trop rigou-
>> reux ; mais c'est un reproche qu'ont également mérité
>> et que méritent encore de nos jours tous les Orientaux ;
>> cet excès de rigueur dans les peines est né de l'hor-
>>reur qu'inspire le crime , et du désir de le réprimer. »
J'avoue que cette réflexion ne me paraît pas juste : la
rigueur des peines , par-tout où elle est établie , prouve
la dégradation et la férocité des moeurs ; elle a sur-tout:
lieu lorsque te peuple se trouve divisé en deux classes ,
entre lesquelles il y a une inégalité hors de toute proportion
, comme cela a été , de tout tems , chez les Orientaux
, comme cela est encore dans les colonies , quoique
ces colons qui infligent des punitions si atroces à leurs.
nègres ne soient assurément pas des hommes plus vertueux
que leurs compatriotes d'Europe , plus révoltés de.
l'idée du crime , et plus animés du désir de le réprimer .
Plus loin , M. Lévesque regarde la défense faite aux
Juifs de prêter à intérêt , et l'obligation de donner aux
pauvres , tous les trois ans , la dime de leurs bénéfices ,
et tous les sept ans le produit de leurs terres , comme
des preuves que leur législation ne le cédait en sagesse
à aucune des législations antiques . « Aider les indigens ,
>>dit-il, fut une vertu chez les autres peuples ; chez le
>>peuple d'Israël , ce fut une obligation légale , etc. >>>
Cette manière de voir n'est peut-être pas encore trèsjuste
. On ne saurait discuter les lois des Juifs , par rapport
aux Juifs eux-mêmes , dans les tems dont la Bible
nous retrace l'histoire , puisqu'ils furent , pendant toute
cette période , dans un ordre de choses surnaturel ; mais
it est certain qu'en général , le législateur qui met une
obligation légale à la place d'une vertu se trompe beauAVRIL
1811 . 163
coup; et dans la question présente , par exemple , plus
la taxe imposée aux riches , en faveur des pauvres , sera
considérable , plus on diminuera chez les uns le sentiment
de la compassion , et chez les autres celui de la
reconnaissance. Si , comme on le dit , la taxe établie en
Angleterre pour les pauvres , est devenue , par son accroissement
aussi rapide qu'effrayant , une des plaies
considérables de l'Etat , ce fait très-remarquable prouverait
beaucoup contre l'assertion de M. Lévesque .
Au reste , ces observations , que je soumets à l'auteur
lui-même , n'intéressent nullement la partie essentielle
de son ouvrage , et j'ai cru pouvoir les hasarder , uniquement
parce que dans un livre dont le caractère distinctif
est l'amour de la vérité, et l'attention continuelle à ne
donner pour certains que les faits qu'on a soumis à une
critique sévère , des idées peu exactes , ou des opinions
fausses sür quelques points , qui ne sont pourtant pas
indifférens , peuvent avoir plus d'inconvéniens que partout
ailleurs . En un mot , les écrivains destinés , comme
M. Lévesque , à faire autorité par la vaste étendue de
leurs connaissances , par la sagesse et l'impartialité bien
connues de leur caractère , sont précisément ceux dont
il est le plus important de réfuter les erreurs , ou du
moins dans les ouvrages desquels il peut être le plus
utile de signaler ce qu'on regarde comme des erreurs .
THUROT.
EUGÉNIE ET MATILDE , ou Mémoires de la famille du
comte de Revel ; par l'auteur d'Adèle de Senange. -
3vol . in- 12.-Prix , 7 fr . 50 c . , et y fr. 50 c. franc de
port .-A Paris , chez F. Schoell , rue des Fossés St-
Germain-l'Auxerrois , nº 29 .
C'EST peut- être faire un singulier éloge d'un roman
que de dire qu'il ne contient rien de romanesque ; mais
l'histoire d'Eugénie et de Matilde mérite trop bien cet
éloge pour qu'on ne lui en fasse pas l'application . Après
les romans passionnés , comme l'Héloïse , où le charme
d'un style admirable élève l'ame au-dessus des situation's
communes , et l'attache d'une manière irrésistible à des
La
/
164 MERCURE DE FRANCE ,
1
1
êtres de pure imagination , les ouvrages de ce genre que
l'on reprend avec le plus de plaisir , que l'on relit avec le
plus d'intérêt , sont ceux qui , dans une intrigue naturelle
et attachante , offrent le tableau fidèle des moeurs
d'une nation , ou d'une certaine classe de la société à
une époque distincte et bien caractérisée. Tels sont ,
parmi beaucoup d'autres , chez les Anglais Tom-Jones
et Clarisse; chez nous la Princesse de Clèves et Gilblas .
Le nouveau roman d'Eugénie et Matilde possède éminemment
cet avantage ; mais de plus , l'époque choisie
par l'auteur transporte naturellement ses personnages
dans des situations très -différentes de celles pour lesquelles
ils avaient été élevés : du monde dans la retraite ,
du bonheur dans l'infortune , de la richesse dans la pauvreté
. Ce changement de position les montrant sous des
faces nouvelles et imprévues pour eux-mêmes autant
que pour le lecteur, développe , pour ainsi dire , les derniers
replis de leurs caractères , et les peint , par leur
conduite , mieux que n'auraient pu le faire vingtvolumes
de réflexions morales. Voici , en peu de mots , le fond
de l'intrigue . M. de Revel , homme de qualité , jouissant
d'une fortune considérable , mais qui est substituée à
l'aîné de sa maison , désire vivement un fils . Le sort ,
contre ses voeux , le rend successivement père de trois
filles , dont la naissance contrarie beaucoup ses projets .
Il se débarrasse de la première en la confiant à Mme de
Coucy , sa belle-mère. Mme de Revel obtient de garder
la seconde . La troisième est mise au couvent et destinée
à prendre le voile. Ces trois genres d'éducation si divers
amènent des résultats bien différens . Ernestine , élevée
par Mme de Coucy dans les prétentions de tout genre ,
devient une personne toute factice , toute pénétrée de
son propre mérite , et se souciant très-peu des autres .
Matilde , unique attachement , unique espoir de sa mère ,
est un véritable enfant gâté . Vive , étourdie , incapable
de réflexion , elle a la plus mauvaise tête et le meilleur
coeur du monde . La seule Eugénie , élevée dans la
retraite , a toutes les vertus , toute la douceur que la
religion donne aux ames tendres . Ignorant le monde ,
et n'ayant jamais connu de bonheur hors de l'enceinte
AVRIL 1811 . 165
de son couvent , elle consent aisément , sans regret ,
sans inquiétude , à devenir religieuse. Le moment où
elle prend le voile est un des plus touchans que l'on
puisse imaginer .
Il était nécessaire de faire connaître avec détail ces
trois caractères ; car c'est de leur seule diversité que
naissent toutes les peines intérieures de la famille et
toutes ses consolations . Mme de Coucy , la belle-mère ,
marie son élève Ernestine à un M. de Sanzey , homme
froid , égoïste , qui n'aime que lui-même et sa fortune .
M. de Revel veut aussi marier Matilde ; mais cette charmante
enfant s'est attachée à sa soeur Eugénie avec la
plus vive tendresse. Elle veut toujours la voir , ne jamais
la quitter ; elle veut se faire religieuse avec elle , et
M. de Revel , contrarié par ce projet , ne parvient à l'en
distraire que par le secours de la bonne Eugénie . Il ose
charger Eugénie de dissuader Matilde ; et c'est le premier
service que cet enfant sacrifié rend à un père qu'à peine
elle a connu .
Cependant la révolution arrive , les couvens sont ouverts
, et les religieuses sont forcées de les abandonner.
Eugénie quitte sa retraite avec regret et rentre dans sa
famille . Bientôt le mari de Matilde est contraint d'aller
rejoindre les émigrés . Les troubles augmentent ; tout le
reste de la famille est aussi forcé de sortir de France et
se réfugie à Bruxelles . L'éclat et le luxe qui régnaient
alors dans cette ville , parmi les émigrés , ont bientôt
épuisé des ressources qui ne se renouvellent point , et
qu'une sécurité imprévoyante avait fait regarder comme
bien suffisantes pour la durée d'une révolution que l'on
supposait ne pouvoir être que passagère. Enfin la cruelle
vérité les détrompe. Proscrits , ils sont obligés de fuir à
l'approche des colonnes françaises . M. de Revel , ruiné ,
n'ayant presque plus de ressources présentes , et privé
de tout espoir pour l'avenir , s'efforçant de cacher sa
situation à sa famille , lui cherche , trop tard , une retraite
moins dispendieuse , et s'arrête avec elle dans un
pauvre village du Holstein . Pendant cevvooyyaaggee,,labonne
Eugénie devient déjà leur unique consolation . Habituée
àse contenter de peu , à recevoir avec reconnaissance
166 MERCURE DE FRANCE ,
tout ce que le ciel lui donne , elle seule se trouve assez
bien pour n'avoir à songer qu'aux autres . N'ayant jamais
porté ses regards ni même ses pensées au-delà de l'enceinte
où elle a été élevée , tout ce qu'elle voit l'émeut ,
toutes ses sensations deviennent des sentimens . Ce
tableau des premiers mouvemens d'un coeur qui s'ouvre
à toute la nature est d'un charme inexprimable , et dont
la vérité sera bien sentie par ceux qui ont eu le bonheur
d'éprouver ou même d'observer de semblables situations .
Cependant la famille du comte de Revel n'est pas tout-
-à-fait abandonnée dans sa fuite. Il lui reste un ami , un
seul ; et c'est encore à Eugénie qu'ils le doivent. Un
seigneur polonais , Ladislas , a vu Eugénie à Bruxelles .
Il en est devenu éperdûment épris , et l'attachement
dont il est pénétré pour elle s'étend sur toute sa famille .
Eugénie l'aime , en croyant n'aimer que la vertu ; mais
elle est bien éloignée de s'avouer ce sentiment. L'engagement
religieux qui la lie est sacré pour elle ; elle ne
songe même pas que l'on puisse tenter de le rompre.
Ladislas n'osant lui offrir son amour lui dévoue au moins
son existence en suivant sa famille ; et ne pouvant engager
le comte de Revel à partager sa fortune , il partage
au moins leur détresse. Cette famille , jadis si brillante ,
maintenant rassemblée sous un humble toit , trouve en
elle-même et dans l'amitié de Ladislas des adoucissemens
qu'elle n'avait pas connus , pas même imaginés . Ce
changement des ames , ce rapprochement des caractères
opérés par le malheur , est d'une vérité aussi juste que
profonde.
Cependant la tristesse d'Eugénie , l'affaiblissement de
sa santé , dévoilent malgré elle le secret de la passion
qui s'est emparée de son coeur. Alors Ladislas se décide
à exposer au comte de Revel ses projets et ses voeux : il
lui demande la main d'Eugénie; ce malheureux père ,
désarmé par l'infortune , se repentant d'avoir engagé
l'avenir d'un enfant qui fait aujourd'hui sa consolation
la plus chère , n'écoute plus que les sentimens de la nature
, et promet de faire relever Eugénie de ses voeux ,
en rejetant sur lui seul l'imprudence d'un engagement
prématuré ;mais la personne la plus difficile àpersuader ,
AVRIL 1811 .
167
1
e'est Eugénie elle-même. Comment lui faire concevoir
cette possibilité , et sur-tout la faire consentir à de pareilles
démarches ? Un entretien avec Ladislas , entretien
raconté de la manière la plus touchante , achève de
l'éclairer sur les mouvemens secrets de son coeur et de
leffrayer sur leurs conséquences . Vaincue , mais non
persuadée , elle cède aux voeux de toute sa famille. Elle
paraît consentir aux démarches que son père veut tenter
pour elle , mais jusque-là elle exige que Ladislas s'éloigne
; celui-ci part pour la France. Il va rejoindre Edmond,
l'époux de Matilde . Edmond est tué dans un combat;
Ladislas , fait prisonnier, est sauvé de la mort par un officier
français , qui lui rend la liberté au péril de sa vie.
Ce n'est qu'après plusieurs mois qu'il peut aller rejoindre
ceux qui lui sont si chers , et leur porter la nouvelle de
la mort d'Edmond ; mais pendant cette absence , pendant
ce tems qu'il n'a pas pu veiller sur leur sort , la famille
d'Eugénie est tombée d'infortune en infortune jusque
dans la détresse la plus profonde. Matilde , instruite de
lamort de son mari , est absorbée dans la douleur. Sa
soeur Ernestine ne pouvant supporter la pauvreté avec
ses parens , les a depuis long-tems quittés pour aller rejoindre
en France son mari , ou du moins sa fortune.
Eugénie seule s'est dévouée pour ses parens malheureux;
elle les a soignés , nourris de son travail , et par une combinaison
aussi profonde que touchante , cette enfant si
long-tems oubliée , si cruellement sacrifiée dès sa naissance
, devient leur unique ressource et leur dernier
soutien; mais la pauvre Eugénie , accablée de tant d'efforts
, de tant de peines diverses , malheureuse du malheur
des autres , et déchirée intérieurement par des
chagrins qu'elle ose à peine s'avouer , Eugénie succombe
enfin à ses douleurs . Epuisée , elle tombe dans une
maladie de langueur que le retour même de Ladislas ne
peut guérir. En vain lui fait-on espérer sa liberté; la
sainteté de ses engagemens , renouvelés encore avant sa
sortie du cloître , se représente sans cesse à son esprit;
elle les voit sans cesse , et les voit sacrés , irrévocables.
Un vieil ecclésiastique qu'elle fait appeler les lui rappelle
encore avec plus de force , et achève ainsi de détruire
168. MERCURE DE FRANCE ,
dans son coeur jusqu'aux dernières illusions de l'espérance
. Alors la religion , et la crainte du désespoir de
Ladislas , la conduisent à l'effort le plus sublime : elle
demande à Ladislas de servir de père au fils de sa soeur ;
elle veut l'unir à Matilde de ses mains mourantes ; mais
la mort la préserve elle-même de cette dernière souffrance
, et elle meurt avant d'avoir formé ces noeuds .
Tel est le cadre de ce roman ; mais un pareil extrait
n'est , pour ainsi dire , que le squelette d'un corps animé.
Ce que je ne puis peindre , ce dont je ne saurais donner
une idée , c'est la vérité de tous les sentimens dont l'auteur
a su animer ses personnages ; c'est la délicatesse
exquise des pensées , la justesse des réflexions , et le
talent d'observation qui les trouve. Je ne répéterai pas
que tout le monde a vu un M. de Revel , une Mme de
Coucy , et un M. de Sanzey ; mais je dirai que l'on doit
rencontrer souvent dans le monde de pareils caractères ,
car ils ont cet air de vérité que l'on trouve toujours à
un portrait ressemblant. On dit que le tableau des diverses
époques de l'émigration est aussi d'une ressemblance
frappante. Cette légèreté des Français , toujours
en fêtes , même dans l'exil ; la noblesse de leurs sentimens
croissante avec le malheur , leur fuite précipitée ,
et ce sentiment de la patrie qui leur inspire encore une
fierté secrète au récit des victoires remportées par les
troupes françaises , toutes ces choses parfaitement vraies
et puisées dans la nature , sont retracées dans ce roman
avec la plus grande fidélité ; et , ce qui n'est pas moins
remarquable , elles le sont sans fiel , sans aigreur , sans
regrets , comme aurait pu les dire un simple habitant du
pays qui aurait secouru ces infortunés .
Beaucoup de personnes , comparant l'auteur à ellemême
, demanderont sans doute : ce nouveau roman
vaut- il mieux qu'Adèle de Senange ? Ces deux ouvrages
ne doivent point se comparer . Adèle est , pour ainsi dire ,
un tableau d'intérieur : c'est le détail doux et touchant
du premier amour de deux ames pures , mais vives et
sensibles ; on le lit, on s'en souvient , et on aime à le
relire encore . Ici on retrouve aussi une peinture du même
genre , mais plus forte et plus énergique, Ce n'est pas
AVRIL 1811 : 169
seulement une première union , et , si je l'ose dire , un
obstacle mortel qui s'oppose à l'amour de Ladislas et
d'Eugénie ; c'est une barrière insurmontable , éternelle ,
que l'honneur même leur défend de rompre. De là un
caractère nécessairement plus profond et plus sombre
dans le développement de cette passion ; de là l'inévitable
malheur qui la termine . Mais de plus , l'opposition naturelle
et vraie des trois soeurs , si diversement élevées ,
l'influence de cette éducation sur le bonheur ou le malheur
de leur famille et sur leur propre destinée , les
changemens que cette influence et celle des événemens
produisent dans les caractères des autres personnages ,
tout cela se rattachant d'une manière nécessaire à l'action
principale , la rend nécessairement plus forte et plus
savante . En un mot , dans Adèle il n'y a que l'intérêt de
l'amour ; dans Eugénie et Matilde , il y a l'intérêt de
l'amour et celui de la raison tout- à- la-fois .
Au reste , comme un critique fidèle ne doit être que
l'écho du public , je dois dire que cet ouvrage tient les
esprits très- divisés . Les uns y remarquent la vérité des
caractères , d'autres préfèrent le pathétique des situations
; il en est qui sont plus sensibles à la finesse des
pensées et à la justesse des expressions . Le seul point sur
lequel on s'accorde , c'est que le roman d'Eugénie et
Matilde est une production très- distinguée , qui a et qui
mérite un grand succès .
Z.
SUR LE TEMPLE DE JÉRUSALEM.
J'AI déjà eu occasion de parler de l'Hiéron des Grecs
( lieu consacré à un dieu ou à un héros ) ; j'ai démontré
que leur Hiéron ressemblait quelquefois à une ville ; que
l'on y voyait des édifices et monumens considérables ; des
temples , des prytanées , des agora ou places publiques ,
d'immenses bois sacrés qu'embellissait un peuple de héros ,
et où l'on célébrait , soit dans le stade , soit dans l'hippodrome
, au milieu d'une multitude immense , les jeux les
plus solennels . J'ai observé que l'Hiéron , lieu sacré , le
naos , temple ( partie de l'Hiéron ) , et l'enceinte (peribolos
) , présentant chacun des idées très-différentes , ne
170 MERCURE DE FRANCE ,
pouvaient s'exprimer par le seul mot temple. Jene connais
qu'une circonstance ( ou deux au plus ) , où l'usage ait
consacré le mot temple et l'ait pris dans l'acception la plus
étendue ; c'est lorsque nous parlons du temple de Jérusalem.
Cependant même alors , en respectant l'usage , il
faut regretter qu'il ait prévalu .
Don Calmet , Prideaux , un savant moine espagnol , le
Maistre de Sacy , et d'autres encore , ont commenté d'après
Ezéchiel la description du temple de Jérusalem ; mais
dans presque tous ,je me vois fréquemment arrêté par une
confusion d'idées qu'il faut attribuer à la confusiondes
termes . A tout moment ils emploient le mot temple pour
désigner : 1º tout le terrain appelé par Ezéchiel ( ch . 40sq .)
la maison du seigneur ; 2º le temple proprement dit.
)?
Ch. 43, vers . 23 , le Maistre de Sacy nous disant que le
temple avait deux portes , et le sanctuaire deux , rend
fidélement l'hébreu d'Ezéchiel; mais , ch. 43 , v. 4, pour
quoi cessant d'être fidèle , se sert-ildu mot temple (naos),
pour désigner ce qui n'est point du tout le temple proprementdit?
La majesté du seigneur , dit Ezechiel , entra
dans le temple par la porte qui regardait l'orient. S'agit-il
ici du temple proprement dit , ou de toute l'enceinte sacrée
appelée par Ezechiel la maison du Seigneur (peribolos
oicou , trad. grecq. ch . 40 , v. 5; ch.41 , v . 6 , 7, 10,
13, 14 et passim Voilà une question qu'il est naturel
de se faire. Pour y répondre , consultons le texte hébreu .
Il porte : La gloire du Seigneur, la gloire du Dieu d'Israël
entra dans sa maison. Alors , au lieu d'un mot qui
particularise , nous avons un mot qui généralise , une
idée grande et noble. Ce n'est pas dans le temple , proprement
dit , qu'apparaît la gloire du Seigneur ; elle remplit
la maison toute entière ,l'enceinte immense du temple
de Jérusalem . Fils de l'homme , dit alors à Ezéchiel le
Dieu d'Israël , tu vois le lieu de mon trône , le lieu oùje
poserai mes pieds . A l'avenir la maison d'Israël ne profanera
plus mon saint nom en commettant des fornications ,
en déposant dans mon temple les cadavres de ses rois (1) .
(1) Ce qui dans l'hébreu signifie monumens où sont déposés les
cadavres des rois , le gree le rend par phonois , Sacy par in excelsis ,
hauts lieux , ce qui ne rend pas l'hébreu bom , mot répondant aux
bomos des Grecs . On a souvent reproché à l'Ecriture-Sainte d'offrir
à côté des morceaux de la plus haute poésie , des idées triviales , et
AVRIL 1811 .
171
Non , encore une fois , ce n'est pas le temple seulement ,
c'était l'enceinte toute entière que le Seigneur voulait
purifier. On commettait , dans cette enceinte sacrée ,
comme autrefois dans les enceintes profanes de Jupiter à
Olympie , d'Apollon à Delphes , de Vénus à Babylone
(Hérodote 1 , 199) , et dans d'autres Hiérons , de honteuses
fornications. Près des autels du vrai Dieu , se plaçaient
et les images des faux dieux , et les sépulcres des rois
d'Israël , monumens de mort ridiculement placés près du
Dieu vivant , monumens d'orgueil qui , par leur magnificence
et leur élévation , semblaient affecter une insolente
rivalité avec les autels du vrai Dieu. C'est à ces impiétés
que le. Seigneur veut mettre fin. Le Maistre de Sacy est
donc inexact , et son inexactitude est nuisible , non-seulement
sous le rapport historique et littéraire , mais encore
sous le rapport des arts . Lorsque le Seigneur indique à
Ezéchiel la dimension de toute l'enceinte ( maison par
excellence ) , et que Sacy emploie le mot temple , à quelle
partie de lamaison ou enceinte totale de Jérusalem l'artiste
appliquera-t-il les dimensions ?
Quand le Seigneur conduit Ezechiel dans le temple ,
proprement dit , pour en indiquer les dimensions , le Grec
(ch. 41, v. 1 , 4. ) emploie le mot naos , temple . S'agit-il
des dimensions , non du temple , mais de l'enceinte totale ,
il emploie le mot oikos , maison ( ch. 41,5,6,7,9,10 ,
13, 14 , 15 , 16 , 19) ? Pourquoi donc Sacy et autres savans
ont-ils représenté ces deux mots si différens par un seul
et même mot ?
Conclusion . Je conseillerais donc aux historiens et autres
qui auraient à parler du temple de Jérusalem , d'appeler
temple le temple proprement dit , et l'enceinte toute entière
, qui parut une ville à Ezéchiel (ch. 40, v. 2 ) , maison
du Seigneur , ou du moins d'éviter le mot temple pour
pour le moins bizarres ; mais la faute n'en est pas aux génies inspirés
de qui nous les tenons , mais à leurs interprètes . Qui ,par exemple.ne
trouvera pas ridicule cette pensée : Spiritus Deiferebatur super aquas?
Avertissez que Dei en latin comme Dios en grec , signifie grand,
élevé ,fort , véhément , alors naîtra cette version raisonnable : Un
vent impétueux régnait sur les eaux. Quel service on rendrait aux
lettres , et sur-tout à la religion , si l'on s'empressait de corriger
toutes les inepties que l'on attribue à l'Ecriture etqui donnent lieu
ou àune admiration déplacée , ou à une censure impie ?
,
172 MERCURE DE FRANCE ,
désigner l'enceinte toute entière . Je conseillerais pareillement
, sous peine de se rendre inintelligible , de franciser
l'Hieron des Grecs , et d'imiter Cicéron latinisant des
termes grecs qui n'avaient pas d'équivalents dans sa langue .
J'aurai occasion de prouver que dans l'Anacharsis de l'illustre.
M. Barthélemy , dans les légendes géographiques ,
etc. , etc. , etc. , le mot temple et chapelle pour l'Hieron
(quelquefois aussi étendu qu'une ville ) embarrasse et
trouble ceux des lecteurs qui aiment à comprendre.
J. B. GAIL , membre de l'Institut impérial,
VARIÉTÉS .
CHRONIQUE DE PARIS.
MOEURS ET USAGES.-Nous avons promis de revenir sur
les fêtes de Long-Champ qui ont brillé cette année d'un
éclatdont on avait depuis long-tems perdu le souvenir. On
sait que dans le principe cette promenade , pendant la
semaine sainte , avait un but religieux; c'était une espèce
de pélerinage à l'abbaye de Long-Champ , où les fidèles se
rendaient pour entendre l'office divin et dont on écartait
soigneusement toute idée de luxe et de plaisir. Au boutde
quelques siècles on imagina , pour ranimer la ferveur qui
se refroidissait un peu , de faire chanter le Stabat par la
plus jolie religieuse , ou du moins par celle qui avait la plus
belle voix : ce fit alors un objet de curiosité; depuis 40 ans
environ, ce n'est plus qu'une occasion de luxe. L'abbaye
de Long-Champ , instituée en 1261 , sous la protection de
Sainte-Claire, eut pour fondatrice Isabelle de France ,
soeur de Saint-Louuiiss ,, qui y fut beatifiée en 1521 , par
Léon X. Après environ six siècles d'existence , ce couvent
fut enveloppé , au commencement de la révolution, dans la
réforme générale des communautés religieuses , et le souvenir
même en serait déjà perdu s'il ne se rattachait aux
fêtes annuelles qui lui doivent leur origine . Celles de cette
année feront époque parmi les plus brillantes ; la journée
du vendredi , sur-tout , n'a rien laissé à désirer : tous les
arts tributaires de la mode ont contribué de leur mieux à
l'embellir . A deux heures s'est établi un concours véritablement
extraordinaire de voitures , de cavalcades et de
promeneurs à pied. Parmi les équipages , on admirait
AVRIL 1811 . 173
tour-à-tour les élégantes calèches à parapluie de Pauly , les
riches berlines d'Ablou , les légers karricks de Leduc , les
superbes attelages de Rivierre , les brillantes livrées de
Walter et deThomassin. Les fils de la fortune employaient
toutes les ressources du luxe , du bon et même dumauvais
goût pour fixer sur eux les regards d'une foule innombrable
de spectateurs de toutes les classes , rangés en double haie
depuis la place de la Concorde , jusqu'à la barrière des
Champs-Elysées. Les grands seigneurs y déployaient sur
les panneaux de leurs voitures des armes nouvellement .
peintes par Devaux; les ambassadeurs s'y distinguaient par
les formes d'un luxe étranger; les financiers par l'embonpoint
de leurs gens , par l'éclat de leurs couleurs; les gens
de robe par la pesanteur et la mauvaise tenue de leurs chevaux
; les femmes galantes par l'affectation de leur toilette
et les grâces de leurs jokeys. Tandis que les deux files de
voitures s'avançaient aux pas en côtoyant les allées latérales
réservées aux piétons , un tourbillon de jeunes gens à cheval,
au milieu de l'avenue , allait , venait en tous sens , et
formait cortége à quelques équipages privilégiés qui la parcouraient
avec la rapidité de l'éclair .
L'extrême variété que les femmes ontdéployée dans leur
toilette , à la promenade de Long-Champ, ne permet guères
d'entrer sur ce point dans des détails dont le résultat offrirait
tout au plus un portrait etjamais untableau. Disons
donc seulement que ce qu'on y a remarqué de plus élégant
etde plus nouveau , c'est une coiffure connue depuis sous
le nom de corbeille de Flore , dont l'invention est en ce
moment un sujet de dispute et de rivalité entre deux belles ,
et doit , à ce qu'on assure , fournir le sujet d'une épopée
badine à un jeune poëte ami de ces dames .
- Les fêtes dejuin , dont les préparatifs se commencent,
ont ralenti ceux que l'on fesait pour la campagne , où la
plus grande partie des propriétaires ne se rendra pas
avant les premiers jours de juillet. On ne sait encore rien
de positif sur la nature de ces fêtes dont les détails ne
sont pas définitivement arrêtés , mais on est déjà certain
qu'elles seront dignes par leur éclat et leur magnificence
de l'événement mémorable qu'on y doit célébrer. On parle
d'illuminations supérieures même à celles qui ont eu lieu
Pannée dernière , pour les fêtes du mariage , d'un feu d'artifice
de la composition du sieur Ruggieri qui doit y employer
des procédés nouveaux ; on croit que la première
distribution solennelle des prix décennaux datera de cette
174 MERCURE DE FRANCE ,
grande époque , et l'on annonce l'arrivée prochaine d'une
foule d'étrangers de marque , et de nombreuses députations
des départemens , chargées d'apporter aux pieds d'un trône
resplendissant de gloire , l'expression des sentimens et des
voeux de la France entière .
Aux Rédacteurs de la Chronique.
Messieurs , j'ai la plus grande confiance en vous , etje
vous regarde comme les véritables arbitres du bon ton et
des convenances ; veuillez donc éclairer mon incertitude
sur un point très-important , puisqu'il ne s'agit pas moins
que de la réputation et de la santé. Pour ne point abuser
de votre tems et de votre complaisance , je poserai la question
en très-peu de mots . J'habite ordinairement la province
; obligée de suivre mon mari dans la capitale où ses
affaires l'on appelé et le retiendront quelques mois encore ,
ma santé , très-délicate , a souffert de ce déplacement ,
et mon médecin m'a recommandé l'exercice. Commeje ne
connais personne dans cette grande ville, et que je demeure
dans le voisinage des Tuileries,je ne manque guères , lorsque
le tems le permet , de faire seule deux ou trois fois le tour
de ce beau jardin , et cette promenade journalière me fait
un bien infini . Après cela , croiriez-vous , Messieurs , que
mon mari m'engage à y renoncer , et cela , sous prétexte
qu'une femme qui n'a pas cinquante ans ne peut se promener
seule , à Paris , sans donner d'elle une idée trèsdéfavorable
? Il est bien vrai que j'ai eu , plus d'une fois ,
l'occasion de m'apercevoir , dans mes promenades , que
j'étais l'objet d'une attention particulière ; mais je vous
avouerai franchement que j'expliquais cette curiosité d'une
manière beaucoup plus flatteuse pour mon amour-propre .
Mon mari n'est point galant , il tient à son opinion ; mais
en matière pareille il ne fait pas autorité pour moi , et je
continuerai à me promener seule jusqu'à ce que vous ayez
fait connaître votre décision .
J'ai l'honneur d'être , etc. VICTORINE DE M.
Quoique nous soyons assez généralement disposés à
donner raison aux femmes contre leurs maris, nous croirions
manquer à la confiance que nous accorde notre aimable
correspondante , si nous étions cette fois d'un autre avis
que son époux. Il est très -vrai qu'une jeune femme , à Paris
, ne peut se montrer seule dans une promenade publique
; non-seulement cela n'est point de bon ton , ce qui ne
AVRIL 1811 .
175
veut pas dire grand-chose , mais cela n'est point conve
nable , et par conséquent il faut s'en abstenir ; car , s'il est
permis de braver la mode , il ne l'est pas de braver l'opinion.
Maintenant , si MeM.... nous demande pourquoi
l'usage qui défend aux femmes de se promener seules ,
leur permet de se montrer par-tout accompagnées de plusieurs
jeunes gens , et , qui pis ait , d'un seul ; nous répondrons
que nous ne sommes point chargés de rendre compte
de toutes les contradictions de nos moeurs , et qu'après
tont ily a des choses très -innocentes en elles-mêmes qu'on
ne doit point faire par la seule raison qu'elles sont dans
les habitudes de gens avec lesquels il faut éviter toute
comparaison.
-Les propriétaires du Jardin Turc ,justes appréciateurs
de la constance des habitans du Marais , ont cru devoir
augmenter leur local , et dans l'impossibilité d'en étendre
la surface , ils ont imaginé de s'agrandir en hauteur , pour
n'avoir rien à démêler avec les voisins. En conséquence ils
ont élevé d'un étage leurs chaumières , leurs belvédères ,
leurs kiosques et leurs cabinets . La jolie salle en verres de
couleurs est exhaussée d'un entresol décoré avec beaucoup
de goût et d'élégance. En parcourant ce lieu vers le soir , à
l'heure où la foule des habitués s'v rassemble , nous avons
remarqué qu'habituellement les salles éclairées sont remplies
de graves pères de famille au milieu de leurs enfans ,
les allées un peu sombres , de jeunes époux; quant aux
bosquets , beaucoup plus peuplés encore , l'obscurité profonde
et le silence qui y règnent, ne nous ont pas permis
de distinguer à quelle classe de la société appartiennent
ceux qui s'y réunissent.
-Rien de plus cher que les procédés économiques ;
onest convenu de cela depuis long-tems; ce qui n'empêche
pas que les inventions économiques ne se multiplient
chaque jour ; d'où l'on peut conclure qu'il y a toujours
dans cette grande ville la quantité de dupes nécessaires
pour alimenter les fripons et les charlatans qui s'y
trouvent , tandis qu'il est rare qu'il s'y rencontre un nombre
debons esprits assez considérable pour enrichir ou même
pour encourager les auteurs d'une découverte véritablement
utile ou agréable. Celui-ci vous recommande sa chandelle
économique qui a tous les avantages de la bougie , excepté
celui d'éclairer. Cet autre annonce une cheminée économique
qui ne s'alimente que de fumée; ce n'est pas la faute de
l'inventeur , si pour avoir beaucoup de fumée , on est
:
-
176 MERCURE DE FRANCE ,
obligé de brûler beaucoup de bois. Un troisième arrive
avec sa lampe économique qui éclaire et échauffe en même
tems; vous ne l'avez pas plutôt achetée , que vous gelez et
n'y voyez goutte. Voici maintenant M. Harel qui nous offre
sa batterie de cuisine économique, composée , comme toutes
les autres , de poëles , de grils , de casseroles , de rôtissoires
, etc. le tout adapté sur un fourneau qui s'échauffe
avec du papier ; M. Cadet-de-Vaux peut réclamer la première
idée de cette grande découverte, laquelle prouvé, suivant
M. Harel , que les arts sont arrivés à leur dernière
perfection .
-
Dès que les hommes sont rassemblés , fût-ce même
aux spectacles des Boulevards , ils se doivent mutuellement,
et chacun doit sur-tout à la réunion dont il fait partie , de
se conduire avec décence et d'éviter toute espèce de scandale.
Ce respect des bienséances publiques a de tout tems
distingué les Français entre tous les peuples de l'Europe ,
et sans doute il importe de signaler à sa naissance un abus
qui tend à effacer ce trait marquant du caractère national.
On assignait autrefois (dans les spectacles où elles étaient
admises ) une place particulière à ces femmes qui n'en ont
aucune dans la société ; on a cru plus conforme aux bonnes
moeurs de ne point attirer les yeux sur elles en les réunissant
, et il en est résulté des inconvéniens beaucoup plus
graves . Une mère de famille ne peut aujourd'hui conduire
sa fille à tel et tel spectacle (que nous finirons par nommer)
sans courir le risque de partager sa loge avec une courtisanne
effrontée dont le langage et la conduite trahissent bientôt
la profession , et forcent la femme honnête à se retirer ,
pour ne pas tenir pendant deux heures , sous les yeux de
sa fille , un exemple de la plus impudente dépravation . Le
fait que nous citons , nous en avons été témoins , et nous
ne doutons pas qu'il finisse par éloigner la bonne société
d'un théâtre où il se renouvelle presque tous les jours .
ÉVÉNEMENS , ANECDOTES -Les journaux font souvent
mention de centenaires , de renouvellement de mariages
après cinquante ans de durée ; mais ils n'ont pas souvent
à inscrire dans leur statistique un mariage aussi singulier
que celui que nous annonçons , et qui doit avoir lieu la
semaine prochaine entre un cabaretier de la Courtille et
un maréchal-des-logis de hussards en retraite et pensionné
pour cause de blessures . On a déjà deviné que le maréchal-
des- logis est une nouvelle chevalière d'Eon, qui , après
1
AVRIL 1811 .
177
avoir figuré dans maintes charges de cavalerie , vient ,
après douze ans de service , reprendre le rouet et la quenouille
, auprès d'un époux à qui elle apporte en dot 500 fr.
de pension , noble fruit de ses exploits . Quelle femme
peut se vanter d'un douaire aussi honorable ! Ce qui n'empêchera
pas que beaucoup de gens ne répètent après
Voltaire :
J'aimerais mieux , le soir , pour mon usage
Une beauté douce comme un mouton.
-On dit que le général Dumourier vient de mourir in
cognito dans un petit coin de l'Europe . Il faut , dans ce
monde , prendre son tems pour tout , même pour mourir ,
et Caton lui-même ( nous voilà bien loin de Dumourier )
serait mort avec plus de gloire à Monda qu'à Utique .
-Nous avons entendu un Gascon interrompre plaisamment
l'éloge d'Henri IV , que l'on faisait en sa présence .
Etdonc , à qui le dites-vous ? ... Il était dé ché moi .
M. N... grand amateur du théâtre de Shakespear et de
Schiller , disait en sortant du Théâtre Français , où l'on
venait de jouer Gabrielle de Vergy : " Cela n'est pas mal
> mais j'aimerais mieux une tragedie. "
,
NOUVELLES LITTÉRAIRES ET BIBLIOGRAPHIQUES. - Mercredi
, 17 de ce mois , l'Université a fait l'ouverture des
cours de l'Ecole normale et des Facultés ; nous avons assisté
à cette cérémonie à laquelle présidait M. le grandmaître
, et dont M. Lemaire , professeur de poésie latine
afait seul tous les frais . Le discours d'ouverture qu'il a
prononcé , et, pour ainsi dire , improvisé , au milieu des
plus vifs applaudissemens , nous a paru remarquable à
plusieurs égards ; nous indiquerons les choses qui nous ont
frappé. L'orateur , dans son exorde , a tiré un parti trèsheureux
d'une circonstance touchante et particulière ; il
parlait dans la même enceinte (au collège du Plessis ) , où
il a fait ses études . L'éloge d'Homère , qu'il a terminé en
observant que les meilleurs historiens des héros sont les
grands poètes , a réuni tous les suffrages ; il a été moins
heureux dans son portrait de Lucrèce . M. Lemaire a donné
tout-à-la- fois le précepte et l'exemple d'une excellente leçon
dans l'analyse qu'il a faite du 6º livre de l'Enéide , et dans
une paraphrase en vers latins du psaume , super flumina
Babylonis . Dans sa conclusion , où il a amené , avec autant
de bonheur que d'adresse , l'éloge du héros couronné qui
M
178 MERCURE DE FRANCE ,
préside aux destins de l'Europe , il a cité un fragment de
Claudien , présenté comme un bulletin de l'armée de réserve
, et dont chaque vers s'applique admirablement au
passage du mont Saint-Bernard.
-On se plaint qu'on ne dit , qu'on n'écrit rien de nouveau;
et cependant il n'y a pas long-tems que nous lisions ,
n'importe dans quel livre ou dans quelle feuille , que le
dix-huitième siècle était effacé de la série des siècles ; que
les lettres et les arts appauvrissent les nations et les rendent
rachitiques; que les puissans seuls doivent être éclairés
, attendu que le gros de la nation n'a point d'existence
politique , et appartient moins à l'Etat qu'à la famille , etc. »
Il est vrai que cette politique sublime n'est pas celle de
cet homme qui sejeta sur la politique, échappéde la boutique
d'un horloger, comme le dit le profond penseur que
nous citions plus haut .
-
,
La dernière quinzaine de ce mois a été très -abondante
en nouveautés , et , qui mieuxest , enboonnssouvrages .
Nous citerons en première ligne la première livraison du
Dictionnaire biographique , dontles noms seuls des coopérateurs
deviennent un garant d'autant plus sûr du succès
que cette fois ils ne figureront pas seulement sur le frontispice
, comme cela n'arrive que trop souvent. Chaque
article est signé du nom de son auteur , et cette sage précaution
semble nous assurer enfin un ouvrage exact et
complet sur cette partie si intéressante de l'histoire littéraire.
- Si vous n'avez point lu THIBAUT , ou la Naissance
d'un comte de Champagne , poëme en quatre chants , sans
préface et sans notes , vous ne connaissez pas un des ouvrages
decirconstance le plus original , le plus piquant et
le plus spirituel qui ait été fait. On y trouve la gaîté , la
finesse et la grâce d'Hamilton , jointes à l'art si difficile de
donner à la louange l'expression franche du sentiment ; ce
qui pourrait faire soupçonner à ceux qui n'en sont pas convaincus
,que l'auteur de cette ingénieuse producttiioonn n'est
pas étranger à la Famille du Mont-Jura .
-Parmi les milliers de volumes de mémoires , de contes
, d'anecdotes inédites dont nous sommes inondés depuis
dix ans , on a distingué un ouvrage intitulé Paris , Versailles
et les provinces. Trois éditions consécutives l'ont
classé parmi ceux qui occupent agréablement les loisirs de
la campagne , et qui peuvent encore tenir leur place dans
la bibliothèque d'un homme de goût.
AVRIL 1811 .
179
- Moncrif a fait une Histoire des Chats qui le fait surnommer
plaisamment , par Champfort , historiogriffe :
nous avons eu il y a deux ans une Histoire des Chiens , et
Yon vientde publier une Histoire des Chevaux ; ne pourrait-
on pas appliquer à ces biographies des bêtes ce qu'on
disait il y a quelque tems d'une Histoire des Filous ? que
c'étaitun traité ex professo .
-
:
NOUVELLES DES THEATRES . Voici l'époque où les
comédiens de province se réunissent au café Touchard.
(Nous avons fait connaître , l'année dernière , ce foyer
central des théâtres de France. ) On dit que parmi ces prétendans
tragiques , comiques et lyriques , plusieurs se
proposent de débuter sur les grands théâtres de la capitale.
Ils ne savent donc pas , les pauvres gens , qu'à la comédie
française on ne permet de débuts que dans les emplois qui
ont déjà quatre doubles , ou dans ceux qui ont le moins
besoin d'être doublés ; qu'à Feydau , où le répertoire est
si souvent arrêté , faute de basse-taille , on peut supposer
qu'il y peine de mort contre ceux qui oseraient débuter
dans cet emploi . Ils ne savent donc pas tant d'autres secrets
de comédie dont il serait bon qu'ils fussent instruits avant
de se brouiller avec les directeurs de province.
a
On annonce , au Théâtre-Français , le retour prochain
de Mlle George , qu'apellent à grands cris tous ceux qui
prennent assez d'intérêt à Edipe et à Ninias , pour leur
souhaiter une mère avec qui l'inceste soit toujours le plus
grand des crimes , mais non pas le plus cruel des supplices.-
On parle avec intérêt d'une débutante élève de
Lafont.
L'Opéra- Comique a retrouvé dans M. Boyeldieu un des
trois compositeurs sur qui se fondent aujourd'hui sa fortune
et sa gloire. Le succès du petit ouvrage qu'il vient de
donner à ce théâtre est d'autant plus flatteur qu'il ne le
partage avec personne. Les débuts de Mme Boulanger
continuent à faire les délices de tout ce qu'il y a de gens
sensibles au mérite d'une voix charmante , joint au talent
de comédienne le plus distingué ; avantage qu'on ne trouve
jamais réunis chez ces virtuoses ultramontains , assez heureux
pour profiter de ce travers d'esprit d'une nation avide
du clínquant qui brille chez l'étranger et pleine de dédain
pour l'or qui croît chez elle .
Le Vaudeville prépare une petite pièce intitulée : Jo
m'émancipe.
M 2
180 MERCURE DE FRANCE ,
La Gatté n'épargne aucune dépense pour monterd'une
manière convenable le Marquis de Carabas .
MODES. - Les calèches en gros de Naples jaune , rose
ou lilas , qui jouissaient d'une si grande mode ily a quinze
jours, ont faitplace, depuis la promenade deLong-Champ,
aux chapeaux de paille blanche ou d'Italie . On remarque
aussi quelques chapeaux en crêpe ornés d'une espèce de
diadême de rubans roulés en cornet. Ces chapeaux sortent
du magasin de Mm Vaulou . Les robes de gaze brochées
en bleu avec la garniture et l'écharpe de même couleur ,
espèce d'uniforme que semblaient avoir adopté les femmes
qui se sont montrées en karrick à Long-Champ , reparaissent
encore au bois de Boulogne. La toilette des femmes
que la beauté du tems attire chaque jour , vers trois heures
aux Tuileries et aux Champs-Elysées , se compose assez
généralement d'un spencer en lévantine rose , vert ou lilas ,
quelquefois surmonté d'une fraise et plus souvent d'une
très-petite pélerine en tulle brodé . Les brodequins deviennent
très-communs ; cette chaussure est charmante , mais
elle exige un joli pied.
Les hommes sont voués au vert dans toutes ses nuances ;
habit vert pré , culotte vert d'eau , gilet vert pomme ; ou si
vous l'aimez mieux , habit vert myrte, culotte vert pâle ,
gilet vert changeant. Les habits sont les mêmes pour la
forme , longs de taille , et très -hauts du collet. Les pointes
du col de la chemise ont tout-à- fait disparu ; les favoris
sont rasés et les cheveux presque tondus sur les côtés et
par derrière. Les culottes de peau se portent très-longues ,
et les éperons en acier ont remplacé , sans économie , les
éperons d'argent , puisque ceux-là coûtent trois ou quatre
louis la paire.
Y.
Fin de la sixièmelettre de l'un des Rédacteurs du MERCURE
à ses confreres sur le quatrieme Concert de l'Odéon .
Un quatrième concert a été donné le 15 avril . Je ne vous
en parlerai point , Messieurs , avec autant de détail que je
l'ai fait des précédens . Une magnifique symphonie du
maître , c'est-à- dire de Haydn , l'a ouvert. On y a entendu
avec plaisir une très-jolie cavatine de Farinelli chantée par
M. Porto avec beaucoup de talent et d'originalité ; un air
en rondeau de Nazzolini , où l'on reconnaît la touche originale
de ce compositeur , et parfaitement exécuté par
AVRIL 1811 . 181
MeBarilli; un grand duo de Mayer , que cette même
cantatrice et M. Crivelli ont chanté avec tout l'art et toute
l'expression qu'il exige , et dont on a sur- tout applaudi le
second mouvement où les deux parties lentement entrelacées
forment un dessin , aussi savant que simple , d'harmonie
et de chant , et toute la fin qui est vive , animée
et brillante . Mais il y a eu un concerto de flûte , par
M. Perrault , que l'on dit très -habile sur cet instrument ,
et qui ne peut pourtant se dissimuler qu'il n'a obtenuaucun
succès ; il y a eu pour intermède une longuefantaisie exécutée
parM. Kreutzer , sur le panmelodicon , instrument
admirable sans doute dans une chambre , mais sans effet
dans un grand local , parce que lesforts y sont trop faibles
après le bruit de tout un orchestre , et les doux , si doux en
en effet, et quelquefois d'une ténuité si déliée qu'à peine
les entend-on , et que pendant d'assez longs passages , on
ne peut pour ainsi dire respirer sans cesser tout-à-fait d'entendre.
Il y a eu enfin , pour remplir la deuxième partietoute
entière , un ouvrage qui a beaucoup de célébrité et qui
la mérite , le grand oratorio d'Haydn intitulé la Création .
Pour celui-là , ce n'est pas qu'il n'y ait rien à en dire , c'est
par la raison contraire que je ne vous en dirai rien. Pour
bien parler d'une production de ce genre et de cet ordre ,
il faudrait entrer dans des explications que je ne puis me
permettre ici . L'auteur y fait briller tant de fécondité , tant
desavoir, tantde force de tête ; son orchestre est si riche ,
et si prodigieusement travaillé ; dans les morceaux que
l'on dit de chapelle , ses sujets sont si originaux , et conduits
avec tant d'art et de vigueur , qu'on ne peut trop
admirer tant de qualités éminentes réunies dans un seul
ouvrage : mais d'un autre côté , c'est une idée si bizarre
et selon moi si malheureuse , que de mettre en musique
tout le premier chapitre de la Genèse ; l'imitation des
objets physiques est si inférieure dans cet art à l'expression
des sentimens et des passions , et le récit détaillé de
l'oeuvre des six jours exige si exclusivement cette sorte
d'imitation; les moyens que la musique y peut employer
sontpresque tous si dépendans de l'orchestre , et l'obligent
àun travail si compliqué , si varié , si continu ; il en résulte
enfin une si grande application pour l'esprit des auditeurs ,
s'ils veulent saisir les intentions du maître , une si petite
dose de ces sensations agréables que la musique doit procurer,
et dans une carrière si étendue et si surabondam
182 MERCURE DE FRANCE ,
ment remplie , une si grande fatigue pour l'oreille , quand
cette oreille n'est pas de fer, que cette admiration est presque
le seul sentiment que l'on parvienne à exciter à tantde
frais.
On n'a exécuté que la première partie de cet oratorio ,
et l'on en est resté , je crois , à la quatrième journée ; cela
n'a cependant pas duré moins d'une heure et demie . Je fais
mon compliment aux personnes qui l'ont entendu , disentelles
, avec le même plaisir jusqu'à la fin . Je sais très-bien
à quoi tient cette force d'organe , et cette continuité de
jouissance; pour moi, je me suis retiré , je l'avoue , avec
un peu de lassitude , et sentant dans ma tête quelque
chose qui ne ressemblait pas mal à ce chaos d'où Dieu tira
le monde , que Haydn a entrepris de peindre dans son introduction
, et où il s'est si longuement engagé , qu'on
dirait que , malgré son génie , il a eu de la peine à en sortir.
POST-SCRIPTUM sur le 5m et dernier concert de l'Odéon .
La fin de ma sixième lettre , Messieurs , n'ayant pu entrer
dans le numéro précédent , je n'y joindrai qu'un postscriptum
sur le concert du 22 avril , qu'on nous annonce
pour le dernier. Ce sera probablement aussi ma dernière
lettre ; je vous en dirai la raison , et je ne doute pas que
vous ne l'approuviez .
,
Je serai encore plus succinct sur ce concert que sur
P'autre . La symphonie de Haydn , par où il a commencé
est nommée militaire à cause de la superbe marche qui en
occupe le milieu. Ce morceau est du plus grand effet , mais
le reste de la symphonie ne me paraît pas du premier rang
parmi celles decegrand maître . MMmme Barilli a faitbeaucoup
de plaisir dans un air très-agréable de Marchesi;
M Festa et M. Porto ont exécuté de la manière la plus
piquante un duo bouffon très-original , d'un maître dont
j'ai entendu , je l'avoue , prononcer ce jour-là le nom pour
la première fois ; il se nomme Fadolini .
Je ne sais si c'est ppaarrccee que j'aijoué autrefois duviolon,
et parce que j'en reçus les premières leçons , dans ma jeunesse
, d'un élève de Tartini , mais j'ai toujours conservé
à cet instrument le titre que je lui entendais donner alors .
On l'appelait , et je le crois toujours , le roi des instrumens
. Son empire n'est pas douteux quand il est entre les
mains d'un Viotti ou de quelqu'un de ses savans et brillans
élèves ; mais on le sent aussi dans des maîtres d'une autre
école , lorsqu'ils joignent à la justesse et au beau dévelopAVRIL
1811 . 183
pement des sons , de la grace , une expression touchante ,
un archet large et moelleux , une connaissance parfaite de
la différente nature des sons , selon la différente division
des cordes et la position de la main. Toutes ces qualités ,
réunies à une composition extrêmement agréable , ont
mérité à M. Libon un succès qui a dû le flatter d'autant
plus que les applaudissemens donnés à son talent , avaient
jenesais quelle expression d'intérêt pour sa personne. Le
concerto de lui qu'il ajoué est , sans nulle exception , celui
des solos d'instrumens exécutés dans tous ces concerts ,
qui a le plus généralement réussi .
Lamêmepartie de l'Oratorio de la Création , qu'on avait
entendue dans le concert précédent , a rempli de nouveau
toute la seconde partie de celui-ci . L'exécution, qui est trèsdifficile
, en a été plus parfaite; rien n'ya manqué ni pour
les nuances , ni pour l'ensemble. On a pu saisir encore
mieux dans cet immense tableau les intentions savantes
et les ressources prodigieuses du peintre ; mais dût-on me
soupçonner encore de n'avoir pas l'oreille assez exercée,
lamienne ne s'est guère moins fatiguée que la première fois
de l'exercice que ce genre de musique lui adonné, et après
un nouvel examen, je persiste , comme on dit au barreau ,
dans mes premières conclusions .
J'aurais été surpris , messieurs , si la liberté avec laquelle
je me suis exprimé sur un sextuor de Mozart , ne m'avait
attiré quelque réprimande un peu verte. Cela n'a pas manqué.
Un Italien apris contre moi , dans un journal estimé ,
la défense du compositeur allemand. Je ne trouve point
cela du tout mauvais , mais un peu étonnant ;car ce n'est
pas seulement un Italien , mais un Napolitain qui m'attaque
, et que voilà enthousiaste de Gluck et de Mozart.
Je n'avais point l'honneur d'être connu de lui ; il a fait
des questions sur mon compté ; qu'a-t-il appris ? quej'avais
eu jadis le malheur de rester totalement insensible aux
beautés transcendantes de la musique de Gluck ; s'il avait
d'abord été surpris de mon jugement sur Mozart , il a dèslors
cessé de l'être. Ce que c'est que les réputations ! Tel
homme dont on parle beaucoup vaut assurément moins
que la sienne ; mais je prie M. Domenico Velluzzi de
croire que , si je passe pour totalement et même pour le
moins du monde insensible aux vraies beautés de la musique
de Gluck , je vaux , à cet égard , beaucoup mieux que
ma réputation . S'il me faisait l'honneur de me venir voir ,
que dirait-il en voyant à l'entrée de mon cabinet le buste
184 MERCURE DE FRANCE , AVRIL 1811 .
de l'auteur d'Iphigénie , d'Orphée et d'Alceste, tandis qu'il
y chercherait inutilement celui de l'auteur de Roland,
d'Atys et de Didon ?
C'est M. Velluzziqui soupçonne que si je n'ai pas l'oreille
dépravée , je ne l'ai pas assez exercée; j'ai souri de ce soupçon
; il ne pouvait pas me faire d'autre effet que celui-là .
J'ai eu tort , selon mon critique , de mettre Haydn audessus
de Mozart; les opéras de celui-ci. Fortbien ;
mais je n'ai parlé que de symphonies . Je n'en ai donné que
soixante-douze à Haydn ( excusez du peu ) , et là-dessus
M. Domenico Velluzzi me traite fort durement parce qu'il
sait , ce que je ne savais pas , que ce maître en a fait cent
cinq , dont deux seulement sont restées imparfaites . Fort
bien encore; mais j'ai donc raison , de trente symphonies
de plus , dans la comparaison que j'ai faite et dans la préférence
que j'ai donnée .
1
Mais tout cela importe peu , Messieurs , à nos lecteurs ,
à vous et à moi . Vous savez et vous avez approuvé le
motif qui m'a fait commencer ces lettres . Il est tems de
les finir. J'ai beaucoup d'autres choses à faire que de m'engager
maintenant dans des querelles musicales , et dans
quelques querelles que ce soit. Je vous ai écrit très-rapidement,
sans prétention , et dans les courts momens de loisir
que je donne encore tous les jours à la culture d'un art
qui me console. Au fond , c'est une duperie , et je ferai
beaucoup mieux de reprendre pour ces momens-là l'usage
habituel que j'en fais . Cet usage ne peut déplaire à personne,
et est infiniment plus doux pour moi .
Agréez , Messieurs , mes salutations les plus sincères .
G.
N. B.- L'article intitulé les Berceaux , qui a paru dans les Varie
tés , N° DV du Mercure ( 23 mars ) , est de M. Bernardin- de- Saint-
Pierre.
L
4
POLITIQUE.
AUCUNE nouvelle ne nous apprend l'ouverture de la
campagne en Turquie. Les deux armées , qui paraissent
toujours prêtes à en venir aux mains sur la rive droite du
Danube avec les nouvelles forces qu'elles ont reçues , ne se
sont point encore mises en mouvement . La prise de Lofesa
est le seul et le dernier événement qui ait mérité d'être
rapporté . Cette petite place , à peine fortifiée , a été défendue
avec cette opiniâtreté que l'on sait être le partage
des troupes ottomanes , couvertes par leurs murailles , et
suppléant par le nombre et le courage à ce qui leur manque
de tactique et d'habileté en rase campagne . Les journaux
allemands se sont plu à embellir le récit de la reddition
de cette place , d'un trait qu'on lirait avec admiration
dans l'histoire des compagnons d'armes des Solimans et
des Saladins , et qui , s'il était constaté , mériterait d'être
conservé dans les annales de l'héroïsme .
On prête ce trait à Hasuedar-Aga , commandant de la
ville. M. le comte de Saint-Priest l'avait sommé de se
rendre , sous peine de voir passer sa garnison au fil de
l'épée ; le Mahométan fait amener son cheval de bataille
devant le parlementaire russe , et lui casse la tête d'un
coup de pístolet. Tu vois , dit-il à l'officier russe , que je
me prive du moyen d'abandonner mon poste ; je le défendrai
avec mes braves compagnons jusqu'à la dernière
goutte de mon sang : reporte à ton chef ma réponse à sa
sommation . Quelques heures après , l'assaut est donné , la
place est emportée ; 1500 Turcs succombent sur leurs
remparts ; Hasuedar-Aga est trouvé au premier rang parmi
les morts . Les Russes ont donné à sa mémoire les témoignages
d'estime dus au courage malheureux. On ajoute
que peu de tems après la prise et l'occupation de cette
place , M. le comte de Saint-Priest , sans doute attiré d'un
autre côté par de nouvelles dispositions et des ordres supérieurs
, avait évacué la ville , et que son corps s'en était
éloigné.
Le capitan-pacha poursuit les travaux pour l'équipement
de la flotte avec la plus grande activité. Cette flotte sera
186 MERCURE DE FRANCE ,
portée à quinze vaisseaux de ligne. Pendant ce tems , les
troupes asiatiques qui , selon l'usage , étaient rentrées dans
leurs foyers , repassent le détroit de la Mer-Noire , et re
joignent l'armée. La défense d'exportation pour les ports
russes est maintenue avec la plus grande rigueur. La
moindre tentative de fraude est punie avec la dernière
sévérité .
Lacapitale est tranquille; et quelques scènes qui ont eu
lieu parmi les janissaires des 26 et 27 ortes n'ont eu
aucun résultat fâcheux . La rixe est attribuée à divers motifs
; mais elle a été étouffée dans son principe par la fermeté
du Grand-Seigneur. Le 11 mars , l'officier supérieur
des janissaires a été déposé , et la tranquillité a été rétablie ;
il est question de dissoudre une des compagnies comme
ayant un esprit de sédition sans cesse renaissant; on cite
à cette occasion le trait suivant de sa Hautesse :
« Le 8 mars , au moment où les 26° et 27º compagnies
se battaient , le Grand-Seigneur se rendait à la mosquée
suivant sa coutume du vendredi. Arrivé près du lieu du
tumulte , il poussa son cheval de ce côté pour le faire
entrer dans un bazard , appelé bazard du Caire , lequel
conduit à Tahta-Cala. Les officiers qui entouraient le
Grand-Seigneur se hâtèrent de lui représenter qu'il n'y
avait point d'exemple que les sultans eussent jamais passé
par ce bazard , et que cela était contre l'usage ; mais le
Grand-Seigneur continua sa route en leur répondant qu'il
ferait l'usage . A son approche , les janissaires qui se battaient
se dispersèrent avec précipitation. "
En Servie , il paraît que la division continue à régner ,
et qu'il y a peu d'ensemble dans les vues et dans les opérationsdes
chefs de la nation insurgée et ceux de ses auxiliaires.
Le général Czerni-Georges et le général russe ne
se traitent point en amis et alliés . Le parti russe qui est audelà
de la Morave , s'est , dit-on , déclaré contre Czerni-
Georges. Ce dernier a dû se porter sur la Morave ; on ajoute
même qu'il a passé cette rivière .
Malgréles mouvemens qui ont lieu sur la frontière orientale
de la monarchie autrichienne , cette monarchie continue
à jouir d'un calme parfait; et tout prouve que le
bienfait de la paix lui est assuré pour de longues années .
Les fonderies de canons , écrit-on de Vienne , sont sans
activité ; la fabrication de la poudre est restreinte , et tous
les jours on complète le grand travail de la réduction de
l'armée . Les finances s'améliorent par l'exécution soutenue
AVRIL 1811 . 187
des plans de M. le comte de Wallis. Ce ministre est à la
tête d'une commission centrale , à laquelle se rattachent
toutes les parties de l'administration des finances. La
valeur du papier-monnaie se soutient telle qu'elle a été
établie par le dernier arrangement , et toutes les manoeuvres
des agioteurs ne peuvent empêcher le crédit public de
renaître et de s'affermir. M. le prince de Metternich prend
une part très-active aux affaires de l'intérieur .
Depuis l'heureuse nouvelle de la naissance du roi de
Rome , l'Empereur , l'auguste père de l'Impératrice des
Français , paraît jouir de la satisfaction la plus entière :
tout au palais impérial respire la joie et le bonheur ; la
famille impériale se montre très-souvent en public , et
trouve sur toutes les physionomies l'empreinte d'un sentiment
qui est aussi vif qu'unanime. Elle a assisté avec
unepieuse exactitude à toutes les cérémonies de la semaine
sainte.
Quoique les travaux de la diète saxonne se continuent
avec beaucoup d'activité , ils sont si nombreux et si compliqués
qu'elle ne peut guère se terminer qu'avant la fin de
cemois. Les Etats se sont accordés sur la nécessité d'avoir
recours aux emprunts pour les besoins extraordinaires .
Quant à la création d'un nouveau papier-monnaie , elle
trouvedes obstacles presque insurmontables dans la loyauté
des Saxons , qui craignent qu'une semblable mesure ne
porte atteinte au crédit public si bien établi. Il n'a pas
encore été rendu de décret à cet égard , le projet ayant été
soumis à l'examen et à l'approbation de S. M. Ce monarque
a tellement à coeur l'affaire de la réunion de toutes les
parties du royaume , que la première conférence ministé
rielle à ce sujet a déjà été tenue le 26 mars ; tous les
ministres du cabinet et des conférences s'y sont réunis en
conseil d'Etat , et ont soumis à S. M. le résultat de leurs
délibérations .
Le roi de Suède étant presque rétabli , on présume qu'il
va reprendre incessamment les rênes du gouvernement . Le
comte d'Essen est parti pour aller prendre le commandement
des troupes destinées à la défense des côtes ; on annonce
que ce général va être élevé à la dignité de feld maréchal
, le général de Wrede à celle de seigneur du royaume,
et le lieutenant-général baron d'Adlescreutz nommé général .
Le comte d'Essen se rend à Gothembourg. La nouvelle de
la naissance du roi de Rome a produit la plus vive sensation
à Stockholm. Les Françaisl'ont célébrée avec enthousiasme .
188 MERCURE DE FRANCE,
Le pavillon impérial flottait sur le lieu de leur réunion.
S. A. R. la princesse héréditaire a fait chanter un Te Deum
dans sa chapelle particulière ; toutes les personnes de la
cour qui professent la religion catholique y ont assisté.
M. le comte de Brahé et M. Charles de Lovenheim ont été
chargés de porter à Paris les félicitations de la cour de
Suède à l'occasion de la naissance du roi de Rome .
En Prusse , on ne semble occupé que de l'exécution la
plus exacte possible des ordres repressifs de la contrebande
anglaise. Le 1 avril à Mémel , les marchandises
anglaises qui se trouvaient à bord des vaisseaux saisis dans
ce port , ont été publiquement brûlées ; leur valeur s'élevait
à 1,200,000 fr. Le même jour , on arrêtait à Berlin uמ
Anglais qui s'était introduit sous un faux nom , à l'aide
d'un passe-port suédois . L'examen de ses papiers a prouvé
qu'il n'était point agent de son gouvernement, qu'il ne
venait sur le continent que pour affaires particulières de
commerce ; cependant les peines applicables à cette contraventiondes
lois sontsupportées parcet individu ; le public ,
dans cette circonstance peu importante en elle -même , a
vu avec plaisir une preuve de l'attachement constant et
sincère du gouvernement au système continental , et de son
inébranlable résolution de donner à toutes les parties de
ce système l'accomplissement uniforme et absolu qui seul
peut en assurer le succès . A Koenigsberg on a également
brûlé les marchandises saisies à Pillau ; leur valeur s'élevait
à deux millions d'écus . L'opération a duré une journée
entière .
La surveillance dont on vient de voir un exemple à Berlin,
est la même sur toute la côte. Un conseil de guerre
tenu à Oldembourg , a condamné à mort deux capitaines
de navires sortis sans permission de la rivière Jadhe , aux
termes de la loi de 1790 , dont l'article 13 porte : quiconque
se rendra coupable d'intelligences avec l'ennemi , sera condamné
à mort. Le jugement a été transmis à toutes les
communes des rives du Weser .
Les Américains , de leur côté , établissent dans le Nouveau-
Monde un autre système continental qui resserre
d'autant plus le blocus où l'Angleterre s'est elle-même
réduite , en menaçant la France d'un vain appareil , et en
réclamant comme des droits des prétentions inouies dans
l'histoire des nations . Voici l'acte additionnel servant de
supplément à celui relatif aux relations commerciales entre
AVRIL 1811 . 389
lesEtats-Unis , la Grande-Bretagne et la France . Cet acte
doit être transcrit.
* Il est réglé par le sénat et la chambre des représentans
des Etats-Unis assemblés en congrès , que tout bâtiment
appartenant en totalité à un citoyen ou à des citoyens des
Etats-Unis qui sera parti d'un des ports de l'Angleterre
anterieurement an 2 février 1811 , et que toutes marchands's
appartenant à un citoyen ou à des citoyens des Etats-
Ums qui auront été importées sur lesdits bâtimens , ne
seront sujets ni à la saisie ni à la confiscation pour cause
d'infraction réelle ou d'infraction présumée des dispositions
de l'acte , dont cet acte - ci est le supplément.
» Il est de plus arrêté que dans le cas où la Grande-Bretagne
révoquera ou modifiera ses édits , de manière à ce
qu'ils cessent de violer le commerce neutre des Etats-Unis ,
leprésident des Etats-Unis le fera connaître par une proclamation.
Les restrictions mises ou qui pourraient être
mises en vertu dudit acte cesseront d'avoir leur effet , à
compter dujour de la date de la dite proclamation .
Il estdeplus réglé que, jusqu'à ce que la dite proclamation
ait été rendue , les diverses dispositions des 3,4,5 ,
6,7,8,9,10 et 11 sections de l'acte intitulé : Acte pour
interdire les relations commerciales entre des Etats- Unis
etla Grande-Bretagne , etla France et leurs dépendances ,
auront leur plein effet , et seront immédiatement mises en
vigueur contre la Grande-Bretagne , les colonies et dépendances
: il est convenu néanmoins que tous les bâtimens
ou marchandises qui pourraient être saisis en vertu dudit
acte , avant qu'il ait pu être avéré si la Grande-Bretagne a
ou n'a pas révoqué ou modifié , avant le 2 février 1811 , ses
édits de la manière spécifiée plus haut , seront rendus aux
parties sur leurs demandes , età charge par elles de fournir ,
en obligations acceptables par les Etats-Unis , un caution-
Dement pour une somme égale à la valeur desdits bâtimens
et marchandises , jusqu'à ce que les cours compétentes des
Elats-Unis aient prononcé sur la validité des saisies , bien
entendu que lesdites obligations demeureront annullées ,
si la Grande-Bretagne a révoqué ou modifié ses édits à
lépoque et de la manière dont il a été parlé plus haut. II,
est convenu aussi qu'aucune de ses dispositions ne pourra
être considérée comme applicable aux navires ou bâtimens
et à leurs cargaisons , qui ont fait voile pour le
Cap deBonne-Espérance ou les ports situés par-delà , avant
le 10 novembre 1810, pourvu que lesdits bâtimens ou carIgo
MERCURE DE FRANCE ,
gaisons soient en totalité la propriété d'un ou plusieurs
citoyens des Etats -Unis . »
Cebill a passé àune très-grande majorité, et le voeu de
cettemajorité était tellement prononcé , elle était tellement
résolue à s'affranchir du despotisme anglais , et à faire respecter
dans toute son intégrité l'honneur du pavillon américain
, la liberté de son commerce et la dignité nationale ,
qu'on n'a voulu écouter aucun amendement ; tous ont été
rejettés.
La sensation que cet acte a produit en Angleterre , doit
se concevoir . Dans ce pays , on s'est imprudemment accoutumé
à regarder un acte d'indépendance comme une insulte
au pouvoir britannique ; les Américains veulent continuer
à être une nation , ce sont des ennemis ; ils veulent avoir
un pavillon et le faire respecter , c'est une audace qui révolte
tout bonAnglais. Une lettre d'Ostende contient à cet
égard des détails curieux.
Lors du départ de Londres , y est-il dit , d'un habitant
de notre ville , que des affaires avaient appelé en Angleterre
, et qui est de retour ici depuis hier , les mesures énergiques
prises , par le gouvernement des Etats-Unis , pour
faire respecter l'indépendance de leur pavillon , y excitaient
la plus grande rumeur et causaient de vives inquiétudes .
Elles avaient réveillé dans toute sa fureur la haine que les
Anglais n'ont cessé de porter aux Américains. Il n'y avait
pas d'injures qui ne leur fussent prodiguées par les folliculaires
de Londres , pas de mesure violente à laquelle on n'ait
pensé contr'eux. On assurait que le cabinet était dans l'intention
de publier un ordre du conseil , portant qu'à l'avenir
, aucune marchandise provenant du crû ou des fabriques
des Etats-Unis , ou appartenant à ses habitans , ne pourrait
être importée en Angleterre ou en Irlande par des bâtimens
américains , et qu'il ne serait licite qu'aux vaisseaux anglais
d'être employés au commerce des Etats-Unis .
Chaque paquebot qui arrive du continent de l'Amérique,
annonce une nouvelle atteinte portée à l'influence anglaise
dans cette partie du monde .
S. M. l'Impératrice a été relevée le 19 de ce mois dans
sa chapelle au palais des Tuileries , par M. de Rohan , premier
aumônier de S. M. La cour a quitté Paris le 20 , et
est allée s'établir à Saint- Cloud .
Dimanche dernier , il y a eu audience et présentation ,
ensuite conseil privé et grand conseil de la Légion-d'Honneur.
Les quarante bonnes villes de l'Empire envoient des
AVRIL 1811.
191
députations chargées de féliciter S. M. sur la naissance du
roi de Rome . Les députés arrivent journellement ; ceux de
Rouen , de Bordeaux , de Montauban et de Besançon ont
eu l'honneur d'être présentés à S. M. par le ministre de
Finterieur. Toutes ces deputations , composées de ce que
les départemens offrent de personnages distingués par leurs
services , leur rang , leur considération personnelle et leur
fortune , assisteront aux fêtes de juin : elles ne font que
précéder à Paris ce nombreux concours d'étrangers ou
plutôt d'habitans de contrées liées par tant d'intérêts à la
France , et qui doivent à sa puissante protection l'existence
et la tranquillité de leur patrie. Parmi les étrangers de
marque dont l'arrivée est annoncée , on cite les députés
du duché de Varsovie , les princes Poniatowski , Radzivil
et Czartorinski . Tout se prépare pour que ces fêtes , par
leur magnificence , leur variété et leur durée , surpassent
tout ce qu'on a vu en ce genre , soient dignes de leur
objet , et répondent au sentiment unanime qui en sera le
plus bel ornement .
S....
PARIS .
Par décret impérial , M. le duc de Cadore est nommé
ministre d'Etat.
- Un autre décret réunit en un seul les deux départemens
dont se forme l'administration de l'île de Corse .
Ce département sera nommé département de la Corse : le
chef-lieu est fixé àAjaccio .
-Un autre décret accorde 500 mille francs pour la restauration
de l'église de Rennes .
-L'Almanach impérial vient de paraître . Il consigne
ainsi qu'il suit les prénoms de S. M. le Roi de Rome :
NAPOLEON-FRANÇOIS-CHARLES-JOSEPH , prince impérial ,
Roi de Rome.
-Pendant l'absence de S. M. et du Roi de Rome , la
promenade de la terrasse de l'eau du Palais des Tuileries
est ouverte au public .
-On annonce que la réception de M. de Châteaubriand ,
à l'Académie française , est différée .
192 MERCURE DE FRANCE , AVRIL 1811 .
ΑΝΝΟΝCES .
Dictionnaire universel de Biographie ancienne et moderne , ou Histoire
, par ordre alphabétique , de la vie publique et privée de tous les
Hommes qui se sont fait remarquer par leurs écrits , leurs actions ,
leurs talens , leurs vertus ou leurs crimes . Ouvrage entièrement neuf,
rédigé par un grand nombre de savans et de gens de lettres . dont la
signature est au bas de chaque article. Première livraison , en deux
volumes in-8° , d'environ 700 pages , petit-romain , à deux colonnes .
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Onpeut joindre à chaque volume de ce Dictionnaire un cahier de
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Cours complet ou Dictionnaire universel d'agriculture pratique,
d'économie rurale et domestique , et de médecine vétérinaire ; par l'abbé
Rozier; rédigé par ordre alphabétique : Ouvrage dont on a écarté
toute théorie superflue , et dans lequel on a conservé les procédés
confirmés par l'expérience et recommandés par Rozier , par M. Parmentier
et les autres collaborateurs que Rozier s'était choisis . On y
aajouté les connaissances pratiques acquises depuis la publication de
son ouvrage , sur toutes les branches de l'agriculture et de l'économie
rurale et domestique ; par MM. Sonnini , Tollard aîné , Chabert ,
Lafosse, Fromage de Feugré, Cadet-de-Vaux, Heurtault- Lamerville ,
Curaudau , Charpentier-Cossigny , Lombard , Chevalier , Cadet-Gassicourt
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de Cogners et Veillard. Six vol. in-8º de 3565 pages , imprimés
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avec le portrait de Rozier , celui de M. Parmentier , et 30 planches
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pris à Paris. Ceux qui voudront les recevoir , franc de port par la
poste, ajouteront aux prix ci-dessus fixés 2 fr. pour le port de chaque
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faubourg Saint-Germain.
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à sa librairie , rue Jacob , nº 24.
Précis historique des guerres des Sarrasins dans les Gaules . Brochure
in-8°. Prix , I fr . , et 1 fr . 25 c. franc de port. Chez Moreaux,
imprimeur , rue Saint-Honoré , nº 315 ; et chez les marchands de
nouveautés.
TABLE
M
DE LA
SEIND
MERCURE
DE FRANCE.
N° DXI . - Samedi 4 Mai 1811 .
Cen
POÉSIE .
1
LES EMBELLISSEMENS DE PARIS ;
ParM. ALEXANDRE SOUMET , auditeur au Conseil-d'Etat ;
pièce qui a obtenu un 2ª accessit au concours de 1811 .
GLOIRE au peuple héritier du luxe des Césars ,
Qui fier , et s'appuyant sur le sceptre des arts ,
Ose ressusciter les chef-d'oeuvres antiques ,
Des temples , des palais dessine les portiques ,
Ades marbres , tribut de la blanche Paros ,
Se plaît à confier les traits de ces héros ,
De ces rois des combats que réclame l'histoire ;
Décore ses remparts des dons de la victoire ;
Dispute à ses rivaux , dans ses mâles élans ,
Les palmes du courage et celle des talens ;
Et fameux dans la paix , ainsi que dans la guerre ,
Par le glaive et les arts triomphe de la Terre .
Tels de tes nobles fils les augustes destins ,
France , s'élanceront vers les âges lointains ,
De nos succès divers la gloire est informée ;
Et tandis que notre aigle à vaincre accoutumée,
N
194 MERCURE DE FRANCE ,
1
Portant sous d'autres cieux la foudre des combats ,
Nous prédit dans son vol le sort des potentats ,
Du repos fatiguée , au sein de la patrie ,
Avec ses mille bras s'agite l'industrie :
Le dieu des arts s'éveille , et , propice à nos voeux ,
Vient asseoir dans nos murs son trône lumineux ;
Ses crayons à la main , il observe , il médite ,
Il rend digne de lui le séjour qu'il habite.
De Lutèce déjà s'accroît l'immensité ;
L'ombrage se déploie autour de la cité .
Aux remparts qui des flots préviennent les ravages ,
La Seine obéissante a cédé ses rivages ,
Et salue en grondant , du fond de ses roseaux ,
Ces ponts , vastes liens , dominateurs des eaux :
Du palais des moissons j'admire la structure ;
Là , ce fleuve à grand frais conquis sur la nature ,
Déploie à mes regards ses nappes de cristal.
De la Seine jalouse industrieux rival ,
Accepte mon tribut : ton onde emprisonnée ,
De ses nouveaux destins elle-même étonnée ,
Se promène soumise à l'art ingénieux ,
Que de l'antique Egypte ont reçu nos aïeux,
Et fidèle au commerce appelé sur ta rive ,
Baigne des mâts flottans l'image fugitive.
Jeune fleuve , c'est toi dont l'utile secours,
Des immondes canaux précipite le cours ;
C'est toi dont les tributs , par des routes certaines ,
Courent désaltérer les nymphes des fontaines .
Oprodige ! en tous lieux des murmurantes eaux
Glissent en filets purs , s'étendent en rideaux ,
En source , en jets brillans , en cascades s'élancent ,
Les zéphyrs vagabonds à l'entour se balancent ,
S'y plongent , et dans l'air mollement agité ,
Font voler la fraicheur et versent la santé .
Ainsi des arts féconds s'agrandit le domaine ;
Autourdes blocs épars le ciseau se promène ;
Sur la pierre à grand bruit tombent les lourds marteaux;
Le porphyre étranger , les marbres , les métaux ,
Roulent impatiens de leur forme future ;
D'un compas immortel s'arme l'architecture ;
Et Lutèce , attentive à ses vastes travaux ,
Lève un front couronné de chef-d'oeuvres rivaux.
ΜΑΙ 1811 .
195
Tu triomphes , Lutèce , et la ville éternelle
Descend enfin du trône où ton héros t'appelle.
Comme si la grandeur attirait la grandeur ,
Les merveilles de Rome ont accru ta splendeur.
Que j'aime à parcourir ton enceinte illustrée !
Pour celle des beaux arts désertant sa contrée ,
Le voyageur , assis aux pieds d'un monument ,
T'apporte le tribut de son étonnement.
Le fier enthousiasme , au seuil de tes portiques ,
Vient souvent reposer ses ailes poétiques .
Combien de fois l'aspect de tes bronzes vainqueurs
Des rêves de la gloire a poursuivi nos coeurs !
Le courage s'enflamme et les moeurs s'ennoblissent ,
Du chantre harmonieux les hymnes retentissent.
Le vulgaire médite , il s'arrête long-tems ,
Sous ces murs décorés de nos faits éclatans .
Ces guerriers , qu'en silence il cherche à reconnaître ,
Quels furent leurs destins? quels lieux les ont vus naître ?
Quel trône a disparu devant leurs étendards?
Il compte leurs lauriers , les suit dans les hasards ,
Et contemplant leur gloire en tous lieux retracée ,
Des annales du Monde agrandit sa pensée.
Parmi tant de héros figurés aux regards ,
S'élève et m'apparaît le plus grand des Césars.
Sonfront touche les cieux; transformés en colonne ,
Se taisent sous ses pieds les foudres de Bellone.
De l'Univers soumis le globe est dans ses mains.
Vaste Olympe , ouvre-lui tes immortels chemins;
Et toi de ses hauts faits noble dépositaire ,
Toi qui gardes empreints les fastes de la Terre ,
Bronze triomphateur , ne trahis point nos voeux ;
D'augustes souvenirs enrichis nos neveux;
Que ton luxe guerrier , que ta masse éternelle ,
Al'espoir du héros ne soit pas infidelle.
Superbe , et par les ans vainement assiégé ,
De conquêtes , de gloire et de siècles chargé,
Traverse l'avenir et montre à tous les âges
Detrente nations les captives images .
Aux tributs de la gloire , à l'éclat des lauriers ,
Dans Athène autrefois les sages , les guerriers ,
1
Na
196 MERCURE DE FRANCE ,
Joignaientdes monumens l'auguste privilége.
Leurs vertus triomphant d'un oubli sacrilége ,
Se lisaient sur la pierre , et de ces dieux mortels
La Grèce , avec orgueil , desservait les autels .
Leur trépas fut sacré ; le cénotaphe austère
Apprit àrendre hommage aux héros de la terre,
Et dans le Panthéon l'encens religieux
Fuma pour le grand homme ainsi que pour les dieux.
Les Grecs nous ont légué leur noble idolâtrie ;
Les tombeaux parmi nous trouvent une patrie .
Aux approches du soir , l'imagination
M'appelle sous les murs du nouveau Panthéon :
Le triomphe et la mort en habitent l'enceinte :
Là de Montebello dort la dépouille sainte ;
C'est là que , tout pensif, le jeune homme ignoré ,
Du besoin de la gloire en secret dévoré ,
Se promène , au milieu des monumens funèbres .
«Héros qui n'êtes plus , dit-il , ombres célèbres ,
> Je ne sais quelle voix m'appelle parmi vous ;
» Oui , je m'affranchirai de mes destins jaloux ;
> La renommée enfin m'ouvrira ses annales ;
> Mes cendres , quelque jour de vos cendres rivales ,
> Réclameront leur place en ce temple de deuil
» Où l'immortalité veille près du cercueil . »
Il dit , et le tombeau s'éineut à sa prière .
C'est peu que du grand homme on garde la poussière ;
Le silence du Monde insulta trop long- tems
Ces victimes de Mars , ces nombreux combattans ,
Qu'une terre étrangère en ses flancs voit descendre :
Le tombeau des aïeux appelle en vain leur cendre ;
Laissons à leur trépas l'espoir d'un souvenir ;
Que ce temple guerrier , promis à l'avenir ,
Accueille leur mémoire , et de leur tombe absente
Console leur famille en nos murs gémissante .
Que la victoire en deuil grave auprès de leur nom
Les pleurs de la patrie et de NAPOLÉON .
Que nos chants belliqueux proclament leurs exemples.
Les drapeaux suspendus aux voûtes de nos temples ,
Ce lion voyageur qu'ont apporté les flots ,
Le fer dont se paraît la tombe d'un héros ,
ΜΑΙ 1811 .
197
Sollicitent pour eux la lyre des Orphées ;
Lutèce à leurs combats doit ses plus beaux trophées.
Voilà cet arc pompeux , garant de leurs exploits ,
L'ornement du triomphe et la leçon des rois .
La gloire avec amour le couvre de ses ailes ,
Il s'élève entouré de palmes immorteles ,
Dans cette même enceinte où l'Aigle des Français
Vient balancer son vol et prélude aux succès .
Les arts l'ont décoré ; ses colonnes hautaines
Désertèrent pour nous les plages africaines ;
Les coursiers , rayonnant sur son faite orgueilleux ,
Des coursiers du soleil ont défié les feux ;
Ses marbres , des hauts faits éternisent l'histoire ,
Et le Louvre lui-même envierait tant de gloire.
Sous les yeux de nos rois lentement élevé ,
Et des arts créateurs chef-d'oeuvre inachevé ,
Le Louvre , qu'à ses dieux aurait consacré Rome ,
Attestait l'inconstance et la grandeur de l'homme :
Il avait du pouvoir fatigué les efforts .
Déjà , fiers d'attrister les peuples de ces bords ,
Les siècles effaçaient son ébauche vieillie :
Le Monarque a voulu ; la France enorgueillie ,
Voit de ses ornemens le Louvre s'applaudir .
La colonne grossière apprend à s'arrondir ;
Autourdes chapiteaux que son feuillage embrasse ,
L'acanthe se déploie et se courbe avec grâce ;
Par le çiseau savant les murs sont décorés ;
Ces combles entr'ouverts , ces débris vénérés ,
Dépouillent leur vieillesse , et rayonnant de joie ,
Les arts ont vu Saturne abandonner sa proie .
Louvre dont le portique éblouit nos regards ,
Louvre , asyle des rois et temple des beaux-arts ,
De quel éclat nouveau ton faîte se couronne !
Les trésors du génie et les pompes du trône ,
Ces chef- d'oeuvres épars , ces marbres précieux ,
Ces tableaux , confidens des mystères des cieux ,
Décorent à l'envi ton enceinte immortelle .
Je m'égare , je suis l'ombre de Praxitèle ,
Et l'aspect de Vénus a troublé tous mes sens.
Hâtons-nous , la déesse offerte à notre encens ,
198 MERCURE DE FRANCE ,
N'a qu'un moment peut-être à rester sur la terre;
Sa pudeur l'environne , et l'oeil , avec mystère ,
Effleure les contours de ce marbre enchanté ,
Où brille en rayons purs l'éternelle beauté.
Ici la fable heureuse a retrouvé son temple ;
Par son charme entrainé , je rêve , je contemple
Ces corps aériens qu'enfanta le ciseau .
Qu'ai -je dit ? non , Paros ne fut point leur berceau ;
Ils n'appartiennent point à sa grotte éclatante .
Dans les tens reculés , quand la foudre inconstante
S'échappa pour jamais des mains de Jupiter ,
Les dieux qui partageaient le trône de l'Ether ,
Désertant et l'Olympe et ses voûtes antiques ,
En marbres transformés peuplèrent nos portiques ;
Mais leur divinité se révèle aux mortels ,
Et sous la pierre même a conquis des autels.
Peuples , prosternez-vous ; et toi , fière Italie ,
De l'encens des humains long-tems enorgueillie ,
Rappelle- toi ce jour où guidé par les arts ,
Le héros de la France aborda tes remparts ;
Ces marbres , ces trésors , ces pompes de tes fêtes ,
Dont la Grèce soumise embellit tes conquêtes ,
D'un conquérant nouveau décorèrent le char :
Tout l'olympe captif marcha devant César ;
Le Tibre , d'inconstance accusa la victoire ;
De tes temples déserts , de tes palais sans gloire ,
L'univers dédaigneux oublia le chemin ,
Et le flambeau des arts s'éteignit dans ta main.
1
Ainsi de la grandeur disparaît le fantôme ;
Jouet de la fortune , ainsi chaque royaume
Du livre de la gloire à son tour effacé ,
Pleure son opulence et son luxe passé.
Rome antique n'est plus .... Mais pourquoi sa grande ombre
Sort-elle avec orgueil de la demeure sombre ?
De son front rayonnant le voile de l'oubli
S'écarte , et sous ses pieds sa foudre a tressailli.
Ason glaive s'enlace une palme immortelle.
<Tu déplores mon sort , console-toi , dit -elle ,
> Le regard d'un héros sur moi s'est arrêté.
> Je reprends et mon sceptre et mon éternité.
MÁI 1811 .
199
> Lutèce , qui préside aux destins de la terre ,
> En m'adoptant pour soeur , me prête son tonnerre.
> Mon astre , après mille ans , a reconquis les cieux ,
> Et le fils de César vient remplacer mes dieux. »
ENIGME.
QUOIQUE sans yeux , sans oreilles , sans bouche ,
Je fais du bruit , et sur terre et sur mér :
Personne ne me voit , personne ne me touche ,
Et, sans ballon , je voyage dans l'air .
Enplein soleil ainsi qu'en la nuit sombre ,
Je passe la rivière et la passe sans ombre .
S ........
LOGOGRIPHE .
VEUX-TU , lecteur , connaître qui je suis ?
Avant toutje me définis :
Unfluide enfermé dans sa prison de verre,
Fidèle et vrai témoin des caprices du tems ,
Quiplus ou moins pressé du poids de l'atmosphère ,
En révèle à tes yeux les moindres mouvemens .
J'ai neuf pieds bien comptés : si tu les décomposes ,
Tu trouveras , entr'autres choses
Ceque plus ardemment désirent les humains;
La capitale des Romains ;
Unarbre au pied duquel on va chercher l'ombrage ;
Ce qui t'accompagne en voyage
Quand le soleil ou quand la lune luit ,
Et qui t'environne la nuit ;
Le feu sacré qui nous anime ,
Et l'un des châtimens du crime ;
Ce qui borde les grands chemins ;
Le vaste empire des marins ;
Une colonne d'eau qui tombe avec furie ,
Etmet les matelots en danger de la vie ;
Ce qu'il n'est point facile de broyer;
Le synonyme de foyer ;
200 MERCURE DE FRANCE , ΜΑΙ 1811 .
Ce qui sert à la fermeture ;
Ce qui peut quelquefois embellir la nature ;
Ce que sans se pâmer Laure ne saurait voir ,
Et que pourtant on l'accuse d'avoir :
Un fil ourdi par la navette ;
Ce que dans l'ombre un conjuré projette ;
Un philosophe ou prêtre des Indous ;
Ce qui n'est pas commun; l'antithèse de doux ;
Un volume quelconque , un instrument métrique ;
Une note dans la musique ;
Le nom qu'on donne à toute espèce d'animal ;
Ce qui , lorsque tu cours , se gonfle et te fait mal.
S ........
CHARADE .
La timide souris quitte peu mon premier ;
Pour cueillir un baiser , Iris , sur ton dernier ,
Je ne suis qu'un berger , je t'offre mon entier.
VALÈRE B. , au Blanc ( Indre. )
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARADE
insérés dans le dernier Numéro .
Le mot de l'Enigme est Bandeau .
Celui du Logogriphe est Glaive , dans lequel on trouve : vie , gale,
aigle , geai , lie , gai, aile , glai , âge et lave .
Celui de la Charade est Prétendre .
SCIENCES ET ARTS .
HISTOIRE DE L'ASTRONOMIE DEPUIS 1781 JUSQU'A 1811 ,
pour servir de suite à l'Histoire de l'Astronomie de
BAILLY , par M. VOIRON , docteur de la Faculté des
sciences , ancien professeur de belles-lettres , actuellement
professeur de mathématiques transcendantes
au Prytanée militaire . Un vol. in-4°. - A Paris ,
chez Courcier , imprimeur-libraire pour les mathématiques
, quai des Augustins , nº 57 .
Les premiers travaux astronomiques se perdent dans
la nuit des tems ; chez les peuples les plus anciens , il
s'est trouvé des hommes qui , frappés de l'étonnante
variété des phénomènes célestes , ont consacré leur
vie à l'étude du cours des astres . Les historiens , les
poëtes mêmes qui souvent ont emprunté de l'astronomie
les plus belles images , nous ont transmis l'admiration
de leurs contemporains pour cette science sublime .
L'un des hommes qui nous a rappelé le souvenir des
premiers observateurs , avec le plus d'intérêt , est l'infortuné
Bailly. Son Histoire de l'Astronomie ancienne et
moderne , est revêtue de toutes les grâces d'un style plein
d'élégance et d'harmonie ; mais , comme les écrivains
d'un talent supérieur , il s'est livré quelquefois aux prestiges
d'une imagination brillante: on peut lui reprocher
quelques idées paradoxales sur l'origine de l'astronomie ;
cependant , quels que soient ses premiers créateurs
l'ouvrage de ce savant illustre sera toujours un des plus
beaux monumens de la littérature du dernier siècle .
Son continuateur s'est donc imposé une grande tâche :
il n'a pu se présenter après lui dans la même carrière ,
qu'en s'exposant au risque d'un parallèle difficile à soutenir
; mais nous ne pensons pas qu'il lui soit désavantageux
ni par les matières qu'il traite , ni par la manière
dont elles sont présentées. Le style de M. Voiron rap-
1
202 MERCURE DE FRANCE ,
pelle souvent celui de son prédécesseur ; il joint à l'élégance
l'élévation et la chaleur qui conviennent au sujet ,
et quoique son ouvrage ne parcoure qu'une période de
trente années , il paraît présenter les travaux de plusieurs
siècles .
Le zèle infatigable des savans , et sur-tout l'influence
de quelques-uns de ces génies supérieurs que la nature
se plaît rarement à rassembler , ont donné cette grande
impulsion à l'astronomie.
L'historien expose dans la première partie de son
ouvrage les découvertes faites par l'observation . Il place
au premier rang celle d'Uranus , de ses satellites , de
deux nouveaux satellites de Saturne , des rotations de
Saturne et de son anneau , des huit classes d'étoiles
connues sous le nom de nébuleuses . Il parcourt diverses
observations curieuses de M. Schroeter sur l'anneau de
Saturne , sur les phénomènes que présentent les planètes
à leur surface , sur les montagnes de la lune , ses
volcans , son atmosphère , l'étendue de ses crépuscules ,
sur certaines élévations qui paraissent à l'astronome
allemand semblables aux masses d'habitations dont se
composent nos villes , et lui donnent lieu de croire que
cet astre est habité. Il parcourt les observations de
M. de Humbold sur les réfractions astronomiques dans
la zône torride , et sur le décroissement de la chaleur à
différentes hauteurs au-dessus de la surface de la terre .
Il parle ensuite des quatre nouvelles planètes dont s'est
enrichi le système solaire depuis le commencement du
dix- neuvième siècle , des comètes nouvelles et des dernières
méthodes employées pour calculer leurs orbites .
Enfin l'auteur termine cette partie intéressante pour
les lecteurs de toutes les classes , par l'exposition des
tentatives faites pour découvrir la nature du soleil , celle
des comètes , la distance des étoiles et le mouvement du
système solaire que l'on présume emporté vers la constellation
d'Hercule. Il expose l'inutilité des tentatives
faites jusqu'ici pour arriver à la connaissance de ces
phénomènes , et paie cependant un tribut d'éloges au
zèle courageux des hommes qui s'occupent des moyens
de les découvrir. « Si les connaissances qu'ils pourMAI
1811. 203
» suivent doivent , dit- il , leur échapper , d'autres plus
>> importantes , auxquelles ils ne pensent point , peuvent
» se rencontrer sur leur route et les dédommager de
» leurs pénibles recherches . N'oublions pas que les
» questions même regardées comme insolubles , ont été
» souvent la cause des plus belles découvertes ; que
» celles de l'aberration et de la nutation sont dues aux
» efforts du célèbre Bradley pour découvrir la parallaxe
» annuelle des étoiles , que la recherche de la quadra-
>> ture du cercle n'a pas été inutile aux progrès de la
» géométrie , celle de la transmutation des métaux à la
» chimie , et le mouvement perpétuel à la mécanique .
» L'esprit humain , dans son inquiète curiosité , est avide
» de tout connaître ; il cherche à pénétrer dans les plus
>> profonds secrets de la nature ; la nature met des bornes
» à ses prétentions indiscrètes ; mais pour prix de sa
>> constance , elle laisse par intervalle arriver jusqu'à
>> lui quelques vérités utiles . »
La seconde partie de l'ouvrage de M. Voiron est
moins à la portée du commun des lecteurs . Elle présente
d'abord l'analyse de l'un des plus beaux mémoires
de M. Lagrange sur la libration de la lune , dont cet
illustre géomètre a développé la théorie , tant dans sa
pièce couronnée par l'Académie des sciences de Paris
en 1764 , que dans son Mémoire présenté à l'Académie
de Berlin en 1780. L'auteur expose tout ce qu'a fait
M. Lagrange sur cette matière après Newton et d'Alembert
, les obstacles qu'elle lui présentait et dont il n'a pu
triompher qu'en donnant une nouvelle forme à la mécanique
, et il ajoute à ce sujet : « Lorsque les questions
» que nous avons à résoudre présentent des difficultés
» qui paraissent insurmontables , il est quelquefois né-
>> cessaire , pour les vaincre , d'ébranler les fondemens
» mêmes de nos connaissances , d'en reculer les bornes
» ou de les établir sur de nouvelles bases ; mais ces ré-
>> Volutions dans les sciences sont difficiles et ne sont
» réservées qu'aux hommes doués d'une grande supé-
» riorité . »
L'historien analyse ensuite le grand mémoire du même
géomètre sur les variations séculaires des élémens des
204 MERCURE DE FRANCE ,
planètes ; il explique comment il déduit de ses formules
le principe de l'invariabilité des grands axes et des
moyens mouvemens , principe important par ses rapports
avec l'invariabilité de la longueur de l'année siderale
et la stabilité du système planétaire. Il montre comment
ce principe s'est affermi et généralisé par les nouvelles
recherches de M. Poisson et celles de MM. Lagrange
et Laplace .
M. Voiron passe ensuite aux découvertes faites dans
le système du monde par l'auteur de la Mécanique céleste
, parcourt les différens mémoires dans lesquels elles
sont exposées , et termine le tableau des découvertes
dues à la théorie , par l'analyse du grand ouvrage dans
lequel cet illustre géomètre présente tous les phénomènes
connus sous le point de vue général de la gravitation
universelle , ouvrage que l'auteur regarde comme le plus
bel hommage que l'on ait pu rendre à la mémoire de
Newton .
Nous n'entreprendrons point de le suivre dans cette
analyse , nous nous contenterons d'en extraire la substance
en exposant les résultats des travaux de M. Laplace
qui peuvent présenter l'intérêt le plus général.
Les astronomes avaient observé des accélérations dans
les mouvemens de quelques planètes . M. Laplace a
démontré que la marche de ces astres est alternativement
accélérée et retardée , ce qui doit dissiper les craintes
que l'on pourrait concevoir sur la chute des corps célestes
vers les foyers de leurs mouvemens . Il a découvert
dans une inégalité de la lune , dont le développement
est de 184 ans , la cause des anomalies singulières observées
dans son mouvement. Il a déterminé par deux
autres inégalités lunaires l'aplatissement de la terre , tel ,
à-peu-près , que le donnent les mesures directes . Il a
découvert la rotation de l'anneau de Saturne , avant que
les observations qui n'ont fait que la confirmer en eussent
donné le moindre indice. Il a procuré la perfection des
tables des satellites de Jupiter , par la découverte des
lois qui balancent les trois premiers dans l'espace , « lois
>> qui sont , dit l'historien , dans le système de Jupiter ,
>> ce que sont les lois de Kepler dans le système du
ΜΑΙ 1811 . 205
> monde ; comme ces dernières , ajoute-t-il , elles por-
> teront sans doute un jour le nom de leur auteur . >>>
Le même géomètre a donné la théorie du plan invariable
, qui vient d'être appropriée si heureusement par
M. Poisson à son Cours de mécanique de l'Ecole polytechnique.
Il a démontré que jamais les ellipses dans
lesquelles se meuvent les planètes ne doivent ni s'écarter
de l'écliptique , ni s'alonger dans l'espace comme celles
des comètes , que les eaux de l'océan ne peuvent sortir
des limites qui leur sont assignées , que les mouvemens
de l'axe de la terre sont inaltérables , que ses habitans
n'ont pas à craindre l'extinction totale de la lumière du
soleil , que cet astre depuis deux mille ans n'a pas perdu
la deux-millionième partie de sa substance .
Il serait difficile de trouver dans les sciences des
résultats d'une nature plus imposante et plus sublime.
Jamais , peut- être , le génie de l'homme ne s'était élevé à
cette grande hauteur ; il semble que , franchissant les
bornes de la nature humaine, il se soit élancé jusqu'au
sanctuaire de la divinité , pour y découvrir les ressorts
cachés de l'univers . Peu d'hommes sont appelés à suivre
l'ouvrage du grand géomètre à qui nous devons ces
belles découvertes ; on ne pourra donc les voir sans
intérêt dans une histoire qui les rapproche d'une classe
plus nombreuse de lecteurs .
La troisième partie de l'ouvrage de M. Voiron contient
l'exposition des travaux astronomiques exécutés depuis
1781 , et forme trois sections . La première présente
les opérations faites en 1787 sur les côtes de France et
d'Angleterre par le général Roy, MM. Cassini , Legendre
et Méchain , pour la jonction des observatoires de Paris
et de Greenwich , la mesure de l'arc du méridien compris
entre les parallèles de Dunkerque et de Barcelone ,
par MM. Delambre et Méchain , et sa prolongation jusqu'aux
îles Baléares par MM. Biot et Arago , la vérification
de la mesure de Maupertuis vers le cercle polaire
par des astronomes Suédois , et les opérations faites
dans l'Inde par le major de brigade Lambton . Toutes
ces opérations ont surpassé par leur exactitude celles
des Chaldéens et des Arabes ; mais la plus remarquable
206 MERCURE DE FRANCE ,
est la mesure de la méridienne exécutée au milieu des
horribles convulsions qui de toutes parts agitaient un
grand empire.
Dans la seconde section , l'auteur fait connaître les
nouveaux catalogues d'étoiles , parmi lesquels ildistingue
ceux de MM. Piazzi et Lefrançais Lalande , qui renferment
l'un et l'autre un nombre de positions d'étoiles
bien supérieur à celui des catalogues anciens . Le dénombrement
des 1022 étoiles d'Hipparque , dont Pline
ne parle qu'avec admiration , n'est pas comparable à
ceux de sept mille et de cinquante mille , classées dans
les catalogues de ces deux astronomes .
La troisième section a pour objet les tables astronomiques
qui se sont extrêmement perfectionnées depuis
1781. Les tables du soleil et des satellites de Jupiter ,
par M. Delambre , ont fait oublier celles de Lacaille et
de Wargentin . Les tables de la lune , de M. Burg , ont
remplacé celles de Tobie Mayer. M. Bouvard a construit
des tables décimales de Jupiter et de Saturne , qui
représentent avec une grande exactitude les observations
des Arabes dans le dixième siècle , et toutes les oppositions
des deux planètes depuis 1750 jusqu'en 1807 .
L'historien apprécie le mérite de ces différentes tables ,
l'utilité dont elles peuvent être pour l'astronomie et la
navigation , et les moyens employés par leurs auteurs
pour les perfectionner .
A la suite de la troisième partie , l'auteur a placé un
appendice sur les principaux ouvrages astronomiques
publiés depuis 1781 , sur plusieurs astronomes et géomètres
célèbres morts depuis cette époque. Les noms
d'Euler , de d'Alembert , le Gentil , Bailly , Pingré ,
Borda , Lemonnier , Méchain , Lalande , Saron et Duséjour
, dont il rappelle le souvenir, présentent un grand
intérêt et peuvent faire désirer au lecteur une notice
moins abrégée sur ces savans illustres .
L'auteur entre souvent en matière par des considérations
générales qui diminuent l'aridité des détails
scientifiques . Nous citerons seulement le préambule de
la seconde partie , qui renferme la grande question de
la stabilité de l'univers .
MAI 1811 .
207
Ces mondes qui se meuvent sur nos têtes avec tant
» de régularité , sont- ils assujettis dans leurs mouvemens
» à des lois immuables , ou ces lois doivent- elles insen-
» siblement s'altérer et les détruire ? La nature a-t- elle
>> mis en eux des principes de permanence ou des germes
» de destruction ?
>> C'est un être fragile qui n'a qu'une existence éphé-
» mère sur l'une des moindres planètes du système
» solaire , c'est l'homme qui demande à l'univers s'il
>> doit être éternel ; l'univers auquel il ose mesurer son
>> intelligence , lui répond que les mondes ne présentent
>> aucun signe de décadence ni de vétusté ; qu'un prin-
» cipe conservateur , dépendant de leur action mutuelle ,
» assure leur stabilité ; qu'ils n'éprouvent dans leurs
» élémens aucune altération réelle ou constamment
» croissante ; que les corps célestes ne doivent point
» s'accélérer jusqu'à se réunir un jour aux foyers des
» forces qui les animent , que les accélérations doivent
» se changer tour-à-tour en retardemens , et les retarde-
» mens en accélérations ; que si les orbites varient dans
» leurs inclinaisons , elles ne parviendront jamais à se
» confondre ; que jamais aucune génération ne verra la
>> coïncidence de l'écliptique et de l'équateur , ou l'éga-
» lité constante des jours et des nuits sur toute la terre ;
» que dans le ciel tout est périodique , que le même
» ordre de choses doit toujours s'y reproduire , et le
» système du monde se balancer dans cet état d'oscil-
» lation perpétuelle . »
En terminant cette analyse , nous croyons pouvoir
avancer que l'Histoire de l'Astronomie depuis 1781 , par
M. Voiron , peut paraître dignement à côté de celle de
Bailly et servir à la compléter ; qu'elle renferme , comme
celle de son prédécesseur , une instruction solide jointe
aux qualités du style ; nous croyons pouvoir en recommander
la lecture aux jeunes gens qui se livrent à l'étude
des sciences exactes : elle leur inspirera le désir de connaître
à fond les travaux des grands astronomes de
notre siècle ; mais ce qui doit la recommander davantage
, c'est le suffrage du géomètre célèbre , M. Laplace ,
à qui cet ouvrage est dédié et qui l'a jugé digne d'être
appuyé de son nom .
J. L. B.
LITTÉRATURE ET BEAUX-ARTS .
TRAITÉ DE L'EXISTENCE DE DIEU DÉMONTRÉE PAR LES MERVEILLES
DE LA NATURE ET LES PREUVES PUREMENT INTELLECTUELLES
; par M. F. DE SALIGNAC DE LAMOTTE
FÉNÉLON . Nouvelle édition , augmentée des principales
découvertes de la physique et de plusieurs observations
nouvelles sur les harmonies de la nature ; par
LOUIS-AIMÉ MARTIN . - A Paris , chez Demonville ,
imprimeur-libraire , rue Christine , nº 2 .
It existe un livre antérieur à toutes les conceptions
de l'esprit humain , un livre plus éloquent , plus propre
à prouver l'existence de Dieu que tous les ouvrages
sortis de la main des hommes ; un livre qui parle au
coeur avant de se faire entendre à l'esprit , qui emploie
pour persuader non pas de froids et subtils raisonnemens ,
mais le sentiment et l'admiration ; un livre où tous les
yeux peuvent lire , que tous les hommes peuvent consulter
, et qu'un grand roi a désigné par ces paroles
célèbres : Cæli enarrant gloriam Dei. Mais ce livre qui
nous instruit si puissamment , ce livre qui nous remplit
d'admiration et de reconnaissance , est aussi pour nous
un sujet de doutes et d'incertitudes ; ses pages sublimes
ne sont pas toutes également intelligibles pour l'homme .
Comment au milieu de tant de prodiges , de grandeur
et de bonté , expliquer tant de désordres apparens ? Le
même être a-t-il produit le mal et le bien ? Est-ce le même
pouvoir qui couvre la terre de moissons et de richesses
de tous les genres , et qui la dévaste par les tempêtes ,
les volcans , et ces horribles convulsions du globe qui
engloutissent quelquefois des contrées toutes entières ?
Comment l'homme est-il alternativement l'objet de ses
prédilections et de son courroux ? et par quelles voies
concilier tant d'effets opposés et contradictoires ?
Telles sont les objections que peut se faire le sage
MERCURE DE FRANCE , MAI 1811. 200A
SEIVE
occupéde la contemplation de la nature ; et ges objec
tions seraient de la plus haute considération, s'il était
démontré que l'homme fût le centre de l'univers ef
l'unique objet des desseins de l'Etre-Suprême . 5 .
C'est pour y répondre que plusieurs écrivains célèbres
ont composé des livres sur l'existence de Dieu ,mais
ceux qui se sont livrés à cette tâche honorable , n'ont
point envisagé leur sujet de la même manière . Les uns ,
plus réservés et plus sages , se sont contentés de prouver
qu'il existe une cause supérieure et intelligente , en
convenant modestement que les forces de l'esprit humain
sont insuffisantes pour résoudre tant de mystères qui
déconcertent nos idées. Les autres , plus confians , ont
entrepris de tout expliquer , et de démontrer aux esprits
forts que nous vivons ici dans le meilleur des mondes
possibles.
Fénélon avait l'ame trop tendre pour ne pas incliner
vers ce dernier parti. Toutes les qualités de sa belle
ame sont empreintes dans son Traité de l'existence de
Dieu. Ce n'est pas l'ouvrage d'un dialecticien , c'est celui
d'un homme sensible qui se livre au doux plaisir de
l'admiration et de la reconnaissance. Il peint les beautés
de la nature , les bienfaits du créateur , les merveilles
du monde ; il voit le bien , il oublie le mal .
Son livre touchera les ames douces et sensibles comme
lasienne ; mais il ne convaincra pas les esprits rebelles
et obstinés . Occupé tout entier à décrire les merveilles
qui le frappent , il ne songe point à prévenir les difficultés
qu'on peut lui opposer. Nalle objection n'est
présentée ou résolue ; il ne donne rien à la dialectique .
Mais s'il préfère l'admiration au raisonnement , il admire
du moins en sage , il sait s'arrêter où il convient. Il ne
prétend point non plus nous asservir à l'autorité de ses
jugemens . Jamais l'esprit de parti ne l'égare , jamais
une expression injurieuse ne s'échappe de sa plume
noble et modeste. Grande leçon pour quelques-uns de
nos jeunes écrivains qui , en affectant le titre d'hommes
religieux , distribuent si libéralement les titres d'athées
etd'impies .
Reproduire un ouvrage de ce mérite , c'est rendre
0
210 MERCURE DE FRANCE ,
service aux lettres et à la morale ; le reproduire avec des
notes sur la physique et l'histoire naturelle , c'est travailler
pour l'avantage des sciences et l'instruction des
jeunes gens . M. Aimé Martin avait plus de droit qu'un
autre à s'occuper de ce travail . Ses Lettres à Sophie , sur
la physique , malgré les reproches que la critique a pu
leur faire , annoncent un talent aimable réuni à beaucoup
d'instruction. Son admiration pour Fénélon décèle
un coeur honnête , un esprit sage et judicieux .
L'étude de la physique porte naturellement l'ame vers
la divinité ; car comment vivre au milieu des merveilles
sans en admirer l'auteur ? Plus les connaissances s'étendent
, plus l'esprit de l'homme est propre à concevoir
l'existence d'un être suprême . Les idées de la divinité
sont informes et confuses chez les peuples sauvages , ce
n'est que chez les nations éclairées qu'elles se perfectionnent
et s'épurent.
Mais il ne faut pas non plus substituer la subtilité au
raisonnement , il ne faut pas que le désir d'exercer notre
esprit égare notre jugement. Toutes les preuves de l'existence
de Dieu ne sont pas également solides et convaincantes
. Les argumens tirés du consentement des peuples
ont peu de force ; d'abord parce qu'il n'est pas démontré
que l'idée de Dieu soit répandue chez tous les peuples ;
ensuite parce qu'elle se trouve presque toujours défigurée
par les plus grossières superstitions ; enfin, parce que
l'erreur est souvent plus répandue chez les nations que
la vérité . Il en est de même des argumens tirés de l'intérêt
des hommes . Il importe , dites-vous , à la société que
Dieu existe , donc il existe véritablement. Mais nous
serions trop heureux , si nous possédions réellement tout
ce qu'il nous importe de posséder. Parmi les preuves
physiques , le spectacle de l'Univers , l'ordre admirable
qui règne dans le grand tout , l'accord sublime des parties
qui le composent , forment un faisceau d'argumens
auquel il est difficile de résister ; mais ces preuves ne
doivent point être pressées trop vivement. Notre nature
est trop faible pour tout comprendre , et nous devons
nous arrêter où les lumières nous manquent. Comment
T'homme qui n'est qu'un atôme perdu dans l'immensité
ΜΑΙ 1811 . 211
des mondes , aurait-il le secret du grand être ? « Tout ce
» que nous voyons du Monde , dit Paschal , n'est qu'un
>> trait imperceptible dans l'ample sein de la nature. Nous
>avons beau enfler nos conceptions , nous n'enfantons
» que des atômes auprès de la réalité des choses . C'est
>>une sphère infinie dont le centre est par-tout , la cir-
> conférence nulle part. » Cependant la plupart des
auteurs de nos jours qui ont écrit sur l'existence de Dieu ,
ont prétendu nous dévoiler tous ses desseins ; il n'est pas
une difficulté qui les arrête , pas un phénomène dont ils
ne nous offrent l'explication. Que de brillantes rêveries
n'a-t-on pas débitées sur les contrastes , les consonnances
et les harmonies ? On a mêlé le roman à l'histoire , et
les chimères à la vérité. Ce n'est pas ainsi qu'écrivait
Fénélon ; toutes ses idées sont d'un esprit sage et juste .
«Je ne prétends pas , dit- il , pénétrer la nature toute
> entière : qui le pourrait ? Je ne prétends pas même
>> entrer dans aucune discussion de physique ; je ne veux
parler que de ce que tout le monde sait , et qui ne
>> demande qu'un peu d'attention tranquille et sérieuse.>>>
L'ouvrage de ce sensible et touchant écrivain n'est donc
pas destiné aux savans : ce n'est qu'une instruction simple
et naturelle , mise à la portée de tout le monde. Mais
M. Martin a pensé que dans l'état actuel de nos connaissance
, on pouvait mêler un peu de science aux leçons
de son modèle ; d'ailleurs les notions de physique répandues
dans l'ouvrage de Fénélon ne sont pas toujours
exactes , et son livre étant destiné à l'instruction de la
jeunesse , il était important de rectifier les erreurs qui
peuvent s'y trouver. C'est ce que M. Martin a fait avec
beaucoup de soin ; mais peut- être devait - il imiter
davantage la sage discrétion de son modèle . Le zèle l'a
emporté trop loin , il a voulu pénétrer les secrets les
plus impénétrables , expliquer tous les mystères , résoudre
tous les problêmes . Il s'est livré à toutes les inspirations
de son imagination jeune , vive et brillante , et pour
prouver davantage , il a souvent atténué toute la force
de ses preuves .
Sans doute il est impossible de méconnaître les causes
finales qui se manifestent sans cesse dans le spectacle de
02
212 MERCURE DE FRANCE ,
la nature ; il est impossible de nier que la lumière ait été
faite pour nous éclairer , l'oeil pour voir , les sens pour
nous procurer l'exercice de toutes nos facultés : mais il
ne faut pas abuser de ce genre de preuves , ni prétendre
que les montagnes ont été créées pour recevoir des
télégraphes , les vents pour faire tourner les girouettes ,
les fleuves pour porter des bateaux .
Les philosophes les plus célèbres ont toujours regardé
les causes finales comme un argument plus spécieux
que solide. « Toutes les vues de Dieu , dit Descartes ,
>> sont également ensevelies dans l'abîme impénétrable de
>> sa sagesse infinie , et je regarderais comme une témé-
" ritéddee vouloir expliquer ses desseins . »
« Les causes finales , dit Bacon , ont porté un coup
>>mortel à la philosophie . On a négligé la réalité pour
>> les illusions , et les causes vraies pour des causes
>>chimériques . »
Paschal et Mallebranche pensent sur ce point à-peuprès
comme Descartes et Bacon , mais la sévérité de
leurs principes est peu favorable au développement
d'une imagination vive et ardente , et les causes finales
sont un sujet trop séduisant pour ne pas entraîner un
écrivain plein de verve et de jeunesse. Il ne faut donc
pas s'étonner que M. Martin ait embrassé ce genre de
preuves avec une sorte d'enthousiasme. Les naturalistes
ont remarqué depuis long-tems , dans l'organisation des
montagnes , des traces visibles d'un grand bouleversement.
Cette confusion des parties qui les composent ,
ces roches brisées , ces anfractuosités , tout y présente
l'image du désordre .
Mais M. Martin ne peut supporter cette idée du désordre
dans les ouvrages du créateur ; loin d'y voir des
traces d'un grand bouleversement , il y reconnaît , au
contraire , une admirable prévoyance de l'Etre suprême
qui a ménagé cette confusion apparente , pour le plaisir
et les besoins de ses créatures : « Quoi ! voudriez -vous ,
>>dit- il , que l'Eternel eût poli ces marbres et ces granits
>>comme nous polissons ceux de nos palais? Comment
>>>les graviriez-vous ? Comment se couvriraient-ils de
>>plantes salutaires et de bouquets parfumés ? Le sapin ,
MAI 1811. 213
» l'if, le cèdre n'y balanceraient plus leur longue cheve-
>> lure ; la vigogne délicate , l'agile bouquetin , le cha-
» mois léger cesseraient de s'y promener par troupes
» vagabondes ; l'aigle seul y bâtirait son aire , et s'élan-
» cerait de ses pics inaccessibles pour exercer ses bri-
» gandages . »>
Il me semble que M. Martin élude ici l'objection , au
lieu de la résoudre ; jamais aucun philosophe n'a reproché
à l'Eternel de n'avoir pas poli les marbres et les
granits des montagnes comme ceux de nos palais , jamais
personne n'a pensé que les marbres et les granits aient
été déposés dans les montagnes pour nous procurer des
obélisques ou des consoles ; et malgré ce qu'en peut dire
M. Martin , il me semble qu'il est permis de douter que
Dieu ait exprès bouleversé le globe , pour nous donner
le plaisir de voir courir sur les rochers l'agile bouquetin
et la vigogne délicate .
Dans le même chapitre , M. Martin examine les phénomènes
des tremblemens de terre , des tempêtes et des
volcans . Ces grands météores ont été de tout tems un
objet de terreur pour les peuples , de méditation et de
doutes pour les savans . M. Martin entreprend leur apologie
, et soutient que tout cela est pour le plus grand
bien de l'humanité. Si les tremblemens de terre et les
yolcans n'engloutissaient pas de tems en tems des villes ,
des nations et des contrées tout entières , il en résulterait
un très-grand mal ; car M. Patrin a découvert
que l'eau de l'Océan est extrêmement salée , et que si
l'Etna et le Vésuve ne se chargeaient , dans leurs terribles
éruptions , de dissoudre ce sel superflu , le bassin de
la Méditerranée serait bientôt comblé. C'est donc pour
dessaler l'eau de l'Océan que Dieu a posé de sa main
suprême ces monts redoutables , dont les explosions
nous causent tant de terreur .
Mais je le demande à M. Martin , quand la mémorable
éruption de ces volcans ensevelissait, sous des torrens de
lave et des monceaux de cendres , les villes d'Herculanum
et de Pompéia , croit- il que les argumens de M. Patrin
eussent été bien consolans pour les malheureux habitans
de ces villes infortunées ?
214 MERCURE DE FRANCE ;
M. Martin observe ailleurs qu'à l'époque où les cha
leurs de l'été exaltent la température de l'atmosphère en
Italie , il sort d'une montagne voisine de la ville de Cesi ,
un vent frais qui fait passer les soirées les plus délicieuses
aux habitans de la ville . Il en conclut que Dieu
doit avoir une prédilection particulière pour les dames
de Cesi , et qu'il a sans doute placé cette montagne auprès
de leur ville , pour leur épargner la dépense d'un
éventail . C'est prêter à Dieu des intentions bien galantes
.
Je pourrais examiner ici beaucoup d'autres idées qui
ne sont guère plus solides ; mais j'aime mieux quitter la
critique , et me livrer au plaisir de rendre justice au mérite
de l'auteur. Sa morale est pure , douce et attrayante
comme celle de Fénélon ; son style est remarquable par
la facilité , la grâce et l'élégance ; on reconnaît à chaque
instant l'homme d'esprit et l'homme de bien . Il est rare
de trouver réunis dans la même personne des connaissances
aussi étendues , un goût aussi pur , un talent aussi
remarquable . M. Martin est un de nos jeunes auteurs
qui méritent le plus d'égards , d'éloges et d'encouragemens
. SALGUES .
LES SIRES DE BEAUJEU , mémoires historiques sur le
monastère de l'Ile-Barbe et la tour de la Belle Allemande
, extraits d'une chronique du quatorzième
siècle ; par l'auteur de Paris , Versailles , etc. - Deux
volumes in-8 °. - Prix , 8 fr. A Paris , chez Lenormant
, imprimeur-libraire , rue de Seine , nº 10 .
EN rendant compte de cet ouvrage nouveau , nous
devrions peut- être commencer par discuter l'authenticité
de la chronique qui lui sert de fondement : mais l'auteur
nous permet le doute à cet égard , et consent à ce qu'on
regarde les Sires de Beaujeu <«< comme un ouvrage de
» pure imagination , fondé sur quelque connexité de
» faits historiques . » Ce sont ses propres expressions . Il
a cru , peut- être , que cette chronique lui donnerait un
titre de plus à la faveur du public . Il a été trop modeste ;
MAI 1811. 215
la meilleure recommandation qu'il puisse offrir est son
premier ouvrage ( Paris , Versailles , etc. ( 1 ) ) où , dans
le tableau de la cour de France sous nos deux derniers
rois , on a admiré la plume exercée de l'homme de goût
et la finesse des observations de l'homme de monde .
Il essaye aujourd'hui son talent dans un genre plus
difficile ;
Il vient nous raconter les faits des tems passés .
Il veut nous intéresser aux chevaliers du 13° siècle , à
la Belle Allemande dont le nom est célèbre sur les bords
de la Saone ; il nous transporte à cette époque de notre
histoire , peu glorieuse pour la majesté du trône , mais
si brillante par la loyauté et les exploits de nos preux
chevaliers . Les Français du 19e siècle ont un peu perdu
de cette fidélité à Dieu et aux dames , qui distinguait
leurs bons aïeux , mais ils s'intéresseront toujours à la
peinture de ces tems de chevalerie lorsqu'elle sera tracée
avec autant de talent que dans les Sires de Beaujeu .
Il nous semble que l'auteur a saisi le véritable genre
du roman historique . Bien différent de certains écrivains
qui croyent que les plus grands noms de l'histoire sont
à peine dignes de figurer dans un roman , il a sagement
pensé que le romancier devait se contenter de personnages
historiques de seconde ligne ; ceux- ci étant moins
connus , on ne trouve pas mauvais que l'auteur leur
prête ses sentimens et ses discours .
Ainsi l'on ne rencontrera en personnages historiques
dans les Sires de Beaujeu , que Philippe de Valois et
Robert d'Artois son rebelle beau -frère ; le premier ne
parait qu'un moment, et le second a fourni à l'auteur le
plus bel épisode de son livre .
Les véritables héros sont la Belle Allemande et Edmond
de Beaujeu. L'auteur les engage dans plusieurs
aventures intéressantes , dont nous donnerions l'analyse ,
si nous ne craignions qu'elle ne nous engageât trop loin ,
( 1 ) Paris , Versailles , et les provinces au dix - huitième siècle .
Troisième édition . Deux volumes in- 8° . Prix , 10 fr. , et 12 fr. franc
de port . Chez Lenormant et Nicolle , libraires , rue de Seine .
216 MERCURE DE FRANCE ,
et si nous ne voulions laisser aux lecteurs l'intérêt de
curiosité que doit toujours inspirer la lecture d'un
roman .
On rencontre , dans le cours de cet ouvrage , quelques
phrases en vieux style , mises en italique et fidèle
ment copiées de la chronique...
« J'ai conservé , dit l'auteur dans sa préface , quelques
>> discours , quelques missives , dont j'aurais craint d'al-
>> térer ou d'affaiblir le sens , et je n'ai pu me refuser au
>> plaisir de laisser subsister certaines expressions qui ,
>> ne pouvant être rendues , dans la langue actuelle , que
>> par de longues périphrases , perdraient une grande
>>partie des graces et de la naïveté qu'on remarque dans
>> les écrits des siècles précédens . »
En effet , toutes ces citations ont une grace particulière
. Nous recommandons sur-tout aux lecteurs un petit
sermon , entremêle d'un plaisant et véritable apologue .
(Tom. I , page 56. )
On pourrait observer , avec quelque raison , que l'auteur
s'est un peu trop étendu sur les événemens qui précèdent
la naissance de ses principaux personnages . Il a
prévu qu'on lui ferait cette objection , et il s'en excuse
d'avance par cette phrase remarquable :
« Il en est des vertus héréditaires d'une famille comme
>> du cours d'un fleuve majestueux dont on aime à con-
>> naître la source et les ruisseaux qui l'alimentent. >>>
En finissant cet article , nous féliciterons l'auteur des
Sires de Beaujeu , sur ce que , dans ses ouvrages , tout
respire la plus pure morale et l'amour de la vertu . On
juge aisément qu'il est du nombre de ces écrivains qui
attachent encore plus de prix à la justice qu'on rend à
leurs sentimens , qu'aux éloges qu'on donne à leur esprit,
B. s,
ΜΑΙ 1811 . 217
LITTÉRATURE ITALIENNE.
POESIE DI ANTONIO BUTTURA . Poésies d'ANTOINE BUTTURA
, contenant : 1º Poésies lyriques consacrées à
NAPOLÉON LE GRAND ; 2° Enée et Lavinie , scène
lyrique ; 3º Poésies diverses ; 4º l'Art poétique de
Boileau , traduit. -A Paris ( de l'imprimerie de Fain ,
imprimeur de l'Université impériale) , chez Fayolle ,
rue Saint-Honoré , nº 284 , et en Italie chez les principaux
libraires .
PRESQUE toutes ces poésies italiennes ont été composées à
Paris , où l'auteur , attaché précédemment à la légation
Cisalpine , l'est maintenant, dans les mêmes fonctions , au
ministère des relations extérieures du royaume d'Italie .
Plusieurs des pièces les plus importantes , relatives à de
grandes circonstances , ont été insérées en divers tems ,
soit dans la Revue avant qu'elle fût réunie au Mercure ,
soit dans ce dernier journal ; d'autres y ont été annoncées
avec assez de détail pour qu'il suffise de les rappeler aux
lecteurs .
On distingue dans la première division de ce recueil la
grande ode irrégulière intitulée le Génie, la victoire de
Marengo, lapaix de Lunéville , le premier anniversaire du
couronnement de l'Empereur comme roi d'Italie , le second
anniversaire de la même solennité , des Octaves pour la
fête du 3 décembre 1809 , et des stances intitulées la Naissance
de Jupiter, pour le 15 août. Cette partie , où brille
une imagination vraiment poétique , une grande fertilité de
pensées et d'images , avec une sage économie de mots ,
est dédiée à l'Empereur. M. Buttura , dont le génie
fut excité par les premiers exploits de S. M. en Italie ,
annonce dans son épître dédicatoire qu'il s'occupe d'un
plus grand ouvrage où il s'efforcera de célébrer dignement
les merveilles d'un règne fondé par la victoire et affermi
par les arts de la paix.
La traduction de l'Art poétique de Boileau , publiée à
Paris en 1806 , est peut-être ce qui a fait à son auteur le
plus de réputation en Italie. Elle y a fait mieux connaître
un de ces poëmes qui ne sont point classiques pourune
seule nation , mais pour toutes , et peut-être a-t-elle aidé à
218 MERCURE DE FRANCE ,
dissiper des préjugés quiy sont répandus contre notre poésie
en général , et particulièrement contre le législateur de
notre Parnasse ; c'est un service que M. Buttura aura rendu
à sa patrie autant qu'à la nôtre .
La pièce la plus remarquable des poésies diverses est une
traduction de la célèbre et touchante élégie de Gray sur un
cimetière de campagne. Quoiqu'elle soit connue depuis
long-tems , on la relit avec un nouveau plaisir. Elle est précédée
d'une élégie adressée à un ami sur la perte de sa
femme , élégie qui était peut-être connue en Italie où elle a
été faite , mais qui ne l'était pas en France. Le naturel dės
sentimens , la vérité des peintures et la douceur du style
annonçaient dès-lors dans l'auteur un digne traducteur de
Gray. A la fin de cette partie , on relit aussi avec plaisir la
belle ode adressée à S. A. I. le vice-roi d'Italie , sur la
naissance de son premier fils , pièce remarquable à plus
d'untitre , et sur-tout par des traits frappans de nouveauté
dans une sorte de sujets où il est si rare de ne pas redire
ce que d'autres ont déjà dit (1) .
Enfin ce recueil , très-élégamment imprimé , forme un
de ces petits volumes que le goût recherche; et ce qui le
distingue d'un grand nombre de ceux du même genre , c'est
qu'il ne trompe ni ne blesse jamais le goût . M. Buttura ,
nourri d'excellentes études poétiques , dit toujours ce qu'il
faut , le dit très-bien , et ne dit rien de trop. Bien des
Français en conclueront peut-être qu'il ne ressemble donc
guère à la plupart des poëtes de son pays ; ceux qui connaissent
véritablement les poëtes de son pays , du nôtre
et d'autres encore , diront tout simplement qu'il ne ressemble
guère à la plupart des autres poëtes .
7
Il n'a pu faire entrer dans son recueil la dernière pièce
qu'il a faite , limitation italienne du poëme latin de
M. Lemaire sur l'heureuse grossesse de S. M. l'Impératrice.
Cette imitation se distingue , comme la plupart des
poésies de l'auteur , par une élégante concision , et par
ſe mérite singulier d'ajouter quelquefois , avec cette liberté
que le titre d'imitation donne , des traits nouveaux à
ceux de l'original. Je sais qu'on en a parlé un peu différemment
dans l'un des derniers Mercures (2) , à la fin d'un
extrait où l'on a parfaitement rendu justice au poëme de
(1 ) Voyez- en l'extrait dans le Mercure du 19 janvier dernier.
(2) 20 avril 1811 .
ΜΑΙ 1811 .
219
M. Lemaire et à la traduction française de M. Legouvé.
Je demande à l'estimable auteur de cet article la permsision
de lui faire observer que la strophe de quatre vers de
M. Buttura qu'il a citée rendrait trop légèrement, à la vérité,
la belle prosopopée des ombres romaines ; mais que cette
strophe est suivie d'une seconde qui la complète , et qui
rend si fidèlement le même tableau , que la prosopopée
latine se trouve non-seulement imitée , mais presque littéralement
traduite . Je remettrai ici de suite les deux strophes
italiennes , et je prendrai M. Salgues lui-même pour
Juge.
Vedi pei sette colli , alto consesso !
L'ombre romane , onde piùfama dura,
Mirar, con volto di stupore impresso ,
Il sommo EROE che ogn' altro nome oscura.
Eognun di viva speme si colora
Che torni Italia e Roma afar si bella;
Etocco ognun di riverenza , adora
IL FATAL BRANDO E LA DIVINA STELLA.
Je ne citerai qu'un seul exemple des traits que le poëte
italien a quelquefois ajoutés au poëte latin ; il suffira pour
donner une idée de la manière dont M. Buttura s'est approprié
son sujet. On loue avec raison la grande image de
cet arbre symbolique dont M. Lemaire a étendu l'ombre
protectrice sur la patrie :
Te vastis aurea ramis
Protegit, et primam generoso è stipite prolem
Arbor agit, longos quæ duratura per annos
Ventorum immota ridebitfrontefurores .
L'imagination de M. Buttura , frappée de cette image ,
l'a développée dans ces deux belles strophes , où il ne me
paraît pas l'affaiblir :
10
L'arbor tua che lafronte erge a le stelle ,
Che sin al centro le radici stende',
Edispregiando immota austri e procelle ,
Te , l'Italia , e l'Europa orna e difende ,
Porge il primo rampollo al ciel ridente ,
Eipopoli suggetti , e lafutura
Età con gli ampi rami , e la nascente
Immensa ombra pacifica assicura.
220 MERCURE DE FRANCE ,
Cette imitation , outre l'édition qui en a paru à la
suite du poëme latin et de la traduction française , vient
d'être réimprimée seule sous ce titre : Imitazione d'un
poema latino che presagiva la nascità del rè di Roma.
Elle est du même caractère et du même format que le
recueil des poésies , et peut y être insérée facilement.
Ceux qui désireraient une traduction plus exacte , dans
cette même langue italienne, qui prend avectantde souplesse
tous les tours et toutes les formes , peuvent se satisfaire
en lisant celle que vient de publier en vers libres ( sciolti ) ,
M. P. L. Raby , docteur de la faculté des belles -lettres
dans l'Académie impériale de Turin (3). Elle est d'une
extrême fidélité , sans que cette qualité y nuise ni à l'élégance
, ni à la force du style. On en peut juger par ces huit
vers , où se trouve rendue cette même image du grand
arbre protecteur .
Oh patria , oh Francia , oh tu d'eroifeconda
Madre, lafronte altera innalza ; sorgono
Aurei tempi per te veri ; deponi
Ogni timore ; co' suoi rami immensi
Arbor sublime ti ricopre e mette
Dal generoso ceppo il primo germe ,
Che durevole al par d'anni infiniti ,
Saldo starà contro il furor de' venti.
Ce poëme et ces imitations ne faisaient que présager
l'heureux événement , qui a depuis occupé toutes les voix
de la renommée et le génie de toutes les muses . Les muses
italiennes n'ont pas été les plus lentes à le célébrer , et
Paris compte dans son sein trois poëtes ultramontains
qui ont fait résonner presqu'à la fois pour ce grand sujet
les cordes de leur lyre. Je réunirai ici les titres et donnerai
une légère idée des chants qu'elles ont fait entendre .
I. Per la Nascità del rè di Roma, poemetto anacreontico
di Francesco GIANNI Romano , Pensionario di S. M.
l'Imperatore e Rè. Paris , P. Didot l'ainé , in-4º et in-12 .
Le célèbre improvisateur Giannia , pour ainsi dire ,
donné le signal par ce petit poëme anacreontique , dont le
(3) Cette traduction , imprimée avec le texte , a paru à Turin le
17 mars , in -4°.
ΜΑΙ 1811 . 221
titre modeste est analogue au genre d'images que l'heureuse
et auguste nouvelle a fait naître dans l'imagination
du poëte. Dans une de ces extases qui le saisissent souvent
à l'entrée de la nuit , il croit voir Vénus descendre
de sa planète : entourée d'un essaim d'amours , elle pénètre
dans le palais où reposent les pompes triomphales , les
armes et l'aigle du plus puissant des héros. Les amours
se jouent avec les armes : la déesse interrompt leurs jeux ,
et leur découvre le royal enfant qui dort dans le bouclier
même de NAPOLEON , comme autrefois le jeune
Hercule lorsqu'il étouffa les serpens envoyés par Junon.
L'enfant , en voyantVénus , lève vers elle ses petites mains ,
la prenant pour sa mère. Vénus le prend dans ses bras , le
presse sur son sein , regarde le ciel, et s'adressant à Jupiter
, elle le prie de faire briller sur ce précieux enfant ,
sur cette première fleur d'une si grande espérance , sur la
fleur de ce grand arbre qui couvre le monde de ses rameaux
, un heureux présage , semblable à cette flamme qui
s'alluma jadis sur la tête dujeuneAscagne . La troupe des
amours joint ses prières à celle de Vénus. Jupiter les entend
et fait éclater sur les cheveux de l'enfant un des rayons
détachés de sa tête , et qui se partage en trois cercles
brillans . La déesse entend ce présage ; plus heureux que
celui d'Ascagne , il promet à l'auguste enfant un triple
empire sur les bords du Tibre , du Pô et de la Seine , et des
couronnes de lauriers qui effaceront celles de tous les anciens
triomphateurs . Vénus cesse de parler , rend au sommeil
l'illustre rejetton , le replace commodément dans le
bouclier de son père , el remonte aux cieux.
On peut bien croire que le sig. Gianni aura semé dans ce
sujet gracieux toutes les fleurs de son génie et de sa langue .
Je n'en citerai pour exemple que ce joli tableaudes amours
qui jouent avec l'aigle , les armes et les trophées.
Non sipronte l'api a schiera
Van su ifior di primavera ,
Qual de' vaghi amor lo stuolo
Suquell' armi aggira il volo.
Chi tra Paste luccicanti
Sul grifagno augel si asside ;
Chi si specchia a l'elmo , e'ride
Imitando più sembianti :
Quello cela si afatica
Dietro l'orrida lorica ;
222 MERCURE DE FRANCE ,
Questo appressa incerto il dito
Al Gorgon che v'è scolpito ;
Ma ciascun discosto aleggia
Da l'acciar scherzando altrove ,
Da l'acciaro che lampeggia
Come ilfolgore di Giove.
II. Roma al suo rè , etc. Ode di G. BIAGIOLI del dipartimento
degli Apennini. Paris , P. Didot l'aîné , gr.in-4° .
L'idée de cette ode est heureuse : c'est Rome elle -même
qui s'adresse à son roi. Elle lui rappelle son ancienne
gloire et lui en montre encore les vestiges , et les emblêmes
dans ces fers dont elle enchaînait autrefois les rois et les
peuples vaincus , dans ces lauriers qui eeignent encore sa
tête ; elle lui montre les ombres magnanimes des anciens
héros qu'elle porta dans son sein et qui la rendirent maîtresse
de l'univers. Mais cette gloire fut éclipsée ; des hordes
de barbares détruisirent cette noble race; dépouillée de
son ancien éclat , elle languit dans l'opprobre et dans les
larmes ; ce roi qui vient de naître lui rend l'espoir : il marchera
sur les glorieuses traces de son père ; il la relèvera ,
la replacera au rang qu'elle occupa jadis : car, si le peuple
de Mars est enseveli maintenant dans un profond sommeil
, le désir de la gloire n'est point encore éteint en lui .
A ces mots , une vive lumière jaillit des yeux du divin
enfant; Rome prosternée , change tout-à-coup : elle brille
d'un éclat céleste ; son port n'a plus rien d'une mortelle ;
elle marche comme une divinité. Les ombres héroïques
qui l'entourent font retentir l'air de leurs acclamations et
de leurs espérances : un bruit mille fois plus fort que le tonnerre
se fait entendre: le ciel semble s'ouvrir , le poëte
croit en voir descendre tous les dieux aux sons d'une harmonie
céleste ; et cette vision répand en lui un charme
inexprimable qui tempère et adoucit l'ardeur trop ambitieuse
de ses désirs .
M. Biaggioli , connu par d'estimables ouvrages de grammaire
et de philologie , se prépare à donner un nouveau
commentaire sur Dante. On reconnaît dans le style de
son Ode des imitations fréquentes de ce poëte sublime . Il
est aisé , par exemple , d'en apercevoir dans la strophe
suivante :
Talfolgorò , colfin di sue parole ,
Un lume in gli occhi bei
ΜΑΙ 1811 . 223
Del regio infante , qual per nube suole
Raggio di sol che mei
Sovra prato di fiori ;
Onde assalita Vegra Donna , informa
Non mai vista s'abbella e si trasforma .
Già di mille colori
S'adorna e già nel moto delle membra ,
Non più donna mortal , ma dea rassembra .
J'aurais bien quelque doute au sujet de cette expression
: Raggio di sol che mei , qui n'est peut-être pas employée
ici avec autant de justesse que dans le vers du
Danted'où elle est tirée; mais ce sont-là des questions qui
sontpeude la compétence d'un étranger; et ilne me conviendrait
pas de hasarder , à cet égard , autre chose qu'un
doute extrêmement réservé .
Cette ode est suivie d'une traduction française , en prose ,
parM. Tercy.
III. La Nascità di Alessandro , prole di Filippo il
Macedone , cantata di STEFANO EGIDIO PETRONJ , del
dipartimento del Trasimeno , etc. Paris , P. Didot l'aîné ,
gr. in-4° .
Cette cantate est dialoguée ; le lieu de la scène est
FOlympe; les interlocuteurs sont Jupiter , Mars , Vénus ,
Apollon, Minerve et tout le choeur des Dieux. Il est aisé
d'en deviner l'allégorie , même avant de l'avoir lue. Les
Dieux conjurent Jupiter d'accorder à Philippe de Macédoine
un fils digne de lui. Ils font tous l'éloge de ce grand
roi. Jupiter déclare qu'il l'aime , parce qu'il aime les rois
guerriers qui lui ressemblent : il prometde lui accorder le
rejetton qu'ils demandent. Si c'est une héroïne , Vénus dit
qu'elle lui donnera tous ses charmes ; Minerve , qu'elle la
rendra par ses vertus l'admiration du monde ; si c'est un
prince , Mars en fera un héros , Apollon lui inspirera l'amour
des sciences et des beaux- arts . Chacun recommence
àvanter les dons qu'il a répandus sur Philippe ; Vénus y a
misle comble en lui donnant Olympias pour partager sa
couronne . Jupiter annonce enfin que c'est unfils que le
Destin accorde au roi de Macédoine : que la race de Philippe
remplira , comme lui , d'admiration toute la terre , et
ne sera pas moins illustre que lui dans la guerre et dans les
arts de la paix.
224 MERCURE DE FRANCE ,
(
Le style de cette cantate est clair et facile , dans le genre
dont Métastase offre de si beaux modèles , et avec cette
régularité de rhythme qu'il suivit constamment dans les
morceaux destinés à être mis en musique .
VENERE.
Se deve un' eroina
Mirar la terra in lei ,
Di tutti i pregi miei
La prole adornerò .
MINERVA.
1o lafarò regina
D'ogni alma e d'ogni core :
Il mondo ammiratore
Di sue virtùfarò .
MARTE.
Farò ch' eroefamoso
Rimiri in lui la terra : .
Ne l'arte de la guerra
Suo condottier sarò .
APOLLO .
To de le scienze amico ,
Ed'io de l'arti elette
Ne le virtù perfette
QUEL CORE EDUCHERO , etc.
Le texte italien est suivi d'une traduction en prose française.
M. Petronj , auteur de cette cantate , l'est aussi d'un
grand ouvrage , déjà imprimé en Italie , et qu'il réimprime
en ce moment à Paris , avec tout le luxe typographique ,
une traduction française etdes notes ; c'est laNapoléonide,
ou les fastes de NAPOLÉON , composée de cent médailles
historiques et emblématiques , gravées au trait , et de cent
odes italiennes . Il en a déjà paru trois livraisons ; nous en
rendrons compte incessamment. La naissance du roi de
Rome doit terminer cet ouvrage qui commence à la naissance
de Napoléon . M. Petronj vient de publier d'avance
la médaille et l'ode consacrées à ce grand événement . C'est
la quatrième pièce lyrique italienne, destinée à le célébrer.
ΜΑΙ 1811 . 225
SEIN
IV. La nascità del rè di Roma , Medaglia e Ode di
Stefano Egidio PETRONJ , etc. Paris , P. DidotVane
gr. in-4°.
La médaille , comme toutes celles dont elle doit faire
partie , est dessinée par M. Pêcheux , ci-devant peintre du
roi de Sardaigne , membre de l'Académie impériale des
sciences et arts de Turin , actuellement à Paris ; et gravée
par M. Piroli . Le type représente Leurs Majestés Impériales
et Royales ; sur le revers , la France présente le nouveau
roi à la ville de Rome qui semble sortir de ses ruines;
aux deux côtés sont la Seine et le Tibre qui réunissent et
confondent leurs ondes . La légende porte ces mots : Roma,
resurges . M. Tercy , traducteur de toute la Napoléonide ,
ajoint à cette ode une traduction française en prose .
Le poëte s'adresse à Rome , après que l'auguste enfantement
a été signalé par une aurore plus belle , par un
éclat étraordinaire des nouveaux rayons du soleil. Il lui
annonce la naissance de ce roi qui doit lui rendre un jour
toute sa gloire . La voix même duDestin se fait entendre :
elle promet àRome et à son jeune roi les jours les plus
glorieux. La Seine , le Danube et le Tibre joindront leurs
ondes ; la fière Tamise frémit en vain ; elle sera forcée de
courber son front indompté. O Rome ! tu entends cet
oracle ; ouvre donc ton sein à des torrens de joie ; mais
fais renaître un Virgile , un Horace dans leur terre natale :
la trompette de l'un , la lyre de l'autre , pourraient seules,
enton nom, célébrer dignement Napoléon , Louise , leur
fils et ton roi .
Udisti o Roma ? il gaudio
Segua a inondarti il sen :
Fa che un Maron riviveré
Possa , ed un Flacco sul natio terren .
La tromba lor , la cetera
Solo potrian per te
Ornar di giuste laudi
NAPOLEON , LUIGIA , il FIGLIO , il RÈ .
GINGUENÉ:
P
226 MERCURE DE FRANCE ,
VARIÉTÉS .
NÉCROLOGIE .
Aux Rédacteurs du Mercure de France.
MESSIEURS , permettez-moi de répandre quelques fleurs
sur la tombe du littérateur distingué que nous avons perdu
le 23 février dernier , JEAN-FRANÇOIS GUICHARD , membre
de la Société philotechnique depuis son origine , et de plusieurs
autres Sociétés littéraires. Il n'y a peut-être pas à
Paris un homme de lettres , un artiste , qui ne l'ait connu ,
et qui ne se rappelle ses yeux animés , son front décou
vert, ses manières originales , sa physionomie expressive , et sur-tout l'inaltérable bonté de son caractère . A la vivacité
la plus étonnante , et qu'il conserva jusqu'à 81 ans , il
joignait une simplicité telle que souvent on lui faisait accroire
des choses invraisemblables , qu'il répétait ensuite
avec la bonne foi de la persuasion .
Le théâtre lui doit l'Amant Statue , et le Bûcheron qui
fut représenté à la cour en 1763 , et qui eut de nombreuses
représentations à Paris . Un autre opéra comique , Memnon,
n'en eut que deux , et cette défaveur le dégoûta d'achever
deux autres pièces dont il avait déjà tracé quelques scènes .
Le genre d'esprit et de talent de M. Guichard ne pouvait
s'assujétir à quelque ouvrage que ce fût , de longue
haleine . Il ne lui fallait que de petits tableaux , dont le
travail pût être terminé dans une matinée ou dans un jour .
Sa paresse , qui s'accommodait à merveille de cette tâche ,
passait le lendemain autant de tems à polir son opuscule
et se reposait ensuite pour recommencer sur nouveaux frais .
Il aimait , recherchait les anecdotes piquantes , les fines reparties , les bons mots , et se plaisait à les resserrer daus
un conte , sur-tout dans un distique ou dans un quatrain .
Ami de Piron , il en avait saisi , pour ses épigrammes ,
presque toute la finesse , la précision et la briéveté. J'étais
un jour présent à un reversi dans lequel figurait M. Guichard
: une dame , en mêlant les cartes , en laissa tomber
une , l'as de coeur. C'était matière à lieux communs .
M. Guichard , comme les autres , dit son mot , et c'était
une niaiserie. Ah ! mon poëte , lui dit la dame en lui
jettant cet as de coeur, vous expierez la faute . Il prend
2

MAL 1811 . 227
cette carte , et quelques secondes après , écrivit ce distique
au revers :
«Je crains tout d'un côté , j'espère peu de l'autre :
:
›Me rendez-vous mon coeur ? me donnez-vous le vôtre ?
T
Dans ces derniers tems de trouble et d'anarchie qui désolèrent
la France , il improvisa devant quelques amis ce quatrain
remarquable :
•Des cieux et de la terre indétrônable roi ,
1.4
> Nous as- tu retiré ta faveur paternelle ? :
► L'homme n'a-t-il donc plus que la rage, pour loi ?
> Doit-il ne plus mourir de sa mort naturelle ? »
M. Guichard , par insouciance de la fortune , ne pensa
jamais à se ménager quelques ressources pour sa vieillesse .
Elle arriva sans que car l'avait enpersonne
core , à80 ans , tout l'enthousisa'semneapelrecut,de la jeunesse.
Une particularité remarquable , c'est qu'excepté dans les
dernières années de sa vie , il ne couvrait jamais sa tête que
l'on voyait quelquefois fumer dans les plus grands froids .
Il était content pourvu qu'il eût le victum et le vestitum.
Il était déjà bien plus que septuagénaire quand l'un et
l'autre commencèrent à lui manquer . Des ainis généreux
s'en aperçurent pour lui, et une pension de 1200 fr. que
S. E. Mgr. le comte de Lacépède et le bon Colin-d'Harleville
sollicitèrent et obtinrent du gouvernement , le fit exister
tranquillement jusqu'à 81 ans .
Dans le volume des fables de M. Guichard , il s'en
trouve que La Fontaine n'eût pas désavouées . Ila fait aussi
beaucoup de contes dont quelques-uns sont charmans. II
serait à désirer qu'une main discrète fit dans les unes et
dans les autres un choix dirigé par le goût , et nous aurions
un recueil précieux que l'on feuilleterait avec intérêt.
A la dernière séance de la Société philotechnique il lut
encore , avec une énergie bien rare à ce grand âge , quelques
poésies légères et nouvelles de sa composition , qui furent
vivement et généralement applaudies ; mais hélas ! ... c'était
le chant du cygne ; il ne devait plus s'y faire entendre. Sa
gaîté naturelle , son bon coeur et la franchise de son désintéressement
le rendaient aussi cher à ses amis , que ses
talens lui méritent d'estime ; sa perte leur donne de vifs
regrets. Il s'est éteint à 81 ans , après une maladie d'un
mois occasionnée par une fièvre maligne et putride .
Pa
M** .
228 MERCURE DE FRANCE ,
EMERY ( Jacques-André ) , originaire de Gex , ancien
professeur de philosophie à Lyon , ancien supérieur du
séminaire de Saint-Sulpice , chanoine honoraire de l'église
métropolitaine de Paris , et conseiller titulaire de l'Université
impériale , est mort à Paris , le 28 mars 1811 , à l'âge
de 79 ans . C'était un ecclésiastique respectable et instruit ;
on a de lui :
I. Esprit de Leibnitz , 1772 , 2 vol. in-12 , réimprimé
sous le titre de Pensées de Leibnitz sur la Religion et la
Morale, 1803 , 2 vol. in-8° , augmentés de la Correspondance
de Leibnitz avec Bossuet.
II. Esprit de Sainte-Thérèse , 1775 , in-8°.
III. Le Christianisme de François Bacon , anVII (1799) ,
2vol. in- 12.
IV. La conduite de l'Eglise dans la réception des Ministres
de la Religion qui reviennentde l'hérésie et du schisme ;
nouvelle édition considérablement augmentée , 1801 , in- 12 .
V. Des Moyens de ramener l'unité dans l'Eglise Catholique,
1802 , in- 12 .
VI. Défense de la Révélation contre les objections des
espritsforts , par M. Euler , suivie des Pensées de cet auteur
sur la Religion , supprimées dans la dernière édition
de ses Lettres à une princesse d'Allemagne. 1805 , in -18 .
Il a été éditeur 1º des Lettres sur l'Histoire physique
de la Terre , adressées à M. le professeur Blumembach ,
par J. A. de Luc , 1798 , in-8° ; 2º des nouveaux Opuscules
de l'abbé Fleuri, 1807 , in- 12 : la préface est de M. Emery ;
3º des Principes de MM. Bossuet et Fénélon sur la Souveraineté
( abrégés par le P. Querbeuf) tirés du cinquième
avertissement sur les lettres de Jurieu et d'un essai sur le
Gouvernement civil, 1791 , in-8° , reproduit , sans avoir
été réimprimé , sous le titre de : la Politique du bon vieux
tems , ou Principes de MM. Bossuet et Fénélon sur la
Souveraineté , 1797 , in-8°.
M. Emery a été l'un des collaborateurs aux Annales
catholiques .
Aux Rédacteurs du Mercure de France.
MESSIEURS, j'ai vu avec surprise qu'un de vos collaborateurs, dans
le Numéro DVI du Mercure de France , attribue à M. Cousin de
Grainville, du Havre, divers ouvrages dont feu mon père, Jean-BapΜΑΙ
1811 . 229
tiste-ChristopheGrainville , né à Lisieux , et mort encette ville en
1805 , est l'auteur .
Voici la nomenclature de ces ouvrages , tels qu'ils sont cités dans la
France littéraire , par J. S. Ersch :
-
Discours qui a remporté le prix de l'éloquence à Besançon , sur ce
sujet : Quelle a été l'influence de la philosophie sur ce siècle , 1792 .
Le Carnaval de Paphos , 1784. - Ismène et Tarsis , ou la
colère de Vénus , roman poétique . Londres , 1785. -Monumenti
inediti di Winckelmann , ou Choix de monumens antiques , avec leur
explication . Traduction , 1788. Aventures d'une sauvage , écrites
par elle-même , 1789. - La Fatalité , roman poétique , 1791 .
Vendangeur, poëme de Tansillo . Traduction , 1793. - Hymnes de
Sapho, nouvellement découvertes , et traduites pour la première fois
en français , avec des notes et une version italienne , 1796 .
-Le
Il a donné : Un extrait des 24 livres des choses incroyables de l'ile
de Thulé par Anton Diogènes , tiré de la bibliothèque de Photius , dans
le Magazin Encyclopédique : Une traduction du Remède d'Amour ,
d'Ovide , 1797 : Une traduction du poëme des Argonautes de Valerius
Flaccus , non imprimée: Une traductiondu poëme de la Musique,
de l'espagnol de Thomas de Yriarté , 1800.
Je vous prie d'observer , en outre , que je suis dépositaire des manuscritsde
ces ouvrages. La mémoire de mon père me fait un devoir
deréclamer contre l'erreur insérée dans votre Mercure ; votre justice
et votre impartialité m'autorisent à croire que vous vous empresserex
de la rectifier dans le prochain numéro.
J'ai l'honneur d'être , etc.
Lisieux , ce 21 avril 1811 .
GRAINVILLE.
!
1
POLITIQUE.
L'EMPEREUR de Russie est de retour de son voyage à
Twer . Au moment où nous écrivons , le nouvel ambassadeur
français , M. le comte de Lauriston , doit être rendu
à sa destination ; il était arrivé à Dresde le 13 avril ; il a été
présenté à S. M. le roi de Saxe , par M. le baron de Bourgoing
, ministre de France . S. M. dérogeant à son égard
'à l'usage constamment pratiqué à la cour le jour de Pâques
a accordé à M. de Lauriston une audience particulière .
L'ambassadeur devait , le lendemain , avoir l'honneur de
dîner avec S. M. , et de là continuer sa route. On apprend
aussi de Pétersbourg que la sortie de l'Empire russe est
-libre pour tout le monde , mais qu'on n'y laisse entrer
aucun étranger sans passe-port depuis le commencement
de l'année ; l'escompte ne se fait qu'en roubles dans toute
-l'étendue de l'Empire.'Suivant les lettres de Hongrie , des
conférences seraient sur le point de s'ouvrir à Bucharest;
le général en chef russe aurait invité Czerni-Georges à
venir prendre part à ces conférences : rien de positif n'est
connu à cet égard . On écrit de Constantinople , en date du
12 mars , que plusieurs milliers de troupes asiatiques ont
passé, à cette époque , par cette capitale pour se rendre à
l'armée ; le grand-écuyer de sa Hautesse est parti pour
porter au grand-visir la pelisse d'honneur , comme c'est
l'usage chaque fois que les janissaires reçoivent leur solde.
On ajoute que les rixes entre les janissaires sont apaisées
par la fermeté du Grand-Seigneur. Cinquante des plus
acharnés , dans cette querelle sanglante , ont été étranglés .
Les assemblées de comitats de Hongrie sont terminées ;
dans quelques-unes on a bien saisi l'esprit de la dernière
patente sur les finances , et on a voté des adresses de remerciement
à l'Empereur ; dans d'autres il y a eu quelqu'opposition
, et on a réclamé la sanction de la dièțe nationale ;
cependant il est certain que cette affaire se terminera à la
satisfaction du gouvernement. A cet égard , on avait fait
courir à Vienne le bruit que le décret dont il s'agit , et
relatif aux finances , subirait une modification. Le gouvernement
a démenti ce bruit et fait punir ses auteurs , et un
MERCURE DE FRANCE , MAI 1811 . 231
avis conçu dans les termes les plus positifs a été donné aux
négocians de Vienne : il n'est pas plus exact que les billets
d'amortissement aient été mis en circulation. Toutes les
caisses publiques continuent à payer en billets de banque
à raison de cinq capitaux pour un. La diète de Transylvanie
a adopté purement et simplement le décret sur les
finances . On regarde comme très-positive la vente 'des
domaines ecclésiastiques , et on n'attend plus , pour son
exécution , que le retour des commissaires chargés d'en
aller faire l'inventaire dans les diverses provinces de la
monarchie.
Les dernières gazettes de Philadelphie ont appris aux
Anglais qu'il n'y avait à espérer ni changement ni adoucissement
dans les dispositions du gouvernement américain.
L'acte du congrès qui proscrit le commerce anglais
tant que les arrêts du conseil britannique ne seront pas
rapportés , va être mis strictement en vigueur . Un bâtiment
arrivé de Liverpool à Norfolk , le 22 février , a déjà
été confisqué en vertu de la proclamation du président
des Etats-Unis .
Le 24 avril , M. Hase , l'un des directeurs de la banque
d'Angleterre , s'est rendu à la bourse , où il a łu une lettre,
du23 du courant, de M. Perceval, aux gouverneur et sousgouverneur
de la banque d'Angleterre , ayant pour objet
de remplir le déficit qui se trouve dans les souscriptions
pour la consolidation des douze millions de billets de l'échiquier.
Ce déficit est d'environ quatre millions neuf
cent mille livres sterling , et pour le remplir , les conditions
suivantes sont offertes :
Pour chaque 70 liv . en argent, le souscripteur recevra
72 liv. 12 s . , en 5 pour cent sur la marine. Les billets de
l'échiquier du mois d'avril 1810 au 6 mars 1811 , seront
reçus comme argent comptant; la préférence étant toutefois
accordée aux souscripteurs primitifs desdits billets. Ce
plan doit être soumis au parlement , et après son approbation,
le jour pour recevoir les souscriptions sera fixé entre
les 6 et 9 mai .
Si les sommes souscrites d'après le plan ci-dessus , ne
sont pas suffisantes pour remplir le déficit , l'excédent de
ce déficit sera compris dans l'emprunt pour le service de
l'année présente , lequel emprunt (sans y comprendre ce
qui pourra y être ajouté pour ledit déficit ) sera d'environ
douze millions sterling .
L'Alfred fait à cet égard des réflexions qui méritent d'être
232 MERCURE DE FRANCE ,
rapportées au moins par extrait : il les adresse aux directeurs
dela banque :
« Il est inutile , dit- il , de démontrer aux personnes bien
instruites des vrais principes des finances , que le public
ne peut continuer à avoir confiance dans la solidité du
moyen actuel de circulation , si le gouvernement ne s'abstient
de se mêler de la direction et de l'administration de
la banque ; et que s'il arrive jamais que cet établissement
soit identifié avec le gouvernement , et que celui-ci exerce
le pouvoir de limiter ou d'étendre à son gré l'émission des
billets , ce moment devra être considéré comme l'époque
de la ruinede la banque .
» L'accroissement énorme qui a eu lieu dans nos dépenses
au-dehors , les sommes immenses qui ont été payées pour
frêt à des neutres , jointes aux importations considérables
de marchandises étrangères , ont , suivant mon estimation ,
excédé de plusieurs millions le montant de nos exportations
et de leurs profits , et comme je ne connais aucun moyen
possible de solder cette différence que par l'exportation de
lingots , on doit attribuer à cette cause la rareté générale
des espèces .
>>Quoiqu'il soit très-difficile de déterminer de quelle
manière le papier influe sur les changes , et que les plus
habiles écrivains ne donnent là-dessus aucune explication
satisfaisante , il paraît qu'il y a de fortes présomptions en
faveur de la réalité de cette influence , et en conséquence il
serait évident que si les lingots sont un objet de commerce
comme toute autre marchandise , un accroissement considérable
du signe qui sert de moyen de circulation , qui a
pour effet reconnu de hausser le prix de toutes les marchandises
, doit avoir quelqu'influence sur celle-là . Si cela
est vrai , il s'ensuit nécessairement qu'une diminution dans
la quantité du papier doit diminuer le prix des lingots .
" Le nouveau principe adopté par la cour des directeurs ,
savoir, qu'on ne doit prescrire d'autres bornes à l'émission
de leursbillets que les demandes qu'on en a faites, et qu'on
n'a pas à craindre de la porter trop loin , en escomptant
tous les bons papiers qu'on leur présente , me paraît nonseulement
susceptible d'exceptions importantes , mais encore
capable de produire les plus grands inconvéniens , si on le
poussait jusqu'à l'extrémité. Dans le dernier cas , la quantité
des billets de la banque , au lieu d'être bornée à environ
vingt millions , s'éleverait bientôt au double de cette somme .
L'idée que la cour des directeurs a adoptée ( relativement
ΜΑΙ 1811 . 233
auxjustes limites de l'émission ) , savoir que si cette émission
vient à passer les limites convenables , leur papier
leur reviendra nécessairement , ne me paraît pas fondée
sur l'expérience.
› Quoique je sache bien qu'il est impossible à la banque
de reprendre ses paiemens en espèces à l'époque proposée
par le rapport du comité des monnaies , à moins qu'on ne
suspende entièrement nos importations et nos dépenses au
dehors , il me paraît néanmoins extrêmement à désirer que
lacourdes directeurs observedans l'émission de leur papier
les limites et la modération qui sont absolument nécessaires
comme mesure préliminaire , et qui auront pour effet , nonseulement
d'accroître la confiance du public dans la solidité
de ce papier et de diminuer l'envie de thésauriser , qui s'étend
tous les jours , mais encore d'approcher de plus en
plus la valeur de leurs billets de celle de la monnaie légale
du royaume . Jusqu'à ce qu'iln'y ait plus de différence entre
ces deux valeurs , l'Angleterre ne peut être regardée comme
étantdans un état de prospérité ni de sûreté . »
Le 15 avril , à la pointe dujour , des salves d'artillerie
ont annoncé à Madrid la naissance du roi de Rome . A
onze heures S. M. reçut les félicitations du corps diplomatique
et de toutes les personnes de la cour ; il y ent
ensuite un Te Deum solennel ; l'après-midi une course de
taureaux ent lieu sur la place destinée à ce spectacle , endehors
de la porte d'Alcala. Le soir la ville entière fut
illuminée . Les mêmes solennités ont eu lieu dans toutes
les cours amies ; à Pétersbourg , à Dresde , à Cassel , à
Munich , à Vienne les ambassadeurs français ont réuni ,
dans des fêtes magnifiques , toutes les personnes distinguées
de ces diverses capitales . A Rome les réjouissances
ont été très-brillantes ; à Venise , à Trieste elles ont duré
trois jours; celles de Naples ont eu lieu sous les yeux de
la reine , et ont été dignes à-la-fois et de leur objet et de
la souveraine qui y présidait ; mais ces fêtes ne sont que
le prélude de celles que le mois de juin doit voir célébrer .
On n'a rien publié d'officiel à cet égard ; mais les détails
suivans paraissent avoir de l'authenticité ; ils ont du moins
été publiés sans être démentis par l'autorité.
Le baptême du Roi de Rome étant fixé an 2 juin ,
jour de la Pentecôte , le samedi 1er juin , LL. MM. partiront
de Saint-Cloud à 6 heures , pour venir dîner aux
Tuileries .
A 8 heures il y aura spectacle au théâtre de la cour :
234 MERCURE DE FRANCE;
1
on donnera l'opéra seria de Sémiramis . Après le spectacle;
ily aura cercle dans les grands appartemens: toute la cour
sera invitée .
» Ce jour-là les spectacles donneront gratis . Une salve
de IOI coups de canon annoncera l'arrivée de LL. MM.
dans Paris et la fête du lendemain .
५.
Cette salve sera répétée le lendemain à 8 heures , à
midi et à 6 heures du soir , heure de la cérémonie .
Le même jour , à 11 heures et demie , audience dit
corps diplomatique. Le messe sera célébrée à midi , et
après la messe il y aura grande cour.
» A6 heures du soir, LL. MM. partiront en grand cortége
des Tuileries , et se rendront à Notre-Dame pour
rendre graces à Dieu , assister au baptême du Roi de Rome
et au Te Deum solennel. L'église sera illuminée .
> En sortant de Notre-Dame , LL. MM. se rendront à
la Commune , où elles arriveront entre 8 et 9 heures .
» LL . MM. seront conduites dans l'appartement qui leur
aura été préparé . L'Empereur donnera audience au conseilgénéral.
» LL. MM. se rendront ensuite dans la salle du banquet
, où elles dîneront en grand couvert. De là , LL. MM.
seront conduites dans la salle où le concert aura été préparé
, et après l'avoir entendu , elles verront tirer le feu
d'artifice. Immédiatement après , elles remonteront en
voiture pour retourner à Saint-Cloud.
» Il ne sera pas fait de constructions extraordinaires à
l'Hôtel- de-Ville pour cette fête . On n'invitera que le
nombre de personnes que le local pourra contenir. Pendant
le banquet, on fera circuler le public autour de la table
de LL . Mм.
n Ce jour-là , tous les établissemens publics et toutes les
maisons de la ville de Paris seront illuminés . Il sera établi
des jeux aux Champs-Elysées , et il sera fait des distributions
de vivres au peuple.
- Dans la semaine qui suivra , on donnera à l'Odéon
l'opéra seria de Sémiramis qui aura été joué aux Tuileries .
» Dans la même semaine ou la suivante , on donnera à
l'Académie Impériale de Musique un opéra et un ballet
nouveaux.
" Dans cette semaine , la salle de spectacle des Tuileries
sera arrangée en salle de bal.
>> Le dimanche 9 juin , grande fête aux Tuileries .
» LL. MM. viendront le samedi soir coucher aux TuileΜΑΙ
1811 . 235
,
ries . Le lendemain , après la messe , ilyaura grande parade,
et ensuite grande cour. A sept heures , LL. MM. dîneront
en grand couvert dans le salon de la Paix. Après le dîner
elles iront entendre le concert public qui sera exécuté sur
la terrasse du palais . Le jardin et le palais seront illuminés.
Après le concert , LL. MM. verront ouvrir le bal dans la
salle des Maréchaux , et de-là iront voir l'ouverture de
celui de la salle de spectacle changée en salle de bal .
>>Ces bals seront ouverts par des quadrilles exécutés par
les dames et officiers de la cour.
" On invitera non-seulement toute la cour; mais aussi
2000 personnes dans Paris : on fera des invitations pour
chacune des deux salles et suivant la quantité de monde
qu'elles peuvent contenir; on indiquera des entrées différentes
: la communication entre les deux salles ne sera établie
qu'après le départ de LL. MM. , ou après onze heures .
› A minuit , les soupers seront servis dans la galerie de
Diane et dans la galerie du Musée. Les bals continueront
pendant toute la nuit.
>> Le jeudi 13 juin , il y aura spectacle français au
théâtre de Saint-Cloud.
» Le dimanche suivant , 16 juin , ily aura grande fête à
Saint-Cloud:
» Ce jour-là , la messe et l'audience auront lieu comme
à l'ordinaire . Pendant la journée , il y aura des jeux dans
le parc , et les eaux joueront .
Le soir , le parc , les jardins et les cascades seront illuminés
. Les eaux joueront à la lumière. Il y aura grand
cercle au palais , auquel on invitera toute la cour. On aura
soin de faire arriver les voitures par le pont de Sèvres , et
qu'il n'en passe aucune par le pont de Saint-Cloud.
> Pendant le cercle , vers dix heures du soir , à un signal
donné , la garde impériale fera tirer un beau feu d'artifice
dans la plaine de Boulogne , de manière qu'il soit vu des
jardins , du château et du parc .
» Après le cercle , il sera servi un souper dans l'Orangerie
. LL. MM. auront leur grand couvert dans le salon
de Mars.n
Il y a en dimanche dernier au palais de Saint-Cloud
audience diplomatique et présentations. Les envoyés de
Danemarck, de Saxe , de Francfort et de Bade ont été
admis à présenter leurs hommages à S. M. à l'occasion de
la naissance du roi de Rome .
Le sénat a eu plusieurs séances cette semaine ; on assure
236 MERCURE DE FRANCE ,
qu'elles avaient pour objet des nominations de députés au
Corps-Législatif, dont la session doit s'ouvrir le 2 juin .
En vertu d'un sénatus-consulte un nouveau département
est formé sous la dénomination de département de la
Lippe ; le chef-lieu est Munster .
Le 29 avril S. M. a tenu un grand-conseil d'administration
du sénat , et le 46° de commerce. Le 30 avril il y a
eu conseil des ministres . Le 2 mai , conseil d'administration
de la guerre. Le même jour il y a eu spectacle au
théâtre de la cour. S....
PARIS.
Par décret impérial , un droit d'un centime par feuille
d'impression , est imposé sur tous les ouvrages connus en
imprimerie sous le nom de labeurs , si ces ouvrages n'appartiennent
à aucun auteur vivant , ou à ses héritiers . Le
produit de cette taxe est consacré aux dépenses de la direction
générale de la librairie .
-Divers décrets impériaux organisent les cours impérales
de La Haye et de Toulouse .
-Les travaux pour la construction d'une route de Hambourg
à Wesel s'exécutent avec la plus grande rapidité .
Cette route aura 14 mètres de largeur ; le terrassement
pour toute la route pourra être achevé à l'automne prochain .
-Le baron de Corbigni , préfet de Loir et Cher , vient
d'être emporté , à Blois , par une fièvre maligne .
-Le jeune Firmin de l'Odéon va débuter au théâtre
Français . Clozel est rentré à l'Odéon .
-La Société philotechnique tiendra sa séance publique
le5 mai prochain , sous la présidence de M. Sylvestre .
-Tous les travaux publics de Paris se poursuivent
avec la plus grande activité. Les démolitions des maisons
de la rue Saint-Nicaise ont commencé dans la direction
de la nouvelle galerie .
ANNONCES.
Histoire générale de l'Espagne , depuis les tems les plus reculésjusqu'à
la fin du dix-huitième siècle; par G. B. Depping. Tomes I et II ,
contenant l'Espagne sous les Phéniciens , les Carthaginois , les Romains
, et sous les Empereurs Romains et les Rois Goths , avec une
ΜΑΙ 1811. 237
très-belle cartede l'Espagne ancienne , et précédés d'un Essai d'une
bibliothèque historique de l'Espagne. Deux forts volumes in-8º, im- .
primés sur beau papier , en caractères neufs de cicéro. Prix , 12 fr . ,
et 15 fr . franc de port. Chez D. Colas , imprimeur- libraire , rue du
Vieux-Colombier , nº 26 , faub . Saint-Germain; et chez Lenormant ,
imprimeur-libraire , rue de Seine , nº 10.
Cette histoire comprendra quatre volumes , les tomes III et IV paraîtront
incessamment.
Le premier volume contient la description de l'Espagne considérée
sous sonaspect physique.- L'état primitif de l'Espagne .- Les premiers
établissemens des Phéniciens . -La domination des Carthaginois.
Le tableau des moeurs et de la manière de vivre de différentes
nations espagnoles à cette époque . - Les conquêtes des Romains en
Espagne . Les guerres de César et de Pompée.
-
Le second volume renferme l'Espagne considérée dans son état,
eivil et moral sous l'empire romain. La domination des Goths .
La destruction de leur domination . -La fondation de plusieurs nouveauxEtatsen
Espagne .
Cette dernière partie de l'histoire de l'Espagne offrait beaucoup de
difficultés , faute de monumens et de récits détaillés ; une heureuse
circonstance a mis M. Depping à même de puiser à une source
féconde des renseignemens authentiques. Il existe à la Bibliothèque
impériale plusieurs manuscrits qui jettent un nouveaujour sur le règne
desGoths et des Maures : la plupart de ces manuscrits ont été composés
par des Maures en langue arabe ; M. Jourdain , secrétaire- interprète
auprès du gouvernement , et savant orientaliste , a bien voulu
en extraire tout ce qui était relatif au travail de M. Depping . C'est
dans le cinquième livre que ces matériaux précieux ont été mis à profit .
Le troisième volume comprendra l'époque entière du règne des
Maures jusqu'à leur expulsion , et jusqu'à l'établissement de la monarchie.
Lequatrième et dernier volume , auquel sera joint une carte de
l'Espagne moderne , partira de cette époque pour conduire l'Histoire
d'Espagne jusqu'à la fin du 18e siècle .
Une seule règle pour les Participes , ouvrage où l'on examine le
Traité des Participes par M. Lequien , en établissant un principe
simple et clair, au moyen duquel on fait disparaître les difficultés que
présente cette question grammaticale expliquée par les règles ordinaires;
par Latour , instituteur à Maëstricht. Prix , 75 c. , et I fr .
franc de port. AParis , chez Gl Dufour et compe, libraires , rue des
Mathurins , nº7 ;P. Blanchard et compe , libraires pour l'éducation ,
238 MERCURE DE FRANCE ,
rue Mazarine , nº 36 , et Palais -Royal , galeries de bois , nº 249; et à
Maëstricht , chez L. Th. Nypels , ainé , imprimeur-libraire .
Les Aventures de Télémaque , fils d'Ulysse , par M. de Fénélon.
Nouvelle édition , collationnée sur les manuscrits et les imprimés ,
augmentée d'un précis de la vie de Fénélon , d'une liste raisonnée des
éditions qui ont paru jusqu'à ce jour , des principales variantes , et
d'une table des matières ; par J. F. Adry , membre de la commission
nommée par l'Université impériale pour l'examen des livres classiques;
ornée de 25 figures , gravées avec soin , d'après les dessins nouveaux
de M. Monnet. Deux vol. in-8° , imprimés avec le plus grand
soinen caractère neuf , dit philosophie. Prix, sur carré double d'Auvergne
, 16 fr . , et 18 fr. 75 c. franc de port; pap. vélin , fig. avant la
lettre , 32 fr. Les mêmes , deux parties in-12 , avec la table des
matières seulement , et les 25 figures , édition classique , 5 fr . , et 6 fr .
25 c. franc de port. Chez L. Duprat -Duverger , rue des Grands-Augustins
, nº 21 .
-
La pureté du texte adopté dans cette édition , les additions importantes
qu'on y a faites , et les soins apportés à son impression, assurent
àcet ouvrage in-8º une place distinguée dans les bibliothèques .
Annales nécrologiques de la Légion-d'honneur, ou Notices sur la
vie , les actions d'éclat , les services militaires et administratifs , les
travaux scientifiques et littéraires des membres de la Légion-d'honneur
décédés depuis l'origine de cette institution : dédiées à S. M.
l'Empereur et Roi , chefsuprême de la Légion-d'honneur , et rédigées
d'après des mémoires authentiques , par Joseph Lavallée , chef de
division à la grande chancellerie de la Légion-d'honneur , secrétaire
perpétuel de la Société Philotechnique de Paris , de la Société royale
des sciences de Gottingue , des Académies de Dijon, Nanci , etc. Un
vol. in-8 ° , avec quinze portraits de légionnaires , gravés en tailledouce.
Prix , broché , 8 fr . 50 c . , et 9 fr . 50 c. franc de port. Chez
F. Buisson , libraire , rue Gilles -Coeur , nº 10 .
Tables barométriques portatives , donnant les différences de niveau
par une simple soustraction , avec une instruction contenant l'histoire
de la formule et sa démonstration complète par les simples élémens
de l'algèbre , à l'usage des ingénieurs , des physiciens , des naturalistes
et de tous les voyageurs ; par M. Biot. Brochure in-8º de 50 pages ,
avec huit pages de tables . Prix , I fr . 50 c. , et 1 fr. 75 c. francde
port. Chez J. Klostermann fils , libraire , rue du Jardinet , nº 13.
Nota. Il y a des exemplaires auxquels on a joint les tables collées
sur toile de manière à pouvoir être portées dans la poche comme une
carte.
ΜΑΙ 1811 . 239
Histoire de l'Astronomie , etc. ( Voyez pages 201 et suiv. ) Prix ,
12 fr. , et 15 fr. franc de port.
SERMONS DE BOURDALOUE . Nouvelle édition en 16 vol . in-8° .
Dans le cours de l'année 1810 , a été achevée l'édition complète des
oeuvres de Massillon , en 13 vol. in-80 , et son exécution a satisfait
mêmes les personnes du goût le plus difficile. Disposé maintenant à
donner les mêmes soins à une édition de Bourdaloue , en 16 volumes
in-8° , toute semblable à celle de Massillon, j'invite les personnes qui
mettront quelque intérêt à ce que ce projet d'édition nouvelle soit
réalisé , à faire payer par avance la cinquième et dernière livraison ,
qui sera de 4 volumes comme cette dernière de Massillon , et pour
laquelle les souscripteurs n'auront à payer que 21 fr . , prix de trois
volumes , léger avantage dont ont pareillementjoui les premiers acquéreurs
de Massillon. Aussitôt que 200 personnes auront donné cette
marque de bienveillance envers l'édition et l'éditeur , l'impression sera
commencée ; et la publication aura lieu comme pour le Massillon par
livraisons de 3 vol . , la 5e et dernière de quatre . Je prendrai pour texte
l'édition originale de 1707 , comme pour le Massillon j'ai pris celle de
1745. Il y aura de même quelques exemplaires en papier vélin , dont
leprixsera de 14 francs le volume , ainsi qu'un très-beau portrait de
Bourdaloue , gravé exprès , et servant de pendant à celui de Massillon .
J'ai lieu d'espérer que d'ici à la fin de l'été les intentions favorables du
public auront pu se manifester ; mais en cas d'insuffisance de souscripteurs
, j'attendrai jusqu'au premier février 1812 ; et si enfin à cette
époque le nombre de 200 n'est pas complété , le projet d'édition sera
abandonné , et les sommes reçues seront aussitôt restituées à chacun
des souscripteurs . J'aurais bien voulu pouvoir éviter cette demande
d'un paiement anticipité , et sur-tout d'un paiement aussi modique;
mais chacun sait combien sont illusoires les simples inscriptions ; et
ces 200 exempl . retenus par avance , et d'une manière assurée , donneront
au moins à l'éditeur la certitude qu'au moment même de la mise
en vente , chacune des livraisons acquerra cette sorte de publicité
résultant de la circulation d'un nombre suffisant d'exemplaires , moyen
lemeilleur et le plus sûr pour appeler d'autres acquéreurs , et faire
promptement écouler une édition , lorsqu'elle est bonne et bien exécutée.
Ala fin du premier volume sera imprimée la liste des 200 personnes
à la bienveillance desquelles le public sera redevable de cette
édition.
ANT. -AUG. RENOUARD .
240 MERCURE DE FRANCE , MAI 1811 .
ERRATA pour l'avant-dernier No.
Il s'est glissé dans l'impression du poëme sur les Embellissemens ds
Paris , par M. Victorin Fabre , des fautes qui pourraient altérer le
sens enquelques endroits. Nous invitons MM. les Abonnés à les corriger
à la plume sur leurs exemplaires.
Page 98 , ligne 34:
Les nobles souvenirs errent sous ses lambris .
Lisez : Errent sous ces lambris.
Page 99. ligne 18 :
Et l'olivier d'Athènes et l'aigle des Romains.
Lisez : Et l'olivier d'Athène , etc.
Même page , ligne 25 :
Des chefs -d'oeuvres d'un siècle ennobli par les arts ,
effacez la virgule.
Même page , ligne 29 :
Et la main des Lebruns , etc.
Lisez : Et la main des Le Bruns , etc.
Page 100. ligne 22 :
Où fier d'éterniser , etc.
Lisez: Ou fier d'éterniser , etc.
Même page , ligne 30:
Je vois ces ponts nouveaux unir ses nouveaux ports .
Lisez : Je vois ses ponts nouveaux , etc.
Page 101 , lignes 23 et 24 :
Qu'au seinde vos cités multipliant leurs cours ,
Les fleuves asservis vous prêtent leur secours , etc.
Lisez leur cours , et leurs secours , etc.
Page 102, ligne 20:
Fait asseoir l'Hôpital aux portiques des lois .
Lisez٠٠٠ auportiquedeslois.
Page 103 , ligne 7 :
Lişez : menaçant.
le foudre manaçant .
Page 104 , marquez un alinéa entre le second et le troisième vers !
-Monument protecteur, etc.
Même page , ligne 23 :
Apporta le tribut de sa reconnaissance .
Lisez: Apporte le tribut , etc.
Errata pour le dernier N° .
Traduction du passage du second livre de l'Enéide , sur la mort
de Laocoon , page 153 .
Vers 8 , orbes tortueux , lisez : sinueux.
Vers 15 , leur orbite sanglant , lisez : leur orbite de sang .
MERCURE
DE FRANCE.
N° DXII . - Samedi 11 Μαϊ 1811 .
POÉSIE.
DERNIER CHANT ET DERNIER PRINTEMS D'UN CYGNE.
Le talent rampe et meurt s'il n'a des ailes d'or .
GILBERT .
Les autans ont cessé d'affliger nos climats ,
Et sur leurs ailes mugissantes
Ils ont emporté les frimas .
Les ruisseaux font jouer leurs ondes renaissantes
Que l'hiver enchaînait dans de tristes glaçons ;
On dirait , à leur doux murmure ,
Que , réjouis de quitter leurs prisons ,
Ils félicitent la nature
D'avoir laissé son deuil et repris sa parure.
:
L'astre du jour , plus brillant et plus pur ,
Par ses rayons ardens disperse les nuages
Qui nous voilaient cette voute d'azur
Dont l'imposant spectacle attire nos hommages.

242
MERCURE DE FRANCE ,
i1
Ces arbres dont le faîte avoisine les cieux ,
Sont enrichis de leurs pompeux feuillages :
Et les zéphyrs délicieux
Agitentmollement nos paisibles bocages.
Cesmonts où dominait la triste aridité ,
Font admirer au loin leur masse verdoyante :
Et les trésors de la fertilité
Décorent les coteaux et la plaine riante.
Salut ! ô doux printems ! ... Dans ce vaste univers ,
Depuis l'aigle qui fend les airs
Jusqu'au ciron imperceptible ,
Grâces à tơi , tout est sensible ! ....
Tout s'embellit par ton retour ;
Dans l'immense néant tu fais germer la vie :
Et sur les traces de l'amour ,
Tu sèmes en riant ta corbeille fleurie.
Tu rends au rossignol son éclatante voix
Pour qu'il célèbre son amie ,
Et que sa douce mélodie
Réveille les échos des bois .
Tu fais de la jeune bergère
Palpiter le sensible coeur.
Tu rajeunis l'octogénaire ,
Et viens à sa faible paupière
Faire encor luire un rayon de bonheur.
Tu ranimes la voix divine
De l'harmonieux troubadour ,
Quigravit la double colline
Pour chanter la gloire et l'amour.
Ah ! soutiens ma voix affaiblie !
Exauce mes désirs , favorable printems !
Fais que j'exhale dans mes chants
Ma profonde mélancolie !
:
Et répands sur mes vers cette vive fraîcheur
De la rose qui vient d'éclore
Afin que du couchant aux portes de l'aurore
Monnom plus radieux des âges soit vainqueur ! ....
ΜΑΙ 1811 . 243
Bientôt va s'envoler ma rapidejeunesse ,
Et mon luth n'aura pas , surpassant ses rivaux ,
Forcé la gloire et la sagesse
D'immortaliser ses travaux !
Hélas ! le printems de ma vie
Est fertile en jours orageux ! :
L'espérance parfois vient sourire à mes voeux ,
Mais aussitôt sa douceur m'est ravie !
Si je rencontre quelque fleur
Au même instant elle est flétrie !
L'épine ..... toujours là .... me déchire le coeur ! ....
Combien est court l'infortuné voyage
Que les mortels font ici bas !
Apeine ont- ils paru , que leur triste passage
Est terminé par le trépas.
Leurs plaisirs , leurs chagrins , leurs succès , leurs disgrâces ;
Tout avec eux descend dans leurs tombeaux :
Ils ne laissent , hélas ! aucune de leurs traces !
Leurs fils infortunés viennent prendre leurs places ,
Etbientôt ils auront des successeurs nouveaux !
Recueillons , ai-je dit , quelques moissons de gloire ,
Afin qu'au moins les siècles à venir
Dans leur ingrate et confuse mémoire
Puissent garder mon souvenir ! ....
Mais le malheur , hélas ! qui dévore ma vie ,
Dessèche dans mon coeur la source du génie !
De mon luth délaissé les cordes sont sans voix !
L'illusion de l'espérance ,
Qui me soutenait autrefois ,
رپ
S'envole.... et m'abandonne à ma vive souffrance ! ...
J'ai vainement voulu contre un sort rigoureux
Lutter avec force et constance !
Généreux.... j'avais cru les hommes généreux ....
Combienmon inexpérience
Leur prêtait de vertus étrangères pour eux!
Je n'ai trouvé par-tout que bassesses et vices ,
L'égoïsme effréné corrompant tous les coeurs ,
Injustices sur injustices .....
2
244
MERCURE DE FRANCE ,
:
Au lieu de secourir , de plaindre les malheurs ,
On en agrave les supplices !
Mais , hélas ! j'oublirais au moins quelques instans
Les maux qui tourmentent ma vie ,
Si par la gloire et le génie
Monnom pouvait survivre aux naufrages des tems ....
En vainj'aspirait à la gloire ;
En vain je gravissais l'épineux Hélicon ,
Pour parvenir au temple de Mémoire .....
Les cent bras de l'intrigue ont repoussé mon nom !
Mes fortunés rivaux , par d'épaisses ténèbres
Etaient encore enveloppés ,
Quand mes chants commençaient à devenir célèbres.....
Ils triomphent hélas ! ... leurs noms sont échappés
Aux torrens de l'oubli qui roulent sur ma tête ! ....
Tandis que moi , battu par la tempête ,
J'ai vu s'évanouir , sous le poids des revers ,
Etmon bonheur , et ma gloire naissante ,
Et l'espérance ravissante
D'immortaliser par mes vers
Mon séjour languissant sur ce triste univers I
L'infortune toujours d'un bras impitoyable
A retenu les élans de mon coeur;
Je n'ai pas même pu d'un concours honorable
Disputer la couronne ou revenir vainqueur :
Tandis que mes rivaux , des palmes de la gloire
Ont couvert leurs fronts radieux ,
Sans que ma faible main aux filles de Mémoire
Ait tenté d'arracher ces présens précieux !
Je mourrai donc , hélas ! sans qu'un ouvrage illustre
Et digne d'Apollon ,
Ait jeté quelque lustre
Pourdissiper l'oubli qui dévore mon nom! ....
OGilbert ! tu parus au banquetde la vie ,
Et tu fus aussitôt exilé par la mort !
Mais tes brillans essais , triomphant de l'envie ,
Ont illustré ton sort !
:
ΜΑΙ 1811 . 245
Tous tes contemporains , d'un regard impassible ,
Furent témoins de tes malheurs ;
Mais la postérité , plus juste , plus sensible ,
Sur ton cercueil verse des pleurs !
Plus àplaindre que toi , la fortune marâtre
M'a privé des lauriers de l'ingrat Hélicon ,
Et l'infortuné Malfilâtre
L'emportera sur moi dans le sacré vallon.
C'en est done fait....brisons ma lyre
Et renonçons à tout espoir flateur ! ....
Mais qu'ai-je dit ?... ah ! tant que je respire ,
Gardons au moins , gardons ce luth consolateur !
Et qu'une illusion nouvelle ,
Répandant sur mon sort ses charmes séduisans
Fasse éclore pour moi des touffes d'immortelle
Durant le cours de ce printems ! ....
,
Ainsi de l'infortune éprouvant la souffrance ;
Un jeune Troubadour chantait dans les déserts ;
Et mourut ignoré ..... malgré son espérance
D'illustrer son nom et ses vers !
J. M. MOSSÉ ,
Auteur du Délire poétique , d'une Ode sur la naissance
du Roi de Rome , d'une Ode sur le mariage de LL.
MM. , d'une brochure contenant plusieurs Odes naționales
, etd'un Recueil de poésies , etc. (1)
LE MOIS DE MAI , OU LA NAISSANCE DE PLACIDE :
A MADEMOISELLE VOLNAIS ,
'Artiste-Sociétaire du Théâtre-Français , pour le 4 mai
1811 , jour anniversaire de są naissance et de ses débuts
au théâtre .
Les frimas sont rentrés dans leurs demeures sombres ,
Les nuits plus lentement nous ramènent les ombres ;
Prêtes à s'entr'ouvrir , on voit déjà les fleurs
Offrir à nos regards les plus riches couleurs ;
(1) Tous ces ouvrages se trouvent chez Deplenne . libraire , rue Napoléon , au coin duBoulevard, et chez Barba , libraire , au Palais-
Royal,
246 MERCURE DE FRANCE,
L'aurore avec éclat se montre à son empire ,
Zéphyr parfume l'air que ma bouche respire ;
De l'oiseau matinal les chants mélodieux ,
Sur l'aile du plaisir s'élèvent jusqu'aux cieux,
Etla douce fraicheur de la tendre rosée
Circule dans le sein de la terre épuisée ;
Le printems reparaît sur un trône d'azur ,
Son cortége riant nous annonce un jour pur;
L'astre consolateur qui féconde la terre
Roule avec plus d'orgueil les flots de sa lumière ,
Il caresse , il nourrit les naissantes moissons ,
Ses rayons dispersés pénétrent les vallons ;
La terre lui sourit ; Flore ouvrant ses corbeilles ,
Avec profusion étale ses merveilles ;
La joyeuse bergère , au son du chalumeau ,
Près d'une onde limpide amène son troupeau ;
Elle se mêle aux jeux d'une danse légère ,
Elle attend le berger que son ame préfère ,
Et d'un hiver trop long oubliant la rigueur ,
Al'attrait du plaisir elle livre son coeur ;
Dans nos vastes jardins l'abeille diligente ,
Du thym vient picoter la fleur encor naissante;
L'agile papillon , messager du printems ,
Errant de fleur en fleur , semble braver les vents ;
Le laboureur actif sillonne les campagnes ,
Levigneron franchit la cîme des montagnes ,
Et Cérès et Bacchus approuvant leurs efforts ,
A l'envi l'un de l'autre excitent leurs transports ;
Du vieillard ranimé la touchante allégresse
Fait revivre en son coeur le feu de la jeunesse ;
Tout renaît , tout présente un spectacle enchanteur,
Tout me fait admirer l'oeuvre du créateur .
Mois chéri des Amours , époque fortunée ,
Que les Filsde Léda ramènent chaque année ,
Que j'aime à célébrer ton bienfaisant retour !
Sous ton astre brillant , Volnais reçut le jour ,
Nous te vimes alors sur ses aimables traces ,
T'embellir des attraits que te prêtaient les Grâces ;
Flore orna son berceau des plus nouvelles fleurs ,
Elle parfuma l'air de plus douces odeurs ,
Et l'Amour satisfait , oubliant son enfance ,
ΜΑΙ 1811 . 247
Abjura pour jamais sa frivole inconstance ;
Il voulut que les Dieux en fussent les témoins ,
Alajeune Placide il prodigua ses soins ,
Il quitta sans regret l'Olympe et l'Idalie ;
On vit à ses côtés Melpomène et Thalie ,
Qui , fières toutes deux d'accompagner l'Amour ,
Voulurent par leurs dons fêter un si beau jour .
En laissant sur Placide échapper un sourire ,
Melpomène luidit : « Règne dans mon Empire ,
> Sur la scène tragique affermis mon pouvoir ;
» Tu seras , à quinze ans ,mon plus charmant espoir
> Je remets en tes mains le destin de Zaïre (1 ) ,
> D'Orosmane jaloux fais plaindre le délire ;
➤ Sous tes traits séduisans qu'Iphigénie en pleurs (2) ,
> D'Achille menaçant appaise les fureurs ;
> Prête un accent plus noble à la fière Eriphile (3) ;
> Seconde les transports de la tendre Camille (4) ;
> De Vendôme irrité repousse les amours ,
> Et fais nous envier le destin de Nemours (5) ;
> Par un charme puissant triomphe de l'intrigue ,
> Calme enfin ta douleur en faveur de Rodrigue (6 ) .
> Mon sceptre , dans tes mains , reprendra sa splendeur ,
> Ton art désarmera le rigide censeur ,
› Tes regards brilleront d'une amoureuse flamme
› Qui saura révéler les secrets de ton ame.
› A ces dons j'unirai cet organe enchanteur
> Qui captive l'oreille et pénètre le coeur. »
> Et moi , dit à son tour la piquante Thalie ,
> Je la réclame aussi pour ma fille chérie ;
• De la timide Agnès l'innocente candeur (7) ,
> S'exprimant par sa bouche aura plus de douceur ;
> Pour tromper d'un jaloux la poursuite cruelle ,
(1) Rôle de Zaïre dans la tragédie de ce nom.
(2) Rôle d'Iphigénie dans Iphigénie en Aulide.
(3) Rôle d'Eriphile dans la même tragédie.
(4) Rôle de Sabine dans les Horaces.
(5) Rôle d'Adélaïde dans Adélaïde Duguesclin
(6) Rôle de Chimène dans le Cid.
(7) Rôle d'Agnès dans l'Ecole des Femmes.
248 MERCURE DE FRANCE ,
> Volnais nous offrira l'inquiète Isabelle (8) ;
> De son ame agitée on verra la frayeur
> Sur son front altéré combattant la pudeur ;
> D'un père malheureux dix- huit ans séparée ,
> Clémence en lui rendant une fille adorée (9) ,.
> Sur le sein paternel épanchant ses douleurs ,
> Charmera les regards , fera couler des pleurs.
> Pour calmer d'un bourru la fougueuse rudesse ,
> Elle aura de Sancerre et l'ame et la noblesse (10) .
> Je lui prédis enfin que ses attraits vainqueurs ,
> Joints à mille talens , subjugueront les coeurs. »
L'Amour applaudissant à ce brillant partage ,
Aux Filles de Mémoire offrit un doux hommage.
Il sourit , et soudain d'un vol audacieux ,
S'élança vers l'Olympe et rejoignit lesDieux.
DUSAUSOIR .
Vers à Mademoiselle VOLNAIS , dans unefête donnée le
jour de sa naissance , 4 de mai.
O vous que chérit Melpomène ,
En ce beau jour de fête étranger à la scène ,
Vous rassemblez chez vous dans un cercle charmant
Des amis que votre art , que votre grâce amène ,
Et de ce cercle heureux vous restez l'ornement.
Chaque coeur attendri soupire
Au souvenir des pleurs qu'il vous dut dans Zaïre ,
Et dans trente rôles divers ,
Où de brûlans transports vous joignez le délire
A ce rare talent de bien dire les vers .
La nombreuse assemblée avec goût est choisie z
Je crois revoir en vous la célèbre Aspasie
Qui reçoit d'Athène à grands frais
La foule des talens de sa gloire saisie ,
Et se passe de Périclès .
(8) Rôle d'Isabelle dans l'Ecole des Maris .
LE GOUVÉ .
(9) Rôle de Clémence dans la Femme Jalouse .
(10) Rôle de Madame de Sancerre dans l'Amant Bourru
MAI 1811 . 249
ENIGME .
AFIN de me faire connaitre ,
Lecteur , je viens de paraître
Déjà deux fois sous tes yeux :
Peut-être n'y vois- tu pas mieux.
J'accompagne l'être suprême ,
Les grâces et le diadême ;
Le trône aussi , J'erre dans la forêt ;
L'on me voit avec intérêt ,
En arrêt , en tête -à- tête ,
Avec une fille honnête ,
Avec un homme bénêt ,
Avec une femme bête .
Je me promène en bâteau ,
Sur le Rhône et sur le Pô :
Je poursuis l'acariâtre ,
Au gite , sur le théâtre ,
Et jusque dans son château. S ........
LOGOGRIPHE .
TANTÔT de bois , tantôt de pierre ,
Ce n'est jamais le long de la rivière
Qu'on me construit : avec mes quatre piés
On passe sans danger l'une de mes moitiés .
CHARADE .
MÉFIEZ-VOUS de mon premier ,
Il pourrait vous être contraire :
N'affectez pas de dire mon dernier ,
S ........
1
Ce qu'unjour l'homme abhorre , un autre peut lui plaire :
Crainte de rencontrer un terrible adversaire ,
Réfléchissez avant de faire mon entier ;
On ne sait pas à qui l'on peut avoir affaire .
S
........
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARADE
insérés dans le dernier Numéro .
Le mot de l'Enigme est Son ( sonitus. )
Celui du Logogriphe est Baromètre , dans lequel on trouve : or,
Rome , orme , ombre , ame , rame , arbre , mer , trombe , marbre, âtre,
barre , art , rat , tome , mètre , rate et ré.
Celui de la Charade est Troupeau.
SCIENCES ET ARTS.
INTRODUCTION A LA GÉOGRAPHIE MATHÉMATIQUE ET CRITIQUE
, ET A LA GÉOGRAPHIE PHYSIQUE , par S. F. LACROIX .
Nouvelle édition , revue et considérablement augmentée ,
ornée de cartes et de planches . Paris , chez J.-G. Dentu ,
imprimeur-libraire , rue du Pont-de- Lodi , nº 3. 1811 .
POUR bien apprécier le mérite d'un livre élémentaire ,
il faut d'abord se former une idée nette de la science
dont il traite ; puis voir si l'auteur a enchaîné les diverses
parties de cette science dans un ordre naturel , et s'il les
présente avec clarté . Cela , est , à la vérité , moins expéditif
que de juger le livre d'après la préface , et de
prononcer sur son mérite d'après les sentimens de bienveillance
ou de haine que l'on porte à l'auteur ; mais
quoique cette dernière méthode soit aujourd'hui plús
généralement adoptée , nous demandons la permission
de nous en écarter ; et en examinant l'ouvrage d'un
savant respectable nous tâcherons que l'on retrouve dans
notre analyse quelque empreinte de la réflexion et de la
méthode qu'il a mises à le composer.
Le premier objet de la géographie , c'est , comme le
nom même de cette science l'indique , de retracer , de
dessiner les configurations de la surface terrestre sur
des surfaces courbes ou sur des plans . Cette opération ,
qui, constitue la géographie mathématique , exige que
l'on sache déterminer avec exactitude la position respective
des points que l'on veut représenter , afin de
pouvoir ensuite les porter sur le dessin à leur véritable -
place. Pour parvenir à ce but , le seul moyen , généra–
lement applicable , consiste dans l'observation des phénomènes
célestes , qui , vus en même tems de différens
lieux , sous des aspects divers , déterminent , par ces différences
mêmes , celle des positions respectives des observateurs
. Un traité de géographie mathématique doit
MERCURE DE FRANCE , MAI 1811. 251
donccommencer par l'explication des principaux phénomènes
astronomiques , dont l'observation est nécessaire
à la géographie . C'est le parti qu'a suivi M. Lacroix , et
sans étendre cette exposition au-delà de ce qui était
nécessaire , sans vouloir faire un traité d'astronomie , il
adit tout ce qu'il fallait pour l'intelligence de ces phénomènes
et de leurs applications .
Les élémens de la représentation graphique étant ainsi
bien déterminés , il s'agit d'en faire usage. Or , on peut
se proposer de tracer cette représentation sur un globe ,
ou sur un plan. Dans ces deux cas , la méthode est différente
; aussi M. Lacroix les considère- t- il successivement.
Il commence par le tracé des globes ; il explique
la manière d'y dessiner les méridiens , l'équateur et les
parallèles . La surface du globe étant ainsi partagée en
carreaux , par les intersections de ces différens cercles ,
il ne reste plus qu'à porter chaque lieu dans le carreau
auquel il répond , suivant la position qui lui est assignée
par les observations astronomiques ; ensuite on unit par
des traits continus les points voisins des mèmes rivages , et
les côtes se trouvent dessinées ; on indique , par le même
moyen , les chaînes de montagnes , le cours des fleuves ;
onplace entre ces objets les villes remarquables , ou les
autres points principaux que l'on veut retracer , et l'on
forme ainsi une image exacte et complète de la surface
de la terre. 1
Cette représentation n'est pas simplement propre à satisfaire
la curiosité d'un moment ; en adaptant autour de
l'axe d'un globe des cercles mobiles , propres à représenter
par leur position ou leur mouvement les constructions
géométriques que les astronomes emploient pour
calculer les positions successives des astres , on peut
résoudre approximativement , et avec assez de facilité ,
plusieurs questions d'astronomie pratique , dont la solution
dans l'usage ordinaire n'exige pas une grande exactitude
. Ainsi , l'on peut déterminer l'heure qu'il est dans un
pays , à Pékin , par exemple , lorsqu'il est midi dans un
autre lieu , par exemple à Paris . On peut aussi trouver
à-peu-près les heures du lever et du coucher des astres
pour un lieu donné de la terre , etc. etc. M. Lacroix en
252 MERCURE DE FRANCE ,
seigne à résoudre ces diverses questions par le moyen
des globes , en insistant toutefois sur le peu d'exactitude
dont cette méthode est susceptible .
De là il passe à la seconde manière de représenter les
configurations de la surface terrestre , en les traçant sur
des cartes planes , soit en projection , soit en perspective.
Dans le tracé en perspective , le seul que l'on puisse
employer pour des cartes générales , on suppose que
l'observateur placé dans l'espace regarde lasurface terrestre
, et en dessine sur une carte les diverses configurations
. C'est réellement ce que les peintres appellent
un dessin d'après la bosse ; mais ce dessin peut s'exécuter
d'une manière rigoureuse et par des procédés géométriques
, car la position de l'observateur étant donnée ,
on peut déterminer géométriquement la perspective des
méridiens , de l'équateur et des parallèles. Les intersections
de ces courbes divisent le dessin en une multitude
de carreaux qui ont leurs analogues sur la surface terrestre
, comme nous l'avons dit en parlant des globes ; et
en portant dans chacun de ces carreaux les points qui
lui appartiennent , la carte se trouve naturellement tracée.
Ces portraits de la surface terrestre sont nécessairement
différens selon les points de vue desquels on l'envisage :
par cela même , les diverses cartes ont des propriétés
différentes qui les rendent plus ou moins propres à telle
ou telle application. Il en est , par exemple , dans lesquelles
les surfaces des petits carreaux conservent les
rapports de grandeur qu'elles ont sur la surface de la
terre ; d'autres ne jouissent point de cette propriété ,
mais en revanche elles permettent de trouver graphiquement
la distance itinéraire de deux points . Les premières
servent à représenter les rapports d'étendue des diverses
-contrées ; les autres sont utiles aux marins pour construire
le tracé de leurs routes , et en suivre la direction
avec exactitude . Ces diverses sortes de projections ont
été très- étudiées par les géomètres , et ont fourni le sujet
de plusieurs beaux Mémoires à MM. Euler et Lagrange.
Le détail mathématique de ces recherches profondes ne
saurait entrer dans un ouvrage élémentaires aussi M. La-
*
MAI 1811, 253
croix n'a pas dû s'y engager ; mais du moins il donne
tous les principes qui y conduisent. Il démontre , autant
qu'il est possible , d'une manière simple et rigoureuse ,
les propriétés les plus importantes de ces diverses sortes
de perspectives , et en donnant des notions claires et
suffisamment précises pour la généralité des lecteurs , il
offre encore une préparation très - utile à ceux qui voudraient
aller plus loin .
Dans tout ce que nous venons de dire , nous avons
fait abstraction des inégalités qui hérissent la surface de
la terre ; nous l'avons supposée parfaitement lisse ,
comme la surface d'une mer calme . En effet , la distance
horizontale des lieux est l'élément que l'on a le plus
souvent besoin de connaître ; mais cependant leur hau
teur au- dessus du niveau de la mer n'est pas non plus à
négliger , et il devient nécessaire d'y avoir égard pour
représenter complétement la forme de la surface terrestre
, sur-tout dans les détails topographiques . M. Lacroix
explique comment on peut déterminer ces différences
de niveau soit par des procédés géométriques ,
soit par les observations du baromètre , et il donne le
moyen de les rendre sensibles sur les cartes , soit par des
coupes ou profils du terrain pris en différens sens , soit
en traçant sur la carte même les sinuosités des lignes de
niveau , suivant la méthode ingénieuse imaginée par
M. Ducarla , méthode dont on a fait depuis une application
très-avantageuse dans le tracé de plusieurs projets
de fortification .
Ici se termine la Géographie mathématique ; mais il
ne suffit pas de savoir comment on construit des cartes ,
il faut encore savoir s'en servir , c'est-à- dire , reconnaître
sur le dessin quelles vous présentent , la forme et
les sinuosités du terrain , les plateaux élevés , les vallées
profondes ; enfin il faut classer ces accidens sous des
rapports assez généraux pour pouvoir les fixer dans la
mémoire . Rien de plus utile pour cet objet que l'observation
des cours d'eau , soit principaux , soit secondaires ,
qui par leurs directions et leurs sinuosités , indiquent de
la manière la plus frappante et la plus sûre la pente des
terres sur lesquelles ils s'étendent. Cette méthode déjà
254 MERCURE DE FRANCE ,
employée avec succès dans plusieurs projets de travaux
publics , se trouve ici expliquée d'une manière générale
et appropriée à l'enseignement élémentaire. Après avoir
indiqué les grandes divisions de la surface terrestre ,
comme les mers , les continens , les îles , etc. M. Lacroix
indique cette méthode pour le détail topographique des
contrées ; puis joignant l'exemple au précepte , il en fait
l'application à la description géographique du bassin de
la Seine .
Après avoir appris à tracer les cartes géographiques ,
et à reconnaître par l'inspection de ces cartes les principaux
accidens du terrain qu'elles représentent , il est
nécessaire d'avoir une idée générale des grands phénomènes
physiques propres aux divers climats ; par exemple
, de la nature de leur sol , de sa hauteur , de sa température
, de l'aspect général de ses productions . Il faut
encore connaître , au moins d'une manière générale ,
les mouvemens périodiques de la mer , ses courans réglés
ou variables , et l'existence des vents périodiques si utiles
à la navigation. L'indication de ces circonstances principales
compose ce que l'on appelle la Géographie physique
. M. Lacroix les expose avec précision , avec exactitude
, en leurdonnantl'étendue convenable , sans oublier
qu'un livre de géographie n'est pas un traité d'histoire
naturelle . Enfin , pour que l'on puisse mieux saisir et
appliquer ces considérations générales , il offre à ses
lecteurs deux cartes très-bien exécutées par M. Lapie ,
dont l'une représente l'ancien , l'autre le nouveau continent
. Ces cartes sont différentes des cartes ordinaires
par le choix du point de vue qui est pris de manière à
ne pas morceler ces deux grandes divisions de la surface
terrestre . C'est par leur explication que M. Lacroix termine
son intéressant ouvrage .
Maintenant je suppose que cette introduction à la géographie
physique et mathématique eût été écrite il y a
deux mille ans ; il est clair qu'il n'y aurait rien à y
changer ; il faudrait seulement y ajouter la description
des pays nouvellement découverts par la navigation. C'est
ainsi que la géographie de Ptolémée subsisterait encore
aujourd'hui , si l'exactitude des positions rapportées par
ΜΑῚ 1811 . 255
:
cet astronome avait répondu à la justesse des procédés
qu'il avait imaginés pour représenter la surface de la
terre , procédés qui sont encore les mêmes dont nous
nous servons aujourd'hui . Cet exemple prouve incontestablement
que la seule manière durable d'écrire et d'étudier
la géographie , c'est de s'attacher à la détermination
précise et mathématique des points principaux du globe;
de lier ces points entr'eux par les grandes divisions naturelles
qu'indiquent la forme des mers , le cours des
fleuves et la nature du climat ; 'd'étudier ensuite dans
chacune de ces grandes divisions les phénomènes généraux
de la nature physique ; d'observer les modifications
que l'homme y a faites par son travail , et celles qu'il en
areçues dans ses habitudes , ses institutions et ses moeurs .
Tout le reste change avec le tems . Les divisions artificielles
établies par la politique varient avec les événemens :
la population s'accroît ou diminue selon que les circonstances
politiques lui sont favorables ou contraires ; des
terres autrefois désertes sont maintenant fécondées par
l'industrie de l'homme , et des contrées jadis florissantes
sont devenues des déserts inhabités . Le détail présent
de tous ces accidens politiques ne peut donc être le
sujet que d'une description mobile et passagère qui ne
saurait constituer une véritable science. Dans ce genre ,
comme dans celui des almanachs , l'ouvrage le plus nouveau
est toujours le meilleur , pourvu qu'il soit fait avec
exactitude ; mais par cela même il était à désirer que la
partie stable et solide de la géographie fût établie d'une
manière durable ; elle l'est sans doute dans cette nouvelle
édition de l'ouvrage que M. Lacroix vient de publier.
Cette utile entreprise ne pouvait être mieux exécutée que
parun savant respectable qui a déjà rendu de si grands
services à l'instruction publique , et dont les ouvrages
élémentaires répandus dans toutes les classes de l'enseignement
, ont formé un si grand nombre d'élèves , qui
s'honorent d'avoir eu leur auteur pour maître .
BIOT.
LITTÉRATURE ET BEAUX-ARTS .
RÉPERTOIRE DE BIBLIOGRAPHIES SPÉCIALES , CURIEUSES ET
INSTRUCTIVES , par M. GABRIEL PEIGNOT , principal du
Collége de Vesoul , bibliothécaire de la ville et du
département , membre de l'Académie Celtique de
Paris , de l'Académie de Besançon , de la Société
libre d'émulation du Haut- Rhin , et de la Société
d'Agriculture , Sciences et Arts de la Haute-Saone.-
Un vol . in- 8 ° . Prix , 5 fr . - A Paris , chez Renouard ,
libraire , rue Saint - André- des - Arcs , nº 55 ; Allais ,
libraire , rue de Savoie , nº 12 .
JE vais , comme j'ai promis de le faire ( 1 ) , m'étendre
sur les ANA dont M. Peignot a parlé . Je n'ai pas besoin
d'observer que je ne rapporterai pas même les titres de
ceux sur lesquels je n'ai aucune note à donner .
- ALBUCONIANA . Ce recueil , dit M. Peignot , se trouve
à la suite de la seconde édition de l'ouvrage ayant pour
titre Modèle d'un nouveau ressort d'économie politique,
» ou projet d'une nouvelle espece de banque qu'on pour
nrait nommer Banque rurale . Paris , 1789 , in - 12 .
:
M. Barbier (2 ) s'explique autrement ; voici son texte :
« Modele d'un nouveau ressort , etc. ( par le vicomte d'Aubusson
) , 1789 , avec différens morceaux du même au-
» teur, sur l'économie politique , auxquels IL donna le titre
d'ALBUCONIANA . ”

L'auteur , en effet , n'a pas intitulé ces différens morceaux
ALBUCONIANA ; mais , dans la conversation , il
les désignait ainsi . Il a même fait relier des exemplaires
sur le dos desquels on lit : ALBUCONIANA. Je possède un
de ces exemplaires que j'ai acheté sur l'étiquette du sac :
je crus pendant long-tems n'avoir qu'un exemplaire dé
fectueux ; mais enfin j'ai mais enfin j'ai eu l'explication que je viens de
donner .
( 1 ) Mercure du 16 mars 1811 .
(2) Dictionnaire des ouvrages anonymes et pseudonymes , nº 4584.
EINE
MERCURE DE FRANCE , MΑΙ 1811 . 257
ANA ( Allainvalliana ) ou Bigarrures calotines .
► Paris , de Heuqueville , 1730-32 , 4 parties en un volup
in-12.
DE L
Chaque partie a sa pagination particulière. Los dear
premières parties sontde 1732; les deux dernières de 1734
M. Adry a donné un article très-curieux sur cet ouvrage
dans le Magasin encyclopédique , VI année , tome H
page 51 .
cen
ARNALDIANA et QUESNELLIANA , manuscrit.
Je crois que M. Peignot pouvait de dispenser de parler
des manuscrits; mais , puisqu'il ne les a pas dédaignés ,
aurait dû ne pas passer sous silence ; 1º LANTINIANA, qui
estun recueil manuscrit (3) des bons mots , pensées ingénieuses
de M. Lantin , composé par M. Legoux , conseiller
an parlement de Dijon ; 2º BIGNONIANA, dont Issali et
l'abbé Gaudon (4) avaient chacun un manuscrit , et dont
il est question dans l'avertissement du Ménagiana de 1693 ;
3º GROOTIANA , dont Guy-Patin (5) possédait une copie ;
4º BOURDELOTIANA , mentionné dans l'avertissement du
Menagiana de 1715 : j'en ai vu le manuscrit à la Bibliothèque
impériale ; 5º MONTANIANA ; 6º MONTESQUIANA .
Ces deux derniers ANA font partie de l'Histoire littéraire
de Guyenne par M. Bernadau (6) . Un vol . in-4°; etc. , etc.
-BALOURDISIANA ( ou Aneries révolutionnaires ) , Beti
siana, anecdotes de nos jours , recueillies et publiées par
» Cap ... ( Capelle ). Paris , 1801 , 1 vol . in-18 . »
Voici le titre exact de cette brochure : Aneries révolutionnaires
, ou Balourdisiana , Betisiana , etc. , etc. , etc. ,
anecdotes de nos jours , recueillies et publiées par Cap ...l.
Paris , chez Capelle , etc. , an IX , in- 18 de 144 pages , avec
tette épigraphe :
Puissent- elles vous faire rire autant qu'elles ont fait pleurer !
(3) Bibliothèque des auteurs de Bourgogne , I, 384 : il est aussi
question du Lantiniana dans les Mélanges historiques et philologiques
de Michault , 1754 ou 1770 ( c'est la même édition ) , I , 95 .
(4) Menagiana , 1715 , II , 90.
(5) Lettres choisies de feu M. Guy-Patin : Post-scriptum de la
lettre du 25 novembre 1659 , nº 156 de l'édition de 1707 , 1 , 409.
(6) Cette Histoire littéraire , annoncée dès 1787 , réannoncée en
1789 , et encore en 1798 , et enfin en 1799 , sous le titre de Panthéon
Aquitaine , n'a pas encore paru , ou du moins n'est pas venue à ma
connaissance , malgré toutes les recherches que j'ai faites.
R
258 MERCURE DE FRANCE ,
Ainsi que le dit M. Peignot , l'auteur est M. Capelle (7 )
qui a donné une deuxième édition de ce petit volume , en
1807 , mais sous la fausse date de l'an X. Cette deuxième
édition a 216 pages . L'avertissement de la seconde édition
est tout autre que l'avertissement de la première .
BIEVRIANA. M. Peignot n'en cite que deux éditions .
Une troisième a été publiée en l'an IX.
- BOLEANA. Outre le Boloana de Delosme de Monchesnay
, 1742 , in- 12 , dont parle M. Peignot , on trouve
un Boloeana ou Pensées diverses de M. Boileau Despréaux,
par Brossette , dans le tome III des Lettres familières de
MM. Boileau Despréaux et Brossette , publiées par Cizéron-
Rival , Lyon , 1770 , 3 vol . petit in -12.
BONAPARTIANA .
-
Cet ANA a été traduit en italien , Milan
, 1801 , in- 12 . Il y en avait un exemplaire dans la bibliothèque
de M. Tourneysen (8) .
CARPENTARIANA , Paris , 1724 , et Amsterdam , 1741 ,
in - 12 . C'est la même édition .
CHAMPFORTIANA. Paris , 1800 , in - 12 ; seconde édition ,
1802 , in- 12 .
Cet ANA avait déjà été imprimé dans l'édition des Euvres
de Chamfort , donnée par M. Ginguené . Paris , an III,
4 vol . in-8°. (9) .
CORDELIANA . -
Nous ne connaissons , dit M. Pei-
" gnet , cet ANA que par le titre. »
Voici ce que dit de cet ouvrage l'auteur du Revolutioniana.
« C'est une espèce de poëme divisé en six livres , et
rimé comme le Tremblement de terre de Lisbonne , par
» M. André . "
"
ENS ( Gasparis ) epidoridum libri duo . Coloniæ , 1619 ,
in- 12.

Quoique , dit M. Peignot , cet ouvrage ne porte pas le
» titre d'ANA , c'en est un véritable , etc. " "
Je crois que M. Peignot aurait dû n'admettre dans sa
notice que les ANA.
(7) M. Capelle vient de publier an Dictionnaire de morale , de
science et de littérature. M. Salgues en a rendu compte dans ce
journal (16 mars) .
(8) Voyez son Catalogue , nº 1060.
(9 ) A Paris , chez D. Colas , imprimeur -libraire , rue du Vieux-
Colombier , nº 26 , faubourg Saint- Germain. Prix , 12 fr. , et 17 fr.
franc de port.
ΜΑΙ 1811 . 259
FONTENELLIANA , etc., par C.... d'Aval ...- (M. Cousin
d'Avalon ). Paris , 1801 , in- 18 . Ledit ( 10) Cousin n'a pas eu
besoin de feuilleter beaucoup de volumes pour donner le
sien; car on trouve un Fontenelliana dans l'Almanach
littéraire ou les étrennes d'Apollon de 1777 .
LONGUERUANA , 1754. - Il y a deux éditions sous cette
date ; l'une , que je crois l'originale , est en deux parties ,
et porte le millésime en chiffres arabes ; l'autre en un seul
volume porte le millésime en chiffres romains. M. Peignot
dit qu'ily a eu plusieurs passages retranchés par ordre du
ministre. J'en puis indiquer un .
M. de G..... disait les plus plaisantes choses du monde.
> Un jour qu'on racontait que le roi avait envoyé à Rome
> quérir des antiques , il dit en colère : Eh ! pourquoi n'en
>>faisons-nous pas ici ? nous avons tant d'habiles ouvriers !
» Une autrefois un ambassadeur de Venise ayant dit que
• leur gouvernement était une aristocratie , il demanda
> chez un de ses amis où il était , une carte d'Italie ; et
> après avoir cherché long-tems , il se mit à pester contre
» l'auteur qui avait oublié la capitale de l'état de Venise."
Voilà ce qu'on lit dans toutes les éditions. Voici la suite
qui a été retranchée .
Cethomme-là ne laissait pas d'être agréable à Louis XIV
qui aimait les esprits subalternes. C'était son goût ; il
- n'avait pas à craindre la supériorité de celui-là , ni à ap-
> pliquer son bon mot : Je crains les esprits.n
Ces deux phrases ont été remplacées par l'article suivant :
«Le vicomté de Beaumont , terre des anciens vicomtes
» du Maine , est en partie au Maine , et partie en Anjou :
> elle a été érigée en duché , dont Henri IV a porté le titre
» de duc , du vivant de son grand-père maternel , Henri ,
roi de Navarre.n
On a imprimé ou réimprimé , il y a une vingtaine d'années
, les Opuscules fugitives ( de l'abbé de Longuerue )
sur l'autorité et le pouvoir des ecclésiastiques propres pour
pouvoir porter un jugement droit sur les réformesfaites
ou àfaire dans le clergé. Londres , 1787 , 2 vol. in-12 . Le
second volume contient le Longueruana rangé par ordre
de matières .
On trouve dans l'Année littéraire , 1756, tome IV , une
lettre critique sur le Longueruana.
LUDOVICIANA . - En voici le titre : Ludoviciana , qu
(10) Voyez le Journal de l'Empire du 16juillet 1810.
R
260 MERCURE DE FRANCE ,
Recueil d'anecdotes , traits historiques et réponses de
Louis XVI, précédé d'un sommaire sur les principaux
événemens de sa vie , par L. C.....fils . Paris , Pillot , an
IX- 1801 , in- 18 de 126 rages , avec la gravure si connue
de l'urne ombragée d'un saule pleureur ; il existe aussi des
exemplaires avec un beau portrait de Louis XVI .
Par une circonstance particulière cet ANA est devenu
rare ; et M. Peignot a été obligé de s'en rapporter aux renseignemens
qu'on lui avait donnés .
MAINTENONIANA ( par Belin de Ballu ) , 1773 , in -8 ° .
C'est probablement, d'après M. Barbier ( 11 ) , que M. Peignot
attribue cet ouvrage à M. Belin de Ballu ; mais M. Barbier
, dans le discours préliminaire de son Dictionnaire des
ouvrages anonymes etpseudonymes ( 12) , invite à préférer
les indications qu'il donne dans son Dictionnaire à celles
qu'il avait données dans son Catalogue des livres de la
Bibliothèque du Conseil d'Etat. Or il n'est fait aucune
mention du Maintenoniana dans le Dictionnaire . Au surplus
, M. Barbier , sans pouvoir me nommer l'auteur du
Maintenoniana , m'a dit qu'il était sûr que ce n'était pas
Belin de Ballu .
MAUPEOUANA , etc. , 1775 , 2 vol . in- 12 .
Lisez , 1773 , deux volumes , ou plutôt deux parties in - 12 .
Il existe aussi un Maupeouana , ou Recueil complet des
écrits patriotiques publiés pendant le règne du chancelier
Maupeou , pour démontrer l'absurdité du despotisme qu'il
voulait établir , et pour maintenir dans toute sa splendeur
la monarchie française ; ouvrage qui peut servir à l'histoire
du siècle de Louis XV , pendant les années 1770 ,
1771 , 1772 , 1773 et 1774. A Paris ; avec l'approbation
unanime des bons et fidèles sujets de S. M. Louis XVI;
1775 , cinq volumes in-8°.
On a réimprimé dans ces cinq volumes le Maupeouana
de 1773 , et on y a joint beaucoup d'autres pièces .
MENAGIANA , etc.
Parmi les éditions que M. Peignot cite , il en est plusieurs
que je ne connais pas ( celles de 1719 , 1739 , 1754 ) ; ce
n'est pas dire qu'elles n'existent point ; en revanche , j'en
ai vu une de 1729 , 4 vol . in - 12.
(11) Catalogue des livres de la Bibliothèque du Conseil- d'Etat ,
n° 5762.
(12) Tome I , page lxij .
ΜΑΙ 1811 . 261
L'édition de 1715 , comme le dit M. Peignot , est la
plus estimée ; mais il est bon d'avoir aussi celle de 1693 ,
parce que , ainsi qu'il le remarque , c'est sur elle seule que
porte l'Antiménagiana.
M. Peignot annonce une édition du MÉNAGIANA , Amsterdam
, 1716 , 4 vol. in- 12 , et dit en avoir vu annoncer quelque
part une édition , aussi d'Amsterdam , 1715 , 4 vol .
in-18: je dois ici donner quelques explications .
Le succès de la 1ª édition du Ménagiana ( 1693 , un vol .)
et de la seconde (1694 , 2 vol . in-12 ), engageades libraires
de Hollande à le réimprimer; et en effet , il parut en 1713 ,
à Amsterdam , chez Pierre de Coup , deux volumes petit
in- 12 , sous le titre de : Ménagiana, ou bons Mots , rencontres
agréables , pensées judicieuses , et observation's
curieuses de M. Ménage ; troisième édition augmentée.
L'éditeur y ajouta l'Eloge du Ménagiana , par Bayle ,
une Table des Matières à la fin de chaque volume , etc.
Lamonnoye publia en 1715 son édition qu'il appela troisième
édition ( ne comptant pas celle de Hollande. ) An
moyen des additions faites par Lamonnoye , son édition ,
ainsi que le titre l'annonce , se trouva plus ample de moitié
que les précédentes . Elle forme en effet quatre vol. in- 12 .
Des hommes graves ayant examiné les additions , ycondamnèrent
divers endroits , dit Sallengre (13) ; l'éditeur fit
donc des cartons pour être substitués aux articles ou
passages déclarés licencieux par ses censeurs . Les feuillets
changés par suite de ces cartons sont au nombre de 37 ;
savoir, 16 dans le premier volume , et 7 dans chacun des
trois autres .
Il y a donc trois sortes d'exemplaires du Ménagiana , de
1715 (14) , 1º ceux avec la version première , avant la censure;
2º ceux avec la seconde version , c'est-à- dire les
passages substitués ; 3º ceux avec les deux versions . Ces
derniers exemplaires sont les plus précieux et doivent être
les plus recherchés . Cependant les exemplaires qui n'ont
que la première version ne sont point à dédaigner , parce
que , dans les Mémoires de littérature de Sallengre , on
(13) Mémoires de littérature , Lahaye , 1715-17 , tome I , seconde
partie , page 228. Il est bon de remarquer que Lamonnoye a eu part
aux Mémoires de littérature .
"
(14) Cette remarque s'applique à tous les ouvrages pour lesquels
on afait des cartons .
262 MERCURE DE FRANCE ,
trouve ( tome I , seconde partie , pages 228-275 ) l'indice
expurgatoire du Ménagiana ; et c'est précisément la seconde
version que Sallengre a donnée . Il propose en outre
quelques additions et corrections (15) . Je remarquerai que
dans l'indice expurgatoire du Ménagiana ily a deux fausses
indications . Il serait trop long de les indiquer ici .
A l'apparition de l'édition de Lamonnoye , les libraires
de Hollande s'empressèrent de relever les additions qu'il
avait faites et fondues dans le Menagiana , et ils les donnèrent,
en 1716 , sous le titre de Ménagiana , etc. , etc. tome
troisième et tome quatrième. Ils ont suivi la première
version , de sorte que ( pour tous les passages supprimés du
moins ) cette édition est aussi bonne que celle de Paris
1715. Elle offre même l'avantage de distinguer sur-le
champ le travail de Lamonnoye. Elle a deux inconvéniens ;
1º il n'y a point de table générale , mais une table pour le
premier volume , une pour le second , une pour les deux
derniers ; 2º l'indice eexrppuurgatoire donné par Sallengre
citant les pages de l'édition de Paris 1715 , il est fatigant
de faire le rapprochement sur l'édition de Hollande , à laquelle
cependant cet indice expurgatoire peut aussi servir
de supplément.
L'édition d'Amsterdam est donc de 1713-1716 , 4 vol.
petit in- 12. Il y a peut-être des exemplaires portant la date
de 1715 ; mais ici je parle de ce que j'ai vu. Quant à l'édition
en 4 vol. in-18 , il n'y a point de doute qu'elle n'existe
pas ; un libraire peut , dans un catalogue , avoir annoncé
comme in- 18 cette édition dont le format est réellement
petit in- 12. Le crime n'est pas grand .
Je remarquerai , au surplus , que M. Peignot n'a pas
commis cette faute. Il se contente de dire : J'ai vu
> annoncer quelque part une édition du Ménagiana , Ams-
> terdam , 1715 , 4 vol. in- 18. Il est loin, comme on
voit , de se rendre garant du fait.
REVOLUTIANA , etc .; par Philana .
Le titre est RÉVOLUTIONIANA. Philana n'est autre que
M. Déville , auteur du Biévriana. Dans l'avant propos du
Révolutioniana on trouve une nomenclature incomplète et
souvent inexacte des ANA. Il y a quelques renseignemens
curieux et dont j'ai profité ; mmais ayant trouvé fréquemment
l'auteur en défaut , je n'ai pas parlé de plusieurs ANA
qu'il cite ( MARTINIANA , 1606 , in - 12 ; FUSTEMBERGIANA ,
(15) Voyez la note 12.
ΜΑΙ 1811 . 263
1684 , in- 12 ; BRUMMERIANA , 1712 , in-8° ; GEORGIANA ,
1725 , in-8° ; SEELELENIANA , 1728 , in-8° ; VErelliana ,
1730 , in - 12 ; MANLOVERIANA , 1762 , in - 12 ; et PALINGENIANA
, an X , in- 18 ; DAUMIANA , ANCILLONIANA , MOYERIANA
, WIGANDIANA , SALONIANA , RAPSODIANA ) et dont
quelques-uns n'existent pas .
Il paraît que M. Peignot n'a pas eu à sa disposition un
Revolutioniana . Si , à Paris même , on ne peut pas toujours
se procurer tous les livres dont on a besoin , que doit- ce
être dans les départemens ?
SANTEUILLIANA. - M. Peignot cite les éditions données
en 1738 , un vol . in - 12 , et 1742 , deux tomes en un volume
in-12 , sous le titre de Vie et bons mots de Santeuil. J'en
possède un exemplaire sous ce dernier titre , 1735 , 2 tomes
en un volume in- 12 .
SCALIGERANA . - On trouve des détails sur cet ANA dans
les lettres de Guy Patin ( 16) .
SEGRAISIANA.— Il fait aussi partie des OEuvres diverses
de M. de Segrais , Amsterdam , 1723 , petit in-8° , et Paris ,
1755 , 2 vol . petit in- 12 .
SCHURTZFLEISCHIANA , etc. , 1729 , in -8° .
Dans l'avant-propos du Révolutioniana , il est question
d'une édition donnée par Théod . Crusius , 1711 , in-8° .
TAUBMANNIANA, 1703 , in-8° , 1728 , in- 12 .
« Ce recueil est presque tout allemand , dit M. Peignot,
et cela est vrai . Il existe dans la même langue le Gundlingiana,
Magdebourg , 1715, 9 vol . in - 12 . A l'instar des jurisconsultes
du 12 ° siècle , je dirai Germanicum est, non
potest legi. Voici au reste le titre latin donné à cet ana
dans le catalogue de la bibliothèque du roi ( 17 ) : Gundlingiana
, sive miscellanea jurisprudentiæ , philosophia , historia
critica , lilleraturæ , etc. NIC. HIER. GUNDLINGII ,
Germanicè . Magdeburgi,, 1715 , in- 12 , 9 vol.
M. Peignot ne parle d'aucun ana italien , d'aucun ana
espagnol . En existe- il dans ces langues ? J'ai vu , quelque
part , annoncer un Coryciana , Rome , 1524 , in- 4°. On
m'a dit que c'était un recueil de dissertations italiennes
sur différentes matières et de différens auteurs . Ce livre
doit-il être compté parmi les ana ? c'est aux doctes à prononcer
.
(16) Lettres choisies de feu M. Guy Patin , nos 428 , et 431 de
l'édition déjà citée . tome III , pages 203 et 206.
(17) Z , 1854 , in-12.
264 MERCURE DE FRANCE ,
Voilà tout ce que j'ai à dire sur le Répertoire des Bibliographies
spéciales ; et je n'ai pas la prétention d'apprendre
quelque chose à M. Peignot Il est impossible de faire un
ouvrage bibliographique qui soit sans faute : malgré la plus
sévère attention , il en échappe toujours ; et , sans aller
chercher un exemple bien loin , dans le premier article sur
l'ouvrage de M. Peignot , j'ai eu tort de reprocher à l'auteur
l'omission de l'ouvrage de Gravina. M. Peignot
parle , il est vrai , de ce livre , non sous le véritable nom de
l'auteur , mais sous le faux nom de Priscus Censorinus
qu'il avait pris : mes torts sont plus grands que les siens .
Onne connaît pas assez les difficultés que présentent
l'histoire littéraire et la bibliographie à ceux qui les cultivent
. Les travaux de ce genre sont pénibles , minutieux,
sans éclat , sans gloire , sans profit aujourd'hui . Ils sont
cependant utiles . On ne peut refuser cette qualité au Répertoire
de bibliographies spéciales . On doit tenir compte
à M. Peignot des veilles nombreuses des recherches
immenses qu'a dû lui coûter cet ouvrage; et si j'ai consacré
quelques lignes à le critiquer , il me faudrait dix fois plus
d'espace pour indiquer ce qui mérite d'être loué.
d
,
A. J. Q. BEUCHOT.
IMPRUDENCE ET REPENTIR .
NOUVELLE IMITÉE DE L'ANGLAIS .
GEORGINE ayant perdu ses parens dès sa plus tendre
enfance , fut mise sous la tutelle de sir Herbert Melmoth ,
l'ami intime de son père . Sir Herbert était veuf et n'avait
qu'un fils . Son coeur , naturellement tendre et aimant ,
adopta la jeune orpheline ; la regarda comme sa fille .
Sa tendresse , véritablement paternelle , ne mettait aucune
différence entre elle et son fils Edouard . Il voulut
qu'ils fussent élevés ensemble sous ses yeux , qu'ils
eussent les mêmes maîtres , qu'ils se livrassent à-peuprès
aux mêmes études , et c'était avec un plaisir infini
qu'il voyait l'affection que ces deux enfans avaient l'un
pour l'autre s'augmenter tous les jours . Georgine , il est
vrai , n'avait qu'une fortune très - médiocre : la mère
d'Edouard , en mourant , avait laissé à son fils de grands
biens , et ceux qu'il devait espérer de sir Herbert étaient
aussi considérables ; mais une telle disproportion dans les
ΜΑΙ 1811 . 265
fortunes n'empêchait pas cet excellent père de souhaiter
que son fils s'attachât sincérement à Georgine . Il admirait
en elle une raison , une prudence au-dessus de son
âge , une bonté parfaite , une douceur extrême ; et le
bonheur dont il pensait que son fils devait jouir avec une
femme si accomplie , fesait disparaître à ses yeux toute
autre considération .
Edouard déclara de très-bonne heure , à son père , qu'il
voulait épouser sa petite amie aussitôt qu'il serait en âge de
se marier , et sir Herbert ne négligea rien pour l'affermir
dans cette résolution; mais il fallait , pour terminer son
éducation , qu'Edouard visitât les plus belles contrées de
l'Europe , et les villes les plus remarquables de cette partie
du monde. Sir Herbert lui ordonna donc de commencer
ses voyages qui devaient durer cinq ans. Il lui permit
d'écrire à Georgine aussi souvent qu'il le voudrait , et lui
promit de la lui donner en mariage à son retour , s'il continuait
, par sa bonne conduite , à se rendre digne de
posséder un si précieux trésor.
,
Edouard partit , et sir Herbert , pour donner à sa pupille
un peu de distraction , luipprrooppoossaadefaire unvoyagedans
le Pembrockeshire . J'ai , lui dit-il , dans cette province
la terre de Swan dont le château est assez logeable ; nous
serons près de Saint-David , où habite votre petite cousine
Hélène avec mistriss Werdith votre bonne tante. Nous
irons les voir : nous leur porterons les bagatelles les plus
àla mode , et cela fera plaisir à votre cousine. Elle est
dans l'âge où l'on aime la parure , et sa fortune , je crois ,
ne lui permet pas d'en avoir beaucoup .
Georgine eut bientôt fait ses préparatifs ; mais avant de
se mettre en route , sir Herbert la conduisit dans les boutiques
les plus renommées de Londres , pour y choisir les
objets qu'elle imaginerait pouvoir être les plus agréables à
mistriss Werdith et à sa nièce. Georgine mettait de la discrétion
dans ses emplettes ; mais sir Herbert prétendit que
des présens offerts par sa chère Georgine ne pouvaient pas
être trop beaux , et il l'obligea à prendre tout ce qu'il y
avait de plus élégant et de plus magnifique .
Ils arrivèrent au château de Swan, et dès le lendemain
Georgine demanda à aller voir sa tante . Sir Herbert la conduisit
à Saint-David , et la voiture s'arrêta devant la modeste
habitation de mistriss Werdith . Hélène était vêtue d'une
robe blanche fort simple; mais ses beaux cheveux blonds
étaient relevés sur sa tête etbouclés avec un art qui décélait
266 MERCURE DE FRANCE ,
le soin excessif qu'elle avait mis à les arranger. Georgine
s'empressa de déployer les présens qu'elle avait apportés ,
et sa cousine ne dissimula rien de la joie que lui causait
cette vue. Elle remercia Georgine avec transport , l'embrassa
mille fois , et tournant ses grands yeux bleus sur sir Herbert
, elle lui exprima par ses regards son ravissement et
sa reconnaissance .
Elle disparut un moment , se para de tout ce qu'elle
venait de recevoirde plus beau , revint d'un air triomphant,
et se plaça vis-à-vis de sir Herbert qui ne pouvait se lasser
d'admirer la fraîcheur brillante de son teint , l'élégance , la
souplesse de sa taille , et sur-tout la grâce qui régnait dans
tous ses mouvemens . On se mit à table : Hélène s'assit
près de sir Herbert , le combla de témoignages d'attention ,
et divertit par la vivacité de ses saillies la petite société que
mistriss Werdith avait réunie pour rendre sa maison plus
agréable à ses hôtes .
Avant de partir , Georgine obtint de sa tante la permission
d'emmener Hélène et de la garder tout le tems qu'elle
passerait elle-même à la campagne. Le lendemain de son
retour à Swan, sir Herbert fut très-surpris , en parcourant
ses bosquets , d'y trouver Hélène toute en larmes. Il lui demanda
la cause de son chagrin avec l'air du plus tendre intérêt,
et elle lui confia qu'elle faisait sur sa position des
réflexions fort tristes .
,
Son père , ayant par son inconduite dérangé ses affaires,
était passé en Amérique dans l'espérance de les rétablir;
mais il y était mort peu de mois après son arrivée , et son
épouse , qui ne lui avait pas survécu long-tems , avait laissé
Hélène absolument sans fortune. Quoique mistriss Werdith
ne fût point riche , qu'elle eût même beaucoup de peine à
soutenir ses deux fils au service , elle avait recueilli Hélène
et la traitait avec autant de bonté et de tendresse que si elle
eût été sa fille .
Hélène pleurait : sir Herbert ne put ontendre le récit de
ses malheurs sans être attendri. N'ayant pas le courage de
résister au désir qu'il éprouvait de tarir pour jamais les
larmes de cette charmante personne en partageant avec elle
toute sa fortune , il lui offrit sa main qu'Hélène accepta
sur-le-champ . Ainsi le bon , le sensible sir Herbert , avec
une chevelure que le tems avait entiérement blanchie
conduisit à l'autel une jeune beauté de dix-sept ans , dont
il n'avait pas cherché à approfondir le caractère , dont il
n'avait pas même songé à connaître les goûts...
,
ΜΑΙ 1811 .
267
Dès qu'Hélène fut mariée, le désir de voir Londres et
dejouir des plaisirs bruyans dont cette ville est le théâtre ,
l'engagea à presser son époux de quitter la campagne. Sa
maison devint bientôt le rendez-vous de tout ce que Londreset
la cour avaient de plus brillant , et dans cette élégante,
maisdangereuse société, Hélène se livra sans réserve
à son goût pour la dissipation .
Une foule d'adorateurs se pressaient autour d'elle . Elle
recevait leurs hommages; mais si elle paraissaity attacher
quelque prix , ce n'était pas précisément qu'elle méprisât
ses devoirs , elle trouvait seulement un plaisir extrême à
jouirdu dépit que ses nombreux triomphes inspiraient aux
autres femmes , et elle prétendait qu'il était très-possible ,
sans se rendre coupable , de jouer avec la coquetterie et
de badiner avec les amours .
Hélène avait aussi un grand nombre d'amies qui lui faisaient
beaucoup valoir la complaisance avec laquelle elles
voulaient bien partager lesplaisirs dont Hélène faisait tous
les frais , et qui disposaient plus qu'elle-même de ses chevaux
, de ses gens , de toute sa maison.
Quatre ans se passèrent ainsi ; mais quoique la fortune
de sir Herbert fût très-considérable , elle avait des bornes .
Il représentait quelquefois à sa femme qu'elle dépensait
en trois mois le revenu de toute l'année ; mais Hélène pleurait
, et sir Herbert avait recours aussitôt pour la consoler
à un spécifique dont le succès était toujours certain : il lui
donnait beaucoup d'argent.
àde
Tous les matins on voyait ce malheureux vieillard courir
à pied les rues de Londres , avec son parapluie sous le
bras , car ses chevaux n'étaient jamais à ses ordres : les
aimables amies de milady en avaient toujours le plus pressant
besoin. In allait ainsi , pour satisfaire les caprices de
sa femme , chez tous les usuriers , cherchant à emprunter
des sommes considérables , gros intérêts.
Georgine accompagnait lady Melmoth dans ses parties
de plaisirs , sans partager son ivresse. Y pensez-vous ,
ma chère cousine? Ini disait-elle souvent , vous avez un
> mari qui n'a d'autre défaut que son extrême faiblesse
» pour vous , et vous ne frémissez pas en pensant que vous
» le réduirez dans sa vieillesse à la plus affreuse misère !
» Etvos pauvres petits enfans , dont vous ne vous occupez
>>jamais , quel sort leur préparez-vous ! Rentrez en vous-
> même , ma chère Hélène. Abandonnez des amies qui
> vous ruinent, et des adorateurs qui vous enleveraient
268 MERCURE DE FRANCE ,
> l'estime publique , si la pureté de votre ame ne brillait
>>encore à travers toutes vos extravagances ! Avec un coeur
» comme le vôtre , c'est dans le sein de votre famille que
» vous goûterez un vrai bonheur ; c'est là que des trésors de
> félicité vous attendent. Que trouvons-nous donc de si
> charmant dans ces journées que nous consumons dans les
>>fêtes ? Elles se terminent presque toujours par l'ennui , le
» dégoût, et sur-tout par une fatigue insupportable , quialtère
> considérablement notre santé. Vous êtes très -jolie , ma
> cousine ; mais avec le genre de vie que vous menez ,
> vous ne le serez pas long-tems. Une vieillesse préma-
> turée viendra bientôt flétrir vos charmes , et vous aсса-
> blera d'infirmités de toute espèce . "
Hélène convenait que Georgine avait raison. Mais comment
s'exposer aux railleries piquantes de sa société en
changeant tout-à-coup de conduite ! Elle voulait attendre
de retour de la belle saison , se retirer alors à Swan , et s'y
faire oublier de toutes ses frivoles amies .
Sir Herbert attendait toujours le départ pour la campagne
, et la grande réforme qui devait le suivre. Cependant
il faisait avec les usuriers des affaires qui hâtaient sa ruine ,
et vendait successivement toutes ses propriétés , pour satisfaire
à ses engagemens .
Enfin, il ne lui resta plus que sa terre du Pembrokeshire
; mais elle avait été adjugée en grande partie à Edouard,
comme servant d'hypothèque à la dot de sa mère . Sir Herbert
ne pouvaitla vendre que du consentement de son fils ,
et il avait la plus grande répugnance à le lui demander.
Jeconnais l'amnee d'Edouard ,disait-il. Je suis sûr qu'il
> fera ce sacrifice sans se permettre le moindre murmure ;
> mais dois-je exiger de lui une telle preuve d'amitié et de
>>soumission ? Ensuite il se faisait à lui-même des reproches
très-vifs sur sa faiblesse : il en gémissait amèrement ,
et cependant il ne pouvait la vaincre.
Les créanciers voyant que sir Herbert n'avait plus aucun
bien dont il pût disposer librement , réclamaient leurs
paiemens de la manière la plus pressante . Ils lui envoyèrent
assignation sur assignation , le menacèrent de faire
saisir ses meubles , et obtinrent enfin contre lui un décret
de prise de corps . Il demanda un court délai pour écrire
àson fils qui était alors à Paris , et il eut beaucoup de peine
àl'obtenir. On calcula les jours , presque les heures , et
l'on ne donna à Edouard que le tems nécessaire pour
arriver en faisant la plus grande diligence .
ΜΑΙ 1811 . 269
La première personne que vit Edouard en arrivant chez
son père , ce futGeorgine. Elle lui demanda , avec un
accent qui marquait ses vives inquiétudes , si son intention
était de consentir à la vente de sa terre. « Assurément,
>>répondit Edouard , et le moment où je donnerai à mon
>père ce témoignage de mon affection , sera le plus beau
>de ma vie !
Ainsi tout est perdu , reprit Georgine en soupirant ,
> cet argent sera bientôt dissipé comme tout le reste , et
> vous n'aurez plus de ressource . Jetez un coup-d'oeil sur
> le luxe qui règne dans cette maison; voyez cette quantité
> de chevaux , de voitures , de domestiques , et jugez vous-
» mêmes du tems qu'il faudra à ma pauvre cousine pour
> dissiper le produit de votre dernière propriété ! Ah ! monsieur
, montrez dans ce moment un peu de fermeté . Résistez
à votre père pour le sauver. Songez que si vous
› lui cédez aujourd'hui , demain il vous en fera des reproches.-
Lui résister ! s'écria Edouard. Résister à mon
> père ! lui refuser le premier service qu'il ait bien voulu
> me demander ! Non , Georgine , non. Ma main signera
> tout ce que voudra mon père , et je ne croirai jamais
> pouvoir trop lui accorder .
7
ת

> Mais , lui dit Georgine , avez-vous bien considéré qu'en
signant votre ruine , vous signez aussi la sienne ? Il me
semble que vous devez vous y refuser pour lui , pour ma
malheureuse cousine , qui n'est pas dans ce moment-ci
maîtresse de sa raison , et qui ne peut résister au tor-
> rent qui l'entraîne . C'est le premier service que sir Herbert
vous ait demandé . Je vais aussi vous faire une prière :
c'est également la seule que je me sois permis de vous
> adresser , et vous ne vous engagerez pas beaucoup en me
> l'accordant . Dites à votre père que vous demandez un
» un délai de vingt-quatre heures , pour délibérer sur ce
> que vous voulez faire . Dans cet intervalle , vous consul-
> terez de nouveau votre coeur et votre raison; et vous verrez
quelle est la conduite qu'une piété filiale bien entendue,
vous prescrira dans la circonstance la plus importante
de votre vie ..
.
Les observations de Georgine paraissaient très-sensées à
Edouard , mais elles le jettaient dans la situation la plus
douloureuse . Il lui aurait été bien facile de dire : voilà ma
signature , faites tout ce que vous voudrez . Il fallait au
contraire résister aux désirs d'un père malheureux , s'expo270
MERCURE DE FRANCE ,
ser à sa colère , à ses reproches au moins ! le laisser souffrir!
c'était pour son coeur une épreuve bien cruelle !
Cependant , cet entretien si pénible qu'il devait avoir
avec son père , ne pouvait ni s'éviter , ni même se différer .
Un instant après qu'Edouard eut quitté Georgine , il rencontra
sir Herbert qui d'avance avait fait dresser l'acte ,
auquel il ne manquait plus que la signature de son fils , et
il le lui présenta pour le signer sur-le-champ .
Sir Herbert s'attendait à trouver en son fils une entière
soumission . Il fut blessé, jusqu'au fond de l'ame , du court
délai que demandait Edouard , car il comprit très-bien que
c'était un refus déguisé ; et dans son indignation , il lui
défendit , avec les expressions les plus dures , de paraître
jamais en sa présence . En vain , Edouard désespéré essayait
de lui expliquer les motifs de sa conduite ; en vain , il lai
prouvait qu'en obligeant ladi Melmoth à quitter Londres
et à passer quelques années en province , on pouvait conserver
encore assez de fortune pour vivre dans l'aisance ; sir
Herbert , effrayé de l'arrêt de prise de corps obtenu contre
lui , ne voyait que la prison dans laquelle il allait être jetté
et ne pouvait rien entendre.
५ Tous ces discours , répondit-il , ne sont que de gros-
- siers artifices imaginés pour colorer la dureté de vos
> refus , et le profond égoïsme qui vous dirige. Je vous
>connaissais bien mal, etje suis cruellement détrompé de
l'opinion que j'avais toujours eue de votre coeur ! En
disant ces mots il quitta Edouard et s'enferma dans son
cabinet.
Edouard , de son côté , sortit aussitôt. Il vit secrètement
tous les créanciers de sir Herbert , prit connaissance de ses
dettes : il promit d'acquitter ce qui serait dû encore , après
que la vente des meubles aurait été effectuée: mais il exigea
que celte vente se fit le plus tôt possible , car il regardait
cet éclat comme absolument nécessaire pour décider lady
Melmoth à se confiner dans une province éloignée.A l'aide
de cet arrangement , il retira des mains des créanciers l'arrêtde
prise de corps qu'ils avaient obtenu contre son père .
Les créanciers procédèrent à la vente; ils enlevèrent à
lady Melmoth , non seulement ses meubles élégans , sa
superbe argenterie , mais encore toutes les parures pour
lesquelles elle était si passionnée , et ne lui laissèrent que
la robe dont elle était vêtue .
Sir Herbert ignorant que son fils avait traité avec les
cranciers , et craignant leurs poursuites , avait pris le parti
ΜΑΙ 1811 .
271
de se cacher , et n'avait confié à personne , pas même à sa
femme , le lieu de sa retraite. Celle-ci ne sachant ce qu'il
était devenu , se livrait au plus affreux désespoir.
<<Hélas ! disait-elle , où me retirerai -je ? Chaque pas que
» je fais dans cette maison , autrefois si magnifique, me rap-
> pelle mes erreurs et mes extravagances ! Et mon mal-
» heureux époux ! où est-il maintenant? Abandonné de son
> fils et de ses amis , dépouillé de sa fortune , sans espé-
* rance pour l'avenir , il sera peut-être tenté de se détruire
> pour chercher dans la tombe un repos qu'il ne peut plus
■ trouver sur la terre , et sur-tout pour ne plus voir la détestable
épouse qui a causé tous ses malheurs .
Georgine s'efforçait de la consoler , en lui offrant de partager
avec elle et avec sir Herbert la petite fortune que ses
parens lui avaient laissée. Elle lui faisait entrevoir la possibilité
de trouver encore , au fond d'une province , des jours
depaix et de bonheur ; mais elle n'osait lui parler d'Edouard,
de ce qu'il avait fait, de ses projets ; il n'était pas encore
tems de prononcer son nom devant la malheureuse Hélène .
"
Ce jeune homme qui ne perdait pas de vue son père ,
le vit entrer dans une maison écartée , avec un visage où
se peignait la plus violente agitation et le plus profond
désespoir. Ne voulant pas différer un moment à s'expliquer,
il le suivit ; et après avoir sollicité en vain la permissionde
se présenter devant lui , il prit le parti , malgré
la défense expresse qu'il en avait reçue , de s'introduire
dans la chambre où il était et se jeta à ses pieds .
« Vous mettez le comble à vos mauvais procédés , lui dit
sir Herbert , en forçant mes yeux à vous voir ! Eh bien !
>>venez contemplez votre ouvrage ! venez voir un père dans
» la misère ! venez le voir arrêter et enfermer dans une pri-
» son pour le reste de ses jours ! car je vous déclare que
> vos bienfaits ne m'en feront jamais sortir.Avant que j'aie
▸ la bassesse d'accepter de vous le moindre service , ce pistolet
m'aura mis hors d'état d'en avoir besoin .
Edouard, effrayé du geste que faisait son père enprononçant
ces mots , se précipite sur l'arme qu'il tenait à la main.
Le coup part : Edouard est frappé , et ce vertueux jeune
homme tombe baigné dans son sang. On le crut mort , et
l'on entraîna son père dans un autre quartier de la ville ,
pour le soustraire aux suites que devait naturellement avoir
cette malheureuse affaire .
Le bruit se répandit aussitôt que sir Herbert avait tuẻ
son fils, et cette horrible nouvelle parvintjusqu'aux oreilles
272
MERCURE DE FRANCE ;
"
d'Hélène . Suis - je assez malheureuse , s'écria -t- elle , et
> manque-t-il quelque chose à mes crimes ! la plus cruelle
des furies aurait-elle porté plus de désastres dans cette
respectable famille ! Pauvre Edouard ! ô ma chère Georgine
, puisque vous ne dédaignez pas de vous intéresser
» à la plus coupable des femmes , allez vous-même , allez
» vous informer de la vérité de cette triste aventure , et
> revenez promptement me dire s'il est vrai qu'Edouard a
» expiré sous les coups de son père : apprenez-moi si je
" suis condamnée à mettre ce crime au rang de ceux qui
» pèsent sur ma tête ! »
"
y
Georgine partit , et son impatience la fit bientôt arriver
à la maison où s'était passé ce terrible événement . Elle
entra baignée de larmes et pouvant à peine respirer :
Pourquoi , disait-elle , me suis -je permis de lui donner
> un conseil ! c'est ma funeste prudence qui l'a perdu ! ah !
» ce n'est que d'aujourd'hui que je sens toute la force de
" mon attachement pour Edouard. "
"
Elle trouva ce jeune homme blessé ; mais il ne l'était pas
dangereusement , et elle se hâta de retourner près de sa
cousine pour la tranquilliser. Hélène demanda , comme
une grâce , la faveur d'aller soigner le fils de son époux , et
reçue par Edouard avec tant d'amitié , qu'elle oublia un
instant toutes ses peines .
fut
29
Cependant sir Herbert se croyant l'assassin de son fils
était en proie à la douleur la plus amère. Misérable !
disait-il , pourquoi ne me suis-je pas laissé attendrir !
je voyais les larmes de mon fils , je voyais ses regards se
> porter sur moi avec une expression si tendre ! Au lieu de
l'effrayer , j'aurais dû le prendre dans mes bras , et le presser
sur mon coeur ! C'en est donc fait , je ne le reverrai
plus ! je l'ai perdu pour jamais ! Edouard ? ô mon cher
» Edouard ! Mais est-il bien vrai qu'il soit mort ? Le ciel
» aurait-il puni si cruellement les fautes dont je me suis
» rendu coupable ? non : j'ai versé le sang de mon fils ,
mais je ne lui ai pas ôté la vie . Je veux aller le voir ; s'il
vit , je lui demanderai pardon ; s'il ne vit plus , je mourrai
sur son corps inanimé . On m'arrêtera ! eh ! que m'im-
» porte , pourvu qu'auparavant j'aie vu encore une fois ce
> fils que j'aime plus que ma vie , et qui mérite si bien toute
ma tendresse ! »
Rien ne put retenir sir Herbert . Il retourna dans la maison
où il avait laissé Edouard , et apprit avec une satisfaction
inexprimable , qu'il vivait , que même il n'était pas
ΜΑΙ 1811 . 273
craignez rien MaA
SEIN
trou ---
endanger. Il demanda à le voir. On lui opposait quelque
résistance dans la crainte d'occasionner une révolution an
malade. " Non , non , s'écria -t - il , ne
» vue lui sera agréable . Je suis toujours son père
⚫ vera du plaisir à se sentir pressé dans mes bras
En disant ces mots , il se précipite sur le lit de son fils ,
et leurs larmes se confondent dans les plus doux embrassemens
. Tout est oublié : tout est réparé. Hélène aux pieds
de son époux , sollicite un pardon que mérite son repentir
et reçoit de nouvelles assurances d'une tendresse à laquelle
elle n'osait plus prétendre .
Le bonheur d'Edouard fut couronné par son hymen avec
Georgine ; et dès que cet intéressant malade fut en état de
voyager , ils partirent tous pour Swan , où ils trouvèrent
dans leur union et dans les plaisirs de la vie champêtre la
félicité la plus parfaite .
Parmi les regrets douloureux que laissait à Hélène le
souvenir de ses erreurs , celui d'avoir oublié , pendant près
de cinq ans , les bontés de mistriss Werdith ne fut pas un
des moins sensibles. Elle lui témoigna le plus vif repentir
de toutes les fautes que son excessive légèreté lui avait
fait commettre, et la supplia de venir habiter Swan , pour
l'affermir par ses conseils dans les sages résolutions qu'elle
avait formées . Les soins qu'elle prodigua à cette excellente
femme jusqu'à son dernier soupir , furent pour mistriss
Werdith la douce récompense de ceux qu'elle avait accordés
à Hélène lorsque la voyant orpheline , sans fortune et
sans aucune protection sur la terre , elle avait bien voulu la
recevoir dans sa maison . ANTOINETTE LEGROING .
VARIÉTÉS.
CHRONIQUE DE PARIS.
MOEURS ET USAGES . - Un Anglais , d'un tour d'esprit
assez plaisant, a fait , il y a quelques années , un livre de ce
qu'il appelle , les Tribulations de la vie humaine. Il aurait
pu l'augmenter du chapitre des tics et des manies , dont
quelques personnes sont atteintes , et qui font , à leur insu ,
le supplice de ceux qui les entourent. C'estunhomme plein
de sens que M. B.; bien qu'il parle beaucoup , on l'écouterait
avec plaisir , si ce n'était l'habitude qu'il a contracté
S
274 MERCURE DE FRANCE ,
de vous déboutonner votre gilet en causant , ce qui n'est
pas sans inconvénient pendant l'hiver. Tout le monde
connaît le vénérable L... , il sait beaucoup d'histoires , il
aime à les conter , mais on les a tant entendues , que ce
n'est plus qu'à force de ruse qu'il peut , de tems en tems ,
s'assurer un auditeur. C'est quelque chose d'assez amusant
que de l'examiner dans un salon , choisissant sa victime
, et prenant tous ses avantages pour qu'elle ne puisse
lui échapper. Pour première sûreté , il saisit son homme
par unbouton de son habit , l'isole du groupe où il se réfugie
, et le conduit avec adresse dans un angle de l'appartement
, où il l'incruste , pour ainsi dire , et le tient
bloqué jusqu'à ce qu'il ait entendu , pour la vingtième fois
peut-être , l'anecdote du régent et du cardinal Dubois au
bal masqué , ou tel autre aventure aussi nouvelle . Il n'est
guèreplus facile de prendre son parti sur l'entretien humide
de M. R. , dont les paroles ne se font jour qu'à travers la
pluie très-fine que ses lèvres font voler autour de lui; sur
la manie du C... de.V... qui affecte de parler très - bas , et
ne manque guère de vous prévenir qu'il est malhonnête
de faire répéter , etc. etc. Chacun de nos lecteurs se rappellera
sans doute plus d'un original qui pourrait figurer
dans cette galerie .
-L'usage des voitures de place est d'une utilité si généralement
reconnue , qu'on est tout étonné d'apprendre
qu'il ne date que du commencement du dernier siècle , et
qu'avant cette époque on ne se servait que de brouettes
ou de chaises à porteurs. Ce fut un maître d'auberge de la
rue Saint-Antoine qui eut la première idée de cette utile
entreprise; son enseigne était à l'Image Saint- Fiacre , et
c'est de là que vient le nom que les voitures de place ont
toujours porté depuis . Le luxe des équipages ne remonte
pas à une époque beaucoup plus reculée; Laporte raconte
que , dans l'enfance de Louis XIV , ce prince voulant aller
se baigner à Conflans , fut obligé d'y renoncer , vu le mauvais
état de ses carrosses . A deux siècles de là un conseiller
au parlement se rendait au palais sur une mule , et donnait
assez souvent la croupe à un confrère. Mais pour ne
parler que des changemens qui peuvent encore avoir des
témoins vivans , nous observerons que , vers le milieu du
siècle dernier , on ne comptait à Paris que six ou sept cents
voitures bourgeoises , qu'onn'en compte aujourd'hui quatre
mille , et que le nombre des fiacres s'est accru dans
une proportion beaucoup plus rapide encore . Il en existe
ΜΑΙ 1811 . 275
aujourd'hui deux mille ; ce qui suppose , pour l'entretien
de la voiture , des chevaux et du cocher, un gain journalier
de 15 francs environ , produit d'une douzaine de
courses à I fr. 50 cent. , au terme du réglement. On avait
annoncé l'année dernière , comme devant incessamment
paraître,un petit poëme de la façon d'un cocher de fiacre;
s'il existe en effet quelque bel esprit qui sache manier le
fouet et la plume, il devrait bien nous faire l'historique de
ses courses , seulement pendant un mois. Quelle foule
d'observations ne pourrait-il pas recueillir ! quelle foule
d'originaux n'aurait-il pas à dépeindre ! ce solliciteur , ce
candidat en bas de soie , dès 9 heures du matin , qui court
assiéger l'antichambre de l'homme en place , qui rêve au
moyen d'éluder sa visite : ces champions moins bouillans
le matinque la veille , et qui , tout en s'acheminant vers le
bois de Vincennes où doit se vider leur querelle , font de
sages et tardives réflexions sur la force d'un préjugé plus
difficile à braver que la mort; cette jeune dame cachée sous
un voile , qui monte en fiacre d'un air si inquiet , en indiquant
tout bas les bains Saint-Joseph ; ce drapier de la
rue Saint-Denis , tout fier de marier sa fille à un contrôleur
des contributions , et qui trouve le moyen de faire
entrer dans la voiture les douze personanneess de la noce.
L'intérieur d'un fiacre serait une chose bien amusante à
connaître; et qui pourrait s'y cacher pendant huit jours ,
aurait en sortant de là bien des révélations à faire .
On reprochait , il y a quelques jours , à un jeune
homme, à qui il ne manque que de l'instruction et du bon
sens pour avoir de l'esprit , de vivre dans le désoeuvrement
le plus complet; et l'on fut fort surpris de l'entendre sontenir
qu'il était un des hommes les plus occupés de Paris ,
par la seule raison qu'il en était le plus à la mode; ce qui
suppose , selon lui , une foule de recherches , de connaissances
dont on est bien loin de se douter. « Qu'un devous ,
ajouta-t-il , ait besoin d'une paire de boltes , il la commande
à son cordonnier, et pour peu qu'elle soit à-peuprès
dans les formes convenues , il croit , avec cela , pouvoir
le matin se présenter partout; mais moi qui me dois
à moi-même et aux autres de ne rien produire que le bon
goût et le bon ton n'avouent, je sais qu'un homme qui se
respecte ne doit porter de bottes russes que celles qui sortent
de chez Asthley; que le seul homme pour la botte à
revers est le fameux Doche; qu'il faut s'adresser à Kiggen
pour les bottes militaires , à Sakosky pour les bottes à
$ 2
276 MERCURE DE FRANCE ,
l'écuyère , etc. Le nom de Leroy est dans toutes les bor
ches , mais combien y a-t-il de gens qui savent qu'il n'est
véritablement inimitable que pour les chapeaux, et que
que Mlle Despeaux lui est très-supérieure pour l'invention
du bonnet ; qu'Herbault n'a point de rival dans l'art de
couper un manteau de cour , Laboullée pour là grace de
ses sultans et la richesse de ses corbeilles de mariage etde
baptême ? S'agit-il de bijoux , je suis bien sûr de vous apprendre
que Mellerio est le premier homme du monde
pour les bagues hiéroglyphiques et lithologiques ; Nitot
pour le dessin et la monture des boucles d'oreilles , Pitau
pour la magnificence de ses diadèmes , et le mobile éclat
de ses aigrettes : je ne parle point des riches broderies de
M. Picot, des dentelles magnifiques de Mme Colliau , des
étoffes de Lenormand , etc. etc. Ce jeune homme se préparait
à nous ouvrir les trésors de son érudition , mais
l'arrivée de son tailleur , avec lequel il avait à délibérer sur
les pointes d'un gilet , interrompit une conversation qu'il
nous promit de reprendre quelque jour.
Aux Rédacteurs de la Chronique .
Ma femme vous sait d'autant plus de gré , Messieurs ,
d'avoir signalé avec indignation , dans votre dernière chronique
, la conduite peu décente de quelques individus habitués
des petits spectacles , qu'elle s'est trouvée , il y a
quelques jours , exactement dans la situation où vous supposez
unemère de famille , obligée de quitter sa loge pour
éviter de jeter les yeux sur ceux qui la composent. Maintenant
j'ai à vous porter une plainte qui intéresse moins
essentiellement les bonnes moeurs , mais dont l'objet suppose
également cet oubli des convenances et des égards
mutuels qu'on se doit dans les réunions publiques . L'orchestre
, dans nos grands théâtres , était , il y a vingt ans
la place des véritables amateurs , de ceux qui veulent tout
voir , tout entendre , et qui connaissent , à cet égard , tous
les inconvéniens des loges . Je ne sais comment il s'est fait
que ces places si chères et si recherchées , ont été tout-àcoup
, à tous les spectacles , livrées à la foule des billets
gratis, et des entrées de droit ou de faveur qui les occupent
à-peu-près exclusivement. Je tiens à mes anciennes habitudes
: j'aurais continué à braver l'inconvénient d'être entouré
de toutes les femmes-de-chambre des actrices , de
tous les créanciers des auteurs et des acteurs ; mais , je l'avouerai
, à cinquante ans passés , je n'ai plus ni la force mi
ΜΑΙ 1811 .
277
le courage dont on a besoin aujourd'hui pour occuper ,
sans humiliation , une place à l'orchestre à côté de certains
personnages qui viennent depuis quelque tems y faire
preuve et parade de valeur. Ces messieurs , employés dans
les vivres ou dans les fourrages de l'armée , et qu'à l'énormité
de leur feutre on pourrait prendre pour des militaires ,
affectent de troubler la représentation en riant aux éclats ,
en parlant assez haut pour imposer à leurs voisins le supplice
de les entendre; et si par hasard un de ceux-ci témoignepar
le plus léger mouvement des lèvres , le désir
s'y soustraire , un regard terrible de l'orateur , qu'accompagne
toujours certaine épithète de pékin , fait rentrer
à l'instant le bourgeois dans le devoir. Comme rien n'est en
général plus opposé à l'esprit français , aux exemples de
décence et de politesse qu'ont donnés en tout tems les
militaires de notre nation , que ces manières insultantes et
ridicules , c'est en faire justice que les faire connaître .
J'ai l'honneur d'être , etc. F. de M.
EVÉNEMENS ANECDOTES .-On s'est avisé depuis peud'une
petite noirceur littéraire qu'il est bon de faire connaître
pour assurer à son inventeur la gloire qui doit lui en revenir.
Etes-vous bien en colère du succès qu'obtient à Paris
telle pièce de théâtre (l'alcade de Moloredos , par exemple) ,
et vous tombe-t-il sous la main un journal allemand dans
lequel on dit « que cette jolie pièce n'a pas eu dans telle
ville tout le succès qu'elle a obtenu ailleurs , parce qu'elle
a été mal traduite et plus mal jouée encore " , dans l'extrait
qu'on est chargé de faire de ce même journal , on traduira
pour plus de précision : la comédie de M. P. intitulée l'Alçade
de Moloredos est tombée sur tous les théâtres d'Allemagne.
Autre exemple .
,
Unjournal a dit que l'opéra de la Vestale avait été jouée
avecle même succès àParis, à Londres, à Pétersbourg , etc .;
par forme de réfutation on glisse dans un journal français
bien accrédité , sous la rubrique de Berlin , un petit alinéa
oul'on dit que la Vestale n'y a obtenu qu'un succès douteux
: le même jour le compositeur de cet ouvrage reçoit
une lettre du directeur du théâtre royal de Berlin qui lui
annonce que depuis 20 ans aucun opéra n'a joui d'un succès
plus extraordinaire; le correspondant de Berlin n'aurait-
il pas un secrétaire à Paris ?
On lisait dernièrement dans un de nos journaux
une lettre d'un M. Paillet de Varcy, dans laquelle il exprime
le voeu de voir une des rues de la capitale décoré
278 MERCURE DE FRANCE ,
du nom de Despréaux'; jusqu'ici rien de plus simple et de
plusjuste que cette réclamation en faveur du législateur de
notre Parnasse; mais ce qui nous a paru singulier, c'est
que M. Paillet de Varcy qui prend la qualité d'homme de
lettres , qui s'annonce pour un des plus grands admirateurs
de Boileau , donne à cet illustre écrivain le titre d'ingénieux
père du Lutrin vivant. Boileau a fait un Lutrin
immortel ; mais le Lutrin,vivant appartient à Gresset ,
comme chacun le sait , et comme devrait sur-toutle savoir
un homme de lettres , à qui semblable bévue pourrait attirer
une réponse dans le genre de celle que Voltaire fit à une
dame qui lui adressait des Observations sur EDIPE ; la voici :
J'ai reçu , madame , vos observations sur ma pièce , et je
me borneraià vous faire observerqu'Edipe s'écritparun E.
-On reparle avec intérêt du projet de M. Camaille ,
dont le but est l'établissement d'une caisse de secours pour
les artistes retirés du théâtre sans avoir pu s'élever au
rang de sociétaire , et dont les travaux n'ont servi qu'à enrichir
les directeurs .
-La manie des provinciaux a toujours été d'exagérer la
mode; on cite à ce sujet le mot d'un nouveau débarqué
qui ayant sans doute entendu dire dans son endroit , qu'à
Paris les culottes de peau se portaient très-étroites , disait
au tailleur qui lui prenait mesure : Prenez-y garde , monsieur
, je ne veux pas qu'elle fasse le moindre pli, et je
vous avertis que sije puisy entrer , je ne la prendrai pas .
NOUVELLES LITTÉRAIRES ET BIBLIOGRAPHIQUES . La vente
des livres de M. Didot est terminée. Les articles les plus
précieux n'ont pas été vendus , et la belle Bible de Mayence
a été retirée , après avoir été mise sur la table à 800 fr .;
celle de 1497 , qui paraît avoir appartenu à Marie Stuart ,
etdont nous avons parlé dans un de nos précédens numéros
, a été adjugée pour la somme de 150 fr. , prix fort audessous
de celui qu'on en espérait , mais fort au-dessus ,
du moins selon nous , de la valeur réelle d'un pareil bouquin;
la valeur idéale que peuvent donner aux objets les
souvenirs dont ils se présentent environnés , ne pouvait
s'accroître beaucoup par le nomd'une reine qui a eu besoin
de tous ses malheurs pour faire pardonner ses coupables
inconséquences , et par celui d'un scélérat fanatique vendu
à Médicis . La nature et la grandeur des souvenirs peuvent
seuls en justifier l'intérêt . Si l'on mettait en vente le beau
manuscrit du Dante que possède la Bibliothèque impériale
, copié tout entier de la main de Bocace , pour en faire
/
ΜΑΙ 1811 .
279
hommage à Pétrarque; si l'on exposait à l'enchère les
Heures de Henri IV, personne ne serait étonné du prix
excessifque l'on pourrait y mettre .
- On ne pouvait choisir un meilleur moment pour
mettre en vente les Nouveaux Proverbes dramatiques (1)
de Carmontel . Cet ouvrage est du nombre de ceux qu'on
ne doit pas oublier d'emporter à la campagne. Ilyaapeu
de châteaux où l'on ne s'amuse à jouer la comédie , du
moins à la fête de la maîtresse ou du maître de la maison ,
et les proverbes de Carmontel forment à-peu-près seuls la
bibliothèque et le répertoire des théâtres de campagne .
Lors même que le bel esprit du lieu veut avoir l'air de
produire quelque chose de son chef, il n'est pas fâché d'y
trouver un canevas pour sa pièce , ou un cadre pour ses
couplets . Les deux volumes que l'on annonce renferment
vingt-quatre nouveaux proverbes , dont quelques-uns sont
peut-être ce que l'auteur a fait de mieux dans un genre où
il n'a point de rival .
La seconde édition des Mémoires du duc Popoli , par
lady Mary Hamilton , ne s'écoulera pas avec moins de rapidité
que la première. Ce roman est du petit nombre de
ceux qu'on peut relire , parce qu'indépendamment d'un
intérêt très -vif , d'un style plein de mouvement et d'élégance
, on y trouve quelque chose d'original qui manque à
la plupart de nos romans modernes les plus estimés .
-L'apparition d'un nouvel ouvrage de Mme de Genlis ,
ayant pour titre : De l'Influence des femmes dans la littérature,
doit faire événement , par cela seul qu'on y voit
dans son auteur l'intention de se mesurer , sur un terrain
nouveau pour elle , avec une rivale dont les preuves sont
faites.
- Les amateurs de romans comiques attendent avec
impatience une Macédoine en quatre volumes de M. Pigault-
Lebrun .
-Peut-être ne faudrait-il pas qu'un ouvrage destiné à
perfectionner la procédure civile, fût intitulé : La Mort
aux procès . Quand on veut être utile , il ne faut pas s'annoncer
comme un bouffon .
-L'impression de la tragédie de BRUNEHAUT ou les successeurs
de Clovis , par M. Aignan , assure à cet ouvrage ,
distingué sur-tout par le mérite du style , un succès à la
(1) Deux vol. in-8° , chez Lenormant , rue de Seine , et cher
Delaunay,au Palais Royal.-Prix , 10 fr.
280 MERCURE DE FRANCE , ΜΑΙ 1811 .
lecture , que n'obtiendra jamais telle ou telle prétendue
tragédie , beaucoup mieux accueillie à la représentation .
NOUVELLES DES THEATRES . On continue à craindre que
Fleury ne reparaisse plus sur le théâtre; auquel cas la
Comédiefrançaise fera fort bien de renoncer à son titre ,
et de s'appeler dorénavant la Tragédie francaise .
AFeydeau , Mm Boulanger , dans le Tableau parlant ,
fait tourner toutes les têtes. Elleviou y déploie un talent
enchanteur , et Lesage y joue la caricature de Léandre de
la manière la plus originale . Les plus vieux , et conséquemment
les plus entétés admirateurs des Clairval , des
Trial et des Laruette , sont forcés de convenir que ce charmant
ouvrage n'a jamais été joué et chanté avec cette perfection
.
L'Odéon répète un drame en trois actes ( Elisabeth reine
d'Angleterre ) . Ce titre promet trop , ou trop peu . Y.
SOCIÉTÉS SAVANTES.- La Société Philotechnique a tenu
sa séance publique le dimanche 5 mai 1811 .
Le secrétaire perpétuel , M. de la Chabeaussière , a fait
le rapport d'usagé sur les travaux de la Société depuis la
dernière séance publique. Dans ce rapport , ou a sur-tout
distingué et fort applaudi une éloquente sortie contre les
diatribes littéraires ; un hommage touchant rendu à la mémoire
et aux talens de MM. Frameri , Berthélemi et Guichard
; et de vertueux conseils aux Sociétés savantes , sur
la nécessité de faire de bons choix .
MM. Lebouvier , Desmortiers , Lenoir et de Ste-Croix
ont lu des mémoires en prose sur la sürdité naturelle et
accidentelle , sur l'Egypte , et sur la religion de l'Inde .
Ces mémoires ont été entremélés de six Apologues orientaux
de Saadi le Persan , imités en vers par M. de la Chabeaussière
, qui paraît en avoir fait un choix assez considérable
( ils ont fait généralement plaisir ) ; de trois nouvelles
fables de M. Raboteau, qui font désirer que le Recueil
en devienne public ; et d'une épître en vers au Mélodrame ,
par M. Joseph Lavallée , dont l'ironie fine et spirituelle a
beaucoup amusé .
Enfin la séance s'est agréablement terminée par quelques
airs exécutés avec beaucoup de goût par Mue Welchs , sur
le nouvel instrument du mélodion , qui réunit au mécanisme
du piano ordinaire , la possibilité de filer les sons et
de les rendre plus doux à l'aide d'un cylindre métallique ,
POLITIQUE.
Les préparatifs de guerre se continuent avec la plus
grande activité dans toute l'étendue de l'Empire turc.
L'ancien nazir d'Ibraïl , chargé de hâter la marche des
troupes qui se rendent en Romélie , a commencé , dans les
premiers jours de mars , sa mission par Andrinople . II
estmunidepleins-pouvoirs de S. H. On presse sur-tout
les renforts destinés au corps d'armée qui est à Sophie ,
sous les ordres de Bely-Pacha , pour veiller de là sur les
entreprises des Russes contre Widdin , et appuyer le flano
gauche de l'armée du grand-visir. En même tems , le
gouverneur de Bosnie et le séraskier de Nissa ont reçu des
ordres très-précis pour agir de concert contre les Serviens .
Ismaïl-Bey de Sérès rassemble aussi ses troupes pour les
conduire lui-même dans les environs de Sophie . Tous ces
préparatifs , qui embrassent la totalité de l'Empire ottoman,
paraîtraient annoncer que les Turcs ne se borneront pas à
ladéfensive.
D'un autre côté , les mêmes préparatifs se poursuivent
avec la même ardeur à Belgrade , à Schabatz , à Lemendria
. On fond , selon le calibre russe , tous les canons pris .
sur les Turcs . Les artilleurs russes travaillent en commun
avec les Serviens . Le général russe Kutusow , qui remplace
le comte de Kamenski dans le commandement en chef ,
est arrivé le 7 avril au soir à Jassi . S. E. a continué sa
route le 9 pour Bucharest. Cependant , sur la foi de nouvelles
reçues du théâtre des opérations qui sembleraient
prêtes à commencer , on publie toujours à Vienne que des
négociations vont être entamées , et que les Serviens y auront
leurs intérêts représentés . On ajoute que les ouvertures
auraient été faites par le général russe , et qu'elles n'auraientpas
été rejettées à Constantinople . Nous devons répéter
que rien d'officiel n'est public à cet égard.
ne
L'ambassadeur de France à Pétersbourg , M. le duc de
Vicence , a ordonné les plus grands préparatifs pour célébrer
en son hôtel la naissance du roide Rome. S. Exc .
qaittera sa résidence qu'à cette époque , et M. le comte de
Lauriston sera arrivé pour le remplacer. La gazette de la
282 MERCURE DE FRANCE ,
1
cour a annoncé la naissance du roi de Rome. L'Empereur
Alexandre a écrit une lettre de félicitation, à cette occasion ,
à l'Empereur des Français; cette lettre autographe a été
présentée à S. M. , par S. Exc. le prince Kourakin , dans
une audience qui lui a été accordée à cet effet , le 5 de ce
mois , au palais de Saint-Clond .
L'anniversaire de la mort de feu S. M. l'Impératrice Marie-
Thérèse , a été célébré à Vienne avec beaucoup de
solennité . La veille , les théâtres avaient été fermés . La
police de cette ville continue de poursuivre avec rigueur
ceux qui refusent d'adopter dans leurs transactions particulières
les principes établis par le gouvernement à l'occasion
des billets de banque . La commission spéciale a prononcé
des amendes et des condamnations contre divers individus ;
les amendes ont été perçues au profit des pauvres . En
même tems le gouvernement vient de démentir , par un
avis public , les faux bruits qui avaient couru relativement
à une prétendue augmentation du prix du sel. Les denrées
de première nécessité se soutiennent à un prix modéré .
En Suède , les différens corps de la milice bourgeoise
ont été admis à l'audience du prince héréditaire. S. A.
s'est chargée du commandement des corps réunis de cette
milice ; c'est vers les premiers jours de mai que S. A.
a dû se rendre sur les côtes , visiter Carlscrone et Gottembourg.
On n'entend encore parler de l'apparition d'aucun
vaisseau anglais; à la date du 24 avril , on écrivait de
Copenhague , qu'il n'en avait point paru dans le Grand-
Belt .
Le roi de Saxe a sanctionné , par un décret suprême ,
les résultats des délibérations qui ont si long-tems occupé
la diète. Il sera fait peu de changemens au systéme actuel
de perception des contributions ; la noblesse paiera la douzième
partie des nouveaux impôts ; elle en fixera elle-même
la répartition parmi ses membres. La diète a terminé sa
session le 5 mai. Le roi est parti pour Pilnitz . Aucun mouvement
de troupes n'a en lieu : quelques feuilles où il en
avait été question , et dont les rédacteurs avaient seuls
dirigé ces mouvemens , ont été réprimandées ; de
nombre sera probablement une feuille dans laquelle , sur
son titre , on ne s'attendrait pas à trouver rien de politique ,
le Journal des Modes de Leipsick. Cette feuille donne un
démenti au parlement anglais , aux ministres mêmes du
gouvernement britannique ; elle ne veut pas entendre leurs
aveux , et elle prétend que le commerce et l'industrie ance
7
ΜΑΙ 1811 . 283
glaise sontbeancoup plus florissans qu'on ne le prétend en
Angleterre même; c'est pousser loin le désir de seconder
les vues du cabinet britannique . Le gazetier d'Augsbourg ,
quin'a pas une politique aussi légère que celle du journa-
Listedes Modes de Leipsick, a pris la chose au sérieux ; il a
rapproché les discours tenus au parlement des demandes
des ministres , des actes du gouvernement , des concessions
parlementaires , des troubles d'Irlande , de l'insurrection
de Nortingham , de l'état de Glascow et de Liverpool ,
et il en a tiré d'autres conséquences que l'écrivain modiste
deLeipsick.
«Le profond politique du Journal des Modes , dit- il ,
prétend consoler les anglomanes , s'il y en a , en leur apprenant
quel'Angleterre n'est pas du tout embarrassée pour
vendre ses sucres bruts et rafinés ; au défaut de ses anciens
débouchés sur le continent européen , elle en vend aux
noirs de Saint-Domingue. Apparemment , le Journal des
Modes pense que 2 ou 300,000 sauvages ou barbares consomment
une quantité de sucre équivalente à celle que les
nations civilisées de l'Europe achetaient de l'Angleterre...
» Le savant du Journal des Modes a essayé de faire un
compte exact de tous les bâtimens de guerre pris par les
Anglais , et qui , dit-il , servent dans leurs armées navales .
Mais ignore-t- il que la moitié de ces vaisseaux , hors d'état
de servir , pourrissent dans les ports britanniques ?
» L'embargo des Etats-Unis , dit notre grand politique ,
a singulièrement fait accroître le commerce de Québec .
Cela est possible , si on parle d'un commerce de contrebande;
mais l'anglomane , en nous rappelant le Canada ,
ne nous rappelle-t-il pas la facilité avec laquelle les Etats-
Unis pourraient s'en emparer , dans le cas d'une guerre ?
Alors, la marine anglaise n'aurait d'autres chênes que
ceux qui croissent dans les parcs des lords .
Les possessions desAnglais dans l'Indostan deviennent
ensuite l'objet de la tendre sollicitude de notre politique . Il
en porte la population à 65 millions . Les géographes anglais,
connus par leurs exagérations systématiques , n'out
osé porter cette population qu'à 42 millions 764,000 individus,
y compris tous les pays dépendars directement et
indirectementdes quatre présidences de Calcutta, Madras ,
Bombay et Bencoulen. Il est donc probable que le calcul
absurde du Journal des Modes ne fera pas fortune parmi
des gens aussi généralementinstruits en géographie , quele
sont les Allemands. Enfin , quelques millions de Hindous
284 MERCURE DE FRANCE ,
1
de plus ou de moins ne feront rien au débit des marchandises
anglaises dont on n'a aucun besoin dans l'Inde . »
Cette discussion nous a paru fort intéressante . Il sera
possible d'appuyer l'avis qui y est exposé par le rapprochement
qui suit , et que fournissent les papiers anglais
du 26 avril.
« M. Vansittart , y est-il dit , est l'antagoniste de M.
Horner. C'est un trait assez singulier , dans la discussion
importante relativement à la dépréciation du papier-monnaie
, que les écrivains du gouvernement l'attribuent à
quatre causes principales :

ger ;
"
1º. Les énormes dépenses de nos armées chez l'étran-
2°. Le montant du frêt payé aux étrangers par suite
des décrets de Napoléon ;
" 3º. Le défaut des exportations résultant du succès du
système de l'ennemi ;
» 4°. Les primes payées pourles blés venus de l'étranger,
par suite de l'insuffisance de nos propres récoltes .

Telles sont les causes auxquelles tous les pamphlets
contre le rapport du comité des monnaies attribuent la
dépréciation du papier et les pertes sur le change . "
Ala même date du 26 avril , des lettres de Cadix arrivaient
à Londres ; elles y annonçaient les plus tristes résultats
de l'affaire de Chiclana : 8000 Français y ont battu
20000Anglais et Espagnols . L'élite de la garnison de Cadix
ya péri ; avec elle est tombé l'espoir d'une longue résistance.
Le peuple ne partage point la sécurité que voudraient
lui inspirer les ministres ; il ne prend aucune part à des
réjouissances ordonnées pour de prétendues victoires , où
des assiégés sortis d'une place en nombre triple de leurs
adversaires ont été obligés honteusement d'y rentrer. L'opinion
est également fixée sur les mouvemens du prince
d'Essling.
Nous pouvons rapprocher de cet exposé l'analyse des
pièces officielles dela correspondance d'Espagne que le
Moniteur vient de publier.
« La junte de Catalogne avait pratiqué des intelligences
dans la ville de Barcelone ; on avait promis de lui livrer le
ført de Montjoui , moyennant une somme de trois millions .
Le général Maurice Mathieu , commandant à Barcelone ,
instruit de ces menées , résolut d'en tirer parti ; les affaires
furent conduites de manière que , du 19 au 20mars , à une
heure après minuit , 8000 insurgés , sous les ordres de
ΜΑΙ 1811 . 285
Campo-Verde , furent réunis près de Barcelone . Huit
cents hommes d'élite se jetèrent dans le fossé du fort
Montjoui : la garnison prévenue les accueillit par un feu
bien nourri ; le désordre se mit aussitôt chez l'ennemi ; différentes
embuscades préparées se levèrent à-la-fois ; l'ennemi
fut mis dans une déroute complète , et perdit 2 à
3000 hommes , dont 800 tués . L'agent principal, se disant
ministre des finances de la junte , qui avait tramé cette
affaire , a été saisi dans un village à une demi-lieue de
Barcelone , avec les trois millions qui devaient être le prix
de la trahison .
> Les insurgés ont été plus heureux à Figuières ; deux
employés subalternes du magasin des vivres de la place ,
tous deux Catalans , et nommé Palapos , ont vendu pour
vingt mille piecettes les clés du magasin , que le garde en
chef avait eu la simplicité de leur abandonner. Une porte
secrète donnait sur les fossés de la place , sous le pontlevis;
500 miquelets furent introduits dans le fort à deux
henres après minuit , et s'emparèrent de la place , où se
trouvaient 400 hommes de la garnison. On n'avait encore
rien appris de cet événement dans la ville quand on se présenta
le matin au fort , où on fut reçu à coups de fusils .
" Cet accident est le résultat de la négligence des commandans
, qui , se fiant à la grande hauteur de l'escarpe de
la citadelle ,ne faisaient faire aucun service : tout le monde
dormait la nuit; le jour, les portes étaient ouvertes sans être
surveillées; tout le monde pouvait entrer ou sortir. Aussitôt
que le général Baraguay-d'Hilliers a eu connaissance
de cet événement, il s'est porté devant le fort , qu'il a fait
investir. Le général Quesnel accourut aussi de Mont-Louis
avec sa division ; mais avant que l'investissement fût complet
, 1200 miquelets avaient trouvé le moyen de pénétrer
dans la place ; les autres corps qui se sont présentés depuis
ont été repoussés et dispersés . Les insurgés manquent
d'eau, de viande etde bois dans la place. »
Al'armée d'Arragon lesAnglais ont tenté d'obtenir des
succès par les mêmes moyens de corruption ; c'est l'or à
la main qu'ils font le siége des places . Le commandant du
fort Balaguer a répondu à leurs offres en chassant leurs
parlementaires honteusement , et les assaillans qui les suivaientà
coupsde canon. Le général Suchet a commencé
le siége de Tarragone; la tranchée a dû être ouverte dans
les premiers jours de mai.
Aunord et au centre différentes affaires partielles ont
286 MERCURE DE FRANCE ,
۱
continué à débarrasser le pays des bandes qui s'y étaient
formées . Les Guerillas continuent à déposer les armes .
L'armée de Portugal a continué sa marche; elle a quitté ,
le 23 mars , la direction d'Almeida , et s'est portée sur
Guarda ; là elle a séjourné jusqu'au 28 sans apercevoir
l'ennemi , elle prit la direction de Sabugal pour traverser
Jamontagne. Les 6º et 8ª corps étaient rentrés en Espagne ;
le général en chef était à Ciudad-Rodrigo , et le 2ª corps ,
sous les ordres du général Régner , était en avant de Sabugal
. Le 3 avril , le général Régner , averti de l'approche
de l'ennemi , fit ses dispositions en conséquence , en prenant
position sur un plateau en arrière de Sabugal , d'où
il pouvait observer les mouvemens de l'ennemi et les arrèter.
Un brouillard épais favorisa le développement de
l'armée anglaise , composée de six divisions , et forte de
25,000 hommes; elle s'étendit sur la gauche du général
Régner , sur la route de Penamacor; et après s'être formée
par masse , sur le penchant de la côte , avant d'arriver à la
Coa , se présenta aux gués de la rivière . Le brouillard
s'étant dissipé , le général Régner jugea l'intention de l'ennemi
de se porter avant lui sur la route d'Alfayates ; il fit
aussitôt replier sur ce point les postes de la Coa et la brigade
Heudelet , tandis que la brigade Sarrut , restée sur le
plateau , devait contenir l'ennemi. Ce plateau fut bientôt
attaqué par les têtes des colonnes de l'ennemi. Les 2º légère
et 36º de ligne , impatientes de se mesurer avec elle ,
se précipitèrent spontanément sur ces masses que l'artillerie
sillonnait , culbutèrent tout ce qui s'était approché ,
et suivirent les fuyards jusque vers un mamelon où se formait
la réserve ennemie . Les Anglais redoublèrent d'efforts
contre le plateau : le général Régner fit arriver la
gade de la 2ª division pour soutenir la brigade Sarrut ; l'ennemi
fut constamment repoussé et foudroyé par l'artillerie.
Le 2º corps , maître de tous ses mouvemens , fit sa retraite
par échelons avec le plus grand ordre . L'ennemi tenta de
culbuter le dernier échelon , qui attendait son tourpour
quitter le plateau; mais le général de brigade Soult fit sor
le flanc de la colonne ennemie une charge si vigoureuse ,
avec un escadron du 1er régiment d'hussards et le 22º de
chasseurs , qu'il rejeta bienloin tout ce qui ne fut pas sabré.
Cette dernière action éloigna l'ennemi. Le 2º corps arriva
le mêmejour à Alfayates .
bri-
Après la prise de Badajoz , le duc de Trévise s'est porté
sur Campo-Major , Albuquerque et Valencia. Ces trois
ΜΑΙ 1811.
287
places ont été enlevées aussitôt qu'attaquées , leurs garni
sons , leur artillerie , leurs magasins conduits à Badajoz ,
et les ouvrages rasés .
Immédiatement après l'affaire de Chiclana , Médina-
Sidonia a été reprise , et les insurgés descendus pour
seconder les mouvemens des Anglais ont été dispersés .
Les travaux du siége ont repris leur activité , et le bombardement
a continué . Les vaisseaux et les embarcations ennemis
ont à-la-fois souffert de notre feu et de la tempête ;
plus de 150 bâtimens ont été chassés de leurs ancres et ont
péri à la côte. Il règne à Cadix des divisions qui nous sont
favorables . Les Anglais prétendent qu'ils ont échoué à
Chiclana par la faute des Espagnols ; les Espagnols imputent
àleur tour le mauvais succès de la journée auxAnglais,
Le fait est que l'armée combinée était de 22,000 hommes ,
que les Espagnols tenaient de la tête , qu'ils ont perdu
2000hommes , qu'ils se sont bien battus , et que lesAnglais
dans leur accusation leur donnent ici une preuve nouvelle
de la franchise de leur alliance et de l'intérêt qu'ils prennent
à la cause qu'ils prétendent défendre. Le fait est qu'on ne
ne peut avoir aucune confiance dans les relations mêmes
officielles de l'Angleterre; touty est rédigé dans des vues
politiques , et pour déguiser au peuple le danger de la lutte
dans laquelle on l'a si imprudemment engagé.
Plus récemment , une lettre de Valladolid donne les
détails suivans :
«La tranquillité est rétablie dans les provinces occupées
par l'armée du Nord depuis que le duc d'Istrie en a pris le
commandement. Par ordre de S. Exc . , il a été formé auprès
de chaque division des colonnes mobiles , composées
d'infanterie légère , de voltigeurs , et de quelques détachemens
de cavalerie : elles parcourent le pays dans toutes les
directions , pour détruire les bandes qui sont encore
armées .
» On établit à Salamanque d'immenses magasins pour l'armée
de Portugal , qui s'est rapprochée des frontières de
l'Espagne et qui a pris une excellente position militaire
sous les forteresses de Ciudad-Rodigo et d'Almeida. L'armée
anglaise occupe la rive gauche du Mondego. L'armée
française appuie sa droite à Villa-Nuova et sa gauche à
Guarda. Un corps anglais se trouve à Viseu . Les troupes
portugaises à la solde de l'Angleterre sont à Lamego . Un
gros corps de troupes françaises a pris poste dans la province
de Salamanque. Il occupe les villes de Coria et de
288 MERCURE DE FRANCE , ΜΑΙ 1811 .
Placenzia , d'où il communique de la rive droite du Tage
avec un autre corps posté près d'Alcantara , sur la rive
gauche de ce fleuve.
» Le quartier-général du maréchal Soult, due de Dalmatie
, est toujours à Séville . L'intérieur de l'Estramadure est
tranquille ; seulement les montagnes de cette province et
des environs de Tolède sont infestées de quelques bandes .
Les communications entre Badajoz et Séville sont parfaitement
libres .
>>Le siége de Cadix a repris avec une nouvelle vigueur.
Detoutes parts il arrive des renforts au corps du maréchal
duc de Bellune . LesAnglais ont fait quelques tentatives
pour détruire la flotille française réunie à Puerto-Réal ,
mais leurs tentatives ont tourné à leur honte ; ils ont été
repoussés avec une perte immense .
> Madrid continue à jouir de la plus grande tranquillité ;
on s'y occupe avec empressement des fêtes pour la naissance
du roi de Rome. Athalic,traduite en espagnol , a été
représentée avec le plus grand succès . »
L'Empereur a admis , le 4de ce mois , une députation
de la ville de Milan , qui lui a présenté ses félicitations à
l'occasion de la naissance du roi de Rome : les villes d'Angers
, de Gand et de Lyon ont été admises au même
honneur.
S. M. a tenu , le 7 , un conseil de commerce et des manufactures
. Le8, ily a eu conseil des ministres .
Le sénat , dans ses séances des 3 et 4 mai , a nommé
aux places vacantes dans le sein du Corps-Législatif pour
divers départemens . -s ....
ANNONCES .
Essai sur l'Art d'être heureux; par Joseph Droz. Seconde édition.
Prix , 4 fr . 25 c. , et5 fr. franc de port. Chez Ant. -Aug. Renouard,
libraire , rue Saint-André-des-Arcs , nº 55 .
Morceaux choisis de Bourdaloue , ouRecueil des passages de cet
écrivain les meilleurs , sous le rapport du style et de la morale. Ouvrage
propre à former le coeur et le goût de la jeunesse , à l'usage des
lycées , pensions et écoles secondaires . Un vol. in- 12 , orné d'une
gravure. Prix , broché, 2 fr. 50 c. , et 3 fr. 25 c. franc de port. Chez
Belin, fils , libraire , quai des Augustins , nº 55 ; et chez Leprieur ,
libraire ruedesNoyers , no 45 .
Le même ouvrage , format in-18 , orné d'une gravure. Prix , br.,
I fr. 50 c. , et afr. frane de port.
DE LA SEIN
MERCURE
DE FRANCE.
TAVIE
N° DXIII . - Samedi 18 Mai 1811 .
1
POÉSIE .
LA MORT DE ROTROU.
QUE d'autres , par des chants consacrés à la gloire ,
Célèbrent les hauts faits des fils de la victoire :
Timide , je retrace en des vers moins brillans ,
De paisibles vertus , de modestes talens.
Après ces jours de deuil , ces guerres où la Francè
Vit ses enfans contre elle épuiser leur vaillance ,
Où , de tous les partis méconnaissant les droits ,
Minerve n'aurait su comment fixer son choix ,
L'Etat , encore ému , sous un ministre habile ,
Fleurissait cependant comme en un jour tranquilles
• Richelieu , par son art , sembla donner la paix ,
Et vers de nobles jeux appela les Français.
Rotrou vivait alors : sur la scène grossière
Les informes essais de sa verve première
Sedistinguaient déjà déjà l'on avait vu
Ses écrits respirer un charme peu connu ,
Et son goût se formant sur les anciens tragiques
Empreindre ses sujets de couleurs héroïques.
T
4
290
MERCURE DE FRANCE ,
'C'étaitpeu : les succès dans ces premiers instans
Se recueillaient ainsi que les fleurs au printems ;
Et Rotrou , qu'entourait l'éloge du vulgaire ,
Désirait d'autres prix qu'une gloire éphémère.
Par l'étude , il voulut surpasser ses rivaux ;
Ellé éleva son ame et guida ses travaux.
Souvent il consacra sa mâle poésie
Aux illustres malheurs dont l'histoire est remplio,
Et recherchant du coeur les plus nobles penchans ,
Il peignit l'héroïsme avec des traits touchans.
Dans ses vers on revit expirer Bélisaire ,
Antigone gémir loin des restes d'un frère ;
Il montra Cosroës déchiré de remords ,
Et le divin Alcide en proie à mille morts .
Puis , s'élançant plus loin dans la tragique arêne,
De Venceslas enfin il enrichit la scène.
Corneille avait paru : ce n'étaient plus ces jours
Detriomphes légers , faciles et trop courts .
Rotrou rendit hommage aux oeuvres du génie ;
Son grand coeur fut exempt du poison de l'envie.
Vainement du ministre un indigne courroux
Excitait les éclats des concurrens jaloux :
Rotrou sut résister , et seul par cette audace
De l'injuste puissant mérita la disgrâce.
Voyant ces vils efforts d'un regard de pitié,
Du maître du théâtre il reçut l'amitié ;
Il vanta hautement , dans un transport extrême ,
Du Cid et de Cinna la viotoire suprême.
Mais des succès brillans sage appréciateur ,
Ad'autres noms Rotrou joignait le nom d'auteur.
Thémis entre ses mains déposa la balance ,
Et rappelé par elle aux lieux de sa naissance ,
Préférant aux honneurs un sévère devoir ,
Il sut abandonner jusqu'au plus juste espoir:
Il ne fut point admis au sénat littéraire .
Tel était de Rotrou le noble caractère.
Il quitta le séjour que les arts renaissans
Désignaient pour patrie au génie , aux talens ,
Et suivi du concert des louanges publiques
Il vint faire chérir ses vertus domestiques .
ΜΑΙ 1811 .
291
Integre magistrat,il dispensait les lois ,
Veillait au bien de tous et soutenait leurs droits.
En vain le souvenir de sa gloire première
Le rappelait souvent vers une autre carrière ,
Acet attrait flatteur il résista toujours ,
Au bien de son pays il dévoua ses jours ,
Etdu charme des vers constamment idolâtre ,
Donna des loisirs seuls au grand art du théâtre.
Hélas ! à d'autres soins il était destiné!
Soudain aux murs de Dreux un souffle empoisonné
Répand avec fureur la fièvre délirante ,
Il empreint tous les corps d'une marque sanglante;
Contre sa violence il n'estpoint de recours .
En vain l'art étonné recherche des secours ,
Il ne sait point parer à ces rudes atteintes ,
Etdes temples, en vain , de déchirantes plaintes
S'élèvent vers les cieux , qu'on ne sait plus fléchir.
Il faut quitter ces lieux , ou bien il faut mourir !
On voit se retirer de la fatale ville
Tous ceux qui pour de l'or trouveront un asyle;
L'horrible maladie avec la pauvreté
Seules restent encore en cet air infecté ,
On les livre à leur sort. Absent de sa patrie ,
Rotrou loin de ces maux apprend leur barbarie ;
Ses amis prodiguant un zèle généreux
Sont tombés sous les coups du fléau désastreux;
Quand tout fuit , il accourt : à ce séjour funesto
De sa triste famille il arrache le reste ;
Etdès-lors au malheur réservant sa pitié ,
Il ne voit plus les pleurs que répand l'amitié :
« Je me dois , disait-il , aux maux de ma patrie,
Pour ces affreux momens ma charge est établie ;
Il me faut prévenir d'évitables malheurs ,
Partager le fardeau des communes douleurs ,
Et recevoir la mort si le Seigneur l'ordonne. >
:
Sans relâche pourtant l'airain lugubre sonne;
Tous les murs sont couverts de longs voiles de deuil.
Des spectres chancelans emportent un cercueil
Que conduit en pleurant la famille mourante.
Tout-à-coup , l'un d'entre eux d'une voix faible et lente
Ta
293
MERCURE DE FRANCE ,
Exhale en expirant des accens pleins d'effroi.
Chacun s'écrie : Cô Dieu , prenez pitié de moi.
La terreur est au comble . En sa triste demeure
Le malade tremblant attend sa dernière heure ,
Et n'ose demander un secours étranger,
Qui ne rend point la vie et porte le danger :
En ces extrémités l'inutile puissance
Vainement à ses lois réclame obéissance.
Des restes de vivans parcourant la cité
Proclamaient lentement cet ordre répété :
«Faites sortir vos morts. » Du fond de leurs asyles
Les mourans répondaient avec des voix débiles :
« Nous ne le pouvons point. » O ciel, dans ta fureur ,
Que tu sais de moyens d'aiguiser la douleur !.
Ici , c'est une mère immobile , égaréé ,
Retenant de son fils la dépouille expirée;
Là , deux jeunes époux , aux plus beaux de leurs jours ,
Changent en lit de mort le lit de leurs amours',
Et là , des orphelins pressés par la misère
S'efforcent d'éveiller le cadavre d'un père.
Seul bravant du fléau les traits contagieux .
Rotrou veille et console : au coeur des malheureux
Il apporte l'espoir qu'il ne sent pas lui-même ,
Il songe à leurs besoins ence péril extrême ,
Ypourvoit en donnant etses soins et ses biens ;
Des maux appesantis sur tous les citoyens
Il tâche d'affaiblir la cause meurtrière ,
Assiste incessamment le pauvre ensa chaumière ,
Parcourt les hôpitaux et les lieux infestés ,
Exempt d'effroi secourt les mourans empestés .
Tous bénissent son nom. Il semble enleur misère
QueRotrou soit pour eux devenu plus qu'un père ;
Ils pensent , le voyant sans trouble au milieu d'eux ,
Qu'il est inaccessible à leurs tourmens affreux ;
Etrendent grâce encor au Seigneur ,qui leur laisse
Cet ange protecteur pour calmer leur détresse.
Hélas, c'estun mortel! jusqu'alors soutenu
Par son courage même et sa haute vertu .
Enfin , il est frappé; le ciel impitoyable
Egalement pour lui rend le mal incurable.
؟
:
:
ΜΑΙ 1811 . 293
Sondangerdésespère un pays désolé ;
Lui , regarde la mort et n'en est point troublé.
Résigné , confiant , de ce Dieu qu'il implore .
Il croit que les bienfaits reparaîtront encore .
Il le promet d'avance , et tout près de mourir
Semble prophétiser un heureux avenir :
Les yeux levés au ciel , en ces momens augustes ,
Il meurt en le louant et de la mort des justes .
Mais avantde quitter la terre des douleurs ,
Sur sa famille absente il répand quelques pleurs.
Il voudrait l'embrasser à son heure dernière !
Il jette un seul regard sur la noble carrière
Où la mort le saisit au milieu de son cours ;
Puis il expire , et laisse aux Français pour toujours
Reconnaître en ses vers les essais du génie ,
Honorer son trépas et respecter sa vie .
М. С.
ENIGME.
Au pays des Latins je reçus la naissance ,
Etj'y remplis long- tems divers emplois
Qui furent de quelque importance .
Puis ensuite introduit en France ,,
Sur un seul , à la fin , je dus fixer mon choix ,
Mais sans laisser le nom que j'avais autrefois .
Ce nom , je le porte au village ,
Où je suis et dois être un grave personnage .
Là , même auprès du maire et du juge de paix ,
Des honneurs avec eux partageant l'avantage ,
Sauf tous égards de droits , réputé non moins sage ,
Soit quand je parle , ou lorsque je me tais ,
On m'ôte son chapeau sitôt que je parais .
Qui ne serait flatté d'un tel hommage ?
Je l'obtiens de chacun pour le bien que je fais
Aceux du lien , pour qui l'on m'apprit l'art de lire.
Combien d'entr'eux , sans moi , ne l'eussent su jamais !
Pour de ce que je suis finir de vous instruire ,
J'ajouterai qu'en compte , épigramme ou chanson ,
Etmême en comédie , ( et j'ai droit de le dire ) ,
294 MERCURE DE FRANCE ,
Chaque lecteur , d'esprit plaisant ornon ,
Aime à trouver parfois et mes moeurs et mon ton.
JOUYNEAU DESLOGES (Poitiers ).
LOGOGRIPHE.
Je tiens de mon nom seul le droit d'étre important.
J'étais énigme tout à l'heure ;
Sans avoir changé de demeure ,
Je suis logogriphe à présent.
Ce léger travestissement
N'a rien , lecteur , qui vous déplaise ,
Puisque de moi votre langue française ,
Quoique toujours latín , tire un très-grand parti.
Des mots qu'elle me doit le nombre est infini.
Monté sur mes huit pieds , j'offre une longue liste.
Vous y trouvez air, maire , maigre , gras ;
Cepetit animal dont un chat suit la piste;
Ami, gai , ris , remi , astre , mer , rame, ras;
Le nom d'un Dieu , d'un mois , d'une bête féroce;
Ce que l'homme devient dès le jour de sa noce;
Aise, mât , ire , tas , sage, mage , rit , mais ;
Rage , gite , tamis , mire , tire , arme , rate ;
Cequi ne doit manquer à vers bien faits ;
Tige , tare , métis , mare , amer, geai , gris , grate.
Dans mon entier enfin traduisez-moi ;
Jamais traduction ne sera plus fidèle.
Plus loin , si je voulais , iraitma kirièle :
Mais de l'arrêter là je me suis fait la loi.
Cependant, permettez , que j'ose
(Admirez ma fécondité )
Sur une autre métamorphose ,
Fixerquelques instans la curiosité ,
Tel le texte , telle la glose.
Je vous l'ai déjà dit; de toute antiquité
Je suis latin. Six mots sortis de ma structure ,
(Ce nombre encor pourrait être augmenté )
Conservent la même nature .
Puisque je dis sir , les voilà :
Arte, regis , erit , gratis s mater , ista .
Parlemême.
ΜΑΙ 1811. 295
CHARADE .
En tout tems et partout je dois être le maître.
Unnouveau masque encor va travestir mon être.
Je suis latin par mon premier ,
Je suis latin par mon dernier ,
Je suis latin dans mon entier.
Pour , d'un mot , à vos yeux plus promptement paraître ,
Traduisez plus trois fois , vous allez me connaître .
Par le même.
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARADE
insérés dans le dernier Numéro .
Lemot de l'Enigme est Accent circonflexe.
Celui du Logogriphe estPont.
Celui de la Charade est Défi.
SCIENCES ET ARTS .
ESSAI SUR LA TOPOGRAPHIE PHYSICO-MEDICALE DE BORDEAUX
; par J. B. M. SAINCRIC , de Pauillac en Médoc ,
département de la Gironde , docteur en médecine de
la Faculté de Montpellier , ancien élève et secrétaire
de l'Ecole de médecine de Bordeaux , chirurgien
interne de l'hospice de Bienfaisance de la même ville .
Brochure in-4º de 68 pages . -Prix , 1 fr . , et
1 fr . 50 c. franc de port . - A.Montpellier , chez
Martel aîné , imprimeur de la Faculté de médecine ,
près l'hôtel de la Préfecture , nº 62 .
On peut juger de la modestie de M. Saincric par le
choix de cette épigraphe , tirée d'Ovide :
Ut desint vires , tamen est laudanda voluntas .
Cette modestie ne se dément point pendant tout le
cours de l'ouvrage , où l'on voit un homme très- instruit
payer un tribut de reconnaissance à tous ceux qui ont
fait éclore ou étendu ses connaissances . Parmi ces derniers
on distingue particulièrement le docteur Grassi ,
l'un des plus célèbres médecins de l'Empire , à qui l'auteur
fait hommage de cet essai . Dans cet écrit , M. Saincric
n'est pas seulement médecin; il est encore historien ,
philosophe , et sage moraliste. Rien n'échappe à son oeil
observateur ; et sans morgue , sans pédanterie , il fait
connaître aux habitans de Bordeaux et leurs grandes
qualités et leurs petits défauts . Ayant été à portée de faire
les remarques nécessaires ( puisqu'il a été élève et secré
taire de l'école de médecine de cette ville ) , il prouve
qu'il a soigneusement étudié la qualité du sol de la ville
et de ses environs , en donnant sur cet objet des détails
très- étendus . Delà , il passe aux eaux , à leurs qualités
bonnes ou mauvaises suivant les différens quartiers . Il
parle ensuite du climat , de la température et de leur in
MERCURE DE FRANCE , ΜΑΙ 1811. 297
Auence . C'est dans ce chapitre particulièrement qu'il
déploie de vastes connaissances . Les productions du sol
devaient fixer son attention ; il traite , avec beaucoup
de précision et de justesse , des productions minérales ,
végétales et animales de cette contrée. Voici ce qu'il
dit relativement à la constitution physique des Bordelais
:
<<Une taille moyenne , mais bien prise ; une peau
>>>brune ; des cheveux noirs ; les traits du visage allongés ,
>>mais agréables ; des yeux noirs et spirituels ; des dents
>>blanches , mais souvent cariées de bonne heure ; une
>> grande mobilité de nerfs ; de l'agilité , de la force et de
>>la dextérité .... Voilà ce qui caractérise le physique des
>>>Bordelais .
La constitution organique des femmes est , à quel-
» ques modifications près , semblable à celle des hommes .
>> Généralement jolies , les Bordelaises ont la taille svelte ,
>> élancée , et une grace inimitable dans la démarche .
» Leurs yeux noirs et pleins de feu expriment la vivacité -
>> de leur esprit. Le système nerveux prédomine dans
>>leur organisation : aussi leursensibilité est-elle exquise ,
> au moral comme au physique . »
Après avoir successivement parlé des moeurs , des
usages , des habitudes et du caractère distinctif des habitans
de Bordeaux , M. Saincric s'attache à démontrer
que le climat est par son influence la cause principale
de ce qu'on y peut trouver de différent avec les autres
hommes vivans en société , à plus ou moins de distance
de ce même climat .
Jusqu'ici nous n'avons vu cet auteur estimable , qu'historien
fidèle et juste observateur ; mais combien il devient
intéressant par sa philanthropie , quand descendant dans
les plus petits détails , il indique les moyens d'écarter
de cette grande cité les maladies qui la désolent annuellement
, et dont il croit avoir découvert les causes ! Ces
moyens sont :
1º. De compléter le dessèchement des marais environpans
et de planter des arbres sur ces terrains desséchés .
2º, De combler les fossés du château Trompette , du
298 MERCURE DE FRANCE , MAI 1815 .
fort Louis et du fort de Ha , et généralement toutes les
mares qui existent dans la ville et les faubourgs .
3º. De faire transporter à une demi-lieue les dépôts
particuliers de fumier .
4°. De transporter hors de la ville les ateliers qui infectent
l'air par une foule de gaz plus ou moins délétères .
5° . D'élargir les petites rues et de faire de nouvelles
percées pour favoriser les courans d'air.
6°. De surveiller soigneusement les aqueducs souterrains
, le plus souvent encombrés , et contenant des eaux
croupissantes , etc.
Nous avons cité ce passage , parce que , si l'exécution
des conseils de M. Saincric peut être utile pour la salubrité
de Bordeaux , elle le serait aussi pour celle de plusieurs
villes , telles que Le Havre , Fécamp , Dieppe , etc.
Au reste , cet essai présenté et publiquement soutenu
à la faculté de Médecine de Montpellier , le 9 novembre
dernier , devant quatorze savans , tant médecins , que
chimistes , botanistes , etc. , parmi lesquels on compte
le célèbre M. Chaptal , mérite à son auteur l'estime générale
, et particulièrement la reconnaissance des habi
tans de Bordeaux.
ROQUEFORT.
LITTÉRATURE ET BEAUX-ARTS.
LA MORT AUX PROCES ; ouvrage destiné à perfectionner la
procédure civile , à détruire le germe des neuf dixièmes
des procès , et à rendre presqu'insensible le mal du
dixième , à-peu-près , qu'on ne peut éviter ; précédée
d'une explication de l'origine et du secret du vrai jury ,
et de la comparaison du jury anglais avec le jury
français ; ouvrage destiné à perfectionner la procédure
criminelle , par M. J. B. SELVES , ancien avocat
au parlement de Toulouse , ex- législateur , ex-juge de
la cour criminelle et spéciale de Paris . Un vol . in- 8°.
Paris , chez Maradan , libraire , rue des Grands-Augustins
, nn°° 9.
APRÈS la mort aux rats , que peut -on proposer de plus
utile à la société que la mort aux procès ? Dans l'ordre
même de l'utilité publique , la mort aux rats ne doit
passer qu'après la mort aux procès ; car il sera toujours
beaucoup plus aisé de se défendre de la dent des rats ,
que de la griffe des suppôts du palais . Une bonne souricière
sera toujours plus facile à trouver que de bons
réglemens . Boileau a dit en peignant l'antre de la Chicane:
Ce monstre odieux
Jamais pour l'équité n'eut d'oreilles ni d'yeux.
La disette au teint blême et la triste famine ,
Les chagrins dévòrans et l'infame ruine ,
Enfans infortunés de ses raffinemens ,
Troublent l'air d'alentour de longs gémissemens .
Sans cesse feuilletant les lois et la coutume ,
Pour consumer autrui , le monstre se consume
Et dévorant maisons , palais , châteaux entiers ,
Vend pour des monceaux d'or de vains tas de papiers .
Tantôt , les yeux en feu , c'est un lion superbe ;
Tantôt humble serpent , il se glisse sous l'herbe.
En vain , pour le dompter , le plus juste des rois
Fit régler le chaos des ténébreuses lois ,
300
1
MERCURE DE FRANCE ,
Ses griffes , vainement par Pussort accourcies ,
Se rallongent déjà toujours d'encre noircies ,
Et ses ruses perçant et digues et remparts ,
Par cent brèches déjà rentrent de toutes parts.
C'est à la vue de tant de maux , sous les voûtes mêmes
de cet antre redoutable , que M. Selves a conçu le projet
de poursuivre le monstre avec de nouvelles armes , et
d'abattre enfin la dernière tête de cette hydre toujours
renaissante. Il ne se dissimule point les dangers de
l'entreprise , mais sa grande ame ne s'effraie pas
du péril. Il commence par remarquer que le nombre des
procès augmente en raison du nombre des officiers ministériels
; que les neuf dixièmes des causes ne proviennent
que de quelques momens d'humeur qu'on apaiserait
facilement , s'il ne se trouvait une foule d'hommes avides
et intéressés , qui font métier de fomenter les passions ,
d'irriter les haines , et de consommer la ruine de leurs
cliens , en les berçant de la vaine promesse d'un triomphe
facile et assuré .
Etrange dégénération des plus belles institutions sociales
! Le nom d'avoué dérive du mot latin advocare ,
'appeler à son secours . L'avoué est donc un homme dont
on invoque l'appui et les lumières , un patron sous la
protection duquel on va se placer avec confiance , et ce
patron abuse des droits les plus sacrés , viole les plus
saintes lois de l'humanité pour dévorer ses cliens ; plus
coupable que les sirènes de la fable qui vous appelaient
d'une voix enchanteresse, pour vous faire périr dans
leurs retraites homicides. Pourquoi les avoués ne se
rappellent- ils pas ce beau passage de la prose de saint
Yves leur patron : Advocatus et non latro ?
M. Selves observe qu'en 1808 , époque très-rapprochée
de nous , Paris nourrissait dans son sein deux cent
soixante-deux avoués de première instance , occupés ,
comme les sauterelles , à désoler la terre qui les portait.
Les procès montaient alors à huit ou neuf mille par an ,
ainsi qu'on peut s'en convaincre en consultant les rôles.
Depuis un an cette race dévorante a été réduite à cent
cinquante , c'est-à-dire à près de moitié , et dans le cours
ΜΑΙ 1811 . 3ot
de l'année àpeine a-t- on compté cinq mille procédures.
Que serait-ce si l'on opérait une nouvelle réduction !
les suites en seraient incalculables . M. Selves établit
que trente avoués de première instance , et seize avoués
en appel , seraient plus que suffisans pour suivre lés
causes qui se plaident à Paris . Il pose en principe , que
cesont les terres plus que les personnes qui font naître
les contestations civiles. C'est donc dans les départe
mens où le territoire est le plus étendu , où les proprié→
taires sont le plus nombreux , que les procès de quelque
importance doivent se multiplier davantage. Que Paris ,
àcause de son extrême corruption , ait en proportion
plus d'avoués qu'un autre département , c'est une chose
raisonnable , comme il doit y avoir proportionnément
plus de filles publiques dans une grande capitale que
dans une petite ville ; mais la raison veut aussi que
toute proportion soit juste et n'ait rien d'outré. Le dé
partement de Paris possède un territoire de 46,181 hectares
, et sa population est de 631,531 individus ; mais
l'immense majorité de cette population se compose de
prolétaires qui vivent du travail de leurs mains. Peut-être
n'existent-il pas à Paris deux cent mille individus propriétaires
; ou , ce qui est la même chose , quarante
mille familles jouissant des avantages de la propriété.
Supposons un dixième de ces familles attaqué de l'humeur
querelleuse , il en résultera quatre mille procès
pour le tribunal civil ; mais quatre mille procès néces
sitent-ils cent cinquante avoués ? Autrefois la maison
d'un avoué était simple et modeste ; la frugalité d'un
procureur était passée en proverbe. Le vin d'ordinaire
se recueillait sur les coteaux de Surène et dans les plus
humbles vignobles de la Brie ; une eau secourable en
tempérait encore l'acrimonie. Aujourd'hui chaque maisond'avoué
semble avoir été protégée par la chatte mer
veilleuse ; c'est un palais , et les habitudes économiques
n'existentplus que pour les clercs . M. Selves, pour estimer
au plus bas , réduit les bénéfices annuels de chaque avoué
à20,000 francs , et il trouve dans ce produit un impôt
de trois millions , qui pèse sur les quatre mille familles
àraison de 800 fr. pour chacune. Ilfaut ajouter à cette
م
302 MERCURE DE FRANCE ,
:
1
:
1
onéreuse répartition les profits des avoués d'appel , du
fisc , des huissiers , des recors , et de toute la nuée de
cousins réunis pour nous tourmenter. Faites maintenant
la comparaison avec les divers départemens de
l'Empire , et vous verrez , dit M. Selves , la différence
extrême du nombre des avoués relativement au territoire
et à la population.
Le département de l'Escaut possède en territoire
357,000 hectares et 636,438 individus , ce qui forme
plus de six fois l'étendue du territoire de Paris , et
donne une population à-peu-près égale ; or , ce département
, divisé en quatre tribunaux , ne compte que
48 avoués .
Le territoire de la Gironde est de 1,080,552 hectares ,
sa population de 514,562 individus , ce qui présente
vingt-cinq fois plus de territoire qu'à Paris , et deux fois
plus de propriétaires ; il n'y a pour tout ce département ,
divisé en six tribunaux , que 58 avoués .
Le département du Nord a580,000 hectares et840,000
ames , c'est-à- dire , douze fois plus de territoire et un
tiers de population de plus que Paris . Le nombre de ses
avoués est de soixante .
Les cinq départemens qui composent le ressort de la
cour d'appel de Paris , n'ont ensemble que cent soixanteun
avoués , et le département de la Seine , s'écrie
M. Selves , en a seul cent cinquante ! Il conclut de la
que si l'on suivait une proportion exacte et mathématique
, Paris ne devrait pas avoir plus de quinze avoués ;
mais je crois que M. Selves se trompe. Le département
de la Seine doit être considéré d'une manière toute particulière
. Ce n'est pas l'étendue , mais la division de
son territoire qu'il faut prendre pour base; et trente
mille maisons élevées dans une enceinte étroite donnent
plus de propriétaires que 200,000 hectares occupés
par des bois ou des marais . La même observation
peut s'appliquer aux calculs de M. Selves sur le nombre
des avoués à la cour d'appel. Paris en a quatre-vingt.
Son ressort est de 3,985,000 hectares , et de 2,300,000
individus .
Le ressort de Bruxelles a cinq départemens , qui forΜΑΙ
1811 . 303
ment ensemble 1,800,000 hectares; sa population est de
2,300,000 individus . Le nombre de ses avoués est de
vingt-quatre ; ce qui est encore trop , dit M. Selves . La
cour d'appel de Grenoble s'étend sur 3,000,000 d'hectares
, et 1,200,000 individus ; elle n'a que dix-sept
avoués. Montpellier avec un ressort de 3,400,000 hectares
, et une population d'un million d'ames , n'en
compteque quatorze. Gênes possède 1,800,000 hectares
et 1,600,000 individus ; le nombre de ses avoués est de
douze. Bordeaux avec 3,000,000 d'hectares et 1,200,000
individus n'a que dix avoués. Mais un exemple encore
plus frappant , c'est le ressort de Rennes : sa population
est de 2,300,000 individus , son territoire de 3,005,000
hectares , et le nombre de ses avoués de douze. Commentdonc
, dit M. Selves , quatre-vingts avoués à la cour
d'appel de Paris , parviennent-ils à vivre dans l'abondance
et la somptuosité? Ils multiplient les actes judiciaires
, ils prodiguent les formalités . S'agit-il d'une fin
de non-recevoir ? Quatre avoués industrieux trouveront
le moyen de bâtir , ou de supposer bâties quatre-vingts
requêtes , dont quarante seront grossoyées . Les frais de
ces actes inutiles seront énormes , le plaideur sera ruiné ,
et le plus pur de son sang passera dans les veines de son
procureur.
Le mal dans les procédures est incalculable ; c'est-là
que la main des avoués peut , avec sécurité , nager
en eau trouble . Que d'astuces , que de ruses pour
éluder la loi ! Quinze personnes plaident pour la même
cause; un seul dossier suffirait ; l'émulation des avoués
s'enflamme , et quinze dossiers vont consommer la ruine
des quinze malheureux . Des cinq mille causes présentées
dans l'espace de l'année dernière , quatre mille au moins
pouvaient se terminer sans procès ; on en compte à peine
mille où le ministère des avocats a été réclamé . Qu'importe
? c'est une proie dont les avoués s'emparent ; les
écritures s'étendent et se grossissent sous leurs mains ;
la raison , la vérité et la justice gémissent étouffées sous
des monceaux de papiers ; le juge y peut à peine entrevoir
quelque faible lumière; le doute et les incidens sur
304 MERCURE DE FRANCE ,
viennent , et l'infortuné qui demandait justice, qui l'eût
peut- être obtenue de son adversaire , est ruiné à jamais .
Ce n'est pas tout , l'huissier se joint au procureur ,
ajuste , combine , médite avec lui les moyens de pomper
votre substance , suppose des procès-verbaux, souffle
des copies , et voilà encore votre perte assurée. Mais
qu'est-ce qu'une copie soufflée ? C'est une signification
que l'huissier est tenu de vous faire en personne , mais
qu'il vous envoie par la poste ou qu'il remet à un valet.
Si la poste manque , si le valet fait , sous la treille , une
libation à Bacchus , si votre adversaire le prévient , et
surprend sa religion , à l'aide d'un petit écu , la signifi
cation ne vous arrive pas . La cause ne s'en poursuit pas
moins , vous dormez en sécurité , le juge vous condamne
, et l'on vous expédie votre sentence à votre
réveil. A combien d'abus ce funeste usage n'a-t-il pas
donné lieu ? « On a vu , dit M. Selves , il y a trois ans ,
› un huissier supposer dans un état de frais quarante
>> procès-verbaux , portant tous qu'il n'avait pu trouver
>> un restaurateur qu'il était chargé d'assigner comme
» témoin , et ce restaurateur demeurait dans une des
>>grandes places de Paris , et n'avait pas quitté un ins
>> tant ses fourneaux.>>>
Ici M. Selves fait une distinction entre les huissiers
de première classe et les huissiers de seconde classe .
Celle- ci est composée des hommes de peine; ils font les
saisies , ils affrontent les boues, les injures du tems etle bâ
ton, et se chargent de tout ce que le métier a de laborieux
et de désobligeant. L'autre classe se forme des huissiers
à robe de chambre , à pantalon de basin , à pantouffles
du palais . Ils donnent leurs audiences dans des cabinets
dorés ; ils ont des antichambres , des salons et des boudoirs
; ils traitent d'égal à égal avec les jurisconsultesi
ils en prennent le ton et les manières , et poussent quelquefois
la dignité jusqu'à vous offrir leur protection
Une copie soufflée est , pour cet ordre , une bagatelle ;
c'est un léger casuel qu'ils veulent bien ajouter aux produits
plus nobles de leur office . M. Selves poursuit cet
abus avec beaucoup de chaleur.
Mais l'article sur lequel il s'arrête avec le plus d'intérêt
1
LA
SBIDE
ΜΑΙ 1811 .
et de zèle , est celui de la taxe ; et c'est là , en effet , que
letriomphedes suppôts de Thémis est assuré; carriende
plus facie , au Palais , que de faire passer une taxe , et
si les parties lésées réclament , c'est la chambre des
asués qui prononce sur ces réclamations, et l'on pense
bienqu'elle ne manque presque jamais de prononcer en
faveur de ses confrères . L'on a vu , dans une assemblée
de créanciers , chez un notaire , un état de frais porté ,
par un avoué , à go, ooo fr . , et réduit , par autorité , à
environ 7000fr. Il existe , en ce moment même , deux
procès au sujet d'un avoué qui demandait 13,900 fr .
pour solde d'un mémoire de frais , et que la chambre
elle-même s'est vue forcée de réduire à 247 fr . Quel
effrayant pillage !
M. Selves propose d'arrêter tant de maux dans leur
principe : il veut non-seulement qu'on réduise , à Paris ,
les avoués de première instance à trente , et ceux d'appel
àseize ; mais qu'on interdise , même aux particuliers ,
la faculté de plaider , quand ils n'ont pas de motifs suffisans
pour fatiguer de leurs plaintes le sanctuaire de
Thémis. Il veut qu'on introduise dans les tribunaux
civils la jurisprudence du tribunal de Cassation , et que
nul ne puisse plaider sans en avoir obtenu la permission .
Il veut qu'on réduise le nombre des juges de paix , qu'on
les choisisse avec plus de soin , et qu'on exige plus de
connaissances et d'études de la part des autres juges :
mais il est bien difficile d'astreindre un plaideur à demander
la permission de plaider. Le droit de se quereller
est un droit naturel et imprescriptible ; un homme
qui veut plaider peut dire comme la femme de Sganarelle
à ceux qui prétendent l'accommoder :
De quoi vous mêlez-vous ? je veux que l'on me batte .
D'ailleurs , quand une contestation s'élève , quelque
légère qu'elle soit , il faut de toute nécessité que quelqu'un
ait tort ; il faut donc un jugement , et sans jugement
le refus d'une permission de plaider serait évidemment
un déni de justice. Il est vrai que dans beaucoup
de circonstances , les deux parties ne sont pas animées
du même esprit de chicane , etdans ce cas , le juge au-
V
306 MERCURE DE FRANCE ,
1
quel la requête est présentée , peut décider que telle demande est mal fondée et refuser la permision d'assigner.
Mais un bon plaideur ne sera pas désappointé , il trouvera moyen de susciter une nouvelle querelle , et les
gens du palais seront toujours là pour nourrir son
humeur belliqueuse . Il est , en général , fort difficile
d'opposer des remèdes aux passions des hommes ; mais
il est toujours glorieux de s'en occuper . L'ouvrage de
M. Selves ne peut manquer de fixer l'attention publique .
On sera frappé des exemples qu'il rapporte. On fera ,
comme lui , des voeux pour prévenir tant de maux , et
peut-être , à force de méditations et de soins , parviendra-
t- on enfin à raccourcir les griffes de la chicane ,
que le glaive de Thémis n'a jamais pu rogner en entier.
SALGUES.
ESSAI SUR L'ART D'ÊTRE HEUREUX , par JOSEPH DROZ.
Seconde édition; avec cette épigraphe :
,
« Il faut être heureux , cher Emile; c'estla fin
> de tout être sensible ; c'est le premier désir
et le seul > que nous imprima la nature ,
> qui ne nous quitte jamais . »
EMILE , lie . V.
Prix , 4 fr. 25 cent. , et 5 fr. franc de port. -Paris,
- chez Ant. -Aug. Renouard, libraire , rue Saint-Andrédes-
Arcs , nº 55 .
Tout le monde court après le bonheur : il est le but
de toutes les actions des hommes , il est le seul objet
des rêves qu'enfante leur imagination . Les jeunes gens ,
entraînés par leurs passions , s'imaginent que le bonheur
est dans de fugitifs plaisirs ; ils atteignent l'âge de l'ambition
, sans l'avoir connu , et alors que de soins , de
soucis de toute espèce ! Où se trouvera-t-il donc ce
bonheur si désiré ? Dans le repos ? Peut-être , si ce repos
n'est pas troublé par la douleur et les infirmités d'une
vieillesse précoce. Undes plus grands obstacles au bonheur ( tous les
ΜΑΙ 1811 . 307
moralistes l'ont reconnu ) c'est l'envie. Pourquoi faut-il
que nous jettions sans cesse un regard jaloux sur les
biens que possèdent les autres ? L'homme qui jouit
d'une fortune médiocre rêve qu'il serait heureux s'il
possédait ou la place , ou la terre , ou la femme de son
voisin. Eh bien ! cet homme envié , ce voisin en apparence
si heureux , est aussi dévoré par l'envie , par l'ambition.
Il lui faudrait de la célébrité , un poste plus
éminent , une décoration , que sais-je ? peut-être une
femme , ou moins gaie , ou moins sérieuse , ou moins
coquette , ou moins sage .
Qui fit , Mecenas , ut nemo , quam sibi sortem ,
Seu ratio dederit , seu fors objecerit , illa.
Contentus vivat ? ....
L'auteur de l'Essai sur l'Art d'être heureux a bien
mérité de la société en général , s'il a trouvé et indiqué
la route qu'il faut prendre pour parvenir au bonheur .
Voyons quel est son plan , quels sont les conseils qu'il
nous donne .
Il définit d'abord le bonheur. Ce n'est point , comme
l'observe M. Droz , « une sensation fugitive , mais un
>> sentiment si doux de l'existence , que plus nous l'éprou-
>> vons , plus nous souhaitons de prolonger sa durée. >>>
L'auteur philosophe appelle ensuite l'attention du lecteur
sur les situations de la vie , sur tous les sentimens
de l'ame qui peuvent aider aux développemens de l'art
qu'il veut enseigner. A l'exemple de plusieurs moralistes
(Montaigne , Charon , etc. ) , il a divisé son ouvrage
par chapitres : et c'est dans ces chapitres qu'il
dicte ses leçons de sagesse . Le secret qu'il enseigne ne
peut être nouveau; on le sent bien. Quelle découverte
peut-on faire en morale après Platon , Cicéron , et les
autres philosophes de l'antiquité ; après Montaigne ,
Fénélon , Pascal , La Bruyère , et tous les philosophes
modernes ? mais c'est beaucoup de réunir et de classer
avec une certaine méthode , des principes épars ; de les
présenter avec intérêt et même avec charme ; et c'est ce
qu'a fait l'auteur de l'Essai sur l'Art d'être heureux . Son
livre est semé d'anecdotes piquantes qui réveillent sans

V2
308
MERCURE DE FRANCE ,
cesse l'attention des lecteurs . Presque toujours un trait ,
une citation agréable vient à l'appui de es raisonnemens
.
Il serait trop long de citer tout ce qui nous a paru
de remarquable
dans cet estimable ouvrage ; mais nors
croyons plaire au lecteur en rapportant un trait peu
connu qui ajoute encore à l'intérêt du chapitre sur
l'amitié.
« Je prends une haute opinion de l'homme à qui j'en- >> tends exagérer ou les vertus ou les talens de ses amis . » Il possède les qualités dont il parle , puisqu'il a besoin
» de les supposer à ceux qu'il aime.
» Noble et pur sentiment , l'amitié eut ses paisibles
» héros. Des noms que célébrait également la Grèce
>> antique s'offrent à la mémoire ; mais dans nos tems
>> modernes il est encore des amis dont le souvenir peut-
» être sera cher à la postérité . Tous les hommes qui
» connurent Dubreuil et Pechméja parlent avec respect
» de leur tendresse mutuelle . On demandait à Pechmėja
» quelle était sa fortune : aussi bon , aussi simple que » La Fontaine , il répondit : Je n'ai que douze cents liv .
» de rente; mais Dubreuil est riche. Celui - ci , peu de » jours avant de mourir , lui disait : Pourquoi laisse- t-on » entrer tant de personnes dans ma chambre ? ma maladie
» est contagieuse , il ne devrait y avoir ici que toi. C'est
>> ainsi qu'ils étaient unis , et savaient peu se distinguer
>> l'un de l'autre . >>
L'ouvrage offre une foule de détails piquans que nous
regrettons de ne pouvoir citer ; on y rencontre aussi à
chaque page des phrases touchantes , des pensées fortes
et bien exprimées . Dans le passage suivant sur la Mélancolie
, l'auteur , en prouvant la sagesse de ses opinions
religieuses , combat avec avantage , à ce qu'il nous
semble , mais avec tous les égards dûs au grand talent ,
un éloquent défenseur de la règle de ces religieux qui
bêchaient leurs tombeaux à la lueur de la lune , dans les
cimetières des cloîtres , et qui n'avaient pour lit qu'un
cercueil.
«< Eh quoi ! répond le philosophe , des gémissemens
» sans fin , l'espérance du tombeau , serait- ce là tout ce
MAI 1811 .
309
>>
» qu'une religion divine apporterait à l'homme sur la
» terre ? Votre imagination s'égare et vous abuse. La religion
des chrétiens n'est pas triste , elle est sérieuse :
» moins brillante que l'ingénieux paganisme , elle est
» moins amie du plaisir , mais elle est plus favorable au
>> bonheur .
» Nos opinions ne sont pas seulement différentes , elles
» sont opposées . Une religion pure fait éclore les douces
» joies , la confiance et la sérénité ; c'est l'oubli des idées
>> religieuses qui produit , avec le découragement , une
» vague tristesse , une sombre mélancolie .
>> Des tableaux lugubres tracés avec enthousiasme , ne
» peuvent que grossir le nombre des hommes atrabi-
» laires , las du monde et fatigués d'eux- mêmes . Si la
» religion inspire un insatiable besoin de rêveries funèbres
, loin d'être divine elle est anti - sociale . Ah!
» peignez-la plus active que le malheur , donnant un
» vêtement au pauvre , un asyle au malade , une mère
» à l'orphelin , essuyant d'une main céleste les pleurs de
>> l'innocence , et faisant répandre au coupable des
» larmes consolantes . Qu'une pieuse reconnaissance
» environne les modestes héros Vincent de Paule ,
» apôtre et martyr de la charité ; Jean Hennuyer dont le
» palais s'ouvrit aux Protestans , quand la cour de France
» ordonna leur massacre ; et ce divin Fénélon qui semble
» devoir tous ses talens à ses vertus . Voilà les hommes
>> dont il faut multiplier les disciples et les émules ;
» mais cessez de nous vanter de mélancoliques erreurs
>> et de sombres folies : l'éloquence vous fut donnée pour
>> une plus digne usage . »
Il ne serait pas impossible que l'on reprochât à l'auteur
de n'avoir pas adopté un plan qui ouvrît un champ
plus vaste à l'imagination . Depuis dix à douze ans , un
auteur moderne très-célèbre prouve que sous la forme
d'un poëme ou d'un roman on peut offrir aux lecteurs
la morale la plus sainte , la plus austère . Pour nous , loin
de le blâmer , nous félicitons M. Droz d'avoir marché
sur les traces des Montaigne , des Charon ; de n'avoir
point confondu les genres ; d'avoir fait tout simplement
un livre de morale , comme on les faisait autrefois . Son
310 MERCURE DE FRANCE ,
ouvrage , nous le répétons , n'en offre pas moins des
tableaux vrais , une philosophie douce , aimable , rassurante
. Comme il parle d'après son ame , la conviction
suit le précepte. Enfin , l'auteur de l'Essai sur PAA
d'être heureux , procurera certainement quelques momens
de plaisir à ses lecteurs ; et c'est ainsi qu'il les disposera
favorablement pour son système . ALEX. D** .
LA TENDRESSE MATERNELLE, -A Paris , chez Lefuel,
libraire , rue Saint-Jacques , nº 54 , près celle du
Foin . Un vol. in- 18 , orné de gravures .
,
LE fond de ce petit roman est très-simple. Transportons-
nous au commencement du seizième siècle ; figurons-
nous , dans Soleure , une modeste ouvrière , épousant
un négociant peu fortuné , le perdant après trois
ans de mariage , restée veuve avec un enfant qu'elle
nourrit , qui grandit , s'élève , et dont elle se fait l'institutrice
, qu'elle place à douze ans dans une bonne maison
de commerce , qu'elle établit lorsqu'il est en état de se
mettre à la tête de ses propres affaires , qu'elle marie
et que la mort lui enlève à la fleur de l'âge : nous aurons
une idée complète des principaux événemens dont se
compose la Tendresse Maternelle. Rien , sans doute , de
plus ordinaire , même de plus commun ; et cependant
tel est l'art du narrateur que dès que l'on a lu la première
page de son livre , il est impossible de le quitter
avant d'être arrivé à la dernière. C'est qu'une foule d'incidens
sortant naturellement du sujet appellent et soutiennent
sans cesse l'attention ; c'est que dans un ouvrage
où respire la morale la plus pure , elle est bien moins en
discours qu'en action; c'est que du moment où l'auteur
vous a mis dans une sorte de rapport avec les personnages
dont il vous entretient, il n'en est pas un seul
auquel vous ne preniez un vif intérêt, dont vous n'aimiez
l'esprit ou le caractère , avec qui , malgré vos goûts , vos
habitudes , l'éclat de votre fortune ou de votre condition
, vous ne voulussiez vivre; c'est que dans ce tableau
où les figures se multiplient , la figure principale reste
ΜΑΙ 1811 . 311
toujours sur le premier plan , et que les autres ne semblent
l'entourer et la presser que pour la faire ressortir
davantage. En effet , la bonne mère est toujours en scène
dans les événemens les plus importans et dans les détails
les plus simples . Ici , c'est un fait , là c'est un mot qui la
peint , la rappelle , et vous rapproche d'elle alors mème
que vous croyez en être éloigné. Sa conduite , dans tout
le cours de l'ouvrage , offre un modèle de vigilance , de
soin , d'attention , d'amour maternel ; mais aussi quel
enfant la nature lui a donné ! Ce n'est point un petit pròdige
, non ; c'est tout bonnement un enfant heureusement
né ; et telle est la double tâche que l'auteur semble
s'être imposée , et qu'il a parfaitement remplie , qu'en
donnant d'excellentes leçons aux mères , il en donne
également aux enfans. J'ai parlé des caractères des différens
personnages qui concourent plus ou moins à
l'action. Quoiqu'ils soient tous vertueux , il ne faut pas
s'imaginer que la vertu ait chez tous la même physionomie
. Le négociant Goudmann , Charles Courtnner et
son oncle ne se ressemblent point du tout. L'apparition
même de cet oncle dans le roman y jette un intérêt
piquant. C'est une espèce de bourru bienfaisant , et ses
entretiens avec son neveu , avec la bonne mère , formeraient
des scènes de comédie très-agréables. Je n'ai encore
rien dit du style ; il est ce qu'il doit être , c'est-àdire
, convenable aux lieux et aux personnages . A la
pureté , à la correction , il réunit l'élégance , mais l'élégance
sans éclat, sans faux brillant sur-tout . Ce n'est
jamais l'esprit qui parle , c'est toujours la raison ou le
sentiment. Je vais citer et je prends au hasard.
Blanche va être unie à Péters ; elle est , avec lui , aux
genoux de son père qui prêt à leur donner sa bénédiction
,parle ainsi au jeune homme: « Mon ami , nous te
➤ cédons notre enfant. Tu sentiras un jour tout ce qu'il
>> en coûte pour faire un pareil sacrifice. Elle vivait pour
>nous comme nous vivions pour elle.Elle ne cesse pas
>>de nous appartenir ; mais nous ne serons plus les seuls
➤objets de ses soins , elle ne sera plus l'unique objet des
nôtres. Aime-la bien , traite-la bien ; qu'il n'y ait de
>changement dans sa position que celui qu'y apporte
312 MERCURE
DE FRANCE
,

» ront ta tendresse fidelle , quelqu'aisance de plus , et
» un bonheur qui , vu ton âge , doit être de longue durée .
» Mon cher fils , regarde sa mère , regarde moi ; nous
» sommes tout en larmes . Que ce soient les seules que
>> tu nous fasses jamais verser . Ménage notre vieillesse .
» Ne donne jamais à notre chère Blanche le moindre
» sujet de regretter d'être ta femme . Mon ami , je ne sais
» si elle en mourrait , mais bien certainement nous en
» mourrions . >>
Econome de réflexions qui , sur-tout lorsqu'elles sont
multipliées dans une narration , refroidissent l'intérêt ,
l'auteur en sème pourtant quelques-unes dans le cours
de la sienne . Je transcris celle - ci qui vient après la mort
du père de Péters , lequel , à sa dernière heure , avait
recommandé à Blanche de prendre soin de sa femme ,
lorsqu'il ne serait plus . « Il est rare que dans une longue
>> et tendre union , lorsque l'un des deux époux meurt ,
>> l'autre lui survive long- tems . On a vieilli ensemble ; on
» s'aidait mutellement à supporter la vie , qui , fardeau à
» tout âge , devient pesant sur-tout lorsque les années
» s'accumulent sur la tête . On avait l'habitude de se voir,
» de se confier ses maux , ses plaisirs et ses peines . C'était
» un échange continuel de soins , d'attentions et de pré-
» venances . On ne se quittait point , parce qu'on avait
» un égal besoin d'être sans cesse l'un près de l'autre . On
» était deux , et l'on ne faisait qu'un , parce que les goûts ,
» les désirs , les volontés étaient les mêmes , que les
>> coeurs et les caractères s'étaient , pour ainsi dire , avec
» le tems , fondus les uns dans les autres . Or , dès qu'on
» se trouve seul , ou plutôt que l'on a perdu la moitié de
» soi -même , on est détaché de la vie , on n'y tient plus
>> du moins que par un léger fil qui ne tarde pas à se
» rompre. » C'est dire assez que Blanche , malgré les
soins qu'elle prodiguait à sa belle-mère , ne la conserva
pas long-tems . Un mois était à peine écoulé , depuis la
mort de M. Péters père , que déjà la même terre couvrait
les deux époux .
L'auteur ne s'était point nommé , le libraire avait annoncé
que l'ouvrage était d'un homme de lettres dont
le mérite est généralement reconnu ; mais le succès qu'il
·
MAI 1811..
313
a obtenu a piqué la curiosité , et l'on a su bientôt qu'on le devait à M. Vigée . Neuf jolies gravures
ornent le
volume, et le libraire a encore annoncé qu'elles ont été faites sur des originaux
exécutés en Suisse , de sorte qu'il paraîtrait que le livre a été fait pour les gravures. S'il est ainsi , c'est un véritable tour de force . Quoiqu'il
en soit , je me borne maintenant
à dire que cet ouvrage utile , intéressant
, imprimé par Didot , et dont l'édition est extrêmement
soignée , est du petit nombre de ceux qui doivent plaire à toutes les classes de lecteurs et aux- quels peut s'appliquer
justement
ce vers si connu :
La mère en prescrira la lecture à sa fille.
D. L.
rer ,
TABLEAUX
PEINTS PAR UN GRAND MAITRE .
Je viens de voir ces tableaux , où le pinceau le plus pur, le plus énergique , le plus varié , déploie tout ce que l'art des Zeuxis peut avoir d'intéressant . Je viens de les admi- et cependant mon imagination est lasse et comme troublée par le mélange et l'entassement
de toutes ces beautés . Mes idées , mes sentimens brouillés et confondus
n'ont laissé dans mes yeux et dans mon âme qu'un chaos d'impressions
dont l'effet total est la fatigue et l'ennui .
par
Ce triste résultat est le produit de la méthode suivie l'artiste dans le choix et la disposition
des sujets . Figurezvous
huit longues galeries où est tendue à l'entour une toile continue
, en forme de tapisserie
, sur laquelle se succèdent
,
sans interruption
et sans cadres , une suite de peintures
qui
n'ont rien de commun
entr'elles que la toile où elles sont peintes . Les sujets les plus différens et des teintes les plus opposées
, y occupent
successivement
l'esprit ; de sorte que,
l'effet de l'un détruisant
l'effet de l'autre , l'intérêt se trouve à chaque instant rompu . On ne passe pas , sans un effort extrêmement
pénible , de l'allégresse
à la désolation
, d'une
fête bruyante
à un enterrement
. Ces disparates
sont supportables
dans des tableaux isolés que l'on n'est pas forcó de regarder
à- la-fois mais quand elles se présentent
sur
lemême
fond et qu'au lieu de donner à chaque tableau
une existence
individuelle
, on veut établir entr'eux une sorte de liaison , l'esprit se révolte contre l'assemblage
de
314 MERCURE DE FRANCE ,
ces traits incohérens . On a beau me traîner forcémentde
lun à l'autre , je sens à chaque passage une secousse violente.
C'est ici sur-tout que l'on éprouve ce qui a été observé
tant de fois en poésie ,que l'unité et l'ensemble sent
l'ame des beaux- arts , qu'une liaison matérielle et factice
n'est jamais une liaison , et que l'intérêt divisé s'anéantit
bientôt , pour faire place à tout ce que la confusion a
d'inconvéniens . Comme ces huit galeries de tableaux précieux
sont en vente , j'ai pensé qu'on verrait avec plaisir
une courte notice des tableaux qui sont dans la troisième :
je vais les suivre par rang de numéro dans l'ordre où ils se
trouvent sans aucun intermédiaire .
- Nº 1. Le Clavecin . Diverses personnes dirigent leur
attention vers cet instrument , au moment où une jeune
musicienne va poser sa main sur le clavier. Tous les regards
semblent attendre l'expression qui va sortir de ce bois insensible
.
Nº. 2. La Lune et l'Enfant.-La lune brille sur le plus
beau paysage . Elle se peint dans le miroir d'un ruisseau
où un enfant se penche pour la saisir .
Nº 3. L'Effet des Couleurs .- Un arc-en-ciel dans le
lointain. Des Maures s'animent au combat à la vue d'un
drapeau noir . Des pigeons et des paons voltigent sur un
toit.
Nº 4. La Beauté des Formes .-Sous des arbres , dont
les branches s'arrondissent en dôme , une nymphe à deminue
observe un Génie qui lui montre un globe terrestre
et une sphère céleste.
N° 5. Le Charme du Mouvement .-Un bois paraît
mollement agité par le Zéphyr , non loin de la mer où
les flots se courbent et se relèvent. Le peintre a représenté
sur ce site Vénus se dérobant à Enée qui reconnaît la divinité
à sa démarche .
Elle marche et son port a trahi la déesse.
N° 6. Cheval qui caracole .-Dans le fond un cavalier
qui galope à toute bride. Sur le premier plan un jeune
homme qui fait faire des caracoles à son cheval , en présence
de divers spectateurs .
Nº 7. Armée qui marche en silence vers l'Ennemi.-
ΜΑΙ 1811 . 315
Ce calme imposant , ce profond silence , la lenteur de
cette marche impriment la terreur .
N° 8. La Grace. -
La scène représente un paysage délicieux.
Une jeune bergère, parmi les arbustes où elle s'était
cachée , se montre à son berger. Dans un coin du tableau,
au pied d'un rosier , joue un groupe d'enfans .
Nº 9. La Pudeur.-Une vierge , dont on aime le trouble
et la rougeur , se montre avec délicatesse et timidité . Le
Vice audacieux est là sous la figure d'un homme violent;
mais à la vue de la nymphe il s'arrête , et le Désir , autre
figure très-animée , est contenu parle Respect. Elle cultive
une sensitive.
Nº 10. La Nouveauté . -
La Nouveauté , sous la figure
d'une nymphe , voitjouer autour d'elle la Variété un prisme
à la main. Devant leurs yeux s'enfuit l'Ennui conduit par
l'Habitude .
Nº 11. Les Atrocités révolutionnaires .-Du haut d'un
trône peint de traits de sang , un homme hideux excite au
massacre une populace féroce. Pendant qu'il commande ,
on voit autour de lui des hommes non moins horribles qui
s'efforcent de le renverser , et le plus ardent , un sabre à la
main , s'apprête à lui couper la tête . Sur cette scène flotte
un drapeau, où Saturne est représenté dévorant ses enfans .
Nº 12. L'Amateur des Raretés . -Un Hollandais , dans
une serre ornée de fleurs et d'arbustes , s'extasie devantune
tulipe dont il observe les nuances. Il tient sous le bras un
vieux volume de Servet .
- Nº 13. Le Sauvage, l'Or et les Cailloux . Unjeune
sauvage , dans un site européen , a jeté son or que l'on voit
répandu autour de lui , et ramasse des cailloux qui l'ont
frappé par leur nouveauté .
Nº 14. L'Imagination : - Une déesse , aux regards vifs
el perçans , tenant un flambeau, et portée sur des ailes
brillantes , conduit un homme à travers des paysages variés
qu'elle embellit de sa lumière .
N° 15. Le Chêne et l'Arbuste . -Un cultivateur taille
un arbuste , et son jeune fils l'arrose , tandis que les gens
du village dansent assez près , sous un chêne antique.
316. MERCURE DE FRANCE ,
Nº 16. L'Attrait de l'Enfance .- Divers groupes d'enfans
s'amusent. Derrière eux , s'ouvre un lointain , où règne
d'un côté le plus beau jour , tandis que l'autre est couvert
denuages . Sur le premier plan est assis le législateur des
chrétiens qui , considérant ces groupes , semble dire :
Laissez-les s'approcher de moi.
Nº 17. Respect à la Vieillesse. -Un vieillard vénérable
dans un fauteuil d'honneur , près de son foyer , fixe par ses
récits l'attention de ses enfans , divers d'âge et de figure .
C'est le père , le chef, le roi de sa famille.
Nº 18. Bataille sanglante. - Au milieu de toutes les
horreurs du carnage , de tout ce qu'a d'affreux une sanglante
mêlée , le démon des combats , qui semble enflammer de
plus en plus les deux partis , leur montre un fantôme éblouissant,
dont l'aspect augmente leur furie: c'est la Gloire .
- Nº 19. Terrible explosion d'un volcan. Un volcan
s'élève sur les bords d'une mer horriblement agitée . Les
arbres et tous les objets environnans annoncent un vent
impétueux. La terre est bouleversée ; les maisons , les temples
s'écroulent ; des torrens de feu mêlés de pierres , de
cendres , s'élancent dans les cieux; dans l'éloignement on
distingue la figure d'un philosophe qui observe ces épouvantables
effets .
Nº 20. L'Antiquaire. -Dans un cabinet on distingue
différens outils; un glaive dont se servent les sacrificateurs,
des vases étrusques ,des meubles antiques : un personnage
vêtu singulièrement tient une médaille qu'il observe.
N° 21. La Mélancolie. -La scène représente une retraite
éclairée d'un demi-jour , au sein d'une forêt déserte ,
près de la chute d'un torrent. Là se recueille une femme
rêveuse. On connaît aux nuances de la campagne que c'est
un soir d'automne : les divers attributs désignent laMélancolie
qui , pensive , appuie sa tête sur sa main .
- Nº 22. Vue d'un Cimetière . Des tombeaux épars ,
dont la diverse structure indique la différence des rangs
et des âges ; une mère désolée , tenant dans ses mains le
portrait d'un enfant , est à genoux sur une tombe qu'elle
arrose de ses larmes .
Nº 23. Philomèle d'après les Georgiques .-On voit sur
MAI 1811 . 317
un saule un nid d'oiseaux . Un rossignol est perché seul
sur une branche , et paraît exprimer sa douleur par ses
chants . Un oiseleur emporte la nichée dans sa main .
N° 24. Vue d'un champ de bataille après la victoire .
Une plaine jonchée de cadavres mutilés ; des hommes
monstrueux , occupés à dépouiller les morts. Des vautours
et des corbeaux s'abattent sur cette scène d'horreurs .
Une
N° 25. Conseil de voleurs dans une Caverne.
lampe sombre éclaire la scène . Des scélérats teints de sang,
ayant chacun sa part du butin qu'ils ont partagé , discutent
en contenant leurs voix. Autour d'eux sont épars
des glaives , des fusils , des poignards , une échelle . A leur
attitude on voit qu'ils vont sortir pour un assassinat.
- N° 26. Massacre du 2 Septembre . Meurtres épouvantables
dans une église . Des prêtres , des vieillards , sane
nombre , tombent sous le fer des cannibales .
L'un s'attache à la croix , l'autre embrasse l'autel .
Il est aisé de distinguer les traits de M. Duleau , évêque
d'Arles , qu'on égorge sur le corps de son frère .
Cloé
N° 27. Récréation d'une famille champêtre.
folâtre dans un jardin délicieux , éparpillant les fleurs qu'elle
vient de cueillir . Ses petits frères jouent en même tems ;
l'un poursuit un papillon , l'autre se hausse pour ŝaisir un
rameau un autre cache un fruit qu'il a cueilli . La mère ,
centre de ces amusemens , suit de l'oeil la soeur et les
frères .
N° 28. Les Pyramides d'Egypte.- Un grave personnage
a l'air de méditer profondément à l'aspect de ces colosses
de l'orgueil . Un jeune homme grave sur une pyramide ce
yers connu :
Leur masse indestructible a fatigué le tems .
N° 29. Vue d'une vaste forêt , - Ici quelle sombre profondeur
! On croit se promener sous l'immensité de ces .
ombres . Je reconnais sous ces arbres M. Delille dans un
moment d'inspiration , et prononçant ces deux beaux vers
qui sont au bas du tableau :
Et mes pensers nourris dans l'ombre solennelle ,
Deviennent grands , profonds , majestueux comme elle !
318 MERCURE DE FRANCE ,
Nº 30. Aspect de l'Océan. - Une mer agitée . Dans le
lointain un combat naval , tandis qu'au ciel se forme un
affreux orage .
N° 31. Les Hautes Montagnes . -Des hauteurs prodigieuses
; des sommets couverts de glace et des nuages ;
d'autres qui font craindre les feux d'un volcan ; des gorges
couvertes de bois et de verdure ; des ruisseaux et des torrens
; des aigles qui prennent l'essor ; dans un coin du
tableau un géomètre mesurant les hauteurs et les contours.
וומ
-
N° 32. L'Univers , microscopique . Un personnage
regarde à travers microscope. Il est ravi à l'aspect de
tant d'êtres invisibles à l'oeil nud , et que l'on peut appeler
Abrégés de la vie et chef-d'oeuvre d'un jour.
N° 33. L'Homme. -Tous les caractères sont peints
dans ce tableau ; la gaieté , la colère , la désolation , l'éloquence
de la voix , celle du geste , etc.
N° 34. Les Yeux. - Ici , les regards de divers personnages
me peignent , comme dans un miroir , les uns le
remords , les autres la paix de l'ame ; ceux-là l'enthousiasme
, ceux-là la tendresse , ceux-là l'espoir , ceux-là la
joie , ceux-là l'esprit , ceux-là la sottise , etc.
N° 35. Marius à Minturne .-C'est le trait fameux qui
afourni le sujet de la belle tragédie de M. Arnaud. Le
Cimbre prêt à frapper Marius est désarmé par un coupd'oeil
de ce héros ; le peintre l'a saisi au moment où il prononce
ces paroles :
Je ne pourrai jamais égorger Marius .
Tels sont les tableaux que j'ai voulu faire connaître. En
les parcourant, les amateursy distingueront en grande partie
les qualités qui font le grand peintre , une imagination
brillante , un esprit fin, une grande science du coloris et
du dessin : mais ils ne concevront pas qu'un artiste si habile
ait pu renfermer tous ces beaux morceaux sur la même
toile. Ils penseront aussi peut-être qu'un grand tableau
d'histoire dont l'ordonnance serait une et régulière , qui
présenterait une action grande , mémorable , d'un puissant
intérêt , au développement de laquelle concourraient , suivant
le caractère donné , tous les personnages , tous les
épisodes , tous les accessoires , auraient mis le génie du
ΜΑΙ 1811 . 319
peintre dans un plus beau jour que tous ces tableaux de
genre , quelque nombreux qu'ils soient ; car on dit qu'il
existe du même peintre plus de cinquante toiles de la même
étendue et du même mérite que celle que j'annonce . Il
est au moins bien sûr que l'auteur ferait mieux de les sépa
rer , de les mettre chacun dans un cadre particulier et de
les offrir ainsi aux acheteurs . Vus séparément , ils plairaient
beaucoup mieux que présentés ensemble , n'étant pas faits
les uns pour les autres . Si toutes les parties d'une peinture
ne s'aident pas mutuellement , elles se nuisent .
On peut voir tous les jours , et à toutes les heures ,
cette collection chez MM. Michaud, imprimeurs -libraires,
rue des Bons- Enfans , nº 34. R. D. FERLUS .
VARIÉTÉS .
Aux Rédacteurs du Mercure de France .
MESSIEURS , j'ai lu la réclamation de M. Grainville , relative
àl'article sur le Dernier Homme , inséré dans le numéro
DVI du Mercure . Ilya , entre l'auteur de cet ouvrage et
celui pour lequel on réclame , une conformité assez grande
pour induire en erreur le critique le plus minutieux et pour
l'excuser. Tous deux , du même pays , portent deux pré
noms semblables , et sont morts la même année. Cependant
j'ai quelques observations à faire.
1°. M. Grainville de Lisieux cite l'autorité de M. Ersch .
Cet infatigable bibliographe , à qui nous devons la France
littéraire la plus complète , s'est , de son propre aveu
trompé quelquefois , particulièrement sur les auteurs qui
portaient le même nom. Il est même dans l'erreur sur
MM . de Grainville , puisqu'il ne fait mention que d'un
seul à qui il attribue les ouvrages de tous les deux.
2º . Dans le second Supplement , M. Ersch dit , page 261 ,
article Grainville , ajoutez le Dernier Homme , ouvrage
posthume . Or , cet auteur est celui de Lisieux , puisque le
bibliographe allemand ne parle point de M. Grainville du
Havre.
3º. Il était impossible que M. Ersch , à la distance où il
est de nous , ne commît pas quelques erreurs : il est même
étonnant qu'elles ne soient pas plus nombreuses ; mais il
320 MERCURE DE FRANCE ,
est bien plus étonnant encore que M. Grainville fils ait
recours à un pareil témoignage , et qu'il atteste , sur les
livres composés par sonpère et imprimés soit à Paris , soit
à Lisieux , un savant qui vit loin de Lisieux et de Paris .
La surprise augmente en voyant que ce témoignage est
erroné , même aux yeux du réclamant , d'après la cuatien
que j'ai faite.
4°. Le discours dont je parle ( N° DVI ) a été composé
en 1772 , et couronné la même année par l'Académie de
Besançon : celui dont M. Grainville rapporte le titre , est
de 1792 .
5º. Ce n'est qu'en passant que j'ai parlé des productions
'deM. Cousin de Grainville . L'objet de l'article ( N° DVI )
était l'analyse d'un ouvrage original qui a un tout autre mérite
que celui d'une traduction , parce que l'auteur du DernierHomme
a su choisir un sujet hardi , neuf, éminemment
épique; parce que , d'après cette esquisse , on peut
présumer qu'il aurait été rarementau-dessous de son sujet,
parce qu'enfin il offre des traits de génie et des preuves
incontestables d'une imagination brillante et féconde .
Le premier qui a fixé l'attention dupublic sur M. Cousin
de Grainville , est M. le chevalier Croft (1) , connu par des
succès littéraires , soit dans sa patrie , soit dans la nôtre.
Ce savant estimable prépare en ce moment un troisième
volume des productions inédites de M. Cousin de Grainville
, qu'il compte publier pour le bénéfice de la veuve de
ce dernier.
L'énumération des ouvrages que j'attribuais à M. de
Grainville n'ajoute rien à son mérite , sous le rapport sous
lequel je le considérais , et je suis loin de trouver la réclamation
déplacée. Seulement elle n'est pas exacte. Cuique
suum devrait être la devise des gens de lettres . On n'entendrait
alors parler ni de plagiats , ni de plagiaires .
J'ai l'honneur d'être , etc.
Paris, 16 mai 1811 .
Aux Mêmes .
V. D. M.
Messieurs , je suis pleinement , je vous le confesse , de l'avis de ces
modernes qui , pleins de respect pour la docte antiquité , sont persuadés
que si les contemporains de Cicéron et de Virgile revenaient
(1) Dans sonHorace expliquépar la ponetuation , page 88.
ΜΑΙ 1811 ... 32
DE LA SEINE
aumonde , il leur prendrait d'abord un fou-rire , et peut-être ensu
une violente colère , en entendant les latins du Danube , de la Tan
et de la Seine , réciter des discours dans le goût de l'oraison pro
lone , et des vers dans le style des Géorgiques ou de l'Enéide.5.
n'est pas , toutefois , que je prétende blåmer les écrivains de nos job cen
qui s'exercent , par occasion , dans l'idiome des Romains : on n
saurait rendre cette belle langue trop familière aux enfans ; mais si
nous ne pouvons égaler Cicéron et Virgile , il faut veiller, du moins ,
à ne point employer des expressions qu'ils eussent rejetées comme
barbares , ou qu'ils n'eussent même point comprises .
Par exemple , n'a-t-on pas droit de s'étonner qu'un amateur de
poésie latine, qui veut toujours être des premiers à célébrer les grands
événemens publics , s'obstine sans cesse à faire précéder sa signature
de ces mots : Reverentiæ ac fidei VECTIGAL offerebat ... etc.?.
Ouvrons tous les lexiques , tous les écrivains de la bonne latinité ,
ét cherchons ce que signifie vectigal : nous trouverons douane , péage,
droit d'entrée , frais de voiture , etc. Vectigal vient , en effet , de
veho , vectum , qui veut dire porter , charrier , trainer , tirer, voiturer.
Or , ne ririons-nous pas un peu de l'étranger qui viendrait nous dire :
«Je vous apporte le péage ou le droit d'entrée de mon respect et de
mon attachement ? »
Vectigal se prend aussi pour impôt , et nous en avons pour garant ,
entre vingt autres , ce passage relatif à un trait fort connu de la vie
de Vespasien : Reprehendenti filio Tito, quod etiam urinæ VECTIGAL
commentus esset , etc. Le versificateur latin , dont il est ici question ,
est bien le maitre d'admirer le joli rapprochement de son reverentiæ
vectigal avec l'urinæ vectigal de Suétone : cependant , comme le mot
français qu'il a cherché à traduire est tribut ou hommage , j'ose lui
conseiller de recourir à son dictionnaire ; il y trouvera facilement
une expression moins choquante pour les yeux accoutumés à la lece /
ture des véritables latins .
Je finis , Messieurs , en vous priant d'agréer l'hommage ( et non les
droits de barrière ou l'impôt ) de ma considération distinguée .
Caius Quintus Marcus Latinus ,
ancien professeur dans dix-sept Universités.
X
322. MERCURE DE FRANCE ,
-
SOCIÉTÉS SAVANTES . - Programme d'un prix proposé
par la Société des Sciences et des Arts de Grenoble.
La Société des Sciences et des Arts de Grenoble avait mis
an concours , pour l'année 1810 , un prix de 600 fr . destiné
l'Histoire des Allobroges et des Voconces , prouvée par
les monumens et les auteurs .
Un seul mémoire est parvenu au secrétariat de la Société
avant le jer janvier 1811 , époque dela clôture du concours .
Ce mémoire , d'une étendue considérable , porte pour
épigraphe ce passage de Salluste : Ac mihi quidem.... in
primis arduum videturres gestas scribere ; il est accompagné
d'une carte , et paraît être le résultat de beaucoup de
recherches que l'auteur a mises en oeuvre avec sagesse et
discernement . En donnant à ce travail ces éloges bien mérités
, la Société regrette que l'auteur ne se soit pas conformé
au voeu du programme qui imposait aux concurrens
l'obligation de fonder leur travail sur les monumens et les
auteurs . Le mémoire envoyé au concours ne contient aucune
citation et on n'y rappelle aucun monument; l'auteur
s'est privé par-là de documens précieux qui devaient être
en même tems les preuves de l'histoire demandée .
La Société , bien convaincue de l'importance de ce sujet ,
proroge le concours et publie de nouveau les principales
dispositions du précédent programme.
Histoire des Allobroges et des Voconces , prouvée par les
monumens et les auteurs .
1.
L'Académie , en demandant que cette histoire soit rédigée
d'après des monumens authentiques et les rapports des auteurs
anciens ou modernes , fait connaître aux concurrens
qu'elle désire qu'ils fondent leur travail sur les notions qui
résultent des uns et des autres , ou tout au moins , sans s'interdire
les conjectures autorisées par une critique judicieuse
, qu'ils évitent tout système hypothétique.
Ainsi, les concurrens devront moins s'occuper de l'origine
desAllobroges et des Voconces , et de leur état aux époques
les plus reculées , que de réunir les faits relatifs à ces peuples
gaulois dès les tems où s'établissent les certitudes historiques
. Cette histoire commencera à ces tems et finira aux
premières années du cinquième siècle de l'ère vulgaire .
Elle devra traiter de tout ce qui regarde les Allobroges et
ΜΑΙ 1811. 323
les Voconces , considérés comme peuples policés , et particulièrement
de leur gouvernement, de leur religion , de
leurs lois , de leurs moeurs , usages , etc.
L'Académie appréciera sur-tout une bonne description
géographique du territoire habité par ces deux peuples .
On cherchera à fixer soigneusement les limites qui les
séparaient ; et autant qu'on le pourra , cette description
sera suivie d'une nomenclature comparée des noms de
lieux anciens et modernes .
Conditions du Concours .-Le prix sera une médaille
dor de la valeur de six cents francs , dont M. le baron
Fourier , préfet du département de l'Isère , veut bien faire
les fonds.
Les mémoires , écrits en français ou en latin , doivent
être parvenus , francs de port , au secrétaire de l'Académie
avant le 1er janvier 1812 ; ce terme est de rigueur.
Le prix sera distribué dans la première séance publique
suivante.
Les ouvrages envoyés au concours ne porteront point le
nom de l'auteur , mais seulement une devise. Onyjoindra
un billet cacheté qui contiendra cette devise , et indiquera
les noms et l'adresse de l'auteur .
!
On n'ouvrira que le billet du mémoire couronné , ou de
ceux qui obtiendront une mention honorable .
Les membres résidans de la Société sont seuls exceptés
du concours .
LaSociété des Sciences , Artset Belles-Lettres de Mâcon,
avait proposé en 1810 un prix au meilleur mémoire sur la
construction des grands pressoirs àvin , accompagné d'un
modèle , ou du moins de devis , plans , profils et élévations,
sur une échelle de 40 millimètres par mètre (6 lignes par
pied); la Société demandait que le pressoir proposé réunît
la force et la solidité à l'économie, fût capable de pressurer
le marc d'une cuve de 70 à 72 hectolitres ( 33 à 36 tonneaux
) , et sur-tout dispensat de l'emploi de bois de fortes
dimensions , la plus grosse pièce ne devant pas excéder
33 centimètres ( I pied) d'écarrissage .
Elle désirait l'évaluation exacte des forces et des frottemens
. Cependant, en faveur des personnes qui ne sont pas
assez familiarisées avec le calcul, elle n'en faisait pas une
condition de rigueur .
Xa
324 MERCURE DE FRANCE ,
Elle a reçu neuf mémoires. Elle a trouvé dans tous quelques
idéesà louer, mais il n'en est point qui lui aient paru
avoir rempli toutes les conditions du programme . Les concurrens
ont, les uns , perdu de vue le but principal , l'économie
; les autres n'ont décrit que des pressoirs connus ,
sans les avoir perfectionnés , ou des pressoirs d'un établis
sement difficile ; quelques-uns ont négligé la solidité ou
présenté des machines d'un effet trop faible.; la plupart ne
se sont occupés de la force qu'aux dépens de la facilité et
de la célérité de la manoeuvre .
Cependant , parmi ces mémoires , la Société a dû en
distinguer trois et leur accorder des mentions honorables .
Elle a donné la première au Nº portant cette épigraphe :
Tractant fabrilia fabri . Ce mémoire annonce dans son
auteur un mécanicien savant , et exercé sur-tout à appliquer
ses connaissances au sujet qu'il avait à traiter. La
Société a trouvé parfaits les coupes et les assemblages de
ses modèles . L'emploi judicieux de plusieurs petites pièces
de bois pour suppléer des pièces de fortes dimensions
aparu mériter aussi une grande attention. Cependant , tel
est le détail de ces assemblages , que l'économie qui s'offre
d'un côté se perd de l'autre , et leur perfection même a cet
inconvénient qu'elle augmente trop les difficultés de l'exécution
. Enfin , la Société a vu un défaut capital dans la nécessité
de monter à chaque instant au sommet du pressoir
pour le mettre en oeuvre .
Elle a accordé la seconde mention honorable au No ayant
pour épigraphe : Nihil sub sole novum. On y a remarqué
l'application de la vis sans fin , la simplicité de lamachine ,
la grande économie qui en résulterait , et en général un
esprit d'invention: mais on y a aussi trouvé des défauts ,
entre lesquels il suffit de citer le peu de précautions que
l'auteur aprises pour empêcher que la vis n'échappât à la
roue .
"La troisième mention appartient au nº sous la dévise
Ofortunatos nimium , sua sibona norint , agricolas ! L'idée
qu'il présente de trois petits pressoirs réunis et en quelque
sorte conjugués dans le mênêmmee assemblage , a paru ingénieuse
et féconde en résultats utiles ; mais la direction
donnée à la puissance motrice doit lui faire perdré de sa
force ; le marc de la vendange serait difficilement coupé
et remué dans les tonnes destinées à le recevoir ; enfin la
*construction laisse des doutes sur la solidité.
MAI 1811 . 325
La Société continuant à regarder la solution de la questien
comme utile et possible , la propose de nouveau pour
le concours de 1811 , et dans les mêmes termes qu'en 1810 .
Elle annonce qu'elle fera exécuter à ses frais un modèle
du pressoir qu'elle aura jugé digne d'être adopté .
Ayant remis au concours la même question, elle ne se
permet point d'ouvrir les billets contenant les noms des
personnes qui ont obtenu cette année des mentions honorables.
Elle les fera connaître en 1812 .
La même Société propose pour un autre sujet de prix la
question suivante : « Les anciens avaient-ils des établissemens
publics en faveur des indigens , des enfans orphe-
> lins ou abandonnés , des malades et des militaires blessés ;
» et s'ils n'en avaient point , qu'est-ce qui en tenait lieu ? "
Le concours sera fermé , pour la première question , le
31 décembre 1811 , et pour la seconde , le 31 juillet 1812 .
Le prix sera une médaille d'or de 300 francs , ou sa valeur
en numéraire .
Les mémoires et discours seront adressés , francs de
port, et suivant les formes ordinaires , à M. CORTAMBERT ,
D. M. , secrétaire-perpétuel de la Société .
POLITIQUE.
On vient d'apprendre de Constantinople une nouvelle
qui ne peut être sans influence sur les événemens de la
guerre . Le grand- visir Jussuf-Pacha a été déposé et exilé .
Le Grand-Seigneur lui a donné pour successeur Ahmed-
Aga, homme de talent et de courage , que sa belle défense
d'Ibraïl a rendu célèbre . Le nouveau grand-visir est attendu
à l'armée , provisoirement commandée par le caïmacan
Aly-Pacha. Le nouveau visir paraît être vu de mauvais
oeil par les janissaires ; cette milice l'accuse d'avoir le
projet de renouveler les tentatives qui ont eu lieu pour
P'introduction de la discipline européenne : les janissaires
ont donc fait des représentations contre cette nomination ,
mais le Grand-Seigneur n'y a point eu égard. Cependant
les armemens maritimes se poussent avec beaucoup d'activitéé;;
on construit de nombreuses chaloupes canonnières ,
et la levée des matelots se poursuit rigoureusement. Les
affaires des Wahabis continuent à donner de l'inquiétude :
leurs progrès dans l'Yemen se confirment , et on craint
pour la ville de Moka , contre laquelle ils ont dirigé leurs
principales forces .
Les nouvelles du Nord s'accordent à dire qu'on y regarde
comme certain que , sous peu , l'amiral Saumarez
doit reparaître dans laBaltique pour y recommencer ses
inutiles promenades de l'année passée. Sa flotte doit être
de 25 vaisseaux , 16 frégates , et beaucoup de petits bâtimens
, ayant à bord des troupes de débarquement. Voici
ce qu'on écrit à cet égard de Stockholm .
Nous croyons revoir incessamment la flotte anglaise
croiser dans nos parages , mais elle ne peut venir tenter
que des expéditions de contrebande ; un débarquement
serait une tentative insensée , attendu que les îles britanniques
sont elles-mêmes dégarnies de troupes , et que le
gouvernement anglais a eu la plus grande peine pour réunir
un renfort de 6000 hommes , demandé avec instance par
le lord Wellington. Pour la flotte , il est très-possible
qu'elle arrive; mais que pourrait-elle faire ? L'année passée,
Pamiral Saumarez se promena de côte en côte , sans oser
MERCURE DE FRANCE , MAI 1811. 327
rien entreprendre , et avoir pu seulement s'emparer de la moindre des petites îles du Danemarck . Aprésent , toutes les côtes de la Baltique , depuis Cronstadt jusqu'à Copen- hague , et depuis Stockholm jusqu'à Dantzick , sont garnies
de troupes et de batteries suffisantes pour repousser toute attaque ennemie. L'expédition anglaise dans la Baltique se bornera donc à quelques tentatives de faire entrer dans nos ports des marchandises coloniales et des produits des manufactures anglaises ; tentatives qui , vu la surveillance
rigoureuse qu'on exerce , n'aura d'autre effet que de fournir
un riche butin à nos douaniers . "
A cet aperçu de situation près des côtes de Suède , on peutajouter les détails qui , sur le même objet , sont donnés
du nord de l'Allemagne .
Les troupes qui garnissent les côtes septentrionales de l'Allemagne , sont plus nombreuses qu'il ne faut pourles mettre à l'abri de toute tentative de la part des Anglais .
On assure que plusieurs régimens se sont mis en marche de différens points de l'Allemagne septentrionale vers les bords de la mer , pourappuyer cette ligne défensive qui s'étend depuis l'embouchure hure de l'Elbe jusqu'aux frontières
de la Poméranie suédoise . Les dépôts de ces régimens se
rendent maintenant à leurs corps respectifs .
Les autres Etats qui avoisinent la Baltique , prennent
aussi des mesures semblables pour couvrir leurs côtes. On
sait ce qu'a fait à cet égard la cout de Prusse. On assure
que le cabinet de Russie a ordonné de son côté des mesures
pour mettre les côtes à l'abri de toute insulte, parce qu'on
s'attend à voir paraître , au mois de mai , dans la Baltique, une flotte anglaise avec des troupes de débarquement. Les mêmes nouvelles confirment que les marchandises anglaises
continuent à être interdites de la manière la plus sévère
dans cet Empire . La cour de Danemarck a fait depuis long-tems ses pré- paratifs de défenses ; on commence aussi en Suède à ras- sembler des troupes sur différens points des côtes; on tra- vaille sur-tout à mettre en sûreté la flotte de Cartscrone ,
vu qu'il serait impossible que le principal butdesAnglais fût d'anéantir la marine danoise. Ilest certain qu'on aug- mentera les fortifications de la ville de Dantzick, l'un des
points les plus'importans des côtes de la Baltique, et qu'on
entourera principalement les bouches de la Vistule de plusieurs forts. Ce plan avait av déjà été formé depuis longtems
, et on en avaittoujours différél'exécution. On s'occupa
328 MERCURE DE FRANCE ,
:
de nouveau de cet objet. On a déjà assigné les fonds nécessaires
pour les fortifications de Dantzick , et les travaux ne
tarderont pas à commencer.
Le général comte de Lauriston , ambassadeur de l'Empereur
près de la cour de Russie , a séjourné trois jours à
Dantzick , et a continué son voyage pour se rendre à son
poste.
Les travaux de Stralsund sont aussi poussés avec une
grande activité ; le lieutenant - général suédois , comte
Mærner, se rend en Pomeranie en qualité de vice-gouverpeur
, et commandant en chef des forces militaires .
Le 13 de ce mois les Etats saxons ont dû recevoir de
leur roi leur audience de congé. La plus grande partie
des membres quitte Dresde , mais il en restera plusieurs
pour composer la députation dont S. M. a demandé la
formation par le décret suivant adressé à la diète , relativement
à la réunion en un seul corps d'Etat des provinces
qui font partie du royaume de Saxe . Voici la teneur de ce
décret :
?
,
« Les fidèles Etats de la noblesse et des villes ici rassemblés,
out exprimé , dans une adresse du 1er février , le voeu
que toutes les provinces qui sont sous la domination de
S. M. fussent réunies avec les anciens Etats héréditaires
pour former un seul corps d'Etat. S. M. regarde aussi
cette réunion , ainsi qu'elle l'a déjà témoigné aux Etats
comme avantageuse à son royaume ; elle veut , en conséquence
, qu'on la mette à exécution le plus tôt possible ,
sans néanmoins retarder l'affaire de la sanction royale ,
dont on s'occupe maintenant , et qu'il est également nécessaire
d'accélérer , et qu'on prenne pour cette fin des mesures
convenables . S. M. regarde comme utile , pour
arrêter les dispositions finales qui concernent cette opération
, d'entendre , après que les mesures préliminaire
auront été terminées , les opinions et les conseils des fidèle
Etats par l'organe de plusieurs députés choisis dans leur
sein ; elle les charge , en conséquence , de nommer ces
députés et leurs substituts ; de leur donner les pleinspouvoirs
nécessaires pour tous les objets qui doivent être
mis en délibération au sujet de ladite réunion , et pour
limiter, s'il est nécessaire , à un certain nombre de députés
les individus propriétaires et les villes qui étaient obligés
jusqu'à présent de paraître individuellement ou par représentans
aux diètes , et de présenter à S. M. leur rapport
ΜΑΙ 1811 . 329.
sur ces opérations . Sur ce , S. M. assure ses fidèles Etats
de sa bienveillance royale . "
A l'égard des propositions qui ont été faites concernant
la manière de se procurer les fonds dont l'Etat a besoin ,
et plusieurs autres projets d'utilité générale , S. M. prononcera
définitivement , et sa décision fera connaître
quelles sont celles de ces propositions qui ont le moins
d'inconvéniens , ou s'il doit être pris de la part de l'Etat
d'autres mesures plus analogues au but en question .
C'est ici le lieu d'ajouter une disposition de la cour de
Saxe , à laquelle les journaux français doivent s'empresser
de donner la plus grande publicité. Cette cour ouvre à
Paris un emprunt de 12 millions , avec l'agrément de S. M.
l'Empereur et Roi .
LeMoniteur annonce cet emprunt dont la direction est
confiée à la maison Perregaux , Lafitte et compagnie. Le
Moniteur ajoute : C'est déjà une grande recommandation
en faveur d'un emprunt fait par la cour de Saxe , que la
fidélité éprouvée de cette cour à remplir ses engagemens ,
lesoin qu'elle a constamment pris de son crédit , etlebon
ordre de ses finances .
Ce que l'on connaît des conditions du nouvel emprunt
projeté , paraît devoir inspirer toute confiance. La combinaison
en est sage ; le remboursement du capital et le
paiement des intérêts paraissent bien garantis ; le prospectus
sera publié sous peu de jours .
Le ministère autrichien est particulièrement occupé des
mesures d'exécution de son plan de finances , et de la
repression de l'agiotage dont tous les efforts tendent à élever
le prix des objets de consommation , et à décréditer le
papier-monnaie .
C'est aux mêmes soins que le gouvernement prussien est
entièrement livré.On écrit de Berlin que les plans du gonvernement
ne paraissent pas devoir éprouver beaucoup de
changemens de la part des députés assemblés .
On s'occupe toujours avec activité de la vente des domaines
de l'Etat , ainsi que des biens ecclésiastiques situés
en Silésie. Les feuilles publiques désignent plus de cent
domaines de cette dernière classe qui doivent être vendus
dans le courant de mai. Ce grand nombre d'objets à- lafois
aura peut-être de la peine à trouver des acheteurs ;
mais le gouvernement ne serait point embarrassé , quand
même cette ressource manquerait. La plus grande partie
de la contribution militaire est déjà couverte par d'autres
330 1 MERCURE DE FRANCE ,
voies , qui mettront aussi le gouvernement à même de
remplir ses engagemens envers les créanciers de l'Etat .
Mais les intérêts particuliers de l'administration intérieure
ne détournent pas ce gouvernement des intérêts généraux ,
de ce qu'il doit à sa politique et au système continental.
Les gazettes prussiennes contiennent une ordonnance dont
voici les termes précis :
"S. M. le roi de Prusse avait déja , par le réglement du
11 juin 1808 , et plusieurs ordonnances postérieures , défendu
à ses sujets toute communication avec l'Angleterre ;
le retour de la saison de la navigation engage S. M. à renouveler
cette défense de la manière la plus rigoureuse ,
de sorte que non-seulement les communications commerciales
avec l'Angleterre , mais même toute correspondance
avec ce pays , et tout voyage soit en Angleterre , soit à bord
des vaisseaux anglais , sont défendus sous les peines les
plus sévères et les plus promptes . "
La Gazette de Madrid contient le détail des réjouissances
qui ont eu lieu à Grenade , à Léon , à Guadalaxara , et
dans les autres villes de l'Espagne , à l'occasion de la fête
de S. M. le roi Joseph . Suivant les mêmes nouvelles , la
garnison de Badajoz est en route pour France ; elle est
composée de seize bataillons d'infanterie , d'un corps de
cavalerie , et d'un corps d'artillerie assez nombreux . Le
duc de Trévise est avec son corps d'armée sur les frontières
de l'Alentaso . Le maréchal duc de Dalmatie est à Séville .
La tranquillité règne dans le royaume de Léon; dans les
Asturies le général Bonnet a repoussé toutes les attaques
des insurgés et de l'armée de Gallice; enfin , suivant des
lettres dePerpignan,le général Baraguay- d'Hilliers , commandantenCatalogne
, qui, de Gironne, s'était porté sur Figuière
à la nouvelle de son occupation par les Miquelets , a été
attaqué par l'armée de Campowerde : obligé à la fois de
combattre enplaine l'armée qui s'avançait avec un immense
convoi pour ravitailler la place et secourir la garnisou , et
de tenir tête à la garnison qui voulait donner la main aux
Espagnols. Il a attaqué lui-même l'ennemi qui marchait
à lui : la victoire a été complète et décisive , l'armée
assaillante a été battue et dispersée , la garnison contenue
dans le fort qu'elle occupe , et le convoi intercepté .
Tous les préparatifs pour les fêtes de juin se poursuivent
avec activité; les étrangers arrivent déjà en grand nombre ;
beaucoup de seigneurs hongrois , allemands , polonais ,
ΜΑΙ 1811 . 331
sont attendus . Cependant ces fêtes ne commenceront pas
le2juin.
La petite vérole étant répandue dans Paris , la Faculté
de la cour a jugé que le roi de Rome devait être vacciné .
S. M. l'a été effectivement le 11 de ce mois , par M. Husson,
secrétaire du comité de vaccine , l'un des médecins
qui ont mis leplus de zèle à la propagation d'une déconverte
qui vient de recevoir ici , etl'autorité, et l'influence
salutaire d'un si grand exemple. Il est à remarquer que
dans le même moment l'Institut de France rendait hommage
à l'auteur de cette précieuse découverte en nommant
associé étranger le célèbre docteur Jenner , auquel l'humanité
en est redevable. Le roi de Rome jouit d'une parfaite
santé : néanmoins l'Empereur a jugé à propos de remettre
au 9juin la cérémonie de son baptême .
On publie que S. M. la reine de Naples a été choisie ,
parson auguste frère, pour tenir le roi de Rome sur les
fonds de baptême .
Unacte d'une très-haute importance vient d'être publié :
il va mettre fin à toute inquiétude , rétablir l'ordre et la
discipline dans l'église catholique. Il est , à-la-fois , un
gage de paix , un hommage rendu à la religion et aux
pnncipes que l'église a de tout tems suivis . Cet acte est la
convocation d'un concile à Paris . Voici la lettre qui le
convoque.
Lettre de Sa Majesté aux évéques.
Saint-Cloud , le 25 avril 1811 .
«M. l'évêque de........... les églises les plus illustres et
» les plus populeuses de l'Empire sont vacantes; une des
, parties contractantes du concordat l'a méconnu . La conduite
que l'on a tenue en Allemagne depuis dix ans a
>presque détruit l'épiscopat dans cette partie de la chrétienté
il n'y a aujourd'hui que huit évêques ; grand nom-
> bre de diocèses sont gouvernés par des vicaires apostoliliques
: on a troublé les chapitres dans le droit qu'ils ont
▸ de pourvoir , pendant la vacance du siége , à l'adminis-
>tration du diocèse , et l'on a ourdi des manoeuvres téné
> breuses tendant à exciter la discorde et la sédition parmi
> nos sujets. Les chapitres ont rejeté des breſs contraires à
> leurs droits et aux saints canons .
» Cependant les années s'écoulent, de nouveaux évêchés
> viennent à vaquer tous les jours : s'il n'y était pourvu
332 MERCURE DE FRANCE ,
promptement , l'épiscopat s'éteindrait en France et en Ita
» lie comme en Allemagne . Voulant prévenir un état de
choses si contraire au bien de la religion , aux principes
de l'église gallicane , et aux intérêts de l'Etat , nous avons
» résolu de réunir , au 9 juin prochain , dans l'église de
» Notre- Dame de Paris , tous les évêques de France et d'Italie
en concile national.
"
" - Nous désirons donc qu'aussitôt que vous aurez reçu la
présente , vous ayez à vous mettre en route afin d'être
» arrivés dans notre bonne ville de Paris dans la première
» semaine du mois de juin.
» Cette lettre n'étant à autre fin , nous prions Dieu qu'il
» vous ait en sa sainte garde .
"
PARIS.
LE roi d'Espagne est arrivé le 16 à midi au château de
Rambouillet , où la cour a été passer quelques jours . S. M.
est venue porter elle-même à S. M. l'Empereur et Roi ses
félicitations à l'occasion de la naissance du Roi de Rome.
Elle est partie de Rambouillet à six heures du soir , pour
se rendre à Paris , au Palais du Luxembourg.
-S. M. a chassé , le 15 , dans la forêt de Rambouillet.
-
Il est déjà arrivé à Paris plusieurs évêques des églises
de France et d'Italie , appelés au prochain concile .
-On fait de doubles préparatifs à Notre-Dame pour la
cérémonie du baptême du Roi de Rome , et pour l'ouverture
du concile .
ANNONCES.
Dictionnaire de morale , de science et de littérature , ou Choix de
pensées ingénieuses et sublimes , de définitions et de dissertations
extraites des plus célèbres moralistes , orateurs , poëtes et savans ;
pour servir de délassement aux études , former le coeur , orner l'esprit
et nourrir la mémoire des jeunes gens ; par Capelle . Deux vol.
in-8° , caractères petit-romain , petit- texte , mignonne et nompareille
neufs , imprimés sur papier fin carré de Normandie . Prix , 10 fr . , et
13 fr. franc de port . Papier vélin , grand- raisin , cartonné par Bradel
, 18 fr. Vélin superfin , 21 fr . Les exemplaires cartonnés aux frais
des acquéreurs . Chez Capelle et Renand , libraires -commissionnaires ,
rue J.-J. Rousseau , nº 6.
ΜΑΙ 1811 . 333
Lettres de Junie , recueillies et publiées par M. Dauphin. Un fort
vol. in- 18 , en deux parties . Prix , 3 fr. , et 3 fr. 50 c. franc de port.
Chez Delaunay, libraire, Palais -Royal , galerie de bois , nº 243 ; et
chez Bechet , libraire , quai des Augustins , nº 63.
Traité du Citrus, par Georges Gallesio , auditeur au conseil -d'état ,
et sous-préfet à Savone. Un vol. in-8º de 363 pages, orné d'un grand
tableau synoptique du genre citrus . Prix, 6 fr. , et 7 fr . 50 c . franc
de port. Chez L. Fantin, libraire , quai des Augustins , nº 55 .
Principes pratiques sur la plantation et la culture du chasselas et
autres vignes précoces , principalement sous la latitude des environs de
Paris ; avec la liste et la désignation des nouvelles variétés qui , dans
le nombre des vignes rassemblées à la pépinière et à l'école impériales
du Luxembourg , mûrissent avant ou en même tems que le
chasselas ; avec figures en taille- douce ; par M. Calvel , de plusieurs
Sociétés littéraires et d'agriculture , auteur du Traité complet sur les
Pépinières , et du Manuel de Plantations , envoyés dans tous les départemens
par ordre et aux frais du Gouvernement. (Extrait de la
Bibliothèque Physico -Économique . ) Chez l'Auteur , rue Mâcou , près
celle Saint-André-des-Arcs ; et chez Arthus -Bertrand , libraire ,rue
Hautefeuille , nº 23 .
"
Nous n'avions point d'ouvrage particulier sur ce sujet , qui intéresse
également les jouissances du pauvre et du riche . Son importance
l'utilité de la méthode qui y est indiquée , la nécessité de prévenir
une dégénération qui n'est que trop sensible dans le chasselas , l'exposé
des nouvelles richesses qui nous sont annoncées , la confiance
qu'inspire le nom de son auteur , sont faits pour exciter l'empressement
de se procurer ce petit ouvrage.
Essai d'une histoire des Révolutions arrivées dans les sciences et les
beaux-arts , depuis les tems héroïquesjusqu'à nosjours ; par P. G. de
Roujoux , sous -préfet de Dôle . Trois vol. in-80, imprimés avec soin
sur beau papier. Prix , 15 fr. , et 18 fr . 75 c. franc de port; papier
vélin, 30 fr. , et 33 fr. 75 c. franc de port. Chez Lenorinant , impr.--
libraire , rue de Seine , nº 8 ; Bossange , Masson et Besson, libraires,
rue de Tournon ; C. Barrois , libraire , place du Carrousel , n° 26 ;
Delaunay , libraire , au Palais-Royal; et Arthus-Bertrand , libraire ,
rue Hautefeuille , nº 23 .
Klmire, ou la Destruction de l'inquisition , poëme ; par L. Dusillet
deDôle. Brochure in-80, imprimée avec soin sur grand raisin double.
Prix, 1 fr. 20 c. , et I fr. 30 c. franc de port. Chez les mêmes.
334
MERCURE DE FRANCE ,
Moyen de parvenir en littérature , ou Mémoire à consulter sur une
question de propriété littéraire , dans lequel on prouve que le sieur
Malte-Brun , se disant géographe danois , a copié littéralement une
grande partie des Euvies de M. Gosselin , ainsi que de celles de
MM. Lacroix , Walckenaer , Pinkerton , Puissant , etc. ! etc. ! et les a
fait imprimer et débiter sous son nom ; et dans lequel on discute cette
question importante pour le commerce de la librairie : « Qu'est-ce
> qui distingue le plagiaire - copiste du simple contrefacteur , et jusqu'à
» quel point le premier peut- il être regardé comme devant encourir
» la peine portée par la loi contre le dernier ? » avec cette épigraphe :
<< J'aurais pu piller sans en rien dire , à l'exemple de tant d'au-
» feurs , qui se donnent l'air d'avoir puisé dans les sources ,
» quand ils n'ontfait que dépouiller des savans dont ils taisent
» le nom. Ces fraudes sont très - faciles aujourd'hui : on com-
» mence par écrire sans avoir rien lu , et l'on continue ainsi
» toute sa vie . Les véritables gens de lettres gémissent en
» voyant cette nuée de jeunes auteurs , qui auraient peut-être
» du talent s'ils avaient quelques études . »
M. DE CHATEAUBRIAND , Itin . de Paris
à Jérusalem , t. II , p. 318.
a Plus ineptes et plus ignares , nos compilateurs ne se bornent
» pas à faire tranquillement le métier de frippiers littéraires ;
» ils pillent sur les grands chemins du monde savant; leur avi-
» dité extrême ne leur laisse pas le tems de disposer les pro-
» duits de leur brigandage ..... Munis de quelques livres et
> d'autant de paires de ciseaux , ils se bornent à fabriquer à la
> hâte une compilation qui n'offre ni un choix bien fait , ni
>> une aualyse exacte et complète . »
MALTE-BRUN , Journal de l'Empire , du 11 novembre 1810.
Par Jean- Gabriel Dentu , imprimeur-libraire , ( Editeur de la Géogra
phie de J. Pinkerton. ) Prix , 2 fr . , et 2 fr . 50 c . franc de port . Chez
l'Auteur , rue du Pont - de- Lodi , nº 3 , près le Pont - Neuf; et au Dépôt
de sa librairie , Palais -Royal , galeries de bois , nºs 265 et 266.
" L'Anneau Magique , ou l'Ingrat puni , suivi de l'Arbre enchanté ,
d'Azéli et de Chloé , etc. Romans , fables et contes moraux , à l'usage
de la jeunesse ; par L. Damin , ancien avocat , sous-chef au ministère
de l'intérieur. Prix , 4 fr . , et 5 fr. franc de port ; papier fin , 6 fr. , et
7 fr . frane de port. Chez Lenormant , imprimeur- libraire , rue de
Seine , nº 8 ; , et chez Delaunay , libraire , Palais-Royal , galeries do
bois , nº 243 .
ΜΑΙ 1811 . 335
Céleste Paléologue, romanhistorique , traduit du grec de Léon
Zygomala , par le chevalier Demaimieux. Quatre volumes in-12.
Prix , 8 fr . , et 10 fr . franc de port. Chez Mme Ve Lepetit , libraireéditeur
de la Bibliothèque portative des Voyages , rue Pavée- Saint-
André-des-Arcs , nº 2 ; et chez Arthus-Bertrand , libr . , rue Hautefeuille
, nº 23 .
Quelques traits de la vie privée de Frédéric Guillaume II , roi de
Prusse; par A. H. Dampmartin. Un vol. in-8° . Prix , 5 fr ., et 6 fr.
franc de port. Chez Renard, libraire de S. A. I. la princesse Pauline
, rues de Caumartin , nº 12 , et de l'Université , nº 5 .
OEupres complètes de Massillon . In-8° . Tome 10 , 11 , 12 et 13 ,
dernière livraison. Prix . 28 fr . , et pour les personnes qui avaient
souscrit , 21 fr . Le double de ces prix en papier vélin. Chez Ant.-
Aug. Renouard , libraire , rue Saint-André-des -Arcs , nº 55.
-- Histoire des générauxfrançais , par A. H. Châteauneuf. Dir
septième livraison, contenant les campagnes du maréchal Bernadotte,
prince royal de Suède . Prix , pap . ordinaire , 2 fr. 50 c.; pap . vélin ,
5fr . Chez l'Auteur , rue des Bons-Enfans , nº 34.
Lettres sur le Gouvernement , les moeurs et les usages en Portugal ,
écrites par Arthur William Costigan , officier irlandais , à son frère ;
traduites de l'anglais . Prix , 5 fr. , et 6 fr . 80 c. franc de port. Chez
Lenormant , imprimeur-libraire , rue de Seine , n ° 8 .
Réflexions sur la nouvelle machine à plonger, appelée triton , inventée
par M. Fré léric de Drieberg; par D. F. Koreff. In-4°. Prix , I fr .
80 c. , et 2 fr . franc de port; pap . vélin , 3 fr . Chez le même.
L'Astronomie, poëme en quatre chants , par P. Ph . Gudin , correspondant
de l'Institut . Nouvelle édition . Un vol. in-8° . Prix, br . ,
4fr. , et 4 fr . 75 c. franc de port. Chez Firmin Didot, imprimeurlibraire
pour les mathématiques , l'astronomie et la marine , rue de
Thionville , nº 10 ; et chez Arthus-Bertrand , libraire , rue Hautefeuille
, nº 23 .
Des Erreurs et des Préjugés répandus dans la société ; par J.-B.
Salgues . Tome Premier , de 585 pages in-8° , seconde édition , revue
et corrigée. Prix , 6 fr . broché , et 7 fr . 80 c. franc de port. Chez
F. Buisson , libraire , rue Gilles-Coeur , nº TO . Le Tome Second du
même ouvrage se vend 5 fr. broché , et 6 fr . 60 c. franc de port .
Quelques idées nouvelles sur le système de l'univers; par Guillaume
Antoine Maréchal , ancien élève géographe. Chez Lenormant , im336
MERCURE DE FRANCE , MAI 1811 .
1
primeur-libraire , rue de Seine , nº 10 ; et chez l'Auteur , rue du faüb.
Montmartre , nº 25 .
Galerie mythologique. Recueil de monumens pour servir à l'étude
de la mythologie , de l'histoire de l'art , de l'antiquité figurée , et du
langage allégorique des anciens ; avec 190 planches gravées au trait ,
contenant près de 800 monumens antiques , tels que statues , basreliefs
, pierres gravées , médailles , fresques et peintures de vases ,
dont plus de 50 sont inédits ; décrits dans un ordre systématique ; par
A. L. Millin , membre de l'Institut de France , de la Légion-d'honneur,
et conservateur des antiques de la Bibliothèque impériale. Deux
volumes in -8° , imprimés par P. Didot l'ainé . Prix , 36 fr . , et 39 fr .
franc de port . A la librairie des beaux-arts de Soyer , rue des Saints-
Pères , nº 48 ; et chez Arthus - Bertrand , libraire , rue Hautefeuille ,
n° 23.
Etrennes aux B... nois , par Th. Guyot du Vigneul. Brochure
in- 18 de 100 pages . Prix , I fr. , et 1 fr . 15 c . franc de port. Chez
Pigoreau , libraire , place Saint-Germain-l'Auxerrois .
Ouvrages de Cicéron pour les classes d'humanités et pour la rhétorique
. Editions stéréotypes d'après le procédé d'Herhan .
De Senectute . In-12 , broché et rogné . Prix , 45 с. -DeAmicitia :
40 с. De Officiis : I fr. 25 c. - Paradoxa, et so mnium Scipionis :
30 c . -Eglogæ quas selegit Jos . Olivetus : 50 c. Orationes pra
Ligario et pro Marcello : 40 c . Orationes in Catilinam : 75c. -
Oratio pro lege manilia : 40 c. Oratio in Verrem de signis : 75 с.-
Oratio in Verrem de suppliciis : 75 c. - Philippica secunda : 75 c.-
Orator : 75 c. Ala fin de chaque ouvrage l'écolier trouvera l'explication
des difficultés qui peuvent l'embarrasser .
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Chez H. Nicolle , libraire , rue de Seine , nº 12 ; Renouard , rue
Saint-André-des -Arcs , nº 55 .
Histoire romaine de Tite-Live , traduction nouvelle par Dureau de
la Malle , de l'Académie française , traducteur de Tacite et de Salluste,
et par M. Noël , conseiller de l'Université. Deuxième et troisième
Décades . Six vol. in-8° . Prix , brochés , 36 fr . , et 48 fr . franc de
port . Chez Michaud frères , imprimeurs-libraires , rue des Bons-
Enfans , nº 34.
:
Le Remède d'Amour , poëme , suivi de l'Heroïde de Sapho à
Phaon , des Regrets sur la mort de Tibulle , d'un choix de quelques
Elégies d'Ovide , etc.; avec le texte latin en regard et des notes , traduits
en vers français par de Saintange , de l'Institut de France. Un
yol, in-12. Prix , 2 fr . 50 c. , et 3 fri frane de port. Chez les mêmes.
DE
LA SEINA
MERCURE
DE FRANCE.
N° DXIV . - Samedi 25 Mai 1811 .
POÉSIE .
L'HOROSCOPE .
Discours en vers à S. M. LE ROI DE ROME , lu à l'Ecole de
Soreže , le 3 mai 1811 .
ALLONS ! que tout le Pinde , illustrant ses accords ,
De notre enthousiasme exprime les transports !
Vous , chantres immortels , saisissez votre lyre ,
Et toi , peuple rimeur , sans craindre la satyre ,
Ose , dans ton ivresse , affronter le bon goût :
L'art aujourd'hui n'est rien , et le coeur seul est tout.
La chandelle qui luit aux fenêtres du pauvre ,
Vaut les feux jaillisans du pavillon d'Hanovre ,
Et ces arcs lumineux , dont le riche appareil
Semble , chez Floridor , détaché du soleil.
Pour chanter ce qu'éprouve et la cour et la ville ,
Tous les vers ont leur prix , même ceux de Merville.
D'espérance et d'amour qu'ils brillent , c'est assez ;
D'amour , pour le vengeur de nos droits menacés ,
D'espérance , à ta vue , 6 souverain de Rome ,
En qui s'est reproduit le coeur de ce grand homme .
Y
D
338- MERCURE DE FRANCE ,
Les poëtes , admis au commerce des Dieux ,
Ont toujours su , dit-on , déchiffrer dans les cieux
Des princes nouveaux nés la gloire et les désastres ;
Je cherchais , enfant roi , ton destin dans les astres ,
Mais , à mes yeux errans sous le dôme étoilé ,
Un esprit radieux soudain s'est dévoilé .
Lorqu'un mortel , dit-il , commence sa carrière ,
Qu'importe sous quel signe il ait vu la lumière ?
Au lieu de sa planète , interroge ses sens ;
De son coeur , par degrés , connais les goûts naissans ;
Vois ce qui doit frapper ses premières années ,
Lamain qui , dans leur cours , guide ses destinées :
Si du siècle et des lieux tu sais juger l'esprit ,
Par quel art et quels soins son ame se nourrit ,
Sous quels traits on lui peint et la honte et la gloire ,
Prophétise ! tu peux révéler son histoire.
Il dit , et disparaît comme un brillant rayon.
Oh ! si tu possédais , fils de Napoléon ,
Ce sens juste et rapide et cette intelligence ,
Dont un lustre écoulé doit orner ton enfance ,
Que tu rirais des vers , où l'auteur engoué
Te peint de tous les dons gratuitement doué ,
Et soutient qu'en effet , suivant toutes les règles ,
Puisque l'aigle jamais n'enfante que des aigles ,
Tes glorieux parens de leur hymen fameux
N'ont pu qu'avoir un fils grand et parfait comme eux !
Non , ce n'est pas le tonde ma muse fidelle ,
Prince , je sais quel fils naquit de Marc-Aurèle.
Quand j'annonce ta gloire à l'univers charmé ,
Je regarde bien moins le sang qui t'a formé ,
Que les plans généreux médités par ton père
Pour te rendre aussi grand que son ame l'espère.
Tandis qu'il doit veiller au bonheur des humains ,
Il veut que les vertus , de leurs pieuses mains ,
Adiriger ton coeur tour-à-tour empressées ,
N'y laissent pénétrer que de hautes pensées .
En vain serais - tu né trop faible , ou trop ardent ,
De l'éducation le suprême ascendant
Encourage ou retient , modère ou fortifie ,
Et la nature cède à la philosophie .
Du sage Fénélon le disciple chéri
1
ΜΑΙ 1811 . 339
Des vices les plus bas aurait vécu flétri ;
Mais cet homme divin s'empare de son ame ,
Des vertus qu'il adore ily verse la flamme ,
Et, sur de nouveaux plans l'élève façonné ,
De son autre existence est lui-même étonné .
Lehéros qui des moeurs , des beaux-arts , des lois saintes
Fit revivre à nos yeux les lumières éteintes ,
Saura , pour te guider au sortir du berceau ,
Du sage Fénélon rallumer le flambeau.
Asa douce clarté , bientôt tes pas fidèles
Chercheront à saisir les traces paternelles ;
Et lorsque ton essor ,par les ans affermi ,
Suivra l'essor brillant d'un père , d'un ami ,
Quel exemple pour toi ! quelle leçon sublime
Dans les épanchemens de ce coeur magnanime !
Ce sera l'aigle altier , au céleste séjour ,
Lançant son jeune aiglon jusqu'à l'astre du jour.
Instruit auprès de lui qu'un trône , qu'une armée ,
Que les vaisseaux tonnans sur la mer enflammée ,
Que l'or de vingt Etats , vingt sceptres ne sont rien ,
Si la force du coeur n'en est pas le soutien
Espérant peu du sort , espérant peu des hommes ,
Certain que de nous seuls dépend ce que nous sommes ,
Tu ne fonderas plus ta puissance qu'en toi ;
La vigueur d'un royaume est dans l'ame du roi.
Nabonide était né pour réguer à Ninive.
Les mages prédisaient à sa mère attentive
Qu'en lui perçaient déjà mille talens infus ,
Qu'il vaincrait les héros éclipsés et confus ,
Etque , sans nul effort , la gloire , la tendresse ,
Les charmes du pouvoir combleraient sa jeunesse.
Nabonide bercé de ce doux avenir ,
Ne cherche pas des dons qu'il croit déjà tenir ;
Irait-il amasser, à travers les obstacles ,
Des talens qu'il possède en vertu des oracles ?
Le ciel l'a couronné par un décret formel ,
Que lui faut-il de plus ? il compte sur le ciel.
Cependant de l'Etat les ressorts s'affaiblissent ,
Du favori des cieux les pas chancellent , glissent ,
Le sceptre pèse trop à son bras énervé ,
Et Cyrus , dans les camps , dans la gloire élevé ,
Y 2
340
MERCURE DE FRANCE ,
Cyrus marche , et dépouille un trop indigne maître ;
Malheur aux souverains , s'ils n'ont appris à l'être !
Tu l'apprendras d'un père . Il instruira ton coeur
Aconserver un trône offert à sa valeur ,
Amériter qu'un jour , fils d'un héros qu'on aime ,
Aimé déjà pour lui, tu le sois pour toi-même.
Alors qu'on te peindra les rapides transports
Que ta naissance illustre alluma sur ces bords ,
Le souris maternel , les hymnes du Permesse ,
Et d'un père attendri la touchante promesse ,
Oui , prince , tu voudras ,par l'amour accueilli ,
Combler des nations l'espoir enorgueilli ,
Et , prompt à cultiver des semences fertiles
T'enrichir de vertus qu'on te rend si faciles.
Souvent , l'esprit du siècle a fait notre destin.
Dans ces tems malheureux de luxe et de déclin ,
Où le trône des rois n'est qu'un lit de mollesse ,
Tout de leurs dignes fils prépare la faiblesse ;
Et si le peuple , alors sans guide et sans soutien ,
De la soumission brise l'heureux lien ,
Nul frein ne contiendra sa fougue déchaînée .
Ton siècle te promet une autre destinée :
Devant Napoléon , l'anarchie aux abois ,
Sentit , en frémissant , la force de ses lois ;
Il épura nos moeurs , il enchaîna l'audace ,
Du timon de l'Etat chassa la populace .
L'Empire , par lui seul , florissant , agrandi ,
Dès sa naissante aurore eut l'éclat du midi.
Tu vas levoir régir , sans glaive , sans tonnerre ,
Un peuple heureux , soumis , l'exemple de la terre ;
Et quand , vaincu du tems ,il mettra dans tes mains ,
Avec le sceptre d'or , le bonheur des humains ,
Tu n'auras à dompter ni l'orgueil des systèmes ,
Ni la ligue des rois , ni tes sujets eux-mêmes .
Nos vices , nos erreurs , nos projets insensés ,
Par ses nobles efforts , dès long-tems effacés ,
Ne pourront pas troubler le bonheur de ton règne ;
Tu n'auras pas besoin que l'univers te craigne.
Tonpère a tout vaincu ; tu dois être après lui
Roi de paix ,de vingt rois et le contre et l'appui.
ΜΑΙ 1811 34
De l'astre souverain ces brillans satellites ,
Réglant par ton pouvoir leur marche , leurs orbites ,
Sans jamais se heurter , dans leurs efforts divers ,
Debonheur , comme toi , rempliront l'univers .
Je t'ouvre une carrière en prodiges fertile ,
Mais j'ai lu dans les coeurs ; tout deviendra facile
Au roi fils de Louise et de Napoléon .
Virgile prédisait au fils de Pollion ,
(C'était aussi l'espoir et le salut de Rome )
Des agneaux écarlate et des moissons d'amome ,
Des raisins sur la ronce , et des ruisseaux de lait ;
Onn'a jamais rien vu de ce qu'il révélait.
Je suis loin de prétendre aux beautés de son style ,
Mais le beau , trop souvent , fait oublier l'utile .
D'un bonheur bien plus vrai je charme tes regards ;
Vois , du berceau royal , où les muses , les arts ,
Prenant déjà des droits à ta reconnaissance ,
De poétiques fleurs ont paré ta naissance
Vois-les , dans l'avenir , livrer à tes efforts
Des talens immortels les superbes trésors .
Dès tes plus jeunes ans , cher objet de leurs veilles ,
Pourrais- tu , sur le trône , oublier leurs merveilles ?
Ils comptent àjamais sur ta fidélité.
Douce union des arts et de l'autorité ,
Ils ensont plus brillans , elle plus affermie.
Oh ! qu'ils vont être heureux de ta faveur amie !
Comme à Napoléon , attachés à tes pas ,
Ils feront circuler dans tes vastes Etats
,
Le bon sens , le bon goût , dont la double lumière
Du bonheur des cités est la source première ....
Ils chantent ton berceau ; juge avec quelle ardeur
Des vertus de ta vie ils diront la splendeur :
Al'essor de ta gloire ils prêteront leurs ailes ;
Et ton père , l'amour des lyres immortelles ,
Ton père , alors plus haut au coeur de ses sujets,
Coindra d'autres lauriers , aura d'autres succès
Dans un fils où vivra sa sagesse profonde ,
Où son génie encor gouvernera le monde.
Prince , de tes destins j'ai su t'entretenir :
Qui voit bien le présent , sait déjà l'avenir ;
۱
342 MERCURE DE FRANCE ,
Je n'ai pu m'abuser , et de mon horoscope
Pour garant , si l'on veut , j'aurai toute l'Europe.
Quand ta première enfance aura fini son cours ,
Parmi les flots de vers qu'ont produits ces beaux jours ,
Si les miens sous tes yeux peuvent aussi paraitre ,
Oui , prince , en les lisant ,prompt à t'y reconnaître ,
Dans le fond de ton coeur tu trouveras empreint
L'heureux pressentiment de tout ce que j'ai peint.
R. D. FERLUS.
ENIGME .
JE chéris ma compagne et je lui suis fidèle ;
Du tendre hymenj'aime les douces lois ;
Et toujours la saison nouvelle ,
Enémaillant nos prés , vient ranimer ma voix .
Au bord d'une claire fontaine ,
Sur un rameau , dans le vallon ,
Jechante ce qui fit ma peine ;
Echo répète ma chanson.
Tandis que ma sensible amante
Soigne les fruits de nos amours ,
Pour elle ma voix séduisante
Abrége la longueur des jours.
Mais quoi ! de mes tourmens la douloureuse histoire
Viendra sans cesse , hélas ! m'arracher des soupirs !
Trop cruels souvenirs ,
N'importunez plus ma mémoire.....
Ah! non , je veux , dans madouleur ,
* Pendant que la nuit sombre
Couvre l'univers de son ombre ,
Retracer mon malheur ;
Et, lorsque le soleil fournira sa carrière ,
Et que son char brillant versera la lumière
Sur les êtres sans nombre et les peuples divers
Que l'on voit répandus dans ce vaste univers ,
Je veux redire encore à toute la nature
Le crime d'un barbare et ma triste aventure .
Par M. R. DUFAU DE MOULIS.
ΜΑΙ 1811 . 343
LOGOGRIPHE .
SANS moi l'on ne voit point de roses :
Lecteur , si tu me décomposes ,
Tu trouveras dans mon nom
Ce qu'au tems de la moisson
Les champs offrent en abondance .
Ote-moi tête et pied ,ne laisse que ma panse ,
J'étais d'un simple arbuste l'importun rejetton ,
Je suis un arbre et meine un arbre de renom .
S ........
CHARADE .
NAGUÈRE encore on vit les enfans de la gloire
Aux bords de mon premier enchaîner la victoire ;
Quand deux preux concurrens parcourent mon second ,
La foudre est moins terrible , et l'éclair est moins prompt ;
Mon tout , des citoyens active protectrice ,
Fait avorter le crime et punit l'injustice .
A. L. CHESNEAU , deRouen .
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARADE
insérés dans le dernier Numéro .
Le mot de l'Enigme estMagister.
Celui du Logogriphe est Magister, dans lequel on trouve : rat ,
mars , tigre , mari , rime et maître.
Celui de la Charade est Magister.
-
LITTÉRATURE ET BEAUX-ARTS .
HISTOIRE DE L'ADMINISTRATION DE LA GUERRE , par XAVIERAUDOUIN
, ci -devant secrétaire-général du ministère
de la guerre , commissaire- ordonnateur , adjoint au
ministre , historiographe attaché au département de la
guerre , etc. Quatre vol . in - 8 ° . Prix , 20 fr. , et
26 fr. 50 c. franc de port. - A Paris , chez Pierre
Didot l'aîné , imprimeur-libraire , rue du Pont -de-
Lodi , nº 6 ; Firmin Didot , imprimeur - libraire , rue
de Thionville , nº 10 ; Arthus- Bertrand , libraire , rue
Hautefeuille , nº 23 ; et chez Treuttel et Würtz , libr . ,
rue de Lille , n° 17.
SANS doute , comme le remarque fort bien l'auteur
dont nous annonçons l'ouvrage , les premiers combats
des hommes furent des duels pour lesquels il ne fallait
ni administration , ni administrateurs ; et les guerres
primitives , aussi anciennes que le monde , entre des
hordes ennemies , n'ont point eu d'historiens . Chasseurs
et nomades , d'abord armés seulement d'une javeline
d'une massue , puis employant l'arc et la fronde , nos
pères perfectionnèrent leurs instrumens militaires en perfectionnant
leurs arts . Ainsi le mal naquit avec le bien , et
les travaux industrieux de la paix produisirent la guerre .
Le
germe de ce fléau n'est pas , comme l'ont affirmé
quelques écrivains trop célèbres , dans l'organisation
sociale ; il est dans le coeur humain , irascible et naturellement
envieux de propriété exclusive . Les intérêts étant
plus grands , plus opposés dans les grandes sociétés , la
source des guerres y est plus active , et l'on se bat pour
envahir, ou pour jouir en paix . Le fer, si utile à l'homme
dont il produit la nourriture en ouvrant les entrailles de
la terre , le fer perce aussi son coeur . Compagnons de
son travail , les animaux domestiques qu'il employa si
long- tems aux besoins de la vie , furent par lui dressés
MERCURE DE FRANCE , MAI 1811. , 345
aux combats ; la force , la légéreté de ces serviteurs
auxiliaires devint funeste à leurs maîtres .
Le levée des troupes , difficile chez les modernes , fut
spontanée dans la haute antiquité . Ensuite les arts appliqués
à la guerre , et la législation perfectionnée firent
naître des lois de conscription . Les Hébreux étaient
appelés sous les drapeaux à vingt-un ans . Chez les
Perses il n'y avait point d'exemption de service personnel
. Les Grecs étaient soumis à deux réquisitions , dont
la première , à l'âge de quatorze ans , n'était qu'une inscription
sur les contrôles . Les réfractaires étaient punis ,
la première fois , par une amende et par le fouet ; et læ
peine de mort était prononcée contre eux à la seconde
rébellion. Les Athéniens étaient enrôlés à vingt ans ; et
les Lacédémoniens n'accordaient de congé qu'après cinquante
ans de service . Les Africains ( excepté les Carthaginois
) , presque tous les Asiatiques , les Scythes
nomades , les Sicambres et les Teutons combattaient en
masse . Dans une partie de la Germanie , les jeunes
hommes étaient esclaves jusqu'au moment où ils recevaient
dans l'assemblée de la nation l'écu et la lance . La
conscription des Romains commençait lorsqu'ils prenaient
la robe virile , à quatorze ans , et ils marchaient
à dix-sept. Leur législation militaire varia au tems de
Marius et changea encore après César ; mais jamais
l'enrôlement ne fut à Rome un acte de force ou de séduction
, et le serment que Polybe nous a conservé n'était
point arraché par la misère . La sainteté de cet acte qui
se renouvelait tous les ans , ne fut méconnue et les sermens
ne furent multipliés que chez les modernes .
Les soldats , d'abord faiblement nourris par une
espèce de bouillie ou de galette , trouvèrent ensuite un
aliment plus substantiel dans le pain levé qu'ils faisaient
eux-mêmes , après avoir broyé leur grain . Les magasins
furent connus plus tard , et l'approvisionnement des
armées , subordonné par - tout aux mouvemens du commerce
, suivit ses progrès et ne fut assuré que par lui .
Rome , au cinquième siècle de sa formation , organisa
un collége de boulangers et de bouchers , soumis à des
magistrats inspecteurs et ayant au- dessus de lui un col346
MERCURE DE FRANCE ,
lége de fournisseurs de viandes , pris dans les familles
riches , privilégiées ; et les peuples du nord , vaincus par
les Romains , adoptèrent cette institution . Le mouvement
des troupes , le transport des vivres et bagages était
réglé comme on le voit dans la description des grands
chemins que les Romains perfectionnèrent , description
dont l'exactitude est attestée par des vestiges que les
siècles n'ont pas entièrement détruits .
les
On ne trouve point chez les Hébreux , les Egyptiens,
Babyloniens , et autres anciens peuples , d'indication
de solde militaire . La Grèce triomphante n'en donna
point à ses soldats jusqu'au tems de Périclès qui employa
de cette manière les trésors des Perses . La solde était
peu nécessaire aux armées romaines , puisque aucun
citoyen n'était admis sous les drapeaux s'il ne possédait
un fond de 4000 livres .
Chez les premiers Grecs , les femmes exercèrent la
médecine dans les armées , et prirent soin des blessés .
Dans l'Occident , Odin et d'autres chefs furent les chirurgiens
des armées , et les druides chez les Gaulois . La
médecine , respectée dans tout l'univers , eut beaucoup
de peine à l'être chez les Romains , qui la firent d'abord
exercer par des esclaves . Caton' le censeur écrivait
à son fils que la médecine était le plus dangereux des
arts apportés de la Grèce , et que , si elle était tolérée
dans l'armée , il désespérait du salut de la république.
Les médecins effacèrent ce préjugé par leurs services .
Les premières armes et les plus honorables étaientd'or.
La forme en est parfaitement décrite dans les anciens
auteurs militaires ..Les peuples du Nord , les anciens
Germains et les premiers Français , couverts d'une simple
cotte de mailles , ne portaient point d'arme défensive ,
et leur tête était nue. Le bouclier des Grecs et des
Romains , composé de planches minces , était ovale .
Les Romains portaient l'épée suspendue à la cuisse
droite , et à gauche six javelots . Ils combattaient encore
avec l'arc , les flèches , la fronde , l'arbalète et les demipiques
. Ils portaient , comme les Grecs , des chaussures
de cuir , par dessus leur habit court une cuirasse , et un
casque surmonté d'un cimier. Les instrumens de muMAI
1811.
347
sique militaire étaient la trompette , le cornet et le cor.
Chez les Scandinaves , Čeltes , Germains et Gaulois , les
bardes chantaient avant le combat pour animer les guerriers
.
Cyrus le premier exerça les combattans , eut la pensée
d'un ordre de bataille , combina ses armes et celles
qu'il avait à combattre , dans la première grande bataille
rangée qui nous soit connue , celle de Tymbrée , entre
Cyrus et Crésus .
Les plus anciens peuples , même les Hébreux , eurent
des troupes de cavalerie ; l'équitation y fut en honneur .
Les Perses en avaient donné les élémens , et Xénophon
en composa un traité fort étendu . La formation des troupes
à cheval fut importante chez les Romains , où l'ordre
équestre était le second ordre de l'Etat . La cavalerie des
anciens combattait à l'aile droite , à l'aile gauche , et couvrait
les flancs du corps d'armée .
Lá tactique est la science des mouvemens militaires .
Celle des Grecs et des Romains n'est point la nôtre qui a
emprunté de toutes deux . Nos bataillons imitent les cohortes
romaines , fractions des légións , comme les bataillons
le sont des régimens ; et nous imitons aussi les corps
à rangs et à files serrés des Grecs . Ceux - ci campaient en
rond , ceux-là en carré. Le camp romain était divisé en
deux parties , la supérieure et l'inférieure . Le tribun
avait sa tente dans la première , où étaient aussi l'augure ,
le tribunal , et le forum où l'on plaçait les approvisionnemens
, et où l'on tenait le conseil de guerre.
La science des fortifications , celle de l'attaque et de la
défense des places était peu nécessaire au tems des triom- .
phes de Rome : on n'entretenait point de garnison dans
les villés . Les anciens commençaient les siéges au point
où à présent on les termine. Chez eux l'ignorance absolue
de la science topographique retarda leurs progrès
dans l'art militaire .
La diplomatie des anciens est , relativement aux combats
, fort remarquable . Homère , et tous les premiers
historiens , nous montrent des héros préparés à la guerre ,
qu'ils ne redoutent pas , et désirent la paix , qu'ils chérissent.
348 MERCURE DE FRANCE ,
C'est dans le moyen âge , et sous les Empereurs , qu'on
trouve l'origine du ministère qui organisa les armées ,
améliora le sort des soldats , et allégea pour l'état le fardeau
de leur entretien. Ces premiers ministres , appelés
préteurs , eurent pour concurrens les questeurs , qui euxmêmes
furent évincés par les préfets militaires , vrais
créateurs du ministère de la guerre .
Tel est le précis du tableau que M. Audouin a tracé
de l'administration de la guerre chez les anciens . Après
cette excursion il rentre en France , il examine les armées
françaises , qui se formant au cinquième siècle prirent
l'art militaire au degré de perfection où avaient fini les
armées grecques et romaines : ce ne fut qu'au treizième
siècle que l'art fit des progrès , mais faibles , par l'impuissance
des chefs .
Les objets traités dans la seconde section de ce second
livre seraient également bien placés dans une histoire de
France. Nos chroniques et mémoires contiennent tous
ces détails qui étant très -connus mériteraient peut-être ici
le reproche de prolixité . Cependant l'auteur n'y perd
point de vue son sujet. Si sous ce rapport il a voulu porter
son ouvrage au complet , il ne pouvait faire que ce
qu'il a fait . Il nous montre , sous les rois qui ont précédé
Louis XII , l'administration de la guerre faible par sa
complication , par la création d'une multitude d'officiers
et de préposés dont la longue énumération occupe une
grande partie du premier volume. La cinquième section
fournit les preuves qu'aucune profession ne dispensait
du service militaire personnel ; et jusqu'au quinzième
siècle on ne voit point de trace d'exemption , mais bien
quelques dispenses accordées pour de l'argent.
Ce fut sous Philippe-le-Bel que la solde fut , pour
la première fois , accordée aux troupes , et qu'on établit
des taxes pour y subvenir : des monnaies furent
fabriquées pour ce paiement , et leur valeur déterminée .
Les successeurs de Philippe-le-Bel augmentèrent cet impôt
, en appliquèrent les fonds à d'autres objets , et organisant
leurs troupes divisèrent l'ancienne gendarmerie en
compagnies de cavalerie et d'infanterie. Ce corps est
célèbre dans nos annales . Quittant la hache d'armes et la
MAI 1811 . 349
francisque des anciens Français , le gendarme portait
pour armes défensives le casque , la cuirasse , les brassards
, les cuissarts , les gantelets ; et son cheval avait la
tête , le poitrail et les flancs couverts de fer. Aucune ordonnance
de ce tems ne réglait les habits , et aucun
peuple n'en avait encore eu l'idée : les Français en donnèrent
l'exemple sous Louis XIV.
Ici nous arrivons à l'invention de la poudre , au premier
emploi des armes à feu , époque sans doute la plus
importante dans l'histoire de la guerre. Quel en fut le
coupable inventeur? Des Anglais ont réclamé pour leurs
savans l'horrible avantage de la première conception de
cet affreux amalgame. Le moine Bacon , qui vivait au
tems de Philippe-le-Bel , serait celui dont le nom mérite
d'être gravé en traits de sang sur les tombeaux et aux
portes des cimetières : mais les moyens qu'il indique pour
imiter l'éclat du tonnerre , par l'explosion du nitre , du
soufre et du charbon renfermés , peu compris dans ces
tems d'ignorance , ont pu lui faire injustement attribuer
l'invention de la poudre. Bacon étudia plus particulièrement
l'astronomie , l'optique ; il perfectionna les lunettes
et les télescopes. L'horreur de cette funeste invention
doit donc plus vraisemblablement retomber sur le moine
Schwartz , ou Lenoir , qui à la fin du treizième siècle ,
renfermé dans les prisons de Fribourg , prenant la vie en
haine et les hommes en horreur , voulut , avant de mourir
, leur laisser un présent qui pût le venger à jamais des
tourmens qu'il avait endurés . Soit que la science de
Schwartz n'égalât pas sa perversité , soit que dans sa prison
il n'eût pas les matières nécessaires au perfectionnement
de sa découverte ou de son crime , il la transmit
imparfaite ; et il fallut joindre à ses essais d'autres essais .
M. Audouin ne place la découverte de la poudre qu'au
quinzième siècle , quoiqu'il la croie , avec raison , antérieure
; mais il paraît que la poudre n'a été généralement
employée que dans le cours de ce siècle. Quoi qu'il en
soit , la science militaire moderne date de cette époque ,
et commence au quinzième siècle .
Le service de santé , dans les armées , ne fut connu
que dans le moyen âge. On ne trouve qu'accidentelle
350 MERCURE DE FRANCE ,
ment les noms des médecins des armées des Empereurs
Claude et Galien. Une lettre de l'empereur Antonin
donne un renseignement plus précieux en affirmant que
chaque légion avait un médecin particulier . On a conservé
une lettre d'Antonin , dont la suscription porte :
Aumédecin de la deuxième légion .
Au seizième siècle , dit M. Audouin , l'administration
de la guerre ne fit que changer les dénominations des
différens employés militaires . Alors commença le recrutement
à prix d'argent , et la division de l'armée en troupe
soldée et en milice nationale. Le concours des réquisitions
et marchés , les premières fournitures par entreprise,
datent de la même époque .
C'est au règne du bon Henri IV , et à son ministre
Sully , c'est-à-dire , à l'an 1597 , qu'il faut rapporter l'établissement
des premiers hôpitaux militaires formés en
Europe. Ces deux excellents hommes furent aussi les
créateurs de l'Hôtel des Invalides , ou du moins d'une
institution qui donna l'idée et le modèle de celle qui fut
créée plus tard par Louis XIV : l'ordonnance de Henri IV
pour le service de santé est la plus ancienne et serait la
meilleure de toutes celles qui ont été rendues depuis , si
elle n'avait pas le défaut de confondre le service des médecins
avec celui des administrateurs .
La force , la formation et la tactique de l'armée , à
l'avénement de Henri IV au trône , sont remarquables
en ce qu'elles donnaient à l'infanterie le premier rang
qu'elle avait occupé chez les anciens . L'auteur donne à
ce sujet , et dans les sections septième et huitième , des
détails sur les ingénieurs , artilleurs , géographes , colonels
généraux , maréchaux de France , états-majors , capitaines
de compagnies et de bandes , des détails qui ne
peuvent trouver place dans une analyse .
Le quatrième livre , nous rapprochant de notre tems ,
nous montre la plus intéressante époque de notre administration
et de notre gloire militaire. Toutefois il fauť,
en parcourant ce tableau , passer rapidement sur le règne
de Louis XIII , qui eut peu à se louer des ministères du
maréchal d'Ancre , du connétable de Luines , de VillarMAI
1811 . 351
ceau , du cardinal de Richelieu , de Puisieux , de d'Achères
, de Servien , de Sablé , et de Desnoyers .
Depuis 1661 jusqu'en 1683 , l'auteur s'attache , avec
raison , à nous faire connaître le ministère de Louvois et
de Colbert , l'extension et le perfectionnement donnés au
matériel de la guerre . En effet , c'est ici que commence
la plus mémorable époque de l'histoire de l'administration
des armées . M. Audouin réduit fort bien à vingt - quatre
ans les tems de gloire de Louis XIV. Tout ce qui précède
cette époque ne lui appartient point , tout ce qui la suit
est indigne de lui : le ministre de la guerre dont on a le
moins parlé , Le Tellier , long-tems intendant des vivres
à l'armée , et qui coopéra aux succès de plusieurs généraux
, fut celui qui eut plus de part à l'organisation du
matériel de la guerre.
A la suite de la même époque , on voit une nouvelle
organisation des armées de Louis XIV, sous les ministres
Louvois et Colbert . Le système d'approvisionnement
qui fut alors adopté , fournit à M. Audouin les réflexions
les plus judicieuses . « On est d'abord étonné , dit- il , de
>> voir un roi aussi jaloux de son autorité que Louis XIV ,
» adopter , pour les approvisionnemens , un système
» dont les effets inévitables sont de créer auprès du gou-
» vernement une entreprise plus puissante que lui , et
>> dont il reçoit forcément le mouvement que lui seul
» devrait toujours donner ; mais l'étonnement cesse
» quand on réfléchit sur les causes qui réduisirent
>> Louis XIV et ses ministres à se mettre à la merci des
>> capitalistes . Ces causes malheureuses , on les aperçoit
» dans l'exagération des forces qui produisirent l'exagé-
» ration des dépenses . »
Louis XIV étant mort en 1715 , le ministère de la
guerre supprimé , remplacé , sous la Régence , par un
conseil de guerre , ne produisit pas de grands changemens
, et fit bientôt reparaître les ministres de la guerre
Leblanc , les cardinaux Dubois et Fleury , les ducs
d'Orléans et de Bourbon -Condé , Breteuil et d'Angerviliers
, dont les opérations administratives militaires
n'offrent rien de remarquable .
L'auteur entre ici dans le règne de Louis XV, et exa352
MERCURE DE FRANCE ,
mine , depuis 1743 jusqu'en 1757 , le ministère des deux
Paulmy- d'Argenson , administrateurs que la Francé n'ou
bliera jamais , et leurs opérations dont l'amour du bien
fut toujours le premier motif.
Les sections sixième , septième , huitième et neuvième
du sixième livre , entretiennent le lecteur des opérations
ministérielles de MM. de Belle- Isle , de Cremilles , de
Choiseul , de Monteynard et d'Aiguillon , c'est- à - dire ,
depuis 1758 jusqu'en 1774 , époque de la mort de
Louis XV , le 10 mai de cette année . Son successeur
Louis XVI , confia le ministère de la guerre au maréchal
du Muy , au comte de Saint-Germain , subordonné au
comte de Maurepas , à M. de Sénac , au prince de Montbarrey
, au maréchal de Ségur , aux comtes de Vergennes ,
de Brienne et de Puységur ; enfin au maréchal de Broglie
, qui eut pour adjoint Foulon , intendant des armées
en 1789 .
L'historien de l'Administration de la guerre se trouve
ici au moment terrible de la révolution , et il rappelle ,
mais sans rien apprendre de nouveau aux lecteurs , les
principaux événemens de cette grande catastrophe .
L'énoncé seul des chapitres , la table des matières ,
indique que cet ouvrage n'est , dans sa majeure partie ,
qu'un précis de l'Histoire de France , relatif à la guerre ,
si vous voulez , mais toujours précis historique qui ne
présente que des faits que l'on trouve par-tout . Après
l'exposé , qui est la partie la plus intéressante de l'ouvrage ,
plein de recherches savantes et exactes , après l'exposé
dis-je , de l'administration de la guerre chez les anciens et
sous les rois de France des deux premières races , il
fallait trancher court sur le reste dont tous les Français
sont instruits , et éviter le reproche grave de prolixité .
On est singulièrement étonné de trouver dans une Histoire
de l'administration de la guerre un long récit de la
résistance des parlemens à la cour , des débats de
MM. de la Chalotais et d'Aiguillon , des actes rigoureux
du chancelier Maupeou , enfin un précis fort étendu des
premières causes et des premiers effets malheureux de la
révolution française . Ce qui peut dédommager de ces longs
hors-d'oeuvres , c'est que l'auteur s'y montre impartial
ΜΑΪ 1811 . 353
SEINE
et fort instruit. Tout ce détail est bon en soi , mais il
nous laisse toujours le droit de citer le mot du judicieux
Horace : Non erat his locus. Au reste , l'équité nous
oblige de dire que cet ouvrage est écrit avec élégance ,
et sur-tout avec une grâce naturelle , une pureté de style
rare autant qu'estimable . L'historien de la guerre n'est
jamais ni trop simple , niſtrop emphatique , et dans son
ton il a parfaitement saisi le mezzo genere convenable à
son sujet. Je ne dois pas non plus taire les éloges que
l'application d'un passage de l'orateur romain fournit
adroitement à M. Audouin , éloges flatteurs , spirituels
autant que justes , et que l'historiographe de la guerre
adresse , en terminant son ouvrage , au prince et au
modèle des guerriers .
POÉSIE ITALIENNE.
D.
LES muses italiennes continuent de célébrer, à l'envi des
muses françaises , un événement non moins intéressant
pour l'Italie que pour la France . Elles chantent au-delà
comme en deçà des Alpes la naissance du roi de Rome.
Leurs chants nous parviennent de Milan , de Turin , et se
font encore entendre à Paris (1 ) . Continuons aussi de faire
connaître les fruits de ce noble concours (2) .
I. Per la Nascità di S. M. il Rè di Roma , le Api
Panacridi in Alvisopoli , anacreontica del sig . cavaliere
MONTI .
ou ce
Ce titre composé d'un mot grec et du nom d'un village
d'une petite ville encore naissante , peuconnue de
côté-ci des Alpes , pourrait n'être pas aisément entendu
en France. Il faut donc d'abord avertir que le Api Panacridi
qui parlent dans cette nouvelle composition poétique
(1 ) Elles viennent de dicter à M. Buttura une nouvelle ode ; l'importance
de cette pièce , et la traduction en vers français dont l'a
accompagnée M. Chaussard , ne permettent pas de la mettre ici par
extrait. Nous l'insérerons toute entière , avec la traduction , dans un
prochain numéro .
(2) Voyez le Mercure du 4 mai dernier ,
Z
354 MERCURE DE FRANCE ,
de M. Monti , sont les Abeilles de l'île de Crète ( où était
le mont Panacra ) , qui nourrirent Jupiter de leur miel ;
ensuite qu'Alvisopoli est une terre , un château , avec un
gros village , dans le Frioul , près de la petite rivière du
Lemene , appartenant à M. Alvise Mocenigo , ex-noble
vénitien, très-riche , actuellement sénateur du royaume
d'Italie ; que ce village dont il a fait bâtir à ses frais les
maisons , comme Voltaire celles de Ferney , et dont la
population va toujours croissant , devient une ville déjà
distinguée par son industrie et par son commerce ; qu'enfin
la naissance du roi de Rome y a été célébrée par une fèto
très -brillante , et que c'est à l'occasion de cette fête qu'est
née cette production lyrique du célèbre Monti .
son
"Auguste enfant , héritier de Romulus , disent ces
chastes Abeilles (Noi caste Api Panacridi ) , nous déposons
sur tes lèvres purpurines ce rayon éthéré d'un miel aussi
pur que l'or , cueilli au lever du soleil sur le thym et les
violettes de la riante Alvisopolis. Nous fûmes jadis les
nourrices de Jupiter , quand les vagissemens de
enfance se mêlaient sur les monts de Crète aux cymbales
des Corybantes . Il nous accorda pour récompense de vivre
éternellement et de transporter nos demeures de cire sur
tous les bords les plus fleuris . Elles disent ici , en quatre
strophes extrêmement poétiques , l'usage qu'elles ont fait
de cette faveur ; elles déposèrent tous les trésors de l'éloquence
, à Pylos sur la bouche de Nestor , aux bords de
l'Illyssus sur les lèvres de Platon , sur celles de Pindare att
rivage de l'Ismène ; c'est à elles encore qu'est dû ce parfumd'ambroisie
que respirent les chants du cygne de Mantoue
: errant enfin librement de rivage en rivage , elles ont
fixé leur séjour sur les rives du Lemene. Mais il faut citer
ici , pour le plaisir de ceux à qui la langue italienne est
familière , ces strophes qui seraient vraiment anacréontiques
, si Anacréon s'était élevé à ce ton de poésie :
Volammo in Pilo ; e a Nestore
1.
Fluir di miele i rivi,
Ond' ei parlando , l'anime
Molcea de regi achivi.
Ne vide Ilisso ; e il nettare
Quivi per noi stillató
Fuse de' numi il liquido
Sermon sul labbro à Plate.
ΜΑΙ 1811 355
N'ebbe l'Ismeno ; e Pindaro
Suonar di Dirce i versi
Fè per la polve olimpica
Delnostro dolce aspersi.
E nostro èpur l'ambrosio
Odor che spira il canto
Del caro all' api e a Cesare
Cigno gentildi Manto.
Inviolate e libere
Di lido erranda in lido
Del bel Lemene al margine
Alfin ponemmo il nido .
Là, pour répondre au désir d'une population nouvelle ,
elles ont cueilli dans le calice des plus belles fleurs cemiel
qu'elles apportent sur les lèvres du jeune héritier de Romulus.
«C'est une nourriture divine , continuent-elles ; et c'est
sous de plus heureux auspices que , pour indiquer la haute
sagesse des conseils d'un roi , l'abeille a succédé au lis.
Nous sommes l'image parlante d'un roi brave et digne du
trône ; nous avons une ame , un instinct guerrier et né pour
l'empire. Que ce rayon versé sur tes lèvres enfantines soit
donc l'augure assuré de ta puissance et de ta grandeur future.
Oui , tu seras grand et puissant , à l'exemple du
héros qui t'a donné la vie , et qui est sur la terre ce que
Jupiter est dans les cieux. Mais n'espère jamais l'égaler ; il
est le plus grand ,il est le seul ; contente-toi de l'imiter .
Apprends à ses côtés à porter un jour le poids du Monde ;
sois l'Hercule de cet Atlas. Daigne alors jeter un regard
et un sourire sur l'humble territoire qui ose t'adresser ce
modeste présent .
Elles amènent ainsi la description et l'éloge du beau lieu
d'où elles feignent d'être parties . L'art et la nature s'y disputent
l'avantage ; il s'y est formé un collége , un lycée ,
une de ces cités chères à Minerve , où les coeurs émus
sentent déjà la présence de la déesse . Le pays au milieu
duquel s'élève Alvisopolis abonde en fleurs du parfum le
plus exquis , et nourrit des abeilles qui donnent le plus
excellent miel; il est riche en troupeaux de mérinos ; on y
cultive laguède ou le pastel , dont le suc rival de l'indigo,
teint la laine du plus vif azur; le coton peut y être comparé
à celui d'Egypte ; la bergère qui en extrait le duvet est
distraite de ce travail par l'amour. Ici le poëte emploie
une transition ingénieuse pour amenerr , après toutes
22
356 MERCURE DE FRANCE ,
ces branches d'industrie faites pour plaire au Gouverne
ment , la conscription qui lui assure des soldats . L'objet de
cet amour qui distrait la bergère occupée d'extraire le
coton de la noix qui le renferme , est le jeune homme qui
abandonne les sillons du champ paternel , et vole avec intrépidité
aux combats . Il suivra , disent les Abeilles au
jeune roi , il suivra la foudre que , devenu adulte , tu lanceras
sur les bataillons ennemis , si ton père t'en laisse encore
à vaincre .
:
.:
Su quelle sponde Industria
Una città già crea
Cara a Minerva ; e sentono
Già scossi i cuor la Dea.
Natura içi spontanea
Isuoi tesor comparte ,
Ed operosa ededala
Più che natura è l'arte.
Lepreziose e candide
Lane d'ibera agnella
Pianta rival dell' indaco
D'un vivo azzurro abbella .
Laforosetta i morbidi
Velli all' Egizia noce
Tragge ; e ne storna l'opera
Amor che rio la cuoce.
Amor del caro Giovine
Che del paterno campo
Isolchi lascia e intrepido
Vola dell' armi al campo , etc ,
Le restede l'ode est consacré aux présages qui annoncent
les belles destinées du royal enfant, à l'éloge de' son auguste
mère , à la peinture de l'allégresse publique , et de la
félicité générale , l'une causée et l'autre garantie par cet
heureux événement .
II. Alla cuna del primogenito figlio di Napoleone il
grande e di Maria Luisa d'Austria , Canzone di Davide
BERTOLOTTI . Turin , 1811 .
M. Bertolotti est un jeune poëte piémontais de vingt-six
ans , dont on attend un grand ouvrage , une nouvelle traduction
en vers libres du Paradis perdu de Milton , déjà
ΜΑΙ 1811 . 357
traduit avec élégance , mais faiblement, par Rolli . Son ode
ou Canzone annonce de la verve , un style noble et le sentiment
de l'harmonie. Sa première strophe présente une
comparaison ingénieuse et poétiquement exprimée.
Come l'Idalia stella
Rutilante la chtoma erge dall' acque ,
Ealfolgorar del divo astro s'abbella
L'ondoso regno in cui Ciprigna nacque ;
Tal dal Cesareo grembo
Splendido sorge il sospirato INFANTE ,
EGiunofesteggiante ,
Sciolto il divin suo lembo ,
Sparge di fiori sulla terra un nembo .
Le poëte salue le royal enfant , espérance du monde et
véritable Alcide , qui saura , comme l'ancien Hercule , se
montrer par des preuves glorieuses digne fils de Jupiter ;
il saura lancer la foudre de son père dans les nouveaux
champs de Phlegra; couvert de ses armes , et de l'immortelle
égide , tel que Pallas au jour de la colère , il exterminera
la fatale Enyo ( Bellone ) , mère exécrable des rixes
sanglantes . Déjà se ferme le temple de Janus . L'implacable
Discorde secoue vainement son flambeau; son art cruel
est sans pouvoir; il est levé l'astre brillant , le bel astre
qui nous apporte la paix. Des extrémités de l'occident jusqu'aux
rives orientales , on entend un cri de joie que jettent
ensemble tous les peuples qui portent gravés sur leur front
les cruels outrages de Mars ; tous , excepté le peuple féroce
qui boit les eaux de la Tamise .
Si M. Bertolotti en restait là , ce serait un trait lancé , ou
plutôt une injure qui ne prouverait rien contre le peuple à
qui elle est adressée ; mais il a caractérisé dans deux fort
belles strophes ce peuple , ou plutôt ce gouvernement ennemi
de la paix , et son inflexible obstination , malgré ce
qu'il en souffre lui-même , dans des lois oppressives qui
nécessitent la guerre , et le sort qui lui est réservé s'il ne
revient pas à des conseils plus sages.
«Il compte pour rien, dit le poëte , les blessures de
son propre sein; il dédaigne le sang qui en sort par torrens
; la furieuse Alecton lui darde jusqu'au fond du coeur
ses serpens; les flots qui mugissent autour de ses sombres
rivages rendent un son guerrier ; et lui , plus fier et plus
cruel que les flots , il couvre d'un casque sa chevelure , et
358 MERCURE DE FRANCE ;
prétend à l'éternelle tyrannie des mers . Peuple superbe !
si tu la veux , tu l'auras cette guerre éternelle ; et la terre
te sera interdite ; et tu iras , errant sur les mers , jusqu'au
moment où le Dieu des eaux et des vents, indigné de ton
orgueil , renversera ton altière puissance , dont le trône est
fondé sur les ondes inconstantes et sur les souffrances du
genrehumain .
Popol superbo ! e guerra ,
Se tu la brami , eterna guerra avrai ,
Ed interdetta a te sarà la terra ,
E sopra i mari ramingando andrai ,
Insin , che dal tuo orgoglio
Sdegnato il dio che all' acque e all' aure impera ,
Rovescierà l'altera
Possanza tua , che ha il soglio
Sull' onde vane e sull' uman cordoglio .
III. Per lo natale del Rè di Roma , Canto dell ab . G.
GRANATA , avec cette épigraphe :
Pacatumque reget patriis virtutibus orbem . VIRG.
Paris , de l'imprimerie de Richomme. 1811 .
Le Chant de M. l'abbé Granata , Napolitain demeurant
à Paris , est en octaves. Il est fort bien imprimé , et suivi
d'une traduction française . C'est à-peu-près tout ce que
nous en pouvons dire . L'intention de l'auteur est excellente;
mais en poésie le zèle ne suffit pas ; et après avoir
cité des vers tels que ceux qu'on vient de lire , il n'y a
plus de place à donner à ceux où l'on ne peut louer que
l'intention et le zèle .
GINGUENÉ,
ΜΑΙ 1811 . 359
VARIÉTÉS .
CHRONIQUE DE PARIS.
Nous avons reçu , à quelques jours de distance , deux
lettres qui prouvent à quel point le champ de la dispute
est vaste , et le peu d'espoir qu'il y a de rapprocher certains
esprits : l'une de ces lettres servira de réponse à
l'autre .
Aux Rédacteurs du Mercure de France.
MESSIEURS , il faut que vous soyez doués d'un beau
sang-froid , ou retenus par de bien misérables considérations
, pour ne pas vous élever avec plus de force et de
courage contre ce débordement d'ignorance , de sottiseset
de mauvais goût dont la France est en grande partie
submergée : est-ce assez de quelques épigrammes , plus
ou moins innocentes , pour faire justice du charlatanisme
et de l'orgueil de nos prétendus savans , de l'abondante
stérilité de nos artistes , de la dégradation de nos gens de
lettres , de la bêtise insolente de leurs protecteurs , en un
mot , de l'abrutissement général vers lequel on s'achemine ,
et où nous serions, depuis vingt ans , irrévocablement
plongés , sans le secours d'un bras puissant qui retarde
notre chute ? Dans l'empire des arts , le génie, l'enthousiasme
, le talent même , est éteint; si j'ouvre le livre nouveau
le plus vanté , la première chose que j'y découvre ,
c'est le motif particulier qui l'a fait écrire , et le but intéressé
que l'auteur s'y propose. Si le désoeuvrement me
conduit au théâtre , je vois que rien n'est au-dessous des
pièces modernes qu'on y représente , si ce n'est la maladresse
des acteurs qui les jouent , et la stupide patience
du public qui les écoute . Si je jette les yeux sur les monu
mens de nos arts , je gémis de penser , qu'en attestant aux
siècles à venir la grandeur et la magnificence duprince sous
le règne et par les ordres duquel de si grands travaux ont
été entrepris . , ils déposeront en même tems de la médiocrité
présomptueuse et du mauvais goût de nos artistes .
Tranchons le mot , il n'y a plus d'artistes ; tout est artisan ,
depuis le mathématicien qui prétend que la toise du menuisier
doit remplacer les plus sublimes formules de
د
360 MERCURE DE FRANCE ,
Keppler ou de Newton, jusqu'à ce journaliste qui n'a
d'opinion qu'après avoir consulté le registre de ses abonnés.
Le domaine des sciences et des lettres est envahi par
une nuée d'agioteurs rimans , chantans , peignans , chiffrans
, qui spéculent tantôt sur un problême d'algèbre , et
tantôt sur un couplet de chanson : et l'on se plaint de la
critique amère!!! .....
J'ai l'honneur d'être , etc.
Aux Mêmes .
TH. FL.
Ен ! Messieurs , au lieu de vous amuser à critiquer tel
ou tel usage innocemment ridicule , tel ou tel abus dont
vous oubliez trop souvent de rechercher les avantages , ne
devriez-vous pas nous faire justice de cette manie de dénigrement
qui semble s'être emparée de tous les cerveaux à
la-fois? Comment seffaaiitt--iill que parmi vous autres , barbouilleurs
de papier à la feuille , il ne s'en trouve pas un
qui prenne la tâche honorable de redresser ce travers de
l'esprit parisien , et de prouver que l'époque où nous
vivons est , je ne dis pas seulement la plus glorieuse , on
ne trouverait pas de contradicteur, mais , à tout prendre, la
plus remarquable , à ne l'envisager même que sous le
rapport des progrès de la civilisation , des lettres et des
arts? Cette rage de tout fronder a passé des journaux dans
les salons , des salons dans les boutiques , et si les étrangers
veulent nous prendre au mot, ils peuvent, à l'exemple
du Livonien Kotsbue , nous regarder comme le peuple le
plus ignorant , le plus futile , et même le plus triste de
l'Europe. Il est de fait , cependant ( et c'est cela qu'il faut
drait avoir le courage de dire), que la France jouit , au tems
où nous vivons , d'un honneur qu'on a pu lui contester à
toute autre époque , celui de primer également dans les
armes , dans les sciences , dans les arts et dans les lettres .
Nous pouvons être , à quelques égards , au-dessous de
nous-mêmes , mais nous sommes encore au-dessus des
autres. On a beaucoup crié contre quelques philosophes
de l'autre siècle , et on leur a prodigué l'épithète de mauvais
Français , parce qu'ils reconnaissaient la supériorité
de nos voisins en quelques points de leur législation , parce
qu'ils faisaient l'éloge de quelques institutions étrangères
que nous avons adoptées depuis; mais ces mêmes hommes ,
ces Montesquieu , ces Voltaire , qui avaient acquis à tant
de titres le droit de gourmander leurs concitoyens , sont
ΜΑΙ 1811 . 361
eux-mêmes la preuve de cette supériorité qu'ils contestaient
quelquefois à leur patrie : leur plume , comme la
lance d'Achille , guérit la blessure qu'elle fait. Il n'en est
pas ainsi des chefs de nos frondeurs modernes ; quand ils
assurent que l'esprit et le goût deviennent chaque jour
plus rares , on ne peut les opposer à eux-mêmes ; ils sont
bien sûrs de convaincre ceux qui ne lisent que leurs écrits ,
et c'est malheureusement le plus grand nombre. De grâce,
Messieurs , vous en qui j'ai surpris quelquefois des mouvemens
de franchise et de justice , prenez en main la défense
de votre siècle et de la vérité ! Est-il done si difficile
ou si dangereux de démontrer par les faits , que les sciences
n'ont jamais brillé d'un plus grand éclat ; que la France
est aujourd'hui la seule patrie des arts , que si les lettres
ne comptent qu'un très-petit nombre de ces esprits du premier
ordre dont la nature s'est montrée de tout tems avare ,
elles citent , dans tous les genres , des noms dont elles
s'honorent ; que le luxe , ce besoin des grands Etats , n'a
jamais été dirigé par un goût plus pur , et appliqué à de
plus nobles objets; enfin que, dans toutes les branches dela
civilisation , les progrès sont tels que ne pouvant en nier
l'évidence on a pris le parti d'en contester les avantages .
Voilà , Messieurs , un emploi vraiment digne de vous ; je
ne puis vous répondre que cette manière d'envisager les
choses augmente beaucoup le nombre de vos abonnés ,
mais elle augmentera du moins la considération avec laquelle
j'ai l'honneur d'être , etc. L. DE ST-Eм ....
-Si l'on écoutait certains réformateurs , Paris serait
bientôt soumis à une règle aussi sévère que l'ordre de la
Trappe. Les uns voudraient supprimer les voitures , pour
que les gens de pied marchassent plus à leur aise ; les
autres voudraient que les chevaux n'allassent qu'au pas ;
ceux-ci désireraient qu'on transformât toutes les rues en
canaux ; ceux- là se plaignent que les fontaines coulent nuit
et jour ; quelques personnes , pour avoir eu probablement
le menton raflé par une raquette , se déchaînent contre les
joueurs de volant devant les portes , et l'on va même jusqu'à
déclarer la guerre à ces troupes de petits baladins , d'escamoteurs
qui garnissent les boulevards , depuis le temple
de la Gloire jusqu'à l'Arsenal , sous prétexte qu'ils retardent
la marche de l'homme affairé , qu'ils favorisent l'adresse de
quelques filous et les projets de quelques beautés nocturnes .
Mais ces légers inconvéniens peuvent-ils balancer , dans
362 MERCURE DE FRANCE ,
:
une ville immense , les avantages de ces spectacles où des
milliers d'individus des classes inférieures de la société
trouvent à si peu de frais , le soir , un délassement à leurs
pénibles travaux ? Nous ne dissimulerons pas le plaisir que
nous trouvons nous-mêmes à nous glisserdans ces groupes
de curieux qui se rassemblent autour de ces opérateurs
dont l'un vous offre une poudre incomparable pour les
dents , l'autre une pierre à détacher qui rendrait à sa
couleur première le linceul qui enveloppe une momie
égyptienne , un troisième , unepomade au moyen de laquelle
les cheveux croissent à vue d'oeil , le tout pour la bagatelle
de deux sols . Comment passer sans s'arrêter devant ce
rival des Beaumé , des Klaproth , établi depuis quelques
jours sur le boulevard Poissonnière? C'est avec le simple
-appareil d'une table , d'une bouteille et de quelques verres ,
que ce chimiste en plein vent vous démontre les propriétés
des acides , et qu'au moyen d'une dissolution de tournesol
et d'un peu de vinaigre , il tire de la même fiole une liqueur
qui prend successivement la couleur du vin , de la bierre ,
du cidre et de l'eau-de-vie. A quelques pas de là voyez ces
deux petites filles qui se sont fait un moyen d'existence de
la facilité qu'elles ont acquise de tourner une heure sur
elles -mêmes avec une incroyable vitesse . Plus loin , c'est
une famille entière , depuis le grand-père jusqu'à l'enfant
à peine sorti du berceau , qui exécute sur un vieux tapis de
Bergame des tours de souplesse , dont on s'amuse en
frémissant. Joignez à ces baladins l'orgue de Barbarie qui
joue la romance du Jardinierfleuriste ; le physicien qui
démontre les propriétés de la bouteille de Leyde ; le grimacier
qui chante la Bourbonnaise ; les temples de Pestum en
bouchon de liége ; le vaisseau le Majestueux en verre de
couleur ; les parades , les marionnettes , le mouvement de
quatre théâtres et de 108 cafés éclairés comme des salles
de bal, on aura l'idée du spectacle que présentent les boulevards
, et l'on ne sera pas de l'avis des humoristes qui proposent
d'en bannir tant d'objets divers qui en font le charme,
dans la vue d'en faire une promenade aussi majestueuse
et aussi gaie que la grande allée du Luxembourg .
- La diversité que l'on observe à Paris dans les moeurs
et dans les habitudes des différentes classes de la société ,
estplus remarquable dans leurs occupations que dans leurs
plaisirs : les plus brillantes soirées de la cour ne different
de celles de la Chaussée-d'Antin , que par un plus grand
développement de luxe et de magnificence; ces dernières.
ΜΑΙ 1811 . 363
sont imitées avec moins d'éclat par les petits bourgeois ,
qui sont eux-mêmes singés par les artisans . Nous connaissons
cependant , à Paris , une société particulière qui diffère
de toutes les autres du blanc au noir , attendu qu'elle se
compose exclusivement de tous les nègres de la capitale
qui se rassemblent le dimanche dans une maison du faubourg
Poissonnière. Là cette variété de l'espèce humaine
(qui ne vaut pas mieux que les autres , quoi qu'en disent
ses amis ) , rappelle dans ses jeux le souvenir de la terre
natale : les danses les plus bizarres, par rapport à nous ,
s'exécutent au son du galoubet et du tambourin , et l'on
fait cercle pour voir danser la Tchika , comme , dans nos
sallons , pour voir danser la gavotte. Au langage , aux
manières , et , s'il est permis de le dire , à l'odeur de cette
singulière société , on pourrait se croire à la côte de Guinée
ou aux Antilles , si le local , l'ameublement , et la maîtresse
du logis ne vous faisaient souvenir que vous êtes
chez une blanchisseuse de la rue Coquenard. Après s'être
bien regalés de maïs , de patates et de rhum , les danseurs
et les danseuses retournent chez leurs maîtres , sans avoir
à craindre le fouet du commandeur.
- Pour être d'institution très-nouvelle , les Cabinets
littéraires n'en sont pas moins des établissemens trèsutiles
. C'est là que les politiques de café vont puiser leurs
connaissances en administration , en tactique et en finances;
c'est là que se fabriquent ces monceaux de compilation qui
passent si rapidement de la presse chez l'épicier ; enfin
c'est là qu'une foule d'habitués viennent pour trente
centimes se mettre au courant des nouvelles du jour , qu'ils
donnent ensuite , dans leur société particulière , pour le
produit de leur correspondance. L'un de ces cabinets littéraires
, le plus ancien du Palais-Royal , peut être regardé
comme la chancellerie de l'ordre des Gobe-Mouches ( imitation
de l'ancienne calotte ) . Les brevets sont expédiés de
cette résidence , et M. de St M... y tient les grands conseils
de l'ordre dont il est président. De tous les établissemens
de ce genre , le plus remarquable à tous égards est celni
de la rue de Grammont; le propriétaire , M. de Laage , n'a
épargné ni soins , ni dépense , pour en assurer le succès ,
et cependant les lustres les plus brillans , les lampes antiques
y brûlent dans la solitude. A Paris , quand on a bien
fait , on n'a encore rien fait; il faut se mettre en vogue .
EVÉNEMENS , ANECDOTES .- Plusieurs de nos artistes qui
1
364 MERCURE DE FRANCE ,
avaient exporté leurs talens sur les bords de la Newa , sont
rentrés ou se préparent à rentrer dans leur patrie. Nous
avons vu successivement revenir le jeune et brillant compositeur
Boyeldieu , le célèbre violon Rode , et Mlle Bourgoing.
On annonce l'arrivée prochaine de Mlle George , et
Florence lui-même est de retour. Tout Paris se rappelle
encore le succès qu'il obtint , pendant plus de trente ans ,
dans le récit de Théramène ; succès tel que son portrait
gravé à cette époque portait , pour devise , ce vers où cet
acteur était sublime :
Le flot qui l'apporta recule épouvanté.
Après avoir fait le succès de Misanthropie et la réputation
de Mlle L... , Florence était allé en Russie former
des sujets et des répertoires ; il est revenu , dit-on , trèssatisfait
de son voyage , et il se prépare à publier ses Mémoires
; on ne pense pas qu'ils soient adoptés pour l'instruction
publique.
-Un de nos abonnés nous a prié de faire mention dans
notre Chronique , d'une anecdote dont la morale n'apprendra
pourtant rien à personne. La veuve d'un artiste
estimable n'eut pas plutôt perdu son mari qu'elle se souvint
, en soupirant , d'un jeune homme qui l'avait quittée
pour aller achever ses études à Upsal; elle lui écrivit « de
" revenir , sans délai , prendre possession d'un coeur qu'elle
>>pouvait maintenant lui offrir tout entier : quinze jours lui
» suffiront pour franchir l'espace qui les sépare , etc. » Le
Candide étudiant se hâte de quitter la Suède; il prend la
poste , court jour et nuit ; mais sa voiture se brise deux
fois en route , il n'arrive que le 20º jour auprès de l'objet
adoré ; qu'on juge de son étonnemeut en apprenant que la
veille on lui avait donné un rival . Il voulut se fächer ; mais
enfin que n'arrivait-il dans le délai qu'on lui avait prescrit ?
Il eut beau montrer sa lettre ; on lui fit observer qu'elle
était à jour fixe , et que cette espèce d'engagement n'avait
pas droit aux dix jours de grace.
ARTS ET MONUMENS . -On commence à creuser les fondemens
de l'église Saint-Napoléon , qui doit faire face au
pavillon de l'Infante et terminer la nouvelle gallerie du
Louvre .
-Les préparatifs des fêtes du baptême se poursuivent
avec la plus grande activité. Les travaux de Notre-Dame
ont été réglés par le grand-maître des cérémonies et le car
MAI 1811 . 365
dinal-archevêque : la direction en est confiée à M. Fontaine.
Les Tuileries seront illuminées avec plus d'éclat , s'il est
possible , qu'elles ne l'ont été aux fêtes du mariage . Les
marches qui conduisent du jardin au château sont repla
cées à neuf. Les treillages de bois qui dessinaient les compartimens
du parterre disparaissent chaque jour , et sont
remplacés par des grilles en fer plus analogues à la magnificence
du lieu . La terrasse du bord de l'eau , à laquelle le
public a déjà donné le nom de terrasse du roi de Rome ,
est embellie de nouvelles plantations et de rampes en fer
dans toute sa longueur. Les statues de bronze ont été nétoyées
et vernies .
-On ne voit pas , sans une espèce d'horreur , à la
porte de tous les marchands d'estampes , le portrait de
Madelaine Albert , cette exécrable parricide , dont le forfait
inoui n'a point d'exemple dans les annales criminelles .
On conçoit difficilement que le burin d'un artiste se prête
à reproduire les traits d'un monstre qui ne doit figurer que
dans la gallerie du bourreau .
NOUVELLES LITTÉRAIRES ET BIBLIOGRAPHIQUES .- S'il est
vrai que le bonheur puisse être l'objet d'une étude , l'Essai
sur l'Art d'être heureux , par M. Droz , ne peut manquer
de devenir un ouvrage classique ; mais en attendant qu'on
y cherche des préceptes , ony trouve du plaisir et de l'instruction.
-Dans cette dernière quinzaine , la librairie française
n'a offert que des nouveautés sans intérêt (nous en exceptons
la 75 livraison de l'Encyclopédie méthodique . )
Au nombre des ouvrages étrangers qui s'annoncent avec
le plus d'importance , nous citerons un Abrégé chronologique
de l'Histoire d'Angleterre sur le plan de celui du
président Hénault, par M. Bertrand de Molleville, et une
nouvelle édition de l'excellent Dictionnaire de Johnson .
NOUVELLES DES THEATRES .- L'art dramatique fait partie
de notre gloire nationale ; chez aucun peuple , à aucune
époque, il n'est arrivé au degré de perfection où on l'a vu
en France , où il se soutient encore aujourd'hui ; c'est
pourtant le plus sérieusement du monde , que nous avons
entendu un amateur de la nouvelle espèce , proposer en
plein foyer , un projet qui aurait pour but, à ce qu'il assure,
dee ssee conformer au goût actuel du public
portant le mélodrame au théâtre Français , les Variétés à
en trans366
MERCURE DE FRANCE;
Feydeau , et l'Opera seria à l'Académie impériale de
musique.
-M. Rey , frère du chef d'orchestre de l'Opéra , mort
l'année dernière , et attaché lui-même à l'orchestre de ce
théâtre , se croyant attaqué de la maladie à laquelle a succombé
son frère après de longues souffrances , s'est tué
pour se débarrasser de ses inquiétudes . Il s'était acquis
l'estime et l'affection de ses camarades , et il emporte leurs
regrets.
-Un de ces musards qui ne vont pas souvent au spectacle,
mais qui en lisent régulièrement les affiches , paraissait
dernièrement très-scandalisé de lire sur l'affiche de
l'Académie impériale de Musique , l'annonce du ballet
de PERCÉE et Andromède; il assurait que c'était la troisième
fois qu'il fesait la même remarque.
-On annonce comme très-prochaine la représentation
du Poëte et du Musicien à l'Opéra Comique ; cet ouvrage
posthume de Dalayrac sera précédé d'un prologue en vers ,
au mérite duquel les circonstances doivent nécessairement
ajouter beaucoup d'intérêt .
- L'Odéon prend le bon parti d'en revenir à ses anciens
acteurs , à ses anciens auteurs et à son ancien répertoire.
Clozel a été accueilli du public avec une extrême bienveillance
, dans les différentes pièces où il a déjà reparu .
On répète , à ce théâtre , une pièce en cinq actes , intitulée
la Vieille Tante, dont on espère beaucoup .
-Le Vaudeville va jouer la Petite Gouvernante , sujet
tiré des contes de M. Bouilly à sa fille .
Les Variétés s'occupent d'un Vaudeville historique ; il
s'agit de Jacques Callot refusant au cardinal de Richelieu
de peindre le siége de Nanci .
MODES . -On ne s'était pas encore fait une idée juste de
la quantité de nuances vertes que la teinture pouvait fournir
, et que la mode vient de mettre au jour : on peut remarquer
dans les promenades trois cents habits verts , dont
chacun a sa nuance distincte . La forme de ces habits est
courte , la taille longue , les manches ont une ampleur
démesurée ; les gilets de mousselinette , de turkine , de
basin et de piquéà raies rouges et violettes , bleues et lilas ,
oranges etjaunes sontde mise ,mais en négligé seulement ;
le gilet de piqué blanc , d'une finesse extrême , est indispensable
le soir. Avec le pantalon de nanquin les bas de
coton écru de même couleur sont de très-bon goût , mais
ΜΑΙ 1811 . 367
lepantalon de coutil exige des bas du plus beau blanc et
de la plus grande finesse .
Les dentelles sont la garniture obligée des robes courtes
de perkale ou de mousseline . Une femme de bon ton doit
ressembler le matin à une élégante grisette ; une calèche
enbatiste écrue , une robe d'indienne à mille raies , un
petit fichu écossais croisé sur la poitrine , et des brodequinsde
chamois , sont les parties les plus importantes de
ce négligé. Le soir le luxe reprend son empire ; les schals ,
les parures ou pierres de couleur , ou en corail , doivent
reparaître ; les capottes , ornées des plus belles fleurs
remplacent les modestes calèches , et les robes de mousseline
brodées prennent la place des robes d'indienne et
deperkale.
,
Nous allions oublier de dire que les redingotes de levantine
, de couleur tendre , ont fait disparaître les kalicots .
-
Y.
ATHÉNÉE DE PARIS . On a rendu compte dans ce journal
des deux premières leçons du cours d'éloquence française
que fait M. Victorin-Fabre à l'Athénée de Paris (1) .
Ondisait avec raison en parlant de la seconde , qu'elle avait
obtenu le même succès que la première , c'est-à-dire le
plus complet et en même tems le plus unanime . Il en a été
de même de six discours prononcés depuis par lejeune et
savant professeur , ils ont été accueillis avec les témoignages
d'une satisfaction universelle. Cette satisfaction
s'est en effet manifestée , dans les séances du cours de
M. Fabre , d'une manière qui n'est plus ordinaire ; elle y a
eu , pour ainsi dire , un cachet particulier. Dans toutes les
séances littéraires auxquelles j'assiste ,je n'entends jamais
applaudir que des traits détachés et fugitifs ; il est rare
qu'on sente le mérite d'un style clair , élevé , harmonieux ,
qu'on sache saisir et apprécier un plan bien conçu et largement
dessiné , qu'on suive avec intérêt le développement
d'une grande pensée : il me semble que M. Fabre a eu cet
avantage dans les applaudissemens qu'il a reçus , et il le
doit sans doute au genre de son talent; c'est en général à
la fin des parties principales de son discours , et sur- tout à
la fin des séances, que se manifeste le plus vivement la satisfaction
publique.
(1) Voir les numéros du 9 et du 23 février.
4 .
368 MERCURE DE FRANCE ,
Après la séance où M. Fabre a exposé le plan de son
cours , et celle où il a donné une véritable théorie de l'art
d'écrire , quoiqu'il n'eût modestement annoncé que des définitions
, il a tracé le tableau comparatif de l'éloquence des
anciens et de celle des modernes . Je vais tâcher de donner
au moins une idée de l'ensemble de cette riche partie d'un
grand ouvrage.
M. Fabre a d'abord cherché ce qui , dans les formes du
gouvernement , dans les usages , dans les moeurs publiques ,
dans l'état des arts et de la civilisation , a successivement
influé sur l'éloquence tant chez les peuples anciens que chez
les modernes . Il a observé quels furent, chez les uns comme
chez les autres , dans les principales époques de l'histoire ,
des lettres et de l'esprit humain , les formes , la marche ,
les moyens , le but et les résultats de l'éloquence et de l'art
oratoire. Il a traité chacune de ces divisions avec la pléni
tude d'idées et la profondeur que demandent des objets si
graves . Ensuite il a fait connaître plus particulièrement les
diverses carrières ouvertes aux orateurs des peuples anciens,
la forme des assemblées délibérantes , celle des tribunaux.
Enfin voulant offrir une image complète et animée de l'orateur
antique, il l'a fait voir en action : il l'a conduit successivement
dans le sénat , dans la place publique , devant les
tribunaux de l'antiquité ; alors , analysant les discours les
plus sublimes de Démosthènes et de Cicéron , qu'il a choisis
pour exemple , il a replacé en quelque sorte ces illustres
orateurs sur la tribune du haut de laquelle ils parlaient , au
sein de l'assemblée qui les écoutait , au milieu des circonstances
politiques quiinfluaient sur leur auditoire et sur euxmêmes
; il a fait sentir ainsi l'objet que devait avoir telle ou
telle partie de leurs discours , l'effet qu'elle devait produire ,
celui qu'elle produisit réellement. Il faut convenir que
cette manière d'analyser les orateurs n'est pas seulement
la plus ingénieuse et la plus brillante , mais qu'elle est aussi
la plus profonde et la plus instructive : cette forme de composition
appartient en quelque sorte à M. Victorin-Fabre ;
on sait avec quel succès il en avait fait usage dans un
morceau célèbre de son Eloge de Corneille. Il suffira donc
de dire qu'il ne l'a pas employée moins heureusement dans
son cours , et sur-tout , à mon avis , dans l'analyse qu'il a
faite des deux oraisons de Cicéron contre la loi agraire proposée
par Rullus .
Leprofesseur a conclu de cette comparaison de l'art ora -
toire , tel qu'il fut chez les anciens , avec ce qu'il a été et ce
۱
ΜΑΙ 1811 .
1
369
DEPT
DE
LA
SEIN
qu'il est encore chez les modernes , que les efforts et les
moyens de l'éloquence ont dû changer avec son but et sa
destinée ; ainsi la théorie des rhéteurs de l'antiquité ne sau
rait être pour nous d'une application rigoureuse: il a exposéeD
et discuté cette théorie , et ( ce qui n'est pas la partie la
moins utile de son cours ) il a démontré jusqu'à l'évidence
que la rhétorique des anciens , leurs distinctions , leurs
subdivisions , déjà trop systématiques peut-être à l'égard
des anciens eux-mêmes , seraient aujourd'hui pour nous
presque toujours abusives ; que les critiques modernes qui
tous les ont reproduites , à-peu -près sans examen , offrent
eux-mêmes plus d'une preuve de ces abus , et qu'enfin ,
lorsqu'on veut établir sur des bases durables la théorie des
beaux-arts , l'on ne saurait apporter trop d'attention à ne
chercher que dans la nature des choses les règles générales
de la composition , et à tâcher d'adapter toutes les règles
particulières au caractère , aux usages du peuple pour
lequel on écrit, et en général à toutes les convenances
locales.
C'est en suivant lui-même ce précepte sage et fécond
que M. Victorin- Fabre a passé ensuite àla comparaison de
l'éloquence historique des anciens et des modernes . Il a
traité cette partie de son cours avec d'autres formes et avec
moins d'étendue que la précédente , mais non pas avec
moins de raison et d'intérêt . Il a reconnu d'abord l'influence
de l'art oratoire et de la poésie dans les grands
ouvrages des historiens de l'antiquité , dans l'ordonnance
de leurs compositions , dans les formes souvent épiques
de leurs récits , dans leurs portraits , dans leurs harangues
, etc. Il a justifié ces historiens de la plupart des reproches
que leur ont fait les critiques modernes , et en
particulier Voltaire , qui paraît au professeur les avoir condamnés
quelquefois d'après les mêmes principes sur lesquels
il jugerait les nôtres , sans avoir égard à la différence
extrême des moeurs et des institutions sociales . Il a fait
voir de quelle manière les historiens modernes ont imité
long-tems les historiens anciens , soit en Italie , soit en
France. Il a exposé ensuite le nouvean système historique
dont on peut regarder l'auteur de l'Essai sur les moeurs et
l'esprit des nations comme le véritable inventeur ; il a
montré comment ce système a été consacré depuis en Angleterre
par les ouvrages de Robertson , de Hume , et de
quelques autres historiens de ce mérite. Enfin , après avoir
prouvé que les circonstances politiques , l'état de la civi
Aa
1
370 MERCURE DE FRANCE ,
lisation , et toutes les autres causes morales avaient tourà-
tour fait adopter et avaient justifié ces deux manières si
opposées d'écrire l'histoire , M. Fabre a examiné dans
quelles circonstances et dans quels sujets l'un de ces deux
systèmes devait encore aujourd'hui obtenir la préférence ,
et pouvait le mieux conduire au but que se propose , soit
l'histoire en général , soit en particulier l'historien . Du
reste , quoique le professeur ait tenu avec équité la balance ,
il n'était pas difficile de s'apercevoir de quel côté l'entraî
paient ses affections personnelles . Il a témoigné , par exemple
, pour Tite-Live et sur-tout pour Tacite , une admiration
qu'il n'accorde pas sans restriction aux historiens
modernes qu'il a le plus libéralement loués.
La comparaison de l'éloquence philosophique des anciens
avec celle des modernes , a été faite d'après le même plan ,
et avec la même étendue de connaissances et de raison.
Quant à l'éloquence en vers , il avait annoncé précédemment
qu'il n'en parlerait pas dans cette partie de son cours ,
parce qu'elle est dans nos grands poëtes ce qu'elle était
dans ceux de l'antiquité , à quelque différence près dont il
faut chercher la cause dans la différence même des moeurs,
comme M. Fabre aura occasion de le faire par la suite.
L'analyse que nous venons de donner de ses dernières
séances est fort incomplète , mais du moins tout ce qu'elle
contient est exact ; si elle ne ressemble pas du tout au
compte que d'autres critiques ont rendu de ces mêmes
séances , ce n'est assurément pas notre faute ni celle de
M. Victorin-Fabre . Poursuivi avec un acharnement dont
on trouve la cause et l'explication dans sa jeunesse , ses
talens et ses succès , M. Fabre n'a rompu , dans aucune
occasion , la noble loi qu'il s'est faite du silence. Cette
conduite est très -sage , elle est la seule digne du véritable
caractère de l'homme de lettres . M. Fabre aurait cependant
une manière de confondre les censeurs qui lui prêtent
si fréquemment leurs pensées et leur style , sans démentir
la noblesse de son caractère. Il a toujours montré le dessein
de ne pas faire seulement un cours , mais un ouvrage destiné
à devenir public. Lorsqu'il fera paraître les premières
parties de son travail , je l'engage à mettre en note , à la
suite de chacun de ses discours , le compte qu'en a rendu
tel ou tel critique , sans ajouter aucune réflexion , et
laissant aux lécieurs le soin d'examiner les pièces du procès
et de porter la sentence .
en
Nous ne féliciterous pas M. Victorin-Fabre sur des vues
1
MAI 1811. 37
grandes et neuves qu'on aurait beaucoup mieux saisies
si nous avions pu donner plus d'étendue à l'exposé de ses
leçons; nous ne le féliciterons pas sur son style , quoiqu'il
nous ait paru digne de l'auteur des éloges de Corneille et
de La Bruyère; mais nous finirons en le félicitant sur les
sentimens nobles et généreux dont il anime tous les sujets
qu'il traite , sur le sens exquis qu'il déploye dans toutes les
parties de son cours , et sur le ton de modestie avec lequel
il s'exprime lors même qu'il a le plus évidemment raison.
Loin qu'il laisse percer jamais la prétention de régenter
personne , ce ne sont point les formes du professeur qu'il
prend dans les discussions , mais celles de l'homme du
monde. Il me semble , je doute , j'ignore , telles sont les
expressions qui viennent le plus naturellement et le plus
souvent sur ses lèvres. Il est impossible de parler de soimême
avec plus de simplicité, et des autres avec plus
d'égards. ROLLE , Bibliothécaire de la Ville.
Nous devons à nos lecteurs l'explication de l'espèce
d'énigme en prose que contient notre dernier numéro
sous le titre de Tableaux peints par un grand maître.
Tous ces tableaux se trouvent réunis dans un seul chant
du Poëme de l'Imagination , qui , comme on sait , a huit
chants. L'auteur de l'article y suit , page pour page , tous
les tableaux qui forment le III chant de ce poëme. L'assemblage
en pourra paraître très -singulier. :
Nous espérons que M. Delille ne sera point choqué de
cet article , qui , s'il fait apercevoir un vice dans son beau
poëme , démontre encore mieux l'étonnante fécondité du
prince de nos poëtes modernes .
Aa 2
POLITIQUE.
SUIVANT les dernières lettres de Constantinople , le capitan-
pacha se disposait à entrer dans la mer Noire avec une
flotte telle que la Porte n'en a point eu depuis un siècle .
Elle sera de 40 bâtimens , tant vaisseaux de ligne que frégates
et corvettes , sans compter 30 chaloupes canonnières ,
qui ont été la plupart construites et équipées pendant
l'hiver à Constantinople. Les mesures rigoureuses prises
depuis quelque tems par le Grand-Seigneur contre les
janissaires de Constantinople , ont excité au plus haut point
le. mécontentement de cette milice turbulente . Ils accusent
les ministres ottomans de renouveler les projets de Mustapha-
Baraictar , relativement à la destruction des janissaires
et à l'établissement de la tactique européenne en
Turquie. Il est vrai que Halali-Pacha a remis récemment
au Grand-Seigneur un plan de réforme à cet égard , et que
tout le monde désire voir réprimer la licence et l'insubordination
d'un corps qui menace tous les jours la capitale
de quelques nouveaux dangers .
Les lettres de Belgrade parlent de la continuation des
négociations de paix entre les Russes et les Turcs . Néanmoins
l'armistice devait expirer le 30 avril. On apprend
aussi de Belgrade que le général en chef comte de Kamenski
est presque rétabli tout-à-fait de sa maladie. Son
souverain lui a écrit une lettre très-flatteuse .
Aces détails il faut ajouter ce qui suit , écrit de Bucharest
le 27 avril .
« On va former dans les environs de Sinterschty, à quelques
milles d'ici , sur la route de Giurgevo , un camp dans
lequel on rassemblera les troupes qui reviennent de Silistrie
et de Nicopolis , ainsi que les différens détachemens
qui sont dispersés cà et là. Plusieurs officiers de l'étatmajor
ont déjà reçu l'ordre d'examiner les environs et de
poser le camp , qui sera commandé par le lieutenant-général
de Langeron; le quartier-général du général Kutusow ,
commandant en chef , restera à Bucharest. On a en même
tems ordonné de travailler sans relâche à remettre en état
le pont de pontons au-dessus de Giurgevo , de Slobosia à
MERCURE DE FRANCE , MAI 1811 . 373
Rudschuck , et de rétablir le plus promptement possible la
communication avec cette forteresse .
On attend ici le général Sass , qui est destiné à commander
une division de cavalerie. La division qui a été
jusqu'ici sous ses ordres aura une nouvelle organisation . "
Les Anglais attendus dans la Baltique y trouveront
toutes les côtes en état de défense , tous les ports fermés ,
et sur toute l'étendue des lignes devant lesquelles ils seraient
en croisière , des forces considérables prêtes à les
bien recevoir. Un capitaine suédois parti le 7 mai de Go +
thenbourg , et arrivé le 8 à Elseneur , a rapporté qu'un
convoi anglais , de 150 bâtimens , escorté par neuf vais
seaux de ligne , quelques frégates et cutters , avait appareillé
le même jour se dirigeant vers le Belt , mais que le
calme survenu l'avait forcé d'aller mouiller de nouveau
devant l'Odden . Cependant , malgré le tems le plus favorable
, aucun bâtiment ennemi n'avait encore paru le 8
dans le Belt.
* Dans ces circonstances , le gouverneur suédois de la
Pomeranie , M. le comte d'Essen , a publié l'ordre suivants
paysqu
« D'après les nouvelles que l'on a reçues , une flotte anglaise
doit paraître incessamment dans la Baltique : comme
il est à présumer qu'elle tentera par tous les moyens possibles
d'introduire des denrées coloniales et des marchandises
de fabrique anglaise dans cette province et dans les autres
payssitués sur la Baltique , la régence suédoise , d'après les
ordres réitérés qu'elle a reçus à cet égard , se trouve dans le
cas d'avertir leshabitans de ce qu'ils aient à s'abstenir
de toute espèce de commerce prohibé desdites marchandises
, de leur rappeler les défenses sévères qui ont été portées
l'année dernière contre ce commerce, et de les prévenir
que les autorités emploieront non-seulement la surveillance
la plus exacte pour empêcher toute infraction desdites
ordonnances , mais qu'elles infligeront avec la plus grande
rigueur à tous les contrevenans, sans distinction, les peines
portées par ces ordonnances .
> Stralsund , le 29 avril 1811. n.
2
Les troupes qui étaient attendues de l'intérieur de la
Prusse pour renforcer le cordon des troupes sur la côte
sont arrivées à leur destination . Tous les endroits accessibles
sont mis à l'abri de toute tentative ; les batteries
élevées sur la côte sont garnies de retranchemens . La
garnison de Colbert n'étant pas suffisante pour l'étendue
1
374 MERCURE DE FRANCE ;
de terrain qu'elle aurait à défendre en cas d'attaque,
les habitans de la ville se sont volontairement offerts
pour faire le service intérieur de la place , et rendre la
garnison entiérement disponible au-dehors . Sur toute la
chaîne des côtes , des grils à boulets rouges sont disposés ,
et attendent les embarcations anglaises. Les Danois sont
également en mesure ; déjà leurs bâtimens légers ont eu
quelques engagemens sur la côte de Norwège. Le nombre
des jugemens prononcés par le tribunal des prises s'élève
maintenant à 316.
mar-
Le gouvernement prussien continue de lever à Berlin
et dans les provinces l'impôt sur l'industrie et sur le luxe
avec beaucoup de sévérité et de régularité. Les contribuables
satisfont aux ordonnances avec empressement. Les
charges sont égales et produisent beaucoup plus qu'on ne
l'espérait ; derniérement encore on a brûlé à Memel pour
300,000 écus , et à Cocsolin pour 150,000 écus de
chandises anglaises. A Pétersbourg , le bureau de liquidation
établi au commencement de la guerre pour employer
les propriétés saisies sur les Anglais au paiement des demandes
légales que les sujets russes pourraient avoir en
Angleterre , vient de recevoir l'ordre d'acquitter ces demandes
. Ainsi , voilà les expéditions anglaises si dispendieuses
et si imposantes qui tournent uniquement au profit
des créanciers des Anglais; assurément les expéditionnaires
n'avaient pas imaginé un tel moyen de payer leurs
dettes .
Dans le même moment, la Suède a mis à exécution le
décret rendu par les Etats dans la dernière session : ce
décret porte qu'en cas de guerre l'armée de terre serait
augmentée de 50 mille hommes . Le gouvernement considérant
que ce cas est arrivé , vient d'ordonner une levée
provisoire de 15,000 hommes , qui ne seront cependant
appelés hors de leurs foyers , que dans le cas où les tentatives
de l'ennemi le rendraient nécessaire. S. M. suédoise
est toujours indisposée , mais il n'y a rien de dangereux .
AVienne le cours qui , comme à Berlin , éprouvait une
baisse progressive , s'est relevé de 12 pour 100 à la nouvelle
d'une disposition du gouvernement qui met en vente
plusieurs domaines ecclésiastiques très-considérables . La
vente doit s'en faire par la commission d'amortissement ,
et en billets d'amortissement. LL. MM. sont revenues en
bonne santé de leur voyage au château de Laxembourg.
ΜΑΙ 1811 . 375
La cour de Saxe est réunie à Pilnitz où elle doit passer ,
comme de coutume , la belle saison .
L'emprunt , la situation de la banque , les affaires d'Amérique
, la situation de l'intérieur , occupent toute l'attention
du gouvernement anglais ; le mal est pressant ; la conduite
des Américains va l'aggraver encore ; les Anglais
savent que M. Warden , ancien consul-général et commissaire
des prises auprès du gouvernement français , est
nommé de nouveau à cette place importante , et qu'il est
en route pour Paris. Le départ de M. Forster pour l'Amérique
a été en conséquence très-précipité ; un autre motif
de ce départ est la nouvelle que l'on a reçue que dans tous
les ports de l'Amérique il régnait la plus grande activité ,
qu'on y armait des corsaires sans nombre , pavillon français;
on ajoute , dans une lettre de Charlestown , qu'une
escadre étrangère de six vaisseaux de ligne et plusieurs
frégates a été vue au vent de Sainte-Croix. M. Pinkeney ,
ministre des Etats -Unis , s'est embarqué le 6 pour l'Amérique
avec toute sa famille. M. Forster est parti presqu'en
même tems sur la Minerve. Il y a une loi , dit le Star ,
entre ce payset les Etats-Unis , et il est bien à craindre
qu'aucune négociation ne puisse réussir , que le voyage de
M. Forster ne soit inutile, et que le mal n'ait unaccroissement
incalculable .
Voici actuellement pour les affaires de finances :
« Le bill de distillation , dit l'Alfred , pour établir égalité
de droits sur le sucre et les grains employés dans la distillation
, a été rejeté à la seconde lecture , à la majorité de
vingt voix , dans la chambre des pairs. M. Perceval se promettait
de tirer grand parti de ce bill pour l'amélioration
des finances . Il comptait aussi trouver 800,000 liv. st . dans
un impôt qu'il se proposait d'asseoir sur la faïence et la
porcelaine ; on lui a fait voir qu'avec cette somme on pourrait
acquérir tous lès établissemens de ce genre , et il lui a
fallu renoncer à ses espérances .
" Quant à la banque , plusieurs séances du parlement ont
été consacrées à la discussion du rapport du comité de Bullion
: M. Horner , le rapporteur , a essayé de prouver , par
les faits , que la hausse progressive de l'argent provenait de
la surabondance des billets de banque en émission , et que
la dépréciation de ces billets était réelle , puisqu'il s'était
établi une variation dans le prix des denrées selon qu'il
avait lieu en billets ou en monnaie métallique , et finalement
que le mauvais état du change avec toutes les places
376 MERCURE DE FRANCE ,
1
en fournissait la plus forte démonstration ; il ne trouve
d'autre remède à cet état de choses , que de porter un acte
qui ne rende légaux que les paiemens en matières d'or et
d'argent, au denier de fin établi par les lois .
» M. Rose a nié qu'il se soit établi une échelle de prix
relative à la diversité des paiemens enmétal ou en papier.
Il est convenu que les grandes importations de grains ont
dû faire sortir beaucoup d'or , et causer une forte impression
aux changes ; mais il fallait choisir entre une baisse des
changes ou une disette de grains . L'orateur avait été un
des conseillers pour l'importation des grains ; autrement le
pain de quatre livres serait monté à 3 francs ( 2 s . 6d. ) .
Il était donc prêt à prendre sur sa tête une grande portion
de la responsabilité de cette mesure. Il n'est point surpris
de la détérioration des changes , lorsque l'Etat fait à l'extérieur
une dépense annuelle de 24,000,000 liv . st . , lorsque
partie de nos exportations rentre dans nos ports faute
d'avoir trouvé ailleurs un débouché , et lorsque les entraves
innombrables mises à notre commerce l'obligent à faire les
plus longs détours dans ses négociations . Toutes ces causes
doivent attirer au-dehors tout l'or du pays ; mais il ne faut
pas avancer que l'or soit haussé de valeur à l'égal de toutes
les denrées : tout est doublé , et l'or est resté au même taux.
Les mesures gigantesques qui sont dirigées contre ce pays
ont pour but d'anéantir jusqu'au dernier germe de résistance
. Laissons donc à l'ennemi , a dit M. Rose , l'honneur
de tout le mal qui nous est fait , et ne détruisons pas notre
propriété par nos propres mesures . L'orateur s'est opposé
àla motion de M. Horner .
>> Le chancelier de l'échiquier , dans la séance suivante ,
a parlé dans le même sens que M. Rose. Sans l'émission
constantede billets que fait la banque , a-t -il dit , nous ne
serions point en état de tenir tête à la France; et si la balance
du commerce était rétablic , ce serait aux dépens de
notre considérationpolitique . Ce quele comité recommande
serait non-seulement dangereux , mais destructeur , et son
avis est que si la chambre adoptait les résolutions de
M. Horner , elle deviendrait l'instrument volontaire de la
ruine du pays.
Aux aveuxde M. Rose on peut joindre quelques renseignemens
qui les expliquent et les fortifient; savoir , que
Ies sommes en numéraire arrivées de la Jamaïque sont
beaucoup moins considérables que les négocians anglais
ne s'y atiendaient , et que chaque jour des bâtimens char-
}
ΜΑΙ 1811 . 37
gés de piastres , pour le compte des négocians français
partent de l'Angleterre pour le Havre- de-Grace , après
avoir fait leur déclaration à la douane pour cette Jestination
. On conçoit quel doit être enfin le résultat d'une
position où l'on paie en nuinéraire , à son ennemi , Is
denrées qui sont indispensables , et où l'on onvre des
emprunts pour acquitter les dépenses d'expéditions qui ne
trouvent point de débouchés. Aussi le chancelier de
l'échiquier , en posant les bases de l'emprunt auquel il est
forcé d'avoir recours , dit-il en propres termes : Si l'ennemi
lève une fois les obstacles qu'il met à notre commerce sur
le continent , nous avons des magasins de denrées qui
rétabliront bientôt le change en notre faveur. Voilà un I
bien rassurant , et le remboursement d'un emprunt ass's
sur de bien belles espérances .
Quant aux affaires d'Espagne , la justification du général
Graham , relativement à l'affaire de Chiclana , son débat
avec le général espagnol Lapenna , suffisent pour établir à
quel point cette expédition a été mal concertée , mal soutenue
, combien les alliés y étaient peu d'accord , et quelle
division est la suite de leur défaite . Le Courier publie ,
son côté , sous la date de Plymouth , le 8 mai , les détails
suivans :
de
« Un bâtiment qui vient d'arriver de Bayonne , et dont
nous taisons le nom par des raisons aisées à deviner , a
apporté la nouvelle très -importante qu'un grand nombre
de troupes françaises avaient été détachées des corps de
l'armée française enEspagne , les plus près des Pyrénées ,
pour allerjoindre , comme on le croit, les armées françaises
dans le nord de l'Europe ; ce qui prouve évidemment que
Napoléon abandonne le projet de subjuguer l'Espagne .
Un passager sur ce bâtiment nous a dit que la marche
des troupes françaises est ordonnée de la manière la plus
adroite . Ces troupes arrivent à Bayonne à minuit , y couchent
et y font séjour le lendemain pour se reposer et
recevoir des habits , des souliers , etc .; la cavalerie , du
fourrage , etc. La nuit suivante elles partent deBayonne ,
et à la sortie de la ville se dirigent comme pour retourner
en Espagne ; mais sur la route elles font une contre-marche
et rentrent en France , en secret , pour aller ensuite joindre
leurs compagnons d'armes dans le nord de l'Europe. "
Nous laisserons le lecteur apprécier le degré d'intérêt
que méritent des rapports de Bayonne recueillis à Plymouth
et répétés par le Courier ; nous avons des notions
:
378 MERCURE DE FRANCE ,
plus authentiques à consigner sur les affaires de Catalogne ,
du centre , du midi et du Portugal.
En Catalogne , l'attaque de Campo-Werde contre le
corps d'armée qui bloque Figuières , sous les ordres du
général Baraguay - d'Hilliers , a entièrement tourné à sa
honte . Il a attaqué avec II mille hommes ;4000 Français
lui ont tenu tête , l'ont mis en déroute , lui ont tué 3000
hommes , fait 2000 prisonniers , et pris le convoi qu'il destinait
aux Miquelets renfermés dans Figuières. Ces Miquelets
infestajent seuls la Catalogne ; aujourd'hui qu'ils sont
renfermés dans la place , la province respire , les honnêtes
gens sont délivrés du plus cruel fléau. Campo-Werde
n'aura pu rentrer dans Tarragone , il erre entre l'armée de
Catalogne qui l'a défait , et celle d'Arragon qui , aux ordres
du général Suchet , a dû investir Tarragone .
A l'armée du centre , le général La Houssaie'a marché
sur le rassemblement des bandes formées à Cuença , et
commandées par Saint-Martin. Un bataillon entier a mis
bas les armes , 500 hommes du même corps se sont
noyés ; 600 prisonniers et leurs bagages sont tombés en
notre pouvoir.
Au Midi , la tête des renforts destinés pour cette partie
, est arrivée à Cordoue . La place de Badajoz est armée
et approvisionnée. Le duc de Dalmatie a à Séville une
réserve de 20 mille hommes sans avoir touché aux troupes
de siége de Cadix , sans compter les renforts ni le cinquième
corps aux ordres du général Latour-Maubourg. Le duc de
Trévise , dont la santé avait souffert du climat, est arrivé à
Madrid .
Le prince d'Essling a adressé au prince de Neufchatel et
de Wagram de son quartier-général de Fuentes d'Onnoro ,
le7 mai , la relation des affaires qui ont eu lieu entre l'armée
de Portugal et celle des Anglais , les 3 , 4 et 5 mai. Le
2 , l'armée française passa l'Agueda sur le pont de Rodrigo.
Les 2º , 6º , 8 , 9º corps effectuèrent ce mouvement avec
beaucoup d'ordre ; tous les avant-postes ennemis furent
repoussés , et les défilés de Mariatra emportés . L'ennemi
avait une ligne de 50 mille hommes à Villa-Fermosa , ayant
derrière son front le lit rocailleux de la Coa .
Le 3 , les manoeuvres de l'armée française la rendirent
maîtresse de Fuentes d'Onnoro , après la plus vigoureuse
résistance. Le 4 , l'ennemi sentant le danger d'une position
qui ouvrait un débouché au travers de sa ligne , chercha
en vain à reprendre se village. Le 6º corps s'y maintint
ΜΑΙ 1817 . 379
contre tous les efforts de l'ennemi ; mais cet avantage , dans
une position environnée , eût coûté trop cher à l'armée , et
dans la nuit du 4 au 5 , le prince d'Essling se détermina à
changer de disposition .
Le 5 , à la pointe du jour , dit-il , l'armée se trouva ainsi
placée: les 1 et 2ª divisions du 6º corps en face de Pozobello
, ayant la 2ª division du 8º en réserve ; toute la cavalerie
de l'armée réunie sous les ordres du général Montbrun ,
à la gauche de cette infanterie . Ces corps d'armée avaient
ordre de favoriser par de petites attaques le grand mouvementde
l'armée , et de manoeuvrer de manière à se réunir
à elle , à mesure qu'elle gagnerait du terrain sur l'ennemi .
Le village de Pozobello et les bois qui le flanquent étaient
pleins d'infanterie anglaise ; ils furent vigoureusement attaqués
par la 1º division du 6º corps et enlevés à la baïonnette.
L'ennemi y perdit beaucoup de morts et de prisonniers
. Les trois divisions marchaient en colonnes serrées par
échelons sur le village et sur ses flancs . En arrière l'ennemi
développait une ligne de 20 escadrons , soutenus par plusieurs
bataillons d'infanterie et par 12 pièces de canon. Le
général Montbrun manoeuvra sur ma gauche de manière à
gagner la crête des hauteurs et la droite de l'ennemi : il
eutà essuyer plusieurs charges avant d'avoir pu y parvenir.
Dès qu'il eut atteint la crête , il chargea en colonnes par
régimens la cavalerie ennemie avec le plus grand succès ,
et une vigueur extraordinaire .
» Le plateau où nous venions de manoeuvrer se rétrécissait
dans cette partie. Du.sommet descendaient deux
ravins très- rocailleux et très-difficiles , où se trouvaient les
villages de Fuentes d'Onnoro et de Villa-Fermosa . Lord
Wellington remplit ces ravins de tirailleurs , garnit les
revers de beaucoup d'artillerie , et occupa le sommet par
trois grands carrés . Notre cavalerie , parvenue à ce point,
tomba vigoureusement sur les carrés et les enfonça tous
trois ; je pris alors position vis-à-vis la ligne ennemie .
Avant que notre infanterie pût arriver , l'ennemi avait eu
le tems de couvrir le sommet du plateau de plusieurs lignes
d'infanterie anglaise et d'une nombreuse artillerie. Iljeta
de nouvelles troupes dans Fuentes d'Onnoro , et en garnit
aussi Villa-Fermosa à sa droite . Les divisions Fereyet Clarapède
attaquaient vigoureusement Fuentes d'Onnoro et
en chassaientplusieurs fois l'ennemi , mais aussitôt qu'elles
arrivaient au sommet du village , elles étaient foudrovées
par l'artillerie ; les Anglais n'ont cesséd'y jeter des renforts
380 MERCURE DE FRANCE ,
considérables de leurs meilleurs troupes , et de les faire
attaquer à travers les rochers qui se trouvaient sur leur flane
droit; ils y ont perdu 500 prisonniers et plus de 800 morts , horts,
parmi lesquels beaucoup d'officiers et d'Ecossais .
>>L'ardeur du soldat était sans pareille.
» L'armée , dans cette journée où tout l'honneur des
armes lui est resté , a pris un millier d'hommes à l'ennemi ,
parmi lesquels se trouvent un lieutenant-colonelet un grand
nombre d'officiers , et ena tué ou blessé plus de 2000. Elle
áculbuté et battu toute son aile droite et gagné plus d'une
lieue de terrain sur lui ; il a passé la nuit qui a suivi la bataille
à retrancher fortement le sommet du plateau. Il a
disposé également des épaulemens dans les ravins et derrière
les rochers ; enfin , il a barricadé le sommet des villages
de Fuentes d'Onnoro et de Villa-Fermosa , appelant
ainsi à son secours toutes les ressources de la fortification
contre une attaque de vive force .
>>Afin de pouvoir profiter des avantages de cette journée,
mon intention est de m'approcher d'Almeida . "
Le prince termine par rendre hommage à la bravoure
avec laquelle les troupes de toutes armes ont combattu;
il cite particulièrement le général Montbrun et les généraux
de brigade Fournier , Waltier , Lorcet , Maucune ,
Vichery; les colonels Ornano , Fririon , Langeron ; un
aide-de-camp du prince de Neufchâtel , jeune officier trèsdistingué
, M. de Septeuil , a eu une jambe emportée , en
chargeant à la tête d'un régiment de dragons ; il a souffert
l'amputation avec sang-froidet est hors de danger .
LL. MM. II. et RR. sont parties le 22 au matin de
Rambouillet , pour aller à Caen et à Cherbourg ; elles
seront de retour vers la fin du mois .
Le 9, au palais du Luxembourg , S. M. le roi d'Espagne
a reçu les princes grands dignitaires , les ministres , les
grands - officiers de l'Empire et de la couronne , et des députations
de tous les grands corps de l'Etat .
S. M. le roi de Naples est partie de Paris le 21 au soir.
Le roi de Westphalie vient d'y arriver . S ....
PARIS.
TOUTES les fêtes pour le baptême sont remises au
9juin.
-Le 9 juin le ministre de l'intérieur posera la première
MAI 1811 . 381
pierre de l'hôpital situé dans l'enclos de Saint-Lazare , et
destiné à recevoir 1200 malades .
M. le baron Corvisart , premier médecin de S. M.
l'Empereur , vient d'être nommé membre de la première
classe de l'Institut , à la place vacante par le décès de
M. Désessartz .
ANNONCES .
Préparation à l'étude de la Mythologie , par Edmond Cordier , éditeur
de l'Abeillefrançaise . Un vol . in-80. Prix , 3 fr. , et 4 fr . , franc
de port . Chez Courcier , Lamy , Bachelier , libraires , quai des Augustins
; et chez Arthus-Bertrand , libraire , rue Hautefeuille , nº 23.
Vie de Saint-Jean de la Croix , premier carme déchaussé , confesseur
de Sainte - Thérèse , et son coadjuteur en la réforme , avec trente
réflexions tirées de sa vie et de ses maximes , et réduites en forme de
méditations . Nouvelle édition , revue , corrigée et augmentée par
N. R. R. Un vol. in-12. Prix, 2 fr . , et 2 fr . 50 c. franc de port. Chez
L. M. Guillaume , libraire , place Saint- Germain- l'Auxerrois , nº 4r.
Histoire dujeu de cartes du grenadier Richard , on Explication du
jende cinquante-deux cartes en forme de livre de prières , suivie de
l'analyse de l'histoire sacrée et profane de la religion universelle , enrichie
de notes curieuses pour l'édification , l'amusement et l'instruction
des personnes de l'un et l'autre sexe . Un vol. in- 12 , fig. Prix ,
2fr. 50 c. , et 3 fr. franc de port. Chez Hadin , éditeur , employé au
ministère des finances , rue Croix-des-Petits-Champs , nº 38 ; Pitou ,
libraire , Palais -Royal , nº 197 ; et chez Arthus-Bertrand , libraire
rue Hautefeuille , nº 23 .
Le cadre historique de cet ouvrage est un fait que l'auteur a représenté
en tête de son livre . Un soldat se trouvant à la messe militaire
de son régiment , tire de sa poche un jeu de cartes , sa conduite surprend
et scandalise l'assemblée , le militaire est traduit au conseil de
guerre; là il explique par ses cartes l'ancien et le nouveau Testament
, il analyse l'histoire ancienne , la mythologie , etc.
Abrégé de grammairefrançaise , par M. E. Jacquemard ; dédié à
M. Fontanes , grand -maitre de l'Université. Un vol. in-12 , br. en
parchemin . Prix , 3 fr . , et 4 fr . franc de port. Chez Michaud frères ,
imprimeurs- libraires , rue des Bons-Enfans , nº 34 .
Cet ouvrage a été annoncé à 2 fr. 50 c. , mais les dépenses et les
1
382 MERCURE DE FRANCE ,
:
frais qu'il a exigés pour le porter à la perfection que nous osons nous
flatter d'avoir obtenue , tant sous le rapport typographique que sous
le rapport littéraire , nous ont obligés d'en augmenter le prix .
Le même , in-4°, papier fin , grand raisin : 6 fr. , et 8 fr. franc de
port.
Nouvelle méthode pour enseigner lefrançais aux demoiselles , ou le
Guide des mères qui dirigent elles -mêmes l'éducation de leurs filles.
Un vol. in- 12 . Prix , 2 fr . , et 2 fr . 60 c . franc de port. Chez Lenormant
, libraire , rue de Seine , nº 8 ; Théoph. Barrois , quai Voltaire ;
et chez Martinet , rue du Coq-Saint-Honoré .
Thiebaut , ou la Naissance d'un comte de Champagne , poëme en
quatre chants , sans préface et sans notes , traduit de la langue romance,
sar l'original composé en 1250 par Robert de Sorbonne, clerc du diocèse
de Reims . Prix , I fr . 50 c. , et 1 fr . 80 c. franc de port. Chez
Lenormant , imprimeur-libraire , rue de Seine , nº 10 .
Essai historique sur la puissance temporelle des papes , traduit de
l'italien de Guichardin , édition de Fribourg , in-4 ° , 1775 , ( Ier vol ,
4º livre ). Prix , 75 c. , et 90 c. franc de port. A Paris , chez L'Huillier
, libraire , rue des Mathurins - Saint-Jacques , nº 3 bis ; Delaunay ,
libraire , Palais-Royal , galerie de bois , nº 243; et à Alençon , chez
Bonvoust , libraire .
Rapport historique sur les progrès des sciences naturelles depuis
1789, et sur leur état actuel , présenté à S. M. l'Empereur et Roi , en
son conseil d'état , le 6 février 1808. Rédigé par M. Cuvier , imprimé
par ordre de Sa Majesté. Un vol. in-8° . Prix , 4 fr. , et 5 fr . 50 c.
francdeport.
Le même , in- 4º , 5 fr . , et 6 fr. 50 c. franc de port .
Il a été tiré des exemplaires en papier vélin .
Rapport sur les progrès des sciences mathématiques , etc. , rédigé
par M. Delambre , même format et même prix que celui ci-dessus .
Rapport sur les progrès de l'histoire et de la littérature ancienne ,
rédigé par M. Dacier , même format et même prix .
Ces trois ouvrages se trouvent chez Arthus- Bertrand , libraire , rue
Hautefeuille , nº 23 ; Déterville , libraire , même rue ; Treuttel et
Würtz , libraires , rue de Lille , nº 17 ; Dentu , imprimeur-libraire ,
rue du Pont-de-Lodi ; et chez D. Colas , imprimeur-libraire , rue du
Vieux-Colombier , nº 26 , faubourg Saint-Germain.
Analysefidèle d'une diatribe de Jean - Gabriel Dentu , se disant
éditeur de la Géographie de Pinkerton , contenant des lettres de désaMAI
1811. 383
--
veu contre J. G. Dentu , et des témoignages de plusieurs savans
illustres , entr'autres de M. Banks , président de la Société royale de
Londres ; de M. le sénateur comte François de Neufchâteau ; de
MM. Biot , de Châteaubriand , de Humboldt , Langlès , Mentelle',
membres de l'Institut de France , etc. , etc .; par M. Malte- Brun.
Se délivre gratis . A Paris , chez F. Buisson , libraire , rue
Gilles -Coeur , nº 10 ; Lenormant , imprimeur- libraire , rue de Seine ' ,
n° 8 ; Bechet , libraire , quai des Augustins , nº 63 ; Potey , libraire , /
rue du Bac , nº 46 ; Fayolle , libraire , rue Saint -Honoré , n ° 284 ;
Delaunay , libraire , Palais-Royal , galerie de bois , nº 243 ; Vente ,
libraire , boulevard Italien , nº 7 ; Bailleul , imprimeur- libraire , rue
Helvétius , nº 71 ; Capelle et Renand , libraires , rue Jean- Jacques-
Rousseau , nº 6 ; et chez tous les libraires de France et de l'étranger.
Des associations rurales pour lafabrication du lait , connue en Suisse
sous le nom de fruitière ; par Charles Lullin de Genève . A Genève ,
chez J. J. Paschoud , libraire , et à Paris , même maison de commerce ,
rue des Petits -Augustins , nº 3 ; et chez Arthus - Bertrand , libraire ,
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L. Damin , ancien avocat , sous-chef au ministère de l'intérieur. Prix ,
75 c. Chez Desenne , libraire , galerie Delorme , et chez Delaunay ,
libraire , Palais-Royal , galeries de bois , nº 243.
Entretiens sur les ouvrages de peintures , sculptures et gravures, exposés
au Musée Napoléon en 1810. Un vol . in- 12 . Prix , I fr . 80 c . ,
2 fr . 25 c . frauc de port ; et 2 fr . 60 c . pour l'étranger . Chez Gueffier
jeune , éditeur , rue Galande , nº 64 ; Lenormant , imprimeur -libraire ,
rue de Seine , no 8 ; Delaunay , libraire , Palais -Royal , galerie de
bois , nº 243 ; et chez Martinet , libraire , rue du Coq-Saint - Honoré .
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vol . in- 12 . Prix , 3 fr . 60 c . , et 5 fr . franc de port . A Paris ,
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) , chez Tourneisen fils , libraire .
Le Parrain Magnifique , poëme en dix chants , ouvrage posthume
de Gresset. Un vol . in-8 ° . Prix , 2 fr . 50 c . , et 3 fr . franc de port.
Chez Ant.-Aug. Renouard , libraire , rue Saint-André - des-Arcs .
Le Quadrille des Enfans , avec lequel , par le moyen de 84 figures
coloriées , et sans épeler , ils peuvent , à l'âge de quatre ou cinq ans et
au-dessous , être mis en état de lire , à l'ouverture de toutes sortes
334 MERCURE DE FRANCE , ΜΑΙ 1811 .
de livres , en trois ou quatre mois , même plus tôt , selon leurs dispo
sitions; par feu M. Berthaud , sixième édition , avec une instruction
sur la manière de se servir des 84 fiches et du livre. Un vol. in-8° ,
84 figures et 84 fiches . Prix , 15 fr. , et 16 fr. franc de port. Chez
Arthus-Bertrand , libraire , rue Hautefeuille , nº 23.
1
L'Auteur a joint à cet intéressant ouvrage l'usage des fiches de
différentes couleurs , sur lesquelles sont collés d'un côté la figure , de
l'autre le son qui y a rapport. Le livre est plus pour le maître , les
fiches plus pour l'enfant : elles deviennent entre ses mains des joujoux
instructifs qui l'attachent par des images mobiles.
Poëtes du second ordre , précédés d'un choix de vieux poëtes franis;
édition publiée par M. M**. Douze volumes in-18. Prix , 18 fr.
Papier vélin , 36 fr. Chez H. Nicolle , rue de Seine , nº 12; Renouard
, rue Saint-André-des-Arcs , nº 55 ; et Arthus-Bertrand , rue
Hautefeuille , nº 23.
Tome Ier. Marot , Mellin de Saint-Gelais , Saint-Amand , du
Bellay, Ronsard . Belleau , Baïf, Passerat, Desportes, Bertaut, Racan,
Malherbe , Gombault , Maynard , Théophile , Malleville , Colletet .
Tome II. Voiture , Saint-Pavin Charlevas , Scudery , Adam-
Billaut , Benserade , Danchet , Vergier , Chapelle , pièces de divers
auteurs.
Tome III. Regnier-Desmarais , Sénecé , Lainez , Sanlecque , du
Cerceau Hamilton Sarrazin , Scarron , Daceilly , Montreuil ,
Segrais.
Tome IV. Pavillon , Lasablière , Furetière , Lamonnoye , pièces
de divers auteurs .
Tome V. Mathurin Regnier.
Tomes VIet VII. Mme et Mile Deshoulières .
Tome VIII. Gresset.
Tome IX. Chaulieu et Lafare .
Tome X. Bernard .
Tome XI et XII. Bernis .
Nota. Le succès que vient d'obtenir le Théâtre du sceond ordre , ä
fait naître l'idée de ce nouveau choix qui lui sert , en quelque sorte ,
de complément.
On avait déjà imprimé en entier et d'après le procédé stéréotype ,
plusieurs poëtes du second ordre ; ils ne reparaissent point par extraits ,
mais ils feront néanmoins partie de la collection dont ils forment les
tomes V à XII inclusivement. On a rassemblé vers la fin des IIe et
IVe volumes , les pièces des auteurs qui sont trop peu connus ou
dont les morceaux distingués sont en trop petit nombre pour obtenir
une classification particulière.
TABLE
SEINE
MERCURE
DE FRANCES
DEP
N° DXV. Samedi 1er Juin 1811 . 1
POÉSIE.
5 .
LA
Ode italienne sur la naissance du premierfils de NAPOLÉON
LE GRAND , par M. ANT. BUTTURA , traduite en vers
français par M. P. CHAUSSARD .
N. B. Homère dit qu'à la naissance d'Hercule , fils de Jupiter , la
malfaisante Até fut chassée du ciel , et vint infecter le séjour des
hommes: Jupiter précipita la malfaisante Até du haut de l'Olympe ,
etjura qu'elle n'y porterait plus ses pas . Depuis ce tems elle erre au
milieu de nous , et fait le malheur de la race humaine.
( ILIADE , l. 19 , traduction de BITAUBÉ. )
On dit dans cette Ode qu'un décret de Jupiter ordonne que la malfaisante
Até soit chassée de la terre dans les enfers , à la naissance
d'un fils de NAPOLÉON .
L'Até d'Homère correspond à l'idée du Génie du mal , adoptée
même de nos jours .
NASCENDO IL PRIMO FIGLIO A NAPOLEONE IL GRANDE,
« QUANDO Alcide , mia prole , aperse il ciglio ,
» Dal cielo Ate crudel , Diva de ' mali ,
TRADUCTION.
« LA foudre , au même instant où naquit mon Alcide ,
Précipita des cieux un génie homicide ,
Bb
386 MERCURE DE FRANCE ,
› Cadde colpita dal mio sdegno eterno .
» Al nascergli d'un figlio ,
> NAPOLEON , mia gloria fra mortali ,
› Gitterà l'orrid' Ate a l'imo Averno. »
Tal di Giove il decreto alto lucea
Sovra l'olimpie soglie in note d'oro :
E , per desio del gran momento , intorno
Con gaudió s'accogliea
De' magnanimi spirti il nobil coro ,
Che fero il mondo di bell' opre adorno.
Presso l'olimpie soglie , adamantino
Di Virtute il palagio ampio risplende ,
Che al ciel congiunge le cose create :
Indi il favor divino
Giùcala, e l'uman priego alNume ascende :
Qui stande'sommi eroi l'alme beate.
Eran tutti raccolti , e la sonante
Porta de' cieli aperser l'Ore alate ,
› Até , l'horrible Até , mère de tous les maux .
> De ton fils , autre Alcide , elle craint la naissance ,
> NAPOLÉON ! Sous ta puissance
› Até sera plongée aux gouffres infernaux. »
Jupiter a parlé : sur le divin portique
Etincelle entraits d'or le décret prophétique :
La nature attentive a tressailli d'espoir ;
Déjà sont accourus ces mânes magnanimes ,
Élite de héros sublimes ,
Dont l'honneur fut la loi , la vertu le pouvoir.
La Vertu près du ciel bâtit son temple auguste ,
Temple de diamant , asyle ouvert au juste ,
Sur les confins du tems et de l'éternité :
La céleste faveur par ce lieu de lumière
Descend , tandis que la prière
Monte, et s'incline aux pieds de la Divinité.
Les héros l'invoquaient : les portes étoilées
Ş'ébranlent , le ciel brille , et les Heures ailées
JUIN 181 387
De l'aspettata prole annunziatrici .
Diede il segno il Tonante ,
E risposero il tuon cento fiate
Del lieto mondo le città felici.
Giulio e ' l gran Carlo il divo eroe nascente
Scorsero al padre per l'azzurra via
Che dal trono di Giove il suo divide .
Sacro foco lucente ,
Che con lor da l'empireo al suol venia ,
Purga ogni nebbia , ogni mal seme uccide.
Ate , che già movea , nefandaDiva ,
L'invisibil fra noi rapido piede ,
Strignendo i cor con velenata mano
Ritta su l'angla riva ,
Suo nido estremo , urlo sì forte diede ,
Che rimbombò ne l'ultimo oceano.
Negrole sta sul crin vipereo un nembo;
Bolle il mar , come a sotterranea scossa ,
De l'enfant couronné disent l'avénement.
Jupiter fait un signe , et les tonnerres grondent ,
Les foudres terrestres répondent ,
Et des cités s'élève un applaudissement .
Charlemagne et César de la voûte azurée
S'élancent ; dans leurs bras , espérance sacrée ,
Repose un jeune dieu , l'amour de l'univers :
Sous leurs pas lumineux la nature est plus belle ,
Un feu pur au sein de Cybèle
S'insinue , et détruit tous les germes pervers .
Até , l'horrible Até que portaient les tempêtes ,
Qui d'une aile invisible a plané sur nos têtes ,
Près d'étendre sur nous son bras ensanglanté ,
Auxbords de la Tamise , à son dernier repaire ,
Vole , pousse un eri sanguinaire ,
Dont au loin a frémi Neptune épouvanté.
Les mers s'enflent : ainsi dans leur gouffre mobile
Sous les feux d'un volcan monte ou s'enfonce une île ;
Bb 2
388 MERCURE DE FRANCE ,
Ond' isola talor nasce , o s'affonda.
S'apre d'Averno il grembo ,
De l'empia ingoja la rabbiosa possa ;
Su l'Erinni fatal chiudesi l'onda.
L'orage enveloppa le monstre et ses complots ;
L'Averne en rugissant vient d'appeler sa proie ,
Il s'ouvre , et le ciel avec joie
Sur le spectre infernal voit se fermer les flots .
1
M
VERS A MADAME DE V ...
Apeine au sortir de l'enfance ,
De la vertu mon coeur fut enchanté.
Par l'amitié , dans mon adolescence ,
Je connus la félicité.
Pendant le cours d'une longue existence ,
Des arts la céleste puissance
Adoucit les chagrins dont je fus tourmenté.
Je touche au déclin de la vie ;
Mon coeur , loin d'en être abattu ,
Avec transport , retrouve dans Silvie
Les arts , l'amitié , la vertu.
Par M. M.
ENIGME .
LECTEUR , ma conservation
A fait naître en tout tems diverse opinion.
« Je suis pour l'un une pendule
» Que par soi-même il faut guider ;
> Malheur au mortel trop crédule
> Qui la donne à raccommoder !
> On croit qu'Hippocrate calcule ,
> Quand il s'agit d'y regarder ;
> Mais il l'avance sans scrupule ,
> Ne pouvant pas la retarder .
> Je suis , dit l'autre , une pendule
> Qu'en vain soi-même on veut guider :
• Malheur au mortel incrédule
JUIN 1 $ 11 . 389
• Qui ne la fait raccommoder !
> Sans doute Hippocrate calcule ,
> Quand il s'agit d'y regarder ;
> Il la retarde sans scrupule ,
> Quoiqu'on s'obstine à l'avancer . »
Aquelqu'avis que l'on se range ,
Lecteur , il serait bien étrange
Que l'on neme devinât point :
Devine donc , c'est-là le point .
S ........
LOGOGRIPHE .
CHEZ le noble , chez le traitant ,
Je fais fort bonne contenance ,
Et le bourgeois , et le marchand ,
Me font parfois la révérence .
On ne m'écrit qu'au féminin ,
Israël me fait grise mine ,
Mais le vieux captif du Jourdain
Ne se connaît pas en cuisine.
Enmoi le gourmand parvenu
Trouve ce dont il me déchire,
Etde l'enfant nouveau venu ,
Tu vois l'aliment qu'il désire ;
Ceque l'on quitte en se levant ;
Ce d'où sortit une déesse ;
Tu retrouveras en cherchant ,
Ce qu'aime à soigner ta maîtresse .
Qu'est- il resté dans tes tonneaux ?
Qu'est-ce qu'un honnête homme acquitte?
Où remettras-tu tes ciseaux?
Donne l'opposé du mot vite ,
Prends ce qui seconde tes yeux ,
Dans une sublime science ;
Nomme le souverain des cieux ,
Et poursuis avec patience .
Obtiens un mot cher à l'amour ,
Nomme le début d'une lettre ,
390 MERCURE DE FRANCE , JUIN 181
Dis ce qui remplace le jour ,
Tumedevineras peut-être ;
Mais crains mon fumet séducteur ,
Un jour de jeune , ou de vigile ,
Side ton rigide pasteur
Tu ne veux échauffer la bile .
Par M. R. DUFAU DE MOULIS
CHARADE .
DEStroupeaux et des chiens ennemi meurtrier;
Terme de blason ; saint qu'on prie ;
Rivière et mot d'astronomie :
Tel fut , tel est , tel sera mon premier,
Jeune arbrisseau qu'en pharmacie ,
En médecine , en chirurgie ,
Parfois l'art de guérir s'avise d'employer :
Tel fut , tel est , tel sera mondernier.
Une vieille sottise ,une folle chimère ,
Un conte absurde , une fable grossière :
Tel fut, tel est , tel sera mon entier .
JOUYNEAU-DESLOGES. ( Poitiers. )
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARADE
insérés dans le dernier Numéro.
Le mot de l'Enigme est Rossignol.
:
Celui du Logogriphe est Epine , où l'on trouve : Epi etPin.
Celui de la Charade est Police.
LITTÉRATURE ET BEAUX -ARTS .
LA FAMILLE DU DUC DE POPOLI , mémoires de M. DE CANTELMO
son frère ; publiés par lady MARY HAMILTON.
Seconde édition . Deux volumes in- 12 . - A Paris ,
chez Renouard , libraire , rue Saint-André-des -Arcs.
DEPUIS long-tems on a fait tant de romans médiocres
ou mauvais , que lorsqu'il en paraît un on peut d'avance
le ranger dans l'une de ces deux classes , et quoique ce
jugement puisse être injuste , ou tout au moins hasardé ,
il y a , généralement parlant , si peu d'exceptions qu'on
est peu tenté de lire un roman , et que le plus souvent
la paresse est justifiée par l'expérience . Tel était le préjugé
avec lequel nous avons reçu la Famille de Popoli ,
et ce préjugé , car il faut faire toute sa confession , semblait
être fortifié par un autre préjugé relatif au nom de
l'auteur. Au lieu d'être un avantage , un nom célèbre
n'est quelquefois qu'un fardeau très-lourd à porter , surtout
quand on se consacre à la même carrière ou à la
même profession dans laquelle ce nom a été illustré . Il
semble qu'on soit chargé d'une grande responsabilité .
C'était sans doute l'opinion du fils de Montesquieu qui
ne voulut point , en écrivant , prendre le nom de son
père ; et peut- être Louis Racine n'eut rien perdu s'il
eût donné cet exemple .
Un des ouvrages les plus originaux et les plus piquans
que possède notre langue , est celui du comte Antoine
Hamilton , qui publia les mémoires de son beau-frère le
chevalier de Grammont. C'était un phénomène inexplicable
que de voir un étranger composer , dans notre
langue , un livre inimitable puisqu'il est unique en son
genre (1). Mme Hamilton , veuve d'un des descendans
(1) De tous les livres , dit Voltaire , c'est celui où le fonds le plus
mince est paré du style le plus gai , le plus vif et le plus agréable .
C'est le modèle d'une conversation enjouée. Siècle de Louis XIV.
392 MERCURE DE FRANCE ,
du comte Antoine , offre un autre phénomène. Elle a
publié en Angleterre plusieurs ouvrages estimés . Ils sont
remarquables par l'énergie des pensées , l'intérêt des
situations et des tableaux gracieux ou terribles , mais
toujours fidèles . Parvenue à l'époque de la vie où le
repos est un besoin , milady , fixée en France , apprend
notre langue; dans l'âge où la paresse est excusable , elle
étudie avec toute l'ardeur de la jeunesse , et voulant voir
traduits ses ouvrages qui ne l'avaient point encore été ,
elle se charge elle-même de ce soin , ayant le courage de
ce naturaliste (2) qui devint artiste pour représenter une
production de la nature qu'il avait décrite . Cette entreprise
hardie ne pouvait être justifiée que par le succès .
Elle vient de l'être , et voilà ce que je crois pouvoir
appeler un phénomène littéraire .
Après avoir fait l'aveu de nos préventions , nous devons
prouver combien elles étaient sans fondement ;
l'analyse impartiale de la Famille de Popoli , et les citations
de plusieurs passages de ce livre , nous feront sans
doute parvenir à ce but.
Comme on aime à connaître l'auteur dont on lit l'ouvrage
, il n'est pas inutile de dire qu'une notice placée
à la tête de ce roman , nous apprend que lady Mary
Hamilton , fille du comte de Leven , est née à Edimbourg
en 1739 , qu'elle habite en France depuis plus de
vingt ans , et qu'elle a publié plusieurs productions .
La famille de Popoli est composée de quatre personnages
dont les aventures liées ensemble concourent à
fixer l'intérêt sur le jeune duc de Popoli , qui seul occupe
ensuite la scène . Les mémoires sont écrits par le duc
de Cantelmo , son oncle , le plus sage des hommes , qui
fait à son neveu le plus grand des sacrifices , et qu'on
ne peut s'empêcher d'aimer et de plaindre , parce que ,
dans nos idées , si l'on est heureux en faisant le bonheur
des autres , il semble qu'on mérite de l'être encore
(3) Lyonnet mécontent des dessinateurs et des graveurs qui avaient
représenté la chenille du saule , apprit successivement à dessiner et à
graver , et fit de tels progrès que les artistes désespérèrent d'atteindre
au même degré de perfection.
JUIN 1811 .
393
davantage et d'avoir quelque chose de plus que cette
satisfaction intérieure .
Le jeune duc de Popoli habite Naples . « On sait , dit
» l'historien , que cette ville est , par son climat , par le
» tempérament de ses habitans , par toutes les circons-
» tances naturelles et par toutes les formes sociales , la
» ville du plaisir et de l'amour. Popoli devait se plaire à
» la fréquenter : jeune , bien fait , aimable , insinuant ,
» il était recherché de tout le monde et sur- tout de toutes
» les femmes . La légéreté de son caractère , la facilité
» de ses moeurs qui le détournaient de tout attachement
>> sérieux , en faisaient l'homme à la mode . Pris et quitté
» tous les jours , il effleurait tous les jours un sentiment
» et craignait de l'approfondir . Il comptait ses momens
>> par ses triomphes ; mais ses triomphes n'étaient pas le
» bonheur. Le bonheur à dix -huit ans , c'est quelque
>> chose que l'on ne comprend pas . On ne le cherche
» sérieusement qu'après qu'on est désabusé des illusions
» qu'on a prises pour lui.... Il me semble que la nature
» avait tellement favorisé le jeune duc , qu'aucun homme
>> ne se flatterait d'avoir mieux valu ou d'avoir été ca-
>> pable de mieux valoir à sa place . Il était exalté , vio-
» lent , tumultueux on voyait qu'il pourrait porter un
» jour la hardiesse d'opinion jusqu'à l'audace , la liberté
» de moeurs jusqu'au désordre , les passions jusqu'au
» délire ; mais il était essentiellement sensible et bon.
>> Continuellement placé entre des fautes et des regrets ,
» tous ses sentimens lui étaient devenus des supplices ,
>> et il vivait comme l'ange tombé , dans une doulou-
» reuse contemplation du céleste repos dont il n'avait
» pas su jouir. »
La mère de Popoli veut le marier à une princesse
russe , femme hideuse au moral comme au physique ,
mais ayant une fortune immense. Le duc éprouve une
répugnance qui n'était que trop justifiée . Pour secouer
le joug odieux que lui imposait la volonté de sa mère ,
il s'en impose momentanément un plus doux en séduisant
une jeune femme d'une des premières familles de Naples ;
puis , tourmenté de sa faute dont il ne revoyait l'objet
qu'avec impatience et douleur , il se rend en Sicile pour
394 MERCURE DE FRANCE ,
visiter les biens qu'il possédait dans ce pays . Arrivé
dans cette île , il séduit la belle Anzoletta , fille d'un seigneur
polonais qui , pour échapper à des persécutions ,
vivait en Sicile sous un nom étranger. Dorlowski ( c'est
le nom de ce Polonais) meurt au moment où son roi le
rappelant en Pologne , lui rendait l'honneur , son rang
et ses biens .
Nous allons nous occuper de ces deux femmes séduites
par le jeune duc , et placées toujours dans des circonstances
déchirantes , parce que n'ayant avec les héroïnes
de roman aucune ressemblance , ce sont deux caractères
nouveaux , et que l'auteur , en les traçant , a réellement
le mérite de l'invention .
Popoli revient auprès de sa mère , qui touchait à ses
derniers momens . Il apprend qu'il allait devenir père ,
et sa mère exige qu'il épouse Amédea de Modène , qu'il
avait séduite ; mais elle devine un sacrifice dans l'action
de Popoli : elle sentait qu'elle aimait plus que jamais , et
croyait savoir qu'elle n'était plus aimée. Hatons-nous
de dire pour n'avoir plus à parler de la princesse russe ,
qu'elle trouve le moyen de donner à la jeune Amédea
un poison lent , et qu'ayant fait épier le duc pendant
son séjour en Sicile , elle avait fait enlever Anzoletta
pour la conduire au château de Popoli. L'on doit juger
de l'effet qu'y produisit cette apparition. Anzoletta se
fait ramener en Sicile , d'où elle s'embarque pour retourner
en Pologne .
Popoli , bourrelé de remords , époux d'une femme
qu'il n'aimait plus , à jamais séparé de celle qu'il adorait ,
fit l'aveu de ses fautes à son oncle , le duc de Cantelmo .
Il arrive , il cherche à le consoler : mais il n'était pas
tems encore. « Il y a , remarque-t-il , dans nos douleurs
>> une certaine époque où la plus simple tentative de
>>consolation les outrage et les aigrit. Une des premières
>>marques du respect que les ames compatissantes doi-
>>vent au malheur , c'est de ne pas chercher à l'atténuer
>> à ses propres yeux . >>>
De tous les sentimens qu'on éprouve , l'amour est celui
qu'on peut le moins feindre. La duchesse s'apercevant
qu'Anzoletta était l'objet des pensées de Popoli , forme
JUIN 1811. 395
:
le projet le plus héroïque que peut suggérer une imagination
exaltée mais avant de l'exécuter elle n'épargnait
rien pour porter la paix dans l'ame de son mari . « Les
>> hommes ne connaissent pas cet empressement inquiet ,
>> cette sollicitude délicate qui produit chez les femmes
» des soins tendres et continus . L'homme jouit du bon-
>> heur qu'il ressent , et la femme du bonheur qu'elle pro-
» cure . Toutes les pensées de la duchesse avaient celui
» de son mari pour objet . Aussi n'était- il personne qui
» n'enviât le sort de ces époux , si fortunés en apparence ,
» et si à plaindre en réalité : car on est heureux ou mal-
» heureux par une foule de choses qui ne paraissent pas ,
» que les autres ne devinent point , qu'on ne dit jamais ,
>> et que souvent même on ne pourrait dire . »>
La duchesse , convaincue que Popoli ne cesserait
jamais d'aimer Anzoletta , avait décidé de les réunir l'un
à l'autre , se trouvant heureuse de vivre avec eux comme
leur soeur et leur amie . Elle communique ce projet au
duc de Cantelmo qui tâche en vain de lui en faire sentir
les inconvéniens , et lui démontre que les résultats n'en
peuvent être ni avantageux à la morale publique , ni
favorables au bonheur particulier. Il la prie de renoncer
à ce rêve touchant : il est obligé de lui opposer Popoli
même , attendri par les sentimens et les vertus de sa
femme. Enfin , Cantelmo se rend en Pologne pour savoir
ce qu'on peut faire de mieux pour le bonheur de ces
trois individus .
Anzoletta , comtesse Dorlowski , arrivée dans sa patrie ,
ne tarda point à s'apercevoir qu'elle portait dans son
sein le fruit d'un crime qui ne pouvait être réparé . Cette
terrible découverte lui causa un moment de désespoir .
Mais née avec une de ces organisations énergiques
» dont la providence semble douer , par une attention
» prévoyante , ceux qui sont destinés à de grandes infor
» tunes , elle acquit , dans le cours de quelques minutes ,
» toutes les forces qui devaient lui être nécessaires pen-
>>- dant le cours de plusieurs années , peut -être , pour
» opposer à ses revers une résignation calme et cons-
» tante . » Elle s'enferme pendant plusieurs jours pour
songer au parti qu'elle doit prendre . C'est alors qu'arrive
396 MERCURE DE FRANCE ,
})
et se présente le duc de Cantelmo . Il lui raconte avec
exactitude les circonstances qui avaient précédé le mariage
de Popoli , et l'appareil qu'on y avait mis et qui
rendait son neveu excusable ; circonstances dont nous
n'avons point parlé , parce qu'on ne peut pas tout dire
dans un extrait : enfin il communique le projet admirable
et insensé de la duchesse . Anzoletta l'écoute avec attention
: « Je suis bien aise , répond-elle avec calme , que
» M. le duc mérite une partie de mon estime ; il acquerra
» des droits de plus à ce sentiment en rendant son épouse
» heureuse , comme elle en est digne . Ce sont là mes
>> derniers voeux . Tout autre rapport entre lui , la du-
» chesse et moi serait un opprobre pour nous trois . -
Apprenez , Monsieur , les résultats du crime de votre
» neveu . Sans avoir commis de faute , je suis condamnée
» à subir le mépris qui suit les fautes , et à le faire par-
>> tager à un enfant aussi malheureux que moi . Votre
>> secours peut me tirer de l'abîme et me rendre l'hon-
>> neur que votre neveu m'a enlevé . Je n'exige de vous ,
» Monsieur , qu'un aveu franc , généreux et public de
» l'action indigne qui a été commise envers moi , et dont
» les détails me justifient . Le mystère ne convient qu'aux
>> coupables . Je suis placée dans la position la plus inouie
» où puisse se trouver une femme qui n'a jamais manqué
» à ses devoirs . J'entreprends d'en sortir par des moyens
>> non moins inusités , mais tels qu'ils conviennent à mon
» nom , à mes principes , à mon caractère . Je sais quelle
» espèce de sentiment , ma démarche peut exciter chez
» cette foule méprisable qui fonde tous ses jugemens sur
» les apparences , et qui , à probabilités égales , aime
>> mieux supposer un crime que d'applaudir à une vertu :
» mais c'est pour moi , c'est pour l'intérêt de mon enfant
> et non pas pour les caprices de la foule que je prétends
» me déterminer. On ne pourra pas reprocher à cet in-
» fortuné sa naissance clandestine , car je n'ai point à
» rougir de sa naissance qui fut le crime d'un autre . Je
» ne serai point obligée de cacher à la curiosité maligne
» ma tendresse et mes sollicitudes pour lui ; je le com-
» blerai librement de mes caresses . »
Bref, le duc de Cantelmo obtint une audience du roi
JUIN 1811 . 397
Auguste le prince , touché des malheurs d'Anzolelta ,
disposa tout ce qui était nécessaire à son entière réhabilitation
. Un acte légal et solennel constatait son innocence
, un autre légitimait son enfant sous le nom de sa
famille maternelle et lui assurait la protection de l'Etat.
La comtesse fut présentée . « Toujours également supé-
>> rieure à sa destinée , les revers les plus affreux n'éton-
» naient plus sa raison , et les illusions de la prospérité
>> la plus flatteuse ne pouvaient plus la séduire . »
Après cette démarche éclatante , Anzoletta prend la
résolution de se retirer dans une campagne éloignée.
Voici les motifs dont elle fit part au duc de Cantelmo .
« Peu-à-peu dans l'esprit des hommes l'opprobre s'iden-
» tifie avec le malheur ; et au bout de quelque tems tout
» s'efface , excepté cette tache faite à l'honneur , qui ne
» s'efface jamais . Telle est la sévérité de la justice de la
» société à l'égard des femmes . La vertu de notre sexe est
» une de ces choses où la réalité ne peut se passer des
>> apparences . La réparation que j'ai obtenue me suffit
>> parce qu'elle assure l'état de mon enfant ; mais elle ne
» doit pas suffire à la morale publique . Il y a quelque
» chose de si délicat dans la pudeur que le moindre
» souffle la détruit . Elle a cessé d'exister dès qu'on a pu
» mettre son existence en question . >>
Cantelmo retourne auprès de son neveu . Il arrive
pour être témoin des derniers instans de la duchesse qui ,
victime de son dévouement , n'avait pas voulu arrêter les
effets du poison que lui avait fait prendre l'odieuse princesse
de Russie . Sa mort est déchirante . Le duc de Cantelmo
en finit le récit par cette réflexion : « Quel homme
» a long-tems vécu sans s'apercevoir que la vie est un
long cortège funèbre , vers la fin duquel on n'arrive
» que chargé du deuil de tous les siens ? » Il entraîne son
neveu et le fait voyager après avoir envoyé son enfant
auprès d'Anzoletta . Ceux qui , d'après cette démarche ,
croiraient que c'est un moyen de préparer la réunion des
deux amans , ne se seraient pas fait une idée juste du caractère
de la comtesse de Dorlowsky .
Toujours chargé du triste , mais doux emploi de consolateur
, Cantelmo conduit d'abord le duc de Popoli vers
398
MERCURE DE FRANCE ;
la Suisse . « Il y a , dit-il , dans les grandes proportions
» des Alpes , dans la silencieuse majesté des lacs , dans
» l'austérité redoutable des glaciers , dans toute cette
» création antique , immuable , éternelle , quelque chose
>> qui exalte nos facultés et qui les approprie , en quelque
» sorte, aux terribles et magnifiques tableaux sur lesquels
» elles s'exercent . Quel homme serait froid à l'aspect de
>> la grande coupole du Mont- Blanc , des pics orageux et
» inaccessibles qui l'entourent ; des mers étroites , mais
» imposantes , qui murmurent à leur pied ; des chamois
» audacieux qui pendent à leurs anfractuosités ; des aigles
» qui planent sur leurs sommets , et des avalanches qui
>> en tombent ?..... Les rochers versaient de leurs fronts
» usés d'abondantes cascades : on en voyait un qui s'éle-
» vait au-dessus de tous les autres et qui paraissait avoir
>> rassemblé dans son urne toutes les richesses des
» orages . Il roulait loin de lui une immense nappe d'ar-
>> gent avec tout le tumulte de la mer en furie.... Nous
>> regardions le ciel où quelques nuages errans se sui-
» vaient , traînant derrière eux un ample et obscure dra-
» perie , comme un long convoi de fantômes . »
J'ai laissé parler le plus souvent qu'il m'a été possible
l'auteur anglais , afin de faire voir comment elle s'exprime
dans notre langue .
-
Je remarque dans cet ouvrage une grande force de
pensées toujours exprimées avec énergie . Telles sont
celles-ci : L'ame , en s'exerçant à l'idée du malheur , se
prépare à le soutenir. Le pire de l'adversité , c'est d'en
être atteint à l'improviste et au moment où l'on ne rêvait
que voluptés et délices. Pour rendre avantageuse l'éducation
d'un riche , ilfaut lui laisser ignorer qu'il le soit ,
ou luifaire sentir la nécessité de vivre comme s'il ne devait
pas l'être toujours . -Le plus beau prix de la bienveillance
est un sentiment intérieur que la publicité atténue
et dégrade. Les jouissances du coeur ont besoin de
recueillement.
Je pourrais multiplier ces citations , mais la critique
demande qu'on lui fasse sa part. Elle peut s'exercer ,
1° sur quelques expressions hardies ; ( je me rappelle
entr'autres celle-ci , des sables BRILLANTES de mille crisJUIN
1811 . 399
taux ) , mais je suis beaucoup plus surpris de n'en pas
trouver un plus grand nombre dans un ouvrage écrit par
un étranger.
2º Sur plusieurs ressorts invraisemblables que l'auteur
met en jeu : tels sont les prédictions et leur accomplissement.
La mort de la duchesse de Popoli avait été annoncée
pour l'année 1726. Elle meurt à minuit le 3r
décembre. Cependant on ne peut se dissimuler que ces
prédictions et la magicienne ne produisent beaucoup
d'effet. Nous allons nous occuper de cette magicienne et
voir si son entremise peut être justifiée .
Il y a en effet , dans ce roman, un personnage singulier
qui nous fournit l'occasion de parler , en passant ,
d'un sujet délicat à traiter . Ce personnage , c'est Maggy
qui tout à-la-fois voit ce qui se passe loin d'elle et prédit
ce qui doit arriver long-tems après . Cette double faculté
a été refusée à l'homme , suivant les uns (c'est heureusement
le plus grand nombre) , et accordée , suivant les
autres . Ceux qui admettent cette opinion superstitieuse ,
conviennent que le pouvoir de prédire n'est bon à rien ,
puisqu'il n'est jamais accompagné de celui de prévenir
ni d'empêcher l'événement d'arriver (ce qui rendrait la
prédiction fausse) : alors la question devrait être décidée;
mais le coeur humainn'est pas si facile à contenter :
il trouve dans le mystère un charme inexprimable , et
bien loin de se rendre à la raison, il lutte sans cesse
contr'elle.
L'amour-propre est intéressé à maintenir l'opinion de
ceux qui croyent à l'existence de la double faculté dont
nous parlons . L'homme qui s'est modestement qualifié de
roi de la nature , aime à peupler le séjour qu'il habite ,
de génies aériens qui veillent à sa conservation : il aime
à se croire averti par eux. Socrate , tout sage qu'il était ,
n'eut-il pas un démon , dont il suivait les conseils ? et le
fameux Apollonius de Thyane ne vit-il pas mourir ,
d'Ephèse , où il harangait la populace , Domitien qu'on
assassinait à Rome ?
On est étonné que l'homme naturellement inquiet ,
toujours occupé de recherches sur sa destinée, de conjectures
sur son sort , rencontre , une fois par hasard , la
400
MERCURE DE FRANCE ,
vérité et que l'événement qu'il avait prédit , arrive . Je
pense qu'il est plus étonnant que sa prédiction ne se
réalise pas plus souvent , car dans la multitude des combinaisons
faites par ceux qui veulent soulever le voile
de l'avenir , il semble qu'ils aient épuisé toutes les
chances possibles.
Nous devons croire , nous autres Français , aux événemens
extraordinaires et presque miraculeux , parce que
nous les avons vus ; mais ils n'avaient été ni prévus ni
prédits .
Pour en revenir au roman de milady Mary Hamilton ,
le rôle que joue Maggy la devineresse , doit nous paraître
invraisemblable , parce qu'il n'est point dans nos moeurs,
parce qu'il heurte les opinions les plus généralement
répandues parmi nous . Cependant on ne peut s'empêcher
de convenir qu'il contribue beaucoup à l'intérêt qui
règne dans cet ouvrage . D'ailleurs il est encore un grand
nombre de personnes , il est même une nation toute
entière , pour qui les règles de la vraisemblance ne seront
point violées . On va le voir par le récit de plusieurs faits
dont on peut garantir la certitude . Comme ils ont une
double liaison soit avec le sujet dont nous nous occupons
en passant , soit avec l'auteur de la Famille de
Popoli, nous espérons qu'ils ne paraîtront pas déplacés .
En Ecosse , patrie de milady Mary Hamilton , nonseulement
le peuple ( qui par- tout est le même) , mais les
personnes qui ont reçu l'éducation la plus libérale ,
croyent à la faculté de voir et de prédire. Cette opinion
superstitieuse , commune même en Angleterre , est
appelée dans la langue de ce pays the second-sight (3) ,
mot qui n'a point d'analogue dans notre langue , mais qui
signifie la faculté d'acquérir la perception des événemens
( 3) Milady Mary traduit elle -même ces mots par le privilège de la
seconde vue. Ce devrait être de la première , puisqu'on voit d'avance,
ou au moment même , l'événement . Nous n'avons pas , dans notre
langue , de mot qui signifie la faculté de voir à une grande distance
et celle de prédire . Si ces deux facultés , séparées l'une de l'autre ,
trouvent tant d'incrédules parmi nous , ce n'est pas pour que le
dogme de leur réunion fasse beaucoup de prosélytes . Cependant A
JUIN 1811 . 401
qui se passent à une grande distance ou qui sont encore
dans Pavenir.
Le célèbre docteur Johnson qui n'a jamais passé pour
crédule ni pour un homme superstitieux , entendant
beaucoup parler des devins écossais , et d'anecdotes
étranges , contées par des gens dignes de foi , résolut de
faire un voyage en Ecosse pour vérifier le fait. Le doutes
à croublet SET
en pareille matière , est déjà une disposition
Thomme sensé ne se met point en route pour aller vor
si ce qu'il suppose absurde , est réellement arrivé . Quổi
qu'il en soit , Johnson part , séjourne en Ecosse et
recueille probablement des renseignemens asses, nombreux
et assez incontestables à sesyeux, pour revenin dans
la patrie des Bacon et des Locke , à moitié convertion pluto croyant, de son propre aveu , à la facere
et de prédire . Je tiens cette anecdote de quelqu'un qui
ne croit guère à cette faculté , mais qui ayant vécu pendant
vingt ans dans l'intimité du docteur Johnson , a
pris part à ses travauxsq olanch
Voici deux autres faits plus singuliers , plus bizarres ,
moins croyables et tout aussi vrais , ou du moins revêtus
de témoignages aussi respectables . Ils sont relatifs à un
membre de la famille d'Erskine , comte de Bucham , lord
Erskine dernièrement chancelier d'Angleterre. Iluse
plaignait avec amertume du tourment que lui causait la
double faculté dont il est question. Dans sa fureur prophétique
, il maltraitait tout ce qui l'approchait et particulièrement
ceux qui se plaçaient devant l'objet qu'il
croyait apercevoir .
La mère de M. Erskine était mourante dans un appartement
situé au premier étage du château qu'elle
habitait. Son fils et sa famille , réunis dans un salon , au
DAUS
ne faut désespérer de rien. La fameuse cataleptique de Lyon ne
lisait-elle pas dans les poches et ne voyait-elle pas à travers les murs ?
Les initiés au baquet de Mesmer n'apercevaient-ils pas ce qu'on avait
dans l'ame et dans le corps ? -L'Académie au mot prescience avertit
qu'il ne se dit que de Dieu ; ainsi nous ne pouvons nous en servir ,
et le second-sight est encore à traduire.
Cc
402 MERCURE DE FRANCE,
vez-de-chaussée , se communiquaient leurs craintes ou
leurs espérances . Tout-à-coup M. Erskine se lève , s'agite
avec transport :
:
Bacchatur vates , mognum si pectore possit
Excussisse Deum : tanto magis illefatigat
Os rabidum . Æn. 6.
Il s'écrie qu'il aperçoit ce qui est invisible à tout autre
oeil que le sien : il voit , dit-il , le corps de sa mère que
l'on sortait d'un pavilion séparé du château , pour lui
rendre les derniers devoirs . Il désigne et montre l'endroit
où sont déposés , selon lui , les restes inanimés de
Mme Erskine .
Cette fureur étant appaisée et le calme ayant reparu ,
les parens s'approchent de M. Erskine et lui disent :
<<Vous voyez bien maintenant et vous êtes obligé de
>> convenir que vos visions ne sont que des lubies , puis-
» que votre mère a toujours habité et qu'elle se meurt
>> dans le château et non dans le pavillon dontvous parlez .
>> Tout comme il vous plaira , répond-il , mais il n'en
>> est pas moins vrai quej'aivu ce que je vous ai raconté . >>>
Un instant après , un laquais entre : il annonce, de la part
de sa maîtresse , que voyant son dernier moment approcher
, elle désirait d'être transportée au pavillon et de
mourir loin de la partie qu'elle avait toujours habitée
avec son mari , parce qu'elle craignait que celui-ci ne
voulût plus continuer d'y demeurer si elle y rendait le
dernier soupir . On exhauça le voeu de Mme Erskine et la
vision de son fils fut réalisée. (4) .
La soeur de M. Erskine épousa le comte de Leven et
Melville père de Mme Hamilton. Un jour Mme *** lui
rendait visite ; M. Erskine éprouve un de ces transports
auxquels il était sujet , et s'adressant à cette dame , il lui
(4) On peut croire que la mère avait parlé précédemment de ce
projet , et que M. Erskine était occupé de cette idée . Mais au fait
suivant , il n'y a rien à répliquer si ce n'est par le doute. Du reste .
je ne suis qu'historien et je raconte sur des témoignages dignes de
foi; (ce qui n'est pas toujours un motif suffisant pour croire.)
JUIN 1811 . 403
dit qu'il voyait sa soeur mourir , et qu'il la voyait elle lui
succéder , et mariée au comte de Leven . Mme *** se
récrie sur des prédictions aussi invraisemblables . Elle
ajoute même qu'elle est obligée d'abréger sa visite , parce
qu'elle sait que le comte a , pour elle , une extrême antipathie.
M. Erskine répète avec énergie qu'il voit ce qu'il
annonce . Il parle même du nombre d'enfans qui naîtraient
de ce mariage , de ceux qui survivraient et de leur destinée
respective .
Quelque tems après , la comtesse de Leven mourut .
Le comte épousa la dame en question qui n'était nullement
remarquable par sa beauté , mais que des qualités
rares et une piété sincère et éclairée rendaient l'objet de
l'estime générale. Sa franchise et son amour pour la
vérité étaient comme passées en proverbe . Tout ce qui
avait été vu est arrivé de point en point ; et la comtesse ,
frappée de ce qui la concernait personnellement dans les
prédictions de M. Erskine , n'a jamais douté qu'il ne fût
doué de la faculté de voir et de prédire . Sa confiance
étaitmême à un tel point que lorsqu'il se présentait pour
sa fille , aujourd'hui milady Mary Hamilton , un parti
différent de celui désigné par le prophète , elle avait coutume
de lui dire : ce mariage n'aura pas lieu , vous en
ferez un autre (5) .
Telles sont , entre mille , les anecdotes que nous avons
cru devoir offrir , parce qu'elles ne sont point connues ,
parce qu'elles ont rapport à l'auteur de la Famille de
Popoli , parce qu'enfin elles peuvent servir à justifier
l'intervention de Maggy Macpherson. Mais ce qui la jus----
tifiera mieux encore , c'est l'intérêt qu'elle répand sur
tous les personnages . Ces anecdotes rappelleront à
milady Mary Hamilton de tristes souvenirs , mais elles
ne peuvent la blesser, et nous les aurions même suppri-
(5) Cette circonstance rappelle le songe de Saint-Preux , le voile
dont Mme d'Orbe couvrit le corps de son amie pour accomplir la pré
diction ; enfin cette réflexion sensée : « Je crois que si l'on y regar-
> dait de bien près , on trouverait ce même rapport dans l'accomplis-
› sement de beaucoup de prophéties . L'événement n'est pas prédit
>parce qu'il arrivera ; mais il arrive parce qu'il a été prédits
CC 2
404 MERCURE DE FRANCE ,
mées , si nous eussions pu soupçonner que leur publicité
lui déplût (6) .
Du reste , toutes les discussions relatives à la superstitiondes
Ecossais et à leur immémorial second-sight pourraient
se réduire à cette question : quand une société
bien civilisée , bien polie , bien renommée pour son
urbanité , pour ses lumières , admet dans son sein des
discuses de bonne aventure , quand elle les consulte ,
quand elle croit qu'une combinaison de cartes peut faire
connaître la destinée , a-t-elle le droit de se moquer des
Ecossais et de leurs inspirés ? V. D. M.
-
-
HISTOIRE GÉNÉRALE DE L'ESPAGNE DEPUIS LES TEMS LES
PLUS RECULÉS JUSQU'A LA FIN DU DIX- HUITIÈME SIÈCLE ;
par G. B. DEPPING . - TOME I et II , in- 8 °.
Prix , 12 fr . , et 15 fr. francs de port. AParis
chez D. Colas , imprimeur-libraire , rue du Vieux-
Colombier , nº 26 , fauxbourg Saint-Germain ; Lenormant
, libraire , rue de Seine , nº 8 .
,
De toutes les nations de l'Europe moderne , l'Espagne
est celle qui semble présenter à l'histoire le champ le
plus vaste et le plus fécond. Quelle contrée fut jamais
le théâtre de plus de révolutions ? Où vit-on se succéder
plus d'événemens extraordinaires , régner plus de peuples
opposés de moeurs , de lois , de puissance et d'industrie
? Quelle nation s'illustra par une fermeté plus
héroïque , une volonté plus constante , un caractère
plus opiniâtre et plus indomptable ? Dans quelle autre
région vit-on dominer alternativement le trident de Carthage
et l'aigle romaine , briller l'étendard de la croix et
le croissant de Mahomet ? Où trouver une source plus
féconde d'éloquence et d'intérêt ?
Cependant en examinant avec plus d'attention ceriche
et fertile sujet , on s'aperçoit bientôt que si ces grands
(6) Nous apprenons à l'instant que la Famille de Popoli a été composée
en français par milady , c'est un autre de ses ouvrages qu'elle a
traduit et dont l'impression se prépare .
JUIN 811 . 405
tableaux sont propres à enflammer l'imagination , la
multitude de faits dont ils sont chargés , oppose à l'historien
des obstacles presque insurmontables . Comment
se flatter de lier ensemble tant de parties opposées et
diverses ? Par quel art tracer , sans confusion , l'histoire
de tant de peuples , de conquérans et de monarques ,
qui se sont , dans le même tems , partagé le vaste et
précieux territoire de l'Espagne ? L'esprit humain serat-
il capable de placer dans son entendement , de conserver
dans sa mémoire tant d'objets si multipliés , tant
de faits si compliqués ? Ici l'unité est dans le înot , elle
ne se trouve point dans les choses. Pourquoi notre histoire
de France offre-t- elle tant de désordres et d'embarras
sous les successeurs de Clovis et de Charlemagne?
N'est- ce pas parce qu'alors divisée en monarchie indépendantes
et souvent ennemies , elle cessa de former un
seul Empire ? C'est ainsi qu'avant la réunion de toutes
les parties de l'Espagne sous la puissance de Ferdinand
et d'Isabelle , ses annales n'offrent souvent qu'un amas
obscur de faits confus et incohérens . C'est l'unité de
pouvoir, de lois , de moeurs , d'intérêt , qui donne aux
peuples une existence , un rang et une histoire .
L'auteur de la nouvelle Histoire d'Espagne est trop
éclairé pour que ces réflexions lui aient échappé. Il ne
dissimule point ses désavantages , et dans une préface
sage et judicieuse il nous prévient que les deux volumes
qu'il offre au public seront loin d'offrir l'attrait qu'on
peut se promettre des derniers . Mais peut- être a-t- il luimême
multiplié les difficultés : il me semble qu'il s'est
créé , sur la manière d'écrire l'histoire , un système susceptible
de quelques observations : « Considérée sous le
>> rapport littéraire , dit-il, notre entreprise se présenté
>>hérissée d'obstacles difficiles à surmonter. Le peu de
>>modèles de ce genre que l'antiquité nous a conservés ,
>> prouve combien il faut de génie et de travaux pour les
>>égaler. Ces difficultés , loin de disparaître aux lumières
>> toujours croissantes des derniers siècles, n'ont fait que
>> se multiplier à mesure que le domaine des sciences
>> s'est accru . Le lecteur ne se contente plus d'être
> charmé et énu; il veut être éclairé; il exige avce
406 MERCURE DE FRANCE ,
:
>>raison que l'historien lui prête le flambeau dont il s'est
>> guidé dans sa marche . Avant tout , il faut qu'il soit ras-
>> suré sur la véracité de l'écrivain et qu'iljuge , par lui-
» même , ce qui peut l'engager à admettre un fait comme
» vrai ou à le rejetter commefaux. »
M. Depping conclut de ce principe , qu'il n'est point
de fait obscur ou contesté que l'historien ne doive
éclaircir , dont il ne doive mettre les pièces justificatives
sous les yeux du lecteur. Il me semble que ce n'est pas
Tidée que nous nous sommes faite de l'histoire . Nous
pensons qu'elle consiste particulièrement en récits ; que
le principal mérite de l'historien est de recueillir les faits
dans le silence et la méditation du cabinet , de les soumettre
en secret à une critique sévère et judicieuse , et
de ne produire sous les yeux du lecteur que les résultats
propres à l'intéresser. Telle a été la marche des plus
célèbres écrivains . Rien , dans l'antiquité , de plus rapide.
et de plus précis que les ouvrages d'Hérodote , de Xénophon
, de Tacite , de Tite-Live. Jamais aucun d'eux
n'a songé à surcharger ses pages de dissertations savantes
sur l'origine d'une peuplade , la position d'une ville , la
date précise d'un événement ; et dans nos siècles modernes
, jamais nos bons écrivains n'ont mêlé l'érudition.
à leurs récits . Si Vertot , dans ses Révolutions romaines ,
suspend quelquefois le cours de sa narration pour examiner
un point relatif aux lois , aux moeurs ou aux intérêts
de Rome ses digressions se recommandent toujours
par la précision et la brièveté ; il sait que le lecteur
l'attend , et il se hâte de répondre à son impatience. Le
sage et judicieux Robertson , dans son excellente Histoire
d'Amérique , a eu soin de rejetter dans des notes
tout ce qui pouvait arrêter le cours de sa narration.
C'est ainsi qu'on évite de donner à des tableaux historiques
la forme d'unfactum .
,
Je sais que depuis quelque tems l'érudition est rentrée
en grâce parmi nous , que nos fréquentes communications
avec l'Allemagne nous ont inspiré du repect
pour la manière germanique , qu'on aime aujourd'hui à
charger un ouvrage de variantes et de scholies , et qu'on
oserait à peine publier un almanach sans discours préJUIN
1811 . 407
liminaire , sans préface et sans notes. Mais en rendant
de justes hommages à l'érudition , il ne faut point oublier
ce que l'on doit au goût . L'histoire ne doit pas être
une série de mémoires et de dissertations. Il en est d'elle
comme du poëme en récit : Semper ad eventum festinat.
C'est donc avec quelque peine que l'on trouve dans
l'ouvrage de M. Depping tant de digressions savantes
qui coupent le fil du récit , suspendent l'intérêt et refroidissent
l'attention du lecteur. Il me semble qu'elles eussent
été mieux placées à la suitede chaque chapitre ou
de chaque livre.
A ces observations près , le travail de M. Depping
me paraît digne des plus grands éloges. C'est la production
d'un homme également instruit et judicieux , qui
n'a rien oublié de ce qui peut servir à l'instruction du
lecteur ; géographie physique , antiquités , législation ,
moeurs , institutions , histoire politique et naturelle , tout
y est traité avec un soin égal ; point de préjugés , de
préventions , d'esprit de parti ; l'auteur ne paraît animé
que d'un sentiment unique , Famour de la vérité. Le
premier livre est consacré à la description générale de
l'Espagne; mais ce travail n'a rien de commun avec ces
relations superficielles , ces notions plus amusantes
qu'instructives que l'on a publiées depuis quelques années
. L'auteur remonte jusqu'aux tems les plus reculés ,
et s'aidant de tous les avantages de la science , il trace
en homme habile l'histoire du sol avant de tracer celle
du peuple.
«Il est constant , dit-il , que l'Espagne a été autrefois ,
>> comme toute l'Europe , recouverte des eaux de la mer .
>> De nombreux coquillages et d'autres productions mà-
>> rines , trouvés aussi bien dans l'intérieur de la terre
» que sur les sommités des montagnes , en attestent suf-
>>fisamment le séjour. Le cours de quelques fleuves
>>paraît avoir diminué dans la succession des tems , à en
>>juger par les passages des auteurs anciens qui parlent
>>de navigations qu'on ne pourrait plus effectuer aujour-
>>d'hui. La conformation des côtes n'est pas non plus la
>> même qu'elle a été autrefois; des endroits jadis floris-
>>sans ont été submergés , et font maintenant partie du
:
408 MERCURE DE FRANCE ,
fond de la mer. Aux environs de Cadix , sur les côtes
» du Portugal , on voit encore , quand les eaux sont
» basses , les ruines d'anciens monumens s'élever au-
» dessus de la surface de la mer , et offrir le spectacle de
» la révolution des tems et des âges. Le Bétis qui , du
>> tems de Strabon , avait deux embouchures , n'en a plus
» qu'une . »
Ailleurs , après avoir parlé de ce fameux incendie qui
dévora l'Espagne , et produisit une sécheresse de trente
ans , l'auteur recherche par quelle cause l'Afrique fut
autrefois détachée de l'Europe , et propose à ce sujet ,
avec le doute d'un homme aussi instruit que modeste ,
des conjectures fort vraisemblables .
« Quelques écrivains attribuent aux effets de cette
» grande éruption souterraine la formation du détroit de
» Gibraltar ; d'autres le regardent comme l'ouvrage des
» hommes ; opinion qu'il n'est pas plus aisé de soutenir
» que l'autre , puisque l'histoire se tait absolument sur
» ce sujet . Voici néanmoins une circonstance qui semble
» prouver beaucoup pour la première . L'étendue de ce
» détroit va toujours en augmentant. Scylax , qui vivait
» cinq siècles avant l'ère chrétienne, ne lui donne qu'un
» demi-mille . Euctamon , qui écrivait cent ans après
» lui , lui en donne quatre ; un auteur espagnol , anté-
>> rieur d'un siècle à notre ère vulgaire, cinq ; Tite-Live,
» sept ; un écrivain du septième siècle , douze ; et au-
» jourd'hui on évalue la moindre distance entre l'Afrique
» et l'Espagne à quatorze milles ; circonstance remar-
» quable , quoiqu'on puisse supposer que ces écrivains
» n'ont pas tous employé la même mesure . Peut - être
>> aussi pourrait - on conjecturer que les Phéniciens ou
>> un autre peuple quelconque auraient creusé un canal
» étroit qui se serait élargi , dans la suite des tems , par
» la force impulsive des mers . »
Après ces recherches et quelques autres qui ne sont
pas d'un moindre intérêt , M. Depping se livre à la partie
historique il la divise en quatre époques ; 1 ° l'entrée
des Romains en Espagne ; 2 ° l'invasion des Goths
3º l'invasion des Maures ; 4° l'établissement des royaumes
chrétiens et leur réunion sous un seul monarque..
*
JUIN 1811 . 409
Mais avant que la domination romaine s'établit en Espagne
, cette contrée célèbre avait été le théâtre de grands
événemens . Les Phéniciens y avaient porté un commencement
de civilisation , fondé des villes et formé des
comptoirs ; les Carthaginois avaient expulsé les Phéniciens
, et ce n'avait pas été sans verser beaucoup de sang
que les Romains étaient parvenus à vaincre les Carthaginois
. Les noms d'Amilcar , d'Hannon et d'Annibal sont
trop célèbres pour pouvoir les passer sous silence.
M. Depping leur aurait consacré une époque particulière
, si la chronologie lui eût offert moins d'incertitudes
et d'erreurs ; mais réduit à rappeler des faits sans
pouvoir les enchaîner dans un ordre fixe et invariable ,
il s'est contenté de les exposer dans quelques chapitres .
Combien de faits extraordinaires , de traits héroïques
renfermés dans ce court espace ! C'est là que se trouve
ce fameux dévouement des Saguntins qui aimèrent mieux
s'ensevelir sous les ruines de leur patrie , périr dans les
flammes avec leurs femmes et leurs enfans, que de subir
le joug de Carthage. C'est là aussi que l'auteur a prodigué
l'érudition. Le fameux Tarsis , si célèbre dans l'Ecriture
, était-il le Tartessus de l'Espagne ? Hercule fit-il la
conquête de l'Espagne ? eut- il des autels à Cadix ? Plantat-
il de sa main héroïque des colonnes au détroit de Gibraltar?
Ces colonnes étaient-elles au nombre de deux, de
trois , ou même de quatre ? Le nom d'Hispania, Espagne ,
vient- il de l'hébreu saphan qui signifie lapin , suivant
l'opinion de Bochart , ou de l'ancien espagnol ips-ania ,
pays des chevaux , suivant la conjecture du savant Desbrosses
? etc. Toutes ces questions sont discutées avec
étendue et gravité. L'auteur examine aussi tout ce qui
concerne le commerce , les monnaies , les arts d'industrie
et l'agriculture de ces tems d'ignorance et de barbarie
. Il décrit successivement les combats d'Annibal , les
pertes des Romains , les luttes des naturels entr'eux et
contre leurs ennemis .
Mais l'époque qui présente le plus d'attrait est celle
où le jeune Scipion vint venger la mort de son père et
de son oncle vaincus par les généraux carthaginois . Le
portrait que M. Depping a tracé de ce jeune romain est
410 MERCURE DE FRANCE ,
plein d'intérêt . Il le représente comme unhomme d'une
sagesse prématurée , affectant un grand respect pour les
Dieux , professant une dévotion exemplaire qui l'avait
rendu cher aux dames romaines. On disait qu'il sacrifiait
tous les matins au temple du Capitole ; que souvent
il s'y enfermait pendant la nuit , pour offrir au Ciel des
prières pleines d'onction et de ferveur ; on assurait
même qu'il avait de fréquentes visions et que Jupiter
T'honorait par des communications très-intimes . Cette
réputation lui avait fait de nombreux partisans dans le
peuple. M. Depping décrit , avec beaucoup d'habileté ,
les moyens qu'il employa pour gagner l'affection des
Espagnols et détruire l'empire des Cathaginois . Tout le
monde connaît ce trait de générosité par lequel il renvoya
à son époux une jeune princesse d'une rare beauté
qui se trouvait sa captive. Florus et Aurelius-Victor prétendent
que par une noble méfiance de lui-même , il
refusa de la voir. Polybe , Tite- Live , Valère-Maxime ,
Plutarque disent qu'il la vit et lui parla ; mais Valère
d'Antium , historien dont il ne nous reste que des fragmens
, assure que non-seulement il lui parla , mais qu'il
commença par la garder pour lui , et qu'il ne la rendit à
son amant que quelque tems après. M. Depping rapporte
cette particularité ; mais il observe , en même
tems , qu'il vaut mieux croire à un trait de vertu qui
honore l'humanité , que d'accueillir un trait de satyre
dont la méchanceté s'arme souvent pour calomnier la
vertu .
Son ouvrage est plein de ces observations qui annoncentun
esprit sage et réservé. M. Depping ne cherche
point à se faire remarquer par des opinions hardies , par
un ton tranchant et décisif. Sa manière d'écrire est celle
d'un homme de mérite , et d'un homme modeste .
SALGUES.
JUIN 181 . 411
Sur le procès juridique et littéraire qui vient de s'ouvrir
entre J. G. DENTU , imprimeur-libraire , et M. MALTEBRUN
, géographe danois .
Le Mercure étant un journal littéraire et non judiciaire ,
l'usage étant d'y rendre compte des ouvrages des auteurs
et non de leurs actions , nous avons doute quelque tems
si nous devions entretenir nos lecteurs de la querelle trèsanimée
qui vient de s'élever entre MM. Dentu et Malte-
Brun. La brochure du premier porte deux titres (1 ) , dont
l'un nous annonce qu'ony discute une question de droit (2) .
Cette même brochure et l'analyse (3) par laquelle M. Malte-
Brun y a répondu , sont pleines d'accusations et de récriminations
personnelles . Or , les questions de droit et les
invectives ne sont nullement de notre ressort , comme nous
venons de l'observer. Mais , d'un autre côté , le sujet du
procès, la source des invectives, sont des ouvrages : ce sont
des géographies universelles ou abrégées , des cartes , des
traités destinés à l'instruction . Le principal délit imputé
par le demandeur à l'intimé , c'est le plagiat, délit littéraire ,
etdont il importe à tous les amateurs qui veulent acheter
des livres de géographie de connaître la valeur . Nos abonnés
ontdonc le droit de nous en demander compte : il est de
notre devoir de leur en dire notre avis. Placés entre ces
(1) Moyen de parvenir en littérature , ou Mémoire à consulter sur
une question de propriété littéraire, dans lequel on prouve que le
sieur Malte-Brun , se disant géographe danois , a copié littéralement
une grande partie des oeuvres de M. Gosselin , ainsi que de celles de
MM. Lacroix , Walckenaer , Pinkerton , Puissant , etc. etc. , et les
a fait imprimer sous son nom.
(2) Qu'est-ce qui distingue le plagiaire-copiste du simple contrefacteur
, et jusqu'à quel point le premier peut- il être regardé comme
devant encourir la peine portée par la loi contre le dernier ? »
(2)Analyse fidèle d'une diatribe de Jean- Gabriel Dentu , se disant
éditeur de la géographie de Pinkerton , contenant des lettres de
désaveu contre J.-G. Dentu , et des témoignages de plusieurs savans
illustres , entr'autres de M. Banks , président de la Société royale de
Londres; de M. le sénateur comte François de Neufchâteau ; de
MM. Biot , de Châteaubriand , deHumboldt . Langlès , P. C. Lévesque
, Mentelle , membres de l'Institut de France , etc. etc.
412 MERCURE DE FRANCE ,
deux obligations de ne point nous immiscer dans une
partie de la querelle et d'exprimer sur l'autre notre sentiment
, nous allons essayer de concilier ce double devoir
autant que la nature des choses pourra le permettre ; c'està-
dire , qu'élaguant tout ce qui peut avoir rapport à la
conduite de l'accusateur et à celle de l'accusé , nous rapporterons
fidélement les griefs de l'un et les réponses de
Pantre .
On peut ranger sous deux classes les accusations littéraires
portées par M. Dentu , libraire , éditeur de la Géographie
de Pinkerton , contre M. Malte-Brun , géographe
danois , auteur-associé de la Géographie des quatre parties
du monde , auteur à lui seul du Précis de la Géographie
universelle , rédacteur des Annales des Voyages , et col-
Laborateur au Journal de l'Empire; plagiats et ignorance,
voilà ces deux chefs principaux. Examinons d'abord le
premier.
Le géographe danois , dit M. Dentu , tout en décriant la
Géographie de Pinkerton comme un mauvais ouvrage, ya
pillé, pour en enrichir la sienne , dans les seuls tomes IV
et VI, des morceaux très - considérables , sur la Chine , le
Thibet , le Japon ; sur le Paraguai et Saint-Domingue . Ces
morceaux appartiennent en partie à Pinkerton et en partie
à M. Walckenaer , qui a enrichi de notes de son propre
fonds sa traduction de la géographie anglaise. M. Dentu
prouve le plagiat en imprimant ces morceaux sur deux colonnes
, tels qu'ils se trouvent dans Pinkerton et dans
M. Malte-Brun. En les lisant avec attention , on ne trouve
chez ce dernier que de légers changemens dans la tournurs
de quelques phrases , et ces changemens , comme on le
verra plus bas , ne sont pas toujours heureux. Rien ne
paraît donc mieux démontré que ce vol montant à 87 pages .
Que répond M. Malte-Brun ?D'abord il assure que M. Dentu
rève ; pour le prouver il choisit sur les 87 pages une dixaine
de lignes qu'il a réellement retournées , dans lesquelles il
aajouté deux mots sur le Petuntsé; il rapporte à son tour
ce passage sur deux colonnes ; il se garde bien de parler
du reste , et fait ensuite ce calcul : si j'ai emprunté 87 pages
sur un ouvrage en seize volumes , cela fait cing pages par
volume : peut-on voir un emprunt plus léger? Nos lecteurs
jugeront de la bonté et de la loyauté de sa réponse, s'ils
veulent se rappeler que ce n'est pas sur seize volumes ,
mais sur deux, que l'emprunt a été fait . Quant à nous , nous
craignons bien fort que M. Dentu ne retourne à son tour,
JUIN 1811 . 413
sans craindre d'être plagiaire , une phrase de l'érudit Dacier
, qu'il ne répète à M. Malte-Brun : Mon accusation
subsiste.
Nous passerons légèrement sur un autre emprunt fait à
MM. Pinkerton et Walckenaer par le rédacteur des Annales
des Voyages ; il serait trop long de tout examiner ,
et nous ne pouvons nous arrêter qu'aux accusations vraiment
importantes . M. Dentu affirme (p. 58) que M. Malte-
Brun a volé à M. Gosselin trois cartes de géographie ancienne;
il ajoute que le géographe danois n'a pu construire
celle du Monde connu des anciens , qu'en pillant encore le
géographe notre compatriote . A cela , M. Malte-Brun répond
qu'il a reconnu sur cette dernière carte ce qu'il devait
àM. Gosselin ; mais il ne dit pas un mot des trois autres ,
et l'on est bien tenté d'inférer de son silence , qu'il n'avait
en effet rien à répondre sur ce plagiat important.
M. Gosselin est un des auteurs que M. Malte-Brun est
accusé d'avoir pillé avec le plus d'audace ; sans mettre ici
en ligne de compte le Périple d'Hannon dont nous parlerons
plus bas , M. Dentu prétend que le géographe danois a
dérobé à l'académicien français sa division de l'ancienne
Asie , le Voyage d'Eudoxus traduit de Strabon , l'énumération
des îles Fortunées traduite de Pline , l'analyse des
opinions de Ptolémée sur l'Inde et les pays plus orientaux ,
et d'autres passages de moindre étendue . Les preuves sont,
comme pour Pinkerton , l'impression sur deux colonnes du
texte des deux auteurs ..... Or , que fait M. Malte-Brun ?
fier d'avoir repoussé tant bien que mal les reproches de
son adversaire au sujet d'une seule carte , il déclare que
M. Dentu ayant pu hasarder une telle fausseté , a pu en
hasarder mille , et qu'il est superflu d'entrer dans de grands
détails pour réfuter ses autres accusations. Il se contente
d'affirmer vaguement qu'en tirant des auteurs grecs cette
partie de son travail , il a pu et dû coïncider en quelques
points avec M. Gosselin; il cite fastueusement , comme
de lui , des choses qu'on ne l'accuse point d'avoir volées ,
et n'entre dans aucun détail sur celles qu'on lui reproche
d'avoirtrancrites littéralement . Nous en sommes bien fächés ,
mais rien ne nous paraît plus faible qu'une telle apologie.
Quoi! l'on produit aux yeux du public des pages entières
traduites de Strabon par M. Gosselin et copiées parM. Malte-
Brun , et celui-ci répond qu'il a pu se rencontrer avec lui
sur quelques points ! On dit à M. Malte-Brun qu'il n'a pu
rendre compte des Voyages d'Artémidore, d'Agatharchide,
414 MERCURE DE FRANCE ,
Troglodytique , etc. , qu'en pillant et en pillant mal
M. Gosselin , et il s'écrie que pour l'explication du Voyage
de Pythéas , pour l'exposé des idées d'Hérodote , d'Hippocrate
et d'Aristote , il aurait pu se passer des secours de
M. Gosselin ! De bonne foi , est-ce là répondre ?
Quelle que soit l'importance des plagiats que nous venons
d'examiner , en voici que les circonstances rendent peut-être
plus graves encore . M. Dentu nous apprend ou plutôt nous
rappelle que le 31 décembre 1810 , M. Malte-Brun annonça,
dans le Journal de l'Empire , qu'il avait exposé dans son
second volume les principes mathématiques de la géographie
, principes négligés dans tous les traités récemment
publiés ; et à la suite de cette annonce , l'importun citateur
prouve encore , et toujours par cette voie odieuse de l'impression
sur deux colonnes , que si l'on excepte quelques
phrases ampoulées qui appartiennent à M. Malte-Brue ,
quelques changemens dans les tournures , faits pour déguiser
le plagiat , et quelques erreurs qui en sont résultées , le
géographe danois a pris 90 pages de sa Géographie mathématique
dans l'Introduction à la géographie mathématique
et critique , très -récemment publiée par M. Lacroix ,
de l'Institut , à la tête de la Géographie de Pinkerton,
Il faut rendre justice à M. Malte-Brun , il ne traite pas
cette accusation aussi lestement que les précédentes ; il est
près d'avouer qu'il a eu des torts bien qu'extrêmement
légers , ou même tout-à-fait nuls , et voici comment il les
explique . Occupé d'orner et d'approfondir les différentes
parties d'un aussi grand ouvrage , ila pu , à l'exemple de
Buffon , employer le secours d'un secrétaire pour écrire le
brouillon d'un chapitre insignifiant. Il a donné pour base
à son scribe , la Géographie mathématique publiée par
lui-même en 1803 , et qu'il avait extraite alors du Traité
de la Sphère de Rivard, et de l'Astronomie de Lalande ; il
yjoignit cette même Astronomie de Lalande , et le Systéme
duMonde de M. Laplace. Son scribe lui présenta son travail
élémentaire , il n'y aperçut aucune idée qui ne se trouvât
tirée de ces différentes sources ; la rédaction lui parut
une chose si simple , qu'il ne se, donna point la peine de
l'examiner , et crut qu'il suffisait d'y ajouter quelques ornemens
de style . Enfin, pour nous convaincre qu'il a pu
prendre pour des extraits de son propre ouvrage publié en
1803 , les 90 pages qu'on l'accuse d'avoir pillées , il cite à
son tour et sur trois colonnes , quelques phrases formant
la valeur d'une page , telles qu'on les lit , 1º dans sa Geo-
"
JUIN 1811 . 415
graphie mathématique , 2º dans l'ouvrage de M. Lacroix ,
3º dans son Précis de la Géographie universelle.
Nous voudrions , de bon coeur , admettre cette apologie,
mais comment cela nous serait-il permis ? Ne voyons-nous
pas queM. Malte-Brun , pour atténuerses torts , commence
par déclarer insignifiante une partie de son onvrage dont
il nous disait, ily a dix-huit mois, que les principes avaient
été négligés jusqu'à lui , et pour laquelle il a mis à contribution
le Systéme du Monde de M. Laplace , livre qu'il
doit trouver assez signifiant ? Tout en soutenant que sa
Géographie mathématique est bien son ouvrage , ne convient-
il pas qu'il l'a extraite de Lalande et de Rivard ? Enfin
, qu'oppose-t-il à l'accusation d'un vol de 90 pages ? une
justification apparente qui ne porte que sur une page ou
deux. Mais voici bien pis : cette justification n'est en effet
qu'apparente. Que l'on se donne la peine de comparer
comme nous dans la brochure même de M. Malte-Brun ,
ses citations sur trois colonnes : on y reconnaîtra que la
seconde et la troisième , c'est-à-dire le texte de M. Lacroix
et la rédaction du scribe de M. Malte-Brun , s'accordent
parfaitement et n'ont de commun avec la première , qui est
le texte original du géographe danois , que le fonds qui
appartient à la chose même. En vérité , c'est un homme
bien extraordinaire que ce scribe de M. Malte-Brun ! On
lui donne deux ou trois ouvrages à copier , il n'y prend
pas une seule phrase , et il emprunte 90 pages par divination
, à un autre ouvrage qu'on ne lui a pas mis sous les
yeux. Voilà , sans doute , un bien rare talent pour un
simple scribe.
Nous passerons encore quelques petits plagiats sous silence
pour en venir au dernier, commis par M. Malte-Brun ,
selon M. Dentu , sur le Traité de Topographie de M. Puissant
; il est encore d'un grand nombre de pages ; M. Dentu
ne les imprime pas cette fois sur deux colonnes ; il se contente
de les indíquer ; mais ce qui prouve qu'il pouvait le
faire , c'est qu'ici M. Malte-Brun ne fait aucune observation
sur le matériel du vol ; sa défense consiste à nous dire
qu'il n'a pointvolé , puisqu'il a présenté sa méthode de tracer
les cartes géographiques comme étant celle de Flamsted
corrigée, ettelle qu'on la suit au dépôt de la guerre. Nos
lecteurs jugeront si c'est désigner d'une manière claire et
suffisante le traité de M. Puissant ; l'espace où nous sommes
renfermés nous permet d'autant moins d'entrer dans
ladiscussion de ce dernier plagiat , que nous avons encore
416 MERCURE DE FRANCE,
1
à parler de la seconde accusation portée contre M. Malic-
Brun , et qui est ( on ne l'a sûrement pas oublié ) tout simplement
celle d'ignorance .
Cette ignorance porte sur plusieurs points . Legéographe
danois garde le silence sur quelques-uns et se défend sur
les autres ; nous citerons d'abord les premiers .
On lui prouve , dans une note ( page 16 et 17 ) , qu'il
sait fort mal l'anglais et fort peu le français , quoiqu'il traduise
de la première de ces langues dans la seconde , et à
cela il ne répond rien .
On lui reproche ( pages 28 et 54) d'être fort ignorant en
histoire naturelle , attendu qu'il écrit ureis pour urus , zeba
pour zebu , et que d'un zebu il fait un zebre ; et à cela il
ne répond rien.
On prétend (pages 105 et 106 ) qu'il n'entend rien à
Pastronomie ; on le prouve par un petit changement de
deux minutes en deux secondes , qu'il s'est permis en copiant
M. Lacroix ; ce changement l'arguë en effet d'une
ignorance rare ; et à cela il ne répond rien : espérons cependant
qu'il répondra , faute de quoi il serait censé avoir
passé condamnation sur tous ces articles .
Examinons à présent les reproches auxquels il a répondu.
On assure , page 115 , que le géographe danois ne connaît
rien à la projection des cartes , et l'on cite , pour le
prouver , une phrase qu'il a malheureusement retournée
en copiant encore M. Lacroix. Il rejette cette faute sur
son typographe , et prouve que deux lignes plus bas il
s'exprime plus correctement. Nous aimerions mieux qu'il
eût encore accusé ce scribe qui a deviné (comme on l'a vu)
toute cette partie de son ouvrage , et qui a pu la corriger
maladroitement ; mais enfin , nous lui accorderons qu'on
n'a pas prouvé qu'il n'entend pas la projection des cartes ,
pourvu qu'il accorde qu'il n'a pas démontré lui-même
qu'il l'entend.
On donne ( page 58 ) des preuves que M. Malte-Brun
ne sait pas même l'alphabet grec , et ces preuves malheu
reusement nous paraissent irrécusables ; aussi M. Malte-
Brun n'y répond-il point; mais il entreprend de montrer
ailleurs ( pages 15 et suiv. de sa brochure ) , au sujet du
Périple d'Hannon , qu'il entend fort bien la langue grecque .
Nous sommes désolés qu'il se soit mis , par cette entreprise
, dans une fâcheuse position. Rien de plus difficile
que de prouver qu'on sait le grec , nous disait un jour un
habile helléniste. Il ne faut rien moins pour cela que pu
JUIN 1811 . 417
blier un ouvrage grec inédit , ou en traduire un dont il
n'existe point de traduction latine ; ces occasions-là ne se
trouvent pas tous les jours. Ce n'est pas non plus ce que
M. Malte-Brun pouvait faire dans sa brochure ; il s'est
contenté de donner en grec une phrase du Périple d'Hannon
, d'y joindre la traduction littérale latine , de transcrire
de mans
dinaciles
joindrenne et celle de M. Gosselin
trer que ce savant a voulu interprêter un paPassage
tandis que lui M. Malte-Brun l'a rendo
Il triomphe après cette opération pénible , camare s'il
n'avait pas pu faire sa version littérale sur le latin comme
sur le grec . Il accuse M. Gosselin d'avoir témérairemen
ajouté quelques mots au texte , il cite com que
mols grecs , et l'on est tenté un moment de crome не о
s'est trompé et que M. Malte-Brun est réellementun kon
helléniste ; mais bientôt une candeur maladroite le trahit;
il reconnaît qu'il a puisé toute cette érudition dans une
dissertation allemande d'où il suit qu'il a seulement
prouvé qu'il sait l'allemand. Hélas ! il faudrait bien d'autres
échantillons de science hellénique pour se réhabiliter
sur ce point lorsqu'on a eu le malheur de confondre l'article
masculin avec le féminin , et de faire dans la transcription
d'un seul mot grec trois fautes dont l'une est un
barbarisme alphabétique , un z romain substitué au lambda
grec (A).
Jusqu'ici la plus rigoureuse, impartialité n'a pu nous empêcher
de nous déclarer presque toujours contre le géographe
et pour le libraire ; mais , grâce au ciel , une dernière
accusation de ce dernier va nous fournir enfin l'occasion
de prononcer contre le libraire et pour le géographe .
Non content d'avoir prouvé que M. Malte Brun ne sait ni
l'anglais , ni le grec , qu'il n'est ni astronome , ni naturaliste
, qu'il n'enseigne à dresser des cartes qu'en copiant
les ouvrages d'autrui , M. Dentuja poussé les choses jusqu'à
vouloir nous démontrer que son ennemi ne saitmême
pas l'arithmétique . Il s'est emparé d'un passage on
M Malte-Brun parlant du stade dont on compte 1111; au
degré , a écrit , par inadvertence , 1,119. Il n'a point eu
égard à l'errata où M. Malte-Brun assure que cette faute
est corrigee , et , ce qui est bien,pis encore , au lieu de
voir dans cette manière d'écrire 1,119une suite de l'usage
assez genéral de séparer par des virgules de trois en trois
chiffres les nombres qui surpassent 999 , M. Dentu ne
veut y trouver que la manière de chiffrer de l'arithmétique
Dd
418 MERCURE DE FRANCE ,
1
décimale ; et il en conclut que M. Malte-Brun a imaginé
un stade qui remplirait à près toute la longueur d'un
degré. Qui prouve trop ne prouvé rien, dit le proverbe ;
et M. Malte-Brun aurait pu même se dispenser de réfuter
cette étrange accusation. Nous plaignons M. Dentu de
P'avoir intentée , comme nous avons plaint M. Malte-
Brun d'avoir fait d'aussi faibles réponses à toutes celles
que nous avons rapportées plus haut .
Nous ne pousserons pas plus loin cette confrontation de
la brochure de M. Dentu avec l'analyse prétendue fidele
que M. Malte-Brun en a donnée. A quoi servirait-il de
donner acte au géographe danois de quelques erreurs qu'il
a relevées dans la géographie anglaise ? On sait que ces
sortes d'ouvrages n'en peuvent être tout-à-fait exempts.
Aquoi bon rapporter les lettres et les éloges des savans
et des journalistes qui ont loué M. Malte-Brun ? On sait
aussi comment ces éloges s'obtiennent , et quelque présomption
favorable qu'ils établissent pour l'auteur qui les
reçoit; ils ne sauraient détruire les faits par lesquels un
critique a démontré ses plagiats et sonDignorance . Vingt
membres de l'Institut er autant de journalistes auraient fart
des compliments à M. Malte-Brun , qu'il n'en resterait pas
moins prouvé qu'après avoir accusé les géographies françaises
d'être les plus pitoyables de l'Europe , il n'a luimême
composé la sienne qu'en pillant des savans et des
geographes francais; il n'en serait pas moins démontré
par son propre silence erpar ses réponses qu'il ignore beaucoup
de choses qu'il à prétendu savoir.
Terminonsici ce long article . Prenons congé de M. Denta
en lui conseillant de ne plus joindre à l'avenir des chicanes ,
comme celle qui a rapport au stade , à de véritables griefs ;
prenons congé de M. Malte-Brun , comme l'a fait M. Dentu
lui-même. L'éditeur de Pinkerton déclare ( pag . 135) qu'il
n'est ni assez inique , ni assez aveugle pour contester à son
adversaire toute espèce de savoiret de talent; il ne prétend
point nier que M. Malte-Brur në se montre quelquefois
dans sa géographie observateur judicieux ou narrateur intéressant
; il reconnaît , d'après le jugement d'hommes habiles
, qu'avec du travail etdes années le géographe danois
pourra se placer honorablenient dans les rangs de ceux
qu'il pille aujourd'hui en les injuriant . Nous souscrirous
volontiers à ces concessions importantes , et nous finirons
en formant des vænx pour voir tousles compilateurs quitter
désormais les ciseaux pour la plume, et tous les écrivains
JUIN 1811 419
polémiques renoncer à l'arrogance , à la malignité et à l'invective
pour embrasser la modestie , la modération et la
bonne foi . B. M.
1
VARIÉTÉS .
SOCIÉTÉS SAVANTES.
viv tiz
Société des Sciences , Agriculture et Belles-Lettres du
département de Tarn et Garonne , séante à Montauban
-Séance publique du 15 mai 1811 , à l'hôtelde laMairie.
PREMIÈRE PARTIE. -Lectures prescrites par le réglement
1º. Discours d'ouverture , par M. Poncet-Delpech le père,directeur.
20. Rapport sur les travaux de la Classe des Sciences depuis la séance
du 15 mai 1810 , par M. Bénédict Prevost ,secrétaires "
30% Rapport sur les travaux de la Classe d'Agriculture , par
M. Chalret,secrétaire..
د.
b i
}
4º. Rapport sur les travaux de la Classe des Belles-Lettres , par
M. Fontanel , secrétaire ,
5°. Lecture des ouvrages couronnés.
Le prix proposé par la Classe d'Agriculture , pour 1810 , avait pour
sujet cette question : Quels sont, dans le département de Tarn et Garonne,
les avantages et les inconvéniens de la culture du Maïs , considéré
comme récolte secondaire ?
if 1
Les mémoires envoyés au concours pour 1810, n'ayant point rempli
l'attente de la Classe , le prix fut réservé pour 1811. Dans ce nouveau
concours , le mémoire qui porte pour devise ,
Heureux le laboureur , trop heureux s'il sait l'être !.....
: DELILLE.
aréuni les suffrages de la Classe. En conséquence, le prix sera délivré
àM. Limouzin-Lamothe , domicilié àAlby ,département du Tarn ,
dont le nom était écrit dans le billet cacheté, joint au mémoire , qui a
été ouvert après le jugement.
led st
La Classe des Belles- Lettres avait proposé pour 1810 , et remis au
concours pour 1811 , la question suivante : A quels caractères reconnaît-
on la vraie philosophie ?
La Classe a décerné le prix au discours qui porte pour épigraphe :
Neque in argumentosa philosophia , neque in conjecturali musica,
sed in ipsius boni verique scientia , philosophus versari
debet . THEOD.
Dd 2
420 MERCURE DE FRANCE ,
Ce prix sera délivré à M. Henry Duval , sous-chef dans le bureau
des sciences et beaux-arts , au ministère de l'intérieur ..
Parmi les nombreux ouvrages envoyés au concours , la Classe a
distingué les deux suivans :
Le premier portant pour épigraphe ,
T'alzò natura inverso il ciel lafronte ,
E ti diè spirti generosi ed alti ,
Perche in su miri. LE TASSE.
afait vivement regretter à la Classe de n'avoir pas un second prix à
donner. Ce discours manque quelquefois de coloris ; l'auteur ne donne
pastoujours assez de profondeur à ses idées ; mais on y remarque de la
facilité , dès passages très-bien écrits , de la méthode et de la clarté.
Le but que l'auteur s'est proposé , de prouver que le vrai philosophe
peut être en même tems religieux , puisque l'évangile et la saine philosophie
tendent également à faire aimer les vertus , et à porter des
consolations dans le coeur de l'homme , a convaincu la Classe que cet
ouvrage émane d'un écrivain qui est , comme le dit Caton en définissant
l'orateur , un homme de bien savant en l'art de parler...
Le deuxième porte pour épigraphe :
168
Quæ fusè olim disputabantur ac libere, ea'nunc articulatim
distinctèque dicuntur. 102 CIC DE LEGIB .
Ce discours annonce dans son auteur de longues et profondes médilations
sur la matière qu'il a traitée . Les principes qu'il professe sont
modérés et sages ; ses définitions sont justes ; mais la division des
chapitres dans la première partie fait languir la marché du discours ,
parce que les caractères qu'il donne à la vraie philosophie semblent se
reproduire sous des noms différens, ou du moins la nuance qui les
distingue n'est pas toujours assez prononcée. La deuxième partie
offre un intérêt plus soutenu; et le paragraphe qui considère la philosophie
dans son rapport avec la religion est sur-tout traité avec une
supériorité remarquable. Le style, en général assez correct , manque
quelquefois d'élégance et de rapidité : mais les vraies beautés de cet
ouvrage l'emportent sur les imperfections qui le déparent , et lui ont
mérité de balancer les suffrages .
N. B. Deux des ouvrages envoyés au concours n'ont pu y être admis
, l'un parce que l'auteur a fait connaître son nom, et l'autre parce
qu'il n'a été remis qu'après l'époque fixée par le programme .
DEUXIÈME PARTIE . Lectures approuvées par les Classes .-
I. Stances sur le Bonheur : par M. Marron.
2º. Mémoire sur un Moyen simple etfacite de faire brûler l'allu
JUIN 18 . 421
mette dans les vases vinaires viciés , par lequel on les sanifie et on les
rend propres à conserver les vins : par M. Bermond.
3º. Fragment d'un poëme intitulé l'Égyptiade : par M. l'abbé
Aillaud.
4°. Mémoire sur un Moyen d'extraire de la racine de Guimauve un
fil analogue à ceux du Chanvre et du Lin : par M. Martres.
5º . Les Agrémens d'un petit bien , poëme : par M. Saint- Cyr Poncet-
Delpech le fils .
6° . Réflexions sur la chimère du Mouvement perpétuel : par M. Bé
nédict Prevost.
7°. Deux Contes en vers : par M. Rivals de Lacombe.
8°. Observations sur la Mode : par M. Fontanel .
9º. Ma Philosophie , stances morales : par M. Poncet-Delpech le
père.
Prix proposés pour l'an 1812.
La Société des Sciences , Agricultureet
Belles -Lettres du département de Tarn et Garonne , séante
à Montauban , tiendra une séance publique le 15 mai 1812 .
Elle y distribuera trois prix .
Le premier est proposé par la Classe des Sciences . La Classe
n'ayant reçu aucun mémoire satisfaisant sur la question proposée
pour sujet du prix qu'elle devait décerner cette année , remet la.
même question au concours pour 1812 : Donner l'histoire détaillés
des insectes qui gûtent les arbres propres àfournir les hois de construction
; et indiquer, s'il est possible , des moyens simples d'éviter
leurs dégâts .
Le second prix est destiné au meilleur ouvrage sur ce sujet , pro-
•posé pour 1811 par la Classe d'Agriculture ,et remis au concours
pour 1812 : Quel est l'assolement le plus convenable aux diverses
qualités de terres du département de Tarn et Garonne 2
Le troisième prix , proposé par la Classe des Belles- Lettres , est
destiné au meilleur poëme ou à la meilleure ode sur le sujet suivant :
Passage de Sa Majesté l'Empereur et Roi dans la ville de Montauban.
Depuis le décret de l'Assemblée constituante , qui divise la France
en départemens , Montauban , privé des établissemens considérables
qu'il possédait avant cette époque , languissait ignoré sur les confins
du département du Lot. S. M. l'Empereur et Roi, lors de sonvoyage
dans le midi de la France daigna diriger sa marche vers cette ville
beauté de sa situation de la fer- le 29 juillet 1808 , et
tilité des campagnes riantes qui l'entourent , de sa population , et de
l'enthousiasme qu'inspirait à ses habitans sa présence auguste , Elle
créa un nouveau département dont Montauban est aujourd'hui le
chef-lieu .
touchée de la .
"P
La munificence de Sa Majesté ne se borna point à procurer à ce nouveau département les institutions qui lui étaient nécessaires. Non
contente de lui avoir donné pour Préfet un Magistrat qui joint le
savoir au zèle le plus actif, qui , digne interprète du plus grand des
Héros , après avoir tout viviße dans ces heureuses contrées , éleva sur
422 MERCURE DE FRANCE , JUIN 18116
les débris de l'ancienne , une Académie qui s'honore de l'avoir pour
son fondateur , Sa Majesté accorda un Evêque à la ville de Montauban
et une Faculté de théologie protestante , qui par le mérite distingué
de ses professeurs s'est déjà rendue célèbre .
La construction de deux ponts ; celle de trois écluses ; un décret
pour rendre l'Aveyron navigable ; des dons répandus avee largesse
sur les hôpitaux : voilà les bienfaits éclatans que les habitans du département
de Tarn et Garonne doivent encore à leur Souverain , qui ,
pour ajouter un nouveau prix à ses bontés , adressa naguères le discours
suivant aux Membres composant la députation du Collége
électoral :
« J'agrée vos sentimens ; j'en connais la sincérité. Lors de mon
> dernier voyage , j'ai été satisfait de tout ce que j'ai vu dans vos belles
> contrées et spécialement dans ma bonne ville de Montauban.
> Comptez toujours sur mon affection. >
La classe ose se flatter qu'un semblable sujet inspirera les favoris
des Muses . Chanter un voyage du Grand Napoléon , c'est faire le plus
bel usage des talens qu'on reçut du ciel ; car , en quelque lieu que sa
destinée le conduise , tous ses pas sont marqués par des prodiges ou
desbienfaits .
Prix proposé pour l'an 1813. Ce prix , proposé par laClasse des
Sciences , est destiné au meilleur ouvrage sur la question suivante :
Déterminer la situation et l'étendue des diverses espèces de terrains
qui composent le sol du département de Tarn et Garonne , et la proportion
des substances communément appelées terres qui entrent dans
leur composition , telles que la silice , le quartz , l'argile , le carbonate
de chaux , le talc , le mica , etc. , etc. , abstractionfaite de tout ce qui
appartient directement au règne organisé , dont on indiquera , simplement
et en bloc , la proportion , sans enfaire l'analyse.
LaClasse désire qu'on s'attache àdistinguer les qualités physiques ,
ou même mécaniques , des terres . Entrent-elles dans la composition
des terrains en grandes ou enpetites masses , dures ou friables , inforines
ou cristallisées , etc. , etc.?
La Classe s'attend bien qu'il ne sera pas possible d'entrer , sur la
situation et l'étendue de ces divers terrains , dans des détails minutieux
, mais , à mérite égal , on donnera la préférence au mémoire le
plusdétaillé.
Les mémoires sur la première question pourront être écrits en
français ou en latin; mais les ouvrages qui devront concourir pour les
antres prix , seront écrits en français. Ils seront adressés , francs de
port, au Secrétaire perpétuel , avant le 15 mars de l'année où les prix
devront être délivrés .
*Les Auteurs écriront leur nom dans un billet cacheté , qu'ils joindront
au manuscrit ; ils mettront en tête de leur ouvrage une épigraphe
ou une sentence , qui sera répétée à l'extérieur de ce billet.
Onn'ouvrira que le billet attaclié au manuscrit jugé digne du prix .
Chaque prix sera , suivant l'usage , une médaille d'or portant d'un
côté le type de la Société, et de l'autre le nom de l'Auteur couronué.
TA
POLITIQUE .
1
Les préparatifs pour soutenir la guerre sont poussés sur
toute l'étendue de l'Empire ottoman avec la plus grande
activité : de nouveaux firmans sont expédiés de toutes parts
pour hâter la levée des troupes et leur mise en marche.
Quelques troubles excités à Andrinople , sous prétexte de
ces enrolemens , ont été promptement réprimés par l'extrême
sévérité que le Grand-Seigneur a déployée dans cette
circonstance . Les janissaires ont été réprimés , les plus
séditieux ont péri . Le gouvernement a été secondé dans
cette circonstance par les habitans . La capitale
quille; la fermeté du Grand-Seigneur est parvenue à contenir
les agitateurs ; les principaux ont été forcés de sortir
de la capitale ; depuis ce moment les chefs mécontens du
corps des janissaires gardent le silence .
est tran-
Le nouveau grand- visir est arrivé au camp de Schumla ;
là encore il a trouvé des janissaires séditieux qu'il a traités
avec beaucoup de sévérité ; il a fait sentir à ce corps trop
habitué à se rendre redoutable , que s'il veut conserver ses
droits , ses priviléges et son existence , il doit avant tout
changer de conduite , et se montrer fidèle et discipliné. En
Egypte , le gouvernement ne compte plus d'ennemis parmi les Beys et Mamelucks . Le pacha du Caire les faitinvestir
dans une mosquée au nombre de cinq cents ; aucun
d'eux n'a échappé; il ne peut plus rester aujourd'hui de ce
corps qu'un petit nombre de Mamelucks de la Haute-
Egypte , qui ne peuvent inquiéter le pacha du Caire . Les
préparatifs contre les Wahabis et les progrès de ces derniers
continuent à la fois .
a
L'ambassadeur français à Pétersbourg poursuit sa route ;
il était le 6 mai à Riga : une députation du sénat et de la
chevalerie a été à sa rencontre pour le complimenter . En
Suède et en Danemarck les préparatifs de défense contre la
flotte anglaise , attendue dans la Baltique , continuent avee
ensemble et célérité . Les papiers anglais du 20 élèvent
cette flotte à 17 vaisseaux de ligne , 7 frégates , 12 sloops
et 3 cutters ; elle a été reconnue à Corsoër le 20 mại , tra
versant le grand Belt et cinglant vers le suda les lettres de
424 MERCURE DE FRANCE , -
Copenhague ne la portent qu'à six vaisseaux de ligne ,
12 frégates , 200 bâtimens de commerce. L'amiral Saumarez
est à bord du Victory. Les Anglais savent dans
quelle attitude on les attend ; que la Suède arme avec une
incroyable diligence , que la nouvelle levée ordonnée par
la diète sera complète avant le 1er juillet , qu'elle consistera
en 20,000 hommes , et portera l'armée suédoise effective à
près de 50,000 hommes . Carlscrone sur-tout est mis dans
le meilleur état de défense . D'un autre côté , toute la Poméranie
suédoise et prussienne est en armes ; les côtes y
prennent l'aspect le plus formidable ; les ordonnances de
prohibition absolue de commerce et de communication
s'exécutent avec la plus grande rigueur. Déjà on parle à
Copenhague d'un engagement , à la suite duquel la flottille
danoise aurait pris ddaannss llee grand Belt cinq bâtimens appartenant
au convoi anglais. L'amiral Pellew est commandant
en chefdes forces anglaises dans la Méditerranée .
Les mêmes papiers donnent des nouvelles de la santé
du roi . S. M. s'est rendue , le 19, dans les appartemens
de la réine pour lui faire visite ; c'est la première fois de
puis son indisposition . A midi S. M. a reçu les complimens
et les félicitations des princes de sa maison . Toutefois
on ne pense pas que S. M. puisse jamais reprendre les
rênes du gouvernement. S. M. est presqu'aveugle , et sa
surdité est complète .
La gazette de la cour rend compte du combat naval
livré près de Lissa , entre le capitaine français Dubourdieu
et l'escadre anglaise. Le rapport avoue la perte d'un grand
nombre d'officiers distingués et de marins; le dommage
essuyé par les Anglais a été si considérable , qu'il leur a
été impossible de tenir la mer ; d'autre part , l'Amizade
allant de Lisbonne à Fernambouc a été prise par deux
frégates françaises . Suivant les nouvelles d'Amérique , le
secrétaire d'état américain , M. Smith , aurait perdu sa
place. A Saint-Domingue , dans la guerre que se livrent
les noirs , Petion se serait emparé de Santo-Domingo le
13 février .
Quant à la situation intérieure de l'Angleterre , et particulièrement
celle du commerce , elle devient chaque jour
plus alarmante. Les négocians de Londres ne cessent d'assaillir
les ministres qui prodiguent en vain les promesses .
Ce qui vient de se passer est peu fait pour rétablir la confiance
entre le gouvernement et les gouvernés . Le ministère
a déclaré fausses 32 séries des numéres des billets de
JUIN 1811 . 425
banque d'Angleterre : ce qui occasionne une perte trèsconsidérable
aux porteurs de ces billets . On craint généralementque
le ministère ne s'en tienne pas à ces 32 séries .
La détresse dans laquelle se trouve le gouvernement se
manifeste de toutes manières . Il s'est trouvé par la rareté
du numéraire dans la nécessité de mettre à 5 schellings et
demi les pièces qui étant de 5 schellings , sont déjà beaucoup
au-dessus de leur valeur réelle . Il a vainement cherché
à persuader que le motif de cette hausse était d'empêcher
la sortie de cette monnaie du royaume . Qui serait
tenté de l'exporter? Ne sait-on pas qu'elle se compose de
piastres fabriquées à la Vera-Cruz , à un titre inférieur aux
anciennes , et ensuite mises en Angleterre sous un balancier
à l'effigie du roi Georges ? Par une conséquence de
cette mesure , la guinée est montée à 26 schellings , et déjà
l'on commence à ne pouvoir plus s'en procurer à ce prix.
Ce taux doit l'élever encore par la nécessité où est le gouvernement
de faire acheter l'or sur la place , pour le paiement
des troupes employées en Portugal .
Le 20 mai , la chambre des communes s'est formé en
comité . Le chancelier de l'échiquier a proposé le budget
pour cette année. Les subsides demandés par le gouvernement
s'élèvent à la somme de 49,432,869 livres sterling, àpeu-
près 12 cents millions de France . Au nombre des vues
et moyens indiqués ppour cette année , est l'emprunt de
12 millions sterling. Le rapport du chancelier présente l'état
vraiment curieux des objets sur lesquels s'est étendu le
génie fiscal qui pèse sur l'Angleterre ; il serait difficile de
citer un objet quelconque d'usage habituel qui ne soit pas
soumis à la taxe. Les chapeaux , les gants sont taxés ; et le
chancelier a cru convenable de prévenir que quant aux
habits, vestes , souliers ou culottes de peau , il n'avait pas
jugé nécessaire de les soumettre à l'impôt. L'honorable
chancelier a trouvé de l'augmentation dans tous les produits
; il faut donc qu'ily en ait une bien forte dans les dépenses
, puisqu'il a besoin d'emprunter 12 millons cette
année. Cette contradiction trop sensible a été la base des
débats qui se sont ouverts relativement au budget. Dans
cette discussion , plusieurs orateurs ont mis au grand jour
l'excès des dépenses , l'abus monstrueux du système des
emprunts , l'évidence d'un déficit qui ne peut que s'accroître
d'année en année , et l'imprudence d'un système qui n'a
d'autre base que l'augmentation progressive des taxes
dontle poids déjà insupportable s'agrave encore à mesure
426 MERCURE DE FRANCE ,
que la prospérité de la nation se détruit. Les mêmes raisonnemens
se sont appliqués à l'Irlande dont la dette s'est
accrue des deux tiers , depuis l'union . Les résolutions
proposées par le ministère ont passé .
On reçoit les détails les plus intéressans du voyage de
LL. MM. dans les départemens de la ci-devant Normandie
; par-tout leur passage est à-la-fois marqué par leur
bienfaisance et par l'éclatante expression de la reconnaissance
des peuples .
LL. MM. sont parties de Rambouilletle 22 à cinq heures
du matin. Elles ont dîné à Tubeuf , près de l'Aigle , chez
M. le comte de Lillers , chambellan , et elles sont arrivées
à Caen à onze heures du soir. Sur la route , le préfet de
Chartres , et à Dreux , M. Rotrou le maire de cette ville
qui signale son zèle dans une cité où son illustre aïeul a
si glorieusement péri , ont eu l'honneur d'être admis à présenter
leurs hommages à S. M.
,
Le 25 à quatre heures du matin , l'Empereur est monté
à cheval . S. M. a parcouru toutes les côtes à trois lieues de
Caen , vers l'embouchure de l'Orne . Le prince vice-roi
le ministre de la marine et les inspecteurs-généraux des
ponts et chaussées Syangin et Tarbé accompagnaient S. M.
L'Empereur est rentré à Caen à dix heures du matin.
A six heures S. M. a reçu une députation du collége
électoral du Calvados . Cette députation était composée de
MM. le Forestier de Vandoeuvre , président ; le baron le
Menuet , premier président de la cour impériale; Lafresnaye
Saint-Aignan , membre de la légion-d'honneur; Edouard
Blascher , président du tribunal de première instance de
Falaise; Devallois Saint-Léonard , maire de Falaise ; le
Cordier , sous-préfet de Lisieux ; Lebret du Désert , présidentdu
tribunal de première instance de Lisieux ; Genas
du Homme , maire de Bayeux'; Letellier ; le baron Lamartinière
, ancien général de brigade; Olivier le Chevalier ;
Dufour de Quetteville ; Legoupil.
M. le président de la députation a dit :
« Sire , voir V. M. I. dans cette enceinte , contempler
les traits augustes du plus grand des rois , c'est un bonheur
auquel nous avons peine à croire , quoique nous en ressentions
toute l'ivresse .
» Sire , quelles expressions assez énergiques d'amour et
de reconnaissance pourrions-nous trouver ? Ce peuple dont
Les acclamations vous suivent avec enthousiasme , qui semble
, dans cette grande circonstance , avoir en quelque
JUIN 181t . 427.
sorte abjuré son caractère naturel , et qui croit que ses notables
sauront mieux que lui vous peindre ses sentimens ,
nous accusera d'avoir trompé son attente .
En effet , comment louer dignement ce qui est audessus
de tout éloge ? Comment trouver dans des coeurs si
pleins , letalent de bien dire ce que l'on éprouve avec tant
devivacité?
C'est au milieu de vos Normands , Sire , que nous vous
contemplons; de ces Normands qui n'ont point oublié
qu'ils sont issus des compagnons de Guillaume et qui
jamais n'ont pu rester froids pour tout ce qui fut grand et
héroïque. »
,
S. M. , dans sa réponse , a témoigné sa satisfaction du
bon esprit qu'elle voit régner dans ce département .
Tous les membres du collége ont ensuite été introduits
par arrondissement . L'Empereur s'est entretenu long-tems
avec chacun d'eux. Ils ont eu ensuite l'honneur d'être prosentés
à S. M. l'Impératrice.
Après cette audience , l'Empereur et l'impératrice ont
reçu trente- six dames de la ville .
Toute la journée du 25 a été marquée par des actes de
la munificence impériale et des actes de bienfaisance. De
nombreux jeunes gens des familles les plus distinguées
ont obtenu des sous-lieutenances ; des sommes considérables
ont été accordées pour des secours et des travaux
publics . LL. MM. ont daigné visiter les produits de l'industrie
départementale , et s'entretenir avec les principaux
fabricans .
,
A9heures du soir LL. MM. ont accepté la fête que la
ville leur avait offerte. Trois cents femmes brillantes de
parure garnissaient une salle magnifiquement décorée. Le
bal a été ouvert par le prince vice-roi et la duchesse de
Montebello . S. M. l'Impératrice a daigné danser une anglaise
. L'Empereur a fait plusieurs fois le tour de la salle
en adressant la parole aux dames avec la plus touchante
affabilité . A dix heures et demie LL, MM. se sont retirées
au milieu des acclamations générales . Le bal a continué
jusqu'à quatre heures ; en ce moment toutes les personnes
qui le composaient se sont portées à la hâte sur le chemin
de Bayeux . Là LL. MM. en passant rapidement ont retrouvé
les mêmes hommages qu'au milieu de la fête; toute
la route était couverte d'une innombrable population accourue
des lieux voisins , jettant des fleurs sur le passage
de LL. MM. en les saluant par des cris d'enthousiasme .
428 MERCURE DE FRANCE ,
Le 26 mai LL. MM. sont entrées dans Cherbourg à trois
heures après-midi : immédiatement après leur arrivée ,
elles se sont embarquées , et elles ont visité les forts de la
rade , la digue et les travaux du port Napoléon. Le 27 ,
l'Empereur étant à cheval à quatre heures , en a parcouru
les fortifications , le port marchand et les chantiers . Le
même jour elle a reçu les hommages de toutes les autorités
dudépartement et de la ville , et le lendemain une députationdu
collége électoral de la Manche . S....
PARIS.
Les préparatifs pourles fêtes du baptême du roi deRome
se poursuivent avec la plus grande activité à l'Hôtel-de-
Ville , aux Tuileries , à la place de la Concorde , aux
Champs-Elysées .
Il paraît que l'ouverture de la session du Corps-Législatif
n'aura lieu que le 9 , jour du baptême .
- On attend la publication officielle des nouvelles de
l'armée du Portugal qui , dit- on , annoncent la jonction de
la garnison d'Almeida à l'armée du prince d'Essling , et la
continuation des avantages de la journée du 5 mai .
- Il continue d'arriver à Paris une quantité prodigieuse
d'étrangers qui viennent assister à la cérémonie du baptême.
ANNONCES .
Cours complet ou Dictionnaire universel d'agriculture pratique ,
d'économie rurale et domestique , et de médecine vétérinaire ; par l'abbé
Rozier : ouvrage dont on a écarté toute théorie superflue , et dans
lequel on a conservé les procédés confirmés par l'expérience et recommandés
par Rozier, par M. Parmentier et les autres collaborateurs
que Rozier s'était choisis. On y a ajouté les connaissances pratiques
acquises depuis la publication de son ouvrage. Nouvelle édition , corrigée
et augmentée , par MM. Sonnini , Tollard ainé , Chabert , Fromage
de Feugré , Heurtault- Lamerville , Lombard , Chevalier , et
autres cultivateurs propriétaires . Six vol. in-8º de 3565 pages , avec
le portrait de Rozier , celui de M. Parmentier , et 30 planches gravées
en taille-douce. Prix , 42 fr . brochés , et 54 fr . franc de port. Chez
F. Buisson , libraire , rue Gilles- Coeur , nº 10; et chez D. Colas , imprimeur-
libraire , rue du Vieux-Colombier , nº 26, faub. Saint-Ger
main.
JUIN 1811 . 429
Géographie moderne , rédigée sur un nouveau plan , ouDescriptions
historique , politique , civile et naturelle des Empires , Royaumes ,
Etats, et leurs Colonies , avec celle des Mers et des Isles de toutes les
parties du Monde; par J. Pinkerton et C. A. Walckenaer , revue ,
corrigée et considérablement augmentée , principalement d'articles
sur les langues , par L. Langlès , membre de l'Institut , conservateur
des manuscrits orientaux , etc. Précédée d'une introduction à la gécgraphie
mathématique et critique , et à la géographie physique, ornée
de cartes et planches , par S. F. Lacroix , membre de l'Institut etde
la Légion-d'Honneur, etc.; suivie d'un précis de géographie ancienne
, par J. D. Barbié du Bocage, membre de l'Institut, professeur
degéographie et d'histoire à l'Université impériale, etc.; accompagnée
d'un atlas grand in- folio , dressé par P. Lapie , ingénieur-géographe ,
d'après les autorités les plus récentes ; avec une liste des meilleurs
cartes et livres de voyages. Tome Ier , in-80. Prix , avec les cartes en
noir grand in-folio , 11 fr. , coloriées , 12 fr.; pap. vélin superfin ,
dont il y a très-peu d'exemplaires , prix double. Chez J. G. Dentu
imprimeur-libraire , rue du Pont-de-Lodi , nº 3 ; et Palais-Royal ,
galeries de bois , nos 265 et266.
,
Ce volume sera bientôt suivi d'un second qui contiendra l'Asie jusqu'à
l'Empire des Brimans , avec les cartes des différens pays décrits
dans cette seconde livraison .
Le même libraire vend séparément , d'après la demande des instituteurs
et des élèves , l'Introduction à la Géographie Mathématique et
Critique et à la Géographie Physique ; par M. Lacroix. Ce volume
est accompagné de belles cartes ; savoir : avec les cartes en noir ,
9 fr.; avec les cartes coloriées , to fr.; avec les mappemondes grand
in-folio , 12 fr .
Il faut ajouter 5 fr . pour recevoir , franc de port , chacun de ces
volumes.....
Ve et VIe cahiers de la quatrième souscription , ou XLIe et XLII
de la collection des Annales des Voyages , de la Géographie et de
'Histoire , publiées par M. Malte-Brun.. Ces deux cahiers contiennent
deux planches gravées en taille-douce , dont une coloriée ,
avec les articles suivans : Description de la ville de Stabræk , dans la
Guyane, traduite de l'anglais par Mme Bolly ; - Notice historique
sur Aboul-Fédâ et ses ouvrages , par M. Am. Jourdain ;
tatouage en général , et particulièrement sur celui des insulaires de
Noukahiva; - Mémoire sur les Ismaélis et les Nosaïris de Syrie ,
adressé à M. Sylvestre de Sacy par M. Rousseau , consul-général de
France , à Alep ; -Sur une coutume de Madagascar , dont parle
-Sur le
430 MERCURE DE FRANCE ,
>
Flacourt ; par M. E. Colin ,de l'Ile-de-France ; -Description des
amontagnes de Tingar , dans l'ile de Java; par M. Leschenault de la
Tour;-Détails sur l'état actuel de la Chine , extraits du voyage autour
du monde' , par M. de Krusenstern; - Extrait de la relation du
Maroc , par M. Jackson ,de la relation du lord Valentia et d'autres
ouvrages.- Lettre sur une nouvelle carte de la principautéde Neufchâtel
, par M. d'Osterwald;- Réponse à la diatribe de J. G. Den-
41. Chaque mois , depuis le rer septembre 1807 , il paraît un cahier
de cet ouvrage , de 128 ou 144 pages in-8º, accompagné d'uneestampe
ou d'une Carte géographique , quelquefois coloriée. Les première ,
deuxième ét troisième souscriptions ( formant 12 volumes in-8º avre
36 cartes ou gravures ) sont complètes , et coûtent chacune 27 fr. pour
Paris, et 33fr. frane de port. Les personnes qui souscrivent en
même tems pour les quatre souscriptions , payent les trois premières
3 fr. de moins chacune. Le prix de l'abonnement pour la quatrième
souscription est de 27 fr . pour Paris , pour 12 cahiers. Pour les departemens,
le prix est de 33 fr. pour 12 cahiers , rendus francs de
port par la poste. L'argent et la lettre d'avis doivent être affranchis et
adressés à Fr. Buisson , libraire-éditeur , rue Gilles-Coeur , nº 1o , à
Paris.
Manuel des propriétaires ruraux et de tous les habitans des campar
gues , on Recueil , par ordre alphabétique ,de tout ce que la loi permet
, défend ou ordonne dans toutes les circonstances de la vie et des
opérations rurales. On y a joint tout ce qui a rapport aux bois et
forêts , à la chasse, à la pêche , aux étangs et aux constructions rurales.
Avec des modèles et formules de baux, loyers , procès-verbaux et
autres actes usités à la campagne dans différens cas. Par C. S. Sonnini,
ancien collaborateur de l'Histoire naturelle de Buffon et du
Cours d'Agriculture , membre de plusieurs sociétés savantes . Seconde
édition , revue , corrigée et augmentée d'après les nouveaux codes
les avis du conseil-d'état , les lois , decrets impériaux , etc. Un vol .
in- 12 de 360 pages . Prix , 3fr . broché , et 3 ff. 75 c. franc de port.
Chez le même .
:
Mélanges de Littérature , d'Histoire, de Morale et de Philosophie,
contenant : de l'Egoïsme ; Anecdotes inédites de la Vie privée de
Pierre-le-Grand ; le Premier des Mérites est celui d'être heureux ;
delaProportion des peines aux délits ; de la Noblesse ; desErreurs de
J. -J.-Rousseau en politique ; sur la Russie ; sur la Suisse; de certaines
opinions; Essai sur le Bonheur; de laPoésie etdes Vers; de la Musique
dramatique et vocale; Eloge de J.-J.-Rousseau ; de Rousseau
JUIN 1811 . 431
et des Philosophes du dix-huitième siècle; de l'Imprimerie et des
Livres ; de la Supériorité du dix-huitième siècle; de la Critique et des
Journaux ; un article de Journal , par le professeur Leuliette ; par
François - Louis , comte d'Escherny , ancien chambellan de S. M. le
roi de Wirtemberg . Trois vol. in-12 de 1162 pages , caractère philosophie.
Prix , 6 fr . , et 8 fr . franc de port. Chez Bossange et Masson
rue de Tournon ; et chez Schell , rue des Fossés- Saint- Germainl'Auxerrois
, nº 29.
,
Formulaire général des actes ministériels , extrajudiciaires et de procédure
, impérieusement commandés par les Codes Napoléon et de Procédure
, pour l'instruction et la suite des actions à intenter en justice ,
ou pour l'exécution des jugemens des tribunaux , et des actes de juridiction
volontaire , susceptibles d'exécution sans intervention du juge :
le tout absolument conforme aux diverses dispositions de ces codes ,
pour tous les cas distincts et séparés où ces actes doivent avoir lieu.
Par A. G. Daubanton , licencié en droit , ex-juge , suppléant de juge
de paix à Paris , auteur des Dictionnaires des Codes Napoléon, de
Procédure , et autres ouvrages . Seconde édition , revue , corrigée et
augmentée de toutes les lois , décrets impériaux , avis du Conseild'Etat
, circulaires et décisións des ministres , relatifs aux Codes Napoléon
et de Procédure , postérieurs à leurs promulgations . Un vol.
in-8º de 590 pages . grand format. Prix , 8 fr . broché, et 10 fr. franc
de port . Chez F. Buisson , libraire , rue Gilles - Coeur , nº 10.
Précis historique des derniers événemens de la partie de l'Est ce
Saint-Domingue , depuis le 10 août 1808 ,jusqu'à la capitulation de
Santo-Domingo . Avec des notes historiques , politiques et statistiques
sur cette partie ; des Réflexions sur l'Amérique septentrionale , et des
considérations sur l'Amériqué méridionale , et sur la restauration de
Saint-Domingue. Dédié à S. Exc. Mgr. le vice-amiral Decrès , ministre
de lamarine et des colonies, grand-aigle et chef d'une des cohortes
de la Légion-d'Honneur, etc. Par M. Gilbert Guillermin , chef
d'escadron attaché à l'état-major. Un vol. in-8º de 500 pages , orné
du portrait du général Ferrand , d'une vue de l'ancien palais de Christophe
Colomb , et d'une carte des positions, respectives des deux
armées. Prix , 6 fr. , et 7 fr. 50 c. frane de port. Chez Arthus-Bertrand,
libraire , rue Hautefeuille , nº 23.
)
Σ
De l'influence des femmes sur la littératurefrançaise , comme pro..
rectrices des lettres et comme auteurs , ou Précis de l'histoire des
fensmes françaises les plus célèbres ; par Mme de Genlis . Un vol . in-8º.
Prix, broché , 6 fr. , et7 fr . franc de port. Chez Maradan , libraire ,
rue des Grands-Augustins , nº 5 .
432 MERCURE DE FRANCE , JUIN 1811 .
Traitécomplet de la culture ,fabrication et vente du tabac , d'après
les procédés pratiqués dans la Pannonie , la Virginie , le Danemarck ,
l'Ukraine , la Valteline , la Guianefrançaise , et ci- devant dans la
Guyenne. Ouvrage orné de six planches en taille-douce , parun ancien
cultivateur . Un vol in-8°. Prix , 5 fr. , et 7 fr . franc de port. Chez
Arthus-Bertrand , libraire , rue Hautefeuille , nº 23 .
Nota. On a joint à cet ouvrage d'autres objets d'économie rurale ,
qui, réunis ou substitués au tabae , en rendent la culture encore plus
utile aux propriétaires , et très- intéressante pour l'Etat .
Du Cotonnier et de sa culture , ou Traité sur les diverses espèces de
cotonniers , sur la possibilité et les moyens d'acclimater cet arbuste en
France , sur sa culture dans différens pays , principalement dans le
midi de l'Europe , et sur les propriétés et les avantages économiques ,
industriels et commerciaux du coton; par M. Ph. de Lasteyrie . Un
vol. in-8° , avec trois planches gravées en taille-douce. Prix , 6 fr . ,
et 7 fr. 50 c . franc de port. Chez Arthus-Bertrand, libraire , rue Hautefeuille
, nº 23 .
Le Paradis , poëme du Dante , traduit de l'italien , précédé d'une
introduction et de la vie du poëte ; suivi de notes explicatives pour
chaque chant , et d'un catalogue de 80 éditions de la Divine Comédie
de cet auteur. Par un membre de la Société royale de Gættingue et
de l'Académie de Cortone. Un vol. in-8° , avec une planche gravée
représentant le voyage de l'auteur en paradis, en passant d'une planète
dans l'autre . Prix , 6 fr . , et 7 fr. 80 c. frane de port ; papier vélin
12 fr . , et 13 fr . 80 c. franc de port. A Paris , chez Arthus -Bertrand,
libraire , rue Hautefeuille , nº 23 ; Treuttel et Würtz , libraires , rue
de Lille , nº 17 , et à Strasbourg , même maison de commerce .
Bulletin de la Société d'Encouragement pour l'industrie nationale ,
publié avec l'approbation de S. Exc. le ministre de l'intérieur.
IX. ANNÉE. - Un vol. in-4º de 370 pages , orné d'un grand nombre
de planches gravées en taille-douce. Prix , 9 fr. , et 12 fr. frane de
port. Chez Mme Huzard , imprimeur- libraire , rue de l'Eperon -Sainte
André-des -Arcs ; M. Guillard Lenainville , agent de la Société d'encouragement
, rue du Bac , nº 42 ; et chez Arthus -Bertrand , libraire ,
rue Hautefeuille , nº 23 .
On trouve aux mêmes adresses la collection complète du Bulletin,
formant 9 volumes in-4º , avec planches. Prix , 72 fr . , et 94 fr. franc
de port. Chaque année se vend séparément , 9 fr ., à l'exception des
Ire, 2e et6e, qui coûtent 6 fr. chacune.
:
Le Tome V de l'Histoire de France pendant le dix-huitième siècle,
par M. Charles Lacretelle , et le tome III du Précis de la Géographie
universelle, par M. Malte-Brun , doivent être mis en vente le 15 de ce
mois.
TABLE
MERCURE
DE
FRANCE .
N° DXVI
Samedi 8 Juin 1811 .

POÉSIE
LA NAISSANCE DU ROI DE ROME.
Ode qui aremporté le premierprix à l'Académie des Jeux
Floraux.
EN nuage embaumé , l'encens vole et s'exhale ;
L'autel s'orne de fleurs ; la cloche baptismale
A promis à la terre un habitant nouveau ;
Quel est ce jeune enfant que Lutèce contemple?
Et sous les portiques du temple
Quelle voix a chanté les hymnes du berceau?
i
Tout-à- coup l'air frémit , l'airain s'allume et gronde :
Aux pieds du fils des Rois , tombent les Rois du monde ;
De ses futurs destins le ciel même étonné ,
Se décore pour lui d'une étoile nouvelle ,
Et de la splendeur paternelle ,
Son berceau triomphant repose environné.
La gloire avec amour protége son enfance ;
Tout prêts à s'immoler pour sa noble défense ,
Les braves devant lui balancent leurs drapeaux ;
uroa fr out divin posant le diadême ,
Ee
DEPT
DE
LA
5.
cen
SE
434
MERCURE DE FRANCE ,
1
DéjàNapoléon lui-même ,
Entre ses bras vainqueurs le montre à ses héros.
Tel un aigle , quittant sa roche hospitalière ,
Emporte ses aiglons dans les champs de lumière .
Fier , il les accoutume à l'empire du ciel ,
Et traversant des airs la voûte étincelante ,
Les montre à la foudre brûlante ,
Qui doit être soumise à leur vol immortel .
.
Salut , fils de César ! une reine attendrie
Auprès de ton berceau retrouve sa patrie ,
Et promène autour d'elle un regard triomphant ;
Ace luxe orgueilleux , ces pompes , ces offrandes ,
Elle préfère les guirlandes ,
Qui parfument la couche où dort le jeune enfant.
Du plus granddes héros la sagesse profonde
Se repose sur toi de l'avenir du monde.
Asa famille immense il promet ton appui;
Son immortalité sur ta tête rayonne ;
Et déjà la gloire s'étonne
De tresser des lauriers pour un autre que lui .
Oh! quels joyeux concerts ont enchanté nos rives !
Fuyant à ce signal , vers ces flottes craintives ,
Le monstre d'Albion s'enveloppe de deuil ;
Etde son long sommeil encor toute irritée ,
Rome antique ressuscitée ,
Pour saluer son roi , s'élance du cercueil.
Filsde Napoléon , sois fier de ta conquête ,
Dit-elle; devant toi je viens courber ma tête :
Le Dieu dont je descends ne m'abandonne pas ,
Il m'appelle , il me rend à ma splendeur première ;
Un diadême de lumière
Ecarte de mon front les ombres du trépas.
Sais-tu quel fut mon sort ? .... La superbe Ausonic
Avu le monde entier soumis à mon génie ;
J'imprimai ma grandeur à cent peuples divers ;
Etlorsque d'Attila les cohortes sauvages
Eurent asservi ines rivages ,
Mon astre en s'éteignant obscurcit l'univers.
JUIN 1811 . 435
Mille ans sont écoulés et je reprends monglaive;
Avec tout son orgueil mon destin se relève.
Lutèce , dont la main pèse le sort des rois ,
Enm'adoptant pour soeur , me prête son tonnerre ,
Et sur les princes de la terre
Deux Romes désormais régneront à-la-fois.
La gloire les unit , leurs aigles fraternelles
S'élanceront ensemble aux voûtes éternelles ,
Grâce au fameux vainqueur de l'Elbe et de Memphis ,
La victoire superbe , et dont il est l'idole ,
S'assied encore au Capitole :
J'avais perdu mes Dieux , il me donne son fils.
Viens , monjeune héros , visiter ton Empire :
Unprintems inmortel s'apprête à te sourire ;
Les arts vont sur tes pas secouer leur flambeau ;
Aton aspect le Tibre inclinera sonurne ,
Ettriomphant du vieux Saturne ,
Le trône des Césars deviendra ton berceau .

ALEX. SOUMET , auditeur .
LA FRANCE CONSOLÉE.
1
DE SUR LA NAISSANCE DE S. M. LE ROI DE ROME.
SUR son trône éclatant de richesse et degloire ,
Entouré d'étendards conquis au champ d'honneur ,
Et soutenu par la victoire ,
La France réposait sous son aigle vainqueur :
Etcette Reine belliqueuse ,
Florissante , majestueuse ,
Lefrontceintdes lauriers cueillis par son héros ,
D'une voix pleine d'harmonie ,
Exhalait sa mélancolie
Etdeses vastes champs attristaît les échos.
• Naguère encore , hélas ! mes rives ravagées,
> Sans espoir , gémissaient de leur affreux destin;
> Et , dans mes villes saccagées ,
► La Discorde faisait un horrible festin :
› Mon trône frappé de la foudre ,
> Etmes autels réduits en poudre ,
Ee a
436
MERCURE DE FRANCE ,
> Navraient mon triste coeur , affligeaient mes regards ;
» Je succombais à mes alarmès ,
› Si le Ciel , touché de mes larmes ,
> N'eût fait naitre pour moi le plus grand dés Césars .
> Il parut .... et soudai la Discorde punie
> Fut le premier bienfait de son bras tout puissant ;
>
» Mon empire , par son génie ,
S'affermit . et brilla d'un éclat imposant ;
» Ses mains , à vaincre toujours prêtes ,
> Surent , par de nobles conquêtes ,
› Agrandir mes Etats . illustrer mes héros ;
› Et par des lois régulatrices ,
› Bienfaisantes et protectrices ,
>Vinrent de mes enfans assurer le repos .
› Hélas! pourquoi faut-il qu'un génie intrépide
> Soit comme le vulgaire en proie aux lois du sort
> Et que le tems , d'un vol rapide ,
› Amène aussi pour lui l'inévitable mort ? ....
• O ciel ! exauce ma prière !
> Daigne éterniser la carrière
→Du héros fondateűr de ma prospérité !
> Et dans l'immensité des âges.
> Repousse tes jours de ravages ,
> Tes jours de désespoir et de calamité !
> Que deviendraient sans lui mes hautes destinées?
> Quelles mains soutiendraient mon sceptre glorieux ?
> Et. des discordes déchaînées ,
> Qui pourrait étouffer les serpens odieux ?
> Quel serait le moderne Alcide
» Qui , me couvrant de son égide ,
➤ Guiderait en tous lieux mes guerriers triomphans ?..
> Grand Dieu , par ta bonté suprême ,
> Viens protéger mon diadême ,
• Et me faire braver l'iniquité des tems ! »
Elle exbalait ainsi les craintes de son ame ,
Etdes torrens de pleurs inondaient ses beaux yeux...
Soudain l'atmosphère s'enflamme ,
Et vers elle descend un envoyé des Cieux ;
Elle reconnait le Génie
Quidans les champs de l'Ausonie
JUIN 1811 . 437
Avait guidé les pas de nos vaillans héros :
Il s'approche de l'immortelle ,
Et sa voix douce et solennelle
Pour rassurer son coeur fait entendre ces mots :
France , console-toi , je veille sur ta gloire ;
> C'est moi qui dirigeai Napoléon- le -Grand :
› Les Dieux ont fixé la victoire,
> Le bonheur , la sagesse , à son char triomphant :
» Les inconcevables merveilles
> De ses laborieuses veilles ,.
→ Surpassent le pouvoir qu'ils donnent aux humains ;
> Toujours leurs bontés paternelles
➤ Le comblent de faveurs nouvelles :
› Respecte leurs décrets et connais tes destins.
1
> Ton héros immortel et son épouse auguste
> Auront un noble fils , digne objet de tes voeux ;
> Il sera grand , il sera juste ,
> Et le père adoré de cent peuples heureux :
> Pour soumettre à ses lois la terre ,
> Il héritera du tonnerre ,
> Et ne s'en servira que contre les forfaits :
> Tous ses jours , vainqueurs de l'envie ,
> Seront marqués par le génie ,.
› Et par le souvenir de ses nombreux bienfaits.
› Tu resteras toujours grande et majestueuse ;
› Tu tiendras le haut rang parmi les nations ;
> Et d'une voix harmonieuse
> Les Muses chanteront tes mâles actions、
> Sous cette illustre dynastie ,
> Ta gloire toujours rajeunie ,
> Domptera , dans leurs cours , et la mort et le tenis ;
> Et par les bienfaits de Cybelle ,
> Dans une abondance éternelle ,
› Tes peuples jouiront d'un éternel printems ! »
Il dit , et ce discours a consolé la France ;
L'allégresse et l'amour brillent dans tous ses traits ;
Près d'elle sourit l'Espérance ,
Qui lui montre du doigt le bonheur et la paix ....
Salut! rejetond'un grand homme !
Salut! auguste roi deRome !
:
438
MERCURE DE FRANCE ,
Tonjeune esprit bientôt va lire dans nos coeurs :
Contens . joyeux , de ton aurore ,
Tes peuples le seront encore
De semer àjamais ta carrière de fleurs .
Par J. M. MOSSÉ,
Auteur d'une Ode sur le mariage de LL. MM. (*) , de plusieurs
autres Odes nationales , et de divers ouvrages .
CONTRE - ÉNIGME.
D'UNE énigme . pour l'ordinaire ,
On invite à chercher le mot.
Ici le cas est tout contraire ;
Ondit le mot d'avance , et ce qui reste à faire
Consiste à l'expliquer. Lecteur , c'est votre lot .
Notre langue est , parfois , bizarre et mensongère.
En voulez -vous un exemple frappant ?-
Je connais dans le monde un père , un fils , un frère ,
Tous trois fort laids , mais laids d'une laideur amère ,
Si laids qu'ils font peur.Cependant ,
Chacun d'eux est dit beau. Pourquoi done ? je l'ignore ,
Je le demande en vain : personne encore
Ne m'a , sur ce point , éclairci.
Ils ont , de par la loi , pour eux , dit-on , l'usage ;
Ondoit absolument les appeler ainsi ;
Le mot est consacré.-Mais c'est un persifflage ;
Undroit peut- il jamais être un outrage?
Il est toujours honteux d'avoir menti. -
S'il est des beaux, il est aussi des belles ;
Ce qu'on dit d'eux , on peut le dire d'elles .
Chaque sexe , à son tour , est plus ou moins chanceux.
On remarque , en effet , dans plus d'une famille ,
Aussi gratuitement , ce titre officieux
Se conférer à mère , soeur , ou fille.
Sans doute tout le monde sait
Ce que belle et beau veulent dire
Dans le sens naturel , que la langue leur fait :
Mais le sens figuré quelquefois nous faitrire.
(*) Voyez leMercure du 3 novembre 1810.
JUIN 1811 . 439
Il semble qu'on dirait non moins pertinemment ,
Ou , si l'on veut , incongrûment ,
Beau chancelier , beau président.
Le mot beau pourrait donc remplacer le mot vice ?
Est-ce par règle ou par caprice ?
- Qu'importe ? dès qu'ainsi l'usage le prétend.
Telle est sa volonté suprême ,
Et qui le contredit est digne d'anathême.
L'usage , je le sais , est très-impérieux ;
Mais , ridicule ou sérieux ,
Chaque usage a son origine.
Quelle est celle de celui-ci ?
Il ne me paraît pas aisé qu'on la devine.
Jen'y comprends rienjusqu'ici.
Ma curiosité ne sert qu'à me confondre .
On voit peu d'embarras se comparer aumien.
Qui le pourra , je l'engage à répondre.
Avous encor , lecteur , je m'en rapporte bien :
Et pour faciliter la chose ,
Ma question , quoiqu'en vers , peut se résoudre en prose .
JOUYNEAU-DESLOGES . ( Poitiers . )
Lapièce qu'on vient de lire , a pour objet , ainsi qu'on le voit , de
savoir sur quel principe ou sur quel motif arbitraire , la loi et l'usage
donnent la qualification de beau père au second mari d'une veuve qui
a des enfans du premier lit ; et ainsi des autres titres d'alliance , soit directe, soit collatérale , du même genre. On conviendra que la discussion
de cette question présente un certain intérêt.
LOGOGRIPHE .
AMI lecteur , si tu me décomposes
De mes cinq pieds, prend cinq fois le total ,
Tu trouveras mes cinq métamorphoses ,
Ce qui sur-tout me rend original .
Lorsque je suis dans les mains d'une dame ,
Je sers souvent à cacher mainte flamme;
Pour conserver la vie aux animaux ,
C'estmoi quimets à couvert leurs cerveaux :
On n'aime point , sur les meilleures tables ,
Nimon odeur , ni mon goût détestables;
440 MERCURE DE FRANCE , JUIN 1811 .
Leplus souvent on me jette dans l'eau ,
Pour garantir du danger un vaisseau ;
Enfin je suis un mauvais coquillage ,
Mais excellent à faire un bel ouvrage.
Par un Abonné de Lunel.
CHARADE .
D'UNE conjonction je forme mon premier ,
Elle motive et l'effet et la cause .
Pour mon second , c'est une chose
Qui qualifie au singulier
Ce qui de nos Jean Bart illustra la mémoire ,
Etqui nous comblera d'une nouvelle gloire.
Au total , j'aime le fracas ,
Etla danse , et la bonne chère ;
Lemaigre n'est pas mon affaire ;
Point d'hiver où je ne sois pas .
Par M. R. DUFAU DE MOULIS .
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARADE
insérés dans le dernier Numéro .
Le mot de l'Enigme est l'Eristence .
Celui du Logogriphe est Andouillette , où l'on trouve : dent , lait,
hit, onde, tein, lie , dette , étuit , lent , lunète , Dieu, oui , date et nuit.
Celui de la Charade est Loup-garou.
SCIENCES ET ARTS .
Versailles , de
MÉMOIRES DE LA SOCIÉTÉ D'AGRICULTURE DU DÉPARTEMENT
DE SEINE ET OISE . - 1809 et 1810 .
l'imprimerie de la Préfecture.- Deux volumes in-8° .
On ne croira pas sans peine que ces Sociétés d'Agriculture,
qui , chaque jour , se multiplient dans les départemens
, ont trouvé des antagonistes qui déprécient
leurs travaux , méconnaissent leur utilité . Il est des
hommes que toute institution nouvelle offense , quand
toutefois ils n'en sont pas les créateurs . Qui pourrait nier
cependant les avantages que procurent ces réunions où
chaque membre vient apporter à la masse commune le
tribut de ses observations particulières , où l'on propose
des essais à faire , des découvertes à vérifier , où l'objet
des travaux , enfin , est l'intérêt général , la prospérité
publique ?
Nous avons sous les yeux deux volumes des mémoires
de l'une de ces Sociétés , et nous croyons que , ces deux
ouvrages à la main , on répondrait victorieusement à
toutes les objections faites et à faire contre ces utiles
institutions . Ce sont , à la vérité , les mémoires de la
société d'agriculture d'une commune voisine de la grande
cité ; et l'on pourrait répliquer que plongée , pour ainsi
dire , dans les rayons de ce foyer de lumières , il n'est
pas étonnant que cette société participe à l'éclat qu'il
répandau loin : mais il nous serait facile de citer dans les
départemens un grand nombre d'autres réunions du même
genre dont les travaux sont aussi remarquables , dont
les membres n'ont ni moins de connaissances , ni moins
de zèle. Que la critique se contente donc de lancer les
traits du ridicule , de s'acharner sur ces petites académies
littéraires où l'on rencontre , en effet , parfois (bien que
442 MERCURE DE FRANCE ,
nous reconnaissions du mérite et des talens modestes
dans un assez grand nombre ) d'excessives prétentions et
même un peu d'orgueil , avec beaucoup d'incapacité ;
mais qu'elle respecte les Sociétés d'agriculture . Les moins
célèbres , les moins laborieuses , ne sont pas même sans
aucune utilité .
La cause que nous défendons a été soutenue avec
bien plus de force et de talens par le respectable administrateur
qui , en 1809 et 1810 , était préfet du département
de Seine et Oise , et qui est aujourd'hui directeur-
général des mines ( M. le conseiller-d'Etat comte
de Laumond ) . Il présidait en 1809 la Société d'Agriculture
du département ; et , en cette qualité , il prononça,
dans la séance publique du 18 juin , un discours où l'on
trouve réunies les vues profondes de l'administrateur à
la plus douce philanthropie. Sondiscours est , pour ainsi
dire , un commentaire aussi juste qu'éloquent du passage
si connu de Cicéron : Omnium rerum ex quibus
aliquid acquiritur , nihil est agricultura melius , nihil
dulcius , nihil uberius , nihil homine libero dignius .
Voyons comment l'orateur répond à ces hommes inconséquens
, qui , échos fidèles des adversaires des Sociétés
savantes , rejettent avec une espèce de dédain toute
théerie en agriculture : « Déjà la raison a fait justicedes
>>préventions qui retardaient en France l'étude de la
>>théorie trop long-tems négligée : en vain la légèreté
>>qui n'approfondit rien , et la timide indolence qui
>> recule avec effroi devant toutes les idées de perfection-
>>nement , se sont réunies pour décrier l'enseignement
>> et la méthode , en vantant avec affectation les avan-
>> tages , non contestés , de l'habitude et de la pratique.
>>>L'esprit d'observation a triomphé ; il ne respectera plus
>> le sommeil de la routine, et le mot d'innovation ne sera
>> plus un blasphème , lorsqu'une sage innovation , lors-
>> qu'une vérité utile seront offertes à l'homme pour lui
>> apprendre à bien connaître le domaine que la nature
>> lui a légué , et dont l'usufruit a une duréę si courte et
>> si incertaine . >>>
Nous pourrions appuyer par des preuves de fait ces
JUIN 1811 . 443
observations si justes en faveur de la théorie , lorsqu'elle
est éclairée. Il esttels propriétaires que nous nommerions ,
sans la crainte deleur déplaire, qui depuis trois ou quatre
années qu'ils vivent dans leurs domaines , ont acquis par
la seule inspection des procédés employés par leurs fermiers
, plus de connaissances en agriculture que n'en
posséderont jamais ces fermiers eux-mêmes , qui seraient
en état de leur donner les conseils les plus utiles , qui ont
vu les vices des méthodes usitées dans leur pays et y ont
substitué avec le plus grand avantage , ou des méthodes
employées ailleurs , ou celles que leur ont indiquées les
plus simples raisonnemens .
Mais passons à un autre discours du même orateur ,
prononcédans la séance du 8 juillet 1810. Magistrat , il
devait, cette fois , récompenser , au nom du gouvernement
, par le don de deux médailles , deux citoyens du
département de Seine et Oise , qui avaient puissamment
contribué à la propagation de la vaccine. L'éloge du
docteur Jenner , auteur de la découverte de ce préser
yatif contre un des plus grands fléaux de l'espèce humaine
, venait se placer naturellement sous la plume de
l'écrivain. On ne pouvait, à notre avis , célébrer plus
dignement cet illustre étranger .
« Si son pays s'enorgueillit de l'avoir vu naître , dit
M. le comte de Laumond , tous les peuples le considèrent
comme s'il était né parmi eux .
>> Revêtu d'un caractère inviolable , il pourrait avec
sécurité aborder tous les continens ; partout il trouverait
une terre amie et hospitalière .
>> Et quelle est , Messieurs , la contrée assez barbare
pour repousser le bienfaiteur des hommes ?
>> Quel peuple civilisé assez peu jaloux de sa dignité
pour lui refuser les hommages d'une vive reconnaissance
?
>> Pour nous qui vivons sous les lois d'un souverain ,
modèle de tous les genres de gloire , nous connaissons
déjà l'accueil que doivent se promettre, dans ses Etats ,
ceux que leors talens , leurs vertus ou leur bienfaisance
recommandent à lamémoire des siècles . >>>
444 MERCURE DE FRANCE ,
Sans doute nos savans français professent ces sentimens
d'admiration et de reconnaissance envers l'inventeur
de la vaccine , puisque le docteur Jenner vient
d'être élu tout récemment associé étranger de la première
classe de l'Institut.
L'un des deux habitans du département de Seine et
Oise , zélés propagateurs de la vaccine , que M. le comte
de Laumond avait à récompenser dans la séance de 1810,
était M. Goguet , curé de Ballainvilliers . Nous ne pouvons
passer sous silence le portrait suivant que l'orateur
trace de l'un de ces pasteurs auxquels l'irréligion ellemême
est forcée de rendre hommage.
« Il n'est personne de nous qui n'ait eu quelquefois le
bonheur de rencontrer dans les campagnes quelques-uns
de ces pasteurs vénérables , aussi simples par leurs
moeurs que grands par la sublimité de leurs fonctions;
généreux au sein des privations ; instruits de tout ce
qu'il est utile de savoir , mais ne communiquant leur
savoir à l'ignorance que selon le besoin , et comme ils
distribuent leurs aumônes ; agriculteurs sans propriétés ;
médecins sans aphorismes ; pharmaciens ou botanistes
formés par les seules inspirations de la charité ; conciliateurs
nés de tous les différends , jugeant les procès
d'après le code de l'Evangile ; enfin de ces hommes
connus sous le titre modeste de curés de villages , et que
la Providence délègue quelquefois dans l'obscurité des
hameaux , d'où elle ne les tire que lorsqu'il convient à
ses desseins de les produire au grand jour , pour augmenter
, par leur exemple , le nombre de leurs imitateurs.
>> Tel est , Messieurs , le caractère que le desservant
de la petite succursale de Ballainvilliers a pris pour
modèle : etc. , etc. » .
Nous quittons à regret les discours de M. le comte
de Laumond ; mais nous devons un coup - d'oeil aux
autres productions que contiennent les deux volumes
de mémoires que nous annonçons dans cet article .
Entre autres mémoires importans , la collection de
1809 nous en offre un de M. de Cubières sur le cyprès
JUIN 1811 . 445
de la Louisiane , cupressus disticha . Ce mémoire ne laisse
rien à désirer sur les moyens de cultiver en France cet
arbre encore rare , et dont l'emploi pourrait être utile
à l'agriculture et dans les arts . Le même auteur a publié,
dans le volume de 1810 , une notice non moins intéressante
pour les botanistes et les cultivateurs sur le magnolia
auriculata , très-bel arbre , remarquable par la
grandeur de ses feuilles et par ses fleurs , mais dont l'utilité
est moins démontrée .
Nous mentionnerons aussi comme dignes d'attention ;
un mémoire de M. Valois , sur le tournis des moutons ,'
et des expériences de MM. Lamayran , médecin , Labbé,
propriétaire , Robert , Le Roux et Fremy , pharmaciens ,
sur l'écorce du marronier d'inde . On se rappelle que l'on
avait annoncé avec éclat cette écorce comme unpuissant
fébrifuge . Il résulte des expériences chimiques et médicales
faites par les membres de la Société ci-dessus désignés
, que « l'écorce du marronier ne contenant pas de
résine , ne contenant pas de kinate de chaux , et ne décomposant
pas l'émétique , differe absolument du quinquina;
» Que sa nullité dans les fièvres continues doit faire
rejetter tout essai dans les fièvres putrides , ataxiques et
pernicieuses ; qu'il ne faut guères dans les fièvres intermittentes
en attendre d'autres effets que ceux qu'on obtient
assez généralement de tous les amers . >>>
Nous avons trouvé de l'intérêt et des observations
neuves dans deux mémoires de M. Féburier , l'un contenant
un précis de l'histoire naturelle des abeilles , l'autre
des observations sur les fausses teignes ou gallerias de la
cire , et sur les moyens de préserver les ruches de ces
insectes destructeurs . Nous ne pouvons trop recommander
ce dernier mémoire dans un moment où l'on est
ramené , presque forcément , à la culture des ruches
qui n'avait jamais été abandonnée , il est vrai , mais qui
était plus négligée qu'elle n'aurait dû l'être par les agriculteurs
.
Enfin , nous devons des éloges à M. Carron , secrétaire
perpétuel de la Société d'Agriculture , qui , dans ses
446 MERCURE DE FRANCE , JUIN 1811 .
comptes rendus des travaux de la Société, monfre un
véritable talent d'analyse .
Si nous voulions faire quelques observations critiques ,
( et où ne trouve-t-on pas occasion d'en faire ?) nous dirions
que plusieurs mémoires ne sont pas rédigés avec
assez de précision et de simplicité. Les phrases ambitieuses
, les prétentions à l'esprit , à l'effet , ne sont
à leur place nulle part , mais bien moins encore dans des
Mémoires sur l'Agriculture. Nous n'avons pu , par
exemple , sans sourire involontairement , parcourir quelques
passages d'un discours très -brillant sur les services
rendus à l'agriculture par les femmes ... Il est vrai que ce
discours a été lu dans une séance où sans doute il y avait
beaucoup de femmes . Le désir de leur plaire , d'être
applaudi par elles , aura inspiré à l'auteur ces phrases
apprêtées , galantes , enluminées ... C'est un motif, mais
non une excuse .
۱
AMAURY DUVAL.
:
1
LITTÉRATURE ET BEAUX - ARTS .
DE L'INFLUENCE DES FEMMES SUR LA LITTÉRATURE FRANÇAISE
, COMME PROTECTRICES DES LETTRES ET COMME
AUTEURS , ou Précis de l'histoire des femmes françaises
les plus célèbres ; par Me DE GENLIS.- Un vol . in- 8 ° .
Prix , broché , 6 fr. , et 7 fr. franc de port. - A
Paris , chez Maradan , libraire , rue des Grands-Augustins
, nº 9.
S'ASTREINDRE à un plan méthodique et ingénieux lorsque
le sujet n'en exige point , ce serait étaler assez vainement
les ressources de l'art . Un auteur aussi exercé ,
aussi connu que Mme de Genlis , dédaignerait une telle
affectation : dans ses notices sur les femmes qui ont cultivé
ou qui ont protégé les lettres , il était donc tout
naturel qu'elle suivit simplement l'ordre chronologique .
Cependant tout écrit raisonnable a un objet , et contient
une pensée principale . Si l'on se demande quel est
le résultat de celui- ci , l'on verra bien d'abord que Mme de
Genlis élève au-dessus des Gil-Blas , des Télémaque , etc. ,
les romans composés par des femmes ( en exceptant
felle ou telle femme contemporaine de l'auteur . ) Mais
ce n'est pas tout peut-être : quelquefois on se propose
un but particulier auquel le sujet que l'on traite ne conduit
que par une marche un peu contrainte ; nous verrons
plus loin . Que ce but soit légitime ou non , il
n'importe , est- il dit dans Corinne ; rien ne nuit aux
ouvrages de littérature comme d'avoir un but .
La manière de voir de Mme de Genlis , au sujet des.
romans , pourrait être nouvelle , sans être injuste ; elle
pourrait lui être favorable , sans être l'effet de la partialité
; c'est ce que je ne prétends point décider . Je ne
me propose de traiter ici que des questions moins étendues
sans beaucoup de méthode , je les aborderai à
mesure qu'elles se présenteront , et l'auteur ne me repro448
MERCURE DE FRANCE ,
chera point de mettre plus de recherche dans cet article
qu'il n'en a dans son livre .
Comme ce Précis historique tient de l'éloge , et devient
au besoin un panégyrique , il a fallu d'abord élever les
romans , et opposer à l'opinion présente , celle de ce
tems où l'on jugeait bien plus sainement de tout , de ce
tems où le discours savant de Huet fut mis à la tête du
joli roman intitulé Zaïde , et où personne .... ne critique
cette union d'une production .... frivole d'unefemme avec
un discours ..... d'un grave .... évéque . L'auteur avoue
pourtant que cela paraîtrait aujourd'hui peu convenable
et très- étrange . En effet , les opinions et les moeurs ne
sont plus les mêmes ; nous n'avons plus la solidité de nos
aïeux , ni cette admiration pour les romans qui était commune
dans un siècle si grave et si religieux (pages 93 ,
94 , 116. ) De là on en vient à décider formellement que
les femmes l'emportent sur les hommes dans ce genre
dont le siècle , qui devrait être notre modèle en tout ,
faisait un si grand cas . Cependant, lorsque des hommes
de mérite faisaient leurs délices de la lecture de l'Astrée
(pag. go et 92 ) , où l'amour est peint avec une si folle
exagération et des couleurs sifausses , lorsque Mme de
Scudéri travaillait à la gloire de la nation , l'on avait
peu d'autres livres en France ; ce qui sert à l'explication
d'un fait que Mme de Genlis n'explique pas de cette manière
. Aureste , cette grande question de la primauté des
femmes , en ce genre , est décidée dès le premier moment.
La Princesse de Clèves , les Lettres Péruviennes , etc.
sont des romans infiniment supérieurs à tous ceux des autres
romanciers français ( p. VII) . L'ennuyeux Prévôt
est au-dessous de Marivaux , le style de Télémaque est
excessivement négligé ( p. 127 ) ; et puis Gil-Blas n'est pas
précisément un roman. Les femmes sont donc au premier
rang ; à quoi il serait bon peut-être d'ajouter aussitôt
que Mme Cotin ayant fait Claire d'Albe où il y a
mainte page infâme (p. 354) , et qu'une autre personne
ayant décélé une extrême ignorance de l'art d'émouvoir et
deplaire.... en croyant donner aux femmes de l'énergie
( p . XIV et XVII) , prétention malheureuse qui souilleun
ouvrage (p. 281 ) , il ne reste, се semblplee,, au premier
JUIN 1811 . 449
SEINE
rang que deux auteurs , savoir Mme de Lafayette dans
le siècle de Louis XIV , et dans celui-ci Mine de ......
laquelle pourrait bien avoir surpassé la première par la
manière d'écrire et par les intentions morales (p. 117) .
Il est très-vrai que Mme de Genlis ne dit pas cela expressément
; mais , d'après sa manière d'écrire , on aperçoit
que c'est-là son intention : comme il n'y aurait rien de
précisément absurde dans cette conclusion , je puis
la lui attribuer , en observant que c'est seulement une
conjecture , et que si plusieurs passages l'autorisent
aucun ne la change en certitude.
Le roman historique n'est pas généralement approuve
parmi nous , mais on ne faisait , dans ce tems , que des
romans historiques , on n'aimait alors que des sujets he
roïques ; il y manquait seulement la peinture des moeurs
des siècles qu'on prétend retracer et des héros qu'on représente
( page 99 ). Or , c'est-là ce que Mme de Genlis
amis dans les siens . Au reste , dans un précis sur les
femmes qui se sont fait un nom littéraire , il était difficile
qu'elle s'oubliat ; ses lecteurs ne sauraient l'exiger ,
puisqu'il n'en est pas un sans doute , qui au milieu de
cette assemblée de femmes dont elle ébauche l'histoire ,
ne l'aperçoive toujours dans les rangs les plus distingués
.
Ici même plusieurs endroits rappellent la facilité de sa
plume , et si l'on y trouvait autant d'impartialité que de
talens , l'on attribuerait quelques passages faciles à critiquer
, au peu d'importance que l'auteur peut avoir mis à
ce livre ; mais , si un auteur est souvent dispensé d'employer
tous ses moyens il ne l'est jamais d'éviter toute
injustice. Avant de justifier ces derniers mots , en disant
quelque chose des divers raisonnemens de l'auteur , et
ensuite de son style et de ses critiques , je ferai des observations
isolées , et je citerai plusieurs pensées heureuses
.
,
Parmi les anecdotes que ce genre d'écrit pouvait admettre
, il en est plusieurs qui ont fort peu de rapport
avec l'influence des femmes sur la littérature. Quatrevingts
pages sont consacrées à Mme de Maintenon , c'est
presque le quart du volume. On est plus curieux de con
Ff
450 MERCURE DE FRANCE ,
naître la devise de Catherine de Médicis qui conseilla la
Saint- Barthélemi : J'apporte la lumière et la tranquillité.
Cette tranquillité désastreuse rappelle le mot de Tacite :
Ubi solitudinem..... pacem.....
La véritable pédanterie est de vouloir établir un genre
de conversation hors d'usage , et dans lequel on aurait un
avantage particulier dont les autres seraient tout- à-fait
privés . C'est définir un genre seulement de pédanterie.
La pédanterie , en général , consiste , je crois , dans une
manière constamment grave , et dans l'habitude de parler
de choses sérieuses , lorsque ce n'en est pas le moment
. Le comble de la pédanterie , c'est de parler et
d'écrire avec emphase et d'une manière inintelligible . S'il
y avait de l'enthousiasme dans ce ton emphatique , ce
ne serait plus de la pédanterie ; la pédanterie est uniforme
et pesamment sévère .
Les pensées suivantes sont pleines de justesse . « La
» véritable vertu ne se livre point à des sentimens qu'elle
» réprouve ( il s'agit d'une passion involontaire et illégi-
» time) , elle en est trop effrayée pour y trouver un charme
» secret , elle les combat dès leur naissance , et elle en
» triomphe . L'amour est si bizarre que souvent l'idée
» d'une impossibilité chimérique l'éteint avant qu'il aịt
» pu se développer : c'est un feu ardent et fugitif, qu'un
» peu de cendre , une faible poussière étouffe dès sa
» naissance, ou dont un souffle léger fait un incendie.-
» L'intrigue habituelle met en rapport avec des gens si
» bas , elle fait employer si souvent des moyens si vils ,
» qu'elle ôte absolument ce tact de convenances , cette
n noblesse de sentimens , cette délicatesse d'expressions
» qui concourent à donner un bon ton et des manières
» distinguées . La foi religieuse , en inspirant de géné-
» reux sacrifices , offrait un refuge aux malheureuses
» victimes des passions ; elle les délivrait du tourment
» des remords , elle rétablissait le calme dans des ames
» déchirées , elle suppléait à l'innocence ; elle redonnait
» à des coupables la dignité de la vertu , aux yeux même
» du monde. » Mais avec Mme de Genlis , il faut renon-
-cer à citer les passages qui ne contiennent que de bonnes
-----
JUIN 1811 . 451
choses , ce serait s'engager trop loin ; passons à des observations
d'une nature différente .
S'il arrive que l'on soit sévère , Mme de Genlis le pardonnera
; elle est elle - même très - sévère ; jusque dans des
bagatelles , elle a peu d'indulgence ; elle ne veut pas
que , même dans un impromptu , on puisse dire que si
l'on était Apollon , on transformerait une femme en
Thétis , et elle fait cette critique ( page 250 ) au sujet
du madrigal si connu du vieux marquis de St-Aulaire :
La divinité qui s'amuse , etc.
Que de gens ne lui pardonneront pas le ton dont elle
parle de l'astucieux et froid d'Alembert , du roman de
Claire d'Albe , etc. ! Même en supposant que la critique
soit juste , elle est déplacée si elle est trop dure. La couleur
n'est plus vraie , si la nuance est trop forte .
Fénélon , Thomas lui -même et Le Sage auraient bien
quelques plaintes à former. Quant à la Nouvelle Héloïse ,
je fais comme Mme de Genlis , je n'en parle point ; mais
je suis bien aise d'observer qu'il peut y avoir autant de
condescendance de ma part que de prudence de la
sienne .
Le lourd , le diffus , l'ennuyeux Prévôt prétendrait
qu'un style traînant , sans correction et sans couleur , des
fictions dénuées de toute vraisemblance , des peintures du
mondesans vérité , des réflexions communes d'une longueur
assommante , ne sont pas chez lui des défauts tellement
constans et tellement extrêmes , qu'il n'ait pu les racheter
en partie .
Mme Necker conviendrait peut-être qu'elle s'est exposée
à la critique ( très -prolongée toutefois ) que l'on fait
(p . 3og et suiv. ) des expressions , de l'enthousiasme que
son mari lui inspirait ; et elle trouverait peut- être jolie
cette note : « On supprime tout le détail du bonheur que
>> M. Necker a procuré à Me Necker , parce qu'on peut
» s'en faire une idée par la peinture du bonheur que
>> Mme Necker a procuré à M. Necker , et que nous
» avons vu dans l'éloge de Mme Necker par M. Necker. >>
Mais elle soutiendrait que dans d'autres tems , elle eût
été traitée différemment par l'auteur , que l'intérêt de la
vérité n'exigeait pas d'une manière absolue , qu'on pour-
Ff 2
452
MERCURE DE FRANCE ,
suivit si vivement une personne à qui l'on accorde une
belle ame et les meilleurs principes .
Il est très-vrai que Voltaire a écrit d'une manière
inexcusable aux Dubarry , aux Pompadour ; mais ce
n'était pas le seul Louis XIV que les Corneille , les Racine
, etc. louaient avec excès : l'on n'a point oublié la
singulière épître de Corneille imprimée en tête des Horaces
. Néanmoins dans le dix - septième siècle tout était
parfait : Ce beau siècle n'a pas produit un seul homme de
génie qui ne fût en même tems un honnête homme , ou
même éminemment vertueux , ( p . 64. )
La partialité ne se borne pas toujours à l'exagération ;
'elle se trompe quelquefois tout-à- fait , comme dans
cette note : « Quand M. de Pompignan fut reçu à l'Aca-
» démie , il eut le courage de dire dans son discours que
» le sage chrétien méritait seul le nom de philosophe ,
» et qu'en jugeant plusieurs littérateurs modernes , d'après
» cette définition , on ne pouvait voir en eux qu'une
» fausse littérature et une vaine philosophie. Louis XV ,
» en parcourant ce discours , dit seulement que toutes
» ces choses- là étaient déplacées à l'Académie , où il y
» avait tant de philosophes . Ainsi ce discours qui plai-
» dait la cause de la religion et des rois , n'obtint du
» souverain qu'une critique. » Je ne sais si la paresse
de Louis XV le rendait incapable de faire d'autres réflexions
( p. 266 ) , mais dans celle-ci je ne vois rien
que de très-raisonnable . Il est tout-à - fait indécent de
Condamner à ce point , de juger ainsi une grande partie
de ceux qui , d'après vos sollicitations , vous accordent
de siéger parmi eux . Louis XV avait raison ; si M. de
Pompignan avait l'intention de faire un pareil discours ,
il ne devait pas se présenter à l'Académie.
Quel courage Mme de Genlis peut -elle d'ailleurs trouver
dans cette conduite choquante , mais non dangereuse ,
elle qui remarque , dans la même page , que le mot
audace ne convient point en parlant de ceux qui représentaient
les rois comme des tyrans , puisqu'ils n'étaient
jamais punis ?
A l'occasion du maréchal d'Ancre , il est dit , page 39,
un moment de délire ne corrompt point une nation quand
JUIN 1811 . 453
1
les idées morales ne sont point perverties , c'est-à- dire ,
quand les principes religieux subsistent toujours . Ce n'est
point cela; mais un moment de délire ne corrompt point
une nation , quand ce délire n'est pas général , et qu'il
ne dure en effet qu'un moment .
Mme de Maintenon disait que la dévotion rend le coeur
tendre sur le malheur des hommes , et l'esprit éclairé sur
les objets de la véritable gloire. Il en serait ainsi de la
sagesse ; c'est l'absence des passions qui rend à la moralité
de l'homme toute sa puissance .
( La suite à un prochain Numéro . )
Observations sur le compte rendu de la diatribe de J. G.
DENTU , inséré dans le Mercure , Nº 515 .
Les principaux rédacteurs du Mercure, tels que MM.
Biot , Cuvier , Ginguené , Le Breton , Michaud , Salgues ,
Amaury-Duval et autres , ayant parlé et écrit de la manière
la plus honorable de moi et de mes ouvrages ,je crois leur
devoir de rétablir ici dans toute leur vérité imposante et
dans toute leur force victorieuse les réponses que j'ai opposées
au libelle injurieux et mensonger du libraireDentu,
réponses qui n'ont point été rapportées exactement dans le
compte qu'un anonyme a rendn de cette diatribe.
. « Des membres de l'Institut et des journalistes , dit-on ,
▾ ont fait des complimens à M. Malte-Brun , mais on sait
n comment ces éloges s'obtiennent. Je prie les lecteurs
du Mercure d'observer que parmi les membres de l'Institut
qui ont loué mon Précis de la Géographie universelle , le
libraire Dentu désigne positivement M. Biot comme auteur
d'un article inséré dans le Mercure , Nº 451. Je désirerais
donc que l'anonyme , défenseur du libraire Dentu , voulût
expliquer , dans le Mercure même , comment s'obtiennent
les éloges d'un des rédacteurs les plus distingués de ce
journal.
Le terme de complimens me paraît encore très-inexactement
appliqué à une analyse raisonnée ,occupant plusieurs
colonnes de cejournal , et dans lequel on lit les phrases
suivantes :
« Ce livre (le Précis ) nous a paru fort instructif , et ce
* qui était plus difficile ,peut-être , fort intéressant;mais
1
454
MERCURE
DE FRANCE ,
» ce qui nous a sur-tout frappés , c'est la saine critique
autant que l'érudition qui y règne .... L'ouvrage , rempli
n de citations permet de recourir à chaque instant aux
» écrits originaux , et sous ce rapport it offrira de précieux
" secours , etc .... Parmi nos compatriotes , ceux que l'au
teur cite le plus souvent sont d'Anville et M. Gosselin .
" Il s'est attaché particulièrement à reconnaître ce qu'il
doit aux travaux de ce dernier. Nous ignorons ce que
» M. Malte-Brun a pu emprunter aux géographes étrangers
» quant au plan général et aux détails de son ouvrage ,
mais il serait très-injuste de lui en faire un reproche ,
n etc. , etc. »
"
Voilà un jugement détaillé d'un des rédacteurs du Mercure
, qui réfutait d'avance les imputations mensongères
du libraire Dentu . Et un autre collaborateur du même
journal traite ce jugement de compliment obtenu on ne
sait pas comment !
Parmi d'autres opinions des membres de l'Institut ,
également traitées de complimens , je citerai le passage suivant
d'une lettre imprimée et signée de M. Mentelle.
Je dus à tous ces ouvrages l'occasion de me lier avec
" M. Malte-Brun . J'ai le double de son âge à peu près ;
il n'est pas étonnant que je l'aie dévancé dans la carrière
qu'il a parcourue depuis à pas de géant.
Je dis à pas de géant , et l'expression n'est pas trop
forte . M. Malte-Brun publie en ce moment le meilleur
ouvrage qui ait jamais été composé en géographie dans
aucun pays que ce soit , et il contribuera plus au véritable
enseignement de cette science , que tout ce que
» l'on connaît en ce genre ; car son ouvrage doit
particu- "
"9
» lièrement former des maîtres , qui l'exploiteront comme
une mine extrêmement riche : c'est là qu'ils doivent
puiser pour former de bons élèves . J'en suis si convaincu
, que si j'avais l'honneur de présider une maison
d'éducation , je ne chargerais de l'instruction de la géographie
que le professeur qui posséderait parfaitement le
plan et les détails que renferme le Précis de la Géographie
Universelle .
On m'objecte que M. Malte-Brun a beaucoup emprunté
des excellens ouvrages publiés dans le nord de l'Europe ;
mais blâmera- t-on l'habile architecte qui s'estformé à
l'école de Vitruve , et qui emploie du marbre de Carrare?
M. Malte-Brun a conçu un plan plus vaste et mieux
» ordonné que ceux des ouvrages géographiques qui ont
JUIN 1811 . 455
précédé le sien ; il s'est aidé de ses riches connaissances
dans les langues anciennes et modernes ; ila , de plus ,
> animé son recit d'un style brillant qui attache : voilà tout
son secret . Ainsi donc , s'il a fait le meilleur des ouvrages
, c'est qu'il s'y est mieux pris que ses prédéces-
> seurs , et qu'il a employé de meilleurs matériaux . "
H me semble qu'il y a un peu de légèreté à soutenir que
des membres de l'Institut qui signent leur nom , ont écrit
des éloges aussi magnifiques d'un ouvrage sans penser rien
de ce qu'ils écrivaient.
L'impartialité exigeait peut-être que monjuge anonyme ,
après avoir ri des éloges que me donnent des savans illustres
, rapportât fidélement les petits complimens que ces
savans ont faits , soit au pamphlet de Dentu , soit à la géographie
anglaise , pour l'intérêt de laquelle tout ce misérable
vacarme a été suscité .
M. de Châteaubriand trouve extraordinaire la manière
dont Dentu s'est permis de parler de lui ; il dément ce
libraire en m'écrivant : Les éloges que j'ai donnés à vos
ouvrages , ne m'ont été arrachés que par vos talens , etc.
M. Langlés ne veut point être l'instrument des passions
du docte libraire , et désavoue tout ce que celui-ci s'est
donné l'air de dire au nom de ce sayant .
M. P. C. Lévesque traite Dentu de libelliste , et m'assure
que son libelle lui a fait de la peine.
M M. de Humboldt accorde à
M. Pinkerton le titre de
compilateur aussi inexact qu'audacieux; il affirme que la
géographie de cet Anglais est propre à répandre les idées
les plus fausses en physique et en histoire naturelle .
M. François de Neufchâteau , sénateur et comte d'em--
pire , écrit que l'ouvrage de Pinkerton , en offrant peu de
détails neufs , souffle et respire la guerre contre la France.
Il me paraît que ces complimens méritaient d'être rapportés
fidélement , et pesés avec l'estime qu'on doit à des
savans célèbres et à des hommes distingués par leur rang
autant que par leurs lumières .
Je pense encore que ma réponse , au sujet de M. Gosselin
, aurait dû être citée avec plus d'exactitude. Le
libraire Dentu m'accuse d'avoir volé les hypothèses de ce
géographe ; j'y réponds : 1º Que j'ai renvoyé mes lecteurs
aux sayans mémoires de M. Gosselin , restaurateur de la
géographie systématique ; 2º que le nom de M. Gosselin
se trouve cité cent vingt-six fois dans mon premier volume.
On a sans doute pensé que ces répliques étaient trop acca
456 MERCURE DE FRANCE ,
blantes pour être rapportées. Je les répète donc ici , en me
rapportant au jugement d'un des rédacteurs du Mercure ,
inséré dans le N° 451 , et que je viens de citer plus haut.
Même inexactitude au sujet de M. Puissant. J'ai dit , et
je répète que toute démonstration de projections , tirée du
Traité de Topographie de ce géomètre , lui est fidélement
attribuée dans le Précis , de sorte que loin de vouloir lui
puire , j'ai cherché de nouveau à répandre la réputation de
son ouvrage , ainsi que je l'avais déjà fait dans le Journal
de l'Empire , lorsque , dans une Histoire des mathématiques,
le nom de M. Puissant avait été injustement oublié.
On n'est pas plus exact à l'égard de M. Lacroix. J'ai
expliqué untort léger que j'ai eu envers lui ; on veut en
inférer que j'avoue tout ce que le libraire Dentu avance à
cet égard ; mais il est constant , par la lecture de mon
Analyse, que je démens plusieurs assertions de ce libraire
dans cette partie de son pamphlet , et que je démontre le
peu d'importance de la seule qui n'est pas démentie.
J'ajoute ici qu'il n'est pas vrai que le libraire Dentu ait
formé une plainte judiciaire contre la prétendue contrefaçon
de son Introduction ; il s'en est bien gardé.
Il est encore faux que je passe condamnation sur les
reproches que le libraire Dentu me fait <<d'ignorer legrec,
> le latin, le français , l'allemand et l'anglais , etc., etc.
J'ai seulement cru que des chicanes puériles , ramassées
dans de vieux journaux , ne méritaient d'autre réponse que
le silence. Irais-je me justifier de ce qu'un graveur de cartes
a écrit un L romain pour un lambda grec ? Emploierai-je
mon tems à démontrer à un écolier que les mots touJochabed
forment en bon grec une locution elliptique , trèsusitée
, au lieu de : tou yiou tés Iochabed , comme l'écolier
croit qu'on eût dû écrire ?
Toute différence d'opinion paraît une grossière erreur à
ceux qui ignorent l'histoire de la science. Je n'ai pas voulu
répéter , après M. Lacroix , que la méthode des distances
lunaires ne donne les longitudes qu'à deux minutes près ,
parce que cela est inexact . Sans doute mes critiques n'ont
pas lules trente ou quarante mémoires de MM. Gauss
Zach , etc. , etc. , dont je donnerai la substance dans mon
Traité spécial de Géographie mathématique.

Lorsqu'on répète sans aucune preuve , d'après un libelliste
,, « que j'ai injurié les géographes français , il eût
élé juste de rapporter ma réponse qui me semble péremtoire.
« Je somme le libelliste d'indiquer nommément
JUIN 1811 . 457
,
▸ quel géographe français il prétend désigner ; est-ce
» d'Anville , Gosselin , Fleurieu , Beautems Beaupré , etc. ?
> Ou est-ce que le libelliste prétend voir dans Pinkerton.
➤ un géographe français ? - A cette réponse décisive
j'aurais dû joindre l'observation que j'ai pu maltraiter les
abrégés de Hassenfratz , de Mlle Crozat , de M. John Pinkerton
, mais que M. Biot , dans le Mercure , a montré
envers cette sorte de livres une sévérité encore plus grande
que celle dont j'avais usé .
Enfin , pour terminer ces observations , je trouve singulier
que dans un journal distingué par un ton modéré
et poli , on n'ait point remarqué la différence des formes
qui existent entre le pamphlet du libraire Dentu et ma replique.
On m'accuse d'invectiver , sans en citer une seule
preuve ; on absout , au contraire , le libraire qui a rempli
toutes ses pages des termes les plus grossiers , tels que
coquin ,filou , brigand , forban , bas , vil , infâme , etc.
Je ne répondrai plus d'aucune façon aux attaques de la
cotterie cachée sous le nom de Dentu . Qu'elle fasse encore
des brochures pour prouver que tout ce qu'il y a de mieux
dans les géographies physiques de Bergmann , de Kant et
d'autres , dans les histoires des découvertes géographiques
par Dalrymple , Burney , Sprengel , Forster ; dans les
géographies anciennes de Mannert , de d'Anville , etc. , etc.
se trouve réuni dans les deux premiers volumes de mon
Précis ; ce sera un nouveau service rendu au succès toujours
croissant de mon ouvrage ; ce sera une nouvelle
démonstration qu'il est ce qu'il doit être , un traité complet
de géographie universelle. MALTE-BRUN .
ERNESTINE .
IL était neufheures du matin : j'arrivais dans une petite
ville d'Allemagne ; mon projet était d'aller plus loin; mais
je fus surpris de voir une foule assemblée autour d'un édifice
, que je reconnus à sa gothique structure pour être lo
lieu où se rendaitlajustice . Accoutumé aux scènes cruelles
d'insurrection, de révolte, je crus qu'il en éclatait une : cependantles
différentes personnes qui composaient ce groupe
nombreux , n'avaient pas sur leur figure cette expression
d'agitation , de fureur , qui annonce des projets hostiles ;
la curiosité , une légère teinte de tristesse animaient les
regards des hommes; la pitié , la crainte , la contrition se
1
458 MERCURE DE FRANCE ,
-
peignaient dans ceux des femmes . -Croyez-vous qu'elle
soit irrévocablement condamnée , se demandait-on à demivoix
?-Un homme paraît sur le seuil de la porte; entouré
de la foule, il a peine à la percer. Plusieurs voix s'écrient àla-
fois : Eh bien! cette cruelle sentence est-elle confirmée?
Hélas ! oui . Aces mots les femmes poussent un cri de
consternation et d'effroi , couvrent de leurs mains leurs yeux
inondés de larmes , et se séparant de la foule , s'éloignent
lentement et en silence .-Oui , son sortest à jamais décidé ,
continua le même homme , mais pouvait-on faire grâce ?
son crime fait frémir la nature !-Elle est si jeune, reprit un
homme âgé , et sans doute elle est bien plus à plaindre qu'à
blâmer.-Oui , mais la loi est précise. -Dites qu'elle
est cruelle et digne des sauvages les plus féroces. Ce que
j'avais vu , ce que je venais d'entendre excita vivement ma
curiosité , et plus encore ma sensibilité . Je tentai de faire
quelques questions , on n'y répondit pas , ou si vaguement
queje ne pus être instruit : j'appris seulement que l'infortunée
dont on venait de prononcer l'arrêt , était une jeune
fille. La foule se dissipa , et je gagnai la première hôtellerie
, brûlant du désir d'en apprendre davantage.
-
Je fus bientôt assailli des questions d'usage... Je n'avais
qu'une idée , elle remplissait mon coeur; à tout ce que l'hôtesse
me demandait , je lui répondais , quel est le crime de
cette malheureuse? et comment peut-on condamner à la
mort la jeunesse , la beauté ? Ah! monsieur , vous la
connaissez donc? owi , elle est jeune , elle est belle , et elle
va périr.- Je suis étranger , j'arrive , et je vois toute la ville
émuę de ce qui se prépare ; veuillez , madame , m'instruire ...
Oh! volontiers , répond l'hôtesse en se plaçant dans un
fauteuil à côté de moi . Hélas ! cette pauvre Ernestine ,
combien je la regrette ! si douce, si modeste ! ah ! elle ne
méritait pas son sort ! ... Elle est d'une famille honnête
mais pauvre ; elle travaillait sans relâche pour soutenir une
mère vieille et infirme , elle était le modèle de toutes ses
compagnes , honnête , vertueuse; sa beauté la fesait remarquer
des hommes , sa bonté , sa douceur , chérir des
femmes . Un jeune homme de sa condition s'attache à elle,
en fut bientôt aimé; le malheur rend sensible . Ernestine
n'était pas heureuse , elle crut l'être du moment qu'elle
aima . Fritz lui parut un Dieu; elle se livra sans défiance à
l'amour qu'on lui témoignait , à celui qu'elle éprouvait.....
Elle s'oublia ; bientôt elle s'aperçut des suites d'une faute
que sa jeunesse, sa passion pouvaient excuser ; sa tendresse
,
JUIN 1811 . 459
pourFritz en augmenta; osant compter sur la sienne , elle
le conjure en rougissant de honte et d'amour de ratifier aux
pieds des autels leurs mutuels engagemens : la malheureuse
ignorait que ce qui devait augmenter ses droits sur le coeur
de son amant , servait à les lui faire perdre. Il ne peut ,
dit-il , contracter cette union sans le consentement de sesparens
(ah ! il ne l'avait pas demandé pour séduire sa jeune
et crédule amante). Il part dans l'espoir de l'obtenir, mais.-.
il ne reparaît plus , et la laisse livrée à toute l'horreur de sa
situation..... Cependant le moment où elle doit devenir
mère s'approche , comment dérober à la sienne sa honte et
son infortune ? la connaissance de la faute de sa fille lui
donnera le coup de la mort..... Sous le prétexte qu'elle est
demandée pour aller travailler à la campague , elle la quitte
et va s'établir dans une chambre isolée , y vit seule quelque
tems dans la plus profonde mélancolie , et donne la vie à
une innocente créature , qui la perdit au moment de sa
naissance..... On le trouva mort à côté d'Ernestine , qui
elle-même était inanimée. Le secret qu'elle avait faitde son
état à sa mère et aux magistrats , la retraite dans laquelle
elle avait vécu , ce corps privé de la vie , tout donne lieu
de croire qu'elle aporté une main cruelle sur son enfant ...
On l'interroge ; accablée par la honte , elle ne répond rien.
Son silence fut pris pour un aveu. On la conduisit en prison.
Elle y a subi plusieurs interrogatoires : elle n'a point
rompu le silence .... Vous savez le reste , la justice ..... Ah !
dites la cruauté , interrompis -je avec véhémence ; elle est
innocente , j'en suis persuadé ; les monstres ! ils ont osé
la condamner ..... Et quand il serait vrai qu'elle est coupable!
placée entre l'opprobre et l'infamie , que n'emploîrait-
on pas pour s'y soustraire .
-
-
Je veux la voir;
croyez-vous que cela soit possible? Sans doute; elle
doit entendre sa sentence , qui se lit en public ; et nous
touchons à l'heure où on s'assemble.
Je vole au lieu indiqué , mille idées se confondent dans
ma tête : celle qu'Ernestine est innocente , que je pourrais
peut-être la sauver, que les juges ne serontpas inexorables,
se fait jour au travers de ce chaos ... J'entre avec précipitation
, j'ai peine à percer la foule qui l'entourait; Ernestine
étaitassise aumilieu de la chambre : sa tête penchée la rendait
semblable à un lis courbé par l'orage; ses cheveux épars ,
le désordre de son vêtement , sa pâleur extrême , ses yeux
éteints , l'air d'abandon et de désespoir qui se peignait sur
toute sa personne , redoublaient l'intérêt qu'elle m'inspirait
460 MERCURE DE FRANCE,
1
déjà. J'étais étranger , mais la vraie sensibilité , le désir
d'être utile est un lien qui rapproche tous les hommes..
J'élève la voix dans l'intention d'empêcher la lecture de la
sentence ; Ernestine tressaille , lève la tête avec un mouvement
rapide , me regarde fixement , détourne les yeux en
poussant un pesant soupir, et retombe dans l'état d'insensibilité
où elle paraissait plongée. Ce regard me donne une
nouvelle hardiesse. Je m'adresse aux juges , je les conjure
de suspendre cette lecturé : ces accens font encore tressaillir
la malheureuse victime ; elle me regarde plus fixement , et
son regard qui exprimait d'abord l'horreur , le reproche ,
parut s'adoucir..... Ah ! il se retracera toujours à mon
souvenir, ce regard qui peignait tous les mouvemens d'une
ame angoissée et ulcérée. J'appris que j'avais quelque ressemblance
avec le lâche qui l'avait abandonnée , avec ce
perfide qui jouit impunément de son crime. Hélas ! elle
l'aimait toujours , et ce dernier regard était encore celui de
l'amour : ah! si ma figure a quelque rapport avec la sienne ,
que je lui ressemble peu par le coeur!
Ce léger incident suspendit toutes mes facultés ,je voulus
continuer , mais les sanglots me coupèrent la voix. La
lecture de la sentencecommença : en vain revenu à moi je
voulus l'interrompre ; on m'imposa silence. Tout-à-coupun
petit chien entre , s'approche d'Ernestine , tourne autour
d'elle , cherche ses regards , lèche ses mains pendantes ,
s'élance sur ses genoux , semble gémirde son malheur et le
partager. Ses caresses arrachent l'infortunée à lastupeurdans
laquelle elle est plongée.... Pauvre animal , tu m'aimes
donc toujours ?... Hélas! tu es le seul ami qui me reste....
Ils m'ont tous abandonnée , et bientôt je t'abandonnerai
moi-même pour toujours ; mais je puis encore te presser
contre mon sein. Elle l'arrose de larmes et le couvre de
baisers ; l'animal pousse un gémissement confus , et paraît
éprouver toutes les angoisses et les tourmens de samaîtresse.
Rien , rien ne peut-il donc te sauver ? m'écriai-je suffoqué
par la douleur ! Un sentiment violent rend éloquent ,
je confierai au papier tout ce que j'éprouve , je le mettrai
sous les yeux des juges ; s'ils ont un coeur sensible , ils
retracteront leur cruel arrêt.... Non , tu n'es pas , tu ne
saurais être coupable .... Et je quitte la salle , l'ame oppressée
, le coeur agité , brûlant du désir d'épancher mes
idées sur cet événement , de ramener les juges à l'humanité
, si ce n'est à la justice.
:
JUIN 1811. 461
Je vole plutôt que je ne marche vers l'auberge ; j'arrive,
je demande une plume , du papier , j'écris toutes mes
réflexions . J'oppose à la dure sévérité des lois la faiblesse
humaine , l'entraînement de l'amour, l'horreur de l'infamie,
le désespoir de l'abandon , tout ce qui peut excuser un
crime , atroce en effet , mais que ces lois rendent presque
nécessaire.... Ah! pourquoi furent-elles toutes prononcées
contre le sexe le plus faible ? Pourquoi entoure-t-on de la
honte et de l'opprobre les sentimens les plus doux de la
nature ? Pourquoi la malheureuse qui a été séduite par
celui qu'elle aime , par son propre coeur , devient-elle
l'objet du mépris général , tandis que son séducteur jouit
impunenent de ses succès et de son crime ? Pourquoi la
forcer à maudire le jour où elle devint sensible , à étouffer
dans son ame les sentimens de la nature , à porter une
main barbare et homicide sur l'être innocent dont l'existence
la couvre d'infamie?.. Ce sont nos lois, nos préjugés ,
nos opinions qui la forcent à cette violence. Vous pardonnez
un crime commis dans le délire ; et quel égarement,
quel délire peut égaler celui qui porte une mère à
étouffer le fruit de ses entrailles parce que sa naissance
entraîne pour elle la perte de son honneur et celle d'un
établissement convenable ? elle ne voit , elle ne sent que la
honte et l'infamie qui la poursuivent. Vit-on jamais un
homme immoler son enfant à ce faux point d'honneur ?
Croira-t-on qu'ils soient plus sensibles que les femmes ?
Non.... Mais ils firent les lois et les dirigèrent toutes contre
la faiblesse . Les réflexions se présentaient en foule , j'écri
vais avec cette rapidité que donne un sentiment actif.
J'entends le son d'une cloche funèbre, il retentit dans mon
coeur , la plume m'échappe de mamain, je vole à une croisée
, les coups répétés de distance en distance m'annoncent
qu'Ernestine est conduite au lieu de son supplice , qu'elle
va le subir .... Il est peut-être tems encore ;je me précipite
dans la rue , j'arrive auprès de ses juges , je leur expose
mes réflexions avec cette véhémence que donne une vive
sensibilité. Je parlais à des coeurs de marbre , ils m'écoutent
avec indifférence.-Nous ne sommes pas législateurs ,
nous exécutons les lois .-Maiş suspendez au moins l'instant
fatal ; tremblez , elle est peut-être innocente .-N'importe
, elle est jugée coupable : l'exemple , les lois , tout
ordonne ce supplice ; d'ailleurs il est trop tard. En effet ,
la lugubre cloche ne se faisant plus entendre , annonçait
que l'infortunée avait cessé de vivre . Je quitte cette maison
462 MERCURE DE FRANCE ,
,
,
de justice , qui me paraît plutôt le repaire de la cruauté.
Mes pas égarés et tremblans me conduisent à la place
funeste où Ernestine venait de perdre la vie . Une foule de
curieux en revenaient , les femmes pleuraient en silence
les hommes racontaient ses derniers instans . Au moment
où elle sortait de la prison , entourée de l'horrible appareil
qui précède et suit ces scènes d'horreur , sa démarche était
ferme , son air résigné , calme , indifférent même : elle
jette un regard vague sur la foule , paraîty chercher un
objet et se détourne en soupirant : Je ne le reverrai donc
plus , dit-elle à demi-voix; et reprenant une contenance
tranquille , elle continue sa marche pour arriver à la charrette
qui devait la conduire. On passait devant la petite
maison qu'elle habitait avant son malheur ; sa mère , accablée
sous le poids des peines , ne pouvant supporter la
honte de sa fille , avait succombé à sa douleur avant l'instant
fatal qui la condamnait sans retour . Ernestinelève les
yeux, les fixe sur une petite croisée au rez-de-chaussée
et devant laquelle un banc était placé. Hélas ! c'était le
lieu où le perfide Fritz venait lui jurer un éternel amour ,
et recevoir ses sermens . A cette vue , aux ressouvenirs
qu'elle lui retrace , sa fermeté l'abandonne , elle pousse un
cri d'horreur et reste privée de sentiment. O Dieu ! que ne
suspendis-tu dans cet instant le cours d'une vie aussi malheureuse
! et pourquoi les cruels qui l'entouraient lui prodiguèrent-
ils des secours pour la rendre à la lumière ! Ils
furent vains d'abord , mais le mouvement de la charrette
la ranima. O ma mère , s'écria-t-elle en ouvrant les yeux ,
pardonne , pardonne à ton infortunée fille !O Dieu ! reçoismoi
dans ton sein ; seul tu sais si je méritais une mort
aussi ignominieuse. Ce furent les seules paroles qu'elle
prononça. Un vénérable pasteur l'exhorta , la consola avec
sensibilité et ferveur. Sa jeunesse , sa beauté , sa résignation
avaient ému tous les spectateurs ; ils réclamèrent en
vain contre la sévérité des lois , elle subit l'horrible supplice.
Je quittai cette place le coeur brisé , et je m'éloignai
bientôt après d'une ville funeste où j'avais éprouvé les sentimens
les plus déchirans . J. DE B......
JUIN 1811 . 463
VARIÉTÉS .
CHRONIQUE DE PARIS.
Aux Rédacteurs du Mercure .
-
Le 2juin 1811 .
,
MOEURS ET USAGES . Messieurs , j'ai souvent désiré
qu'il s'établit dans cette immense capitale , sous le titre de
Tribunal de l'opinion , un journal exclusivement consacré
à la peinture des moeurs . Ce journal aurait deux colonnes ,
dont l'une serait intitulée : Chronique scandaleuse et
l'autre , Chronique édifiante. Dans la première , composée
en petit-texte, on inscrirait tous ces délits de société que
les lois ne peuvent , disons mieux , ne doivent pas atteindre
, et qui ne sont justiciables que de l'honneur ou de
l'opinion publique ; dans l'autre ( dont le caractère varierait
du cicero au saint-augustin , afin que les deux colonnes
fussent également remplies ) , on aurait soin de recueillir
lesbonnes et belles actions , dontle nombre est beaucoup
plus considérable qu'on ne le croit ; mais dont les auteurs
sont d'autant plus sûrs du secret qu'ils demandent , que la
reconnaissance peut seule le trahir. La collection de ces
feuilles , au bout de l'année , formerait une espèce de
registre d'après lequel on pourrait dresser des tables de
moeurs , comme on dresse des tables de population en
balançant les morts et les naissances . En attendant qu'un
pareil journal existe , c'est dans le vôtre , Messieurs , que
je veux consigner un fait dont j'ai été témoin il y a quelques
jours , et qui tiendrait merveilleusement sa place dans
la colonne honnête du journal que je propose .
J'allais à la comédie française , Talma jouait , il était
près de 7 heures , et je me hâtais avec l'inquiétude de ne
point trouver de place ; un jeune homme de quatorze ou
quinze ans marchait , ou plutôt courait devant moi , et je
ne doutais pas qu'il ne se rendît au même lieu. Une femme
âgée , sortie d'une allée très-obscure , l'arrête en lui demandant
l'aumône ; il fait quelques pas en avant , avec l'air
de l'impatience , puis tout-à-coup s'arrête et revient vers
la pauvre femme qui rentrait dans son allée. Le mouvement
et l'expression de la figure de ce jeune homme me
1
464 MERCURE DE FRANCE ,
frappaau point que je le suivis , et feignant d'avoir affaire
dans la maison d'où cette femme était sortie , je m'arrêtai
sur l'escalier d'où je pouvais tout entendre sans être vu.
Ecoutez donc , ma bonne ; vous êtes sans pain , ditesvous
?-Hélas ! oui , mon jeune Monsieur , sans pain et
sans travail . Comment , vous n'avez rien à manger ?-
Rien , depuis vingt-quatre heures .-Ah ! pauvre créature !
Tenez , ma bonne , voilà un écu , c'est tout ce que je possède
; je le destinais à me procurer un plaisir bien vif; je
ne pouvais mieux l'employer. Heureuse est votre mère !
s'écria la vieille femme , en baisant la basque de l'habit
du bonjeune homme , qui disparut aussitôt : etje répétai
après elle , en suivant l'exemple généreux qu'un enfant
venait de me donner , heureuse est la mère qui possède
un pareil fils !
Si le récit de cette action , bien simple en elle-même ,
vous fait éprouver , Messieurs , la moindre partie de
l'émotion que sa vue m'a causée , vous ne balancerez pas
à la consigner dans votre intéressant journal .
J'ai l'honneur de vous saluer , B. DE V.
- Les oisifs , à Paris , composent une espèce très-nombreuse
qui se subdivise en plusieurs classes ; nous en
avons déjà indiqué quelques-unes , mais nous n'avons pas
encore parlé des oisifs par excellence , de ceux que nous
appellerons les oisifs affaires , dont un de nos meilleurs
auteurs comiques a si bien esquissé le portrait. Ces gens-là
n'ont rien à faire , rien à penser au monde , mais du retour
périodique des actions les plus futiles, les plus insignifiantes ,
ils ont eu l'art de se faire une tâche journalière qu'ils remplissent
avec la plus risible exactitude . Le matin , ils vont
s'assurer de la hauteur de l'eau , à l'échelle graduée sur une
des piles du pont Royal ; à 10 heures , ils s'acheminent
vers le quai de l'Horloge , pour consulter le thermomètre
de l'ingénieur Chevalier , et comparer l'état actuel de l'atmosphère
avec celui de l'été de 1755 , ou de l'hiver de 1709 .
Ils partent de-là pour aller régler leur montre au Château,
où ils ne manquent jamais de se trouver au coup de midi .
Cette grande affaire terminée , ils courent examiner les progrès
des travaux qui s'exécutent dans les différens quartiers
de la capitale. Là, chacun d'eux suppose une destination
différente au même monument ; l'un vous annonce que
le Louvre tout entier doit être transformé en bibliothèque ;
l'autre , à qui vous demandez quel est le bâtiment qu'on
JUIN 1811 465
SEINE
۱
élève à l'extrémité de la rue Vivienne , vous assure que
c'est l'Opéra , et lève les épaules si quelqu'un , mieux instruit
, lui fait observer qu'il a toujours été question d'y
placer la Bourse . Un troisième , appuyé sur sa canne auprès
de l'aqueduc de la rue Montmartre , explique à son
ami , qui l'écoute la bouche béante , que ce conduit souterrain
a pour objet de fournir l'eau nécessaire au
fort
DE
LA
5.
bassin des Tuileries . Ces hommes ,, que l'on nomme
improprement désoeuvrés , savent au juste, et jour par jour
le nombre des assises de chaque édifice en construction
celui des maisons que l'on doit démolir , des rues que Kon
doit percer , et tout fiers des connaissances qu'ils ont a
quises dans leur journée , ils trouvent le moyen de se faire en
écouter le soir , dans un café , ou même dans un salon ,
en racontant les niaiseries dont ils ont été témoins , ou les
mystifications dont ils ont été l'objet .
-
L'art des affiches s'est perfectionné , dans ces dernierstems
, au point que l'homme le plus en garde contre
ce genre de charlatanerie s'y laisse prendre à chaque pas .
Tout est mis en usage pour surprendre l'attention ; la
forme , la couleur du papier , les dimensions , la grosseur
et l'arrangement des caractères. Le grand art , en plaçant
une affiche dans les endroits les plus populeux , est de
neutraliser la concurrence par le moyen adroit d'une devise ,
d'une gravure , d'une phrase baroque qui pique la curiosité
des passans . Pour n'en citer qu'un exemple , entre beaucoup
d'autres que les coins de rues pourraient nous fournir
en cemoment , qui peut se vanter de n'avoir pas été dupe ,
comme nous , d'une affiche dont le titre , FINESSE EXTRÊME ,
écrit en caractère de six pouces de long , n'est que le commencement
de cette phrase : Finesse extrême defleurs de
moutarde ? etc.
Il existe dans cette ville plusieurs usages dont les
savans de la troisième classe de l'Institut seraient euxmêmes
fort embarrassés de découvrir l'origine . Tel est ,
entr'autres , l'usage de ces petitsjardins que les enfans établissent
pendant le mois de mai , dans les anciens quartiers
de Paris , et pour l'embellissement desquels ils sollicitent
la générosité des passans avec une opiniâtreté fatigante
. Sans avoir fait à cet égard aucune recherche qui
nous autorise à avoir une opinion , nous nous contenterons
de faire observer que cette coutume semble avoir quelque
rapport avec l'usage où l'on était encore au commencement
Gg
466 MERCURE DE FRANCE ,
,
du dernier siècle , de porter , le premier mai, une branche
d'arbre ou un bouquet de verdure à la main ; ce qui fournit
à La Fontaine le sujet de sa petite comédie intitulée : Je
vous prends sans verd. Acet impôt des jardins va succéder,
dans le mois où nous entrons , celui des chapelles et des
reposoirs de la Fête-Dieu , également levé par les enfans
et dont on sera peut-être fort embarrassé , dans quelques
siècles , de retrouver l'origine . C'était à cette même époque
de la Fête-Dieu , qu'il y a vingt ans les gens comme il faut
allaient , le matin en cérémonie , visiter les belles tapisseries
de la couronne exposées dans les galeries du Louvre
et celles dont les particuliers riches décoraient le deyant de
leurs maisons .
-De tems immémorial , la ville de Chartres a joui de
l'honorable privilége de déposer sur le berceau du fils aîné
de nos rois une CHEMISETTE à laquelle d'anciennes traditions
donnent une haute importance. S. M. l'Impératrice
n'en a point dédaigné l'hommage , et le maire de Chartres
a eu l'honneur de présenter à S. M. , au nom de ses concitoyens
, la robe destinée au roi de Rome , et à laquelle ont
travaillé les principales dames de la ville .
-Nous ne passons jamais , vers 7 on 8 heures du soir ,
sur les boulevards de Coblentz et des Variétés , sans nous
étonner que des mères de famille respectables , non-senlement
fréquentent de pareilles promenades , mais s'y établissent
avec leurs filles pendant des heures entières . Quel
exemple à donner à de jeunes personnes , que le manége
honteux de cette multitude de courtisanes de la dernière
classe qui s'y rassemblent à la chute du jour , pour y
mettre en oeuvre , avec autant d'impudence que de succès ,
des moyens de séduction dont la vue seule est pour l'innocence
et la jeunesse un commencement de corruption !
Aux Rédacteurs de la Chronique.
Messieurs , je suis un grand amateur de jardins , et j'en
possède un superbe à peu de distance de Paris , où je suis
parvenu , avec beaucoup de soins et de dépenses , à réunir
les plantes, les arbustes et les arbres les plus rares. Mon
goût ou plutôt ma passion pour la botanique est aujourd'hui
celle de nos dames ; cette circonstance me procure
de nombreuses visites , et jusqu'ici j'ai fait de mon mieux
les honneurs de mon jardin à mes aimables concitoyennes ;
malheureusement elles n'y viennent pas seules , et parmi
1
,
. 467 JUIN 1811 .
les hommes qui les accompagnent habituellement , j'en ai
remarqué deux espèces que je mets au nombre des fleaux
les plus à craindre pour les végétaux précieux dont se composent
mes bosquets . La première est celle de ces petits
Messieurs qui se promènent armés d'une badine , dont ils
espadonent avec une grace inimitable , et au moyen de
laquelle , à l'exemple de Tarquin , ils abattent à droite et
à gauche , sans distinction de genre et d'espèce , toutes les
sommités des plantes qui s'élèvent au-dessus des autres .
La seconde , moins nombrense , mais plus destructive encore
, est celle de ces gens distraits qui marchent à travers
une plate-bande des plus belles tulipes , comme sur un
plant de carottes , ou qui rêvassant au milieu d'une allée
plantée d'arbustes précieux et délicats , en arrachent à
pleines mains les feuilles , en cassent au hasard quelques
branches , dont ils rapportent les débris au salon , au risque
de faire évanouir le malheureux propriétaire.
J'ai pensé , Messieurs , que l'insertion de ma lettre dans
votre Chronique , était le moyen le plus sûr de faire parvenir
mes plaintes à ceux qui en sont fort innocemment
l'objet , et que cette mesure pourrait m'éviter un parti que
jeme verraís forcé de prendre , celui de ne plus admettre
d'étrangers dans mes jardins , sans un certificat de bou
sens et de bonnes manières .
J'ai l'honneur de vous saluer avec considération .
CH . D. BER...
EVÉNEMENS ANECDOTES . -Il est rare qu'un provincial ,
même avec beaucoup d'esprit , ne débute pas à Paris par se
donner un ridicule; il ne faut pour cela qu'une méprise de
la nature de celle que vient de commettre un jeune homme,
pour qui , d'ailleurs , unridicule n'est pas encore une chose
fort à craindre . Arrivé de Caen par la diligence , où il avait
laissé sa malle , il cherchait dans les environs un logement
convenable à ses études . Il traverse le boulevard , aperçoit
au fond d'une rue , un peu retirée , une maison de belle apparence,
sur laquelle est écrit , en grands caractères , hôtel
meublé à louer : Il entre , demande au portier à voir un
logement; il le voudrait tranquille et commode. Je vois ce
qui convient à Monsieur , répond aussitôt le portier , et je
vais le conduire au pavillon du jardin .-Un pavillon ? oui,
c'est cela , j'y serai à merveille. -Il se compose de quatre
chambres de maître , d'une salle à manger de quarante cou
verts , salon , boudoir , chambre de bain, remise et écurie
Gg 2
468 MERCURE DE FRANCE ,
- -
pour quatre chevaux seulement. ( Le jeune homme ouvrait
de grands yeux. ) Et le prix n'est que de 1500 fr . par mois .
C'est un peu cher pour moi . Il est possible que le
maître de la maison fasse à Monsieur quelque diminution ,
et s'il veut le voir... -Non , c'est inutile , et je vais vous
en dire la raison ; comme mon père ne me fait que 1200 fr .
de pension par an pour suivre un cours de chirurgie à
l'Hôtel-Dieu , ce n'est pas un logement de 1500 fr . , mais
de 15 fr. par mois , qu'il me faut . -Que ne parliez -vous ?
Monsieur , reprit le portier en riant , j'ai votre affaire : donnez-
vous seulement la peine de vous transporter rue de la
Harpe , nº 17 ; j'ai là un de mes cousins , qui tient l'hôtel
de la Téte-Noire, et dans la maison duquel vous trouverez,
au cinquième étage au-dessus de l'entresol , le logement
qui vous convient. Le jeune étudiant remercie le portier,
écrit l'adresse qu'il lui donne , et prend le chemin du faub .
Saint-Jacques , en songeant , pour se consoler , que beaucoup
de gens , logés aujourd'hui à l'hôtel Grange-Battelière,
ont commencé , comme lui , par demeurer à l'hôtel
de la Tête-Noire; et réciproquement,
Irus et est subitò qui modò Cræsus erat .
-L'orage que nous avons essuyé , à Paris , samedi dernier,
n'a pas duré plus d'une heure , mais il a réuni dans
ce court espace de tems toutes les circonstances désastreuses
qui pouvaient en rendre les suites plus funestes .
Dansunmoment , les jardins publics , et celui des Tuileries
particulièrement , ont été jonchés de branches d'arbres
rompues ; des cheminées , des pans de murailles sont
tombés sous l'effort du vent; la plus grande partie des
vitraux exposés au couchant , ceux des passages de Lorme
et du Panorama ont été brisés. Les rues situées dans les bas
fonds , telles que la rue Saint-Denis et celle du faubourg
Montmartre , ont été inondées , dans toute leur longueur , à
la hauteur de trois ou quatre pieds. De tous les accidens
auxquels ce terrible orage a donné lieu , le plus déplorable
est , sans contredit , la perte de deux ouvriers noyés dans
l'égout de la rue du Ponceau , où ils ont été engoufrés par
laviolence extrême des eaux qui s'y précipitaient.
-Les amateurs de Soirées récréatives se portent en
foule au café d'Apollon , dont l'ouverture s'est faite il y a
quelques jours. Les craintes que nous avons manifestées ,
dans un de nos précédens numéros , se sont réalisées ; les
entrepreneurs de cet établissement n'ont point obtenu la
JUIN 1811 . 469
permission d'yjouer la comédie, et le théâtre qu'ils ont construit
à grands frais est occupé par un nombreux orchestre
où se trouve plus d'un virtuose très-distingué : mais le
meilleur concert a beaucoup moins d'attrait que la plus
mauvaise parade , pour les habitués des boulevards , et la
curiosité une fois satisfaite , il est probable que le café
d'Apollon aura le sort de tant d'autres établissemens du
même genre , que les recherches du luxe n'ont pu préserver
d'une désertion totale.
- Comme notre tâche se borne à rendre compte des
événemens qui se passent à Paris , nous sommes dispensés
de parler sérieusement à nos lecteurs d'un fait rapporté par
tous nos journaux , sur la foi d'un chirurgien de Naples ,
lequel affirme qu'une femme de cette ville est accouchée
de treize enfans , tous vivans , et très-bien conformés dans
leurs dimensions microscopiques : on a donné à chacun
d'eux une souris pour nourrice , et l'on ne désespère pas
d'élever quelques individus de cette race de Liliputiens.
ARTS ET MONUMENS.-On fait en ce momentde grandes
réparations dans l'intérieur du château des Tuileries : la
salle du Trône va recevoir de nouveaux embellissemens ;
celle où se tiennent les séances du Conseil-d'Etat a été
décorée du magnifique tableau de la bataille d'Austerlitz ,
aux angles duquel ont été ajoutées nouvellement , quatre
figures de Renommées qui , loin de nuire à l'effet général ,
semble donnerplus d'éclat et de grandeur à cette admirable
composition. Cette haute protection , accordée par l'Empereur
à tous les grands talens dont s'honore la France ,
rappelle les plus belles années du siècle de Louis XIV , de
ce tems où le palais du monarque victorieux n'était décoré
que par le pinceau de nos peintres , le ciseau de nos sculpteurs,
et le produit de nos manufactures nationales .
- NOUVELLES LITTÉRAIRES ET BIBLIOGRAPHIQUES . On
n'entend parler que de réclamations d'auteurs et d'éditeurs
contre les journalistes. Ici c'est M. Fonvielle qui se fâche
de ce qu'on ne trouve pas d'euphonie dans les noms des
personnages de sa tragédie , et qui veut à toute force nous
prouver que rien n'est plus doux, plus sonore que les noms
de Karégites et d'Aicha : là c'est M. Rey démontrant à qui
veut accepter la brochure qu'il fait distribuer à la porte du
Théâtre-Français , que sa tragédie d'Astianax peut être
mise ( du moins quant aux beautés de style ) , en parallèle
-470 MERCURE DE FRANCE ,
avec l'Andromaque de Racine. Celui-ci prend à partie tons
les journalistes , et les somme de comparaître an café Zopi ,
à l'effet d'entendre la lecture de ses Etrennes aux Beaunois
et de se voir condamner à rétracter le jugement qu'ils ont
porté sur cet ouvrage , en déclarant que c'est un modèle de
légèreté , de grâce et d'esprit. Un autre seplaint avec autant
d'amertume que de raison de ce qu'on le prend pour un
homme de génie , et cite , comme preuve irrécusable du
contraire , sa Traduction du Cantique des Cantiques . Les
auteurs crient , les libraires jurent, les journalistes se divisent
. le public siffle , et les gens raisonnables disent avec
Petit-Jean:
1
Ma foi , juge et plaideurs , il faudrait tout lier.
-Il faut convenir que si la foi n'est pas suffisamment
corroborée au dix-neuvième siècle , ce ne sera pas faute
de livres de piété . Il est douteux qu'à aucune autre époque
(même au tems des billets de confession ) , il en ait été
publié un aussi grand nombre . Les catalogues de librairie
ne sont remplis que de Petits Paroissiens , d'Heures latines
, d'Heures nouvelles , de Lettres édifiantes , d'Instructions
chrétiennes , d'Eucologe suivant le rit Parisien ,
de Catéchismes , de Psaumes , de Cantiques et d'Antiennes.
Ce qui prouve incontestablement que les portes
de l'enfer philosophique ne prévalent pas , comme on voudrait
nous le faire croire , contre celles de l'église .
- Parmi les livres qui font contraste avec ceux dont
nous venons de parler, nous citerons la Macédoine de
Pigault-Lebrun ; ouvrage plus remarquable par la gaîté
que par la morale , par l'esprit que parle goût , par l'imagination
que par le style ; mais dont les quatre volumes
offrent en somme une lecture très-amusante , et ne peuvent
manquer d'avoir beaucoup de succès .
-
Onnouspromet sons peu la publication des OEuvres
complètes de Lebrun ; si l'on imprime toutes les épigrammes
, on peut, sans crainte , tirer l'ouvrage à vingt mille
exemplaires.
-
Parmi les ouvrages auxquels certains journaux cherchent
à donner de la célébrité , on remarque les Dialogues
critiques , où l'on trouve quelquefois de l'esprit , souvent
de la raison , rarement de la gaîté , et presque toujours du
mauvais goût .
-Au nombre des mille et une niaiseries qui figurent
JUIN 1811 . 471
depuis peu sur les étalages des libraires , on metplus partiquliérement
en évidence le Coche d'Auxerre , en trois
volumes , et le Pessimisme .
-
Les nombreux amateurs de la chanson ne nous pardonneraient
pas , si nous oubliions d'annoncer la Clefdu
Caveau , contenant 900 airs classés par ordre de timbres.
et devant servir à chanter toutes les chansons faites et probablement
à faire. Ce recueil , si utile aux auteurs , acteurs ,
compositeurs et amateurs de vaudevilles , se trouve chez
MM. Capelleet Renand , libraires , rue J.-J. Rousseau.
NOUVELLES DES THEATRES .-On demande pourquoi les
comédiens du Theatre- Français sont les seuls qui se soient
fait une habitude d'annoncer le spectacle et de changer l'affiche
quelques heures avant la représentation; Coriolanqu'on
vient de remettre au théâtre , avait essuyé deux fois cette
petite mortification. On assure , nous ne voudrions cependant
pas en répondre , que les sociétaires de la comédie
française ont pris la résolution de jouer par
ouvrages nouveaux , deux tragédies et deux comédies .
dont nous sommes sûrs , c'est qu'une mesure semblable
n'aura son exécution que lorsque les héritiers des auteurs.
morts auront droit aux mêmes honoraires que les auteurs
vivans .
, an,qquuaattre
Ce
Le Vaudeville répète une pièce de circonstance qui doit
faire suite à la Nouvelle Télégraphique. - Les Variétés
vont donner les Réjouissances de Nanterre; la Gaieté , les
Dragées , ou le Confiseur du Grand Monarque , et les Jeux
Gymniques , l'Oracle de Calchas . Y.
POLITIQUE .
La nouvelle de la naissance du roi de Rome a été rapidement
portée jusqu'aux extrémités de l'Europe : c'est le
19 avril que le corsaire l'Elie l'apporta à Constantinople .
Le 20 , au matin , elle était répandue dans toute la ville ,
en même tems que celle de la naissance d'une fille de
S. H. On s'est à l'instant occupé des dispositions à faire
pour les actions de graces à rendre au Tout-Puissant .
M. de Maubourg en a fait part à tous les ministres et à tous
les Français et Italiens : il a fixé pour le lendemain dimanche
la cérémonie du Te Deum à l'église Saint-Louis.
M. Deval , premier secrétaire-interprête de S. M. I. à
Constantinoble , est allé en grand costume , précédé de
janissaires et suivi d'un nombreux cortége , faire part de
ce grand évènement à S. Exc . l'ambassadeur d'Autriche ,
et l'a invité à se rendre chez M. de Maubourg , pour delà
passer à l'église et assister au Te Deum . M. le baron de
Sturmer s'est rendu chez M. de Maubourg , pour lui faire
son compliment sur la naissance de S. M. le roi de Rome,
et ils se sont rendus ensemble à l'église. Après la cérémonie
, qui a été très-brillante , M. le baron de Sturmer
est rentré dans les appartemens , et , après une courte
visite , il s'est retiré chez lui. M. de Maubourg , accompagné
de toute la légation française , est allé lui rendre sa
visite. Le même jour , M. de Maubourg a donné un trèsgrand
dîner , auquel étaient invités tout le corps diplomatique
et plusieurs étrangers de marque . Le soir , il y a eu
grande assemblée parée . Le dimanche suivant , M. de
Maubourg a donné une grande fête : il y a eu bal , illumination
, etc.
La reprise des hostilités ou la réussite des négociations
ne peuvent être encore que l'objet de conjectures ; on parle
de fréquentes réunions du divan où les dépêches de Pétersbourg
sont discutées ; on sait que le général Kutusow a
envoyé un de ses aides-de-camp à Schumla. Cependant les
préparatifs continuent des deux côtés comme si l'on était à
la veille de reprendre les armes .
Le grand-visir actuel a fait marcher une partie des trou,
MERCURE DE FRANCE , JUIN 1811 . 4,3
pes qui étaient en garnison à Constantinople . Le camp de
Schumla est leur rendez -vous général. Beaucoup de renfortsy
sont arrivés ; les troupes asiatiques passent le détroit
pour se rendre dans la Bulgarie méridionale. Le grandvisir
est arrivé lui-même à Schumla , à la tête d'un corps
de troupes choisies . Il a maintenant une tâche fort difficile
à remplir , c'est-à- dire , de dompter les janissaires , qui
paraissent s'être donnés le mot pour s'opposer à ses projets
parce qu'ils le regardent comme un ennemi juré de
leur corps. Ces troupes ont témoigné le plus grand mécortentement
de la destitution de Jussuf-Pacha , et plusieurs
de leurs corps , qui sont à l'armée , se sont constitués en
état d'insurrection ; mais ce mouvement n'a duré que peu
de jours seulement , car les corps des janissaires , qui se
trouvent à l'armée , n'étant pas réunis , il leur a été impossible
de suivre un plan combiné. Leurs mouvemens n'étant
pas appuyés par les autres troupes , qui les détestent , il a
donc été très-facile aux chefs de rétablir l'ordre , d'autant
plus qu'on a employé des voies de rigueur contre les officiers
les plus mutins des janissaires , dont plusieurs ont eu
la tête tranchée .
Le grand-visir Achmet-Pacha est sérieusement occupé
des mesures tendantes à mettre son armée promptement
en état d'ouvrir la campagne. Toutes ces dispositions font
entrevoir qu'il n'est pas porté pour la paix. Son intention
est de se distinguer et de battre les Russes , afin de pouvoir
reconquérir les provinces perdues par son prédécesseur.
Il est ennemi juré des Russes , et a une grande idée de la
supériorité des Turcs , qu'il croit invincibles s'ils sont bien
commandés. On raconte qu'il a déclaré publiquement que
quoique la paix soit nécessaire à l'Empire turc , il n'y consentira
qu'autant que les Russes restitueront à la Porte toutes
leurs conquêtes .
Toute l'armée turque , à l'exception des janissaires , a
beaucoup de confiance dans les talens et dans la bravoure
du grand-visir . Le Grand-Seigneur lui a donné des pouvoirs
illimités . Les principaux membres du divan et les
fonctionnaires les plus influens de Constantinople sont ses
amis et ses partisans . Il se trouve en conséquence dans les
rapports les plus favorables .
Jussuf-Pacha a obtenu l'autorisation de s'embarquer pour
l'île de Chio , dont le climat est très-sain , et où il espère
rétablir sa santé .
1
La majeure partie des vaisseaux de ligne et frégates qui
:
474 MERGURE DE FRANCE ,
composent la grande flotte turque est prête à partir. Le
capitan-pacha ne veut pas attendre les autres , qui peuvent
le rejoindre dès qu'ils seront équipés . On s'attend enconséquence
à recevoir sous peu la nouvelle qu'il quittera le
port de Bujuk-Tyre , et fera voile pour la Mer-Noire . La
flotte russe n'est pas nombreuse; elle est composée principalement
de bâtimens légers , qui ont leur rendez-vous
au port de Sébastopol dans la Crimée .
M. le comte Lauriston , ambassadeur de S. M. l'Empereur
des Français à Pétersbourg , est arrivé dans cette capitale
le 15 mai. Le même jour , la gazette de la cour a
nommé, suivant l'usage , M. le duc de Vicence , comme
devant quitter Pétersbourg ; il est effectivement parti , et
l'on annonce l'arrivée de cet ambassadeur à Paris dans la
matinée du 5 juin .
Le roi de Suède a publié une proclamation qui témoigne
la plus vive satisfaction de l'empressement avec lequel ses
braves et fidèles sujets de l'île de Gothland ont pris les
armes , et ont formé des ccoorps de volontaires pour la défense
de cette île. Ce corps est de 6000 hommes , sous les
ordres du général Cedestroëm . L'aide-de-camp du roi ,
M. Peyron , a fait une inspection sur les côtes , et a particulièrement
examiné les forts qui défendent l'approche de
la capitale. En Poméranie , les ordres , pour mettre tout en
état de défense et sur le pied le plus respectable , continuent
à s'exécuter. Le zèle le plus louable s'y manifeste .
Peu de jours après l'ordonnance de S. M. pour la conscription
, il s'est présenté à Stralsund 7742 hommes , dont
1300 armés et équipés sont aussitôt partis pour se répandre
sur la côte. Les mêmes mesures sont prises en Danemarck .
Onn'entend pas encore parler de la flotte anglaise ; elle a
passé le Belt le 20 mai à huit heures du soir. Un second
convoi a paru le lendemain ; il était retenu le 22 à Rafnaër
par les vents contraires .
Vienne a célébré avec le plus vif enthousiasme la naissance
du roi de Rome , et pour une circonstance si agréable
à cette cour , des règles d'étiquette jusqu'ici très -sévèrement
observées , ont reçu des modifications .
La fête que S. Exc. l'ambassadeur de France , M. le.
comte Otto de Mosloy , avait préparée dans son hôtel avec
autant de splendeur que de goût , a eu lieu le 20 mai . LL.
MM. l'Empereur et l'Impératrice , LL. AA. II . les archi-.
ducs , Madame l'archiduchesse Béatrix et l'électrice douai.
1 JUIN 1811.. 475
rière de Bavière , ainsi que S. A. R. le duc d'Albert de
Saxe-Teschen , ont honoré cette fête de leur présence .
L'Empereur et l'Impératrice , après avoir assisté pendant
quelques heures au bal , se sont retirés un moment avant le
souper , auquel les autres illustres personnages prirent parf.
Après le souper , la danse recommença et continua jusqu'au
lendemain matin .
M. l'ambassadeur avait fait construire la salle du bal sur
l'emplacement de la cour intérieure de son hôtel en l'élevantjusqu'au
premier étage. Les autres pièces de cet étage
servaient de salles à manger. On y avait dressé vingt-cinq
tables auxquelles plus de 600 personnes prirentplace.
Toute la rue qui conduit à l'hôtel de l'ambassadeur était
illuminée. Au milieu de cette rue était érigé un arc de
triomphe , décoré de plusieurs transparens allégoriques , et
des noms entrelacés de François , Napoléon et Louise :
sous cet arc de triomphe ,le piédestal d'une colonne portait
le buste transparent du roi de Rome , avec celte inscription
: dessous ,
Et en légende ,
Nap. Franc. Jos . Car.
Rex Roma .
Patrium servabit honorem .
Malgré la grande affluence des spectateurs attirés de
toutes parts , l'ordre et la joie de cette journée n'ont été
interrompus par aucun accident fâcheux.
La rapidité et la facilité des communications des Anglais
avec Lisbonne, leur donnent les moyens de nous apprendre
les premiers que leurs troupes jointes à celles de Beresford
, ont voulu reprendre Badajoz , et qu'elles ont été
écrasées dans cette téméraire entreprise par le corps aux
ordres du maréchal duc de Dalmatie.
Les rapports officiels ne sont pas encore publiés ni arrivés
; mais tous les journaux anglais s'accordent à regarder
cet engagement comme l'un des plus meurtriers que leurs
troupes aient eu à soutenir.
Un premier combat a eu lieu près de Badajoz , le 7 mai ;
les alliés , c'est-à-dire les Anglais et les Portugais , ont
perdu 29 officiers et goo hommes . Parmi les officiers , il y
en a plusieurs d'une haute distinction.
Le 9, le maréchal Soult , duc de Dalmatie , quitta sa
position de Gillens à la tête de 15,000 hommes , et son
quartier-général fut porté le 16 à Zafra , où il fit sa jonction
476 MERCURE DE FRANCE ,
avec le général Latour-Maubourg; ce qui porta le corps
réuni sous ses ordres à environ 25,000 hommes . Le général
Ballasteros se replia immédiatement , et réunit son corps
à celui du général Blake. Leurs forces combinées se portèrent
de Xérès à Baracotta. Le 13 , le maréchal Beresford
et le général Castanos concentrèrent leurs forces à Valverde
, où il paraît qu'ils ont été joints depuis par le général
Blake.
Le 16 , le maréchal Soult attaqua l'armée combinée à
Albuerra ; l'action fut opiniâtre , elle a duré six heures. La
perte des alliés n'est pas spécifiée , mais on conçoit qu'elle
a eté considérable. Le major-général Houghton a été tué ;
les majors-généraux Cole et W. Stuart sont blessés ; les
lieutenans-colonels Myers et Duckworth sont tués .
Une transmission télégraphique d'Elvas , en date du
18 mai , a confirmé cette nouvelle , et le dimanche 26 , on
recevait à Falmouth un paquebot arrivé d'Elvas en sept
jours. Il a donné les mêmes détails : la bataille a été donnée
le 16 , à 15 milles au sud de Badajoz . Les armées
combinées ont perdu 8000 hommes . Les Buffles ( the
Buffs ) sont tous tués ou blessés , à l'exception de quatre
hommes ; le régiment entier est détruit . Lord Wellington
était attendu du nord avec un renfort de 12000 hommes ,
pour joindre le maréchal Beresford. On cite la 3º et la 7°
divisions de l'armée anglaise comme devant suivre son général
et venir au secours du corps de Beresford ; mais
comment un tel secours serait-il possible ? Les Anglais
oublient- ils l'affaire du 5 , et la position de Fuente-d'Onnoro
où ils ont perdu une si grande quantité de monde ?
Oublient-ils qu'avec leurs forces réunies ils n'ont pu contenir
la garnison d'Almeida ? Ne disent-ils pas eux-mêmes
que le duc d'Istrie a marché avec 12000 hommes de la
garde impériale , pour renforcer l'armée française du Portugal
, aujourd'hui sous le commandement du maréchal
duc de Raguse , le prince d'Essling étant revenu en France?
Voici la dernière dépêche du maréchal prince d'Essling
sur les résultats de l'affaire du 5 , et la sortie d'Almeida.
Sa dépêche est adressée au prince major-général , et datée
de Salamanque , le 14 mai 1811
Sa
:
« J'ai eu l'honneur de rendre compte à V. A. , dans ma
dernière dépêche , des succès qu'avait obtenus l'armée ,
dans la journée du 3 mai , sur l'aile droite de l'armée anglaise.
L'ennemi avait employé la nuit du 5 au 6 , et cette
dernière journée, à retrancher le centre de sa ligne , que
JUIN 1811 . 477
l'armée prenait en flanc par sa position après l'attaque.
Depuis ce moment il a travaillé sans relâche à ses retranchemens
. L'attaque de ces ouvrages était difficile ; considérant
d'ailleurs que la garnison d'Almeida n'avait que pour
dix jours de vivres , et que je ne pouvais lui en donner que
pour peu dejours , je crus , dans cette circonstance , devoir
donner l'ordre de faire sauter les fourneaux de mine qui
étaient préparés depuis deux mois , selon les instructions de
V. A. , et ordonner au général Brenier qui commandait
dans la place , de venir me joindre . Il fallait plusieurs jours
pour charger les fourneaux.
» Dans la matinée du 7 , je fis faire à mes troupes quelques
mouvemens pour continuer à tenir l'ennemi dans l'inquiétude
qu'il témoignait assez par son assiduité à ses travaux
, et je fis reconnaître avec appareil toutes les avenues
de sa ligne.
M Le 8 , je rectifiai ma position en continuant d'occuper
le village de Fuente-d'Onnoro . L'objet de ces dispositions
était de faire craindre à l'ennemi un mouvement sur le
centre de sa ligne ou sur l'un deses flancs . Aussi se tint-il
toute la journée en masse , sous les armes , et dans des
manoeuvres continuelles .
" Le 9 , l'armée resta dans ses mêmes positions , et mes
reconnaissances tâtèrent toute la ligne ennemie . Les Anglais
ne se sont jamais montrés hors de leurs rochers et de leurs
retranchemens; ils ont prouvé par toutes sortes de dispositions
défensives , combien ils avaient été intimidés par la
vigoureuse attaque du 5.
" Le 10 , à minuit , les fourneaux de mine d'Almeida
sautèrent : cinq bastions et quatre demi-lunes ont été entièrement
culbutés , et les fortifications détruites . Le général
Brenier a montré autant de talent que d'intrépidité dans
la conduite de cette affaire . Il s'est retiré avec sa garnison
sur Balha- del-Puerco , où il s'est réuni au 2ª corps , en culbutant
tout ce qui s'est présenté à lui .
> Avant ainsi terminé l'opération qui l'avait mise en
mouvement , l'armée est rentrée dans ses cantonnemens .
» Je prie V. A. de mettre sous les yeux de S. M. la belle
conduite que les officiers ou soldats ont tenue dans cette
circonstance , et de solliciter l'obtention des différentes récompenses
que je demande par mes rapports ultérieurs .
„ Je suis , etc. "
L'Empereur , dans sa tournée dans les départemens de
478 MERCURE DE FRANCE ,
la ci-devant Normandie , a par-tout été témoin de lallégresse
que sa présence inspire , et des sentimens de reconnaissance
auxquels elle permet d'éclater. Il a visité les
immenses travaux de Cherbourg dans le plus grand détail ,
et témoigné sa satisfaction à l'ingénieur Cachin. LL. MM.
II. sont revenues par Saint-Lo , Alençon et Chartres . Elles
sont arrivées à Saint-Cloudle mardi 4 , à quatre heures
après midi. Le canon des Invalides a aussitôt annoncé
cette nouvelle à la capitale , et le pavillon impérial a paru
flottant sur le palais des Tuileries.
En cemoment on s'occupe avec la plus grande activité
des préparatifs de la fête que la ville de Paris doit offrir à
LL. MM. le 9 juin , jout fixé pour la cérémonie du baptême
du roi de Rome. La veille , tous les spectacles seront
ouverts gratuitement. Ily aura cercle et spectacle à la cour .
On élève aux Champs-Elysées des théâtres , des orchestres
dans le carré des Jeux et dans celui de Marigny ;
des buffets et des fontaines de vin le long de la grande
avenue . A l'Hôtel-de-Ville , on dispose les salles pour la
fête : c'est dans la grande salle du Trône que seront reçus
LL. MM. , les princes et princesses et les personnes de la
cour qui auront l'honneur de les accompagner; les autres
salles étant destinées à recevoir les personnes de la ville
qui seront invitées à assister au banquet impérial , ainsi
qu'au concert. Il n'y aura point cette fois de constructions
mobiles ; au moyen de quoila réunion sera nécessairement
beaucoup moins nombreuse qu'aux précédentes fêtes .
On fait aussi des préparatifs pour l'illumination générale
de tous les édifices communaux et particuliers.
Le feu d'artifice sera tiré sur la place de la Concorde.
L'ouverture de la session du Corps-Législatif n'aura lieu
que le 16.
ANNONCES .
S....
Catalogue systématique et vaisonnéede la nouvelle littératurefran
çaise , ou Répertoire général des livres en tout genre , gravures .
cartes géographiques et oeuvres de musique publiés en France dans le
courant de l'année 1810 , et annoncés avec des remarques critiques
dans les cahiers composant la XIIIe année du Journal général de la
littérature de France. Brochure in-8° . Prix , 75 c. , et 1 fr, franc de
port. A Paris , che Treuttel et Würtz , libraires , rue de Lille , nº17
etàStrasbourg, même maison de commerce.
JUIN 1811 . 479
Observations adressées à M. le conseiller d'Etat directeur-géneral
de l'imprimerie et de la librairie , par J. Rodrigues , auteur de ta Tenue
des livres théorique et pratique , sur son ouvrage comparé avec
celui de M. Edmond Desgranges, intitulé : la Tenue des livres rendue
facile, et tableaux contenant les principales dissemblances qui existent
entre les deux ouvrages , avec la réponse à l'article que M. Desgranges
a fait insérer dans le Journal du Commerce , du 30 janvier
dernier. Brochure in-8° . Prix , 50 c , Chez J.-J. Paschoud , libraire ,
rue des Petits -Augustins , n° 3 .
On trouve aussi , chez le même libraire , la Tenue des livres thé -
rique et pratique , du même auteur . Un vol . in-8° . Prix, 4 fr. 50 c.
etavec les Observations , 4 fr . 75 c .
,
Instruction sur la fabrication de la poudre , ou Détails de divers
procédés en usage pour la fabrication de la poudre et la préparation
de ses principes constituans ; par L. Renaud , chef de bataillon au
corps impérial d'artillerie , chevalier de la Légion-d'Honneur. Imprimé
avec l'approbation de S. Exe, le ministre de la guerre. In-8c.
Prix 2fr. 50 c. , et 3 fr. 25 c. franc de port. Chez Magimel , libr.
pour l'art militaire , rue de Thionville , nº 9 .
.
Un réglement du 26 mars 1807 a ordonné la rédaction de cahies
classiques sur les différentes branches du service de l'artillerie , suivant
les programmes proposés en l'an XI par une commission d'offciers
généraux et supérieurs d'artillerie et du génie. Le travail de
M. Renaud a été fait en exécution de cette disposition , d'après les
ordres de S. Exc. le premier inspecteur d'artillerie .
L'approbation que lui a donnée S. Exc. le ministre de la guerre ,
indique assez le mérite de l'ouvrage et les talens de l'auteur.
Histoire des Chevaux célèbres , contenant un recueil des anecdotes
relativesà ce noble animal ; les mentions les plus intéressantes qu'en
ont faites les auteurs anciens et modernes , en vers et en prose ; ainsi
que les productions des beaux- arts qui ont rapport aux chevaux ; et
généralement tout ce qui peut amuser et instruire , dans un pareil
sujet , les amateurs des chevaux et tous ceux qui en fontusage. Rédigé
et publié par P. J. B. N. Un vol. in-12 , fig. Prix, 3 fr. , et 3 fr .
70 c. francde port. Chez L. Duprat-Duverger , rue des Augustins ,
nº 21 .
Tragédie d'Astianax, en cinq actes et en vers , précédée d'un discours
où l'auteur a examiné le plan et les caractères de sa tragédie et
de l'Andromaque de Racine. Prix de chaque exemplaire des deux
1
480 MERCURE DE FRANCE , JUIN 1811 .
ouvrages réunis dans un seul cahier , 3 fr . 50 c . , et 4 fr. franc de port.
Chez Michaud frères , imprimeurs -libraires , rue des Bons -Enfans ,
n° 34.
Le Vrai petit guide du Chrétien , ou Abrégé de la vie chrétienne ,
précédé de l'Ordinaire de la Messe , et suivi des principaux offices de
l'Eglise . Un vol . in- 32 , avec quatre jolies gravures d'après les dessins
de Moreau jeune . Prix , broché , 1 fr . 50 c . , et 2 fr . franc de port.
Relié en veau doré , 3 fr . , et en maroquin , 5 fr . Chez Rosa , relieurlibraire
, rue de Bussy , nº 15 .
Journal des Avoués, ou Recueil général des lois , décrets impériaux ,
décisions du Conseil- d'Etat et des ministres , arrêts de la Cour de Cassation
et de toutes les Cours d'Appel de l'Empire , et des jugemens du
tribunal de première instance de Paris , qui fixent un point de la proéédure
civile , criminelle ou commerciale , publié par A. S. G. Coffi
nières , No IV d'avril .
Ce Recueil parait dans les derniers jours de chaque mois , par livraisons
de quatre feuilles d'impression , ou 64 pages in - 8 ° .
Le prix de l'abonnement et de 15 fr . par an ; on s'abonne rue Saint-
Jacques , nº 41 .
Philosophie médicale , ou Vérités fondamentales de la médecine
moderne , par Chortel , docteur en médecine , ancien médecin militaire
de première classe , l'un des rédacteurs des Annales de littérature
médicale étrangère , auteur de plusieurs ouvrages de médecine ,
membre de diverses sociétés savantes , nationales et étrangères . Un vol . ,
in- 8 ° . Prix , 3 fr . , et 3 fr . 75 c . franc de port. A Bruxelles , chez la
Ve Emmanuel Flon , rue de la Putterir , n° 1348 ; et à Paris , chez
Lenormant , imprimeur-libraire , rue de Scine , nº 8 , près le pont des
Arts.
Archives des découvertes et inventions nouvelles , faites dans les
sciences , les arts et les manufactures , tant en France que dans les pays
étrangers , pendant le cours de l'année 1810 , avec une indication succincte
des principaux produits de l'industrie nationale française , et de
la liste des objets dont les auteurs ont obtenu des brevets d'invention
pendant la même année . Troisième volume de la collection . Un vol.
in- 8 ° , ( de l'imprimerie de Crapelet . ) Prix , 6 fr . , et 7 fr. 50 c .
franc de port. Les deux années précédentes sont du même prix. A
Paris , chez Treuttel et Würtz , libraires , rue de Lille , nº 17 , et à
Strasbourg , même maison de commerce ; et à Paris , chez Arthus-
Bertrand , libraire , rue Hautefeuille , nº 23.
MERCURE
DE FRANCE .
DEPT
DE
LA
N° DXVII . - Samedi 15 Juin 1811 .
5.
POÉSIE .
ODE SUR LA NAISSANCE DU ROI DE ROME .
La poésie est plus sérieuse et plus utile que ne le
croit le vulgaire .
FÉNÉLON ( Lettre à l'Académie
française sur l'éloquence ).
TELLES on voit briller ces Sphères vagabondes
Qui , frappant de terreur les peuples et les mondes ,
D'un vol précipité , s'éloignent de nos yeux ;
Des arrêts du Destin prophétiques ministres ,
Dont le front toujours pâle , armé de feux sinistres ,
Semble menacer l'ordre établi dans les cieux :
Tels passent , enivrés de sanglantes chimères ,
Ces fougueux conquérans , puissances éphémères
Produites pour détruire ou punir les Etats ;
Lahaine , après leur mort , s'attache à leur mémoire :
Que reste-t - il d'eux? rien : tous leurs titres de gloire
Sent dans de grands malheurs et de grands attentats.
Hh
,
SEINE
482 MERCURE DE FRANCE ,
Mais quand l'esprit d'erreur , la faiblesse et le crime
Ont , par degrés , conduit sur les bords de l'abime
Un Empire déjà ravagé par le tems ;
S'il s'élève aussitôt un souverain génie
Qui verse dans son sein de longs torrens de vie ,
Et l'arrête , affermi sur ses vieux fondemens :
Si samain en saisit les rênes délaissées ;
Si, le succès toujours couronnant ses pensées ,
Il fixe l'harmonie où régnait le chaos ;
S'il enchaîne le cours des publiques misères ,
Et qu'il sache , à son gré , des factions contraires
Enouvoir , applanir et balancer les flots :
Si , dans l'art des combats , sans rival et sans maitre ,
On voit , à son nom seul , s'enfuir et disparaitre
Les peuples contrelui soulevés par leurs Rois ;
S'il est moins un Héros sur le char de la
guerre ,
Qu'un grand législateur qui visite la terre
Pour en renouveler les trônes et les lois :
Qui ne révère en lui l'envoyé de Dieu même?
Sur quel front glorieux le sacré diadême
Réunit-il jamais cette vive splendeur ?
Qui ne voit que sa race , en Monarques féconde ,
Seule peut enfanter et garantir au monde
Des siècles florissans de paix et de grandeur ?
O toi , que si long-tems tourmenta l'espérance ,
France , réjouis-toi , triomphe , heureuse France !
Vois du Très-Haut sur toi les desseins s'accomplir;
Et toi , divin enfant , qu'appelaient nos hommages ,
Sois grand, sur-tout sois bon ! ces voeux sont des présages
Que le Cielme révèle et que tu dois remplir.
Que toutes les vertus l'ombragent de leurs ailes !
Chantons , en son honneur , sur nos lyres fidèles ,
L'amour qui pour leurs Rois transportait nos aïeux ;
De cet antique amour , leur plus beau caractère ,
Rallumons à l'envi la flamme héréditaire ,
Et que nos Souverains redeviennent nos Dieux !
Ah! si la poésie enfantait les merveilles
Quide ses favoris signalèrent les veilles , -
JUIN 1811 483
Quand la Terre admirait leurs chants législateurs ;
Et si le Ciel , propice à l'ardeur qui m'entraîne ,
Ajoutait à ma voix cette voix souveraine
Qui sait , en les frappant , renouveler les coeurs :
Je dirais aux humains qu'un pouvoir sans partage
De l'immortel pouvoir est l'immortelle image ,
Leur garant le plus sûr de salut et de paix ;
Que le joug paternel , le seul joug monarchique ,
Pour le maintien sacré de l'ordre politique ,
Convient à chaque peuple et sur-tout aux Français .
Je saurais surveiller , sentinelle aguerrie ,
Les esprits novateurs , fléau de la patrie ,
Prêt à lancer contre eux les foudres de ma voix ,
Aprouver qu'une impie et rebelle doctrine ,
Du trône et de l'autel préparant la ruine ,
Les ennemis de Dieu sont ennemis des Rois .
Combien douze ans chargés de malheurs et de crimes ,
Qui d'un oubli fatal ont vengé ces maximes ,
En renouvelleraient l'utile souvenir !
Je ferais de ces tems revivre les images ,
Salutaires fanaux qui de ces grands naufrages
Iraient , en l'éclairant , préserver l'avenir.
Ainsi la poésie , art trop souvent futile ,
Artplus souvent encor dangereux et servile ,
Serait , comme jadis , le langage des Dieux ;
Et , laissant dans les Cours ramper la flatterie ,
Mamuse citoyenne , en servant la patrie ,
Servirait le Monarque et la cause des Cieux.
Et quel besoin a-t-il que , rivaux de bassesse ,
Des essaims de flatteurs le poursuivent sans cesse
Pour brûler à ses pieds un mercenaire encens ?
La gloire de remplir ce grave ministère
Appartient à des voix qui ne peuvent se taire ,
Etdont il ne peut fuir ni blâmer les accens .
Ces superbes canaux que son génie immense ,
Rival du Créateur , prépare à l'opulence ,
Par ces heureux liens vingt fleuves réunis ,
:
Hh 2
1
484 MERCURE DE FRANCE ,
Ces chemins inconnus ouverts à la victoire ,
Que cet Aigle intrépide , en volant à la gloire .
Trace , en sillons de feu , sur le front du Cénis :
Le malheur consolé recouvrant ses hospices ,
L'humble Religion , ses pompeux édifices ,
Tous les arts à-la- fois pleins d'un esprit nouveau ,
Ces siéges renommés , ces savantes batailles ,
De trois peuples rivaux célèbres funérailles ,
Dans les champs d'Iéna , de Wagram et d'Eylau :
Voilà de quelles voix il estime l'hommage ;
Les voilà ces amis dont le noble langage
Lui fait , en le louant , sentir la vérité :
Eloquens orateurs , simples et grands comme elle ,
Ils forment le cortége imposant et fidèle
Qui le mène en triomphe à l'immortalité .
Fils de NAPOLÉON , ô prince en qui la France
Voit fleurir sa plus chère et plus haute espérance ,
Sois digne du Monarque à qui tu dois le jour ;
Sois digne des vertus de ton heureuse mère ;
Sois digne des Français : que ton règne prospère
S'écoule plein de gloire et de paix et d'amour !
Mais j'aperçois déjà la Muse de l'histoire
Qui, des faits les plus beaux remplissant tamémoire ,
Allume pardegrès ta généreuse ardeur ;
Et , nourrisson des Rois , des Héros et des Sages ,
Tu peux , fortifié par leurs vives images ,
De l'Astre paternel soutenir la splendeur.
Vois à ses pieds vainqueurs tomber tous les obstacles ,
Et vois se prolonger la chaîne des miracles
Qui l'ont des potentats rendu le Souverain ;
Apprends l'art , successeur et fils du plus grandhomme ,
De porter , comme lui , dans Paris et dans Rome ,
Deux sceptres , si légers pour sa puissante main .
Quels devoirs te prescrit sa vaste renommée !
Avec quel tendre orgueil ta jeunesse enflammée
Se plaît à contempler ses immenses travaux !
Mais tu crains ,je le vois à tes brûlantes larmes ,
JUIN 1811 . 485
Que l'Univers , soumis par ses lois et ses armes ,
Ne condamne tes jours au tourment du repos .
N'entends - tu pas ton nom retentir sous le chaume ?
Les pauvres dispersés dans ton double royaume
De ta naissance auguste adorent le bienfait :
Cesse done d'envier la gloire de ton père ;
Même gloire t'attend : son coeur te laisse à faire
Tout le bien qu'il médite et qu'il n'aura point fait.
Ah ! permets , dans ce jour rayonnant d'allégresse ,
Queje vienne à tes pieds , conduit par la Sagesse ,
Apporter en tribut un si touchant tableau ;
Que l'infortune en toi trouve un dieu tutélaire ,
Etque, dans les palais trop souvent étrangère ,
La Pitié suppliante embrasse ton berceau .
J'ai vu , j'ai parcouru la montagne aux deux cimes :
L'une s'enorgueillit de ces chantres sublimes
Qui savent des héros consacrer la valeur ;
L'autre sous les cyprès élève ces poëtes
Qui , de l'humanité courageux interprètes ,
Ont dévoué leur lyre au culte du malheur.
Qu'ils chantent , d'une voix également habile ,
Le grand Agamemnon et le bouillant Achille ,
Ou le sort de Priam , d'Andromaque et d'Hector ;
Ils sont tous aussi chers au Dieu de l'harmonie ,
Tous créés pour la gloire ; et l'Arbre du génie
Sur leurs fronts triomphans courbe ses rameaux d'or.
ODE SUR LA NAISSANCE DU ROI DE ROME .
L'AIGLE , ministre du tonnerre ,
Ne volait plus pour les Césars ,
Et las de foudroyer la terre
Reposait sur l'autel de Mars .
A la voix du bronze qui gronde ,
Vers la capitale du monde
Ildirige un vol triomphant ,
Et dans Lutèce glorieuse
De son aile victorieuse
Couvre leberceau d'un Enfant .
486
MERCURE DE FRANCE ,
Au lit maternel attachée ,
LOUISE oubliant la douleur ,
Contemple , avec amour penchée ,
Cette royale et tendre fleur.
Telle sur un lit de verdure ,
Au doux réveil de la nature ,
Belle d'un naissant rejeton ,
La rose , mère fortunée ,
Sur sa noble tige inclinée ,
Sourit à son premier bouton.
L'hydre des Discordes civiles
Se replonge au fond des Enfers.
Peuples , chantez ! Lyres dociles ,
Recommencez vos doux concerts !
Que l'homme , échappé du naufrage ,
Baise avec transport le rivage !
Que le gémissant laboureur
Aime à voir la tendre rosée ,
Au sein de la terre embrasée ,
Verser la vie et la fraîcheur !
Ne va point , livrant ta jeunesse
Ades conseils empoisonnés ,
Dans les sentiers de la mollesse
Cacher tes pas efféminés.
La colombe faible et timide
N'ose franchir d'un vol rapide
Les solitudes de l'éther ;
Mais par des routes inconnues ,
L'aigle, perçant les vastes nues ,
S'élance aux pieds de Jupiter .
Ainsi les héros magnanimes
Ont su mériter des autels ,
L'effort de leurs vertus sublimes
Les mit au rang des immortels .
Si ton front porte une couronne ,
C'est la naissance qui la donne;
La vertu doit la soutenir .
Les fronts n'ont plus de diadêm
Devant le tribunal suprême
De l'incorruptible avenir.
JUIN 1811 . 487
Quels sons jaillissent de ma lyre !
Ecoutez , nations et rois !
Le voile des tems se déchire ,
L'avenir parle sous mes doigts.
L'aquilon mugit , le ciel tonne ,
De la Tamise qui frissonne
Les flots, émus se sont troublés ,
Neptune de sa main puissante ,
Secoue Albion pálissante ,
Sur ses rivages ébranlés .
Tu luis enfin , jour de vengeance ,
Tu luis pour le libre univers !
J'entends bouillonner d'espérance
Le sein tumultueux des mers .
Neptune soulève sa tête ;
Son trident , roi de la tempête ,
Brise leurs orgueilleux vaisseaux ;
Il ouvre la mer dévorante ,
Et sur Albion expirante ,
Referme l'abime des eaux .
Le riche habitant du Bengale ,
Qui revient chargé de trésors ,
Et qui , de son île natale ,
Croit de loin saluer les ports ;
De son vaisseau prêt à descendre ,
N'aperçoit pas même la cendre
De sa perfide nation ,
Et s'égarant vers notre plage ,
Demande à l'écho du rivage ,
Où donc , où donc est Albion ? ..
Cependant la ville éternelle ,
Comme aux anciens jours de grandeur,
Voit sur la colline fidèle ,
Monter le char triomphateur.
César au bruit des chants de gloire,
Sur les. autels de la victoire ,
Déposant son glaive étonné ,
Ferme le temple de la guerre ,
Et sur le trône de la terre
S'assied, de rois , environné.
488 MERCURE DE FRANCE ,
Apeine lesTitans impies ,
Plongés dans les gouffres brûlans ,
Sentent les flammes ennemies
Pénétrer leurs horribles flanes ,
Jupiter souriant au monde
Rappelle sa foudre qui gronde ,
Les cieux ne sont plus effrayés ,
L'étendue est silencieuse ,
Etdans leur marche harmonieuse
Les astres roulent à ses pieds.
Par L. M. DE CORMENIN ,
auditeur au Conseil-d'Etat .
ÉNIGME .
VEUT- ON me donner la naissance ,
Il faut du feu conjurer le secours ;
Et c'est encore au feu qu'on a recours
Pour me faire exercer mon affreuse puissance,
Je suis brutal ; mais que peut- on
Attendre mieux de qui sortde prison?
J'en pars avec fracas , je brise et je renverse ;
Enmainte occasion ou je tue ou je blesse.
Mais je suis donc un être bien méchant?
Oh! pas toujours : demandez à l'enfant :
Il vous dira que je l'amuse ;
Demandez à l'adolescent ,
Quand il me met en jeu , Dieu sait comme il en use !
Il ne m'épargne prou ni peu ;
D'un bras nerveux , il me prend , il me frappe ,
Me jette au loin; je reviens , il m'attrape ;
Après m'avoir d'abord élevée au plus haut ,
Il me fait mordre la poussière ,
Ou bien rouler sur le carreau .
Mais , lecteur , voici du nouveau.
Mon existence singulière
M'expose à voyager et par terre et par eau.
De nombre d'enfans je suis mère;
Onme prisebeaucoup enAngleterre ,
JUIN 1811 . 489
Dans les grands jours de parlement
Je sers de siège au président.
Nécessaire à l'imprimerie .
۱
On m'y fait avaler l'encre jusqu'à la lie.
On entreprendrait vainement
D'imprimer à la presse
Le plus rapide mouvement ;
Sije ne fais auparavant
Au caractère une douce caresse ,
Ontire , mais on fait chou- blano .
S ........
LOGOGRIPHE .
Je suis un mot latin que tout Français entend ,
Propre à celui qui consent ou commande ,
Et toujours agréable à celui qui demande .
Pour ces deux cas je fus fait : cependant ,
Lecteur , je ne dois pas vous taire
Qu'aucune langue , ou savante , ou vulgaire ,
N'existait encore , je crois ,
Lorsqu'on me prononça pour la première fois .
Auditeurs ni témoins , n'étaient là pour m'écrire ,
M'entendre ou m'expliquer : c'est assez vous en dire.
Quoi qu'il en soit , mettez en mouvement
Mes quatre pieds , vous trouvez sur leur trace
Deux mots bien reconnus pour être de ma race ;
Unpronom féminin d'usage en tutoyant ;
Le mot précis , technique et nécessaire
Exprimant qu'on a fait ce que l'on voulait faire ;
Ce que n'est jamais l'homme et modeste et prudent ;
Un interjection outrageuse ou critique ;
Un arbre toujours verd ; un signe de musique ;
Enfin c'est par moi qu'on traduit
Enlatin oui , puis en françaisfecit .
JOUYNEAU-DESLOGES. ( Poitiers . )
490 MERCURE DE FRANCE , JUIN 1811 .
CHARADE .
POINT de palais , ( le cas est singulier )
Ni de prison sans mon premier.
Sous un autre rapport , de ce même premier ,
Le féminin se trouve mon dernier.
Cedernier offre même un fruit qui n'est pas bon
Qu'il n'ait acquis l'état exprimé par son nom.
Mon tout est un mot déplaisant
Fait pour marquer le mécontentement.
Par le même.
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARADE
insérés dans le dernier Numéro .
Le mot de la Contre-Enigme est Beau .
Celui du Logogriphe est Ecran , où l'on trouve : crâne, rance,
ancreet nacre.
Celui de la Charade est Carnaval .
SCIENCES ET ARTS.
LE CONSERVATEUR DE LA VUE ; par J. G. A. CHEVALLIER ,
ingénieur-opticien de S. M. le roi de Westphalie ,
membre de plusieurs Académies . Suivi du Catalogue
général et prix courant des instrumens d'optique , de
mathématique et de physique de la fabrique et du
magasin de l'auteur . Orné de huit planches , avec
frontispice , d'après les dessins de Moreau jeune et
Ponce , etc. , etc. Un volume in- 8° de 240 pages
d'impression . - Prix , .5 fr. , et 6 fr. franc de port ;
papier vélin , relié à la Bradelle , 12 fr. , et 13 fr . 50 c .
franc de port. A Paris , chez l'Auteur , tour de
l'Horloge du Palais , nº 1 , vis-à- vis du marché aux
Fleurs et du Pont-au - Change ; P. Mongie , libraire
cour des Fontaines , nº 1 ; Lenormant , imp . - libraire ,
rue de Seine , faubourg Saint- Germain , n° 8 ; Capelle
et Renand , libraires , rue Jean-Jacq . Rousseau ,
n° 6 ; Chaumerot , libraire , Palais- Royal , galeries de
bois , nº 188 .
-
La médecine ne peut s'occuper d'un objet plus important
que celui dont il s'agit dans ce traité . L'auteur
ne l'a point composé pour les savans , ni pour les artistes ,
mais seulement pour les gens du monde , en leur offrant
ce qui tient essentiellement à l'usage , au soulagement
et à la conservation des yeux ; il ne présente point les
moyens curatifs qu'il faut demander aux gens de l'art ,
mais il met à portée de connaître l'instant où il faut les
demander : et pour prévenir ces besoins il indique ce
qui , dans la fabrication des instrumens d'optique , peut
assurer la confiance dans le choix , dans l'usage et l'achat
de ces mêmes instrumens .
L'auteur croit qu'il serait inutile de démontrer l'importance
de l'organe de la vue , le plus merveilleux de
ceux dont la nature a doué les êtres animés ; son immen432
MERCURE DE FRANCE , 1
sité , qui s'étend jusqu'aux astres ; son activité rapide ,
qui reçoit et reporte de l'un à l'autre les objets les plus
éloignés , établit des communications entre tous les
êtres animés , et des jouissances , par les moyens qu'il
offre de transmettre et de recevoir les pensées les plus
secrètes et les sentimens les plus doux. Dans tous les
tems et chez tous les peuples , l'oeil a été l'emblème de tout
če qui existe de plus cher et de plus précieux : son organisation
scule le rend admirable . C'est alors que l'auteur
décrit ce globe merveilleux d'environ onze lignes de diamètre
, et ses mouvemens provenans de six différens
muscles , dont quatre droits et deux obliques . Mais ce
n'est point ici le lieu de rapporter les détails de cette
description très-étendue et très -intéressante. La vue est
le bonheur de l'homme , son plus grand moyen d'existence
; et la privation de ce sens précieux , la triste ,
cruelle et irrémédiable cécité , est le plus grand des
maux qui affligent l'humanité. Les anciens poëtes , les
écrivains les plus fameux de la plus haute antiquité , de
tous les tems et de tous les pays , n'ont trouvé , dans
toutes les misères humaines , rien d'aussi touchant que
la condition du pauvre aveugle; leurs doctes pinceaux
se sont , comme à l'envi , exercés sur ce mélancolique
sujet , sur l'infortune d'un homme privé de la vue , de
ce qui le fait vivre , de la lumière du jour , d'un homme
qui , sans être mort , et enfermé dans le tombeau ténébreux
, ne voit pas le soleil , peintre coloriste de toute
la nature , source ravissante de la vie.
Les chapitres II et III de cet ouvrage traitent de la
différence des vues , et des vues défectueuses . Dans
les chapitres IV et V, il est question des maladies et
de la conservation de l'oeil , des précautions nécessaires
, de l'usage modéré de la vue , des excès qui
lui sont contraires , et de sa faiblesse qui est si commune.
Les moyens curatifs , indiqués par M. Chevallier
, sont simples . C'est une hygiène oculaire , pour
laquelle l'auteur indique encore les artistes célèbres
qui se sont exclusivement occupés des maladies des
yeux , et qui méritent beaucoup d'éloges et de confiance
. J'aime à voir dans la société un médecin ocuJUIN
1811 . 493
liste , un médecin dentiste , un médecin herniaire , etc.
Un homme ne peut pas tout savoir ; sa vie entière ne
suffit pas pour approfondir , pour savoir parfaitement
une seule science ; et celui qui s'est exclusivement occupé
d'un seul des maux qui affligent notre faible et
passive nature , doit nous apporter plus de consolation
et de secours sur notre lit de douleurs . Je suis persuadé
que Molière , l'un des hommes les plus sages et les plus
sensés qui aient jamais existé et écrit , que Molière ,
dis-je , dont les sarcasmes contre les médecins sont des
raisonnemens , aurait respecté , n'eût point ridiculisé
l'homme exclusivement occupé de la cure des yeux , des
dents et des hernies . D'autres médecins s'attachent à
guérir ou à atténuer les maux produits par la faiblesse
des nerfs , par la gibbosité ou la claudication ; et le soin
de ces infirmités , dont ils s'occupent uniquement , doit
leur mériter la confiance de ceux qui en sont affligés .
Le chapitre sixième est une théorie optique sommaire,
indiquant la marche des rayons de lumière . Ce qui suit ,
depuis le chapitre septième jusqu'au seizième inclusivement
, est une description des instrumens d'optique , de
leurs effets , et de leur perfectionnement. L'auteur
décrit sur-tout ceux qui aident et conservent la vue , et
quelques-uns de ceux qui en ajoutant à nos faibles
organes ont fait faire des découvertes scientifiques , tels
que le microscope solaire , les microscopes ordinaires ,
perfectionnés en 1796 , la loupe et les diaphragmes , etc.
Quelques planches rendent plus sensible la description
des instrumens , et un catalogue de tous ceux qu'emploient
l'optique , les mathématiques et la physique ,
termine l'ouvrage utile et fort bien fait de M. Chevallier.
D.
:
LITTÉRATURE ET BEAUX-ARTS .
DE L'INFLUENCE DES FEMMES SUR LA LITTÉRATURE FRANCAISE
, COMME PROTECTRICES DES LETTRES ET COMME
AUTEURS , on Précis de l'histoire des femmes françaises
les plus célèbres ; par Mme DE GENLIS.- Un vol . in- 8 °.
Prix , broché , 6 fr . , et 7 fr . franc de port. — A
Paris , chez Maradan , libraire , rue des Grands-Augustins
, nº 9.
---
( DEUXIÈME ARTICLE . )
-
DANS les réflexions préliminaires placées à la tête de
cet éloge des femmes littérateurs , Me de Genlis les
disculpe d'avoir suivi cette carrière . Je ne suis point de
ceux qui prétendent la leur fermer : mais si ces frondateurs
ont cru que les goûts littéraires donnent aux femmes du
dédain pour la simplicité des devoirs domestiques , se contenteront-
ils de cette réponse tranchante ? Comme ces devoirs
, dans une maison bien ordonnée , ne peuventjamais
prendre plus d'une heure par jour , cette objection est
absolument nulle . Une heure suffit peut -être dans une
maison opulente ; mais les femmes auteurs ont - elles
toujours un nombreux domestique , et n'a-t- on jamais
vu des mères de familles d'une condition honnête , mais
d'une fortune médiocre , négliger pour faire des vers ,
ou pour assister à des séances académiques , les devoirs
qui auraient dû les occuper dix heures au moins par
jour? S'il ne fallait que donner des ordres à ses gens , cela
serait très -commode , j'en conviens : mais où sont les
gens des personnes de talent ou de génie ? Corneille ,
Pascal , Rousseau , comptaient à leur suite peu de gens ;
Voltaire et d'autres n'en auraient pas eu davantage , si
leur génie plus conséquent eût toujours dédaigné l'intrigue.
Je soupçonne que cette demoiselle de Calage ,
dont il est parlé page 57 , avait rarement occasion de
MERCURE DE FRANCE , JUIN 1811 . 495
donner ses ordres .... Ce qui serait très-utile , et né conviendrait
guères moins pour les hommes que pour les
femmes , c'est que l'on ne prodiguat point à un si grand
nombre d'individus des leçons de tout genre , soit de
littérature , soit de sciences . Quel est le résultat de cette
éducation ? des prétentions souvent déplacées .
Quant aux femmes en qui l'on apercevrait une aptitude
'particulière , Mme de Genlis veut qu'on orne leur mémoire
, et que même on leur enseigne les langues savantes ;
mais voici à quelles conditions il leur est permis de devenir
auteurs : 1º Elles ne doivent jamais se presser de
faire paraître leurs productions durant tout le tems de leur
jeunesse , elles doivent craindre toute espèce d'éclat ....
2º Toutes les bienséances leur prescrivent de montrer
invariablement , dans leurs écrits , le plus profond respect
pour la religion et les principes d'une morale austère .
3º Elles ne doivent répondre aux critiques que lorsqu'on
fait unefausse citation , ou lorsque la censure estfondée
sur unfait imaginaire. La troisième condition est juste
et sage , je ne m'y arrête point. Les deux premières sont
d'une toute autre importance , puisqu'elles déterminent
et l'âge où une femme auteur peut livrer au public ses
productions (ce sur quoi il y aurait bien quelques observations
à faire ) , et sur-tout les principales qualités qui
doivent distinguer ses écrits. Si quelqu'un objectait
qu'avant cet age on peut avoir eu des faiblesses , nous
remarquerions que dans le siècle religieux toutes lesfaiblesses
des femmes furent expiées par des conversions
sincères. Alors le scandale même n'a pas sur les moeurs
une aussi funeste influence .... Ces exemples éclatans de
repentir et d'expiation maintiennent toute l'utile autorité
de lamorale. Il n'est point de pénitence sans confession :
si donc une femme veut , dans un âge mûr , vanter les
douceurs et la pureté d'une morale sévère méconnue
dans sa jeunesse , nous supposons qu'elle commencera
par une sorte d'aveu public et de détestation de cette
conduite passée, qui sans cela ôterait beaucoup d'autorité
àses exhortations les plus édifiantes . Mais celles-là surtout
sont volontiers écoutées qui , après avoir su être
vraiment épouses et mères , lorsque le tems diminue
496. MERCURE DE FRANCE ;
leurs devoirs , cherchent à reproduire , à l'aide des plus
aimables talens littéraires , les utiles préceptes de cette
raison qui les a rendues estimables et heureuses . Il est
si vrai qu'il n'y a ni dignité , ni bonheur hors des lois de
cette morale qui ne souffre point de composition , que
parmi les hommes même, comme le dit très-bien Mme,
de Genlis , le petit nombre de ceux qui veulent vivre
en sages , sont forcés d'adopter ( en très grande partie )
les principes et les moeurs des femmes vertueuses .
Le gouvernement sous LouisXIVétaitsans défiance....
Une parfaite droiture d'intention laissait aux auteurs tout
leur génie , ils n'avaient jamais à craindre de fâcheuses
interprétations . Mais la duplicité des auteurs dans le siècle
suivant , fut- elle la seule cause de la défiance du gouvernement
? Et sous Louis XIV même , le Télémaque n'a-t-il
pas eu à craindre de fächeuses interprétations ? Ce tems
de repos , de droiture , qu'on nous montre comme ayant
été ssii durable , et que ceux qui vantent exclusivement
le passé , regardent comme à jamais perdu , si on veut
le voir dans l'histoire , on sait à peine comment en saisir
l'instant précis entre la Fronde ou les Dragonades et
les derniers tems de Louis XIV. Ce n'est pas une longue
époque , ce n'est pas même une suite de quelques générations
, ce n'est qu'un moment favorable , et , à beaucoup
d'égards , ce tems n'est pas perdu sans retour ;
mais la franchise , la fermeté , l'originalité des caractères
, et cette jeune maturité qui jouit déjà en espérant
encore , c'est ce qu'on ne reverra sans doute plus. La
société est trop vieille parmi nous , les rapports sont trop
compliqués , les frottemens de l'intérêt sont trop continuels
. Des hommes supérieurs en tout genre peuvent
naître dans tous les tems ; mais il faut que le dévelop
pement des facultés soit à la fois facile et nouveau , pour
que la société s'applaudisse de ce qu'elle est , et que les
hommes soient rapprochés les uns des autres avec quelque
harmonie : plus tard ils seront seulement mêlés par la
passion , et nul n'aura de caractère qu'il puisse suivre
en liberté , parce que l'habitude aura établi une manière
d'être nécessaire . Le tems efface toutes choses , et n'offre
pas d'abord les moyens de les renouveler toutes. On
LA
SEIN
N JUIN 1811 .
197
remet dans le creuset une monnaie trop vieille : mais i
n'en est pas des hommes comme de cette matière toute
passive , qu'on peut réduire en poussière et reproduire
sous une forme meilleure .Comment des hommes vielis
recevront-ils une empreinte plus mâle ? Qui pourra
refondre , sans la briser , cette matière humaine qui
gémit sous l'instrument même de son perfectionnement
tardif et si souvent interrompu ?
L'examen des choses sérieuses entraîné toujours dans
quelque discussion ; je supprime donc ce qui me resterait
àdire sur ce sujet.
Sans prendre la défense de d'Alembert ni de ceux qui
faisaient comme lui de la philosophie un métier , j'objecterais
qu'une teinte d'animosité nuit à l'effet mème de
la critique ( voyez page xxvij ) ; j'objecterais en faveur
de cette philosophie condamnée sans ménagement , que
les esprits intrigans se saisissent par-tout de ce qui peut
offrir dans leur tems un moyen d'influence , et qu'iln'y
a rien sur la terre que l'intrigue n'ait souillé : mais il est
tems d'abréger ...
Je ne hasarderai aucune conjecture sur un certain
éloignement que Mme de Genlis montre sans cesse pour
certaine famille toute entière , le père , la mère , la fille
peut- être... Mais Mme de Genlis ne dit rien de positif
sur les femmes vivantes ... ainsi croyons que l'on se
trompe lorsque l'on suppose que c'est de cette dernière,
que c'est de cette femme de lettres , très-célèbre , qu'il
est question dans tel ou tel passage que je pourrais citer.
Je ne parlerai plus que du style de l'auteur et de ses
remarques sur celui de Fénélon . Le style de Télémaque
est négligé , dit Mme de Genlis , et elle le prouve (pages
121 , etc. ) ; mais elle dit , page 127 , qu'il est excessive
ment négligé , ce qui ferait attendre d'elle un style pa
faitement correct , si cette qualité était aussi nécessaire
dans un précis historique que dans un roman poétique .
Voyons si le style du critique n'est pas négligé' , 'si ses
expressions ne manquent jamais essentiellement de justesse..
Page xxj . Avec ce sentiment de justice qui fait souvent
pousser l'impartialité jusqu'à l'exagération. L'im
Ji
498 MERCURE DE FRANCE ,
{
partialité ne peut pas être poussée jusqu'à l'exagération ,
mais les raisonnemens dans lesquels l'impartialité nous
engage peuvent être ensuite poussés jusqu'à l'exagération
, ce qui nous écarte en un autre sens de l'impartialité.
Page 101. Comment un style en général assez correct ,
peut-il être rempli de négligences ?
Page 137. Dans une note où , par un tour de force ,
on fait de Ninon le premier chef de la prétendue philosophie
du dix-huitième siècle , se trouve cette phrase :
On n'a pas le déplaisir d'êtreforcé de placer comme auteur,
parmi lesfemmes , l'ornement de leur siècle et l'honneur
de leur sexe , cette femme dépravée qui , etc. Il faudrait
, parmi lesfemmes qui furent , autrement il semble
que c'est l'ornement de leur siècle qu'on n'a pas le déplaisir
de placer parmi les femmes , etc.
Page 189. On voit un homme donner une puissance
divine. Cette épithète surprend , rien ne prépare à la
recevoir dans sa véritable acception , etc. , etc.
Sans citer scrupuleusement diverses consonnances incommodes
, comme secret est tout , beauté ait éprouvé ,
se livra à un , se sauva à Ang. , etc. je remarquerai la
répétition assez fréquente de certains mots dont on s'aperçoit
d'autant plus qu'il en résulte presque par-tout de
l'exagération. Immense, p. XXIV ; immense , p . XXV.
«Après avoir pris des peines infinics .... l'on aurait eu
des peines infinies .... racontent une infinité de traits ....
on pourrait citer de Télémaque une infinité d'expression
.... je pourrais multiplier à l'infini ce genre de citations....
les deux romans sont infiniment supérieurs ....
elle fait infiniment plus d'effet .... dans ce siècle où les
moeurs furent infiniment plus graves .... elle écrivit infiniment
mieux que lui .... cette prose est infiniment trop
négligée .... on aurait pu pousser ses critiques infiniment
plus loin , etc. » Je serais faché de pousser celle-ci plus
loin, car elle est minutieuse. Doit-on , pour l'avantage
de l'art , relever partout ce qu'on croit défectueux , ou
bien lorsque les talens d'un auteur sontjustement estimés ,
doit-on attribuer à la maturité même de ses moyens le
peu d'importance qu'il met à soigner les détails ? Quelque
JUIN 1811 . 499
parti que l'on prenne dans cette question , j'ai suivi celui
que Mme de Genlis approuve évidemment ; et j'aurais cru
manquer davantage aux égards qu'on doit , comme elle
l'observe , aux femmes auteurs , si en m'interdisant de
petites critiques , j'eusse paru blamer , en ne l'employant
pas , cette rigueur dont elle a cru pouvoir user envers le
respectable Fénélon. Ce n'est point manquer à l'homme
que d'examiner , comme artiste , l'ouvrage qu'il livre
au public. Bossuet , Massillon qui , selon Mme de
Genlis , offre un si parfait modèle , Buffon , Racine ,
Boileau , etc. , se sont approchés , presque autant qu'il
est possible , de la perfection du style , mais en littérature
il serait aussi nuisible que faux de prétendre que
tout est parfait dans les ouvrages de ces grands écrivains .
On pourrait écrire un morceau très-ridicule , dont toutes
les lignes seraient justifiées par des exemples tirés des
auteurs classiques . Il faut donc convenir que l'on trouve
partout quelques négligences , et ne pas faire comme
celui qui , en ventose an XI , a dit , au sujet d'une expression
repréhensible dans un livre très -connu , que la condamner
ce serait faire le procès au grand Bossuet ; car si
une expression est mauvaise , elle est mauvaise dans
Bossuet. La prose de Fénélon est généralement belle ;
cependant la plupart des choses que Mme de Genlis y
remarque, sont en effetrepréhensibles . Quandles beautés
l'emportent essentiellement sur les défauts , tâchons
d'être satisfaits . N'obéissons pas servilement à la mode de
l'année : elle veut que tout soit parfait et inimitable dans
les écrits de cinq ou six hommes de génie ; elle veut
aussi que tout soit faible , chétif, ou exagéré dans ce
que font les modernes ; elle les déprécierait volontiers
en toutes choses , et si elle l'osait , elle établirait en principe
qu'il était plus aisé d'aller à Tilsitt qu'à Maubeuge,
et que le passage du Danube n'est qu'un jeu en comparaison
de l'ancien passage du Rhin . Telle page d'un auteur
classique que mille connaisseurs vantent chaque
jour , n'en serait pas même remarquée , s'ils la lisaient
dans un auteur vivant. Respectons le génie , sans croire
que le talent est infaillible . Boileau , Bossuet et Racine
ont été surpris en faute , et l'on serait étonnIéidau nombre
500 MERCURE DE FRANCE ,
de choses à reprendre dans le Petit- Carême , et dans les
Epoques de la Nature. Tous ont failli : Fénélon a failli
comme les autres , néanmoins on l'admire justement. Je
n'aspire point à le défendre ; ses propres forces et l'opinion
de l'Europe le soutiennent beaucoup mieux , et je
déclare d'ailleurs que l'on fait , à mes yeux , un trop
grand crime à Mme de Genlis de ses observations sur
Télémaque . Elles peuvent paraître sévères en quelques
points , mais elles sont fondées en quelques autres . La
sévérité n'est point offensante , dit fort bien Mme de
Genlis , p . xxvij . Elle ajoute , il est vrai , que la censure
doit être sérieuse lorsqu'on rend compte d'un ouvrage
estimable , et qu'il est de mauvais goût de s'attacher à
être toujours piquant, Que deviendrait donc l'amusement
quotidien de tant de gens d'esprit ? Comment fournir
chaque jour une honorable carrière sans faire dire parfois
à un auteur ce qu'il n'a pas dit , sans lui prêter quelqu'intention
qu'il ne peut pas avoir , ou le faire résider
dans des lieux qu'il n'a jamais vus ? La raison n'a point
la vogue , elle ne doit point l'avoir , on y perdrait d'excellentes
plaisanteries . Avec cette bienséance , qui serait
aujourd'hui très -remarquable dans les discussions littéraires
, dit Mme de Genlis (page xxv ) , avec ces qualités
morales qu'elle exige des journalistes , ils manqueraient ,
de lecteurs . Heureusement on sait recourir à la moquerie
, source féconde qui peut fournir à tout. Ily a mille,
exemples de l'embarras où l'on serait sans elle ; je n'en.
veux qu'un : on parle d'un homme dont le mérite est
généralement reconnu , cependant il faut être piquant ,
que faire ? Eh bien ! l'on observera que sa jeunesse est
passée ; est-il un trait plus ingénieux? Une manière aussi
décente ne sera point abandonnée , sans doute , et précisément
parce que ces querelles littéraires aussi ridicules.
que scandaleuses .... font triompher les sots ... ( page 30)
lepersiflage qui les produit , quelque usé qu'il soit parmi
nous , menace d'y être éternel. SEN**
JUIN 1811 . 501
,
د
THIBAUT , ou la Naissance d'un comte de Champagne' ;
poëme en quatre chants , sans préface et sans notes ,
⚫ traduit de la langue romance sur l'original composé
en 1250 , par ROBERT DE SORBONNE , clerc du diocèse
de Rheims . - Un volume in- 12 . - A Paris , chez
Lenormant, imprimeur-libraire , rue de Seine , nº 8.
Qui es-tu pour oser prendre la lyre , et mêler dans tes
chants des noms consacrés par les respects de la terre ? Je
suisRobert ; un berger me donna le jour; le hameau de
Sorbonne m'a vu naître , et le ciseau d'un évêque arrondit
sur ma tête la couronne des lévites . Mais demanda- t- on
jamais à l'humble passereau pourquoi il ose saluer le lever
du soleil et le retour du printems ? Ce fut pour te plaire , ô
sage Joinville , que je m'embarquai sur cette mer difficile . "
: C'est ainsi que le clerc du diocèse de Rheims , auteur
du poëme de Thibaut , proclame , dès la première strophe,
sa naissance et ses grands projets. Je dis dès la
première strophe , car son ouvrage est un poëme , un
véritable poëme en prose , divisé en alinéa numérotés ,
que le lecteur est bien le maître d'appeler des strophes .
On chercherait en vain dans tous les Dictionnaires
d'hommes illustres , dans toutes les Biographies , le nom
de ce Robert de Sorbonne , clerc du diocèse de Rheims ,
én: 1250. Voyez l'injustice ! L'histoire a conservé les
noms d'un évêque Robert qui n'eût guères d'autre mé-
⚫rite que de fonder Citeaux; d'un Robert d'Arbrissel qui
pour se donner le mérite de résister aux plus vives tentations
, partageait la couche des religieuses de Fontevreau
; enfin d'un Robert Grosse-Tête , lourd Anglais
qui n'est connu que par de tristes écrits de controverse :
et cette ingrate Histoire ne dit rien , absolument rien ,
de notre aimable et galant Champenois , docteur en
science-gaïe, qui , au milieu du treizième siècle , écrivait
de si beaux poëmes pour plaire à son noble patron , le
sire de Joinville!-
Mais comment le brave Thibaut , connaisseur en vrai
mérite , poëte lui-même , n'a-t-il pas consacré dans ses
J
502 MERCURE DE FRANCE;
chansons le nom de Robert de Sorbonne ; lui qui , si j'en
crois de vieilles chroniques , se plaisait à chanter ses
amours en s'accompagnant , non de la lyre , mais de la
vielle ; lui qui disputait le prix de la poésie à Gaces-
Brulés , autre célèbre poëte de ce tems-là (1) , dont le
nom du moins est parvenu jusqu'à nous .
J'avoue que j'ai peine à reconnaître dans le Thibaut
qu'a chanté Robert de Sorbonne , ce comte de Cham-'
pagne , amant vrai ou prétendu , mais amant malheureux
de la chaste Reine Blanche . Ce dernier fut sansdoute
un personnage justement célèbre ; mais le Thibaut
de Robert de Sorbonne est bien un autre héros .
Voyez comme son poëte le peint donnant des ordres à
deux victoires à la fois , et leur commandant d'opérer
des prodiges :
,
« Ce guerrier est de racedivine et dans la force de l'âge ;
plusieurs diadêmes ceignent son casque , et l'éclair n'atteint
pas la vivacité de ses regards . Il demande son char ;
et deux femmes portant des ailes et tenant des palmes
dans la main , paraissent à sa voix : il leur donne ses ordres
avec sérénité ; elles se prosternent devant lui en l'assurant
de leur obéissance , et s'élancent aussitôt , l'une vers
le midi et l'autre vers le nord .
" La première s'arrête à l'extrémité de la mer Adriatique ,
dans cette ville fameuse qui semble nager sur les eaux; elle
frappe de ses palmes les quatre chevaux d'or qui en gardent
le temple , et que le fameux doge aveugle amena de l'hippodrome
de Byzance. Ces coursiers honteux d'un long
repos sans gloire , hennissent , battent d'un pied bruyant
les frises du portail de Saint- Marc , et suivent la déesse
dans les plaines de l'air. Ils ont le feu et la couleur de ces
(1) Terrasson ( Antoine ) , dans une dissertation sur la vielle , cite
le passage suivant de la Chronique de Saint - Denis , que l'on voyait
alors manuscrite dans la Bibliothèque de Saint-Germain-des -Prés :
«Etpour ce que profondes pensées engendrent melancolie , Li ( Thibaut
)fu il loé d'aucuns sages homes , qu'il s'estudiast en biauz sons
de vielle et en doux chants de vielle délitable : sifist entre li et Gaces
brulés , les plus belles chansons et les plus délitables et mélodieuses
qui fussent onque oyes . »- Voyez aussi Fauchet , De lapoésiefram
faise , chap. 16.
JUIN 1811 . 503
chevaux sacrés que le soleil nourrissait dans les îles Erythréennes
.
> La seconde plane sur les cinq villes que laSprée a vues
rounie en une seule. Elle détache de ses superbes portes
quatre autres coursiers d'une origine moins antique , mais
nen sans illustration . Elle presse leur lenteur , elle dirige
lear inexpérience. Quoique bien plus jeunes , ceux-ci n'ont
pasl'ardeur et l'élégance du quadrige de Corinthe. Mais leur
vigneur et leurs vastes flancs rappellent davantage l'animal
beliqueux que le trident fit sortir autrefois des entrailles de
latrre.
Les deux Victoires , filles de Mars , revenues au point
de lur départ , attellent ensemble les huit coursiers . Le
héros couronné monte sur son char..... Mais j'admire ma
simplicité à vous raconter ces fables . De tels prodiges sont
trop au-dessus de la force humaine pour trouver place ailleurs
que dans les images fantastiques du sommeil ; et je
vous conseille de n'y croire que lorsque vous les aurez
yus.n
Je gage qu'en lisant ces strophes , la plupart des lecteurs
croiront lire l'histoire de certain héros de notre
âge . Le poëte du treizième siècle a orné son Thibaut
de qualités , de vertus , a supposé des événemens qui
aideront encore à la comparaison , mais toutefois ,
Si parva licet componere magnis.
Nous laisserons nos lecteurs deviner le sens caché de
l'histoire que nous allons leur racconter , d'après notre
poëte Robert de Sorbonne . Elle a pour titre : Avantures
mémorables de la belle Perce-Neige;et c'est un Bohémien
qui la raconte à la Reine Marguerite , noble épouse de
Thibaut comte de Champagne ; laquelle , comme on le
verra , croit se reconnaître dans la belle Perce-Neige :
Il y avait un roi et une reine dont le ciel bénissait
l'union par une heureuse fécondité.
La reine mit au jour une princesse qu'on appela
Perce-Neige , parce qu'elle naquit au mois de décembre , et
qu'elle avait une blancheur éblouissante . Les fées ne mirent
point de réserve dans les qualités dont elles la dotèrent.Dès
ses plus jeunes années , la princesse Perce-Neige excellait
dans les arts d'agrément qui font le charme de son sexe , et
ans les solides vertus qui excitent l'admiration des sages.
504 MERCURE DE FRANCE ,
» Un jour qu'elle allait dans la campagne cueillir des
plantes salutaires que les médecins avaient demandées
pour la santé de sa mère .... Oh ! je m'en souviens , s'écria
Marguerite , interrompant Gabalís avec vivacité , elle s'anprocha
d'un bosquet de lauriers où reposait un essaim dabeilles
; aussitôt toutes les mouches vinrent la couvrir de
la tête aux pieds , et les femmes qui l'accompagnaient fuent
bien effrayées .
Mais Perce-Neige souriait et ne sentait aucun nal .
Ces abeilles avaient une origine céleste , et loin de gâter la
beauté de la princesse , elles laissèrent une douceur pure
et touchante dans ses regards , dans le son de sa vox et
dans les penchans de son coeur. Le génie propriétairede la
ruche comprit le sens de ce prodige , et fit monter Ferce-
Neige dans son char attelé de huit gazelles qui portaient
sur leurs têtes des plumes de héron .
> Ils entrèrent dans la capitale du génie , presque rebâtie
à neuf. L'or et le marbre étincelaient sur les portiques , les
palais et les arcs triomphaux. L'airain , chargé des annales
de la victoire , jaillissait en colonne du sein de la terre
et portait aux cieux la statue royale. Les ponts , ornés de
trophées , mariaient les deux rives du fleuve ; et celui-ci,
plongeant par mille canaux son onde curieuse , allait dans
toutes les parties dela ville se répandre en nappes , en cascades
et en fontaines . Le beau et l'atile étaient par-tout
conciliés avec une suprême intelligence .
Le char entra dans cette superbe cité à travers les
flots d'un peuple ivre de joie et d'admiration. Or , le génie
qu'on voyait assis à côté de Perce-Neige était fils du Soleil,
qui voulut en bon père assister aux noces de son fils. Dès
lematin, il écarta les nuages pluvieux qu'amenait la saison,
et le soir il vint lui-même prendre part aux réjouissances.
Plus d'un million de témoins virent ce phénomène qui ne
sortira jamais de leur mémoire , et qu'ils peuvent attester.
>>La ville parut enflammée ; mais c'était une aimable
clarté et comme une seconde aurore plus vive que la première
, et au sein de laquelle on ne voyait que des jeux ,
on n'entendait que d'harmonieux concerts. Les astres
et les comètes , qui sont les gens de la suite du Soleil , s'arrêtèrent
sur les dômes et les clochers , en étalant leurs
globes et leurs queues radienses , que le peuple contemplait
avec un agréable étonnement.
>>Pendant ce tems les astrologués accoutumés à épier
Les secrets du ciel , s'aperçurent du voyage du Soleil , e
JUIN 1811. 505
prédirent à de certains indices qu'il reparaîtrait le printems
suivant dans une égale solennité.....
Peut- être nos lecteurs demanderont : mais quel est le
but de ce poëme ? quelle en est la catastrophe ? le dénouement?...
Il faut les contenter. Le poëme finit par
le récit de la naissance d'un fils de Thibaut-le-Grand.
C'est pour en venir là que le poète conduit ses lecteurs
du milieu d'une forêt où campe une troupe de Bohémiens
, dans une prison , de-lå dans les murs de Troyes ;
qu'il décrit les amours heureux de Gentil le-Frisé , page
de Thibaut , avec lajeune Oliva , Bohémienne ; qu'il raconte
l'engloutissement du médecin Burlotte par le Géant
du lac , la mort du géant , les perfidies et la punition du
seigneurdes Couleuvres , etc., etc .; qui pourrait redire
tout ce que l'on trouve dans ce petit poëme de centtrente
pages !
, En quoi ! dira-t-on ne pouvait-on sans fous ces
détours en venir au principal événement du poëme ?
D'abord je remarquerai que si l'on défendait aux poëtes
de s'écarter de leur sujet , nous n'aurions pas de poëmes :
il n'eût pas fallu plus de cent vers pour peindre la colère
d'Achille , et l'établissement d'Enée en Italie ; mais de
plus j'observerai que dans le poëme de Thibaut , le fils
qui devait naître du héros était , si je ne me trompe ,
menacé de grands dangers ; qu'il fallait trouver une autre
victime au sort : de-là une foule d'événemens plus ou
moins bizarres , plus ou moins graves ou plaisans . Au
reste , croyons-en le poëte lui-même lorsqu'il nous dit
en finissant : ...
« Ainsi furent accomplis le dessein de la Providence ét
celui de mes chants ; car ne crois pas , ô sage Joinville ,
que lorsquie ma muse semblait folâtrer avec plus de liberté,
elle s'écartất da noble but qu'elle s'était proposé. Tout fut
nécessaire et enchaîné dans sa marche. Il fallait qu'un enfant
étranger détournât sur lui-même le complot tramé
contre l'héritier naissant de mon héros . De là vinrent les
aventures , les amours et la faute du page , la piété filiale
d'Oliva , la passion inconsidérée deBurlotte'. " :
Puisque le but réel du poëme était la naissance du fils
506 MERCURE DE FRANCE ,
de Thibaut , je serais inexcusable de ne pas citer comment
le poëte raconte les transports que cet heureux
événement excita dans tous les coeurs .
« Thibaut sortit tenant son fils dans ses bras , et s'avança
dans la ville disant à la foule : Voilà , voilà le présent que
le ciel nous a fait ! A ces mots les uns se prosternent ,
d'autres lèvent les bras , quelques-uns demeurent en extase .
J'ai vu les inconnus s'embrasser , la jeune fille s'évanouir ,
levieux guerrier verser des larmes . Par-tout la joie , les
transports , la fête des familles , tandis que du haut de ses
tours , l'église balance avec fracas l'airain catholique .
» Gage de paix , don des Immortels , souris , jeune enfant,
àl'aimable destinée qui t'ouvre les portes de la vie.
Tu fus appelé par les voeux de la terre ; le printems a
voulu naître avec toi; une mère que les Dieux eussent
enviée embellira l'aurore de tes jours ; des sceptres seront
les jouets de ton berceau; tu sauras toujours plaire et persuader
, car les abeilles paternelles ont déposé sur tes
lèvres un rayon de leur miel. Souris ,jeune enfant.
>>A l'arrivée de Thibaut sur la place publique , Joinville
et les barons , par un soudain enthousiasme , élèvent lo
fils de leur maître sur un bouclier d'or , et dévouent , par
un serment , et leurs armes et leur sang à sa défense et à
sa gloire . L'aigle de Jupiter apparaît et plane sur cette
auguste scène . Chaque mouvement de ses ailes fait jaillir
des flammes ; il porte dans ses serres des fleurs et des lauriers
qu'il laisse tomber sur l'enfant des immortels : Le lâche
vautour reconnaît le messager du maître des Dieux et va
se cacher dans des ruines .
" De rapides signaux proclament au loin ce grand événement
, et la Renommée sillonne les airs de sa légère nacelle.
Partout s'allument les feux , symbole de l'allégresse
nationale . Mille guirlandes enflammées sont tendues par
l'amour , de la capitale aux frontières . L'indigence même
sait concourir à cet hommage universel . J'ai vu la branche
du pin résineux brûler devant la hutte du bûcheron et
devant l'abri de la pauvre veuve courbée par la vieillesse
et ranimée par le bonheur public . »
Je n'ai point dit , mais on aura sans doute remarqué
qu'il y avait beaucoup d'allégories dans le poëme de
Thibaut. Il en est plusieurs dont on perce facilement
le voile , d'autres qui ont paru obscures; je ne me flat
JUIN 1811 . 507
terais pas de pouvoir les expliquer toutes . Est-ce la
faute du poëte ou la mienne?
Les gens de lettres prétendent que l'auteur de Raison-
Folie s'est caché cette fois sous le masque de Robert
de Sorbonne ; malgré sa robe de clerc et så tonsure ,
ils croient l'avoir reconnu , et l'ont publiquement nommé.
La méprise , si c'en est une , me paraît fondée :
en effet , il y a dans ce nouvel ouvrage , et beaucoup de
raison , et pour le moins autant de folie. Quel que soit
l'auteur , respectons l'anonyme qu'il a voulu garder ,
sans doute par trop de modestie .
Je serais bien tenté de lui adresser , mais non pas avec
le ton du reproche , le singulier compliment que fit un
jour le cardinal Hippolyte d'Est à l'Arioste : Caro signor
mio, dove diavolo avete pigliate tante.... Buffonerie.
AMAURY DUVAL.
QUELQUES TRAITS DE LA VIE PRIVÉE DE FREDERIC-GUILLAUME
II , ROI DE PRUSSE ; par A. H. DAMPMARTIN ,
avec cette épigraphe tirée de Voltaire : 1
Beaucoup en ont parlé , mais peu l'ont bien connu.
Un vol . in-8° . A Paris , chez Renard, libraire , rues
de Caumartin , nº 12 , et de l'Université , nº 5 .
DES sentimens nobles et généreux ont dicté cet ouvrage
: le désir de venger la mémoire d'un roi malheureux
des calomnies qui la ternissent , et la reconnaissance
envers ce même prince , dont l'auteur paraît avoir
éprouvé la bienveillance et mérité les bienfaits . Pour
remplir ce louable dessein , M. Dampmartin a pris une
route qui paraît d'abord la plus sûre et la mieux choisie.
Sans s'immiscer dans les mystères de la politique , il nous
montre Frédéric-Guillaume II dans ses rapports domestiques
et privés . Rien ne pouvait être plus favorable à
ce prince. Fidèle à ses engagemens, généreux , religieux
, sensible , aimable dans la société où il portait de
l'esprit sans prétention , des connaissances sans pédantisme,
et sur-tout une indulgence , une tolérance bien
508 MERCURE DE FRANCE ,
rares dans un rang aussi élevé , il gagne d'abord nos
affections comme celles de son panégyriste. Cependant,
il faut l'avouer , l'excès mème des bonnes qualités , dont
nous venons de faire l'éloge , ne tarde pas à lui nuire ún
peu dans notre esprit. Sa fidélité à des promesses données
trop légèrement lui fait commettre,bien des fautes . Sa
générosité dégénère souvent en profusion. Le mélange de
religion et d'excessive sensibilité qui formait son caractère
,le soumet long-tems à l'empire des illuminés , et ces
intrigans adroits , prompts à alarmer sa conscience sur
des irrégularités de conduite qui donnent , en général ,
peu de scrupules aux souverains, savent ensuite le calmer
par des transactions entre ses devoirs et ses penchans
qui blessent à-la- fois et la dignité du trône et la saine
morale . Qui , M. Dampmartin nous en a donné la conviction
la plus complète : Frédéric-Guillaume II avait une
ame très -aimante , il éprouvait fortement le besoin d'être
aimé ; mais de ces dispositions qui rendent un particulier
si aimable , qui font le bonheur de sa famille et de
ses amis , qu'est- il résulté pour la famille,pour les amis ,
pour les sujets du feu roi de Prusse? Il a pris un Saxon
pour favori , et a confié à un autre Saxon l'éducation de
l'héritier de son trône : il a sacrifié les affections naturelles
quidevaient le faire vivre avec sa femme etses enfans, pour
se livrer à des goûts qui l'entraînaient vers une ancienne
maîtresse ; il a passé les dernières années de sa vie au milieud'uncercle
peu nombreux d'émigrés français . Ces élus
du palais de marbre (c'est ainsi que M. Dampmartin les
-désigne) sentaient eux-mêmes la délicatesse de leur position:
ils pouvaient craindre que la mort prochaine du
monarque ne les abandonnât à la vengeance d'une cour
justement révoltée de voir les derniers momens du
prince livrés à des étrangers ; et Frédéric-Guillaume ne
fit rien pour conjurer cet orage. Quant à la conduite
-politique de ce prince , nous sommes aussi éloignés que
M. Dampmartin de vouloir la faire connaître et la juger:
mais de courtes réflexions peuvent cependant trouver ici
leur place. Frédéric-Guillaume II, dit notre auteur , fut
-le seul souverain qui prit les armes contre la révolution
française , sans autre but que de rétablir la monarchie; et
JUIN 1811 . 5cg
i
...
it fut le premier à conclure la paix avec les républcains .
Il était plein de loyauté , il avait de la valeur , il aimait
la justice ; et non-seulement il n'eut pas le courage de
placer la couronne de Pologne sur la tête d'un prince de
sa maison, mais il coopéra au démembrement de cette
contrée malheureuse , il n'y soufint l'honneur des armes'
prussiennes qu'avec un succès douteux , et il reçut
comme en présent une partie des dépouilles . A Dieu ne
plaise que nous tirions de ces contradictions des conséquences
défavorables à la loyauté de Frédéric-Guillaume,
à la vérité des sentimens que son panégyriste fait briller
en lui! Quel prince pourra se flatter d'être constamment
d'accord aveclui-même , s'illaisse prendre trop d'influence
à ses favoris ? Ce que nous conclurons de tout ceci ,
c'est que ce don si précieux de la nature , cette extrême
sensibilité , ce besoin d'aimer contre lequel un particulier
doit à peine se mettre en garde , parce que les dangers
n'en sont que pour lui, parce que les lois , les bienséances
sociales l'obligent souvent à y résister malgré lui , deviennent
le plus funeste ornement de l'ame d'un prince ,
lorsqu'un grand caractère n'y est pas uni pour les modérer
. En effet , les lois , les bienséances ne sont pour lui
qu'une faible barrière , et ses courtisans l'enhardissent à
la franchir : chacune de ses fautes retombe sur son
peuple , et telle passion illicite , tel goût disproportionné
qui dans un sujet porte le trouble tout au plus dans
quelques familles , peut dans un souverain causer la
ruine d'un Etat .
Mais ne nous arrêtons pas plus long-tems aux faiblesses
de Frédéric-Guillaume . Ce prince les paya bien
chèrement ; traité durement lorsqu'il n'était que prince
royal , par le grand Frédéric son oncle , tourmenté lorsqu'il
fut sur le trône , par ses passions et par ses scrupules
, entraîné dans des opérations militaires et politiques
où il fut sans cesse contrarié par la fortune et
par ses propres agens , étranger dans sa cour et dans sa
famille , parce qu'il s'était fait une cour et une famille
d'étrangers , ses dernières années furent en quelque sorte
une longue agonie ; et le dernier acte dont on eut la
barbarie de lui demander la signature , fut une ordon-
1
/ 510 MERCURE DE FRANCE ,
nance qui réduisait le nombre des jours du deuil que
l'on devait porter pour lui. Offrons ses malheurs en
exemple , mais ne cherchons pas à aggraver ses torts.
Rendons plutôt hommage au Français reconnaissant
qui a cherché à semer des fleurs sur sa tombe , mais
qui , toujours fidèle à la vérité , n'a pu dissimuler les fautes
du monarque , tout en exaltant les vertus de l'homme
privé. Cette candeur précieuse n'a pas été sans doute
chez M. Dampmartin l'objet d'un calcul, mais elle lui
rendra un service plus réel que les réticences les mieux
calculées ; elle répond de son impartialité , autant du
moins que cette froide vertu est compatible avec de
vives affections ; elles rend ses récits plus attachans et
plus authentiques . La lecture de son ouvrage est en effet
très-intéressante ; il fourmille d'anecdotes curieuses , de
faits précieux pour l'histoire , et dont la situation de
l'auteur , presque toujours témoin oculaire , ou parlant
sur la foi de pareils témoins , nous garantit la vérité . Il a
semé ses récits de portraits non moins piquans , et dont
l'originalité semble assurer la ressemblance. On lui reprochera
peut-être de n'avoir peint Frédéric-Guillaume ,
pour ainsi dire, que d'un seul côté , de l'avoir presque toujours
environné des mêmes personnages. Ce défaut serait
grave dans un historien; il devient presque nul dans l'écrivain
qui ne compose que des mémoires , qui ne veut que
fournir des matériaux à l'histoire , en rendant compte
de ce qu'il a vu. M. Dampmartin a fort bien rempli cette
tâche , et en attendant que l'historien s'empare de ses
anecdotes , elles amuseront , elles satisferont tout lecteur
ami des peintures contemporaines , et qui ne veut pas
qu'on écrive l'histoire avant le tems. On fera connaissance
, par l'entremise de M. Dampmartin , avec beaucoup
de personnages plus ou moins célèbres ; on rece- .
vra de luuii ddeess notions très-curieuses sur les moeurs de
l'Allemagne protestante en général , et sur celles de
Berlin en particulier. La description de cette capitale ,
celle des trois classes d'habitans dont elle est peuplée
plairont généralement , et malgré l'extrême réserve de
l'auteur lorsqu'il parle de la secte des illuminés , on
trouvera dans son ouvrage des aperçus plus propres à
JUIN 1811 . 51
donner une juste idée du but et des moyens de ces sectaires
, que dans beaucoup de gros volumes composés
exprès pour les faire connaître au public.
Le style de M. Dampmartin , sans avoir le mérite d'une
élégance soutenue , a toujours celui de la clarté ; et ce
qui vaut peut-être mieux que l'élégance et la parfaite
correction , lorsque l'on rédige des mémoires , sa manière
est vive et animée. On voit que l'auteur pense et
et sent tout ce qu'il dit, que son enthousiasme est réel ,
que sa chaleur n'est jamais factice. Les erreurs même
ou les préventions n'ont presque plus d'inconvénient
dans un auteur qui écrit avec cette franchise . On sait
d'abord à quel parti il appartient , et il devient aisé au
lecteur de réduire à leur juste nuance les couleurs trop
brillantes ou trop sombres qu'il a pu donner à quelques
parties de son tableau . Β. Μ.
P. S. J'achevais cet article lorsque j'ai reçu le dernier
Numéro du Mercure , dans lequel on a inséré des Observations
de M. Malte - Brun sur le compte que j'ai
rendu , non , comme il le fait entendre , de la seule brochure
de M. Dentu contre lui , mais de cette brochure et
de l'analyse que lui-même en a donnée. J'ai trop bonne
idée de la droiture et de la sagacité de nos lecteurs , je
respecte trop leurs loisirs pour entrer ici dans l'examen
de cette nouvelle apologie; on peut en estimer la valeur
par le seul article où M. Malte-Brun continue à soutenir
que l'observation des distances lunaires donne la longitude
à deux secondes près , et où il s'appuie pour le
prouver de trente ou quarante Mémoires de MM. Gauss ,
Zach , etc. , etc. Au lieu de le chicaner encore sur cette
découverte , il faudrait la révéler aux bureaux des longitudes
de tous les pays , comme digne d'un prix magnifique
. M. Malte-Brun a déclaré d'ailleurs qu'il ne répondrait
plus aux attaques de ses critiques , et il les a en
quelque sorte dispensés de l'attaquer de nouveau . Il déclare
qu'en démontrant qu'il a réuni dans son Précis tout
ce qu'il y a de mieux dans les Géographies des auteurs
allemands ou anglais et dans celle du célèbre Danville
onrendra un nouveau service à la compilation qu'il ne
,
512 MERCURE DE FRANCE ,
dédaigne pas d'appeler'son ouvrage. Qu'il ajoute seulement
à ces noms d'auteurs étrangers ou morts , ceux des
géographes et savans français qu'il a mis à contribution ,
quoiqu'ils vivent encore , et je crois que tout le monde
sera d'accord .
!
VARIÉTÉS ..
SPECTACLES .- Opéra Buffa.- Première représentation
Adolpho e Chiara , o i due Prigionieri , opéra imité du
français , musique nouvelle de M. Vincent Pucitta .
Certain amateur que je n'ai pas besoin de nommer ,
s'avisa , il y a quelques années , de refaire la Phèdre de
Racine qui , entre nous , n'était pas mal faite.
Certain musicien ultramontain s'est avisé de refaire la
musique de l'opéra d'Adolphe et Clara , et le musicien italien
n'a pas été plus heureux que l'amateur.
Je me suis plu dans cette feuille à rendre aux bons
opéras italiens , représentés à Paris, la justice qui leur était
due , j'ai donc acquis le droit d'exprimer franchementmon
opinion; la vérité m'oblige à dire que de puis quinze ans
on n'a pas représenté sur le theatre Faydeau un opéra
dont la musique fût aussi misérable, que celle d'Adolpho
é Chiara; celle de Daleyrac est trop connue , trop bien
appréciée pour qu'il soit nécessaire d'en faire ici l'éloge :
un succès que dix années n'ont fait que confirmer ne s'obtient
pas aisément , et nous connaissons beaucoup d'opéras
composés au-delà des Alpes qui n'ont pas le mérite de
plaire depuis si long -tems an public le plus difficile de
l'Europe, je veux dire celui de Paris .,J'ai déjà averti que la
musique était d'une faiblesse remarquable ; le public l'a
jugée ainsi, car il l'a accueillie froidement, pourne rien dire
de plus : un seul duo a été applaudi , etil est à remarquer
que ce duo a été pris de l'opéra de l'Impressario ; n'est- il
pas très - flatteur pour M. Pucitta, que le parterre n'ait
applaudi que ce qui n'était pas de lui ?
On croíra peut- être qu'il n'est pas nécessaire de faire
connaître le poëme , puisqu'il ne devrait être qu'une tra
duction du joli opéra de M. Marsollier; mais les change
mens qu'il a subis etqui ne sont pas heureux , en ont pres
que fait un ouvrage nouveau; le travestisseur de l'opéra
JUIN 1811 513
deM. Marsolliery a jutroduit deux nouveaux personnages
parfaitement inutiles à l'action , et l'on sait qu'au théâtre
tout ce qui n'est pas essentiel devient vicieux .
un vieux château lequel pourrait
il s'était bien
OE LA
SEINE
Les auteurs de canevas italiens ne sont pas recommandables
par leur respect pour les convenances théâtrales ; le
poëte français avait senti qu'il est possible d'effrayer Clara ,
jeune femme qui se trouve en peu d'instans transportée de
son boudoir dans
besoin , passer pour une prison , mais
d'user de ce moyen envers Adolphe ; le travestisseu
plus loin , et le domestique déguisé en geolier , que dans
P'opéra français ne sert qu'à intimider Clara , causenaussi
de grandes frayeurs au mari : il a paru très-réjouissant de
voir un capitaine de hussards trembler devant une caricaren
ture digne tout au plus des ombres chinoises .
Je ne veux pas affliger les premiers artistes de l'Opéra
Bafla , je m'abstiendrai donc de toute comparaison entre
cux et les comédiens du théâtre Feydeau ; mais il faut
pourtant avertir M. Porto que la bouffonnerie elle-même
a ses bornes , et que c'est les outrepasser que de contrefaire
sur la scène , le chien , le chat, le perroquet et autres ani
maux dont le cri n'a rien de très-harmonieux .
En somme totale , nos compositeurs français doivent se
rassurer; si c'est ainsi que l'on refait leurs ouvrages en
Italie , de pareilles imitations ne feront que mieux ressortir
le mérite de nos bons originaux . B. S.
Lettre de M. DENINA , bibliothécaire de S. M. l'Empereur
et Roi, à M. le comte FALLETTI BAKOL , senateur , ancien
président de l'Académie impériale des Sciences ,
Belles- Tettres et Beaux-Arts de Turin, sur deux ouvrages
considérables de l'histoire littéraire d'Italie .
:
DIX ans avant l'éclat de la révolution française , sortant
à peine de l'adolescence , vous étiez , M. le comte , également
versé dans la littérature italienne et dans la française .
Les voyages que vous avez faits depuis , tant en France
qu'en Italie , vous ont mis à même de porter un jugement
aussi juste qu'impartial sur l'une et sur l'autre , de faire
pour l'honneur de presque toute l'Italie ce que le marquis
Maffei a fait pour sa patrie particulière , et sur-tout de donner
à nos voisins en-deçà des Alpes des connaissances
moins superficielles et plus justes qu'ils n'en avaient de la
littérature italienne .
Kk
C
514 MERCURE DE FRANCE ,
,
L'excellent ouvrage de Tiraboschi n'ayant pas été traduit
en français , peut- être à cause d'une foule de notices et de
détails qui n'intéressent que fort peu cette nation vive , spirituelle
, et très - avancée dans la culture des belles -lettres
l'histoire de notre littérature continua d'être ou méconnue ,
ou négligée . J'en fus particulièrement convaincu , il y a
dix ans et plus , par la connaissance que j'avais faite àBerlin
de deux célèbres littérateurs , ou plus que littérateurs , le
comte de Mirabeau , et le comte de Rivarol. Ce n'est pas
qu'ils fussent ni l'un ni l'autre absolument étrangers à notre
littérature ; mais Mirabeau me parut s'être borné à la lecture
de Machiavel , et Rivarol à celle de deux ou trois de nos
poëtes. Cependant ce dernier , tandis qu'il s'occupait de la
Traduction du poëme du Dante , le plus grave et le plus
sérieux ouvrage qu'on ait jamais conçu et exécuté , traita
l'idiome dans lequel ce poëme est écrit , et conséquemment
celui de Pétrarque , dont nous admirons le style plein de
dignité , comme un langage de baladins . Vous avez In
cela dans le mémoire de Rivarol qui , en 1784 , partagea le
prix proposé par l'Académie de Berlin sur les causes de
l'universalité de la langue française; diatribe singulière qui
fait encore aujourd'hui la base essentielle de la réputation
Littéraire de cet écrivain .
J'aime à croire que la plupart des littérateurs et des amateurs
ses contemporains ne partageaient pas cette opinion ;
mais il n'est pas moins certain , que jusqu'aux premières
années de ce siècle , et l'on peut dire jusqu'à l'année courante
1811 , on n'avait pas en France la plus médiocre connaissance
de notre littérature. Cen'est que depuis quelques
semaines qu'on peut s'en faire une idée par l'ouvrage dont
M. Ginguené vient de publier les trois premiers volumes ,
sous le titre d'Histoire littéraire d'Italie. Quoique je susse
depuis long- tems que M. Ginguené avait de grandes connaissances
dans notre littérature , j'aurais pourtant eu de la
peine à croire qu'il en eût d'aussi étendues et dd''aauussssii profondes
. Il devait être sûrement déjà fort versé dans cette
partie , lorsqu'il fut à Turin ambassadeur de la république
française en 1797 , et l'on peut supposer qu'il accepta cette
mission de préférence à toute autre , parce qu'il aimait
'Italie.
Amateur aussi ardent qu'éclairé de notre littérature ,
M. Ginguené tâcha d'en inspirerle goût à ses compatriotes ;
et de retour en France , il rentra , en quelque sorte , dans la
carrière de l'instruction publique , où il avait auparavant
Aut
JUIN 1811 . 515
rempli les fonctions de directeur général , en faisant un
cours de littérature italienne qu'il lut à l'Athénée en 1804
et1805. Les leçons de ce cours , auxquelles assistaient alors
ungrand nombre d'Italiens , présentèrent , dès la première
année , cette partie de l'histoire de notre littérature qui a
paru depuis quelques semaines en trois volumes . M. Ginguené
était , on le voit bien , occupé depuis plusieurs années
du dessein d'écrire cette histoire , et c'est ainsi qu'il commença
à exécuter son dessein .
Un chapitre de son premier volume , et près de la moitié
du second , roulent sur le Dante. Vous savez , M le comte ,
combienje me suis occupé de la Divina Comedia de cet
immortel patriarche de notre littérature , soit dans le tems
que je composai l'histoire des révolutions d'Italie , soit dans
les six ans que je fus , à l'Université de Turin , professeurdes
belles-lettres et particulièrement de l'art poétique . Malgré
mes longues études dans cette partie de la belle littérature,
les trois premiers volumes de l'histoire littéraire d'Italie de
M. Ginguené m'ont , je ne sais si je dois dire charmé , ou
humilié.
J'avais lu auparavant i Secoli della Litteratura Italiana
de M. le conseiller J. B. Corniani , ouvrage savant , intéressant
, et comparable , sous quelques rapports , à l'histoire
de M. Ginguené , et tous les deux composés , dans le
même tems , en langues et pays différens ; car M. Corniani
livrait au public le premier volume de l'ouvrage qu'il intitula
Les Siecles de la Littérature Italienne , en 1804 ,
presque dans le même moment que M. Ginguené lisait à
l'Athénée de Paris les Discours ou Mémoires qui font
maintenant les chapitres de son Histoire littéraire d'Italie .
Les trois premiers volumes qui viennentde paraître se terminentà
la fin du quinzième siècle ; et l'on peut bien croire,
qu'en retouchant son ouvrage , il se sera aidé quelquefois ,
pour ce qui regarde le quatorzième siècle , du travail du
littérateur italien ; il le cite même en plusieurs endroits .
(Voyez particulièrement la note tome I, page 490 ) ; mais
il est également certain qu'il n'en avait pas besoin , puisqu'avant
la publication des Siècles de la Littérature Italienne,
par Corniani, dont le second , le troisième , et les
trois suivans volumes datent des années 1806 et 1808 ,
M. Ginguené avait fait tout le plan de son ouvrage , et en
avait même lu publiquement toute la première partie à
l'Athénée .
Au reste ,jamais des écrivains estimables , en parcou
r
Kk 2
516 MERCURE DE FRANCE ,
rant à quelques égards la même carrière , ne se sont ren
contrés de si près dans certains détails . Mais lequel des
deux ouvrages , très-savans sans contredit , sera lu avec
plus d'intérêt et plus de plaisir ? N'en déplaise à nos compatriotes
zélateurs de la gloire littéraire de l'Italie , il est
impossible de ne pas prévoir que l'auteur français l'emportera
sur l'italien , et que même en Italie , on lira avec
plus de satisfaction l'ouvrage de M. Ginguené que celui de
M. Corniani , faisant même abstraction de la singularitédes
phrases et des mots qu'on remarque dans les écrits de ce
dernier auteur , d'ailleurs très - estimable , mais qui dédaignant
les termes propres et usités en emploie souvent de
trop recherchés . Je regrette de n'en avoir pas parlé à notre
savant , infiniment savant , et très - communicatif abbé de
Caluso , pendant le séjour qu'il a fait dernièrement à Paris ;
mais je ne suis pas moins sûr qu'un tel langage n'est pas de
son goût. M. Ginguené n'a peut être pas été frappé comme
nous de cette singularité de style.
P. S. En relisant cette lettre il me vient dans l'esprit qu'il
ne serait pas hors de saison de la rendre publique. Si vous
ne me mandez rien de contraire, je l'adresserai au rédacteur
du Mercure pour qu'il l'insère , s'il le juge à-propos , dans
un numéro de ce journal , aujourd'hui plus accrédité que
jamais.
SOCIÉTÉS SAVANTES . Société d'Encouragement pour
lindustrie nationale .- La Société d'Encouragement s'est
réunie , il y a quelques mois , en assemblée générale , à
l'effet , 1º d'entendre le compte des travaux de son conseil
d'administration pendant l'année 1810 , le rapport de sa
commission , et celui des censeurs concernant la comptabilité
; 2º de procéder aux nominations prescrites par le
réglement.
La séance s'est ouverte à huit heures du soir ; le bureau
était composé de MM. Chaptal, comte de Chanteloup ,
président;Guyton-Morveau et Dupont de Nemours , viceprésidens
; le baron de Gérando , Mathieu de Montmořenci
et Claude-Anthelme Costaz , secrétaires .
Ungrand nombre de candidats,parmi lesquels on distingue
M. le général Miollis , M. le comte de la Borde etM. le
baron de Tournon , préfet de Rome, ont été présentés et
admis membres de la Société.
JUIN 1811 . 517
-M. Costaz a lu un rapport très-étendu sur les objets qui
ont occupé le conseil d'administration dans le courant de
l'année dernière. Ce rapport fait voir dans quelle progresslon
étonnante les travaux et la correspondance de la Société
s'accroissent d'une année à l'autre . Ily a peu d'inventions
nouvelles qui ne soient soumises à son examen ; il en
est quelques- unes dont la gloire appartient à elle seule , et
beaucoup d'autres qu'elle a fait naître par ses encouragemens
; et ce qui n'estpas moins heureux qu'honorable pour
elle , c'est que , dans les vues d'amélioration , elle a souvent
rencontré la pensée du souverain qui gouverne l'Empire
avec tant de gloire. On sait qu'elle a puissamment concouru
à introduire et faire adopter , dans nos manufactures,
les machines à ouvrer, carder et filer la laine ; qu'on lui
doit les progrès qui ont eu lieu dans l'art de fabriquer
l'alun , le blanc de plomb , le bleu de Prusse , le fer-blanc ,
l'acier fondu , la fonte de fer , les fils de fer et d'acier , les
vis à bois , objets pour lesquels nous étions tributaires de
Tétranger ; que l'emploi devenu habituel des bois indi
gènes pour les usages de la tabléterie et de l'ébénisterie
sont, en grande partie , les fruits de sa prévoyance et de
så sollicitude ; qu'elle s'est constamment attachée à faire
connaître les artistes qui s'occupent , avec succès , de la
filature du lin et du chanvre par mécanique , da perfectionnement
des métiers à tricot et des métiers à tisser ;
enfin, qu'elle a été l'une des premières à proposer un
prix pour la fabrication en grand du sirop de raisin , et
pourla teinture de la laine en couleur écarlate avec la garance
, et à faire faire des expériences sur les moyens les ,
plus propres à retirer l'indigo du pastel .
**
Le secrétaire a rappelé les nouvelles conquêtes industrielles
que la Société peut regarder comme sa moisson de
l'année dernière , telles que la découverte faite, parM. Dufand
, d'un procédé pour adoucir le fer cassant à froid , les
perfectionnemens apportés , par M. Duplat , dans la gravure
en taille de relief , et par MM. Donop et de Blinne ,
dans la construction des fours à chaux qui ne consomment
que de latourbe .
Le discours de M. Costaz est pen susceptible d'être
analysé , puisqu'il n'est lui-même qu'une analyse ; mais
cette analyse suppose des matériaux immenses et un zèle
bien estimable de la part des savans qui se sont donné la
peine de les recueillir , de les examiner et de les juger. Les
objets qui nous paraissent avoir fixé plus particulièrement
;
518 MERCURE DE FRANCE ,
l'attention du conseil , et que nous jugeons les plus impor
tans par les résultats , sont les faulx de la manufacture de
Sarrebruck ; les fils de lin et de chanvre filés à la mécanique
, par M. Delafontaine , de la Flèche; les bas de fil de
M. Detrey , de Besançon ; les nouvelles platines de fusil
de MM. Prelat et Lepage ; les machines à diviser , à canneler
et à graver de M. Petit-Pierre ; les ciselures au relevé
de M. Kirstein , orfévre à Strasbourg ; l'organo -lyricon de
M. de Saint -Pern ; les recherches de MM. Cadet-Gassicourtet
Gillet-Laumont sur l'art de teindre les bois ; les
movens imaginés par MM. Lecourt , de Toulouse , etAuberlot
, de Vierzon , pour recueillir et mettre à profit le
calorique qui se perd dans les fourneaux de réverbère ; la
manufacture de cuivre et de zinc établie à Fromelennes ,
près de Givet , département des Ardennes , par M. Gédéon
de Contamine ; les travaux de M. Janety père , sur la purification
du platine ; les poteries et terres imitant les marbres
, de la manufacture de MM. Fabry et Utzschneider ,
de Sarguemines; les procédés de M. Migneron , pour
durcir , ceintrer et conserver les bois de charpente ; les
pâtes composées parMm Chauveau ,, dela Miltière, près de
Tours , avec la fécule de pomme- de-terre , leprojetd'irrigation
conçu et exécuté en partie , dans la vallée de Chonzysous-
Blois , par M. Rattier , et le Mémoire de M. Dessauxle-
Breton , de Saint-Omer , sur la dégradation des bois ,
et les qualités qu'on doit exiger des experts en matière de
délits ruraux.
me
La Société , par l'organe du même secrétaire , a exprimé
sa reconnaissance envers S. Ex . le Ministre de l'Intérieur,
pour toutes les marques de bienveillance dont il l'a honorée
, et l'appui qu'il a daigné lui prêter en toute occasion .
M. Costaz a terminé son rapport en déplorant la perte
que le conseil d'administration a faite de M. Montgolfier
etdeM. le comte Sers , hommes précieux qu'il se felicitait
de posséder dans son sein depuis la formation de la
Société.
M. Petit a ensuite pris la parole , pour rendre compte de
l'administration des fonds , au nom de la commission que
cet objet concerne ; augmentation de recettes , diminution
de dépenses , existence en caisse d'un capital de 90,000 fr. ,
dont 55,700 fr. sont affectés à des prix , ordre parfait dans
la tenue de la comptabilité , régularité dans le paiement
de la cotisation annuelle , économie dans les détails , libéralité
dans les récompenses accordées aux artistes : tel est
JUIN 1811 . 519
l'aperçu du tableau tracé par M. Petit, et dontM. le comte
Neri- Corsini , l'un des censeurs , a confirmé , après lui ,
la vérité ; telles sont les bases sur lesquelles repose la prospérité
de la Société d'encouragement.
A la suite de ces rapports , l'assemblée a procédé aux
nominations voulues par le réglement. Le bureau , les
censeurs , le trésorier , et un tiers de chaque comité étaient
à remplacer. Pénétrée d'estime pour le caractère et le dévouement
des membres dont les fonctions devaient cesser ,
elle a pensé qu'il était de la justice , comme de l'intérêt de
la Société , de les y maintenir : ils ont été réélus d'une voix
unanime.
Différens produits d'industrie , exposés par leurs auteurs,
ont concouru à l'ornement de cette séance . MM. Albert
et Martin ont présenté un modèle très-soigné de leur
petite machine à feu , couronnée , en 1809 , par la Société,
et lui en ont fait l'hommage . M. Bordier- Marcet avait placé,
dans l'une des salles , la moitié du fanal qu'il exécute , par
ordre du gouvernement , pour un des phares de la Hève.
Ce bel ouvrage , dont il a fait voir l'effet , et la nouveauté
d'application des principes sur lesquels il est fondé
excité l'attention de l'assemblée . Elle a vu aussi avec intérêt
les machines de M. Petit-Pierre , dont il a été parlé
plus haut , et les modèles d'escaliers de M. Deplaye , menuisier
à Paris .
a
?
M. le comte Chaptal a présenté , de la part de M. Drapiez
, de Lille , un pain de sucre de betterave qui, pour la
blancheur , la cristallisation et le goût , est parfaitement
semblable au plus beau sucre de canne . M. Drapiez a
fabriqué , à Lille , quatorze quintaux de ce même sucre
qu'on pourrait , suivant lui , livrer au commerce sur le
pied d'environ 2 francs le demi-kilogramme . Il a communiqué
ses procédés à la Société , qui a chargé son comité des
arts économiques d'en faire un rapport .
La séance est levée à neuf heures et demie.
POLITIQUE .
LES dernières nouvelles de Bucharest sont du 8 mai .
Elles annoncent que deux chefs turcs , Gutschuck-Ali et
Giaur-Hassan , se sont aventurés jusqu'à Kadi-Kioy , à
trois lieues de Rudschuck ; ils ont attaqué les avant-postes
russes qui s'y trouvaient , tué et pris quelques Cosaques .
D'après cet événement , la garnison de Rudschuck a reçu
l'ordre de camper hors de la place , afin , d'une part , d'être
plus à portée de soutenir là chaîne des avant-postes , et de
l'autre, de jouir d'un ajr air plus salubre .
On parle aussi d'une affaire qui aurait eu lieu entre les
Turcs et les Serviens , et dans laquelle les derniers auraient
eu le dessous . On ne nomme pas l'endroit où l'action s'est
passée. Ce qui rendrait cet événement jusqu'à un certain
point probable , c'est que l'on a envoyé dans la plus grande
hâte des renforts en Servie .
La huitième division russe , sous les ordres du général
Essen , a reçu l'ordre de se tenir prête à marcher; on ne
connaît point encore sa destination .
Le comte Kamenski est parti le 5 pour Odessa ; d'après
les nouvelles qu'on a reçues hier , il a soutenu les premiers
jours de son voyage beaucoup mieux qu'on ne pouvait s'y
attendre.
Les lettres de Vienne , en date du 29 mai , ajoutent ce
qui suit : On reçoit en ce moment la nouvelle de plusieurs
combats fort viſs entre les Russes et les Turcs , ces derniers
ont été rejettés sous les murs de Sophia ; la place de Widdin
se trouve complètement investie . Les Russes , qui out
beaucoup d'artillerie , doivent en avoir commencé le siège .
Ainsi les hostilités auraient été reprises et les négociations
rompues ; voilà du moins ce qui résulte de ces détails ,
mais il n'ont aucuns caractères officiels .
Le nouvel ambassadeur de France , M. le général comte
de Lauriston , est arrivé le 9 mai au matin à Pétersbourg ;
il avait reçu à la frontière et sur la route les honneurs dès
à son prédécesseur. Le 11 du même mois , M. le duc de
Vicence a eu l'honneur de présenter ses lettres de rappel à
S.M. l'Empereur , et de prendre congé de l'Impératrice et
MERCURE DE FRANCE , JUIN 1811 . 521
de la famille impériale ; immédiatement après , M. le comte
de Lauriston à eu sa première audience , et a été présenté à
S. M. P'Empereur , à S. M. l'Impératrice régnante , et à la
famille impériale. Le même jour , M. le duc de Vicence
et M. le comte de Lanriston ont eu l'honneur de dîner
avec S. M. l'Empereur . Nous avons dit déjà que le premier
était arrivé à Paris ; à la cérémonie du baptême , il avait
repris son service de grand-écuyer , et en cette qualité était
à cheval à la portière de droite de S. M.
Le gouvernement russe a renouvellé des ordonnances
très-sévères , et a pris de nouvelles dispositions militaires
pour assurer le service de la côte , et la repression de tonte
importation ou exportation frauduleuse; on n'a point entendu
parler de la flotte anglaise ; à la date du 1er juin , on
savait sur la côte de la Baltique qu'elle se tenait enfermée
dans le Categat , et l'on doutait , vu les mesures prises sur
toute la ligne continentale , qu'elle franchît le Belt et tentat
quelqu'entreprise.
La santé du roi d'Angleterre devient de jour en jour
moins satisfaisante : on craint sérieusement une attaque
d'hydropisie . On remarque des nomens plus fréquens de
distraction et des défauts de mémoire plus rapprochés . La
nomination du duc d'Yorck à la digniittéé de généralissime
des forces de terre et de mer , excite à Londres de violens
débats et de fortes divisions : on en aura une idée en lisant
l'extrait suivant d'un papier anglais du 31 mai .
« Nous sommes , y est-il dit , à la veille d'une grande
assemblée nationale pour délibérer sur la nécessité d'une
réforme parlementaire. Les ministres , soit pour braver
l'opinion publique , soit dans l'intention d'avilir le princerégent
, proposent la nomination du duc d'Yorck au mépris
du sentiment exprimé par le parlement.
>>Nous avons toujours cru que la seule manière de
maintenir les vrais priviléges du parlement et son influence
constitutionnelle , était le respect des ministres du roi pour
les résolutions des deux chambres . Le ministre , qui le
premier donna l'exemple de traiter avec mépris la chambre
des communes , est cet homme dont l'anniversaire va être
célébré par tous les agioteurs de l'Angleterre , et qui par
ce mépris et par son système de finances et de papiermonnaie
jeta les fondemens d'une guerre perpétuelle . Et
c'est par des hommes qui se glorifient d'avoir été élevés
dans son école que cette nouvelle insulte est faite à l'assemblée
des représentans du peuple !
522 MERCURE DE FRANCE ,
» L'un des motifs allégués en faveur de la nouvelle nomination
de l'illustre duc , est qu'elle sera agréable à l'armée
. Pourquoi ? Parce qu'il ne se laissera contrôler par
aucun des ministres , et qu'entre ses mains l'avancement
dans l'armée ne sera point influencé par des liaisons parlementaires
.
» Le roi est le chef de l'armée et de la marine , comme
il l'est de l'église ; mais , dans toutes les branches de gouvernement
, il agit par l'intermédiaire de conseillers responsables
; et au moment où cette responsabilité devient
nulle , le parlement a besoin de réforme . »
Dans la séance de la chambre des communes , du 6juin ,
cette même nomination a donné lieu à des débats dont
voici le précis.
" Lord Milton a dit qu'il regrettait très-sincérement qu'un
autre , ayant plus d'expérience et plus d'habileté que lui ,
n'eût pas pris sur lui la tâche de faire la motion dont il
connaissait toute l'importance ; qu'il n'ignorait pas que le
gouvernement exécutifavait droit de disposer de toutes les
nominations ; mais qu'en même tems il savait que les ministres
étaient responsables des conseils qu'ils jugeaient à
propos de donner. La longue et pénible enquête que la
chambre des communes avait jugé nécessaire d'ordonner à
l'égard de la conduite de l'illustre personnage qui vient
d'être renommé au commandement en chef de l'armée ,
est connue à tout le monde. On ne se rappelle pas moins
qu'une adresse avait été proposée , et qu'on y accusait
S. A. R. le duc d'Yorck de corruption personnelle. Il est
vrai qu'il avait été acquitté de cette accusation ; mais il
existait encore d'autres charges contre lui . Il paraît , continue
lord Milton , que S. A. R. avait été coupable de plusieurs
délits très-graves ; mais comme ce prince avait résigné
sa charge , la chambre n'avait pas jugé nécessaire de
continuer l'enquête . La chambre des communes avait déclaré
, en mars 1809 , que S. A. R. n'était pas propre à la
charge de général en chef; l'orateur demande maintenant
quel est l'événement qui le rend plus propre à l'exercer
actuellement. Si rien n'a été fait pour détruire l'évidence
des faits contre S. A. R. , il voudrait demander aux ministres
, sur quel fondement ils ont hasardé , au mépris de la
résolution de la chambre , de nommer S. A. R. à une place
qu'il avait déshonorée. Le noble lord a proposé ensuite
que les différentes résolutions qui avaient été prises dans
le cours des débats , à l'occasion de l'enquête ordonnée
JUIN 1811 : 523
contre S. A. R. le duc d'Yorck , en mars 1809 , fussent
lues; ce qui ayant été accordé , après la lecture de ces
pièces , le noble lord a proposé la résolution suivante :
« Que d'après une mûre considération des circonstances
récentes qui avaient éloigné S. A. R. le duc d'Yorck du
commandement de l'armée en mars 1809 , il semble à la
chambre des communes qu'il a été indécent de la part des
conseillers du prince-régentde suggérer la nomination de
S. A. R. à cette charge . "
Le lord chancelier de l'échiquier a répondu qu'il allait
instruire la chambre des motifs d'après lesquels cette nomination
avait été faite; qu'on n'ignorait point que le brave
officier qui avait rempli la charge de général en chef après
la résignation du duc d'Yorck , ayant servi l'Etat plus de
cinquante ans , et ne pouvant plus vaquer à ses devoirs ,
soit par son grand âge , soit par ses infirmités , avait donné
sa démission l'hiver dernier , et qu'elle avait été acceptée
par le prince-régent. La chambre doit savoir que dans la
situation où se trouve l'Angleterre , et à cause de la guerre ,
on ne pouvait se permettre de temporiser. Il n'hésite pas
à dire que lui et ceux qui agissaient de concert avec lui ,
n'avaient aucun doute que le duc d'Yorck ne fût , sous
tous les rapports , propreà cette charge, sur-tout lorsqu'ils
se rappelaient les services éprouvés de S. A. R. , lorsqu'ils
considéraient tous les avantages qui avaient résulté de son
habileté . D'après ces motifs , il est persuadé que la chambre
n'accédera point à la motion du noble lord.
Sir Francis Burdett a appuyé la motion de lord Milton .
La question ayant été mise aux voixx,, il en est résulté47
pour la motion , 296 contre. -Majorité , 249. "
LesAnglais nous avaient les premiers appris la nouvelle
de l'affaire sanglante qui a en lien au sud de Badajoz . Ils
avaient évalué leur perte à huit mille hommes , parmi lesquels
plusieurs généraux officiers supérieurs , et un régiment
tout entier ; on attendait avec impatience la relation
officielle française ; elle vient d'être publiée par le Moniteur,
et confirme ce que nous savions sur cet engagement
d'une haute importance .
Lerapport en est fait par le maréchal duc de Dalmatie ,
et daté de Salano le 21 mai . L'armée alliée aux ordres de
Beresford , comptait 10 mille Anglais , 8000 Portugais ,
3000 Espagnols aux ordres de Castanos , et 3000 chevaux ;
9000 hommes , commandés par Blake , se sont joints à ces
forces pendant l'action même , ce qui portait à 33 mille
1
524 MERCURE DE FRANCE ,
combattans le nombre des alliés réunis de Lisbonne et de
Cadix, comptant même un renfort venu de Sicile , et menaçant
l'Andalousie.
Le maréchal duc de Dalmatie , parti de Séville le 10 ,
avait 15000 hommes et 3000 chevaux ; il pouvait attendre
des renforts , mais il voulait prévenir la jonction de Blake ,
et n'avoir affaire qu'aux 24 mille hommes avec lesquels il
pe doutait point du succès . Il se décida à attaquer l'ennemi
aussitôt qu'il l'eut rencontré près de Badajoz .
Le général Godinot , dit M. le maréchal, fut chargé avec
sa brigade , à laquelle se joignit cinq escadrons aux ordres
du général de brigade Briche , de faire une fausse attaque
sur le village d'Altuhera , et je me portai avec le reste de
l'armée sur la droite de l'ennemi , qui fut aussitôt debordée
par notre cavalerie. M. le général Latour-Maubourg manoeuvra
avec audace et habileté ; il chercha vainement à
engager dans une affaire la cavalerie ennemie. Celle-ci se
tint constamment en réserve . M. le général Girard , avec
ses deux brigades , marcha au pas de charge , et enleva la
position de l'ennemi. Cette position était occupée par une
division espagnole et une brigade anglaise , qui lâchèrent
pied après une résistance assez opiniâtre , et furent vivement
poursuivies . Le champ de bataille était couvert de
leurs morts , etnous leur fîmes bon nombre de prisonniers .
La seconde ligne de l'ennemi s'avança alors et déborda
considérablement la nôtre . M'étant porté sur la hauteur , je
fus surpris de voir un aussi grand nombre de troupes ; et
peu après , j'appris par un prisonnier espagnol que Blake
était arrivé avec 9000 hommes , et avait fait sa jonction à
trois heures du matin . La partie n'était plus égale . L'ennemi
se trouvait avoir plus de 33 mille hommes , tandis que je
n'en avais que 18. Je ne jugeai plus devoir suivre mon projet
, et j'ordonnai que l'on gardât la position qui avait été
enlevée à l'ennemi . Cependant la ligne ennemie s'approcha
bientôt de la nôtre , et le combat fut des plus terribles .Le
général Latour-Maubourg fit charger le 2º de hussards , le
1er de lanciers de la Vistule , le 4º et le 20º de dragons , avee
une habileté et une bravoure telles que trois brigades d'insanterie
anglaise furent entièrement détruites . Six pièces de
canon, 1000 prisonniers et 6 drapeaux ( ceux des 3º, 48°et
66º régimens anglais) restèrent en notre pouvoir. L'ennemi
nous laissa la position que nous lui avions prise et n'osa
plus nous y attaquer.
Le 17 les deux armées sont restées en présence. L'en
JUIN 1811 . 525
hemi reçut encore 5000 hommes d'Elvas , mais les Français
restèrent maîtres du champ de bataille . Le 18 , à la
pointe du jour, il a fait un mouvement de flanc sur Solanos ,
ses prisonniers sont conduits à Séville ; à l'arrivée de ses
renforts , il doit manoeuvrer pour compléter la défaite de
l'ennemi .
Nous avons eu , dans l'affaire du 16 , 2800 hommes tués
ou blessés ; parmi les premiers on compte les généraux de
brigade Werlet et Pepin , et le colonel Præfke , les chefs de
bataillons Astruc et Camus . La perte de l'ennemi (portée
à 8000 hommes dans les papiers anglais ) est de 5000 Anglais
, 2000.Espagnols , 1000 Portugais ; 1000 Anglais ,
1000 Espagnols ont été faits prisonniers . Les alliés ont
donc perdu , en totalité 10000 hommes , c'est-à-dire ,
qu'ils ont éprouvé une perte plus que triple de la nôtre.
Les Anglais ont perdu particulièrement plus d'un homme
sur deux. La relation finit par la mention de la conduite
des différentes armes , et particulièrement des généraux
Gazan et Latour-Maubourg .
,
- Le bruit public désignait la sortie de vive-force de la
garnison d'Almeida détruit , comme un fait d'armes aussi
beau que l'opération était nécessaire , et que son exécution
était dangerense .
Le Moniteur a aussi publié la relation du général Brenier
qui a commandé cette mémorable sortie : rien de plus
dramatique et de plus intéressant que ce récit ; on croit lire
un bel épisode d'un poëme consacré à célébrer les exploits
d'une armée de héros .
Tout était prêt dans la place pour faire sauter toutes les
fortifications et pour rejoindre de vive force l'armée de
Portugal, au moment où un soldat du 6º d'infanterie
légère parvint à échapper à tous les postes ennemis qui
environnaient la place , et à remettre au général Brenier
l'ordre de mettre le feu aux fourneaux et de sortir. Déjà il
avait été sominé de se rendre; il avait répondu en invitant
à attaquer; Wellington lui avait proposé une entrevue , il
n'avait pas cru devoir répondre .
L'ordre fut reçu le 7 : ce jour et le 8 furent employés à
détruire tous les moyens d'artillerie , toutes les pièces , affuts
, caissons , trains qui eussent pu servir à l'ennemi . Le
10, le général Brenier rassemble les troupes, les harangue,
leur fait connaître le danger et leur montre le but , indique
aux colonnes la route qu'elles doivent tenir , les corps ennemis
qu'elles auront à enfoncer , et leur donne pour mot
526 MERCURE DE FRANCE ,
d'ordre et de ralliement , Bonaparte et Bayard. Le to à
l'entrée de la nuit la garnison prend les armes , et les
troupes occupent dans le plus grand silence les points
désignés . A 10 heures la place saute , et les Français sortent
; à l'instant aux prises avec les postes ennemis , ils enfoncent
tout ce qui s'oppose à leur passage ; arrivés à travers
tous les obstacles du terrain , de l'incertitude de la
route , de la nuit , et des attaques ennemies , aux bords difficiles
et escarpés de l'Agueda , les colonnes françaises sont
vivement serrées au passage du pont Saint-Félice : plusieurs
braves succombent en protégeant la marche de leurs
camarades ; mais le général Reynier descend des hauteurs
opposées , contient l'ennemi , assure la marche des nôtres
et la garnison d'Almeida , moins 60 hommes , arrive à sa
destination .
,
Ce rapport a été fait à M. le duc de Raguse , aujourd'hui
général en chef de l'armée , dont le quartier-général
est à Salamanque , tandis que l'armée occupe une ligne
étendue le long de la frontière , où elle s'approvisionne
abondamment de vivres et de munitions : le général anglais
a continué de se renforcer dans sa position , et à
réunir à son armée tous les renforts qu'il peut obtenir. Au
nord tout est tranquille sous les ordres du maréchal duc
d'Istrie qui a son quartier-général à Valladolid. Le général
Suchet presse le siége de Tarragone ; on annonce de nouveaux
succès en Catalogne .
La cérémonie du baptême du roi deRome , et les fêtes
qui l'ont accompagnée , ont eu lieu le 9; elles ont été favorisées
par le plus beau tems , dignes dans tous leurs
détails de leur objet , et de la foule prodigieuse d'étrangers
de marque qui étaient arrivés à Paris pour en être les
témoins .
Elles peuvent être divisées en trois parties ; la cérémonie
religieuse , la fête à l'Hôtel-de-Ville , la fête extérieure.
Pour la première , tous les préparatifs de la cérémonie
du sacre avaient été renouvelés à Notre-Dame; le cortegé
impérial y est arrivé à sept heures au milieu des acclamations
d'une immense population , pressée sur tous les
lieux de son passage. Mme la princesse de Neufchâtel ,
Mm la princesse Aldobrandini , Mume la comtesse de Beauveau,
portaient les honneurs de l'enfant; Mme la duchesse
d'Alberg , Mme la comtesse de Villain XIV , Mme la duchesse
de Dalmatie les honneurs du parrain et des marraines
. S. A. I. etR. le grand-duc de Wurtzbourg , reprér
JUIN 181I . 527
sentant S. M. l'Empereur d'Autriche , parrain; S. A. I.
Madame , marraine ; et S. M. la reine Hortense , représentant
S. M. la reine de Naples , aussi marraine.
Ce fut un moment d'enthousiasme difficile à décrire ,
mais que l'imagination du lecteur pourra se figurer , que
celui où , la cérémonie achevée , et le chefdes hérauts d'armes
ayant crié trois fois Vive le Roi de Rome , l'Empereur
prit le royal enfant des bras de son auguste mère , le pressa
dans les siens , l'éleva aux yeux de tous les assistans qui
faisaient retentir la basilique de leurs acclamations , pendant
qu'un orchestre immense exécutait le fameux Vivat.
Après le Te Deum LL. MM. se sont rendues à l'Hôtelde-
Ville ; elles y ont reçu les hommages du corps municipal
, et pris place au banquet qui leur était préparé .
Après le banquet , elles ont passé dans la salle du concert
où le Conservatoire a exécuté une belle cantate de M. Arnault
, musique de M. Méhul. Cette cantate , intitulée le
Chant d'Ossian , a produit la plus vive sensation. Après
le concert , LL . MM. se sont rendues dans la salle du
trône , où toutes les personnes invitées étaient réunies .
L'Empereur a daigné parcourir le cercle , en s'adressant
avec la plus touchante affabilité au plus grand nombre des
personnes qui le composaient. LL. MM. ont quitté l'Hôte!-
de-Ville vers les onze heures ; un bal brillant s'est ouvert
après leur départ , et a continué jusqu'à cinq heures du
matin.
Au dehors , les jeux publics multipliés aux Champs-
Elysées , les distributions , les illuminations magnifiques ,
untrès-beau feu d'artifice , ont divisé , en l'occupant, la foule
immense qui était répandue depuis l'Etoile jusqu'au Louvre .
Aucun accident fâcheux , dit le Moniteur, n'a troublé ce
beau jour et la nuit paisible qui lui a succédé.
LL. MM. sont retournées le soir même de la fête à
Saint-Cloud .
Le même jour , dans toute l'étendue de l'Empire , des
fêtes ont eu lieu pour célébrer l'heureux événement qui
était l'objet de l'enthousiasme et de l'allégresse de la capitale
; déjà l'on reçoit les détails de Rowen , Angers , Calais ,
Orléans , etc. , etc. Ils seront les mêmes par-tout ; un même
sentiment a présidé à l'ordonnance de ces fêtes; tous ceux
qui y assistent sont Français , ou le deviennent un moment
en idée pour partager nos voeux , notre reconnaissance et
notre admiration pour celui qui
1 Nobis hæc otiafecit.
S ....
528 MERCURE DE FRANCE , JUIN 1811 .
ANNONCES .
Nouveau Système des Tems , de feu Gibon , de l'ancienne Acadé
mie des Inscriptions et Belles-Lettres , qui abrége ceux-ci de près et
de plus de moitié de ce qu'ils sont établis dans les diverses chronologies
subsistantes , ou la Chronologie de l'Ecriture , démontrée tant
géométriquement qu'astronomiquement , et les véritables tems du
monde entièrement dévoilés , contre le sentiment de Voltaire et de
M. de Châteaubriand qui prétendent , le premier , qu'il n'y a point
de chronologie ; le second . qu'il n'y en a point , et que cependant il
y en a une ; que celle- ci est lumineuse et qu'elle n'éclaire pas ; que
nous nous y devons tenir à moins d'être animés par un zèle ardent
d'impiété . Continué et achevé par le fils de Gibon , ancien directeur
des fermes et régies de France. Un vol. in-4º de 488 pages , avec
figure et les tables justificatives . Prix , 15 fr . , et 18 fr. franc de port.
Chez Firmin Didot, imprimeur-libraire , rue Jacob , nº 24 ; Martinet
, libraire , rue du Coq- Saint - Honoré ; Delaunay , libraire , au
Palais -Royal , nº 243 , et chez l'Auteur , au Grand Saint- Chaumont,
rue et près la porte Saint-Denis , nº 374.
AVIS.
DOMAINE DE MALMAISON.
Le lundi , rer juillet 1811 , et jours suivans , s'il y a lieu ,
il sera vendu publiquement des bêtes à laine de races pures et choi
sies , provenant des troupeaux de Malmaison , savoir :
Vingt-cinq brebis antenoises ; vingt cinq brebis de deux ans et demi;
dix brebis de trois ans et demi ; cinquante brebis de cinq ans et demi;
cinquante brebis de six ans et demi ; quarante brebis hors d'âge ; dix
béliers d'un an et demi; dix béliers de deux ans et demi ; trente
béliers pris dans différens áges , depuis trois ans et demi jusqu'à six
ans et demi.
En tout deux cent cinquante bêtes , dont deux cent brebis et einquante
béliers .
Cette vente aura lieu à 11 heures très-précises , dans l'Orangerie
située à l'extrémité du parc de Malmaison , sur le bord de la route de
Paris à Saint-Germain - en- Laye .
Nota. La, première pièce de poésie , du présent No , intitulée : Ode
sur la Naissance du roi de Rome, est par M. Treneuil, bibliothécaireconservateur
de la Bibliothèque de l'Arsenal.
DABLE
LA
SEINE
MERCURE
DE FRANCE .
N° DXVIII . -
DEPE
DE
Samedi 22 Juin 1811 .
POÉSIE . (*)
CHANT HÉROÏQUE
COMPOSÉ POUR LA NAISSANCE :
DU RÓI DE ROME .
L'ÉTERNEL avait dit à l'Ange des armées :
Je confie à tes mains mes foudres enflammées ;
Pars , vole ; assujettis au plus grand des humains
L'Empire des Français , l'Empire des Romains ;
Et l'Ange avait rempli sa mission sacrée.
NAPOLÉON régnait ; une épouse adorée
Au sort de ce Héros unissait son destin ,
Quand l'Ange de l'hymen , à ce grand Séraphin
5.
cen
(*) Nous ne nous pardonnerions pas de laisser ignorer l'auteur de
la belle Ode sur la naissance du roi de Rome , que nous avons insérée
dans le Nº précédent , et qui commence par ce vers :
Telles ont voit briller cés sphères vagabondes
Elle est de M. DE TRENEUIL , auteur du poëme des Tombeaux de
Saint-Denis , proposé par l'Institut , pour un des prix décennaux.
LI
530
MERCURE DE FRANCE ,
,
ParDieu même envoyé ,lui dit : J'ai de la France
Comblé , dans cet instant , la plus douce espérance :
Ilest nécet Enfant , qui devient, à-la-fois ,
L'héritier de l'Empire etle soutien des Rois.
Sonjeune âge long-tems ignorera les peines;
Il dormira , bercé sur les genoux des reines .
Combien de fois sa Mère ,épiant son sommeil,
Va d'un tendre souris caresser son réveil !
Quand d'un Père fameux , déjà ,lisant l'histoire
Son coeur palpitera du besoin de la gloire;
Quand , digne de monter au trône qui l'attend ,
Commenceront les jours de son règne éclatant;
Arbitre des humains il régira le monde ,
Que de NAPOLÉON la sagesse profonde
Aura pacifié , pendant un siècle d'or.
Si des malheurs passés latrace vit encor ,
Elle s'effacera sous son règne prospère .
Formé par les leçons de son auguste Père ,
De laDiscorde affreuse éteignant les brandons ,
D'une éternelle paix il répandra les dons.
Orgueilleuse Albion , malgré ta vaine audace ,
Tu frémis , d'un Enfant le berceau te menace .
Autour de ce berceau que de Rois vont s'unir!
La France a , dans ce jour , conquis son avenir.
Il dit ; mais l'Ange heureux qui préside à la guerre ,
Craint que l'Enfant chargé du bonheur de la terre ,
Portant un si grand nom, de tant d'honneurs comblé,
Sous leur poids ne fléchisse et n'en soit accablé.
١٠
Eh quoi ! dit-il , souvent je succombe aux fatigues .
Quand j'oppose à centRois, pour combattre leurs ligues ,
Un prince infatigable et toujours triomphant ;
Me faudra-t-il encor guider ce jeune Enfant?
Où trouver , pour grandir ses hautes destinées ,
Et d'autres Apennins et d'autres Pyrénées ?
D'autres Alpes , encor , s'il veut les traverser ,
Vont-elles , à ma voix , devant lui s'abaisser ?
Mais sait-on de quel bras NAPOLÉON foudroie
L'ennemi qu'il renverse et qui devient sa proie ?
Tantót , sur un seul point , rassemblant son effort ,
Son tonnerre jaillit , frappe et vomit la mort ;
JUIN 1811. 53
Tantôt, développant ses troupes invincibles ,
Comme undragon roulant sur ses orbes terribles ,
Il entoure , il étouffe ,en ses plis rassemblés ,
Ses ennemis étreints de ses noeuds redoublés ;
Tantôt , à son armée avide de conquête
Donnantun corps léger , dont il grossit la tête ,
Il s'attache , en courant, à son fier ennemi ;
Souvent , quandil le voit dans uu poste affermi ,
Il feint de redouter le combat qu'il désire ,
Se replie avec art , en un piége l'attire ,
Et, tout-à-coup , sur lui retombant à- la- fois ,
Toutes ses légions l'accablent de leur poids .
Soncentre a-t-il fléchi , c'est l'instant où la gloire
Aux ailes de l'armée attache la victoire .
La fortune volage et qui cherche à troimper,
Ason génie ardent ne sait point échapper;
Tout cède à mon Héros : son Fils , suivant sa trace ,
Peut, dans la guerre , un jour , imiter son audace;
Il peut sous son égide , un jour , se signaler ;
Mais jamais aux combats pourra-t-il l'égaler ?
Ainsi ce Chérubin n'admirait que la gloire
D'accumulér toujours victoire sur victoire ,
Bornait les grands talens aux belliqueux succès ,
Ne voyait qu'un guerrier dans le Héros français ,
Et laissait dans l'oubli sa sagesse profonde ,
Qui veut fonder la paix et le bonheur du monde.
Cependant pour le Fils du Souverain des Rois ,
La foudre aux mains de l'Ange a résonné cent fois,
Et , cent fois les échos des cieux et de la terre
Répondent , par leur bruit , au bruit de son tonnerre.
Au grand événement qui signale ce jour ,
L'Ange de l'hyménée applaudit à son tour;
Et , déjà plein du feu quil'anime et l'inspire ,
Ses doigts harmonieux préludent sur sa lyre;
Déjà sa voix célèbre , en de sublimes airs ,
Le bonheur qu'un Enfantpromet à l'univers.
Ases sons accouraient toutes les ombres vaines
Des Monarques français et des augustes Reines ,
Sur le trône , jadis , compagnes de leur sort .
Depuisqu'ils ont perdu l'asile de la mort,
Ll 2
532
MERCURE DE FRANCE ,
:
Ces Rois , déshérités de leurs retraites sombres ,
Se lamentaient , erraient; on entendait leurs ombres
Mêler leur voix lugubre au fracas des torrens.
L'Ange à peine a chanté , ces manes accourans
Vers les magiques sons dont l'accent les attire ,
De leur foulepressée environnent sa lyre.
Quel spectacle imposant ! quels sublimes objets !
O Reines ! autrefois l'amour de vos sujets ,
Paraissez , du pouvoir offrez -moi les emblêmes ,
Vos vêtemens d'azur , l'or de vos diadêmes ,
Vos manteaux étoilés , vos écharpes d'éclairs ,
Et vos cheveux flottans déployés dans les airs ;
Telles qu'au Scandinave apparaissent les Fées ,
Nobles filles d'Odin , fières de ses trophées ,
Lorsqu'en des coupes d'or , aux habitans du Ciel
Leurs immortelles mains présentent l'hydromel.
C'estpeu , des Rois français j'aperçois les fantômes ;
Ils passent devant moi ; je vois briller ces heaumés ,
Ces hauberts , ces brassards , ces larges écussons ,
Antiques attributs de leurs nobles maisons.
Te voilà , grand Clovis , Roi puissant , mais injuste ;
Et toi , Philippe , orné du beau titre d'Auguste.
Philippe , ô mon Héros ! permets que mon burin ,
Pour embellir tes traits , de notre Souverain
Te prête les vertus et les talens sublimes.
Dans ce royal essaim de Princes magnanimes ,
François , tu m'apparais , ô toi qui , tour-à-tour ,
Monarque , chevalier , conquérant , troubadour ,
Priaís , aimais , servais , chantais avec ivresse
Dieu , la gloire , les arts , la France et ta maitresse ;
Je te vois écouter , avec tous ces Héros ,
L'aimable Séraphin qui s'exprime en ces mots :
Il est né , l'Héritier des Trajans , des Augustes ,
Qui s'élève entouré du souverain pouvoir ;
Fils du Chêne au tronc large , aux ombrages augustes ,
Il promet de grandir sous ses rameaux robustes ,
Et la force du siècle en a produit l'espoir.
Cependant , ils disaient , séduits par un vain rêve :
Combattons le Héros francais ;
Point de traité pour lui ,point de paix , point de trève,
Que la victoire enfin n'assure nos succès.
JUIN 181F. 533
Son ombre en vain s'étend , sa tige en vain s'élève ,
Privé d'utiles rejetons ,
Quand le tems flétrira sa verdure et sa sève ,
Il ne renaitra point dans leurs jeunes boutons .
Vain espoir ! unnoble hyménée
Donne au Héros un Fils dont s'embellit sa cour.
Otrop heureux Français ! ô Rome fortunée !
Exhalez votre joie en des hymnes d'amour.
Rome, ne pleure point tes généreux Camilles ,
Tes Scipions et tes Emiles ,
Endormis dans la tombe auprès de tes Césars ;
Seul , il te les rend tous ; à ta vue éblouie ,
Il va , reproduisant leur gloire évanouie ,
Şur sa tête assembler tous leurs rayons épars.
1
Ouvrez le temple et que j'entende
Sonner l'airain religieux. "
Grands , que votre élite s'étende
Et resplendisse dans ces lieux.
Avancez , brillantes cohortes.
Du couple auguste et triomphant ;
Du parvis franchissez les portes ,
Accompagnez l'auguste Enfant .
Il entre environné de la pompe suprême ,
En ces réduits sacrés , où les flots du baptême
Vont du Christ à son front donner le divin sceau !
• Autour de son brillant berceau
Les fleurs voltigent , l'encens fume ,
L'air de guirlandes se parfume ;
Les bannières , les croix , les candelabres d'or ,
Les festons , les rubis prodiguent leur trésor ;
L'Hosanna retentit : gloire au Dieu qui féconde !
Gloire au Héros français ! gloire aux flancs généreux ,
Dont l'heureux fruit promet à vingt peuples heureux ,
Le salut de l'État et le bonheur du monde !
Malheur aux nombreux pavillons
Dont Albion se glorifie !
Déjà cet enfant les défie ,
Etdes flots fend les tourbillons .
Ces flots , si changeans , si perfides ,
Al'Anglais cachent un écueil ;
534 MERCURE DE FRANCE;
In verra léurs gouffres avides
Engloutir enfin son orgueil.
Mais la France fertilisée
Verra toujours . dans ses vallons .
Pleuvoir , en féconde rosée .
Les fruits , les fleurs et les moissons.
L'Anglais , dans son délire , a dit aux mers profondes=
Vos flots sont mes sujets ; seul j'y veux naviguer ;
Son délire a ditaux deux mondes :
Cédez -moi l'empire des ondes,
Ou sur elles , par-tout , j'irai vous subjuguer .
Et la terre à ce point se verrait asservie !
Peuples , ressaisissez votre empire et vos droits :
L'auguste Enfant qui nait va consacrer sa vie
Avenger les affronts des peuples et des Rois.
Albion ! Dieu lui- mêine entretient le prestige
Qui nourrit ta funeste erreur ;
Tu bois l'ivresse et le vertige
Dans la coupe de sa fureur.
Que de Rois dévorés des peines les plus vives ,
Par tes nombreuses trahisons !
Aceux qui furent tes convives ,
Tu ne versas que des poisons ;
Mais ils s'unissent , mais leurs chaînes
Etouffent les antiques haines;
Mais un hymen vengeur , au feu de ses flambeaux,
Bientôt embrâsera tes coupables vaisseaux ;
Dieu l'a dit. Qui rendra ses présages frivoles ?
Que pourront, contre lui , tes impuissans efforts ?
Sous la foudre de ses paroles ,
Vaisseaux altiers , riches trésors ,
Des cupides Anglais navigantes idoles ,
Tombez , écroulez-vous ; et que puisse , à jamais ,
Le monde repousser vos avares bienfaits!
Ainsi l'Ange chantait ; et les ombres charmées ,
Pour le Fils du Héros , d'un beau zèle animées ,
Vont l'orner à l'envi des vertus qu'autrefois
Elles ont fait briller sur le trône des Rois .
Bientôt le noble Enfant est de vertus sans nombres
Enrichi par l'essaim de ees illustres ombres;
JUIN 1811 . 535
C'est la foi , la candeur , l'indulgente bonté ,
L'héroïque valeur , l'inflexible équité :
Ainsi dans cette enceinte où des Français célèbres
Descendent les débris en leurs palais funèbres ;
Où les restes glacés des antiques Héros
Parlent , dans leur silence et leur noble repos ,
Un mortel entouré de ces ombres sublimes ,
Respire leurs talens , leurs vertus magnanimes ;
La mort instruit la vie , et , par le souvenir ,
Le passé , de ses dons , enrichit l'avenir.
Tel paraît cet Enfant , noble héritier du trône ,
Elève de ces Rois dont l'essaim l'environne .
Mais à peine du jour le flambeau radieux
De son premier éclat a coloré les cieux ,
De leurs spectres légers les figures pálissent ,
De leurs confuses voix les accens s'affaiblissent ,
Froids accens , qui rendaient , par la mort effacés ,
Un murmure semblable au bruit des tems passés.
Bientôt l'éclat du jour pénètre de ces mânes
Les corps aériens , les formes diaphanes ;
Leurs yeux roulent pareils à des feux presque éteints.
Fuyez , il en est tems ; fuyez , fantômes vains ,
J'aperçois le nuage où votre image encore
Parait , s'éteint , renait , s'affaiblit , s'évapore :
L'auguste Enfant s'éveille , et ce Fils d'un Héros
Semble être un habitant de l'orageux Claros ,
Qui , rêvant d'Ossian les nébuleux royaumes ,
de ses aïeux , voir les pâles fantômes .
Par M. PARSEVAL ,
Membre de l'Institut et Conseiller du Conseil des prises .
A cru ,
CRÉÉ par
ÉNIGME.
le soleil et par les élémens ,
Je suis partout dans la nature ;
L'un me prend gris , un autre me veut blanc ,
Telle est enfin ma bigarrure.
Pour me trouver , ami lecteur ,
Cherche un coin de l'église et non son sanctuaire;
Quoique décomposé , l'office du Seigneur.
Se fait avec mon ministère.
536 MERCURE DE FRANCE , JUIN 1811 .
2
Chez le riche et le pauvre en toutes les saisons ,
Avec eux, je suis à leur table ;
Je sers toujours dans leurs maisons ,
Même au goûtdu plus misérable .
Je sers encor d'ornement au discours ;
Boileau , Piron , Gresset et le divin Voltaire
De mon moral firent leurs plus beaux jours ,
Car sans moi tout poëte est réduit à se taire .
Ma mère , objet, hélas ! qui souvent fait frémir ,
Dans son sein me reprend et m'y force à périr .
DE MORTEMARD , lieutenant- colonel , abonne.
LOGOGRIPHE .
AVEC mon chef je vogue au sein des eaux ;
Mon chef à bas , je roule sur la terre ;
Avec trois pieds je m'attache à la peau ,
Et je fais à l'enfance une fâcheuse guerre .
CHARADE.
S ........
Dans les airs retentit le son de mon premier;
La terre produit mon dernier
Lamer recèle mon entier .
1
S ........
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARADE
insérés dans le dernier Numéro .
Le mot de l'Enigme est Balle àfusil, balle de paume, balle de
marchandises et balle d'imprimerie.
Celui du Logogriphe est Fiat, où l'on trouve : at , it, ta,fait,
fat,fi, if,fa, ita etfit.
Celui de la Charade est Murmure.
LITTÉRATURE ET BEAUX-ARTS.
VOYAGES DANS LA PENINSULE OCCIDENTALE DE L'INDE ET
DANS L'ILE DE CEYLAN , par M. J. HAAFNER , traduits
du Hollandais par M. J.- Deux volumes in-8 ° , avec
des planches . Paris , chez Arthus-Bertrand, libraire ,
rue Hautefeuille , nº 23 .
C'FST aux voyages que la civilisation doit ses progrès
les plus éclatans . Supposez les nations sédentaires et
renfermées constamment dans l'enceinte de la contrée
qui les a vu naître , de quels développemens l'esprit
humain sera-t-il capable ? La pensée s'accroît et se fortifie
suivant la nature et l'étendue des objets qu'elle peut
comparer. Que les Phéniciens restent renfermés dans
les murs de Tyr , que les bords du Nil soient inaccessibles
aux étrangers , les Grecs seront sans écriture ,
sans arts , sans commerce , sans philosophie ; les Romains
continueront de vivre sous le toit de chaume élevé
par leurs pères , et ces Gaulois , aujourd'hui les modèles
de la politesse et de l'urbanité , ne seront que des sauvages
errans dans les déserts et les forêts . Pourquoi ,
depuis tant de siècles , les Chinois , cette nation spirituelle
et industrieuse reste-t- elle stationnaire et languissante
au sein des sciences et des arts ? n'est-ce pas à
cause de son extrême défiance pour les étrangers , de
son aversion pour les voyages ? Comparez l'homme qui ,
comme Ulysse , a parcouru les mers , visité les nations
et les cités , avec l'homme qui s'est endormi paisiblement
au sein de ses foyers : quelle étonnante différence !
Notre ame semble s'accroître de tout l'espace que notre
corps parcourt. La découverte du Nouveau-Monde a
changé la face du monde ancien. Auguste et Périclès
de retour parmi nous , marcheraient de surprises en
surprises . Quel est le simple particulier qui ne soit
maintenant , sous beaucoup de rapports , mieux logé ,
,
538 MERCURE DE FRANCE ,
mieux nourri , mieux vêtu qu'un consul romain? II
n'est pas une seule partie des sciences , des arts , de
l'agriculture , qui ne se soit enrichie par les voyages , et
quand l'attrait de la curiosité ne nous attacherait aux
récits des voyageurs , l'utilité publique en ferait pour
nous un objet du plus grand intérêt.
Depuis que l'intrépide Vasco de Gama a osé se frayer
une route nouvelle à travers les mers de l'Inde , que de
relations n'a- t- on pas publiées sur cette contrée célèbre !
Il semble que tout soit épuisé et que nous n'ayons plus
rien à apprendre ; mais il est tant de faces sous lesquelles
on peut considérer le même objet , il est tant de détails
qui échappent aux meilleurs observateurs , qu'unhomme
habile peut encore glaner utilement après eux. C'est
sous ce point de vue qu'on peut envisager le voyage de
M. Haafner . Ce n'est point un penseur profond , mais
un conteur agréable , dont le dessein est d'instruire en
amusant. Le premier volume de son ouvrage ne renferme
guère que le récit de ses propres aventures ; mais
elles sont si variées , l'auteur les raconte avec une telle
franchise , qu'on le suit volontiers dans toutes les particularités
de sa vie privée . Son style est simple , rapide ,
naturel , sans prétention , et quand son livre n'aurait
pas le mérite de la vérité , il aurait au moins l'intérêt
d'un roman : mais le second volume est d'un genre plus
solide. Sous une forme plus légère que sérieuse , l'auteur
offre par-tout une instruction aussi variée qu'agréable
et nouvelle. Il ne parcourt pas une contrée
une province , une ville , sans y trouver l'occasion de
recueillir une foule de particularités qui avaient échappé
à ses prédécesseurs . Les moeurs ,les lois , le commerce ,
les sciences , l'industrie , sont alternativement le sujetde
ses observations . La connaissance de la langue , ses
relations habituelles avec les Indiens , lui donnent sur
ce point un avantage considérable. Tout ce qu'il dit de
la littérature des Indes et des livres les plus estimés des
Indous est fort curieux. Il en est plusieurs dont il paraît
faire beaucoup de cas ; mais peut-être est-il permis de
ne pas être toujours de son avis . J'ai de la peine àcroire ,
par exemple , que le Mahabharath soit fort supérieur à
JUIN 1811 . 539
l'Iliade en beautés d'invention et d'expression. M. Anquetil
parle de ce poëme comme d'une histoire estimée
des deux plus anciennes familles qui aient régné dans
l'Inde. Or , quelque mérite qu'elle puisse avoir , il me
paraît bien difficile de la comparer à l'Iliade pour l'invention
et l'expression ; car quel rapport l'invention
peut-elle avoir avec l'histoire ?
On lira sans doute avec beaucoup de plaisir ce que
M. Haafner rapporte de quelques croyances singulières
des Indous . Ils sont persuadés de la réalité de la magie ,
et ne négligent rien pour se préserver de ses maléfices .
Ils ont , comme nous , des exorcistes pour chasser les
démons ; car les choses de ce monde-ci sont souvent
d'une nature si fâcheuse qu'il n'est pas de peuple qui
n'ait été tenté de les attribuer à quelques mauvais génies .
Les démons des Indous ne sont pas , comme les
nôtres , confinés dans les enfers , d'où ils ne peuvent sortir
sans l'ordre ou la permission du supérieur. Ils habitent
librement les forêts , les taillis , les vallons ombragés ,'
voltigent sous le feuillage , ou s'enferment dans l'intérieur
des arbres. Le seul arbre qui leur soit interdit est
le ficus indica , que les Indous appellent ala. On a donc
dans l'Inde des forêts enchantées comme celles de la
Jérusalem du Tasse . T
La doctrine de l'immortalité de l'ame étant fort
répandue dans l'Inde, et , de compte fait , le nombre des
méchans excédant de beaucoup le nombre des bons , il
abien fallu préparer aux ames des pervers des lieux de
pénitence et de correction. Les Indous en ont usé sur ce
point avec beaucoup moins de parcimonie que nous.
Au lieu d'un seul enfer , ils en ont sept organisés convenablement
suivant la nature des délits . Mais les damnés
n'y sont pas précipités pour toujours; quand ils ont fait
leur tems et subi le châtiment qui leur est imposé , ils
paraissent devant le tribunal de révision présidé par
Jom-Raadsch qui les renvoie sur la terre , errer çà et là
jusqu'à ce que leurs péchés aient été entiérement rachetés
par les prières et les offrandes de leurs parens .
Parmi ces esprits répandus sur la terre , il y en a de
fort malins. Ils se plaisent à tourmenter les vivans , à
540. MERCURE DE FRANCE ,
leur faire peur pendant la nuit; ils se tiennent embusqués
sur les chemins , perchés sur des arbres , tapis dans
les cimetières et les ruines des maisons d'où ils sortent
inopinément et souvent sous des formes horribles , ce
qui effraie singulièrement les vieilles femmes et les petits
enfans.
Le meilleur remède , pour se préserver de leurs incursions
, est une petite fiole d'eau bénite , qu'on a soin de
porter sur soi , et qu'on jette au nez du malin pour l'obliger
de s'enfuir.
Un bon exorciste doit avoir non-seulement ses formules
sacrées pour chasser le démon , mais entretenir
aussi un certain nombre de petits démons à sa solde , et
les employer , quand il est nécessaire , pour donner
main forte et chasser les autres démons. Un exorciste
un peu en vogue ne saurait se dispenser d'en avoir au
moins une demi-douzaine , sans quoi il s'exposerait à
perdre sa clientèle . Quand undémon est un peu tenace ,
qu'il résiste à l'eau bénite et aux prières , l'exorciste lui
expédie deux ou trois de ces sbirres qui pénétrent aussi
tôt dans l'intérieur de la place , appréhendent au corps
P'esprit rebelle , et bon gré mal gré le font déguerpir de
son gîte . Quelquefois la lutte est longue et difficile ; dans
ce cas l'exorciste a recours au sinapisme , il met dans
la bouche du possédé une cuillerée de moutarde , et
comme les démons , suivant les Indous , ontune aversion
singulière pour la moutarde , ils se hâtent de déloger.
Les démons des femmes sont plus difficiles à réduire que
ceux des hommes . Il faut double ration d'eau bénite
et de moutarde pour les expulser. C'est un fait que
M. Haafner a souvent eu occasion de constater .
Malgré tout ce qu'on a rapporté de l'usage des femmes
Indoues de se brûler sur le bûcher de leurs époux , nous
n'avons , à ce sujet , que des idées fort inexactes . L'ouvrage
de M. Haafner servira à les rectifier. L'honneur
de se brûler n'est point accordé à tout le monde ; il n'appartient
qu'aux castes supérieures , la femme d'un sudder
n'obtiendrait jamais la permission de se brûler seulement
un cheveu sur le tombeau de son époux. Il ne faut pas
croire que toutes les veuves,se brûlent. Sur plusieurs
JUIN 1811. 541
milliers d'Indous qui meurent dans l'année, on en compte
à peineun dont la femme veuille se faire brûler avec lui :
les dames ont mille moyens d'échapper à ce devoir . II
n'est de rigueur que quand elles en ont fait le voeu avant
leur mariage , encore la loi leur accorde- t- elle , en quelques
circonstances, la faculté de se dédire . Par exemple,
si leur mari s'est absenté plus d'un an , s'il a rempli avec
tiédeur les devoirs d'époux , s'il a maltraité ou répudié sa
compagne chérie. Les livres saints défendent expressément
d'exiger des femmes la promesse de se faire
brûler . Ce voeu doit être libre , et venir de proprio motu.
Une femme enceinte , celle qui allaite son propre enfant,
sont dispensées de l'engagement qu'elles ont pris . Cepen
dant il arrive quelquefois que , par honneur et par religion,
une veuve recherche avec empressement la gloire
d'être brûlée . Ce sacrifice ajoute à sa famille une nouvelle
illustration ; c'est un dogme reçu qu'en se dévouant
ainsi , une femme accroît , dans les cieux , la béatitude de
son mari , et qu'elle peut même l'affranchir des peines
du dam. Les prètres enseignent que les veuves qui se
brûlent n'éprouvent aucune douleur. Enfin l'amour peut
aussi quelquefois exalter le coeur des femmes jusqu'à cet
excès d'enthousiasme . On a vu des Bayadères s'élancer
dans les flammes pour ne pas survivre à leur amant . Ces
danseuses célèbres ont fourni à M. Haafner le sujet d'un
chapitre fort curieux et dont plusieurs détails ont le mérite
de la nouveauté .
Les danseuses Indoues , dit - il , que l'on désigne communément
par le nom portugais de Bayadères , s'appellent
dans le pays Devedaschies , c'est-à-dire , esclaves
de Dieu . C'est la dénomination qu'on applique principalement
aux danseuses consacrées au service des
temples et des divinités . Gelles qui sont ambulantes , sans
appartenir à aucun temple, se nomment Daatscheries . La
principale occupation des Devedaschies est de danser
devant l'image de la divinité qu'elles servent et de chanter
ses louanges , soit dans son temple , soit dans les rues
lorsqu'on porte l'idole dans des processions publiques .
Il y a une grande différence entre les danseuses du principal
temple et celles qu'on fait appeler pour danser de
542 MERCURE DE FRANCE ,
vant les convives , aux festins et autres réjouissances.
Quelques-unes de ces dernières sont libres et vivent en
troupes de dix ou davantage , parcourent ainsi le pays et
partagent leurs bénéfices avec les musiciens qui les
accompagnent. D'autres sont sous la conduite d'une
Daija ou ancienne danseuse , qui s'approprie tout le
bénéfice et ne donne aux filles de sa troupe que la nourriture
et le vêtement.
Il y a deux classes supérieures de Devedaschies.
Celles de la première classe sont au service des deux
principales divinités Vischnou et Seiba . Brahma , la
troisième divinité supérieure , n'a ni temple , ni culte , et
par conséquent n'a besoin ni de prêtres , ni de danseuses.
Les Devedaschies de la première classe demeurent dans
l'enceinte du temple ; on leur apprend à lire , à écrire , à
chanter et danser. Une Devedaschie de la première classe
n'oserait sortir de l'enceinte du temple, sans la permission
du grand prêtre .
Les Devedaschies de la seconde classe sont consacrées
au service des divinités subalternes. Elles n'habitent
point dans l'enceinte du temple , mais au dehors ,
toutes cependant réunies dans le même lieu. Elles jouissent
d'ailleurs d'une entière liberté et peuvent se transporter
où bon leur semble ; il suffit qu'il s'en trouve tous
les jours , à une heure marquée , un certain nombre
pour le service du temple .
Les danseuses qui appartiennent aux temples sont
obligées de chanter les louanges , les victoires et les
autres faits éclatans des divinités , d'assister à toutes
leurs fêtes , de danser devant elles , tant dans leurs temples
qu'à toutes les cérémonies publiques. Elles sont
chargées aussi de tresser les guirlandes de fleurs avec
lesquelles on décore les idoles et leurs autels. Elles servent
de concubines aux brames et à quelques hommes
des castes supérieures ; mais ce commerce ne les autorise
point à vivre dans le désordre. Le Shaster porte que
les courtisanes seront condamnées , après leur mort , à
coucher sur un lit d'épines , embrassant une image de
cuivre ardent ou de soufre allumé .
Les voyageurs qui ont avancé que les jeunes DepeJUIN
1811 . 543
daschies sont obligées de commencer leurs fonctions par
se livrer au grand prêtre du temple qu'elles desservent ,
se sont grossièrement trompés . Il leur est , au contraire ,
permis de se choisir un amant à leur gré , soit dans l'intérieur
du temple , soit dans les deux castes supérieures ,
ou même de conserver pendant toute leur vie l'état de
virginité. Il faut qu'une fille qu'on veut faire Devedaschie
ait une physionomie agréable et soit bien faite ; elle
doit n'avoir aucun défaut corporel , ne point être marquée
de petite-vérole .
La manière de se vêtir des Devedaschies est fort
séduisante ; leurs cheveux , qui sont noirs comme du
jais et parfumés d'huiles aromatiques , leur descendent
en longue tresse jusqu'aux hanches . Elles les ornent de
petites plaques d'or qu'elles disposent artistement à des
distances égales . L'extrémité de la tresse est garnie d'une
houpe de soie et d'or filé . Sur le sommet de la tête brille
un disque d'or de la grandeur de la paume de la main ,
que l'on nomme tschornska. Les cheveux sont divisés en
deux parties égales sur le front , passent le long des
tempes , mêlés de quelques chaînettes d'or qui vont se
perdre dans la grande tresse . Les oreilles sont percées
pour recevoir plusieurs ornemens . Leur nez est également
garni d'un anneau d'or , dont le diamètre est de
deux ou trois pouces . Elles se fardent avec une couleur
jaune qu'elles étendent également sur le col , les bras ,
et toules les parties nues du corps . C'est une espèce
particulière de souchet dont les teintes ne leur vont point
mal . Elle portent aussi sur le front une petite plaque
d'or de la grandeur d'un centime , attaché sur la peau
par le moyen d'une espèce de gomme appelée ticas .
Leur col est garni de plusieurs colliers , leur sein renfermé
dans un petit juste qui le soutient et le conserve .
Leur corps est nu depuis la naissance de l'estomac jusqu'au
nombril ; le bas est couvert d'une espèce de pantalon
étroit qui descend jusqu'à la cheville du pied ,
c'est ordinairement une étoffe de soie rayée ; elles jettent
par-dessus une robe de mousseline qui n'est autre chose
qu'un morceau d'étoffe de neuf aunes de longueur sur
une aune ou deux de largeur ; elles le roulent plusieurs
514 MERCURE DE FRANCE ,
fois autour du corps et l'assujétissent avec une ceinture>
Une jeune et jolie danseuse , dans toute sa parure , avec
ses mouvemens aisés , sa démarche , est vraiment , dit
M. Haafner , une créature enchanteresse et séduisante .
On voit par ces détails que l'auteur a l'art d'instruire et
de plaire tout- à-la- fois . Tout ce qu'il dit sur les moeurs
des Fakirs , leurs pénitences , leurs austérités , le rang qu'ils
tiennent dans l'Etat , est d'un intérêt agréable et piquant.
Ses aventures particulières ont aussi leurs charmes , et
quoique son livre ne puisse être regardé comme un ouvrage
savant , on y apprend néanmoins beaucoup de particularités
qu'on chercherait vainement ailleurs . Le style
du traducteur est clair et facile , mais il n'est pas toujours
correct ; la notice historique sur Haafner est sur-tout
extrêmement négligée . Je soupçonnerais même qu'elle
a été écrite par un étranger , car quel Français se permettrait
des tours de phrase pareils à ceux - ci ? « Jacques
» Haafner était l'aîné de trois frères dont le ciel bénit
» l'union de ses parens . » « A peine notre Haafner
>> eut- il atteint sa onzième année que son père , nommé
» médecin à Batavia , l'amena avec lui comme son fils
» aîné , etc. » Heureusement ces taches sont peu nombreuses
et rachetées par l'intérêt général de l'ouvrage .
SALGUES .
-
RUDIMENS DE LA TRADUCTION , ou l'Art de traduire le latin
en français ; ouvrage élémentaire , précédé d'une notice
sur les traductions des auteurs latins ; par J.
L. FERRI DE SAINT-CONSTANT , recteur de l'Académie
d'Angers.
L'ART de traduire qui , dans le dernier siècle , fit de
grands progrès , est aujourd'hui plus cultivé encore , et
fort encouragé . M. Ferri a pensé qu'un traité qui donnerait
la théorie et la pratique de cet art , serait utile , surtout
s'il faisait connaître le mérite particulier des différens
traducteurs . Ceux à qui la langue latine est étrangère
, peuvent- ils en connaître les chefs - d'oeuvre dans
une traduction ? La meilleure de toutes est- elle une copie
JUIN 1811 . 545
del'original , ou seulement une imitation, un à-peu-près ,
une esquisse , le croquis d'un beau tableau : et n'y a-t- il
pas quelque vérité dans le proverbe italien : Traduttore ,
traduire ainsi traditore , que:, pleoturradcuocntseeurrveesrtle jeu de mots , on peut
Ensure
st
et relativement aux ouvrages qu'onlit avec plus de AmirA
SEIN
ceux des poëtes , la prose peut-elle en rendre lesbeautés
et ne peut-on traduire qu'en vers français les vers latins ?
Ces deux questions très- importantes , traitées dans cet
extrait, n'y seraient qu'un hors-d'oeuvre . Sans nous
arrêter , sans ajouter au malheur de ceux qui se savent
pas le latin , en leur disant cette très -dure , mais très
exacte vérité : « Vous tous qui voulez connaître Vigile
>> et Cicéron , Horace et Tacite , apprenez la langue dans
>>laquelle ils ont écrit , et croyez qu'ils vous sont à-peu-
>> près étrangers , si vous ne les connaissez que par leurs
>> traducteurs en vers ou en prose ;>> nous donnerons une
briève analyse des Rudimens de la traduction , et de la
notice des traducteurs connus . M. Ferri les apprécie avec
une équité assez conforme à l'opinion publique . Il examine
soigneusement leurs différens systèmes d'imitation
du style , des formes d'élocution , de la physionomie de
l'auteur , de la traduction exacte avec liberté , ou rigou
reusement fidèle , littéralité souvent adoptée aujourd'hui ,
quelquefois choquante , et produisant l'infidélité. Parmi
les traducteurs des historiens , MM. Bauzée , Dotteville ,
Dureau de la Malle , Lebrun , Mollevaut , Noël , Binet ,
Desrenaudes et Rendu sont cités avec éloge . On relève
aussi leurs défauts; mais les formes de louange et d'improbation
n'ont pas , avec le mérite de la justice , celui
de lavariété . Nous n'aurions que les mêmes observations
à faire sur le compte rendu de la traduction des poëtes
latins , d'où il s'ensuit que les bonnes traductions sont
rares , 1º par l'effet du préjugé qui a fait regarder l'art
de traduire comme subalterne , n'exigeant point le talent
et le savoir des doctes qui estiment peu les traductions ,
parce qu'ils n'en ont pas besoin; 2º par la foule des
mauvais traducteurs , qui a fortifié le préjugé et augmenté
la mésestime ; 3º enfin par l'extrême difficulté de
ce genre d'écrire.
Mm
546 MERCURE DE FRANCE ,
M. Ferri donne d'un parfait traducteur une idée à-peuprès
semblable à celle que Cicéron se formait de l'orateur
parfait qui , selon lui , n'existait pas . Le parfait
traducteur pourrait exister si toutes les langues avaient
des expressions absolument correspondantes , si les
phrases se construisaient de la même manière; mais tous
les idiomes different par le nombre , l'énergie des expressions
, et par l'ordre que ces expressions gardent entre
elles . Enfin , ces versions , telles qu'elles sont et peuvent
être , sont utiles en ce qu'elles ouvrent le vaste champ
de la littérature étrangère ; elles offrent de grands secours
à ceux qui ont quelqu'intelligence de l'idiome ancien
ou étranger , elles leur épargnent des peines infinies , et
leur tiennent lieu de maître , en indiquant du moins le
sens des pensées . Cicéron et Pline le jeune traduisirent:
ils croyaient que la traduction ouvre l'esprit et forme le
goût. Les interprètes ont , de nos jours , fort vanté les
versions . « Pour bien traduire , il faut , disent-ils , sinon
>> autant de génie , du moins autant de goût que pour
» bien composer... >> Ceux qui trouveront leur comparaison
peu exacte , et leur éloge trop fort, ne manqueront
pas de leur citer le mot si juste et si connu d'un personnage
de Molière : Vous êtes orfévre, M. Josse.
La première partie des Rudimens de la traduction traite
de la valeurdes mots dont la connaissance est la base de
l'art . Pour l'acquérir , et avoir une juste idée de la formation
des mots qui se composent de racines , d'initiales
et de désinences , il faut examiner ces sources , remonter
ensuite aux étymologies qui font connaître le sens primitif
et le sens figuré des termes , distinguer les homohymes
, observer la différence qui se trouve entre des
mots qu'on regarde comme synonymes , enfin connaître
les idiotismes ou expressions exclusivement propres à la
langue latine , et qui sont si difficiles à faire passer dans
une autre langue. Pour donner ces notions si nécessaires
, M. Ferri place ici une nomenclature , une espèce
de vocabulaire où se trouvent les racines primitives , les
initiales , les désinences , les étymologies , les homonymes
, les synonymes et les idiotismes de la langue latine.
On ne peut qu'applaudir à ce travail , qui offre des
JUIN 1811 :
542
observations neuves , des recherches savantes autant
qu'utiles . L'auteur , passant ensuite à la traduction des
différentes parties du discours , trace sur ce sujet , avec
la même méthode , des règles qu'un bon traducteur doit
connaitre et suivre , lalangue française , quoique formée
de la langue latine , n'étant pas avec elle dans une parfaite
correspondance , et ayant souvent donné des significations
différentes aux mots latins qu'elle a adoptés : le
traducteur trouvera donc ici un nouveau secours dans
des remarques fort justes et instructives sur les substantifs
et adjectifs latins , sur le nom propre et le nom commun
, sur les nombres et les cas , sur les pronoms , sur
les adjectifs substantifs , comparatifs , adverbes ; sur les
verbes de tout genre , sur les conjonctions , les prépositions
, les adverbes , les interjections , enfin sur toutes
les parties du discours latin ; et ce petit traité sera utile
non-seulement aux traducteurs , mais encore à tous ceux
qui voudront se perfectionner dans la connaissance de
la langue latine .
L'auteur traite ensuite de la construction en général ,
puis des constructions latine et française , qu'il compare
dans leurs avantages et désavantages , citant pour et
contre les autorités des meilleurs grammairiens. Ce
qu'il dit sur les différentes méthodes de faire la construction
sera plus utile , et paraît appartenir plus particulièrement
aux écoles , aux instituteurs qu'aux traducteurs
qui croiront n'en avoir pas besoin. Ce qui suit sur
la construction logique , sur les irrégularités de la construction
, sur les ellipses , la syllepse , l'hyperbate , l'énallage
, l'hypallage , l'archaïsme , etc. , est plus élevé ,
fort métaphysique, comme tous les traités de grammaire,
et l'on n'y voit rien de neuf , rien qui ne se trouve dans
Bauzée , Dumarsais , Lebatteux et autres savans grammairiens
: tel est l'abrégé de la seconde partie de l'ouvrage.
Dans la troisième , l'auteur parle d'abord de l'art
de traduire chez les anciens . Il ne dit rien des Grecs
qui n'étudiant que leur langue , et n'ayant point de modèles
connus avant eux , n'ont point traduit ; peu de
chose des Romains chez qui nous ne connaissons que
deux traducteurs , Ciceron et Pline le jeune. Les qua-
Mma
548 MERCURE DE FRANCE ,
lités générales de la traduction , c'est-à-dire , la fidélité ,
la précision , l'adhésion , ou l'addition au texte occupent
ici l'auteur qui sur ce sujet ne dit rien qui ne soit connu ,
et qui a cru ensuite pouvoir donner des préceptes pour
couper les périodes , pour être clair , pour traduire les
pensées et les expressions figurées , pour rendre les
images et les sentimens . Sans improuver ces règles ,
nous croyons qu'un traducteur , latiniste et homme de
goût , les trouvera dans son propre fond , et que celui à
qui la nature et l'étude ne les ont pas données , ne les
suivra pas , ne les trouvera pas dans un livre élémentaire
. La quatrième partie de celui que nous analysons
nous paraît devoir être plus utile en ce qu'elle traite des
qualités particulières de la traduction , relativement aux
différens genres. Le genre historique est examiné le
premier ; la noblesse , la gravité , la variété , la rapidité
et l'agrément du style de ce genre historique , les descriptions
, les portraits , les harangues , le pathétique et
les réflexions qu'il comporte , le mérite des historiens
latins , divisés en trois classes , tout cela est déduit
caractérisé avec autant de vérité que de goût , ainsi que
ce qui concerne le genre , ou les trois genres oratoires ,
le simple , le sublime et le tempéré. Nous n'avons pas
non plus d'observations critiques à faire sur les préceptes
, notions et définitions qui suivent , relativement
aux genres poétique , philosophique , moral , critique et
épistolaire.
L'auteur donne des règles et des exemples de traductions
comparées de tous ces genres , des notices et portraits
caractéristiques des écrivains qui y ont consacré
leur génie et leur talent. Il en tire des règles , des conseils
qui ne peuvent qu'être utiles aux traducteurs dont
les obligations sont ici exposées avec une exactitude et
un détail qui rendent l'ouvrage complet et intéressant
pour tout littérateur , comme pour tout interprète :
c'est donc , au moins dans sa plus grande partie ,
une poétique ; or nous avons beaucoup de poétiques où
les principes littéraires sont également bien expliqués .
Toutefois louvrage de M. Ferri est d'un bon style ,
d'une doctrine littéraire saine , et nous ne sommes
,
JUIN 1811 . 549
(
pas surpris de cette seconde édition qui aura encore
plus de succès et d'utilité que la première , puisqu'elle
est fort augmentée . N'oublions pas de dire que l'auteur,
autorité respectable en ces matières qu'il a approfondies ,
traitant la grande question de savoir s'il faut traduire les
poëtes en prose ou en vers se décide pour les traductions
en prose.
,
D.
LITTÉRATURE ANGLAISE.
HISTOIRE LITTÉRAIRE .-An account ofthe life and writings
ofDavid Hume esq . C'est- à-dire : De la Vie
et des écrits de David Hume , par T. E. RITCHIE .-
Un vol . in-8 ° ; chez Cadell et Davies .
HUME est un des meilleurs esprits et des plus éclairés
du dernier siècle . Son Histoire d'Angleterre a fait oublier
tous les ouvrages publiés auparavant sur le même sujet ;
et dans ses Essais où il passe en revue les points les plus
intéressans de la littérature et des sciences morales et politiques
, à peine pourrait-on citer une opinion que la saine
philosophie , un jugement sûr , un goût exercé voulussent
absolument condamner. Elevé dans cette célèbre école
d'Edimbourg , si féconde en philosophes , en savans , en
littérateurs du premier ordre , Hume , pareil en cela à tous
les génies élevés , sentit le besoin de perfectionner son
esprit par la fréquentation des hommes distingués dans
tous les genres . Il chercha à former des relations plus ou
moins intimes , non-seulement avec les gens de mérite
qu'il pouvait rencontrer sur son chemin , mais il les chercha
jusque dans l'étranger , et fut l'ami des écrivains français
les plus recommandables de son tems . On sait combien il
fit d'efforts pour obtenir l'amitié de J. J. Rousseau , et
quelle en fut la récompense.
Un livre publié l'année dernière à Londres , qui traite
de Hume et de ses ouvrages , ne doit done pas être sans
intérêt pour nous , et nos lecteurs ne nous sauront peutêtre
pas mauvais gré d'avoir recueilli ce qu'en disent les
publications littéraires périodiques de l'Angleterre .
Quoique Hume nous assure qu'il a perdu peu de tems à
méditer les in-folios des jurisconsultes , on ne peut s'empêcher
de penser avec son biographe , que le droit romain
550 MERCURE DE FRANCE ,
et la législation anglaise , dont il commença tout aumoins
l'étude , n'aient contribué à la direction que prirent ses
idées. Aussi paraît-il , dans sa grande histoire , se plaire à
décrire plutôt les progrès de la civilisation et des lumières ,
que ces éternelles batailles dont toutes les histoires ne sont
que trop souillées . Peut-être nous est-il permis de croire
aussi que PEssai sur les moeurs des nations , de Voltaire ,
publié peu d'années auparavant , lui avait fait sentir le
mérite et l'utilité de cette manière d'assister au spectacle
de l'histoire .
Le succès des écrits de Hume ne répondit pas à la grande
réputation qu'ils ont ensuite obtenue , tant il est vrai qu'un
succès prématuré n'est pas la preuve d'un mérite supé-
Tieur. Le tems seul est juste ; et le public a besoin quelquefois
d'un assez long intervalle pour accoutumer son
esprit à digérer un aliment un peu robuste. Voici comment
M. Ritchie parle des premières publications de
Hume.
« La vente des premiers volumes avançait si peu que
l'auteur jugea convenable de tenir conseil avec son libraire,
M. Balfour , d'Edimbourg , pour chercher de quelle façon
celui-ci pourrait , non-seulement subvenir à la publication
des volumes suivans , mais même rentrer dans les frais
qu'il avait déjà faits . L'infatigable André Millar était alors
à la tête des libraires de Londres . Son nom , ses nombreux
correspondans , les littérateurs qu'il fréquentait ,
tout cela suffisait pour faire valoir un ouvrage et en assurer
le débit . M. Balfour conseilla d'obtenir la bienveillance de
Millar ; on y parvint , et l'ouvrage commença dès-lors à
percer .
> De nouveaux dégoûts attendaient l'auteur . La chaire
dephilosophie morale d'Edimbourg étant devenue vacante
par la mort de M. Cleghorn , Hume se mit sur les rangs ,
et il échoua. C'était le conseil de ville qui devait nommer à
cette place ; les prêtres , les fanatiques de toutes les sectes
jetèrent les hauts-cris et furent écoutés . Ils ne se contentèrent
pas de ce triomphe , et cherchèrent à humilier , dans
la personne de Hume , les membres du clergé en qui ils
soupçonnaient des idées un peu plus libérales que les leurs,
c'est-à-dire , Blair, Wallace, Home, Robertson, et quelques
autres , lous amis de notre auteur .
» L'andace des dévots , dit le biographe , s'accrut encore
de la dénonciation qui fui faite par devant le grandjury de
JUIN 1811 55
Middlessex des ouvrages philosophiques du lord Bolingbroke
, et de son éditeur M. Mallet . "
Une circonstance assez plaisante suspendit cependant
pourun tems la fureur de cette persécution. Le clergé écossais
se divisa au sujet des chantsd'église. Les uns voulaient
introduire une nouvelle psalmodie ; les autres tenaient
pour l'ancienne. « Il n'était pas rare , dit M. Ritchie , de
voir une assemblée religieuse se diviser en deux parts :l'une
qui chantait les psaumes selon l'ancienne musique , l'autre
selon la nouvelle . Les assemblées étaient fort nombreuses,
les deux partis s'y rendaient en force pour obtenir l'ascendant
, et les personnes indévotes pour assister au scandale.
Apeine le verset qu'on devait chanter était-il annoncé ,
qu'un choeur général s'ensuivait sur deux musiques différentes
, où chacun s'égosillait à l'envi . Souvent les querelles ,
les injures , les coups s'en mêlaient , et formaient un accompagnement
au plus étrange tintamarre dont ait jamais
retenti le saint lieu . »
Malgré tout , dans l'assemblée du clergé de 1756, l'affaire
deHume fut formellement renvoyée à un comité qui proposa
l'arrêté suivant : « L'assemblée générale , jugeant
de son devoir d'arrêter les progrès alarmans de l'infidé-
> lité , et considérant que parmi les auteurs irréligieux
> dont on a blâmé en termes généraux les écrits depuis
» quelques années , il y a une personne se disant David
» Hume , écuyer , qui est parvenu à un tel degré d'audace ,
» qu'il s'avoue publiquement l'auteur de livres contenant
>>les attaques les plus grossières et les plus ouvertes
> contre le glorieux Evangile de Jésus-Christ , et des prin-
➤ cipes évidemment subversifs des vrais fondemens de la
> morale (1 ) , charge son comité d'examiner les écrits de
(1) Il est à remarquer que nul n'a mieux réussi que Hume ,dans
ses Recherches sur les principes de la morale , à prouver que l'intérêt
bien entendu de tous les hommes , pris en général et en particulier ,
est de rester fidèles aux principes de lamorale; et que les ayant par
là établis sur la nature de l'homme et des choses , laquelle ne change
pas , il a donné à la morale un fondement plus solide que les opinions
religieuses qui changent. Nul homme d'ailleurs n'a mieux donné
lexemple avec le précepte : sa vie fut droite et douce. Il est,avea
Franklin et quelques autres , du petit nombre de ceux dont la conduiteet
les écrits sont tout d'une pièce.
552 MERCURE DE FRANCE ,
cet auteur , de l'interroger et d'en faire son rapport à la
> prochaine assemblée .
Les membres du clergé qui s'opposèrent à cette motion ,
représentèrent qu'une telle levée de bouclier ne produirait
aucun bon effet en faveur de la cause de la religion , qu'on
ne convaincrait pas M. Hume qui paraissait confirmé dans
ses opinions par de mûres réflexions et un profond savoir ,
que ce serait réveiller des questions qui avaient déjà bouleversé
l'église , telles que celle du libre arbitre , de l'état
futur , et autres semblables ; qquuee des discussions de ce
genre pouvaient durer des années entières ; que les censures
ecclésiastiques devaient plutôt s'appliquer à des erreurs de
conduite qu'à des opinions spéculatives; que de telles
censures plairaient sans doute beaucoup à M. Hume , et
répandraient la renommée de ses ouvrages ; enfin , que
M. Hume ne pouvant être regardé comme un chrétien , ne
se donnant pas lui-même pour tel , n'était pas sous l'empire
de la discipline chrétienne. La proposition fut rejettée.
Hume resta l'ami des hommes d'église éclairés , mais il
évitait de leur parler de ce qui tenaità leur habit , sujet
qui ne pouvait leur être que désagréable , soit qu'ils fussent
persuadés , soit qu'ils ne le fussent pas .
• Son intimité avec Robertson fut fort grande , malgré la
rivalité ; ce qui fait honneur à l'un et à l'autre . Quand
Robertson publia son Histoire d'Ecosse , ce nouveau mé
téore littéraire fixa tous les regards . Hume ne parut pas
sentir une ombre de jalousie .On trouve ici quelques lettres
inédites qu'il adressa à Robertson , et qui annoncent l'esprit
le plus tranquille et le plus enjoué. Voici quelques
fragmens de ces lettres .
,
:
" Foubliais de vous dire qu'étant , il y a deux jours ,
dans la chambre des communes un voisin me conta
qu'ayant envoyé acheter une livre de raisins secs chez l'épis
cier, on la lui avait vendue enveloppée dans une feuille de
papier imprimée qu'il avait lue avec intérêt. La feuille
me fut aussitôt montrée .... Que vous auriez été consterné !
que vous seriez devenu pâle à une semblable vue ! C'était
une feuille de votre Histoire , c'était le caractère de la reine
Elisabeth que vous avez travaillé avec tant de soin et de
délicatesse , ne prévoyant guère , hélas .... ! En sortant de
là je rencontrai Millar ( le libraire de Robertson ) et lui fis
part de l'accident , non sans lui faire , comme vous pouvez
croire , des condoléances sur le sort qu'éprouve déjà ce
JUIN 1811 . 553
fameux historien, dont il est si infatué . Il trouva le fait
plus sérieux que je ne pensais , car il alla trouver Strahan
( l'imprimeur) qui soupçonna quelqu'infidélité parmi ses
ouvriers ou ses apprentifs , et envoya chez moi pour savoir
le nom du monsieur entre les mains de qui j'avais vu cette
feuille ; il voulait , à toute force , retrouver l'épicier et tirer
la chose au clair. En vain lui représentai-je qu'un peu plus
tôt , un peu plus tard , le même sort nous était réservé à
tous ; serius , ocyus , sors exitura ; il n'entendit point
la plaisanterie , et je me vois forcé d'en rire avec vous . "
« On me publie la semaine prochaine . Que de comparaisons
on va faire entre MM. Robertson et Hume ! Dans
quelques semaines je serai en état de vous dire lequel de
ces deux champions aura le dessus. En attendant, je peux
bien assurer l'un et l'autre que leur débat ne fera pas la
moitié autant de bruit que la querelle de Broughton avec le
cocher borgne . Vanitas vanitatum , atque omnia vanitas ,
sauf pourtant l'estime et l'amitié des hommes de mérite
que nous pouvons obtenir tous les deux. "
Peu de tems après il écrit encore à Robertson : « Mais
quoique j'aie fait un grand éloge de votre livre à M. Helvétius
, je vous préviens que c'est la dernière fois que j'en
dis du bien à quelqu'Anglais ou Français que ce soit.
Comment ! j'étais assis au sommet du Parnasse historique
immédiatement au- dessous de Smollet ; et vous avez l'insolence
de vous glisser entre ses jambes ! n'est-ce pas une
grande simplicité de ma part de vous prêter la main pour
prendre ma place aussi bien à Paris qu'à Londres ? Mais
je vous en avertis , dans la première de ces deux villes ,
vous aurez beaucoup de peine à y réussir , car j'ai lu dernièrement
des choses écrites de ce pays-là qui sont tout-àfait
propres à mettre ma modestie fort mal à l'aise . "
Tout ce qui est relatif aux démêlés entre HumeetRousseau
, se trouve dans cette biographie . La lettre de ce dernier
, que provoquèrent les sévères et justes remontrances
deHume , montre mieux l'ame de Rousseau que rien de ce
qui a été d'ailleurs écrit de lui ou par lui. On y voit clairement
que ses malheurs furent imaginaires , et qu'il en fut
lui-même l'artisan .
S. F, D. C.
554 MERCURE DE FRANCE ,
VARIÉTÉS .
CHRONIQUE DE PARIS.
Fêtes pour le baptême du roi de Rome.
S'IL était question d'un événement de moindre importance,
nous pourrions craindre , après quinze jours , de
revenir sur des faits dont les relations multipliées auraient
épuisé la curiosité publique : mais cette considération
même ne pourrait nous priver du droit de consigner dans
nos fidèles chroniques les principales circonstances d'une
de ces solennités mémorables destinées à servir d'époque
dans l'histoire des nations ; seulement le désavantage d'ar
river un pen tard nous fait une loi de nous appesantir
moins sur les détails , et de nous contenter de mettre sous
les yeux de nos lecteurs l'ensemble de ce grand tableau .
Les fêtes du baptême du roi de Rome avaient été préparées
avec une pompe et une magnificence dignes de leur
objet; un concours immense d'étrangers de distinction , de
Français accourus de tous les points de ce vaste Empire ,
s'était rendu à Paris pour assister à cette auguste cérémonie
et aux réjouissances dont elle devait être suivie .
Comme prélude de la fête du dimanche, le samedi 8juin,
tous les théâtres ont donné une représentationgratis , où
l'on a pu remarquer avec une sorte d'orgueil national , que
le peuple est à Paris moins peuple que partout ailleurs , et
qu'il règne , en général , dans ces grandes réunions des dernières
classes de la société, une sorte d'urbanité, de sentiment
des convenances , qu'on ne rencontre pas toujours
dans les assemblées moins nombreuses et plus choisies de
telle ou telle autre nation .
Le dimanche , à 11 heures du matin , on a célébré, dans
chacun des arrondissemens municipaux, le mariage des
douze jeunes filles dotées par la ville de Paris . Deux de ces
couples , appelés à l'autel, auraient pu faire croire qu'on
assistait à ces mariages samnites où la plus jolie devenait la
récompense du plus brave .
Amidi , s'est faite la distribution des comestibles sur les
différentes places , et grâce à la sagesse des mesures adoptées
par la police , cette libéralité qui augmente et entretient
l'allégresse publique , n'entraîne plus aucun des in
JUIN 1811 . 555
convéniens scandaleux dont elle était autrefois la source .
Les jeux des Champs-Elysées attiraient en même tems une
foule plus avide de spectacles que de festins : tous les genres
d'amusemens multipliés à l'infini , et distribués avec beancoup
d'ordre et de goût dans les quinconces et dans les
allées , suffisaient à peine à l'empressement des innombrables
spectateurs .
Vers 5 heures, les Champs-Elysées ont été abandonnés
pour les boulevards où chacun a été prendre place , sur
le chemin que devaient suivre LL. MM. en se rendant à
Notre-Dame. Le cortége s'est mis en marche à 6 heures et
demie , et le canon des Invalides en a donné le signal . La
marche était ouverte par divers escadrons de la garde impériale.
Chaque nouvelle cérémonie offre une occasion
d'admirer la tenue superbe de ces troupes , les plus belles
et les meilleures de l'Europe. Nous ne nous arrêterons pas
à compter et à décrire le nombre et la beauté des équipages ;
tous les coeurs et tous les yeux se réunissaient tour-à-tour
sur les deux voitures où se trouvaient l'Enfant-Roi , son
anguste mère , et S. M. l'Empereur. Lesacclamations unanimes
les ont accompagnés dans leur marche triomphale ,
jusqu'à l'église métropolitaine où s'est faite la cérémonie
du baptême. LL. MM. se sont ensuite rendues à l'Hôtelde-
Ville où elles ont été reçues par le corps municipal , et
haranguées au nom de la ville de Paris , par M. le comte
Frochot, conseiller-d'état , préfét du département de la
Seine , qui les a conduites dans leurs appartemens en traversant
la salle du Trône , où n'avaient encore été admis
que les personnes de leur suite , les maires et députés des
bonnes villes et les magistrats de Paris . Après les différentes
présentatious que l'Empereur a daigné recevoir , il s'est
rendu dans la salle du Banquet où il a pris place , ayant à
sa gauche l'Impératrice , la reine de Hollande , la princesse
Borghèse , le grand duc de Wurtzbourg , et le grand-duc de
Francfort ; à sa droite , Madame Mère , le roi d'Espagne ,
le roi de Westphalie, le prince Borghèse , le prince viceroi
. La décoration de lasalle (où se trouvaient les armes des
quarante-neuf bonnes villes , Paris , Rome , Amsterdam ,
placées les premières , et les autres par oordre alphabétique)
était en étoffe d'un tissu d'or et d'argent qui produisait
aux lumières un effet dont il est difficile de se figurer
l'éclat .
Au banquet a succédé le concert, dont les préparatifs
avaient été faits dans la salle dite des Fastes; les premiers
556 MERCURE DE FRANCE ,
,
sujets de l'Académie impériale de Musique et le Conservatoire
ont exécuté une cantate intitulée le Chant d'Ossian
dontle poëme est de M. Arnault et la musique de M. Méhul .
Les auteurs ont su tirer de la disposition du local un effet
dramatique qui ne pouvait manquer de produire une vive
sensation . Le choeur des ombres héroïques , qu'Ossian
évoque aux sons de sa harpe , avait été placé dans une tribune
supérieure , cachée par les draperies dont on l'avait
recouverte , et les accens aériens qui descendaient de la
voûte s'embellissaient en quelque sorte de tous les charmes
de l'illusion . Cette belle composition , pleine de force et de
noblesse , où M. Lays a développé toutes les ressources
d'une voix pure et brillante , a été exécutée avec un ensemble
admirable , et paraît avoir obtenu les plus augustes
suffrages .
Le concert achevé , LL . MM. ont passé dans la salle du
Trône , où toutes les personnes invitées faisaient cercle ;
elles ont ensuite visité le jardin factice , construit au-dessus
de la cour de l'Hôtel-de-Ville , et dans lequel le Tibre ,
figuré par la statue antique qui le représente , épanchait
de son urne des eaux dont le cours avait été ménagé avec
un art très-remarquable.
Il était 11 heures et demie lorsque l'Empereur et l'Impératrice
ont quitté l'Hôtel- de-Ville : le bal a été ouvert au
moment et s'est prolongé jusqu'au jour.
Jamais Paris n'a offert un ensemble d'illuminations
plus extraordinaire ; au nombre des bâtimens publics et
particuliers qui mériteraient une description particulière , on
remarquait sur-tout la place du Carrousel , dont le pourtour
, figuré par des arcades de feu , se liait àune vaste
colonade d'illumination qui joignait le Carrousel à la place
du Louvre , et formait dans son ensemble un palais brillant
dont l'architecture se dessinait en ligne de feu . Nous
ne devons pas oublier de faire mention de la brillante
illumination du dôme du Panthéon ; elle a été exécutée
d'après les procédés indiqués par le colonel Grobert dans
son ouvrage sur les fêtes publiques , et le succès n'a rien
laissé à désirer.
A II heures on a tiré , sur la place de la Concorde , un
des plus beaux feux d'artifice qu'on ait vu depuis longtems.
Parmi les pièces qui ont été le plus admirées , celle
qui représentait un palais à colonnes tournantes , peut être
regardée comme un chef- d'oeuvre pyrotechnique. Cette
fête superbe s'est terminée par l'ascension de M. Garnerin
JUIN 1Sit . 559
dans un ballon illuminé . L'aéronaute , après avoir plané
quelque tems sur la capitale , a glissé rapidement dans les
airs et s'est dérobé aux regards qui le suivaient dans sa
course lumineuse. On a su depuis qu'il avait terminé à
Maule son voyage aérien .
La fête du dimanche suivant , 16 de ce mois , a com
mencé par la plus auguste cérémonie , celle de l'ouverture
de la session du Corps-Législatif; elle s'est faite avec toute
la magnificence , avec toute la pompe civile et militaire
qui convient à ce grand acte de souveraineté . Vers midi ,
l'Empereur s'est rendu en grand cortége au palais du Corps-
Législatif , où l'avaient précédé S. M. l'Impératrice et les
princesses de la famille impériale. La salle des séances
offrait le coup-d'oeil le plus imposant. Les tribunes intérieures
étaient occupées ; celle en face du trône par S. M.
l'Impératrice et les princesses de la famille impériale ; les
autres par le grand- duc de Wurtzbourg , le Prince-Primat,
le prince Poniatowsky et les membres du corps diplomatique.
Des places particulières avaient été réservées à MM.
les maires et députés des bonnes villes, et àtous les évêques
qui se trouvent en ce moment dans la capitale. MM. les
députés , en grand costume , les membres du Conseild'Etat
, et la députation du Sénat occupaient les gradins
du centre, et la colonnade supérieure était remplie de dames
parées avec une extrême élégance , et qui contribuaient à
l'éclat de cette nombreuse réunion .
L'Empereur est entré au bruit de nombreuses 'salves d'artillerie
, et a pris place sur son trône , autour duquel étaient
rangés le roi de Westphalie , le cardinal grand- aumônier ,
le prince vice-roi et les grands dignitaires de l'Empire .
Après avoir reçu le serment des nouveaux députés , S. M.
a prononcé le discours d'ouverture ( Voyez les Nouvelles
Politiques ), et s'est retiré au milieu des acclamations et des
cris mille fois répétés de vive l'Empereur! Le soir la place
du Carrousel et le jardin des Tuileries ont été illuminés ;
vers 9 heures , LL. MM. ont paru sur le grand balcon du
palais, et ont assisté au concert exécuté sur la terrasse par
les artistes du Conservatoire et de l'Opéra . MM. Arnault
et Méhul avaient composé , pour cette occasion , une nouvelle
cantate dont les différens choeurs , soutenus par de
grandes masses d'harmonie , ont produit tout l'effet qu'il
était permis d'en attendre. Le concert avait commencé par
l'ouverture de la Clémence de Titus ; il a été terminé par le
pas des Scythes , de l'opéra de Sémiramis.
558 MERCURE DE FRANCE ,
1
Le corps municipal de Paris a reçu le Inndi suivant, à
'Hôtel-de-Ville , MM. les maires et députés des bonnes
villes de l'Empire et du royaume d'Italie.
Un dîner de 300 couverts , et auquel LL. EEx. les ministres
de l'intérieur et de la police générale avaient été
invités , a été servi dans la même salle où le banquet impérial
était disposé le dimanche 9 de ce mois. La décoration
de la salle et des tables offrait un coup-d'oeil à-la-fois
oble et élégant . S. Ex. le ministre de l'intérieur avait à sa
droite le maire de Rome , seconde ville de l'Empire , et à
sa gauche te podestat de Milan. Des toasts ont été successivement
portés à S. M. l'Empereur , à S. M. l'Impératrice
, à S. M. le roi de Rome , aux bonnes villes de S. M. ,
à la ville de Paris .
Pendant le dîner , des dames qui avaient été invitées par
M. le Préfet de la Seine au concert et à la soirée , se sont
réunies dans la salle des Fastes .
Après le dîner , il y a eu un très-beau concert , dont
MM. Lays et Dérivis , ainsi que Melle Himm , ont chanté
les morceaux principaux. On y a répété la belle cantate de
MM. Arnault et Méhul. Le concert a commencé par l'Ouverture
dujeune Henri, dont l'exécution n'a rien laissé à
désirer. Il a été suivi d'un bal qui n'a été interrompu que
pour offrir aux dames un souper dont les hommes se sont
empressés de leur faire les honneurs . Le bal s'est ensuite
prolongé jusqu'à 4 heures du matin .
Le jardin élevé sur la cour de l'Hôtel-de-Ville , au niveau
de la salle du Trône , et animé par le mouvement et le
jeu des eaux de la fontaine du Tibre , était illuminé en
verres de couleurs comme au jour de la réception de LL.
MM. II .
Cette fête a été extrêmementgaie et brillante . La réunion ,
à l'Hôtel-de-Ville de Paris , des magistrats municipaux de
toutes les grandes villes de l'Empire et du royaume d'Ita
lie , offrait un spectacle d'un intérêt vraiment historique et
digne de trouver place parmi les faits dont la ville de Paris
doit aimer à conserver le souvenir.
EVÉNEMENS , ANECDOTES.- Certains phénomènes sont
d'une grande ressource pour les journaux; on ades articles
tout faits sur les ouragans , les tremblemens de terre , les
comètes , les météores lumineux , les centenaires , les accouchemens
monstrueux , la neige rouge etles pierres tombéesde
la lune, et l'on s'en sert au besoin pour noircir
JUIN 1811 . 559
une colonne du journal. Depuis quelque tems on n'entend
parler que d'incendie : un grand amateur de journaux , qui
tient notes de tous les faits intéressans qu'ils renferment,
nous assurait dernièrement quede compte fait depuisun an,
etd'après le témoignage des papiers publics , ily avait eu, en
Europe , 21 villes , 213 bourgs , et 4643 villages qui avaient
été la proie des flammes . Croyons qu'il en est de la plupartde
ces incendies , comine de celui de Presbourg , annoncé
avec des détails si précis , si authentiques , et qui n'a
pas même , comme tant d'autres , le brûlement d'une grange
pour servir de prétexte à un pareil bruit.
-La police de Paris , qui fait depuis long-tems l'admiration
de l'Europe , ne se contente plus aujourd'hui de découvrir
et d'atteindre les criminels ; elle s'occupe plus utilement
encore à prévenir les crimes. Quelques brigands
avaient organisé un vol qu'ils devaient effectuer dans la nuit
du 13 au 14 de ce mois , dans une maison de la rue Hauteville,
habitée par un agent-de-change. Les mesures ont
étéprises si habilement , que la maison se trouvait occupée
par les agens de la police au moment où les voleurs s'y
sont présentés. Leur nombre leur a permis d'opposer une
résistance qui a coûté la vie à l'un d'eux. Les autres ont
été arrêtés et conduits dans les prisons .
-Un procès très-important occupe en ce moment le tribunalde
police correctionelle. Il s'agit d'une accusation
d'escroquerie dont l'objet précieux est un saphir de la valeur
de 170 mille francs . M. Furi , joaillier de Milan , prétend
avoir acheté le saphir à M. Pierret , joaillier de Paris ,
mais conditionnellement , et sous la garantie d'un dédit
de 6000 fr. M. Pierret produit un titre qui semblerait prouver
que le marché a été conclu sans conditions .Plusieurs
circonstances compliquent cette affaire , dans laquelle
MM. de la Malle et Beroger ont déployé , chacun pour
leur client , beaucoup d'adresse et d'éloquence . Le public
attend avec impatience le jugement qui doit intervenir .
-On parle d'une affaire plus plaisante , et dont on prétend
que le tribunal de première instance est saisie. Un
auteur toulousain voulant faire prôner son ouvrage dans les
journaux, en a envoyé douze exemplaires à unde ses amis ;
Ilajoint à cet envoi un très-beau pâté de foie gras qui
devait servir , comme les gâteaux de la Sibylle , à graisser la
gueule de quelque cerbère. Les exemplaires ont été remis ,
les articles ont paru , mais dans aucun l'influence du
pâté ne se fesait sentir : recherches faites , il demeure
1
560 MERCURE DE FRANCE ,
prouvé que le dépositaire a mangé le pâté. L'auteur tonleu
sain , lésé dans sa confiance et sur-tout dans son amourpropre,
intente une action contre son ami , en restitution
du susdit comestible . Après avoir raconté le fait , sur la
foi du journal qui en fait mention , nous ajouterons , à
l'acquit de notre conscience , et d'après les renseignemens
que nous avons pris au Palais , que cette petite anecdote
paraît être toute d'invention ; nous sommes même disposés
à croire qu'elle aura été publiée par quelqu'auteur de vandeville
, qui pour éviter le reproche de bizarrerie , ou de
personnalité , veut pouvoir s'appuyer d'un fait déjà connu.
-Paris fourmille de célèbres inconnus dont la réputation
ne s'étend pas , quoi qu'ils fassent, hors de la maison
qu'ils habitent . L'un , pour achalander sa boutique , s'inti
fule successeur du célebre un tel, tout aussi ignoré que luimême
. Le célèbre mathématicien Marseille se croit dans
son grenier l'émule des Laplace et des Lagrange , et calcule
un ambe et un terne avec toute l'assurance , toute la dignité
d'un membre du bureau des longitudes . Ecoutes ce
chanteur ambulant , il vous annonce les chansons du célèbre
poëte Bellanger, lequel fait rimer Pégaze avec Parnasse .
Arrêtez-vous sur le boulevard , devant le magasin de tel ou
tel célèbre marchand de musique , vous lirez en gros carac
tères l'annonce d'un Recueil d'airs en vogue du charmant
compositeurXavierDesargus . On feraitune listebien longué
et bien plaisante de tous ces illustres inconnus , qui prennent
ou acceptent sans façon le titre de célèbres , et dont
chacun peut dire ,
Si j'en connais pas un , je veux être pendu .
-Nous avons entendu parler , il y a quelque tems , du
provençal qui avalait des fourchettes ; nous avons vu sur le
boulevard l'espagnol qui se nourrissait de baguettes de
trois pieds de longueur , et sur la place duPalais de Justice,
le jongleur qui dévorait des pierres comme un autre
Saturne. On s'occupe maintenant , sur la foi des journaux
anglais ( qui ne mentent jamais , comme chacun sait ) ,
d'un homme mort à Londres , dans l'hôpital de Guy , et
dans le corps duquel on a trouvé un très-joli assortiment de
couteaux; il en avait dans l'estomac , dans l'abdomen ,
dans les intestins , jusque dans le rectum : on a consulté
sur ce fait la Société Royale , la Société de Médecine ; on
ferait mieux de consulter la raison .
JUIN 1811 . 561
2
SEINE
ÅRTS ET MONUMENS , - Le directeur général du Musée
Napoléon, dans l'intention de faire jouir les étrangers q
les fêtes ont amenés à Paris de la vue de toutes les galleri
du Muséum , vient de faire ouvrir celles d'Apollon et de
Antiques , où l'on admire les
chefs-doeuvres L
arrivés de la villa Borghèse , exposés dans des salles nouvelles
dont les murailles sont revêtus en marbre .
nouveaux
DE
On doit faire incessamment l'essai de nouvelles
baguettes propres à être adaptées aux fusées volantes, dans
les feux d'artifice. Cette invention a pour but d'éviter les
accidens presqu'inséparables de la chute des bagnettes
ordinaires , au milieu de la foule. Celles que l'on propose
d'y substituer , éclateront en l'air et retomberont en débris.
Si cette expérience réussit , c'est un nouveau service dont
on sera redevable au colonel Grobert , dont les connaissances
dans les arts mécaniques sont constamment dirigées
vers un but utile ; exemple trop rare parmi les savans qui ,
du haut de leurs sublimes théories , dédaignent , pour l'ordinaire
, de descendre jusqu'à l'application .
NOUVELLES LITTÉRAIRES ET BIBLIOGRAPHIQUES.-Après
le roman de Pigault , celui qui a le plus de vogue est intitulé
: Emilio , ou les Veillées de mon père : il est de
M. Ducray-Duménil .
-Ondit , et , qui plus est, il paraît constant que le manuscrit
des nouveaux proverbes de Carmontel , qui viennent
d'être publiés , était en gage au Mont-de-Piété pour
une somme assez considérable. Ce fait , tout extraordinaire
qu'il est , nous étonne moins que sil'on nous assturait
que le même établissement a prêté autrefois dix louis à
Montesquieu sur le manuscrit de l'Esprit des lois .
LA
On a mis nouvellement en vente un ouvrage dont le
titre piquant ( Personnagesfameux dans les rues de Paris )
promet une lecture amusante ef ne tient point parole . Le
premier volume n'est qu'une compilation indigeste d'anccdotes
connues sur Tabarin , Gautier Garguille , Guillot
Gorju et Gros René ; le second , moins ennuyeux , ne fait
encore qu'indiquer ce qu'un pareil sujet aurait pu fournir
à une plume plus habile et plus exercée .
: NOUVELLES DES THEATRES. L'astre d'Armide vient de
reparaître sur l'horizon avec tout l'éclat et tout le succès
qu'il ent à sa première apparition . Après avoir vu ce
spectacle , après avoir entendu de pareils vers et de pareille
Nn
562 MERGURE DE FRANCE ,
t
musique chantés par Mme Branchu , Laïs et Nourrit , en
se demande s'il ne faut pas être possédé du démon de l'esprit
de parti , pour recommander à notre admiration laDestruzione
di Gerusalem , Pyrro , ou tel autre chef-d'oeuvre
de l'Opera seria .
- On s'occupe aux Français des répétitions d'une comédie
intitulée l'Indépendant.
- Le Vaudeville va mettre en répétition une pièce non
velle intitulée la Fille en Loterie; ce théâtre , autant qu'il
nous en souvient , a déjà dans son répertoire une pièce du
même nom .
-Les grands apprêts que nécessite la Belle au Bois
dormant, laissent à la direction du théâtre des Variétés le
tems de faire apprendre etjouer plusieurs petites pièces
sur lesquelles on ne fait pas grand fond. Ce théâtre pour
faire des recettes a besoin aujourd'hui des cotillons de
Brunet et des machines de l'Opéra .
- Les Chevaliers de la Table ronde ont fait remonter
les actions du théâtre des Jeux-Gymniques .
-On nous prometàl'Ambigu , les Aqueducs de... Nous
avons déjà vu la Citerne ; ce théâtre affectionne les sujets
hydrauliques .
MODES .- Un chapeau de paille blanche orné d'un noeud
de gaze ou d'une fleur d'oranger , une capote verte avec des
liserés de paille jaune , sont les coiffures de matin les plus à
lamode. La robe analogue à cette coiffure doit être garnie
par lebas , ainsi qu'aux manches et à la gorge , d'un feston à
dent de loup, enjolivé d'une petite broderie en points à
jour . Quelques élégantes se sont montrées avec des souliers
d'homme enmaroquin rouge avec un noeud de ruban sur
le coup-de-pied.
Leshabits vert tendre sont tombés dans un discrédit total,
et ne se montrent plus guères qu'au jardin turc , et le dimanche
, dans les allées de Tivoli. Quelques élégans rabattent
négligemment le col de la chemise sur la cravatte dont
les bouts de mousseline retombent sur la poitrine comme
des rabats de bailli. Les souliers n'ont jamais été si déconverts
, et les cheveux si droits sur leur racine : on appelle
cette coiffure à la Walstein . Cet illustre conspirateur ne
s'attendait pas à figurer dans le Journal des Modes . Y.
JUIN 1811 . 563
Aux Rédacteurs de la Chronique . 1
,
MESSIEURS , outre les Enfans célèbres de Baillet, nous
avions la Vie des Enfans célebres , par A. F. J. Fréville ;
nous devons au même auteur l'Histoire des Chiens célèbres ,
et voilà que je viens de voir annoncer dans le dernier Mercure
l'Histoire des Chevaux célèbres , par P. J. B. N. Permettez-
moi , Messieurs , de profiter de cette circonstance
pour vous prier d'annoncer dans votre premier Nº l'ouvrage
important dont je m'occupe depuis un demi-siècle , l'Histoire
des Anes célebres . Je n'ai rien négligé pour rendre
montravail complet. Je me suis procuré des mémoires , et
j'ai entrenudes correspondances multipliées non- seulement
à Beaune et à Montmartre , mais jusqu'en Arcadie . Aussi
mon ouvrage , comme celui de M. P. J. B. N. , contiendra
généralement tout ce qui peut amuser et instruire dans un
pareil sujet les amateurs de cegentil animal , que le vulgaire
ignorant méprise , mais dont Buffon fait l'éloge , et en
l'honneur duquel nos sages ancêtres avaient institué des
fêtes . Je m'occuperai sur-tout des ânes qui ont parlé depuis
l'ânesse de Balaam , inclusivement jusqu'à P. G. L. , etc.
(175 pages d'et cætera.) J'ai compulse tous les Ana qui ,
par l'étymologie et la manière dont ils sont rédigés , ont
évidemmentdes rapports intimes avec le sujet queje traite .
Quelqu'étrangers , Messieurs , que vous soyez à mon
ouvrage, j'espère que vous voudrez bien l'annoncer avec
bienvieillance , et en faire sentir toute l'importance . J'avais
d'abord choisi le format in-folio , mais pour me conformer
à l'usage , je me suis définitivement arrêté à l'in -8°. Il sera
imprimé en petit-texte et à deax colonnes , et par cemoyen
ne contiendra que 55 à 58 vol. Vous avouerez que c'est bien
peu pour une matière aussi riche. Je puis assurer néanmoins
que les supplémens indispensables n'excéderont pas
10 à 12 vol. Pour me conformer également à l'usage , je le
publierai par souscription . On imprimera , si on le désire ,
entêtedu premier volume , les noms , titres et qualités des
souscripteurs , mais j'observerai que comme probablement
il sera mention de plusieurs dans le corps de l'ouvrage il en
résulterait une multitude de doubles emplois . Tous les matériaux
sont prêts , et l'ouvrage n'éprouvera aucuns retards .
Agréez , Messieurs , l'assurance de ma considération distinguée
, L'Auteur de l'Histoire des Anes célèbres .
Nn 2
564 MERCURE DE FRANCE ,
,
Aux Rédacteurs du Mercure.
Vorci , Messieurs , ce que dit Pasquier (Recherches de la France ,
livre 8 , chap . 50 ) de l'étymologie du mot beau père : & Ceux qui ont
▸ épousé nos enfans nous appelèrent leurs beaux pères ....... Quant à
moi , je ne doute point qu'il ne faille les appeler beats-peres ... d'au-
> tant qu'en mariant leurs enfans, ils semblent se moyenner une vie
> immortelle en ce mortel être , par une subrogation de l'un à
> l'autre ; si ma divination est bonne ou mauvaise , je m'en rapporte
> à ce qui en est..... Il est bien des hommes , je crois , que leurs
gendres empêcheront de croire à la bonté de cette divination , et qui
ne trouveront pas à cela grande béatitude. Pasquier ajoute que par
extension on a dit beaufrère , belle mère , etc.; mais, comme il l'observe
très-bien , ces expressions ont encore l'inconvénient d'être
équivoques. En effet , on appelle beau père celui dont on a épousé la
fille, et celui qui a épousé notre mère en secondes noces , quoique
ces deux rapports d'alliance soient très-différens et soient exprimés
par des termes différens dans les autres langues. Voici un couplet qui
n'a que le faible mérite de l'impromptu , et de rentrer dans le sens de
votre Contre-Enigme.
AIR: On compterait les diamans.
Je n'ai rien vu sous le soleil
De plus laid que mon cher beau père ,
Mais après lui rien n'est pareil
En laideur à ma belle mère .
Mon beau frère et ma belle soeur ,
Mes beaux fils , gens très -estimables ,
Sont par ma foi d'une laideur
Afaire reculer les Diables . (Bis .)
L'un de vos Abonnés .
Réponse à la Contre-Enigme insérée dans le Nº DXVI .
COMME , en général , les hommes qui se remarient en secondes
noces épousent de jeunes et jolies personnes , on aura dit aux enfans
du premier lit d'appeler ces secondes épouses belle maman , belle
mêre , et cet usage sera devenu général comme celui d'appeler les
grand'mères bonne maman , quoiqu'il y en ait de fort méchantes ;
mais la plus acariâtre obtient ce titre ainsi que la plus tendre et la
JUIN 1811 . 565

plus douce , parce qu'en général les grandmeres , par trop de bonté ,
gåtent leurs petits enfans. Cette explication pourrait bien ne pas
satisfaire car elle n'a rien de savant , et n'a coûté nulle recherche ;
mais pour trouver l'étymologie d'une infinité d'usages établis dans la
société , c'est aux gens du monde qu'il faut s'adresser : ils ont sur ce
point un esprit d'analogie et une sorte de sagacité qui découvriront
toujours l'origine et les vrais motifs de ces conventions sociales qu'il
n'est pas inutile de connaître , parce qu'elles servent à donner une
juste idée des moeurs. Par exemple , dans la supposition qu'on admet
ici , cette petite flatterie inspirée aux enfans , prouvait dans l'origine
le désir de les rendre agréables à la nouvelle épouse , et en même
tems l'intention si louable de leur laisser le souvenir de leur mère ,
en leur faisant donner à la nouvelle épouse un titre différent , et non
celui de maman , qui , tout court , n'appartient qu'à la véritable
mère. Remarquons encore qu'il y avait sans doute une délicatesse
touchante à ne joindre à cetitre qu'une épithète de galanterie et non
une expression de sentiment, telles que bonne ou chère, réservées à la
matérnité. Nos pères ont parfaitement connu cet art de ne rien confondre
, et de conserver à chaque sentiment le caractère qui lui convient
et qui peut seul assurer la solidité de toutes nos affections . Je
ne crois pas que nous recevions de nos petits enfans cette espèce
d'éloge.
S. F.
POLITIQUE.
La gazette de la cour de Russie a publié le cérémonial
de la réception de M. le comte de Lauriston , et celui observé
au départ de M. le duc de Vicence ; ce dernier a reçu
de l'empereurAlexandre , avant son départ , les décorations
de l'ordre de Sainte-Anne , première classe , en brillans .
On a vu arriver au même moment àPétersbourg le baron
suédois d'Armfelt que son souverain a rayé de l'ordre des
Seigneurs du royaume , pour avoir , sans autorisation spécialede
son souverain , prêté serment à l'empereur deRussie
, afin de profiter d'un des articles stipulés au traité de
paix de Friderik'saw.
Les espérances qu'on avait pu concevoir sur le rétablissement
du comte Kamenskoï , depuis son départ de l'armée
et sa retraite à Odessa , n'ont pas été de longue durée :
ce général , entièrement affaibli des suites des fatigues
éprouvées dans les dernières campagnes , est mort à Odessa
dans la nuit du 17 au 18 mai ; il emporte les regrets de ses
compatriotes , et l'estime de l'armée. Au surplus , rien d'intéressant
et de positif n'est connu sur les opérations ultérieures
de cette armée , depuis qu'elle a passé sous le
commandement d'un nouveau chef. Les journaux de Hongrie
, à défaut de faits , s'épuisent en conjectures et en suppositions
: ils se bornent pour le moment à réunir au
camp de Schumla tous les renforts que le grand-visir a
appelés autour de lui , et de ce côté à fortifier , à approvisionner
toutes les places occupées par les Russes , et à lier
les opérations de campagne qui doivent assurer leurs communications
et leur défense. La question de la paix et de
la guerre en demeure ainsi toujours une qui n'est point
encore résolue. Au surplus , il n'est heureusement pas de
la nature de cette guerre , d'interrompre le commerce de
France avec celui duLevant. Les transports par la Macédoine
et la Bosnie sont parfaitement organisés , par les
soins des consuls et des commissaires français ; ces transports
se font sur des chevaux et par des caravannes . Des
comptoirs français et italiens s'établissent à Trieste; beaucoup
de maisons grecques vont s'y fixer aussi. Trieste va
MERCURE DE FRANCE , JUIN 1811 . 567
devenir ainsi l'entrepôt d'un commerce immense dont une
sage politique nous a conservé les avantages , et à la vue
duquel la jalousie de l'Angleterre ne concevra qu'une fureur
impuissante ; il ne lui est pas donné de le troubler
ou de l'envahir.
Les dernières discussions parlementaires prouvent jusqu'à
l'évidence que ceux des Anglais que la haine et l'orgueil
national n'aveuglent pas , reconnaissent avec douleur que ce
commerce du monde , que ce monopole exclusif qu'ils ont
voulu exercer , peut et doit leur échapper ; que l'un etl'autre
continent peuvent se soustraire à leur influence commerciale;
que le grand oeuvre de l'usurpation universelle est
bien loin d'être achevé ; que l'Angleterre a été menacée de
sa ruine , du moment où elle a tenté l'exécution de ce
projet insseennssée ;; qu'elle a ouvert les yeux àtous les peuples
sur leurs véritables intérêts , réveillé leur attention , excité
leur industrie , et que le vers du poëte latin est prêt à se
réaliser dans l'ordre moral , avec autant de justesse que
dans l'ordre physique .
Dans la séance du 5, il s'agissait de voter sur la demande
qui fait le plus souvent le sujet des délibérations , la demande
d'argent et de crédit de la part du ministère ; cette discussion
venait mal , elle succédait à celle qui avait eu lieu sur
les pétitions de plus en plus affligeantes des villes manufacturières
. Ces pétitions venaient d'être fort tristementrenvoyées
à un comité , lorsque le chancelier de l'échiquier
est venu présenter sa demande .
M. Whitbread n'a pas laissé échapper cette occasion de
développer d'autres principes etd'autres considérations que
celles du ministère relativement à la situation politique ,
commerciale et industrielle de la Grande-Bretagne. Il ne
peut y avoir , a dit M. Whitbread , deux opinions sur les
fâcheux résultats qu'ont eus , pour notre commerce , nos
mesures politiques à l'égard du continent et l'interruption
de nos relations avec l'Amérique. Les pétitions dont la
chambre vientde s'occuper ne prouvent que trop la détresse
où sont réduites nos manufactures. Personne n'a contesté
la vérité des faits quiysont exposés ; et ceux même qui se
sont opposés à ce qu'elles fussent renvoyées à un comité ont
rendu le tablean encore plus triste , en prétendant qu'il n'y
avait pas de remède . Les mesures de l'ennemi ont donc
obtenu tout le succès qu'il pouvait s'en promettre. Les
ordres du conseil , qui avaient été vantés comme le palladium
de notre prospérité commerciale , en ont amené la
568 MERCURE DE FRANCE ,
ruine. On nous avait assuré qu'ils couperaient tout com
merce de l'Amérique avec l'ennemi, tandis que l'Amérique
serait forcée de continuer à commercer avec nous . Tout le
contraire est arrivé : ces ordres du conseil nous ont brouillés
avec l'Amérique , et n'ont que peu affecté son commerce
avec laFrance. Bien plus, ils ont eu pour effet de placer
l'Amérique dans une indépendance absolue de l'Europe.
Des manufactures de toute espèce s'y sont élevées ; de
sorte que , si la paix était rendue au Monde , nos manufac
turiers ne trouveraient plus que des rivaux là où ils trouvaient
autrefois des consommateurs pour les produits de
notre industrie. Le ministère , néanmoins , persévère dans
de système des ordres du conseil , source de tout le mal I
avait été dit qu'ils seraient révoqués aussitôt que la France
aurait rapporté ses décrets de Berliu et de Milan. Ces décrets
ont été rapportés , et nos ordres du conseil subsistent
toujours . Toutes les démarches de nos négocians pour obtenir
des ministres qu'ils tiussent leur parole ont été infructueuses.
On a prétendu que la révocation des décrets de la
France était purement illusoire , et cela sans preuve comme
sans vraisemblance; néanmoins , M. Whitbread sait qu'il
a été offert aux ministres d'envoyer un bâtiment avec sa cargaison
dans les ports de France , afin de s'assurer si réellement
les décrets de Berlin et de Milan étaient rapportés ;
mais cetteoffre a été rejetée . Soitopiniâtreté, soit ignorance,
les ministres ont montré dans toute cette affaire la plus
grande inattention pour les intérêts de leur pays . M. Whit
breaddésire bien vivement qu'il ne soit pas trop tard pour
renouer des négociations avec l'Amérique : il ne doute pas
queM. Forster ne remplisse dignement sa mission ; mais
it ne peuts'empêcher de regretter que l'on n'ait pas prévenu
ks départ du ministre américain , qui , pendant tout le cours
de sa mission , a montré tant de modération , et même de
patience . M. Whitbread ne quittera pas la parole sans dire
un mot sur les affaires de la péninsule. Dans l'état où elles
sont, nous ne pouvons pas , sans doute , abandonner la
parties mois M. Whitbread pense que le gouvernement
devrait profiter de l'époque où nos armes sont victorienses
pour faire quelque tentative sérieuse pour arriver à la paix.
Pour éviter toute fausse interprétation de sa pensée , il déclare
que la paix qu'il désire est une paix bonorable ; et jusqu'à
ce que le gouverneraent ait fait tout ce qui dépend de
Lai pour obtenir une paix honorable , et qu'il ait échoué,
M. Whitbread ne pourra pas se persuador qu'une telle paix
JUIN 1811 . 569
soit impossible. Il a sans doute la plus haute opinion des
talens militaires de lordWellington; mais quand il réfléchit
sur le grand nombre de combats qui ont été livrés dans la
péninsule , et sur le grand nombre de ceux qui peuventy être
livrés encore , il ne croit pas qu'il soit possible de prévoir
l'issue définitive de cette lutte sanglante . Le dernier objet
sur lequel il se propose d'appeler l'attention de la chambre ,
c'est la santé de S. M. Le public est actuellement tenu
dans l'ignorance du véritable état de S. M.; les bulletins
que l'on publie à ce sujet semblent être rédigés d'une manière
obscure et énigmatique ; et à enjugerpar ces bulletins ,
le rétablissement du roi ressemble à ces ligues géométriques
dont la propriété est de se rapprocher sans cesse d'un but
donné, sans pouvoir jamais y atteindre . M. Whitbread
pense donc que le parlement doit , avant de se séparer ,
s'assurer en interrogeant directement les médecins de S. M. ,
et connaître de nouveaux leurs opinions sur les probabilités
de son rétablissement .
,
M. le chancelier de l'échiquier a fait observer , avec
beaucoup de raison que l'orateur avait confondu dans
son discours beaucoup d'objets divers ; mais ce n'était pas
là la question , le défaut de forme ne fait ici rien au fond ;
qu'importe que l'orateur ait traité divers objets ? avait-il
ou n'avait-il pas raison dans sa manière de les envisager ?
ce n'est pas une leçon de logique , mais une réponse ministérielle
que la chambre attendait de M. le chancelier de
l'échiquier . Cette réponse n'a été qu'une récrimination.
Le ministre a reconnu que le commerce anglais éprouvait
des pertes sensibles ; mais il a opposé à cet état celui du
nôtre , et l'a offert en compensation , ce qui , aux yeux du
parlement d'une nation uniquement commerçante , n'a
pas paru un argument irrésistible et un effet bien satisfaisant
des ordres du conseil. De là M. Parceval a touché
assez indiscrètement une corde qu'il eût dû éviter , celle
de l'état des finances de la France ; pour en donner une
juste idée , il surprend dans une relation publiée , que l'armée
française de Portugal n'avait pas reçu de solde depuis
six mois ; mais M. Parceval peut-il ignorer qu'acquitter la
solde à l'armée française à travers le Portugal , dans un
pays dévasté par l'armée anglaise , eût été une grave imprudence
? la solde de l'armée française eût été dissipée
dans ce pays . L'armée l'a reçue en entrant en Espagne :
dix millions étaient , à cet effet , en réserve à Valladolid ,
etvoilà sur quels élémens , sur quelle connaissance du sys
570 MERCURE DE FRANCE,
tème français le gouvernement anglais établit ses calculs.
A-t-il oublié la loi fondamentale de l'armée française ,
dont le Moniteur a bien voulu naguère lui donner le
secret?
M. Parceval n'a cependant pas voulu laisser sans réponse
toutes les observations de l'orateur. Quant à l'Amérique ,
le cabinet britannique a fait ce qu'il a pu ; ce n'est pas
sa faute si le gouvernement américain veut avoir un pavillon
, un commerce , une industrie et un rang parmi les
nations . Quant à la guerre sur le continent , quoiqu'elle
ait été conduite de manière que les Anglais , naguères si
paisibles tandis que les Espagnols étaient écrasés , ont
enfin été forcés à combattre en versant des flots de sang à
Almeida , à Fuentes- d'Onoro , à Albuerra , on peut juger
de ses résultats . A l'égard de l'état de S. M. , tout a été
prévu par les derniers actes du parlement. Après cette
réponse , la chambre , parfaitement éclairée et sans doute
très-convaincue , a voté le crédit.
Nous avons contracté l'heureuse habitude de faire succéder
aux raisonnemens des orateurs anglais contre leurs
ministres , des argumens plus victorieux encore , puisés
dans les détails officiels des événemens de la guerre d'Espagne;
en voici de très-intéressans sur le siége de Tarragone
, poussé avec la plus grande vigueur par le général
comte Suchet.
C'est le4mai que l'investissement de la place a été complet
après le départ de Campo-Werde qui croyantjeterdes
renforts et des approvisionnemens dans Figuères , a été
battu par le général Baraguay- d'Hilliers . Il est rentré le 10
dans le port de Tarragone , avec quelques débris , sous
l'escorte d'un vaissean anglais . Depuis le 4 jusqu'au 25 ,
les sorties de la garnison ont été vives et constamment repoussées;
les travaux d'attaque ont été dirigés avec la plus
grande activité . Le 27 , une batterie portantle nom du Roi
de Rome et trois autres allaient être démasquées . L'ennemi
fait une sortie et marche sur elles . Le général Salme le
repousse en lançant sa troupe , et en criant , braveseptième,
en avant. Il a reçu un coup mortel, sa mort a été vengée
dans le sang ennemi . Les Espagnols ont été poursuivis jusque
sous les glacis de la place. Le 28 , toutes les batteries
ont été démasquées , et le feu de la place et celui du fort
Oliva avaient une infériorité décidé.
Le 29, le général fait donner le signal de l'assaut au fort
Oliva. Le général Ficatier le commande. Le capitaine Pa
JUIN 1811 . 571
pigni est tué eny conduisant ses sapeurs.La difficultéde
l'entreprise donne lieu à des traits d'une valeur inouie. Les
échelles sont trop courtes; les voltigeurs s'élancent sur les
épaules des sapeurs ; au milieu des fossés où pleut la mia
traille , les Français découvrent un aqueduc. Ils en brisent
les palissades , ils s'y jettent ; les sapeurs italiens frayent
un passage , et la division d'attaque est établie dans le fort ;
1500Espagnols étaient tombés sous la baïonnette , 200 canonniers
avaient été tués sur leurs pièces ; le reste , au
nombre de 1000 soldats et de 70 officiers , demande et
obtient la vie . Les généraux Harispe , Rognat , Vallée
l'adjudant- commandant Mesclop , les chefs de bataillon
Reval et Chulliot ont fait des prodiges . Les Italiens ont
rivalisé avec leurs aînés , l'armée entière a déployé la plus
haute valeur. Le fort a été trouvé rempli d'approvisionnemens
et de munitions de toute espèce. La tranchée contre
la ville est ouverte . Les batteries ont éloigné promptement
les Anglais du port .
,
La session du Corps -Législatif a été ouverte le 16 de ce
mois . Depuis les huit heures du matin , la garde impériale
occupait toutes les portes du palais du Corps-Législatif.
L'Impératrice y est arrivée à midi , et l'Empereur à midi
un quart , aux acclamations de vive l'Empereur ! vive l'Impératrice
! vive le roi de Rome ! Des salves d'artillerie
ont annoncé le départ de S. M. des Tuileries , et son arrivée
au palais du Corps- Législatif.
L'Empereur s'est reposé dans l'appartement préparé pour
le recevoir ; ensuite le cortége s'est mis en marche dans
l'ordre suivant : la députation des législateurs , les huissiers
, les hérauts d'armes , les pages , les aides et les
maîtres des cérémonies , les aides-ddee-ccaammpp de l'Empereur,
les grands aigles de la Légion , les grands officiers de l'Empire
, les ministres , le grand chambellan , le grand écuyer ,
et legrand-maître des cérémonies , les princes grands-dignitaires
, le roi de Westphalie , l'Empereur , les colonelsgénéraux
de la garde , le grand-aumonier , le grand-maréchal
et le grand-veneur.
L'Empereur s'est assis sur son trône , et les nouveaux
députés , au nombre de 174 , ont prêté leur serment.
L'assemblée s'est découverte ,et après cette cérémonie ,
l'Empereur a prononcé le discours suivant :
< Messieurs les députés des départemens au Corps- Législatif ,
> La paix conclue avec l'Empire d'Autriche a été depuis cimentée
57г MERCURE DE FRANCE ,
> par l'heureuse alliance que j'ai contractée : la naissance du roi de
• Rome a rempli mes voeux et satisfait à l'avenir de mes peuples .
> Les affaires de la religion ont été trop souvent mêlées et sacrifiées
• aux intérêts d'un état du troisième ordre. Si la moitié de l'Europ
→ s'est séparée de l'Eglise de Rome , on peut l'attribuer spécialement
→ à la contradiction qui n'a cessé d'exister entre les vérités et les prin-
> pes de la religion , qui sont pour tout l'Univers , et des prétentions
➤ et des intérêts qui ne regardaient qu'un très -petit coin de l'Italie .
> J'ai mis fin à ce scandale pour toujours . J'ai réuni Rome à l'Empire.
➤ J'ai accordé des palais aux papes à Rome et à Paris : s'ils ont à
> coeur les intérêts de la religion , ils voudront séjourner souvent au
> centre des affaires de la chrétienté ; c'est ainsi que saint Pierre pré-
> féra Rome au séjour même de la Terre - Sainte .
> La Hollande a été réunie à l'Empire ; elle n'en est qu'une émana-
> tion . Sans elle , l'Empire ne serait pas complet .
! > Les principes adoptés par le gouvernement anglais , de ne recon-
> naître la neutralité d'aucun pavillon , m'ont obligé de m'assurer des
> débouchés de l'Ems , du Weser et de l'Elbe . et m'ont rendu indis-
> pensable une communication intérieure avec la Baltique. Ce n'est
> pas mon territoire que j'ai voulu accroître , mais bien mes moyens
• maritimes .
› L'Amérique fait des efforts pour reconnaître la liberté de son pavillon
. Je la seconderai .
Je n'ai qu'à me louer des souverains de la Confédération du Rhin .
• La réunion du Valais avait été prévu dès l'acte de médiation , et
> considérée comme nécessaire pour concilier les intérêts de la Suisse
> avec les intérêts de la France et de l'Italie .
> Les Anglais mettent en jeu toutes les passions. Tantôt ils suppo-
→ sent à la France tous les projets qui peuvent alarmer les autres puis-
> sances; projets qu'elle aurait pu mettre à exécution s'ils étaient en-
> trés dans sa politique : tantôt ils font un appel à l'amour-propre des
> nations pour exciter leur jalousie ; ils saisissent toutes les circons-
> tances que font naître les événemens inattendus des tems où nous
> nous trouvons : c'est la guerre sur toutes les parties du continent
> qui peut seule assurer leur prospérité . Je ne veux rien qui ne soit
dans les traités que j'ai conclus . Je ne sacrifierai jamais le sang de
> mes peuples pour des intérêts qui ne sont pas immédiatement ceux
> de monEmpire. Je me flatte que la paix du continent ne sera pas
> troublée.
→ Le roi d'Espagne est venu assister à cette dernière solennité. Je
> lui ai accordé tout ce qui était nécessaire et propre à réunir les
JUIN 1811 . 5,3
sintérêts et l'esprit des différens peuples de ses provinces . Depuis
> 1809 , la plupart des places fortes d'Espagne ont été prises après des
› siéges mémorables. Les insurgés ont été battus dans un grand
> nombre de batailles rangées. L'Angleterre a compris que cette
> guerre tournait à sa fin , et que les intrigues et l'or n'étaient plus
> suffisans désormais pour la nourrir . Elle s'est trouvée contrainte à
→ en changer la nature ; et d'auxiliaire , elle est devenue partie prin-
> cipale . Tout ce qu'elle a de troupes de ligne a été envoyé dans la
> péninsule : l'Angleterre , l'Ecosse , l'Irlande sont dégarnies . Le
→sang anglais a enfin coulé à grands flots dans plusieurs actions gle
> rieuses pour les armes françaises...... Cette lutte contre Carthage ,
> qui paraissait devoir se décider sur les champs de bataille de l'Océan
› ou au-delà des mers , le sera donc désormais dans les plaines des
> Espagnes ! Lorsque l'Angleterre sera épuisée , qu'elle aura enfin
> ressenti les maux qu'avec tant de cruauté elle verse depuis vingt
>ans sur le continent , que la moitié de ses familles sera couverte du
→voile funèbre , un coup de tonnerre mettra fin aux affaires de la
→ péninsule , aux destins de ses armées , et vengera l'Europe et
> l'Asie en terminant cette seconde guerre Punique.
› Messieurs les députés des départemens au Corps- Législatif,
,
▸ J'ordonne à mon ministre de mettre sous vos yeux les comptes
→ de 1809 et 1810. C'est l'objet pour lequel je vous ai réunis. Vous y
> verrez la situation prospère de mes finances . Quoique j'aie mis , il
>y a trois mois cent millions d'extraordinaire à la disposition de
> mes ministres de la guerre , pour subvenir aux dépenses des nou-
> veaux armemens qui alors paraissaient nécessaires , je me trouve
> dans l'heureuse situation de n'avoir à imposer aucune nouvelle
› surcharge à mes peuples. Je ne hausserai aucun tarif; je n'aibesoin
→ d'aucun accroissement dans les impositions . >
M. le comte de Montesquiou , présenté à l'Empereur
comme l'un des candidats pour la présidence du Corps-
Législatif, a été choisi par S. M.
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574 MERCURE DE FRANCE ,
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.1
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ministérielles , etc. , ainsi que des motifs développés par les
orateurs du Tribunat et du Conseil-d'État , à l'appui de ces dispositions.
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Europe, pendant les années 1799 , 1800 , 1801 , 1802 et 1803 , écrits
par lui-même en persan , suivis d'une réfutation des idées qu'on a en
Europe sur la liberté des femmes d'Asie , par le même auteur , le
tout traduit du persan en anglais , par M. C. Stewart , écuyer ,
M. A. S.. professeur de langues orientales au collège de la compagnie
des Indes-Orientales à Hertfort , et traduit de l'anglais en français
par M. J. C. J. Deux vol. in-8° . Prix , 9 fr . , et 11 fr . franc de
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T
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rature étrangère , ou une table méthodique des ouvrages les plus intéressans
en tous genres de sciences qui ont paru de 1806 à 1810 dans
les pays étrangers à la France , et qui ont été périodiquement annoncés
dans le Journal général de la littérature étrangère , lequel , aujourd'hui
à sa onzième année , se continue toujours avec succès .
Les amateurs de cette littérature étrangère verront peut-être avec
plaisir qu'on a suivi pour cette table le même plan adopté pour celle
publiée antérieurement , et comprenant les années 1800 à 1805. Un
vol . in-80. Prix , 3 fr . 60 c. , et 4 fr . 25 c. franc de port , aux mêmes
adresses que ci-dessus .
Ils y trouveront , comme dans le volume précédent, la nomenclature
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nation , toutes classées par ordre de matières .
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expressions vicieuses usitées en France et notamment à Lyon ; par
Etienne Molard , instituteur . Quatrième édition , revue , corrigée et
augmentée de plus de 400 articles nouveaux . Prix , 2 fr . , et 2 fr . 50с.
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Hautefeuille , nº 23 ; et à Lyon , chez Yvernault et Cabin , libraire de
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marques et des notes , suivies d'un abrégé de syntaxe , d'analyse
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francde port. Chez les mêmes libraires .
AVIS. -L'inauguration de la nouvelle salle des exercices du Conservatoire
linpérial , aura lieu dimanche 30 juin , par un concert
extraordinaire , dans lequel seront entendus Mmes Branchu , Himm ,
Duret , Boulanger ; MM. Nourrit , Dérivis , etc.
ERRATA pour le dernier No.
Page 528 , Ire ligne , Nouveau Système des Tems , defeu Gibon ,
lisez defeu Gitert .
Même page , ligne II , continué et achevé par le fils de Giboni,
lisez continué et achevé par le fils de Gibert.
D
MERCURE
DE FRANCE.
5.
cen
N° DXIX . - Samedi 29 Juin 1811 .
POÉSIE .
L'ORACLE DU JANICULE ,
POÈME SUR LA NAISSANCE DE S. M. LE ROI DE ROME.
N. B. Le mont Janicule a pris ce nom de Janus , roi des Aborigènes.
Les vieilles traditions y placent la ville de Saturnte , vis-à-vis
lacolline où fut ensuite élevé le Capitole : une partie du Janicule fut
enfermée dans l'enceinte de Rome par le roi Ancus Martius; mais
cettemontagne n'a jamais été comptée parmi les sept collines . Suivant
le témoignage de Tite-Live , le tombeau de Numa Pompilius fut découvert
sur le Janicule , cinq cent trente-cinq ans après la mort de ce
prince, et l'ony trouva , dans deux caisses couvertes enplomb , quatorze
livres attribués à Numa , les uns écrits en latin , ſes autres en
grec, sur du papyrus d'Egypte .
Onva visiter aujourd'hui, sur le Janicule , la villa Pamfili , d'où la
vue embrasse toute la ville de Rome et ses campagnes jusqu'à l'embouchure
du Tibre ; l'église de Saint-Pierre in Montorio , qui posséda
long-tems le chef-d'oeuvre de Raphaël , et la magnifique fontaine
Paolina, construite par les ordres de Paul V (de la maison Borghèse ) ,
pourverser àRome les belles eaux que Trajan y avait amenées du lac
Sabatin, appelé depuis lac de Bracciano .
Du sixième des mois la prentière journée
Annonçaitpar ses feux le midi de l'année;
L'été couvrait déjà de ses naissans trésors
La ville de Saturne , et ses fertiles bords
SEINE
00
578 MERCURE DE FRANCE ,
1
Oùjadis , consacrant sa noble idolatrie ,
Sous lenom des Césars , les Dieux de la patrie ,
Rome à sa propre gloire éleva des autels ,
Et du haut des sept monts régna sur les mortels.
Du sombre azur des cieux , sur l'Ausonie antique ,
Après un jour brûlant , une nuit poétique
Laissait tomber son ombre en mobiles rideaux ;
L'oeil poursuivait au loin , sur le flanc des coteaux ,
De l'insecte enflammé la tremblante lumière (1 ) ;
Et suivant dans les airs sa paisible carrière ,
L'astre aux páles rayons , ami du voyageur ,
Dans les champs altérés ramenait la fraîcheur.
Tandis qu'humide encor d'une vapeur féconde ,
La rêveuse clarté glisse et brille sur l'onde ,
Rend la vie aux rameaux par la chaleur flétris ,
Etde ses flots d'argent couvre ces vieux débris
Quides siècles muets ont raconté l'histoire ;
Un généreux amant des arts et de la gloire ,
Edmond, né sur ces bords , dans le seinde la paix ,
D'une Vierge du Tibre et d'un guerrier français ,
L'esprit pleindes grandeurs de sadouble origine ,
De la cité de Mars contemple la ruine.
Ilne peut s'arracher à ces nobles lambeaux :
Souvent il admira les chefs-d'oeuvre nouveaux
Qui, joignantpar les arts l'Italie et la Grèce ,
De la ville éternelle ont paréla vieillesse ;
Mais leur jeune beauté ne touche plus son coeur :
Ces arcs demi-rompus où le marbre vainqueur
Conserve des Héros la mémoire et l'image ,
Depensers plus hardis nourrissent son courage.-
•Cirque des Flavius , orgueil du peuple roi ,
> Monument d'un malheur , immense comme toi ,
> Quel prodige à mes yeux s'offre dans ton enceinte (2)1
> Le Dieu qu'elle aproscrit venge la Cité sainte;
(1) Les lucioles ou mouches à feu , très-communes dans l'Italie
méridionale et sur-tout dans les environs deRome , y présentent un
spectacle singulier pendant les nuits d'été.
(2) L'amphithéâtre de Flavius , vulgairement appelé le Colisée,
fut commencé par Vespasien , au retour de la guerre de Judée. Titus
l'ayant achevé après la destruction de Jérusalem , le consacra à la
mémoirede son père. Seize mille esclaves juifs y furent , dit-on, eJUIN
1811 579
► Les autels de Sion, dans tes remparts déserts ,
> Ecrasent l'aigle altier qui soumit l'Univers :
■ Ah ! ne pourrai -je voir ta splendeur ranimée !
> Des rivages du Nil , des champs de l'Idumée ,
• Quel nouveau Conquérant , t'apportant les tributs ,
> Te rendra tes honneurs par la main des vaincus !.
Ainsi parlait Edmond : sous la voûte poudreuse ,
L'écho seul entendit sa douleur généreuse.
La place où s'élevait le palais des Césars ,
Attriste encor son ame en frappant ses regards.
Là , de vingt monumens que vingt siècles noircissent ,
La gloire a disparu , les ruines périssent ;
Et de nouveaux débris sans cesse environnés ,
Les mânes souverains errent abandonnés .
Le temple d'Antonia ne reçoit plus d'hommages ;
Rome , du bon Trajan cherche en vain les images ;
En vain , il inspira les arts reconnaissans :
Sur le marbre animé les Daces frémissans ,
Ces aigles , ces captifs , ces autels , cette fête
Qui de l'Ister soumis célébrait la conquête ,
Tous ces nobles travaux , ô Fortune , ô Destin!
S'étonnent de parer le char de Constantin ,
Et , parmi les tributs offerts à sa puissance ,
Des arts dégénérés accusent l'indigence (3 ).
ployés pendant cinq ans : quoique à demi ruiné , c'est encore le plus
vastemonument del'ancienne Rome. Une croix debois et quatorze chapelles
érigées dans son enceinte attestent le triomphe de la religion
pour laquelle tant de martyrs y versèrent leur sang , et le préservent
de nouvelles dégradations . On sait que plusieurs beaux édifices de
Rome moderne ont été construits avec des marbres arrachés du Colisée.
(3) Les beaux bas-reliefs qui ornent l'arc de triomphe de Constantin
, appartenaient au forum de Trajan , et représentent divers
événemens de son règne : sa victoire sur Décébale , la tentative de ce
roi barbare pour assassiner son vainqueur , des sacrifices à Mars , à
Apollon , à Diane , etc. Le travail en est admirable ; au contraire ,
les sculptures qui sont du tems de Constantin , ne sont remarquables
que par la richesse des marbres , et contrastent avec les autres basreliefs
par le mauvais goût et la grossièreté de l'exécution . C'est sur
ćemonument que les antiquaires vont étudier l'histoire des progrès et
dela décadence des arts .
002
$30
MERCURE DE FRANCE ,
Tant la Victoire même a besoin des talens !
Cependant , vers le nord Edmond marche à pas lents;
Sous le rideau léger dont la nuit s'est voilée ,
Il découvre cet arc où Rome désolée ,
Plaçant au rang des Dieux les mânes de Titus ,
Osa,devant son frère , adorer ses vertus (4) .
Dans le Forum désert il pénètre en silence ;
Ses pas foulent encor sur ce théâtre immense ,
Dans la poussière épars , les Héros et les Dieux ;
Mais du moins , à leur gré , des tribuns factieux ,
D'un peuple impatient de ses grandeurs passées ,
N'y fout plus retentir leurs clameurs insensées.
Voilà ce Capitole , effroi de l'Univers ,
Qui vit les nations et les rois dans les fers ,
Attendre , consumés d'une rage profonde ,
L'ordre d'un Plébéien , chefdes maitres du monde.
Oh! combien de revers ont puni tant d'orgueil!
Sur ces débris noircis par la flamme et le deuil ,
Combiende conquérans et de hordes sauvages ,
Des Césars , des Brutus confondant les images ,
Ontbrisé sous le fer , dans les feux renaissans ,
Ces superbes Consuls et ces Dieux menaçans !
Dix siècles ont enfin relevé ces murailles :
Mais les efforts du tems , la fureur des batailles ,
Decent peuples rivaux les homicides jeux ,
Etdunorddébordé les torrens orageux ,
Et d'un culte nouveau la victoire immortelle ,
N'ont pu du Capitole exiler Marc-Aurèle (5) ;
Respirant sur le bronze au milieu des Romains ,
(4) L'apothéose de Titus , représentéedans le cintre decet are , est
une preuve qu'il fut érigé après la mort de ce Prince , et , par consé
quent, sous le règne de Domitien.
1 (5) La place du Capitole est ornée de la statue équestre de Marc-
Aurèle, que Paul V fit relever au lieu qu'elle occupe maintenant, sur
un piedestal d'un seul bloc de marbre tiré du Forum de Nerva.
Michel -Ange , qui fut chargé de la direction de ce travail , était , diton
, si frappé de la beauté de cette statue , et sur-tout du mouvement
du cheval , qu'il lui disait de tens en tems : « N'oublie pas que tu vis,
> marche. >
JUIN 1811 . 581
:
Il semble encor veiller au bonheur des humains :
Edmond mouille de pleurs cette image chérie .
Enfin , suivant toujours sa noble rêverie ,
Il descend vers le Tibre , et trouve sur ces bords,
D'un pêcheur inconnu les innocens trésors .
Les filets sont oisifs sur le rivage humide :
Mais à peine , entraîné par la pente rapide ,
Edmond touche la nef, prompte à le recevoir ,
Obéissant peut- être à ce fatal pouvoir
Qu'adorait autrefois l'antiquité crédule ,
Lebois flottant le porte au pied du Janicule .
Plein d'un espoir secret , le jeune audacieux
Gravit sur les hauteurs du mont silencieux ;
Etdéjà dans la nuit son ardeur égarée
Touchait , sans le savoir , à la tombe ignorée .
Où le sage Numa , loin des yeux des Romains ,
Fitdéposer sa cendre et ses livres divins.
La lune avait caché son flambeau tutélaire ,
Lorsque sous une voûte antique et solitaire ,
Une Voix , qu'accompagne un luth harmonieux ,
Vient frapper son oreille et monte vers les Cieux.
Etonné , mais tranquille , il écoute et s'arrête.
•Parais , disait la Voix , jour de gloire et de fête !
> Remplis de ta splendeur l'Univers qui t'attend ;
> La Vierge du Danube , en cet heureux instant ,
> Unie au Demi-Dion des rives de la Seine ,
›Consacre le berceau de la grandeur romaine ,
> Et Paris voit renaitre au sein de ses remparts
> L'empire et l'héritier des antiques Césars .
> Salut , jeune immortel ! Salut , toi dont l'enfance
›Rayonne de beauté ,de gloire et d'espérance !
>Roi du monde soumis au sceptre paternel ,
>Reçois du genre humain le tribut solennel.
> Tes yeux àpeine ouverts à la clarté céleste ,
>Des orages passés ont dissipé le reste :
> C'est toi qui fus jadis promis à notre amour,
> Lorsque du siècle d'or annonçant le retour,
> Les poëtes sacrés , sur la foi d'un augure ,
■ Aux lois d'un fils d'Octave enchainaient la nature :
6
›Né d'un père plus grand , sous des astres plus doux,
> Tu seras Marcellus; et les destins jaloux
582 MERCURE DE FRANCE,
> Respecteront l'éclat de tes belles années ;
> Au bonheur de l'Empire elles sont destinées;
→Mais ce bonheur dépend de ton coeur généreux .
> Vainement de ton joug les peuples amoureux ,
> Du siècle qui t'appelle , adorent les prodiges :
→ Né sur le trône , hélas ! redoute ses prestiges;
> Redoute des flatteurs la séduisante voix :
> Enfant , elle t'élève au-dessus de ces Rois
> Qui des chantres divins ont rempli les oracles ;
> Que dis-je ! en ta faveur prodigue des miracles
> Que le Ciel , inflexible en ses vastes desseins ,
› Ne daigne qu'une fois accorder aux humains ,
>Elle ose t'annoncer qu'en un règne prospère ,
→ Ta gloire égalera la gloire de ton père.
> Fils de NAPOLÉON ! crains ces douces erreurs :
> Ton père , des partis enchainant les fureurs ,
> Leur imposa le frein de ses lois vigilantes :
> Les Princes malheureux trouvèrent sous ses tentes
> Un ami sans faiblesse , un appui sans dédain :
> Des plaines de Memphis , des rives du Jourdain ,
> Aux lieux où l'Océan dans ses grottes profondes
> De l'Elbe et de l'Oder reçoît les froides ondes ,
> Appelant les vaincus sousses heureux drapeaux ,
>Créateur et soutien de vingt Etats nouveaux ,
› Sa voix leur commanda , pour prix de sa victoire ,
> D'écouter la raison , d'aspirer à la gloire ;
>D'un ennemi perfide arrêtant les complots ,
> Son génie exila sur l'abime des flots ,
> Dans cette île où mugit le Démon de la guerre ,
› Les Bretons séparés du reste de la terre :
> Unis sous ses lauriers , les Français , les Romains ,
> Virent renaître en lui leurs plus grands Souverains.
→ On n'égalera point ce sublime modèle :
> O Prince , de ses pas suis la trace immortelle ;
> L'avenir qu'il te laisse est encore assez beau ,
> Si du nom paternel tu soutiens le fardeau ;
> Si tu chéris la paix , conquise par ses armes.
> Des Muses qu'il aima connais aussi les charmes
> Libres filles du Ciel , leurs pas indépendans
>Ne sont point enchaînés au char des conquérans ;
aOnne peut commander à leur voix indoeile :
1
1
---
JUIN 1811 . 583
> Legénéreux Trajan méritait un Virgile ,
> Il n'en eut point : qui sait siRome et les beaux-arts
> Ne verront pas en toi ie second des Césars ,
> Et si , dans les transports de leur reconnaissance ,
> Ils n'égaleront pas ta gloire à tanaissance ! »
Cesmots furent suivis d'un silence profond.
L'aurore paraissait ; l'impétueux Edmond ,
S'élançant aussitôt sous le sombre portique ,
Vers le lieu d'où partait cette voix prophétique ,
Aperçoit un vieillard au front calme et serein ;
Sa barbe en flots d'argent descendait sur son sein;
De l'arbre de Pallas la feuille pálissante
Serpentait sur les bords de sa robe flottante ,
Et , d'un coeur sans orage emblême fortuné ,
S'unissait sur sa tête au laurier de Daphné.
Son regard était plein d'avenir et d'ivrese :
Tels on dit qu'autrefois la poétique Grèce ,
Dans les bois de Délos et du sacré vallon ,
Voyait souvent errer les prêtres d'Apollon.
A l'aspect de celui dont il trouble l'asile ,
Muet d'étonnement , Edmond reste immobile;
Un respect invincible enchaine son ardeur.
Mais le vieillard , qui lit dans le fond de son coeur ,
S'éloigne , et le laissant dans ces riches campagnes ,
Luimontre encor du doigt la ville aux sept montagnes.
Quel prodige nouveau soudain frappe ses yeux !
Les feux du jour naissant s'étendaient dans les cieux ;
L'Olympe s'embrasait de leur clarté féconde :
Tout-à-coup , du sommetde ce temple du monde,
Offert par laVictoire à tous les Immortels ,
Qu'Agrippa triomphant remplit de leurs autels (6) ,
Au-dessus dela nue et des regards de l'homme ,
S'élève dans les airs l'ombre immense de Rome ;
Non telle qu'autrefois , les yeux baignés de pleurs ,
Pâle , et le front chargé de mortelles douleurs ,
- (6) Le Panthéon. C'est le chef-d'oeuvre de l'architecture romaine
: il fut bâti par Marcus Agrippa , gendre d'Auguste , en mé
moire de la bataille d'Actium , et consacré d'abord à Mars et à Jupiter
Vengeur , ensuite à Cybèle , mère de tous les Dieux , qui curent
chacun leur statue dans ce temple célèbre..
584 MERCURE DE FRANCE ,
:
Du faibleRubicon défendant lepassage ,
Elle vint à César présenter son image ;
Mais fière d'opposer à l'injure des ans
Et sa splendeur passée et ses honneurs présens ;
Indiquant d'une main , sur la pierre brisée,
Toute sa gloire antique écrite au Colisée;
Et de l'autre , fondant sa moderne grandeur
Sur vingt peuples soumis à l'anneau du pêcheur ,
Qui , dans son temple saint , adorateurs fidèles .
Viennent de tous les arts admirer les modèles.
Tandis qu'avec effroi , d'un oeil religieux ,
Edmond contemple au loin ce fantôme orgueilleux ,
Voiçi que dans les airs , sur la ville étonnée ,
Deux aigles font voler le char de l'Hyménée ;
La Victoire et l'Amour s'y tenant par la main ,
Veillent sur un berceau , l'espoir du genre humain :
L'ombre auguste , qui touche au séjour du tonnerre .
Le reçoit dans ses bras pour le rendre à la terre ;
Elle descend , d'un signe entr'ouvre les remparts ,
Et va le déposer sur l'autel des Césars.
Ace bienfait des Cieux, garant de leur promesse ,
Rome de ses transports fait éclater l'ivresse ;
L'airain tonnant au loin sur le Tibre écumant ,
Ebranle d'Adrien le vaste monument (1 ) :
De leurs tombeaux sacrés secouant la poussière ,
LesMânes des héros ont revu la lumière ;
Et le feu de Vesta , par le tems consumé ,
Dans sontemple désert soudain s'est rallumé.
Cependant averti par les foudres romaines ,
Des champs du Latium , de ses monts , de ses plaines ,
Oncourt à la cité partager ses transports.
Dupaisible Liris les uns quittent les bords ;
Les autres , comme aux jours des premiers sacrifices ,
Des rives du Clitumne amènent les génisses ,
Et couronnent de fleurs les taureaux mugissans .
Entendez- vous hennir les coursiers frémissans ?
On laisse de Tibur les bruyantes cascades ,
Etdu frais Tusculum les douces promenades;
(7) Aujourd'hui le château Saint-Ange.
JUIN 1811 . 585
Tout s'empresse , tout part : Edmond respire enfin ,
De la ville et du monde il connait le destin ;
Heureux et noble enfant de Rome et de la France ,
Il court mêler ses voeux à ceux du peuple immense
Aqui le Ciel propice accorde un si beau jour ,
Et s'enivre avec lui d'espérance et d'amour .
PAR J. ESMÉNARD ,
Membre de l'Institut impérial de France et de
PAcadémie de Marseille.
ÉNIGME .
Je suis bâton ; l'on me brûle , et des larmes ,
Larmes de feu , découlent de mon corps ,
Sur un corps blanc : mon maître alors
Cherche à les étouffer , en apposant ses armes
Sur cet amas de pleurs qui se sèche aussitôt.
Changeant de destinée on me verra bientôt ,
Du secret des mortels discret dépositaire ,
Enposte parcourir l'un et l'autre hémisphère.
Mystérieusement enfin
J'arrive ; mais , hélas ! quel sera mon destin!
Pour prix de mes travaux , pour prix de mes services ,
Onseporte envers moi à de nouveaux sévices .
Mon nouveau maître , à me saisir trop prompt ,
Sans pitiéme brise , me rompt;
Il surprend mon secret ; victime infortunée !
Cet innocent aveu
Ne pourra me soustraire au supplice du feu ;
Aux flammes tôt ou tard je serai condamnée.
S........
LOGOGRIPHE .
Je suis avec sept pieds réduit au tiers commun;
Je reste entier si vous m'en ôtez un.
$........
586 MERCURE DE FRANCE , JUIN 1811 .
CHARADE .
POURmonpremier , chacun le porte ,
Et l'âne et l'homme aussi ,
Chacunde telle ou telle sorte ,
Sans en avoir autrement de souci.
Nécessaire à tous mon dernier
Suffit pour porter mon entier.
S........
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARADE
insérés dans le dernier Numéro.
Le mot de l'Enigme est Sel.
Celui du Logogriphe est Proue, où l'on trouve : roue etpou.
Celui de la Charade est Corail.
LITTÉRATURE ET BEAUX -ARTS .
VOYAGE EN ALLEMAGNE ET EN SUEDE , contenant des
observations sur les phénomènes , les institutions ,
les arts et les moeurs , des traits historiques , des anecdotes
sur les hommes célèbres de cette contrée , et le
tableau de la dernière révolution de Suède ; par J. P.
CATTEAU , auteur du Tableau des Etats danois . -
Trois volumes in-8 ° . — A Paris , chez J. G. Dentu,
imprimeur- libraire , rue du Pont-de -Lodi .
Le goût du public , pour les relations de voyages ,
n'est point équivoque ; après les romans , ce sont de tous
les livres ceux dont le débit est le plus prompt et le mieux
assuré. La raison en est simple . Ce genre d'ouvrage
réunit l'agrément à la solidité ; il offre de quoi satisfaire
la curiosité des gens instruits et dissiper l'ennui des
lecteurs frivoles ; nulle part le goût le plus blasé ne
peut espérer de rencontrer une variété aussi piquante .
« L'attention du voyageur , dit M. Catteau dans sa préface
, peut se porter sur un grand nombre d'objets inté →
ressans ; elle rencontre tour- à- tour les productions de la
nature , les travaux de l'industrie , les chefs -d'oeuvre des
arts , les lois et les usages qui caractérisent les peuples.
Les souvenirs historiques n'offrent pas moins d'intérêt ;
ils lient le présent au passé , le monde physique au
monde moral . Sur les bords des fleuves , l'histoire indique
le premier établissement des tribus humaines et le berceau
de la civilisation ; près des monumens , elle rappelle la
gloire des grands hommes et les révolutions des Empires ;
partout elle fait apercevoir les traces des talens ou des
passions , et l'empreinte des siècles qui tantôt créent et
perfectionnent , tantôt altèrent et détruisent. » Quelle
variété d'aspects , et de quel intérêt chacun est susceptible !
aussi souvent un pays considéré sous un seul de ces rapports
a-t-il fourni au voyageur des moissons aussi abon588
MERCURE DE FRANCE ,
dantes qu'utiles . Nous avons des voyages géologiques et
des voyages pittoresques ; nous en avons de consacrés à
la botanique, aux antiquités , à la politique , au commerce,
et tous offrent plus ou moins d'intérêt. Ces voyages
où l'auteur s'occupe exclusivement d'enrichir telle ou
telle branche de nos connaissances , sont même en général
ceux où les sciences et les arts ont le plus à gagner; ce
sont ceux que l'on doit recommander plus particulièrement
aux savans et aux artistes . Les voyages qui embrassent
une grande diversité d'objets ne peuvent en traiter
aucun avec la même étendue : mais d'un autre côté ils
offrent par cette variété même un ample dédommagement
au grand nombre des lecteurs. L'homme qui , sans
être savant ou artiste de profession, veut avoir des notions
exactes sur les différens pays que les voyageurs visitent ,
n'a pas le tems de lire de nombreux volumes sur chacun
deces pays : ce sont des résultats qu'il demande , et il
dispense volontiers les auteurs de produire leurs pièces
à l'appui . Il cherche moins dans les contrées qu'il veut
connaître l'aspect physique que l'aspect moral. Le plan
d'un voyageur qui aspire à être lu de cette classe nombreuse
, doit embrasser de préférence les institutions sociales
, les moeurs , les lois , les lettres et les arts : il doit
admettre les traits historiques , les anecdotes , les anciennes
traditions . L'auteur n'y doit observer la nature
que dans ses grands phénomènes et non dans ses petits
détails; il doit enfin ne parler des sciences que dans les
termes connus de ceux qui n'y sont que légèrement initiés
. Un tel ouvrage , il est vrai , n'ouvrira point au
voyageur la porte des Académies , mais s'il est écrit avec
simplicité , si un jugement sain , des opinions sages , un
esprit éclairé s'y manifestent , il lui conciliera l'estime et
la bienveillance de ses lecteurs .
Tel est en effet le plan , telle est l'exécution du nouveau
Voyage en Allemagne et en Suède que vient de
nous donner M. Catteau , déjà connu d'une manière trèsavantageuse
par son Tableau des Etats Danois. Il s'embarque
à Copenhague sur un paquebot pour se rendre
àKiel. Retenu pendant quelques jours par les vents à la
vue des côtes d'Allemagne sans pouvoir y aborder, il
JUIN 1811 . 580
profite de cet intervalle pour tracer un aperçu rapide des
révolutions de ce pays . Ennuyé de tenir la mer, il se
décide à prendre terre à Femmern , petite île peu connue,
mais intéressante par ses moeurs patriarchales , et il
nous en donne une courte description. Ayant enfin abor
dé le continent germanique , notre voyageur arrive à
Eutin et n'oublie rien de ce qui rendait , il y a quelques
années , cette petite ville une des plus remarquables de
l'Allemagne : le séjour d'un prince éclairé , la réunion
de plusieurs littérateurs du premier ordre , la beauté pittoresque
de ses environs. La montagne de Segeberg
fournit ensuite à M. Catteau quelques observations géologiques
fortjudicieuses. De là il se rend à Hambourg , et
nous abrége la route par une courte histoire de la ligue
anséatique . Hambourg l'arrête ensuite assez long-tems .
L'aspect de cette ville et de ses environs , l'ancienneté et
l'étendue de son commerce , le caractère de ses habitans,
la sagesse de ses institutions de bienfaisance, les phénomènes
que présente l'Elbe à l'époque des grandes marées,
étaient autant d'objets qu'il ne pouvait négliger. Les
grands hommes que Hambourg a vu naître ou qui ont
habité ses murs ne pouvaient pas non plus être passés
sous silence , et parmi eux se trouvent Hagedorn et
Klopstock . M. Catteau est sur-tout entré dans des détails
curieux sur le chantre du Messie. Peut-être n'a-t-il pas
indiqué toutes les causes qui ont influé sur le développement
de son génie ; mais nous croyons que le jugement
qu'il nous donne de son chef-d'oeuvre ne serait pas désavoué
, même en Allemagne , par les critiques de bonnefoi.
C'est en mêlant ainsi les récits aux descriptions , les
observations aux anecdotes , que M. Catteau nous fait
parcourir la plus grande partie de l'Allemagne . Il se rend
de Hambourg , par Osnabruck et la Hollande , sur les
bords du Rhin. Il remonte ce fleuve jusqu'à Manheim ,
suit le Danube jusqu'à Vienne , traverse la Saxe, le Brandebourg
, la Pomeranie , et s'embarque de nouveau pour
se rendre en Suède après avoir visité l'île de Rugen. Ce
qui plaît sur-tout dans la manière de voir de notre voyageur,
c'est son équité , son impartialité scrupuleuse. Il
i
590 MERCURE DE FRANCE ,
ne fait ni la satyre ni le panégyrique des peuples ; il
rend justice à leurs bonnes qualités, il indique légèrement
leurs défauts . Il n'appartient d'ailleurs à aucun
des deux partis qui se disent exclusivement , l'un religieux
, l'autre philosophique. M. Catteau reconnaît que
le christianisme et les moines qui en furent les apôtres
dans l'Europe septentrionale purent seuls y porter la
civilisation ; il va presque jusqu'à excuser Charlemagne
de son obstination à convertir les hordes saxonnes : c'é--
tait selon lui le seul moyen de les arracher à la barbarie ,
et de propager par eux les institutions sociales chez les
peuples Vendes et Slavons . Mais il reconnaît également
qu'à l'époque de la réforme les successeurs des premiers
missionnaires n'étaient plus dans le nord de l'Europe que
de riches fainéans ; il ne décrit pas moins le changement
qui se fit alors dans ces contrées comme une opération
politique qui sans déchiremens et sans secousse fut
extrêmement utile à l'Etat.
La littérature allemande est encore un de ces objets de
discussion sur lesquels M. Catteau s'est exprimé avec la
plus louable impartialité. Il rend justice à l'étendue , au
mérite des travaux de nos voisins , non-seulement dans
les sciences , mais dans la littérature . Leurs poëtes et leurs
moralistes , dit- il , ont produit plusieurs chefs d'oeuvre
que les nations étrangères se sont appropriés par des traductions;
mais il ajoute : « Les ouvrages allemands
seraient encore plus répandus et se rapprocheraient davantage
du goût général , si les idées avaient plus d'étendue
et de méthode , le style plus de clarté et de précision ;
si le grand nombre des écrivains distinguaient avec plus
de soin la profondeur de l'obscurité , le sublime du
gigantesque , l'énergie de la rudesse , le sentiment des
illusions sentimentales , la philosophie qui prend l'observation
pour guide et qui borne son ambition à saisir des
rapports accessibles , de celle qui se nourrit d'abstractions
incertaines dont les résultats peuvent varier au gré de
l'imagination . » Cette critique est en général très-juste ;
peut-être même ne laisserait-elle rien à désirer , si l'auteur
s'était expliqué plus clairement sur la philosophie
qu'ilapprouve et sur celle qu'il condamne. Le philosophe
JUIN 1811 . 5gr
doit sans doute commencer par l'observation , mais sans
le secours des abstractions on ne va pas loin en métaphysique.
La Suède , où M. Catteau nous conduit en quittant
l'Allemagne , n'est pas à beaucoup près aussi connue;
dans cette partie de son ouvrage , il a beaucoup plus
souvent que dans la première le mérite de la nouveauté.
Au reste , la marche qu'il suit est toujours la même. Il
nous fait parcourir toutes les provinces de la Suède ,
depuis la Scanie , qui borde le Sund , jusqu'à la Norlande
qui touche au cercle polaire. Partout il décrit les
sites , les édifices , les monumens; il peint le caractère et
les moeurs des hommes ; il recueille les anecdotes historiques
et ne néglige rien de ce qui peut captiver notre
attention . Nous regrettons de ne pouvoir le suivre sous
ce ciel si beau tout-à-la- fois et si rigoureux , au milieu
de cette nature tantôt stérile et sauvage , tantôt cultivée
et féconde , mais toujours pittoresque , toujours attachante;
parmi ce peuple à qui sa bravoure et sa politesse
ont fait donner le titre de Français du Nord. Le trône de
Suède a été illustré par une suite de rois grands hommes
que peu d'autres pays peuvent égaler ; et la population
très-bornée de ce royaume a fourni aux sciences et aux
lettres plus d'hommes illustres que l'on n'était en droit
de l'espérer. Plusieurs de ces hommes n'ont besoin que de
leur nom pour éloge . Tout le monde sait , dit M. Catteau
, ce que la chimie , la physique , l'histoire naturelle
doivent aux travaux de Linné , de Valérius , de Cronstedt,
de Bergman , de Scheele , de Solander. Mais il en est
d'autres dont la réputation est moins répandue , et ce
sont ceux-là que M. Catteau s'attache à nous faire connaître
avec le plus de soin. Tels sont , dans les sciences ,
le géomètre Klingenstiern , qui perfectionna l'optique et
dirigeales travauxdu célèbre Dollond, et Vargentin, habile
astronome à qui l'arithmétique politique a les plus grandes
obligations : tels sont dans les lettres Dalin et Kielgren ,
l'un poëte et historien , l'autre poëte et philosophe. Les
détails que nous donne M. Catteau sur leur caractère et
leurs ouvrages sont aussi curieux que satisfaisans .
C'est par la Finlande que notre auteur termine son
592
MERCURE DE FRANCE ,
voyage ; cette province , séparée aujourd'hui de la Suède ,
fut , comme chacun sait , le théâtre de la dernière guerre
entre les Russes et les Suédois , de cette guerre qui,
soutenue avec une inconcevable opiniâtreté par Gustave
IV , devint la cause de sa déposition . Ces événemens
étaient jusqu'ici peu connus en France , et
M. Catteau saisit de la manière la plus heureuse l'occasion
de les raconter . Son bon esprit se manifeste ici
comme dans tout le reste de son ouvrage ; il écrit sans
passions et sans préjugés ; et tout en exposant les funestes
erreurs du monarque dépossédé , il garde envers lui ces
nobles égards qu'un sage écrivain doit toujours conserver
envers la majesté déchue .
Il ne nous reste plus , pour faire connaître les différentes
parties dont l'ouvrage de M. Catteau est composé,
qu'à indiquer un tableau des dynasties suédoises qui le
termine. Ce tableau comprend toute l'histoire de Suède
depuis les tems les plus reculés jusqu'à nos jours ; il est
tiré des meilleurs ouvrages suédois , et en particulier de
celui du baron de Rosenhane , secrétaire -d'état et membre
de plusieurs Académies . On ne peut donc douter que
M. Catteau en le publiant n'ait rendu un véritable service
aux écrivains qui s'occupent de chronologie et de
généalogie , de même qu'en publiant ses voyages il a
fait un véritable cadeau à la partie très- nombreuse du
public qui fait son amusement de cette sorte de lecture .
M. B.
LA FRANCE SOUS SES ROIs . Essai historique sur les causes
qui ont préparé et consommé la chute des trois premières
dynasties ; par A. H. DAMPMARTIN . -A Lyon , chez
Mme Buinand , née Bruyset, libraire . - A Paris , chez
Lenormant , imprimeur-libraire , rue de Seine , nº 8 .
( TROISIÈME EXTRAIT. )
Nous avons autrefois suivi avec un véritable intérêt
M. de Dampmartin dans l'application constante qu'il
s'est proposé de faire de toute l'Histoire de France à
JUIN 1811 . 593
samaxime fondamentale qu'un roi brise son sceptre alors
qu'il dépose son épée. L'auteur
à nos yeux les annales presqu indéchiffrables des pre
EINE a commencé par
derouleton
miers tems de la monarchie; on les voit s'éclaircir peu à
peu à mesure qu'on approche de la magnifique et mémorable
époque de Charlemagne , ce phénomène des
siècles barbares , et dont le règne nous est présenté par
Thistoire comme une figure prophétique des destins
faturs de la France. Nous avons vu ensuite les successeurs
de cet homme prodigieux , jusqu'à l'avenement
d'Henri IV , fournir à M. de Dampmartin tantôt par leur
mollesse , tantôt par leur courage , plus de preuves négatives
ou positives qu'il n'en fallait pour démontrer la
vérité de sa maxime . Il nous reste maintenant à nous
occuper de ce héros vraiment français , le conquérant
de son patrimoine , l'ami sincère de sa nation , et le
favori de la postérité .
La touchante immortalité qu'un amour inextinguible
assure au bon et brave Henri , avertit tous les souverains
du prix réservé à ceux d'entre eux qui sauront , qui
voudront , qui oseront régner , et qui , de sang froid ,
au milieu des tempêtes politiques , auront su comme lui
faire de leur épée l'ancre du vaisseau de l'Etat. M. de
Dampmartin semble mettre une complaisance particulière
à nous remontrer ce demi-dieu français tel en tout
point que nos ancêtres l'ont vu , et paraît même contrarié
lorsqu'il lui revient en pensée quelques- unes de
ces saillies toujours charmantes , qui ne peuvent être
que d'Henri IV, et qu'il ne se permet point de nous en
faire part, sous prétexte que l'histoire les trouverait audessous
de sa gravité : mais on lui pardonnerait de
n'être point là-dessus plus scrupuleux que son héros , ét
je ne sais même si l'on n'aime pas tout autant les traits
qui distinguent notre bon Henri des autres grands hommes
, que ceux qu'il a de commun avec eux. Il ne faut
pas croire néanmoins que ces différences - là soient
toutes à son avantage , souvent ce sont de légères
irrégularités , quelquefois même de vraies taches ;
mais la plupart semblables à certains accidens dans
une pierre précieuse , qui la caractèrisent et qui don-
Pp
1
594 MERCURE DE FRANCE ,
ment la certitude que dans aucun autre trésor il n'en
existe une pareille . C'est ainsi qu'il nous montre ce
caractère extraordinaire où la perfection domine , et
où , jusqu'aux imperfections , tout a un charme dont la
sévérité même ne peut pas se défendre , sur-tout chez
un peuple glorieux d'y reconnaître son type national.
Aussi voyons- nous M. de Dampmartin plus rapproché
encore que beaucoup de Français par sa patrie , de la
patrie d'Henri IV , l'observer avec complaisance dans
toutes les phases de sa vie , montrant déjà de la prudence
dans l'âge des étourderies , montrant encore de
l'étourderie dans l'âge de la prudence ; faible contre la
séduction ( on entend bien laquelle) , ferme contre
la résistance ; ami aussi solide qu'amant impétueux et
léger ; aussi habile administrateur que vaillant capitaine;
aussi grand roi qu'aimable homme ; plus gai de tems en
tems qu'il ne convient peut-être, au diadème , et plus
imposant dans l'occasion qu'on ne l'attendrait de tant de
gaîté . Mais nous oublions et ses exploits , et ses, talens ,
et sa vivacité , et sa grâce , lorsque l'écrivain nous fait
lire au fond de ce coeur adorable , et que nous nous
représentons le premier guerrier de son tems aidé de
son ami Sully , concertant , avec la reine Elizabeth , le
plan d'une paix perpétuelle ; alors c'est plus que,de l'admiration
, c'est comme une reconnaissance personnelle
qui , après deux siècles , arrache encore des larmes au
lecteur. M. de Dampmartin essaye en vain , tout en
applaudissant à l'intention du héros , de nous démontrer
Impossibilité du projet. Ce qu'Henri avait conçu , ce
que Sully avait médité , ce qu'Elizabeth avait adopté
(trois grands hommes ) , ne saurait être absolument
une chimère ; mais le genre humain n'est malheureusement
pas d'humeur à prendre une aussi bonne résolution
, à moins qu'on ne l'y force ; et c'est un bienfait
que le monde entier ne peut attendre que de son vainqueur.
-2
On ne se lasse pas de considérer avec un intérêt toujours
nouveau cet accord singulier de tant de qualités et
de mérites si différens , j'ai pensé dire si opposés , dont
se compose le caractère d'Henri IV ; franchise , finesse,
JUIN 1811 ! 595
gaîté , majesté , bonhomie , chevalerie , etc. , et voilà
pourquoi , malgré tous les défauts dont il s'accuse luimème
, il l'emporte dans notre pensée sur beaucoup de
personnages peut-être plus accomplis que l'histoire propose
à notre admiration , comme en plus d'une occasion
la physionomie l'emporte sur la beauté.
Plaignons l'historien que l'ordre des choses force à se
distraire de la gloire aimable et , pour ainsi dire , enjouée
d'Henri IV , pour nous occuper des molles fluctuations
de Louis XIII et des sombres conceptions de son redoutable
ministre. C'est sortir , en quelque sorte , d'un
jardin rempli de fleurs et de fruits pour entrer dans
des ronces et des épines . Ce n'est pas que Louis XIII
fût absolument dépourvu de qualités estimables , il voulait
le bien de l'Etat ; il joignait à une bravoure poussée
jusqu'à la témérité , un esprit assez droit , quelque idée
de justice , un désir suffisant de gloire , et même une
affection sincère pour son peuple. Pourquoi donc n'estce
pas lui qui a régné pendant son règne ? C'est qu'il
manquait un amalgame à ces bonnes qualités ; et cet
amalgame , c'est le caractère. Alors ils ne faut pas s'étonner
que l'inflexibilité du cardinal ait paru au monarque
lui-même un correctif nécessaire à son défaut
capital , comme certaines tailles incapables de se soutenir
ont besoin du corselet de fer qui les meurtrit.
On a peine à se représenter entre Henri IV et Louis XIV
un roi qui aurait passé cent ans sur le trône sans sortir
de minorité , à côté d'un maire du palais qui semble avoir
gouverné sous la dictée de Machiavel ; mais quand
M. de Dampmartin n'épargne ni au faible roi , ni au cardinal
régent , aucun des reproches qu'ils ont trop bien
mérités , on est étonné que de pareils élémens produisent
de pareils résultats .
En effet , tout lecteur qui embrassera d'un coup-d'oeil
les trente-trois années du règne de Louis XIII , etsur-tout
les vingt- trois du ministère de Richelieu , verra des mesures
bien prises , des opérations bien conduites , des
actions d'éclat , des victoires sur terre et sur mer , de
grands généraux à la tête des armées , des hommes expérimentés
dans les affaires , de sages magistrats , d'ha
Pp 2
696 MERCURE DE FRANCE ,
biles négociateurs , d'excellens artistes , des écrivaine
supérieurs , des institutions utiles , tous les partis abattus
, les derniers germes des discordes publiques étouffés ,
la tranquillité assurée au dedans , le respect imprimé au
dehors , l'intérêt de l'Etat bien ou mal entendu pour
premier objet dans toutes les délibérations , pour premier
mobile dans toutes les entreprises , un grand plan
fidélement suivi et complétement rempli ; en un mot,
•tout ce qui peut donner l'idée d'un beau règne , auquel
il ne manque , le dirai-je? qu'un roi .
Le règne presque séculaire de Louis XIV a de quoi
effrayer l'historien qui ose entreprendre de le raconter.
Il y a tant de choses à dire , et tant à dire sur chaque
chose ! on est si bien instruit de tous les faits , on connait
si bien tous les personnages qu'on ne peut rien
apprendre à personne , et , chose extraordinaire , on en
sait trop sur chaque point pour être vraiment sûr de ce
qu'on sait. Voulez-vous discuter , chercher les causes ,
les motifs , les influences qui ont amené ou modifié ces
grands événemens , l'esprit s'y perd , tous les avis différens
sont autant de fils qui se croisent et qui vous
arrêtent , l'ensemble est un palais , les détails sont un
labyrinthe.
Mais pendant que ces belles pages de nos annales se
confondent dans la mémoire , le Sésostris français reste
toujours présent à toutes les imaginations , et son règne
est , en quelque sorte , celui de la France. On croit voir
un astre majestueux se lever entre des brouillards que
bientôt il dissipe , s'emparer par degrés de tout le ciel,
s'y environner d'une foule d'astres inférieurs qui lui
prêtent leur lumière et qui reçoivent de lui plus déclat ;
il plane ainsi quelque tems dans sa splendeur , et descend
ensuite privé de ses rayons entre des vapeurs et
des nuages qu'il a pompés dans son midi , et qui prédisent
des jours moins heureux. Lorsqu'on lit dans la
France sous ses Rois , cet enchaînement varié de troublés
, de prospérités , de triomphes , de revers , de désastres
, cependant suivis de quelques retours de fortune,
on voit à quoi tient le sort des empires , et que le nau
JUIN 1811 . 597
fragen'est jamais total tant que le pilote tient la main au
gouvernail.
On n'a jamais disputé à Louis XIV d'être un grand
roi , mais on lui a quelquefois refusé le titre de grand
homme , et c'était avec une grande injustice ; car on ne
peut être un grand roi sans une vraie grandeur personnelle
, et quelle figure ferait un homme d'une taille ordinaire
, sous l'armure , ou seulement sous la parure d'un
géant ? Il fut , dira-t-on , entouré d'une multitude de
grands hommes en tout genre qui fourmillèrent en
France à cette époque , et il leur dut son éclat ; mais ce
fut en même tems lui qui les mit en lumière , et par la
même un monarque acquiert toujours une juste part au
mérite des hommes à talent qu'il emploie , comme il
prélève un juste tribut sur les richesses qu'il répand. Il
s'est commis de grandes fautes sous ce règne , et ces
fautes ont entraîné de grands malheurs ; mais ces malheurs
, du moins , ont montré une nation qui a toujours
espéré dans son roi , un roi qui a toujours espéré dans
sa nation ; la confiance alors a succédé à l'orgueil , et
l'honneur a remplacé la gloire .
Nous n'entrerons ici dans aucune de ces particularités
que M. de Dampmartin sait si bien choisir , tantôt dans
l'histoire , tantôt dans les mémoires du tems . Il nous fait
vivre un moment avec ces modèles immortels en tout
genre , qui ont illustré le règne de Louis XIV par leurs
exploits , par leur sagesse , par leur génie , par leurs
talens , et même par leurs graces ; et le monarque est
peint lui-même à chaque pas de son immense carrière ,
tantôt dans les camps , tantôt dans les conseils , tantôt
dans les fètes , tantôt dans son intérieur , conservant
toujours ce type auguste , cette grace vraiment royale
qui fixait les regards , subjuguait les esprits et enflammait
les courages .
On a dit autrefois qu'aucun souverain n'avait aussi
bien joué son rôle que Louis XIV : il fallait ajouter que
ce rôle , c'était lui qui l'avait fait , puisqu'il ne l'avait
point appris. Il a eu des faiblesses; mais ces faiblesses
aussi , comme celles de Jupiter , ont eu de la grandeur .
H a fait de mauvais choix , il les croyait bons ; l'amitié
598 MERCURE DE FRANCE ;
l'aveuglait , et l'amitié porte son excuse avec elle; la
senti s'écrouler sa puissance , il a conservé sa dignité ;
et l'univers l'a vu ferme dans ses malheurs , comme une
citadelle inexpugnable au milieu d'une ville demantelée.
BOUFFLERS .
7
LE PARADIS , poëme du Dante , traduit de l'italien ,
précédé d'une introduction , de la vie du poëte , suiyi
de notes explicatives pour chaque chant, et d'un catalogue
de quatre-vingts éditions de la Divine-comédie
de cet auteur ; par un membre de la Société Colombaire
de Florence , de la Société royale de Gothingue,
et de l'Académie de Cortone .---- Un volume in-8°.
- A Paris , chez Trcuttel et Wurtz , libraires , rue de
Lille , nº 17 ; et à Strasbourg , même maison de commerce
.
Le Dante est du petit nombre de ces hommes rares
et supérieurs qui , sans modèles , sans maîtres , et sans
autre guide que leur génie , ont su s'élever à tout ce
que l'esprit humain a de plus grand. L'Italie peut dire
de lui ce que la Grèce a dit d'Homère , qu'il créa le goût
et inventa la poésie. A l'époque où il naquit , l'Europe
était encore plongée dans la barbarie. L'imprimerie
n'était point découverte , la langue était informe et
grossière , et l'unique étude des hommes éclairés était
une théologie scholastique et pointilleuse. Un petit
nombre de poëtes avait , à la vérité , répandu dans quelques
chansons les premières lueurs du feu poétique ;
mais elles avaient besoin que le Dante les animât de son
souffle divin. Peu de personnes savent sans doute que
saint François fut un des heureux précurseurs duDante.
Ce célèbre fondateur de l'ordre séraphique composait ,
pour l'édification des fidèles , des cantiques en langue
vulgaire ; on en conserve encore un'où l'on trouve de la
verve et de l'élévation , c'est une paraphrase d'un des
psaumes de David. Il fut mis en musique par un disciple
de saint François , qui , comme lui , réunit trois
JUIN 1811 . 599
titres assez rares , celui de saint , de cénobite et d'artiste.
La vie du Dante fut fort agitée. On sait que l'Italie
était , de son tems , déchirée par les célèbres factions
des Guelfes et des Gibelins . Le Dante était né avec une
ame trop ardente pour ne pas prendre part à ces mémorables
débats ; mais la cause qu'il défendit ne fut pas
heureuse. Il fut banni de sa patrie , et malgré tous ses
efforts , ne parvint jamais à y rentrer. A quels excès les
passions ne sont-elles pas capables de se porter ! L'exil
parut à ses implacables ennemis une peine trop douce ,
et ils poussèrent l'animosité jusqu'à le condamner à être
brûlé vif. Cette extraordinaire sentence a été long- tems
inconnue : ce ne fut , dit l'auteur de louvrage dont
nous nous occupons , ce ne fut qu'en 1772 , que M. le
comte Savioli la découvrit dans les archives de Florence .
Elle a été produite , pour la première fois , par Tiraboschi
, et n'a été publiée en France que cette année .
Il est probable que le fanatisme religieux se mêla dans
cette circonstance au fanatisme politique . Le Dante
n'était pas seulement un grand poëte , il était encore
grand théologien et savant publiciste . Il professait hautement
des opinions fort opposées à celles des scholastiques
ultramontains . On a de lui un ouvrage latin intitulé
de Monarchia , où il établit , par des preuves évidentes
et incontestables , que la puissance des rois est
indépendante de la puissance des papes . Mais alors cette
doctrine était réputée hérétique dans une grande partie
de l'Europe . Les partisans du souverain pontiſe disaient :
le pape est le chef de l'église ; les rois font partie de
l'église , donc les rois sont de droit divin soumis au
pape . Qui croirait qu'un pareil sophisme divisa tout le
monde chrétien et produisit les guerres et les déchiremens
les plus sanglans ? Et quel serait donc le sort des
nations si le sceptre des rois dépendait de la volonté des
papes , si les souverains pontifes pouvaient à leur gré
disposer des trônes , créer ou détruire , élever et abaisser
les autorités suprêmes ? La plus horrible anarchie serait
le produit de cette doctrine funeste; les constitutions
des Empires seraient anéanties , l'autorité des lois annul
1
600 MERCURE DE FRANCE ,
lée , et les peuples sans guides et sans chefs livrés àtous
les désordres des passions , des intérêts et des partis . Le
Dante entreprit de refuter ces dogmes pernicieux et de
leur substituer des idées simples , faciles et lumineuses.
Il sépara les droits du trône et ceux de l'autel. Il démontra
que l'église était dans l'Etat ; que la puissance des rois
était antérieure à celle des souverains pontifes . Il établit
que les fidèles devaient être considérés sous un double
caractère , comme membres de la société politique et
comme membres de l'église ; que sous le premier rapport
ils étaient hors des atteintes du pape dont le règne
n'est pas de ce monde ; que si les rois , en qualité de
fidèles , regardaient le pape comme le chef des croyans ,
ils étaient sous tout autre rapport libres et indépendans ;
qu'il n'était pas plus permis àun pape de priver un roi
de sa couronne sous prétexte d'hérésie , que de défendre
à un avocat de plaider des causes , à un poëte de faire
des vers , à un architecte d'élever des maisons . L'ouvrage
du Dante fut réimprimé plusieurs fois , et quoiqu'écrit
en mauvais latin , il parut, vingt ans après la
mort de l'auteur , si redoutable à un légat de Jean XXII ,
qu'il voulut qu'on exhomat les os du Dante , qu'on les
jetat au feu , et qu'on flétrit sa mémoire d'une ignominie
éternelle . Heureusement , dit M. Ginguené , qui rapporte
ce fait , des gens sages parvinrent à calmer le courroux
du fougueux légat , et ce fut à lui beaucoup plus
qu'au Dante qu'ils épargnèrent une ignominie .
On a remarqué que presque tous les grands poëtes
ont vécu au milieu des orages et des persécutions . Ne
serait-ce pas à ces orages que nous serions redevables
de ces immortelles productions qui font la gloire de l'esprit
humain ? C'est au sein des tempêtes politiques que
l'on sent mieux le besoin et le charme du repos. Quand
les proscriptions nous forcent de chercher un asile et de
vivre dans le silence , quel attrait séduisant , quelles
heureuses distractions ne présente pas le culte des
muses ! avec quelle ardeur n'embrassons-nous pas leurs
autels!
Ce fut au milieu des agitations de sa vie politique , que
le Dante conçut et exécuta le sublime ouvrage qui a placé
رپ
JUIN 1811 . βοί
son nom au rang des plus grands poëtes. Son génie , fier
et indépendant , entreprit de s'ouvrir des routes houvelles ,
d'assujétir au sceptre de la poésie les beautés sévères
et rebelles de la religion , et d'établir des relations directes
entre les muses et le christianisme. Le dogme de l'immortalité
de l'ame , la description des récompenses et des
peines réservées au vice et à la vertu , lui parut un sujet
Fiche , intéressant et digne de sa féconde et brillante imagination.
Ilcommença par l'Enfer , et lui consacra trentequatre
chants ; c'était la partie de son sujet la plus poétique
, la plus propre à lui fournir de grandes images
et de terribles récits ; c'est aussi le chant où il a déployé
le plus de chaleur et de verve , Le Purgatoire est d'un
genre plus doux et d'un intérêt moins puissant. LeParadis
offrait plus de difficultés encore que le Purgatoire ,
Là nulle variété ; un bonheur sans borne , des joies inef
fables ; mais un bonheur et des joies sans mélange et
toujours les mêmes . On a remarqué que le Dante a fourni
sans peine trente-quatre chants dans la description de
l'Enfer , et qu'il en a fourni difficilement trente-trois
dans la description du Paradis. C'est qu'en général la
peinture du mal frappe plus que celle du bien , de même
qu'une satyre offre à l'esprit mille fois plus de ressources
qu'un éloge.
On peut dire que nous n'avons dans notre langue aucune
traduction complète de la Divine comédie du Dante ;
car on ne saurait regarder comme une traduction la
version qu'en fit en vers un abbé Grangier , aumônier
de Henri IV. Cet ouvrage gothique est aujourd'hui
presque inintelligible , l'auteur s'étant fait un devoir de
traduire vers pour vers , mot pour mot, et de sacrifier
àce système la clarté de la phrase et la netteté du style ,
: On imprima en 1696 une prétendue traduction complète
du Dante , qu'on attribue au comte de Colbert
d'Estouteville , petit-fils du célèbre Colbert. Cet ouvrage
était resté long-tems en porte-feuille , et n'avait probablement
pas été destiné aux honneurs de l'impression .
C'est en effet plutôt une étude qu'une versian fidèle. Le
président de Montesquieu qui la cité , dans une de ses
lettres , observe que l'on a mělé au texte plusieurs
602 MERCURE DE FRANCE,
:
pensées extraites des commentateurs du Dante ; et l'auteur
du livre que nous annonçons , y relève , avec raison ,
plusieurs erreurs graves commises par les éditeurs .
M. Moutonet de Clairfons , qui publia en 1776 une
traduction de 1 Enfer , se proposait , si l'Enfer plaisait au
public , de lui donner successivement le Purgatoire et le
Paradis . La traduction de M. Moutonet de Clairfons ne
manque ni de fidélité , ni d'élégance; mais elle fut totalement
éclipsée par celle de Rivarol , plus riche , plus
hardie , plus brillante . Cet échec a déterminé M. Moutonet
de Clairfons à renoncer à son projet. C'est done
pour la première fois que le Paradis du Dante paraît dans
notre langue . Il était difficile qu'il trouvât un plus habile
interprête ; M. Artaud a vécu long-tems en Italie ; il est
familier avec la langue et les arts de cette heureuse contrée
, et le goût le plus pur s'allie chez lui aux connaissances
les plus étendues . Il est déjà connu avantageusement
par un ouvrage très-remarquable sur les catacombes
qu'il a visitées et décrites . La traduction du
Paradis est constamment pure , facile , élégante . Elle se
recommande sur-tout par une extrême fidélité. L'auteur
n'a rien négligé pour larendre digne du public. Il a comparé
les meilleurs éditions , consulté les commentateurs
les plus habiles , pesé les opinions contradictoires , et
ne s'est jamais déterminé que sur les motifs les plus légitimes
et les autorités les plus imposantes.
Le Paradis est divisé en trente-trois chants ; mais il
ne faut pas s'effrayer de ce nombre immense . Lamultiplicité
produit ici le mérite d'une variété nécessaire . Le
poëte , conduit par un génie céleste , s'élève de sphère
en sphère jusqu'au séjour radieux de l'Eternel; ce génie
est l'ame fortunée de Béatrix , jeune personne qu'il avait
aimée tendrement , et que la mort lui avait ravie à l'âge
de vingt-cinq ans. Les deux sublimes voyageurs s'élèvent
de l'orbe de la lune dans celui de Mercure , de Mercure
dans la brillante planète de Vénus , de Vénus dans le
Soleil , etc. Chacune de ces sphères renferme , suivant les
degrés de leur mérite , les ames immortelles de ceux qui
ont cultivé sur la terre la religion et la vertu. Le Dante
y découvre successivement Justinien , S. Dominique ,
JUIN 1811. 603
S. Thomas d'Aquin , S. Pierre Damien , S. Bernard , et
plusieurs personnages célèbres dans les fastes de l'église
ou les écoles de théologie. Il leur propose des doutes
sur les mystères de la foi , sur les dogmes et la discipline
de l'église , sur la création du monde et l'ordre de
l'univers . Les saints personnages répondent à toutes ses
questions avec beaucoup de courtoisie , et pour charmer
ses loisirs S. Thomas lui raconte la vie de S. François
d'Assise , et S. Bonaventure celle de S. Dominique . Ces
épisodes paraîtraient aujourd'hui fort bizarres ; mais pour
juger un écrivain , il ne faut pas le séparer de son siècle ;
c'est au milieu des circonstances où il vivait qu'il faut
le considérer. Or quels noms étaient plus célèbres à cette
époque que ceux des Thomas, des Bonaventure , des Bernard,
des François, des Dominique? Quels intérêts étaient
plus chers que ceux de la religion ? Quelles questions plus
souvent agitées , plus vivement débattues que celles de
la scholastique ? Quand tout était assujéti au sacerdoce ,
ses plus illustres ministres pouvaient-ils être un objet
de dédain ? Ce qui doit surprendre , c'est que le Dante
ait su , par la force de son génie , la richesse de son imagination
, la magie de son style , nous attacher encore
aujourd'hui à des objets si étrangers à nos moeurs et à
nos goûts .
Ce n'est pas que l'ennui ne vienne quelquefois nous
surprendre au milieu des béatitudes ineffables du Paradis
; mais ce défaut tient au changement que les tems
ont apporté dans nos études et à la nature du sujet qui
ne comporte pas ces nuances diverses et opposées , ce
mélange de bien et de mal d'où naît le plaisir de la variété
. Le grand tort de la Divine comédie est d'être un
poëme descriptif; genre nécessairement froid quand il
n'est pas soutenu par un talent supérieur , et ces effets
dramatiques qui lui rendent la vie .
On convient généralement que des trois chants qui
composent le célèbre poëme du Dante , le Paradis est le
moins parfait , soit que la verve de l'auteur fût déjà refroidie
, soit que ce sujet offrit des difficultés supérieures
aux forces de l'esprit humain; mais au milieu des taches
nombreuses qui en obscurcissent l'éclat , on y trouve
604 MERCURE DE FRANCE ,
:
encore des beautés du premier ordre ; tel est sur-tout co
passage du vingt- septième chant , où l'apôtre S. Pierre
décrit la dégénération des moeurs et les vices de ses
successeurs .
Di quel color che per lo sole averso
Nubedipinge da' sera et da mane
Vid' io allhora tutto il cielo cosperso
Ecome' donna honesta che permane
Di se secura è per l'altruifallanze
Pur ascoltando timida sifane ,
Cosi Beatrice trasmuto' sembianza.
E' tal eclipsi credo chèn cielfue
Quandò pati la suprema possanza.
Poi procedetter le parole sue
Con voce tanto da se trasmutata
Che la sembianza non si mutò pide :
Nonfù la sponsa di Christo allevata
>Del sangue mio , di Lin , di quel di Cleto ,
> Per esser ad acquisto d'oro usata;
→Maper acquisto d'esto viver lieto ,
» Et Pio , et Sisto , et Calisto , et Urbano ,
> Sparser lo sangue doppò moltofleto.
Nonfu nostra'ntention , ch'à destra mano
→ D'e nostri successor parte sedesse
Parteda l'altra del popol christiano ;
→ Ne le chiavi che mifur concesse
• Divenisser segnacolo in vessillo
> Che contra battezzati combatesse,
› Ne chifossefigura di sigillo
Aprivilegi venduti et mendaci
> Ond'io sovente arrosso et isfarillo.
→In vesta di pastor lupi rapaci
› Si reggion di quà su' per tutti i paschi.
O Difesa di Dio perche pur giaci ?
> Ma l'alia providentia che con Scipio
› Difese à Roma la gloria del mondo
> Soccorra presto , si com'io concipio ,
Et tufiglivol che per lo mortal pondo
› Anchor giù tornerai , apri la bocca
>Etnon nasconder quel ch'io non nascondo. >
JUIN 1811 . 605
་« Je vis alors le ciel couvert de cette même teinte que
produit le soir , au levant et au couchant , le soleil
» caché par des nuages . Beatrix elle - même changea de
figure , comme une femme vertueuse qui ne se repro-
» che rien , mais qui a honte de la faute des autres . Une
>> telle révolution a dû arriver dans le ciel , quand la
» suprême puissance a reçu la mort . Alors la Lueur
» sacrée s'écria d'une voix aussi terrible que sa nouvelle
» couleur avait été effrayante : D
» Ce n'est pas pour être achetée à prix d'argent que
» l'épouse du Christ a été nourrie de mon sang , de celui
» de Lin et de Clet. Pour acquérir la vie bienheureuse ,
» Sixte , Pie , Calixte et Urbain répandirent aussi tout
» leur sang . Notre intention n'a pas été qu'une partie du
peuple chrétien s'assît à droite de nos successeurs , et
» qu'une autre partie s'assît à la gauche , ni que les clefs
» qui m'ont été confiées servissent d'étendard contre
» ceux qui combattraient les nations baptisées , ni que
» mon image fût apposée en cachet sur des bulles men-
» teuses et vénales , dont souvent je rougis ici moi-
» même ; là bas , dans toutes les pàtures , on voit des
loups ravisseurs habillés en bergers . O divine justice ,
» pourquoi parais - tu endormie ? Mais la providence qui ,
» par le bras de Scipion , protégea dans Rome la gloire
» du monde , vous secourra , je crois bientôt ; et toi ,
» mon fils , qui retourneras encore sur la terre , publie
» ce que tu as entendu . »
Ce passage suffira pour faire connaître l'esprit de la
traduction . On voit que l'auteur s'est attaché sur-tout à
rendre fidélement la pensée du Dante ; qu'il a quelquefois
sacrifié à la fidélité , l'élégance et l'éclat de l'expression
; mais ce sacrifice est fait à dessein , et l'on
voit aussi qu'il peut facilement s'élever à toutes les
graces du langage.
Je ne sais si c'est à l'imprimeur que je dois imputer
le mot mis en italique dans le discours de S. Pierre , et
qui me semble former un contre-sens . Le prince des
apôtres s'indigne de voir les clefs du ciel devenir sur les
étendards le signe sous lequel on combat des peuples
qui ont reçu le baptême . Ce sens est naturel et conforme
606 MERCURE DE FRANCE ,
1
au texte du Dante. La phrase du traducteur présente
une idée toute opposée , et qui disparaîtrait en substituant
la particule à au mot contre. Au reste , je dois
reconnaître que cette faute , si elle appartient au traducteur
, est la seule de ce genre que j'ai découverte dans
le cours de la traduction , et n'en diminue par conséquent
point le mérite. SALGUES.
REVUE LITTÉRAIRE.
EXERCICES CHRONOLOGIQUES ET HISTORIQUES A L'USAGE DES
MAISONS D'EDUCATION DES JEUNES DEMOISELLES , avec
deux tables géographiques ; parEDME MENTELLE, membre
de l'Institut.
Un géographe connu par de grands travaux en ce genre ,
et qui ont avancé les progrès de la science , consacre aujourd'hui
ses loisirs à l'instruction des jeunes demoiselles ,
joignant dans ses tableaux la chronologie à la géographie ,
parce que ces deux sciences , qu'on a justement nommées
les yeux de l'histoire , sont vraiment inséparables . Le
plan de son ouvrage est simple et clair. Des chronologistes
estimés ont divisé les tems par grandes époques ;
M. Mentelle , pour faire marcher sur la même ligne la
chronologie , l'histoire et la géographie , divise les tems ,
depuis les plus anciennement connus jusqu'à présent , par
siècles . Ses élémens géographiques commencent par les
divisions générales du monde connu des anciens . Des développemens
historiques viennent ensuite et sont précédés
d'une explication de la division des tems nommée
dans l'antiquité olympiade , lustre , ère des Romains , des
Grecs , des Syriens , ère vulgaire , ou ère des chrétiens ,
qui commence à la naissance de J. C.; enfin l'ere des
Mahométans , appelée hégire. L'histoire ancienne comprend
vingt-deux siècles , depuis les commencemens connus
de l'histoire d'Egypte jusqu'à Auguste , sous le règue
duquel naqnit J. C. M. Mentelle en marque les points , en
indique les époques et les événemens les plus remarquables
, et il passe à l'histoire moderne qui date de l'an
31 du règne d'Auguste , époque de la naissance de J. C.
C'est à ce point de chronologie , généralement adopté ,
que commence la série des siècles et des années de l'his
,
:
JUIN 1811 . 607
toire moderne . Quoique M. Mentelle la parcoure rapidement
, son tableau est exact et suffisant ; il s'arrête aux
époques les plus importantes , comme la création desfiefs
au cinquième siècle , tems de l'irruption des barbares ; au
septième , la naissance et la religion de Mahomet , les
croisades , dont la première date de l'onzième siècle ; les
révolutions de l'Angleterre , nos guerres et nos rivalités
avec cette puissance voisine , la renaissance des lettres
et la réforme de Luther au seizième siècle ; le règne de
Louis XIV , si justement célèbre dans nos annales , enfin
la révolution française , et le commencement d'une nouvelle
dynastie . Ces époques mémorables fournissent à l'auteur
des réflexions sages et instructives . Deux tables géographiques
, relatives à la partie ancienne et à la partie
moderne de la géographie et de l'histoire , terminent ce
petit ouvrage élémentaire qui ne peut qu'être utile aux
jeunes personnes pour lesquelles il a été composé ; l'auteur
mérite leur reconnaissance et la nôtre .
MEMORIAL DES PASTEURS , ou Recueil des Maximes et des
Ecrits des SS. Peres , sur les différentes situations de
: la vie sociale , etc. , etc. , à l'usage des Curés et des
jeunes Ecclésiastiques . Nouvelle édition. Un vol. in- 12.
AParis , chez Périsse et Compère , libraires , rue des
Augustins , nº 47 ; Nicolle , libraire , rue de Seine ;
Lenormant, imprimeur-libraire , même rue ; J. Carez ,
libraire , rue des Poitevins , n ° 2 .
Les circonstances actuelles ne peuvent être que trèsfavorables
pour la publication d'un ouvrage qui présente
tout-à -la- fois , aux curés des campagnes , avec des modèles
de discours à la portée de leurs auditeurs , et des textes
appliquables aux sujets de sermons les plus fréquens , un
recueil des pensées remarquables des Pères de l'église
un abrégé des devoirs d'un ecclésiastique , des élémens de
théologie , et enfin une notice sur les diverses institutions
tant religieuses que monastiques .
:
LeMémorial des Pasteurs que nous annonçons , est un
ouvrage utile , et il le serait encore plus , si l'auteur
n'eût pas voulu le réduire à un volume in- 12,. Il s'est vu
forcé de mettre beaucoup de briéveté dans chacune des
parties qui le composent , et même il a glissé trop légé
rement sur celles qui paraissent le plus essentielles ; mais
il faut observer que cet ouvrage est particulièrement des-
,
/
608 MERCURE DE FRANCE ,
tiné aux prêtres des campagnes , pour lesquels un livre
plus considérable eût été trop dispendieux ; et c'est tou
Jours une entreprise très -louable que d'éviter à une classe
intéressante de la société , des recherches pénibles , des
travaux fastidieux qui la détourneraient de soins plus chers
à la religion et à l'humanité.
Au reste , le Mémorial des Pasteurs renferme tout ce
qu'il peut y avoir d'utile pour les ministres de la religion
chrétienne . Généralement la doctrine en est bonue , et
les principes bien établis . La partie théologique paraît traitée
avec beaucoup de soin , et le style , qui manque rare
ment de correction , est toujours ferme et animé , lorsque
cessant d'être un compilateur , l'auteur raconte des faits
ou trace des tableaux.
Le Journal des Curés avait annoncé que l'auteur du
Mémorial des Pasteurs était M. l'abbé Reyre ; mais nous
sommes autorisés à démentir cette assertion. Lorsque nous
ne saurions pas que cet ouvrage est d'unjeune homme , il
nous serait facile de nous en apercevoir. Trop de passages
même y décèlent l'écrivain qui n'a point encore appris à
réprimer les élans de sonimagination. Par exemple , on ne
trouve point dans son précis historique , et dans le tableau
de la philosophie ancienne , ce calme de l'esprit et cette
simplicité de langage qui convenaient à l'auteur d'un Mémorial
des Pasteurs . Nous ne pouvons point:non plus
approuver sa notice assez longue sur les Croisades. Son
enthousiasme pour ces célèbres expéditions , et ses regrets
sur le peu de succès qu'elles ont en , sont au moins inutiles .
Elles ne pouvaient réussir parce qu'elles étaient entreprises
sans raison , et exécutées sans prudence. L'auteur devait
donc s'en rapporter , à l'égard des Croisades, au jugement
de tous les sages historiens qui les ont blûmées , plutôt quả
celui du père Maimbourg et des autres historiens de sa
force.
Nous ne pouvons encore donner notre suffrage àl'espèce
de complaisance avec laquelle il trace le tableau des insti
tutions monastiques , ou à l'aigreur qu'il manifeste en par
lant des auteurs de la réformation. Moins dominé par une
imagination vive et par son zèle pour la religion catholique,
il aurait senti que des opinions partagées par une grande
partie de l'Europe méritaient d'être un peu plus respectées ,
et qu'enfin il pouvait donner le droit dangereux de repré
sailles à des écrivains qui voudraient publier comme lui un
Mémorial pour les ministres de chacundes cultes exercés
I
JUIN 1811 . 60g
in France. Il faut laisser à ceux qui occupent le premier
rang dans la hiérarchie ecclésiastique le soin de donner aux
pasteurs des leçons sur cette partie de leur croyance , elles en seront plus conformes à lesprit de paix et de tolerance LA
SEINE
qui doit régner dans tout l'Empire.
Nous espérons que l'auteur du Mémorial nous
hera ces observations , et nous désirons qu'elles puissenthai .
être utiles pour la nouvelle édition qu'il prépare de son
Quvrages
!
5.
cen
CELESTE PALEOLOGUE , roman historique traduit du grec d
LEON ZYGOMALA , par le chevalier DE MAIMIEUX.
L'AUTEUR a pris dans l'histoire des princes du Bas- Empire
le nom illustre dont il décore l'héroïne de son roman .
Le début en est obscur. Trois inconnus ayant le visage ens
veloppé d'une partie de leurs vêtemens , s'échappent du
palais d'Alger , abordent au royaume de Maroc , y soutiennent
un combat sanglant où périt un compagnon d'infortune
qui leur était cher , Alexandre; c'était l'amant de
Céleste , qui fuyait avec lút , déguisée en homme , et avec
Euryale , prince de la race des Comnènes , déguisé aussi sons
le nom et l'habit féminin de Lesbie. Amant discret de
Céleste ils s'embarquent tous les deux , et font naufrage
sur la côte de l'une des Canaries ; sauvés avec un troisième
seulement , ils se trouvent à la porte de la cabane d'un ermite
qui leur prodigue les plus tendres soins de l'hospitalité
. C'était un Paléologue , du nom de Jérome , qui racontė
à ses hôtes son histoire , à la fin de laquelle il reconnaît son
frère Baptiste qui ne leur cache pas non plus les événenemens
de sa vie. Céleste est sa fille , elle épouse Euryale
Comnène , et Marulle sa mère fait connaître feu Alexandre
Castriot , prince grec et chrétien qui lui enleva Céleste , et
fut fait prisonnier avec elle . Ce qui suit estle récit de leurs
aventures à Alger où Alexandre apprenant qu'on y mène à
la mort une Celeste et un Alexandre , qui sont Isouf et
Gorgo , Céleste , parodiant l'épisode d'Olinde et de Sophronie
dans le Tasse , se dévoue pour sauver l'innocence , et
les deux amans se disputent le dernier supplice. De l'échafaud
ils passent au palais du roi où Céleste est proclamée
sultane. Le couple s'enfuit , et après le premier combat que
Fòn a vu , et qui suivit leur évasion , Alexandre laissé parmi
les morts , fut sauvé par une Espagnole , prisonnière
d'abord , et puis reine en Mauritanie . Fugitif, et arrivé aux
Qq
610 MERCURE DE FRANCE , JUIN 1811 .
Canaries dans le plus triste état, il apparaît plusieurs fois
àCéleste qui le prend pour un spectre. Tous ces personnages.
rembarqués , sont encore par des tempêtes et de
fausses manoeuvres rejetés dans le port d'Alger; captifs encore
ils s'embarquent à Tunis. Toute la famille Paléologne ,
délivrée par Alexandre , se retire en Eubée : la mort d'Euryale
, époux de Céleste , celle de Mahomet II , et le siége
deRhodes, ttoerminent ce roman.
Quel a été , en le composant, le but de l'auteur ? a-t-il
eu une intention morale ? nous ne l'apercevons point.
M. de Maimieux , comme tous les écrivains , cherche à
plaire, et ila cru y réussir en enchaînant indéfiniment l'une
à l'autre des aventures souvent dépourvues d'intérêt , de
vraisemblance , jamais neuves; des événemens qui produisent
des événemens , et sans doute les plus romanesques
qu'on ait jamais lus . Ily a bien dans le récit quelques bons
tableaux des moeurs africaines ou barbaresques , et du lien
de la scène, le style en est pur et correct: mais on ychercherait
vainement des sentimens profonds ou touchans ,
des développemens où brille l'art d'amuser , d'attacher un
lecteur. Ily a même dans tous ces événemens entassés peu
de variété. On n'y trouve pas non plus de caractères ; ce
qui pourtant fait le grand mérite et la fortune des romans .
POLITIQUE.
LES nouvelles de Russie et celles plus directes des pays
voisins du théâtre de la guerre ne donnent aucun renseignement
positif , aucun détail intéressant sur ce qui se
passe entre les deux armées . On prétend pour la vingtième
fois que les négociations sont tout-à-fait rompues ; que les
hostilités sont prêtes à recommencer ; que Czerni-Georges
a reçu l'ordre de mettre en mouvement tous ses Serviens ;
que les Turcs se rassemblent en grand nombre sur les
frontières de cette province ; que les Russes se concentreut
dans leurs positions ; que la flotte du capitan -pacha
doitincessamment faire voile poouurr la Mer-Noire. Encore
àcemomentrien d'officiel sur ces diverses nouvelles , qu'on
ne peut répéter que comme des conjectures. Un événement
qui paraît toutefois incontestable , quoique les détails
soient assez extraordinaires pour le faire regarder comme
fabuleux , est la surprise et l'extermination des Mamelucks
et des Beys par le pacha du Caire , l'incendie et la dévastationde
leurs propriétés , et la fuite dans la Haute-Egypte
de ceux qui ont eu le bonheur d'échapper au massacre;
ils sont en très-petit nombre ; cinq à six cents Mamelucks
ont été égorgés ; vingt-cinq jeunes Beys ont péri.
En Suède la loi sur la levée des recrues destinées à remettre
l'armée sur un pied respectable , a été , dans une île
voisine de Stockholm , le prétexte de quelques troubles
excités par les émissaires anglais , mais qui n'ont eu d'autre
suite que de donner au roi , par l'organe du prince héréditaire
, une noble occasion de témoigner sa clémence. Sur
la demande et l'intercession du prince royal , un pardon
sans réserve a été accordé aux coupables . Une députation
de l'ile ayant été admise auprès du prince royal , S. A. a
parlé en ces termes :
Le roi a vu avec peine les désordres coupables qui ont
eu lieu à Wermdoe. Si S. M. n'eût point écouté la douceur
qui la caractérise , elle aurait déclaré votre île hors
de la loi , et livré les habitans au mépris général .
" Le roi n'a rien ordonné de contraire aux lois . Ce monarque
s'est borné à faire exécuter une résolution de ladiète.
Qq 2
612
3.
MERCURE DE FRANCE ,
1
qu'il avait sanctionnée . S. M. est en conséquence autorisée
à exiger l'obéissance la plus exacté . Le tems des désordres
est passé , et a fait place au règne des lois .
Ne voulez-vous pas , je vous le demande , rester ce
que vous êtes , Suédois libres et indépendans ?
Je porte tous les bons,Suédois dans mon coeur . Le
voeu unanime de la nation , et celui du roi , m'ont appelé
dans ce pays. Je suis venit avec toute la confiance possible
pour vous protéger et vous défendre; mais tout audacieux
qui s'opposera à l'exécution des ordres émanés du pouvoir
légitime , le glaive des lois l'atteindra avec la rapiditéde
la foudre. :
Au reste , ma position est semblable à la vôtre ; vous.
vous rappelez avec douleur la manière dont a été traitée la
dernière landwehr. Celui qui vit périr alors misérablement
son fils peut éprouver en effet une certaine répuguance à
en donner un second , pour lequel il est dans le cas de
redouter un pareil sort. Mais , je vous le répète , si lebien
de l'Etat commande le départ de vos enfans , ce que je ne
crois pas , je marcherai moi-même avec eux , et je les
traiterai comme mes enfans .
Cessez donc d'avoir des inquiétudes puériles , et n'oupasque
le seul moyen d'être bliez indépendant dans
pays, c'est
pal d'A
d'être prêt à repousser tonte allaquea
son:
J'ai vu avec plaisir les marques de repentir que vous
avez données . J'ai acquis , par l'expérience, l'art de lire
sur la physionomic : je vois que vous sentez vos torts ; je
suis convaincu que vos intentions ne sont pas mauvaises ,
et que vous n'avez été égarés qu'un moment par des insinuations
étrangères .
2n Je prierai le roi de vous pardonner , et d'oublier tout
en faveur de votre prompt repentir; mais faites tous vos
efforts à l'avenir pour prouver , par votre conduite , que
vous êtes dignes des bontés de S. M.
Je veux ignorer les noms de ceux qui ont pris part an
désordre; mais je conserverai toujours le souvenir de ceux
des habitans de Wermdoe qui se sont montrés bons Sué
dois , et heureusement c'est le plus grand nombre .
Pour vous prouver que je veux tirer un voile sur le
passé, j'irai vous voir prochainement dans votre île avec
mon fils . Je serai sans garde; je n'en veux point d'autre
que les dispositions que je dois supposer dans vos coeturs . "
S. A. a bien voulu se rendre ensuite auprès de S. M.
l'interprète des sentimens et du repentir des habitans. S. M.
JUIN 1811 , 613
adaigné permettre à la députation de lui baiser la main ;
tous se sont retirés pénétrés de reconnaissance , en prome:-
tant d'effacer par leur conduite jusqu'au souvenir du passe
S. A. R la princesse héréditaire est partie de Stockholm
pour aller prendre les eaux à Pyrmont. On n'apprend rien
dela flotte anglaise dans la Baltiqne , si ce n'est qu'une
frégate s'est présentée devant Colbert , sous pavillon prussien
; elle a été reconnue et reque à coups de canon ; trèspromptement
elle a pris le large , emportant quelques tu's
ou blessés . Au surplus , les visites et les recherches de
productions du commerce anglais ont recommencé sur
quelques points de la confédération ; tout ce qui a été
trouvé introduit de nouveau a été brûlé , la quantité était
très-peu considérable ; dans toute la Westphalie , les
recherches ont eu pour résultat la preuve que les mesures
prohibitives avaient en la plus complète exécution. A
Francfort , quelques brûlemens ont en lien. A Memmingen
, en Bavière on n'a rien trouvé. Dans le duché
d'Anhalt-Bernbourg , les recherches ont été faites avec
beaucoup de soin, et par-tout les marchandises prohibées
munies de certificat prussien , devront être accompagnées
d'une légalisation de l'autorité française compétente . En
Saxe , les levées sont terminées , et les exercices et revues
ordinaires commencent . Une convention entre le roi de
Prusse et celui de Westphalie , qui vient de quitter Paris
pour retourner dans ses Etats , a été signée le 28 avril ders
hier, et ratifiée le 30 mai ; elle a pour but de régler tous
les points en litige entre les deux Etats , depuis le traité de
Tilsitt. Une commission générale de liquidation sera éțablie
à Magdebourg , elle sera composée de deux commissaires
de chacun des gouvernemens prussienet westphalien,
,
A Vienne , la baisse du cours a provoqué de nouveau
Pattention du ministère .

Voici le contenu littéral du décretde la chambre aulique,
adressé à M. le gouverneur comte de Saurau :
"M. le gouverneur fera appeler encore aujourd'hui la
députation des négocians en gros et les anciens de la bour
geoisie commerçante ; il leur adressera au nom de S. M.
une admonition sévère au sujet de la baisse du cours , produite
par l'influence réunie de l'ignorance et de la malveillance,
par un jeu d'agiotage très-blamable , et même par
uné inaction évidemment combinée. M. le gouverneur ,
en adressant cette admonition aux négocians en gros , aux
banquiers et aux commerçans , leur fera savoir, dans les
614 MERCURE DE FRANCE ,

termes les plus sérieux et les plus positifs , que l'adminis
tration tient ses regards fixés sur eux , qu'aucune partie
deleur conduite n'échappe au gouvernement , et qu'on
Jeur conseille de ne pas lasser la longanimité de S. M. ,
soit par leurs actions et leurs spéculations , soit par leur
complaisance et leur inaction ; sans quoi ils attireront sur
eux l'indignation et la disgrace de S. M.; disgrace qui
déjà en elle-même est le plus grand des malheurs pour
tout sujet chez qui les sentimens de l'honneur et du devoir
ne sont pas éteints , et qui d'ailleurs aura, en particulier
pour les négocians les suites les plus graves et les plus
sénsibles .
Vienne , ce 3 juin 1811. Signé , F. comte DEWALLIS.
Depuis ces mesures , une députation des négocians a été
admise à Bude , à l'audience de S. M. Elle venait , dit-on ,
se justifier des reproches faits au corps des négocians .
On espère beaucoup , pour l'amélioration du cours ,
de la vente des biens ecclésiastiques qui enfin est commencée.
L'empressement est déjà très-vif , et la concurrence
très-animée de la part des acheteurs . En Saxe aussi ,
cette vente fait des progrès très-utiles à la situation des
finances , et à l'accomplissement des niesures consenties
par ladiète.
Les Anglais viennent d'apprendre que les Etats-Unis
d'Amérique exécutent avec sévérité l'acte de non intercourse;
les navires anglais , et même les navires américains
qui sont arrivés à Savanah , après le 2 février , ont été pris
et confisqués , comme se trouvant en contravention avec
cet acte. Les gazettes américaines contiennent le récit d'un
événement qui estla première hostilité entre les deux puissances
. Cet événement est un petit combat naval entre la
frégate américaine le Président et le sloop anglais le Petit
Belt . L'affaire a eu lieu le 16 mai , à la hauteur des caps
de'la Chasepeack. La nuit du 16 de ce mois , porte le rapport
américain , la frégate des Etats-Unis ayant rencontré à
neufheures dasoir, à environ quarante milles N.-E. du cap
Henry , un sloop de guerre , le héla pour reconnaître sou
pavillon. Le capitaine du sloop répondit en demandant à
son tour quelle était la frégate qui lehélait. Le commodore
américain se croyant autorisé à être le premier à recevoir
une réponse , le héla une seconde fois; et immédiatement
après il reçut un boulet qui lui coupa son grand mât. L'action
commença bientôt entre les deux vaisseaux , qui igno:
615 . 1811 JUIN
,
raient leurs forces respectives. Le sloop , après deux bordées
cessa son feu , et le commandant américain croyait
qu'il avait amené ; mais quelques momens après , il recommença
son feu. Le combat durait depuis environ dix minutes,
lorsque le sloop amena son pavillon, après avoir perdu
ses trois mats , et avoir essuyé une perte de trente hommes
tués ou blessés . Le capitaine américain lui offrit des secours
pour l'aider à gagner le port ; maisle capitaine du sloop l'en
remercia , en disant qu'il serait à même d'entrer à Halifax
sans aucun secours. Lui ayant demandé pourquoi il avait
tiré sur la frégate , il répondit qu'il l'avait prise pour une
frégate française. Le sloop de guerre est de construction
danoise ; il s'appelle le Little-Belt, et porte vingt-deux
caronades de 32 .
Cette nouvelle a fait la plus vive sensation . M. Whitbread
en a parlé avec chaleur dans la chambre des Communes ,et
liant cette affaire à celle des bâtimens américains condam
nés en Angleterre , il a vu en résultat une rupture , et de
nouveaux embarras pour l'Angleterre. De son côté ,
M. Parceval a fait à la chambre les aveux les plus pénibles :
ila reconnu que la Grande-Bretagne était repoussée de tous
les points du continent et dans une ignorance absolue de
ce qui se passe dans les cours de l'Europe , que les bruits
de guerre continentale n'étaient qu'une manoeuvre d'agiotage
, et qu'il n'y avait rien à espérer de ce côté . Il y a eu à
Dublin des mouvemens insurrectionnels sérieux.
Une députation du commerce et des principales manufactures
des premières villes du royaume s'est présentée
chez M. Parceval; il est inutile de dire quel était l'objet de
ses plaintes , quel était le tableau de situation qu'elle venait
présenter ; en substance , elle venait exposer les conséquences
inévitables d'un manque de marché. Cette grande
manufacture anglaise s'avoue donc elle-même dans la détresse
dont elle ressent enfin les vives atteintes ; elle avoue
donc qu'elle manque de marché . L'aveu est franc , et le
ministre a dû l'entendre avec un cruel déplaisir; il a entretenu
la députation pendant deux heures ; on ne dit pas
quelle réponse a fait le ministre ; on le croit fort embarrassé
sur la manière dont il rendra compte au parlement
de cette demande importante du commerce , si elle y est ,
comme on n'en peut douter , l'objet d'une motion .
La copiede la correspondance relative à l'échange des
prisonniers , doit être mise sous les yeux de la chambre.
6:6 MERCURE DE FRANCE ,
:
Le bulletin du 18 portait que le roi se trouvait un peu
mieux. Le prince régent a donné une fête magnifiq..e .
Quand à la péninsule , les ministres ont reçu des détails
qui leur font croire que le maréchal Soult a reçu des renforts
considérables , que notamment le général Drouet l'a
joint avec 9000 hommes ,que six autres mille hommes lui
étaient parvenus , et qu'on devait s'attendre incessamment
à une nouvelle action très-importante. On ajoute que le
projet des Français est d'agir simultanément au nord et au
midi du Tage , que le maréchal Marmont duo de Raguse ,
renforcé de nouvelles troupes venues du centre de l'Epagne
, a fait un mouvement vers le sud, et doit-attaquer
la mée anglaise qui lui est opposée, tandis que le maréch:1
Soult attaquera de nouveau les alliés dans les vallées du
Guadalquivir,
Les lettres de Lisbonne continuont à donner les détails
• les plus affligeans sur la maladie contagieuse qui règne
depuis si long-tems dans les classes inférienres . Le maréchal
Beresford est revenu à Elvas , d'où il se dispose à reprendre
route de l'Angleterre ; on sait que le général Hill a été
nommé pour le remplacer .
Le Concile national a tenu sa première congrégation
générale ,jeudi 20 de ce mois.
S. A. Em. le cardinal Fesch, président ; LL. EExc. le
ministre des cultes de l'Empire , et le ministre du culte du
royaume d'Italie , présens ; l'archevêque de Ravenne, grandaumônier
du royaume d'Italie , l'archevêque de Bordeaux
et l'evêque de Nantes, forment le bureau chargé de la police
de l'assemblée ; les évêques de Montpellier , de Troyes ,
d'Albenga et de Brescia sont secrétaires; les évêques de
Bayeux et de Como , promoteurs .
La réunion du Concile a aussi été l'objet du décret sui
vant rendu par S. M. au palais de Saint-Cloud , le19de
cemois.
:
Art. 1º. Sur la présentation et la demande du Concile
national , convoqué à Paris par notre circulaire du 25 avril
dernier , nous agréons notre cousin le cardinal Fesch
notre grand-aumonier , pour président du Concile.
2
2. Le président , trois évêques pommés par le Concile ,
et nos deux ministres du culte de l'Empire et du royaume
d'Italie , formeront le bureau chargé de la police de l'assemblée,
3. Les communications qu'il serait nécessaire que nous
JUIN 1811. 819
cussions avec le Concile se feront par l'intermédiaire de co
bureau. Signé , NAPOLEON .
Le Corps -Législatif a continué ses séances sous la présidence
de M. de Montesquiou , et s'est occupé jusqu'à ce
jourde la nomination de ses secrétaires , des membres de
la questure et de ceux qui doivent composer ses diverses
commissions . 7
Le Moniteur a donné des détails étendus sur la plupart
des fêtes qui ont été célébrées dans toute l'étendue dé
l'Empire , à l'occasion de la naissance du roi de Rome.
Ces détails présentent nécessairement de l'uniformité , et
nous ponvons nous borner à dire que dans toutes les villes
chefs -lieux , dans celles de moindre étendue , et dans les
plus petites communes , le même sentiment s'est exprimé
par les mêmes moyens , et que l'allégresse générale n'a
jamais eu plus d'ensemble et d'unanimité. Il nous paraît
cependant convenable de dire un mot des fêtes de Rome,
C'était à cette seconde ville de l'Empire , sur-tout , qu'il
convenait de célébrer un événement qui lui assure de si
hautes destinées . La fête a commencé le 8 juin , à la nuit ;
elle fut annoncée par des décharges d'artillerie de la flotille
de Civita-Vecchia , qui avait remonté le Tibre , et
dont tous les bâtimens étaient pavoisés. Le Capitole , le
Forum , le Colisée , les arcs de Septime , de Constantin ,
les temples d'Antonin et Faustine , de la Concorde , de la
Paix , la colonne de Jupiter Stator , etc. , furent illuminés
d'une manière brillante. Les travaux exécutés pour faire
sortir ces antiques monumens des ruines qui les environ,
najent , ont permis au nombreux concours des spectateurs
de jouir d'un coup d'oeil que la seule ville de Rome peut
présenter. Le 9 au matin , toutes les autorités réunies se
sont rendues à l'église de Saint- Pierre , poury entendre le
Te Deum. L'affluence des spectateurs , la grandeur et la
majesté du temple , donnaient à cette cérémonie une
pompe digne de son objet. M. le comte de Miollis , lieutenant
du gouverneur-général de Rome , a réuni dans un
dîner les principales autorités et les dames de la ville. Ily
àeu course de chevaux , et le soir , le dôme et toute la
colonnade de l'église Saint-Pierre ont été illuminés .
La fête donnée à Saint-Cloud , dimanche dernier , par
ordre de S. M. , avait attiré la moitié de la population de
Paris et celle de tous les lieux environnans ; cependant ce
beau lieu offrait une circulation facile à cette immense mul
titude dont la curiosité était à chaque pas excitée par quelque
618 MERCURE DE FRANCE ,
spectacle nouveau , et dont la joie n'a pas un seul instant
troublé l'ordre qu'une sage prévoyance avait su établir.
Voici les détails officiels qui ont été publiés à cet égard.
«Après d'abondantes distributions de vin et de comestibles
, les spectateurs se sont réunis devant les orchestres
ou les divers théâtres qui avaient été dressés .
> La présence de LL. MM. , qui vers 6 heures se sont
promenées, sans gardes , en calèche , dans le parc, est
venue mettre le comble à l'allégresse publique : L. MM.
ont été plus d'une heure à traverser la foule qui s'empressait
autour d'elles.r 1,
> Al'entrée de la nuit , six chaloupes illuminées et montées
pardes marins de la garde impériale ontéxécuté diverses
évolutions , exlancé des pièces d'artifice dont la Seine aug-
J
mentait l'effet .
> C'est sur-tout lorsque les eaux ont joué au milieu de
l'illumination la plus brillante , que ces cascades déjà si
belles ontoffert un spectacle magnifique et enchanteur.
> Tout-à-coup des feux du Bengale ont éclairé une partie
des bassins et des bosquets , et un ballon monté parM
Blanchard s'est élevé dela terrasse du château . L'aéronaute
amis le feu à des pièces d'artifice disposées autour de sa
nacelle , et qui présentaient une couronne d'étoiles suspendue
à une immense hauteur
Un feu d'artifice tiré par les artilleurs de la garde impériale
a terminé la fête. Placé au milieu de la plaine de
Boulogne , il pouvait être vu de Paris et de toutes les haufeurs
qui bordent la Seine , depuis le Calvaire jusqu'à
Meudon. A une colonnade élégante a succédé un jardin
dont les cascades , les arbres , les portiques présentaient
des feux de diverses couleurs , et une girande magnifique a
éclairé pendant quelques momens cet immense horizon.
» La fête préparée dans le parc întérieur , et à laquelle les
personnes de la cour, les membres du Corps- Législatif et
les députés des villes avaient été invités , a commencé immédiatement
après.
Les jardins étaient éclairés avec autant de goût que de
magnificence.
" LL. MM. en les parcourant se sont arrêtées devant un
optique qui a présenté successivement diverses vues qui
rappellent d'intéressans souvenirs .
Lorsque S. M. l'Impératrice est arrivée auprès d'une
colonne que surmontaitune corbeille de fleurs, une colombe
JUIN 181r. 619
est descendue à ses pieds et lui a présenté une devise ing -
niense.
» Dans une des salles que forment les arbres du jardin ,
des paysans ont exécuté une danse champêtre autour d'une
statue de l'Hymen , qu'ils ont couronnée de fleurs .
Les comédiens de l'Opéra-Comique et les meilleurs
danseurs ont exécuté une petite pièce sur un théâtre elevé
au milieu des bosquets . :
» Les allées brillantes de ce parc présentaient des jeux ,
des danses , des tentes élégantes : sous deux de ces tentes
d'une longue étendue , étaient disposées des tables où les
personnes de la cour ont pris place.
" LL . MM. se sont retirées vers II heures; la fin des
divertissemens préparés dans le jardin intérieur , a été un
peu contrariée par la pluie; cependant la fête v durait en
coreà uneheuredduumatin." S....
PARIS.
On parle dun prochain voyage de la cour à Compiègne.
- S. A. R. le grand duc de Wurtzbourg est parti de
Paris pour retourner dans ses Etats .
-
S. Exc. le colonel-général , duc d'Abrantès , gouver-
Deur de Paris , est arrivé en cette ville .
ANNONCES.
>
Système d'astronomie. Vraies causes du flux et reflux de la mer et
de la variation des vibrations du pendule sous les différens degrés de
latitude ; présenté à la première classe de l'Institut , pour concourir aux
prix décennauz de 1819; par M. J. H. S. de Croisilles , licencié èslois
à l'ancienne université de Caen , avocat à l'ancien parlement dé
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département du Calvados , maire de Maltos . Brochure in-8 ° . Prix ,
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contenant les Mémoires d'un des personnages des Soirées de la
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ouvrage. Quatre vol. in-18 , jolies figures en taille-douce. Prix ,
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2º pour les actes , rapports et arbitrages entre négocians;
3º pour les actes publics et sous signatures privées; 4º pour les demandes
àprésenter aux administrations , ministres et autorités supérieures;
les décisions à en obtenir , et les différens actes y relatifs ;
5ºpour tout ce qui concerne la conscription et les conscrits , les actes
à leur délivrer et à délivrer aux autres militaires , les demandes à formerpar
euxdans diverses circonstances , et les décisions qui peuvent
en être la suite; ouvrage où se trouvent divers réglemens de police et
d'administration ; l'organisation de l'université , en ce qui concerne
principalement les instituteurs, les élèves, l'Ecole Polytechnique, etc .;
utile aux juges de paix , aux maires et autres officiers de l'état civil ,
aux différens officiers ministériels , aux juges civils et à ceux de commerce,
aux négocians et manufacturiers , aux propriétaires de biens
de ville et de campagne , aux pères de famille , et à tous ceux_qui
veulent diriger leurs affaires personnelles et faire eux-mêmes les actes
qu'elles nécessitent; terminé par une table alphabétique très-détaillée.
ParM. ....... ancien avocat du barreau de Paris , auteur de divers
ouvrages de législation et de jurisprudence . Prix , 3 fr . , et 4 fr . franc
deport. Chez Patris etcompe, imprim. - libraires , rue de la Colombe ,
nº 4; et chez Blanchard et compe , libraires , rue Mazarine , nº 30 .
Programme de l'exercice extraordinaire pour l'inauguration de la nouvelle
salle du Conservatoire Impérial de Musique , le dimanche
30juin, à 2heures après midi.
1°. Premier morceau d'une symphonie de Haydn.
2º. Cantate sur la naissance de S. M. le roi de Rome .. par M. Arnault
, membre de l'Institut , musique de MM. Méhul , Chérubini et
Catel.
Les parties principales seront remplies par Mmes Branchu , Himm ,
Duret , Boulanger , et M. Eloy.
Les anciens élèves du Conservatoire attachés aux grands théâtres
deParis se réuniront à l'école pour l'exécution de cemorceau.
3º. Andante de la symphonie de Haydn.
4°. Air de Piccinni chanté parMme Branchu.
5º. Air varié pour violon par M. Rode , exécuté par M. Duret.
6°. Air de Mozart chanté par Mile Himm .
7°. Duod'Iphigénie en Tauride deGluck, chanté par MM. Nourrit
etDérivis .
8º. Air de Nazolini chanté par Mme Duret.
9°. Fragment de la symphonie en sol mineur de Mozart.
TABLE
DU TOME QUARANTE - SEPTIÈME.
L'EXIL
POÉSIE

'EXIL ; par M. Delisle Séjourné. Page3
Le Troubadour et la Bergère. Romance ; par Mme. de Montanclos.
Ode sur l'heureux accouchement de S. M. l'Impératrice , et sur
⚫la naissance de S. M. le roi de Rome ; par P. N. André-
Murville .
4
49
Début d'une Epitre sur quelques genres dont Boileau n'a pas fait
mention dans son Art poétique; par M. P. J. B. Chaussard. 53
Les Embellissemens de Paris , pièce qui a remporté le prix
décerné par la classe de la langue et de la littérature française
de l'Institut ; par M. M.-J.-J. Victorin- Fabre.
Les Embellissemens de Paris, pièce qui a obtenu le premier
-accessit ; par M. Millevoye.
97
105
Lamort deRotrou , pièce qui a remporté le prix de poésie ; par
M. Millevoye. 145
La mort de Rotrou , pièce qui a obtenu le premier accessit ;
par M. de Latouche. 149
Traduction d'un passage du second livre de l'Enéide; par M.
Legouvé. 153
LesEmbellissemens de Paris ,pièce qui a obtenu un ze accessit;
par M. Alexandre Soumet. 193
Dernier chant et dernier printems d'un Cygne ; par M. J. M.
Mossé.
241
Le mois de Mai , ou la Naissance de Placide ; à Mile Volnais ,
par M. Dusausoir. 245
Vers àMile Voluais ; par M. Legouré. 348
622 TABLE DES MATIÈRES .
Lamort de Rotrou : par M. M. С.
L'Horoscope.-Discours en vers à S. M. le roi de Rome ; par
M. R. D. Ferlus .
!
Ode italienne sur la naissance du premier fils de Napoléon-le-
Grand . parAnt. Buttura; traduite en vers français , par M.
P. Chaussard.
Vers à Mme de V.; par M. M.
La France consolée . Ode; par M. Alex Soumet.
La naissance du roi de Rome. - Ode ; par M. J. M. Mossé.
Ode sur la naissance du roi de Rome; par M. Treneuil.
289
337
385
388
433
435
481 ,
Ode sur la naissance du roi deRome ; par M. L. M.de Cormenin.
485
Chant héroïque composépourla naissance du roi de Rome ; par
M. Parseval. 529
L'Oracle du Janicule. Poëme pour la naissance du roi de Rome ;
parM. J. Esménard. 577-
Enigmes , 6 , 54 , 108 , 154 , 199 , 249 , 293 , 342 , 388,438,488 ,
535 , 585 .
1
Logogriphes , 6, 54 , 108 , 154 , 199,249,294,343,389,439 ,
489,536,585 .
(
Charades , 6,54, 108 , 155 , 200, 249 , 295 , 343 , 390 , 440 , 490,
$536,586.
i
2
SCIENCES ET ARTS.
Histoire de l'Astronomie , depuis 1781 , jusqu'en 1811 ; par M.
Voiron. (Extrait . ) 201
Introduction à la Géographie mathématique et critique ; par S.F.
Lacroix. (Extrait . )
i
250
Essai sur la Topographie physico-médicale de Bordeaux ; par
J. B. M. Saincric. ( Extrait . )
..
296
Mémoires de la Société d'agriculture du département de l'Oise.
(Extrait.) 441
Le Conservateur de la vue ; par M. J. G. 4. Chevalier.
(Extrait.) 491
LITTÉRATURE ET BEAUX - ARTS.
12 .
Recueil des Fables d'Esope , en grec . ( Extrait. )
Lettres de Louise et de Valentine. ( Extrait. )
7
TABLE DES MATIÈRES . 623
Le Centenaire des Alpes , ou l'Avalanche. - Ancienne anecdote
suisse ; par Mme de Montolieu . ( Suite . )
Itinéraire de Paris à Jérusalem ; par M. de Châteaubriand.
(Extrait. )
26, 124
55
Des Frreurs et des Préjugés répandus dans la Société ; par
J. B. Salgues . ( Extrait. ) 67
Relation de l'Egypte ; par Abd-Allatif, etc.; traduite par M.
Silvestre de Sacy. ( Extrait. ) 109
Poëme sur l'heureuse grossesse de S. M. l'impératrice , composé
en vers latins par N. E. Lemaire , traduit en vers français
par M. Legouvé. ( Extrait. ) 117
Etudes de l'Histoire ancienne ; par P. C. L'Evesque. (Extrait. ) 156
Eugénie et Matilde ; par l'auteür d'Adèle de Senanges. (Extrait. ) 163
Sur le temple de Jérusalem ; par M. J. B. Gail . 169
Traité de l'existence de Dieu; par Fénélon . ( Extrait. ) 208
Les Sires de Beaujeu ; par l'auteur de Paris , Versailles , etc.
(Extrait.) 214
Répertoire de Bibliographies spéciales , etc.; par M. Gabriel
Peignot. ( Extrait. ) 256
Imprudencé et Repentir; nouvelle par Mme Antoinette Legroing.
264
La mort au Procès ; par J. B. Selves . ( Extrait . ) 299
Essai sur l'art d'être heureux ; par Joseph Droz . 3c6
La Tendresse maternelle ; roman. ( Extrait . ) 310
Tableaux peints par un grand maître ; par M. R. D. Ferlus. 313
Histoire de l'administration de la guerre ; par Xavier Audouin .
(Extrait.) 344
La famille du duc de Popoli; par lady Mary Hamilton .
(Extrait. ) 391
Histoire générale de l'Espagne : par G. B. Depping. (Extrait. ) 404
Sur le Procès juridique et littéraire qui vient de s'ouvrir entre
MM. Dentu et Maltebrun ; par M. B. M. 411
Réponse de M. Maltebrun à l'article précédent. 453
De l'Influence des Femines sur la littérature française ; par
Mme de Genlis. ( Extraits . ) 447, 494
Ernestine ; par J. de B. 457
C
Thibaut , ou la naissance d'un comte de Champagne. (Extrait. ) 501
Quelques traits de la Vie privée de Frédéric-Guillaume II , roi
de Prusse ; par A. H. Dampmartin. ( Extrait. )
Voyages dans la Péninsule occidentale de l'Inde , etc .; par M.J.
507
Haofner. (Extrait. )
537
624 TABLE DES MATIÈRES .
Rudimens de la Traduction ; par J. L. Ferri de Saint- Constant,
(Extrait.) 544
Voyage en Allemagne et en Suède ; par J. P. Catteau .
(Extrait . ) 587
La France sous ses Rois ; par M. de Dampmartin. ( Extrait. ): 592
Le Paradis , poëme du Dante. (Extrait. ) 598
Revue Littéraire . 606
Littérature italienne .-Poésies d'Ant. Buttura.-Pièces italiennes
sur la naissance du roi de Rome . ( Extraits .) 217,353
Littérature anglaise . - De la Vie et des écrits de DavidHume ;
par T. E. Ritchie: ( Extrait.) 549
VARIÉTÉS.
Spectacles. 36,512
Numismatique.-Découverte de médailles.
:
38
Institut de France.
81
Lettres de M. Ginguene , sur les concerts de l'Odéon. 84, 132 , 180
Chronique de Paris . 73 , 172 , 273 , 359 , 463,554
Nécrologie.
226
Lettres aux Rédacteurs. 228, 319 , 320 , 563,564
Lettre de M. Denina à M. le comte Faletti Barol. 513
Sociétés savantes . 280,322 , 419 , 516
Athenée de Paris . 367
:
!
:
POLITIQUE.
こう
Evénemens historiques. 39 , 90, 135 , 185 , 230 , 281, 326, 372, 423,
472 , 520 , 566 , 611 .
Paris. 48, 96, 141, 191, 236, 332, 380, 428. 6гу ,
ANNONCES.
Livres nouveaux. 48 , 142 , 192 , 236 , 288 , 332 , 381 , 428 , 478
528 , 573 , 619.
Finde la Table du tome quarante-septième.
Qualité de la reconnaissance optique de caractères
Soumis par lechott le