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1803, 03-06, t. 12, n. 91-103 (26 mars, 2, 9, 16, 23, 30 avril, 7, 14, 21, 28 mai, 4, 11, 18 juin)
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MERCURE
DE
FRANCE ,
LITTÉRAIRE ET POLITIQUE.
TOME DOUZIÈME.
TE
'
DE
COMME
SOCI
ERCE
*
VIRES
ACQUIRIT
EUNDO
.
A PARIS ,
DE L'IMPRIMERIE DU MERCURE DE FRANCE.
AN XI ,
DIEL. UNIV,
LRED
( No. XCI . ) 5 GERMINAL an .
(Samedi 26 Mars 1803. )
MERCURE
DE FRANCE.
LITTÉRATURE
;
POÉSIE.
Paraphrase du Pseaume DIXIT DOMINUS
Du Seigneur tout - puissant la voix s'est fait entendre ;
Le souverain des cieux a dit à mon Seigneur :
Viens , à ma droite assis , du père le plus tendre
Partager et l'empire et l'éternel bonheur,
Bientôt déconcertés , engloutis dans la poudre ,
Tes plus fiers ennemis seront glacés d'effroi ;
Et leurs corps expirans , écrasés par la foudre ,
Feront ton marche-pied pour monter jusqu'à moi.
La brillante Sion , témoin de ta victoire ,
Verra frémir au loin ses rivaux terrassés ;
Dans ses murs triomphans , j'établirai ta gloire
Sur les débris fumans des trônes renversés .
II A2
r
4 MERCURE DE FRANCE ,
Source de tous les biens , au jour de ta puissance ,
Avant que du soleil on vit briller les feux ,
De tous les temps en moi je t'ai donné naissance ;
Viens éclairer mes saints , viens régner avec eux .
Le Seigneur l'a jure ; fidèle à sa promesse ,
Tu seras le plus grand des princes d'Israël ,
Et de Melchisedec surpassant la sagesse ,
De son ordre sacré le pontife éternel . A
71
Le Seigneur , près de toi , veille pour ta défense ;
Sur les tyrans vaincus et réduits aux abois ,
Son bras appesanti vengera ton offense :
Au jour de sa colère il a brisé les rois .
نه
Les fléaux destructeurs , les plus cruels désastres ,
Accableront de deuil tous les peuples divers ;,
Sa voix dans le néant fera rentrer les astres ,
Alors qu'il paraîtra pour juger l'univers.
Tremblez , fiers conquérans , arbitres de la terre ,
Le monde est ébranlé jusqu'en ses fondemens :
Que de fronts orgueilleux sont frappés du tonnerre !
Que de palais détruits par les embrasemens !
Cependant ce héros , poursuivant sa conquête ,
Du torrent dans son cours enfin boira les eaux ,
Et par - là jusqu'aux cieux élevera sa tête :
Célébrons à jamais ses triomphes nouveaux.
Par M. M. P. DE M.
GERMINAL AN XI. 5
LE PRINTEMPS , 1
Traduit de la onzième Cantate de METASTASE.
Le gazon , cher Philène
Commence à reverdir ;
٢٠
Dans nos bosquets déjà le bourgeon va s'ouvrir.
Ne sens-tu pas l'haleine .
D'un importun zéphir ,
Qui déjà nous ramène
Le printemps sur ses pas ?
La nouvelle saison te rappelle aux combats.
Que fera , loin de toi , la malheureuse Irène ?
Ah ! par pitié pour mon coeur amoureux ,
Tendres zéphirs , ne soufflez point encore ;
Jeunes boutons , au nom des Dieux ,
Ne vous hâtez pas tant d'éclore !
Que de soupirs doit coûter à mon coeur
La moindre fleur qui se colore !
Le plus léger zéphir augmente ma douleur.
Dans sa coupable adresse ,
Quel monstre , le premier ,
En instrument de mort osa forger l'acier ?
Le barbare jamais ne connut la tendresse ;
Fier de sa cruauté ,
Jamais il ne sourit au nom d'humanité.
Quelle fureur ! quelle ſolie !
A la séduisante beauté
D'une amante chérie
Préférer les assauts d'un farouche ennemi .....
Philène , mon ami ,
Ah ! ne te laisse pas séduire !
Si ton âme désire
A3
6 MERCURE DE FRANCE,
Avec tant de chaleur de cueillir des lauriers ,
L'amour n'a - t - il pas ses conquêtes ?
Tous les amans sont des guerriers ,
Qui doivent braver les tempêtes ,
Et les frimats , et la chaleur ;
Unir tantôt la ruse à la valeur
,
Le génie à l'expérience ;
Tantôt montrer la même ardeur
Pour l'attaque et pour la défense.
L'amour a des succès ;
f
Il a sa colère et sa paix :
Mais sa colère est fugitive ;
Mais que sa paix a de douceurs !
Son triomphe prodigue aux vaincus , aux vainqueurs ,
La félicité la plus vive ;
Même dans ses tourmens .
Hélas ! qu'est - ce que j'entends ?
Quoi ! déjà la trompette sonne ! ...
Philène va partir ; Philène m'abandonne ! ..;
Ingrat ! ... arrête , ingrat ! ..;
Pourquoi fuir ma présence?
Ah ! j'y consens vole au combat :
...
Je ne veux pas enchaîner ta vaillance ;
Mais avant ton départ ,
Que j'obtienne un dernier regard !
Quand tu seras ivre de gloire ,
Souviens - toi que mes jours existent dans les tiens &
Rapporte , s'il se peut , des feux dignes des miens ;
Mais reviens couronné des mains de la victoire .
Dans quelque lieu que t'ait conduit le sort ,
Redis - toi quelquefois , en pensant à ma peine :
« Qui sait si ma fidelle Irène
>> Existe encor ! >>>
J. A: NICOD
3
GERMINAL AN XI.
7 ..
A M. M ***
ENVOI
Dans lebec d'un serin , dont lebabil avaitparu l'intéresser.
DES tendres aveux de Lesbie ,
Ce moineau , discret messager ,
ACatulle , d'un vol léger ,
Portait les billets de sa mie.
Aussi bien qu'il servit l'amour ,
Qu'il serve la reconnaissance !
S'il chante pour la bienveillance ,
Il te chantera tout le jour.
:
Rien de ton coeur n'est illusoire ;
Tu nous as promis le bonheur;
Et pour en garder la mémoire ,
Garde la lettre et le facteur.
PAR ROUSSEAU- LA-ROTTIERE.
ENIGME.
1
ENFANT abandonné , même avant ma naissance,
De mes parens je n'eus aucun secours ;
Rien n'assurait ma chétive existence ;
Laid et hideux , je marchais à rebours.
Au fond d'un trou , dans un sombre repaire,
Le besoin et la faim me rendirent méchant ;
Je me livrais à mon goût sanguinaire ;
Jour et nuit je faisais la guerre à tout passant
A
8- MERCURE DE FRANCE ,
11
Malheur à l'être sans défense ,
Qui près de moi portait ses pas !
Victime de son imprudence ,
y trouvait la mort , et moi de bons repas ;
S'il voulait échapper à mes dents meurtrières ,
Je l'accablais d'une grêle de pierres ;
Il retombait à ma discrétion.
Craignant enfin l'attention
Que pouvait contre moi réveiller ma conduite ,
Sans oser prendre ouvertement la fuite ,
Je me cachai dans un tombeau ;
Là, par une diète austère ,
Je voulus expier mon métier de bourreau :
Jaloux de revoir la lumière
,
Je m'y pourvus d'un bon déguisement
Qui me fit méconnaître ;
Bientôt on me vit reparaître
Dans un nouvel ajustement.
Ayant ainsi changé ma maussade structure ,
Hardiment je me remontrai
Dans ma brillante parure ,
Sous laquelle je m'admirai :
1
Une gaze légère , et fine , et transparente ,
Que rehaussait l'éclat des plus vives couleurs ,
Décora ma taille élégante ,
Et m'eût fait remarquer même parmi les fleurs.
J'ai pris , changeant d'habits , un très - bon caractère ,
Je ne m'occupe plus qu'à chercher le plaisir ,
Je le poursuis sur l'aile du zéphir :
Je voltige par - tout , et par- tout je sais plaire.
Comme ici - bas le mal est à côté du bien ,
Dans peu je serai père ou mère
D'enfans qui , comme moi , d'abord ne vaudront rien
Mais , comme moi , changeront , je l'espère.
>
GERMINAL AN XI . 9
LOGOGRYPHE.
COMME de bonnes sentinelles ,
A leur consigne bien fidelles ,
Avec soin nous avertissons ,
Quand le moindre bruit nous approche ;
Si quelqu'un veut faire un reproche ,
Ou solliciter des pardons ,
Ou dire un mot de politesse ,
C'est toujours à nous qu'il s'adresse ;
Trop heureux si nous l'écoutons !
Sans nous les auteurs de musique ,
Les chanteurs et les violons ,
Même les faiseurs de sermons
N'obtiendraient aucune pratique ;
Sur huit pieds nous nous soutenons ;
Combine-les : nous présentons
De beaucoup d'objets la série ;
Nous en tairons une partie :
Le bois pliant dont les vaniers
Font usage pour leurs paniers ;
Le point principal en optique ;
L'éminent et funeste emploi
Que proscrit notre république ;
La matière que saint Éloi
1
Employoit dans ses beaux ouvrages ;
,
Le prophète qui fit cadeau
A son confrère d'un manteau
Quand il monta dans les nuages ;
Ce qu'en tes écrits tu mettras ,
A tes lecteurs si tu veux plaire;
L'objet du culte des Incas ;
10 MERCURE DE FRANCE ,
La plante que la cuisinière
Oppose à la fadeur des mets ;
Le marchand de cabriolets ;
Enfin, la solide matière ,
Que l'on façonnait en jetons ,
Et qu'un chimiste apothicaire
Va convertir en bons bouillons.
CHARADE.
La fable inventa mon entier ;
L'Éternel créa mon premier ;
Les médecins font mon dernier.
1
/
Mots de l'Enigme , du Logogriphe et de la
Charade insérés dans le dernier Numéro.
Le mot de l'Enigme est Essence de rose de Constantinople
( 1).
Celui du Logogriphe est Caréme , où l'on trouve rame,
mère , carme , mer , acre,ère , arme , mare , amer ,
are , ma , Marc , âme.
Le mot de la Charade est Ventose.
( 1 ) Cette Essence se trouve chez Hébert , Palais du Tribunat,
galerie de pierre , n. 20. en flacons , depuis 6 à 30 fr ..
L
GERMINAL AN XI. 11
Traité de l'Eloquence du Barreau , nouvelle édition
; par M. Gin , ancien magistrat , traducteur
des Harangues de Démosthènes et d'Eschine ;
1 vol. in- 12 , 1 fr. 50 cent. et 2 fr. par la poste.
A Paris , chez Egron , imprimeur , rue des
Noyers , nº. 24 ; et chez le Normant, imprimeurlibraire
, rue des Prêtres Saint-Germain-l'Auxerrois
, vis -à-vis le petit portail , nº. 42.
L'INÉPUISABLE fécondité de M. Gin, jusques
dans un âge si avancé , nous représente ces automnes
riches et fertiles qui se prolongent jusques
dans l'hiver , et couronnent de leurs fruits la vieillesse
de l'année ; ces fruits d'une saison tardive ,
n'ont pas toujours une qualité qui réponde à leur
abondance , mais ce sont les dons d'une nature
libérale , qui attestent la richesse du sol et la faveur
des cieux.
Cette comparaison paraîtra peut- être un peu recherchée
, mais elle est juste. M. Gin a enrichi
notre littérature d'une foule de productions , qui
font estimer l'homme encore plus que l'écrivain.
Attaché par le sang à l'un des plus grands poètes
que la France ait produits , il a soutenu l'honneur
de cette alliance , sinon par des talens du même
ordre , au moins par de profondes études et des
travaux utiles . Il a traduit , en véritable savant ,
les plus beaux ouvrages des orateurs et des poètes
grecs : sa traduction de Pindare est la seule complète
que nous possédions , et les notes qui l'accompagnent
témoignent une érudition peu commune.
Cet ouvrage a essuyé quelques plaisanteries
sans conséquence , qui ne devaient faire d'impressien
nisur le public, ni sur l'auteur ; son mérite est
12 MERCURE DE FRANCE ,
|
trop solide pour ne pas résister aux traits d'une critique
plus vive que maligne , et plus enjouée que
profonde. Des attaques de cette sorte assurent la
réputation d'un bon livre , comme ces secousses
légères qui éprouvent un édifice , et ne font que
l'affermir sur ses tondemens ; mais on n'a jamais
eu la pensée qu'elles dussent priver l'auteur du
fruit légitime de son travail , bien moins encore
affliger une vieillesse aussi respectable et aussi laborieuse
que la sienne. C'est pour réparer cet effet ,
autant qu'il est en notre pouvoir , que l'on profite
de l'occasion qui se présente de rendre à M. Gin
et à ses ouvrages la justice qu'ils méritent. Des
hommes qui ont plus d'esprit que de savoir , et
qui sont ordinairement subtils et railleurs , comme
-l'observe Léibnitz , parce qu'ils affectent de mépriser
les connaissances qu'ils n'ont pas ; de tels
hommes ont pu s'amuser quelquefois de la simplicité
qui paraît dans les traductions de M Gin ;
cette simplicité , il faut l'avouer , prend sa source
dans une fidélité trop exacte , c'est-à- dire que M.
Gin se tient souvent trop près de l'antiquité, iill la
copie trait pour trait ; et non content de traduire
J'esprit , il veut rendre la lettre , sans s'embarrasser
de la diversité des langues. C'est ainsi que , dans
cet endroit célèbre de l'Iliade où le poète compare
un de ses héros à un animal dont notre langue ne
permet pas d'employer lenomdans le style noble ,
il s'est montré plus hardi même que madame
Dacier; et tandis que tous les traducteurs se sauvent
par une périphrase de l'écueil du mot grec ,
M. Gin, avec une naïveté digne d'Homère , dit
tout simplement que le grand Ajax est semblable
àun dne. On ne doute pas que dans sa traduction
de l'Odyssée, il n'ait rendu avec la mème franchise
le beau passage où Homère compare Ulysse , agité
dans son lit de mille pensées différentes , à un
!
GERMINAL AN ΧΙ. 13
morceau de boudin qu'on tourne sur le gril. On
ne manque pas de critiques qui s'appesantissent
lourdement sur ces fautes légèrés , ou d'esprits
moqueurs qui triomphent en riant de cette
simplicité antique : mais on n'en estime pas moins
l'exactitude scrupuleuse de ces savans qui nous
peignent l'antiquité avec les couleurs naturelles de
ses moeurs , de ses coutumes et de son langage. Si
M. Gin a échoué dans des ouvrages plus modernes
qui demandaient les forces et l'imagination
de la jeunesse , c'est à nous de savoir respecter un
vieil athlèteque le besoin ou l'amour du travail a
fait rester dans la carrière. Il faut moins juger ce
qu'il est que se rappeler ce qu'il fût ; et la critique
duprésent serait trop cruelle et trop injuste ,
si elle n'était précédée de la mémoire reconnaissante
du passé.
f
Le traité de l'Eloquence du Barreau parut , et
fut reçu avec faveur il y a près de quarante ans.
C'est un ouvrage élémentaire et une sorte de rhétorique
propre aux jeunes orateurs qui se consacrent
à l'étude de la jurisprudence : on y trouve
tout ensemble et les préceptes et les exemples de
l'art. Les préceptes y sont ménagés avec sobriété ,
et les exemples répandus avec goût. On pourrait
trouver que l'auteur n'approfondit pas toujours
assez son sujet , si son dessein n'était pas de s'attacher
sur-tout à la partie oratoire. Ce n'est pas qu'il
néglige la science , il la regarde avec raison comme
le fondement d'une éloquence solide , et il marque
lui -même les sources de l'instruction où se doit
former le jurisconsulte ; mais il ne s'élève pas ,
comme Cicéron , aux idées générales de son art :
ce grand maître qui joignait à une expérience consommée
tant de méditations profondes , nous a
tracé lui-même un tableau de l'orateur parfait , où
it faut chercher peut-être ce qu'il y a de plus vrai
14 MERCURE DE FRANCE ,
:
etdeplus instructif sur cette matière ; c'est là qu'il
entreprend de fondre ensemble l'orateur et le
philosophe ; idée fondamentale à laquelle doit se
rapporter toute éloquence qui aspire à une longue
vie.
En effet , Cicéron, s'était aperçu qu'il y avait.
une éloquence commune , dont toute la beauté
consistait dans les ornemens du discours ; ( eloquentia
popularis , ornata verbis..... ) que cette
éloquence était méprisée des habiles qui n'y trouvaient
aucun fonds , mais qu'elle éblouissait la mul
titude; ( spreta àphilosophis et repudiata, ....
jactationem habuit in populo) et, d'un autre côté,
il voyaitque ces hommespleins de savoir et d'idées ,
à qui il appartenait de traiter un sujet à fond , ne
possédaient pas , au même degré , la force et les
agrémens du style; en sorte que , dans ce partage
des qualités de l'esprit, les uns avaient l'art de
plaire , mais ne savaient pas instruire; et les autres
savaient instruire , mais n'avaient pas le don de
plaire , parce que, dit Cicéron , l'éloquence manquait
aux savans, et la science aux hommes diserts.
Doctis eloquentia popularis , et disertis elegans
doctrina defuit. Ce grand orateur comprit donc
que pour faire quelque chose d'achevé , il fallait
réunir ces deux qualités ; et que comme il y a dans
l'homme une raison qui veut être instruite pardes
vérités solides , et une imagination qui veut être
flattée par les beautés sensibles de la parole , l'éloquence
, pour captiver l'homme tout entier , devoit
mettre en oeuvre ce double pouvoir , et des idées
qui constituent le fond du discours , et des images
qui ensontl'ornement , afin que , de cette manière ,
rien ne manquât ni à l'instruction ni au plaisir , et
que ces deux choses fussent placées dans leur ordre
naturel. Selon cette idée, Cicéron jugeait que tout
l'art oratoire qu'on déployait au barreau ne faisait.
:
GERMINAL AN XI .. 15
qu'une partie del'éloquence ; car il pouvaitbien contenter
l'oreille par l'harmonie des périodes, et l'imagination
, par la pompe du style ; mais il ne satisfaisait
pas de même la raison et l'esprit : et , en
effet, la véritable éloquence, qui est naturellement
pleine de feu , est si éloignée de consister dans le
choix et l'arrangement des mots , qu'il n'y a rien
quelquefois qui y soit plus opposé. Il est certain
que des idées pressées dans un enchaînement fort
et lumineux , quoiqu'avec un style négligé , porteront
dans l'ame plus de véritable chaleur que ces
phrases sonores et cadencées qui ne disent rien ou
presque rien à l'esprit. Elles ressemblent à ces
pièces de musique , dépourvues de chant et d'expression,
qui ne fontque remplir l'oreille d'un vain
bruit , sans jamais parler au coeur. On ne saurait
donc trop avertir ceux qui se consument d'un soin
si frivole , et qu'on peut appeler les martyrs de
Tharmonie , que Cicéron leur maître , cet homme
si harmonieux , pose avant tout pour principe de
son art , que sans la philosophie , c'est-à-dire , sans
uneprofonde connoissancedes choses , il n'est pas
possible d'être vraiment éloquent. Positum sit in
primis , sine philosophid non posse effici, quem
quærimus, eloquentem. Il éclaircit assez ce principe,
en ajoutant que sans la philosophie dont il parle ,
l'orateur ne peut rien dire de profond ni de con
sidérable touchant la vie , les devoirs , la vertu , et
les moeurs. De vitd , de officiis , de virtute , de
moribus. Il paraît que Cicéron avait emprunté
cette idée de Socrate; car ce grand homme disait
à ses amis que Périclès n'avait eu une éloquence si
puissante , que parce qu'il avait été formé par
Anaxagore , qui avait ajouté aux grâces naturelles
de son esprit une grande profondeur de sens ; et
Cicéron attribuait de même la gravité singulière
deDémosthènes auxinstructions qu'il avait retenues
de Platon.
{
16 MERCURE DE FRANCE ,
Vraisemblablement si M. Gin fût entré davan
tage dans ces considérations pourjuger les orateurs
de notre barreau , il eût loué plus sobrement quelques-
uns de nos plaidoyers qui , quoique très-bien
écrits , n'ont cependant rien qui approche de cette
souveraine éloquence dont les modèles sont si
rares. Ce sont ces modèles qu'il faut suivre unique
ment. La parole a toujours été une si grande puissance
dans le monde que les hommes ne manqueront
jamais d'ambition pour se la disputer. Mais
on doit craindre que , pour arriver plus aisément
à une gloire si enviée , ils ne corrompent l'idée de
l'éloquence , comme nous voyons qu'il arrive dans
ladécadence des moeurs et des esprits. Voilà pourquoi
il importe de la défendre sans cesse contre les
fantaisies de l'amour propre et les innovations du
mauvais goût. Il faut donc que cette idée de la
véritable éloquence repose sur un fondement qui
n'ait rien d'arbitraire, Or , ce fondement ne se peut
trouver qu'en s'attachant fidèlement aux modèles
que l'expérience et la raison générale ont , en quelque
sorte , consacrés . C'est donc bien justement
qu'on se rit de la plaisante prétention de quelques
fous , pleins d'amour propre , qui s'étant tourmentés
à imaginer un style bizarre et des idées
singulières , pensent les faire recevoir comme un
nouveau genre d'éloquence et de raison. Ils ne
voient pas que si ce qui plaît à quelques imaginations
échauffées , devait servir de modèle , toute
espèce de règle deviendrait inutile, puisque chacun
pourrait se faire une loi de son goût particulier
, quelque chimérique et quelqu'insensé qu'il
pût être ; mais , excepté eux , qui ne voit dans
quelle confusion d'idées tomberait à l'instant l'esprit
humain , si jamais une telle porte était ouverte
au caprice et à la vanité ? Ce n'est donc pas par
une superstition timide , comme ils le disent , mais
avec
ةمسق
GERMINAL AN XI 17
BA
cen
avec une profonde mesure de jugement , que
critique qu'on a toujours professée dans cercou
vrage , ne cesse de les rappeler au siècle desund
dèles et aux principes établis de tous les mos
dans les arts. Car le genre humain qui a reçeces
principes , et qui les a confirmés par son suffrac
y a mis le sceau de la raison , et leur a donne
force de loi.
M. le chancelier d'Aguesseau qui n'a fait qu'ef
fleurer le même sujet qu'a traité M. Gin , en
parle néanmoins très-pertinemment , dans des ins
tructions rapides qu'il adresse à un jeune avocat.
Dans le chapitre de l'élocution , où il s'occupe de
jeter les fondemens d'un style vrai et durable , le
savant magistrat veut , à l'exemple de Cicéron , que
le jeune orateur se fasse d'abord un fonds d'idées
générales et une solide méthode pour le raisonne
ment. C'est pourquoi il l'envoie à l'école de Des
cartes et de Port- Royal; et réconciliant le docteur
Arnaud avec le P. Mallebranche , il veut qu'il lise
tout ensemble laperpétuitéde lafoi et larecherche
de la vérité. Il veut qu'il se nourrisse des beautés
profondes de Pascal , des grands traits de Bossuet ,
et de la logique vigoureuse deBourdaloue: car ce
sont là les sources où il faut chercher cette philosophiedont
parlait Cicéron ,philosophie qui donne
des idées justes des devoirs de l'homme etde l'autorité
qui les prescrit. Je ne sais si M. Gin a bien
conguce principe ; mais on pourra trouver que ,
sans s'y arrêter précisément , il développe des idées
assez approchantes , dans le chapitre où il traite
des connaissances nécessaires à l'avocat , et où il
examine ce que chaque partie du savoir peut fournir
àl'éloquence . C'est voir par le détail ce que
Cicéron embrasse d'une seule vue . Maison saitcombienun
principe unique et fécond en conséquences
porte de clarté dans l'esprit, M. Gin a- t- il raison
4
11
B
18 MERCURE DEFRANCE ,
de considérer l'éloquence comme divisée en trois
genres , le sublimo , l'orné , et le simple ? Il blâme
M. Crevier de n'avoir traité , dans sa rhétorique ,
que la division des styles , quoiqu'il semble que
c'est se rapprocher davantage des idées de Longin,
et même de celles de Cicéron qui dit simplement
: Tria sunt omninò genera dicendi. Mais il
est vrai que M. Gin a pour lui une grande autorité
; c'est celle de Fénélon : et M. de Voltaire ,
dont le sentiment est considérable en matière de
goût , dit quelque part qu'on trouve , dans les Provinciales
, tous les genres d'éloquence. Il semble
néanmoins qu'on ait des idées plus claires , si l'on
dit que l'éloquence consiste , dans quelque matière
que ce soit, à employer le style qui convient au
sujet ; et , par la même raison , je ne pense pas
qu'on puisse soutenir que le barreau ne comporte
qu'un seul genre d'éloquence , car ce serait dire que
tous les plaidoyers doivent être écrits du même
style. C. D.
Nouveau Dictionnaire d'Histoire naturelle , appliquée
aux arts , principalement à l'agriculture et à l'économie
rurale et domestique ; par une société de naturalistes et
d'agriculteurs : vingt volumes grand in-8°. environ ,
ornés de planches en taill-edouce , tirées des trois règnes
de la nature. De l'imprimerie de Crapelet ; première et
deuxième livraisons , faisant les tomes I à VI , avec
soixante et une figures. Prix , 39 fr. brochés , pris à
Paris jusqu'au 3o floréal , que paraîtra la troisième livraison.
Passé cette époque , chaque livraison , de trois
volumes , sera de 22 fr. 50 cent. A Paris , chez Deterville
, libraire , rue du Battoir , n°. 16 , quartier Saint-
André-des-Arcs ; et chez le Normant , libraire , rue des
Prêtres Saint-Germain-l'Auxerrois , n°. 42.
L'homme, dans tous les temps , s'est appliqué à connaître
la nature , soit pour le soulagement de ses maux , sort
GERMINAL AN XL 19
pour la satisfaction de sa curiosité ; mais , trop souvent , il
a pèrdu de vue ce qui devait l'intéresser dans cette étude;
et , par une fatalité bizarre , la science des faits et de l'observation
est devenue un recueil d'opinions et de conjectures
, et s'est montrée presque aussi changeante dans ses
systèmes , que les arts d'imagination dans leurs écarts , et la
mode dans ses caprices. Cependant , la réforme de l'his
toire naturelle avoit été désirée , et même commencée par
quelques hommes supérieurs , qui s'élevèrent au-dessus des
préjugés et des connaissances de leur âge. Mais le succès
d'une telle entreprise , dépend du temps aussi bien que de
l'homme : il doit être le résultat d'une longue suite d'observations
, de découvertes et d'expériences. Il demande ,
dans les arts et les sciences , un degré de développement
nécessaire , pour qu'ils puissent se prêter un secours mutuel
; il demande , enfin , cette époque de maturité et de
perfection , qui arrive pour les sciences lorsqu'elle est
passée pour les arts d'imagination.
Cette époque est arrivée , et elle marquera la fin du dixhuitième
siècle . Un goût presque général a dirigé l'essor
de l'esprit humain vers l'étude des merveilles de la nature :
l'univers entier est devenu le domaine de l'homme; des
voyageurs instruits se sont partagés sa surface; des monts
inaccessibles ont été gravis jusqu'à leur sommet ; des
routes nouvelles ont été frayées sur les mers ; des contrées
sauvages et barbares ont été parcourues ; l'optique , la chymie,
l'anatomie , ont prêté leurs secours aux naturalistes ,
et de précieuses dépouilles sont devenues la récompense
du courage inspiré par un ardent amour des sciences.
Dès-lors on a vu disparaître des erreurs qui , soutenues
de grands noms , avaient traversé les siècles : la certitude
a remplacé les doutes ; des milliers d'êtres nouveaux ont
été reconnus et classés ; des phénomènes intéressans ont
été observés ; des faits nombreux ont augmenté la science ,
et la science s'est enrichie de toutes les connaissances p
B2
20 MERCURE DE FRANCE ,
sitives qu'elle a acquises et de toutes les erreurs qu'elle a
rejetées.s ::
Mais comment se procurer cette vaste et importante
collection de livres où elle a été saisie dans
toutes ses divisions , où sont indiqués les rapports les plus
déliés de tous les êtres , leurs points communs d'organisation
,leurs ressemblances intérieurés et secrètes , et la
marche régulière de la nature dans la chaîne immense
detous ses ouvrages ? Et lors même qu'on pourrait en
disposer , que de peines , que de fatigues et que de recherches,
souvent inutiles , pour y trouver ce dont on aurait
besoin ! Un traité méthodique d'histoire naturelle , contenant
un résumé complet des progrès de cette science ,
au niveau des découvertes modernes , appliqué aux choses
utiles , à l'économie rurale et domestique , à la médecine ,
aux arts , à l'agriculture , au commerce , etc. , dans lequel
on pourrait sur-le-champ , consulter un point d'histoire
naturelle , et qui réunirait dans un espace horné ce
qu'on ne peut rencontrer que dans une infinité d'ouvrages
nouveaux , et suppléerait à ce que l'on ne peut trouver
dans des collections modernes , à la vérité , mais que les
progrès des sciences ont rendu surannées : un traité de
ce genre serait donc un beau présent fait à toutes les
classes de la société. Tel est le but du nouveau Dictionnaire
d'histoire naturelle .
Non-seulement il rassemble avec choix et méthode
toutes les connaissances anciennes et modernes sur la nature;
mais chacun des auteurs y a consigné le résultat de
ses propres observations , et on le distinguera , sans doute ,
de ces compilations fastidieuses , de ces oeuvres de librairie
, où l'on trouve tout ce qu'on sait , et rien de ce qu'on
voudrait savoir.
On a reproché à l'ordre alphabétique de morceler la
science; mais ce désavantage disparaît entièrement ici ,
par la coïncidence méthodique des différens matériaux
qui composent cet ouvrage : les articles généraux exGERMINAL
AΝ ΧΙ.- 21
posent les principes fondamentaux de la science , et conduisent
aux articles des classes , des ordres , des genres ,
et enfin des espèces. Chaque objet est décrit avec clarté ,
précision et exactitude. Les notions les plus essentielles
sur la structure intérieure , sur le mécanisme des fonctions
des êtres vivans et végétans , sont exposées , avec la peinture
des moeurs et des habitudes des animaux. On n'a pas
négligé sur-tout d'enseigner les facultés , les usages , l'utilité
et l'agrément des plantes et des animaux , ainsi que
les propriétés des substances inorganiques et leur emploi
dans la chimie et les arts . Les seuls points intéressans de
critique sont discutés ; les faits douteux sont rapportés avec
précaution , examinés avec soin, et les preuves sont appuyées
sur les meilleures observations.
Cet ouvrage , qui sera terminé par des tableaux analytiques
, au moyen desquels on pourra apprendre l'his
toire naturelle , coinme dans un livre élémentaire , peut
donc être regardé en quelque sorte , comme un vaste tableau
dont chaque partie est successivement expliquée.
Un grand nombre de figures , toujours nécessaires dans les
ouvrages d'histoire naturelle , rendent sensibles aux lec-
-teurs les objets les plus remarquables , et l'on a eu soin de
renvoyer aux meilleures figures des ouvrages connus ,
lorsqu'elles ne sont point insérées dans ce dictionnaire.
Il est inutile d'insister sur les avantages d'une pareille
entreprise. Ils sont évidens , et si l'on peut conserver quelques
doutes , ce ne peut être que sur l'exécution. Nous
nous empressons d'ajouter ( et cette remarque n'est pas
superflue , lorsque l'on annonce un ouvrage de sciences ) :
que le respect de toutes les convenances a présidé à la rédaction
de ce dictionnaire; par-tout la morale s'y montre
d'accord avec la science , et le bon esprit avec le savoir
profond.
Au reste , le nom des rédacteurs est une recommandation
suffisante. L'histoire naturelle est rentrée dans tous
ses droits, lorsqu'elle est enseignée par des hommes qui
B3
22 MERCURE DE FRANCE ,
réunissent l'étendue des connaissances à l'amour des vé
rités nécessaires à l'ordre. La science devient vraiment
populaire , en se rattachant à ces hautes considérations ,
qui sont à la portée de tous , parce qu'elles sont bonnes
pour tous . Elle est intéressante , lorsqu'elle descend aux
applications utiles à la société; et lorsqu'elle n'est que
curieuse , elle est encore utile .
P. A. M. M.
VARIÉTÉS.
La Pitié, poëme en quatre chants , par J. Delille .
L'auteur , dans le premier chant , peint la pitié exercée
par les particuliers envers les animaux , les serviteurs , les
parens , les amis , et indistinctement tous les êtres à qui
leurs malheurs et leurs besoins donnent des droits à la
pitié des ames sensibles.
Lesecond chant a pour objet la pitié des gouvernemens,
exercée dans les établissemens publics de justice et de
charité , dans les prisons , dans les hôpitaux civils et militaires
, dans les guerres de peuple à peuple , et même dans
la guerre civile.
Les malheurs des révolutions , les malheurs de l'exil ,
sont le sujet du troisième et du quatrième chant. Pour
donner à ses tableaux toute la variété dont ils étaient susceptibles
, l'auteur les a enrichis de plusieurs épisodes ,
tirées du sujet même. Le troisième chant se termine par
la description d'une fête champêtre , instituée en l'honneur
des filles de Verdun , également intéressantes par leur
vertu et par leur beauté , toutes immolées dans un même
jour , et dont la mort prématurée, comme le dit le poète
lui-même , rappelle d'une manière si touchante ce mot
* charmant d'un grec, après une bataille où la jeunesseAthé
GERMINAL AN XI.
27
lasser fait naître l'idée d'un effort , et jamais on n'a fait
d'effort pour aimer.
Je pousserais ces observations beaucoup plus loin; mais
tous les gens de goût les ont faites avant moi , et ceux qui
n'ont point de goût ne m'entendraient pas . Bernard , dans
sa vieillesse , avait perdu la mémoire ; il avait oublié ses
vers , et je pense que tout le monde aurait dû les oublier
aussi . Au reste , Bernard est plus connu aujourd'hui par
quelques vers de Voltaire que par les siens. Voltaire a
long-temps a busé de son autorité sur le Parnasse , pour
faire des réputations. On se souvient de ces vers qui lui
furent adressés , sur la complaisance de ses éloges.
Mais , par tes billets circulaires ,
N'enhardis plus l'essaim bruyant
De ses insectes éphémères
Qui vont assiéger ton couchant.
Ainsi, dans les plaines de Flore ,
Sur le déclin des jours brûlans ,
L'oeil surpris voit soudain éclore
Tous ces moucherons bourdonnans .
Rien à mon gré n'est si risible
Que leur air , leurs tons empesés ,
Et leur mérite imperceptible
Dont tu les as seul avisés .
La missive qu'ils ont en poche
Leur sert de lunettes d'approche
Pour lorgner l'immortalité.
Nous ne pousserons,pas cependant la sévérité jusqu'à
réprouver toutes les pièces qui composent le recueil de
Bernard. Son poème de Phrasine et Mélidore , n'est pas
sans mérite , et l'opéra de Castor et Pollux est encore
assez généralement estimé.
! 1
28 MERCURE DE FRANCE.
Hypolite , ou l'Enfant sauvage. ( 1 )
,
Ce roman , écrit d'un style incorrect et trivial , est un
composé d'aventures extraordinaires qui étonneront
même les personnes les plus familiarisées avec ce genre
d'ouvrages. Hypolite est un jeune homme , né dans une
forêt , élevé dans l'état de nature , et qu'on veut rendre à
la civilisation. Les moyens que l'auteur emploie pour parvenir
à ce but , sont bizarres : son plan d'éducation n'a
aucun intérêt ; mais en offrit-il beaucoup , il ne pourrait
de long-temps être mis en usage , car les sauvages commencent
à devenir rares dans nos forêts. On voit qu'il a
voulu , en quelques endroits , se rapprocher de l'Elève de
la Nature de Mercier ; mais il y a, entre Mercier et lui ,
la distance qu'il y a entre Mercier et Newton. Du reste,
l'auteur s'est conformé à l'usage ; il fait mourir la plupart
des personnages , et son héros finit par un mariage riche ,
qui le rend très-heureux. Ne voilà qu'unepartiedu roman.
Dans l'autre partie, la mère d' Hypolite, loinde ressembler
àson fils , passe de la civilisation à l'état de nature ; elle erre
dans les forêts , sous les décombres de son château : c'est
par suite de ses malheurs , dont le récit remplit une grande
partie de l'ouvrage , qu'elle se livre à ce genre de vie , et
qu'elle prend en horreur tous les hommes et se soustrait à
leurs regards. Elle finit pourtant par recouvrer assez de
raison pour venir faire une belle mort au milieudes siens.
Tel est , en peu de mots , le plan de cet ouvrage. L'auteur
paraît avoir voulu faire contraster un sauvage , rendu à la
civilisation , avec une femme élevée dans un monde
choisi , qui se livre tout-à-coup à une vie sauvage. Pour
T
(1 ) Quatre vol. in-12. Prix, 7 fr. 50 c. et 9 fr. 50 c. frane de port.
AParis , chez Renard , libraire , rue de l'Université , n°. gaa; et chez
le Normant , imprimeur- libraire , rue des Prêtres-Saint-Germainl'Auxerrois
, n°. 42.
GERMINAL AΝ ΧΙ. 23
nienne périt en foule : L'année a perdu son printemps.
Par cette description , ajoute l'auteur du poëme , le lecteur
consolé passe avec plaisir et sans secousse , des massacres
à une fête , de la terreur des échafauds aux spectacles
délicieux des bocages , des fleurs et du printemps .
Nous allons citer ici cet épisode.
Chaque âge , chaque peuple ont eu lear héroïne ;
Thèbe eut une Antigone , et Rome une Epponine.
Mais chaque jour nous rend ces modèles fameux.
Rome ne vante plus tes triomphes pompeux !
Ce sexe efface tout ; et ton char sanguinaire
A vu moins de héros que son char funéraire :
Il a ses Thraséas , ses Catons , ses Brutus .
Ah ! que la Grèce antique , école des vertus ,
Ait des filles de Sparte admiré le courage !
Mais vous , charme d'un peuple élégant et volage ,
Qui dès vos premiers ans entendîtes toujours
Le son de la louange et le luth des amours ,
Sans le faste imposant de l'âpreté stoïque ,
Où donc aviez-vous pris cette force héroïque ?
O vierges de Verdun ! jeunes et tendres fleurs :
Qui ne sait votre sort , qui n'a plaint vos malheurs ?
Hélas ! lorsque l'hymen préparoit sa couronne ,
Comme l'herbe des champs , le trépas vous moissonne !
Mème heure , même lieu vous virent immoler :
Ah ! des yeux maternels quels pleurs durent couler ?
Mais vos noms , sans vengeur , ne seront pas sans gloire ;
Non : si ces vers touchans vivent dans la mémoire ,
Ils diront vos vertus . C'est peu : je veux , un jour ,
Qu'un marbre solennel atteste notre amour.
Je n'en parerai point ce funèbre Élysée
Qui de torrens de sang vit la terre arrosée.
Mais, s'il est quelques lieux , quelques vallons déserts ,
Épargnés des tyrans , ignorés des pervers ,
Là , je veux qu'on célèbre une fête touchante ,
Aimable comme vous , comme vous innocente.
De là j'écarterai les images de deuil ;
Là, ce sexe charmant , dont vous êtes l'orgueil,
:
i
B4
24 MERCURE DE FRANCE ,
Dans la jeune saison reviendra chaque année
Consoler par ses chants votre ombre infortunée.
" Salut , objets touchans ! diront-elles en choeur a
Salut, de notre sexe irréparable, honneur !
>> Le tenips , qui rajeun't et vieillit la nature ,
>> Ramène les zéphirs , les fleurs et la verdure ;
>> Mais les ans , dans leur cours , ne ramèneront pas
› Une vertu si rare unie à tant d'appas .
› Espoir de vos parens , ornement de votre âge ,
>> Vous eûtes la beauté , vous eûtes le courage ;
» Vous vites sans effroi le sanglant tribunal ;
Vos fronts n'ont point pâli sous le couteau fatal :
>> Adieu , touchans objets , adien Puissent vos ombres
> Revenir quelquefois dans ces asiles sombres !
>> Pour yous le rossignol prendra ses plus doux sons ,
» Zéphir suivra vos pas , écho dira vos noms :
>> Adieu ! Quand le printemps reprendra ses guirlandes ,
>> Nous reviendrons encor vous porter nos offrandes ;
› Aujourd'hui recevez çes dons consolateurs ,
>> Nos hymnes , nos regrets , nos larmes et nos fleurs ! >>>
Cuvres de Bernard , édition stéréotypée ; un vol. in- 18.
Prix , papier ordinaire , 1 fr. 10 c. et 1 fr. 50 c. par la
poste ; in-12 , papier fin , 2 fr. 25 c. et 3 fr.; idem , papíer
vélin , 4 fr. 25 c. et 5 fr. par la poste. Chez Renouard,
rue Saint-André-des-Arcs ; et chez Le Normant,
imprimeur - libraire , rue des Prêtres-Saint-Germainl'Auxerrois
, n°. 42.
La déesse qui distribue les réputations est souvent aussi
aveugle que celle qui distribue les richesses ; mais aussi
les faveurs de la renommée ne sont-elles pas moins périssables
que celles de la fortune ; les réputations usupées
disparaissent presque toujours avec les cotteries qui les
ont vu naître , et les petites intrigues qui les ont accré
ditées. C'est ce qui est arrivé à Bernard , qui a joui d'une
1
GERMINAL AN XL 25
très-grande célébrité , et qui a cependant survécu à sa
gloire littéraire .
On ne devait pas s'attendre que l'art du stéréotypage ,
destiné à répandre les ouvrages classiques , entreprendrait
d'exhumer les poètes oubliés , et tenterait la résurrection
du Gentil Bernard. L'éditeur paraît lui-même être de
notre avis , quand il dit de son poète , qu'il a constamment
pris la galanterie pour le sentiment , et les transports des
sens pour l'expression du coeur. Quelques pensées
ingénieuses et fines , ajoute - t - il , exprimées avec une
élégante concision , ont mérité d'être retenues , et orneront
toujours la mémoire de ces aimables voluptueux ,
qui trouvent apparemment leur compte à réduire leur
plaisir en calcul , et la séduction en système. Il résulte de
cette phrase que cette édition est faite non pas tant pour
ceux qui ont le goût des vers , que pour ceux qui ont le
goût du libertinage.
,
L'Art d'aimer , si vanté avant qu'il fût imprimé , n'est
qu'une peinture froide , je ne dis pas du sentiment de l'amour
, je ne dis pas même de la galanterie , mais de la
corruption et de la débauche. Bernard a mis en vers secs
et souvent incorrects, le bulletin des ruelles et la gazette
des amours effrontés ; la volupté s'y trouve plus souvent
en préceptes qu'en images riantes , et le poète ne se fait
jamais pardonner d'avoir mis en vers le code de la séduction,
par cette passion touchante qui anime les tableaux
de Catulle , et qui doit excuser , aux yeux de la raison, le
délire souvent répréhensible des poètes érotiques.
Nous ne ferons point connaître en détail ce роёте ,
jugé depuis long-temps. Nous nous contenterons d'en relever
quelques incorrections .
:
Le poëte indique aux amans l'occasion favorable , pour
conterdes fleurettes à leurbeauté. ने :
26 MERCURE DE FRANCE ,
Lorsqu'un miroir complaisant et flatteur
Lui réfléchit un charme adulateur ,
C'est le vrai temps où l'ame des coquettes
Suce le miel du jargon des fleurettes .
Ces vers renferment deux ou trois fautes grossières.
Que veut dire Bernard , en parlant d'une ame qui suce le
miel? Il fallait au moins dire auparavant que l'ame des
coquettes était une abeille ou un papillon. Mais ce n'est
pas tout , cette ame ne suce pas le miel des fleurs , mais le
miel d'un jargon.
Dans un autre passage , le poète dit :
Lorsqu'on a fait la conquête d'une âme ,
L'art plus savant est de nourrir sa flame.
On aurait pu parler de faire la conquête d'une ame au
temps des revenans , au temps où les ames apparaissaient
aux vivans ; mais cette expression est aujourd'hui inintelligible
: lors même qu'on l'entendrait , l'idée serait trop
vague , et l'on sait que rien ne nuit au charme de lapoésie
comme les pensées et les mots vagues . La poésie vit d'images
et de personification , et ce qui est indéterminé ne
peut réveiller qu'un sentiment confus.
Voyons un peu comment le chantre des Amours peint
lesGraces .
Sur la beauté vous l'emportez encore ,
Divines soeurs , o graces que j'adore !
La beauté frappe , et vous attendrissez ;
On l'aime un jour , jamais vous ne lassez .
Je crois que Tibulle et Anacréon ne se seraient pas contentés
de parler ainsi des Graces , dans un poëme auquel
elles auraient dû présider. Cette chûte ,jamais vous ne
lassez , est froide et insignifiante ; l'auteur voulait dire
qu'on ne cesse jamais d'aimer les Graces , ce qui n'est pas
tout-à-fait la même chose que ce qu'il a dit, Le verbe
GERMINAL AN XI.
29
remplir son plan , il a entassé aventures sur aventures ;
les incidens , les personnages sont si nombreux , que la
mémoire la plus heureuse ne suffirait pas pour démêler le
fil de cette complication d'événemens.
Les sauvages , les hommes de la nature , sont , après les
revenans , les spectres , les souterrains , ce qui réussit le
mieux aujourd'hui dans les romans. Il fallait autrefois ,
pour obtenir quelque succès , mettre du bon sens dans ces
sortes de compositions. Sous Louis XIV , le Télémaque ,
Zaïde , la Princesse de Clèves , fixèrent l'attention : ces
ouvrages sont toujours avoués par le goût. Il nous reste ,
du siècle dernier , Clarisse , la Nouvelle Héloïse , Tom-
Jones , Marianne , et quelques autres romans , qui offrent
de l'intérêt , et qu'on lit encore avec plaisir; mais il serait
difficile de faire un choix dans la foule de ceux qui ont
paru depuis quelques années. Les auteurs , au reste , n'ont
pas prétendu leur donner une longue existence ; ils n'ont
guères recherché que le succès du moment, et ils sont satisfaits
, pourvu que l'édition s'épuise , et que le libraire
remplisse ses engagemens. Faire un roman est aujourd'hui
un métier , mais ce n'est ni le plus lucratif, ni le
plus utile , ni le plus considéré.
Il faut, dit le savant évêque d'Avranches , que les aventures
d'un roman soient écrites avec art et sous certaines
règles ; autrement, ce sera un amas confus , sans ordre et
sans beauté ; la vraisemblance , qui ne se trouve pas toujours
dans l'histoire , est essentielle au roman. Voilà des
règles que nos romanciers ne s'embarrassent guères de suivre
, sans doute parce que la foule des lecteurs n'exige
dans un roman , ni bon sens , ni simplicité. Aujourd'hui
un roman n'est recherché qu'en raison de l'extravagance
des aventures qu'on y trouve. Nous n'examinerons pas,
selon la mode établie depuis quelque temps , si le roman
quenous annonçons est moral; on veut aujourd'hui de la
morale par - tout; mais nous ne pouvons nous empêcher
de plaindre ceux qui sont réduits à la chercher dans les
romans,
30 MERCURE DE FRANCE ,
On trouvera dans le Pénitent instruit (1 ) , que nous
recevons en ce moment , la morale , sous une forme qui
n'a pas l'agrément des romans , mais qui a plus d'efficacité
. M. l'abbé Darche , un des plus estimables prédicateurs
de la capitale , a rendu un vrai service à la religion ,
en publiant cet ouvrage , qui fait honneur à son discernement.
Le père Seigneri , auteur du Pénitent instruit ,
est fort connu en Italie et en Allemagne . La traduction
que nous annonçons est de M. l'abbé d'Elvincourt , que la
mort enlevaten 1794, avant d'avoir pu rendre cette traduction
publique.
:
La seconde livraison de l'Atlas historique et géographique
, par M. Lesage , vient de paraître ; elle
a été accueillie du public comme la première.
L'étude de l'histoire et de la géographie est indispensable
dans une éducation soignée ; mais le temps
que l'on emploie à cette étude est souvent perdu par
le peu de fruit que l'on retire des ouvrages qui en
traitent , où souvent les faits principaux sont pour
ainsi dire noyés dans une foule de détails minutieux
ou inutiles . L'auteur de l'Atlas a imaginé ces tableaux
pour épargner un temps précieux à la jeunesse , et
rendre plus rapide ses progrès dans la connoissance de
l'histoire et de la géographie , deux branches importantes
et inséparables. Il a tâché de réunir tous les
avantages que doit offrir ce genre d'ouvrage ; clarté
simplicité , régularité , exactitude : son but a été de
soulager la mémoire en associant , sans le fatiguer , le
jugement à ses opérations .
ג
(1)Unvol. in-12, imprimé surbeau papier , et en beaux caractères ,
àParis , au bureau de l'Année littéraire , rue St. -Jacques , n. 51
au-dessus de la place Cambrai. Prix : 1 fr. 50 c. et 2 fr. franc de
port par la poste..
7
>
1
GERMINALAN XI. 31
M. Lesage a cherché à rendre son Atlas un ouvrage
de cabinet et d'éducation : il a voulu que l'homme
instruit y trouvât éclaircis les faits et les dates dont il
cherchera la vérification; que le maître y vît le sommaire
de l'enseignement qu'il aura à développer , et
que l'élève eût toutes tracées les leçons qu'il devra
étudier.
১৬
Cet ouvrage se trouve chez l'auteur , rue Saint-
Florentin , n°. 6 ; chez Didot , l'aîné ; et chez le Normant
, rue des Prêtres-Saint-Germain-l'Auxerrois n°. 42.
SPECTACLES.
THEATRE DE LOUVOI S.
Le Valet embarrassé , comédie en 4 actes.
On ne sait pas trop comment Frontin sert deux maîtres
à-la-fois : on ne sait point sur-tout comment il est parvenu
à faire croire à M. Harpin , vieux tuteur , qu'il est
aimé de Julie , et que Julie , qui ne le connaît point , reçoit
ses billets , et y répond : on sait encore moins comment
M. Bernard arrive chez le père de Julie , qui lui
promet sa fille , quoiqu'il ne le connaisse point , et que
M. Bernard soit un nom supposé. On ne sait pas non plus
comment M. Michelin , notaire , mandé pour dresser le
contrat , s'arrête dans une place publique , s'adresse à
Frontin , qui veut le renvoyer , parle à M. Harpin-et à
Mad. Josse , et que tous ces gens-là se querellent , dans
la rue , sur des choses étrangères à ce qui les occupe ,
lorsqu'un seul mot pouvait leur faire ouvrir les yeux ;
comment peut-il se faire enfin que M. Bernard , qui doit
épouser, soit tout-à-coup , par un de ces miracles exclusivement
réservés aux romans , l'oncle du jeune Hyppolite ,
qui adore Julie , sous les auspices de Frontin , et que tout
à-coup devenu M. de Saint-Hilaire, il cède sur-le-champ
32 MERCURE DE FRANCE ,
1
1
:
T
ses droits à son neveu, auquel il a vu jouer le rôle le plus
méprisable.
:
-
C
Si on croit facilement toutes ces choses-là , la pièce ne
sera pas sans intérêt : heureusement pour l'auteur qu'on
l'a cru sur parole , et sa comédie a été accueillie du public.
Outre les invraisemblances , le Valet embarrassé a
plusieurs défauts essentiels. Cette pièce roule sur deux in
trigues , l'une qui est liée à l'amour de M. Harpin; l'autre
est liée au mariage arrangé avec M. Bernard. On sait que
l'intérêt doit toujours aller en croissant , et c'est tout le
contraire dans le Valet embarrassé. Le premier acte est
plus intéressant que le second; le second , plus intéressant
que le troisième , et le quatrième est le plus mauvais
de tous. Je ne partage point l'opinion de ceux qui prétendent
qu'il faut chercher la morale au théâtre ; mais il
me semble que si la morale n'est pas essentielle à l'intrigue
d'une comédie , il est essentiel cependant qu'elle n'y soit
point outragée : c'est pourtant ce qui arrive dans le Valet
embarrassé , où un jeune homme se prête à toutes les
bassesses imaginées par tin valet , et voit à la fin son
amour couronné par le plus heureux sueces . Le rôle
d'Harpin, et celui d'Hyppolite sont dégoûtans : on ne peut
rien trouver de plus niais et de plus vil que ces deux
maîtres dupés . Nos auteurs modernes ne peuvent donner
de l'esprit à un de leurs personnages , sans l'ôter à tous les
autres; je veux bien que les maîtres soient sacrifiés aux
valets , cela s'est rencontré quelquefois : mais tout cela
n'est pas fort plaisant. D'ailleurs , ce Frontin , qui débuté
si habilement , finit par tomber , comme tous les autres ,
dans une profonde niaiserie , et par employer des moyens
peudignes de son esprit rusé : le dénouement de la pièce
est tout-à-fait manqué; le vice et la fourberie n'y sout
point punis , la bassesse y est couronnée : et lorsque la
pièce est finie , les choses en sont au point que les spec
tateurs doivent craindre que les personnages ne s'égorgent
derrière la toile.
e
4 της ονεώ που
ANNONCES.
GERMINALANXI335
ΑΝΝΟNCES .
Supplément aux Siècles Littéraires de la Francey ou
Nouveau Dictionnaire historique , critique et bibliographique
de tous les Ecrivains français, morts ou vivans
jusqu'à ce jour; contenant , 1°. les principaux traits de la
vie des auteurs morts , avec des jugemens sur leurs ouvrages
; 2°. des notices bibliographiques sur les auteurs
vivans ; 3°. l'indication des différentes éditions qui ont
paru de tous les livres français , etc. Par N. L. M. Des
Essarts et plusieurs biographes , tome 7. et dernier ,
in-8°. à deux colonnes, grande justification. Prix : 6 fr. et
7 fr. 50 c. par la poste. Les septvolumes se vendent 36 fr.
A Paris , chez N. L. M. Des Essarts, libraire , place de
l'Odéon.
Bibliothèque portative du Voyageur, ou collection des
meilleurs ouvrages français , en prose et en vers, format
in-56 , caractère nompareille neuve , papier superfin;
vingt-six volumes . A Paris , chez J. B. Fournier et fils
impr.- libr. , rue Haute- Feuille; n°. 27 .
Suite des ouvrages publiés.
Conjuration desEspagnols contre Venise , et conjuration
des Gracques , par Saint-Réal. I vol. Lettres Per
sanes , et le Temple de Gnide , par Montesquieu , 2vol.
Euvres choisies de Gresset , I vol . OOEuvres de
Boileau , I vol. Fables de La Fontaine. 2 vol. - Les
Amours de Psyché et de Cupidon, par La Fontaine , I vol.
- OEuvres de Racine , 4 vol. La Henriade , poëme,
par Voltaire , I vol. OEuvres choisies de Piron , 2vol.
Les Amours de Daphnis et Chloé ; d'Abrocome et
d'Anthia , 1 vol. – Histoires du petit Jehan de Saintré ,
et de Gérard de Nevers , par Tressan ; I vol . - Mémoires
deGrammont , 2 vol.-OOEuvres choisies de Bernis , 1 vol.
- Grandeur et décadence des Romains , par Montesquieu
, vol. OEuvres choisies de Bernard , r vol.
Chaque vol. broché en carton , 1 fr. 25 c. On a tiré quel
ques exemplaires sur papier vélin : chaque vol. 5 fr . La
reliureen maroquinrouge , doré sur tranche, f. bar f. 25 с.
En veau marbré , doré sur tranche , 75 c. Pour la com
moditédes personnes qui voyagent , l'on a fait des boîtes
de format in-8° . , reliées en maroquin rouge , dorées sur
tranche , qui contiennent vingt volumes de cette collection
, 15 fr. - Les mêmes , en veau écaille , filets, 12 fr.
II C
34 MERCURE DE FRANCE ,
POLITIQUE .
L'Angleterre n'a rien offert de nouveau cette semaine ;
les esprits restent toujours entre la paix et la guerre : plus
les Anglais prendront de temps pour réfléchir , plus il est
probable qu'ils hésiteront à recommencer deshostilités
dont les suites incalculables peuvent effrayer l'imagination
même de M. Windham. Jusqu'à présent, il n'y a guère
que l'esprit d'agiotage qui ait pris de nouvelles forces de
tout ce tintamare guerrier ; et comme l'esprit d'agiotage
n'est que la parodie de l'esprit de patriotisme , on pourrait
se permettre de rire des secousses qu'il produit. Les
habitués de la bourse de Londres consultent le cours des
effets publics de France , pour savoir s'ils pousseront chez
eux à la hausse ou à la baisse : sans doute , s'il y avait en
France des agioteurs , ils calculeraient aussi sur la hausse
ou la baisse des effets anglais , ce qu'ils doivent penser du
crédit de leur patrie. Misérable jeu ! dont les Français
rougissaient autrefois : calcul égoïste , qui ne pourrait s'agrandir
chez un peuple agricole , sans y détruire l'esprit
public , mais qui convient fort bien à une nation où l'on
vend et achète tout, où l'on fait payer au gouvernement
jusqu'au pouvoir de gouverner.
On a publié àNew-Yorck un ordre du ministre des relations
étrangères de l'Espagne à l'intendant de la Nouvelle-
Orléans , à l'effet de remettre la colonie ou province de la
Louisianne , dans toute son intégrité , à la République
française. Cet ordre est daté de Madrid , le 20 juillet 1802.
L'académie des sciences de New-Yorck a ouvert une
souscription fixée à 150 mille francs pour faire l'acquisition
en France d'objets d'arts , tels que tableaux , dessins , modèles
en plâtre des plus belles statues, etc.
Lord Elgin a reçu avant son départ de Constantinople
un sabre enrichi de brillans , dont on porte la valeur à
cent mille piastres . S. H. envoya encore à son bord plusieurs
caisses remplies d'étoffes des Indes , dont une partie
est destinée au roi d'Angleterre. On a paru surpris que ce
ministre soit parti au moment même où le général Brune
est arrivé . 1
Un secrétaire de la cour de Suède , tenant à la secte des
GERMINAL AN XI. 35
illuminés , a été dernièrement arrêté à Stockholm par
ordredu roi; il cherchait à engager des personnes de tous
les rangs dans une association secrète dont il ne confiait
à personne le but ultérieur.
La cour de Vienne est entrée de nouveau en négociation
avec l'électeur de Bavière pour des échanges de territoires.
On croit que le résultat de ces négociations sera
la cession des districts de l'évêché d'Augsbourg à l'Autriche
, qui , de son côté , céderait à l'électeur le marquisat
de Burgau. Le cabinet de Vienne a reconnu formellement
le roi d'Etrurie . Il est arrivé à Vienne une caisse des
faux billets de banque saisis à Strasbourg. Il a paru depuis
peuun conclusum du conseil aulique de l'Empire au sujet
des contestations qui s'étaient élevées entre le duc de Virtemberg
et les états de ce pays. S. A. proposait de terminer
ce différend avec une simple députation. Le conclusum
prescrit la convocation des états .
Ledeyd'Alger a déclaré la guerre à la République française.
Cette nouvelle est parvenue officiellement au gouvernement
batave.
Le cabinet de Madrid avait ordonné à tous les religieux
sujets de l'Espagne , établis à Rome , de quitter leurs couvens.
Il est survenu un contre ordre: dès qu'il a été connu ,
monseigneur Gravina a été nommé nonce à la cour d'Espagne.
Quatre-vingts familles du canton de Bâle, la plupart
aisées, viennent de s'embarquer sur leRhin pour serendre
enHollande , et de là dans les Etats-Unis d'Amérique. La
Suisse n'est pas généralement tranquille ; il s'est encore
élevé quelques troubles à Verdenberg. Les cantons de
Schwitz etd'Underwald causent aussiquelques inquiétudes.
On croit que MM. Reding et autres détenus qui , après
avoir passé quelques jours dans leurs foyers , devaient se
rendre en France, auront la permission de rester en Suisse.
11
TRIBUNAT.
Séance du 27 ventose.
Le corps législatif transmet , par un message , le onzième
projet de loi , titre X du code civil , relatif à la
Minorité, à la Tutelle et à l'Emancipation. Ce projet est
C2
36 MERCURE DE FRANCE ,
"
renvoyé à la sectionde législation , qui fera son rapport
le5 germinal.
Savoie-Rollin fait un rapport sur le titre VI du code
civil , relatif au Divorce . L'orateur cherche dans une discussion
très-étendue quel est le caractère propre du mariage
: il établit qu'il est dans le voeu de sa perpétuité ,
qu'il porte ce principe en lui-même : il examine si les
loix desdivers peuples lui reconnaissent ce principe ; les
faits lui apprennent qu'elles étaient uniformes sur ce
point. Plus les peuples étaient civilisés , plus ce principe
acquérait de développemens , et il en trouve la raison
dans ce fait important que le mariage est la causė primordialede
la civilisation des peuples. Il examine enfin quel
était l'état de la législation française , sous ces divers
rapports.
+
La destination du mariage est d'être perpétuel : voilà un
principe universellement reconnu , continue l'orateur ;
-principé fécond et créateur des sociétés humaines ! principe
qui a ravi à la terre tous ses déserts , et la couvre
de ces multitudes de nations qui parent et animent son
sein . L'inévitable obligation du divorce est donc de respecter
ce principe jusques dans les exceptions même qu'il
yporte.
Après avoir examiné le divorce dans ses causes, ses
formes et ses effets , le rapporteur discute successivement
les dispositions du projet , et conclut à son adoption. Impression
et ajournement.
A
Fabre (de l'Aude ) fait un rapport sur le projet relatif
aux finances et à la fixation des dépenses de l'an 11. Il applaudit
d'abord au compte rendu par le ministre des finances
, et fait remarquer qu'il a exécuté , d'une manière
satisfaisante , les art. XLV et LVII de la constitution.
Passant ensuite à l'examen des huit titres dont se compose
Ie projet , il explique pourquoi les dépenses de l'am
sont de beaucoup plus fortes que celles de l'an 9. Cela
vient de ce qu'en l'an II le trésor public est chargé d'acquitter
en entier les dépenses de l'ordre judiciaire , qui
s'élèvent à 18 millions . La dégradation des routes et l'achat
des grains ont obligé d'augmenter de 14 millions les
crédits du ministre de l'intérieur ; les dépenses de la marîne
sont considérablement augmentées , à cause des diverses
expéditions coloniales. Les relations extérieures
coûteront cette année un million de plus qu'en l'an9;le
1
1
1
GERMINAL AN XI
rétablissement de nos relations avec les cours de l'Europe ,
adû nécessairement augmenter nos dépenses.
La dépense du premier consul est portée à six millions;
celle des deuxième et troisième consuls , à douze cents
mille francs. Cet objet est l'exécution du sénatus-consulte
organique qui détermine la dépense du premier consul ,
pendant toute sa vie. Et ici votre section des finances ne
peut s'empêcher de vous faire remarquer combien cette
fixation est modeste ; on ne peut qu'applaudir à ce désintéressement
, qui honore le premier magistrat de la république.
L'orateur passe en revuedes autres titres du projet
etpropose d'en voter l'adoption. Impression.
On passe au scrutin sur le projet relatif aux droits d'usage
dans les forêts nationales. Il est adopté , à la majorité
de 54 voix contre 2 .
Séance du 28.
Lahory , au nom de la section de législation , fait un
rapport sur le titre 7 du code civil , relatif à la Pater
nité et à la Filiation . On ordonne l'impression du discours
et on ajourne la discussion.
L'ordre du jour appelle celle du projet de loi contenant
le titre VVII du code civil, relatif auDivorce.
Carion de Nisas combat le projet. Il examine si le divorce estbon en
lui-même , si la loi proposée est favorable à la société ; il établit que
la nature de l'homme et de la société , la morale et la philosophie réclament
contre la faculté du divorce ; que la saine politique le réprouve;
que toutes les nations qui ont admis le divorce dans leurs loix , l'ont
flétri dans leurs moeurs. Pendant cinq cents ans , dit l'orateur , le divorce
est permis à Rome , et personne n'en use : le premier citoyen
qui en donne l'exemple est sollicité par les censeurs, qui lui voient
depuis long-temps une femme stérile , et désirent qu'il ait des enfans ;
mais le peuple, dont le bon sens discerne mieux que les fausses dumères
de ses magistrats , en quoi consiste le devoir et le but du ma
riage, le blâme hautement de renvoyer une épouse qu'il aime , et flés
trit son action , qui demeure long-temps sans imitateurs.
Quand mille causes ont amené la fréquence des divorces , premier
principe, suivant Horace , de ladépravation des moeurs , alors même,
aumilieuddee lacorruption générale, onrendhonneur àl'unité et àd'in
dissolubilité du mariage ; et aux époques les plus dissolues de la répu
blique et de l'empire ,on trouve dans tous les monumens funéraires et
aux épitaphes des femmes , on trouve pour dernier et suprême éloge
qu'elles n'ont eu qu'un mari. Quand Tacite veut peindre les moeurs
des Germains , pour donner des leçons à sa patrie et les opposer à la
corruptionde Rome , après les éloges les plus magnifiques , il pense y
mettre le comble par ce trait : <<Enfin, chez ces vertueux peuples, da
>> jeune fille qui reçoit l'époux qu'on lui destine , ne le reçoit pas comme
un mari ,mais comme le mariage tout entier. » .
C3
38 MERCURE DE FRANCE ,
Les annales des nations modernes attestent que ces sentimens n'ont
pas changé. Un motif honteux engage Luther à faire entrer ledivorce
danssaréformation , mais les peuples qui la suivent n'en honorent pas
moins ce que tous les peuples ont honoré dans le mariage. Henri VIII,
prince en tout le reste accompli , dit Bossuet , introduit le divorce en
Angleterre; en même temps ,la Providence le destine à être un mémorable
exempledes excès où le goût du changement , une fois flatté ,peut
entraînerleshommes. De six femmes, deuxdont il redoutoit les familles,
sont écartées par le divorce , l'épée dubourreau le défait dedeux autres;
une meurt avant d'avoir provoqué sa dangereuse inconstance , et la sixième
est soupçonnée d'avoir enfin mis par un crime , un terme aux effroyables
caprices dece monstrueux époux.
Voyez le parlement d'Angleterre, éclairé par l'expérience , quels efforts
il faitpour empêcher ledivorce de se multiplier ! Combienil refuse
d'enpermettre! Avec quel soin et quelle application il flétrit ce qu'il ne
peut interdire!
Quel écrivain s'est élevé plus fortement contre le divorce , et a donnéde
plus grands éloges à l'unité du mariage, que David Hume , protestant
et anglais ? Mais , dira-t- on, comment toutes les nations , persuadées
de lamême vérité , n'appliquent-elles pas à leurs loix la sagesse
de leurs opinions ? Fausse politique des législateurs , condescendance
funeste, qui , pour se plier au relâchement des moeurs , ne fait que donnerplus
d'énergie aux passions ! Pour nous , au contraire , ayonslagloire
d'élever des moeurs imparfaites à la hauteur des loix parfaites , et , je
puis le dire , tout nous assure le succès .
La loi du divorce est en contradiction avec les loix les plus impor->
tantes de la république , et avec l'esprit de ces loix. Les loix les plus importantes
et les plus vénérables chez un peuple, sont sans doute celles
qui rétablissent dans son sein , après une longue altération, la paix de
Phomme avec lui-même, la paix intérieure des familles, la paix des cités,
la paix de l'état; les loix les plus chères sont celes que les peuples
ont reçues avec des transports d'allégresse , et dont ils comblent tous les
jours les auteursde bénédictions. Ala têtedes loix de ce genre, laFrance
peut placer celles qui ont rétabli et organisé les différens cultes qu'elle
professe. De ces cultes,l'un est dans uneproportion incomparable avec
les autres , et il est certain qu'en immense majorité , nos concitoyens
sont catholiques aussi bien que français. Les loix faites pour les Français,
doiventdonc être aussi combinées pour des catholiques , si l'on ne
veut pas qu'elles blessent les affections les plus legitimes de la majorité
des Français. La loi doit essentiellement procurer le bien du plus grand
nombre. Or , la religion et la conscience du plus grand nombre repoussent
le divorce . Si le magistrat remarie sans difficulté celui à qui
sa religion défend le divorce,que fait-il autre chose que de favoriser
l'infractionde la première et de la plus sainte des loix ? Et que peut
attendre l'état d'un homme qui n'a respecté ni ses sermens , ni sa conscience?
Ehquoi ! sur cent Français, vous en exposez quatre-vingt-dix àmanquer
à leur religion , pour laisser aux dix autres une liberté que leur
croyance leur accorde, etdont ils'n'useront peut-être pas ? Vous donnezmême
plus de latitude au divorce défendu aux catholiques , qu'à la
séparationde corps qui leur est permise ; puisque vous autorisez le divorceparconsentement
mutuel et pour causes indéterminées , et jamais
lasimpleséparationdans ce cas. Tout cela est facultatif, direz-vous . Je
lesais;maisdesloix qui tendent aux hommes de pareils pièges , sont
GERMINAL AN XI. 39
elles debonnes loix? Regarderiez-vous comme une loi sage , celle qui
permettroit et organiseroit le duel , sous le prétexte que chacun est
libre de l'éviter, et qu'on ne force personne à se battre ? Connoissons
mieux les hommes , si foibles , si imprévoyans , si souvent entraînés par
leurs passions . Guidons ces aveugles , et ne les laissons pas succomber.
C'est une chose évidente et avouée , que les rédacteurs de la loi
ont eu pour principe que la perpétuité du mariage étoit le voeu de la
nature et dela société, qu'ils ont voulu que l'indissolubilité fût la règle,
que sadissolution , par le divorce , fût l'exception . Or , si maintenant
qu'ils ont interverti tout cet ordre, qu'ils vont directement contre
leurbut , et que le dispositif de la loi choque le principe qu'ils ont
annoncé, la dissolution du mariage devient la règle , et la perpétuité
l'exception. Personne ne disconviendra que le propre d'une foi ne soit
d'organiser , de statuer , de prévoir , d'être constituée enfin , tandit
que le propre de l'exception est de ne l'être pas . Or , il est évident
ici quec'est l'exception qui est organisée , constituée , toujours prévue ,
etque c'est la règle qui devient l'exception , pouvant être à chaque instant
détruite , n'ayant ancune force de résistance , de manière que tous
change de nature , et que tout rentre dans une véritable confusion .
à
Si un vague heureux , une incertitude très-morale présidoit à la possibilité
du divorce, si le divorce ne pouvoit pas être calculé au jour et
l'heure,, prévu , organisé l'avance , et rendu cceerrttaaiinn,, cćeequi est lacorruption
de lapenséedes époux et le poison de l'union conjugale ; si un
homme ou une femme ne pouvoient pas se dire à eux-mêmes , moyennant
telle action , tel procédé , telle conduite soutenue tant de mois, je
pourraienteltemps demander, eten tel temps obtenir le divorce et satisfaire
lapassionqui me porte vers telle maîtresse qui me subjugue , vers
tel séducteur qui m'obsède ; si une plus grandelatitude étoit accordée
aumagistrat , si sa prudence pouvoit arrêter à volonté les demandes des
époux, s'il ne pouvoit jamais être forcé dans les retranchemens de sa
sagesse, et au moyen de certaines formalités être obligé de prononcer,
alors je verrois le divorce comme une exception , et il me feroit moins
depeur. L'individu dépendroitdu magistrat , et non la sentence du magistrat,
des calculs de l'individu.
Onconviendra que rien ne peut être trop grave , rien trop solemnel
dans des actes qui importent si fort au bonheur de l'individu et à
l'ordre social , qu'on n'en sauroit déférer la connoissance et le jugcment
à un tribunal trop auguste. Le sénat , veritable père de la patrie
et des citoyens , devroit être seul compétent dans la République ponr
les cas dedivorce ou de mariage ; les tribunaux ordinaires pourroient ,
pour éviter un désordre et un scandale immédiat , prononcer les séparations
momentanées; les magistrats ordinaires pourroient lui réserver
la demande même de mariage formée par un citoyen , qui seroit
dans les circonstances données . Du sénat seul devroient ressortir des
affaires , toutes si importantes , moins faites pour être jugées par l'autorité
civile que par l'autorité paptartriiaarrcchhaalle. Le sénat jugeroit eneffet
enmagistrat, enpontife et en père; le temps ne lui seroit point limité
pour admettre les requètes , et il pourroit ne les admettre jamais;- le
temps ne lui seroit point limité non plus pour rendre son jugement, et
il pourroit n'en jamais prononcer. Les époux , dans une incertitude
absolue sur le succès de leur requête , en hasarderoient peu, la plupart ,
grace au bénéfice d'une sage temporisation , retireroient eux-mêmes
leur demande; le divorce seroit toujours possible sans pouvoir être
calculé. Ainsi le divorce auroit réellement un caractère d'incertitude
40 MERCURE DEFRANCE ,
T
1
conet
d'exception qui est dans le dessein du législateur. Ce moyen, en
unmot, me semble tout concilier; ce qu'ondoit àl'ordre,àla
naissance du coeur humain, à la liberté, à la conscience des peuples , et
faire de l'autorité ce qu'elle doit être pour les hommes . -D'après
toutes ces considérations , l'orateur pense que le tribunat ne peut admettre
, sans de graves inconvéniens , le projet sur le divorce tel qu'il
estprésenté.
Sedillez qui avait demandé la parole en faveur du projet , y' ayant
renoncé, le tribunat ferme la discussion, et délibère sur le projet :
sur soixant- cing votans , quarante-six ont émis le voeu d'adoption , et
dix neuf celui du rejet.
Le tribunat vote l'adoption de trente - neuf projets de lois relatifs
à des échanges et concessions de terreins communaux. La séance
est levée , et ajournée à lundi prochain.
Séance du 30 ventose. ١٤
Le titre XI du code civil sur la Majorité , l'Interdiction
et le Conseil judiciaire , est renvoyé à la section de législation
, qui fera son rapport le 5 germinal .
Le tribunat vote l'adoption de douze projets d'échange.
Sur le rapport de Perreau , le tribunat vote ensuite
-l'adoption du titre VII du code civil , relatif à la Paternité
et à la Filiation , à la majorité de 54 voix contre
deux.
Séance du 1. germinal .
On procède au renouvellement du bureau. Duveyrier
est président. Les secrétaires sont Pernon , Jaubert , Huguet
et Bouteville. Arnould est nommé membre de la
commission administrative .
Vezin faitun rapport sur le titre IX du code civil , relatif
à la Puissance paternelle. Il se livre à l'examen des
différens articles du projet. Il développe sur chaque disposition
les considérations qui en peuvent faire sentir
l'utilité , et propose d'en voter l'adoption .
On passe à la discussion du projet de loi relatif aux
finances. Costaz parle en faveur du projet , et le tribunat
en vote l'adoption , à la majorité de 58 voix contre une.
La discussion s'ouvre sur le titre du code civil relatif à
l'adoption : 59 votans ont émis leur voeu en faveur du
projet , et 4 pour le rejet.
Séance du 2 germinal. Le tribunat reçoit du corps législatif
et renvoie à l'exemen de la section de l'intérieur ,
un projet de loi relatif aux preuves et changemens de
noms.
r
-GERMINAL AN X44
Lebreton fait un rapport sur le projet de loi relatif aux
monnaies. Impression, ajournement à demain..
L'ordre du jour appelle la discussion du titre IX du
Code civil , relatif à la puissance paternelle. Il est adopté
àl'unanimité.
Séance du 3....
Le cit. Huguet fait un rapport sur le titre X du code
civil , relatif à la minorité , à la tutelle et à l'emancipation.
Le rapporteur analyse successivement les différens
articles du projet , développe sur chaque disposition les
considérations qui en peuvent faire sentir l'utilité . Personne
ne se présentant pour combattre ce projet , le tribunat
passe au scrutin : il est adopté , à la majorité de
56 voix contre 1 .
à
Onpasse à la discussion du projet relatif aux monnaies.
Daru est entendu en faveur du projet, qui est adopté ,
la majorité de 58 voix contre 3.
Le tribunat reçoit du corps législatif, et renvoie à la
sectiondes finances , un projet de loi relatif à la refonte
des monnaies.
CORPS LÉGISLATIF.
Séance du 26 ventose .
A
L'ordre du jour appelle la discussion du sixième projet
de loi du code civil ,' titre V, intitulé : Du mariage.
Le cit. Boutteville , orateur du tribunat , développe les
motifs qui ont déterminé le tribunat à en voter l'adoption.
Les orateurs du gouvernement ne demandant point
la parole , on fait l'appel nominal : le nombre des votans
est de 212 ; le projet est approuvé par 204 boules
blanches contre 8 noires.
Le conseiller-d'état Ségur présente douze projets de
loi relatifs à des échanges , aliénations et concessions de
domaines nationaux.
Dix autres de même nature sont successivement discutés
et sanctionnés . Les neuf premiers intéressent les
communes d'Alençon , Neuville -le - Réal, Versailles ,
Rouen, Saverne , Cahors , Brioude, Mortain et St.-Albin,
Le dixième tend à autoriser la commune de Paris à ac
42 MERCURE DE FRANCE ,
quérir les bâtimens nécessaires à l'établissement des sourds
et muets.
Séance du 27.
On annonce la mort du cit. Bertin ( d'Ille-et-Vilaine ) ,
membre du corps législatif ; il est arrêté qu'une députation
de 24 membres se rendra à ses funérailles .
La parole était aux orateurs du tribunat , pour exprimer,
au nom de cette autorité , le voeu d'adoption sur
dix projets de loi d'un intérêt local. Le conseiller-d'état
Ségur , chargé de les défendre , déclare qu'il demande , en
son nom , l'ajournement de celui qui tend à autoriser la
commune de Tours , à faire l'acquisition de la ci-devant
intendance de cette ville , pour y placer la préfecture ,
en conséquence , la discussion n'a lieu que sur les neuf
autres projets ; le corps législatif les a convertis en lois .
Séance du 28 .
91
!
Les conseillers-d'état Emery , Treilhard et Gouvion-
Saint-Cyr présentent le douzième projet de loi , titre X du
code civil , relatif à la Majorité , à l'Interdiction et à la
Prodigalité. Ce titre est le complément de la première
partie du code civil , et déso mais tout ce qui tend à assurer
les droits des personnes sera réglé . Le projet contient
trois chapitres. Le premier n'est formé que d'un article
portant que la majorité est fixée à 21 ans , ce qui met
l'exercice des actes de la vie civile dans un accord parfait
avec l'exercice des actes politiques fixé par la constitution.
1
L'ordre du jour appelle la discussion de dix projets de
loi d'un intérêt local; plus , d'un onzième , relatif aux
droits d'usage dans les forêts. Ces projets sont sanctionnés
à l'unanimité .
Séance du 30.
La séance s'ouvre par la discussion de dix-neuf projets
de loi d'un intérêt local , qui sont successivement sanctionnés.
La suite de l'ordre du jour amène la discussion du
septième projet de loi du code civil , titre 6 , sur le Divorce.
Gilet ( de Seine- et-Oise ) expose les motifs qui ont
déterminé le voeu d'adoption du tribunat. Le conseillerd'état
Treilhard prend ensuite la parole pour répondre à
quelques objections faites au projet, dans les discussions
GERMINAL AN XI. 43
dutribunat. ( Voyez , article tribunaitt ,, à la séance du 28,
le discours de Carion de Nisas . ) Parmi les causes qui
peuvent donner lieu au divorce , dit l'orateur , on a attaqué
celle de l'adultère , sous prétexte du scandale des
discussions. On a proposé de supprimer la demande en
divorce, sur ce motif , qui est devenu un objet de déclamations
brillantes ; mais ce n'est pas avec l'imagination
qu'on fait de bonnes lois , c'est avec la raison. Peut-on ,
sans frémir , forcer à vivre ensemble deux époux , dont
l'un porte le crime au fond de son coeur , et l'autre le ressentiment
, que la nature du crime rend implacable ? Les
forcer à supporter mutuellement le poids d'une vie flétrie
par la honte , agitée par le reproche , ce serait vouloir
éterniser leur supplice.
L'orateur combat ensuite les objections qui ont été
faites contre le divorce par consentement mutuel , contre
le divorce quand il y a des enfans , et contre l'article qui .
défend aux époux divorcés de se remarier. Le corps législatif
ordonne l'impression du discours , et délibère
sur le projet , qui est convertit en loi , à la majorité de
188 suffrages contre 31. obors
:
A
Séance du 1. germinal.
On discute dix projets de loi d'un intérêt local , qui
sont sanctionnés par deux appels nominaux .
Les conseillers-d'état Miot , Dessolle et Fleurieu , présentent
un projet de loi sur les prénoms et changemens
de noms. La discussion sur ce projet s'ouvrira le 11 germinal
. Le cit. Miot , orateur , expose ce que l'usage et la
législation avaient consacré sur cet objet , avant l'assemblée
constituante ; puis l'état de la législation , telle qu'elle
existe actuellement , d'après les loix de cette assemblée ;
enfin, d'après celles de la convention. L'usage des surnoms
, dit l'orateur , ne remonte guère qu'à l'année mille
de l'ère chrétienne. Avant cette époque, il n'existait aucunnom
de famille , ou du moins dans tous les titres antérieurs
qui nous ont été conservés , on ne trouve jamais
la persoune désignée autrement que par le nom propre ,
qui était alors le nom de baptême. Seulement on ajoutait,
pour désigner l'enfant d'une famille , le nom de son père ,
comme Pierre , fils de Louis ; Paul , filsde Jean. Les
premiers noms , qui ne furent d'abord qu'individuels ,
devinrent héréditaires sous Philippe-Auguste.
$
44 MERCURE DE FRANCE ,
Voici les dispositions principales du projet de loi : On
ne pourra prendre comme prénoms que les noms en
usage dans les différens calendriers , et ceux des personnages
connus dans l'histoire ancienne. Toute personne
qui porte actuellement comme prénoms, soit le nom
d'une famille existante , soit un nom quelconque qui ne
se trouve pas dans la classe ci-dessus , pourra en demander
le changement. Ce changement aura lieu d'après un
jugement du tribunal d'arrondissement. Toute personne
qui aura des raisons de changer de nom , en adressera
la demande motivée au gouvernement ; lorsque le
gouvernement aura admis la demande , elle sera insérée
au bulletin des loix , et n'aura son exécution qu'au bout
d'une année , afin que les personnes qui auraient quelques
réclamations à faire , puissent être entendues.
-
1
On renouvelle le bureau. Le cit. Girod ( de l'Ain ) réunit
la majorité des suffrages pour la présidence. Les nouveaux
secrétaires sont les cit . Latour- Maubourg , Lefranc ,
Monseignat et Bazoche.
10
Séance du 2 germinal. L'ordre du jour appelle la discussion
du huitième projet de lei , titre VII du Code
civil , relatif à la paternité et à la filiation . Le citoyen
Duveyrier exprime les motifs qui ont déterminé le voeu
d'adoption du tribunat. Les orateurs dn gouvernement
ne demandent pas la parole , la discussion est fermée , et
le projet approuvé par 216 voix contre 6.116
Le corps législatif approuve ensuite , à la majorité de
On voix contre 19 , le titre VIII du Code civil , relatifà
Padoption et à la tutelle officiouse.
Séancedu3germinal.-Les conseillers d'état Berenger
et Jolivet présentent un projet de loi relatif à la refonte
des Monnaies. Bérenger en donne lecture. En voici les
dispositions principales :
A compter du jour ddee la publication , les pièces d'or
de 24 et de48 liv, tournois , rognées ou altérées , ne seront
admissibles dans les paiemens qu'au poids. Il en sera de
même des pièces de six liv, tournois , rognées.
Ces pièces seront portées aux hôtels des monnaies ; pour
être refondues . Elles y seront échangées contre des pièces
nenves , sans aucune retenue de frais de fabrication .
Le tarif suivant lequel ces pièces seront reçues dans les
paiemens , et aux hôtels des monnaies , sera déterminé par
un réglement d'administration publique .
1
GERMINAL AN XI . 45
:
Les auteurs, fauteurs et complices de l'altération et de
lacontrefaçondes monnaies , seront punis de mort.
L'ordre du jour appelle la discussion du dixième projet
de loi , titre IX du code civil, relatif à la puissance paternelle.
Après avoir entendu les orateurs du tribunat, le corps
législatif sanctionne ce projet ; il sanctionne aussi dix autres
projets de loi qui intéressent diverses communes .
PARIS.
Un arrêté du 26 ventose convoque pour le mois de germinal
les collèges électoraux des départemens de l'Aube ,
Eure- et-Loir , Gironde , la Loire, Moselle , Orne et Puyde-
Dôme , faisant partie de la 4. série. Les présidens de
ces collèges sont : pour l'Aube , le C. Songis , général de la
garde; pourEure-et- Loir, leC. Baraguay-d'Hillers , général
dedivision ; pour la Gironde , le sénateur Journu-Aubert ;
pour la Loire , le C. Puppier-Brioude, membre du conseilgénéral,
pour la Moselle , le conseiller d'état Emmery ;
pour l'Orne , le C. Bonvoust , général d'artillerie ; pour le
Puy-de-Dôme , le C. Sablon , maire à Clermont . Les
opérations des collèges de département consiste dans la
nomination , 1. de candidats pour le sénat conservateur;
2°. de candidats ou suppléans de candidats pour la liste
de présentation au corps législatif; 3°. de candidats pour
le conseil-général de département.
Le même arrêté convoque aussi pour le mois de germinal
les collèges électoraux d'arrondissement des départemens
qui viennent d'être nommés. Les opérations
des collèges d'arrondissement consistent dans la nomination
, 1. de candidats et suppléans de eandidats pour la
liste de présentation au corps législatif; 2°. de candidats
pour le conseild'arrondissement.
Le collège électoral du département de la Seine a
ouvert sa séance , le 1er. germinal , sous la présidence de
M. Lucien Bonaparte, et l'a terminée aujourd'hui à 3 heures.
Voici la liste des candidats qu'elle a désignés :
Pour le sénat. MM. Albert de Luines, Pastoret.
Pour le corps législatif. MM. Briere - Mondetour ;
Bellard, jurisconsulte; Caze de la Bove , ancien intendant
de Bretagne et du Dauphiné ; le général Massena .
46 MERCURE DE FRANCE ;
Pour suppléans. MM. Bevière , maire ; Fisquet , administrateur
des hospices ; Poirier , jurisconsulte ; Brière de
Surgy, commissaire de la comptabilité.
Pour le conseil-général du département. MM. Petit ,
Davillier , Anson , Micoud , Devaines , Beaucheron
Garnier Deschenes , Bidermann , Amelot , Dutremblay ,
Montarant , Trudon - Desormes , Cambry , d'Aligre ,
Throuart , Gauthier.
Au moment de clore la séance , le président a prononcé
undiscours , et sur la proposition de M. d'Harcourt , il a
été nommé une députation de douze membres , pour porter
au premier consul l'expression des sentimens dont le collège
électoral est pénétré pour sa personne.
Le citoyen Dubouchage , conseiller de préfecture du
département de l'Isère , est nommé préfet du département
des Alpes maritimes , en remplacement du citoyen
Chateauneuf-Randou , appellé à d'autres fonctions.
Le citoyen Lachaise, maire de Beauvais, est nommépréfet
du département du Pas-de-Calais , en remplacement du
citoyen Poitevin-Maissemy , appelé à d'autres fonctions.
Le général de division Montchoisi ; le citoyen Dupuy;
conseiller d'état , et le citoyen Legonidec, ancienmembre
du tribunat , sont nommés , le premier , capitaine général ,
le second , préfet colonial , et l'autre commissaire de justice
des côtes de France et de la Réunion.
Le citoyen Magnitot , préfet colonial à Tabago , est
nommé préfet colonial à Saint-Domingue.
Le général de division Ernouf est nommé capitainegénéral
de la Guadeloupe.
Le général Servan est nommé inspecteur en chef aux
revues , en remplacement du général Montchoisy.
Le conseil - général de la Banque de France délibérant
en vertu de l'article 18 des statuts , a fixé le dividende du
I semestre de l'an 11 , à cinquante - cinq francs pour
chaque action , non compris une réserve de 3 fr. 61 c.
631100 par action . Les actionnaires de la Banque de France
sont prévenus qu'à compter de lundi prochain 7 du présent
GERMINAL AN XI. 47
mois , ils pourront se présenter à la Banque ou y envoyer
des fondés de pouvoirs pour recevoir le dividende dudit semestre
, et en signer l'émargentent. Il est indispensable de
rapporter le certificat d'inscription .
Ledirecteur-général , GARRAT.
Le conseil-général du département de la Seine a , le
le 27 de ce mois , repris ses séances à l'hôtel de la
Préfecture , sous la présidence de M. Anson. L'objet
principal de ses délibérations , sera de fixer les dépenses
municipales de la ville de Paris .
Il y aura une chambre de commerce dans la ville de
Paris. Elle sera constituée conformément aux dispositions
de l'arrêté du 30 nivose.
- Un violent incendie a réduit en cendres , le 21 ventose,
vingt-six maisons de la petite ville de Seurre , sans qu'il
ait été possible d'arrêter le progrès des flanımes .
Les troupes françaises destinées pour la Louisiane , sont
actuellement embarquées à bord des bâtimens de transport
préparés pour cet effet à l'embouchure de la Meuse.
Ces troupes consistent en quatre mille hommes d'infanterie
, un détachement du 13º. régiment de dragons. L'expédition
est prête à mettre à la voile.
On s'occupe , à Bruxelles , des préparatifs à faire pour
recevoir le premier consul. Sa garde d'honneur sera composée
de cent jeunes gens ; l'équipement de chacun d'eux
est évalué à cent louis , non compris le cheval. Plusieurs
officiers anglais , qui se trouvaient dans cette ville , ont
reçu des lettres qui les ont rappelés précipitamment dans
leur patrie.
On a arrêté dernièrement , à Bruxelles , un individu ,
soupçonné d'être un des auteurs de la machine infernale.
Cet individu était porteur de six passe-ports . Un agent de
police le conduit à Paris.
Nous avons parlé , dans un des précédens numéros , de
la procédure entamée , il y a quelque temps , contre un
épícier-droguiste de Paris, nommé Trumeau , accusé d'a-
)
48 MERCURE DE FRANCE,
2
voir empoisonné , avec de l'arsenic blane sa seconde
fille , âgée de 25 ans. Cette procédure a été terminée le 2
germinal , au tribunal criminėl de la Seine. Trumeau a été
condamné à la peine de mort. La nommée Françoise
Chantal, concubine de Trunmeau , et prévenue de compliciittéé,,
a été acquittée. Après la lecture de la déclaration
du jury, la fille Chantal fut amenée la première.
Aussi-tôt qu'elle eut entendu cette déclaration , elle tressaillit
, par un mouvement bien naturel. Le président lui
adressa ensuite la parole : « Que la terrible leçon que vous
>> venez de subir , lui dit-il , vous serve de leçon pour l'a-
>> venir. Vous allez être rendue à la liberté , prenez garde
>> d'en abuser . Allez expier , dans la retraite , le scandale
que vous avez donné ; cherchez à reconquérir l'estime
>> publique que vous avez perdue ; prenez , devant cette
>> auguste assemblée , l'engagement sacré de rentrer dans
>>votre famille , pour y vivre désormais en fille sage et
>> vertueuse. >>
MM. Maret et Lacretelle l'aîné ont été nommés membres
de la classe de la langue et de la littérature françaisès, l'un
àla place de Saint-Lambert et l'autre à la place de la Harpe.
MM. Laya et Palissot sont ceux qui ont obtenu le plus de
suffrages après MM. Lacretelle et Maret.
Un plaisant , sous le nom de Clarisse d'Ar*** , adéposé
au bureau des Petites -Affiches , un Molière complet et
bien relié , pour être remis , sur' son bon , à la pérsonne
qui devinerait quelques pièces énigmatiques , que les
Petites -Affiches ont publiées. C'est , dans ce genre , ce
qu'il y a de plus facile à deviner. Lé plaisant a le projet
de se présenter avec un bón signé Clarisse d'Ar*** , et
de retirer son Molière; mais M. Ducray-Duminil , qui ne
veut point servir d'intermédiaire pour mistifier le public ,
se propose de ne remettre le Molière que lorsque mademoiselle
Clarisse d'Ar*** lui aura prouvé par pièces'en
forme, qu'elle n'est point un être de raison ; et , selon toute
apparence , cet ouvrage restera au bureau de M. Ducray-
Duminil , qui le fera vendre au profit des pauvres. Il est
remarquable de voir combien , depuis M. Lucet, le public
a été dupe de quelques plaisans ridicules.
HL The
1.
( No. XCII . ) 12 GERMINAL an II .
( Samedi 2Avril 1803. )
MERCURE
DE FRANCE.
LITTÉRATURE .
POÉSIE.
Imitation libre de la Partenza di Nice de Metastase.
V
: OICI la fatale journée;
Adieu , pour la dernière fois.
Ah ! Nice , de ma destinée
Pourrai-je soutenir le poids ?
Toujours languissant sous ma chaîne
Je blanchirai donc dans la peine ;
Et toi, qui sait si pour toujours
Tu n'oublîras pas nos amours? 1 .
Souffre du moins que sur tes traces
Je laisse s'égarer mes pas.
Oui , pour adoucir mes disgraces ,
Je veux de tes rians appas
Sans cesse à mon ame attendrie
Présenter l'image chérie ;
Et toi , qui sait si pour toujours
Tu n'oublîras pas nos amours ?
;
A
J
II D
52 MERCURE DE FRANCE ,
Oui , sur des rives étrangères ,
Fugitif , et triste rêveur ,
J'irai , des rochers solitaires ,
Interroger la profondeur.
Aux feux de la naissante aurore ,
J'irai te rappeler encore ;
Et toi , qui sait si pour toujours
Tu n'oublîras pas nos amours ?
Voilà , dirai-je , cet ombrage
Où nous coulions des jours heureux ;
C'était au fond de ce bocage
Que nous brûlions des mêmes feux.
Dans une triste rêverie ,
Sans cesse abandonnant mavie ,
Saurai-je , hélas ! si pour toujours
Tu n'oublîras pas nos amours ?
Ruisseau , dont l'onde fortunée
Murmura pour moi le bonheur ,
Tu vis de ma belle obstinée
L'Amour triompher en vainqueur.
Souvent au milieu d'une fête ,
Je méditais une conquête ;
Mais las ! qui sait si pour toujours
Tu n'oublîras pas nos amours ?
Jevois une foule nombreuse
Asssiéger ton nouveau séjour ;
Déjà , d'une voix langoureuse ,
Mes rivaux t'y parlent d'amour.
Ociel ! quels perfides hommages !
Qui sait , à ces affreux présages ,
Qui sait hélas ! si pour toujours
Tu n'oublîras pas nos amours ?
GERMINAL AN XI, 53
Pense à la blessure cruelle
Que tu vas faire à notre amour ;
Entends gémir l'amant fidèle
Qui n'espère point ton retour.
Ah ! pense à celui qui t'adore ,
Au cruel adieu que j'abhorre ,
Pense...... Eh ! qui sait si pour toujours
Tu n'oubiîras pas nos amours ?
A. MENESTRIER ( de l'Yonne. )
ÉLÉGIE
Sur la mort de M. DE SAINT -LAMBERT.
Amis chers et constans , et vous , dons du génie ,
Beaux arts , consolateurs des peines de la vie ,
Il faut donc , tôt ou tard ,, vous quitter sans retour !
Chaque instant dit à l'homme : Il faut mourir un jour.
Ce poète charmant , dont la voix douce et pure
Sur de sublimes tons a chanté la nature
Repose maintenant dans la nuit du tombeau :
J'ai vu de ses longs jours s'éteindre le flambeau.
Amis des arts , prêtez une oreille attentive ;
La nature à ma voix mêle sa voix plaintive.
9.
Le spectacle des cieux , le sublime appareil ;
Du lever du matin , du coucher du soleil,
La chaîne des saisons qui dispensent au monde
Ces trésors variés que la terre féconde ;
Le Printemps qui ramène et les fleurs et l'amour ;
L'Été qui semble unir la nuit avec le jour ,
Et sur son char de feu s'avançant sur nos tètes
Colore nos moissons et roule les tempêtes.
L'Automne qui mûrit tant de trésors divers ,
Dont sa prodigue main enrichit l'univers;
D2
54 MERCURE DE FRANCE ,
/
L'Hiver enveloppé dé sa robe d'albâtre ,
Et de ses monts glacés le vaste amphithéâtre ;
Ces tableaux imposans n'agitent plus son coeur
De terreur ou d'espoir , de plaisir ou d'horreur ;
Et celui dont la voix célèbra ta carrière ,
Soleil , ne pourra plus jouir de ta lumière.
Printemps qu'il a chanté , lorsqu'assis sur les airs ,
De roses couronné , planant sur l'univers ,
Tu reviendras sourire à la terre flétrie ,
Tu lui demanderas , d'une voix attendrie :
« Qu'est devenu celui qui chanta mes plaisirs ? »
Elle te répondra par de profonds soupirs.
Tu comprendras alors ce funeste langage ;
Tu couvriras ton front d'un lugubre nuage ,
Et s'échappant du sein de ce triste rideau ,
Tes larmes baigneront les fleurs de son tombeau.
Il ne chantera plus vos arts , votre innocence ,
Vos rustiques travaux guidés par l'espérance ,
Bergers , Nymphes des bois , modestes Laboureurs !
Sur ses cendres aussi répandez quelques fleurs.
,
Amis qu'il adorait, laissez couler vos larmes :
De ses douces vertus vous regrettez les charmes ,
Cette voix que jamais n'a démenti son coeur ,
Où siégeait son génie , où régnait la candeur.
Vous le savez ; jamais la basse jalousie
De ses hideux serpens n'a tourmenté sa vie
Et l'intrigue et l'orgueil , à son coeur inconnus ,
Jamais d'un souffle impur n'ont terni ses vertus .
Dans ses vers enchanteurs , dictés par la décence,
Il n'a point fait rougir le front de l'innocence.
Il connut des mortels les crimes , les fureurs ;
Il les aima toujours , en plaignant leurs erreurs.
:
;
GERMINAL AN XI. 55
Dans ses écrits touchans l'humanité respire ,
Et qui lit ses écrits , dans son âme peut lire .
Dites , quel ennemi n'eût-il pas désarmé !
Sans doute il aima trop pour n'être pas aimé.
Aussi , tendre amitié ! c'est ta main consolante
Qui soutint le fardeau de sa tête expirante :
Dans ce moment fatal , de tendresse et d'effroi ,
Son âme en s'exhalant se reposa sur toi.
Reçois , & Saint-Lambert ! reçois ce pur hommage :
Oui , si le ciel m'accorde un paisible hermitage ,
Là , sous d'épais tilleuls , sur les bords d'un ruisseau ,
Je veux , entre les fleurs , t'élever un tombeau .
Je viendrai tous les jours dans ce temple champêtre ,
Me livrer au plaisir que tu m'as fait connaître ,
Nourrir de tes pensers mon esprit et mon coeur ,
Admirer l'Univers , adorer son auteur.
Par le C. ADRIEN SARRAZIN .
ENIGME.
Je suis hermaphrodite et m'offre sous cinq faces .
J'ai vu des vieux humains se disperser les races ,
Et l'ennui me fit naître aux bords du Simoïs.
Mon corps est , comme on veut , ou de pierre oude bouis.
J'ai des cornes au front ;je fais mainte prouesse .
Sans pieds , sans mains , je prends , je marche avec vitesse .
Forte et grosse de loin , faible et mince de près ,
J'arrète des guerriers la fuite ou les succès .
Je résiste à l'orage , un souffle me terrasse ;
Cent mortels des plus forts ne peuvent m'ébranler ,
Et le doigt d'un enfant me soulève et m'embrasse .
Cent mortels dans mes flancs peuvent se rassembler ,
Et le moindre coffret me contient fort au large.
Viens-je à changer de sexe , aussitôt au couvent ,
De lettres , de paquets , on me bourre , on me charge
1
:
D3
56 MERCURE DE FRANCE,
Et la soeur près de moi vient babiller souvent.
Du cloître fatigué je me sauve à la ville ;
Là , chez l'humble ouvrier , d'un mouvement agile ,
Je polis les métaux , et le marbre , et le bois.
Je me tiens sur les ports ; j'ai quatre bras en croix ;
Je tire des fardeaux, je suis d'un grand usage .......
Mais il n'est pas besoin d'en dire davantage .
G. D. P.
LOGOGRYPΗΕ.
Que diversement on arrange
L'ordre de mes cinq élémens ;
Alors cinq fois lascène change ;
On voit cinq objets différens :
Une ville chère aux gourmands ,
Qui n'est pas loin de la Garonne ;
Un meuble commode en hiver ;
Ce qu'on jette au fond de la mer
Sans faire de tort à personne ;
Un ornement que le hasard
A fait trouver au sein de l'onde ;
Ce que deviendra tôt ou tard ,
*** La plus belle tête du monde .
Par Madame PAULINE S. A.
CHARADE.
Je suis moins noir que mon entier.
Très-peu de gens donnent de mon premier ;
Et plus d'un fat croit être mon dernier.
Mots de l'Enigme , du Logogriphe et de la
Charade insérés dans le dernier Numéro.
Le mot de l'Enigme est la Demoiselle du Fourmi- lion.
Celui du Logogriphe est Oreilles , où l'on trouve osier ,
oeil, roi , or , Elie , sel , soleil , oseille , sellier , 06.
Le mot de la Charade est Mercure .
GERMINAL AN XI. 57
1
Fragment de l'Apologie de la Religion , par
M. de la Harpe.
ÉLÉVATION A DIEU .
( Pour le chapitre de la Miséricorde. )
VOUouSs dites , ô mon Dieu ! que vous me pardonnerez
: que dis-je ? vous m'assurez que vous
m'avez pardonné. Remisisti impietatem peccati
mei. Vous dites que vous ne mépriserez pas un
coeur contrit et humilié. Cor contritum et humiliatum
Deus, non despicies. Vous dites que vous avez
jeté tous mes péchés derrière vous. Projecisti post
tergum tuum omnia peccata mea. Vous le dites ,
o mon Dieu ! et je vous crois , et je dois vous
croire , car vous êtes la vérité même. Mais tout
puissant que vous êtes , pouvez-vous faire que ce
qui est fait ne soit pas fait ? ôtez -moi donc, ô Dieu
de miséricorde ! ôtez-moi donc de dessus le coeur
ce poids affreux , ce poids qui est sur moi comme
une montagne , ce souvenir si amer et si cruel de
quarante ans d'iniquité, de souillure , de blasphème ,
d'égarement , des plus honteux désordres. Ne suis-je
pas écrasé par cet horrible fardeau ? Eh ! si je
souffre , ce n'est pas du mal qu'on me fait ; vous
savez l'alléger et l'adoucir : grâces à vos leçons et à
vos secours , je supporte , sans y succomber , la persécution
des hommes; mais cequi m'accable , c'est
le mal que j'ai fait , qui est sans cesse devant mes
yeux , et que je ne saurais me pardonner ; car il
est sans excuse , et personne ne peut en avoir moins
que moi. Parce que vous êtes bon, en suis-je moins.
mauvais ? que dis-je ? plus vous êtes bon , plus je
suis coupable , et cette idée est désolante. A qui
aviez vous fait plus de bien qu'à moi ? à qui aviez-
D4
58 MERCURE DE FRANCE ,
vous donné plus de marques d'une bonté toute
paternelle ? qui a pris soin de moi , quand mon
père et ma mère m'ont été enlevés ? Pater meus
et mater mea dereliquerunt mee ,, dominus autem
assumpsit me. Pauvre et orphelin , j'ai été nourri du
pain de votre charité (1 ). Vous m'avez prodigué ,
comme à plaisir , tous les bienfaits imaginables ,
tous les avantages et toutes les jouissances de la société.
Quel usage en ai-je fait ? J'ai tourné tout ,
contre celui qui m'avait tout donné. Terre et ciel ,
rendez témoignage contre moi! créatures de morn
Dieu , élevez-vous contre l'enfant dénaturé , il ne
vous démentira pas. Dites toutes ensemble : le
voilà celui que son Dieu avait comblé de biens ,
et il a méconnu son Dieu ; il a méprisé sa loi ; il
s'est servi de sès dons pour l'outrager. Il ne lui est
pas venu une fois dans la pensée de rendre gloire
à celui de qui seul il tenait tout. Il s'est fait luimême
son Dieu : il a dit , en regardant les biens
qui
l'environnaient , il a dit , dans l'enflure de son
coeur, c'est moi qui ai fait tout cela ; c'est à moi
que je dois ce que je suis : je suis mon ouvrage. Il
s'est déclaré l'ennemi du Dien son bienfaiteur ,
puisqu'en reconnaissant l'existence de ce Dieu , il
a été l'ennemi de sa loi. Hommes qui détestez les
ingrats , le voilà le plus abominable des ingrats !
(1 ) L'auteur, à l'âge de neuf ans , a été nourri six mois
par les soeurs de la Charité , de la paroisse Saint-Andrédes
Arcs , et l'on sait que jusqu'à l'âge de dix-neuf ans il a
été élevé et nourri par charité. (Note de l'auteur.)
Cette note est écrite de la main même de l'Auteur ; et
voilà l'homme à qui l'on reproche tant d'orgueil ! Au
reste , tout le monde sait que M. de la Harpe appartenait
à des parens honorables , et qu'il ne fut élevé chez les
soeurs de la Charité que par manque de fortune et non
par défaut de naissance. ( Note des rédacteurs . )
1
GERMINAL ΑΝ ΧΙ. 59
Eh! bien, mon Dieu, que puis-je répondre à
ces cris qui m'accusent , à ces cris que ma conscience
répète ? Ah ! si je ne considérais que votre
justice , je l'invoquerais moi-même contre moi :
je vous dirais , frappez Dieu juste ! écrasez l'ingrat
qui vous a rendu le mal pour le bien , et la haine
pour l'amour. Posuerunt adversùm me mala pro
bonis et odium pro dilectione med. Faites - moi
tout le mal que j'ai mérité ; mais qu'au moins je
ne sois plus , s'il est possible , cet ingrat que tout le
monde doit abhorrer. Otez - moi tout ; mais ôtezmoi
mon péché , ôtez- moi ma honte : Auferà me
opprobrium et contemptum. Otez-moi la haine de
moi-même , et le souvenir de mes fautes ; pour m'y
dérober , je me précipiterais dans les enfers , si je
ne savais que le supplice des enfers est de vous
haïr , ô mon Dieu ! et ce supplice est le seul audessus
de mes forces. J'oserai dire plus , il est le
seul au-dessus de mes iniquités , à présent que vous
m'avez fait connaître et mes iniquités et leDieu
qui me les a pardonnées. Je suis prêt à tout , résigné
à tout; je puis tout souffrir , ô Dicu bon !
quoique je sois la faiblesse même , si ce n'est de
renoncer à vous aimer. Oh ! cet amour , qui est
mon seul bien , on ne me l'otera pas ; car c'est
vous , mon Dieu , qui ne l'avez donné , et ce n'est
pas vous qui me l'óterez. C'est le plus beau présent
que vous puissiez faire à vos créatures et vous seul
pouviez le leur faire. Mais cet amour même , ô
mon Dieu ! ne sert qu'à me faire sentir avec plus
d'horreur et d'amertume combien je suis criminel
envers vous ; et plus je vous aime et dois vous aimer ,
moins je puis supporter l'idée de vous avoir tant
offensé .
Mais je vous entends me répondre , ô mon
Dieu! « De quoi te plains-tu ? tu te reproches tes
>> ingratitudes , et certes tu as bien raison; mais ne
60 MERCURE DE FRANCE ,
»
»
crains-tu pas d'être encore ingrat en ce moment
même ? Que me demande-tu ? de t'ôter le souvenir
de tes fautes , qui à présent est amer pour
>> toi; mais si tu pouvais en perdre un moment le
» souvenir , si tu étais assez malheureux pour les
>> oublier jamais , c'est alors que je m'en souvien-
>> drais de nouveau , et que ma justice me rapel-
د lerait ce que ma seule miséricorde peut effacer.
>> Quand le père de famille , dans mon évangile ,
>> court au devant de l'enfant prodigue qui re-
» vient à lui , c'est pour l'embrasser et le faire
>> asseoir à sa table. Il ne lui fait pas le plus léger
> reproche ; il est sûr de ceux que le malheureux
»
«
enfant se fait à lui-même ; il se réjouit de le
recevoir à sa table , quoiqu'il revienne de la
table des pourceaux; mais l'infortuné s'est re-
>>connu indigne même de manger avec les der-
» niers esclaves du père de famille. Je suis ce père ,
>> et je connais le coeur de mon enfant ; car c'est
>> moi qui le lui ai donné : irais-je le frapper de
> mes reproches , quand je l'ai frappé de ma
>> grâce ? est-ce moi qui ferai saigner ses blessures ,
> quand il vient à moi pour être guéri ? Tu sais
>> par toi-même si ton Dieu est capable d'accabler
>> le pécheur qui se jettedans ses bras. Nest-ce pas
>> moi qui ai dit : le seigneur relève ceux qui
>> tombent , et redresse ceux qui sont brisés ?
>> Allevat dominus omnes qui corruunt et erigit,
» omnes elisos. C'est le seigneur qui conduit les
>> pas de l'homme et qui détermine son voyage ;
>> et alors , si l'homme tombe , il ne se brisera pas ,
>> parce que le seigneur étend sa main pour le
>> soutenir. Apud dominum gressus hominis diri-
>> getur et viam ejus volet ; cùm ceciderit, non
>> collidetur , quia dominus supponit manum. Et
>> qui sait mieux que moi que l'homme pécheur à
» qui je me suis manifesté , ne supporterait pas
GERMINAL AN XI. 61
» les rayons de majustice , si je ne prenais soin
» moi-même de les tempérer par ceux de ma
>> miséricorde ? Quand je parlais dans ma gloire
>> à Moyse et aux Patriarches , ils tombaient par
>> terre , saisis de frayeur , et s'écriaient qu'ils
>> allaient mourir , parce qu'ils avaient vû le sei-
>> gneur ; et c'étaient des justes ! Que sera-ce du
> pécheur ? Mais si je suis la vérité , je suis aussi
>> la vie , et il n'y a que l'impie que je tue du
>> souffle de ma bouche. Spiritu oris sui interficiet
>> impium. Je suis auprès de celui à qui j'ai parlé ,
>> et je ne veux pas qu'il meure du repentir que
>> je lui ai donné pour qu'il vive. Ce repentir est
>> sa punition ; mais il est leseul remède à ses maux ;
>> c'est le fer qui déchire la plaie , mais qui em-
>>pêche qu'elle ne soit mortelle. Il doit y rester
>>jusqu'au dernier jour ; et ose dire que ma main
>> ne s'occupe pas d'en adoucir l'atteinte , que je
>> ne verse pas sans cesse l'huile et le baume qui
>> diminuent la douleur et préviennent la corrup-
>> tion. Ce baume , c'est mon amour ; c'est l'amour
» que j'ai moi-même mis dans ton coeur , ce don
>> surnaturel qui n'est pas de l'homme , mais de
» moi. Et si tu aimes ton Dieu, comment te par-
> donnerais- tu de l'avoir tant offensé ? Mais il
>> pardonne lui , et a promis de pardonner à celui
» qui l'aime , et celui qui l'aime doit tout souffrir
> avec joie pour mériter ce pardon. Tu as peine à
>> concevoir que je puisse pardonner en effet de si
>> longues et de si énormes offenses ; mais tu ne dois
>>pas non plus le concevoir ; c'est le secret de ma
>> bonté. Il ne t'est pas plus donné de comprendre
>> combien je suis bon, que de savoir combientues
>> mauvais ; et pourtant il n'y a rien dans toi qui
>>qui ne soit fini , et tout est infini en moi: mais
>> c'est que l'homme n'est pas plus fait pour se
> connaître lui-même que pour connaître leDica
62 MERCURE DE FRANCE ,
>> qui l'a créé ; c'est moi qui sonde le coeur et
>> les reins , c'est moi qui connais l'homme , parce
» que je connais mon ouvrage ; l'homme , il n'a.
>> rien que je ne lui donne , il ne sait rien que je
>> ne le lui apprenne , il ne peut rien qu'en moi
>> et par moi ; il doit donc toujours prier , tou-
>> jours demander , et j'ai promis de ne rien re-
>> fuser à qui demande avec soumission et con-
«
))
fiance , et ma parole n'est pas vaine ; j'ai été
>> jusqu'à dire , que je ferais la volonté de ceux
>> qui me craignent : Voluntatem timentium se
>>faciet; et je l'ai mille fois prouvé. L'orgueil ne
>> conçoit pas cette bonté d'un Dieu , mais l'or-
>> gueil est toujours loin de moi , il n'y a que
P'humble qui s'en approche , et à qui j'aime à
>>me communiquer ; et la véritable humilité ne
>> se sépare pas de la confiance filiale : tu sembles
>> douter que je puisse anéantir son péché ! Ne
>>l'ai -je pas dit mille fois par mes prophètes ?
>> n'ai-je pas dit à Israël que quand même sa robe
>>d'iniquité serait rouge comme l'écarlate , je la
>>rendrais blanche comme la neige ! ( Isaie. ) Le
>> péché n'est-il pas le fils de l'enfer et le père de
>> la mort ? et mon Verbe divin ne doit-il pas être
>> vainqueur de la mort et de l'enfer ? Mais ce
>> triomphe ne sera consommé que dans la Jéru-
>> salem céleste et tu es encore dans la terre
>> d'épreuve et de châtiment. Mes saints n'ont-ils
>> pas péché , et plusieurs même gravement péché ?
>> Le mal et le péché entrent-ils dans mademeure
>> où il n'entre rien de souillé ? Ne suis-je pas
>> assez puissant dans ma bonté pour purifier mes
>> enfans? mon amour n'est-il pas un feu immense ,
>> dans lequel toute iniquité sera consumée , et
>>dans lequel tous mes élus vivront éternelle-
>>> ment. »
Que puis-je dire, o mon Dieu ! si ce n'est que
A
GERMINAL AN XI . 63
je ne suis qu'erreur , ignorance et misère , et que
vous n'êtes que lumière , puissance et bonté ?
Pardonnez , 6 mon père ! car votre enfant indigne
vous offense jusques dans son repentir, Je vous
aime , ô mon Dieu ! mais qu'il s'en faut encore que
je vous aime comme il faut vous aimer ! que je
suis loin encore de cette véritable confiance qui
accompagne le véritable amour ! et pour quoi ?
c'est que ne suis pas même un véritable pénitent ,
car je vous demande ce que vous n'accordez qu'à
vos Justes. Donnez-moi les sentimens de votre
prophète , le modèle des vrais pénitens ; que je
vous dise avec le même coeur que David : il m'est
bonque vous m'ayez humilié , afin que j'apprisse
vos justices ; bonum mihi quia humiliasti me , ut
discam justificationes tuas. Bien loin de porter
avec peine ce poids d'humiliation , je dois le bénir,
parce qu'il me rappelle sans cesse mon néant et
votre grandeur , mes fautes et votre bonté , mes
iniquités et votre sainteté. Si j'ai été assez insensé
pour vous méconnaître si longtemps , le mal est
dans ma volonté perverse ; et si vous avez daigné
m'éclairer et me rappeler à vous , gloire à vous
seul , ô mon Dieu ! car tout ce qu'il y a en moi
de mal est de moi , et tout ce qu'il y a de bon
est de vous ; et n'est-ce pas là ma consolation ,
monespérance et mon bonheur? Si je plie sous le
fardeau de mes péchés qui sont montés jusques
pardessus ma tête , supergressa sunt caput meum ,
votre Verbe divin , mon rédempteur ne daignet-
il pas le partager , et pour empêcher qu'il ne
m'écrase , ne vous offre-t-il pas sans cesse le sacrifice
de son sang versé pour moi de toute éternité
? N'est-ce pas là le mystère de son amour ?
et seroit-ce à moi de le comprendre ? Nous est-il
permis de savoir combien vous avez aimé vos
créatures ? Sic Deus dilexit mundum ! Je m'anéan-
1
64 MERCURE DE FRANCE ,
tirai donc dans ma reconnaissance comme dans
mon humiliation ; je vous dirai : mon Dieu ! c'est
le partage de vos bienheureux de connoître votre
bonté , autant du moins que vous pouvez la manifester
à vos créatures , car vous seul pouvez vous
connaître parfaitement , et vous seul êtes dans le
secret de vos perfections ; le dégré de félicité
dont vous faites jouir les habitans du ciel est en
proportion de ce que vous leur communiquez
de votre essence , et vous avez de quoi remplir
ainsi leurs désirs et leurs jouissances pendant toute
votre éternité ; c'est ainsi qu'ils seront à jamais
rassasiés : satiabor cum apparuerit gloria tua. Et
moi qui suis dans une vallée de larmes; moi , dans
les chaînes du corps et sous le joug du péché , prétendrais-
je à ce qui est le partage du ciel , quand
je devrais depuis si longtemps être dans les enfers
si vous m'aviez fait justice ? Ne suis -je pas
mille fois trop heureux que vous ayez voulu faire
de moi un de ces miracles de votre miséricorde ,
que vous signalez quelquefois pour envoyer l'espérance
aux plus grands pécheurs ? Ils diront : qui
a péché plus que lui ? et pourtant Dieu a eu pitié
de lui ; de qui donc n'aura-t-il pas pitié ? Ainsi
vous tirez le bien du mal même ; ainsi toutes vos
voies ne sont que miséricorde et vérité : universae
viae Domini misericordia et veritas. Que je sois
donc humilié , ô mon Dieu ! et que vous soyez
glorifié ; que je sois vil aux yeux des hommes
par mes iniquités , soyez grand à leurs yeux par
vos miséricordes. A vous , Seigneur , la grandeur
et la puissance ; à vous la gloire , la victoire et la
louange : Tua est , Domine , magnificentia et potentia
, et gloria atque victoria et tibi laus. Amen.
DE LA HARPE.
Histoire
MERCURE
DE
FRANCE,
LITTÉRAIRE ET POLITIQUE,
TOME ONZIÈME.
4
VIRES
ACQUIRIT
EUNDO
A PARIS ,
DE L'IMPRIMERIE DU MERCURE DE FRANCE.
AN XI,
:
GERMINAL AN XI.
RÉP.Histoire des Loix civiles sur le Mariage et sur le Divorce
depuis leur origine dans le droit civil et coutumier
jusqu'au 18. siècle; par André Nougarède, 2 vol. Prix :
8 fr. et 11 fr. par la poste. Chezle Normant, imprimeurlibraire
, rue des Prêtres Saint Germain-l'Auxerrois ,
n°. 42. Paris , an XI.
CON ne peut pas plus concevoir les lois sans les moeurs
que la société sans la famille. Elles fleurissent ensemble ,,
elles dégénèrent ensemble ; l'influence que l'on exerce sur
l'une ou sur l'autre , s'étend inévitablement sur toutes les
deux. Cette vérité est , pour ainsi dire , l'histoire toute
entière , et nous sommes trop dispensés d'aller chercher
des exemples chez les nations anciennes .
Mais nous ne répéterons pas comment le scandale des
moeurs prépara la chute de l'autorité et le mépris des
loix en France ; et comment les loix , par un retour funeste
, mais nécessaire , corrompirent les moeurs , établirent
dans la famille le despotisme et l'anarchie , qui
désolaient l'état , et consacrerent en principe leur avilissement
et leur décadence. On dût se féliciter encore ,
au milieu de cette ruine universelle , que l'on n'ait pas
détruit jusqu'au pouvoir de réparer.
4 Les premiers regards d'une autorité bienfaisante , de
vaient donc naturellement s'arrêter sur l'état de nos moeurs ;
ou plutôt , après avoir relevé les autels , elle devait régler
le sort des époux dont ces autels avaient reçu les sermens;
elle devait rendre son honneur au mariage, resserrer le
lien de la famille et de la société , et consacrer la source
de la morale publique et de la liberté civile.
5.
cen
Cependant , par une fatalité qui tenait aux temps que
nous laissons derrière nous , les principes sur lesquels se
fonde la législation du mariage étaient chaque jour plus
oubliés. Le législateur ayant été obligé de prescrire ce
que la religion et les moeurs ne réglaient plus , les loix
11 E
66 , MERCURE DE FRANCE,
civiles s'étaient mêlées avec les loix domestiques , et la
confusion s'était introduite dans toutes. La manie des paradoxes
qui dominait ,, sous le nom de liberté de penser
, ne contribua pas peu à augmenter cette confusion .
Le droit naturel fut méconnu , dans un siècle où chacun
invoquait la nature. Le siècle des lumières avait tout
brouillé et tout obscurci : et le code des loix françaises
ressemblait à ces terres nouvellement inondées , où , pour
reconnaître les propriétés de chacun, et fixer les bornes
antiques , il fallait recourir au témoignage des anciens ,
et au jugement des hommes fameux par leur sagesse .
Ce fut alors qu'un gouvernement , fort de ses intentions
, s'entoura de toutes les lumières , provoqua de franches
remontrances , et fit comme un appel général à tous
les amis éclairés de leur pays. La loyauté et la confiance
établirent , de part et d'autre , des communications qui
caractérisent assez la nouvelle époque qui commençait
pour la France. Plusieurs écrivains usèrent noblement du
droit de dire ce qu'ils pensaient , et de penser ce qu'ils
voulaient ( 1 ) .
Quelques maximes anciennes furent tirées de leur long
oubli , et sont encore reçues aujourd'hui avec le succèsde
la nouveauté ; et même , nous pouvons le dire sans vaníté
, puisque nous l'avons payé si cher , les principes de
l'ordre social reçurent des développemens nouveaux , que
l'on ne dût pas moins à l'expérience et à la nécessité des
temps , qu'au génie des écrivains qui les produisirent.
Car , cette remarque a déjà été faite , tout principe nécessaire
à l'ordre social , doit être développé dans son
temps . La société s'éclaire et s'explique à mesure qu'elle
avance ; et dans toute la suite des événemens politiques ,
une vérité nécessaire à l'ordre appelle en quelque sorte
son défenseur , comme autrefois , dans l'agitation des
premiers siècles de l'église , les hérésies suscitaient des apologistes
de la croyance orthodoxe.
(1) Ubi sentis quæ velis , et quæ sentis dicere , licet. Tac. Hist.
GERMINAL AN XI. 67
:
suc
'il
et ddeeve
(
9
Les défenseurs des sainės maximes de l'ordre , s'honorèrent
de compter dans leurs rangs l'auteur de l'ouvrage
que nous annonçons. Dans deux écrits qu'il publiá
cessivement , et qui ont entr'eux les rapports qui existent
entre leurs sujets et entre toutes les vérités polítiques ,
remonta à l'origine de la puissance paternelle,
loppa le principe de la législation sur le maridge. Il f.t
voir que la puissancepaternelle avait conservé les moeurs
romaines pendant six siècles , au milieu des discordés de
la place publique et des vices de la religion et des loix ;
et que l'indissolubilité du mariage , après que notre droit
coutumier eut aboli la puissancë paternelle dans notre
législation , fut le principe de la force intérieure de la !
France , et de la perfection toujours croissante de ses
moeurs pendant dix siècles . On distingua aussi , dans cette
classe Honorable de publicistés , l'éloquence et profond auteur
du Divorce considéré au 19° siècle . M. de Bonald attatqua
ses adversaires , pour ainsi dire , dans le fort de leur
raisonnement. Comme ceux-ci prétendaient que ledivorce ,
réprouvé par la religion catholique , n'était pas pour cela
contraire à la nature et devait être reçu dans le code d'une
nation qui adımettait indistinctement toutes les religions,
il prouva que le divorce n'était contraire à la religión
universelle , que parce qu'il était contraire à la nature.
La force singulière de son style , l'élévation et l'étendue
de ses pensées , et , si je puis parler ainsi , la verve de rai....
son qui caractérise cet écrivain , frappèrent tous les esprits.
Son nom devint une grande autorité dans l'opinion
publique : et , sans rien préjuger sur ce que le législateur
accordérait aux circonstances , ou sur ce que les circons (
tances exigeraient de lui , on crut l'inviolabilité des prin
cipes garantie , en quelque sorte , par cette éloquente
protestation.
103 1.
« Mais , dit M. Nougarėdė , le raisonnement a été
>> si bien décrié par ses abus trop récens , qu'il inspire
» de la défiance , lors même qu'il sert à défendre la
Ez
1
68 MERCURE DE FRANCE ,
1
>> vérité : il a donc fallu me résoudre à tenter une autre
>> démonstration. >> Et cette démonstration , il l'a trouvée
dans les faits et dans les loix. Le plan qu'il s'est tracé
est vaste , et embrasse toutes les législations connues ,
depuis les institutions de Numa, jusqu'au code civil qui,
estdiscuté en ce moment. Dans cet espace de vingt-six
siècles , on voit les peuples se succéder avec les mêmes
fautes et les mêmes revers ; les mêmes événemens entraîner
les mêmes conséquences , les mêmes opinions
parmi les philosophes , annoncer les mêmes vicesdans les
moeurs , et préparer les mêmes désordres dans les loix;
les mêmes expériences , en un mot, se renouveler avec
les mêmes résultats. Lorsqu'un principe a passé par toutes
les épreuves , et qu'il sedémontre également par l'ordre des
raisonnemens et par la suite des événemens , il ressemble
debien près à la vérité. Mais , n'anticipons pas sur des conséquences
que l'auteur n'a pas voulu tirer lui-même. Nous
allons essayer de donner une idée de son travail ; c'est à la
fois la plus digne manière de le louer et le plus sûr moyen
d'en faire sentir l'importance.
Si l'on considère la théorie des loix sous les rapports généraux,
on se convaincra , sans peine , qu'elle a tour-àtour
été fondéesurdeux principes opposés : tantôt l'homme
et la société dictaient eux-mêmes les loix qu'ils devaient
suivre ; tantôt ils les recevaient d'une autorité supérieure ,
placée hors de l'homme et de la société.
Quand les loix étaient l'ouvrage des hommes , elles devaient
nécessairement flatter leurs passions ; elles sacrifiaient
les droits du plus faible , ou plutôt elles ne s'occupaient
pas de la supériorité du droit , mais de celle de la
force. C'était le droit du plus fort, ou le droit arbitraire ,
dont les principes variaient avec les passions , avec l'influence
du climat , avec la forme des gouvernemens , avec
le caractère de chaque siècle.
On reconnaîtra tous les caractères de ce droit du plus
fort dans les coutumes domestiques qui existèrent chez les
1
GERMINAL AN ΧΙ. 69
•Romains avant le règne de Numa , et c'est l'objet du chapitre
premier. Ici tous les éloges du premier âge et toutes
les imaginations de poésie fuient devant la vérité de l'histoire;
les instrumens du meurtre sont inventés avant ceux
du labourage ; une forteresse protège des cabanes de
chaume, ettelles étaient l'atrocité de ces premières guerres
Det la bassesse de ces natures primitives , que l'esclavage
était considéré comme un bienfait , et sauva la race humainede
ses propres excès. Le vaincu épargné sur le champ
de bataille recevait le nom ( r ) qui marquaît à la fois son
salut et son opprobre. Mais ce droit , que le maître exerçait
sur son esclave, rapporté à la supériorité de la force
du corps comme à son principe , devait nécessairement
s'étendre sur tous les êtres faibles par leur nature ou par
leur situation ; aucun sentiment ne venait alors tempérer
cet instinct brutal de la force ; aussi voit-on le guerrier
opprimant également ses esclaves , sa femme et ses enfans.
Quand les hommes , au contraire , et les sociétés reconnaissaient
une autorité supérieure placée hors de l'homme
et de la société , leurs passions devant être subordonnées
àlajustice , l'on cessait alors de considérer la force pour
ne voir que les droits de l'individu, et les loix tendaient à
devenir invariables. De-là, le droit immuable , qui est
comme l'intelligence cachée qui dirige le corps social vers
son plus grand bien; et comme ce droit est l'ouvrage
d'une autorité supérieure, il doit nécessairement tirer sa
forcede la religion..
Cette distinction du droit du plus fort ou du droit arbi-
⚫traire et du droit immuable est capitale, et toutes les considérations
que présente la suite de cet ouvrage s'y rattachent
naturellement. 56
Cependant , si la religion est humaine , est polytheiste ,
elle ne sanctionnera que des règles partielles du droit
immuable , et ne résistera pas au temps : c'est ce que l'on
vit par les loix et la religion de Numa...
(1 )Servus, de servatus.
E3.
70 MERCURE DE FRANCE ,
Vainement ce prince législateur essaya-t-il de soustraire
les femmes à l'oppression où elles se trouvaient placées
dans leurs familles , et de les protéger dans le mariage où
la nature et les effets du pouvoir marital tendaient également
à les opprimer; vainement consacra-t-il l'indissolubilité
du mariage par la cérémonie de la confarréation .
L'imperfection de la religion devait entraîner l'imperfection
de la loi , L'usage de la diffarréation détruisit tous
les bons effets de la confarréation ; et comme il arrive
ordinairement , à force de violer la religion , on prit le
parti de s'en passer : l'on crut même dans la suite que la
confarréation n'avait été instituée que pour les seuls pontiſes.
Ce fut alors que le peuple romain se crut sans loix
parce qu'elles n'étaient plus observées , et il alla en chercher
dans la Grèce. Les loix de la Grèce , toutes rédigées
d'aprèsle droit du plus fort, dominèrent sur les institutions
de Numa , et par leur nombre et par leur accord naturel
avec les passions de la multitude. Le code des Douze
Tables devança même la corruption publique , comme il
parut bien , par l'indignation générale qui éclata à l'occasion
du divorce de Carvilius Ruga , que les censeurs
ordonnèrent , à cause de la stérilité de sa femme.
2 Cependant l'ambition des conquêtes , qui s'accroissait
avec les conquêtes , dirigea toutes les vues du législateur
vers la reproduction de l'espèce humaine. On fit des loix
pour encourager le mariage , et pour punir le célibat
et la stérilité , c'est - à - dire , que l'on fit des loix
inutiles et des lois immorales. Mais la loi tenta inutilement
de suppléer aux bonnes moeurs ; car , dit M. de
Bonald, la population ne se compose pas tant des hommes,
>> qui naissent que des hommes qui se conservent ». Aussi
Ja dépopulation et la licence dés moeurs faisaient des progrès
effrayans. Auguste lui-même perdit l'espérancedevoir
naître un peuple innombrable , et les chevaliers romains,
interprètes de l'alarmé publique , vinrent en corps
demander au prince l'abrogation des loix pappiennes.
,
:
GERMINAL AN XI. 71
1
M. Nougarède insiste particulièrement sur cette époque
'de l'Histoire Romaine , parce qu'elle est aussi importante
qu'instructive , et que trop souvent il faut être arrivé
au dernier degré du mal pour reconnaître toutes les fautes
qui nous'y ont conduits. On connaît la harangue d'Auguste
aux chevaliers romains , rapportée très au long par
Dion , et que Montesquicu abrège à samanière. M. Nougarède
metdans la bouche des chevaliers une réponse , où
il fait ressortir tous les vices de ces loix pappiennes , qui
avaient réduit en système les abus de l'anarchie et des
guerres civiles . Cette forme dramatique redouble l'intérêt
de ce tableau. Nous ne résistons pas au plaisir d'en citer
quelques traits .
<<S'il ne s'agissoit que de présager le succès de vos loix ,
>> répondent les chevaliers , la question serait absolument
» décidée. Depuis trente années , les confiscations qu'elles
>> prononcent et qui remplissent votre trésor , les récom-
> penses qu'elles promettent , et auxquelles l'espoir de
>> votre faveur ajoute un nouveau prix , n'ont produit que
>> d'impuissans effets . Vous venez de vous en convaincre
>> vous-même , puisque nous sommes presque tous céliba-
>>taires. Vous devriez en conclure que vos moyens pour
>> encourager le mariage et la population sont vicieux ,
>> puisqu'ils produisent un effet tout contraire à vos dé-
<>> sīrs ; mais déjà vous agissez en maître absolu , et vous
>> vous en prenez à vous-même.
2
>> Vous commencez par nous faire un crime de vivre
>> dans le concubinage , et vous paraissez ainsi perdre de
>> vue qu'il est devenu par vos soins une union légitime :
» ce sont vos loix mêmes , contre lesquelles nous récla-
» mons ,,qui l'ont établi et qui le protègent ; ce sont elles
> encore qui nous éloignent du mariage. Si elles avaient
>> soumis cette union à ses véritables loix , nous pourrions
>> la choisir encore comme firent nos ancêtres . Nous savons
» très-bien qu'un engagementlégitime est préférable pour
>> bebonheur; mais ilest indispensable qu'il soit soumis aux
E4
72 MERCURE DE FRANCE ,
>> loix de la justice, s'il est réglé par la volonté arbitraire ,
>> ou même immorale du législateur , comme le mariage
>> qui est organisé par vos loix pappiennes ; nous aimons
> mieux encore rester exposés à nos seuls caprices.
>> Ces loix vous assurent tous les genres de succès, excepté
>> celui que vous prétendez en attendre, l'accroissementdela
>> population . Elles ne pouvaient nous paraître en effet que
>> les réglemens d'un maître qui veut multiplier lenombre
» de ses sujets. Nous nous sommes considérés dans le do-
>> micile conjugal comme dans un lieu de gêne , où vous
>> nous conduisiez par des menaces , où vous nous reteniez
>> par des menaces , où vous nous excitiez par des menaces ,
>> comme par un aiguillon, à multiplier les gages de notre
>> fécondité . Cherchez donc , pour encourager la propa-
>> gation de l'espèce , d'autres réglemens que ceux des
>> censeurs ; observez même que ces moyens si violens ,
>> ne sont pas de nature à être mis long-temps en usage ,
>> et qu'ils auraient bientôt épuisé toutes les sources de la
>> reproduction sociale. Pareils à ces cultivateurs impru-
>> dens , qui détruisent la fécondité du sol en voulant
>> l'exagérer , les censeurs n'avaient obtenu du mariage
>> une population si supérieure à ses produits ordinaires ,
» qu'en frappant le mariage même de stérilité pour l'a-
>> venir. Si vous continuez de suivre le même système ,
>> vous acheverez de rendre absolument impossible la res-
>> tauration des moeurs . •
>> Faut- il vous parler des récompenses que vous pro-
>> mettez aussi dans vos loix , et vous faire voir qu'elles ne
*>> sauraient être plus efficaces que les peines dont vous
nous avez menacés sans fruit ? Vous ne nous compren-
>> driez même pas. Elles vous paraissent telles , dites-vous ,
>> que la vertu n'en eut jamais de plus grandes. Quelle
>> idée vous devez avoir des récompenses qui excitent à la
>> vertu ? Comme vous devez considérer en pitié ces cou-
» ronnes de chêne qui précipitaient nos ancêtres au
GERMINAL AN XI 73
>>milieu de tant de dangers , pour sauver la vie d'un ci-
>> toyen ! Comme il est bien plus beau de présenter la
>>pourpre à celui qui a répudié une épouse chaste , pour
>> lui substituer une épouse féconde; ou plutôt à ce ci-
>> toyen si digne de vos éloges , qui , en passant toutes les
>> années du mariage au divorce et du divorce au mariage ,
→ amultiplié sans mesure ses plaisirs et ses enfans. >>
L'histoire dit que les chevaliers romains n'avaient rien
répondu à la harangue d'Auguste; on voit que ce n'était
pas faute de bonnesraisons. Mais continuons de suivre le
plan de l'auteur.
Il fallait donc une religion divine et universelle , pour
faire connaître les principes généraux du droit immuable ,
et pour leur donner une sanction durable. On en vit la
preuve sous Constantin , qui ayant à gouverner un peuple
vieilli dans les institutions d'Auguste , ne laisse pas d'entreprendre
la réforme des loix , et dut ses succès à l'influence
du christianisme. On reconnaît bientôt la présence
de ce nouveau príncipe dans la législation . Dès les commencemens
, ils se manifeste par les plus heureux effets
sur la liberté civile et sur la liberté domestique ; les maux
de l'esclavage sont allégés ; les règles qui gênaient les affranchissemens
sont peu à - peu abolis ; la licence des divorces
est réprimée , et l'on ne se borna plus à la protection
personnelle d'individus , mais on eut encore égard
aux considérations d'honnêteté publique , etc. L'ouvrage
de Constantin fut continué avec zèle par ses successeurs ;
et l'auteur en fait observer les progrès dans l'histoire des
loix , sur les esclaves , et sur la société des biens entre les
époux; mais les plus grands obstacles qu'ils eussent à surmonter
, venaient de la dégénération du peuple romain ,
qui ne pouvait plus porter , en quelque sorte , la bonté
des institutions nouvelles.
Il était réservé à Charlemagne , cinq siècles après Constantin
, d'achever toutes les applications du droit im
muable. Ce grand prince, à la tête de peuples adolescens ,
1
74 MERCURE DE FRANCE ,
montra tout ce que peut le christianisme , lorsqu'il vient
tempérer un génie législateur et guerrier. Des écrivains
célèbres ont fait l'éloge de Charlemagne , avec quelques
traits d'un talent inimitable : il était peut-être aussi difficile
de descendre dans le détail de ses travaux immenses .
M. Nougarède le montre tour-a-tour fondant la liberté
politique sur ses vraís principes , et augmentant la puissance
impériale de tout ce qu'il retranchait au despotisme
du prince ; extirpant les restes de l'esclavage par des loix
plus fortes que celles de Constantin ; renouvelant les loix
sur les moeurs , après avoir réglé celles du mariage ,
dont il consaca l'indissolubilité ; en un mot , conduisant
au plus haut degré de perfection , dont les choses humaines
étaient capables à cette époque , la liberté politique
, la liberté civile et la liberté domestique , qui toutes
conservent entr'elles des rapports naturels et invariables.
Ce point de vue n'est pas le moins remarquable de cette
Histoire. Le germe de perfection que le christianisme avait
introduit dans les loix , se développa au milieu des abus
de la féodalité et des horreurs des guerres civiles. Il fut la
source de ce droit des gens , qui a gouverné les nations
de l'Europe jusqu'au dix-huitième siècle; de cette dignité
de moeurs , qui établit une si grande différence entre le
siècle de Louis- le-Grand et le siècle d'Auguste. Enfin , le
christianisme fut le principe de cette morale publique et
de cette conscience universelle qui met « l'opinion même
>> des hommes corrompus , au nombre des plus grands
› obstacles que la corruption des moeurs ait à com-
>>> battre. >>>
Il ne nous est pas permis , dans cette analyse rapide , et
à peine suffisante pour donner une idée générale de l'ouvrage
, de nous arrêter aux développemens qui en font le
principal mérite. L'histoire des loix se joint naturellement
à l'histoire des circonstances qui les ont accompagnées ,
et offre à chaque page des tableaux attachans , des faits:
curieux , des discussions intéressantes. On pense bie.n
GERMINALAN XI. 75
১
qu'en s'assujettissant à la fidélité de l'histoire , l'auteur
a souvent occasion de combattre les systèmes de nos publicistes
modernes , qui ne s'en souciaient guère. Le nom
de Montesquieu , en particulier , revient souvent dans
les,discussions de ce genre. Ce publiciste , qui témoigne
pour les loix pappiennes une prédilection que l'on ne
peut pas concilier aves ses grandes lumières , avait jeté ,
par exemple , de l'incertitude sur l'époque où l'usage
du divorce s'introduisit chez les Romains , et l'avait fait
remonter beaucoup plus haut que l'époque célèbre de
Carvilius Ruga, M. Nougarède prouve contre Montesquieu
, l'exactitude et la vraisemblance du fait historique.
Il démontre par le témoignage unanime des historiens ,
que jusqu'à Carvilius Ruga , c'est- à- dire jusqu'à l'an
620 de la fondation de Rome , les institutions de
Numa avaient protégé l'indissolubilité du mariage contre
la séduction des loix ; et , par les rapprochemens et les
analogies que fournit cette époque fameuse, il ne montre
pas avec moins d'évidence que l'action de Carvilius Ruga
devait exciter une indignation générale , et que les moeurs
romaines repoussaient encore le code des Douze Tables.
Mais si l'on reconnaît la logique victorieuse de l'auteur
, on n'aime pas moins la manière dont il a raison :
c'est toujours avec la modération et les convenances qui
n'appartiennent qu'au vrai savoir ; et cet exemple est
trop rare pour n'être pas remarqué.
Ce fut au dix-huitième siècle que les principes du siècle
d'Auguste tendirent à dominer dans les moeurs et dans les
loix. L'examen de cette dernière époque fait le sujet de la
quatrième partie de cet ouvrage , qui nous a paru moins
fortement écrite que les précédentes . Il est même possible
que l'on conteste à l'auteur l'exactitude de quelques rapprochemens
entre les philosophes des deux siècles. Mais
les rapports généraux qu'il établit entre les philosophes
subsistent dans toute leur évidence. Le fonds des doctrines
qui prévalaient au siècle d'Auguste , reparut avec tous ses
76 MERCURE DE FRANCE,
1
1
détails dans celui que nous venons de parcourir; et si l'on
pouvait séparer les passions des hommes de leurs erreurs ,
la fortune prodigieuse de cette philosophie ne serait pas
moins frappante que la monotonie des répétitions. On vit
donc avec les systèmes d'Epicure et de Zénon le despotisme
sous toutes ses formes sanglantes ; les distinctions
savantes et les balancemens de pouvoirs qui sont bien
moins les garanties de la liberté que les inquiétudes de la
faiblesse et de l'orgueil ; des loix sur le mariage toutes relatives
à la propagation de l'espèce ; des vertus toutes
physiques , et l'oppression , enfin , regnant dans la famille
comme dans l'état , avec toutes les applications du droit
du plus fort.
Ici M. Nougarède prévient une grave objection des défenseurs
de la doctrine du dix-huitième siècle . Ce siècle a
été fameux par son humanité, et il en a fait un de ses titres
les plus magnifiques ; tous les livres qu'il a produit ne
respirent que l'humanité , et la vantent comme une découverte
nouvelle , après douze siècles de civilisation.
Mais les faits viennent déposer tristement contre cet
étrange amour des hommes , qui même dans la suite prit
un autre nom , comme par respect pour le véritable.
L'humanité méconnut les bornes et les convenances de la
vertu , parce qu'elle ne remontait pas au principe qui ,
bien que surnaturel , n'en est pas moins le seul conforme
à notre nature. L'humanité rêvait des projets de paix perpétuelle,
et les proposait à des souverains qui , peu de
temps après , se partagèrent la Pologne. L'humanité décida
l'affranchissement des nègres dont l'esclavage se convertissait
insensiblement en une sorte de domesticité
douce; et en s'emparant brusquement de l'ouvrage du
christianisme , elle le perdit. Les essais meurtriers de la
philantropie , témoignèrent assez que ce n'était pas aux
défenseurs du droit arbitraire à donner la liberté civile ;
et les efforts d'un gouvernement puissant suffisent encore
à peine aujourd'hui pour réparer les bienfaits de tant
1
GERMINAL AN XI
77
d'humanité.Aureste , toutes ces considérations exigeraient
desdéveloppemens, que nous sommes forcés de remettre
une autre fois .
Dans un ouvrage , que son importance et sa solidité
dispenseraient aisément de tout autre mérite , M. Nougarède
a su répandre l'intérêt d'un style élégant et facile.
On ne s'aperçoit pas des recherches ingrates qu'il a dû
faire , des écrits secs et insipides qu'il lui a fallu dévorer :
il n'a pris toute cette peine que pour l'épargner à ses
lecteurs .
VARIÉTÉS.
OEuvres diverses d'Evaristé Parny , nouvelle édition , a vol. ›
in-12. Prix : 5 fr. , et 6 fr. par la poste.A Paris , chez
Debray , libraire , place du Muséum , n°. 9; et chez
le Normant , imp. - lib . , rue des Prêtres Saint -Germain-
l'Auxerrois , n° . 42 .
३
LE
:
E sort des poètes est souvent plus heureux qu'il n'est.,
brillant; ils marchent sans cesse au milieu des serpens
de l'envie , et leur carrière est par-tout semée d'écueils ; -
ondoit cependant en excepter les poètes élégiaques ; ils
chantent leurs plaisirs , et ils semblent n'avoir pour but
dans leurs travaux que d'obtenir un sourire de l'amour.
Les graces qu'ils ont chantées désarment en leur faveur
la jalousie , la haine , et quelquefois même la critique.
Leur front n'est point paré d'un laurier éclatant,mais ils
sont couronnés du myrthe paisible ; tel était , parmi nous ,
le sort du chantre aimable d'Eléonore ; tel étoit du moins
le voeu qu'il formait lui-même, lorsqu'il disait :
:
Ade moindres succès mes vers doivent prétendre ;
Les belles , quelquefois , les liront en secret ,
Et l'amante sensible ,àson amant discret ,
Indiquera dudoigt le morceau le plus tendre.
:
78 MERCURE DE FRANCE ,
Heureux le poète , s'il se fût contenté de la gloire d'être
placé à côté d'Anacreon et de Tibulle , et s'il n'eût pas
troublé les échos d'Idalie de ses déclamations contre les
dieux ! mais on a assez parlé de ce poëme scandaleux ,.
qui a fait plus de mal encore à son auteur qu'à la religion
qu'il attaque : M. de Parny ne l'a point compris dans la
nouvelle édition de ses ouvrages , et nous n'y reviendrons
pas.
La plupart des pièces qui composent ce nouveau recueil
, sont dans la mémoire de tous ceux qui aiment les
vers. M. de Parny ne s'était point laissé séduire par les
succès passagers de Dorat et des poètes qui l'avaient précédé
dans la même carrière ; ses élégies sont principale->
ment remarquables par la fraîcheur du coloris , parle
naturel des images et la vérité des sentimens , le poète
est toujours élégant et toujours correct. Dans son élégance
, dans sa correction , il n'ajamais rien de pédantesque
; il a même quelquefois la grâce de l'abandon ,
et son style , sans étre négligé , a presque toujours cet air
dé négligence aimable qui sied si bien aux chantres des
plaisirs et des amours.
L
C
Li suci artifici sono negligenze..
台
:
M. deParny a enrichi cettenouvelle éditionde plusieurs .
pièces inédites ; parmi ces pièces nouvelles , il en est une .
de longue haleine , et qui a pour titre : Isnel et Asléga .
Le sujet de ce poëme est tiré de la mythologie du Nord.
Je ne sais si on doit féliciter le poète du choix qu'il a fait,
mais il aurait sans doute mieux réussi, en traitant un
sujet de l'antiquité grecque ; la mythologie des Grecs ,
quoiqu'un peu usée pour nous , nous offre encore plus
d'idées neuves , que la mythologie des peuples hyperboréens
; notre esprit est préparé à tout ce qu'on dit des
Grecs; nous avons été élevés , nous avons , pour ainsi dire,
GERMINAL AN XI. 79
vécu avec eux , notre imagination s'anime àleur seulsouvenir,
et c'est un avantage que les poètes ne doivent pointperdre;
quoiqu'on en dise ,Jupiter, Vénus , Apollon , seront
toujours plus poétiques pour nous que le grand Odin. Il
est possible que le nectar que versait Hébé , fût une boisson
assez médiocre ; mais après avoir été chanttéé par
Homère , il me paraît plus propre à entretenir l'ivresse :
poétique , que la bierre et l'hydromel qu'on sert à la table .
des dieux scandinaves. Les sujets tirés de la mythologie
du Nord ont un autre inconvénient , c'est la bizarrerie et !
la dureté des noms propres , qui ne réveillent point
d'idées dans l'esprit du lecteur , et qui nuisent essentiellement
à l'harmonie des vers ; Isnel , Asléga , Ingeslé ,
Niflheim , Olbrown , peuvent être harmonieux pour.des
Russes ou des Suédois , mais seront éternellement bárbares
pour des oreilles françaises. Je sais que les sujets I
tirés des mythologies du Nord sont encore en vogue parmi
certains esprits , avides de nouveauté , mais l'autorité de
ceux-ci n'est pas assez marquée dans la littérature , pour
qu'on doive leur sacrifier le goût national. On a beaucoup
vanté Ossian dans notre siècle ; les hommes de goût euxmêmes
l'ont admiré comme une production remarquable,
sans jamais croire cependant qu'on pût le prendre pour
modèle : il en est des poésies d'Ossian et de toutes les
poésies herses , comme de ces monumens d'architecture
gothique qui ont été conservés parmi nous ; ils sont
admirés par les gens de l'art , mais personne n'a songé
pour cela à en imiter les formes dans la construction des
édifices modernes . 2
On ne saurait trop le répéter , ce n'est point dans le
nord qu'il faut aller chercher des modèles de goût : les
habitans du nord le savent très-bien , et ils ne viendraient
pas en foule parmi nous , s'ils n'avaient à admirer que
lafroide copie de ce qu'ils ont chez eux ; ils ne parleraient
80 MERCURE DE FRANCE ,
pas notre langue, ils ne cultiveraient pas notre littérature ,
si elle n'était consacrée qu'à chanter les merveilles d'Odin .
M. de Parny , dans le poëme d'Isnel et d'Asléga , a laissé
encore apercevoir son talent accoutumé ; quelques tableaux
ont encore cette grace qu'on aime dans ses élégies ;
mais son style manque quelquefois de pureté : les
amours d'Eléonore ( qu'on me passe la comparaison ) ,
sont comme ces fleurs qui naissent dans nos champs , et
qui ont tout le coloris , tout l'éclat qu'elles ont reçu de
la nature. Les amours d'Isnel et d'Asléga ressemblent à
ces plantes exotiques qui regrettent leurs climats , et qui
ont besoin d'être péniblement cultivées dans une serre
chaude. Nous n'examinerons pas en détail le poëme
d'Isnel et d'Aslega ; nous nous contenterons d'en relever
quelques incorrections , etd'en faire remarquer quelques
beautés. Isnel s'adresse à ses guerriers et les encourage par
ces mots :
Braves amis, nos pères ont vaincu ;
De leur acier l'éclair a disparu ;
Brillous comme eux au milieu du carnage ,
Leur front jamais n'a connu la pâleur .
Le second vers est inintelligible , de leur acier l'éclair
a disparu; cette image peut être scandinave , mais elle
n'est pas française . Le troisième vers est faible ; et l'expression
brillons comme eux est peu digne d'un héros qui
ne respire que le carnage. Le quatrième vers renferme
unc idée fausse ; le poète veut dire que les pères des
Scandinaves n'ont jamais pâli devant l'ennemi , mais un
front qui n'a jamais connu la pâleur n'exprime pas la
même idée.
:
Quelques vers après , en parlant d'Isnel , le poète dit :
Mais des combats la sanglante rigueur,
Ala pitié ne fermait point son coeur.
Avec lamort son bras allait descendre
Surun guerrier qu'il avait terrassé ;
Je
GERMINAL AN XI.
RÉP
0
Je ne sais si on peut dire la sanglante rigueur des
combats. Un bras qui va descendre avec la mort sur un
guerrier , est une image faible : elle n'a point la vivacité
nécessaire pour exprimer le mouvement d'un homme qui
va tomber sur son ennemi .
Olbrown , un des personnages du poëme , aime la
belle Rusla , et il vient frapper à la porte de sa maîtresse.
Il frappe , et cette fois
La porte cède à la main qui la touche.
Laporte cède à la main qui la touche , le verbe toucher
, qui vient après le mot frappe , n'est pas l'expression.
convenable ; touche paraît être mis là pour la rime.
Quel est ce lâche au front pâle et timide ?
Espère-t- il , par sa fuite rapide ,
Se dérober à la lance d'Isnel ?
Est-ce en fuyant qu'on échappe au tonnerre ?
Sans gloire il tombe , et tourné vers la terre ,
Son oeil mourant ne revoit pas le ciel.
A quoi se rapporte sans gloire il tombe : d'après la
construction de la phrase , il se rapporte au tonnerre ;
et d'après la suite des idées , il se rapporte au lâche qui
fuit d'un pas rapide. La transition est trop brusque , et
ce passage n'est point clair.
Près d'un torrent qui roule avec fracas
Ses flots bourbeux , s'élève un toît rustique ;
De vieux sapins le couvrent de leurs bras.
On n'entend pas trop ce que veut dire ici le poète ,
en parlant des bras des vieux sapins. Cette expression
pourrait , jusqu'à un certain point , convenir au saule
pleureur , mais elle ne convient point aux sapins , qui ,
dans leur forme élancée , n'ont rien qui puisse ressembler
11 F
82 MERCURE DE FRANCE,
àdes bras . Il ne faut jamais oublier que ces images hardies
ne réussissent que lorsqu'elles sont amenées , et celle- ci
ne l'est pas. On trouve la même faute dans les vers suivans:
Du Valhala le grand festin t'appelle ,
C'est là qu'on boit la vie et le bonheur.
On a dit souvent qu'on boit dans le Léthé l'heureux oubli
des peines . Ici , l'idée d'un objet physique prépare l'image
d'un objet moral ; on boit les eaux du fleuve , et avec les
eaux du fleuve , on boit l'oubli des maux ; cette expression
devient ainsi naturelle , mais on ne peut pas dire
qu'on boit dans un festin , la vie et le bonheur. L'image
n'offre rien de précis , rien de positif , ni à l'intelligence
ni à l'imagination. Boucher a dit dans le poëme des Mois ,
en parlant d'un amant :
Les yeux demi-fermés , il boit un long amour.
Cette image pêche par le même défaut ; bien qu'on s'enivre
d'amour et de bonheur , il est bon de savoir ici
qu'on ne boit ni le bonheur ni l'amour. J'insiste sur cette
observation , parce que cessortes d'expressions sont un peu
devenues à la mode. Nos poètes se sont mis depuis quelque
temps , non-seulementà boire la vie , le bonheur , l'amour,
mais à boire le chagrin , le plaisir , je ne sais même s'ils
ne boivent pas la louange et la critique.
Je pourrais pousser beaucoup plus loin mes observations
sur Isnel et Asléga , mais il est temps de revenir
aux beautés qu'ony trouve en assez grand nombre , pour
faire pardonner les défauts. Parmi les choses qu'on peut
citer , nous donnerons la préférence à la romance d'Isnel.
Dans les momens où le cri de la guerre
N'éveillait plus sa bouillante valeur ,
L'amour charmait son dme solitaire ;
Sa voix alors chantait avec douceur :
GERMINAL AN XI. 83
>
<< Belle Asléga , quand l'aube matinale
Lève sa tête au milieu des brouillards ,
Sur tes cheveux j'attache mes regards.
Lorsque du jour la tranquille rivale
Jette sur nous son voile ténébreux ,
Chère Asléga , je baise tes cheveux. >>>
<<Un roi m'a dit : Ma fille doit te plaire;
Denos climats sa beauté fait l'orgueil ,
Saflèche atteint le timide chevreuil ,
Sa lyre est douce , et sa voix est légère ;
De ses amans sois le rival heureux.
Mais d'Asléga j'ai baisé les cheveux . »
<< J'ai vu Risme : d'une gorge arrondie
Ses cheveux noirs relevent la blancheur;
D'un frais bouton sa bouche a la couleur ;
Ses longs soupirs et sa mélancolie
Parlent d'amour; l'amour est dans ses yenx,
Mais d'Asléga j'ai baisé les cheveux. »
1
<<<Je sommeillais : une fille charmante
Sur mon chevet se penche avec douceur ;
Sa pure haleine est celle de la fleur :
Jeune étranger , c'est moi , c'est une amante
Qui de son coeur t'offre les premiers feux.
Mais d'Asléga je baisai les cheveux .
Ce morceau est plein de grâce etd'harmonie ; il est aisé
d'y reconnaître le chantre d'Eléonore ; on lit deux ou
trois autres romances dans le même poëme ; elles ont le
même naturel et le même charme : M. de Parny est né
pour chanter les amours , et s'il veut être fidèle à sa gloire,
il doit s'en tenir là.
Fa
84 MERCURE DE FRANCE ,
SPECTACLE S.
THÉATRE DE LA RÉPUBLIQUE ET DES ARTS .
L'opéra de Proserpine , arrangé par M. Guillard , et
mis en musique par Paësiello , a eu une représentation
très - nombreuse et très-brillante. Les changemens que
M. Guillard a faits à la pièce de Quinault ont paru , en
général , très-heureux ; mais ils n'ont pu sauver la monotonie
et la froide langueur de cet opéra , dont tout le mérite
consiste dans quelques vers harmonieux . On a reproché
à la musique de Paësiello de n'être pas toujours adaptée
à la situation et au caractère des personnages , ce qui
est un défaut dans notre opéra , quoiqu'il n'en soit pas un
dans les opéra d'Italie. Plusieurs morceaux ont été admirés
, et méritaient de l'être. Les ballets font honneur au
goût de Gardel.
Le Veuf amoureux , comédie en trois actes et en vers ,
donnée au Théâtre-Français , n'a point eu de succès ; on a
donné aussi à Louvois une nouveauté intitulée , les Maris
en bonne fortune : les suffrages ont été balancés . Les
Confidences , autre pièce nouvelle , ont réussi au théâtre
Feydeau.
१
ΑΝΝΟNCES.
Léontine , ou la Grotte Allemande ; faits historiques
qui se sont passés en Allemagne , par madame de F*** ,
auteur de plusieurs ouvrages moraux.
Deux vol . in-12. Prix : 3fr. , et 4 fr. par la poste.
A Paris , au bureau de la Bibliothèque de l'Adolescence ,
rue de la Perle , n°. 459; Poncelin , libraire , rue du
Hurepoix , quai des Augustins , n° . 17 ; et le Norman
rue des Prêtres Saint-Cermain-l'Auxerrois , n°. 42.
GERMINAL AN XI . 85
POLITIQUE.
La conduite de l'Angleterre commence à paraître claire,
même aux esprits les moins pénétrans. Nous avions dit
qu'il n'y avait rien eu de nouveau dans les négociations :
eten effet , quepouvait-il y avoir du côté de la France
qui se borne àdemander la stricte exécution des traités ?
Cherchons dans les faits publiquement avoués aujourd'hui
, si l'Angleterre a été un seul moment dans l'intention
de s'y conformer.
Par le traité d'Amiens , les Anglais s'étaient engagés à
rendre aux Hollandais le cap de Bonne-Espérance ; et certainement
, sans cette condition , la France n'aurait point
consenti à la paix : les Français , dans aucun temps , n'ont
sacrifié leurs alliés à leurs ennemis .
Ayant droit de compter sur le traité d'Amiens , les Hollandais
sont arrivés au Cap avec seize cents hommes , trois
vaisseaux de ligne , deux frégates et deux sloops. Le
premier janvier avait été fixé pour la restitution du Cap ;
la veille , la moitié de la garnison anglaise était déjà embarquée
pour l'Inde ; l'autre moitié était campée à dix
milles de la ville , et cinquante hommes , seulement pour
la forme , occupaient encore le fort. A six heures , les
troupes campées se rapprochent de la ville ; les troupes
embarquées rentrent dans le fort : les Hollandais restent
confondus ; les soldats et les officiers anglais ne sont pas
moins surpris de ce mouvement ; leur chef seul savait
qu'il venait de recevoir de Londres , l'ordre de manquer
à la foi des traités , et que celui d'Amiens serait violé à
l'extrémité méridionale de l'Afrique , trois mois avant
qu'on pût le savoir en Europe , excepté dans le cabinet
de Saint - James. En conséquence de cet ordre , arrivé
juste comme un événemeut de roman , une capitulation
a été signée au Cap , entre les Hollandais et les loyaux
Anglais : cette capitulation règle la position respective des
troupes jusqu'à nouvel ordre , et la conduite à tenir en
cas que l'une des deux parties reçoive d'Europe la nouvelle
de la reprise des hostilités. Il est permis de demander
quelle peut être la valeur d'une capitulation faite
F3
86 MERCURE DE FRANCE ,
avec les Anglais , dans le moment même où le traité le
plus solennel ne leur paraît pas un engagement.
Puisqu'on a connu au Cap l'ordre de violer le traité
d'Amiens , le 31 décembre , il est incontestable que la
résolution en avait été prise dans le cabinet de Saint-
James dès le mois d'octobre ; ainsi il y a six mois que le
ministère anglais s'était mis dans la nécessité de faire signer
au roi ce fameux message qui a renouvelé tous les bruits
de guerre . Pourquoi , dira-t-on , ce message a- t-il été fait
cependant avec tant de précipitation ? On serait autorisé
à affirmer aujourd'hui que les ministres anglais ont redouté
l'effetque produiraiten France la nouvelle d'unesi odieuse
conduite , et que la crainte qui suit toujours le crime les
a engagés à ne s'avouer violateurs des traités , qu'en se
montrant armés. Quiconque a vu l'Angleterre depuis la
paix , sait assez combien le courage des Français , l'activitéde
leur chef, sont redoutés dans ce pays , pour être sûr
que les ministres anglais ont cru que le premier mouvement
serait terrible. Ilsignorent lecaractèrere du Premier
Consul , parce qu'ils ne le connaissent encore que par ses
exploits ; les événemens actuels leur apprendront que le
calme nécessaire au chef d'une nation n'est pas incompatible
avec l'activité du plus hardi général de l'Europe, et
si la guerre doit recommence , rien ne sera donné au
hasard.
L'expérience de tout ce qui s'est passé en Europe depuis
douze ans , aurait dû révéler aux Anglais une vérité qui
n'échappera point à la postérité ; en calculant les projets
de toutes les puissances qui se sont armées contre la
France , et les résultats de la guerre , l'histoire conclura
qu'une parfaite probité aurait été pour tous les gouvernemens
une bien profonde politique. Cette observation
que les esprits légers ne regarderont que comme une
maxime morale , est fondée sur des événemens si positifs ,
qu'on peut dès-à-présent y puiser la connaissance de l'avenir.
En effet , quelle peut être l'espérance d'une nation
qui, en présence de l'Europe , manquant à la foi des traités ,
se met dans la nécessité de sacrifier son existence à l'accomplissement
des plus absurdes projets. Où trouverat-
elle des alliés , lorsqu'il est impossible de compter sur sa
bonne foi ? A quelle époque parlera-t-elle de paix , lorsqu'il
est prouvé qu'elle ne cherche pas même de prétexte
pour rompre celle qu'elle vient de conclure ? et il faut
bien que l'idée de garder le Cap ait effrayé le ministère au
GERMINAL AN XI. 87
momentmême où il en signait l'ordre , puisqu'on annonce
déjà à Londres que cette possession , sur des ordres ultérieurs
, a été remise aux Hollandais.
Ainsi , le cabinet de Saint-James , dans l'espace de quinze
jours , a pris la résolution de garder le Cap , malgré le
traité d'Amiens , et seul aussi le même cabinet se serait
décidé à le rendre. Cette versatilité inconcevable , et qu'on
ne peut attribuer à aucune cause étrangère , puisque les
ordres donnés en vertu de la première résolution , n'ont
pu être connus d'aucun cabinet de l'Europe ; cette versatilité
, qu'il est impossible de qualifier , ne prouve-t- elle pas
qu'une parfaite probité est une excellente politique , et
que la nation qui s'en écarte , soit par crainte , soit par une
folle ambition, se prépare des malheurs dont elle frémit
elle-même , et qu'elle est réduite à essayer les mesures les
plus contradictoires ?
Le Morning Chronicle', journal de l'opposition , et le
seul des journaux anglais qui soit presque toujours rédigé
avec talent , faisait, sur le refus annoncé de rendre le Cap ,
les observations suivantes , qui peuvent donner une idée
de la manière dont le parti de l'opposition , dans le parlement
, envisagera cette mesure .
« Nous concevons qu'il puisse naître des circonstances
>>capables de justifier une nouvelle guerre ; mais nous
» n'en connaissons pas qui puissent justifier le refus d'exé-
>> cuter un traité conclu. Nous concevons que la conduite
> de la France puisse nous autoriser à prendre des me-
>> sures de précaution, soit pour nous défendre , soit pour
>>attaquer ; mais se refuser à l'exécution d'un traité , par
>> précaution , est une chose sans excuse. Loin donc de
>>considérer le parti qu'on a pris de garder le Cap comme
▸ un sujet d'allégresse , nous le regardons comme très-
>>blamable. Le Cap , rendu aux Hollandais , pourrait
>> être repris en cas de besoin ; mais les principes de
>> l'honneur une fois violés , rien ne peut plus effacer cette
>>> tache . >>>
Lorsque ce journal faisait de pareilles réflexions , on ne
disait point encore à Londres que des ordres ultérieurs
avaient suivi de près les ordres de garder le Cap , par précaution.
Pour faire connaître les dispositions du ministère de--
puis le traité d'Amiens , nous rappellerons un article qui ,
sous le titre de Diligence Impériale , parut dans leMorning-
Chronicle deux mois après la paix , article qui fit pendant
88 MERCURE DE FRANCE ,
deux jours le sujet de toutes les conversations de Londres .
L'auteur en resta inconnu ; mais le ton d'excellente plaisanterie
qui y régnait d'un bout à l'autre , le fit attribuer
généralement à M. Shérédan . En voici le sens :
M. Billy-Pitt ( M. Pitt ) , directeur ordinaire de la Diligence
impériale , avait l'honneur de rappeler au public
que , pour des raisons faciles à deviner , il avait cédé pour
quelque temps sa place à son garçon , Simpllee,, (M.Addington)
. Pour éviter les mésaventures et lui rendre la besogne
plus facile , il lui avait conseillé de faire un traité avec le
directeur de la Diligence française , par lequel traité il leur
appartiendrait à chacun un côté de la route. Il était permis
à Simple de faire claquer son fouet , mais il avait l'ordre
le plus positif d'éviter les querelles , vu sa faiblesse .
Cependant , d'après les plaintes qui arrivaient de toutes
parts à M. Billy-Pitt sur le peu de talent de son garçon
Simple , il avertissait le public qu'il reprendrait bientôt
lui-mêmeles guides et le fouet , qu'il conduiroit d'une main
ferme , et qu'il se proposait de renverser la Diligence française,
en ayant grand soin de s'assurer d'avance de témoins
qui jureraient qu'il ne l'avait pas fait exprès .
Cet article , que nous citons de mémoire , et que nous
privons nécessairement de tous les détails qui le rendait si
piquant , parut deux mois après la paix ; il prouve l'opinion
que le parti de l'opposition avait dès ce temps des
dispositions secrètes du cabinet de Saint-James ; et lorsque
cette opinion est déjà confirmée en partie , il faut espérer
quelesmêmeshommesse rappellerontqu'alors ils croyaient
déjà à la guerre , et n'en attribuaient pas le désir à l'ambition
française , mais à l'infernale politique des anciens
ministres.
Les nouvelles particulières de Londres font présumer
que l'auteur de la Diligence Impériale avait deviné juste
en tout , car il est plus que jamais question de renouveler
le ministère , et d'y rappeler MM. Pitt et Dundas. Nous
avons toujours assuré que M. Addington ne tiendrait pas
jusqu'à la fin de la présente session parlementaire ; le
moment inévitable d'une explication doit être celui de
sa retraite . Les affaires sont venues au point que , même
en admettant que les hostilités ne seront pas reprises ,
M. Addington ne doit pas moins se retirer pour laisser
reparaître ceux qui le font agir : les souscripteurs pour
la statue de M. Pitt veulent le voir représenter autrement
qu'enbronze.
GERMINAL AN XI. 89
A travers tous les mouvemens hostiles de la Grande-
Bretagne , on annonce assez positivement l'évacuation de
l'Egypte ; les troupes anglaises qui étalent dans ce pays
auraient été conduites à Malte. On peut encore espérer
la prolongation de la paix ; car il est possible que l'Angleterre
balance long-temps avant de jouer son existence.
Les couriers partent et repartent de Londres à Paris , de
Paris à Londres ; le général Andréossi se montre à la
cour comme dans les temps ordinaires ; et quand , pour
faire la guerre , les ministres auront obtenu de la libéralité
du parlement le droit d'émettre pour quatre millions
sterling de nouveaux billets de l'échiquier , peut - être commenceront-
ils à faire entendre des paroles de paix. Il ne
faut rien négliger , et le dernier parti à tirer du message
du roi , c'est de l'argent ; c'est-à-dire , la faculté d'ajouter
du papier qui perdra , à du papier qui perd.
La nouvelle de la cession de la Lousiane à la France fait
une vive impression dans les États-Unis d'Amérique. La
partie Orientale qui était naguère bien disposée en faveurde
la France , est aujourd'hui remplie de défiance et de mécontentement
contre les Français et les Espagnols leurs
alliés. Il circule dans les états de l'ouest une adresse que
les habitans sont invités à signer , et dans laquelle on insiste
sur le droit qu'ils ont de réclamer du gouvernement
un redressement prompt et efficace de leurs griefs ; à ces
vives représentations on ajoute la menace , et les habitans
vont jusqu'à dire que , si le gouvernement ne leur accorde
pas la satisfaction qu'ils demandent , ils auront recours à
des mesures capables d'assurer la liberté et les privilèges
de leur commerce , quand bien même ces mesures devraient
amener des résultats peu favorables au système
d'harmonie et d'union qui lie les états entr'eux .
La gazette universelle , qui s'imprime à Stutgard , rapporte
d'après diverses lettres de Paris que le premier consul
a dit devant plusieurs personnes : « Nous avons fait
>> la guerre dix ans , nous la ferons encore dix ans. » Et
dans une autre occasion il doit avoir dit à lord Withworth,
après s'être informé , avec beaucoup d'affabilitié , de sa
santé , et avoir parlé du temps et de la belle saison prochaine
, « Pour que l'espoir de vous posséder encore au
>> milieu de nous à cette époque , se réalise , il sera cer-
>> tainement nécessaire que votre gouvernement change
>> de conduite. Que peut signifier ce message? A-t- il pour
10 MERCURE DE FRANCE ,
>> but d'imprimer la terreur ? Deux grandes puissances
>> comme la France et l'Angleterre ne peuvent pas se
>> faire peur. Le peuple français peut être tué ; mais non
>> pas épouvanté. Nous voulons la paix ; mais nous vou-
>> lons l'accomplissement des traités solennels . >> Le premier
consul doit ensuite s'être adressé au ministre de S. M.
l'empereur de Russie , et lui avoir dit , du ton le plus sérieux
: « Si la guerre recommence , qu'on voile tous les
>> traités , d'un crêpe ! Dieu et l'Europe nous jugeront. >>
Il est question à Vienne , de donner une constitution
uniforme aux deux provinces de Gallicie , et de les réunir
en un gouvernement , dont le chef sera ,
dont le
sera , à l'avenir , un
archiduc . L. M. l'empereur et l'impératrice doivent faire
un voyage à Naples , en passant par Pise et Rome ; pendant
la durée de cette abscence , S. A. R. l'archiduc
Charles tiendrait la place de S. M. dans toutes les affaires
qui exigent une prompte décision.
Le landamman de la Suisse a annoncé son installation
aux diverses puissances du continent , et les a invitées à entretenir
à l'avenir des liaisons politiques avec cet état. Les
ministres étrangers qui se trouvent à Berne , doivent se
rendre incessamment à Fribourg , où réside le landamman
. On travaille dans tous les cantons à la mise en activité
des diverses constitutions , et les partis sont trèsactifs
pour diriger les élections dans le sens de chacun
d'eux.
TRIBUNAT.
Séance du 5 germinal. - Le corps législatif transmet
un projet de loi relatif aux pensions. Le tribunat le renvoie
à la section des finances , et fixe le rapport au 9.
Bertrand de Greuille fait un rapport sur le titre XI du
code civil , relatif à la majorité , à l'interdiction et au
conseil judiciaire , et au nom de la section de législation ,
il en propose l'adoption. Aucun orateur ne se présentant
pour combattre ce projet , le tribunat l'adopte à l'unanimité.
Séance du 8. - Le rapport sur le projet de loi relatif
aux noms et prénoms , était ajourné à la séance d'aujour
GERMINAL AN XI.
91
d'hui. Chalan fait ce rapport au nom de la section de l'intérieur
, et propose l'adoption de ce projet ; le tribunat
délibère de suite , et il l'adopte à la majorité de 64 voix
contre 3 .
Séance du 9. - Portiez ( de l'Oise ) fait , au nom de la
section des finances , un rapport sur le projet de loi relatif
aux pensions , et en propose l'adoption.-Impression .
Au nom de la même section , Say fait un rapport sur
le projet relatif à la refonte des monnaies ; il fait sentir la
nécessité et l'avantage de cette opération , et propose l'adoption
du projet. - Impression du rapport. Le sénat
s'ajourne au 12.
CORPS LÉGISLATIF.
Séance du 4 germinal. - Cent quarante-huit projets
de loi sont proposés par le conseiller d'état Regnault (de
Saint-Jean-d'Agely) . Les uns tendent à autoriser des communes
à faire des échanges de terrains , d'autres à faire
des emprunts , d'autres à s'imposer elles-mêmes pour leur
utilité. Le corps législatif en ordonne le renvoi au tribunat.
Le conseiller d'état Defermont présente ensuite un
projet de loi sur les pensions civiles. Ce projet porte que
pendant cinq ans , il ne sera créé chaque année de pensions
que pour une somme égale à la moitié des extinctions
survenues pendant l'année . Aucune pension ne pourra
excéder six mille francs. Le fonds des pensions fera chaque
année un article particulier de la loi sur les dépenses publiques:
les soldes de retraites , les anciennes pensions
restant à liquider , les pensions à payer sur les fonds formés
par des retenues faites dans diverses administrations ,
sur les traitemens des employés , ne sont pas comprises
dans l'état des pensions sus-énoncées.
La discussion de ce projet s'ouvrira le 15 de ce mois.
On passe à la discussion du projet de loi relatif aux
finances. Arnould , organe du tribunat, en propose l'adoption
; il applaudit à l'esprit d'ordre , de sagesse et d'économie
qui l'a conçu et dirigé. Aucun orateur du gouver
92 MERCURE DE FRANCE ,
nement ne prenant la parole , le corps législatif ferme la
discussion, et approuve le projet à la majorité de 208 voix
contre 7. Il sanctionne ensuite dix projets de loi qui sont
relatifs à diverses communes.
Séance du 5.- L'ordre du jour appelle la discussion du
onzième projet de loi , titre X du code civil , relatif à
la minorité, à la tutelle et à l'émancipation . Le C. Leroi
( de l'Orne ) , un des orateurs du tribunat , s'attache à
faire sentir les avantages qui doivent résulter d'une loi
dont toutes les parties se composent de l'heureux concours
des dispositions diverses de l'ancienne législation de
la France, appropriées à nos moeurs , à l'état actuel de nos
idées, et à notre situation politique. Enfin , législateurs ,
ajoute-t-il , les élémens du bien sont dans cette loi. Le
tribunat a pensé qu'elle n'est pas moins digne de votre
sanction que les autres titres du code civil que vous avez
donné à l'attente comme à la reconnaissance du peuple
français . Le projet est approuvé à la majorité de 212 voix
contre 5.
Le C. Ornano ( du Liamone ) , législateur , écrit qu'il
est appelé par le premier consul à d'autres fonctions qui
le séparent de ses collègues ; il exprime en même temps
le regret de ne pouvoir partager avec eux les travaux et
la gloire de la présente session. ( Mention au procèsverbal.
)
Le scrutin donne la majorité des suffrages au C. Renaud-
Lascours pour remplacer le membre de la commission
administrative sorti par le sort.
Séance du 7.- Les conseillers d'état Jollivet et Français
sont introduits. Le premier présente un projetde
loi tendant à accorder un sursis aux poursuites dirigées
contre diverses communes des départemens réunis , pour
raison des dettes par elles contractées antérieurement au
premier vendémiaire an 8 , ainsi que contre les co-obligés
simples et solidaires et les cautions desdites dettes . Ce sursis
aura lieu jusqu'au premier vendémiaire an 15. La discussion
est fixée au 17 .
On passe à la discussion du projet relatif à la fabrication
et à la vérification des monnaies . Dubosc , un des
orateurs du tribunat , fait sentir que ce projet est lié à la
prospérité nationale ; il en démontre tous les avantages ,
m
GERMINAL AN ΧΙ. 93
et émet le voeu d'adoption du tribunat , et ce projet est
adopté à la majorité de 202 voix contre 12.
On discute ensuite douze projets de loi relatifs à diverses
communes, et les projets sont sanctionnés à l'unanimité.
Séance du 8. -Le douzième projet de loi , titre XI du
code civil , intitulé : De la majorité , de l'interdiction et
du conseil judiciaire , est soumis à la discussion. Le citoyen
Tarrible , orateur du tribunat , en propose l'adoption
au nom de cette autorité , et le corps législatif le
sanctionne à l'unanimité.
PARIS.
M. le comte de Marcoff ayant accédé , au nom de son
gouvernement, à la convention conclue à Paris , entre la
République française et sa majesté l'empereur d'Allemagne
, le 5 nivose dernier ; et sa majesté l'empereur de
Russie ayant pleinement ratifié l'accession stipulée par son
ministre plénipotentiaire, l'échange des ratifications respectives
entre la France et la Russie , a eu lieu à Pétersbourg,
le 2 ventose ; et dans les notes officielles qui ont accompagné
cet échange , le grand-chancelier de Russie ,
comte Alexandre de Woronzoff , a annoncé « toute la sa-
> tisfaction qu'avait éprouvée sa majesté l'empereur , de
>>la conclusion de cet arrangement , et exprimé que met-
>> tant d'autant plus de prix à cet heureux effet des soins
>> et de la sollicitude des puissances médiatrices , qu'elle
» y voit avec plaisir l'applanissement des derniers obtacles
» qui s'opposaient encore à la conclusion finale du plan
>> des indemnités , et au rétablissement de la paix et de la
>> tranquillité en Allemagne , sa majesté ne faisait aucun
>> doute que la sanction impériale ne mit incessament le
>> sceau à tous les autres arrangemens arrêtés jusqu'ici , et
» quidoivent fixer désormais le sort et l'existencedu corps
>> germanique. »
Toutes les lettres de Ratisbonne portent que le conclusum
a dû être rendu le 1. ou le 2 germinal.
er
Ainsi tout germe de dissention est étouffé sur le Continent
; l'ordre politique a été reconstitué , tout s'est ter
94 MERCURE DE FRANCE ,
miné à la satisfaction des diverses puissances , et les bruits
alarmans que l'on peut répandre sont entièrement destitués
de fondement. Il convient , en ce moment , d'engager
les gens sensés à se défier de toutes ces nouvelles répandues
àdessein. ( Extrait du Journal officiel ) .
(
Le dey d'Alger ayant reçu 80,000 piastres de l'Espagne,
et des présens très-considérables du Danemarck , fit appeler
le citoyen Thainville , commissaire-général de laRépublique
, et lui dit : Que tout le monde lui envoyait de l'argent
, et que le PREMIER CONSUL seul ne lui avait rien
envoyé ; que cependant , de tout temps , la France avait
été dans l'usage de lui faire des présens. Le cit. Thainville
lui montra l'article de la lettre écrite au PREMIER CONSUL ,
et rapportée par l'adjudant-général Hullin , par laquelle
ledey s'était désisté de toute prétention à des présens . Cette
réponse mit dans une grande colère le dey , qui se répandit
en menaces .
Ces nouvelles arrivées à Paris , le ministre de la marine
expédia les frégates la Cornélie et le Rhin , pour Alger. Le
cit. Gourdon , commaandant la division , fut chargé de ramener
en France le comissaire-général et sa famillle , de
faire connaître au dey qu'une fois la guerre déclarée , il ne
serait pas toujours temps de faire la paix , et de lui dire
qu'on saittoujours quand etcomment la guerre commence ,
mais qu'on ne sait pas toujours quand et comment elle
finit.
La division est arrivée dans le courant de ventose à
Alger. Aussitôt les grands et le peuple de la régence accoururent
en foule au palais du dey, pour lui représenter
les malheurs qui menaçaient leur pays. Le dey fit appeler
le commissaire-général , et lui demanda ce que venaient
faire les frégates. Le citoyen Thainville annonça que le
commandant avait ordre de le ramener en France .
« Tu veux done , dit le dey, être en guerre avec moi ?
>> Non ! répondit le citoyen Thainville ; mais le PREMIER
>>> CONSUL est trop puissant pour être ton tributaire. >>>
Après quelque altercation , le dey ajouta : « Qu'il ne paie
>> donc rien , je veux être en paix avec lui. Ecris-lui que je
* >> me désiste de ma demande. >>>
Tout s'est ainsi terminé. Le commissaire-général a été
reconduit avec acclamation par la foule qui s'était portée
GERMINAL AN XI . 95
au palais du dey , et manifestait le vif désir de rester en
paix avec la France ; il est demeuré à son poste , et les frégates
sont revenues à Toulon. ( Idem. )
La cérémonie des Barettes a eu lieu dimanche , après la
messe qui fut célébrée dans la chapelle du premier consul.
MM. du Belloy , de Boisgelin , Fesch et Cambacérès ,
cardinaux-archevêques , de Paris , Tours , Lyonet Rouen ,
s'approchèrent successivement du premier consul , qui
prit lés Barrettes des mains de M. l'Ablégat , et les posa
sur la tête de chaque cardinal , en lui disant : Je souhaite
que vous la portiez un grand nombre d'années.
Le préfet d'Indre-et-Loire ayant soumis à la décisiondu
conseiller d'état chargé de toutes les affaires concernant les
cultes , plusieurs questions relatives au mode d'exécution
de divers articles de la loi du 15 germinal an 10 , il lui a
été répondu que les curés et desservans peuvent , dans ce
département , porter le viatique aux malades , revêtus
d'habits sacerdotaux et avec les cérémonies usitées ; qu'ils
peuvent , avec les mêmes habits , faire des processions ;
que ce qui est décidé pour le port du viatique , s'applique
aux obsèques; que les curés et desservans peuvent
bien dire la messe les dimanches , dans les chapelles particulières
s; mais sans préjudice de celle qui doit être célébrée
dans l'église paroissiale ou succursale.
Les colléges électoraux des départemens du Bas-Rhin ,
de Sambre-et-Meuse, et de Sarre ,faisant partie de la quatrième
série , ont été convoqués par arrêté du 2 de ce
mois. Leurs sessions s'ouvriront le 25germinal , et devront
être terminées le 5 floréal . Le conseiller d'état Sainte -Suzanne
présidera celui du Bas- Rhin ; le citoyen Decroix ,
propriétaire à Namur , celui de Sambre et Meuse ; et le
citoyen Beissel , maire à Schmitthein , celui de Sarre .
Le ministre de la guerre vient d'adresser aux préfets
des départemens , des intructions relatives au mode d'admission
à l'école spéciale militaire , des pensionnaires au
prix de 1200 fr. par an. Avant leur admission , on doit
leur faire subir un examen pour s'assurer s'ils ont fait leur
troisième , s'ils ont quelques notions d'arithmétique et de
96 MERCURE DE FRANCE ,
▼
géométrie ; s'ils savent écrire et parler correctement leur
langue.
Les parens qui voudront faire admettre leurs enfans
dans cette école, adresseront au ministre de la guerre une
demande qui contiendra : 1 ° . Les noms des père et mère ,
Ieur profession , l'acte de naissance du candidat , qui devra
avoir 16 ans au moins , et 18 au plus , et l'indication
de sa taille ; 2°. un certificat de médecin qui atteste qu'il
jouit d'une bonne constitution , et n'est atteint d'aucune
maladie chronique ; 3°. un certificat du préfet du département
où le père a son domicile , pour faire connaître
depuis quel temps il est établi , et s'il y possède des biens .
Si l'enfant n'a ni père ni mère , les parens qui feront
la demande seront soumis aux mêmes formalités . Dans le
cas où les parens seraient domiciliés aux colonies , ou y
auraient leurs biens , ils devront présenter la caution d'un
citoyen domicilié en France.
Le trousseau que chaque pensionnaire fournira , devra
étre composé d'un sac de peau , avec 6 chemises , 6 mouchoirs
, 4 paires de bas , et les autres effets complettant
le sac du soldat , ainsi que d'une tasse et un couvert d'argent.
Il pourra se procurer à l'école même tous ces objets
qui devront être conformes aux modèles arrêtés par le
ministre de la guerre. Les parens lui fourniront , avant
son départ , un. habit uniforme de soldat d'infanterie de
ligne , avec la veste , la culotte et le chapeau.
A la suite des présentations faites dimanche au premier
consul , on doit ajouter celle de M. de Lalande qui présenta
, au nom du bureau des longitudes , la Connaissance
des Temps de l'an XIII ( 1805 ) . Cet ouvrage important
pour les navigateurs et pour les astronomes , contient
aussi ce qui s'est fait de plus remarquable en astronoinie
depuis un an ; des mémoires et des observations de MM.
Mechain , Delambre , Messier , Lalande neveu , Burckhardt
, Chabrol de Murol , Vidal , Flauguergues , etc.; un
nouveau catalogue d'étoiles , qui porte à 13,000 le nombre
de celles qui ont été réduites , extraites des 50,000
qui ont été observées.
( N°. XCIII . ) 19 GERMINAL an
(Samedi 9 Avril 1803. )
MERCURE
DE FRANCE.
LITTÉRATURE.
POÉSIE.
FRAGMENT D'UN POEME.
GEPENDANT Marina , le trouble dans le sein ,
Fuit à travers des bois , sans guide et sans dessein.
Malheureuse ! elle fuit ; et , de crainte éperdue ,
N'ose ni s'arrêter , ni détourner la vue.
Elle a trompé les traits , les yeux ; et , sur ses pas ,
Crédule , entend toujours se presser les soldats.
Du cerf , au front superbe , ainsi la jeune amante ,
Lorsqu'égarant au loin l'amour qui la tourmente ,
Elle appelle en bramant le monarque des bois :
Soudain, au bruit des cors , au son lointain des voix ,
S'arrête , l'oeil ouvert , et l'oreille attentive ;
Part, et précipitant sa course fugitive ,
Franchit , d'un bond léger , vallons , torrens , forêts ,
Et sous ses pieds à peine effleure les guérêts.
Telle , oubliant l'amour et ses premières peines ,
Marina suit des monts les routes incertaines :
11 G
98 MERCURE DE FRANCE ,
Le zéphir qui murmure à travers des rameaux ,
Le feuillage inconstant qu'agite les oiseaux ,
Tout lui semble le bruit et des voix et des armes .
A peine ses beaux yeux obscurcis par les larmes ,
Démêlent sous ses pas les détours des vallons ,
Elle ose de ses cris interroger les monts :
Mais l'écho morne et sourd , qui prolonge sa plainte ,
Retentit dans son coeur , et redouble sa crainte.
Déjà l'astre des nuits blanchit l'azur des cieux ,
Et le sommeil encor n'a pas fermé ses yeux :
L'ombre fuit à son tour , et la naissante aurore
Par des sentiers affreux la voit errer encore .
Mais , lorsque du soleil , pour la seconde fois ,
Les rayons pâlissans s'allongent dans les bois ,
Au détour d'un rocher couronné de nuages ,
S'offre un vallon borné de montagnes sauvages ,
Qui , parsemé de fleurs et d'arbres toujours verts ,
Semble une île riante au milieu des déserts .
Une source y jaillit , dont l'eau fraîche et limpide
L'entoure des replis d'une ceinture humide :
Le souffle des zéphirs et le doux bruit des eaux ,
Seul , de ce lieu champêtre interrompt le repos ;
La paix , l'aimable paix règne au loin dans la plaine .
,
La triste Marina s'avance hors d'haleine ,
Et, sur le vert tapis où s'arrêtent ses pas ,
Laisse aller mollement ses membres délicats .
Sa tête sur les fleurs languissamment repose ;
Et , lasse de s'ouvrir sa paupière mi - close ,
S'abaisse par degrés , tombe , et ferme ses yeux :
Elle dort. Du sommeil mille enfans gracieux
Voltigent sur sa tête , et d'une aîle empressée ,
Viennent , en se jouant , égarer sa pensée.
L'image du héros dont son coeur est épris ,
D'espérance et d'amour agite ses esprits :
GERMINAL AN XI
99
Elle croit lui parler'; et l'amante éperdue
Aux lèvres du parjure écoute suspendue.
Mais l'orient déjà brille de nouveaux feux ,
Et les songes errans s'éloignent devant eux.
L'air s'émeut aux accords de la flutte champêtre :
Aces sons , à l'éclat du jour qui vient de naître ,
L'amoureuse beauté sé réveille , et son coeur
Regrette en soupirant une trop vaine erreur,
Elle se lève enfin doucement attendrie ;
4
,
,
:
Et les chants des pasteurs errans sur la prairie ,
Vers le hameau prochain guident ses faibles pas.
Chargé de deux enfans qu'il soutient dans ses bras ,
Un vieillard est assis sous un toit de feuillage ;
Et sa bouche sourit aux grâces de leur âge.
Mais à peine l'aigrette , et l'or pur , dont les feux
De la jeune amazone ornent les noirs cheveux
Ont - ils des deux enfans de loin frappé la vue ,
Que , d'un oeil inquiet , et la main étendue ,
Dans le sein paternel ils se jettent tous deux :
« Calmez-vous , leur dit - elle et reprenez vos jeux ,
> Enfans ! Mais toi , mon père , en sa bonté facile ,
» Quel dieu , lorsque la guerre entoure ton asile
>> Prend soin d'en écarter les farouches soldats ? »
« Ma fille , répond-il , la fureur des combats
N'a pas encore troublé notre simple retraite ;
>> Et du monde ignorés , le son de la trompette
>> Annonce loin de nous l'horreur et le danger :
>> Soit que le ciel propice au modeste berger ,
>> Détourne de ces lieux le torrent de la guerre ;
>> Soit que ce peuple , armé des flèches du tonnerre ,
>> N'écrase sous ses coups que la tête des rois :
>>Ainsi que dans nos champs nous voyons quelquefois
>> La foudre , du sapin briser la cîme altière ,
>> Et se perdre en grondant loin de l'humble bruyère.
,
G2
100 MERCURE DE FRANCE ;
>> L'heureux toit , dont l'abri nous dérobe au danger ,
>> N'attire pas les yeux de l'avide étranger.
>> O de mon sort obscur déité tutélaire !
» O charme de mes jours ! pauvreté douce et chère !
>> Le vulgaire sur toi jette un oeil de dédain ;
>> Le sage , plus heureux , se cache dans ton sein.
>> Tranquille sous l'appui de ta main protectrice ,
>> L'ardente ambition et la pâle avarice ,
» De mon coeur libre et pur n'altèrent point la paix.
» Les ruisseaux serpentant sous ces palmiers épais ,
>> Fournissent à ma soif une boisson facile ;
>>> Et l'éclatant duvet du cotonnier docile
>> M'offre , pour me vêtir , le tissu le plus doux.
>> De quels biens , de quel sort pourrais-je être jaloux!
>> Ces fruits délicieux que mon verger voit naître ,
>> Suffisent aux apprêts de ma table champêtre :
>> Mes désirs sont bornés , ainsi que mes besoins ;
>> Et nos rustiques toits ne coûtent que des soins.
>> Vois la nature ici prodiguer ces miracles !
1
>> Ce sont là mes trésors , ce sont là mes spectacles.
>> Pour moi la nuit ramène un paisible sommeil ,
» Et ma voix matinale , au retour du soleil ,
>> Des oiseaux de nos bois partage l'allégresse ; :
>> Tout me plaît , tout me rit ; et ma froide vieillesse
>> Renaît dans les enfans qui croissent sous mes yeux.
>> Hélas ! il fut un temps , où jeune , ambitieux ,
>> Et dédaignant le toit habité par mes pères ,
>> D'un espoir mensonger j'embrassai les chimères :
>> Ingrat ! je m'éloignai de ces lieux innocens ,
» Où , libres de soucis , coulaient mes premiers ans
>> J'allai porter mes voeux à la cour de Mexique....
» Les dieux m'en ont puni ! Sous un joug magnifique ,
>> Je rampai , noble esclave , à la suite des rois ;
>> J'encensai les grandeurs , et j'adorai leur voix.
,
GERMINAL AN XI. IOI
۱
>> Mais , lorsque la riante et trompeuse jeunesse
>> Sur son aîle , en fuyant , emporta leur promesse ,
» Mon coeur en ses liens trop long- temps retenu ,
>> Revola vers le bien qu'il avait méconnu ;
» Je regrettai la paix de cette vie obscure ,
>> Trésor que près de nous a placé la nature.
>> Détrompé des grandeurs , du sort et de ses jeux ,
>> J'abandonnai les cours ; et , plus simple en mes voeux ,
>> Je vins dans ces bosquets , amis de mon enfance ,
>> Ainsi que le bonheur , retrouver l'innocence. »
Tandis que le vieillard rappelait ses erreurs ,
La belle Marina , l'oeil humide de pleurs ,
Recueille chaque mot qui coule de sa bouche.
Attentive au récit dont le charme la touche ,
La vertu du vieillard , sa candeur , ses accens ,
Appaisent par dégrés l'orage de ses sens :
Ses pleurs sont moins amers , et dans son âme émue
Une tendre langueur doucement s'insinue.
Sur le vallon paisible elle attache les yeux ;
Le silence des bois , le calme de ces lieux
Tout P'invite à cacher dans cette solitude
Ses destins , sa naissance , et son inquiétude.
,
« Bon vieillard , lui dit-elle , épanchant sa douleur ,
>> Heureux d'avoir connu la leçon du malheur ,
>> Si les dieux à ton sort ne portent point envie,
>>Prends pitié des chagrins qui poursuivent ma vie !
>> Dans cet asile obscur , mon père , accueille-moi !
>>J'y guiderai tes pas , j'y vivrai près de toi :
» J'attendrai que le ciel , touché de ma souffrance ,
» M'ouvre enfin le retour aux lieux de ma naissance.
» Hélas ! ainsi que toi , j'ai d'un destin jaloux ,
>> Plus jeune , sur ma tête , épuisé le courroux. »
Aces mots , Marina se recueille , soupire,
Et sa voix en sanglots sur ses lèvres expire :
G3
102 MERCURE DE FRANCE ,
Le modeste embarras qui se peint dans ses traits
Décèle de son coeur les mouvemens secrets .
:
Le vieillard la rassure ; et , d'une voix plaintive ,
Les larmes dans les yeux , la belle fugitive
Retrace de ses maux la première moitié.
Il gémit : eh ! quel coeur , fermé pour la pitié ,
Même à l'âge où l'amour a perdu tous ses charmes ,
Aux pleurs de la beauté ne mêle point ses larmes !
Le vieillard attendri s'étonne que les Dieux
Se plaisent à parer de tous les dons des cieux ,
La victime au malheur en naissant condamnée :
Il ne sait rien de plus. L'amante infortunée
Permet à sa candeur un innocent détour ,
Se plaint de la fortune , et se taît sur l'amour.
PAR M. C. J. L. D.
Inscription pour le jardin des Plantes.
Ici des végétaux l'assemblage divers
Afait de ce jardin , celui de l'Univers.
DUBOS , aîné.
ENIGME.
Nous avons peu de ressemblance
Quoique portant un nom pareil ....
Dans un trou l'une prend naissance
L'autre sur un trône vermeil ;
Quoique jolie , on craint de l'une
La nuisible fécondité ;
L'autre est une bonne fortune ,
Quand on l'obtient de la beauté.
2
L'une aux yeux fins n'est qu'une bête ;
L'autre annonce beaucoup d'esprit :
L'une peut troubler une fète ;
Et l'autre toujours l'embellit
GERMINAL AN XI. 103
Quoique dévorant maint ouvrage ,
L'une a , dit - on , peu de savoir ;
L'autre , par le plus doux suffrage ,
Aime à le laisser entrevoir.
L'une , souvent très-redoutable ,
Quoique petite , fait frémir ;
Dans un cercle toujours aimable ,
L'autre est le signe du plaisir :
L'une timide , et que l'on guette ,
Craint les piéges de l'ennemi ;
Encourageant l'ardeur discrète ,
L'autre est guetté d'un tendre ami.
Qnel triomphe ! quelle allégresse
Quand on les a tous deux surpris !
L'une est la dupe de l'adresse ;
L'autre, de l'amour est le prix.
A l'une qu'on donne la chasse....
Plus doux objet sait m'attirer :
J'aimerais mieux baiser la place
Où l'autre se fait admirer .
LOGOGRYPHE.
Je pique , rampe et naîs dans les champs , dans les bois
Sans chef , je suis un certain poids.
PAR M. L. DE V.
CHARADE.
IDYLLE MORALE.
Estelle, étourdie et légère ,
(Mon dernier l'excusait ) avait atteint quinze ans
Et déjà ses yeux pétillans
Annonçaient le désir de plaire.
,
G4
104 MERCURE DE FRANCE ,
ہ ک
Unjour que se mirant dans une eau fraîche et claire ,
Elle sourit à ses attraits naissans ,
Colin , folâtre et vif, des plus entreprenans ,
Survint doucement par derrière :
Il l'agaça d'abord et voulut l'embrasser ;
La pauvrette eut beau résister ,
De mon premier il se rendit coupable , 1
Mais n'en eut pas moins un baiser ;
Même il osa recommencer ,
Et comme il était très-aimable ,
Il fallut bien lui pardonner.
Fort du pardon de l'innocente ,
Le traître sut surprendre un coeur trop confiant ;
D'aimer jusqu'à la mort , Colin fit le serment :
Mais bientôt la jeune imprudente
Apprit , trop tard pour son malheur ,
Où commence, où finit l'amour d'un séducteur.
Dès que pour obtenir un doux baiser d'Estelle ,
Il n'avait plus besoin de faire mon premier ,
L'ingrat , courant de belle en belle ,
Fit voir qu'il était mon entier.
N. CORN.
Mots de l'Enigme , du Logogriphe et de la
Charade insérés dans le dernier Numéro.
Le mot de l'Enigme est Tour , pris dans les cinq sens
suivans : tour de fortification ( féminin ) , tour d'échecs
(idem) , tour de couvent ( masculin) , tour de tourneur
(idem) tour , machine pour tirer des fardeaux ( masculin)
.
Les cinq mots du Logogriphe sont Nérac , Ecran ,
Ancre , Nacre , Crane . A
Le mot de la Charade est Corbeau .
GERMINAL AN XI. 105
Histoire de Gustave Wasa , roi de Suède , par
M. d'Archenholtz , auteur du Tableau de l'Angleterre
et de l'Italie , traduit de l'Allemand .
Deux vol. in-8°. Prix 9 fr. et 12 fr. par la poste.
A Paris , chez Gérard , libraire , rue Saint-
André-des -Arcs , presque en face de celle des
Grands-Augustins ; et chez le Normant , imprimeur-
libraire , rue des Prêtres Saint-Germainl'Auxerrois
, vis-à-vis le petit portail , nº. 42.
CET
ouvrage est bien éloigné d'avoir le caractère
que devrait offrir l'histoire d'un homme qui
a décidé de la destinée de plusieurs états , et qui
n'a pas peu contribué à répandre dans le Nord le
germe d'une doctrine dont les trônes et les moeurs
se ressentiront long-temps. Lorsqu'il s'agit de
juger ces grands événeinens qui renferment les
semences des révolutions futures , et qui rendent
les nations heureuses ou malheureuses pour plusieurs
siècles , il serait à souhaiter que l'historien
qui n'a pas reçu un génie assez prévoyant pour
devancer les lumières de l'avenir , sût au moins
se défier de la précipitation de ses idées et attendre
cesjugemens de la nature , ou plutôt ces décisions
de la Providence , que le temps révèle et
confirme tout ensemble. Opinionum commenta
delet dies , naturæ judicia confirmat. Car l'histoire
est la science et le livre de la société ; l'homme
qui regarde un moment sur la terre , et qui passe ,
ne saurait en juger. La figure de ce monde , par
sa mobilité perpétuelle , trompe aisément ce spectateur
d'un jour , mais la société demeure ; elle
assiste à toutes les scènes de l'univers ; elle suit
l'erreur et la vérité dans leurs progrès ; elle essaye
tous les systèmes ; elle éprouve toutes les doctrines;
106 MERCURE DE FRANCE ,
elle recueille toutes les expériences ; et c'est à elle
qu'il appartient de former son jugement dans la
maturité des temps et des connoissances humaines ;
car la vérité est fille du temps , comme le dit Saint-
Augustin : veritas filia temporis. L'homme ne décrit
qu'un petit cercle d'idées et de jours ; et tandis
qu'il tourne sur lui-même , la société roule dans
l'immense révolution des siècles et dans le tourbillon
des opinions innombrables de l'esprit humain.
C'est cette grande mesure d'expérience qui
la conduit aux connoissances générales. L'homme
vit sur les idées de son temps , il va rarement audelà:
et il est naturel que sa pénétration ne s'étende
qu'aux objets que sa courte expérience peut
embrasser. Mais la société s'élève peu à peu aux
vérités générales de l'ordre ; et comme c'est pour
son instruction que se donnent ces grandes leçons
qui remuent l'univers , c'est aussi pour elle que
naissent les systèmes vastes , les théories profondes
qu'il faut considérer comme des recueils plus ou
moins parfaits des idées générales , qui sont le résultat
des épreuves de tous les âges.
Ces réflexions s'appliqueront naturellement à
l'ouvrage de M. d'Archenholtz. On y verra les
principes de la société , sacrifiés par-tout aux préventions
de l'homme. Cet historien a entrepris de
justifier Gustave Wasa d'avoir renversé la religion
de son pays , et d'y avoir introduit le lutherianisme.
La manière dont il juge cette innovation
est remarquable : La Suède , dit-il , ne se serait
jamais relevée , si Gustave n'eût osé, pour la sauver
, recourir à ce grand moyen , ( liv. 5 ) . C'est
en imposer bien hardiment à la société , dont l'expérience
s'élève contre ce jugement ; car outre
qu'on peut dire que la Suède luthérienne n'a point .
acquis la force politique que ses moyens naturels
pouvoient lui donner , il est certain du moins
GERMINAL AN XI. 107
qu'elle n'a eu , de ce côté , aucun avantage sur les
Etats catholiques. Si nous voulons avoir quelque
connoissance d'un point si important dans l'histoire
, écoutons le jugement qu'en a porté un observateur
tout autrement profond et tout autrement
éloquent que M. d'Archenholtz :
<< Telle est l'influence irrésistible que la religion
exerce sur l'état , que la Suède , depuis la réforme ,
commença á incliner sensiblement à l'aristocratie
à cet état de gouvernement toujours dans les extrêmes
de la servitude ou de la licence ; et la noblesse
suédoise écartée dans ses rapports avec ses
rois de cette juste mesure que si peu de nations
enEurope ont su garder , fut condamnée à tout
endurer des rois forts , et à tout oser contre les
rois foibles . On vit sous Eric , le fils insensé de
Gustave Wasa , un noble suédois poignardé par ce
prince , tirer à genoux le poignard de sa blessure ,
le baiser, le lui rendre , et mourir : et de nosjours
on a vu de nobles suédois assassiner Gustave III .
L'histoire de la Suède nous montre la noblesse ,
sous Gustave-Adolphe , et plus encore sous Charles
XII , entraînée au fond de l'Allemagne et de
laRussie , dans des guerres sans fin et sans objet ;
et , à la diète de 1755 , on voit cette même noblesse
traiter avec indignité un roi modéré , lui disputer
le droit d'apposer son sceau aux actes publics , et
lui ôter jusqu'à l'éducation de son fils (1) . »
Il faut peu s'étonner que l'historien allemand
ait fermé les yeux à des vues si claires ; la plupart
de ses jugemens respirent une passion violente
contre la cour de Rome. Onvoit unhommequi croit
toujours avoir assez bien raisonné lorsqu'il a déclamé
contre un pape : on croiroit presque lire un
(1 ) Voyez les Disc. polit. sur l'état de l'Europe , par
M.de Bonald......
108 MERCURE DE FRANCE,
de ces réformateurs du seizième siècle , qui voyaient
clairement dans l'apocalypse que le pape était
l'antechrist .
Je ne sais si c'est làde la philosophie; beaucoup
de gens n'ont pas eu d'autre raison de se croirede
grands philosophes que d'avoir écrit bien des injures
contre la puissance pontificale , de laquelle
pourtant ils n'avaient jamais rien eu à souffrir ni
à craindre : mais de quel front cet écrivain allemand
ose-t-il appeler cela une histoire ? S'imagine-
t-il que la postérité puisse recevoir à son
tribunal les dépositions de la haine ? cet esprit
perce dans toutes ses paroles , et l'on verra qu'il
n'a pas été favorable à l'ordre de ses idées : il est
difficile de prendre confiance dans le sens d'un
homme qui ne sait pas s'accorder avec lui-même.
En effet , lorsqu'il peint la Suède encore inculte
et presque sauvage , il avoue que le voisinage de la
mer avait rendu la piraterie extrêmement commune
parmi les habitans , et que la licence et les
moeurs de cette profession avaient jeté de si profondes
racines que tous les efforts de la politique
étaient insuffisans pour civiliser la nation : ensorte
que la force même des choses le conduit à dire
que ce fut le christianisme qui eut la gloire de
mettre un terme à ces désordres (pag. 57) ; et cependant
, quelques pages plus loin , vous lisez que ,
lorsque les Suédois sefirent chrétiens , toutes leurs
vertus sociales s'anéantirent (pag. 71 ). La suite de
ce passage est curieuse. « Le bonheur des familles ,
>> continue l'écrivain , l'avantage de la patrie , la
>>gloire de la nation disparurent devant ce qu'on
>>appelait le bien de l'église. La méchanceté , la
>>trahison , la cruauté même devinrent vertus
>> lorsqu'elles purent être utiles à la puissance de
» Rome ou à la considération de ses ministres.
*
Comment done cette même religion , qui tout-à
GERMINAL AN XI . 109
l'heure avait le don de civiliser la Suède , peutelle
actuellement souffrir le reproche de l'avoir dépravée
? Voilà un contraste bien étrange. Etait-ce
pour rendre les Suédois pires qu'ils n'étaient , que
le christianisme réformait en eux ce brigandage
maritime dont on avoue que leurs anciennes lois
n'avaient pu rompre la coutume ? C'est pourtant
avec cette suite dans les idées, et cette force de raisonnement
que M. d'Archenholtz établit la nécessité
de la réforme luthérienne. On ne peut que déplorer
le sort des peuples , lorsqu'on voit un si fatal
déchirement dans le christianisme être l'ouvrage
du sophisme pitoyable d'un moine allemand qui
représenta les désordres du clergé comme attachés
à la religion romaine , et qui fit conclure de-là
qu'au lieu de réformer simplement ces désordres ,
il fallait corriger la religion elle-même. C'est ce
sophisme honteux que tant d'écrivains et M. d'Archenholtz
à leur suite n'ont pas craint de reproduire
; il n'y a qu'à écouter ce déclamateur , pour
comprendre que les évêques suédois étaient ambitieux
et avides de richesses , non pas parce qu'ils
étaient hommes , mais parce qu'ils étaient catholiques.
Certainement la religion sera la cause de
tous les maux , toutes les fois qu'elle sera interprétée
par un esprit aussi faux que celui-là . Maís
ce jugement est d'autant plus inconcevable , que la
suite mème des faits oblige encore l'historien de
convenir , que malheureusement les ministres luthériens
devinrent tout aussi ambitieux et tout
aussi intrigans que leurs prédécesseurs , lorsqu'ils
eurent saisi le pouvoir ( pag. 155 , 28. vol. ) . C'est
une de ces vives leçons que l'histoire offre à chaque
pas. Gustave , qui n'avait appelé les protestans
que pour se débarraser des catholiques , recueillit
bientôt le fruit de son changement. Il eut à souffrir
une persécution telle qu'aucun prince n'en
NO MERCURE DE FRANCE ,
avait jamais éprouvée. Les deux émissaires de
Luther qu'il avait élevés aux premières dignités ,
devinrent ses plus cruels ennemis. Ils attaquèrent
publiquement son administration et jusqu'à sa conduite
domestique. Le fond de leur animosité et le
sujet de leurs plaintes était la modicité de leurs
revenus. Le roi leur écrivit pour leur faire sentir
combien il était étrange qu'ils montrassent tant
d'avidité , eux qui avaient si fortement déclamé
contre les richesses du culte catholique. Cette lettre
existe encore. Enfin, les choses furent poussées si
loin, que l'un des confidens de Luther s'engagea
dans un plan de haute trahison. Le roi fut obligé
de l'abandonner à la justice , et il fut conduit à
Stokholm pour y être exécuté.
Voilà quel fut le succès de ce grand moyen
sans lequel M. d'Archenholtz s'imagine que la
Suède ne se serait jamais sauvée. Mais ce qu'il
importe sur-tout de remarquer , comme une expérience
qui intéresse hautement la société , c'est le
fruit que la politique des cours et les passions des
peuples , ont retire de ces innovations dans les
idées religieuses. Gustave crut avoir tout gagné en
prenant les biens des églises , et les cloches des
villages. Mais le peuple , qui se vit appelé par
cette nouvelle doctrine à examiner et à changer la
croyance qui l'avait lié jusque-là, en tira des conséquences
tout autrement importantes pour son
autorité politique. La souveraineté de l'homme
s'introduisit dès-lors dans la société , et il fut aisé
de voir que la porte s'ouvrait à tous les genres de
licence. Car du moment que vous érigez l'homme
en juge dans la religion , par quelle idée empêcheriez-
vous le peuple de s'ériger en maître dans
l'état ? Faut- il plus de lumières dans le premier
cas que dans le second ? Cette conséquence s'échappe
si naturellement et si puissamment de son
GERMINAL AN XI. 111
principe , qu'il est impossible de poser l'un et d'arrêter
l'autre . Mais il fallait que la folie du principe
parût à découvert dans ses effroyablesconséquences .
C'est ce que la Providence seule pouvait faire.
Elle l'a fait , et d'une manière qui ne souffre point
de réplique . Les philosophes ont posé le principe ,
et la révolution leur a répondu par des flots de
sang. C'est ce que j'appelle l'expérience de la société......
Quelles lumières plus vives et plus sensibles
peut-elle recevoir que celles d'une leçon si
foudroyante ? Ramenés par la puissante main du
malheur aux voies naturelles du bon sens , les esprits
les plus emportés finiront par comprendre
que si la religion véritable doit être la règle et le
lien de l'homme , elle ne doit donc rien laisser en
lui qui ne soit réglé ; et sans doute celle-là ne règle
pas l'homme qui laisse à son esprit le droit de juger
la loi même qui le doit soumettre , et à ses passions
le pouvoir de s'affranchir du noeud indissoluble qui
les doit contenir. Peut-être une idée si juste et si
simple , aidée des progrès de l'expérience , et de
cette indifférence même où l'on est arrivé pour
toutes les sectes , finira-t-elle par réunir les coeurs
dans la communion de cette foi ancienne qui , par
sa sévérité mème , est le frein le mieux approprié
à notre indocile nature , et , s'il faut le dire , le
premier besoin d'un esprit si superbe et d'un coeur
si inconstant. C'est pour arriver à cette grande vérité
, que la société fait effort , et que toutes les
nations qui se sont écartées du centre de leur repos ,
se lasseront perpétuellement dans les voies de l'erreur
, soit en souffrant que les esprits s'agitent
dans le vague de l'arbitraire , soit en laissant
les moeurs se déborder dans la licence. Les
hommes et les gouvernemens pourront s'obstiner
à se corrompre par leurs lois particulières. Mais
les lois générales , dont la droiture est inflexible ,
112 MERCURE DE FRANCE ,
4 ne permettront jamais à la société de se reposer
dans le désordre. Elle y sera malheureuse , jusqu'à
ce que, fatiguée de trouver la servitude dans son
indépendance , elle cherche la vraie liberté de
l'homme sous le joug de l'ordre et de la vérité .
Gustave-Wasa , malgré les erreurs de sa politique
, n'est pas indigne de l'admiration qui s'est
attachée à son nom. La première partie se son histoire
offre un spectacle du plus grand intérêt. II
est peu d'événemens où la main de la Providence
soit marquée d'une manière plus éclatante. Lorsqu'après
le massacre des chefs de la nation , on
voit les troupes de Christiern se répandre dans
toute la Suède , pour perdre le seul homme qui
reste , ce même Gustave , dont la tête est mise à
prix , et qui se trouve placé entre ses ennemis
qui le poursuivent et ses amis qui le repoussent de
tous les asiles; lorsqu'on voit cet homme unique
qu'aucun malheur n'abat , qu'aucune trahison ne
désespère , traverser les armées danoises , enfermé
dans un charriot de foin , et les soldats soupçonneux
arrêter le charriot pour le sonder à
coup de piques , et blesser ce grand homme si
grièvement que son sang se répand et laisse sur
la route des traces de sa fuite; c'est au milieu de
toutes ces circonstances d'une perte qui paraît inévitable
, qu'il faut se dire : voilà l'homme qui doit
sortir des mines de la Dalécarlie , pour délivrer la
Suède ; tant il est vrai que le salut des nations
arrive souvent par des voies inespérées , pour que
l'homme ne s'attribue rien de l'ouvrage du ciel.
On peut dire que M. d'Archenholtz a manqué
complettement toutes les beautés et toutes les vues
decetableau. Son histoire est écrite sans agrément
comme sans profondeur. On n'y trouve ni cet
esprit qui sait animer la narration, ni ce jugement
qui sait éclairer les faits par des réflexions pleines
de
GERMINAL AN X 113
de sens ; mais l'histoire de Gustave ne nous man
quait point , et nous n'avions pas besoin des dons
de l'Allemagne. C'est dans les révolutionsde Suède,
de l'abbé de Vertot , qu'il faut chercher , sinon
l'historien profond , au moins l'écrivain attachant
et le grand peintre.
CH. D
Fragment d'un ouvrage inédit , ayant pour titre : Drs
INSTITUTIONS MORALES.
(Ce Fragment est extrait d'un chapitre sur LE TRAVAIL. )
:
L'époque où le travail languit, est celle de la décadence
des états. On peuty arriver: ou par une répartition de
richesses tellement égale , que nul n'ait plus besoin de
salaire pour vivre ; ou par une répartition tellement
inégale , que le nombre des riches ne suffise pas au
nombre des pauvres ; ou par une misère tellement uni
verselle , que le travail n'ait point d'emploi à espérer.
Plusieurs parties de la Suisse offrent un exemple de la
première espèce. Il n'en résulte que du bien pour ces
petites républiques , attendu que leur organisation exige la
médiocrité, et que la liberté y veut une médiocrité égale :
d'ailleurs , elles sont essentiellement séparées du reste de
l'Europe ; mais si l'on suppose à leur place une nation
qui n'ait pas fait voeu de retraite et de pauvreté , elle
aura des besoins qui seront alimentés par l'étranger , et
dont le prix causera sa ruine.
L'Angleterre sert de preuve à la seconde supposition.
Nul pays ne réunit à une plus grande richesse une mi
sère plus extrême. L'immense mendicité qui y existe ,
atteste que le nombre des pauvresy est hors de proportion
avec celui des riches ; mendicité d'autant plus invétérée ,
11 H
114 MERCURE DE FRANCE ,
1
qu'elle est avouée et soudoyée par l'état ( 1 ) , et qu'au lieu
d'avoir pour frein , comme chez les autres peuples , les
maux de la misère , la honte et les peines du vagabondage
, elle se propage sous la protection des lois , et subsiste
d'une amende qu'elle perçoit sur ceux qui travaillent.
Cependant l'Angleterre ne souffre pas de cette oisiveté ,
parce qu'elle est compensée par l'activité surabondante
des autres parties. Mais de mênie que , dans le premier
cas , une nation ne peut subsister que par son isolement,
dans celui-ci , une nation obligée de se renfermer en ellemême
, courait rapidement à sa perte .
Ces deux situations ont donc en elles un germe de destruction
, qui , dans divers états , est modifié par différentes
causes : mais l'une et l'autre , indépendamment
des remèdes qui naissent des modifications étrangères ,
portent leur contre-poison en elles - mêmes , puisqu'elles
contiennent les élémens de la richesse et de la pauvreté ,
et qu'on peut y rétablir les choses , en mettant ces deux
colonnes inégales de l'état dans leur proportion la plus
avantageuse .
L'état de l'Espagne sert de démonstration à la troisième
proposition . Cet état est celui de tous qui présente le
moins de ressources , car les moyens y manquent à la
volonté ; et , quand l'égalité est au niveau le plus bas , on
ne peut plus espérer d'inégalité. En effet , dans ce pays
An petit nombre de particuliers opulens ne fait pas classe ,
mais exception ; et l'état ne s'enrichit pas en les appauvrissant
, puisque la répartition de leurs richesses ne suffirait
pas à rétablir une inégalité moins disproportionnée.
Je ne connais dans une telle situation , que deux remèdes
également difficiles , l'un par sa lenteur , qui le soumet
(1) On connaît les discussions , les recherches et les actes du parlement
d'Angleterre sur la taxe des pauvres.
H
4
GERMINAL AN XI. 113
à l'inconstance humaine ; c'est la progression d'un long
travail et d'une patiente économie : l'autre par sa rapi
dité , qui l'expose à dépasser son but ; c'est la secousse
d'une fortë révolution. De ces deux moyens , l'un se plie
au caractère de la nation , l'autre le subjugue : le premier
est à-peu-près nul chez un peuple méridional qui fait
consister la noblessé dans l'oisiveté , et la dégradation dans
le travail ; qui au lieu de se regarder comme tributaire
des autres pays , les regarde comme ses marchands
the sait pas encore que s'il est des hommes qui peuvent
subsister sans travail , il en est autrement des nations
qui étant égales , sont obligées de travailler pour vivre.
Le second moyen serait donc le plus sûr , s'il n'était en
même temps le plus funeste.
et
Ces considérations nous ramènent à la France , qui
s'est ressuscitée par ces mesures violentes. Bien différente
de l'Espagne et même de tout autre pays , elle possédait
d'immenses ressources , qu'une administration égoïste et
bornée ne savait ou ne voulait pas développer. Ces res
sources même étaient telles que l'équilibre de l'Europe
exigeait peut-être qu'elles fussent négligées ; et , comme
tout cherche son niveau , la France s'était mise naturellementde
pair avec les autres nations , en descendant audessous
d'elle-même.
L'existence de beaucoup d'abus , l'absence de beau
coup de biens , minaient alors la richesse de l'état. J'en
citerai seulement quelques exemples.
Les bois étaient dilapidés sans être rétablis. On tiraft
de la Hollande et du Nord, des bois de charpente qu'on
avait , et des bois de marine qu'on eût pu avoir.
Des plantations auraient pu bonifier des superficies
stériles , et enrichir des superficies productives i elles
étaient négligées.
Ha
116 MERCURE DE FRANCE,
1
L'introduction des prairies artificielles pouvait quintu
pler la masse des bestiaux, et doubler par leurs engrais
le produit des terresa
Par ces engrais , le système des jachères pouvait être
modifié ou supprimé; la culture du froment pouvait succéder
à celle du seigle; celle des pommes de terre et du
maïs pouvait remplacer , l'une dans toute la France
l'autre dans quelques provinces , des récoltes plus mcdiocres.
De longues époques fixées pour les baux , auraient pu
donner aux fermiers les moyens et le zèle des propriétaires
(1 ) :toutes ces choses pouvaient se faire , et ne se
faisaientpas.
Enfin , des manufactures employaient, au lieu de mé
caniques , une multitude de bras , qui d'une part étaient
ravis à une autre industrie nationale , et de l'autre , en
doublant la main - d'oeuvre nous rendaient victimes de
l'industrie étrangère (2) . Je dirais à l'administration scrupuleuse,
qui craindrait , en réduisant à moitié les bras
,
(1) Je sais que des lois de ce genre sont délicates , parce qu'elles
troublent la libertéde la propriété , qui doit être respectée avant tout;
mais, si elles la gênent dans le propriétaire, elles la protègent dans le
fermier , dont le bail est un genre de propriété d'ailleurs , l'appui
donné à l'agriculture profite à la propriété ; et quand même ce bénéfice
serait moins certain ou moins immédiat , il est dans les diverses
lois d'un état , des influences qui doivent céder l'une à l'autre , suivant
l'importance des choses qu'elles protègent. Il eût donc été bon de sacrifier
quelques droits de la propriété à l'avantage de l'agriculture ,
dansun temps où celle ci avait besoin d'appui : ce sacrifice serait
inutile aujourd'hui que tout la favorise...
こん
(2) M. de Montesquieu a dit que l'invention des machines était
pernicieuse , comme livrant au repos un nombre de bras , qui , sans
elles, seraient occupés. Cette assertion me paraft peu digned'un aussi
grand publiciste.
GERMINALAN XL 147
4 d'une manufacture , de les livrer à Poisiveté : « N'ayez
» pas moitié moins d'ouvriers, mais faites deux fois plus
» d'ouvrage. >> Dans un état où la population n'est pas
supérieure au plus grand développement possible de ses
moyens , tout ce qui naît vit , à moins que les lois me
le tuent. Onne doit donc pas s'y embarrasser des moyens
de faire vivre le peuple, Créez des hommes , et ils vis
yront ; or , c'est créer des hommes qu'enrichir l'état ;
c'est enrichir l'état que de créer des hommes : rien n'é
chappe à ce cercle de prospérité.
-Quelles étaient donc les ressources d'un pays qui , dans
un tel dépérissement , pouvait, par les seuls produits de
son sol , maintenir encore la balance de son commerce !
Quelles seront donc ses ressources , après qu'une crise
aiguë a rejetté le poison qui la consumait , et que les
premiers pas de sa convalescence font présager l'essor de
son rétablissement !
Une grande activité s'est communiquée au peuple et au
souverain (1 ) : activité inestimable , en ce qu'elle s'exerce
dans un champ pacifique ; car, enmême temps que cette
nation aime le mouvement , elle craint le trouble; et si
sa force et son penchant l'agitent dans la paix , sa force
et son penchant la rassurent contre la guerre. Toute
activité possible et réglée agit au centre , comme le sang
reflue au coeur , et est comme lui la source de la vie.
Nous ressemblons aujourd'hui à une ruche dont on a
entamé les gâteaux , tout s'agite , tout travaille jusqu'à
ce que l'édifice soit reconstruit. Ce sentiment , qui répare
tant qu'il trouve à refaire ,a cela de grand et d'utile ,
(1) L'anteur a fait son dictionnaire au commencement de son ouvrage
,enprévenantqu'il entendait par peuple , le peuple considéré
comme gouverné , et par souverain , le peuple considéré comme
44. par lui- même , soit par ses ou son représentant.
H3
118 MERCURE DE FRANCE ;
:
qu'il crée ,quand il ne trouve plus à réparer. D'ailleurs,
le retour de l'erreur est le chemin des lumières : et quoi.
qu'encore à l'entrée de cette carrière , nous l'emportons
sans doute sur la France du dernier siècle en connaissances
utiles et positives ; tous les esprits se sentent animés de
cette facilité pour concevoir , et de cette vigueur pour
entreprendre ,qui sont les fruits de la confiance , comme
autrefois la torpeur du gouvernement communiquait aux
gouvernés son engourdissement et sa haine pour la
nouveauté.
Tels sont les mobiles qui acheminent la France au de
gré de splendeur qu'elle peut atteindre . Ils sont combattus
par des forces d'inertie , dont les unes ont résisté à
la révolution , les autres ont été enfantées par elle .
Ondoit ranger entre les causes qui tendent à faire lan
guir le travail :
1º, Les lois qui ont pour but la division des propriétés :
telles que celles qui font entrer dans le fisc une grande
partie des capitaux; celles qui subdivisent les successions
qelles qui transportent le patrimoine d'une famille dans
une autre , et celles qui distribuent les grands biens au
grand nombre. Toutes ces lois sont plus ou moins agraires
: elles le sont d'autant plus qu'il résulte des entraves
que les citoyens sont intéressés à y mettre , une division
de fortune plus grande encore que celle qu'elles ordonnent;
or toute loi agraire tend à la diminution du travail par
l'augmentation de l'égalité ;
2º. La rentrée dans la société d'un grand nombre
d'hommes et de femmes , autrefois actifs comme propriétaires
et aujourd'hui oisifs comme pensionnés. Ceux
qui ont acquis leurs propriétés , avaient auparavant l'ac
tivité de leur état : le nombre des actifs est donc resté le
même, et celui des oisifs s'est accru
GERMINAL AN XI. 119
3º. La mendicité doublement augmentée , parce que
beaucoup mendient , qui ne mendiaient pas , et beaucoup
donnaient , qui ne donnent plus : elle est devenue un
impôt , et cet impôt est légitime pour ceux qui le perçoivent
: car l'état n'a droit de priver un homme de
l'aumône , qu'en lui assurant le salaire ;
1
4°. L'oisiveté des troupes , qui diminue les travaux
utiles et peut changer les soldats laborieux en miliciens
désoeuvrés ;
5.° La surabondance des commis et des administrations ,
quiaccroît enpure perte la depense de temps et d'argent,
et la mauvaise distribution de leur journée , qui les pousse
naturellement à l'inoccupation. Jadis le travail des bureaux
occupait les deux parties du jour , qui étaient alors
plus égales , et tout en allait mieux. Le travail du soir
est nécessaire pour chauffer , éclairer et occuper lucrativement
des hommes qui perdraient leur temps aux dépens
de leurs moeurs , de leur bourse et de leur santé.
Si l'on m'objecte , ce dont je doute , que le gouvernement
trouve plus d'avantages dans la réunion des deux parties
du jour , je répondrai que l'état en trouve plus dans
leur division ; que le souverain ne peut , comme un
particulier , isoler son intérêt de l'intérêt public , et qu'un
grand bénéfice moral , vaut mieux qu'une petite économie
pécuniaire ;
6°. Le retard introduit dans l'ouverture des boutiques
et des ateliers , d'où il résulte pour le marchand , outre
le mal moral de l'oisiveté , le mal physique de laperte.
On voit aujourd'hui , dans les quartiers populeux de
Paris , la plupart des boutiques ne pas s'ouvrir avant
huit heures : or, les nations très-riches ont seules un commerce,
assez actif pour faire , en une partie du jour ,
autant de mouvement et de gain qu'il s'en fait ailleurs
H4
120 MERCURE DE FRANCE,
dans la journée entière ; et nous sommes loin de ce degré
d'opulence qui fait que , chez lesAnglais , les heures se
retardent sans nuire à leurs richesses .
950
7. Le désoeuvrement quotidiendu peuple des villes ,
qui ne se fait pas de scrupule de travailler les jours de
repos , uniquement parce qu'il ne s'en fait pas de chommer
les jours de travail. La violation du dimanche n'est
donc pas chez lui zèle pour le travail , mais inclination
au désordre ; or , l'ordre qui peut être indifférent dans
l'inaction , est indispensable dans l'activité. Il faut donc ,
pour que le système mercantile prospère , s'assujettir ,
avec une rigidité presbytérienne , à l'observation des
jours de travail et de repos. Je sens que sur ce point
les moeurs peuvent plus que les lois , et la religion
que la police ; mais , dans tout état bien réglé , les
lois et la police sont les moeurs et la religion. En Angleterre
, le peuple ne va pas au spectacle les jours de
la semaine , parce que ce sont des jours ouvriers ; il n'y
va pas les dimanches , parce que ce sont des jours saints,
Que fait- il donc ? Il se repose. Le plaisir n'est pas nécessaire
au repos ; et s'il lui en faut , ce n'est pas ce
plaisir bruyant qui dégoûte du travail , mais le plaisir
intérieur qui y ramène. Il en est bien autrement chez
le peuple en France : il a dans les petites villes des
billards et des guinguettes ; dans les grandes , des cafés
des spectacles , des bals , des fêtes de tous les genres. Les
amusemens sont une nouvelle fatigue. Lassé du dimanche,
il se repose le lundi ; et le repos , qui doit être la semence
du travail , est pour lui le germe de l'oisiveté. Les assignats
ont achevé de développer chez ce peuple cette
funeste disposition au plaisir ; ils l'ont fait riche , et par
conséquent désoeuvré , et beaucoup plus que les anciens
riches , parce que ceux-ci accoutumés à l'opulence , en
GERMINAL AN XI. 221
avaient les soucis sans en avoir les plaisirs , au lieu
que le peuple en eut l'ivresse sans en avoir les embarras.
Is l'ont laissé pauvre , et l'oisiveté seule est restée. Le
remède est difficile , car il est plus aisé de mourir de
faim que de travailler pour vivre. NI
Tout oisif est nuisible , d'abord comme oisif , ensuite
comme ayant une activité nuisible ; car il n'y a point
d'oisiveté absolue.
VARIÉTÉS
Les Ages Français , poëme en quatorze chants , par
LOUIS LEMERCIER. i
On pourrait examiner la question de savoir si les pre
miers événemens de l'histoire de France sont susceptibles
d'être mís en vers; on trouvait très-plaisant de mettre
l'histoire romaine en madrigaux , il n'est peut-être pas
moins plaisant de voir l'histoire de France en strophes
pindariques. Nous n'examinerons pas cependant cette
question avec trop de sévérité ; nous respectons les intentions
qui ont dirigé la plume du C. Lemercier , et notre
critique n'est pas assez implacable pour attaquer les gens
jusques sur l'autel de la patrie.
Nous ne parlerons donc pas davantage du sujet qu'a
choisi lamuse du C. Lemercier ; nous nous bornerons à
parler de la manière dont il l'a traité . Le poëme est di
visé en quatorze chants ; il remonte au premier âge de la
monarchie , et il va jusqu'au règne de Louis XIV. Ce
poëme , qui n'a point l'unité de temps , puisqu'il embrasse
quatorze siècles , n'a point non plus l'unité d'action , car.
il embrasse tous les événemens de notre histoire ; le poète
ne s'est asservi à aucune règle, et il s'est contenté de faire
des strophes sur chaoun des âges de la monarchie ; son
ouvrage est moins un poëme qu'une suite de chants pin-
11
122 MERCURE DE FRANCE ,
dariques sur les événemens qui ont amené et développé la
splendeur de l'empire français.
Lés vers du C. Lemercier sont quelquefois sonores et
brillans ; mais leur éclat ressemble à ces étincelles qu'on
voit sortir d'un nuage de fumée. Ses images sont , le plus
souvent , obscures et inintelligibles ; sa versification est
tellement négligée , que ses rimes ont plutôt l'air d'être le
fruit d'une gageure , que le fruit du travail et de la méditation;
on ne peut lire deux ou trois strophes de suite
sans y trouver une incorrection grossière , et une de ces
fautes que les Latins appelaient non sensus. Nous allons
citer quelques strophes. Lepoète parle des premiers temps
delamonarchie.
:
1
Douce image , haute origine
De ces indestructibles loix ,
Dont se répare la ruine
Sur la base antique des droits !
L'ardent courage , en tout son lustre ,
Relève une couronne illustre
Au front doré de Clodion ,
Qui, sous une épaisse crinière ,
Poussé d'une force guerrière ,
Règne en invincible lion .
f
,
Ces vers ne péchent pas seulement par défaut d'har
monie, mais par défaut de sens : ils sont plus barbares
cent fois que les siècles que l'auteur a voulu peindre.
Le C. Lemercier , passant à une autre dynastie , ne
change pas de style , et le règne de Pepin et de Charle
magne ne l'inspire pas mieux que celui de Clodion.
L'auteur de la nature entière ,
Qui rit des droits des souverains ,
Veut que la force et la lumière
Seules conduisent les humains ;
De Clovis la race éclipsée ,
Loin du trône au cloître chassée ,
Lègue à des tuteurs ses états ;
Ainsi , privé d'air et de pluie ,
L'ormeau faible qu'un chêne appuie ,
Périt à l'ombre de ses bras.
GERMINAL AN XI. 123
Il serait difficile de pénétrer le sens d'un pareil galima.
tias , et de dire si cette strophe appartient au genre pindarique
ou au style burlesque.
O Charlemagne ! ton génie
N'eût pas de tant de monumens
Dans la France et la Germanie
Jeté les stables fondemens ,
Si le respect de ta mémoire
N'avait associé ta gloire
Au respect des droits des cités ,
Et cherché son prix honorable
Dans un bonheur inséparable
Des publiques félicités.
Il s'en faut de beaucoup que cette strophe soit bonne ,
mais au moins elle est intelligible , et c'est un mérite assez
rare dans les poëmes du C. Lemercier. Mais passons ces
âges barbares , et arrivons au siècle du génie , au règne de
Louis XIV. Ce siècle n'est pas mieux traité que les autres.
Voici comment le poète parle de Vauban :
C'était peu que , sur les murailles,
Devolcans scelés de murailles ,
Vauban plantât nos étendards.
1
5
L'auteur ne parle point de Boileau , et il parle deRacine
assez froidement. Nous citerons ce qu'il dit de Massillon
et de Bossuet.
J'aurais cru dans l'Olympe immense
Être soumis à Jupiter ,
Si l'apostolique éloquence
Aux langues d'argent et defer ,
N'eût réveillé la foi rigide ,
Lorsque d'une chaire Lucide
Versant des rayons doux et clairs ,
Massillon pénétra mon âme ,
Et que de sa téte deflamme
Bossuet lança mille éclairs .
Nous ne nous permettrons pas de caractériser cette
strophe ; le poète parle de Lafontaine , et il l'appelle
l'Homère du peuple bélant. Nous demandons pardon au
1
124 MERCURE DE FRANCE ,
public et au C. Lemercier lui-même, diavoir cité un si
grand nombre de ses vers . On nous assure que cet écri
vain trouve toujours dans son amour propre des consolations
contre la critique , mais l'amour propre ne saurait
conserver ici ses illusions chéries , et nous ne pouvons
nous empêcher de croire que le C. Lemercier ne se con
damne lui-même en cette occasion. Dans la préface d'Orovėse
, il cherche à justifier ses innovations bizarres ,
ses images aussi contraires aux règles du goût qu'à l'esprit
de notre langue ; il dit que si Racine n'avait rien osé ,
la sphère du génie ne se serait point agrandie; on pour
rait répondre que Chapelain a plus osé que Racine , et la
langue et la littérature française n'y ont cependant rien
gagné. Les essais de Chapelain n'ont pas réussi au siècle de
Louis XIV, et nous ne croyons pas qu'il soit temps
encore de les mettre à la mode. A la suite des Ages Français
, le C. Lemercier a fait imprimer un fragment d'un
poëme inédit , intitulé : La vie et la mort du Juste. Ce
fragment, dans lequel on trouve aussi beaucoup d'incor
rections , renferme quelques vers heureux. Le poète
parle de Jésus-Christ :
11
Sonarmée est par-tout ; légions innombrables ,
Levez-vous : son royaume est pour les misérables;
L'aumône est son trésor ; sa loi , la charité ;
Son pain mystérieuxnourrit la pauvreté;
Il veut que la vertu ne soit récompensée
Que des regards du dieu qui lit dans lapensée.
Il se nomme le fils du père des humains ;
Prêtres , puissans du monde, arbitres souverains,
Punissez, étouffez ces leçons dangereuses,
Couronnez ce rival d'épines douloureuses ,
Ses pieds, de vos grandeurs foulent la vanité;
Il acontre l'orgueil armé l'humilité.
Quoique ces vers ne soient pas sans défauts , it sont
cependant beaucoup au-dessus de ceux que nous avons
Gités précédemment ; les images sont simples et naturelles ,
1
GERMINAL AN XI. 125
nous invitons le C. Lemercier à suivre ce modèle qu'il
s'est donné lui-même , et il sera encore digne d'obtenir
les suffrages du public
Le chemin du Ciel , ou l'Hôpital des Fous , satird
chrétienne.
L'auteur accuse les prêtres de s'enrichir et de passer leur
vie au sein de la mollesse. Cette accusation est si absurde,
qu'elle ne mérite pas une réponse. Les écrivains qui ne
vivent que de lieux communs , et qui n'écrivent que sur
lesidées des autres , sont malheureux après une révolution
: plusieurs choses ont changé de face ; et comme ils
ne font que répéter ce qu'on a écrit avant eux , il arrive
que leurs portraits n'ont plus d'application. Boileau a pu
dire , en parlant d'un chanoine :
C'est-làque leprélat , muni d'un déjeüné,
Dortnait d'un léger somme , attendant le dîne;
La jeunesse ensa fleur brille sur son visage.
Il est ridicule de répéter la même chose aujourd'hui ;
les prêtres ont vécu pendant dix ans dans la misère la plus
profonde; loinde reposer mollement sur le duvet , ils n'ont
pas trouvé une pierre pour reposer leur fête; ceux qui répètent
des lieux communs sur la vie voluptueuse des prétres
, ne respectent donc ni le malheur ni la vérité.
2
Il faut cependant citer quelque chose de cettesatire
Mais je vous entends tous me baptiser fort mal ,
Me traiter d'impudent , m'appeler Juvénal ;
Enquoi l'ai-je imité? Je n'ai point , dans mes rimes ,
Découvert , comme lui , la nudité des crimes;
Etsi ses moindres mots.pinçaient pour éveiller,
Les plus hardis des miens n'ont fait que chatouiller :
Oh! slilvenait ici vous prêcher, fous insignes,
Mortels, qui du nom d'homme êtes si fort indignes,
A
۱
126 MERCURE DE FRANCE ,
V Oui, si vous pouviez voir ce censeur courageux
Sur vos égaremens jeter un peu les yeux ,
Vons le verriez outré, bien plus que moi sévère ,
Vous livrer aux enfers , avec toute la terre ,
N'éclairer jamais rien sansy mettre le feu ,
Et faire toujours trop ce que je fais trop peu.
Onvoit que l'auteur craint sur-tout de passer pour un
Juvénal ; mais ses lecteurs , s'il en a , seront bien persua
dés qu'il a grand tort.
ΑΝΝΟNCES .
Traité de la Peinture , de Léonard de Vinci , précédé
de la Vie de l'Auteur etdu catalogue de ses Ouvrages ,
avec des Notes et Observations ; par M. Gault de Saint-
Germain, ci -devant pensionnaire du roi de Pologne ,
ex-Professeurdu collègede Clermont. Nouvelle édition,
ornée de quarante - quatre planches en taille-douce,
d'après les originaux du Poussin et d'autres grands
maîtres , et du portrait de Léonard de Vinci. Un vol.
in-8°. de plus de 500 pages. Prix , 9 fr. et 11 fr . par la
poste.
On a imprimé séparément la Vie de Léonard de Vinci ,
et le Catalogue de ses Ouvrages. Prix , 1 fr. 50 c. et 1 fr.
80 c. par la poste.
A Paris , chez Perlet ,lliibbrraaiirree ,, rue de Tournon...
Et chez le Normant , imprimeur- libraire , rue des
Prêtres Saint-Germain-l'Auxerrois , n°. 42 .
Cet Ouvrage a déjà été imprimé bien des fois , puis
qu'il est le premier fait sur la peinture par un homme
qui, au génie de son art, a réuni le plus de connaissances
diverses. Peintre , architecte , sculpteur, poète , mathématicien,
physicien bien extraordinaire pour son siècle , on
peut aussi le mettre à la tête de ceux qui ont créé , parmi
les modernes , la véritable manière d'étudier. Nous nous
appelons savans aujourd'hui , parce que nous raisonnons
sur ce que nos prédécesseurs ont découvert : Léonard de
Vinci était un bien grand génie , puisqu'il ne doit
qu'à ses méditations , ce que maintenant chacun peut apprendre
dans les livres. Né dans le milieu du quinzième
siècle , avec l'imagination la plus ardente , dans tout ce
qui peut être soumis aux calculs et aux expériences , il sut
GERMINAL AN X 12 .
se défier des systèmes. Jusqu'à présent , il n'avait pas paru
une seule édition de cet onvrage aussi complette , aussi
exacte , et dont les planches offrissent autant de correction.
C'est un malheur attaché à presque tous les livres élémen
taires , que chaque éditeur nouveau croit les embellir en
yajoutant , et il arrive souvent qu'un graveur s'applaudit
de perfectionner , alors qu'il cache par des ombres le trait
quidécélait la main habile de l'artiste: c'est ce qui est
arrivé à une des éditions duTraité de Peinture de Léonard
de Vinci. M. Gault de Saint-Germain a rendu les dessins
à leur pureté originale , et la première récompense de ses
travaux , de toutes les recherches qu'il a dù faire pour
consulter les originaux, a été l'approbationde nos peintres
les plus distingués. Le sénateur Lucien Bonaparte , dont
la collection de tableaux fixe l'admiration des étrangers ,
a permis que son nom fût placé à la tête de cet ouvrage;
et ce n'est pas à l'homme en place qu'il est dédié , mais
au premier amateur des beaux-arts . Cette observation
nous dispense de tout autre éloge sur le mérite de cette
édition.
L'année du Négociant ou du Manufacturier , ou Recueil
: par ordre de matières , des traités , lois , arrétés et réglemens
concernant le commerce , les manufactures , les
colonies et la marine , depuis le 18 brumaire an 8.
Chaque partie est précédée des tables analytiques des
lois , arrêtés et messages publiés depuis 1789.
Cet ouvrage contient en outre la législation sur les
finances , la nomination des agens de change et courtiers
de toutes nos placés de cómmerce, les brevets d'invention,
et l'historique des événemens qui , dans le cours de la
même période , ont intéressé le commerce et l'industrie.
Deux volumes in-8°. de 500 pages chacun ; prix , 10 fr .
et 13 fr. par la poste. A Paris , chez Antoine Bailleul ,
imprimeur-libraire , rue Neuve Grange-Batelière , n°. 5.
Et chez 1 Normant , imprimeur - libraire , rue des
Prêtres Saint-Germain-l'Auxerrois , n°. 42.
er
Le second volume de ce Recueil vient de paraître ; il
faitle complément des années VIII , IX et X. On y trouvera
, au chapitre des Douanes , les arrêtés du gouvernement
, jusqu'au 1. pluviose an 11. Cette seconde partie
contient en outre ce qui concerne les pêches , les colonies,
la législation commerciale , le conseil des prises , les traités
de commerce , les impositions , les matières d'or et d'argent
, et l'organisationdu trésor public.....:
128 MERCURE DE FRANCE ,
POLITIQUE.
Le cabinet de Saint-Jamés, tout en continuant ses pré
paratifs hostiles , ne paralt pas cependant encore disposé
àbraver les conséquences d'une guerre nouvelle , et l'on'
donne comme certain que la Russie se portera media
trice entre l'Angleterre et la France; le temps écoulé
depuis le message du roi , rend cette nouvelle probable ;
et la conduite du Gouvernement français est si conforme
aux traités , qu'il ne pourrait voir qu'avec plaisir une
grande puissance intervenir dans les différends élevés depuis
la paix. Après avoir si long-temps accusé la France
d'ambition , après l'avoir provoquée par l'incroyable capitulation
faite au Cap de Bonne-Espérance , les Anglais
doivent être étonnés de tant de modération ; mais lapuissance
qui a résisté à l'Europe entière armée contre elle
peut , sans craindre d'être accusée de faiblesse , appeler
l'Europe pacifiée par ses soins , à juger de la bonté de
sa cause. Rendre à la diplomatie française la réputation
de loyauté qu'elle avait méritée pendant tant de siècles
par tantde sacrifices , est la première victoire que , dans
les circonstances actuelles , la France doive remporter
sur l'Angleterre. Les nations bien gouvernées ne triomphent
pas que les armes à la main.
Onparle toujours beaucoup à Londres d'un change
mentdans leministère , et il n'est question de rien moins
que d'y faire entrer M. Pitt ou M. Fox ; comme de l'un
à l'autre il y a toute la différence possible dans la manière
d'envisager la situation de l'Europe , on pourrait
être étonnéde voir l'Angleterre marcher au-devant des
événemens , sans savoir quels ministres et quels principes
les dirigeront ; mais on doit s'accoutumer aujourd'hui à
regarder sans surprise ce qui se passe dans un pays qui
flotte entre des regrets , et un système politique qu'il ne
peut se résoudre à adopter , quoique chaque jour le rende
plus nécessaire. Il faut attendre et observer. Si la guerre
se déclare , pour telle cause que ce soit , elle ne se terminera
pas sans que la liberté de commerce pour toute
l'Europe , ou Passervissement commercial de l'Europe
entière , ne soit un fait à jamais décidé.
Dans
GERMINAL AXI. 129
RÉP. P
Dans notre dernier numéro , nous avons dit que les
journaux anglais assuraient que les ministres Maient rev
nus d'eux-mêmes sur la singulière volonté de garder le
Cap , malgré le traité d'Amiens. Nous ne pouvons mieux
faire apprécier aujourd'hui la valeur de cette nouvelle ,
qu'en copiant un article de La Hays. Les Hollandais
sont intéressés à ne point se méprendre : on peut se fier à
leurjugement.
« Notre ministre près la cour de Londres , n'a reçu au
>> sujet du Cap de Bonne-Espérance qu'une demi-satis-
>> faction. Aux plaintes qu'il a fait entendre d'une ma-
;
nière cathégorique et officielle , on se borne à répondre
>> par l'assurance verbale que l'ordre de remettre le Cap
> à nos troupés , a été expédié : cette assurance ne peut
> entièrement nous tranquilliser. On connaît trop bien la
politique du ministère Anglais , pour ne pas sentir
qu'en cas de besoin , les ordres vrais ou prétendus ,
relatifs à l'évacuation du Cap , se retrouveraient ensuite
dans le porte-feuille de l'amirauté , ou bien auraient éte
>> portés par une fregate qui aurait reçu , entr'autres ins-
>> tructions , celle de se laisser devancer par tel bâtiment
>> qui pourrait mettre à la voile , un mois après elle avec
>>un contre-ordre ; car on ne sait par quelle fatalité il
> arrive toujours que les bâtiniens anglais marchent
>>beaucoup moins vite , en portant l'ordre de rendre ;
> qu'en portant celui de prendre. Quoi qu'il en soit , on
>> présume que notre ministre në s'en tiendra pas à une
>> simple déclaration verbale au sujet du cap de Bonne-
Esperance ; et que le gouvernement anglais ayant eu
>> l'impudence de laisser publiér, peut-être même de faire
publier la capitulation qui a eu lieu lors de l'arrivée de
> nos troupes , entre le gouverneur anglais et le com-
>> mandant batavé , n'aura pas celle de réfuser à M.
Schimmelpenninck , la communication officielle des
> ordres qu'on dit avoir été expédiés pour l'évacuation
» du Cap. Notre cause se trouvant liée avec celle de la
» France, et le traité d'Amiens nous étant commun avec
» cette puissance , il faut espérer que la cour de Londres
>> ne regardera en pitié , les représentations de notre am-
>> bassadeur, qu'autant qu'elle prendra le parti de dédai-
>> gner aussi celles de la France; ce qu'elle craindrait ',
>> sans doute , de ne pas faire avec impunité. »
7
1
La dernière fois que la famille royale a été au spectacle,
II I
130 MERCURE DE FRANCE ,
on a remarqué que les gardes à cheval qui accompagnaient
les voitures , ont été rappelés quelques minutes après leur
départ. Le bruit s'est aussi-tôt répandu qu'on avait découvert
un nouveau complot contre la personne du roi . La
vieillesse de ce prince devient réellement malheureuse , et
les attentats contre sa vie se sont multipliés au point qu'il
a paru nécessaire , depuis quelques années , de doubler en
fer les voitures dans lesquelles il se montre à Londres les
jours de cérémonie. Que doivent penser les étrangers d'un
peuple qui force son souverain à de pareilles précautions ?
Tel est cependant aujourd'hui le sort d'un roi qu'Helvétius
a pris pour exemple , lorsqu'il a voulu prouver
que le régicide était une maladie des pays catholiques ,
inconnuedans les pays protestans. Il feignait d'oublier que
les régicides ne se commettent pas seulement un poignard
à la main ; les attentats sans cesse renouvelés contre le roi
d'Angleterre donnent un terrible démenti à l'auteur de
l'Esprit. Ne mettons aucun crime sur le compte d'aucune
religion , car ce serait armer les hommes qui ne réfléchissent
pas contre la seule institution qui réponde de
la sûreté des Etats; n'imitons pas les philosophes qui, dans
leur enthousiasme pour l'humanité , ont attiré plus de
malheur sur le monde que tous les tyrans , les hypocrites
et les fanatiques réunis. Les crimes étant le fruit des passions
, les seules maximes dangereuses sont celles qui laissent
aux passions un libre cours , et ces maximes forment
le fond de la philosophie moderne.
L'intendant - général des provinces espagnoles , dans
l'Amérique , a publié le 16 décembre une proclamation
par laquelle il est expressément défendu à tous les sujets
espagnols , riverains du Mississipi , de communiquer ,
pour quelque motif que ce puisse être , avec les sujets des
Etats-Unis , navigant sur ce fleuve. Il est formellement déclara
dans ladite proclamation , que les sujets des Etats-
Unis n'ont aucun droit à la navigation du Mississipi , si
ce n'est pour l'exportation de leurs produits, et l'importation
des articles indispensablement nécessaires à leur
subsistance. Dès que le congrès a eu connoissance de cette
mesure, il en a fait l'objet de ses délibérations, et tout porte
à croire qu'il aura pris la résolution d'entrer de suite en
guerre avec l'Espagne. C'est le 12 février que le congrès
s'est occupé de cette affaire.
Dans la séance de la diète de Ratisbonne , du 24 mars ,
GERMINAL AN ΧΙ. 131
,
(5 germinal ) , la diète a adopté comme conclusum
des trois colléges , le conclusum du collége électoral
rédigé par MM. le baron d'Albini ; en voici les dispositions :
1. D'approuver , au nom de tout l'Empire , le cont
clusum général de la députation, du 25 février , entièrement
complet aujourd'hui , comme le seul moyen de consolider
l'état de tranquillité si nécessaire au bien-être de la patrie
et du corps germanique , et de rétablir un bon ordre de
choses dans l'Empire ;
2°. De confirmir les loix fondamentales de l'Empire
subsistantes , spécialement la paix de Westphalie , et tous
les traités de paix qui y ont rapport , en tant qu'il n'y a
pas été expressément dérogé par le traité de Lunéville ,
etleprésent conclusum général de la députation , qui doit
être adopté maintenant. En conséquence ,
3º. De maintenir pour l'avenir la constitution de l'Empire
germanique dans tous les autres points auxquels il
n'a point été porté formellement atteinte , tels qu'ils ont
jusqu'i i subsisté pour les électeurs , princes et états de
l'Empire , parmi lesquels il faut aussi compter l'ordre
Teutonique , et comprendre l'ordre équestre de l'Empire.
4° Qu'il est en conséquence dû à S. M. impériale les
plus hubles remerciemens des soins qu'elle s'est donnés
comme chef suprême de l'Empire , pour conserver autant
que possible la constitution de l'Empire germanique ,
et de sa sage direction et coopération à l'heureuse conclusion
de l'affaire difficultueuse des indemnités , et qu'on
lui en présente ici l'expression , en la priant respectueusement
de vouloir bien faire connoître aux hautes
puissances médiatrices les sentimens de reconnaissance
qu'ont inspiré à la diète de l'Empire leurs sages conseils
et leur intervention signalée , pour l'arrangement définitif
de cette importante affaire nationale ;
5°. Et que tout cela soit humblement porté par un
préavis de l'Empire à la ratification de son chef suprême.
Ce conclusum a été remis le lendemain en grande cérémonie
, avec le préavis de la diète , par le ministre directorial
au prince de la Tour et Taxis , qui l'a aussitôt expédié
à S. M. I. On se flatte que cet acte important sera
revêtu sans délai de la ratification impériale , et qu'en
conséquence , dans une quinzaine de jours environ , la
députation pourra déclarer sa mission consommée , et
prononcer sa dissolution. Le Journal officiel fait sur le
conclusum que nous venons de rapporter, les réflexions
:
12
132 MERCURE DE FRANCE ,
suivantes : « Aucun conclusum d'un aussi grand intérêt
» n'avait été arrêté depuis le traité de Westphalie. Les
>> arrangemens de cette paix mirent fin à une guerre de
›› trente ans. Le conclusum du 3 germinal en termine
>> une de dix ans , qui , par l'importance des événemens
» qu'elle a produits, et par le nombre des armées qui
>> l'ont soutenue , sera la plus mémorable des guerres
>> modernes. >>
L'électeur de Baviere vient de publier une ordonnance
par laquelle , se fondant sur les paragraphes 35 et 42 du
recès général de la députation de l'Empire , il prononcela
suppression de tous les couvens et corporations ecclé -
siastiques médiats , appartenans aux états de Bavière.
M. Aloys Reding qui a joué un rôle si important
dans les derniers événemens arrivés en Suisse , a été
nommé landamman du canton Schwitz; il refusa d'abord
d'accepter , mais il finit par céder aux instances qui lui
furent faites , et parut dans l'assemblée générale où il fut
accueilli avec le plus grand enthousiasme. Il y a eu
quelques troubles à Berne , à l'occasion du retard que
les troupes Suisses éprouvaient dans le payement de
leurs solde; les troupes Françaises ont secondé les autorités
de la ville , et après quelques coups de fusil tirés
tout est rentré dans l'ordre. Un conseil de guerre a condamné
plusieurs des mutins , les uns à la peine de mort ,
les autres à la peine des fers. Les troupes qui s'étaient
insurgées sont parties pour Murat. Le landamiman d'Affry
a notifié , par écrit , aux différens gouvernemens de l'Europe
, l'acte de médiation qui établit la nouvelle constitution
de la Suisse. Les lettres ont été remises par les
ambassadeurs Français , auprès de ces gouvernemens. Il
n'en a point été adressé à la cour de Londres .
1
TRIBUNAT.
Séance du 12 germinal.-Cernon annonce que la section
de l'intérieur , à laquelle le tribunat a renvoyé l'examend'un
projet de loi relatifà un grand nombre d'éclian.
ges , a remarqué dans ce projet trois dispositions qu'elle
ne peut approuver. Comme , d'après sa rédaction , le projet
est indivisible, Cernon propose de demander au corps
GERMINAL AN XL 133
législatif un nouveau délai pour la discussion. Cette proposition
est adoptée.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet relatif
à la refonte des monnaies. Costaz parle en faveur , et s'attache
principalement à prouver la nécessité de l'article
qui porte la peine de mort contre les fabricateurs de
fausses monnaies. Ce projet est adopté à une majorité de
54 voix contre 5 .
Le tribunat vote , à l'unanimité , l'adoption du projet
de loi relatif aux pensions : il se forme ensuite en séance
secrète ; les étrangers se retirent.
Séance du 14.-Sur le rapport de Dacier , le tribunat
adopte, à la majorité de cinquante-six voix contre deux ,
le projet relatif au sursis des poursuites contre les communes
des départemens du Mont-Tonnerre , de Rhin-et-
Moselle , de la Roër et de la Sarre , et contre les coobligés
des dettes desdites communes.
Séance du 15.-Lestribunsayant été extraordinairement
cpuvoqués , la séance est ouverte à deux heures un quart.
Le corps législatif communique au tribunat le projet
de loi sur les Banques .
L'ordre dujour appelle un rapport sur unprojet de
loi relatif à des acquisitions , concessions , échanges ,
emprunts , impositions extraordinaires et ventes demandées
par des communes et des particuliers. Cernon obtient
la parole , au nom de la section de l'intérieur .
Je n'aurais , citoyens tribuns , dit-il , qu'à vous présenter,
aunomde la sectionde l'intérieur , le voeu d'adoption
de cette loi , si le titre III n'avait fourni matière à une discussion
dont je dois vous rendre compte..
La ville de Montluçon, département de l'Allier, demande
à être autoriséeà acheter du citoyen Moreau un terraincidevant
national , dont il est propriétaire. Cette commune
désire ce terrain pour régulariser la place publique , et lui
donner plus d'étendue. Elle observe que cette place est le
lieu du marché et vente considérable des chanvres et toiles ,
dont le commerce se fait dans cette ville ; qu'à défaut de ce
terrain , le marché ne peut se tenir que dans des rues
étroites et où il gêne la circulation et cause des embarras
et des avaries aux marchands ; elle observe encore que
Moreau n'a pasbesoin de ce local. Moreau se refuse àcette
vente , à laquelle il avait cependant paru donner une espèce
de consentement, puisqu'il a nommé un expertpour
13
134 MERCURE DE FRANCE ,
l'évaluation contradictoire, qui a porté ce terrain à 600 f. ,
prix offert aujourd'hui par la commune ; mais il suffit que
le propriétaire ne donne pas un libre consentement à l'aliénation
, pour que votre section , invariable sur l'applicationdes
principes sur la propriété , n'ait pas cru pouvoir
vous proposer d'approuver ce titre de la loi. Et comme
elle n'a pas pensé que l'avantage que retirerait la ville de
Montluçon , de l'acquisition du terrain qu'elle désire , fût
assez important pour donner lieu de porter atteinte au
respect dû à la propriété , elle m'a chargé de vous proposer
le rejet de cette disposition ; mais comme un projet de
loi ne peut être rejeté partiellement , et qu'une seule disposition
non agréée suffit pour entraîner votre voeu sur la
loi entière , votre section s'est vue forcée de vous proposer
le rejet de cette même loi , contenant 58 titres , dont 57
méritent votre approbation. Le gouvernement sans doute
reconnaîtra dans cet exposé combien il eût été avantageux
qu'une communication officieuse eût permis de s'entendre
sur ces dispositions .
Le tribunat ordonne l'impression du rapport , et délibère
de suite sur le projet, qui est rejeté à la majorité de
35 voix contre 21 .
Au nom de la section des finances , Daru fait un rapport
et propose l'adoption du projet de loi relatif à la révision
des jugemens qui ont réintégré les communes dans la propriété
de bois ou de droits d'usage. Ajournement.
CORPS LÉGISLATIF .
Séancedu 10 germinal.-Les conseillers d'état Français
et Defermont sont introduits. Celui-ci présente un projet
de loi relatif à la révision des jugemens qui ont réintégré
des communes dans la propriété de bois ou de droits d'usage.
Ce projet porte , en substance ,que les communes
qui ont obtenu dans les tribunaux civils des jugemens qui
leur ont adjugé des droits de propriété ou d'usage dans les
forêts , et à l'exécution desquels il a été sursis par la loi du
29floréal an 3 , produiront , pardevant les préfets de leurs
départemens , lesdits jugemens et les pièces justificatives ,
dans le délai de six mois , passé lequel et faute de ce faire ,
lesdits jugemens seront regardés comme non avenus. Le
GERMINAL AΝ ΧΙ. 135
préfet statuera sur ces réclamations dans le délai d'un an.
Le conseiller d'état Fourcroy est introduit , accompagne
de ses collègues Bérenger et Réal ; il présente un projet de
loi sur l'exercice de la pharmacie. Ce projet est le complément
et la suite de celui sur la médecine.
Le titre premier règle l'organisation des écoles de pharmacie.
Il sera établi une école de pharmacie à Paris , à
Montpellier , à Strasbourg , et dans les villes où seront placées
les trois autres écoles de médecine .
Les écoles de pharmacie auront le droit d'examiner et
de recevoir , pour toute la république , les élèves qui se
destineront à la pratique de cet art , et seront de plus chargées
d'en enseigner les principes et lathéoriedansdes cours
publics ; d'en surveiller l'exercice, d'en dénoncer les abus ,
et d'en étendre les progrès .
Le titre 2 traite des élèves en pharmacie et de leur discipline.
Aucun élève ne pourra prétendre à se faire recevoir
pharmacien , sans avoir exercé , pendant huit années
au moins , son artdans des pharmacies légalement établies.
Les élèves qui auront suivi pendant trois ans les cours
donnés dans une des écoles de pharmacie , ne seront tenus
, pour être reçus , que d'avoir résidé trois autres années
dans ces pharmacies
Ceux des élèves qui auront exercé pendant trois ans ,
comme pharmaciens de 2º. classe , dans les hôpitaux militaires
, et dans les hospices civiles , seront admis à faire
compter ce temps dans les huit années exigées .
Les élèves paieront une rétribution annuelle , pour
chaque cours en pharmacie qu'ils voudront suivre. Cette
rétribution , dont le maximum sera de 36 fr. , pour chacun
des cours , sera fixée par le gouvernement pour chaque
école.
Le titre 3 établit le mode et les frais de réception des
pharmaciens.
Il y aura trois examens : deux de théorie , dont l'un sur
les principes de l'art , et l'autre sur la botanique et l'his.
toire naturelle des drogues simples ; le troisième , de pratique,
durera quatre jours,et consistera dans au moins
neuf opérations chimiques et pharmaceutiques. L'aspirant
fera lui-même ces opérations; il endécrira les matériaux ,
les procédés et les résultats .
L'aspirant , âgé au moins de 25 ans accomplis , devra
réunir les deux tiers des suffrages des examinateurs .
Les frais d'examen sont fixés àgoo fr. dans les écoles de
14
136 MERCURE DE FRANCE ,
pharmacie , à 200 fr. pour les jurys. Les aspirans feront
en outre les frais des opérations quidevront avoir licudans
leur dernier examen,
Tout mode ancien de réception est interdit.
Le titre 4 détermine la police de la pharmacie.
Tout pharmacien ayant officine ouverte , devra , dans le
délai de trois mois , a dater de la loi rendue , adresser copie
légalisée de son titre , à Paris , au préfet de police ; dans
les autres villes , au préfet de département.
Les pharmaciens , reçus dans une des six écoles , pourront
exercer leur profession dans toutes les parties du territoire
français.
Les pharmaciens reçus par les jurys ne pourront s'éta
blir que dans l'étendue du département où ils auront été
reçus .
Nul ne pourra ouvrir une officine de pharmacie , préparer
, vendre et débiter des médicamens , s'il n'a été reçu
suivant les formes voulues jusqu'à ce jour. :
Des visites seront faites chez les pharmaciens , et les
drogues mał préparées seront saisies , et la punition será
poursuivie suivant les règlemens actuellement existans .
Les pharmaciens ne pourront délivrer de drogues com
posées quelconques ,que d'après des prescriptions de mé
decins et officiers de santé , sous leurs signatures.
épiciers ne pourront faire le débit des mêmes drogues ,
sous l'amende de 500 fr.
Les
Les substances vénéneuses seront tenues , dans les officines
de pharmaciens et dans les boutiques d'épiciers , dans
des lieux séparés , dont les pharmaciens et les épiciers seuls
auront la clef.
Les conseillers d'état Regnauit , Thibeaudeau et .....
proposent un projet de loi sur les manufactures , arts
et métiers. « Le gouvernement , dit l'orateur , a préparé
ce travail immédiatement à l'époque de la paix ; il vous
le présente dans ce moment où il enjouit encore , mais
où il éprouve la crainte qu'elle ne soit troublée, »
Voici un extrait du projet : Le titre It, contient des
dispositions générales. Le titre II établit la police des
manufactures , fabriques et ateliers .
Toute coalition de la part des ouvriers pour interdire
le travail dans certains ateliers , pour enchérir les travaux,
sera punie , s'il y a commencement d'exécution , d'un
emprisonnement de trois mois.
Si ces actes sont accompagnés de violence et voies de
GERMINAL AN XI. 137
faits , les auteurs et complices seront punis selon les peines
portées au code pénal .
Le titre 3 établit les obligations entre les ouvriers et ceux
qui les emploient. Les contrats d'apprentissage ne pourront
être résolus , sauf l'indemnité en faveur de l'une ou
de l'autre des parties , que dans les cas suivans : 1º. d'inexécution
des engagemens de part ou d'autre ; 2°. de mauvais
traitemens de la part des maîtres ; 3°. d'inconduite
de la part de l'apprenti .
Nul individu ne pourra employer un apprenti , sans
congé d'acquit , sous peine de dommages-intérêts envers
son maître.
Nul ne pourra , sous les mêmes peines , recevoir un
ouvrier , s'il n'est porteur d'un livret contenant le certificat
d'acquit de ses engagemens , délivré par celui de clicz
qui il sort.
Le titre 4 traite des marques particulières. La contrefaçon
des marques particulières que tout manufacturier
ou artisan a le droit d'appliquer sur les objets de sa fabri
cation, donne lieu , 1°. à des dommages - intérêts envers
celui dont la marque aura été contrefaite ; 2°. à l'appliçation
de peines prononcées contre les faux en écritures.
Le titre5 consacre la jurisdiction. Toutes les affaires
de simple police , entre les ouvriers et apprentis , les manufacturiers
, fabricans et artisans , seront portées à Paris
devantle préfet de police ; devant les commissaires généraux,
dans les villes où il y en a d'établis ; et dans les autres
lieux ,devant les maires et adjoints. Ils prononceront sans
appel. Si l'affaire est du ressort des tribunaux de police
correctionnelle ou criminelle , ils pourront ordonner l'arrestation
provisoire des prévenus , et les faire traduire devant
le magistrat de sûreté .
La discussion est fixée au 22 .
Séance du 11. - Chalan , un des orateurs du tribunat ,
développe les motifs qui ont engagé cette autorité à voter
P'adoption du projet relatif aux prénoms et changemens
denoms. Le corps législatif approuve ce projet , à la majorité
de 206 contre 7. Il s'ajourne au 14.
Séance du 14. - Labrouste , organne du tribunat , émet
dans le sein du corps législatif le voeu d'adoption du
projet de loi sur la refonte des Monnaies; et ce projet
est adopté à la presqu'unanimité.
138 MERCURE DE FRANCE ,
Cent quarante-huit projets de loi , intéressant diverses
communes , devaient être mis en discussion ; l'orateur
du tribunat a demandé un délai de quelques jours pour
obtenir des éclaircissemens désirés . Sur la proposition de
l'orateur du gouvernement , Regnault ( de Saint-Jeand'Angély)
, ce délai est accordé jusqu'au mercredi pro-'
chain.
On introduit les conseillers d'état Cretet , Defermont
et Bérenger ; le premier prend la parole , et propose
un projet de foi sur les Banques . Nous le donnons en
entier à la fin des séances du corps législatif.
Séance du 15.- Les conseillers d'état Jollivet et Miot
présentent un projet de loi , tendant à rétablir une omission
dans laloi répressive des contraventions à celle du
Timbre ; en voici le texte.
L'article XXXII de la loi du 15 brumaire an 7 , sur le
Timbre , qui fixe à trois jours le délai pour signifier
les procès-verbaux de contravention à cette loi , ne sera
applicable qu'à ceux des contrevenans domiciliés dans
P'arrondissement des bureaux où les procès-verbaux auront
été rapportés ; lorsque les contrevenans auront leur
domicilehors de cet arrondissement , le délai sera de huit
jours , jusqu'à cinq myriamètres ( dix lieux ) de distance ,
et d'un jour de plus pour chaque cinq myriamètres audelà
de cette distance .
Après avoir entendu Guinard , orateur du tribunat ,
le corps législatif convertit en loi le projet relatif aux
Pensions .
Séance du 16. - On procède an renouvellement du
bureau : Félix Faulcon est nommé président. Les nouveaux
secrétaires sont Trumeau , Hémard , Grappe et
Ligniville.
L'ordre du jour appelait la discussion sur le projet de
loi qui contient cent quarante-huit stipulations d'un intérêt
local; mais le gouvernement annonce par un message
dont le président donne lecture , qu'il a arrêté de retirer ce
projet de loi .
GERMINAL AN XI. 139
:
----
Projet de loi sur les Banques.
Art . Ir . L'association formée à Paris sousle nom de banque de
France, aura le privilége exclusif d'émettre des billets de banque ,
aux conditions énoncées dans la présente loi .
II . Le capital de la banque de France sera de quarante-cinq mille
actions au moins , de mille francs chacune en fonds primitifs , et plus
du fonds de réserve .
III . Les actions de la banque seront représentées par une inscription
nominale sur les registres , elles ne pourront être mises au porteur .
IV. La moindre coupure des billets de la banque de France sera
de 500 fr.
V. La banque escomptera les lettres de change et autres effets de
commerce. La banque ne pourra faire aucun commerce autre que
celui des matières d'or et d'argent. Elle refusera d'escompter les
effets dérivans d'opérations qui paraîtront contraires à la sûreté de
la république ; les effets qui résulteraient d'un commerce prohibé ;
les effets dits de circulation , créés collusoirement entre les signataires
sans cause ni valeur réelle .
VI. L'escompte sera perçu à raison du nombre de jours à courir ,
et même d'un seul jour , s'il y a lieu.
VII. La qualité d'actionnaire ne donnera aucun droit particulier
pour être admis aux escomptes de la banque.
VIII. Le dividende annuel ne pourra excéder six pour cent pour
choque action de mille francs; il sera payé tous les six mois. Le bénéfice
excédent le dividende annuel sera converti en fonds de réserve .
Le fonds de réserve sera converti encinq pour cent consolidés , ce qui
donnera lieu à un second dividende . Le fonds de réserve actuel sera
aussi converti en cinq pour cent consolidés .
IX. Les cinq pour cent consolidés acquis par la banque , seront
inscrits en sonnom , etne pourront être revendus sans autorisation pendant
la durée de son privilége .
X. L'universalité des actionnaires de la banque sera représentée
par deux cents d'entr'eux , qui , réunis , formeront l'assemblée générale
de la banque .
XI. Les deux cents actionnaires qui composeront l'assemblée générale
seront ceux qui , d'après la revue de la banque , seront constatés
être , depuis six mois révolus , les plus forts propriétaires de ses actions
; en cas de parité dans le nombredes actions , l'actionnaire le
plus anciennement inscrit sera préféré,
XII. L'assemblée générale de la banque se terminera dans le courant
de vendémiaire de chaque année , elle sera assemblée cxtraordinairement
dans les cas prévus par les statuts.
XIII . Les membres de l'assemblée générale devront assister et
voter en personne , sans pouvoir se faire représenter. Chacun d'eux
n'aura qu'une voix , quelque nombre d'actions qu'il possède.
XIV. Nul ne pourra être membre de l'assemblée générale de la
banque , s'il ne jouit des droits de citoyens français .
XV. La banque sera administrée par quinze régens , et surveillée
par trois censeurs choisis entre tous les actionnaires par l'assemblée
générale.
140 MERCURE DE FRANCE ,
Les régens et censeurs réunis formeront le conseil général de la
banque.
XVI . Les régens seront renouvelés chaque année par cinquième ,
et les censeurs par tiers.
XVII. Sept régens sur les quinze , et les trois censeurs , seront
pris parmi les manufacturiers , fabricans ou commerçans , aetionnaires
de la banque; ils seront complétés par les élections des années 4 ,
12 et 13.
XVIII. Il sera formé un conseil d'escompte composé de douze
membres , pris parmi les actionnaires exerçant le commerce à Paris .
Les douze membres seront nommés par les trois censeurs ; ils seront
renouvelés par quart chaque année. Les membres de ce conseil seront
appelés aux opérations d'escompie ,et ils auront voix délibérative.
XIX. Les régens , les censeurs et les membres du conseil descompte
sortans , pourront être réélus.
XX. Les fonctions des régens , des censeurs , seront gratuites , sauf
des droits de présence.
XXI. Le conseil général nommera un comité central , composé
de trois régens ; l'un d'eux sera nommé président , et dans cette
qualité , il présidera l'assemblée générale , le conseil général , et tous
les comités auxquels il jugera à propos d'assister.
XXII. Les fonctions de présidentdureront deux ans ; les deux autres
membres du comité seront renouvelés par moitié et tous les ans . Les
membres sortans pourront être réélus .
XXIII. Le comité de la banque est spécialement et primativementchargé
de la direction de l'ensemble des opérations de la banque.
XXIV. Il est en outre chargé de rédiger , d'après ses connaissances
et sa discrétion , un état général , divisé par classes , de tous ceux qui
seront dans le cas d'être admis à l'escompte , et de faire successivement,
dans cet état , les changemens qu'il jugera nécessaires. Cet état
servira de base aux opérations d'escompte.
XXV. Ceux qui se croiront fondés à réclamer contre les opérations
du comité central , relativement à l'escompte , adresseront leurs réclamations
à ce comité , et en même temps aux censeurs.
XXVI . Les censeurs rendront compte à chaque assemblée générale
, de la surveillance qu'ils auront exercée sur les affaires de la
bangne , et déclareront si les règles établies pour l'escompte ont
été fidèlement observées .
XXVII. Le conseil général actuel de la banque de France est tenu
de faire , dans un mois , les statuts nécessaires à son administration
intérieure.
XXVIII. Le privilège de la banque lui est accordé pour 15 années ,
à dater du rer. vendémiaire an 12 .
XXIX. Les régens et censeurs actuels de la banque de France conserveront
leurs titres , et exerceront leurs fonetions pendant le temps
fixé par les statuts et réglemens.
1
XXX. La caisse d'escompte du commerce , le comptoir commercial,
la factorerie et autres associations qui ont émis des billets à Paris,
ne pourront, à dater de la publication de la présente , en créer de
nouveaux, et seront tenus de retirer ceux qu'ils ont en circulation
d'ici au 1. vendémiaire prochain.
XXXI. Aucune banque ne pourra se former dans les départemens
que sous l'ontorisation du gouvernement , qui pourra leur en accorder
le privilège et les émissions de ses billets ne pourront excéder las
GERMINAL AN XI. 141
somme qu'il auradéterminée . Il ne pourra en être fabriqué ailleurs qu'à
Paris.
XXXII . La moindre coupure des billets émis dans les villes auxquelles
le privilège en sera accordé , sera de 250 fr.
XXXIII . Aucune opposition ne sera admise sur les sommes ét
comptes cotrans dans les banques autorisées .
XXXIV. Les actions judiciaires relatives aux banques seront exer
cées au nom des régens , poursuite et diligence de leur directeur
général. (
XXXV. Il pourra être fait un abonnement annuel avec les banques
privilégiées pour le timbre de leurs bilets .
XXXVI. Les fabricateurs de faux billets , soit de la banque de
France , soit des banques de départemens , et les falsifications de
billets émis par elles, seront assimilés aux faux- monnoyeurs , poursuvis
, jugéset condamnés comme tels .
:
PARIS.
Les nouvelles officielles arrivées de Saint- Domingue
au ministre de la marine et des colonies , en date du 18
pluviose, annoncent que le 16 de ce mois , les vaisseaux
l'Indomptable capitaine Touffet,etle Mont-Blane , capir
taine Cosniao , ont debarqué , d'après les ordres du général
en chef, un corps de troupes à Miragoane. Les rebelles ont
été forcés à abandonner ce poste, ainsi que celui de l'Anser
a-Veaux, et de se replier dans l'intérieur avec une perte
très-considérable. 5
Le général noir la Plume , distingué par sa fidélité , s'est
acquis de nouveaux droits à l'estime de l'armée , par les
services qu'il a rendus avec les troupes noires sous sus
ørdros.
Le général en chef fait aussi l'éloge des chefs de brigade
Nerette , Dieudonné ; des chefs de bataillon Segrettex ,
Delpêche et du capitaine Daux , restés constanintent fidèles
an gouvernement . 11
Les dispositions prises par le général en chef, annoncent
que les brigands vont être repoussés loin du cordon du Sud,
partie dans laquelle la tranquillité se consolide tous les
jours,de manière que toutes les troupes arrivant d'Europe,
n'auroutà agir que dans la partie de l'Ouest 133
A
(Journal officiel.)
En vertu d'un accord fait entre les grandes puissances
intéressées à l'Ordre de Malte , et consenti par S. M. Brit
tannique le 8juin 1802 , la nomination du graad-maître
142 MERCURE DE FRANCE ,
1
de Malte fut déférée pour cette fois au saint-siége , sur la
présentation des prieurés de l'Ordre. Le saint-père et les
prieurés accédèrent à cet arrangement. En conséquence ,
sa sainteté a nommé , le 9 février 1803 , grand-maître de
l'Ordre de Saint Jean-de-Jérusalem , M. le bailly de Thomasy
, qui a accepté sa nomination. Le nouveau grandmaître
a cru nécessaire d'envoyer à Malte M. le commandeur
Busy , qu'il a nominé à cet effet sun fondé de pouvoirs
et son lieutenant. Ce chevalier est arrivé dans l'ile
leg ventose.
Le journal officiel publie la lettre qu'il a écrite à
M. Ball , ministre d'Angleterre dans cette île , et la réponse
de ce ministre. M. le commandeur de Busy lui expose
que, conformément au traité d'Amiens , les forces de
S. M. B. devaient évacuer l'île et ses dépendances , dans
les trois mois qui suivraient l'échange des ratifications ,
ou plus tôt , s'il était possible , et que ce délai est expiré
depuis long-temps. Dans sa réponse , le ministre d'Angleterre
observe que , d'après le traité d'Amiens , plusieurs
des puissances qui sont invitées à garantir l'indépendance
de Malte , n'ont pas encore accédé à cette mesure , et qu'il
ne peut remettre l'ile sans des ordres de sa cour. Après
avoir donné en entier ces deux lettres , le journal officiel
reprend ainsi : S. M. l'empereur d'Allemagne et S. M.
l'empereur de Russie ont depuis long-temps garanti l'indépendance
de l'île et de l'ordre de Malte. La Prusse était
la seule puissance qui , jusqu'à cette heure , n'avait pas répondu
d'une manière péremptoire à la demande qui lui
avait été faite ; mais dans les circonstances actuelles , S.M.
le roi de Prusse a pensé devoir s'empresser de garantir l'indépendance
de l'île et de l'Ordre de Malte .
Un arrêté du gouvernement , en date du 10 de ce mois ,
porte que les deux bulles dont la désignation suit , savoir :
la première , donnée à Rome , le 15 des calendes de janvier
1802, laquelle , d'après la nomination du premier
consul , porte l'institution canonique à l'évêché de Troyes ,
de M. Louis - Appolinaire Latour - du - Pin - Montauban ,
ci-devant archevêque d'Auch , avec autorisation de conserver
pendant sa vieson ancien titre d'archevêque ; la seconde
, donnée à Rome , aux ides de décembre 1802 ,
portant exemption en faveur dudit Louis - Appolinaire
Latour-du-Pin-Montauban , de la jurisdiction métropolitaine
de l'église archiepiscopale de Paris , pendant la vie
GERMINAL AN XI. 143
dudit évêque : seront publiées , sans approbation des
clauses , formules et expressions qu'elles renferment , et
qui sont ou pourroient être contraires aux loix de la république
, aux franchises , libertés et maximes de l'église
gallicane. Lesdites bulles seront transcrites en latin
et en français sur les registres dn conseil-d'état , et mention
en sera faite sur l'original , par le secrétaire du conseil.
Le commmandant et administrateur général du Sénégal
et dépendances , a adressé au ministre de la marine et
des colonies la lettre suivante , datée du Sénégal, le 15 nivose
an II .
<<Citoyen ministre , j'ai l'honneur de vous adresser cijointe
ma correspondance avec M. le colonel Frazer ,
gouverneur de Gorée , depuis mon arrivée au Sénégal ,
pourvous faire connaître de quelle manière ce gouverneur ,
pour S. M. britanique , paraît éluder la restitution de
l'ile de Gorée , même après m'avoir annoncé qu'il alloit
incessamment m'indiquer le jour où elle pourroit avoir
lieu.
>> Ne connaissant point les véritables motifs d'une
évasion aussi extraordinaire , j'ai pensé qu'il étoit de mon
devoir de vous instruire dès qu'elle m'a paru suspecte ,
et j'ai l'honneur de vous rendre compte que j'ai expédié
à cet effet , pour Rochefort , la goëlette la Légère , comme
lemoyen le plus sûr et le plus prompt. >>>
Salut et respect. Signé BLANCHOT
i
Ala suite de cette lettre on lit , dans le journal officiel ,
la correspondance qui a eu lieu entre le général Blanchot
et le colonel anglais Frazer , gouverneur pour S. M. Britannique
, de l'île de Gorée. Cette correspondance prenferme
onze lettres écrites du 8 brumaire au 5 pluviose. Le
général françaisy insiste toujours conformément au traité ,
sur la remise de l'île , dont le colonel anglais differe toujours
la restitution , dans l'attente de l'arrivée , toujours
annoncée comme prochaine , et qui ne s'effectue point de
vaisseaux de transport pour embarquer la garnison. 12
Le maire de Saint -Hilaire d'Ardenay , département de
la Sarthe , est autorisé , par arrêté du gouvernement , à
accepter , au nom de cette commune ; 1º. l'église ; 2°. le
presbytère et jardins en dépendans , que le citoyen Jean-
Baptiste-Michel Leprince, d'une part, et le cit. Dagoreau ,
d'une autre part , ont abandonnés gratuitement à ladite
commune.
:
144 MERCURE DE FRANCE,
,
ás
Le gouvernement a décidé que l'envoi d'espèces et
monnaies françaises et étrangères dans nos îles orientales
et occidentales n'est point prohibé ; on se bornera à
surer la destination par des acquits à caution qui en spólie.
ront la nature et la somme ; ils porteront soumission aux
peines de la confiscation et de l'amende , à défaut de certificat
régulier de décharge délivré par les douanes , et visé
par les autorités constituées.
La parade de dimanche, a été moins une parade
qu'une revue. Il y avoit de cinq à six mille hommes de
différentes armes. Point de chevaux. La cavalerie étoit à
pied. Tous les soldats avoient le sac au dos. Une troupe
nombreuse de conscrits en vestes blanches. Le premier
consul , à pied , a passé dans tous les rangs ; il a passé à
ungrand nombre de soldats ; il a particulièrement adressé
des questions aux conscrits. Comment est votre soupe ,
a-t- il demandé à l'un d'eux ? Meilleure que chez nous ,
a répondu le jeune homme. Respect et gravité dans les
rangs quand le premier consuly entroit;; Jore , gaité , enthousiasme
dès qu'il étoit passé . La revue a duré cinq
heures. Dans les parades ordinaires , le premier consul
ne jouit que de la beauté des troupes ; dans cette revue ,
il a pu jouir du sentiment de leur force.
Le sénateur Laville - Leroux , sortant dimanche,de
l'audience donnée par le premier consul aux ambassadeurs
, est mort d'apoplexie en descendant l'escalier. Il
n'avait ressenti aucune indisposition dans les appartemens ,
et avait causé fort gaiment avec ses collègues en attendant
l'audience.
La ville d'Anvers doit offrir à madame Bonaparte ,
une aigrette de diamans d'une grande beauté. Il sera donné
sur l'Escaut , au premier consul , une fête qui surpassera
enmagnificence toutes celles qui ont jamais été données
dans la Belgique. A Malines , on travaille , en ce moment ,
àune robe dé dentelle en point de Maline , destinée pour
madame Bonaparte. Les préparatifs qui se fond à Gand
sont dans une grande activité ; la garde d'honneur qui
s'y est formée pour le premier consul, a à sa tête plusieurs
anciens,officiers de cavalerie au service de l'empereur ,
qui ont quitté l'armée autrichienne pour se fixer dans leur
patrie ; enfin , il y a un redoublement d'activité dans les
dispositions et les préparatifs dont on s'occupe , sans relache
, à Bruxelles. Les particuliers , se conformant à l'invitation
du maire , font peindre et restaurer les façades
extérieures de leurs maisons.
( No. XCIV. ) 26 GERMINAL an 11 ,
( Samedi 16 Avril 1803. )
MERCURE
DE FRANCE
RÉP.
FRA
5.
cen
LITTERATURE.
.......----
:
POÉSIE.
IMITATION DE L'ÉPITRE D'HÉLOISE A ABAILARD , DE POPE .
Suite (a) .
HEUREUX ! ah ! trop heureux le sort de deux amans
Qui , dans la douce erreur où s'égarent leurs sens ,
Coulent loin des humains leur paisible existence ,
Et goûtent le plaisir au sein de l'innocence !
Les sermens de l'hymen n'enchaînent point leur foi :
La nature et l'amour sont leur unique loi ;
Oubliant l'univers , ils vivent l'un pour l'autre :
Est-il un sort plus doux ? Ce bonheur fut le nôtre !
S
:
(a) Le commencement de cette Imitation a été inséré dans le N°. 62
du 17 fructidor an X. Nous invitons nos lecteurs à la comparer avec
celle qui a fait tant d'honneur à Colardeau , en leur rappelant que
l'auteur de ces vers est un jeune Russe de dix - neuf ans , sorti de
l'excellente maison d'éducation élevée à Saint - Pétersbourg , par
M. l'abbé Nicolle , ancien préfet des Études de Sainte-Barbe! 9.
2
33
II
...
146 MERCURE DE FRANCE,
...
...
Quel changement ! La nuit , entouré de flambeaux ,
Abailard nu , sanglant , traîné par des bourreaux .
Ah! j'étais loin de toi ! Rien ne m'eût arrêtée ;
Au-devant de leurs coups je me serais jetée :
Mes pleurs , mon désespoir , auraient touché leur coeur,
Et mon sang eût peut- être assouvi leur fureur.
Barbares ! arrêtez ! ... prenez-moi pour victime :
J'ai droit au châtiment , je partageais le crime.
Rappelle - toi ce jour horrible et solennel ,
Ce jour où , prosternée au pied de cet autel ,
Pour témoin de mes voeux prenant l'être suprême ,
Je jurais d'oublier et le monde et toi-même : ..
Je prononçais déjà ces éternels adieux .
Un nuage confus vint obscurcir mes yeux ;
Du tabernacle saint les voûtes tressaillirent ,
L'autel même s'émut , et les flambeaux pålirent :
Le ciel semblait douter de mes funestes voeux ;
Les anges étonnés les portèrent aux cieux.
Dans ce fatal moment , égarée , éperdue ,
Sur toi seul , Abailard , j'avais fixé ma vue.
ADieu , sur cet autel , ma bouche offrait ma foi ;
Mais mon coeur révolté faisait voeu d'être à toi .
Reviens , reviens vers moi , cher époux que j'adore ;
Dans mes bras amoureux que je te presse encore !
Laisse - moi doucement m'appuyer sur ton sein :
J'oublîrai près de toi la rigueur du destin .
Offre à mes yeux charmés cet aimable sourire ,
Ce front noble et serein où la bonté respire;
Laisse-moi de l'amour savourer la douceur ,
M'enivrer de ta vue et rêver le bonheur !!
Mais non ; fais-moi goûter une volupté pure ;
Elève -moi vers Dien , dompte enfin la nature ;
Que le ciel désormais soit mon unique appui !
Je ne puis être à toi : viens me donner à lui.
T
١٤
GERMINAL AN XI. 147
Reviens vers ces enfans qui regrettent leur père :
Jadis ils t'ont suivi dans ce lieu solitaire ;
:
Ils ont droit à tes soins : nos champs et nos jardins ,
Pour être cultivés , redeinandent tes mains.
Tes jours coulaient ici loin d'un monde perfide ;
Ce désert étonné vit , dans son sein aride ,
S'élever cet asile au Seigneur consacré.
Tout est simple en ces lieux ; l'orphelin éploré
N'y voit point de son père étaler les richesses;
L'avare , au lit de mort , de tardives largesses ,
Pour acheter les cieux , n'orna point cet autel :
On nous y voit sans faste adorer l'éternel .
Ah ! si tu revenais dans ces demeures sombres ,
Qui semblent de la nuit éterniser les ombres ,
De ce cloître désert le séjour odieux
Brillerait embelli de l'éclat de tes yeux !
Ta gloire y verserait une douce lumière .
Au pied de ces autels où veille la prière ,
Les vierges du Seigneur , dociles à ta voix ,
Attendent qu'Abailard leur impose des loix.
Sous quel voile trompeur mon amour se déguise !
Non , ne viens que pour moi ; n'écoute qu'Héloïse.
Je retrouve en toi seul les titres les plus doux :
O mon unique ami , mon frère , mon époux,
Abailard ! tu peux seul rappeler à la vie
Une amante , une soeur , une épouse chérie :
Les noms les plus sacrés nous unissent tous deux ;
Mon père ! de ta fille exauce enfin les voeux !
Ces pins majestueux qui , sur un roc sauvage ,
A la fureur des vents, livrent leur noir feuillage ,
Ce torrent débordé qui , le long des côteaux ,
دش
Sur un lit rocailleux précipite ses eaux;
Et de ce lac d'azur les ondes argentées ,
Par de légers zéphirs doucement agitées ,
...
:
i
K2
148 MERCURE DE FRANCE ,
Rien ne peut loin de toi suspendre ma douleur ;
Et la mélancolie habite dans mon coeur :
Elle siégé au milieu de ces tombeaux antiques ,
Et se traîne avec moi sous ces vastes portiques ,
Où règne un long silence , image du trépas .
Dans ces champs , dans ces bois si j'égare mes pas ,
Elle me suit : sa vue attriste la nature ,
Ternit l'émail des prés , et sèche la verdure;
Les cieux n'ont plus d'eclat , tout change , et les ruisseaux
D'un bruit triste et plaintif font gémir les échos.
Quoi ! dans ce lieu d'exil à vivre condamnée ,
Moi - même pour jamais je me suis enchaînée !
Ah ! du moins , sous ce marbre arrosé de mes pleurs ,
Quand la mort mettra fin à mes longues douleurs ,
La mort , l'unique bien où j'ose encore prétendre ,
Sans crime dans la tombe on joindra notre cendre.
DE WOLF.
VERS
1
Sur le Poëme de la PITIÉ.
, ,
QUAND Delille retrace en ses accords touchans ,
Le massacre d'un roi , le règne des tyrans ,
Sa muse à tous les yeux sait arracher des tarmes :
Ainsi que le plaisir , la douleur a ses charmes.
Les bienfaits d'un héros qu'admire l'univers ,
Le repos d'un État la liberté des mers
Une ligue puissante à ses pieds terrassée ,
Mille titres d'amour présens à la pensée ,
Et la gloire qui suit un chef toujours heureux ,
N'effacent point encor , dans un coeur généreux ,
Le triste souvenir d'un prince débonnaire ,
Que la pitié rappelle aux regrets de la terre.
Par le C. Α. Α.
GERMINAL AN XI. 149
ENIGME ...
Tout paroît renversé chez moi ;
Le laquais précède le maitre ;
Le manant passe avant le roi ;
Le simple clerc avant le prêtre ;
Le printemps vient après l'été ;
Noël avant la Trinité :
C'en est assez pour me connoître.
Par un abonné.
LOGOGRYPΗ Ε.
Ju marche sur huit pieds , et jamais je n'arrive .
Je suis , et l'on en conviendra ,
Une mer sans fond et sans rive ,
Qui jamais ne débordera.
Je suis un matin sans aurore ,
':
Un jour sans soir , que rien n'altérera.
J'ai tout vu , je vois tout ; je verrai tout encore .
Jamais on ne me comprendra :
Pourtant on me devinera ,
Parce qu'enfin tout se devine.
Voyons : en moi l'on trouve un vase de cuisine ;
Un lien autrefois en usage au palais ;
Un sel qui contribue à composer la foudre ,
Et que récèle aussi la poudre
Que n'a jamais craint le Français.
Je puis , de plus , et je m'en pique ,
i
Tout comme un autre , offrir ma note de musique.
Sept de mes pieds forment un nom ,
Propre au porte - faix misérable ,
Qui , sous le fardeau qui l'accable ,
K3
150 MERCURE DE FRANCE ;
Chancèle , fléchit , et se rompt
Cruellement le bas du râble .
J'ai vu bien plus d'une saison ;
Mais ce n'est pas une raison
Pour que j'en renferme plus d'une .
Je donne aussi la loi commune ,
Qui,dans un ordre respecté ,
Règle chaque solennité .
Le père incestueux des cinquante nageuses
Qui peuplent de Thétis les ondes orageuses ,
Chez moi se trouve encor ; mais j'en ai dit assez ,
Lecteur , et vous me connoissez.
PAR M. TR........
CHARADE.
Le géographe qui chemine
Trouve par fois mon premier mal borné ;
Mon second semble trop borné;
Dès que nos plaisirs il termine ,
Si mon entier paroît borné ,
Ne vous fiez pas à sa mine.
:
Par un abonné.
Mots de l'Enigme , du Logogriphe et de la
Charade insérés dans le dernier Numéro .
Le mot de l'énigme est Souris.
Celui du Logogriphe est Ronce , où se trouve once.
Le mot de la Charade est Volage.
GERMINAL AN XI. 151
Observations sur un passage d'Homère.
ON a eu occasion , dans l'avant-dernier numéro
du Mercure , de parler fort légèrement
d'un passage du vingtième livrede l'Odyssée,
où l'on a paru croire , à l'imitation de quelques
détracteurs d'Homère , que ce poète compare
Ulysse à un morceau de boudin qu'on tourne sur le
gril. Quoique cette expression , dans la circonstance
dont il s'agit , n'ait été employée que par
forme de plaisanterie , pour rendre plus sensibles
les naïvetés de ce grand poète, aussi bien
que celles d'un de ses traducteurs , qui néanmoins
, s'il faut en parler ici plus sérieusement,
est sans doute trop habile homme pour s'être
jamais imaginé qu'il fût question de boudin
dans les poëmes d'Homère ; quoiqu'il soit ,
dis -je, aisé d'apercevoir que, dans une expression
de cette nature , on n'a pas recherché
l'exactitude d'un auteur grave , mais qu'on s'est
livré à la légèreté d'un homme du monde, qui
ne se croit pas obligé de prendre tout au sérieux
, cependant des personnes d'un goût'sé ,
vère et délicat ont trouvé que c'étoit parler
d'Homère avec irrévérence , et que l'honneur
du Mercure était intéressé à réparer un telscan- >
dale. M. Gin , dans la lettre dont il nous a honorés
, nous a fait sentir, avec toute la politesse
imaginable , qu'une pareille bévuefrisait bien
le Perraut. Il est très-vrai que M. Perraut , qui:
ne savait pas le grec , est un de ceux qui ont
imputé à Homère la comparaison du boudin.
K4
152 MERCURE DE FRANCE ;
Mais il l'a fait avec un sérieux qui n'est pas
pardonnable . Boileau , qui n'entendait pas raillerie
; lorsqu'on touchait aux anciens , n'a réfuté
qu'avec trop de force une sottise dont il
fallait rire. Il a montré doctement que le boudinetles
ragoûts n'étant pas connus du temps
d'Homère , il était impossible qu'il en eût parlé
dans son poëme. Ce raisonnement était concluant
et il ne servait de rien , après cela , de
traiter du haut en bas le malheureux qui était
tombé dans cette méprise. La poésie d'Homère
estbien belle : la charité l'est encore plus. Souvenons-
nous toujours du beau caractère que
doivent avoir les lettres. (Humaniores litteræ.)
Ellesrendent les hommes doux et humains .
Ellesconsolent ; elles répandent quelques fleurs
sur la vie ; et l'on remarque en effet , dans le
miondel , que les personnes qui cultivent les
lettres pour elles - mêmes , ont un commerce
moins épineux , sont moins hérissées de prétentions,
moins empressées de faire paraître
leur esprit que les autres. Mais revenons à
Bodysseerom entre
-Il est donc certain qu'Homère ne parle pas
de boudin dans le passage en question, mais
de quelqu'autre mets alors en usage , et qui
était plein , à ce qu'il dit , de graisse et de sang ,
cars celsont: ses propres termes. Voilà ce qui
a-conduit Perraut à l'idée de son boudin ; et
comme le mot grec yasie est rendu par ventriculum,
je parie qu'il aura pris ce ventricule pour un
boyau de porc. Mais il est évident qu'Homère
a voulu parler du ventre de je ne sais quel
animal , qui apparemment était un morceau
GERMINAL ANXI. 153
choisi. Ordinairement pourtant c'était le dos
qu'on servait de préférence. Tout le monde
sait que le jour qu'Ajax vainquit Hector dans
un combat singulier , Agamemnon lui servit
pendant tout le repas du dos de la victime ,
qui était plus succulent , à ce que dit Homère.
Il semble , au premier coup-d'oeil , que ces détails
figureraient mieux dans le Cuisinier bourgeois
que dans un poëme épique. Mais il faut
songer que ce sont les peintures naïves des
premiers temps de la société. Les héros d'Homère
sont tous grands mangeurs . Vous les
trouvez perpétuellement à table. Vous voyez le
divin Achille qui coupe et qui embroche luimême
les viandes , tandis que le fils de Menætius
, semblable à un immortel , fait aller
la marmite. Je ne conçois pas que les admirateurs
d'Homère veuillent toujours trouver
de la noblesse dans des descriptions purement
familières . S'imaginent-ils que ce poète , qui
avait un naturel charmant, eût voulu couvrir
d'un style magnifique des choses simples et
communes ? Point du tout : c'était un homme'
de bon sens qui appelait les choses par leur
nom; et lorsqu'au neuvième livre de l'Iliade
vous le voyez qui s'occupe à remarquer que le
porc qu'Achille sert à souper aux députés d'Agamemnon
avait le dos couvert de lard , vous
sentez bien qu'un génie si familier se joue ,
comme à plaisir , dans les moindres détails de
la vie domestiqne. Et qu'y a-t-il à cela d'étonnant
, puisqu'il n'a fait que représenter les
moeurs d'un siècle plein de simplicité ? Dans
un temps où les princesses faisaient la lessive ,
154 MERCURE DE FRANCE,
les héros pouvaient bien faire la cuisine. Il ne
faut donc pas se révolter , lorsqu'on entend
dire qu'Homère a tiré quelqu'image d'un objet
qui paraît trivial ; et pour peu qu'on entre
dans ses idées et dans ses moeurs , on verra
qu'en bonne littérature il n'y a pas l'ombre de
scandale à lui attribuer quelque naïveté du
genre de cellé qu'on nous reproche , parce que
ces sortes de traits abondent dans ses ouvrages.
Au surplus , pour juger de la comparaison
del' Odyssée , il est bon de connaître la situation .
Ulysse est dans son lit , où il médite la perte
des amans de Pénélope , et il s'avertit lui-même
de contenir son ressentiment , qui est tout prêt
à éclater. Le poète peint le coeur de ce héros
plein de fermeté et de patience ; mais il ajoute
que son corps s'agitait et se tournait çà et là
sans pouvoir trouver le sommeil : sur quoi
arrive la comparaison d'un homme qui fait
cuire à un grand feu le ventre d'un animal
plein de graisse et de sang , et qui le tourne
de tous côtés , soit à la broche , soit sur le gril ,
car c'est un point que les commentateurs ont
oublié d'éclaircir ; il me semble que si l'on
cherche dans cet image ce qui peut se rapporter
à l'état d'Ulysse , on pourra éprouver
la tentation de croire que ce morceau qu'on
tourne et qu'on retourne sur le feu , est mis
là pour figurer l'agitation du héros qui se
tourne et se retourne dans son lit ; cette idée
a un air assez naturel. Boileau le nie fortement.
Il soutient au contraire le sentiment
d'Eustathias , savant commentateur du dou-
۱
GERMINAL AN XI. 155
zième siècle , lequel prétend que ce sont les
amans de Pénélope qui sont comparés à ce
ventre rôti ou grillé, et qu'Ulysse est comparé
à l'homme qui fait cuire ce ventre pour le
manger. Cela pourrait bien être , et j'y donne
les mains de tout mon coeur. Mais toujours
est-il vrai qu'il y a quelqu'un dans la comparaison
, qui se trouve figuré par le ventre
de l'animal. Qu'on dise après cela que c'était
un mets délicieux chez les anciens , et que notamment
le ventre de la truie , qu'on appelait
sumen , était défendu par une loi particulière
comme un morceau trop friand ; tout cela
n'empêche pas qu'une telle comparaison ne
justifie l'idée qu'on en a donnée. Ceux qui se
récrient si fort contre le boudin ont une singulière
délicatesse , s'ils trouvent quece ventre
plein de sang et de graisse offre une image
beaucoup plus relevée.
Ainsi, il faut toujours qu'on en revienne à
dire qu'Homère ne fait pas scrupule d'entrer
dans des détails de la dernière simplicité , au
lieu d'imaginer cinquante raisons forcées pour
prouver qu'il n'emploie jamais que des images
et des termes extrêmement nobles . Homère
disoit noblement ce qui étoit noble , et populairement
ce qui étoit populaire. Il peignoit
d'après nature. C'est ce qu'il faut dire , dans la
comparaison d'Ajax avec un âne , plutôt que
d'aller soutenir que cet animal n'avait rien
que de noble chez les Grecs. J'avoue que j'en
doute très-fort. M. de Buffon l'a , il est vrai ,
presqu'ennobli par ses éloges. Mais cependant ,
le mépris qu'on y attache a un fondement ;
156 MERCURE DE FRANCE ,
c'est son caractère entété et stupide. Les anciens
en avaient certainement la même idée ,
puisqu'ils le sacrifiaient à Apollon , comme
étant le symbole de l'ignorance. Cela se voit
dans Pindare , lorsqu'il dit , en parlant de
Persée , que ce héros assista aux fêtes où
l'âne est offert en hécatombe au dieu des
arts qui s'en réjouit.
Il faut donc dire simplement que les anciens
avaient le bon esprit de ne pas proscrire les
noms. C'est une grande leçon pour nous ; mais
pour bien entendre l'usage de ces termes familiers
, il faut faire attention qu'Homère
prend la plupart de ses images dans les scènes
de la vie champêtre , où l'âne joue un fort
grand rôle . Voilà ce qui l'a fait entrer dans
ses tableaux ; et , en effet , dans cette comparaison
d'Ajax , vous voyez le poète , au milieu
de la description d'une bataille , se complaire
, et comme se délasser à peindre un
paysage tout- à-fait naturel . C'est un âne qui
est entré dans un champ de blés mûrs , où il
se trouve fort bien , et que des enfans ont
beaucoup de peine à chasser à coups de bâtons .
Cela ressemble très-peu à l'armée des Grecs
et des Troyens. Mais cela est délicieux . Ce
sont des couleurs qui font contraste , et qui
reposent la vue fatiguée du spectacle des
combats. C'est là ce qui a fait d'Homère
le plus grand de tous les peintres , homme
vraiment unique dans l'art de donner de la
vie et de la variété à ses peintures .
C'est par ce moyen qu'on peut justifier et
même faire admirer une foule de passages
GERMINAL AN XI . 157
semblables , qu'on tourne si aisément en ridicule
, en les rapprochant de nos moeurs. Ainsi ,
lorsqu'Agamemnon raconte à Ulysse , dans les
enfers , qu'à son retour de Troye , Egysthe le
fit assassiner dans son palais , comme on égorge
un taureau dans une étable , Perrault , qui étoit
malin , fait dire à ce roi des Grecs , Egysthe l'a
assommé comme un boeuf. C'est traduireHomère
comme Voltaire traduisait l'Ecriture sainte .
Mais en ne s'arrêtant qu'au fond de l'image,
on voit assez que le génie du poète grec ne
dédaignait aucun des objets de la nature rustique
et grossière ; et , lorsqu'on songe à quel
sublime cela est mêlé , il faut avoir bien peu
de goût pour ne pas sentir qu'une telle simplicité
n'a rien qui dégrade la majesté antique
de ce prince de l'Epopée. Z.
Essais historiqués sur les causes et les effets de la Révolution
de France ; par C. F. Beaulieu ( 1 ) .
:
:
On dit que ce n'est point aux écrivains qui appartiennent
à la génération présente qu'il convient de publier
l'histoire de la révolution de France , et qu'il faut laisser
cette tâche à nos descendans . Plus calmes et moins intéressés
que nous à dénaturer les causes des événemens , les
intentions et les actions des hommes qui se sont montrés
sur la scène, on veut qu'eux seuls puissent retracer avec une
sévère impartialité les diverses catastrophes de cette révo-
( 1) Six vol . in-8°. Prix : 30 fr . et 36 fr. francs de port. A Paris
chez Maradan , libraire , rue Pavée-Saint-André-des-Arcs ; et chez
Je Normant , rue des Prêtres Saint-Germain-l'Auxerrois , n° . 42.
,
158 MERCURE DE FRANCE ,
1
lution , unique , sous plus d'un rapport , quoiqu'on en
dise , dans les annales du monde.
En effet , tous les Français qui ont vécu pendant cette
tourmente terrible , ont été d'une manière quelconque
ou oppresseurs ou opprimés; tous ont adopté , propagé
ou repoussé avec plus ou moins de vivacité et de passion
les principes séducteurs qui sont devenus le premier élément
des tempêtes révolutionnaires. Si les hommes qu'on
appelle philosophes ont les premiers imprimé le mouvement
au char enflammé , leurs impétueux élèves l'ont fait
rouler dans la carrière avec une incroyable vélocité , culbutant
tout dans leur délire , dispersant au hasard et les
hommes et les choses , écrasant dans sa route jusques aux
guides imprévoyans qui avaient entrepris de le diriger.
Parmi ceux qui ont pu se relever vainqueurs après un tel
bouleversement , peu sont jaloux de publier ou qu'on
publie les circonstances auxquelles ils doivent , les uns
leur salut , les autres leur fortune rapide ; et il est difficile
de croire que ceux qui n'ont conservé que la vie ,
soient dépouillés de tout sentiment de haine envers
ceux à qui ils doivent leur infortune. Dans ces deux
classes de Français qui les comprennent presque tous ,
peut-on espérer de trouver une plume réellement impartiale
? L'ami , je ne dis pas de la révolution en général
, mais seulement de quelques-uns des principes qui
l'ont fait naître , cachera toutes les fautes du parti auquel
il aura appartenu , ou parviendra à leur trouver une excuse
légitime. L'historien du parti contraire en supposera
qui n'auront pas été commises, ou donnera à celles qui
l'auront été , des couleurs fausses , des prétextes qui n'aurontjamais
existé. L'un déguisera , l'autre exagérera tout :
tous deux ne seront que des artisans de ténèbres .
Telles sont les réflexions qui se présentent , lorsqu'on
ouvre un livre qui traîte de la révolution de France. On
se persuade aussitôt que c'est un ouvrage de parti. La première
question qu'on fait au libraire en le marchandant ;
GERMINAL ANXI. 159
est de savoir sous quel drapeau a marché l'auteur , pendant
nos combats politiques ; l'on cherche moins l'instruction
et la vérité dans son récit , qu'un aliment aux passions
dont on aime à se nourrir encore ; on ne lit pas , on
feuillette avec avidité , pour retrouver des armes contre les
hommes qu'on a combattus.
Cependant , si un livre sur cette matière était composé
dans des principes sages , s'il était écrit avec décence , si
les hommes qu'il faut mettre en scène étaient souvent
plaints et jamais accusés mal-à-propos ; si l'auteur
traitant toujours ces hommes avec la politesse et le ménagement
que prescrit le caractère français , réservait
toute son énergie contre le crime en général ; si , ne hasardant
jamais ses assertions et ses jugemens sur des imputations
douteuses , il avait soin , pour prononcer avec
connaissance de cause , de rapprocher ces hommes et leur
conduite aux différentes époques de leur carrière politique
; s'il s'attachait à les faire connaître , non par ce
qu'on peut avoir publié sur leur compte , mais par les
discours qu'ils ont tenu et par les actes et les actions dont
ils se sont fait gloire; si , rattachant toujours les effets
aux causes , il prouvait par une exposition simple de
faits successifs et méthodiquement enchaînés les uns aux
autres , que telle faute , tel désastre sont résultés de telle
délibération , de telle démarche qui , au premier coupd'oeil
leur paraît étrangère ; un pareil livre ne serait pas
à dédaigner ; il pourrait même devenir un jour d'une
très-grande utilité , sur-tout à ceux qui , appelés à gouverner
les états , doivent apprendre quels ressorts on fait
jouer pour les détruire.
Ce qu'on dit de l'infidélité présumée des écrivains qui
ont vécu sous les tempêtes politiques , ne devrait point
faire rejeter ce livre; car enfin si les contemporains ne
rendent pas compte de la révolution de France , où le Tacite
futur , à qui il est réservé de la publier , ira-t- il
chercher ses matériaux ? Consultera-t-il exclusivement
160 MERCURE DE FRANCE ,
1
les archives des autorités publiques ? mais dans les temps
paisibles même , les gouvernemens ne publient guèresde
vérités que celles qu'il leur importe de faire connaître :
toutes celles qui peuvent leur nuire ou seulement leur déplaire,
sont soustraites avec soin et anéanties pour jamais ;
il n'y a que le hasard qui puisse les reproduire.
Dans les temps de révolution , il n'y a pour les autorités
dominantes ni vérité ni mensonge , mais un effroyable
chaos. Le parti qui triomphe momentanément est ou scélérat
ou vertueux , ou impudent ou véridique , suivant
qu'il est agité lui-même par la vague furieuse qui le
poursuit. Il parle , il crie , il écrit , il agit , il réagit
au gré des passions enflammées qu'on attise sans cesse autour
de lui : quand il fait le bien , c'est par hasard ; quand
il publie la vérité , c'est par accident. Je pense que la révolution
de France a assez bien démontré tout cela.
Il sera donc impossible aux écrivains futurs de déterrer
la vérité dans les archives de nos autorités révolutionnaires
, sans le secours des écrivains contemporains .
Peut-on espérer de trouver plus de ressources dans les recueils
de journaux qui , paraissant chaque jour , sont présumés
avoir publié tous les événemens que chaque jour a
vu naître ? Cela devaitêtre , et cependant rien ne sera plus
équivoque que la lumière que fourniront ces recueils.
Parmi les auteurs de journaux , les uns ont dénaturé les
faits , déifié ou noirci les hommes, pour servir le parti
qu'ils avaient embrassé. Les autres ont tout exagéré , tout
nié , tout supposé , ou avancé les faits les plus absurdes ,
soit qu'ils fussent aveuglés par leurs passions , soit que la
hache des bourreaux suspendue sur leurs têtes , ou la
perspective des déserts de la Guiane en fissent les artisans
du mensonge. L'écrivain à venir verra à chaque page la
liberté de la presse légalisée dans ces journaux , et ce sera
précisément à l'époque où cette liberté sera proclamée
avec plus de solennité , qu'elle sera enchaînée avec plus
de fureur : on forcera toutes les plumes à distiller le mensonge
GERMINAL AN XL 1 AFP.
FRA
-songe et la calomnie , lorsqu'elles paraîtront toutes appelées
à répandre , à célébrer librement toutes les vérités et
toutes les vertus .
Les philosophes , qui veulent tout voir en beau , nous
ont dit que la découverte de l'imprimerie avarepour ja
mais naturalisé la vérité sur la terre ; qu'ils daignean
instant jeter un coup-d'oeil avec moi dans l'abîme de la révolution,
et ils verront , sans même faire note de leurs
préceptes , quel énorme amas de mensonges a été amoncelé
par la presse ; combien , pour quelques leçons utiles
qu'elle a pu répandre dans ces temps orageux , de sentimens
pervers elle n'a pas enraciné dans le coeur des
hommes , combien d'innocens elle n'a pas perdus , combien
de brigands elle n'a pas élevés sur les ailes de la
fortune.
5.
Ce
Le bel art de l'imprimerie a subi et devait subir let
detoutes les inventions des hommes, et le mal etle biens'y
introduisent, au gré de leurs passions ou vertueuses ou perverses.
Depuis le commencement de la révolution jusqu'à
la crise du 10 août , la presse a été occupée à décomposer,
à bouleverser toutes les parties de l'ancien gouvernement ;
depuis le 10 août , elle a servi , de plus , à détruire les
hommes et les choses : on l'a employée contre le Ciel ( 1 ) .
Les journaux , qui sont le principal résultat de la
presse , pendant la révolution , ne peuvent donc qu'induire
en erreur les écrivains qui voudront en publier l'histoire
; ces écrivains ne pourront donc l'entreprendre sans
le secours des auteurs contemporains qui vivront encore
postérieurement aux temps des désordres , et sous un gouvernement
qui , étranger à ces temps malheureux , ait
intérêt de bien connaitre , d'éloigner les causes , et de pa
ralyser les principes de toute espèce d'anarchie.
(1 ) Voyez , dans l'ouvrage que j'annonce , les détails relatifs aux
fêtes de la Raison. Sous l'influence et avec l'assentiment de la Convention
, on y proscrit jusqu'à Dieu même.
41 L
162 MERCURE DE FRANCE ,
M. Beaulieu a cru et a eu raison de croire que ce gou
vernement existait , et il a publié son ouvrage : on y remarque
les caractères que j'ai indiqués plus haut , sans que
le système de composition qu'il a adopté exclue cependant
sur les hommes et sur les choses un certain ton de
hardiesse et d'indépendance que l'auteur a constamment
manifesté pendant le cours de la révolution. Il en a retracé
le mouvement en homme qui l'a étudié avec soin .
Présent à toutes les crises , observateur attentif de toutes
les machinations qui les ont produites , il en indique presque
tous les ressorts et jusqu'aux plus imperceptibles accidents
; il fait voir comment les actes en apparence les plus
indifférens sont cependant résultées les catastrophes les
plus terribles. Cet ouvrage est enfin , si on peut le dire
l'anatomie de la révolution , exposée pièce à pièce à la
curiosité des lecteurs.
,
L'ouvrage commence par une introduction contenant
environ quatre feuilles d'impression. C'est un exposé rad
pide de l'ancienne constitution monarchique , des principes
qui la dirigeaient et de ceux qui auraient dû la diriger;
l'auteur ne craint pas d'attribuer à la conduite des
hommes qui y avaient le plus d'influence , les premiers
désordres révolutionnaires et successivement le bouleversement
général dont il esquisse le tableau .
Ce morceau , à quelques légères taches près , qu'il est
aisé de faire disparaître , est bien écrit , et sur-tout raisonné
avec force. Après avoir prouvé que ceux qui gouvernaient
la France , immédiatement avant la révolution , ne méri
taient pas la qualification de despotes , mais une épithète
toute différente , il s'exprime ainsi :
« Mais en ouvrant toutes les sources d'où devrait décou-
>> ler le bonheur , avaient-ils , d'une main de fer , contenu
>> la perversité qui constamment marche à sa suite ?
>> Avaient-ils prévu que , dans la disposition des choses
>>>humaines , les grands maux sont l'inévitable consé-
» quence des grands biens , et que c'est ainsi que la nature
GERMINAL ANXI. 163
> se compose ? S'étaient- ils garantis eux-mêmesdu funeste
> poisonqui , en circulant dans les veines de l'état , deväit
>> en dissoudre successivement toutes les parties ?
>> Pour qu'un gouvernement puisse se soutenir , il faut
>> qu'il soit conforme à son principe ; que toutes les par-
> ties soient complettes et vigoureuses , que chacune
>> d'elles soit en harmonie avec son institution . Comme
>> société civile , le gouvernement français devoit avoir la
>> morale religieuse pour base fondamentale. C'est le
>> comble de l'aveuglement d'imaginer quelque chose
» pour la remplacer. Comme monarchique , l'honneur le
>> plus intact devait le diriger ; comme régulier la justice
>>civile , conforme à la justice religieuse , devait y faire
» régner la paix, assurer à chacun l'exercice de ses facultés,
>> et conserver à tous le fruit de cet exercice .
>> Iln'y a point , il ne peut y avoir de religion sans culte ;
>> de culte sans prêtres , d'honneur sans noblesse , de jus-
>> tice active sans magistrats judiciaires. Nous avons bien
>> vu des hommes qui avaient imaginé des constitutions ,
» où l'on devait se passer de tout cela ; mais nous ne con-
>> naissons point de peuples , sans excepter ceux qu'ils
>> ont prétendu gouverner , qui soient parvenus à exécuter
>> leurs systèmes. »
Parlant ensuite de la conduite tenue par la noblesse et le
clergé de France avant la révolution , il fait les reflexions
suivantes :
« On n'en n'a que trop dit sur tous ces désordres , qu'il
>> eût peut- être mieux valu dérober sous un voile officieux,
>>que de les livrer à la critique des nations par une sçau-
>> daleuse publicité. On a détruit , par cette imprudence ,
>> la possibilité de la réforme, et ouvert la carrière à des
>> bouleversemens inouis : car , du moment où le peuple
>> cesse de respecter le ministre de son culte , il commence
» à être prévenu contre le dogme qu'il enseigne ; bientôt
> il l'examine , il le décompose , il soumet aux raisonne-
> mens des questions qui ne peuvent être de son domaine;
La
164 MERCURE DE FRANCE ,
1
>> le raisonnement le conduit au doute sur un point , en-
>> suite sur un autre , et successivement sur tout : les prin-
>> cipesdu vice et de la vertu sont mis en problémes , et ne
>> se retrouvent plus au fond des coeurs ; l'égoïsme , l'isole-
>> ment , la férocité de la brute , s'y établissent et les états
>> sont dissous. Envain les auteurs de tant de maux effrayés
>> desdésordres que leur imprudence a fait naître , essayent-
>> ils de leur opposer pour digue , un inutile verbiage ,
>> qu'ils appellent morale philosophique. Leur prétendue
>>> philosophie n'est qu'un être hermaphrodite , qui détruit
sans cesse sans avoir la vertu de produire : c'est
>> un balón éphémère qui flotte au gré des vents , sans
avoir de point d'appui .
>> La religion ne peut pas plus être suppléée que l'Étre-
>> suprême dont elle dérive ; et c'est pour l'avoir tenté , que
>> dans tous les siècles , les états ont été renversés. Voilà un
>> des grands maux que le gouvernement de nos derniers
>> rois n'a pas assez prévu , qu'il a peut-être appelé par
>> sa négligence et quelquefois favorisé par son pen-
>>> chant. >>>
L'auteur revient souvent sur ces idées ; il faut voir les
principes qu'il pose , les raisonnemens qu'il fait , en comparant
, dans la même introduction , la révolution d'Angleterre
avec celle de France ; les différences qu'il fait
remarquer , relativement à la religion , dans les systèmes
qu'on a fait suivre aux deux peuples. Il prouve que
les chefs des états et les politiques de tous les temps que
les philosophes honorent spécialement , comme étant le
plus favorables à leur doctrine , n'ont jamais imaginé rien
de semblable à ce qu'on a vu de nos jours.
>> On a dit , écrit M. Beaulieu , que les révolutionnai-
>> res français n'ont été que les serviles imitateurs des sé-
>> ditieux qui ont désolé Rome , la Grèce et les empires
>> modernes ; et c'est sur-tout aux novateurs anglais qu'on
>> les a plus particulièrement assimilés : les uns et les au-
>> tres ont mis en mouvement une populace qu'ils avaient
GERMINAL AN XI. 165
۱
>> rendu furieuse.
1
...
0
>> Et si l'on excepte quelques variantes dans l'exécution
>> on dirait que ce sont les mêmes agens qui font mouvoir
>> les mêmes ressorts . Qu'on ne s'y trompe pas cepen-..
> dant , il existe dans leurs principes une différence es-
>> sentielle qui, quoique frappante , n'a pas été assez re-
>> marquée.
» En dirigeant ses premiers coups contre la religion.
>>catholique , un parti de révolutionnaires anglais avait
› bien essayé de substituer la simplicité des dogmes na-
>> turels à la doctrine d'une religion sociale ou révélée ,
>> c'est-à-dire , de remonter à l'état de nature , au lieu de
>> continuer l'état de société ; mais ces idées étaient trop
>> hardies pour un peuple qui n'avait pas encore parcouru
> toutes les phases de l'humaine perfectibilité . Il se con-
>> tența de déplacer les bases de sa înorale , et n'entreprit
>> pas de les détruire : il substitua un dogme révélé à
➤ un dogme révélé ; il réforma sa religion ( 1 ) , mais il
>> n'en détruisit pas le principe ; il changea la direction
> de l'arbre , mais il ne le déracina pas . Le dieu qu'on
>> adora fut toujours le même , et ses commandemens ,
>> toujours en harmonie avec les loix humaines , conti-
>> nuèrent d'assurer l'exécution de ces loix , par la crainte
> des mêmes supplices et l'espoir des mêmes récompenses.
» Le gouvernement , qui s'éleva enfin au-dessus des trou-
>> bles publics , protégea la nouvelle doctrine ; il voulut
v qu'elle fût la règle de sa conduite , le fondement de la
> morale du peuple et le premier appui de ses loix.
>> En se comportant ainsi , les révolutionnaires anglais
> ne firent que modifier leurs habitudes et leurs usages ,
» et la machine politique reprit facilement son mour
» vement accoutumé .
( 1 ) M. Beaulieu n'entend pas dire ici qu'il la rendit meilleure
mais seulement qu'il y fit des changemens .
L5
166 MERCURE DE FRANCE ;
>> En France , les partisans de la religion naturelle , ou
>> plutôt les adversaires de toute sociabilité , ont été plus
>> heureux que les puritains d'Angleterre. C'est leur système
qui est devenu le principe de la révolution. Ce
>> sont leurs maximes qu'on a développées pendant tout
>> son cours , et qu'on a posées pour base des institutions
>> qu'on a essayé de former : sous ce point de vue , là
>> France a présenté un spectacle encore inconnu dans
l'univers. On y avait bien aperçu , de distance en dis-
>> tance , quelques rois ou chefs de républiques professant
>> pour leur compte ce qu'on appelle , si mal-à-propos ,
>> les vérités philosophiques; mais on en citerait diffici-
>> lement qui eussent entrepris d'en faire la base de la lé-
>> gislation des peuples , en les proclamant comme règles
de moralité .
>> L'empereur Julien , si célébré par les philosophes ,
» pour avoir toujours professé leur doctrine , essaya
>> comme eux , il est vrai , de détruire la religion chré-
>> tienne , dans laquelle il avait été élevé . Il fut un grand
>> philosophe , sans doute , dans le sens qu'on donne au-
>> jourd'hui à ce mot ; mais il ne poussa pas le délire jus-
» qu'à vouloir faire des nations philosophes. Or , s'il dé-
>> truisit le temple du vrai dieu , il releva les autels de
>> ceux que beaucoup de nations croyaient encore véri
>> tables ; et cela pouvait être raisonnable dans la politi-
>> que d'un prince que les vérités évangéliques n'avaient
>> pu toucher ; car il suivait la maxime posée depuis par
>> Montesquieu : Rappeler les hommes aux maximes an-
>> ciennes , c'est ordinairement les rappeler à la vertu .
:
>> Ceux qui ont eu le plus de part à la révolution de
>> France , ne voulaient point détruire la véritable religion
>> pour en établir une fausse, ils feignaient de vouloir
>> laisser aux hommes la liberté de conscience ; mais leur
>>projet reconnu par leurs actions , fut d'anéantir tous
>> les cultes , et parconséquent toutes les religions qui ne
peuvent se soutenir sans culte. Quel pouvait être le
GERMINAL AN XI. 167
>> résultat d'une pareille entreprise ? Il était impossible
>> de le prévoir , car elle n'est appuyée d'aucun exemple. »
: On voit, dans ces citations , quels sont les principes
de M. Beaulieu ; elles peuvent aussi donner une idée de sa
manière d'écrire. Quant à ce qui concerne la narration ,
sa méthode est simple et aisée ; il ne court jamais après
le Inxe des expressions , et , sous ce rapport , son livre est
ce qu'il doit être , à la portée de tous les lecteurs , qu'il
intéresse tous pour le fond de ses récits .
MARG .....
Lettres Athéniennes , ou Correspondance d'un agent du
roi de Perse à Athènes , pendant la guerre de Péloponèse
( 1 ) .
Encore un ouvrage sur la Grèce ! Cette mine , toute
féconde qu'elle est , commence à s'épuiser un peu : tant
de mains y ont déjà fouillé , et ses richesses nous sont devenues
si familières , qu'on ne peut plus guères se flatter
de l'exploiter avec succès , à moins qu'on ne parvienne à
y découvrir quelques veines nouvelles , ou1 , ce qui est
peut-être plus difficile encore , à nous présenter sous un
aspect nouveau des objets si connus.
Ces réflexions , au reste , ne sont faites pour diminuer
ni la gloire des auteurs de la Correspondance Athénienne ,
puisque leur ouvrage date de 1741 , quoiqu'on ne l'ait
publié qu'en 1798 , ni même leurs succès parmi nous
( 1 ) Traduites de l'anglais par Alexandre- Louis Villeterque ,
correspondant de l'Institut : trois volumes in-8º . , avec 12 portraits , et
une belle carte de la Grèce : prix , 18 fr . , papier ordinaire , et 36 fr .,
papier vélin . A Paris , chez Dentu , libraire , palais du Tribunat , galeries
de bois , n° . 240 ; et chez le Normant , imprimeur-libraire ,
rne des Prètres Saint- Germain - l'Auxerrois , n. 42 .
,
L4
168 MERCURE DE FRANCE ,
en
puisqu'ils se trouvent , par un hasard heureux , avoir
suivi une route différente de toutes celles qu'ont parcourues
leurs nombreux concurrents. Barthélemi , qui n'a
pu (comme on le voit par ces dates ) ni servir de modèle
aux auteurs anglais , ni profiter lui-même de leurs recherches
; Barthélemi , pour qui chaque nouvelle comparaison
est un triomphe de plus ( 2 ) , semble avoir donné ,
nous traçant un tableau complet de l'ancienne Grèce ,
une attention plus particulière encore aux sciences , à la
littérature et aux arts : les auteurs des Lettres Athéniennes
ont , au contraire , pour but principal l'histoire , dans
son rapport avec la politique . On reconnaît là et le caractère
et le genre d'esprit de la nation ; aussi faut - il
convenir que cette partie de l'ouvrage est celle qui m'a
paru , en général , traitée avec le plus de talent , et offrir
par conséquent le plus d'intérêt .
Un grec de l'Asie mineure ( Cléander ) est envoyé à
'Athènes , pendant la guerre du Péloponėse , par le roi de
Persee , pour y observer la conduite , examiner les forces
et les ressources , pénétrer les secrets et la politique des
peuples qui dominaient la Grèce à cette époque. Il écrit
aux ministres de ce prince , à ses satrapes , à ses officiers :
( 2) Malgré toute mon estime pour quelques- uns des ouvrages publiés
sur la Grèce , je veux dire pour ceux où l'on a respecté la vérité
historique , sans laquelle un livre de ce genre n'est plus qu'un dangereux
roman , je ne crains pas d'affirmer qu'il existe un bien grand intervalle
entr'eux et le beau voyage de Barthélemi : je pense donc qu'il
est des places fort honorables après Anacharsis ; et que cet ouvrage
très- estimé parmi nous , ne l'est pas encore peut- être , sous certains
rapports , autant qu'il le mérite : combien d'hommes , par exemple,
se croiraient illustrés comme écrivains , s'ils avaient composé sculement
les élégies de Messénicus , qui tiennent pourtant si peu de
place dans cette riche composition !
GERMINAL AN X. 169
des détails sur les philosophes , les écrivains , les artistes .
d'Athènes ; peuvent bien trouver place dans cette correspondance
; mais on sent que la politique doit en être le
fond ; les événemens même de la guerre occupent moins
l'envoyé , que les causes et les résultats probables de cess
événemens ; et comme ces causes , comine ces résultats ,
tiennent au caractère des Athéniens ou des Spartiates , et
des chefs qui les dirigent , le tableau de ces deux républiques
et les portraits de leurs rois ou de leurs démagogues
, trouvent naturellement place dans ces lettres , et
en font même , selon moi , un des principaux charmes.
Les ministres ou autres sujets d'Artaxerxès , donnent de
même , dans leurs réponses à Cléander , des détails sur
l'histoire , le gouvernement , le luxe , les moeurs ou la religion
des Perses ; et ces détails , puisés en général dans
Hérodote ou Xénophon , se lient au sujet d'une manière
si simple et si naturelle , qu'ils intéressent sans distraire du
point de vue principal. Je n'en dirai pas autant d'une
correspondance qu'entretient avec Cléander un jeune
homme qui voyage , à la même époque , en Egypte . Ce
n'est pas que la peinture de cette contrée fameuse ne pût
être aussi attachante au moins que celle de la Perse ; mais
l'une tient essentiellement au sujet , l'autre lui est étrangère
; et l'on ne blesse jamais impunément , même dans
des lettres , cette règle d'unité qui est obligatoire , avec
certaines modifications , pour toutes les productions de
l'esprit indifféremment. Le voyage d'Egypte n'étant qu'un
épisode , devait , à ce qu'il me semble , être traité comme
tel : on aurait donc pu nous donner tous les mêmes détails
, en les donnant de suite et en deux ou trois lettres
un peu longues , pour n'y plus revenir ; mais ça été , je
pense , une idée fausse de la part des auteurs anglais, que
de faire durer cette correspondance épisodique presque
170 MERCURE DE FRANCE ,
aussi long-temps que l'action même , et de venir interrompre
à chaque minute la correspondance principale
par ces récits accessoires , qui risquent de fatiguer à la
longue , non par eux-mêmes , mais par la place où ils se
trouvent. Ce reproche , au reste , ne sert qu'à prouver
l'intérêt qu'inspire la lecture de l'ouvrage . Je dois ajouter
que tandis que Cléander écrit d'Athènes , un autre envoyé
du roi de Perse lui écrit à lui-même de Sparte , où il remplit
également une mission secrète.
Ces lettres ne sont point le résultat des recherches d'un
seul homme , mais le fruit du travail de plusieurs anglais
* éclairés , quoique d'un mérite très-différent. Cette manière
d'écrire , qui aurait dans tout autre genre des inconvéniens
incalculableess ,, en a beaucoup moins dans un ouvrage
en lettres , et aurait pu même avoir une sorte d'avantage
si chaque auteur se fut exclusivement chargé de la correspondance
d'un seul personnage , ce qui cût donné à chacun
d'entr'eux une physionomie plus décidée , et à tout
l'ouvrage un plus grand caractère de vérité. Les onze rédacteurs
au contraire ont cru pouvoir indifféremment
faire parler tour-à-tour tous les acteurs , ce qui met entre
les lettres d'un même personnage des différences que le
talent du traducteur a fait disparaître quant au style , mais
qu'il lui était impossible de dissimuler entièrement quant
au fond des idées. Parmi ces auteurs on distingue sur-tout
un comte de Hardwick , dont la manière de voir m'a paru
forte et profonde , la manière de présenter les faits ou les
réflexions , nerveuse et serrée ; aussi toutes ses lettres sontelles
pleines de choses , et sans être plus longues que les
autres , disent- elles en général beaucoup plus .
Je crois pouvoir ajouter , en me résumant ,, que les
Lettres Athéniennes sont dignes d'occuper une des premières
places après Anacharsis , et que si elles n'obtien
GERMINAL AN ΧΙ. 171
nent pas d'abord ( parce qu'elles ne ressemblent point aux
conversations frivoles et décousues d'un boudoir ou d'un
sallon ) un succès aussi rapide que tel autre ouvrage que
je pourrais nommer , ce sera tant pis pour nous , car elles
en méritent et en auront bien certainement un plus
durable.
Les auteurs de ces lettres doivent la plus grande reconnaissance
à leur élégant traducteur : son imitation est nonseulement
bien écrite , mais il a su donner encore à chaque
personnage un ton différent ettel qu'il devait l'avoir ;
mérite d'autant plus grand que la manière dont fut composé
l'ouvrage original lui opposait plus de difficultés . Je
neme permettrai qu'un seul reproche , encore ne le ferais
je pas à mille autres ; mais le courage avec lequel M. de
Villeterque a souvent défendu la cause du bon goût
autorise une pareille sévérité. On peut chez lui relever
de petites fautes , tandis que chez d'autres on ne reprend
rien pour avoir trop à reprendré. J'ai donc cru remarquer
dans sa traduction quelques néologismes , moins
deceux qui consistent à introduire des mots nouveaux ,
que de ceux qui naissent du rapprochement inusité ou recherché
des mots étrangers l'un à l'autre. Comme le néologisme
( si l'on veut bien me pardonner cette expression
populaire ) est le radotage des langues et l'avant-coureur
de leur caducité , les esprits sages doivent donc lui résister
de toutes leur sforces , afin d'éloigner , autant que possible
, cette époque desastreuse ; et il est essentiel sur-tout
qu'un défenseur de la bonne cause ne laisse pas pénétrer ,
à son insçu , ce dangereux ennemi sur ses propres terres ,
Dans sa préface , pleine de réflexions judicieuses ,
M. de Villeterque dit sur l'art et la difficulté de bien traduire
, des choses trop méconnues , et il les dit de manière
àramener tous ceux qui cherchent de bonne foi la vérité .
172 MERCURE DE FRANCE ,
quant aux autres , ce n'est point à eux sans doute qu'il s'a
dresse ; il n'a pas , j'en suis sûr , la prétention de pouvoir,
l'impossible . Jugeons sévèrement les mauvais ouvrages ,
quels qu'ils soient , c'est une justice , c'est même un devoir
dans l'état où se trouve notre littérature ; mais ne cherchons
à avilir aucun genre.
7.
Une réflexion dont on ne peut se défendre en lisant cet
ouvrage , c'est le rapport qui existe entre le despotisme
cruel et avilissant qu'Athènes exerçait jadis sur ses alliés ,
et le despotisme arrogant ou perfide qu'un état moderne
qui certes n'est pas Athènes , voudrait exercer aujourd'hui
sur toutes les puissances maritimes : ce fut ce despotisme
qui causa la chute d'Athènes à la fin de la guerre du
Péloponėse.
HENRI COIFFIER .
VARIÉTÉS.
LA PITIÉ , poëme en IV chants , par J. DELILLE.
Un poëme où l'on parle de la révolution , devait être
jugé avec passion , et c'est ce qui est arrivé au poëme de
la Pitié , par M. Delille. Nous n'entreprendrons point de
juger tous les jugemens contradictoires , et encore moins
de faire une analyse raisonnée d'un ouvrage que tout le
monde a lu , et qui , malgré quelques légers défauts , relevés
avec amertume , a réuni les suffrages du public.
M. Delille a peint tous les malheurs de l'humanité , et
chacun de ces malheurs est représenté avec les couleurs
qui lui sont propres. Ses tableaux sont plus doux , quand
il représente la pitié dans les champs et dans le sein des
foyers domestiques. Il emploie des couleurs plus sombres
pour peindre les maux qu'on éprouve dans les grandes
villes. Enfin, son ame se déploie toute entière dans la peinGERMINAL
AN XI. 173
ture de la guerre civile , de la guerre étrangère , et des
catastrophes de la révolution.
Nous nous bornerons à citer quelques traits de ces différents
tableaux. Rien n'est plus touchant que l'épisode de
Fidelia. Le poète parle de la piété filiale , et son héroïne
en offre le modèle .
Un amant l'adorait , tel que le dieu d'amour
L'eût choisi pour charmer les nymphes de sa cour ;
Elle-même admirait sa grace enchanteresse ,
Mais l'amour filial étouffait sa tendresse ,
Et d'un père chéri , les douleurs , les besoins ,
Sans remplir tout son coeur , occupaient tous ses soins ;
Son ame dévouée à ses doux exercices ,
Ason vieux domestique enviait ses services ,
Les plus humbles emplois flattaient son tendre orgueil ;
Elle-même , avec art , dessina le fauteuil ,
Qui , par un double appui , soutenant sa faiblesse ,
Sur un triple coussin reposait sa vieillesse .
Elle-même , à son père , offrait ses vêtemens ,
Lui préparait ses bains , soignait ses vêtemens.
Scuvent quand la beauté , méditant des conquêtes ,
Se paraît pour le bal , les festins ou les fêtes ,
Elle , auprès du vieillard , au coin de leurs foyers ,
Ecoutait le récit de ses exploits guerriers ,
Dansait , pinçait du luth , tantôt avec adresse
Lui chantait les vieux airs qui charmaient sa jeunesse .
Ces vers et ceux qui suivent, sont d'un charme inexprimable
; à ce tableau touchant et pathétique , nous oppo
serons la peinture de la guerre civile.
Plus terribles cent fois et cent fois plus cruelles ,
Ces guerres où le sang teint les mains fraternelles ,
Où s'arment en fureur , pour le choix des tyrans ,
Sujets contre sujets , parens contre parens :
Là, sous des traits hideux , s'offre la race humaine;
Plus forts sont les liens et plus forte est la haine ;
174 MERCURE DE FRANCE ,
Et dans ce choc affreux ,
Toujours les plus vengés sont les plus malheureux ;
Prêtres saints , cachez-vous ; fermez le tabernacle,
Epargnez à mes yeux l'effroyable spectacle
De vos corps déchirés sous vos parvis sanglants;
De la vierge , à genoux , leur rage ouvre les flancs ,
S'irrite sans obstacle , égorge sans colère ,
Et s'il n'est teint de sang l'or ne saurait leur plaire;
Tout ce quidu passé gardait le souvenir ,
Tout ce qui promettait un bonheur à venir ,
Tout ce qui du présent accroît la jouissance,
Les monumens des arts , ceux de la bienfaisance ,
Tout subit leur fureur : s'il offre un trait humain ,
L'airain trouve un bourreau , le marbre un assassin.
Ce tableau de la guerre civile est suivi d'un épisode
heureusement amené , et dans lequel le poète retrace deux
camps de la Vendée , volant l'un vers l'autre dans un moment
de trève. Toutes les animosités sont oubliées , toutes
les fureurs suspendues , la nature et le sang reprennent
leurs droits , et tout - à-coup cette allégresse universelle ,
cette expression des plus doux sentimens , est interrompue
par le signal qui rappelle les deux partis à leurs drapeaux
parricides.
Cet épisode est plein d'énergie ; le poète semble avoir
épuisé ses couleurs , en retraçant les horreurs de la guerre
civile : mais son génie prend de nouvelles forces , il s'accroît
avec les difficultés , et les tableaux qui suivent sont
tracées d'une main plus vigoureuse. Qui n'a pas frémi à
cette peinture de la terreur ?
La hache est sans repos , la crainte sans espoir ,
Le matin dit les noms des victimes du soir;
L'effroi veille au milieu des familles tremblantes ;
Les jours sont inquiets et les nuits menaçantes ;
Imprudent , jadis fier de ton nom , de ton or ,
Hâte-toi d'enfouir tes titres , ton trésor ;
Tout ce qui fut heureux demeure sans excuse,
L'opulence dénonce et la naissance accuse ;
GERMINAL AN XI. 175
Pour racheter tes jours , en vain ton or est prèt ,
Le fisc inexorable a dicté ton arrêt ;
L'avidité peut vendre une paix passagère,
Mais elle veut sa proie et la veut toute entière ;
Tout prend un coeur d'airain : la farouche beauté
Préfère à notre scène un cirque ensanglanté ;
Le jeune enfant sourit aux tourmens des victimes ;
Les arts aident le meurtre et célèbrent les crimes .
La mort infatigable a volé sur les ondes ;
Ministres saints ! du fer ne craignéz plus les coups ,
Le baptême de sang est achevé pour vous ;
Par un art tout nouveau , des nacelles perfides
Dérobent sous vos pas leurs planchers homicides ;
Et le jour et la nuit , l'onde porte aux échos ,
Le bruit fréquent des corps qui tombent dans les flots .
Ailleurs , la cruauté fière d'un double outrage ,
Joint l'insulte à la mort , l'ironie à la rage ,
Et submerge , en riant de leurs civiques noeuds ,
Les deux sexes unis par un hymen affreux.
Le troisième chant d'où ces vers sont tirés , est presque
tout entier écrit avec le même talent et la même force.
Nous ne pouvons nous refuser au plaisir de citer encore
quelques vers sur la journée du 6 octobre 1789.
La reine à ce signal , inquiète et troublée
•Son enfant dans les bras s'enfuit échevelée ;
Tandis que de sa porte ensanglantant le seuil
Sa garde généreuse expire avec orgueil ,
Et que la pique en main la cohorte infernale
Plonge le fer trompé dans la couche royale.
Tous ces vers sont très-beaux , et le dernier est du plus
grand effet.
Ce troisième chant n'est pas seulement remarquable
par la richesse des tableaux , mais par la sagesse de la composition
; l'intérêt va toujours croissant ; les transitions y
sont toujours heureuses ; chaque individu de la famille de
Louis XVI est représenté avec les couleurs qui lui sont
176 MERCURE DE FRANCE ,
propres ; et après avoir retracé les horreurs de la révolution
, le poète prend un ton plus dous ; il célèbre les
vertus qui ont brillé dans ces temps malheureux ; il célébre
sur-tout le courage des femmes , et l'esprit du lecteur
, fatigué par tant de calamités , se repose agréablement
dans l'heureux et charmant épisode des jeunes
filles de Verdun .
Peut-être pourrait-on reprocher à M. Delille d'avoir
fait un quatrième chant moins intéressant que le troisième
; mais ce quatrième chant est encore rempli de
vers agréables et brillans. La fuite , la dispersion et les
malheurs des émigrés , y sont souvent retracés d'une manière
touchante ; l'épisode de deux français réfugiés sur
les bords de l'Amazone , à quelques taches près , offre
un très-grand intérêt , par la vérité et l'originalité de la
situation . Tout le monde a lu avec plaisir les vers sur le
rétablissement du culte et des fêtes champêtres que la religion
a consacrées . On a beaucoup critiqué le poëme de
la Pitié dans les journaux ; les uns ont répété des lieux
communs ; d'autres ont mis beaucoup d'importance à relever
quelques hémistiches ; la plupart des journalistes
ont fait des critiques plus politiques que littéraires , tous
ont mis dans leurs censures plus ou moins de passion et de
partialité ; mais aucun ouvrage n'a jamais été plus répandu
, et personne ne l'a jugé d'après les journaux .
Lefaux Dauphin actu llement en France (1 ) .
On sait que six Demetrius ont été successivement recommus
en Russie , que des rois même ont réussi à en
( 1) Ou Histoire d'un Imposteur se disant le dernier fils de
Louis XVI, rédigée sur pièces authentiques , par Alphonse B. Deux
volumes in- 12 . Prix : 3 fr . et 4 fr. francs de port. A Paris , chez
Lerouge, imprimeur-libraire , passage du Commerce , cour de Rohan ,
ét chez le Normant, imprimeur du Journal des Débats , rue des
Prètres Saint. -Germain-l'Auxerrois, nº. 42.
placer
:
GERMINAL AN XI. 177
placer deux sur le trône ; il est vrai qu'ils n'y restèrent pas
long-temps et que des catastrophes sanglantes les en firent
descendre. On a vu de faux messies , de faux Néron , de
fausses Jeanne - d'Arc . Dans tous les temps il y a en des imposteurs
; mais ces aventures qui tiennent du fabuleux ,
dit Voltaire , n'arrivent point chez les peuples porcés Het forme degouvernement régulière. A l'époque
qur
Hervagault , fils d'un tailleur de Saint - Lô , conçut le projet
de se faire passer pour le dauphin , nous sortions à peine
de nos désordres ; mais quoique nous fussions presque des
barbares , nous n'étions pas , du côté de la crédulité, des
Français ou des Russes du seizième siècle .
Né avec une imagination bouillante et déréglée , et
doué d'une figure intéressante , Hervagault étonnait sa
propre famille par des dispositions et des goûts au-dessus
de sa naissance. Il passait dans son pays pour le fils du duc
de Valentinois . Ce fut au mois de septembre 1796 qu'il
quitta , pour la première fois la maison paternelle. Il n'était
alors âgé que de seize ans. Il parcourt d'abord le département
de la Manche , et se fait arrêter à Cherbourg ;
il passe ensuite de la Manche dans le Calvados : il se dit
tantôt le fils de madame de Lavaucelle , tantôt le fils du
prince de Monaco : d'autres fois , le fils du duc d'Ursel ;
il se fait arrêter de nouveau et traduire à Bayeux. Rendu
à ses parens , il s'échappe encore de la maison paternelle ,
pour errer dans la ci-devant Bretagne et dans l'Orne . Il
va d'Alençon à Laval , et passe quelque temps chez mademoiselle
Talon-Lacombe , où il joue le rôle d'un grand
seigneur émigré rentré . Il se rend à Meaux , chez madame
la Ravine , qui lui donne quelque argent : il va de-là
à Châlons- sur-Marne. Il erre dans la commune de Méry ,
où il est arrêté , après s'être donné pour le fils de M. de
Longueville ; il est transféré dans la prison de Châlons , et
c'est dans cette prison qu'il se fait passer mystérieusement
11 M
178 MERCURE DE FRANCE ,
pour le dauphin dernier , fils de Louis XVI , enlevé secrètement
du Temple .
Pressé dans son interrogatoire , il finit par déclarer son
véritable nom.
Le tribunal rendit unjugement interlocutoire qui renvoyaHervagault
devant l'administration centrale du département
de la Manche pour décider s'il était émigré ou s'il
était réellement le fils du tailleur Hervagault. Le prétendu
dauphin subit l'épreuve , et fut , à sa honte , proclamé
administrativement le fils d'Hervagault , tailleur à
Saint- Lô . Reconduit à Châlons , le tribunal correctionnel ,
malgré les efforts de ses nombreux partisans , le condamna
, le 15 floréal an 7 , à un mois d'emprisonnement,
comme ayant abusé de la crédulité publique à l'aide de
faux noms et d'un crédit imaginaire. Ce jugement , peu
rigoureux , fut regardé par les initiés comme un coup de
parti ; mais ils sentirent que la police allait surveiller leur
idole: il fut fait une collecte , et l'illustre prisonnier ,
muni d'argent et couvert de bijoux , se dirigea vers le
Calvados , et s'arrêta aux environs de Vire. Il chercha à y
fairedesdupes : mais ayant été dénoncé par la femme d'un
cultivateur , il fut condamné par le tribunal correctionnel
de Vire , à deux années d'emprisonnement. Ses bons amis
ne l'abandonnèrent pas , et il dut à leurs soins des adoucissemens
au sort qui l'attendait pendant cette détention .
Le premier usage qu'il fit de sa liberté , fut de se rendre
à Châlons. Mais comme son arrivée fit quelque bruit ,
et qu'il était déjà connu dans cette ville , on jugea prudent
de le faire conduire à Vitry. Cette ville fut le théâtre
de son plus grand triomphe : il y trouva de bonnes âmes
disposées à croire le romanqu'il avait composé pendant
les deux années que dura sa détention à Vire. Nous ne le
suivrons point dans le fil des événemens qu'il raconte
comme lui étant arrivés: il suffira de dire qu'il annonce
天人
GERMINAL AN XI. 179
' être sorti du Temple , caché dans une voiture de linge
sale ; pour qu'on ne s'aperçut pas de sa disparution , on
substitua à sa place le fils d'Hervagault qui avait de la
ressemblance avec lui ; mais ce jeune homme , à qui
on avait fait prendre un narcotique si violent qu'il dormit
tout le long de la route de Saint-Lô à Paris , mourut des
suites de ce somnifere peu après qu'il fut entré au Temple.
Le prétendu dauphin , à sa sortie de prison , fut , à ce qu'il
dit , conduit à l'armée de Charrette ; de-là il passa en
Angleterre ; il reçut le meilleur accueil du roi et des princesses
ses filles ; il raconte qu'un jour il donna un soufflet
au roi , ce qui , ajoute-t-il , me parut très-juste de la part
d'un roi de France envers un roi d'Angleterre ; il m'en
punit , continue-t-il , en m'embrassant , ce qui me parut
aussi très-convenable de la part d'un roi d'Angleterre envers
un roi de France. Il quitta Londres et se rendit å
Lisbonne , où il devint amoureux d'une princesse de Portugal
; il passa ensuite à Rome , et revint en France , où
ses nombreux partisans devaient le placer sur le trône de
ses pères ; mais le 18 fructidor renversa ce trône ; personne
assurément ne s'en était douté jusqu'à présent. Il rattache
à cette époque les diverses poursuites dirigées contre lui
et dont nous avons parlé .
C'est à l'aide de ce conte ridicule qu'un jeune homme
devingt ans est venu à bout de séduire plusieurs des principaux
habitans de Vitry , d'un âge mûr , et remplissant
des fonctions qui supposent du jugement et de la raison.
Il fut arrêté dans cette ville , condamné à Châlons , à
quatre années d'emprisonnement : cette sentence a été
confirmée par appel au tribunal criminel de la Marne
le 13 germinal an X. On croit lire les aventures des
Mille et une Nuits , lorsqu'on parcourt cette histoire.
Nous avons grand tort de rire aux dépens de nos bons
ayeux , quand nous sommes témoins de pareilles folies,
,
M 2
180 MERCURE DE FRANCE ,
ΑΝΝΟNCES.
BIBLIOTHÈQUE MÉDICALE , ou Recueil périodique
d'extraits des meilleurs ouvrages de médecine et de
chirurgie ; par une société de Médecins .
Cet ouvrage , quoique annoncé sous une forme périodique,
ne doit pas être considéré comme un nouveau journal
de médecine ; le but des rédacteurs n'est pas de recueillir
des faits extraordinaires ou des découvertes équivoques
, mais de rassembler dans une sorte de dépôt public
toutes les connaissances positives dont la science médicale
s'est enrichie dans ces derniers temps ; de présenter
un tableau fidèle de son état actuel , et d'en suivre pas à
pas les progrès. Pour atteindre ce but , ils donneront des
extraits étendus et détaillés des ouvrages les plus estimés
et les plus récens , et continueront le même travail pour
ceux qui paraissent chaque jour et qui paraîtront dans la
suite . Ces extraits ne seront pas bornés à faire connaître
le plan de l'auteur , et quelques-unes de ses idées principales
; ce seront des analyses raisonnées qui , dans un cadre
étroit , renfermeront toute la substance de l'ouvrage , et
en conserveront tous les résultats utiles. On y joindra
même quelquefois des extraits des auteurs anciens , afin
de faciliter au lecteur la comparaison de leur doctrine
avec celle des modernes , et de les mettre à même de s'éclairer
par ces rapprochemens. En un mot , le praticien et
l'élève , celui qui sait déjà et celui qui ne sait pas encore ,
pourront puiser dans cet ouvrage une instruction toujours
abondante et solide , et suivre avec facilité la marche de la
science .
Les rédacteurs recevront avec plaisir les mémoires et
ouvrages inédits , et les inséreront soit en entier , soit par
extrait , suivant leur étendue et le dégré de leur importance.
La Bibliothèque médicale commencera à paraître dans
le courant de prairial prochain; on en donnera régulièrement
un cahier du 25 au 30 de chaque mois ; chacun de
ces cahiers aura huit feuilles d'impression , in-8° . Trois
cahiers formeront un volume. Le prix de l'abonnement
pour Paris est de 11 fr. pour six mois , 20 fr . pour l'année ;
pour les départemens , de 15 fr. 50 cent. pour six mois ,
25 fr. pour l'année . On s'abonne chez MM. Gabon , place
de l'Ecole de Médecine , à Paris ; et chez les principaux
libraires de la France et de l'étranger .
GERMINAL AN XI. 181
POLITIQUE.
Les nouvelles anglaises de cette semaine n'ont amené
aucun changement , aucun éclaircissement ; le roi est revenu
de Windsor àLondres , on a tenu des conseils , on
a reçu et fait partir des couriers , on a vingt fois décomposé
et recomposé le ministère , tout cela n'est pas nou
veau. Le parlement s'est ajourné la veille de Pâques jusqu'au
19 avril , et l'on a remarqué que le parti Grenville
n'a demandé aucune explication aux ministres , ce qui
fait croire , non que lord Grenville rentrera au ministère,
mais qu'il en a le désir , et qu'il regarde comme inutile
d'attaquer M. Addington , tant qu'il conserve l'espoir
d'un arrangement avec lui. Un seul membre s'est levé
pour demander ce que voulait dire tout ce qui se passe
en Angleterre depuis un mois; mais comme cela aurait
exigé trop d'explications , on a trouvé plus simple de ne
pas lui répondre.
Les cérémonies de la présentation du général Brune ,
ambassadeur près la sublime porte , ont eu lieu à Constantinople
, avec toute la pompe et lamagnificence orientales .
Dans son discours l'ambassadeur qualifia ainsi sa hautesse :
Très-haut , très- excellent , très-puissant et très-magnanime
et invincible empereur des musulmans , sultan Selim , en
qui resplendissent l'honneur et la vertu. Après les cérémonies
, il y eut chez l'ambassadeur un dîner où furent
invités les drogmans , les négocians français , et les commissaires
des relations commerciales. Tout le corps diplomatique
vint le même jour complimenter l'ambassadeur.
La journée fut terminée par un grand bal.
L'archiduc grand duc a cessé de porter les ordres de
Toscane ; l'empereur , son frère , lui a envoyé pour les
reimplacer la grande croix de l'ordre de Saint-Etienne.
Des lettres de Lemberg annoncent que les ordres ont
été donnés de former à Czuniow un magasin de fourrage
assez considérable pour nourrir seize mille chevaux , faisant
partie d'un corps d'armée qui doit s'assembler dans
les environs de cette ville. Les mêmes lettres ajoutent
qu'il se prépare dans les deux Gallicies de grands changemens
, qu'on ne tardera pas à connaître.
On mande de Pirmont que l'épouse du comte de Lille
est rétablie de la maladie dangereuse qu'elle a éprouvée.
1
M 3
182 MERCURE DE FRANCE ,
TRIBUNAT.
Le tribunat , dans sa séance du 17 germinal , a entendu
un rapport de Carret sur le projet de loi concernant l'organisation
des écoles de pharmacie. Il a adopté le projet
de loi relatif à la révision des jugemens qui ont réintégré
des communes dans la propriété de bois ou droits d'usage ,
et s'est ajourné au 19.
- Séance du 19. Le tribunat , sur le rapport de Cuinard
, adopte à l'unanimité le projet de loi portant fi sation
de délai pour la signification des procès-verbaux de
contravention à la loi du timbre ; et sur le rapport de
Perrin, le tribunat adopte également à l'unanimité le
projet de loi relatif aux manufactures , arts et métiers. Il
adopte aussi à l'unanimité le projet relatif à l'organisation
des écoles de pharmacie , et s'ajourne au 22.
Séanco du 22. - Les commissaires et les administrateurs
de la caisse du commerce réclament contre le projet
de loi relatif aux Banques. Costaz , au nom de la section
des finances , propose l'adoption de ce projet. Ajournement
.
A la suite d'un rapport de Boutteville , le tribunat
adopte à l'unanimité moins une voix , le projet de loi
concernant les adoptions postérieures au 18 janvier 1792,
et antérieures à la promulgation du code civil .
Mallarmé , au nom de la section des finances , propose
P'adoption du projet de loi relatif au mode de perception
de la contribution foncière assise sur les biens comnnaux.
Ajournement.
CORPS LÉGISLATIF.
Séance du 17 germinal.-Les conseillers-d'état Berlier
et Miot presentent un projet de loi sur les adoptions postérieures
au 18 janvier 1792 , et antérieures à la puləlication
du code civil; le corps législatif passe ensuite à la
discussion du projet de loi relatif au sursis des poursuites
contre les communes du Mont-Tonnerre , de Rhi -et-
Moselle, de la Roër et de la Sarre, et après avoir ent indu
GERMINAL AN XI . - 183
en faveur de ce projet , Trouvé , orateur du tribunat , il
le sanctionne , à la presqu'unanimité.
Les conseillers-d'état Regnault ( de Saint- Jean-d'Angely )
et Ségur présentent 1 °. un projet relatif aux fermiers de
biens communaux , portant : Ces fermiers seront tenus de
payer , à la décharge des communes , et en déduction du
prix du bail , le montant des impositions assises sur ces
propriétés ; 2°. un autre projet de loi relatif au remplacement
des contributions mobiliaire et somptuaire de
Paris.
Séance du 18. - On introduit les conseillers-d'état Réal
et Thibaudeau ; ce dernier propose un projet de loi
concernant les délais des assignations données aux parties
domiciliées dans les colonies. Le même orateur présente
un autre projet de loi sur l'augmentation des juges du tribunal
criminel du département de la Seine. Le gouvernement
se propose , dit l'orateur , d'attribuer au tribunał
criminel de la Seine la connaissance des crimes commis
contre la sûreté de la république dans les colonies. Les
juges de la Seine seront absolument étrangers aux crimes
sur lesquels ils devront prononcer : ils seront donc indépendans.
Leur impassibilité sera en outre garantie par l'intervalle
immense des loix , qui interdira toute communication
officieuse. Cette loi n'aura d'effet que pour cinq
ans.
Le conseiller-d'état Thibaudeau est remplacé à la tribune
par son collègue Réal , qui présente un projet de
loi sur les effets du divorce , avant la publication du code
civil. Ce projet ne contient qu'un article : il est ainsi
conçu :
Tous divorces prononcés par des officiers de l'état civil ,
ou autorisés par jugement , avant la publication du titre
du code civil relatif au divorce , auront leurs effets , conformément
aux loix qui existaient avant cette publication.
Al'égarddes demandes formées antérieurement à la même
époque , elles continueront d'être instruites : les divorces
seront prononcés et auront leurs effets , conformément
aux loix qui existaient lors de lademande.
:
Séance du 19.- Le conseiller-d'état Treilhard expose
les motifs d'unprojet de loi sur les successions. Cette loi
ouvrirá le troisième livre du code civil.
Le corps législatif sanctionne , à la majorité de 199
M
184 MERCURE DE FRANCE ,
boules blanches contre 5 noires , le projet de loi concernant
la révision desjugemens qui ont réintégré des communes
dans la possession de bois et droits d'usage.
Le président lit un message par lequel le gouvernement
annonce qu'il a arrêté de retirer le projet de loi sur les
Banques , et invite le corps législatifà lui en faire le
renvoi .
Immédiatement après cette lecture , on introduit le
conseiller-d'état Cretet , chargé de présenter un projet de
loi sur les Banques. Citoyens législateurs , dit - il , les
régens et censeurs ont transmis au gouvernement des
observations sur deux articles du projet de loi . Ces observations
bien examinées , n'effectent en rien le système de
la banque. Ces observations ont paru être en même-temps
le voeu de la banque , et comme il peut se concilier trèsbien
à l'intérêt public et à celui des actionnaires de la
banque , le gouvernement est disposé à accéder à ce voeu.
L'article 2 du projet de loi présenté le 14 , fixait le capital
de la banque à 45 millions au moins.
Cette disposition a fait craindre aux actionnaires de voir
s'accroître le capital de la banque dans une proportion
indéfinie , pendant la durée du privilége , et de voir ainsi
se créer de nouvelles actions qui s'associeroient au partage
des bénéfices. En conséquence , le gouvernement s'est
déterminé à la suppression de la condition au moins. En
sorte que le capital de la banque sera irrévocablement fixé
à 45 millions pendant la durée du privilége.
, L'article 8 du projet fixait à 6 pour cent le dividende
à partir du 1. vendémiaire an 12. Les régens et censeurs
ont fait remarquer que les actionnaires ,accoutumés à un
fort dividende , éprouveroient un décroissement trop rapide
dans leur jouissance , par l'effet d'un passage aussi
brusque. Le gouvernementn'a vu , dans les représentations
faites par les régens et censeurs de la banque de France ,
qu'unedémarchedejustice et de prudence , qu'une preuve
de zèle , vraiment louable , pour les intérêts des actionnaires
, et il n'a point fait difficulté de se rendre à leur
désir , en ajournant jusqu'au 1. vendémiaire an 13 , la
réduction du dividende à 6 pour cent , d'abord fixé au
1. vendémiaire an 12 .
L'orateur lit le projet de loi. C'est le même que celui
proposé le 14 germinal ( dont nous avons donné le texte )
sauf les modifications apportées aux articles II et VIII ,
dont voici la rédaction définitive .
GERMINAL AN XI . 185
Art. II. Le capital de la banque de France sera de 45
mille actions de 1000 fr . chacune en fonds primitifs , et
plus du fonds de réserve .
er
Tout appel de fonds sur ces actions est prohibé.
VIII. Le dividende annuel , à compter du 1. vendémiaire
an 13 , ne pourra excéder 6 pour 100 pour chaque
action de 1000 francs .
Il sera payé tous les six mois.
Le bénéfice excédant le dividende annuel sera converti
en fonds de réserve.
Le fonds de réserve sera converti en 5 pour 100 consolidés
, ce qui donnera lieu à un second dividende .
Le fonds de réserve actuel sera aussi converti en 5
pour 100 consolidés .
Le dividende des six derniers mois de l'an 11 sera réglé
suivant les anciens usages de la banque .
Le dividende de l'an 12 ne pourra excéder 8 pour 100 ,
y compris le dividende à provenir des fonds produits du
fonds de réserve .
La discussion du projet s'ouvrira le 24.
La séance est levée et indiquée à lundi.
PARIS.
Une décision du ministre de l'intérieur vient de fixer
le mode d'exécution de l'article 47 de la loi du 18 germinal
, ainsi conçu : - Il y aura dans les cathédrales
et paroisses une place distinguée pour les individus catholiques
qui remplissent les autorités civiles et militaires .
D'après les explications données par le ministre , l'expression
individus , dont la loi fait usage , prouve que
tout fonctionnaire qui exerce une autorité civile ou militaire
, ou qui est membre d'un corps formant une autorité ,
a droit à une place distinguée dans l'église de sa paroisse.
Le gouvernement de la république a pris , le 19 germinal
, l'arrêté suivant :
I. Il y aura auprès des ministres et des sections du conseil-
d'état , seize auditeurs destinés , après un certain
nombre d'années de service , à remplir des places dans la
carrière administrative et dans la carrière judiciaire. Il
seront distribués ainsi qu'il suit : Quatre auprès du grand
186 MERCURE DE FRANCE ,
juge ministre de la justice , et de la section de législation ;
deux auprès du ministre et de la section des finances ; deux
auprès du trésor public et de la section des finances ;
quatre auprès du ministre et de la section de l'intérieur ;
deux auprès du ministre , du directeur-ministre et de la
section de la guerre ; deux auprès du ministre et de la
section de la marine. '
II . Ces auditeurs seront chargés de développer , près
les sections du conseil-d'état , les motifs , soit des propositions
de loix ou de réglemens , faites par les ministres ,
soit des avis ou des décisions qu'ils auront rendus sur les
diverses matières qui font l'objet des rapports soumis par
eux au gouvernement , et dont le renvoi est fait au conseil-
d'état .
III . En conséquence , pour tous les cas prévus par les
articles VIII et XI du réglement du 5 nivose an 8 , les
ministres indiqueront à la marge de leur rapport le nom
de l'auditeur attaché près d'eux et près de la section du
conseil-d'état correspondante à leur ministère , dont ils
auront fait choix pour remplir les fonctions détaillées en
l'article II . Ne sont pas compris dans cette disposition les
objets qui sont de la compétence des conseillers - d'état
chargés spécialement de quelque partie de l'administration .
IV. Lorsque les rapports des ministres auront été renvoyés
par le gouvernement au conseil-d'état, les auditeurs
chargés d'en développer les motifs , se rendront aux sections
du conseil qui doivent en faire l'exainen , le jour
que le président leur aura fait indiquer , pour être appelés
aux séances dans lesquelles la discussion aura lieu.
V. Si la section a besoin de renseignemens ultérieurs ,
elle les fera recueillir dans le département du ministère
par l'auditeur; et , à cet effet , le ministre ordonnera aux
chefs de ses bureaux de donner les communications qui
seront demandées .
VI. Les auditeurs seront présens au conseil d'état ; ils
yauront séance, sans voix délibérative , et se placeront
derrière les conseillers-d'état de la section à laquelle ils
seront attachés . Ils n'auront la parole que pour donner les
explications qui leur seront demandées.
VII. Les auditeurs du département de la justice sont
spécialement chargés auprès du grand-juge , du rapport
des demandes de lettres de grâce et de commutation de
peine. Celui d'entr'eux qui aura ſait le rapport , accom
GERMINAL AN XI. 187
pagnera le grand - juge ministre de la justice au conseilprivé
; ily aura la même séance qu'au conseil-d'état.
VIII. Le traitement des auditeurs sera de 2,000 fr .
IX. Les auditeurs porteront l'habit de velours ou de
soie noire , à la française , complet , avec broderie de
soie noire au colet , aux paremens et aux poches , dessin
du gouvernement , chapeau français et une épée.
Des dépêches officielles adressées au ministre de la marine
, par le général en chef de l'armée de Saint-Domingue
, sous la date des 12 et 13 ventose , annoncent l'arri
vée au Cap de quatre mille hommes. Les brigands ont été
attaqués et battus sur divers points. L'armée occupe une
grande partie de la circonférence de la Colonie ; l'autre
partie , peu importante , est surveillée par les bâtimens
de la station en croisière. Les chefs des noirs sont divisés
entr'eux ; déjà quelques-uns se sont mutuellement fusillés .
Le tribun Adet est nommé préfet du département de la
Nièvre , en remplacement du citoyen Sabattier , appelé
à d'autre fonctions .
Nouvelle Banque de France.
La nouvelle Banque peut être considérée comme Banque
d'Escompte , comme Caisse d'Amortritsissseemmeenntt , et
comme Caisse d'Epargnes .
Banque d'Escompte. Elle contribuera à la prospérité
de toutes les branches de commerce , par l'admission générale
à l'escompte , et par l'accroissement de son capital.
Elle offre un placement avantageux , puisqu'il résulte
du tableau annuel et progressif des dividendes , que les
actions produiront 6 p.: d'intérêt la première année ,
et progressivement jusqu'à 11 p.: la quinzième
année ; ce qui fait , année commune , 9 p. , intérêt
supérieur à celui que produit l'achat de rentes consolidées.
le tableau n° . I.
Voyez le
Caisse d'Amortissement. Elle porte les caractères qui
en garantissent les heureux effets : amortissemens réguliers
, et publicité. Le tableau n°. 2 présente le résultat de
ces amortissemens pendant quinze années , durée du privilège
de la Banque, calculés d'après les dividendes , soit
bénéfices de la Banque actuelle.
188 MERCURE DE FRANCE ,
1
Pendant ces quinze années il sera employé en achat de
rentes consolidées , fr. 30,150,000 , qui , au prix moyen
de fr. 60 , produiraient fr. 2,512,000 de rentes , lesquelles
réparties entre 45,000 actions , donneraient fr. 55-83
de rente par chaque action.
Ces rentes auront acquis alors une plus forte valeur ;
cependant en les calculant au plus bas , c'est-à-dire au prix
moyen adopté pour l'achat , à fr . 60 , cela produit fr . 670 :
de sorte que chaque action aura augmenté en valeur
réelle., pendant ces quinze années , de fr. 670 pour cet
objet.
Caisse d'Epargnes. Etablissement paternel , qui se
trouvera administré sagement , publiquement , et sans
frais , et dont les résultats présentent au bout des quinze
années , deux espèces de fonds de réserve , l'une en rentes
consolidées suivant le tableau n° . 2 , l'autre en fonds disponibles
provenant du placement annuel de l'excédent
des dividendes , tableau n° . 3.
Un placement de 50,000 fr. en actions de Banque , fait
par un père qui se contenterait de prélever annuellement
6 p.: et placerait en réserve l'excédent du dividende , aurait
, la quinzième année , pour produit des réserves accumulées
, 50,745 fr. 95 c. , soit fr. 614 par action .
Les résultats seraient plus avantageux si l'on plaçait
chaque année la réserve en achat d'actions de Banque ou
de rentes consolidées .
Résumé de son placement.
Capital placé en 50 actions de banque ,
à fr . 1000 , non compris la réserve de l'ancienne
Banque , portée au tableau des réserves
en rentes , n°. 2.
C fr. 50,000
:
Réserve en rentes , suivant le tableau n° . 2 ,
fr. 55-83 de rentes , formant , à fr . 60 , le
capital de 670 fr. par action , et sur 50 actions
. • •
Réserve disponible , tableau n°. 3 , •
:
Capital retiré par le père ,
Réserve préparée pour ses enfans ,
•
33,500
30,745
fr . 114,245
50,000
fr. 64,245
GERMINAL AN ΧΙ. 189
1
( No. I. )
TABLEAU des dividendes annuels et progressifs des
:
actions de la nouvelle Banque.
*. sémestre à 3 p. fr . 30
Accroissement 291 provenant de 131,250 fr. de
rentes consolidées , produites
par un semestre de la réserve
actuelle , tableau nº. 2.
Le rer. semestre sera de fr. 32 91
Accroissement 83
2-31-3
provenant de g00,000 fr. de
réserve de chaque semestre ,
tableau n° . 2.
paraction.
83
Le 2. semestre sera de fr. 33 75
Accroissement
Le 3. semestre sera de fr. 34 58
131/3
Accroissement 83
Le 4. semestre sera de fr. 35 41
2
1. année : les deux semestres produiront ensemble. fr. 66,66
2. année,
3. année.
70
73,33
Laprogression annuelle sera donc de fr. 3--33 par chaque a
tion , comme suit :
1. année
2.
3 .
4.
5°.
6
e
e
Tableau annuel et progressifdes dividendes .
........
........
e
7
8.
9..
10 .
II .
12
e
e
e
13 .
14 .
15.
....
.......
.....
.....
......
....
.....
fr. 66,66
70
73,33
76,66
8ο
83,33
86,66
90
1323 1323 132-
soit 6 p .
777888999
malm 1333 1333 133/3
93,33
96,66 9
100 10
103,33 10
106,66 10
110 II
13,33 II
3
1350 135
Commune 9 p. : Commune 9 p.
190 MERCURE DE FRANCE ,
( No. II. )
TABLEAU des résultats de la nouvelle Banque ,
considérée comme Caisse d'Amortissement de la dette
putlique.
30,000 actions de la banque actuelle , à fr . 1070 , y
compris la réserve
15,000 actions à créer , à fr. 1070 .
45,000 actions formant un capital de
Le fond de la banque doit être de
Montant de la réserve •
,
e
.
.
fr. 32,100,000
16,050,000
48,150,000
45,000,000
3,150,000
Ces 3,150,000 fr. devant être employés en acquisition
de rentes consolidées , et en supposant que l'on
achètera au prix moyen de 60tr. , cela produira
...
Soit par semestre .
..
..
fr . 262,500 de rente.
131,250
Les profits de la banque ont produit 5p.: par semestre; l'on peut ,
sans exagération , les prendre pour base des caleuls des réserves futures.
T
Donc , fr . 45,000,000 produiront par semestre . fr. 2,250,000
L'on répartira 3 p.: par semestre ,
soit.
Réserve à employer chaque semestre,
en 5 p . : consolidés ..
fr. 1,350,000
900,000
:
2,250,000 a T
RÉSULTАТ .
• Montant de la réserve de la banque actuelle
Réserve des 30 semestres pendant les quinze années
du privilége , sur le pied de fr. 900,000 par semestre
Total .. •
fr. 3,150,000
27,000,000
fr. 30,150,000
Formant le capital employé en achat de rentes , pendant quinze années.
En supposant les achats faits à fr. 60 , prix moyen , cela produira
fr. 2,512,000 de rentes, qui , répartis entre 45,000 actions , donnerontfr.
55-83 en rentes , par chaque action , lesquelles , calculées
à fr. 60 , prix moyen d'achat ,forment un capital de 670 fr. par
action.
N. B. La quinzième année , les rentes devront avoir acquis une
valeur supérieure.
GERMINAL AN XI.
191
A
( N°. III. )
TABLEAU des résultats de la nouvelle Banque ,
considérée comme Caisse d'Epargnes .
En plaçant à la Banque 50,000 fr. en 50 actions à fr. 1000 , non
compris la réserve , et en prélevant 6 p.: par année , et portant à
un fonds de réserve l'excédant du dividende , l'on s'assurera pour
la quinzième année du privilége , deux fonds d'épargnes , l'un en
rentes consolidées , l'autre en fonds disponibles provenant des excédants
de dividendes accumulés comme suit sur 50,000 fr .
1. année , le dividende sera , conformément
au tableau nº. 1. de 6
p.; en prélevant 6 p.: l'on portera
en réserve p. , soit ,
2. année, intérêt de 333 fr . 33 c. de
la première réserve 6 p. :
Réserve à 1 p. , •
3 année , int. de $53 fr. 33 .
Réserve , p.
4. année , int. de 1571 fr .
Réserve , p ,
5. année , int. de 2499 fr.
Réserve , 2 p...
6°. année, int. de 3649 fr..
Réserve , 2p.. ..
•
.
..
..
9
666 80 }
1000
fr. 333 33
.. fr. 20 520
500
6% 51 20
718
.6%
833 33
94 25
927 58
68
14990 1149 90
218 90
1166 33
1385 23
7. année, int. de 5034 fr. 68 302
Réserve , 2 p .
..
...
1333
1635
8. année , int. de 6669fr. .. 6% 400 10
Réserve , 3p . 1500
1900 10
9. année , int . de 8569fr. ... 6 %
Réserve, 3 P 1666 66
514 to
2180 76- ...
ro . année , int. de 10750 fr . ... 6 645
Réserve , 3 p . 1833 33 2478 33
11. année , int. de 13228 fr . 6%
Réserve , 4 p. 2000 793 76 2793 70
12. année , int. de 16022 fr . 6%
Réserve , 4p. : 1 2406 961 30 312796
13. année , int. de 19150 fr. 6% 1149
Réserve , 4p.. .. 2333 } 3482
14. année , int. de 22632 fr .
៩៖ 1358
Réserve , 5 p.. 2500 } 3858
15°. année , int. de 26490 fr. 69
Réserve , 5p..
158940
• .. 2666 66
4256 6
Fond disponible. fr. 30745 95
Nota. L'on a négligé les fractions dans cet aperçu. Ce fonds disponible
se seroit accru par le calcul véritable qui devroit être por
+
semestre:
Le fonds de réserve disponible , provenant de 50 actions , étant
:
192 MERCURE DE FRANCE .
de fr. 30745 95 , cela fait 614 fr. par action. Le résultat seroit
encore plus avantageux si l'on plaçoit les réserves en achat d'actions
de Banque , ou de tiers-consolidé.
Résumé.
Capital placé en actions de Banque , ....
Résultat de la réserve suivant le présent tableau , n°. 3.
Résultat de la réserve en rentes , suivant le tableau nº. 2 .
fr. 50000
30745
33500
fr. 114245
:
Capital primitif,
Réserves , ....
... fr. 50000
64245
fr. 114245
Nota. La faculté de vendre les actions , donne la facilité de réaliser
à volonté ; les actions de Banque s'élèveront en proportion des réserves
, et l'on doit s'attendre à une hausse sur le prix des rentes , et
sur celui des actions de Banque d'ici à la quinzième année , ce qui
tiendra ces calculs fort au-dessous de la réalité.
Bibliothèque géographique et instructive des Jeunes-
Gens, ou Recueil de voyagesintéressans pour l'instruction
et l'amusement de la jeunesse , traduit de l'allemand , de
Campe; cinquième livraison , contenant , tome premier :
Naufrage sur la côte d'Aracan ; Voyage à Alger ; Naufrage
de la jeune Burke , enfant de neuf ans. Tome second
: Voyage au lac Onéida ; Voyage du capit. Bligh.
2 vol. in- 18 , ornés de deux figures. Prix : 3 f. et 3 f. 75 c.
par la poste. -Cette collection de voyages paraît régulièrement
tous les deuxmois , depuis le 12 messidor an X
( I juillet 1802 ) , par livraison de deux volumes , dont
chacun de plus de deux cents pages , est orné d'une carte
géographique , ou d'une estampe très-soignée.-Le prix
des douze volumes qui composent une année , est de 18 f.,
le privilége qui laissait la faculté de souscrire jusqu'au
1. ventose étant expiré. Les suffrages des souscripteurs
et les matériaux intéressans que nous avons entre les
mains , nous encourageant à publier une seconde année ,
les personnes qui souscriront pour cette seconde année ,
pourront encore se procurer la première , au prix de
15 f. Pour recevoir les 12 vol. francs de port , il faut
ajouter 4 fr. 50 с. — On souscrit , à Paris , chez G. Dufour
, libraire , rue de Tournon , n°. 1126.
-
Et chez le Normant , imprimeur-libraire , rue des
Prêtres Saint-Germain-l'Auxerrois , n° . 42.
Les lettres et l'argent doivent être affranchis.
( No. XCV. ) 3 FLORÉAL an it .
1
(Samedi 23 Avril 1803. )
MERCURE
DE FRANCE.
LITTERATURE
POESIE.
M.
DE LA HARPE est connu comme critique , comme
orateur , comme poète drantatique. On a dé lui des poésies
fugitives fort agréables , et des romances qui sont dans
la bouche de tout le monde. Quand on aura publié ce qu'il
a laissé de son poëme star la révolution , on verra qu'il
pouvait s'élever jusqu'augénie de l'Epopée. Les fragmens
de son Apologie du Christianisme , que l'on a donnés
dans ce journal , viennent de le montrer sous un nouveau
jour , en le faisant connaître comme auteur ascétique .
On va l'entendre à présent toucher la lyre , et nous ne
craignons point d'avancer que , dans la paraphrase de l'In
exitu , il a suivi de près les traces de Rousseau et de Racine .
On ne fait pas assez d'attention à cette extrême, flexibilité
de talent qui distinguait cet homme si regrettable : il traite
tous les genres et tous les sujets , et toujours dans le ton
ètdans la mésure qui conviennent à ces genres et à ces
sujets. S'il n'est pas le premier par-tout , du moins il est
toujours de bon goût , et il ir'est pas rare qu'il atteigne
RE
11 N
194 MERCURE DE FRANCE ;
aux beautés des grands maîtres. Celui qui pose le mieux
les principes , exécute souvent assez mal ; et celui qui
exécute le mieux développe souvent assez mal les principes
: il était réservé à M. de la Harpe de donner à-la-fois
le précepte et l'exemple , et de se montrer supérieur dans
la pratique et dans la théorie.
( Note des rédacteurs . )
Paraphrase du Pseaume In exitu.
LE PSALMISTE CORYPHÉE.
Lorsqu'enfin séparé de la race étrangère ,
Jacob se dérobant aux tyrans de Memphis ,
Rejeta loin de lui son joug héréditaire ,
Et marcha vers les bords attendus par ses fils.
Dieu fidèle à ses oracles ,
Entoura de ses miracles
Le peuple chéri du ciel ;
Et, de la nue enflammée,
Samain guidant leur armée ,
Fut l'étendard d'Israël.
La mer le vit , la mer s'enfuit épouvantée ;
Le Jourdain vers sa source , à grand bruit agitée,
Vit rebrousser ses eaux ;
Et des monts de Cadés les cîmes ébranlées ,
Tressaillirent soudain, comme dans les vallées
Bondissent les troupeaux.
Mer, d'où vient quetu fuis? Toi , Jourdain , dans ta course,
D'où vient que , tout-à-coup remontant vers ta source ,
Tu revois ton berceau ?
Montagnes , quel pouvoir sut vous rendre mobiles ,
Comme les faons agiles ,
Et le léger chevreau??
FLOREAL ANXI 195
Les montagnes , la mer , les fleuves me répondent :
» Eh ! n'avez-vous pas vu le seigneur en courroux ?
>> N'a-t-il pas menacé ? Nous avons tremblé tous.
» Les élémens troublés devant lui se confondent.
>> Nous l'avons vu : le roc à l'instant s'est ouvert ,
» Et l'onde , en jaillissant , rafraîchit le désert.
Non, ce n'est pas à nous ; non , ce n'est pas à l'homme ,
Ce n'est qu'à vous , seigneur , que la gloire appartient.
En vous est le salut , et l'humble foi l'obtient ;
La bonté le promit , la bonté le consomme.
Israël offre au dieu qui s'est fait son vengeur ,
L'hommage de la joie et les chants du bonheur.
CHEUR D'ISRAÉLITES.
Dieu d'Abraham , dieu de nos pères ,
Dieu qui daignez sur nos misères
Baisser un oeil compatissant ;
Objet d'éternelles louanges ,
Que votre peuple avec vos anges ,
Chante le nom du Tout-Puissant.
Votre parole inviolable
Est le garant de vos bienfaits .
Votre clémence inépuisable
Est la source de nos succès.
Les merveilles sont votre ouvrage.
L'homme entrerait- il en partage
De tant de grandeur et d'éclat ?
C'est dans vos mains qu'est la puissance ,
Dans nos coeurss , la reconnaissance ,
Et c'est à l'orgueil d'être ingrat.
Na
1
196 MERCURE DE FRANCE ,
;
:
LE PSALMISTE СОRУРИЌЕ.
Israël, si jamais le dieu qui te protège ,
Pour châtier son peuple à ses yeux criminel ,
Retirait son bras paternél ,
Si l'ennemi disait d'une voix sacrilége :
«Ou donc est le dieu d'Israël ?
Qu'il écarte de vous la mort qui vous assiége ,
>> Et qu'il rende la force à son peuple abattu ;
Israël , que répondrais-tu ?
CHHOAUURA D'ISRAELITÉS.
Le Seigneur , å-la-fois bienfaisant et sévère ,
Est grand dans ses bontés , est grand dans sa colère ;
Et toujours équitable et toujours absolu ,
Il a fait ce qu'il a voulu.
LE PSALMISTE CORYPHEE
Aveugles nations , ce dieu n'est pas le vôtre.
٤٠٠
Nations , que vos dieux sont différens du nôtre !
Ou taillés dans le marbre ou fondus en airain ;
Dieux faits par le ciscau , dieux nés de votre main !
Insensés ! s'il se peut , animez vos idoles
Leurs pieds sans mouvement , leurs bouches sans paroles ,
Leurs bras qu'on arme en vain de tonnerres muets ,
Et ces yeux où le jour ne pénétra jamais ,
Cette oreille , fermée à vos cris inutiles.
Vos dieux , sur leur autel , images immobiles ,
Ne respirent pas même en leurs temples honteux
La vapeur de l'encens que vous perdez pour eux.
FLORÉAL AN XI.
197
1 T
CHEUR D'ISRAÉLITES.
Que ceux quifont ces dieuxà leurs dieux soient semblables.
Israël appartient au dieu maître des cieux ,
Qui plaça parmi nos aïeux
Ses tabernacles redoutables .
:
Enfans d'Aaron brulez l'encens religieux
Devant ses autels vénérables .
LE PSALMISTE CORIPHÉE
Trop heureux les mortels qui n'espèrent qu'en lui !
Trop heureux le coeur pur qui le craint et qui l'aime !
Du haut de son trône suprême ,
Sa puissance descend pour être leur appui .
CHEUR D'ISRAÉLITES.
Trop heureux les mortels qui n'espèrent qu'en lui !
Trop heureux le coeur pur qui le craint et qui l'aime!
DEUX JEUNES FILLES D'ISRAEL
Il se souvient de nous , de son peuple fidèle :
Le seigneur bénit ses enfans.
Sur les petits et sur les grands
Il étend sa main paternelle ,
Et du plus haut des cieux sa bonté se répand.
Sur la faiblesse qui supplie ,
Sur la grandeur qui s'humilie .....
Et le pécheur qui se repent.
198 MERCURE DE FRANCE,
CHEUR DES LÉVITES .
Toi qui fus délivré par sa main salutaire ,
Judas , chante ce dieu , qui seul donne à la terre
Des fécondes saisons le bienfait éternel ,
Et les mers pour ceinture , et pour voûtes le ciel.
Que ses merveilles bienfaisantes ,
Que ses largesses renaissantes ,
Toujours répondent à nos voeux.
Que sur nous toujours signalées ,
Sur nos enfans renouvelées ,
Elles passent à nos neveux.
LE PSALMISTE CORYPHÉE.
C'est dans les cieux des cieux qu'il choisit sa demeure ,
Qu'avec ses seuls élus il daigne partager.
La terre est le domaine étroit et passager
Où l'homme habite en étranger ,
D'où la mort l'appelle à toute heure
'Au tribunal suprême où dieu va lejuger.
De la tombe et de son silence ,
La louange vers toi ne peut plus parvenir ,
Seigneur ; il est trop tard d'implorer ta clémence ,
Hors des bornes du temps marqué pour l'obtenir.
Bénissons du Très-Haut la gloire et la puissance,
Durant nos jours mortels ,
Ét nous partagerons le bonheur qu'il dispense
Dans les jours éternels .
LA HARPE.
F
ELORÉAL AN XI .
199
ENIGME.
Je dois , ami lecteur , te sembler bien à plaindre :
On déchire mon sein , on me perce en tous sens ,
Et cependant , s'il ne faut te rien feindre ,
Loin de souffrir de ces affreux tourmens ,
Je n'en deviens que plus belle et meilleure.
Devant un énorme foyer
L'on me fait tourner à toute heure.
On croirait que je dois griller ,
Point du tout , la cuisine où je me vois placée ,
Est si vaste dans son contour ,
Que d'un côté je suis froide et glacée ,
Et que l'autre brûlant , devient froid à son tour.
Pour m'appréter , il faut peu de dépense :
De l'eau dont en tournant on m'arrose à propos
Je rends une partie , et donne en récompense
De la graisse , du sang , de la chair et des os.
On a recours à moi pour faire bonne chère;
De truffes , en hiver , mon ventre se remplit :
Mais malheur à qui me nourrit ,
Je possède un tel appetit ,
Que rien ne peut le satisfaire.
Je l'avouerai , lecteur, en rougissant ,
Toute chair me convient , même la chair humaine.----
Je dois te dire cependant
Que parfois j'accepte sans peine .
De simples végétaux , mais je les rends bientôt :
La chair , sans doute , est mieux ce qu'il me faut
Je ne la rends jamais . Jusqu'ici tu m'as vue
Venir à ton secours , fournir à tes répas ;
Mais , ô ! transition terrible , inattendue !
Prends garde , ami lecteur , où portes-tu tes pas ?
N4
200 MERCURE DE FRANCE ,
Ne vois-tu pas mes narines brûlantes
Lancer des flammes dévorantes ?
Eloigne -toi dans ces affreux momens ;
Vois-moi plutôt , dans ma coquetterie ,
Me parer des fleurs du printemps ,
Quoique vieille , toujours jolie,
Par un abonné.
LOGOGRYPHE.
Je suis , dans mes neuf pieds , un objet adoré ,
Dans trois , j'embellis la nature ;
Dans six , craint ou chéri , je dois être honoré;
Dans un nombre pareil , je plais dans la coëffure .
Pour me trouver , ami lecteur ,
Nomme l'objet le plus cher à ton coeur.
CHARADE ,
Mon premier aux amans inspire la gaîté,
Etmon second ad'avantage
1
D'ajouter une grâce aux traits de la beauté.
Qu'on est heureux , dans le belage,
Quand on peut à montout , sûr d'en être accepté ,
Demon premier offrir Phommage
$
!
Mots de l'Enigme , du Logogriphe et de la
Charade insérés dans le dernier Numéro .
Le mot de l'Enigme est Dictionnaire.
7
T
Celui du Logogriphe est Eternité , où se trouve térins,
tinet , nitre , ré, éreinté , été , rité , Nérée
Le mot de la Charade est Paysan
I
FLORÉAL AN XI. 201
Manière d'apprendre et d'enseigner : Ouvrage
traduit du latin du P. Jouvancy , jésuite ; par
J. F. Lefortier , professeur de belles-lettres à
l'école centrale de Fontainebleau. Un vol. in- 12 ,
2 fr. et 2 fr. 75 cent. par la poste. A Paris , chez
le Normant , imprimeur-libraire , rue des Prêtres
Saint - Germain - l'Auxerrois , vis-à-vis le
petit portail , nº. 42.
On pourrait croire que rien ne devait manquer
à la gloire du P. Jouvancy , après les éloges que
son livre a reçus de tant de personnes habiles ; et
ce qu'on peut remarquer comme un trait curieux
dans l'histoire du coeur humain , c'est que ce jé .
suite n'a jamais été loué avec autant d'affection
et d'épanchement que par un janséniste et un
rival ; mais ce rival était M. Rollin. Ce grand
homme qui, en littérature comme en religion ,
était tout plein de la doctrine et des sentimens de
Port -Royal , exalte cependant le P. Jouvancy ,
et il le fait avec une effusion et une générosité de
coeur bien supérieures à la justice qu'il lui devait.
Admirable candeur ! il loue un rival comme
nous avons coutume de louer nos amis . « L'ou
>> vrage du P. Jouvancy, dit-il dans son Traitédes
>> études ,caurait pu me détourner de faire de
>> mien dans la même langue , ne pouvant me
>> flatter d'atteindre à la beauté du style qui y
>> règne. وت . 1
» Ce livre est écrit avec une pureté , une élé-
>> gance , une solidité de jugement et de réflexions ,
>> avec un goût de piété qui ne laissent rien à
>> désirer , sinon que Touvrage fût plus long , etc. >>
Voilàdeslouanges auxquelles rien ne manque ; elles
font bien de l'honneur à celui qui les reçoit ; mais
1
202 MERCURE DE FRANCE,
1
il faut l'avouer , elles en font encore plus à celui
qui les donne.
M. de Voltaire , élevé chez les Jésuites , ne
pouvait avoir que des sentimens favorables aux
personnes de cette société. On est étonné de voir
qu'en parlant du P. Jouvancy , dans son Siècle
de Louis XIV, il en preud occasion de s'étendre
malignement sur l'histoire scandaleuse du P. Guignard
, qu'il étoit bien inutile de rappeler. Mais
on l'est encore plus de trouver, dans un article de
littérature , l'étrange idée d'attribuer à toute une
société le crime de Jean Châtel , et d'y entendre
soutenir qu'une partie de l'Europe regardait l'assassinat
de Henri IVcomme un acte de religion.
Il ne faut qu'avoir l'esprit juste pour sentir combiencette
imputationsi horrible , c'est-à-dire cette
plaisanterie philosophique, est absurde et déplacée.
On ne saurait inspirer aux jeunes gens trop
de mépris pour cette manière d'écrire. Cependant
cet auteur parle assez obligeamment du P.
Jouvancy : « C'est encore un homme , dit-il , qui
>> a eu le mérite obscur d'écrire en latin aussi
>> bien qu'on le puisse de nos jours ; son livre De
>> ratione discendi et docendi, est un des meil-
>> leurs qu'on ait en ce genre , et des moins
>> connus depuis Quintilien. » Mais , malgré tous
ces éloges , un livre si recommandable ne serait
peut-être jamais sorti de l'obscurité , si M. Le-
Fortier n'avait pris soin de le traduire dans un
style qui ne lui fait rien perdre de cette pureté
et de cette élégance qu'on remarque dans l'original.
Un travail si estimable ne pouvait se produire
ni porter son fruit dans un temps plus favorable
aux vues utiles : las de faire des projets , et dégoûté
de toutes ces théories savantes , qui ne sont magnifiques
qu'en paroles, on va s'occuper sans doute
FLORÉAL AN XI. 203
de donner une meilleure forme à l'enseignement ;
et si l'on a le désir sincère de faire refleurir les
bonnes études , qu'y a-t-il de plus sensé que de
prendre conseil de ces anciens maîtres , si consommés
dans l'art d'instruire et de former la jeunesse
? Peut-être serons - nous assez philosophes
pour ne pas craindre de revenir aux leçons qui
nous ont formés nous-mêmes. On n'ignore pas les
objections qui se sont élevées contre l'ancienne
méthode des colléges : bien des gens ont trouvé
que c'était soulager agréablement leur amour-propre
, que d'accuser une méthode dont ils avaient
mal profité. Les hommes les-plus médiocres ont
toujours assez d'esprit pour décrier une institution
, parce qu'on est d'autant plus propre à en
remarquer les abus , qu'on est moins disposé à en
goûter les avantages ; c'est ce qui est arrivé dans
cette illustre école de l'Université de Paris . On s'est
fait un jeu de l'abattre , mais on pleurera longtemps
sur ses ruines. Après avoir trouvé des esprits
si prompts et si fertiles en ressources lorsqu'il s'agisait
de détruire , on voudroit trouver un peu plus
d'invention et de génie , aujourd'hui qu'il est question
de réédifier .
sait
Bien des personnes se persuadent encore que
nous avons besoin d'un nouveau plan d'instruction
qui soit accommodé à nos grandes lumières ; ilsemblepourtant
que quand bien même , en suivant la
vieille méthode , nous serions réduits à n'avoir que
des magistrats comme Lamoignon et d'Aguesseau ;
quand il ne devrait sortir de nos Prytanées et de
nos Lycées que des philosophes comme Descartes
et Pascal , et des élèves dans l'art militaire , comme
Turenne et Vauban ; en un mot , quand , de
la hauteur de nos perfections philosophiques , nous
nous réduirions à n'être ni plus savans , ni meilleurs
que nos ancêtres , cela composerait encore
294 MERCURE DE FRANCE ,
un ordre de choses assez supportable. Il est bien
vrai que nos jeunes gens sauraient peut- être au
sortir du collège , un peu moins de chimie , de
mathématiques , de géologie , et d'autres sciences
pareilles ; mais si en revanche ils savaient un peu
mieux écrire et parler leur langue , s'ils étaient surtout
moins présomptueux, moins tranchans , s'ils
ne s'imaginaient pas pouvoir affirmer tout , comme
une proposition géométrique , ce ne serait peutêtre
pas un si grand malheur. Un des principaux
griefs contre l'ancienne éducation , étoit la longueur
des études , qui faisait perdre , disait - on, le
plus beau temps de la vie. Il y a peut- être bien
de l'étourderie dans cette accusation ; car, n'étaitce
pas un grand secret pour les moeurs , d'empêcher
un jeune homme d'entrer de si bonne heure
dans la société ? Avant de l'exposer au spectacle
des plaisirs du monde , et au danger de sa propre
liberté, n'était-il pas prudent d'attendre que les
forces du corps fussent plus développées , et en
même temps le jugement plus mûr et plus formé ?
Mais on finira peut - être par s'apercevoir que
l'esprit ne souffre pas moins que les moeurs de ces
études si précoceess.. Onsentira le ridicule et l'abus
qu'il y a d'exposer des enfans à se croire trop tôt
des personnages , à décider de tout dans les cercles
avec la suffisance qu'on apporte du collège ,
et à s'imaginer tout savoir , parce qu'ils auront une
teinture de tout. On ne peut se figurer combien
de talens naissans avortent , par la présomption et
Ja fausse confiance ; et c'est sur- tout dans le premier
âge qu'il est vrai de dire que savoir trop de choses
est une raison pour ne jamais rien savoir comme
il faut.
1
4
Avonons-le : c'est bien moins le défaut des anciennes
institutions que l'amour des idées nouvelles
qui nous aportés à tout refondre. Nous ressemFLOREAL
AN XL 205
blions à ce fou , qui , las de faire toujours la même
chose , voulait trouver un moyen d'entrer chez lui
et d'en sortir autrement que par la porte. Nous
nous sommes bien fatigués l'esprit à chercher au
loin ce que nous avions sous la main. On peut
dire qu'au milieu de tant de connaissances et de
lumières , il ne nous a manqué que le sens commun ;
et nous finirons par reconnaitre que , pour bien
faire , nous n'avons presque qu'à revenir à ce que
avons quitté. Il est impossible de proposer cette
vérité avec plus de ménagement que ne l'a fait M.
Lefortier ; et on ne peut la soutenir avec un zèle
plus heureux.
Le Traité qu'il a fait revivre du P. Jouvancy ,
a l'avantage de nous remettre sous les yeux le
plan d'instruction des Jésuites , et même, à quelques
différences près , celui de l'université de
Paris , comme il le remarque très-bien. La méthode
des Jésuites accordoit peut-être trop à l'ostentation
et à la vanité du bel esprit , à la légèreté
et au brillant de l'imagination , à cette universalité
de connaissances qui , en répandant l'esprit sur
tous les genres , l'empêche d'être vraiment supérieur
dans aucun. De cette école est sorti Voltaire
, en qui l'on peut remarquer les qualités
comme les défauts , qui semblent appartenir à cette
manière. L'école de Port-Royal , dont l'université
fut héritière , a formé Racine. C'est dire assez de
quel côté était la supériorité du goût. Mais dans
l'une comme dans l'autre , l'étude des langues et
des belles lettres formait la principale partie de
l'enseignement , parce qu'étant la clefdes sciences ,
cette étude semblait convenir à un âge , où il s'agit
moins de former des savans que d'apprendre les
moyens de le devenir. Ajoutez que cet âge n'est pas
celui de la méditation et des découvertes , mais
plutôt celui de l'imitation et de la mémoire ; et
206 MERCURE DE FRANCE ,
l'on verra que ceux qui avaient ainsi déterminé les
objets des premières études , connaissaient bien les
forces de la nature humaine. On ne peut dissimuler
que cette raison , jointe aux argumens
sensibles de l'expérience , recommandera toujours
l'ancien système dans l'esprit des personnes de
bon sens. On trouvera sans doute aujourd'hui que
le P. Jouvancy , comme tous les instituteurs de
son temps , s'attache trop à la langue grecque , et
on pourra bien ne pas déférer aux motifs sur
lesquels il en établit l'importance. Mais si réellement
nous n'avons pas d'autre prétexte pour négliger
cette étude que l'ignorance presque générale
qui nous empèche d'en sentir l'utilité , il faut
avouer que cette raison ne fait pas trop d'honneur
à notre philosophie. Depuis long-temps on a coutume
de mépriser , à ce sujet, les remontrances
des professeurs. On les traite de raisonnemens
scolastiques. Cependant les plus grands philosophes
n'en ont jamais parlé autrement. Léibnitz,
entr'autres , ne se lasse point, dans tous ses écrits ,
de recommander ces trois choses : les langues anciennes
, les monumens et la critique; et la raison
qu'il en donne est digne d'un esprit si supérieur ;
car , selon lui , ces connaissances sont tellement
fondamentales , qu'il est impossible , sans leur
secours , de rien entendre dans la discussion de nos
livres sacrés. On peut juger par-là avec quelle autorité
et quel discernement nos petits raisonneurs
qui avaient une érudition si mince , ont prétendu
faire les maitres dans une science dont ils n'avaient
pas même la clef.
Mais il faut entendre ce profond mathématicien
déplorer la malheureuse inclination qu'on
montrait déjà de son temps à sacrifier les humanités
aux mathématiques, et à la recherche de la
nature. « Depuis cette époque , dit ce grand
FLORÉAL AN XI
207
> homme , l'étude de l'antiquité et l'érudition so-
> lide sont tombées dans une espèce de mépris ,
>> jusques-là que quelques auteurs affectent de
>> n'employer aucune citation dans leurs ouvrages ,
>> soit qu'ils veuillent paraître avoir écrit de génie,
» soit qu'ils ne cherchent qu'un prétexte à leur
१
..
> paresse. >> Mais il est bon ,
> ajoute-t- il , d'avertir les hommes qu'il est de
» l'intérêt de la religion que le goût de la bonne
> érudition se conserve , etc. » On remarquera
que le P. Jouvancy est entré dans ces raisons philosophiques
de Leibnitz , sur l'étude des langues
savantes. Ceux qui seront capables d'y faire attention
, verront que la piété conduit souvent aux
mêmes vues que la pénétration de l'esprit , et ils
sentirontpourquoi. Engénéral, l'ouvrage du P. Jouvancy
offre un caractère de simplicité et de bonhommie
qu'on ne connait plus. « Il pourra paraî-
>> tre puéril , dit excellemment M. Lefortier , à
>> ceux qui ne savent pas qu'il faut se faire petit
>> avec les enfans et qui , voyant toujours en
>> grand , méprisent trop les détails élémentaires ,
>> qui sont pourtant la partie la plus importante
>> et la plus difficile dans les fonctions de l'insti-
>>>tuteur. » C'est découvrir avec beaucoup de sens
le vice des conceptions modernes, qui sont enflées
et stériles. J'ose inviter les lecteurs instruits à donner
quelqu'attention à la préface du traducteur ; ils y
trouveront beaucoup d'idées excellentes, et des vues
sages qui sont très propres à concilier tous les systèmes.
Dans un sujet si agité, et qui est devenu le
champ d'une controverse inépuisable , il n'était pas
possible de porter un plus grand esprit d'examen
et de modération. Ce caractère ne peut trop s'estimer
dans un homme qui s'est consacré à des
fonctions où les qualités du coeur ne sont pas
moins nécessaires que les talens de l'esprit.
CH. D.
208 MERCURE DE FRANCE ,
4
VARIÉTÉS.
Nous avons sous lesyeux un manuscrit qui doit être
imprimé , et qui nous paraît propre à exciter un grand
intérêt. C'est une correspondance entre J.-J. Rousseau ,
madamé de Franqueville et M. Dupeyron. De quelque
manière qu'on envisage l'auteur d'Emile , et quelle que
soit l'opinion qu'on peut avoir conçue de son talent êt
de ses principes , il nous semble que son caractère , sa
vie , l'influence qu'il a eue sur son siècle , mérite toute
l'attention des observateurs , et que cet homme extraordinaire
doit encore exciter la curiosité , lors même qu'il
n'obtient ni l'admiration , ni l'estime. M. de la Harpe ,
quelques jours avant de mourir, publia dans ce journal
le portrait de Rousseau et le portrait de Voltaire ; tout
le monde fut frappé de la force et de la vérité des cou
leurs. Mais le portrait de Voltaire était beaucoup moins
brillant et moins remarquable que celui de Rousseau , et
l'on ne saurait en donner d'autre raison, si ce n'est que
la physionomie de Rousseau est beaucoup plus prononcée
que celle de Voltaire ; l'auteur de la Henriade cherchait
à surpasser ses contemporains et ceux qui l'avaient de
vance; il ne s'écartait point des routes connues ; l'auteur
d'Émile n'a lutté ni avec les anciens ni avec les modernes ;
il paraît avoir mis toute son ambition à être regardé
comme un homme à part; et il y est parvenu ,
seulement par son éloquence, mais plus encore par ses
paradoxes et la bizarrerie de sa conduite.
:
non
La correspondance inédite que nous avons sous les
yeux est très-propre à faire connaître cet homme singulier.
Voici l'histoire de cette correspondance , qui est
aussi
FLORÉAL AN XI.
209
aussi remarquable par son origine qu'elle est intéressante
en elle-même .
La nouvelle Héloïse venait de paraître , et ce romaa
avait excité le plus vif enthousiasme , sur-tout parmi les
femmes . Deux femmes de beaucoup d'esprit , imaginèrent
d'entamer une correspondance avec Rousseau , l'une sous .
le nom de Julie , et l'autre , sous le nom de Claire ; un
style piquant , assaisonné d'une forte dose d'éloges , réveilla
l'amour propre et la curiosité de Jean-Jacques , qui
répondit de Montmorency où il était retiré. Alors , nouvelle
lettre de Julie et de Claire ; mais bientôt les défiances de
Rousseau commencent; il croit voir dans Julie et Claire ,
deux hommes qui veulent s'amuser à ses dépens. « Il
>>faut vous l'avouer , messieurs ou mesdames , écrit-il à
> ses nouveaux correspondans, me voilà tout aussi fou
>>que vous l'avez voulu ... Si Julie est femme, elle est
>>plus qu'un ange, il lui faut des adorations ; si elle est
>> homme , cet homme a beaucoup d'esprit , mais l'esprit
>> est comme la puissance , on en abuse, quand on en a
>>trop. >>
3
La correspondance continue , et elle roule toujours sur
l'intérêt que Julie et Claire portentà la santé de Rousseau ...
Mais bientôt le philosophe devient boudeur : ses lettres
sont moins affectueuses. Rien ne ressemble moins à Julie ,
dit- il dans sa sixième lettre , que madame de........... Vous
avez beaucoup d'esprit , madame , vous êtes bien aise de
le montrer, et tout ce que vous voulez de moi , ce sont
des lettres ; vous êtes plus de votre quartier que je ne
pensais. Ce ton d'aigreur que prenait Rousseau dans cetter
lettre , engagea madame de Solar, qui écrivait sous le
nom de Claire , à renoncer à la correspondance . So-
> crate, écrivait- elle à Julie (madame Delatour-Franque-
» Ville ), Socrate disait qu'il se mirait, quanidd il voulait
11
210 MERCURE DE FRANCE ,
4
>> voir un fou ; donnons cette recette à notre animal , pour
lui épargner la peine de quitter son antre , quand il
>> aura une pareille curiosité. En vérité , si Diogène vi-
➤ vait, il brûlerait encore plus d'une chandelle . » Julie
eut plus de courage que Claire , et elle resta seule exposée
à l'humeur chagrine de Rousseau , qui la grondait souvent
et qui finit par la soupçonner d'être un instrument que ses
ennemis faisaient agir contre lui. Cette correspondance ,
qui a duré plusieurs années , consiste en cent-cinquantehuit
lettres ; neuf sont de madame de Solar , quatre-vingtquatorze
de madame Delatour-Franqueville , cinquantesix
de J. J. Rousseau. « De vos cinquante- six lettres , lui
écrivait madame de Franqueville , il y en a trente-quatre
où vous êtes à mes pieds , six où vous me mettez sous
les votres , neuf où vous me traitez en simple connaissance
, et six où vous vous livrez aux épanchemens de
l'amitié. » Il est impossible de montrer plus de sentiment ,
plus d'esprit , plus de grâce que madame de Franqueville
wen montre dans sa correspondance; toutes ces lettres
routent presque uniquement sur lasanté et sur le silence de
Rousseau , et chacune de ces lettres a une tournure qui lui
est particulière. « Vous écrire plus souvent , lui disait
>> un jour Rousseau , serait sans doute une occupation bien
>> douce pour moi , mais j'y perdrais le plaisir de voir avec
>> quelle prodigieuse variété de tours élégans vous savez
>>>me reprocher la rareté de mes lettres , sans que jamais
les vôtres se ressemblent. >>>
Pour faire connaître l'espritde madame de Franqueville,
il suffira peut-être de citer au hasard une des lettres que
nous avons sous les yeux.
:
Du 31 mars 1764.
১
« Que cette lettre ne vous courrouce point ,mon ami,
>> ce n'est pas un acte d'autorité , c'en est und'indépen-
DC7
FLORÉAL AN XI. 2if
dance. Puisque vous ne m'écrivez que quand vous
>> voulez , pourquoi ne vous écrirais-je pas quand je le
» veux. Voyons , par la comparaison de nos avantages , si
>> ce serait commettre un attentat que de prétendre établir
>>dans notre commerce une parfaite égalité ; ceux que la
société défère à mon sexe , serviront , tant bien que
smal de compensation à ceux que la nature donne au
vôtre , et il n'en sera plus parlé. Vous avez le plus beau
>> génie du siècle ; moi j'ai le meilleur coeur du monde :
>> votre façon de voir est sûre ; ma façon de sentir ne me
>> trompe point : votre bienfaisance , inépuisable en res-
>> sources , peut tout le bien qu'elle veut ; la mienne , iné-
➤ puisablé en désirs , veut tout le bien qu'elle peut ; vous
>> jouissez de la célébrité la mieux méritée ; mon mérite
>> à moi , c'est de n'avoir point de célébrité , et je n'en ai
>> aucune : vous êtes digne qu'on vous élève des statues;
moi je suis digne de vous en élever : vous devriez gou-
>> verner l'univers en fixant ses opinions depuis si long .
>> temps incertaines ; moi , je devrais avoir le bonheur de
faire la félicité d'un honnête homme : l'étendue de
» votre savoir embrasse tous les objets qu'il est impor
tant de connaître ; moi , je sais vous apprécier : le
>> bandeau de la fortune semble s'être épaissi , quand elle a
>> fait votre part des biens et des maux qu'elle dispense ;
>> moi j'ai possédé quelques-unes de ses faveurs sans aveu
>> glement , et je les ai perdus sans regret : vous êtes le
>> plus sensible des hommes ; moi , sans être peut-être la
>> plus sensible des femmes , je suis plus sensible que vous :
» vous avez reçu mes hommages sans dédain ; je vous les.
>> ai offerts sans orgueil : c'est vous que vous aimez en
>> moi ; moi je n'aime en vous que vous-même , et nous
>> avons raison tous deux. A la vérité , vous êtes mon alue:
>> mais les femmes ne vivant que dans leurs attraits , un,
02
212 MERCURE DE FRANCE ,
>>homme de cinquante ans et une femme de trente
>> doivent être réputés du même âge. Il me semble , mon
>>illustre ami , qu'en nous plaçant dans les différens points
>> de vue qui nous conviennent, nous avons un droit égal
» à l'estime des honnêtes gens , et commeje ne compte
>> que celui-la , je prétends obtenir de vous des priviléges
» équivalens à ceux que je vous accorde. Ainsi , je vous
> écris quand il me plaît , sans déterminer l'instant où
» vous devez me répondre , etc. »
Nous n'examinerons point ici ce qu'il peut y avoir
d'exagéré dans l'opinion de mad me de Franqueville sur
Rousseau ; sa correspondance décèle par-tout une ame
franche , délicate , mais facile à s'exalter. Ses lettres ont
quelquefois de légères négligences de style , mais elles auront
peut-être un nouveau prix pour les lecteurs qui venlent
connaître le coeur encore plus que l'esprit d'une
femme. Madame de Franqueville , qui tenait à une trèsbonne
famille , est morte en 1738 ; tous ceux qui l'ont
connue la regrettent , et s'accordent à dire qu'elle fut une
des femmes qui honorèrent le plus leur sexe par leurs talens
et leurs vertus.
La seconde partie de cette correspondance ne renferme
que des lettres de J. J. Rousseau à M. Dupeyrou ; c'est
à M. Dupeyrou qu'il ouvrait son coeur sur toutes les
chimères que lui forgeaient sans cesse son amour - propre
et son caractère ombrageux ; et , sous ce rapport , cette
seconde partie n'est pas moins curieuse que la première
(a) .
(a) Cette correspondance , en 5 vol. in- 18 , et 3 vol. in-8º., sera.
publiée le mois prochain , et se trouvera chez Giguel et compagnie ,
rue des Bons- Enfans , et chez le Normant , imprimeur-libraire , rue
des Prêtres Saint-Germain-l'Auxerrois. Elle fera suite à la collection
des coeuvres de Rousseau .
こ
FLORÉAL ANXI 13
Voiciune lettre extraite de cette correspondance , et
dans laquelle Rousseau se plaint amèrement de M. de
Voltaire , auquel il attribuait le pamplilet intitulé : les
Sentimens des citoyens ; Rousseau s'adresse à M. Dupeyrou.
Motiers , le 31 janvier 1765.
:
«Voici enfin la lettre de M. deBuffon,de laquelle je
suisextrêmement touché. Je veux lui écrire; mais la crise
horrible où je suis, ne me le permettra pas sitôt. Je vous
avoue cependant que je n'entends pas bien le conseil qu'il
me donne de ne me pas mettre à dos M. de Voltaire ;
c'est comme si l'on conseillait à un passant attaqué dans
un grand chemin , de ne passe mettre à dos le brigand
qui l'assassine. Qu'ai-je fait pour m'attirer les persécutions
de M. de Voltaire, et qu'ai -je à craindre de pis de sa
part ? M. de Buffon veut-il que je fléchisse ce tigre altéré
de mon sang ? Il sait bien que rien n'appaise , ni ne fléchit
jamais la fureur des tigres. Si je rampais devant
Voltaire , il en triompherait sans doute, mais il ne m'en
égorgerait pas moins ; des bassesses me déshonoreraient et
ne me sauveraient pas. Monsieur , je sais souffrir ,j'espère
apprendre à mourir ; et qui sait cela,n'a jamais besoin
d'être lâche .
1
« Il a fait jouer les pantins de Berne, à l'aide de son
ame damnée , le jésuite Bertrand ; il joue à présent le
même jeu en Hollande. Toutes les puissances plient sous
l'ami des ministres tant politiques que presbytériens. A
cela que puis - je faire ? Je ne doute presque pas du
sort qui m'attend sur le canton de Berne , si j'y mets
les pieds ; cependant j'en aurai le coeur net , et je veux
voir jusqu'où , dans ce siècle aussi doux qu'éclairé , la
philosophie et l'humanité seront poussées. Quand Yin
03
214 MERCURE DE FRANCE ,
quisiteur Voltaire m'aura fait brûler , cela ne sera pas
plaisant pour moi , je l'avoue; mais avouez aussi que
pour la chose , cela ne saurait l'être plus. >>
Rousseau , dans son voyage en Angleterre , écrivit plusieurs
lettres à M. Dupeyrou , sur sa querelle avec M.
Hume. On voit par cette correspondance , qu'il prenait
plaisir à nourrir ses soupçons et ses défiances . Il traitait
inême assez durement M. Dupeyrou , qui cherchait à
détruire ses chimères , età ramener la paix dans son es
prit. Rousseau paraissait s'étre arrangé pour avoir des
ennemis on le plaint d'y avoir réussi ; mais și on en
juge d'après sa correspondance , il nous semble qu'il
aurait été plus à plaindre , s'il n'avait eu que des amis. On
relira sans doute avec plaisir les vers que M. Delille a
faits sur le caractère sauvage et défiant de Rousseau .
dr
Vainsdiscours ; rien ne peut adoucir sa blessure.
Contre lui , ses soupçons ont armé la nature ;
L'étranger qui ne le vit jamais ,
Qui chérit ses écrits , sans connaître ses traits ,
Le vieillard qui s'éteint , l'enfant simple et timide
Qui ne sait pas encor ce que c'est qu'un perfide ;
Son hôte, son parent , son ami , lui font peur :
Tout son coeur s'épouvante au nom de bienfaiteur.
Est-il quelque mortel , à son heure suprême ,
Qui n'expire appuyé sur le mortel qui l'aime ;
Qui ne trouve des pleurs dans les yeux attendris
D'un frère ou d'une soeur, d'une épouse ou d'un fi's ?
L'infortuné qu'il est , à son heure dernière ,
Souffre àpeine une main qui ferme sa paupière ;
Pas un ancien ami qu'il cherche encor des yeux ;
Et le soleil lui seul a reçu ses adieux !
FLORÉAL AN XI. 215
-----
GALERIE DES ANTIQUES , Or Esquisses des statues ,
bustes et bas-reliefs , fruits des conquêtes de l'armée
d'Italie ; parAug. Legrand ( 1 ) .
1
Quel est celui qui , en parcourant les salles du Muséura
des antiques , ne se seut pas frappé d'admination à la vue.
de ces restes de l'antiquité , parvenus jusqu'à nous à travers
tant de siècles ? Les monumens qui portent l'empreinte
d'un temps reculé , ne manquent jamais d'inspirer
le respect et d'attirer l'attention de ceux mêmes qui sont
le moins en état de les apprécier. Si le commun des hommes
en est frappé , quelle impression ne doivent-ils pas.
produire sur ceux qu'une érudition, même légère., a mis ,
en étatde connaître une partie de leurs mérites ?.Et l'homme
lettré , et l'artiste , et l'antiquaire ,quelles doivent être.
leurs jouissances , lorsqu'ils considèrent ces monumens , et
les interrogent , pour ainsi dire , sur les époques qui les
ont vu naître ?
Cette dernière réflexion nous reporte naturellement
vers les temps anciens , où ces mêmes monumens avaient.
un degré d'intérêt si différent et si au-dessus de celui qui
leur reste. Ce qui n'est pour nous qu'une production des:
arts , qu'un simple souvenir historique , était alors l'objet
du culte et de la vénération des peuples. Ces statues , ces
bustes , offraient l'image des dieux et des héros que leurs
exploits avaient rendus dignes de participer aux honneurs
( 1 ) Un volume in-8° . cartonné , 11 fr.; idem papier velin , car
tonné, 14 fr. A Paris , shez A. N. Benouard , libraire , rue St André-A
des-Arts;et chez le Normant, imprimeur - libraire , rue des Prêtres,
Saint-Germain-l'Auxerrois , nº.42 , en face du petit portail.
04
216 MERCURE DE FRANCE ,
divins . On adorait Apollon , l'encens fumait devant les
Muses , les héros avaient leur culte ; tout était divinisé.
Ces monumens , nous le répétons , ne sont plus pour nous
que des objets d'arts , que des témoignages historiques,
mais sous ces deux rapports, ils portent encore un bien
grand intérêt. 4
La plus grande partie des objets qui composent le
Museum des antiques , a été apportée d'Italie et choisie
dans les collections de Rome. La France n'en possédait
auparavant que quelques-uns , parmi lesquels on doit citer
la Diane de Versailles et la statue dite le Germanicus .
L'ouvrage que nous annonçons offre une réunion de
planches gravées d'après les statues , bustes , etc. de ce
Muséum. Le but de l'auteur a été de n'en donner que de
simples esquisses. Ce, recueil sera ans doute accueilli de
ceux qui aiment les arts ; il devra l'être particulièrement
des étrangers , qui y trouveront un souvenir des monumens
qu'ils auront vus dans ce Museum. Les planches
sont d'une trop petite proportion pour qu'on puisse y
exiger un grand fini. Mais il ne faut pas dissimuler qu'elles
auraient pu être gravées avec plus de soin. On les annonce
comme des esquisses ; nous nous permettrons d'observer
à l'auteur qu'une planche , au trait seulement , doit offrir
assez de pureté dans le dessin pour fixer parfaitement les
idées sur le style ét le degré de perfection de la figure
qu'elle représente. Son ouvrage ne pouvant manquer d'avoir
du débit , nous l'engageons à corriger quelques fautés
qui se sont glissées dans les noms , au bas des planches .
Quant au texte , il est entièrement rédigé sur la notice
de M. Visconti. Il serait difficile dans un ouvrage de
simple explication d'ajouter à cette excellente notice);
M. L. ne pouvoit donc mieux faire que de se borner à
en donner l'analyse. Il nous paraît avoir fait un bon choix
)
FLORÉAL AN XL 217
dans chaque article. Il n'a pas été tout-à- fait aussi heureux ,
quand il a voulu marcher sans guide, principalement dans
une courte introduction qui précède l'ouvrage. Nous
avons remarqué quelques incorrections de style ( bien pardonnablesau
reste à un artiste ) , et sur lesquelles nous nedevons
pas insister en rendant compte d'un ouvrage dont
les planches sont le principal , et le texte un simple acces
soire.
L'ÉDUCATION, poëme en IV chants.
L'auteur s'écarte d'abord de son sujet , et commence
par une digression sur l'amour. Cette digression finit par
ure invocation au beau sexe.
Oubliant mos erreurs ,je chante tes vertus ;
C'est à toi que l'on doit le bonheur d'être père ;
C'est à toi que l'on doit une amie , une mère.
On ne peut s'empêcher de convenir que cet éloge ne
renferme des vérités incontestables. C'est aux femmes que
l'auteur confie le soin de l'homme enfant.
Nous aurons cultivé son esprit et son coeur ,
C'est à nous qu'il devra ses vertus , son bonheur ;
Nous aurons éclairé sa timide jeunesse :
Un jour il soutiendra notre faible vieillesse ;
Et s'empressant alors de flatter nos désirs ,
Sur nos derniers momens semera des plaisirs .
Tel je vois dans nos champs le jardinier habile ,
Veiller sur un arbuste et le repdre fertile ,
Préserver des frimats , abriter des chaleurs
Satige, jeure encore , et ses naissantes fleurs .
1
T
b
Ces vers sont corrects et faciles ; il s'en faut de beaucoup
cependant que la correction soit le mérite de ce poëте ,
où les règles de la grammaire sont souvent blessées , et
318 MERCURE DE FRANCE ,
dans lequel l'auteur laisse trop apercevoir , on traitant de
l'éducation, qu'il n'a point encore achevé la sienne.
Nous ne répéterons point ici les lieux comnians de la
critique, sur le plan d'un poëme ; nous croyons que le
plan est nécessaire dans un poëme où l'on a mis une action
; mais si le poëme didactique peut se passer de plan ,
nous convenons aussi qu'il ne peut pas se passer de l'ordre
dans la classification des matières , et , sous ce rapport ,
le poëme de l'Education n'est pas irréprochable. Tout y
est tellement confondu, qu'on peut à peine en suivre la
lecture. L'auteur revient souvent sur les mêmes choses
il est plus prodigue de lieux communs que de préceptes ;
il moralise beaucoup , et il n'enseigne presque rien.Voici
cependant un de ses préceptes ; si les vers ne sont pas dictés
par le goût, les leçons sontdu moins inspirées parla
sagesse.
:
Eloignez à jamaisce fatras insipide
7
De romans plats et froids,dont levulgaire avide
Embrouille un esprit faux , incapable de tout
Faitpour ne point penser et n'avoirpoint de goût,
L'histoire peint les moeurs ; je choisirai l'histoire ,
J'en ferai des extraits : j'ornerai sa mémoire ,
Et d'Emile attentifà ces événemens ,
J'éveillerai le goût et tous les sentimens.
L'histoire , la physique et la cosmographie,
Formeront son esprit à la philosophie.
Non, cette liberté qui dressa des autels.
Surles corps écrasés des plus doux des mortels,etc.
et
Le plus grand avantage du genre didactique , c'est de
revêtir d'images riantes des préceptes souvent arides , et
d'associer , pour ainsi dire , les leçons d'une austère sagesse
aux graces de l'harmonie; les préceptes se retiennent plus
aisément , lorsqu'ils sont mis en beaux vers ; mais dans ce
poëme , les vers ajoutent encore à l'ennui des préceptes.
3
FLORÉAL AN XL
219
Ce poëme de l'Education ne pèche pas seulement contre
le goût , mais il pèche souvent par défaut de conve
nances. Par exemple , l'auteur , dans le commencement de
son quatrième chant , parle du sacré vallon , et en rappelant
les hommes fameux qui habitent le temple de la renommée,
il s'exprime ainsi :
Sur le devant du trône on lit les noms fameux
Des esprits immortels inspirés par les dieux ;
L'auteur de la Pucelle et le chantre d'Emile ,
Sont réunis tous deux dans ce champêtre asile.
Je veux bien consentir à ce que le chantre d'Emile soit
placé dans le sacré vallon , quoiqu'il n'ait rien fait que de
médiocre en poésie. D'ailleurs , il s'agit moins ici de la
poésie que de la morale ; mais comment ose-t-on , dans un
poëme sur l'Education , envisager Voltaire comme auteur
de la Pucelle , et le présenter ainsi à l'admiration de la
jeunesse?
3
1
EUSTASIA , Histoire Italienne ( 1 ) ,
C'est une nouvelle production de M. d'Arnaud , aujourd'hui
le doyen de la littérature . J.-J. Rousseau disait que
la plupart des gens de lettres écrivaient , les uns avec leur
tête , les autres avec leurs mains , mais que d'Arnaud écrivait
avec son coeur. On verra , dans cet ouvrage , si M. d'Arnaud
continue à mériter cet éloge ; ce qui est certain , c'est
qu'Eustasia est peu inférieur aux autres roimansdu même
auteur. Voici l'analyse de celui-ci : Eustasia estd'une naissance
distinguée , et cet avantage est relevé encore par sa
( 1 ) Deux volumes in- 12 . Prix, 3 fr . et 4 fr. par la poste. AParis,
chez André, libraire , rue de la Harpe ; et chez le Normant , impri
meur-libraire , rue des Prêtres Saint-Germain- Auxerrois , nº. 43, en
facedu petitportail.
P20 MERCURE DE FRANCE ,
beauté et ses vertus. A peine a-t-elle atteint l'âge de l'adolescence
, que son coeur s'ouvre à la passion , la plus
funeste , à l'amour. Un Français qui occupe chez le
marquis son père , la place de gentilhomme , devient éperdument
épris de cette jeune demoiselle; sa femme-dechambre
, espèce d'intrigante , parvient à lui inspirer un
penchant pour ce Français. Dé-là résultent nombre d'épreuves
cruelles pour les deux amans . Eustasia , qui ne
sauroit dissimuler sa faute , est forcée de fuir de la maison
paternelle avec son séducteur. Elle se trouve livrée à toutes
les suitesd'un égarement sicondamnable , et obligéed'aller
se réfugier dans un hôpital poury donner la vie au fruit de
sa coupable erreur. Elle essuye une longue maladie ;àpcine
a-t-elle revu la lumière , qu'elle cherche des yeux son
amant ; il avait quitté le lieu où ils étaient venus se dérober
aux recherches d'une famille justement irritée. Qu'on
se pénètre de l'état affreux où se trouve Eustasia ! Dans
son infortune , elle a le bonheur de rencontrer une dame
qui habite la campagne , et qui lui donne asile dans sa re
traite. Laure ( c'est le nom de la dame ) raconte à Eustasia
ses malheurs, C'est aussi l'amour qui lui a fait éprouver
une quantité d'événemens qui intéressent. Laure a ôté la
vie à l'assassin de son père et de son amant ; elle a un als
qu'on nomme Octave , qui devient amoureux de Julie
fille d'Eustasia.
Nous renvoyons à l'ouvrage même, pour voir la suite
de ce nouvel incident. M. d'Arnaud paroît avoir voulu
faire le procès à l'amour ; mais ce dieu se jouera toujours
et de ceux qui l'attaquent et de ceux qui s'abandonnent
àlui.
f
M. d'Arnaud est auteur de soixante volumes ; nous
avons dit , il y a quelque temps , que l'art d'écrire était
dégénéré en métier, mais que ce métier n'étoit pas lucratif.
M. d'Arnaud , qui est bien supérieur à la foule d'écrivains
dont nous parlions , n'a pu parvenir non plus à se
faire un sort aisé avec ses ouvrages. Voltaire lui éhivait
1
FLORÉAL ANXI 220
en 1748 : « Je vous exhorterai toujours à faire usage de
>> votre esprit pour établir votre fortune. » Et à la même
époque il écrivait au roi de Prusse. « Je ne sais pas si
>> d'Arnaud sera immortel , mais je le tiens fort heureux
>> dans cette courte vie. » M. d'Arnaud n'a pas suivi le
conseil de Voltaire ; et si Voltaire vivait aujourd'hui , il
verrait que cette courte vie a été beaucoup plus longue
que le bonheur de M. d'Arnaud.
LEONTINE , ou la Grotte allemande ( 1 ) .
Nous avons remarqué il y a quelque temps , comme une
chose extraordinaire , qu'il s'était écoulé huit jours sans
qu'il parût aucun roman nouveau ; les romanciers se sont
bien corrigés depuis , et cet oubli d'un moment a été
promptement réparé. Puisqu'il paraît convenu , dans cette
partie , que la quantité tient lieu de la qualité , les auteurs
ont grand tort d'être en retard ; il leur en coûte si peu
d'ailleurs pour contenter les amateurs de ces sortes de
nouveautés !
L'auteur de celle-ci est une femme , dont les amis regrettent
en ce moment la perte ; c'est du moins ce que
nous apprend l'éditeur , dans la préface : il en crayonne
un portrait sentimental , qui fait regretter qu'il ne nous
ait pas appris son nom.
2
Léontine , séparée d'une femme qui l'avait élevée , et
qu'elle croyait sa tante , trouve dans une grotte, au milieu
(1 ) Faits historiques qui se sont passés en Allemagne ; par madame
deF...... auteur de plusieurs ouvrages nouveaux : deux vol. in-ra,
Prix , 3 fr. 60 cent . et 4 fr. 50 cent. A Paris , rue dela Perle
n°. 469; et chez le Normant , imprimeur-libraire , rue des Prêtres
Saint-Germain-l'Auxerrois, n°. 42, en face du petit portail.
;
1
222 MERCURE DE FRANCE ,
de la Forêt-Noire , un hermite qui la reconnaît bientot
pour sa fille , et lui apprend que celle qu'elle croyait sa
tante est sa mère;mais ce père est irrité contre son épouse,
par laquelle il se croit trompé. Léontine , convaincue de
l'innocence de sa mère, quitte la grotte pour la chercher
et la réunir à son époux. Elle rencontre des personnages
qui ont connu sa famille , et qui lui content l'histoire de
ses parens. Elle apprend comment son père , prévenu par
de fausses apparences et par les discours d'amis perfides ,
s'était séparé de sa femme. Après quelques aventures ,
Léontine se trouve chez des parens qui l'accueillent avec
amitié. Il ne manque plus à sa félicité que la découverte
de sa mère , lorsqu'une femme , qui a causé le malheur de
cette famille , vient la poursuivre dans cet asile , et la
pauvre Léontine est forcée de fuir : mais au moment ou
elle se croit plus que jamais malheureuse , sa mère reparaît;
les deux époux se réconcilient , et Léontine épouse
un petit-cousin qui se trouve là tout expres.
Voilàdonc un roman sans amour ; car , celui du papa
et de la maman n'est qu'accessoire , et celui du cousin ne
paraît qu'au moment du mariage .
La simplicité des événemens est maintenant si rare
dans les romans , qu'il en faut faire un mérité à celui-ci .
La lecture n'en est pas désagréable , quoiqu'il soit faiblement
écrit. L'auteur veut quelquefois prendre un langage
relevé , et nous avons remarqué cette phrase , tout-à-fait
digne du roman de Delphine. Là tout semblait vous dire i
si la mort suit la vie , la vie aussi suit la mort.
Ce roman offre un vrai modèle de piété filiale , sentiment
dont il ne peut être qu'utile de renouveler souvent
le tableau.
FLORÉAL AN XI. 223
Essai de métaphysique, de politique et de morale . 12
Rarement nos écrivains sont laconiques sur la métaphy
sique , la politique ou la morale ; sous ce rapport , l'au
teur du livre que nous annonçons mérite une place àpart.
Son ouvrage contient à peine trente-deux pages , et il a
traité , dans ce court espace , de tout ce qu'il importe å
l'homme de connaître , soit en le considérant comme animal
, comme être moral , ou comme étre social. C'est un
tour de force qui tient du prodige , et qui n'a riendecomparable
pour le talent, que le génie de cet ouvrier qui
avait fait entrer toute l'Iliade dans une coquille de noix.
Nous avons lu cette petite brochure avec attention , et
notre étonnement a redoublé, lorsque nous avons vu l'au
teur , après avoir traité les objets les plus importans ,
trouver place encore pour faire entrer dans son livre des
lieux communs et des apostrophes à l'Eternel.
Dans le premier chapitre , l'auteur parle de la matière,
et il la divise en quatre espèces : la matière ardente , la
matière compacte, la matière fluide et la matière subtile.
Nous ne suivrons point notre métaphysiciendans l'arrangement
qu'il donne à toutes ces matières. Il croit à la
spiritualité et à l'immortalité de l'âme, et il ne la place
point dans la glande pinéale , comme Descartes , ni dans
le cervelet , comme certains philosophes modernes , mais
dans le coeur qui est le siége du sentiment et de la pensée.
Il serait difficile de savoir quelle est la religionde l'auteur;
il ne donne pas àDieu le nom d'Etre suprême , comme
Robespierre ; il secontente de l'appeler l'Eternel , comme
les théophilantropes. Les peines réservées au crime dans
un autre monde , ne sont , d'après son opinion , que des
peines négatives; si cette doctrine n'est pas vraie , elle
peutdu moins paraître fort commode.
L'auteurpose quelques principes sur lajustice , qui est
224 MERCURE DE FRANCE ,
une des idées innées de l'homme , et c'est de là qu'il paraît
tirer toutes ses conclusions pour l'organisation sociale.
Du reste , l'Eternel ne paraît pas exercer une influence
bien directe sur les sociétés humaines , et beaucoup de
gens pourraient croire qu'à la rigueur on peut s'en
passer.
Dans tout le cours de son ouvrage , l'auteur parle de
la pensée et des perceptions , et la pensée est encore le
sujet de son dernier chapitre. Voltaire comparaît les métaphysiciens
aux danseurs de menuets , qui , après avoir
parcouru un certain espace et développé toutes les graces
de leur corps , finissaient par revenir au point d'où ils
étaient partis. Voici comment notre écrivain se résume
sur la pensée .
exa- >> Par lapensée , l'hommé se fait des perceptions ,
>> mine , compare , juge. Par la pensée, l'homme se pré-
>> serve des vices , exprime les passions , les dompte ou
>>leur donne une direction louable. L'homme, par la
» pensée , conçoit une telle horreur pour le crime , qu'il
>> se voit irrévocablement à l'abri de le commettre. Par
>> la pensée , l'homme s'élève jusqu'au grand Etre dont il
>> est sur la terre lavivante image. Par lapensée, l'homme
>> découvre les bornes de la pensée , et se fait encore des
>> idées de ce qui ne lui estpas donné de concevoir.........
>> Par la pensée , le bien et le mal se présentent à
l'homme; et si , par la pensée il se dégrade, par la
>> pensée , il s'ennoblit.
Le mot de pensée est encore répété plus de trente' fois ,
et il revient toujours de la même manière , cé qui donné
àce dernier chapitre l'air d'une chanson à refrain
120
,١٠
A
ATHÉNÉE
FLORÉAL AN XI. 225
ATHÉNÉE DE PARIS ,
Ci-devant Lycée ,
Rue du Lycée , nº. 1095, Place du Palais du Tribunat.
Après dix-huit années de travaux non interrompus , et
de succès dans tous les genres , l'Athénée de Paris tient
sans doute aujourd'hui une place assez distinguée dans
Popinion publique pour fixer l'attention des étrangers qui
se trouvent en si grand nombre dans la capitale.
Les fondateurs de l'Athénée , d'après les demandes réitérées
qui leur ont été adressées , regardant comme un de
leurs devoirs d'accueillir et même d'appeler dans leur société
tous les amis des sciences et des lettres , de quelque
pays qu'ils soient , ont arrêté , en faveur des étrangers ou
autres personnes que l'hiver réunit dans la capitale , de
faire imprimer et distribuer l'extrait suivant du programme
de l'an 11 ( 1 ).
Les travauxde l'Athénée forment , pendant cette année,
treize divisions : La Physique expérimentale , professée
par les CC. Lefèvre-Gineau et Biot ; la Chimie , par les
CC. Fourcroyet Thénard ; l'Histoire naturelle , par les
CC. Cuvier et Duméril ; l'Anatomie , parle C. Sue ;
la Botanique , par le C. Mirbel ; la Technologie , ou l'Application
des Sciences aux Arts et Metiers , par le C.
Hassenfratz l'Histoire , par le C. de l'Isle de Sales ; la
Philosophie morale , par le C. Degerando ; la Grammaire
générale , par le C. Sicard ; l'Architecture et les
Arts du Dessin , par le C. Legrand ; la Perspective , par
( 1 ) Le programme de l'an 11 , contenant des détails particuliers sur
L'objetde chaque cours , se distribue au secrétariat de l'Athénée.
I P
226 MERCURE DEFRANCE ,
le C. Lavit ; la Langue anglaise , par le C. Roberts ; et la
Langue italienne , par le C. Boldoni .
A ces leçons , qui se donnent régulièrement dans le
cours de la semaine , sont jointes des séances entièrement
consacrées à la lecture de productions littéraires en vers
ou en prose , et de mémoires relatifs à des découvertes récentes
dans les sciences et les arts. Chaque mois , une de
cès séances est complettée par l'exécution de divers morceaux
de musique. Les littérateurs et les savans qui veulent
bien embellir par leurs talens les séances de l'an 11 ,
sont les CC. Boufflers , Fontanes , Ségur aîné et Ségur
jeune , Andrieux , Desmarets , Ramond , Lalande , Légouvé
, Daru , Luce Lancival , Lantier , Lachabeaussière
, J, Lavallée , Villeterque , etc. Le C. Vigée,
également célèbre comme littérateur et comme lecteur ,
a bien voulu promettre qu'il consacrerait quelques séançes
particulières à la lecture de morceaux détachés de son
cours de littérature. Enfin , notre poète Delille , que l'Athénée
a déjà entendu plusieurs fois avec tant de plaisir,
a fait espérer de continuer ses magiques lectures , dont
l'effet peut aussi difficilement se peindre que s'oublier.
1
-
Les salles de l'Athénée sont ouvertes tous les jours , depuis
neufheures du matin jusqu'à onze heures du soir.
Un bulletin hebdomadaire , adressé aux souscripteurs ,
leur indique d'avance l'heure et la destination de toutes
les séances.
** Le prix de la souscription , pour l'année qui a commencé
le 1er. frimaire an II , et finira le 50 brumaire
an 12 , est de 96 francs pour les hommes , et de 48 francs
pour les femmes. On ne reçoit pas de souscription partielle
: cependant , par une disposition particulière , les
fondateurs ont arrêté, queles étrangers, dames et messieurs
non domiciliés àParis , seraient admis à souscrire , mois
par mois , moyennant 24francs par souscription .
11
FLORÉAL AN XI 227
*Les nouveaux abonnés doivent être présentés par un
fondateur ou par un ancien abonné ; les étrangers voudront
bien se faire connaître à l'un des commissaires du
salon, qui les présentera.
Le bureau pour les souscriptions , est ouvert tous les
jours , au secrétariat de l'Athénée , rue du Lycée , n°. 1095 ,
place du Tribunat.
SPECTACLES.
THEATRE DE Louvors.
Nos auteurs dramatiques ne peuvent plus rien tirer de
leur fonds ; et , pour remplir la lacune qu'ils ont laissée
cette année au théâtre , ils se mettent aujourd'hui à ressusciter
des pièces oubliées. La Suite du Menteur , de Corneille
, n'eut aucun succès , lorsqu'elle fut jouée pour la
première fois , et elle n'était pas restée au théâtre. Voltaire
, dans ses commentaires , fait entendre qu'on pouvait,
tirer un très-grand parti de cette comédie , et qu'à l'aide
de quelques changemens elle pourrait reparaître sur la
scène. Un homme de lettres , M. Andrieux , a cru devoir
profiter de l'avis de Voltaire , et il a fait , à la Suite du
Menteur , les changemens qui paraissaient avoir été indiqués
par l'auteur des commentaires. Quoique ces changemens
aient été faits par un homme de goût , la pièce n'a
pas réuni tous les suffrages . Elle est , dit-on, plus adaptée
à nos goûts et à nos moeurs ; mais il faut croire que nos,
goûts et nos moeurs n'ont rien de comique et de plaisant ,
car la comédie de Corneille a beaucoup perdu de sa gaîté.
ΑΝΝΟNCES .
Second Voyage à la Louisiane , faisant suite au premier
de l'Auteur , de 1794 à 1798 , par Baudry des
Lozières. Le premier volume contient la vie militaire
du général Grondel , doyen des armées de France , qui
P2
228 MERCURE DE FRANCE ,
commanda long-temps à la Louisiane , et honoré de cent
dix ans de service : un détail sur les productions les plus
avantageuses , les plus extraordinaires de cette belle colonie
, et sur ses quartiers les plus fertiles et les plus lucratifs
: de nouvelles réflexions sur les colonies en général ,
et le Régime nécessaire aux personnes des Colonies pendant
la première année de leur arrivée.
Le second volume , un Mémoire sur ladécouverte da
Coton Animal : un Manuel botanique à l'usage des jeunes
Colons ; un Dictionnaire ou Vocabulaire congo , précédé
d'une Statistique des Comptoirs de la côte d'Angola , le
tout utile aux Américains cultivateurs qui n'entendent
point les langues de l'Afrique ; différents Projets d'armemens
, et Tableaux de Cargaisons pour l'avantage des
jeunes Colons , Négocians Armateurs , Capitaines de
vaisseaux marchands ou de l'état , et même des Administrateurs
des Ports ; le Coffre de Chirurgie qui enseigne la
nature des drogues et médicamens destinés aux voyages
de longs cours , leur prix et leur usage ; Observations sur
la Botanique médicinale , d'une grande utilité pour la
santé et l'instruction des Planteurs américains : réflexions
sur les Chambres d'Agriculture qui viennent d'être créées
de nouveau pour les Colonies , etc. etc. etc.
Prix 10 fr . , et 12 fr. pour les départemens , francs de
port.
AGothenbourg , chez J. J. Delagrange;à Saint Pétersbourg,
chez Alici ; et àParis , chez Charles , imprimeur ,
rue Guénégaud, n°. 18 , vis-à-vis la Monnaie ; Treuttelt et
Wurtz, libraires , quaiVoltaire , nº. 2; Pougens, libraire ,
quaiVoltaire , nº. 10 ; Fuchs , libraire , rue des Mathurins ;
Renard, libraire , rue de Caumartin, n°.750 , et de l'Université
, n°, 922 ; Cerioux , libraire , quai Voltaire , n°. 9;
le Normant, imprimeur-libraire , rue des Prêtres Saint-
Germain-l'Auxerrois , n°. 42 , en face le petit portail .
Journal de correspondances et voyages d'Italie et d'Espagne,
en 1758 , 1768 et 1770 , pour assurer la paix de
l'église, par une exposition de la doctrine du Saint-Siége;
par M. Clément , alors trésorier de l'église d'Auxerre , et
depuis évêque de Versailles : trois volumes in-8°. avec estampe.
Prix , 9 liv. AParis , chez l'Auteur , rue Saint-Jacques,
n°. 152 , près l'église ; Longuet , imprimeur ,
des Fossés-Saint- Jacques , n°. 2; et le Normant, imprimeur-
libraire, ruedes Prêtres-Saint-Germain-l'Auxerrois,
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rue
FLORÉAL AN XI.
229
Voyage dans l'Inde , au travers du granddésert , par
'Alep, Antioche et Bassora, exécuté par le major Taylor ,
ouvrage où l'on trouve des observations curieuses sur
l'histoire,les moeurs et le commerce des Mainotes , des
Tures et des Arabes du désert ; la description d'Alep ,
d'Antioché , de Bassora , et des détails intéressans sur la
presqu'île de l'Inde , sur les états et sur la guerre de Tipon-
Sultan. 2
Suivi d'instructions détaillées sur le commerce de l'Inde ,
sur les distances , les prix de routes ,le change des monnaies
d'Europe en Asie , et sur ce qui peut contribuer à
conserver la santé des voyageurs.
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notes explicatives et critiques , par L. de Granpré , ancien
officier de marine,auteur de plusieurs voyages dans l'Inde
et enAfrique , et du Dictionnaire de Géographie maritime;
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André-des-Arcs , n°. 8 ; Genets , jeune , libraire , rue de
Thionville , n°. 1846; Charles Pougens , libraire , quai
Voltaire , n°. 10; et le Normant , libraire , imprimeur
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Essai sur &Education , ou Manuel des Instituteurs et
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d'un dialogue entre deux Chiens, nouvelle imitée de
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de la
1
6
8
laHarpe, nº. 117 ,
下
P3
230 MERCURE DE FRANCE,
POLITIQUE.
Il a été fait, le 25 février , dans le sénat des Etats-Unis
d'Amérique , une proposition tendante à la levée de quatrevingts
mille hommes dans les états les plus voisins du Mississipi
, ce qui fait croire que la guerre entre cette république
et l'Espagne est inévitable .
La cour de Vienne , en cas que les hostilités recommencent
entre la France et l'Angleterre , est décidée à garder
la plus exacte neutralité ; tout autre système ne pourroit
qu'être funeste à cette puissance. S. M. l'empereur est allé
elle-même dans les bureaux de la chancellerie pour accélérer
le travail relatif à la ratification du conclusum de la
diète de Ratisbonne , du 24 mars (3 germinal ) .
Le duc de Wirtemberg a fait de nouvelles représentations
au conseil aulique de l'Empire concernant , le conclusum
qui approuve la demande faite par les états de ce
pays de la convocation d'une diète générale.
L'Allemagne vient de perdre deux souverains. Le prince
évêque de Ratisbonne , et la princesse Hohenlohe-Waldenbourg
Schillingfurst, née princesse d'Isembourg.
•Les élections sont terminées dans une grande partie de
la Suisse. Les petits cantons ont fait leur choix parmi les
hommes attachés d'opinion à l'ancienne forme de gouvernement.
La ville de Zurich et le canton de Soleure ont
également choisi des hommes attachés à l'ancien ordre de
choșes. Berne a fait choix d'hommes connus par des opinions
modérées. Le pays de Vaud , et la campagne de
Zurich ont choisi des amis de la révolution opérée en
Suisse. Le canton de Lucerne a choisi parmi les hommes
de la campagne , ceux dont l'esprit est le plus exaspéré en
ſavenr de la révolution. Toutes ces nominations annon
cent que la liberté la plus entière a présidé aux élections.
TRIBUNAT.
Séance du 23. Emile Gaudin parle le premieren faveur
du projet de loi concernant les Banques; il développe les
motifs qui prouvent son utilité , et rassure les personnes
qui craignent que les petits négocians ne retirent pas de
la nouvelle Banque les avantages qu'ils trouvaient dans le
Comptoir commercial et dans les autres Banques éta
FLOREAL AN XI. 231
blis. Portiez (de l'Oise ) et Guinard , parlent également
en faveur du projet , et s'attachent à réfuter les objections
faites par les administrateurs des Banques supprimées . Le
projet , mis en délibération, est adoptéà la majorité de 42
voix contre 21 . 1
Séance du 24. Organe de la section de Législation ,
Savoie-Rollin fait un rapport sur le projet de loi relatif
aux effets des divorces prononcés avant la promulgation
du code civil. Le tribunat adopte ce projet à l'unanimité .
Le tribunat délibère successivement sur deux autres
projets de loi. Le premier , relatif au mode de remplacementdes
contributions mobiliaires et somptuaires de la
ville de Paris , est adopté à l'unanimité. Le second , concernant
la contribution foncière des biens communaux ,
est adopté à la majorité de 53 voix contre 6. :
Séance du 26. Chabaud (de l'Allier) fait un rapport
sur le premier titre du livre III , du projet de code civil ,
relatif aux successions. La discussion est ajournée au 28.
Le tribnnat vote ensuite l'adoption de deux projets de
loi. Le premier a pour objet l'augmentation du nombre
desjuges dutribunal criminel du département de la Seine;
le second , fixe le délai à accorder aux habitans des colonies
pour comparaître devant les tribunaux de France .
Séance du 28. Sahuc rend compte du projet de loi por
tant concession de propriétés à titre de supplément de
récompense nationale , en faveur des vétérans qui seront
réunis dans les 26°. et 27. divisions militaires . Le tribunat
ordonne l'impression du discours , et ajourne la dis
cussion. On passe à celle du titre 1. du liv. 3 du code ci
vil , concernant la propriété ; et ce projet est adopté.
)
Séance du 29. L'ordre du jour appelle la discussion du
projet de loi portant concession de terreins aux vétérans
qui seront retirés dans les 26°. et 27. divisions militaires .
Carrion-Nisas appuie le projet et répond aux craintes que
quelques personnes ont paru concevoir sur le retour des
fiefs militaires. Le projet est adopté à la majorité de 57
voix contre 3 .
和4
Seance du 30 germinal. - Le tribunat a voté aujour
d'hui l'adoption du projet qui attribue au tribunal criminel
de la Seine la connoissance exclusive des faux commis en effets
nationaux , ou sur despièces qui intéressent le trésor
P4
232 MERCURE DE FRANCE ,
public.-Garion-Nisas a réclamé avec force ,dans lamême
séance , contre une erreur da Publiciste , qui attribue à cet
orateur ce principe : Que les terres des vaincus appartiennent
aux vainqueurs , tandis que tout son discoura
d'hier tendoit à dire le contraire .
si i
CORPS LÉGISLATIF.
1
Séance du 21 germinal. Organe du tribunat, Carret
propose au corps législatif de sanctionner le projet de toi
relatif à l'exercice de la pharmacie. Le corps législatif
l'approuve , à la majorité de 202 boules blanches contre
4noires.
de
+
Le conseiller-d'état Dumas propose un projetde loi por
tant concession de propriétés , à titre de récompense nationale
, en faveur des vétérans qui seront réunis dans les
26° et 27º, divisions militaires . L'établissement des camps
de vétérans , dit l'orateur , est une imitation de ces colonies
militaires dont les Romains tirerent unparti si avan
tageux , que Cicéron appelait Propugnacula reipublicæ ,
lesboulevardsde la république. Par cette loi , lesmilitaires
grièvement mutilés dans laguerrede la liberté , et âgés de
moins de quarante ans, qui voudronts'établir dans les 26°. et
27°. divisions militaires , recevront ,à titre de supplément
de récompense nationale une portion de terre d'un pro.
duit net égal à lasolde dont ilsjjoouuissent. Ils seront tenus
de résider sur ces terres et de concourir , quand ils seront
appelés , à la défense des places frontières des 26°, et 27°...
divisions militaires. Il sera formé dans lesdites divisions
des camps de vétérans , conformément aux dispositions
qui seront faites à cet égard par le gouvernement. Nous
nedonnerons pas une plus longue analyse de ce projet
que les autres journaux ont déjà fait connoitre.
e
Séance du 22. Les conseillers d'état Bigot de Préa
meneuetRegnault (de S.-Jean-d'Angély), sont introduits;
ils présentent un projet de loi tendant à attribuer au tribunal
criminel de la Scine la connoissance de tous les
crimes de faux. Le citoyen Bigot donne lecture du projet
qui est ainsi conçu : ....
Art. I. Le tribunal criminel du département de la
Seine connaîtra , pendant 5 ans , exclusivement à tout
les tribunaux contre toute personne, de tous les crimes de
FLOREAL AN XI. 233
faux,soit en effet nationaux , soit sur les piècesde comptabilité
qui intéressent le trésor publis , en quelque lien
que le faux ait été commis, ou que l'on ait fait usage
despièces fausses.
II. Le tribunal crimineldu département de la Seine se
formera en tribunal spécial pour le jugement de ces affaires,
et procédera conformément aux loixdes 18 pluviose
an 9 et 27 floréal an 10.
III. A compter de la publication de la présente loi,
lesdétenus pour crime de la nature de ceux désignés à
l'art. Ier. , seront renvoyés devant le tribunal criminel du
département de la Seine , avec les pièces et procédures
déjà commencées.
Le corps législatif après avoir entendu Parin , orateur
du tribunat, sur le projet de loi relatif aux manufactures,
arts et métiers,sanctionne ce projet à lamajorité de cent
quatre-vingt-dix-neuf voix contre neuf. Lecorps législatif
s'ajourne au24.
Séance du 24. L'ordre du jour est la discussion du projetde
loi sur les Banques.Gillet-la-Jacqueminière , un des
orateurs du tribunat , prononce un discours en faveur de
ceprojet; il en passe en revue tous les articles , et démontre
, dans une récapitulation succinte , que les Banques
bien combinées sont undes plus puissans moyens de richesseset
de prospérité nationale ; que de tous les systèmes
deBanques,celui qui est en discussion mérite la préférence;
que la Banque proposée doit être essentiellement
exclusive pour que rien n'entrave sonjeu, sa marche et
ses effets; que cette exclusion est dans le droit national
et pour l'utilité de tous. Le conseiller d'état Bérenger
ajoute quelques développemens à ceux donnés par l'orateurdutribunat.
Le conseiller d'état Cretet , prend aussi
laparole. Il représente le projet comme un bienfait pour
ceuxmêmes dont il senible contrarier le plus les intérêts.
Lesplaintes que ce projet a pu faire naître , dit-il , ont été
exprimées au nomdu commerce'; mais qu'est-ce que le
commerce de la France ? sans doute il ne se compose pas
d'environ 1500 négocians existans dans Paris ? ce n'est
qu'une très-foible minorité du commerce français; et cette
minorité ne peut le représenter , car elle n'a aucune délégation
pour cela, et le droit qu'elle semble s'arroger de
réclamer, ne peut être regardé que comme une usurpa234
MERCURE DE FRANCE ,
tion. On fermela discussion, et le projet est adopté à la majoritéde
159 contre 63.
1.
Séance du 25. Le corps législatif a adopté , dans cette
séance , le projet de loi portant fixation de délai pour la
signification des procès-verbaux de contravention à la loi
du timbre , et le projet de loi relatif aux adoptions postérieures
au 18 janvier 1792 , et antérieures au code civil . Il
a entendu ensuite le conseiller d'état Regnault , qui , au
nom du gouvernement , a annoncé que le gouvernement
avoit distrait du projet de loi présentant 148 demandes
relatives à des intérêts communaux et particuliers , celle
relative à Montluçon , sur laquelle il a été fait des objections
; il présente ensuite , 1 % un projet de loi contenant
les 147 autres affaires ; 2. celle relative à Montluçon.
L'orateur donne de grands développemens au principe
établi dans la législation., que l'on peut forcer un particulier
à vendre sa propriété , en cas d'utilité publique ,
moyennant une juste et préalable indemnité. Il s'agit ici ,
dit l'orateur , d'un terrein qui fut , de tous les temps , l'emplacement
d'une foire fréquentée par tous les commerçans
de la république , même par ceux de l'étranger , et
dont le propriétaire avait lui-même offert l'abandon , en
priant le conseil municipal de solliciter avec instance ( ce
sont ses termes) une loi à ce sujet. ( Voyez article tribunat,
la séance du 15 de ce mois ) .
:
Séance du 26.- Les conseillers d'état Defermont , Cretel
et Berenger , présentent un projet de loi portant que
les canaux de navigation ne seront taxés à la contribution
foncière qu'en raison du terrein qu'ils occupent , comme
terre de première qualité.
Trois autres conseillers d'état , Lacuée , Jourdan et
Ségur , viennent proposer un projet de loi sur la levée des
conscrits de l'an 12. Lacuée en développe les motifs. La
conscription naturalisée en France , dit-il , ne cessera jamais
d'être la force du peuple français , l'espérance de
ses alliés et la terreur de ses ennemis. ( Voyez le projet à
la fin des séances du corps législatif. )
L'ordre du jour appelle la discussion de trois projets de
loi ; le premier , concernant la contribution foncière des
biens communaux ; le second , relatif au remplacement
de la contribution mobiliaire et somptuaire de la ville de
Paris ; et le troisième , tendant à régler les effets des divon*
FLORÉAL AN XI . 235
ces prononcés avant la promulgation du titre du code
civil sur le divorce. Le corps législatif les sanctionne.
Séance du 28. - Les conseillers d'état Dessolle , Petiet
et Segur , présentent un projet de loi sur les soldes de retraite
, les invalides , les traitemens de réforme et les secours
àà accorder aux veuves et orphelins de militaire. Le
général Dessolle explique les motifs du projet , d'après lequel
la solde de retraite pour ancienneté de service , c'està-
dire après 50 années révolues , est fixée comme il suit. -
Général de division , 6,000 fr. Général de brigade,
4,000. Adjudant-commandant ou chef de brigade , 2400 fr.
Chef de bataillon ou d'escadron , 1,800 fr. Capitaine ,
1200 fr. Lieutenant , goo fr. Sous-lieutenant , 700 fr .
Adjudant-sous-officier , 600fr . Sergent-major , ou maréchal-
des-logis chef, 565 fr. Sergent ou maréchal-des-logis ,
273 fr. 75 c. Caporal , ou brigadier, 219fr. Soldat detoute .
arme et du train d'artillerie , 182 fr. 50 c.
Inspecteur en chef aux revues , 6,000 fr. Inspecteur aux
revues , 4,000 . Sous-inspecteur , 2,400 fr .
ere
Commissaire-ordonnateur , 3,600. Commissaire des
guerres , 1,800 fr. Adjoint aux commissaires , 900 ,
Officiers de santé en chef , 3,600 fr. De 1 classe
1,800 fr . De 2º. classe , goo fr. De 3º. classe , 600.
Au-dessus de trente années de service , les officiers de
chacun de ces grades auront la moitié du maximum.
,
*158
La solde de retraite , pour les blessures graves , telles
que la perte de deux membres , sera du maximum fixé
pour 50 années , et en outre dé la moitié de ce maximum.
Ce qui fera 9,000 pour le général de division , et de 273
fr. 75 c. pour le soldat de toute arme.
Le traitement de réforme est accordé pour les infirmités
résultant de blessures moins graves ou provenant de fatigues
et événemens de la guerre , et inettant dans l'impossibilité
de continuer le service. Il sera de la moitié du maximum
fixé pour les 50 années de service , c'est-à-dire de 3,000 fr .
pour le général de division , et ainsi proportionnellement
àchaque grade indiqué ci-dessus , jusqu'au soldat de toute
arme .
Ce traitement peut se cumuler avec tout autre traitementque
la solde d'activité.
Le corps législatif entend ensuite la lecture d'un projet
de loi sur les douanes présenté , par les conseillers d'état,
Colin , Jollivetet Regnault : il sanctionne à la presqu'una236
MERCURE DE FRANCE ,
nimité deux projets de loi ; le premier concernant la fixa
tiondu délai dans lequel les habitans des colonies pour
rontcomparaître devant les tribunaux de France; le second
relatifàl'augmentationdu nombre des juges du tribunal
criminel du départementde la Seine.
Séance du 29. - On introduit les conseillers d'état
Duchâtel , Dauchy et Pelet (de laLozere ); le premierprésenteunprojet
de loi relatif aux bois des particuliers des
communes et des établissemens publics. Le corps législa
tif sanctionne ensuite à l'unanimité le titre V du 3. livre
du code civil , concernant les différentes manières dont on
acquiert lapropriété , et s'ajourne au 1. floréal.
Projetde loi sur la levée des conscrits des années ti et iz.
Art. I. Il sera levé trente mille hommes sur la conscription de l'an
onze, ettrente mille sur la conscriptionde l'an douze. Ils serontdes
tinés à maintenir l'armée sur le pied de paix.
II. Il sera également levétrente mille conscrits del'an onze et trente
mille del'an ta, pour rester en réserve , et être uniquementdestinés
à porter l'armée au pied de guerre , si cela devenoit nécessaire.
IHI. Les conscrits de l'an douze ne pourront , sous aucun prétexte ,
être appelés avant l'époque du 1 vendémiaire an 12.
IV. Lesdépartemens fourniront leur contingent , conformément
au tableau annexé à laprésente.
V. La répartition entre les arrondissemens et les municipalités
sera,ainsique les désignations , exécutée conformément aux dispositionsde
la loi du 28 floréal an ro.
VE Les conserits ne pourront être ni appelés ni désignés pour
faire partieducontingentque dans lamunicipalitéde leur domicile.
VII Tout conscrit absent, au moment dela désignation, ouqui ne
pourra se rendre à l'assemblée presorite par ladite désignation , devra
être représenté par son père ou un de ses plus proches parens , ou ,
à leurdéfaut, par un citoyen nommé d'office par lemaire.
VIII. Tont conscrit absent qui aura été désigné pour faire partie
ducontingent ,aura un mois pour se présenter devant lecapitaine du
recrutement.
Celuiqui , à l'expirationdudélai d'un mois, ne se sera point présenté,
ou n'aura point fait admettre un suppleant , sera, sur la
plainte du capitaine du recrutement, déclaré, par lepréfeett ou souspréfet
conserit réfractaire.
IX. Le préfet ou sous-préfet , enverra , dans les trois jours , son
arrêté au commissaire du gouvernement près le tribunalde première
instance de l'arrondissement .
-Le conmmissaire requerra, dansle même délai , contre le conscrit
réfractaire et contre ses père et mère civilement responsables, la con
condamnation à l'amende , portée par la loi du 17 ventose an 8 , avec
l'impression et l'affiche du jugement , aux frais du condamné.
Latribunal prononcera sans déseinparer.
Le commissairedu gouvernement adressera , dans les troisjours',le
FLORÉAL AN XI. 237
jugement audirecteur de l'enregistrement et du domaine , chargé de
poursuivre lepaiement de l'amende , ainsi qu'il est prescrit par les ar
ticles 10 et II de la susdite loi.
Lecommissaire du gouvernement adressera aussi des copies du jugement
au capitaine du recrutement , et au commendant de la gendar
merie dudépartement , chargé de faire rechercher ledit conscrit , et de
lefaire conduire au dépôt qui sera désigné par le gouvernement...
X. Tout conscrit condamné comme réfractaire , sera conduit ,de
brigade en brigade , dans un dépôt militaire , pour y être à la dis
positiondugouvernement, pendant cinq ans , et employé dans les corps
militairesque le gouvernement déterminera , et qui seront soumis à une
discipline particulière.
XI. Lamêmeprocédure sera observée etllee smêmespeinesprononcées
contre tout conscrit désigné , qui ne rejoindra pas a l'époque qui
lui auraétéprescrite ,lecorpsddaans lequel11devra être incorporé.
XII. Tout conscrit condamné comme réfractaire, qui n'aurapas
été arrêté et conduit au dépôt , dans les mois qui suivra le jugement
rendu contre lui , sera , sur la demande du capitaine de recrutement
etd'après les ordres du préfet , remplacé par sa municipalité ; en conséquence
il sera fait une nouvelle désignation.
** XIII . Pourront être admis comme suppléans , les conscrits de l'année
etdes années antérieures , non désignés , ou désignés sculement pour
laréserve, pourvu qu'ils aient la taille et les autres qualités requises ,
etqu'ils soient nés et domiciliés dans l'étendue de l'arrondissement.
Les individus qui se seront fait remplacer par un membre de la
reserve , seront inscrits dans ladite reserve , au lieu et place de leur
suppléant.
XIV. Le conscrit qui aura un frère faisant,comme conscrit , partie
de l'armée active, celui qui sera fils unique d'une veuve , et l'aîné de
frères orphélins pourront, s'ils le demandent , être désignés pour
former la réserve .
Ladiscussionde ce projet est fixée au 6 floréal .
7
:
Le tableau de répartition de 50,000 conscrits , annexé
au projet de loi présenté au corps législatif , règle ainsi
qu'il suit , le contingent à fournir par chacun des 108
départemens :
Ain', 266. Aisne , 578. Allier , 226. Alpes , ( Basses )
125. Alpes , ( Hautes ) 100. Alpes- Maritimes , 125. Ardèche
, 241. Ardennes , 228. Arriége , 175. Aube, 257.
Aude , 200. Aveyron , 295. Bouches- du-Rhône , 251.
Calvados , 406. Cantal , 197. Charente , 268. Charente-
Inférieure , 357. Cher , 196. Corrèze , 20g. Côte-d'Or ,
193. Côtes-du-Nord , 290. Creuze , 193. Doire , (la) 250.
Dordogne , 269. Doubs , 198. Drôme , 209. Dyle , 332,
Isle-d'Elbe , 20. Escaut , 542. Eure, 561. Eure-et- Loir
23. Finistère , 253. Forêts , 184. Gard , 269 Garonne ,
(Haute ) 371. Gers , 241. Gironde , 449. Golo , 230.
Hérault, 247. Ille-et-Vilaine, 500. Indre , 182. Indre-et
238 MERCURE DE FRANCE ,
Loire , 242. Isère , 388. Jemmappes , 377. Jura , 254.
Landes , 201. Lenian , 182. Liamone , 150. Loir- et-Cher ,
189. Loire , 262. Loire , ( Haute ) 207. Loire-Inférieure ,
300. Loiret , 258. Lot, 339. Lot-et-Garonne , 290. Lo
zère , 114. Lys , 419. Maine-et-Loire , 300. Manche , 472.
Marengo , 320. Marne , 269. Marne , ( Haute ) 199.
Mayenne , 240. Meurthe , 295. Meuse , 236. Meuse-Inférieure
, 212. Mont-Blanc , 229. Mont-Tonnerre , 351 .
Morbihan , 280. Moselle , 306. Nethes , ( Deux ) 223.
Nièvre , 208. Nord , 685. Oise , 311. Orne , 358. Ourthe ,
299. Pas-de-Calais , 449. Pô , 381. Puy-de-Dôme , 449.
Pyrénées , ( Basses ) 521. Pyrénées , ( Hautes ) 157. Pyrénées-
Orientales , 100. Rhin , (Bas ) 399. Rhin , ( Haut )
347. Rhin-et-Moselle , 211. Rhône , 275. Roër , 300 .
Sambre- et-Meuse , 141. Saône , ( Haute ) 250. Saône-et-
Loire , 407. Sarre , 178. Sarthe , 353. Seine , 450. Seineet-
Marne. 265. Seine-Inférieure , 540. Seine-et-Oise , 375.
Sésia , 191. Sèvres , ( Deux ) 194. Somme , 411. Stura ,
580. Tanaro , 285. Tarn , 241. Var, 234. Vaucluse ,170.
Vendée , 200. Vienne , 216. Vienne , ( Haute ) 217.Vos
ges , 272. Yonne , 284.
PARIS.
Par un arrêté du gouvernement , en date du 18 de ce
mois , les conseils-généraux de départemens , conformément
à la loi du 18 germinal an 10 , sont autorisés à voter
une augmentation de traitement aux archevêques et évêques
de leurs diocèses , si les circonstances l'exigent. Ils
détermineront , pour les vicaires-généraux et chanoines ,
un traitement qui ne pourra être moindre que celui qu'à
fixé l'arrêté du 14 nivose an 11. Ils proposeront , en outre ,
les sommes qu'ils croiront convenable d'appliquer , I. aux
acquisitions , locations,, réparations et ameublemens des
maisons épiscopales ; 2°. à l'entretien et réparation des
églises cathédrales ; 3°. à l'achat et entretien de tous les
objets nécessaires au service du culte , dans ces églises.
Ces sommes seront imputées sur les centimes additionnels
affectés , chaque année , aux dépenses variables de leurs
départemens .
Les conseils municipaux , en exécution de l'article
LXVII de la loi du 18 germinal an 10 , délibéreront ,
1° . sur les augmentations de traitemens à accorder sur les
revenus de la commune , aux curés , vicaires et desservans,
FLORÉALAN XI 239
2°. sur les frais d'ameublement des maisons curiales ,
3°. sur les frais d'achat et d'entretien de tous les objets
nécessaires au service du culte dans les églises paroissiales
et succursales.
Les conseils municipaux indiqueront le mode qu'ils
jugeront le plus convenable pour lever les sommes à fournir
par la commune , pour subvenir aux dépenses désignées
en l'article précédent.
Les délibérations des conseils-générauuxx de départemens
et celles des conseils municipaux , ne pourront être mises
à exécution qu'après l'approbation du gouvernement.
Elles seront transmises séparément par les préfets au ministre
de l'intérieur .
Un arrêté du gouvernement , en date du 23 germinal ,
prescrit aux payeurs extérieurs du trésor public , d'adresser
au ministre de ce département , dans les cinq premiers
jours qui suivront l'expiration de chaque trimestre ,
toutes les ordonances qui auraient six mois de date au
moins , et qui , étant payables par eux à des parties prenantes
ydénommées, n'auraient pas encore été acquittées.
Les arrérages de la dette publique et des pensions
payables dans les départemens , et qui n'auraient pas été
réclamés par les rentiers et pensionnaires , dans les six mois
qui suivront le terme fixé pour consommer le paiement
d'un semestre échu , ne pourront plus être acquittés qu'à
Paris ; en conséquence , les fonds affectés au paiement
de ces arrerages non réclamés , seront pareillement reversés
à la caisse centrale du trésor public , par les préposés
du payeur-général de la dette publique.
D'après un autre arrêté du gouvernement , ne sont pas
compris au nombre des actes conservatoires autorisés par
l'article 6 de l'arrêté du 19 fructidor an 10 , concernant les
créanciers des colons de Saint-Domingue , les actes qui
empêcheraient l'effet de la surséance , tels que saisies
mobiliaires ou réelles , oppositions à la délivrance des
revenus , fruits , denrées , et autres objets mobiliers . Les
oppositions mises à la délivrance des capitaux , dûs par
lesdits colons pour les causes énoncées en l'article 1 .
dudit arrêté , n'empêcheront pas la délivrance desdits
capitaux , mais assujettiront les colons , auxquels ces
remboursemens auront été faits , à justifier , dans le délaï
de six mois , à compter du jour desdites appositions , que
l'emploi des sommes en provenant a été fait à l'exploitaer
7
240 MERCURE DE FRANCE .
tion ou amélioration d'une habitation de ladite colonie ;
sinon ils pourront être déclarés déchus du bénéfice de la
surséance accordée par l'article 1. dudit arrêté du 19
fructidor an 10 .
Le premier consul aaccordé des lettres de grâces à
deux individus condamnés à mort. Le premier , nommé
Jean-Pierre Gratien , est un militaire couvert de blessures
honorables . Il paraît que ce militaire avait tué une femme,
Le second, nommé Charles Pain , condamné , comme
complicede meurtre , sur la déposition d'une femme qui
enétait l'auteur, et qui a rendujustice à l'innocence de ce
malheureux , lorsque, condamnée elle-même à la peine
de mort , elle allait subir sa sentence..Le commissaire du
gouvernement prit sur sa responsabilité de suspendre
l'exécution du jugement de Charles Pain.
L'académie française, dans sa séance du 30 germinal ,
a élu M. de Parny à la place vacante par la mortde
M. Devaisne. La nomination a été faite au premier tour
de scrutin , malgré le mérite de plusieurs concurrens
distingués: celui qui a réuni le plus de voix , après M. de
Parny , a été M. Dureau Delamalle , à qui ses ouvrages ,
ses connaissances en littérature , son excellente critique ,
ouvrent également l'académie française et la classe de
littérature ancienne.
Joseph Bonaparte vient d'être nommé membre de la
troisième classede l'Institut ,à la place vacante par la mort
de D. Poirier. :
Les nouvelles de Saint-Domingue deviennent de jour
en jour plus rassurantes. On apprend, sous ladate du
15 ventose , que le général Rochambeau transfere son
quartier-général au Port-au-Prince ; que beaucoup de
negres rentrent sur les habitations de la plaine; que l'épidémie
a entièrement cessé , et qu'on entrait dans la saison
la plus favorable de l'année pour l'acclimatation des Eu
ropéens. Au depart de ces nouvelles , plusieurs mille
hommes de troupes arrivant de l'Europe venaient de
débarquer au Cap.
La nouvelle monnaie portant l'effigie du premier consul
, commence àparoître dans la circulation; les der
niers paiemens de la trésorerie ont été faits en nouvelles
piècesde5 fr.
La cour d'Espagne , plusieurs princes d'Allemagne , et
ungrand nombre d'étrangers de distinction , ont souscrit
pour la belle édition in-4°. du poëme de la Pitié.
( No. XCVI. ) 10 FLOREAL an 11 .
( Samedi 30 Avril 1803. ) :
MERCURE
DE FRANCE.
LITTÉRATURE
REP.FRA
POESIE.
1
MORT DE NISUS ET D'EURYALE
(Traduit de Virgile. )
DES Rutules vaincus la dépouille pesante
D'Euryale qui fuit rend la course plus lente ;
De ces sombres forêts la ténébreuse horreur
Arrête encor ses pas égarés par la peur.
Nisus l'à devancé ; plus léger dans sa fuite ,
Il a des ennemis éludé la poursuite
Déjà loin du péril il ralentit ses pas ;
Mais il cherche Euryale , et ne le trouve pas :
Quel malheur vous retient , Ô mon cher Euryale !
Où vous suivre ? où courir ? Sort cruel ! nuit fatale
Il dit; et sur ses pas retournant dans les bois
Il suit tous leurs détours une seconde fois.
Il sent à chaque pas redoubler ses alarmes
4
5.
cen
12 Q
242 MERCURE DE FRANCE ;
Mais il entend le bruit des chevaux et des armes :
Soudain un cri perçant retentit jusqu'aux cieux !
Il voit.... Dieu ! quel spectacle est offert à ses yeux ;
Entouré d'ennemis qu'a favorisés l'ombre ,
Euryale surpris , accablé par le nombre ,
Sent plier son courage , et se défend en vain.
Qui pourra le soustraire au Rutule inhumain ?
Hélas ! comment sauver cette tête chérie ?
Nisus veut attaquer cette troupe ennemie ,
Et par un beau trépas signaler sa valeur.
Prêt à lancer un dard d'un bras plein de vigueur ;
II regarde le ciel , et fait cette prière :
,
<< O toi ! qui dans les cieux fais briller ta lumière ,
« Déesse de la nuit et des sombres forêts ,
>> Diane ! si toujours j'éprouvai tes bienfaits ,
>> Dans les bois si jadis , sûr de percer la proie ,
>> Je t'ai souvent porté mon offrande avec joie ,
>> En ce moment encor guide ce trait vengeur;
>> Répands ici par moi le trouble et la terreur. »
Il dit , et de son bras , que la colère anime
Le javelot s'enfuit , et frappe une victime :
Sulmon reçoit le trait derrière lui lancé ;
Par le fer de Nisus son corps est traversé :
Le sang coule à longs flots , il se roule , il s'agite ;
Dans les bras de la mort on le voit qui palpite.
La troupe s'en émeut ; et Nisus toujours prêt ,
Fait sur elle à l'instant voler un autre trait .
D'un bras toujours certain redoublant le carnage ,
Il échappe aux regards sous un épais feuillage :
L'air frémit , le trait vole , et le fer meurtrier
Sous le front de Tagus pénètre tout entier.
Volscens en frémissant veut punir le coupable :
Il tire du fourreau son glaive redoutable ;
Mais du trépas des siens il cherche en vain l'auteur.
FLOREAL AN XI 243
Alors vers Euryale il court avec fureur :
« Perfide ! dans ton sang que ma main va répandre
>> Je punirai le bras qui vient de nous surprendre ;
» Un seul coup , dit ce chef , me vengera des deux
Nisus à cet aspect pousse un cri douloureux :
Tremblant pour Euryale , il sort de sa retraite ;
Au fer des ennemis il présente sa tête :
» Arrêtez ; c'est à moi de verser tout mon sang ;
» Punissez le coupable , épargnez l'innocent ;
► Moi seul je l'ai conduit dans cette nuit funeste ;
>> J'en atteste l'éclat de ce flambeau céleste.
» Guerriers , de sa jeunesse ayez quelque pitié !
» Ah ! s'il est, criminel , son crime est l'amitié ! >>
Ainsi parlait Nisus ; mais la fatale épée
Dans le sang d'Euryale était déjà. trempée :
Le Rutule en son sein la plonge avec effort.
Euryale est couvert des ombres de la mort :
Son corps ne soutient plus sa tête défaillante;
Mais il conserve encor une beauté touchante.
Ainsi l'on voit tomber et mourir dans un champ ,
Une fleur que le soc atteint de son tranchant ;
Tels cédant à l'effort de l'eau qui les entraîne ,
Les pavots languissans se penchent vers la plaine.
Nisus se précipite au milieu des soldats.
Volscens est l'ennemi qu'il dévoué au trépas ;
C'est Volscens , c'est lui seul que son glaive menace.
La troupe vainement s'oppose à son audace :
Nisus combat , il presse , il se fraye un chemin ;
Le fer , comme la foudre , étincelle en sa main.
Il joint , il frappe enfin son ennemi farouche :
Volscens reçoit la mort et le fer dans sa bouche.
Nisus percé de coups , meurt content de son sort
Sur le corps d'un ami dont il vengea la mort.
REP.F
Q2
244 MERCURE DE FRANCE ,
3
:
:
ODE
1
A LA PUDEUR.
O Tot , dont la douce présence ,
Chaste et modeste déité ,
Fait le charme de l'innocence,
Et le lustre de la beauté !
Fille du ciel, pudeur sacrée ,
Qui partageas avec Astrée ,
Les voeux et l'encens des mortels ,
Daigne sourire à mon hommage ,
C'est un coeur plein de ton image ,
Qui vient embrassér tes autels.
Époque à jamais fortunée ,
Où du brillant séjour des cieux ,
Tu descendis environnée
De ton voile mystérieux !
L'homme , à ton sourire céleste
De ta grâce simple et modeste
Tout - à - coup se sentit épris ;
La nymphe rougit à ta vue ;
Et surprise enfin d'être nue
De sa rougeur connut le prix.
7.
,
Dans les forêts , à l'aventure ,
Errant et sans guide ét sans soins
Jadis le roi de la nature ,
N'en connaissait que les besoins;
:Roi dégradé qui , sous sa hute ,
Languissait auprès de la brute...
Mais son coeur s'éveille à tavoix.
O Pudeurt quel est ten prestige
FLOREAL AN XI 245
مه
L'amour fut ton premier prodige ,
Et la plus douce de tes loix.
Mais quel est ce monstre en délire ,
C
:
Que suit tout un peuple effronté ?
Sa bouche infâme ne respire -
Que l'outrage et l'obscénité ;
Hideux enfant de l'athéisme ,
Je reconnais l'affreux Cynisme ,
La honte et l'effroi des mortels.
Tandis que sa marche t'insulte ,
Labeauté , fidelle à ton culte ,
Se réfugie à tes autels.
2
Y
2: >
O Pudeur féconde en merveilles ,
Dis - nous quels magiques ressorts
Des coeurs sacrés sur qui tu veilles ,
Ont produit les nobles efforts ;
De Lucrèce et de Virginie
↓
Le sang réveilla l'énergie
D'un peuple indigné de ses fers ;
Et ta voix, dans la Grèce antique ,
De tout un sexe frénétique (a)
Arrêta les desseins pervers.
Ε. Μ.
(a) Les femmes Milésiennes. ( Voyez Plutarque. )
A "
1
ENIGME.
J'HABITE dans le feu; je fuis la terre et l'onde;
Je me plais dans la nuit , le trouble et les douleurs :
On me voit dans les cieux , mais jamais dans le monde.
Ma famille est en joie , et moi je suis en pleurs.
Q5
246 MERCURE DE FRANCE ,
Je me mets en fureur dans un séjour nocturne ,
Et sans quitter jamais lé deuil , ni le tombeau ,
Je parais dans Mercure , au milieu de Saturne ,
Et vais dans le mois d'août couvert d'un grand chapeau.
LOGOGRYPΗΕ.
:
Je marche sur cinq pieds : on peut trouver en moi ,
Le fer cher à Cérès , et qui fend les campagnes ;
Cet instrument bruyant qui fait frémir d'effroi
Et le cerf des forêts , et le daim des montagnes ;
Le vorace animal qui se nourrit de glands ;
Ceque , dans les enfers , le triste fils d'Éole
,
Envain et sans repos roule pour ses tourments ;
Et ce métal enfin qui du monde est l'idole.
i
Parun Abonné.
4
CHARADE.
MON, premier mange mon dernier ,
Et mon entier.
Parun Abonné.
Mots de l'Enigme , du Logogriphe et de la
Charade insérés dansle dernier Numéro.
Le mot de l'Enigme est la Terre.
Celui du Logogryphe est Mattresse , où l'on trouve
mai , maitre et tresse
Lemot de la Charade est Mattresses
C
FLOREAL AN XI. 247
1
PRÉCIS HISTORIQUE de la Révolution française;
Convention nationale ; par Lacretelle jeune ;
deux vol. in-18 , avec quatre gravures. Prix :
10 fr. et 12 fr . 50 c. par la poste. A Paris , chez
Treuttelet Wurtz, libraires ; et chez leNormant,
imprimeur - libraire , rue des Prêtres Saint-
Germain-l'Auxerrois , nº. 42.
ILLya très-peu de temps que nous avons an
noncé dans ce journal une Histoire de la Révolutionfrançaise
: aujourd'hui , nous en annonçons
une nouvelle , et celle - ci ne mérite pas moins
l'attention du public que la première. Si un seul
homme , dit un de nos écrivains , élevait la voix
pour raconter tant d'événemens extraordinaires ,
on pourrait bien ne pas ajouter foi à ses récits ;
notre révolution , dans ses principes et dans ses
resultats , présente tant de phénomènes mons--
trueux , que ses témoins devraient être aussi nom--
breux que ses prodiges; et que ceux qui en re
traceront les horreurs , devraient , s'il se peut,
égaler le nombre des crimes qu'elle a produits
Parmi les hommes , dont le témoignage doit
être compté pour quelque chose on distinguera
sans doute M. Lacretelle le jeune , qui ,
par la sagesse de sa conduite et la franchise de
ses opinions , s'est acquis des droits à l'estime
de ses lecteurs. Le premier volume de son Précis
historique a déjà obtenu les suffrages du public;
et les deux volumes que nous annonçons aujourd'hui
, seront sans doute accueillis avec le même
empressement : ces deux volumes renferment les
événemens les plus terribles de la révolution ; il
fallait autant de courage que de talent pour dé--
crire cette époque désastreuse,et M. Lacretelle
Q4
48 MERCURE DE FRANCE ;
1
a prouvé qu'il avait toutes les qualités néces
saires pour remplir une tâche aussi pénible.
Nous ne suivrons point l'historien dans ses développemens:
il est inutile de rappeler des événemens
connus ; ce Précis historique ne renferme
point de particularités neuves , point de faits nouveaux
; nous l'examinerons d'abord sous le rapport
dela méthode et de la clarté qui y règnent ,
et qui en font peut-être le mérite le plus distingué,
si on en juge par la difficulté qu'on doit
trouver à mettre de l'ordre dans le récit d'événemens
qui n'ont point de suite , dont on ne peut
assigner la véritable cause , et qui semblent dérobés
à la nuit du chaos. L'histoire de la Convention
est divisée en cinq livres; le premier commence
à l'ouverture de la Convention , et finit à
la mort de Louis XVI. Dans le second livre ,
l'auteur retrace les orages qui ont agité la Convention
et lanouvelle République , depuis la mort
du roi jusqu'au mois de septembre 1793 , époque
marquée par le triomphe de Robespierre sur ses
adversaires , et par l'exercice de cette tyrannie
aussi aveugle qu'absolue , qui prépara bientôt la
châûte du comité de salut public. Le siège à jamais
mémorable de Lyon , celui de Toulon , les massacres
qui souillèrent les vainqueurs , les avantures
tragiques et la mort des députés qui tenaient
au parti du fédéralisme , remplissent le troisième
livre. Le quatrième commence à la chûte de Danton
et finit à celle de Robespierre ; et le cinquième
va jusqu'au 13 vendémiaire , époque où
laConvention se sépara , mais conserva cependant
dans les Conseils et dans le Directoire une
influence sinistre sur les destinées de la France.
Telle est la division du Précis historique de M.
Lacretelle : il est fâcheux que les époques soient
toujours marquées par le crime, mais la vertu
FLORÉAL AN XL
249
restait cachée dans l'ombre ; la morale était sans
cesse outragée , et ce temps malheureux sera une
lacune éternelle dans leurs annales. :
Nous examinerons maintenant l'ouvrage de M.
Lacretelle sous le rapport du style et des couleurs
dont il a revêtu son sujet. Le style est pur , cor
rect , et quelquefois élégant : l'historien moderne
n'a pas la profondeur de Tacite , mais il a quelquefois
l'heureuse précision de Salluste. Nous pensons
que les couleurs qu'ila employées pour peindre
le crime triomphant , ne sont pas assez animées
de cette haine vigoureuse, decette énergie profonde
queM. Lacretelle a souvent montrée dans sa conduite
, et qu'il aurait dû conserver dans ses écrits.
Je sais que le caractère de l'historien est de rester
impartial , mais l'impartialité ne va pas jusqu'à
conserver une espèce de neutralité entre un parti
criminel et l'innocence persécutée. Sans doute
qu'il faut se défendre des séductions de la haine
lahaine peut nous égarer : mais quand on parle
des hommes qui ont causé les malheurs de tout
un peuple, il est permis à l'historien de s'armer
d'une sainte colère ; quand il s'agit de montrer le
crime tel qu'il est ,blamer violemment , c'est être
juste ; haïr, c'est être vrai .
Au reste, nous n'adressons pas ce reproche dans
toute sa rigueur à M. Lacretelle; il montre peut
être trop d'indulgence pour un parti malheureux
(1) , qui a été la cause première de tous nos
désastres , et qui , si j'ose parler ainsi , a fini par
se noyer dans le sang qu'il avoit lui-même versé :
mais il peint le plus souvent le crime et la vertu
avec les couleurs qui leursont propres. Nous allons
faire des citations. L'historien fait ainsi le tableau
de la Convention nationale::
(1) Les Giroudins et les Brissottins.
::
.
250 MERCURE DE FRANCE ,
1
« On la voit, dit-il dans son premier livre
>> jusqu'à la journée du 31 mai, tenir , d'une main
>> incertaine, la balance entre ceux qui peuvent ho-
>> norer la république par des vertus et des talens , et
> ceux qui n'ont eu pour l'élever, qui n'auront pour-
>> la maintenir que des crimes. Elle montre pour les
>> premiers quelque estime , peu d'affection , nulle
>> condescendance; elle hait les derniers , mais elle
>> les craint encore davantage. Ils lui demandent de
>> verser le sang d'un roi captif, de punir , comme
>> un tyran , le plus faible , le plus clément des
>> princes ; elle s'arrête , elle délibère , elle vou-
>> drait le sauver; elle affecte de le couvrir d'i-
>> gnominie pour le garantir de la mort. Il lui est
>> arraché avec peine ; elle décrète son supplice ,
>> et bientôt elle n'aura plus à décréter que des
>> supplices. Chaque pas la conduit à l'anarchie;
>> ses menaces et ses fureurs ont formé une seconde
>> coalition plus terrible que la première. Les
>> armées ont eu des triomphes ; elles éprouvent
>>des défaites plus rapides ; la défection d'un
>> général accroît le désordre ; une guerre civiles
>>et religieuse se déclare; les factieux profitent de
>> tous ces fléaux; la Convention voit leurs efforts ,
>>elle connait leur but; elle sait qu'ils vont lui
>> ravir tous ses membres les plus distingués ; elle
>> se prépare à assister à ce combat , comme s'il
>> lui était étranger ; il n'y a pas même de combat ;
>> ils périssent , eux qui ont vaincu Louis , encore
>>>plus abandonnés que ne le fut ce malheureux
>> roi , aux derniersjours de son règne. Voilàquelle
>> fut la jeunesse de la Convention .
>> Faible ennemie des factieux , elle en devient
>> la misérable esclave ; elle désavoue quiconque
>> ose réclamer ; elle punit quiconque ose venger
>> les membres qu'elle a sacrifiés. Les villes les plus
>>importantes s'arment pour lui rendre la liberté,
FLOREAL ANXI. 251
>> elle n'use de ce qui lui reste de puissance , que
>>pour resserrer ses chaînes ; tous les Jours elle
>> vient livrer à ses tyrans , ses décrets , son nom ,
>> ses assignats et ses armées. Deux guerres civiles ,
>> et entièrement opposées dans leur but , surpas-
>> sent les horreurs d'une guerre étrangère , qui ne
> s'annonce plus que par des désastres. Les roya-
>>>listes combattent avec furie; lesrépublicains.qui
>> furent nommés fédéralistes , ne mettent ni en-
>>semble ni vigueur dans leurs mouvemens ; les
>>jacobins triomphent plus facilement que s'ils n'a-
>>vaient eu qu'une seule espèce d'ennemis. Nantes
>> repousse les plus valeureux efforts des royalistes
>> vendéens ; en même temps , elle montre l'in-
>>tention de résister aux jacobins qui l'oppriment.
> Jamaisonn'entendit parler d'une telle vengeance ;
>>>Marseille , Bordeaux , éprouvent, une prompte
>>défaite et de longs châtimens : Lyon résiste av. c
>> gloire , est punie avec les derniers excès de la ba
>> barie; Toulon arecours à une ressourcecriminelle,
> même dans le désespoir ; Toulon succombe; tout
> est vaincu. La Convention met à l'ordre dujour
>> la terreur , qui, depuis long-temps , dicte toutes
>> ses lois; la terreur grossitle nombre des assassins ;
>> elle forme des armées de délateurs ; on semble
>> n'avoir plus de courage que quelques minutes
>> avant de monter à l'échafaud. La France est un
>> pays conquis par une horde de barbares....
» Les jacobins n'ont plus à craindre que leurs
>> discordes. Déjà les remords en ont détaché
> quelques-uns. Vain espoir ; chaque effort qui se
>>fait pour arrêter la tyrannie en redouble la violence.
Ses coups tombent, sans résistance , sur
>> des têtes courbées ; et cependant l'héroïsme et
la victoire sont revenus aux armées françaises ,
>> qui forment le plus étonnant contraste avec le
> peuple français. Bientôt ou n'aura plus de patric,
252 MERCURE DEFRANCE,
:
/
>> et l'on combat comme pour la patrie la plus
> chère et la plus tendre. Tout rempli des pensées
>> de la mort, on semble jouir d'en trouver une
>> glorieuse. La coalition est vaineue une seconde
> fois; on a fait d'immenses conquêtes ; de nou
> veaux malheureux vont partager les horreurs de
>> notre sort ; l'Europe entière peut le craindre.
>> Voilà la seconde période de la Convention.
» Avec qu'elle impatience/ne voudrais-je pas
>> presser ma marche vers la troisième ! Quoique
>> le 9 thermidor ne tire aucun éclat de ceux qui
> y concourent; quoique ses bienfaits ayent encore
>> de l'embarras à se développer ; quoique son in-
>> fluence, au moment où elle est déjà sentie , soit
> altérée par de nouveaux chocs de factions , par
>> les horreurs d'une famine , par des vengeances
>> effrénées , plutôt que par de justes châtimens ,
>> on aime à considérer dans tous ses détails cet
>> événement donné par le ciel , et conduit par
>> des hommes. D'abord , la Convention y paraît
> un instrument aussi passifdu bien, qu'elle le fut
>> de tant de crimes. Elle est délivrée de ses tyrans
> les plus formidables , mais elle a perdu la plupart
>> de ceux qui semblaient destinés à l'honorer ;
>> elle est entraînée par l'indignation , long-temps
>> captive , de quelques hommes de bien , et plus
>> fortement encore par ceux qui ont reçu l'élan
>> d'un beau repentir ; elle leur résiste aussi fai-
>> blement dans leur retourr ,, qu'elle avait d'abord
>> résisté à ses tyrans.
4
९
>> Cependant elle marche vers son indépendance,
>> ou plutôt vers une longue domination; elle a
>>pris une politique tortueuse , défiante , opinia-
>> tre; tous les partis croient pouvoir insulter à sa
> vieillesse méprisée; mais sa vieillesse est armée
>> de précautions et d'artifices. Long-temps jouet
* de la révolution , c'est elle aujourd'hui qui lui
FLORÉAL AN XI 253
>>commande; tout lui convient pour une victoire,
>>mais elle sait en user avec ménagement; elle ne
> calme point les factions , mais elle les contient ,
> quand il lui plait de les contenir ; elle triomphe
,
au dedans, au dehors ; et , ce qui la flatte
>>encore plus elle va commencer un autre
>>règne , sous un nouveau nom , sous de nouvelles
>>formes . >>>
i
On peut juger par ce portrait très-bien tracé
de l'esprit qui a dirigé la plume de M. Lacretelle ;
on ne sera pas faché de voir à côté de ce tableau
de la convention , celui d'une société qui n'a pas
laissé des souvenirs moins affreux: je veux parler
de la société des Jacobins.
« Près du lieu des séances de l'assemblée
>>nationale , dit M. Lacretelle , une autre con-
>> vention existait dans l'ancien couvent des
>>>Jacobins. Voici quel était alors le régime de
>> cette société , dont nous avons eu souvent à
>>parler dans les époques qui précèdent celle-
>> ci : elle s'assemblait le soir , et continuait
>> fort avant dans la nuit ses délibérations. Quel-
>> ques lampes éclairaient faiblement les voûtes
>> de cette enceinte monacale. On était presque
>> contraint de s'y présenter avec de sordides vê-
> temens. En y entrant , les hommes les plus gros-
>> siers ajoutaient encore à la rudesse de leur ton ;
>> les plus féroces , à leur air farouche. Cette so-
» ciété comptait dans Paris seul , près de 1,500
>> membres. Une multitude de complices obscurs
>> remplissait ses tribunes. La séance s'ouvrait par
>> des chants révolutionnaires , les uns lugubres ,
> comme les avertissemens de la mort ; les autres ,
» d'unegaieté encore plus barbare.On lisait un ex-
>> trait de la correspondance des sociétés du même
> genre , qui s'étaient établies dans toutes les villes ,
>> et bientôt dans presque tous les villages de
254 MERCURE DE FRANCE ,
4
► France. Elles félicitaient la société-mère ; elles
> exaltaient son courage; quelquefois elles lui re
> prochaient sa faiblesse , sa lenteur. Là , se trou-
>> vait la liste et l'éloge des massacres commis sur
» tous les points de la république. Peu de ces
➤ adresses se terminaient sans une dénonciation ;
▸ des milliers de proscrits y trouvaient l'arrêt de
>> leur mort , ou l'avis de leur fuite..... Après
>> cette lecture , commençaient des débats , tout à
> la fois burlesques et terribles. Les députés à'
> la convention venait la dénoncer , s'ils y avaient
» éprouvé quelques échecs; ils se consolaient de
>> quelquesjours où leur vengeance était suspendue,
>> par la perspective de l'exercer plus longue et
> plus complète. Il régnait une telle confusion
>> dans ces débats , on croyait y voir une telle
démence , qu'on s'attendait à les trouver sans
>> résultats , et pourtant jamais une conception dư
crime n'y fut perdue; à peine était-elle propoée,
> c'était à qui l'applaudirait , la développerait ,
> l'exécuterait. La force de cette faction consis-
>>tait sur-tout à savoir employer des hommes ,
>> qui , par leur formes stupides et grossières , et
>> par leur avilissement , auraient été dédaignés de
>> tout autre parti. Ils avaient réusssi à mettre à
>> leur disposition les vices de chaque individu ent
>> France. Il y avait parmi eux des fanatiques ;
>>mais la plupart des chefs n'étaient que des hy-
>> pocrites de fanatisme. Les uns étaient plus avides
> de sang, les autres plus avides d'or. Pour ceux
» ci , la cruauté était un besoin; pour ceux-là ,
⚫ elle était un calcul. Tous insultaient publique
>> ment à la pitié , comme à la dernière bassesse
» du coeur; quelques-uns pourtant l'éprouvaient
>> en secret , l'exerçaient quelquefois furtivement.
>> Déjà, plusieurs d'eux envoyaient , dans leur
>> pensée ,'leurs complices à l'échafaud ; mais les
FLORÉAL AN XI 255
>> haines restaient aussi profondes , aussi cachées
» qu'à la cour d'un tyran.>>>
Onpourrait multiplierles citations, mais celles-ci
suffiront sans doute pour donner une idée juste
du Précis historique de M. Lacretelle. Ila peint ce
qu'il a vu lui-même, et lorsqu'il parle de ce qu'il
n'a pas vu , il paroît avoir puisé dans les meilleures
sources. Il n'est qu'un seul fait sur lequel
l'auteur semble avoir été induit en erreur; il parle
d'un envoyé du roi de Sardaigne , qui vint traiter
avec les Lyonnais, en 93: ce fait est absolument
controuvé ; les Lyonnais avaient pu placer leur
espoir dans les peuples voisins; mais ils n'ont jamais
traité ni entrepris de traiter avec aucun
gouvernement étranger ; M. Lacretelle , il est
vrai , ne donne point ce fait comme authentique
, mais il était inutile d'en parler ; dans un
précis aussi laconique que celui que nous annonçons
, il ne faut pointdonnerde place aux conjectures
, il faut sur-tout supprimer les détails , qui
n'expliquent rien , et sous ce dernier rapport , on
pourrait peut-être reprocher à l'historien de s'être
trop appesanti sur les petites nuances des factions
qui ont succombé; ces nuances échapperont à la
postérité , et il ne restera dans le souvenir des
hommes que de grands crimes et de grands malheurs.
Au reste , ces défauts sont légers, et ils sont
rachetés dans le Précis de M. Lacretelle , par tout
ce qui peut intéresser et instruire les lecteurs les
plus éclairés.
:
Avant de terminer cet extrait , il ne sera pas
inutile peut-être de revenir sur une question qu'on
a souvent agitée , c'est celle de savoir si le temps
est venu d'écrire l'histoire de la révolution. Beaucoup
de gens très-éclairés sont pour la négative;
dans cette révolution , disent-ils , où chaque Français
a été victime ou bourreau , où trouver un
256 MERCURE DE FRANCE ,
homme qui puisse se dégager de tous ses intérêts ,
de tous ses souvenirs , de toutes les passions qui
l'ont animé , pour élever une voix impartiale et
digne d'être entendue de lapostérité. Quelle vérité
sortira de ce tourbillon d'intrigues et de factions
opposées ! Les récits de nos troubles politiques
seront - ils écrits sous la dictée du bourreau qui
seul était dans le secret de tous les crimes ! ou
bien notre histoire se composera-t-elle des gémissemens
des victimes , qui seules ont commu tous les
malheurs de la révolution ? Ces raisonnemens sont
spécieux , mais ils ne sont pas sans réplique. Ы
me semble qu'en condamnant les contemporains
à ne pas écrire notre histoire , c'est condamner
la postérité à ne pas la connaître , et à perdre
ainsi le fruit de notre fatale expérience. « L'his-
>> toire , dit l'éditeur de M. Bertrand de Molle-
>> ville (1) , ne sauroit trop invoquer le témoi
>>> gnage des âges contemporains ; quel temps ,
>> d'ailleurs , fut plus favorable pour raconter un
> événement , que celui où les assertions du men-
>> songe peuvent être publiquement débattues et
>>démenties par les témoins oculaires , où les
>> récits fidèles peuvent recevoir la sanction ins-
>> tantanée du public , qui a été présent aux événe-
>> mens dont on lui met le tableau sous lesyeux.
>> Je sais qu'on peut étudier l'histoire des sociétés
>>dans les monumens qu'elles ont laissés ; mais
>> dans une révolution qui a tout détruit et qui
➤ n'a rien laissé de durable , quels sont les monu
mens qui resteront à consulter ? Les flammes
qu'elle a par-tout allumées , sont heureusement
(1) L'Flistoire de la révolution , par M. Bertrand de
Molleville , est assez avantageusement connue du public,
pourque nous soyons dispensés d'en parler ici.
⚫éteintes ;
FLORÉALAN XI
» éteintes; leslarmes de l'humanité, tristes manu
» mens des troubles , sont taries ; la terre derobe
>> aux regards les dépouilles de la vertu el delba
>> nocence immolée au génie des factions ? Que)
>> nous restera-t-il donc pour faire connoître ces
>> terribles époques , si ce n'est le témoignage des
>> écrivains indépendans et vertueux , qui ont
>> échappé à la faux de la terreur révolutionnaire .>>>
Si d'ailleurs on doit adoptér l'idée que les philosophes
se sont faite du temps , qu'ils ont défini la
durée des choses, il faut convenir que sa marche
a dû être beaucoup plus rapide dans les dernières
années , et que si le temps a été longtemps en possession
de tout dévorer , la révolution l'a dévoré
lui-même à son tour. Le mouvement révolutionnaire
nous entrainoit si rapidement d'une idée à
une autre , il renversoit si subitement nos projets ,
nos espérances , il a si souvent changé l'objet de
nos craintes et de nos calculs , qu'il a donné aux
années la rapidité des jours ; et l'on peut dire ,
qu'au milieu de tant de secousses toujours renaissantes
, de tant d'abymes ouverts et refermés sous
nos pas de tant de factions presqu'en même
temps triomphantes et abandonnées , de tant de
révolutions , en un mot , dans le sein même dé
notre révolution nous sommes devenus' notre
propre postérité , et nous pouvons aujourd'hui
parler de nous-mêmes , comme en parleront les
åges futurs . Ces raisonnemens paraissent sans répl-
que , et s'il était nécessaire d'ajouter une nouvelle
preuve, pour faire voir qu'on peut enfin dire
la vérité sur la révolution , il nous semble qu'on
pourrait citer avec avantage l'exemple de M. Lacretelle.:
,
:
,
Κ.
12 R
258 MERCURE DE FRANCE ,
HIPPOLYTE , tragédie en trois actes , imitée d'Euripide ,
parle citoyen Palinézeaux ; représentée , pour lapremière
fois , àParis , sur le théâtre du Marais , le g ventose
an 11. A Paris , chez madame Masson , libraire , rue
de l'Echelle , nº. 558 , et chez le Normant , imprimeurlibraire
, rue des Prêtres Saint-Germain- l'Auxerrois ,
n°. 42, en face du petit portail.
ONN ne seplaindra plus de ladisette des talens ; on n'entendra
plus louer tous les jours , à nos dépens , cet éternel
siècle de Louis XIV : le citoyen Palmézeaux (Dorat-
Cubières ) vient enfin de prouver que nous avons encore
des génies capables de lutter avec les génies de cet âge
trop vanté , et d'atteindre à leurs chefs-d'oeuvres.
Jusqu'à présent on avoit eu la simplicité de croire que
la Phèdre de Racine était une assez belle tragédie ; mais
le citoyen Palmézeaux a fort bien démontré que Racine
n'y entendait rien, et qu'onpouvait faire beaucoup mieux
que lui. Pour mettre cette vérité hors de doute , le citoyen
Palmézeaux a refait la Phèdre , et n'a pas craint de
combattre corps-à-corps , comme Pradon , de glorieuse
mémoire , avec l'auteur d'Andromaque et d'Athalie .
Le citoyen Palmézeaux a été encouragé dans cette
grande entreprise par un certain professeur de ses amis.
C'est ce qui lui a fourni le sujet d'un dialogue ingénieux,
que l'on trouve à la tête de son Hippolyte. Nous en rapporterons
quelques passages , car on ne peut mieux
faire connaître M. Dorat-Cubières qu'en le citant.
Les lecteurs bénévoles de l'Almanach des Muses , et les
jeunes provinciaux , qui ont encore toute leur candeur
primitive en littérature , seront charmés de retrouver ici
le talent de l'auteur du Dialogue des deux Fauteuils académiques
, si admiré par M. de Rivarol ; des Point ne
faut, chant marotique ; de Marat , poëme ; des Etats
FLOREAL AN XI
259
généraux de Cythère , et de tant d'autres ouvrages pleins
de sel et d'innocence.
LE PROFESSEUR
>> Eh bien , puisque M. Guérin a fait son Hippolyte ,
» pourquoi ne feriez-vous pas le vôtre ? Il est peintre , et
> vous êtes poète.
L'AUTEUR.
>> Pourquoi ne ferais-je pas mon Hippolyte ? Je ne
>> comprends pas bien ce que vous voulez dire.
LE PROFESSEU Ra
>> Eh! oui; pourquoi ne feriez-vous pas votreHippolyte?
>> Supprimez les choeurs de l'Hippolyte d'Euripide ; trai
ptez le sujet en trois actes , et vous nous donnerez , à
>>>>votre tour , une tragédie très-estimable .
L'AUTEUR
>> Traiter un sujet après le grand Racine ! y pensez
» vous , M. le professeur ? ......
LE PROFESSEUR.
>> Eh ! qu'importe que Racine ait déjà traité un sujet ?
» est-ce une raison pour qu'un autre poète ne le traite
>> pas ? Le Gouvé a refait la Thébaïde , et a mieux fait
>>que Racine.
:
L'AUTEUR.
n.Mais la Thébaïde fut le premier ouvrage de Racine ,
» et par conséquent très-faible ; au lieu que Phedre .....
(6 .....
LE PROFESSEUR.
Racine a pu faire des fautes ; que dis-je ? il en
na fait ; la tragédie de Phèdre en fourmille.
:
, » Quelques - uns ont prétendu , et prétendent encore
que le plan de la Phèdre de Pradon vaut beaucoup
>> mieux que le plan de la Phèdre de Racine ; et je ne vous
>> cache pas qu'un demes collègues , professeur , ainsi que
R2
260 MERCURE DE FRANCE ,
>> moi , dans une école centrale de département , ne man-
>> que jamais , quand il donne des leçons sur la tragédie ,
>> de lire à ses élèves laPhèdre de Pradon et celle de Racine ,
>> de les analyser , de les comparer ensemble , de faire
» voir en quoi celle de Pradon l'emporte sur celle de
>> Racine , etc. »
Ici le citoyen Palmézeaux veut bien nous apprendre
que le grand professeur , qui explique la Phèdre de Pradon
à ses écoliers , est l'illustre M. Briquet , professeur de
littérature à Niort ; que madame Fortunée Briquet , son
épouse , s'occupe aussi des lettres avec succès , et que le
portrait de cette dame se trouve gravé à la tête du nouvel
Almanach des Muses , qui s'imprime chez Barba. Que
nous éprouvons de satisfaction d'apprendre que M. Briquet
demeure à Niort en Poitou ! M. de Rivarol ne nous
avait laissé que des renseignemens fort douteux sur cet
auteur célèbre. A l'article Briquet du petit Alınanach des
grands Hommes , on lisait : Briquet, voyez Braquet : et à
Braquet , on trouvait : Braquet , voyez Briquet : de sorte
qu'on ne savait où le prendre. Nous remercions le citoyen
Palmézeaux d'avoir tiré les savans de cette cruelle incertitude.
On nous pardonnera cette petite digression en faveur
d'une chose si importante ; nous revenons à notre
sujet.
Après avoir critiqué le plan de la Phedre de Racine ,
le professeur passe à l'examen du style. Un combat plein
de modestie et de politesse , s'engage alors entre l'auteur
et M. le professeur : » J'ai critiqué , dit celui-ci , le plan
>> de la Phèdre de Racine , parce qu'il mérite d'être cri-
>> tiqué : je vous étonnerais bien davantage , si .....
L'AUTEUR.
>> Voilà un si quime déplaît beaucoup. Quevoulez-vous
>> dire avec votre si , et le sens suspendu qu'il annonce ?
LE PROFESSEUR.
>> Je veux dire que je vous étonnerais bien davantage,
psi je m'avisais de critiquer le style de cette pièce.
FLORÉAL AN XI. 261
L'AUTEUR.
>> Parlez , monsieur , parlez ; ne vous gênez pas. Vous
» professez les langues anciennes à l'école centrale du
» Panthéon , vous savez le grec et le latin mieux que moi ;
>> mais la langue française , telle qu'on l'écrivait du temps
>> de Louis XIV , ne vous est pas étrangère ; parlez ,
» éclairez-moi , et je me ferai honneur de profiter de vos
>> lumières.
LE PROFESSEUR.
>> Je ne vous dirai rien sur la Phèdre de Racine , que
» vous ne sachiez ; et à quoi vous servirait mon bavar-
>> dage ? est-ce à l'écolier qu'il convient d'instruire son
>> maître ?
L'AUTEUR.
>> Ah ! monsieur le professeur , quelle modestie ! Je suis
» plus vieux que vous , à la vérité ; mais on perd souvent
>> la mémoire en avançant en âge , et je ne serai pas fâché
>>d'apprendre de nouveau , ce que j'ai su dans ma
>> jeunesse. >>
Nos lecteurs ont-ils jamais rien vu de plus fin et de plus
galant que ce morceau ? Ce si suspendu qui , dans un
autre genre , égale le charmant quoi qu'on die ! ce monsieur
le professeur , ce vieil auteur qui a perdu la mémoire ,
quel ton parfait ! quelle aménité ! quel savoir vivre !
Le citoyen Palmézeaux , vaincu par les raisons du professeur,
s'engage à recommencer la Phèdre de Racine , ou
à refaire l'Hippolyte d'Euripide. Il observe , avec beaucoup
d'érudition , que Robert Garnier , Gilbert , la Pinelière,
Segrais, avaient traité le sujet de Phèdre avant Racine.
Comme les beaux esprits se rencontrent ! c'est précisément
ce que dit aussi M. Pradon dans la préface de sa Phèdre
Et M. Pradon avoue franchement que ce n'est point un ef
fet du hasard qui l'a fait se rencontrer avec Racine , mais
un pur effet de son choix. Le citoyen Palmézeaux fait
R3
262 MERCURE DE FRANCE ,
éclater aujourd'hui le même courage. On dira de lui ainsi
que de Pradon :
<< Dorat ( Cubières ) comme un soleil en nos ans a paru ! »
Voilà donc la pièce faite. Mais où la jouera-t-on ? Au
Théâtre Français ? M. le professeur s'écrie , plein d'une
juste colère : » N'y a-t-il , en France , que le Théâtre
>> Français , pour faire représenter des tragédies ? et n'y
a-t-il que les habitans de Paris qui soient dignes de les
» juger ? Les habitans de Bordeaux , de Lyon , de Mar-
>> seille , de Nantes , etc, n'ont-ils aucune connaissance de
>> l'art dramatique ? ..... J'ai vu d'excellentes pièces ,
>> représentées pour la première fois sur les théâtres de la
>> Cité , du Marais , de Molière , de la porte Saint-Martin ,
>> de l'Ambigu- Comique , des Jeunes-Elèves , etc. >>
Pourquoi , en effet , ne serait-on pas bons juges de la
langue de Racine , à la porte Saint-Martin , à l'Ambigu-
Comique , à Rosporden en Bretagne , ou à Petignac en
Gascogne ? Vive la province et le boulevard pour le bon
goût ! Boileau lui-même est obligé d'en convenir , témoin
ee mot qui lui est échappé : la Pharsale aux provinces
si chère ! Aveu d'autant plus précieux pour le cit. Palmézeaux
, qu'il sortde la bouche d'un ennemi ( 1) . L'auteur se
soumet à l'opinion du Professeur , il consent à donner son
Hippolyte au Marais , et il promet à M. le Professeur de
lui envoyer sa pièce , aussitôt qu'elle sera imprimée. Le
Professeur répond obligeamment : « Je la recevrai avec
> plaisir; en attendant , je vais faire ma classe. n
Tandis que M. le Professeur va régenter les jeunes
élèves de l'école centrale du Panthéon, le citoyen Palmézeaux
se charge done de morigéner Racine. A cet
effet , il a rétabli le rôle de Diane , déesse qui apparaît
armée d'une flêche , pour maintenir au Marais la sévé
rité des moeurs et du goût antique. C'est mademoiselle
(1) M. de Palmézeaux a écrit un livre contre Boileau.
えいい
FLOREAL AN XI. 263
Gotis qui joue ce rôle important. Voilà pourtant ce
qu'aurait ignoré la postérité , si l'auteur n'avait en l'at
tention délicate de faire imprimer les noms des acteurs
du Marais , vis-à-vis ceux des personnages de sa tragédie.
2
Ce n'est ni Vénus , comme dans Euripide , ni Hippolyte ,
comme dans Sénèque , Racine , et même dans Pradon
qui ouvre la pièce du citoyen Palmézeaux ; c'est Phèdre
et sa gouvernante Egine. Egine , comme Enone , se
plaint de l'obstination avec laquelle l'épouse de Thésée
cache un chagrin qui la tue. Phèdre , sans écouter sa
gouvernante , s'écrie :
Ah , qu'ơn m'élève un peu! Tourment insupportable!
Je me meurs , chère Egine. Ote-moi ce bandeau,
Cepesant diadème , inutile fardeau :
Laisse errer mes cheveux en tresses vagabondes .
Eh bien , Racine est-il vaincu?
Que cesvains ornemens , que ces voiles me pèsent
Quelle importune main en formant tous ces noeuds
Apris soin sur mon front d'assembler mes cheveux?
Tout m'affligeet me nuit , et conspire à me nuire.
TA
Ce langage recherché vaut-il ce vers , si simple , qu'on
croit l'avoir lu dans tous les almanachs des Graces ou des
Muses?
«Laisse errer mes cheveux en tresses vagabondes
Nous ne parlerons point de cet admirable hémistiche :
Ah ,qu'on m'élève un peu ! >>
Euripide avait dit : soulevez mon corps. Mais avec
quel art le savant citoyen Palmézeaux versifie la faute
élégante du bonpère Brumoi: Qu'on m'élève unpeu !Aye !
Tout cela rend bien ridicule ce vers..
Et mes genoux tremblans- se dérobent sous moi.
C'est ainsi que Racine a gâté par-tout la belle antiquité,
que le citoyen Palmézeaux reproduit.
Phèdre dans son délire voudrait suivre les chasseurs
R4
264 MERCURE DE FRANCE ,
dans les bois ; Egine lui dit brusquement : que parlezvous
de chasse ? Phédre interdite par cette question
rentre en elle-même , et dit :
« Ah ! de ma volonté je cherche en vain l'usage .
>> Rends-moi mon voile , Egine , et couvre mon visage ;
>> Je pleure malgré moi , etc. >>
On voit avec quel bonheur le citoyen Palmézeaux rappelle
toujours, ou par ses rimes , ou par ses expressions ,
les vers de Racine .
Où laissé-je égarer mes voeux et mon esprit ?
Je l'ai perdu ! les dieux m'en ont ravi l'usage !
Enone , la rougeur me couvre le visage !
Je te laisse trop voir mes honteuses douleurs
Et mes yeux malgré moi se remplissent de pleurs .
Comme notre intention est de suivre le citoyen Palmézeaux
, et non pas celui qu'on appelle legrand Racine, on
ne sait pas trop pourquoi , comme le dit très- bien M. le
Professeur ( 1 ) , nous invitons les lecteurs qui ne se rappelleraient
pas assez la Phèdre de Racine , à recourir à
l'ouvrage ; le citoyen Palmezeaux brave toutes les comparaisons.
Théodas , le Théramène de la pièce , arrive sur la scène
pour annoncer qu'il a entendu des cris , et il s'en retourne
en disant qu'il va à la chasse. Phèdre se trouve
une seconde fois seule avec sa gouvernante. Celle - ci
essaie de nouveau de découvrir le chagrin de sa maîtresse;
elle s'écrie :
Quoi, vous ne dites mot; vous gardez le silence !
Elle rappelle ensuite
Ce terrible Hippolyte ,
Indomptable chasseur , que notre sexe irrite.
( 1 ) Voyez la préface ou le dialogue , page 13.
FLOREAL AN XI. 265
Ah! qu'entends-je ?
PHEDRE.
EGINE .
Ce noum , à Diane si doux ,
Allume en votre coeur le plus juste courroux;
Je le vois.
PHEDRE.
Que dis-tu , quel nom sort de ta bouche ?
Egine croit toujours que Phèdre est agitée par la
crainte de voir ses enfans obéir au fils de l'étrangère.
Mais la reine lui dit :
Qu'un souci plus cruel m'agite et me dévore !
La gouvernante lui répond :
Vous n'avez point vers le sang de l'innocence.
PHEDRE.
Le sang , graces au ciel ! n'a point rougi mes mains .
On voit que tout cela est encore dans Racine , et
combien toutefois le citoyen Palmézeaux l'a rendu différent.
Egine se jette aux genoux de Phèdre ; Phèdre
se rend à sa prière ; elle va tout avouer , elle s'écrie :
O ma mère! en tous lieux digne d'être honorée,
De quel affreux amour fûtes - vous dévorée !
EGINE.
Pourquoi le rappeler cet amour monstrueux?
PHEDRE.
O ma soeur ! quel délire aveugle , impétueux ,
Sur les pas d'un amant, dans une île déserte ,
Vous fit ainsi que moi courir à votre perte , etc.
EGINE , gravement.
Allez-vous accuser toute votre famille ,
Madame ? Ignorez-vous de qui vous êtes fille !
:
Phèdre est bien embarrassée de cette question , d'autant
plus que le poète a soin d'avertir que la gouvernante
parle gravement, et dit tout cela sans rire. Le dialogue
continue :
266 MERCURE DE FRANCE ,
PHEDRE.
Connais-tu la puissance
De ce dieu si funeste à la chaste innocence?
De l'amour ?
EGINE.
PHEDRE.
De l'amour. Coupable ou malheureux,
Mon coeur , men faible coeur brûle de tous ses feux.
EGINE.
Il brûle , juste ciel ! qu'un tel aveu m'étonne !
PHEDRE.
Tu le connais aussi le fils de l'Amazone !
EGINE , très-étonnée.
:
Hippolyte ? .... C'est lui que vous pourriez aimer ! ....
PHEDRE.
C'estune autre que moi qui vient de le nommer !
Comme cela rajeunit, le c'est toi qui l'as nommé ! Le
beau vague : c'est une autre que moi ! -Et quel est
cette autre ? On n'en sait rien ; c'est Egine , c'est qui l'on
voudra. Ce que c'est que d'avoir du génie ! Mais nous
ne pouvons nous empêcher d'affliger ici la modestie du
citoyen Palmézeaux , en faisant admirer à nos lecteurs
cette même modestie ; car on voit par le dialogue qu
sert de préface au chef-d'oeuvre que nous annonçons ,
que l'auteur ne s'attribue pas ce beau vers , c'est une
autre que moi , etc. Il avoue qu'il lui a été fourni parM.
le Professeur qui est allé faire sa classe.
i
Phèdre raconte son amour àEgine , et le citoyen Palmézeaux
refait , toujours avec le même succès , ce morceau
si connu :
Mon mal vient de plus loin, etc.
Il corrige sur-tout bien heureusement ces vers =
Je sais mesperfidies,
Enene, et ne suispointde ces femmes hardies,
FLORÉAL AN XI. 267
Qui , goûtant dans le crime une tranquille paix ,
Ont su se faire un front qui ne rougit jamais.
Le citoyen Palmézeaux met :
Oh! que j'ai de mépris pour ces femmes hardies ,
Qui sous de faux dehors cachent leurs perfidies ;
Qui , fières de tromper leurs crédules époux ,
De la chaste Minerve affrontent le courroux ,
Et qui foulent aux pieds les vertus domestiques.
Egine , touchée du sort de la reine , lui dit :
Madame , à vous parler sans vain déguisement ,
Je viens de vous entendre avec frémissement
Avouer un amour qui n'est point ordinaire.
A
Vous offrez tout l'éclat de la jeune saison ;
Votre âge est tout de feu......
Eh ! qui peut résister à Vénus, à ses flammes ?
Ouvrez les yeux , par eux elle entre dans les ames ;
Le désir au printemps agite les roseaux ;
Tout aime dans les airs, tout aime sous les eaux .
On reconnait ici l'agréable auteur de tant de poésies
fugitives insérées par-tout,
Les vents baisent les nuages ,
>> Les zéphirs baisent les fleurs , etc.
Euripide avait dit que la puissance de Vénus s'étend
dans les airs et sous les eaux; qu'elle est la source des
êtres ; qu'elle donne naissance à l'Amour , principe immortel
des générations , etc. Mais cet amour qui n'estpas
ordinaire ; cette Vénus qui entre par les yeux , quand on les
ouvre ; ce printemps , ces roseaux agités de désir sont
d'une couleur tout autrement tragique.
M. de Rivarol , charmé du talent érotique du citoyen
Palmézeaux , avait fait pour lui ce beau vers :
<<Je fais lafugitive et je signe toujours. »
Aussi le citoyen Palmézeaux , pleind'une juste recon
:
268 MERCURE DE FRANCE ,
naissance , nous apprend-il dans un de ces nouveaux ou
vrages , qu'il s'est fixé à ce nom de Palmézeaux , parce
qu'il était agréable à M. de Rivarol .
Le théâtre , qui représentait des forêts , au premier acte ,
représente l'intérieur du palais de Thésée au second.
Phèdre paraît avec Ismène , aut re confidente , dont le rôle
est confié aux talens de mademoiselle Aglaé. On entend
au-dehors les cris d'Hippolyte à qui Egine vient de révéler
l'amour de Phèdre . Hippolyte arrive , et dans sa fureur
il se déclare contre l'hymenée.
Quels maux ne naissent point du joug de l'hymenée ,
La flamme d'un époux croit être fortunée ;
Il s'épuise en tresors , en soins officieux
Pour rendre son épouse un chef-d'oeuvre des cieux ;
Et l'épouse bientôt , infidelle et parjure ,
Fait au noeud conjugal une mortelle injure.
Ah ! ce n'est pas ainsi que vivoient autrefois
Les femmes que l'hymen soumettoit à ses loix :
Tout est bien différent ; aujourd'hui les épouses ,
De vivre chastement , se montrent peu jalouses , etc.
Le citoyen Palmézeaux transportait tout-à-l'heure , avec
beaucoup de succès , Anacreon dans la tragédie ; maintenant
il s'y montre le rival de Molière. Quelle flexibilité
de talent ! Ne croit-on pas entendre Arnolphe , dans
l'Ecole des Femmes :
Est-il une autre ville aussi ,
Où l'on ait des maris si patiens qu'ici ;
Est-ce qu'on n'en voit pas de toutes les espèces ,
Qui sont accommodés chez eux de toutes pièces ? etc.
Hippolyte , après avoir déclaré qu'il méprise l'art de
séduire une belle , sort , comme le dit l'auteur , en jetant
sur Egine des regardsfoudroyans. La pauvre Phèdre , qui
a été , dans un coin, présenteà toute cette scène , s'irrite
à son tour des mépris du superbe chasseur. Dans sa fureur,
elle jurede se venger. A l'instant même, Thésée sepré
FLORÉAL AN X I. 269
sente à son épouse : il va tout naturellement pour embrasser
sa femme ; mais Phèdre recule en disant :
Vous voyez mes pleurs ,
Il est , en votre absence , arrivé des malheurs !
ン:
Thésée ne comprend pas bien d'abord quelle espèce
de malheur le menace. Il croit que son grand-père Pitthée
est mort. La philosophie lui dit , pour le consoler ,
que le bon-homme était bien vieux , et qu'il est tout naturel
qu'il soit mort ; mais la piété filiale revint à son
tour , et elle a aussi ses droits sur Thésée .
La vieillesse , les maux qui suivent un long age ....
N'importe , je l'aimois ; Pitthée étoit si sage !
:
Phèdre répond que Pitthée n'est point mort. Elle se
retire en disant qu'elle va envoyer une lettre à Thésée .
Le roi , demeuré seul , s'écrie :
Qu'est- ce qu'elle veut dire ;
;
Elle ne parle point , et veut pourtant écrire !
Ismène arrive avec une lettre ; Thésée hésite à l'ouvrir ;
Il observe
$
Qu'on apprend quelquefois ce qu'on veut ignorer.
Réflexion bien prudente dans la position où se trouve cet
époux malheureux ; cependant la curiosité l'emporte.
Thésée lit tout bas , puis il s'écrie tout haut : <<< Faites
>> venir mon fils ! » On amène Hippolyte. Thésée a recours
d'abord à l'ironie , puis il se jette dans la fureur ; il prétend
que la rougeur de son fils décèle son crime. Hippolyte
répond sans se déconcerter :
Je rougis pour vous seul
tout autre qu'un père ,
Ne m'auroit pas deux fois accusé d'adultère.
Voici Corneille après Anacréon et Molière. C'est ainsi
que l'auteur est tour-à-tour et tout-à-la-fois , le chevalier
de Cubières , M. Dorat-Cubières , et le cit. Palmézeaux.
:
Cependant Hippolyte songeant , fort à propos , que
270 MERCURE DE FRANCE ,
Thésée peut croire que lui , Hippolyte , avoit recherché
Phèdre par ambition , ajoute :
Ah ! seigneur , la couronné est loin de ma pensée ;
Sur votre anguste front elle est si bien placée ,
Est-ce un fils tel que moi , me suis-je dit souvent ,
Qui pourroit succéder à son père vivant ?
Pour conclure , Hippolyte chassé par Thésée , court
àsa perte. Ismène vient dire au roi que la reine s'est empoisonnée.
Théodas , qu'on n'avoit pas revu depuis qu'il
étoit allé à la chasse , ouvre tristement le troisième et
dernier acte , par le récit de la mort d'Hippolyte :
Il est moitié dragon , il est moitié taureau.
(C'est du monstre dont on parle . )
Je n'ai point de couleur , je n'ai point de pinceau
Qui puissent exprimer ce mélange effroyable ;
En lui tout est visible , et tout este incroyable.
Y
Un critique a observé avec beaucoup de justesse , que le
dernier vers pouvoit s'appliquer au cit. Palmézeaux luimême.
Un monstre qui est à-la-fois visible et incroyable!
la belle alliance de mots ! cela est d'accord , d'ailleurs ,
avec la sagesse des nations ; car le proverbe dit : Il ne
faut pas croire tout ce qu'on voit. Les chevaux d'Hippolyte
sont effrayés :
!
1
En avant, s'il les pousse, ils courent en arrière .
Ces chevaux- là ressemblent àbien des gens. Au reste ,
on voit que le citoyen Palmézeaux conduit les coursiers
d'Hippolyte tout aussi bien que Pégaze.
<<<L'essieu se brise enfin, et de la double roue ,
>>Le circulaire appui contre le roc échoue. >>
Poésie imitative.
CommeThéodas achève son récit , Diane , sous les traits
de Mlle. Gotis , une flèche à la main , descend dans un
nuage. Elle révèle à Thésée la calomnie de Phèdre. Thésée
demande la mort : Mlle . Gotis branlant sa flèche , dit :
FLOREAL AN XI.
271
Tu meriterois bien ! ... On apporte alors le corps
d'Hippolyte , posé (comme le dit l'auteur ) d'une manière
pittoresque sur les débris de son char. Diane s'emporte
contre Vénus :
Tremble , Vénus , tu crois tes forfaits impunis ,
Mais je cours m'en venger sur ton bel Adonis !
-Elle disparoît avec son nuage. Thésée se jette sur Hippolyte
mourant , qui refuse d'abord de lui pardonner ; il
s'adoucit enfin , lorsqu'il entend son père lui dire :
Je t'exilai tantôt , sans aucun fondement ,
Veux-tu me condamner au même chatiment.
Hippolyte attendri , répond :
Monpère , embrassez -moi , je ne sais point hair ;
Je vous lègue mon ame , à mon dernier soupir.
Puissiez-vous désormais , vous dont l'ame est si tendre ,
Ne point juger vos fils avant de les entendre.
Cette belle moralité termine cette belle pièce.
Il est temps de quitter l'ironie. Si nous avions annoncé
la pièce de M. de Palmézeaux comme une parodie de
Phedre , se jouant sur les boulevards , il n'y a personne
qui n'y eût été trompé. On peut abandonner au silence et
à la pitié un ouvrage échappé par hasard à la médiocrité
en délire : mais quand cet ouvrage est né de l'union monstreuse
de la bêtise et du jacobinisme littéraire ; lorsque
l'auteur , attaquant les plus grandes réputations et les plus
grands hommes , avoue le dessein de révolutionner le Parnasse
, alors il n'est plus possible de se retrancher dans le
seul mépris. Il est certain que ce sans-culotisme littéraire
est un système adopté par quelques écrivains du jour :
les uns veulent nous ramener à la barbarie de Ronsard ;
les autres s'empressent de ressusciter Pradon ; ceux-ci reproduisent
, dans des romans , le style et les ordures de Rabelais
, et n'oublient que son génie ; ceux-là , prétendant
vous peindre la société , vous rapportent,dans le langage
272 MERCURE DE FRANCE ,
des halles , ce qu'ils ont observé sur les bornes des rues.
Que veut ce M. de Palmézeaux ? suivre les anciens de
plus près que Racine. Pitoyable prétention ! M. de Palmézeaux
sait-il ce que c'est que les anciens ; lui qui versifie
jusqu'aux fautes de la prose du père Brumoy , dans
l'impuissance où il semble être de lire , nous ne dirons
pas le grec , mais même le latin du scholiaste ? Que M. Palmézeaux
sache donc que Racine a imité des anciens presque
tout ce qu'il en fallait imiter. S'il n'a pas transporté la
tragédie grecque toute entière sur le Théâtre Français , c'est
qu'il a su qu'il y a des beautés de temps et de lieux , qui ne
peuvent convenir à d'autres lieux et à d'autres temps ; il
a su que l'on trouve chez les anciens des sentimens
très-naturels et très-beaux en eux-mêmes , dont l'expression
littérale serait toutefois sans effet pour nous ; parce
que le coeur a eu ses développemens de passions , comme
l'esprit a eu ses progrès de lumières. Tel sentiment qui
était héroïque chez les Grecs , n'est plus chez les nations
modernes qu'un sentiment vulgaire passé en usage , et devenu
comme familier à tous : nous n'en voulons qu'un
seul exemple , la valeur. D'autre part , on se figure que
nous avons affaibli certains mouvemens de l'âme , parce
qu'ily a certaines barbaries de nature, que nousne pouvons
plus supporter. Il est douteux , par exemple , que l'on pût
montrer avec succès , sur notre théâtre , Electre encourageant
son frère Oreste à tuer sa mère ; mais le dégoût que
nous éprouvons pour de telles horreurs, n'est pas chez nous
preuve de faiblesse , c'est signe de force. Cela tient évidemment
aux progrès que la morale a fait chez les hommes.
La nature humaine est changée ; l'ame est sortie de
l'enfance où la retenait le paganisme ; elle a été émancipée
par la religion chrétienne ; elle ne peutplus se tromper
au point de prendre pour devoir ce qui est crime , le
parricide pour une vertu. Elle n'est point sortie de la
nature , comme on le prétend , elle est rentrée , au contraire
, dans la véritable nature.
A L
FLOREAL AN ΧΙ.
REP.FRA
273
Le peu de traits qui restait à glaner après Racine , dans
Euripide et dans Sénèque , n'ont pas même été aperçus
par M. de Palmézeaux , qui ne pouvait rien apercevoir.
Il est certain que Racine a l'élégance , la grace , le bon
goût des anciens ; mais il en a rarement la naïveté , et
sur -tout celle des Grecs ( 1 ) . Cela vient en partie du siècle
où il a vécu , et peut-être aussi de la perfection de sa
poésie. Racine est Euripide , mais Euripide faisant le
vers de Virgile. Ces μην , ces γαρ , μηνγαρ , ces da , ces
ων , etc. qui remplissent le vers grec , lui donnent une
démarche simple et naturelle , et en rendent la composition
facile; les divers dialectes servaient encore à dimi
nuer les difficultés de la versification. Virgile et Racine
n'avaient pas , dans leurs idiomes , les mêmes ressources;
ils ont été obligés de travailler davantage ; mais s'ils ont
perdu quelque chose en simplicité , leur poésie se rapproche
aussi beaucoup moins de la prose que la poésie
grecque. Ce sont eux qui ont posé les véritables limites
entre la langue vulgaire et la langue des muses : l'art des
vers , proprement dit , n'était point connu avant eux..
Mais de ce qu'il serait à souhaiter que Racine eût
quelquefois plus de naïveté , il ne faut pas en enconclure ,
comme M. de Palmézeaux , qu'on doit transporter le ton
bourgeois dans la tragédie. M. Palmézeaux semble croire
que la Phedre de Pradon est mieux composée que la
Phèdre de Racine : comment n'a-t-il pas vu que Phèdre ,
dans la pièce de Pradon , n'étant pas encore l'épouse de
Thésée ,
5.
cen
Les derniers noeuds des loix de l'hymenée ,
Avec Thésée encore ne m'ont point enchaînée ,
son amour devient un amour ordinaire? Aussi Phèdre le
( 1 ) Dans Estheret dans Athalie, il a la majestueuse naïveté de
Pécriture.
12 S
274 MERCURE DE FRANCE .
:
raconte-t-elle tout simplement à Aricie.Elle remarque
fort bien l'innocence de ses feux; elle dit que
* Les Dieux n'allument point de feux illégitimes. »
Par cette merveilleuse composition , tout se réduit à une
petite jalousie de comédie entre Aricie et Phèdre , et on
ne sait pourquoi Pradon parle d'inceste , si ce n'est parce
qu'il a trouvé ce mot dans Euripide. Ainsi , dans son plan ,
toutes les grandes conceptions tragiques, toutes les terreurs
et tous les remords de l'inceste , tout le formidable
intérêt de la fatalité ont disparu. Et voilà la pièce pour
laquelle M. Palmézeaux garde son admiration ! Il a osé
s'appuyer de l'autorité de Voltaire contre Racine. Voltaire
s'est épuisé en admiration pour Racine pendant soixante
ans ; il a écrit et répété mille fois qu'il n'y avait que Jean
qui sût faire des vers et des tragédies. C'est lui qui , en
dernier résultat , a confirmé le jugement de Boileau , et
placé Racine au rang qu'il occupe aujourd'hui. Sans l'auteur
de Mérope, on ignorerait peut-être encore tout ce
que vaut l'auteur de Phèdre et d'Athalie. Il est vrai qu'au
milieu de tant d'éloges , la haine de Voltaire pour la religion
lui a arraché quelques blasphemes contre le chefd'oeuvre
de Racine ; il n'a pu s'empêcher aussi de reconnaître
quelques défauts particuliers à ce grand homme ,
mais il était bien loin de soupçonner qu'on abuserait un
jour si étrangement de quelques-unes de ses expressions ;
il ne s'attendait guères à devenir le chef de la nouvelle
famille des Cassaigne et des Pradon : ce doit être là
le plus grand supplice de son ombre. Quel tourment pour
lui , s'il s'intéresse encore aux choses d'ici-bas , de se voir
cité contre Racine , par un M. de Palmézeaux , conjointement
avec un professeur Briquet , dans la préface d'un
Hippolyte!
H. S.
FLORÉAL AN XI. 275
VARIÉTÉS.
Nous avons donné , dans le dernier numéro de cejournal
, un extrait de la correspondance inédite de Rousseau
et de madame de Franqueville. Nous avons cité quelques
lettres , qui ont paru en faire désirer d'autres. Voici une
nouvelle lettre de madame de Franqueville; elle est datée
du 25 février 1765 , époque où Rousseau s'était attiré un
très-grand nombre d'ennemis , par son caractère défiant
et soupçonneux.
(De Marianne. )
"
Le 25 février 1765.
Je suis bien touchée , cher Jean-Jacques , de ceque,
> malgrétoutes vos peines , vous ayiez songé à me rassurer
» sur vos sentimens pour moi , avant d'avoir reçu ma se-
>>conde lettre. Cependant , ce qui traverse si opiniâtre-
» ment votre bonheur , ne saurait augmenter le mien ; et
>> j'aimerais bien mieux que cette marque de bonté , qui
» a assez de prix par elle-même , n'en tirât pas un si grand
>> de la circonstance où vous vous trouvez .
« Il y a long-temps que ma réserve me pèse , et que je
>> souffre de la vôtre : ainsi , puisqu'enfin vous me traitez
» en amie , je vais vous parler à coeur ouvert.
» Je respecte votre faiblesse , cher Jean-Jacques , mais
>> je ne la conçois pas. En consacrant votre plume à la
» vérité , n'avez-vous pas dû préparer votre ame à la
» constance ? Vous , qui paraissez si bien connaître les
>>hommes , comment avez-vous pu penser qu'ils accueil-
>> leraient celui qui condamne leurs moeurs par ses exemn
ples, et foudroie leurs préjugés par ses écrits ? La route
que vous avez prise , ne devait pas vous conduire au ५
Sa
276 MERCURE DE FRANCE ,
:
repos , mais à la célébrité ; vous n'avez pu l'ignorer .
>> après avoir eu l'audace qu'il fallait pour atteindre a son
>>plus haut dégré , manqueriez-vous de la fermeté néces-
>> saire pour supporter les adversités dont elle est accom-
>> pagnée ; et ne seriez-vous pas aussi fort d'avoir publié
» Emile , devant vos ennemis , et devant vous-même ,
>> que devant Dieu ? C'est à ceux qui s'intéressent à vous ,
>> c'est à moi , et non pas à vous , à succomber sous les
>> coups qu'on vous porte ; parce que ma sensibilité est à
>> découvert , et que la vôtre doit être défendue par les
>> vues supérieures qui ont enflammé votre génie. Aussi ,
>> je vous l'avoue , votre sort m'irrite contre votre zèle : jc
>> voudrais que vous fussiez plus tranquille et moins
>> illustre . Vous le savez , je chéris votre personne , et
>> j'idolâtre vos talens. Avec tout cela , vous n'êtes point
>> irréprochable à mes yeux ; je vous trouve un tort essen,
>> tiel , dont vos adversaires n'ont garde de vous charger ,
mc'est celui d'être la cause des atrocités qu'on exerce
>> envers vous. Il faudrait que vos derniers ouvrages pro-
>> duisissent plus de bien que vous ne pouvez en attendre ,
▸ pour que les choses se retrouvassent dans l'équilibre où
>> elles étaient avant qu'ils parussent. Ce qui vous concerne
» excepté , tout va a-peu-près comme tout allait avant
>> la publication d'Émile : la clarté que vous y jetez sur
des matières qu'on n'est pas accoutumé à bien voir ,
>> éblouit plus de gens qu'elle n'en éclaire; et presque
» tous ceux qu'elle attire , cessent d'apercevoir, non-seulement
l'objet éclairé , mais la lumière elle-même. A la
» vérité , quelques coeurs bien disposés recueillent les
>> semences de vertu que vous répandez à pleines mains
>», dans cet inestimable écrit : il n'est donc utile qu'à ceux
>> qui auraient pu s'en passer ; et qu'est-ce que le bien qu'il
>> leur fait , en comparaison de l'oppression d'un homme
>> juste , et de la protection qu'elle assure à quiconque re
FOFLOREAL AN XI 77
cherchera ses fautes , empoisonnera ses intentions , et
>> flétrira son caractère ? :
>> Monami! il existe plus d'unV....... tous ne sont pas
» aussi mal- adroitement méchans que l'auteur du libelle;
>> et la vertu , presque toujours dénuée de secours étrangers
, doit le ménagement de ne pas lutter contre le » se
» vice. Voilà ma façon de penser sur tout ce qui se passe
>> à votre égard depuis que je vous connais. A Dieu ne
» plaise , qu'en vous la découvrant , je veuille porter at-
>> teinte à la satisfaction intérieure qui doit vous consoler
de tout ; que je croye avoir ce pernicieux crédit sur
>> vous , ou que je l'ambitionne ! Vous seriez trop malheu-
>> reux , s'il vous venoit des doutes sur la bonté des raisons
» qui vous ont déterminé à combattre tant d'opinions
>> reçues; car , à moins de faire l'entier sacrifice de votre
amour-propre , vous vous êtes ôté tout moyen de révé-
>> nir sur vos pas. Croyez cependant , cher Jean-Jacques ,
>>> que je suis toute prête à m'accuser d'injustice, quand
l'opposition que la nature a pour la douleur , me force
»à blâmer votre conduite ; et queles suites funestesqu'elle
» a eues , et qui en ont elles-mêmes denon moins cruelles ,
m'attachent toujours plus à vous. Je vous plains d'avoir
>> éprouvé l'ingratitude de votre patrie ; et davantage, en-
» core, d'avoir été obligé d'exposer aux regards de toute
>> l'Europe , la tyrannie de ses magistrats , et la mauvaise
> foi de ses ministres , après avoir été l'apologiste des uns ,
>> et le panégiriste des autres ; mais sur-tout après avoir
>> dit : ilfaut se taire , et ne pas imiter le crime de Cham .
>> Adien, très-cher Jean-Jacques; je ne vous crois pas ca-
>> pable de me savoir mauvais gré de mafranchise : sivous
>> l'étiez , il serait bon de le savoir.
P
On voit , dans cette lettre de madame de Franqueville ,
l'expression de l'amitié la plus tendre et la plus vraie ;
l'esprit ombrageux de Rousseau pouvait seul s'y mé-
S
278 MERCURE DE FRANCE ;
prendre ; jamais madame de Franqueville ne put le faire
revenir des préventions que cette lettre lui avait données :
il répondit pour se plaindre, et il cessa d'écrire. Nous
croyons devoir transcrire ici sa réponse.
Motiers , le to mars 1765.
« J'ai lu votre lettre avec la plus grande attention ;
>> j'ai rapproché tous les rapports qui pouvaient m'en faire
>> juger sainement : c'était pour mon coeur une affaire
>> importante.
>> Vous étiez flatteuse durant ma prospérité ; vous de-
>> venez franche dans mes misères : à quelque chose mal-
>> heur est bon.
» J'aime la vérité , sans doute; mais si jamais j'ai le
» malheur d'avoir un ami dans l'état où je suis , et que
» je ne trouve aucune vérité consolante à lui dire , je
>> mentirai.
>> On peut donner en tout temps à son ami le blâme
» qu'on croit qu'il mérite ; mais quand on choisit le mo-
>> ment de ses malheurs , il faut s'assurer qu'on a raison.
>> Lorsque je disois , il faut se taire , et ne pas imiter
>> le crime de Cham , j'étois citoyen de Genève ; je ne dois
» que la vérité à ceux par qui je ne le suis plus.
>> Lorsque je disois , il faut se taire , je n'avais que ma
» cause à défendre , et je me taisais ; mais , quand c'est
>> un devoir de parler , il ne faut pas se taire : voyez
>> l'avertissement. Adieu , Marianne.
5
J. J. ROUSSEAU.
A
き
FLORÉAL AN X I.
279
Fontenelle , Colardeau et Dorat , ou Eloges de ces trois
écrivains célèbres , suivis d'une Vie d'Antoine de
Rivarol (a).
Les trois premiers discours que contient ce recueil ,
étaient déjà connus ; le quatrième , qui est une notice
en forme d'éloge de M. de Rivarol , paraît pour la
première fois. Nous nous attacherons particulièrement
à ce dernier morceau , qui offre de l'intérêt et plusieurs
anecdotes peu connues. Rivarol a joui d'une célébrité
qui donne du prix aux choses qui ont rapport à lui. La
finesse et la causticité de son esprit lui ont attiré beaucoup
d'admirateurs et plus encore d'ennemis . M. de
Palmezeaux ne dissimule ni ses qualités , ni ses défauts ;
etquoique M. de Palmezeaux soitundes écrivains les plus
maltraités dans le Petit Almanach de nos grands
hommes , il loue Rivarol beaucoup plus qu'il ne le
blame : il n'est pas le seul sans doute qui ait oublié les
traits malins de Rivarol ; mais il est le seul peut-être
qui lui ait donné le titre d'ami , et qui ait été jusqu'à
répandre des larmes à sa mort.
M. de Rivarol à qui on a long-temps reproché sa naissance
, descendait du marquis de Rivarol , lieutenantgénéral
dans les armées de Louis XIV ; une longue
suite de malheurs éprouvés par cette famille , avait réduit
le père de Rivarol , qui habitait la petite ville de
Bagnols , à tenir auberge pour gagner sa vie. Ces revers
de la fortune n'ont été que trop communs ; beaucoup
(a) Par M. de Cubières - Palmezeaux. Un vol . in-88.: prix 4 fr..
pour Paris , et 5. fr. par la poste. A Paris , chez Cérioux , Fuchs ,
Mongie , Levrault ; et chez le Normant , rue des Prêtres Saint-Germain-
l'Auxerrois , n. 42.
S4
280 MERCURE DE FRANCE,
de maisons , jadis illustrées , sont ainsi retombées dans la
classe obscure de la société. Il y avait à Paris , il y a peu
d'années , un descendant direct du grand Corneille , proche
parent de MM. de la Tour-du-Pin , qui était réduit
à être facteur de la poste aux lettres ; sur cet article ,
Les exemples fameux ne nous manqueraient pas .
r
Mais la révolution a bien changé les idées à cet égard ; et
Rivarol ne rougirait plus aujourd'hui de l'état quia fait
vivre ses parens. Ils firent de grands sacrifices pour son
éducation ; son père le destinait à l'état ecclésiastique.
Arrivé à Paris , il dut se suffire à lui-même. Son esprit ,
sa figure très-intéérreessssaannttee eet sa jeunesse lui procurèrent
des ressources . Il réussit beaucoup auprès des femmes ; et
l'on sait qu'alors on ne parvenait à rien sans elles . Il ne
fut pas toujours, heureux : sa première conquête , qui
pourtant n'était plus ni jeune ni belle , lui fut enlevée
par un garçon apothicaire... Il s'occupa de littérature
et publia plusieurs brochures pleines d'esprit et
de gaîté , qui le furent connaître. Panckoucke , qui savait
encourager le mérite , l'engagea à faire des extraits pour
le Mercure); et , dans l'origine , ce fut pour le Mercure
qu'il composa le discours où il indique les causes
de l'universalité de la langue française , qui est devenu
un de ses principaux ouvrages . Des démélés avec M.
Garat , qui travaillait aussi au Mercure sous le nom de
dom Cossef d'Ustaris , forcèrent Rivarol à y renoncer. Il
était connu par des ouvrages en prose ; son Epitre au
roi de Prusse prouva, qu'il pouvait réussir en poésie ;
on n'a point encore oublié ces deux vers :
1
Envain de sa bassesse un Pradon s'environne ;
Boileau dans son courroux ne méprisait personne."
Ce fut à-peu-près à cette époque qu'il fit , avec son
ami Champeenetz , le Petit Almanach de nos grands
FLORÉAL AN XI. 201
hammes : sa réputation ne se serait pas soutenue , s'il :
n'avait fait que cet ouvrage. 1..
La plupart des écrivains qu'il persiffle avec tant d'esprit
, sont aujourd'hui tout-à-fait inconnus. Qui est - ce
qui se souvient de MM. Briquet , Braquet , Catala-Couture
, Thomas Mineau de la Mistringue , et autres Providences
des recueils indigens . Il y a sans doute dans
cette brochure , des noms plus estimés dans la littérature
; mais les plaisanteries de Rivarol ne leur ont, fait.
aucun tort. Les lettres qu'il publia sous le nom de l'abbé
Sabathier de Castres , et ensuite sous le nom de Salomon
de Cambrai , le firent connaître plus avantageusement ;
ces lettres prouvent qu'il avait des vues très- saines en
politique. Il compare l'égalité absolue à la pierre philosophale
; il voudrait qu'aux mots égalité naturelle ,
on substituât égalité civile , à laquelle même il paraît
croire fort peu . Le peuple , selon lui , est un souverain
qui ne demande qu'à manger , et sa majesté , dit - il
est tranquille , quand elle digère. Il consacra plusieurs:
pages de son livre à réfuter le système de J.-J. Rousseau
sur la démocratie . Lorsqu'il s'efforça de réfuter: le sys
tème de9 J.-J. Rousseau , dit M. de P. , on ne saurait
s'empêcher d'admirer le prophétique instinet qui ,ten:
1789 , lui a dicté les vérités suivantes : « Les philosophes
>> verront bientôt avec douleur qu'il faudrait qu'il exis-
>> tât unmonde de philosophes pour briser ainsi toute és
>». pèce de joug ; ils verront qu'en déliant les hommes ,on
>> les enchaîne, qu'on ne peut leur donner une armë
>> défensive , qu'elle ne devienne bientôt offensive et
>> ils pleureront sur le malheur de l'espèce humaine ,
>> qui ne permet pas à ceux qui la gouvernent, de
>> songer à la perfection : alors , de philosophes qu'ils
>>. étaient , ils deviendront politiques ; ils verront qu'en
» législation comme en morale, le bien est toujours le
282 MERCURE DE FRANCE ,
>> mieux, que les hommes s'attroupent , parce qu'ils
>> ont des besoins , et qu'ils se déchirent , parce qu'ils
>> ont des passions ; qu'il ne faut les traiter ni comme
>> des moutons , ni comme des lions , mais comme s'ils
>> étaient l'un et l'autre ; qu'il faut que leur faiblesse
>> les rassemble , et que leur force les partage. Le des-
>> pote qui ne voit que de vils moutons , et le philosophe
>> qui ne voit que de fiers lions , sont également insensés
>> et coupables.
On sait la part qu'il eut à la rédaction des Actes des
Apôtres. On le crut salarié par la cour. Mirabeau disoit :
je suis payé , mais non vendu. Rivarol retournoit ce
mot et répétoit : je suis vendu , mais non payé. Ils ont
pris le parti coupable , disoit - il en parlant des démagogues
, et nous le parti honnête ; ils sont pour les
heureux , et nous pour les malheureux. Rivarol quitta la
France en 1792; il s'occupa , dans son émigration , d'un
dictionnaire de la langue française ; il en publia en 1797
la préface sous le titre : De la Philosophie moderne ;
mais le directoire ne permit pas en France le débit de
cet ouvrage , dans lequel Rivarol prétend que « les an
>> ciens philosophes ne cherchaient que le souverain bien ,
>> et que les nouveaux n'ont cherché que le souverain
>> pouvoir. >>>
1
Rivarol était , dans les pays étrangers , réduit dans un
état voisin de l'indigence , mais il eut le bonheur de
faire à Berlin la connaissance de la princesse russe
d'Olgourousky , femme sensible et aimable qui devint
sa protectrice ; il coulait auprès d'elle des jours heureux ,
mais il ne perdait point le désir de rentrer en France;
toutes les difficultés qui pouvaient s'ofroser à son retour ,
paraissaient levées , lorsqu'il fut attaqué , le 5 avril 1801 ,
d'une fluxion de poitrine qui l'enleva aux lettres et à ses
amis , le 11 du même mois, après six jours de maladie
FLOREAL AN XI. 283
Il fut généralement regretté. « La princesse d'Olgourouski
» a poussé la générosité , dit M. de Palmezeaux , jusqu'à
>> prendre soin de sa mémoire ; elle a payé toutes les
>> dettes qu'il pouvait avoir , et a fait dire par-tout que
>> c'était avec l'argent que lui avoit envoyé la famille
>>> de Rivarol. >>>
Ce volume renferme encore les éloges de Fontenelle ,
Colardeau et Dorat ; ces pièces ont été déjà publiées ; on
ytrouve aussi une lettre écrite à l'auteur par M. Bailly ,
l'historien de l'astronomie , dans laquelle on remarque
l'opinion de ce savant sur Fontenelle : « il entendoit ,
>> dit- il , la géométrie des autres ; mais il n'étoit point
> géomètre , c'est - à- dire qu'il n'a rien fait pour la
>>> science . »
M. de Palmezeaux avait avancé que les vers d'Astarbé
et de Caliste , ( tragédies de Colardeau , ) égalaient
ceux de Racine ; M. de la Harpe combattit , dans le
temps , cette assertion ; M. de Palmezeaux soutient de
nouveau son opinion , et ajoute que « si Racine avait
» pu faire présent à Colardeau de sa pièce d'Iphigénie ,
► Colardeau aurait écrit cette pièce aussi bien queRacine
» l'a écrite, et peut-être même avec un sentiment plus
» exquis de l'harmonie. >>>
ΑΝΝΟNCES.
Petite Bibliothèque des Enfans ; par J.-H. Campe ,
traduite de l'allemand , par l'abbé Y.-D. Grandmollet.
La Haye , 1802. Deux vol. in- 12 , figures. Prix , 6 fr. et
8 fr. par laposte. A Paris, chez J.-J. Fuchs , rue des
Mathurins Saint Jacques , n°. 334.
De la Construction des Edifices publics , sans l'emploi
dufer, etquel en doit être l'usage dans les bâtimens particuliers.
Par C. F. Viel , architecte de l'Hôpital général ,
de la société libre dessciences et arts de Paris. Broch. in-4°.;
prix , 2 fr. 50 c. AParis , chez le même.
Et chez le Normant , rue des Prêtres-S.-Germ.-l'Auxer.
284 MERCURE DE FRANCE ,
POLITIQUE.
e
:
Les journaux de Londres , de la semaine dernière , n'of
frent que contradictions . Sur une parole de M. Addington ,
on a cru à la paix , et les fonds publics ont remonté ; le
lendemain , il a donné l'explication de cette parole , et
les fonds ont baissé. Ce qu'il y a de certain , c'est que la
question de la paix ou de la guerre reste toujours dans la
même incertitude , avec cette différence cependant que
plus une pareille incertitude se prolonge , et plus il est
probable que les hostilités ne seront pas reprises . Mais
c'est bien moins des affaires générales , que de M. Pitt ,
que les journaux anglais se sont occupés. Essayons de dé
brouiller tout ce qu'on a dit à son égard.
Il est public , en Angleterre , que toute la force de
M. Addington dans le parlement , a toujours tenu à l'a
mititiéé qui règne entre lui et M. Pitt ; aussi M. Pitt ,et tous
les siens , ont-ils constamment refusé de se joindre aux
trois oppositions très-distinctes qui divisent aujourd'hul
le parlement , et qui se sont trouvées trop faibles contre
M. Addington , soutenu par les nombreux partisans de
M. Pitt .
Il est également public , en Angleterre , que M. Pitt n'a
quitté le ministèreque pour se débarrasser du parti Wind
ham , et laisser faire la paix par des hommes neufs. On en
a conclu , 1 °. que M. Pitt reparaîtrait à la tête des affaires
après la paix , et cette conclusion était jusťe ; 2°. que sa
rentrée au ministère serait le signal d'une guerre nou
velle , et cette conclusion était au moins hasardée. Nous
la laisserons de côté , pour ne nous occuper que de la
première.
Les journaux s'accordent à dire que M. Pitt a traité de
sa rentrée au ministère avec M. Addington' ; qu'ils se sont
brouillés , et que les prétentions de M. Pitt' sont entièrement
renversées. Cela peut être vrai ; mais les conséquences
qu'on en tire sont fausses.
1,
D'abord , quelques journaux ont prétendu que M. Addington,
en se prêtant à rappeler M. Pitt , voulait conserver
la première place ; ce qui est contre le caractère de
M.Addington et contre la force des choses . D'autres journaux
assurent que M. Addington voulait bien se fortifier
parlarentrée au ministère de M. Pitt et de lord Melville,
FLORÉAL AN XI. 285
(M. Dundas ) mais qu'il refusait absolument d'y adjoindre
les Grenville ; que M. Pitt affirmait qu'on ne pouvait se
passer d'eux , et que M. Addington , prévoyant qu'il serait
écarté par ces derniers , avait rompu toute négociation .
Gela est possible etmême probable , mais ceux qui en concluent
que M.Addington restera en place , se trompent complettement
: toute la force parlementaire de ce ministre
est entre les mains de M. Pitt qui a jusqu'à présent refusé
de se lier à aucune opposition , mais qui fera incontestablement
triompher celle à laquelle il s'unira.
1
M. Pitt est le seul qui , en sortant du ministère , loin de
s'élever contre son successeur , l'a soutenu de ses conseils
et de ses nombreux partisans , ce qui a fait généralement
penser qu'il n'avait fait que prêter sa place et qu'il ne vou-
Mait pas l'affaiblir : les journaux , les carricatures du temps
et la souscription pour la statue à élever au fils du lord
Chatam , n'ont laissé aucun doute à cet égard. Si M. Pitt
eût fait opposition en sortant du ministère , il aurait beaucoup
perdu de son crédit , puisqu'il est certain ( et nous
l'avons plusieurs fois fait observer) que les derniers ministres
ne pouvaient jamais blåmer les ministres actuels
sur la conclusion dela paix , sans faire la satire de leur propre
administration pendant la guerre ; c'est ce qui a rendu
si faible et si indécente l'opposition du parti Grenville , et
si bizarre celle du parti Windham .
Mais aujourd'hui les circonstances sont bien changées.
Depuis la conclusion de la paix , il y a eu , en Angleterre ,
provocation à une guerre nouvelle , armement considérable
, violation de plusieurs articles du traité d'Amiens ;
ainsi M. Pitt peut s'unir à l'opposition Grenville , attaquer
, tourmenter , poursuivre , renverser le ministère actuel
, sans craindre de s'exposer à blâmer lui-même son
ancienne administration. En se renfermant dans ce qui
s'est passé depuis trois mois , il aura pour lui toute la force
de la raison , car ce qui s'est passé depuis cette époque ne
peut raisonnablement s'expliquer. Voilà réellement la position
deMM. Pitt etAddington, et nous persistons à croire
que la fin de la présente session parlementaire n'arrivera
point , sans que M. Addington ne soit forcé à des explications
qui le renverseront, à moins qu'il ne consente àtout
ce que voudra M. Pitt .
On objecte que le roi n'aime pas M. Pitt ; cela est
vrai ; mais on sait bien qu'un roi d'Angleterre n'est pas
maître du choix de ses ministres , et les ministres le savent
286 MERCURE DE FRANCE ,
bien aussi. Le roi actuel en a soutenu un long - temps
contre le parlement ; et lorsqu'il a été obligé de s'en séparer
, le vieux ministre n'a remercié son souverain qu'en
se faisant chef d'une opposition qui déplaisait fort à la
cour. Tel est l'usage du pays , et un pareil usage est bien
fait pour dégoûter ceux qui gouvernent , de prendre un
grand intérêt aux changemens qui ont lieu dans le ministère.
Les différends survenus entre les États-Unis de l'Amérique
et la cour d'Espagne , sont entièrement terminés ;
c'est à la médiation du premier consul de France , que
cette partie du monde devra de n'avoir point été troublée
par la guerre.
Des lettres assurent qu'il y a une révolution en Chine ,
dont les caractères ne sont nullement tranquillisans ; ce
bel Empire est à la veille de voir détruire les sages insti
tutions auxquelles il doit sa splendeur depuis tant de
siècles .
Les lycées continuent de s'organiser dans les départemens
avec la plus grande activité. Le zèle et les lumières des
préfets et des autorités locales , l'ardeur patriotique des
habitans , l'empressement des directeurs d'écoles secondaires
, répondent par-tout aux voeux du gouvernement ,
et aux soins des inspecteurs-généraux chargés de l'organisation.
TRIBUNAT.
Séance du 1er. floréal. On procède au renouvellement
dubureau. Costas est élu président ; les nouveaux secrétaires
sont Labrousse, Van-Hulten , Daugier et Malherbe.
Sedillez est nommé membre de la commission administrative.
Malès , au nom de la section des finances , fait un rapport
sur un projet de loi relatif à la contribution foncière
des canaux de navigation ; il vote pour l'adoption
de ce projet. On ajourne la discussion à demain.
Séance du 2. Daru fait un rapport sur le projet de loi
relatif à la levée des conscrits des années 11 et 12. (Nous
avons donné ce projet dans notre dernier numéro ,
page 236. ) Le tribunat adopte ce projet ainsi que celui
relatif aux contributions des canaux de navigation. La
séance est ajournée au 6.
:
FLORÉAL AN XI. 287
Séance du 6. On fait lecture de la correspondance.
Une commune du département de la Meurthe , qui ,
n'ayant aucune habitation propre à loger le curé de la
paroisse , demande d'être autorisée à rentrer dans la jouissance
de l'ancien presbytère qui a été aliéné ; elle s'engage
à payer l'indemnité nécessaire. On passe à l'ordre du
jour.
Au nom de la section des finances , Van-Hulten fait un
rapport sur le projet de loi relatif aux douanes. Pictet fait
quelques observations sur ce projet ; les frais de perception
lui paraissent trop onéreux ; il trouve trop graves les
peines portées contre les prévenus ; il craint qu'il ne mette
nos troupes dans un état de guerre permanent; qu'il n'occasionne
le renchérissement des denrées et ne nuise à
l'industrie. Arnoult répond à Pictet. On ajourne la discussion
à demain.
CORPS LÉGISLATIF.
Séance du 1. floréal. Le corps législatif a adopté
dans cette séance , à la majorité de 210 boules blanches ,
contre 12 boules noires , le projet de loi portant concession
de terrain , aux vétérans qui seront appelés dans
les vingt-sixième et vingt-septième divisions militaires.
On procède ensuite au renouvellement du bureau. Viennot-
Vaublanc réunit la majorité des suffrages pour la
présidence ; les nouveaux secrétaires sont Terrasson ,
Borie , Malin et Blareau.
Séance du 2. On introduit les conseillers - d'état Miot
et Forfait : ce dernier présente un projet de loi tendant
à établir un droit de bassin dans les ports du Havre ,
d'Ostende et de Bruges .
Le troisième livre du projet de loi du code civil est
proposé au corps législatif, par les conseillers d'état
Thibaudeau et Duchatel. Thibaudean est à la tribune ,
il lit les motifs du projet qu'il déclare avoir été rédigés
par le citoyen Bigot , qu'une indisposition empêche de
se rendre au corps législatif. L'orateur après avoir examiné
la loi proposée dans son ensemble et dans ses immenses
détails , la représenté comme devant fixer les
dernières limites de la propriété , régénérer les moeurs,
assurer dans l'état le bonheur des familles , et dans chaque
famille le bonheur des individus qui la composent.
288 MERCURE DE FRANCE,
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi
tendant à attribuer au tribunal criminel de la Seine , la
connaissance exclusive de tous les crimes de faux , commis
soit en effets nationaux , soit sur les pièces de comptabilité
qui intéressent le trésor public. Après avoir entendu
Greuille , orateur du tribunat , le corps législatif
sanctionne ce projet à la majorité de 189 voix , contre 15..
Séance du 3. Les conseillers - d'état Miot et Forfait
présentent un projet de loi pour la perception d'un droit
sur diverses denrées dans le port de Cette . On passe ensuite
à la discussion de deux projets de loi.
Le premier concerne la commune de Mont- Luçon.
(Voyez la séance du tribunat du 5 germinal ,et celle du
corps législatif du 25 du même mois. ) Pinteville , orateur
du tribunat , est entendu ; il expose que le tribunat
ayant appris qu'une négociation est ouverte entre la commune
de Mont-Luçon etle citoyen Moreau, propriétaire
du terrain qu'elle veut acquérir ; il s'est déterminé
à demander l'ajournement du projet qui les concerne.
L'orateur du gouvernement consent à l'ajournement qui
est indéfiniment prononcé.
Le second concerne cent quarante-sept autres affaires ,
et le corps législatif le sanctionne à lamajorité de 200
voix contre 4.
Séance du 5. Les conseillers -d'état Treilhard , Dauchy
et Lhomond , présentent un projet de loi relatif à la contrebande
avec attroupement et port d'armes , et aux préposés
qui favorisent la contrebande en général. Par cette
Ioi , la peine de mort est prononcée contre les contrebandiers
avec attroupement et port d'armes , et la peine
des fers contre les contrebandiers ' sans attroupement et
sans armes. Les poursuites , instructions et jugemens
auront lieu conformément aux dispositions du titre 3 de
la loi du 18 pluviose au 9, relative à l'établissement des
tribunaux spéciaux .
La discussion s'ouvre sur le projet de loi relatif à la
à la contribution foncière des canaux de navigation , et ce
projet est sanctionné à la majorité de 207 voix contre 5.
Séance du 6. L'ordre dujour appelle la discussion du
projet de loi relatif à une levée de conscrits des années 11
et 12 ; Daru , organe du tribunat , a développé les motifs
de cette loi ; le corps législatif l'a sanctionné à une majorité
de 191 voix contre 15 , et s'est ajourné au 8 .
REP.FRA
( No. XCVIL. ) 17 FLOREAL an 11.
( Samedi 7 Mai 1803. )
MERCURE
DE FRANCE.
(
Gen
LITTERATURE.
POÉSIE.
LES DEUX RATS , ९
Fable imitée d'Horace.
:
2
On dit qu'un jour , dans son modeste asile ,
Le ratdes champs reçut le rat de ville.
Vieux compagnons ,vieux hôtes , vieux amis
L'âge et l'état les avaient assortis.
Du campagnard l'humeur était austère :
Dur à lui-même , il faisait maigre-chère ;
Mais il savait , dans les occasions ,
Se faire honneur de ses provisions.
Ce jour - là donc il se mit en dépense :
Quelques morceaux de son lard vieux et rance ,
Avoine , poids , figue sèche et raisin ,
Tout fut tiré du poudreux magasin.
En vain pourtant il s'agite et s'empresse
Pour irriter l'orgueilleuse paresse
A
13 T290
MERCURE DE FRANCE ,
D'un goût blâsé par de fréquens excis :
Tandis qu'à l'autre offrant les meilleurs mets ,
L'Amphytrion , sur un tas de javelles ,
Ronge un peu d'orge ou des pailles nouvelles ;
Du bout des dents son hôte effleurant tout ,
Pour tout affecte un superbe dégoût.
Le rat de ville enfin rompt le silence :
1
<< Mon cher , dit-il , c'est une extravagance
>> De t'enterrer dans le fond des déserts .
» Loin des humains , loin de tout l'Univers ,
» Que veux-tu faire en cette solitude ?
>> De vivre heureux , crois-moi , fais ton étude :
>> Puisque tout doit un tribut à la mort ,
» Tachons du moins d'embellir notre sort. »
Le rat des champs goûte cette morale ;
Il saute en place , et de suite détale .
Le couple en ville , au milieu de la nuit ,
Furtivement se glisse , et s'introduit
Dans un hotel , dont la magnificence
D'un financier annonçait l'opulence :
L'or et l'azur brillaient sur les lambris ;
Des lits de poupre et des meubles de prix
Par-tout s'offraient au campagnard surpris :
Ses yeux erraient de merveille en merveille.
Mais les reliefs d'un souper de la veille
Plûrent sur-tout à nos friands amis .
Le citadin qui voit le couvert mis
,
,
Fait , à son tour les honneurs de la salle ;
Sert l'étranger , sur la pourpre l'instale ,
Et lui choisit , goûtant de tous les plats ,
Les plus vantés et les plus délicats.
Le rustre heureux s'abandonne à la joie ,
Et son esprit en bons mots se déploie ;
Quand, tout-à-coup , avec un grand fracas ,
7
:
FLORÉAL AN XI.
La porte s'ouvre : un escadron de chats
Vient préluder à ces affreux sabats ,
En miaalant d'une voix effroyable.
Nos compagnons sont bientôt hors de table :
<< Adieu , mon cher , dit l'habitant des bois ;
291
>> N'espère pas m'y prendre une autre fois !..
>> Tes grands festins , que le trouble accompagne ,
>> Ne valent pas la paix de ma campagne. >>>
KÉRIVALANT.
L'AVARE DE BUCHANAN ,
Traduction de sa 62°. Epigramme du liv. 2.
:: S
En perruque à crins secs , en pourpoint tout à jour ,
Le regard inquiet , la face have et blême
Et la main contractée en serre de vautour,
Vous croiriez que d'Orgon la misère est extrême.
Nul mortel , en effet , n'est plus pauvre d'esprit ;
Mais des dons de Plutus , nul n'a plus forte dose.
Il entasse plus d'or dans son sale réduit,
Que n'en roule le Tage , et n'en rend le Potose.
Dans un caveau voisin du manoir de Pluton
Il va vingt fois le jour tourmenter ses espèces ;
Fait et refait ses tas en ménageant le son
Qu'il consulte pourtant pour les douteuses pièces..
Quoiqu'il connaisse seul l'accès du souterrain,
La prudence d'Orgon n'en est pas rassurée :
Sous un triple verrou , quatre portes d'airain
A tous les malveillans en défendent l'entrée .
Ce n'est pas tout encor , trois dogues dans sa cour ,
Unsoldat bienarmé , sévères sentinelles ,
Constamment aux aguets et la nuit et le jour ,
2
よい
4
:
i
:
T2
292 MERCURE DE FRANCE ,
Protègent sa maison mieux que forts et tourelles .
Il n'ose se fier à la garde des dieux ;
Jamais sur leurs autels il n'a porté d'offrande.
Sa femme , ses enfans , .... peut-il compter sur eux ?
Soupçonneux, défiant , sans cesse il les gourmande ,
Le premier de ses soins est d'éviter leurs yeux.
Si l'hirondelle attache un nid à sa fenêtre ,
L'hirondelle est Progné qui guette tous ses pas:
Le tissu d'Arachné , c'est un filet peut-être
Qui menace son or ; il redoute ses lacs .
Le trou d'un rat , d'un ver éventent une mine
Qui va faire sauter l'homme et le coffre-fort :
Il les sonde en tremblant , ssa lampe Pillumine,
S'il la laisse échapper , je tiens Orgon pour mort.
Si le flambeau du jour traverse une ouverture ,
Craignant que le rayon n'atteigne son trésor
D'une étoupe mêlée à quelque molle ordure ;
Il sait , en la fermant , arrêter son essor .
Prenant pour un voleur la trace de son ombre ;
On l'a vit la poursuivre un baton à la main :
Il s'inquiète aussi d'une obscurité sombre ,
Son voile trop souvent protège le larcin.
Ainsi la nuit , le jour , ténèbres ou lumière
Chaque instant de sa vie ajoute à son tourment ,
Pour que l'on puisse dire , à son heure dernière ,
Le prévoyant Orgon a vécu pauvrement ,
;
,
9
,
Pour entrer riche au monument
Encore si la mort au son de l'or sensible ,
Vouloit à beaux deniers vendre quelque répit !
on là trouve inflexible : Payez , priez , criez ,
1
1
1
Mais pour les malheureux , benigne ou moins terrible ,
On la voit doucement les tirer de leur fit :
Elle happe un Orgon , le secoue et s'en rit.
i
:
و .... B.deReims.
FLORÉAL AN XI. 293
ENIGME.
Mon père est l'air et ma forme est sphérique ,
Je suis légère , éclatante , élastique ;
J'offre aux regards les plus vives couleurs :
En me brisant , je m'exhale en vapeurs.
Deux élémens composent mon essence ;
D'un autre agent je tiens ma consistance.
Et mon volume est plus ou moins petit .
Le moindre choc m'anéantit ;
Et très-souvent je cesse d'être
Au moment où je viens de naître .
Un souffle léger me produit ,
Un souffle trop prompt me détruit.
Aux amusemens de l'enfance
Je dois ma trop courte existence.
A tous ces traits , on voit combien
Il est aisé de me comprendre .
J'ajoute : si l'on veut me prendre ,
Je disparais , on ne tient rien .
Par madame P..... de V.....
LOGOGRYPHE.
De la divinité je suis souvent l'emblême.
Je marche sur huit pieds;
Otez les trois premiers ,
Je ne suis plus que le tiers de moi-même.
Je contiens , car je suis d'une richesse extrême ,
La mesure des jours; un stupide animal; ...
La plus parfaite créature ;
Un homme d'énorme stature ;
!
Undespote cruel ; un grand fleuve; un métal ;
1
Une liqueur de blancheur éclatante al story si
T5
294 MERCURE DE FRANCE ,
Un membre mou , caché , lequel s'épanouit
Quand un objet nous réjouit ;
Ce qui couvre une table , et cette faible plante
Qui le fournit ; le tribut qu'au printems
Nous donnent les moutons ; le nombre de nos ansy
L'envoyé d'un pontife ; un excès de colère ;
Un amas d'eau ; ce qui revêt nos mains ;
L'animal alongé qui dévore nos grains ;
L'écorce nouvelle d'un chêne
Que pour les cuirs l'art a su façonner ;
Un mot qu'au dernier vers je viens de crayonner ;
Ce que la vanité ne cède qu'avec peine ;
Ce cri qui t'avertit de détourner tes pas :
Quel lecteur , à ces traits , ne me devine pas ?
CHARADE.
Que j'aime à voir , armé de mon premier ,
Le joli doigt de ma Glycère ,
Eloigner la main téméraire
Qui veut un peu trop approcher
De cette gentille ouvrière !
Glycère est faite à mon dernier ;
Avec tant de beauté que n'est-elle moins fière !
Mon coeur pourrait près d'elle s'expliquer ,
Sans se servir de mon entier.
Mots de l'Enigme , du Logogriphe et de la
Charade insérés dans le dernier Numéro.
34 .
Le mot de l'Enigme est la lettre U.
Celui du Logogryphe est Corps , où l'on trouve soc,
cor ,porc , roc , or.
Le mot de la Charade est Chèvre- Feuille.
FLOREAL AN XI. 295
Pensées de Léibnitz sur la Religion et la Morale ;
deuxième édition de l'ouvrage intitulé : Esprit
deLéibnitz , considérablement augmenté. Deux
vol. in-8° . Prix g fr. et 12 fr. franc de port.
A Paris , chez la veuve Nyon , libraire , rue
du Jardinet ; et chez le Normant , imprimeurlibraire
, rue des Prêtres Saint-Germain-l'Auxerrois
, vis -à-vis le petit portail, nº. 42 .
CETTE conjuration qui s'était formée contre le
Christianisme dans le siècle dernier , et qui , tôt ou
tard , devait s'éteindre dans le mépris, était , si l'on
peut le dire , une entreprise encore plus extravagante
et plus rididule qu'elle n'était impie : elle ne
méritait pas qu'on prît la peine d'écrire tant d'ouvrages
sérieux etsavans,qui n'ont faitquefournir matière
à d'insolentes moqueries ; et c'est un malheur que ,
dès l'origine , il ne se soit pas rencontré un homme
tel que l'auteur des Provinciales , pour en faire
justice d'une inanière proportionnée à la nature
du mal. C'était , à mon avis , compromettre la
dignité d'une telle cause , que d'entrer en dispute
avec des foux furieux , ou de mauvais plaisans ,
sans doctrine et sans foi. Il fallait imiter la hauteur
de Pascal . Ce grand homme les accable de son
mépris dans quelques traits de ses pensées ; et il
suffisait de développer, après lui , cette juste idée ,
qu'il est glorieux à la religion d'avoir pour ennemis
des hommes de ce caractère. On méprise
beaucoup la philosophie superficielle de ceshommes
qui ne sont incrédules qu'à force de crédulité , lorsqu'on
est entré une fois dans cette autre philosophie
profonde que l'incomparable Leibnitz a si
bienmise en honneur, et de laquelle le chancelier
T4
596 MERCURE DE FRANCE ,
on
Bacon dit excellemmert qu'elle nous ramène à
Dieu , autant que l'autre nous en éloigne. Lorsqu'on
a lu ce qu'un Bossuet , un Leibnitz , un
Descartes , et tant d'autres esprits supérieurs , ont
écrit de solide et de grand sur le Christianisme ;
lorsqu'on s'est nourri de leurs méditations
nepeutque regarder deforthaut cessophistes et ces
railleurs misérables , qui n'ont su qu'outrager et
couvrir de boue des vérités d'une haute majesté ,
àpeu près comme un Monarque est insulté dans
un jour de révolte par la plus vile canaille de ses
états. On ne craint point de passer- pour injusteen
parlant de la sorte ; et si ce mépris enveloppe
quelques personnes qui ont de la célébrité , on
s'en inquiète peu : l'abus de l'esprit cesse d'être de
l'esprit. Cela n'a point embarrassé Leibnitz , qui
n'en témoigne pas avec moins de force son sentiment
contre cette espèce de philosophes. « J'avoue,
>> dit-il , que j'ai toujours vu avec indignation
>> qu'on abuse des lumières de l'esprit humain
>> pour l'aveugler lui-même , et je me suis appliqué
>> à la recherche des principes véritables , avec
>> d'autant plus d'ardeur, que je souffrais plus im-
> patiemment que des novateurs entreprissent par
>> leur subtilité de me priver du plus grand bien
>> de cette vie , c'est-à-dire , de la certitude que
>> mon âme survivra éternellement à mon corps ,
>> et de l'espérance qu'un Dieu , infiniment bon ,
>> couronnera enfin la vertu et l'innocence. >>>
( Confes. fid. cont. Atheist. )
Celui qui aura le bon sens de concevoir ce que
c'est que de prétendre élever sur les ruines d'une
religion antique et vénérable une philosophie sans
principes et sans moeurs , sentira qu'il n'est guères
possible de mépriser une telle idée autant qu'elle
mérite de l'être. Ce qui y met le comble du ridicule
, c'est qu'elle venait après un siècle pleinde
FLORÉAL AN XI. 297
٦
génie , de lumières et de vertus. Puisque le monde.
est si peu disposé à entrer dans les raisons des \
choses, qu'on enjuge donc par ce qui est de pure
forme ; l'autorité ne nous manquera pas ; car , sensément
, que pouvaient opposer à tant de grands
hommes , si remplis de droiture , ces petits brouillons
nés dans la fange des moeurs de la régence ,
et qui avoient bien plus de vices , de travers et
de mauvaise foi qu'ils n'avaient d'esprit ? C'est
une chose étrange à remarquer que pas un d'eux
n'a écrit en honnête homme sur la religion de
son père et de sa mère ; pas un n'a porté dans
cette controverse les qualités qui lui pouvaient
donner quelque poids , le jugement , le savoir et
la candeur. Il fallait que l'effronterie et le scandale
enssent été poussés bien loin, pour arracher à.
M. d'Alembert cet aveu singulier : << On ne sau-
>> roit dissimuler que les principes du Christia-
>> nisme sont aujourd'hui indécemment attaqués
>> : dans un grand nombre d'écrits ; il est vrai que
>>la manière dont ils le sont pour l'ordinaire ,
>> est très-capable de rassurer ceux que ces atta-
>> ques pourraient alarmer : le désir de n'avoir
>> plus de frein dans les passions , la vanité de ne
" pas penser comme la multitude , ont bien plus
>> fait d'incrédules que Fillusion des sophismes ,
>> si l'on doit appeler incrédules ce grand nombre
>> d'impies qui ne veulent que le paraître , et qui ,
>> selon l'expression de Montaigne , tachent d'être
» pires qu'ils ne peuvent. » ( De l'abus de la crit.
en mat. de relig. )
Quelqu'ait été le motif de cet aveu , on peut ,
en sûreté de conscience , ne pas faire grand cas
d'une philosophie , dont ses propres docteurs
parlent avec ce mépris. Il est vrai que la philosophie
à son tour n'a guères eu plus de respect
pour ses docteurs. C'est un caractère qu'il faut
1
298 MERCURE DE FRANCE ,
considérer en elle s'ils se jugent réciproquement
méprisables , dans leur propre cause il faut bien
les en croire. Or il est sûr que ce parti a toujours
eu si peu de confiance dans l'autorité de ses chefs,
et une si invincible conviction de leur peu de génie ,
qu'il a sans cesse travaillé à se faire des appuis
parmi les défenseurs même du Christianisine , soit
en corrompant leurs écrits, soit en calomniant leur
conscience. Nous avons déjà fait voir avec quel
art et quel courage deux ou trois insignes philosophes
sont venus à bout de falsifier des ouvrages
qui les embarrassaient , tels que ceux de Pascal et
d'Euler. Ne pouvant répondre à un argument ;
ils le supprimaient. Cela n'est-il pas ingénieux ?
Notre Leibnitz aurait bien mérité cet honneur ;
mais ayant écrit dans une langue , et sur des matières
qui le rendent peu accessible au grand
nombre , on s'est contenté de calomnier ses opinions
, et de le travestir en incrédule. Je ne juge
jamais à ces petits procédés philosophiques , que
je ne croye entendre un Basile nous dire , comme
à Bartholo : La calomnie ! docteur, la calomnie !
Vous ne savez guères ce que vous méprisez.
En effet , c'étoit une conquête bien importante
pour les philosophes que le nom de Léibnitz . Outre
qu'il avait été leur maître dans les inventions de
la haute géométrie , où il y a tant d'étudians et si
peu d'inventeurs , son génie vaste s'étendoit à tout.
Il étoit aussi universel dans ses connaissances , que
d'autres l'ont été dans leurs prétentions. Il n'effleurait
pas . il creusoit toutes les matières. Il possédait
le savoir des faits qui constitue l'érudit ,
le savoir des raisons qui fait le vrai philosophe.
Il avait extraordinairement d'esprit , mais de celui
qui va au fond des choses. Il n'estimait pas ce
genre d'esprit qui se joue à la surface d'une idée.
Il parle souvent avec mépris de ces gens qui railet
FLORÉAL AN XI.
299
lent et badinent sur tout , pour déguiser leur ignorance
, et qui ne sont légers que parce qu'ils manquent
de fonds. Voilà certainement un homme
très -peu accommodant pour nos petits philosophes
: cependant ils l'ont loué d'une manière qui
aurait pu le faire prendre pour un écrivain méprisable
, par les honnêtes gens qui ne l'ont point
lu. Heureusement le remède est ici plus puissant
que le mal. On ne pouvait , sans doute , rien faire
de mieux pour la gloire de Leibnitz que cette
inestimable collection de ses pensées , où l'homme
de génie et le chrétien paraissent avec tant d'éclat.
Mais il importe de préparer les esprits à les lire
avec plus de fruit ; et comme j'estime qu'on n'a
pas dissipé assez fortement d'anciennes préventions .
répandues et accréditées avec beaucoup de malice ,
il est bon de commencer par mettre ce point hors
d'attaque ; et je me flatte que cette courte dissertation
montrera dans leur véritable jour , et l'esprit
de la philosophie , et la religion de Leibnitz .
On remonte à la source de ces préventions ,
dans un recueil de pièces sur les mathématiques
et la philosophie , qui sont des écrits polémiques
entre Newton , Leibnitz et Clarke , publiés par
un protestant français . On trouve dans la troisième
édition de cet ouvrage , qui parut en 1759 , un
avertissement plein de malignité , où , tout en
louant la candeur de Léibnitz , on paraît prendre
à tâche de le déshonorer. On s'y efforce de prouver
qu'un homme qui a écrit et médité toute sa
vie sur la religion , n'y croyait point , et s'en
moquait. Je crois qu'il n'est pas mal d'examiner
un peu le fondement sur lequel on a prétendu
faire recevoirune opinion si étrange. Un M. Pfaff,
professeur d'Allemagne , débita , depuis la mort
de Léibnitz , qu'il lui avait écrit un jour , que
c'était pour se divertir qu'il avait imaginé sa
,
300 MERCURE DE FRANCE ,
• Théodicée , et qu'il avait pris cette manière
dephilosopher , qui ne fait quejeterde lapoudre
aux yeux de ceux qui n'approfondissent rien , mais
qui est néanmoins d'autant plus ingénieuse, que ,
si on la comprend bien, on verra qu'elle confirme
subtilement l'opinion grossière de M. Bayle, sous
l'apparence d'une réfutation.. « Quelle
>> réponse , ajoute ce professeur , croyez - vous
» que mefit M. Leibniz ? la voici : Ce que vous
>> m'écrivez touchant ma Théodicée , est très-vrai.
>> Vous avez frappé au but; et je suis surprisque
>> personne jusqu'à présent , ne se soit aperçu que
>> j'ai voulu me divertir......» De-la , M. Plaff
s'empresse de conclure , avec un air de triomphe ,
qu'il est très-certain que M. Leibnitz a défendu
plusieurs dogmes de la religion, dont il ne faisait
que se moquer. En sorte que ce professeur
estici , tout - a- la- fois , accusateur , témoin et
juge. Car , qui est - ce qui taxe d'incrédulité
Leibnitz ? C'est M. Pfaff. Qui est - ce qui rend
témoignage contre lui ? C'est encore M. Pfaff.
Enfin , c'est M. Pfaffqui prononce sur l'accusation
que lui-même a intentée , et sur les preuves qu'il
a fournies.
Quelques savans ont répondu dans le temps ,
que la lettre de Leibnitz était assurément ironique,
et qu'il s'était joué du professeur. La réplique
était plaisante contre un homme qui accusait
Leibnitz de s'être moqué de tout ; mais c'était
esquiver la difficulté par une gambade. On n'a
pas assez fait attention que la lettre de M. Pfaff
renferme une absurdité palpable dans le raisonnement
, qui en détruit toute la foi : car quel
bon sens ya-t- il à dire que la méthode philosophique
de Leibnitz est d'autant plus ingénieuse ,
qu'au lieu de réfuter l'opinion grossière de Bayle ,
ellenefait que la confirmer subtilement ? Voila
FLOREAL AN XI. 301
une plaisante subtilité , de fortifier une erreur
qu'on attaque ! Si l'on suppose que Leibnitz n'a
pas eu l'intention de réfuter cette erreur , il n'a
done rien fait d'ingénieux , en adoptant une méthode
qui ne la réfute point; si , au contraire ,
on veut qu'il ait eu le dessein de la réfuter , conment
peut-ondire que sa méthode soit ingénieuse ,
précisément parce qu'elle confirme une erreur qu'il
voulait détruire ? C'est une contradiction manifeste.
Il est évident que ce professeur ne s'est pas
entendu lui-même. Veut-il dire que Leibnitz soit
ingénieux et subtil , en ce qu'il paraît réfuter une
erreur qu'il ne réfute point ? Cela est , en effet
bien subtil ; mais il s'y contredit encore : car , si
Leibnitz ne réfutepas réellement cette erreur, que le
professeur appelle grossière , à qui peut- il paraître
l'avoir réfutée ? c'est sans doute à des ignorans ;
et M. Pfaff dit , en propres termes , que cette manière
de philosopher ne fait que jeter de la poudre
aux yeux de ceux qui n'approfondissent rien.
Elle n'est done , selon lui - même , ni subtile ,
ni ingénieuse : ainsi c'est contradiction sur contradiction
; et de quelque côté qu'on la prenne ,
cette opinion est absolument insoutenable.
:
Mais alors à quoi revient ce que dit Leibnitz ,
qui répond à cet homme qu'il a dit vrai , qu'il a
frappé au but ? etc. L'absurdité de la lettre étant
telle que je l'ai montrée , il est certain que la
réponse n'y revient en aucune manière ; et c'est
précisément l'impossibilité qu'il y a de les accor
der , qui démontre , non pas absolument que
la lettre de Leibnitz ait été fabriquée à plaisir , ou
que M. Pfaff ait ajusté la sienne après coup ,
comme quelques personnes ne répugnent point à
le croire , mais simplement qu'on a tiré de l'une
et de l'autre des inductions fausses et calomnieuses.
Eneffet, la lettre de Léibnitz est susceptible d'un
302 MERCURE DEFRANCE ,
bon sens : car il y a deux choses dans la Théodicée
; il y a d'abord l'hypothèse de l'harmonie
préétablie , et du choix que fait Dieu entre tous
les mondes prétendans à l'existence , hypothèse,
purement philosophique , imaginée pour répon-:
dre aux difficultés que Bayle avait élevées sur les
attributs divins , et sur l'origine du mal. Il y a
en suite les dogmes de la religion, qui entrent dans
ce système , comme un corps de vérités fondamental
, sur lequel Léibnitz bâtit toutes ses inventions.
Or , il se pourrait que ce grand métaphysicien
eût parlé de son hypothèse, comme d'un
tour de force et d'un jeu de son esprit , qu'il ne
fallait pas prendre en toute rigueur , sans que!
cela intéressât en rien le fonds de la religion ,
qui n'a rien de commun avec cette hypothèse.
Ainsi , quand Leibnitz dit qu'il n'a voulu que se
divertir , cela peut très-bien signifier que cette
imagination prodigieusement fertile et hardie ,
s'était comme jouée en créant un système , qu'on
ne devait regarder que comme un essai et une
tentative d'explication sur les hauts mystères ;
mais il n'a jamais pu vouloir dire qu'en travaillant
à défendre la religion , il ait eu , de gaîté de
coeur , le dessein de s'en moquer. Il faut n'avoir
pas la moindre notion de philosophie , ni le moindre
principe de logique , pour confondre ces deux
choses.
Et , après tout , qu'est- ce qu'une subtilité de
cette espèce , pour faire douter de la foi d'un homme
qui non-seulement a eu toute sa vie des pensées
grandes et solides sur le Christianisme, comme on!
en trouve à chaque page de ses écrits , mais qui
même avait mis sa gloire à le défendre , avec un
tel sentiment d'honneur et de délicatesse , qu'il
voulait, comme je le ferai voir , que ses inventions
dans les hautes sciences servissent à donner plus
۱
FLOREAL AN XI. 303
de poids et d'autorité à ses méditations religieuses ?
En effet , dans une lettre qu'il écrit au savant
M. Burnel on trouve cette idée : « Si les belles
>> productions de M. Pascal , dans les sciences les
>> plus profondes , devaient donner du poids aux
>> pensées qu'il promettait sur les vérités du Chris-
>> tianisme , j'oserais dire que ce que j'ai eu le
>> bonheur de découvrir dans les mêmes sciences
>> ne ferait point de tort à des méditations que
>> j'ai encore sur la religion , d'autant que nos
> méditations sont le fruit d'une application bien
>> plus grande et bien plus longue que celle que
>> M. Pascal avait donnée à ces matières relevées
de la théologie...... Il est vrai que son génie
Enfin ,
>> ajoute t- il , si Dieu me donne encore de la
>> santé et de la vie , j'espère qu'il me donnera
>> aussi assez de loisir et de liberté d'esprit pour
>> acquitter des voeux , faits il y a plus de trente
>> ans, de contribuer à la piété et à l'instruction ,
>> sur la matière la plus importante de toutes. »
Pens. I vol .
»
>> extraordinaire suppléait à tout. ......
Est- ce là le ton d'un homme qui se moque , et
qui ne défend la religion que pour s'en divertir ?
Qui obligeait Léibnitz à parler ici de ses voeux ,
en faveur de la piété ? Voilà bien la candeur d'un
grand homme. Les philosophes qui la calomnient ,
en haîne de la religion , font leur métier. Ils ne
sont pas obligés de se connaitre en droiture et en
grandeur d'âme . Mais malheureusement ils ne se
connaissent pas davantage en jugement et en force
d'esprit ; car , si Leibnitz était aussi mal intentionné
qu'ils le prétendent , dans quelle vue auraitil
poussé si loin ses travaux pour soutenir la vérité ?
Pourquoi tant de recherches , tant de dissertations
savantes , tant de raisonnemens et d'efforts de la
plus profonde métaphysique? Travaille-t-on avec
304 MERCURE DE FRANCE ,
cette ardeur à établir une croyance que l'on méprise
? Et serait-ce d'un fonds de moquerie et de
dérision qu'auraient pu sortir des idées d'une noblesse
et d'une élévation si parfaites ? Car , c'est
dans la religion que se déploie tout le génie de
Leibnitz . Ses vues sont immenses , et il y a comme
'une sorte de magnificence dans ses conceptions .
Il fallait un homme bien sûr de sa force , et bien
appuyé sur la vérité , pour dire comme lui à toute
l'Europe savante : Je n'accorde à personne au
monde que la raison puisse opposer à lafoi des
argumens insolubles. Et il dit ailleurs , avec un
ton admirable de grandeur et de confiance qui
sied si bien à ce puissant génie : « La nature même
>>>des choses veut que cet ordre de la cité divine ,
>> que nous ne voyons pas encore ici bas , soit un
>> objet de notre foi, de notre espérance , de notre
>> confiance en Dieu. S'il y en a qui en jugent au-
> trement , tant pis pour eux. Ce sont des mécon-
» tens dans l'état du plus grand et du meilleur de
>> tous les monarques ; et ils ont tort de ne point
>> profiter des échantillons qu'il leur a donnés de
>> sa sagesse et de sa bonté infinies , pour se faire
>> connaîtrenon- seulement admirable, mais encore
>> aimable au-delà de toutes choses. »
Onpeut juger, sur de pareils traits , combien
lapublication de ces Pensées est de nature à servir
la gloire de Leibnitz , et même celle de la religion,
selon les voeux qu'avait faits ce grand homme .
Le savant éditeur de cet ouvrage , depuis longtemps
en possession de l'estime publique , tui a
donné , dans cette nouvelle édition,une forme plus
parfaite ; il l'a , en outre , augmentée de plusieurs
pièces qui ne sont pas les moins intéressantes de la
collection; notamment de la célèbre controverse
entre Bossuet et Leibnitz , c'est-à-dire , entre les
deux plus grands génies de la France et de l'Allemagne.
(
FLOREAL AN XI. 305
!
magne. On peut regretter que l'auteu
forcé , en quelques endroits , d'abrégerne
cussion d'un si haut intérêt. J'oserai diru
qui ne la connaissent point , ne savent
quel homme c'était que Bossuet , ni qua
c'est que le Christianisme. On remarque
Leibnitz avait , pour la foi catholique , et en pas
ticulier pour le Saint-Siége , des sentimens qui
l'ont rendu peu agréable aux protestans. L'idée
que cet homme extraordinaire avait que , pour le
repos et l'ordre des sociétés en Európe , il eût été
à souhaiter que le pape eût une suprématie universelle
, étonnerait aujourd'hui bien des esprits.
Mais ils ne savent point que ce même homme ,
qui voyait de si haut et de si loin , annonçait dèslors
à l'Europe la révolution générale dont elle
était menacée dans ses moeurs. (Nouv. Ess . sur
l'Entend . hum . ) Il parle , dans ce passage
disciples des philosophes , « qui , se croyant dé-
>> chargés de l'importune crainte d'une providence
>> surveillante et d'un avenir menaçant, lachent la
>> bride à leurs passions brutales.......... Et il
ajoute :<< S'ils sont ambitieux et d'un caractère
> un peu dur , ( certes l'expression est modérée )
>> ils seront capables , pour leur plaisir ou leur
>> avancement , de mettre le feu aux quatre coins
»
१
des
de la terre. » Mais le reste de la prédiction leur
plaira encore moins : car il finit par annoncer
que la providence ( on voit que Leibnitz n'avait
pas peur de la providence ,) corrigera les hommes ,
par la révolution même qui doit naitre. Leibnitz
prévoyait donc la nécessité d'une digue , bien avant
le débordement, etles philosophes ne la sentent
point , même lorsque le torrent qu'ils ont déchainé
passe sur leur tête. Leibnitz , comme tous les esprits
justes , voulait que l'homme sujet à des passions,
trouvat une loi réprimante hors de lui et
RÉP.FRA
5.
cen
12 V
306 MERCURE DE FRANCE ,
au-dessus de lui : et les philosophes venlent que
l'homme , emporté par ses désordres , trouve en
lui-même son frein et sa loi. On s'étonne toujours
que tant d'ignorance et de mauvais esprit puisse se
soutenir contre tant de savoir , de raison et de
génie; mais lorsqu'on voit quelles passions règnent
dans le monde , cela s'explique.
CH. D.
SUR LES FINANCES , LE COMMERCE , LA MARINE ET
LES COLONIES , par M. Micoud , administrateur du
Mont-de-Piété et membre du Corps électoral de Paris.
AParis , chez Agasse , imprimeur-libraire , rue des
Poitevins , n. 18. An X. ( 1802 ) ; et chez le Normant,
imprimeurlibraire , rue des Prêtres Saint-Germainl'Auxerrois
, n . 42 , vis-à-vis le petit portail.
Beaucoup de publicistes ont écrit sur les matières politiques
, à-peu-près comme ces voyageurs qui ont donné
des relations des pays sauvages , sans sortir de leurs cabinets.
Il y a un certain mérite d'invention à parler de ce
qu'on ne sait pas , qui est singulièrement recherché aujourd'hui
, et je m'assure qu'en dernière analyse , il fait le
principal mérite de la plupart de nos littérateurs et de
nos journalistes. Malheureusement les erreurs en économie
politique , ont des suites plus graves que les exagérations
des voyageurs et l'ignorance des critiques ; car il
arrive , dans la société , des temps de faiblesse où l'on
trouve naturellement l'occasion de faire l'essai des systèmes
; et nous avons appris combien de semblables expériences
préparent et aident puissamment les révolutions.
Ce fut à la métaphysique du dix-huitième siècle , que
l'économie politique dût cet esprit de subtilité et de système
, qui en a fait une science ingénieuse et même assez
divertissante pour que tout lemonde aiteu la prétentionde
s'y faire initier etd'en donner les préceptes. Cettemultitude
FLORÉAL AN XI. 307
de gens habiles prouve bienmoins enfaveur de la science,
qu'elle ne montre combien la métaphysique est un sup
plément facile à la science que l'on n'a pas. En parcourant
tous les écrits qui se sont succédés depuis que l'économie
publique est devenue ainsi le patrimoine de ceux qui ana
lisent l'entendement humain, on est étonné de tout ce
qu'on peut dire sur l'origine de la société , sur la propriété
, sur l'impôt , la balance du commerce , etc.; on
serait tenté d'accorder à tous ces auteurs beaucoup plus
d'esprit qu'à Colbert et à Sully; sauf cependant l'espritde
la chose dont ils parlent , qui est le bon sens appuyé sur
l'expérience , ou autrement le génie de l'homme d'état.
1
Ces reproches ne seront point adressés à l'auteur de
l'ouvrage que nous annonçons. C'est un ancien adminis
trateur des colonies , et un homme exercé dans les diffé
rentes parties de l'économie publique , qui parle de finan
ces , d'impôt , de commerce et de marine ; et quand le
nom de l'auteur ne garantirait pas toutes les connaissances
qui peuvent donner du prix àson onvrage, on reconnaîtraitaisément
qu'il les possède , à son éloignement pour
les affirmations , à sa précision dans l'exposé des faits , à la
méthode et à la conscience qu'il porte dans les moindres
détails.
I
Les divers sujets que traite M. Micoud, ont entr'eux
des rapports naturels , qui ont déterminé le plan qu'il
s'est tracé. La nécessité des finances une fois convenue
pour l'existence du gouvernement , il faut s'occuper de
l'impôt, qui est la source des finances. L'impôt ne pou
vant être tout direct , c'est- à- dire , ne pouvant portër
qu'en partie sur les produits bruts de l'agriculture , suppose
le commerce qui fournit à l'impôt indirect. Mais le
commerce doit être protégé sur les mers , et la marine
marchande entraîne la nécessité d'une marine militaire.
La puissance de celle-ci dépend essentiellement de la prospérité
de l'autre; et «jusqu'à ce que , sur quarante mille
>> vaisseaux environ qui sont employés au commerce de
V2
308 MERCURE DE FRANCE ,
>>> l'univers , la France ait acquis le nombre naturel qu'elle
>> doit avoir., elle ne peut pas conmpter sur une marine
>> puissante. Vainement s'épuiserait-elle pour mettre des
>> escadres en mer , le premier revers la replongerait
>>> bientôt dans un état de faiblesse et d'abattement. »
1
En parcourant ce vaste ensemble de l'administration
publique dans ses différentes parties , l'auteur ne s'est pas
toujours attaché aux théories modernes , et l'on sera d'autant
moins disposé à l'en blâmer , que , pour être utile et
même pour être neuf, il faut consentir quelquefois à dire
beaucoup de choses anciennes. Cependant il ne fait pas
difficulté d'adopter plusieurs idées de ses contemporains,
lorsqu'elles sont appuyées par l'expérience ; on en trouveramême
plusieurs qui appartiennent à ce Smith tant
vanté,et que tout le monde veut avoir lu , ne fût-ce que
pour le combattre. Mais il le quitte aussi tôt qu'il s'égare
dans sonsystème : et lors , par exemple , que l'économiste
anglais , pour établir la balance du commerce , vient proposer
au gouvernement de l'abandonner à elle-même , il
montre cette liberté indéfinie du commerce aussi funeste
si toutefois elle n'était pas aussi impossible que l'exécution
de la loi agraire , ou l'exercice de la souveraineté du
peuple.
Dans la troisième partie , l'auteur jette un coup - d'oeil
rapide sur l'Angleterre et sur les principales puissances de
l'Europe , que leur situation locale a rendues susceptibles
d'ungrand.commerce et d'un crédit public. Cette partie
offre unmérite assez rare, et que l'on ne retrouve pas dans
beaucoup d'écrits politiques : car il nous semble qu'après
I'avoir lu , on comprend l'Angleterre , et que l'auteur explique
d'une manière assez sensible l'existence un peu
subtile de cette puissance , qui s'est imposée l'obligation
rigoureuse de n'éprouver aucun revers ; qui a fondé sa
grandeur sur la hardiesse de ses espérances , et dont la
prospérité serait plus dangereusement attaquée dans la fortune
particulière de ses concitoyens, que dans ses flottes',
:
FLORÉAL AN XI 3ug
1
son territoire et sa banque. Comme tous les politiques ,
M. Micoud prédit les suites nécessaires du crédit exagéré
de l'Angleterre. Maisles prédictions perdroient trop de leur
intérêt, en les séparant des raisonnemens qui les appuient.
D'ailleurs , nous aimerions mieux fixer l'attention du lecteur
sur des considérations plus positives , sur plusieurs
réformes et plusieurs améliorations possibles dans l'administration
de lamarine, des colonies , da ministère public,
en un mot sur une infinité de vues intéressantes et utiles
que présente cet ouvrage. On peut le regarder , en quelque
sorte , comme un extrait ou un résumé de la science
des hommes d'état. Il nous suffira, de l'avoir proposé à
leur estime et à leur méditation.
Les résultats de l'expérience , les vues utiles et d'un in
térêt présent que renferme toute la partie que monsieur
Micoud consacre au commerce et à la marine , ne la
rendent pas la moins intéressante de cet ouvrage. Après
avoir tracé l'histoire du commerce dans la généralité de
ses effets , « embrassant l'univers , timide et entreprenant ,
>> bienfaisant ou cruel selon les espaces qu'il parcourt et
➤ la nécessité qui le détermine , prenant sa source enAmé-
>> rique , se multipliant en Europe , se montrant dans
>> l'Inde, parcourant l'Afrique, reparaissant en Amérique,
» et revenant en Europe terminer ses voyages et ses tra-
>> vaux , etc.; >> il fait voir non-seulement les rapports qui
lient la puissance da gouvernement avec la prospérité du
commerce , mais encore la nécessité et l'intérêt qui unissent
les différentes branches de commerce entr'elles , et
F'erreur d'un gouvernement qui négligerait une de ces
branches , ou favoriserait l'une aux dépens de l'autre.
Cette démonstration , appuyée sur des faits et des calculs
sensibles , est peut-être un des tableaux les plus complets
et les plus instructifs qui aient été présentés sur cette ma
tière. Mais de quelle manière le gouvernement exercerat-
il la protection qu'il doit au commerce ? M. Micoud est
donc conduit à discuter les avantages des priviléges exclu
V3
310 MERCURE DE FRANCE ,
sifs et des compagnies , ou plutôt il résume les nombreuses
raisons qui ont été apportées de part et d'autre, et il conclut
contre l'institutiondes compagnies , avec cette forcede
raisonnement qui convainet toujours le lecteur sans persuader
jamais les gouvernemens. On sent aussi que l'auteur
examinera la question de la traite des négres. Tout
estdit sur cette question funeste ; et au point où nous en
sommes , il ne s'agit plus que des remèdes. Parmi ceux
que propose M. Micoud , on reconnaîtra les vues d'une
administration supérieure. C'est à la religion qu'il confie
le soinde réparer les erreurs de la philantropie ; c'est
la religion seule qui peut établir cette véritable égalité
que la philosophie ne comprendra jamais. It voudrait
donc que les missions succédassent aux expéditions mili
taires dans nos colonies , afin d'en consoler et d'en civiliser
à la fois les malheureux cultivateurs , par les pratiques
d'unculteuniforme. Iln'est pas permis encore de prévoirà
quelle époque ces moyens pacifiques seront praticables ;
toujours est-il probable qu'ils seront d'un effet plus sur
et plus heureux par la suite , et dans tous les cas ils au
rontcet avantage inappréciable , de ne faire que quelques
martyrs , au lieu que les expéditions militaires font beau
coupdevictimes.
VARIÉTÉS.
LesSciences doivent-elles l'emporter surles Belles Lettres ?
Les sciences et les lettres ont droit également à la ne
connaissance des hommes ; elles se doivent un mutuel appui;
elles doivent marcher ensemble vers un but commun,
qui est l'amélioration de l'espèce humaine. Les
savans et les hommes de lettres sont frères , et je ne puis
m'empêcher de gémir sur l'esprit de rivalité qui tend aujourd'hui
à les désunir. Si l'égalité doit régner quelque
part sur la terre, c'est sur-tout dans l'empire des sciences
FLOREAL AN XI. 11
et des lettres , auquel on a donné , avec quelque raison,
le nom de république. Les anciens rendaient un culte égal
aux neuf muses; jamais aucune d'elles ne fut préférée aux
autres , ni dans les temples , ni dans les lycées , et nous
aurions dû imiter la sagesse des anciens. Mais puisque
certains savans modernes affectent de parler sans cesse de
la prééminence des sciences sur les lettres , on peut enfin
examiner l'état de la question , et mettre le public à portée
de juger les uns et les autres. Je mettrai dans ce que j'aià
dire toute l'impartialité d'un homme qui honore également
les sciences et la littérature. Je n'ai point l'honneur
d'être au nombre des savans; mais je leur dois, avec mon
siècle, de la reconnaissance pour les lumières qu'ils ont
répandues.Mon goût m'a quelquefois entraîné vers l'étude
de la littérature ; mais mon nom n'est pas assez distingué
dans les lettres , pour que je puisse être soupçonné de
parler dans ma propre cause. १
Examinons d'abord les lettres et les sciences en général.
Les sciences ont , sans doute , agrandi la sphène de l'esprit
humain ; elles travaillent à dévoiler à l'homme les secrets
de son étre; elles mettent au grand jourles mystères cachés
de la nature; elles ont souvent secondé l'industrie des arts
mécaniques , par des inventions utiles : mais comme elles.
portent principalement sur des découvertes , il en résulte
qu'elles ont , à l'exception des mathématiques, quelque
chose de moins positif que les belles-lettres , qui ont toujours
en des principes fines et invariables. Le génie d'un
savant consiste à reculer les bornes de la science, et ces
bornes peuvent être sans cesse changées ou reculées. Il
n'en est pas de même dans les lettres , où le génie ne donne
rien aux conjectures , où tout est asservi à des règles
éternelles; où le goût trouve des données toujours certai
nes , pour distinguer ce qui est bon de ce qui est mauvais
On a souvent essayé de faire l'histoire des sciences, et l'on
V4
312 MERCURE DE FRANCE ,
n'a jamais fait que des lieux communs , par la raison que
les sciences (je parle principalement des sciences spéculatives
) n'ont pas toujours quelque chose d'absolu dans
leurs progrès et dans leurs résultats ; elles diffèrent , selon
les temps et les lieux ; les lumières , accréditées chez une
nation , ne sont pas toujours les lumières d'une autre nation
; le plus savant des européens passerait pour un ignorant
auprès de l'homme le plus savant d'une autre partie
dumonde. La science d'un siècle n'est pas toujours la
science d'un autre siècle. Le mot de savant a changé plusieurs
fois d'acception. On donnait autrefois le titre de
savans aux hommes les plus versés dans la connaissance
de l'histoire et des langues; on leur donne aujourd'hui le
titre d'érudits , et l'on réserve presqu'exclusivement le
titre de savans à ceux qui s'appliquent à l'étude des
sciences naturelles. Je suis loin de contester l'utilité de ces
sortes de sciences: mais tous leurs progrès , comme je l'ai
déjà dit , sont dûs à des découvertes ; elles doivent ainsi se
trouver dans un état de révolution continuel. Quelques
années ont suffi pour changer tous les principes de la
physique , et d'autres découvertes changeront encore quelques-
unes des maximes qui paraissent aujourd'hui établies
. Les noms d'un grand nombre de savans qui ont
brillé dans les siècles passés, ne sont plus attachés qu'à des
erreurs grossières.Si ces savans reparaissaient parmi nous ,
ils seraient le jouet de nos écoles. Le même sort est réservé
peut- être à nos plus illustres contemporains. Plus
les bornes de la science qu'ils cultivent seront reculées,
mains ils auront de titres à la gloire , et ils seront à leur
tour la risée des écoliers d'un siècle à venir.
Les principes et Pobjet des lettres ne different point
comme ceux des sciences , selon les lieux et les temps. Un
homme de lettres ne s'entendra peut être pas sur tous
les points avec ceux qui cultivent les lettres dans un pays
FLORÉAL AN XI. 313
éloigné du sien; mais il s'établira entr'eux des rapports
généraux , à l'aide desquels ils sauront bientôt s'apprécier
les uns et les autres . Les sciences n'ont pas le même
avantage; elles ne peuvent point établir de rapports particuliers
où généraux entre les contrées les plus éloignées.
Elles tendent beaucoup moins que les lettres à réunir les
hommes. On ne traduit guères , dans nos langues européennes
, les livres des savans d'une autre hémisphère ,
demême que ceux- ci ne traduisent pas dans leurs langues
les livres des savans européens. Mais les nations les plus
éloignées connaissent quelques-uns de nos chefs-d'oeuvres
de littérature , et nous avons traduit dans notre langue
un grand nombre de leurs moralistes et de leurs poètes.
On voit ainsi ce que les lettres peuventacquérir ou con
server , et tout ce que les sciences peuvent perdre par la
différence des lieux ; mais ces avantages et ces désavantages
sont bien plus grands encore par la différence des
temps. Homère , le plus ancien des poètes , vivra éternellement
dans la mémoire des hommes ; si la nature lui
eût donné pour les sciences le même génie que pour la
poésie , et qu'il n'eût été qu'un savant illustre , il est probable
que son nom ne serait pas venu jusqu'à nous. Les
nationsmêmes qui sesont le plus distinguées par les sciences
, et qui ont négligé les lettres , n'ont presque point
laisséde monumens dont le génie humain puisse s'honorer.
L'Égypte qui a été le berceau des sciences , et qui a eu
l'honneur d'éclairer la Grèce , avait peu cultivé les lettres ;
aussi n'a-t-elle laissé que des pyramides informes; et si le
voyageur s'étonne à l'aspect des ruines de Thèbes ildoit
s'étonner bien plus encore de ne trouver aucun livre égyptien,
qui lui parle de ces âges de splendeur qui lui
blent fabuleux.
٢٤
200
sem-
Les sciences ont fleuri chez les Grecs et les Latins
17:
314 MERCURE DE FRANCE ,
1
comme elles avaient fleuri en Égypte ; mais elles n'ont
presque laissé aucun monument. Varron , que Cicéron
appelait le plus savant des Romains , ne nous a transmis
que son nom , recueilli par quelques écrivains de son
temps. De tous les ouvrages publiés par les savans de l'antiquité,
il ne ne nous en est parvenu que trois ; l'Histoire
naturelle d'Aristote , celle de Pline , et les Elémens d'Euclide;
le dernier de ces ouvrages , est beaucoup moins lu
qu'il n'est admiré ; il ne peut point être un ouvrage classique:
les deux autres sont remplis d'erreurs grossières ,
et ils appartiennent d'ailleurs bien moins aujourd'hui à la
science , qu'ils n'appartiennent àl'art d'écrire ; car l'un est
encore unmodèle de style , et l'autre un modèle d'ordre et
de précision dans les idées.
191
Lotio 34
Si les livres qui étaient le dépôt de la sciencedes anciens ,
nenous sont point parvenus, nous sommes riches encoredes
trésors littéraires que l'antiquité nous a laissés. Les chefs
d'oeuvres des historiens, despoètes, des orateurs grecset latins
, seront à jamais des modèles cités dans nos écoles ; la
lecture de ces chefs-d'oeuvres a tiré l'Europe de la barbarie
où elle était plongée ; elle a fixé invariablement les prin
cipes du goût , parmi les nations modernes ; et si nous re
gardons encore Athènes et Rome comme la terre classique
du génie ; si l'Italie et la Grèce nous, rappellent tant
de beaux souvenirss , ce n'est point par rapport à leurs
savans , dont nous connaissons à peine les noms , mais par
rapport aux arts et aux lettres auxquels les Latins et les
Grecs ont dressé d'immortels monumens. En visitant les
ruines de Rome et d'Athènes , on ne cherche point les lieux
où les savans ont médité ; mais on veut voir la tribune ou
parlait Démosthènes , le cirque où Sophocle et Euripide
faisaient couler des larmes ; on aime à visiter le tombeaudeVirgile
, les lieux où soupirait Tibulle , et çes
19
FLORÉAL AN XI. 315
beaux rivages deTivoli , si célèbres par les vers d'Horace,
On voit par-là que les lettres ont, comme je l'ai dit ,
quelque chose de plus fixe et de plus déterminé dans
leurs principes et dans leurs résultats , que les sciences,
Nous devons jouir avec reconnaissance des lumières
que les savans ont répandues parrai nous ; mais il
p'ont fait qu'un pas dans la connaissance de l'infini ,
et , à l'exception de quelques grandes découvertes ,
comme celles de Galilée , de Newton, de Franklin, de
Lavoisier, et de quelques autres modernes , qui ont posé
quelques principes invariables,je ne vois presquerien dans
nos sciences qui ne puisse être contesté ou tout au moins
oublié par les âges futurs , et qui soit un titre de gloire
insmortelle pour notre siècle et pour notre nation,
▼
D'après ces considérations , on a lieu de s'étonner de
voir quelques savans afficher une sorte de mépris pour
les lettres, etvanter sans cessé la prééminence des sciences
sur les arts. L'étonnement redoublera , si nous exami
nons les lettres et les sciences par rapport au pays que
nous habitons. Les sciences ne sont point particulières à
la France : nos savans ont des rivaux en Allemagne , en
Italie , et en Angleterre (1) ; peut- être même avons-nous
reçu plus de lumières des étrangers que nous ne leur en
avons donné. On ne peut pas dire la même chose pour
les lettres : la France est regardée même chez les nations
rivales , comme la terre classique du goût; les chefsd'oeuvres
de notre littérature sont dans la mémoire de tous
çeux qui savent lire depuis la Seine jusqu'au Volga ; toute
l'Europe a été forcée de parler notre langue ; nous avons
acquis ainsi une supériorité marquée , une espèce de suprématie
sur les autres peuples européens , et c'est un
avantage que la France ne doit point aux sciences , mais
aux belles - lettres. On parle sans cesse du règne de
LouisXIV; la France et Europe sont encore remplies
r
316 MERCURE DE FRANCE ,
de la gloire de ce beau siècle ; les lettres y ont été portées
au plus haut degré de perfection : mais supposons um
moment que la nation eût alors préféré les sciences à
la littérature et aux beaux - arts , croit-on que ce siècle
eût été aussi digne de l'admiration de la postérité ? Les
chimistes , les mathématiciens , les naturalistes eussent fait
sans doute de fort belles découvertes ; mais la langue
française , loin de devenir la langue de l'Europe , eût été à
peine parlée par les Français ; elle serait peut- être encore
parmi nous un idiome barbare ; aucune des grandes
choses qui ont illustré le siècle de Louis XIV ne seraient
arrivées jusqu'à nous , par la raison que l'histoire ne peut
être écrite ni par les mathématiciens , ni par les chimistes :
nous saurions à peine les noms des Turenne , des Condé ,
des Catinat , des Colbert , et de tous les grands hommes
qui ont honoré leur patrie , parce que toutes les lignes
droites , toutes les lignes courbes , toutes les figures géométriques
réunies n'ont pas la vertu de faire passer une
action d'éclat a la postérité , et que toutes les expériences
dumonde ne sauraient transmettre les exploits d'un héros
et les talens d'un homme d'état d'une génération à l'autre.
Pour comble de malheur , les découvertes mêmes des savans
se seraient perdues; ; car la langue n'ayant pu être
fixée , elle auroit changé à chaque génération , et les
dépôts des sciences auraient échappé à l'intelligence des
âges futurs. Les productions du génie ne se conservent
chez unenation, que lorsqu'ellessont confiées à une langue
épurée , et irrévocablement fixée par des chefs-d'oeuvres
littéraires. 4
Il est donc incontestable que la France doit plus aux
lettres qu'elle ne doit aux sciences ; mais les lettres ont.
encore un autre avantage sur leurs rivales : elles ont,
beaucoup plus d'analogie avec les goûts , les moeurs,
et le caractère de la nation française. Il n'est point de
FLORÉAL AN XI. 317
Français, ayant fait ses études , qui n'ait conservé quelque
penchant pour les lettres , et qui ne se soit lui - même
exercé dans quelque genre de littérature. Urre découverte
dans les sciences fera sans doute beaucoup de sensation
dans le public ; mais l'apparition d'un bon ouvrage de
littérature en fera toujours davantage. Qu'on se rappelle
l'effet que produisait autrefois une séance de l'académie
française , comparé à celui d'une séance publique de
l'académie des sciences . Voltaire disait que , de son temps ,
le public d'un savant en France n'était guère composé
que de cinquante personnes ; tout le reste était obligé
d'admirer sur parole. Ce calcul est trop rigoureux ; et
nous devons croire que l'auditoire des savans s'est agrandi
depuis Voltaire ; il est bien loin cependant d'égaler encore
celui des gens de lettres , la réputation d'un poète
ou d'un orateur distingué sera toujours beaucoup plus
répandue que celle d'un savant, et Delille a plus attiré d'auditeurs
aux séances de l'Athénée , que n'aurait pu faire
l'homme le plus habile dans les sciences modernes. Mais
que dis-je ? le plus habile des savans réussirait peut-être
moins dans une assemblée , qu'un savant médiocre ; il
est une sorte d'avantage attaché à la médiocrité dans
les sciences : la médiocrité est plus accessible au public.
Que de savans médiocrès ont obtenu et obtiennent encore
des autels dans le temple du génie , tandis que les
hommes les plus profonds , les génies vraiment créateurs
demeurent rélégués dans le fond du sanctuaire. Peu
d'hommes sont capables de lire leurs ouvrages , d'apprécier
leur mérite ; on connaît plus le nom de Lagrange
, qu'on ne connait les progrès qu'il a fait faire
aux mathématiques ; illustre Laplace , savant Haui , vos
noms doivent être à jamais célèbres dans les sciences ;
mais combien avez-vous de lecteurs capables de juger le
Traité des Mines , et la Système du Monde ? Vos ouvra
318 MERCURE DE FRANCE ,
1
ges sont admirés et lus d'un petit nombre d'hommes
éclairés , tandis que tout le monde relit sans cesse ces
informes compilations , ces dictionnaires rédigés par les
manoeuvres de la science ; vous êtes à peine cités , tandis
qu'un vulgaire imbécille place au premier rang ces
pédans subalternes , qui , conime dit Montaigne , vont
pillotant la science dans les livres , et ne la logent qu'as
bout de leurs lèvres , pour la dégorger seulement et la
mettre du vent.
On me trouvera sans doute sévère , je n'ai voulu
qu'être juste ; tout mon désir est que les lettres aillent
de pair avec les sciences; les véritablės savans , tels que
ceux que je viens de nommer , seront de mon avis ,
et je me soucie fort peu d'être de l'avis des autres.
Ceux-ci ne manqueront pas de me dire , que les lettres
sont cultivées ajourd'hui avec moins de succès que les
sciences ; cela peut être vrai , mais ce n'est pas une raison
pourque les lettressoientdépréciées .Tandis que les sciences
ne vivent que sur le présent , les belles - lettres ont cela
d'avantageux , qu'elles vivent sans cesse sur le passé ; les
trésors de l'antiquité ne sont jamais perdus pour ellesy
et tous les siècles illustrés par les arts vivent encore dans
l'âge présent. Les véritables savans qui reconnoissent les
services que les lettres ont rendus à la science , savent les
honorer et même les cultiver avec succès ; mais les
demi-savans , toujours plus empressés de disputer la supé
riorité que de la mériter , trouvent plus commode de
décrier la littérature , que d'emprunter d'elle les moyens
de se faire lire ; ils ignorent ou feignent d'ignorer que
les lettres ont préparé les progrès des sciences , et que
l'art d'écrire a beaucoup contribué à répandre le savoir.
Dans le siècle dernier , Fontenelle, Dalembert , Baillyet
Euffon , ont propagé en Europe le goût des sciences , et
ils furent redevables de leurs succès au talent qu'ils ont
FLORÉAL AN XI.
319
montré pour les lettres. Aujourd'hui , les demi-savans ,
les manoeuvres de la science poussent l'ingratitude jusqu'à
désavouer Buffon; ils s'agitent insolemment dans le vuide
que ce grand homme a laissé , et ils croient , par leur
nombre , remplir l'espace qu'occupoit son génie ; ils
sentent dumoins si peu son mérite , qu'ils ont regardé
comme une chose toute simple de le continuer , et de
se mettre au,gage d'un libraire , pour achever un
chef-d'oeuvre ; on pourrait les comparer à ces marchands
qui élèvent de petites boutiques autour des temples.
Nous reviendrons sur ce sujet.
MICHAUD .
La seconde édition du Génie du Christianisme vient de
paraître ( 1 ) . Lapremière a été fort accueilliepar le public;
la seconde ne doit pas obtenir un succès moins rapide et
moins général . Le premier consul a bien voulu prendre
cette nouvelle édition sous sa protection , et M. de Châ
teaubriand l'en a remercié , dans le langage d'un chrétien
pénétré de reconnaissance pour ceux qui ont relevé les
autels. « C'est un nouveau témoignage , dit-il dans son
>> épître dédicatoire , de la faveur que vous accordez à
>>l'auguste cause quitriomphe àl'abri de votre puissance.
>> Onne peut s'empêcher de reconnaître , dans vos desti-
› nées , la main de cette providence qui vous avait mar-
>> qué de loin pour l'accomplissement de ses desseins
>> prodigieux. Les peuples vous regardent ; la France ,
>> agrandie par vos victoires , a placé en vous son espé-
(1) Le Génie du Christianisme , seconde édition. Deux volumes
in-8º. avec la défense. Prix : 11 fr. , et 15 fr. So cent. par la poste.
AParis , chez Migneret , rue du Sépulcre , n. 28 , faubourg-
Saint-Germain.
G
Et chez le Normant, libraire , imprimeur du Journal des Débats,
rue des Prêtres Saint-Germain-l'Auxerrois , n. 42 .
"
320 MERCURE DE FRANCE,
>> rance, depuis que vous appuyez sur la religion les ba
›› ses de l'état et de vos prospérités ; continuez à tendre
>> une main secourable à trente millions de chrétiens , qui
>> prient pour vous aux pieds des autels que vous leur
» avez rendus . »
Dans un autre numéro , nous entrerons dans quelques
détails sur cette nouvelle édition.
:
L'auteur a fait quelques additions remarquables dans
les notes : deux de ces nouvelles notes sont du plus grand
intérêt ; l'une est un recueil de lettres écrites par un français
de l'armée de Condé , qui s'était retiré en Espagne ,
dans un couvent de trapistes , où il est mort ; l'autre est
une espèce de procès-verbal des exhumations de Saint-
Denis , fait par un religieux de cette abbaye , témoin
oculaire de ces exhumations. La première de ces notes
offre , dans la correspondance d'un militaire devenu trapiste
, tout ce que les sentimens religieux ont de plus
touchant , de plus consolant et de plus sublime. M. de ....
écrivoit à ses frères et à ses soeurs , en France , qu'il s'était
réfugié à la Trappe , et il s'exprimait ainsi sur les causes
qui l'y avaient déterminé :
« Voilà déjà une forte disgression. J'ai écrit le détail
>> de mes voyages à..... et à..... Je ne sais si ces
>> derniers ont reçu mes lettres ; je leur avais marqué
>> de vous les faire passer , si c'était possible ; cela vous
>> aurait peut - être amusé. J'arrivai un jour dans une
>> campagne déserte , à une porte superbe , seul reste
>> d'une grande ville , et qui ne peut être qu'un ouvrage
>> des Romains : le grand chemin moderne passe dessous.
>> Je m'arrêtai à considérer cette porte , qui est sûrement
>> là depuis deux mille ans. Il me vint dans la pensée
>> que cette ville avait été habitée par des gens qui , à
>> la fleur de leur âge , voyaient la mort comme une
>> chose très- éloignée , ou n'y pensaient pas du tout ;
>> qu'il y avait sûrement eu , dans cette ville , des partis ,
>> et des hommes acharnés les uns contre les autres ; et
» voilà que , depuis des siècles , leurs cendres s'élèvent
>> confondues
FLORÉALANXлди
>> confondues dans un même tourbillon. J'aily
» Morviéda , où était bâtie Sagonte ; et réfléchis
» lavanité du temps , je n'ai plus songé qu'àl
> Qu'est-ce que cela me fera dans vingt ou tren
>> qu'on m'ait condamné à l'exil , à l'occasion d'une
>> sécution contre les chrétiens ? Saint Paul , hermite
> ayant été dénoncé par son beau-frère , se retira dans
> un désert , abandonnant à son dénonciateur de très-
>> grandes richesses ; mais , comme dit Saint Jérôme
>> qui n'aimerait mieux aujourd'hui avoir porté la pauvre
>> tunique de Paul , avec ses mérites , que la pourpre des
>> rois , avec leurs peines et leurs tourmens ? Toutes ces
>> réflexions réunies me déterminèrent à venir sans délai
>> me réfugier ici , renonçant à tout projet de course
>> ultérieure.
.... 2)
,
Toutes les lettres de ce pieux militaire sont écrites dans
ce style touchant et pathétique ; cette éloquence , comme
l'observe M. de Châteaubriand , est due principalement à
l'esprit religieux. Nous invitons le lecteur à voir ces
lettres dans l'ouvrage.
KEP.FRA
L'auteur a ajouté à cette nouvelle édition une défense
de son ouvrage. Cette défense est divisée en trois parties :
dans la première , M. de Châteaubriand parle du fond du
sujet; c'est en défendant son sujet , qu'il déploie toutes les
forces d'une logique rapide et serrée , et qu'il prouve , par
des exemples et par des raisonnemens sans réplique , que
la manière dont il a envisagé la religion est conforme à
l'esprit de notre siècle , sans être contraire à l'esprit de l'église
et de l'évangile. Dans la seconde et la troisième parties
de sa défense , il traite du plan et des détails de l'ouvrage.
Ici l'auteur avait à parler de lui-même ; il s'est contenté
de citer les suffrages dont l'autorité peut le défendre
honorablement , tel que celui de la Harpe , celui des
hommes les plus éclairés du clergé , et enfin l'approbation
flatteuse du successeur de Léon X et de Pie VI. M. de
Châteaubriand , d'ailleurs , a très-bien défendu le plan et
les détails de son livre , par d'heureuses corrections. Il'a
5.
12 X
322 MERCURE DE FRANCE,
fortifié plusieurs morceaux de raisonnement , adouci les
couleurs de quelques morceaux de description; il a retouché
le style avec l'attention la plus scrupuleuse. On ne
pouvait accuser l'auteur que d'être trop riche , et plusieurs
de ses corrections consistent en d'heureux changemens.
Il a sagement négligé les censures de la malveillance
et de la haîne , et il a profité habilement de la critique
des hommes éclairés.
LE PRINTEMPS D'UN PROSCRIT ,
Troisième édition, revue et corrigée: 1 vol. avecfig. (1 )
par M. Michaud.
L'auteur a fait à son ouvrage plusieurs changemens et
additions . Nous citerons ici les vers sur l'amitié , qui ont
presque tous été ajoutés :
Chaque jour l'amitié vient essuyer mes larmes ;
L'amitié ! que ce nom dans l'exil a de charmes !
Il est si doux d'aimer ; mais on aime bien mieux ,
Alors qu'on est proscrit et qu'on est malheureux ;
L'amitié fuit la pompe et la magnificence ,
C'est à l'adversité qu'elle dut sa naissance ,
Et son charme divin fut toujours ignoré
De ces mortels heureux qui n'ont jamais pleuré.
•
Nous mettons en commun nos loisirs , nos études ,
Nos plaisirs , nos chagrins etnos inquiétudes,
Omes tendres amis ! grace ànos doux liens ,
• 6
Je souffre tous vos maux, vous souffrez tous les miens ;
Amitié , doux appui de l'homme en sa misère ,
La coupe des douleurs est par toi moins amère ;
Les maux les plus cruels par tes soins soulagés ,
Se changent en plaisirs , lorsqu'ils sont partagés;
Par toi , mon sort cruel peut encor faire envie ,
(1) Prix : a fr. 50 c. , et 3 fr. franc de port. AParis , chez Giguet cl
Compagnie ; et chez le Normant , imprimeur - libraire , rue des
Prètres Saint-Germain-l'Auxerrois , No. 43.
FLORÉAL AN XI .
323
Tu verses dans moncoeur une nouv lte vie;
Plus je suis malheureux, plus j'aime tendrement ,
Et chacun de mes maux me donne un sentiment.
e
Ces vers sont tirés du 2. chant. Le poète , dans le même
chant , prévoit la chûte du pouvoir tyrannique de la Convention
, et il s'exprime ainsi :
Il tombera, semblable à la vile poussière ,
A la feuille flétrie, à la fange grossière ,
Qui, lorsque la tempête ébranle l'univers ,
En tourbillons poudreux monte au trône des airs ;
Cet assemblage impur plane au-dessus des nues ,
Parcourt les régions que l'aigle a parcourues ,
Et surl'afle des vents porté jusques aux cieux,
Gronde avec la tempête et tonne avec les dieux.
Mais quand les vents calmés rendent la paix au monde,
La poussière retombe avec la fange immonde :
Ainsi disparaîtra la splendeur des méchans ;
Et moi, loin des cités, dans le repos des champs ,
Le front voilé, des Dieux j'attendrai la justice,
Comme une jeune fleur dont l'humide calice,
Du soleil qui s'éloigne espérant le retour ,
Se referme et languitdans l'attentedu jour.
Le 3.º chant se termine par les consolations que l'auteur
adresse aux victimes du régime de la terreur.
...
Amis de la vertu , vous qui souffrez pour elle ,
Sur la terre il n'est point de douleur éternelle ;
Consolez-vous , souffrez encor quelques instans ,
Hélas! tout doit périr , tout succombe , et le temps
Emporte des humains les grandeurs mensongères,
Les sceptres des tyrans et leurs loix passagères;
Un jour nous pleurerons jusqu'aux bienfaits des dieux;
Déjà le doux printemps ne charme plus nos yeux.
Dieux ! prenez nos plaisirs , mais laissez-nous nos larmes ;
Laissez aux malheureux ces regrets pleins de charmes ,
Ces souvenirs des coeurs profondément émus,
Qui nous rendent présens les biens qui ne sont plus .
Plaisirs de la vertu , félicité du sage,
Non,nous ne perdrons point jusques àvotre image ;
Xa
324 MERCURE DEFRANCE ,
Il est, il est un bien qui ne doit point périr;
Les beaux jours renaîtront pour ne jamais finir.
Hommes justes , du sein de la nuit éternelle ,
Levez-vous et suivez la voix qui vous appelle.;
Allez jouir des biens qu'un Dieu vous a promis ,
L'espoir de ses bienfaits ne vous a point trahis ;
Des tyrans et du sort vous fûtes les victimes ,
Le trépas fut le prix de vos vertus sublimes ;
Un Dieu doit réparer les injures du sort ,
Et l'immortalité doit absoudre la mort .
:
ÉPHÉMÉRIDES. ( I )
Les Ephémérides dont nous avons parlé dans nos précédens
numéros , se continuent avec le plus grand succès ;
les auteurs ne négligent rien pour justifier l'accueil que
le public a fait à cet ouvrage.
८०
L'an 1717 , le 7 mai , le czar Pierre- le-Grand arrive
àParis .
Il s'en faut beaucoup que les voyages des empereurs
Charles IV, Sigismondet Charles V, en France , aient
eu une célébrité comparable à celle du séjour qu'y fit
Pierre-le-Grand. Ces empereurs n'y vinrent que par des
intérêts de politique , et n'y parurent pas dans un temps
où les arts perfectionnés pussent faire de leur voyage une
époque mémorable ; mais quand Pierre-le-Grand alla
dîner chez le duc d'Antin , dans le palais de Petitbourg ,
à trois lieues de Paris , et qu'à la fin du repas , il vit son
portrait qu'on venait de peindre , placé tout d'un coup
(1) Douzevolumes in-8°.-Il paraît un volume par mois . On peut
se procurer chaque volume à mesure qu'il paraît , en payant d'avance
36 fr . pour les douze volumes. Il faut ajouter à ce prix , 50 c. par volume
, pour le recevoir franc de port. A Paris , chez le Normant ,
rue des Prêtres Saint - Germain- l'Auxerrois , n. 42; et ches Henri
Nicole , rue des Jeûneurs , n. 26..
A7
1
FLORÉAL AN XL 325
dans la salle , il sentit que les Français savaient mieux
qu'aucun peuple du monde recevoir un hôte si digne..
Il fut encore plus surpris, lorsqu'allant voir frapper
des médailles dans cette longue galerieduLouvre , où tous
les artistes du roi étaient honorablement logés , une médaille
qu'on frappait étant tombée , et le czar s'empressant
de la ramasser , il se vit gravé sur cette médaille , avec
une renommée sur le revers , posant un pied sur le globe ,
et ces mots de Virgile , si convenables à Pierre-le-Grand:
Vires acquirit eundo; allusion également fine et noble , et
également convenable à ses voyages et à sa gloire.
Onprésenta de ces médailles d'or à lui et à tous ceux
qui l'accompagnaient. Allait-il chez les artistes , on mettait
à ses pieds tous les chefs-d'oeuvres , et on le suppliait
de daigner les recevoir. Allait-il voir les hautes-lices des
Gobelins , les tapis de la Savonnerie , les atteliers des
sculpteurs , des peintres , des orfèvres du roi , des fabricateurs
d'instrumens de mathématiques , tout ce qui semblait
mériter son approbation lui était offert de la part du
roi .
Pierre était à- la- fois mécanicien et géomètre. Il alla à
l'académie des sciences , qui se para pour lui de tout ce
qu'elle avait de plus rare ; mais il n'y eut rien d'aussi rare
que lui-même ; il corrigea de sa main plusieurs fautes de
géographie dans les cartes qu'on avait de ses états , et surtout
dans celle de la mer Caspienne. Enfin il daigna être
undes membre de cette académie , et entretint depuis une
correspondance suivie d'expériences et de découvertes
- avec ceux dont il voulait bien être le simple confrère. Il
faut remonter aux Pythagore et aux Anacharsis , pour
trouver de tels voyageurs, et ils n'avaient pas quitté un
empire pour s'instruire .
On ne peut s'empêcher de remettre ici sous les yeux
dulecteur, ce transport dont il fut saisi en voyant le tom
X5
326 MERCURE DE FRANCE ,
:
beau du cardinal de Richelieu. Peu frappé de labeautéde
ce chef-d'oeuvre de sculpture, il ne le fut que de l'image
d'unministre qui s'étoit rendu célèbre dans l'Europe , en
l'agitant , et qui avait rendu à la France sa gloire perdue
après la mort de Henri IV. On sait qu'il embrassa cette
statue , et qu'il s'écria : « Grand homme , je t'aurais donné
>>la moitié de mes états , pour apprendre de toi à gou-
>> verner l'autre ! » Enfin , avant de partir , il voulut voir
cette fameuse madame de Maintenon , qu'il savoit être
veuve de Louis XIV, et qui touchait à sa fin. Cette espèce
de conformité entre le mariage de Louis XII et le sien ,
excitait sa curiosité ; mais il y avait, entre le roi de France
et lui , cette différence qu'il avait épousé publiquement
une héroïne , et que Louis XIVn'avoit eu en secret
qu'une femme aimable.
↓
La czarine n'était pas de ce voyage : Pierre avait trop
craint les embarras du cérémonial et la curiosité d'une
cour peu faite pour sentir le mérite d'une femme , qui
des bords du Pruth à ceux de Finlande , avait affronté la
mort , à côté de son époux, sur mer et sur terre.
ΑΝΝΟNCES.
Etude analytique de l'Eloquence, par Louis Lefebvre .
I vol. in- 12 . Prix , broché , 2 fr. 50 c. et 3 fr. par la
poste.
"
AParis , chez H. Agasse, libraire , rue des Poitevins ,
N°. 18; et chez le Normant , imprimeur - libraire , rue
des Prêtres Saint-Germain-l'Auxerrois , No. 42.
Rapportset Comptes rendus du Comité central d'Administration
des soupes économiques de Paris , pendant
l'an 10. In - 8°. Prix : 1 fr . 50 c. , et 2 fr. par la poste.
A Paris , chez A. J. Marchant , imprimeur , et libraire
pour l'Agriculture ; rue des Grands-Augustins , no. 12.
Et chez le Normant , rue des Prêtres S. Germ.-l'Auxer.
FLOREAL AN XI. 327
POLITIQUE.
Lachambre des communes est dans une telle ignorance
sur l'état des négociations entre l'Angleterre et la France ,
qu'unmembre qui voulait parler sur ce sujet , est con
venu franchement qu'il se voyait réduit à prendre ses
renseignemens dans les journaux français. Un pareil aveu
est sans exemple. Mais aujourd'hui qu'il n'y a pas de véritable
opposition , parce qu'il y a trop de partis , le parlement
se laisse conduire avec une docilité si extraordinaire
, qu'il serait impossible de décider qui a montré
le plus de faiblesse du ministère ou de la représentation
nationale. De chaque côté , on s'est accordé long-temps
pour ajourner toute explication : les ministres voulaient
éviter d'entrer dans des détails , jusqu'au moment où ils
sauraient définitivement à qui resterait le ministère ; les
membres marquans des diverses oppositions ne voulaient
pas trop presser les ministres , parce qu'ils avaient l'espoir
d'arriver au ministère par des arrangemens particuliers
; enfin , soit que les arrangemens soient pris de part
etd'autre , soit que l'état des négociations ne permette
plus de garder le silence , mardi , 3 mai , a été le jour
définitivement arrêté pour commencer les explications.
Les dernières nouvelles reçues de Suède font espérer
que les différends qui avaient un moment troublé l'harmonie
qui existoit entre les deux cours de Pétersbourg et
deStokholm , ne tarderont pas à être conciliés. Les troupes
russes , prêtes à marcher en Finlande, formoient une armée
de 80,000 hommes; nombre assurément plus que
suffisant pour faire la guerre dans ce pays.
Aboul wacher s'étoit insurgé contre la Porte, et menaçoit
l'Arabie d'une effrayante révolution; ce rebelle a été
combattu et vaincu ;la Porte a ôté par-là auxbeys d'Egypte
un allié qui auroit pu par la suite leur être d'un grand
secours; cette puissance recouvre chaque jour une partie..
du pouvoir que sa foiblesse lui avoit fait perdre.
La lettre suivante a été adressée par le ministre des relations
extérieures , au cit. Hirsinger , résident de France
à Francfort , qui l'a publiée le 29 germinal.
« J'ai mis , dans le temps , sous les yeux du premier
X4
328 MERCURE DE FRANCE ,
consul , la question importante dont vous m'entretenez
dans votre lettre du 17 de ce mois. Voici les intentions
qu'il m'a manifestées :il n'entend point que le délai fixé
par le sénatus-consulte du 6 floréal an ro , soit fatal pour
lesfrançais qui n'ont quitté leur patrieà diverses époques ,
que pour se livrer en pays étrangers , ou à des spéculations
commerciales , ou à l'exercice des arts libéraux et mécaniques,
ou à l'instruction publique et privée. Son intention
est que les déclarations de tous ces français puissent être
reçues par nos ambassadeurs et agens diplomatiques ,
malgré l'écoulement du délai qui a expiré au 1. vendé
miaire , et qu'ils soient amnistiés par moi , aussitôt que
ces déclarations me seront parvenues.
er
>> Le premier consul veut plus encore : il veut que tous
ces français puissent continuer leur résidence en terre
étrangère , pendant tout le temps qui leur sera nécessaire
pour terminer les objets de commerce , d'arts ou d'instruction
qui ont motivé leur départ de France, ainsi que
leur séjour dans ces pays. Lorsqu'ils voudront continuer
leur résidence , ils se présenteront ànotre envoyé diplomatique
, pour lui en faire la déclaration , sur laquelle il
deur délivrera la permission nécessaire. Expédition en
forme de cette permission sera envoyée au préfet du département
, où celui qui l'aura obtenue avait son dernier
domicile , afin de connaître par-là où l'individu existe , et
qu'il puisse jouir en France de tous les droits qui appartiennent
aux Français , et dans lesquels il aura été réintégré
par son amnistie , et par la permission de continuer
sa résidence en pays étranger.
>> Le premierconsuln'entendaffranchir de la déchéance
encourue par l'expiration du délai , que les individus des
classes ci-dessus désignées ; cet acte de clémence et de générosité
ne devant point être appliqué à ceux qui ont abandonné
leur patrie , ou pour porter les armes contre elle ,
ou, ce qui est encore plus condamnable , pour exciter , à
force de démarches et d'intrigues , les diverses puissances
aarmer contre nous. L'indifférence que ces individus ont
affecté de témoigner d'abord pour une grâce insigne qu'ils
auraient dû recevoir avec le sentiment de la plus vive reconnaissance
, ou même l'hésitation qu'ils ont mise à en
profiter , les en rend tout- à- fait indignes. >>>
:
1.
FLORÉAL AN XI. 339
TRIBUNAT.
Séance du 7 floréal.-Le tribunat , dans la séance de ce
jour , a adopté deux projets de loi. Le premier concernant
l'établissement d'un commissaire- général de police dans
les villes de Brestet de Toulon; le second relatif à la
police des bois des communes et des particuliers.
:
Séance du 9. -Ondiscute leprojetde loi,liv.3, tit. 2
du code civil relatif aux donations et testamens : Jobert
au nom de la section de législation en propose l'adoption.
Son discours sera imprimé à six exemplaires.
- Séance du 10 . Carion Nisas fait un rapport sur le
projet de loi relatifà l'établissement d'un droit d'entretien
pour le port de Cette ; il en propose l'adoption. Costé ,
au nom de la section de l'intérieur , fait un rapport sur
un projet de loi relatif à l'établissement d'un droit de
bassin dans les ports du Havre , d'Ostende et de Bruges .
On passe à la discussion du projet de loi relatif à la contrebande.
Grenier présente un rapport et vote pour l'adoption
de ce projet.
Le tribunat adopte ensuite : 1°. le projet de loi relatif
au liv . 3 , tit. 2 du code civil , relatif aux donations entrevifs
et aux testamens ; 2°. le projet de loi relatif à l'établissement
d'un droit d'entretien pour le port de Cette ;
3º. celui portant établissement d'un droit de bassin dans
les ports du Havre , d'Ostende et de Bruges.
Séance du 12.floréal.-Le tribunat s'est occupé , dans
cette séance , d'un projet de loi relatif à des acquisitions ,
concessions , échanges , impositions extraordinaires et
ventes demandées par des communes et des hospices.
Sedillez expose les motifs du gouvernement , dans la présentation
de ces projets, et vote pour leur adoption. Le
tribunat les adopte. 19
Perrin, au nom de la section de l'intérieur , fait un
rapport sur un projet de loi relatif au curage et entretien
des canaux et rivières non navigables , digues , etc. Il en
propose l'adoption ; on ajourne la discussion à demain.
Au nom de lasection de législation , Huguet fait un
rapport sur un projetde loi relatif aux droits des enfans
nés hors mariage , dont les pères sont morts depuis la loi
du 12 brumaire an 2; il en propose i'adoption .
Séance du 13. - Vanhuttem fait un rapport sur le
projet concernant un canal de navigation entre les villes
330 MERCURE DE FRANCE;
e
deCharleroy etde Bruxelles, et ce projet est adopté.Deur
autres projets de loi sont également discutés et adoptés.
Lepremier est relatifà l'état des enfans nés hors mariage ,
dont les père et mère sont morts depuis la promulgation
de la loi du 22 brumaire an 2; le second est relatif an
curage et àl'entretien des canaux , rivières nonnavigables,
digues , etc. Le tribunat s'ajourne au 16.
CORPS LÉGISLATIF.
Séancedu8floréal.-Les conseillers d'état Regnault
(deSaint-Jean-d'Angely ) et Ségur présentent deux projets
de loi: le premier concerne le curage et l'entretien des
canaux et rivières non navigables ; le second est relatif
à l'ouverture d'un canal de navigation entre les villes de
Charleroy et de Bruxelles.
Le C. Regnault présente ensuite vingt-trois projets de
loi d'un intérêt local .
On discute le projet de loi concernant les douanes ; il
est approuvé à une majorité de 198 voix contre 17.
Le corps législatifa aussi adopté dans cette séance , à
unemajorité de 204 voix contre 6, le projet de loi relatif
la solde de retraite , au traitement de réforme.
Séance du 9.-Champion du Jura obtient la parole au
commencement de cette séance, et fait une motion d'ordre
tendante à ce que le corps législatif procède au scrutin
pour la nomination d'un grand officier de la légion d'honneur.
Après quelques débats , le corps législatifdécide que
cet objet sera discuté en comité secret à la fin de cette
séance.
Les conseillers d'état Treilhard , Berlier et Galli , présentent
un projet de loi relatif à l'état et aux droits des
enfans nés hors le mariage , dont les père et mère sont
morts depuis la promulgation de la loi du 12 brumaire
an 2.
Le corps législatif procède au scrutin , et adopte deux
projets de loi , l'un relatif à la police des bois des cominunes
, à ceux d'établissemens publics et à ceux de par
ticuliers ; l'autre tendant à établir , dans chacune des
✓ villes de Brest et de Toulon un commissaire général de
police.
:
Séance du 12. Les conseillers d'état Regnault ( de
Saint-Jean-d'Angely ) et Pelet présentent un projet de loi
FLOREALAN XI 33
pour autoriser le gouvernement à traiter des travaux à
faire pour rendre la rivière du Tarn navigable depuis le
Saut du Sabot jusqu'à Gayac : ces travaux devront être
terminés dans trois ans. T
Les conseillers d'état Regnault et Ségur proposent un
autre projet contenant deux cents articles ; ils ont pour
objetdes embellissemens de commune, des améliorations
pour l'agriculture , des réparations et constructions sollicitées
par la piété civile et religieuse. Telle est la nature
de l'articleCLXIII qui confirme l'acquisition faite par le
préfet de laSarthe , d'une maison pour le logement de
l'évêque des départemens de la Sarthe et de la Mayenne ,
cequi règle la répartition du prix de cette acquisition ;
ainsi que du montant des réparations à faire à la cathédrale,
llee toutformant lasommede 118,686 fr.
Ladiscussion s'ouvre sur le projet de loi relatif à l'établissement
d'un droit de bassin dans les ports du Havre ,
d'Ostende et de Bruges ; il est converti en loi par deux
cent une voix contre deux.
Séance du 13floréal.-Le corps législatif a sanctionné
dans cette séance quatre projets de loi. Le premier intéresse
diverses communes ; le second est relatif à la répression
de la contrebande ; le troisième , à l'établissement
d'un droit pour l'entretien du port de Cette ; et le quatrième
concerne les donations entre-vifs et les testamens.
Séance du 14. - Dans cette séance , le corps législatif
a sanctionné deux projets de loi ; le premier , relatif à
l'ouverture d'un canal entre Charleroy et Bruxelles , à la
majorité de 204 voix contre 6; le second , relatif à l'état
etaux droits des enfans nés hors mariage , dont les père
et mère sont morts depuis la promulgation de la loi du
12 brumaire an 2.
Le président lève la séance , en annonçant que la nomination
du nouveau membre de la commission administrative
est remise à la fin de la session , et que le corps
législatif, bien qu'il n'ait à délibérer sur aucun projet de
loi , doit se réunir demain à midi.
Séancedu 15. Le corps législatif ne s'étoit assemblé aujourd'hui
quedans l'attented'un messagedu gouvernement ;
ce message n'a pas eu lieu , et l'on en tire un augure
favorable pour le maintien de la paix . ( Voyez notre
article Paris. ) Le corps législatif s'est ajourné au 17 pour
renouveller son bureau......
332 MERCURE DE FRANCE ,
PARIS.
Un arrêté du 7 floréal , porte qu'il sera payé une prime
de cinquante centimes par cinq myriagrames de tourbe
carbonisée entrant dans Paris; cette prime sera payée sur
les fonds de secours et arts.
Le ministre des finances publie l'avis suivant :
«Le gouvernement désire que les nouvelles monnaies
offrent une preuve du dégré de perfection où les arts sont
parvenus en France , et que les procédés du monnayage
soient rendus plus simples , plus faciles , plus expéditifs ,
sans danger pour les ouvriers employés à ce travail. Pour
remplir ses vues , le ministre des finances croit devoir ouvrir
deux concours : l'un aura pour objet la gravure des monnaies
; l'autre , la construction des balanciers .
Premier programme. Le type des pièces demonnaie
est réglé par l'art. 16 de la loi du 7 germinal. C'est ce type
qu'il s'agit d'exécuter le plus parfaitement qu'il sera possible
, en conservant les dimensions déterminées , tant pour
la pièce d'argent de la valeur de 5 francs que pour la pièce
d'or de 40 fr. , avec la tranche gravée en creux. Les artistes
qui voudront concourir , se feront connaître dans les dix
jours qui suivront la publication du programme , par l'inscription
de leurs noms et domicile , secrétariat del'administration
des monnaies. Ils remettront , avant le 1. therbuidor
, à l'administration des monnaies , les matrices ,
poinçons et coins , tant de la pièce d'argent que de la
pièce d'or qu'ils croiront pouvoir proposer. Les pièces qui
devront servir au jugement , seront frappées en présence
d'un jury, auquel elles seront remises par les administrateurs
des monnaies .
au
Lejury sera composé de neuf membres , parmi lesquels
il se trouvera au nioins deux artistes mécaniciens ; tro's
seront nommés par le ministre des finances; trois par la
classe des beaux-arts de l'Institut national , et trois par
les concurrens eux-mêmes . L'artiste dont l'ouvrage sera
jugé le plus parfait , recevra pour prix de son travail la
somte de 10,000 fr .; et dans le cas où le prix devrait être
partagé en deux artistes pour l'or et pour l'argent , il sera
de 8000 fr . pour chacun , et son nom ou son différent sera
conservé sur les matrices de sa composition. Dans tous les
cas , les artistes qui auront travaillé pour le concours ,
pourront garder ni retenir , même après le jugement , au-
!
he
:
FLOREAL ANXI. 333
cune des pièces qu'ils auraient présentées , ou seulement
préparées et commencées. Toute personne qui , sans avoir
fait connoître l'intention de concourir , seroit trouvée posséder
des pièces ou instrumens propres à la fabrication des
monnaies , sera poursuivie suivant la rigueur des loix .
Deuxième programme.-Les mécaniciens qui se proposent
de concourir pour la construction des balanciers se
feront connaitre , dans les dix jours qui suivront la publication
du programnie , par l'inscription de leurs noms et
domicile au secrétariat de l'administration des monnaies.
Le concours sera fermé le 15 messidor. Ce terme arrivé ,
ceux qui auront terminé les travaux qu'ils croiront pouvoir
présenter au concours , en donneront leur déclaration par
écrit au même secrétariat . Une commission de neuf menibres
, dont trois nommés par le ministre , trois par la
première classe de l'institut , et trois par les concurrens qui
aurout donné la déclaration dont il vient d'être parlé , se
transportera dans les ateliers de chacun des concurrens ,
pour procéder à un premier exanien des balanciers proposés
aux concours .
Ceux de ces balanciers qui seront jugés en état d'être
soumis à l'épreuve du monnayage , seront immédiatement
transportés et établis à l'hôtel des monnaies , sous la conduite
et direction de ceux qui les auront présentés ; et au
frais du gouvernement, pour ce qui concernera seulement
lesdits transports et établissemens. ;
Les concurrens pourront frapper , soit en virole pleine ,
soit en virole brisée, les lettres de la tranche , néanmoins
to jours gravées en creux. L'épreuve des balanciers será
faite , en présence de la conmission et des fonctionnaires
ordinaires du monnayage , sur la pièce d'or de 40 fr . et sur
la pièce d'argent de 5 fr. Il sera frappé par chaque balancier
deux mille pièces d'or et vingt mille pièces d'argent. La
commission tiendra note du temps dans lequel ces pièces
auront été frappées , des accidens et autres causes d'interruption
de travail , qui devront servir de base à son jugenient.
L'administration des monnaies fera délivrer les coins
et les flaons nécessaires à ces épreuves , en observant les formes
ordinaires de délivrance et de comptabilité. Le mécanicien
dont le balancier aura para réunir plus d'avantages
recevra pour le pris la somme de dix mille francs , indépendaniment
de la valeur du balancier et de ses dépendances , qui
resterontàl'administration des monnaies, et dont elle paiera
le prix d'après l'estimation qui en sera faite par des experts,
334 MERCURE DE FRANCE ,
Legouvernement de la république a pris , touchant les
dépenses fixes et variables des communes , un arrêté dont
nous rapporterons les principales dispositions :
<<Danstoutes les villes qui ont 20,000 fr. de revenus et
au-dessus , etdont lapopulation estau-dessousde cent mille
ames , les frais d'administration qui consistent en abonnemens
de journaux , registres de l'état civil, entretien de la
maison commune ( non compris le loyer ); le bois , lumière,
encre , papier , ports de lettres ,,impressions et
affiches ; les greffiers , secrétaires , commis , agens , huissiers
, sergens , appariteurs , sonneurs ,gardes-chanıpêtres
et employés quelconques ; les fêtes nationales et dépenses
imprévues , sont fixés à 50 centimes par habitant sur les
étatsde population arrêtés au conseil d'état.
1 >>Dans les tableaux de dépenses que lesdites villes adresseront
tous les ans au gouvernement, conformément à l'arrêté
du 4 thermidor an 10 , tous les articles de dépenses
énoncées ci-dessus formeront un chapitre à part , sous le
titre de dépenses fixes , et ne pourront, sous aucun prétexte
que ce soit , dépasser la somme réglée sur la base
donnée par l'article 1**. du présent arrêté.
» Les dépenses variables , qui formeront le deuxième
chapitre des tableaux adressés par les villes , seront divisées
en titres de dépenses distinctes et strictement conformes
aux modèles imprimés , qui leur seront adressés par
le conseiller-d'état chargé de la comptabilité des communes.
>> Les commissaires de police des villes ,dont la populationest
au-dessous de dix mille habitans , recevront un
traitement qui ne pourra être au-dessus de 800 francs,
>> Il ne pourra être alloué aux receveurs des revenus
communaux plus de cinq pour cent lorsque les revenus ne
passent pas cent mille francs , etplusd'undemipourcent
sur l'excédent de cent mille francs .
>> La réduction des dépenses , d'après les bases précitées
, n'aura lieu que pour les trois derniers mois de
l'an 11 ....
>> Les maires ne pourront excéder dans leurs mandats
les sommes réglées pour chaque nature de dépense , ni le
receveur municipal payer au-delà desdites sommes , sous
peine de responsabilité personnelle pour les uns et les
autres , conformément àl'article 34 de l'arrêté du 4thermidor.
FLOREAL AN XI. 335
D'après une circulaire adressée par le ministre de la
guerre aux préfets , le gouvernement désire que tous les
départemens jouissent de l'avantage de concourir à completter
les corps qui composent sa garde. Il vient , en conséquence
, d'arrêter que dans chaque arrondissement communal
ilpourroit être prisdeuxhommes pour les grenadiers
à pied , et deux pour les chasseurs à pied. Ils ne pourront
être choisis queparmi les militaires légalement congédiés
ayant fait la guerre , âgés de moins de trente ans, et jouissant
d'une bonne réputation. La taille requise est d'un
mètre huit décimètres ( 5 pieds 6 pouces ) , pour les grenadiers
; et d'un mètre sept décimètres (5 pieds 4pouces ) ,
pour les chasseurs .
Les sous-préfets feront dresser la liste des individus qui
se présenteront et réuniront les qualités nécessaires. Cette
liste contiendra: 1°. les noms et prénoms de chacun ; 2°. le
lieu de sa naissance et son domicile ,en désignant l'arrondissement
; 3°. la date de sa naissance ; 4. sa taille ; 5°. les
corps dans lesquels il a servi , et les motifs pour lesquels
il en est sorti ; 6°. la note des certificats dont il est porteur,
etdes observations sur sa moralité et sa conduite. Sur ces
listes , il sera ensuite formé par chaque préfet , un état
général qui sera ensuite adressé au ministre.
Les diamètres des nouvelles pièces d'or, d'argent et de
cuivre , sont fixés ainsi qu'il suit , par un arrêté du gouvernement
:
Les piècesd'orde 40fr. à 26millimètres ; celles de 20 fr.
à 21 millimètres .
Les pièces d'argent de 5 fr. à 37 millim; celles de 2 fr .
à 27; celles de 1 , à 23 ; celles 3/4 , à 21 ; celles de 1/2 ,
à 18 , et celles de 1/4 , à 15.
Les pièces de cuivre de 5 cent. , à 27 millim.; celles
de 5, à 25 , et celles de 2, à 22.
Dans la séance que le tribunal de cassation atenue le13,
en robes rouges , sousla présidence du grand-juge , ministre
de la justice , est émanée une décision en vertu delaquelle
lesmembres du tribunał spécial de la Loire , séant à Montbrisson
, ont été cités à comparaître , le 15 prairial prochain
, devant le tribunal de cassation , au sujet d'un jugement
par eux rendu dans une affaire où l'accusé a été acquitté
,nonobstant la preuve acquise à son égard d'un
crime de faux matériel.
336 MERCURE DE FRANCE.
er
Le ministre de l'intérieur donne avis que le 1. prairial
et jours suivans , il sera vendu , à l'établissement rural de
Perpignan , 1. trois cents brebis et béliers de race pure
d'Espagne , 2º. environ 150 miriagrammes ou 3000 livres
de laine superfine .
On a mis à exécution, le 11 floréal , à Abbeville une
sentence , portant bannissement de la ville d'une femme
de mauvaise vie. Cette exécution avait attiré beaucoup de
monde, et il est arrivé un accident dont voici les principales
circonstances : Le concierge , chargé de la fermeture
des portes , ayant poussé avec violence celle par où cette
femme venait d'être chassée , comme cela se pratique , diton
, dans ces sortes de cas , les ferrures , extrêmement
vieilles , qui soutenaient cette porte , se détachèrent à l'instant,
et lesdeux battans n'ayant plus desoutien , tombèrent
sur la foule. Six personnes ont été tuées et quatre blessées .
M. Beauvarlet , commissaire de police , qui venait dé
faire lecture de la sentence , fut du nombre , et eut la
cuisse cassée. Il a été fait aussi-tôt dans la ville une collecte
qui ,jusqu'ici , a produit 10,000 fr. pour être distribués
entre les parens de ceux qui ont péri et ceux qui ont été
blessés. Quant à M. Beauvarlet , dont le zèle pour l'intérêt
public est infiniment précieux aux habitans de la ville , et
la personne extrêmement chère et recommandable , il lui
a été fait une rente à vie de 1200 fr.
:
L'horison politique s'est beaucoup éclairci depuis hier :
il n'est pas vrai que l'ambassadeur d'Angleterre soit parti
comme on en avoit répandu le bruit ; il est même certain
àprésent qu'il ne partira pas avant l'arrivée d'un courier
que S. Ex. attend de sa cour. Mais une nouvelle bien importante
, c'est l'arrivée d'un courier de Vienne qui a apporté
hier la ratification de S. M. I. et R. au conclusum
général de la diète de l'empire.
۰
Faute essentielle à corriger.
1
1
N°. XCXIV , page 165 , ligne 17 , au lieu de ces mots :
d'honneur sans noblesse, lisez d'honneur politique sans
noblesse..
1
( N°. XCVIII . ) 24 FLORÉAL an II .
( Samedi 14 Mai 1803. )
:
MERCURE
DE FRANCE.
LITTÉRATURE.
POÉSIE.
DE TOUT UN PEU, sujet donné à un thé.
Air : de la Pipe de tabac ,
ou J'ai vu partout dans mes Voyages .
Qu'un autre ait la triste folie
١٠٠
De lutter contre ses désirs ;
Pour moi , si je tiens à la vie,
C'est par la chaîne des plaisirs.
Jouir de tout avec mesure ,
Mes bons amis , tel est mon voeu ;
Et , vrai disciple d'Epicure ,
Ma maxime est : De tout un peu.
Ami sincère et femme aimable
Me font passer de doux instans ;
J'aime le lit , le jeu , la table ,
Je fais cas de tous les talens .
Je me plais avec la nature ,
L'art me séduit j'en fais l'aveu ;
)
:
13 Y
338 MERCURE DE FRANCE ,
Fidèle aux leçons d'Epicure ,
Je veux goûter de tout un peu.
Qu'on me verse un vin qui réveille
Des vieux temps la franche gaîté ,
Et je livre au Dieu de la treille
Ma raison , mais non ma santé .
Pour tenir long-temps la gageure
Il faut conserver son enjeu ,
Et bien songer que d'Epicure
La maxime est : De tout un peu.
L'étude au sage offre un salaire
Que n'ont jamais connu les sots ,
Et le travail a de quoi plaire ,
Il fait mieux goûter le repos.
Mais je n'irai pas , je vous jure ,
Sécher sur le grec , sur l'hébreu ;
Je sais trop bien que d'Epicure
La maxime est : De tout un peu.
Ovous , dont la jeune maîtresse
Anime et partage l'ardeur ,
Ménagez bien sa douce ivresse ,
Et prolongez votre bonheur.
Voulez-vous faire feu qui dure ?
Croyez-moi , dans ce joli jeu ,
N'oubliez pas que d'Epicure
La maxime est : De tout un peu.
Mes amis , pour Flore et Pomone
On va bientôt fuir les cités ;
Mais les derniers jours de l'automne
Ramèneront enfin nos thés.
Moi , je regrette la froidure
Qui nous rassemble au coin du feu ;.
J'oublie alors que d'Epicure
La maxime est : De tout un peu .
DE WAILLY.
:
FLORÉAL AN XII T
339
MONOLOGUE GASCON.
G
Un soufflet ! sur ma joue ! en pleine compagnie!
Sandis! un tel affront né sé pardonné pas ;
Et si jamais j'aimai l'honnûr plus qué la vie ,
Dé lé pronver, jé crois, c'est bien ici lé cas,
Allons vité trouver mon homme ,
Il faudra qu'il sé batte ou bien qué jé l'assomme.
Mais, pour exécuter un si noble projet,
Voyons un peu l'armé qué je dois prendre.
Choisirai-jé l'épée ou bien lépistolet?
L'épée... hem ! en mes mains saurait mal mé défendre ;
Je suis pour cé jû trop distrait ,
Sans doute qu'à mes yeux la pointe échappérait.....
Il séra plus prudent , je pense ,
Dém'en ténir au pistolet .
C'est dommagé pourtant qu'à peiné l'on commence
Tout dé suite on sauté lé pas.
Jé voudrais un combat qui mé mit dans le cas
Dé fairé plus long-temps admirer ma vaillance.
Capédébious ! quel embarras !
Maudit soit le pays dé France!
On n'y trouvé seulement pas
D'armé pour venger une offense.
H. VERNERT.
ייני
ENIGME.
:
1.
Je suis un mot àdouble sens ;
Jeune beauté, n'en prenez point d'ombrage
J'offre des plaisirs innocens ,
Vous me goûtez , sans cesser d'être sage.
L'oeil est flatté de mavive couleur;
J'ose disputer de fraîcheur
Avec la plus belle personne.
Fléau de mille êtres vivans ,
Plus j'en détruïs , plus je suis bonne.
Unvaste empire est peuplé d'habitans
Qui different d'habit , de taille et de visage;
:
Ya
340 MERCURE DE FRANCE ,
y
1
C'est là que j'aime à porter le ravage;
J'y suis funeste aux petits comme aux grands ,
Aux opprimés comme aux tyrans,
Les plus doux des humains s'amusent de mes crimes ;
Ils aiment à compter mes nombreuses victimes .
LOGOGRYPH Ε.
Je suis ville fameuse en conservant ma tête ;
Je deviens animal en me coupant la tête .
CHARADE.
1
Ménagez mon dernier ;
S'il n'est pas mon premier ,
Le couper c'est folie.
C'est avec mon dernier
Que l'on fait mon entier .
Aimez-vous l'harmonie ? .
Vous irez écouter ,
Celui qui de l'entier
Sait faire une partie
1
Mots de l'Enigme, du Logogriphe et de la
Charade insérés dans le dernier Numéro.
९
Le mot de l'Enigme est Bulle de savon..
Celui du Logogryphe est Triangle , où l'on trouve
angle , an , ane , ange , géant , tiran , tage , étain , lait ,
rate , linge , lin , laine , âge , légat , rage, étang ,gant ,
rat , tan , art , rang , gare.
Le mot de la Charade est Dé-tour.
FLOREAL ANXI 340
Génie du Christianisme , ou Beautés de la R
ligion chrétienne , par François-Auguste Cháteaubriand
; seconde édition , deux vol, in- 8 ° ,,
avec la Défense , petit vol. même format. Prix ,
11 fr. , et par la poste 15 fr. 80 cent. A Paris ,
chez Migneret , imprimeur-libraire , rue du
Sépulcre , nº. 28 ; et chez le Normant, imprimeur-
libraire , rue desPrêtres Sain-t Germainl'Auxerrois
, nº. 42.
LORSQU'UN écrivain se montre dans la littérature ,
et que , par un talent original , il se place tout-àcoup
auxpremiers rangs , il doit s'attendre à essuyer
beaucoup de critiques ; quelques-uns même de ceux
qui lui ont applaudi d'abord , repoussés bientôt par
ses succès , se retirent peu à peu , comme s'ils se
reprochaient d'avoir servi à sa renommée : il est
vrai que les critiques de la malveillance retombent
bientôt dans l'oubli , quand elles ne sont
pas appuyées sur un fonds de vérité ; toutefois
il en est quelques-unes d'une nature telle qu'un
auteur ne doit pas négliger d'y répondre : c'est
cette raison qui a engagé M. de Châteaubriand à
joindre àcetteseconde éditiondu Génie du Christianisme,
une Défense qui nous parait un chef-d'oeuvre .
Elle est d'autant plus remarquable que l'auteur semble
s'être dépouillé exprès de tout l'éclat de son imagination
, pour se réduire aux formes du raisonnement
le plussévère. Cette Défense estdivisée en trois
parties : le sujet, le plan et les détails de l'ouvrage ;
l'auteur y suit pas à pas la critique , et répond victorieusement
à toutes les objections. Il suffira d'en
citer un passage , pour prouver avec quelle force
de logique l'auteur combat ses adversaires.al ,
cen
Y3
342 MERCURE DE FRANCE ,
OBJECTION.
Il ne faut pas envisager la religion sous le rapport de
ses simples beautés humaines , morales , poétiques , c'est
en ravaler la dignité , etc. etc.
L'auteur va tâcher d'éclaircir ce point principal de la
question dans les paragraphes suivans :
I. D'abord , l'auteur n'attaque pas , il défend ; il n'a
pas cherché le but , le but lui a été offert : ceci change
d'un seul coup l'état de la question , et fait tomber la
critique. L'auteur ne vient pas vanter de propos délibéré
ane religion chérie , admirée et respectée de tous ; mais
une religion haïe , méprisée et couverte de ridicules par
les sophistes . Il n'y a pas de doute que le Génie du Christianisme
eût été un ouvrage fort déplacé au siècle de
Louis XIV , et le critique qui observe que Massillon n'eût
pas publié une pareille apologie, a dit une grande vérité.
Certes , l'auteur n'auroit jamais songé à écrire son livre ,
s'il n'eût existé des poëmes , des romans , des livres de
toutes les sortes , où le christianisme est exposé à la dérision
des lecteurs : mais puisque ces poëmes , ces romans ,
ces livres existent , il est nécessaire d'arracher la religion
aux sarcasmes de l'impiété ; mais puisqu'on a dit et écrit
de toutes parts , que le christianisme est barbare , ridicule ,
ennemi des arts et du génie , il est essentiel de prouver
qu'il n'est ni barbare , ni ridicule , ni ennemi des arts et
dugénie ; et que ce qui semble petit , ignoble , de mauvais
goût , sans charme et sans tendresse sous la plume du
scandale , peut être grand , noble , simple , dramatique
etdivin sous la plume de l'homme religieux.
Il . S'il n'est pas permis de défendre la religion , sous
le rapport de sa beauté pour ainsi dire humaine ; si l'on
ne doit pas faire ses efforts pour empêcher le ridicule de
s'attacher à ses institutions sublinies , il y aura donc tou
jours un côté de cette religion qui restera à découvert ?
Là tous les coups seront portés ; là vous serez surpris sans
défense : vous périrez par-là. N'est-ce pas ce qui a déjà
pensé vous arriver ? N'est-ce pas , avec des grotesques et
desplaisanteries , que M. de Voltaire est parvenu à ébranler
les bases même de la foi ? Répondrez-vous , par de la
théologie et des syllogismes , à des contes licencieux et à
des folies ? Des argumentations en forme , enrpêcherontelles
unmonde frivole d'être séduit par des vers piquans ,
ou écarté des autels par la crainte du ridicule ? IgnorezFLOREAL
ANXI. 343
a
5.
vous que chez la nation française , un bon inot , une impiété
d'un tour agréable , felix culpa , ont plus de pouvoir
que des volumes de raisonnement etdemétaphysique ?
Persuadez à la jeunesse qu'un honnéte homme peut être
chrétien sans être un sot ; ôtez-lui de l'esprit qu'il n'y a
que des capucins et des imbécilles qui puissent croire à la
religion ; et votre cause sera bientôt gagnée. Il sera temps
alors ,, pour achever la victoire , de vous présenter avec
des raisons théologiques et des considérations plus sérieuses
; mais commencez par vous faire lire . Ce dont
vous avez besoin d'abord , c'est d'un ouvrage religieux ,
qui soit pour ainsi dire populaire. Vous voudriez conduire
votre malade d'un seul trait au haut d'une montagne
escarpée , et il peut à peine marcher ! Montrez-lui donc à
chaque pas des objets variés et agréables ; permettez - lui
de s'arrêter pour cueillir çà et là les fleurs qui s'offriront
sur sa route ; et de repos en repos , il arrivera jusqu'au
sommet. :
III. L'auteur n'a pas écrit seulement son apologie pour
les écoliers , pour les chrétiens persuadés , pour les simples
prêtres , pour les Docteurs de Sorbonne ( 1 ) , mais
il l'a écrite encore pour les gens de lettres , et pour
le monde. C'est ce qui a été dit plus haut formellement ;
c'est ce qui est impliqué dans les deux derniers paragraphes
. Si l'on ne part point de cette base ,etque l'on feigne
toujours de méconnoître l'espèce de lecteurs à qui particulièrement
le Génie du Christianisme est adressé , il
est assez clair qu'on ne doit rien comprendre à l'ouvrage.
Cet ouvrage a été fait exprès pour être lu de
l'homme de lettres le plus incrédule et du jeune homme
le plus léger , avec la même facilité que le premier feuil-
Jette un livre impie , et le second un roman dangereux .
Vous voulez donc , s'écrient ces rigoristes , si bien intentionnés
pour la religion chrétienne ; vous voulez donc
faire de la religion une chose de mode ? Eh ! plût à Dien
qu'elle fût a la mode cette divine religion , dans ce sens
que lamode est l'opinion du monde ! Cela pourrait favoriser
, il est vrai , quelques hypocrisies particulières ; mais
(1) Et pourtant ce ne sont ni les vrais chrétiens , ni les docteurs
de Sorbonne, mais les philosophes ( comme nous l'avons déjà dit )
qui semontrent si scrupuleux sur l'ouvrage : c'est ce qu'il ne faut
pas oublier.
4
344 MERCURE DE FRANCE ,
il est certain d'un autre part que la morale publique y
gagnerait. Le riche ne mettrait plus son funeste amourpropre
à corrompre le pauvre , le maître à pervertir le
domestique , le père à donner des leçons d'athéisme à ses
enfans; la pratique du culte menerait tôt ou tard à la
croyance du dogme , et l'on pourrait espérer de voir renaître
avec la piété, le siècle des moeurs et des vertus.
, IV. M. de Voltaire , en attaquant le christianisme
connoissait trop bien les hommes, pour ne pas chercher
às'emparer de cette opinion qu'on appelle l'opinion du
monde ; aussi employa-t-il tous ses talens à faire une
espècede bon ton de l'impiété: il y réussit en rendant la
religion ridicule aux yeux des gens frivoles. C'est ce ridicule
que l'auteur du Génie du Christianisme a cherché
àeffacer; c'est-là le but de tout son travail , le but qu'il
ne faut jamais perdre de vue , si l'on veut juger son ouvrage
avec impartialité. Mais l'auteur l'a-t-il effacé , ce
ridicule ? Ce n'est pas là la question. Il faut demander :
a- t- il fait tous ses efforts pour l'effacer ? Sachez-lui gré
de ce qu'il a entrepris , et non de ce qu'il a exécuté.
Permitte divis cætera. Il ne défend rien de son livre ,
hors l'idée qui en fait la base : considérer le christianisme
dans ses rapports avec les sociétés humaines , montrer
quel changement il a apporté dans la raison et les passions
de l'homnie , comment il a civilisé les peuples gothiques
, comment il a modifié le génie des arts et des
lettres , comment il a dirigé l'esprit et les moeurs des
nations modernes , en un mot , découvrir tout ce que
cette religion a demerveilleux dans ses relations poétiques
, morales , politiques , historiques , etc.; cela semblera
toujours à l'auteur un des plus beaux sujets d'ou
vrage que l'on puisse imaginer. Quant à la manière dont
il a exécuté cet ouvrage , il l'abandonne à la critique.
On remarque dans tout le cours de cette défense
une manière savante de s'appuyer sur les
autorités; les recherches y sont profondes et le ton
plein dedignité; cependant on découvre que l'arme
de le plaisanterie ne serait pas étrangère à l'auteur,
s'il voulait aussi en faire usage ; et ce ne serait pas
la première fois que la sensibilité de l'imagination
se fût alliée au talent de l'ironie . L'auteur semble
avoir senti quels pourraient être ses moyens
FLOREAL AN XI. 345
dans ce genre , si l'on en juge par ce passage qui
termine sa défense .
« Il n'y a ni science , ni littérature qui puisse
>> résister à ce pédantisme ; c'est bien pis encore
>>quand on y joint les dénonciations et les calom-
>> nies : mais l'auteur les pardonne aux critiques ;
» il conçoit que cela peut faire partie de leur plan ,
>> et ils ont le droit de réclamer pour leur ouvrage
>> l'indulgence que l'auteur demande pour le sien.
>> Cependant , que revient-il de tant de censures
>> multipliées , où l'on n'aperçoit que l'envie de
>> nuire à l'ouvrage et à l'auteur , et jamais un goût
>> impartial de critique ? Que l'on provoque des
>> hommes que leurs principes retenaient dans le
>> silence , et qui , forcés de descendre dans l'a
>> rêne , peuvent y paraître quelquefois avec des
>> armes qu'on ne leur soupçonnait pas. >>>
Cette défense en développant le sujet et le
plan du Génie du Christianisme , ajoute un nouveau
poids à l'ouvrage , et achèvera sans doute son
succès. Cette seconde édition parait sous les auspices
du premier Consul. Dans une épître dédicatoire
, M. de Châteaubriand a parlé au héros
qui a relevé nos autels , avec la noble simplicité
d'un chrétien reconnaissant .
Dans le nouvel avertissement qui est en tête de
l'ouvrage , l'auteur fait l'aveu de quelques erren's
qui lui sont échappées , et dont il a été averti par
de savans ecclésiastiques. Quelques critiques s'étoient
plû à répandre, avec une intention au moins
suspecte , que le Génie du Christianisme pourrait
bien n'être pas agréable aux ministres de la religion;
et cependant on sait que l'auteur a été comblé
de marques de bienveillance par tous les membres
du Clergé. Quelle folie en effet de prétendre
faire croire que l'Eglise ne sentirait pas tout le
prix du seul livre religieux qui ait réussi depuis
>
1
346 MERCURE DE FRANCE ,
long-temps , et qui a présenté sous un jour si touchant
les vertus et le dévoûment des prêtres !
44
M. de Chateaubriand a prouvé par cette
seconde édition , très - supérieure à la première ,
qu'il savait profiter de la censure et se corriger en
homme de goût : on ne trouverait pas maintenant
dans Atala , une seule des phrases qu'on a tant
critiquées , et le reste de l'ouvrage nous a semblé
revu avec le même soin.
Il est inutile aujourd'hui de revenir sur le
plan du Génie du Christianisme. Tout le monde
le connait ; et quant aux beautés de détail , elles
sont si multipliées , qu'on est embarrassé du
choix des citations. Dans la partie critique , il
faudrait citer tout le livre des caractères et des
passions , et en particulier le chapitre sublime sur
la religion considérée elle-même comme passion ;
il faudrait citer encore celui où l'auteur considère
Vincrédulité comme la cause de la décadence du
goût , ce qu'il dit du siècle de Louis XIV, et les
magnifiques portraits de Bossuet etde Pascal. Dans
la partie dramatique , qui ne connait Atala et
René? Dans la partie historique , comment choisir
parmi tous ces tableaux admirables du clergé
séculter et régulier ? Dans la partie descriptive , il
faudroit faire connaître toute l'histoire naturelle ,
la description des tombeaux de l'ancienne Ecosse ,
d'Otaïti , de l'Egypte , de la Grèce , comparés à
nos cimetières de campagne , aux caveaux de nos
vieilles abbayes , et à la sépulture des rois à Saint-
Denys. Ce dernier tableau est un modèle de la plus
haute éloquence; il a été cité par-tout .
Nous choisirons ici seulement un morceau tiré
du livre des Ruines ; livre qui a peut-être été un
des moins remarqués parmi tant de richesses , et
qui pourtant est un des plus brillans de l'ouvrage.
FLORÉAL AN XI 347
C'est là sur-tout que l'auteur nous semble avoir
poussé au dernier dégré le talent descriptif.
La vallée de Tempée , les bois de l'Olympe , les côtes de
l'Attique et du Péloponèse, étalent de toutes parts les rui
nes de la Grèce. Là , commencent à paraître les mousses ,
les plantes grimpantes , et les fleurs saxatiles. Une guirlande
vagabonde de jasmin enibrasse une Vénus antique,
'comme pour lui rendre sa ceinture ; une barbe de mousse
blanche descend du menton d'une Hébé ; le pavot croít
sur les feuillets du livre de Mnémosine : aimable symbolede
larenommée passée , et de l'oubli présent de ces lieux . Les
flots de l'Egée , qui viennent expirer sous de croulans portiques
;Philomèle qui se plaint, Alcyon qui gémit, Cadınus
qui roule ses anneaux autour d'un autel , le cygne qui fait
son nid dans le sein d'une Léda ; tous ces accidens , reproduits
comme par les Grâces , enchantent ces poétiques débris
: ondirait qu'un souffle divin anime encore la poussière
destemples d'Apollon et des Muses ; et le paysage entier
, baigné par la mer , ressemble au beau tableau d'Apelle
, consacré à Neptune , et suspendu à ses rivages.
Les ruines des monumens chrétiens n'ont pas la même
élégance ; mais , sous d'autres rapports , elles peuvent
supporter le parallèle avec les ruines de Rome et de la
Grèce. Les plus belles que l'on connaisse dans ce genre ,
se trouvent en Angleterre , principalement vers le nord ,
au bord du lac de Cumberland, sur les montagnes d'Écosse ,
et jusque dans les Orcades. Les bas-côtés du choeur , les
arches pointues des fenêtres , les ouvrages ciselés des voussures
, les pilastres des cloîtres , et quelques pans de la
tour des cloches , sont les parties qui ont le plus résisté
aux efforts du temps.
Dans les ordres grecs , les voûtes et les ceintres suivent
parallèlement les arcs du ciel , de sorte que sur la tenture
grise des nuages , ou sur un paysage obseur , ils se perdent
dans les fonds. Dans l'ordre gothique, les pointes
contrastent par-tout avec les arrondissemens des cienx et
les courbures de l'horizon. De plus , le gothique étant
tout composé de vides , se décore plus aisément d'herbes
et de fleurs, qquue les pleins des ordres grecs. Les filets
redoublés des pilastres , les dômes découpés, en feuillage ,
ou creusés en forme de cueillcir , deviennent autant de
corbeilles où les vents portent , avec la poussière , les
semences des végétaux. La joubarbe se cratipomre dans
348 MERCURE DE FRANCE ,
1 ciment ; les mousses emballent d'inégales décombres
dans leur bourre élastique ; la ronce fait sortir ses cercles
bruns de l'embrâsure d'une fenêtre , et le lierre , se traînant
le long des cloîtres septentrionaux , retombe en
feston dans les arcades.
Il n'est aucune ruine d'un effet plus pittoresque que ces
débris. Sous un ciel nébuleux , au milieu des vents et des
tempêtes , aux bords de cette mer dont Ossian a chanté
les orages , leur architecture gothique a quelque chose de
grand et de sombre , comme le Dieu de Sinaï , dont elle
rappelle le souvenir. Assis sur un autel brisé , dans les
Orcades , le voyageur s'étonne de la tristesse de ces lieux .
Des mornes embrumés , des vallées où s'élève la pierre
d'un tombeau , des torrens qui coulent à travers des
bruyères , quelques pins rougeâtres , jetés sur la nudité
d'un désert flanqué de couches de neige ; c'est tout ce qui
s'offre aux regards. Le vent circule dans les ruines , et
leurs innombrables jours deviennent autant de tuyaux d'où
s'échappent mille plaintes : l'orgue avait jadis moins de
soupirs sous ces voutes religieuses. De longues herbes
tremblent aux ouvertures des dômes . Derrière ces ouvertures
, on voit fuir la nue et planer l'aigle marin.
Quelquefois égaré dans sa route un vaisseau caché sous
ses toiles arrondies , comme un Esprit des eaux voilé de
ses ailes , sillonne le noir Océan ; sous le souffle de l'aquilon
, il semble se prosterner à chaque pas , et saluer
les mers qui baignent les débris du temple de Dieu . :
Le premier de ces tableaux nous semble digne du
Corrège , et le second a quelque chose du double
génie du Poussin et de Michel-Ange; dans le premier
l'auteur a reproduit toute la grace et le mouvement
des images mythologiques , et il leur a opposé
dans le second toute la majesté et le repos
des idées chrétiennes .
On a reproché , selon nous , bien injustement
à l'auteur d'avoir quelquefois de la recherche dans
son style. Il nous semble qu'on pourrait plutôt
démontrer qu'aucun auteur de notre âge n'a fait
revivre autant de ces expressions simples et de ces
tours naïfs , si communs dans les grands écrivains
du siècle de Louis XIV.
FLORÉALANXI. 349
On ne saurait savoir trop de gré à l'auteur
d'avoir retrouvé la simplicité du langage , et d'avoir
su nommer les plus petites choses avec une grâce
qui lui est toute particulière. Il semble qu'il soit
venu exprès pour effacer certains ridicules , d'autant
plus difficiles à détruire , qu'ils semblaient inhérens
au nom même des choses. Aurait-on cru ,
par exemple , qu'il était possible de parler au siècle
des Litanies , des Notre-Dames , des Moines ? etc.
Et pourtant l'auteur a su éloigner toute idée de
moquerie , car à l'instant même où le lecteur du
monde se sentirait prêt à sourire , un trait touchant
vient lui mettre des larmes dans les yeux.
On n'observe pas d'ailleurs qu'il n'est point en
littérature, de simplicité absolue , et que la simplicité
consiste sur-tout à savoir traiter chaque
genre dans le style qui lui est propre.
Soyez vif et pressé dans vos narrations ;
Soyez riche et pompeux dans vos descriptions.
Or , il nous semble que M. de Chateaubriand
est éminemment simple dans la narration ; témoin
presque tout le 4e. vol. , et en particulier le bean
livre des Missions. 1
Quoi de plus clair et de plus précis , même au
jugement de ses ennemis , que la partie critique
et littéraire de son livre ? nous n'en voulons pour
exemple que le parallèle déjà si connu de la
Bible et d'Homère.
Ses preuves métaphysiques de l'existence de
Dieu et de l'immortalité de l'âme sont remarquables
par la concision et la méthode. Qu'on en
juge:
Première proposition. - Quelque chose a existé de
toute éternité. 7
Preuves.- Par la raison que quelque chose existe;
Dieu ou matière, peu importe à présent.
1
350 MERCURE DE FRANCE ,
Deuxième proposition.- Quelque chose a existé de
toute éternité , et cet être existant est indépendant et
immuable.
- Preuves .
cession infinie de causes et d'effets, etc.
Il faudrait autrement qu'il y eût une suc-
Cette logique est sévère , et ce n'est pas là la
marche d'un homme qui s'égare.
Les chapitres de législation et de politique
offrent la même force de raisonnement et la même
sobriété d'imagination.'
Puisqu'on avoit eru jusqu'à nos jours, dit l'auteur , que
la religion est la base de la société civile , ne faisons pas
un crime à nos pères d'avoir pensé comme Platon, Aris
tote , Cicéron , Plutarque , et d'avoir mis l'autel et ses
ministres au degré le plus éminent de l'ordre social.
- Mais si personne ne nous conteste sur ce point l'influence
de l'église dans le corps politique , on soutiendra ,
peut-être , que cette influence a été funeste au bonheur
public et à la liberté. Nous ne ferons qu'une réflexion sur
*ce vaste et profond sujet : remontons un instant aux principes
généraux , d'où il faut toujours partir , quand on
veut atteindre à quelque vérité.
La nature , au moral et au physique , semble n'employer
qu'un seul moyen de création ; c'est de mêler
pour produire, la force à la douceur. Son énergie paroît
Tésider dans la loi générale des contrastes. Si elle joint la
violence à la violence , ou la foiblesse à la foiblesse , loin
de former quelque chose , elle détruit par excès ou par
défaut. Toutes les législations de l'antiquité offrent ce sys
tèmed'opposition , qui enfante le corps politique.
Cette vérité une fois reconnue , il faut ensuite chercher
les points d'opposition : il nous semble que les deux prin
cipaux résident , l'un dans les moeurs du peuple , l'autre
dans les institutions à donner à ce peuple. S'il est d'un
caractère timide et foible , que sa constitution soit hardie
et robuste ; s'il est fier, impétueux , inconstant , que son
gouvernement soit doux , modéré , invariable. Ainsi la
théocratie ne fut pas bonne aux égyptiens ; elle les asservit
sans leur donner les vertus qui leur manquoient : c'étoit
une nation pacifique ; il lui fallait des institutions militaires.
L'influence sacerdotale , au contraire ,produisit àRome
FLOREAL AN XI. 351
des effets admirables : cette reine du monde dut sa grandeur
àNuma , qui sut placer la religion au premier rang
chezunpeuple de guerriers : qui ne craintpas leshommes ,
doit craindre les dieux.
Ce que nous venons de dire du romain s'applique au
français . Il n'a pas besoin d'être excité , mais d'être retenu.
On parle du danger de la théocratie ; mais chez
quelle nation belliqueuseun prêtre a-t-il conduit l'homme
àla servitude ?
C'est donc de ce grand principe général qu'il faut partir
pour considérer l'influence du clergé dans notre ancienne
constitution , et non pas de quelques détails particuliers ,
locaux et accidentels. Tous ces cris contre la richesse de
P'Eglise , contre son ambition , sont de petites vues d'un
sujet immense ; c'est considérer à peine la surface des
objets , et ne pas jeter un coup-d'oeil ferme dans leurs profondeurs.
Le christianisme étoit dans notre corps politique,
comme ces instrumens religieux dont les Spartiates
se servoient dans les batailles , moins pour animer le soldat,
que pour modérer son ardeur. 1
Il est extrêmement curieux d'envisager le Génie
du Christianisme sous ce rapport grave qu'on n'a
pas assez fait connaître. Car, indépendamment du
charme du style et de cette imagination qui a
enchanté le monde , c'est encore un des livres qui
renferme le plus de germes d'idées neuves sur tous
les sujets.
Qu'on relise le livre sur la philosophie , les
chapitres sur le christianisme , dans la Manière
d'écrire l'Histoire ; celui sur les sciences exactes
que l'auteur a beaucoup retouché, et qui estdevenu
un des meilleurs de l'ouvrage ; que l'on parcourre
les articles sur l'influence du christianisme dans
nos loix civiles et criminelles , et on verra la preuve
de ce que nous avançons ici. Le dernier chapitre,
intitulé : Quelseroitaujourd'hui l'état dela société,
si le christianisme n'eût pas paru sur la terre ?
est un morceau d'histoire digne de l'ouvrage de
Montesquieu sur les Romains. Nous le citerons içi
presque tout entier..
352 MERCURE DE FRANCE ,
Auguste parvint à l'empire par des crimes , et régna
sous la forme des vertus. Il paraissait après un conquérant;
et pour se distinguer , il fut tranquille. Ne pouvant
êtreun grandhomme , il voulut être un prince heureux.
Il donna beaucoup de repos à ses sujets ; un immense
foyer de corruption s'assoupit ; ce calme fut appelé prospérité.
Auguste eut le génie des circonstances ; c'est celui
qui recueille les fruits que le véritable génie a préparé : il
le suit, etne l'accompagne pas toujours. Tibére méprisa trop les hommes , et sur-tout leur fit
trop voir ce mépris Le seulsentiment où il mit de la franchise,
était le seul où il eût dû dissimuler ; mais c'était
un cri de joie qu'il ne se pouvait empêcher de pousser ,
en trouvant le peuple et le sénat romains , au-dessous
même de la bassesse de son propre coeur .
১
Lorsqu'on vit ce peuple-roiseprosterner devant Claude, et adorer le fils d'Enobarbus , on put juger qu'on l'avait
honoré, en gardant avec lui quelque mesure.Rome aima
Nérón : long-temps après la mort de ce tyran, ses fantômes
faisaient tressaillir l'empire de joie et d'espérance.
C'est ici qu'il faut s'arrêter pour contempler les moeurs
romaines ; car ni Titus , ni les Antonin , ni Marc - Aurèle
ne purent en changer le fond : un Dieu seul le pouvoit.
Le peuple romain fut toujours un peuple horrible : on ne tombe point dans les vices qu'il fit éclater sous ses
maîtres ,sans une certaine perversité naturelle et quelque
défaut de naissance dans le coeur. Athènes corrompue ne
fut jamais exécrable ; dans les fers elle ne songea qu'a
jouir : elle trouva que ses vainqueurs ne lui avoient rien
ôté , puisqu'ils lui avoient laissé le temple des muses.
QuandRome eut des vertus, ce furent des vertus contre
nature : le premier Brutus égorge ses fils , et le second
assassine son père. De plus , il y a des vertus de position , qu'on prend trop facilement pour des vertus générales , et qui ne sont que des résultats locaux. Rome libre fut
d'abord frugale , parce qu'elle était pauvre ; courageuse , parce que ses institutions lui mettaient le fer à la main, et qu'elle sortait d'une caverne de brigands. Elle était
d'ailleurs féroce , injuste , avare , luxurieuse ; elle n'eut de
beau que son génie ; son caractère fut odieux.
Lesdécemvirs la foulent aux pieds ; Marius verse à vo
lonté le sang des nobles , et Sylla , celui du peuple ; pour
dernière insulte , il abjure publiquement la dictature. Les
conjurés de Catilina s'engagent à massacrer leurs propres
pères,
:
1
FLOREAL AN XI 353
pérés , et se font unjeuderenverser cette majesté romain
que Jugurtha se propose d'acheter. Viennent les triur
ét leurs proscriptions : Auguste ordonne au père et
de s'entre-tuer, et le père et le fils s'entre-tuent. I
se montre trop vil ,même pour Tibère. Le dieu-Iron
des temiples . Sans parler de ces délateurs sortis des
mières familles patriciennes , sans montrer les chefs
même conjuration , se dénonçant et ss''égorgeant l'un l
tre ; sans représenter des philosophes discourantde vertus,
au milieu des débauchés de Néron , Sénèque excusant un
parricide , Burrhus le louant et le pleurant à-la-fois ; sans
rechercher sous Galba , Vitellius , Domitien , Commode
ces actes de lâcheté qu'on a lus cent fois , et qui étonnent
toujours , un seultrait nous peindra l'infamie romaine :
Plautien , ministre de Sévère , en mariant sa fille au fils
aîne de l'empereur , fit mutiler cent Romains libres , dont
quelques-uns étaient mariés et pères de familles : « afin ,
dit l'historien , que sa fille cût à sa suite des eunuques
> dignes d'une reine d'Orient ( 1) . »
Acette lacheté de caractère , joignez une épouvantable
corruption de moeurs. Le grave Caton vient pour assister
aux prostitutions des jeux de Flore. Sa ferrime Marcia
étant enceinte , il la ecde à Hortensius ; quelque temps
après Hortensius meurt, et ayant laissé Marcia héritière
de tous ses biens , Caton la reprend au préjudice du fils
d'Hortensius. Cicéron se sépare deTerentia, pour épouser
Publia, sa pupille. Sénèque nous apprend qu'il y avait
des femmes qui ne comptaient plus leurs années par con
suls, mais par le nombre de leurs maris ( 2) ; Tibere
Invente les scellarii et les spintrice ; Néron épouse publi
quement l'affranchiPythagore (5) , et Héliogabale célèbre
ses noces avec Hiéroclès ( 4 ) .
Ce fut cẻ même Néron , déjà tant dé foís cité, qui insti
tua les fêtes juvénales. Les chevaliers , les sénateurs et les
femmes du premier rang étaient obligés de monter sur le
théâtre , à l'exemple de l'empereur , et de chanter des chansons
dissolues , en copiant les gestés des histrions (5 ). Pour
(1) Dion. lib . LXXVI , p. 127L.
(2) De Benefic. III , 16.
(3) Tac. An. 15.
(4) Dion. lib . LXXIX , p. 1363. Hist. Aug. p. 103.
(5) Tacit. An. 14.
REP
FRA
5.
COD
12 Z
354 MERCURE DE FRANCE ,
le repas de Tilleginus , sur l'étang d'Agrippa, on avait
bâti des maisons au bord du lac , où les plus illustres romaines
étaient placées vis-à-vis des courtisanues toutes
nues. A l'entrée de la nuit tout fut illuminé ( 1 ) , afin que
Jes débauches eussent un sens de plus et un voile de moins.
La mort faisait une partie essentielle de ces divertissemens
antiques. Elle était là pour contraste , et pour rehaussement
des plaisirs de la vie. Afin d'égayer les repas , on
faisait venir des gladiateurs , avec des courtisannes et des
joueurs de flûte. En sortant des bras d'un infâme , on allait
voir une bête féroce boire du sang humain; de la vue
d'une prostitution , on passoit au spectacle des convulsions
d'un homme expirant. Quel peuple que celui- là , qui
avoit placé l'opprobre à la naissance età la mort , et élevé
sur un théâtre les deux grands mystères de la nature , pour
déshonorer , d'un seul coup , tout l'ouvrage de Dieu !
•
Si donc les Romains tombèrent dans la servitude, il ne
*durent s'en prendre qu'à leurs moeurs. C'est la bassesse qui
produit d'abord la tyrannie , et, par une juste réaction ,
latyrannie prolonge ensuite la bassesse . Ne nous plaignons
plus de l'état actuel de la société ; le peuple moderne le
plus corrompu est un peuple de sages , auprès des nations
païennes.
Quand on supposerait même un instant , que l'ordre
politique des anciens fût plus beau que lenôtre; leur ordre
moral n'approcha jamais de celui que le christianisme a
fait naître parmi nous. Et comme , enfin, la morale est en
dernier lieu la base de toute institution sociale , janrais
nous n'arriverons à la dépravation de l'antiquité , tandis
que nous serons chrétiens.
Quand les liens politiques furent brisés à Rome et dans
la Grèce , quel frein resta-t-il aux homines ? Le culte de
tant de divinités infâmes pouvait il maintenir des moeurs
que les loix ne soutenaient plus? Loin de remédier à la
'corruption, il en devint un des agens le plus puissant.
Par un excès de misère , qui fait frémir , l'idée de l'existence
des dieux , qui nourrit la vertu chez les hommes ,
entretenait les vices parmi les païens , et semblait éterniser
le crime , en lui donnant un principe d'éternelle durée.
Que fût devenu le monde, si la grande arche du chris-
(1) Id. loc. c
FLORÉAL AN XI. 355
tianisme n'eût point sauvé les restes du genre humain de
ce nouveau déluge? Quelle chance restait-il à la postérité ?
Où les lumières se fussent-elles conservées ?
Les prêtres du polythćisme ne formaient point un corps
d'hommes lettrés, hors en Perse et en Egypte ; mais les
mages et les prêtres Egyptiens , qui d'ailleurs ne communiquaient
point leurs sciences au vulgaire , n'existaient
déjà plus en corps , lors de l'invasion des Huns et des
Goths. Quant aux sectes philosophiques d'Athènes et d'Alexandrie
, elles se renfermaient presqu'entièrement dans
ces deux villes , et consistaient tout au plus en quelques
centaines de rhéteurs , qui eussent été égorgés avec le reste
des citoyens.
3
Point d'esprit de prosélytisme chez les anciens; aucune
ardeur pour enseigner; point de retraite au désert poury
vivre avec Dien , et pour y sauver les sciences. Quel pontife
de Jupiter eût marché au-devant d'Attila pour l'ar
rêter ? Quel lévite eût persuadé à un Alaric de retirer ses
troupes de Rome ? Les Barbares qui entraient dans l'em
pire , étaient déjà à demi chrétiens ; mais voyons-les marcher
sous la bannière sanglante du dieu de la Scandinavie
ou des Tartares ; ne rencontrant sur leur route , ni une
force d'opinion religieuso qui les obligeât à respecter
quelque chose , ni un fonds de moeurs qui commençất à
se renouveler chez les Romains par le christianisme; n'en
doutons point , ils eussent tout détruit. Ce fut même le
projet d'Alaric : « Je sens en nroi , disait ce roi barbare ,
quelque chose qui me porte à brûler Rome. » C'est un
hommemonté surdes ruines , et qui paraît gigantesque.
Des différens peuples qui envahirent l'empire , lesGoths
semblent avoir eulegénie le moins dévastateur. Théodoric,
vainqueur d'Odoacre , fut un grand prince : mais il était
chrétien; maisBoëce, son premier ministre, étaitunhomme
de lettres , chrétien ; cela trompe toutes les conjectures .
Qu'eussent fait les Goths idolatres ? Ils auraient , sans
doute , tout renversé comme les autres Barbares. D'ailleurs
, ils se corrompirent très-víte ; et s'ils s'étaient mis à
adorer Flore , Vénus etBacchus, quelle effroyable mélange
ne fût-il point résulté de la religion sanglante d'Odin , et
des fables dissolues de la Grèce?
Le polythéisme était si peu propre à conserver quelque
chose , qu'il tombait lui-même en ruines de toutes parts ,
et que Maximin voulut lui faire prendre les formes chrétiennes
pour le soutenir. Il établit , dans chaque province ,
Z2
356 MERCURE DE FRANCE ,
1
un lévite qui correspondait à l'évêque , un grand prêtre
qui représentait le métropolitain ( 1) . Julien voulut fonder
des couvens de païens , et faire prêcher les ministres
de Baal dans leurs temples. Cet échafaudage, imité du
christianisme , se brisa bientôt , parce qu'il n'était pas soutenu
par le même esprit , et ne s'appuyait pas su ries
moeurs.
La seule classe des vaincus , respectée par les Barbares ,
fut celle des prêtres et des religieux. Les monastères devinrent
autant de foyers ou le feu sacré des arts se conserva
avec la langue grecque et latine. Les premiers citoyens de
Rome et d'Athènes , s'étant réfugiés dans le sacerdoce
chrétien , évitèrent ainsi la mort ou l'esclavage , auquel
ils eussent été comdamnés comme le reste du peuple.
On peut juger de l'abyme où nous serions plongés
aujourd'hui , si les Barbares avaient surprisle monde sous
le polythéisme , par l'état des nations où le christianisme
s'est éteint. Nous serions tous des esclaves Turcs , ou quelque
chose de pis encore ; car Ic mahométisme a un fonds
de morale qu'il tient de la religion chrétienne , dont il
n'est, après tout, qu'une secte très-éloignée. Il est remarquable
que le premier Ismaël fut ennemi de l'antique
Jacob, comme le second l'est de la nouvelle.
If est donc très-probable que , sans le christianisme , le
naufrage de la société et des lumières eût été total. Il est
impossible de calculer combien de siècles le genre humain
eût été à sortir de l'ignorance et de la barbarie
corrompue , dans laquelle il se seroit trouvé enseveli. Il
ne falloit rien moins qu'un corps immense de solitaires
répandus dans les trois parties du globe, et travaillant de
concert à la même fin, pour conserver ces étincelles qui
ont ralfumé, chez les modernes , le flambeau des sciences .
Encore une fois, aucun ordre politique , philosophique
ou religieux du paganisme , n'eût pu rendre ce service
inappréciable au défautdela religionchrétienne. Les écrits
des anciens , en se trouvant dispersés dans les monastères ,
échappèrent par cela même aux ravages des Goths. Enfin,
le polythéisme n'étoit point porté à écrire comme le chrislanisme,
parce qu'il ne joignoit point , comme celui-ci ,
la métaphysique et la morale à la religion. Ce penchant
des prêtres chrétiens à publier des livres , a puissamment
servi à la conservation et à la renaissance des lumières .
(1) Eusku . Vari, cap . 14 , lib . IX , cap. 2-8 .
FLOREAL AN XL 357
Dans tous les cas possibles , on trouve toujours que l'évangile
aprévenu ladestruction de lasociété ; car , en sup--
posant qu'il n'eût point paru sur la terre, et que , d'un
autre côté , les Barbares fussent demeurés dans leurs förets,
le monde romain , pourrissant dans ses moeurs , était menacé
d'une dissolution épouvantable.
Les esclaves se fussent-ils soulevés ? Mais ils étaient
aussi pervers que leurs maîtres; ils partageaient les mêmes
plaisirs et la même honte ; ils avaient la même religion ,
et cette religion passionnée détruisait toute espérance de
changement dans les principes moraux. Les lumières n'avançaient
plus , elles reculaient;; les arts tombaient on
décadence. La philosophie ne servait qu'à répandre une
sorte d'impiété , qui , sans conduire à la destruction des
idoles , produisait les crimes et les malheurs de l'athéisme
dans les grands , en laissant aux petits ceux de la supers
tition. Le genre humain avait-il fait des progrès ,parce
que Néron ne croyait plus aux dieux du Capitole ,
qu'il souillait par mépris toutes les choses sacrées ?
et
Tacite prétend qu'il y avait encore des moeurs au fond
des provinces ; mais ces provinces commençaient déja
a devenir chrétiennes, et nous supposons que le chris
tianisme n'eût pas été connu , et que les Barbares n'eussent
paint sorti de leurs déserts. Quant aux armées romaines
, qui vraisemblablement auraient démembré l'empire,
les soldats en étaient aussi corrompus que le reste
des citoyens , et l'eussent été bien davantage, s'ils ne s'étaient
recrutés parmi les Goths et les Germains. Tout
ce qu'on peut conjecturer , c'est qu'après des longues
guerres civiles , et un soulèvement général qui eût duré
plusieurs siècles , la race humaine se fût trouvée réduite
aquelques hommes errans sur des ruines. Mais que d'années
n'eût-il point fallu à ce nouvel arbre des peuples,
pour étendre ses rameaux sur tant de débris ! Combien
de temps les seiences oubliées ou perdues n'eussent-elles
point mis à renaître , et dans quel état d'enfance la société
ne serait-elle point encore aujourd'hui 2
Demême que le christianisine a sauvé la société d'une
destruction totale , en convertissant les Barbares , et recueillant
les débris de la civilisation et des arts ; de même
it eút sauvé le monde romain de sa propre corruption
si cemonde n'eût point succombé sous des armes étran
gères. Une religion seule peut renouveler un peuple dans
ses sources déjà celle du Christ rétablissain ttooutes les
23
358 MERCURE DE FRANCE ,
1
bases morales. Les anciens admettaient l'infanticidè et la
dissolution du lien du mariage , qui n'est , en effet , que le
premier lien social ; leur probité et leur justice étaient
relatives à la patrie , elles ne passaient pas les limites de
leurs pays; les peuples en corps avaient d'autres principes
que le çitoyen en particulier ; la pudeur et l'humanité
n'étaient pas mises au rang des vertus; la classe la plus
nombreuse des hommes était esclave ; les sociétés flottaient
éternellement entre l'anarchie populaire et le despotisme
: voilà les maux auxquels le christianisme apportait
un remède certain , comme il l'a bien prouvé en
délivrant les sociétés modernes. L'excès même de ses
premières austérités était nécessaire : il fallait qu'il y
eût des martyrs de la chasteté , quand il y avait des
prostitutions publiques ; des pénitens couverts de cendre
etde cilice , quand la loi autorisait les plus grands crimes
contre les moeurs ; des héros de la charité , quand il y
avait des monstres de Barbarie ; enfin , pour arracher
tout un peuple corrompu aux vils combats du cirque
et de l'aréne , il fallait que la religion eût , pour ainsi
dire , ses athlètes et ses spectacles dans les déserts de la
Thébaïde.
Jésus-Christ peut donc , en toute vérité , être appelé ,
dans le sens matériel , le Sauveur du monde , comme il
l'est dans le sens spirituel. Son apparition sur la terre
est, humainement parlant , le plus grand événement qui
soit jamais arrivé chez les hommes ; puisque c'est à partir
de l'évangile , que le monde entier a changé de face. Le
moment de la venue du Fils de l'homme est bien remarquable.
Un peu plus tôt , sa morale n'était pas absolument
nécessaire , les peuples se soutenaient encore par leurs
anciennes loix ; un peu plus tard , la société faisait naufrage.
Nous nous piquons de philosophie dans ce siècle ;
mais certes , la légèreté avec laquelle nous traitons les
institutions chrétiennes , n'est rien moins que philosophique.
L'évangile , sous tous les rapports , a changé les
hommes ; il leur a fait faire un pas immense vers la
perfection. Il faut le considérer comme une grande pensée
religieuse , qui a renouvelé la race humaine ; alors , toutes
les petites objections , toutes les chicanes de l'impiété disparaissent.
Il est certain que le vieil univers était dans un
étatd'enfance morale, par rapport à ce que nous sommes.
De beaux traits de justice , échappés à quelques peuples
anciens , ne changent pas l'économie des choses. Un
1
FLORÉAL AN XI . 359
homme, une nation même , peut avoir un élan de vertu;
mais cet élan ne se répétera point , ne sera point souvent
renouvelé , si le plan moral, sur lequel reposent toutes les
vertus, a quelque vide. Pour juger du génie d'un peuple,
le vrai philosophe ne s'attache pas à découvrir cà et là
quelques grands hommes ; il regarde si le cours des idées
générales est changé , et si la nature humaine est parvenue
enmasse à des notions plus saines de justice et d'humanité.
Or , le christianisme nous a indubitablement apporté
ces nouvelles lumières : il est , sous tous les rapports , la
religion qui convient à un peuple mûri par le temps ; il
est, si nous osons parler ainsi , la religion naturelle à l'âge
présent du monde , comme le règne des figures convenait
au berceau d'Israël. Au ciel , il n'a placé qu'un Dieu ; sur
la terre , il aboli l'esclavage. Que l'on considère ses
mystères (ainsi que nous l'avons fait ), comme l'arché
type des loix de la nature , il n'y a en cela rien d'affligeant
pour un grand esprit. Les vérités du christianisme ,
Join de demander la soumission de la raison,een réclament ,.
au contraire , l'exercice le plus sublime.
a
Quant à la morale évangélique ,tout le monde convient
de sa beauté ; plus elle sera connue et pratiquée ,
plus les hommes seront éclairés sur leur bonheur et leurs
véritables intérêts. La science politique est extrêmement
bornée : le dernier degré de perfection où elle puisse atteindre
, est le système représentatif, né , comme nous
l'avons montré , du christianisme. Mais une religion qui
est a-la-fois un code moral , est une institution qui présente
sans cesse de nouvelles ressources , quipeut suppléerà
tout , et qui , entre les mains des saints et des sages ,
est un instrument universel de félicité. Il viendra peutêtre
un temps où toutes les formes de gouvernement ,
hors le despotisme , paraîtront indifférentes , et l'on s'en
tiendra aux simples loix morales et religieuses , qui sont
le fond permanent et le véritable gouvernement des
hommes.
Ceux qui raisonnent sur l'antiquité, et qui voudroient
nous ramener à ses institutions , oublient toujours que
Pordre social n'est plus , ni ne peut être le même. Au
défaut d'une grande puissance morale , une grande force
coërcitive est du moins nécessaire parmi les hommes.
Or , cette force qui devient nulle contre la foule , ne peut
jamais être déployée que pour un certain nombre d'indi
vidus. Dans les républiques ou dans les empires de l'anti
Z4
360 MERCURE DE FRANCE ,
۱
quité , l'état , proprement dit , était circonscrit à ce petit
nombre de citoyens ou de sujets , que la loi peut atteindre
immédiatement. Le reste du genre humain était
esclave ; l'homme qui laboure la terre appartenait à un
autre homme ; il y avait des peuples , il n'y avait point
de nations.
Le polythéisme ( religion imparfaite de toutes les mapières
) pouvoit donc convenir à cet état imparfait de la
société , parce que chaque maître était une espèce de
magistrat absolu , dont le despotisme terrible contenait
P'esclave dans le devoir , et suppléait , par des fers , à
ce qui manquait à la force morale religieuse : le paganisme
n'ayant pas assez d'excellence pour rendre le
pauvre vertueux , était obligé de le laisser traiter comme
un malfaiteur.
Mais dans l'ordre présent des choses , qui réprimera
une masse énorme de paysans libres et éloignés de l'oeil
du magistrat? qui pourra dans les faubourgs obscurs d'une
grande capitale , prévenir les crimes d'une populace indigente
et sans maître , si ce n'est une religion qui préchę
la morale et la paix , et qui parle de devoirs et de vertus
à toutes les conditions de la vie ? Détruisez le culte évangélique
, et il vous faudra dans chaque village une police ,
des prisons et des bourreaux. Si jamais , par un retour
inouï , les autels des dieux passionnés du paganisme se
relevaient chez les peuples modernes ; si dans un ordre
de société où la servitude est abolie, on allait adorer Mercure
le voleur et Vénus la prostituée , c'en serait fait du
genrehumain,
Si ce n'est pas là de la pensée , si ce ne sont
pas là des vues neuves et philosophiques , nous
avouons que nous ne savons plus ce qu'on entend
par ces expressions.
Au reste , on sent une singulière impression
à la lecture de cet ouvrage : les beautés y sont
tellement pressées , il y a un tel éclat , et quelque
chose de si original et de si inattendu dans le style ,
qu'on éprouve d'abord une sorte d'éblouissement,
Mais quand une fois on s'est un peu accoutumé
à la manière de l'auteur, il est difficile de le quitter :
de-la le succès prolongé et toujours croissant de
2 1.
FLORÉALAN XI. 361.
:
1
ce livre. Nous avons vû plusieurs personnes qui
commençant la lecture de l'ouvrage avec humeur ,
ont fini par en devenir enthousiastes. On ne peut
nier que le Génie du Christianisme n'ait fait une
sorte de révolution dans les lettres. Le champ des
arts était presqu'épuisé. M. de Chateaubriand l'a
renouvelé. L'aspect d'une grande catastrophe politique
lui a donné des idées positives sur les choses ,
tandis que le malheur et le désert ont fourni à
son style de nouveaux sentimens et de nouvelles
images. Quand le Génie du Christianisme parut ,
M. de Fontanes , qui l'annonça comme devant
faire honneur au dix-neuvième siècle , prédit , ainsi
que M. de la Harpe, que ce serait une mine où
tout le monde viendrait puiser. Cela n'a pas manqué
d'arriver. Les prosateurs , les poètes, se sont
emparédes idées et des couleurs que M. de Chateaubriand
répand avec tant d'abondance. Beaucoup de
livres nouveaux sont parés des lambeaux du Génie
du Christianisme ; on copie jusqu'aux formes de
son style ; on ne publie pas un ouvrage d'imagination'
, qui n'offre des scènes de prêtres , d'église,
etc. et tous ces ressorts religieux autrefois si
scrupuleusement bannis. Cet effet ne s'est pas borné
ala France. Il y a dans le Génie du Christianisme
un tel principe de mouvement et de chaleur ,
qu'il a excité par-tout la même sensation, et fait
naître les mêmes controverses dans toutes les littératures
de l'Europe .
On assure que M. de Chateaubriand s'est déterminé
à ne plus rien publier de long-temps. Nous
l'encouragerions presque dans cette résolution. Nous
sommes persuadés que ce n'est point en multipliant
les volumes qu'on augmente sa renommée. Montesquieu
nes'est montre que trois fois au public, et à
de longs intervalles. Les beautés littéraires qu'on
prodigue, cessent d'être des beautés pour la foule des
362 MERCURE DE FRANCE
ecteurs. Ons'habitue bientôt austyle et à lamanière
d'un écrivain , et l'originalité même finit par devenir
vulgaire. M. de Chateaubriand a pu l'éprouver
lui -même. Nous nous rappelons qu'il a donné
dans deux articles , sur le voyageur Mackensie,
des descriptions de l'Amérique , peut - être supérieures
à celles qu'on a tant louées dans Atala , et
pourtant qu'est-ce qui les a remarquées ? au reste
quand on a, comme M. de Chateaubriand , élevé à
trente-quatre ans un monument tel que leGéniedu
Christianisme , on a le droit de se reposer.
I.
FABLES, par J. J. F. M. Boisard , faisant suite aux
deux volumes publiés en 1773 et 1777 ; un vol. in-12 .
A Caen , de l'imprimerie de P. Chalopin , fils ; et se
trouve à Paris , chez Petit, libraire, galerie vitrée au
Palais du Tribunat.
Toutes les fois qu'on parle d'un nouveau recueil
de Fables , le lecteur songe d'abord à Lafontaine , et
j'avoue que cette idée n'est pas encourageante pour les
nouveaux venus . Mais ne pourrait-on pas arranger tout
cela , en se figurant que les fables du bon-homme ont
été produites par la même main qui a jeté les fleurs dans
les champs ? On sait qu'on avait appelé Lafontaine , le
Fablier ; on voulait dire par-là qu'il portait des fables
comme un rosier porte des roses ; cette idée qui n'a
rien qui puisse être injurieux à la nature , sauverait peutêtre
à nos écrivains modernes l'humiliation d'un parallèle
qu'ils n'ont point la prétention de soutenir.
Tâchéz donc , mon cher lecteur, de vous figurerque les
fables de Lafontaine nous sont arrivées comme les fleurs
du printemps ou les fruits de l'automne; tâchez de vous
FLOREAL AN XI. 363
persuader qu'elles sont comme ces prodiges par lesquels
la nature se plaît quelquefois à imiter les arts , et
nous oserons vous parler de quelques hommes qui sont
venus après lui. Parmi ces hommes , on peut compter
MM. de la Mothe , Florian , notre aimable professeur
M. Aubert , et M. Boisard.
Tout le monde connaît les fables des trois premiers ;
nous allons faire connaitre celles de M. Boisard. Il avait
déjà publié deux volumes de Fables; plusieurs lui avaient
mérité la réputation d'homme de goût, et le nouveau
recueil que nous annonçons est fait , sous beaucoup de
rapports , pour accréditer l'opinion que M. Boisard nous
avait donnée de son talent. Nous allons citer.
LE CHÊNE ET LES COINS,
UN CHÊNE Constamment respecté du tonnerre ,
Au fer de la coignée une nuitssuccomba :
De toute sa hauteur le grand Chêne tomba ;
De son sublime front il vint frapper la terre !
Et de sa propre tige on vit sortir , hélas !
Les Coins qu'on employa pour le fendre en éclats :
En subissant , dit - il , ma triste destinée ,
J'aurais pu pardonner au fer de la coignée ,
Qui , m'étant étranger , me frappait sans pitié ,
Et , sans me rien devoir , me coupait par le pié :
J'aurais pu de mes jours faire le sacrifice !
Mais quand on reconnaît que de son assassin
Soi-même on s'est rendu complice ;
Quand on a formé dans son sein
Les instrumens de son supplice ;
Quand on se sent briser le coeur
.... Par ceux qu'on a nourris . O justice ! ô pudeur!
C'est alors , c'est alors qu'il faut bien qu'on gémisse ,
Et que de son destin l'on sent toute l'horreur !
L'idée de cette fable est naturelle et ingénieuse. La
marche en est rapide , l'action simple , l'intérêt bien ménagé
, et le style facile et correct. Passons à une autre
citation.
364 MERCURE DE FRANCE ,
LA POULE ET LES OEUFS DE CROCODILE.
L'INSTINGT , on a beau dire , est par fois imbécile .
Une Poule couvait des OEufs de Crocodile
Qu'un méchant dans soit nid vint fourrer tout exprès
Il'arriva que l'oeil du maître ,
2
Faisant sa ronde un soir ,comme cela doit être ,
Sur d'assez bons avis y regarda de près ,
Et qu'à l'oeuvre l'ayant trouvée :
Voyez donc la belle couvée ,
Que nous promet , dit - il , cette couveuse - ei !
Bêtes et gens n'auraient qu'à déloger d'ici ,
Si je ne venais y mettre ordre :
Les Poulets renfermés dans les OEufs que voici ,
Dès qu'ils seraient éclos , commenceraient par mordre.
Aces
Avant peu , je n'en doute point ,
Nous aurions vu de belles choses !
2 Pour découvrir le pot aux roses
Par bonheur que j'arrive à point ,
Et que tels qu'ils sont je m'en moque....
ces mots il yous prend tous les OEufs sans pitié ,
Et vous écrase sous le pié
Les Crocodiles dans leur coque ,
De ces futurs petits Poussins
S'applaudissant de faire avorter les desseins.
Mais depuis ce temps-là j'enrage
Qu'on n'ait pas toujours eu par-tout le même soin.
Car c'est fauted'un soin si sage ,
Que malheureusement , dans plus d'un vilain coin ,
T
:
On a vu de nos jours éclore
Des Poussins plus fàcheux encore
Etplus méchans que tout cela :
Opourquoi n'a-t-on pas cassé tous ces OEufs-là !
Cette fable n'est pas seulement remarquable par le
mérite de l'invention , mais encore par le gracieux des
détails..Le discours du maître semble fait d'après l'inimitable
modèle; le dernier trait a quelque chose à-la-fois
de malin et de naïf. い。
Nous allons citer encore une autre fable dans le même
genre , et qui achèvera de faire connaître le talent , la
manière et l'esprit de l'auteur.
FLOREAL AN XI. 365
LE LYNX ET LA TAUPE
LE LINX dit à la Taupe : Ah , pauvre solitaire !
Comment peux- tu vivre sans voir ?
Végéter du matin au soir
1
Voilà donc ce que tu peux faire ! ...
Encor si tu savais ce que je sais , ma chère ,
En t'occupant l'esprit dans ton petit manoir ,
De tes cruels ennuis tu pourrais te distraire ;
Mais , quand on n'a rien vu , l'on ne peut rien savoir ,
Moi ,qui vois clairement d'une lieue à la ronde
Ce qui se passe dans le monde ,
Al'instant même autour de toi ,
Je puis t'instruire , écoute-moi ;
Sur un rapport des plus fidèles ,
Je vais, ma chère enfant , te conter des nouvelles :
L'Hirondelle s'amuse à nourrir ses petits
Avec les moucherons que l'araignée a pris ;
L'épervier dans la nue enlève l'allouette ;
Le chat sous la javelle attrappe la souris ;
,
;
L'épagneul , ou le chien qu'on fouette
Sous le plonh meurtrier du chasseur qui la guette ,
Avec tous ses perdreaux fait passer la perdrix ;
Ici , c'est le lapin que suce la belette;
Là, c'est la vache à lait que la couleuvre tette ;
L'ours atteint sur le roc la chèvre et ses cabris ;
Le renard est en train de croquer la poulette ;
Le loup à belles dents déchire la brebis ...
1
[
J'ensais trop , dit la Tanpe.... Ah! Dieux, je vous rends grâce ,
Si c'est là ce qu'on fait dans le monde , en ce cas ,
C'est bien assez d'entendre , hélas !
Sans voir encor ce qui s'y passe !
Parmi les fables de M. Boisard , il en est plusieurs dans
lesquelles il a imité le laconisme et la noble simplicité
d'Esope. Envoici un exemple :
1
'T
1
1
LE SINGE , L'ANE ET LA TAUPE.
De leurs plaintes sans fin , de leur souhaits sans bornes ,
Le Singe et l'Ane un jour importanaient les Dieux ;
Ah! jen'ai point de queue ! ... Ah ! je mispaint de oormes !
Ingrat , reprit la taupe , et vous avez des yeux ! atto
On pourrait en citer plusieurs autres , mais la plupart
de ces fables , par leur laconisme, perdent l'intérêt de
366 MERCURE DE FRANCE ,
l'apologue , et dégénèrent en épigrammes , comme
celles-ci.
Mais ne trouvez-vous pas que la voix m'est venue ,
Dit la grenouille ! c'est plaisant ;
Je gazouillais jadis et je chante à présent !
Comme jedanse ! dit en riant la tortue.
Une fusée en l'air s'élança , toute fière
De se perdre en faisant de l'éclat et du bruiť.
Le voyageur maudit cette vaine lumière ,
Qui n'a fait qu'épaissir les ombres de la nuit.
Nous avons fait voir jusqu'à présent les beautés que
renferme le nouveau recueil de M. Boisard ; nous
sommes loin cependant de dire que ses fables soient sans
défaut ; il veut souvent être naïf , mais il n'y réussit pas
toujours. Le naïf est le genre le plus difficile à saisir ; on
le confond trop avec le familier , et ce n'est pas la même
chose ; la familiarité du style n'est pas toujours de la
naïveté , et le naïfse trouve quelquefois réuni aux sentimens
héroïques. Racine donne un exemple du naïf dans
Athalie , ou Joas fait à Athalie les reproches les plus
amers dans les expressions les plus simples. Rien n'est
plus naïf que ce passage d'Homère , où lejeune Astyanax,
effrayé de l'aigrette qui flotte sur le casque de son père ,
sé précipite épouvantédans les bras de sa nourice , tandis
qu'Hector fait à Andromaque l'adieu le plus tendre.La
simplicité dans ces exemplesn'est pas naïve par elle-même;
mais elle est naïve, parce qu'elle renferme une vérité frappante
, une belle pensée , un sentiment noble , où une
passion exprimée sans affectation et sans art. Quand un
objet qui a de la grandeur ,de la beauté , ou qui est présenté
sous un aspect intéressant , est exprimé par un signe
simple , cette expression est naïve. Le naïf , dans la fable ,
consiste souventàs'identifier avec ses personnages, età leur
2
FLORÉALAN XI. 367
fair,e exprimer quelque chose de grand dans le langage le
plus simple. Une des qualités les plus admirables de Lafontaine
, c'est qu'il paraît toujours persuadé de la vérité de
tout ce qu'il raconte et de tout qu'il fait dire aux personnages
de ses apologues. Cette qualité essentielle n'est autre
hose que de la bonhomie ; et l'idée de la bonhomie peut
nous donner une idée juste de la naïveté.
Lenoble a traité tous les sujets de Lafontaine ; il est familier
et souvent trivial ; mais il n'est jamais naïf. Nous
ne ferons pas à M. Boisard l'injure de le comparer à
Lenoble , mais il n'est pas toujours exempt de ses défauts.
Il emploie souvent des expressions qui sont communes,
et qui n'ont rien de naïf ni de pittoresque , tels que s'empiffrer
, farfouiller. L'une de ses fables qui a pour titre :
l'Eusse- tu cru ! finit par ce vers :
Et S.... B. .pourtant , enfants , nous y voilà ?
Nous allons paraître un peu sévères ; mais on peut
l'être avec ceux de qui on doit beaucoup attendre. M. Boisard
n'a pas craint de traiter quelques-uns des sujets de
Lafontaine, tels que le Chêne et le Roseau, l'Ane chargé de
reliques , le Loup et l'Agneau ; et cela seul pourrait auto
riser une critique plus sévère encore que la notre. Il sera
curieux sans doute pour le lecteur , de voir comment le
fabuliște moderne a traité le sujet du Loup et de l'Agneau.
LE LOUR ET L'AGNEAU .
Un loup, à quelques pas au-dessus d'un agneau ,
Vint au même moment boire au même ruisseau .
Le loup était àjeun : danscette conjoncture
Ilsentit tout àcoup qu'un déjeûné d'eau pure
Ne lui convenait nullement.
Heureusement la faim , qui n'est pas scrupuleuse,
Lui suggéra subitement
Defaire à son voisin,à propos d'eau bourbeuse,
Une querelle d'Allemand :
D'où te vient , dit-il , cette audace
:
1
368 MERCURE DE FRANCE ,
५
1.
Detroubler mon cau ,quand je boi?
Seigneur , répond l'Agneau , considérez de grace
Que l'eau coule de vous àmoi. .... نم
Etde là tu conclus , selon tonte apparence ,
Que je ntents à mà conscience ,
Comme unbrigand fieffé , que je suis ,selon toi...
Je ne sais comment tu t'arranges ;
Mais je sais que tu tiens des propos fort étranges
Sur mon compte , et cela depuis plus de six mois.-
Vous ne savez donc pas qu'à peine j'en ai trois .-
En ce cas , c'est ton père ,ou je confonds l'époque ;
Mais le père ou le fils , au surplus , je m'en moque :
Il suffit que je sais fort bien ce que je sais....
Et par le loup , jugé et partie ,
L'agneau pris à la gorge , et serré de fort près ,
Se défendit fort mal , et paya de sa vie ,
Comune battu , l'amende , avec les intérêts ,
Dominages et dépends , comme on dit , du procès.
Cette fable de M. Boisard n'est pas sans grâce dans les
détails ; une critique sévère pourrait bien ne pas trouver
fort bon , un déjeuné d'eau pure ; il y a dans cette expression
un sorte de puérilité , qui est loin d'être naïve ;
defaire à son voisin , à propos d'eau bourbeuse , est encore
plus mauvais. La colère du loup est beaucoup mieux ;
ces vers sont agréables :
Je ne sais comment tu t'arranges ,
Mais je sais que tu tiens des propos fort étranges , etc.
Le dénouement manque de vivacité ; l'intérêt se trouve
perdu dans une foule de mots inutiles.
Nous allons mettre à côté de cette fable celle de Lafontaine
, et l'on verra ici plus que jamais qu'il fut toujours
inimitable.
LE LOUP ET L'AGNEAU
La raisondu plus fort est toujours la meilleure ;
Nous l'allons montrer tout- à-l'heure
Un agneau se désaltérait
Dans le courant d'une ende pure.ωνία
Un
FLORÉAL AN XI .
REP.FRA
cen
5.
T
Un loup survint à jeun , qui cherchait aventure ,
Et que la faim en ces lieux attirait .
Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ?,
Dit cet animal plein de rage :
Tu seras châtié de ta témérité .-
Sire , répond l'agneau , que votre majesté
Ne se mette pas en colère ;
Mais plutôt qu'elle considère
Que je me vas désaltérant
Dans le courant ,
Plus de vingt pas au-dessous d'elle ;
Et que, par conséquent , en aucune façon ,
Je ne puis troubler sa boisson.
Tu la troubles ! reprit cette hête cruelle ;
Et je sais que de moi tu médis l'an passé.-
Comment l'aurais-je fait si je n'étais pas né ?
১
Reprit l'agneau ; je tette encor ma mère.-
Si ce n'est toi , c'est done ton frère . -
Jen'en ai point .-C'est donc quelqu'un des tiens ;
Car vous ne m'épargnez guère ,
Vous , vos bergers et vos chiens.
On me l'a dit : il faut que je me venge .
Lá-dessus , au fond des forêts
Le loup l'emporte, et puis le mange ,
Sans autre forme de procès.
{
Je demande pardon au lecteur de lui citer des vers
qu'il doit savoir par coeur ; mais on sait que Lafontaine
est toujours nouveau. Quelle vérité dans ce vers ! i
t
Un loup survint à jeun, qui cherchait aventur .
Le vers suivant sert admirablement à caractériser l'action.
Le loup ne vient point auprès du ruisseau pour
boire de l'eau pure ou de l'eau bourbeuse , mais il vient
pour chercher une proie. La réponse de l'agneau est admirable
; il exprime d'abord son respectpourle loup , etil
parle ensuite avec tout l'embarras de la crainte; ce vers ,
dans le courant, jeté au milieu du discours , caractérise
parfaitement la situation critique où se trouve l'agneau ,
qui ne se justifie qu'en tremblant et par des mots entre
12 Aa
370 MERCURE DE FRANCE ,
coupés . Qu'on compare les deux fables , et l'on verra la
différence qu'il y a entre un bon-homme comme Lafontaine
, et unhomme de beaucoup d'esprit , comme
M. Boisard.
Au reste , nous ne nous permettrons pas de plus longs
détails sur Lafontaine ; c'est un très-grand mérite que de
sentir tout celui de ce divin fabuliste , et ce mérite est
plus rare qu'on ne pense. Tout le monde parle du bonhomme
, mais je ne crains pas de dire que s'il écrivait aujourd'hui
, la plupart de ceux qui le louent le plus , seraient
les premiers à réprimer , par leur critique, l'essor
de son génie. On trouve fort mauvais que Boileau n'en
ait pas parlé ; mais qu'en auraient dit la plupart de nos
pédagogues , de nos géomètres , de nos métaphysiciens ?
On n'a qu'à lire ce que dit J.-J. Rousseau de la fable
du Corbeau et du Renard : Dalembert,dans une séance de
l'académie française , où l'on examinait les fables de
Lafontaine , ne concevait rienà ces deux vers :
La fourmi n'est pas prêteuse,
C'est là son moindre défaut .
Fontenelle , qui définissait le naïf une nuance du bas ,
ne savait point apprécier Lafontaine , et l'école de
Fontenelle est encore fort nombreuse.
Nous n'avons d'ailleurs plus rien de naïf ni dans nos
moeurs ni dans notre langage , et je doute que parmi
nous un écrivain consentit à être une béte , comme Lafontaine
, afin de n'être qu'un homme de génie.
FLORÉAL AN XI. 371
VARIÉTÉS.
Théorie de l'Imagination , par le fils de l'auteur de la
Théorie des sentimens agréables : 1 vol. in-12. Prix ,
2 fr. 50 cent. et 5 fr. franc de port. A Paris , chez
Bernard , libraire , quai des Augustins , n°. 31 ; et
le Normant , imprimeur-libraire , rue des Prêtres Saint-
Germain l'Auxerrois , nº. 42 , vis-à-vis le petit portail.
Voilà un fils auquel on ne reprochera pas de dégéné
rer. Non content de suivre son père dans la carrière , et
de se lancer , comme lui , dans les théories , il a pris un
bien plus grand essor. M. de Pouilly avait donné la théon
rie des sentimens agréables , dans un ouvrage véritable
ment digne du titre qu'il porte. Son fils a choisi un sujet
plus relevé . Il s'est proposé de nous éclaircir les mystères
des opérations de notre imagination.
Montesquieu a dit , quelque part, que toute la méta
physique tiendrait dans quatre pages. M. de P. a été , sans
doute , pénétré de cette vérité , qui ne devait d'ailleurs
être prise tout au plus qu'au figuré , lorsqu'il n'en a employé
que 253 à traiter un sujet tel que celui qu'il avait
choisi. En effet , tout ce qui a rapport à nos idées innées
ou acquises, à nos sensations , qui n'en sont que le sujet;
en un mot, à ce qui n'est pas en nous matière , entre
dans le domaine de l'imagination. Ce sujet vaste peut se
prêter à tous les développemens que celui qui s'en estenmparé
voudra lui donner.
Après avoir considéré l'imagination comme principe
de la pensée , M. de P. l'envisage comme institutrice du
langage ; puis il applique ces premières données à diverses
opérations de notre entendement , et termine par les
moyens qu'il croit propres à la régler. Ce livre offre une
foule de pensées ingénieuses , qui , si elles ne sont pas
absolument neuves , en ont l'apparence , par le point de
vue sous lequel l'auteur les présente, point de vue qui
Aa 2
372 MERCURE DE FRANCE ,
naît de l'essence de son sujet. Nous pourrions , si l'espace
nous le permettait , citer beaucoup de passages agréables .
Pour faire connaître la manière de l'auteur , nous nous
bornerons à une citation qui est tirée du chapitre intitulé :
De l'imagination des Femmes . Il les justifie du reproche
de ne pouvoir compter qu'un très-petit nombre d'entr'elles
qui aient acquis une grande célébrité dans les lettres
ou dans les arts. Il fait sentir l'injustice de ce reproche
, dont la nature de l'éducation qu'elles ont toujours
reçues et les vertus que nous exigeons d'elles , avant tout ,
devraient les garantir.
« S'il existait, ajoute-t-il ,une fille qui , dès sa plus ten-
» dre jeunesse , eût assez cultivé ces dons heureux qu'elle
>> a reçus de la nature , pour se rendre capable de pro-
>> duire quelque chef-d'oeuvre digne d'être opposé à ceux
>> des plus grands maîtres , et qui prétendît en même-
» temps au genre de gloire dont nous voulons que son
> sexe se tienne le plus honoré , croira-t-on qu'elle pût
> l'obtenir , si elle nous présentait avec vérité la marche
» et le développement de son esprit , en faisant compa-
>> raître devant nous tous les objets qui auraient attiré ses
>> regards , en nous exposant toutes les pensées dont elle
>> se serait entretenue , pour atteindre au sublime talent
» qu'elle aurait acquis ? Nous avons voulu appuyer leur
>> sagesse sur une ignorance qui entrave leur génie ; puis
>> on leur fait l'injure de dire qu'elles ne peuvent en
>> avoir. Les muses sont bien réputées vierges intactes ,
mais on n'a jamais dit qu'elles ignorassent rien . Je
>> doute que les méditations , non- seulement d'aucun
>> poète , d'aucun artiste , mais même d'aucun philosophe
, aient toujours été assez pures pour ne pas ternir
>> l'imagination de celles qui aspiraient aux vertus qui
>> leur sont singulièrement proposées . »
4
Dans un chapitre sur le travail de l'imagination dans
les beaux-arts , M. de P. a bien énoncé quelques idées que
nous pourrions relever et même combattre. Il paraît
croire que les sciences et les arts exigent moins d'imagiFLOREAL
AN XI. 373
nation que les sciences exactes. Il veut qu'on cherche
principalement dans la tête d'un géomètre ou d'un métaphysicien
, le fil des traits imperceptibles qu'elle y trace ,
et dont l'ensemble se réunit pour former ensuite un ta
bleau , dont le secret de la composition nous échappe.
Nous aimons à croire que M. de P. s'est oublié , quand
il s'est exprimé ainsi sur les sciences et sur les arts ; il est
possible que , peu familier avec ceux-ci , et quelques
passages de son livre nous le feraient croire , il eût énoncé
cette opinion à leur égard ; mais pour les belles-lettres ,
cette façon de voir nous étonne , et nous pensons que
M. de P. leur a particulièrement trop d'obligations pour
les traiter ainsi.
Dernière volonté et testament du major - général
CLAUDE MARTIN. ( 1 ) 4
Claude Martin , né à Lyon au mois de janvier 1735 , sur
la paroisse de Saint-Pierre et Saint-Saturnin , après avoir
fait ses premières armes en France , passa au service de la
compagnie des Indes d'Angleterre , en qualité de simple
soldat.
Peu de temps après son arrivée dans le Bengale , il fut
promu au grade de major-général des troupes qui servaient
dans l'Indostan.
Plein de courage et de valeur , actif et laborieux , il
rendit des services importans aux princes indiens et à cette
compagnie fameuse par l'étendue de ses spéculations com-
Y
(1 ) Un vol . in -4°. grand raisin , de vingt-une feuilles , dont onze
de tableaux , imprimé en rouge et noir , texte anglais et traduction
française en regard . Prix , 18 fr. A Lyon , chez Ballanche , père et
fils , imprimeurs- libraires; et à Paris , chez Rondonneau , Desenne ,
Callixte Volland, Capelle , Martinet, Mongie , libraires ;
Et chez le Normant, imprimeur-libraire , rue des Prêtres Saint-
Germain-l'Auxerrois , n°. 42 .
1
Aa3
894 MERCURE DE FRANCE ,
merciales , dans lesquelles sans doute il fut intéressé ,
puisqu'il a laissé une fortune de plus de douze millions ,
argent de France.
Il est décédé sans postérité , à Lucnow , dans l'Inde , au
commencement du mois de septembre 1800 .
Ses dernières dispositions annoncent qu'il était pénétré
de vénération pour la foi de ses pères , qu'il avait conservé
un profond attachement à sa famille, et un tendre souvenir
pour la ville qui l'avait vu naître.
Il a légué à ses parens près d'un million de biens.
Il donné à la ville de Lyon 750,000 liv. , pour être employés
à des établissemens d'utilité publique et de bien
faisance , qu'il a placés sous la protection spéciale et la
surveillance des magistrats.
Son testament , qui vient d'être imprimé par MM. Ва-
lanche , père et fils , de Lyon , n'est pas indigne d'attention
. C'est un monument curieux du contraste de l'éducation
européenne etdes moeurs asiatiques.
Ilya quelque chosede magnanime etde religieux dans le
dernier acte de cet homme , qui repasse dans sa conscience
le bien qu'il doit faire avant de mourir , et qui travaille a
laisser de lui une mémoire chère aux siens , et à effacer ,
par des bienfaits , quelques torts d'une vie agitée.
On ne saurait donner trop de publicité à la manière
dont le major-général Claude Martin a disposé de sa fortune
, parce qu'il est temps de rétablir dans toutes les
ames l'empire de l'émulation , de la bienfaisance et du
zèle pour le bien de ses concitoyens .
to
L'impression de ce testament a été exécutée avec beaucoup
de soins ; on l'a figurë telle que se trouve l'expédition
anglaise . Les mots écrits en rouge , et qui , dans ladite
expédition ,sont annoncés se trouver en crayon dans l'original
, ont été imprimés en rouge. Il en a été de même
pour les chiffres et autres signes. On aeu la précaution
de barrer les chiffres en noir ou en rouge , suivant que
FLORÉAL AN XI. 375
eer chiffres l'ont été de l'une ou de l'autre couleur dans
la susdite expédition.
Les obstacles de tout genre qu'on a été obligé de surmonter
dans l'exécution typographique , pour la rendre
le plus semblable que possible à l'original , et la manière
dont ces obstacles ont été surmontés , recommandent aussi
cet ouvrage aux bibliographes ; il doit trouver place dans
toutes les bibliothèques publiques.
ΑΝΝΟNCES..
Traité sur les bêtes à laine d'Espagne , leur éducation ,
leurs voyages , le lavage et le commerce des laines , les
causes qui donnent la finesse aux laines ; auquel on a
ajouté l'historique des voyages que font les moutons des
Bouches-du-Rhône et ceux du royaume de Naples ; l'origine,
les succès , l'état actuel du troupeau de Rambouillet,
et les moyens de propager et de conserver la race espagnoledans
toute sa pureté.
Lanigeros agitare greges.....
Hiclabor: hinc laudem, fories, sperate colano.
VIRGIL. Georg. liv. 5 , v. 287.
Par C.-P. Lasteyrie , de la société d'Agriculture de
Paris , etc.
AParis , chez A.-J. Marchant , imprimeur et libraire
pour l'agriculture , rue des Grands-Augustins , nº. 12.
Unvol. in-8°. de près de 400 pages , avec une planche.
Prix , 4 fr . , et 5 fr. par la poste.
On trouve à la même adresse trois autres ouvrages sur
les bêtes à laine fine.
Le Château de Saint-Donats , ou Histoire du fils d'un
émigré échappé aux massacres en France ; traduit de
l'Anglais , de Charles Lucas , auteur de l'Infernal don-
Quichotte. Trois vol. in-12 , fig. Prix : 5 fr. et 6 fr. 60 cent.
franc de port. A Paris , chez J.-J. Fuchs , libraire , rue des
Mathurins-Saint- Jacques , n°. 554 ; Onfroy, libraire , rue
Saint -Victor , nº3; Debray, libraire , place du Muséum;
et chez le Normant , imprimeur- libraire , rue des Prêtres
Saint-Germain-l'Auxerrois , nº. 42 .
Aa4
376 MERCURE DE FRANCE ,
POLITIQUE.
Le 5 mai , la ville de Londres ajoui d'un bonheur qui
n'a duré qu'un instant, mais qui a suffi pour enrichir quelques
agioteurset en ruiner quelques autres.Le lord-maire
areçu du ministre de la guerre une note ,qui le préve
nait que les négociations entre la France et l'Angleterre
étaient heureusement terminées. Ce magistrat s'est empressé
de communiquer une si bonne nouvelle à la
bourse , et de la faire afficher dans les grands cafés politiques.
Deux heures après , on a su que la nouvelle
était fausse , l'écriture contrefaite ; et le lord-maire a bien
vîte envoyé dans la Cité démentir le bruit qu'il avait tant
aidé lui-même à répandre. Autrefois on aurait appelé un
pareil tour , une insigne friponnerie ; aujourd'hui ce n'est
qu'ane spéculation de commerce , qui n'a rien de beaucoup
plus extraordinaire que toutes celles dont se compose
l'agiotage. Il est vrai qu'elle est assez hardie , pour
avoir scandalisé le ministère , et fait crier ceux qui en ont
été dupes ; aussi a-t-on créé un comité pour faire toutes
les recherches possibles sur les auteurs de cette invention :
il est probable qu'on ne les découvrira pas , malgré les
5,000 livres sterlings promises ceux qui les dénonceront.
Quelques personnes prétendent , en France , que l'esprit
du commerce anglais est en cemoment tourné à la guerre ;
nous ne ferons qu'une observation à cet égard : sur la
nouvelle de la paix , les fonds ont été à 70 ; quand la
nouvelle a été reconnue fausse , les fonds sont retombés
à 62.
à
:
L'explication qui devait avoir lieu dans le parlement ,
le 3 mai , a encore été ajournée sur la demande des ministres
, qui ne veulent entrer dans des détails, qu'au momentoù
ils auront la certitude de la paix ou de la guerre.
Le parlement se fatigue d'un pareil silence ; mais , après
l'avoir approuvé si long-temps , il sent lui-même qu'il ne
peut exiger que les ministres le rompent avant la fin des
négociations.
Le 7 mai , les débats ont été assez viſs ; on a sur-tout remarqué
dans la chambre des communes un de ces mouvemens
d'impatience , qui annoncent combien lesdiverses
oppositions désirent se soulager de la contrainte qu'elles
s'imposent depuis long-temps. Voici le fait.
G
FLOREAL AN XI. 377
et
Il est certain que les négociations ont été comme rompues
; et Paris a cru vingt-quatre heures que la guerre
allait être déclarée. Le même jour , 7 mai ,Londres était
dans la même attente. Les ministres ont annoncé au parlement
que l'ambassadeur français avait , le matin, fait
demander ses passe-ports pour retourner en France ,
que l'ambassadeur anglais devait avoir quitté Paris. En
conséquence , les ministres ont promis de mettre, lundi 9,
sous les yeux du parlement , toutes les pièces relatives
aux négociations , et ils ont engagé les deux chambres à
s'ajourner à lundi.
Dans l'une et l'autre chambre , il s'est ouvert de longs
débats sur cet ajournement : il n'était question que de la
situation alarmante , sinistre , du pays , et de la nécessité
où chaque membre se trouvait de rester à son poste dans
les dangers de la patrie ; grands mots , que les assemblées
délibérantes aiment à répéter pour se donner de l'importance
et de la vigueur. Les ministres ont objecté que
la patrie ne périrait pas , quand le parlement ne s'assemblerait
point le samedi , et qu'il se reposerait le dimanche:
ils ont ajouté que lord Whitworth n'était pas encore de
retour ; que probablement il ne descendrait pas de voiture
à la porte du parlement , et qu'il fallait au moins
accorder au ministère le temps d'examiner les derniers
papiers que cet ambassadeur apporterait. Ces raisons
étaient sans réplique : ce qui n'a pas empêché beaucoup
d'altercations , de tumulte, de cris à l'ordre , de mots
hasardés presqu'aussi-tôt retractés ; on a fait retirer les
étrangers , et la discussion a continué jusqu'à huit heures
du soir : enfin , l'ajournement à lundi a passé à une grande'
majorité dans les deux chambres.
On ne savait pas alors à Londres , que le départ du lord
Whitworth avait été retardé ; que les négociations étaient
reprises ; et peu s'en est fallu que des débats prématurés
ne vinssent ajouter de nouvelles difficultés à toutes celles
que les deux gouvernemens essayent de surmonter pour
éviter une rupture.
Une lettre de Pétersbourg , du 17 avril ( 25 germinal ) ,
contient ce qui suit : Toutes les espérances de paix sont
entièrement évanouies ; nos troupes se mettent en marche
dans trois jours ; l'empereur fait des avances d'argent aux
officiers qui en manquent, pour leur donner la facilité de
faire leurs équipages. Le général Michelson commande
378 MERCURE DE FRANCE ,
l'armée , et le général van Suchtelen reste auprès de S.
M. I. qui, se'on le bruit général, est décidée à faire la cam
pagne. La flotte est commandée par l'amiral Tschitschagow
le cadet. Le colonel Colbert est au moment de retourner
en courrier à Paris. Le lieutenant-général comte
de Buxhoden vient de rentrer au service , en qualité de
général d'infanterie.
L'entrevue de l'empereur d'Allemagne et del'empereur
de Russie , que les journaux ont annoncée depuis quelque
temps, ne tardera pas à avoir lieu. On présume que le voyage
que l'archiduc Palatin d'Hongrie a fait à Pétersbourg , a
pourbut de régler tout ce qui a rapport à cette conférence
importante. Les deux empereurs doivent se réunir à Kaminieck-
Podolski , sur le Dniester. Cette ville est capitale
de la Podolie. Le roi de Prusse doit aussi se mettre en
route , vers la fin du mois de mai , pour se rendre à
Wurzbourg , où S. M. doit avoir une entrevue avee
l'électeur de Bavière .
Les forces anglaises s'augmentent de jour en jour sur
les côtes de la Hollande : des troupes françaises se rendent
: aussi sur le territoire de cette république. On assure que
les Anglais cherchent à s'emparer de l'île de Sicile , afin
de prévenir les Français , si la guerre venoit à éclater .
Nous avons annoncé dans notre dernier numéro que S. M. I. et R.
avait ratifié le concluşum général de la diète de Ratisbonne , du5
mars (4 germinal) , qui termine toutes les affaires relatives aux indemnités.
L'importance de cette pièce nous détermine à la donner ici en
entier.
François II , empereur des Romains, etc., etc., aux électeurs ,princes
et états de l'Empire , réunis à la diète générale:
« La députation extraordinaire de l'Empire , nommée pour l'exécu
tiondes articles 5 et 7 du traité de paix de Lunéville , ayant terminé.
l'oeuvrequilui avait été confié , etles électeurs, princeset états de l'Empire
germanique en ayant demandéla confirmation parleur conclusum
commune du24mars; S. M. l'empereur, dans sa sollicitude paternelle.
pour le maintiende la paix et de la tranquillité de l'Allemagne ,
veut pas tarder à donneerr ,, d'après lamesure de ses devoirs , lasanction
légale à cet oeuvre si important par sa nature et par ses suites .
ne
>> Le but vers lequel son attentionse dirige dans ce moment décisif,
consiste à concilier,autant que possible,l'accomplissementdes obligations
que l'Empereur et l'Empire se sont imposées , d'une part , avee
lemaintiende la constitution germanique, et de l'autre, avec les égards
que S. M. a eus pour les propositions des deux hautes puissances médiatrices,
ainsi que pour les voeux etle contentement des états del'Empire.
>> C'est ce même but qui a dirigé les démarches et les efforts de S.
M. l'empereur , lors de la convocation de la députationde l'Empire,
et danstous les actes etnégociations de celle-ci. Conformément àce
FLORÉAL AN XI. 379
Lut, elle a,durant le cours de ces négociations, appuyé leplan d'in
demnité proposé par les puissances médiatrices et adopté à la major
ritédes voix par la députation, autant que le permettait la teneur
précisedes articles du traité de paix , et lesbornes des pleins-pouvoirs
de la députation qui avaient pour objet l'exécution de ces articles etle
maintiende la constitutiondans tous les points qui s'accordent avea
eux.
>> La convention conclue à Paris , le 26 décembre de l'année der
nière ,prouve avec quelle modération et quels égards pour les puis
sances médiatrices et les états de l'empire interresses, S M. impériale
s'est efforcéede faciliter l'applanissement des difficultés qui s'étaient
élevées, lorsque ces difficultés venaient des intérêts légitimesdesamaison
. Dans cette convention, elle a étendu volontairement les obligationsdu
traitéde Lunéville , et elle a restreint , antant qu'il était possible,
l'indemnité complette qui appartenait à un des princes de sa
maison. S. M. impériale a montré les mêmes dispositions et facilités
relativement aux autres propositions qui ont été ajoutées ultérieure
Iment au plan d'indemnités, qui n'émanaient pas de la base d'indemnisation
adoptée, ou qui ne s'accordaient pas avec la constitution intérieuredu
corps germanique.
Par les mêmes considérations et égards , S. M. I. s'est aussi déterminée
à donner son adhésion , dans la convention susmentionnée , au
conclusum de la députation du 23 novembre de l'année dernière , en
se réservant toutefois formellement tous les droits conciliables avec le
plan d'indemnités qui lui appartiennent tant comme chef suprême de
l'Empire, que comme souverain de ses états héréditaires . N'ayant eu,
dans cettedernière qualité, aucune part aux indemnités pour les pertes
qu'elle a essayées par la guerre , elle ne peut être assujettie aux restric
tions liées à ceplan, qu'autant que le nécessite l'exécution de la base
générale d'indemnité.
>> Coume enfin , après la conclusiondela convention du 26décembre,
ila encore été fait diversesadditions et changemens auconclusum principal
du 23 novembre , et qu'ensuite la députation a pris un nouveau
conclusum , sous la date du 25 février , dont la diète , par sa décision,
demande l'approbation sous certaines réserves formellement exprimées ;
S. M. I. , après avoir pesé mûrement toutes les circonstances énoncées ,
et guidée par le sentiment de ses devoirs les plus chers , a résolu de
donner sasanction, comme chef suprême , au conclusum de l'Empire
mentionné plus haut , aux conditions suivantes :
>›› La convention conelue à Paris le 26 décembre de l'année dernière ,
etportée à la connaissance de la députation , sera maintenue dans toute
savalidité et force obligatoire , d'après la teneur littérale de ses articles,
et particulièrement en ce qui regarde les réserves contenues dans l'artiele4.
>>> Les droits de S. M. comme empereur et chef suprême de l'Empire,
auxquels ces réserves se rapportent , seront maintenus intacts ,
tant lors de l'exécution de la présente décision de l'Empire , que dans
tous les cas futurs .
» La confirmation des lois fondamantales de l'Empire , mentionnée
dans le conclusum de la diète du 24 mars, et particulièrement du traité
de paix de Westphalie et des traités subsequens, en tant qu'il n'ont
point été formellement changés par le traité de Lunéville et la présente
décision de la diète , ainsi que la réserve proposée dans cette:
décisionpour lemaintiendelaconstitutio,n germanique,dans tous les
380 MERCURE DE FRANCE ,
points où il n'a point été apporté un changement formel , et telle que
cetteconstitution existe jusqu'à présent pour les électeurs, princes et
etats de l'Empire,ycompris aussi l'ordre Teutonique et l'ordre Equestre
: toutes ces confirmations et réserves seront maintenues et mises à
exécution.
>> La difficulté que S. M. I. a montrée à l'occasion de la demande de
votes virils dans le collége des princes , faite par les premières propо-
sitions de la députation, n'ayant été levée en aucune manière par les
propositions ultérieures , S. M. se voit obligée , par les devoirs qu'elle
ajuréde remplir pour le maintien de la constitution germanique et la
protection de la religion catholique , de suspendre instantanément sa
ratification surcet objet , et de se réserver de demander , par un décret
de commissionqui sera rendu sans délai , qu'il soit pris un conclusum
ultérieur de l'Empire à ce sujet, afin que,par des propositions convenables
, il soit pourvu à ce que (la partie protestante ayant déjà obtenu
une majorité si décisive dans le collége des électeurs et dans celui des
villes) les anciens rapports entre les deux religions ne soient pas aussi
changés dans le college des princes , au point qu'il en résulte une disproportion
qui dérange entièrement la parité des votes.
>> Relativement enfin aux points du dernier conclusum de la députation
, qui doivent être soumis à un exanien et des délibérations ultérieures
, tels que ceux dont il est fait mention à la fin des paragraphes 2
et 39, S. M. et l'empire se réservent d'intervenir ainsi qu'il conviendra
à ce sujet.
2
» S. M. impériale en donnant , sous ces réservés et condictions , sa
sanction forinelle, comme chef suprême de l'Empire , au conciusum
'de la diète du 22 mars , saisit cette occasion pour adresser ses remercimens
et ceux de l'Empire aux hautes puissances médiatrices , pour
leur sollicitude et les soins qu'elles ont montrés dans cette affaire importante
; elle a aussi l'espérance certaine que ces puissances reconnaitront
les preuves que l'empereur et l'Empire ont données de leurs
égards pour leurs voeux et leurs propositions amicales , et que l'oeuvre
de la paix , ainsi terminé , sera assuré et affermi de la manière la plus
durable. »
Cette ratification impériale a été remise au ministre directorial , qui
l'a transmise aussi-tôt à la diète .
TRIBUNAT.
A
Séance du 16 floréal. A l'ouverture de la séance Boissyd'Anglas
est monté à la tribune. Les discussions des projets
de loi , dit- il , ayant changé de forme dans le lieu du
tribunat , il serait convenable de consigner en entier dans
Je procès-verbal les rapports et discours prononcés à la
tribune , au lieu d'une analyse toujours plus ou moins
'mal faite et nécessairement insignifiante. Le tribunat a
passé à l'ordre du jour sur cette proposition .
Duvidal et Jubé font chacun un rapport ; le premier ,
sur un projet de loi relatif à des ventes , acquisitions ,
concessions , impositions extraordinaires ; le second , sur
FLOREAL AN XI. 381
un projet de loi concernant un droit de péage pour
l'amélioration de la navigation du Tarn. Le tribunat ordonne
l'impression des rapports et adopte au scrutin ces
deux projets de loi : il s'ajourne au ig.
Séance du 19. A deux heures la séance est ouverte ; on
fait lecture du procès-verbal de la dernière séance , de la
correspondance , et de quelques messages du corps législatif,
et le tribunat s'ajourne au 26.
CORPS LÉGISLATIF.
Séance du 17 floréal. Le cit. Lagrange est élu président;
les nouveaux secrétaires sont Despallières , Saligny ,
Juhem et Bollioud.
On discute un projet de loi en deux cents articles d'un
intérêt local : Duvidal au nom du tribunat , exprime le
voeu d'adoption de cette autorité et en développe les
motifs . Ce projet , dit- il , a paru au tribunat , dirigé par
la bienfaisance , la protection au commerce , et l'avantage
public et local. Le corps législatif le sanctionne à la
majorité de 211 voix contre 6.
Séance du 19. Cette séance n'avait pour objet que la
discussion du projet de los relatif à la concession, d'un
droit de péage pour la navigation du Tarn. Le corps
législatif , après avoir entendu Auguste Jubé , orateur du
tribunat , sanctionne ce projet à l'unanimité de 205 suffrages.
Le corps législatif s'ajourne au 26.
PARIS.
Le gouvernement de la république a pris , le 3 floréal ,
l'arrêté suivant :
Art. I. Les successions directes auxquelles la république
étoit appelée par représentation d'émigrés , qui s'ouvriront
à compter du 1 messidor prochain , seront recueillies
par les parens républicoles.
er
II. Les successions collatérales auxquelles elle étoit arpelée
par représentation d'énigrés , échues postérieurement,
àla loi du 8 messidor an 7 , seront également recueillies par
les parens républicoles .
III . Toutes créances de la république contre un rayé ,
éliminé ou amnistié , antérieures à son amnistie , di
;
382 MERCURE DE FRANCE ,
meurent éteintes , s'il est justifié que le trésor publicait
reçu , soit par le versement du prix de ses biens vendus , soit
par la valeur des bois ou autres propriétés affectées àun
service public , soit par l'effet de la confusion des créances
et droits qui lui appartenoient , une soume égale au mortant
des dites créances. Il y aura lieu seulenient à compen
sation jusqu'à concurrence de cсе dont aura profité la répu
blique , si ces créances s'élèvent àune somme plus forte.
IV. Les biens échus à la république , sont par l'effet de
la représentation dans les successions directes et colatérales,
pendent la mort civile des énigrés , sott parl'effetde partages
de présuccession , et non vendus , réservés ou affectés
à un service public , sont spécialement affectés aux
créanciers de l'émigré , après le paiement des créanciers de
la succession .
V. Le directeur-général de l'administration des domai
nes fera dresser, en conséquence , unétat , lequel contiendra
tout cequi reste pour chaque émigré en inimeubles , en mobilier
ou en contrats , droitsetactions, et leur évaluation
d'après le prix des baux et autres renseignemens, et il en enverra
expédition au directeur général de la liquidation.
VI. Le directeur général de la liquidation fera dresser
un état contenant le nom de l'émigré , les noms des créanciers,
la date du dépôt de leurs titres et le montantdes
sommes réclamées , à quelque titre que ce soit, par chacun
d'eux.
VII. Le conseil de la liquidation générale prononcera,
conformément aux loix , sur les demandes en liquidation ,
et formera le tableau de toutes les créances existantes au mo
ment de la main-mise nationale surles biens, et reconnues et
admises en bquidation,
VIII . Les ventes seront faites comme celles des antres
domaines nationaux , et il sera tenu un compte partieulier
du prix des ventes des biens compris dans l'art. IV ,
lequel sera distribué au centime le franc entre les créanciers.
IX. Les créanciers pourront , après la vente des biens
qui leur sont affectés , demander des certificats de colloca
tion admissibles en paiement desdits biens , et employer ech
certificats à leur acquit , s'ils sont acquéreurs , ou les céder
et transporter aux acquéreurs .
X. Les créanciers seront liquidés et payés , conformé
ment aux loix , pour la partie de leurs créances qui n'auroits
pu être acquittée du produit des ventes.
XI. Tout créancier d'émigré rayé , éliminé ou amnistié
FLORÉAL AN XI. 383
qui voudra exercer ses droits contre son débiteur , pourra
réclamer s-s titres , s'il les avoit déposés : ils lui seront rendus
, à moins qu'il n'ait donné quittance et reçu son titrede
liquidation définitive.
XII. Les créanciers des émigrés rayés , éliminés ou amnistiés
, qui prétendront que leurs débiteurs n'ont reçu
aucune restitution de biens , ou n'en possèdent pas de suffisans
pour les payer , pourront demander que leur liquidation
soit faite conformément aux lois sur la dette publique.
XIII. Il sera procédé à la liquidation jusqu'à concurrence
de la valeur des sommes dont il serajustifié que la république
aura profité , par la vente ou autre disposition des
biens de leurs débiteurs. :
XIV. Dans le cas où le trésor public se trouveroit avoir
liquidé des dettes d'un rayé , éliminé ou amnistié , pour
une somme supérieure , tant celle versée aux caisses publiques
, pour le prix de la vente de ses biens , qu'à la
valeur, soit de bois réunis aux forêts nationales , soit d'autres
propriétés affectées au service public , soit des créances et
droits éteints par confusion ,le trésor public aura recours ,
pour l'excédant , sur lesbiens de toute nature dont l'émigré
sera entré en possession par suite de sa radiation , éliminalion
, ou amnistie; à l'effet de quoi il sera pris un arrêté
par leconseil général de liquidation qui établira son débet.
Le préfet de Maine-et-Loire a reçu du ministre de l'intérieur
une lettre ainsi conçue :
« L'article XLV , titre III de la loi du 18 germinal
an 10, a réglé , citoyen préfet , qu'aucune cérémonie religieuse
n'aurait lieu hors des édifices consacrés au culte
catholique , dans les villes où ily a des temples destinés à
différens cultes. Cette disposition ne s'applique qu'aux
communes où ily a une église protestante consistoriale ,
reconnue par le conseiller d'état chargé des affaires concernant
les cultes .
>> L'intention du gouvernemet est , en conséquence',
que les cérémonies religieuses puissent se faire publi
quement dans toutes les autres. Veuillez bien prendre les
mesures pour que l'on s'y conforme. J'observe, àcette oc.
casion , que les préfets ne doivent point refuser l'encens
qui leur seroit offert dans les églises , ni les autres honneurs
qu'ony rendroit aux fonctions qu'ils exercent.
Signé, CHAPTAL .
384 MERCURE DE FRANCE.
En vertu d'un autre arrêté du gouvernement , il sera
désormais libre au public d'affranchir ou de ne point affranchir
jusqu'à destination les lettres et paquets pour les
villes et lieux de la République italienne . L'affranchissement
continuera néanmoins d'être obligatoire jusqu'à
destination , pour les journaux , les prospectus , et
en général pour toute espèce d'imprimés adressés dans la
République italienne. L'affranchissement des lettres et paquets
, celui des journaux et des imprimés destinés pour
le Tyrol , la Carniole et les pays ex-vénitiens , restera pareillement
obligatoire jusqu'à l'extrême frontière de la
République italienne. L'affranchissement obligatoire des
'journaux jusqu'à destination dans la République italienne
etjusqu'a Véronne pour le Tyrol , la Carniole et les pays
ex-vénitiens , sera perçu d'avance à raison de huit centimes;
celui des livres brochés , catalogues , prospectus et
autres imprimés , à raison de dix centimes , le tout par
feuille d'impression , et proportionnellement pour chaque
*demi-feuille et quart de feuille.
C'estmardi, àdeux heures après-midi , que l'ambassadeur
d'Angleterre a communiqué au ministre des relations
extérieures , la réponse aux dernières propositions de notre
gouvernement , qui lui avait été apportée , la veille , par
un courrier de sa cour. L'ambassadeur avait ordre, assuret-
on , de partir trente-six heures après la remise officielle
*de cette pièce, au cas que les articles qu'elle contient ne
fussent pas accordés. On dit que le PREMIER CONSUL , en la
*recevant des mains du minisisttrreedesrelations extérieures ,
*témoigné qu'il y trouvait des demandes contradictoires ,
ajoutant qu'il n'improvisait pas une réponse à une pièce
de ce genre , et qu'il prendrait le temps qu'il lui faudrait
pour la donner. Jeudi , à dix heures un quart du soir ,
I'ambassadeur a quitté Paris .
a
D'après les papiers anglais que nous venons de recevoir,
l'ultimatum qu'a présenté lord Withworth au gouvernement
français , aurait pour principaux points les conditions
suivantes : 1. Les troupes françaises évacueront
la Hollande ; 2°. la Suisse redeviendra un gouvernement
libre ; 3°. Malte restera , pendant un certain nombre
d'années , sous la domination britannique , jusqu'a
ce qu'on soit convenu de quelque nouvel arrangement
qui assure son entière indépendance.
POP.FEA
( No. XCIX. ) rer. PRAIRIAMan 11 .
( Samedi 21 Mai 1803.
MERCURE
DE FRANCE.
LITTERATURE.
POÉSIE.
L'ÉGYPTÉÏDE , poëme.
/
Fragment du chant premier.
Je chante ce guerrier qui , vainqueur d'Italie ,
Asubjugué les champs d'Egypte et de Syrie ,
Qui , grand dans les combats , sage dans le repos ,
Mêle au laurier des arts le laurier des héros .
Achille est immortel dans les pages d'Homère ,
Le plus grand des Henris est plus grand dans Voltaire;
Ce Grec , qui vit le Gangé obéir à ses lois ,
Qui vainquit l'Orient , qui régna sur des rois ,
Craignait que l'avenir ignorât tant de gloire
Que ne célébraient point les filles de mémoire.
Bonaparte vainqueur est le dieu de mes chants ;
Les cordes de ma lyre enchaîneront le temps.
Toi qui le dirigeais dans sa noble carrière ,
Viens , Amour de la gloire , ouvre-moi labarrière;
13
Bb
386 MERCURE DE FRANCE ;
:
Et vous qui l'admirez , compagnes d'Apollon ,
Qui chantez ses exploits dans le sacré vallon ,
Répétez-moi ces vers ; que ces cordes fidelles
Disent , aux temps futurs , vos chansons immortelles.
Le drapeau tricolor flottait sur les remparts
,
Où naguères planaient les aigles des Césars ;
L'Empire était vaincu , l'Eridan était libre
La France menaçait la Tamise et le Tibre ,
Son bras , toujours armé , s'agitait dans les airs ,
Pareil à l'aigle altier du Dieu de l'univers ,
Qui , promenant la foudre après des jours d'orages ,
Fait retentir encor les échos des rivages .
Enfin , la douce Paix , digne fille des cieux ,
Sur ce triste univers daigna jeter les yeux :
Et de même qu'on voit , habitans des ténèbres ,
Les tigres s'enfoncer dans leurs roches funèbres ,
Lorsque le dieu du jour sur un char éclatant
Fend les plaines de l'air ; soudain , au même instant ,
La Mort fut désarmée , et la Haine cruelle
Fuit aux premiers regards de l'auguste immortelle.
Guerriers , brisez le fer , et quittez en ce jour
Les bannières de Mars pour les drapeaux d'amour.
Le myrthe vous promet une douce victoire ,
Les époux de Vénus sont les fils de la gloire.
Mais non , pour les soldats il n'est point de repos ,
Le tumulte des camps plaît au coeur des héros.
Auprès de Mincius , un bosquet solitaire
Ombrage un frais gazon de son ombre légère ;
Le fleuve , en serpentant , y baigne mille fleurs ,
Les airs sont embaumés de leurs douces odeurs .
Là croît le lys d'albâtre et la rose si belle !
Le laurier , des frimats , y défend l'immortelle.
Là, Virgile rêvait au vainqueur des Latins ,
Qui , battu par les vents , et joué des destins ,
PRAIRIAL AN XI. 387
Pour les champs de Turnus abandonna Carthage ;
Et conduit par son luth surgit à cette plage.
Dans cet aimable lieu , le plus grand des guerriers ,
Bonaparte rêvait à l'ombre des lauriers ,
Quand le dieu qui , la nuit , semble enchaîner la vie ,
Entoura de pavots sa téte appésantie ,
Et des songes heureux le brillant appareil
De ses douces erreurs enivra son sommeil.
Le poète , endormi sur un lit de verdure ,
Entend d'un clair ruisseau l'agréable murmure ,
Le chant du rossignol , le souffle des zéphirs ,
Ou la voix des bergers qui chantent leurs plaisirs .
L'amant rêve l'amour , et l'artiste la gloire ,
Le héros des Français doit rêver la victoire.
Il crut voir un guerrier dans les plaines de l'air ,
Précédé par la foudre , annoncé par l'éclair.
Ainsi , quand des Hébreux la troupe fugitive
Du Nil persécuteur abandonna la rive ,
Sur le mont Sinaï tout-à-coup l'Eternel
Parut aux yeux tremblans des enfans d'Israël .
« Français , dit le guerrier ; vainqueur de l'Italie ,
>> Le destin te promet une éternelle vie ;
::
>> Mille autres ont moins fait et sont surnommés grands ;
>> Mais tu touches à peine à l'été de tes ans ,
>> Que pour toi l'avenir aux jours passés réponde ,
>> Tu te dois au bonheur , à la gloire du monde.
>> L'Europe humiliée a demandé la paix ;
>> Mais dans d'autres climats , à de nouveaux succès
>> Le ciel veut te conduire , et l'amitié t'appelle :
» Qui , mon coeur t'a choisi pour venger ma querelle .
>> Je vécus comme toi , comme toi je vainquis ,
>> Et je fus comme toi l'honneur de mon pays .
>> Roi , pacificateur , ennemi magnanime ,
>> Je conquis des vaincus et l'amour et l'estime ;
Bb2
388 MERCURE DE FRANCE ,
» Je protégeai les arts , j'en hâtai les progrès ,
>> Et fis , par mes vertus , pardonner mes succès .
>> Mais je n'étais qu'un homme ! et la parque inflexible
>> Tient les fils de vos jours dans sa main insensible ,
>> Et j'eus quelque regret de quitter sans retour
>> Cette terre où le ciel m'avait donné le jour.
>> Je regrettai sur-tout cette cíté chérie
>> Que sur les bords du Nil ma main avait bâtie ;
>> Elle porte mon nom , mais un peuple sans arts
>> A laissé par le temps détruire ses remparts.
>> D'un plus beau jour , pour eux , je vois briller l'aurore ,
>> Je veux qu'on les relève , et que le Nil encore ,
>> Vaincu par un héros , lui doive sa splendeur.
>> Les destins ont parlé , tu seras ce vainqueur.
>> Pars ; toi seul , jusqu'ici , fus digne d'entreprendre
>>De rétablir des murs que bâtit Alexandre . >>>
Ainsi , dit le guerrier.......... • etc.
RICARD-SAINT-HILLAIRE , fils .
ROMANCE.
AIR : Te bien aimer 6 ma tendre Zélie ! etc.
,
Tor qui fesais le charme de ma vie ,
Dont la présence électrisait mon coeur !
Ah ! loin de toi , douce et tendre Amélie !
Mes jours seront comptés par ma douleur.
Quand le soleil ouvrira sa carrière ,
Je n'oserai descendre dans mon coeur ;
Le soir ,hélas ! sa mourante lumière
Me trouvera plongé dans ma douleur !
Si dans la nuit tu m'apparais en songe ,
Le doux plaisir agitera mon coeur ;
PRAIRIAL AΝ ΧΙ. 389
Quand le réveil finira ce mensonge ,
Je sentirai redoubler ma douleur !
Daignez , 6 dieux ! protéger Amélie !
Vous le devez aux vertus de son coeur :
Accordez-lui les jours dignes d'envie ,
Et je pourrai supporter ma douleur.
f
PAR J. A. NICOD.
VERS
Lus au Premier Consul , le jour de sa visite au Prytanée
de Paris .
Au milieu des forêts , tu vois ce faible lierre :
Sa tête en se courbant rase humblement la terre ;
Il dessèche , il languit : sans force et sans soutien ,
Il voudrait s'élever ; mais , hélas ! c'est en vain :
Sans honneur , au milieu d'une foule inconnue ,
Sur un sol trop ingrat sa tige est retenue .
Cependant , & bonheur ! s'il s'offre dans ces lieux ,
Quelque chêne touffu , dont les bras vigoureux
Protègent la forêt d'une ombre impénétrable ;
Si , ne dédaignant pas son voisin misérable ,
Ce souverain des bois compatit à ces maux ,
Et pour le secourir penche un de ses rameaux ,
Alors il ose enfin s'élever de la terre ;
Il ose s'appuyer sur l'arbre tutélaire ,
Qui , daignant accueillir ce jeune audacieux ,
Soutient son faible poids sur ses bras généreux ;
Et , quoique de son front il surpasse la nue ,
Sur ce débile objet il répose sa vue ;
Bb3
390 MERCURE DE FRANCE ;
Il aime à voir briller ses branchages nouveaux ,
A se dire : « C'est moi qui soutiens ses rameaux ! »
, Reconnais , o Consul , dans ce fragile lierre
Un enfant orphelin , et qui retrouve un père.
Pour toi , qui le soutiens par de si grands bienfaits ,
Ton emblême est ce chêne , ornement des forêts .
DARAS.
IMPROMPTU.
Sur la visite impromptu du Premier Consul au Prytanée
de Paris , le 24 floréal, an XI.
Vos , ôvos , memori alma fovet quos Patria curâ ,
Spem nunc , moxque decus , præsidiumve suum ,
Aspectate virum , quo nos præsente beamur !
Hic patriæ vindex , lumen et una salus ,
Indicat ad quantos assurgere possit honores
Qui virtute , armis , ingenioque valet.
L. D. L.
Traduction littérale.
Ovous , que la Patrie élève en ce séjour ,
Pour l'aimer , la défendre , ou l'honorer un jour ,
Contemplez ce héros ! Par sa seule présence ,
Le vengeur , le soutien , et l'espoir de la France ,
Vous dit à quels honneurs , par de nobles élans ,
S'élèvent la vertu , la valeur , les talens .
Par le même .
PRAIRIAL AN XI 391
ENIGME.
SUR de lugubres murs , dans l'horreur des ténèbres ,
Je roule tristement mes cris lents et funèbres.
Au sénat d'Albion on me voit tous les jours ;
Je vis dans le grand monde , et brille dans les cours.
Je suis toujours sur terre ; en planant dans les nues ,
Je poursuis vivement les habitans des airs .
Sur un rapide char je fais trembler les rues ,
Et je ne vais jamais que dans les lieux déserts .
Quoique laid et méchant , je plais assez aux belles :
Je porte plume et poil ; j'ai des bras et des ailes ;
J'habite des palais et dans de vieilles tours ;
Assassin et brigand , ne vivant que de crimes ,
Sans les faire rôtir , je mange mes victimes ;
Et , pour tout dire enfin , dînant bien tous les jours ,
J'ai de bons cuisiniers , dont l'utile secours
Par-tout me fait chérir de cent amis intimes.
G. DE P.
LOGOGRYPΗΕ.
Méprisée à la ville et chérie au village ,
Je n'inspire que le plaisir.
De l'amant discret ou volage ,
Je favorise le désir ;
Grâce à moi la jeune bergère ,
Sous les yeux même de sa mère ,
Ose voir son amant et lui donner la main ,
Et c'est moi qui la guide au temple de l'hymen.
Si tu ne m'as point devinée ,
Cherche dans mes neuf pieds , lecteur , tu trouveras
L'épouse du pieux Enée ;
Ce qui cause tant d'embarras
Bb4.
392 MERCURE DE FRANCE,
Aux rimeurs , aux gens sans oreille ;
Un sel avec art préparé ,
Mais avec raison préféré
Au fruit du labeur de l'abeille ;
Un titre en tout lieu vénéré ;
Un instrument qui n'est bon qu'à la chasse ,
Si l'art n'en adoucit les sons ;
La déïté qui préside aux moissons ;
Une habitante du Parnasse .
En moi que ne trouve-t-on pas ?
On y voit cette fleur chérie ,
Si belle , mais sitôt flétrie ,
Dont Iris orne ses appas ;
Une cité jadis souveraine du monde ;
Un arbre utile , un habitant de l'onde ;
Une ville de France , un fleuve poissonneux ,
L'île où naquit l'homme fameux
Que l'univers admire et que la France adore ;
Ony trouve ...... eh ! bon dieu ! l'on est las d'y trouver,
Finissons : aussi bien , si l'on veut y rêver ,
On y pourra trouver encore.
CHARADE.
L'un de l'autre est le frère ,
Et le tout est le père.
Mots de l'Enigme , du Logogriphe et de la
Charade insérés dans le dernier Numéro.
Le mot de l'Enigme est Péche.
Celui du Logogryphe est Ilion , où l'on trouve lion.
Le mot de la Charade est Haut-Bois
3
1
PRAIRIAL ANXI. 393
Les Femmes , leur Condition et leur Influence
dans l'ordre social chez différenspeuples anciens
et modernes. Par J. Al. de Ségur. Trois vol.
in - 12. fig. Prix, 12 fr. et 15fr.francs de port.
A Paris , chez Treuttell et Wurtz , libraires ,
quai de Voltaire , et chez le Normant , imprimeur-
libraire , rue des Prêtres Saint- Germainl'Auxerrois
, nº. 42 , vis-à-vis le petit portail.
IL est des sujets qui ne sauraient jamais être
épuisés ; il y a long - temps qu'on écrit sur les
femmes , et il reste toujours quelque chose à
dire. La variété de leur destinée , chez les différens
peuples , le contraste de leurs vertus avec les
nôtres , fa prodigieuse mobilité de leurs formes
morales, offrentsans cesse quelque chose de curieux
à l'observateur ; ce sexe aimable ne saurait être
comparé qu'à la nature dont il est le plus bel ouvrage
, à la nature toujours la même , et toujours
variée , qui change sans cesse ses formes , en les
conservant toujours.
J'ai peut- être déjà donné une idée , non pas de
l'esprit de M. de Ségur , mais de l'esprit de son
ouvrage. Son Histoire des Femmes n'est au fond
que leur panégyrique ; il serait difficile d'espérer
autre chose. Une Histoire doit être écrite avec
impartialité ; mais qui peut parler des femmes
avec la froideur de l'historien ? Pour écrire l'Histoire
des Femmes , il faudrait être sans intérèt dans
leur cause , et M. de Ségur n'a point le malheur
d'être désintéressé.
M. de Ségur traite d'abord de la condition et
du caractère des femmes chez les peuples anciens ,
tels que les Hébreux , les Egyptiens , les Grecs
les Romains et même chez les Sauvages. Passant
394 MERCURE DE FRANCE ,
ensuite au sort et à la vie des femmes chez les Chrétiens
et chez les Mahométans , il en vient naturellement
au siècle de la chevalerie , où les femmes
ont exercé un ascendant qu'elles ont bientôt
perdu , parce que la nature leur a donné tout
ce qu'il faut pour acquérir l'empire , et que par
une juste compensation , elle leur a refusé beaucoup
de qualités qui sont propres à le conserver.
L'auteur resserrant ensuite ses observations dans un
cadre plus étroit , parle en particulier des femmes
dans les différens âges de la monarchie française ,
et il s'attache à caractériser celles qui ont eu le
plus d'influence sur les destinées de la nation depuis
le règne de François premier jusqu'au règne
de Louis XVI. Il termine son ouvrage par un
coup-d'oeil général sur la condition des femmes
chez les peuples de l'Europe moderne. Ce précis ,
comme les tableaux qui le précèdent , est semé
de beaucoup d'observations neuves , et l'auteur a
presque toujours l'art de rajeunir celles qui ne le
sont pas : il parait avoir bien saisi le caractère et
l'esprit des femmes , et celles-ci pourraient lui re -
procher de nous avoir révélé leurs secrets , si ces
secrets n'étaient pas le sujet de ses éloges.
Ala lecture des premiers chapitres , le lecteur est
frappé d'une idée qui est presque affligeante ; c'est
que le sort des femmes était beaucoup moins heureux
chez les peuples anciens qu'il ne l'est chez les
peuples modernes. Chez les peuples pasteurs dont
on célèbre les vertus simples et modestes , les
femmes étaient presque réduites à la condition
d'esclaves ; elles n'étaient pas beaucoup plus heureuses
chez les Egyptiens , la plus sage des nations ,
et chez les Grecs , le plus poli des peuples de l'antiquité
: chez les anciens , et sur-tout chez les peuples
pasteurs , le commerce des deux sexes n'était point
environné de ces heureuses illusions qui lui prêtent
PRAIRIAL AN XI. 395
un nouveau charme , et qui balancent les avantages
et les désavantages de l'un et de l'autre. On
voit par l'ouvrage de M. de Ségur , que les femmes
les plus malheureuses sont celles des Sauvages ; on
en trouvera facilement la cause ; parmi les Sauvages
, la force seule doit assigner les rangs , et la
faiblesse est un tort qu'il faut expier par une condition
humiliante. D'utiles préjugés ne viennent
point au secours des femmes ; aucune illusion ne
créée pour elles cet empire moral , qui , chez les
peuples policés , met souvent le plus foible à l'abri
des tentatives du plus fort ; elles sont comme
ces captifs éternellement destinés à servir les vainqueurs.
Les femmes ne gagnent donc rien à être
trop près de la nature , mais elle ne gagnent pas
davantage à s'en trop éloigner , car c'est ici que
les deux extrêmes se touchent ; la civilisation est
un cercle qu'il ne faut pas parcourir tout entier ,
si on ne veut pas courir le risque de revenir au
point du départ. L'empire des femmes est établi
sur des préjugés , les Sauvages n'en ont point
encore; les peuples corrompus par l'excès de la
civilisation , n'en ont déjà plus , ce qui revient
au même : que les femmes y prennent garde
qu'elles veillent au dépôt sacré des moeurs ; les
moeurs seules leur offrent une barrière contre les
invasions de la force, qui finit toujours par être la
seule chose réelle , quand toutes les illusions se sont
évanouies ; je ne saissi je ne me trompe, et je désire
beaucoup n'exprimer ici qu'une erreur , mais il
me semble , que, sous beaucoup de rapports , nous
sommes plus près des Sauvages qu'on ne pense.
,
M. de Ségur conseille sur - tout aux femmes de
rester fidelles aux vertus de leur sexe. « La main ,
>> dit cet écrivain , qui a ordonné ce vaste uni-
>> vers , assigna à chacun un but qu'il doit rem-
>> plir ; s'il s'en écarte , il nuit à l'ordre général ;
396 MERCURE DE FRANCE,
>>> il en est puni , par cela même qu'il manque
» aux loix éternelles , d'où naissent l'ensemble
» et l'harmonie que la nature ne laisse point
>> violer impunément. >>>M. de Ségur observe que
le voeu de la nature , en créant les femmes , a
été de les consacrer principalement à l'emploi de
mères. Toutes leurs qualités semblent annoncer
cette sainte destination , et peu de leurs imperfections
empêchent qu'elle ne s'accomplisse. Après
l'amour maternel, la passion qui est la plus rap
prochée de la manière de sentir chez les femmes ,
c'est l'amour. Ce sentiment va fort bien avec l'irréflexion
qui caractérise un sexe qui se détermine
plus par le coeur que par la raison , et avec ce généreux
abandon de soi-même , dont les femmes
seules paraissent être capables. M. de Ségur refuse
cependant aux femmes la prééminence en amitié ;
il ne fait de ce sentiment , plus durable que l'amour
, que le second intérêt de leur vie ; l'auteur
pressent lui - même ici le malheur qu'il aura de
déplaire à un sexe qu'il révère ; il demande grâce ;
la vérité est son excuse : mais a-t-on jamais pardonné
quelque chose en faveur de la vérité ?
Aureste , il accorde aux femmes tous les talens et
toutes les qualités qui ne tiennent point a la réflexion
dont elles paraissent manquer essentiellement
; il ne leur refuse point le talent d'écrire , ni
même la gloire d'avoir surpassé notre sexe dans
plusieurs genres de littérature ; il les croit beaucoup
plus capables que nous du sentiment de la
bienfaisance , de celui de la pitié , etc. Il semble
que leur mission sur la terre , soit d'appaiser , de
secourir , de consoler : entraînées vers les malheureux
, dit leur panégyriste , quand nous ne sommes
qu'émus par leurs cris , elles les ont déjà soulagés ,
que nous hésitons encore à voler à leur secours.
Nous ne suivrons point M. de Ségur dans ce
PRAIRIAL AN XI . 397
qu'il dit des moeurs des femmes dans les différens
âges de la monarchie , depuis François I jusqu'à
Louis XVI ; les lecteurs y verront que les femmes
ont quelquefois abusé de leur ascendant , qu'elles
ont quelquefois troublé l'état par leurs intrigues ;
mais que les règnes où elles ont eu le plus d'empire ,
sont souvent ceux qui ont jeté le plus d'éclat. Elles
furent déifiées par la chevalerie , sous François I;
elles furent adorées sous Henri IV , honorées sous
Louis XIV . Mais bientôt les moeurs se corrompirent.
« Les nouveaux philosophes , dit M. de Ségur ,
>> et les libertins , les courtisans et les novateurs ,
» marchèrent au même but , conjurèrent ensem-
>>> ble sans s'en douter. On déprécia la puissance
>> et l'on détrôna l'amour. » La politesse, qui
supplée quelquefois à la décence et au défaut
demoeurs , qui peut tenir lieu jusqu'à un certain
point des sentimens qu'elle exprime , défendit
encore l'empire des femmes sous le règne de
Louis XV ; mais tout acheva de dégénérer sous
Louis XVI. Les sensations prirent la place des
sentimens ; les passions les plus douces furent soumises
aux calculs; la galanterie perdit ses formes
brillantes ; l'amour ne fut plus qu'un grossier libertinage.
Si on conservait encore quelque respect
pour un sexe aimable , ce n'était plus qu'un respect
de tradition , où le coeur n'était pour rien.
L'empire des femmes tomba, pour ainsi dire , avec
celui des monarques ; elles ne furent dès- lors pour
les Français que comme ces dieux de la fable , dont
le nom ne rappelle plus que des souvenirs , et que
les poètes célèbrent encore dans leurs vers , lorsque
personne ne croit plus à leur divinité.
Mais si les femmes avaient perdu leur empire au
sein de la corruption qu'avait fait naître une longue
prospérité , elles ont montré qu'elles en étaient
encore dignes , par leur courage au milieu des
?
398 MERCURE DE FRANCE ,
crimes et des calamités de la révolution. Le courage
de la résignation semble être une qualité que
la nature a donnée particulièrement aux êtres faibles
, et les femmes , dans les derniers temps , ont
souvent porté la résignation jusqu'à l'héroïsme. La
pitié est plus active dans leur coeur; elles ont seules
osé verser des larmes , dans ces jours malheureux
où il était défendu de pleurer ; elles ont consolé
ceux qui avaient perdu jusqu'à l'espérance ,
qui seule nous console dans les grands revers. Elles
ont fait plus , elles se sont servi de ce qui leur restait
d'empire pour nous défendre , et la faiblesse
en larmes a souvent fléchi la puissance irritée.
M. de Ségur cite un grand nombre de traits généreux
, qui semblent plus appartenir à des héros
qu'à des femmes; plusieurs sont déjà connus; tous
sont propres à inspirer le plus grand intérêt , et
rappellent ces vers du chantre de la Pitié.
Et vous , charme d'un peuple élégant et volage ,
Qui , dès vos premiers ans entendîtes toujours
Le sonde la louange et le luth des amours ,
Sous le faste imposant de l'âpreté stoïque ,
Où donc aviez-vous pris cette force héroïque ?
Dans lafoule des traits héroïques cités parM. de
Ségur , nous nous contenterons de rappeler ici le
discours que Charlotte Corday adressa à son défenseur
, Chauveau- Lagarde , après avoir entendu
son arrêt de mort. <<< Monsieur , lui dit-elle , je
>> vous remercie du courage avec lequel vous m'avez
>> défendue, d'une manière digne de vous etdemoi.
>> Ces messieurs , (en parlantdes juges vers lesquels
>> alors elle se retourna ) ces messieurs me con-
>>fisquent mon bien.... mais je veux vous donner
>> un plus grand témoignage de ma reconnais-
>> sance ; je vous prie de payerpour moi ce queje
>> dois à la prison. » Ce discours est de la plus
noble éloquence , et il ne manque peut-être à la
PRAIRIAL AN XI. 399
dernière phrase qu'une antiquité de quatre ou
cinq cents ans , pour être regardée comme une des
choses les plus sublimes qui soient jamais sorties
de la bouche des hommes. Les femmes ont souvent
plaidé notre cause devant les tribunaux révolutionnaires
; et c'est par ces traits héroïques ,
qu'elles la plaideront encore devant la postérité.
Dans son dernier chapitre , le panégyriste des
femmes les suit dans les diverses contrées de l'Europe
civilisée ; il voit des nuances différentes dans
leur sort , dans leur condition , mais il reconnaît
partout leur caractère principal. Nous passerons
rapidement sur les détails , et nous arriverons à la
conclusion de l'ouvrage , dans laquelle l'auteur en
résumant ses opinions , regrette les avantages que
les femmes ont perdu parla corruption des moeurs ,
et les engage à chercher dans l'éducation les véritables
moyens de rétablir l'égalité des sexes. Nous
ferons sans doute plaisir à nos lecteurs de citer
quelques passages de cette conclusion.
<< Chez nos bons ayeux , dit M. de Ségur , un
>> homme à trente ans était plus soumis au vieux
>> chef de la famille , qu'un enfant de dix-huit
>> ans ne l'est actuellement à son père. Aussi , ces
>> principes sacrés , conservateurs de la morale ,
>> sont appelés préjugés ; les idées religieuses n'ont
>> pu s'altérer , sans les dénaturer et leur ôter toute
» leur force. Dans cette anarchie sociale , une
>> jeune personne a besoin , plus que jamais , d'a-
>> voir sa mère pour guide et pour amie. D'après
>> cette périlleuse liberté depenser , trop établie
>>depuis quelque temps pour s'en préserver , une
>> tète vive trouve presque d'avance une excuse
>> pour sa faute , même une espèce de principe nou-
>> veau pour l'autoriser à la commettre , et trop de
>> gens pour la défendre. Quand tout est con-
>>fondu, l'opinion perd son influence. Long-temps,
400 MERCURE DE FRANCE ,
>> elle fut la sauve-garde de la réputation. Avant
>> même que d'être jugé par elle , long-temps le
>> tribunal de famille , exerça dans l'intérieur un
>> pouvoir auguste que l'on redoutait. Toutes les
>> familles vivaient réunies , au lieu d'être disper-
>>sées , comme elles le sont à présent , par les mal-
>> heurs , les opinions et les fortunes. On tremblait
>> de rentrer sous le toit paternel , de reparaître
>> devant les siens , quand on avait des torts graves
>> à se reprocher ; on devait compte , à tous , du
> nom que l'on portait et que l'on entachait par
>> une bassesse ; tous étaient intéressés à vous ra-
>> menerà des principes d'honneur. Osait-on fran-
>> chir cette barrière ; on retrouvait cette opinion
>> générale qui jugeait en dernier ressort , et vous
>> punissait d'avoir méconnu vos devoirs. Un
>> Homme se cachant dans l'obscurité d'une vie
>>> honteuse , pouvait quelquefois échapper à l'op-
>> probre ; mais une Femme , par les préjugés
>> reçus , par diverses formes auxquelles elle était
>> soumise , ne pouvait éviter sa punition ; elle
» était perdue. Dans ce siècle , tant de gens ont
>>> dit : Qu'est-ce que cela fait ? Tout est à peu
>> près égal. Ilfautfaire ce qui convient. Les ju-
>> gemens justes et sévères , sont réduits à un si
> petit nombre , qu'il importe peu de les braver.
>> Je ne dis pas que les femmes , dans d'autres
>> temps, fussent plus attachées à l'honneur ; mais
>> en principes , en actions , il existait des bornes
>> que publiquement on ne franchissait pas , et le
>> scandale est le premier destructeur delamorale.
>> Il résulte donc de cet état de choses , que la
>>>condition des femmes, en ce moment, se réduit
>> à trois points , dépendans les uns des autres :
→ beaucoup plus de liberté , moins de considéra-
>> tion,moins d'influence.
Comme l'usage est une espèce de mode qui
s'établit
१
PRAIRIAL AN XI. 1
➤ s'établit dans les moeurs, avec autant de despo-
>> tisme , que celle des habits et des parures , de
>> long-temps nous ne verrons certains préjugées
> essentiels , sur-tout pour les femmes , reprendre
>> leur empire. Il faut donc que l'éducation supplée
>> d'avance , par la force des principes , à la faiblesse
des barrières que les passions ont à fran-
>> chir pour se satisfaire. Soyons sincères ; il n'y a
▸ véritablement plus aucuns freins , que ceux qu'on
> se donne à soi-même.
α
>>> L'éducation d'une jeune personne pouvait
>> autrefois se borner à des principes qu'elle rece-
>> vait de ses parens avec une religieuse soumis-
>> sion; à présent , je le répète , elle les discute et
>> ne se laisse pas persuader par l'expérience. L'é-
> ducation doit donc changer de nature. Il faut
>> que la mère , plus dévouée que jamais à sa fille ,
> gagne sa confiance , rivalise avec les conseils de
>> ses jeunes compagnes, lutte sans cesse contre les
>> principes à la mode , contre les brillantes illu-
>> sions de l'esprit , oublie qu'elle devrait comman
>> der , et sente qu'elle doit séduire. Il faut que ,
>> forcéede mener son élève trop tôt dans le monde,
>> elle tire un avantage de cet inconvénient , joigne
» l'exemple au précepte , et à l'aide d'une douce
>> patience , d'une suite difficile et rare , démontre
>> ce que jadis elle avait le droit d'ordonner, >>>
J'ai donné , je crois , une idée suffisante de
l'ouvrage de M. de Ségur, et je pourrais me dispenser
d'en faire l'éloge; le nouveau panégyriste
des femmes , n'a point trempé saplume dans l'iris,
selon l'expression un peu burlesque de Diderot. Il
n'apoint cherché, commeThomas , àse faire admirer
par des sentences ingénieuses ; mais se conformant à
lanaturede son sujet, il a cherché à plaire , et tout
nous fait croire qu'il a réussi. Un censeur sévère
lui reprochera peut-être des négligences dans le
12
Cc
402. MERCURE DE FRANCE ,
style , des répétitions fréquentes , un défaut d'ordre
dans le plan , mais il serait injuste d'employer tes
formes pédantesques de la critique , pour analyser
l'éloge d'un sexe aimable; et pour bien juger
un pareil ouvrage , je crois qu'il faut consulter son
coeur autant que son esprit , le sentiment autant
que la raison , et s'asseoir , si j'ose parler ainsi , au
tribunal des femmes. L'ouvrage de M. Ségur est
sur-tout remarquable parla variété qu'on ytrouve ;
les récits historiques , les observations morales , y
sont souvent interrompus par des nouvelles où les
moeurs des femmes sont représentées sous la forme
la plus attachante. Les noces de Jacob , dans le
premier volume , la conversation de Fouquet et de
Lauzun au château de Pigneroles , dans le second
volume , et Zunilda , dans le troisième , se font lire
avec un grand intérêt.
MICHAUD .
VOYAGE de M. Candide , fils , au pays d'Eldorado ,
vers la fin du dix-huitième siècle , pour servir de suite
aux Aventures de monsieur son père. Deux vol. in-8°.
Prix , 6 fr. et 8 fr. , par la poste. AParis , chez Barba ,
libraire , palais du Tribunat; et chez le Normant , imprimeur
- libraire , rue des Prêtres Saint - Germainl'Auxerrois
, n°. 42.
ON a dit depuis long-temps que la première qualité
d'un journaliste était l'impartialité , et sans elle en effet
le talent même ne sert qu'à induire plus sûrement en
erreur ; mis il en est de cette vérité comme de tant d'autres ,
que tout le monde reconnaît , que chacun prescrit à son
voisin et que personne ne pratique. Cependant il me paraît
facile de prouver, même aux plus incrédules , qu'il serait ,
PRAIRIAL AN XL 403
je ne dirai pas de lajustice , mais de l'intérêt de tous , ( car
c'est toujours cette corde qu'il faut toucher quand on
cherche à convaincre , ) de se montrer impartiaux même en
jugeant leurs ennemis. Parmi nous au contraire on loue,
en général , ou l'on critique un ouvrage , non d'après son
mérite réel , mais suivant qu'il est, ou n'est pas dans
les principes de l'homme qui écrit ; en sorte que chacun
est sûr d'avance, quand il voit l'éloge d'un livre dans
tel journal , qu'il sera nécessairement déchiré dans tel
autre : cette règle est même si certaine , que l'on pourrait ,
d'après elle , parier mille fois , sans craindre de se tromper
'une seule. Qu'il en fût ainsi aux temps de nos discussions
politiques , c'était un malheur sans doute , mais un mal
heur inévitable, l'homme, malgré le système de la perfec
tibilité, n'étant pas encore assez parfait pour que l'on
puisse exiger de lui de se montrer juge intègre dans sa
propre cause."Mais quand il s'agit d'un beau vers , d'un
bon ouvrage , ne saurait-on juger la chose en elle-même ,
et rendre hommage au talent , tout en blamant, si on le
veut , l'emp'oi qu'on en a fait ? Agir autrement , n'est-ce
donc pas vouloir s'exposer au reproche , toujours si sensible
pour l'oreille d'un homme de lettres ,de manquer de
goût et de discernement ? Mais je dis plus: je crois que
l'intérêt même de la cause que l'on prétend défendre exige
cette bonne foi, cette impartialité. En attaquant sans
cesse , à tort et à travers , soit la religion , soit la philosophie
, on est sûr de plaire aux siens , je l'avoue , mais
dedéplaire à tous les gens neutres ou modérés , et de ne
faire par conséquent ni un seul prosélyte , ni une seule conversion.
Si l'on consentait à examiner avec calme , à trouver
bon ce qui l'est effectivement , à louer , à admirer
même ce qui mérite de l'être , on aurait alors et le droit de
blâmer ensuite , et celui de persuader : mais l'exagération
réfroidit , la mauvaise foi reconnue détruit la confiance ,
Cc 2
404 MERCURE DE FRANCE ,
et l'on finit par ne persuader plus , même quand on dit
la vérité. Les uns s'imaginent porter un coup terrible à la
religion , en cherchant à tout propos , et souvent sans
l'ombre même de vraisemblance , à lui prêter des torts ou
des crimes : les autres se figurent de même détruire
l'influence des écrivains philosophes , en leur refusant du
génie , du goût ou des talens. Mais tous se trompent : cette
conduite ne fait , de part et d'autre , que gâter leur cause;
et loin de gagner par-là les esprits , ils les repoussent,
parce qu'il est de fait que l'injustice révolte tout le monde,
excepté celui qui la commet. Pour moi ,je voudrais , à ce
qu'il me semble , trouver bons et les vers de Chénier et
ceux de la Harpe , quand ils le sont , quitte à combattre
ensuite leurs principes s'ils n'étaient pas les miens , ou
pour mieux dire , s'ils me paraissaient dangereux etcontotires
au repos de la société. Cette conduite , d'abord plus
juste , serait à-la-fois et plus avantageuse pour le parti
que 'on défend, et sur-tout (ce qui ne flatterait pas moins
un grand nombre de nos critiques) plus dangereuse pour
celui qu'on attaque.
Si je me permets ces réflexions, c'est qu'elles me semblent
n'être rien moins qu'étrangères à l'ouvrage dont je
vais rendre compte. Déja je nommerais d'avance ceux
d'eutre nos journalistes qui ont résolu , sur le titre seul ,
d'en dire du bien , et qui en diront du mal après l'avoir
lu ; ceux au contraire que le titre a révoltés , mais que la
lecture du livre réconciliera avec l'auteur. La sagesse , la
modération de ses idées , la douceur de sa critique , toujours
gaie , souvent plaisante , mais jamais acre ou passionnée
, devraient lui faire trouver grâce aux yeux même
de ceux qui pourront se reconnaître dans ses tableaux , si
la justice n'était pas un peu passée de mode parmi nous.
N'envisageant même le régime de la terreur que sous son
point de vue ridicule ou absurde, il n'emploie, dans le
PRAIRIAL AN XI. 405
peu qu'il dit sur cette époque désastreuse , que les traits
seuls de la plaisanterie; et l'on doit convenir en effet que
laplupartde nos horreurs révolutionnaires seraient assez
burlesquement plaisantes , si elles étaient moins atroces.
Il faut lui savoir gré d'être resté fidèle au ton qu'il a
d'abord adopté. Quant à moi pourtant , je n'eusse point ,
je le confesse , été fâche de le voir attaquer avec plus de
vigueur , nos vices , nos moeurs bassement corrompues ,
et sur-tout jeter à pleines mains le ridicule sur ces tripots
littéraires et ces tripots comiques , où tant d'hommes
vont a-la-fois rapetisser leur âme et éteindre leur talent :
car l'esprit ne produit rien de grand, quand l'âme est
avilie.
Je vais dire un mot du plan de ce nouveau Candide ;
mais comme le mérite d'un ouvrage de ce genre tient
moins au cadre qu'à l'exécution , je mettrai ensuite le
lecteur à même , par quelques citations, de juger du
style et de la manière de l'auteur .
Il nous mène d'abord retrouver Candide et ses amis
près de Constantinople , dans la petite métairie , où
chacun d'eux exerce ses talens pour faire aller le ménage,
tandis que Pangloss et Martin passent le temps , comme
autrefois , à argumenter et à prouver l'un que tout est
mal , l'autre que tout est bien. Mais une fantaisie de la
saltane favorite force tout-à-coup Candide à faire voyager
son fils ; et le jeune homme part pour le pays d'Eldorado ,
accompagné de Pangloss , de Martin , et conduit par le
fidèle Cacambo . Dans ces deux premiers chapitres, l'intérieur
de la métairie, la différence qui existe entre les
philosophes des différens siècles , et la bisarre fantaisie de
la sultane , sont présentés d'une manière plaisante et qui
se rapproche très-heureusement de celle du modèle. Après
quelques légers accidens , quelques rencontres , qui fourpissent
matière à de nouvelles querelles entre les phile
Cc3
406 MERCURE DEFRANCE ;
sophes , et leur procurent des renseignemens sur Rispa ,
capitale d'Eldorado , nos voyageurs atteignent les frontières
de cet heureux pays , où on les met en prison
dès qu'ils paraissent. Relachés la nuit même , ils apprennent
comment on ébauche une révolution , et vont
se faire arrêter de nouveau à Rispa. Séparés alors , ils
recouvrent leur liberté par divers moyens , éprouvent
mille aventures , et font tour-à-tour mille métiers . Les uns ,
par exemple , devenus auteurs , s'instruisent de ce qui fait
tomber ou réussir une pièce , un journal ou un roman :
Candide, associé à un fournisseur , voit comment ces
messieurs font fortune , comment on réussit près de leurs
femmes , comníent ils dinent, se battent , se marient ou
se démarient et élèvent leurs enfans ; Pangloss , après
avoir fait des souliers , fait une éducation , voit l'assemblée
des sages , l'entend reconnaître l'existence de l'Etre-
Suprême , va à l'école d'une déesse de la raison , assiste à
un cours public , à plusieurs discussions sur Dieu , sur
l'immortalité de l'âme , et apprend , par sa propre expérience
comment le théâtre est l'école des moeurs :
Cacambo agioté , lève une maison de prêt , fait un petit
mariage à la mode , donne dans les entreprises , fait banqueroute
, se ruine malgré celà , et devient alors tour-àtour
auteur et charlatan , afficheur et traducteur , etc. etc.
Réunie enfin après tant d'aventures , la petite troupe se
disposé à célébrer le mariage de Candide fils , avec une
jeune et belle Eldoradienne , lorsqu'une lettre de Candide
père , ouverte et interprétée par un comité révolutionnaire
, est sur le point de les conduire à l'échafaud ;
mais un cordonnier, ami de Pangloss , les délivre ; et ils
retournent tous à la petite métairie , où Candide fits
épouse sa maîtresse. Tout finit par une lettre qu'il reçoit
au bout de quelques années , et dans laquelle on lui annonce
qu'Eldorado a bien changé de face depuis son dé
,
PRAIRIAL AN XI. 407
part; que la multitude de gens qui faisaient , à eux tous ,
beaucoup de mal, a été remplacée par un homme quifait,
à lui seul , beaucoup de bien ; et la petite troupe , ou pour
mieux dire l'auteur , termine en bénissant celui qui s'occupe
à arranger les choses de manière à ce que tout soit l
mieux possible.
On voit que le cadre est heureux : quelques citations
feront connaître maintenant la manière de l'auteur , et le
ton de sa critique.
i
Martin s'emporte contre les femmes , qui en sont venues
au point de ne plus daigner même cacher leurs intrigues
: Pangloss prend leur défense. « Jusqu'à présent , s'-
>> crie-t- il , on avait sans cesse reproché aux femmes leur
>> dissimulation ; elles profitent de la leçon , et cherchent
» à s'en corriger : rien de mieux assurément ; ceux qui
>>> les accusaient auparavant , voudraient ils mainte-
>> nant les blâmer d'avoir suivi leurs conseils ? Ils au-
>> raient grand tort , puisqu'en retranchant un défaut ,
on faitun pas de plus vers la perfection , qui fut , qui
>> est , et qui sera toujours le véritable but de la nature :
>> cela est donc fort bien , coramme tout le reste ; et je ne
>> vois encore ici que de nouveaux progrès de l'esprit hu-
>> main , et de nouveaux bienfaits de la philosophie. C'est-
>> à- dire , reprit Martin , de nouveaux degrés de déprava-
>> tion , de nouveaux élans vers la dissolution totale de la
>> société ; puisque renverser les moeurs , qui en sont le
>> fondement et le lien , c'est la détruire elle - même.
>> Faux principes , conséquences plus fausses encore , rei
>> plique Piangloss . Qui peut donner de la force et de la
> consistance à la société , si ce n'est les rapprochemens
>> et les rapports plus fréquens et plus intimes entre ses
>> différens membres ? Où résidait la résistance qu'oppo-
» sait ce faisceau de dards , présenté jadis par un père à
>> ses enfans ? n'était-ce pas dans les liens qui servaient à
C64
408 MERCURE DE FRANCE ,
» les réunir et à les resserrer ? Or , les femmes formant
» une grande chaîne , qui lie plus ou moins tous les
» hommes entr'eux , plus elles ajouteront de chaînes par
» ticulières à cette chaîne , plus le faisceau général de
> viendra compacte et difficile à délier. Donc , il est pour
» le mieux que les fenimes aient beaucoup d'amans , puis
>> que multiplier les alliances , c'est établir de nouveaux
>> noeuds entre les hommes ; c'est fonder véritablement
» parmi eux cette grande famille , dont parlent tous les
>> philosophes et les philantropes.>>>
Plus loinPangloss soutient que l'habitude récente qu'ont
prise les femmes de faire assez souvent les avances , est
juste. « Elles ont raison , interrompit Pangloss. La femme
» a été créée pour partager les plaisirs et les peines de
» l'homme; or , si c'est un plaisir d'avouer le premier
>> qu'on aime , il y aurait de l'injustice à vouloir Pen pri-
» ver; si , d'un autre côté , c'est un embaras et une gêne ,
>> comme on le croyait autrefois , il y aurait aussi de
>> l'injustice à prétendre que l'homme dût seul la sup-
>> porter. Il est donc au mieux que le moins timide ou le
>> plus pressé s'explique d'abord , quelque puisse être son
➤ sexe.>>
Pour donner un échantillon d'un genre plus sévère ,
je vais laisser parler l'aigre Martin , au moment où il
vientde voir égorger un vieillard et incendier une maison.
<< Que le peuple pille pour s'enrichir , je le conçois,dit
>> Martin ; mais que , comme nous venons de le voir ,
>> il brûle et renverse , sans en tirer aucun profit , voilà
» ce que je ne puis comprendre ; voilà ce qui me prouve
>> que , quoique tout soit mal dans l'univers , l'homme
>> est encore ce qu'il y a de pire. Y eut-il jamais , par
>> exemple , de cruauté pareille à celle des hommes que
>> nous venons de voir? C'est précisément sur celui qut
les comblait de bienfaits continuels , que retombe leur
4 409 PRAIRIAL AN XI.
» barbarie ! Ils viennent de me convaincre pour jamais
>> d'une vérité dont j'étais déjà persuadé d'avance : c'est
>> que la bienfaisance , qu'on appelle la première des
>> vertus , n'est autre chose que la première des folies ,
>> la première des erreurs . Dites , au contraire , s'écria
>> Pangloss , que l'ingratitude est la première des ressources
>> dont l'homme puisse user pour parvenir à tout. Ce
» n'est qu'en oubliant ses bienfaiteurs , en écrasant même
» ceux qui vous ont rendu service , qu'on réussit à s'éle-
>> ver. Tout être se reproduit de la dissolution d'un autre :
>> la chenille naît sur la feuille pour la dévorer ; donc ,
>> l'ingratitude est dans la nature ; donc l'ingratitude est
>> un bien, puisqu'il ne peuty avoir rien de mieux que la
» nature. »
Candide se trouvant sans ressources , un de ses amis
lui cherche un métier : c'est Candide même qui raconte
cet entretien. « Avez-vous quelque talent , me demanda
» mon ami ? Non , lui répondis - je. D'après cela , re-
> prit - il , je ne vous vois d'autre ressource que de vous
>> faire auteur; commencez un roman. Mais , repliquai-je ,
>> je ne connais ni les moeurs , ni la société ; je suis trop
>> jeune pour avoir sondé le coeur humain , et fait des
» observations sur ce qui se passe dans le monde. Que
>> pourrai-je écrire ? une histoire , où il n'y aura ni carac-
>> tères , ni vraisemblance , ni intérêt. Eh ! tant mieux ,
>> dit- il ; c'est comme cela qu'on les aime. Trouvez-vous
>> cependant plus aisé de faire une comédie ? Mille fois
>> plus difficile , répondis-je : je n'ai d'abord aucune con-
>> naissance du théâtre. Cela n'empêche pas , répondit-il;
>> vous me paraissez avoir de l'esprit; lisez quelques
» ana , causez ensemble quelques mauvaises anecdotes ,
> formez un habit avec des morceaux de différentes coul
>> leurs , pour défigurer quelques personnages du siècle
> de Louis XIV; lardez cela de calembourgs, de pointes,
410 MERCURE DE FRANCE ,
>> de proverbes ; mettez dans vos couplets la nature , les
> fleurs , la sensibilité ; entremêlez le tout de quelques
» équivoques bien claires , et je connais plus d'un théâtre
» où vous aurez du succès. Croyez- vous , dis-je à demi
» ébranlé ? J'en suis sûr , me répondit - il d'ailleurs ,
> essayez. Si les chutes tuaient , ou même étaient capables
>> d'estropier , vous verriez presque tous les jeunes gens
> de Rispa porter des béquilles.>>>
Quelques personnes feront peut-être un crime à l'auteur
d'avoir osé donner une suite au Candide de Voltaire :
je ne partage pas , je l'avoue , cette opinion. Il serait
parfaitement ridicule sans doute , pour ne rien dire de
plus , de prétendre refaire le roman de Candide , bien que
Candide ne soit pas la Phèdre de Racine ; mais non-seulement
il est permis de prendre un bon ouvrage pour
modèle , et de chercher à suivre les traces d'un maître ,
ce choix annonce même du goût et un bon esprit .
L'ouvrage est en général trop bien écrit pour que l'on
puisse mettre sur le compte de l'auteur deux ou trois
fautes grossières , qui viennent évidemment de l'imprimeur.
Il est tout simple que ces messieurs ne se piquent
pas de connaître leur langue , depuis que la plupart des
auteurs ne se piquent plus de la savoir .
H. COIFFIER. 4
VARIÉTÉS.
4
Le champ de la littérature devient tous les jours plus
stérile. Ce n'est pas que les catalogues des nouveautés ne
soient toujours fort bien remplis , mais il semble que
leur nombre nuise à leur valeur ; plus les gazettes sont
chargées de titres nouveaux , moins nous avons de bons
livres , et l'on peut dire que rien n'est si pauvre que cette
PRAIRIAL ANXI. 411
1
richesse étalée dans les affiches de Paris et des départemens.
Quelques journaux ont annoncé un nouvel ouvrage de
M. Lantier , auteur du voyage d'Antenor. Il est en trois
gros volumes , et il a pour titre : Les Voyageurs en Suisse.
On a dit que les voyages étaient une affaire de mode , et
que les derniers venus étoient toujours les mieux accueillis
; M. Lantier a fait mentir le proverbe ; et son voyage
en Suisse ne fera point oublier son voyage en Grèce. Dans
son voyage d'Antenor , M. Lantier avait profité de l'idée
accréditée parmi le peuple , que les Athéniens ressembloient
aux Parisiens , et il était parti de là, pour faire
passer sous le nom d'Antenor , les anecdotes de Paris , le
bulletin de nos modes , et jusqu'à l'histoire scandaleusé
des coulisses de nos théâtres ; ce roman avait parfaitement
réussi , et toutes nos petites maîtresses s'applaudissaientde
voir leurs intrigues et même leurs billets doux déterrés
tout-à-coup dans Herculanum. Quoique la Suisse soit
beaucoup plus près de nous , il était difficile d'en tirer le
même parti dans un roman. Il n'était pas aisé de transporter
les Suisses à l'opéra , de faire entrer les Alpes dans
le cadre de la miniature , et de représenter le Saint-
Gothard sur des éventails. Aussi l'auteur a-t-il complettement
échoué ; on n'a vu dans son ouvrage qu'un roman
dans un voyage , et un voyage dans un roman ; ce mélange
bisarre du sérieux et du frivole , du vrai et du faux ,
n'intéresse ni ceux qui cherchent à s'éclairer , ni ceux
qui n'ont d'autre but dans leurs lectures que de s'amuser.
Le choix du sujet, l'intrigue du roman ont paru déplacés ,
et le style même en est beaucoup moins agréable que
celui d'Antenor
Pendant que M. Lantier nous fait faire levoyage de Suisse,
un autre voyageur beaucoup plus éclairé nous transporte
dans l'Indostan; on voit que nous voulons parter ici des
412 MERCURE DE FRANCE ,
Lettres philosophiques et historiques sur l'état de l'Inde,
sur les moeurs des Indiens et des autres peuples de
l'Asie ( 1 ). Ces lettres sont presque traduites littéralement
de l'intéressant recueil publié par l'académie de
Calcutta. L'auteur des lettres donne d'abord une idée de
la théologie des Indous , en faisant connaître les Veidas ,
dont les savans Européens n'avaient eu jusqu'à ce jour
que des notions inexactes. C'est d'après les Veidas que
l'auteur compare la casmonogonie des Indous avec celle
des Juifs sous la forme aisée à saisir d'une page divisée
en colonnes , sur chacune desquelles le système de ces deux
anciens peuples est présenté au lecteur.
Il résulte de ce tableau , que , selon Moïse ,' « Dieu ,
>> après avoir créé les cieux et la terre , se reposa ; tandis
>> que , selon Menou , fils de Brahma , celui dont les pou-
>> voirs sont incompréhensibles, ayant créé l'univers , fut
>> absorbé dans l'esprit,
Cette doctrine de l'absorption ou de l'ame universelle ,
selon Pythagore , est généralement reconnue par les Indous.
Ils se la rendent sensible , en comparant son effet à
celui d'une tortue retirant dans son écaille ses pattes et ses
articulations qui les meuvent , et à l'araignée faisant rentrer
dans son estomac ses pattes et ses fils ; ainsi qu'au
porc-épic qui retire ou lance à volonté ses dards, dont il
estarmé par la nature.
La lettre sixième contient l'extrait approfondi d'une
savante dissertation de William Jones , sur la comparaison
des dieux de la Grèce et de l'Italie , avec ceux de
l'Inde.
La lettre septième nous montre la source et nous apprend
la suite et l'influence des cérémonies et des devoir
(1) Unvol. in-8º avec cartes ; prix 5 f. et 6 f. 50 c . par la poste.
AParis , chez C. Pougens , libraire , quai Voltaire, n. 10.
PRAIRIAL AN XI. 413
'religieux , sur les moeurs et les coutumes des Indous,depuis
plus de 3000 ans. Quelques-unes ont lieu chez des
peuples à peine connus jusqu'à la publication de ces lettres.
Dans le Ghat de Chaudnie , sur les rives duGange,
près Hurdwar , il se trouvait , à la solennité du mořs
d'avril 1796 , plus de deux millions et demi de pélerins
de tout âge et de tout sexe. La religion de Brama a maintenu
jusqu'à ce jour la division politique des Indous en
classes essentiellement inégales ; cette division est révoltante
pour l'inexpérience , mais elle n'est pas sans utilité ,
aux yeux de la sagesse et de la raison, On n'a qu'à lire
ce que dit Bossuet de la division des castes égyptiennes ,
dans son Histoire universelle .
"
La lettre onzième est consacrée à la poésie et à la
littérature orientales. Il aurait été facile à l'auteur de la
rendre extrêmement longue , en traduisant tout ce qu'en
ont écrit les plus éclairés des amateurs Anglais. Mais il
a cru qu'il serait plus agréable pour ses lecteurs de
connaître le caractère du génie poétique des Asiatiques,
que de faire des remarques sur leurs ouvrages. En les
lisant , on voit avec surprise qu'un poète Turc , imitateur
des Ferdust, des Hazis et autres grands maîtres de
l'école persanne , ait été jusqu'à tracer un portrait du
printemps digne d'être comparé à celui que l'immortel
auteur des Jardins et des Géorgiques françaises , nous fait
de la nature.
1
Le disciple Ture des poites persans , connu sous le
nom de Mésihi , nous prouve combien son coeur était
sensible aux charmes du plus beau moment de l'année,
en nous disant :
<< Lorsque l'agréable ramaaggee des oiseaux, qui chantent
>> et célèbrent par- tout le doux retour du mois de Mai ,
>> un vent frais répand sur les humains son souffle adouci ,
>> et fait déployerle riche tapis vert de la nature, parseme
414 MERCURE DE FRANGE ,
-
>> de ses fleurs d'argent. Cette saison riante de roses et des
>> plus belles productions de la nature , nous invite à jouir
>> des plaisirs. Soyons gais , et profitons de l'éclat et de
➤ l'odeur des productions printannières , qui sans doute
>> ne se faneront que trop tôt.....
>> Des gouttes éparses de rosée se répandent sur les lys,
>> en forme de perles d'orient. Si l'amour et la jeunesse
>> engagent alors vos jeunes coeurs , écoutez , jeunes nym-
>> phes , ces paroles de votre poète ; pendant que vous
>> serez assises à l'ombre des légers feuillages , soyez
>> gaies , etc. :
>> Voyez - vous les anémones avec leurs feuilles dé-
« ployées , leurs rubis flamboyans et leur azur doré ? Pen-
>>>dant que la fraîcheur des fleurs descend des nuages
>>> humides , jouis de la société de ton fidèle ami. Au
>> moment où le vin est apporté , relève - toi de ton
> moëlleux sopha , sois gai , etc.
>> Chaque matin dépose légèrement la plus limpide
>> rosée sur les feuilles de la rose , et le zéphir vient
>> aussi-tôt s'enivrer de cet agréable parfum . Par égard
» pour vous-mêmes , charmantes filles, ne m'en deman-
>> dez pas davantage. Que l'homme sage désire , et que
>> l'insensé s'exhale en reproches et en plaintes aussi vai-
>> nes que lui ! soyons gais , etc.
vous
>> Puisse cette ébauche informe conserver d'âge en âge
» les manières amoureuses de ce siècle ! Venez , char-
>> mantes filles , et entendez la voix de votre poète ,
>> chantant : Vous êtes la rose et l'enfant du printemps.
>> Aimez celui qui fait entendre ces chants à votre louange,
» comme vous aimez l'amant qui a su vous plaire ;
>>>soyez gaies , etc.
A ce tableau peint si évidemment par le coeur , opposons
celui dans lequel on trouvera sûrement bien plus
1
!
PRAIRIALAN XI. 415
de méthode et bien plus d'esprit, mais non toujours une
supériorité de génię poétique ..
Tantôt dans nos vallons , jeune , fraîche et brillante ,
Tu ( la nature ) marches , et des plis de ta robe flottante ,
Secouant la rosée et versant les couleurs ,
Tes mains sènment les fruits , les semences , les fleurs ;
Les rayons d'un bean jour naissent de ton sourire ;
De ton soufle léger s'exhale le zéphire ;
Et le doux bruit des eaux , le doux concert des bois ,
Sont les accens divers de ta brillante voix !
K
Les Lettres que nous annonçons , sont en général trèscurieuses
par les faits ; on y désireroit seulement un pen
plus de netteté dans le style , et plus de méthode dans la
classification des matières .
:
Plusieurs ouvrages remarquables dans les sciences
viennent de paraître. Parmi ces ouvrages , on distingue
celui de M. Hassenfratz , sur l'Astronomie , et celui de
M. Izarn , sur les Pierres tombées du ciel.
L'ouvrage astronomique de M. Hassenfratz , n'est quữn
abrégé du Systême du Monde de M. de la Place , mis dans
unordre propre àl'enseignementde l'école polytechnique.
Cela ne diminue en rien son mérite. Ce n'est pas une chose
très-facile à un savant que de bien écrire pour la jeunesse ;
ce n'est pas un petit travail que cette traduction de sa propre
science , qui ne laisse rien d'obscur , qui procède avec
ordre , et qui consent à se mettre au niveau de l'ignorance,
pour être mieux entendu d'elle. Prendre la peine de refaire
, pour les autres , dans la science , le voyage qu'on a
déjà fait soi-même , avec la précaution d'en mieux dessiner
la route , et d'en ôter une partie des peines et des dif
ficultés : cette méthode demande du temps , de la patience,
et une sorte de bonté de coeur et d'esprit .
1
M. Hassenfratz a eu certainement la volonté de suivre
cette méthode ; il pousse souvent l'attention jusqu'à déſi-
1
416 MERCURE DE FRANCE ,
nir les choses les plus simples. Mais si , à la différence de
beaucoup de savans , il veut bien consentir à être clair
dans les choses claires, on desirerait qu'il eût voulu prendre
la peine de l'être aussi dans les choses obscures. On
desirerait aussi quelquefois que son style eût plus de précision.
« Son explication (de l'aberration ) a présenté de
>>grandes difficultés , et suppose deux choses ; la suppo-
>> sition du mouvement de la terre autour du soleil fixe ,
» au milieu du système planétaire. » Nous entendons
très-bien sa pensée ; mais un malheureux élève perdra
peut êtreune journée à comprendre à quoi se rapporte
l'épithète fixe.
D'un autre côté , pourquoi invoquer la démonstration
géométrique , quand elle n'est pas nécessaire ? Et pourquoi
la hérisser de caractères grecs ? Nous approuvons
fort ses explications étymologiques ; mais n'a-t-il pas
poussé quelquefois ce soin jusqu'à la puérilité. Était-il
nécessaire de nous apprendre dans des notes queport vient
de portus ; marée de mare, perturbation de perturbare ?
-Qui aurait pu croire que nous aurions un jour une
Lithologie atmosphérique : c'est le nom de l'ouvrage de
M. Izarn. La première section offre le recueil des faits et
des opinions publiées depuis l'an 1700 , au sujetdes pierres
tombées du ciel. La seconde analyse les explications publiées,
tant sur la réalité de ces faits , que sur leur cause
et leur origine. La troisième section établit l'opinion particulière
de l'auteur. :
Divers savans , d'une grande célébrité, se sont occupés
de la chute des pierres atmosphériques. Les uns ont contesté
le fait , d'autres l'ont expliqué par des éruptions de
montagnes ignivomes ; d'autres les ont attribuées à des
projections volcaniques de la lune.
M. Izarn nous a paru combattre avec beaucoup de jugement
ces diverses opinions. Il prouve d'abord en point
de
PRAIRIAL AN XI.
47
REP.FR
dè fait qu'ily a des pierres réellement tombées de atmos
phère : il montre ensuite , en point de théorie , omment
elles ont pu se former. Tous les corps de la nature peuvent
être divisés, selon lui , en solides, liquides et gazeus.
Après avoir décrit de quelle manière la nature fait passer
les substances de l'un de ces états à l'autre , il présente
Y'atmosphère comme le grand alambic de la terre. Comment
imaginer que cet océan , composé de tout ce qui
peut être volatilisé de la surface du globe , se borne aux
trois substances oxigène , azote, et idrogène , que les savans
lui ont reconnu ? Or , si par une cause quelconque
les substances térrestres évaporées et sublimées en état de
gaz , viennent à se réunir subitement , il est évident que
groupées ainsi et amalgamées , elles acquerront une densité
, au moyen de laquelle elles se précipiteront avec plus
ou moins de violence sur la terre .
Quand eette explication a été présentée à M. Vauquelin ,
il a répondu qu'il aimait mieux croire que ces pierres
venaient de la lune , qued'admettre dans l'atmosphère une
assez grande quantité de matières denses , poury produire
de semblables concrétions. Cependant , M. Sage , et beaucoup
d'autres savans , ont trouvé de l'or et du fer dans des
plantes qui , en raison des précautions auxquelles elles
avoient été assujetties, n'avoient pu recevoir ces métaux
que de l'atmosphère. M. Izarn profite judicieusement de
ces faits; mais quoique son instruction paraisse, égaler sa
sagacité , il s'en faut bien , selon nous , qu'il ait usé de tous
ses avantages. Pour montrer à quel point les substances les
plus pesantes de la nature étoient susceptibles d'évaporation
et de volatilité, il pouvait citer le quartz ; il pouvait
citer , non-seulement ces nuées de sable du désert , transportées
comme des vapeurs par le vent; il pouvait montrer
que l'air en paraît en quelque sorte dissous et inprégné.
D'après différentes expériences faites sur lesiroco,
12 Dd
418 MERCURE DE FRANCE ,
dans les pays méridionaux de l'Europe , il a été constaté
. que ce vent déposait une sorte de sédiment quartzeus .
M. de Monlosier , auteur de cet article , a la suite de
longues observations faites , soit sur la roche de corne ,
soit sur les marbres, soit sur les grès , s'est convaincu que
les filons se forment dans la nature d'une manière habituelle
et continue , par la seule perspiration insensible
des élémens subtils et gazeux ; il s'est convaincu que
l'effet de cette perspiration est de fendre peu à peu la
pierre , d'en écarter les parois , et de s'y établir dans des
dimensions proportionnées à la quantité des matières et à
leur force. La théorie établie par M. Izarn , ne porte
donc point sur un système particulier , ou une exception
aux lois de la nature ; elle repose sur un système constant
et une loi générale.
Sermons de M. de Géry , ancien abbé de Sainte-
Géneviève(1 ).
M. de Géry s'est rendu recommandable par les talens
supérieurs qu'il a montrés dans la chaire évangélique.
Plusieurs personnes qui l'ont entendu , ont osé le comparer
àBourdaloue , à Massillon. En effet , on retrouve dans ses
sermons la sublime éloquence du premier , le pathétique et
l'onction du second, et on ne cesse d'y admirer la manière
noble et touchante avec laquelle il présente les
( 1 ) Cette édition contient les sermons pour l'Avent , le Carême ,
l'octave du Saint-Sacrement et autres solennités , les panégyriques ,
oraisons funèbres, instructions diverses sur le Symbole des Apôtres ,
la première communion , le renouvellement des voeux de baptême, etc.
Elle est ornée du portrait de l'auteur . Six vol . in- 12. Prix , broc . , 15 fr .
A Paris , chez Méquignon l'ainé , libraire, rue de l'Ecole de Møde-
Gine, n.3, vis-a-vis la rue Hautefeuille.
PRAIRIAL AN XI. 419
saintes écritures , les explications lumineuses qu'il en
donne , d'après les saints docteurs de l'Eglise , et les conséquences
qu'il entire pour la règle des moeurs.
Les ecclésiastiques eux-mêmes y trouverontdes modèles
bienpropres à les intéresser.
M. E. Depierris nous écrit que c'est à tort qu'on a dit
dans ce journal , que M. Briquet , professeur à Niort ,
préférait Pradon à Racine, et faisait remarquer à ses élèves
la supériorité du premier sur l'auteur d'Athaliex
M. Depierris aurait dû envoyer sa réclamation à M. de
Cubieres-Palmézeaux , qui , dans le dialogue qui sert de
préface à sa tragédie d'Hippolyte, a prêté cette opinion à
M. Briquet. Nous n'avons vu nulle part , jusqu'à présent ,
que M. le professeur Briquet s'en soit trouvé offensé. Il
semble nous cependant que c'était à lui à démentir le
langage qu'on lui fait tenir.
SPECTACLES.
THEATRE FRANÇAIS.
Nos lecteurs ne doivent point s'étonner que nous ne
parlions point des spectacles , nos théâtres n'offrent cette
année qu'une triste nomenclature de pièces sans intérêt ,
et qui sont tombées dans l'oubli en sortant du portefeuille
de leurs auteurs. Herman et Werner ou les Militaires ,
coinédie historique en trois actes, nous dédomagera un
peu de la stérilité de nos répertoires.
Werner, soldat dans un régiment autrichien s'est engagé
au capitaine Herman, qui lui a donné sa parole de
le'rendre au bout de trois ans à sa liberté et à sa famille ;
les trois ans sont écoulés ; Werner arrive avec son régi
Dd 2
420 MERCURE DE FRANCE.
mentdans le village où il a pris naissance ; il y revoit ses
parens , ily retrouve la jeune Lisbeth , qu'il doit épouser ,
et il se dispose à quitter le service , pour devenir époux.
Ils'adresse au capitaine Herman ; le capitaine prometde
Ini délivrer sa cartouche de congé; mais le colonel , rigoureux
observateur de la discipline , ne veut point consentir
au licenciement de Werner , sous prétexte que les
ordres de l'empereur s'y opposent. Herman rappelle au
colonel la parole qu'il a donnée ; mais ce dernier est inflexible
: alors le capitaine Herman donne sa démission ,
et se propose de remplacer Werner , comme simple soldat.
Werner ne tarde pas à connaître la générosité de son
capitaine , il refuse son congé ; ce combat de générosité
est interrompu par l'arrivée d'une lettre de l'empereur ,
qui élève le capitaine Herman au grade de major. Le
colonel , touché alors de cette marque de justice de l'empereur
, se laisse fléchir , et consent à licencier Werner.
T'el est le sujet de la pièce des Militaires , qui méritait
les suffrages du public , et qui les a obtenus. On lui a reproché
quelques longueurs , quelques incidens mal amenés
; mais elle intéresse par le naturel et la vivacité du
dialogue. Nous désirons que l'auteur fortifie l'intérêt de
ses deux premiers actes , et qu'il fasse arriver le dénouement
d'une manière un peu plus piquante. Cette pièce est
de M. Favières , auteur de Paul et Virginie , et de quelques
ouvrages très-estimables .
4
i ANNONCES.
Des Esquinancies simples , malignes , contagieuses
ei épizootiques , reconnues et observées pour la première
fois chez les chevaux , les bêtes à cornes et les porcs ,
avec quelques aperçus nouveaux sur les Epizooties ; par
Pierre-Marie Crachet , médecin de l'université de Montpellier
, etc. 1vol. in-8°. Prix : 1 fr. 25 c. , et II fr. 50 c.
par la poste.
A Paris , chez A. J. Marchant , imprimeur - libraire
pour l'agriculture , rue des Grands- Augusins , nº. 12 ; et
chez le Nermant , imprimeur-libraire , rue des Prêtres
Saint-Germain-d'Auxerrois , n°. 42.
PRAIRIAL AN XI . 421
POLITIQUE.
En attendant que les ministres consentent à s'expliquer.
le parlement s'occupe tranquillement d'affaires d'admi-
Distration ; pour savoir des nouvelles , il faut suivre la
bourse de Londres . Les agioteurs envoient chez les ministres
demander ce qu'ils doivent penser de tel ou tel
bruit, et les ministres leur donnent des réponses beaucoup
plus détaillées qu'aux membres du parlement. Par
exemple , c'est aux agioteurs que , par l'organe du lordmaire
, le Lord Hawkesbury a appris que l'ambassadeur
Anglais avait quitté Paris; aussitôt les fonds sont tombés
plus bas qu'à aucune époque , depuis la paix ; la Bourse
paraissait dans une confusion , dans un désordre qu'on
ne se figurera jamais bien, si on ne connaît pas à fond
l'esprit de ce peuple marchand.
Du reste , rien de positif. Les Anglais attendent les
nouvelles de Paris comme nous attendons les nouvelles
de Londres ; de l'un et de l'autre côté , on parle de l'intervention
de la Russie. Si les Anglais , en recommençant
les hostilités , n'avaient pas l'espoir d'agiter peu-à-peu le
continent , à coup sûr ils frémiraient à l'idée de la gurre..
Que les grandes Puissances Continentales se prononcent
et bientôt les démélés entre la France et l'Angleterre s'arrangeront
à l'amiable ; on prétend que la Russie s'est
prononcée.
1
La république des Sept Isles jouit en ce moment d'une
tranquillité parfaite. Depuis qu'elle avait cessé d'étresous.
la domination des Vénitiens , il avait existé dans ces îles
des agitations plus ou moins considérables. Le nouveau
gouvernement ayant obtenu plus de confiance et de considération,
les troubles ont dû naturellenient cesser.
On pourrait croire , d'après les préparatifs de guerre
qui se font en Russie , que l'empereur d'Allemagne et
l'empereur de Russie auraient renoncé à l'entrevue projetée
entre ces deux souverains ; mais les nouvelles du
Nord s'accordent à dire que cette entrevue aura lieu , et
que l'empereur d'Allemagne n'exécutera point son voyage
d'Italie , qui aurait pu la retarder. S. M. 1. et R. passera
en revue les troupes d'un camp qui se forme en Gallicie.
L'empereur de Russie rassemble aussi une armée sur les
Dd3
422 MERCURE DE FRANCE ,
-
frontières de cette province. Ces rassemblemens paraissent
avoir excité l'attention de la Prusse , et le cabinetde Berlin
a fait demander à la cour de Vienne quel en était le but ;
il a été répondu qu'on n'avait d'autre objet que de former
des camps de plaisance. Cette réponse est peu tranquillisante,
dans un moment où tout fait craindre une
rupture prochaine entre la France et l'Angleterre. Quoi
qu'il en soit , le cabinet de Vienne est résolu , dit-on , de
garder une exacte neutralité . Cette résolution paraît déconcerter
les conjectures que les politiques établissaienų
sur la réunion des armées et l'entrevue des deux premières
puissances du Nord. :
SÉNAT-CONSERVATEUR.- Séance du 24floréal.
Les conseillers-d'état Bigot-Préameneu , Dessolles et Fleurieu , orateurs
du gouvernement, ont donné communication au Sénat , de la
note adressée , le 23 de ce mois , à l'ambassadeur de S. M. Britannique
par le ministre des relations extérieures .
23floréal an 11 .
Dans les circonstances importantes et graves où se trouvent les deux
nations, le soussigné ministre des relations extérieures de la république
française , a reçu l'ordre de mettre sous les yeux du gouvernement britannique
lanotesuivante :
Le 17ventose, sa majesté britannique fit connaître àson parlement ,
parun message spécial , que des armemens formidables se préparaient
dans les ports de France et de Hollande , et que des négociations importantes,
dont l'issue était douteuse,divisaient les deux gouvernemens.
Cette déclaration extraordinaire et inattendue excita un étonnement
général; mais la situation maritime de la France était patente. L'Angleterre
, l'Europe savaient qu'il n'y avait d'armement formidable , ni
dans lesports de France, ni dans les ports de Hollande.
Le soussigné ne rappellera pas à S. E. lord Whitworth tout ce qui
fut dit alors. On se demanda de quelle source avaient pu sortir des
informations aussi mal fondées . Le discernement personnel de lord
Whitworth, la loyauté de son caractère , ne pouvaient être un seul
instant soupçonnés.
L'assertion que la France faisait des armemens hostiles, était une
suppositionmanifeste ,et qui nepouvait en imposer à personne. Son
effet naturel devait être d'induire à penser qu'elle n'était qu'un moyen
dontvoulaient se servir des hommes signalés par leurs opinions perturbatrices,
etquicherchaient avidement desprétextes pour susciter des
troubles, pour enflammer les passions du peuple britannique , pour
exciter ladéfiance ,la haine et les alurmes.
Quant ou gouvernement anglais , on dut croire que, si , par de faux
rapports,ilavaitpu être induit en erreur sur l'existence des armemens ,
il ne pouvait l'être sur l'existence des négociations.
L'ambassadeur de la république à Londres ne fut pas plutôt informé
dumessage de S.M.britannique, qu'étonnédecequ'il annonçait
PRAIRIAL AN XI . 423
l'existence d'une négociation dont il n'avait pas connaissance , il se
rendit chez S. E. lord Hawkesbury ; et devant dès-lors soupçonner
qu'un appel aux armes , fondé sur deux fausses suppositions , pouvait
couvrir le projet de violer le traité d'Amiens , dans les clauses quí
n'étaient pas encore exécutées , il présenta at ministre de sa majesté
britannique, le 19 ventose, une note pour lui demander des explication
Enmême temps le soussigné eut l'ordre de pressentir Ş . E. lord
Whitworth sur les motifs qui avaient pu déterminer le gouvernement
anglais à s'autoriser , dans son message , de deux assertions, toutes deux
également fausses, pour appeler sa nation aux armes , et rompre le lien
de paixqui unissait les deux états .
S. E. JordHawkesbury remit , le 24 ventose , au général Andréossi ,
une note vague , agressive , absolue. Cette note , loin de rien éclaircir ,
jetaitdenouvelles obscurités sur le sujet de la discussion. Elle laissait à
peine entrevoir la possibilité de l'ouvrir , et bien moins encore l'espoir
de la voir arriver à une heureuse issue .
La réponse du gouvernement français , en date du 8 germinal , fut
autant pacifique et modérée que la note du ministère britannique avait
étéhostile.
Lepremier consul déclara qu'il ne relevait pas le défi de guerre de
l'Angleterre ; qu'il évitait de peser sur des expressions dont le sens
pouvaitporter un caractère d'agression ; qu'il se refusait enfin à croire
que S. M. britannique voulut violer la sainteté d'un traité sur lequel
reposait la sûreté de toutes les nations.
Cette déclaration faite par ordre du premier consul , provoqua le
17 germinal une nouvelle note , dans laquelle le gouvernement français
nevit pas sans surprise qu'une dentande indéterminée de satisfactions,
lui était adressée. Le vague de cette demande , exprimée sans motifs et
sans objet , ne laissait apercevoir distinctement que l'inconvenance de
son expression.
On manifestait dans cette note l'intention de violer le traité d'Amiens,
en refusant d'évacuer Malte. On semblait se flatter que le peuple
francaiscousentirait à donner satisfaction sur deux faits supposés ,
sur l'allégation desquels il avait peut-être le droit d'en demander luimême.
Enremettant cet office , lord Whitworth demanda qu'un arrangement
fût fait immédiatement sur les bases qui viennent d'être exposées ;
et il fit en même temps entendre que , dans le cas contraire , il craignait
de se voir obligé , par les ordres de son gouvernement , de quitter
incessamment sa résidence , et de mettre fin à sa mission.
Que pouvait répondre le gouvernement de la république à d'aussi
brusques, à d'aussi étranges ouvertures ? Il n'y avait qu'un grand amour
de lapaix qui pût l'emporter sur I indignation .
Pour s'arrêter à une décision froide et calme , qui laissût à la raison
et à lajustice le temps de l'emporter sur les passions , il fallait se pénétrer
profondément de l'idée que les nombreuses victimes des discordes
des gouvernemens , n'ont aucune part aux insultes qui les aigrissent
; que ces milliers de braves citoyens , qui , dans les voeux de
feurhéroïquedévouement , versent leur sang uniquement pour leur
patrie , n'ont jamais le désir d'offenser un peuple voisin et puissant;
qu'ils ne prennent aucun intérêt à des démarches d'orgueil et
àde vaines prétentions de suprématie. Il ne fallait pas seulement se
pénétrer de cette idée , il fallait s'en laisser maîtriser à tous les instans.
Son E. lordWhitworth convint d'écrire à sa cour que le premier
Dd4
424 MERCURE DE FRANCE ,
consul ne pouvait consentir à la violation d'un traité solennel ; mais
qu'il voulait la paix ; que si le gouv roement d'Angleterre désirait
qu'une convention fût faite pour des arrangemens étrangers au traité.
d'Amiens , il ne s'y refuserait pas , et que les motifs de cette convention
pourraient être tirés des griefs réciproques .
Ces vues étaient justes et modérées . Il était difficile de proposerune
négociation sur des bases plus libérales. Il n'est pas hors de propos
d'observer ici que c'était six semaines après le message oùune négocia
tiondifficile , d'un intérêt grave , et d'une issue incertaine , mais prochaine
, avait été signalée ; que les ministres des deux gouvernemens
n'avaient pu encore arriver à ouvrir une véritable négociation .
Lord Whitworth reçut de nouveaux ordres ; il présenta successivement
deux projets de convention.
Par le premier, il était proposé que Malte restât sous la souverainete
du roi d'Angleterre ; et cette clause adoptée , S. M. P. offrait de reconnaître
tout ce qui avait été fait enEurope deeppuuiiss llee traité d'Amiens.
S. M. le roi dd'' .Angleterre promettait encore deprendredesmesures
pour que les hommes qui , sur les différens points dee l'Angleterre ,
ourdissent des trames contre la France , fussent efficacement réprimés.
Le soussigné eut l'honneur d'observer àS.E. lord Whitworth que ce
premier projet de convention était une violation palpable du traite
d'Amiens , et renversait la base de négociation que S. E s'était chargée
de présenter à sa cour; que quant à la reconnaissance offerte àS. M. В. ,
il n'y avait réellement point d'objets auxquels elle pût s'appliquer
qu'iln'y avait pas de changement enEurope depuis le traité d'Amiens,
si ce n'est l'organisation de l'Empire , à laquelle le roi d'Angleterre
avait concouru par son veoeu, comme électeur d'Hanovre, et qui n'était
elle-même qu'une suite nécessaire du traité de Lunéville , antérieur de
beaucoup au traité d'Amiens.
Que les événemens relatifs à l'existence politique du Piémont, du
royaume d'Etrurie et des républiques italienne et ligurienne , avaient
Jour dateavant le traitéd'Amiens; que, dans la négociation decetraité,
La France avait désiré que l'Angleterre reconnut ces trois puissances ;
mais que comme on n'avait pu s'accorder ni sur ce point, ni sur lesaffaires
de l'Inde, en ce qui concernait la destruction de quelques Etats
principaux, et les inappréciables acquisitions faites par l'Angleterre
dans cette contrée , on en était resté à considérer la discussion de ces
objets comme ne tenant pas à l'exécution des articles préliminaires , et
à l'objet fondamental de la pacification des deux Etat . Le soussigné onserva
enfin que le gouvernement français ne demandait sur ce peint
aucune approbation , ni reconnaissance à S. M. B.
Le soussignéajouta que, quant àla république batave, elle avait été
reconnue par le roi d'Angleterre, puisqu'il avait traité avec elle;etque
par les traités existens entre cette république et la France, Farrièregardedes
troupes françaises devait évacuer ce pays à la nouvelle defen
tière exécution du traité d'Amiens .
Quant aux criminels réfugiés à Londres et à Jersey , où ils se livraient
à tous leurs, penchans pervers , et où , loin d'être réprimés , ils
étaient traités et pensionnés par l'Angleterre , le gouvernement français
concevaitque , dans la situation actuelle des négociations , il ne
Gevait y attacher aucune importance.
S. E, lord Whitworth proposa un second projet . L'Angleterre
demandait que, le gouvernement civil de Malte étant laissé au grandmattre
, les garnisons britanniques continuassent d'occuper les fortis
PRAIRIAL AN XI. 425
fications de l'ile. Cette proposition étoit impraticable et inouie. Comme
celle du premier projet, elle était contraire au traité d'Amiens , et
conséquemment aux bases de négociation , offertes par le premier
consul; elle avait de plus l'inconvénient irrémédiable de mettre un
ordre de chevaliers , appartenant à toutes les puissances de l'Europe ,
sous l'autorité et la tutelle arbitraire d'une seule puissance ; elle était
enfinpar elle-même une offense à l'honneur et à la religion d'un ordre
lié par tous ses élémens à l'honneur et à la religion de l'Europe entière.
Ainsi , dans tous les pas de cette négociation , le gouvernement
de la république était obligé de voir que le gouvernement
anglais n'avait qu'une seule volonté qu'unseul oobbijet en vue , celui
de ne pas remplir les stipulations du traité d'Amiens , et de conserver
Malte, par la seule raison que Malte était à sa convenance ,
et qu'elle appelait cette acquisition une garantie suffisante .
Mais quelle est la puissance de l'Europe, dût-elle se reconnaître indgale,
qui pânt souffrir de se soumettre aux volontés d'une autre sans
discussionde ces droits , sans appel aux principes de lajustice ? Quelle
est lapuissance sur-tout qui , placée comme l'a été la France , dans le
coursde cette discussion , eût pu souscrire à des conditions dictées dès
ledébut d'une négociation , et plutôt annoncées au bruit des menaces
de guerre , par des préparatifs etdes armemens ,que proposées comme
un moyen d'accorder les droits et les intérêts des deux Etats ?
Dans une circonstance , à quelques égards analogues , une nation fai-
Lle, non par son courage , mais par l'étendue et la population de ses
provinces, osa braver la puissance anglaise , dans sa capitale menacée,
exposer la demeure de ses rois , compromettre ses magasins , sa seule
richesse , résultat de cent ans de paix , et d'une industrieuse économie ,
plutôt que de souscrire à des conditions injustes proposées alors ,
comme aujourd'hui , sur le motif de la convenance de l'Angleterre , et
appuyées par l'appareil d'un armement considérable. Des hraves y périrent;
les colonies danoises furent envahies ; mais quelque inégale que
fut la lutte , l'honneur ne laissait pas à cette généreuse nation le choix
du parti qu'elle avait à prendre.
Ου
Dans la discussion présente, la politique parle le même langage que
T'honneur; si le gouvernement britannique est le maître de se conformer
denepas se conformer à ses engagemens ; s'il peut, dans les traités
qu'il a faits , distingner l'esprit,de la lettre ; si l'on admet ses restrictions
mentales courne autant d'exceptions autorisées; si les convenances
de l'Angleterre doivent enfin expliquer le sens des conventions
politiques , quel sera le terme des concessions qu'on se flattera d'aracher
su cessivement à la foiblesse de la France? quelle sera la mesure
des sacrifices et des humiliations qu'on entreprendra de lui inmy oşer
? Aujourd'hui la convenance de l'Angleterre exige une garantiecoutre
la France , et l'Angleterre garde Malte ! Autrefois la convenance de
Angleterre voulait une garantie contre la France , et l'on détruisit
Dunkerque ! et un comunissaire anglais donna des lois dans un pays où
flouaient les couleurs françaises ! Demain la convenance de l'Angleterre
demandera une garantie contre les progrès de l'industrie française,
et on proposera un tarif de commerce pour arrêter les progrès.
de notre industrie .
Si nous réparens nos ports , si nous construisons un mo'e , si nous
creusons un canal, si, par quelque encouragement , nous relevons nos
manufactures , etc. on demandera que nos ports soient dégradés , que
pos moks soient détruits, que nos canaux soient conblés , que ncs
426 MERCURE DEFRANCE ,
manufactures soient ruinées ; on exigera que la France devienne pauvre,
ot soit désarmée pour se conformer aux convenances de l'Angleterre ,
et donner une garantie suffisante à son gouvernement.
Que l'on considère les principes , ou qu'on examine les conséquences,
on est également frappé de l'injustice et du scandale de ces
prétentions. Onpeut le demander, si elles étaient soumises à un jury
anglais, hésiterait-il à les réprouver unanimément? Le gouvernement
dela république a droit de s'étonner que le ministère britannique ait pu
se croire autorisé à lui supposer ce degré d'avilissement. Comment
a-t-il pu penser que le gouvernement actuel de la France perdrait,
dans un lache repos , et le souvenir de tout ce qu'il a fait , et le sentiment
de tous ses devoirs ? Nos provinces sont-elles moins étendues ,
moins peuplées ? ne sommes-nous plus ces mèmes hommes qui ont
tout sacrifié au maintien des plus justes intérêts ? Et si , après nos succès
, nous avons fait éclater une grande modération , à quelle autre
cause cette modération peut-elle être imputée , si ce n'est à la justice
de nos droits et au sentiment de nos forces ?
Le soussigné , en exposant à S. E. lord Whitworth ces observations,
croit avoir le droit de lui faire remarquer que la conduite modérée de
toute l'administration française , pendant deux mois entiers d'une suite
deprovocations offensantes , et malgré la profonde impression qu'elle
en ressentait , doit lui faire apprécier le véritable caractère du gouvernement
français. Cependant , c'est lorsque , par son profond silence
sur des insultes répétées , le gouvernement de la république eût dû s'attendre
à voir qu'on chercherait à les réparer , ou au moins à y mettre
un terme; lorsqu'évitant de préjuger la tournure finale que pourraient
prendre les affaires , il n'a montré que de l'attention et de l'empressement
à examiner les moyens qui pourraient être proposés pour concilier
et satisfaire le gouvernement anglais ; c'est alors que verbalement
et sans vouloir consentir à donner aucune déclaration écrite ,
S. E. lord Whitworth a fait , au nom et par l'ordre de son gouvernement
, le 6 floréal , au soussigné , les demandes suivantes : Que l'Angleterre
garde Malte pendant dix ans ; Que l'Angleterre prenne possession
de l'isle de Lampedosa;Que la Hollande soit évacuée par les
troupes françaises : S. E. lord Whitworth a de plus déclaré que ces
propositions étaient l'ultimatum de sa cour , et que sur le refus de
les accepter , il avait ordre de quitter Paris dans le délai de sept jours.
Le soussigné ose dire qu'il n'y a pas d'exemple d'une telle forme
donnée à un ultimatum aussi impérieux. Eh quoi ! la guerre ne doitelle
avoir d'inconvéniens que pour nous ? le ministère anglais juge-t-il
lanation française tellement faible , que , dans une circonstance où il
s'agit pour elle de la plus importante des délibérations , il ne se croie
pas tenu à se conformer , à son égard , aux usages qui sont observés
par tous les gouvernemens des nations civilisées ?
Ou bien n'est- ce pas plutôt que le sentiment de l'injustice , qui pèse
sur la conscience deThomme public , comme sur celle de l'homme privé
, a empêché le gouvernement britannique de signer la demande
qu'il avait faite ; et que , par une marche moins décidée , il a cherché
à se réserver , pour l'avenir , les moyens de faire perdre les traces de
ses véritables prétentions , et de tromper un jour l'opinion sur l'origine
de la rupture ?
Ou enfin , les ministres de S. M. britannique connaissant mal le caractère
du premier consul , ont- ils espéré , à forcede provocations , de
Texaspèrer ou de l'intimider , deleporter à oublier les intérêts de la
PRAIRIAL AN XI. 427
nation, ou de l'exciter à quelqu'acte d'éclat , qu'ils pourraient ensuite
travestir aux yeux de l'Europe en initiative de guerre ?? Le premier
consul plus qu'aucun homme qui existe, connaît les maux de la guerre,
parce que plus que personne il est accoutumé à ses calculs et à ses
chances; il croit que , dans des circonstances telles que celles où nous
nous trouvons , la première pensée des gouvernemens doit se porter sur
les catastrophes et les malheurs qui peuvent naître d'une nouvelle
guerre; il croit que leur premier devoir est non-seulement de ne pas
céder à des motifs d'irritation , maisde chercher par tous les moyens
à éclairer , à modérer les passions imprévoyantes des peuples. Le soussigné
s'arrêtant done d'abord à la forme de cette communication de S.
E. lord Whitworth , le pria d'observer que des conversations verbales
et fugitives sont insuffisantes pour la discussion d'aussi immenses intérêts
, dont ordinairement tous les motifs sont traités dans les conseils
des nations, après les plus mûres délibérations. Dans ces conseils , et
dans de telles circonstances, rien n'est jugé indifférent : les formes , les
expressions même y sont pesées, examinées , débattues , appréciées , et
servent toujours à déterminer comme à justifier le parti que l'on doit
prendre.
Si une aussi imprudente , aussi inconvenante violation de toutes les
formes , avait été faite par la France, que n'aurait-on pas dit, que
n'aurait-on pas écrit en Angleterre ? Il n'est pas un orateur dans les
deux chambres du parlement qui n'eût déclaré que cet écart des règles
générales établies entre les nations dans des circonstances importantes,
était un outrage à la nation anglaise. Aux yeux de tous , une telle offense
eût été regardée comme un motif suffisant de rompre toute négociation.
:
Quant au fonds de l'ultimatum proposé, le soussigné a l'honneur
de rappeler à S. E. lord Whitworth, qu'il fut charge de déclarer par
une note qui lui fut remise,le 12 floréal , que le premier consul restait
impassible aux menaces comme aux injures , et passait par dessus
l'oubli des formes dont il n'est pas d'exemple qu'aucun gouvernement
dars l'histoire se soit écarté dans une aussi importante circonstance ;
Que l'île de Lampedosa n'appartenait pas à la France; qu'elle était
sous la souveraineté d'une puissance étrangère ,et que sur le désir
de S. M. B. d'en avoir la possession. le premier consul n'avait le
droit d'énoncer ni consentement ni refus;
Que l'indépendance de l'Ordre et de l'île de Malte était le résultat
d'un article spécial du traité d'Amiens ; que le premier consul ne
pouvait prendre , à cet égard , aucune nouvelle détermination , sans le
concours des deux autres puissances contractantes à ce traité , S. M.
le roi d'Espagne et la République hatave;
Que l'indépendance de l'île de Malte avait été garantie par S. M.
l'empereur d'Allemagne, et que les ratifications de cette garantie
étaient échangées; que leurs majestés l'empereur de Russie et le roide
Prusse avaient garanti l'indépendance del'ordre et de l'île de Malte; que
ces garanties avaient été demandées à ces puissances par l'Angleterre ,
commepar la France ; qu'il était du devoir du premier consul de les
accepter , et qu'il les avait acceptées ; que lepremier consul ne pou
vait done entendre à aucune proposition relative à l'indépendance
de l'Ordre et de l'île de Malte , sans qu'au préalable il cût connu
relativement à cette indépendance , les intentions des gouvernemens
qui l'avaient authentiquement garantie;
,
Qu'un corps peu nombreux de troupes françaises était encore , au
428 MERCURE DE FRANCE
1
moment du message , stationné en Hollande ; en vertu d'une convention
conclue entre cette république et la France; et que le premier
consul n'avait point hésité à dire qu'il ferait évacuer la Hollande aussitôt
que les stipulations du traité d'Amiens auraient eu leur entière exécution
dela part de l'Angleterre.
A cette note qui , dans les expressions et dans l'exactitude sur-tont
et la précision de ses motifs , ne respirait qu'équité , paix et modération
, S. E. Jord Whitworth répondit parunedemande péremptoire
de passeports , eett'en informant qu'il comptait enfaireusage
mercredi 4 mai , à cinq heures du matin.
Le gouvernement français sentit profondément le contraste d'une
détermination aussi absolue , avec le caractère de bienséance , de justice
et de conciliation que , dans toutes les circonstances , etprincipalement
dans la dernière , il s'était attaché à donner à ses démarches.
Néanmoins il crut devoir faire un sacrifice aux intérêts de l'humanité.
Il ne voulut abandonner tout espoir de paix qu'au dernier moment ,
et le soussigué remit à S. E. lord Whitworth une nouvelle note , par
laquelle la France offrait de consentir à ce que Malte fut remis à la
garde d'une des trois puissances garantes , l'Autriche , la Russie ou
Ja Prusse.
Cette proposition parut à lord Whitworth loi-même devoir,satisfaire
les prétentions de sa cour ; il suspendit son départ , et prit la
note ad referendum .
En même-temps l'ambassadeur de la république à Londres , prévenu
de la demande que S. E. lord Whitworth avait faite à Paris de ses
passeports pour retourner en Angleterre , eut ordre de se tenir prét
àpartir. Il fit en conséquence lademande de ses passeports , qui lui
furent accordés sur l'heure .
Lemezzo termine , proposé par le gouvernement français, s'éloignait
de l'article du traité d'Amiens ; mais il avait le double avantage
de se rapprocher, le plus possible, de son esprit, c'est-à-dire de mettre
Malte dans l'indépendance des deux nations , et d'offrir cette garantie
tant réclamée , et que le ministère britannique prétendait être le seul
objetde ses alarmes .
Le gouvernement britannique comprit la force de ces raisons ; et la
malheureuse fatalité qui l'entraîne àla guerre , ne lui offrit de réponse
que dans une fausse allégation. Le at de ce mois , lord Whitworth
remit une note dans laquelle il déclara que la Russie s'était refusee à
ce qu'on demandait d'elle.
Les puissances garantes étant au nombre de trois , si la Russie s'y
était refusée , il restait encore l'empereur d'Allemagne et le roi de
Prusse ; mais comment la Russie pouvait-elle avoir fait connaître son
opinion sur une proposition nouvelle et faite depuis peu de jours ? If
était à la connaissance de l'Angleterre que la Russie et la Prusse avaient
proposé de garantir l'indépendance de Malte avec de légères modifica
tions , et que le gouvernement français s'était empressé d'accepter ladite
garantie; et par une sute de l'esprit de conséquence et de fidélité.
à ses engagemens , qui caractérise Tempereur Alexandre , il n'était
nullement douteux qu'il n'acceptat la proposition qui lui é ait offerte ;
mais la Providence qui se plaît par fois à confondre la mauvaise foi ,
fit arriver à la mème heure , au mème instant où lord Whitworth remettait
sa note , un courrier de Russie , adressé aux plénipotentiaires.
de cette puissance à Paris et à Londres , par lequel S. M. l'empereur
de Sune manifestait avec une Sergie tone particulière, la peine qual
PRAIRIAL AN XI. 429
के
avait éprouvée d'apprendre la résolution où était S. M. B. de garder
Malte; il renouvelait les assurances de sa garantie, et faisait connaître
qu'il accepterait la demande de sa médiation qui avait été faite par le
premiieerr consulal,, si les deux puissances y avaient recours. Lesoussigné
s'empressa , le 22 , de faire connaître à lord Whitworth , par une note,
Terreur dans laquelle était sa cour, ne doutant pasque, puisque c'était
Iaseule objection qu'elle avait faite au projet qui avait été présenté ,
dès l'instant qu'elle connaîtrait la déclaration réitérée et positive de la
Russie , elle ne s'empressat d'adhérer à la renise de Malte entre les
mains d'une des trois puissances garantes. Quel dut donc être l'éton
nement du soussigné , lorsque lord Whitworth n'entrant dans aucune
explication , et ne cherchaut ni à contredire ni à discuter les déclarations
que lui avait faites le soussigné , a fait connaître , par une note du
mèmejour, qu'aux termes de ses instructions , il avait l'ordre de,partir
trente-six heures après la remise de sa dernière noce, et a réitéré la
demandede ses passeports? Le soussigné dut les lui faire passer immé
diatement.
L'ambassadeur d'Angleterre se serait- il comporté différemment , si
le gouvernement français eût été assiégé dans une place battue en
brèche , et qu'il eût été question , non des intérêts les plus importars
que le cabinet britannique ast traités depuis plus de but cents ans ,
mais d'une simple capitulation.
On a fait précéder l'ouverture des négociations par des armemens
fastueusement annoncés ; tous les jours , à toute heure , on a signalé
la reprise des hostilités .
Et quel est cet aitimatum qu'on présente au gouvernement français
pour être signé dans le délai d'un jour !
, pour
Il faut qu'il consente à donner une île qui ne lui appartient pas ;
qu'il viole lui même, à son détriment , un traité solennel , sous le prétexte
que l'Angleterre abesoin contre Iur d'une garantie nouvelle ;
qu'il manque à tous les égards dus aux autres puissances contractantes ,
endétruisant , sans leur aveu , l'article qui par considération
elles , avait été le plus longuement disenté àà l'époque des confe
rences ; qu'il manque également à ceux qui sout dus aux puissances
garantes , en consentant qu'une île, dont elles ont voulu Tindépendance,
reste pendant dix ans sous l'autorité de la couronne britannique
; qu'il ravisse à l'ordre de Malte la souveraineté de l'état qui lui
a été rendu , et que cette souveraineté soit transmise aux habitans ;
que par cette spoliation il offense toutes les puissances qui ont reconnu
le rétablissement de cet ordre , qui l'ont garanti , et qui , dans
les arrangemens de l'Allemagne , lui ont assuré des indemnités pour
les pertes qu'il avoit éprouvées .
Tel est le fonds de cet ultimatum, qui présente une série de prétentions
toujours croissantes , en proportion de la modération que le gouvernement
de larépublique avait déployée. D'abord l'Angleterre consentait
à la conservation de l'ordre de Malte , et voulait seulement assu
jettir cet ordre et ses états à l'autorité britannique .
Aujourd'hui, et pour la première fois, on demande l'abolition de cet
ordre, et elle doit être consentie dans trente-six heures , ১
Mais les conditions définitivement proposées , tussent - elles aussi
conformes au traité d'Amiens et aux intérêts de la France qu'elles leur
sont contraires , la seule forme de ces demandes , le terme de trente-six
beures prescrit àla réponse , ne peuvent laisser cnoun doute sur la dé
termination du gouvernement Français. Nou, ja mis la France ne
430 MERCURE DEFRANCE ,
fours
connaîtra dans aucun gouvernement le droit d'annuler, parun seul acte
de sa volonté, les stipulations d'un engagement réciproque. Si elle a
souffert que sous des ffoorrnmrreess qui annonçaientla menace, on lui présentât
în ultimatum verbalde sept jours, unultimatum de trente six
heures et des traités conclus avant d'être négociés , elle n'a pu avoir
d'autre objet que de ramener le gouvernement britannique par l'exemplede
sa modération; mais elle ne peut consentir à rien de ce qui
compromet les întérêts de sa dignité et ceux de sa puissance .
Le soussigné est done chargé de déclarer à S. E. lord Whitworth
qu'aucune communication , dont le sens et les formes ne s'accorderaient
pas avec les usages observés entre les grandes puissances , et
avec le principe de la plus parfaite égalité entre l'un et l'autre état, ne
sera plus admise en France.
Querienne pourra obliger le gouvernement français àdisposer des
pays qui ne lui appartiennent point , et qu'il ne reconnaîtra jamais à
I'Angleterre ledroit de violer, en quelque point que ce soit , les traités
qu'elle aura faits avec lui .
Enfin le soussigné réitère la propositionde remettre Malte entre les
mains de l'une des trois puissances garantes ; et pour tous les autres
objets étrangers au traité d'Amiens, il renouvelle la déclaration que le
gouvernement français est prêt à ouvrir une négociation à leur égard.
Si le gouvernement anglais donne le signal de la guerre , il ne restera
plus au gouvernement de la république qu'à se confier en la justice de
sa cause et au Dieu des armées .
Le ministre des relations extérieures ,
Signé Ch . M. TALLEYRAND.
Après avoir entendu ceMessage,,le sénat conservateur anommeune
députation pour porter ath premier consul ses remercîmens pour cette
communication. Dans sadélibération , le sénat dit : qu'il est impor-
>>'tant dedonner à la France le signal de la reconnaissance , si la paix
>> répond aux voeux du premier consul; et du dévouement , si la
>>digniténationale luidemande la guerre. »
Pareille communication a été faite au corps législatif et au tribunat;
ces deux autorités ont également envové une députation au premier
consul. Le C. Fontanés à porté la parole atu nom de la députation du
corps législatif. Nous regrettons que le défaut d'espace ne nous permette
pas de donner le discours qu'il a prononcé devant le premier
consul , et celui qu'il a prononcé dans le sein du corps législatif : on
verrait que le C. Fontanes n'est pas seulement un homme de lettres
très-distingué , mais qu'il est encore un orateur éloquent. LeC. Costas
aporté la parole au nom de la députation du tribunat ; il a rendu
hommage à la sagesse , à la modération et à la fermeté du premier
consul dans sa négociation avec le cabinet britannique .
TRIBUNAT.
Séance du 26 poréal. Le tribunat ouvre sa séance à
deux heures et demie. Le C. Garry occupe le fauteuil
enl'absence du président. On renvoie au gouvernement
une pétition tendante à faire interpréter l'article 3 de
ta loidu24frimaire an 6 , pour la liquidation des dépôts
PRAIRIAL AN XI. 431
judiciaires volontaires. On passe à l'ordre du jour sur une
pétition tendante à faire réviser des jugemens rendus par
défaut. La séance est levée et ajournée à samedi , premier
prairial.
CORPS LÉGISLATIF.
Séance du 26 floréal. -Un secrétaire lit le procèsverbal
de la dernière séance ; la rédaction en est adoptée .
Le président annonce que l'ordre dujour appelle le renou-
Vellement de la commission administrative.
Le C. Fontanes demande et obtient la parole pour faire
une motion d'ordre. Le corps législatif se forme en comité
secret pour l'entendre. A trois heures , le corps législatif
lève sa séance , et s'ajourne à samedi , 1. prairial. Rien
n'a transpiré sur l'objet du comité secret.
Le 30 floréal , le tribunat et le corps législatif ont été
convoqués extraordinairement ; des orateurs du gouver-
* nement ont remis à ces deux autorités toutes les pièces
relatives à la négociation avec l'Angleterre : « Les hegociations
sont interrompues , a dit l'orateur chargé de
porter la parole au tribunat ; nous sommes prêts à combattre
, si l'on nous attaque ; nous combattrons pour soutenir
la foi des traités et l'honneur français . >> Les présidens
du corps législatif et du tribunat ont répondu aux orateurs.
Le corps législatif s'est formé en comité secret
pour nominer une commission chargée de rédiger un
projet de message au gouvernement : il s'est ajourné atı
Tendemain. Letribunat a nommé une commission chargée
de lui faire un rapport lundi prochain , sur les pièces de la
négociation.
PARIS.
Les insurgés de Saint-Domingue ont fait une tentative
pour prendre la ville du Cap , mais ils ont été vivement
repoussés. Nous avons repris le fort Belair , dont ils s'étaient
précédemment emparés.
1
Le C. Lauriston , aide-de-camp du premier Consul ,
est àBrest depuis le 21 floréal. Douze vaisseaux anglais
étoient à la vue de ce port , ily adéjà plusieurs jours .
432 MERCURE DE FRANCE ,
D'après un arrêté du gouvernement , les déclarai
tions de succession ou de fortune , prescrites aux pensionnaires
de la liste civile , aux ex-religieux et religieuses ,
et aux veuves des défenseurs de la patrie , par les lois des
17 nivose et 17 germinal an 2 , 11 pluviose an 3 , et
14 fructidor an 6 , ne seront plus , à l'avenir , exigées
lors du paiement des pensions.
lor1
Les pièces officielles de la négociation avec l'Angle
terre forment un volume de 258 pages in-4°.; nous allons
en extraire l'ultimatum du gouvernement britannique, tel
qu'il a été présenté , le 20 floreal ( 10 mai , ) par
Whitworth. « 1°. Le gouvernement français s'engage à
>> ne mettre aucune opposition à la cession de l'ile de
» Lampedosa à S. M. B. par le roi des Deux-Siciles .
>> 2° . Vu l'état actuel de l'île de Lampedosa , S. M. B. res-
>> tera en possession de l'île de Malte , jusqu'à ce qu'il ait
» été pris des arrangeinens pour mettre S. M. à meme
>> d'occuper l'ile de Lampedosa comme poste militaire
> après quoi l'ile de Malte sera remise aux habitans et
>> reconnue état indépendant. 3°. Le territoire batave sera
>> évacué , par les troupes françaises , dans l'espace d'un
>> mois après la conclusion d'une convention fondée sur
» les principes de ce projet. 4°. Le roi d'Etrurie et
>> les républiques Italienne et Ligurienne seront recon-
➤ nues par S. M. 5° . La Suisse sera évacuée par les trou-
> pes françaises . 6°. Uue provision territoriale convenable
sera assignée au roi de Sardaigne en Italie.-ARTICLE
>> SECRET. S. M. ne sera pas requise par le gouvernement
> trançais d'évacuer Malte qu'après l'expiration du terme
de dix ans . »
?
Nous avons remarqué dans une des premières notes
présentées après le traité d'Amiens , que le gouvernement
français a demandé , d'après des considérations très-intposantes
, l'éloignement des ci-dévant évêques d'Arras et
de St.-Pol de-Léon ; que le nommé Georges et ses adherens
scient déportés au Canada; que les princes de la
maison de Bourbon , actuellement dans la Grande-Brdtagne
, soient requis de se rendre à Varsovie , près du chef
de leur famille; que ceux des émigrés qui se permettent
encore de porter des ordres et des décorations appartenant
à l'ancien gouvernement de France ,soient tenus de quitter
le territoire de l'empire britannique. 1. L
( No. C. ) 8 PRAIRIAL an
REP.FRA
5.1
cen
( Samedi 28 Mai 1803. )
MERCURE
DE FRANCE.
LITTÉRATURE.
POÉSIE.
CURE MERVEILLEUSE
J'AVAIS gagné certaine maladie ,
Qui se rapproche et tient de la folie :
J'étais privé de raison, de bon sens ;
Far fois pourtant j'en rattrapais l'usage.
Pour prévenir semblables accidens,
Je crus devoir recourir aux talens
D'un médecin , habile autant que sage.
-Racontez-moi , dans le plus grand détail ,
Dit le docteur , le mal qui vous possède ;
Sur ce rapport je ferai mon travail ,
Et tâcherai d'appliquer le remède.
-Voici le fait : j'éprouve , à chaque instant,
Certain besoin impérieux d'écrire ,
De compiler, commenter et traduire ;
Je ne saurais dormir paisiblement ;
Souvent la nuit en sursaut je me lève.
Tout en rêvant , je couche par écrit ,
Ce qui dans l'ombre a troublé mon esprit ,
12 Ec
434 MERCURE DE FRANCE ,
4
Et je compose un livre de mon rêve.
Je ne lis pas un seul mot des anciens ,
Qu'à ce sujet je n'exerce ma plume .
Je prends bientôt leurs travaux pour les miens ,
Et j'en compose un moderne volume ,
Lequel revu , corrigé , mis au net ,
Je vais porter à monsieur Crapelet.... (1 )
Quand un Fréron s'acharne à me poursuivre ,
Et sans respect s'amuse à me gloser ,
Pour lui prouver la bonté de mon livre ,
Je crie au meurtre , et vais lui proposer
De lui lancer une balle mâchée
Dans la cervelle , ou l'artère trachée.
On me retient.... Je répands mes noirceurs
Sur le papier ; je dirige ma rage
Contre mon siècle et contre les auteurs ,
Dont les écrits me portent quelqu'ombrage :
Je les insulte et je les pousse à bout ,
En les traitant , dans mes rimes peu chastes ,
De Polissons , de gueux , de Pédérastes ,
Puis je gémis sur la perte du goût ;
Et m'enfermant pendant une semaine ,
Sans m'approcher de créature humaine ,
Amon ardeur je donne un libre cours.
Je voudrais être au dernier de mes jours .
...
...
Tantôt je veux abandonner la ville ,
Me retirer dans un bois de sapins ,
Faire mon trou parmi ceux des lapins ,
Brouter de l'herbe avec l'auteur d'Emile .
Je dîne peu . - Soupez -vous ?
J'ai des raisons pour négliger ces soins .
...
Encor moins ;
...
(1 ) Le nom de Crapelet , imprimeur , est ici uniquement pour la
rime , et l'auteur n'a entendu faire allusion à personne dans le cours
de cette plaisanterie.
PRAIRIAL AN XI. 435
- Je vous entends : sur votre nourriture
Vous éprouvez quelque difficulté....
On m'avoit dit que la littérature
A ses amis faisait la charité ;
Qu'on avait fait une quête publique ,
Pour assister les pauvres gens d'esprit.
Que n'allez-vous partager le produit
D'une collecte aussi philantropique ?
Vous êtes fier ? - Un peu. - Vous avez tort.
Si vous aimiez la soupe économique ,
Et faisiez cas des bouillons de Rumfort ....
-Mourir de faim n'est pas ce qui me touche ;
Je ne tiens pas aux plaisirs de la bouche :
Pour me nourrir peu de chose suffit.
Dans mon état j'ai si peu d'appétit !
Sommes-nous faits pour manger et pour boire ?
J'ai faim et soif ; mais , hélas ! c'est de gloire :
On m'en refuse , et voilà mon malheur !
De - là , je crois , cette affreuse maigreur.,
Ce teint plombé , cette mine allongée , ...
Cet air sournois , ces accès de courroux ...
- Vous m'effrayez ! Donnez-moi votre pouls ;
Voyons la langue.... Elle est un peu chargée....
En travaillant , quels livres lisez-vous ?
Quel est , mon cher , l'aliment ordinaire
De votre esprit ? - Helvétius , Voltaire ,
Rousseau , Mably, Diderot , Condorcet ,
Baile , Raynal , le baron de Copet ....
Le plus souvent , pour aider mon génie ,
Je vais puiser dans l'Encyclopédie ,
Dont chaque livre , avec profusion ,
Peut me fournir de l'érudition ,
Des mots abstraits , de la métaphysique ,
Et de l'esprit par ordre alphabétique....
Eca
436 MERCURE DE FRANCE ,
-Que pensez-vous de la religión ? ..."
Je penche un peu pour un Étre Suprême ,
Premier moteur.... mais , quand j'y songe bien ,
En vérité , je ne penché pour rien. ...
- Sur l'homme enfin quel est votre système ?
- Je crois que l'homme est un simple animal ,
Un composé de subtile matière ,
Qui , mise en jeu par un souffle vital ,
Retourne ensuite en petite poussière ,
Dont se nourrit le règne végétal....
Nous nous changeons peut-être en d'autres bêtes.
Il se pourrait , tout docteur que vous êtes ,
Que vous prissiez la forme d'un cheval....
-Fort bien. Je vois , dans votre maladie ,
Un caractère alarmant et fâcheux,
Lequel provient d'une philosophie
Qui fait chez vous des ravages affreux .
J'y réfléchis et et je ne trouve encore
Aucun remède au mal qui vous dévore ,
:
Mais . attendez .... J'en vois un tout nouveau ...
Dont je conçois un favorable augure;
Je le crois propre à guérir le cerveau
Le plus fêlé par la littérature ,
Par l'atheïsme et l'incrédulité :
On le peut faire avec facilité ;
Car il s'agit d'une simple lecture ,
Qui peut produire un merveilleux effet....
Pendant un mois vous lirez , s'il vous plait ,
Châteaubriant , sur le Christianisme.
- Vous me voulez remettre au catéchisme.
Ce livre-là , selon quelques savans ,
Peut , tout au plus , séduire des enfans.
Vous me donnez un secours inutile :
Le titre seul m'a causé du dégoût ,
...
PRAIRIAL AN XI. 437
Et le sujet a remué ma bile.
-
-
L'avez-vous lu tout entier ?-Pas du tout.
Il faut vous vaincre , et lire jusqu'au bout....
Je surmontai bientôt ma répugnance....
O de ce livré effet prodigieux !
En peu de temps il desilla mes yeux.
Dans mon esprit , une douce croyance
S'introduisit par un charme nouveau ;
Je fus rempli d'amour et d'espérance :
Je crus sortir de la nuit du tombeau.
Humilié de mes erreurs grossières ,
J'en reconnus la cause avec effroi ;
Je m'étonnai du charme de la foi ,
De la beauté du culte de nos pères.
Des jours sereins se levèrent pour moi ;
Sur l'avenir j'osai porter la vue :
La vérité dans mon coeur descendue ,
Y ramena le calme , le bonheur....
Je fus guéri de ma mauvaise humeur,
De mon orgueil , de la sotte manie
De publier d'impertinens écrits ;
Plus éclairé , j'eus plus de modestie ,
Et je laissai messieurs les beaux-esprits
Se rengorger dans leur philosophie....
* Je rendis grâce au mortel inspiré ,
Dont le génie et le touchant langage
Avaient produit ce bien inespéré .
Mon médecin eut aussi mon hommage...
Ason remède , amis , ayez recours ,
Si quelques maux troublent votre pensée ,
Confiez-vous à ce seul panacée
Pour consoler etprolonger vos jours.
T
BERCHOUX.
Ee3
438 MERCURE DE FRANCE,
f
ENIGME .
De l'énigme je suis le principe et la fin ,
Mon être occupe le destin ;
Je commence en été , je finis en automne ,
Et suis toujours Flore et Pomone.
N. E. C. , Abonné.
LOGOGRYPΗΕ.
Sur cinq pieds , du guerrier paralysant le bras ,
Au rôle de trompeur , sans tête , on me ravale ;
Si je perds tête encor femme , n'eut tant d'appas ,
Et ne pût moins que moi redouter de rivale.
Parun Abonné.
CHARADE.
Mon premier peut être un faux-pas ,
Que mon dernier fuit , s'il est sage ;
Mon tout , cher lecteur , ici-bas ,
N'est , à dire vrai , qu'un passage.
A. B.
:
Mots de l'Enigme, du Logogriphe et de la
Charade insérés dans le dernier Numéro.
Lemot de l'Enigme est Duc ( grand seigneur),Duc ( sorte
de hibou et oiseau de proie. )
Celui du Logogryphe est Cornemuse , où l'on trouve
Creuse , mesure , sucre , mère , cor , Cérès , Muse , rose ,
Rome , orme , morue , Rouen , Meuse , Corse , encore.
Le mot de la Charade estPa-pa.
PRAIRIAL AN XI. 439
Dialogues sur l'éloquence en général, et sur celle
de la chaire en particulier , suivis des Sermons
choisis de Fénélon. Un vol. in- 12. Prix 2 fr.
50 cent. et 3 fr. 25 cent. franc de port. A Paris ,
à la librairie typographique , quai des Augustins
, nº. 70 ; et chez le Normant , imprimeur
- libraire , rue des Prêtres Saint - Germain-
l'Auxerrois , nº . 42.
L'ÉDITEUR des Sermons choisis de Bossuet ne
pouvait donner un meilleur pendant à cet ouvrage
qu'en recueillant ce que Fénélon a écrit de plus
soigné dans ce genre. Ces deux grands noms vont
ensemble , et la postérité s'est plu à les réunir
dans un même sentiment d'admiration. Mais chacun
a son génie qui lui est propre , et il n'y a
point de lecture plus variée que celle de leurs
ouvrages , lors même qu'ils roulent sur un fonds
d'idées semblables . Dans ces hauteurs admirables
où Bossuet vous ravit , il semble que l'on converse
avec une intelligence supérieure , qui voit
ce que nous croyons. En écoutant Fénélon , on
croit reposer sur le sein d'un aini , dont la voix
endort nos douleurs. Mais je n'ai garde de vouloir
chercher un sujet de comparaisons et d'antithèses
dans ces deux grands hommes ; l'imagination
trouve à se jouer entre l'Aigle de Meaux et le
Cygne de Cambrai. Mais la vérité est presque toujours
sacrifiée à ces petites pointes d'esprit. Je
suis loin de croire que Bossuet n'eût que de la
force sans douceur et de l'élévation sans tendresse ;
il avait une âme aussi profondément sensible que
celle de Fénélon ; et je souffre de voir que ceux
qui l'ont lu trop légèrement , en prennent une autre
opinion. Si son coeur et ses entrailles parlent moins
Ee 4
440 MERCURE DE FRANCE ;
1
.....
souvent dans ses livres , c'est que la nature de ses
méditations ne le permettoit pas ; il croyoit devoir
au public des vérités plutôt que des sentimens : mais
s'il s'attachait , avant tout , à porter la lumière dans
le fond des esprits , avec quelle puissance ne remuait-
il pas ses auditeurs quand il le voulait ?
Dans mille endroits de ses Oraisons Funèbres , n'y
a-t- il pas des accens qui vont chercher l'âme ?
sur-tout dans cette dernière et éloquente effusion
de son coeur , lorsqu'il vient pleurer , après tous
les autres , sur le tombeau du prince de Condé ,
ce retour attendrissant qu'il fait sur lui-même,
ces cheveux blancs par lesquels il se sent averti
de son heure ; enfin ces derniers sons d'une voix
qui tombe.... N'y a-t-il pas là quelque chose
de bien sentimental et de bien profond ? Que ce
ne soit encore , si l'on veut , que des mouvemens
oratoires , j'y consens ; entrons dans le sein de
l'amitié et dans le coeur même de ce grand homme ,
Jisez la lettre qu'il écrivait à milord Perth , pendant
que ce seigneur souffrait pour la foi en
Ecosse. Quel coeur ! quelle bonté ! quelle plénitude
et quelle force de sentiment ! que c'est bien
là qu'on trouve le génie et la vraie beauté du
christianisme ! Jamais , depuis Saint Paul et Saint
Augustin , on n'avait rien écrit de si tendre ; ja
mais la religion n'avait consolé le malheur avec
uneéloquencesitouchante ; jamais onn'avaitmontré
une si belle âme. Il est impossible de lire cette
lettre sans être ému jusqu'aux larmes et sans avoir
le coeur plein d'une tendre vénération pourle grand
homme qui l'a écrite .
Voilà , voilà les maîtres dont notre patrie a besoin,
si l'on veut que des sentimens d'honneur et
de vertu éteignent cette ardeur d'ambition et de
cupidité, cette soifdu gain qui est devenue comme
le seul esprit de notre nation. Leurs livres ne sont
PRAIRIAL AN XI. 441
pas seulement des trésors d'éloquence et de savoir,
mais de générosité et de grandeur d'âme ; et telle
page de Bossuet ou de Fénélon fera plus de coeurs
français, que la philosophie n'a fait d'égoïstes avec
ses viles maximes. Lors même que le monde n'anrait
plus d'autres ressorts que l'intérêt et l'amour
propre , il faudrait encore qu'il retournât vers ces
grands hommes , et qu'il en reçût les leçons , puisque
leurs ennemis même leur accordent d'être les
plus parfaits modèles dans l'art le plus brillant et
le plus difficile (1 ) . M. de Voltaire , qui avait ses
momens de conscience et de justice , dit dans un
endroit , en parlant de Bossuet , l'homme le plus
naturellement éloquent qui aitjamais paru......
Et on pourrait dire de même de Fénélon , que
c'est l'écrivain le plus naturellement spirituel qui
ait existé : car tous deux ont ce rare mérite , que
leur éloquence ne décèle jamais l'effort ni le travail
; on n'y sent aucune gêne , aucun apprêt ; tout
y est le fruit d'un heureux naturel ; tout y coule
de source ; on ne sait où ils prennent cette multitude
de tours pleins d'aisance , d'une grâce achevée
et d'une simplicité énergique.
Ce qui est sorti de la plume de Fénélon se distingue
par ce genre d'esprit aisé , fertile , plein de
naturel ; mais ce qui l'a rendu immortel , c'est ce
que son coeur a produit. Il avait un talent rare
pour le dialogue , genre de composition qui demande
beaucoup de finesse et de vivacité. Ses Dialogues
des Morts sont peu travaillés ; ce sont le
plus souvent des thêmes composés à la hâte pour
l'instruction du duc de Bourgogne ; mais la main
du maître s'y fait sentir en biendes endroits : parmi
une foule de traits aussi fins et aussi enjoués que
(1) Fénélon et Bossuet seraient auteurs classiques, même
chez des payens,
442 MERCURE DE FRANCE ;
2
ceux de Lucien , il y en a de profonds , qui en
trent bien avant dans le coeur humain. Il était plus
jeune lorsqu'il fit ses dialogues sur l'éloquence et
sur la chaire ; il y parait très-vif ; le style en est
séduisant , et ses idées sont quelquefois pressées
avec beaucoup de force et de chaleur : cependant
sa méthode pour la prédication souffre quelques
difficultés .
Son idée est que les orateurs sacrés devraient
s'accoutumer à parler d'inspiration et d'abondance
de coeur , au lieu de réciter de mémoire un
discours écrit. C'est de là qu'il fait dépendre les
plus vives impressions de l'éloquence. Cette question
touche à des points délicats. L'exemple des
premiers apôtres , qui parlaient toujours sans préparation
, prout spiritus dabat eloqui , comme dit
l'écriture , semble être ici d'une grande autorité ;
mais outre que les voies extraordinaires ne doivent
pas entrer dans une méthode générale , il faut considérer
ce que le progrès des choses demande dans
la société ; et c'est à quoi l'on fait peu d'attention ,
lorsqu'on va prendre un exemple dans des temps
éloignés. Les premiers hérauts du christianisme
portaient la parole à des nations étrangères. On
les écoutait, ou on les faisait mourir. Leur mission
était aussi simple qu'hérïoque. Ils n'avaient qu'à
jeter la semence , et à la rendre féconde par leur
sang. Cet ouvrage est achevé ; aujourd'hui la parole
est répandue , et elle a pris racine. Il reste à
en tirer les conséquences pour toute la conduite
de la vie , parce qu'elle renferme en soi les principes
les plus étendus de la société , qui se développent
avec l'âge et selon ses besoins. Chaque
jour, il en faut faire l'application à des moeurs et
à des usages connus , à des circonstances plus ou
moins délicates , qui demandent du ménagement ,
parce qu'il n'est plus question de conquérir , mais
PRAIRIAL AN ΧΙ. 443
de gouverner. Enfin , les difficultés naissent et se
compliquent. Il y a des erreurs à éclaircir , des
objections à résoudre , des faits à présenter , une
histoire entière à recueillir. Le secours de l'étude ,
de la méditation , de la mémoire , l'art du raisonnement
, celui de l'éloquence , toutes les sciences
humaines , en un mot , deviennent donc nécessaires
, par degrés : on les cultive par un besoin invincible
, qui prend sa source dans la nature même ;
et ce progrès fait assez comprendre comment telle
méthode qui convenait à l'origine des choses ne
peut plus suffire à un état plus avancé.
C'est pour avoir mal connu un point si important
dans les choses humaines , que Rousseau a
perpétuellement vu l'homme et la société sous un
jour faux. Ses idées même les plus justes lui tendaient
des piéges , en donnant une couleur de
vérité à ses illusions. On le voit clairement , dans
sa réplique au roi de Pologne , où l'on aperçoit
unhomme encore chancelant dans ses opinions ,
et qui cherche à s'affermir sur un terrain où il a
d'abord mis le pied assez légèrement. Il cite les
pères et les docteurs ; et c'est , l'évangile à la main ,
qu'il s'imagine confondre les sciences , lorsqu'il
s'écrie éloquemment : Non , ce n'estpoint avec tant
d'art et d'appareil que l'évangile s'est étendu par
tout l'univers , et que sa beauté ravissante a pénétré
les coeurs. Mais sa beauté , Philosophe , n'a
point empêché ses ennemis de l'attaquer. La défense
est donc devenue nécessaire , conséquemment
l'art et le savoir. On a avili sa sublime simplicité
par de misérables pointilleries. Si sa simplicité
n'avait rencontré que des coeurs droits , il
n'eût fallu sans doute employer ni tant de raisonnemens
, ni tant d'éloquence. Si les philosophes
n'avaient pas eu des subtilités pour l'obscurcir , les
théologiens n'auraient pas eu besoin d'argumens
444 MERCURE DE FRANCE ,
pour le justifier. Ce qui revient à dire que s'il n'y
avait pas d'erreur , on n'aurait pas besoin de démonstration
; et que sans l'ignorance et la mauvaise
foi , l'étude et la logique seraient inutiles .
Mais qui verra le monde , tel qu'il est , livré au
combat de la vérité et de l'erreur , et qui prendra
la peine de considérer la proportion naturelle qui
doit s'établir entre l'attaque et la défense , sera
conduit par un enchaînement sensible à reconnaître
que les plus hautes questions de la théologie
sont devenues aussi nécessaires que les premiers
principes de l'évangile , puisqu'elles n'en sont que
le développement. Les jeunes gens qui sont accoutumés
à traiter de minuties et de vaines disputes
tout ce qui passe leur portée , ne soupçonnentpas
combien il y a d'ignorance et de légèreté
dans ce mépris. Les philosophes ont étrangement
brouillé toutes les nations. Mais on ne désespère
pas à la longue de faire recevoir des idées plus
justes.
En appliquant ce qui vient d'être dit à la méthode
de Fénélon, on peut juger que , dans l'état
présent des choses, la prédication , tout en conservant
les grands caractères de l'éloquence évangélique
, la simplicité du sublime et la tendresse de
P'onction , ne peut plus être ce qu'elle était dans
les premiers temps. Elle ne doit pas se borner aux
mouvemens d'un coeur sensible qui se répand sur
un auditoire déjà convaincu. Il faut instruire , et
le champ de l'instruction est devenu si vaste , il
comprend tant de questions importantes , qu'il n'y
a, ce semble , que des écrits raisonnés et profonds
qui puissent répandre avec ordre toutes les
idées de l'esprit. Fénélon entreprend d'accorder
ces deux choses, Il veut que l'orateur sacré parle
sans avoir rien écrit , ni rien appris par coeur ,
mais il veut aussi qu'il ne l'entreprenne qu'après
PRAIRIAL AN XI. 445
avoir longuement et mûrement médité. Il lui demande
un savoir étendu , et une logique exercée.
Il veut qu'il se soit rempli de son sujet, qu'il en
ait d'avance rangé toutes les parties dans sa tête ,
qu'il ait distribué ses preuves , disposé ses raisonnemens
, qu'il ait même mis en réserve certains
tours et certains mouvemens propres à ranimer une
attention languissante, de manière qu'il n'ait plus
qu'à s'abandonner à son génie et à l'inspirationdu
moment qui lui fourniront ses expressions. Il fait
sentir tout ce que l'éloquence extérieure gagnerait
à cette méthode ; combien l'action de l'orateur
serait vive , sa déclaration pleine de grâce et d'esprit
, sá voix variée par mille inflexions touchantes
, ses yeux pleins d'éclairs ou de larmes , tout
son corps animé par des mouvemens naturels ;
enfin, combien l'auditoire serait ému , puisque
l'orateur le serait nécessairement lui-même. Il va
jusqu'à croire que les idées et les raisonnemens y
gagneraient , sinon pour la justesse et la précision ,
au moins pour le tour et l'énergie ; et il est certain
que l'âme , dans cet état d'agitation , a quelquefois
des hardiesses de style qui l'étonnent elle-même.
Tout cela est appuyé de l'exemple des anciens orateurs
qu'on suppose avoir parlé de cette manière ,
apparemment parce qu'ils mettaient l'action audessus
de tout , et que l'action n'accompagné
guères un discours récité mot-à-mot.
Il y a là bien des choses vraies , et Fénélon a
fait , presque sans y penser , un des meilleurs traités
qu'il y ait sur l'éloquence. Mais cet ouvrage
n'a pas paru de son vivant. Il a craint de le rendre
public , parce qu'il s'éloigne un peu des manières
de son temps. Singulière retenue dans un si grand
homme , lorsqu'on la compare à l'audace burles-,
que de ces philosophes qui voulaient apprendre
à leur siècle à penser , et qui se montaient sur
446 MERCURE DE FRANCE ,
des échasses pour annoncer à tout l'univers qu'ils
avaient des idées !
4
Fénélon avait pris en lui-même le modèle de
son orateur ; et , à bien des égards , sa méthode
ne peut convenir qu'à un homme que la surabondance
de son génie et de son coeur rend éloquent ,
comme malgré lui. Il y a trop peu d'hommes qui
soient capables d'une forte méditation , et qui , en
même temps , soient doués d'une présence d'esprit
assez ferme , pour pouvoir arranger et suivre
dans leur tête tous les points d'une discussion approfondie.
Indépendamment de mille causes imprévues
qui peuvent jeter de la confusion dans les
idées , et troubler l'attention de l'esprit , le seul
danger d'une parole hasardée , qui peut échapper
àun orateur qui improvise , rend cette méthode
absolument impraticable pour la chaire , qui n'admet
rien que de réfléchi et de mesuré. A ne con--
sidérer que l'art oratoire , la coutume de parler
sans préparation , ou plutôt sans le secours de l'écriture
, jette les hommes dans un autre défaut
qui n'est pas moins nuisible à l'éloquence. C'est
cette malheureuse facilité d'avocat , cette abondance
fade et stérile , qui accoutume l'esprit à se
contenter de raisons superficielles et d'expressions
petites et vulgaires : défaut, du reste , qui se fait
remarquer aussi bien dans ceux qui écrivent sans
avoir réfléchi , que dans ceux qui parlent sans avoir
écrit. De tels orateurs et de tels écrivains font l'étonnement
de la multitude qui n'admire en eux
qu'une seule chose , c'est qu'ils ne tarissent point.
Mais leur fécondité inépuisable est le fléau de
habiles gens. Si l'on réfléchit ensuite à ce qui a été
dit du progrès de la science , on se convaincra que ,
dans bien des questions , il ne suffit pas à l'homme
le plus éloquent de parler ou d'écrire de génie. Il
faut s'appuyer des autorités , appeler l'histoire en
PRAIRIAL AN ΧΙ. 447
témoignage , discuter les monumens et les titres ,
s'engager dès-lors dans des recherches savantes , et
multiplier les citations , ce qui nous ramène à la
nécessité d'écrire avant de parler , car on sent bien
qu'un discours improvisé ne peut guères avoir ni
ce poids ni cette mesure. Mais s'il est permis de
mêler ses idées à celles d'un aussi grand maître
que Fénelon , il semble qu'on aura concilié les
avantages qui sont propres à chaque méthode , si
l'orateur traite d'abord ce qui appartient à l'instruction
et à l'information , dans un sujet quelconque
, avec toute la force de réflexion que comporte
un discours écrit , et qu'ensuite , dans tout
ce qui touche aux passions , il s'abandonne sans
préparation et sans étude , aux mouvemens de son
ame. On ne voit pas d'autre moyen de réunir les
deux points de ce bel art , d'être solide pour convaincre
, et touchant pour persuader .
Fénélon avait été missionnaire ; il s'était formé
par état à l'éloquence apostolique ; il avait la
science du coeur; il faisait couler les larmes , parce
qu'il savoit pleurer lui-même ; sa méthode était le
fruit de son expérience , et on assure qu'il la pratiqua
toute sa vie. C'est pour cela qu'il n'a laissé
que quelques sermons écrits dans sa jeunesse ou
dans des circonstances d'éclat. Mais on peut voir
avec quel soin et quelle application il se pénétrait
de son sujet , combien le travail de la réflexion
suppléait en lui au travail de la plume. On trouvera
à la fin des Sermons choisis , un plan d'un
de ses discours , figuré d'après son manuscrit , où
l'on peut étudier sa manière de composer , et suivre
en quelque sorte les traces de la méditation . Il est
heureux qu'il se soit fait un devoir d'écrire son
discours à l'électeur de Cologne , qui passe pour
un chef-d'oeuvre , et qui est effectivement admirable
, sur-tout par l'emploi de l'Ecriture, d'où il
:
448 MERCURE DE FRANCE ,
a tiré des richesses d'expression et des beautés
de sentiment bien supérieures à tout ce qui est
sorti du coeur et de l'imagination des poètes. « La
>>première partie de ce discours , dit M. l'abbé
>> Mauri , est écrite avec l'énergie et l'élévation de
» Bossuet ; la seconde suppose une sensibilité qui
» n'appartient qu'à Fénélon. » On a vu ce qu'il
faut penser de ce dernier éloge ; le premier est
plus juste et plus vrai. Il n'y a rien de si noble
que tout ce que Fénélon établit pour montrer
que les puissances et les sociétés ont besoin de
christianisme pour s'affermir , mais que le christianisme
n'a pas besoin d'elles , puisque jamais il
n'a paru aussi ferme et aussi florissant que lorsqu'il
s'est soutenu , non - seulement sans leur secours
mais même contre tous leurs efforts , pendant la
durée de trois siècles. Voilà une force inattaquable
, elle se fonde sur sa doctrine , et se prouve
par l'histoire. Où sont ces hommes qui croyaient
son dernier jour arrivé ? Hier ils faisaient un peu
de bruit , aujourd'hui on ne les entend plus .
• • ..
Dans la seconde partie , on a remarqué ce mouvement
si digne d'un grand évêque : O pasteurs !
loin de vous tous coeurs rétrécis ! élargissez , élar
gissez vos entrailles ; vous ne savez rien , si vous
ne savez que commander , que reprendre , que corriger
, que montrer la lettre de la loi; soyez
pères ; ce n'estpas assez , soyez mères , enfantez
dans la douleur. etc. Non , ce n'est pas
le coeur de l'homme qui peut donner la vie à une
éloquence de ce caractère , il ne s'est pas enseigné
à lui-même des sentimens si élevés au-dessus
de sa nature , un dévouement si contraire à
ses passions les plus vives et les plus enracinées ;
tant de grandeur et tant de petitesse ne peuvent
sortir du même fonds. Une si héroïque tendresse
n'a pu être mêlée dans ses entrailles avec tant de
cruauté ;
PRAIRIAL AN XI.
REP.
FRA
cruauté ; il en faut chercher la source dans cet
esprit surnaturel qui faisait die à un orateur de
la même loi : Qui est--ccee qui s'affaiblit , saks que
je m'affaiblisse avec lui ? Qui est-ce qui tombe
sans que mon coeur brûle pour le relever ! Our
infirmatur , et non infirmor ? etc. étonnante bonté ,
qui s'emploie à consoler l'homme des maux que
Thomme lui fait souffrir ! c'est elle qui inspire les
Fénélon , les Paul , les Augustin , ces anges de la
paix et de la douceur , qui , pendant que les
hommes se déchirent impitoyablement , arrosent
de leurs larmes les blessures qu'ils se font , et soutiennent
sur le lit de mort ceux qui les ont calomniés
pendant toute leur vie.
Ch . D.
5.
cen
1
1
:
1
1
ELIESER ET NEPHTALY , poëme traduit de l'Hébreu ,
suivi d'un DIALOGUE ENTRE DEUX CHIENS . Nouvelle
imitée de Cervantes ; ouvrages posthumes de M. de
Florian : un volume in- 18 . Prix , 1fr . et 1 fr. 25 cent .
franc de port. A Paris , chez Guillaume , libraire , rue
de la Harpe , collége d'Harcourt ; et le Normant , imprimeur
- libraire , rue des Prêtres Saint - Germain
l'Auxerrois , n. 42 .
La Renommée est une déesse plus capricieuse que la
Fortune , et ses faveurs ne sont pas toujours faites pour
justifier les mouvemens de notre amour propre . Je connais
plus d'une tête vide qui se trouve chargée de myrtes
et de lauriers , et plus d'un autel a été élevé à des gens qui
n'étaient point des dieux. Rien n'est , d'ailleurs , plus arbitraire
que les réputations. On connaît ce vers duMéchant :
L'aigle d'une maison n'est qu'un sot dans une autre .
Paris avait autrefois des grands hommes pour tous les
13 Ff
450 MERCURE DE FRANCE ,
pays. Tel écrivain qui était à peine connu dans la capitale
, était célèbre dans la province ; un autre n'avait de
célébrité qu'en Allemagne , et il était ignoré par-tout
ailleurs ; le nom d'un poète ou d'un romancier, qui n'était
jamais cité sur les bords de la Seine , passait souvent
les mers , et il recevait tout l'encens des Antilles. Ces
réflexions ne seront peut-être pas déplacées dans un article
où il est question de M. de Florian. On sait que cet
écrivain avait joui d'abord d'une assez grande réputation
dans la capitale; peu-à-peu sa gloire avait passé dans la
province ; et lorsqu'il est mort , elle commençait à prendre
tout doucement le chemin des Colonies. L'oeuvre posthume
que nous annonçons , ne l'aurait assurément pas
fait revenir de ces climats lointains ; cette oeuvre posthume
consiste en un poëme en quatre chants, intitulé Nephtaly
et Elieser , et un Dialogue entre deux Chiens , traduit de
Michel Cervantes .
Nous allons donner une idée du poëme: « Sadoc n'avait
plus d'épouse. Deux fils jumeaux lui étaient restés. Elieser
et Nephtaly , à peine âgés de dix-neuf ans , étaient l'exemple
et l'amour d'Israël. Beaux , sages comme Joseph ,
aimables comme Benjamin , lorsque , revêtus de leurs
robes blanches , ils accompagnaient le grand-prêtre , et
lui présentaient à l'autel les arymes ou l'encens , le peuple,
envoyant le père et les fils , croyait voir Abraham
au milieu des Anges. Lorsqu'après le coucher du soleil ,
se promenant autour de la ville , ils se plaisaient à lever
les pesantes pierres qui couvraient les citernes , pour
abreuver les troupeaux des jeunes filles revenant des
champs , ces jeunes filles , en les saluant , ne pouvaient
s'empêcher de rougir , et , toutes pensives auprès de leurs
mères , se faisaient dire le soir comment Jacob choisit
pour épouse celle dont il avait abreuvé le troupeau. »
Elieser et Nephtaly ne connaissaient point l'amour ,
PRAIRIAL AN XI. 45
mais ils étaient unis par l'amitié la plus vive. Elieser ,
non moins aimant , non moins tendre que Nephtaly, était
né plus sérieux et plus grave ; Nephtaly , plus impétueux ,'
mais aussi pur que son frère , aimait comme lui la vertu.
Un jour qu'ils parcouraient tous deux , suivis de leurs
jeunes amis , les brûlans rochers de Remmon, Nephtaly ,
se laissant emporter à la suite d'une panthère , s'écarté ,
s'éloigne d'Elieser, laisse loin de lui tous ses compagnons ,
et passe bientôt les limites des lieux qui lui étaient connus.
Il s'égare dans le désert , et ressent bientôt les tourmens de
cette soif si terrible , qui seule dans ces climats suffit pour
donner une prompte mort.
Il saisit le vase de lait qu'il portait toujours dans son
sein. Il va l'approcher de sa bouche , lorsqu'il entend derrière
lui des cris inarticulés ; il regarde , il voit une jeune
Israélite qui tombe à genoux, en demandant de l'eau pour
appaiser sa soif mortelle. Nephtaly court à cette infortunée
, et lui verse le vase de lait , qui était son seul espoir
contre le trépas ; il se condamne à une mort presque certaine
, pour sauver la vie de la jeune inconnue ; victime
de sa générosité , il tombe bientôt en défaillance ; la jeune
Israélité s'en aperçoit , et bravant les hordes des Moabites
qui la poursuivaient , elle court à la maison d'Abdias son
père , afin de trouver des secours pour son bienfaiteur
expirant. Pendant que la fille d'Abdias retournait à la mai-.
son de son père , Elieser et ses jeunes compagnons arrivent
auprès de Nephtaly, et ils le reportent presque mourant à
la maison de Sadoe. Bientôt Nephtaly est rappelé à la vie et
à la santé ; l'image de la jeune Israélite est la première
idée qui vient le frapper à son réveil : il ne respire plus
que pour cette belle inconnue dont il ignore le pays et le
nom. Rachel , la fille d'Abdias , n'a pu oublier le jeune
étranger qui lui a sauvé la vie ; elle quitte la maison paternelle
pour aller , à Silo , offrir dans le temple du Sei-
Ff2
452 MERCURE DE FRANCE ,
gneur , deux jeunes colombes et un agneau blanc ; elle
invoque le dieu d'Israël , elle le conjure en secret de sauver
les jours du jeune inconnu à qui elle doit la vie ;
Elieser présidait alors aux sacrifices ; la jeune Israélite
s'adresse à lui : « Pardonnez , lévite du Seigneur , lui ditelle,
pardonnez à une inconnue de vous retenir un moment.
Quoique étrangère dans Silo , je ne suis point une infidelle ,
je demeure en Benjamin , dans le hameau de Luza. Mon
nom est Rachel. Mon père Abdias adore le dieu d'Isaac .
Je viens offrir à l'éternel cet agneau , ces deux colombes ,
seule richesse dont puisse disposer la fille d'un simple pasteur.
Daignerez-vous , enfant d'Aaron , les immoler pour
moi sur l'autel , et solliciter du Très-Haut la grâce que je
lui demande ? >>> « Fille d'Abdias , lui dit Eliezer , que
demandez-vous au Seigneur ? » Rachel lui répond qu'elle
implore le Très-Haut pour le mortel à qui elle doit la
vie , et l'innocente fille d'Abdias laisse croire ainsi au
jeune lévite qu'elle vient offrir un sacrifice pour son père.
Le noeud du poëme réside en partie dans ce jeu de mots.
-
Cependant Elieser n'a pas vu la belle Rachel sans adıniration
, et il en devient épris à son tour . Les deux frères
sont rivaux sans le savoir , et bientôt leur amitié sera mise à
l'épreuve par l'amour. Les deux frères ne tardent pas à se
faire part du nouveau sentiment qu'ils éprouvent , l'un
pour une beauté dont il ignore le nom et la famille , l'autre
pour la jeune Rachel . « O mon frère ! s'écrie Elieser ,
>> si tu l'avais vue à genoux , tenant dans ses mains deux
>> colombes , élevant au ciel des yeux pleins de larmes !
>>> sa tristesse l'embellissait , sa douleur augmentait sa
>> grâce ; elle priait pour son père.... » On s'étonnera de
voir ces jeunes Israélites , de la tribu de Lévi , parler un
langage qu'on trouverait précieux aujourd'huimême dans
nos salons ; Nephtaly ne parle pas avec moins de prétention.
« Le temps qui s'écoule sans elle , s'écrie-t-il
PRAIRIAL AN XI. 453
!
» n'appartient pas à ma vie ; l'univers se réduit pour moi
> à la place où je la rencontrai.-O mon frère pardonne à
>> ton tour , ou plutôt , mon frère , rassurons nous , nos
>> âmes sont toujours les mêmes ; le feu sacré de notre
>> amitié n'a point rallenti son ardeur ; il nous anime , il
>> nous soutient ; c'est lui , c'est lui qui nous fait vivre ,
» mais une flamme différente nous consume et nous fait
>> mourir.... Tous deux s'interrompent mutuellement ;
>> tous deux depuis leur confidence semblent avoir changé
>> d'amour. »
Nephtaly ne sait pas même le nom de celle qu'il adore :
on ne peut ni le consoler , ni le rendre heureux. Elieser
aime Rachel ; et Rachel n'est point inconnue : Nephtaly
s'offre d'aller la demander lui-même en mariage pour son
frère. Il part , après avoir obtenu le consentement de
Sadoc ; il arrive chez Abdias. Mais quelle est sa surprise ,
lorsqu'il reconnaît lajeune Israélite , à laquelle il a sauvé
la vie ! Quel est l'étonnement de Rachel , lorsqu'elle revoit
l'étranger qu'elle a vu dans le désert ! « Mon père ,
>> dit-elle d'une faible voix , vous m'avez donnée au fils
>> de Sadoc ; je dois obéir en silence. Mon coeur sera prêt
» à suivre ma main , si le frère d'Elieser veut me con-
> firmer de sa bouche , que c'est pour m'appeler sa soeur
» qu'il est venu jusque dans ces lieux. » Rachel a recours
aux petits moyens de la coquetterie ; elle cherche à provoquer
un aveu de Nephtaly ; mais celui-ci reste fidèle à
l'amitié . La fille d'Abdias , dit M. de Florian , en éprouvait
un secret dépit , qu'elle prenait pour de la haine.
Elle se promettait de haïr le jeune Hébreux , et elle le
regardait sans cesse. Cependant Nephtaly , Abdias et Rachel
se mettent en marche pour se rendre à Silo , où les
attendaient l'heureux et tranquille Elieser. Le mariage
est célébré avec une pompe solennelle. Rachel aime toujours
Nephtaly , et elle ne peut résister à sa passion. « Ne
7
Ff3
454 MERCURE DEFRANCE,
1
>> nous cachons point nos combats , dit- elle à celui qu'elle
>> aime; mais assurons - nous plutôt la victoire ; je vous
» aime , et vous m'adorez : je me hâte d'en faire l'aveu . »
Après cet aveu un peu singulier , l'épouse d'Elieser conjure
Nephtaly de s'éloigner : elle lui déclare qu'elle ne
peut plus être vertueuse auprès de lui. Nephtaly consent
à tout pour l'amour de son frère . Mais Elieser a tout entendu;
il apprend que son mariage va causer le malheur
de Nephtaly et de Rachel. Saisi du plus violent désespoir
, il s'éloigne de la maison paternelle , et disparaît
pour jamais. On le croit mort ; il est pleuré par
Sadoc , par Nephtaly, par Rachel. Soixante - dix jours
se sont écoulés ; et , suivant la coutume d'Israël , Nephtaly
épouse la veuve de son frère , non cependant sans avoir
hésité , et sans s'être reproché son bonheur. « Elieser n'est
>> plus , s'écrie-t-il , comment oserais-je étre heureux !
Que ce jargon est loin de la nature ! qu'il est loin surtout
du ton et des moeurs des Israélites !.
Après tous ces combats , Nephtaly finit cependant par
oser être heureux ; et douze lunes s'étant renouvelées ,
Rachel lui donna un fils , qui fut nommé Elieser. Lejeune
Elieser croissait en âge et en sagesse. Il n'avait pas atteint
sa neuvième année , qu'il courait déjà dans le désert
; or , il a rencontré dans le désert un solitaire qui
traînait sa vie de caverne en caverne. Cet inconnu seplaisait
à attirer le fils de Rachel dans sa grotte sauvage. Le
jeune Elieser s'échappait chaque jour de la maison paternelle
pour le visiter. Un jour le solitaire était tombé grą
vement malade , et la mort paraissait déjà sur son visage.
Le jeune Elieser vient chercher sa mère ; Rachel et Nephtaly
se rendent à la grotte du solitaire ; mais quelle est
leur surprise , leur douleur , lorsqu'ils reconnaissent Elieser
, premier époux de Rachel ! Nephtaly n'osait pas être
heureux sans Elieser ; dès qu'Elieser voit Nephtaly et
1
PRAIRIAL AN XI. 455
Rachel , il n'ose plus être malheureux ; et après avoir raconté
le secret de sa fuite , il expire au milieu de ce qu'il
a de plus cher.
,
Tel est le sujet et la marche du poëme d'Elieser et de
Nephtaly. On a long - temps agité la question de savoir
si on pouvait faire un poëme en prose : cette discussion
s'était élevée au sujet du Télémaque , et nous ne la renouvellerons
pas au sujet d'Elieser , qui mériterait à peine le
titre de roman. On n'a jamais poussé plus loin , dans aucun
roman moderne , l'invraisemblance des incidens. La
passion d'Elieser pour Rachel , qu'il a vue au temple , et
celle de Nephtaly pour une inconnue , qu'il a vue dans le
désert , ne sont là que pour attester la pauvreté d'invention
dans l'esprit de l'auteur. Ce que nous avons cité , peut
suffire pour donner une idée du style : non - seulement
M. de Florian n'employe pas les couleurs de son sujet ,
mais il se trompe sur l'amitié , qu'il représente comme
une passion , et sur l'amour, qu'il ne peint que comme un
simple sentiment. Les Lévites agissent comme nos merveili
leux ;les filles israélites parlent comme nos coquettes, et les
Hébreux ne sont au fonds que de légers Parisiens. Même
dans les morceaux les plus agréables de son poëme , M.
de Florian ne s'élève jamais au-dessus du ton fade et doucereux
de l'idylle ; et l'on pourrait répéter ici le mot
d'une femme qui disait en parlant de l'auteur de Galatée :
Les bergeries de M. de Florian sont charmantes , iln'y
manque qu'une chose ; C'EST UN LOUP.
t
1
La préface du poëme est beaucoup plus intéressante
que le poëme lui-même ; elle renferme quelques détails
piquanssur les moeurs desjuifs ; nous en citerons ici quelque
chose , pour dédommager le lecteur. C'est un dialogue
entre M. de Florian et M. Jonathas : « A combien faites-
>> vous monter , dit l'auteur , le nombre des Hébreux
>> actuellement dispersés sur la terre ? Ce calcul n'est pas
Ff4
456 MERCURE DE FRANCE ,
\
» facile , répond Jonathas ; on a de la peine à faire le
>> dénombrement exact des habitans d'un seul empire ,
>> jugez de la difficulté de dénombrer un peuple répandu
>> dans les quatre parties du monde , et se cachant presque
>> par-tout. Mais si l'on veut ajouter à la très-grande quan-
>> tité de juifs établis en Europe le prodigieux nombre
>> de ceux qui vivent en Asie , depuis Constantinople jus-
» qu'àPékin , ceux que l'on trouve sur les côtes d'Afrique
>> et dans quelques contrées de l'Amérique , je crois à-
> peu-près certain qué ce calcul passerait cinq millions
>> d'individus . Vous en êtes étonné ; vous cesseriez de
>> l'être si vous connaissiez nos moeurs et nos lois .
>> Ces lois nous prescrivent le mariage avant vingt ans :
>> tout Hébreux qui , àcet âge, ne prend point une femme,
>> est regardé comme vivant dans le crime. Nos frères
» d'Orient ont plusieurs épouses , et par-tout le divorce
>> est permis. Voilà déjà de grandes raisons pour que
>> notre population soitimmense.Ajoutez-y qu'en général
>>> nous sommes sobres , laborieux , continens ; que , chez
>> aucun peuple , la foi conjugale n'est autant respectée ;
>> que nous ne portons point les armes ; et que nous seuls
>>> peut-être , en Europe , sommes exempts des deux fléaux
>> qui détruisent le plus l'espèce humaine , la guerre et la
>> débauche.
>> Sans cela , d'après les persécutions que nous avons
>> souffertes dans tous les pays , d'après l'innombrable
>> quantité de juifs immolés , la race en serait éteinte.
>> Mais ces persécutions nous ont plus unis , plus resserrés
» entre nous. Des frères heureux peuvent se diviser : des
>> frères malheureux s'embrassent. Quand nous étions dans
>> notre Palestine , sous nos rois , sous nos grands-prêtres,
>> nous nous déchirions entre nous , nous n'observions pas
>> notre loi , nous élevions des temples aux idoles. Depuis
>> que nous n'avons plus ni patrie, ni prêtres,ni temples,
PRAIRIAL AN XI. 457
>> depuis qu'il faut s'exposer à la mort pour obéir à notre
>> Dieu , nous lui sommes bien plus fidèles , nous nous
>> souvenons beaucoup mieux qu'il nous ordonne de nous
» aimer. Hélas ! c'est notre seule jouissance. Etrangers
>> dans tous les états , inhabiles à tous les emplois , ne nous
>> mêlant point des affaires publiques , la seule ambition
>> qui nous soit permise , les seuls plaisirs qu'on nous ait
>> laissés , c'est d'être bon époux , bon père ; de réunir ,
>> de concentrer dans notre bonheur domestique toutes les
>> sortes de bonheur ; de chercher , de trouver dans nos
>> familles , les douceurs , les consolations que le monde
> entier nous refuse .
>> Une de ces consolations , c'est de remplir avec un
>> grand zèle le beau précepte de l'aumône. Vos villes les
> plus opulentes sont souvent pleines de vos pauvres ;
>> vous n'avez guère rencontré de juif qui vous ait de-
>> mandé du pain. Par-tout où nous sommes un peu
>> nombreux , nous avons une bourse commune pour se-
>> courir nos frères indigens . Cette bourse n'estjamaisvide ;
» et la manière dont elle se remplit est encore un secret ,
>> même entre nous. Vos édits nous défendent de posséder
>> des biens-fonds ; nous sommes pourtant assez riches :
>> et l'origine de nos fortunes n'est pas l'usure , comme
>> on l'a trop répété ; mais l'activité , l'amour du travail ,
>> la nécessité de vivre avec moins de moyens que les au-
>> tres , l'intelligence du commerce , qui semble être l'a-
>> panage des Hébreux , cette intelligence , qui , dans des
>> temps de barbarie , nous fit inventer les lettres de
>> change , nous rendit les facteurs de l'univers , où nous
>> étions dispersés , et contribua , plus qu'on ne pense , à
>> former les premiers liens qui depuis ont uni entr'elles
>> toutes les nations de l'Europe. Ainsi , nous devons en-
>> core nos richesses à l'oppression, comme nous lui de-
>> vons en partie notre population et notre bienfaisance.
458 MERCURE DE FRANCE ,
>> On nous laisse , cependant , assez paisibles en Pologne
>> et dans quelques cantons de l'Italie. En Angleterre ,
>> sur-tout en Hollande, nous sommes plus que tolérés.
>> Nous y professons notre culte publiquement ; nous y
» avons des synagogues , où nos rabbins , qui ne sont au-
>> tre chose que les docteurs de notre loi , nous exhortent
» à la vertu , à la pureté , reprennent ceux d'entre nous
» qui n'observent pas le sabbat , font les mariages , pro-
>> noncent les divorces , en un mot , expliquent la loi.
>> Cette explication demande , non-seulement une pro-
>> fonde connaissance des livres de Moïse , mais encore du
>> Thalmud, ouvrage très-révéré parmi nous , parce qu'il
>> est le recueil de toutes les opinions et traditions qui
>> composent notre loi orale. Nous regardons comme
>> savans ceux qui font une étude particulière de ce Thal-
>> mud, devenu , pour ainsi dire , le code civil et cano-
>> nique des Hébreux. Ce n'est pas à moi d'apprécier de-
>> vant un chrétien le mérite de cette science. Malheu-
>> reusement nous n'en avons guère d'autre : excepté quel-
>> ques auteurs , qui se sont appliqués à l'astronomie , à la
>> grammaire , à la médecine , les autres n'ont écrit que
>> sur la controverse . Notre littérature est à-peu-prèsnulle ;
>> et votre goût serait peu satisfait d'une bibliothèque
>> hébraïque.
>> Cependant nous avons eu des académies celèbres , et
» nous avons encore des écoles dans les villes où il nous est
>> permis de bâtir des synagogues . Dans celles où elles ne
>> sont pas tolérées , nous nous rassemblons dans une
>> chambre , louée à frais communs , qui n'a d'autres
>> meubles que des bancs , une table , et une armoire pla-
>> cée du côté de l'orient. Cette armoire , qui nous repré-
>> sente si pauvrement l'arche de bois de Cetim , couverte
>> de lames d'or , renferme les cinq livres de Moïse , écrits
>> à la main sur du parchemin , avec de l'encre faite ex
-PRAIRIAL AN ΧΙ. 459
>> près. Ils ne sont point reliés comme les autres volumes ;
>> ils sont copiés sur de longues peaux , cousues bout à
>> bout, non avec du fil , mais avec les nerfs d'un animal
>>> pur. Ces peaux sont rouléessur deux bâtons, et le rouleau
>> est recouvert d'un riche voile , brodé par les plus habi-
) les de nos ouvriers . Dans nos assemblées , nous mettons
>> à prix l'honneur de porter ce volume depuis l'armoire
>> où il est enfermé , jusqu'à la table où on l'appuie pour
>> en lire des fragmens. L'argent de cette enchère est à
>> nos pauvres. Les hommes , assis sur des bancs , les
>> femmes dans une galerie grillée , assistent à la lecture ,
>> et chantent nos pseaumes hébreux. Voilà tout ce qui
>> nous reste du fameux temple de Salomon.
>> Nos fêtes ne pourraient être célébrées qu'à Jérusa-
>> lem , mais nous en retraçons une faible image , suivant
>> notre calendrier particulier , que nous renouvelons avec
>> soin tous les ans. Indépendamment du Sabbat , nos
>> solennités sont nombreuses : elles ont toutes rapport à
>> de grandes époques de notre histoire , telles que le
>> Purim , pour la délivrance des Juifs , par Esther ;
>> l'Hanucca , pour les victoires de nos Machabées , et
>> beaucoup d'autres , parmi lesquelles vous seriez sûre-
>> ment touché de celle que nous appelons le Quipour ou
>> l'expiation . C'est le jour même où Moïse , après avoir
>> obtenu le pardon de l'idolatrie du veau d'or , redes-
>> cendit de la montagne avec les dernières tables de la
>> loi. Jadis c'était le seul jour de l'année où le grand
>> prêtre entrait dans le saint des saints , pour y porter les
>> regrets , le repentir , les larmes d'un peuple trop sou-
>> vent prévaricateur. Nous passons ce jour tout entier
>> dans le jeûne le plus austère ; nous nous rendons à la
» synagogue dès l'aurore , pour n'en sortir qu'à la nuit,
>> revêtus d'habits de deuil , les cheveux , la barbe, en dé-
>> sordre. Là , nous crions tous : OmonDieu ! miséricorde !
460 MERCURE DE FRANCE ,
>> nous avons péché , nous avons fait le mal , nous sommes
>> justement punis ; miséricorde ! Dieu de bonté ! Chacun
>> déclare tout ce qu'il se reproche , chacun demande
>> grace au Seigneur et à ses frères. On oublie toutes les
>>> discordes , on se pardonne les anciennes plaintes , les
>> vaines injures , dont on s'accuse soi-même avec un vif
>> repentir ; on s'embrasse en versant des larmes. Ce spec-
>>> tacle d'une foule d'hommes pleurant en commun leurs
>> fautes , et demandant à grands cris de revenir à la vertu ,
>> n'existe peut-être dans aucune religion du monde , et
>> vous frapperait à-la-fois de surprise et de compassion. »
A la suite du poëme d'Elieser et de Nephtaly se trouve
un dialogue entre deux chiens ; c'est une nouvelle imitée
de Michel Cervantes . Deux chiens se rencontrent dans
une basse-cour , et ils se racontent ce qu'ils ont vu chez les
différens maîtres qu'ils ont servi ; on retrouve encore dans
ce dialogue quelques traces du génie de Cervantes , mais
la nouvelle ne valoit pas cependant la peine d'être traduite
dans notre langue ; nous ne saurions prendre aucun intérêt
au récit de deux chiens qui racontent des aventures
galantes , et des histoires de voleurs. L'apologue fait parler
quelquefois les animaux , mais c'est pour amener une moralité
; il n'y a point de moralité dans la nouvelle de Michel
Cervantes ; dans l'apologue , il est reçu de faire parler les
animaux , mais ils ne parlent pas long-temps , et ils parlent
d'après leur caractère particulier. Ici la conversation des
chiens est trop longue , et tout ce qu'ils disent serait beaucoup
mieux placé dans la bouche de l'auteur lui-même.
Il est inutile de faire parler les chiens , lorsqu'on peut dire
soi-même tout ce qu'ils disent ; ce genre d'invention ne
saurait réussir parmi nous , nous ne chercherons jamais
notre histoire dans la conversation des animaux , bien que
M. Dupont de Nemours ait fait annoncer dans les journaux
, qu'il avait trouvé quinze mots du vocabulaire des
PRAIRIAL AN XI. 461
chiens , dix ou douze de celui des chevaux , et que M. Leroi
nous ait prouvé que le génie des corneilles pouvait s'élever
jusqu'aux calculs de la géométrie transcendante .
MICHAUD .
VARIÉTÉS.
De quelques maximes dangereuses avancées par certains
continuateurs de Buffon etpar un des rédacteurs d'un
Dictionnaire d'Histoire naturelle .
Quand les cinq propositions de Jansénius furent condamnées
par la cour de Rome , les jansénistes se contentèrent
de dire que ces propositions ne se trouvaient point
dans le livre de leur patron : la même chose est arivée
pour certains livres de nos savans qui étaient accusés de
matérialisme ; les adeptes se sont contentés de répondre
qu'on n'avait pas bien saisi leur système ; et beaucoup
de gens les ont crus sur parole. Un débutant dans la
science naturelle , accusé d'avoir fait de l'homme un être
purement matériel , a cru se justifier en disant , qu'il
n'avait parlé que de l'homme physique. Cependant nous
lisons dans un ouvrage de ce même écrivain , intitulé ,
Histoire naturelle du genre humain , les passages suivans ,
auxquels il serait difficile de donner une interprétation
conforme aux idées reçues en morale : « Ne pensons pas ,
» dit-il, que le moral soit autre chose que le physique ina-
>> perçu par les yeux du vulgaire. » Là-dessus notre garçon
philosophe cite l'Écriture , et s'écrie : Erudimini qui judicatis
terram. Plus loin il apostrophe l'homme et luiditdu
ton d'un inspiré : O homme ! animal fier et superbe, qui t'énorgueillis
de ta puissance sur les étres organiques , pourquoi
portes- tu tes regards au-delà de ta propre sphère ! n'estudonc
pas soumis comme la fleur nouvelle à ces lois despotiques
et immuables qui enchaînent l'univers ? ON
PEUT DONC AFFIRMER QUE L'HOMME APPARTIENT
A LA FAMILLE NATURBLLE DES SINGES . Nous pour462
MERCURE DE FRANCE ,
:
rions demander à ce philosophe superbe à quelle famille
il appartient lui même? Au reste , l'auteur a quelque raison
de parler ainsi à le bien prendre , beaucoup
d'hommes ne sont réellement que des singes , qui se plaisent
à répéter de mauvaises caricatures , et notre philosophe
n'est dans son histoire naturelle du genre humain ,
que le singe maladroit de Diderot , d'Helvétius , de Boulanger
, qu'il imite , qu'il répète , et qu'on reconnaît partout.
Peut- être , dit-il dans un Dictionnaire d'Histoire naturelle,
que des être plus parfaits que l'homme prendrontsa
place sur la térre. Rétif de la Bretonne avait dit mot pour
motlamême chose dans son roman de la Vie de M. Nicolas .
Qu'est-ce que cela prouve , si ce n'est que nos savans etnos
romanciers se rencontrent , et qu'ils niettent tour-à-tour les
romans en histoire naturelle , et l'histoire naturelle en romans
?Nous allons citer quelque chose de beaucoup plus
extraordinaire , et que les roinanciers n'ont pas osé dire . La
phrase est tirée du même dictionnairé d'histoire naturelle .
« L'homme commence dès le sein maternel par un état de
végétation. Il devient anguille , zoophite , puis ver , molusque
, poisson , reptile , quadrupède , enfin homme. »
Ne voilà-t- il pas une fort belle généalogie ? Ami lecteur ,
je gage que vous ne vous souvenez pas d'avoir été anguille
, molusque , quadrupède : il est cependant trèscertainque
vous avez été tout cela , et vous devez en
croire nos philosophes , qui vous en donnent leur parole
d'honneur. Vous aurez beau rire ; il est démontré que le
sein maternel est un véritable cabinet d'histoire naturelle ,
dans lequel on peut faire un cours complet.
L'auteur de ce nouveau système aurait pu pousser són
énumération beaucoup plus loin : car , il est évident que
l'homme subit de plus nombreuses métamorphoses dans
le sein maternel ; et avec le microscope , qui multiplie
neuf millions de fois les objets, nous verrons bien d'autres
choses. Nous trouverons alors mille raisons pour abaisser
l'orgueil de l'homme , nous ferons voir aux plus grands
PRAIRIAL AN XI. 463
monarques qu'ils ont commencé par être un ciron ou une
fourmi : nous rappellerons aux philosophes , aux sages de
la terre , le temps où ils étaient zoophites et quadrupèdes .
On pourra même expliquer le caractère de chaque individu
, par l'espèce d'animal dont il aura pris la figure dans
le sein maternel. Il est évident que nos petits maîtres ont
d'abord été des papillons ; certains fournisseurs , des sangsu
sues ; nos chanteurs , des rossignols; plusieurs orateurs ,
des perroquets. Je ne sais point ce qu'à été l'auteur dont
nous parlons , mais je jurerais qu'il n'était pas un aigle
dans le sein de sa mère .
Ecoutons encore notre oracle. « Il n'y a d'essentiel dans
>> l'homme , dit- il , que ce qui a rapportà la nutrition età la
>> génération. Tout le reste n'est qu'un habillement super-
>> ficiel.>> On voit par là que l'homme n'est sur la terre
quepour digérer, et pour faire des enfans, qui sont d'abord
des plantes , des anguilles , des quadrupèdes : tout le réste
n'est qu'un habillement superficiel. N'allez pas croire que
l'auteur dit ici un mensonge ; il ne s'exposeraiť point ainsi
àperdre son crédit , car il nous dit dans un autre passage
de son livre : que le mensonge est une banqueroute frauduleuse,
faite dans le commerce de la vie humaine. Il ne
faut pas trop raisonner sur cette définition , car notre philosophe
nous menace de nous apporter le cadavre de la pensée
et de le disséquer à nos propres yeux . Ces messieurs le
feraient comme ils le disent ; on sait qu'ils sont capables
de tout , et qu'ils ont grande envie de conduire l'homme
moral au cimetière.
ΑΝΝΟΝCE .
Lettres sur les Etudes , ou Conseils à un jeune homme
qui veut perfectionner son instruction. Par Delpierre de
Tremblay. Seconde édition , revue et augmentée. Un
vol . in- 12. Prix : 1 fr. 50 cent. et 2 fr . par la poste .
4
A Paris , chez Debray , libraire , place du Muséum ;
Et chez le Normant , imprim .-libraire , rue des Prêtres
Saint-Germain-l'Auxerrois , n°. 42.
464 MERCURE DE FRANCE ,
POLITIQUE.
Dans notre numéro du 15 frimaire dernier , article
Politique , nous imprimions :
« Si les Anglais oublient qu'après les avoir admirés , on
>> les juge , s'ils vont toujours sur le crédit que leur avait
>> donné les philosophes français , ils metront à décou-
>> vert une politique qui révoltera généralement , parce
>> qu'elle frappera et les plus incrédules , et les bonnes
>> gens qui n'ont pas l'esprit de la deviner.>>
Ce que nous disions il y a six mois est complettement
prouvé aujourd'hui ; la politique des Anglais est à découvert
, et l'indignation est générale. Cette politique
n'est rien moins que nouvelle , mais l'Europe , mais les
Français sur-tout sont revenus de leur incroyable admiration
; on juge ce peuple , isolé par la nature et conséquemment
égoïste , et l'on est étonné que tant de perfidie,
tant de barbarie aient pu se conserver au milieu
des progrès de la civilisation.
Puisque l'Angleterre voulait rompre le traité d'Amiens ,
elle se serait moins déshonorée en avouant hautement que
ce traité lui était odieux , en le dichirant avec fierté , qu'en
employant la ruse et la bassesse pour accuser le gouvernement
français ; en effet , ces deux ressources honteuses
n'ont servi qu'à avilir les ministres qui en ont fait
usage.
Le cabinet de Saint-James prête au gouvernement
français des vues hostiles , mais loin d'appuyer son accusation
sur les pièces des négociations , il est réduit à en
cacher une partie au public , et à tronquer celles qu'il
communique. Toutes ses assertions sont fondées , ou sur
des notes verbales ( ce qui signifie sans doute des propos ) ,
ou sur des extraits de lettres dont on ne montre pas les
originaux , et qu'on dit écrites par des agens qu'on n'ose
avouer : voilà tout ce que produisent les ministres. Il est
vrai qu'il leur était impossible d'accuser le gouvernement
français d'avoir manqué à la foi des traités , d'avoir
négligé , retardé , refusé d'en exécuter toutes les clauses .
Cette accusation formelle , le gouvernement français la
porte contre l'Angleterre ; il la porte appuyée de preuves
sans réplique , car ces preuves sont toutes les pièces offi
eielles des négociations entre les deux gouvernemens.
Par
PRAIRIAL AN XI. 463
n
Par le traité d'Amiens , les Anglais ont promis d'eva
cuer l'île de Malte ; sans cette condition
rait point été signé par la France; les Anglais ehi
refusent d'exécuter cette clause , garantie par Autriche,
ła Russie , la Prusse, l'Espagne et les deux gouverne
mens contractans; tel est le fond de a disenssion que
toutes les chicanes britaniques n'ont pu meme em
brouiller . Le mot garantie , bien défini prietes grammairiens
, ne l'est peut-être pas encore pour les politiques
; mais la conduite des puissances garantes va révéler
pour la postérité si, en 1803 , l'Europe avait un
droit public , ou si elle n'avait que l'habitude des expressions
qui font croire qu'il en existe un.
Avant toute déclaration de gueerrrree ,, nos vaisseaux
étaient déjà saisis dans les ports de la Grande-Bretagne ,
et la course autorisée contre nos bâtimens marchands ;
nous avions des prisonniers de guerre en Angleterre ,
que l'ambassadeur anglais était encore à Calais . Telle
est la conduite de cette nation libérale , proposée si longtemps
pour exemple à la France , à la France dont l'histoire
atteste l'antique loyauté même envers ses plus
mortels ennemis .
Mais il y a plus : l'ambassadeur hollandais était encore
à Londres , et l'ambassadeur anglais à la Haie , que l'Angleterre
faisait saisir les vaisseaux hollandais , et courir
sur les bâtimens marchands de cette puissance . Veut-on
plus encore : la correspondance règne si bien entre ces
deux nations comme en temps de paix , que c'est par les
lettres de commerce que les négocians hollandais adressent
à leurs correspondans de Londres , que le cabinet
de Saint-James a appris le nombre des bâtimens que la
Hollande attend de Batavia , leur chargement , l'époque
de leur arrivée , et conséquemment où et quand les vaisseaux
anglais pourront les atteindre . Si , sur la parole
d'un chef de brigands on était entré dans sa caverne ,
on aurait la certitude d'en sortir ; et , au dix-neuvième
siècle , lorsque sur la foi des traités des nations policées
se livrent à un peuple que quelques grands hommes
ont rendu illustre sans pouvoir changer le fond de son
caractère , elles s'exposent à être traitées avec une pareille
indignité. Et il n'y a pas quatre mois que M.
Windham , en parlant des Russes , les appelait des barbares
! L'accusation était hardie après la manière dont
le cabinet britannique a traité les troupes que Paul Ir.
12 G
464 MERCURE DE FRANCE ,
resavait
fournies pour une querelle , dans laquelle il ne fut.
entraîné que par un sentiment chevaleresque , bien
pectable , puisqu'il tenait à l'honneur. Ce sentiment
sacré , trop oublié en Europe depuis que la politique et
les principes d'un peule marchand y sont devenues dominans
, cet honneur si nécessaire aux grands peuples du
continent , a été réveillé par l'éclat de nos armes ; tout
annonce qu'il va reprendre son ancien empire , et alors
on n'aceusera plus de barbarie que la nation qui viole le
droit des gens et ne se croit point liée par les traités les
plus solennels.
: Le rebelle Abdul-Wechab qu'on avait cru un moment
dans une défection complette , a obtenu de nouveaux
succès sur les troupes envoyées pour le combattre ; on
assure qu'il s'est rendu maître de la Mecque , et qu'il
s'est fait proclamer Caliphe et souverain de l'Arabie.
Le camp qui doit être formé près de Minkendorf ne
sera rassemblé que dans le mois d'août; il sera composé
de trente mille hommes et commandé par S. A. R. le
prince Ferdinand. Il doit toujours être formé un autre
campde plaisance près de Lemberg . D'un autre côté S. M.
I. et R. est déterminée à envoyer quarante mille hommes
en Italie , pour couvrir les frontières de l'Istrie , de la
Dalmatie et des Etats ci-devant Vénitiens. Une partie de
l'artillerie est déjà en route pour cette destination. Des
troupes françaises rassemblées sur le Bas - Rhin , sous le
commandement du général Mortier , sont en marche
depuis quelques jours pour aller fermer aux Anglais
l'embouchure de l'Elbe et du Weser , et pour s'emparer
de l'électorat d'Hanovre et le garder en dépôt jusqu'à
la paix ; la régence d'Hanovre qui s'attend sans
doute à cette mesure , sollicite le cabinet de Berlin de faire
occuper ce pays par les troupes prussiennes. On ignore
encore quelle sera la résolution de S. M. Il se forme par
ses ordres un camp très-considérable dans les environs
de Nuremberg ; S. M. doit y passer dix jours et y
recevoir les visites de plusieurs personnages considérables.
1.
A peine a-t-on annoncé la possibilité de l'occupation
de l'Hanovre par les troupes françaises , qu'il se manifesto
déja ( dans les gazettes allemandes ) une opposition à cette
mesure. Suivant une de ces gazettes , une cour du Nord
PRAIRIAL AN XI. 465
1
1
1
f
1
1
a fait représenter au gouvernement français , que l'entrée
d'une armée étrangère sur le territoire de l'Allemagne ,
et particulièrement vers le Nord , occasionnerait des
contre-mesures qui ne s'accorderaient pas avec le dernier
traité de paix et le rétablissement de la bonne intelligence .
Plusieurs journaux rapportent aujourd'hui que la
France a cédé la Louisianne aux Etats-Unis d'Amérique ,
moyennant une somme d'argent très- considérable .
CORPS LÉGISLATIF.
Séance du 1. prairial.- Nous avons donné cette séance
dans notre précédent numéro ; mais nous n'avons pas fait
connaître le résultat du scrutin pour le renouvellement du
bureau. Renaud- Lascours est élu président. Les secrétaires
sont Guérin ( du Loiret) , Jacopin , Firmin Beaumont et
Jaubert.
Séance du 3. Trois conseillers d'état sont introduits.
Emery porte la parole. « L'exposé des négociations qui
vous a été fait précédemment , dit-il , a pu vous mettre en
état d'apprécier la sincérité du voeu que le gouvernement
n'a cessé d'exprimer pour le maintien de la paix .... Il est
donc vrai que l'Angleterre nous fait la guerre ! Dans cette
crise nouvelle , le gouvernement ne manquera pas à la
nation , et la nation ne manquera pas au gouvernement.
Lagression a commencé de la part de l'Angleterre. Les
représailles doivent suivre immédiatement.
L'orateur donne communication d'un arrêté du gouver
nement relatif aux représailles . ( Voyez la séance du tribunat
de ce jour ). Sur la proposition de Devismes , le corps
législatif se forme en comité secret, pour entendre le rapport
de sa commission. A cinq heures et demie , il lève sa
séance secrète , après avoir nommé une députation de
vingt - cinq membres , pour aller féliciter le premier
Consul sur la sagesse et la fermeté qu'il déploie dans une
circonstance aussi importante .
Séance du 5. - Organe de la députation chargée de
porter au premier consul l'expression des sentimens du
corps législatif , le C. Ramond rend compte de la manière
dont cette mission a été remplie : « Nous nous sommes
rendus à midi au palais du gouvernement ; nous avons
été admis à une heure devant le premier consul , immé
Gg 2
466 MERCURE DE FRANCE ,
diatement après la députation du sénat. Nous lui avons
donné communication de l'adresse dont le corps législatif
avait approuvé la rédaction .
Le premier consul a témoigné la satisfaction et la profonde
sensibilité que lui faisait éprouver la démarche du
corps législatif. Il a répondu en substance : nous ne faisons
pas la guerre , mais nous repoussons une injuste
agression. La paix sera rétablie lorsqu'elle pourra l'être
avec honneur. Rien n'est plus propre à faire présager
nos succès , que les sentimens exprimés en ce moment
par le corps législatif au nom du peuple français .
Ala réponse officielle du premier consul a succédé une
conversation familière. Le premier consul a fait remarquer
la différence que les nations , témoins de nos démêlés,
doivent nécessairement établir entre la loyauté du gouvernement
français , qui s'est fait un devoir de mettre sous
les yeux de la nation les pièces officielles de la négociation ,
dans toute leur intégrité , et la fourberie du gouvernement
britannique , qui n'a pas craint de tromper le parlement
, pour que le parlement abusé trompât la nation
anglaise , en publiant ces mêmes pièces , tronquées , incomplètes
et dénaturées . Enfin , il a observé qu'aucun manifeste
ne nous fit autant d'honneur que celui du roi d'Angleterre;
qu'il justifie le peuple français , en produisant
Pacte d'accusation de son perfide ennemi.
Séance du 6. Le président fait lecture d'un message parlequel
le tribunat communique le voeu qu'il a émis dans sa
séance de lundidernier pour que le gouvernement prenne les
mesures les plus énergiques , afin de faire respecter la foi
des traités et la dignité du peuple français. Le corps législatif
ordonne l'insertion au procès-verbal et le dépôt dans
ses archives , de la communication faite par le tribunat ,
puis il s'ajourne à samedi.
:
TRIBUNAT.
er
Dans sa séance du 1. prairial , le tribunat a renouvelé
con bureau . Le C. Trouvé a été élu président ; les nouveaux
secrétaires sont Perrée, Sahuc , Beauvais et Mouricault.
Séance du 5.- Daru a fait un rapport sur les commu-
Rications des pièces relatives aux différends avec l'Angleterre.
Voici un extrait de son discours :
PRAIRIAL AN XI. 467
Le rapporteur , en parcourant les griefs allégués par
l'Angleterre , en fait ressortir l'injustice : s'il faut en croire ,
ajoute-t-il , ces insulaires dominateurs , vous ne pouvez
plus rétablir la paix chez vos voisins, faire une conquête ,
consommer un échange , sans que bientôt l'Angleterre
n'ait le droit de réclamer une nouvelle garantie pour ses
possessions : garantie qu'elle n'exige aujourd'hui que
parce qu'elle vous croit hors d'état de lui résister. Ainsi
elle trace autour de vous le cercle étroit de Popilius , mais
Popilius était romain , et le roi de Syrie ne commandait
pas à unmillionde braves : mais sicetexcès d'impudence et
d'orgueil est extraordinaire , quelque chose l'est plus encore
, c'est cette modération , cet excès de modération qui
contraste avec elle dans tous le cours des négociations ,
cette modération qui est le calme de la force .... Imitons
la, tribuns !
Dans une note du ministère britannique , le roi d'Angleterre
se plaint des allégations offensantes contenues dans
le rapport du colonel Sébastiani. Ce rapport n'est qu'une
réparation nécessaire , et telle que l'armée française avait
droit de l'attendre des calomnies dégoûtantes , des injures
basses, des accusations outrageantes, renfermées dans l'ouvrage
d'un militaire anglais ; et auxquelles l'accueil fait
en Egypte au colonel Sébastiani avait déjà répondu.
L'Angleterre se plaint de la part que nous avons prise
aux différends de la Suisse . Certes , la Suisse à payé bien
cher l'avantage de se garder elle-même : la guerre civile
s'est allumée dans son sein ; le sang de ses citoyens a coulé ;
tous les bienfaits du règne des lois ont été méconnus. Et
quel a été le résultat de cette médiation contre laquelle on
s'élève ? ... Celui d'arrêter l'effusion du sang , de rendre les
citoyens au repos , et de donner à ce pays une constitution
convenable , après laquelle il soupirait , et que seal
peut-être il ne pouvait se garantir.
L'Angleterre argue encore d'un accroissement de territoire
; et il n'est pas plus exact d'avancer que la France
est aujourd'hui dans un état de possession différent de
celui qui existait à l'époque des négociations d'Amiens , à
moins qu'on ne veuille faire entrer dans ce tableau comparatif
les conquêtes auxquelles elle a renoncé . ...
L'orateur termiue en proposant , au nom de la commission
dont il est rapporteur , l'arrêté suivant :
Le tribunat , considérant que le gouvernement britannique
, par des formes insolites , des allégations fausses
Gg 4
568 MERCURE DE FRANCE ,
des demandes injustes , et même des mesures hostiles , a
donné le signal de la guerre , émet le voeu qquuee les plus
énergiques mesures soient prises pour faire respecter la foi
des traités et la dignité du peuple français. >> Le tribunat
se lève spontanément pour donner son assentiment à
l'arrêté. Il ordonne l'impression du discours à six exemplaires
, et arrête qu'une députation de vingt- cinq inembres
sera envoyée au premier consul , pour lui porter le
voeu du tribunat. On introduit trois conseillers-d'état.
Regnault (de Saint-Jean d'Angely) , l'un d'eux , fait lecture
d'un message du gouvernement et d'un arrêté relatif aux
représailles contre l'Angleterre. Voici cet arrêté :
Art. Ir. Il est prescrit à tout commandant des escadres
et des divisions navales de la république , capitaines de ses
vaisseaux et autres bâtimens de guerre , de courir sus à
ceux du roi d'Angleterre , ainsi qu'aux navires appartenant
à ses sujets ; de les attaquer , de s'en emparer , et de les
conduire dans les ports de la république.
II . Il sera délivré des commissions en course à ceux
des armateurs français qui en demanderont , et qui sont
dans le cas d'en obtenir en se conformant , pour lesdits
armemens en course , aux lois et réglemens existans ou
qui pourront intervenir.
,
III. Tous les anglais enrőlés dans la milice , et âgés de
dix-huit ans au moins , et de soixante au plus , ou tenant
commission de S. M. B. , qui sont actuellement en France ,
seront immédiatement constitués prisonniers de guerre ,
pour répondre des citoyens de la république qui auraient
été arrêtés et faits prisonniers par des bâtimens ou sujets
/ de S. M. B. avant la déclaration de guerre.
Le président répond à l'orateur que le tribunat secondera
avec zèle toutes les mesures que le gouvernement
prendra pour faire respecter les traités et l'honneur du
peuple français.
On entend successivement Boissy-d'Anglas , Carion de
Nisas , Costas et Riouffe , qui parlent en faveur du projet.
Leurs discours seront imprimés .
PARIS.
Les pièces officielles , publiées par ordre du gouvernement
, forment , comme nous l'avons dit , 258 pages
in-4°.; nous allons donner celles de ces pièces qui ren
PRAIRIAL AN XI. 469
ferment les prétendus griefs de l'Angleterre contre la
France , et la réponse du gouvernement français à ces
griefs. On pourra juger lequel des deux gouvernemens
a cherché à troubler la paix qui venait d'être rendue
à l'Europe.
Le 19 ventose anın , le général Andréossi remit une
note à lord Hawkesbury , par laquelle il lui demandait
des éclaircissemens sur l'occupation prolongée de l'île
de Malte par les troupes anglaises. Lord Hawkesbury
remit cinq jours après une réponse ainsi conçue :
Le soussigné , principal secrétaire d'état de S. M. , ayant le département
des affaires étrangères , a mis sous les yeux du roi la note
de son excellence l'ambassadeur de France , du to courant .
Lesoussigné , endonnant, d'après les ordres qu'il a reçus , une
réponse officielle à cette note , et en répétant les explications qui
*ont été déjà données en plus d'une occasion , soit par lui-même verbalement
au général Andréossi , soit par lord Whitworth à M. Talleyrand
sur le sujet de cette note ou sur les points qui paroissent y
avoir rapport , sent qu'il est nécessaire d'y ajouter quelque chose de
plus. Il peut assurer sans difficulté l'ambassadeur de France , que S.
M. n'a cessé de désirer constamment et sincèrement que le traité
d'Amiens pût être exécuté d'une manière pleine et entière ; mais qu'il
ne lui a pas été possible de considérer ce traité comme fondé sur des
principesdifférensde ceux qui ont été invariablement appliqués à toutes
les conventions on à tous les traités antérieurs; savoir, qu'ils sont négociés
eu égard à l'état actuel de possession des parties contractantes
et aux traités ou aux engagemens publics par lesquels elles sont
liées à l'époque de leur conclusion ; de sorte que si cet état de possession,
et si ces engagemens sont altérés assez matériellement par les
démarches de l'une on de l'autre des deux parties pour affecter la nature
du pacte lui-même , l'autre partie est fondée , suivant le droit
des gens , d'intervenir afin de réclamer une satisfaction on une com
pensation pour tout changement essentiel que de telles démarches
peuventavoir subséquemment causé dans leur situation respective : ets'il
yajamais eu une circonstance à laquelle ces principes pussent s'appliquer
d'une manière plusparticulière , c'a été celle du dernier traitéde
paix car la négociation a été conduite d'après un principe nonseulement
mis en avant par S. M., mais dont il a été spécialement convenu
pr le gouvernement français dans une note officielle ; savoir :
Que S. M. retiendrait sur ses propres conquéles une compensation
pour les importantes acquisitions territoriales faites par la
France sur le continent. Ceci estune preuve suffisante qu'on a entendu
conclure le traité eu égard à l'état des choses alors existantes ;
car la compensation obtenue par S. M. a dû être calculée relativement
aux acquisitions de la France à cette époque : et si l'interventiondu
gouvernement français dans les affaires générales del'Europe
depuis lors; si sa conduite envers la Suisse et la Hollande , dont il
avait garanti l'indépendance au temps de la conclusion du traité de
paix ; si les acquisitions faites par la France en divers lieux , et particulièrement
en Italie , ont étendu son territoire et accru sa puissance,
S. M. serait fondée, conformément à l'esprit du traité de paix ,
Gg3
470 MERCURE DEFRANCE ,
à réclamer des équivalens pour ces acquisitions, qui pussent servir de
contre- poids à l'augmentation du pouvoir de la France . Cependant
S. M. , soigneuse de prévenir toute occasion de mésintelligence , et désirant
consolider la paix générale de l'Europe autant qu'il est en son
pouvoir, était résolue à ne pas faire valoir les prétentions de cette nature
qu'elle peut avoir droit de mettre en avant ; et de même que le
autres artisles du traité définitif sont graduellement exécutés de sa
part, elle aurait été disposée à effectuer un arrangement conforme à
l'intention vraie du dixième article du traité , puisque l'exécution de
cét arrangement , suivant les termes du traité , avait été rendue
impratiquable par des circonstances qu'il n'apas été aupouvoir de S. M.
de prévenir . Pendant que S. M. était animée de ces sentimens pa-
-cifiques et modérés , et disposée à en faire les mobiles de sa conduite ,
*son attention a été prticulièrement engagée par la publication très -extraordinaire
du rapport officiel du colonél Sébastiani au premier consul
. Ce rapport contient les insinuations et les accusations les plus inex
cusables contre le gouvernement de S. M. , contre l'officier commandant
ses forces en Egypte et contre l'armée britannique dans ce
-pays-là; accusations et insinuations entièrement destituées de fondement,
et telles qu'elles auraient obbgé S. M. a demander la satisfaction
qu'ont droit d'attendre l'une de l'autre dans des occasions de
cette nature , des puissances indépendantes et dans un état d'amitié.
Ce rapport découvre , de plus , des vues injurienses au plus haut degré
aux intérêts des possessions de S. M. et directement contraires
* et ouvertement opposées à l'esprit et à la lettre du traité conclu entre
S. M. et le gouvernement français . L'ambassadeurde S. M. à Paris
a reçu en conséquence l'ordre de faire au gouvernement français des
représentations telles que la nature des imputations dont il a été parić,
et qui développaient des projets incompatibles avec la bonne foi et hantement
injurieux aux intérêts de son peuple , exigeait de la part de
S. M.; et comme le gouvernement français avait fait récemment une réelamation
au sujet de l'évacuation de Malte , lord Whitworth a été
ch. rgé de joindre à ces représentations une déclaration de S. M. ,
portant que avant que l'on pût entrer dans une discussion ultérieure ,
relative à cette île on attendrait qu'il fût donné des explications
satisfaisantes sur les divers points qui avaient excité les plaintes de
S. M. Cette représentation et cette réclamation,fondées sur des principes
incontestablement justes , et conçues dans les termes les plus modérés ,
poraissent avoir été entièrement négligées par le gouvernement fran-
Cus . Aucune satisfaction n'a été donnée ; ancune explication ne s'en est
suivie : mais , au contraire , les soupçons de S. M. , touchant les vues
da gouvernement français au sujet de l'empire ture , ont été fortifiés
er confirmés par les événemens subsequens .
,
Dans ces circonstances , S. M. sent qu'il ne lai reste plus d'alternative,
et que la juste considération de ce qu'elle doit à son propre
Lonneur et aux intérêts de son peuple , lui fait une nécessité de déçlarer
qu'elle ne peut pas consentir à ce que ses troupes évacuent Malte ,
jusqu'à ce qu'il ait été pourvu à la sûreté essentielle des objets qui , dans
s circonstances présentes , peuvent être matérielement en péril par
Jeur éloignement .
Al'égard de plusieurs des propositions mentionnées dans la note ,
et fondées sur le principe que l'article to doit être exécuté dans son
sens littéral , elles appellent quelques observations . Suivant l'article, to
da traitéd'Amiens , l'île de Malte doit être rendue par S. M. alas
PRAIRIAL AN XI. 471
dre de Saint- Jean , sous certaines conditions ; l'évacuation de Ille à une
époque pécise est une de ces conditions , et si l'exécution graduelle des
antres stipulations avait été effectuée , S. M. aurait été obligée , aux
termes du traité , d'ordonner à sestroupes d'évacuer I'tle. Mais ces conditions
doivent être considérées comune étant tontes de égale nece-
sté ; et si quelque partie matérielle en avait été trouvée incapable
d'exécution , on si leur exécution avait été retardée par quelques cir
constances , S. M. serait fondée à différer l'évacuation de l'île jusqu'à
ce que les autres conditions de l'article pussent être exécutées , onjusqu'à
ce que de nouveaux arrangemens qui auraient été jugés les plus
satisfaisans par les parties contractantes , cu sent été conclus. Le refus
de laRussied'accéder à l'arrangement pris ,à moins que la langue maltaise
ne fût sholie ; le silence gardé par la cour de Berlin , sur l'invitation
qui lui a été faite en conséquence du traité d'être une des puissances
garantes; l'abolition des prieurés espagnols , prononcée en défiance du
même traité par le roi d'Espaga , qui en était cependant une des paties
contractantes ; la déclaration du gouvernement portugais , manifestant
son intention de séquestrer les biens duprieuré portugais com
me faisant partie de la langue d'Espagne , à moins que les prieurés
espagnols ne fussent rendus; toutes ces circonstances auraient été suflisantes
, à défaut d'aucun autre motif spécial , pour autoriser S. M.
suspendre l'évacuation de l'ile . Lévacuation de Tarente et de Brinde
n'a aucune espèce de rapport avec celle de Malte : le gouvernement
français s'était engagé à évacuer le royaume de Nap'es par son traité
avec le roi desDeux-Siciles , une époque antérieure à celle où cette
stipulation a été exécutée .
à
Le gouvernement français était également obligé , par ses engagemens
avec l'empereur de Russie , à respecter l'indépendance du
royaume de Naples : mais , même en adimettant que le départ des
troupes françaises de Tarente dépendît seulement de l'article du traité
dAmiens , dans les termes du traité , leur départ devait avoir lieu
dans le même temps que les autres évacuations enEurope ; savoir , un
mois après la ratification du traité définitif, époque à laque'le Porto
Ferraïo et Minorque ont été évacués par les troupes de S. M. Mais
les troupes de S. M. n'étaient , dans aucun cas , obligées d'évacuer
Tile de Malte avant le débi de trois mois après la ratification du traité
définitif ; et même à cette époque cette évacuation devait être considérée
comme dépendante de l'exécution acurelle et gr duelle des
autres parties de l'arrangement. Quant à l'assertion insérée dans
lanote, portant que les troupes napolitaines devaient former la
garnison de Malte jusqu'à l'époque où les arrangemens relatifs à l'ordre
pourraient être effectués , il résultera de l'inspection de l'article que ,
par le paragraphe préliminairee,, l'ile devait être rendue àl'Ordre sous
condition des stipulations suivantes , et que ce serait seulement de
l'époque où la restitution à l'ordre aurait effectivement eu lieu , qu'aux
termes du paragraphe 12 , les troupes napolitaines devraient former
une partie de la garnison .
Le soussigné a donc établi , avec toute la franchise que l'importance
du sujet lui a paru demander , les sentimens de S. M. sur la note qui
mi a été remise par son excellence le général Andréossi , et sur les
points en discussion entre les deux pays.
8. M. conserve l'espérance que la conduite du gouvernement franenis
en cette occasion sera guidée par les meines principes qui ont in-
Variablement guidé la sienne propre; que toutes les causes de mélance
472 MERCURE DE FRANCE ,
ettout obstacle à la bonne intelligence entre les deux pays , seront
complètement et efficacement é'oignés , et que la paix sera consolidée
sur une base certaine et durable. Le soussigné prie le général Andréossi
d'agréer l'assurance de sa haute considération .
Downing street, 15 mars 1803 ( 24 ventose an 11 ) .
Signé HAWKESBURY.
>> Les plaintes renfermées dans la note du lord Hawkesbury
auraient dû précéder , à un long intervalle , l'éclat
fait au parlement. C'était au moment où les trois mois
fixés pour l'évacuation de Malte étaient sur le point d'expires,
qu'il aurait fallu faire connaître les divers motifs sur
lesquels on prétendait s'appuyer pour différer ou refuser
l'évacuation ; il se fût élevé alors une discussion entre les
gouvernemens; et quelques légitimes que pussent lui paraître
ses prétentions , les voies de négociation devaient
sans doute être employées par l'Angleterre avant qu'elle
voulût courir aux armes. Tout au contraire , le gouvernement
britannique avait déjà proclamé ses projets et ses
dispositions de guerre , et il venait ensuite exposer pour
la premiére fois les griefs qui devaient servir de motifs
ses résolutions. La singulariité de cette conduite , et les
justes soupçons qu'elle dût donner, n'empêchèrent pas que
le premier Consul ne fût empressé de répondre à la note
du cabinet britannique. Cette réponse fut remise par le
général Andréossi. Elle était conçue en ces termes :
à
Le soussigné a mis sous les yeux de son gouvernement la note écrite
par S. E. mylord Hawkesbury , il a reçu l'ordre de faire aux observations
qu'elle contient la réponse suivante :
Cette note paraît avoir pour but d'expliquer le message de S. M. B ,
et de donner les éclaircissemens qui avaient été demandés relativement
à l'exécution du traité d'Ainiens. Le premier consul ne veut
porter aucune plainte sur les allégations extraordinaires et inattendues
de cet cte émané de S. M. B. Il n'en est aucune de fondée.
S. M. B. croit son royaume menacé par des préparatifs faits dans
les ports de Hollande et de France. Elle a été trompée : le premier
ensul n'a fait aucun préparatif. Il n'y avait , au moment du message ,
dans les rades de Hollande , que deux frégates , et dans la rade de
Dunkerque , que trois corvettes . Comment les ministres de S. M. B.
ont- ils pu être trompés sur des faits aussi évidens ? Les ambassadeurs
de S. M. B. à Paris et à la Haye ont de bien graves reproches à se
faire,s'ils ont accrédité des informati ns aussi évidemment fausses ,
et négligé de prévoir que par-là ils exposaient leur gouvernement à
s'égarer dans la plus importante des délibérations. N'était- il pas conforme
au premier usage pratiqué entre les nations de demander des
explications , et de se mettre ainsi en mesure de se convaincre de
la fausseté des rapports que les ministres auraient pu recevoir ? Les
PRAIRIAL AN XI. 473
moindres effets de l'ouh'i de cette règle ne devaient-ils pas être d'extraîner
la riune des familles , et de porter la confusion , incertitude
et le désordre dans toutes les relations de commerce de chacune des
deux nations ?
Le premier consul sait , et par ses propres sentimens , et en jugeant
des autres peuples par le peuple français , qu'une grande nation ne
peut jamais être effrayée . Il croit que la bonne politique et le sentiment
de la véritable dignité inspirent toujours d'estimer une nation
rivale , et jamais de la menacer. On peut tuer un grand peuple , mais
non fintimider .
La seconde partie du message de S. M. B. énonce une allégation
qui n'est pas mieux fondée . S. M. B. y parle de discussions dont le
sujet estdouteux. Quelles sont ces discussions ? Quelles sont les notes
officielles ,quel est le protocole qui constatent l'ouverture , le progrès
, les vicissitudes d'un débat ? Un état de difficultés qui conduit à
une alternative de paixłou de guerre , peut- il naître inopinément sans
commencement , sans progression , et aboutir sans nuances à un appel
aux armes , avant d'avoir épuisé tous les moyens de se concilier ?
Ici l'appel a éclaté avant qu'on pût savoir qu'il y avait lien à mesintelligence
; on a signalé la fin des discussions avant qu'elles fussent
'commencées ; on a déclaré l'issue d'une discussion difficile avant
qu'elle eût été élevée. Que penserait l'Europe , que penseraient l'une
et l'autre wasion , si elles savaient que ces discussions annoncées par
S. M. B. comme si difficiles à terminer , étaient ignorées du gouvernement
français , et que le prentier consul , en lisant le message ,
n'a pu comprendre le sens ni de l'une ni de l'autre déclaration qu'il
renferme ! Aussi , s'est -il abstenu d'aucune démarche ostensible ; et
quels qu'aient été l'éclat , l'activité , les provocations de guerre qui
ont eu lieu depuis ce message en Angleterre , il n'a donné aucun
ordre , n'a fait aucure disposition , aucun préparatif. Il met toute sa
gloire , dans une affaire de cette nature , à être pris au dépourvu . Il
continuera dans ce système de franchise loyale , jusqu'à ce que S. M. B.
⚫ait bien mûri le parti qu'elle voudra prendre .
Dans sa note, lord Hawkesbury exprime l'opinion que la république
française s'est accrue en puissance depuis la paixd'Amiens.
C'est une erreur de fait. La France a , depuis cette époque , évacué
beaucoup de pays. La puissance française n'a reçu aucun degré
d'augmentation. Si S. M. B. est décidée à faire la guerre, elle peut
mettre en avant tous les prétextes qu'il lui plaira , elle en trouvera peu
qui soient moins fondés .
,
Quant aux plaintes portées relativement aux publications qui
peuvent avoir lieu en France , elles sont d'un ordre trop secondaire
pour pouvoir influer sur une telle décision . Serions -nous donc revenus
au siècle desitournois ? Des motifs de cette nature pouvaient autoriser ,
il y a quatre cents ans ,le combat des Trente ; mais ils ne sauraient
être aujourd'hui ure raison de guerre entre les deux pays. Il suffiroit
'à cet égard , de répondre à S. E. , qu'aucune réclamation de sa part
n'a été adressée sur cet objet au gouvernement de la république , et
que , s'il eût été juste de donner une satisfaction , le premier consul
aurait été en droit d'attendre celle qui , pour des causes d'une nature
plus grave et plus juste , avait été demandéedans la note du 28
thermidor , par le C. Otto . Et comment le ministère anglais pouvaitil
ignorer que , depuis la conclusion du traité d'Amiens , les presses
anglaises n'ont cesséde répandre en Europe la passion de la guerre ,
474 MERCURE DE FRANCE ,
la inécréance de la paix , et des outrages sans pudeur et sans mesure
contre tout ce qui est l'objet de l'amour et de la vénération du
peuple français !
Feu de jours après la ratification de la paix , un des min stres
de sa majesté britannique déclara que l'état de paix devait être considérable;
et la méfiance , éveillée par une telle déclaration , commenta
en séance de parlement , avec autant d'amertume que d'inconvenance
,les exagérations et les alarmes répandnes dans des pamphlets
méprisables , et dans des journaux aussi méprisables que ces libelles.
Depuis , ces écrivains se sont constamment vus autorisés dans l'insolence
de leurs observations par des phrases textuelles , tirées des discours
de quelques membres considérables du parlement. Ces discours ,
sur lesquels les journalistes ne pouvaient guère enchérir , ont servi ,
pendant dix-huit mois , à encourager l'insulte contre les gouvernemens ,
à un tel point qu'il n'est aucun Européen qui ne doive s'offenser , et
ancunAnglais raisonnable qui ne doive être humilié d une licence aussi
inouie; que , si l'on rapproche de ces écarts des procédés d'une gra
vité pus olfensante , l'indulgence accordée à de criminels Français ,
écrivant des outrages journaliers en langue française; la tolérance
plus inexcusable , éprouvée par des brigands couverts de crimes et
méditant sans cesse des assassinats , tels que Georges , qui continue
encore à demeurer à Londres , protégé etjouissant d'un état considé
rable; le peu de droit enfin qu'on a fait à toutes nos représentations ,
comment se rendre compte de l'éclat que S. M. B. a cru devoir faire,
relat vement à quelques griefs vagues , qu'elle n'avait pas auparavant
cannécessaire de porter à la connaissance du premier consul !
Le premier consul a eu lieu de se convainere que ses représentations
sur tous ces objets étaient inutiles , et que sa majesté britannique était
résolue , sans égard pour les puissances voisines , à tout autoriser chez
elle : mais il n'a pas pourcela douté de la continuation de la paix ,
ni effrayé l'Europe de l'annonce d'une guerre ; il s'est restreint à
adopter pour principe de conduite d'autoriser et de réprimer en
France, par rapport à lAngleterre , tout ce qui en Angleterre est autorisé
et réprimé par rapport à la France.
Cependant il a exprimé et il exprime encore le désir que l'on parviemme
à s'entendre , pour que désormais , dans les discussions officielles
et les écrits polémiques en Angleterre , on ne traite rien de ce
qui se fait en France , comme dans les discussions officielles et les
écrits polémiques en France , on ne traiterait rien de ce qui se fait
enAngleterre.
Lord Hawkesbury parle de l'article d'un journal où l'on a imprimé
un rapport d'un colonel français. On pourrait se dispenser , dans de
graves discussions , de répondre sur cet objet; mais enfin il n'est ni
long ni difficile de le faire. 1
Un colonel de l'armée anglaise a imprimé en Angleterre un ouvrage
rempli des plus atroces et des plus dégoûtantes calomnies contre l'armée
française et son général . Les mensonges de cet ouvrage ont été
démentis par l'accueil fait au colonel Sébastiani ; la publicité de son
rapport était en même temps une réfutation et une réparation que
l'armée française avait le droit d'attendre. A son arrivée en Egypte ,
get officier , à son grand étonnement , a trouvé l'armée anglaise , qui
devait l'avoir évacuée , et les tures extraordinairement alarmés de cette
permanence de l'armée anglaise , ainsi que de ses liaisons avec les rehelies
du pays en révolte ouverte contre la Sublime-Porte. Il a dû cone
PRAIRIAL AN XI. 475
eevoir que les traités qui nous lient à la Porte , et par lesquels nous
lui avons garanti l'intégrité de ses possessions , nous obligeaient à
Hous joindre à elle ; car il était simple de penser que l'Angleterre vou-
Leit déclarer la guerre , dès l'instant qu'elle ne voulait pas exécuter les
arti les du traité . Car enfin , la France n'est pas réduite à un tel état
d'abaissement , que l'on puisse exécuter ou non les traités foits avee
elle. De-là les recherches que cet officier a faites sur les forces qui se
trouvaient en Egypte , et sur la position qu'occupait l'armée anglaise.
Mais depuis, l'Egypte est rentrée sous la domination de son souve
rain légitime, et l'idée d'une rupture entre les deux nations , par
rapport à l'obligation contractée avec la Porte , se trouve évanouie.
Iln'existe done qu'un seul objet qui soit digne de fixer l'attention
des deux nation ; l'exécution du traité d'Amiens , en ce qui concerne
Malte . S. M. s'est engagée à la restituer à l'Ordre , et , jusqu'à ce
que l'Ordre soit en état de la garder , à la confier à l'ar.. će napolitaine.
S. M. rejettera tout sophisme , toute distinction , toute restriction
mentale qu'on pourrait lui présenter pour mettre en doute
la force et la validité de son engagement. Le garant du gouvernement
français est , à cet égard , dans la religion , la conscience de S. M. B.
Quel moven auraient désormais les deux nations pour s'entendre , s'il
en était autrement ? Tout ne serait-il pas chaos ? Ce serait véritablement
ajouter une calamité aux calamités qui ont menacé l'ordre
social.
En résumé, le soussigné est chargé de déclarer que le premier consul
He veut point relever le défi de guerre que lAngleterre a jeté à la
France; que , quant à Malte , il ne voit aucune matière de discus
sion, le traité ayant tout prévu .
Londres , 7 germinal an 11 . Signé , ANDREOSSI .
On lit dans le journal officiel l'article suivant :
16
« La déclaration du roi d'Angleterre vient de paraître.
Elle est accompagnée d'un volume de pièces de 145 pages
in-folio.Ce volume contient soixante-douze articles , parmi
lesquels dix seulement sont officiels , encore plusieurs de
ceux-ci sont-ils insignifians : soixante-deux sont des extraits
de lettres des ministres à leurs agens , et des agens anglais
àleur cabinet , lettres sans doute fabriquées par la chancellerie
, suivant la convenance des ministres .
>> Les notes les plus importantes , les plus propres à
faire connaître au peuple anglais la marche du gouvernement
français et le véritable esprit de la négociation , ont
été soigneusement supprimées. Et ce qui paraît le dernier
degré de l'impudeur et même de la folie, c'est que dans la
note de lord Whitworth , en date du 10 mai , imprimée
page 112 des pièces officielles de Londres , le passage le
plus essentiel est omis par une infidélité qui ne pouvait
manquer d'être relevée.
Ici le Moniteur représente sur deux colonnes la note originale re476
MERCURE DE FRANCE.
mise par lord Whitworth et signéede lui , et celle que le cabinet an
glais a fait imprimer dans le recueil des pièces qu'il appelle officielles .
Dans la note originale , on lit ce qui suit: Le soussigné , ambassadeur,
etc. ayant transmis à sa cour la proposition qui lui a été faite
parleministredes relations extérieures , le 4 du courant , « et cette
proposition ayant été jugée impraticable par le refus de S. M. l'empereur
de Russiede s'y prêter » , et en même temps au-dessus des justes
prétentions de sa majesté , vient de recevoir l'ordre de remettre à
S. E. le projet de convention ci -joint . ( C'est l'ultimatum que nous
avons rapporté.) Dans la même note, imprimée par ordre du ministère
anglais , ces mots : et cette proposition ayant étéjugée impraticablepar
le rafus de S. M. l'empereur de Russie de s'y
préter, se trouvent totalement supprimés .
>> Cette infidélité commise pour cacher une fausse allégation
qu'on n'osait plus soutenir, en a exigé une autre.
Enconséquence , les ministres anglais ont retranché la
note en réponse remise par le Cit. Talleyrand , le 12 floréal
.
Le ministre répondait que « l'assertion contenue dans la note de
» S. E. lord Whiworth , et qui est exprimée en ces termes , le refus
» de S. M. l'empereur de s'y préter, est entièrement contraire à la
» garantieque S. M. I. a formellement offerte sous la condition de
» quelques légers changemens que le premier consul n'a fait aucune
>> difficulté d'adopter , et auxquels il est à sa connaissance que le mi-
> nistère anglais s'est refusé , inéditant sans doute alors l'étrange pré-
>> tention de garder Malte; que de plus cette assertion se trouve encore
» en opposition absolue avec les assurances que le premier consul a
>> reçues de Pétersbourg depuis que le message de S. M. B. y a été
» connu , et qui viennent de lui être renouvelées par une communi
>> cation authentique que M. le comte de Marcoff a donné hier ( 21
>> floréal ) , des intentions de sa cour .... >>>
» Et la nation anglaise se dit libre ! et le parlement représente
la nation...... !
>> On traduit tout ce factum , qui sera imprimé dans ce
journal , car rien ne doit être caché au peuple français.
>> Si l'on a eu l'impudeur de supprimer les notes les
plus importantes , et de tronquer celles dont l'original est
dans les mainsde notre gouvernement , sur des objets aussi
majeurs , quelle confiance peut-on avoir dans des récits
de conversations faits pardes agens anglais , et dénaturés
par le ministère au gré de ses propres intérêts .
>> Et cependant cinquante millions d'hommes en viennent
aux mains pour s'égorger !
>> L'esprit de vertige qui s'est emparé depuis plusieurs
mois du gouvernement anglais , ne saurait se concevoir ;
il croit sans doute que nous n'avons ni encre , niarmes.
>> Mais qu'importe au cabinet de Londres l'opinion de
PEurope et celle de la postérité ? Le parlement aura fait
PRAIRIAL AN XI. 477
son adresse , beaucoup de membres auront été animés par
des rapports mensongers ; c'est tout ce qu'il faut au gouvernement
anglais. ( Journal officiel . )
>> Le gouvernement anglais a donc commencé les hostilités
par la ruine d'un ou deux misérables marchands ,
qui, sous la foi des traités , naviguaient paisiblement sur
nos côtes . Il a commis cet acte d'hostilité sans déclaration
de guerre , sans aucune des formes voulues par les nations
policées et convenues entr'elles , et en suivant les
odieux principes d'un droit public qu'il a créé pour lui
seul , etqui est en tout barbare. C'est avec peine que le
gouvernement de la république s'est vu forcé , pour user
de représailles , à constituer prisonniers de guerre tous les
anglais enrôlés dans la milice et se trouvant sur le territoire
français . En tout ce qui est illibéral , il laissera toujours
l'initiative à l'Angleterre ; mais le peuple français se
doit d'agir envers l'Angleterre comme elle agit envers la
France. Trop long-temps l'Europe a eu une conduite différente
. C'est spécialement ce qui a autorisé l'Angleterre
a se constituer pour elle seule un droit public auquel elle
est si fort accoutumée aujourd'hui , que tout acte de juste
réciprocité lui paraît une injustice. » ( Journal officiel. )
Des lettres d'Italie annoncent que l'armée franco-italienne
, qui s'est rassemblée sur les frontières de l'état de
l'Eglise et sur les bords du Rubicon , doit se mettre incestamment
en marche pour le royaume de Naples ; elle est
commandée par le général divisionnaire Verdier , qui luimême
est subordonné au général en chef Murat. Les
mêmes lettres ajoutent , qu'en cas de rupture entre la
France et l'Angleterre , les Français occuperont les ports
du pays de Naples , et seront autorisés ày mettre garnison.
Alors une partie de ces troupes sera embarquée pour
Messine et occupera les côtes de Sicile. Une colonne française
se porteradans le royaume d'Etrurie , pour renforcer
la garnison de Livourne et s'étendre sur toute l'étendue
des côtes de la Méditerranée , et les défendre contre toute
invasion. Des mouvemens et des démonstrations semblables
ont lieu dans la république ligurienne. On attend
en Italie un renfort de vingt à trente mille Français.
Le tribunal de cassation , sur les conclusions du citoyen
Merlin, commissaire du gouvernement, vient d'annuller
478 MERCURE DE FRANCE ,
le jugement du tribunal criminel de la Seine , qui débou
tait les libraires Bossange , Masson et Besson de l'action
qu'ils avaient intentée contre Moutardier et Leclere , à
l'occasion d'une nouvelle édition du Dictionnaire de
l'Académie
OfficeRomain noté , depuis Primes jusqu'à Complies ,
pour tous les dimanches et les fêtes de l'année , avec les
messes et les processions , le tout sans aucune transposition
de clefs . Cinq gros vol. in-12 , chacun Soo pages environ.
Prix : 15 fr. , et 18 fr. francs de port. A Paris , chez
Crapart, Cailleet Ravier , libraires , rue Pavée-Saint-
André , n°. 12 ; et chez le Normant , imprimeur-libraire ,
rue des Prêtres Saint-Germain-l'Auxerrois , n°. 42 .
Cet ouvrage utile à toutes les personnes qui veulent
s'unir au chant de l'église romaine, est d'une belle exé
ution et de la meilleure distribution . Il a sur tous ceux
qui l'ont précédé , l'avantage de renfermer dans chaque
volume cinq ouvrages différens , tels que Processionnal ,
Graduel, Missel , Antiphonier et Pseautier. Chaque
volume sert pour une saison de l'année , et le matin
comme le soir. Le cinquième volume forme la quinzaine
de Pâques , et contient en même-temps les matines et
laudes des principales fêtes de l'année.
Des Pierres tombées du Ciel , ou Lithologie atmosphérique
, présentant la Marche et l'Etat actuel de la Science ,
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Pierres tombées du Ciel , etc .; plusieurs Observations
inédites , communiquées par MM. Pictet , Sage , Darcet
et Vauquelin ; avec un Essai de Théorie sur la formation
de ces Pierres ; par Joseph Izarn , Médecin , Professeur de
Physique , de la Société des Sciences , Belles- Lettres et
Arts de Paris ; Secrétaire de la Commission d'Expériences
de la Société Galvanique , et Corresspondant de plusieurs
Sociétés savantes ; avec cette épigraphe : De hoc multi
multa , omnes aliquid , NEMO SATIS. ( Inscript. de la Pierre
d'Ensishem. ) Prix : 5 fr .; et 6 fr. 50 cent. , franc de port.
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imprimeur-libraire , rue des Prêtres Saint-Germainl'Auxerrois
, n°. 42 , vis- à-vis le petit portail.
2
FRA
( No. CI. ) 15 PRAIRIAL an 11
( Samedi 4 Juin 1803. )
MERCURE
DE FRANCE.
1
১.
cen
LITTERATURE.
:
POESIE.
IMITATION eEnn vers français de l'Epitre d'Héloïse à
Abailard,de Pope. -Troisième Fragment ( 1) .
L'ÉPOUSE
د
とい
,
' ÉPOUSE du Seigneur ,, au pied du sanctuaire ,
Nourrit pour un mortel une flamme adultère !
Entre le ciel et toi mon coeur flotte incertain ;
Dieu m'attire vers lui , je me rends ; mais soudain
De trop chers souvenirs ton image adorée ,
Luttent contre le ciel dans mon âme égarée.
A toi seul désormais s'adressent tous mes voeux
Et l'amour dans mon sein a rallumé ses feux .
$
La perte d'un amant m'arrache encor des larmes ,
Et le crime pour moi conserve tous ses charmes :
En vain mon faible coeur s'efforce à te trahir ;
Hélas! il brûle encore au sein du repentir !
Il passe tour-à-tour du reproche à la plainte ,
(1) Voyez le Nº. du 26 germinal dernier,
12 HK
480 MERCURE DE FRANCE ,
5 Des regrets au désir , de l'espoir à la crainte ;
Il combat son amour , s'y livre tout entier :
En un mot , il peut tout , excepté t'oublier.
Viens m'apprendre àdompter une flamme rebelle ;
Abailard , conduis-moi vers le Dieu qui m'appelle ;
Viens me ranger encor sous sa divine loi ,
M'arracher à moi-même , et , s'il se peut , à toi .
Remets entre ses bras Héloïse mourante ;
Viens à son joug austère asservir ton amante ,
Et que ce Dieu jaloux règne seul sur mon coeur.
Heureuse mille fois la fille du Seigneur ,
Au ciel par ses sérmens , par ses vertus liée !
En oubliant le monde elle en est oubliée :
Son coeur est simple et pur , son front toujours serein ,
Et le remords jamais n'habita dans son sein.
Le sommeil bienfaisant a-t-il fui ses paupières ?
De profanes pensers troublent-ils ses prières ?
Elle trouve la paix à l'ombre de l'autel ,
Et ses heureux soupirs ne s'adressent qu'au ciel ;
Et moi , dans cet abîme où l'amour m'a plongée ,
De quels affreux tourmens ma vie est assiégée !
Quand un sommeil tardif assoupit mes douleurs ,
Et vient fermer mes yeux toujours baignés de pleurs ,
A mes sens enchantés il offre ton image ;
D'un sort injurieux il répare l'outrage :
Je te vois , je t'entends ; une coupable ardeur
Fait bouillonner mon sang et palpiter mon coeur ;
Je repousse les lois d'un devoir trop austère ;
Mon âme vers la tienne a volé tout entière :
Je m'éveille , et te cherche en vain autour de moi ;
Le fantôme me fuit , aussi cruel que toi.
Hélas ! de ton image Héloïse occupée ,
Ne pense qu'à regret qu'un songe l'a trompée :
Je t'appelle ,l'écho répond seul à mes cris.
PRAIRIAL AN ΧΙ . 481
Viens , douce illusion , viens charmer mes esprits :
Tu m'offres une erreur , mais cette erreur m'est chère ;
J'invoque le sommeil , je ferme ma paupière :
Hélas ! d'autres tableaux me sont alors offerts !
Nous nous trouvons jetés au milieu des déserts ,
Seuls , errans sur les bords de la mer agitée.
Là, s'élève une tour par les ans respectée :
Je te vois y monter ; un nuage envieux
M'empêche de te suivre , et te cache à mes yeux.
Soudain j'entends au loin magir la mer profonde ;
L'air siffle , l'éclair brille , et le tonnerre gronde :
Je déplore ta perte ; et déjà le sommeil
Me fuit , et m'abandonne aux horreurs du réveil .
Du ciel , cher Abailard , la barbare clémence
Sur tes paisibles jours répand l'indifférence ;
Ton coeur à son devoir obéit sans effort ,
Et ta vie est semblable au repos de la mort.
Dans le sein de ton Dieu , satisfait et tranquille ,
Rien ne trouble la paix de ton pieux asile ;
Jamais d'aucun combat ton coeur n'est agité ,
Et par de vains désirs tu n'es plus tourmenté.
Libre depuis long-temps du feu qui me dévore
Abailard est glacé ... j'aime , je brûle encore :
Tels on voit près des morts de lugubres flambeaux
Sans ranimer leur cendre éclairer leurs tombeaux .
Quand nous louons de Dieu la grandeur infinie ,
Quand des hymnes sacrés la pieuse harmonie ,
D'une flamme épurée embrase notre coeur ,
Lorsque l'ange est saisi d'une sainte terreur ,
Tout- à- coup je crois voir , à travers d'un nuage ,
Entre l'autel et moi s'élever ton image ,
Alors par ton éclat tout se trouve effacé ;
Dans son temple par toi Dieu même est éclipse,
Tandis que vers l'autel humblement prosternée
Hh2
482 MERCURE DE FRANCE ,
Le ciel semble parler à mon âme étonnée ,
Quand la grâce a calmé l'ivresse de mes sens
Et fait luire sur moi ses rayons bienfaisans ;
Quand le front tout couvert de cendre et de poussière
Je veille dans les pleurs au sein de la prière ;
Quand je suis désormais touté entière au seigneur ,
Viens t'opposer au ciel : dispute- lui mon coeur ;
Emporte tout le fruit de mes pieuses larmes ,
Détruis mon repentir , dissipe mes alarmes ,
Parais , cher Abailard , un regard de tes yeux
Te rendra la victoire et confondra les cieux .
Viens reprendre ton bien , combats en moi la grâce ,
Ne souffre pas que Dieu puisse usurper ta place.
Ah ! qu'ai-je dit ? Fuis-moi , je le veux : entre nous
Mer , fais gronder tes flots , rochers , élevez-vous !
Fuis-moi , n'écoute pas une amante égarée ,
D'Abailard pour jamais que je sois séparée ,
Ne vois qu'avec horreur l'amour que j'ai pour toi ,
Ne viens point , n'écris point , ne songe point à moi ;
C'est peu de m'oublier , que mon amant m'abhorre ,
Je te rends tes sermens. Toi qui me suis encore ,
Image d'Abailard , respecte mon devoir ,
Cesse de me troubler. Viens , o divin espoir !
Viens vers l'éternité diriger mes pensées ,
Verse en mon coeur l'oubli de mes peines passées !
Et toi , céleste foi ! fruit de mon repentir ,
Qui nous fais ici bas vivre dans l'avenir ,
Empare toi d'un coeur qui te fut trop rebelle
Et conduis Héloïse à la gloire éternelle .
DE WOLFF.
A 7
PRAIRIAL AN XI .
STANCES.
J'AI vu des époux s'aimer bien ,
1
Après trente ans de mariage ,
J'ai vu de quelques gens de bien
Le bonheur être le partage.
1. t
J'ai vu nos nouveaux parvenus ,
Etonnés de leur opulence , ...
Tâcher d'acquérir des vertus ,
Pour faire oublier leur naissance.
J'ai vu des femmes de vingt ans ,
Gharmantes , sans être coquettes ;
J'ai vu des riches bienfaisans ,
Et des babillardes discrètes .
J'ai vu l'honnête homme en faveur ,
Malgré l'envie au regard sombre ;
J'ai vu l'intrigant sans honneur ,
Chercher à se cacher dans l'ombre.
J'ai vu du palais de Thémis
Bannir l'intrigue et le mensonge ;
Mais ,quel malheur ! Ô mes amis !
Je n'ai vu tout cela qu'en songe. f
LAGACHE , fils , d'Am .
483
ENIGME.
LECTEUR , sous deux rapports tu peux m'envisager
Je suis une boisson , ou bien une demeure :
Boisson , je rafraîchis ; je te donne à songer ,
Sous le second rapport , quelle est cette demeure ?
Le destin la désigne ; il ne saurait changer :
Pour la trouver , hélas ! pense à ta dernière heure.
Par M. VERLHAC , de Brive.
Hh 3
1
484 MERCURE DE FRANCE ,
LOGOGRYPΗ Ε.
, LORSQUE la nuit , le front orné d'étoiles
Vient , sur son char parsemé de saphirs ,
Envelopper l'univers de ses voiles ,
Du malheureux je suspends les soupirs ,
Il m'appelle , et je le console.
Tu peux rencontrer dans mon sein
La nymphe que Junon fit garder à dessein ;
Ce qu'il faut deux cents fois pour faire une pistole;
La fille de Thémis ; ce qu'elle a pour symbole ;
Le nom de ces oiseaux qui furent autrefois
Propices aux Romains , funestes aux Gaulois ;
Un instrument à dents ; un terme numérique ;
Le sédiment qu'on trouve au fond d'une barrique ;
Un produit de l'abeille , et trois notes de chant.
Mais il est temps que je termine ;
Sans que le lecteur me devine ,
Il me rencontreroit peut-être en me cherchant.
LAGACHE , fils , d'Am .
CHARADE.
1
Le compas à la main , un savant géomètre
Décrit , en circulant , quelquefois mon premier.
Dans ta maison des champs , tu vois de ta fenêtre ,
Couler à petit bruit mon limpide dernier.
Poètes du vieux temps ! assis au pied d'un hêtre ,
Vous chantiez vos amours en faisant mon entier .
Mots de l'Enigme , du Logogriphe et de la
Charade insérés dans le dernier Numéro.
Lemotde l'Enigme est la lettre E.
Celui du Logogryphe est Tréve, où l'on trouve rêve etEve.
Le mot de la Charade est Pas-sage.
PRAIRIAL AN XI. 485
Poésies de Marguerite - Eléonore - Clotilde de
Vallon-Surville. Un volume in-8°. Prix : 4 .
et 5 fr. par la poste. A Paris , chez Henrichs
libraire , rue de la Loi , nº. 1231 ; et chez
le Normant, imprimeur-libraire , rue des Prétres
S. Germain- l'Auxerrois , nº. 42.
ILLy a huit jours que nousdisions que rien n'était
si arbitraire que les réputations , et que la fortune
distribuait souvent les rangs sur le Parnasse , comme
elle les distribue sur la scène du monde. Combien
d'écrivains illustres chez les Grecs et chez les Romains
, dont les ouvrages sont perdus pour nous
et qui ont été engloutis pour jamais dans un tremblement
de terre , ou qui ont péri tout entiers au
milieu des horreurs d'une guerre civile ! combien
d'autres , moins célèbres dans leur siècle , se sont
conservés , sont parvenus jusqu'à nous , semblables
à ces fleuves qu'on admire dans leur cours , et dont
l'origine est à peine connue-! Mais sans remonter
aux Grecs et aux Romains , nous avons la preuve
de ce que nous venons de dire , dans le sort
qu'ont éprouvé les poésies de Clotilde de Vallon-
Surville , qui écrivait dans le 15. siècle. Née en
1405 dans la Limagne d'Auvergne , elle parcourut
une très-longue carrière ; elle chanta , en 1495 ,
Tes triomphes de Charles VIII ; elle ne quitta jamais
, dit l'éditeur de ses oeuvres , la province où
elle était née , et sa langue est plus correcte que
celle même de Marot qui vint après elle. Mariée à
quinze ans à un jeune chevalier qui défendoît
Ja cause de Charles VII contre les Anglais et le
duc de Bourgogne , elle lui écrivit dès la première
année de leur union , une épître que Sapho n'eût
pas désavouée ; cette même femme dicta des1 règles
,
Hh4
486 MERCURE DE FRANCE ,
de goût et de versification française, qui n'ont été
en vigueur que deux siècles après elle , et qu'elle
observa constamment. Elle fut recherchée par Marguerite
d'Ecosse , belle- fille de Charles XII ; elle
forma des élèves qui héritèrent d'une partie de ses
talens ; et cependant la trace de son école s'est entièrement
perdue ; elle-même est restée inconnue
à tous nos littérateurs ; et c'est trois siècles après
sa mort qu'on nous donne la faible partie de ses
ouvrages , qui a échappé à la faulx du temps , et à
la révolution qui a détruit presque toutes les choses
que le temps avait le plus respectées .
Ce fut en 1782 que M. de Surville , un des
descendans de Clotilde , découvrit les manuscrits
de son aïeule : il ne dut cette découverte qu'au
hasard : aidé d'un féodiste , il fouillait dans les
archives de sa famille pour trouver des papiers
tout- à-fait étrangers à la littérature ; les poésies de
Clotilde tombèrent sous sa main ; il n'étoit point
familier avec les anciennes écritures , et ce ne fut
que sous la dictée du féodiste qu'il put transcrire ,
dans ces premiers momens , les stances de Rosalire
et un rondeau contre Alain Chartier. Cette première
découverte excita sa curiosité , et il fut assez
heureux pour recueillir ensuite plusieurs autres
morceaux. La révolution' le surprit au milieu de
son travail : forcé de fuir en 1791 , il laissa en
France les manuscrits originaux de Clotilde ; ces
originaux furent tous brûlés en 1793 par ordre
du comité révolutionnaire de Viviers ; et ce n'est
que sur les copies que M. de Surville avait commencées
et qu'il avait emportées avec lui , qu'on a
pu parvenir à faire le recueil donné aujourd'hui
au public.
L'éditeur , après avoir fait ainsi l'histoire du
manuscrit qu'il publie , ne se dissimule point qu'il
doit trouver des incrédules ; il nous a páru re
1
PRAIRIAL AN XI. 487
pondre aux objections de la manière la plus victorieuse
; mais comme dans ces sortes de discussions
, les plus grandes preuves qu'on puisse donner
, sont dans l'ouvrage lui-même , nous allons
faire connaître les poésies de Clotilde. Nous commencerons
par l'Héroïde qu'elle adressa à son
époux Berenger de Surville , qui était alors dans
Parmée de Charles VII. Cette Héroïde contient
plus de deux cents vers. Clotilde parle d'abord de
la guerre qui désolait la France , et la plupart de
ses vers annoncent clairement le temps et le siècle
où elle écrivait; après avoir exhorté son époux à
rester fidèle à l'honneur , elle lui parle des inquiétudes
que lui donne son absence.
Pardonne maints soulcys à ceste qui t'adore !
,
A tant d'amour est permis quelqu'effroy ;
Ah! dès chaque matin que l'Olympe se dore ,
Se me voyoiz montant sur le beffroy ,
Pourmenant mes regards tant que peuvent s'étendre ,
Et me livrant à d'impuissants desirs !
Folle que suis hélas ! m'est adviz de t'attendre !
Illusion me tient lieu de playsirs !
Lors nul n'est estrangier à ma vive tendresse ,
Te cuide veoir : me semble te parler :
Là , me dis-je , ai reçu sa dernière caresse....
Et jusqu'aux oz soudain me sens brusler.
Icy , lez un ormeil ( 1) cerclé par aubespine ,
Que doux printemps ja coronnoit de fleurs ,
Me dit adieu : sanglots suffoquent ma poictrine ,
Et dans mes yeux roulent torrents de pleurs
1
,
etc.
Ces vers et ceux qui suivent sont gracieux ,
facite,s pleins d'harmonie et de l'amour le plus
vrai. Ils ne peuvent être que d'une femme , et
(1) Ormeau.
488 MERCURE DE FRANCE ,
c'est bien ici le cas de répéter avec le savant
éditeur : que vous importe le siècle où vécut
Clotilde ! Lisez ses poésies ; si vous y trouvez une
mère tendre , une épouse sensible , poète par sentiment
plus que par le désir de la gloire , demandez
à votre coeur si un froid imitateur d'une langue
surannée a pu écrire ces morceaux pleins de
chaleur et de vérité ? L'amour maternel n'a pas
inspiré Clotilde d'une manière moins heureuse ;
et pour le prouver , nous allons transcrire ici des
stances intitulées : Verselets àmon premier né.
VERSELETS
A MON
1
PREMIER NÉ.
Refrain.
Ocher enfantelet , vray pourtraict de ton pere ,
Dors sur le seyn que ta bousche a pressé !
Dors petiot ; cloz , amy, sur le seyn de ta mere ,
Tien doulx oeillet par le somme oppressé !
Bel amy, cher petiot , que ta pupille tendre
Gouste ung sommeil qui plus n'est fait pour moy !
Je veille pour te veoir , te nourrir , te défendre ...
Ainz qu'il m'est doulx ne veiller que pour toy !
Dors , mien enfantelet , mon soulcy, mon idole !
Dors sur mon seyn , le seyn qui t'a porté !
Ne m'esjouit encor le son de ta parole ,
Bien ton soubriz cent fois m'aye enchanté.
O cher enfantelet , etc.
5
10
Vers 1 ..... vrai portrait...
3 et 4. Dors , petit ; ferme ( cloz , l'impératif du verbe clorre) ...
ton doux petit oeil ....
5 .... que ta tendre prunelle ( pupille du latin pupilla ).
8. Mais qu'il m'est doux... ( ainz , de l'italien ainzi ) .
9. Dors, mon enfant ...
11. Le son de ta parole ne me réjouit... ( esjouir , pour réjouir ) .
12. Bien que ton sour's
"PRAIRIAL AΝ ΧΙ. 489
1
Me soubriraz , amy , dez ton réveil peut- estre ;
Tu soubriraz à mes regards joyeulx ...
Jà prou m'a dict le tien que me savoiz cognestre ,
Jà bien appriz te myrer dans mes yeulx .
Quoy ! tes blancs doigtelets abandonnent la mamme ,
Où vingt puyzer ta bouschette à playzir ! ...
Ah ! dusses la seschier , cher gage de ma flamme ,
N'y puyzeroiz au gré de mon dezir !
Cher petiot , bel amy, tendre fils que j'adore !
Cher enfançon , mon soulcy, mon amour !
Te voy toujours ; te voy et veulx te veoir encore :
Pour ce trop brief me semblent nuict et jour.
O cher enfantelet , etc.
Estend ses brasselets ; s'espand sur lui le somme ;
Se clost son oeil , plus ne bouge ... il s'endort...
N'estoit ce tayn floury des couleurs de la pomme,
Ne le diriez dans les bras de la mort ? ...
:
Arreste , cher enfant ! ... j'en frémy toute engtière ! ...
15
20
25
13. Tu me souriras .
15. Ton oeil m'a déjà dit assez ( prou ) ...
16. Tu as déjà bien appris ...
17. ( Doigtelets , diminutif de doigt; mamme, pour mammelle ,
de mamma . )
18. Où ta petite bouche vient puiser...
19.... dusses- tu la dessécher ...
20. Tu n'y saurais puiser ...
23. Je te vois ...
24. .. . pour te voir ... ( brief, bref , court ) .
25. Il étend ses petits bras ; - le sommeil se répand ( s'espand )
sur lui ;
26. Son oeil se ferme , il ne bouge plus...
27. Si son teint n'était pas fleuri...
28. Ne le croiriez-vous pas ...
29... toute entière . ( Rien de si touchant et de si vrai que ce
mouvement ; il nous paraît impossible qu'il ait été dicté par aucune
autre inspirationque celle de l'amour maternel. )
400 MERCURE DE FRANCE ,
Réveille-toy ! chasse ung fatal propoz ! ...
Mon fils ! ... pour ung moment... ah ! revoy la lumière !
Au prilx du tien , rends-moy tout mon repoz ! ...
14
Doulce erreur ! il dormoit ... c'est assez , je respire ;
Songes légiers , flattez son doulx sommeil !
30
Ah ! quandvoyray cestuypour qui mon coeursouspire, 55
Aux miens costez , jouir de son réveil ?
O cher enfantelet, etc.
Quand te voyra cestny dont az reçeu la vie ,
Mon jeune espoulx , lele plus beau des humains ?
Oui , desjà cuyde voir ta mère aux cieulx ravie
Que tends vers luy tes innocentes mains ! 40
Comme ira se duyzant à ta prime caresse !
Aux miens bayzers com'tira disputant !
Ainz ne compte , aà toy seul , d'espuyser sa tendresse ,
A sa Clotilde en garde bien autant ...
Qu'aura playzir, en toy, de cerner son ymaige , 45
Ses grands yeulx vairs , vifs , et pourtant si doulx !
30. (Propoz, idée.)
34. Songes légers...
35. .. quand verrai-je celui...
36. A mes côtés ...
37. Quand te verra-t- il celui dont tu as ... ?
39. Oui , ta mere... croit ( cuyde ) déjà voir .
40. Que tu tends vers lui ...
१४
41. Comme il ira se complaisant (duyzant) à ttaa première...
42. Comme il te disputera ( t'ira disputant ) à mes baisers !
7.07
43. Mais ne compte pas épuiser seul sa tendresse...
44.... il en garde ...
45. Qu'il aura de plaisir à voir ( cerner, du latin cernere ) entoi
son image.
46. ( ... Vair , verd , verdâtre , suivant le dictionnaire de La
Combe , qui observe que les yeux verds étaient à la mode dans les
douzième , treizième et quatorzième siècles : il faudrait , d'après ce
passage , que la mode eût continué jusqu'au quinzième . Nous croyons
quevairne signifie paspprrééccisément"verd mais la couleur que les
Grecs et les Latins rendaient par le mot glaucus , etque madame
Dacier traduit par pers , enparlant de Minerve. )
tre
,
PRAIRIAL AN XI. 491
Ce front noble , et ce tour gracieulx d'ung vizaige
Dont l'amour mesme eut fors esté jaloux !
O cher enfantelet , etc.
Pour moy , des siens transportz onc ne seray jalouse
Quand feroy moinz qu'avec toy les partir :
Faiz amy, comme luy, l'heur d'ugne tendre épouse,
Ainz , tant que luy, ne la fasses languir ! ...
311
50
Te parle , et ne m'entends... eh ! que dis-je ? insensée !
Plus n'oyorit- il , quand fust moult esveillé ...
Povre chier enfançon ! des filz de ta pensée
r
:
55
L'eschevelet n'est encor débroillé ...
Tretouz avons esté , comme ez toy, dans ceste heure ;
Triste rayzon que trop tost n'adviendra !
En la paix dont jouys , s'est possible , ah ! demeure !
Ates beaux jours mesme il n'en souviendra.
Ocher enfantelet , etc.
Ce quatrain isolé se lit au long d'une marge :
Voylà ses traicts ... son ayr ! voylà tout ce que j'ayme !
48. ( Fors , peut-être. )
60
49. ( Onc , jamais . )
50. Comment ferais-je moins que les partager ( partir , de partiri)
avec toi ?
L
51. Fais un jour comme lui le bonheur d'une ...
52. Mais autant que lui ne la fais pas languir.
53. Je te parle , et tu ne m'entends pas .
:
54. Il n'entendrait , ne comprendrait pas davantage , quandmême
il serait très-éveillé.
53. Pauvre cher ...
55 et 56. Le petit écheveau ( l'eschevelet ) des fils de ta pensée
n'est pas encore débrouillé. ( Quelle naïveté , quelle propriété dans
cette figure ! il nous semble qu'une femme pouvait seule la trouver. )
57. Nous avons tous été , comme tu es , toi..."
58.
..
n'arrivera .
59. Dans la paix dont tu jouis, s'il est possible....
61. Voilà les traits de mon époux...
,
492 MERCURE DE FRANCE,
Feu de son oeil , et roses de son tayn...
D'où vient m'en esbahyr ? aultre qu'en tout luy-mesme
Pust-il jamais esclore de mon seyn ?
Ces vers , ou plutôt ces verselets , ( pour nous
servir de la vieille expression ,) portent évidemment
le caractère de l'antique; toutes les nuances les
plus délicates de l'amour maternel , l'espérance ,
les souvenirs , la crainte , la tendre inquiétude ,
sont rendus de la manière la plus naturelle et la
plus touchante. Un poète moderne peut bien
employer des expressions qui ont vieilli , nous
en avons plusieurs exemples ; mais qui pourrait
prendre ce ton de naïveté et de simplesse , qui
est encore plus ici dans les idées , dans les sentimens
que dans les mots ? Tout ce qu'a fait l'esprit
, sans doute que l'esprit peut le faire encore ;
mais ce qu'a produit le coeur reste toujours inimitable
; nous avons pu surpasser nos pères dans
l'art de penser , peut-être dans l'art de parler et
d'écrire ; mais dans tout ce qui tient aux moeurs ,
à la nature , à l'heureuse faculté de sentir , nous
sommes restés au-dessous d'eux. Nous n'avons pas
même conservé dans notre langage les vives expressions
du sentiment ; nous les avons reléguées dans
le dictionnaire du peuple ; et si notre langue continue
toujours à se polir , à s'épurer, je ne sais
comment on pourra parler encore de l'amour ou
de l'amitié , dans ce qu'on appelle la bonne compagnie
, dans le cercle des gens qui se piquent de
bien parler et de bien écrire.
On trouve dans ce recueil des poésies de Clotilde
, quatre petits poëmes sur les quatre saisons ;
63. Pourquoi m'en étonner ? un enfant qui ne serait pas en tout luimême
, qui ne lui ressemblerait pas parfaitement .
64. Aurait- il pu naître de moi ?
PRAIRIAL AN XI. 493
le premier a pour titre : Chant d' Amour auprintemps;
le second : Chant d'Amour en été ; le
troisième : Chant d'Amour en aultom ; le quatrième
: Chant d'Amour en hiver. Ces chants renferment
quelques morceaux de poésie descriptive
qui pourraient servir de modèle même aujourd'hui..
Nous citerons ici une description de l'orage
dans les jours d'été .
!
Maiz quoy ! tandyz qu'en ce vaste silence ,
Soubz grotte obscure ay trefve à mes ennuicts,
Quel tourbillon dans le vuyde s'eslance !
S'abscond le jour entre voyles des nuicts ;
Des quatre vents jouste la turbulence ; 40-
Marche la fouldre enmyeu nuaiges noirs ;
Gronde , reluict , esclate , hélaz ! et tombe ...
Dieulx ! sur ce roc , le plus fraiz des manoirs ;
Frappe la creste où sylvestre palombe
Prez son ramier rouccouloit touz les soirs : 45
L'a veu périr ; s'enfuyt... Ah ! malheureuse ,
A peyne viz , et cuydes t'envoler !
Me fend le coeur ta plaincte langoureuse ;
Et moinz barbare estoit de t'immoler ,
Vers 37. Sous une grotte... j'ai relâche ...
39. Le jour se cache ( s'abscond., du latin abscondere : voyez
Borel).
40. .. combat la violence .
41. La foudre marche au milieu .
42. ( Ce vers nous paraît admirable par sa précision et sa chûte
imitative . )
43. Dieux ! elle tombe sur ce roc ...
44. ..
vestris ) .
le sommet où la colombe sauvage ( sylvestre , de sy
45. Près de...
46. Elle l'a vu périr...
47. Tu vis à peine, et tu crois t'envoler.
49. Il étoit moins barbare de t'immoler.
:
494 MERCURE DE FRANCE,
Que te forcier vivre ainsy douloureuse !
Que quierz entour ce funeste rosclier ?
De ta demeure encor toute fumante
Ne peulx t'enfuyr ; et trembles d'approscher !
Vole plustost sur le seyn d'ugne amante,
Qu'au pair de toy tes maulx doibvent touscher ;
Laz ! n'est plus temps : s'allanguissent tes esles !
Tien seul amy pouvoist te secourir :
Sçaiz qu'il n'est plus , et sy tousjours l'appelles !
Oui , m'apprenez , coulple d'oyseaulx fideles ,
Qu'en pareil cas ne reste qu'à mourir.
50
55
60
Ici les vers descriptifs sont agréablement mêlés
à des vers de sentiment ; la nature y est animée et
embellie de tout ce que le coeur humain a de plus
doux et de plus délicat ; et le sentiment s'y embellit
à son tour des scènes brillantes de la nature.
Nous pourrions faire beaucoup d'autres citations
dans le même genre , telle que celle de la
description d'un vieux castel abandonné , mais
nous renvoyons le lecteur à l'ouvrage même ; il y
verra combien Clotilde est au-dessus de Ronsard
et de Dubartas , dans le genre descriptif , et audessus
de Villon , dans le genre léger et naïf.
Ronsard et Dubartas sont souvent burlesques et
bizarres dans leurs tableaux , Villon souvent gros-
50. Que te forcer à vivre ainsi douloureuse ( dans la douleur. )
51. Que cherches-tu autour de ...
52 et53. Tu ne peux t'enfuir de ta demeure encore toute fumante ,
et tu trembles d'en approcher .
54. d'une amante .
... !
55. Qu'à l'égal de toi , autant que toi ...
56. il n'est plus temps; tes ailes s'affaiblissent ... ( s'allanguir,
formé comme languir, de languescere ) .
57. Ton seul ami...
58. Tu sais qu'il n'est plus , et pourtant...
.59. ... Vous m'apprenez , couple d'oiseaux. 14
sier
PRAIRIAL AN XI . 465
RÉP.FRA
sier dans ses épîtres ; il appartenait à une femme
de les surpasser et de donner des modèles pour tes
âges suivans. Les femmes ont plus de délicatesse
dans l'esprit ; elles écrivent d'après leur coeur , et
le coeur trompe rarement ceux qu'il inspire. Chez
une nation où le goût n'est pas encore formé , les
femmes écrivent presque toujours plus purement
que les hommes ; elles devinent les règles du goût
bien long- temps avant que les commentateurs ne
les aient expliquées dans les écoles.
Dans les treizième , quatorzième et quinzième
siècles , la France et l'Italie comptèrent le plus
grand nombre de leurs poètes parmi les femmes ;
plusieurs ont laissé des modèles à suivre , et la
plupart ont évité les défauts du siècle où elles ont
vécu .
On a dû voir , par les vers que nous avons cités ,
que Clotilde avait jeté les fondemens d'une nouvelle
école , qui se perdit après elle , et que les
progrès du goût ont pu seuls faire renaître. Dans
toutes les poésies que nous avons sous les yeux ,
on ne trouve pas un hiatus , et l'alternative des
rimes masculines et féminines y est scrupuleusement
observée. Il s'en faut de beaucoup que
Marot , qui est venu après elle , ait un mètre aussi
harmonieux et aussi parfait ; mais cette perfection
même est propre à faire naître des doutes sur l'authenticité
du manuscrit qui vient d'être publié. Plus
les vers de Clotilde sont purs , moins ils paraissent
appartenir au quinzième siècle ; le goût , la finesse
du poète parlent ici contre lui , et peuvent le faire
regarder comme un être chimérique : cette objection
est très- forte ; elle a même ébranlé notre crédulité
, mais nous avons été obligés de céder à la
force des raisonnemens et des preuves accumulées
dans le discours préliminaire de l'éditeur. Il
ne nous paraît point étonnant que les oeuvres de
12 Ii
496 MERCURE DE FRANCE ,
Clotilde aient été oubliées , dans un siècle qui
comptoit à peine quelques personnes capables de
les juger et de les apprécier. Clotilde vécut toujours
dans la retraite ; elle ne parut jamais à la
cour , où elle avait pour antagoniste le fameux
Alain Chartier ; sa gloire fut ainsi immolée à l'intrigue.
Nous ne voyons pas qu'il y ait en cela rien
d'incroyable , puisque nous avons des exemples
d'une pareille injustice sous nos yeux, et dans un
siècle beaucoup plus éclairé que celui de Clotilde.
Au reste , Charles , duc d'Orléans , qui vivait au
quinzième siècle , qui était un des beaux esprits de
son temps , a éprouvé le même sort que Clotilde ;
et les poésies de ce prince , qui étaient restées
long-temps inconnues , n'ont été publiées que vers
la fin du siècle dernier.
Clotilde , retirée dans la solitude la plus profonde
, passa sa vie à polir ses vers , et c'est à son
travail assidu que nous devons la pureté de son style
qu'elle corrigeait sans cesse , d'après les progrès que
la langue et le goût faisaient chaque jour : elle
semblait prévoir elle-même le sort de ses ouvrages ,
lorsqu'elle écrivait vers la fin de sa vie :
Grâce au temps qu'ai vescu , se peult que les povrets
De cil qui tout détruit , n'apprehendent les traicts :
Tel que fiz sans effort ne corrige sans payne ;
Ains , quand simples et doux coulèrent de ma vayne ,
N'eusse dit , qu'en fauldroit , septenaire , bannir
Vocables dont jeunette aimoye à les garnir .
Ainsi veult le tyran qui des langues dipose.
L'éditeur nous apprend que Jeanne de Vallon ,¹
une des descendantes de Clotilde , se proposait de
publier les oeuvres de son aïeule. Jeanne de Vallon
vivait au siècle de Malherbe , et l'on est fondé à
croire qu'elle avait rajeuni quelques expressions de
Clotilde ; elle mourut avant d'avoir pu achever
i.
PRAIRIAL AN XI. 497
l'ouvrage qu'elle avait commencé. M. de Surville ,
qui avait suivi le même travail , a été fusillé au
Puy-en- Velay , en 1797 ; et dans une lettre qu'il
écrivait à sa femme , une heure avant sa mort , il exprimait
encorele regret de n'avoir pu enrichir notre
littérature des oeuvres de Clotilde. Il semble qu'un
sort funeste se soit attaché à cet aimable poète ,
et à tous ses descendans qui s'intéressaient à sa
gloire ; elle fut sacrifiée à l'intrigue et à la plus
basse jalousie pendant sa vie : après sa mort , elle
semblait destinée à avoir un éditeur dans sa propre
famille; le sort et la révolution l'ont privée de cette
gloire , mais elle n'y a rien perdu , et M. Vanderbourg
, qui donne aujourd'hui l'édition de ses
oeuvres , a plaidé sa cause avec autant de goût que
d'érudition dans une préface , qui est elle-même
un ouvrage très-recommandable.
MICHAUD.
LES ETHIOPIENNES , OU THÉAGÈNES ET CHARICLÉE ,
roman écrit en grec par Héliodore ; traduction nouvelle
et exacte , avec des notes ; par N. Quenneville, professeur
de langue grecque , etc. Trois volumes in- 12 ; Prix , 6
francs , et 7 francs 75 cent. franc de port. A Paris ,
chez Bertrandet , imprimeur-libraire , place S. Michel ,
maison de l'horloger ; et le Normant , imprimeur-
Libraire , rue des Prêtres Saint-Germain-l'Auxerrois ,
n°. 42, vis-à-vis le petit portail.
L'apparition d'un nouveau roman dans la république
des lettres , n'est point aujourd'hui une chose extraordinaire.
Jamais , au contraire , la littérature ne fut plus fertile
en ce genre de production , et il ne peut rester aux
amateurs de ces sortes de lectures que l'embarras du
choix. Mais un roman traduit du grec , et traduit exactement
avec des notes grecques , est une chose qu'on ne voit
lia
498 MERCURE DE FRANCE ,
pas tous les jours. Aussi , avant de parler de celui que nous
annonçons , devons-nous louer le traducteur d'avoir conservé
le goût de la saine littérature et des langues anciennes
, dans un temps où les bonnes études étaient totalement
anéanties , et où tout ce qui sentait l'antiquité était
voué au ridicule . M. Quenneville a droit de réclamer une
place parmi le petit nombre d'amis restés aux muses
grecques et latines ; et si son ouvrage est apprécié comme
il mérite de l'être , il peut espérer d'être cité comme un
de nos bons hellénistes .
,
Le mérite d'Héliodore est assez connu , pour qu'il ne
soit pas nécessaire de faire son éloge. L'enthousiasme qu'il
avait inspiré à l'illustre Racine , qui l'avait appris par
coeur dans sa jeunesse , et emprunta de lui des traits que
nous admirons dans Phèdre et dans Iphigénie ; cet enthousiasme
en dit plus que ne pourrait en dire le meilleur
panégyrique. Les soins qu'Amiot donna à sa traduction
et la récompense qu'elle lui valut , prouvent de même
quel cas en faisaient et cet homme célèbre et son siècle.
Mais sans recourir à ces témoignages illustres , il suffit
d'en appeler aux véritables hommes de lettres de nos
jours , qu'ils soient ou non versés dans la langue des
Sophocle et des Thucydide. Tous trouveront , dans les
Ethiopiennes , les conditions qui constituent un excellent
ouvrage ; plan étendu et riche d'invention , épisodes amenés
naturellement , et qui occupent agréablement l'attention
, sans faire perdre de vue l'action principale ; caractères
bien tracés et bien soutenus, événemens qui naissent les
uns des autres , sans effort et sans contrainte , et qui , merveilleux
quelquefois , ne sortent pourtant jamais des bornes
d'une vraisemblance reçue ; peinture fidelle des moeurs
et des passions , élévation des sentimens , noblesse des pensées
et de l'expression , beauté et vérité des descriptions ;
enfin , principes d'honnêteté et de vertu , que le plus rigide
moraliste ne pourrait désavouer.
Si l'Histoire Ethiopique mériteles suffrages des hommes
• de lettres , elle n'a pas moins de droits à ceux des gens du
!
PRAIRIAL AN XI. 499
monde , qui ne cherchent dans la lecture des romans
qu'undélassement à leur esprit et un aliment à leur curiosité
. Il n'en est point où ils puissent trouver une plus grande
variété de faits et d'aventures , ni qui réunisse plus de ces
qualités générales , qui rendent une lecture agréable et
amusante . On y rencontre encore avec plaisir quelques
notions sur l'Egypte , cette contrée célèbre depuis tant de
siècles et qui l'est devenue encore davantage de nos jours ,
par les exploits des Français et la gloire du héros qui les
commandait.
Une bonne traduction de cet ouvrage manquait à notre
langue ; car , quoique la version d'Amiot soit bonne , on
peut dire que sa langue n'est pas la nôtre. M. Quenneville
a rempli ce vide d'une manière qui ne laisse rien à désirer.
Son premier but a été d'être exact , et ce but il l'a atteint
. Il est , à la vérité , des expressions , des phrases mêmes
qui , tenant exclusivement au génie de la langue grecque ,
ne sont pas susceptibles d'être rendues dans la nôtre , et
que M. Quenneville a été obligé de suppléer par des équivalens
. Mais c'est encore là une manière d'être exact , car
c'est l'esprit d'un auteur qu'il faut conserver , et quand la
lettre tue l'esprit , il faut abandonner la lettre . Si vous présentez
dans une version française une expression , une idée
ignoble dans notre langue , mais qui ne l'était pas dans la
langue de l'original , vous défigurez votre auteur. Il n'a
rien dit de choquant , et vous dites quelque chose de choquant.
Les traductions du seizième siècle étaient plus littérales
, mais elles ne pouvaient être plus fidelles dans le sens
qu'on doit donner à ce mot. Car, elles rendaient , dans une
langue informe et grossière , ce qui avait été écritdans une
langue formée et perfectionnée.
M. Quenneville a expliqué quelques-uns de ces passages
dans des notes érudites , qui prouvent combien il est familiarisé
avec la langue d'Homère et de Platon ; et si nous
regrettons quelque chose , c'est qu'il n'ait pas multiplié
ces notes ; il faut espérer qu'il le fera dans une seconde
édition; et si jamais la langue française devient une lan
Ii 3
500 MERCUR E DE FRANCE,
gue morte , son ouvrage pourra être une pièce de comparaison
, un monument précieux de la manière dont les
anciens pouvoient être rendus dans cette langue à l'époque
de sa perfection , et des différences essentielles qui
existaient entre le génie du grec et celui du français .
Il n'est pas nécessaire de dire que M. Quenneville n'a
point fait comme quelques traducteurs qui suivent pas à
pas ceux qui les ont precédés , ou qui prétendant traduire
du grec , ne traduisent qu'une mauvaise version latine.
Ceux qui compareront l'original avec la traduction , reconnaîtront
facilement qu'il n'a suivi d'autre modèle
qu'Héliodore , et que c'est de lui directement qu'il a pris
les idées , comme un interprête reçoit les paroles de la
bouche d'un étranger et les rend dans son idiome. Son
style est pur , correct , élégant , d'une noble simplicité. On
n'y trouve point ces expressions hasardées , ces tournures
précieuses et recherchées , cette affectation de néologisme
qui déparent un grand nombre d'ouvrages modernes. On
voit que l'auteur s'est nourri de la lecture des écrivains
français du grand siècle , et que chez eux , non moins que
chez les Grecs et les Latins , ila puisé ce goût sage et droit ,
qui sait discerner ce qui est beau et naturel d'avec ce qui
n'est que brillant et maniéré . Enfin , ou je me trompe , ou
cet ouvrage fera autant d'honneur au talent de l'écrivain ,
qu'à celui du traducteur.
On lira avec intérêt , dans une préface que M. Quenneville
a mise à la tête de son ouvrage , une dissertation sur
les causes qui ont empêché que le genre du roman ne fût
cultivé dans les beaux siècles de la Grèce , et un morceau
brillant sur l'imagination des Grecs , où l'auteur peint
avec beaucoup d'art et de vérité la richesse , la pompe et
lamagnificence de l'imagination des Grecs , si différente
de cette imagination bizarre , et souvent horrible , qui
inspire la plupart des romanciers anglais.
On a reproché à M. Quenneville d'avoir beaucoup appuyé
, dans sa préface , sur le mérite d'Héliodore , de l'avoir
même exagéré. Mais , pour être juste , il fallait ajouPRAIRIAL
AN XI 501
L
ter qu'il blâme aussi ses défauts , et dans cette préface et
dans des notes qui sont à la fin du troisième volume. On
lui a reproché d'avoir dit qu'Héliodore , comme romancier
, n'avait peut- être pas moins de mérite qu'Homère ,
comme poète . Car , outre que c'est le sentiment du célèbre
Huet , et que les phrases suivantes fixent le vrai sens de
cet éloge , il laisse toujours entre Homère et Héliodore la
distance qui existe entre le poëme épique et le roman ;
et selon moi , cette distance est immense .
Pour conclure , on ne peut qu'applaudir à l'entreprise
du traducteur et à la manière dont il l'a exécutée ; et
puisque la nature de son talent le porte à franciser les
Grecs , la littérature a droit d'attendre de lui la traduction
de quelqu'autre ouvrage , qui présente autant d'utilité
que celui-ci présente d'agrément ; et s'il y réussit aussi
bien qu'il a fait dans ce premier essai , on pourra lui appliquer
cet éloge :
Omne tulit punctum , qui miscuit utile dulci.
BURNOUF .
VARIÉTÉS.
Le Calendrier de Flore , ou Etudes des Fleurs d'après
nature , par Madame V. D. C... Trois volumes in-8° .
Prix , 15 fr. , et 19fr. 50 cent. franc de port; à Paris ,
chez Maradan , libraire , rue Pavée Saint-André-des-
Arcs n . 16 ; et chez Le Normant , libraire , imprimeur
du Journal des Débats , rue des Prêtres Saint-Germainl'Auxerrois
, nº 42 .
Rousseau disait qu'il manquait pour la botanique un
livre essentiellement élémentaire , qui renfermerait la description
des plantes de la manière la plus simple , et avec
lequel on pût étudier la nature tout seul. Ce livre élémentaire
nous manquait en effet , mais le voeu de Rousseau ,
celui de tous les amateurs d'histoire naturelle , viennent
d'être remplis , et l'ouvrage de Madame de V. D. C. est
Ii 4
502 MERCURE DE FRANCE ,
un guide sûr et facile pour tous ceux qui veulent réunir
au plaisir d'admirer la nature , celui de la connaître.
Le Calendrier de Flore est un recueil de lettres consacrées
à l'étude , et à la description d'environ quatre cents
plantes. L'auteur expose dans les premières , les trois sys-
-temes principaux qui , depuis un siècle , ontaidé les travaux
des savans . Elle promet à son amie le développement plus
complèt du système de Linnée , à mesure que les fleurs
dont elle lui proposera l'examen lui en fourniront l'occasion.
Elle les cueille sans choix , et selon l'ordre de
leur floraison , qui correspond nécessairement aux dates
deslettres . Elle les décrit avec autant de précision qu'il
dépend d'elle , et ne fait jamais usage d'un mot purement
technique , sans le définir. Ces explications sont même
renouvelées différentes fois dans les premières lettres .
Cet ouvrage est très-propre à inspirer le goût de la botanique
, et à donner , sur les élémens de cette science , des
notions claires et faciles à retenir. Les plantes décrites
dans ce recueil , l'ont toutes été d'après nature.
On pourra rapprocher , avec quelque intérêt , les modèles
de leurs esquisses ; reconnaître les plantes , en apprendre
les noms , et mieux jouir , en les détaillant mieux ,
des merveilles qu'elles présentent .
Les deux premiers volumes de cet ouvrage ont été trèsaccueillis
du public éclairé ; le troisième volume est fait
pour obtenir les mêmes suffrages. L'auteur ne se borne
point à faire une exacte nomenclature des fleurs et des
plantes ; madame V. D. C. a su par-tout unir les grâces
du style à la vérité et à la fidélité des descriptions. Nous
en citerons quelques exemples. Dans le premier volume,
-l'auteur parle du bluet . « Vous cueillez une fleur , dit- elle
>> à son amie , un coquelicot par exemple. Vous observez
>> la beauté de ses couleurs , la fragilité de sa riche tenture
; vous songez peut-être au sommeil , à l'opium
que cette pourpre recèle dans son sein. Si vous êtes mé-
>> contente, ce sera un poison, ce sera l'instrument des
PRAIRIAL AN ΧΙ. 503
i
haines , des vengeances , des révolutions . Si votre esprit
>> est serein , ce sera la consolation du malade, dont quel-
>> ques heures d'un sommeil bienfaisant calmeront les
>> douleurs. Si votre humeur est sombre , le rouge coque-
>> licot sera l'ennemi de la culture , et arraché sans misé-
>> ricorde. Si vous êtes tranquille au sein de votre fa-
>> mille , cesera l'innocente parure prodiguée par la nature
>> aux bergères. Dieu nous donne l'existence , et tout ce
>> qui la soutient , mais il ne la donne pas comme nous
>>> ferions l'aumône . >> 1
Notre aimable auteur dit plus loin , en parlant des prodiges
de la végétation : « J'ai quelquefois pensé à la conti-
>> nuité de ce mouvement végétal universel , qui , au mo-
> ment même que j'écris , mûrit les semences et en dis-
>> perse , entr'ouvre le bouton , engraisse le champ où la
>> charrue enterre les herbes venues spontanément , ré-
» chauffe les germes , leur ouvre la terre , agite leur sève
>> sans interruption , etc. , etc. Ce mouvement se fait sentir
>> jusqu'aux algues qui tapissent le fond des eaux , jus-
» qu'aux mousses qui rongent la pierre , et s'y dessinent
>> en forme de roses. Pénétrée de cette idée , je croirais en-
>> tendre le bruit de cette étonnante végétation , si , dans
>> le moment où elle me frappe , je me trouvais au milicu
>> d'une belle et riante campagne . Ma bonne amie , toutes
>> les routes sont semées de fleurs , et une guirlande non
>> interrompue entrelace de fait Paris et Ch ... n . »
On doit sentir ici combien de charmes doivent répandre
ces images sur l'étude de la nature. Quelques savans diront
peut-être qu'il est ridicule de vouloir parer le printemps
et de semer en quelque sorte des fleurs dans les jardins de
Flore; oui , sans doute , si les savans nous montraient des
roses , on les dispenserait d'en parler d'une manière agréable
, mais ils se contentent d'en parler ; on ne voit jamais
les belles choses dont ils nous parlent. Il nous semble que
l'art d'écrire consiste principalement à employer les couleurs
de son sujet; et personne ne doit trouver mauvais
504 MERCURE DE FRANCE ,
qu'on emploie un coloris riant , pour exprimer les innombrables
variétés de la nature dans la belle saison . La nature
physique ne nous intéresse vivement que lorsque ses tableaux
se mêlent aux sentimens de la nature morale ; on
ne peut les séparer , sans courir le danger d'ennuyer les
lecteurs , et madame de V. D. C. l'a très - bien senti .
Aussi son livre est-il fait pour intéresser autant que pour
instruire. Nous ajouterons encore une citation tirée du
volume qui vient de paraître.
« Je viens , ma chère amie , avec mon hommage jour-
>> nalier ; mais aujourd'hui vous n'aurez que des plantes
>> aussi simples que communes ; nous sommes convenues
>> de ne rien négliger. Toutes les études ont un période ,
>> pendant lequel on court le risque de se décourager entiè-
>> rement. Les premiers pas sont presque toujours très-ra-
>> pides. L'intelligence en aide le progrès , et la nouveauté
>> des observations ajoute beaucoup à leur charme. Mais
>> enfin , cet attrait cesse. L'intelligence qui ne marque
>> plus chaque jour par une riante découverte , se fatigue
>> et s'éteint. On croit se traîner toujours sur les mêmes
>> notions , et l'on ne s'aperçoit pas que c'est l'unique
>> moyen de se les rendre familières. Les plantations ont le
» même cours. Le premier jet est charmant comme l'es-
>> pérance , rapide comme les progrès de l'aurore . Puis le
>> travail des racines commence ; elles pivotent , elles s'é-
>> tendent , elles se nourrissent , se fortifient. L'arbre pa-
>> raît en stagnation ; mais une fois en possession du sol, il
>> reprend un nouvel essor , et peu d'instans suffisent pour
» couronner sa tête . »
Je sais que ces sortes de digressions, en revenant toujours
de la même manière , peuvent faire naître la monotonie ;
aussi madame de V. D. C ... a-t-elle soin de les varier sans
cesse et de les adapter toujours au sujet qu'elle traite si
bien ; toutes ses pensées paraissent faire partie de la nature
qu'elle décrit . Les images qu'emploie madame de V. D. C...
sont toujours simples , ses idées n'ont presque jamais rien
PRAIRIAL AN XI. 505
de recherché ; il est permis peut-être de chercher à montrer
de l'esprit , en parlant des arts , qui ne sont qu'une
imitation de la nature , mais non pas en parlant de la
nature elle-même; ici la ligne qu'on doit suivre est trop
indiquée par le sujet dont on s'occupe , et le modèle est
trop près du tableau , pour qu'on puisse être impunément
infidèle ; peut- être que cette aimable simplicité ne pouvait
se trouver que dans l'ouvrage d'une femme ?
ÉPHÉMÉRIDES ( I ) .
L'an 1666 , le 4 juin , première représentation du
Misantrope de Molière.
Cet ouvrage est regardé comme le chef-d'oeuvre du
haut comique : il eut à la première représentation les
applaudissemens qu'il méritait ; mais c'était un ouvrage
plus fait pour les gens d'esprit que pour la multitude , et
plus propre encore à être lu qu'à être joué; le théâtre
fut désert dès le troisième jour. Molière ayant suspendu
son chef-d'oeuvre du Misantrope , le rendit quelque temps
après au public , accompagné du Médecin malgré lui ,
farce très-gaie et très-bouffone , et dont le peuple encore
grossier avait besoin ; le Médecin malgré lui soutint le
Misantrope : c'est peut-être à la honte de la nature humaine
, mais c'est ainsi qu'elle est faite ; on va plus à la
comédie pour rire , que pour être instruit . Le Misantrope
était l'ouvrage d'un sage qui écrivait pour les hommes
éclairés , et il fallut que le sage se déguisât en farceur
pour plaire à la multitude.
(1 ) Douze volumes in-8° . - Il paraît un volume par mois. Onpeut
se procurer chaque volume à mesure qu'il paraît , en payant d'avance
36 fr . pour les douze volumes. Il faut ajouter à ce prix , 50 c. par volume
, pour le recevoir franc de port. A Paris , chez le Normant ,
rue des Prêtres Saint - Germain - l'Auxerrois , n. 42;et chez Henri
Nicole , rue des Jeuneurs , n. 26.
مع
1
506 MERCURE DE FRANCE ,
L'an 1785 , le 5juin , première expérience de Montgolfier
à Annonai sur les globes aérostatiques pour voyager
dans les airs. « Jamais , dit M. de Lalande , la phy-
>> sique n'avait fait une aussi belle découverte ; peut-être
>> même l'esprit humain n'avait jamais rien produit
>> d'aussi étonnant. De tous les noms célèbres , celui de
>> Montgolfier est fait pour l'emporter sur tous les autres ;
>> il planera sur les temps comme il nous a appris à
>> planer sur les airs .
>> Joseph Montgolfier , né à Darvezieux , près Annonai ;
>> le 6 août 1740 , raconte que ce fut au mois de décem-
» bre 1782 , qu'étant à Avignon , il songea pour la pre-
>> mière fois au pouvoir de l'air raréfié ; il envoya acheter
» dix aunes de taffetas , les découpa en fuseaux qu'il fit cou-
» dre ; il alluma une feuille de papier au-dessous ; il vit le
>> globe s'élever , et la découverte était faite . Son frère vint
» à Paris , on fit un globe , et le 21 novembre, Pilâtre tra-
>> versa la rivière .
>> Charles , célèbre physicien , ne tarda pas à compren-
>> dre qu'en remplissant un ballon avec de l'air inflam-
>> mable , on aurait plus de sûreté , quoiqu'avec plus de
>> dépense ; et le 1. octobre 1783 , il fit une superbe as-
>>> cension au Jardin des Tuileries . L'enthousiasme des
>> sepctateurs alla jusqu'à l'ivresse , et pendant quelques
►mois , on ne parlait dans Paris que de cette étonnante
▸ découverte. Pour la rendre plus utile , il faudrait pou-
>> voir diriger les aréostats : mais les physiciens n'en déses-
>> pèrent pas. Dans la campagne de 1793 , il y a eu vingt-
>> huit ascensions dans la Belgique ; et le 7 messidor , à la
>> bataille de Fleurus , le général Morelot fut pendant
>> deux heures dans un aréostat. Il envoya au général
» Jourdan deux lettres , de la hauteur de deux cents toises ;
>> elles firent gagner la bataille , dont le succès entraîna la
>> conquête de toute la Belgique.
>> On a fait à Meudon , sous la direction de M. Conté,
>> beaucoup d'expériences curieuses en 1797 : lorsqu'elles
PRAIRIAL AN XI. 507
>> seront publiées , l'art de l'aérostation sera considérable-
> ment perfectionné , et déjà nous savons qu'au lieu de
>> dépenser 3000 fr. pour l'acide vitriolique , on peut
>> décomposer l'eau en la faisant couler lentement dans
>> des tuyaux de fer rougis au feu , et cela suffit pour
>> remplir les ballons . >>>
ΑΝΝΟNCE.
Prones , ou Instructions familières sur les Epitres et
Evangiles des Dimanches et des principales Fêtes de
l'année , ouvrage que l'on peut regarder comme le développement
complet de toutes les vérités de la religion et
de la morale ; par feu M. Cochin , curé de Saint-Jacquesdu-
Haut-Pas ; troisième édition , revue , corrigée , augmentée
d'une suite d'Homélies sur le saint Sacrifice de la
Messe ; d'une Table analytique ; orné du portrait de l'auteur.
Quatre volumes in- 12 brochés. Prix : 10 fr . , et 14 fr.
franc de port. A Paris , chez Méquignon l'aîné , libraire ,
rue de l'Ecole de Médecine , n°.5 , vis-a-vis la rue Haute-
Feuille ; et chez le Normant , imprimeur-libraire , rue des
Prêtres Saint-Germain-l'Auxerrois , n° . 42.
M. Cochin , mort en 1783 , est un des curés de Paris
qui a fait le plus d'honneur à son état et le plus de bien
dans sa paroisse , et l'on peut dire que ses Prônes , solides
comme sa vertu et simples comme son caractère , ont
continué , en quelque sorte après sa mort , une partie
du ministère pastoral qu'il exerçait si dignement pendant
sa vie. Ils eurent un grand succès dès qu'ils parurent ,
et leur réputation s'est toujours soutenue . Mais , si jamais
il a été nécessaire d'en recommander la lecture , c'est surtout
depuis une révolution où l'Eglise a plus encore besoinde
catéchistes que d'orateurs , et où il faut au peuple
des instructions familières , qui , sans rabaisser la Religion ,
et en lui conservant toute la dignité qui lui convient ,
le mettent néanmoins à la portée de tout le monde. Les
Prônes de M. Cochin sont des modèles en ce genre .
508 MERCURE DE FRANCE ,
POLITIQUE.
La séance du parlement , du 24 mai , n'a pas été aussi
intéressante pour le public , qu'on s'y attendait. La chambre
des communes a fait interdire la porte aux journalistes
; de sorte qu'on ne sait rien de plus , sinon que les
partisans de la paix se sont trouvés 7 , et les partisans de
la guerre , ou plutôt du ministère , 388. L'objet de la discussion
roulait sur les remercîmens que la nation croyait
devoir au roi , pour une reprise d'hostilités dont personne
ne peut prévoir les conséquences . La séance de la chambre
des pairs a été publique , et l'on a compté jusqu'à 10 partisans
de la paix contre 142 partisans de la guerre. Il est
vrai que la fortune des pairs est faite , ce qui leur donne
une plus grande indépendance , au lieu que beaucoup de
membres de la chambre des communes ont leur fortune
à faire.
Nous allons analyser brièvement les discours.
Le duc de Cumberland a dit qu'il ne s'agissait de rien
moins que de savoir si l'Angleterre continuerait à être une
nation libre , heureuse et indépendante , et si la France
donnerait des fers au monde .
Le duc de Clarence a soutenu que ce n'était point là la
véritable question , et que , sans gazer les expressions ,
il fallait dire à la France : Vous n'aurez pas Saint-Domingue
, vous n'aurez pas la Louisiane ; aux Espagnols :
Vous n'aurez pas la Floride ; et à tous ceux qui sont protégés
par le premier Consul : Vous n'aurez rien que ce
que la Grande-Bretagne voudra bien vous laisser prendre.
Cette manière de s'expliquer change un peu la question
posée par le duc de Cumberland ; car alors ce ne serait
plus la France qui donnerait des fers au monde , mais bien
Ia Grande-Bretagne. On peut trouver extraordinaire que
deux membres de la famille royale ne s'accordent pas
mieux dans leurs discours .
Lord Melville a réduit la discussion à Malte, qu'il trouve
très- fort à la convenance de l'Angleterre , et il a fini par
dire : Malte doit désormais nous appartenir en toute
propriété.
Le comte de Moira s'est écrié : Qu'est-ce que Malte ?
La grande affaire est de diminuer la puissance continentale
de la France , et nous n'aurons rien gagné tant que
PRAIRIAL AN XI. 50g
-
2
C
!
2
L
d
1
nous n'aurons pas le pouvoir d'empêcher les Français de
passer le Rhin chaque fois qu'ils le jugeront à propos.
Notre situation ne nous permet pas de faire une guerre
longue ; mais si nous avons de l'énergie , elle sera courte .
Lord Grenville a parlé en faveur de la guerre ; mais il
a prévenu qu'elle serait longue , ce qui devient assez embarrassant
, s'il est vrai , comme l'a dit le comte de Moira ,
que la situation de l'Angleterre ne permet qu'une guerre
fort courte.
Par ces extraits de discours , que nous avons composés
des phrases mêmes de ceux qui les ont prononcés , qu'on
juge de l'accord qui règne dans les vues de ceux qui décident
du sort de l'Angleterre. Je doute qu'on puisse faire
de la bonne politique à la tribune ; mais enfin , quand il y
a un vrai motif de guerre , tout le monde en convient , et
c'est ce qui est arrivé en France. Tous les discours prononcés
par nos corps délibérans , ont porté sur cette vérité
, que l'Angleterre refusait d'exécuter un traité solennellement
juré ; qu'elle était coupable de la reprise des
hostilités , et que quand il n'y a plus de traités entre les
nations , il ne leur reste plus qu'à confier à leur valeur la
justice de leur cause.
Le roi d'Angleterre , en qualité d'électeur d'Hanovre,
a fait publier , le 18 mai , une proclamation dans cet électorat
,par laquelle il enjoint à toutes les autorités publiques
de dresser promptement la liste complète de tous
ceux de ses sujets de ses fidèles pays allemands qui sont
propres au service militaire , et d'exiger d'eux la promesse
qu'au premier appel qui leur sera fait , ils accoureront à
la défense de la patrie , et se porteront par-tout où leur
présence sera jugée nécessaire. En conséquence de cette
proclamation , il a été ordonné une levée en masse de tous
les individus en état de porter les armes , depuis l'âge de
16 ans jusqu'à 50. On espère cependant que l'électorat
ne sera point occupé par les troupes françaises . On attend
même à Hanovre un ministre plénipotentiaire de la Russie.
Nous avons annoncé, il y a huit jours , d'après les gazettes
allemandes , que plusieurs puissances du Nord s'opposaient
a cette invasion ; il paraît se confirmer aujourd'hui
que le roi de Prusse et l'empereur de Russie ne veulent
pas consentir à ce qu'elle ait lieu ; le dernier sur-tout a témoigné
au colonel Colbert , qu'il verrait cette invasion
avec peine , ainsi que la clôture de l'Elbe et du Veser.
Mais en cas d'invasion , S. A. R. le prince Adolphe d'An
510 MERCURE DE FRANCE ,
gleterre , duc de Cambridge , se mettra à la tête de l'armée
qui doit défendre ce pays .
La Russie, fait équiper en ce moment , avec la plus
grande activité , toute la flotte qui se trouve dans les ports
de Cronstadt et de Revel ; de manière que l'on verra bientôt
une flotte considérable dans la Baltique ; 13 vaisseaux
de 40 canons chacun , sont déjà prêts à mettre à la voile
dans le port de Revel.
La cour de Pétersbourg a fait remettre au cabinet de
Vienne une note , par laquelle elle demande itérativement
la dignité électorale pour le duc de Mecklenbourg.
Les votes de la religion catholique étant au nombre de
cinq , et ceux de la religion protestante au nombre de six ,
la concession de la dignité électorale à un prince de la religion
évangélique rend encore plus difficile l'égalité des
votes que S. M. I. et R. voulait établir entre les deux religions
. S. M. pense qu'il est de sa dignité d'exiger que
les votes de la religion qu'elle professe ne soient pas inférieurs
en nombre à ceux du parti protestant. En accédant
à la demande de l'empereur de Russie , l'empereur
d'Allemagne se trouvera forcé de choisir deux nouveaux
électeurs catholiques .
4
CORPS LEGISLATIF.
Séance du 8 prairial. - On introduit les conseillersd'état
Regnault , Réal et Jollivet , chargés de faire au corps
législatif le discours de clôture. Le C. Regnault commence
par exprimer la satisfaction que fait éprouver au gouvernement
l'union intime et continue qui règne entre lui et
le corps législatif , il présage les heureux effets que l'influence
de cette union , toujours inaltérable , doit produire
dans l'étendue de la république , pour l'exécution des lois
préparées et sanctionnées par cette union raisonnée , dont
l'exemple se multiplie entre tous les corps constitués , et
produit l'harmonie qui les enchaîne .
Arrivés au terme devos importans travaux , vous emportez
, citoyens législateurs , le contentement d'avoir fidèlement
rempli vos devoirs , et d'avoir enfin comblé l'attente
du peuple , en lui donnant un code civil qu'il réclamait
depuis si long-temps. Vous avez apporté de vos départemens
le calme de la sagesse , reportez-y le calme de la
sécurité.
Dites
PRAIRIAL AN XI.
511
Dites que les rentes continueront à être payées à leur
échéance avec une ponctualité religieuse ; dites que les
fonds destinés à creuser et entretenir les canaux , à réparer
les ports , et aux autres travaux publics, seront exclusivement
employés à ces objets .
L'orateur fait lecture d'un arrêté du premier Consul,
daté de Saint-Cloud , le 7 prairial , dont voici la substance:
« Bonaparte , en vertu du sénatus-consulte du ... arrête
>> que la clôture de la session du corps législatif aura lieu
>> samedi 8 prairial . >>>
Après avoir répondu aux orateurs du gouvernement ,
et ceux-ci s'étant retirés , le président nomme au sort les
cinq membres qui , pendant la vacance , doivent composer
la commission administrative : ce sont les CC. Woussen ,
Terrasson , Delcroix , Despálières , Lespérut. Le corps
législatif se forme en comité secret pour régler quelques
affaires de son administration intérieure; puis le président
proclame la clôture de la séance de l'an 11 .
1
4
1
1
PARIS.
Nous donnons ici la déclaration du roi d'Angleterre ,
traduite d'après le texte anglais du journal intitulé l'Argus .
Pendant tout le cours des négociations qui ont précédé les préliminaires
et le traité définitif entre sa majesté et la république française ,
le désir sincère de sa majesté a été non- seulement de mettre un terme
aux hostilités entre les deux pays , mais d'adopter des mesures qui pussent
contribuer d'une manière effective à consolider la tranquillité de
l'Europe. Les mêmes motifs , d'après lesquels sa majesté s'est conduite
dans les négociations pour la paix , ont toujours depuis dirigé invariablement
sa conduite. Aussi-tôt après la conclusion du traité d'Amiens,
toutes les cours de justice de sa majesté ont accueilli toutes réclamations
fondées de la part des Français ; les sequestres sur leurs propriétés
ont été levés ; les prohibitions contraires àleur commerce pendant la
gurre ont cessé , et ils ont été traités , dans tout ce qui a rapport au
commerce et aux communications , sur le même pied que toutes celles
des autres nations amies de l'Angleterre , avec lesquelles sa majesté
n'avait pas de traité de commerce .
Les procédés du gouvernement de France forment le plus frappant
contraste avec cette conduite franche, libérale et amicale. Les prohibitions
de marchandises anglaises , qui avaient eu lieu pendant la guerre ,
ont été maintenues et augmentées avec rigueur et sévérité : dans plusieurs
circonstances , des actes de violence ont eu lieu contre les vaisseaux
de nos sujets et leurs propriétés ; et jamais dans aucune circonstance
, il n'y a eu ni justice , ni satisfaction accordées , à cet
égard , aux demandes réitérées des ministres de sa majesté ou de son
ambassadeur à Paris. Dans de telles circonstances , tandis que les sujets
12 Kk
512 MERCURE DE FRANCE ,
dé sa majesté ne pouvaient jouir d'aucun des avantages communs de la
paix sur le territoire de la république et des pays de sa dépendance ,
le gouvernement de France a eu recours à la mesure extraordinaire
d'envoyer dans ce pays un nombre de personnes , pour résider dans
les ports les plus considérables de l'Angleterre et de l'Irlande , en
qualité d'agens de commerce ou de consuls. Ces personnes ne pouvaient
avoir aucune prétention à faire connaître en elles ce caractère ,
un tel droit ne pouvant leur être acquis , ainsi que les priviléges qui y
sont attachés , que par un traité de commerce : or il n'y avait aucun
traitéde cette nature entre sa majesté et la république française.
Il y avaitdonc toute raison de conjecturer que l'objet réel de leur
mission était d'une toute autre nature ; et le soupçon était confirmé
non-seulement parce que quelques-unes de ces personnes étaient militaires
, mais même par la connaissance qu'on a eu que plusieurs d'entr'elles
étaient chargées par leurs instructions de prendre les sondes
des ports et de se procurer les plans des lieux où elles résidaient. Sa
majesté a cru qu'il était de son devoir d'empêcher leur départ , et on
ne peut nier que les circonstances dans lesquelles on les a envoyées, et
les instructions qu'elles ont reçues , ne doivent être regardées comme
des indices incertains des dispositions et des intentions du gouverце-
ment qui les employait.
La conduite du gouvernement français , quant aux relations commerciales
entre les deux pays , ne peut paraître convenable dans la
paix, et tous ses procédés dans ses relations politiques les plus générales
, aussi bien que dans ce qui a un rapport direct avec les états
soumis à sa majesté , sont opposés à tous principes de justice , de modération
et de bonne foi . Sa majesté , d'après les assurances répétées
du gouvernement français , avait conservé l'espérance qu'il pourrait
adopter un système. de politique qui , s'il n'inspirait pas une grande
confiance aux autres puissances , du moins n'exciterait pas leur jalousie.
Si ce gouvernement avait donné quelque chose aux apparences
d'un tel système ; si ses dispositions s'étaient annoncées connne pacifiques
, on aurait pu l'attribuer à la situation où se trouve un gouvernement
nouveau après des convulsions telles que celles qui ont été
produites en France par la révolution ; mais sa majesté a vu avec douleur
que le système de violence , d'agression et d'agrandissement , qui
avait caractérisé les différens gouvernemens de France pendant la
guerre , avait continué d'exister sans plus de ménagemens depuis la
paix. Des armées ont été tenues en Hollande , malgré le voeu et les
réclamations du gouvernement batave , et contre la lettre même de
trois traités solennels ; pendant la paix même, le territoire et l'indépendance
de la Suisse ont été violés , au mépris du traité de Luneville
, qui a stipulé l'indépendance de cette nation, et son droit de se
donner une forme de gouvernement à son choix. La France a annexé
A ses domaines le Piémont , Parine , Plaisance et l'île d'Elbe , sans
qu'aucune indemnité ait été assignée au roi de Sardaigne pour la plus
grande partie de ses états dont il se voit dépouillé , quoiqu'il eût été
pris à cet égard un engagement solennel avec l'empereur de Russie.
On peut assurément dire avec vérité que le temps qui s'est écoulé
depuis la conclusion du traité , a été marqué par une suite continuelle
d'agressions , de violences et d'insultes de la part du gouvernement
français.
Aumoisd'octobre dernier , sa majesté a été engagée , par les pressantes
sollicitations de la Suisse , à tâcher , par des représentations
LOP
PRAIRIAL AN XI. 513
au gouvernement français , de détourner les maux qui menaçaient ce
pays ; ces représentations ont été conçues dans les térmes les plus то-
dérés , et sa majesté a pris des mesures pour s'assurer , dans les cir
constances alors existantes , de la situation réelle et des voeux des can
tons suisses , aussi bien que des sentimens des autres cabinets de l'Europe.
Sa majesté a vu , avec regret , qu'aucune disposition ne se faisait
chez les puissances les plus immédiatement intéressées à réprimer ces
violences et ces infractions des traités , et que des efforts de sa part
seule ne pouvaient produire que peu de chose en faveur de ceux pour
qui elle s'intéressait .
de
Cefut vers ce temps que le gouvernement français avança pour la première
fois ce principe, que sa majesté n'avait aucundroit de sseeplaindre
cette conduite nidese meler de tout ce que pouvait faire la France
dans ce qui ne faisait pas partie des stipulations du traité d'Amiens .
Ce traité était incontestablement fondé sur les mêmes principes que
tont autre traité précédent ou toute convention; il l'était sur l'état
de possession et les engagemens existans au temps de sa conclusion;
et si cet état de possession et ces engagemens sont matériellement
changés par quelqu'acte volontaire de l'une des parties contractantes ,
au point d'altérer les conditions auxquelles l'autre partie a souscrit au
contrat , ce changement doit être considéré comme une infraction formelle
au traité , et comme donnant à la partie lésée un droit à quelque
satisfaction ou compensation pour la différence que de tels actes
opèrent dans leur situation relative. Mais quelque soit le principe
qu'on regarde comme le fondement du traité , il y a incontestablement
une loi générale des nations , qui , quoique susceptible d'être limitée ,
expliquée ou restreinte par quelque convention spéciale , lui est antérieure;
et c'est cette loi ou cette règle de conduite que tous les souverains
et tous les états ont coutume d'invoquer , par- tout où la loi
conventionnelle paraît n'avoir pas parlé . Le traité d'Amiens et tout
autre traité , en réglantles objets auxquels il est particulier , ne suppose
,ni ne nécessite l'indifférence pour tout ce qu'il ne stipule pas.
Il prononce encore moins , qu'excepté ce qui est explicitement contenu,
tout le reste doive être abandonné à la volonté et au caprice de
celui qui est violent et puissant.
La justice de la cause suffit seule pour autoriser l'interposition des
puisssaanncceessde l'Europ'e , dans les différends qui peuvent s'élever entre
nations , et il n'y a que les considérations de prudence qui puissent
déterminer l'étendue et l'application de cette juste interposition . On
ne peut contester ces principes ; mais cette prétention nouvelle et extraordinairedu
gouvernement français , qui refuse à sa majesté le droit
de se mêler de tout ce qui regarde les autres nations , à moins que ce
ne soit un objet stipulé par le traité d'Amiens : si l'on pouvoit la soutenir
, ces puissances auroient le droit au moins de réclamer à leur
tour ce principe , dans tous les cas où il surviendroit des différends
entre laFranceet l'Angleterre . Sans doute , toutes ces nations doivent
être indignées de la déclaration du gouvernement français ,que daus
Pévénement des hostilités , ces mêmes puissances qui ne sont pas
contractantes dans le traité d'Amiens , et à qui on n'a pas permis de
profiter des remontrances de samajesté en leur faveur , sont contraintes
cependant de devenir les victimes de la guerre , et être sacrifiées
dans une contestation , que non-seulement elles n'ont pas occasionnée
, mais même qu'elles n'ont pas eu les moyens d'empêcher.
Toutefois sa majesté jugeait qu'il valait mieux , dans les circonstances
Kk2
514 MERCURE DE FRANCE ,
actuelles de l'Europe , s'abstenir d'avoir recours aux hostilités par
rapport aux vues d'ambition et aux actes d'agression de la France sur
lecontinent ; mais la connaissance acquise des dispositions du gouvernement
français , ne pouvait manquer de faire sentir à sa majesté la
nécessité de redoubler de vigilance , quand il s'agissait de soutenir les
droits et la diguité de sa couronne , et de protéger les intérêts de son
peuple.
Tandis que samajesté était occupéede ces pensées, elle a été pressée
parlegouvernement français d'évacuer Malte. Sa majesté amanifesté,
dès le moment de la signature définitive du traité d'Amiens , ses dispositions
à exécuter les articles relatifs à cette isle. Aussi-tôt qu'elle a
été informée que l'élection du grand-maître était faite sous les auspices
de l'empereur de Russie , et qu'il avait été convenu de reconnaître en
cettequalité celui dont le pape aurait fait choix , elle avait proposé au
gouvernement français , pour éviter toutes les difficultés qu'un telarrangement
pourrait entraîner, de reconnaître la validité de cette élcetion;
et lorsque le gouvernement français s'adressa au mois d'août , à
sa majesté, pour obtenir que des troupes napolitaines fussent envoyées
dans l'isle de Malte , elley consentit sans hésiter, et donna
en conséquence ses ordres pour que ces troupes y fussent admises ; mais
sa majesté ne peut reconna tre que le gouvernement français ait eu en
aucun temps le droit de sommer l'Angleterre , en vertu de ce traité, de
retirer les troupes qu'elle avait à Malte. Dans le temps où cette demande
a été faite par le gouvernement français , plusieurs des articles
importans stipulés par le traité , n'avaient pas reçu leur exécution; l'élection
du grand-maître n'était pas faite ; et l'article X stipulait que
l'indépendance de Malte serait mise sous la garantie et la protectionde
laGrande-Bretagne , de la France , de l'Autriche , de la Russie , de
l'Espagne et de la Prusse. L'empereur d'Allemagne n'avait accédé à la
garantie, qu'à condition que les autres puissances désignées accéder
raient également ; l'empereur de Russie n'avait donné son accession
qu'à conditionque lalangue maltaise serait supprimée , et le roi de
Prusse n'avait point fait de réponse. Mais le principe fondamental,
dont l'exécution des autres parties du traité dépendait , avait été détruit
par les changemens qui avaient eu lieu dans la constitution de l'ordre
depuis la conclusion de la paix.
C'était à l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem que S. M. était obligée ,
par la première stipulation de l'article 10 , de restituer l'isle de Malte.
L'ordre était déterminé par la composition des langues existantes à l'époquedu
traité. Les trois langues de France ayant été abolies , et une
langue maltaise ajoutée à cette institution , l'ordre consistait , en conséquence,
dans les langues suivantes : d'Arragon , de Castille, d'Alle
magne , de Bavière et de Russie. Depuis la conclusion du traité définitif,
les langues d'Arragon et de Castille ont été séparées de l'ordre de
l'Espagne ; une partie de la langue italienne a été abolie par la réunion
du Piémont et de Parme à la France ; il y a une forte raisonde croire
que l'on avait en vue de séquestrer les propriétés de la langue de Bavière
, et l'on a manifesté l'intention de comprendre la langue de Russie
dans les domaines de l'empereur.
Dans ces circonstances , l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem ne pouvait
pas être considéré comme un corps auquel , en se conformant aux
stipulations du traité , l'isle de Malte puisse être remise ; et les fonds
indispensablement nécessaires pour son entretien et pour le maintien
de son indépendance ont été séquestrés presqu'en totalité.Quand même
PRAIRIAL AN XI. 515
cela serait dérivé de circonstances qu'il n'était au pouvoir d'aucune
des parties contractantes du traité d'empêcher , S. M. n'en aurait
pas eu moins le droit de différer de faire évacuer l'isle , jusqu'au
temps où un arrangement équivalent eût été conclu pour maintenir l'indépendance
de l'isle : mais si ces changemens avaient été faits d'après
Irs actes de l'autre partie interressée au traité , si le gouvernement
français paraissait avoir agi d'après un système de rendre l'ordre ,
dont l'indépendance avait été stipulée, incapable de la maintenir , le
droit qu'avait S. M. de continuer à occuper l'isle dans ces circonstances
ne peut être contesté. Il est également hors de doute que les
revenus des deux langues espagnoles ont été enlevés à l'ordre par S.
M. C.; qu'une partie de la langue italienne a été abolie par le fait
de l'injuste réunion du Piémont , de Parme et de Plaisance au territoire
français . L'électeur de Bavière a été déterminé par la France
à séquestrer les propriétés de l'ordre dans son territoire ;et il est certain
qu'elle a non-seulement approuvé , mais encouragé l'idée de séparer
la langne de Russie du reste de l'ordre . Puisque ce sont les
gouvernemens de France et d'Epagne qui ont opéré , tantôt directement,
tantôt indirectement, les changemens qui ont eu lieu dans
l'ordre , et qui lui ont ôté les moyens de soutenir son indépendance ,
c'est à ces gouvernemens et non à S. M. qu'il faut reprocher la non
exécution de Particle to du traité d'Amiens .
Telle serait la conclusion qu'on pourrait en tirer , si l'article 10 de
ce traité pouvait être considéré comme un arrangement à part ; mais il
fout observer que cet article n'est qu'une partie du traité, dont le tout
s'enchaîne ,et dont toutes les stipulations réglées d'après les principes
communs à tous les traités , ont une liaison entr'elles .
S. M. s'était engagée par le traité de paix d'abandonner l'isle de
Malte et à la restituer à l'ordre de Saint-Jean , sous la condition de son
indépendance et de sa neutralité ; mais une condition ultérieure que
L'on doit nécessairement supposer avoir eu une grande influence sur
S. M. , pour la décider à faire une concession aussi importante , était
le consentement du gouvernement français à un arrangement pour la
sûreté du Levant , convenu dans ses articles 8 et gdu traité , qui stipulent
l'intégrité de l'empire turc et l'indépendance des isles ïoniennes.
S. M. a cependant appris que le gouvernement français avait eu depuis
des vues hostiles sur ces deux pays , et qu'il avait même eu l'idée d'un
partage de l'empire ture. Ces vues sont devenuės publiques et manifestes
par les rapports officiels du colonel Sébastiani , par la conduite
de cet officier et des autres agens français en Egypte, en Syrie , et
dans les isles ïoniennes , et enfin par les expressions du premier consut
lui-même dans ses communications avec lord Whitworth . S. M. était
en conséquence autorisée à penser que le gouvernement français était
déterminé à violer les articles du traité de paix qui stipulaient l'intégrité
et l'indépendance de l'empire ottoman , et celle des isles
ïoniennes ; et , en conséquence , elle n'aurait pas pu se justifier d'avoir
évacué l'isle de Malte , sans recevoir d'autres garanties , qui puissent
également pourvoir à cet objet important . S. M. sentit qu'elle avaitun
droit incontestable de se plaindre , d'après la conduite de la France
depuis le traité de paix , et, eu égard aux objets qui faisaient partie
des stipulations du traité , de refuser ,dans les circonstances présentes,
d'abandonner la possession de Malte.
Cependant , malgré ce droit si clair et si incontestable , le gouver
Kk3
5,6 MERCURE DE FRANCE ,
nement de France a présenté à sa majesté , en termes positifs et menacans,
l'alternative de l'évacuation de Malte ou de la guerre.
Si les vues d'ambition et d'agrandissement manifestées par le gouvernement
français , depuis la conclusion du traité de paix , ont attiré ,
d'une manière si particulière , l'attentionde S. M. , il lui était également
impossible de ne pas sentir et de ne pas faire connaître les insultes
réitérées faites par ce gouvernement,à sa couronne et au peuple anglais.
Le rapport du colonel Sébastiani contient des insinuations et des invectives
contre le gouvernement de S. M. , contre l'officier qui commandait
ses forces en Egypte , et contre l'armée anglaise dans cette
contrée. Cet écrit ne peut pas être considéré comme l'ouvrage d'un
individu sans qualité; il est avoué et porte le caractère le plus évident
d'un rapport officiel d'un agent accrédité , publié sous l'autorité
du gouvernement auquel il était adressé , et qui lui a donné une sanction
expresse .
Ce rapport était à peine publié , qu'une autre insulte a été faite à
ce pays , dans une communication du premier consul au corps législatif.
Dans cette communication il ne balance pas à affirmer avec le caractère
du premier magistrat de ce pays : « que la Grande - Bretagne
>> seule ne peut pas lutter contre la puissance de la France. » Assertion
aussi mal fondée qu'indécente , démentie par les événemens de
plusieurs guerres , et notamment par ceux de la guerre qui vient de se
terminer . Une pareille assertion avancée officiellement de la manière
la plus solennelle , dans un acte du gouvernement, faite par conséquent
pour être avouće devant toutes les puissances de l'Europe , ne
peut être considérée que comme un défi donné publiquement à S. M.
et à unpeuple brave et puissant , qui peut et veut défendre , contre
l'insulte et l'agression , ses justes droits et ceux des pays qui lui sont
soumis.
La conduite du premier consul envers l'ambassadeur de S. M. , à
sonaudience, enprésence des ministres de la plus grande partiedes
puissances del'Europe , fournit une autre preuve deprovocation de la
Pan,t dy4sgouvernement français , qu'il est à propos de rappeler dans
Eatte gecasion , l'explication qu'elle a amenée pouvant être considérée
comme une aggravation plutôt qu'une réparation de l'outrage.
Danaule même temps que S. M. demandait une satisfaction et une
explication sur quelques-uns des points ci-dessus mentionnés , le ministre,
français à Hambourg essayait d'obtenir l'insertion , dans une gazette
de cette ville , d'un libelle des plus grossiers et des plus inju-
Ficus contre S. M. Lorsqu'on lui fit des difficultés pour l'insérer , il
se pravalut de son caractère officiel de ministre de la république francais
pour requérir, par ordre de son gouvernement , la publication de
Serécit dans la gazette du sénat de cette ville.La nature de la réqui
sitionengagen le sénat de Hambourg à y accéder , et par-là l'indépendance
de cette ville a été violée. Un état litre fut coutraint par les menapes
du gouvernement français , de propager dans toute l'Europe et
sous son, autorité, les calomnies les plus offensantes et les plus dépouryues
de fondemens contre S. M. et son gouvernement. S. M. doit
ajouter à la liste de ces outrages , les demandes pressantes et réitérées,
Juugouvernement français , pour changer les loix de ce pays , relatives
liberté de la presse. S. M. y ajoutera encore toutes les réquisitions
faites par ce gouvernement dans différentes occasions , tendantes à
violer Les loix de l'hospitalité envers des personnes qui avaient trouvé
un asila dans ses domaines , et contre la conduite desquelles on n'avait
こ4
PRAIRIAL AN ΧΙ. 517
pu, en aucune occasion , articuler aucune plainte. Il est impossible ,
quand on réfléchit sur cette suite de procédés, de ne pas éprouver la
conviction qu'ils ne sont pas l'effet du hasard , mais une partie d'un
plan adopté pour dégrader , avilir et insulter S. M. et son gouverne-
.ment.
Au milieu de tant d'outrages et de provocations , sa majesté , sans
oublier ce qu'elle devait à sa dignité , a procédé avec la plus grande
modératión pour obtenir des réparations et des satisfactions; en même
temps elle ne négligeait aucun des moyens compatibles avec son honneur
et la sûreté de ses états , pour engager le gouvernement de France aux
concessions qu'elle juge absolument nécessaires pour assurer la tranquillité
future de l'Europe. Ces efforts ont échoué : elle a, en conséquence
, jugé nécessaire d'ordonner à son ambassadeur de quitter Paris .
Enrecourant à ce moyen, le but de S. M. a été de mettre fin à ces discussions
inutiles , qui existaient depuis si long-temps entre les deux
gouvernemens , et d'apporter un terme à un état d'indécision préjudiciable
aux sujets de sa majesté.
Mais quoique les provocations faites à S. M. pussent l'autoriser à
des réclamations plus fortes ,cependant son désir de prévenir des calamités
qui peuvent s'étendre sur toute l'Europe, l'a déterminée encore
à se prêter à tout ce qui sera compatible avec son honneur et les
intérêts de son peuple ; elle n'hésite pas de déclarer à toute l'Europe
que malgré les changemens survenus depuis le traité de paix , malgré
l'extensiondu pouvoir de la France , au mépris du traité et contre tout
esprit de paix , S. M. ne se prévaudra pas de ces circonstances pour
demander des compensations proportionnées à ses droits . Mais elle est
disposée , même encore aujourd'hui , à concourir à tout arrangement
qui lui procurerait une satisfaction pour les insultes faites à sa couronne
et àson peuple , et assurerait leur tranquillité contre de nouvelles
entreprises de la part de la France .
S. M. vient d'exposer clairement et sans réserve les motifs de sa
conduite. Elle n'est mue ni par la disposition de s'immiscer dans les
affaires intérieures d'aucun autre état , ni par des projets de conquête
et d'agrandissement ; elle n'est animée que du sentiment de ce que
réclament l'honneur de sa couronne et les intérêts de son peuple , et
par un désir ardent d'arrêter les progrès d'un système qui , s'il ne rencontre
pas d'obstacles , pourrait amener la ruine totale de toutes les
parties dumonde civilisé.
Nous avons parlé au commencement del'articlepolitique
de ce numéro , de la séance du parlement d'Angleterre ,
du 24 mai ; l'extrait que nons en avons donné , ne nous
parait pas suffire , la discussion qui a eu lieu est d'un intérêt
tel qu'il est indispensable de la faire connaître en
entier : nous la rapportons ici d'après le journal officiel.
La discussion sur le messagedu roi , relativement à la guerre , a eu
lieu hier soir 24 mai , à la chambre des pairs , et lord Pelham a prononcé
le discours suivant :
Lord Pelham : Milords , j'ai des espérances assez fondées qu'il ne
peutyavoir une grande différence d'opinions sur la question importante
qui va nous occuper. L'évidence contenue dans les pièces qui
vous ont été soumises , est si claire , et prouve d'une manière si
Gg4
518 MERCURE DE FRANCE ,
incontestable la modération du gouvernement de S. M. , et la corduite
peu mesurée de la France , que toutes les personnes qui m'ertendent
doivent être convaincues que nous avons de justes motifs
d'entreprendre la guerre . C'est d'après ces considérations que je suis
fondé à croire que l'adresse au roi que j'ai l'intention de vous proposer
, n'éprouvera aucune opposition de la part de vos seigneuries.
Cependant, je dois vous observer que les ministres de S. M. ne
prétendent pas se garantir par-là de la responsabilité qui est attachée
à leurs forctions. Ils désirent que leur conduite soit scrupuleusement
et sévèrement examinée, et ce sera l'objet d'une autre discusion.
Il s'agit aujourd'hui de déterminer si nous avons eu , ou non , des
motifs légitimes d'entreprendre la guerre .
Vos seigneuries peuvent se rappeler qu'aussitôt après la signature
du traité d'Amiens ,on prit des mesures pour évacuer Malte, conformément
au traité. Sa majesté donna des ordres pour nommerun
commissaire qui , conjointement avec un commissaire nommé par le
gouvernement français , devait régler toutes les dispositions nécessaires
à cet effet. Mais peu de temps après , la France fitune tentative pour
qu'on procédât à l'élection d'un grand-maître , d'une manière qui
devoit lui donner une influence sur Malte. On verra aussi que la
France ne fit aucune démarche pour obtenir la garantie des puissances
neutres , qui devait assurer l'indépendance de l'ile . Sa majesté désirait
que le pape eût seul le droitde nommer un grand-mattre . Elle avare
consenti pareillement qu'on envoyat 2000 hommes de troupes napolitaines
pour garnison dans l'île, et comme une preuve du désir sincère
de S. M. de remplir à ce sujet les conditions du traité; vos seigneuries
verront, par la correspondance avec la cour de Vienne , que les ministres
de S. M. faisaient toutes lesdémarches nécessaires pour arsiver
àce but. Cependant plusieurs circonstances dans la conduite dela
France, et notamment la manière dont Vilection d'un grand-maître
avait été faite , nous firent sentir la nécessité de ne pas encore nous
dessaisir de l'ile . An mois de janvier dernier , le gouvernement français
commença à prendre une part active dans la question relative à
L'évacuation de l'île de Malte , qui devint alors l'objet d'une discussion
plus sérieuse , et je suis persuadé que , d'après les faits qui ont été nis
sous vos yeux , vos seigneuries jageront que les ministres de S. M. ,
en refusant d'évacuer Malte , ont agi d'après des motifs d'intérêt
public , et des considérations fondées sur l'honneur et l'indépendance
de la nation .
En se prononçant sur ce point , il y avait d'autres discussions
d'un ordre inférieur qui auraient pu facilement être mises de côté,
On verra que la France avait fait des représentations insoutenables ,
par lesquelles elle se plaignait de la liberté de la presse, et du réfuge
que nous accordions à plusieurs émigrés français . On attribuait ces
remontrances , et d'autres de la même espèce , plutôt à des mouveniens
d'humeur , qu'à des dispositions hostiles de la part du gouvernement
français.
J'ai toujours été un zélé défenseur des libertés de mon pays , et
particulièrementde la liberté de la presse. Cependant je pense quela
Vicence de la presse ne devrait être tolérée sous aucun rapport; et je
dois avouer que j'ai lu , dans diverses gazettes de ce pays , plusieurs
observations sur le gouvernement de la France , qui étaient extrêmement
indécentes et injurienses ; et qu'il aurait eu le droit de se
plaindre de ces libelles , s'il n'avait pas lui-même employé les mêmes
PRAIRIAL AN XI.
519
moyens. Cependant , ni ces discussions particulières , ni l'accroissement
de la puissance continentale de la France , n'auraient mis une
Larrière insurmontable à l'exécution du traité , sans la publication
officielle qui fut faite en France d'un rapport rédigé parune personne
qui avait eu du premier consul la mission expre se d'aller recueiller des
renseignemens positifs sur la situation actuelle de notre armée en
Egynte et des autres pays qui avoisinent le Levant. Le rapport an
nonçait, de la part de la France , certaines vues et certains projets
infiniment préjudiciables aux intérêts de l'empire britannique . Ce
fut alors queles ministres de S. M.jugèrentqu'i'illss devaient
Malte , commele meilleur préservatif contre les projets ambitieux
que lepremier consul paraissait avoir formés l'Egypte et la Syrie .
Il est d'ailleurs démontré , par les pièces qui vous ont été soumises ,
que l'exéention du traité d'Amiens relativement à l'île de Malte était
Gevenue impraticable par la conduite de la France.
sur
conserver
C'est d'après toutes ces considérations que je me propose d'engager
la chambre à voter une adresse au roi , pour lui exprimer nos regrets
sur le non- succès des efforts de S. M. pour le maintien de la paix.
Mais avant de terminer , je ne dois pas oublier de fixer l'attention de
vos seiereuries sur les prétentions nouvelles et extraordinaires annoncées
parla France. Le gouvernement de ce paysne voulait rien moins
que d'obtenir que les débats dans les deux chambres du parlement
frosent asservis à de certains règlemens , et que la liberté de la presse ,
ce palladium sacré de notre constitution libre , fût soumise à sa volonté
et àson bon plaisir. Mais en faisant allusion à cette conduite
de la France, je suis a dernière personne qui vous inviterai à enployerdes'd
scours injurieux contre le gouvernement de ce pays. Pins
notre cause est juste , plus nous devons montrer de modération en la
défendant. Je propose en conséquence , « qu'une humble adresse soit
>> présentée à S. M. pour la remercier de son très-gracieux message ;
>> pour lui exprimer que nous sommes vivement pénétrés des efforts
>> qu'elle a faits pour nous conserver les avantages de la paix , et que
>> nous avons la conviction intime que 'S. M. ne négligera aucune
>> occasion de terminer la guerre dans laquelle nous sommes engagés ,
>> d'accord avec l'honneur etlasûreté dell''EEnmpire. Que nous avons
১) obsrvé avec la plus vive indignation,que les efforts de S. M. pour
>> maintenir la paix avaient été renversés par les projets ambitieux de
>> gouvernement de la France , et par des prétentions injurieuses à
>> notre indépendance et à nos intérêts les plus chers comme nation ;
>> et que S. M. avait en vain demandé satisfaction pour les outrages
>> qui avaient été faits à ce pays, Animés par ces sentimens , nous
>> soutiendrons de tout notre pouvoir la cause que S. M. vient d'em-
>>>brasser , et qui a pour objet de maintenir les droits de sa couronne
>>les intérêts de son peuple, et tout ce qui nous est cher comme nation
>> libre et indépendante . >>>
?
:
Son altesse royale le duc de Cumberland : Milords , en secondant
l'adresse qui vient de vous être proposée par le noble secrétaire-d'état ,
je ne puis m'empêcher de vous dire quelques mots à ce sujet. De
quoi s'agit-il aujourd'hui ? de savoir si l'Ang'eterre continuera à être
une nation libre , heureuse et indépendante ; ou si elle se soumettra
a la volonté arbitraire et aux ordres insolens de la France ? Voilà
une question de la plus haute importance , et qui doit fixer toute
notre attention , tandis que nous voyons ce pays afficher les prétertions
les plus violentes , sans que rien puisse jamais le satisfaire. II
520 MERCURE DE FRANCE ,
ne peut y avoir , milords , aucune différence d'opinion dans une
question comme celle-ci . Il s'agit de nos intérêts les plus chers , et
denous défendre contre le danger commun qui nous menace.
Je ne me permettrai aucune personnalité sur le premier consul
de France;je ne parlerai de lui que sous le rapport de la place officielle
qu'il occupe, et je le regarde , sous ce point de vue, comme
l'ennemi de ma, patrie. A rès avoir désolé et mis sous le joug une si
grande é endue de territoirecontinental, il sent actuellement que l'Angleterre
est le seul pays qui puisse arrêter le torrent de sou ambit.on ,
etl'empêcher de donner des fers au restedu monde. Jetons les yeux ,
milords , sur la situation de la Hollande et de la Suisse ; vous les verrez
sous le jougde la France . L'Italie est presque dans la même situation
et il ne reste que l'Angleterre qui n'ait pas été asservie. Il n'y a
pas une seule partie du globe où la France n'ait pas cherché à exécuter
les projets de son ambition dévastatrice. Le premier consul
n'a-t-il pas déclaré positivement que tôt ou tard l'Egypte devait
tomber entre ses mains ? Et c'est sa détermination que tôt ou tard
vos possessions orientales tombent au pouvoir de la France. En un
mot, wilords , la France n'est dirigée que par le désir d'étendre sa
dom nation. Le motif de l'Angleterre est de défendre sa constitution .
Ne perdons jamais de vue , que si elle étoit anéantie, la noblesse et tous
les ordres respectables de l'état tomberoient avec elle , et que le
soleil glorieux de l'Angleterre s'éteindroit pour jamais. Il est vrai ,
milords , que nous ne pouvons compter actuellement sur l'assistance
d'aucun allié ; mais j'ai la plus grande confiance que , méme seuls ,
nous l'emporterons , et que nous arracherons le laurier du front de
P'insolence et de l'injustice .
Le comte Stanhope : Milords , j'apporterai dans cette discussion
resprit de modération qui a été si justement recommandé par son
altesse royale. Je commencerai par examiner la nature du différend
qui existe entreles deux pays , d'après les documens qui ont été mis
sous nos yeux. D'un côté je vois qu'on veut garder Malte pendant dix
ans , et de l'autre qu'on en exige l'évacution d'après les conditions du
traité d'Amiens . Je pense que tout cela pouvoit s'arranger. Mais il
estun autre objet qui me touche de plus près ;savoir, la constitution
de mon pays , à laquelle je ne souffrirai jamais qu'aucune puissance
ose porter atteinte. J'endurerais plutôt tous les tourmens que la
cruauté des hommes peut inventer , que d'abandonner un seul des
poirts de cette constitution inappréciable. Mais comment et quand
la France a-t-elle montré le projet d'y porter atteinte ? Pour revenir
à l'objet relatif à Male ; il paraît d'après les pièces déj o-ées sur le
bureau, que le principe mis en avant par lord Hawkesbury , pour en
réclamer la possession pendant dix ans , est que S. M. avoit le droit
d'exiger un équiva'ent pour l'agrandissement de la puissance continentale
de la France. On peut donc poser ainsi la question :<« Nous
Angleterre et France , avons fait un traité ; mais,depuis lors, la France
aconsidérablement augmenté sa puissance ; et l'Angleterre exige qu'il
lui soit accordé un équivalent. » Je prétends que ce principe est eroné,
et qu'il ne peut être admis.
En effet, vous n'avez pas plus le droit d'exiger un équivalent dans
cette hypothèse ,que le premier consul ne l'aurait à en exiger un de
vous dans le cas où vous eussiez fait des acquisitions depuis la signature
du traité , qui seraient étrangères à la France; par exemple l'arquisition
de la Sicile: Mais examinons la question de fait , savoir si
,
PRAIRIAL AN ΧΙ. 521
1
1
1
ne
Is France a augmenté son territoire depuis la paix ? Je soutiens que
zon ,etje dis que la France ne jouit pas actuellement , à beaucoup
près , de l'étendue du territoire dont elle étoit en possession après les
batailles de Hohenlinden et de Marengo. Voyons actuellement ce que
la France a perdu depuis le traité de paix . Elle a perdu un territoire
beaucoup plus étendu que toutes nos colonies des Indes-Occidentales
réunies; elle a perdu Saint-Domingue , et je crois en conscience que
la puissance de la France est diminuée depuis la signature du traité
d'Amiens. Quant à la possession de Malte , je ne suis nullement surpris
que les ministres aient désiré de la conserver. Si j'avois été ministre
lorsde la signature du traité , jen'aurois jamais consenti à abandonner
cette île. Mais on dit que le premier consul de France a conçu de cer
tains projets , et que pour les renverser , la possession de Malte nous
devient indi pensab'e . Je demanderai si ces projets étoient nouveaux
pour ce pays , et s'ils n'étaient pas connus depuis long-temps ? Le
caractèredeBBoonaparte nous est-il donc pas encore connu , etne
savons-nous pas qu'il offre de trait particulier , que nul homme ne peut
prévoir aujourd'hui ce qu'il Ini plaira de faire demain? et je l'en aime
davantage pour cela. En un mot, je ne vois rien dans les pièces o'ficielles
qui puisse jus.ifier une infraction aussi manifeste au traité que
nous avions signé. Mais vous vous plaignez que Bonaparte ait exigé
que vous renvoyassiez les princes français et les évêques hors du pays .
Je ne veux pas dire tous les évêques. Quant à ces émigrés qui sont
venus dans les états de S. Mavec l'intention de calomnier le gouvernement
de la France , le premier consultava't très-fort le droit de demander
qu'ils fussent chassés du pays , et je ne vois en cela aucune
démarche insolente . Mais s'il avait osé demander que nous changeassions
notre constitution , et que la liberté de la presse fût restreinte ,
je lui aura's répondu , en renvoyant aujourd hui son ambassadeur , et
en tirant le canon le lendemain. Il y a une grande distinction entre
la liberté et la licence de la presse, et j'admire la franchise avec
laquelle le noble secrétaire d'état a déclaré qu'on avait publié dans ce
pays des écrits très-indécens contre la personne du premier consul . Je
ne pais m'empêcher de regarder comme un grand malheur que les
deux nations en soient venues au point de s'entre-détruire pourun
mal-entendu. Au lieu de continuer les négociations relativement à
Malte, pourquoi n'en est-on pas venu à une explication sur les différens
griefs qu'on se reprochoit ? pourquoi n'avoir pas dit à Bonaparte ,
lorsqu'il se plaignait des libelles qu'on écrivait contre lui dans ce
pays , qu'on aviserait aux moyens d'en faire punir les auteurs? Je
viens actuellement à cette partie du message de S. M. , où l'on annonçait
que des armemens avaient lieu dans les ports de France et de
Hollande. J'avone que je suis hien surpris , lorsque je considère à
quel point les ministres de S. M. ont été dans l'erreur à ce sujet. Iis
ne nous ont remis aucun document qui prouve la vérité de cette assertion.
Il paraît que le fait a été démenti par le gouvernement français ,
et qu'il n'y avait pas un seul vaisseau dans ces ports qui pût inspirer
le moindre ombrage. Je suis convaincu que tous les différends anraient
pa se seterminerd'une manière amicale, en en venant à des explications
franches. Lorsque l'offre a été faite de céder Malte moyennant un
équivalent, pourquoi les ministres n'auraient-ils pas offert en échange
les flesde Jersey et de Guernesey ? Cest de-là que sont sortis la
plupartde ces libelles écrits en langue française , qui devoient tant
522 MERCURE DE FRANCE ,
, déplaire au premier consul. Ces îles ne nous sont d'aucune utilité
et elles pourraient être d'une grande ressource pour la France. Je
prie vos seigneuries de jeter les yeux sur la situation dans laquelle
nous sommes . Considérez que nous avons une dette de 500 millions ;
que nous sommes déjà courbés sous le poids des impôts; que grand
nombre d'individus n'ont aucun moyen d'existence. Je blâme le secrétaire-
d'état d'avoir employé un langage peu ocnciliant , et d'avoir
parlé de la haine du gouvernement francais. Je ne suis guères dans
l'habitude de louer les ministres de S. M.; mais il en est un à qui je
ne puis refuserde donner un témoignage de inon approbation. Je veux'
parler de l'honnête et bon M. Addington. Je crois en conscience qu'il
n'existe pas un meilleur homme , un personnage plus franc et plus
honorable dans les états de S. M. , et je crois de plus qu'il est parfaitement
pacifique. Pour les raisons que j'ai déjà déduites , je vote
contre l'adresse.
ala
des
Le duc de Clarence : Je commencerai , milords , par exposer à vos
seinenries les motifs qui m'engagent à voter en faveur de l'adresse. Je
crois devoir remonter à une époque antérieure à la signature des préliminaires,
et je prie vos seigneuries de se rappeler les trois expéditions
contre Belle-Isle, le Férol et Cadix , dont le non- succès , ajouté
longue duréede la guerre , avait fait une impression si profonde dans
les esprits , qu'il y avait une clameur presque générale pour la paix.
Cefutdans cette situationdes choses que les ministres de S. M. ernrent
devoir signer les préliminaires de paix. Mais il se passa
choses étranges en Italiedepuis la signaturedes préliminaires jusqu'à
celledu traité définitif. Il y avoit deux choses dans ce traité qui m'affectèrent
vivement. La première , qu'on n'eut rien stipulé en favent
de notre ancien et fidèle allié le roi de Sardaigne ; et la seconde ,
que nous eussions consenti à abandonner Malte. Mais je considérai
cettecession comme une mesure commandée par la nécessité, la paix
étant toujours vivement désirée par la nation ; et mes sentimens à ce
snjet ne furent pas alors manifestés , ayant éludé de donner monvote
sur le traité définitif. Je ne vois rien dans les pièces qui ne prouveles
dispositions les plus sincères de la partdes ministres de maintenir la
paix. Je viens actuellement , milords , à la conversation qui a eu lien
entre le premier consul et lord Whitworth. C'est à tort qu'il nous a
accuséde ne pas vouloir évacuer Malte conformément au traité.Quelles
étaient , en effet, les conditions du traité? On n'était pas convenn
de céder Malte à la France , mais aux chevaliers de l'ordre de Saint-
Jean-de-Jérusalem, et ily a une stipulation formelle pour l'indépendance
de l'ordre, et celle de l'île.
Cette indépendance est garantie par trois des premières puissances
de l'Europe , et il m'est démontré que les ministres n'eussent jamais
signé le traité sans l'assurance que cette indépendance serait assurée .
Examinons maintenant , milords, le rapport infâme de l'homme qui
a été qualifié du titre d'agent commercial depprreemmiieerr consul enEgypte.
Jen'hésistepas milords , àdonner à cet écritll''épithète d'infame
parce qu'ils la mérite bien , parce qu'il contient les mensonges les
plusvils, et les libelles les plus grossiers contre l'honneur et la dignité
du gouvernement de S. M.. contre notre armée et ses braves généraux.
Cependant lorsqueM. Talleyrand fut requis de s'expliquer à ce
sujet , il dit que sa mission n'avait rapport qu'à des objets de commerce,
et malgré les remontrances réitérées qui ont été faites à ce
sujet , on n'a fait aucune réponse satisfaisante, et on a toujours élude
PRAIRIALAN ΧΙ. 523
1
de s'expliquer , commesi l'on avait eu le dessein d'ajouter l'insulte à
Poutrage. (Il fait ici lecture de la conversation entre le premier consul
et lord Whitworth . ) Milords, n'êtes-vous pas actuellement convaincus
des projets du premier consul sur l'Egypte ? J'ai fait lecture de cette
pièce , non pas tant pour nous convaincre de ses desseins hostiles , que
de sa persévérance dans le système d'envahissement qu'il avait adopté
depuis la signature du traité définitif , et ces mots : Ce sont des bagateltes
, est comme s'il avait dit , que sa marche ne pourrait jamais
ètre entravée par l'Angleterre .
Voilà le véritable sens de ces expressions. Mais je soutiens que l'Angleterre
n'a pas rompu le traité. Les choses ont tellement changé de
face , que l'indépendance de Malte était devenue plus nécessaire que
jamais , et les ministres de S. M. ont dû insister pour conserver cette
possession jusqu'à ce que nous eussions une garantic complète de son
indépendance . J'espère que cette possession sera entre nos mains le
gage du salut des libertés de l'Europe. Milords , c'est avec une grande
satisfaction que j'envisage la situation on nous sommes en commerçant
cette guerre . Un noble comte a attribué la perte de Saint-Domingue
aux fautes du premier consul . Moi , je l'attribue aux efforts de la
Grande-Bretagne , et j'espère que nous serons en mesure de lui dire ,
sans rien gazer dans les expressions , vous n'aurez pas SaintD-omingue
, vous n'aurez pas la Louisiane .- De dire aux Espagnols ,
vous n'aurez pas les Florides , et de dire à tous ceux qui sont protégés
par ce tout-puissant consul , vous n'aurez rien que ce que la
Grande-Bretagne voudra bien vous laisser prendre . Je désire voir
cette nation employer les vastes ressources qu'elle a dans son sein
pour convaincre ce puissant consul que nous sommes capables de nous
m surer seuls contre la France et contre tous ceux qui se joindront à
elle. Je désire voir la Grande-Bretagne châtier la France .-Ce n'est
pas la première fois que nous l'aurons fait , et si la guerre est conduite
avec vigueur et sagesse , je pense qu'elle ne peut durer longtemps.
Je vote en faveur de l'adresse .
LordMulgrraavvee ,, en votant pour l'adresse , s'appuie sur les changemens
survenus dans l'ordre de Malte , sur le rapport du colonel Sébastiani
, et sur la conversation entre le premier cousul et lord Whitworth.
Lord Mellville ( M. Dundas ) prononce , dans cette occasion, son
premier discours à la chambre des pairs :
<< Milords , si l'on examine attentivement l'article X du traité d'Amiens
, on verra qu'il est inexécutable , et que jamais l'indépendance
de l'île de Malte n'eût été assurée , l'indépendance de cette île qui
est la clef de l'Egyp'e , et qui , sous ce rapport , doit fixer toute noire
attention. Je ne vois parmi les puissances garantes que la Grande-
Bretagneet la Russie qui puissent assurer l'indépendance de Malte .
parlede laRussie avec une satisfaction particulière , parce qu'une
alliance avee cette puissance doit tendre à l'avantage commun.
Je
>>Dans la situation actuelle de l'Europe , une alliance avec la Russie
est d'autant plus désirable , qu'elle promet des résultats plus solideset
plus durables , en influant sur le grand objet de la paix. Mais il est
plus avantageux pour la Russie elle-même que Malte reste au pouvoir
de l'Angleterre , en raison de sa grande puissance navale , qui la
met à même de la protéger constamment contre toute espèce d'attaque.
Sous quelque point de vue que nous considérions, Malte, nous
verrons qu'elle est pour nous de la plus haute importance. Elle l'est
sous le rapport denos possessions des Indes Orientales; et par ses re-
1
524 MERCURE DE FRANCE ,
lations dans la Méditerranée , dans le Levant et dans la mer Adriat
que, elle est de la plus haute importance pour notre prospérité com
merciale. Les puissances du Levant et de laMéditerranée seront protégées
plus efficacement tant que Malte restera entre nos mains; et
plus nous serons rapprochés d'elles , plus elles pourront compter sur
la jouissance de leurs droits et de leur indépendance. Je met de cote
tous les autres points de discussion , etje me renferme dans ce seul
objet , que nous allons faire la guerre uniquemeut pour Malte .
>> Je prétends que cette île ne peut plus être remise à l'Ordre de
Saint- Jean de Jérusalem , et que nous devons la garder pour noumêmes
. Nous devons la garder pour notre intérêtparticulier et pour
celui des autres puissances . Nous devons la garder non- seulement
pendaut la guerre , mais à perpétuité. Les changemens survenus dans
fordre de Saint - Jean de Jérusalem ne lui laissent plus les moyens
d'aspirer à la souverainetéde cette île . Ce serait d'ailleurs imposer un
joug insupportable aus bons habitans de Malte ,qui , je ne crains pas
dele dire , aimeraient mieux appartenir à la France elle - même , que
de voir le rétablissement de l'ordre des chevaliers . Qu'on ne nous parte
donc plus de cet ordre , qui n'existe pas de fait. La guerre est entreprisepour
Malte, et Malte doit désormais nous appartenir en toute
propriété.>>>
sud
Le duc de Richmond soutient qu'il ne voit pas de motifs suffisans
pourrecommencer la guerre. Les ministres s'étaient d abord engagés
a ne garder Malte que pendant d'x ans , et ils se seraient contentes de
la petite île de Lampedouse , qui leur offrait une sécurité suffisante .
Il ne voit done pas pourquoi on parle aujourd'hui de Malte avec tant
dechaleur. Il finit par émettre le voen queleschoses puissent s'arranger
d'une manière amicale .
Le marquis de Lansdowne dit que c'est d'après l'examen de toutes
les pièces que le parlement doit prononcer si la guerre est juste ét nécessaire.
Il a entendu beaucoup parler de la liberté de la presse , mais
l'étab'issement du jugement parjury la mettrait à l'abri de toute espèce
d'influence. Il ne voit aucune nécessité de faire la guerre pour soutenir
les intérêts de la Hollande. « Quant à la Suisse , il est évident
que,malgré son indépendance si vantée , c'est à d'autres puissances ,
etnou à l'Angleterre , à intervenir pour sa délivrance. L'Autriche
avait certainement un intérêt direct à se mêlerdes affaires de la Suisse,
ét cependant elle n'a vou'u prendre à ce sujet aucun parti. Pourquoi
JaRussie n'a- t-elle pas jugé à propos d'intervenir, tandis qu'elle manifestait
ouvertement le vif intérêt qu'elle prenait à la conservation
deceterritoire? Mais la mission de Sébastiani en Egypte , est un antre
motif sur lequel on se fonde pour recommencer la guerre . Je déclare
que je ne võis rien en cela qui puisse la justifier. Ne sait-on pas que
les gouvernemens de tous les pays sont dans l'h: bitude d'envoyer des
agens au-dehors pour recueillir des renseignemens, soit relatifs au commerce,
soit relatifs à la situation politique et militaire de certains pays ?
Devons-nous apprendre aujourd'hui pour la première fois , que de tous
les gouvernemens , celui de France était leplus attack à cesystème?
Mais on allègue comme une autre cause de la guerre , que le premier
consul ades vues sur l'Egypte. Je ne doute pas , milords , qu'il n'en
ait , et je pense que tout autre dans sa place concevrait précisément
les mêmes projets. Je suis cependant bien éloigné de croire que ses
desseins soientd'une nature aussi alarmante qu'on se plaît à l'annoncer,
car il est presqu'impossible qu'il ait déclaré , comme on l'assure , que
PRAIRIAL AN XI. 525
i
2
1
1
l'Egypte devait tôt ou tard appartenir à la France. Quand j'entends
parlerde l'importance de Malte avec tant d'emphase ,vos seigneuries
m'excuseront si je ne partage pas leur opinion relativement à l'acqui
sition de cette île . Comment se fait-il que cette importance soit vantée
aujourd'hui pour la première fois ? Vos seigneuries ne peuvent avoir
oublié qu'on n'y attachait pas cette même importance il ya environ
quatre ou cinq ans , lorsque le grand- mattre offrit à ce pays de la lui
remettre. D'ailleurs , comme elle est en notre possession , je ne vois
pas l'absolue nécessité d'entreprendre la guerre pour nous y maintenir.
J'espère , milords , qu'on tiendra toujours une portelouverte pour
recommencer les négociations et pour éviter les dangers et les calamités
de la guerre. Profitons de l'exemple de la guerre d'Amérique ,
etprenons garde que notre discrétion et notre prudence ne soient pas
sacrifiées à une vaine gloire. »
Le duc de Norfolk déclare gu'il désire que la paix et le traité soient
maintenus.
Lord King propose pour amendement à l'adresse , « que S. M. soit
priéede renouer la négociation avec le gouvernement français, de manière
à terminer le différend par un arrangement amical.>>>
Lord Ellenborough parle fortement en faveur de la guerre , et ne
fait que répéter les mêmes argumens relativement à Malte , à l'Egypte
, etc.
a
S
1
Le comte de Moira : Je considère la guerre comme une des plus
grandes calamités qui puissent affliger nne nation : la désolation et la
ruine marchent à sa suite ; mais il faut que nous soyons les premiers à
montrer l'exemple du dévouement et du désintéressement . Nous sommes
rassemblés pour discuter si la guerre que le gouvernement a entreprise
est juste et légitime. Un noble lord (lord Mellville ) , a annoncé
que Malte était l'objet de la dispute. Je ne pense pas que , d'après les
dispositions incorrigibles qu'on a manifestées en France , ce point soit
une sécurité suffisante .
Qu'est-ce que Malte ? On dit que c'est le boulevard del'Inde. L'indépendance
de la Hollande et de la Suisse n'est-elle donc pas d'une
plus grande importance ? On doit déclarer quel est le véritable motif
dela guerre. C'est la prépondérance de la puissance de la France, dont
elle a toujours abusé. Sera-t- elle diminuée par l'acquisition de Malte ?
Jele nie, puisque nous n'aurions pas encore le pouvoir d'empêcher les
Français de passer le Rhin lorsqu'ils le jugeraient à propos. Disons
donc que nous voulons diminuer la puissance continentale de la France.
Examinons ensuite notre situation qui ne nous permet pas de faire une
longue guerre. Il ne servira de rien à notre objet que nous prenions
ses colonies . La France , il est vrai , sera gênée , mais nous serions toujours
dans la même situation .
Nedites pas que vous n'avez pas moyens de réduire la puissance de
laFrance. Væ victis ! Quand on est pusillanime , on n'a pas le droit
de se plaindre. Je le répète , faites la guerre avec vigueur, mais qu'elle
soit courte. Rien ne peut être plus ruineux qu'une longue guerre.
Vous avez déjà sur votre établisse nent de paix un déficit de 4 millions
dans le revenu , et vous serez obligés cette année d'augmenter votre
dépense. Supposons que Malte nous reste par la guerre , votre établissement
enserait-il moindre ? Je crois qu'il en est peu parmi nous qui
ne soient vivement pénétrés des desseins ambitieux de la France. Je
n'ai pas approuvé le traité définitif. Je n'examinerai pas aujourd'hui
pourquoi onadifféré si long-temps à mettre unfreinàlapuissance de
:
S
326 MERCURE DE FRANCE ,
Ja France , pourquoi on lui a laissé gagner tant de terrain. Dans mon
opinion , on aurait dû tenir la même conduite le jour même de la signature
du traité définitif. Les principes de la France étaient alors également
manifestes .
La conduite des ministres de S. M. doit faire l'objet d'une discussion
séparée. Je désire que l'unanimité prévale aujourd'hui ; car il est
de la plus grande importance que notre unanimité influence l'opinion
publique. Il est inutile que j'en dise davantage sur la nécessité de faire
une guerre vigoureuse et courte. Si nos moyens sout employés avec vigueur
et célérité , nos ressources suffiront pour restreindre la puissance
gigantesque de la France. J'espère qu'on ne se consumera pas en expéditions
coloniales , mais qu'on se dirigera vers le seul point qui peut
terminer promptement la guerre; mais si nous n'agissons pas avec toute
l'énergie dont nous sommes capables pour soutenir la guerre actuelle
vous aurez du moins cette consolation que vous ne serez plus jamais
dans la nécessité d'en soutenir une autre .
,
Le comte de Spencer parle en faveur de la guerre , se réservant d'émettre
ensuite son opinion sur la conduite des ministres .
Lord Rosyln vote en faveur de l'adresse , en observant que Malte
n'est pas le seul motif de la guerre , mais qu'il s'agit de restreindre
l'ambition et la puissance de la France qui menace d'envahir toute
l'Europe.
Lord Grenville parle en faveur de la guerre ; il se réserve aussi d'émettre
dans une autre occasion son opinion sur la conduite des ministres
. Il serait fastidieux de détailler son discours , qui n'est qu'une
répétition de ce qui a été dit auparavant. Il a observé qu'il ne pensait
pas comme lord Moira, que la guerre actuelle pût étre courte , et
qu'il fallait au contraire que la nation fût bien pénétrée des dangers
qu'elle courait , afin qu'elle mette toute son énergie à les surmonter.
Onva aux voix sur l'amendement proposé par lord King. Dix votes
sonten faveurde l'amendement et 142 contre. L'adresse sera portée
àS. M.
Préfecture de police.-Représailles contre l'Angleterre.
-Ungrandnombre de citoyens ayant écrit au conseillerd'état
préfet de police , pour lui manifester leurs désirs de
contribuer aux frais de construction de chaloupes canonnières
et autres bâtimens , pour être employés à la descente
en Angleterre , le conseiller-d'état préfet prévient
ses concitoyens qu'on recevra à cet effet , tous les jours ,
depuis neufheures du matin jusqu'à cinq heures de relevée
, leurs offrandes ou souscriptions au secrétariat-général
de la préfecture de police.
- Le sénat conservateur a arrêté qu'il serait pris sur la
dotation du sénat la somme nécessaire pour la construction,
dans le plus court délai , d'un vaisseau du premier
rang , qui serait offert pour la guerre actuelle.
-La peste s'est déclarée à Malte; ilmeurt plus de 60 personnes
par jour des troupes de la garnison : la contagion
agagné lleesshabitans.
T
1
KEP.ER.
5.
( No. CII. ) 22 PRAIRIA Lani
( Samedi'r Juin 1808 )
MERCURE
DE FRANCE.
LITTERATURE.
POESIE.
ÉPITRE
A LA BONTÉ.
Qu'un autre vante la beauté ,
L'esprit , les grâces , la finesse ,
Et les talens et la richesse ,
,
Moi , je préfère la bonté.
Quoi ! dira,dans sa cotterie
Certain faiseur de madrigaux
Et d'épigrammes sans saillie ,
Qui , pour quelques fades bons mots ,
Se croit unhomme de génie
:
1
« Quoi ! mettre au second rang l'esprit !
>> A la bonté donner la pomme !
>> Cet auteur-la n'est qu'un bonhomme ! >>>
Le fat se rengorge et sourit ; les
Son épigramme fait larondes studeri
12
528 MERCURE DE FRANCE,
On la répète , on applaudit ,
Et j'en ris avec tout le monde.
D'un sarcasme sur moi lancé
La blessure n'est pas profonde ,
Lorsque mon coeur n'est pas blessé.
Mais je dois prendre ta défense
Contre l'esprit et les travers
D'un siècle léger et pervers ,
Qui te dégrade et qui t'offense.
Bonté ,don cher et précieux !
Sans toi , l'esprit et la science
Ont peu de mérite à mes yeux.
L'esprit , de système en système,
Marche sur les pas de l'erreur ;
Ton chemin est toujours le même ,
Et ton seul guide c'est le coeur.
L'esprit sait orner son langage ;
Et par un coloris flatteur ,
Son discours , souvent imposteur ,
Nous a ravi notre suffrage :
Dédaignant ce vain étalage ,
Tu parles comme la candeur.
L'esprit souvent prompt à médire ,
De nos vices fait le portrait ,
Plus pour briller que pour instruire ;
Loin d'applaudir à la satire ,
Ta main en détourne le trait :
Tu gémiş şur notre faiblesse ;
Il dit la vérité qui blesso ;
Tu dis la vérité qui plaît.
L'esprit, gonflé de so science ,
Souvent d'un regard de mépris ,
Rebute la faible ignorance ;
Tu l'entends avec indulgence ,
あん
"
1
PRAIRIAL AN XI.. 529
Tu l'encourages , lui souris.
Sous la forme de l'innocence,
Tu soutiens avec complaisance ,
Un vieillard courbé sous les ans ;..
Et tous les jours , encheveux blancs ,
Tu folâtres avec l'enfance.
L
1
....
:
Que d'esprits , de coeurs corrompus ,
Sous le nom de philosophie!
Toi , sous le nom de bonhomie ,
Tu caches toutes les vertus.
Souvent l'esprit , avec adresse , )
S'insinue au séjour des grands ,
Et , préconisant leur faiblesse ,
Il leur prodigue un vil encens :
Sous les traits de la bienfaisance ,
Tuvasvisiter les hameaux ;
Tu soulages de l'indigence
Et les besoins et les travaux ;
Tu jouis des biens que tu donnes ;
Et , si quelquefois les destins
Te conduisent au pied des trônes , 1.
C'est pour le bonheur des humains.
Les trésors que , dans ses caprices,
Le sortprodigue à l'univers ,
Sans toi nous donnent des travers
Et souvent enfantent des vices :
On voit naître avec la beautés
L'insupportablevanité ;
L'or produit le vil égoïsme ,
Le courage devient fureur ,
Et la science , pédantisme.
1
Qu'un autre célèbre un vainqueur ,
Qui ne vit que pour les alarmes ;
Lla
530 MERCURE DE FRANCE ,
Arrosés de sang et de larmes ,
Tous ses lauriers te font horreur.
Tu ne te laisses point surprendre
Al'éclat des fausses vertus ,
Et tu détestes Alexandre
Autant que tu chéris Titus .
Henri , guidé par la victoire ,
Est appelé grand dans l'histoire :
Mais quel Français n'est attendri
Au souvenir du bon Henri !
O toi ! qui créas la lumière ,
Et qui diriges la carrière
De tous ces astres radieux
Dont ta main a semé les cieux ;
Qui , jetant les yeux sur laterre ,
La vois comme un grain de poussière ,
Et contemples de l'Océan
L'onde à tes ordres appaisée ,
Comme une goutte de rosée
Prête à rentrer dans le néant :
Jeme prosterne en ta présence .
Et j'adore ta majesté ;
Je tremble devant ta puissance :
Mais combien j'aime ta bonté !
Al'infortune qui t'offense ,
Et redoute un juge irrité ,
Elle sourit , et l'espérance
Renaît dans son coeur agité.
En donnant à l'humanité
Ce doux et sublime apanage
r
Ce dieu nous fit à son image.
La bonté , des vertus du sage
Sait tempérer l'austérité.
7
PRAIRIAL AN ΧΙ. 53
Ah ! sans elle , d'un ton sévère
En vain nous le verrions s'armer ::
Pour instruire il sait qu'il faut plaire ;
Pour instruire il se fait aimer..
La vertu sourit sur sa bouche :
İl
nous parlé ; et , sans le vouloir ,
Nous nous livrons au doux pouvoir
De cette bonté qui nous touche.
O FÉNÉLON ! dans tes écrits ,
Ce sentiment divin respire :
On t'aime autant que l'on t'admire.
Quand tu veux nous montrer le prix
Des vertus que ton âme inspire ,
Tu sais leur donner ta douceur ,
Et nous cédons à leur empire
Moins qu'à la bonté de ton coeur.
Qui t'a donné , bon LAFONTAINE !
Cette douce naïveté
Qui nous captive et nous entraîne ?
Ah ! tu la dois à la bonté.
Peintre toujours inimitable ,
Dont l'art est de n'en point avoir ;
Moraliste toujours aimable ,
Philosophe sans le savoir ,
Tu seras nommé d'âge en âge ,
L'ami de l'enfance et du sage.
Vous , qui de lapostérité
Osez espérer le suffrage ,
Voulez-vous qu'il soit mérité ?
Que l'amour du bon vous enflamme !
L'amour dubeau toujours le suit :
L'esprit ne séduit que l'esprit ;
Mais l'âme seule parle à l'âme .
T
L13
532 MERCURE DE FRANCE ;
Pour moi , sans prétendre au laurier
Oudu poète ou du guerrier ,
Heureux si je coulé ma vie
Loin des honneurs et de l'envie,
Et si , des humains oublié,
Je vois ma carrière embellie
Par la bonne et franche amitié !
:
ADRIEN DE SARRASIN.
ENIGME.
MON origine est due au Créateur.
Où serais-tu sans moi ? sans moi que peux-tu faire ?
Le gris , dit - on , est ma couleur ;
Cependant , qui parcourt l'un et l'autre hémisphère ,
En moi , suivant les lieux , aisément pourra voir ,
Et le rouge et le vert , le blanc comme le noir ;
Mais par-tout je conserve une couleur de terre.
Tantôt mon aspect est affreux ;
Tantôt il est riant,, il te plaît , il t'enchante.
Ah ! que de fois j'ai trompé ton attente ,
Ou j'ai répondu mal à tes soins généreux !
Qu'on ne me cherche point ni dans l'air , ni sur l'ondes
Au milieu d'eux pourtant j'existe dans le monde.
L'homme doit tout à mes bienfaits ,
Oui tout , jusqu'à son existence.
Après les dons que je lui fais,
J'ai quelques droits sans doute à sa reconnaissance :
Hélas ! quel est mon sort !... L'homme ingrat,inhumain ,
Me foule sous ses pieds , et déchire mon sein :
Du bienfaiteur souvent telle est la récompense !
Par Pra. ROQUE (de Brive.)
PRAIRIALANXI 533
LOGOGRYPΗΕ.
Mon essence , lecteur ,n'est point dûe au hasard :
I
Je suis enfant chéri du génie et de l'art.
Si je remonte encore à plus haute distance ,
Mes aïeux sont créés de la toute-puissance ;
Dieu les plaça lui - même à des postes divers
Les uns , sans nul effort , font mouvoir l'Univers ;
D'autres , doux et lians , 6 sublime structure !
Font agir de concert la vivante nature.
Archimède étonné de ses propres succès ,
Calcula mon pouvoir et ses heureux effets ;
Enfin la mécanique à ma force asservie
Reçoit de mes moyens un principe de vie.
Il s'en faut dejà peu que yous ne deviniez
Ma nature , mon nom , le nombre de mes pieds.
Votre sagacité m'ordonne le silence ,
}
Et je la blesserais avec moins de prudence.
Transposez à loisir mes membres tortueux :
Vous verrez ce que prend l'aigle majestueux ,
Quand , s'élançant des monts , il veut dans l'Ethérée ,
Admirer la grandeur de la voûte azurée ;
L'idole qu'Harpagon si souvent visitait
Le métal pour lequel toujours il soupirait ;
Un être singulier ,tout incompréhensible ,
Qui distribue aux uns ses plus douces faveurs ,
Tandis qu'au même instant , par son bras invisible .
D'autres sont accablés de toutes ses rigueurs;
Vous y verrez enfin cet homme ridicule ,
Pour qui toute science est absolument nulle ,
,
Qui havarde sans desse et se mêle de tout , Ibuls
Qui n'ani faculté, ni jugement , ni goût ;
Qui prend les lourds propos pour d'heureuses sentences ,
Et termine toujours par des impertinences.
L1 4
534 MERCURE DE FRANCE ,
CHARADE.
Mon premier fut jadis une plante sacrée ,
Par nos vieux Gaulois révérée ,
Comme reine des végétaux ,
Et comme un remède à tous maux ;
Mais rien n'est stable ence bas monde :
Sur la fortune est bien fou qui se fonde !
4
Il aperdu tout son crédit ;
Le cultivateur le détruit ;
1
Aujourd'hui l'on ne le voit guères
Que chez les oiseleurs et les apothicaires ,
Et non , comme autrefois , chez les gens du bon ton.
Il est certaine circonstance ,
Où l'on doit d'un total soustraire mon second :
Du brut au net il est la différence .
Vous voyez qu'en détail je ne suis pas heureux :
Mais en total serais-je plus chanceux ?
Je suis sans cesse à la torture :
Mes boyaux sont pincés , bandés outre mesure ;
On se plaît à me tourmenter :
Et pourquoi , s'il vous plaît ? Pour me faire chanter.
:
1
Mots de l'Enigme , du Logogriphe et de la
Charade insérés dans le dernier Numéro.
Le mot de l'Enigme est Bière.
Celui du Logogryphe est Sommeil , où l'on trouve le , sol,
loi , oeil , oie , lime , mil , lie , miel , si , mi , sol.
Le mot de la Charade est Rond-eau.
:
PRAIRIAL AN XI. 535
OEuvres complètes de Laurent Sterne. Six vol.
in-8°. Prix : 30 fr. , et 38 fr. francs de port.
A Paris , chez Bastien , libraire rue Hautefeuille
, nº . 21 ; et chez le Normant, impr. - libr.
rue des Prêtres S. Germain-l'Auxer. , nº. 42 .
STERNE
7
,
TERNE a été quelque temps l'écrivain à la
mode; il a opéré une sorte de révolution dans le
monde littéraire. Né avec un esprit vif, plein de
saillies , charmant dans la conversation , et plus
propre à amuser un cercle qu'à instruire des lecteurs
, il a prouvé qu'on pouvait faire un livre
sans rien savoir , en écrivant hardiment toutes les
fadaises qui vous passent par la tète. Son exemple
a séduit cette foule d'agréables ignorans , qui se
croient pleins d'esprit au moindre billet qu'ils écrivent
, et que leurs amis trouvent charmant. Ces
gens-là sont quelquefois étonnés de leur génie ; ils
font des gentillesses qui les ravissent ; il leur semble
que s'ils prenaient la peine de composer , ils écriraient
tout naturellement des choses délicieuses ;
ils ont des plaisanteries excellentes qui feraient crever
de rire les lecteurs ; mais ils sont retenus ordinairement
par un certain respect, dont les auteurs
ne peuvent d'abord se défendre , et qui leur fait
croire qu'il faut parler sérieusement au public.
Sterne a bien secoué cette timidité , il a fait voir
qu'on pouvait tout dire et tout écrire ; il traite
ses lecteurs avec une familiarité dont il n'y avait
pas d'exemple ; il va jusqu'à informer le public
de l'état de sa garde-robe : la postérité saura que
cet homme avait dans son porte-manteau une
culotte de soie noire. Nos jolis coeurs trouvaient
cette liberté admirable , ils appelaient cela du na-
1
536 MERCURE DE FRANCE ,
1
ne
turel ; et avec ce beau naturel , tout le monde
pouvait écrire les plus insipides niaiseries , et se
croire , comme Sterne , un auteur original : car
qui est-ce qui ne pourrapas faire quelques phrases
sentimentales sur son chien, sur un ane mort
sur un sansonnet , ou sur le chapeau d'unedame ?
Ces sujets-là sont à la portée de tout le monde.
Il n'y a qu'à se livrer et écrire tout ce qui vient à
l'esprit , n'importe sur quoi , et voilà un livre dans
le goût de Sterne ; la forme est encore plus facile
et plus commode que le fond ; vous n'avez ni
ordre , ni suite , ni liaison à mettre dans les idées ;
vous passez d'un cimetière à un cabaret , sans
transition aucune; c'est là le piquant. Si une phrase
vous embarrasse à finir , vous la laissez ; cette suspension
est un trait d'esprit : chaque page de Sterne
est remplie de ces petites surprises qui décèlent
de l'affectation. Il commence une aventure , et
l'achève point ; le lecteur , dont il a piqué la curiosité
, cherche la suite des événemens , et ne
trouve rien : n'est-ce pas là un tour bien gai? Quelquefois
il annonce un sujet dans le titre , et parle
ensuite de toute autre chose; presque jamais il ne
termine une idée. Il s'interrompt à tout propos
pour se donner un air mystérieux; c'est un homme
qui veut qu'on entende finesse à tout ce qu'il dit.
S'il affecte de remarquer des choses que personne
ne remarque jamais ; s'il s'entretient avec une
femme , if observe qu'elle avait des gants qui
étaient ouverts au bout des pouces et des doigts.
Il y a des gens assez complaisans pour croire que
ces observations-là sont profondes. Je sais que les
Anglais et les Allemands font plus d'attention que
nous àtous les signes extérieurs. Richardson et
Fielding ne manquent jamais de représenter la
pantomime de leurs personnages. Il y a telle circonstance
où un geste vous peint un homme de
PRAIRIAL AN XI. 537
la tête aux pieds : mais lorsque ces sortes de remarques
n'ajoutent rienà l'expression des figures ,
ni à la peinture des caractères , elles ne sont que
puériles: et que m'importe de savoir que Sterne ,
causant avec M. Dessin , aubergiste à Calais , lui
appuyoit le bout de l'index sur la poitrine ? De
quelle énorme vanité faut- il qu'un petit particulier
ait la tête gonflée pour s'imaginer que tout
l'univers va s'intéresser à de pareilles futilités ?
Sterne se défend là-dessus assez plaisamment :
<<Je résolus , dit-il , d'écrire mes mémoires ; et
>> pourquoi non ? il n'y a pas un enseigne fran-
>> çais qui ne le fasse ; si nous ne sommes pas de
>> grande conséquence pour l'univers , nous le
>> sommes certainement pour nous-mêmes : nous
>>> sentons toute notre importance , et il est bien
>> naturel d'exprimer ce que l'on sent. >>>
Voilà qui est à merveille : mais avec cette belle
raison , il suffira qu'on ait le sentiment de son importance,
( et qui est-ce qui ne l'a pas ? ) pour se
croire en droit de publier, comme Sterne , ses
conversations avec son laquais , et les mémoires
desablanchisseuse. C'étoit apparemment unhomme
bien important que celui qui a fait imprimér un
livre intitulé : Mes entretiens avec mon bonnet de
nuit. L'auteur était sûrement très-digne d'un par
reil interlocuteur. Ce n'est cependant pas toujours
parce qu'un homme a une haute idée de luimême
qu'il écrit dans ce goût-là; c'est plutôt par
Ja petite envie de paraître plaisant et original , en
allant chercher un sujet auquel personne n'ajamais
pensé : c'est une fantaisie qui ressemble à
celle de ce Lubin de Molière , qui dit à son mattre
: Sij'avais étudié , j'aurais été songer à des
choses où on n'a jamais songé; j'aurais voulu
savoir pourquoi il ne fait pas jour la nuit. C'est
aussi , depuis Sterne , que les auteurs s'attachent
538 MERCURE DE FRANCE ,
à mettre tout leur esprit dans le titre du livre et
dans celui des chapitres ; c'est ordinairement tout
ce qu'il y a de piquant dans leur ouvrage.
Sterne était un homme de beaucoup d'esprit ;
mais le genre qu'il a embrassé est d'autant plus
mauvais, qu'il a fait une foule d'imitateurs et de
copistes par sa dangereuse facilité ; car il est bien
plus aisé d'enfanter sans choix les saillies d'une
imagination folle et hardie , que d'écrire élégamment
sous la dictée d'une raison juste et sévère ,
qui se laisse parer des agrémens de l'esprit comme
la Beauté se fait servir par les Grâces. Sterne en
convient avec assez de bonhomie ; il se juge même
très sévèrement , lorsqu'il avoue que ces écrits du
jour , dans lesquels l'auteur n'a pas d'autre dessein
que d'apprendre au public qu'il a de l'esprit ,
manquentde cette splendeur du vrai savoir,decette
raison , de ce sens exquis , quifont le charme
de la morale.
Il faut avoir une idée de sa manière : cet homme
qui avait beaucoup voyagé en France , devait avoir
fait des observations bien curieuses sur le caractère
des deux nations. Voici comme il traite ce
sujet en philosophe , dans un chapitre de son
Voyage sentimental. Etant à Paris , il fait venir
un perruquier , à qui il propose d'accommoder sa
perruque. Le perruquier la regarde avec un profond
mépris, et lui déclare qu'il n'y touchera pas.
Mais à son tour il lui propose d'en prendre une
de sa façon , qu'il lui présente d'un air triomphant.
Sterne s'avise de la critiquer ; cette boucle , dit-il ,
ne me paraît pas tenir bien ferme . Vous la tremperiez
dans la mer , dit le perruquier , qu'elle y
tiendroit comme un roc . Grand Dieu ! s'écrie
Sterne , tout est mesuré dans ce pays-ci sur une
grande échelle . Un perruquier anglais aurait tout
au plus proposé de fremper la boucle dans un
PRAIRIAL AN XI. 539
seau d'eau. Quelle différence d'image ! Cependant,
à force de disserter là-dessus , Sterne remarque que
le sublime du perruquier français ne soutient pas
l'examen ; car il n'est guère raisonnable de proposer
à un homme qui essaie une perruque à
Paris , d'aller la tremper dans l'Océan pour en
éprouver la solidité ; au lieu que la proposition du
perruquier anglais est toute naturelle , c'est un
essai qu'on peut faire sur-le-champ. Sterne conclut
donc de-là que , si les Français ont des conceptions
vastes et pleines de feu , en revanche les
Anglais brillent par le sang froid et le jugement :
et en effet , tout cela n'est-il pas bienjudicieux ?
Sterne avait la manie de son temps , de vouloir
paraître profond avec un air frivole. « Je ne sais
>> si je me trompe , dit-il , en finissant sa disserta-
>> tion , mais il me semble que ces minuties sont
» des marques beaucoup plus sûres et beaucoup
>> plus distinctives des caractères nationaux que
>> les affaires les plus importantes de l'Etat , etc. >>>
Voilà qui est étonnant ! Qui aurait jamais cru que
ce chapitre sur une perruque fùt si instructif?
(۲
Le Tristram Shandy est un ouvrage prodigieusement
diffus , dont l'intérêt et la philosophie ne
s'élèvent pas de beaucoup au-dessus de la scène drz
perruquier parisien. Madame Shandy devient
grosse au premier chapitre. Le second traite de
l'embryon ; cet embryon est le héros de l'ouvrage ,
qui ne vient au monde qu'au bout de plusieurs
volumes : et ce héros est l'auteur lui-même qui
écrit son histoire, et qui , enattendant l'époque de
sa naissance , disserte à tort à travers sur tout ce
qui se présente à son esprit. Il y a des scènes de
ménage qu'on admire beaucoup. Madame Shandy
est un caractère parfait , c'est une femme qui a
tout moment met son mari hors des gonds de la
manière la plus agréable , car il ne s'impatiente
1
540 MERCURE DE FRANCE ,
jamais que parce qu'elle est toujours de son avis.
Voici , par exemple , un petit dialogue qui fait
bien connaitre le génie de l'auteur , et qui met
dans un beau jour le caractère de M. et de madame
Shandy.
»
»
»
-
-
-
<<Nous devrions , dit mon père , en se retour-
>> nant à moitié dans son lit , nous devrions pen-
>> ser , madame Shandy , à mettre cet enfant en
culottes.-Vous avez raison , monsieur Shandy,
dit ma mère. Il est même honteux , ma
>> chère , dit mon père , que nous ayons différé si
>> long-temps. - Je le pense comme vous , dit
>> ma mère. -Ce n'est pas , dit mon père , que
l'enfant ne soit très-bien comme il est . Il est
>> très-bien comme il est , dit ma mère. Et en
>> vérité , dit mon père , c'est presque un péché
>> de l'habiller autrement. - Oui , en vérité , dit
» ma mère . — Je ne puis , dit mon père , imagi-
>> ner à qui diantre il ressemble.-Je ne saurais
» l'imaginer , dit ma mère. Quais , dit mon
>> père...... apparemment , continua-t-il , qu'il
>> est fait comme tous les enfans des hommes.
>> Exactement , dit ma mère. - Je veux dit
>> mon père , qu'il ait des culottes de peau.-Elles
>> dureront plus long-temps , répondit ma mère.
Il vaut mieux pourtant , reprit mon père ,
>>qu'elles soient de futaine. Il n'y a rien de
>> meilleur en effet , dit ma mère. - Excepté le
>> basin , répliqua mon père.- Oui , oui , le basin
>>vaut mieux, dit ma mère. - Mais , dit mon
père en insistant , ne trouvez-vous pas que cela
>> est bien ?- Très-bien , dit ma mère , s'il vous
>> plaît ainsi , monsieur Shandy.- S'il me plaît !
>> s'écrie mon père , perdant toute patience , par-
>>bleu ! vous voilà bien ; s'il me plaît ! ne distin-
>> guerez-vous jamais , madame Shandy , ne vous
» -
ة ي ن ي س ح
,
A
PRAIRIAL AN XL. 541
1
5
4
1
1
> apprendrai-je jamais à distinguer ? ..... Minuit
>>> vint à sonner. » 1
Tout l'ouvrage est un long tissu de conversations
aussi familières que celle-là. Il n'y a presque
pas d'action , mais un enchaînement de discours
et de réflexions qui ne finissent point. A chaque
mot l'auteur se jette dans des digressions , dans
des dissertations qui veulent être plaisantes , mais
qui ne réussissent pas toujours à faire rire. Il y a
du feu et de l'originalité dans les peintures. Les
caractères sont vifs et singuliers ; mais ce sont
des caricatures plutôt que des portraits. Le docteur
Slop qui , en tombant dans la boue , s'y enfonce
d'un pied et demi , et se trouve là comme
dans son élément , le caporal Trim qui monte en
chaire , l'oncle Tobie qui ne rêve que fortifications
, contrescarpes , ravelins , et qui a la tête
remplie d'ouvrages à cornes .... A ce mot d'ouvrages
à cornes , M. Shandy prétendit qu'il aimerait
mieux qu'on lui donnat une chiquenaude sur
lenez.... M. Shandy n'aimait pas les équivoques.
Mais que dire de la bonne madame Shandy qui
est morte sans savoir si la terre était ronde ou
carrée ? Son inari le lui avait bien expliqué cent
fois ; mais à mesure qu'il l'expliquait , madame
Shandy l'oubliait bien vite pour avoir le plaisir
de l'apprendre de nouveau , et de l'oublier encore.
Il faut avouer que Sterne a peint la nature;
mais une nature qui est souvent basse et ignoble.
Ce sont des tableaux de l'école flamande , pleins
de vérité , si vous voulez , mais d'un style commun
; et quel est l'homme de mauvais goût qui
préférera la tête d'un bourgmestre hollandais à
une vierge de Raphaël ? Cependant , à travers
toutes ces folies , on trouve quelques pages qui
étincellent d'esprit , et d'une éloquence sans art ,
mais pleine de sentiment : il y en a mème d'extré542
MERCURE DE FRANCE,
par
mement touchantes . La mort d'Yorick
exemple , est un tableau vraiment extraordinaire
dans son genre. C'est sa propre destinée que Sterne
a voulu peindre dans ce tableau , et avec quelles
couleurs ! Il y a de quoi faire frémir sur le sort
d'un homme si gai. Cet homme meurt , comme
il a vécu , en faisant des plaisanteries , et cependant
il arrache des larmes; il ne dit qu'un mot ,
un adieu , mais qui vous remue le coeur. Tout le
monde l'a abandonné ; il ne lui reste qu'un ami ,
un jeune homme qui pleure auprès de son lit.'
Accablé par la douleur , ce jeune homme s'éloigne
un moment : il sort doucement de la chambre .
- Yorick le suit des yeux jusqu'à la porte.
et ne les ouvre plus. ....
-
Alors il les ferme. -
Cette mort silencieuse a quelque chose de plus
touchant que des cris.
Le Voyage sentimental m'a paru généralement
mieux écrit que le Tristram-Shandy. Il y a plus
de précision et plus de finesse dans les idées : il y
a aussi des scènes plus gracieuses. C'est d'ailleurs
la même manière et le même ton , comme on en
peut juger par la dissertation sur la perruque. On
remarquera dans des ouvrages si frivoles , quelques
morceaux d'une érudition recherchée , qui sont
comme des pièces de marqueterie assez adroitement
rapportées. Ils auraient pu faire beaucoup
d'honneur au savoir de Sterne ; mais un maudit
critique anglais s'est avisé de faire là-dessus des
recherches remplies d'une sagacité détestable. Il a
déterré et mis au jour quantité de petits larcins ;
et ce qu'il y a de plus cruel , c'est qu'il a prétendu
prouver que l'auteur n'avait pas seulement pillé
des traits d'érudition , mais même qu'une partie
de son esprit devait être mise sur le compte de sa
mémoire. C'était un rude coup porté à la gloire
de Sterne . Heureusement la critique était savante ;
elle
PRAIRIAL AN XL 543
!
1
1
cen
elle n'a fait que glisser. La réputation d'originalité
que Sterne avait acquise n'a pas même été ébranlée,
Je doute pourtant que ses fondemens soient bien
solides. Bien des gens se persuadent que c'est la 5.
force du génie et du naturel qui a entraîne Sterne
dans un genre d'écrire aussi bizarre que le siem
Pour moi , je trouve qu'il y a de fortes raisons de
croire que l'extrême envie de paraître et de se singulariser
qui a dominé tous les esprits de ce siècle ,
cette fureur d'écrire , qui s'est signalée par tant
d'ouvrages déraisonnables , tant d'imaginations extravagantes
, qui a enfanté tantde poètes licencieux ,
tant d'écrivains sans jugement , tant de philosophes
sans sagesse , ce démon d'un amour propre insensé,
a précipité Sterne dans une carrière pour laquelle
il n'était point fait , où il n'a trouvé que des malheurs
très-réels et une vaine gloire , qui même est
menacée de décroître , comme toutes les réputations
contemporaines , qui se trouvent aujourd'hui
remises en question par des esprits plus fermes et
plus sensés que ceux qui les ont faites. Il y a dans
la vie de cet homme singulier quelques circonstances
qui autorisent cette opinion. D'abord simple
vicaire de campagne , et ensuite chanoine de la
cathédrale d'Yorck , il avait très-long-temps rempli
ses fonctions de la manière la plus régulière et
Ja plus édifiante , lorsque tout- à-coup la lecture de
Rabelais lui tourna la tête , au point de lui faire
abandonner tous les devoirs de sa place , et renoncer
même à son état. Mais un trait qui le peint
tout entier , c'est d'avoir publié , sous le nom
d'Yorick , des sermons qu'il avait fait pendant son
vicariat. Yorick est le nom d'un bouffon que Shakespeare
a fait figurer dans la tragédie deHamlet,
d'unemanière qui ne peut convenir qu'au théâtre
anglais et à. Shakespeare, Il faudrait connaître są
situation pour sentir tout ce qu'il y a d'incompré
12 Mm
544 MERCURE DE FRANCE ,
hensible dans le choix d'un pareil nom. Ce mépris
des bienséances , dans un état qui doit commander
le respect plus qu'aucun autre , donnerait de terribles
impressions sur le caractère de Sterne. Mais
la critique doit être généreuse ; il suffit de décréditer
un genre d'écrire dont on a faitvoir le danger.
Sterne est comme le docteur Swift , et comme
Rabelais qu'il a beaucoup imité , un de ces
hommes dont on peut admirer l'esprit , mais qu'on
ne doit pas prendre pour modèle.
CH. D.
DE L'ARCHITECTURE ÉGYPTIENNE , considérée
dans son origine , ses principes et son goût, et comparée
sous les mêmes rapports à l'Architecture Grecque ;
dissertation qui a remporté , en 1785 , le prix proposé
par l'Académie des Inscriptionset Belles- Lettres . Par
M. Quatremère de Quincy . Un volume in-4° . Prix : 13
fr. et 16fr.franc deport.A Paris , chez Barrois , aîné ,
rue de Savoie , n°. 23 ; et chez le Normant , imprimeur-
libraire , rue des Prêtres Saint-Germain-l'Auxer-
τοίς , πο. 42 .
Lorsque M. Quatremère composa cet ouvrage , on n'avait
pu obtenir que très-difficilement des renseignemens
positifs sur l'ancienne architecture égyptienne. Les voyageurs
, exposés à une multitude d'avanies , troublés sans
cesse dans leurs recherches par la défiance et la superstitiond'un
peuple barbare , n'avaient eu qu'àpeine le temps
de faire des observations rapides et de tracer les croquis
des monumens qu'ils voulaient étudier. Les Spon , les
Paul Lucas , les Norden , les Bruce , avaient , malgré les
obstacles de tout genre qui leur avaient été opposés , recueilli
une certaine quantité de matériaux précieux ,
dont le savant et l'artiste pouvaient profiter pour établir
PRAIRIAL AN XI. 545
:
des conjectures raisonnables , ou pour indiquer de nouvelles
recherches ; mais ils n'avaient pu s'arrêter sur aucun
détail , et ils n'avaient saisi , tout au plus , que l'ensemble
des ruines devant lesquelles ils n'avaient pu s'arrêter longtemps
. C'est dans les relations de ces voyageurs , et principalement
dans les ouvrages des anciens , lorsque les ob
servations des modernes s'accordaient avec les traditions
grecques et romaines , que M. Quatremère a puisé les
faits positifs sur lesquels il a fondé son système. Il est glorieux
pour lui qu'après une époque où l'Egypte a été
ouverte à tous les savvaannss et à tous les artistes français , où
les monumens de son antique grandeur ont été exposés à
leurs recherches et à leurs études , l'ouvrage couronné
en 1785 , ne présente aucune inexactitude , et que les
nombreux renseignemens recueillis dans les nouvelles relations
ne servent qu'à confirmer la justesse des opinions
de M. Quatremère. Cela prouve qu'il n'a négligé aucun
moyen de s'instruire sur le sujet qu'il avait à traiter , et
qu'un profond discernement a présidé à ce travail difficile.
Une des causes qui a le plus contribué au succès qu'a obtenu
M. Quatremère , c'est qu'il n'a point , à l'exemple
de plusieurs écrivains modernes , raisonné d'après des hypothèses
; qu'il n'a point substitué aux traditions historiques
, des notions puisées dans des conjectures abstraites
sur la nature de l'homme; qu'enfin il n'a point cherché
à tracer l'origine des sociétés , cachée dans les ténèbres de
l'antiquité . En suivant une route opposée , il est arrivé
beaucoup plus sûrement au but. Les anciens ont été ses
guides pour toute la partie de son ouvrage qui traite du
gouvernement , de la religion et des moeurs des Egyptiens ;
il s'est confié aux modernes , non point pour les détails
dans lesquels ils diffèrent souvent , mais pour les faits
généraux , pour l'ensemble des monumens , sur lesquels
ils s'accordent.
L'idée que nous allons donner de cet ouvrage prouvera
combien la marche de M. Quatremère est assurée dans
Mma
546 MERCURE DE FRANCE ,
cette carrière difficile . L'Académie des Inscriptions et
Belles-Lettres avait proposé cette question : « Quel fut
>> l'état de l'architecture chez les Egyptiens , et ce que les
>> Grecs paraissent en avoir emprunté ? » M. Quatremère
a eu pour objet , en discutant cette question , de donner
d'abord des notions précises sur l'architecture égyptienne ,
et de prouver ensuite que celle des Grecs ne lui a pas dû
son origine , quoiqu'elle lui ait emprunté quelques détails.
Il ne se dissimule pas le désavantage que peuvent éprouver
un savant et un artiste , lorsqu'ils n'établissent leurs
théories que sur les relations des voyageurs ; et il sent
que , dans beaucoup de circonstances , il est nécessaire
d'avoir examiné soi-même les objets dont on veut parler.
Cependant il prouve très-bien que , pour l'exécution de
son projet , cet examen scrupuleux n'était point d'une
utilité indispensable. Il convient que , dans les arts , tout
ce qui produit des impressions sur l'âme ne peut être saisi
que par celui qui a vu les objets ; qu'il est des sensations
qu'aucune description ne peut exciter : mais il soutient
que les descriptions suffisent pour saisir le caractère spécial
, le principe originaire et le système général d'une
architecture .
M. Quatremère ne s'épuise point en recherches idéales
sur l'origine de l'architecture. La nécessité où fut l'homme ,
dans tous les climats , de se procurer un abri , lui paraît
suffire pour prouver que les premiers hommes firentusage
de ce procédé , qui ne devint un art que lorsque la société
fut parvenue à un certain degré de perfection. L'invention
de l'architecture , ajoute-t-il , doit donc se mettre
sur la même ligne que celle du langage , c'est-à-dire , que
l'une et l'autre invention ne peuvent s'attribuer à aucun
homme, mais sont les attributs de l'homme.
L'auteur entre en matière , et il cherche dans les moeurs
des peuples , dans leurs habitudes , dans leurs besoins , les
traces du principe et du caractère spécial de leur architecture.
Il ne craint point de tomber dans le vague des
hypothèses , en établissant que les premiers peuples furent,
PRAIRIAL AN XI. 547
en raison de leur position , chasseurs , pasteurs ou agricul
teurs. Ce point reconnu par tous les anciens historiens , et
consacré par les traditions respectables de la religion , sert
de base au système de M. Quatremère ; c'est delà qu'il
part pour assigner à chacun de ces peuples un genre particulier
de construction. Les peuples chasseurs , parmi
lesquels on comprend ceux qui vivaient de la pêche , après
avoir fait de longues courses , revenaient constamment
dans l'asile où ils avaient laissé leur famille . Leurs occupations
, le besoin du repos qui doit suivre ou l'exercice
pénible de leur chasse , ou l'attention assidue et patiente
qu'exige la pêche , durent porter ces peuples à profiter
des excavations naturelles , ou à se creuser eux-mêmes des
demeures souterraines . Cette opinion est confirmée par
les récits des voyageurs qui ont été à portée d'observer
des peuples chasseurs , dans les pays nouvellement découverts.
Les peuples pasteurs , obligés de changer sans cesse
de lieu , pour changer de pâturages , ne purent se servir
de ces demeures creusées par la main de la nature. Une
habitation fixe ne pouvait les retenir ; il leur en fallut de
mobiles , et qui pussent les suivre. Delà l'usage des tentes.
Les peuples agriculteurs adoptèrent une vie en même
temps active et sédentaire ; ils se trouvèrent dans la nécessité
de bâtir des demeures fixes et solides ; pour mettre
leurs récoltes en sûreté , ils eurent besoin de hangars ; la
tranquillité dont ils purent jouir dans la saison du repos ,
leur fournit les moyens de se construire des habitations
commodes , saines et étendues. Tout porte à croire qu'ils
élevèrent la cabane de bois avec son toit, premier modèle
des édifices grecs .
M. Quatremère trouve dans ces trois procédés employés
par les hommes pour se procurer des abris , le tipe
primordial des diverses sortes d'architecture. L'architecture
massive des Egyptiens , l'irrégularité de ses dimensions
, l'énorme épaisseur de ses murs , l'obscurité qui régnait
dans les temples ; tout annonce l'imitation des excavations
naturelles qui furent les premiers asiles de ce
Mm3
548 MERCURE DE FRANCE,
peuple. La chaleur excessivé du climat dut fortifier le
goût des Egyptiens pour les habitations souterraines ; ils
en creusèrent bientôt eux-mêmes , et ce travail leur fut
d'autant plus facile que , depuis le Deltajusqu'à Syenne , il
se trouve des carrièresd'une pierre blanche et molle , dans
lesquelles on pratique sans peinede profondes excavations .
La description qu'Hérodote nous a laissée du labyrinte
bâti près de laville d'Arsinoé , contribue encore à prouver
le grand usage des souterrains chez les anciens peuples de
l'Egypte , et l'imitation qu'ils en faisaient constamment
dans l'ensemble de leurs constructions. Les peuples qui ,
dans leur origine , furent pasteurs , eurent , comme on l'a
déjà dit , des demeures mobiles. Leur architecture prit
donc et conserva les formes primitives de la tente. Cetteimitation
se retrouve dans tous les édifices des Chinois . « Les
>> toits recourbés de leur architecture , dit M. Quatremère ,
>>> ses découpures , ses supports grêles , ses décorations co-
>> loriées , prouvent qu'on a contrefait dans les maisons
>>> l'habitation de l'ancien état pastoral ; et cela estconforme
>> à ce qu'on peut savoir de plus vrai sur le premier genre
>> deviedes Chinois , qui ont été , comme tous les Tartares ,
>> des Nomades ou des Scénites , c'est-à-dire , qu'ils ont
>>campé avec leurs troupeaux avant d'avoir des villes. ».
Les peuples agriculteurs bâtirent des cabanes ; et de la
forme qu'ils leur donnèrent pour les rendre solides et
saines , naquirent les premiers principes de l'architecture
grecque. « Le fronton des Grecs , ajoute M. Quatremère ,
>> appartient à un genre de construction indépendant de
>> tout autre. Il se lie, ainsi que toutes les autres parties de
>> cette architecture , au principede la charpente età cette
>> fidelle imitation de la cabane de bois , dont l'empreinte
» s'est conservée d'une manière si authentique dans les
>> productions de l'art perfectionné , et lui assure par-là
» le caractère le plus incontestable d'originalité. »
Après avoir posé ces principes d'où il résulte que l'architecture
égyptienne n'a pu servir de modèle à l'architecture
grecque , M. Quatremère , dans la seconde partie de
PRAIRIAL AN ΧΙ . 549
6
sa dissertation , donne l'analyse de l'architecture égyptienne.
Il observe très - bien que presque tous les auteurs
qui ont composé des ouvrages sur cette matière , n'ont pas
réuni les talens et les connaissances qu'exigeait le sujet de
leurs travaux. « On rencontre , dit-il , deux défauts assez
>> habituels dans les ouvrages qui traitent des arts du des-
>> sin , de l'architecture et des monumens. Les uns , com-
>> posés par des hommes qui ne sont que lettrés , sont rem-
>> plis de descriptions vagues , de notions abstraites , d'ob-
>> servations superficielles et de jugemens la plupart insi-
» gnifians , aussi inutiles à ceux qui ignorent les arts ,
» qu'à ceux qui les professent ; les autres , fruits des con-
>> naissances pratiques d'artistes , qui souvent n'en ont pas-
>> d'autres , ont l'inconvénient de rebuter par leur séche-
>> resse le commun des lecteurs , peu initiés dans le voca-
>> bulaire et la doctrine technique des arts : de sorte qu'il
>> arrive que les uns font lire des ouvrages qui n'ins-
>> truisent pas , et que les autres font des ouvrages ins-
>> tructifs qu'on ne lit pas . » Quoique M. Quatremère ne
se flatte point d'avoir évité l'un de ces deux défauts , il
nous semble que personne , mieux que lui , ne pouvait
réunir les avantages du goût et d'un style élégant , à l'érudition
et à la méthode d'un genre purement didactique.
L'analyse de l'architecture égyptienne est divisée en trois
sections. Dans la première , l'auteur s'occupe de la construction
, et il donne des détails sur les différens matériaux
qu'employaient les Egyptiens. Il parle ensuite des moyens
mécaniques , de la coupe des pierres , et des procédés dont
on se servait pour la construction des pyramides et des
temples. La seconde section offre la forme et la disposition
des édifices . On y trouve la description des différens
objets dont ils étaient composés , et leurs dimensions exac--
tement calculées. Les savans modernes ont fait plusieurs
conjectures sur la destination des pyramides , et ils ont prétendu
, tantôt que c'était des monumens astronomiques qui
servirent de gnomons , de méridiennes ou d'observatoires ;
tantôt que c'était des monumens allégoriques consacrés au
Mm 4
550 MERCURE DE FRANCE ,
soleil. M. Quatremère , habitué à ne s'en rapporter qu'à des
traditions historiques , repousse ces suppositions dont les
philosophes modernes ont tiré tant de fausses conséquences .
« Le témoignage des auteurs grecs et romains , ajoute-
› til , les analogies les plus décisives dans la conformité
des mêmes usages en d'autres pays , les observations mo
dernes , tout concourt à prouver que l'objet essentiel des
▸ pyramides fut la sépulture de ceux qui les firent cons-
› truire. Mais , dit-il plus loin , si la force des opinions
› relatives aux soiris de la sépulture en Egypte , ne paraît
» pas une raison suffisante , qu'on explique donc d'une
› autre manière tous ces autres tombeaux célèbres dont
>> l'histoire ou le temps ont transmis les notions ou les dé-
» bris. Faudra-t-il révoquer en doute la destination des
immenses tombeaux des empereurs romains , dontquelques-
uns , sinon pour la masse , au moins pour la dépense
>> et le travail , le disputent aux pyramides ? Et si un sim-
> ple épulon de Rome fit pour sa sépulture la dépensé
> d'une pyramide revêtue en marbre blanc et haute de 17 i
palmes , faudra-t-il s'étonner que des rois d'Egypte ayent
» pu en construire qui fussent deux ou trois fois plus
› grandes que celle de C. Cestius ? Et paraîtra-t-il surpré-
>> nant que , dans un pays où tout prouve le zělé le plus rea
>> cherché pour la conservation des corps , ils aient choisi ,
> pour lui confier la durée de leur repos , la forme d'édi-
>> fice qui de toutes celles que l'architecture a jamais mises
» en oeuvre , nous est parvenue la plus intègre , et est par
>> conséquerit la plus convenable à la fin pour laquelle on
>> l'emploie.>> La troisième section de cette partie de l'ouvrage
de M. Quatremère, traite de la décoration dans l'architecture
égyptienne. Après avoir développé quelques
idées générales , l'auteur parle de hiérogliphes , des basreliefs
, de la peinture et des diverses sortes d'ornemiens.
Ses recherches présentent des aperçus neufs et satisfaisans ,
elles ne laissent , du reste , rien à désirer du côté de l'érudition
.
On voit que M. Quatremère , dans les deux premièrca
PRAIRIAL AN ΧΙ . 551
1
parties de son ouvrage , a donné tous les détails nécessaires
sur l'état de l'architecture égyptienne. La troisième et
dernière présente des réflexions lumineuses sur la diffé
rence d'origine qui sépare l'architecture grecque de celle
de l'Egypte , et sur les rapports de détails qui se rencon
trent entre ces deux architectures . Il prouve , par des faits
positifs et par d'excellens raisonnemens , que l'architecture
grecque n'a point tiré son origine des monumens de
l'Egypte , et qu'elle ne leur a emprunté que quelques détails
, quelques ornemens perfectionnés ensuite par les
grands artistes de Corinthe et d'Athènes. Il pense que la
colonne corinthienne n'a point été inventée par les Grecs ,
et il rejette l'anecdote poétique de Callimaque , qui , selon
Vitruve , conçut l'idée du chapiteau à Campane , en voyant
une corbeille d'Acanthe placée sur le tombeau d'une jeune
fille. Tout en reconnaissant les divers emprunts que les
Grecs ont faits aux Egyptiens , l'auteur a toujours soin de
faire observer que les deux genres n'ont jamais été confondus
. « Il faut finir par s'étonner , dit-il , qu'avec ce
* goût et cet usage qu'on suppose avoir été si familiers
>> aux Grecs de s'approprier en tant de genres les idées et
>> les inventions des autres peuples , ils aient été aussi ré-
>> servés avec l'Egypte dans les emprunts qu'ils lui ont
>> faits en architecture . Ils paraissent avoir conçu la plus
>> haute admiration pour la grandeur de ses entreprises.
>> Leurs auteurs et leurs historiens n'en parlent qu'avec
>> respect. Selon Hérodote , le labyrinthe , par sa gran-
>> deur , valait à lui seul les édifices réunis de toute la
» Grèce. Le travail d'une seule pyramide l'emportait
גו encore , dit- il , sur les plus grands monumens de sa
>> patrie. Cependant on ne voit pas que le goût égyptien
>> se soit mêlé à l'architecture grecque , si ce n'est dans
» quelques détails de ses ornemens. Cela vient de ce que
>> lesdeux caractères d'architecture étant originaux , étaient
» exclusifs l'un de l'autre. Le moindre mélange des par-
» ties essentielles eût tout dénaturé , tout confondu. »
Il nous semble que , d'après cette analyse , on a pu ap
552 MERCURE DE FRANCE ,
précier le goût, la méthode et l'érudition de M. Quatremère
; on a dû remarquer sur-tout ses vastes connaissances
dans les arts , qui se concilient rarement avec l'élégance et
la correction d'un bon écrivain. Le désir d'exposer son
système avec clarté , et de ne point l'embarrasser par des
digressions , nous a fait négliger une des parties les plus
intéressantes de cet ouvrage , celle où l'auteur traite de la
religion , du gouvernement et des moeurs des anciens
égyptiens. Nous allons revenir sur ces objets importans ,
et donner une idée des opinions de M. Quatremère sur
une matière qui a épuisé les conjectures de tant de philosophes
et de savans .
La religion des Egyptiens était grave et mystérieuse ;
elle ne se prétait pas , comme celle des Grecs , à tous les
écarts de l'imagination humaine. Des colléges de prêtres ,
seuls initiés dans les secrets de leur culte, se transmettaient
leur doctrine qui ne sortait point de l'enceinte des temples.
Les cérémonies , les rites ne changeaient jamais ;
et les arts , employés à représenter les emblêmes religieux ,
ne variaient point leurs combinaisons. C'est ce qui explique
l'uniformité des monumens de l'Egypte , et le peu de
progrès des arts dont l'essor était contenu par l'obligation
de se conformer toujours aux mêmes types . L'indiscrète
curiosité de l'homme , qui s'exerce sans cesse sur des objets
inaccessibles à ses recherches , était réprimée par
des institutions inébranlables. « Tout , dans les temples
>> d'Egypte , dit M. Quatremère , respire le mystère qui
>> fut la première base de sa religion , et qui doit l'être de
>> toute religion ; car la religion a pour objet principal
>> d'empêcher l'esprit de l'homme de chercher ce qu'il ne
>> trouvera jamais. C'est l'antidote à la curiosité , cette
passion de l'humanité , dont l'action est salutaire lors-
» qu'elle se borne à la découverte des choses qui sont à sa
>> portée ; mais fléau le plus pernicieux de tous , lorsque
>> l'orgueil , qui en est le principe , se révolte contre sa
>> propre faiblesse ; et , dans le dépit de son impuissance
>> à découvrir la vérité , brise tous les remparts que la
PRAIRIAL AN XI . 553
>>>sagesse des temps avait élevés entre l'homme et le
>> néant. » On pourra chercher à réfuter l'opinion de
M. Quatremère , en s'appuyant sur la superstition des
Egyptiens , sur le nombre et la bassesse de leurs divinités
, sur l'absurdité de leur culte ; mais il est facile de
répondre à cette objection , en observant que , pour les
peuples , les croyances les plus insensées , pourvu qu'elles
se concilient avec les principes de l'ordre social , sont
moins dangereuses que la présomption des incrédules.
<< En effet , dit Pascal , lorsque dans les choses de la na-
>>> ture , dont la connaissance ne nous est pas nécessaire ,
>> il y en a dont on ne sait pas la vérité , il n'est peut- être
>> pas mauvais qu'il y ait une erreur commune qui fixe
>> l'esprit des hommes ; comme , par exemple , la lune , à
>> qui on attribue les changemens de temps , les progrès
>> des maladies , etc.: car , c'est une des principales ma-
>> ladies de l'homme , que d'avoir une curiosité inquiète
>> pour les choses qu'il ne peut savoir , et je ne sais si ce
>> ne lui est pas un moindre mal d'être dans l'erreur pour
>> les choses de cette nature , que d'être dans cette curio
>>> sité inutile . >>>
Le gouvernement des Egyptiens était monarchique.
Il paraît qu'il exista en Egypte de temps immémorial. La
conservation scrupuleuse des mêmes opinions , des mêmes
usages , de la même doctrine , l'impossibilité de quitter la
profession dans laquelle on était né , la stabilité qui devait
résulter de ces institutions par lesquelles la raison des
hommes , et même l'imagination qui perfectionne les
arts , étaient enchaînées , semblent être les principales
causes de la persévérance des Egyptiens dans les travaux
qu'ils ont entrepris et terminés. M. Quatremère ne s'étend
peut- être pas assez sur le parti qu'ils surent tirer du Nil ,
source principale de la fécondité de leur pays. « Ce qu'ils
>> ont fait du Nil , dit l'éloquent évêque de Meaux , est
>> incroyable. Il pleut rarement en Egypte ; mais ce fleuve
» qui l'arrose toute entière par ses débordemens réglés ,
>> lui apporte les pluies et les neiges des autres contrées.
554 MERCURE DE FRANCE ,
» Pour multiplier un fleuve si bienfaisant , l'Egypte était
> traversée d'une infinité de canaux d'une longueur et
>> d'une largeur incroyables. Le Nil portait par-tout la
>> fécondité avec ses eaux salutaires , unissait les villes entr'elles
, et la grande mer avec la mer Rouge , entrete-
➤ nait le commerce au dedans et au dehors du royaume et
» le fortifiait contre l'ennemi ; de sorte qu'il était tout
>> ensemble et le nourricier et le défenseur de l'Egypte.
» On lui abandonnait la campagne ; mais les villes , rehaussées
avec des travaux immenses , et s'élevantcomme
» des îles au milieu des eaux , regardaient avec joie , de
>> cette hauteur , toute la plaine inondée et tout ensem-
» ble fertilisée par le Nil. Lorsqu'il s'enflait outre me-
➡ sure , de grands lacs creusés par les rois tendaient leur
* sein aux eaux répandues. Ils avaient leurs décharges
>> préparées : de grandes écluses les ouvraient ou les fer-
>> maient , selon le besoin ; et les eaux ayant leur retraite ,
▸ ne séjournaient sur les terres qu'autant qu'il fallait pour
→ les engraisser. » Les Grecs et les Romains ont souvent
chanté les bienfaits de ce fleuve. Lorsque César est en
Egypte , Lucain ne trouve d'autre moyen de donner une
grande idée du caractère de ce héros que de lui faire désirer
de connaître les sources du Nil. Il s'étend ensuite
sur ses débordemens périodiques :
Cancro suam torrente Syenen
Imploratus adest ; uec campos liberat undis
Donec in autumnum declinet Phebus , et umbras
Extendat Meroë . Quis causas reddere posset?
Sicjussit natura parens decurrere Nilum :
Sic opus est mundo.
Les savans et les philosophes modernes ont voulu soumettre
à des calculs géométriques les relations des anciens
historiens sur l'immense population de l'Égypte. Sans
s'arrêter à l'extrême différence de leur religion, de leur
gouvernement , de leurs lois avec les institutions des
peuples modernes , ils ont établi des parallèles inexacts ;
et , révoquant en doute les témoignages de la tradition ,
· PRAIRIAL AN XI. 555
1
!
1
ils ont tourné en ridicule Bossuet et Rollin qui avoient cru
devoiry ajouter foi . Pourrez-vous croire , dit M. de Vol-
>> taire , que , par chacune des cent portes de Thèbes , il
>> sortait deux cents charriots armés en guerre et dix mille
>> combattans ? Cela ferait vingt mille charriots et un
>> million de soldats , et un soldat pour cinq personnes :
>> ce nombre suppose au moins cinq millions de têtes
>>> pour une seule ville dans un pays qui n'est pas si grand
>>>que l'Espagne ou que la France. Mononcleriait , dit Vol-
>> taire, dans un pamphlet composé pour défendre l'Essai
>> sur les Moeurs et l'Esprit des Nations , mon oncle riait
>> quand il voyait Rollin copier Bossuet mot à mot , et
>> Bossuet copier les anciens. » Qui ne croirait , d'après
cette observation , que l'évêque de Meaux n'a mis aucun
discernement dans le choix des faits qui composent son
discours sur l'Histoire Universelle ; qui ne croirait qu'il
n'est qu'un copiste servile , qu'il n'a aucune grande vue ,
et qu'il adopte sans examen les plus grossières absurdités ?
Cependant Bossuet lui-même , qui n'avait point l'habitude
de raisonner sur des hypothèses , et qui ne jugeait point
les moeurs des anciens d'après les nôtres , élève quelques
doutes sur ce point de l'histoire ancienne. Voici comment
il parle de la population de Thèbes aux cent portes :
« Elle n'était pas moins peuplée qu'elle était vaste , et on
>> a dit qu'elle pouvait faire sortir ensemble dix mille
>> combattans par chacune de ses portes. Qu'il y ait , si
>> l'on veut , de l'exagération dans ce nombre , toujours
>> est-il assuré que son peuple était innombrable. >> On voit
que Bossuet n'affirme point un fait qui paraît incroyable ;
il se borne à rapporter ce qu'on a dit : et ensuite il fait remarquer
qu'il peut y avoir de l'exagération dans ce nombre.
Ce n'est sûrement point là la manière d'un copiste sans
discernement ; c'est celle que doit adopter tout bon historien
, dont le devoir n'est pas de divertir son lecteur par
des rapprochemens et des contrastes piquans , mais de
l'instruire par le choix , l'ensemble et la discussion des
traditions anciennes.
556 MERCURE DE FRANCE ,
M. Quatremère n'a point affecté le septicisme orgueilleux
des philosophes modernes. Il lui eût été facile de douter
de tout , et de montrer une grande supériorité d'esprit
en rejetant les témoignages de l'histoire ancienne , et en les
traitant de fables ridicules. Il a cru devoir suivre un plan
'beaucoup plus difficile à exécuter , mais dont les résultats
sont d'une toute autre importance que des bons mots et
des aperçus superficiels. Il cherche dans les habitudes du
peuple , dans sa manière de vivre , dans les influences du
climat , les causes de la population de l'Égypte; et il par
vient à donner quelque vraisemblance aux récits des anciens.
« Quelle que soit la foi , dit M.Quatremère , que l'on
>> veuille accorder aux historiens de l'antiquité , sur la
>> population de l'Égypte et sur ses vingt mille villes , il
>> est hors de doute , d'après les nombreuses ruines qu'on y
>> voit encore aujourd'hui , d'après la grande fertilité du
>> pays , la fécondité des femmes et la sagesse de ses lois',
>> que son territoire dût renfermer un peuple beaucoup
>> plus considérable qu'on ne pense. Les calculs et les pa-
>> rallèles modernes sont d'une faible autorité dans cette
>> matière. Il est une multitude de causes , telles que la na-
>> ture du climat , la sobriété qu'il commande , la facilité
>> de certaines cultures , l'abondance des vivres , la qualité
>> plus ou moins nourricière des alimens , qui ne peuvent
>> s'apprécier que très-imparfaitement. L'excessive popu-
>> lation de la Chine est une induction en faveur de l'an-
>> cienne population de l'Egypte , et servirait à en démon-
>> trer la réalité en dépit de tous les calculs géométriques .
>> Qui pourrait dénombrer tous ceux qui vivaient ou n'a-
>>vaient d'habitation que sur le Nil et sur les canaux , selon
>> l'usage qui existe encore aujourd'hui ? Il dûty avoir en
>> Egypte , comme il y a en Chine , une surabondance de
>> population , et c'était sans doute cet excédent qu'on em-
>> ployait à la construction des ouvrages publics. »
On a pu se former une idée du plan général de cet ouvrage
, du style de l'auteur , et de l'esprit qui a présidé à
son travail. Cette dissertation, que la modestie de M. QuaPRAIRIAL
AN XI. 557 .
C
S
1
tremère l'avait empêché de publier lorsqu'il fut couronné
par l'Académie des Belles-Lettres , nous paraît digne des
plus grands éloges , sous les rapports de la littérature , de
l'érudition et des arts. Elle enrichira la collection des ouvrages
intéressans qui ont été publiés depuis l'expédition
d'Egypte ; et , comme nous l'avons déjà observé , on s'étonnera
que M. Quatremère , sans d'autres secours que celui
des historiens anciens et des voyageurs , ait pu obtenir
des résultats aussi satisfaisans et aussi certains. Nous ne
nous permettrons , sur le style , qu'une seule observation
qui terminera cet article : M. Quatremère a introduit
dans la partie littéraire de son ouvrage , quelques termes
techniques qui ne sont admis que dans les sciences et
dans les arts . Cette innovation , bien excusable dans un
ouvrage qui traite principalement de l'architecture , se
fait remarquer depuis long-temps dans la poésie , l'éloquence
et les écrits les plus étrangers aux sciences et aux
arts. C'est le signe certain de la décadence d'une langue .
Il annonce une confusion de genres , qui ne peut résulter
que d'un goût dégénéré. M. Quatremère , rachète ce défaut
, si c'en est un , dans le sujet qu'il a traité , par unstyle
brillant , animé et quelquefois éloquent. On remarquera
facilement que notre observation le regarde beaucoup
moins que certains écrivains qui se plaisent à dénaturer
notre langue par un néologisme que rien ne peut faire
excuser .
P.
P
1
1
1
Au
VARIÉTÉS.
RÉDACTEUR.
Permettez , monsieur , à unjeune amateur des lettres de
réparer un oubli qui s'est glissé dans la rédaction de l'analyse
des Fables de M. Boisard , insérée au N° : XCVIII de
votre Journal ; vous avez omis de comprendre dans l'é
558 MERCURE DE FRANCE ,
numération des littérateurs français qui se sont distingués
dans ce genre gracieux depuis Lafontaine , un auteur qui
sut acquérir l'estime de ses contemporains , autant par ses
qualités personnelles , que par les talens qui le firent longtemps
remarquer dans la carrière poétique : cette omission
ferait injure , je crois , à la mémoire de celui qui
enrichit le porte-feuille des gens de lettres , du Jugement de
Páris , du Jaloux sans Amour , de l'Elégie sur la mort
dePiron , des Nouvelles et Contes en vers , et d'autres
ouvrages de poésie légère , également recommandables ,
par la pureté du style , la finesse des idées et la fraîcheur
de coloris : je ne crains pas même de dire qu'on placera
ses fables au nombre des productions qui lui font le plus
d'honneur ; on y admire un choix de tableaux toujours intéressans
, une naïveté soutenue , et sur-tout une morale
saine qui annonçaient , de la part de son auteur , un grand
fonds d'observations , et une connaissance parfaite du coeur
humain. Mön inexpérience semblerait me défendre d'indiquer
celles qui pourraient , par préférence , fixer les
regards de l'homme de goût ; mais je crois pouvoir avancer
, à l'appui demonéloge , qu'on lira toujours avec plaisir
, l'Habit et l'Oreiller , le Conseil d'état duLyon , laRose
et le Bouton , l'Ours et le Singe , et l'Eléphant ; sans atténuer
le mérite des autres , j'ai cru découvrir dans celles
que je cite , une narration plus facile , une originalité piquante
, et une plus grande richesse de composition.
Imbert était à la fleur de l'âge lorsqu'il fut enlevé à la
France littéraire : sa perte fut vivement sentie par les
muses ; quoiqu'à l'époque où la inort moissonna ses jours ,
ma raison ne pût encore recevoir les premières impres
sions du vrai beau , j'ai su néanmoins puiser ensuite dans
ses ouvrages ce vif enthousiasme bien pardonnable à une
âme neuve et sensible. Me blâmeriez-vous , monsieur , de
réclamer pour ce charmant auteur une place dans le cadre
précieux
(
RÉP.
PRA
1
!
!
ト
3
۱۰
d
1
1
PRAIRIAL AN XI. 559
précieux que vous avez tracé au dernier numéro de votre
journal ? Vous êtes trop juste pour que je puisse le craindre:
c'est donc avec confiance que je vous priede consacrer
une de vos pages à l'insertion de cette lettre : c'est un
hommage que j'offre au talent. Il peut être faible , mais il
n'en est pas moins dû à celui qui en est l'objet.
Recevez l'assurance de ma parfaite estime ,
B. L. fils , (d'Agen. )
Nous n'avons pas prétendu faire une énumérationexacte
et complète des fabulistes qui sont venus après Lafontaine.
M. Imbert avait beaucoup d'esprit , et peut-être en
a-t-il trop inis dans ses fables. Nous aurions pu parler de
lui , mais nous aurions du parler aussi de Groselier , du
duc de Nivernois , de Lemonnier, de Dorat lui-même, de
Vitalis , et de plusieurs auteurs qui ont fait des fables fort
jolies. ( Note du rédacteur. ) .
SPECTACLES.
THEATRE DE LOUVOIS.
Le Vieillard et les Jeunes Gens , comédie en cinq actes
et en vers , de M. Collin-d'Harleville , est jouée depuis
quelques jours , avec beaucoup de succès , au théâtre de
Louvois.
La comédie n'est autre chose qu'une aventure principale
, traversée par des événemens contraires et vraisemblables
; c'est la diversité et l'opposition de ces événemens
qui sert à faire sortir les caractères et à répandre du plaisantdans
lapièce. Mais pour parvenir à mettre les caractères
en jeu , il faut plus que de l'esprit. Ce n'est point en
cousant ,tant bien que mal , des paquets de vers faits en
différens temps , que l'on forme un ensemble. Ce n'est
point encopiant servilement les expressions passagères du
jour, que l'on fait un ouvrage solide et durable. Les ridicules
sont dans les choses , et non dans les mots. Un plan
de comédie bien régulier , consiste dans un enchaînement
13 Nn
560 MERCURE DE FRANCE ;
de scènes , où l'embarras augmente par degrés , jusqu'à ce
qu'il se développe aussi naturellement qu'il paraît avoir
été formé , et qu'enfin il se détermine par un dénouement
qui ne soit ni forcé ni prévu. Voilà le grand art du théâtre.
Y réussir , c'est la difficulté . On trouve par-tout de
l'esprit , mais où trouve-t-on du génie ? Un homme d'esprit
n'a pas plus de peine à en semer dans ses ouvrages ,
qu'un financierà répandre de l'argent; l'un et l'autre manquent
presque toujours leur but faute de savoir placer
leur dépense.
On sacrifie le fond à la broderie. On donne des scènes
vides d'action et chargées de portraits ; on néglige l'intrigue
, et on préfère ce qui est saillant à ce qui est raisonnable.
La fureur de l'épigramme absorbe tout dans ce
siècle ; c'est le règne des tirades. Il faut qu'une pièce soit
un feu d'artifice continuel. Apeine veut-on souffrir l'exposition.
Les acteurs , dès le début , font assaut d'esprit ;
par ce moyen les événemens ne sont point préparés , les
situations n'intéressent plus ; la pièce est brillante , mais
non théâtrale ; on y trouve beaucoup de coloris , et point
de dessin . Si un auteur s'avisait aujourd'hui de travailler
après un plan bien combiné, plein de justesse et dans le
goût du dernier siècle , on dirait qu'il connaît le théâtre ,
mais qu'il ne connaît point le monde ; l'ouvrage serait
estimé et ne serait pas couru : on le traiterait comme une
belle femme sans rouge , mise simplement , qui est toujours
écrasée par un visage de fantaisie.
La comédie de M. Collin-d'Harleville est faite pour
nous ramener à ces règles de goût , autant qu'à celles de
la morale ; il ne sera pas difficile de le démontrer , dans
une analyse un peu plus étendue .
Une mère faible a deux fils assez mal élevés , qui se sont
emparés de son esprit , et qui veulent faire épouser leur
soeur à un M. Dorsan , jeune homme à lamode et libertin
effronté. Euphrasie aime son cousin Olivier , qui n'est
point riche , qui est plein d'heureuses qualités , et qui ,
pour comble de malheur , n'est point à lamode; M. Denaudé
, vieux militaire , qui a conservé quelque ascendant
sur lamère d'Euphrasie , cherche à éloigner le funeste
hymenée qui se prépare ; et pour écarter le jeune
Dorsan , il se met lui-même sur les rangs , et demande
Euphrasie en mariage : il a une fortune considérable ; sa
fortune séduit la mère , et favorise les calculs des frères
d'Euphrasie; il est accueilli , et au moment où il l'emPRAIRIAL
AN XI. ." 561
1
1
+
!
porte sur Dorsan , il cède tous ses droits et une partie de
sa fortune au jeune Olivier , qui épouse celle qu'il aime
et dont il est aimé.
Nous reviendrons sur cette pièce , qui méritait , sous
plusieurs rapports, le succès qu'elle a obtenu. Elle a pour
but de venger les droits si souvent outragés de la vieillesse ;
etelle représente avec beaucoup de vérité , les ridicules des
jeunes gens , lesvices de l'éducation actuelle, et les moeurs
du siècle présent. On a reproché à l'auteur l'invraisemblance
de quelques incidens , l'exagération de certains
caractères. Nous reviendrons sur cette pièce qui sera vrai
semblablement jouée long-temps ; nous nous contenterons
de faire aujourd'ui quelques -observations que nous tâcherons
de développer dans un autre numéro .
ΑΝΝΟNCE.
-Supplément au Répertoire alphabétique , chronologique et
par classement de matières , des lois rendues par les assemblées
nationales et les corps législatifs , et des arvétés du gouver
nement , depuis 1789. Par Guillanine Beaniac , homme de loi.
Ledit Supplément contenant l'indication de la législation du quatrième
trimestre de l'an IX et celle de l'an X. Prix : 1 fr. 50.0. , et
2fr. par la poste.
AParis, chezle Normant , imprimeur-libraire , rue des Prêtres-
Saint-Germain- l'Auxerrois , nº.142. ٠٢٠
t
Tableau religieux et politique de l'Indostan , ou Précihistorique
des révolutions de l'Inde , où l'on voit les mas
noeuvres employées par la compagnie anglaise , pour
s'emparer exclusivement du commerce , des terres et des
manufactures des peuples Indous , et assurer leur tyrannie
par l'expulsion des autres nations européennes ; suivi de
deuxmémoires présentés en 1781 , à Louis XVI , par l'auteur
de cet ouvrage , contenant un plan pour anéantir la
puissance anglaise dans l'Inde , et d'un troisième sur les
moyens actuels d'y parvenir encore. Par M. C*** , lieutenant-
général des armées françaises , gouverneur-général
de l'Isle-de-France , ayant commandé dans l'Inde, Publié
et enrichi de notes , par A. B. de B*** , auteur de l'examen
du discours de M. Necker , à l'ouverture des étatsgénéraux
; d'une lettre à M. Pitt; de la traduction des
ouvrages de M. Burke ; des vérités à ceux qui les aiment ,
etc. , et de beaucoup d'autres ouvrages politiques . Prix ;
6 fr. et 7 fr . So cent. franc de port.
AParis , chez Marchant , imprimeur-libraire , rue du
Pont-de-Lodi , n°. 1 ; et chez le Normant.
Nna
562 MERCURE DE FRANCE ,
POLITIQUE.
MEDIATION DE LA RUSSIE.
Ladiscussion qui a eu lieu au parlement d'Angleterre ,
relativement à la médiation de la Russie, est trop intéressante
dans les circonstances actuelles , pour que nous
négligions de la mettre sous les yeux de nos lecteurs ;
nous ladonnons ici avec les observations qui se trouvent
dans le journal officiel .
M. Fox. Il considère la question qu'il va traiter comme une des
plus importantes qui aient été soumises à la chambre. En ce qui concerne
laquestion générale de la paix ou de la guerre, il s'est déjà
expliqué : son opinion est bien connue : la majorité de la chambre
n'a pas été du même avis. La guerre est déclarée , et toute mesure
propre àla rendre heureuse aura son appui. Mais chacun est obligé
de convenir qu'il seroit désirable de trouver un moyen qui conduisit
promptement à la fin de cette guerre. Or , sa motion a pour objet de
proposer un moyen parfaitement praticable qui conduiroit à cette fin,
et dont les conséquences seroient très-favorables. Il s'agit de
seiller à S. M. de profiter des dispositions où l'empereur de Russie
aparu être de servir de médiateur entreles deux nations belligérantes.
Les avantages d'une telle médiation sont sensibles. La médiation d'une
grande puissance est toujours utile , lors même que cette puissance
ne fait que prêter son nom ; car un tel nom mis au bas d'un traité ,
lui donne aux yeux de l'Europe un poids qu'autrement il n'auroit pas.
Si une médiation a été offerte par l'empereur de Russie , et si , ainsi
qu'on le publie , elle a été acceptée par l'ennemi (1 ) , on ne sauroit
se dissimuler l'avantage qu'auroitl'Angleterre à l'accepter elle-même.
con-
Qui seroit plus propre , en cette occasion , à servir de médiateur
que laRussie , qui déjà est garantede l'île de Malte , point principal
dela contestation ? La médiation de la Russie iroit beaucoup plus
loin : d'après son pouvoir , son caractère et diverses autres circonstances,
l'empereurde Russie est le souverain le plus propre àentreprendre
une médiation de cette nature. La cour de Saint-Pétersbourg
aprouvé son ardent désir de conserver la tranquillité de l'Europe ,
celle de la France et de l'Angleterre, et celle des puissances inférieures
. D'après la déclaration de S. M. , cette cour auroit même hautement
désapprouvé la conduite de la France en plusieurs occasions .
Maintenant si nous considérons ce que c'est qu'une médiation , nous
(1) Oui , sans doute , la France a accepté la médiation de la
Russie. Elle a notifié cette acceptation avant que lord Whitworth
eût quitté Paris; elle l'a notifiée de nouveau avant que le généralAndréossi
eûtquitté Londres : et les ministresont osé trahir la vérité , au
point ,nondene pas accepter la médiation ( chaque gouvernement
estbienle maître d'avoir ses projets et ses vues ) , mais de nier que
Russiel'ent offert.
:
!
1
1
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1
1
PRAIRIAL AN XI. 563
trouverons qu'elle exige deux qualités extrêmement essentielles , qui se
trouvent ici réunies . D'abord nous trouvons dans la Russie un sincère
désir de la paix ; en second lieu , une désapprobation de la conduite
du gouvernement français ,désapprobation qui pèse principalement
sur les objets qui ont donné lieu à la guerre actuelle. Si une telle
médiation est heureuse , et j'avoue que je fonde sur elle un gra
espoir , elle pent conduire à un vaste système , et avoir une utile
influence sur l'état général de l'Europe. Cette médiation est la chance
la plus favorable qui puisse s'offrir pour nous.
:
Tous les honorables membres doivent être convaincus , comme
moi , que dans les circonstances où nous nous trouvons , ce que nous
avons le plus à regretter , c'est le pouvoir de protéger les autres
états; ainsi la guerre continuera , avec la certitude que la France
userade son pouvoir énorme , pourra s'agrandir encore , et opprimer ,
si tel est son intérêt , les nations qut sont incapables de lui résister.
La médiation de la Russie préviendroit ces malheureuses conséquences.
Quelle puissance est plus en état de prescrire la paix à
l'Europe ?
Le dernier empereur a été en querelle avec notre pays ; cette querelle
a été arrangée à l'amiable , et il n'y a pas la moindre raison de
supposerqu'on veuille la renouveler . On prétend que , dans le traité
d'Ainiens , ily a plusieurs articles qui nous blessent ; on prétend aussi
que, dans notre traité avec laRussie , il ya quelques articles qui peutêureblessent
cette puissance. L'empereur peut donc nous dire : si
vous ne respectez pas votre traité , pourquoi respecterai-je le mien ?
Ilpeuttenirà notre ennemi un langage encore plus ferme.
Il me semble qu'une partie de la déclaration de S. M. fait allusion à
une proposition de la France à la Russie pour le démembrement
de l'empire ture (2). Il est assez counu que la Russie a toujours été
ennemie de l'empire ottoman ; que ses princes ont formé héréditairement
des projets contre la Turquie , et que si un démenbrement de
cet empire avait lieu , la Russie obtiendroit nécessairement la meilleure
part. Mais l'empereur peut dire au premier consul : je renonce
à mes projets , renoncez aux vôtres , et un système peut être adopté
pour préserver l'empire ottoman de toute injure. L'empereur de
Russie pourrait encore se joindre à ce pays pour seconder efficacementles
pouvoirs secondaires de l'Europe contre l'oppression de la
France.
(2) Si le ministère a avancé que la France a proposé à la Russie
ledémembrement de l'empire turc , c'est sans doute pour n'échapper
aucune occasion de sejouer de la crédulité du peuple anglais. Il avoit
étéquestion entre les deux puissances , et avec l'Angleterre , de
prendre des mesures pour mettre un terme aux pirateries des barbaresques
, les obliger à cultiver leurs belles et fertiles contrées , et les
forcer à ne plus faire la guerre à la croix , pour l'honneur du croissant .
Jamais il ne s'est agi d'autre chose. Il n'est pas nécessaire d'être doué de
vnes bien supérieures en politique , pour s'apercevoir que la puissance
laplus intéressée à la conservation de l'empire ottoman est la France ,
puisque l'effet qu'auroit sur la balance de l'Europe l'immense accroissement
des empires de Russie et d'Allemagne , seules puissances
limitrophesde l'empire ture , serait incalculable. Il n'est pas unhomme
Nn3
564 MERCURE DE FRANCE ,
On pourra dire que la France d'accéderoit à une pareille propositionque
pour gagner du temps . Soit : Ismalheurs de la guerre
seraient retardés . Si la Russie proposait une mesure tendant à la
sûreté de l'empire turc , la France serait obligée d'y donner son
consentement . On objectera que la France y consentirait d'abord , et
romprait ensuite le traité. Cela pourrait être ;mais on peut en dire
autant de tous les traités du monde.
Quel serait cependant le résultat , si la France rompait un traité
semblable ? Elle n'auroit pas seulement à combattre la Grande Bretagne
, elle aurait aussi à combattre la Russie. On a beaucoup parlé
précé leminent des alliances continentales ; elles peuvent être bonnes
on mouvaises , suivant les circonstances ; et si les alliances sont nécessaire
, aucune puissance n'est plus propre quela Russie à lutter contre
la France. Je demande si , après qu'une médiation aura été tentée et
aura échoué , nous n'aurons pas plus d'espoir que maintenant , de
compter sur la coopération cordiale de la Russie. La circonstance est
propice ; si nous ne la saisissons pas , nous aurons tout le loisir de la
regretter. Je demande , quel que soit le pouvoir de la France , si elle
ne redontera pas le combat , lorsqu'elle verra réunies contr'elle la
Russie et la Grande-Bretagne ? Dira- t- on que l'Autriche et la Prusse
pourraient opérer une diversion en se joignant àla France ? mais cette
chance est tellement improbable , que ce n'est pasla peine de s'y
arrêter . La politique générale de la cour de Berlin est pacifique ; en
Autriche on a adopté à-peu- près le même système , et cela tient aux
mutations survenues dans les consei's , et à l'influence de l'archidue
Charles. Ce dernier , quoiqu'il n'ait pas été définitivement heureux
dans la dernière guerre , a obtenu par sa conduite une très -grande
gloire, et regarde que , pour l'intérêt de cette gloire même , il doit
maintenir la paix . Ainsi , la paix étant voulue par les cours deBerlin,
Vienne et Pétersbourg , on doit espérer toutes sortes d'avantages de la
médiation proposée. Si elle échoue , on peut se flatter que la cour
de Pétersbourg épousera notre querelle ; an moins nous assureronsnous,
dansla poursuite dela guerre , les voeux de tout le genre humain ;
le parlement et la nation seront satisfaits ; la Grande-Bretagne aura
rendu sa cause aussi favorable que possible.
,
Si l'on suppose que la médiation de la Russie n'a été
offerte que pour voiler un penchant secret pour la France
certes les ministres de S. M. ont eu raisonde la rejeter. Mais
il n'est pas du tout vraisemblable qu'il en soit ainsi. La médiation
est arrivée très-tard (3). Je me flatte que pour celle
sensé qui ne puisse remarquer que si la France avait en effet nourri
le projet du démembrement des états de la Porte , elle n'auroit pas ,
au traité de Lunévilie , laissé à l'empereur d'Allemagne la Dalmatie et
les états vénitiens , seuls points par lesquels elle pouvait devenir
Quissance limitrophes de la Turquie , et prendre une part utile dans
un projet de démembrement. Mais , en vérité , il est des suppositions
tellement absurdes , qu'elles ne mériteroient pas l'honneur d'une
réfutation.
( 3 ) Et les ambassadeurs respectifs étaient encore à Londres et a
Paris; la médiation est arrivée plusde douze jours avant le commencement
des hostilités.
PRAIRIAL AN XI. 565
2
raison seule les ministres n'hésiteront pas à mettre fin à la
guerre , aussi-tôt qu'ils le pourront , en ménageant l'honneur
de ce pays. Si la paix étoit l'effet d'une médiation , il
en résulteroit une ligue forte et solide ; il ne s'agiroit plus
de la garantie de Malte , mais de la garantie de l'Europe.
La tranquillité du continent pourrait être assurée ; tous ces
échanges , toutes ces cessions pourraient être prévenus , et
un système serait établi , en vertu duquel les nations qui
ont éprouvé des pertes auraient la certitude de ne pas en
éprouver de nouvelles . Celles qui ont gagné seraient forcées
de s'en tenir à leurs avantages acquis : toute invasion nouvelle
serait rendue impossible , l'Europe aurait la consolante
perspective d'une paix longue etnon interrompue.
Je conclus en faisant la motion qu'une humble adresse
soit présentée à S. M. , suppliant S. M. de vouloir bien profiter
des dispositions manifestées par l'empereur deRussie ,
en offrant sa médiation entre S. M. et le gouvernement
de France , à l'effet de terminer la guerre , si cela peut être
fait d'une manière compatible avec l'honneur de la couronne
et l'intérêt du peuple.
M. Windham appuie la motion .
LordHawkesbury : Je suis parfaitement d'eccord avee
Thonorable membre sur plusieurs des opinions qu'il vient
d'avancer. La déclaration de S. M. fait évidemment connaître
l'intention où elle est de terminer la guerre aussi-tôt que
P'honneurde sa couronne et les intérêts de son peuple lepermettront.
Je pense donc que la motion de l'honorable membre
est inutile, et je ne conçois pas qu'on puisse l'adopter :
voilàma première objection: je respecte assez la constitutiondemon
pays et les priviléges dela chambre , pour savoir
qu'elle a le droit d'intervenir et de donner son avis sur une
branche quelconque de la prérogative de la couronne , si
ellereconnaît dans l'abus de cette prérogative une violation
des principes de la constitution. Si ,dans la circonstance
présente, il y avait abus de pouvoir , e ne m'opposerois pas
àla motion de l'honorable membre ; mais je persiste à
soutenir que les principes fondamentaux de la constitution
autorisent S. M. à faire la guerre ou la paix. Je soutiens
également que s'il ne paroît pas manifeste que le gouverne
ment deS. M. soit coupablede négligence ou d'ignorance (4) ,
(4) Plus que cela : dites à-la- fois de foiblesse ,d'arrogance cl.
mauvaise foi.
Na
566 MERCURE DE FRANCE ,
la proposition de l'honorable membre ne peut être admise
par le parlement.
Je pense comme l'honorable membre sur la situation présentedu
continent; je suis comme lui d'avis que le seul système
à opposer à l'esprit d'agrandissement de la France , est
uneunion parfaite et un concert entre les grandes puissances
de l'Europe , dégagées de tout intérêt personnel , et n'ayant
pour objet que le biengénéral.Je crois que la Russie est la
puissance que nous devrions plus particulièrement nous
concilier. Je le declare avec franchise ; une des circonstances
qui avait fait le plus d'impression sur mon esprit ,
pour conclure le dernier traité de paix , était de voir une
barrière élevée contre l'agrandissement de la France. J'avoue
que , depuis la signature du traité d'Amiens jusqu'à ce
moment , les affronts n'ont pas manqué de la part de la
France , pour engager l'Angleterre etles puissances continentales
a recommencer la guerre , ou du moins , pour
déterminer la Grande-Bretagne à entrer dans un système
de guerre défensive. Je proteste àla chambre que , pendant
le cours des négociations , les ministres de S. M. ont fait
tous leurs efforts pour faire sentir à la cour de Russie la
nécessité de maintenir la paix ; mais ils prévirent que la médiation
proposée par l'empereur , quoique bienveillante , ne
servirait qu'a jeter dans des longueurs que laFrance désirait.
Il n'était pas de l'intérêt de notre pays de rester dans un état
d'incertitude. :
La paix de 1801 , quoique satisfaisante , a pu ne pas
l'être pour la Russie , et je ne doute pas que l'empereur
Alexandre ne soit bien disposé à l'établir sur une base plus
solide , sans qu'il ait pour cela aucun désir d'augmenter sa
puissance. LaRussie , dans quelque occasion future , peut
renouveler son système au sujet de la navigation des neutres.
Je suis même assuré qu'aujourd'hui quelques individns
professent encore cette opinion. Je sais que quelques personnes
enRussie, voudraient qu'on revînt à cette neutralité
armée , rêvée sous undes règnes précédens', et par la vanité
de se trouver à la tête d'une grande confédération (5).
(5) Ainsi te ministère britannique conteste aux puissances du continent
jusqu'au droitde rester neutres.Ainsi les mers qui sont lemoyen
de communication entre tous les états , et qui couvrent les deux tiers du
globe, sont soumises à l'Angleterre et à ses règlemens. Elle ne respecte
rien: les simples négocians,comme les guerriers, sont faits prisonniers
par ses marins. Au moment où telle est savolonté , elle enlève les bâ
PRAIRIAL AN XI. 567
Maisje sais aussi que la grande majorité dans ce pays , est
convaincue que l'intérêt de la Russie, dans cette grande quetion
, est parfaitement d'accord avec celui de la Grande-
Bretagne. C la doit paraître évident à quiconque voudra
examiner la situation da la Russie. Elle n'a aucune marine
marchande , et même elle est presque dans l'impossibilité
den avoir une , puisque tout son commerce se fait par
les navires des autres nations. Il est vraisemblable que la
Grande Bretagne et la Russie prendroient l'engagement réciproque
d'opposer une barrière à l'ambition de la France.
Mais dans un tel espoir , il ne pourroit rien résulter de la
médiation qui ſût avantageux pour nous. S'il y avoit eu
quelque proposition de la Russie d'une manière officielle ,
faite avec précision , et ayant pour objet d'amener une
paix juste , honorable et durable , elle n'auroit pas été rejetée(
6).
Je suis prêt à admettre toutes les mesures qui tendent
au rétablissement de la paix, pourvu qu'elles ne puissent pas
paralyser les efforts de mon pays ; cependant comme la
motion de l'honorable membre pourroit donner à croire
que les ministres de S. M. n'ont pas été sincères dans leurs
déclarations pacifiques; et sur-tout , comme la motion
tend à détruire l'esprit public , et à faire concevoir des espérances
trompeuses , je crois qu'il vaut mieux l'écarter entièrement.
Je proposerai donc la question préalable , toutefois
en rendant justice aux principes généraux avancés par
le très-honorable membre (7) .
timens de commerce , elle dépouille et ruine les familles. Les puissances
barbaresques sont moins barbares; elles se sont engagées par
leurs traités envers les puissances , à ne courir sur les bâtimens du commerce
que trois mois après la guerre déclarée , et elles respectent leurs
engagemens .
(6) C'est-à-direque ce n'est point une médiationque voulait lord
Hawkesbury, mais un projet de coalition que l'empereur Alexandre
aurait envoyé signé en blanc pour une croisade contre la France. L'empereur
deRussie et les autres puissances du continent , savent très-hien
que si une seule d'entr'elles était insuffisante pour arrêter la marche de
Ja France , il n'en serait pas de même si deux étaient réunies. Mais
elles savent également que toutes les marines de l'Europe en masse suffiraient
à peine contre la marine anglaise ; et cependant les mers confinentàtous
les pays ! !
(7) C'est-à dire que lord Hawkesbury persiste dans son système;
qu'il ne veut de la médiation d'aucune puissance ; que le but de sa
politique étroite est de piller pendant six mois tout ce que les sujets
568 MERCURE DE FRANCE,
/
M. Fox donne quelques explications , et l'orateur pose
la question.
M. Pitt : Les observations que j'ai à faire ne seront
pas longues , d'autant plus que je partage parfaitement le
sentiment du très-honorable membre , sur les principes généraux
qu'il a établis touchant les alliances continentales;
j'ai entendu ces principes avec satisfaction , et ma satisfaction
a redoublé en les voyant approuvés par le noble lord
Hawskesbury. Ce sont ces principes qui ont élevé notre
pays au plus haut point de grandeur qu'on n'ait jamais
vu ; ce sont ces principes qui ont contribué en grande
partie aux libertés de l'Europe , et réprimé toute invasion
, de quelque côté que vint le danger. Ce n'est pas
contre la France seulement que ces principes sont dirigés ;
mais on ne peut s'empêcher de surveiller d'un oeil jaloux
cette puissance qui cherche à diminuer , affoiblir ou détruire
la richesse et l'indépendance de la Grande - Bretagne. Ces
principes , auxquels notre pays doit sa grandeur , me sont si
chers , que je ne puis consentir à y renoncer tant que je
pourrai espérer encore , des alliances continentales, quel.
qu'utilité pour nous dans les conjonctures présentes . C'est
cette considération qui m'a engagé à inviter la chambre à
ne pas perdre de vue le secours de l'étranger , et a fini par
me faire perdre la confiance de plusieurs de mes amis , qui
ne pouvoient partager mon opinion. Je me félicite de vor
aujourd'hui l'honorable membre ( M. Fox ) se ranger die
mon avis , et j'espère qu'il résultera quelque bien pour notre
pays , du principe qu'il n'y a point d'inconvénient à ce que
la Grande-Bretagne fasse des sacrifices pour des alliances
continentales (8) .
eu les flottes de S. M. britannique rencontreront sur les mers : ensuite
il fera jouer tous les ressorts de l'intrigue pour parvenir à une nouvelle
paix. Mais que lord Hawkesbury se souvienne bien de ceci ; cette
guerre de six mois ne se termineraitque par la restitution à notre commerce
de toutes les pirateries de l'Angleterre. Ces six mois une fois
écoulés, notre commerce n'aurait plus de pertes à éprouver, la Grande-
Bretagne plus de pillages à exercer; mais cemoment où nous n'aurions
plus rien à perdre , seroit celui où il n'y aurait aucune sorte de risques
etdepertes qu'elle n'eût à redouter .
(8) Quelle importante découverte ! les succès de la Grande-Bretagne
dans les dernières guerres ne furent-ils pas dus aux diversions opérées
par les armées de la coalition ! Certainement les alliances continen.
tales sont utiles à l'Angleterre ; mais il faudrait qu'elle se souvint de ce
principe si solennellement énoncé , non pas au commencement des
guerres ,mais lors des négocietions pour la paix qui les termine ; il
PRAIRIAL AN ΧΙ. 569
1
Ainsi , quelles que soient les dispositions de la cour de Pétersbourg
, en offrant sa médiation, les ministres doivent en
volontaire , dela part du gouvernement . Je me flatte que le
parlement britaunique saura toujours maintenir ses droits ;
mais aussi ne perdons pas de vue le maintien de la prérogative
de la couronne : n'oublions pas que le droit de faire la
paix ou la guerre fait partie de cette prérogative.
M. Fox a retiré sa motion pour une adresse à sa majesté ,
tendante à accepter la médiation de la Russie. Les ministres
restentlibresde se conduire à cet égard comme ils voudront .
3
Dans la séance du parlement d'Angleterre du 3 juin ,
la conduite des ministres a été attaquée dans la chambre
des pairs , par le comte Fitz -William. J'accuse les ministres
, dit-il , et je demande que leur conduite soit censurée
; je ne citerai point tel ou tel acte , je ne relèverai
point telle ou telle faute , je me plains de la conduite
générale des ministres ; ils n'ont pas assez veille aux intérêts
de ce pays , ils ont tenu trop long-temps le parlement
dans l'ignorance. Le comte de Lienmerick parle
en faveur des ministres ; ils ont été patiens , dit-il , autant
qu'il a été nécessaire ; ils ont gardé un silence prudent
lorsqu'il ne leur convenait pas d'ouvrir la bouche; enfin ,
ils se sont indignés et ont donné le signal de la guerre
lorsqu'ils s'y sont vus contraints par l'ambition du premier
consul. Quant à la médiation de la Russie , continuet-
il , qui ne s'aperçoit que la France n'a trouvé moyen
de la faire offrir que pour gagner du temps ? Lord
Danley ne trouve aux ministres qu'un seul tort , c'est de
n'avoir pas résisté au premier consul dès le principe.
Dans la chambre des communes , M. Patten a le premier
pris la parole contre la conduite des ministres ; il
les blâme de ce qu'ils n'ont point informé la chambre
de l'état où se trouvait ce pays depuis le traité définitif
faudrait qu'alors elle rapportât à la masse les conquêtes dues àla combinaison
des efforts communs; qu'elle fit tourner ses succès à l'avantage
de ses alliés moins heureux , et que d'équitables sacrifices fussent consacrés
par une juste compensation àréparer leurs pertes . Mais comment
faire entendre cette politique grande et généreuse à des marchands
! la politique anglaise a ouvert les yeux à l'Europe ,et il est
douteuxquede long-temps l'Angleterre serre les liens d'une alliance
continentale.
570 MERCURE DE FRANCE ,
jusqu'au message de S. M.; de ce qu'ils ont abusé le
public avec des espérances de paix , tandis qu'ils conviennent
qu'ils étaient à-peu-près certains qu'une guerre
nouvelle était inévitable. Le colonel Bastard fait part à
la chambre que plusieurs membres regrettent que des
personnes , douées des plus grands talens , ne fassent plus
partie de l'administration ; l'un d'eux particulièrement ,
dit le colonel , devait y rentrer ; mais il n'y est point
rentré en effet , parce qu'il a voulu se faire accompagner
par tous ses anciens amis. ( Un grand cri à l'ordre , à
l'ordre ! ) Je me trouve , continue l'honorable membre ,
entre deux partis opposés : l'un accuse les ministres d'être
trop audacieux , l'autre les accuse d'être trop timides
d'où je conclus que leur conduite est très-louable. Plusieurs
autres membres parlent encore les uns pour , les
autres contre les ministres ; le chancelier de l'échiquier
supplie la chambre de manifester clairement son opinion.
Lesministres continueront , dit-il , à remplir leur devoir,
et ils le rempliront avec zèle , si la chambre juge qu'ils
ne sont point à blamer. Il ne s'agit que de prononcer
oui ou non . Quant à lui , s'il est approuvé par la chambre
, il continuera à servir son souverain et son pays
avec loyauté , fidélité et constance ; s'il est blâmé par elle ,
il est prêt à se soumettre à sa décision et à se retirer.
M. Pitt dit que son devoir l'oblige de s'expliquer : qu'il
ne saurait pourtant le faire sans ressentir une peine extrême
, sur-tout d'après ce que vient de déclarer solennellement
le très-honorable gentleman (le chancelier de
l'échiquier ) . S'il était prêt à donner son opinion entière ,
il l'a donnerait , sans doute , conformément aux inspirations
de sa conscience ; s'il était persuadé , comme l'honorable
M. Grenville , et plusieurs autres membres qui ont
soutenu la motion , que le premier et le plus important
pas à faire pour le salut public , était de jeter un regard
en arrière sur la conduite des ministres ; s'il pensait qu'un
tel regard prouvât leur inhabileté complète , leur mauvaise
conduite et même leur conduite criminelle , il se
joindrait à ceux qui demandent une adresse de la chambre
pour obtenir leur renvoi : il le ferait avec une extrême répugnance
, et malgré ses affections personnelles. Mais il
n'est pas de ce sentiment. Il croit que la conduite des ministres
mérite quelques reproches , et que sur certains
points , elle est inexcusable. Il croit en même temps qu'il
ne faut recourir qu'à la dernière extrémité à ce moyen
,
PRAIRIAL AN XL 571
violent d'une adresse à S. M. , pour obtenir le renvoi des
ministres. Il ne faut donc pas prononcer sur la motion , il
faut la mettre de côté. Il importe de donner à S. M. des
preuves réelles de zèle , il ne faut pas perdre une
heure pour repousser le danger. Un bill de subside est ce
quidoit fixer l'attention de la chambre. En conséquence ,
il demande que l'on passe à l'ordre du jour.
Lord Hawkesbury dit qu'il n'a jamais eu le coeur aussi
serré qu'en ce moment ; je ne saurais , dit-il , accepter l'espèce
de transaction que nous offre monhonorable ami. IL
est nécessaire de statuer sur la motion. Je supplie la chambre
de prononcer.
Divers autresmembresprennent laparole pour et contre.
On va aux voix , d'abord sur la motion de M. Pitt. Pour
l'ordre du jour 56 voix ; contre 333. Sur la motion première
, pour , 34 voix; contre , 275 .
M. Tierney n'entre pas seul dans l'administration , lord
Moira, M. Grey et M. Sheridan, vont incessammenty occuper
des places. M. Fox les suivra sans doute bientôt.
Onassure qu'il est question de faire M. Sheridan , ministre
de la guerre.
( Journal Officiel. )
PARIS.
EdouardMortier, lieutenant-général, commandant en chef, au
ministre de la guerre. -Au quartier-général à Niewboug ,
le 15prairial an 11 .
CITOYEN MINISTRE ,
J'ai eu l'honneur de vous rendre compte, par ma lettredu 8prairial,
de la marche de l'armée française sur le pays d'Hanovre . Après des
marches excessivement fatigantes au travers des sables arides et des
bruyères marécageuses , j'ai pris position le 11 en avant de Wechte.
Je m'étais assuré que l'ennemi gardait la ligne de la Hunte. Le général
Hammerstein, commandant l'avant-garde de l'armée du roi d'Angleterre,
occupaitDiepholz avec les 2. et6. régimensd'infanterie, deux
régimens de cavalerie et une division d'artillerie. Je fis mes dispositions
pour l'en débusquer le lendemain matin. La 2ª division commandéepar
le général Schiner , celle de cavalerie aux ordres du général
Nansouty , reçurent l'ordre de se porter sur Goldenstadt , de forcer le
passage de la Hunte , et de se diriger sur Suhlingen pour couper tout
cequi pourrait se trouver entre cet endroit et Diepholz que la division
du général Montrichard avait ordre d'attaquer de vive force. L'ennemi
voyant que par ce mouvement il était tourné par sa droite , se
retira pendant la nuit sur Borsten.
Le 12 , l'avant-garde commandée par le général Drouet eut une es-
1
572 MERCURE DE FRANCE ,
carmouche très-vive , enavant de Bauver, avec l'arrière-garde ennemic.
Le 13 , le corps d'armée se réunit en avant de Suhlingen ; l'avantgarde
se porta à Borsten ; elle y rencontra l'ennemi , et malgré la supériorité
du nombre , et l'extrême fatigue de la troupe qui avait fait
de jour-là douze lieues , le général Drouet donna l'ordre d'attaquer .
L'ennemi fit une vive canonnade. Quelques escadrons du 2. régiment
de hussards chargèrent avec valeur les dragons légers du 9. régiment .
Us rompirent la ligne de ce corps qu'ils mirent en déroute , et firent
plusieurs prisonniers.
J'étais instruit par mes espions que la tête du pont de Niewbourg
était réparée , et que l'ennemi avait réuni toute son artillerie sur la rive
droite on Weser. Je sentis combien il était important de précipiter
mon mouvement . Je fis marcher ma réserve d'artillerie , et je ſis toutes -
mes dispositions pour pousser et culbuter dans le Weser tout ce qui
était devant moi, forcer la tête du pont de Niewbourg , ou passer au
bac de Stolzrau , et intercepter par - là la communication avec la
capitale.
Les troupes étaient en marche lorsque les députés civils et militaires
de la régence d'Hanovre se présentèrent à mes avant-póstes ; ils miuvifèrent
à suspendre ma marche et m'annoncèrent qu'ils étaient prêts à
faire des propositions avantageuses .
Ma réponse fut négative ; ils revinrent me faire de nouvelles propositions;
je leur fis connaitre que je n'en entendrais aucune , à moins
que je n'eusse la certitude d'occuper de suite le pays d'Hanovre , et spécialement
toutes les places fortes qui en dépendent. Après une discussion
assez longue , ils signèrent un convention que j'acceptai sous la
condition qu'elle serait ratiiée par les gouvernemens respectifs . Vous
y verrez que l'arinée du roi d'Angleterre est prisonnière de guerre ;
queje suis maître de tout le pays , et particulièrement des embouchures
de l'Elbe et du Wese r .
Je donne les ordres pour qu'on s'empare de tous les bâtimens qui
sont sur ces fleuves. Le due de Cambridge , fils du roi d'Angleterre et
gouverneur du Hanovre , a jugé à propos de donner sa démis- ion avant
la bataille et de faire sa retraite en poste. Il avait cependant promis de
mourir avec la levée en masse ; il est probable qu'il se sera embarqué
avant que nous arrivions à l'embouchure de l'Elbe.
Nous avons trouvé à Niewbourg 14 mille fusils neufs et beaucoup
d'artillerie. D'après les comptes qui me sont rendus , je présume que
je trouverai dans les magasins et dans les places d'Hanovre environ cent
mille fusils et plus de mille bouches à feu .
Je serai après demain dans la ville d'Hanovre, capitale continentale
du roi d'Angleterre. J'ai trouvé une quantité considérable de chevaux
pour remonter la cavalerie et les équipages d'artillerie.
J'ai beaucoup à me louer des soins et du zéle du général Dułauloy.
J'ai l'honneur de vous saluer .
EDOUARD MORTIER
Convention passée entre messieurs les deputés civils et militaires
de la régence d'Hanovre et le lieutenant-général Mortier ,
commandant en chefl'armée francaise.
Art. Ier . Le Hanovre sera occupé par l'armée française , ainsi que
les forts qui en dépendent.
II . Les troupes hanovriennes se retireront derrière l'Elbe; elles s'engageront
sur parole d'honneur à ne commettre aucune hostilité , et à
ne porter les armes contre l'armée française et ses alliés , aussi longPRAIRIAL
AN XI 573
=
temps que durera la guerre entre la France et l'Angleterre . Elles ne
seront relevées de ce serment qu'après avoir été échangées contre au
tant d'officiers-généraux , officiers , sous-officiers , soldats ou matelots
français que pourrait avoir à sa disposition l'Angleterre .
III . Aucun individu des troupes hanovriennes ne pourra quitter
l'emplacement qui lui est désigné , sans que le général-commandant
en chef en soit prévenu .
IV. L'arinée hanovrienne se retira avec les honneurs de la guerre ;
les régimens emmeneront avec eux leurs pièce de campagne.
V. L'artillerie , les poudres , les armes et munitions de toute es
pèce seront mises à la disposition de l'armée française.
VI. Tous les effets quelconques appartenans au roi d'Angleterre ,
seront mis à la disposition de l'armée française..
VII. Le séquestre sera mis sur toutes les caisses; celle de l'université
conservera se destination .
VIII. Tout militaire anglais ou agent quelconque à la solde de
l'Angleterre , sera arrêté par les ordres du général- commandant en
chef, et envoyé en France. i
IX. Le général - commandant en chefse réserve de faire dans le
gouvernementet les autorités constituées par l'électeur , tel changement
qu'il jugera convenable.
X. Toute la cavalerie française sera remontée aux frais de l'Hanovre
; l'électorat pourvoira également à la solde , à l'habillement et à
lanouriture de l'armée française .
XI. Le culte des différentes religions sera maintenu sur le pied ac
tuellement établi .
XII. Toutes les personnes , toutes les propriétés et les familles des
officiers honovriens seront sous la sauve-garde de la loyauté française .
XIII. Tous les revenus du pays , tant des domaines électoraux que
des contributions publiques , seront à la disposition du gouvernement
français. Les engagemens pris jusqu'ici , seront respectés .
XIV. Le gouvernement actnel de l'électorat s'abstiendra de toute
espèce d'autorité dans tout le pays occupé par les troupes françaises .
XV. Le général commandant en chefprélevera sur l'élect rat deHanovre,
telle contribution qu'il croira nécessaire aux besoins de l'armée .
XVI . Tout article sur lequel il pourrait s'élever des doutes , sera in
terprété favorablement aux habitans de l'électorat .
XVII. Les articles précédens ne porteront pas préjudice aux stipulations
qui pourraient être arrêtées en faveur de l'électorat , entre le
PREMIER CONSUL et quelques puissance médiatrice.
:
Auquartier-général de Suhlingen, le 14prairialan 11.(3juin 1803) .
Saufl'approbationdu PREMIER CONSUL.
14
Le lieutenant-général commandant en chef.11
ED. MORTIER .
F. DE BREMER ,juge de la courélectorale de justice et conseillerprovincial.
G. DE BOCH , lieutenant- colonel commandant le régiment des
gardes-du-corps électoral.
:
S. M.le rai de Toscane est mort des suites de la maladiedont
il étoit tourmenté depuis plusieurs années. La reine
a été déclarée régente. (Journal officiell )
574 MERCURE DE FRANCE ,
La lettre circulaire ci-après a été écrite , par le premier
consul , aux cardinaux , archevêques et évêques de France.
<<Monsieur , les motifs de la présente guerre sont connus
de toute l'Europe. La mauvaise foi du roi d'Angleterre ,
qui a violé la sainteté des traités en refusant de restituer
Malte à l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem , qui a fait
attaquer nos bâtimens de commerce sans déclaration préalable
de guerre, la nécessité d'une juste défense , tout nous
oblige de recourir aux armes. Je vous fais donc cette
lettre pour vous dire que je souhaite que vous ordonniez
des prières pour attirer la bénédiction du ciel sur nos
entreprises. Les marques que j'ai reçues de votre zèle
pour le service de l'état , m'assurent que vous vous conformerez
avec plaisir à mes intentions. >>>
Ecrit à Saint-Cloud , le 18 prairial an 11 .
Signé , BONAPARTE.
Avis aux Abonnés au Bulletin de Paris.
M. de Montlosier a l'honneur de prévenir les
abonnés au Bulletin de Paris , qu'en raison de
circonstances aussi imprévues pour lui qu'impérieuses
, il a dù prendre des arrangemens pour
transporter au Mercure de France une partie du
travail qu'il fournissait au Bulletin de Paris. En
conséquence , les abonnés à ce dernier journal
recevront désormais le Mercure de France , pour
satisfaire à leur abonnement. Ceux d'entr'eux à
qui cet arrangement pourrait ne pas cconvenir,
peuvent se présenter chez M. Demonville , à son
imprimerie , rue Christine , nº. 12; ils seront remboursés
, sur leur quittance , de tout ce qui pourra
leur être dû.
Acompter de Samedi prochain , M. de Montlosier
est chargé, dans le Mercure de France , de
la partie politique : les articles qu'il pourrait fournir
dans les parties de science et de littérature
seront signés de lui.
,
1
(No. CIII .) 29 PRAIRIAL an II .
( Samedi 18 Juin 1803. )
MERCURE
DE FRANCE.
LITTÉRATURE.
:
POÉSIE.
FRAGMENT
Du 13. Chant d'une Traduction de l'ORLANDO FURIOSO.
Isabelle captive dans une cavernee, raconte ses aventures
à Roland.
J A I dix-sept ans , monnom est Isabelle ;
J'étais enfant du roi de Compostelle :
J'ai dit j'étais , car depuis mon malheur ,
Je ne suis plus qu'enfant de la douleur.
L'amour fit tout : quand ce dieu nous caresse ,
C'est pour cacher les panneaux qu'il nous dresse .
Ah! que ses noeuds sont doux en commençant !
REP.FRA
5.1
22
Qu'ils sont cruels , seigneur , en finissant !
Las! de mon sort je vivais satisfaite ,
Belle , dit-on , puissante , riche , honnête ;
Pauvre aujourd'hui , sans amis , sans états ,
Le chagrin seul ne m'abandonne pas.
12 00
576 MERCURE DE FRANCE ,
1
De ce chagrin vous saurez l'origine ,
Et d'où naquit la douleur qui me mine :
Je n'attends plus d'appui dans mes malheurs ;
Mais c'est beaucoup que d'obtenir des pleurs.
Un an en çà , dans les murs de Bayonne ,
En mon honneur il se fit un tournois ..
Maint chevalier y brigua la couronne :
Zerbin y fut ; je le vis une fois .
Enfant d'Ecosse , héritier de ce trône ;
Soit qu'il brillât par sa seule personne ,
Soit que pour lui quelqu'amour me prévînt ,
Je ne pus voir ni louer que Zerbin.
Mais quand il m'eut , par sa rare vaillance ,
Fait palpiter de plaisir et d'effroi
L'amour alors me trouva sans défense ;
Mon coeur parla , mon devoir fit silence :
Je fus à lui ; je n'étais plus à moi.
,
Je m'applaudis encor lorsque j'y pense ;
Et quoiqu'amour ait troublé mon destin ,
Je lui pardonne , il m'a donné Zerbin.
Zerbin était si beau , si magnanime !
Il surpassait si bien tous ses rivaux !
Il me montrait un feu si légitime !
Ils sont si doux les soupirs d'un héros !
Nos yeux parlaient pour nos bouches muettes :
Ce qu'ils taisaient nos mains se l'écrivaient ;
Et lui parti , tous deux sans interprètes ,
Bien qu'éloignés , nos coeurs se retrouvaient ;
Car il partit. La fête terminée ,
On vit en mer son escadre ramer .
Or , si savez ce que c'est que d'aimer ,
Savez aussi que restai chagrinée ,
Toujours pensant et ne pensant qu'à lui ;
Et mon Zerbin suivant sa destinée ,
PRAIRIAL AN XI. 577
Pensant à moi , sentait le même ennui :
L'amour enfin lui prêta son appui.
Zerbin n'aurait , né dans la foi chrétienne,
Pu m'obtenir d'un père musulman ;
Mais à l'amour qu'importe l'Alcoran !
Moi , je n'avais d'autre foi que la sienné
Et je quittai mon Dieu pour mon amantan
Près de la ville ,aux bords de l'Océano
Un mien palais dominait à la ronde ,
Les monts voisins et les plaines de l'ondes
Pour notre fuite il était bien placé.
Mais mon héros , d'un saint devoir préssé ,
Près du roi Charlé assiégé dans Lutèce , A
D'un père âgé remplaçant la vieillesse ,
Auprès de moi fut aussi remplacé
Par Odoric , ami de sa jeunesse ,
1
A
romif
1
Vaillant , expert , et qu'il se crut acquis , me ol
Si les bienfaits acquéraient des amis..
1.
1
29110 200 1
Le jour venu , ce jour si plein d'alarmes ,
Et que pourtant je trouvais plein de charmes ,
Je descendis le soir dans mon jardin ,
L'oreille au guet ; et mon fier paladin
Aux flots voisins confiant sa galère ,
Suivi des siens , marchant avec mystère ,
A la faveur des ombres de la nuit
Franchit les murs , et s'approcha sans bruit.
A son aspect , mon escorte débile ,
Vieux courtisans , sages dames d'honneur ,
Fit éclater un courage inutile ,
٤٠٠٠٠
Et se battit , mais sans être vainqueur ,
Puisque j'étais du parti du voleur.
Ainsi , seigneur , je quittai ma patric:
;
٠١٤
:
7
002
578 MERCURE DE FRANCE ,
Beaux lieux ! témoins du bonheur de ma vie ,
Je vous quittais pour chercher le bonheur.
On rame , on part , le bord fuit , la nefvole.
De l'Océan nous sillonnions le dos ,
Quand le Mistral , l'aîné des fils d'Eole ,
Vint de Neptune attaquer le repos.
Il gronde , il siffle , il croît : notre équipage
Pompait en vain , en vain poussait des cris ,
Coupait ses mâts ; et déjà de l'Aunis
Les rocs voisins nous montraient le naufrage.
Mon conducteur ,qui connaît le danger ,
Du haut du pont jette un canot léger ,
M'y fait descendre , y descend à ma suite ,
Et rame aidé de deux guerriers d'élite ;
Dieu nous sauva ; tous le reste périt.
Les mains au ciel , attendrie , éperdue ,
Je bénissais ce ciel qui me punit :
Pour mon Zerbin il m'avait défendue.
Tous mes trésors laissés au bâtiment ,
Avec nos gens descendirent dans l'onde ,
Et plus n'avais aucun bien dans le monde ,
Fors que le bien de revoir mon amant.
Des pas humains cette plage ignorée
N'offrait au loin qu'un roc silencieux ,
Qui présentait , sauvage et nébuleux ,
Ses pieds aux flots et son front à Borée.
Là, je connus cet enfant déloyal ,
Qui , quand il veut , fait d'une égale adresse.
Rire le deuil et pleurer l'allégresse :
Il a changé mon espoir en tristesse ,
Ma joie en pleurs , et tous mes biens enmal;
Dans son ami , Zerbin eut un rival , etc.
PRAIRIAL AN XI. 579
ENIGME.
Je suis affectueux , sincère ,
Cher aux amis , cher aux amours ,
Heureux , si tel on me voyait toujours !
Mais quelquefois aussi je suis vain , dur , colère ,
Impérieux , méprisant et brutal.
Mon frère , ou plutôt mon rival ,
Est d'un tout autre caractère :
Il est froid , réservé , civil et complaisant ;
C'est un flatteur insinuant :
Aussi , près d'un monarque il est seul enusage.
Je suis plus élevé , plus sublime pourtant :
Aussi ,quand un auteur , dans un pompeux ouvrage ,
Apostrophe le Tout-Puissant ,
Un prince , un grand héros , un grand poète , un sage ,
Mon frère , au prix de moi , serait froid et rampant.
Dans un instant d'emportement ,
On le quitte pour moi , même assez brusquement.
Mais , lorsque l'on commence à calmer sa furie ,
Ou qu'on veut concentrer tout son ressentiment ,
On me quitte pour lui , mais pas si promptement.
Pendant le temps de crime et d'anarchie ,
Je m'étais perverti , gâté ;
Et mon rival , par- tout persécuté ,
S'est presque vu contraint de quitter la partie :
Enfin , de nous trouver êtes-vous curieux ?
Eh bien ! voici ce qu'il faut faire :
Feuilletez à loisir les tomes de Voltaire ;
Il nous a célébré tous deux.
Par un Abonné.
003
580 MERCURE DE FRANCE ;
(
LOGOGRYPΗ Ε .
Le plaisant animal ! comment se peut-il faire
Qu'en lui coupant la queue , il devienne sa mère ,
Et qu'entier il ait moins de piés
Qu'une seule de ses moitiés ?
Entier , nous le mangeons ; mais , o prodige étrange !
Réduit à sa moitié , ce coquin-là nous mange !
Par M. BUSSIÈRES , jeune .
CHARADE.
HABITANT des forêts , qu'anime sa présence ,
Fier , orgueilleux , léger comme le vent ,
Triste jouet de la puissance ,
Mon premier quelquefois sert aux plaisirs des grands ,
Et rarement échappe à leur perfide adresse.
Mon dernier , qu'on dirige avec dextérité ,
Va de l'amant à la maîtresse ,
Et bien souvent , dans sa légèreté ,
Est un tableau de l'infidélité ,
Qui cependant amuse la jeunesse .
Mais mon tout , plus audacieux ,
Plus vif en sa course légère ,
S'en va presque toucher les cieux ,
Sans se séparer de la terre.
Par M. LE Roux .
Mots de l'Enigme , du Logogriphe et de la
Charade insérés dans le dernier Numéro.
Le mot de l'Enigme est la Terra.
:
Celui du Logogryphe est ressort , où l'on trouve essor,
trésor , or , tort , sort et sot.
Le mot de la Charade est Gui- tare.
PRAIRIAL AN XI. 581
FRAGMENT D'UN OUVRAGE SUR LE BONHEUR .
J
Etre avec un autre , second élément
du Bonheur.
,
,
E suppose le lecteur dans les plus belles contrées
de la terre , soit sur les bords d'un beau fleuve
soit au milieu de ces forêts éternellement vertes
dont les arbres enchaînés l'un à l'autre par des
cordons de liane , offrent aux regards tout ce qui
se peut concevoir de plus magnifique . Je suppose
auprès de lui les parfums de l'Orient , les fleurs
les plus suaves , les mets les plus exquis , les fruits
les plus succulens : se trouvera-t-il heureux dans
cette situation ?
Faire sa volonté est certainement pour l'homme
son premier attrait ; il exerce par ce moyen toutes
ses facultés , il développe tous ses talens , il semble
jouir de toute son existence ; mais bientôt il s'aperçoit
qu'il lui faut quelque chose de plus. Va
soli , disent les écritures . Etre seul est un malheur
dont l'imagination ne peut supporter l'idée. Ce
n'est qu'aux portes de l'enfer qu'on a pu écrire ,
lasciate ogni speranza. L'homme qu'on enferme
dans un cachot , y entre avec ses espérances , il y
vit avec ses souvenirs : isolez -le entièrement , il
mourra ; les ténèbres sont effrayantes , parce
qu'elles nous isolent : l'homme viril a peine à les
supporter , l'enfant plus foible en est accablé.
Les animaux craignent , ainsi que l'homme ,
cet état d'isolement; le cheval hennit dès qu'on les
sépare du compagnon qu'on lui a donné; le chien
qui a perdu son maître, gémit comme l'agneau
qui a perdu sa mère ; le lion gémit de même et
004
582 MERCURE DE FRANCE ,
succombe s'il vient à perdre l'ami qu'il s'était fait
dans sa captivité.
De grands philosophes n'ont vu que des préjugés
dans tous ces effets ; les liens du sang , ceux
de l'amour et de l'amitié n'ont été regardés par
eux que comme les illusions des âmes tendres .
Ah ! ces liens ont leurs attaches aux principes
mêmes de la vie. Dans les temps ordinaires , l'oiseau
surpris par l'oiseleur peut s'accoutumer à
la captivité ; il meurt si c'est dans la saison des
amours . Considérez cette mère éplorée au moment
où elle vient de perdre son fils ; observez ,
si vous le pouvez , le déchirement que cause dans
ses entrailles cette rouvelle et terrible séparation .
On n'a pas mieux raisonné sur le sentiment
qui porte le noir , acheté en Afrique , à se donner
la mort ; on l'a attribué à l'horreur de la servitude
: qui ne sait que la servitude est un état familier
à ces hommes ! L'incertitude de sa destinée ,
sa séparation de tout ce qui lui était cher , voilà
ce qui porte le nègre au désespoir et au suicide ;
Ja première douleur vient -elle à s'émousser , la vie
rentre dans son coeur avec l'espérance ; établi ensuite
dans sa case avec une femme et des enfans ,
il s'accommode à sa condition , et il est heureux .
Qui de nous n'a pu observer de ces villageois
qu'une certaine bienfaisance a cru combler de
bonheur en les faisant entrer au service d'une
maison opulente ! Au milieu de cette magnificence
inaccoutumée , souvent l'ennui les gagne , un dégoût
invincible les saisit ; loin d'un père , d'une
mère , d'une soeur qu'ils chérissaient , leur condition
leur paraît insupportable , ils redemandent
la misère qu'on leur a fait abandonner ; et bientôt
on les voit déposer leurs riches vêtemens , pour
aller recommencer , avec des haillons , la carrière
de leurs travaux et de leurs peines. Que de préPRAIRIAL
ANXI. 583
1
1
1
cautions n'a-t-il pas fallu prendre autrefois pour
écarter des Suisses expatriés les accens de ce chant
rustique auquel ils avaient été accoutumés dès leur
enfance , et qui leur rappelaient leurs parens ,
leurs foyers , leurs montagnes ! On sait de quel
transport fut saisi un jeune Otaïtien lorsqu'il
aperçut au Jardin du Roi un arbre de son pays.
Les législateurs me paraissent bien plus savans
à cet égard que les philosophes ; la force du sentiment
que je décris ne leur a point échappé ,
on voit qu'elle a été calculée dans toutes les institutions
. L'excommunication chez les premiers
Chrétiens a été une peine décernée par la religion ;
chez les Germains , la même peine a été décernée
par l'honneur ; chez tous les peuples , l'exil et
l'emprisonnement sont des excommunications prononcées
par la loi . Il en est de même de l'homme
en état de démence , il ne souffre pas; l'effroi que
cause sa situation ne provient que de l'espèce d'excommunication
qui en est la suite. En effet ,
l'homme en démence n'entend plus ses semblables
, il ne peut recevoir leurs affections et les
rendre ; il n'a ni mémoire , ni espérance , il ne
connoît ni passé , ni avenir.
Cette simple observation manifeste une grande
vérité : c'est qu'il ne suifit pas d'être parmi les
hommes pour être avec eux : on peut être seul
auprès d'une personne , de deux , de trois , de
mille. Transporté au milieu des rues de Pékin ou
d'Ispahan , un Européen pourra y considérer tant
qu'il voudra cette foule d'individus , de moeurs , de
conditions et de costumes différens ; il se trouvera
presque aussi isolé que s'il étoit tombé au fond
de la mer , et qu'il eût reçu la faculté d'y apercevoir
les êtres nombreux qui en parcourent les
espaces.
D'un côté , cet état d'isolement où se trouve
584 MERCURE DE FRANCE ,
tout individu hors de son pays , cause une douleur
qui mène souvent à la mort , sous le nom de
mal dupays ; de l'autre , il donne lieu à un sentiment
particulier de pitié , connu sous le nom
d'hospitalité. Cette vertu , négligée parmi les nations
civilisées , est sacrée pour tous les peuples
qui appartiennent aux premiers temps de la nature.
Un homme séparé de sa femme , de ses
enfans, de son pays , présente l'idée d'une si grande
infortune , que tout le monde est ému de compassion
à sa vue ; le Sauvage qui boit dans le crâne
de son ennemi , et qui a mangé sa chair , est touché
du malheur d'un étranger; il le recevra chez
lui avec transport.
Le même effet peut s'observer dans ce qu'on
appelle communément société. Vous êtes avec
votre ami ; vous lui parlez de choses qui vous intéressent
: un homme avec qui vous êtes moins lié
survient , puis un second, puis un troisième. La
conversation languit en proportion que la confiance
se retire ; et vous êtes d'autant plus seul ,
qu'il est venu plus de personnes s'interposer entre
vous et votre ami. Combien de fois on se trouve
ainsi isolé au milieu de ces êtres indifférens , qui
s'entassent chaque jour les uns auprès des autres ,
et qui s'appellent pompeusement le monde ! Ah !
si , dans cette foule étrangère , il se présente par
hasard un ami qui vous protège de sa parole , qui
vous appuie de son affection , ne vous semblera-t-il
pas que vous avez reçu une sorte d'hospitalité ?
Etre avec un autre est donc aussi un élément
essentiel du bonheur. Il faut que l'homme s'unisse
à ses semblables , pour sa nourriture et pour sa
défense. Il lui faut des associés pour ses plaisirs. Il
lui en faut pour se construire des remparts commodes
contre l'inclémence des saisons. Il lui faut
encore une compagne qui entre dans son coeur ,
PRAIRIAL AN XI 585
et qui se mêle en quelque sorte à son sang et à
sa vie. Les expéditions de la chasse et les expéditions
de la guerre, la culture des champs et celle
des jardins , la construction des maisons et celle
des vêtemens , les intérêts de la propriété , ceux
de la famille , les délices de l'amitié , les voluptés
de l'amour , tout entraîne l'homme à l'union et à la
société. De cette source se produisent , sous plusieurs
rapports , les mouvemens de son coeur , ceux
de son esprit , ceux de ses organes. Son esprit peut
s'élever très-haut ; mais il a besoin de l'esprit des
autres. Son coeur est susceptible de grands mouvemens
; mais son enthousiasme veut se nourrir de
tous les autres enthousiasmes. Ses organes sont
susceptibles des chefs-d'oeuvres de l'art ; mais ils ne
peuvent vaincre, que par le nombre et le concert ,
fes obstacles immenses que leur opposent les objets
matériels .
Différentes manières d'être avec un autre.
J'ai dit , dans le chapitre précédent , qu'on peut
être seul au milieu du monde. Etre auprès n'est
pas la même chose qu'être avec. La présence et la
co existence ont ainsi des caractères différens . Ce
qui fait qu'il ya dans la nature desjuxta positions
de corps brutes sans adhérence , fait qu'il y a dans
le monde des rassemblemens d'hoinmes sansunion.
L'union elle-même est susceptible de beaucoup
de variétés . L'Evangile dit qu'une femme quittera
son père et sa mère , pour suivre son époux. C'est
que la co-existence de mari et de femme est plus
forte que celle de mère et de fille. Un mari et sa
femme , un père et sa fille , un frère et sa soeur ,
un parent , un serviteur , un associé , nous représentent
, dans les attachemens humains , une échelle
qui semble correspondre à celle des affinités chi
586 MERCURE DE FRANCE ,
miques. Ces nuances semblent , d'un autre côté,
parallèles à celles de la pudeur. Une femme en a
moins avec son mari : elle en a davantage avec son
père ou son frère. Dans certains pays elle embrasse
son parent ; dans d'autres , un étranger ne peut ,
sans l'offenser , ni la regarder , ni lui toucher la
main.
L'orgueil n'est pas moins délicat sur ce point
que la pudeur. Toucher la main à un autre homme ,
suppose une sorte de familiarité. L'orgueil ne s'offense
pas seulement du contact, il redoute la présence.
Tout le monde sait que l'élévation de la
naissance, ainsi que celle du pouvoir, aiment à tenir
à une certaine distance le commun des hommes.
Dans les premiers temps de Rome , un patricien
ne pouvait épouser une plébéïenne. Le même usage
fut long-temps admis chez les Visigoths . Dans les
moeurs des Européens , il est convenu qu'unhomme
d'un rang élevé ne mange , ni s'allie , ni s'établit
en familiarité avec des individus d'un rang subalterne.
Dans l'Orient , les précautions en ce genre
sont poussées à l'extrême. Le regard d'une femme
ne doit point rencontrer le regard d'un homme.
Quedis-je ! un brame et un naïre allant à la pagode,
se croiraient souillés par la rencontre d'un homme
d'une caste inférieure.
C'est ainsi que se trouvent dans la différence
des rangs, des dispositions qui semblent propres
à la différence des affections. Les êtres qui se
haïssent , s'efforcent autant qu'ils peuvent de n'être
pas les uns auprès des autres. Le contact seul de
notre ennemi , ou de quelque chose de lui , nous
est odieux. Les amis cherchent , au contraire , le
plus qu'ils peuvent à se rapprocher. Il y a du bonheur
à être près de son ami , ou à posséder quelque
chose de lui . La présence a ainsi un effet qui tend
à former ou à cimenter l'union. L'absence, au conPRAIRIAL
AN XI. 587
1
1
1
1
1
1
1
traire , amène peu -à-peu l'oubli et la séparation
totale. Tel est l'empire de l'habitude. L'instinct du
coeur ne se trompe pas à cet égard. Est- on absent
de ce qu'on aime ? on repousse la présence de tout
ce qui est indifférent. Dans l'éloignement d'un être
chéri, ce n'est pas la société qui vous console , c'est
la solitude. Le deuil est le premier bien de la douleur.
Oh ! combien ils vous font de mal, ceux dont
l'imprudente amitié s'efforce de vous arracher prématurément
à votre tristesse !
L'isolement que j'ai décrit dans le chapitre précédent
, comme le comble de l'infortune , peut
donc, en certains cas , devenir un moyen de bonheur
; mais alors c'est en nous faisant exister davantage
avec ce que nous chérissons. D'un côté , on
peut être seul au milieu du monde ; de l'autre , on
peut être en société dans une profonde solitude.
Nous ne sommes pas seuls au moment où nos pensées
nous rappellent les personnes que nous aimons.
Si nos voeux s'attachent fortement à leurs destinées
; s'ils les accompagnent dans leurs actions ,
dans leurs désirs , dans leurs projets , nous sommes
réellement avec elles. Tel est l'homme qu'on dit
amoureux à la folie. Il ne fait cette impression sur
ceux qui l'observent , que parce qu'il aime à s'isoler.
Il a peur de n'être pas assez avec sa maîtresse ,
si quelqu'autre chose l'occupe , ou veut être avec
lui.
Toutes nos passions, à mesure qu'elles prennent
un grand caractère, ont pour premier effet de nous
isoler . L'anachorète recherche , comme l'amant ,
les lieux solitaires et le silence de la nuit. L'écriture
dit : Je le conduirai dans la solitude , et là
jeparleraià son coeur(1 ). On ne sait aujourd'hui
(1) Ducam eum in solitudinem ethic loquarad cor ejus.
1
588 MERCURE DE FRANCE ,
ce que veulent dire ces expressions : Dieu soit AVEC
vous.... Je suis AVEC vous tous lesjours jusqu'à la
consommation des siècles. ÊTRE AVEC DIEU , semble
n'avoir plus aucun sens, même pour nos dévots.
Il faut être familiarisé avec l'antiquité ascétique
pour avoir une idée de cet état d'extase : félicité
pure et céleste , pour laquelle les brachmanes de
l'Inde , les mages de Perse , les gymnosophistes
d'Ethiopie, les thérapeutes d'Alexandrie , les pythagoriciens
, certaines branches de stoïciens et de platoniciens
, les religieux du Mont - Carmel et du
Mont- Cassin , ceux de Citeaux et de la Thébaïde ,
firent autrefois de si grands et de si douloureux
sacrifices.
Les autres passions ont le même caractère. L'am
bitieux veut être sans cesse avec l'objet de son
ambition ; l'homme haineux avec celui de sa colère.
L'exemple connu d'Archimède , prouve que
le philosophe lui- même peut vivre avec l'objet de
ses méditations , de manière à se trouver étranger
au reste du monde.
Si ces observations sont justes , il s'ensuit qu'on
est avec un autre plus ou moins , suivant le degré
d'attrait qui meut , l'espèce de lien qui attache , ou
le caractère même des communications. L'homme
léger veut être peu avec beaucoup de monde.
L'homme sensible veut être beaucoup avec peu
de personnes. La co-existence peut être entière ,
comme entre deux amis , lorsque tous leurs sentimens
sont confondus : ce qui est rare ; elle est plus
complète entre deux époux dont le sang et la vie
même sont unis. Elle ne l'est pas moins entre un
enfant et les auteurs de ses jours. Ce n'est pas seulement
lorsqu'un enfant est dans le sein de samère,
qu'il participe à sa vie ; produit hors de son sein ,
il ne cesse d'être avec elle; elle ne cesse d'être avec
lui. La co-existence peut devenir telle , qu'elle
PRAIRIAL AN XI. 589
!
triomphe de l'éloignement et de l'absence. Le miracle
des sympathies franchit quelquefois des distances
considérables. L'union vive des sens , l'union
plus calme des parens et de leurs enfans , celle des
frères , et sur-tout des frères gémeaux , en offrent
des exemples.
Les co-existneces de religion, de gouvernement
et de patrie; les co-existences d'opinion et de sectes
, de moeurs et de lumières , de plaisir et de
goût , d'intérêt et d'affaires ; tout ce qui peut unir
Ies coeurs par quelque côté de craintes ou d'espérance
, compose autant de différentes manières
d'être ensemble. Quand ces co-existences sont
d'accord entr'elles , nous sommes en paix avec
nous-mêmes et avec nos semblables . Viennentelles
à être en opposition ? notre vie se trouve
dans un état de crise.
Le choix d'Albe et de Rome otent toute douceur
Aux noms jadis si doux de beau-frère et de scoeur .
..
Albe vous a nommé , je ne vous connais plus .
Le sentiment de patrie peut se trouver ainsi aux
prises avec le sentiment de famille ; le sentiment
d'intérêt avec celui d'amitié , celui de religion avec
les uns et les autres. Les co-existences d'opinions ,
de plaisirs et de goût n'étant que partielles , leurs
oppositions sembleraient devoir causer moins de
déchirement ; mais elles ne se montrent que trop
souvent avec les bannières du fanatisme. Les plus
petits intérêts , quand ils s'exaltent , peuvent troubler
les familles et les empires.
Tels sont , parmi les hommes , les différentes
manières d'être ensemble. Quand on veut réfléchir
aux effets du son , de l'électricité , de la lumière ,
on croit apercevoir un principe général qui met
ensemble tous les êtres , et qui ordonne toutes les
590 MERCURE DE FRANCE ,
communications de l'univers. Quand on réfléchit ,
d'un autre côté , à la contagion , à la sympathie ,
à la nature de l'enthousiasme , de l'esprit public et
des passions populaires , on est forcé de reconnaître
des règles particulières d'où s'ordonnent les
communications humaines . C'est sur ces deux
points que je vais porter l'attention du lecteur .
MONTLOSIER .
Cornélius Népos français , ou Notices historiques sur les
géneraux , les marins , les officiers et les soldats qui se
sont illustrés dans la guerre de la révolution. Un volume
in- 12. Prix , 2 fr . , et 2 fr. 50 c. par la poste . A Paris ,
chez M. Châteauneuf, rue Saint-Honoré, près Saint-Roc ;
et chez le Normant, imprimeur-libraire, rue des Prêtres
Saint-Germain- l'Auxerrois , n°. 42 .
Le premier titre de cet ouvrage serait assez difficile à
concevoir , si l'auteur ne l'expliquait dans une préface
historique. « Deux motifs ont fait donner à ce livre le titre
>> de Cornélius Népos français. Le premier a été d'an-
>> noncer sa forme et l'esprit qui nous animait en le com-
>> posant ; le second de rappeler aux militaires étrangers
» et français le nom d'un auteur classique , où , quelques
» soient leurs vertuuss ,, ils trouveront encore des exemples
>>> à imiter » .
M. de Châteauneuf commence par observer qu'à Rome
on éleva des statues à Cornélius Népos , puis il ajoute :
>> circonscrits dans les mêmes bornes que le biographe
» romain , on n'a pu recueillir toutes les belles actions ;
>> on a du moins choisi les plus dignes d'être admirées.
>> Cependant on n'a pasvoulu toujoursêtre aussi concis que
>> cethistorien abréviateur , lorsque les faits qu'on raconte
>> constataient de grands services. On a développé les
>> caractères lorsqu'ils étaient assez connus. Les vies des
>> hommes illustres de Népos , dit M. de la Harpe , dans
» son
PRAIRIAL AN ΧΙ. 591
→
15
son Cours de Littérature , sont , à proprement parler
FP.FRA
>> des sommaires de leurs actions principales ; mais en rap-
>> prochant les événemens , il a négligé les détails qui pei-
>> gnent les hommes et les traits caractéristiques dont la 35.
>> réunion forme leur physionomie. >>
On voit que l'auteur, s'appuyant sur lejugementporté
parM.de laHarpe , trouve son modèle imparfait, et qu'il
espère présenter des tableaux plus corrects et plus complets.
Or , si on a élevé des statues à Cornélius Népos , qui
n'a pas entièrement rempli son but , que ne doit-on pas
faire pour M. de Châteauneuf ?
L'auteur , après ce préambule , entre en matière. Il
assure que nous n'avons en histoires , à peu d'ouvrages
près, que des gazettes , et il se fonde sur ce que les historiensdeRome
avaient plus detalent et d'imagination que
Les nôtres. « Par imagination, ajoute-t-il , on n'entend pas
>> ici cette faculté qui invente , mais cet heureux don du
>> style qui anime un récit ; cet art qu'on tient du génie
>>> de grouper des événemens , d'opposer des caractères
>> comme dans un tableau , de laisser échapper une réflexion
ou un trait imprévu qui charme dans un his-
>> torien , lequel doit avoir quelque chose du poète et de
>> l'orateur. Voltaire est peut-être le seul qui ait élevé à
>> la France de beaux monumens historiques. »
Ce passage suffit pour donner une idée de la théorie de
l'auteur. Il ne sera peut-être pas hors de propos de placer
ici quelques fragmens de l'excellent traité de Lucien , sur
la manière d'écrire l'histoire. On pourra comparer les
principes de l'auteur ancien avec ceux de M. de Châteauneuf.
Nous pensons , d'ailleurs , qu'il n'est pas inutile de
rappeler cet ouvrage classique , dans un moment où tant
d'auteurs veulent devenir historiens. Lucien indique d'abord
, d'une manière très-piquante , l'état de la littérature
àl'époque où il vivait , et les triomphes des armées romaines.
«Depuis la campage d'Arménie , dit-il ,et les vic-
>> toires remportées ensuite sur les barbares , nos beaux
Pp
cen
592 MERCURE DE FRANCE ,
>> esprits ne peuvent se tenir d'écrire des histoires , et l'on
>> ne voit plus que des Xénophon , des Hérodote , et des
>> Thucydide ; ce qui justifie le dire de cet ancien, que
» la guerre est mère de tout , puisqu'elle produit même
>> des historiens. >>>Lucien parle ensuite des qualités que
doit avoir celui qui veut écrire l'histoire. « Je veux qu'il
» aime à dire la vérité , et n'ait point sujet de la taire ;
» qu'il ne donne rien à la crainte , ni à l'espérance ; à
>> l'amitié ni à la haine ; qu'il ne soit d'aucun pays , ni
>> d'aucun parti ; qu'il appelle chaque chose par son nom,
» sans se soucier d'offenser ni de plaire. Pour son style , il
>> faut qu'il soit clair et naturel , sans être bas ; car nous
>> lui proposons la liberté et la vérité pour règle de ce qu'il
>> doit dire ; aussi , prenons-nous la clarté et l'intelligence
>>pour règle de la façon dont il doit le dire. Il faut que les
>> figures qui sont comme l'assaisonnement du discours , ne
» soient ni trop hautes , ni trop recherchées ; il faut que
» l'historien ne s'élève qu'à la mesure des choses dont il
>> parle. Son style doit être exempt d'enthousiasme et de
> toute fureur poétique. S'il veut s'élèver , que ce soit par
>> les choses plutôt que par les paroles ; car il vaut mieux
>> que son style soit ordinaire , et que sa pensée ne le soit
>> pas , que d'avoir des pensées faibles et un style trop
» élevé , ou de se laisser emporter à l'essor de son imagi-
> nation. Il faut aussi, pour les pensées, qu'elles aient plus
>> de solidité que d'éclat , et approchent plus du raisonne-
>> ment d'un sage politique , que de la pointe d'un décla-
>> mateur ; que les sentences ne soient pas trop fréquentes
>> et trop détachées , mais qu'elles se trouvent comme en-
>> châssées dans le cours de l'ouvrage . >>>
M. de Châteauneuf indique les sources où il a puisé
les nombreux volumes qu'il a consultés ; car il ne veut
pas que son ouvrage ressemble à une de ces compilations
qui nous viennent de l'étranger. Cette phrase est empruntée
de M. de Voltaire ; mais M. de Châteauneuf ne peut
être heureux , même quand il se borne à copier. Où a-t-il
PRAIRIAL AN XI. 593
vu qu'il nous venait aujourd'hui de nombreuses compilations
de l'étranger ? Cela était vrai du temps de Voltaire :
alors les novateurs faisaient imprimer leurs ouvrages en
Hollande, en Angleterre ou à Genève , quand des diatribes
trop violentes auraient pu donner l'éveil à la police ; et
ensuite ces productions vendues clandestinement étaient
recherchées par tous les prosélites de la philosophie moderne.
Aujourd'hui au contraire on est dégoûté de ces
sortes d'ouvrages ; on sait que ce n'est qu'en France que
l'on fait de bons livres français , qu'aucune entrave n'en
empêche la publication; et comme il n'y a plus aucun
motifde faire imprimer hors de France , toute compilation
venant de l'étranger ne serait point accueillie.
Ainsi , de ce changement de circonstances , il est résulté
que l'exportation à succédé à l'importation , et que les
compilations faites en France , et qui n'y peuvent réussir ,
vont chercher fortune à l'étranger .
M. de Châteauneuf ne laisse échapper aucune occasion
de se comparer à M. de Voltaire ; il dit , comme l'auteur
du Siècle de Louis XIV : <<Deux lignes m'ont coûté
>> quelquefois quinze jours de travail. » Quoique dans
ces sortes d'ouvrages le temps ne fasse rien à l'affaire ,
M.de Châteauneuf, en parlant ainside ses travaux, semblait
prendre l'engagement de tracer à grands traits les caractères
de ses héros , et d'offrir , comme Plutarque et Népos ,
le récit de leur vie publique , et les détails intéressans de leur
vie privée. M. deChâteauneufa-t-il remplil'espoir qu'ilavait
donné au public ? Dans la première notice , il se borne à
dire que M. de Rochambeau est né à telle époque , qu'il
s'est distingué à tant de batailles , à tant de siéges ; qu'il a
été créé colonel à tel âge , puis lieutenant-général , puis
maréchal de France , etc. La vie de Custines offre quelques
circonstances plus détaillées que celle de M. de Rochambeau.
Custines fut l'un des généraux qui se distinguèrent
dans le commencement de la guerre de la révolution. Ses
victoires donnèrent de l'ombrage; il fut une des premières
Pp2
594 MERCURE DEFRANCE ,
victimes du tribunal révolutionnaire . On devait s'attendre
àtrouver dans la vie de Custines quelques aperçus sur le
changement de système qui a eu lieu dans la tactique française
, et auquel Custines ne peut manquer d'avoir 'contribué.
Ce changement était assez important pour mériter
quelques observations : l'auteur ne s'en occupe nullement.
Des siéges , des batailles , la séance du tribunal révolutionnaire
, voilà tout ce que présente la notice de Custines.
M. de Châteauneuf ayant jugé à propos d'être le Cornélius
Népos français , nous ne croyons pas pouvoir terminer
cet article sans mettre le lecteur à portée de juger de la
distance qui sépare le compilateur français de l'historien
latin. Deux courtes citations suffiront pour remplir ce
but. M. de Châteauneuf raconte le jugement et la mort de
Custines. << Mayence , au bout de quatre mois , capitula.
>> L'ingrat Houchard l'accuse ( Custines ) de ce nouveau
>> revers ; on en fait un nouveau chef d'accusation : l'in-
>> trigue , la haine , le jacobinisme , agitent leursfuries
het leurs serpens ; les vrais coupables de la brièveté de la
défence de Mayence ont besoin de trouver une victime .
On soudoie de faux témoins ; les jurés nommés par la
Vengeance consacrent l'iniquité. Onvioletoutes les lois ;
>> on tourmente toutes les formes sacrées de la justice. On
>> ne peut le convaincre , mais on l'assassine au nom des
>> fois , et le 28 août vit tomber sa vénérable tête sur un
>> échafaud.>> Cornélius Népos termine ainsi le récit de la
mort de Dion. « Confecta coede , quum multitudo visendi
gratia introiisset , nonnulli ab insciis pro noxiis conciduntur.
Nam celeri rumore dilato Dioni vim allatam ,
multi concurrerant , quibus tale facinus displicebat.
Hi falsa suspicione ducti , immerentes , inermes , ut
sceleratos occidunt. Hujus de morte ut palam factum
est, mirabiliter vulgi immutata est voluntas. Nam qui
vivum cum tirannum vocitarant , eumdem liberatorem
patriæ , tirannique expulsorem prædicabant. Sic subito
inisericordia odio successerat , ut cum suo sanguine , si
possent , ab Acheronte cuperent redimere.
PRAIRIAL AN XI. 595
On nes'étendrapas davantage sur le livre deM. de Chateauneuf,
qui ne peut , sous aucun rapport , soutenir
l'examen même le moins sévère. Cependant , on doit savoir
gré, à l'auteur de l'intention ; il a voulu élever un
monument à la gloire de nos guerriers ; mais sa main était
trop faible pour une pareille entreprise. Les victoires
multipliées et presque incroyables de nos armées , les
actions généreuses et hardies qui ont si souvent étonné
l'Europe , les exploits qui ont forcé l'admiration même
denos ennemis , les catastrophes de la révolution , qui , à
chaque instant , obscurcissaient l'éclat de ce tableau , cette
réunionde circonstances inouies formaient un sujet brillant,
mais difficile à traiter.
M. de Châteauneuf, dans les deux notices qui composent
son premier volume , ne nous a paru posséder aucune
des qualités qu'exigeait une si grande entreprise. La
présomption de sa préface ne laisse malheureusement pas
espérer qu'il se perfectionne dans les volumes suivans.
Boileau disait , en faisant allusion aux auteurs médiocres
qui voulaient célébrer Louis XIV :
Et j'approuve les soins du monarque guerrier
Qui ne pouvait souffrir qu'un artisan grossier
Entreprît de tracer , d'une main criminelle ,
Un portrait réservé pour le pinceau d'Apelle.
L'épithète de criminelle est un peu forte: ce que nous
avons dit de la pureté des intentions de M. de Châteauneuf
prouve que nous sommes hien éloignés de vouloir la lui
appliquer.
VARIÉTÉS.
P
Malesherbes . Un vol. in-8°. Prix , 3.fr. 75 c. et 4 fr. par
la posse.AParis, chez Duprat, Letellieret Compagnie ,
libraires , rue Saint-André-des-Arcs , n°, 46; et chez
leNormant, rue des Prêtres S. Germain-l'Auxerrois.
Cet Ouvrage est un monument élevé à la mémoire
d'un homme dont la France doit à jamais s'honorer .
Pp3
596 MERCURE DE FRANCE ,
M. de l'Isle de Sales , qui en est l'auteur , suit en cela
l'exemple du gouvernement actuel qui a fait élever une
statue en marbre à cet homme extraordinaire ; cette
statue sera un jour plus chère à l'humanité que le temple
que les Athéniens avaient élevé à Socrate : le sage
d'Athènes mourut pour une question oiseuse qui n'était
ni la vérité ni la vertu ; mais personne n'oubliera
jamais quelle fut la cause à laquelle M. de Malesherbes
fut sacrifié . L'éloge des grands hommes se compose de
leurs actions , et l'éloge de M. de Malesherbes n'est que le
récit des événemens de sa vie. On trouvera , dans cet
ouvrage plusieurs traits neufs et piquans , plusieurs anecdotes
touchantes qui feront connaître le caractère de ce
ministre vertueux et de ce généreux défenseur de la
vertu.
Ce panégyrique a pour épigraphe ces paroles , tirées de
la vie d'Agricola : Bonum virum facile crederes , magnum
libenter. On le croyoit facilement un homme de bien et
volontiers un grand homme. Cette épigraphe est heurensement
choisie ; le caractère de Malesherbes n'est pas sans
rapport avec celui d'Agricola , tel qu'il est peint par
Tacite. Ces deux hommes se ressemblent encore par le
temps où ils ont vécu , et l'auteur aurait pu ajouter à son
épigraphe ce que l'historien latin dit de la mort de son
héros : Potest videri et beatus futura effugisse , nam
sicuti durare in hac beatissimi sæculi luce , ac principem
Trajanum videre , ita festinatæ mortis grande
solatium tulit , evasisse postremum illud tempus , quo
Domitianus non jam per intervalla ac spiramenta temporum
, sed continuo et velut uno ictu rempublicam
exhausit. « Heureux d'avoir échappé à l'avenir : en effet ,
» s'il n'a pu voir Trajan et son règne heureux , il se con-
>> solait de l'autre , d'une mort prématurée , qui le dé-
>> robait à ces derniers temps , où Domitien ne laissant
PRAIRIAL AN ΧΙ. 597
a
>> plus respirer l'état par intervalle , l'engloutit comme
>> d'un seul coup. >>>
On pourrait dire encore de M. de Malesherbes ce que
Tacite disait d'Agricola , qu'il réunit les suffrages de
tous les partis : « Sa perte , déplorable pour ses amis ,
» n'a pas même été indifférente aux inconnus et aux
» étrangers . » Malesherbes fut de la secte des philosophes ;
et lorsque ceux-ci sont accusés d'avoir préparé les maux
de la révolution , ils peuvent répondre qu'un d'entr'eux
en a été la plus glorieuse victime . Mais Malesherbes a
désavoué ses principes philosophiques à la fin de sa carrière
, et si les philosophes peuvent citer quelques-unes
de ses opinions , les adversaires de la philosophie peuvent
citer en leur faveur les belles actions et sur-tout la mort
de cet illustre martyr de la vertu ; au reste , c'est un tort
excusable que de s'être trompé dans ses opinions avec le
défenseur de Louis XVI , et si jamais les voeux des hommes
de bien sont accomplis , s'il se fait une salutaire alliance
entre la religion et la philosophie épurée , les philosophes
et les chrétiens doivent s'embrasser au pied de la statue de
Malesherbes.
Paris et ses Modes , ou les Soirées Parisiennes , par C....
Prix : 1 fr. 50 c . , et 2 fr . par la poste . A Paris , chez
Ponthieu , libraire , place Saint-Germain-l'Auxerrois ;
et chez le Normant , imprimeur-libraire , rue des Prêtres
Saint-Germain-l'Auxerrois , nº. 42 .
Cette brochure présente une esquisse des embarras , des
embellissemens , des plaisirs , et même des ennuis de Paris.
Ce tableau est fait sans ordre , et peut-être est-il plus ressemblant.
Il commence par les mots qui étaient gravés
sur la pomme de la Discorde , et le premier chapitre est
Întitulé : A la plus belle. Elle est modeste , elle est sim
Pp 4
598 MERCURE DE FRANCE ,
ple,elle n'est point coquette , elle aime mieux son mari
que ses amans ; elle fait des heureux , qui bénissent plus
encore sa vertu que ses charmes ; cette femme est le modèle
de son sexe. L'auteur paraît ici sortir de son sujet ,
avant même que d'y être entré ; et j'ai grand'peur que
cette femme rare ne soit point de Paris .
Après la plus belle, vientl'homme que l'auteur appello
l'Orphee français , et cet Orphée est Garat. Après Garat
et les concerts dont il est l'ornement , viennent les embel
lissemens projetés à Paris : quand on parle de la mode ,
il faut s'y prendre d'avance ; et l'auteur fait très-bien de
nous présenter Paris de l'année prochaine. Tout change
dans cette grande ville , et la ville change elle - même tous
les six mois ; non- seulement elle change de forme , mais
elle change de place. Je veux faire imprimer quelque
jour un livre intitulé : les Voyages de la ville de Paris.
Jemontrerai d'abord Paris dans l'étroite et modeste enceinte
de l'Isle-Saint-Louis ; il quitte bientôt le liende son
origine, pour se porter vers la Montagne de Sainte-Geneviève;
il vient ensuite au Marais , puis au Faubourg-
Saint-Germain ; il est actuellement à la Chaussée-d'Antin;
il s'en ira quelque jour en province. Je ne sais ce qu'il a
gagné dans ses voyages : il a commencé à la Montagne-
Sainte-Geneviève , qu'on appelle le Pays - Latin , et je
trouve qu'aujourd'hui il se rapprochetrop de Montmartre.
1
Je suis faché que parmi les plans d'embellisemens pour
Paris , l'auteur n'ait pas parlé de quelques projets qu'on
a présentés ; quelques-uns lui auraient offert des particularités
piquantes , comme celui de changer le nom des
rues , et d'enseigner aux Parisiens la géographie , en écrivant
sur toutes les places, le nom d'un royaume , d'une
province , ou d'une ville de l'Europe. On sent combien
on pourrait tirer parti d'un pareil projet : les commis
sionnaires , les porte-faix , les cochers de fiacre ne manqueraient
pas , au bout de six mois , de s'ériger en profes
seurs de géographie. Ce plan n'a qu'un inconvénient , c'est
PRAIRIAL AN XI. 5gg
1
1
1
1
|
1
1
1
que les Parisiens connaîtraient fort bien l'Europe , mais
il serait à craindre qu'ils ne reconnussent plus Paris.
Mais tous ces détails deviennent peut - être ennuyeux :
passons au chapitre du Plaisir. En France , à Paris sur
tout , le mot plaisir n'est jamais qu'une formule , on s'amuse
peu , on s'étourdit.
Qui ne croirait à ce brillant soupé
Q'on est heureux ? On n'est que dissipé.
Le mot plaisir est dans toutes les bouches , et n'exprime
jamais ce qu'il signifie. Un homme a le plaisir de vous
voir , le plaisir de vous écrire , le plaisir de vous entendre
, quoique vous lui soyez très-indifférent; interrogez
- le , il a eu le plaisir de dîner chez un tel ; et il s'y
est ennuyé à la mort : l'invitez - vous à venir chez vous ?
avec grand plaisir , dit - il , et il n'y vient pas ; enfin , à
Paris , plaisir veut presque toujours dire : ennui , indifférence
, gêne , contrainte , etc. Il en est de l'honneur
comme du plaisir ; ces deux mots n'ont presque plus de
sens .
Au reste, ces deux mots qui vont souvent ensemble ,
et qui signifient quelquefois la même chose , peuvent faire
connaître l'esprit des Parisiens. La vanité , qui est l'orgueil
des petites choses , est leur caractère dominant. Beaucoup
de gens à Paris sont heureux de la seule idée qu'ils le paraissent
aux yeux du public. Le plus grand fléau des Parisiens
est l'ennui ; mais ils s'y résoudront facilement , s'il
y a quelqu'honneur à s'ennuyer. Ce caractère était , dit-on,
celui des Athéniens ; il est ausssi celui des artistes , et de
tous les gens qui vivent des jouissances puériles de la vanité.
Le peuple de Paris est une troupe de comédiens un
peu plus nombreuse que les autres , et qui a presque la
même manièrede vivre : on n'y fait pas grande attention
aux choses essentielles, mais ony est très-susceptible pour
les petites choses : il est tel homme qui se croirait plus
injurié , si on lui reprochait d'être un sot , que si on l'accusait
d'êreunfrippon ; on peut s'y vanter de sa probité,
600 MERCURE DE FRANCE ,
sans craindre d'irriter l'envie , qui n'y prend pas garde ;
mais personne n'oserait se vanter d'être aimable , dans la
crainte d'armer tous les amours propres. Enfin , la varité
est le mobile principal qui fait mouvoir cette grande
masse ;etchacun comme les artistes , aime par - dessus
tout à s'entendre dire qu'il s'est bien présenté sur la scène,
qu'il a bien joué son rôle...
,
Il ne faut pas croire cependant qu'à côté de ces petits
ridicules , la capitale n'ait de grandes choses à offrir à la
méditation des voyageurs , et qu'elle ne renferme aussi
dans son sein de grands exemples de vertus ; mais la vertu
se cache et se dérobe aux regards de ceux qui tracent le tableau
de cette grande cité. Il ne faut pas croire non plus
qu'il n'y ait point de vrai plaisir à Paris : le véritable commercede
Paris est le plaisir. Depuis deux cents ans , Paris
vit du plaisir qu'il donne et qu'il promet aux étrangers.
Dans ce commerce de plaisirs , il y en a de vrais et de
faux : à côté des plaisirs frivoles , se trouvent ceux que
donne l'étude des arts et des lettres ; chacun peut choisir :
mais , pour ne pas s'y tromper , je conseillerai toujours
de donner la préférence à ceux qui coûtent le moins. Les
plaisirs dont on ne se repent point , sont à Paris ceux qui
se vendent le meilleur marché.
Cet article est déjà trop long ; nous ne suivrons point
l'auteur de l'ouvrage que nous annonçons , à Tivoli , à
Bagatelle , à Frascati , au Hameau de Chantilly , ni dans
les nombreux établissemens formés à Paris pour les plaisirs
du public.
4 Le cardinal Fesch a reçu à son passage à Lyon toutes
les marques de l'attachement et de l'amour le plus vrai de
la part du clergé et des habitans de cette ville. Le journal
de Lyon a publié plusieurs vers latins qui lui ont été
adressés ; nous regrettons de ne pouvoir les donner ici. On
lit dans le même journal que M. de Châteaubriand a été
accueilli très-honorablement par les Lyonnais : les savans
PRAIRIAL AN XI. 601
:
et la plupart des membres de l'athénée de cette ville l'ont
reçu à la bibliothèque publique , et là plusieurs d'entr'eux
ont félicité , au nom de leurs concitoyens , l'auteur du
Génie du Christianisme . M. Petit , médecin distingué et
littérateur aimable , et M. Berenger , auteur de plusieurs
ouvrages utiles , lui ont adressé des vers où ils ont exprimé
tout-à-la-fois leur respect pour la religion et leur recon
naissance pour celui qui l'a si glorieusement défendue .
ΑΝΝΟNCES.
Six Nouvelles , par M. Fiévée . Deux vol. Prix : 4 fr . , et
5 fr. par la poste.
Ces Nouvelles ont paru successivement dans la Bibliothèque
des Romans; elles sont pour la première fois recueillies
dans cette édition. Sur la fin du siècle dernier ,
on faisait des Nouvelles philosophiques et licencieuses ,
que l'on intitulait : Contes moraux ; celles de M. Fiévée
sont d'un autre genre. Pour n'effrayer personne , il n'a
point annoncé la morale , et il l'a placée dans ses contes
avec tant de naturel , tant de charme et de sensibilité , que
malgré sa sévérité , aucun lecteur ne l'a trouvée trop austère.
Toutes ces Nouvelles sont charmantes ; tout le monde
en a porté ce jugement. Il me semble que nous n'avons
rien dans ce genre que l'on puisse mettre au - dessus des
* trois contes intitulés : leDivorce , le Faux Révolutionnaire
et l'Egoïsme. Dans ce dernier , M. Fiévée a présenté
d'une manière supérieure , la folie et l'inconséquence
d'unpère donnant à son fils une éducation philosophique;
les résultats de cette éducation font frémir (1) . Le plan de
ce conte est très - ingénieux; il est rempli de scènes frappantes
et terribles . Ces six Nouvelles ainsi rassemblées ,
seront relues avecdélices par tous ceux qui ont dela sensibilité
, du goût , et de bons principes , et même par les gens
les plus frivoles ; car elles sont écrites d'une manière si
naturelle et si piquante , qu'il n'est point de lecteur qui
puisse leur refuser son suffrage.
D. GENLIS.
(1 ) J'ai peint aussi depuis ( dans le Mari corrupteur ) , mais épisodiquement,
le repentir d'un père philosophe ; la Nouvelle de M.
Fiévée est très-antérieure à la mienne.
603 MERCURE DE FRANCE ,
La Dot de Suzette , ou Histoire de madame de Senneterre
, racontée par elle-même ; par J. Fiévée , nouvelle
édition,unvolume. Prix: 2fr., et 2 fr. 50 c. parlaposte.
Qui n'apas lu cet ouvrage charmant , où tout est vrai ,
naturel et moral ? Il n'en est point qui présente dans un
seul volume ,une variété aussi piquante, tant de peintures
parfaites , et de genres différens sans disparates ,
des traits de gaieté plus aimable et des scènes plus
touchantes. Ce roman est déjà classé dans le petit nombre
des ouvrages originaux ; il ne doit sa réputation ni à la
cabale ,ni à l'esprit de parti ; il la conservera.
Ces deux ouvrages se trouvent à Paris , chez Perlet ,
libraire , rue de Tournon ; et chez le Normant , imprimeur-
libraire , rue des Prêtres Saint Germain-l'Auxerrois .
Bibliothèque Géographique et Instructive des Jeunes
Gens, ou Recueil de voyages intéressans pour l'instruction
et l'amusement de la jeunesse ; par Campe : traduits de
Pallemand et ornés de cartes et figures ; sixième et dernière
livraison de la première année. Tomes 11 et 12 , contenant
la relation de l'ambassade de M. Samuel Turner,
zuprès du Teschou-Lama au Thibet et au Foutan : 2 vol.
in-18 ornés d'une belle Carte de l'Asie et d'une jolie Gravure.
Prix , 3 fr. , et 3 fr. 75 c. par la poste.
Cette collectionde voyages ayant eu tout le succès que
lui promettaient l'utilité et l'agrément du sujet et le
nom de son auteur , l'éditeur va publier une seconde
année qui ne le cédera pas en intérêt à la première. Elle
commencerapar la relation des voyages du capitaine Cook
autour du monde ; suite nécessaire des voyages de Byron ,
Carteretet de Wallis , formant les tomes 3 et4de la première
année ; les autres pièces seront traduites d'un nouveau
Recueil que publie maintenant M. Campe , où l'on
voit qu'il a toujours pour but d'instruire en amusant.
Les conditions de souscription à cette année , sont les
mêmes que pour la première , savoir : les 12 volumes au
prix de 15 fr. , payables avec la première livraison , et
5f.. pour chacune , en ne les payant qu'à mesure.
Il reste encore un petit nombre d'exemplaires de la
première année , qui ne seront donnés au prix de 15 fr .
qu'aux personnes qui souscriront pour la seconde.
AParis , chez G. Dufour , éditeur , libraire , rue des
Mathurins , au coin de celle de Sorbonne ; et chez le
Normant, imprimeur-libraire , rue des Prêtres Saint-
Germain-l'Auxerrois , n°.42.
PRAIRIAL AN XI. 603
POLITIQUE.
L'occupationde l'électorat d'Hanovre par une armée
française , deux grands débats au parlenient britannique ,
relatifs , l'un à la conduite des ministres , l'autre à la més
diation de la Russie , sont des événemens qui ont attiré
une grande attention. La séance relative à la conduite des
ministres , s'est terminée d'une manière qu'il était peu
difficile de prévoir. Si on en excepte l'attitude peu atten
due de M. Pitt, qui n'a pas craint d'avouer ses sentimens
d'improbation envers ses honorables amis , le chancelier
de l'échiquier et le ministre des affaires étrangères ; si on
en excepte l'indignation ou du moins le serrement de
coeur qu'en a éprouvé le lord Hawkesbury , et qu'il n'a
pas craint de manifester à la chambre , on ne voit pas
que la véritable question ait été même abordée.
Est-ce de la bonne foi des ministres qu'on s'est ocсире?
Est-ce sur la fidélité à leurs engagemens qu'on les a interrogés
? Est-ce sur le soin qu'ils ont mis à observer strictement
et religieusement le traité d'Amiens ? Aucune
question n'a été faite sur ce point, aucun mot n'a été proféré
à cet égard. La séance n'a été remarquable que par
l'ingénuité du colonel Bastard : Nous avions besoin de
quelque temps pour renouvelter nos forces. Ces mots, sur
lesquels il ne s'est pas élevé la moindre réclamation , expliquent
toute la conduite du gouvernement britannique.
Autrefois les peuples se faisaient honneur d'être fidèles à
leurs engagemens. Firma pacis fædere , fut le premier
hommage qu'obtint autrefois , dans l'Europe , lanation
des Francs. Il est vrai que quelques nations anciennes se
sont mises peu en peine de la qualification de fædifraga.
Les marchands de Carthage semblent avoir légué la foi
punique aux marchandsdd''AAlbion.
Que l'Angleterre n'ait eu, dans le traité d'Amiens , d'autre
objet que de gagner du temps , ce n'est pas le seul
aveu qui soit sorti de ces débats. Lord Hawkesbury nous
apprend , dans la séance relative à la médiation de la
Russie , que ce n'est point pendant la guerre qu'on forme
commodement des coalitions , et que la paix d'Amiens
n'aeeuu ,, dans sa pensée , d'autre objet que de préparer une
barrière contrel'agrandissement de la France ( 1). Il nous
(1) He must candidly admit that one circonstance weighed par
604 MERCURE DE FRANCE ,
révèle que , depuis la signature du traité jusqu'au moment
présent , aucun effort n'a été épargné pour former aves
la Russie une alliance étroite , qui aurait eu pour objet
non des vues d'hostilité envers aucune puissance, mais
seulement les mesures nécessaires d'une juste défense (1) .
Il se trouve malheureusement que la Russie n'a jamais
voulu accéder à cette innocente proposition , et c'est ce
qui fait que nous avons la guerre.
Quoique lord Hawkesbury ait eu ainsi un moment de
candeur , qu'il nous soit permis de croire que ce n'est pas
au parlement , mais dans l'intérieur du cabinet qu'il aura
manifesté toute sa pensée. « En engageant la guerre , aura-
>> t-il dit , nous donnons aux nations un grand exemple
>> de provocation , qu'elles peuvent être tentées d'imiter.
>> Nous affaiblissons , envers la France , le sentiment d'ad-
>> miration qu'ont créé ses victoires , nous la faisons des-
>>>cendre de ce haut rang où l'ont élevée sa valeur et ses
>> succès . Notre audace peut réveiller les souvenirs , r'ou-
» vrir les blessures , aigrir les ressentimens , ranimer peut-
>> être des espérances. Quand même nous ne parviendrions
>> pas à atteindre ce grand objet , gardons-nous pour cela
>> d'écouter les propositions de la Russie : ce n'est pas le
>> moment. Commençons par offrir à nos marins la prise
>> facile de quatre ou cinq cents millions , que la France
et ses alliés ont mis , en pleine sécurité , sur les mers :
>> ces millions , il nous sera facile de les repomper par un
>> emprunt , quand ils auront effectué le grand objet de
>> populariser la guerre ; et alors , pendant que les gazettes
>> retentiront de notre gloire , nous aurons tout le temps
>> qui nous sera nécessaire pour prêter l'oreille aux pro-
>>positions de la Russie ; exciter , s'il le faut , l'interven-
» tion de quelqu'autre grande puissance , et refaire ainsi ,
- » à la fin d'une carrière commode de déprédation et de
>> capture , telle nouvelle paix qui nous conviendra. Peu
>> importe , dans cette nouvelle occurence , que nous gar-
>>> dions Malte , ou que nous la donnions à laRussie. Nous
ticularly on his mind with respect to the conclusion of the last peace,
which was that of forming a barrier to the aggrandizement ofFrance.
(1 ) From the signing of the treaty to the present time no efforts
have been wanting on the part of his majesttyyss ggoovveerrnment to form
close connection with Russia having for its basis no hostility towards
any power , and having only in view the necessary measures ofdefence.
Those efforts have however failed. Otherwise it is highly
probable that the present crisiswould not have arisen.
PRAIRIAL AN XI . 605
>> aurons fait la guerre contre la France avec audace ,
>> et nous lui en aurous fait payer les frais. Nous aurons
>> énervé l'essor renaissant de son commerce ; nous aurons
>> paralysé pour long-tenips son industrie ; ses viiles com-
>> merçantes , toutes meurtries des plaies que nous leur au-
>> ront faites , n'oseronthasarderde long-temps sur les mers
>> leur industrie et leurs capitaux. Notre activité prépon
› dérante pourra alors insulter a leur timidité. Nous an
>> rons consolidé , sur le sol des mers , une suprématie
que la France , à sa renaissance » , veut encore nous
>>> contester. >>>>
Le lord Hawkesbury et le cabinet britannique peuvent
se bercer tant qu'ils voudront de ces illusions. Nous
sommes fachés de les tirer de cette sécurité. Il faut pourtant
qu'ils sachent , ainsi que le leur a dit unjourM.Burke ,
que la guerre , cette Gorgone hérissée de dards et de serpens
, n'est pointune coquette avec laquelle on puisse
jouer impunément. Quand la France voulait la paix , vous
avez voulu la guerre. Craignez que la France ne veuille
la guerre quand il vous sera commode de vouloir la paix .
Rien n'est plus singulier , au surplus , que le langage
de tous ces fameux hommes d'état. L'uu veut une guerre
vigoureuse et courte ; il faut se diriger vers le seul point;
l'autre ne se dissimule pas que la guerre ne doive étre
d'une longue durée. Celui-ci regarde comme un jeu de
châtier la France ; celui-là ne veut point taire qu'il en contera
à son pays de longs et de douloureux sacrifices. Un
des ministres veut défendre tout le pays avec des milices ;
un autre ne voit de salut que dans les troupes de ligne.
M. Pitt est convaincu que l'Angleterre n'est capable d'aucune
offensive ; selon M. Windham , celui-là seul est capable
de se défendre qui est capable d'attaquer. Il n'est pas
d'anglais, unpeu sensé , qui ne doive frémir de tout ce
chaosde vues et de plans contradictoires. Pour tout homme
raisonnable, ami ou ennemi , les projets mis actuellement
en agitation de levée en masse , de milice , d'augmentation
de troupes de lignes , ne peuvent être que des conceptions
désespérées .
Ce qu'il y a de singulier , c'est que , parmi tous ces
nombreux amis de la liberté , il n'en est pas un qui ait
jugé à propos de concevoir des alarmes sur l'augmentation
des troupes de ligne. Tout le pays faillit se soulever
autrefois au sujet d'une simple construction de casernes ;
aujourd'hui une armée immense est votée et mise à la
606 MERCURE DEFRANCE ,
2
disposition de la couronne. Le secrétaire de la guerre cite
àson aise l'exemple des milices américaines, celle des
milices françaises au temps de la révolution. Il pouvait
citer aussi la Vendée, et , dans des temps plus anciens
l'exemple des Suisses et celui des Provinces-Unies. Quand
unpeuple est remué dans ses plus ardentes volontés , lorsque
toutes ses passions sont vivement émues , il peut faire
non-seulement des efforts , mais des miracles; mais lorsqu'un
peuple naturellement lent et paresseux , façonné a
toutes les commodités de l'opulence,àtoutes les douceurs
de la civilisation , est poussé avec violence hors de toutes
ses habitudes , à l'effet de soutenir les lubies de quelques
hommes, lestravers dequelques ministres; lorsqu'un peuplede
marchands est invité à sortir de ses comptoirs , et a
mener,pendant des années entières , lavie dehouzard ou
celle de pandour; uniquement pour l'honneur de possé
der quelque roche , et d'être infidèle à un traité solennellementpromis
, nous avons peine à croire que les ministres
atteignent le but qu'ils se proposent. Les députés
de l'électorat d'Hanovre peuvent leur apprendre en ce
moment l'espèce de fonds qu'il faut faire sur les levées en
masse. Qu'ils sont imprudens , ceux qui prétendent faire
sortir des nuages de leurs cerveaux la matière électrique
qui forme,dans certains temps , les grandes commotions
populaires ! Les insurrections que les ministres veulent
aujourd'hui provoquer , ne se réaliseront que trop peutêtre;
mais ce sera pour mettre en pièces des hommes qui
se verront réduits àdemander une paix honteuse ; suite
nécessaire d'une fatale guerre.
- En attendant que se déroulent ces grands événemens ,
l'occupation du Hanovre est venu se mettre dans la balance
des pertes que notre commerce doit nécessairement
éprouver au commencement de la guerre. C'eût été , en
effet , pour les marchands de Londres , un très-doux amusement
, que de voir arriver , pendant plusieurs mois de
suite, les navires de France enrichir ses ports. Il est assez
juste que le roi Georges paye de ses propres deniers cette
petite récréation qu'il a bien voulu accorder à ses sujets .
Cen'est pas sans peine qu'il s'est décidé à supporter cette
injure. Retranché pourson compte derrière le détroit et
ses fortifications flottantes , il espérait que les grandes puissances
voudraient bien se charger de protéger ses possessions
continentales ; les cent voix de la renommée semblaient
sur ce point à ses gages. « La Prasse , disait - on ,
>> le
PRAIRIAL AN XI. 607
!
1
!
1
1
1
1
1
»
>> le Danemarck , la Russie ne verront jamais d'un oeil
➤ paisible les Français entrer dans l'électorat d'Hanovre ,
>> jeter de cette manière l'alarme dans toute l'Allemagne
>> du nord , et violer la paix d'un pays protégé par la paix
de Lunéville. >>>Sur ces considérations , toutes les flottes
de la Russie étaient déjà prêtes à mettre à la voile , toutes
ses armées en marches;d'un aauutre côté , une armée prus
sienne s'avançait , on notait sa direction , on nommait son
général. Ces rumeurs étaient de véritables absurdités. Il
eût été assez singulier que ceux qui violaient le traité
d'Amiens , eussent pu se retrancher derrière le traité de
Lunéville ; il eût été singulier que ceux qui déclaraient
la guerre à la république italienne et à la Hollande , sous
le seul prétexte que ces pays étaient sous la domination
du chef de la France , eussent fait respecter les pays qui
étaient sous la domination du roi d'Angleterre. On pourrait
croire que ce n'est pas même de bonne foi que les
Anglais proclamaient cette espérance ; la proclamation
royale pour une levée en masse , l'arrivée d'un des fils
du roi d'Angleterre pour la commander , ont plus clairement
établi la question. Il fallait la gaucherie de ces deux
circonstances , pour donner à l'expédition du général
Mortier l'apparence d'un triomphe , en donnant à la capitulation
de l'armée hanovrienne l'apparence d'une dé
faite. On observera que cette capitulation est la même
que le maréchal de Richelieu fit signer , le 10 septembre
1757 , à Clostersevern. Il fut alors arrêté , sous la garantie
du roi de Danemarck , que les troupes hanovriennes
n'exerceraient aucune hostilité jusqu'à la conclusion de la
paix. On sait comme cette capitulation fut violée après la
bataille de Rosback. Le fameux comte de Chatam , père
de M. Pitt , décida que le roi d'Angleterre n'ayant point
ratifié cette capitulation , elle était nulle. Ce fut en conséquence
de cette décision , que les Hanovriens sortirent
de leur ligne, et allèrent , sous le commandement du
prince Ferdinand , gagner la bataille de Crevelt.
Si l'occupation du pays d'Hanovre , que la maladresse
du gouvernement britannique nous force d'appeler une
conquête , a peu d'importance comme fait d'arme , c'est
au moins un objet d'exploitation. C'est encore un grand
point militaire. C'est beaucoup d'avoir donné cinquante
lieues de plus à cette muraille de fer si bien dépeinte par
M. Windham , et qui va s'étendre à présent depuis les
bords où l'Océan produit la Méditerranée , jusqu'à ceux
1
608 MERCURE DE FRANCE,
où il engendre la Baltique. La guerre , en ce moment,
n'est encore qu'une niaiserie. Quand les Anglais auront
fini , sur les mers , leurs jeux actuels de capture et de déprédation
, et que lles Français auront fini d'établir sur toute
cette ligne de côte leurs formidables préparatifs , c'est
alors que la véritable guerre commencera. Tout annonce
qu'elle sera terrible.
CHAMBRE DES COMMUNES.
Séance du 6juin.
La chambre se forme en comité de subside.
Le secrétaire de la guerre ( M. Yolke ) se propose de
soumettre à la chambre les derniers états estimatifs concernant
l'armée. Il ne sera pasnécessaire , dit-il , d'augmenter
considérablement l'armée. La chambre voudra bien se
rappeler qu'elle a déjà voté une armée de 130 mille
hommes. L'augmentation aura lieu principalement pour
la cavalerie. La dépense totale , tant pour la Grande-
Bretagneque pourl'Irlande,ne s'élèveraqu'à3,100,000l.st.
M. Windham : Le plan des ministres ne vaut rien. Le
système militaire qui nous est proposé ne convient pas
anotre population. Les ministres veulent avoir une armée
régulière , et ils veulent avoir une nombreuse milice.
N'est-il pas bien connu que notre armée de milice empêchera
le recrutement de notre armée régulière ? Ne sait-on,
pas que l'on fait trafic de la milice ? Les primes accordées
pour entrer dans cette dernière , empêcheront la formation
d'une armée de ligne.
Ce n'est cependant qu'avec une armée de ligne que
nous pouvons résister ; car c'est une armée de ligne qui
nous attaquera. Le diamant seul coupe le diamant. Mais
les ministres n'ont aucun plan ; ils ne se font aucune idée,
de la guerre actuelle. Après avoir laissé subsister trop.
long-temps une paix honteuse , lorsqu'enfin ils sont forcés
à la guerre , ils se proposent lâchement de se tenir sur
la défensive. Ignorent-ils qu'une guerre, de ce genre,est,
détestable , et que celui qui attaque est presque certaindu
succès ?
Nous devons avoir une grande armée de ligne , nonseulement
maintenant , mais toujours , etjusqu'à cequ'un
changement essentiel ait lieu sur Continent. Encore
PRAIRIAL AN XI . 609
une fois , il ne doit pas être question uniquement de se
défendre : la balance de l'Europe est rompue ; une puissance
colossale s'est élevée. Nous n'avons que deux moyens
à adopter : augmentous nos forces et diminuons celles de
l'ennemi. Suivons le même système que durant la guerre
dernière : cherchons à affaiblir notre ennemi ; c'est ce
qu'il y a de plus sûr et de plus simple. Il est plus aisé de
tuer le tigre que de l'enchaîner ou de le mettre en cage.
Jen'affirme pas que nous réussirons ; mais il s'agit d'abrêger
la contestation; et pour des personnes qui se trouvent
dans notre situation , c'est ce qu'il y a de mieux à
faire.
Nous sommes tombés sous le vent, et nous aurons beaucoup
de peine à nous remettre en bonne route. Grâces
soient rendues au traité d'Amiens ! il a détruit toute notre
influence sur le Continent, il a fait pour nous une côte
de fer de toute la côte de l'Europe , et il n'y a plus pour
nous de crique , de havre , où nous puissions mettre à
l'abri une chaloupe. On m'observera que le Continent
déteste la France ; que lui importe qu'on la haïssepourvu
qu'on la craigne !
J'espère cependant que le Continent n'abandonnera pas
sa propre cause. Je me flatte que nous y trouverons encore
quelques dispositions amicales. Je n'en suis que plus
mécontent des ministres , qui paraissent vouloir isoler
l'Angleterre . J'ai lu avec peine la fin de la déclaration de
S. M. , où l'on ne semble vouloir agir que pour l'intérêt
britannique. :
$30
Ne va-t- on pas encore me dire que je veux me battre
pour les Bourbons , pour les royalistes , pour la monarchie
? On ne m'a jamais bien compris. Enfin on a jugé à
propos de signer le traité d'Amiens : en est-on bien satisfait?
Je ne saurais croire que les ministres soient assez
francspour convenir qu'ils se sont grossièrement trompés .
Oui , sans doute , il eût été à souhaiter que l'Angleterre
fit une déclaration grande et généreuse à la face de l'Europe:
non pas une déclaration ridicule et chevaleresque ,
mais capable d'attirer à elle tous les sentimens , et de lui
procurer la réunion de tous les efforts ; une telle déclaration
aurait produit le plus grand effet .
On ne cesse de parler de l'immense pouvoir de la République
française ; ne confondons pas le pouvoir et la
durée. Le pouvoir est incontestable ; mais combien durera-
t-il ? Personne de nous ne peutnier que nous sou
Qq2
610 MERCURE DE FRANCE ;
haitons tous la fin de ce pouvoir , quelque soit le langage
bas et rempant qui ait été tenu; telle est notre secrette
espérance. Tout ce que j'ai vu me jette dans le désespoir ;
cependant , j'ai la plus grande confiance dans la vigueur
et les ressources de ce pays , si nous sommes bien dirigés.
Je suis du nombre de ceux qui ne traitent point avec
mépris l'idée d'une invasion. Nous avons affaire à un
ennemi qui ne fait rien à demi. L'orage qui nous menace
peut éclater soudainement. Nous pouvons, d'un moment
à l'autre , être jetés dans la consternation et en danger de
perdre tout ce qu'il y a de cher aux hommes . Certes , je le
confesse , une invasion est à redouter , et l'on a bien tort
d'en parler légèrement. Je m'en suis entretenu avec des
hommes capables de bien juger , avec des officiers blanchis
dans le service, et qui connaissent véritablement la
guerre ; ceux-là ne parlent pas légèrement d'une invasion.
Quels sont ceux qui la tournent en ridicule ? Ce sont ceux
qui n'y entendent rien; ceux qui ne seraient d'aucun service
unjour de bataille ; ceux qui ajouteraient au désordre
d'une défaite , qui n'ont jamais vu tirer un coup de fusil ,
et qui parlent à leur aise de la destruction de toute une
armée française. Je n'estime pas que l'opinion de ces messieurs
mérite un grand respect. Ne parlons donc point
avec légèreté d'une invasion , et en même temps soyons
convaincus de la force et des ressourses de notre pays , si
on en fait un bon usage. :
M. Pitt : Je n'aime pas que l'on discute dans cette
chambre l'état des forces nécessaires pour notre salut.
J'avoue que j'aurais une grande inquiétude si nous n'avons
pas de plus grandes forces que celles que les ministres
nous annoncent; mais je n'ajouterai pas unmot.
Embarrassé de l'improbation réunie de M. Pitt et de
M. Windham , le secrétaire de la guerre reprend la parole
: « Les ministres de S. M. , dit-il , ne peuvent pas
s'expliquer entièrement , mais il leur est pourtant permis
de dire qu'ils ont adopté un plan qui assurera parfaitement
notre existence . Le très-honorable M. Windham a
créé un fantôme , pour avoir le plaisir de le combattre. Il
a parlé d'une guerre purement défensive. Je lui réponds
jue nous ferons un digne usage de nos armes. Notre armée
régulière est plus considérable maintenant qu'elle ne
l'a jamais été au commencement d'une guerre. Il en est
demême de notre milice. Je ne prétends pas que ces fordes
soient suffisantes . Nous en aurons d'autres.
PRAIRIAL AN ΧΙ. Gir
>> Il ne s'agit pas de voter une grande somme d'argent
pour les frais de la guerre ; il s'agit d'ordonner de bonnes
mesures ; elles nous serviront mieux que l'argent. Certainement
les forces militaires de la France sont redoutables ,
ses armées sont nombreuses , sa puissance est grande , mais
nous sommes en état de lui résister. Il est plus que temps
de lui prouver , non par des paroles , mais par des actions ,
que nous ne souffrons pas qu'on nous insulte , que nous
ne nous laissons pas intimider , et que si ses soldats se
montrent en grande troupe sur le rivage opposé au nôtre ,
nous ne tomberons pas pour cela dans une terreur panique.
Il est très-possible que l'on parvienne à jeter quelques
régimens sur notre territoire ; ces régimens seront
bientôt faits prisonniers .
>> Un honorable membre a dit qu'une armée de ligne
seule pouvait résister à une armée de ligne . Cela est vrai ,
s'il ne s'agit que d'une bataille; cela est faux , s'il s'agit
d'une guerre prolongée. L'Amérique en a été la preuve :
notre armée a constamment battu les Américains ; mais ,
à la fin , les milices américaines ont accablé notre armée.
La France en a été la preuve : l'armée du roi de Prusse
était composée des meilleures troupes régulières de l'Europe
, et les Français ne leur ont opposé que des gardes
nationales . Tout le monde sait quel a été le résultat . Non,
non , notre insolent ennemi ne nous insultera pas impunément
: s'il nous attaque , malheur aux assaillans ! >>>
M. Pitt est satisfait en grande partie de ce qu'il vient
d'entendre de la bouche de son honorable ami : il est bien
aise d'apprendre que les ministres ne regardent pas la
milice actuelle comune suffisante pour assurer le salut public
: ils se proposent d'employer des forces additionnelles .
Mais ils pensent que le moment n'est pas encore venu de
les faire connaître. Quant à moi , je déclare que la meilleure
de toutes les mesures est d'augmenter l'armée régulière.
Il faut ébranler l'opinion publique ; lui faire connaître
sur-le-champ toute l'étendue du péril et la disposer à
une guerre vigoureuse. Je n'hésite point à avouer que nous
n'avons pas les moyens de faire une guerre offensive
mais nous en ferons mieux la guerre défensive . Je loue les
ministres de ce qu'ils considèrent attentivement comment
ils doivent agir ; mais je leur crie , agissez , agissez promptement,
les délais ne nous conviennent plus. Que l'on vote
d'abord les grandes mesures ; nous nous occuperons ensuite
de la dépense. La question est celle-ci :voule-zvous
Qq3
612 MERCURE DE FRANCE ,
sauver votre pays ? sauvez-le si vous le pouvez par la voie
la plus sûre et la plus prudente , mais sauvez-le, Adoptez ,
s'il le faut , des moyens qui attachent sur vous une haine
temporaire. Ayez le courage de lutter contre les préjugés ;
ne songez qu'au salut de l'Angleterre , qu'à son honneur .
Eussiez-vous à vaincre de la résistance , marchez , et que
notre pays soit sauvé . Je suis prêt à prendre sur moi une
partie du blâme. Toute la chambre doit être convaincue
que nos forces actuelles sont insuffisantes : tous les membres
doivent déclarer en leur nom , au nom du parlement ,
au nom de la nation , que l'on ne doit plus perdre un seul
instant pour adopter une forte mesure. Nous sommes sur
le point de nous occuper de finances : il convient que le
peuple connaisse clairement le fardeau qu'il va supporter ,
qu'il connaisse l'étendue des dépenses , et la grandeur de
ses devoirs .
Des préparatifs extraordinaires , des moyens extraordinaires
, voilà ce qu'il nous faut ; et voilà ce qu'il ne faut
pas laisser ignorer. Je ne pense pas que notre milice soit
trop nombreuse ; je pense que notre armée de ligne ne
l'est pas assez . Nous pouvons beaucoup augmenter cette
dernière sans nuire ni à l'industrie ni à l'agriculture. En un
mot , que tout le pays soit sur un pied militaire .
Du 9juin .-Le club des Whigts s'est réuni mardi pour
son dernier dînerà la Taverne de Londres . M. Fox a déclaré
dans le discours qu'il a prononcé à cette occasion , que les
causes de la guerre actuelle sont plus futiles encore que
celles de toutes les querelles précédentes ; que rien n'eût été
plus facile à arranger que les différends des deux nations;
i a formé des voeux pour que l'on n'ait pas à regretter d'avoir
fait la guerre avec cette incroyable légèreté .
Du 10. Cet après-midi , les négocians qui se présentent
pour acheter l'emprunt , ont eu audience du ministre.
On demande onze millions ; le restant des subsides pour
le service de cette année , sera levé sur des taxes additionnelles.
On assure qu'on proposera ce soir un vote additionnel
de 40,000 matelots ,y compris 8,000 gardes- marine.
Le général Stuart a ordre de se rendre de Malte en Sicile
avec 3000 hommes , pour protéger cette île contre une
invasion des Français. Il se portera dans les environs de
Messine , afin de défendre le passage étroit de Charibde
etScylla des anciens , tandis qu'une escadre anglaise reseraen
croisière dans le détroit de Messine et au nordde l'ile.
:
PRAIRIAL AN XI. 613
Onparle d'une conscription pour la milice,d'unhomme
sur sept.
M. Addington a eu une conférence avec les banquiers
et négocians de la Cité. Il a annoncé qu'il aurait
besoin de millions sterlings. On compte sur une dépense
annuelle de 50 millions sterlings .
Le bruit se répandit samedi , à la Cité , que Bonaparte
avait été assassiné.
Le ministre a annoncé que les impositions seraient
lourdes , et on lui a démandé si les fonds publics seraient
taxés ; il a répondu : certainement.
Un messager français est arrivé hier soir , dimanche, à
huit heures , avec des dépêches de M. de Talleyrand pour
lord Hawkesbury. Il était si pressé d'arriver qu'il n'a point
voulu attendre à Calais un paquebot régulier , mais s'est
embarqué dans un bateau découvert, bien que le vent fût
violent et contraire. Lorsqu'il est arrivé à Douvres , le
télégraphe a prévenu le gouvernement de son arrivée. Les
dépêches qu'il a apportées ont été sur-le-champ envoyées
àlord Hawkesbury , à sa maison de campagne. Les ministres,
qui étaient absens , ont été convoqués pour cematin.
On conjecture que Bonaparte désire renouveller des négociations
de paix ( 1 ) .
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE.
Tandis qu'au dehors tout prend une face guerrière ,
au dedans tout s'arme , tout se combine , tout se prépare.
Lyon , Rouen , Strasbourg , Anvers se sont joints à la
ville de Paris ; tout redouble d'activité : les chantiers
d'Anvers sont déjà disposés pour la frégate de quarante--
quatre canons , offerte par le département des Deux-
Nèthes . Les contributions du commerce de Paris , et celles
de la ville de Strasbourg ont pris une organisation déçidée.
Le département du Nord a offert un vaisseau ; celui
du Tarn une frégate. Des adresses de toutes les parties
de la France apportent au gouvernement l'hommage des
mêmes dispositions. Le département de la guerre marche
( 1 ) Nous avons lieu de penser que ce conseil était relatif à la convention
couclue par le général Mortier en Hanovre. Un courrier ev
traordinaire a porté cet acte à la ratification du roi d'Angleterre , le
premier consul attendant cette ratification pour ratifier lui-même.
(Journal officiel. )
Qq4
614 MERCURE DEFRANCE ,
du même pas que celui de la marine. Un grand nombre
d'officiers-généraux , membres du sénat , du corps législatifet
du tribunat , ont écrit au premier consul, pour lui
offrir leur dévouement. Quatre légions , formant environ
15 mille hommes vont être levées dans les départemens
des Alpes-Maritimes , de la Doire , du Léman , de Marengo
, du Mont-Blanc , du Pô , de la Sesia , de la Stura
et duTanaro; elles seront rassemblées à Turin , à Chambéry
et àNice. L'ordre est donné à tous les officiers et soldats
qui ont obtenu des congés limités , de se rendre surle-
champ à leurs drapeaux. La mesure des conscrits se
presse avec une nouvelle activité. En vertu d'ordres supérieurs
du gouvernement , et d'un arrêté du préfet , la
ville d'Anvers a été mise à exécution militaire , pour
n'avoir pas encore fourni son contingent de conscrits. Le
préfet du département du Rhône à Lyon , a adressé à tous
les maires du département , une circulaire pour leur annoncer
qu'il serait établi des garnisons chez les parens
des conscrits réfractaires , ou chez ceux qui leur donneraient
asile : plusieurs autres préfets ont pris une semblable
mesure.
D'unautre côté , rien n'est négligé dans toutes les parties
d'ordre public. Le ministère des finances vient d'organiser
l'administration monétaire ; elle sera composée de
trois membres nommés par le premier consul. Le ministre
de l'intérieur vient d'écrire aux préfets des départemens
, relativement à la vaccination , une lettre circulaire
,qui fait espérer que l'usage de ce traitement pourra
faire disparaître le fléau de la petite-vérole. Nous sommes
obligés de citer en même temps une lettre du ministre
grand-juge au préfet du département de la Meurthe. Il
paraît , par cette lettre , que des émigrés rayés ou amnistiés
ont cherché à intervenir dans des actes de vente de
leurs anciennes propriétés , pour garantir ces ventes , et
renoncer à tous droits qu'ils ont , ou pourraient avoir sur
ces propriétés. « Vous regardez très-justement ces con-
>> ventions illusoires , comme inconvenantes , et on doit
>> s'étonner qu'il se trouve des fonctionnaires publics qui
>> se permettent de les insérer dans les actes qu'ils re-
>> coivent. >> Tels sont les termes de la lettre du grandjuge.
Nous n'avons , comme on peut le croire , aucune
observation à faire sur cette lettre .
Nous nous arrêterons avec plus de plaisir sur l'essor que
prennent par-tout les esprits contre l'ennemi commun. {
PRAIRIAL AN XI. 615
On vient de publier de nouveau , et de remettre en vente
unenotice historique des descentes qui ont été faites dans
les îles britanniques , depuis Guillaume le Conquérantjusqu'à
l'an 6, avec une carte qui nous a paru très-bien
faite. M. de Thilorier n'est pas le seul aéronaute qui s'occupe
des moyens d'envahir l'Angleterre ; le fameux Blanchard
vient de déposer chez le maire de Cherbourg , un
instrument qu'il vient d'appliquer à l'art de la navigation .
Get instrument peut suffire , dit-on , à faire voguer un
bâtiment sans voiles , sans cordages , sans mâts , sans vent ,
et même contre le courant et sans bruit. Une lettre du
maire de Cherbourg , qui constate le dépôt de cette ma
chine, annonce que l'expérience en sera faite incessamment.
"
:
La cour de Vienne a fait contredire officiellement la
nouvelle publiée dans quelques gazettes , que les ports de
l'Adriatique seraient fermés aux Anglais , et la Valachie ,
cédée par la Porte à la maison d'Autriche .
Le roi de Prusse n'a pas cru devoir envoyer de nouveaux
renforts en Westphalie , se confiant pleinement en
l'assurance que le général en chef de l'armée française a
donnée au général Blucher , qu'aucune violation du territoire
prussien n'aura lieu. S. M. a reçu aussi du C. Laforest
, nouvel ambassadeur de la république française à
Berlin , une déclaration sur le même sujet , également satisfaisante
.
Il y aura bien un cordon sur les frontières de la Prusse ,
du côté du Hanovre , mais il sera formé de poteaux avec
l'aigle prussienne , et les français sauront respecter cette
barrière , comme si elle était protégée par une triple li
gue de bataillons .
On écrit de la Haye ( 19 prairial ) : « On ne serait pas
surpris de võir , lorsque l'heure en sera venue , l'électorat
d'Hanovre devenir un objet de compensation , qui serait
offert par la France , à un prince dont les intérêts ont été
indignement sacrifiés par l'Angleterre , et qui n'a perdu
son rang que pour avoir originairement épousé la querelle
de cette puissance. On voit assez qu'il est question
ici de la maison d'Orange , à qui la France a déjà fait sentir
, dans plus d'une occasion , qu'elle ne se souvenait plude
la conduite qu'avait tenue , dans les premières années
de la guerre ; l'ancien chefdu gouvernement hollandais.
616 MERCURE DE FRANCE ,
M. Liston , ministre de la Grande-Bretagne à la Haye,
vient de quitter cette résidence pour retourner en Angleterre
; et réciproquement M. Schimmelpenninck , ministre
de la république batave près le gouvernement britannique
, doit, dans ce moment, être parti de Londres , pour
retourner à la Haye.
Le vice-consul d'Angleterre , résidant à Hambourg , a
adressé ( le 2 juin) aux capitaines marchands de sa nation
la circulaire suivante :
<< Messieurs , il vous est enjoint de sortir du port avec
vos navires , et de les disposer à faire voile dans une heure ,
afin de pouvoir vous rendre avec le reflux à Cuxaven. »
Hambourg , le 2 juin 1803. Signé ED. NICHOLAS ,
vice-consul.
PARIS.
Le 22 prairial , à huit heures du matin , une partie de
la garde à cheval des consuls est partie pour se rendre à
Eruxelles.
Les entrepreneurs , constructeurs de vaisseaux , invités
par l'avis publié , à adresser à la chambre de commerce
de Paris , leurs soumissions pour la construction , le
gréement , l'armement et l'équipement du vaisseau de 120
canons , le Commerce de Paris , sont prévenus que , par
décision du ministre de la marine , cette construction
devra avoir lieu à Rochefort.
Le corsaire le Courrier de Terre- Neuve , capitaine Leg ,
de Saint-Malo , a pris un navire de 500 tonneaux , chargé
de tabac , rhum et thé.
Le corsaire l'Impromptu de Boulogne-sur-Mer , capitaine
Pequel , a capturé dans la Tamise un superbe brick
anglais , nommé le Sunderland , chargé de bois de construction.
Cettte prise est entrée le 18 de ce mois àOstende.
Deux bateaux français armés , ont pris un navire anglais
près de Margatlı .
A Bonaparte-le-Grand , les soldats soussignés , membres
du sénat , du corps législatif et du tribunat.
2
Géné al , nous venons vous demander une faveur que vous ne refuserez
pas à Lotre zèle et à notre affection .
PRAIRIAL AN XI 617)
Sans vouloir pénétrer les secrets de votre sagesse , en laquelle
nons aurons toujours une pleine et entière confiance , et seuleusent si
tel est l'ordre de vos desseins , et dans le cas où vous n'aurez pas
autrement disposé de nous, nous vous prions de nous admettre à borp
du vaisseau qui vous portera en Angleterre , et avec vous la vengeance
et les destinées du peuple français .
G
Signés Kellermaun , Pérignon , Serrurier , Lamartillière , l'Espinasse
, Rampon , Vanbois , Cazabianca , Dubois -Dubay, Dédelayd'Agier,
Béguinot , Jacopin , Ligniville, Lefranc, Latour-Maubourg ,
Auguis , Nattes , Aniel Duranteau , Toulongeon , Regnaud-Lascours ,
Burdenet, Travenet , Tarrasson , Dalesme , Despalières , Sapey
Duhamel , Sahuc, Auguste Jubé, DDaarruu ,, Félix Beaujour , Leroi ( de
l'Orne ) , Chabaud-Latour , Carrion-Nisas , Emile Gaudin ,etc., etc)
,
Le général Dessolles est attendu à la Haye , avee un
corps d'armée , dont il aura, dit-on , le commandement.
M. Otto estnommé ministre plénipotentiaire àMunich.
Le général Bernadotte ne partira point pour les États-
Unis. On dit qu'il sera remplacé , dans son ambassade, par
M. Laussat,préfet colonial de la Louisiane.
Les nouvelles arrivées à la Porte , d'Alexandrie et
de toute l'Egypte , constatent que le général anglais avant
de quitter Alexandrie , a passé trois jours au milieu des
Mamelucks , a cherché à concerter avec eux des mesures
contre la Porte et les a assurés de la protection de la
Grande-Bretagne. Ely Bey qui s'est embarqué avec les Anglais
doit continuer à Malte de correspondre avec les Mamelucks.
( Journal officiel. )
ا ل
L'embargo a été mis à Brême sur tous les bâtimens
anglais pour tenir lieu aux Brémoisde leurs bâtimens pris
par les Anglais. ( Journal officiel. )
Les Français ont trouvé à Stade une frégate de 30
canons. ( Idem. ).
Le depart du premier consul , qui devait avoir lieu
aujourd'hui , vendredi , est retardé. On le dit renvoyé à S
jours...........
Le comte de Marcoff , anıbassadeur de Russie , va prendre
les eaux de Barrège.
La frégate l'Uranie a pris un bâtiment anglais de
huit pièces de canon et de 26 hommes d'équipage.
1
618 MERCURE DE FRANCE ;
Le navire anglais le John , venant de la Trinité , a été
capturé par le vaisseau français l'Intrépide.
Une polacre anglaise , venue de Damiette , en42 jours ,
a été capturée par un corsaire français.
Unbrigantin anglais a été capturé par un brick ,
mandé par le capitaine Volaire.
com-
La maison Barillon a fait l'offre patriotique de faire
construire à ses frais un bateau plat de troisième espèce.
Le conseil d'arrondissement de Lille , département
du Nord , à émis , le 5 prairial , le voeu d'offrir à l'état
un bâtiment équipé et armé de 30 canons , qui portera le
nom de l'Arrondissement de Lille.
Le conseil-général du département de la Côte-d'Or
a arrêté qu'il serait offert , au nom du département ,
roo pièces de canon de dix-huit. La culasse de chacune
deces bouches à feu portera ces mots : La Côte-d'Or , au
premier Consul. Pour satisfaire à cette dépense , le même
conseil a voté une imposition de 5 centimes par franc.
Nouvelles Règles pour la pratique du dessin et du
lavis de l'architecture civile et militaire , par C. M. Delagardette
, professeur d'architecture , architecte des bâtimens
civils , ancien professeur de l'école des beaux-arts à
Rouen , membre de la société libre des sciences , belles
lettres et arts de Paris , architecte de l'école de médecine
de Montpellier. Unvol. in-8°. avec 20 planches supérieure
mentgravées. Prix , broche , 6 fr. et 7 fr. par la poste.
A Paris , chez Barrois l'aîné et fils , libraires pour l'architecture
et l'art militaire , rue de Savoie , n°. 23 .
Et chez le Normant , imprimeur-libraire , rue des.
Prêtres-Saint-Germain-l'Auxerrois , n°. 42 .
PRAIRIAL AN XI. 619
TABLE
Du quatrième trimestre de la troisième année
du MERCURE DE FRANCE.
TOME DOUZIÈME.
LITTERATURE.
POÉSIE.
PARAPHRASE du psaume Dixit Dominus , page 3
Le Printemps , ( trad. de Métastase. )
:
5
Envoi d'un serin. 7
Imitation de la Partenza di Nice , ( de Métastase. ) 49
Elégie sur la mort de Saint- Lambert. 51
Fragment d'un poëme. 97
Inscription pour le jardin des Plantes. 102
Imitation de l'épitre d'Héloïse à Abailard de Pope. 145
et479
Paraphrase du psaume In Exitu. 195
Mort de Nisus et Euryale ,( trad. de Virgfle. ) 241
Ode à la Pudeur. 244
Les deux rats , ( trad. d'Horace. ) L 289
L'Avare , ( trad. du Buchanan.) 291
De tout un peu ; chanson. :
337
Monologue gascon.
539
L'Égyptéïde , poëme , ( fragment. )
385
Romance.
388
Vers lus au premier consul , le jour de sa visite au
PrytanéedeParis, 589
620 MERCURE DE FRANCE ,
Impromptu au même ( lat. et franç . )
Cure merveilleuse .
360
433
Stances . 483
:
١٠٨
Epître à la Bonte. 527
Fragment d'une Traduction du 13°. Chant de
e Orlando Furiosa 575
EXTRAITS ET COMPTES RENDUS D'OUVRAGES .
Traité de l'éloquence du barreau , par M. Gin.
Nouveau Dictionnaire d'Histoire naturelle .
La Pitié , poëme par M. Delille.
I I
18
22 et 172
Oeuvres de Bernard .
:.
24
A r
Hippolyte ou l'enfant sauvage , roman. ১ 28
Le Pénitent instruit . 30
Atlas , Hist. et Géogr. de M. Lesage. Id.
Histoire des lois civiles , sur le mariage et sur le divorce
, par A. Nougarède. 65
Oeuvres de Parni. ! 77
Histoire de Gustave Wasa , roi de Suède . 105
,
Les Ages français , poëme de Lemercier. 121
Le chemin du ciel, ou l'Hôpital des fous , satire
chrétienne . 125
:
Essais hist. sur les causes et effets de la révolution de
France, par C. F. Beaulieu. 157
Lettres Athéniennes , ( trad. de l'anglais.) 167
Le Faux Dauphin . : 176
Manière d'apprendre et d'enseigner , ( trad. de Jouvency.
)
201
Lettres inédites de J. J. Rousseau . 1208 et 215
Galerie des antiques. 215
L'éducation , роёте.
Eustasia , hist. italienne , par d'Arnaud.
Léontine , ou la Grotte allemande
Essai deMétaphysique , de politique et de morale.
Précis historique de la Révolution Française , par
M. Lacretelle , le jeune.
217
219
231
225
247
PRAIRIAL AN XI. 621
Hippolyte, tragédie de M. de Palmezeaux,(Cubières.) 258
Fontenelle , Colardeau et Dorat , par M. Cubières. 279
Pensées de Léibnitz sur la religion et la morale. i 295
1
Sur les finances , le commerce , etc. 306
Génie du Christianisme , seconde édition . 319 et 341
Le Printemps d'un Proscrit , troisième édition. 322
Ephémérides politiques et religieuses , 324et505
Fables de Boisard . 362
Théorie de l'imagination . 371
Testament du major-général Cl. Martin. 373
Les Femmes , etc. , par J. Al. de Ségur. 393
Voyage de Candide fils , au pays d'Eldorado .
Les voyageurs en Suisse , par M. Lantier.
Lettres philosophiques et historiques sur l'Inde.
Sur l'astronomie .
Sur les pierres tombées du ciel .
Sermons de M. Géry.
Dialogues sur l'éloquence , et Sermons choisis de Fénélon
.
402
411
412
415
416
418
439
Ouvrages posthumes de Florian. 449
Poésies de Clotilde de Vallon- Surville. 485
Théagènes et Chariclée , ( trad. d'Héliodore. ) 497
Le Calendrier de Flore. 501
:
Oeuvres de Sterne . 535
De l'architecture égyptienne. 544
Fragment d'un ouvrage sur le Bonheur. 181
Cornelius Népos français.
152971
590
VARERLAST
Apologie de la religion ; par M. de Laharpe, ( fragment.)
2.1 00
Des institutions morales , ( fragment. )
Observations sur un passage d'Homère.
Athénée de Paris.
r
57
113
151
225
Les Sciences doivent-elles l'emporter sur les lettres ?, 310
De quelques maximes dangereuses. 461
BIBL. UNIV.
GENT
622 MERCURE DE FRANCE ,
Au Rédacteur. 557
Malesherbes. 595
Pariset ses Modes , ou les Soirées parisiennes . 597
SPECTACLES
1
Théâtre de la République et desArts.
Proserpine , opéra. 84
Théatre Français.
Le Veuf amoureux , comédie en trois actes. Idem .
Theatre Feydeau.
Les Confidences . Ibid.
Théâtre Louvois.
Le Valet embarrassé , comédie en quatre actes.
Les Maris en bonne fortune, comédie.
31
87
La Suite du Menteur. 227
Le Vieillardet les Jeunes gens , comédie en cinq
actes , par Collin-d'Harleville . 559
A POLITIQUE. :
Aperçus généraux et nouvelles extérieures. 34, 85 ,
128,181,250 , 284, 327,376, 421, 464, 508, 517, 562,
603.
Nouvelle banque de France. 187
Note adressée par le ministre des relations extérieures
à l'ambassadeur d'Angleterre. 422
Pièces officielles relatives à la négociation avec l'Angleterre.
Déclaration du roi d'Angleterre.
468
511
Convention entre le général Mortier et la régence
d'Hanovre. 572
Tribunat. 55 , 90, 132, 182, 250, 286 , 329,380 ,
٠٤
430 ,466.
Corps législatif. 41 , 91 , 134, 182 , 232 , 287 , 330 , 381 ,
:.
451, 465, 510.
Loi sur la levée des conscrits des années II et 12.
Paris.
236.
185,332 , 381 , 431 , 571,616.
DE
FRANCE ,
LITTÉRAIRE ET POLITIQUE.
TOME DOUZIÈME.
TE
'
DE
COMME
SOCI
ERCE
*
VIRES
ACQUIRIT
EUNDO
.
A PARIS ,
DE L'IMPRIMERIE DU MERCURE DE FRANCE.
AN XI ,
DIEL. UNIV,
LRED
( No. XCI . ) 5 GERMINAL an .
(Samedi 26 Mars 1803. )
MERCURE
DE FRANCE.
LITTÉRATURE
;
POÉSIE.
Paraphrase du Pseaume DIXIT DOMINUS
Du Seigneur tout - puissant la voix s'est fait entendre ;
Le souverain des cieux a dit à mon Seigneur :
Viens , à ma droite assis , du père le plus tendre
Partager et l'empire et l'éternel bonheur,
Bientôt déconcertés , engloutis dans la poudre ,
Tes plus fiers ennemis seront glacés d'effroi ;
Et leurs corps expirans , écrasés par la foudre ,
Feront ton marche-pied pour monter jusqu'à moi.
La brillante Sion , témoin de ta victoire ,
Verra frémir au loin ses rivaux terrassés ;
Dans ses murs triomphans , j'établirai ta gloire
Sur les débris fumans des trônes renversés .
II A2
r
4 MERCURE DE FRANCE ,
Source de tous les biens , au jour de ta puissance ,
Avant que du soleil on vit briller les feux ,
De tous les temps en moi je t'ai donné naissance ;
Viens éclairer mes saints , viens régner avec eux .
Le Seigneur l'a jure ; fidèle à sa promesse ,
Tu seras le plus grand des princes d'Israël ,
Et de Melchisedec surpassant la sagesse ,
De son ordre sacré le pontife éternel . A
71
Le Seigneur , près de toi , veille pour ta défense ;
Sur les tyrans vaincus et réduits aux abois ,
Son bras appesanti vengera ton offense :
Au jour de sa colère il a brisé les rois .
نه
Les fléaux destructeurs , les plus cruels désastres ,
Accableront de deuil tous les peuples divers ;,
Sa voix dans le néant fera rentrer les astres ,
Alors qu'il paraîtra pour juger l'univers.
Tremblez , fiers conquérans , arbitres de la terre ,
Le monde est ébranlé jusqu'en ses fondemens :
Que de fronts orgueilleux sont frappés du tonnerre !
Que de palais détruits par les embrasemens !
Cependant ce héros , poursuivant sa conquête ,
Du torrent dans son cours enfin boira les eaux ,
Et par - là jusqu'aux cieux élevera sa tête :
Célébrons à jamais ses triomphes nouveaux.
Par M. M. P. DE M.
GERMINAL AN XI. 5
LE PRINTEMPS , 1
Traduit de la onzième Cantate de METASTASE.
Le gazon , cher Philène
Commence à reverdir ;
٢٠
Dans nos bosquets déjà le bourgeon va s'ouvrir.
Ne sens-tu pas l'haleine .
D'un importun zéphir ,
Qui déjà nous ramène
Le printemps sur ses pas ?
La nouvelle saison te rappelle aux combats.
Que fera , loin de toi , la malheureuse Irène ?
Ah ! par pitié pour mon coeur amoureux ,
Tendres zéphirs , ne soufflez point encore ;
Jeunes boutons , au nom des Dieux ,
Ne vous hâtez pas tant d'éclore !
Que de soupirs doit coûter à mon coeur
La moindre fleur qui se colore !
Le plus léger zéphir augmente ma douleur.
Dans sa coupable adresse ,
Quel monstre , le premier ,
En instrument de mort osa forger l'acier ?
Le barbare jamais ne connut la tendresse ;
Fier de sa cruauté ,
Jamais il ne sourit au nom d'humanité.
Quelle fureur ! quelle ſolie !
A la séduisante beauté
D'une amante chérie
Préférer les assauts d'un farouche ennemi .....
Philène , mon ami ,
Ah ! ne te laisse pas séduire !
Si ton âme désire
A3
6 MERCURE DE FRANCE,
Avec tant de chaleur de cueillir des lauriers ,
L'amour n'a - t - il pas ses conquêtes ?
Tous les amans sont des guerriers ,
Qui doivent braver les tempêtes ,
Et les frimats , et la chaleur ;
Unir tantôt la ruse à la valeur
,
Le génie à l'expérience ;
Tantôt montrer la même ardeur
Pour l'attaque et pour la défense.
L'amour a des succès ;
f
Il a sa colère et sa paix :
Mais sa colère est fugitive ;
Mais que sa paix a de douceurs !
Son triomphe prodigue aux vaincus , aux vainqueurs ,
La félicité la plus vive ;
Même dans ses tourmens .
Hélas ! qu'est - ce que j'entends ?
Quoi ! déjà la trompette sonne ! ...
Philène va partir ; Philène m'abandonne ! ..;
Ingrat ! ... arrête , ingrat ! ..;
Pourquoi fuir ma présence?
Ah ! j'y consens vole au combat :
...
Je ne veux pas enchaîner ta vaillance ;
Mais avant ton départ ,
Que j'obtienne un dernier regard !
Quand tu seras ivre de gloire ,
Souviens - toi que mes jours existent dans les tiens &
Rapporte , s'il se peut , des feux dignes des miens ;
Mais reviens couronné des mains de la victoire .
Dans quelque lieu que t'ait conduit le sort ,
Redis - toi quelquefois , en pensant à ma peine :
« Qui sait si ma fidelle Irène
>> Existe encor ! >>>
J. A: NICOD
3
GERMINAL AN XI.
7 ..
A M. M ***
ENVOI
Dans lebec d'un serin , dont lebabil avaitparu l'intéresser.
DES tendres aveux de Lesbie ,
Ce moineau , discret messager ,
ACatulle , d'un vol léger ,
Portait les billets de sa mie.
Aussi bien qu'il servit l'amour ,
Qu'il serve la reconnaissance !
S'il chante pour la bienveillance ,
Il te chantera tout le jour.
:
Rien de ton coeur n'est illusoire ;
Tu nous as promis le bonheur;
Et pour en garder la mémoire ,
Garde la lettre et le facteur.
PAR ROUSSEAU- LA-ROTTIERE.
ENIGME.
1
ENFANT abandonné , même avant ma naissance,
De mes parens je n'eus aucun secours ;
Rien n'assurait ma chétive existence ;
Laid et hideux , je marchais à rebours.
Au fond d'un trou , dans un sombre repaire,
Le besoin et la faim me rendirent méchant ;
Je me livrais à mon goût sanguinaire ;
Jour et nuit je faisais la guerre à tout passant
A
8- MERCURE DE FRANCE ,
11
Malheur à l'être sans défense ,
Qui près de moi portait ses pas !
Victime de son imprudence ,
y trouvait la mort , et moi de bons repas ;
S'il voulait échapper à mes dents meurtrières ,
Je l'accablais d'une grêle de pierres ;
Il retombait à ma discrétion.
Craignant enfin l'attention
Que pouvait contre moi réveiller ma conduite ,
Sans oser prendre ouvertement la fuite ,
Je me cachai dans un tombeau ;
Là, par une diète austère ,
Je voulus expier mon métier de bourreau :
Jaloux de revoir la lumière
,
Je m'y pourvus d'un bon déguisement
Qui me fit méconnaître ;
Bientôt on me vit reparaître
Dans un nouvel ajustement.
Ayant ainsi changé ma maussade structure ,
Hardiment je me remontrai
Dans ma brillante parure ,
Sous laquelle je m'admirai :
1
Une gaze légère , et fine , et transparente ,
Que rehaussait l'éclat des plus vives couleurs ,
Décora ma taille élégante ,
Et m'eût fait remarquer même parmi les fleurs.
J'ai pris , changeant d'habits , un très - bon caractère ,
Je ne m'occupe plus qu'à chercher le plaisir ,
Je le poursuis sur l'aile du zéphir :
Je voltige par - tout , et par- tout je sais plaire.
Comme ici - bas le mal est à côté du bien ,
Dans peu je serai père ou mère
D'enfans qui , comme moi , d'abord ne vaudront rien
Mais , comme moi , changeront , je l'espère.
>
GERMINAL AN XI . 9
LOGOGRYPHE.
COMME de bonnes sentinelles ,
A leur consigne bien fidelles ,
Avec soin nous avertissons ,
Quand le moindre bruit nous approche ;
Si quelqu'un veut faire un reproche ,
Ou solliciter des pardons ,
Ou dire un mot de politesse ,
C'est toujours à nous qu'il s'adresse ;
Trop heureux si nous l'écoutons !
Sans nous les auteurs de musique ,
Les chanteurs et les violons ,
Même les faiseurs de sermons
N'obtiendraient aucune pratique ;
Sur huit pieds nous nous soutenons ;
Combine-les : nous présentons
De beaucoup d'objets la série ;
Nous en tairons une partie :
Le bois pliant dont les vaniers
Font usage pour leurs paniers ;
Le point principal en optique ;
L'éminent et funeste emploi
Que proscrit notre république ;
La matière que saint Éloi
1
Employoit dans ses beaux ouvrages ;
,
Le prophète qui fit cadeau
A son confrère d'un manteau
Quand il monta dans les nuages ;
Ce qu'en tes écrits tu mettras ,
A tes lecteurs si tu veux plaire;
L'objet du culte des Incas ;
10 MERCURE DE FRANCE ,
La plante que la cuisinière
Oppose à la fadeur des mets ;
Le marchand de cabriolets ;
Enfin, la solide matière ,
Que l'on façonnait en jetons ,
Et qu'un chimiste apothicaire
Va convertir en bons bouillons.
CHARADE.
La fable inventa mon entier ;
L'Éternel créa mon premier ;
Les médecins font mon dernier.
1
/
Mots de l'Enigme , du Logogriphe et de la
Charade insérés dans le dernier Numéro.
Le mot de l'Enigme est Essence de rose de Constantinople
( 1).
Celui du Logogriphe est Caréme , où l'on trouve rame,
mère , carme , mer , acre,ère , arme , mare , amer ,
are , ma , Marc , âme.
Le mot de la Charade est Ventose.
( 1 ) Cette Essence se trouve chez Hébert , Palais du Tribunat,
galerie de pierre , n. 20. en flacons , depuis 6 à 30 fr ..
L
GERMINAL AN XI. 11
Traité de l'Eloquence du Barreau , nouvelle édition
; par M. Gin , ancien magistrat , traducteur
des Harangues de Démosthènes et d'Eschine ;
1 vol. in- 12 , 1 fr. 50 cent. et 2 fr. par la poste.
A Paris , chez Egron , imprimeur , rue des
Noyers , nº. 24 ; et chez le Normant, imprimeurlibraire
, rue des Prêtres Saint-Germain-l'Auxerrois
, vis -à-vis le petit portail , nº. 42.
L'INÉPUISABLE fécondité de M. Gin, jusques
dans un âge si avancé , nous représente ces automnes
riches et fertiles qui se prolongent jusques
dans l'hiver , et couronnent de leurs fruits la vieillesse
de l'année ; ces fruits d'une saison tardive ,
n'ont pas toujours une qualité qui réponde à leur
abondance , mais ce sont les dons d'une nature
libérale , qui attestent la richesse du sol et la faveur
des cieux.
Cette comparaison paraîtra peut- être un peu recherchée
, mais elle est juste. M. Gin a enrichi
notre littérature d'une foule de productions , qui
font estimer l'homme encore plus que l'écrivain.
Attaché par le sang à l'un des plus grands poètes
que la France ait produits , il a soutenu l'honneur
de cette alliance , sinon par des talens du même
ordre , au moins par de profondes études et des
travaux utiles . Il a traduit , en véritable savant ,
les plus beaux ouvrages des orateurs et des poètes
grecs : sa traduction de Pindare est la seule complète
que nous possédions , et les notes qui l'accompagnent
témoignent une érudition peu commune.
Cet ouvrage a essuyé quelques plaisanteries
sans conséquence , qui ne devaient faire d'impressien
nisur le public, ni sur l'auteur ; son mérite est
12 MERCURE DE FRANCE ,
|
trop solide pour ne pas résister aux traits d'une critique
plus vive que maligne , et plus enjouée que
profonde. Des attaques de cette sorte assurent la
réputation d'un bon livre , comme ces secousses
légères qui éprouvent un édifice , et ne font que
l'affermir sur ses tondemens ; mais on n'a jamais
eu la pensée qu'elles dussent priver l'auteur du
fruit légitime de son travail , bien moins encore
affliger une vieillesse aussi respectable et aussi laborieuse
que la sienne. C'est pour réparer cet effet ,
autant qu'il est en notre pouvoir , que l'on profite
de l'occasion qui se présente de rendre à M. Gin
et à ses ouvrages la justice qu'ils méritent. Des
hommes qui ont plus d'esprit que de savoir , et
qui sont ordinairement subtils et railleurs , comme
-l'observe Léibnitz , parce qu'ils affectent de mépriser
les connaissances qu'ils n'ont pas ; de tels
hommes ont pu s'amuser quelquefois de la simplicité
qui paraît dans les traductions de M Gin ;
cette simplicité , il faut l'avouer , prend sa source
dans une fidélité trop exacte , c'est-à- dire que M.
Gin se tient souvent trop près de l'antiquité, iill la
copie trait pour trait ; et non content de traduire
J'esprit , il veut rendre la lettre , sans s'embarrasser
de la diversité des langues. C'est ainsi que , dans
cet endroit célèbre de l'Iliade où le poète compare
un de ses héros à un animal dont notre langue ne
permet pas d'employer lenomdans le style noble ,
il s'est montré plus hardi même que madame
Dacier; et tandis que tous les traducteurs se sauvent
par une périphrase de l'écueil du mot grec ,
M. Gin, avec une naïveté digne d'Homère , dit
tout simplement que le grand Ajax est semblable
àun dne. On ne doute pas que dans sa traduction
de l'Odyssée, il n'ait rendu avec la mème franchise
le beau passage où Homère compare Ulysse , agité
dans son lit de mille pensées différentes , à un
!
GERMINAL AN ΧΙ. 13
morceau de boudin qu'on tourne sur le gril. On
ne manque pas de critiques qui s'appesantissent
lourdement sur ces fautes légèrés , ou d'esprits
moqueurs qui triomphent en riant de cette
simplicité antique : mais on n'en estime pas moins
l'exactitude scrupuleuse de ces savans qui nous
peignent l'antiquité avec les couleurs naturelles de
ses moeurs , de ses coutumes et de son langage. Si
M. Gin a échoué dans des ouvrages plus modernes
qui demandaient les forces et l'imagination
de la jeunesse , c'est à nous de savoir respecter un
vieil athlèteque le besoin ou l'amour du travail a
fait rester dans la carrière. Il faut moins juger ce
qu'il est que se rappeler ce qu'il fût ; et la critique
duprésent serait trop cruelle et trop injuste ,
si elle n'était précédée de la mémoire reconnaissante
du passé.
f
Le traité de l'Eloquence du Barreau parut , et
fut reçu avec faveur il y a près de quarante ans.
C'est un ouvrage élémentaire et une sorte de rhétorique
propre aux jeunes orateurs qui se consacrent
à l'étude de la jurisprudence : on y trouve
tout ensemble et les préceptes et les exemples de
l'art. Les préceptes y sont ménagés avec sobriété ,
et les exemples répandus avec goût. On pourrait
trouver que l'auteur n'approfondit pas toujours
assez son sujet , si son dessein n'était pas de s'attacher
sur-tout à la partie oratoire. Ce n'est pas qu'il
néglige la science , il la regarde avec raison comme
le fondement d'une éloquence solide , et il marque
lui -même les sources de l'instruction où se doit
former le jurisconsulte ; mais il ne s'élève pas ,
comme Cicéron , aux idées générales de son art :
ce grand maître qui joignait à une expérience consommée
tant de méditations profondes , nous a
tracé lui-même un tableau de l'orateur parfait , où
it faut chercher peut-être ce qu'il y a de plus vrai
14 MERCURE DE FRANCE ,
:
etdeplus instructif sur cette matière ; c'est là qu'il
entreprend de fondre ensemble l'orateur et le
philosophe ; idée fondamentale à laquelle doit se
rapporter toute éloquence qui aspire à une longue
vie.
En effet , Cicéron, s'était aperçu qu'il y avait.
une éloquence commune , dont toute la beauté
consistait dans les ornemens du discours ; ( eloquentia
popularis , ornata verbis..... ) que cette
éloquence était méprisée des habiles qui n'y trouvaient
aucun fonds , mais qu'elle éblouissait la mul
titude; ( spreta àphilosophis et repudiata, ....
jactationem habuit in populo) et, d'un autre côté,
il voyaitque ces hommespleins de savoir et d'idées ,
à qui il appartenait de traiter un sujet à fond , ne
possédaient pas , au même degré , la force et les
agrémens du style; en sorte que , dans ce partage
des qualités de l'esprit, les uns avaient l'art de
plaire , mais ne savaient pas instruire; et les autres
savaient instruire , mais n'avaient pas le don de
plaire , parce que, dit Cicéron , l'éloquence manquait
aux savans, et la science aux hommes diserts.
Doctis eloquentia popularis , et disertis elegans
doctrina defuit. Ce grand orateur comprit donc
que pour faire quelque chose d'achevé , il fallait
réunir ces deux qualités ; et que comme il y a dans
l'homme une raison qui veut être instruite pardes
vérités solides , et une imagination qui veut être
flattée par les beautés sensibles de la parole , l'éloquence
, pour captiver l'homme tout entier , devoit
mettre en oeuvre ce double pouvoir , et des idées
qui constituent le fond du discours , et des images
qui ensontl'ornement , afin que , de cette manière ,
rien ne manquât ni à l'instruction ni au plaisir , et
que ces deux choses fussent placées dans leur ordre
naturel. Selon cette idée, Cicéron jugeait que tout
l'art oratoire qu'on déployait au barreau ne faisait.
:
GERMINAL AN XI .. 15
qu'une partie del'éloquence ; car il pouvaitbien contenter
l'oreille par l'harmonie des périodes, et l'imagination
, par la pompe du style ; mais il ne satisfaisait
pas de même la raison et l'esprit : et , en
effet, la véritable éloquence, qui est naturellement
pleine de feu , est si éloignée de consister dans le
choix et l'arrangement des mots , qu'il n'y a rien
quelquefois qui y soit plus opposé. Il est certain
que des idées pressées dans un enchaînement fort
et lumineux , quoiqu'avec un style négligé , porteront
dans l'ame plus de véritable chaleur que ces
phrases sonores et cadencées qui ne disent rien ou
presque rien à l'esprit. Elles ressemblent à ces
pièces de musique , dépourvues de chant et d'expression,
qui ne fontque remplir l'oreille d'un vain
bruit , sans jamais parler au coeur. On ne saurait
donc trop avertir ceux qui se consument d'un soin
si frivole , et qu'on peut appeler les martyrs de
Tharmonie , que Cicéron leur maître , cet homme
si harmonieux , pose avant tout pour principe de
son art , que sans la philosophie , c'est-à-dire , sans
uneprofonde connoissancedes choses , il n'est pas
possible d'être vraiment éloquent. Positum sit in
primis , sine philosophid non posse effici, quem
quærimus, eloquentem. Il éclaircit assez ce principe,
en ajoutant que sans la philosophie dont il parle ,
l'orateur ne peut rien dire de profond ni de con
sidérable touchant la vie , les devoirs , la vertu , et
les moeurs. De vitd , de officiis , de virtute , de
moribus. Il paraît que Cicéron avait emprunté
cette idée de Socrate; car ce grand homme disait
à ses amis que Périclès n'avait eu une éloquence si
puissante , que parce qu'il avait été formé par
Anaxagore , qui avait ajouté aux grâces naturelles
de son esprit une grande profondeur de sens ; et
Cicéron attribuait de même la gravité singulière
deDémosthènes auxinstructions qu'il avait retenues
de Platon.
{
16 MERCURE DE FRANCE ,
Vraisemblablement si M. Gin fût entré davan
tage dans ces considérations pourjuger les orateurs
de notre barreau , il eût loué plus sobrement quelques-
uns de nos plaidoyers qui , quoique très-bien
écrits , n'ont cependant rien qui approche de cette
souveraine éloquence dont les modèles sont si
rares. Ce sont ces modèles qu'il faut suivre unique
ment. La parole a toujours été une si grande puissance
dans le monde que les hommes ne manqueront
jamais d'ambition pour se la disputer. Mais
on doit craindre que , pour arriver plus aisément
à une gloire si enviée , ils ne corrompent l'idée de
l'éloquence , comme nous voyons qu'il arrive dans
ladécadence des moeurs et des esprits. Voilà pourquoi
il importe de la défendre sans cesse contre les
fantaisies de l'amour propre et les innovations du
mauvais goût. Il faut donc que cette idée de la
véritable éloquence repose sur un fondement qui
n'ait rien d'arbitraire, Or , ce fondement ne se peut
trouver qu'en s'attachant fidèlement aux modèles
que l'expérience et la raison générale ont , en quelque
sorte , consacrés . C'est donc bien justement
qu'on se rit de la plaisante prétention de quelques
fous , pleins d'amour propre , qui s'étant tourmentés
à imaginer un style bizarre et des idées
singulières , pensent les faire recevoir comme un
nouveau genre d'éloquence et de raison. Ils ne
voient pas que si ce qui plaît à quelques imaginations
échauffées , devait servir de modèle , toute
espèce de règle deviendrait inutile, puisque chacun
pourrait se faire une loi de son goût particulier
, quelque chimérique et quelqu'insensé qu'il
pût être ; mais , excepté eux , qui ne voit dans
quelle confusion d'idées tomberait à l'instant l'esprit
humain , si jamais une telle porte était ouverte
au caprice et à la vanité ? Ce n'est donc pas par
une superstition timide , comme ils le disent , mais
avec
ةمسق
GERMINAL AN XI 17
BA
cen
avec une profonde mesure de jugement , que
critique qu'on a toujours professée dans cercou
vrage , ne cesse de les rappeler au siècle desund
dèles et aux principes établis de tous les mos
dans les arts. Car le genre humain qui a reçeces
principes , et qui les a confirmés par son suffrac
y a mis le sceau de la raison , et leur a donne
force de loi.
M. le chancelier d'Aguesseau qui n'a fait qu'ef
fleurer le même sujet qu'a traité M. Gin , en
parle néanmoins très-pertinemment , dans des ins
tructions rapides qu'il adresse à un jeune avocat.
Dans le chapitre de l'élocution , où il s'occupe de
jeter les fondemens d'un style vrai et durable , le
savant magistrat veut , à l'exemple de Cicéron , que
le jeune orateur se fasse d'abord un fonds d'idées
générales et une solide méthode pour le raisonne
ment. C'est pourquoi il l'envoie à l'école de Des
cartes et de Port- Royal; et réconciliant le docteur
Arnaud avec le P. Mallebranche , il veut qu'il lise
tout ensemble laperpétuitéde lafoi et larecherche
de la vérité. Il veut qu'il se nourrisse des beautés
profondes de Pascal , des grands traits de Bossuet ,
et de la logique vigoureuse deBourdaloue: car ce
sont là les sources où il faut chercher cette philosophiedont
parlait Cicéron ,philosophie qui donne
des idées justes des devoirs de l'homme etde l'autorité
qui les prescrit. Je ne sais si M. Gin a bien
conguce principe ; mais on pourra trouver que ,
sans s'y arrêter précisément , il développe des idées
assez approchantes , dans le chapitre où il traite
des connaissances nécessaires à l'avocat , et où il
examine ce que chaque partie du savoir peut fournir
àl'éloquence . C'est voir par le détail ce que
Cicéron embrasse d'une seule vue . Maison saitcombienun
principe unique et fécond en conséquences
porte de clarté dans l'esprit, M. Gin a- t- il raison
4
11
B
18 MERCURE DEFRANCE ,
de considérer l'éloquence comme divisée en trois
genres , le sublimo , l'orné , et le simple ? Il blâme
M. Crevier de n'avoir traité , dans sa rhétorique ,
que la division des styles , quoiqu'il semble que
c'est se rapprocher davantage des idées de Longin,
et même de celles de Cicéron qui dit simplement
: Tria sunt omninò genera dicendi. Mais il
est vrai que M. Gin a pour lui une grande autorité
; c'est celle de Fénélon : et M. de Voltaire ,
dont le sentiment est considérable en matière de
goût , dit quelque part qu'on trouve , dans les Provinciales
, tous les genres d'éloquence. Il semble
néanmoins qu'on ait des idées plus claires , si l'on
dit que l'éloquence consiste , dans quelque matière
que ce soit, à employer le style qui convient au
sujet ; et , par la même raison , je ne pense pas
qu'on puisse soutenir que le barreau ne comporte
qu'un seul genre d'éloquence , car ce serait dire que
tous les plaidoyers doivent être écrits du même
style. C. D.
Nouveau Dictionnaire d'Histoire naturelle , appliquée
aux arts , principalement à l'agriculture et à l'économie
rurale et domestique ; par une société de naturalistes et
d'agriculteurs : vingt volumes grand in-8°. environ ,
ornés de planches en taill-edouce , tirées des trois règnes
de la nature. De l'imprimerie de Crapelet ; première et
deuxième livraisons , faisant les tomes I à VI , avec
soixante et une figures. Prix , 39 fr. brochés , pris à
Paris jusqu'au 3o floréal , que paraîtra la troisième livraison.
Passé cette époque , chaque livraison , de trois
volumes , sera de 22 fr. 50 cent. A Paris , chez Deterville
, libraire , rue du Battoir , n°. 16 , quartier Saint-
André-des-Arcs ; et chez le Normant , libraire , rue des
Prêtres Saint-Germain-l'Auxerrois , n°. 42.
L'homme, dans tous les temps , s'est appliqué à connaître
la nature , soit pour le soulagement de ses maux , sort
GERMINAL AN XL 19
pour la satisfaction de sa curiosité ; mais , trop souvent , il
a pèrdu de vue ce qui devait l'intéresser dans cette étude;
et , par une fatalité bizarre , la science des faits et de l'observation
est devenue un recueil d'opinions et de conjectures
, et s'est montrée presque aussi changeante dans ses
systèmes , que les arts d'imagination dans leurs écarts , et la
mode dans ses caprices. Cependant , la réforme de l'his
toire naturelle avoit été désirée , et même commencée par
quelques hommes supérieurs , qui s'élevèrent au-dessus des
préjugés et des connaissances de leur âge. Mais le succès
d'une telle entreprise , dépend du temps aussi bien que de
l'homme : il doit être le résultat d'une longue suite d'observations
, de découvertes et d'expériences. Il demande ,
dans les arts et les sciences , un degré de développement
nécessaire , pour qu'ils puissent se prêter un secours mutuel
; il demande , enfin , cette époque de maturité et de
perfection , qui arrive pour les sciences lorsqu'elle est
passée pour les arts d'imagination.
Cette époque est arrivée , et elle marquera la fin du dixhuitième
siècle . Un goût presque général a dirigé l'essor
de l'esprit humain vers l'étude des merveilles de la nature :
l'univers entier est devenu le domaine de l'homme; des
voyageurs instruits se sont partagés sa surface; des monts
inaccessibles ont été gravis jusqu'à leur sommet ; des
routes nouvelles ont été frayées sur les mers ; des contrées
sauvages et barbares ont été parcourues ; l'optique , la chymie,
l'anatomie , ont prêté leurs secours aux naturalistes ,
et de précieuses dépouilles sont devenues la récompense
du courage inspiré par un ardent amour des sciences.
Dès-lors on a vu disparaître des erreurs qui , soutenues
de grands noms , avaient traversé les siècles : la certitude
a remplacé les doutes ; des milliers d'êtres nouveaux ont
été reconnus et classés ; des phénomènes intéressans ont
été observés ; des faits nombreux ont augmenté la science ,
et la science s'est enrichie de toutes les connaissances p
B2
20 MERCURE DE FRANCE ,
sitives qu'elle a acquises et de toutes les erreurs qu'elle a
rejetées.s ::
Mais comment se procurer cette vaste et importante
collection de livres où elle a été saisie dans
toutes ses divisions , où sont indiqués les rapports les plus
déliés de tous les êtres , leurs points communs d'organisation
,leurs ressemblances intérieurés et secrètes , et la
marche régulière de la nature dans la chaîne immense
detous ses ouvrages ? Et lors même qu'on pourrait en
disposer , que de peines , que de fatigues et que de recherches,
souvent inutiles , pour y trouver ce dont on aurait
besoin ! Un traité méthodique d'histoire naturelle , contenant
un résumé complet des progrès de cette science ,
au niveau des découvertes modernes , appliqué aux choses
utiles , à l'économie rurale et domestique , à la médecine ,
aux arts , à l'agriculture , au commerce , etc. , dans lequel
on pourrait sur-le-champ , consulter un point d'histoire
naturelle , et qui réunirait dans un espace horné ce
qu'on ne peut rencontrer que dans une infinité d'ouvrages
nouveaux , et suppléerait à ce que l'on ne peut trouver
dans des collections modernes , à la vérité , mais que les
progrès des sciences ont rendu surannées : un traité de
ce genre serait donc un beau présent fait à toutes les
classes de la société. Tel est le but du nouveau Dictionnaire
d'histoire naturelle .
Non-seulement il rassemble avec choix et méthode
toutes les connaissances anciennes et modernes sur la nature;
mais chacun des auteurs y a consigné le résultat de
ses propres observations , et on le distinguera , sans doute ,
de ces compilations fastidieuses , de ces oeuvres de librairie
, où l'on trouve tout ce qu'on sait , et rien de ce qu'on
voudrait savoir.
On a reproché à l'ordre alphabétique de morceler la
science; mais ce désavantage disparaît entièrement ici ,
par la coïncidence méthodique des différens matériaux
qui composent cet ouvrage : les articles généraux exGERMINAL
AΝ ΧΙ.- 21
posent les principes fondamentaux de la science , et conduisent
aux articles des classes , des ordres , des genres ,
et enfin des espèces. Chaque objet est décrit avec clarté ,
précision et exactitude. Les notions les plus essentielles
sur la structure intérieure , sur le mécanisme des fonctions
des êtres vivans et végétans , sont exposées , avec la peinture
des moeurs et des habitudes des animaux. On n'a pas
négligé sur-tout d'enseigner les facultés , les usages , l'utilité
et l'agrément des plantes et des animaux , ainsi que
les propriétés des substances inorganiques et leur emploi
dans la chimie et les arts . Les seuls points intéressans de
critique sont discutés ; les faits douteux sont rapportés avec
précaution , examinés avec soin, et les preuves sont appuyées
sur les meilleures observations.
Cet ouvrage , qui sera terminé par des tableaux analytiques
, au moyen desquels on pourra apprendre l'his
toire naturelle , coinme dans un livre élémentaire , peut
donc être regardé en quelque sorte , comme un vaste tableau
dont chaque partie est successivement expliquée.
Un grand nombre de figures , toujours nécessaires dans les
ouvrages d'histoire naturelle , rendent sensibles aux lec-
-teurs les objets les plus remarquables , et l'on a eu soin de
renvoyer aux meilleures figures des ouvrages connus ,
lorsqu'elles ne sont point insérées dans ce dictionnaire.
Il est inutile d'insister sur les avantages d'une pareille
entreprise. Ils sont évidens , et si l'on peut conserver quelques
doutes , ce ne peut être que sur l'exécution. Nous
nous empressons d'ajouter ( et cette remarque n'est pas
superflue , lorsque l'on annonce un ouvrage de sciences ) :
que le respect de toutes les convenances a présidé à la rédaction
de ce dictionnaire; par-tout la morale s'y montre
d'accord avec la science , et le bon esprit avec le savoir
profond.
Au reste , le nom des rédacteurs est une recommandation
suffisante. L'histoire naturelle est rentrée dans tous
ses droits, lorsqu'elle est enseignée par des hommes qui
B3
22 MERCURE DE FRANCE ,
réunissent l'étendue des connaissances à l'amour des vé
rités nécessaires à l'ordre. La science devient vraiment
populaire , en se rattachant à ces hautes considérations ,
qui sont à la portée de tous , parce qu'elles sont bonnes
pour tous . Elle est intéressante , lorsqu'elle descend aux
applications utiles à la société; et lorsqu'elle n'est que
curieuse , elle est encore utile .
P. A. M. M.
VARIÉTÉS.
La Pitié, poëme en quatre chants , par J. Delille .
L'auteur , dans le premier chant , peint la pitié exercée
par les particuliers envers les animaux , les serviteurs , les
parens , les amis , et indistinctement tous les êtres à qui
leurs malheurs et leurs besoins donnent des droits à la
pitié des ames sensibles.
Lesecond chant a pour objet la pitié des gouvernemens,
exercée dans les établissemens publics de justice et de
charité , dans les prisons , dans les hôpitaux civils et militaires
, dans les guerres de peuple à peuple , et même dans
la guerre civile.
Les malheurs des révolutions , les malheurs de l'exil ,
sont le sujet du troisième et du quatrième chant. Pour
donner à ses tableaux toute la variété dont ils étaient susceptibles
, l'auteur les a enrichis de plusieurs épisodes ,
tirées du sujet même. Le troisième chant se termine par
la description d'une fête champêtre , instituée en l'honneur
des filles de Verdun , également intéressantes par leur
vertu et par leur beauté , toutes immolées dans un même
jour , et dont la mort prématurée, comme le dit le poète
lui-même , rappelle d'une manière si touchante ce mot
* charmant d'un grec, après une bataille où la jeunesseAthé
GERMINAL AN XI.
27
lasser fait naître l'idée d'un effort , et jamais on n'a fait
d'effort pour aimer.
Je pousserais ces observations beaucoup plus loin; mais
tous les gens de goût les ont faites avant moi , et ceux qui
n'ont point de goût ne m'entendraient pas . Bernard , dans
sa vieillesse , avait perdu la mémoire ; il avait oublié ses
vers , et je pense que tout le monde aurait dû les oublier
aussi . Au reste , Bernard est plus connu aujourd'hui par
quelques vers de Voltaire que par les siens. Voltaire a
long-temps a busé de son autorité sur le Parnasse , pour
faire des réputations. On se souvient de ces vers qui lui
furent adressés , sur la complaisance de ses éloges.
Mais , par tes billets circulaires ,
N'enhardis plus l'essaim bruyant
De ses insectes éphémères
Qui vont assiéger ton couchant.
Ainsi, dans les plaines de Flore ,
Sur le déclin des jours brûlans ,
L'oeil surpris voit soudain éclore
Tous ces moucherons bourdonnans .
Rien à mon gré n'est si risible
Que leur air , leurs tons empesés ,
Et leur mérite imperceptible
Dont tu les as seul avisés .
La missive qu'ils ont en poche
Leur sert de lunettes d'approche
Pour lorgner l'immortalité.
Nous ne pousserons,pas cependant la sévérité jusqu'à
réprouver toutes les pièces qui composent le recueil de
Bernard. Son poème de Phrasine et Mélidore , n'est pas
sans mérite , et l'opéra de Castor et Pollux est encore
assez généralement estimé.
! 1
28 MERCURE DE FRANCE.
Hypolite , ou l'Enfant sauvage. ( 1 )
,
Ce roman , écrit d'un style incorrect et trivial , est un
composé d'aventures extraordinaires qui étonneront
même les personnes les plus familiarisées avec ce genre
d'ouvrages. Hypolite est un jeune homme , né dans une
forêt , élevé dans l'état de nature , et qu'on veut rendre à
la civilisation. Les moyens que l'auteur emploie pour parvenir
à ce but , sont bizarres : son plan d'éducation n'a
aucun intérêt ; mais en offrit-il beaucoup , il ne pourrait
de long-temps être mis en usage , car les sauvages commencent
à devenir rares dans nos forêts. On voit qu'il a
voulu , en quelques endroits , se rapprocher de l'Elève de
la Nature de Mercier ; mais il y a, entre Mercier et lui ,
la distance qu'il y a entre Mercier et Newton. Du reste,
l'auteur s'est conformé à l'usage ; il fait mourir la plupart
des personnages , et son héros finit par un mariage riche ,
qui le rend très-heureux. Ne voilà qu'unepartiedu roman.
Dans l'autre partie, la mère d' Hypolite, loinde ressembler
àson fils , passe de la civilisation à l'état de nature ; elle erre
dans les forêts , sous les décombres de son château : c'est
par suite de ses malheurs , dont le récit remplit une grande
partie de l'ouvrage , qu'elle se livre à ce genre de vie , et
qu'elle prend en horreur tous les hommes et se soustrait à
leurs regards. Elle finit pourtant par recouvrer assez de
raison pour venir faire une belle mort au milieudes siens.
Tel est , en peu de mots , le plan de cet ouvrage. L'auteur
paraît avoir voulu faire contraster un sauvage , rendu à la
civilisation , avec une femme élevée dans un monde
choisi , qui se livre tout-à-coup à une vie sauvage. Pour
T
(1 ) Quatre vol. in-12. Prix, 7 fr. 50 c. et 9 fr. 50 c. frane de port.
AParis , chez Renard , libraire , rue de l'Université , n°. gaa; et chez
le Normant , imprimeur- libraire , rue des Prêtres-Saint-Germainl'Auxerrois
, n°. 42.
GERMINAL AΝ ΧΙ. 23
nienne périt en foule : L'année a perdu son printemps.
Par cette description , ajoute l'auteur du poëme , le lecteur
consolé passe avec plaisir et sans secousse , des massacres
à une fête , de la terreur des échafauds aux spectacles
délicieux des bocages , des fleurs et du printemps .
Nous allons citer ici cet épisode.
Chaque âge , chaque peuple ont eu lear héroïne ;
Thèbe eut une Antigone , et Rome une Epponine.
Mais chaque jour nous rend ces modèles fameux.
Rome ne vante plus tes triomphes pompeux !
Ce sexe efface tout ; et ton char sanguinaire
A vu moins de héros que son char funéraire :
Il a ses Thraséas , ses Catons , ses Brutus .
Ah ! que la Grèce antique , école des vertus ,
Ait des filles de Sparte admiré le courage !
Mais vous , charme d'un peuple élégant et volage ,
Qui dès vos premiers ans entendîtes toujours
Le son de la louange et le luth des amours ,
Sans le faste imposant de l'âpreté stoïque ,
Où donc aviez-vous pris cette force héroïque ?
O vierges de Verdun ! jeunes et tendres fleurs :
Qui ne sait votre sort , qui n'a plaint vos malheurs ?
Hélas ! lorsque l'hymen préparoit sa couronne ,
Comme l'herbe des champs , le trépas vous moissonne !
Mème heure , même lieu vous virent immoler :
Ah ! des yeux maternels quels pleurs durent couler ?
Mais vos noms , sans vengeur , ne seront pas sans gloire ;
Non : si ces vers touchans vivent dans la mémoire ,
Ils diront vos vertus . C'est peu : je veux , un jour ,
Qu'un marbre solennel atteste notre amour.
Je n'en parerai point ce funèbre Élysée
Qui de torrens de sang vit la terre arrosée.
Mais, s'il est quelques lieux , quelques vallons déserts ,
Épargnés des tyrans , ignorés des pervers ,
Là , je veux qu'on célèbre une fête touchante ,
Aimable comme vous , comme vous innocente.
De là j'écarterai les images de deuil ;
Là, ce sexe charmant , dont vous êtes l'orgueil,
:
i
B4
24 MERCURE DE FRANCE ,
Dans la jeune saison reviendra chaque année
Consoler par ses chants votre ombre infortunée.
" Salut , objets touchans ! diront-elles en choeur a
Salut, de notre sexe irréparable, honneur !
>> Le tenips , qui rajeun't et vieillit la nature ,
>> Ramène les zéphirs , les fleurs et la verdure ;
>> Mais les ans , dans leur cours , ne ramèneront pas
› Une vertu si rare unie à tant d'appas .
› Espoir de vos parens , ornement de votre âge ,
>> Vous eûtes la beauté , vous eûtes le courage ;
» Vous vites sans effroi le sanglant tribunal ;
Vos fronts n'ont point pâli sous le couteau fatal :
>> Adieu , touchans objets , adien Puissent vos ombres
> Revenir quelquefois dans ces asiles sombres !
>> Pour yous le rossignol prendra ses plus doux sons ,
» Zéphir suivra vos pas , écho dira vos noms :
>> Adieu ! Quand le printemps reprendra ses guirlandes ,
>> Nous reviendrons encor vous porter nos offrandes ;
› Aujourd'hui recevez çes dons consolateurs ,
>> Nos hymnes , nos regrets , nos larmes et nos fleurs ! >>>
Cuvres de Bernard , édition stéréotypée ; un vol. in- 18.
Prix , papier ordinaire , 1 fr. 10 c. et 1 fr. 50 c. par la
poste ; in-12 , papier fin , 2 fr. 25 c. et 3 fr.; idem , papíer
vélin , 4 fr. 25 c. et 5 fr. par la poste. Chez Renouard,
rue Saint-André-des-Arcs ; et chez Le Normant,
imprimeur - libraire , rue des Prêtres-Saint-Germainl'Auxerrois
, n°. 42.
La déesse qui distribue les réputations est souvent aussi
aveugle que celle qui distribue les richesses ; mais aussi
les faveurs de la renommée ne sont-elles pas moins périssables
que celles de la fortune ; les réputations usupées
disparaissent presque toujours avec les cotteries qui les
ont vu naître , et les petites intrigues qui les ont accré
ditées. C'est ce qui est arrivé à Bernard , qui a joui d'une
1
GERMINAL AN XL 25
très-grande célébrité , et qui a cependant survécu à sa
gloire littéraire .
On ne devait pas s'attendre que l'art du stéréotypage ,
destiné à répandre les ouvrages classiques , entreprendrait
d'exhumer les poètes oubliés , et tenterait la résurrection
du Gentil Bernard. L'éditeur paraît lui-même être de
notre avis , quand il dit de son poète , qu'il a constamment
pris la galanterie pour le sentiment , et les transports des
sens pour l'expression du coeur. Quelques pensées
ingénieuses et fines , ajoute - t - il , exprimées avec une
élégante concision , ont mérité d'être retenues , et orneront
toujours la mémoire de ces aimables voluptueux ,
qui trouvent apparemment leur compte à réduire leur
plaisir en calcul , et la séduction en système. Il résulte de
cette phrase que cette édition est faite non pas tant pour
ceux qui ont le goût des vers , que pour ceux qui ont le
goût du libertinage.
,
L'Art d'aimer , si vanté avant qu'il fût imprimé , n'est
qu'une peinture froide , je ne dis pas du sentiment de l'amour
, je ne dis pas même de la galanterie , mais de la
corruption et de la débauche. Bernard a mis en vers secs
et souvent incorrects, le bulletin des ruelles et la gazette
des amours effrontés ; la volupté s'y trouve plus souvent
en préceptes qu'en images riantes , et le poète ne se fait
jamais pardonner d'avoir mis en vers le code de la séduction,
par cette passion touchante qui anime les tableaux
de Catulle , et qui doit excuser , aux yeux de la raison, le
délire souvent répréhensible des poètes érotiques.
Nous ne ferons point connaître en détail ce роёте ,
jugé depuis long-temps. Nous nous contenterons d'en relever
quelques incorrections .
:
Le poëte indique aux amans l'occasion favorable , pour
conterdes fleurettes à leurbeauté. ने :
26 MERCURE DE FRANCE ,
Lorsqu'un miroir complaisant et flatteur
Lui réfléchit un charme adulateur ,
C'est le vrai temps où l'ame des coquettes
Suce le miel du jargon des fleurettes .
Ces vers renferment deux ou trois fautes grossières.
Que veut dire Bernard , en parlant d'une ame qui suce le
miel? Il fallait au moins dire auparavant que l'ame des
coquettes était une abeille ou un papillon. Mais ce n'est
pas tout , cette ame ne suce pas le miel des fleurs , mais le
miel d'un jargon.
Dans un autre passage , le poète dit :
Lorsqu'on a fait la conquête d'une âme ,
L'art plus savant est de nourrir sa flame.
On aurait pu parler de faire la conquête d'une ame au
temps des revenans , au temps où les ames apparaissaient
aux vivans ; mais cette expression est aujourd'hui inintelligible
: lors même qu'on l'entendrait , l'idée serait trop
vague , et l'on sait que rien ne nuit au charme de lapoésie
comme les pensées et les mots vagues . La poésie vit d'images
et de personification , et ce qui est indéterminé ne
peut réveiller qu'un sentiment confus.
Voyons un peu comment le chantre des Amours peint
lesGraces .
Sur la beauté vous l'emportez encore ,
Divines soeurs , o graces que j'adore !
La beauté frappe , et vous attendrissez ;
On l'aime un jour , jamais vous ne lassez .
Je crois que Tibulle et Anacréon ne se seraient pas contentés
de parler ainsi des Graces , dans un poëme auquel
elles auraient dû présider. Cette chûte ,jamais vous ne
lassez , est froide et insignifiante ; l'auteur voulait dire
qu'on ne cesse jamais d'aimer les Graces , ce qui n'est pas
tout-à-fait la même chose que ce qu'il a dit, Le verbe
GERMINAL AN XI.
29
remplir son plan , il a entassé aventures sur aventures ;
les incidens , les personnages sont si nombreux , que la
mémoire la plus heureuse ne suffirait pas pour démêler le
fil de cette complication d'événemens.
Les sauvages , les hommes de la nature , sont , après les
revenans , les spectres , les souterrains , ce qui réussit le
mieux aujourd'hui dans les romans. Il fallait autrefois ,
pour obtenir quelque succès , mettre du bon sens dans ces
sortes de compositions. Sous Louis XIV , le Télémaque ,
Zaïde , la Princesse de Clèves , fixèrent l'attention : ces
ouvrages sont toujours avoués par le goût. Il nous reste ,
du siècle dernier , Clarisse , la Nouvelle Héloïse , Tom-
Jones , Marianne , et quelques autres romans , qui offrent
de l'intérêt , et qu'on lit encore avec plaisir; mais il serait
difficile de faire un choix dans la foule de ceux qui ont
paru depuis quelques années. Les auteurs , au reste , n'ont
pas prétendu leur donner une longue existence ; ils n'ont
guères recherché que le succès du moment, et ils sont satisfaits
, pourvu que l'édition s'épuise , et que le libraire
remplisse ses engagemens. Faire un roman est aujourd'hui
un métier , mais ce n'est ni le plus lucratif, ni le
plus utile , ni le plus considéré.
Il faut, dit le savant évêque d'Avranches , que les aventures
d'un roman soient écrites avec art et sous certaines
règles ; autrement, ce sera un amas confus , sans ordre et
sans beauté ; la vraisemblance , qui ne se trouve pas toujours
dans l'histoire , est essentielle au roman. Voilà des
règles que nos romanciers ne s'embarrassent guères de suivre
, sans doute parce que la foule des lecteurs n'exige
dans un roman , ni bon sens , ni simplicité. Aujourd'hui
un roman n'est recherché qu'en raison de l'extravagance
des aventures qu'on y trouve. Nous n'examinerons pas,
selon la mode établie depuis quelque temps , si le roman
quenous annonçons est moral; on veut aujourd'hui de la
morale par - tout; mais nous ne pouvons nous empêcher
de plaindre ceux qui sont réduits à la chercher dans les
romans,
30 MERCURE DE FRANCE ,
On trouvera dans le Pénitent instruit (1 ) , que nous
recevons en ce moment , la morale , sous une forme qui
n'a pas l'agrément des romans , mais qui a plus d'efficacité
. M. l'abbé Darche , un des plus estimables prédicateurs
de la capitale , a rendu un vrai service à la religion ,
en publiant cet ouvrage , qui fait honneur à son discernement.
Le père Seigneri , auteur du Pénitent instruit ,
est fort connu en Italie et en Allemagne . La traduction
que nous annonçons est de M. l'abbé d'Elvincourt , que la
mort enlevaten 1794, avant d'avoir pu rendre cette traduction
publique.
:
La seconde livraison de l'Atlas historique et géographique
, par M. Lesage , vient de paraître ; elle
a été accueillie du public comme la première.
L'étude de l'histoire et de la géographie est indispensable
dans une éducation soignée ; mais le temps
que l'on emploie à cette étude est souvent perdu par
le peu de fruit que l'on retire des ouvrages qui en
traitent , où souvent les faits principaux sont pour
ainsi dire noyés dans une foule de détails minutieux
ou inutiles . L'auteur de l'Atlas a imaginé ces tableaux
pour épargner un temps précieux à la jeunesse , et
rendre plus rapide ses progrès dans la connoissance de
l'histoire et de la géographie , deux branches importantes
et inséparables. Il a tâché de réunir tous les
avantages que doit offrir ce genre d'ouvrage ; clarté
simplicité , régularité , exactitude : son but a été de
soulager la mémoire en associant , sans le fatiguer , le
jugement à ses opérations .
ג
(1)Unvol. in-12, imprimé surbeau papier , et en beaux caractères ,
àParis , au bureau de l'Année littéraire , rue St. -Jacques , n. 51
au-dessus de la place Cambrai. Prix : 1 fr. 50 c. et 2 fr. franc de
port par la poste..
7
>
1
GERMINALAN XI. 31
M. Lesage a cherché à rendre son Atlas un ouvrage
de cabinet et d'éducation : il a voulu que l'homme
instruit y trouvât éclaircis les faits et les dates dont il
cherchera la vérification; que le maître y vît le sommaire
de l'enseignement qu'il aura à développer , et
que l'élève eût toutes tracées les leçons qu'il devra
étudier.
১৬
Cet ouvrage se trouve chez l'auteur , rue Saint-
Florentin , n°. 6 ; chez Didot , l'aîné ; et chez le Normant
, rue des Prêtres-Saint-Germain-l'Auxerrois n°. 42.
SPECTACLES.
THEATRE DE LOUVOI S.
Le Valet embarrassé , comédie en 4 actes.
On ne sait pas trop comment Frontin sert deux maîtres
à-la-fois : on ne sait point sur-tout comment il est parvenu
à faire croire à M. Harpin , vieux tuteur , qu'il est
aimé de Julie , et que Julie , qui ne le connaît point , reçoit
ses billets , et y répond : on sait encore moins comment
M. Bernard arrive chez le père de Julie , qui lui
promet sa fille , quoiqu'il ne le connaisse point , et que
M. Bernard soit un nom supposé. On ne sait pas non plus
comment M. Michelin , notaire , mandé pour dresser le
contrat , s'arrête dans une place publique , s'adresse à
Frontin , qui veut le renvoyer , parle à M. Harpin-et à
Mad. Josse , et que tous ces gens-là se querellent , dans
la rue , sur des choses étrangères à ce qui les occupe ,
lorsqu'un seul mot pouvait leur faire ouvrir les yeux ;
comment peut-il se faire enfin que M. Bernard , qui doit
épouser, soit tout-à-coup , par un de ces miracles exclusivement
réservés aux romans , l'oncle du jeune Hyppolite ,
qui adore Julie , sous les auspices de Frontin , et que tout
à-coup devenu M. de Saint-Hilaire, il cède sur-le-champ
32 MERCURE DE FRANCE ,
1
1
:
T
ses droits à son neveu, auquel il a vu jouer le rôle le plus
méprisable.
:
-
C
Si on croit facilement toutes ces choses-là , la pièce ne
sera pas sans intérêt : heureusement pour l'auteur qu'on
l'a cru sur parole , et sa comédie a été accueillie du public.
Outre les invraisemblances , le Valet embarrassé a
plusieurs défauts essentiels. Cette pièce roule sur deux in
trigues , l'une qui est liée à l'amour de M. Harpin; l'autre
est liée au mariage arrangé avec M. Bernard. On sait que
l'intérêt doit toujours aller en croissant , et c'est tout le
contraire dans le Valet embarrassé. Le premier acte est
plus intéressant que le second; le second , plus intéressant
que le troisième , et le quatrième est le plus mauvais
de tous. Je ne partage point l'opinion de ceux qui prétendent
qu'il faut chercher la morale au théâtre ; mais il
me semble que si la morale n'est pas essentielle à l'intrigue
d'une comédie , il est essentiel cependant qu'elle n'y soit
point outragée : c'est pourtant ce qui arrive dans le Valet
embarrassé , où un jeune homme se prête à toutes les
bassesses imaginées par tin valet , et voit à la fin son
amour couronné par le plus heureux sueces . Le rôle
d'Harpin, et celui d'Hyppolite sont dégoûtans : on ne peut
rien trouver de plus niais et de plus vil que ces deux
maîtres dupés . Nos auteurs modernes ne peuvent donner
de l'esprit à un de leurs personnages , sans l'ôter à tous les
autres; je veux bien que les maîtres soient sacrifiés aux
valets , cela s'est rencontré quelquefois : mais tout cela
n'est pas fort plaisant. D'ailleurs , ce Frontin , qui débuté
si habilement , finit par tomber , comme tous les autres ,
dans une profonde niaiserie , et par employer des moyens
peudignes de son esprit rusé : le dénouement de la pièce
est tout-à-fait manqué; le vice et la fourberie n'y sout
point punis , la bassesse y est couronnée : et lorsque la
pièce est finie , les choses en sont au point que les spec
tateurs doivent craindre que les personnages ne s'égorgent
derrière la toile.
e
4 της ονεώ που
ANNONCES.
GERMINALANXI335
ΑΝΝΟNCES .
Supplément aux Siècles Littéraires de la Francey ou
Nouveau Dictionnaire historique , critique et bibliographique
de tous les Ecrivains français, morts ou vivans
jusqu'à ce jour; contenant , 1°. les principaux traits de la
vie des auteurs morts , avec des jugemens sur leurs ouvrages
; 2°. des notices bibliographiques sur les auteurs
vivans ; 3°. l'indication des différentes éditions qui ont
paru de tous les livres français , etc. Par N. L. M. Des
Essarts et plusieurs biographes , tome 7. et dernier ,
in-8°. à deux colonnes, grande justification. Prix : 6 fr. et
7 fr. 50 c. par la poste. Les septvolumes se vendent 36 fr.
A Paris , chez N. L. M. Des Essarts, libraire , place de
l'Odéon.
Bibliothèque portative du Voyageur, ou collection des
meilleurs ouvrages français , en prose et en vers, format
in-56 , caractère nompareille neuve , papier superfin;
vingt-six volumes . A Paris , chez J. B. Fournier et fils
impr.- libr. , rue Haute- Feuille; n°. 27 .
Suite des ouvrages publiés.
Conjuration desEspagnols contre Venise , et conjuration
des Gracques , par Saint-Réal. I vol. Lettres Per
sanes , et le Temple de Gnide , par Montesquieu , 2vol.
Euvres choisies de Gresset , I vol . OOEuvres de
Boileau , I vol. Fables de La Fontaine. 2 vol. - Les
Amours de Psyché et de Cupidon, par La Fontaine , I vol.
- OEuvres de Racine , 4 vol. La Henriade , poëme,
par Voltaire , I vol. OEuvres choisies de Piron , 2vol.
Les Amours de Daphnis et Chloé ; d'Abrocome et
d'Anthia , 1 vol. – Histoires du petit Jehan de Saintré ,
et de Gérard de Nevers , par Tressan ; I vol . - Mémoires
deGrammont , 2 vol.-OOEuvres choisies de Bernis , 1 vol.
- Grandeur et décadence des Romains , par Montesquieu
, vol. OEuvres choisies de Bernard , r vol.
Chaque vol. broché en carton , 1 fr. 25 c. On a tiré quel
ques exemplaires sur papier vélin : chaque vol. 5 fr . La
reliureen maroquinrouge , doré sur tranche, f. bar f. 25 с.
En veau marbré , doré sur tranche , 75 c. Pour la com
moditédes personnes qui voyagent , l'on a fait des boîtes
de format in-8° . , reliées en maroquin rouge , dorées sur
tranche , qui contiennent vingt volumes de cette collection
, 15 fr. - Les mêmes , en veau écaille , filets, 12 fr.
II C
34 MERCURE DE FRANCE ,
POLITIQUE .
L'Angleterre n'a rien offert de nouveau cette semaine ;
les esprits restent toujours entre la paix et la guerre : plus
les Anglais prendront de temps pour réfléchir , plus il est
probable qu'ils hésiteront à recommencer deshostilités
dont les suites incalculables peuvent effrayer l'imagination
même de M. Windham. Jusqu'à présent, il n'y a guère
que l'esprit d'agiotage qui ait pris de nouvelles forces de
tout ce tintamare guerrier ; et comme l'esprit d'agiotage
n'est que la parodie de l'esprit de patriotisme , on pourrait
se permettre de rire des secousses qu'il produit. Les
habitués de la bourse de Londres consultent le cours des
effets publics de France , pour savoir s'ils pousseront chez
eux à la hausse ou à la baisse : sans doute , s'il y avait en
France des agioteurs , ils calculeraient aussi sur la hausse
ou la baisse des effets anglais , ce qu'ils doivent penser du
crédit de leur patrie. Misérable jeu ! dont les Français
rougissaient autrefois : calcul égoïste , qui ne pourrait s'agrandir
chez un peuple agricole , sans y détruire l'esprit
public , mais qui convient fort bien à une nation où l'on
vend et achète tout, où l'on fait payer au gouvernement
jusqu'au pouvoir de gouverner.
On a publié àNew-Yorck un ordre du ministre des relations
étrangères de l'Espagne à l'intendant de la Nouvelle-
Orléans , à l'effet de remettre la colonie ou province de la
Louisianne , dans toute son intégrité , à la République
française. Cet ordre est daté de Madrid , le 20 juillet 1802.
L'académie des sciences de New-Yorck a ouvert une
souscription fixée à 150 mille francs pour faire l'acquisition
en France d'objets d'arts , tels que tableaux , dessins , modèles
en plâtre des plus belles statues, etc.
Lord Elgin a reçu avant son départ de Constantinople
un sabre enrichi de brillans , dont on porte la valeur à
cent mille piastres . S. H. envoya encore à son bord plusieurs
caisses remplies d'étoffes des Indes , dont une partie
est destinée au roi d'Angleterre. On a paru surpris que ce
ministre soit parti au moment même où le général Brune
est arrivé . 1
Un secrétaire de la cour de Suède , tenant à la secte des
GERMINAL AN XI. 35
illuminés , a été dernièrement arrêté à Stockholm par
ordredu roi; il cherchait à engager des personnes de tous
les rangs dans une association secrète dont il ne confiait
à personne le but ultérieur.
La cour de Vienne est entrée de nouveau en négociation
avec l'électeur de Bavière pour des échanges de territoires.
On croit que le résultat de ces négociations sera
la cession des districts de l'évêché d'Augsbourg à l'Autriche
, qui , de son côté , céderait à l'électeur le marquisat
de Burgau. Le cabinet de Vienne a reconnu formellement
le roi d'Etrurie . Il est arrivé à Vienne une caisse des
faux billets de banque saisis à Strasbourg. Il a paru depuis
peuun conclusum du conseil aulique de l'Empire au sujet
des contestations qui s'étaient élevées entre le duc de Virtemberg
et les états de ce pays. S. A. proposait de terminer
ce différend avec une simple députation. Le conclusum
prescrit la convocation des états .
Ledeyd'Alger a déclaré la guerre à la République française.
Cette nouvelle est parvenue officiellement au gouvernement
batave.
Le cabinet de Madrid avait ordonné à tous les religieux
sujets de l'Espagne , établis à Rome , de quitter leurs couvens.
Il est survenu un contre ordre: dès qu'il a été connu ,
monseigneur Gravina a été nommé nonce à la cour d'Espagne.
Quatre-vingts familles du canton de Bâle, la plupart
aisées, viennent de s'embarquer sur leRhin pour serendre
enHollande , et de là dans les Etats-Unis d'Amérique. La
Suisse n'est pas généralement tranquille ; il s'est encore
élevé quelques troubles à Verdenberg. Les cantons de
Schwitz etd'Underwald causent aussiquelques inquiétudes.
On croit que MM. Reding et autres détenus qui , après
avoir passé quelques jours dans leurs foyers , devaient se
rendre en France, auront la permission de rester en Suisse.
11
TRIBUNAT.
Séance du 27 ventose.
Le corps législatif transmet , par un message , le onzième
projet de loi , titre X du code civil , relatif à la
Minorité, à la Tutelle et à l'Emancipation. Ce projet est
C2
36 MERCURE DE FRANCE ,
"
renvoyé à la sectionde législation , qui fera son rapport
le5 germinal.
Savoie-Rollin fait un rapport sur le titre VI du code
civil , relatif au Divorce . L'orateur cherche dans une discussion
très-étendue quel est le caractère propre du mariage
: il établit qu'il est dans le voeu de sa perpétuité ,
qu'il porte ce principe en lui-même : il examine si les
loix desdivers peuples lui reconnaissent ce principe ; les
faits lui apprennent qu'elles étaient uniformes sur ce
point. Plus les peuples étaient civilisés , plus ce principe
acquérait de développemens , et il en trouve la raison
dans ce fait important que le mariage est la causė primordialede
la civilisation des peuples. Il examine enfin quel
était l'état de la législation française , sous ces divers
rapports.
+
La destination du mariage est d'être perpétuel : voilà un
principe universellement reconnu , continue l'orateur ;
-principé fécond et créateur des sociétés humaines ! principe
qui a ravi à la terre tous ses déserts , et la couvre
de ces multitudes de nations qui parent et animent son
sein . L'inévitable obligation du divorce est donc de respecter
ce principe jusques dans les exceptions même qu'il
yporte.
Après avoir examiné le divorce dans ses causes, ses
formes et ses effets , le rapporteur discute successivement
les dispositions du projet , et conclut à son adoption. Impression
et ajournement.
A
Fabre (de l'Aude ) fait un rapport sur le projet relatif
aux finances et à la fixation des dépenses de l'an 11. Il applaudit
d'abord au compte rendu par le ministre des finances
, et fait remarquer qu'il a exécuté , d'une manière
satisfaisante , les art. XLV et LVII de la constitution.
Passant ensuite à l'examen des huit titres dont se compose
Ie projet , il explique pourquoi les dépenses de l'am
sont de beaucoup plus fortes que celles de l'an 9. Cela
vient de ce qu'en l'an II le trésor public est chargé d'acquitter
en entier les dépenses de l'ordre judiciaire , qui
s'élèvent à 18 millions . La dégradation des routes et l'achat
des grains ont obligé d'augmenter de 14 millions les
crédits du ministre de l'intérieur ; les dépenses de la marîne
sont considérablement augmentées , à cause des diverses
expéditions coloniales. Les relations extérieures
coûteront cette année un million de plus qu'en l'an9;le
1
1
1
GERMINAL AN XI
rétablissement de nos relations avec les cours de l'Europe ,
adû nécessairement augmenter nos dépenses.
La dépense du premier consul est portée à six millions;
celle des deuxième et troisième consuls , à douze cents
mille francs. Cet objet est l'exécution du sénatus-consulte
organique qui détermine la dépense du premier consul ,
pendant toute sa vie. Et ici votre section des finances ne
peut s'empêcher de vous faire remarquer combien cette
fixation est modeste ; on ne peut qu'applaudir à ce désintéressement
, qui honore le premier magistrat de la république.
L'orateur passe en revuedes autres titres du projet
etpropose d'en voter l'adoption. Impression.
On passe au scrutin sur le projet relatif aux droits d'usage
dans les forêts nationales. Il est adopté , à la majorité
de 54 voix contre 2 .
Séance du 28.
Lahory , au nom de la section de législation , fait un
rapport sur le titre 7 du code civil , relatif à la Pater
nité et à la Filiation . On ordonne l'impression du discours
et on ajourne la discussion.
L'ordre du jour appelle celle du projet de loi contenant
le titre VVII du code civil, relatif auDivorce.
Carion de Nisas combat le projet. Il examine si le divorce estbon en
lui-même , si la loi proposée est favorable à la société ; il établit que
la nature de l'homme et de la société , la morale et la philosophie réclament
contre la faculté du divorce ; que la saine politique le réprouve;
que toutes les nations qui ont admis le divorce dans leurs loix , l'ont
flétri dans leurs moeurs. Pendant cinq cents ans , dit l'orateur , le divorce
est permis à Rome , et personne n'en use : le premier citoyen
qui en donne l'exemple est sollicité par les censeurs, qui lui voient
depuis long-temps une femme stérile , et désirent qu'il ait des enfans ;
mais le peuple, dont le bon sens discerne mieux que les fausses dumères
de ses magistrats , en quoi consiste le devoir et le but du ma
riage, le blâme hautement de renvoyer une épouse qu'il aime , et flés
trit son action , qui demeure long-temps sans imitateurs.
Quand mille causes ont amené la fréquence des divorces , premier
principe, suivant Horace , de ladépravation des moeurs , alors même,
aumilieuddee lacorruption générale, onrendhonneur àl'unité et àd'in
dissolubilité du mariage ; et aux époques les plus dissolues de la répu
blique et de l'empire ,on trouve dans tous les monumens funéraires et
aux épitaphes des femmes , on trouve pour dernier et suprême éloge
qu'elles n'ont eu qu'un mari. Quand Tacite veut peindre les moeurs
des Germains , pour donner des leçons à sa patrie et les opposer à la
corruptionde Rome , après les éloges les plus magnifiques , il pense y
mettre le comble par ce trait : <<Enfin, chez ces vertueux peuples, da
>> jeune fille qui reçoit l'époux qu'on lui destine , ne le reçoit pas comme
un mari ,mais comme le mariage tout entier. » .
C3
38 MERCURE DE FRANCE ,
Les annales des nations modernes attestent que ces sentimens n'ont
pas changé. Un motif honteux engage Luther à faire entrer ledivorce
danssaréformation , mais les peuples qui la suivent n'en honorent pas
moins ce que tous les peuples ont honoré dans le mariage. Henri VIII,
prince en tout le reste accompli , dit Bossuet , introduit le divorce en
Angleterre; en même temps ,la Providence le destine à être un mémorable
exempledes excès où le goût du changement , une fois flatté ,peut
entraînerleshommes. De six femmes, deuxdont il redoutoit les familles,
sont écartées par le divorce , l'épée dubourreau le défait dedeux autres;
une meurt avant d'avoir provoqué sa dangereuse inconstance , et la sixième
est soupçonnée d'avoir enfin mis par un crime , un terme aux effroyables
caprices dece monstrueux époux.
Voyez le parlement d'Angleterre, éclairé par l'expérience , quels efforts
il faitpour empêcher ledivorce de se multiplier ! Combienil refuse
d'enpermettre! Avec quel soin et quelle application il flétrit ce qu'il ne
peut interdire!
Quel écrivain s'est élevé plus fortement contre le divorce , et a donnéde
plus grands éloges à l'unité du mariage, que David Hume , protestant
et anglais ? Mais , dira-t- on, comment toutes les nations , persuadées
de lamême vérité , n'appliquent-elles pas à leurs loix la sagesse
de leurs opinions ? Fausse politique des législateurs , condescendance
funeste, qui , pour se plier au relâchement des moeurs , ne fait que donnerplus
d'énergie aux passions ! Pour nous , au contraire , ayonslagloire
d'élever des moeurs imparfaites à la hauteur des loix parfaites , et , je
puis le dire , tout nous assure le succès .
La loi du divorce est en contradiction avec les loix les plus impor->
tantes de la république , et avec l'esprit de ces loix. Les loix les plus importantes
et les plus vénérables chez un peuple, sont sans doute celles
qui rétablissent dans son sein , après une longue altération, la paix de
Phomme avec lui-même, la paix intérieure des familles, la paix des cités,
la paix de l'état; les loix les plus chères sont celes que les peuples
ont reçues avec des transports d'allégresse , et dont ils comblent tous les
jours les auteursde bénédictions. Ala têtedes loix de ce genre, laFrance
peut placer celles qui ont rétabli et organisé les différens cultes qu'elle
professe. De ces cultes,l'un est dans uneproportion incomparable avec
les autres , et il est certain qu'en immense majorité , nos concitoyens
sont catholiques aussi bien que français. Les loix faites pour les Français,
doiventdonc être aussi combinées pour des catholiques , si l'on ne
veut pas qu'elles blessent les affections les plus legitimes de la majorité
des Français. La loi doit essentiellement procurer le bien du plus grand
nombre. Or , la religion et la conscience du plus grand nombre repoussent
le divorce . Si le magistrat remarie sans difficulté celui à qui
sa religion défend le divorce,que fait-il autre chose que de favoriser
l'infractionde la première et de la plus sainte des loix ? Et que peut
attendre l'état d'un homme qui n'a respecté ni ses sermens , ni sa conscience?
Ehquoi ! sur cent Français, vous en exposez quatre-vingt-dix àmanquer
à leur religion , pour laisser aux dix autres une liberté que leur
croyance leur accorde, etdont ils'n'useront peut-être pas ? Vous donnezmême
plus de latitude au divorce défendu aux catholiques , qu'à la
séparationde corps qui leur est permise ; puisque vous autorisez le divorceparconsentement
mutuel et pour causes indéterminées , et jamais
lasimpleséparationdans ce cas. Tout cela est facultatif, direz-vous . Je
lesais;maisdesloix qui tendent aux hommes de pareils pièges , sont
GERMINAL AN XI. 39
elles debonnes loix? Regarderiez-vous comme une loi sage , celle qui
permettroit et organiseroit le duel , sous le prétexte que chacun est
libre de l'éviter, et qu'on ne force personne à se battre ? Connoissons
mieux les hommes , si foibles , si imprévoyans , si souvent entraînés par
leurs passions . Guidons ces aveugles , et ne les laissons pas succomber.
C'est une chose évidente et avouée , que les rédacteurs de la loi
ont eu pour principe que la perpétuité du mariage étoit le voeu de la
nature et dela société, qu'ils ont voulu que l'indissolubilité fût la règle,
que sadissolution , par le divorce , fût l'exception . Or , si maintenant
qu'ils ont interverti tout cet ordre, qu'ils vont directement contre
leurbut , et que le dispositif de la loi choque le principe qu'ils ont
annoncé, la dissolution du mariage devient la règle , et la perpétuité
l'exception. Personne ne disconviendra que le propre d'une foi ne soit
d'organiser , de statuer , de prévoir , d'être constituée enfin , tandit
que le propre de l'exception est de ne l'être pas . Or , il est évident
ici quec'est l'exception qui est organisée , constituée , toujours prévue ,
etque c'est la règle qui devient l'exception , pouvant être à chaque instant
détruite , n'ayant ancune force de résistance , de manière que tous
change de nature , et que tout rentre dans une véritable confusion .
à
Si un vague heureux , une incertitude très-morale présidoit à la possibilité
du divorce, si le divorce ne pouvoit pas être calculé au jour et
l'heure,, prévu , organisé l'avance , et rendu cceerrttaaiinn,, cćeequi est lacorruption
de lapenséedes époux et le poison de l'union conjugale ; si un
homme ou une femme ne pouvoient pas se dire à eux-mêmes , moyennant
telle action , tel procédé , telle conduite soutenue tant de mois, je
pourraienteltemps demander, eten tel temps obtenir le divorce et satisfaire
lapassionqui me porte vers telle maîtresse qui me subjugue , vers
tel séducteur qui m'obsède ; si une plus grandelatitude étoit accordée
aumagistrat , si sa prudence pouvoit arrêter à volonté les demandes des
époux, s'il ne pouvoit jamais être forcé dans les retranchemens de sa
sagesse, et au moyen de certaines formalités être obligé de prononcer,
alors je verrois le divorce comme une exception , et il me feroit moins
depeur. L'individu dépendroitdu magistrat , et non la sentence du magistrat,
des calculs de l'individu.
Onconviendra que rien ne peut être trop grave , rien trop solemnel
dans des actes qui importent si fort au bonheur de l'individu et à
l'ordre social , qu'on n'en sauroit déférer la connoissance et le jugcment
à un tribunal trop auguste. Le sénat , veritable père de la patrie
et des citoyens , devroit être seul compétent dans la République ponr
les cas dedivorce ou de mariage ; les tribunaux ordinaires pourroient ,
pour éviter un désordre et un scandale immédiat , prononcer les séparations
momentanées; les magistrats ordinaires pourroient lui réserver
la demande même de mariage formée par un citoyen , qui seroit
dans les circonstances données . Du sénat seul devroient ressortir des
affaires , toutes si importantes , moins faites pour être jugées par l'autorité
civile que par l'autorité paptartriiaarrcchhaalle. Le sénat jugeroit eneffet
enmagistrat, enpontife et en père; le temps ne lui seroit point limité
pour admettre les requètes , et il pourroit ne les admettre jamais;- le
temps ne lui seroit point limité non plus pour rendre son jugement, et
il pourroit n'en jamais prononcer. Les époux , dans une incertitude
absolue sur le succès de leur requête , en hasarderoient peu, la plupart ,
grace au bénéfice d'une sage temporisation , retireroient eux-mêmes
leur demande; le divorce seroit toujours possible sans pouvoir être
calculé. Ainsi le divorce auroit réellement un caractère d'incertitude
40 MERCURE DEFRANCE ,
T
1
conet
d'exception qui est dans le dessein du législateur. Ce moyen, en
unmot, me semble tout concilier; ce qu'ondoit àl'ordre,àla
naissance du coeur humain, à la liberté, à la conscience des peuples , et
faire de l'autorité ce qu'elle doit être pour les hommes . -D'après
toutes ces considérations , l'orateur pense que le tribunat ne peut admettre
, sans de graves inconvéniens , le projet sur le divorce tel qu'il
estprésenté.
Sedillez qui avait demandé la parole en faveur du projet , y' ayant
renoncé, le tribunat ferme la discussion, et délibère sur le projet :
sur soixant- cing votans , quarante-six ont émis le voeu d'adoption , et
dix neuf celui du rejet.
Le tribunat vote l'adoption de trente - neuf projets de lois relatifs
à des échanges et concessions de terreins communaux. La séance
est levée , et ajournée à lundi prochain.
Séance du 30 ventose. ١٤
Le titre XI du code civil sur la Majorité , l'Interdiction
et le Conseil judiciaire , est renvoyé à la section de législation
, qui fera son rapport le 5 germinal .
Le tribunat vote l'adoption de douze projets d'échange.
Sur le rapport de Perreau , le tribunat vote ensuite
-l'adoption du titre VII du code civil , relatif à la Paternité
et à la Filiation , à la majorité de 54 voix contre
deux.
Séance du 1. germinal .
On procède au renouvellement du bureau. Duveyrier
est président. Les secrétaires sont Pernon , Jaubert , Huguet
et Bouteville. Arnould est nommé membre de la
commission administrative .
Vezin faitun rapport sur le titre IX du code civil , relatif
à la Puissance paternelle. Il se livre à l'examen des
différens articles du projet. Il développe sur chaque disposition
les considérations qui en peuvent faire sentir
l'utilité , et propose d'en voter l'adoption .
On passe à la discussion du projet de loi relatif aux
finances. Costaz parle en faveur du projet , et le tribunat
en vote l'adoption , à la majorité de 58 voix contre une.
La discussion s'ouvre sur le titre du code civil relatif à
l'adoption : 59 votans ont émis leur voeu en faveur du
projet , et 4 pour le rejet.
Séance du 2 germinal. Le tribunat reçoit du corps législatif
et renvoie à l'exemen de la section de l'intérieur ,
un projet de loi relatif aux preuves et changemens de
noms.
r
-GERMINAL AN X44
Lebreton fait un rapport sur le projet de loi relatif aux
monnaies. Impression, ajournement à demain..
L'ordre du jour appelle la discussion du titre IX du
Code civil , relatif à la puissance paternelle. Il est adopté
àl'unanimité.
Séance du 3....
Le cit. Huguet fait un rapport sur le titre X du code
civil , relatif à la minorité , à la tutelle et à l'emancipation.
Le rapporteur analyse successivement les différens
articles du projet , développe sur chaque disposition les
considérations qui en peuvent faire sentir l'utilité . Personne
ne se présentant pour combattre ce projet , le tribunat
passe au scrutin : il est adopté , à la majorité de
56 voix contre 1 .
à
Onpasse à la discussion du projet relatif aux monnaies.
Daru est entendu en faveur du projet, qui est adopté ,
la majorité de 58 voix contre 3.
Le tribunat reçoit du corps législatif, et renvoie à la
sectiondes finances , un projet de loi relatif à la refonte
des monnaies.
CORPS LÉGISLATIF.
Séance du 26 ventose .
A
L'ordre du jour appelle la discussion du sixième projet
de loi du code civil ,' titre V, intitulé : Du mariage.
Le cit. Boutteville , orateur du tribunat , développe les
motifs qui ont déterminé le tribunat à en voter l'adoption.
Les orateurs du gouvernement ne demandant point
la parole , on fait l'appel nominal : le nombre des votans
est de 212 ; le projet est approuvé par 204 boules
blanches contre 8 noires.
Le conseiller-d'état Ségur présente douze projets de
loi relatifs à des échanges , aliénations et concessions de
domaines nationaux.
Dix autres de même nature sont successivement discutés
et sanctionnés . Les neuf premiers intéressent les
communes d'Alençon , Neuville -le - Réal, Versailles ,
Rouen, Saverne , Cahors , Brioude, Mortain et St.-Albin,
Le dixième tend à autoriser la commune de Paris à ac
42 MERCURE DE FRANCE ,
quérir les bâtimens nécessaires à l'établissement des sourds
et muets.
Séance du 27.
On annonce la mort du cit. Bertin ( d'Ille-et-Vilaine ) ,
membre du corps législatif ; il est arrêté qu'une députation
de 24 membres se rendra à ses funérailles .
La parole était aux orateurs du tribunat , pour exprimer,
au nom de cette autorité , le voeu d'adoption sur
dix projets de loi d'un intérêt local. Le conseiller-d'état
Ségur , chargé de les défendre , déclare qu'il demande , en
son nom , l'ajournement de celui qui tend à autoriser la
commune de Tours , à faire l'acquisition de la ci-devant
intendance de cette ville , pour y placer la préfecture ,
en conséquence , la discussion n'a lieu que sur les neuf
autres projets ; le corps législatif les a convertis en lois .
Séance du 28 .
91
!
Les conseillers-d'état Emery , Treilhard et Gouvion-
Saint-Cyr présentent le douzième projet de loi , titre X du
code civil , relatif à la Majorité , à l'Interdiction et à la
Prodigalité. Ce titre est le complément de la première
partie du code civil , et déso mais tout ce qui tend à assurer
les droits des personnes sera réglé . Le projet contient
trois chapitres. Le premier n'est formé que d'un article
portant que la majorité est fixée à 21 ans , ce qui met
l'exercice des actes de la vie civile dans un accord parfait
avec l'exercice des actes politiques fixé par la constitution.
1
L'ordre du jour appelle la discussion de dix projets de
loi d'un intérêt local; plus , d'un onzième , relatif aux
droits d'usage dans les forêts. Ces projets sont sanctionnés
à l'unanimité .
Séance du 30.
La séance s'ouvre par la discussion de dix-neuf projets
de loi d'un intérêt local , qui sont successivement sanctionnés.
La suite de l'ordre du jour amène la discussion du
septième projet de loi du code civil , titre 6 , sur le Divorce.
Gilet ( de Seine- et-Oise ) expose les motifs qui ont
déterminé le voeu d'adoption du tribunat. Le conseillerd'état
Treilhard prend ensuite la parole pour répondre à
quelques objections faites au projet, dans les discussions
GERMINAL AN XI. 43
dutribunat. ( Voyez , article tribunaitt ,, à la séance du 28,
le discours de Carion de Nisas . ) Parmi les causes qui
peuvent donner lieu au divorce , dit l'orateur , on a attaqué
celle de l'adultère , sous prétexte du scandale des
discussions. On a proposé de supprimer la demande en
divorce, sur ce motif , qui est devenu un objet de déclamations
brillantes ; mais ce n'est pas avec l'imagination
qu'on fait de bonnes lois , c'est avec la raison. Peut-on ,
sans frémir , forcer à vivre ensemble deux époux , dont
l'un porte le crime au fond de son coeur , et l'autre le ressentiment
, que la nature du crime rend implacable ? Les
forcer à supporter mutuellement le poids d'une vie flétrie
par la honte , agitée par le reproche , ce serait vouloir
éterniser leur supplice.
L'orateur combat ensuite les objections qui ont été
faites contre le divorce par consentement mutuel , contre
le divorce quand il y a des enfans , et contre l'article qui .
défend aux époux divorcés de se remarier. Le corps législatif
ordonne l'impression du discours , et délibère
sur le projet , qui est convertit en loi , à la majorité de
188 suffrages contre 31. obors
:
A
Séance du 1. germinal.
On discute dix projets de loi d'un intérêt local , qui
sont sanctionnés par deux appels nominaux .
Les conseillers-d'état Miot , Dessolle et Fleurieu , présentent
un projet de loi sur les prénoms et changemens
de noms. La discussion sur ce projet s'ouvrira le 11 germinal
. Le cit. Miot , orateur , expose ce que l'usage et la
législation avaient consacré sur cet objet , avant l'assemblée
constituante ; puis l'état de la législation , telle qu'elle
existe actuellement , d'après les loix de cette assemblée ;
enfin, d'après celles de la convention. L'usage des surnoms
, dit l'orateur , ne remonte guère qu'à l'année mille
de l'ère chrétienne. Avant cette époque, il n'existait aucunnom
de famille , ou du moins dans tous les titres antérieurs
qui nous ont été conservés , on ne trouve jamais
la persoune désignée autrement que par le nom propre ,
qui était alors le nom de baptême. Seulement on ajoutait,
pour désigner l'enfant d'une famille , le nom de son père ,
comme Pierre , fils de Louis ; Paul , filsde Jean. Les
premiers noms , qui ne furent d'abord qu'individuels ,
devinrent héréditaires sous Philippe-Auguste.
$
44 MERCURE DE FRANCE ,
Voici les dispositions principales du projet de loi : On
ne pourra prendre comme prénoms que les noms en
usage dans les différens calendriers , et ceux des personnages
connus dans l'histoire ancienne. Toute personne
qui porte actuellement comme prénoms, soit le nom
d'une famille existante , soit un nom quelconque qui ne
se trouve pas dans la classe ci-dessus , pourra en demander
le changement. Ce changement aura lieu d'après un
jugement du tribunal d'arrondissement. Toute personne
qui aura des raisons de changer de nom , en adressera
la demande motivée au gouvernement ; lorsque le
gouvernement aura admis la demande , elle sera insérée
au bulletin des loix , et n'aura son exécution qu'au bout
d'une année , afin que les personnes qui auraient quelques
réclamations à faire , puissent être entendues.
-
1
On renouvelle le bureau. Le cit. Girod ( de l'Ain ) réunit
la majorité des suffrages pour la présidence. Les nouveaux
secrétaires sont les cit . Latour- Maubourg , Lefranc ,
Monseignat et Bazoche.
10
Séance du 2 germinal. L'ordre du jour appelle la discussion
du huitième projet de lei , titre VII du Code
civil , relatif à la paternité et à la filiation . Le citoyen
Duveyrier exprime les motifs qui ont déterminé le voeu
d'adoption du tribunat. Les orateurs dn gouvernement
ne demandent pas la parole , la discussion est fermée , et
le projet approuvé par 216 voix contre 6.116
Le corps législatif approuve ensuite , à la majorité de
On voix contre 19 , le titre VIII du Code civil , relatifà
Padoption et à la tutelle officiouse.
Séancedu3germinal.-Les conseillers d'état Berenger
et Jolivet présentent un projet de loi relatif à la refonte
des Monnaies. Bérenger en donne lecture. En voici les
dispositions principales :
A compter du jour ddee la publication , les pièces d'or
de 24 et de48 liv, tournois , rognées ou altérées , ne seront
admissibles dans les paiemens qu'au poids. Il en sera de
même des pièces de six liv, tournois , rognées.
Ces pièces seront portées aux hôtels des monnaies ; pour
être refondues . Elles y seront échangées contre des pièces
nenves , sans aucune retenue de frais de fabrication .
Le tarif suivant lequel ces pièces seront reçues dans les
paiemens , et aux hôtels des monnaies , sera déterminé par
un réglement d'administration publique .
1
GERMINAL AN XI . 45
:
Les auteurs, fauteurs et complices de l'altération et de
lacontrefaçondes monnaies , seront punis de mort.
L'ordre du jour appelle la discussion du dixième projet
de loi , titre IX du code civil, relatif à la puissance paternelle.
Après avoir entendu les orateurs du tribunat, le corps
législatif sanctionne ce projet ; il sanctionne aussi dix autres
projets de loi qui intéressent diverses communes .
PARIS.
Un arrêté du 26 ventose convoque pour le mois de germinal
les collèges électoraux des départemens de l'Aube ,
Eure- et-Loir , Gironde , la Loire, Moselle , Orne et Puyde-
Dôme , faisant partie de la 4. série. Les présidens de
ces collèges sont : pour l'Aube , le C. Songis , général de la
garde; pourEure-et- Loir, leC. Baraguay-d'Hillers , général
dedivision ; pour la Gironde , le sénateur Journu-Aubert ;
pour la Loire , le C. Puppier-Brioude, membre du conseilgénéral,
pour la Moselle , le conseiller d'état Emmery ;
pour l'Orne , le C. Bonvoust , général d'artillerie ; pour le
Puy-de-Dôme , le C. Sablon , maire à Clermont . Les
opérations des collèges de département consiste dans la
nomination , 1. de candidats pour le sénat conservateur;
2°. de candidats ou suppléans de candidats pour la liste
de présentation au corps législatif; 3°. de candidats pour
le conseil-général de département.
Le même arrêté convoque aussi pour le mois de germinal
les collèges électoraux d'arrondissement des départemens
qui viennent d'être nommés. Les opérations
des collèges d'arrondissement consistent dans la nomination
, 1. de candidats et suppléans de eandidats pour la
liste de présentation au corps législatif; 2°. de candidats
pour le conseild'arrondissement.
Le collège électoral du département de la Seine a
ouvert sa séance , le 1er. germinal , sous la présidence de
M. Lucien Bonaparte, et l'a terminée aujourd'hui à 3 heures.
Voici la liste des candidats qu'elle a désignés :
Pour le sénat. MM. Albert de Luines, Pastoret.
Pour le corps législatif. MM. Briere - Mondetour ;
Bellard, jurisconsulte; Caze de la Bove , ancien intendant
de Bretagne et du Dauphiné ; le général Massena .
46 MERCURE DE FRANCE ;
Pour suppléans. MM. Bevière , maire ; Fisquet , administrateur
des hospices ; Poirier , jurisconsulte ; Brière de
Surgy, commissaire de la comptabilité.
Pour le conseil-général du département. MM. Petit ,
Davillier , Anson , Micoud , Devaines , Beaucheron
Garnier Deschenes , Bidermann , Amelot , Dutremblay ,
Montarant , Trudon - Desormes , Cambry , d'Aligre ,
Throuart , Gauthier.
Au moment de clore la séance , le président a prononcé
undiscours , et sur la proposition de M. d'Harcourt , il a
été nommé une députation de douze membres , pour porter
au premier consul l'expression des sentimens dont le collège
électoral est pénétré pour sa personne.
Le citoyen Dubouchage , conseiller de préfecture du
département de l'Isère , est nommé préfet du département
des Alpes maritimes , en remplacement du citoyen
Chateauneuf-Randou , appellé à d'autres fonctions.
Le citoyen Lachaise, maire de Beauvais, est nommépréfet
du département du Pas-de-Calais , en remplacement du
citoyen Poitevin-Maissemy , appelé à d'autres fonctions.
Le général de division Montchoisi ; le citoyen Dupuy;
conseiller d'état , et le citoyen Legonidec, ancienmembre
du tribunat , sont nommés , le premier , capitaine général ,
le second , préfet colonial , et l'autre commissaire de justice
des côtes de France et de la Réunion.
Le citoyen Magnitot , préfet colonial à Tabago , est
nommé préfet colonial à Saint-Domingue.
Le général de division Ernouf est nommé capitainegénéral
de la Guadeloupe.
Le général Servan est nommé inspecteur en chef aux
revues , en remplacement du général Montchoisy.
Le conseil - général de la Banque de France délibérant
en vertu de l'article 18 des statuts , a fixé le dividende du
I semestre de l'an 11 , à cinquante - cinq francs pour
chaque action , non compris une réserve de 3 fr. 61 c.
631100 par action . Les actionnaires de la Banque de France
sont prévenus qu'à compter de lundi prochain 7 du présent
GERMINAL AN XI. 47
mois , ils pourront se présenter à la Banque ou y envoyer
des fondés de pouvoirs pour recevoir le dividende dudit semestre
, et en signer l'émargentent. Il est indispensable de
rapporter le certificat d'inscription .
Ledirecteur-général , GARRAT.
Le conseil-général du département de la Seine a , le
le 27 de ce mois , repris ses séances à l'hôtel de la
Préfecture , sous la présidence de M. Anson. L'objet
principal de ses délibérations , sera de fixer les dépenses
municipales de la ville de Paris .
Il y aura une chambre de commerce dans la ville de
Paris. Elle sera constituée conformément aux dispositions
de l'arrêté du 30 nivose.
- Un violent incendie a réduit en cendres , le 21 ventose,
vingt-six maisons de la petite ville de Seurre , sans qu'il
ait été possible d'arrêter le progrès des flanımes .
Les troupes françaises destinées pour la Louisiane , sont
actuellement embarquées à bord des bâtimens de transport
préparés pour cet effet à l'embouchure de la Meuse.
Ces troupes consistent en quatre mille hommes d'infanterie
, un détachement du 13º. régiment de dragons. L'expédition
est prête à mettre à la voile.
On s'occupe , à Bruxelles , des préparatifs à faire pour
recevoir le premier consul. Sa garde d'honneur sera composée
de cent jeunes gens ; l'équipement de chacun d'eux
est évalué à cent louis , non compris le cheval. Plusieurs
officiers anglais , qui se trouvaient dans cette ville , ont
reçu des lettres qui les ont rappelés précipitamment dans
leur patrie.
On a arrêté dernièrement , à Bruxelles , un individu ,
soupçonné d'être un des auteurs de la machine infernale.
Cet individu était porteur de six passe-ports . Un agent de
police le conduit à Paris.
Nous avons parlé , dans un des précédens numéros , de
la procédure entamée , il y a quelque temps , contre un
épícier-droguiste de Paris, nommé Trumeau , accusé d'a-
)
48 MERCURE DE FRANCE,
2
voir empoisonné , avec de l'arsenic blane sa seconde
fille , âgée de 25 ans. Cette procédure a été terminée le 2
germinal , au tribunal criminėl de la Seine. Trumeau a été
condamné à la peine de mort. La nommée Françoise
Chantal, concubine de Trunmeau , et prévenue de compliciittéé,,
a été acquittée. Après la lecture de la déclaration
du jury, la fille Chantal fut amenée la première.
Aussi-tôt qu'elle eut entendu cette déclaration , elle tressaillit
, par un mouvement bien naturel. Le président lui
adressa ensuite la parole : « Que la terrible leçon que vous
>> venez de subir , lui dit-il , vous serve de leçon pour l'a-
>> venir. Vous allez être rendue à la liberté , prenez garde
>> d'en abuser . Allez expier , dans la retraite , le scandale
que vous avez donné ; cherchez à reconquérir l'estime
>> publique que vous avez perdue ; prenez , devant cette
>> auguste assemblée , l'engagement sacré de rentrer dans
>>votre famille , pour y vivre désormais en fille sage et
>> vertueuse. >>
MM. Maret et Lacretelle l'aîné ont été nommés membres
de la classe de la langue et de la littérature françaisès, l'un
àla place de Saint-Lambert et l'autre à la place de la Harpe.
MM. Laya et Palissot sont ceux qui ont obtenu le plus de
suffrages après MM. Lacretelle et Maret.
Un plaisant , sous le nom de Clarisse d'Ar*** , adéposé
au bureau des Petites -Affiches , un Molière complet et
bien relié , pour être remis , sur' son bon , à la pérsonne
qui devinerait quelques pièces énigmatiques , que les
Petites -Affiches ont publiées. C'est , dans ce genre , ce
qu'il y a de plus facile à deviner. Lé plaisant a le projet
de se présenter avec un bón signé Clarisse d'Ar*** , et
de retirer son Molière; mais M. Ducray-Duminil , qui ne
veut point servir d'intermédiaire pour mistifier le public ,
se propose de ne remettre le Molière que lorsque mademoiselle
Clarisse d'Ar*** lui aura prouvé par pièces'en
forme, qu'elle n'est point un être de raison ; et , selon toute
apparence , cet ouvrage restera au bureau de M. Ducray-
Duminil , qui le fera vendre au profit des pauvres. Il est
remarquable de voir combien , depuis M. Lucet, le public
a été dupe de quelques plaisans ridicules.
HL The
1.
( No. XCII . ) 12 GERMINAL an II .
( Samedi 2Avril 1803. )
MERCURE
DE FRANCE.
LITTÉRATURE .
POÉSIE.
Imitation libre de la Partenza di Nice de Metastase.
V
: OICI la fatale journée;
Adieu , pour la dernière fois.
Ah ! Nice , de ma destinée
Pourrai-je soutenir le poids ?
Toujours languissant sous ma chaîne
Je blanchirai donc dans la peine ;
Et toi, qui sait si pour toujours
Tu n'oublîras pas nos amours? 1 .
Souffre du moins que sur tes traces
Je laisse s'égarer mes pas.
Oui , pour adoucir mes disgraces ,
Je veux de tes rians appas
Sans cesse à mon ame attendrie
Présenter l'image chérie ;
Et toi , qui sait si pour toujours
Tu n'oublîras pas nos amours ?
;
A
J
II D
52 MERCURE DE FRANCE ,
Oui , sur des rives étrangères ,
Fugitif , et triste rêveur ,
J'irai , des rochers solitaires ,
Interroger la profondeur.
Aux feux de la naissante aurore ,
J'irai te rappeler encore ;
Et toi , qui sait si pour toujours
Tu n'oublîras pas nos amours ?
Voilà , dirai-je , cet ombrage
Où nous coulions des jours heureux ;
C'était au fond de ce bocage
Que nous brûlions des mêmes feux.
Dans une triste rêverie ,
Sans cesse abandonnant mavie ,
Saurai-je , hélas ! si pour toujours
Tu n'oublîras pas nos amours ?
Ruisseau , dont l'onde fortunée
Murmura pour moi le bonheur ,
Tu vis de ma belle obstinée
L'Amour triompher en vainqueur.
Souvent au milieu d'une fête ,
Je méditais une conquête ;
Mais las ! qui sait si pour toujours
Tu n'oublîras pas nos amours ?
Jevois une foule nombreuse
Asssiéger ton nouveau séjour ;
Déjà , d'une voix langoureuse ,
Mes rivaux t'y parlent d'amour.
Ociel ! quels perfides hommages !
Qui sait , à ces affreux présages ,
Qui sait hélas ! si pour toujours
Tu n'oublîras pas nos amours ?
GERMINAL AN XI, 53
Pense à la blessure cruelle
Que tu vas faire à notre amour ;
Entends gémir l'amant fidèle
Qui n'espère point ton retour.
Ah ! pense à celui qui t'adore ,
Au cruel adieu que j'abhorre ,
Pense...... Eh ! qui sait si pour toujours
Tu n'oubiîras pas nos amours ?
A. MENESTRIER ( de l'Yonne. )
ÉLÉGIE
Sur la mort de M. DE SAINT -LAMBERT.
Amis chers et constans , et vous , dons du génie ,
Beaux arts , consolateurs des peines de la vie ,
Il faut donc , tôt ou tard ,, vous quitter sans retour !
Chaque instant dit à l'homme : Il faut mourir un jour.
Ce poète charmant , dont la voix douce et pure
Sur de sublimes tons a chanté la nature
Repose maintenant dans la nuit du tombeau :
J'ai vu de ses longs jours s'éteindre le flambeau.
Amis des arts , prêtez une oreille attentive ;
La nature à ma voix mêle sa voix plaintive.
9.
Le spectacle des cieux , le sublime appareil ;
Du lever du matin , du coucher du soleil,
La chaîne des saisons qui dispensent au monde
Ces trésors variés que la terre féconde ;
Le Printemps qui ramène et les fleurs et l'amour ;
L'Été qui semble unir la nuit avec le jour ,
Et sur son char de feu s'avançant sur nos tètes
Colore nos moissons et roule les tempêtes.
L'Automne qui mûrit tant de trésors divers ,
Dont sa prodigue main enrichit l'univers;
D2
54 MERCURE DE FRANCE ,
/
L'Hiver enveloppé dé sa robe d'albâtre ,
Et de ses monts glacés le vaste amphithéâtre ;
Ces tableaux imposans n'agitent plus son coeur
De terreur ou d'espoir , de plaisir ou d'horreur ;
Et celui dont la voix célèbra ta carrière ,
Soleil , ne pourra plus jouir de ta lumière.
Printemps qu'il a chanté , lorsqu'assis sur les airs ,
De roses couronné , planant sur l'univers ,
Tu reviendras sourire à la terre flétrie ,
Tu lui demanderas , d'une voix attendrie :
« Qu'est devenu celui qui chanta mes plaisirs ? »
Elle te répondra par de profonds soupirs.
Tu comprendras alors ce funeste langage ;
Tu couvriras ton front d'un lugubre nuage ,
Et s'échappant du sein de ce triste rideau ,
Tes larmes baigneront les fleurs de son tombeau.
Il ne chantera plus vos arts , votre innocence ,
Vos rustiques travaux guidés par l'espérance ,
Bergers , Nymphes des bois , modestes Laboureurs !
Sur ses cendres aussi répandez quelques fleurs.
,
Amis qu'il adorait, laissez couler vos larmes :
De ses douces vertus vous regrettez les charmes ,
Cette voix que jamais n'a démenti son coeur ,
Où siégeait son génie , où régnait la candeur.
Vous le savez ; jamais la basse jalousie
De ses hideux serpens n'a tourmenté sa vie
Et l'intrigue et l'orgueil , à son coeur inconnus ,
Jamais d'un souffle impur n'ont terni ses vertus .
Dans ses vers enchanteurs , dictés par la décence,
Il n'a point fait rougir le front de l'innocence.
Il connut des mortels les crimes , les fureurs ;
Il les aima toujours , en plaignant leurs erreurs.
:
;
GERMINAL AN XI. 55
Dans ses écrits touchans l'humanité respire ,
Et qui lit ses écrits , dans son âme peut lire .
Dites , quel ennemi n'eût-il pas désarmé !
Sans doute il aima trop pour n'être pas aimé.
Aussi , tendre amitié ! c'est ta main consolante
Qui soutint le fardeau de sa tête expirante :
Dans ce moment fatal , de tendresse et d'effroi ,
Son âme en s'exhalant se reposa sur toi.
Reçois , & Saint-Lambert ! reçois ce pur hommage :
Oui , si le ciel m'accorde un paisible hermitage ,
Là , sous d'épais tilleuls , sur les bords d'un ruisseau ,
Je veux , entre les fleurs , t'élever un tombeau .
Je viendrai tous les jours dans ce temple champêtre ,
Me livrer au plaisir que tu m'as fait connaître ,
Nourrir de tes pensers mon esprit et mon coeur ,
Admirer l'Univers , adorer son auteur.
Par le C. ADRIEN SARRAZIN .
ENIGME.
Je suis hermaphrodite et m'offre sous cinq faces .
J'ai vu des vieux humains se disperser les races ,
Et l'ennui me fit naître aux bords du Simoïs.
Mon corps est , comme on veut , ou de pierre oude bouis.
J'ai des cornes au front ;je fais mainte prouesse .
Sans pieds , sans mains , je prends , je marche avec vitesse .
Forte et grosse de loin , faible et mince de près ,
J'arrète des guerriers la fuite ou les succès .
Je résiste à l'orage , un souffle me terrasse ;
Cent mortels des plus forts ne peuvent m'ébranler ,
Et le doigt d'un enfant me soulève et m'embrasse .
Cent mortels dans mes flancs peuvent se rassembler ,
Et le moindre coffret me contient fort au large.
Viens-je à changer de sexe , aussitôt au couvent ,
De lettres , de paquets , on me bourre , on me charge
1
:
D3
56 MERCURE DE FRANCE,
Et la soeur près de moi vient babiller souvent.
Du cloître fatigué je me sauve à la ville ;
Là , chez l'humble ouvrier , d'un mouvement agile ,
Je polis les métaux , et le marbre , et le bois.
Je me tiens sur les ports ; j'ai quatre bras en croix ;
Je tire des fardeaux, je suis d'un grand usage .......
Mais il n'est pas besoin d'en dire davantage .
G. D. P.
LOGOGRYPΗΕ.
Que diversement on arrange
L'ordre de mes cinq élémens ;
Alors cinq fois lascène change ;
On voit cinq objets différens :
Une ville chère aux gourmands ,
Qui n'est pas loin de la Garonne ;
Un meuble commode en hiver ;
Ce qu'on jette au fond de la mer
Sans faire de tort à personne ;
Un ornement que le hasard
A fait trouver au sein de l'onde ;
Ce que deviendra tôt ou tard ,
*** La plus belle tête du monde .
Par Madame PAULINE S. A.
CHARADE.
Je suis moins noir que mon entier.
Très-peu de gens donnent de mon premier ;
Et plus d'un fat croit être mon dernier.
Mots de l'Enigme , du Logogriphe et de la
Charade insérés dans le dernier Numéro.
Le mot de l'Enigme est la Demoiselle du Fourmi- lion.
Celui du Logogriphe est Oreilles , où l'on trouve osier ,
oeil, roi , or , Elie , sel , soleil , oseille , sellier , 06.
Le mot de la Charade est Mercure .
GERMINAL AN XI. 57
1
Fragment de l'Apologie de la Religion , par
M. de la Harpe.
ÉLÉVATION A DIEU .
( Pour le chapitre de la Miséricorde. )
VOUouSs dites , ô mon Dieu ! que vous me pardonnerez
: que dis-je ? vous m'assurez que vous
m'avez pardonné. Remisisti impietatem peccati
mei. Vous dites que vous ne mépriserez pas un
coeur contrit et humilié. Cor contritum et humiliatum
Deus, non despicies. Vous dites que vous avez
jeté tous mes péchés derrière vous. Projecisti post
tergum tuum omnia peccata mea. Vous le dites ,
o mon Dieu ! et je vous crois , et je dois vous
croire , car vous êtes la vérité même. Mais tout
puissant que vous êtes , pouvez-vous faire que ce
qui est fait ne soit pas fait ? ôtez -moi donc, ô Dieu
de miséricorde ! ôtez-moi donc de dessus le coeur
ce poids affreux , ce poids qui est sur moi comme
une montagne , ce souvenir si amer et si cruel de
quarante ans d'iniquité, de souillure , de blasphème ,
d'égarement , des plus honteux désordres. Ne suis-je
pas écrasé par cet horrible fardeau ? Eh ! si je
souffre , ce n'est pas du mal qu'on me fait ; vous
savez l'alléger et l'adoucir : grâces à vos leçons et à
vos secours , je supporte , sans y succomber , la persécution
des hommes; mais cequi m'accable , c'est
le mal que j'ai fait , qui est sans cesse devant mes
yeux , et que je ne saurais me pardonner ; car il
est sans excuse , et personne ne peut en avoir moins
que moi. Parce que vous êtes bon, en suis-je moins.
mauvais ? que dis-je ? plus vous êtes bon , plus je
suis coupable , et cette idée est désolante. A qui
aviez vous fait plus de bien qu'à moi ? à qui aviez-
D4
58 MERCURE DE FRANCE ,
vous donné plus de marques d'une bonté toute
paternelle ? qui a pris soin de moi , quand mon
père et ma mère m'ont été enlevés ? Pater meus
et mater mea dereliquerunt mee ,, dominus autem
assumpsit me. Pauvre et orphelin , j'ai été nourri du
pain de votre charité (1 ). Vous m'avez prodigué ,
comme à plaisir , tous les bienfaits imaginables ,
tous les avantages et toutes les jouissances de la société.
Quel usage en ai-je fait ? J'ai tourné tout ,
contre celui qui m'avait tout donné. Terre et ciel ,
rendez témoignage contre moi! créatures de morn
Dieu , élevez-vous contre l'enfant dénaturé , il ne
vous démentira pas. Dites toutes ensemble : le
voilà celui que son Dieu avait comblé de biens ,
et il a méconnu son Dieu ; il a méprisé sa loi ; il
s'est servi de sès dons pour l'outrager. Il ne lui est
pas venu une fois dans la pensée de rendre gloire
à celui de qui seul il tenait tout. Il s'est fait luimême
son Dieu : il a dit , en regardant les biens
qui
l'environnaient , il a dit , dans l'enflure de son
coeur, c'est moi qui ai fait tout cela ; c'est à moi
que je dois ce que je suis : je suis mon ouvrage. Il
s'est déclaré l'ennemi du Dien son bienfaiteur ,
puisqu'en reconnaissant l'existence de ce Dieu , il
a été l'ennemi de sa loi. Hommes qui détestez les
ingrats , le voilà le plus abominable des ingrats !
(1 ) L'auteur, à l'âge de neuf ans , a été nourri six mois
par les soeurs de la Charité , de la paroisse Saint-Andrédes
Arcs , et l'on sait que jusqu'à l'âge de dix-neuf ans il a
été élevé et nourri par charité. (Note de l'auteur.)
Cette note est écrite de la main même de l'Auteur ; et
voilà l'homme à qui l'on reproche tant d'orgueil ! Au
reste , tout le monde sait que M. de la Harpe appartenait
à des parens honorables , et qu'il ne fut élevé chez les
soeurs de la Charité que par manque de fortune et non
par défaut de naissance. ( Note des rédacteurs . )
1
GERMINAL ΑΝ ΧΙ. 59
Eh! bien, mon Dieu, que puis-je répondre à
ces cris qui m'accusent , à ces cris que ma conscience
répète ? Ah ! si je ne considérais que votre
justice , je l'invoquerais moi-même contre moi :
je vous dirais , frappez Dieu juste ! écrasez l'ingrat
qui vous a rendu le mal pour le bien , et la haine
pour l'amour. Posuerunt adversùm me mala pro
bonis et odium pro dilectione med. Faites - moi
tout le mal que j'ai mérité ; mais qu'au moins je
ne sois plus , s'il est possible , cet ingrat que tout le
monde doit abhorrer. Otez - moi tout ; mais ôtezmoi
mon péché , ôtez- moi ma honte : Auferà me
opprobrium et contemptum. Otez-moi la haine de
moi-même , et le souvenir de mes fautes ; pour m'y
dérober , je me précipiterais dans les enfers , si je
ne savais que le supplice des enfers est de vous
haïr , ô mon Dieu ! et ce supplice est le seul audessus
de mes forces. J'oserai dire plus , il est le
seul au-dessus de mes iniquités , à présent que vous
m'avez fait connaître et mes iniquités et leDieu
qui me les a pardonnées. Je suis prêt à tout , résigné
à tout; je puis tout souffrir , ô Dicu bon !
quoique je sois la faiblesse même , si ce n'est de
renoncer à vous aimer. Oh ! cet amour , qui est
mon seul bien , on ne me l'otera pas ; car c'est
vous , mon Dieu , qui ne l'avez donné , et ce n'est
pas vous qui me l'óterez. C'est le plus beau présent
que vous puissiez faire à vos créatures et vous seul
pouviez le leur faire. Mais cet amour même , ô
mon Dieu ! ne sert qu'à me faire sentir avec plus
d'horreur et d'amertume combien je suis criminel
envers vous ; et plus je vous aime et dois vous aimer ,
moins je puis supporter l'idée de vous avoir tant
offensé .
Mais je vous entends me répondre , ô mon
Dieu! « De quoi te plains-tu ? tu te reproches tes
>> ingratitudes , et certes tu as bien raison; mais ne
60 MERCURE DE FRANCE ,
»
»
crains-tu pas d'être encore ingrat en ce moment
même ? Que me demande-tu ? de t'ôter le souvenir
de tes fautes , qui à présent est amer pour
>> toi; mais si tu pouvais en perdre un moment le
» souvenir , si tu étais assez malheureux pour les
>> oublier jamais , c'est alors que je m'en souvien-
>> drais de nouveau , et que ma justice me rapel-
د lerait ce que ma seule miséricorde peut effacer.
>> Quand le père de famille , dans mon évangile ,
>> court au devant de l'enfant prodigue qui re-
» vient à lui , c'est pour l'embrasser et le faire
>> asseoir à sa table. Il ne lui fait pas le plus léger
> reproche ; il est sûr de ceux que le malheureux
»
«
enfant se fait à lui-même ; il se réjouit de le
recevoir à sa table , quoiqu'il revienne de la
table des pourceaux; mais l'infortuné s'est re-
>>connu indigne même de manger avec les der-
» niers esclaves du père de famille. Je suis ce père ,
>> et je connais le coeur de mon enfant ; car c'est
>> moi qui le lui ai donné : irais-je le frapper de
> mes reproches , quand je l'ai frappé de ma
>> grâce ? est-ce moi qui ferai saigner ses blessures ,
> quand il vient à moi pour être guéri ? Tu sais
>> par toi-même si ton Dieu est capable d'accabler
>> le pécheur qui se jettedans ses bras. Nest-ce pas
>> moi qui ai dit : le seigneur relève ceux qui
>> tombent , et redresse ceux qui sont brisés ?
>> Allevat dominus omnes qui corruunt et erigit,
» omnes elisos. C'est le seigneur qui conduit les
>> pas de l'homme et qui détermine son voyage ;
>> et alors , si l'homme tombe , il ne se brisera pas ,
>> parce que le seigneur étend sa main pour le
>> soutenir. Apud dominum gressus hominis diri-
>> getur et viam ejus volet ; cùm ceciderit, non
>> collidetur , quia dominus supponit manum. Et
>> qui sait mieux que moi que l'homme pécheur à
» qui je me suis manifesté , ne supporterait pas
GERMINAL AN XI. 61
» les rayons de majustice , si je ne prenais soin
» moi-même de les tempérer par ceux de ma
>> miséricorde ? Quand je parlais dans ma gloire
>> à Moyse et aux Patriarches , ils tombaient par
>> terre , saisis de frayeur , et s'écriaient qu'ils
>> allaient mourir , parce qu'ils avaient vû le sei-
>> gneur ; et c'étaient des justes ! Que sera-ce du
> pécheur ? Mais si je suis la vérité , je suis aussi
>> la vie , et il n'y a que l'impie que je tue du
>> souffle de ma bouche. Spiritu oris sui interficiet
>> impium. Je suis auprès de celui à qui j'ai parlé ,
>> et je ne veux pas qu'il meure du repentir que
>> je lui ai donné pour qu'il vive. Ce repentir est
>> sa punition ; mais il est leseul remède à ses maux ;
>> c'est le fer qui déchire la plaie , mais qui em-
>>pêche qu'elle ne soit mortelle. Il doit y rester
>>jusqu'au dernier jour ; et ose dire que ma main
>> ne s'occupe pas d'en adoucir l'atteinte , que je
>> ne verse pas sans cesse l'huile et le baume qui
>> diminuent la douleur et préviennent la corrup-
>> tion. Ce baume , c'est mon amour ; c'est l'amour
» que j'ai moi-même mis dans ton coeur , ce don
>> surnaturel qui n'est pas de l'homme , mais de
» moi. Et si tu aimes ton Dieu, comment te par-
> donnerais- tu de l'avoir tant offensé ? Mais il
>> pardonne lui , et a promis de pardonner à celui
» qui l'aime , et celui qui l'aime doit tout souffrir
> avec joie pour mériter ce pardon. Tu as peine à
>> concevoir que je puisse pardonner en effet de si
>> longues et de si énormes offenses ; mais tu ne dois
>>pas non plus le concevoir ; c'est le secret de ma
>> bonté. Il ne t'est pas plus donné de comprendre
>> combien je suis bon, que de savoir combientues
>> mauvais ; et pourtant il n'y a rien dans toi qui
>>qui ne soit fini , et tout est infini en moi: mais
>> c'est que l'homme n'est pas plus fait pour se
> connaître lui-même que pour connaître leDica
62 MERCURE DE FRANCE ,
>> qui l'a créé ; c'est moi qui sonde le coeur et
>> les reins , c'est moi qui connais l'homme , parce
» que je connais mon ouvrage ; l'homme , il n'a.
>> rien que je ne lui donne , il ne sait rien que je
>> ne le lui apprenne , il ne peut rien qu'en moi
>> et par moi ; il doit donc toujours prier , tou-
>> jours demander , et j'ai promis de ne rien re-
>> fuser à qui demande avec soumission et con-
«
))
fiance , et ma parole n'est pas vaine ; j'ai été
>> jusqu'à dire , que je ferais la volonté de ceux
>> qui me craignent : Voluntatem timentium se
>>faciet; et je l'ai mille fois prouvé. L'orgueil ne
>> conçoit pas cette bonté d'un Dieu , mais l'or-
>> gueil est toujours loin de moi , il n'y a que
P'humble qui s'en approche , et à qui j'aime à
>>me communiquer ; et la véritable humilité ne
>> se sépare pas de la confiance filiale : tu sembles
>> douter que je puisse anéantir son péché ! Ne
>>l'ai -je pas dit mille fois par mes prophètes ?
>> n'ai-je pas dit à Israël que quand même sa robe
>>d'iniquité serait rouge comme l'écarlate , je la
>>rendrais blanche comme la neige ! ( Isaie. ) Le
>> péché n'est-il pas le fils de l'enfer et le père de
>> la mort ? et mon Verbe divin ne doit-il pas être
>> vainqueur de la mort et de l'enfer ? Mais ce
>> triomphe ne sera consommé que dans la Jéru-
>> salem céleste et tu es encore dans la terre
>> d'épreuve et de châtiment. Mes saints n'ont-ils
>> pas péché , et plusieurs même gravement péché ?
>> Le mal et le péché entrent-ils dans mademeure
>> où il n'entre rien de souillé ? Ne suis-je pas
>> assez puissant dans ma bonté pour purifier mes
>> enfans? mon amour n'est-il pas un feu immense ,
>> dans lequel toute iniquité sera consumée , et
>>dans lequel tous mes élus vivront éternelle-
>>> ment. »
Que puis-je dire, o mon Dieu ! si ce n'est que
A
GERMINAL AN XI . 63
je ne suis qu'erreur , ignorance et misère , et que
vous n'êtes que lumière , puissance et bonté ?
Pardonnez , 6 mon père ! car votre enfant indigne
vous offense jusques dans son repentir, Je vous
aime , ô mon Dieu ! mais qu'il s'en faut encore que
je vous aime comme il faut vous aimer ! que je
suis loin encore de cette véritable confiance qui
accompagne le véritable amour ! et pour quoi ?
c'est que ne suis pas même un véritable pénitent ,
car je vous demande ce que vous n'accordez qu'à
vos Justes. Donnez-moi les sentimens de votre
prophète , le modèle des vrais pénitens ; que je
vous dise avec le même coeur que David : il m'est
bonque vous m'ayez humilié , afin que j'apprisse
vos justices ; bonum mihi quia humiliasti me , ut
discam justificationes tuas. Bien loin de porter
avec peine ce poids d'humiliation , je dois le bénir,
parce qu'il me rappelle sans cesse mon néant et
votre grandeur , mes fautes et votre bonté , mes
iniquités et votre sainteté. Si j'ai été assez insensé
pour vous méconnaître si longtemps , le mal est
dans ma volonté perverse ; et si vous avez daigné
m'éclairer et me rappeler à vous , gloire à vous
seul , ô mon Dieu ! car tout ce qu'il y a en moi
de mal est de moi , et tout ce qu'il y a de bon
est de vous ; et n'est-ce pas là ma consolation ,
monespérance et mon bonheur? Si je plie sous le
fardeau de mes péchés qui sont montés jusques
pardessus ma tête , supergressa sunt caput meum ,
votre Verbe divin , mon rédempteur ne daignet-
il pas le partager , et pour empêcher qu'il ne
m'écrase , ne vous offre-t-il pas sans cesse le sacrifice
de son sang versé pour moi de toute éternité
? N'est-ce pas là le mystère de son amour ?
et seroit-ce à moi de le comprendre ? Nous est-il
permis de savoir combien vous avez aimé vos
créatures ? Sic Deus dilexit mundum ! Je m'anéan-
1
64 MERCURE DE FRANCE ,
tirai donc dans ma reconnaissance comme dans
mon humiliation ; je vous dirai : mon Dieu ! c'est
le partage de vos bienheureux de connoître votre
bonté , autant du moins que vous pouvez la manifester
à vos créatures , car vous seul pouvez vous
connaître parfaitement , et vous seul êtes dans le
secret de vos perfections ; le dégré de félicité
dont vous faites jouir les habitans du ciel est en
proportion de ce que vous leur communiquez
de votre essence , et vous avez de quoi remplir
ainsi leurs désirs et leurs jouissances pendant toute
votre éternité ; c'est ainsi qu'ils seront à jamais
rassasiés : satiabor cum apparuerit gloria tua. Et
moi qui suis dans une vallée de larmes; moi , dans
les chaînes du corps et sous le joug du péché , prétendrais-
je à ce qui est le partage du ciel , quand
je devrais depuis si longtemps être dans les enfers
si vous m'aviez fait justice ? Ne suis -je pas
mille fois trop heureux que vous ayez voulu faire
de moi un de ces miracles de votre miséricorde ,
que vous signalez quelquefois pour envoyer l'espérance
aux plus grands pécheurs ? Ils diront : qui
a péché plus que lui ? et pourtant Dieu a eu pitié
de lui ; de qui donc n'aura-t-il pas pitié ? Ainsi
vous tirez le bien du mal même ; ainsi toutes vos
voies ne sont que miséricorde et vérité : universae
viae Domini misericordia et veritas. Que je sois
donc humilié , ô mon Dieu ! et que vous soyez
glorifié ; que je sois vil aux yeux des hommes
par mes iniquités , soyez grand à leurs yeux par
vos miséricordes. A vous , Seigneur , la grandeur
et la puissance ; à vous la gloire , la victoire et la
louange : Tua est , Domine , magnificentia et potentia
, et gloria atque victoria et tibi laus. Amen.
DE LA HARPE.
Histoire
MERCURE
DE
FRANCE,
LITTÉRAIRE ET POLITIQUE,
TOME ONZIÈME.
4
VIRES
ACQUIRIT
EUNDO
A PARIS ,
DE L'IMPRIMERIE DU MERCURE DE FRANCE.
AN XI,
:
GERMINAL AN XI.
RÉP.Histoire des Loix civiles sur le Mariage et sur le Divorce
depuis leur origine dans le droit civil et coutumier
jusqu'au 18. siècle; par André Nougarède, 2 vol. Prix :
8 fr. et 11 fr. par la poste. Chezle Normant, imprimeurlibraire
, rue des Prêtres Saint Germain-l'Auxerrois ,
n°. 42. Paris , an XI.
CON ne peut pas plus concevoir les lois sans les moeurs
que la société sans la famille. Elles fleurissent ensemble ,,
elles dégénèrent ensemble ; l'influence que l'on exerce sur
l'une ou sur l'autre , s'étend inévitablement sur toutes les
deux. Cette vérité est , pour ainsi dire , l'histoire toute
entière , et nous sommes trop dispensés d'aller chercher
des exemples chez les nations anciennes .
Mais nous ne répéterons pas comment le scandale des
moeurs prépara la chute de l'autorité et le mépris des
loix en France ; et comment les loix , par un retour funeste
, mais nécessaire , corrompirent les moeurs , établirent
dans la famille le despotisme et l'anarchie , qui
désolaient l'état , et consacrerent en principe leur avilissement
et leur décadence. On dût se féliciter encore ,
au milieu de cette ruine universelle , que l'on n'ait pas
détruit jusqu'au pouvoir de réparer.
4 Les premiers regards d'une autorité bienfaisante , de
vaient donc naturellement s'arrêter sur l'état de nos moeurs ;
ou plutôt , après avoir relevé les autels , elle devait régler
le sort des époux dont ces autels avaient reçu les sermens;
elle devait rendre son honneur au mariage, resserrer le
lien de la famille et de la société , et consacrer la source
de la morale publique et de la liberté civile.
5.
cen
Cependant , par une fatalité qui tenait aux temps que
nous laissons derrière nous , les principes sur lesquels se
fonde la législation du mariage étaient chaque jour plus
oubliés. Le législateur ayant été obligé de prescrire ce
que la religion et les moeurs ne réglaient plus , les loix
11 E
66 , MERCURE DE FRANCE,
civiles s'étaient mêlées avec les loix domestiques , et la
confusion s'était introduite dans toutes. La manie des paradoxes
qui dominait ,, sous le nom de liberté de penser
, ne contribua pas peu à augmenter cette confusion .
Le droit naturel fut méconnu , dans un siècle où chacun
invoquait la nature. Le siècle des lumières avait tout
brouillé et tout obscurci : et le code des loix françaises
ressemblait à ces terres nouvellement inondées , où , pour
reconnaître les propriétés de chacun, et fixer les bornes
antiques , il fallait recourir au témoignage des anciens ,
et au jugement des hommes fameux par leur sagesse .
Ce fut alors qu'un gouvernement , fort de ses intentions
, s'entoura de toutes les lumières , provoqua de franches
remontrances , et fit comme un appel général à tous
les amis éclairés de leur pays. La loyauté et la confiance
établirent , de part et d'autre , des communications qui
caractérisent assez la nouvelle époque qui commençait
pour la France. Plusieurs écrivains usèrent noblement du
droit de dire ce qu'ils pensaient , et de penser ce qu'ils
voulaient ( 1 ) .
Quelques maximes anciennes furent tirées de leur long
oubli , et sont encore reçues aujourd'hui avec le succèsde
la nouveauté ; et même , nous pouvons le dire sans vaníté
, puisque nous l'avons payé si cher , les principes de
l'ordre social reçurent des développemens nouveaux , que
l'on ne dût pas moins à l'expérience et à la nécessité des
temps , qu'au génie des écrivains qui les produisirent.
Car , cette remarque a déjà été faite , tout principe nécessaire
à l'ordre social , doit être développé dans son
temps . La société s'éclaire et s'explique à mesure qu'elle
avance ; et dans toute la suite des événemens politiques ,
une vérité nécessaire à l'ordre appelle en quelque sorte
son défenseur , comme autrefois , dans l'agitation des
premiers siècles de l'église , les hérésies suscitaient des apologistes
de la croyance orthodoxe.
(1) Ubi sentis quæ velis , et quæ sentis dicere , licet. Tac. Hist.
GERMINAL AN XI. 67
:
suc
'il
et ddeeve
(
9
Les défenseurs des sainės maximes de l'ordre , s'honorèrent
de compter dans leurs rangs l'auteur de l'ouvrage
que nous annonçons. Dans deux écrits qu'il publiá
cessivement , et qui ont entr'eux les rapports qui existent
entre leurs sujets et entre toutes les vérités polítiques ,
remonta à l'origine de la puissance paternelle,
loppa le principe de la législation sur le maridge. Il f.t
voir que la puissancepaternelle avait conservé les moeurs
romaines pendant six siècles , au milieu des discordés de
la place publique et des vices de la religion et des loix ;
et que l'indissolubilité du mariage , après que notre droit
coutumier eut aboli la puissancë paternelle dans notre
législation , fut le principe de la force intérieure de la !
France , et de la perfection toujours croissante de ses
moeurs pendant dix siècles . On distingua aussi , dans cette
classe Honorable de publicistés , l'éloquence et profond auteur
du Divorce considéré au 19° siècle . M. de Bonald attatqua
ses adversaires , pour ainsi dire , dans le fort de leur
raisonnement. Comme ceux-ci prétendaient que ledivorce ,
réprouvé par la religion catholique , n'était pas pour cela
contraire à la nature et devait être reçu dans le code d'une
nation qui adımettait indistinctement toutes les religions,
il prouva que le divorce n'était contraire à la religión
universelle , que parce qu'il était contraire à la nature.
La force singulière de son style , l'élévation et l'étendue
de ses pensées , et , si je puis parler ainsi , la verve de rai....
son qui caractérise cet écrivain , frappèrent tous les esprits.
Son nom devint une grande autorité dans l'opinion
publique : et , sans rien préjuger sur ce que le législateur
accordérait aux circonstances , ou sur ce que les circons (
tances exigeraient de lui , on crut l'inviolabilité des prin
cipes garantie , en quelque sorte , par cette éloquente
protestation.
103 1.
« Mais , dit M. Nougarėdė , le raisonnement a été
>> si bien décrié par ses abus trop récens , qu'il inspire
» de la défiance , lors même qu'il sert à défendre la
Ez
1
68 MERCURE DE FRANCE ,
1
>> vérité : il a donc fallu me résoudre à tenter une autre
>> démonstration. >> Et cette démonstration , il l'a trouvée
dans les faits et dans les loix. Le plan qu'il s'est tracé
est vaste , et embrasse toutes les législations connues ,
depuis les institutions de Numa, jusqu'au code civil qui,
estdiscuté en ce moment. Dans cet espace de vingt-six
siècles , on voit les peuples se succéder avec les mêmes
fautes et les mêmes revers ; les mêmes événemens entraîner
les mêmes conséquences , les mêmes opinions
parmi les philosophes , annoncer les mêmes vicesdans les
moeurs , et préparer les mêmes désordres dans les loix;
les mêmes expériences , en un mot, se renouveler avec
les mêmes résultats. Lorsqu'un principe a passé par toutes
les épreuves , et qu'il sedémontre également par l'ordre des
raisonnemens et par la suite des événemens , il ressemble
debien près à la vérité. Mais , n'anticipons pas sur des conséquences
que l'auteur n'a pas voulu tirer lui-même. Nous
allons essayer de donner une idée de son travail ; c'est à la
fois la plus digne manière de le louer et le plus sûr moyen
d'en faire sentir l'importance.
Si l'on considère la théorie des loix sous les rapports généraux,
on se convaincra , sans peine , qu'elle a tour-àtour
été fondéesurdeux principes opposés : tantôt l'homme
et la société dictaient eux-mêmes les loix qu'ils devaient
suivre ; tantôt ils les recevaient d'une autorité supérieure ,
placée hors de l'homme et de la société.
Quand les loix étaient l'ouvrage des hommes , elles devaient
nécessairement flatter leurs passions ; elles sacrifiaient
les droits du plus faible , ou plutôt elles ne s'occupaient
pas de la supériorité du droit , mais de celle de la
force. C'était le droit du plus fort, ou le droit arbitraire ,
dont les principes variaient avec les passions , avec l'influence
du climat , avec la forme des gouvernemens , avec
le caractère de chaque siècle.
On reconnaîtra tous les caractères de ce droit du plus
fort dans les coutumes domestiques qui existèrent chez les
1
GERMINAL AN ΧΙ. 69
•Romains avant le règne de Numa , et c'est l'objet du chapitre
premier. Ici tous les éloges du premier âge et toutes
les imaginations de poésie fuient devant la vérité de l'histoire;
les instrumens du meurtre sont inventés avant ceux
du labourage ; une forteresse protège des cabanes de
chaume, ettelles étaient l'atrocité de ces premières guerres
Det la bassesse de ces natures primitives , que l'esclavage
était considéré comme un bienfait , et sauva la race humainede
ses propres excès. Le vaincu épargné sur le champ
de bataille recevait le nom ( r ) qui marquaît à la fois son
salut et son opprobre. Mais ce droit , que le maître exerçait
sur son esclave, rapporté à la supériorité de la force
du corps comme à son principe , devait nécessairement
s'étendre sur tous les êtres faibles par leur nature ou par
leur situation ; aucun sentiment ne venait alors tempérer
cet instinct brutal de la force ; aussi voit-on le guerrier
opprimant également ses esclaves , sa femme et ses enfans.
Quand les hommes , au contraire , et les sociétés reconnaissaient
une autorité supérieure placée hors de l'homme
et de la société , leurs passions devant être subordonnées
àlajustice , l'on cessait alors de considérer la force pour
ne voir que les droits de l'individu, et les loix tendaient à
devenir invariables. De-là, le droit immuable , qui est
comme l'intelligence cachée qui dirige le corps social vers
son plus grand bien; et comme ce droit est l'ouvrage
d'une autorité supérieure, il doit nécessairement tirer sa
forcede la religion..
Cette distinction du droit du plus fort ou du droit arbi-
⚫traire et du droit immuable est capitale, et toutes les considérations
que présente la suite de cet ouvrage s'y rattachent
naturellement. 56
Cependant , si la religion est humaine , est polytheiste ,
elle ne sanctionnera que des règles partielles du droit
immuable , et ne résistera pas au temps : c'est ce que l'on
vit par les loix et la religion de Numa...
(1 )Servus, de servatus.
E3.
70 MERCURE DE FRANCE ,
Vainement ce prince législateur essaya-t-il de soustraire
les femmes à l'oppression où elles se trouvaient placées
dans leurs familles , et de les protéger dans le mariage où
la nature et les effets du pouvoir marital tendaient également
à les opprimer; vainement consacra-t-il l'indissolubilité
du mariage par la cérémonie de la confarréation .
L'imperfection de la religion devait entraîner l'imperfection
de la loi , L'usage de la diffarréation détruisit tous
les bons effets de la confarréation ; et comme il arrive
ordinairement , à force de violer la religion , on prit le
parti de s'en passer : l'on crut même dans la suite que la
confarréation n'avait été instituée que pour les seuls pontiſes.
Ce fut alors que le peuple romain se crut sans loix
parce qu'elles n'étaient plus observées , et il alla en chercher
dans la Grèce. Les loix de la Grèce , toutes rédigées
d'aprèsle droit du plus fort, dominèrent sur les institutions
de Numa , et par leur nombre et par leur accord naturel
avec les passions de la multitude. Le code des Douze
Tables devança même la corruption publique , comme il
parut bien , par l'indignation générale qui éclata à l'occasion
du divorce de Carvilius Ruga , que les censeurs
ordonnèrent , à cause de la stérilité de sa femme.
2 Cependant l'ambition des conquêtes , qui s'accroissait
avec les conquêtes , dirigea toutes les vues du législateur
vers la reproduction de l'espèce humaine. On fit des loix
pour encourager le mariage , et pour punir le célibat
et la stérilité , c'est - à - dire , que l'on fit des loix
inutiles et des lois immorales. Mais la loi tenta inutilement
de suppléer aux bonnes moeurs ; car , dit M. de
Bonald, la population ne se compose pas tant des hommes,
>> qui naissent que des hommes qui se conservent ». Aussi
Ja dépopulation et la licence dés moeurs faisaient des progrès
effrayans. Auguste lui-même perdit l'espérancedevoir
naître un peuple innombrable , et les chevaliers romains,
interprètes de l'alarmé publique , vinrent en corps
demander au prince l'abrogation des loix pappiennes.
,
:
GERMINAL AN XI. 71
1
M. Nougarède insiste particulièrement sur cette époque
'de l'Histoire Romaine , parce qu'elle est aussi importante
qu'instructive , et que trop souvent il faut être arrivé
au dernier degré du mal pour reconnaître toutes les fautes
qui nous'y ont conduits. On connaît la harangue d'Auguste
aux chevaliers romains , rapportée très au long par
Dion , et que Montesquicu abrège à samanière. M. Nougarède
metdans la bouche des chevaliers une réponse , où
il fait ressortir tous les vices de ces loix pappiennes , qui
avaient réduit en système les abus de l'anarchie et des
guerres civiles . Cette forme dramatique redouble l'intérêt
de ce tableau. Nous ne résistons pas au plaisir d'en citer
quelques traits .
<<S'il ne s'agissoit que de présager le succès de vos loix ,
>> répondent les chevaliers , la question serait absolument
» décidée. Depuis trente années , les confiscations qu'elles
>> prononcent et qui remplissent votre trésor , les récom-
> penses qu'elles promettent , et auxquelles l'espoir de
>> votre faveur ajoute un nouveau prix , n'ont produit que
>> d'impuissans effets . Vous venez de vous en convaincre
>> vous-même , puisque nous sommes presque tous céliba-
>>taires. Vous devriez en conclure que vos moyens pour
>> encourager le mariage et la population sont vicieux ,
>> puisqu'ils produisent un effet tout contraire à vos dé-
<>> sīrs ; mais déjà vous agissez en maître absolu , et vous
>> vous en prenez à vous-même.
2
>> Vous commencez par nous faire un crime de vivre
>> dans le concubinage , et vous paraissez ainsi perdre de
>> vue qu'il est devenu par vos soins une union légitime :
» ce sont vos loix mêmes , contre lesquelles nous récla-
» mons ,,qui l'ont établi et qui le protègent ; ce sont elles
> encore qui nous éloignent du mariage. Si elles avaient
>> soumis cette union à ses véritables loix , nous pourrions
>> la choisir encore comme firent nos ancêtres . Nous savons
» très-bien qu'un engagementlégitime est préférable pour
>> bebonheur; mais ilest indispensable qu'il soit soumis aux
E4
72 MERCURE DE FRANCE ,
>> loix de la justice, s'il est réglé par la volonté arbitraire ,
>> ou même immorale du législateur , comme le mariage
>> qui est organisé par vos loix pappiennes ; nous aimons
> mieux encore rester exposés à nos seuls caprices.
>> Ces loix vous assurent tous les genres de succès, excepté
>> celui que vous prétendez en attendre, l'accroissementdela
>> population . Elles ne pouvaient nous paraître en effet que
>> les réglemens d'un maître qui veut multiplier lenombre
» de ses sujets. Nous nous sommes considérés dans le do-
>> micile conjugal comme dans un lieu de gêne , où vous
>> nous conduisiez par des menaces , où vous nous reteniez
>> par des menaces , où vous nous excitiez par des menaces ,
>> comme par un aiguillon, à multiplier les gages de notre
>> fécondité . Cherchez donc , pour encourager la propa-
>> gation de l'espèce , d'autres réglemens que ceux des
>> censeurs ; observez même que ces moyens si violens ,
>> ne sont pas de nature à être mis long-temps en usage ,
>> et qu'ils auraient bientôt épuisé toutes les sources de la
>> reproduction sociale. Pareils à ces cultivateurs impru-
>> dens , qui détruisent la fécondité du sol en voulant
>> l'exagérer , les censeurs n'avaient obtenu du mariage
>> une population si supérieure à ses produits ordinaires ,
» qu'en frappant le mariage même de stérilité pour l'a-
>> venir. Si vous continuez de suivre le même système ,
>> vous acheverez de rendre absolument impossible la res-
>> tauration des moeurs . •
>> Faut- il vous parler des récompenses que vous pro-
>> mettez aussi dans vos loix , et vous faire voir qu'elles ne
*>> sauraient être plus efficaces que les peines dont vous
nous avez menacés sans fruit ? Vous ne nous compren-
>> driez même pas. Elles vous paraissent telles , dites-vous ,
>> que la vertu n'en eut jamais de plus grandes. Quelle
>> idée vous devez avoir des récompenses qui excitent à la
>> vertu ? Comme vous devez considérer en pitié ces cou-
» ronnes de chêne qui précipitaient nos ancêtres au
GERMINAL AN XI 73
>>milieu de tant de dangers , pour sauver la vie d'un ci-
>> toyen ! Comme il est bien plus beau de présenter la
>>pourpre à celui qui a répudié une épouse chaste , pour
>> lui substituer une épouse féconde; ou plutôt à ce ci-
>> toyen si digne de vos éloges , qui , en passant toutes les
>> années du mariage au divorce et du divorce au mariage ,
→ amultiplié sans mesure ses plaisirs et ses enfans. >>
L'histoire dit que les chevaliers romains n'avaient rien
répondu à la harangue d'Auguste; on voit que ce n'était
pas faute de bonnesraisons. Mais continuons de suivre le
plan de l'auteur.
Il fallait donc une religion divine et universelle , pour
faire connaître les principes généraux du droit immuable ,
et pour leur donner une sanction durable. On en vit la
preuve sous Constantin , qui ayant à gouverner un peuple
vieilli dans les institutions d'Auguste , ne laisse pas d'entreprendre
la réforme des loix , et dut ses succès à l'influence
du christianisme. On reconnaît bientôt la présence
de ce nouveau príncipe dans la législation . Dès les commencemens
, ils se manifeste par les plus heureux effets
sur la liberté civile et sur la liberté domestique ; les maux
de l'esclavage sont allégés ; les règles qui gênaient les affranchissemens
sont peu à - peu abolis ; la licence des divorces
est réprimée , et l'on ne se borna plus à la protection
personnelle d'individus , mais on eut encore égard
aux considérations d'honnêteté publique , etc. L'ouvrage
de Constantin fut continué avec zèle par ses successeurs ;
et l'auteur en fait observer les progrès dans l'histoire des
loix , sur les esclaves , et sur la société des biens entre les
époux; mais les plus grands obstacles qu'ils eussent à surmonter
, venaient de la dégénération du peuple romain ,
qui ne pouvait plus porter , en quelque sorte , la bonté
des institutions nouvelles.
Il était réservé à Charlemagne , cinq siècles après Constantin
, d'achever toutes les applications du droit im
muable. Ce grand prince, à la tête de peuples adolescens ,
1
74 MERCURE DE FRANCE ,
montra tout ce que peut le christianisme , lorsqu'il vient
tempérer un génie législateur et guerrier. Des écrivains
célèbres ont fait l'éloge de Charlemagne , avec quelques
traits d'un talent inimitable : il était peut-être aussi difficile
de descendre dans le détail de ses travaux immenses .
M. Nougarède le montre tour-a-tour fondant la liberté
politique sur ses vraís principes , et augmentant la puissance
impériale de tout ce qu'il retranchait au despotisme
du prince ; extirpant les restes de l'esclavage par des loix
plus fortes que celles de Constantin ; renouvelant les loix
sur les moeurs , après avoir réglé celles du mariage ,
dont il consaca l'indissolubilité ; en un mot , conduisant
au plus haut degré de perfection , dont les choses humaines
étaient capables à cette époque , la liberté politique
, la liberté civile et la liberté domestique , qui toutes
conservent entr'elles des rapports naturels et invariables.
Ce point de vue n'est pas le moins remarquable de cette
Histoire. Le germe de perfection que le christianisme avait
introduit dans les loix , se développa au milieu des abus
de la féodalité et des horreurs des guerres civiles. Il fut la
source de ce droit des gens , qui a gouverné les nations
de l'Europe jusqu'au dix-huitième siècle; de cette dignité
de moeurs , qui établit une si grande différence entre le
siècle de Louis- le-Grand et le siècle d'Auguste. Enfin , le
christianisme fut le principe de cette morale publique et
de cette conscience universelle qui met « l'opinion même
>> des hommes corrompus , au nombre des plus grands
› obstacles que la corruption des moeurs ait à com-
>>> battre. >>>
Il ne nous est pas permis , dans cette analyse rapide , et
à peine suffisante pour donner une idée générale de l'ouvrage
, de nous arrêter aux développemens qui en font le
principal mérite. L'histoire des loix se joint naturellement
à l'histoire des circonstances qui les ont accompagnées ,
et offre à chaque page des tableaux attachans , des faits:
curieux , des discussions intéressantes. On pense bie.n
GERMINALAN XI. 75
১
qu'en s'assujettissant à la fidélité de l'histoire , l'auteur
a souvent occasion de combattre les systèmes de nos publicistes
modernes , qui ne s'en souciaient guère. Le nom
de Montesquieu , en particulier , revient souvent dans
les,discussions de ce genre. Ce publiciste , qui témoigne
pour les loix pappiennes une prédilection que l'on ne
peut pas concilier aves ses grandes lumières , avait jeté ,
par exemple , de l'incertitude sur l'époque où l'usage
du divorce s'introduisit chez les Romains , et l'avait fait
remonter beaucoup plus haut que l'époque célèbre de
Carvilius Ruga, M. Nougarède prouve contre Montesquieu
, l'exactitude et la vraisemblance du fait historique.
Il démontre par le témoignage unanime des historiens ,
que jusqu'à Carvilius Ruga , c'est- à- dire jusqu'à l'an
620 de la fondation de Rome , les institutions de
Numa avaient protégé l'indissolubilité du mariage contre
la séduction des loix ; et , par les rapprochemens et les
analogies que fournit cette époque fameuse, il ne montre
pas avec moins d'évidence que l'action de Carvilius Ruga
devait exciter une indignation générale , et que les moeurs
romaines repoussaient encore le code des Douze Tables.
Mais si l'on reconnaît la logique victorieuse de l'auteur
, on n'aime pas moins la manière dont il a raison :
c'est toujours avec la modération et les convenances qui
n'appartiennent qu'au vrai savoir ; et cet exemple est
trop rare pour n'être pas remarqué.
Ce fut au dix-huitième siècle que les principes du siècle
d'Auguste tendirent à dominer dans les moeurs et dans les
loix. L'examen de cette dernière époque fait le sujet de la
quatrième partie de cet ouvrage , qui nous a paru moins
fortement écrite que les précédentes . Il est même possible
que l'on conteste à l'auteur l'exactitude de quelques rapprochemens
entre les philosophes des deux siècles. Mais
les rapports généraux qu'il établit entre les philosophes
subsistent dans toute leur évidence. Le fonds des doctrines
qui prévalaient au siècle d'Auguste , reparut avec tous ses
76 MERCURE DE FRANCE,
1
1
détails dans celui que nous venons de parcourir; et si l'on
pouvait séparer les passions des hommes de leurs erreurs ,
la fortune prodigieuse de cette philosophie ne serait pas
moins frappante que la monotonie des répétitions. On vit
donc avec les systèmes d'Epicure et de Zénon le despotisme
sous toutes ses formes sanglantes ; les distinctions
savantes et les balancemens de pouvoirs qui sont bien
moins les garanties de la liberté que les inquiétudes de la
faiblesse et de l'orgueil ; des loix sur le mariage toutes relatives
à la propagation de l'espèce ; des vertus toutes
physiques , et l'oppression , enfin , regnant dans la famille
comme dans l'état , avec toutes les applications du droit
du plus fort.
Ici M. Nougarède prévient une grave objection des défenseurs
de la doctrine du dix-huitième siècle . Ce siècle a
été fameux par son humanité, et il en a fait un de ses titres
les plus magnifiques ; tous les livres qu'il a produit ne
respirent que l'humanité , et la vantent comme une découverte
nouvelle , après douze siècles de civilisation.
Mais les faits viennent déposer tristement contre cet
étrange amour des hommes , qui même dans la suite prit
un autre nom , comme par respect pour le véritable.
L'humanité méconnut les bornes et les convenances de la
vertu , parce qu'elle ne remontait pas au principe qui ,
bien que surnaturel , n'en est pas moins le seul conforme
à notre nature. L'humanité rêvait des projets de paix perpétuelle,
et les proposait à des souverains qui , peu de
temps après , se partagèrent la Pologne. L'humanité décida
l'affranchissement des nègres dont l'esclavage se convertissait
insensiblement en une sorte de domesticité
douce; et en s'emparant brusquement de l'ouvrage du
christianisme , elle le perdit. Les essais meurtriers de la
philantropie , témoignèrent assez que ce n'était pas aux
défenseurs du droit arbitraire à donner la liberté civile ;
et les efforts d'un gouvernement puissant suffisent encore
à peine aujourd'hui pour réparer les bienfaits de tant
1
GERMINAL AN XI
77
d'humanité.Aureste , toutes ces considérations exigeraient
desdéveloppemens, que nous sommes forcés de remettre
une autre fois .
Dans un ouvrage , que son importance et sa solidité
dispenseraient aisément de tout autre mérite , M. Nougarède
a su répandre l'intérêt d'un style élégant et facile.
On ne s'aperçoit pas des recherches ingrates qu'il a dû
faire , des écrits secs et insipides qu'il lui a fallu dévorer :
il n'a pris toute cette peine que pour l'épargner à ses
lecteurs .
VARIÉTÉS.
OEuvres diverses d'Evaristé Parny , nouvelle édition , a vol. ›
in-12. Prix : 5 fr. , et 6 fr. par la poste.A Paris , chez
Debray , libraire , place du Muséum , n°. 9; et chez
le Normant , imp. - lib . , rue des Prêtres Saint -Germain-
l'Auxerrois , n° . 42 .
३
LE
:
E sort des poètes est souvent plus heureux qu'il n'est.,
brillant; ils marchent sans cesse au milieu des serpens
de l'envie , et leur carrière est par-tout semée d'écueils ; -
ondoit cependant en excepter les poètes élégiaques ; ils
chantent leurs plaisirs , et ils semblent n'avoir pour but
dans leurs travaux que d'obtenir un sourire de l'amour.
Les graces qu'ils ont chantées désarment en leur faveur
la jalousie , la haine , et quelquefois même la critique.
Leur front n'est point paré d'un laurier éclatant,mais ils
sont couronnés du myrthe paisible ; tel était , parmi nous ,
le sort du chantre aimable d'Eléonore ; tel étoit du moins
le voeu qu'il formait lui-même, lorsqu'il disait :
:
Ade moindres succès mes vers doivent prétendre ;
Les belles , quelquefois , les liront en secret ,
Et l'amante sensible ,àson amant discret ,
Indiquera dudoigt le morceau le plus tendre.
:
78 MERCURE DE FRANCE ,
Heureux le poète , s'il se fût contenté de la gloire d'être
placé à côté d'Anacreon et de Tibulle , et s'il n'eût pas
troublé les échos d'Idalie de ses déclamations contre les
dieux ! mais on a assez parlé de ce poëme scandaleux ,.
qui a fait plus de mal encore à son auteur qu'à la religion
qu'il attaque : M. de Parny ne l'a point compris dans la
nouvelle édition de ses ouvrages , et nous n'y reviendrons
pas.
La plupart des pièces qui composent ce nouveau recueil
, sont dans la mémoire de tous ceux qui aiment les
vers. M. de Parny ne s'était point laissé séduire par les
succès passagers de Dorat et des poètes qui l'avaient précédé
dans la même carrière ; ses élégies sont principale->
ment remarquables par la fraîcheur du coloris , parle
naturel des images et la vérité des sentimens , le poète
est toujours élégant et toujours correct. Dans son élégance
, dans sa correction , il n'ajamais rien de pédantesque
; il a même quelquefois la grâce de l'abandon ,
et son style , sans étre négligé , a presque toujours cet air
dé négligence aimable qui sied si bien aux chantres des
plaisirs et des amours.
L
C
Li suci artifici sono negligenze..
台
:
M. deParny a enrichi cettenouvelle éditionde plusieurs .
pièces inédites ; parmi ces pièces nouvelles , il en est une .
de longue haleine , et qui a pour titre : Isnel et Asléga .
Le sujet de ce poëme est tiré de la mythologie du Nord.
Je ne sais si on doit féliciter le poète du choix qu'il a fait,
mais il aurait sans doute mieux réussi, en traitant un
sujet de l'antiquité grecque ; la mythologie des Grecs ,
quoiqu'un peu usée pour nous , nous offre encore plus
d'idées neuves , que la mythologie des peuples hyperboréens
; notre esprit est préparé à tout ce qu'on dit des
Grecs; nous avons été élevés , nous avons , pour ainsi dire,
GERMINAL AN XI. 79
vécu avec eux , notre imagination s'anime àleur seulsouvenir,
et c'est un avantage que les poètes ne doivent pointperdre;
quoiqu'on en dise ,Jupiter, Vénus , Apollon , seront
toujours plus poétiques pour nous que le grand Odin. Il
est possible que le nectar que versait Hébé , fût une boisson
assez médiocre ; mais après avoir été chanttéé par
Homère , il me paraît plus propre à entretenir l'ivresse :
poétique , que la bierre et l'hydromel qu'on sert à la table .
des dieux scandinaves. Les sujets tirés de la mythologie
du Nord ont un autre inconvénient , c'est la bizarrerie et !
la dureté des noms propres , qui ne réveillent point
d'idées dans l'esprit du lecteur , et qui nuisent essentiellement
à l'harmonie des vers ; Isnel , Asléga , Ingeslé ,
Niflheim , Olbrown , peuvent être harmonieux pour.des
Russes ou des Suédois , mais seront éternellement bárbares
pour des oreilles françaises. Je sais que les sujets I
tirés des mythologies du Nord sont encore en vogue parmi
certains esprits , avides de nouveauté , mais l'autorité de
ceux-ci n'est pas assez marquée dans la littérature , pour
qu'on doive leur sacrifier le goût national. On a beaucoup
vanté Ossian dans notre siècle ; les hommes de goût euxmêmes
l'ont admiré comme une production remarquable,
sans jamais croire cependant qu'on pût le prendre pour
modèle : il en est des poésies d'Ossian et de toutes les
poésies herses , comme de ces monumens d'architecture
gothique qui ont été conservés parmi nous ; ils sont
admirés par les gens de l'art , mais personne n'a songé
pour cela à en imiter les formes dans la construction des
édifices modernes . 2
On ne saurait trop le répéter , ce n'est point dans le
nord qu'il faut aller chercher des modèles de goût : les
habitans du nord le savent très-bien , et ils ne viendraient
pas en foule parmi nous , s'ils n'avaient à admirer que
lafroide copie de ce qu'ils ont chez eux ; ils ne parleraient
80 MERCURE DE FRANCE ,
pas notre langue, ils ne cultiveraient pas notre littérature ,
si elle n'était consacrée qu'à chanter les merveilles d'Odin .
M. de Parny , dans le poëme d'Isnel et d'Asléga , a laissé
encore apercevoir son talent accoutumé ; quelques tableaux
ont encore cette grace qu'on aime dans ses élégies ;
mais son style manque quelquefois de pureté : les
amours d'Eléonore ( qu'on me passe la comparaison ) ,
sont comme ces fleurs qui naissent dans nos champs , et
qui ont tout le coloris , tout l'éclat qu'elles ont reçu de
la nature. Les amours d'Isnel et d'Asléga ressemblent à
ces plantes exotiques qui regrettent leurs climats , et qui
ont besoin d'être péniblement cultivées dans une serre
chaude. Nous n'examinerons pas en détail le poëme
d'Isnel et d'Aslega ; nous nous contenterons d'en relever
quelques incorrections , etd'en faire remarquer quelques
beautés. Isnel s'adresse à ses guerriers et les encourage par
ces mots :
Braves amis, nos pères ont vaincu ;
De leur acier l'éclair a disparu ;
Brillous comme eux au milieu du carnage ,
Leur front jamais n'a connu la pâleur .
Le second vers est inintelligible , de leur acier l'éclair
a disparu; cette image peut être scandinave , mais elle
n'est pas française . Le troisième vers est faible ; et l'expression
brillons comme eux est peu digne d'un héros qui
ne respire que le carnage. Le quatrième vers renferme
unc idée fausse ; le poète veut dire que les pères des
Scandinaves n'ont jamais pâli devant l'ennemi , mais un
front qui n'a jamais connu la pâleur n'exprime pas la
même idée.
:
Quelques vers après , en parlant d'Isnel , le poète dit :
Mais des combats la sanglante rigueur,
Ala pitié ne fermait point son coeur.
Avec lamort son bras allait descendre
Surun guerrier qu'il avait terrassé ;
Je
GERMINAL AN XI.
RÉP
0
Je ne sais si on peut dire la sanglante rigueur des
combats. Un bras qui va descendre avec la mort sur un
guerrier , est une image faible : elle n'a point la vivacité
nécessaire pour exprimer le mouvement d'un homme qui
va tomber sur son ennemi .
Olbrown , un des personnages du poëme , aime la
belle Rusla , et il vient frapper à la porte de sa maîtresse.
Il frappe , et cette fois
La porte cède à la main qui la touche.
Laporte cède à la main qui la touche , le verbe toucher
, qui vient après le mot frappe , n'est pas l'expression.
convenable ; touche paraît être mis là pour la rime.
Quel est ce lâche au front pâle et timide ?
Espère-t- il , par sa fuite rapide ,
Se dérober à la lance d'Isnel ?
Est-ce en fuyant qu'on échappe au tonnerre ?
Sans gloire il tombe , et tourné vers la terre ,
Son oeil mourant ne revoit pas le ciel.
A quoi se rapporte sans gloire il tombe : d'après la
construction de la phrase , il se rapporte au tonnerre ;
et d'après la suite des idées , il se rapporte au lâche qui
fuit d'un pas rapide. La transition est trop brusque , et
ce passage n'est point clair.
Près d'un torrent qui roule avec fracas
Ses flots bourbeux , s'élève un toît rustique ;
De vieux sapins le couvrent de leurs bras.
On n'entend pas trop ce que veut dire ici le poète ,
en parlant des bras des vieux sapins. Cette expression
pourrait , jusqu'à un certain point , convenir au saule
pleureur , mais elle ne convient point aux sapins , qui ,
dans leur forme élancée , n'ont rien qui puisse ressembler
11 F
82 MERCURE DE FRANCE,
àdes bras . Il ne faut jamais oublier que ces images hardies
ne réussissent que lorsqu'elles sont amenées , et celle- ci
ne l'est pas. On trouve la même faute dans les vers suivans:
Du Valhala le grand festin t'appelle ,
C'est là qu'on boit la vie et le bonheur.
On a dit souvent qu'on boit dans le Léthé l'heureux oubli
des peines . Ici , l'idée d'un objet physique prépare l'image
d'un objet moral ; on boit les eaux du fleuve , et avec les
eaux du fleuve , on boit l'oubli des maux ; cette expression
devient ainsi naturelle , mais on ne peut pas dire
qu'on boit dans un festin , la vie et le bonheur. L'image
n'offre rien de précis , rien de positif , ni à l'intelligence
ni à l'imagination. Boucher a dit dans le poëme des Mois ,
en parlant d'un amant :
Les yeux demi-fermés , il boit un long amour.
Cette image pêche par le même défaut ; bien qu'on s'enivre
d'amour et de bonheur , il est bon de savoir ici
qu'on ne boit ni le bonheur ni l'amour. J'insiste sur cette
observation , parce que cessortes d'expressions sont un peu
devenues à la mode. Nos poètes se sont mis depuis quelque
temps , non-seulementà boire la vie , le bonheur , l'amour,
mais à boire le chagrin , le plaisir , je ne sais même s'ils
ne boivent pas la louange et la critique.
Je pourrais pousser beaucoup plus loin mes observations
sur Isnel et Asléga , mais il est temps de revenir
aux beautés qu'ony trouve en assez grand nombre , pour
faire pardonner les défauts. Parmi les choses qu'on peut
citer , nous donnerons la préférence à la romance d'Isnel.
Dans les momens où le cri de la guerre
N'éveillait plus sa bouillante valeur ,
L'amour charmait son dme solitaire ;
Sa voix alors chantait avec douceur :
GERMINAL AN XI. 83
>
<< Belle Asléga , quand l'aube matinale
Lève sa tête au milieu des brouillards ,
Sur tes cheveux j'attache mes regards.
Lorsque du jour la tranquille rivale
Jette sur nous son voile ténébreux ,
Chère Asléga , je baise tes cheveux. >>>
<<Un roi m'a dit : Ma fille doit te plaire;
Denos climats sa beauté fait l'orgueil ,
Saflèche atteint le timide chevreuil ,
Sa lyre est douce , et sa voix est légère ;
De ses amans sois le rival heureux.
Mais d'Asléga j'ai baisé les cheveux . »
<< J'ai vu Risme : d'une gorge arrondie
Ses cheveux noirs relevent la blancheur;
D'un frais bouton sa bouche a la couleur ;
Ses longs soupirs et sa mélancolie
Parlent d'amour; l'amour est dans ses yenx,
Mais d'Asléga j'ai baisé les cheveux. »
1
<<<Je sommeillais : une fille charmante
Sur mon chevet se penche avec douceur ;
Sa pure haleine est celle de la fleur :
Jeune étranger , c'est moi , c'est une amante
Qui de son coeur t'offre les premiers feux.
Mais d'Asléga je baisai les cheveux .
Ce morceau est plein de grâce etd'harmonie ; il est aisé
d'y reconnaître le chantre d'Eléonore ; on lit deux ou
trois autres romances dans le même poëme ; elles ont le
même naturel et le même charme : M. de Parny est né
pour chanter les amours , et s'il veut être fidèle à sa gloire,
il doit s'en tenir là.
Fa
84 MERCURE DE FRANCE ,
SPECTACLE S.
THÉATRE DE LA RÉPUBLIQUE ET DES ARTS .
L'opéra de Proserpine , arrangé par M. Guillard , et
mis en musique par Paësiello , a eu une représentation
très - nombreuse et très-brillante. Les changemens que
M. Guillard a faits à la pièce de Quinault ont paru , en
général , très-heureux ; mais ils n'ont pu sauver la monotonie
et la froide langueur de cet opéra , dont tout le mérite
consiste dans quelques vers harmonieux . On a reproché
à la musique de Paësiello de n'être pas toujours adaptée
à la situation et au caractère des personnages , ce qui
est un défaut dans notre opéra , quoiqu'il n'en soit pas un
dans les opéra d'Italie. Plusieurs morceaux ont été admirés
, et méritaient de l'être. Les ballets font honneur au
goût de Gardel.
Le Veuf amoureux , comédie en trois actes et en vers ,
donnée au Théâtre-Français , n'a point eu de succès ; on a
donné aussi à Louvois une nouveauté intitulée , les Maris
en bonne fortune : les suffrages ont été balancés . Les
Confidences , autre pièce nouvelle , ont réussi au théâtre
Feydeau.
१
ΑΝΝΟNCES.
Léontine , ou la Grotte Allemande ; faits historiques
qui se sont passés en Allemagne , par madame de F*** ,
auteur de plusieurs ouvrages moraux.
Deux vol . in-12. Prix : 3fr. , et 4 fr. par la poste.
A Paris , au bureau de la Bibliothèque de l'Adolescence ,
rue de la Perle , n°. 459; Poncelin , libraire , rue du
Hurepoix , quai des Augustins , n° . 17 ; et le Norman
rue des Prêtres Saint-Cermain-l'Auxerrois , n°. 42.
GERMINAL AN XI . 85
POLITIQUE.
La conduite de l'Angleterre commence à paraître claire,
même aux esprits les moins pénétrans. Nous avions dit
qu'il n'y avait rien eu de nouveau dans les négociations :
eten effet , quepouvait-il y avoir du côté de la France
qui se borne àdemander la stricte exécution des traités ?
Cherchons dans les faits publiquement avoués aujourd'hui
, si l'Angleterre a été un seul moment dans l'intention
de s'y conformer.
Par le traité d'Amiens , les Anglais s'étaient engagés à
rendre aux Hollandais le cap de Bonne-Espérance ; et certainement
, sans cette condition , la France n'aurait point
consenti à la paix : les Français , dans aucun temps , n'ont
sacrifié leurs alliés à leurs ennemis .
Ayant droit de compter sur le traité d'Amiens , les Hollandais
sont arrivés au Cap avec seize cents hommes , trois
vaisseaux de ligne , deux frégates et deux sloops. Le
premier janvier avait été fixé pour la restitution du Cap ;
la veille , la moitié de la garnison anglaise était déjà embarquée
pour l'Inde ; l'autre moitié était campée à dix
milles de la ville , et cinquante hommes , seulement pour
la forme , occupaient encore le fort. A six heures , les
troupes campées se rapprochent de la ville ; les troupes
embarquées rentrent dans le fort : les Hollandais restent
confondus ; les soldats et les officiers anglais ne sont pas
moins surpris de ce mouvement ; leur chef seul savait
qu'il venait de recevoir de Londres , l'ordre de manquer
à la foi des traités , et que celui d'Amiens serait violé à
l'extrémité méridionale de l'Afrique , trois mois avant
qu'on pût le savoir en Europe , excepté dans le cabinet
de Saint - James. En conséquence de cet ordre , arrivé
juste comme un événemeut de roman , une capitulation
a été signée au Cap , entre les Hollandais et les loyaux
Anglais : cette capitulation règle la position respective des
troupes jusqu'à nouvel ordre , et la conduite à tenir en
cas que l'une des deux parties reçoive d'Europe la nouvelle
de la reprise des hostilités. Il est permis de demander
quelle peut être la valeur d'une capitulation faite
F3
86 MERCURE DE FRANCE ,
avec les Anglais , dans le moment même où le traité le
plus solennel ne leur paraît pas un engagement.
Puisqu'on a connu au Cap l'ordre de violer le traité
d'Amiens , le 31 décembre , il est incontestable que la
résolution en avait été prise dans le cabinet de Saint-
James dès le mois d'octobre ; ainsi il y a six mois que le
ministère anglais s'était mis dans la nécessité de faire signer
au roi ce fameux message qui a renouvelé tous les bruits
de guerre . Pourquoi , dira-t-on , ce message a- t-il été fait
cependant avec tant de précipitation ? On serait autorisé
à affirmer aujourd'hui que les ministres anglais ont redouté
l'effetque produiraiten France la nouvelle d'unesi odieuse
conduite , et que la crainte qui suit toujours le crime les
a engagés à ne s'avouer violateurs des traités , qu'en se
montrant armés. Quiconque a vu l'Angleterre depuis la
paix , sait assez combien le courage des Français , l'activitéde
leur chef, sont redoutés dans ce pays , pour être sûr
que les ministres anglais ont cru que le premier mouvement
serait terrible. Ilsignorent lecaractèrere du Premier
Consul , parce qu'ils ne le connaissent encore que par ses
exploits ; les événemens actuels leur apprendront que le
calme nécessaire au chef d'une nation n'est pas incompatible
avec l'activité du plus hardi général de l'Europe, et
si la guerre doit recommence , rien ne sera donné au
hasard.
L'expérience de tout ce qui s'est passé en Europe depuis
douze ans , aurait dû révéler aux Anglais une vérité qui
n'échappera point à la postérité ; en calculant les projets
de toutes les puissances qui se sont armées contre la
France , et les résultats de la guerre , l'histoire conclura
qu'une parfaite probité aurait été pour tous les gouvernemens
une bien profonde politique. Cette observation
que les esprits légers ne regarderont que comme une
maxime morale , est fondée sur des événemens si positifs ,
qu'on peut dès-à-présent y puiser la connaissance de l'avenir.
En effet , quelle peut être l'espérance d'une nation
qui, en présence de l'Europe , manquant à la foi des traités ,
se met dans la nécessité de sacrifier son existence à l'accomplissement
des plus absurdes projets. Où trouverat-
elle des alliés , lorsqu'il est impossible de compter sur sa
bonne foi ? A quelle époque parlera-t-elle de paix , lorsqu'il
est prouvé qu'elle ne cherche pas même de prétexte
pour rompre celle qu'elle vient de conclure ? et il faut
bien que l'idée de garder le Cap ait effrayé le ministère au
GERMINAL AN XI. 87
momentmême où il en signait l'ordre , puisqu'on annonce
déjà à Londres que cette possession , sur des ordres ultérieurs
, a été remise aux Hollandais.
Ainsi , le cabinet de Saint-James , dans l'espace de quinze
jours , a pris la résolution de garder le Cap , malgré le
traité d'Amiens , et seul aussi le même cabinet se serait
décidé à le rendre. Cette versatilité inconcevable , et qu'on
ne peut attribuer à aucune cause étrangère , puisque les
ordres donnés en vertu de la première résolution , n'ont
pu être connus d'aucun cabinet de l'Europe ; cette versatilité
, qu'il est impossible de qualifier , ne prouve-t- elle pas
qu'une parfaite probité est une excellente politique , et
que la nation qui s'en écarte , soit par crainte , soit par une
folle ambition, se prépare des malheurs dont elle frémit
elle-même , et qu'elle est réduite à essayer les mesures les
plus contradictoires ?
Le Morning Chronicle', journal de l'opposition , et le
seul des journaux anglais qui soit presque toujours rédigé
avec talent , faisait, sur le refus annoncé de rendre le Cap ,
les observations suivantes , qui peuvent donner une idée
de la manière dont le parti de l'opposition , dans le parlement
, envisagera cette mesure .
« Nous concevons qu'il puisse naître des circonstances
>>capables de justifier une nouvelle guerre ; mais nous
» n'en connaissons pas qui puissent justifier le refus d'exé-
>> cuter un traité conclu. Nous concevons que la conduite
> de la France puisse nous autoriser à prendre des me-
>> sures de précaution, soit pour nous défendre , soit pour
>>attaquer ; mais se refuser à l'exécution d'un traité , par
>> précaution , est une chose sans excuse. Loin donc de
>>considérer le parti qu'on a pris de garder le Cap comme
▸ un sujet d'allégresse , nous le regardons comme très-
>>blamable. Le Cap , rendu aux Hollandais , pourrait
>> être repris en cas de besoin ; mais les principes de
>> l'honneur une fois violés , rien ne peut plus effacer cette
>>> tache . >>>
Lorsque ce journal faisait de pareilles réflexions , on ne
disait point encore à Londres que des ordres ultérieurs
avaient suivi de près les ordres de garder le Cap , par précaution.
Pour faire connaître les dispositions du ministère de--
puis le traité d'Amiens , nous rappellerons un article qui ,
sous le titre de Diligence Impériale , parut dans leMorning-
Chronicle deux mois après la paix , article qui fit pendant
88 MERCURE DE FRANCE ,
deux jours le sujet de toutes les conversations de Londres .
L'auteur en resta inconnu ; mais le ton d'excellente plaisanterie
qui y régnait d'un bout à l'autre , le fit attribuer
généralement à M. Shérédan . En voici le sens :
M. Billy-Pitt ( M. Pitt ) , directeur ordinaire de la Diligence
impériale , avait l'honneur de rappeler au public
que , pour des raisons faciles à deviner , il avait cédé pour
quelque temps sa place à son garçon , Simpllee,, (M.Addington)
. Pour éviter les mésaventures et lui rendre la besogne
plus facile , il lui avait conseillé de faire un traité avec le
directeur de la Diligence française , par lequel traité il leur
appartiendrait à chacun un côté de la route. Il était permis
à Simple de faire claquer son fouet , mais il avait l'ordre
le plus positif d'éviter les querelles , vu sa faiblesse .
Cependant , d'après les plaintes qui arrivaient de toutes
parts à M. Billy-Pitt sur le peu de talent de son garçon
Simple , il avertissait le public qu'il reprendrait bientôt
lui-mêmeles guides et le fouet , qu'il conduiroit d'une main
ferme , et qu'il se proposait de renverser la Diligence française,
en ayant grand soin de s'assurer d'avance de témoins
qui jureraient qu'il ne l'avait pas fait exprès .
Cet article , que nous citons de mémoire , et que nous
privons nécessairement de tous les détails qui le rendait si
piquant , parut deux mois après la paix ; il prouve l'opinion
que le parti de l'opposition avait dès ce temps des
dispositions secrètes du cabinet de Saint-James ; et lorsque
cette opinion est déjà confirmée en partie , il faut espérer
quelesmêmeshommesse rappellerontqu'alors ils croyaient
déjà à la guerre , et n'en attribuaient pas le désir à l'ambition
française , mais à l'infernale politique des anciens
ministres.
Les nouvelles particulières de Londres font présumer
que l'auteur de la Diligence Impériale avait deviné juste
en tout , car il est plus que jamais question de renouveler
le ministère , et d'y rappeler MM. Pitt et Dundas. Nous
avons toujours assuré que M. Addington ne tiendrait pas
jusqu'à la fin de la présente session parlementaire ; le
moment inévitable d'une explication doit être celui de
sa retraite . Les affaires sont venues au point que , même
en admettant que les hostilités ne seront pas reprises ,
M. Addington ne doit pas moins se retirer pour laisser
reparaître ceux qui le font agir : les souscripteurs pour
la statue de M. Pitt veulent le voir représenter autrement
qu'enbronze.
GERMINAL AN XI. 89
A travers tous les mouvemens hostiles de la Grande-
Bretagne , on annonce assez positivement l'évacuation de
l'Egypte ; les troupes anglaises qui étalent dans ce pays
auraient été conduites à Malte. On peut encore espérer
la prolongation de la paix ; car il est possible que l'Angleterre
balance long-temps avant de jouer son existence.
Les couriers partent et repartent de Londres à Paris , de
Paris à Londres ; le général Andréossi se montre à la
cour comme dans les temps ordinaires ; et quand , pour
faire la guerre , les ministres auront obtenu de la libéralité
du parlement le droit d'émettre pour quatre millions
sterling de nouveaux billets de l'échiquier , peut - être commenceront-
ils à faire entendre des paroles de paix. Il ne
faut rien négliger , et le dernier parti à tirer du message
du roi , c'est de l'argent ; c'est-à-dire , la faculté d'ajouter
du papier qui perdra , à du papier qui perd.
La nouvelle de la cession de la Lousiane à la France fait
une vive impression dans les États-Unis d'Amérique. La
partie Orientale qui était naguère bien disposée en faveurde
la France , est aujourd'hui remplie de défiance et de mécontentement
contre les Français et les Espagnols leurs
alliés. Il circule dans les états de l'ouest une adresse que
les habitans sont invités à signer , et dans laquelle on insiste
sur le droit qu'ils ont de réclamer du gouvernement
un redressement prompt et efficace de leurs griefs ; à ces
vives représentations on ajoute la menace , et les habitans
vont jusqu'à dire que , si le gouvernement ne leur accorde
pas la satisfaction qu'ils demandent , ils auront recours à
des mesures capables d'assurer la liberté et les privilèges
de leur commerce , quand bien même ces mesures devraient
amener des résultats peu favorables au système
d'harmonie et d'union qui lie les états entr'eux .
La gazette universelle , qui s'imprime à Stutgard , rapporte
d'après diverses lettres de Paris que le premier consul
a dit devant plusieurs personnes : « Nous avons fait
>> la guerre dix ans , nous la ferons encore dix ans. » Et
dans une autre occasion il doit avoir dit à lord Withworth,
après s'être informé , avec beaucoup d'affabilitié , de sa
santé , et avoir parlé du temps et de la belle saison prochaine
, « Pour que l'espoir de vous posséder encore au
>> milieu de nous à cette époque , se réalise , il sera cer-
>> tainement nécessaire que votre gouvernement change
>> de conduite. Que peut signifier ce message? A-t- il pour
10 MERCURE DE FRANCE ,
>> but d'imprimer la terreur ? Deux grandes puissances
>> comme la France et l'Angleterre ne peuvent pas se
>> faire peur. Le peuple français peut être tué ; mais non
>> pas épouvanté. Nous voulons la paix ; mais nous vou-
>> lons l'accomplissement des traités solennels . >> Le premier
consul doit ensuite s'être adressé au ministre de S. M.
l'empereur de Russie , et lui avoir dit , du ton le plus sérieux
: « Si la guerre recommence , qu'on voile tous les
>> traités , d'un crêpe ! Dieu et l'Europe nous jugeront. >>
Il est question à Vienne , de donner une constitution
uniforme aux deux provinces de Gallicie , et de les réunir
en un gouvernement , dont le chef sera ,
dont le
sera , à l'avenir , un
archiduc . L. M. l'empereur et l'impératrice doivent faire
un voyage à Naples , en passant par Pise et Rome ; pendant
la durée de cette abscence , S. A. R. l'archiduc
Charles tiendrait la place de S. M. dans toutes les affaires
qui exigent une prompte décision.
Le landamman de la Suisse a annoncé son installation
aux diverses puissances du continent , et les a invitées à entretenir
à l'avenir des liaisons politiques avec cet état. Les
ministres étrangers qui se trouvent à Berne , doivent se
rendre incessamment à Fribourg , où réside le landamman
. On travaille dans tous les cantons à la mise en activité
des diverses constitutions , et les partis sont trèsactifs
pour diriger les élections dans le sens de chacun
d'eux.
TRIBUNAT.
Séance du 5 germinal. - Le corps législatif transmet
un projet de loi relatif aux pensions. Le tribunat le renvoie
à la section des finances , et fixe le rapport au 9.
Bertrand de Greuille fait un rapport sur le titre XI du
code civil , relatif à la majorité , à l'interdiction et au
conseil judiciaire , et au nom de la section de législation ,
il en propose l'adoption. Aucun orateur ne se présentant
pour combattre ce projet , le tribunat l'adopte à l'unanimité.
Séance du 8. - Le rapport sur le projet de loi relatif
aux noms et prénoms , était ajourné à la séance d'aujour
GERMINAL AN XI.
91
d'hui. Chalan fait ce rapport au nom de la section de l'intérieur
, et propose l'adoption de ce projet ; le tribunat
délibère de suite , et il l'adopte à la majorité de 64 voix
contre 3 .
Séance du 9. - Portiez ( de l'Oise ) fait , au nom de la
section des finances , un rapport sur le projet de loi relatif
aux pensions , et en propose l'adoption.-Impression .
Au nom de la même section , Say fait un rapport sur
le projet relatif à la refonte des monnaies ; il fait sentir la
nécessité et l'avantage de cette opération , et propose l'adoption
du projet. - Impression du rapport. Le sénat
s'ajourne au 12.
CORPS LÉGISLATIF.
Séance du 4 germinal. - Cent quarante-huit projets
de loi sont proposés par le conseiller d'état Regnault (de
Saint-Jean-d'Agely) . Les uns tendent à autoriser des communes
à faire des échanges de terrains , d'autres à faire
des emprunts , d'autres à s'imposer elles-mêmes pour leur
utilité. Le corps législatif en ordonne le renvoi au tribunat.
Le conseiller d'état Defermont présente ensuite un
projet de loi sur les pensions civiles. Ce projet porte que
pendant cinq ans , il ne sera créé chaque année de pensions
que pour une somme égale à la moitié des extinctions
survenues pendant l'année . Aucune pension ne pourra
excéder six mille francs. Le fonds des pensions fera chaque
année un article particulier de la loi sur les dépenses publiques:
les soldes de retraites , les anciennes pensions
restant à liquider , les pensions à payer sur les fonds formés
par des retenues faites dans diverses administrations ,
sur les traitemens des employés , ne sont pas comprises
dans l'état des pensions sus-énoncées.
La discussion de ce projet s'ouvrira le 15 de ce mois.
On passe à la discussion du projet de loi relatif aux
finances. Arnould , organe du tribunat, en propose l'adoption
; il applaudit à l'esprit d'ordre , de sagesse et d'économie
qui l'a conçu et dirigé. Aucun orateur du gouver
92 MERCURE DE FRANCE ,
nement ne prenant la parole , le corps législatif ferme la
discussion, et approuve le projet à la majorité de 208 voix
contre 7. Il sanctionne ensuite dix projets de loi qui sont
relatifs à diverses communes.
Séance du 5.- L'ordre du jour appelle la discussion du
onzième projet de loi , titre X du code civil , relatif à
la minorité, à la tutelle et à l'émancipation . Le C. Leroi
( de l'Orne ) , un des orateurs du tribunat , s'attache à
faire sentir les avantages qui doivent résulter d'une loi
dont toutes les parties se composent de l'heureux concours
des dispositions diverses de l'ancienne législation de
la France, appropriées à nos moeurs , à l'état actuel de nos
idées, et à notre situation politique. Enfin , législateurs ,
ajoute-t-il , les élémens du bien sont dans cette loi. Le
tribunat a pensé qu'elle n'est pas moins digne de votre
sanction que les autres titres du code civil que vous avez
donné à l'attente comme à la reconnaissance du peuple
français . Le projet est approuvé à la majorité de 212 voix
contre 5.
Le C. Ornano ( du Liamone ) , législateur , écrit qu'il
est appelé par le premier consul à d'autres fonctions qui
le séparent de ses collègues ; il exprime en même temps
le regret de ne pouvoir partager avec eux les travaux et
la gloire de la présente session. ( Mention au procèsverbal.
)
Le scrutin donne la majorité des suffrages au C. Renaud-
Lascours pour remplacer le membre de la commission
administrative sorti par le sort.
Séance du 7.- Les conseillers d'état Jollivet et Français
sont introduits. Le premier présente un projetde
loi tendant à accorder un sursis aux poursuites dirigées
contre diverses communes des départemens réunis , pour
raison des dettes par elles contractées antérieurement au
premier vendémiaire an 8 , ainsi que contre les co-obligés
simples et solidaires et les cautions desdites dettes . Ce sursis
aura lieu jusqu'au premier vendémiaire an 15. La discussion
est fixée au 17 .
On passe à la discussion du projet relatif à la fabrication
et à la vérification des monnaies . Dubosc , un des
orateurs du tribunat , fait sentir que ce projet est lié à la
prospérité nationale ; il en démontre tous les avantages ,
m
GERMINAL AN ΧΙ. 93
et émet le voeu d'adoption du tribunat , et ce projet est
adopté à la majorité de 202 voix contre 12.
On discute ensuite douze projets de loi relatifs à diverses
communes, et les projets sont sanctionnés à l'unanimité.
Séance du 8. -Le douzième projet de loi , titre XI du
code civil , intitulé : De la majorité , de l'interdiction et
du conseil judiciaire , est soumis à la discussion. Le citoyen
Tarrible , orateur du tribunat , en propose l'adoption
au nom de cette autorité , et le corps législatif le
sanctionne à l'unanimité.
PARIS.
M. le comte de Marcoff ayant accédé , au nom de son
gouvernement, à la convention conclue à Paris , entre la
République française et sa majesté l'empereur d'Allemagne
, le 5 nivose dernier ; et sa majesté l'empereur de
Russie ayant pleinement ratifié l'accession stipulée par son
ministre plénipotentiaire, l'échange des ratifications respectives
entre la France et la Russie , a eu lieu à Pétersbourg,
le 2 ventose ; et dans les notes officielles qui ont accompagné
cet échange , le grand-chancelier de Russie ,
comte Alexandre de Woronzoff , a annoncé « toute la sa-
> tisfaction qu'avait éprouvée sa majesté l'empereur , de
>>la conclusion de cet arrangement , et exprimé que met-
>> tant d'autant plus de prix à cet heureux effet des soins
>> et de la sollicitude des puissances médiatrices , qu'elle
» y voit avec plaisir l'applanissement des derniers obtacles
» qui s'opposaient encore à la conclusion finale du plan
>> des indemnités , et au rétablissement de la paix et de la
>> tranquillité en Allemagne , sa majesté ne faisait aucun
>> doute que la sanction impériale ne mit incessament le
>> sceau à tous les autres arrangemens arrêtés jusqu'ici , et
» quidoivent fixer désormais le sort et l'existencedu corps
>> germanique. »
Toutes les lettres de Ratisbonne portent que le conclusum
a dû être rendu le 1. ou le 2 germinal.
er
Ainsi tout germe de dissention est étouffé sur le Continent
; l'ordre politique a été reconstitué , tout s'est ter
94 MERCURE DE FRANCE ,
miné à la satisfaction des diverses puissances , et les bruits
alarmans que l'on peut répandre sont entièrement destitués
de fondement. Il convient , en ce moment , d'engager
les gens sensés à se défier de toutes ces nouvelles répandues
àdessein. ( Extrait du Journal officiel ) .
(
Le dey d'Alger ayant reçu 80,000 piastres de l'Espagne,
et des présens très-considérables du Danemarck , fit appeler
le citoyen Thainville , commissaire-général de laRépublique
, et lui dit : Que tout le monde lui envoyait de l'argent
, et que le PREMIER CONSUL seul ne lui avait rien
envoyé ; que cependant , de tout temps , la France avait
été dans l'usage de lui faire des présens. Le cit. Thainville
lui montra l'article de la lettre écrite au PREMIER CONSUL ,
et rapportée par l'adjudant-général Hullin , par laquelle
ledey s'était désisté de toute prétention à des présens . Cette
réponse mit dans une grande colère le dey , qui se répandit
en menaces .
Ces nouvelles arrivées à Paris , le ministre de la marine
expédia les frégates la Cornélie et le Rhin , pour Alger. Le
cit. Gourdon , commaandant la division , fut chargé de ramener
en France le comissaire-général et sa famillle , de
faire connaître au dey qu'une fois la guerre déclarée , il ne
serait pas toujours temps de faire la paix , et de lui dire
qu'on saittoujours quand etcomment la guerre commence ,
mais qu'on ne sait pas toujours quand et comment elle
finit.
La division est arrivée dans le courant de ventose à
Alger. Aussitôt les grands et le peuple de la régence accoururent
en foule au palais du dey, pour lui représenter
les malheurs qui menaçaient leur pays. Le dey fit appeler
le commissaire-général , et lui demanda ce que venaient
faire les frégates. Le citoyen Thainville annonça que le
commandant avait ordre de le ramener en France .
« Tu veux done , dit le dey, être en guerre avec moi ?
>> Non ! répondit le citoyen Thainville ; mais le PREMIER
>>> CONSUL est trop puissant pour être ton tributaire. >>>
Après quelque altercation , le dey ajouta : « Qu'il ne paie
>> donc rien , je veux être en paix avec lui. Ecris-lui que je
* >> me désiste de ma demande. >>>
Tout s'est ainsi terminé. Le commissaire-général a été
reconduit avec acclamation par la foule qui s'était portée
GERMINAL AN XI . 95
au palais du dey , et manifestait le vif désir de rester en
paix avec la France ; il est demeuré à son poste , et les frégates
sont revenues à Toulon. ( Idem. )
La cérémonie des Barettes a eu lieu dimanche , après la
messe qui fut célébrée dans la chapelle du premier consul.
MM. du Belloy , de Boisgelin , Fesch et Cambacérès ,
cardinaux-archevêques , de Paris , Tours , Lyonet Rouen ,
s'approchèrent successivement du premier consul , qui
prit lés Barrettes des mains de M. l'Ablégat , et les posa
sur la tête de chaque cardinal , en lui disant : Je souhaite
que vous la portiez un grand nombre d'années.
Le préfet d'Indre-et-Loire ayant soumis à la décisiondu
conseiller d'état chargé de toutes les affaires concernant les
cultes , plusieurs questions relatives au mode d'exécution
de divers articles de la loi du 15 germinal an 10 , il lui a
été répondu que les curés et desservans peuvent , dans ce
département , porter le viatique aux malades , revêtus
d'habits sacerdotaux et avec les cérémonies usitées ; qu'ils
peuvent , avec les mêmes habits , faire des processions ;
que ce qui est décidé pour le port du viatique , s'applique
aux obsèques; que les curés et desservans peuvent
bien dire la messe les dimanches , dans les chapelles particulières
s; mais sans préjudice de celle qui doit être célébrée
dans l'église paroissiale ou succursale.
Les colléges électoraux des départemens du Bas-Rhin ,
de Sambre-et-Meuse, et de Sarre ,faisant partie de la quatrième
série , ont été convoqués par arrêté du 2 de ce
mois. Leurs sessions s'ouvriront le 25germinal , et devront
être terminées le 5 floréal . Le conseiller d'état Sainte -Suzanne
présidera celui du Bas- Rhin ; le citoyen Decroix ,
propriétaire à Namur , celui de Sambre et Meuse ; et le
citoyen Beissel , maire à Schmitthein , celui de Sarre .
Le ministre de la guerre vient d'adresser aux préfets
des départemens , des intructions relatives au mode d'admission
à l'école spéciale militaire , des pensionnaires au
prix de 1200 fr. par an. Avant leur admission , on doit
leur faire subir un examen pour s'assurer s'ils ont fait leur
troisième , s'ils ont quelques notions d'arithmétique et de
96 MERCURE DE FRANCE ,
▼
géométrie ; s'ils savent écrire et parler correctement leur
langue.
Les parens qui voudront faire admettre leurs enfans
dans cette école, adresseront au ministre de la guerre une
demande qui contiendra : 1 ° . Les noms des père et mère ,
Ieur profession , l'acte de naissance du candidat , qui devra
avoir 16 ans au moins , et 18 au plus , et l'indication
de sa taille ; 2°. un certificat de médecin qui atteste qu'il
jouit d'une bonne constitution , et n'est atteint d'aucune
maladie chronique ; 3°. un certificat du préfet du département
où le père a son domicile , pour faire connaître
depuis quel temps il est établi , et s'il y possède des biens .
Si l'enfant n'a ni père ni mère , les parens qui feront
la demande seront soumis aux mêmes formalités . Dans le
cas où les parens seraient domiciliés aux colonies , ou y
auraient leurs biens , ils devront présenter la caution d'un
citoyen domicilié en France.
Le trousseau que chaque pensionnaire fournira , devra
étre composé d'un sac de peau , avec 6 chemises , 6 mouchoirs
, 4 paires de bas , et les autres effets complettant
le sac du soldat , ainsi que d'une tasse et un couvert d'argent.
Il pourra se procurer à l'école même tous ces objets
qui devront être conformes aux modèles arrêtés par le
ministre de la guerre. Les parens lui fourniront , avant
son départ , un. habit uniforme de soldat d'infanterie de
ligne , avec la veste , la culotte et le chapeau.
A la suite des présentations faites dimanche au premier
consul , on doit ajouter celle de M. de Lalande qui présenta
, au nom du bureau des longitudes , la Connaissance
des Temps de l'an XIII ( 1805 ) . Cet ouvrage important
pour les navigateurs et pour les astronomes , contient
aussi ce qui s'est fait de plus remarquable en astronoinie
depuis un an ; des mémoires et des observations de MM.
Mechain , Delambre , Messier , Lalande neveu , Burckhardt
, Chabrol de Murol , Vidal , Flauguergues , etc.; un
nouveau catalogue d'étoiles , qui porte à 13,000 le nombre
de celles qui ont été réduites , extraites des 50,000
qui ont été observées.
( N°. XCIII . ) 19 GERMINAL an
(Samedi 9 Avril 1803. )
MERCURE
DE FRANCE.
LITTÉRATURE.
POÉSIE.
FRAGMENT D'UN POEME.
GEPENDANT Marina , le trouble dans le sein ,
Fuit à travers des bois , sans guide et sans dessein.
Malheureuse ! elle fuit ; et , de crainte éperdue ,
N'ose ni s'arrêter , ni détourner la vue.
Elle a trompé les traits , les yeux ; et , sur ses pas ,
Crédule , entend toujours se presser les soldats.
Du cerf , au front superbe , ainsi la jeune amante ,
Lorsqu'égarant au loin l'amour qui la tourmente ,
Elle appelle en bramant le monarque des bois :
Soudain, au bruit des cors , au son lointain des voix ,
S'arrête , l'oeil ouvert , et l'oreille attentive ;
Part, et précipitant sa course fugitive ,
Franchit , d'un bond léger , vallons , torrens , forêts ,
Et sous ses pieds à peine effleure les guérêts.
Telle , oubliant l'amour et ses premières peines ,
Marina suit des monts les routes incertaines :
11 G
98 MERCURE DE FRANCE ,
Le zéphir qui murmure à travers des rameaux ,
Le feuillage inconstant qu'agite les oiseaux ,
Tout lui semble le bruit et des voix et des armes .
A peine ses beaux yeux obscurcis par les larmes ,
Démêlent sous ses pas les détours des vallons ,
Elle ose de ses cris interroger les monts :
Mais l'écho morne et sourd , qui prolonge sa plainte ,
Retentit dans son coeur , et redouble sa crainte.
Déjà l'astre des nuits blanchit l'azur des cieux ,
Et le sommeil encor n'a pas fermé ses yeux :
L'ombre fuit à son tour , et la naissante aurore
Par des sentiers affreux la voit errer encore .
Mais , lorsque du soleil , pour la seconde fois ,
Les rayons pâlissans s'allongent dans les bois ,
Au détour d'un rocher couronné de nuages ,
S'offre un vallon borné de montagnes sauvages ,
Qui , parsemé de fleurs et d'arbres toujours verts ,
Semble une île riante au milieu des déserts .
Une source y jaillit , dont l'eau fraîche et limpide
L'entoure des replis d'une ceinture humide :
Le souffle des zéphirs et le doux bruit des eaux ,
Seul , de ce lieu champêtre interrompt le repos ;
La paix , l'aimable paix règne au loin dans la plaine .
,
La triste Marina s'avance hors d'haleine ,
Et, sur le vert tapis où s'arrêtent ses pas ,
Laisse aller mollement ses membres délicats .
Sa tête sur les fleurs languissamment repose ;
Et , lasse de s'ouvrir sa paupière mi - close ,
S'abaisse par degrés , tombe , et ferme ses yeux :
Elle dort. Du sommeil mille enfans gracieux
Voltigent sur sa tête , et d'une aîle empressée ,
Viennent , en se jouant , égarer sa pensée.
L'image du héros dont son coeur est épris ,
D'espérance et d'amour agite ses esprits :
GERMINAL AN XI
99
Elle croit lui parler'; et l'amante éperdue
Aux lèvres du parjure écoute suspendue.
Mais l'orient déjà brille de nouveaux feux ,
Et les songes errans s'éloignent devant eux.
L'air s'émeut aux accords de la flutte champêtre :
Aces sons , à l'éclat du jour qui vient de naître ,
L'amoureuse beauté sé réveille , et son coeur
Regrette en soupirant une trop vaine erreur,
Elle se lève enfin doucement attendrie ;
4
,
,
:
Et les chants des pasteurs errans sur la prairie ,
Vers le hameau prochain guident ses faibles pas.
Chargé de deux enfans qu'il soutient dans ses bras ,
Un vieillard est assis sous un toit de feuillage ;
Et sa bouche sourit aux grâces de leur âge.
Mais à peine l'aigrette , et l'or pur , dont les feux
De la jeune amazone ornent les noirs cheveux
Ont - ils des deux enfans de loin frappé la vue ,
Que , d'un oeil inquiet , et la main étendue ,
Dans le sein paternel ils se jettent tous deux :
« Calmez-vous , leur dit - elle et reprenez vos jeux ,
> Enfans ! Mais toi , mon père , en sa bonté facile ,
» Quel dieu , lorsque la guerre entoure ton asile
>> Prend soin d'en écarter les farouches soldats ? »
« Ma fille , répond-il , la fureur des combats
N'a pas encore troublé notre simple retraite ;
>> Et du monde ignorés , le son de la trompette
>> Annonce loin de nous l'horreur et le danger :
>> Soit que le ciel propice au modeste berger ,
>> Détourne de ces lieux le torrent de la guerre ;
>> Soit que ce peuple , armé des flèches du tonnerre ,
>> N'écrase sous ses coups que la tête des rois :
>>Ainsi que dans nos champs nous voyons quelquefois
>> La foudre , du sapin briser la cîme altière ,
>> Et se perdre en grondant loin de l'humble bruyère.
,
G2
100 MERCURE DE FRANCE ;
>> L'heureux toit , dont l'abri nous dérobe au danger ,
>> N'attire pas les yeux de l'avide étranger.
>> O de mon sort obscur déité tutélaire !
» O charme de mes jours ! pauvreté douce et chère !
>> Le vulgaire sur toi jette un oeil de dédain ;
>> Le sage , plus heureux , se cache dans ton sein.
>> Tranquille sous l'appui de ta main protectrice ,
>> L'ardente ambition et la pâle avarice ,
» De mon coeur libre et pur n'altèrent point la paix.
» Les ruisseaux serpentant sous ces palmiers épais ,
>> Fournissent à ma soif une boisson facile ;
>>> Et l'éclatant duvet du cotonnier docile
>> M'offre , pour me vêtir , le tissu le plus doux.
>> De quels biens , de quel sort pourrais-je être jaloux!
>> Ces fruits délicieux que mon verger voit naître ,
>> Suffisent aux apprêts de ma table champêtre :
>> Mes désirs sont bornés , ainsi que mes besoins ;
>> Et nos rustiques toits ne coûtent que des soins.
>> Vois la nature ici prodiguer ces miracles !
1
>> Ce sont là mes trésors , ce sont là mes spectacles.
>> Pour moi la nuit ramène un paisible sommeil ,
» Et ma voix matinale , au retour du soleil ,
>> Des oiseaux de nos bois partage l'allégresse ; :
>> Tout me plaît , tout me rit ; et ma froide vieillesse
>> Renaît dans les enfans qui croissent sous mes yeux.
>> Hélas ! il fut un temps , où jeune , ambitieux ,
>> Et dédaignant le toit habité par mes pères ,
>> D'un espoir mensonger j'embrassai les chimères :
>> Ingrat ! je m'éloignai de ces lieux innocens ,
» Où , libres de soucis , coulaient mes premiers ans
>> J'allai porter mes voeux à la cour de Mexique....
» Les dieux m'en ont puni ! Sous un joug magnifique ,
>> Je rampai , noble esclave , à la suite des rois ;
>> J'encensai les grandeurs , et j'adorai leur voix.
,
GERMINAL AN XI. IOI
۱
>> Mais , lorsque la riante et trompeuse jeunesse
>> Sur son aîle , en fuyant , emporta leur promesse ,
» Mon coeur en ses liens trop long- temps retenu ,
>> Revola vers le bien qu'il avait méconnu ;
» Je regrettai la paix de cette vie obscure ,
>> Trésor que près de nous a placé la nature.
>> Détrompé des grandeurs , du sort et de ses jeux ,
>> J'abandonnai les cours ; et , plus simple en mes voeux ,
>> Je vins dans ces bosquets , amis de mon enfance ,
>> Ainsi que le bonheur , retrouver l'innocence. »
Tandis que le vieillard rappelait ses erreurs ,
La belle Marina , l'oeil humide de pleurs ,
Recueille chaque mot qui coule de sa bouche.
Attentive au récit dont le charme la touche ,
La vertu du vieillard , sa candeur , ses accens ,
Appaisent par dégrés l'orage de ses sens :
Ses pleurs sont moins amers , et dans son âme émue
Une tendre langueur doucement s'insinue.
Sur le vallon paisible elle attache les yeux ;
Le silence des bois , le calme de ces lieux
Tout P'invite à cacher dans cette solitude
Ses destins , sa naissance , et son inquiétude.
,
« Bon vieillard , lui dit-elle , épanchant sa douleur ,
>> Heureux d'avoir connu la leçon du malheur ,
>> Si les dieux à ton sort ne portent point envie,
>>Prends pitié des chagrins qui poursuivent ma vie !
>> Dans cet asile obscur , mon père , accueille-moi !
>>J'y guiderai tes pas , j'y vivrai près de toi :
» J'attendrai que le ciel , touché de ma souffrance ,
» M'ouvre enfin le retour aux lieux de ma naissance.
» Hélas ! ainsi que toi , j'ai d'un destin jaloux ,
>> Plus jeune , sur ma tête , épuisé le courroux. »
Aces mots , Marina se recueille , soupire,
Et sa voix en sanglots sur ses lèvres expire :
G3
102 MERCURE DE FRANCE ,
Le modeste embarras qui se peint dans ses traits
Décèle de son coeur les mouvemens secrets .
:
Le vieillard la rassure ; et , d'une voix plaintive ,
Les larmes dans les yeux , la belle fugitive
Retrace de ses maux la première moitié.
Il gémit : eh ! quel coeur , fermé pour la pitié ,
Même à l'âge où l'amour a perdu tous ses charmes ,
Aux pleurs de la beauté ne mêle point ses larmes !
Le vieillard attendri s'étonne que les Dieux
Se plaisent à parer de tous les dons des cieux ,
La victime au malheur en naissant condamnée :
Il ne sait rien de plus. L'amante infortunée
Permet à sa candeur un innocent détour ,
Se plaint de la fortune , et se taît sur l'amour.
PAR M. C. J. L. D.
Inscription pour le jardin des Plantes.
Ici des végétaux l'assemblage divers
Afait de ce jardin , celui de l'Univers.
DUBOS , aîné.
ENIGME.
Nous avons peu de ressemblance
Quoique portant un nom pareil ....
Dans un trou l'une prend naissance
L'autre sur un trône vermeil ;
Quoique jolie , on craint de l'une
La nuisible fécondité ;
L'autre est une bonne fortune ,
Quand on l'obtient de la beauté.
2
L'une aux yeux fins n'est qu'une bête ;
L'autre annonce beaucoup d'esprit :
L'une peut troubler une fète ;
Et l'autre toujours l'embellit
GERMINAL AN XI. 103
Quoique dévorant maint ouvrage ,
L'une a , dit - on , peu de savoir ;
L'autre , par le plus doux suffrage ,
Aime à le laisser entrevoir.
L'une , souvent très-redoutable ,
Quoique petite , fait frémir ;
Dans un cercle toujours aimable ,
L'autre est le signe du plaisir :
L'une timide , et que l'on guette ,
Craint les piéges de l'ennemi ;
Encourageant l'ardeur discrète ,
L'autre est guetté d'un tendre ami.
Qnel triomphe ! quelle allégresse
Quand on les a tous deux surpris !
L'une est la dupe de l'adresse ;
L'autre, de l'amour est le prix.
A l'une qu'on donne la chasse....
Plus doux objet sait m'attirer :
J'aimerais mieux baiser la place
Où l'autre se fait admirer .
LOGOGRYPHE.
Je pique , rampe et naîs dans les champs , dans les bois
Sans chef , je suis un certain poids.
PAR M. L. DE V.
CHARADE.
IDYLLE MORALE.
Estelle, étourdie et légère ,
(Mon dernier l'excusait ) avait atteint quinze ans
Et déjà ses yeux pétillans
Annonçaient le désir de plaire.
,
G4
104 MERCURE DE FRANCE ,
ہ ک
Unjour que se mirant dans une eau fraîche et claire ,
Elle sourit à ses attraits naissans ,
Colin , folâtre et vif, des plus entreprenans ,
Survint doucement par derrière :
Il l'agaça d'abord et voulut l'embrasser ;
La pauvrette eut beau résister ,
De mon premier il se rendit coupable , 1
Mais n'en eut pas moins un baiser ;
Même il osa recommencer ,
Et comme il était très-aimable ,
Il fallut bien lui pardonner.
Fort du pardon de l'innocente ,
Le traître sut surprendre un coeur trop confiant ;
D'aimer jusqu'à la mort , Colin fit le serment :
Mais bientôt la jeune imprudente
Apprit , trop tard pour son malheur ,
Où commence, où finit l'amour d'un séducteur.
Dès que pour obtenir un doux baiser d'Estelle ,
Il n'avait plus besoin de faire mon premier ,
L'ingrat , courant de belle en belle ,
Fit voir qu'il était mon entier.
N. CORN.
Mots de l'Enigme , du Logogriphe et de la
Charade insérés dans le dernier Numéro.
Le mot de l'Enigme est Tour , pris dans les cinq sens
suivans : tour de fortification ( féminin ) , tour d'échecs
(idem) , tour de couvent ( masculin) , tour de tourneur
(idem) tour , machine pour tirer des fardeaux ( masculin)
.
Les cinq mots du Logogriphe sont Nérac , Ecran ,
Ancre , Nacre , Crane . A
Le mot de la Charade est Corbeau .
GERMINAL AN XI. 105
Histoire de Gustave Wasa , roi de Suède , par
M. d'Archenholtz , auteur du Tableau de l'Angleterre
et de l'Italie , traduit de l'Allemand .
Deux vol. in-8°. Prix 9 fr. et 12 fr. par la poste.
A Paris , chez Gérard , libraire , rue Saint-
André-des -Arcs , presque en face de celle des
Grands-Augustins ; et chez le Normant , imprimeur-
libraire , rue des Prêtres Saint-Germainl'Auxerrois
, vis-à-vis le petit portail , nº. 42.
CET
ouvrage est bien éloigné d'avoir le caractère
que devrait offrir l'histoire d'un homme qui
a décidé de la destinée de plusieurs états , et qui
n'a pas peu contribué à répandre dans le Nord le
germe d'une doctrine dont les trônes et les moeurs
se ressentiront long-temps. Lorsqu'il s'agit de
juger ces grands événeinens qui renferment les
semences des révolutions futures , et qui rendent
les nations heureuses ou malheureuses pour plusieurs
siècles , il serait à souhaiter que l'historien
qui n'a pas reçu un génie assez prévoyant pour
devancer les lumières de l'avenir , sût au moins
se défier de la précipitation de ses idées et attendre
cesjugemens de la nature , ou plutôt ces décisions
de la Providence , que le temps révèle et
confirme tout ensemble. Opinionum commenta
delet dies , naturæ judicia confirmat. Car l'histoire
est la science et le livre de la société ; l'homme
qui regarde un moment sur la terre , et qui passe ,
ne saurait en juger. La figure de ce monde , par
sa mobilité perpétuelle , trompe aisément ce spectateur
d'un jour , mais la société demeure ; elle
assiste à toutes les scènes de l'univers ; elle suit
l'erreur et la vérité dans leurs progrès ; elle essaye
tous les systèmes ; elle éprouve toutes les doctrines;
106 MERCURE DE FRANCE ,
elle recueille toutes les expériences ; et c'est à elle
qu'il appartient de former son jugement dans la
maturité des temps et des connoissances humaines ;
car la vérité est fille du temps , comme le dit Saint-
Augustin : veritas filia temporis. L'homme ne décrit
qu'un petit cercle d'idées et de jours ; et tandis
qu'il tourne sur lui-même , la société roule dans
l'immense révolution des siècles et dans le tourbillon
des opinions innombrables de l'esprit humain.
C'est cette grande mesure d'expérience qui
la conduit aux connoissances générales. L'homme
vit sur les idées de son temps , il va rarement audelà:
et il est naturel que sa pénétration ne s'étende
qu'aux objets que sa courte expérience peut
embrasser. Mais la société s'élève peu à peu aux
vérités générales de l'ordre ; et comme c'est pour
son instruction que se donnent ces grandes leçons
qui remuent l'univers , c'est aussi pour elle que
naissent les systèmes vastes , les théories profondes
qu'il faut considérer comme des recueils plus ou
moins parfaits des idées générales , qui sont le résultat
des épreuves de tous les âges.
Ces réflexions s'appliqueront naturellement à
l'ouvrage de M. d'Archenholtz. On y verra les
principes de la société , sacrifiés par-tout aux préventions
de l'homme. Cet historien a entrepris de
justifier Gustave Wasa d'avoir renversé la religion
de son pays , et d'y avoir introduit le lutherianisme.
La manière dont il juge cette innovation
est remarquable : La Suède , dit-il , ne se serait
jamais relevée , si Gustave n'eût osé, pour la sauver
, recourir à ce grand moyen , ( liv. 5 ) . C'est
en imposer bien hardiment à la société , dont l'expérience
s'élève contre ce jugement ; car outre
qu'on peut dire que la Suède luthérienne n'a point .
acquis la force politique que ses moyens naturels
pouvoient lui donner , il est certain du moins
GERMINAL AN XI. 107
qu'elle n'a eu , de ce côté , aucun avantage sur les
Etats catholiques. Si nous voulons avoir quelque
connoissance d'un point si important dans l'histoire
, écoutons le jugement qu'en a porté un observateur
tout autrement profond et tout autrement
éloquent que M. d'Archenholtz :
<< Telle est l'influence irrésistible que la religion
exerce sur l'état , que la Suède , depuis la réforme ,
commença á incliner sensiblement à l'aristocratie
à cet état de gouvernement toujours dans les extrêmes
de la servitude ou de la licence ; et la noblesse
suédoise écartée dans ses rapports avec ses
rois de cette juste mesure que si peu de nations
enEurope ont su garder , fut condamnée à tout
endurer des rois forts , et à tout oser contre les
rois foibles . On vit sous Eric , le fils insensé de
Gustave Wasa , un noble suédois poignardé par ce
prince , tirer à genoux le poignard de sa blessure ,
le baiser, le lui rendre , et mourir : et de nosjours
on a vu de nobles suédois assassiner Gustave III .
L'histoire de la Suède nous montre la noblesse ,
sous Gustave-Adolphe , et plus encore sous Charles
XII , entraînée au fond de l'Allemagne et de
laRussie , dans des guerres sans fin et sans objet ;
et , à la diète de 1755 , on voit cette même noblesse
traiter avec indignité un roi modéré , lui disputer
le droit d'apposer son sceau aux actes publics , et
lui ôter jusqu'à l'éducation de son fils (1) . »
Il faut peu s'étonner que l'historien allemand
ait fermé les yeux à des vues si claires ; la plupart
de ses jugemens respirent une passion violente
contre la cour de Rome. Onvoit unhommequi croit
toujours avoir assez bien raisonné lorsqu'il a déclamé
contre un pape : on croiroit presque lire un
(1 ) Voyez les Disc. polit. sur l'état de l'Europe , par
M.de Bonald......
108 MERCURE DE FRANCE,
de ces réformateurs du seizième siècle , qui voyaient
clairement dans l'apocalypse que le pape était
l'antechrist .
Je ne sais si c'est làde la philosophie; beaucoup
de gens n'ont pas eu d'autre raison de se croirede
grands philosophes que d'avoir écrit bien des injures
contre la puissance pontificale , de laquelle
pourtant ils n'avaient jamais rien eu à souffrir ni
à craindre : mais de quel front cet écrivain allemand
ose-t-il appeler cela une histoire ? S'imagine-
t-il que la postérité puisse recevoir à son
tribunal les dépositions de la haine ? cet esprit
perce dans toutes ses paroles , et l'on verra qu'il
n'a pas été favorable à l'ordre de ses idées : il est
difficile de prendre confiance dans le sens d'un
homme qui ne sait pas s'accorder avec lui-même.
En effet , lorsqu'il peint la Suède encore inculte
et presque sauvage , il avoue que le voisinage de la
mer avait rendu la piraterie extrêmement commune
parmi les habitans , et que la licence et les
moeurs de cette profession avaient jeté de si profondes
racines que tous les efforts de la politique
étaient insuffisans pour civiliser la nation : ensorte
que la force même des choses le conduit à dire
que ce fut le christianisme qui eut la gloire de
mettre un terme à ces désordres (pag. 57) ; et cependant
, quelques pages plus loin , vous lisez que ,
lorsque les Suédois sefirent chrétiens , toutes leurs
vertus sociales s'anéantirent (pag. 71 ). La suite de
ce passage est curieuse. « Le bonheur des familles ,
>> continue l'écrivain , l'avantage de la patrie , la
>>gloire de la nation disparurent devant ce qu'on
>>appelait le bien de l'église. La méchanceté , la
>>trahison , la cruauté même devinrent vertus
>> lorsqu'elles purent être utiles à la puissance de
» Rome ou à la considération de ses ministres.
*
Comment done cette même religion , qui tout-à
GERMINAL AN XI . 109
l'heure avait le don de civiliser la Suède , peutelle
actuellement souffrir le reproche de l'avoir dépravée
? Voilà un contraste bien étrange. Etait-ce
pour rendre les Suédois pires qu'ils n'étaient , que
le christianisme réformait en eux ce brigandage
maritime dont on avoue que leurs anciennes lois
n'avaient pu rompre la coutume ? C'est pourtant
avec cette suite dans les idées, et cette force de raisonnement
que M. d'Archenholtz établit la nécessité
de la réforme luthérienne. On ne peut que déplorer
le sort des peuples , lorsqu'on voit un si fatal
déchirement dans le christianisme être l'ouvrage
du sophisme pitoyable d'un moine allemand qui
représenta les désordres du clergé comme attachés
à la religion romaine , et qui fit conclure de-là
qu'au lieu de réformer simplement ces désordres ,
il fallait corriger la religion elle-même. C'est ce
sophisme honteux que tant d'écrivains et M. d'Archenholtz
à leur suite n'ont pas craint de reproduire
; il n'y a qu'à écouter ce déclamateur , pour
comprendre que les évêques suédois étaient ambitieux
et avides de richesses , non pas parce qu'ils
étaient hommes , mais parce qu'ils étaient catholiques.
Certainement la religion sera la cause de
tous les maux , toutes les fois qu'elle sera interprétée
par un esprit aussi faux que celui-là . Maís
ce jugement est d'autant plus inconcevable , que la
suite mème des faits oblige encore l'historien de
convenir , que malheureusement les ministres luthériens
devinrent tout aussi ambitieux et tout
aussi intrigans que leurs prédécesseurs , lorsqu'ils
eurent saisi le pouvoir ( pag. 155 , 28. vol. ) . C'est
une de ces vives leçons que l'histoire offre à chaque
pas. Gustave , qui n'avait appelé les protestans
que pour se débarraser des catholiques , recueillit
bientôt le fruit de son changement. Il eut à souffrir
une persécution telle qu'aucun prince n'en
NO MERCURE DE FRANCE ,
avait jamais éprouvée. Les deux émissaires de
Luther qu'il avait élevés aux premières dignités ,
devinrent ses plus cruels ennemis. Ils attaquèrent
publiquement son administration et jusqu'à sa conduite
domestique. Le fond de leur animosité et le
sujet de leurs plaintes était la modicité de leurs
revenus. Le roi leur écrivit pour leur faire sentir
combien il était étrange qu'ils montrassent tant
d'avidité , eux qui avaient si fortement déclamé
contre les richesses du culte catholique. Cette lettre
existe encore. Enfin, les choses furent poussées si
loin, que l'un des confidens de Luther s'engagea
dans un plan de haute trahison. Le roi fut obligé
de l'abandonner à la justice , et il fut conduit à
Stokholm pour y être exécuté.
Voilà quel fut le succès de ce grand moyen
sans lequel M. d'Archenholtz s'imagine que la
Suède ne se serait jamais sauvée. Mais ce qu'il
importe sur-tout de remarquer , comme une expérience
qui intéresse hautement la société , c'est le
fruit que la politique des cours et les passions des
peuples , ont retire de ces innovations dans les
idées religieuses. Gustave crut avoir tout gagné en
prenant les biens des églises , et les cloches des
villages. Mais le peuple , qui se vit appelé par
cette nouvelle doctrine à examiner et à changer la
croyance qui l'avait lié jusque-là, en tira des conséquences
tout autrement importantes pour son
autorité politique. La souveraineté de l'homme
s'introduisit dès-lors dans la société , et il fut aisé
de voir que la porte s'ouvrait à tous les genres de
licence. Car du moment que vous érigez l'homme
en juge dans la religion , par quelle idée empêcheriez-
vous le peuple de s'ériger en maître dans
l'état ? Faut- il plus de lumières dans le premier
cas que dans le second ? Cette conséquence s'échappe
si naturellement et si puissamment de son
GERMINAL AN XI. 111
principe , qu'il est impossible de poser l'un et d'arrêter
l'autre . Mais il fallait que la folie du principe
parût à découvert dans ses effroyablesconséquences .
C'est ce que la Providence seule pouvait faire.
Elle l'a fait , et d'une manière qui ne souffre point
de réplique . Les philosophes ont posé le principe ,
et la révolution leur a répondu par des flots de
sang. C'est ce que j'appelle l'expérience de la société......
Quelles lumières plus vives et plus sensibles
peut-elle recevoir que celles d'une leçon si
foudroyante ? Ramenés par la puissante main du
malheur aux voies naturelles du bon sens , les esprits
les plus emportés finiront par comprendre
que si la religion véritable doit être la règle et le
lien de l'homme , elle ne doit donc rien laisser en
lui qui ne soit réglé ; et sans doute celle-là ne règle
pas l'homme qui laisse à son esprit le droit de juger
la loi même qui le doit soumettre , et à ses passions
le pouvoir de s'affranchir du noeud indissoluble qui
les doit contenir. Peut-être une idée si juste et si
simple , aidée des progrès de l'expérience , et de
cette indifférence même où l'on est arrivé pour
toutes les sectes , finira-t-elle par réunir les coeurs
dans la communion de cette foi ancienne qui , par
sa sévérité mème , est le frein le mieux approprié
à notre indocile nature , et , s'il faut le dire , le
premier besoin d'un esprit si superbe et d'un coeur
si inconstant. C'est pour arriver à cette grande vérité
, que la société fait effort , et que toutes les
nations qui se sont écartées du centre de leur repos ,
se lasseront perpétuellement dans les voies de l'erreur
, soit en souffrant que les esprits s'agitent
dans le vague de l'arbitraire , soit en laissant
les moeurs se déborder dans la licence. Les
hommes et les gouvernemens pourront s'obstiner
à se corrompre par leurs lois particulières. Mais
les lois générales , dont la droiture est inflexible ,
112 MERCURE DE FRANCE ,
4 ne permettront jamais à la société de se reposer
dans le désordre. Elle y sera malheureuse , jusqu'à
ce que, fatiguée de trouver la servitude dans son
indépendance , elle cherche la vraie liberté de
l'homme sous le joug de l'ordre et de la vérité .
Gustave-Wasa , malgré les erreurs de sa politique
, n'est pas indigne de l'admiration qui s'est
attachée à son nom. La première partie se son histoire
offre un spectacle du plus grand intérêt. II
est peu d'événemens où la main de la Providence
soit marquée d'une manière plus éclatante. Lorsqu'après
le massacre des chefs de la nation , on
voit les troupes de Christiern se répandre dans
toute la Suède , pour perdre le seul homme qui
reste , ce même Gustave , dont la tête est mise à
prix , et qui se trouve placé entre ses ennemis
qui le poursuivent et ses amis qui le repoussent de
tous les asiles; lorsqu'on voit cet homme unique
qu'aucun malheur n'abat , qu'aucune trahison ne
désespère , traverser les armées danoises , enfermé
dans un charriot de foin , et les soldats soupçonneux
arrêter le charriot pour le sonder à
coup de piques , et blesser ce grand homme si
grièvement que son sang se répand et laisse sur
la route des traces de sa fuite; c'est au milieu de
toutes ces circonstances d'une perte qui paraît inévitable
, qu'il faut se dire : voilà l'homme qui doit
sortir des mines de la Dalécarlie , pour délivrer la
Suède ; tant il est vrai que le salut des nations
arrive souvent par des voies inespérées , pour que
l'homme ne s'attribue rien de l'ouvrage du ciel.
On peut dire que M. d'Archenholtz a manqué
complettement toutes les beautés et toutes les vues
decetableau. Son histoire est écrite sans agrément
comme sans profondeur. On n'y trouve ni cet
esprit qui sait animer la narration, ni ce jugement
qui sait éclairer les faits par des réflexions pleines
de
GERMINAL AN X 113
de sens ; mais l'histoire de Gustave ne nous man
quait point , et nous n'avions pas besoin des dons
de l'Allemagne. C'est dans les révolutionsde Suède,
de l'abbé de Vertot , qu'il faut chercher , sinon
l'historien profond , au moins l'écrivain attachant
et le grand peintre.
CH. D
Fragment d'un ouvrage inédit , ayant pour titre : Drs
INSTITUTIONS MORALES.
(Ce Fragment est extrait d'un chapitre sur LE TRAVAIL. )
:
L'époque où le travail languit, est celle de la décadence
des états. On peuty arriver: ou par une répartition de
richesses tellement égale , que nul n'ait plus besoin de
salaire pour vivre ; ou par une répartition tellement
inégale , que le nombre des riches ne suffise pas au
nombre des pauvres ; ou par une misère tellement uni
verselle , que le travail n'ait point d'emploi à espérer.
Plusieurs parties de la Suisse offrent un exemple de la
première espèce. Il n'en résulte que du bien pour ces
petites républiques , attendu que leur organisation exige la
médiocrité, et que la liberté y veut une médiocrité égale :
d'ailleurs , elles sont essentiellement séparées du reste de
l'Europe ; mais si l'on suppose à leur place une nation
qui n'ait pas fait voeu de retraite et de pauvreté , elle
aura des besoins qui seront alimentés par l'étranger , et
dont le prix causera sa ruine.
L'Angleterre sert de preuve à la seconde supposition.
Nul pays ne réunit à une plus grande richesse une mi
sère plus extrême. L'immense mendicité qui y existe ,
atteste que le nombre des pauvresy est hors de proportion
avec celui des riches ; mendicité d'autant plus invétérée ,
11 H
114 MERCURE DE FRANCE ,
1
qu'elle est avouée et soudoyée par l'état ( 1 ) , et qu'au lieu
d'avoir pour frein , comme chez les autres peuples , les
maux de la misère , la honte et les peines du vagabondage
, elle se propage sous la protection des lois , et subsiste
d'une amende qu'elle perçoit sur ceux qui travaillent.
Cependant l'Angleterre ne souffre pas de cette oisiveté ,
parce qu'elle est compensée par l'activité surabondante
des autres parties. Mais de mênie que , dans le premier
cas , une nation ne peut subsister que par son isolement,
dans celui-ci , une nation obligée de se renfermer en ellemême
, courait rapidement à sa perte .
Ces deux situations ont donc en elles un germe de destruction
, qui , dans divers états , est modifié par différentes
causes : mais l'une et l'autre , indépendamment
des remèdes qui naissent des modifications étrangères ,
portent leur contre-poison en elles - mêmes , puisqu'elles
contiennent les élémens de la richesse et de la pauvreté ,
et qu'on peut y rétablir les choses , en mettant ces deux
colonnes inégales de l'état dans leur proportion la plus
avantageuse .
L'état de l'Espagne sert de démonstration à la troisième
proposition . Cet état est celui de tous qui présente le
moins de ressources , car les moyens y manquent à la
volonté ; et , quand l'égalité est au niveau le plus bas , on
ne peut plus espérer d'inégalité. En effet , dans ce pays
An petit nombre de particuliers opulens ne fait pas classe ,
mais exception ; et l'état ne s'enrichit pas en les appauvrissant
, puisque la répartition de leurs richesses ne suffirait
pas à rétablir une inégalité moins disproportionnée.
Je ne connais dans une telle situation , que deux remèdes
également difficiles , l'un par sa lenteur , qui le soumet
(1) On connaît les discussions , les recherches et les actes du parlement
d'Angleterre sur la taxe des pauvres.
H
4
GERMINAL AN XI. 113
à l'inconstance humaine ; c'est la progression d'un long
travail et d'une patiente économie : l'autre par sa rapi
dité , qui l'expose à dépasser son but ; c'est la secousse
d'une fortë révolution. De ces deux moyens , l'un se plie
au caractère de la nation , l'autre le subjugue : le premier
est à-peu-près nul chez un peuple méridional qui fait
consister la noblessé dans l'oisiveté , et la dégradation dans
le travail ; qui au lieu de se regarder comme tributaire
des autres pays , les regarde comme ses marchands
the sait pas encore que s'il est des hommes qui peuvent
subsister sans travail , il en est autrement des nations
qui étant égales , sont obligées de travailler pour vivre.
Le second moyen serait donc le plus sûr , s'il n'était en
même temps le plus funeste.
et
Ces considérations nous ramènent à la France , qui
s'est ressuscitée par ces mesures violentes. Bien différente
de l'Espagne et même de tout autre pays , elle possédait
d'immenses ressources , qu'une administration égoïste et
bornée ne savait ou ne voulait pas développer. Ces res
sources même étaient telles que l'équilibre de l'Europe
exigeait peut-être qu'elles fussent négligées ; et , comme
tout cherche son niveau , la France s'était mise naturellementde
pair avec les autres nations , en descendant audessous
d'elle-même.
L'existence de beaucoup d'abus , l'absence de beau
coup de biens , minaient alors la richesse de l'état. J'en
citerai seulement quelques exemples.
Les bois étaient dilapidés sans être rétablis. On tiraft
de la Hollande et du Nord, des bois de charpente qu'on
avait , et des bois de marine qu'on eût pu avoir.
Des plantations auraient pu bonifier des superficies
stériles , et enrichir des superficies productives i elles
étaient négligées.
Ha
116 MERCURE DE FRANCE,
1
L'introduction des prairies artificielles pouvait quintu
pler la masse des bestiaux, et doubler par leurs engrais
le produit des terresa
Par ces engrais , le système des jachères pouvait être
modifié ou supprimé; la culture du froment pouvait succéder
à celle du seigle; celle des pommes de terre et du
maïs pouvait remplacer , l'une dans toute la France
l'autre dans quelques provinces , des récoltes plus mcdiocres.
De longues époques fixées pour les baux , auraient pu
donner aux fermiers les moyens et le zèle des propriétaires
(1 ) :toutes ces choses pouvaient se faire , et ne se
faisaientpas.
Enfin , des manufactures employaient, au lieu de mé
caniques , une multitude de bras , qui d'une part étaient
ravis à une autre industrie nationale , et de l'autre , en
doublant la main - d'oeuvre nous rendaient victimes de
l'industrie étrangère (2) . Je dirais à l'administration scrupuleuse,
qui craindrait , en réduisant à moitié les bras
,
(1) Je sais que des lois de ce genre sont délicates , parce qu'elles
troublent la libertéde la propriété , qui doit être respectée avant tout;
mais, si elles la gênent dans le propriétaire, elles la protègent dans le
fermier , dont le bail est un genre de propriété d'ailleurs , l'appui
donné à l'agriculture profite à la propriété ; et quand même ce bénéfice
serait moins certain ou moins immédiat , il est dans les diverses
lois d'un état , des influences qui doivent céder l'une à l'autre , suivant
l'importance des choses qu'elles protègent. Il eût donc été bon de sacrifier
quelques droits de la propriété à l'avantage de l'agriculture ,
dansun temps où celle ci avait besoin d'appui : ce sacrifice serait
inutile aujourd'hui que tout la favorise...
こん
(2) M. de Montesquieu a dit que l'invention des machines était
pernicieuse , comme livrant au repos un nombre de bras , qui , sans
elles, seraient occupés. Cette assertion me paraft peu digned'un aussi
grand publiciste.
GERMINALAN XL 147
4 d'une manufacture , de les livrer à Poisiveté : « N'ayez
» pas moitié moins d'ouvriers, mais faites deux fois plus
» d'ouvrage. >> Dans un état où la population n'est pas
supérieure au plus grand développement possible de ses
moyens , tout ce qui naît vit , à moins que les lois me
le tuent. Onne doit donc pas s'y embarrasser des moyens
de faire vivre le peuple, Créez des hommes , et ils vis
yront ; or , c'est créer des hommes qu'enrichir l'état ;
c'est enrichir l'état que de créer des hommes : rien n'é
chappe à ce cercle de prospérité.
-Quelles étaient donc les ressources d'un pays qui , dans
un tel dépérissement , pouvait, par les seuls produits de
son sol , maintenir encore la balance de son commerce !
Quelles seront donc ses ressources , après qu'une crise
aiguë a rejetté le poison qui la consumait , et que les
premiers pas de sa convalescence font présager l'essor de
son rétablissement !
Une grande activité s'est communiquée au peuple et au
souverain (1 ) : activité inestimable , en ce qu'elle s'exerce
dans un champ pacifique ; car, enmême temps que cette
nation aime le mouvement , elle craint le trouble; et si
sa force et son penchant l'agitent dans la paix , sa force
et son penchant la rassurent contre la guerre. Toute
activité possible et réglée agit au centre , comme le sang
reflue au coeur , et est comme lui la source de la vie.
Nous ressemblons aujourd'hui à une ruche dont on a
entamé les gâteaux , tout s'agite , tout travaille jusqu'à
ce que l'édifice soit reconstruit. Ce sentiment , qui répare
tant qu'il trouve à refaire ,a cela de grand et d'utile ,
(1) L'anteur a fait son dictionnaire au commencement de son ouvrage
,enprévenantqu'il entendait par peuple , le peuple considéré
comme gouverné , et par souverain , le peuple considéré comme
44. par lui- même , soit par ses ou son représentant.
H3
118 MERCURE DE FRANCE ;
:
qu'il crée ,quand il ne trouve plus à réparer. D'ailleurs,
le retour de l'erreur est le chemin des lumières : et quoi.
qu'encore à l'entrée de cette carrière , nous l'emportons
sans doute sur la France du dernier siècle en connaissances
utiles et positives ; tous les esprits se sentent animés de
cette facilité pour concevoir , et de cette vigueur pour
entreprendre ,qui sont les fruits de la confiance , comme
autrefois la torpeur du gouvernement communiquait aux
gouvernés son engourdissement et sa haine pour la
nouveauté.
Tels sont les mobiles qui acheminent la France au de
gré de splendeur qu'elle peut atteindre . Ils sont combattus
par des forces d'inertie , dont les unes ont résisté à
la révolution , les autres ont été enfantées par elle .
Ondoit ranger entre les causes qui tendent à faire lan
guir le travail :
1º, Les lois qui ont pour but la division des propriétés :
telles que celles qui font entrer dans le fisc une grande
partie des capitaux; celles qui subdivisent les successions
qelles qui transportent le patrimoine d'une famille dans
une autre , et celles qui distribuent les grands biens au
grand nombre. Toutes ces lois sont plus ou moins agraires
: elles le sont d'autant plus qu'il résulte des entraves
que les citoyens sont intéressés à y mettre , une division
de fortune plus grande encore que celle qu'elles ordonnent;
or toute loi agraire tend à la diminution du travail par
l'augmentation de l'égalité ;
2º. La rentrée dans la société d'un grand nombre
d'hommes et de femmes , autrefois actifs comme propriétaires
et aujourd'hui oisifs comme pensionnés. Ceux
qui ont acquis leurs propriétés , avaient auparavant l'ac
tivité de leur état : le nombre des actifs est donc resté le
même, et celui des oisifs s'est accru
GERMINAL AN XI. 119
3º. La mendicité doublement augmentée , parce que
beaucoup mendient , qui ne mendiaient pas , et beaucoup
donnaient , qui ne donnent plus : elle est devenue un
impôt , et cet impôt est légitime pour ceux qui le perçoivent
: car l'état n'a droit de priver un homme de
l'aumône , qu'en lui assurant le salaire ;
1
4°. L'oisiveté des troupes , qui diminue les travaux
utiles et peut changer les soldats laborieux en miliciens
désoeuvrés ;
5.° La surabondance des commis et des administrations ,
quiaccroît enpure perte la depense de temps et d'argent,
et la mauvaise distribution de leur journée , qui les pousse
naturellement à l'inoccupation. Jadis le travail des bureaux
occupait les deux parties du jour , qui étaient alors
plus égales , et tout en allait mieux. Le travail du soir
est nécessaire pour chauffer , éclairer et occuper lucrativement
des hommes qui perdraient leur temps aux dépens
de leurs moeurs , de leur bourse et de leur santé.
Si l'on m'objecte , ce dont je doute , que le gouvernement
trouve plus d'avantages dans la réunion des deux parties
du jour , je répondrai que l'état en trouve plus dans
leur division ; que le souverain ne peut , comme un
particulier , isoler son intérêt de l'intérêt public , et qu'un
grand bénéfice moral , vaut mieux qu'une petite économie
pécuniaire ;
6°. Le retard introduit dans l'ouverture des boutiques
et des ateliers , d'où il résulte pour le marchand , outre
le mal moral de l'oisiveté , le mal physique de laperte.
On voit aujourd'hui , dans les quartiers populeux de
Paris , la plupart des boutiques ne pas s'ouvrir avant
huit heures : or, les nations très-riches ont seules un commerce,
assez actif pour faire , en une partie du jour ,
autant de mouvement et de gain qu'il s'en fait ailleurs
H4
120 MERCURE DE FRANCE,
dans la journée entière ; et nous sommes loin de ce degré
d'opulence qui fait que , chez lesAnglais , les heures se
retardent sans nuire à leurs richesses .
950
7. Le désoeuvrement quotidiendu peuple des villes ,
qui ne se fait pas de scrupule de travailler les jours de
repos , uniquement parce qu'il ne s'en fait pas de chommer
les jours de travail. La violation du dimanche n'est
donc pas chez lui zèle pour le travail , mais inclination
au désordre ; or , l'ordre qui peut être indifférent dans
l'inaction , est indispensable dans l'activité. Il faut donc ,
pour que le système mercantile prospère , s'assujettir ,
avec une rigidité presbytérienne , à l'observation des
jours de travail et de repos. Je sens que sur ce point
les moeurs peuvent plus que les lois , et la religion
que la police ; mais , dans tout état bien réglé , les
lois et la police sont les moeurs et la religion. En Angleterre
, le peuple ne va pas au spectacle les jours de
la semaine , parce que ce sont des jours ouvriers ; il n'y
va pas les dimanches , parce que ce sont des jours saints,
Que fait- il donc ? Il se repose. Le plaisir n'est pas nécessaire
au repos ; et s'il lui en faut , ce n'est pas ce
plaisir bruyant qui dégoûte du travail , mais le plaisir
intérieur qui y ramène. Il en est bien autrement chez
le peuple en France : il a dans les petites villes des
billards et des guinguettes ; dans les grandes , des cafés
des spectacles , des bals , des fêtes de tous les genres. Les
amusemens sont une nouvelle fatigue. Lassé du dimanche,
il se repose le lundi ; et le repos , qui doit être la semence
du travail , est pour lui le germe de l'oisiveté. Les assignats
ont achevé de développer chez ce peuple cette
funeste disposition au plaisir ; ils l'ont fait riche , et par
conséquent désoeuvré , et beaucoup plus que les anciens
riches , parce que ceux-ci accoutumés à l'opulence , en
GERMINAL AN XI. 221
avaient les soucis sans en avoir les plaisirs , au lieu
que le peuple en eut l'ivresse sans en avoir les embarras.
Is l'ont laissé pauvre , et l'oisiveté seule est restée. Le
remède est difficile , car il est plus aisé de mourir de
faim que de travailler pour vivre. NI
Tout oisif est nuisible , d'abord comme oisif , ensuite
comme ayant une activité nuisible ; car il n'y a point
d'oisiveté absolue.
VARIÉTÉS
Les Ages Français , poëme en quatorze chants , par
LOUIS LEMERCIER. i
On pourrait examiner la question de savoir si les pre
miers événemens de l'histoire de France sont susceptibles
d'être mís en vers; on trouvait très-plaisant de mettre
l'histoire romaine en madrigaux , il n'est peut-être pas
moins plaisant de voir l'histoire de France en strophes
pindariques. Nous n'examinerons pas cependant cette
question avec trop de sévérité ; nous respectons les intentions
qui ont dirigé la plume du C. Lemercier , et notre
critique n'est pas assez implacable pour attaquer les gens
jusques sur l'autel de la patrie.
Nous ne parlerons donc pas davantage du sujet qu'a
choisi lamuse du C. Lemercier ; nous nous bornerons à
parler de la manière dont il l'a traité . Le poëme est di
visé en quatorze chants ; il remonte au premier âge de la
monarchie , et il va jusqu'au règne de Louis XIV. Ce
poëme , qui n'a point l'unité de temps , puisqu'il embrasse
quatorze siècles , n'a point non plus l'unité d'action , car.
il embrasse tous les événemens de notre histoire ; le poète
ne s'est asservi à aucune règle, et il s'est contenté de faire
des strophes sur chaoun des âges de la monarchie ; son
ouvrage est moins un poëme qu'une suite de chants pin-
11
122 MERCURE DE FRANCE ,
dariques sur les événemens qui ont amené et développé la
splendeur de l'empire français.
Lés vers du C. Lemercier sont quelquefois sonores et
brillans ; mais leur éclat ressemble à ces étincelles qu'on
voit sortir d'un nuage de fumée. Ses images sont , le plus
souvent , obscures et inintelligibles ; sa versification est
tellement négligée , que ses rimes ont plutôt l'air d'être le
fruit d'une gageure , que le fruit du travail et de la méditation;
on ne peut lire deux ou trois strophes de suite
sans y trouver une incorrection grossière , et une de ces
fautes que les Latins appelaient non sensus. Nous allons
citer quelques strophes. Lepoète parle des premiers temps
delamonarchie.
:
1
Douce image , haute origine
De ces indestructibles loix ,
Dont se répare la ruine
Sur la base antique des droits !
L'ardent courage , en tout son lustre ,
Relève une couronne illustre
Au front doré de Clodion ,
Qui, sous une épaisse crinière ,
Poussé d'une force guerrière ,
Règne en invincible lion .
f
,
Ces vers ne péchent pas seulement par défaut d'har
monie, mais par défaut de sens : ils sont plus barbares
cent fois que les siècles que l'auteur a voulu peindre.
Le C. Lemercier , passant à une autre dynastie , ne
change pas de style , et le règne de Pepin et de Charle
magne ne l'inspire pas mieux que celui de Clodion.
L'auteur de la nature entière ,
Qui rit des droits des souverains ,
Veut que la force et la lumière
Seules conduisent les humains ;
De Clovis la race éclipsée ,
Loin du trône au cloître chassée ,
Lègue à des tuteurs ses états ;
Ainsi , privé d'air et de pluie ,
L'ormeau faible qu'un chêne appuie ,
Périt à l'ombre de ses bras.
GERMINAL AN XI. 123
Il serait difficile de pénétrer le sens d'un pareil galima.
tias , et de dire si cette strophe appartient au genre pindarique
ou au style burlesque.
O Charlemagne ! ton génie
N'eût pas de tant de monumens
Dans la France et la Germanie
Jeté les stables fondemens ,
Si le respect de ta mémoire
N'avait associé ta gloire
Au respect des droits des cités ,
Et cherché son prix honorable
Dans un bonheur inséparable
Des publiques félicités.
Il s'en faut de beaucoup que cette strophe soit bonne ,
mais au moins elle est intelligible , et c'est un mérite assez
rare dans les poëmes du C. Lemercier. Mais passons ces
âges barbares , et arrivons au siècle du génie , au règne de
Louis XIV. Ce siècle n'est pas mieux traité que les autres.
Voici comment le poète parle de Vauban :
C'était peu que , sur les murailles,
Devolcans scelés de murailles ,
Vauban plantât nos étendards.
1
5
L'auteur ne parle point de Boileau , et il parle deRacine
assez froidement. Nous citerons ce qu'il dit de Massillon
et de Bossuet.
J'aurais cru dans l'Olympe immense
Être soumis à Jupiter ,
Si l'apostolique éloquence
Aux langues d'argent et defer ,
N'eût réveillé la foi rigide ,
Lorsque d'une chaire Lucide
Versant des rayons doux et clairs ,
Massillon pénétra mon âme ,
Et que de sa téte deflamme
Bossuet lança mille éclairs .
Nous ne nous permettrons pas de caractériser cette
strophe ; le poète parle de Lafontaine , et il l'appelle
l'Homère du peuple bélant. Nous demandons pardon au
1
124 MERCURE DE FRANCE ,
public et au C. Lemercier lui-même, diavoir cité un si
grand nombre de ses vers . On nous assure que cet écri
vain trouve toujours dans son amour propre des consolations
contre la critique , mais l'amour propre ne saurait
conserver ici ses illusions chéries , et nous ne pouvons
nous empêcher de croire que le C. Lemercier ne se con
damne lui-même en cette occasion. Dans la préface d'Orovėse
, il cherche à justifier ses innovations bizarres ,
ses images aussi contraires aux règles du goût qu'à l'esprit
de notre langue ; il dit que si Racine n'avait rien osé ,
la sphère du génie ne se serait point agrandie; on pour
rait répondre que Chapelain a plus osé que Racine , et la
langue et la littérature française n'y ont cependant rien
gagné. Les essais de Chapelain n'ont pas réussi au siècle de
Louis XIV, et nous ne croyons pas qu'il soit temps
encore de les mettre à la mode. A la suite des Ages Français
, le C. Lemercier a fait imprimer un fragment d'un
poëme inédit , intitulé : La vie et la mort du Juste. Ce
fragment, dans lequel on trouve aussi beaucoup d'incor
rections , renferme quelques vers heureux. Le poète
parle de Jésus-Christ :
11
Sonarmée est par-tout ; légions innombrables ,
Levez-vous : son royaume est pour les misérables;
L'aumône est son trésor ; sa loi , la charité ;
Son pain mystérieuxnourrit la pauvreté;
Il veut que la vertu ne soit récompensée
Que des regards du dieu qui lit dans lapensée.
Il se nomme le fils du père des humains ;
Prêtres , puissans du monde, arbitres souverains,
Punissez, étouffez ces leçons dangereuses,
Couronnez ce rival d'épines douloureuses ,
Ses pieds, de vos grandeurs foulent la vanité;
Il acontre l'orgueil armé l'humilité.
Quoique ces vers ne soient pas sans défauts , it sont
cependant beaucoup au-dessus de ceux que nous avons
Gités précédemment ; les images sont simples et naturelles ,
1
GERMINAL AN XI. 125
nous invitons le C. Lemercier à suivre ce modèle qu'il
s'est donné lui-même , et il sera encore digne d'obtenir
les suffrages du public
Le chemin du Ciel , ou l'Hôpital des Fous , satird
chrétienne.
L'auteur accuse les prêtres de s'enrichir et de passer leur
vie au sein de la mollesse. Cette accusation est si absurde,
qu'elle ne mérite pas une réponse. Les écrivains qui ne
vivent que de lieux communs , et qui n'écrivent que sur
lesidées des autres , sont malheureux après une révolution
: plusieurs choses ont changé de face ; et comme ils
ne font que répéter ce qu'on a écrit avant eux , il arrive
que leurs portraits n'ont plus d'application. Boileau a pu
dire , en parlant d'un chanoine :
C'est-làque leprélat , muni d'un déjeüné,
Dortnait d'un léger somme , attendant le dîne;
La jeunesse ensa fleur brille sur son visage.
Il est ridicule de répéter la même chose aujourd'hui ;
les prêtres ont vécu pendant dix ans dans la misère la plus
profonde; loinde reposer mollement sur le duvet , ils n'ont
pas trouvé une pierre pour reposer leur fête; ceux qui répètent
des lieux communs sur la vie voluptueuse des prétres
, ne respectent donc ni le malheur ni la vérité.
2
Il faut cependant citer quelque chose de cettesatire
Mais je vous entends tous me baptiser fort mal ,
Me traiter d'impudent , m'appeler Juvénal ;
Enquoi l'ai-je imité? Je n'ai point , dans mes rimes ,
Découvert , comme lui , la nudité des crimes;
Etsi ses moindres mots.pinçaient pour éveiller,
Les plus hardis des miens n'ont fait que chatouiller :
Oh! slilvenait ici vous prêcher, fous insignes,
Mortels, qui du nom d'homme êtes si fort indignes,
A
۱
126 MERCURE DE FRANCE ,
V Oui, si vous pouviez voir ce censeur courageux
Sur vos égaremens jeter un peu les yeux ,
Vons le verriez outré, bien plus que moi sévère ,
Vous livrer aux enfers , avec toute la terre ,
N'éclairer jamais rien sansy mettre le feu ,
Et faire toujours trop ce que je fais trop peu.
Onvoit que l'auteur craint sur-tout de passer pour un
Juvénal ; mais ses lecteurs , s'il en a , seront bien persua
dés qu'il a grand tort.
ΑΝΝΟNCES .
Traité de la Peinture , de Léonard de Vinci , précédé
de la Vie de l'Auteur etdu catalogue de ses Ouvrages ,
avec des Notes et Observations ; par M. Gault de Saint-
Germain, ci -devant pensionnaire du roi de Pologne ,
ex-Professeurdu collègede Clermont. Nouvelle édition,
ornée de quarante - quatre planches en taille-douce,
d'après les originaux du Poussin et d'autres grands
maîtres , et du portrait de Léonard de Vinci. Un vol.
in-8°. de plus de 500 pages. Prix , 9 fr. et 11 fr . par la
poste.
On a imprimé séparément la Vie de Léonard de Vinci ,
et le Catalogue de ses Ouvrages. Prix , 1 fr. 50 c. et 1 fr.
80 c. par la poste.
A Paris , chez Perlet ,lliibbrraaiirree ,, rue de Tournon...
Et chez le Normant , imprimeur- libraire , rue des
Prêtres Saint-Germain-l'Auxerrois , n°. 42 .
Cet Ouvrage a déjà été imprimé bien des fois , puis
qu'il est le premier fait sur la peinture par un homme
qui, au génie de son art, a réuni le plus de connaissances
diverses. Peintre , architecte , sculpteur, poète , mathématicien,
physicien bien extraordinaire pour son siècle , on
peut aussi le mettre à la tête de ceux qui ont créé , parmi
les modernes , la véritable manière d'étudier. Nous nous
appelons savans aujourd'hui , parce que nous raisonnons
sur ce que nos prédécesseurs ont découvert : Léonard de
Vinci était un bien grand génie , puisqu'il ne doit
qu'à ses méditations , ce que maintenant chacun peut apprendre
dans les livres. Né dans le milieu du quinzième
siècle , avec l'imagination la plus ardente , dans tout ce
qui peut être soumis aux calculs et aux expériences , il sut
GERMINAL AN X 12 .
se défier des systèmes. Jusqu'à présent , il n'avait pas paru
une seule édition de cet onvrage aussi complette , aussi
exacte , et dont les planches offrissent autant de correction.
C'est un malheur attaché à presque tous les livres élémen
taires , que chaque éditeur nouveau croit les embellir en
yajoutant , et il arrive souvent qu'un graveur s'applaudit
de perfectionner , alors qu'il cache par des ombres le trait
quidécélait la main habile de l'artiste: c'est ce qui est
arrivé à une des éditions duTraité de Peinture de Léonard
de Vinci. M. Gault de Saint-Germain a rendu les dessins
à leur pureté originale , et la première récompense de ses
travaux , de toutes les recherches qu'il a dù faire pour
consulter les originaux, a été l'approbationde nos peintres
les plus distingués. Le sénateur Lucien Bonaparte , dont
la collection de tableaux fixe l'admiration des étrangers ,
a permis que son nom fût placé à la tête de cet ouvrage;
et ce n'est pas à l'homme en place qu'il est dédié , mais
au premier amateur des beaux-arts . Cette observation
nous dispense de tout autre éloge sur le mérite de cette
édition.
L'année du Négociant ou du Manufacturier , ou Recueil
: par ordre de matières , des traités , lois , arrétés et réglemens
concernant le commerce , les manufactures , les
colonies et la marine , depuis le 18 brumaire an 8.
Chaque partie est précédée des tables analytiques des
lois , arrêtés et messages publiés depuis 1789.
Cet ouvrage contient en outre la législation sur les
finances , la nomination des agens de change et courtiers
de toutes nos placés de cómmerce, les brevets d'invention,
et l'historique des événemens qui , dans le cours de la
même période , ont intéressé le commerce et l'industrie.
Deux volumes in-8°. de 500 pages chacun ; prix , 10 fr .
et 13 fr. par la poste. A Paris , chez Antoine Bailleul ,
imprimeur-libraire , rue Neuve Grange-Batelière , n°. 5.
Et chez 1 Normant , imprimeur - libraire , rue des
Prêtres Saint-Germain-l'Auxerrois , n°. 42.
er
Le second volume de ce Recueil vient de paraître ; il
faitle complément des années VIII , IX et X. On y trouvera
, au chapitre des Douanes , les arrêtés du gouvernement
, jusqu'au 1. pluviose an 11. Cette seconde partie
contient en outre ce qui concerne les pêches , les colonies,
la législation commerciale , le conseil des prises , les traités
de commerce , les impositions , les matières d'or et d'argent
, et l'organisationdu trésor public.....:
128 MERCURE DE FRANCE ,
POLITIQUE.
Le cabinet de Saint-Jamés, tout en continuant ses pré
paratifs hostiles , ne paralt pas cependant encore disposé
àbraver les conséquences d'une guerre nouvelle , et l'on'
donne comme certain que la Russie se portera media
trice entre l'Angleterre et la France; le temps écoulé
depuis le message du roi , rend cette nouvelle probable ;
et la conduite du Gouvernement français est si conforme
aux traités , qu'il ne pourrait voir qu'avec plaisir une
grande puissance intervenir dans les différends élevés depuis
la paix. Après avoir si long-temps accusé la France
d'ambition , après l'avoir provoquée par l'incroyable capitulation
faite au Cap de Bonne-Espérance , les Anglais
doivent être étonnés de tant de modération ; mais lapuissance
qui a résisté à l'Europe entière armée contre elle
peut , sans craindre d'être accusée de faiblesse , appeler
l'Europe pacifiée par ses soins , à juger de la bonté de
sa cause. Rendre à la diplomatie française la réputation
de loyauté qu'elle avait méritée pendant tant de siècles
par tantde sacrifices , est la première victoire que , dans
les circonstances actuelles , la France doive remporter
sur l'Angleterre. Les nations bien gouvernées ne triomphent
pas que les armes à la main.
Onparle toujours beaucoup à Londres d'un change
mentdans leministère , et il n'est question de rien moins
que d'y faire entrer M. Pitt ou M. Fox ; comme de l'un
à l'autre il y a toute la différence possible dans la manière
d'envisager la situation de l'Europe , on pourrait
être étonnéde voir l'Angleterre marcher au-devant des
événemens , sans savoir quels ministres et quels principes
les dirigeront ; mais on doit s'accoutumer aujourd'hui à
regarder sans surprise ce qui se passe dans un pays qui
flotte entre des regrets , et un système politique qu'il ne
peut se résoudre à adopter , quoique chaque jour le rende
plus nécessaire. Il faut attendre et observer. Si la guerre
se déclare , pour telle cause que ce soit , elle ne se terminera
pas sans que la liberté de commerce pour toute
l'Europe , ou Passervissement commercial de l'Europe
entière , ne soit un fait à jamais décidé.
Dans
GERMINAL AXI. 129
RÉP. P
Dans notre dernier numéro , nous avons dit que les
journaux anglais assuraient que les ministres Maient rev
nus d'eux-mêmes sur la singulière volonté de garder le
Cap , malgré le traité d'Amiens. Nous ne pouvons mieux
faire apprécier aujourd'hui la valeur de cette nouvelle ,
qu'en copiant un article de La Hays. Les Hollandais
sont intéressés à ne point se méprendre : on peut se fier à
leurjugement.
« Notre ministre près la cour de Londres , n'a reçu au
>> sujet du Cap de Bonne-Espérance qu'une demi-satis-
>> faction. Aux plaintes qu'il a fait entendre d'une ma-
;
nière cathégorique et officielle , on se borne à répondre
>> par l'assurance verbale que l'ordre de remettre le Cap
> à nos troupés , a été expédié : cette assurance ne peut
> entièrement nous tranquilliser. On connaît trop bien la
politique du ministère Anglais , pour ne pas sentir
qu'en cas de besoin , les ordres vrais ou prétendus ,
relatifs à l'évacuation du Cap , se retrouveraient ensuite
dans le porte-feuille de l'amirauté , ou bien auraient éte
>> portés par une fregate qui aurait reçu , entr'autres ins-
>> tructions , celle de se laisser devancer par tel bâtiment
>> qui pourrait mettre à la voile , un mois après elle avec
>>un contre-ordre ; car on ne sait par quelle fatalité il
> arrive toujours que les bâtiniens anglais marchent
>>beaucoup moins vite , en portant l'ordre de rendre ;
> qu'en portant celui de prendre. Quoi qu'il en soit , on
>> présume que notre ministre në s'en tiendra pas à une
>> simple déclaration verbale au sujet du cap de Bonne-
Esperance ; et que le gouvernement anglais ayant eu
>> l'impudence de laisser publiér, peut-être même de faire
publier la capitulation qui a eu lieu lors de l'arrivée de
> nos troupes , entre le gouverneur anglais et le com-
>> mandant batavé , n'aura pas celle de réfuser à M.
Schimmelpenninck , la communication officielle des
> ordres qu'on dit avoir été expédiés pour l'évacuation
» du Cap. Notre cause se trouvant liée avec celle de la
» France, et le traité d'Amiens nous étant commun avec
» cette puissance , il faut espérer que la cour de Londres
>> ne regardera en pitié , les représentations de notre am-
>> bassadeur, qu'autant qu'elle prendra le parti de dédai-
>> gner aussi celles de la France; ce qu'elle craindrait ',
>> sans doute , de ne pas faire avec impunité. »
7
1
La dernière fois que la famille royale a été au spectacle,
II I
130 MERCURE DE FRANCE ,
on a remarqué que les gardes à cheval qui accompagnaient
les voitures , ont été rappelés quelques minutes après leur
départ. Le bruit s'est aussi-tôt répandu qu'on avait découvert
un nouveau complot contre la personne du roi . La
vieillesse de ce prince devient réellement malheureuse , et
les attentats contre sa vie se sont multipliés au point qu'il
a paru nécessaire , depuis quelques années , de doubler en
fer les voitures dans lesquelles il se montre à Londres les
jours de cérémonie. Que doivent penser les étrangers d'un
peuple qui force son souverain à de pareilles précautions ?
Tel est cependant aujourd'hui le sort d'un roi qu'Helvétius
a pris pour exemple , lorsqu'il a voulu prouver
que le régicide était une maladie des pays catholiques ,
inconnuedans les pays protestans. Il feignait d'oublier que
les régicides ne se commettent pas seulement un poignard
à la main ; les attentats sans cesse renouvelés contre le roi
d'Angleterre donnent un terrible démenti à l'auteur de
l'Esprit. Ne mettons aucun crime sur le compte d'aucune
religion , car ce serait armer les hommes qui ne réfléchissent
pas contre la seule institution qui réponde de
la sûreté des Etats; n'imitons pas les philosophes qui, dans
leur enthousiasme pour l'humanité , ont attiré plus de
malheur sur le monde que tous les tyrans , les hypocrites
et les fanatiques réunis. Les crimes étant le fruit des passions
, les seules maximes dangereuses sont celles qui laissent
aux passions un libre cours , et ces maximes forment
le fond de la philosophie moderne.
L'intendant - général des provinces espagnoles , dans
l'Amérique , a publié le 16 décembre une proclamation
par laquelle il est expressément défendu à tous les sujets
espagnols , riverains du Mississipi , de communiquer ,
pour quelque motif que ce puisse être , avec les sujets des
Etats-Unis , navigant sur ce fleuve. Il est formellement déclara
dans ladite proclamation , que les sujets des Etats-
Unis n'ont aucun droit à la navigation du Mississipi , si
ce n'est pour l'exportation de leurs produits, et l'importation
des articles indispensablement nécessaires à leur
subsistance. Dès que le congrès a eu connoissance de cette
mesure, il en a fait l'objet de ses délibérations, et tout porte
à croire qu'il aura pris la résolution d'entrer de suite en
guerre avec l'Espagne. C'est le 12 février que le congrès
s'est occupé de cette affaire.
Dans la séance de la diète de Ratisbonne , du 24 mars ,
GERMINAL AN ΧΙ. 131
,
(5 germinal ) , la diète a adopté comme conclusum
des trois colléges , le conclusum du collége électoral
rédigé par MM. le baron d'Albini ; en voici les dispositions :
1. D'approuver , au nom de tout l'Empire , le cont
clusum général de la députation, du 25 février , entièrement
complet aujourd'hui , comme le seul moyen de consolider
l'état de tranquillité si nécessaire au bien-être de la patrie
et du corps germanique , et de rétablir un bon ordre de
choses dans l'Empire ;
2°. De confirmir les loix fondamentales de l'Empire
subsistantes , spécialement la paix de Westphalie , et tous
les traités de paix qui y ont rapport , en tant qu'il n'y a
pas été expressément dérogé par le traité de Lunéville ,
etleprésent conclusum général de la députation , qui doit
être adopté maintenant. En conséquence ,
3º. De maintenir pour l'avenir la constitution de l'Empire
germanique dans tous les autres points auxquels il
n'a point été porté formellement atteinte , tels qu'ils ont
jusqu'i i subsisté pour les électeurs , princes et états de
l'Empire , parmi lesquels il faut aussi compter l'ordre
Teutonique , et comprendre l'ordre équestre de l'Empire.
4° Qu'il est en conséquence dû à S. M. impériale les
plus hubles remerciemens des soins qu'elle s'est donnés
comme chef suprême de l'Empire , pour conserver autant
que possible la constitution de l'Empire germanique ,
et de sa sage direction et coopération à l'heureuse conclusion
de l'affaire difficultueuse des indemnités , et qu'on
lui en présente ici l'expression , en la priant respectueusement
de vouloir bien faire connoître aux hautes
puissances médiatrices les sentimens de reconnaissance
qu'ont inspiré à la diète de l'Empire leurs sages conseils
et leur intervention signalée , pour l'arrangement définitif
de cette importante affaire nationale ;
5°. Et que tout cela soit humblement porté par un
préavis de l'Empire à la ratification de son chef suprême.
Ce conclusum a été remis le lendemain en grande cérémonie
, avec le préavis de la diète , par le ministre directorial
au prince de la Tour et Taxis , qui l'a aussitôt expédié
à S. M. I. On se flatte que cet acte important sera
revêtu sans délai de la ratification impériale , et qu'en
conséquence , dans une quinzaine de jours environ , la
députation pourra déclarer sa mission consommée , et
prononcer sa dissolution. Le Journal officiel fait sur le
conclusum que nous venons de rapporter, les réflexions
:
12
132 MERCURE DE FRANCE ,
suivantes : « Aucun conclusum d'un aussi grand intérêt
» n'avait été arrêté depuis le traité de Westphalie. Les
>> arrangemens de cette paix mirent fin à une guerre de
›› trente ans. Le conclusum du 3 germinal en termine
>> une de dix ans , qui , par l'importance des événemens
» qu'elle a produits, et par le nombre des armées qui
>> l'ont soutenue , sera la plus mémorable des guerres
>> modernes. >>
L'électeur de Baviere vient de publier une ordonnance
par laquelle , se fondant sur les paragraphes 35 et 42 du
recès général de la députation de l'Empire , il prononcela
suppression de tous les couvens et corporations ecclé -
siastiques médiats , appartenans aux états de Bavière.
M. Aloys Reding qui a joué un rôle si important
dans les derniers événemens arrivés en Suisse , a été
nommé landamman du canton Schwitz; il refusa d'abord
d'accepter , mais il finit par céder aux instances qui lui
furent faites , et parut dans l'assemblée générale où il fut
accueilli avec le plus grand enthousiasme. Il y a eu
quelques troubles à Berne , à l'occasion du retard que
les troupes Suisses éprouvaient dans le payement de
leurs solde; les troupes Françaises ont secondé les autorités
de la ville , et après quelques coups de fusil tirés
tout est rentré dans l'ordre. Un conseil de guerre a condamné
plusieurs des mutins , les uns à la peine de mort ,
les autres à la peine des fers. Les troupes qui s'étaient
insurgées sont parties pour Murat. Le landamiman d'Affry
a notifié , par écrit , aux différens gouvernemens de l'Europe
, l'acte de médiation qui établit la nouvelle constitution
de la Suisse. Les lettres ont été remises par les
ambassadeurs Français , auprès de ces gouvernemens. Il
n'en a point été adressé à la cour de Londres .
1
TRIBUNAT.
Séance du 12 germinal.-Cernon annonce que la section
de l'intérieur , à laquelle le tribunat a renvoyé l'examend'un
projet de loi relatifà un grand nombre d'éclian.
ges , a remarqué dans ce projet trois dispositions qu'elle
ne peut approuver. Comme , d'après sa rédaction , le projet
est indivisible, Cernon propose de demander au corps
GERMINAL AN XL 133
législatif un nouveau délai pour la discussion. Cette proposition
est adoptée.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet relatif
à la refonte des monnaies. Costaz parle en faveur , et s'attache
principalement à prouver la nécessité de l'article
qui porte la peine de mort contre les fabricateurs de
fausses monnaies. Ce projet est adopté à une majorité de
54 voix contre 5 .
Le tribunat vote , à l'unanimité , l'adoption du projet
de loi relatif aux pensions : il se forme ensuite en séance
secrète ; les étrangers se retirent.
Séance du 14.-Sur le rapport de Dacier , le tribunat
adopte, à la majorité de cinquante-six voix contre deux ,
le projet relatif au sursis des poursuites contre les communes
des départemens du Mont-Tonnerre , de Rhin-et-
Moselle , de la Roër et de la Sarre , et contre les coobligés
des dettes desdites communes.
Séance du 15.-Lestribunsayant été extraordinairement
cpuvoqués , la séance est ouverte à deux heures un quart.
Le corps législatif communique au tribunat le projet
de loi sur les Banques .
L'ordre dujour appelle un rapport sur unprojet de
loi relatif à des acquisitions , concessions , échanges ,
emprunts , impositions extraordinaires et ventes demandées
par des communes et des particuliers. Cernon obtient
la parole , au nom de la section de l'intérieur .
Je n'aurais , citoyens tribuns , dit-il , qu'à vous présenter,
aunomde la sectionde l'intérieur , le voeu d'adoption
de cette loi , si le titre III n'avait fourni matière à une discussion
dont je dois vous rendre compte..
La ville de Montluçon, département de l'Allier, demande
à être autoriséeà acheter du citoyen Moreau un terraincidevant
national , dont il est propriétaire. Cette commune
désire ce terrain pour régulariser la place publique , et lui
donner plus d'étendue. Elle observe que cette place est le
lieu du marché et vente considérable des chanvres et toiles ,
dont le commerce se fait dans cette ville ; qu'à défaut de ce
terrain , le marché ne peut se tenir que dans des rues
étroites et où il gêne la circulation et cause des embarras
et des avaries aux marchands ; elle observe encore que
Moreau n'a pasbesoin de ce local. Moreau se refuse àcette
vente , à laquelle il avait cependant paru donner une espèce
de consentement, puisqu'il a nommé un expertpour
13
134 MERCURE DE FRANCE ,
l'évaluation contradictoire, qui a porté ce terrain à 600 f. ,
prix offert aujourd'hui par la commune ; mais il suffit que
le propriétaire ne donne pas un libre consentement à l'aliénation
, pour que votre section , invariable sur l'applicationdes
principes sur la propriété , n'ait pas cru pouvoir
vous proposer d'approuver ce titre de la loi. Et comme
elle n'a pas pensé que l'avantage que retirerait la ville de
Montluçon , de l'acquisition du terrain qu'elle désire , fût
assez important pour donner lieu de porter atteinte au
respect dû à la propriété , elle m'a chargé de vous proposer
le rejet de cette disposition ; mais comme un projet de
loi ne peut être rejeté partiellement , et qu'une seule disposition
non agréée suffit pour entraîner votre voeu sur la
loi entière , votre section s'est vue forcée de vous proposer
le rejet de cette même loi , contenant 58 titres , dont 57
méritent votre approbation. Le gouvernement sans doute
reconnaîtra dans cet exposé combien il eût été avantageux
qu'une communication officieuse eût permis de s'entendre
sur ces dispositions .
Le tribunat ordonne l'impression du rapport , et délibère
de suite sur le projet, qui est rejeté à la majorité de
35 voix contre 21 .
Au nom de la section des finances , Daru fait un rapport
et propose l'adoption du projet de loi relatif à la révision
des jugemens qui ont réintégré les communes dans la propriété
de bois ou de droits d'usage. Ajournement.
CORPS LÉGISLATIF .
Séancedu 10 germinal.-Les conseillers d'état Français
et Defermont sont introduits. Celui-ci présente un projet
de loi relatif à la révision des jugemens qui ont réintégré
des communes dans la propriété de bois ou de droits d'usage.
Ce projet porte , en substance ,que les communes
qui ont obtenu dans les tribunaux civils des jugemens qui
leur ont adjugé des droits de propriété ou d'usage dans les
forêts , et à l'exécution desquels il a été sursis par la loi du
29floréal an 3 , produiront , pardevant les préfets de leurs
départemens , lesdits jugemens et les pièces justificatives ,
dans le délai de six mois , passé lequel et faute de ce faire ,
lesdits jugemens seront regardés comme non avenus. Le
GERMINAL AΝ ΧΙ. 135
préfet statuera sur ces réclamations dans le délai d'un an.
Le conseiller d'état Fourcroy est introduit , accompagne
de ses collègues Bérenger et Réal ; il présente un projet de
loi sur l'exercice de la pharmacie. Ce projet est le complément
et la suite de celui sur la médecine.
Le titre premier règle l'organisation des écoles de pharmacie.
Il sera établi une école de pharmacie à Paris , à
Montpellier , à Strasbourg , et dans les villes où seront placées
les trois autres écoles de médecine .
Les écoles de pharmacie auront le droit d'examiner et
de recevoir , pour toute la république , les élèves qui se
destineront à la pratique de cet art , et seront de plus chargées
d'en enseigner les principes et lathéoriedansdes cours
publics ; d'en surveiller l'exercice, d'en dénoncer les abus ,
et d'en étendre les progrès .
Le titre 2 traite des élèves en pharmacie et de leur discipline.
Aucun élève ne pourra prétendre à se faire recevoir
pharmacien , sans avoir exercé , pendant huit années
au moins , son artdans des pharmacies légalement établies.
Les élèves qui auront suivi pendant trois ans les cours
donnés dans une des écoles de pharmacie , ne seront tenus
, pour être reçus , que d'avoir résidé trois autres années
dans ces pharmacies
Ceux des élèves qui auront exercé pendant trois ans ,
comme pharmaciens de 2º. classe , dans les hôpitaux militaires
, et dans les hospices civiles , seront admis à faire
compter ce temps dans les huit années exigées .
Les élèves paieront une rétribution annuelle , pour
chaque cours en pharmacie qu'ils voudront suivre. Cette
rétribution , dont le maximum sera de 36 fr. , pour chacun
des cours , sera fixée par le gouvernement pour chaque
école.
Le titre 3 établit le mode et les frais de réception des
pharmaciens.
Il y aura trois examens : deux de théorie , dont l'un sur
les principes de l'art , et l'autre sur la botanique et l'his.
toire naturelle des drogues simples ; le troisième , de pratique,
durera quatre jours,et consistera dans au moins
neuf opérations chimiques et pharmaceutiques. L'aspirant
fera lui-même ces opérations; il endécrira les matériaux ,
les procédés et les résultats .
L'aspirant , âgé au moins de 25 ans accomplis , devra
réunir les deux tiers des suffrages des examinateurs .
Les frais d'examen sont fixés àgoo fr. dans les écoles de
14
136 MERCURE DE FRANCE ,
pharmacie , à 200 fr. pour les jurys. Les aspirans feront
en outre les frais des opérations quidevront avoir licudans
leur dernier examen,
Tout mode ancien de réception est interdit.
Le titre 4 détermine la police de la pharmacie.
Tout pharmacien ayant officine ouverte , devra , dans le
délai de trois mois , a dater de la loi rendue , adresser copie
légalisée de son titre , à Paris , au préfet de police ; dans
les autres villes , au préfet de département.
Les pharmaciens , reçus dans une des six écoles , pourront
exercer leur profession dans toutes les parties du territoire
français.
Les pharmaciens reçus par les jurys ne pourront s'éta
blir que dans l'étendue du département où ils auront été
reçus .
Nul ne pourra ouvrir une officine de pharmacie , préparer
, vendre et débiter des médicamens , s'il n'a été reçu
suivant les formes voulues jusqu'à ce jour. :
Des visites seront faites chez les pharmaciens , et les
drogues mał préparées seront saisies , et la punition será
poursuivie suivant les règlemens actuellement existans .
Les pharmaciens ne pourront délivrer de drogues com
posées quelconques ,que d'après des prescriptions de mé
decins et officiers de santé , sous leurs signatures.
épiciers ne pourront faire le débit des mêmes drogues ,
sous l'amende de 500 fr.
Les
Les substances vénéneuses seront tenues , dans les officines
de pharmaciens et dans les boutiques d'épiciers , dans
des lieux séparés , dont les pharmaciens et les épiciers seuls
auront la clef.
Les conseillers d'état Regnauit , Thibeaudeau et .....
proposent un projet de loi sur les manufactures , arts
et métiers. « Le gouvernement , dit l'orateur , a préparé
ce travail immédiatement à l'époque de la paix ; il vous
le présente dans ce moment où il enjouit encore , mais
où il éprouve la crainte qu'elle ne soit troublée, »
Voici un extrait du projet : Le titre It, contient des
dispositions générales. Le titre II établit la police des
manufactures , fabriques et ateliers .
Toute coalition de la part des ouvriers pour interdire
le travail dans certains ateliers , pour enchérir les travaux,
sera punie , s'il y a commencement d'exécution , d'un
emprisonnement de trois mois.
Si ces actes sont accompagnés de violence et voies de
GERMINAL AN XI. 137
faits , les auteurs et complices seront punis selon les peines
portées au code pénal .
Le titre 3 établit les obligations entre les ouvriers et ceux
qui les emploient. Les contrats d'apprentissage ne pourront
être résolus , sauf l'indemnité en faveur de l'une ou
de l'autre des parties , que dans les cas suivans : 1º. d'inexécution
des engagemens de part ou d'autre ; 2°. de mauvais
traitemens de la part des maîtres ; 3°. d'inconduite
de la part de l'apprenti .
Nul individu ne pourra employer un apprenti , sans
congé d'acquit , sous peine de dommages-intérêts envers
son maître.
Nul ne pourra , sous les mêmes peines , recevoir un
ouvrier , s'il n'est porteur d'un livret contenant le certificat
d'acquit de ses engagemens , délivré par celui de clicz
qui il sort.
Le titre 4 traite des marques particulières. La contrefaçon
des marques particulières que tout manufacturier
ou artisan a le droit d'appliquer sur les objets de sa fabri
cation, donne lieu , 1°. à des dommages - intérêts envers
celui dont la marque aura été contrefaite ; 2°. à l'appliçation
de peines prononcées contre les faux en écritures.
Le titre5 consacre la jurisdiction. Toutes les affaires
de simple police , entre les ouvriers et apprentis , les manufacturiers
, fabricans et artisans , seront portées à Paris
devantle préfet de police ; devant les commissaires généraux,
dans les villes où il y en a d'établis ; et dans les autres
lieux ,devant les maires et adjoints. Ils prononceront sans
appel. Si l'affaire est du ressort des tribunaux de police
correctionnelle ou criminelle , ils pourront ordonner l'arrestation
provisoire des prévenus , et les faire traduire devant
le magistrat de sûreté .
La discussion est fixée au 22 .
Séance du 11. - Chalan , un des orateurs du tribunat ,
développe les motifs qui ont engagé cette autorité à voter
P'adoption du projet relatif aux prénoms et changemens
denoms. Le corps législatif approuve ce projet , à la majorité
de 206 contre 7. Il s'ajourne au 14.
Séance du 14. - Labrouste , organne du tribunat , émet
dans le sein du corps législatif le voeu d'adoption du
projet de loi sur la refonte des Monnaies; et ce projet
est adopté à la presqu'unanimité.
138 MERCURE DE FRANCE ,
Cent quarante-huit projets de loi , intéressant diverses
communes , devaient être mis en discussion ; l'orateur
du tribunat a demandé un délai de quelques jours pour
obtenir des éclaircissemens désirés . Sur la proposition de
l'orateur du gouvernement , Regnault ( de Saint-Jeand'Angély)
, ce délai est accordé jusqu'au mercredi pro-'
chain.
On introduit les conseillers d'état Cretet , Defermont
et Bérenger ; le premier prend la parole , et propose
un projet de foi sur les Banques . Nous le donnons en
entier à la fin des séances du corps législatif.
Séance du 15.- Les conseillers d'état Jollivet et Miot
présentent un projet de loi , tendant à rétablir une omission
dans laloi répressive des contraventions à celle du
Timbre ; en voici le texte.
L'article XXXII de la loi du 15 brumaire an 7 , sur le
Timbre , qui fixe à trois jours le délai pour signifier
les procès-verbaux de contravention à cette loi , ne sera
applicable qu'à ceux des contrevenans domiciliés dans
P'arrondissement des bureaux où les procès-verbaux auront
été rapportés ; lorsque les contrevenans auront leur
domicilehors de cet arrondissement , le délai sera de huit
jours , jusqu'à cinq myriamètres ( dix lieux ) de distance ,
et d'un jour de plus pour chaque cinq myriamètres audelà
de cette distance .
Après avoir entendu Guinard , orateur du tribunat ,
le corps législatif convertit en loi le projet relatif aux
Pensions .
Séance du 16. - On procède an renouvellement du
bureau : Félix Faulcon est nommé président. Les nouveaux
secrétaires sont Trumeau , Hémard , Grappe et
Ligniville.
L'ordre du jour appelait la discussion sur le projet de
loi qui contient cent quarante-huit stipulations d'un intérêt
local; mais le gouvernement annonce par un message
dont le président donne lecture , qu'il a arrêté de retirer ce
projet de loi .
GERMINAL AN XI. 139
:
----
Projet de loi sur les Banques.
Art . Ir . L'association formée à Paris sousle nom de banque de
France, aura le privilége exclusif d'émettre des billets de banque ,
aux conditions énoncées dans la présente loi .
II . Le capital de la banque de France sera de quarante-cinq mille
actions au moins , de mille francs chacune en fonds primitifs , et plus
du fonds de réserve .
III . Les actions de la banque seront représentées par une inscription
nominale sur les registres , elles ne pourront être mises au porteur .
IV. La moindre coupure des billets de la banque de France sera
de 500 fr.
V. La banque escomptera les lettres de change et autres effets de
commerce. La banque ne pourra faire aucun commerce autre que
celui des matières d'or et d'argent. Elle refusera d'escompter les
effets dérivans d'opérations qui paraîtront contraires à la sûreté de
la république ; les effets qui résulteraient d'un commerce prohibé ;
les effets dits de circulation , créés collusoirement entre les signataires
sans cause ni valeur réelle .
VI. L'escompte sera perçu à raison du nombre de jours à courir ,
et même d'un seul jour , s'il y a lieu.
VII. La qualité d'actionnaire ne donnera aucun droit particulier
pour être admis aux escomptes de la banque.
VIII. Le dividende annuel ne pourra excéder six pour cent pour
choque action de mille francs; il sera payé tous les six mois. Le bénéfice
excédent le dividende annuel sera converti en fonds de réserve .
Le fonds de réserve sera converti encinq pour cent consolidés , ce qui
donnera lieu à un second dividende . Le fonds de réserve actuel sera
aussi converti en cinq pour cent consolidés .
IX. Les cinq pour cent consolidés acquis par la banque , seront
inscrits en sonnom , etne pourront être revendus sans autorisation pendant
la durée de son privilége .
X. L'universalité des actionnaires de la banque sera représentée
par deux cents d'entr'eux , qui , réunis , formeront l'assemblée générale
de la banque .
XI. Les deux cents actionnaires qui composeront l'assemblée générale
seront ceux qui , d'après la revue de la banque , seront constatés
être , depuis six mois révolus , les plus forts propriétaires de ses actions
; en cas de parité dans le nombredes actions , l'actionnaire le
plus anciennement inscrit sera préféré,
XII. L'assemblée générale de la banque se terminera dans le courant
de vendémiaire de chaque année , elle sera assemblée cxtraordinairement
dans les cas prévus par les statuts.
XIII . Les membres de l'assemblée générale devront assister et
voter en personne , sans pouvoir se faire représenter. Chacun d'eux
n'aura qu'une voix , quelque nombre d'actions qu'il possède.
XIV. Nul ne pourra être membre de l'assemblée générale de la
banque , s'il ne jouit des droits de citoyens français .
XV. La banque sera administrée par quinze régens , et surveillée
par trois censeurs choisis entre tous les actionnaires par l'assemblée
générale.
140 MERCURE DE FRANCE ,
Les régens et censeurs réunis formeront le conseil général de la
banque.
XVI . Les régens seront renouvelés chaque année par cinquième ,
et les censeurs par tiers.
XVII. Sept régens sur les quinze , et les trois censeurs , seront
pris parmi les manufacturiers , fabricans ou commerçans , aetionnaires
de la banque; ils seront complétés par les élections des années 4 ,
12 et 13.
XVIII. Il sera formé un conseil d'escompte composé de douze
membres , pris parmi les actionnaires exerçant le commerce à Paris .
Les douze membres seront nommés par les trois censeurs ; ils seront
renouvelés par quart chaque année. Les membres de ce conseil seront
appelés aux opérations d'escompie ,et ils auront voix délibérative.
XIX. Les régens , les censeurs et les membres du conseil descompte
sortans , pourront être réélus.
XX. Les fonctions des régens , des censeurs , seront gratuites , sauf
des droits de présence.
XXI. Le conseil général nommera un comité central , composé
de trois régens ; l'un d'eux sera nommé président , et dans cette
qualité , il présidera l'assemblée générale , le conseil général , et tous
les comités auxquels il jugera à propos d'assister.
XXII. Les fonctions de présidentdureront deux ans ; les deux autres
membres du comité seront renouvelés par moitié et tous les ans . Les
membres sortans pourront être réélus .
XXIII. Le comité de la banque est spécialement et primativementchargé
de la direction de l'ensemble des opérations de la banque.
XXIV. Il est en outre chargé de rédiger , d'après ses connaissances
et sa discrétion , un état général , divisé par classes , de tous ceux qui
seront dans le cas d'être admis à l'escompte , et de faire successivement,
dans cet état , les changemens qu'il jugera nécessaires. Cet état
servira de base aux opérations d'escompte.
XXV. Ceux qui se croiront fondés à réclamer contre les opérations
du comité central , relativement à l'escompte , adresseront leurs réclamations
à ce comité , et en même temps aux censeurs.
XXVI . Les censeurs rendront compte à chaque assemblée générale
, de la surveillance qu'ils auront exercée sur les affaires de la
bangne , et déclareront si les règles établies pour l'escompte ont
été fidèlement observées .
XXVII. Le conseil général actuel de la banque de France est tenu
de faire , dans un mois , les statuts nécessaires à son administration
intérieure.
XXVIII. Le privilège de la banque lui est accordé pour 15 années ,
à dater du rer. vendémiaire an 12 .
XXIX. Les régens et censeurs actuels de la banque de France conserveront
leurs titres , et exerceront leurs fonetions pendant le temps
fixé par les statuts et réglemens.
1
XXX. La caisse d'escompte du commerce , le comptoir commercial,
la factorerie et autres associations qui ont émis des billets à Paris,
ne pourront, à dater de la publication de la présente , en créer de
nouveaux, et seront tenus de retirer ceux qu'ils ont en circulation
d'ici au 1. vendémiaire prochain.
XXXI. Aucune banque ne pourra se former dans les départemens
que sous l'ontorisation du gouvernement , qui pourra leur en accorder
le privilège et les émissions de ses billets ne pourront excéder las
GERMINAL AN XI. 141
somme qu'il auradéterminée . Il ne pourra en être fabriqué ailleurs qu'à
Paris.
XXXII . La moindre coupure des billets émis dans les villes auxquelles
le privilège en sera accordé , sera de 250 fr.
XXXIII . Aucune opposition ne sera admise sur les sommes ét
comptes cotrans dans les banques autorisées .
XXXIV. Les actions judiciaires relatives aux banques seront exer
cées au nom des régens , poursuite et diligence de leur directeur
général. (
XXXV. Il pourra être fait un abonnement annuel avec les banques
privilégiées pour le timbre de leurs bilets .
XXXVI. Les fabricateurs de faux billets , soit de la banque de
France , soit des banques de départemens , et les falsifications de
billets émis par elles, seront assimilés aux faux- monnoyeurs , poursuvis
, jugéset condamnés comme tels .
:
PARIS.
Les nouvelles officielles arrivées de Saint- Domingue
au ministre de la marine et des colonies , en date du 18
pluviose, annoncent que le 16 de ce mois , les vaisseaux
l'Indomptable capitaine Touffet,etle Mont-Blane , capir
taine Cosniao , ont debarqué , d'après les ordres du général
en chef, un corps de troupes à Miragoane. Les rebelles ont
été forcés à abandonner ce poste, ainsi que celui de l'Anser
a-Veaux, et de se replier dans l'intérieur avec une perte
très-considérable. 5
Le général noir la Plume , distingué par sa fidélité , s'est
acquis de nouveaux droits à l'estime de l'armée , par les
services qu'il a rendus avec les troupes noires sous sus
ørdros.
Le général en chef fait aussi l'éloge des chefs de brigade
Nerette , Dieudonné ; des chefs de bataillon Segrettex ,
Delpêche et du capitaine Daux , restés constanintent fidèles
an gouvernement . 11
Les dispositions prises par le général en chef, annoncent
que les brigands vont être repoussés loin du cordon du Sud,
partie dans laquelle la tranquillité se consolide tous les
jours,de manière que toutes les troupes arrivant d'Europe,
n'auroutà agir que dans la partie de l'Ouest 133
A
(Journal officiel.)
En vertu d'un accord fait entre les grandes puissances
intéressées à l'Ordre de Malte , et consenti par S. M. Brit
tannique le 8juin 1802 , la nomination du graad-maître
142 MERCURE DE FRANCE ,
1
de Malte fut déférée pour cette fois au saint-siége , sur la
présentation des prieurés de l'Ordre. Le saint-père et les
prieurés accédèrent à cet arrangement. En conséquence ,
sa sainteté a nommé , le 9 février 1803 , grand-maître de
l'Ordre de Saint Jean-de-Jérusalem , M. le bailly de Thomasy
, qui a accepté sa nomination. Le nouveau grandmaître
a cru nécessaire d'envoyer à Malte M. le commandeur
Busy , qu'il a nominé à cet effet sun fondé de pouvoirs
et son lieutenant. Ce chevalier est arrivé dans l'ile
leg ventose.
Le journal officiel publie la lettre qu'il a écrite à
M. Ball , ministre d'Angleterre dans cette île , et la réponse
de ce ministre. M. le commandeur de Busy lui expose
que, conformément au traité d'Amiens , les forces de
S. M. B. devaient évacuer l'île et ses dépendances , dans
les trois mois qui suivraient l'échange des ratifications ,
ou plus tôt , s'il était possible , et que ce délai est expiré
depuis long-temps. Dans sa réponse , le ministre d'Angleterre
observe que , d'après le traité d'Amiens , plusieurs
des puissances qui sont invitées à garantir l'indépendance
de Malte , n'ont pas encore accédé à cette mesure , et qu'il
ne peut remettre l'ile sans des ordres de sa cour. Après
avoir donné en entier ces deux lettres , le journal officiel
reprend ainsi : S. M. l'empereur d'Allemagne et S. M.
l'empereur de Russie ont depuis long-temps garanti l'indépendance
de l'île et de l'ordre de Malte. La Prusse était
la seule puissance qui , jusqu'à cette heure , n'avait pas répondu
d'une manière péremptoire à la demande qui lui
avait été faite ; mais dans les circonstances actuelles , S.M.
le roi de Prusse a pensé devoir s'empresser de garantir l'indépendance
de l'île et de l'Ordre de Malte .
Un arrêté du gouvernement , en date du 10 de ce mois ,
porte que les deux bulles dont la désignation suit , savoir :
la première , donnée à Rome , le 15 des calendes de janvier
1802, laquelle , d'après la nomination du premier
consul , porte l'institution canonique à l'évêché de Troyes ,
de M. Louis - Appolinaire Latour - du - Pin - Montauban ,
ci-devant archevêque d'Auch , avec autorisation de conserver
pendant sa vieson ancien titre d'archevêque ; la seconde
, donnée à Rome , aux ides de décembre 1802 ,
portant exemption en faveur dudit Louis - Appolinaire
Latour-du-Pin-Montauban , de la jurisdiction métropolitaine
de l'église archiepiscopale de Paris , pendant la vie
GERMINAL AN XI. 143
dudit évêque : seront publiées , sans approbation des
clauses , formules et expressions qu'elles renferment , et
qui sont ou pourroient être contraires aux loix de la république
, aux franchises , libertés et maximes de l'église
gallicane. Lesdites bulles seront transcrites en latin
et en français sur les registres dn conseil-d'état , et mention
en sera faite sur l'original , par le secrétaire du conseil.
Le commmandant et administrateur général du Sénégal
et dépendances , a adressé au ministre de la marine et
des colonies la lettre suivante , datée du Sénégal, le 15 nivose
an II .
<<Citoyen ministre , j'ai l'honneur de vous adresser cijointe
ma correspondance avec M. le colonel Frazer ,
gouverneur de Gorée , depuis mon arrivée au Sénégal ,
pourvous faire connaître de quelle manière ce gouverneur ,
pour S. M. britanique , paraît éluder la restitution de
l'ile de Gorée , même après m'avoir annoncé qu'il alloit
incessamment m'indiquer le jour où elle pourroit avoir
lieu.
>> Ne connaissant point les véritables motifs d'une
évasion aussi extraordinaire , j'ai pensé qu'il étoit de mon
devoir de vous instruire dès qu'elle m'a paru suspecte ,
et j'ai l'honneur de vous rendre compte que j'ai expédié
à cet effet , pour Rochefort , la goëlette la Légère , comme
lemoyen le plus sûr et le plus prompt. >>>
Salut et respect. Signé BLANCHOT
i
Ala suite de cette lettre on lit , dans le journal officiel ,
la correspondance qui a eu lieu entre le général Blanchot
et le colonel anglais Frazer , gouverneur pour S. M. Britannique
, de l'île de Gorée. Cette correspondance prenferme
onze lettres écrites du 8 brumaire au 5 pluviose. Le
général françaisy insiste toujours conformément au traité ,
sur la remise de l'île , dont le colonel anglais differe toujours
la restitution , dans l'attente de l'arrivée , toujours
annoncée comme prochaine , et qui ne s'effectue point de
vaisseaux de transport pour embarquer la garnison. 12
Le maire de Saint -Hilaire d'Ardenay , département de
la Sarthe , est autorisé , par arrêté du gouvernement , à
accepter , au nom de cette commune ; 1º. l'église ; 2°. le
presbytère et jardins en dépendans , que le citoyen Jean-
Baptiste-Michel Leprince, d'une part, et le cit. Dagoreau ,
d'une autre part , ont abandonnés gratuitement à ladite
commune.
:
144 MERCURE DE FRANCE,
,
ás
Le gouvernement a décidé que l'envoi d'espèces et
monnaies françaises et étrangères dans nos îles orientales
et occidentales n'est point prohibé ; on se bornera à
surer la destination par des acquits à caution qui en spólie.
ront la nature et la somme ; ils porteront soumission aux
peines de la confiscation et de l'amende , à défaut de certificat
régulier de décharge délivré par les douanes , et visé
par les autorités constituées.
La parade de dimanche, a été moins une parade
qu'une revue. Il y avoit de cinq à six mille hommes de
différentes armes. Point de chevaux. La cavalerie étoit à
pied. Tous les soldats avoient le sac au dos. Une troupe
nombreuse de conscrits en vestes blanches. Le premier
consul , à pied , a passé dans tous les rangs ; il a passé à
ungrand nombre de soldats ; il a particulièrement adressé
des questions aux conscrits. Comment est votre soupe ,
a-t- il demandé à l'un d'eux ? Meilleure que chez nous ,
a répondu le jeune homme. Respect et gravité dans les
rangs quand le premier consuly entroit;; Jore , gaité , enthousiasme
dès qu'il étoit passé . La revue a duré cinq
heures. Dans les parades ordinaires , le premier consul
ne jouit que de la beauté des troupes ; dans cette revue ,
il a pu jouir du sentiment de leur force.
Le sénateur Laville - Leroux , sortant dimanche,de
l'audience donnée par le premier consul aux ambassadeurs
, est mort d'apoplexie en descendant l'escalier. Il
n'avait ressenti aucune indisposition dans les appartemens ,
et avait causé fort gaiment avec ses collègues en attendant
l'audience.
La ville d'Anvers doit offrir à madame Bonaparte ,
une aigrette de diamans d'une grande beauté. Il sera donné
sur l'Escaut , au premier consul , une fête qui surpassera
enmagnificence toutes celles qui ont jamais été données
dans la Belgique. A Malines , on travaille , en ce moment ,
àune robe dé dentelle en point de Maline , destinée pour
madame Bonaparte. Les préparatifs qui se fond à Gand
sont dans une grande activité ; la garde d'honneur qui
s'y est formée pour le premier consul, a à sa tête plusieurs
anciens,officiers de cavalerie au service de l'empereur ,
qui ont quitté l'armée autrichienne pour se fixer dans leur
patrie ; enfin , il y a un redoublement d'activité dans les
dispositions et les préparatifs dont on s'occupe , sans relache
, à Bruxelles. Les particuliers , se conformant à l'invitation
du maire , font peindre et restaurer les façades
extérieures de leurs maisons.
( No. XCIV. ) 26 GERMINAL an 11 ,
( Samedi 16 Avril 1803. )
MERCURE
DE FRANCE
RÉP.
FRA
5.
cen
LITTERATURE.
.......----
:
POÉSIE.
IMITATION DE L'ÉPITRE D'HÉLOISE A ABAILARD , DE POPE .
Suite (a) .
HEUREUX ! ah ! trop heureux le sort de deux amans
Qui , dans la douce erreur où s'égarent leurs sens ,
Coulent loin des humains leur paisible existence ,
Et goûtent le plaisir au sein de l'innocence !
Les sermens de l'hymen n'enchaînent point leur foi :
La nature et l'amour sont leur unique loi ;
Oubliant l'univers , ils vivent l'un pour l'autre :
Est-il un sort plus doux ? Ce bonheur fut le nôtre !
S
:
(a) Le commencement de cette Imitation a été inséré dans le N°. 62
du 17 fructidor an X. Nous invitons nos lecteurs à la comparer avec
celle qui a fait tant d'honneur à Colardeau , en leur rappelant que
l'auteur de ces vers est un jeune Russe de dix - neuf ans , sorti de
l'excellente maison d'éducation élevée à Saint - Pétersbourg , par
M. l'abbé Nicolle , ancien préfet des Études de Sainte-Barbe! 9.
2
33
II
...
146 MERCURE DE FRANCE,
...
...
Quel changement ! La nuit , entouré de flambeaux ,
Abailard nu , sanglant , traîné par des bourreaux .
Ah! j'étais loin de toi ! Rien ne m'eût arrêtée ;
Au-devant de leurs coups je me serais jetée :
Mes pleurs , mon désespoir , auraient touché leur coeur,
Et mon sang eût peut- être assouvi leur fureur.
Barbares ! arrêtez ! ... prenez-moi pour victime :
J'ai droit au châtiment , je partageais le crime.
Rappelle - toi ce jour horrible et solennel ,
Ce jour où , prosternée au pied de cet autel ,
Pour témoin de mes voeux prenant l'être suprême ,
Je jurais d'oublier et le monde et toi-même : ..
Je prononçais déjà ces éternels adieux .
Un nuage confus vint obscurcir mes yeux ;
Du tabernacle saint les voûtes tressaillirent ,
L'autel même s'émut , et les flambeaux pålirent :
Le ciel semblait douter de mes funestes voeux ;
Les anges étonnés les portèrent aux cieux.
Dans ce fatal moment , égarée , éperdue ,
Sur toi seul , Abailard , j'avais fixé ma vue.
ADieu , sur cet autel , ma bouche offrait ma foi ;
Mais mon coeur révolté faisait voeu d'être à toi .
Reviens , reviens vers moi , cher époux que j'adore ;
Dans mes bras amoureux que je te presse encore !
Laisse - moi doucement m'appuyer sur ton sein :
J'oublîrai près de toi la rigueur du destin .
Offre à mes yeux charmés cet aimable sourire ,
Ce front noble et serein où la bonté respire;
Laisse-moi de l'amour savourer la douceur ,
M'enivrer de ta vue et rêver le bonheur !!
Mais non ; fais-moi goûter une volupté pure ;
Elève -moi vers Dien , dompte enfin la nature ;
Que le ciel désormais soit mon unique appui !
Je ne puis être à toi : viens me donner à lui.
T
١٤
GERMINAL AN XI. 147
Reviens vers ces enfans qui regrettent leur père :
Jadis ils t'ont suivi dans ce lieu solitaire ;
:
Ils ont droit à tes soins : nos champs et nos jardins ,
Pour être cultivés , redeinandent tes mains.
Tes jours coulaient ici loin d'un monde perfide ;
Ce désert étonné vit , dans son sein aride ,
S'élever cet asile au Seigneur consacré.
Tout est simple en ces lieux ; l'orphelin éploré
N'y voit point de son père étaler les richesses;
L'avare , au lit de mort , de tardives largesses ,
Pour acheter les cieux , n'orna point cet autel :
On nous y voit sans faste adorer l'éternel .
Ah ! si tu revenais dans ces demeures sombres ,
Qui semblent de la nuit éterniser les ombres ,
De ce cloître désert le séjour odieux
Brillerait embelli de l'éclat de tes yeux !
Ta gloire y verserait une douce lumière .
Au pied de ces autels où veille la prière ,
Les vierges du Seigneur , dociles à ta voix ,
Attendent qu'Abailard leur impose des loix.
Sous quel voile trompeur mon amour se déguise !
Non , ne viens que pour moi ; n'écoute qu'Héloïse.
Je retrouve en toi seul les titres les plus doux :
O mon unique ami , mon frère , mon époux,
Abailard ! tu peux seul rappeler à la vie
Une amante , une soeur , une épouse chérie :
Les noms les plus sacrés nous unissent tous deux ;
Mon père ! de ta fille exauce enfin les voeux !
Ces pins majestueux qui , sur un roc sauvage ,
A la fureur des vents, livrent leur noir feuillage ,
Ce torrent débordé qui , le long des côteaux ,
دش
Sur un lit rocailleux précipite ses eaux;
Et de ce lac d'azur les ondes argentées ,
Par de légers zéphirs doucement agitées ,
...
:
i
K2
148 MERCURE DE FRANCE ,
Rien ne peut loin de toi suspendre ma douleur ;
Et la mélancolie habite dans mon coeur :
Elle siégé au milieu de ces tombeaux antiques ,
Et se traîne avec moi sous ces vastes portiques ,
Où règne un long silence , image du trépas .
Dans ces champs , dans ces bois si j'égare mes pas ,
Elle me suit : sa vue attriste la nature ,
Ternit l'émail des prés , et sèche la verdure;
Les cieux n'ont plus d'eclat , tout change , et les ruisseaux
D'un bruit triste et plaintif font gémir les échos.
Quoi ! dans ce lieu d'exil à vivre condamnée ,
Moi - même pour jamais je me suis enchaînée !
Ah ! du moins , sous ce marbre arrosé de mes pleurs ,
Quand la mort mettra fin à mes longues douleurs ,
La mort , l'unique bien où j'ose encore prétendre ,
Sans crime dans la tombe on joindra notre cendre.
DE WOLF.
VERS
1
Sur le Poëme de la PITIÉ.
, ,
QUAND Delille retrace en ses accords touchans ,
Le massacre d'un roi , le règne des tyrans ,
Sa muse à tous les yeux sait arracher des tarmes :
Ainsi que le plaisir , la douleur a ses charmes.
Les bienfaits d'un héros qu'admire l'univers ,
Le repos d'un État la liberté des mers
Une ligue puissante à ses pieds terrassée ,
Mille titres d'amour présens à la pensée ,
Et la gloire qui suit un chef toujours heureux ,
N'effacent point encor , dans un coeur généreux ,
Le triste souvenir d'un prince débonnaire ,
Que la pitié rappelle aux regrets de la terre.
Par le C. Α. Α.
GERMINAL AN XI. 149
ENIGME ...
Tout paroît renversé chez moi ;
Le laquais précède le maitre ;
Le manant passe avant le roi ;
Le simple clerc avant le prêtre ;
Le printemps vient après l'été ;
Noël avant la Trinité :
C'en est assez pour me connoître.
Par un abonné.
LOGOGRYPΗ Ε.
Ju marche sur huit pieds , et jamais je n'arrive .
Je suis , et l'on en conviendra ,
Une mer sans fond et sans rive ,
Qui jamais ne débordera.
Je suis un matin sans aurore ,
':
Un jour sans soir , que rien n'altérera.
J'ai tout vu , je vois tout ; je verrai tout encore .
Jamais on ne me comprendra :
Pourtant on me devinera ,
Parce qu'enfin tout se devine.
Voyons : en moi l'on trouve un vase de cuisine ;
Un lien autrefois en usage au palais ;
Un sel qui contribue à composer la foudre ,
Et que récèle aussi la poudre
Que n'a jamais craint le Français.
Je puis , de plus , et je m'en pique ,
i
Tout comme un autre , offrir ma note de musique.
Sept de mes pieds forment un nom ,
Propre au porte - faix misérable ,
Qui , sous le fardeau qui l'accable ,
K3
150 MERCURE DE FRANCE ;
Chancèle , fléchit , et se rompt
Cruellement le bas du râble .
J'ai vu bien plus d'une saison ;
Mais ce n'est pas une raison
Pour que j'en renferme plus d'une .
Je donne aussi la loi commune ,
Qui,dans un ordre respecté ,
Règle chaque solennité .
Le père incestueux des cinquante nageuses
Qui peuplent de Thétis les ondes orageuses ,
Chez moi se trouve encor ; mais j'en ai dit assez ,
Lecteur , et vous me connoissez.
PAR M. TR........
CHARADE.
Le géographe qui chemine
Trouve par fois mon premier mal borné ;
Mon second semble trop borné;
Dès que nos plaisirs il termine ,
Si mon entier paroît borné ,
Ne vous fiez pas à sa mine.
:
Par un abonné.
Mots de l'Enigme , du Logogriphe et de la
Charade insérés dans le dernier Numéro .
Le mot de l'énigme est Souris.
Celui du Logogriphe est Ronce , où se trouve once.
Le mot de la Charade est Volage.
GERMINAL AN XI. 151
Observations sur un passage d'Homère.
ON a eu occasion , dans l'avant-dernier numéro
du Mercure , de parler fort légèrement
d'un passage du vingtième livrede l'Odyssée,
où l'on a paru croire , à l'imitation de quelques
détracteurs d'Homère , que ce poète compare
Ulysse à un morceau de boudin qu'on tourne sur le
gril. Quoique cette expression , dans la circonstance
dont il s'agit , n'ait été employée que par
forme de plaisanterie , pour rendre plus sensibles
les naïvetés de ce grand poète, aussi bien
que celles d'un de ses traducteurs , qui néanmoins
, s'il faut en parler ici plus sérieusement,
est sans doute trop habile homme pour s'être
jamais imaginé qu'il fût question de boudin
dans les poëmes d'Homère ; quoiqu'il soit ,
dis -je, aisé d'apercevoir que, dans une expression
de cette nature , on n'a pas recherché
l'exactitude d'un auteur grave , mais qu'on s'est
livré à la légèreté d'un homme du monde, qui
ne se croit pas obligé de prendre tout au sérieux
, cependant des personnes d'un goût'sé ,
vère et délicat ont trouvé que c'étoit parler
d'Homère avec irrévérence , et que l'honneur
du Mercure était intéressé à réparer un telscan- >
dale. M. Gin , dans la lettre dont il nous a honorés
, nous a fait sentir, avec toute la politesse
imaginable , qu'une pareille bévuefrisait bien
le Perraut. Il est très-vrai que M. Perraut , qui:
ne savait pas le grec , est un de ceux qui ont
imputé à Homère la comparaison du boudin.
K4
152 MERCURE DE FRANCE ;
Mais il l'a fait avec un sérieux qui n'est pas
pardonnable . Boileau , qui n'entendait pas raillerie
; lorsqu'on touchait aux anciens , n'a réfuté
qu'avec trop de force une sottise dont il
fallait rire. Il a montré doctement que le boudinetles
ragoûts n'étant pas connus du temps
d'Homère , il était impossible qu'il en eût parlé
dans son poëme. Ce raisonnement était concluant
et il ne servait de rien , après cela , de
traiter du haut en bas le malheureux qui était
tombé dans cette méprise. La poésie d'Homère
estbien belle : la charité l'est encore plus. Souvenons-
nous toujours du beau caractère que
doivent avoir les lettres. (Humaniores litteræ.)
Ellesrendent les hommes doux et humains .
Ellesconsolent ; elles répandent quelques fleurs
sur la vie ; et l'on remarque en effet , dans le
miondel , que les personnes qui cultivent les
lettres pour elles - mêmes , ont un commerce
moins épineux , sont moins hérissées de prétentions,
moins empressées de faire paraître
leur esprit que les autres. Mais revenons à
Bodysseerom entre
-Il est donc certain qu'Homère ne parle pas
de boudin dans le passage en question, mais
de quelqu'autre mets alors en usage , et qui
était plein , à ce qu'il dit , de graisse et de sang ,
cars celsont: ses propres termes. Voilà ce qui
a-conduit Perraut à l'idée de son boudin ; et
comme le mot grec yasie est rendu par ventriculum,
je parie qu'il aura pris ce ventricule pour un
boyau de porc. Mais il est évident qu'Homère
a voulu parler du ventre de je ne sais quel
animal , qui apparemment était un morceau
GERMINAL ANXI. 153
choisi. Ordinairement pourtant c'était le dos
qu'on servait de préférence. Tout le monde
sait que le jour qu'Ajax vainquit Hector dans
un combat singulier , Agamemnon lui servit
pendant tout le repas du dos de la victime ,
qui était plus succulent , à ce que dit Homère.
Il semble , au premier coup-d'oeil , que ces détails
figureraient mieux dans le Cuisinier bourgeois
que dans un poëme épique. Mais il faut
songer que ce sont les peintures naïves des
premiers temps de la société. Les héros d'Homère
sont tous grands mangeurs . Vous les
trouvez perpétuellement à table. Vous voyez le
divin Achille qui coupe et qui embroche luimême
les viandes , tandis que le fils de Menætius
, semblable à un immortel , fait aller
la marmite. Je ne conçois pas que les admirateurs
d'Homère veuillent toujours trouver
de la noblesse dans des descriptions purement
familières . S'imaginent-ils que ce poète , qui
avait un naturel charmant, eût voulu couvrir
d'un style magnifique des choses simples et
communes ? Point du tout : c'était un homme'
de bon sens qui appelait les choses par leur
nom; et lorsqu'au neuvième livre de l'Iliade
vous le voyez qui s'occupe à remarquer que le
porc qu'Achille sert à souper aux députés d'Agamemnon
avait le dos couvert de lard , vous
sentez bien qu'un génie si familier se joue ,
comme à plaisir , dans les moindres détails de
la vie domestiqne. Et qu'y a-t-il à cela d'étonnant
, puisqu'il n'a fait que représenter les
moeurs d'un siècle plein de simplicité ? Dans
un temps où les princesses faisaient la lessive ,
154 MERCURE DE FRANCE,
les héros pouvaient bien faire la cuisine. Il ne
faut donc pas se révolter , lorsqu'on entend
dire qu'Homère a tiré quelqu'image d'un objet
qui paraît trivial ; et pour peu qu'on entre
dans ses idées et dans ses moeurs , on verra
qu'en bonne littérature il n'y a pas l'ombre de
scandale à lui attribuer quelque naïveté du
genre de cellé qu'on nous reproche , parce que
ces sortes de traits abondent dans ses ouvrages.
Au surplus , pour juger de la comparaison
del' Odyssée , il est bon de connaître la situation .
Ulysse est dans son lit , où il médite la perte
des amans de Pénélope , et il s'avertit lui-même
de contenir son ressentiment , qui est tout prêt
à éclater. Le poète peint le coeur de ce héros
plein de fermeté et de patience ; mais il ajoute
que son corps s'agitait et se tournait çà et là
sans pouvoir trouver le sommeil : sur quoi
arrive la comparaison d'un homme qui fait
cuire à un grand feu le ventre d'un animal
plein de graisse et de sang , et qui le tourne
de tous côtés , soit à la broche , soit sur le gril ,
car c'est un point que les commentateurs ont
oublié d'éclaircir ; il me semble que si l'on
cherche dans cet image ce qui peut se rapporter
à l'état d'Ulysse , on pourra éprouver
la tentation de croire que ce morceau qu'on
tourne et qu'on retourne sur le feu , est mis
là pour figurer l'agitation du héros qui se
tourne et se retourne dans son lit ; cette idée
a un air assez naturel. Boileau le nie fortement.
Il soutient au contraire le sentiment
d'Eustathias , savant commentateur du dou-
۱
GERMINAL AN XI. 155
zième siècle , lequel prétend que ce sont les
amans de Pénélope qui sont comparés à ce
ventre rôti ou grillé, et qu'Ulysse est comparé
à l'homme qui fait cuire ce ventre pour le
manger. Cela pourrait bien être , et j'y donne
les mains de tout mon coeur. Mais toujours
est-il vrai qu'il y a quelqu'un dans la comparaison
, qui se trouve figuré par le ventre
de l'animal. Qu'on dise après cela que c'était
un mets délicieux chez les anciens , et que notamment
le ventre de la truie , qu'on appelait
sumen , était défendu par une loi particulière
comme un morceau trop friand ; tout cela
n'empêche pas qu'une telle comparaison ne
justifie l'idée qu'on en a donnée. Ceux qui se
récrient si fort contre le boudin ont une singulière
délicatesse , s'ils trouvent quece ventre
plein de sang et de graisse offre une image
beaucoup plus relevée.
Ainsi, il faut toujours qu'on en revienne à
dire qu'Homère ne fait pas scrupule d'entrer
dans des détails de la dernière simplicité , au
lieu d'imaginer cinquante raisons forcées pour
prouver qu'il n'emploie jamais que des images
et des termes extrêmement nobles . Homère
disoit noblement ce qui étoit noble , et populairement
ce qui étoit populaire. Il peignoit
d'après nature. C'est ce qu'il faut dire , dans la
comparaison d'Ajax avec un âne , plutôt que
d'aller soutenir que cet animal n'avait rien
que de noble chez les Grecs. J'avoue que j'en
doute très-fort. M. de Buffon l'a , il est vrai ,
presqu'ennobli par ses éloges. Mais cependant ,
le mépris qu'on y attache a un fondement ;
156 MERCURE DE FRANCE ,
c'est son caractère entété et stupide. Les anciens
en avaient certainement la même idée ,
puisqu'ils le sacrifiaient à Apollon , comme
étant le symbole de l'ignorance. Cela se voit
dans Pindare , lorsqu'il dit , en parlant de
Persée , que ce héros assista aux fêtes où
l'âne est offert en hécatombe au dieu des
arts qui s'en réjouit.
Il faut donc dire simplement que les anciens
avaient le bon esprit de ne pas proscrire les
noms. C'est une grande leçon pour nous ; mais
pour bien entendre l'usage de ces termes familiers
, il faut faire attention qu'Homère
prend la plupart de ses images dans les scènes
de la vie champêtre , où l'âne joue un fort
grand rôle . Voilà ce qui l'a fait entrer dans
ses tableaux ; et , en effet , dans cette comparaison
d'Ajax , vous voyez le poète , au milieu
de la description d'une bataille , se complaire
, et comme se délasser à peindre un
paysage tout- à-fait naturel . C'est un âne qui
est entré dans un champ de blés mûrs , où il
se trouve fort bien , et que des enfans ont
beaucoup de peine à chasser à coups de bâtons .
Cela ressemble très-peu à l'armée des Grecs
et des Troyens. Mais cela est délicieux . Ce
sont des couleurs qui font contraste , et qui
reposent la vue fatiguée du spectacle des
combats. C'est là ce qui a fait d'Homère
le plus grand de tous les peintres , homme
vraiment unique dans l'art de donner de la
vie et de la variété à ses peintures .
C'est par ce moyen qu'on peut justifier et
même faire admirer une foule de passages
GERMINAL AN XI . 157
semblables , qu'on tourne si aisément en ridicule
, en les rapprochant de nos moeurs. Ainsi ,
lorsqu'Agamemnon raconte à Ulysse , dans les
enfers , qu'à son retour de Troye , Egysthe le
fit assassiner dans son palais , comme on égorge
un taureau dans une étable , Perrault , qui étoit
malin , fait dire à ce roi des Grecs , Egysthe l'a
assommé comme un boeuf. C'est traduireHomère
comme Voltaire traduisait l'Ecriture sainte .
Mais en ne s'arrêtant qu'au fond de l'image,
on voit assez que le génie du poète grec ne
dédaignait aucun des objets de la nature rustique
et grossière ; et , lorsqu'on songe à quel
sublime cela est mêlé , il faut avoir bien peu
de goût pour ne pas sentir qu'une telle simplicité
n'a rien qui dégrade la majesté antique
de ce prince de l'Epopée. Z.
Essais historiqués sur les causes et les effets de la Révolution
de France ; par C. F. Beaulieu ( 1 ) .
:
:
On dit que ce n'est point aux écrivains qui appartiennent
à la génération présente qu'il convient de publier
l'histoire de la révolution de France , et qu'il faut laisser
cette tâche à nos descendans . Plus calmes et moins intéressés
que nous à dénaturer les causes des événemens , les
intentions et les actions des hommes qui se sont montrés
sur la scène, on veut qu'eux seuls puissent retracer avec une
sévère impartialité les diverses catastrophes de cette révo-
( 1) Six vol . in-8°. Prix : 30 fr . et 36 fr. francs de port. A Paris
chez Maradan , libraire , rue Pavée-Saint-André-des-Arcs ; et chez
Je Normant , rue des Prêtres Saint-Germain-l'Auxerrois , n° . 42.
,
158 MERCURE DE FRANCE ,
1
lution , unique , sous plus d'un rapport , quoiqu'on en
dise , dans les annales du monde.
En effet , tous les Français qui ont vécu pendant cette
tourmente terrible , ont été d'une manière quelconque
ou oppresseurs ou opprimés; tous ont adopté , propagé
ou repoussé avec plus ou moins de vivacité et de passion
les principes séducteurs qui sont devenus le premier élément
des tempêtes révolutionnaires. Si les hommes qu'on
appelle philosophes ont les premiers imprimé le mouvement
au char enflammé , leurs impétueux élèves l'ont fait
rouler dans la carrière avec une incroyable vélocité , culbutant
tout dans leur délire , dispersant au hasard et les
hommes et les choses , écrasant dans sa route jusques aux
guides imprévoyans qui avaient entrepris de le diriger.
Parmi ceux qui ont pu se relever vainqueurs après un tel
bouleversement , peu sont jaloux de publier ou qu'on
publie les circonstances auxquelles ils doivent , les uns
leur salut , les autres leur fortune rapide ; et il est difficile
de croire que ceux qui n'ont conservé que la vie ,
soient dépouillés de tout sentiment de haine envers
ceux à qui ils doivent leur infortune. Dans ces deux
classes de Français qui les comprennent presque tous ,
peut-on espérer de trouver une plume réellement impartiale
? L'ami , je ne dis pas de la révolution en général
, mais seulement de quelques-uns des principes qui
l'ont fait naître , cachera toutes les fautes du parti auquel
il aura appartenu , ou parviendra à leur trouver une excuse
légitime. L'historien du parti contraire en supposera
qui n'auront pas été commises, ou donnera à celles qui
l'auront été , des couleurs fausses , des prétextes qui n'aurontjamais
existé. L'un déguisera , l'autre exagérera tout :
tous deux ne seront que des artisans de ténèbres .
Telles sont les réflexions qui se présentent , lorsqu'on
ouvre un livre qui traîte de la révolution de France. On
se persuade aussitôt que c'est un ouvrage de parti. La première
question qu'on fait au libraire en le marchandant ;
GERMINAL ANXI. 159
est de savoir sous quel drapeau a marché l'auteur , pendant
nos combats politiques ; l'on cherche moins l'instruction
et la vérité dans son récit , qu'un aliment aux passions
dont on aime à se nourrir encore ; on ne lit pas , on
feuillette avec avidité , pour retrouver des armes contre les
hommes qu'on a combattus.
Cependant , si un livre sur cette matière était composé
dans des principes sages , s'il était écrit avec décence , si
les hommes qu'il faut mettre en scène étaient souvent
plaints et jamais accusés mal-à-propos ; si l'auteur
traitant toujours ces hommes avec la politesse et le ménagement
que prescrit le caractère français , réservait
toute son énergie contre le crime en général ; si , ne hasardant
jamais ses assertions et ses jugemens sur des imputations
douteuses , il avait soin , pour prononcer avec
connaissance de cause , de rapprocher ces hommes et leur
conduite aux différentes époques de leur carrière politique
; s'il s'attachait à les faire connaître , non par ce
qu'on peut avoir publié sur leur compte , mais par les
discours qu'ils ont tenu et par les actes et les actions dont
ils se sont fait gloire; si , rattachant toujours les effets
aux causes , il prouvait par une exposition simple de
faits successifs et méthodiquement enchaînés les uns aux
autres , que telle faute , tel désastre sont résultés de telle
délibération , de telle démarche qui , au premier coupd'oeil
leur paraît étrangère ; un pareil livre ne serait pas
à dédaigner ; il pourrait même devenir un jour d'une
très-grande utilité , sur-tout à ceux qui , appelés à gouverner
les états , doivent apprendre quels ressorts on fait
jouer pour les détruire.
Ce qu'on dit de l'infidélité présumée des écrivains qui
ont vécu sous les tempêtes politiques , ne devrait point
faire rejeter ce livre; car enfin si les contemporains ne
rendent pas compte de la révolution de France , où le Tacite
futur , à qui il est réservé de la publier , ira-t- il
chercher ses matériaux ? Consultera-t-il exclusivement
160 MERCURE DE FRANCE ,
1
les archives des autorités publiques ? mais dans les temps
paisibles même , les gouvernemens ne publient guèresde
vérités que celles qu'il leur importe de faire connaître :
toutes celles qui peuvent leur nuire ou seulement leur déplaire,
sont soustraites avec soin et anéanties pour jamais ;
il n'y a que le hasard qui puisse les reproduire.
Dans les temps de révolution , il n'y a pour les autorités
dominantes ni vérité ni mensonge , mais un effroyable
chaos. Le parti qui triomphe momentanément est ou scélérat
ou vertueux , ou impudent ou véridique , suivant
qu'il est agité lui-même par la vague furieuse qui le
poursuit. Il parle , il crie , il écrit , il agit , il réagit
au gré des passions enflammées qu'on attise sans cesse autour
de lui : quand il fait le bien , c'est par hasard ; quand
il publie la vérité , c'est par accident. Je pense que la révolution
de France a assez bien démontré tout cela.
Il sera donc impossible aux écrivains futurs de déterrer
la vérité dans les archives de nos autorités révolutionnaires
, sans le secours des écrivains contemporains .
Peut-on espérer de trouver plus de ressources dans les recueils
de journaux qui , paraissant chaque jour , sont présumés
avoir publié tous les événemens que chaque jour a
vu naître ? Cela devaitêtre , et cependant rien ne sera plus
équivoque que la lumière que fourniront ces recueils.
Parmi les auteurs de journaux , les uns ont dénaturé les
faits , déifié ou noirci les hommes, pour servir le parti
qu'ils avaient embrassé. Les autres ont tout exagéré , tout
nié , tout supposé , ou avancé les faits les plus absurdes ,
soit qu'ils fussent aveuglés par leurs passions , soit que la
hache des bourreaux suspendue sur leurs têtes , ou la
perspective des déserts de la Guiane en fissent les artisans
du mensonge. L'écrivain à venir verra à chaque page la
liberté de la presse légalisée dans ces journaux , et ce sera
précisément à l'époque où cette liberté sera proclamée
avec plus de solennité , qu'elle sera enchaînée avec plus
de fureur : on forcera toutes les plumes à distiller le mensonge
GERMINAL AN XL 1 AFP.
FRA
-songe et la calomnie , lorsqu'elles paraîtront toutes appelées
à répandre , à célébrer librement toutes les vérités et
toutes les vertus .
Les philosophes , qui veulent tout voir en beau , nous
ont dit que la découverte de l'imprimerie avarepour ja
mais naturalisé la vérité sur la terre ; qu'ils daignean
instant jeter un coup-d'oeil avec moi dans l'abîme de la révolution,
et ils verront , sans même faire note de leurs
préceptes , quel énorme amas de mensonges a été amoncelé
par la presse ; combien , pour quelques leçons utiles
qu'elle a pu répandre dans ces temps orageux , de sentimens
pervers elle n'a pas enraciné dans le coeur des
hommes , combien d'innocens elle n'a pas perdus , combien
de brigands elle n'a pas élevés sur les ailes de la
fortune.
5.
Ce
Le bel art de l'imprimerie a subi et devait subir let
detoutes les inventions des hommes, et le mal etle biens'y
introduisent, au gré de leurs passions ou vertueuses ou perverses.
Depuis le commencement de la révolution jusqu'à
la crise du 10 août , la presse a été occupée à décomposer,
à bouleverser toutes les parties de l'ancien gouvernement ;
depuis le 10 août , elle a servi , de plus , à détruire les
hommes et les choses : on l'a employée contre le Ciel ( 1 ) .
Les journaux , qui sont le principal résultat de la
presse , pendant la révolution , ne peuvent donc qu'induire
en erreur les écrivains qui voudront en publier l'histoire
; ces écrivains ne pourront donc l'entreprendre sans
le secours des auteurs contemporains qui vivront encore
postérieurement aux temps des désordres , et sous un gouvernement
qui , étranger à ces temps malheureux , ait
intérêt de bien connaitre , d'éloigner les causes , et de pa
ralyser les principes de toute espèce d'anarchie.
(1 ) Voyez , dans l'ouvrage que j'annonce , les détails relatifs aux
fêtes de la Raison. Sous l'influence et avec l'assentiment de la Convention
, on y proscrit jusqu'à Dieu même.
41 L
162 MERCURE DE FRANCE ,
M. Beaulieu a cru et a eu raison de croire que ce gou
vernement existait , et il a publié son ouvrage : on y remarque
les caractères que j'ai indiqués plus haut , sans que
le système de composition qu'il a adopté exclue cependant
sur les hommes et sur les choses un certain ton de
hardiesse et d'indépendance que l'auteur a constamment
manifesté pendant le cours de la révolution. Il en a retracé
le mouvement en homme qui l'a étudié avec soin .
Présent à toutes les crises , observateur attentif de toutes
les machinations qui les ont produites , il en indique presque
tous les ressorts et jusqu'aux plus imperceptibles accidents
; il fait voir comment les actes en apparence les plus
indifférens sont cependant résultées les catastrophes les
plus terribles. Cet ouvrage est enfin , si on peut le dire
l'anatomie de la révolution , exposée pièce à pièce à la
curiosité des lecteurs.
,
L'ouvrage commence par une introduction contenant
environ quatre feuilles d'impression. C'est un exposé rad
pide de l'ancienne constitution monarchique , des principes
qui la dirigeaient et de ceux qui auraient dû la diriger;
l'auteur ne craint pas d'attribuer à la conduite des
hommes qui y avaient le plus d'influence , les premiers
désordres révolutionnaires et successivement le bouleversement
général dont il esquisse le tableau .
Ce morceau , à quelques légères taches près , qu'il est
aisé de faire disparaître , est bien écrit , et sur-tout raisonné
avec force. Après avoir prouvé que ceux qui gouvernaient
la France , immédiatement avant la révolution , ne méri
taient pas la qualification de despotes , mais une épithète
toute différente , il s'exprime ainsi :
« Mais en ouvrant toutes les sources d'où devrait décou-
>> ler le bonheur , avaient-ils , d'une main de fer , contenu
>> la perversité qui constamment marche à sa suite ?
>> Avaient-ils prévu que , dans la disposition des choses
>>>humaines , les grands maux sont l'inévitable consé-
» quence des grands biens , et que c'est ainsi que la nature
GERMINAL ANXI. 163
> se compose ? S'étaient- ils garantis eux-mêmesdu funeste
> poisonqui , en circulant dans les veines de l'état , deväit
>> en dissoudre successivement toutes les parties ?
>> Pour qu'un gouvernement puisse se soutenir , il faut
>> qu'il soit conforme à son principe ; que toutes les par-
> ties soient complettes et vigoureuses , que chacune
>> d'elles soit en harmonie avec son institution . Comme
>> société civile , le gouvernement français devoit avoir la
>> morale religieuse pour base fondamentale. C'est le
>> comble de l'aveuglement d'imaginer quelque chose
» pour la remplacer. Comme monarchique , l'honneur le
>> plus intact devait le diriger ; comme régulier la justice
>>civile , conforme à la justice religieuse , devait y faire
» régner la paix, assurer à chacun l'exercice de ses facultés,
>> et conserver à tous le fruit de cet exercice .
>> Iln'y a point , il ne peut y avoir de religion sans culte ;
>> de culte sans prêtres , d'honneur sans noblesse , de jus-
>> tice active sans magistrats judiciaires. Nous avons bien
>> vu des hommes qui avaient imaginé des constitutions ,
» où l'on devait se passer de tout cela ; mais nous ne con-
>> naissons point de peuples , sans excepter ceux qu'ils
>> ont prétendu gouverner , qui soient parvenus à exécuter
>> leurs systèmes. »
Parlant ensuite de la conduite tenue par la noblesse et le
clergé de France avant la révolution , il fait les reflexions
suivantes :
« On n'en n'a que trop dit sur tous ces désordres , qu'il
>> eût peut- être mieux valu dérober sous un voile officieux,
>>que de les livrer à la critique des nations par une sçau-
>> daleuse publicité. On a détruit , par cette imprudence ,
>> la possibilité de la réforme, et ouvert la carrière à des
>> bouleversemens inouis : car , du moment où le peuple
>> cesse de respecter le ministre de son culte , il commence
» à être prévenu contre le dogme qu'il enseigne ; bientôt
> il l'examine , il le décompose , il soumet aux raisonne-
> mens des questions qui ne peuvent être de son domaine;
La
164 MERCURE DE FRANCE ,
1
>> le raisonnement le conduit au doute sur un point , en-
>> suite sur un autre , et successivement sur tout : les prin-
>> cipesdu vice et de la vertu sont mis en problémes , et ne
>> se retrouvent plus au fond des coeurs ; l'égoïsme , l'isole-
>> ment , la férocité de la brute , s'y établissent et les états
>> sont dissous. Envain les auteurs de tant de maux effrayés
>> desdésordres que leur imprudence a fait naître , essayent-
>> ils de leur opposer pour digue , un inutile verbiage ,
>> qu'ils appellent morale philosophique. Leur prétendue
>>> philosophie n'est qu'un être hermaphrodite , qui détruit
sans cesse sans avoir la vertu de produire : c'est
>> un balón éphémère qui flotte au gré des vents , sans
avoir de point d'appui .
>> La religion ne peut pas plus être suppléée que l'Étre-
>> suprême dont elle dérive ; et c'est pour l'avoir tenté , que
>> dans tous les siècles , les états ont été renversés. Voilà un
>> des grands maux que le gouvernement de nos derniers
>> rois n'a pas assez prévu , qu'il a peut-être appelé par
>> sa négligence et quelquefois favorisé par son pen-
>>> chant. >>>
L'auteur revient souvent sur ces idées ; il faut voir les
principes qu'il pose , les raisonnemens qu'il fait , en comparant
, dans la même introduction , la révolution d'Angleterre
avec celle de France ; les différences qu'il fait
remarquer , relativement à la religion , dans les systèmes
qu'on a fait suivre aux deux peuples. Il prouve que
les chefs des états et les politiques de tous les temps que
les philosophes honorent spécialement , comme étant le
plus favorables à leur doctrine , n'ont jamais imaginé rien
de semblable à ce qu'on a vu de nos jours.
>> On a dit , écrit M. Beaulieu , que les révolutionnai-
>> res français n'ont été que les serviles imitateurs des sé-
>> ditieux qui ont désolé Rome , la Grèce et les empires
>> modernes ; et c'est sur-tout aux novateurs anglais qu'on
>> les a plus particulièrement assimilés : les uns et les au-
>> tres ont mis en mouvement une populace qu'ils avaient
GERMINAL AN XI. 165
۱
>> rendu furieuse.
1
...
0
>> Et si l'on excepte quelques variantes dans l'exécution
>> on dirait que ce sont les mêmes agens qui font mouvoir
>> les mêmes ressorts . Qu'on ne s'y trompe pas cepen-..
> dant , il existe dans leurs principes une différence es-
>> sentielle qui, quoique frappante , n'a pas été assez re-
>> marquée.
» En dirigeant ses premiers coups contre la religion.
>>catholique , un parti de révolutionnaires anglais avait
› bien essayé de substituer la simplicité des dogmes na-
>> turels à la doctrine d'une religion sociale ou révélée ,
>> c'est-à-dire , de remonter à l'état de nature , au lieu de
>> continuer l'état de société ; mais ces idées étaient trop
>> hardies pour un peuple qui n'avait pas encore parcouru
> toutes les phases de l'humaine perfectibilité . Il se con-
>> tența de déplacer les bases de sa înorale , et n'entreprit
>> pas de les détruire : il substitua un dogme révélé à
➤ un dogme révélé ; il réforma sa religion ( 1 ) , mais il
>> n'en détruisit pas le principe ; il changea la direction
> de l'arbre , mais il ne le déracina pas . Le dieu qu'on
>> adora fut toujours le même , et ses commandemens ,
>> toujours en harmonie avec les loix humaines , conti-
>> nuèrent d'assurer l'exécution de ces loix , par la crainte
> des mêmes supplices et l'espoir des mêmes récompenses.
» Le gouvernement , qui s'éleva enfin au-dessus des trou-
>> bles publics , protégea la nouvelle doctrine ; il voulut
v qu'elle fût la règle de sa conduite , le fondement de la
> morale du peuple et le premier appui de ses loix.
>> En se comportant ainsi , les révolutionnaires anglais
> ne firent que modifier leurs habitudes et leurs usages ,
» et la machine politique reprit facilement son mour
» vement accoutumé .
( 1 ) M. Beaulieu n'entend pas dire ici qu'il la rendit meilleure
mais seulement qu'il y fit des changemens .
L5
166 MERCURE DE FRANCE ;
>> En France , les partisans de la religion naturelle , ou
>> plutôt les adversaires de toute sociabilité , ont été plus
>> heureux que les puritains d'Angleterre. C'est leur système
qui est devenu le principe de la révolution. Ce
>> sont leurs maximes qu'on a développées pendant tout
>> son cours , et qu'on a posées pour base des institutions
>> qu'on a essayé de former : sous ce point de vue , là
>> France a présenté un spectacle encore inconnu dans
l'univers. On y avait bien aperçu , de distance en dis-
>> tance , quelques rois ou chefs de républiques professant
>> pour leur compte ce qu'on appelle , si mal-à-propos ,
>> les vérités philosophiques; mais on en citerait diffici-
>> lement qui eussent entrepris d'en faire la base de la lé-
>> gislation des peuples , en les proclamant comme règles
de moralité .
>> L'empereur Julien , si célébré par les philosophes ,
» pour avoir toujours professé leur doctrine , essaya
>> comme eux , il est vrai , de détruire la religion chré-
>> tienne , dans laquelle il avait été élevé . Il fut un grand
>> philosophe , sans doute , dans le sens qu'on donne au-
>> jourd'hui à ce mot ; mais il ne poussa pas le délire jus-
» qu'à vouloir faire des nations philosophes. Or , s'il dé-
>> truisit le temple du vrai dieu , il releva les autels de
>> ceux que beaucoup de nations croyaient encore véri
>> tables ; et cela pouvait être raisonnable dans la politi-
>> que d'un prince que les vérités évangéliques n'avaient
>> pu toucher ; car il suivait la maxime posée depuis par
>> Montesquieu : Rappeler les hommes aux maximes an-
>> ciennes , c'est ordinairement les rappeler à la vertu .
:
>> Ceux qui ont eu le plus de part à la révolution de
>> France , ne voulaient point détruire la véritable religion
>> pour en établir une fausse, ils feignaient de vouloir
>> laisser aux hommes la liberté de conscience ; mais leur
>>projet reconnu par leurs actions , fut d'anéantir tous
>> les cultes , et parconséquent toutes les religions qui ne
peuvent se soutenir sans culte. Quel pouvait être le
GERMINAL AN XI. 167
>> résultat d'une pareille entreprise ? Il était impossible
>> de le prévoir , car elle n'est appuyée d'aucun exemple. »
: On voit, dans ces citations , quels sont les principes
de M. Beaulieu ; elles peuvent aussi donner une idée de sa
manière d'écrire. Quant à ce qui concerne la narration ,
sa méthode est simple et aisée ; il ne court jamais après
le Inxe des expressions , et , sous ce rapport , son livre est
ce qu'il doit être , à la portée de tous les lecteurs , qu'il
intéresse tous pour le fond de ses récits .
MARG .....
Lettres Athéniennes , ou Correspondance d'un agent du
roi de Perse à Athènes , pendant la guerre de Péloponèse
( 1 ) .
Encore un ouvrage sur la Grèce ! Cette mine , toute
féconde qu'elle est , commence à s'épuiser un peu : tant
de mains y ont déjà fouillé , et ses richesses nous sont devenues
si familières , qu'on ne peut plus guères se flatter
de l'exploiter avec succès , à moins qu'on ne parvienne à
y découvrir quelques veines nouvelles , ou1 , ce qui est
peut-être plus difficile encore , à nous présenter sous un
aspect nouveau des objets si connus.
Ces réflexions , au reste , ne sont faites pour diminuer
ni la gloire des auteurs de la Correspondance Athénienne ,
puisque leur ouvrage date de 1741 , quoiqu'on ne l'ait
publié qu'en 1798 , ni même leurs succès parmi nous
( 1 ) Traduites de l'anglais par Alexandre- Louis Villeterque ,
correspondant de l'Institut : trois volumes in-8º . , avec 12 portraits , et
une belle carte de la Grèce : prix , 18 fr . , papier ordinaire , et 36 fr .,
papier vélin . A Paris , chez Dentu , libraire , palais du Tribunat , galeries
de bois , n° . 240 ; et chez le Normant , imprimeur-libraire ,
rne des Prètres Saint- Germain - l'Auxerrois , n. 42 .
,
L4
168 MERCURE DE FRANCE ,
en
puisqu'ils se trouvent , par un hasard heureux , avoir
suivi une route différente de toutes celles qu'ont parcourues
leurs nombreux concurrents. Barthélemi , qui n'a
pu (comme on le voit par ces dates ) ni servir de modèle
aux auteurs anglais , ni profiter lui-même de leurs recherches
; Barthélemi , pour qui chaque nouvelle comparaison
est un triomphe de plus ( 2 ) , semble avoir donné ,
nous traçant un tableau complet de l'ancienne Grèce ,
une attention plus particulière encore aux sciences , à la
littérature et aux arts : les auteurs des Lettres Athéniennes
ont , au contraire , pour but principal l'histoire , dans
son rapport avec la politique . On reconnaît là et le caractère
et le genre d'esprit de la nation ; aussi faut - il
convenir que cette partie de l'ouvrage est celle qui m'a
paru , en général , traitée avec le plus de talent , et offrir
par conséquent le plus d'intérêt .
Un grec de l'Asie mineure ( Cléander ) est envoyé à
'Athènes , pendant la guerre du Péloponėse , par le roi de
Persee , pour y observer la conduite , examiner les forces
et les ressources , pénétrer les secrets et la politique des
peuples qui dominaient la Grèce à cette époque. Il écrit
aux ministres de ce prince , à ses satrapes , à ses officiers :
( 2) Malgré toute mon estime pour quelques- uns des ouvrages publiés
sur la Grèce , je veux dire pour ceux où l'on a respecté la vérité
historique , sans laquelle un livre de ce genre n'est plus qu'un dangereux
roman , je ne crains pas d'affirmer qu'il existe un bien grand intervalle
entr'eux et le beau voyage de Barthélemi : je pense donc qu'il
est des places fort honorables après Anacharsis ; et que cet ouvrage
très- estimé parmi nous , ne l'est pas encore peut- être , sous certains
rapports , autant qu'il le mérite : combien d'hommes , par exemple,
se croiraient illustrés comme écrivains , s'ils avaient composé sculement
les élégies de Messénicus , qui tiennent pourtant si peu de
place dans cette riche composition !
GERMINAL AN X. 169
des détails sur les philosophes , les écrivains , les artistes .
d'Athènes ; peuvent bien trouver place dans cette correspondance
; mais on sent que la politique doit en être le
fond ; les événemens même de la guerre occupent moins
l'envoyé , que les causes et les résultats probables de cess
événemens ; et comme ces causes , comine ces résultats ,
tiennent au caractère des Athéniens ou des Spartiates , et
des chefs qui les dirigent , le tableau de ces deux républiques
et les portraits de leurs rois ou de leurs démagogues
, trouvent naturellement place dans ces lettres , et
en font même , selon moi , un des principaux charmes.
Les ministres ou autres sujets d'Artaxerxès , donnent de
même , dans leurs réponses à Cléander , des détails sur
l'histoire , le gouvernement , le luxe , les moeurs ou la religion
des Perses ; et ces détails , puisés en général dans
Hérodote ou Xénophon , se lient au sujet d'une manière
si simple et si naturelle , qu'ils intéressent sans distraire du
point de vue principal. Je n'en dirai pas autant d'une
correspondance qu'entretient avec Cléander un jeune
homme qui voyage , à la même époque , en Egypte . Ce
n'est pas que la peinture de cette contrée fameuse ne pût
être aussi attachante au moins que celle de la Perse ; mais
l'une tient essentiellement au sujet , l'autre lui est étrangère
; et l'on ne blesse jamais impunément , même dans
des lettres , cette règle d'unité qui est obligatoire , avec
certaines modifications , pour toutes les productions de
l'esprit indifféremment. Le voyage d'Egypte n'étant qu'un
épisode , devait , à ce qu'il me semble , être traité comme
tel : on aurait donc pu nous donner tous les mêmes détails
, en les donnant de suite et en deux ou trois lettres
un peu longues , pour n'y plus revenir ; mais ça été , je
pense , une idée fausse de la part des auteurs anglais, que
de faire durer cette correspondance épisodique presque
170 MERCURE DE FRANCE ,
aussi long-temps que l'action même , et de venir interrompre
à chaque minute la correspondance principale
par ces récits accessoires , qui risquent de fatiguer à la
longue , non par eux-mêmes , mais par la place où ils se
trouvent. Ce reproche , au reste , ne sert qu'à prouver
l'intérêt qu'inspire la lecture de l'ouvrage . Je dois ajouter
que tandis que Cléander écrit d'Athènes , un autre envoyé
du roi de Perse lui écrit à lui-même de Sparte , où il remplit
également une mission secrète.
Ces lettres ne sont point le résultat des recherches d'un
seul homme , mais le fruit du travail de plusieurs anglais
* éclairés , quoique d'un mérite très-différent. Cette manière
d'écrire , qui aurait dans tout autre genre des inconvéniens
incalculableess ,, en a beaucoup moins dans un ouvrage
en lettres , et aurait pu même avoir une sorte d'avantage
si chaque auteur se fut exclusivement chargé de la correspondance
d'un seul personnage , ce qui cût donné à chacun
d'entr'eux une physionomie plus décidée , et à tout
l'ouvrage un plus grand caractère de vérité. Les onze rédacteurs
au contraire ont cru pouvoir indifféremment
faire parler tour-à-tour tous les acteurs , ce qui met entre
les lettres d'un même personnage des différences que le
talent du traducteur a fait disparaître quant au style , mais
qu'il lui était impossible de dissimuler entièrement quant
au fond des idées. Parmi ces auteurs on distingue sur-tout
un comte de Hardwick , dont la manière de voir m'a paru
forte et profonde , la manière de présenter les faits ou les
réflexions , nerveuse et serrée ; aussi toutes ses lettres sontelles
pleines de choses , et sans être plus longues que les
autres , disent- elles en général beaucoup plus .
Je crois pouvoir ajouter , en me résumant ,, que les
Lettres Athéniennes sont dignes d'occuper une des premières
places après Anacharsis , et que si elles n'obtien
GERMINAL AN ΧΙ. 171
nent pas d'abord ( parce qu'elles ne ressemblent point aux
conversations frivoles et décousues d'un boudoir ou d'un
sallon ) un succès aussi rapide que tel autre ouvrage que
je pourrais nommer , ce sera tant pis pour nous , car elles
en méritent et en auront bien certainement un plus
durable.
Les auteurs de ces lettres doivent la plus grande reconnaissance
à leur élégant traducteur : son imitation est nonseulement
bien écrite , mais il a su donner encore à chaque
personnage un ton différent ettel qu'il devait l'avoir ;
mérite d'autant plus grand que la manière dont fut composé
l'ouvrage original lui opposait plus de difficultés . Je
neme permettrai qu'un seul reproche , encore ne le ferais
je pas à mille autres ; mais le courage avec lequel M. de
Villeterque a souvent défendu la cause du bon goût
autorise une pareille sévérité. On peut chez lui relever
de petites fautes , tandis que chez d'autres on ne reprend
rien pour avoir trop à reprendré. J'ai donc cru remarquer
dans sa traduction quelques néologismes , moins
deceux qui consistent à introduire des mots nouveaux ,
que de ceux qui naissent du rapprochement inusité ou recherché
des mots étrangers l'un à l'autre. Comme le néologisme
( si l'on veut bien me pardonner cette expression
populaire ) est le radotage des langues et l'avant-coureur
de leur caducité , les esprits sages doivent donc lui résister
de toutes leur sforces , afin d'éloigner , autant que possible
, cette époque desastreuse ; et il est essentiel sur-tout
qu'un défenseur de la bonne cause ne laisse pas pénétrer ,
à son insçu , ce dangereux ennemi sur ses propres terres ,
Dans sa préface , pleine de réflexions judicieuses ,
M. de Villeterque dit sur l'art et la difficulté de bien traduire
, des choses trop méconnues , et il les dit de manière
àramener tous ceux qui cherchent de bonne foi la vérité .
172 MERCURE DE FRANCE ,
quant aux autres , ce n'est point à eux sans doute qu'il s'a
dresse ; il n'a pas , j'en suis sûr , la prétention de pouvoir,
l'impossible . Jugeons sévèrement les mauvais ouvrages ,
quels qu'ils soient , c'est une justice , c'est même un devoir
dans l'état où se trouve notre littérature ; mais ne cherchons
à avilir aucun genre.
7.
Une réflexion dont on ne peut se défendre en lisant cet
ouvrage , c'est le rapport qui existe entre le despotisme
cruel et avilissant qu'Athènes exerçait jadis sur ses alliés ,
et le despotisme arrogant ou perfide qu'un état moderne
qui certes n'est pas Athènes , voudrait exercer aujourd'hui
sur toutes les puissances maritimes : ce fut ce despotisme
qui causa la chute d'Athènes à la fin de la guerre du
Péloponėse.
HENRI COIFFIER .
VARIÉTÉS.
LA PITIÉ , poëme en IV chants , par J. DELILLE.
Un poëme où l'on parle de la révolution , devait être
jugé avec passion , et c'est ce qui est arrivé au poëme de
la Pitié , par M. Delille. Nous n'entreprendrons point de
juger tous les jugemens contradictoires , et encore moins
de faire une analyse raisonnée d'un ouvrage que tout le
monde a lu , et qui , malgré quelques légers défauts , relevés
avec amertume , a réuni les suffrages du public.
M. Delille a peint tous les malheurs de l'humanité , et
chacun de ces malheurs est représenté avec les couleurs
qui lui sont propres. Ses tableaux sont plus doux , quand
il représente la pitié dans les champs et dans le sein des
foyers domestiques. Il emploie des couleurs plus sombres
pour peindre les maux qu'on éprouve dans les grandes
villes. Enfin, son ame se déploie toute entière dans la peinGERMINAL
AN XI. 173
ture de la guerre civile , de la guerre étrangère , et des
catastrophes de la révolution.
Nous nous bornerons à citer quelques traits de ces différents
tableaux. Rien n'est plus touchant que l'épisode de
Fidelia. Le poète parle de la piété filiale , et son héroïne
en offre le modèle .
Un amant l'adorait , tel que le dieu d'amour
L'eût choisi pour charmer les nymphes de sa cour ;
Elle-même admirait sa grace enchanteresse ,
Mais l'amour filial étouffait sa tendresse ,
Et d'un père chéri , les douleurs , les besoins ,
Sans remplir tout son coeur , occupaient tous ses soins ;
Son ame dévouée à ses doux exercices ,
Ason vieux domestique enviait ses services ,
Les plus humbles emplois flattaient son tendre orgueil ;
Elle-même , avec art , dessina le fauteuil ,
Qui , par un double appui , soutenant sa faiblesse ,
Sur un triple coussin reposait sa vieillesse .
Elle-même , à son père , offrait ses vêtemens ,
Lui préparait ses bains , soignait ses vêtemens.
Scuvent quand la beauté , méditant des conquêtes ,
Se paraît pour le bal , les festins ou les fêtes ,
Elle , auprès du vieillard , au coin de leurs foyers ,
Ecoutait le récit de ses exploits guerriers ,
Dansait , pinçait du luth , tantôt avec adresse
Lui chantait les vieux airs qui charmaient sa jeunesse .
Ces vers et ceux qui suivent, sont d'un charme inexprimable
; à ce tableau touchant et pathétique , nous oppo
serons la peinture de la guerre civile.
Plus terribles cent fois et cent fois plus cruelles ,
Ces guerres où le sang teint les mains fraternelles ,
Où s'arment en fureur , pour le choix des tyrans ,
Sujets contre sujets , parens contre parens :
Là, sous des traits hideux , s'offre la race humaine;
Plus forts sont les liens et plus forte est la haine ;
174 MERCURE DE FRANCE ,
Et dans ce choc affreux ,
Toujours les plus vengés sont les plus malheureux ;
Prêtres saints , cachez-vous ; fermez le tabernacle,
Epargnez à mes yeux l'effroyable spectacle
De vos corps déchirés sous vos parvis sanglants;
De la vierge , à genoux , leur rage ouvre les flancs ,
S'irrite sans obstacle , égorge sans colère ,
Et s'il n'est teint de sang l'or ne saurait leur plaire;
Tout ce quidu passé gardait le souvenir ,
Tout ce qui promettait un bonheur à venir ,
Tout ce qui du présent accroît la jouissance,
Les monumens des arts , ceux de la bienfaisance ,
Tout subit leur fureur : s'il offre un trait humain ,
L'airain trouve un bourreau , le marbre un assassin.
Ce tableau de la guerre civile est suivi d'un épisode
heureusement amené , et dans lequel le poète retrace deux
camps de la Vendée , volant l'un vers l'autre dans un moment
de trève. Toutes les animosités sont oubliées , toutes
les fureurs suspendues , la nature et le sang reprennent
leurs droits , et tout - à-coup cette allégresse universelle ,
cette expression des plus doux sentimens , est interrompue
par le signal qui rappelle les deux partis à leurs drapeaux
parricides.
Cet épisode est plein d'énergie ; le poète semble avoir
épuisé ses couleurs , en retraçant les horreurs de la guerre
civile : mais son génie prend de nouvelles forces , il s'accroît
avec les difficultés , et les tableaux qui suivent sont
tracées d'une main plus vigoureuse. Qui n'a pas frémi à
cette peinture de la terreur ?
La hache est sans repos , la crainte sans espoir ,
Le matin dit les noms des victimes du soir;
L'effroi veille au milieu des familles tremblantes ;
Les jours sont inquiets et les nuits menaçantes ;
Imprudent , jadis fier de ton nom , de ton or ,
Hâte-toi d'enfouir tes titres , ton trésor ;
Tout ce qui fut heureux demeure sans excuse,
L'opulence dénonce et la naissance accuse ;
GERMINAL AN XI. 175
Pour racheter tes jours , en vain ton or est prèt ,
Le fisc inexorable a dicté ton arrêt ;
L'avidité peut vendre une paix passagère,
Mais elle veut sa proie et la veut toute entière ;
Tout prend un coeur d'airain : la farouche beauté
Préfère à notre scène un cirque ensanglanté ;
Le jeune enfant sourit aux tourmens des victimes ;
Les arts aident le meurtre et célèbrent les crimes .
La mort infatigable a volé sur les ondes ;
Ministres saints ! du fer ne craignéz plus les coups ,
Le baptême de sang est achevé pour vous ;
Par un art tout nouveau , des nacelles perfides
Dérobent sous vos pas leurs planchers homicides ;
Et le jour et la nuit , l'onde porte aux échos ,
Le bruit fréquent des corps qui tombent dans les flots .
Ailleurs , la cruauté fière d'un double outrage ,
Joint l'insulte à la mort , l'ironie à la rage ,
Et submerge , en riant de leurs civiques noeuds ,
Les deux sexes unis par un hymen affreux.
Le troisième chant d'où ces vers sont tirés , est presque
tout entier écrit avec le même talent et la même force.
Nous ne pouvons nous refuser au plaisir de citer encore
quelques vers sur la journée du 6 octobre 1789.
La reine à ce signal , inquiète et troublée
•Son enfant dans les bras s'enfuit échevelée ;
Tandis que de sa porte ensanglantant le seuil
Sa garde généreuse expire avec orgueil ,
Et que la pique en main la cohorte infernale
Plonge le fer trompé dans la couche royale.
Tous ces vers sont très-beaux , et le dernier est du plus
grand effet.
Ce troisième chant n'est pas seulement remarquable
par la richesse des tableaux , mais par la sagesse de la composition
; l'intérêt va toujours croissant ; les transitions y
sont toujours heureuses ; chaque individu de la famille de
Louis XVI est représenté avec les couleurs qui lui sont
176 MERCURE DE FRANCE ,
propres ; et après avoir retracé les horreurs de la révolution
, le poète prend un ton plus dous ; il célèbre les
vertus qui ont brillé dans ces temps malheureux ; il célébre
sur-tout le courage des femmes , et l'esprit du lecteur
, fatigué par tant de calamités , se repose agréablement
dans l'heureux et charmant épisode des jeunes
filles de Verdun .
Peut-être pourrait-on reprocher à M. Delille d'avoir
fait un quatrième chant moins intéressant que le troisième
; mais ce quatrième chant est encore rempli de
vers agréables et brillans. La fuite , la dispersion et les
malheurs des émigrés , y sont souvent retracés d'une manière
touchante ; l'épisode de deux français réfugiés sur
les bords de l'Amazone , à quelques taches près , offre
un très-grand intérêt , par la vérité et l'originalité de la
situation . Tout le monde a lu avec plaisir les vers sur le
rétablissement du culte et des fêtes champêtres que la religion
a consacrées . On a beaucoup critiqué le poëme de
la Pitié dans les journaux ; les uns ont répété des lieux
communs ; d'autres ont mis beaucoup d'importance à relever
quelques hémistiches ; la plupart des journalistes
ont fait des critiques plus politiques que littéraires , tous
ont mis dans leurs censures plus ou moins de passion et de
partialité ; mais aucun ouvrage n'a jamais été plus répandu
, et personne ne l'a jugé d'après les journaux .
Lefaux Dauphin actu llement en France (1 ) .
On sait que six Demetrius ont été successivement recommus
en Russie , que des rois même ont réussi à en
( 1) Ou Histoire d'un Imposteur se disant le dernier fils de
Louis XVI, rédigée sur pièces authentiques , par Alphonse B. Deux
volumes in- 12 . Prix : 3 fr . et 4 fr. francs de port. A Paris , chez
Lerouge, imprimeur-libraire , passage du Commerce , cour de Rohan ,
ét chez le Normant, imprimeur du Journal des Débats , rue des
Prètres Saint. -Germain-l'Auxerrois, nº. 42.
placer
:
GERMINAL AN XI. 177
placer deux sur le trône ; il est vrai qu'ils n'y restèrent pas
long-temps et que des catastrophes sanglantes les en firent
descendre. On a vu de faux messies , de faux Néron , de
fausses Jeanne - d'Arc . Dans tous les temps il y a en des imposteurs
; mais ces aventures qui tiennent du fabuleux ,
dit Voltaire , n'arrivent point chez les peuples porcés Het forme degouvernement régulière. A l'époque
qur
Hervagault , fils d'un tailleur de Saint - Lô , conçut le projet
de se faire passer pour le dauphin , nous sortions à peine
de nos désordres ; mais quoique nous fussions presque des
barbares , nous n'étions pas , du côté de la crédulité, des
Français ou des Russes du seizième siècle .
Né avec une imagination bouillante et déréglée , et
doué d'une figure intéressante , Hervagault étonnait sa
propre famille par des dispositions et des goûts au-dessus
de sa naissance. Il passait dans son pays pour le fils du duc
de Valentinois . Ce fut au mois de septembre 1796 qu'il
quitta , pour la première fois la maison paternelle. Il n'était
alors âgé que de seize ans. Il parcourt d'abord le département
de la Manche , et se fait arrêter à Cherbourg ;
il passe ensuite de la Manche dans le Calvados : il se dit
tantôt le fils de madame de Lavaucelle , tantôt le fils du
prince de Monaco : d'autres fois , le fils du duc d'Ursel ;
il se fait arrêter de nouveau et traduire à Bayeux. Rendu
à ses parens , il s'échappe encore de la maison paternelle ,
pour errer dans la ci-devant Bretagne et dans l'Orne . Il
va d'Alençon à Laval , et passe quelque temps chez mademoiselle
Talon-Lacombe , où il joue le rôle d'un grand
seigneur émigré rentré . Il se rend à Meaux , chez madame
la Ravine , qui lui donne quelque argent : il va de-là
à Châlons- sur-Marne. Il erre dans la commune de Méry ,
où il est arrêté , après s'être donné pour le fils de M. de
Longueville ; il est transféré dans la prison de Châlons , et
c'est dans cette prison qu'il se fait passer mystérieusement
11 M
178 MERCURE DE FRANCE ,
pour le dauphin dernier , fils de Louis XVI , enlevé secrètement
du Temple .
Pressé dans son interrogatoire , il finit par déclarer son
véritable nom.
Le tribunal rendit unjugement interlocutoire qui renvoyaHervagault
devant l'administration centrale du département
de la Manche pour décider s'il était émigré ou s'il
était réellement le fils du tailleur Hervagault. Le prétendu
dauphin subit l'épreuve , et fut , à sa honte , proclamé
administrativement le fils d'Hervagault , tailleur à
Saint- Lô . Reconduit à Châlons , le tribunal correctionnel ,
malgré les efforts de ses nombreux partisans , le condamna
, le 15 floréal an 7 , à un mois d'emprisonnement,
comme ayant abusé de la crédulité publique à l'aide de
faux noms et d'un crédit imaginaire. Ce jugement , peu
rigoureux , fut regardé par les initiés comme un coup de
parti ; mais ils sentirent que la police allait surveiller leur
idole: il fut fait une collecte , et l'illustre prisonnier ,
muni d'argent et couvert de bijoux , se dirigea vers le
Calvados , et s'arrêta aux environs de Vire. Il chercha à y
fairedesdupes : mais ayant été dénoncé par la femme d'un
cultivateur , il fut condamné par le tribunal correctionnel
de Vire , à deux années d'emprisonnement. Ses bons amis
ne l'abandonnèrent pas , et il dut à leurs soins des adoucissemens
au sort qui l'attendait pendant cette détention .
Le premier usage qu'il fit de sa liberté , fut de se rendre
à Châlons. Mais comme son arrivée fit quelque bruit ,
et qu'il était déjà connu dans cette ville , on jugea prudent
de le faire conduire à Vitry. Cette ville fut le théâtre
de son plus grand triomphe : il y trouva de bonnes âmes
disposées à croire le romanqu'il avait composé pendant
les deux années que dura sa détention à Vire. Nous ne le
suivrons point dans le fil des événemens qu'il raconte
comme lui étant arrivés: il suffira de dire qu'il annonce
天人
GERMINAL AN XI. 179
' être sorti du Temple , caché dans une voiture de linge
sale ; pour qu'on ne s'aperçut pas de sa disparution , on
substitua à sa place le fils d'Hervagault qui avait de la
ressemblance avec lui ; mais ce jeune homme , à qui
on avait fait prendre un narcotique si violent qu'il dormit
tout le long de la route de Saint-Lô à Paris , mourut des
suites de ce somnifere peu après qu'il fut entré au Temple.
Le prétendu dauphin , à sa sortie de prison , fut , à ce qu'il
dit , conduit à l'armée de Charrette ; de-là il passa en
Angleterre ; il reçut le meilleur accueil du roi et des princesses
ses filles ; il raconte qu'un jour il donna un soufflet
au roi , ce qui , ajoute-t-il , me parut très-juste de la part
d'un roi de France envers un roi d'Angleterre ; il m'en
punit , continue-t-il , en m'embrassant , ce qui me parut
aussi très-convenable de la part d'un roi d'Angleterre envers
un roi de France. Il quitta Londres et se rendit å
Lisbonne , où il devint amoureux d'une princesse de Portugal
; il passa ensuite à Rome , et revint en France , où
ses nombreux partisans devaient le placer sur le trône de
ses pères ; mais le 18 fructidor renversa ce trône ; personne
assurément ne s'en était douté jusqu'à présent. Il rattache
à cette époque les diverses poursuites dirigées contre lui
et dont nous avons parlé .
C'est à l'aide de ce conte ridicule qu'un jeune homme
devingt ans est venu à bout de séduire plusieurs des principaux
habitans de Vitry , d'un âge mûr , et remplissant
des fonctions qui supposent du jugement et de la raison.
Il fut arrêté dans cette ville , condamné à Châlons , à
quatre années d'emprisonnement : cette sentence a été
confirmée par appel au tribunal criminel de la Marne
le 13 germinal an X. On croit lire les aventures des
Mille et une Nuits , lorsqu'on parcourt cette histoire.
Nous avons grand tort de rire aux dépens de nos bons
ayeux , quand nous sommes témoins de pareilles folies,
,
M 2
180 MERCURE DE FRANCE ,
ΑΝΝΟNCES.
BIBLIOTHÈQUE MÉDICALE , ou Recueil périodique
d'extraits des meilleurs ouvrages de médecine et de
chirurgie ; par une société de Médecins .
Cet ouvrage , quoique annoncé sous une forme périodique,
ne doit pas être considéré comme un nouveau journal
de médecine ; le but des rédacteurs n'est pas de recueillir
des faits extraordinaires ou des découvertes équivoques
, mais de rassembler dans une sorte de dépôt public
toutes les connaissances positives dont la science médicale
s'est enrichie dans ces derniers temps ; de présenter
un tableau fidèle de son état actuel , et d'en suivre pas à
pas les progrès. Pour atteindre ce but , ils donneront des
extraits étendus et détaillés des ouvrages les plus estimés
et les plus récens , et continueront le même travail pour
ceux qui paraissent chaque jour et qui paraîtront dans la
suite . Ces extraits ne seront pas bornés à faire connaître
le plan de l'auteur , et quelques-unes de ses idées principales
; ce seront des analyses raisonnées qui , dans un cadre
étroit , renfermeront toute la substance de l'ouvrage , et
en conserveront tous les résultats utiles. On y joindra
même quelquefois des extraits des auteurs anciens , afin
de faciliter au lecteur la comparaison de leur doctrine
avec celle des modernes , et de les mettre à même de s'éclairer
par ces rapprochemens. En un mot , le praticien et
l'élève , celui qui sait déjà et celui qui ne sait pas encore ,
pourront puiser dans cet ouvrage une instruction toujours
abondante et solide , et suivre avec facilité la marche de la
science .
Les rédacteurs recevront avec plaisir les mémoires et
ouvrages inédits , et les inséreront soit en entier , soit par
extrait , suivant leur étendue et le dégré de leur importance.
La Bibliothèque médicale commencera à paraître dans
le courant de prairial prochain; on en donnera régulièrement
un cahier du 25 au 30 de chaque mois ; chacun de
ces cahiers aura huit feuilles d'impression , in-8° . Trois
cahiers formeront un volume. Le prix de l'abonnement
pour Paris est de 11 fr. pour six mois , 20 fr . pour l'année ;
pour les départemens , de 15 fr. 50 cent. pour six mois ,
25 fr. pour l'année . On s'abonne chez MM. Gabon , place
de l'Ecole de Médecine , à Paris ; et chez les principaux
libraires de la France et de l'étranger .
GERMINAL AN XI. 181
POLITIQUE.
Les nouvelles anglaises de cette semaine n'ont amené
aucun changement , aucun éclaircissement ; le roi est revenu
de Windsor àLondres , on a tenu des conseils , on
a reçu et fait partir des couriers , on a vingt fois décomposé
et recomposé le ministère , tout cela n'est pas nou
veau. Le parlement s'est ajourné la veille de Pâques jusqu'au
19 avril , et l'on a remarqué que le parti Grenville
n'a demandé aucune explication aux ministres , ce qui
fait croire , non que lord Grenville rentrera au ministère,
mais qu'il en a le désir , et qu'il regarde comme inutile
d'attaquer M. Addington , tant qu'il conserve l'espoir
d'un arrangement avec lui. Un seul membre s'est levé
pour demander ce que voulait dire tout ce qui se passe
en Angleterre depuis un mois; mais comme cela aurait
exigé trop d'explications , on a trouvé plus simple de ne
pas lui répondre.
Les cérémonies de la présentation du général Brune ,
ambassadeur près la sublime porte , ont eu lieu à Constantinople
, avec toute la pompe et lamagnificence orientales .
Dans son discours l'ambassadeur qualifia ainsi sa hautesse :
Très-haut , très- excellent , très-puissant et très-magnanime
et invincible empereur des musulmans , sultan Selim , en
qui resplendissent l'honneur et la vertu. Après les cérémonies
, il y eut chez l'ambassadeur un dîner où furent
invités les drogmans , les négocians français , et les commissaires
des relations commerciales. Tout le corps diplomatique
vint le même jour complimenter l'ambassadeur.
La journée fut terminée par un grand bal.
L'archiduc grand duc a cessé de porter les ordres de
Toscane ; l'empereur , son frère , lui a envoyé pour les
reimplacer la grande croix de l'ordre de Saint-Etienne.
Des lettres de Lemberg annoncent que les ordres ont
été donnés de former à Czuniow un magasin de fourrage
assez considérable pour nourrir seize mille chevaux , faisant
partie d'un corps d'armée qui doit s'assembler dans
les environs de cette ville. Les mêmes lettres ajoutent
qu'il se prépare dans les deux Gallicies de grands changemens
, qu'on ne tardera pas à connaître.
On mande de Pirmont que l'épouse du comte de Lille
est rétablie de la maladie dangereuse qu'elle a éprouvée.
1
M 3
182 MERCURE DE FRANCE ,
TRIBUNAT.
Le tribunat , dans sa séance du 17 germinal , a entendu
un rapport de Carret sur le projet de loi concernant l'organisation
des écoles de pharmacie. Il a adopté le projet
de loi relatif à la révision des jugemens qui ont réintégré
des communes dans la propriété de bois ou droits d'usage ,
et s'est ajourné au 19.
- Séance du 19. Le tribunat , sur le rapport de Cuinard
, adopte à l'unanimité le projet de loi portant fi sation
de délai pour la signification des procès-verbaux de
contravention à la loi du timbre ; et sur le rapport de
Perrin, le tribunat adopte également à l'unanimité le
projet de loi relatif aux manufactures , arts et métiers. Il
adopte aussi à l'unanimité le projet relatif à l'organisation
des écoles de pharmacie , et s'ajourne au 22.
Séanco du 22. - Les commissaires et les administrateurs
de la caisse du commerce réclament contre le projet
de loi relatif aux Banques. Costaz , au nom de la section
des finances , propose l'adoption de ce projet. Ajournement
.
A la suite d'un rapport de Boutteville , le tribunat
adopte à l'unanimité moins une voix , le projet de loi
concernant les adoptions postérieures au 18 janvier 1792,
et antérieures à la promulgation du code civil .
Mallarmé , au nom de la section des finances , propose
P'adoption du projet de loi relatif au mode de perception
de la contribution foncière assise sur les biens comnnaux.
Ajournement.
CORPS LÉGISLATIF.
Séance du 17 germinal.-Les conseillers-d'état Berlier
et Miot presentent un projet de loi sur les adoptions postérieures
au 18 janvier 1792 , et antérieures à la puləlication
du code civil; le corps législatif passe ensuite à la
discussion du projet de loi relatif au sursis des poursuites
contre les communes du Mont-Tonnerre , de Rhi -et-
Moselle, de la Roër et de la Sarre, et après avoir ent indu
GERMINAL AN XI . - 183
en faveur de ce projet , Trouvé , orateur du tribunat , il
le sanctionne , à la presqu'unanimité.
Les conseillers-d'état Regnault ( de Saint- Jean-d'Angely )
et Ségur présentent 1 °. un projet relatif aux fermiers de
biens communaux , portant : Ces fermiers seront tenus de
payer , à la décharge des communes , et en déduction du
prix du bail , le montant des impositions assises sur ces
propriétés ; 2°. un autre projet de loi relatif au remplacement
des contributions mobiliaire et somptuaire de
Paris.
Séance du 18. - On introduit les conseillers-d'état Réal
et Thibaudeau ; ce dernier propose un projet de loi
concernant les délais des assignations données aux parties
domiciliées dans les colonies. Le même orateur présente
un autre projet de loi sur l'augmentation des juges du tribunal
criminel du département de la Seine. Le gouvernement
se propose , dit l'orateur , d'attribuer au tribunał
criminel de la Seine la connaissance des crimes commis
contre la sûreté de la république dans les colonies. Les
juges de la Seine seront absolument étrangers aux crimes
sur lesquels ils devront prononcer : ils seront donc indépendans.
Leur impassibilité sera en outre garantie par l'intervalle
immense des loix , qui interdira toute communication
officieuse. Cette loi n'aura d'effet que pour cinq
ans.
Le conseiller-d'état Thibaudeau est remplacé à la tribune
par son collègue Réal , qui présente un projet de
loi sur les effets du divorce , avant la publication du code
civil. Ce projet ne contient qu'un article : il est ainsi
conçu :
Tous divorces prononcés par des officiers de l'état civil ,
ou autorisés par jugement , avant la publication du titre
du code civil relatif au divorce , auront leurs effets , conformément
aux loix qui existaient avant cette publication.
Al'égarddes demandes formées antérieurement à la même
époque , elles continueront d'être instruites : les divorces
seront prononcés et auront leurs effets , conformément
aux loix qui existaient lors de lademande.
:
Séance du 19.- Le conseiller-d'état Treilhard expose
les motifs d'unprojet de loi sur les successions. Cette loi
ouvrirá le troisième livre du code civil.
Le corps législatif sanctionne , à la majorité de 199
M
184 MERCURE DE FRANCE ,
boules blanches contre 5 noires , le projet de loi concernant
la révision desjugemens qui ont réintégré des communes
dans la possession de bois et droits d'usage.
Le président lit un message par lequel le gouvernement
annonce qu'il a arrêté de retirer le projet de loi sur les
Banques , et invite le corps législatifà lui en faire le
renvoi .
Immédiatement après cette lecture , on introduit le
conseiller-d'état Cretet , chargé de présenter un projet de
loi sur les Banques. Citoyens législateurs , dit - il , les
régens et censeurs ont transmis au gouvernement des
observations sur deux articles du projet de loi . Ces observations
bien examinées , n'effectent en rien le système de
la banque. Ces observations ont paru être en même-temps
le voeu de la banque , et comme il peut se concilier trèsbien
à l'intérêt public et à celui des actionnaires de la
banque , le gouvernement est disposé à accéder à ce voeu.
L'article 2 du projet de loi présenté le 14 , fixait le capital
de la banque à 45 millions au moins.
Cette disposition a fait craindre aux actionnaires de voir
s'accroître le capital de la banque dans une proportion
indéfinie , pendant la durée du privilége , et de voir ainsi
se créer de nouvelles actions qui s'associeroient au partage
des bénéfices. En conséquence , le gouvernement s'est
déterminé à la suppression de la condition au moins. En
sorte que le capital de la banque sera irrévocablement fixé
à 45 millions pendant la durée du privilége.
, L'article 8 du projet fixait à 6 pour cent le dividende
à partir du 1. vendémiaire an 12. Les régens et censeurs
ont fait remarquer que les actionnaires ,accoutumés à un
fort dividende , éprouveroient un décroissement trop rapide
dans leur jouissance , par l'effet d'un passage aussi
brusque. Le gouvernementn'a vu , dans les représentations
faites par les régens et censeurs de la banque de France ,
qu'unedémarchedejustice et de prudence , qu'une preuve
de zèle , vraiment louable , pour les intérêts des actionnaires
, et il n'a point fait difficulté de se rendre à leur
désir , en ajournant jusqu'au 1. vendémiaire an 13 , la
réduction du dividende à 6 pour cent , d'abord fixé au
1. vendémiaire an 12 .
L'orateur lit le projet de loi. C'est le même que celui
proposé le 14 germinal ( dont nous avons donné le texte )
sauf les modifications apportées aux articles II et VIII ,
dont voici la rédaction définitive .
GERMINAL AN XI . 185
Art. II. Le capital de la banque de France sera de 45
mille actions de 1000 fr . chacune en fonds primitifs , et
plus du fonds de réserve .
er
Tout appel de fonds sur ces actions est prohibé.
VIII. Le dividende annuel , à compter du 1. vendémiaire
an 13 , ne pourra excéder 6 pour 100 pour chaque
action de 1000 francs .
Il sera payé tous les six mois.
Le bénéfice excédant le dividende annuel sera converti
en fonds de réserve.
Le fonds de réserve sera converti en 5 pour 100 consolidés
, ce qui donnera lieu à un second dividende .
Le fonds de réserve actuel sera aussi converti en 5
pour 100 consolidés .
Le dividende des six derniers mois de l'an 11 sera réglé
suivant les anciens usages de la banque .
Le dividende de l'an 12 ne pourra excéder 8 pour 100 ,
y compris le dividende à provenir des fonds produits du
fonds de réserve .
La discussion du projet s'ouvrira le 24.
La séance est levée et indiquée à lundi.
PARIS.
Une décision du ministre de l'intérieur vient de fixer
le mode d'exécution de l'article 47 de la loi du 18 germinal
, ainsi conçu : - Il y aura dans les cathédrales
et paroisses une place distinguée pour les individus catholiques
qui remplissent les autorités civiles et militaires .
D'après les explications données par le ministre , l'expression
individus , dont la loi fait usage , prouve que
tout fonctionnaire qui exerce une autorité civile ou militaire
, ou qui est membre d'un corps formant une autorité ,
a droit à une place distinguée dans l'église de sa paroisse.
Le gouvernement de la république a pris , le 19 germinal
, l'arrêté suivant :
I. Il y aura auprès des ministres et des sections du conseil-
d'état , seize auditeurs destinés , après un certain
nombre d'années de service , à remplir des places dans la
carrière administrative et dans la carrière judiciaire. Il
seront distribués ainsi qu'il suit : Quatre auprès du grand
186 MERCURE DE FRANCE ,
juge ministre de la justice , et de la section de législation ;
deux auprès du ministre et de la section des finances ; deux
auprès du trésor public et de la section des finances ;
quatre auprès du ministre et de la section de l'intérieur ;
deux auprès du ministre , du directeur-ministre et de la
section de la guerre ; deux auprès du ministre et de la
section de la marine. '
II . Ces auditeurs seront chargés de développer , près
les sections du conseil-d'état , les motifs , soit des propositions
de loix ou de réglemens , faites par les ministres ,
soit des avis ou des décisions qu'ils auront rendus sur les
diverses matières qui font l'objet des rapports soumis par
eux au gouvernement , et dont le renvoi est fait au conseil-
d'état .
III . En conséquence , pour tous les cas prévus par les
articles VIII et XI du réglement du 5 nivose an 8 , les
ministres indiqueront à la marge de leur rapport le nom
de l'auditeur attaché près d'eux et près de la section du
conseil-d'état correspondante à leur ministère , dont ils
auront fait choix pour remplir les fonctions détaillées en
l'article II . Ne sont pas compris dans cette disposition les
objets qui sont de la compétence des conseillers - d'état
chargés spécialement de quelque partie de l'administration .
IV. Lorsque les rapports des ministres auront été renvoyés
par le gouvernement au conseil-d'état, les auditeurs
chargés d'en développer les motifs , se rendront aux sections
du conseil qui doivent en faire l'exainen , le jour
que le président leur aura fait indiquer , pour être appelés
aux séances dans lesquelles la discussion aura lieu.
V. Si la section a besoin de renseignemens ultérieurs ,
elle les fera recueillir dans le département du ministère
par l'auditeur; et , à cet effet , le ministre ordonnera aux
chefs de ses bureaux de donner les communications qui
seront demandées .
VI. Les auditeurs seront présens au conseil d'état ; ils
yauront séance, sans voix délibérative , et se placeront
derrière les conseillers-d'état de la section à laquelle ils
seront attachés . Ils n'auront la parole que pour donner les
explications qui leur seront demandées.
VII. Les auditeurs du département de la justice sont
spécialement chargés auprès du grand-juge , du rapport
des demandes de lettres de grâce et de commutation de
peine. Celui d'entr'eux qui aura ſait le rapport , accom
GERMINAL AN XI. 187
pagnera le grand - juge ministre de la justice au conseilprivé
; ily aura la même séance qu'au conseil-d'état.
VIII. Le traitement des auditeurs sera de 2,000 fr .
IX. Les auditeurs porteront l'habit de velours ou de
soie noire , à la française , complet , avec broderie de
soie noire au colet , aux paremens et aux poches , dessin
du gouvernement , chapeau français et une épée.
Des dépêches officielles adressées au ministre de la marine
, par le général en chef de l'armée de Saint-Domingue
, sous la date des 12 et 13 ventose , annoncent l'arri
vée au Cap de quatre mille hommes. Les brigands ont été
attaqués et battus sur divers points. L'armée occupe une
grande partie de la circonférence de la Colonie ; l'autre
partie , peu importante , est surveillée par les bâtimens
de la station en croisière. Les chefs des noirs sont divisés
entr'eux ; déjà quelques-uns se sont mutuellement fusillés .
Le tribun Adet est nommé préfet du département de la
Nièvre , en remplacement du citoyen Sabattier , appelé
à d'autre fonctions .
Nouvelle Banque de France.
La nouvelle Banque peut être considérée comme Banque
d'Escompte , comme Caisse d'Amortritsissseemmeenntt , et
comme Caisse d'Epargnes .
Banque d'Escompte. Elle contribuera à la prospérité
de toutes les branches de commerce , par l'admission générale
à l'escompte , et par l'accroissement de son capital.
Elle offre un placement avantageux , puisqu'il résulte
du tableau annuel et progressif des dividendes , que les
actions produiront 6 p.: d'intérêt la première année ,
et progressivement jusqu'à 11 p.: la quinzième
année ; ce qui fait , année commune , 9 p. , intérêt
supérieur à celui que produit l'achat de rentes consolidées.
le tableau n° . I.
Voyez le
Caisse d'Amortissement. Elle porte les caractères qui
en garantissent les heureux effets : amortissemens réguliers
, et publicité. Le tableau n°. 2 présente le résultat de
ces amortissemens pendant quinze années , durée du privilège
de la Banque, calculés d'après les dividendes , soit
bénéfices de la Banque actuelle.
188 MERCURE DE FRANCE ,
1
Pendant ces quinze années il sera employé en achat de
rentes consolidées , fr. 30,150,000 , qui , au prix moyen
de fr. 60 , produiraient fr. 2,512,000 de rentes , lesquelles
réparties entre 45,000 actions , donneraient fr. 55-83
de rente par chaque action.
Ces rentes auront acquis alors une plus forte valeur ;
cependant en les calculant au plus bas , c'est-à-dire au prix
moyen adopté pour l'achat , à fr . 60 , cela produit fr . 670 :
de sorte que chaque action aura augmenté en valeur
réelle., pendant ces quinze années , de fr. 670 pour cet
objet.
Caisse d'Epargnes. Etablissement paternel , qui se
trouvera administré sagement , publiquement , et sans
frais , et dont les résultats présentent au bout des quinze
années , deux espèces de fonds de réserve , l'une en rentes
consolidées suivant le tableau n° . 2 , l'autre en fonds disponibles
provenant du placement annuel de l'excédent
des dividendes , tableau n° . 3.
Un placement de 50,000 fr. en actions de Banque , fait
par un père qui se contenterait de prélever annuellement
6 p.: et placerait en réserve l'excédent du dividende , aurait
, la quinzième année , pour produit des réserves accumulées
, 50,745 fr. 95 c. , soit fr. 614 par action .
Les résultats seraient plus avantageux si l'on plaçait
chaque année la réserve en achat d'actions de Banque ou
de rentes consolidées .
Résumé de son placement.
Capital placé en 50 actions de banque ,
à fr . 1000 , non compris la réserve de l'ancienne
Banque , portée au tableau des réserves
en rentes , n°. 2.
C fr. 50,000
:
Réserve en rentes , suivant le tableau n° . 2 ,
fr. 55-83 de rentes , formant , à fr . 60 , le
capital de 670 fr. par action , et sur 50 actions
. • •
Réserve disponible , tableau n°. 3 , •
:
Capital retiré par le père ,
Réserve préparée pour ses enfans ,
•
33,500
30,745
fr . 114,245
50,000
fr. 64,245
GERMINAL AN ΧΙ. 189
1
( No. I. )
TABLEAU des dividendes annuels et progressifs des
:
actions de la nouvelle Banque.
*. sémestre à 3 p. fr . 30
Accroissement 291 provenant de 131,250 fr. de
rentes consolidées , produites
par un semestre de la réserve
actuelle , tableau nº. 2.
Le rer. semestre sera de fr. 32 91
Accroissement 83
2-31-3
provenant de g00,000 fr. de
réserve de chaque semestre ,
tableau n° . 2.
paraction.
83
Le 2. semestre sera de fr. 33 75
Accroissement
Le 3. semestre sera de fr. 34 58
131/3
Accroissement 83
Le 4. semestre sera de fr. 35 41
2
1. année : les deux semestres produiront ensemble. fr. 66,66
2. année,
3. année.
70
73,33
Laprogression annuelle sera donc de fr. 3--33 par chaque a
tion , comme suit :
1. année
2.
3 .
4.
5°.
6
e
e
Tableau annuel et progressifdes dividendes .
........
........
e
7
8.
9..
10 .
II .
12
e
e
e
13 .
14 .
15.
....
.......
.....
.....
......
....
.....
fr. 66,66
70
73,33
76,66
8ο
83,33
86,66
90
1323 1323 132-
soit 6 p .
777888999
malm 1333 1333 133/3
93,33
96,66 9
100 10
103,33 10
106,66 10
110 II
13,33 II
3
1350 135
Commune 9 p. : Commune 9 p.
190 MERCURE DE FRANCE ,
( No. II. )
TABLEAU des résultats de la nouvelle Banque ,
considérée comme Caisse d'Amortissement de la dette
putlique.
30,000 actions de la banque actuelle , à fr . 1070 , y
compris la réserve
15,000 actions à créer , à fr. 1070 .
45,000 actions formant un capital de
Le fond de la banque doit être de
Montant de la réserve •
,
e
.
.
fr. 32,100,000
16,050,000
48,150,000
45,000,000
3,150,000
Ces 3,150,000 fr. devant être employés en acquisition
de rentes consolidées , et en supposant que l'on
achètera au prix moyen de 60tr. , cela produira
...
Soit par semestre .
..
..
fr . 262,500 de rente.
131,250
Les profits de la banque ont produit 5p.: par semestre; l'on peut ,
sans exagération , les prendre pour base des caleuls des réserves futures.
T
Donc , fr . 45,000,000 produiront par semestre . fr. 2,250,000
L'on répartira 3 p.: par semestre ,
soit.
Réserve à employer chaque semestre,
en 5 p . : consolidés ..
fr. 1,350,000
900,000
:
2,250,000 a T
RÉSULTАТ .
• Montant de la réserve de la banque actuelle
Réserve des 30 semestres pendant les quinze années
du privilége , sur le pied de fr. 900,000 par semestre
Total .. •
fr. 3,150,000
27,000,000
fr. 30,150,000
Formant le capital employé en achat de rentes , pendant quinze années.
En supposant les achats faits à fr. 60 , prix moyen , cela produira
fr. 2,512,000 de rentes, qui , répartis entre 45,000 actions , donnerontfr.
55-83 en rentes , par chaque action , lesquelles , calculées
à fr. 60 , prix moyen d'achat ,forment un capital de 670 fr. par
action.
N. B. La quinzième année , les rentes devront avoir acquis une
valeur supérieure.
GERMINAL AN XI.
191
A
( N°. III. )
TABLEAU des résultats de la nouvelle Banque ,
considérée comme Caisse d'Epargnes .
En plaçant à la Banque 50,000 fr. en 50 actions à fr. 1000 , non
compris la réserve , et en prélevant 6 p.: par année , et portant à
un fonds de réserve l'excédant du dividende , l'on s'assurera pour
la quinzième année du privilége , deux fonds d'épargnes , l'un en
rentes consolidées , l'autre en fonds disponibles provenant des excédants
de dividendes accumulés comme suit sur 50,000 fr .
1. année , le dividende sera , conformément
au tableau nº. 1. de 6
p.; en prélevant 6 p.: l'on portera
en réserve p. , soit ,
2. année, intérêt de 333 fr . 33 c. de
la première réserve 6 p. :
Réserve à 1 p. , •
3 année , int. de $53 fr. 33 .
Réserve , p.
4. année , int. de 1571 fr .
Réserve , p ,
5. année , int. de 2499 fr.
Réserve , 2 p...
6°. année, int. de 3649 fr..
Réserve , 2p.. ..
•
.
..
..
9
666 80 }
1000
fr. 333 33
.. fr. 20 520
500
6% 51 20
718
.6%
833 33
94 25
927 58
68
14990 1149 90
218 90
1166 33
1385 23
7. année, int. de 5034 fr. 68 302
Réserve , 2 p .
..
...
1333
1635
8. année , int. de 6669fr. .. 6% 400 10
Réserve , 3p . 1500
1900 10
9. année , int . de 8569fr. ... 6 %
Réserve, 3 P 1666 66
514 to
2180 76- ...
ro . année , int. de 10750 fr . ... 6 645
Réserve , 3 p . 1833 33 2478 33
11. année , int. de 13228 fr . 6%
Réserve , 4 p. 2000 793 76 2793 70
12. année , int. de 16022 fr . 6%
Réserve , 4p. : 1 2406 961 30 312796
13. année , int. de 19150 fr. 6% 1149
Réserve , 4p.. .. 2333 } 3482
14. année , int. de 22632 fr .
៩៖ 1358
Réserve , 5 p.. 2500 } 3858
15°. année , int. de 26490 fr. 69
Réserve , 5p..
158940
• .. 2666 66
4256 6
Fond disponible. fr. 30745 95
Nota. L'on a négligé les fractions dans cet aperçu. Ce fonds disponible
se seroit accru par le calcul véritable qui devroit être por
+
semestre:
Le fonds de réserve disponible , provenant de 50 actions , étant
:
192 MERCURE DE FRANCE .
de fr. 30745 95 , cela fait 614 fr. par action. Le résultat seroit
encore plus avantageux si l'on plaçoit les réserves en achat d'actions
de Banque , ou de tiers-consolidé.
Résumé.
Capital placé en actions de Banque , ....
Résultat de la réserve suivant le présent tableau , n°. 3.
Résultat de la réserve en rentes , suivant le tableau nº. 2 .
fr. 50000
30745
33500
fr. 114245
:
Capital primitif,
Réserves , ....
... fr. 50000
64245
fr. 114245
Nota. La faculté de vendre les actions , donne la facilité de réaliser
à volonté ; les actions de Banque s'élèveront en proportion des réserves
, et l'on doit s'attendre à une hausse sur le prix des rentes , et
sur celui des actions de Banque d'ici à la quinzième année , ce qui
tiendra ces calculs fort au-dessous de la réalité.
Bibliothèque géographique et instructive des Jeunes-
Gens, ou Recueil de voyagesintéressans pour l'instruction
et l'amusement de la jeunesse , traduit de l'allemand , de
Campe; cinquième livraison , contenant , tome premier :
Naufrage sur la côte d'Aracan ; Voyage à Alger ; Naufrage
de la jeune Burke , enfant de neuf ans. Tome second
: Voyage au lac Onéida ; Voyage du capit. Bligh.
2 vol. in- 18 , ornés de deux figures. Prix : 3 f. et 3 f. 75 c.
par la poste. -Cette collection de voyages paraît régulièrement
tous les deuxmois , depuis le 12 messidor an X
( I juillet 1802 ) , par livraison de deux volumes , dont
chacun de plus de deux cents pages , est orné d'une carte
géographique , ou d'une estampe très-soignée.-Le prix
des douze volumes qui composent une année , est de 18 f.,
le privilége qui laissait la faculté de souscrire jusqu'au
1. ventose étant expiré. Les suffrages des souscripteurs
et les matériaux intéressans que nous avons entre les
mains , nous encourageant à publier une seconde année ,
les personnes qui souscriront pour cette seconde année ,
pourront encore se procurer la première , au prix de
15 f. Pour recevoir les 12 vol. francs de port , il faut
ajouter 4 fr. 50 с. — On souscrit , à Paris , chez G. Dufour
, libraire , rue de Tournon , n°. 1126.
-
Et chez le Normant , imprimeur-libraire , rue des
Prêtres Saint-Germain-l'Auxerrois , n° . 42.
Les lettres et l'argent doivent être affranchis.
( No. XCV. ) 3 FLORÉAL an it .
1
(Samedi 23 Avril 1803. )
MERCURE
DE FRANCE.
LITTERATURE
POESIE.
M.
DE LA HARPE est connu comme critique , comme
orateur , comme poète drantatique. On a dé lui des poésies
fugitives fort agréables , et des romances qui sont dans
la bouche de tout le monde. Quand on aura publié ce qu'il
a laissé de son poëme star la révolution , on verra qu'il
pouvait s'élever jusqu'augénie de l'Epopée. Les fragmens
de son Apologie du Christianisme , que l'on a donnés
dans ce journal , viennent de le montrer sous un nouveau
jour , en le faisant connaître comme auteur ascétique .
On va l'entendre à présent toucher la lyre , et nous ne
craignons point d'avancer que , dans la paraphrase de l'In
exitu , il a suivi de près les traces de Rousseau et de Racine .
On ne fait pas assez d'attention à cette extrême, flexibilité
de talent qui distinguait cet homme si regrettable : il traite
tous les genres et tous les sujets , et toujours dans le ton
ètdans la mésure qui conviennent à ces genres et à ces
sujets. S'il n'est pas le premier par-tout , du moins il est
toujours de bon goût , et il ir'est pas rare qu'il atteigne
RE
11 N
194 MERCURE DE FRANCE ;
aux beautés des grands maîtres. Celui qui pose le mieux
les principes , exécute souvent assez mal ; et celui qui
exécute le mieux développe souvent assez mal les principes
: il était réservé à M. de la Harpe de donner à-la-fois
le précepte et l'exemple , et de se montrer supérieur dans
la pratique et dans la théorie.
( Note des rédacteurs . )
Paraphrase du Pseaume In exitu.
LE PSALMISTE CORYPHÉE.
Lorsqu'enfin séparé de la race étrangère ,
Jacob se dérobant aux tyrans de Memphis ,
Rejeta loin de lui son joug héréditaire ,
Et marcha vers les bords attendus par ses fils.
Dieu fidèle à ses oracles ,
Entoura de ses miracles
Le peuple chéri du ciel ;
Et, de la nue enflammée,
Samain guidant leur armée ,
Fut l'étendard d'Israël.
La mer le vit , la mer s'enfuit épouvantée ;
Le Jourdain vers sa source , à grand bruit agitée,
Vit rebrousser ses eaux ;
Et des monts de Cadés les cîmes ébranlées ,
Tressaillirent soudain, comme dans les vallées
Bondissent les troupeaux.
Mer, d'où vient quetu fuis? Toi , Jourdain , dans ta course,
D'où vient que , tout-à-coup remontant vers ta source ,
Tu revois ton berceau ?
Montagnes , quel pouvoir sut vous rendre mobiles ,
Comme les faons agiles ,
Et le léger chevreau??
FLOREAL ANXI 195
Les montagnes , la mer , les fleuves me répondent :
» Eh ! n'avez-vous pas vu le seigneur en courroux ?
>> N'a-t-il pas menacé ? Nous avons tremblé tous.
» Les élémens troublés devant lui se confondent.
>> Nous l'avons vu : le roc à l'instant s'est ouvert ,
» Et l'onde , en jaillissant , rafraîchit le désert.
Non, ce n'est pas à nous ; non , ce n'est pas à l'homme ,
Ce n'est qu'à vous , seigneur , que la gloire appartient.
En vous est le salut , et l'humble foi l'obtient ;
La bonté le promit , la bonté le consomme.
Israël offre au dieu qui s'est fait son vengeur ,
L'hommage de la joie et les chants du bonheur.
CHEUR D'ISRAÉLITES.
Dieu d'Abraham , dieu de nos pères ,
Dieu qui daignez sur nos misères
Baisser un oeil compatissant ;
Objet d'éternelles louanges ,
Que votre peuple avec vos anges ,
Chante le nom du Tout-Puissant.
Votre parole inviolable
Est le garant de vos bienfaits .
Votre clémence inépuisable
Est la source de nos succès.
Les merveilles sont votre ouvrage.
L'homme entrerait- il en partage
De tant de grandeur et d'éclat ?
C'est dans vos mains qu'est la puissance ,
Dans nos coeurss , la reconnaissance ,
Et c'est à l'orgueil d'être ingrat.
Na
1
196 MERCURE DE FRANCE ,
;
:
LE PSALMISTE СОRУРИЌЕ.
Israël, si jamais le dieu qui te protège ,
Pour châtier son peuple à ses yeux criminel ,
Retirait son bras paternél ,
Si l'ennemi disait d'une voix sacrilége :
«Ou donc est le dieu d'Israël ?
Qu'il écarte de vous la mort qui vous assiége ,
>> Et qu'il rende la force à son peuple abattu ;
Israël , que répondrais-tu ?
CHHOAUURA D'ISRAELITÉS.
Le Seigneur , å-la-fois bienfaisant et sévère ,
Est grand dans ses bontés , est grand dans sa colère ;
Et toujours équitable et toujours absolu ,
Il a fait ce qu'il a voulu.
LE PSALMISTE CORYPHEE
Aveugles nations , ce dieu n'est pas le vôtre.
٤٠٠
Nations , que vos dieux sont différens du nôtre !
Ou taillés dans le marbre ou fondus en airain ;
Dieux faits par le ciscau , dieux nés de votre main !
Insensés ! s'il se peut , animez vos idoles
Leurs pieds sans mouvement , leurs bouches sans paroles ,
Leurs bras qu'on arme en vain de tonnerres muets ,
Et ces yeux où le jour ne pénétra jamais ,
Cette oreille , fermée à vos cris inutiles.
Vos dieux , sur leur autel , images immobiles ,
Ne respirent pas même en leurs temples honteux
La vapeur de l'encens que vous perdez pour eux.
FLORÉAL AN XI.
197
1 T
CHEUR D'ISRAÉLITES.
Que ceux quifont ces dieuxà leurs dieux soient semblables.
Israël appartient au dieu maître des cieux ,
Qui plaça parmi nos aïeux
Ses tabernacles redoutables .
:
Enfans d'Aaron brulez l'encens religieux
Devant ses autels vénérables .
LE PSALMISTE CORIPHÉE
Trop heureux les mortels qui n'espèrent qu'en lui !
Trop heureux le coeur pur qui le craint et qui l'aime !
Du haut de son trône suprême ,
Sa puissance descend pour être leur appui .
CHEUR D'ISRAÉLITES.
Trop heureux les mortels qui n'espèrent qu'en lui !
Trop heureux le coeur pur qui le craint et qui l'aime!
DEUX JEUNES FILLES D'ISRAEL
Il se souvient de nous , de son peuple fidèle :
Le seigneur bénit ses enfans.
Sur les petits et sur les grands
Il étend sa main paternelle ,
Et du plus haut des cieux sa bonté se répand.
Sur la faiblesse qui supplie ,
Sur la grandeur qui s'humilie .....
Et le pécheur qui se repent.
198 MERCURE DE FRANCE,
CHEUR DES LÉVITES .
Toi qui fus délivré par sa main salutaire ,
Judas , chante ce dieu , qui seul donne à la terre
Des fécondes saisons le bienfait éternel ,
Et les mers pour ceinture , et pour voûtes le ciel.
Que ses merveilles bienfaisantes ,
Que ses largesses renaissantes ,
Toujours répondent à nos voeux.
Que sur nous toujours signalées ,
Sur nos enfans renouvelées ,
Elles passent à nos neveux.
LE PSALMISTE CORYPHÉE.
C'est dans les cieux des cieux qu'il choisit sa demeure ,
Qu'avec ses seuls élus il daigne partager.
La terre est le domaine étroit et passager
Où l'homme habite en étranger ,
D'où la mort l'appelle à toute heure
'Au tribunal suprême où dieu va lejuger.
De la tombe et de son silence ,
La louange vers toi ne peut plus parvenir ,
Seigneur ; il est trop tard d'implorer ta clémence ,
Hors des bornes du temps marqué pour l'obtenir.
Bénissons du Très-Haut la gloire et la puissance,
Durant nos jours mortels ,
Ét nous partagerons le bonheur qu'il dispense
Dans les jours éternels .
LA HARPE.
F
ELORÉAL AN XI .
199
ENIGME.
Je dois , ami lecteur , te sembler bien à plaindre :
On déchire mon sein , on me perce en tous sens ,
Et cependant , s'il ne faut te rien feindre ,
Loin de souffrir de ces affreux tourmens ,
Je n'en deviens que plus belle et meilleure.
Devant un énorme foyer
L'on me fait tourner à toute heure.
On croirait que je dois griller ,
Point du tout , la cuisine où je me vois placée ,
Est si vaste dans son contour ,
Que d'un côté je suis froide et glacée ,
Et que l'autre brûlant , devient froid à son tour.
Pour m'appréter , il faut peu de dépense :
De l'eau dont en tournant on m'arrose à propos
Je rends une partie , et donne en récompense
De la graisse , du sang , de la chair et des os.
On a recours à moi pour faire bonne chère;
De truffes , en hiver , mon ventre se remplit :
Mais malheur à qui me nourrit ,
Je possède un tel appetit ,
Que rien ne peut le satisfaire.
Je l'avouerai , lecteur, en rougissant ,
Toute chair me convient , même la chair humaine.----
Je dois te dire cependant
Que parfois j'accepte sans peine .
De simples végétaux , mais je les rends bientôt :
La chair , sans doute , est mieux ce qu'il me faut
Je ne la rends jamais . Jusqu'ici tu m'as vue
Venir à ton secours , fournir à tes répas ;
Mais , ô ! transition terrible , inattendue !
Prends garde , ami lecteur , où portes-tu tes pas ?
N4
200 MERCURE DE FRANCE ,
Ne vois-tu pas mes narines brûlantes
Lancer des flammes dévorantes ?
Eloigne -toi dans ces affreux momens ;
Vois-moi plutôt , dans ma coquetterie ,
Me parer des fleurs du printemps ,
Quoique vieille , toujours jolie,
Par un abonné.
LOGOGRYPHE.
Je suis , dans mes neuf pieds , un objet adoré ,
Dans trois , j'embellis la nature ;
Dans six , craint ou chéri , je dois être honoré;
Dans un nombre pareil , je plais dans la coëffure .
Pour me trouver , ami lecteur ,
Nomme l'objet le plus cher à ton coeur.
CHARADE ,
Mon premier aux amans inspire la gaîté,
Etmon second ad'avantage
1
D'ajouter une grâce aux traits de la beauté.
Qu'on est heureux , dans le belage,
Quand on peut à montout , sûr d'en être accepté ,
Demon premier offrir Phommage
$
!
Mots de l'Enigme , du Logogriphe et de la
Charade insérés dans le dernier Numéro .
Le mot de l'Enigme est Dictionnaire.
7
T
Celui du Logogriphe est Eternité , où se trouve térins,
tinet , nitre , ré, éreinté , été , rité , Nérée
Le mot de la Charade est Paysan
I
FLORÉAL AN XI. 201
Manière d'apprendre et d'enseigner : Ouvrage
traduit du latin du P. Jouvancy , jésuite ; par
J. F. Lefortier , professeur de belles-lettres à
l'école centrale de Fontainebleau. Un vol. in- 12 ,
2 fr. et 2 fr. 75 cent. par la poste. A Paris , chez
le Normant , imprimeur-libraire , rue des Prêtres
Saint - Germain - l'Auxerrois , vis-à-vis le
petit portail , nº. 42.
On pourrait croire que rien ne devait manquer
à la gloire du P. Jouvancy , après les éloges que
son livre a reçus de tant de personnes habiles ; et
ce qu'on peut remarquer comme un trait curieux
dans l'histoire du coeur humain , c'est que ce jé .
suite n'a jamais été loué avec autant d'affection
et d'épanchement que par un janséniste et un
rival ; mais ce rival était M. Rollin. Ce grand
homme qui, en littérature comme en religion ,
était tout plein de la doctrine et des sentimens de
Port -Royal , exalte cependant le P. Jouvancy ,
et il le fait avec une effusion et une générosité de
coeur bien supérieures à la justice qu'il lui devait.
Admirable candeur ! il loue un rival comme
nous avons coutume de louer nos amis . « L'ou
>> vrage du P. Jouvancy, dit-il dans son Traitédes
>> études ,caurait pu me détourner de faire de
>> mien dans la même langue , ne pouvant me
>> flatter d'atteindre à la beauté du style qui y
>> règne. وت . 1
» Ce livre est écrit avec une pureté , une élé-
>> gance , une solidité de jugement et de réflexions ,
>> avec un goût de piété qui ne laissent rien à
>> désirer , sinon que Touvrage fût plus long , etc. >>
Voilàdeslouanges auxquelles rien ne manque ; elles
font bien de l'honneur à celui qui les reçoit ; mais
1
202 MERCURE DE FRANCE,
1
il faut l'avouer , elles en font encore plus à celui
qui les donne.
M. de Voltaire , élevé chez les Jésuites , ne
pouvait avoir que des sentimens favorables aux
personnes de cette société. On est étonné de voir
qu'en parlant du P. Jouvancy , dans son Siècle
de Louis XIV, il en preud occasion de s'étendre
malignement sur l'histoire scandaleuse du P. Guignard
, qu'il étoit bien inutile de rappeler. Mais
on l'est encore plus de trouver, dans un article de
littérature , l'étrange idée d'attribuer à toute une
société le crime de Jean Châtel , et d'y entendre
soutenir qu'une partie de l'Europe regardait l'assassinat
de Henri IVcomme un acte de religion.
Il ne faut qu'avoir l'esprit juste pour sentir combiencette
imputationsi horrible , c'est-à-dire cette
plaisanterie philosophique, est absurde et déplacée.
On ne saurait inspirer aux jeunes gens trop
de mépris pour cette manière d'écrire. Cependant
cet auteur parle assez obligeamment du P.
Jouvancy : « C'est encore un homme , dit-il , qui
>> a eu le mérite obscur d'écrire en latin aussi
>> bien qu'on le puisse de nos jours ; son livre De
>> ratione discendi et docendi, est un des meil-
>> leurs qu'on ait en ce genre , et des moins
>> connus depuis Quintilien. » Mais , malgré tous
ces éloges , un livre si recommandable ne serait
peut-être jamais sorti de l'obscurité , si M. Le-
Fortier n'avait pris soin de le traduire dans un
style qui ne lui fait rien perdre de cette pureté
et de cette élégance qu'on remarque dans l'original.
Un travail si estimable ne pouvait se produire
ni porter son fruit dans un temps plus favorable
aux vues utiles : las de faire des projets , et dégoûté
de toutes ces théories savantes , qui ne sont magnifiques
qu'en paroles, on va s'occuper sans doute
FLORÉAL AN XI. 203
de donner une meilleure forme à l'enseignement ;
et si l'on a le désir sincère de faire refleurir les
bonnes études , qu'y a-t-il de plus sensé que de
prendre conseil de ces anciens maîtres , si consommés
dans l'art d'instruire et de former la jeunesse
? Peut-être serons - nous assez philosophes
pour ne pas craindre de revenir aux leçons qui
nous ont formés nous-mêmes. On n'ignore pas les
objections qui se sont élevées contre l'ancienne
méthode des colléges : bien des gens ont trouvé
que c'était soulager agréablement leur amour-propre
, que d'accuser une méthode dont ils avaient
mal profité. Les hommes les-plus médiocres ont
toujours assez d'esprit pour décrier une institution
, parce qu'on est d'autant plus propre à en
remarquer les abus , qu'on est moins disposé à en
goûter les avantages ; c'est ce qui est arrivé dans
cette illustre école de l'Université de Paris . On s'est
fait un jeu de l'abattre , mais on pleurera longtemps
sur ses ruines. Après avoir trouvé des esprits
si prompts et si fertiles en ressources lorsqu'il s'agisait
de détruire , on voudroit trouver un peu plus
d'invention et de génie , aujourd'hui qu'il est question
de réédifier .
sait
Bien des personnes se persuadent encore que
nous avons besoin d'un nouveau plan d'instruction
qui soit accommodé à nos grandes lumières ; ilsemblepourtant
que quand bien même , en suivant la
vieille méthode , nous serions réduits à n'avoir que
des magistrats comme Lamoignon et d'Aguesseau ;
quand il ne devrait sortir de nos Prytanées et de
nos Lycées que des philosophes comme Descartes
et Pascal , et des élèves dans l'art militaire , comme
Turenne et Vauban ; en un mot , quand , de
la hauteur de nos perfections philosophiques , nous
nous réduirions à n'être ni plus savans , ni meilleurs
que nos ancêtres , cela composerait encore
294 MERCURE DE FRANCE ,
un ordre de choses assez supportable. Il est bien
vrai que nos jeunes gens sauraient peut- être au
sortir du collège , un peu moins de chimie , de
mathématiques , de géologie , et d'autres sciences
pareilles ; mais si en revanche ils savaient un peu
mieux écrire et parler leur langue , s'ils étaient surtout
moins présomptueux, moins tranchans , s'ils
ne s'imaginaient pas pouvoir affirmer tout , comme
une proposition géométrique , ce ne serait peutêtre
pas un si grand malheur. Un des principaux
griefs contre l'ancienne éducation , étoit la longueur
des études , qui faisait perdre , disait - on, le
plus beau temps de la vie. Il y a peut- être bien
de l'étourderie dans cette accusation ; car, n'étaitce
pas un grand secret pour les moeurs , d'empêcher
un jeune homme d'entrer de si bonne heure
dans la société ? Avant de l'exposer au spectacle
des plaisirs du monde , et au danger de sa propre
liberté, n'était-il pas prudent d'attendre que les
forces du corps fussent plus développées , et en
même temps le jugement plus mûr et plus formé ?
Mais on finira peut - être par s'apercevoir que
l'esprit ne souffre pas moins que les moeurs de ces
études si précoceess.. Onsentira le ridicule et l'abus
qu'il y a d'exposer des enfans à se croire trop tôt
des personnages , à décider de tout dans les cercles
avec la suffisance qu'on apporte du collège ,
et à s'imaginer tout savoir , parce qu'ils auront une
teinture de tout. On ne peut se figurer combien
de talens naissans avortent , par la présomption et
Ja fausse confiance ; et c'est sur- tout dans le premier
âge qu'il est vrai de dire que savoir trop de choses
est une raison pour ne jamais rien savoir comme
il faut.
1
4
Avonons-le : c'est bien moins le défaut des anciennes
institutions que l'amour des idées nouvelles
qui nous aportés à tout refondre. Nous ressemFLOREAL
AN XL 205
blions à ce fou , qui , las de faire toujours la même
chose , voulait trouver un moyen d'entrer chez lui
et d'en sortir autrement que par la porte. Nous
nous sommes bien fatigués l'esprit à chercher au
loin ce que nous avions sous la main. On peut
dire qu'au milieu de tant de connaissances et de
lumières , il ne nous a manqué que le sens commun ;
et nous finirons par reconnaitre que , pour bien
faire , nous n'avons presque qu'à revenir à ce que
avons quitté. Il est impossible de proposer cette
vérité avec plus de ménagement que ne l'a fait M.
Lefortier ; et on ne peut la soutenir avec un zèle
plus heureux.
Le Traité qu'il a fait revivre du P. Jouvancy ,
a l'avantage de nous remettre sous les yeux le
plan d'instruction des Jésuites , et même, à quelques
différences près , celui de l'université de
Paris , comme il le remarque très-bien. La méthode
des Jésuites accordoit peut-être trop à l'ostentation
et à la vanité du bel esprit , à la légèreté
et au brillant de l'imagination , à cette universalité
de connaissances qui , en répandant l'esprit sur
tous les genres , l'empêche d'être vraiment supérieur
dans aucun. De cette école est sorti Voltaire
, en qui l'on peut remarquer les qualités
comme les défauts , qui semblent appartenir à cette
manière. L'école de Port-Royal , dont l'université
fut héritière , a formé Racine. C'est dire assez de
quel côté était la supériorité du goût. Mais dans
l'une comme dans l'autre , l'étude des langues et
des belles lettres formait la principale partie de
l'enseignement , parce qu'étant la clefdes sciences ,
cette étude semblait convenir à un âge , où il s'agit
moins de former des savans que d'apprendre les
moyens de le devenir. Ajoutez que cet âge n'est pas
celui de la méditation et des découvertes , mais
plutôt celui de l'imitation et de la mémoire ; et
206 MERCURE DE FRANCE ,
l'on verra que ceux qui avaient ainsi déterminé les
objets des premières études , connaissaient bien les
forces de la nature humaine. On ne peut dissimuler
que cette raison , jointe aux argumens
sensibles de l'expérience , recommandera toujours
l'ancien système dans l'esprit des personnes de
bon sens. On trouvera sans doute aujourd'hui que
le P. Jouvancy , comme tous les instituteurs de
son temps , s'attache trop à la langue grecque , et
on pourra bien ne pas déférer aux motifs sur
lesquels il en établit l'importance. Mais si réellement
nous n'avons pas d'autre prétexte pour négliger
cette étude que l'ignorance presque générale
qui nous empèche d'en sentir l'utilité , il faut
avouer que cette raison ne fait pas trop d'honneur
à notre philosophie. Depuis long-temps on a coutume
de mépriser , à ce sujet, les remontrances
des professeurs. On les traite de raisonnemens
scolastiques. Cependant les plus grands philosophes
n'en ont jamais parlé autrement. Léibnitz,
entr'autres , ne se lasse point, dans tous ses écrits ,
de recommander ces trois choses : les langues anciennes
, les monumens et la critique; et la raison
qu'il en donne est digne d'un esprit si supérieur ;
car , selon lui , ces connaissances sont tellement
fondamentales , qu'il est impossible , sans leur
secours , de rien entendre dans la discussion de nos
livres sacrés. On peut juger par-là avec quelle autorité
et quel discernement nos petits raisonneurs
qui avaient une érudition si mince , ont prétendu
faire les maitres dans une science dont ils n'avaient
pas même la clef.
Mais il faut entendre ce profond mathématicien
déplorer la malheureuse inclination qu'on
montrait déjà de son temps à sacrifier les humanités
aux mathématiques, et à la recherche de la
nature. « Depuis cette époque , dit ce grand
FLORÉAL AN XI
207
> homme , l'étude de l'antiquité et l'érudition so-
> lide sont tombées dans une espèce de mépris ,
>> jusques-là que quelques auteurs affectent de
>> n'employer aucune citation dans leurs ouvrages ,
>> soit qu'ils veuillent paraître avoir écrit de génie,
» soit qu'ils ne cherchent qu'un prétexte à leur
१
..
> paresse. >> Mais il est bon ,
> ajoute-t- il , d'avertir les hommes qu'il est de
» l'intérêt de la religion que le goût de la bonne
> érudition se conserve , etc. » On remarquera
que le P. Jouvancy est entré dans ces raisons philosophiques
de Leibnitz , sur l'étude des langues
savantes. Ceux qui seront capables d'y faire attention
, verront que la piété conduit souvent aux
mêmes vues que la pénétration de l'esprit , et ils
sentirontpourquoi. Engénéral, l'ouvrage du P. Jouvancy
offre un caractère de simplicité et de bonhommie
qu'on ne connait plus. « Il pourra paraî-
>> tre puéril , dit excellemment M. Lefortier , à
>> ceux qui ne savent pas qu'il faut se faire petit
>> avec les enfans et qui , voyant toujours en
>> grand , méprisent trop les détails élémentaires ,
>> qui sont pourtant la partie la plus importante
>> et la plus difficile dans les fonctions de l'insti-
>>>tuteur. » C'est découvrir avec beaucoup de sens
le vice des conceptions modernes, qui sont enflées
et stériles. J'ose inviter les lecteurs instruits à donner
quelqu'attention à la préface du traducteur ; ils y
trouveront beaucoup d'idées excellentes, et des vues
sages qui sont très propres à concilier tous les systèmes.
Dans un sujet si agité, et qui est devenu le
champ d'une controverse inépuisable , il n'était pas
possible de porter un plus grand esprit d'examen
et de modération. Ce caractère ne peut trop s'estimer
dans un homme qui s'est consacré à des
fonctions où les qualités du coeur ne sont pas
moins nécessaires que les talens de l'esprit.
CH. D.
208 MERCURE DE FRANCE ,
4
VARIÉTÉS.
Nous avons sous lesyeux un manuscrit qui doit être
imprimé , et qui nous paraît propre à exciter un grand
intérêt. C'est une correspondance entre J.-J. Rousseau ,
madamé de Franqueville et M. Dupeyron. De quelque
manière qu'on envisage l'auteur d'Emile , et quelle que
soit l'opinion qu'on peut avoir conçue de son talent êt
de ses principes , il nous semble que son caractère , sa
vie , l'influence qu'il a eue sur son siècle , mérite toute
l'attention des observateurs , et que cet homme extraordinaire
doit encore exciter la curiosité , lors même qu'il
n'obtient ni l'admiration , ni l'estime. M. de la Harpe ,
quelques jours avant de mourir, publia dans ce journal
le portrait de Rousseau et le portrait de Voltaire ; tout
le monde fut frappé de la force et de la vérité des cou
leurs. Mais le portrait de Voltaire était beaucoup moins
brillant et moins remarquable que celui de Rousseau , et
l'on ne saurait en donner d'autre raison, si ce n'est que
la physionomie de Rousseau est beaucoup plus prononcée
que celle de Voltaire ; l'auteur de la Henriade cherchait
à surpasser ses contemporains et ceux qui l'avaient de
vance; il ne s'écartait point des routes connues ; l'auteur
d'Émile n'a lutté ni avec les anciens ni avec les modernes ;
il paraît avoir mis toute son ambition à être regardé
comme un homme à part; et il y est parvenu ,
seulement par son éloquence, mais plus encore par ses
paradoxes et la bizarrerie de sa conduite.
:
non
La correspondance inédite que nous avons sous les
yeux est très-propre à faire connaître cet homme singulier.
Voici l'histoire de cette correspondance , qui est
aussi
FLORÉAL AN XI.
209
aussi remarquable par son origine qu'elle est intéressante
en elle-même .
La nouvelle Héloïse venait de paraître , et ce romaa
avait excité le plus vif enthousiasme , sur-tout parmi les
femmes . Deux femmes de beaucoup d'esprit , imaginèrent
d'entamer une correspondance avec Rousseau , l'une sous .
le nom de Julie , et l'autre , sous le nom de Claire ; un
style piquant , assaisonné d'une forte dose d'éloges , réveilla
l'amour propre et la curiosité de Jean-Jacques , qui
répondit de Montmorency où il était retiré. Alors , nouvelle
lettre de Julie et de Claire ; mais bientôt les défiances de
Rousseau commencent; il croit voir dans Julie et Claire ,
deux hommes qui veulent s'amuser à ses dépens. « Il
>>faut vous l'avouer , messieurs ou mesdames , écrit-il à
> ses nouveaux correspondans, me voilà tout aussi fou
>>que vous l'avez voulu ... Si Julie est femme, elle est
>>plus qu'un ange, il lui faut des adorations ; si elle est
>> homme , cet homme a beaucoup d'esprit , mais l'esprit
>> est comme la puissance , on en abuse, quand on en a
>>trop. >>
3
La correspondance continue , et elle roule toujours sur
l'intérêt que Julie et Claire portentà la santé de Rousseau ...
Mais bientôt le philosophe devient boudeur : ses lettres
sont moins affectueuses. Rien ne ressemble moins à Julie ,
dit- il dans sa sixième lettre , que madame de........... Vous
avez beaucoup d'esprit , madame , vous êtes bien aise de
le montrer, et tout ce que vous voulez de moi , ce sont
des lettres ; vous êtes plus de votre quartier que je ne
pensais. Ce ton d'aigreur que prenait Rousseau dans cetter
lettre , engagea madame de Solar, qui écrivait sous le
nom de Claire , à renoncer à la correspondance . So-
> crate, écrivait- elle à Julie (madame Delatour-Franque-
» Ville ), Socrate disait qu'il se mirait, quanidd il voulait
11
210 MERCURE DE FRANCE ,
4
>> voir un fou ; donnons cette recette à notre animal , pour
lui épargner la peine de quitter son antre , quand il
>> aura une pareille curiosité. En vérité , si Diogène vi-
➤ vait, il brûlerait encore plus d'une chandelle . » Julie
eut plus de courage que Claire , et elle resta seule exposée
à l'humeur chagrine de Rousseau , qui la grondait souvent
et qui finit par la soupçonner d'être un instrument que ses
ennemis faisaient agir contre lui. Cette correspondance ,
qui a duré plusieurs années , consiste en cent-cinquantehuit
lettres ; neuf sont de madame de Solar , quatre-vingtquatorze
de madame Delatour-Franqueville , cinquantesix
de J. J. Rousseau. « De vos cinquante- six lettres , lui
écrivait madame de Franqueville , il y en a trente-quatre
où vous êtes à mes pieds , six où vous me mettez sous
les votres , neuf où vous me traitez en simple connaissance
, et six où vous vous livrez aux épanchemens de
l'amitié. » Il est impossible de montrer plus de sentiment ,
plus d'esprit , plus de grâce que madame de Franqueville
wen montre dans sa correspondance; toutes ces lettres
routent presque uniquement sur lasanté et sur le silence de
Rousseau , et chacune de ces lettres a une tournure qui lui
est particulière. « Vous écrire plus souvent , lui disait
>> un jour Rousseau , serait sans doute une occupation bien
>> douce pour moi , mais j'y perdrais le plaisir de voir avec
>> quelle prodigieuse variété de tours élégans vous savez
>>>me reprocher la rareté de mes lettres , sans que jamais
les vôtres se ressemblent. >>>
Pour faire connaître l'espritde madame de Franqueville,
il suffira peut-être de citer au hasard une des lettres que
nous avons sous les yeux.
:
Du 31 mars 1764.
১
« Que cette lettre ne vous courrouce point ,mon ami,
>> ce n'est pas un acte d'autorité , c'en est und'indépen-
DC7
FLORÉAL AN XI. 2if
dance. Puisque vous ne m'écrivez que quand vous
>> voulez , pourquoi ne vous écrirais-je pas quand je le
» veux. Voyons , par la comparaison de nos avantages , si
>> ce serait commettre un attentat que de prétendre établir
>>dans notre commerce une parfaite égalité ; ceux que la
société défère à mon sexe , serviront , tant bien que
smal de compensation à ceux que la nature donne au
vôtre , et il n'en sera plus parlé. Vous avez le plus beau
>> génie du siècle ; moi j'ai le meilleur coeur du monde :
>> votre façon de voir est sûre ; ma façon de sentir ne me
>> trompe point : votre bienfaisance , inépuisable en res-
>> sources , peut tout le bien qu'elle veut ; la mienne , iné-
➤ puisablé en désirs , veut tout le bien qu'elle peut ; vous
>> jouissez de la célébrité la mieux méritée ; mon mérite
>> à moi , c'est de n'avoir point de célébrité , et je n'en ai
>> aucune : vous êtes digne qu'on vous élève des statues;
moi je suis digne de vous en élever : vous devriez gou-
>> verner l'univers en fixant ses opinions depuis si long .
>> temps incertaines ; moi , je devrais avoir le bonheur de
faire la félicité d'un honnête homme : l'étendue de
» votre savoir embrasse tous les objets qu'il est impor
tant de connaître ; moi , je sais vous apprécier : le
>> bandeau de la fortune semble s'être épaissi , quand elle a
>> fait votre part des biens et des maux qu'elle dispense ;
>> moi j'ai possédé quelques-unes de ses faveurs sans aveu
>> glement , et je les ai perdus sans regret : vous êtes le
>> plus sensible des hommes ; moi , sans être peut-être la
>> plus sensible des femmes , je suis plus sensible que vous :
» vous avez reçu mes hommages sans dédain ; je vous les.
>> ai offerts sans orgueil : c'est vous que vous aimez en
>> moi ; moi je n'aime en vous que vous-même , et nous
>> avons raison tous deux. A la vérité , vous êtes mon alue:
>> mais les femmes ne vivant que dans leurs attraits , un,
02
212 MERCURE DE FRANCE ,
>>homme de cinquante ans et une femme de trente
>> doivent être réputés du même âge. Il me semble , mon
>>illustre ami , qu'en nous plaçant dans les différens points
>> de vue qui nous conviennent, nous avons un droit égal
» à l'estime des honnêtes gens , et commeje ne compte
>> que celui-la , je prétends obtenir de vous des priviléges
» équivalens à ceux que je vous accorde. Ainsi , je vous
> écris quand il me plaît , sans déterminer l'instant où
» vous devez me répondre , etc. »
Nous n'examinerons point ici ce qu'il peut y avoir
d'exagéré dans l'opinion de mad me de Franqueville sur
Rousseau ; sa correspondance décèle par-tout une ame
franche , délicate , mais facile à s'exalter. Ses lettres ont
quelquefois de légères négligences de style , mais elles auront
peut-être un nouveau prix pour les lecteurs qui venlent
connaître le coeur encore plus que l'esprit d'une
femme. Madame de Franqueville , qui tenait à une trèsbonne
famille , est morte en 1738 ; tous ceux qui l'ont
connue la regrettent , et s'accordent à dire qu'elle fut une
des femmes qui honorèrent le plus leur sexe par leurs talens
et leurs vertus.
La seconde partie de cette correspondance ne renferme
que des lettres de J. J. Rousseau à M. Dupeyrou ; c'est
à M. Dupeyrou qu'il ouvrait son coeur sur toutes les
chimères que lui forgeaient sans cesse son amour - propre
et son caractère ombrageux ; et , sous ce rapport , cette
seconde partie n'est pas moins curieuse que la première
(a) .
(a) Cette correspondance , en 5 vol. in- 18 , et 3 vol. in-8º., sera.
publiée le mois prochain , et se trouvera chez Giguel et compagnie ,
rue des Bons- Enfans , et chez le Normant , imprimeur-libraire , rue
des Prêtres Saint-Germain-l'Auxerrois. Elle fera suite à la collection
des coeuvres de Rousseau .
こ
FLORÉAL ANXI 13
Voiciune lettre extraite de cette correspondance , et
dans laquelle Rousseau se plaint amèrement de M. de
Voltaire , auquel il attribuait le pamplilet intitulé : les
Sentimens des citoyens ; Rousseau s'adresse à M. Dupeyrou.
Motiers , le 31 janvier 1765.
:
«Voici enfin la lettre de M. deBuffon,de laquelle je
suisextrêmement touché. Je veux lui écrire; mais la crise
horrible où je suis, ne me le permettra pas sitôt. Je vous
avoue cependant que je n'entends pas bien le conseil qu'il
me donne de ne me pas mettre à dos M. de Voltaire ;
c'est comme si l'on conseillait à un passant attaqué dans
un grand chemin , de ne passe mettre à dos le brigand
qui l'assassine. Qu'ai-je fait pour m'attirer les persécutions
de M. de Voltaire, et qu'ai -je à craindre de pis de sa
part ? M. de Buffon veut-il que je fléchisse ce tigre altéré
de mon sang ? Il sait bien que rien n'appaise , ni ne fléchit
jamais la fureur des tigres. Si je rampais devant
Voltaire , il en triompherait sans doute, mais il ne m'en
égorgerait pas moins ; des bassesses me déshonoreraient et
ne me sauveraient pas. Monsieur , je sais souffrir ,j'espère
apprendre à mourir ; et qui sait cela,n'a jamais besoin
d'être lâche .
1
« Il a fait jouer les pantins de Berne, à l'aide de son
ame damnée , le jésuite Bertrand ; il joue à présent le
même jeu en Hollande. Toutes les puissances plient sous
l'ami des ministres tant politiques que presbytériens. A
cela que puis - je faire ? Je ne doute presque pas du
sort qui m'attend sur le canton de Berne , si j'y mets
les pieds ; cependant j'en aurai le coeur net , et je veux
voir jusqu'où , dans ce siècle aussi doux qu'éclairé , la
philosophie et l'humanité seront poussées. Quand Yin
03
214 MERCURE DE FRANCE ,
quisiteur Voltaire m'aura fait brûler , cela ne sera pas
plaisant pour moi , je l'avoue; mais avouez aussi que
pour la chose , cela ne saurait l'être plus. >>
Rousseau , dans son voyage en Angleterre , écrivit plusieurs
lettres à M. Dupeyrou , sur sa querelle avec M.
Hume. On voit par cette correspondance , qu'il prenait
plaisir à nourrir ses soupçons et ses défiances . Il traitait
inême assez durement M. Dupeyrou , qui cherchait à
détruire ses chimères , età ramener la paix dans son es
prit. Rousseau paraissait s'étre arrangé pour avoir des
ennemis on le plaint d'y avoir réussi ; mais și on en
juge d'après sa correspondance , il nous semble qu'il
aurait été plus à plaindre , s'il n'avait eu que des amis. On
relira sans doute avec plaisir les vers que M. Delille a
faits sur le caractère sauvage et défiant de Rousseau .
dr
Vainsdiscours ; rien ne peut adoucir sa blessure.
Contre lui , ses soupçons ont armé la nature ;
L'étranger qui ne le vit jamais ,
Qui chérit ses écrits , sans connaître ses traits ,
Le vieillard qui s'éteint , l'enfant simple et timide
Qui ne sait pas encor ce que c'est qu'un perfide ;
Son hôte, son parent , son ami , lui font peur :
Tout son coeur s'épouvante au nom de bienfaiteur.
Est-il quelque mortel , à son heure suprême ,
Qui n'expire appuyé sur le mortel qui l'aime ;
Qui ne trouve des pleurs dans les yeux attendris
D'un frère ou d'une soeur, d'une épouse ou d'un fi's ?
L'infortuné qu'il est , à son heure dernière ,
Souffre àpeine une main qui ferme sa paupière ;
Pas un ancien ami qu'il cherche encor des yeux ;
Et le soleil lui seul a reçu ses adieux !
FLORÉAL AN XI. 215
-----
GALERIE DES ANTIQUES , Or Esquisses des statues ,
bustes et bas-reliefs , fruits des conquêtes de l'armée
d'Italie ; parAug. Legrand ( 1 ) .
1
Quel est celui qui , en parcourant les salles du Muséura
des antiques , ne se seut pas frappé d'admination à la vue.
de ces restes de l'antiquité , parvenus jusqu'à nous à travers
tant de siècles ? Les monumens qui portent l'empreinte
d'un temps reculé , ne manquent jamais d'inspirer
le respect et d'attirer l'attention de ceux mêmes qui sont
le moins en état de les apprécier. Si le commun des hommes
en est frappé , quelle impression ne doivent-ils pas.
produire sur ceux qu'une érudition, même légère., a mis ,
en étatde connaître une partie de leurs mérites ?.Et l'homme
lettré , et l'artiste , et l'antiquaire ,quelles doivent être.
leurs jouissances , lorsqu'ils considèrent ces monumens , et
les interrogent , pour ainsi dire , sur les époques qui les
ont vu naître ?
Cette dernière réflexion nous reporte naturellement
vers les temps anciens , où ces mêmes monumens avaient.
un degré d'intérêt si différent et si au-dessus de celui qui
leur reste. Ce qui n'est pour nous qu'une production des:
arts , qu'un simple souvenir historique , était alors l'objet
du culte et de la vénération des peuples. Ces statues , ces
bustes , offraient l'image des dieux et des héros que leurs
exploits avaient rendus dignes de participer aux honneurs
( 1 ) Un volume in-8° . cartonné , 11 fr.; idem papier velin , car
tonné, 14 fr. A Paris , shez A. N. Benouard , libraire , rue St André-A
des-Arts;et chez le Normant, imprimeur - libraire , rue des Prêtres,
Saint-Germain-l'Auxerrois , nº.42 , en face du petit portail.
04
216 MERCURE DE FRANCE ,
divins . On adorait Apollon , l'encens fumait devant les
Muses , les héros avaient leur culte ; tout était divinisé.
Ces monumens , nous le répétons , ne sont plus pour nous
que des objets d'arts , que des témoignages historiques,
mais sous ces deux rapports, ils portent encore un bien
grand intérêt. 4
La plus grande partie des objets qui composent le
Museum des antiques , a été apportée d'Italie et choisie
dans les collections de Rome. La France n'en possédait
auparavant que quelques-uns , parmi lesquels on doit citer
la Diane de Versailles et la statue dite le Germanicus .
L'ouvrage que nous annonçons offre une réunion de
planches gravées d'après les statues , bustes , etc. de ce
Muséum. Le but de l'auteur a été de n'en donner que de
simples esquisses. Ce, recueil sera ans doute accueilli de
ceux qui aiment les arts ; il devra l'être particulièrement
des étrangers , qui y trouveront un souvenir des monumens
qu'ils auront vus dans ce Museum. Les planches
sont d'une trop petite proportion pour qu'on puisse y
exiger un grand fini. Mais il ne faut pas dissimuler qu'elles
auraient pu être gravées avec plus de soin. On les annonce
comme des esquisses ; nous nous permettrons d'observer
à l'auteur qu'une planche , au trait seulement , doit offrir
assez de pureté dans le dessin pour fixer parfaitement les
idées sur le style ét le degré de perfection de la figure
qu'elle représente. Son ouvrage ne pouvant manquer d'avoir
du débit , nous l'engageons à corriger quelques fautés
qui se sont glissées dans les noms , au bas des planches .
Quant au texte , il est entièrement rédigé sur la notice
de M. Visconti. Il serait difficile dans un ouvrage de
simple explication d'ajouter à cette excellente notice);
M. L. ne pouvoit donc mieux faire que de se borner à
en donner l'analyse. Il nous paraît avoir fait un bon choix
)
FLORÉAL AN XL 217
dans chaque article. Il n'a pas été tout-à- fait aussi heureux ,
quand il a voulu marcher sans guide, principalement dans
une courte introduction qui précède l'ouvrage. Nous
avons remarqué quelques incorrections de style ( bien pardonnablesau
reste à un artiste ) , et sur lesquelles nous nedevons
pas insister en rendant compte d'un ouvrage dont
les planches sont le principal , et le texte un simple acces
soire.
L'ÉDUCATION, poëme en IV chants.
L'auteur s'écarte d'abord de son sujet , et commence
par une digression sur l'amour. Cette digression finit par
ure invocation au beau sexe.
Oubliant mos erreurs ,je chante tes vertus ;
C'est à toi que l'on doit le bonheur d'être père ;
C'est à toi que l'on doit une amie , une mère.
On ne peut s'empêcher de convenir que cet éloge ne
renferme des vérités incontestables. C'est aux femmes que
l'auteur confie le soin de l'homme enfant.
Nous aurons cultivé son esprit et son coeur ,
C'est à nous qu'il devra ses vertus , son bonheur ;
Nous aurons éclairé sa timide jeunesse :
Un jour il soutiendra notre faible vieillesse ;
Et s'empressant alors de flatter nos désirs ,
Sur nos derniers momens semera des plaisirs .
Tel je vois dans nos champs le jardinier habile ,
Veiller sur un arbuste et le repdre fertile ,
Préserver des frimats , abriter des chaleurs
Satige, jeure encore , et ses naissantes fleurs .
1
T
b
Ces vers sont corrects et faciles ; il s'en faut de beaucoup
cependant que la correction soit le mérite de ce poëте ,
où les règles de la grammaire sont souvent blessées , et
318 MERCURE DE FRANCE ,
dans lequel l'auteur laisse trop apercevoir , on traitant de
l'éducation, qu'il n'a point encore achevé la sienne.
Nous ne répéterons point ici les lieux comnians de la
critique, sur le plan d'un poëme ; nous croyons que le
plan est nécessaire dans un poëme où l'on a mis une action
; mais si le poëme didactique peut se passer de plan ,
nous convenons aussi qu'il ne peut pas se passer de l'ordre
dans la classification des matières , et , sous ce rapport ,
le poëme de l'Education n'est pas irréprochable. Tout y
est tellement confondu, qu'on peut à peine en suivre la
lecture. L'auteur revient souvent sur les mêmes choses
il est plus prodigue de lieux communs que de préceptes ;
il moralise beaucoup , et il n'enseigne presque rien.Voici
cependant un de ses préceptes ; si les vers ne sont pas dictés
par le goût, les leçons sontdu moins inspirées parla
sagesse.
:
Eloignez à jamaisce fatras insipide
7
De romans plats et froids,dont levulgaire avide
Embrouille un esprit faux , incapable de tout
Faitpour ne point penser et n'avoirpoint de goût,
L'histoire peint les moeurs ; je choisirai l'histoire ,
J'en ferai des extraits : j'ornerai sa mémoire ,
Et d'Emile attentifà ces événemens ,
J'éveillerai le goût et tous les sentimens.
L'histoire , la physique et la cosmographie,
Formeront son esprit à la philosophie.
Non, cette liberté qui dressa des autels.
Surles corps écrasés des plus doux des mortels,etc.
et
Le plus grand avantage du genre didactique , c'est de
revêtir d'images riantes des préceptes souvent arides , et
d'associer , pour ainsi dire , les leçons d'une austère sagesse
aux graces de l'harmonie; les préceptes se retiennent plus
aisément , lorsqu'ils sont mis en beaux vers ; mais dans ce
poëme , les vers ajoutent encore à l'ennui des préceptes.
3
FLORÉAL AN XL
219
Ce poëme de l'Education ne pèche pas seulement contre
le goût , mais il pèche souvent par défaut de conve
nances. Par exemple , l'auteur , dans le commencement de
son quatrième chant , parle du sacré vallon , et en rappelant
les hommes fameux qui habitent le temple de la renommée,
il s'exprime ainsi :
Sur le devant du trône on lit les noms fameux
Des esprits immortels inspirés par les dieux ;
L'auteur de la Pucelle et le chantre d'Emile ,
Sont réunis tous deux dans ce champêtre asile.
Je veux bien consentir à ce que le chantre d'Emile soit
placé dans le sacré vallon , quoiqu'il n'ait rien fait que de
médiocre en poésie. D'ailleurs , il s'agit moins ici de la
poésie que de la morale ; mais comment ose-t-on , dans un
poëme sur l'Education , envisager Voltaire comme auteur
de la Pucelle , et le présenter ainsi à l'admiration de la
jeunesse?
3
1
EUSTASIA , Histoire Italienne ( 1 ) ,
C'est une nouvelle production de M. d'Arnaud , aujourd'hui
le doyen de la littérature . J.-J. Rousseau disait que
la plupart des gens de lettres écrivaient , les uns avec leur
tête , les autres avec leurs mains , mais que d'Arnaud écrivait
avec son coeur. On verra , dans cet ouvrage , si M. d'Arnaud
continue à mériter cet éloge ; ce qui est certain , c'est
qu'Eustasia est peu inférieur aux autres roimansdu même
auteur. Voici l'analyse de celui-ci : Eustasia estd'une naissance
distinguée , et cet avantage est relevé encore par sa
( 1 ) Deux volumes in- 12 . Prix, 3 fr . et 4 fr. par la poste. AParis,
chez André, libraire , rue de la Harpe ; et chez le Normant , impri
meur-libraire , rue des Prêtres Saint-Germain- Auxerrois , nº. 43, en
facedu petitportail.
P20 MERCURE DE FRANCE ,
beauté et ses vertus. A peine a-t-elle atteint l'âge de l'adolescence
, que son coeur s'ouvre à la passion , la plus
funeste , à l'amour. Un Français qui occupe chez le
marquis son père , la place de gentilhomme , devient éperdument
épris de cette jeune demoiselle; sa femme-dechambre
, espèce d'intrigante , parvient à lui inspirer un
penchant pour ce Français. Dé-là résultent nombre d'épreuves
cruelles pour les deux amans . Eustasia , qui ne
sauroit dissimuler sa faute , est forcée de fuir de la maison
paternelle avec son séducteur. Elle se trouve livrée à toutes
les suitesd'un égarement sicondamnable , et obligéed'aller
se réfugier dans un hôpital poury donner la vie au fruit de
sa coupable erreur. Elle essuye une longue maladie ;àpcine
a-t-elle revu la lumière , qu'elle cherche des yeux son
amant ; il avait quitté le lieu où ils étaient venus se dérober
aux recherches d'une famille justement irritée. Qu'on
se pénètre de l'état affreux où se trouve Eustasia ! Dans
son infortune , elle a le bonheur de rencontrer une dame
qui habite la campagne , et qui lui donne asile dans sa re
traite. Laure ( c'est le nom de la dame ) raconte à Eustasia
ses malheurs, C'est aussi l'amour qui lui a fait éprouver
une quantité d'événemens qui intéressent. Laure a ôté la
vie à l'assassin de son père et de son amant ; elle a un als
qu'on nomme Octave , qui devient amoureux de Julie
fille d'Eustasia.
Nous renvoyons à l'ouvrage même, pour voir la suite
de ce nouvel incident. M. d'Arnaud paroît avoir voulu
faire le procès à l'amour ; mais ce dieu se jouera toujours
et de ceux qui l'attaquent et de ceux qui s'abandonnent
àlui.
f
M. d'Arnaud est auteur de soixante volumes ; nous
avons dit , il y a quelque temps , que l'art d'écrire était
dégénéré en métier, mais que ce métier n'étoit pas lucratif.
M. d'Arnaud , qui est bien supérieur à la foule d'écrivains
dont nous parlions , n'a pu parvenir non plus à se
faire un sort aisé avec ses ouvrages. Voltaire lui éhivait
1
FLORÉAL ANXI 220
en 1748 : « Je vous exhorterai toujours à faire usage de
>> votre esprit pour établir votre fortune. » Et à la même
époque il écrivait au roi de Prusse. « Je ne sais pas si
>> d'Arnaud sera immortel , mais je le tiens fort heureux
>> dans cette courte vie. » M. d'Arnaud n'a pas suivi le
conseil de Voltaire ; et si Voltaire vivait aujourd'hui , il
verrait que cette courte vie a été beaucoup plus longue
que le bonheur de M. d'Arnaud.
LEONTINE , ou la Grotte allemande ( 1 ) .
Nous avons remarqué il y a quelque temps , comme une
chose extraordinaire , qu'il s'était écoulé huit jours sans
qu'il parût aucun roman nouveau ; les romanciers se sont
bien corrigés depuis , et cet oubli d'un moment a été
promptement réparé. Puisqu'il paraît convenu , dans cette
partie , que la quantité tient lieu de la qualité , les auteurs
ont grand tort d'être en retard ; il leur en coûte si peu
d'ailleurs pour contenter les amateurs de ces sortes de
nouveautés !
L'auteur de celle-ci est une femme , dont les amis regrettent
en ce moment la perte ; c'est du moins ce que
nous apprend l'éditeur , dans la préface : il en crayonne
un portrait sentimental , qui fait regretter qu'il ne nous
ait pas appris son nom.
2
Léontine , séparée d'une femme qui l'avait élevée , et
qu'elle croyait sa tante , trouve dans une grotte, au milieu
(1 ) Faits historiques qui se sont passés en Allemagne ; par madame
deF...... auteur de plusieurs ouvrages nouveaux : deux vol. in-ra,
Prix , 3 fr. 60 cent . et 4 fr. 50 cent. A Paris , rue dela Perle
n°. 469; et chez le Normant , imprimeur-libraire , rue des Prêtres
Saint-Germain-l'Auxerrois, n°. 42, en face du petit portail.
;
1
222 MERCURE DE FRANCE ,
de la Forêt-Noire , un hermite qui la reconnaît bientot
pour sa fille , et lui apprend que celle qu'elle croyait sa
tante est sa mère;mais ce père est irrité contre son épouse,
par laquelle il se croit trompé. Léontine , convaincue de
l'innocence de sa mère, quitte la grotte pour la chercher
et la réunir à son époux. Elle rencontre des personnages
qui ont connu sa famille , et qui lui content l'histoire de
ses parens. Elle apprend comment son père , prévenu par
de fausses apparences et par les discours d'amis perfides ,
s'était séparé de sa femme. Après quelques aventures ,
Léontine se trouve chez des parens qui l'accueillent avec
amitié. Il ne manque plus à sa félicité que la découverte
de sa mère , lorsqu'une femme , qui a causé le malheur de
cette famille , vient la poursuivre dans cet asile , et la
pauvre Léontine est forcée de fuir : mais au moment ou
elle se croit plus que jamais malheureuse , sa mère reparaît;
les deux époux se réconcilient , et Léontine épouse
un petit-cousin qui se trouve là tout expres.
Voilàdonc un roman sans amour ; car , celui du papa
et de la maman n'est qu'accessoire , et celui du cousin ne
paraît qu'au moment du mariage .
La simplicité des événemens est maintenant si rare
dans les romans , qu'il en faut faire un mérité à celui-ci .
La lecture n'en est pas désagréable , quoiqu'il soit faiblement
écrit. L'auteur veut quelquefois prendre un langage
relevé , et nous avons remarqué cette phrase , tout-à-fait
digne du roman de Delphine. Là tout semblait vous dire i
si la mort suit la vie , la vie aussi suit la mort.
Ce roman offre un vrai modèle de piété filiale , sentiment
dont il ne peut être qu'utile de renouveler souvent
le tableau.
FLORÉAL AN XI. 223
Essai de métaphysique, de politique et de morale . 12
Rarement nos écrivains sont laconiques sur la métaphy
sique , la politique ou la morale ; sous ce rapport , l'au
teur du livre que nous annonçons mérite une place àpart.
Son ouvrage contient à peine trente-deux pages , et il a
traité , dans ce court espace , de tout ce qu'il importe å
l'homme de connaître , soit en le considérant comme animal
, comme être moral , ou comme étre social. C'est un
tour de force qui tient du prodige , et qui n'a riendecomparable
pour le talent, que le génie de cet ouvrier qui
avait fait entrer toute l'Iliade dans une coquille de noix.
Nous avons lu cette petite brochure avec attention , et
notre étonnement a redoublé, lorsque nous avons vu l'au
teur , après avoir traité les objets les plus importans ,
trouver place encore pour faire entrer dans son livre des
lieux communs et des apostrophes à l'Eternel.
Dans le premier chapitre , l'auteur parle de la matière,
et il la divise en quatre espèces : la matière ardente , la
matière compacte, la matière fluide et la matière subtile.
Nous ne suivrons point notre métaphysiciendans l'arrangement
qu'il donne à toutes ces matières. Il croit à la
spiritualité et à l'immortalité de l'âme, et il ne la place
point dans la glande pinéale , comme Descartes , ni dans
le cervelet , comme certains philosophes modernes , mais
dans le coeur qui est le siége du sentiment et de la pensée.
Il serait difficile de savoir quelle est la religionde l'auteur;
il ne donne pas àDieu le nom d'Etre suprême , comme
Robespierre ; il secontente de l'appeler l'Eternel , comme
les théophilantropes. Les peines réservées au crime dans
un autre monde , ne sont , d'après son opinion , que des
peines négatives; si cette doctrine n'est pas vraie , elle
peutdu moins paraître fort commode.
L'auteurpose quelques principes sur lajustice , qui est
224 MERCURE DE FRANCE ,
une des idées innées de l'homme , et c'est de là qu'il paraît
tirer toutes ses conclusions pour l'organisation sociale.
Du reste , l'Eternel ne paraît pas exercer une influence
bien directe sur les sociétés humaines , et beaucoup de
gens pourraient croire qu'à la rigueur on peut s'en
passer.
Dans tout le cours de son ouvrage , l'auteur parle de
la pensée et des perceptions , et la pensée est encore le
sujet de son dernier chapitre. Voltaire comparaît les métaphysiciens
aux danseurs de menuets , qui , après avoir
parcouru un certain espace et développé toutes les graces
de leur corps , finissaient par revenir au point d'où ils
étaient partis. Voici comment notre écrivain se résume
sur la pensée .
exa- >> Par lapensée , l'hommé se fait des perceptions ,
>> mine , compare , juge. Par la pensée, l'homme se pré-
>> serve des vices , exprime les passions , les dompte ou
>>leur donne une direction louable. L'homme, par la
» pensée , conçoit une telle horreur pour le crime , qu'il
>> se voit irrévocablement à l'abri de le commettre. Par
>> la pensée , l'homme s'élève jusqu'au grand Etre dont il
>> est sur la terre lavivante image. Par lapensée, l'homme
>> découvre les bornes de la pensée , et se fait encore des
>> idées de ce qui ne lui estpas donné de concevoir.........
>> Par la pensée , le bien et le mal se présentent à
l'homme; et si , par la pensée il se dégrade, par la
>> pensée , il s'ennoblit.
Le mot de pensée est encore répété plus de trente' fois ,
et il revient toujours de la même manière , cé qui donné
àce dernier chapitre l'air d'une chanson à refrain
120
,١٠
A
ATHÉNÉE
FLORÉAL AN XI. 225
ATHÉNÉE DE PARIS ,
Ci-devant Lycée ,
Rue du Lycée , nº. 1095, Place du Palais du Tribunat.
Après dix-huit années de travaux non interrompus , et
de succès dans tous les genres , l'Athénée de Paris tient
sans doute aujourd'hui une place assez distinguée dans
Popinion publique pour fixer l'attention des étrangers qui
se trouvent en si grand nombre dans la capitale.
Les fondateurs de l'Athénée , d'après les demandes réitérées
qui leur ont été adressées , regardant comme un de
leurs devoirs d'accueillir et même d'appeler dans leur société
tous les amis des sciences et des lettres , de quelque
pays qu'ils soient , ont arrêté , en faveur des étrangers ou
autres personnes que l'hiver réunit dans la capitale , de
faire imprimer et distribuer l'extrait suivant du programme
de l'an 11 ( 1 ).
Les travauxde l'Athénée forment , pendant cette année,
treize divisions : La Physique expérimentale , professée
par les CC. Lefèvre-Gineau et Biot ; la Chimie , par les
CC. Fourcroyet Thénard ; l'Histoire naturelle , par les
CC. Cuvier et Duméril ; l'Anatomie , parle C. Sue ;
la Botanique , par le C. Mirbel ; la Technologie , ou l'Application
des Sciences aux Arts et Metiers , par le C.
Hassenfratz l'Histoire , par le C. de l'Isle de Sales ; la
Philosophie morale , par le C. Degerando ; la Grammaire
générale , par le C. Sicard ; l'Architecture et les
Arts du Dessin , par le C. Legrand ; la Perspective , par
( 1 ) Le programme de l'an 11 , contenant des détails particuliers sur
L'objetde chaque cours , se distribue au secrétariat de l'Athénée.
I P
226 MERCURE DEFRANCE ,
le C. Lavit ; la Langue anglaise , par le C. Roberts ; et la
Langue italienne , par le C. Boldoni .
A ces leçons , qui se donnent régulièrement dans le
cours de la semaine , sont jointes des séances entièrement
consacrées à la lecture de productions littéraires en vers
ou en prose , et de mémoires relatifs à des découvertes récentes
dans les sciences et les arts. Chaque mois , une de
cès séances est complettée par l'exécution de divers morceaux
de musique. Les littérateurs et les savans qui veulent
bien embellir par leurs talens les séances de l'an 11 ,
sont les CC. Boufflers , Fontanes , Ségur aîné et Ségur
jeune , Andrieux , Desmarets , Ramond , Lalande , Légouvé
, Daru , Luce Lancival , Lantier , Lachabeaussière
, J, Lavallée , Villeterque , etc. Le C. Vigée,
également célèbre comme littérateur et comme lecteur ,
a bien voulu promettre qu'il consacrerait quelques séançes
particulières à la lecture de morceaux détachés de son
cours de littérature. Enfin , notre poète Delille , que l'Athénée
a déjà entendu plusieurs fois avec tant de plaisir,
a fait espérer de continuer ses magiques lectures , dont
l'effet peut aussi difficilement se peindre que s'oublier.
1
-
Les salles de l'Athénée sont ouvertes tous les jours , depuis
neufheures du matin jusqu'à onze heures du soir.
Un bulletin hebdomadaire , adressé aux souscripteurs ,
leur indique d'avance l'heure et la destination de toutes
les séances.
** Le prix de la souscription , pour l'année qui a commencé
le 1er. frimaire an II , et finira le 50 brumaire
an 12 , est de 96 francs pour les hommes , et de 48 francs
pour les femmes. On ne reçoit pas de souscription partielle
: cependant , par une disposition particulière , les
fondateurs ont arrêté, queles étrangers, dames et messieurs
non domiciliés àParis , seraient admis à souscrire , mois
par mois , moyennant 24francs par souscription .
11
FLORÉAL AN XI 227
*Les nouveaux abonnés doivent être présentés par un
fondateur ou par un ancien abonné ; les étrangers voudront
bien se faire connaître à l'un des commissaires du
salon, qui les présentera.
Le bureau pour les souscriptions , est ouvert tous les
jours , au secrétariat de l'Athénée , rue du Lycée , n°. 1095 ,
place du Tribunat.
SPECTACLES.
THEATRE DE Louvors.
Nos auteurs dramatiques ne peuvent plus rien tirer de
leur fonds ; et , pour remplir la lacune qu'ils ont laissée
cette année au théâtre , ils se mettent aujourd'hui à ressusciter
des pièces oubliées. La Suite du Menteur , de Corneille
, n'eut aucun succès , lorsqu'elle fut jouée pour la
première fois , et elle n'était pas restée au théâtre. Voltaire
, dans ses commentaires , fait entendre qu'on pouvait,
tirer un très-grand parti de cette comédie , et qu'à l'aide
de quelques changemens elle pourrait reparaître sur la
scène. Un homme de lettres , M. Andrieux , a cru devoir
profiter de l'avis de Voltaire , et il a fait , à la Suite du
Menteur , les changemens qui paraissaient avoir été indiqués
par l'auteur des commentaires. Quoique ces changemens
aient été faits par un homme de goût , la pièce n'a
pas réuni tous les suffrages . Elle est , dit-on, plus adaptée
à nos goûts et à nos moeurs ; mais il faut croire que nos,
goûts et nos moeurs n'ont rien de comique et de plaisant ,
car la comédie de Corneille a beaucoup perdu de sa gaîté.
ΑΝΝΟNCES .
Second Voyage à la Louisiane , faisant suite au premier
de l'Auteur , de 1794 à 1798 , par Baudry des
Lozières. Le premier volume contient la vie militaire
du général Grondel , doyen des armées de France , qui
P2
228 MERCURE DE FRANCE ,
commanda long-temps à la Louisiane , et honoré de cent
dix ans de service : un détail sur les productions les plus
avantageuses , les plus extraordinaires de cette belle colonie
, et sur ses quartiers les plus fertiles et les plus lucratifs
: de nouvelles réflexions sur les colonies en général ,
et le Régime nécessaire aux personnes des Colonies pendant
la première année de leur arrivée.
Le second volume , un Mémoire sur ladécouverte da
Coton Animal : un Manuel botanique à l'usage des jeunes
Colons ; un Dictionnaire ou Vocabulaire congo , précédé
d'une Statistique des Comptoirs de la côte d'Angola , le
tout utile aux Américains cultivateurs qui n'entendent
point les langues de l'Afrique ; différents Projets d'armemens
, et Tableaux de Cargaisons pour l'avantage des
jeunes Colons , Négocians Armateurs , Capitaines de
vaisseaux marchands ou de l'état , et même des Administrateurs
des Ports ; le Coffre de Chirurgie qui enseigne la
nature des drogues et médicamens destinés aux voyages
de longs cours , leur prix et leur usage ; Observations sur
la Botanique médicinale , d'une grande utilité pour la
santé et l'instruction des Planteurs américains : réflexions
sur les Chambres d'Agriculture qui viennent d'être créées
de nouveau pour les Colonies , etc. etc. etc.
Prix 10 fr . , et 12 fr. pour les départemens , francs de
port.
AGothenbourg , chez J. J. Delagrange;à Saint Pétersbourg,
chez Alici ; et àParis , chez Charles , imprimeur ,
rue Guénégaud, n°. 18 , vis-à-vis la Monnaie ; Treuttelt et
Wurtz, libraires , quaiVoltaire , nº. 2; Pougens, libraire ,
quaiVoltaire , nº. 10 ; Fuchs , libraire , rue des Mathurins ;
Renard, libraire , rue de Caumartin, n°.750 , et de l'Université
, n°, 922 ; Cerioux , libraire , quai Voltaire , n°. 9;
le Normant, imprimeur-libraire , rue des Prêtres Saint-
Germain-l'Auxerrois , n°. 42 , en face le petit portail .
Journal de correspondances et voyages d'Italie et d'Espagne,
en 1758 , 1768 et 1770 , pour assurer la paix de
l'église, par une exposition de la doctrine du Saint-Siége;
par M. Clément , alors trésorier de l'église d'Auxerre , et
depuis évêque de Versailles : trois volumes in-8°. avec estampe.
Prix , 9 liv. AParis , chez l'Auteur , rue Saint-Jacques,
n°. 152 , près l'église ; Longuet , imprimeur ,
des Fossés-Saint- Jacques , n°. 2; et le Normant, imprimeur-
libraire, ruedes Prêtres-Saint-Germain-l'Auxerrois,
a. 42, en face du petit portail.
rue
FLORÉAL AN XI.
229
Voyage dans l'Inde , au travers du granddésert , par
'Alep, Antioche et Bassora, exécuté par le major Taylor ,
ouvrage où l'on trouve des observations curieuses sur
l'histoire,les moeurs et le commerce des Mainotes , des
Tures et des Arabes du désert ; la description d'Alep ,
d'Antioché , de Bassora , et des détails intéressans sur la
presqu'île de l'Inde , sur les états et sur la guerre de Tipon-
Sultan. 2
Suivi d'instructions détaillées sur le commerce de l'Inde ,
sur les distances , les prix de routes ,le change des monnaies
d'Europe en Asie , et sur ce qui peut contribuer à
conserver la santé des voyageurs.
Edition ornée d'une belle carte , traduite et enrichie de
notes explicatives et critiques , par L. de Granpré , ancien
officier de marine,auteur de plusieurs voyages dans l'Inde
et enAfrique , et du Dictionnaire de Géographie maritime;
2 vol. in-8°. de goo pages. Prix broché : to fr . et
13 fr. par la poste.
AParis , chez Genets, aîné , libraire , rue Pavée-Saint-
André-des-Arcs , n°. 8 ; Genets , jeune , libraire , rue de
Thionville , n°. 1846; Charles Pougens , libraire , quai
Voltaire , n°. 10; et le Normant , libraire , imprimeur
du Journal des Débats , rue des Prêtres Saint-Germainl'Auxerrois
, nº . 42.
Essai sur &Education , ou Manuel des Instituteurs et
des Pères de famille. Par J. M. D. M..... , homme de
lettres.
Onfaçonne les plantes par la culture,
et les hommes par l'éducation.
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Prix , 75 c. , et i franc par la poste.
AParis , chez le Normant , libraire , imprimeur du
Journal des Débats , rue des Prêtres Saint-Germain- Auxerrois
, n. 42 , vis-à-vis l'église.
Eliezer etNophtali,poëme traduit de l'Hébreu,suivi
d'un dialogue entre deux Chiens, nouvelle imitée de
Cervantes , ouvrages posthumes de M. de Florian ; un
vol. in-18 , papier d'Angoulême , orné de 6 jolies gravures
dessinées par Vignaud et gravées par Delaunay. 3 fr.
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Papier vélin , premières épreuves ,
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A la Librairie Economique , rue de
au ci-devant collége d'Harcourt.
de la
1
6
8
laHarpe, nº. 117 ,
下
P3
230 MERCURE DE FRANCE,
POLITIQUE.
Il a été fait, le 25 février , dans le sénat des Etats-Unis
d'Amérique , une proposition tendante à la levée de quatrevingts
mille hommes dans les états les plus voisins du Mississipi
, ce qui fait croire que la guerre entre cette république
et l'Espagne est inévitable .
La cour de Vienne , en cas que les hostilités recommencent
entre la France et l'Angleterre , est décidée à garder
la plus exacte neutralité ; tout autre système ne pourroit
qu'être funeste à cette puissance. S. M. l'empereur est allé
elle-même dans les bureaux de la chancellerie pour accélérer
le travail relatif à la ratification du conclusum de la
diète de Ratisbonne , du 24 mars (3 germinal ) .
Le duc de Wirtemberg a fait de nouvelles représentations
au conseil aulique de l'Empire concernant , le conclusum
qui approuve la demande faite par les états de ce
pays de la convocation d'une diète générale.
L'Allemagne vient de perdre deux souverains. Le prince
évêque de Ratisbonne , et la princesse Hohenlohe-Waldenbourg
Schillingfurst, née princesse d'Isembourg.
•Les élections sont terminées dans une grande partie de
la Suisse. Les petits cantons ont fait leur choix parmi les
hommes attachés d'opinion à l'ancienne forme de gouvernement.
La ville de Zurich et le canton de Soleure ont
également choisi des hommes attachés à l'ancien ordre de
choșes. Berne a fait choix d'hommes connus par des opinions
modérées. Le pays de Vaud , et la campagne de
Zurich ont choisi des amis de la révolution opérée en
Suisse. Le canton de Lucerne a choisi parmi les hommes
de la campagne , ceux dont l'esprit est le plus exaspéré en
ſavenr de la révolution. Toutes ces nominations annon
cent que la liberté la plus entière a présidé aux élections.
TRIBUNAT.
Séance du 23. Emile Gaudin parle le premieren faveur
du projet de loi concernant les Banques; il développe les
motifs qui prouvent son utilité , et rassure les personnes
qui craignent que les petits négocians ne retirent pas de
la nouvelle Banque les avantages qu'ils trouvaient dans le
Comptoir commercial et dans les autres Banques éta
FLOREAL AN XI. 231
blis. Portiez (de l'Oise ) et Guinard , parlent également
en faveur du projet , et s'attachent à réfuter les objections
faites par les administrateurs des Banques supprimées . Le
projet , mis en délibération, est adoptéà la majorité de 42
voix contre 21 . 1
Séance du 24. Organe de la section de Législation ,
Savoie-Rollin fait un rapport sur le projet de loi relatif
aux effets des divorces prononcés avant la promulgation
du code civil. Le tribunat adopte ce projet à l'unanimité .
Le tribunat délibère successivement sur deux autres
projets de loi. Le premier , relatif au mode de remplacementdes
contributions mobiliaires et somptuaires de la
ville de Paris , est adopté à l'unanimité. Le second , concernant
la contribution foncière des biens communaux ,
est adopté à la majorité de 53 voix contre 6. :
Séance du 26. Chabaud (de l'Allier) fait un rapport
sur le premier titre du livre III , du projet de code civil ,
relatif aux successions. La discussion est ajournée au 28.
Le tribnnat vote ensuite l'adoption de deux projets de
loi. Le premier a pour objet l'augmentation du nombre
desjuges dutribunal criminel du département de la Seine;
le second , fixe le délai à accorder aux habitans des colonies
pour comparaître devant les tribunaux de France .
Séance du 28. Sahuc rend compte du projet de loi por
tant concession de propriétés à titre de supplément de
récompense nationale , en faveur des vétérans qui seront
réunis dans les 26°. et 27. divisions militaires . Le tribunat
ordonne l'impression du discours , et ajourne la dis
cussion. On passe à celle du titre 1. du liv. 3 du code ci
vil , concernant la propriété ; et ce projet est adopté.
)
Séance du 29. L'ordre du jour appelle la discussion du
projet de loi portant concession de terreins aux vétérans
qui seront retirés dans les 26°. et 27. divisions militaires .
Carrion-Nisas appuie le projet et répond aux craintes que
quelques personnes ont paru concevoir sur le retour des
fiefs militaires. Le projet est adopté à la majorité de 57
voix contre 3 .
和4
Seance du 30 germinal. - Le tribunat a voté aujour
d'hui l'adoption du projet qui attribue au tribunal criminel
de la Seine la connoissance exclusive des faux commis en effets
nationaux , ou sur despièces qui intéressent le trésor
P4
232 MERCURE DE FRANCE ,
public.-Garion-Nisas a réclamé avec force ,dans lamême
séance , contre une erreur da Publiciste , qui attribue à cet
orateur ce principe : Que les terres des vaincus appartiennent
aux vainqueurs , tandis que tout son discoura
d'hier tendoit à dire le contraire .
si i
CORPS LÉGISLATIF.
1
Séance du 21 germinal. Organe du tribunat, Carret
propose au corps législatif de sanctionner le projet de toi
relatif à l'exercice de la pharmacie. Le corps législatif
l'approuve , à la majorité de 202 boules blanches contre
4noires.
de
+
Le conseiller-d'état Dumas propose un projetde loi por
tant concession de propriétés , à titre de récompense nationale
, en faveur des vétérans qui seront réunis dans les
26° et 27º, divisions militaires . L'établissement des camps
de vétérans , dit l'orateur , est une imitation de ces colonies
militaires dont les Romains tirerent unparti si avan
tageux , que Cicéron appelait Propugnacula reipublicæ ,
lesboulevardsde la république. Par cette loi , lesmilitaires
grièvement mutilés dans laguerrede la liberté , et âgés de
moins de quarante ans, qui voudronts'établir dans les 26°. et
27°. divisions militaires , recevront ,à titre de supplément
de récompense nationale une portion de terre d'un pro.
duit net égal à lasolde dont ilsjjoouuissent. Ils seront tenus
de résider sur ces terres et de concourir , quand ils seront
appelés , à la défense des places frontières des 26°, et 27°...
divisions militaires. Il sera formé dans lesdites divisions
des camps de vétérans , conformément aux dispositions
qui seront faites à cet égard par le gouvernement. Nous
nedonnerons pas une plus longue analyse de ce projet
que les autres journaux ont déjà fait connoitre.
e
Séance du 22. Les conseillers d'état Bigot de Préa
meneuetRegnault (de S.-Jean-d'Angély), sont introduits;
ils présentent un projet de loi tendant à attribuer au tribunal
criminel de la Scine la connoissance de tous les
crimes de faux. Le citoyen Bigot donne lecture du projet
qui est ainsi conçu : ....
Art. I. Le tribunal criminel du département de la
Seine connaîtra , pendant 5 ans , exclusivement à tout
les tribunaux contre toute personne, de tous les crimes de
FLOREAL AN XI. 233
faux,soit en effet nationaux , soit sur les piècesde comptabilité
qui intéressent le trésor publis , en quelque lien
que le faux ait été commis, ou que l'on ait fait usage
despièces fausses.
II. Le tribunal crimineldu département de la Seine se
formera en tribunal spécial pour le jugement de ces affaires,
et procédera conformément aux loixdes 18 pluviose
an 9 et 27 floréal an 10.
III. A compter de la publication de la présente loi,
lesdétenus pour crime de la nature de ceux désignés à
l'art. Ier. , seront renvoyés devant le tribunal criminel du
département de la Seine , avec les pièces et procédures
déjà commencées.
Le corps législatif après avoir entendu Parin , orateur
du tribunat, sur le projet de loi relatif aux manufactures,
arts et métiers,sanctionne ce projet à lamajorité de cent
quatre-vingt-dix-neuf voix contre neuf. Lecorps législatif
s'ajourne au24.
Séance du 24. L'ordre du jour est la discussion du projetde
loi sur les Banques.Gillet-la-Jacqueminière , un des
orateurs du tribunat , prononce un discours en faveur de
ceprojet; il en passe en revue tous les articles , et démontre
, dans une récapitulation succinte , que les Banques
bien combinées sont undes plus puissans moyens de richesseset
de prospérité nationale ; que de tous les systèmes
deBanques,celui qui est en discussion mérite la préférence;
que la Banque proposée doit être essentiellement
exclusive pour que rien n'entrave sonjeu, sa marche et
ses effets; que cette exclusion est dans le droit national
et pour l'utilité de tous. Le conseiller d'état Bérenger
ajoute quelques développemens à ceux donnés par l'orateurdutribunat.
Le conseiller d'état Cretet , prend aussi
laparole. Il représente le projet comme un bienfait pour
ceuxmêmes dont il senible contrarier le plus les intérêts.
Lesplaintes que ce projet a pu faire naître , dit-il , ont été
exprimées au nomdu commerce'; mais qu'est-ce que le
commerce de la France ? sans doute il ne se compose pas
d'environ 1500 négocians existans dans Paris ? ce n'est
qu'une très-foible minorité du commerce français; et cette
minorité ne peut le représenter , car elle n'a aucune délégation
pour cela, et le droit qu'elle semble s'arroger de
réclamer, ne peut être regardé que comme une usurpa234
MERCURE DE FRANCE ,
tion. On fermela discussion, et le projet est adopté à la majoritéde
159 contre 63.
1.
Séance du 25. Le corps législatif a adopté , dans cette
séance , le projet de loi portant fixation de délai pour la
signification des procès-verbaux de contravention à la loi
du timbre , et le projet de loi relatif aux adoptions postérieures
au 18 janvier 1792 , et antérieures au code civil . Il
a entendu ensuite le conseiller d'état Regnault , qui , au
nom du gouvernement , a annoncé que le gouvernement
avoit distrait du projet de loi présentant 148 demandes
relatives à des intérêts communaux et particuliers , celle
relative à Montluçon , sur laquelle il a été fait des objections
; il présente ensuite , 1 % un projet de loi contenant
les 147 autres affaires ; 2. celle relative à Montluçon.
L'orateur donne de grands développemens au principe
établi dans la législation., que l'on peut forcer un particulier
à vendre sa propriété , en cas d'utilité publique ,
moyennant une juste et préalable indemnité. Il s'agit ici ,
dit l'orateur , d'un terrein qui fut , de tous les temps , l'emplacement
d'une foire fréquentée par tous les commerçans
de la république , même par ceux de l'étranger , et
dont le propriétaire avait lui-même offert l'abandon , en
priant le conseil municipal de solliciter avec instance ( ce
sont ses termes) une loi à ce sujet. ( Voyez article tribunat,
la séance du 15 de ce mois ) .
:
Séance du 26.- Les conseillers d'état Defermont , Cretel
et Berenger , présentent un projet de loi portant que
les canaux de navigation ne seront taxés à la contribution
foncière qu'en raison du terrein qu'ils occupent , comme
terre de première qualité.
Trois autres conseillers d'état , Lacuée , Jourdan et
Ségur , viennent proposer un projet de loi sur la levée des
conscrits de l'an 12. Lacuée en développe les motifs. La
conscription naturalisée en France , dit-il , ne cessera jamais
d'être la force du peuple français , l'espérance de
ses alliés et la terreur de ses ennemis. ( Voyez le projet à
la fin des séances du corps législatif. )
L'ordre du jour appelle la discussion de trois projets de
loi ; le premier , concernant la contribution foncière des
biens communaux ; le second , relatif au remplacement
de la contribution mobiliaire et somptuaire de la ville de
Paris ; et le troisième , tendant à régler les effets des divon*
FLORÉAL AN XI . 235
ces prononcés avant la promulgation du titre du code
civil sur le divorce. Le corps législatif les sanctionne.
Séance du 28. - Les conseillers d'état Dessolle , Petiet
et Segur , présentent un projet de loi sur les soldes de retraite
, les invalides , les traitemens de réforme et les secours
àà accorder aux veuves et orphelins de militaire. Le
général Dessolle explique les motifs du projet , d'après lequel
la solde de retraite pour ancienneté de service , c'està-
dire après 50 années révolues , est fixée comme il suit. -
Général de division , 6,000 fr. Général de brigade,
4,000. Adjudant-commandant ou chef de brigade , 2400 fr.
Chef de bataillon ou d'escadron , 1,800 fr. Capitaine ,
1200 fr. Lieutenant , goo fr. Sous-lieutenant , 700 fr .
Adjudant-sous-officier , 600fr . Sergent-major , ou maréchal-
des-logis chef, 565 fr. Sergent ou maréchal-des-logis ,
273 fr. 75 c. Caporal , ou brigadier, 219fr. Soldat detoute .
arme et du train d'artillerie , 182 fr. 50 c.
Inspecteur en chef aux revues , 6,000 fr. Inspecteur aux
revues , 4,000 . Sous-inspecteur , 2,400 fr .
ere
Commissaire-ordonnateur , 3,600. Commissaire des
guerres , 1,800 fr. Adjoint aux commissaires , 900 ,
Officiers de santé en chef , 3,600 fr. De 1 classe
1,800 fr . De 2º. classe , goo fr. De 3º. classe , 600.
Au-dessus de trente années de service , les officiers de
chacun de ces grades auront la moitié du maximum.
,
*158
La solde de retraite , pour les blessures graves , telles
que la perte de deux membres , sera du maximum fixé
pour 50 années , et en outre dé la moitié de ce maximum.
Ce qui fera 9,000 pour le général de division , et de 273
fr. 75 c. pour le soldat de toute arme.
Le traitement de réforme est accordé pour les infirmités
résultant de blessures moins graves ou provenant de fatigues
et événemens de la guerre , et inettant dans l'impossibilité
de continuer le service. Il sera de la moitié du maximum
fixé pour les 50 années de service , c'est-à-dire de 3,000 fr .
pour le général de division , et ainsi proportionnellement
àchaque grade indiqué ci-dessus , jusqu'au soldat de toute
arme .
Ce traitement peut se cumuler avec tout autre traitementque
la solde d'activité.
Le corps législatif entend ensuite la lecture d'un projet
de loi sur les douanes présenté , par les conseillers d'état,
Colin , Jollivetet Regnault : il sanctionne à la presqu'una236
MERCURE DE FRANCE ,
nimité deux projets de loi ; le premier concernant la fixa
tiondu délai dans lequel les habitans des colonies pour
rontcomparaître devant les tribunaux de France; le second
relatifàl'augmentationdu nombre des juges du tribunal
criminel du départementde la Seine.
Séance du 29. - On introduit les conseillers d'état
Duchâtel , Dauchy et Pelet (de laLozere ); le premierprésenteunprojet
de loi relatif aux bois des particuliers des
communes et des établissemens publics. Le corps législa
tif sanctionne ensuite à l'unanimité le titre V du 3. livre
du code civil , concernant les différentes manières dont on
acquiert lapropriété , et s'ajourne au 1. floréal.
Projetde loi sur la levée des conscrits des années ti et iz.
Art. I. Il sera levé trente mille hommes sur la conscription de l'an
onze, ettrente mille sur la conscriptionde l'an douze. Ils serontdes
tinés à maintenir l'armée sur le pied de paix.
II. Il sera également levétrente mille conscrits del'an onze et trente
mille del'an ta, pour rester en réserve , et être uniquementdestinés
à porter l'armée au pied de guerre , si cela devenoit nécessaire.
IHI. Les conscrits de l'an douze ne pourront , sous aucun prétexte ,
être appelés avant l'époque du 1 vendémiaire an 12.
IV. Lesdépartemens fourniront leur contingent , conformément
au tableau annexé à laprésente.
V. La répartition entre les arrondissemens et les municipalités
sera,ainsique les désignations , exécutée conformément aux dispositionsde
la loi du 28 floréal an ro.
VE Les conserits ne pourront être ni appelés ni désignés pour
faire partieducontingentque dans lamunicipalitéde leur domicile.
VII Tout conscrit absent, au moment dela désignation, ouqui ne
pourra se rendre à l'assemblée presorite par ladite désignation , devra
être représenté par son père ou un de ses plus proches parens , ou ,
à leurdéfaut, par un citoyen nommé d'office par lemaire.
VIII. Tont conscrit absent qui aura été désigné pour faire partie
ducontingent ,aura un mois pour se présenter devant lecapitaine du
recrutement.
Celuiqui , à l'expirationdudélai d'un mois, ne se sera point présenté,
ou n'aura point fait admettre un suppleant , sera, sur la
plainte du capitaine du recrutement, déclaré, par lepréfeett ou souspréfet
conserit réfractaire.
IX. Le préfet ou sous-préfet , enverra , dans les trois jours , son
arrêté au commissaire du gouvernement près le tribunalde première
instance de l'arrondissement .
-Le conmmissaire requerra, dansle même délai , contre le conscrit
réfractaire et contre ses père et mère civilement responsables, la con
condamnation à l'amende , portée par la loi du 17 ventose an 8 , avec
l'impression et l'affiche du jugement , aux frais du condamné.
Latribunal prononcera sans déseinparer.
Le commissairedu gouvernement adressera , dans les troisjours',le
FLORÉAL AN XI. 237
jugement audirecteur de l'enregistrement et du domaine , chargé de
poursuivre lepaiement de l'amende , ainsi qu'il est prescrit par les ar
ticles 10 et II de la susdite loi.
Lecommissaire du gouvernement adressera aussi des copies du jugement
au capitaine du recrutement , et au commendant de la gendar
merie dudépartement , chargé de faire rechercher ledit conscrit , et de
lefaire conduire au dépôt qui sera désigné par le gouvernement...
X. Tout conscrit condamné comme réfractaire , sera conduit ,de
brigade en brigade , dans un dépôt militaire , pour y être à la dis
positiondugouvernement, pendant cinq ans , et employé dans les corps
militairesque le gouvernement déterminera , et qui seront soumis à une
discipline particulière.
XI. Lamêmeprocédure sera observée etllee smêmespeinesprononcées
contre tout conscrit désigné , qui ne rejoindra pas a l'époque qui
lui auraétéprescrite ,lecorpsddaans lequel11devra être incorporé.
XII. Tout conscrit condamné comme réfractaire, qui n'aurapas
été arrêté et conduit au dépôt , dans les mois qui suivra le jugement
rendu contre lui , sera , sur la demande du capitaine de recrutement
etd'après les ordres du préfet , remplacé par sa municipalité ; en conséquence
il sera fait une nouvelle désignation.
** XIII . Pourront être admis comme suppléans , les conscrits de l'année
etdes années antérieures , non désignés , ou désignés sculement pour
laréserve, pourvu qu'ils aient la taille et les autres qualités requises ,
etqu'ils soient nés et domiciliés dans l'étendue de l'arrondissement.
Les individus qui se seront fait remplacer par un membre de la
reserve , seront inscrits dans ladite reserve , au lieu et place de leur
suppléant.
XIV. Le conscrit qui aura un frère faisant,comme conscrit , partie
de l'armée active, celui qui sera fils unique d'une veuve , et l'aîné de
frères orphélins pourront, s'ils le demandent , être désignés pour
former la réserve .
Ladiscussionde ce projet est fixée au 6 floréal .
7
:
Le tableau de répartition de 50,000 conscrits , annexé
au projet de loi présenté au corps législatif , règle ainsi
qu'il suit , le contingent à fournir par chacun des 108
départemens :
Ain', 266. Aisne , 578. Allier , 226. Alpes , ( Basses )
125. Alpes , ( Hautes ) 100. Alpes- Maritimes , 125. Ardèche
, 241. Ardennes , 228. Arriége , 175. Aube, 257.
Aude , 200. Aveyron , 295. Bouches- du-Rhône , 251.
Calvados , 406. Cantal , 197. Charente , 268. Charente-
Inférieure , 357. Cher , 196. Corrèze , 20g. Côte-d'Or ,
193. Côtes-du-Nord , 290. Creuze , 193. Doire , (la) 250.
Dordogne , 269. Doubs , 198. Drôme , 209. Dyle , 332,
Isle-d'Elbe , 20. Escaut , 542. Eure, 561. Eure-et- Loir
23. Finistère , 253. Forêts , 184. Gard , 269 Garonne ,
(Haute ) 371. Gers , 241. Gironde , 449. Golo , 230.
Hérault, 247. Ille-et-Vilaine, 500. Indre , 182. Indre-et
238 MERCURE DE FRANCE ,
Loire , 242. Isère , 388. Jemmappes , 377. Jura , 254.
Landes , 201. Lenian , 182. Liamone , 150. Loir- et-Cher ,
189. Loire , 262. Loire , ( Haute ) 207. Loire-Inférieure ,
300. Loiret , 258. Lot, 339. Lot-et-Garonne , 290. Lo
zère , 114. Lys , 419. Maine-et-Loire , 300. Manche , 472.
Marengo , 320. Marne , 269. Marne , ( Haute ) 199.
Mayenne , 240. Meurthe , 295. Meuse , 236. Meuse-Inférieure
, 212. Mont-Blanc , 229. Mont-Tonnerre , 351 .
Morbihan , 280. Moselle , 306. Nethes , ( Deux ) 223.
Nièvre , 208. Nord , 685. Oise , 311. Orne , 358. Ourthe ,
299. Pas-de-Calais , 449. Pô , 381. Puy-de-Dôme , 449.
Pyrénées , ( Basses ) 521. Pyrénées , ( Hautes ) 157. Pyrénées-
Orientales , 100. Rhin , (Bas ) 399. Rhin , ( Haut )
347. Rhin-et-Moselle , 211. Rhône , 275. Roër , 300 .
Sambre- et-Meuse , 141. Saône , ( Haute ) 250. Saône-et-
Loire , 407. Sarre , 178. Sarthe , 353. Seine , 450. Seineet-
Marne. 265. Seine-Inférieure , 540. Seine-et-Oise , 375.
Sésia , 191. Sèvres , ( Deux ) 194. Somme , 411. Stura ,
580. Tanaro , 285. Tarn , 241. Var, 234. Vaucluse ,170.
Vendée , 200. Vienne , 216. Vienne , ( Haute ) 217.Vos
ges , 272. Yonne , 284.
PARIS.
Par un arrêté du gouvernement , en date du 18 de ce
mois , les conseils-généraux de départemens , conformément
à la loi du 18 germinal an 10 , sont autorisés à voter
une augmentation de traitement aux archevêques et évêques
de leurs diocèses , si les circonstances l'exigent. Ils
détermineront , pour les vicaires-généraux et chanoines ,
un traitement qui ne pourra être moindre que celui qu'à
fixé l'arrêté du 14 nivose an 11. Ils proposeront , en outre ,
les sommes qu'ils croiront convenable d'appliquer , I. aux
acquisitions , locations,, réparations et ameublemens des
maisons épiscopales ; 2°. à l'entretien et réparation des
églises cathédrales ; 3°. à l'achat et entretien de tous les
objets nécessaires au service du culte , dans ces églises.
Ces sommes seront imputées sur les centimes additionnels
affectés , chaque année , aux dépenses variables de leurs
départemens .
Les conseils municipaux , en exécution de l'article
LXVII de la loi du 18 germinal an 10 , délibéreront ,
1° . sur les augmentations de traitemens à accorder sur les
revenus de la commune , aux curés , vicaires et desservans,
FLORÉALAN XI 239
2°. sur les frais d'ameublement des maisons curiales ,
3°. sur les frais d'achat et d'entretien de tous les objets
nécessaires au service du culte dans les églises paroissiales
et succursales.
Les conseils municipaux indiqueront le mode qu'ils
jugeront le plus convenable pour lever les sommes à fournir
par la commune , pour subvenir aux dépenses désignées
en l'article précédent.
Les délibérations des conseils-générauuxx de départemens
et celles des conseils municipaux , ne pourront être mises
à exécution qu'après l'approbation du gouvernement.
Elles seront transmises séparément par les préfets au ministre
de l'intérieur .
Un arrêté du gouvernement , en date du 23 germinal ,
prescrit aux payeurs extérieurs du trésor public , d'adresser
au ministre de ce département , dans les cinq premiers
jours qui suivront l'expiration de chaque trimestre ,
toutes les ordonances qui auraient six mois de date au
moins , et qui , étant payables par eux à des parties prenantes
ydénommées, n'auraient pas encore été acquittées.
Les arrérages de la dette publique et des pensions
payables dans les départemens , et qui n'auraient pas été
réclamés par les rentiers et pensionnaires , dans les six mois
qui suivront le terme fixé pour consommer le paiement
d'un semestre échu , ne pourront plus être acquittés qu'à
Paris ; en conséquence , les fonds affectés au paiement
de ces arrerages non réclamés , seront pareillement reversés
à la caisse centrale du trésor public , par les préposés
du payeur-général de la dette publique.
D'après un autre arrêté du gouvernement , ne sont pas
compris au nombre des actes conservatoires autorisés par
l'article 6 de l'arrêté du 19 fructidor an 10 , concernant les
créanciers des colons de Saint-Domingue , les actes qui
empêcheraient l'effet de la surséance , tels que saisies
mobiliaires ou réelles , oppositions à la délivrance des
revenus , fruits , denrées , et autres objets mobiliers . Les
oppositions mises à la délivrance des capitaux , dûs par
lesdits colons pour les causes énoncées en l'article 1 .
dudit arrêté , n'empêcheront pas la délivrance desdits
capitaux , mais assujettiront les colons , auxquels ces
remboursemens auront été faits , à justifier , dans le délaï
de six mois , à compter du jour desdites appositions , que
l'emploi des sommes en provenant a été fait à l'exploitaer
7
240 MERCURE DE FRANCE .
tion ou amélioration d'une habitation de ladite colonie ;
sinon ils pourront être déclarés déchus du bénéfice de la
surséance accordée par l'article 1. dudit arrêté du 19
fructidor an 10 .
Le premier consul aaccordé des lettres de grâces à
deux individus condamnés à mort. Le premier , nommé
Jean-Pierre Gratien , est un militaire couvert de blessures
honorables . Il paraît que ce militaire avait tué une femme,
Le second, nommé Charles Pain , condamné , comme
complicede meurtre , sur la déposition d'une femme qui
enétait l'auteur, et qui a rendujustice à l'innocence de ce
malheureux , lorsque, condamnée elle-même à la peine
de mort , elle allait subir sa sentence..Le commissaire du
gouvernement prit sur sa responsabilité de suspendre
l'exécution du jugement de Charles Pain.
L'académie française, dans sa séance du 30 germinal ,
a élu M. de Parny à la place vacante par la mortde
M. Devaisne. La nomination a été faite au premier tour
de scrutin , malgré le mérite de plusieurs concurrens
distingués: celui qui a réuni le plus de voix , après M. de
Parny , a été M. Dureau Delamalle , à qui ses ouvrages ,
ses connaissances en littérature , son excellente critique ,
ouvrent également l'académie française et la classe de
littérature ancienne.
Joseph Bonaparte vient d'être nommé membre de la
troisième classede l'Institut ,à la place vacante par la mort
de D. Poirier. :
Les nouvelles de Saint-Domingue deviennent de jour
en jour plus rassurantes. On apprend, sous ladate du
15 ventose , que le général Rochambeau transfere son
quartier-général au Port-au-Prince ; que beaucoup de
negres rentrent sur les habitations de la plaine; que l'épidémie
a entièrement cessé , et qu'on entrait dans la saison
la plus favorable de l'année pour l'acclimatation des Eu
ropéens. Au depart de ces nouvelles , plusieurs mille
hommes de troupes arrivant de l'Europe venaient de
débarquer au Cap.
La nouvelle monnaie portant l'effigie du premier consul
, commence àparoître dans la circulation; les der
niers paiemens de la trésorerie ont été faits en nouvelles
piècesde5 fr.
La cour d'Espagne , plusieurs princes d'Allemagne , et
ungrand nombre d'étrangers de distinction , ont souscrit
pour la belle édition in-4°. du poëme de la Pitié.
( No. XCVI. ) 10 FLOREAL an 11 .
( Samedi 30 Avril 1803. ) :
MERCURE
DE FRANCE.
LITTÉRATURE
REP.FRA
POESIE.
1
MORT DE NISUS ET D'EURYALE
(Traduit de Virgile. )
DES Rutules vaincus la dépouille pesante
D'Euryale qui fuit rend la course plus lente ;
De ces sombres forêts la ténébreuse horreur
Arrête encor ses pas égarés par la peur.
Nisus l'à devancé ; plus léger dans sa fuite ,
Il a des ennemis éludé la poursuite
Déjà loin du péril il ralentit ses pas ;
Mais il cherche Euryale , et ne le trouve pas :
Quel malheur vous retient , Ô mon cher Euryale !
Où vous suivre ? où courir ? Sort cruel ! nuit fatale
Il dit; et sur ses pas retournant dans les bois
Il suit tous leurs détours une seconde fois.
Il sent à chaque pas redoubler ses alarmes
4
5.
cen
12 Q
242 MERCURE DE FRANCE ;
Mais il entend le bruit des chevaux et des armes :
Soudain un cri perçant retentit jusqu'aux cieux !
Il voit.... Dieu ! quel spectacle est offert à ses yeux ;
Entouré d'ennemis qu'a favorisés l'ombre ,
Euryale surpris , accablé par le nombre ,
Sent plier son courage , et se défend en vain.
Qui pourra le soustraire au Rutule inhumain ?
Hélas ! comment sauver cette tête chérie ?
Nisus veut attaquer cette troupe ennemie ,
Et par un beau trépas signaler sa valeur.
Prêt à lancer un dard d'un bras plein de vigueur ;
II regarde le ciel , et fait cette prière :
,
<< O toi ! qui dans les cieux fais briller ta lumière ,
« Déesse de la nuit et des sombres forêts ,
>> Diane ! si toujours j'éprouvai tes bienfaits ,
>> Dans les bois si jadis , sûr de percer la proie ,
>> Je t'ai souvent porté mon offrande avec joie ,
>> En ce moment encor guide ce trait vengeur;
>> Répands ici par moi le trouble et la terreur. »
Il dit , et de son bras , que la colère anime
Le javelot s'enfuit , et frappe une victime :
Sulmon reçoit le trait derrière lui lancé ;
Par le fer de Nisus son corps est traversé :
Le sang coule à longs flots , il se roule , il s'agite ;
Dans les bras de la mort on le voit qui palpite.
La troupe s'en émeut ; et Nisus toujours prêt ,
Fait sur elle à l'instant voler un autre trait .
D'un bras toujours certain redoublant le carnage ,
Il échappe aux regards sous un épais feuillage :
L'air frémit , le trait vole , et le fer meurtrier
Sous le front de Tagus pénètre tout entier.
Volscens en frémissant veut punir le coupable :
Il tire du fourreau son glaive redoutable ;
Mais du trépas des siens il cherche en vain l'auteur.
FLOREAL AN XI 243
Alors vers Euryale il court avec fureur :
« Perfide ! dans ton sang que ma main va répandre
>> Je punirai le bras qui vient de nous surprendre ;
» Un seul coup , dit ce chef , me vengera des deux
Nisus à cet aspect pousse un cri douloureux :
Tremblant pour Euryale , il sort de sa retraite ;
Au fer des ennemis il présente sa tête :
» Arrêtez ; c'est à moi de verser tout mon sang ;
» Punissez le coupable , épargnez l'innocent ;
► Moi seul je l'ai conduit dans cette nuit funeste ;
>> J'en atteste l'éclat de ce flambeau céleste.
» Guerriers , de sa jeunesse ayez quelque pitié !
» Ah ! s'il est, criminel , son crime est l'amitié ! >>
Ainsi parlait Nisus ; mais la fatale épée
Dans le sang d'Euryale était déjà. trempée :
Le Rutule en son sein la plonge avec effort.
Euryale est couvert des ombres de la mort :
Son corps ne soutient plus sa tête défaillante;
Mais il conserve encor une beauté touchante.
Ainsi l'on voit tomber et mourir dans un champ ,
Une fleur que le soc atteint de son tranchant ;
Tels cédant à l'effort de l'eau qui les entraîne ,
Les pavots languissans se penchent vers la plaine.
Nisus se précipite au milieu des soldats.
Volscens est l'ennemi qu'il dévoué au trépas ;
C'est Volscens , c'est lui seul que son glaive menace.
La troupe vainement s'oppose à son audace :
Nisus combat , il presse , il se fraye un chemin ;
Le fer , comme la foudre , étincelle en sa main.
Il joint , il frappe enfin son ennemi farouche :
Volscens reçoit la mort et le fer dans sa bouche.
Nisus percé de coups , meurt content de son sort
Sur le corps d'un ami dont il vengea la mort.
REP.F
Q2
244 MERCURE DE FRANCE ,
3
:
:
ODE
1
A LA PUDEUR.
O Tot , dont la douce présence ,
Chaste et modeste déité ,
Fait le charme de l'innocence,
Et le lustre de la beauté !
Fille du ciel, pudeur sacrée ,
Qui partageas avec Astrée ,
Les voeux et l'encens des mortels ,
Daigne sourire à mon hommage ,
C'est un coeur plein de ton image ,
Qui vient embrassér tes autels.
Époque à jamais fortunée ,
Où du brillant séjour des cieux ,
Tu descendis environnée
De ton voile mystérieux !
L'homme , à ton sourire céleste
De ta grâce simple et modeste
Tout - à - coup se sentit épris ;
La nymphe rougit à ta vue ;
Et surprise enfin d'être nue
De sa rougeur connut le prix.
7.
,
Dans les forêts , à l'aventure ,
Errant et sans guide ét sans soins
Jadis le roi de la nature ,
N'en connaissait que les besoins;
:Roi dégradé qui , sous sa hute ,
Languissait auprès de la brute...
Mais son coeur s'éveille à tavoix.
O Pudeurt quel est ten prestige
FLOREAL AN XI 245
مه
L'amour fut ton premier prodige ,
Et la plus douce de tes loix.
Mais quel est ce monstre en délire ,
C
:
Que suit tout un peuple effronté ?
Sa bouche infâme ne respire -
Que l'outrage et l'obscénité ;
Hideux enfant de l'athéisme ,
Je reconnais l'affreux Cynisme ,
La honte et l'effroi des mortels.
Tandis que sa marche t'insulte ,
Labeauté , fidelle à ton culte ,
Se réfugie à tes autels.
2
Y
2: >
O Pudeur féconde en merveilles ,
Dis - nous quels magiques ressorts
Des coeurs sacrés sur qui tu veilles ,
Ont produit les nobles efforts ;
De Lucrèce et de Virginie
↓
Le sang réveilla l'énergie
D'un peuple indigné de ses fers ;
Et ta voix, dans la Grèce antique ,
De tout un sexe frénétique (a)
Arrêta les desseins pervers.
Ε. Μ.
(a) Les femmes Milésiennes. ( Voyez Plutarque. )
A "
1
ENIGME.
J'HABITE dans le feu; je fuis la terre et l'onde;
Je me plais dans la nuit , le trouble et les douleurs :
On me voit dans les cieux , mais jamais dans le monde.
Ma famille est en joie , et moi je suis en pleurs.
Q5
246 MERCURE DE FRANCE ,
Je me mets en fureur dans un séjour nocturne ,
Et sans quitter jamais lé deuil , ni le tombeau ,
Je parais dans Mercure , au milieu de Saturne ,
Et vais dans le mois d'août couvert d'un grand chapeau.
LOGOGRYPΗΕ.
:
Je marche sur cinq pieds : on peut trouver en moi ,
Le fer cher à Cérès , et qui fend les campagnes ;
Cet instrument bruyant qui fait frémir d'effroi
Et le cerf des forêts , et le daim des montagnes ;
Le vorace animal qui se nourrit de glands ;
Ceque , dans les enfers , le triste fils d'Éole
,
Envain et sans repos roule pour ses tourments ;
Et ce métal enfin qui du monde est l'idole.
i
Parun Abonné.
4
CHARADE.
MON, premier mange mon dernier ,
Et mon entier.
Parun Abonné.
Mots de l'Enigme , du Logogriphe et de la
Charade insérés dansle dernier Numéro.
Le mot de l'Enigme est la Terre.
Celui du Logogryphe est Mattresse , où l'on trouve
mai , maitre et tresse
Lemot de la Charade est Mattresses
C
FLOREAL AN XI. 247
1
PRÉCIS HISTORIQUE de la Révolution française;
Convention nationale ; par Lacretelle jeune ;
deux vol. in-18 , avec quatre gravures. Prix :
10 fr. et 12 fr . 50 c. par la poste. A Paris , chez
Treuttelet Wurtz, libraires ; et chez leNormant,
imprimeur - libraire , rue des Prêtres Saint-
Germain-l'Auxerrois , nº. 42.
ILLya très-peu de temps que nous avons an
noncé dans ce journal une Histoire de la Révolutionfrançaise
: aujourd'hui , nous en annonçons
une nouvelle , et celle - ci ne mérite pas moins
l'attention du public que la première. Si un seul
homme , dit un de nos écrivains , élevait la voix
pour raconter tant d'événemens extraordinaires ,
on pourrait bien ne pas ajouter foi à ses récits ;
notre révolution , dans ses principes et dans ses
resultats , présente tant de phénomènes mons--
trueux , que ses témoins devraient être aussi nom--
breux que ses prodiges; et que ceux qui en re
traceront les horreurs , devraient , s'il se peut,
égaler le nombre des crimes qu'elle a produits
Parmi les hommes , dont le témoignage doit
être compté pour quelque chose on distinguera
sans doute M. Lacretelle le jeune , qui ,
par la sagesse de sa conduite et la franchise de
ses opinions , s'est acquis des droits à l'estime
de ses lecteurs. Le premier volume de son Précis
historique a déjà obtenu les suffrages du public;
et les deux volumes que nous annonçons aujourd'hui
, seront sans doute accueillis avec le même
empressement : ces deux volumes renferment les
événemens les plus terribles de la révolution ; il
fallait autant de courage que de talent pour dé--
crire cette époque désastreuse,et M. Lacretelle
Q4
48 MERCURE DE FRANCE ;
1
a prouvé qu'il avait toutes les qualités néces
saires pour remplir une tâche aussi pénible.
Nous ne suivrons point l'historien dans ses développemens:
il est inutile de rappeler des événemens
connus ; ce Précis historique ne renferme
point de particularités neuves , point de faits nouveaux
; nous l'examinerons d'abord sous le rapport
dela méthode et de la clarté qui y règnent ,
et qui en font peut-être le mérite le plus distingué,
si on en juge par la difficulté qu'on doit
trouver à mettre de l'ordre dans le récit d'événemens
qui n'ont point de suite , dont on ne peut
assigner la véritable cause , et qui semblent dérobés
à la nuit du chaos. L'histoire de la Convention
est divisée en cinq livres; le premier commence
à l'ouverture de la Convention , et finit à
la mort de Louis XVI. Dans le second livre ,
l'auteur retrace les orages qui ont agité la Convention
et lanouvelle République , depuis la mort
du roi jusqu'au mois de septembre 1793 , époque
marquée par le triomphe de Robespierre sur ses
adversaires , et par l'exercice de cette tyrannie
aussi aveugle qu'absolue , qui prépara bientôt la
châûte du comité de salut public. Le siège à jamais
mémorable de Lyon , celui de Toulon , les massacres
qui souillèrent les vainqueurs , les avantures
tragiques et la mort des députés qui tenaient
au parti du fédéralisme , remplissent le troisième
livre. Le quatrième commence à la chûte de Danton
et finit à celle de Robespierre ; et le cinquième
va jusqu'au 13 vendémiaire , époque où
laConvention se sépara , mais conserva cependant
dans les Conseils et dans le Directoire une
influence sinistre sur les destinées de la France.
Telle est la division du Précis historique de M.
Lacretelle : il est fâcheux que les époques soient
toujours marquées par le crime, mais la vertu
FLORÉAL AN XL
249
restait cachée dans l'ombre ; la morale était sans
cesse outragée , et ce temps malheureux sera une
lacune éternelle dans leurs annales. :
Nous examinerons maintenant l'ouvrage de M.
Lacretelle sous le rapport du style et des couleurs
dont il a revêtu son sujet. Le style est pur , cor
rect , et quelquefois élégant : l'historien moderne
n'a pas la profondeur de Tacite , mais il a quelquefois
l'heureuse précision de Salluste. Nous pensons
que les couleurs qu'ila employées pour peindre
le crime triomphant , ne sont pas assez animées
de cette haine vigoureuse, decette énergie profonde
queM. Lacretelle a souvent montrée dans sa conduite
, et qu'il aurait dû conserver dans ses écrits.
Je sais que le caractère de l'historien est de rester
impartial , mais l'impartialité ne va pas jusqu'à
conserver une espèce de neutralité entre un parti
criminel et l'innocence persécutée. Sans doute
qu'il faut se défendre des séductions de la haine
lahaine peut nous égarer : mais quand on parle
des hommes qui ont causé les malheurs de tout
un peuple, il est permis à l'historien de s'armer
d'une sainte colère ; quand il s'agit de montrer le
crime tel qu'il est ,blamer violemment , c'est être
juste ; haïr, c'est être vrai .
Au reste, nous n'adressons pas ce reproche dans
toute sa rigueur à M. Lacretelle; il montre peut
être trop d'indulgence pour un parti malheureux
(1) , qui a été la cause première de tous nos
désastres , et qui , si j'ose parler ainsi , a fini par
se noyer dans le sang qu'il avoit lui-même versé :
mais il peint le plus souvent le crime et la vertu
avec les couleurs qui leursont propres. Nous allons
faire des citations. L'historien fait ainsi le tableau
de la Convention nationale::
(1) Les Giroudins et les Brissottins.
::
.
250 MERCURE DE FRANCE ,
1
« On la voit, dit-il dans son premier livre
>> jusqu'à la journée du 31 mai, tenir , d'une main
>> incertaine, la balance entre ceux qui peuvent ho-
>> norer la république par des vertus et des talens , et
> ceux qui n'ont eu pour l'élever, qui n'auront pour-
>> la maintenir que des crimes. Elle montre pour les
>> premiers quelque estime , peu d'affection , nulle
>> condescendance; elle hait les derniers , mais elle
>> les craint encore davantage. Ils lui demandent de
>> verser le sang d'un roi captif, de punir , comme
>> un tyran , le plus faible , le plus clément des
>> princes ; elle s'arrête , elle délibère , elle vou-
>> drait le sauver; elle affecte de le couvrir d'i-
>> gnominie pour le garantir de la mort. Il lui est
>> arraché avec peine ; elle décrète son supplice ,
>> et bientôt elle n'aura plus à décréter que des
>> supplices. Chaque pas la conduit à l'anarchie;
>> ses menaces et ses fureurs ont formé une seconde
>> coalition plus terrible que la première. Les
>> armées ont eu des triomphes ; elles éprouvent
>>des défaites plus rapides ; la défection d'un
>> général accroît le désordre ; une guerre civiles
>>et religieuse se déclare; les factieux profitent de
>> tous ces fléaux; la Convention voit leurs efforts ,
>>elle connait leur but; elle sait qu'ils vont lui
>> ravir tous ses membres les plus distingués ; elle
>> se prépare à assister à ce combat , comme s'il
>> lui était étranger ; il n'y a pas même de combat ;
>> ils périssent , eux qui ont vaincu Louis , encore
>>>plus abandonnés que ne le fut ce malheureux
>> roi , aux derniersjours de son règne. Voilàquelle
>> fut la jeunesse de la Convention .
>> Faible ennemie des factieux , elle en devient
>> la misérable esclave ; elle désavoue quiconque
>> ose réclamer ; elle punit quiconque ose venger
>> les membres qu'elle a sacrifiés. Les villes les plus
>>importantes s'arment pour lui rendre la liberté,
FLOREAL ANXI. 251
>> elle n'use de ce qui lui reste de puissance , que
>>pour resserrer ses chaînes ; tous les Jours elle
>> vient livrer à ses tyrans , ses décrets , son nom ,
>> ses assignats et ses armées. Deux guerres civiles ,
>> et entièrement opposées dans leur but , surpas-
>> sent les horreurs d'une guerre étrangère , qui ne
> s'annonce plus que par des désastres. Les roya-
>>>listes combattent avec furie; lesrépublicains.qui
>> furent nommés fédéralistes , ne mettent ni en-
>>semble ni vigueur dans leurs mouvemens ; les
>>jacobins triomphent plus facilement que s'ils n'a-
>>vaient eu qu'une seule espèce d'ennemis. Nantes
>> repousse les plus valeureux efforts des royalistes
>> vendéens ; en même temps , elle montre l'in-
>>tention de résister aux jacobins qui l'oppriment.
> Jamaisonn'entendit parler d'une telle vengeance ;
>>>Marseille , Bordeaux , éprouvent, une prompte
>>défaite et de longs châtimens : Lyon résiste av. c
>> gloire , est punie avec les derniers excès de la ba
>> barie; Toulon arecours à une ressourcecriminelle,
> même dans le désespoir ; Toulon succombe; tout
> est vaincu. La Convention met à l'ordre dujour
>> la terreur , qui, depuis long-temps , dicte toutes
>> ses lois; la terreur grossitle nombre des assassins ;
>> elle forme des armées de délateurs ; on semble
>> n'avoir plus de courage que quelques minutes
>> avant de monter à l'échafaud. La France est un
>> pays conquis par une horde de barbares....
» Les jacobins n'ont plus à craindre que leurs
>> discordes. Déjà les remords en ont détaché
> quelques-uns. Vain espoir ; chaque effort qui se
>>fait pour arrêter la tyrannie en redouble la violence.
Ses coups tombent, sans résistance , sur
>> des têtes courbées ; et cependant l'héroïsme et
la victoire sont revenus aux armées françaises ,
>> qui forment le plus étonnant contraste avec le
> peuple français. Bientôt ou n'aura plus de patric,
252 MERCURE DEFRANCE,
:
/
>> et l'on combat comme pour la patrie la plus
> chère et la plus tendre. Tout rempli des pensées
>> de la mort, on semble jouir d'en trouver une
>> glorieuse. La coalition est vaineue une seconde
> fois; on a fait d'immenses conquêtes ; de nou
> veaux malheureux vont partager les horreurs de
>> notre sort ; l'Europe entière peut le craindre.
>> Voilà la seconde période de la Convention.
» Avec qu'elle impatience/ne voudrais-je pas
>> presser ma marche vers la troisième ! Quoique
>> le 9 thermidor ne tire aucun éclat de ceux qui
> y concourent; quoique ses bienfaits ayent encore
>> de l'embarras à se développer ; quoique son in-
>> fluence, au moment où elle est déjà sentie , soit
> altérée par de nouveaux chocs de factions , par
>> les horreurs d'une famine , par des vengeances
>> effrénées , plutôt que par de justes châtimens ,
>> on aime à considérer dans tous ses détails cet
>> événement donné par le ciel , et conduit par
>> des hommes. D'abord , la Convention y paraît
> un instrument aussi passifdu bien, qu'elle le fut
>> de tant de crimes. Elle est délivrée de ses tyrans
> les plus formidables , mais elle a perdu la plupart
>> de ceux qui semblaient destinés à l'honorer ;
>> elle est entraînée par l'indignation , long-temps
>> captive , de quelques hommes de bien , et plus
>> fortement encore par ceux qui ont reçu l'élan
>> d'un beau repentir ; elle leur résiste aussi fai-
>> blement dans leur retourr ,, qu'elle avait d'abord
>> résisté à ses tyrans.
4
९
>> Cependant elle marche vers son indépendance,
>> ou plutôt vers une longue domination; elle a
>>pris une politique tortueuse , défiante , opinia-
>> tre; tous les partis croient pouvoir insulter à sa
> vieillesse méprisée; mais sa vieillesse est armée
>> de précautions et d'artifices. Long-temps jouet
* de la révolution , c'est elle aujourd'hui qui lui
FLORÉAL AN XI 253
>>commande; tout lui convient pour une victoire,
>>mais elle sait en user avec ménagement; elle ne
> calme point les factions , mais elle les contient ,
> quand il lui plait de les contenir ; elle triomphe
,
au dedans, au dehors ; et , ce qui la flatte
>>encore plus elle va commencer un autre
>>règne , sous un nouveau nom , sous de nouvelles
>>formes . >>>
i
On peut juger par ce portrait très-bien tracé
de l'esprit qui a dirigé la plume de M. Lacretelle ;
on ne sera pas faché de voir à côté de ce tableau
de la convention , celui d'une société qui n'a pas
laissé des souvenirs moins affreux: je veux parler
de la société des Jacobins.
« Près du lieu des séances de l'assemblée
>>nationale , dit M. Lacretelle , une autre con-
>> vention existait dans l'ancien couvent des
>>>Jacobins. Voici quel était alors le régime de
>> cette société , dont nous avons eu souvent à
>>parler dans les époques qui précèdent celle-
>> ci : elle s'assemblait le soir , et continuait
>> fort avant dans la nuit ses délibérations. Quel-
>> ques lampes éclairaient faiblement les voûtes
>> de cette enceinte monacale. On était presque
>> contraint de s'y présenter avec de sordides vê-
> temens. En y entrant , les hommes les plus gros-
>> siers ajoutaient encore à la rudesse de leur ton ;
>> les plus féroces , à leur air farouche. Cette so-
» ciété comptait dans Paris seul , près de 1,500
>> membres. Une multitude de complices obscurs
>> remplissait ses tribunes. La séance s'ouvrait par
>> des chants révolutionnaires , les uns lugubres ,
> comme les avertissemens de la mort ; les autres ,
» d'unegaieté encore plus barbare.On lisait un ex-
>> trait de la correspondance des sociétés du même
> genre , qui s'étaient établies dans toutes les villes ,
>> et bientôt dans presque tous les villages de
254 MERCURE DE FRANCE ,
4
► France. Elles félicitaient la société-mère ; elles
> exaltaient son courage; quelquefois elles lui re
> prochaient sa faiblesse , sa lenteur. Là , se trou-
>> vait la liste et l'éloge des massacres commis sur
» tous les points de la république. Peu de ces
➤ adresses se terminaient sans une dénonciation ;
▸ des milliers de proscrits y trouvaient l'arrêt de
>> leur mort , ou l'avis de leur fuite..... Après
>> cette lecture , commençaient des débats , tout à
> la fois burlesques et terribles. Les députés à'
> la convention venait la dénoncer , s'ils y avaient
» éprouvé quelques échecs; ils se consolaient de
>> quelquesjours où leur vengeance était suspendue,
>> par la perspective de l'exercer plus longue et
> plus complète. Il régnait une telle confusion
>> dans ces débats , on croyait y voir une telle
démence , qu'on s'attendait à les trouver sans
>> résultats , et pourtant jamais une conception dư
crime n'y fut perdue; à peine était-elle propoée,
> c'était à qui l'applaudirait , la développerait ,
> l'exécuterait. La force de cette faction consis-
>>tait sur-tout à savoir employer des hommes ,
>> qui , par leur formes stupides et grossières , et
>> par leur avilissement , auraient été dédaignés de
>> tout autre parti. Ils avaient réusssi à mettre à
>> leur disposition les vices de chaque individu ent
>> France. Il y avait parmi eux des fanatiques ;
>>mais la plupart des chefs n'étaient que des hy-
>> pocrites de fanatisme. Les uns étaient plus avides
> de sang, les autres plus avides d'or. Pour ceux
» ci , la cruauté était un besoin; pour ceux-là ,
⚫ elle était un calcul. Tous insultaient publique
>> ment à la pitié , comme à la dernière bassesse
» du coeur; quelques-uns pourtant l'éprouvaient
>> en secret , l'exerçaient quelquefois furtivement.
>> Déjà, plusieurs d'eux envoyaient , dans leur
>> pensée ,'leurs complices à l'échafaud ; mais les
FLORÉAL AN XI 255
>> haines restaient aussi profondes , aussi cachées
» qu'à la cour d'un tyran.>>>
Onpourrait multiplierles citations, mais celles-ci
suffiront sans doute pour donner une idée juste
du Précis historique de M. Lacretelle. Ila peint ce
qu'il a vu lui-même, et lorsqu'il parle de ce qu'il
n'a pas vu , il paroît avoir puisé dans les meilleures
sources. Il n'est qu'un seul fait sur lequel
l'auteur semble avoir été induit en erreur; il parle
d'un envoyé du roi de Sardaigne , qui vint traiter
avec les Lyonnais, en 93: ce fait est absolument
controuvé ; les Lyonnais avaient pu placer leur
espoir dans les peuples voisins; mais ils n'ont jamais
traité ni entrepris de traiter avec aucun
gouvernement étranger ; M. Lacretelle , il est
vrai , ne donne point ce fait comme authentique
, mais il était inutile d'en parler ; dans un
précis aussi laconique que celui que nous annonçons
, il ne faut pointdonnerde place aux conjectures
, il faut sur-tout supprimer les détails , qui
n'expliquent rien , et sous ce dernier rapport , on
pourrait peut-être reprocher à l'historien de s'être
trop appesanti sur les petites nuances des factions
qui ont succombé; ces nuances échapperont à la
postérité , et il ne restera dans le souvenir des
hommes que de grands crimes et de grands malheurs.
Au reste , ces défauts sont légers, et ils sont
rachetés dans le Précis de M. Lacretelle , par tout
ce qui peut intéresser et instruire les lecteurs les
plus éclairés.
:
Avant de terminer cet extrait , il ne sera pas
inutile peut-être de revenir sur une question qu'on
a souvent agitée , c'est celle de savoir si le temps
est venu d'écrire l'histoire de la révolution. Beaucoup
de gens très-éclairés sont pour la négative;
dans cette révolution , disent-ils , où chaque Français
a été victime ou bourreau , où trouver un
256 MERCURE DE FRANCE ,
homme qui puisse se dégager de tous ses intérêts ,
de tous ses souvenirs , de toutes les passions qui
l'ont animé , pour élever une voix impartiale et
digne d'être entendue de lapostérité. Quelle vérité
sortira de ce tourbillon d'intrigues et de factions
opposées ! Les récits de nos troubles politiques
seront - ils écrits sous la dictée du bourreau qui
seul était dans le secret de tous les crimes ! ou
bien notre histoire se composera-t-elle des gémissemens
des victimes , qui seules ont commu tous les
malheurs de la révolution ? Ces raisonnemens sont
spécieux , mais ils ne sont pas sans réplique. Ы
me semble qu'en condamnant les contemporains
à ne pas écrire notre histoire , c'est condamner
la postérité à ne pas la connaître , et à perdre
ainsi le fruit de notre fatale expérience. « L'his-
>> toire , dit l'éditeur de M. Bertrand de Molle-
>> ville (1) , ne sauroit trop invoquer le témoi
>>> gnage des âges contemporains ; quel temps ,
>> d'ailleurs , fut plus favorable pour raconter un
> événement , que celui où les assertions du men-
>> songe peuvent être publiquement débattues et
>>démenties par les témoins oculaires , où les
>> récits fidèles peuvent recevoir la sanction ins-
>> tantanée du public , qui a été présent aux événe-
>> mens dont on lui met le tableau sous lesyeux.
>> Je sais qu'on peut étudier l'histoire des sociétés
>>dans les monumens qu'elles ont laissés ; mais
>> dans une révolution qui a tout détruit et qui
➤ n'a rien laissé de durable , quels sont les monu
mens qui resteront à consulter ? Les flammes
qu'elle a par-tout allumées , sont heureusement
(1) L'Flistoire de la révolution , par M. Bertrand de
Molleville , est assez avantageusement connue du public,
pourque nous soyons dispensés d'en parler ici.
⚫éteintes ;
FLORÉALAN XI
» éteintes; leslarmes de l'humanité, tristes manu
» mens des troubles , sont taries ; la terre derobe
>> aux regards les dépouilles de la vertu el delba
>> nocence immolée au génie des factions ? Que)
>> nous restera-t-il donc pour faire connoître ces
>> terribles époques , si ce n'est le témoignage des
>> écrivains indépendans et vertueux , qui ont
>> échappé à la faux de la terreur révolutionnaire .>>>
Si d'ailleurs on doit adoptér l'idée que les philosophes
se sont faite du temps , qu'ils ont défini la
durée des choses, il faut convenir que sa marche
a dû être beaucoup plus rapide dans les dernières
années , et que si le temps a été longtemps en possession
de tout dévorer , la révolution l'a dévoré
lui-même à son tour. Le mouvement révolutionnaire
nous entrainoit si rapidement d'une idée à
une autre , il renversoit si subitement nos projets ,
nos espérances , il a si souvent changé l'objet de
nos craintes et de nos calculs , qu'il a donné aux
années la rapidité des jours ; et l'on peut dire ,
qu'au milieu de tant de secousses toujours renaissantes
, de tant d'abymes ouverts et refermés sous
nos pas de tant de factions presqu'en même
temps triomphantes et abandonnées , de tant de
révolutions , en un mot , dans le sein même dé
notre révolution nous sommes devenus' notre
propre postérité , et nous pouvons aujourd'hui
parler de nous-mêmes , comme en parleront les
åges futurs . Ces raisonnemens paraissent sans répl-
que , et s'il était nécessaire d'ajouter une nouvelle
preuve, pour faire voir qu'on peut enfin dire
la vérité sur la révolution , il nous semble qu'on
pourrait citer avec avantage l'exemple de M. Lacretelle.:
,
:
,
Κ.
12 R
258 MERCURE DE FRANCE ,
HIPPOLYTE , tragédie en trois actes , imitée d'Euripide ,
parle citoyen Palinézeaux ; représentée , pour lapremière
fois , àParis , sur le théâtre du Marais , le g ventose
an 11. A Paris , chez madame Masson , libraire , rue
de l'Echelle , nº. 558 , et chez le Normant , imprimeurlibraire
, rue des Prêtres Saint-Germain- l'Auxerrois ,
n°. 42, en face du petit portail.
ONN ne seplaindra plus de ladisette des talens ; on n'entendra
plus louer tous les jours , à nos dépens , cet éternel
siècle de Louis XIV : le citoyen Palmézeaux (Dorat-
Cubières ) vient enfin de prouver que nous avons encore
des génies capables de lutter avec les génies de cet âge
trop vanté , et d'atteindre à leurs chefs-d'oeuvres.
Jusqu'à présent on avoit eu la simplicité de croire que
la Phèdre de Racine était une assez belle tragédie ; mais
le citoyen Palmézeaux a fort bien démontré que Racine
n'y entendait rien, et qu'onpouvait faire beaucoup mieux
que lui. Pour mettre cette vérité hors de doute , le citoyen
Palmézeaux a refait la Phèdre , et n'a pas craint de
combattre corps-à-corps , comme Pradon , de glorieuse
mémoire , avec l'auteur d'Andromaque et d'Athalie .
Le citoyen Palmézeaux a été encouragé dans cette
grande entreprise par un certain professeur de ses amis.
C'est ce qui lui a fourni le sujet d'un dialogue ingénieux,
que l'on trouve à la tête de son Hippolyte. Nous en rapporterons
quelques passages , car on ne peut mieux
faire connaître M. Dorat-Cubières qu'en le citant.
Les lecteurs bénévoles de l'Almanach des Muses , et les
jeunes provinciaux , qui ont encore toute leur candeur
primitive en littérature , seront charmés de retrouver ici
le talent de l'auteur du Dialogue des deux Fauteuils académiques
, si admiré par M. de Rivarol ; des Point ne
faut, chant marotique ; de Marat , poëme ; des Etats
FLOREAL AN XI
259
généraux de Cythère , et de tant d'autres ouvrages pleins
de sel et d'innocence.
LE PROFESSEUR
>> Eh bien , puisque M. Guérin a fait son Hippolyte ,
» pourquoi ne feriez-vous pas le vôtre ? Il est peintre , et
> vous êtes poète.
L'AUTEUR.
>> Pourquoi ne ferais-je pas mon Hippolyte ? Je ne
>> comprends pas bien ce que vous voulez dire.
LE PROFESSEU Ra
>> Eh! oui; pourquoi ne feriez-vous pas votreHippolyte?
>> Supprimez les choeurs de l'Hippolyte d'Euripide ; trai
ptez le sujet en trois actes , et vous nous donnerez , à
>>>>votre tour , une tragédie très-estimable .
L'AUTEUR
>> Traiter un sujet après le grand Racine ! y pensez
» vous , M. le professeur ? ......
LE PROFESSEUR.
>> Eh ! qu'importe que Racine ait déjà traité un sujet ?
» est-ce une raison pour qu'un autre poète ne le traite
>> pas ? Le Gouvé a refait la Thébaïde , et a mieux fait
>>que Racine.
:
L'AUTEUR.
n.Mais la Thébaïde fut le premier ouvrage de Racine ,
» et par conséquent très-faible ; au lieu que Phedre .....
(6 .....
LE PROFESSEUR.
Racine a pu faire des fautes ; que dis-je ? il en
na fait ; la tragédie de Phèdre en fourmille.
:
, » Quelques - uns ont prétendu , et prétendent encore
que le plan de la Phèdre de Pradon vaut beaucoup
>> mieux que le plan de la Phèdre de Racine ; et je ne vous
>> cache pas qu'un demes collègues , professeur , ainsi que
R2
260 MERCURE DE FRANCE ,
>> moi , dans une école centrale de département , ne man-
>> que jamais , quand il donne des leçons sur la tragédie ,
>> de lire à ses élèves laPhèdre de Pradon et celle de Racine ,
>> de les analyser , de les comparer ensemble , de faire
» voir en quoi celle de Pradon l'emporte sur celle de
>> Racine , etc. »
Ici le citoyen Palmézeaux veut bien nous apprendre
que le grand professeur , qui explique la Phèdre de Pradon
à ses écoliers , est l'illustre M. Briquet , professeur de
littérature à Niort ; que madame Fortunée Briquet , son
épouse , s'occupe aussi des lettres avec succès , et que le
portrait de cette dame se trouve gravé à la tête du nouvel
Almanach des Muses , qui s'imprime chez Barba. Que
nous éprouvons de satisfaction d'apprendre que M. Briquet
demeure à Niort en Poitou ! M. de Rivarol ne nous
avait laissé que des renseignemens fort douteux sur cet
auteur célèbre. A l'article Briquet du petit Alınanach des
grands Hommes , on lisait : Briquet, voyez Braquet : et à
Braquet , on trouvait : Braquet , voyez Briquet : de sorte
qu'on ne savait où le prendre. Nous remercions le citoyen
Palmézeaux d'avoir tiré les savans de cette cruelle incertitude.
On nous pardonnera cette petite digression en faveur
d'une chose si importante ; nous revenons à notre
sujet.
Après avoir critiqué le plan de la Phedre de Racine ,
le professeur passe à l'examen du style. Un combat plein
de modestie et de politesse , s'engage alors entre l'auteur
et M. le professeur : » J'ai critiqué , dit celui-ci , le plan
>> de la Phèdre de Racine , parce qu'il mérite d'être cri-
>> tiqué : je vous étonnerais bien davantage , si .....
L'AUTEUR.
>> Voilà un si quime déplaît beaucoup. Quevoulez-vous
>> dire avec votre si , et le sens suspendu qu'il annonce ?
LE PROFESSEUR.
>> Je veux dire que je vous étonnerais bien davantage,
psi je m'avisais de critiquer le style de cette pièce.
FLORÉAL AN XI. 261
L'AUTEUR.
>> Parlez , monsieur , parlez ; ne vous gênez pas. Vous
» professez les langues anciennes à l'école centrale du
» Panthéon , vous savez le grec et le latin mieux que moi ;
>> mais la langue française , telle qu'on l'écrivait du temps
>> de Louis XIV , ne vous est pas étrangère ; parlez ,
» éclairez-moi , et je me ferai honneur de profiter de vos
>> lumières.
LE PROFESSEUR.
>> Je ne vous dirai rien sur la Phèdre de Racine , que
» vous ne sachiez ; et à quoi vous servirait mon bavar-
>> dage ? est-ce à l'écolier qu'il convient d'instruire son
>> maître ?
L'AUTEUR.
>> Ah ! monsieur le professeur , quelle modestie ! Je suis
» plus vieux que vous , à la vérité ; mais on perd souvent
>> la mémoire en avançant en âge , et je ne serai pas fâché
>>d'apprendre de nouveau , ce que j'ai su dans ma
>> jeunesse. >>
Nos lecteurs ont-ils jamais rien vu de plus fin et de plus
galant que ce morceau ? Ce si suspendu qui , dans un
autre genre , égale le charmant quoi qu'on die ! ce monsieur
le professeur , ce vieil auteur qui a perdu la mémoire ,
quel ton parfait ! quelle aménité ! quel savoir vivre !
Le citoyen Palmézeaux , vaincu par les raisons du professeur,
s'engage à recommencer la Phèdre de Racine , ou
à refaire l'Hippolyte d'Euripide. Il observe , avec beaucoup
d'érudition , que Robert Garnier , Gilbert , la Pinelière,
Segrais, avaient traité le sujet de Phèdre avant Racine.
Comme les beaux esprits se rencontrent ! c'est précisément
ce que dit aussi M. Pradon dans la préface de sa Phèdre
Et M. Pradon avoue franchement que ce n'est point un ef
fet du hasard qui l'a fait se rencontrer avec Racine , mais
un pur effet de son choix. Le citoyen Palmézeaux fait
R3
262 MERCURE DE FRANCE ,
éclater aujourd'hui le même courage. On dira de lui ainsi
que de Pradon :
<< Dorat ( Cubières ) comme un soleil en nos ans a paru ! »
Voilà donc la pièce faite. Mais où la jouera-t-on ? Au
Théâtre Français ? M. le professeur s'écrie , plein d'une
juste colère : » N'y a-t-il , en France , que le Théâtre
>> Français , pour faire représenter des tragédies ? et n'y
a-t-il que les habitans de Paris qui soient dignes de les
» juger ? Les habitans de Bordeaux , de Lyon , de Mar-
>> seille , de Nantes , etc, n'ont-ils aucune connaissance de
>> l'art dramatique ? ..... J'ai vu d'excellentes pièces ,
>> représentées pour la première fois sur les théâtres de la
>> Cité , du Marais , de Molière , de la porte Saint-Martin ,
>> de l'Ambigu- Comique , des Jeunes-Elèves , etc. >>
Pourquoi , en effet , ne serait-on pas bons juges de la
langue de Racine , à la porte Saint-Martin , à l'Ambigu-
Comique , à Rosporden en Bretagne , ou à Petignac en
Gascogne ? Vive la province et le boulevard pour le bon
goût ! Boileau lui-même est obligé d'en convenir , témoin
ee mot qui lui est échappé : la Pharsale aux provinces
si chère ! Aveu d'autant plus précieux pour le cit. Palmézeaux
, qu'il sortde la bouche d'un ennemi ( 1) . L'auteur se
soumet à l'opinion du Professeur , il consent à donner son
Hippolyte au Marais , et il promet à M. le Professeur de
lui envoyer sa pièce , aussitôt qu'elle sera imprimée. Le
Professeur répond obligeamment : « Je la recevrai avec
> plaisir; en attendant , je vais faire ma classe. n
Tandis que M. le Professeur va régenter les jeunes
élèves de l'école centrale du Panthéon, le citoyen Palmézeaux
se charge done de morigéner Racine. A cet
effet , il a rétabli le rôle de Diane , déesse qui apparaît
armée d'une flêche , pour maintenir au Marais la sévé
rité des moeurs et du goût antique. C'est mademoiselle
(1) M. de Palmézeaux a écrit un livre contre Boileau.
えいい
FLOREAL AN XI. 263
Gotis qui joue ce rôle important. Voilà pourtant ce
qu'aurait ignoré la postérité , si l'auteur n'avait en l'at
tention délicate de faire imprimer les noms des acteurs
du Marais , vis-à-vis ceux des personnages de sa tragédie.
2
Ce n'est ni Vénus , comme dans Euripide , ni Hippolyte ,
comme dans Sénèque , Racine , et même dans Pradon
qui ouvre la pièce du citoyen Palmézeaux ; c'est Phèdre
et sa gouvernante Egine. Egine , comme Enone , se
plaint de l'obstination avec laquelle l'épouse de Thésée
cache un chagrin qui la tue. Phèdre , sans écouter sa
gouvernante , s'écrie :
Ah , qu'ơn m'élève un peu! Tourment insupportable!
Je me meurs , chère Egine. Ote-moi ce bandeau,
Cepesant diadème , inutile fardeau :
Laisse errer mes cheveux en tresses vagabondes .
Eh bien , Racine est-il vaincu?
Que cesvains ornemens , que ces voiles me pèsent
Quelle importune main en formant tous ces noeuds
Apris soin sur mon front d'assembler mes cheveux?
Tout m'affligeet me nuit , et conspire à me nuire.
TA
Ce langage recherché vaut-il ce vers , si simple , qu'on
croit l'avoir lu dans tous les almanachs des Graces ou des
Muses?
«Laisse errer mes cheveux en tresses vagabondes
Nous ne parlerons point de cet admirable hémistiche :
Ah ,qu'on m'élève un peu ! >>
Euripide avait dit : soulevez mon corps. Mais avec
quel art le savant citoyen Palmézeaux versifie la faute
élégante du bonpère Brumoi: Qu'on m'élève unpeu !Aye !
Tout cela rend bien ridicule ce vers..
Et mes genoux tremblans- se dérobent sous moi.
C'est ainsi que Racine a gâté par-tout la belle antiquité,
que le citoyen Palmézeaux reproduit.
Phèdre dans son délire voudrait suivre les chasseurs
R4
264 MERCURE DE FRANCE ,
dans les bois ; Egine lui dit brusquement : que parlezvous
de chasse ? Phédre interdite par cette question
rentre en elle-même , et dit :
« Ah ! de ma volonté je cherche en vain l'usage .
>> Rends-moi mon voile , Egine , et couvre mon visage ;
>> Je pleure malgré moi , etc. >>
On voit avec quel bonheur le citoyen Palmézeaux rappelle
toujours, ou par ses rimes , ou par ses expressions ,
les vers de Racine .
Où laissé-je égarer mes voeux et mon esprit ?
Je l'ai perdu ! les dieux m'en ont ravi l'usage !
Enone , la rougeur me couvre le visage !
Je te laisse trop voir mes honteuses douleurs
Et mes yeux malgré moi se remplissent de pleurs .
Comme notre intention est de suivre le citoyen Palmézeaux
, et non pas celui qu'on appelle legrand Racine, on
ne sait pas trop pourquoi , comme le dit très- bien M. le
Professeur ( 1 ) , nous invitons les lecteurs qui ne se rappelleraient
pas assez la Phèdre de Racine , à recourir à
l'ouvrage ; le citoyen Palmezeaux brave toutes les comparaisons.
Théodas , le Théramène de la pièce , arrive sur la scène
pour annoncer qu'il a entendu des cris , et il s'en retourne
en disant qu'il va à la chasse. Phèdre se trouve
une seconde fois seule avec sa gouvernante. Celle - ci
essaie de nouveau de découvrir le chagrin de sa maîtresse;
elle s'écrie :
Quoi, vous ne dites mot; vous gardez le silence !
Elle rappelle ensuite
Ce terrible Hippolyte ,
Indomptable chasseur , que notre sexe irrite.
( 1 ) Voyez la préface ou le dialogue , page 13.
FLOREAL AN XI. 265
Ah! qu'entends-je ?
PHEDRE.
EGINE .
Ce noum , à Diane si doux ,
Allume en votre coeur le plus juste courroux;
Je le vois.
PHEDRE.
Que dis-tu , quel nom sort de ta bouche ?
Egine croit toujours que Phèdre est agitée par la
crainte de voir ses enfans obéir au fils de l'étrangère.
Mais la reine lui dit :
Qu'un souci plus cruel m'agite et me dévore !
La gouvernante lui répond :
Vous n'avez point vers le sang de l'innocence.
PHEDRE.
Le sang , graces au ciel ! n'a point rougi mes mains .
On voit que tout cela est encore dans Racine , et
combien toutefois le citoyen Palmézeaux l'a rendu différent.
Egine se jette aux genoux de Phèdre ; Phèdre
se rend à sa prière ; elle va tout avouer , elle s'écrie :
O ma mère! en tous lieux digne d'être honorée,
De quel affreux amour fûtes - vous dévorée !
EGINE.
Pourquoi le rappeler cet amour monstrueux?
PHEDRE.
O ma soeur ! quel délire aveugle , impétueux ,
Sur les pas d'un amant, dans une île déserte ,
Vous fit ainsi que moi courir à votre perte , etc.
EGINE , gravement.
Allez-vous accuser toute votre famille ,
Madame ? Ignorez-vous de qui vous êtes fille !
:
Phèdre est bien embarrassée de cette question , d'autant
plus que le poète a soin d'avertir que la gouvernante
parle gravement, et dit tout cela sans rire. Le dialogue
continue :
266 MERCURE DE FRANCE ,
PHEDRE.
Connais-tu la puissance
De ce dieu si funeste à la chaste innocence?
De l'amour ?
EGINE.
PHEDRE.
De l'amour. Coupable ou malheureux,
Mon coeur , men faible coeur brûle de tous ses feux.
EGINE.
Il brûle , juste ciel ! qu'un tel aveu m'étonne !
PHEDRE.
Tu le connais aussi le fils de l'Amazone !
EGINE , très-étonnée.
:
Hippolyte ? .... C'est lui que vous pourriez aimer ! ....
PHEDRE.
C'estune autre que moi qui vient de le nommer !
Comme cela rajeunit, le c'est toi qui l'as nommé ! Le
beau vague : c'est une autre que moi ! -Et quel est
cette autre ? On n'en sait rien ; c'est Egine , c'est qui l'on
voudra. Ce que c'est que d'avoir du génie ! Mais nous
ne pouvons nous empêcher d'affliger ici la modestie du
citoyen Palmézeaux , en faisant admirer à nos lecteurs
cette même modestie ; car on voit par le dialogue qu
sert de préface au chef-d'oeuvre que nous annonçons ,
que l'auteur ne s'attribue pas ce beau vers , c'est une
autre que moi , etc. Il avoue qu'il lui a été fourni parM.
le Professeur qui est allé faire sa classe.
i
Phèdre raconte son amour àEgine , et le citoyen Palmézeaux
refait , toujours avec le même succès , ce morceau
si connu :
Mon mal vient de plus loin, etc.
Il corrige sur-tout bien heureusement ces vers =
Je sais mesperfidies,
Enene, et ne suispointde ces femmes hardies,
FLORÉAL AN XI. 267
Qui , goûtant dans le crime une tranquille paix ,
Ont su se faire un front qui ne rougit jamais.
Le citoyen Palmézeaux met :
Oh! que j'ai de mépris pour ces femmes hardies ,
Qui sous de faux dehors cachent leurs perfidies ;
Qui , fières de tromper leurs crédules époux ,
De la chaste Minerve affrontent le courroux ,
Et qui foulent aux pieds les vertus domestiques.
Egine , touchée du sort de la reine , lui dit :
Madame , à vous parler sans vain déguisement ,
Je viens de vous entendre avec frémissement
Avouer un amour qui n'est point ordinaire.
A
Vous offrez tout l'éclat de la jeune saison ;
Votre âge est tout de feu......
Eh ! qui peut résister à Vénus, à ses flammes ?
Ouvrez les yeux , par eux elle entre dans les ames ;
Le désir au printemps agite les roseaux ;
Tout aime dans les airs, tout aime sous les eaux .
On reconnait ici l'agréable auteur de tant de poésies
fugitives insérées par-tout,
Les vents baisent les nuages ,
>> Les zéphirs baisent les fleurs , etc.
Euripide avait dit que la puissance de Vénus s'étend
dans les airs et sous les eaux; qu'elle est la source des
êtres ; qu'elle donne naissance à l'Amour , principe immortel
des générations , etc. Mais cet amour qui n'estpas
ordinaire ; cette Vénus qui entre par les yeux , quand on les
ouvre ; ce printemps , ces roseaux agités de désir sont
d'une couleur tout autrement tragique.
M. de Rivarol , charmé du talent érotique du citoyen
Palmézeaux , avait fait pour lui ce beau vers :
<<Je fais lafugitive et je signe toujours. »
Aussi le citoyen Palmézeaux , pleind'une juste recon
:
268 MERCURE DE FRANCE ,
naissance , nous apprend-il dans un de ces nouveaux ou
vrages , qu'il s'est fixé à ce nom de Palmézeaux , parce
qu'il était agréable à M. de Rivarol .
Le théâtre , qui représentait des forêts , au premier acte ,
représente l'intérieur du palais de Thésée au second.
Phèdre paraît avec Ismène , aut re confidente , dont le rôle
est confié aux talens de mademoiselle Aglaé. On entend
au-dehors les cris d'Hippolyte à qui Egine vient de révéler
l'amour de Phèdre . Hippolyte arrive , et dans sa fureur
il se déclare contre l'hymenée.
Quels maux ne naissent point du joug de l'hymenée ,
La flamme d'un époux croit être fortunée ;
Il s'épuise en tresors , en soins officieux
Pour rendre son épouse un chef-d'oeuvre des cieux ;
Et l'épouse bientôt , infidelle et parjure ,
Fait au noeud conjugal une mortelle injure.
Ah ! ce n'est pas ainsi que vivoient autrefois
Les femmes que l'hymen soumettoit à ses loix :
Tout est bien différent ; aujourd'hui les épouses ,
De vivre chastement , se montrent peu jalouses , etc.
Le citoyen Palmézeaux transportait tout-à-l'heure , avec
beaucoup de succès , Anacreon dans la tragédie ; maintenant
il s'y montre le rival de Molière. Quelle flexibilité
de talent ! Ne croit-on pas entendre Arnolphe , dans
l'Ecole des Femmes :
Est-il une autre ville aussi ,
Où l'on ait des maris si patiens qu'ici ;
Est-ce qu'on n'en voit pas de toutes les espèces ,
Qui sont accommodés chez eux de toutes pièces ? etc.
Hippolyte , après avoir déclaré qu'il méprise l'art de
séduire une belle , sort , comme le dit l'auteur , en jetant
sur Egine des regardsfoudroyans. La pauvre Phèdre , qui
a été , dans un coin, présenteà toute cette scène , s'irrite
à son tour des mépris du superbe chasseur. Dans sa fureur,
elle jurede se venger. A l'instant même, Thésée sepré
FLORÉAL AN X I. 269
sente à son épouse : il va tout naturellement pour embrasser
sa femme ; mais Phèdre recule en disant :
Vous voyez mes pleurs ,
Il est , en votre absence , arrivé des malheurs !
ン:
Thésée ne comprend pas bien d'abord quelle espèce
de malheur le menace. Il croit que son grand-père Pitthée
est mort. La philosophie lui dit , pour le consoler ,
que le bon-homme était bien vieux , et qu'il est tout naturel
qu'il soit mort ; mais la piété filiale revint à son
tour , et elle a aussi ses droits sur Thésée .
La vieillesse , les maux qui suivent un long age ....
N'importe , je l'aimois ; Pitthée étoit si sage !
:
Phèdre répond que Pitthée n'est point mort. Elle se
retire en disant qu'elle va envoyer une lettre à Thésée .
Le roi , demeuré seul , s'écrie :
Qu'est- ce qu'elle veut dire ;
;
Elle ne parle point , et veut pourtant écrire !
Ismène arrive avec une lettre ; Thésée hésite à l'ouvrir ;
Il observe
$
Qu'on apprend quelquefois ce qu'on veut ignorer.
Réflexion bien prudente dans la position où se trouve cet
époux malheureux ; cependant la curiosité l'emporte.
Thésée lit tout bas , puis il s'écrie tout haut : <<< Faites
>> venir mon fils ! » On amène Hippolyte. Thésée a recours
d'abord à l'ironie , puis il se jette dans la fureur ; il prétend
que la rougeur de son fils décèle son crime. Hippolyte
répond sans se déconcerter :
Je rougis pour vous seul
tout autre qu'un père ,
Ne m'auroit pas deux fois accusé d'adultère.
Voici Corneille après Anacréon et Molière. C'est ainsi
que l'auteur est tour-à-tour et tout-à-la-fois , le chevalier
de Cubières , M. Dorat-Cubières , et le cit. Palmézeaux.
:
Cependant Hippolyte songeant , fort à propos , que
270 MERCURE DE FRANCE ,
Thésée peut croire que lui , Hippolyte , avoit recherché
Phèdre par ambition , ajoute :
Ah ! seigneur , la couronné est loin de ma pensée ;
Sur votre anguste front elle est si bien placée ,
Est-ce un fils tel que moi , me suis-je dit souvent ,
Qui pourroit succéder à son père vivant ?
Pour conclure , Hippolyte chassé par Thésée , court
àsa perte. Ismène vient dire au roi que la reine s'est empoisonnée.
Théodas , qu'on n'avoit pas revu depuis qu'il
étoit allé à la chasse , ouvre tristement le troisième et
dernier acte , par le récit de la mort d'Hippolyte :
Il est moitié dragon , il est moitié taureau.
(C'est du monstre dont on parle . )
Je n'ai point de couleur , je n'ai point de pinceau
Qui puissent exprimer ce mélange effroyable ;
En lui tout est visible , et tout este incroyable.
Y
Un critique a observé avec beaucoup de justesse , que le
dernier vers pouvoit s'appliquer au cit. Palmézeaux luimême.
Un monstre qui est à-la-fois visible et incroyable!
la belle alliance de mots ! cela est d'accord , d'ailleurs ,
avec la sagesse des nations ; car le proverbe dit : Il ne
faut pas croire tout ce qu'on voit. Les chevaux d'Hippolyte
sont effrayés :
!
1
En avant, s'il les pousse, ils courent en arrière .
Ces chevaux- là ressemblent àbien des gens. Au reste ,
on voit que le citoyen Palmézeaux conduit les coursiers
d'Hippolyte tout aussi bien que Pégaze.
<<<L'essieu se brise enfin, et de la double roue ,
>>Le circulaire appui contre le roc échoue. >>
Poésie imitative.
CommeThéodas achève son récit , Diane , sous les traits
de Mlle. Gotis , une flèche à la main , descend dans un
nuage. Elle révèle à Thésée la calomnie de Phèdre. Thésée
demande la mort : Mlle . Gotis branlant sa flèche , dit :
FLOREAL AN XI.
271
Tu meriterois bien ! ... On apporte alors le corps
d'Hippolyte , posé (comme le dit l'auteur ) d'une manière
pittoresque sur les débris de son char. Diane s'emporte
contre Vénus :
Tremble , Vénus , tu crois tes forfaits impunis ,
Mais je cours m'en venger sur ton bel Adonis !
-Elle disparoît avec son nuage. Thésée se jette sur Hippolyte
mourant , qui refuse d'abord de lui pardonner ; il
s'adoucit enfin , lorsqu'il entend son père lui dire :
Je t'exilai tantôt , sans aucun fondement ,
Veux-tu me condamner au même chatiment.
Hippolyte attendri , répond :
Monpère , embrassez -moi , je ne sais point hair ;
Je vous lègue mon ame , à mon dernier soupir.
Puissiez-vous désormais , vous dont l'ame est si tendre ,
Ne point juger vos fils avant de les entendre.
Cette belle moralité termine cette belle pièce.
Il est temps de quitter l'ironie. Si nous avions annoncé
la pièce de M. de Palmézeaux comme une parodie de
Phedre , se jouant sur les boulevards , il n'y a personne
qui n'y eût été trompé. On peut abandonner au silence et
à la pitié un ouvrage échappé par hasard à la médiocrité
en délire : mais quand cet ouvrage est né de l'union monstreuse
de la bêtise et du jacobinisme littéraire ; lorsque
l'auteur , attaquant les plus grandes réputations et les plus
grands hommes , avoue le dessein de révolutionner le Parnasse
, alors il n'est plus possible de se retrancher dans le
seul mépris. Il est certain que ce sans-culotisme littéraire
est un système adopté par quelques écrivains du jour :
les uns veulent nous ramener à la barbarie de Ronsard ;
les autres s'empressent de ressusciter Pradon ; ceux-ci reproduisent
, dans des romans , le style et les ordures de Rabelais
, et n'oublient que son génie ; ceux-là , prétendant
vous peindre la société , vous rapportent,dans le langage
272 MERCURE DE FRANCE ,
des halles , ce qu'ils ont observé sur les bornes des rues.
Que veut ce M. de Palmézeaux ? suivre les anciens de
plus près que Racine. Pitoyable prétention ! M. de Palmézeaux
sait-il ce que c'est que les anciens ; lui qui versifie
jusqu'aux fautes de la prose du père Brumoy , dans
l'impuissance où il semble être de lire , nous ne dirons
pas le grec , mais même le latin du scholiaste ? Que M. Palmézeaux
sache donc que Racine a imité des anciens presque
tout ce qu'il en fallait imiter. S'il n'a pas transporté la
tragédie grecque toute entière sur le Théâtre Français , c'est
qu'il a su qu'il y a des beautés de temps et de lieux , qui ne
peuvent convenir à d'autres lieux et à d'autres temps ; il
a su que l'on trouve chez les anciens des sentimens
très-naturels et très-beaux en eux-mêmes , dont l'expression
littérale serait toutefois sans effet pour nous ; parce
que le coeur a eu ses développemens de passions , comme
l'esprit a eu ses progrès de lumières. Tel sentiment qui
était héroïque chez les Grecs , n'est plus chez les nations
modernes qu'un sentiment vulgaire passé en usage , et devenu
comme familier à tous : nous n'en voulons qu'un
seul exemple , la valeur. D'autre part , on se figure que
nous avons affaibli certains mouvemens de l'âme , parce
qu'ily a certaines barbaries de nature, que nousne pouvons
plus supporter. Il est douteux , par exemple , que l'on pût
montrer avec succès , sur notre théâtre , Electre encourageant
son frère Oreste à tuer sa mère ; mais le dégoût que
nous éprouvons pour de telles horreurs, n'est pas chez nous
preuve de faiblesse , c'est signe de force. Cela tient évidemment
aux progrès que la morale a fait chez les hommes.
La nature humaine est changée ; l'ame est sortie de
l'enfance où la retenait le paganisme ; elle a été émancipée
par la religion chrétienne ; elle ne peutplus se tromper
au point de prendre pour devoir ce qui est crime , le
parricide pour une vertu. Elle n'est point sortie de la
nature , comme on le prétend , elle est rentrée , au contraire
, dans la véritable nature.
A L
FLOREAL AN ΧΙ.
REP.FRA
273
Le peu de traits qui restait à glaner après Racine , dans
Euripide et dans Sénèque , n'ont pas même été aperçus
par M. de Palmézeaux , qui ne pouvait rien apercevoir.
Il est certain que Racine a l'élégance , la grace , le bon
goût des anciens ; mais il en a rarement la naïveté , et
sur -tout celle des Grecs ( 1 ) . Cela vient en partie du siècle
où il a vécu , et peut-être aussi de la perfection de sa
poésie. Racine est Euripide , mais Euripide faisant le
vers de Virgile. Ces μην , ces γαρ , μηνγαρ , ces da , ces
ων , etc. qui remplissent le vers grec , lui donnent une
démarche simple et naturelle , et en rendent la composition
facile; les divers dialectes servaient encore à dimi
nuer les difficultés de la versification. Virgile et Racine
n'avaient pas , dans leurs idiomes , les mêmes ressources;
ils ont été obligés de travailler davantage ; mais s'ils ont
perdu quelque chose en simplicité , leur poésie se rapproche
aussi beaucoup moins de la prose que la poésie
grecque. Ce sont eux qui ont posé les véritables limites
entre la langue vulgaire et la langue des muses : l'art des
vers , proprement dit , n'était point connu avant eux..
Mais de ce qu'il serait à souhaiter que Racine eût
quelquefois plus de naïveté , il ne faut pas en enconclure ,
comme M. de Palmézeaux , qu'on doit transporter le ton
bourgeois dans la tragédie. M. Palmézeaux semble croire
que la Phedre de Pradon est mieux composée que la
Phèdre de Racine : comment n'a-t-il pas vu que Phèdre ,
dans la pièce de Pradon , n'étant pas encore l'épouse de
Thésée ,
5.
cen
Les derniers noeuds des loix de l'hymenée ,
Avec Thésée encore ne m'ont point enchaînée ,
son amour devient un amour ordinaire? Aussi Phèdre le
( 1 ) Dans Estheret dans Athalie, il a la majestueuse naïveté de
Pécriture.
12 S
274 MERCURE DE FRANCE .
:
raconte-t-elle tout simplement à Aricie.Elle remarque
fort bien l'innocence de ses feux; elle dit que
* Les Dieux n'allument point de feux illégitimes. »
Par cette merveilleuse composition , tout se réduit à une
petite jalousie de comédie entre Aricie et Phèdre , et on
ne sait pourquoi Pradon parle d'inceste , si ce n'est parce
qu'il a trouvé ce mot dans Euripide. Ainsi , dans son plan ,
toutes les grandes conceptions tragiques, toutes les terreurs
et tous les remords de l'inceste , tout le formidable
intérêt de la fatalité ont disparu. Et voilà la pièce pour
laquelle M. Palmézeaux garde son admiration ! Il a osé
s'appuyer de l'autorité de Voltaire contre Racine. Voltaire
s'est épuisé en admiration pour Racine pendant soixante
ans ; il a écrit et répété mille fois qu'il n'y avait que Jean
qui sût faire des vers et des tragédies. C'est lui qui , en
dernier résultat , a confirmé le jugement de Boileau , et
placé Racine au rang qu'il occupe aujourd'hui. Sans l'auteur
de Mérope, on ignorerait peut-être encore tout ce
que vaut l'auteur de Phèdre et d'Athalie. Il est vrai qu'au
milieu de tant d'éloges , la haine de Voltaire pour la religion
lui a arraché quelques blasphemes contre le chefd'oeuvre
de Racine ; il n'a pu s'empêcher aussi de reconnaître
quelques défauts particuliers à ce grand homme ,
mais il était bien loin de soupçonner qu'on abuserait un
jour si étrangement de quelques-unes de ses expressions ;
il ne s'attendait guères à devenir le chef de la nouvelle
famille des Cassaigne et des Pradon : ce doit être là
le plus grand supplice de son ombre. Quel tourment pour
lui , s'il s'intéresse encore aux choses d'ici-bas , de se voir
cité contre Racine , par un M. de Palmézeaux , conjointement
avec un professeur Briquet , dans la préface d'un
Hippolyte!
H. S.
FLORÉAL AN XI. 275
VARIÉTÉS.
Nous avons donné , dans le dernier numéro de cejournal
, un extrait de la correspondance inédite de Rousseau
et de madame de Franqueville. Nous avons cité quelques
lettres , qui ont paru en faire désirer d'autres. Voici une
nouvelle lettre de madame de Franqueville; elle est datée
du 25 février 1765 , époque où Rousseau s'était attiré un
très-grand nombre d'ennemis , par son caractère défiant
et soupçonneux.
(De Marianne. )
"
Le 25 février 1765.
Je suis bien touchée , cher Jean-Jacques , de ceque,
> malgrétoutes vos peines , vous ayiez songé à me rassurer
» sur vos sentimens pour moi , avant d'avoir reçu ma se-
>>conde lettre. Cependant , ce qui traverse si opiniâtre-
» ment votre bonheur , ne saurait augmenter le mien ; et
>> j'aimerais bien mieux que cette marque de bonté , qui
» a assez de prix par elle-même , n'en tirât pas un si grand
>> de la circonstance où vous vous trouvez .
« Il y a long-temps que ma réserve me pèse , et que je
>> souffre de la vôtre : ainsi , puisqu'enfin vous me traitez
» en amie , je vais vous parler à coeur ouvert.
» Je respecte votre faiblesse , cher Jean-Jacques , mais
>> je ne la conçois pas. En consacrant votre plume à la
» vérité , n'avez-vous pas dû préparer votre ame à la
» constance ? Vous , qui paraissez si bien connaître les
>>hommes , comment avez-vous pu penser qu'ils accueil-
>> leraient celui qui condamne leurs moeurs par ses exemn
ples, et foudroie leurs préjugés par ses écrits ? La route
que vous avez prise , ne devait pas vous conduire au ५
Sa
276 MERCURE DE FRANCE ,
:
repos , mais à la célébrité ; vous n'avez pu l'ignorer .
>> après avoir eu l'audace qu'il fallait pour atteindre a son
>>plus haut dégré , manqueriez-vous de la fermeté néces-
>> saire pour supporter les adversités dont elle est accom-
>> pagnée ; et ne seriez-vous pas aussi fort d'avoir publié
» Emile , devant vos ennemis , et devant vous-même ,
>> que devant Dieu ? C'est à ceux qui s'intéressent à vous ,
>> c'est à moi , et non pas à vous , à succomber sous les
>> coups qu'on vous porte ; parce que ma sensibilité est à
>> découvert , et que la vôtre doit être défendue par les
>> vues supérieures qui ont enflammé votre génie. Aussi ,
>> je vous l'avoue , votre sort m'irrite contre votre zèle : jc
>> voudrais que vous fussiez plus tranquille et moins
>> illustre . Vous le savez , je chéris votre personne , et
>> j'idolâtre vos talens. Avec tout cela , vous n'êtes point
>> irréprochable à mes yeux ; je vous trouve un tort essen,
>> tiel , dont vos adversaires n'ont garde de vous charger ,
mc'est celui d'être la cause des atrocités qu'on exerce
>> envers vous. Il faudrait que vos derniers ouvrages pro-
>> duisissent plus de bien que vous ne pouvez en attendre ,
▸ pour que les choses se retrouvassent dans l'équilibre où
>> elles étaient avant qu'ils parussent. Ce qui vous concerne
» excepté , tout va a-peu-près comme tout allait avant
>> la publication d'Émile : la clarté que vous y jetez sur
des matières qu'on n'est pas accoutumé à bien voir ,
>> éblouit plus de gens qu'elle n'en éclaire; et presque
» tous ceux qu'elle attire , cessent d'apercevoir, non-seulement
l'objet éclairé , mais la lumière elle-même. A la
» vérité , quelques coeurs bien disposés recueillent les
>> semences de vertu que vous répandez à pleines mains
>», dans cet inestimable écrit : il n'est donc utile qu'à ceux
>> qui auraient pu s'en passer ; et qu'est-ce que le bien qu'il
>> leur fait , en comparaison de l'oppression d'un homme
>> juste , et de la protection qu'elle assure à quiconque re
FOFLOREAL AN XI 77
cherchera ses fautes , empoisonnera ses intentions , et
>> flétrira son caractère ? :
>> Monami! il existe plus d'unV....... tous ne sont pas
» aussi mal- adroitement méchans que l'auteur du libelle;
>> et la vertu , presque toujours dénuée de secours étrangers
, doit le ménagement de ne pas lutter contre le » se
» vice. Voilà ma façon de penser sur tout ce qui se passe
>> à votre égard depuis que je vous connais. A Dieu ne
» plaise , qu'en vous la découvrant , je veuille porter at-
>> teinte à la satisfaction intérieure qui doit vous consoler
de tout ; que je croye avoir ce pernicieux crédit sur
>> vous , ou que je l'ambitionne ! Vous seriez trop malheu-
>> reux , s'il vous venoit des doutes sur la bonté des raisons
» qui vous ont déterminé à combattre tant d'opinions
>> reçues; car , à moins de faire l'entier sacrifice de votre
amour-propre , vous vous êtes ôté tout moyen de révé-
>> nir sur vos pas. Croyez cependant , cher Jean-Jacques ,
>>> que je suis toute prête à m'accuser d'injustice, quand
l'opposition que la nature a pour la douleur , me force
»à blâmer votre conduite ; et queles suites funestesqu'elle
» a eues , et qui en ont elles-mêmes denon moins cruelles ,
m'attachent toujours plus à vous. Je vous plains d'avoir
>> éprouvé l'ingratitude de votre patrie ; et davantage, en-
» core, d'avoir été obligé d'exposer aux regards de toute
>> l'Europe , la tyrannie de ses magistrats , et la mauvaise
> foi de ses ministres , après avoir été l'apologiste des uns ,
>> et le panégiriste des autres ; mais sur-tout après avoir
>> dit : ilfaut se taire , et ne pas imiter le crime de Cham .
>> Adien, très-cher Jean-Jacques; je ne vous crois pas ca-
>> pable de me savoir mauvais gré de mafranchise : sivous
>> l'étiez , il serait bon de le savoir.
P
On voit , dans cette lettre de madame de Franqueville ,
l'expression de l'amitié la plus tendre et la plus vraie ;
l'esprit ombrageux de Rousseau pouvait seul s'y mé-
S
278 MERCURE DE FRANCE ;
prendre ; jamais madame de Franqueville ne put le faire
revenir des préventions que cette lettre lui avait données :
il répondit pour se plaindre, et il cessa d'écrire. Nous
croyons devoir transcrire ici sa réponse.
Motiers , le to mars 1765.
« J'ai lu votre lettre avec la plus grande attention ;
>> j'ai rapproché tous les rapports qui pouvaient m'en faire
>> juger sainement : c'était pour mon coeur une affaire
>> importante.
>> Vous étiez flatteuse durant ma prospérité ; vous de-
>> venez franche dans mes misères : à quelque chose mal-
>> heur est bon.
» J'aime la vérité , sans doute; mais si jamais j'ai le
» malheur d'avoir un ami dans l'état où je suis , et que
» je ne trouve aucune vérité consolante à lui dire , je
>> mentirai.
>> On peut donner en tout temps à son ami le blâme
» qu'on croit qu'il mérite ; mais quand on choisit le mo-
>> ment de ses malheurs , il faut s'assurer qu'on a raison.
>> Lorsque je disois , il faut se taire , et ne pas imiter
>> le crime de Cham , j'étois citoyen de Genève ; je ne dois
» que la vérité à ceux par qui je ne le suis plus.
>> Lorsque je disois , il faut se taire , je n'avais que ma
» cause à défendre , et je me taisais ; mais , quand c'est
>> un devoir de parler , il ne faut pas se taire : voyez
>> l'avertissement. Adieu , Marianne.
5
J. J. ROUSSEAU.
A
き
FLORÉAL AN X I.
279
Fontenelle , Colardeau et Dorat , ou Eloges de ces trois
écrivains célèbres , suivis d'une Vie d'Antoine de
Rivarol (a).
Les trois premiers discours que contient ce recueil ,
étaient déjà connus ; le quatrième , qui est une notice
en forme d'éloge de M. de Rivarol , paraît pour la
première fois. Nous nous attacherons particulièrement
à ce dernier morceau , qui offre de l'intérêt et plusieurs
anecdotes peu connues. Rivarol a joui d'une célébrité
qui donne du prix aux choses qui ont rapport à lui. La
finesse et la causticité de son esprit lui ont attiré beaucoup
d'admirateurs et plus encore d'ennemis . M. de
Palmezeaux ne dissimule ni ses qualités , ni ses défauts ;
etquoique M. de Palmezeaux soitundes écrivains les plus
maltraités dans le Petit Almanach de nos grands
hommes , il loue Rivarol beaucoup plus qu'il ne le
blame : il n'est pas le seul sans doute qui ait oublié les
traits malins de Rivarol ; mais il est le seul peut-être
qui lui ait donné le titre d'ami , et qui ait été jusqu'à
répandre des larmes à sa mort.
M. de Rivarol à qui on a long-temps reproché sa naissance
, descendait du marquis de Rivarol , lieutenantgénéral
dans les armées de Louis XIV ; une longue
suite de malheurs éprouvés par cette famille , avait réduit
le père de Rivarol , qui habitait la petite ville de
Bagnols , à tenir auberge pour gagner sa vie. Ces revers
de la fortune n'ont été que trop communs ; beaucoup
(a) Par M. de Cubières - Palmezeaux. Un vol . in-88.: prix 4 fr..
pour Paris , et 5. fr. par la poste. A Paris , chez Cérioux , Fuchs ,
Mongie , Levrault ; et chez le Normant , rue des Prêtres Saint-Germain-
l'Auxerrois , n. 42.
S4
280 MERCURE DE FRANCE,
de maisons , jadis illustrées , sont ainsi retombées dans la
classe obscure de la société. Il y avait à Paris , il y a peu
d'années , un descendant direct du grand Corneille , proche
parent de MM. de la Tour-du-Pin , qui était réduit
à être facteur de la poste aux lettres ; sur cet article ,
Les exemples fameux ne nous manqueraient pas .
r
Mais la révolution a bien changé les idées à cet égard ; et
Rivarol ne rougirait plus aujourd'hui de l'état quia fait
vivre ses parens. Ils firent de grands sacrifices pour son
éducation ; son père le destinait à l'état ecclésiastique.
Arrivé à Paris , il dut se suffire à lui-même. Son esprit ,
sa figure très-intéérreessssaannttee eet sa jeunesse lui procurèrent
des ressources . Il réussit beaucoup auprès des femmes ; et
l'on sait qu'alors on ne parvenait à rien sans elles . Il ne
fut pas toujours, heureux : sa première conquête , qui
pourtant n'était plus ni jeune ni belle , lui fut enlevée
par un garçon apothicaire... Il s'occupa de littérature
et publia plusieurs brochures pleines d'esprit et
de gaîté , qui le furent connaître. Panckoucke , qui savait
encourager le mérite , l'engagea à faire des extraits pour
le Mercure); et , dans l'origine , ce fut pour le Mercure
qu'il composa le discours où il indique les causes
de l'universalité de la langue française , qui est devenu
un de ses principaux ouvrages . Des démélés avec M.
Garat , qui travaillait aussi au Mercure sous le nom de
dom Cossef d'Ustaris , forcèrent Rivarol à y renoncer. Il
était connu par des ouvrages en prose ; son Epitre au
roi de Prusse prouva, qu'il pouvait réussir en poésie ;
on n'a point encore oublié ces deux vers :
1
Envain de sa bassesse un Pradon s'environne ;
Boileau dans son courroux ne méprisait personne."
Ce fut à-peu-près à cette époque qu'il fit , avec son
ami Champeenetz , le Petit Almanach de nos grands
FLORÉAL AN XI. 201
hammes : sa réputation ne se serait pas soutenue , s'il :
n'avait fait que cet ouvrage. 1..
La plupart des écrivains qu'il persiffle avec tant d'esprit
, sont aujourd'hui tout-à-fait inconnus. Qui est - ce
qui se souvient de MM. Briquet , Braquet , Catala-Couture
, Thomas Mineau de la Mistringue , et autres Providences
des recueils indigens . Il y a sans doute dans
cette brochure , des noms plus estimés dans la littérature
; mais les plaisanteries de Rivarol ne leur ont, fait.
aucun tort. Les lettres qu'il publia sous le nom de l'abbé
Sabathier de Castres , et ensuite sous le nom de Salomon
de Cambrai , le firent connaître plus avantageusement ;
ces lettres prouvent qu'il avait des vues très- saines en
politique. Il compare l'égalité absolue à la pierre philosophale
; il voudrait qu'aux mots égalité naturelle ,
on substituât égalité civile , à laquelle même il paraît
croire fort peu . Le peuple , selon lui , est un souverain
qui ne demande qu'à manger , et sa majesté , dit - il
est tranquille , quand elle digère. Il consacra plusieurs:
pages de son livre à réfuter le système de J.-J. Rousseau
sur la démocratie . Lorsqu'il s'efforça de réfuter: le sys
tème de9 J.-J. Rousseau , dit M. de P. , on ne saurait
s'empêcher d'admirer le prophétique instinet qui ,ten:
1789 , lui a dicté les vérités suivantes : « Les philosophes
>> verront bientôt avec douleur qu'il faudrait qu'il exis-
>> tât unmonde de philosophes pour briser ainsi toute és
>». pèce de joug ; ils verront qu'en déliant les hommes ,on
>> les enchaîne, qu'on ne peut leur donner une armë
>> défensive , qu'elle ne devienne bientôt offensive et
>> ils pleureront sur le malheur de l'espèce humaine ,
>> qui ne permet pas à ceux qui la gouvernent, de
>> songer à la perfection : alors , de philosophes qu'ils
>>. étaient , ils deviendront politiques ; ils verront qu'en
» législation comme en morale, le bien est toujours le
282 MERCURE DE FRANCE ,
>> mieux, que les hommes s'attroupent , parce qu'ils
>> ont des besoins , et qu'ils se déchirent , parce qu'ils
>> ont des passions ; qu'il ne faut les traiter ni comme
>> des moutons , ni comme des lions , mais comme s'ils
>> étaient l'un et l'autre ; qu'il faut que leur faiblesse
>> les rassemble , et que leur force les partage. Le des-
>> pote qui ne voit que de vils moutons , et le philosophe
>> qui ne voit que de fiers lions , sont également insensés
>> et coupables.
On sait la part qu'il eut à la rédaction des Actes des
Apôtres. On le crut salarié par la cour. Mirabeau disoit :
je suis payé , mais non vendu. Rivarol retournoit ce
mot et répétoit : je suis vendu , mais non payé. Ils ont
pris le parti coupable , disoit - il en parlant des démagogues
, et nous le parti honnête ; ils sont pour les
heureux , et nous pour les malheureux. Rivarol quitta la
France en 1792; il s'occupa , dans son émigration , d'un
dictionnaire de la langue française ; il en publia en 1797
la préface sous le titre : De la Philosophie moderne ;
mais le directoire ne permit pas en France le débit de
cet ouvrage , dans lequel Rivarol prétend que « les an
>> ciens philosophes ne cherchaient que le souverain bien ,
>> et que les nouveaux n'ont cherché que le souverain
>> pouvoir. >>>
1
Rivarol était , dans les pays étrangers , réduit dans un
état voisin de l'indigence , mais il eut le bonheur de
faire à Berlin la connaissance de la princesse russe
d'Olgourousky , femme sensible et aimable qui devint
sa protectrice ; il coulait auprès d'elle des jours heureux ,
mais il ne perdait point le désir de rentrer en France;
toutes les difficultés qui pouvaient s'ofroser à son retour ,
paraissaient levées , lorsqu'il fut attaqué , le 5 avril 1801 ,
d'une fluxion de poitrine qui l'enleva aux lettres et à ses
amis , le 11 du même mois, après six jours de maladie
FLOREAL AN XI. 283
Il fut généralement regretté. « La princesse d'Olgourouski
» a poussé la générosité , dit M. de Palmezeaux , jusqu'à
>> prendre soin de sa mémoire ; elle a payé toutes les
>> dettes qu'il pouvait avoir , et a fait dire par-tout que
>> c'était avec l'argent que lui avoit envoyé la famille
>>> de Rivarol. >>>
Ce volume renferme encore les éloges de Fontenelle ,
Colardeau et Dorat ; ces pièces ont été déjà publiées ; on
ytrouve aussi une lettre écrite à l'auteur par M. Bailly ,
l'historien de l'astronomie , dans laquelle on remarque
l'opinion de ce savant sur Fontenelle : « il entendoit ,
>> dit- il , la géométrie des autres ; mais il n'étoit point
> géomètre , c'est - à- dire qu'il n'a rien fait pour la
>>> science . »
M. de Palmezeaux avait avancé que les vers d'Astarbé
et de Caliste , ( tragédies de Colardeau , ) égalaient
ceux de Racine ; M. de la Harpe combattit , dans le
temps , cette assertion ; M. de Palmezeaux soutient de
nouveau son opinion , et ajoute que « si Racine avait
» pu faire présent à Colardeau de sa pièce d'Iphigénie ,
► Colardeau aurait écrit cette pièce aussi bien queRacine
» l'a écrite, et peut-être même avec un sentiment plus
» exquis de l'harmonie. >>>
ΑΝΝΟNCES.
Petite Bibliothèque des Enfans ; par J.-H. Campe ,
traduite de l'allemand , par l'abbé Y.-D. Grandmollet.
La Haye , 1802. Deux vol. in- 12 , figures. Prix , 6 fr. et
8 fr. par laposte. A Paris, chez J.-J. Fuchs , rue des
Mathurins Saint Jacques , n°. 334.
De la Construction des Edifices publics , sans l'emploi
dufer, etquel en doit être l'usage dans les bâtimens particuliers.
Par C. F. Viel , architecte de l'Hôpital général ,
de la société libre dessciences et arts de Paris. Broch. in-4°.;
prix , 2 fr. 50 c. AParis , chez le même.
Et chez le Normant , rue des Prêtres-S.-Germ.-l'Auxer.
284 MERCURE DE FRANCE ,
POLITIQUE.
e
:
Les journaux de Londres , de la semaine dernière , n'of
frent que contradictions . Sur une parole de M. Addington ,
on a cru à la paix , et les fonds publics ont remonté ; le
lendemain , il a donné l'explication de cette parole , et
les fonds ont baissé. Ce qu'il y a de certain , c'est que la
question de la paix ou de la guerre reste toujours dans la
même incertitude , avec cette différence cependant que
plus une pareille incertitude se prolonge , et plus il est
probable que les hostilités ne seront pas reprises . Mais
c'est bien moins des affaires générales , que de M. Pitt ,
que les journaux anglais se sont occupés. Essayons de dé
brouiller tout ce qu'on a dit à son égard.
Il est public , en Angleterre , que toute la force de
M. Addington dans le parlement , a toujours tenu à l'a
mititiéé qui règne entre lui et M. Pitt ; aussi M. Pitt ,et tous
les siens , ont-ils constamment refusé de se joindre aux
trois oppositions très-distinctes qui divisent aujourd'hul
le parlement , et qui se sont trouvées trop faibles contre
M. Addington , soutenu par les nombreux partisans de
M. Pitt .
Il est également public , en Angleterre , que M. Pitt n'a
quitté le ministèreque pour se débarrasser du parti Wind
ham , et laisser faire la paix par des hommes neufs. On en
a conclu , 1 °. que M. Pitt reparaîtrait à la tête des affaires
après la paix , et cette conclusion était jusťe ; 2°. que sa
rentrée au ministère serait le signal d'une guerre nou
velle , et cette conclusion était au moins hasardée. Nous
la laisserons de côté , pour ne nous occuper que de la
première.
Les journaux s'accordent à dire que M. Pitt a traité de
sa rentrée au ministère avec M. Addington' ; qu'ils se sont
brouillés , et que les prétentions de M. Pitt' sont entièrement
renversées. Cela peut être vrai ; mais les conséquences
qu'on en tire sont fausses.
1,
D'abord , quelques journaux ont prétendu que M. Addington,
en se prêtant à rappeler M. Pitt , voulait conserver
la première place ; ce qui est contre le caractère de
M.Addington et contre la force des choses . D'autres journaux
assurent que M. Addington voulait bien se fortifier
parlarentrée au ministère de M. Pitt et de lord Melville,
FLORÉAL AN XI. 285
(M. Dundas ) mais qu'il refusait absolument d'y adjoindre
les Grenville ; que M. Pitt affirmait qu'on ne pouvait se
passer d'eux , et que M. Addington , prévoyant qu'il serait
écarté par ces derniers , avait rompu toute négociation .
Gela est possible etmême probable , mais ceux qui en concluent
que M.Addington restera en place , se trompent complettement
: toute la force parlementaire de ce ministre
est entre les mains de M. Pitt qui a jusqu'à présent refusé
de se lier à aucune opposition , mais qui fera incontestablement
triompher celle à laquelle il s'unira.
1
M. Pitt est le seul qui , en sortant du ministère , loin de
s'élever contre son successeur , l'a soutenu de ses conseils
et de ses nombreux partisans , ce qui a fait généralement
penser qu'il n'avait fait que prêter sa place et qu'il ne vou-
Mait pas l'affaiblir : les journaux , les carricatures du temps
et la souscription pour la statue à élever au fils du lord
Chatam , n'ont laissé aucun doute à cet égard. Si M. Pitt
eût fait opposition en sortant du ministère , il aurait beaucoup
perdu de son crédit , puisqu'il est certain ( et nous
l'avons plusieurs fois fait observer) que les derniers ministres
ne pouvaient jamais blåmer les ministres actuels
sur la conclusion dela paix , sans faire la satire de leur propre
administration pendant la guerre ; c'est ce qui a rendu
si faible et si indécente l'opposition du parti Grenville , et
si bizarre celle du parti Windham .
Mais aujourd'hui les circonstances sont bien changées.
Depuis la conclusion de la paix , il y a eu , en Angleterre ,
provocation à une guerre nouvelle , armement considérable
, violation de plusieurs articles du traité d'Amiens ;
ainsi M. Pitt peut s'unir à l'opposition Grenville , attaquer
, tourmenter , poursuivre , renverser le ministère actuel
, sans craindre de s'exposer à blâmer lui-même son
ancienne administration. En se renfermant dans ce qui
s'est passé depuis trois mois , il aura pour lui toute la force
de la raison , car ce qui s'est passé depuis cette époque ne
peut raisonnablement s'expliquer. Voilà réellement la position
deMM. Pitt etAddington, et nous persistons à croire
que la fin de la présente session parlementaire n'arrivera
point , sans que M. Addington ne soit forcé à des explications
qui le renverseront, à moins qu'il ne consente àtout
ce que voudra M. Pitt .
On objecte que le roi n'aime pas M. Pitt ; cela est
vrai ; mais on sait bien qu'un roi d'Angleterre n'est pas
maître du choix de ses ministres , et les ministres le savent
286 MERCURE DE FRANCE ,
bien aussi. Le roi actuel en a soutenu un long - temps
contre le parlement ; et lorsqu'il a été obligé de s'en séparer
, le vieux ministre n'a remercié son souverain qu'en
se faisant chef d'une opposition qui déplaisait fort à la
cour. Tel est l'usage du pays , et un pareil usage est bien
fait pour dégoûter ceux qui gouvernent , de prendre un
grand intérêt aux changemens qui ont lieu dans le ministère.
Les différends survenus entre les États-Unis de l'Amérique
et la cour d'Espagne , sont entièrement terminés ;
c'est à la médiation du premier consul de France , que
cette partie du monde devra de n'avoir point été troublée
par la guerre.
Des lettres assurent qu'il y a une révolution en Chine ,
dont les caractères ne sont nullement tranquillisans ; ce
bel Empire est à la veille de voir détruire les sages insti
tutions auxquelles il doit sa splendeur depuis tant de
siècles .
Les lycées continuent de s'organiser dans les départemens
avec la plus grande activité. Le zèle et les lumières des
préfets et des autorités locales , l'ardeur patriotique des
habitans , l'empressement des directeurs d'écoles secondaires
, répondent par-tout aux voeux du gouvernement ,
et aux soins des inspecteurs-généraux chargés de l'organisation.
TRIBUNAT.
Séance du 1er. floréal. On procède au renouvellement
dubureau. Costas est élu président ; les nouveaux secrétaires
sont Labrousse, Van-Hulten , Daugier et Malherbe.
Sedillez est nommé membre de la commission administrative.
Malès , au nom de la section des finances , fait un rapport
sur un projet de loi relatif à la contribution foncière
des canaux de navigation ; il vote pour l'adoption
de ce projet. On ajourne la discussion à demain.
Séance du 2. Daru fait un rapport sur le projet de loi
relatif à la levée des conscrits des années 11 et 12. (Nous
avons donné ce projet dans notre dernier numéro ,
page 236. ) Le tribunat adopte ce projet ainsi que celui
relatif aux contributions des canaux de navigation. La
séance est ajournée au 6.
:
FLORÉAL AN XI. 287
Séance du 6. On fait lecture de la correspondance.
Une commune du département de la Meurthe , qui ,
n'ayant aucune habitation propre à loger le curé de la
paroisse , demande d'être autorisée à rentrer dans la jouissance
de l'ancien presbytère qui a été aliéné ; elle s'engage
à payer l'indemnité nécessaire. On passe à l'ordre du
jour.
Au nom de la section des finances , Van-Hulten fait un
rapport sur le projet de loi relatif aux douanes. Pictet fait
quelques observations sur ce projet ; les frais de perception
lui paraissent trop onéreux ; il trouve trop graves les
peines portées contre les prévenus ; il craint qu'il ne mette
nos troupes dans un état de guerre permanent; qu'il n'occasionne
le renchérissement des denrées et ne nuise à
l'industrie. Arnoult répond à Pictet. On ajourne la discussion
à demain.
CORPS LÉGISLATIF.
Séance du 1. floréal. Le corps législatif a adopté
dans cette séance , à la majorité de 210 boules blanches ,
contre 12 boules noires , le projet de loi portant concession
de terrain , aux vétérans qui seront appelés dans
les vingt-sixième et vingt-septième divisions militaires.
On procède ensuite au renouvellement du bureau. Viennot-
Vaublanc réunit la majorité des suffrages pour la
présidence ; les nouveaux secrétaires sont Terrasson ,
Borie , Malin et Blareau.
Séance du 2. On introduit les conseillers - d'état Miot
et Forfait : ce dernier présente un projet de loi tendant
à établir un droit de bassin dans les ports du Havre ,
d'Ostende et de Bruges .
Le troisième livre du projet de loi du code civil est
proposé au corps législatif, par les conseillers d'état
Thibaudeau et Duchatel. Thibaudean est à la tribune ,
il lit les motifs du projet qu'il déclare avoir été rédigés
par le citoyen Bigot , qu'une indisposition empêche de
se rendre au corps législatif. L'orateur après avoir examiné
la loi proposée dans son ensemble et dans ses immenses
détails , la représenté comme devant fixer les
dernières limites de la propriété , régénérer les moeurs,
assurer dans l'état le bonheur des familles , et dans chaque
famille le bonheur des individus qui la composent.
288 MERCURE DE FRANCE,
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi
tendant à attribuer au tribunal criminel de la Seine , la
connaissance exclusive de tous les crimes de faux , commis
soit en effets nationaux , soit sur les pièces de comptabilité
qui intéressent le trésor public. Après avoir entendu
Greuille , orateur du tribunat , le corps législatif
sanctionne ce projet à la majorité de 189 voix , contre 15..
Séance du 3. Les conseillers - d'état Miot et Forfait
présentent un projet de loi pour la perception d'un droit
sur diverses denrées dans le port de Cette . On passe ensuite
à la discussion de deux projets de loi.
Le premier concerne la commune de Mont- Luçon.
(Voyez la séance du tribunat du 5 germinal ,et celle du
corps législatif du 25 du même mois. ) Pinteville , orateur
du tribunat , est entendu ; il expose que le tribunat
ayant appris qu'une négociation est ouverte entre la commune
de Mont-Luçon etle citoyen Moreau, propriétaire
du terrain qu'elle veut acquérir ; il s'est déterminé
à demander l'ajournement du projet qui les concerne.
L'orateur du gouvernement consent à l'ajournement qui
est indéfiniment prononcé.
Le second concerne cent quarante-sept autres affaires ,
et le corps législatif le sanctionne à lamajorité de 200
voix contre 4.
Séance du 5. Les conseillers -d'état Treilhard , Dauchy
et Lhomond , présentent un projet de loi relatif à la contrebande
avec attroupement et port d'armes , et aux préposés
qui favorisent la contrebande en général. Par cette
Ioi , la peine de mort est prononcée contre les contrebandiers
avec attroupement et port d'armes , et la peine
des fers contre les contrebandiers ' sans attroupement et
sans armes. Les poursuites , instructions et jugemens
auront lieu conformément aux dispositions du titre 3 de
la loi du 18 pluviose au 9, relative à l'établissement des
tribunaux spéciaux .
La discussion s'ouvre sur le projet de loi relatif à la
à la contribution foncière des canaux de navigation , et ce
projet est sanctionné à la majorité de 207 voix contre 5.
Séance du 6. L'ordre dujour appelle la discussion du
projet de loi relatif à une levée de conscrits des années 11
et 12 ; Daru , organe du tribunat , a développé les motifs
de cette loi ; le corps législatif l'a sanctionné à une majorité
de 191 voix contre 15 , et s'est ajourné au 8 .
REP.FRA
( No. XCVIL. ) 17 FLOREAL an 11.
( Samedi 7 Mai 1803. )
MERCURE
DE FRANCE.
(
Gen
LITTERATURE.
POÉSIE.
LES DEUX RATS , ९
Fable imitée d'Horace.
:
2
On dit qu'un jour , dans son modeste asile ,
Le ratdes champs reçut le rat de ville.
Vieux compagnons ,vieux hôtes , vieux amis
L'âge et l'état les avaient assortis.
Du campagnard l'humeur était austère :
Dur à lui-même , il faisait maigre-chère ;
Mais il savait , dans les occasions ,
Se faire honneur de ses provisions.
Ce jour - là donc il se mit en dépense :
Quelques morceaux de son lard vieux et rance ,
Avoine , poids , figue sèche et raisin ,
Tout fut tiré du poudreux magasin.
En vain pourtant il s'agite et s'empresse
Pour irriter l'orgueilleuse paresse
A
13 T290
MERCURE DE FRANCE ,
D'un goût blâsé par de fréquens excis :
Tandis qu'à l'autre offrant les meilleurs mets ,
L'Amphytrion , sur un tas de javelles ,
Ronge un peu d'orge ou des pailles nouvelles ;
Du bout des dents son hôte effleurant tout ,
Pour tout affecte un superbe dégoût.
Le rat de ville enfin rompt le silence :
1
<< Mon cher , dit-il , c'est une extravagance
>> De t'enterrer dans le fond des déserts .
» Loin des humains , loin de tout l'Univers ,
» Que veux-tu faire en cette solitude ?
>> De vivre heureux , crois-moi , fais ton étude :
>> Puisque tout doit un tribut à la mort ,
» Tachons du moins d'embellir notre sort. »
Le rat des champs goûte cette morale ;
Il saute en place , et de suite détale .
Le couple en ville , au milieu de la nuit ,
Furtivement se glisse , et s'introduit
Dans un hotel , dont la magnificence
D'un financier annonçait l'opulence :
L'or et l'azur brillaient sur les lambris ;
Des lits de poupre et des meubles de prix
Par-tout s'offraient au campagnard surpris :
Ses yeux erraient de merveille en merveille.
Mais les reliefs d'un souper de la veille
Plûrent sur-tout à nos friands amis .
Le citadin qui voit le couvert mis
,
,
Fait , à son tour les honneurs de la salle ;
Sert l'étranger , sur la pourpre l'instale ,
Et lui choisit , goûtant de tous les plats ,
Les plus vantés et les plus délicats.
Le rustre heureux s'abandonne à la joie ,
Et son esprit en bons mots se déploie ;
Quand, tout-à-coup , avec un grand fracas ,
7
:
FLORÉAL AN XI.
La porte s'ouvre : un escadron de chats
Vient préluder à ces affreux sabats ,
En miaalant d'une voix effroyable.
Nos compagnons sont bientôt hors de table :
<< Adieu , mon cher , dit l'habitant des bois ;
291
>> N'espère pas m'y prendre une autre fois !..
>> Tes grands festins , que le trouble accompagne ,
>> Ne valent pas la paix de ma campagne. >>>
KÉRIVALANT.
L'AVARE DE BUCHANAN ,
Traduction de sa 62°. Epigramme du liv. 2.
:: S
En perruque à crins secs , en pourpoint tout à jour ,
Le regard inquiet , la face have et blême
Et la main contractée en serre de vautour,
Vous croiriez que d'Orgon la misère est extrême.
Nul mortel , en effet , n'est plus pauvre d'esprit ;
Mais des dons de Plutus , nul n'a plus forte dose.
Il entasse plus d'or dans son sale réduit,
Que n'en roule le Tage , et n'en rend le Potose.
Dans un caveau voisin du manoir de Pluton
Il va vingt fois le jour tourmenter ses espèces ;
Fait et refait ses tas en ménageant le son
Qu'il consulte pourtant pour les douteuses pièces..
Quoiqu'il connaisse seul l'accès du souterrain,
La prudence d'Orgon n'en est pas rassurée :
Sous un triple verrou , quatre portes d'airain
A tous les malveillans en défendent l'entrée .
Ce n'est pas tout encor , trois dogues dans sa cour ,
Unsoldat bienarmé , sévères sentinelles ,
Constamment aux aguets et la nuit et le jour ,
2
よい
4
:
i
:
T2
292 MERCURE DE FRANCE ,
Protègent sa maison mieux que forts et tourelles .
Il n'ose se fier à la garde des dieux ;
Jamais sur leurs autels il n'a porté d'offrande.
Sa femme , ses enfans , .... peut-il compter sur eux ?
Soupçonneux, défiant , sans cesse il les gourmande ,
Le premier de ses soins est d'éviter leurs yeux.
Si l'hirondelle attache un nid à sa fenêtre ,
L'hirondelle est Progné qui guette tous ses pas:
Le tissu d'Arachné , c'est un filet peut-être
Qui menace son or ; il redoute ses lacs .
Le trou d'un rat , d'un ver éventent une mine
Qui va faire sauter l'homme et le coffre-fort :
Il les sonde en tremblant , ssa lampe Pillumine,
S'il la laisse échapper , je tiens Orgon pour mort.
Si le flambeau du jour traverse une ouverture ,
Craignant que le rayon n'atteigne son trésor
D'une étoupe mêlée à quelque molle ordure ;
Il sait , en la fermant , arrêter son essor .
Prenant pour un voleur la trace de son ombre ;
On l'a vit la poursuivre un baton à la main :
Il s'inquiète aussi d'une obscurité sombre ,
Son voile trop souvent protège le larcin.
Ainsi la nuit , le jour , ténèbres ou lumière
Chaque instant de sa vie ajoute à son tourment ,
Pour que l'on puisse dire , à son heure dernière ,
Le prévoyant Orgon a vécu pauvrement ,
;
,
9
,
Pour entrer riche au monument
Encore si la mort au son de l'or sensible ,
Vouloit à beaux deniers vendre quelque répit !
on là trouve inflexible : Payez , priez , criez ,
1
1
1
Mais pour les malheureux , benigne ou moins terrible ,
On la voit doucement les tirer de leur fit :
Elle happe un Orgon , le secoue et s'en rit.
i
:
و .... B.deReims.
FLORÉAL AN XI. 293
ENIGME.
Mon père est l'air et ma forme est sphérique ,
Je suis légère , éclatante , élastique ;
J'offre aux regards les plus vives couleurs :
En me brisant , je m'exhale en vapeurs.
Deux élémens composent mon essence ;
D'un autre agent je tiens ma consistance.
Et mon volume est plus ou moins petit .
Le moindre choc m'anéantit ;
Et très-souvent je cesse d'être
Au moment où je viens de naître .
Un souffle léger me produit ,
Un souffle trop prompt me détruit.
Aux amusemens de l'enfance
Je dois ma trop courte existence.
A tous ces traits , on voit combien
Il est aisé de me comprendre .
J'ajoute : si l'on veut me prendre ,
Je disparais , on ne tient rien .
Par madame P..... de V.....
LOGOGRYPHE.
De la divinité je suis souvent l'emblême.
Je marche sur huit pieds;
Otez les trois premiers ,
Je ne suis plus que le tiers de moi-même.
Je contiens , car je suis d'une richesse extrême ,
La mesure des jours; un stupide animal; ...
La plus parfaite créature ;
Un homme d'énorme stature ;
!
Undespote cruel ; un grand fleuve; un métal ;
1
Une liqueur de blancheur éclatante al story si
T5
294 MERCURE DE FRANCE ,
Un membre mou , caché , lequel s'épanouit
Quand un objet nous réjouit ;
Ce qui couvre une table , et cette faible plante
Qui le fournit ; le tribut qu'au printems
Nous donnent les moutons ; le nombre de nos ansy
L'envoyé d'un pontife ; un excès de colère ;
Un amas d'eau ; ce qui revêt nos mains ;
L'animal alongé qui dévore nos grains ;
L'écorce nouvelle d'un chêne
Que pour les cuirs l'art a su façonner ;
Un mot qu'au dernier vers je viens de crayonner ;
Ce que la vanité ne cède qu'avec peine ;
Ce cri qui t'avertit de détourner tes pas :
Quel lecteur , à ces traits , ne me devine pas ?
CHARADE.
Que j'aime à voir , armé de mon premier ,
Le joli doigt de ma Glycère ,
Eloigner la main téméraire
Qui veut un peu trop approcher
De cette gentille ouvrière !
Glycère est faite à mon dernier ;
Avec tant de beauté que n'est-elle moins fière !
Mon coeur pourrait près d'elle s'expliquer ,
Sans se servir de mon entier.
Mots de l'Enigme , du Logogriphe et de la
Charade insérés dans le dernier Numéro.
34 .
Le mot de l'Enigme est la lettre U.
Celui du Logogryphe est Corps , où l'on trouve soc,
cor ,porc , roc , or.
Le mot de la Charade est Chèvre- Feuille.
FLOREAL AN XI. 295
Pensées de Léibnitz sur la Religion et la Morale ;
deuxième édition de l'ouvrage intitulé : Esprit
deLéibnitz , considérablement augmenté. Deux
vol. in-8° . Prix g fr. et 12 fr. franc de port.
A Paris , chez la veuve Nyon , libraire , rue
du Jardinet ; et chez le Normant , imprimeurlibraire
, rue des Prêtres Saint-Germain-l'Auxerrois
, vis -à-vis le petit portail, nº. 42 .
CETTE conjuration qui s'était formée contre le
Christianisme dans le siècle dernier , et qui , tôt ou
tard , devait s'éteindre dans le mépris, était , si l'on
peut le dire , une entreprise encore plus extravagante
et plus rididule qu'elle n'était impie : elle ne
méritait pas qu'on prît la peine d'écrire tant d'ouvrages
sérieux etsavans,qui n'ont faitquefournir matière
à d'insolentes moqueries ; et c'est un malheur que ,
dès l'origine , il ne se soit pas rencontré un homme
tel que l'auteur des Provinciales , pour en faire
justice d'une inanière proportionnée à la nature
du mal. C'était , à mon avis , compromettre la
dignité d'une telle cause , que d'entrer en dispute
avec des foux furieux , ou de mauvais plaisans ,
sans doctrine et sans foi. Il fallait imiter la hauteur
de Pascal . Ce grand homme les accable de son
mépris dans quelques traits de ses pensées ; et il
suffisait de développer, après lui , cette juste idée ,
qu'il est glorieux à la religion d'avoir pour ennemis
des hommes de ce caractère. On méprise
beaucoup la philosophie superficielle de ceshommes
qui ne sont incrédules qu'à force de crédulité , lorsqu'on
est entré une fois dans cette autre philosophie
profonde que l'incomparable Leibnitz a si
bienmise en honneur, et de laquelle le chancelier
T4
596 MERCURE DE FRANCE ,
on
Bacon dit excellemmert qu'elle nous ramène à
Dieu , autant que l'autre nous en éloigne. Lorsqu'on
a lu ce qu'un Bossuet , un Leibnitz , un
Descartes , et tant d'autres esprits supérieurs , ont
écrit de solide et de grand sur le Christianisme ;
lorsqu'on s'est nourri de leurs méditations
nepeutque regarder deforthaut cessophistes et ces
railleurs misérables , qui n'ont su qu'outrager et
couvrir de boue des vérités d'une haute majesté ,
àpeu près comme un Monarque est insulté dans
un jour de révolte par la plus vile canaille de ses
états. On ne craint point de passer- pour injusteen
parlant de la sorte ; et si ce mépris enveloppe
quelques personnes qui ont de la célébrité , on
s'en inquiète peu : l'abus de l'esprit cesse d'être de
l'esprit. Cela n'a point embarrassé Leibnitz , qui
n'en témoigne pas avec moins de force son sentiment
contre cette espèce de philosophes. « J'avoue,
>> dit-il , que j'ai toujours vu avec indignation
>> qu'on abuse des lumières de l'esprit humain
>> pour l'aveugler lui-même , et je me suis appliqué
>> à la recherche des principes véritables , avec
>> d'autant plus d'ardeur, que je souffrais plus im-
> patiemment que des novateurs entreprissent par
>> leur subtilité de me priver du plus grand bien
>> de cette vie , c'est-à-dire , de la certitude que
>> mon âme survivra éternellement à mon corps ,
>> et de l'espérance qu'un Dieu , infiniment bon ,
>> couronnera enfin la vertu et l'innocence. >>>
( Confes. fid. cont. Atheist. )
Celui qui aura le bon sens de concevoir ce que
c'est que de prétendre élever sur les ruines d'une
religion antique et vénérable une philosophie sans
principes et sans moeurs , sentira qu'il n'est guères
possible de mépriser une telle idée autant qu'elle
mérite de l'être. Ce qui y met le comble du ridicule
, c'est qu'elle venait après un siècle pleinde
FLORÉAL AN XI. 297
٦
génie , de lumières et de vertus. Puisque le monde.
est si peu disposé à entrer dans les raisons des \
choses, qu'on enjuge donc par ce qui est de pure
forme ; l'autorité ne nous manquera pas ; car , sensément
, que pouvaient opposer à tant de grands
hommes , si remplis de droiture , ces petits brouillons
nés dans la fange des moeurs de la régence ,
et qui avoient bien plus de vices , de travers et
de mauvaise foi qu'ils n'avaient d'esprit ? C'est
une chose étrange à remarquer que pas un d'eux
n'a écrit en honnête homme sur la religion de
son père et de sa mère ; pas un n'a porté dans
cette controverse les qualités qui lui pouvaient
donner quelque poids , le jugement , le savoir et
la candeur. Il fallait que l'effronterie et le scandale
enssent été poussés bien loin, pour arracher à.
M. d'Alembert cet aveu singulier : << On ne sau-
>> roit dissimuler que les principes du Christia-
>> nisme sont aujourd'hui indécemment attaqués
>> : dans un grand nombre d'écrits ; il est vrai que
>>la manière dont ils le sont pour l'ordinaire ,
>> est très-capable de rassurer ceux que ces atta-
>> ques pourraient alarmer : le désir de n'avoir
>> plus de frein dans les passions , la vanité de ne
" pas penser comme la multitude , ont bien plus
>> fait d'incrédules que Fillusion des sophismes ,
>> si l'on doit appeler incrédules ce grand nombre
>> d'impies qui ne veulent que le paraître , et qui ,
>> selon l'expression de Montaigne , tachent d'être
» pires qu'ils ne peuvent. » ( De l'abus de la crit.
en mat. de relig. )
Quelqu'ait été le motif de cet aveu , on peut ,
en sûreté de conscience , ne pas faire grand cas
d'une philosophie , dont ses propres docteurs
parlent avec ce mépris. Il est vrai que la philosophie
à son tour n'a guères eu plus de respect
pour ses docteurs. C'est un caractère qu'il faut
1
298 MERCURE DE FRANCE ,
considérer en elle s'ils se jugent réciproquement
méprisables , dans leur propre cause il faut bien
les en croire. Or il est sûr que ce parti a toujours
eu si peu de confiance dans l'autorité de ses chefs,
et une si invincible conviction de leur peu de génie ,
qu'il a sans cesse travaillé à se faire des appuis
parmi les défenseurs même du Christianisine , soit
en corrompant leurs écrits, soit en calomniant leur
conscience. Nous avons déjà fait voir avec quel
art et quel courage deux ou trois insignes philosophes
sont venus à bout de falsifier des ouvrages
qui les embarrassaient , tels que ceux de Pascal et
d'Euler. Ne pouvant répondre à un argument ;
ils le supprimaient. Cela n'est-il pas ingénieux ?
Notre Leibnitz aurait bien mérité cet honneur ;
mais ayant écrit dans une langue , et sur des matières
qui le rendent peu accessible au grand
nombre , on s'est contenté de calomnier ses opinions
, et de le travestir en incrédule. Je ne juge
jamais à ces petits procédés philosophiques , que
je ne croye entendre un Basile nous dire , comme
à Bartholo : La calomnie ! docteur, la calomnie !
Vous ne savez guères ce que vous méprisez.
En effet , c'étoit une conquête bien importante
pour les philosophes que le nom de Léibnitz . Outre
qu'il avait été leur maître dans les inventions de
la haute géométrie , où il y a tant d'étudians et si
peu d'inventeurs , son génie vaste s'étendoit à tout.
Il étoit aussi universel dans ses connaissances , que
d'autres l'ont été dans leurs prétentions. Il n'effleurait
pas . il creusoit toutes les matières. Il possédait
le savoir des faits qui constitue l'érudit ,
le savoir des raisons qui fait le vrai philosophe.
Il avait extraordinairement d'esprit , mais de celui
qui va au fond des choses. Il n'estimait pas ce
genre d'esprit qui se joue à la surface d'une idée.
Il parle souvent avec mépris de ces gens qui railet
FLORÉAL AN XI.
299
lent et badinent sur tout , pour déguiser leur ignorance
, et qui ne sont légers que parce qu'ils manquent
de fonds. Voilà certainement un homme
très -peu accommodant pour nos petits philosophes
: cependant ils l'ont loué d'une manière qui
aurait pu le faire prendre pour un écrivain méprisable
, par les honnêtes gens qui ne l'ont point
lu. Heureusement le remède est ici plus puissant
que le mal. On ne pouvait , sans doute , rien faire
de mieux pour la gloire de Leibnitz que cette
inestimable collection de ses pensées , où l'homme
de génie et le chrétien paraissent avec tant d'éclat.
Mais il importe de préparer les esprits à les lire
avec plus de fruit ; et comme j'estime qu'on n'a
pas dissipé assez fortement d'anciennes préventions .
répandues et accréditées avec beaucoup de malice ,
il est bon de commencer par mettre ce point hors
d'attaque ; et je me flatte que cette courte dissertation
montrera dans leur véritable jour , et l'esprit
de la philosophie , et la religion de Leibnitz .
On remonte à la source de ces préventions ,
dans un recueil de pièces sur les mathématiques
et la philosophie , qui sont des écrits polémiques
entre Newton , Leibnitz et Clarke , publiés par
un protestant français . On trouve dans la troisième
édition de cet ouvrage , qui parut en 1759 , un
avertissement plein de malignité , où , tout en
louant la candeur de Léibnitz , on paraît prendre
à tâche de le déshonorer. On s'y efforce de prouver
qu'un homme qui a écrit et médité toute sa
vie sur la religion , n'y croyait point , et s'en
moquait. Je crois qu'il n'est pas mal d'examiner
un peu le fondement sur lequel on a prétendu
faire recevoirune opinion si étrange. Un M. Pfaff,
professeur d'Allemagne , débita , depuis la mort
de Léibnitz , qu'il lui avait écrit un jour , que
c'était pour se divertir qu'il avait imaginé sa
,
300 MERCURE DE FRANCE ,
• Théodicée , et qu'il avait pris cette manière
dephilosopher , qui ne fait quejeterde lapoudre
aux yeux de ceux qui n'approfondissent rien , mais
qui est néanmoins d'autant plus ingénieuse, que ,
si on la comprend bien, on verra qu'elle confirme
subtilement l'opinion grossière de M. Bayle, sous
l'apparence d'une réfutation.. « Quelle
>> réponse , ajoute ce professeur , croyez - vous
» que mefit M. Leibniz ? la voici : Ce que vous
>> m'écrivez touchant ma Théodicée , est très-vrai.
>> Vous avez frappé au but; et je suis surprisque
>> personne jusqu'à présent , ne se soit aperçu que
>> j'ai voulu me divertir......» De-la , M. Plaff
s'empresse de conclure , avec un air de triomphe ,
qu'il est très-certain que M. Leibnitz a défendu
plusieurs dogmes de la religion, dont il ne faisait
que se moquer. En sorte que ce professeur
estici , tout - a- la- fois , accusateur , témoin et
juge. Car , qui est - ce qui taxe d'incrédulité
Leibnitz ? C'est M. Pfaff. Qui est - ce qui rend
témoignage contre lui ? C'est encore M. Pfaff.
Enfin , c'est M. Pfaffqui prononce sur l'accusation
que lui-même a intentée , et sur les preuves qu'il
a fournies.
Quelques savans ont répondu dans le temps ,
que la lettre de Leibnitz était assurément ironique,
et qu'il s'était joué du professeur. La réplique
était plaisante contre un homme qui accusait
Leibnitz de s'être moqué de tout ; mais c'était
esquiver la difficulté par une gambade. On n'a
pas assez fait attention que la lettre de M. Pfaff
renferme une absurdité palpable dans le raisonnement
, qui en détruit toute la foi : car quel
bon sens ya-t- il à dire que la méthode philosophique
de Leibnitz est d'autant plus ingénieuse ,
qu'au lieu de réfuter l'opinion grossière de Bayle ,
ellenefait que la confirmer subtilement ? Voila
FLOREAL AN XI. 301
une plaisante subtilité , de fortifier une erreur
qu'on attaque ! Si l'on suppose que Leibnitz n'a
pas eu l'intention de réfuter cette erreur , il n'a
done rien fait d'ingénieux , en adoptant une méthode
qui ne la réfute point; si , au contraire ,
on veut qu'il ait eu le dessein de la réfuter , conment
peut-ondire que sa méthode soit ingénieuse ,
précisément parce qu'elle confirme une erreur qu'il
voulait détruire ? C'est une contradiction manifeste.
Il est évident que ce professeur ne s'est pas
entendu lui-même. Veut-il dire que Leibnitz soit
ingénieux et subtil , en ce qu'il paraît réfuter une
erreur qu'il ne réfute point ? Cela est , en effet
bien subtil ; mais il s'y contredit encore : car , si
Leibnitz ne réfutepas réellement cette erreur, que le
professeur appelle grossière , à qui peut- il paraître
l'avoir réfutée ? c'est sans doute à des ignorans ;
et M. Pfaff dit , en propres termes , que cette manière
de philosopher ne fait que jeter de la poudre
aux yeux de ceux qui n'approfondissent rien.
Elle n'est done , selon lui - même , ni subtile ,
ni ingénieuse : ainsi c'est contradiction sur contradiction
; et de quelque côté qu'on la prenne ,
cette opinion est absolument insoutenable.
:
Mais alors à quoi revient ce que dit Leibnitz ,
qui répond à cet homme qu'il a dit vrai , qu'il a
frappé au but ? etc. L'absurdité de la lettre étant
telle que je l'ai montrée , il est certain que la
réponse n'y revient en aucune manière ; et c'est
précisément l'impossibilité qu'il y a de les accor
der , qui démontre , non pas absolument que
la lettre de Leibnitz ait été fabriquée à plaisir , ou
que M. Pfaff ait ajusté la sienne après coup ,
comme quelques personnes ne répugnent point à
le croire , mais simplement qu'on a tiré de l'une
et de l'autre des inductions fausses et calomnieuses.
Eneffet, la lettre de Léibnitz est susceptible d'un
302 MERCURE DEFRANCE ,
bon sens : car il y a deux choses dans la Théodicée
; il y a d'abord l'hypothèse de l'harmonie
préétablie , et du choix que fait Dieu entre tous
les mondes prétendans à l'existence , hypothèse,
purement philosophique , imaginée pour répon-:
dre aux difficultés que Bayle avait élevées sur les
attributs divins , et sur l'origine du mal. Il y a
en suite les dogmes de la religion, qui entrent dans
ce système , comme un corps de vérités fondamental
, sur lequel Léibnitz bâtit toutes ses inventions.
Or , il se pourrait que ce grand métaphysicien
eût parlé de son hypothèse, comme d'un
tour de force et d'un jeu de son esprit , qu'il ne
fallait pas prendre en toute rigueur , sans que!
cela intéressât en rien le fonds de la religion ,
qui n'a rien de commun avec cette hypothèse.
Ainsi , quand Leibnitz dit qu'il n'a voulu que se
divertir , cela peut très-bien signifier que cette
imagination prodigieusement fertile et hardie ,
s'était comme jouée en créant un système , qu'on
ne devait regarder que comme un essai et une
tentative d'explication sur les hauts mystères ;
mais il n'a jamais pu vouloir dire qu'en travaillant
à défendre la religion , il ait eu , de gaîté de
coeur , le dessein de s'en moquer. Il faut n'avoir
pas la moindre notion de philosophie , ni le moindre
principe de logique , pour confondre ces deux
choses.
Et , après tout , qu'est- ce qu'une subtilité de
cette espèce , pour faire douter de la foi d'un homme
qui non-seulement a eu toute sa vie des pensées
grandes et solides sur le Christianisme, comme on!
en trouve à chaque page de ses écrits , mais qui
même avait mis sa gloire à le défendre , avec un
tel sentiment d'honneur et de délicatesse , qu'il
voulait, comme je le ferai voir , que ses inventions
dans les hautes sciences servissent à donner plus
۱
FLOREAL AN XI. 303
de poids et d'autorité à ses méditations religieuses ?
En effet , dans une lettre qu'il écrit au savant
M. Burnel on trouve cette idée : « Si les belles
>> productions de M. Pascal , dans les sciences les
>> plus profondes , devaient donner du poids aux
>> pensées qu'il promettait sur les vérités du Chris-
>> tianisme , j'oserais dire que ce que j'ai eu le
>> bonheur de découvrir dans les mêmes sciences
>> ne ferait point de tort à des méditations que
>> j'ai encore sur la religion , d'autant que nos
> méditations sont le fruit d'une application bien
>> plus grande et bien plus longue que celle que
>> M. Pascal avait donnée à ces matières relevées
de la théologie...... Il est vrai que son génie
Enfin ,
>> ajoute t- il , si Dieu me donne encore de la
>> santé et de la vie , j'espère qu'il me donnera
>> aussi assez de loisir et de liberté d'esprit pour
>> acquitter des voeux , faits il y a plus de trente
>> ans, de contribuer à la piété et à l'instruction ,
>> sur la matière la plus importante de toutes. »
Pens. I vol .
»
>> extraordinaire suppléait à tout. ......
Est- ce là le ton d'un homme qui se moque , et
qui ne défend la religion que pour s'en divertir ?
Qui obligeait Léibnitz à parler ici de ses voeux ,
en faveur de la piété ? Voilà bien la candeur d'un
grand homme. Les philosophes qui la calomnient ,
en haîne de la religion , font leur métier. Ils ne
sont pas obligés de se connaitre en droiture et en
grandeur d'âme . Mais malheureusement ils ne se
connaissent pas davantage en jugement et en force
d'esprit ; car , si Leibnitz était aussi mal intentionné
qu'ils le prétendent , dans quelle vue auraitil
poussé si loin ses travaux pour soutenir la vérité ?
Pourquoi tant de recherches , tant de dissertations
savantes , tant de raisonnemens et d'efforts de la
plus profonde métaphysique? Travaille-t-on avec
304 MERCURE DE FRANCE ,
cette ardeur à établir une croyance que l'on méprise
? Et serait-ce d'un fonds de moquerie et de
dérision qu'auraient pu sortir des idées d'une noblesse
et d'une élévation si parfaites ? Car , c'est
dans la religion que se déploie tout le génie de
Leibnitz . Ses vues sont immenses , et il y a comme
'une sorte de magnificence dans ses conceptions .
Il fallait un homme bien sûr de sa force , et bien
appuyé sur la vérité , pour dire comme lui à toute
l'Europe savante : Je n'accorde à personne au
monde que la raison puisse opposer à lafoi des
argumens insolubles. Et il dit ailleurs , avec un
ton admirable de grandeur et de confiance qui
sied si bien à ce puissant génie : « La nature même
>>>des choses veut que cet ordre de la cité divine ,
>> que nous ne voyons pas encore ici bas , soit un
>> objet de notre foi, de notre espérance , de notre
>> confiance en Dieu. S'il y en a qui en jugent au-
> trement , tant pis pour eux. Ce sont des mécon-
» tens dans l'état du plus grand et du meilleur de
>> tous les monarques ; et ils ont tort de ne point
>> profiter des échantillons qu'il leur a donnés de
>> sa sagesse et de sa bonté infinies , pour se faire
>> connaîtrenon- seulement admirable, mais encore
>> aimable au-delà de toutes choses. »
Onpeut juger, sur de pareils traits , combien
lapublication de ces Pensées est de nature à servir
la gloire de Leibnitz , et même celle de la religion,
selon les voeux qu'avait faits ce grand homme .
Le savant éditeur de cet ouvrage , depuis longtemps
en possession de l'estime publique , tui a
donné , dans cette nouvelle édition,une forme plus
parfaite ; il l'a , en outre , augmentée de plusieurs
pièces qui ne sont pas les moins intéressantes de la
collection; notamment de la célèbre controverse
entre Bossuet et Leibnitz , c'est-à-dire , entre les
deux plus grands génies de la France et de l'Allemagne.
(
FLOREAL AN XI. 305
!
magne. On peut regretter que l'auteu
forcé , en quelques endroits , d'abrégerne
cussion d'un si haut intérêt. J'oserai diru
qui ne la connaissent point , ne savent
quel homme c'était que Bossuet , ni qua
c'est que le Christianisme. On remarque
Leibnitz avait , pour la foi catholique , et en pas
ticulier pour le Saint-Siége , des sentimens qui
l'ont rendu peu agréable aux protestans. L'idée
que cet homme extraordinaire avait que , pour le
repos et l'ordre des sociétés en Európe , il eût été
à souhaiter que le pape eût une suprématie universelle
, étonnerait aujourd'hui bien des esprits.
Mais ils ne savent point que ce même homme ,
qui voyait de si haut et de si loin , annonçait dèslors
à l'Europe la révolution générale dont elle
était menacée dans ses moeurs. (Nouv. Ess . sur
l'Entend . hum . ) Il parle , dans ce passage
disciples des philosophes , « qui , se croyant dé-
>> chargés de l'importune crainte d'une providence
>> surveillante et d'un avenir menaçant, lachent la
>> bride à leurs passions brutales.......... Et il
ajoute :<< S'ils sont ambitieux et d'un caractère
> un peu dur , ( certes l'expression est modérée )
>> ils seront capables , pour leur plaisir ou leur
>> avancement , de mettre le feu aux quatre coins
»
१
des
de la terre. » Mais le reste de la prédiction leur
plaira encore moins : car il finit par annoncer
que la providence ( on voit que Leibnitz n'avait
pas peur de la providence ,) corrigera les hommes ,
par la révolution même qui doit naitre. Leibnitz
prévoyait donc la nécessité d'une digue , bien avant
le débordement, etles philosophes ne la sentent
point , même lorsque le torrent qu'ils ont déchainé
passe sur leur tête. Leibnitz , comme tous les esprits
justes , voulait que l'homme sujet à des passions,
trouvat une loi réprimante hors de lui et
RÉP.FRA
5.
cen
12 V
306 MERCURE DE FRANCE ,
au-dessus de lui : et les philosophes venlent que
l'homme , emporté par ses désordres , trouve en
lui-même son frein et sa loi. On s'étonne toujours
que tant d'ignorance et de mauvais esprit puisse se
soutenir contre tant de savoir , de raison et de
génie; mais lorsqu'on voit quelles passions règnent
dans le monde , cela s'explique.
CH. D.
SUR LES FINANCES , LE COMMERCE , LA MARINE ET
LES COLONIES , par M. Micoud , administrateur du
Mont-de-Piété et membre du Corps électoral de Paris.
AParis , chez Agasse , imprimeur-libraire , rue des
Poitevins , n. 18. An X. ( 1802 ) ; et chez le Normant,
imprimeurlibraire , rue des Prêtres Saint-Germainl'Auxerrois
, n . 42 , vis-à-vis le petit portail.
Beaucoup de publicistes ont écrit sur les matières politiques
, à-peu-près comme ces voyageurs qui ont donné
des relations des pays sauvages , sans sortir de leurs cabinets.
Il y a un certain mérite d'invention à parler de ce
qu'on ne sait pas , qui est singulièrement recherché aujourd'hui
, et je m'assure qu'en dernière analyse , il fait le
principal mérite de la plupart de nos littérateurs et de
nos journalistes. Malheureusement les erreurs en économie
politique , ont des suites plus graves que les exagérations
des voyageurs et l'ignorance des critiques ; car il
arrive , dans la société , des temps de faiblesse où l'on
trouve naturellement l'occasion de faire l'essai des systèmes
; et nous avons appris combien de semblables expériences
préparent et aident puissamment les révolutions.
Ce fut à la métaphysique du dix-huitième siècle , que
l'économie politique dût cet esprit de subtilité et de système
, qui en a fait une science ingénieuse et même assez
divertissante pour que tout lemonde aiteu la prétentionde
s'y faire initier etd'en donner les préceptes. Cettemultitude
FLORÉAL AN XI. 307
de gens habiles prouve bienmoins enfaveur de la science,
qu'elle ne montre combien la métaphysique est un sup
plément facile à la science que l'on n'a pas. En parcourant
tous les écrits qui se sont succédés depuis que l'économie
publique est devenue ainsi le patrimoine de ceux qui ana
lisent l'entendement humain, on est étonné de tout ce
qu'on peut dire sur l'origine de la société , sur la propriété
, sur l'impôt , la balance du commerce , etc.; on
serait tenté d'accorder à tous ces auteurs beaucoup plus
d'esprit qu'à Colbert et à Sully; sauf cependant l'espritde
la chose dont ils parlent , qui est le bon sens appuyé sur
l'expérience , ou autrement le génie de l'homme d'état.
1
Ces reproches ne seront point adressés à l'auteur de
l'ouvrage que nous annonçons. C'est un ancien adminis
trateur des colonies , et un homme exercé dans les diffé
rentes parties de l'économie publique , qui parle de finan
ces , d'impôt , de commerce et de marine ; et quand le
nom de l'auteur ne garantirait pas toutes les connaissances
qui peuvent donner du prix àson onvrage, on reconnaîtraitaisément
qu'il les possède , à son éloignement pour
les affirmations , à sa précision dans l'exposé des faits , à la
méthode et à la conscience qu'il porte dans les moindres
détails.
I
Les divers sujets que traite M. Micoud, ont entr'eux
des rapports naturels , qui ont déterminé le plan qu'il
s'est tracé. La nécessité des finances une fois convenue
pour l'existence du gouvernement , il faut s'occuper de
l'impôt, qui est la source des finances. L'impôt ne pou
vant être tout direct , c'est- à- dire , ne pouvant portër
qu'en partie sur les produits bruts de l'agriculture , suppose
le commerce qui fournit à l'impôt indirect. Mais le
commerce doit être protégé sur les mers , et la marine
marchande entraîne la nécessité d'une marine militaire.
La puissance de celle-ci dépend essentiellement de la prospérité
de l'autre; et «jusqu'à ce que , sur quarante mille
>> vaisseaux environ qui sont employés au commerce de
V2
308 MERCURE DE FRANCE ,
>>> l'univers , la France ait acquis le nombre naturel qu'elle
>> doit avoir., elle ne peut pas conmpter sur une marine
>> puissante. Vainement s'épuiserait-elle pour mettre des
>> escadres en mer , le premier revers la replongerait
>>> bientôt dans un état de faiblesse et d'abattement. »
1
En parcourant ce vaste ensemble de l'administration
publique dans ses différentes parties , l'auteur ne s'est pas
toujours attaché aux théories modernes , et l'on sera d'autant
moins disposé à l'en blâmer , que , pour être utile et
même pour être neuf, il faut consentir quelquefois à dire
beaucoup de choses anciennes. Cependant il ne fait pas
difficulté d'adopter plusieurs idées de ses contemporains,
lorsqu'elles sont appuyées par l'expérience ; on en trouveramême
plusieurs qui appartiennent à ce Smith tant
vanté,et que tout le monde veut avoir lu , ne fût-ce que
pour le combattre. Mais il le quitte aussi tôt qu'il s'égare
dans sonsystème : et lors , par exemple , que l'économiste
anglais , pour établir la balance du commerce , vient proposer
au gouvernement de l'abandonner à elle-même , il
montre cette liberté indéfinie du commerce aussi funeste
si toutefois elle n'était pas aussi impossible que l'exécution
de la loi agraire , ou l'exercice de la souveraineté du
peuple.
Dans la troisième partie , l'auteur jette un coup - d'oeil
rapide sur l'Angleterre et sur les principales puissances de
l'Europe , que leur situation locale a rendues susceptibles
d'ungrand.commerce et d'un crédit public. Cette partie
offre unmérite assez rare, et que l'on ne retrouve pas dans
beaucoup d'écrits politiques : car il nous semble qu'après
I'avoir lu , on comprend l'Angleterre , et que l'auteur explique
d'une manière assez sensible l'existence un peu
subtile de cette puissance , qui s'est imposée l'obligation
rigoureuse de n'éprouver aucun revers ; qui a fondé sa
grandeur sur la hardiesse de ses espérances , et dont la
prospérité serait plus dangereusement attaquée dans la fortune
particulière de ses concitoyens, que dans ses flottes',
:
FLORÉAL AN XI 3ug
1
son territoire et sa banque. Comme tous les politiques ,
M. Micoud prédit les suites nécessaires du crédit exagéré
de l'Angleterre. Maisles prédictions perdroient trop de leur
intérêt, en les séparant des raisonnemens qui les appuient.
D'ailleurs , nous aimerions mieux fixer l'attention du lecteur
sur des considérations plus positives , sur plusieurs
réformes et plusieurs améliorations possibles dans l'administration
de lamarine, des colonies , da ministère public,
en un mot sur une infinité de vues intéressantes et utiles
que présente cet ouvrage. On peut le regarder , en quelque
sorte , comme un extrait ou un résumé de la science
des hommes d'état. Il nous suffira, de l'avoir proposé à
leur estime et à leur méditation.
Les résultats de l'expérience , les vues utiles et d'un in
térêt présent que renferme toute la partie que monsieur
Micoud consacre au commerce et à la marine , ne la
rendent pas la moins intéressante de cet ouvrage. Après
avoir tracé l'histoire du commerce dans la généralité de
ses effets , « embrassant l'univers , timide et entreprenant ,
>> bienfaisant ou cruel selon les espaces qu'il parcourt et
➤ la nécessité qui le détermine , prenant sa source enAmé-
>> rique , se multipliant en Europe , se montrant dans
>> l'Inde, parcourant l'Afrique, reparaissant en Amérique,
» et revenant en Europe terminer ses voyages et ses tra-
>> vaux , etc.; >> il fait voir non-seulement les rapports qui
lient la puissance da gouvernement avec la prospérité du
commerce , mais encore la nécessité et l'intérêt qui unissent
les différentes branches de commerce entr'elles , et
F'erreur d'un gouvernement qui négligerait une de ces
branches , ou favoriserait l'une aux dépens de l'autre.
Cette démonstration , appuyée sur des faits et des calculs
sensibles , est peut-être un des tableaux les plus complets
et les plus instructifs qui aient été présentés sur cette ma
tière. Mais de quelle manière le gouvernement exercerat-
il la protection qu'il doit au commerce ? M. Micoud est
donc conduit à discuter les avantages des priviléges exclu
V3
310 MERCURE DE FRANCE ,
sifs et des compagnies , ou plutôt il résume les nombreuses
raisons qui ont été apportées de part et d'autre, et il conclut
contre l'institutiondes compagnies , avec cette forcede
raisonnement qui convainet toujours le lecteur sans persuader
jamais les gouvernemens. On sent aussi que l'auteur
examinera la question de la traite des négres. Tout
estdit sur cette question funeste ; et au point où nous en
sommes , il ne s'agit plus que des remèdes. Parmi ceux
que propose M. Micoud , on reconnaîtra les vues d'une
administration supérieure. C'est à la religion qu'il confie
le soinde réparer les erreurs de la philantropie ; c'est
la religion seule qui peut établir cette véritable égalité
que la philosophie ne comprendra jamais. It voudrait
donc que les missions succédassent aux expéditions mili
taires dans nos colonies , afin d'en consoler et d'en civiliser
à la fois les malheureux cultivateurs , par les pratiques
d'unculteuniforme. Iln'est pas permis encore de prévoirà
quelle époque ces moyens pacifiques seront praticables ;
toujours est-il probable qu'ils seront d'un effet plus sur
et plus heureux par la suite , et dans tous les cas ils au
rontcet avantage inappréciable , de ne faire que quelques
martyrs , au lieu que les expéditions militaires font beau
coupdevictimes.
VARIÉTÉS.
LesSciences doivent-elles l'emporter surles Belles Lettres ?
Les sciences et les lettres ont droit également à la ne
connaissance des hommes ; elles se doivent un mutuel appui;
elles doivent marcher ensemble vers un but commun,
qui est l'amélioration de l'espèce humaine. Les
savans et les hommes de lettres sont frères , et je ne puis
m'empêcher de gémir sur l'esprit de rivalité qui tend aujourd'hui
à les désunir. Si l'égalité doit régner quelque
part sur la terre, c'est sur-tout dans l'empire des sciences
FLOREAL AN XI. 11
et des lettres , auquel on a donné , avec quelque raison,
le nom de république. Les anciens rendaient un culte égal
aux neuf muses; jamais aucune d'elles ne fut préférée aux
autres , ni dans les temples , ni dans les lycées , et nous
aurions dû imiter la sagesse des anciens. Mais puisque
certains savans modernes affectent de parler sans cesse de
la prééminence des sciences sur les lettres , on peut enfin
examiner l'état de la question , et mettre le public à portée
de juger les uns et les autres. Je mettrai dans ce que j'aià
dire toute l'impartialité d'un homme qui honore également
les sciences et la littérature. Je n'ai point l'honneur
d'être au nombre des savans; mais je leur dois, avec mon
siècle, de la reconnaissance pour les lumières qu'ils ont
répandues.Mon goût m'a quelquefois entraîné vers l'étude
de la littérature ; mais mon nom n'est pas assez distingué
dans les lettres , pour que je puisse être soupçonné de
parler dans ma propre cause. १
Examinons d'abord les lettres et les sciences en général.
Les sciences ont , sans doute , agrandi la sphène de l'esprit
humain ; elles travaillent à dévoiler à l'homme les secrets
de son étre; elles mettent au grand jourles mystères cachés
de la nature; elles ont souvent secondé l'industrie des arts
mécaniques , par des inventions utiles : mais comme elles.
portent principalement sur des découvertes , il en résulte
qu'elles ont , à l'exception des mathématiques, quelque
chose de moins positif que les belles-lettres , qui ont toujours
en des principes fines et invariables. Le génie d'un
savant consiste à reculer les bornes de la science, et ces
bornes peuvent être sans cesse changées ou reculées. Il
n'en est pas de même dans les lettres , où le génie ne donne
rien aux conjectures , où tout est asservi à des règles
éternelles; où le goût trouve des données toujours certai
nes , pour distinguer ce qui est bon de ce qui est mauvais
On a souvent essayé de faire l'histoire des sciences, et l'on
V4
312 MERCURE DE FRANCE ,
n'a jamais fait que des lieux communs , par la raison que
les sciences (je parle principalement des sciences spéculatives
) n'ont pas toujours quelque chose d'absolu dans
leurs progrès et dans leurs résultats ; elles diffèrent , selon
les temps et les lieux ; les lumières , accréditées chez une
nation , ne sont pas toujours les lumières d'une autre nation
; le plus savant des européens passerait pour un ignorant
auprès de l'homme le plus savant d'une autre partie
dumonde. La science d'un siècle n'est pas toujours la
science d'un autre siècle. Le mot de savant a changé plusieurs
fois d'acception. On donnait autrefois le titre de
savans aux hommes les plus versés dans la connaissance
de l'histoire et des langues; on leur donne aujourd'hui le
titre d'érudits , et l'on réserve presqu'exclusivement le
titre de savans à ceux qui s'appliquent à l'étude des
sciences naturelles. Je suis loin de contester l'utilité de ces
sortes de sciences: mais tous leurs progrès , comme je l'ai
déjà dit , sont dûs à des découvertes ; elles doivent ainsi se
trouver dans un état de révolution continuel. Quelques
années ont suffi pour changer tous les principes de la
physique , et d'autres découvertes changeront encore quelques-
unes des maximes qui paraissent aujourd'hui établies
. Les noms d'un grand nombre de savans qui ont
brillé dans les siècles passés, ne sont plus attachés qu'à des
erreurs grossières.Si ces savans reparaissaient parmi nous ,
ils seraient le jouet de nos écoles. Le même sort est réservé
peut- être à nos plus illustres contemporains. Plus
les bornes de la science qu'ils cultivent seront reculées,
mains ils auront de titres à la gloire , et ils seront à leur
tour la risée des écoliers d'un siècle à venir.
Les principes et Pobjet des lettres ne different point
comme ceux des sciences , selon les lieux et les temps. Un
homme de lettres ne s'entendra peut être pas sur tous
les points avec ceux qui cultivent les lettres dans un pays
FLORÉAL AN XI. 313
éloigné du sien; mais il s'établira entr'eux des rapports
généraux , à l'aide desquels ils sauront bientôt s'apprécier
les uns et les autres . Les sciences n'ont pas le même
avantage; elles ne peuvent point établir de rapports particuliers
où généraux entre les contrées les plus éloignées.
Elles tendent beaucoup moins que les lettres à réunir les
hommes. On ne traduit guères , dans nos langues européennes
, les livres des savans d'une autre hémisphère ,
demême que ceux- ci ne traduisent pas dans leurs langues
les livres des savans européens. Mais les nations les plus
éloignées connaissent quelques-uns de nos chefs-d'oeuvres
de littérature , et nous avons traduit dans notre langue
un grand nombre de leurs moralistes et de leurs poètes.
On voit ainsi ce que les lettres peuventacquérir ou con
server , et tout ce que les sciences peuvent perdre par la
différence des lieux ; mais ces avantages et ces désavantages
sont bien plus grands encore par la différence des
temps. Homère , le plus ancien des poètes , vivra éternellement
dans la mémoire des hommes ; si la nature lui
eût donné pour les sciences le même génie que pour la
poésie , et qu'il n'eût été qu'un savant illustre , il est probable
que son nom ne serait pas venu jusqu'à nous. Les
nationsmêmes qui sesont le plus distinguées par les sciences
, et qui ont négligé les lettres , n'ont presque point
laisséde monumens dont le génie humain puisse s'honorer.
L'Égypte qui a été le berceau des sciences , et qui a eu
l'honneur d'éclairer la Grèce , avait peu cultivé les lettres ;
aussi n'a-t-elle laissé que des pyramides informes; et si le
voyageur s'étonne à l'aspect des ruines de Thèbes ildoit
s'étonner bien plus encore de ne trouver aucun livre égyptien,
qui lui parle de ces âges de splendeur qui lui
blent fabuleux.
٢٤
200
sem-
Les sciences ont fleuri chez les Grecs et les Latins
17:
314 MERCURE DE FRANCE ,
1
comme elles avaient fleuri en Égypte ; mais elles n'ont
presque laissé aucun monument. Varron , que Cicéron
appelait le plus savant des Romains , ne nous a transmis
que son nom , recueilli par quelques écrivains de son
temps. De tous les ouvrages publiés par les savans de l'antiquité,
il ne ne nous en est parvenu que trois ; l'Histoire
naturelle d'Aristote , celle de Pline , et les Elémens d'Euclide;
le dernier de ces ouvrages , est beaucoup moins lu
qu'il n'est admiré ; il ne peut point être un ouvrage classique:
les deux autres sont remplis d'erreurs grossières ,
et ils appartiennent d'ailleurs bien moins aujourd'hui à la
science , qu'ils n'appartiennent àl'art d'écrire ; car l'un est
encore unmodèle de style , et l'autre un modèle d'ordre et
de précision dans les idées.
191
Lotio 34
Si les livres qui étaient le dépôt de la sciencedes anciens ,
nenous sont point parvenus, nous sommes riches encoredes
trésors littéraires que l'antiquité nous a laissés. Les chefs
d'oeuvres des historiens, despoètes, des orateurs grecset latins
, seront à jamais des modèles cités dans nos écoles ; la
lecture de ces chefs-d'oeuvres a tiré l'Europe de la barbarie
où elle était plongée ; elle a fixé invariablement les prin
cipes du goût , parmi les nations modernes ; et si nous re
gardons encore Athènes et Rome comme la terre classique
du génie ; si l'Italie et la Grèce nous, rappellent tant
de beaux souvenirss , ce n'est point par rapport à leurs
savans , dont nous connaissons à peine les noms , mais par
rapport aux arts et aux lettres auxquels les Latins et les
Grecs ont dressé d'immortels monumens. En visitant les
ruines de Rome et d'Athènes , on ne cherche point les lieux
où les savans ont médité ; mais on veut voir la tribune ou
parlait Démosthènes , le cirque où Sophocle et Euripide
faisaient couler des larmes ; on aime à visiter le tombeaudeVirgile
, les lieux où soupirait Tibulle , et çes
19
FLORÉAL AN XI. 315
beaux rivages deTivoli , si célèbres par les vers d'Horace,
On voit par-là que les lettres ont, comme je l'ai dit ,
quelque chose de plus fixe et de plus déterminé dans
leurs principes et dans leurs résultats , que les sciences,
Nous devons jouir avec reconnaissance des lumières
que les savans ont répandues parrai nous ; mais il
p'ont fait qu'un pas dans la connaissance de l'infini ,
et , à l'exception de quelques grandes découvertes ,
comme celles de Galilée , de Newton, de Franklin, de
Lavoisier, et de quelques autres modernes , qui ont posé
quelques principes invariables,je ne vois presquerien dans
nos sciences qui ne puisse être contesté ou tout au moins
oublié par les âges futurs , et qui soit un titre de gloire
insmortelle pour notre siècle et pour notre nation,
▼
D'après ces considérations , on a lieu de s'étonner de
voir quelques savans afficher une sorte de mépris pour
les lettres, etvanter sans cessé la prééminence des sciences
sur les arts. L'étonnement redoublera , si nous exami
nons les lettres et les sciences par rapport au pays que
nous habitons. Les sciences ne sont point particulières à
la France : nos savans ont des rivaux en Allemagne , en
Italie , et en Angleterre (1) ; peut- être même avons-nous
reçu plus de lumières des étrangers que nous ne leur en
avons donné. On ne peut pas dire la même chose pour
les lettres : la France est regardée même chez les nations
rivales , comme la terre classique du goût; les chefsd'oeuvres
de notre littérature sont dans la mémoire de tous
çeux qui savent lire depuis la Seine jusqu'au Volga ; toute
l'Europe a été forcée de parler notre langue ; nous avons
acquis ainsi une supériorité marquée , une espèce de suprématie
sur les autres peuples européens , et c'est un
avantage que la France ne doit point aux sciences , mais
aux belles - lettres. On parle sans cesse du règne de
LouisXIV; la France et Europe sont encore remplies
r
316 MERCURE DE FRANCE ,
de la gloire de ce beau siècle ; les lettres y ont été portées
au plus haut degré de perfection : mais supposons um
moment que la nation eût alors préféré les sciences à
la littérature et aux beaux - arts , croit-on que ce siècle
eût été aussi digne de l'admiration de la postérité ? Les
chimistes , les mathématiciens , les naturalistes eussent fait
sans doute de fort belles découvertes ; mais la langue
française , loin de devenir la langue de l'Europe , eût été à
peine parlée par les Français ; elle serait peut- être encore
parmi nous un idiome barbare ; aucune des grandes
choses qui ont illustré le siècle de Louis XIV ne seraient
arrivées jusqu'à nous , par la raison que l'histoire ne peut
être écrite ni par les mathématiciens , ni par les chimistes :
nous saurions à peine les noms des Turenne , des Condé ,
des Catinat , des Colbert , et de tous les grands hommes
qui ont honoré leur patrie , parce que toutes les lignes
droites , toutes les lignes courbes , toutes les figures géométriques
réunies n'ont pas la vertu de faire passer une
action d'éclat a la postérité , et que toutes les expériences
dumonde ne sauraient transmettre les exploits d'un héros
et les talens d'un homme d'état d'une génération à l'autre.
Pour comble de malheur , les découvertes mêmes des savans
se seraient perdues; ; car la langue n'ayant pu être
fixée , elle auroit changé à chaque génération , et les
dépôts des sciences auraient échappé à l'intelligence des
âges futurs. Les productions du génie ne se conservent
chez unenation, que lorsqu'ellessont confiées à une langue
épurée , et irrévocablement fixée par des chefs-d'oeuvres
littéraires. 4
Il est donc incontestable que la France doit plus aux
lettres qu'elle ne doit aux sciences ; mais les lettres ont.
encore un autre avantage sur leurs rivales : elles ont,
beaucoup plus d'analogie avec les goûts , les moeurs,
et le caractère de la nation française. Il n'est point de
FLORÉAL AN XI. 317
Français, ayant fait ses études , qui n'ait conservé quelque
penchant pour les lettres , et qui ne se soit lui - même
exercé dans quelque genre de littérature. Urre découverte
dans les sciences fera sans doute beaucoup de sensation
dans le public ; mais l'apparition d'un bon ouvrage de
littérature en fera toujours davantage. Qu'on se rappelle
l'effet que produisait autrefois une séance de l'académie
française , comparé à celui d'une séance publique de
l'académie des sciences . Voltaire disait que , de son temps ,
le public d'un savant en France n'était guère composé
que de cinquante personnes ; tout le reste était obligé
d'admirer sur parole. Ce calcul est trop rigoureux ; et
nous devons croire que l'auditoire des savans s'est agrandi
depuis Voltaire ; il est bien loin cependant d'égaler encore
celui des gens de lettres , la réputation d'un poète
ou d'un orateur distingué sera toujours beaucoup plus
répandue que celle d'un savant, et Delille a plus attiré d'auditeurs
aux séances de l'Athénée , que n'aurait pu faire
l'homme le plus habile dans les sciences modernes. Mais
que dis-je ? le plus habile des savans réussirait peut-être
moins dans une assemblée , qu'un savant médiocre ; il
est une sorte d'avantage attaché à la médiocrité dans
les sciences : la médiocrité est plus accessible au public.
Que de savans médiocrès ont obtenu et obtiennent encore
des autels dans le temple du génie , tandis que les
hommes les plus profonds , les génies vraiment créateurs
demeurent rélégués dans le fond du sanctuaire. Peu
d'hommes sont capables de lire leurs ouvrages , d'apprécier
leur mérite ; on connaît plus le nom de Lagrange
, qu'on ne connait les progrès qu'il a fait faire
aux mathématiques ; illustre Laplace , savant Haui , vos
noms doivent être à jamais célèbres dans les sciences ;
mais combien avez-vous de lecteurs capables de juger le
Traité des Mines , et la Système du Monde ? Vos ouvra
318 MERCURE DE FRANCE ,
1
ges sont admirés et lus d'un petit nombre d'hommes
éclairés , tandis que tout le monde relit sans cesse ces
informes compilations , ces dictionnaires rédigés par les
manoeuvres de la science ; vous êtes à peine cités , tandis
qu'un vulgaire imbécille place au premier rang ces
pédans subalternes , qui , conime dit Montaigne , vont
pillotant la science dans les livres , et ne la logent qu'as
bout de leurs lèvres , pour la dégorger seulement et la
mettre du vent.
On me trouvera sans doute sévère , je n'ai voulu
qu'être juste ; tout mon désir est que les lettres aillent
de pair avec les sciences; les véritablės savans , tels que
ceux que je viens de nommer , seront de mon avis ,
et je me soucie fort peu d'être de l'avis des autres.
Ceux-ci ne manqueront pas de me dire , que les lettres
sont cultivées ajourd'hui avec moins de succès que les
sciences ; cela peut être vrai , mais ce n'est pas une raison
pourque les lettressoientdépréciées .Tandis que les sciences
ne vivent que sur le présent , les belles - lettres ont cela
d'avantageux , qu'elles vivent sans cesse sur le passé ; les
trésors de l'antiquité ne sont jamais perdus pour ellesy
et tous les siècles illustrés par les arts vivent encore dans
l'âge présent. Les véritables savans qui reconnoissent les
services que les lettres ont rendus à la science , savent les
honorer et même les cultiver avec succès ; mais les
demi-savans , toujours plus empressés de disputer la supé
riorité que de la mériter , trouvent plus commode de
décrier la littérature , que d'emprunter d'elle les moyens
de se faire lire ; ils ignorent ou feignent d'ignorer que
les lettres ont préparé les progrès des sciences , et que
l'art d'écrire a beaucoup contribué à répandre le savoir.
Dans le siècle dernier , Fontenelle, Dalembert , Baillyet
Euffon , ont propagé en Europe le goût des sciences , et
ils furent redevables de leurs succès au talent qu'ils ont
FLORÉAL AN XI.
319
montré pour les lettres. Aujourd'hui , les demi-savans ,
les manoeuvres de la science poussent l'ingratitude jusqu'à
désavouer Buffon; ils s'agitent insolemment dans le vuide
que ce grand homme a laissé , et ils croient , par leur
nombre , remplir l'espace qu'occupoit son génie ; ils
sentent dumoins si peu son mérite , qu'ils ont regardé
comme une chose toute simple de le continuer , et de
se mettre au,gage d'un libraire , pour achever un
chef-d'oeuvre ; on pourrait les comparer à ces marchands
qui élèvent de petites boutiques autour des temples.
Nous reviendrons sur ce sujet.
MICHAUD .
La seconde édition du Génie du Christianisme vient de
paraître ( 1 ) . Lapremière a été fort accueilliepar le public;
la seconde ne doit pas obtenir un succès moins rapide et
moins général . Le premier consul a bien voulu prendre
cette nouvelle édition sous sa protection , et M. de Châ
teaubriand l'en a remercié , dans le langage d'un chrétien
pénétré de reconnaissance pour ceux qui ont relevé les
autels. « C'est un nouveau témoignage , dit-il dans son
>> épître dédicatoire , de la faveur que vous accordez à
>>l'auguste cause quitriomphe àl'abri de votre puissance.
>> Onne peut s'empêcher de reconnaître , dans vos desti-
› nées , la main de cette providence qui vous avait mar-
>> qué de loin pour l'accomplissement de ses desseins
>> prodigieux. Les peuples vous regardent ; la France ,
>> agrandie par vos victoires , a placé en vous son espé-
(1) Le Génie du Christianisme , seconde édition. Deux volumes
in-8º. avec la défense. Prix : 11 fr. , et 15 fr. So cent. par la poste.
AParis , chez Migneret , rue du Sépulcre , n. 28 , faubourg-
Saint-Germain.
G
Et chez le Normant, libraire , imprimeur du Journal des Débats,
rue des Prêtres Saint-Germain-l'Auxerrois , n. 42 .
"
320 MERCURE DE FRANCE,
>> rance, depuis que vous appuyez sur la religion les ba
›› ses de l'état et de vos prospérités ; continuez à tendre
>> une main secourable à trente millions de chrétiens , qui
>> prient pour vous aux pieds des autels que vous leur
» avez rendus . »
Dans un autre numéro , nous entrerons dans quelques
détails sur cette nouvelle édition.
:
L'auteur a fait quelques additions remarquables dans
les notes : deux de ces nouvelles notes sont du plus grand
intérêt ; l'une est un recueil de lettres écrites par un français
de l'armée de Condé , qui s'était retiré en Espagne ,
dans un couvent de trapistes , où il est mort ; l'autre est
une espèce de procès-verbal des exhumations de Saint-
Denis , fait par un religieux de cette abbaye , témoin
oculaire de ces exhumations. La première de ces notes
offre , dans la correspondance d'un militaire devenu trapiste
, tout ce que les sentimens religieux ont de plus
touchant , de plus consolant et de plus sublime. M. de ....
écrivoit à ses frères et à ses soeurs , en France , qu'il s'était
réfugié à la Trappe , et il s'exprimait ainsi sur les causes
qui l'y avaient déterminé :
« Voilà déjà une forte disgression. J'ai écrit le détail
>> de mes voyages à..... et à..... Je ne sais si ces
>> derniers ont reçu mes lettres ; je leur avais marqué
>> de vous les faire passer , si c'était possible ; cela vous
>> aurait peut - être amusé. J'arrivai un jour dans une
>> campagne déserte , à une porte superbe , seul reste
>> d'une grande ville , et qui ne peut être qu'un ouvrage
>> des Romains : le grand chemin moderne passe dessous.
>> Je m'arrêtai à considérer cette porte , qui est sûrement
>> là depuis deux mille ans. Il me vint dans la pensée
>> que cette ville avait été habitée par des gens qui , à
>> la fleur de leur âge , voyaient la mort comme une
>> chose très- éloignée , ou n'y pensaient pas du tout ;
>> qu'il y avait sûrement eu , dans cette ville , des partis ,
>> et des hommes acharnés les uns contre les autres ; et
» voilà que , depuis des siècles , leurs cendres s'élèvent
>> confondues
FLORÉALANXлди
>> confondues dans un même tourbillon. J'aily
» Morviéda , où était bâtie Sagonte ; et réfléchis
» lavanité du temps , je n'ai plus songé qu'àl
> Qu'est-ce que cela me fera dans vingt ou tren
>> qu'on m'ait condamné à l'exil , à l'occasion d'une
>> sécution contre les chrétiens ? Saint Paul , hermite
> ayant été dénoncé par son beau-frère , se retira dans
> un désert , abandonnant à son dénonciateur de très-
>> grandes richesses ; mais , comme dit Saint Jérôme
>> qui n'aimerait mieux aujourd'hui avoir porté la pauvre
>> tunique de Paul , avec ses mérites , que la pourpre des
>> rois , avec leurs peines et leurs tourmens ? Toutes ces
>> réflexions réunies me déterminèrent à venir sans délai
>> me réfugier ici , renonçant à tout projet de course
>> ultérieure.
.... 2)
,
Toutes les lettres de ce pieux militaire sont écrites dans
ce style touchant et pathétique ; cette éloquence , comme
l'observe M. de Châteaubriand , est due principalement à
l'esprit religieux. Nous invitons le lecteur à voir ces
lettres dans l'ouvrage.
KEP.FRA
L'auteur a ajouté à cette nouvelle édition une défense
de son ouvrage. Cette défense est divisée en trois parties :
dans la première , M. de Châteaubriand parle du fond du
sujet; c'est en défendant son sujet , qu'il déploie toutes les
forces d'une logique rapide et serrée , et qu'il prouve , par
des exemples et par des raisonnemens sans réplique , que
la manière dont il a envisagé la religion est conforme à
l'esprit de notre siècle , sans être contraire à l'esprit de l'église
et de l'évangile. Dans la seconde et la troisième parties
de sa défense , il traite du plan et des détails de l'ouvrage.
Ici l'auteur avait à parler de lui-même ; il s'est contenté
de citer les suffrages dont l'autorité peut le défendre
honorablement , tel que celui de la Harpe , celui des
hommes les plus éclairés du clergé , et enfin l'approbation
flatteuse du successeur de Léon X et de Pie VI. M. de
Châteaubriand , d'ailleurs , a très-bien défendu le plan et
les détails de son livre , par d'heureuses corrections. Il'a
5.
12 X
322 MERCURE DE FRANCE,
fortifié plusieurs morceaux de raisonnement , adouci les
couleurs de quelques morceaux de description; il a retouché
le style avec l'attention la plus scrupuleuse. On ne
pouvait accuser l'auteur que d'être trop riche , et plusieurs
de ses corrections consistent en d'heureux changemens.
Il a sagement négligé les censures de la malveillance
et de la haîne , et il a profité habilement de la critique
des hommes éclairés.
LE PRINTEMPS D'UN PROSCRIT ,
Troisième édition, revue et corrigée: 1 vol. avecfig. (1 )
par M. Michaud.
L'auteur a fait à son ouvrage plusieurs changemens et
additions . Nous citerons ici les vers sur l'amitié , qui ont
presque tous été ajoutés :
Chaque jour l'amitié vient essuyer mes larmes ;
L'amitié ! que ce nom dans l'exil a de charmes !
Il est si doux d'aimer ; mais on aime bien mieux ,
Alors qu'on est proscrit et qu'on est malheureux ;
L'amitié fuit la pompe et la magnificence ,
C'est à l'adversité qu'elle dut sa naissance ,
Et son charme divin fut toujours ignoré
De ces mortels heureux qui n'ont jamais pleuré.
•
Nous mettons en commun nos loisirs , nos études ,
Nos plaisirs , nos chagrins etnos inquiétudes,
Omes tendres amis ! grace ànos doux liens ,
• 6
Je souffre tous vos maux, vous souffrez tous les miens ;
Amitié , doux appui de l'homme en sa misère ,
La coupe des douleurs est par toi moins amère ;
Les maux les plus cruels par tes soins soulagés ,
Se changent en plaisirs , lorsqu'ils sont partagés;
Par toi , mon sort cruel peut encor faire envie ,
(1) Prix : a fr. 50 c. , et 3 fr. franc de port. AParis , chez Giguet cl
Compagnie ; et chez le Normant , imprimeur - libraire , rue des
Prètres Saint-Germain-l'Auxerrois , No. 43.
FLORÉAL AN XI .
323
Tu verses dans moncoeur une nouv lte vie;
Plus je suis malheureux, plus j'aime tendrement ,
Et chacun de mes maux me donne un sentiment.
e
Ces vers sont tirés du 2. chant. Le poète , dans le même
chant , prévoit la chûte du pouvoir tyrannique de la Convention
, et il s'exprime ainsi :
Il tombera, semblable à la vile poussière ,
A la feuille flétrie, à la fange grossière ,
Qui, lorsque la tempête ébranle l'univers ,
En tourbillons poudreux monte au trône des airs ;
Cet assemblage impur plane au-dessus des nues ,
Parcourt les régions que l'aigle a parcourues ,
Et surl'afle des vents porté jusques aux cieux,
Gronde avec la tempête et tonne avec les dieux.
Mais quand les vents calmés rendent la paix au monde,
La poussière retombe avec la fange immonde :
Ainsi disparaîtra la splendeur des méchans ;
Et moi, loin des cités, dans le repos des champs ,
Le front voilé, des Dieux j'attendrai la justice,
Comme une jeune fleur dont l'humide calice,
Du soleil qui s'éloigne espérant le retour ,
Se referme et languitdans l'attentedu jour.
Le 3.º chant se termine par les consolations que l'auteur
adresse aux victimes du régime de la terreur.
...
Amis de la vertu , vous qui souffrez pour elle ,
Sur la terre il n'est point de douleur éternelle ;
Consolez-vous , souffrez encor quelques instans ,
Hélas! tout doit périr , tout succombe , et le temps
Emporte des humains les grandeurs mensongères,
Les sceptres des tyrans et leurs loix passagères;
Un jour nous pleurerons jusqu'aux bienfaits des dieux;
Déjà le doux printemps ne charme plus nos yeux.
Dieux ! prenez nos plaisirs , mais laissez-nous nos larmes ;
Laissez aux malheureux ces regrets pleins de charmes ,
Ces souvenirs des coeurs profondément émus,
Qui nous rendent présens les biens qui ne sont plus .
Plaisirs de la vertu , félicité du sage,
Non,nous ne perdrons point jusques àvotre image ;
Xa
324 MERCURE DEFRANCE ,
Il est, il est un bien qui ne doit point périr;
Les beaux jours renaîtront pour ne jamais finir.
Hommes justes , du sein de la nuit éternelle ,
Levez-vous et suivez la voix qui vous appelle.;
Allez jouir des biens qu'un Dieu vous a promis ,
L'espoir de ses bienfaits ne vous a point trahis ;
Des tyrans et du sort vous fûtes les victimes ,
Le trépas fut le prix de vos vertus sublimes ;
Un Dieu doit réparer les injures du sort ,
Et l'immortalité doit absoudre la mort .
:
ÉPHÉMÉRIDES. ( I )
Les Ephémérides dont nous avons parlé dans nos précédens
numéros , se continuent avec le plus grand succès ;
les auteurs ne négligent rien pour justifier l'accueil que
le public a fait à cet ouvrage.
८०
L'an 1717 , le 7 mai , le czar Pierre- le-Grand arrive
àParis .
Il s'en faut beaucoup que les voyages des empereurs
Charles IV, Sigismondet Charles V, en France , aient
eu une célébrité comparable à celle du séjour qu'y fit
Pierre-le-Grand. Ces empereurs n'y vinrent que par des
intérêts de politique , et n'y parurent pas dans un temps
où les arts perfectionnés pussent faire de leur voyage une
époque mémorable ; mais quand Pierre-le-Grand alla
dîner chez le duc d'Antin , dans le palais de Petitbourg ,
à trois lieues de Paris , et qu'à la fin du repas , il vit son
portrait qu'on venait de peindre , placé tout d'un coup
(1) Douzevolumes in-8°.-Il paraît un volume par mois . On peut
se procurer chaque volume à mesure qu'il paraît , en payant d'avance
36 fr . pour les douze volumes. Il faut ajouter à ce prix , 50 c. par volume
, pour le recevoir franc de port. A Paris , chez le Normant ,
rue des Prêtres Saint - Germain- l'Auxerrois , n. 42; et ches Henri
Nicole , rue des Jeûneurs , n. 26..
A7
1
FLORÉAL AN XL 325
dans la salle , il sentit que les Français savaient mieux
qu'aucun peuple du monde recevoir un hôte si digne..
Il fut encore plus surpris, lorsqu'allant voir frapper
des médailles dans cette longue galerieduLouvre , où tous
les artistes du roi étaient honorablement logés , une médaille
qu'on frappait étant tombée , et le czar s'empressant
de la ramasser , il se vit gravé sur cette médaille , avec
une renommée sur le revers , posant un pied sur le globe ,
et ces mots de Virgile , si convenables à Pierre-le-Grand:
Vires acquirit eundo; allusion également fine et noble , et
également convenable à ses voyages et à sa gloire.
Onprésenta de ces médailles d'or à lui et à tous ceux
qui l'accompagnaient. Allait-il chez les artistes , on mettait
à ses pieds tous les chefs-d'oeuvres , et on le suppliait
de daigner les recevoir. Allait-il voir les hautes-lices des
Gobelins , les tapis de la Savonnerie , les atteliers des
sculpteurs , des peintres , des orfèvres du roi , des fabricateurs
d'instrumens de mathématiques , tout ce qui semblait
mériter son approbation lui était offert de la part du
roi .
Pierre était à- la- fois mécanicien et géomètre. Il alla à
l'académie des sciences , qui se para pour lui de tout ce
qu'elle avait de plus rare ; mais il n'y eut rien d'aussi rare
que lui-même ; il corrigea de sa main plusieurs fautes de
géographie dans les cartes qu'on avait de ses états , et surtout
dans celle de la mer Caspienne. Enfin il daigna être
undes membre de cette académie , et entretint depuis une
correspondance suivie d'expériences et de découvertes
- avec ceux dont il voulait bien être le simple confrère. Il
faut remonter aux Pythagore et aux Anacharsis , pour
trouver de tels voyageurs, et ils n'avaient pas quitté un
empire pour s'instruire .
On ne peut s'empêcher de remettre ici sous les yeux
dulecteur, ce transport dont il fut saisi en voyant le tom
X5
326 MERCURE DE FRANCE ,
:
beau du cardinal de Richelieu. Peu frappé de labeautéde
ce chef-d'oeuvre de sculpture, il ne le fut que de l'image
d'unministre qui s'étoit rendu célèbre dans l'Europe , en
l'agitant , et qui avait rendu à la France sa gloire perdue
après la mort de Henri IV. On sait qu'il embrassa cette
statue , et qu'il s'écria : « Grand homme , je t'aurais donné
>>la moitié de mes états , pour apprendre de toi à gou-
>> verner l'autre ! » Enfin , avant de partir , il voulut voir
cette fameuse madame de Maintenon , qu'il savoit être
veuve de Louis XIV, et qui touchait à sa fin. Cette espèce
de conformité entre le mariage de Louis XII et le sien ,
excitait sa curiosité ; mais il y avait, entre le roi de France
et lui , cette différence qu'il avait épousé publiquement
une héroïne , et que Louis XIVn'avoit eu en secret
qu'une femme aimable.
↓
La czarine n'était pas de ce voyage : Pierre avait trop
craint les embarras du cérémonial et la curiosité d'une
cour peu faite pour sentir le mérite d'une femme , qui
des bords du Pruth à ceux de Finlande , avait affronté la
mort , à côté de son époux, sur mer et sur terre.
ΑΝΝΟNCES.
Etude analytique de l'Eloquence, par Louis Lefebvre .
I vol. in- 12 . Prix , broché , 2 fr. 50 c. et 3 fr. par la
poste.
"
AParis , chez H. Agasse, libraire , rue des Poitevins ,
N°. 18; et chez le Normant , imprimeur - libraire , rue
des Prêtres Saint-Germain-l'Auxerrois , No. 42.
Rapportset Comptes rendus du Comité central d'Administration
des soupes économiques de Paris , pendant
l'an 10. In - 8°. Prix : 1 fr . 50 c. , et 2 fr. par la poste.
A Paris , chez A. J. Marchant , imprimeur , et libraire
pour l'Agriculture ; rue des Grands-Augustins , no. 12.
Et chez le Normant , rue des Prêtres S. Germ.-l'Auxer.
FLOREAL AN XI. 327
POLITIQUE.
Lachambre des communes est dans une telle ignorance
sur l'état des négociations entre l'Angleterre et la France ,
qu'unmembre qui voulait parler sur ce sujet , est con
venu franchement qu'il se voyait réduit à prendre ses
renseignemens dans les journaux français. Un pareil aveu
est sans exemple. Mais aujourd'hui qu'il n'y a pas de véritable
opposition , parce qu'il y a trop de partis , le parlement
se laisse conduire avec une docilité si extraordinaire
, qu'il serait impossible de décider qui a montré
le plus de faiblesse du ministère ou de la représentation
nationale. De chaque côté , on s'est accordé long-temps
pour ajourner toute explication : les ministres voulaient
éviter d'entrer dans des détails , jusqu'au moment où ils
sauraient définitivement à qui resterait le ministère ; les
membres marquans des diverses oppositions ne voulaient
pas trop presser les ministres , parce qu'ils avaient l'espoir
d'arriver au ministère par des arrangemens particuliers
; enfin , soit que les arrangemens soient pris de part
etd'autre , soit que l'état des négociations ne permette
plus de garder le silence , mardi , 3 mai , a été le jour
définitivement arrêté pour commencer les explications.
Les dernières nouvelles reçues de Suède font espérer
que les différends qui avaient un moment troublé l'harmonie
qui existoit entre les deux cours de Pétersbourg et
deStokholm , ne tarderont pas à être conciliés. Les troupes
russes , prêtes à marcher en Finlande, formoient une armée
de 80,000 hommes; nombre assurément plus que
suffisant pour faire la guerre dans ce pays.
Aboul wacher s'étoit insurgé contre la Porte, et menaçoit
l'Arabie d'une effrayante révolution; ce rebelle a été
combattu et vaincu ;la Porte a ôté par-là auxbeys d'Egypte
un allié qui auroit pu par la suite leur être d'un grand
secours; cette puissance recouvre chaque jour une partie..
du pouvoir que sa foiblesse lui avoit fait perdre.
La lettre suivante a été adressée par le ministre des relations
extérieures , au cit. Hirsinger , résident de France
à Francfort , qui l'a publiée le 29 germinal.
« J'ai mis , dans le temps , sous les yeux du premier
X4
328 MERCURE DE FRANCE ,
consul , la question importante dont vous m'entretenez
dans votre lettre du 17 de ce mois. Voici les intentions
qu'il m'a manifestées :il n'entend point que le délai fixé
par le sénatus-consulte du 6 floréal an ro , soit fatal pour
lesfrançais qui n'ont quitté leur patrieà diverses époques ,
que pour se livrer en pays étrangers , ou à des spéculations
commerciales , ou à l'exercice des arts libéraux et mécaniques,
ou à l'instruction publique et privée. Son intention
est que les déclarations de tous ces français puissent être
reçues par nos ambassadeurs et agens diplomatiques ,
malgré l'écoulement du délai qui a expiré au 1. vendé
miaire , et qu'ils soient amnistiés par moi , aussitôt que
ces déclarations me seront parvenues.
er
>> Le premier consul veut plus encore : il veut que tous
ces français puissent continuer leur résidence en terre
étrangère , pendant tout le temps qui leur sera nécessaire
pour terminer les objets de commerce , d'arts ou d'instruction
qui ont motivé leur départ de France, ainsi que
leur séjour dans ces pays. Lorsqu'ils voudront continuer
leur résidence , ils se présenteront ànotre envoyé diplomatique
, pour lui en faire la déclaration , sur laquelle il
deur délivrera la permission nécessaire. Expédition en
forme de cette permission sera envoyée au préfet du département
, où celui qui l'aura obtenue avait son dernier
domicile , afin de connaître par-là où l'individu existe , et
qu'il puisse jouir en France de tous les droits qui appartiennent
aux Français , et dans lesquels il aura été réintégré
par son amnistie , et par la permission de continuer
sa résidence en pays étranger.
>> Le premierconsuln'entendaffranchir de la déchéance
encourue par l'expiration du délai , que les individus des
classes ci-dessus désignées ; cet acte de clémence et de générosité
ne devant point être appliqué à ceux qui ont abandonné
leur patrie , ou pour porter les armes contre elle ,
ou, ce qui est encore plus condamnable , pour exciter , à
force de démarches et d'intrigues , les diverses puissances
aarmer contre nous. L'indifférence que ces individus ont
affecté de témoigner d'abord pour une grâce insigne qu'ils
auraient dû recevoir avec le sentiment de la plus vive reconnaissance
, ou même l'hésitation qu'ils ont mise à en
profiter , les en rend tout- à- fait indignes. >>>
:
1.
FLORÉAL AN XI. 339
TRIBUNAT.
Séance du 7 floréal.-Le tribunat , dans la séance de ce
jour , a adopté deux projets de loi. Le premier concernant
l'établissement d'un commissaire- général de police dans
les villes de Brestet de Toulon; le second relatif à la
police des bois des communes et des particuliers.
:
Séance du 9. -Ondiscute leprojetde loi,liv.3, tit. 2
du code civil relatif aux donations et testamens : Jobert
au nom de la section de législation en propose l'adoption.
Son discours sera imprimé à six exemplaires.
- Séance du 10 . Carion Nisas fait un rapport sur le
projet de loi relatifà l'établissement d'un droit d'entretien
pour le port de Cette ; il en propose l'adoption. Costé ,
au nom de la section de l'intérieur , fait un rapport sur
un projet de loi relatif à l'établissement d'un droit de
bassin dans les ports du Havre , d'Ostende et de Bruges .
On passe à la discussion du projet de loi relatif à la contrebande.
Grenier présente un rapport et vote pour l'adoption
de ce projet.
Le tribunat adopte ensuite : 1°. le projet de loi relatif
au liv . 3 , tit. 2 du code civil , relatif aux donations entrevifs
et aux testamens ; 2°. le projet de loi relatif à l'établissement
d'un droit d'entretien pour le port de Cette ;
3º. celui portant établissement d'un droit de bassin dans
les ports du Havre , d'Ostende et de Bruges.
Séance du 12.floréal.-Le tribunat s'est occupé , dans
cette séance , d'un projet de loi relatif à des acquisitions ,
concessions , échanges , impositions extraordinaires et
ventes demandées par des communes et des hospices.
Sedillez expose les motifs du gouvernement , dans la présentation
de ces projets, et vote pour leur adoption. Le
tribunat les adopte. 19
Perrin, au nom de la section de l'intérieur , fait un
rapport sur un projet de loi relatif au curage et entretien
des canaux et rivières non navigables , digues , etc. Il en
propose l'adoption ; on ajourne la discussion à demain.
Au nom de lasection de législation , Huguet fait un
rapport sur un projetde loi relatif aux droits des enfans
nés hors mariage , dont les pères sont morts depuis la loi
du 12 brumaire an 2; il en propose i'adoption .
Séance du 13. - Vanhuttem fait un rapport sur le
projet concernant un canal de navigation entre les villes
330 MERCURE DE FRANCE;
e
deCharleroy etde Bruxelles, et ce projet est adopté.Deur
autres projets de loi sont également discutés et adoptés.
Lepremier est relatifà l'état des enfans nés hors mariage ,
dont les père et mère sont morts depuis la promulgation
de la loi du 22 brumaire an 2; le second est relatif an
curage et àl'entretien des canaux , rivières nonnavigables,
digues , etc. Le tribunat s'ajourne au 16.
CORPS LÉGISLATIF.
Séancedu8floréal.-Les conseillers d'état Regnault
(deSaint-Jean-d'Angely ) et Ségur présentent deux projets
de loi: le premier concerne le curage et l'entretien des
canaux et rivières non navigables ; le second est relatif
à l'ouverture d'un canal de navigation entre les villes de
Charleroy et de Bruxelles.
Le C. Regnault présente ensuite vingt-trois projets de
loi d'un intérêt local .
On discute le projet de loi concernant les douanes ; il
est approuvé à une majorité de 198 voix contre 17.
Le corps législatifa aussi adopté dans cette séance , à
unemajorité de 204 voix contre 6, le projet de loi relatif
la solde de retraite , au traitement de réforme.
Séance du 9.-Champion du Jura obtient la parole au
commencement de cette séance, et fait une motion d'ordre
tendante à ce que le corps législatif procède au scrutin
pour la nomination d'un grand officier de la légion d'honneur.
Après quelques débats , le corps législatifdécide que
cet objet sera discuté en comité secret à la fin de cette
séance.
Les conseillers d'état Treilhard , Berlier et Galli , présentent
un projet de loi relatif à l'état et aux droits des
enfans nés hors le mariage , dont les père et mère sont
morts depuis la promulgation de la loi du 12 brumaire
an 2.
Le corps législatif procède au scrutin , et adopte deux
projets de loi , l'un relatif à la police des bois des cominunes
, à ceux d'établissemens publics et à ceux de par
ticuliers ; l'autre tendant à établir , dans chacune des
✓ villes de Brest et de Toulon un commissaire général de
police.
:
Séance du 12. Les conseillers d'état Regnault ( de
Saint-Jean-d'Angely ) et Pelet présentent un projet de loi
FLOREALAN XI 33
pour autoriser le gouvernement à traiter des travaux à
faire pour rendre la rivière du Tarn navigable depuis le
Saut du Sabot jusqu'à Gayac : ces travaux devront être
terminés dans trois ans. T
Les conseillers d'état Regnault et Ségur proposent un
autre projet contenant deux cents articles ; ils ont pour
objetdes embellissemens de commune, des améliorations
pour l'agriculture , des réparations et constructions sollicitées
par la piété civile et religieuse. Telle est la nature
de l'articleCLXIII qui confirme l'acquisition faite par le
préfet de laSarthe , d'une maison pour le logement de
l'évêque des départemens de la Sarthe et de la Mayenne ,
cequi règle la répartition du prix de cette acquisition ;
ainsi que du montant des réparations à faire à la cathédrale,
llee toutformant lasommede 118,686 fr.
Ladiscussion s'ouvre sur le projet de loi relatif à l'établissement
d'un droit de bassin dans les ports du Havre ,
d'Ostende et de Bruges ; il est converti en loi par deux
cent une voix contre deux.
Séance du 13floréal.-Le corps législatif a sanctionné
dans cette séance quatre projets de loi. Le premier intéresse
diverses communes ; le second est relatif à la répression
de la contrebande ; le troisième , à l'établissement
d'un droit pour l'entretien du port de Cette ; et le quatrième
concerne les donations entre-vifs et les testamens.
Séance du 14. - Dans cette séance , le corps législatif
a sanctionné deux projets de loi ; le premier , relatif à
l'ouverture d'un canal entre Charleroy et Bruxelles , à la
majorité de 204 voix contre 6; le second , relatif à l'état
etaux droits des enfans nés hors mariage , dont les père
et mère sont morts depuis la promulgation de la loi du
12 brumaire an 2.
Le président lève la séance , en annonçant que la nomination
du nouveau membre de la commission administrative
est remise à la fin de la session , et que le corps
législatif, bien qu'il n'ait à délibérer sur aucun projet de
loi , doit se réunir demain à midi.
Séancedu 15. Le corps législatif ne s'étoit assemblé aujourd'hui
quedans l'attented'un messagedu gouvernement ;
ce message n'a pas eu lieu , et l'on en tire un augure
favorable pour le maintien de la paix . ( Voyez notre
article Paris. ) Le corps législatif s'est ajourné au 17 pour
renouveller son bureau......
332 MERCURE DE FRANCE ,
PARIS.
Un arrêté du 7 floréal , porte qu'il sera payé une prime
de cinquante centimes par cinq myriagrames de tourbe
carbonisée entrant dans Paris; cette prime sera payée sur
les fonds de secours et arts.
Le ministre des finances publie l'avis suivant :
«Le gouvernement désire que les nouvelles monnaies
offrent une preuve du dégré de perfection où les arts sont
parvenus en France , et que les procédés du monnayage
soient rendus plus simples , plus faciles , plus expéditifs ,
sans danger pour les ouvriers employés à ce travail. Pour
remplir ses vues , le ministre des finances croit devoir ouvrir
deux concours : l'un aura pour objet la gravure des monnaies
; l'autre , la construction des balanciers .
Premier programme. Le type des pièces demonnaie
est réglé par l'art. 16 de la loi du 7 germinal. C'est ce type
qu'il s'agit d'exécuter le plus parfaitement qu'il sera possible
, en conservant les dimensions déterminées , tant pour
la pièce d'argent de la valeur de 5 francs que pour la pièce
d'or de 40 fr. , avec la tranche gravée en creux. Les artistes
qui voudront concourir , se feront connaître dans les dix
jours qui suivront la publication du programme , par l'inscription
de leurs noms et domicile , secrétariat del'administration
des monnaies. Ils remettront , avant le 1. therbuidor
, à l'administration des monnaies , les matrices ,
poinçons et coins , tant de la pièce d'argent que de la
pièce d'or qu'ils croiront pouvoir proposer. Les pièces qui
devront servir au jugement , seront frappées en présence
d'un jury, auquel elles seront remises par les administrateurs
des monnaies .
au
Lejury sera composé de neuf membres , parmi lesquels
il se trouvera au nioins deux artistes mécaniciens ; tro's
seront nommés par le ministre des finances; trois par la
classe des beaux-arts de l'Institut national , et trois par
les concurrens eux-mêmes . L'artiste dont l'ouvrage sera
jugé le plus parfait , recevra pour prix de son travail la
somte de 10,000 fr .; et dans le cas où le prix devrait être
partagé en deux artistes pour l'or et pour l'argent , il sera
de 8000 fr . pour chacun , et son nom ou son différent sera
conservé sur les matrices de sa composition. Dans tous les
cas , les artistes qui auront travaillé pour le concours ,
pourront garder ni retenir , même après le jugement , au-
!
he
:
FLOREAL ANXI. 333
cune des pièces qu'ils auraient présentées , ou seulement
préparées et commencées. Toute personne qui , sans avoir
fait connoître l'intention de concourir , seroit trouvée posséder
des pièces ou instrumens propres à la fabrication des
monnaies , sera poursuivie suivant la rigueur des loix .
Deuxième programme.-Les mécaniciens qui se proposent
de concourir pour la construction des balanciers se
feront connaitre , dans les dix jours qui suivront la publication
du programnie , par l'inscription de leurs noms et
domicile au secrétariat de l'administration des monnaies.
Le concours sera fermé le 15 messidor. Ce terme arrivé ,
ceux qui auront terminé les travaux qu'ils croiront pouvoir
présenter au concours , en donneront leur déclaration par
écrit au même secrétariat . Une commission de neuf menibres
, dont trois nommés par le ministre , trois par la
première classe de l'institut , et trois par les concurrens qui
aurout donné la déclaration dont il vient d'être parlé , se
transportera dans les ateliers de chacun des concurrens ,
pour procéder à un premier exanien des balanciers proposés
aux concours .
Ceux de ces balanciers qui seront jugés en état d'être
soumis à l'épreuve du monnayage , seront immédiatement
transportés et établis à l'hôtel des monnaies , sous la conduite
et direction de ceux qui les auront présentés ; et au
frais du gouvernement, pour ce qui concernera seulement
lesdits transports et établissemens. ;
Les concurrens pourront frapper , soit en virole pleine ,
soit en virole brisée, les lettres de la tranche , néanmoins
to jours gravées en creux. L'épreuve des balanciers será
faite , en présence de la conmission et des fonctionnaires
ordinaires du monnayage , sur la pièce d'or de 40 fr . et sur
la pièce d'argent de 5 fr. Il sera frappé par chaque balancier
deux mille pièces d'or et vingt mille pièces d'argent. La
commission tiendra note du temps dans lequel ces pièces
auront été frappées , des accidens et autres causes d'interruption
de travail , qui devront servir de base à son jugenient.
L'administration des monnaies fera délivrer les coins
et les flaons nécessaires à ces épreuves , en observant les formes
ordinaires de délivrance et de comptabilité. Le mécanicien
dont le balancier aura para réunir plus d'avantages
recevra pour le pris la somme de dix mille francs , indépendaniment
de la valeur du balancier et de ses dépendances , qui
resterontàl'administration des monnaies, et dont elle paiera
le prix d'après l'estimation qui en sera faite par des experts,
334 MERCURE DE FRANCE ,
Legouvernement de la république a pris , touchant les
dépenses fixes et variables des communes , un arrêté dont
nous rapporterons les principales dispositions :
<<Danstoutes les villes qui ont 20,000 fr. de revenus et
au-dessus , etdont lapopulation estau-dessousde cent mille
ames , les frais d'administration qui consistent en abonnemens
de journaux , registres de l'état civil, entretien de la
maison commune ( non compris le loyer ); le bois , lumière,
encre , papier , ports de lettres ,,impressions et
affiches ; les greffiers , secrétaires , commis , agens , huissiers
, sergens , appariteurs , sonneurs ,gardes-chanıpêtres
et employés quelconques ; les fêtes nationales et dépenses
imprévues , sont fixés à 50 centimes par habitant sur les
étatsde population arrêtés au conseil d'état.
1 >>Dans les tableaux de dépenses que lesdites villes adresseront
tous les ans au gouvernement, conformément à l'arrêté
du 4 thermidor an 10 , tous les articles de dépenses
énoncées ci-dessus formeront un chapitre à part , sous le
titre de dépenses fixes , et ne pourront, sous aucun prétexte
que ce soit , dépasser la somme réglée sur la base
donnée par l'article 1**. du présent arrêté.
» Les dépenses variables , qui formeront le deuxième
chapitre des tableaux adressés par les villes , seront divisées
en titres de dépenses distinctes et strictement conformes
aux modèles imprimés , qui leur seront adressés par
le conseiller-d'état chargé de la comptabilité des communes.
>> Les commissaires de police des villes ,dont la populationest
au-dessous de dix mille habitans , recevront un
traitement qui ne pourra être au-dessus de 800 francs,
>> Il ne pourra être alloué aux receveurs des revenus
communaux plus de cinq pour cent lorsque les revenus ne
passent pas cent mille francs , etplusd'undemipourcent
sur l'excédent de cent mille francs .
>> La réduction des dépenses , d'après les bases précitées
, n'aura lieu que pour les trois derniers mois de
l'an 11 ....
>> Les maires ne pourront excéder dans leurs mandats
les sommes réglées pour chaque nature de dépense , ni le
receveur municipal payer au-delà desdites sommes , sous
peine de responsabilité personnelle pour les uns et les
autres , conformément àl'article 34 de l'arrêté du 4thermidor.
FLOREAL AN XI. 335
D'après une circulaire adressée par le ministre de la
guerre aux préfets , le gouvernement désire que tous les
départemens jouissent de l'avantage de concourir à completter
les corps qui composent sa garde. Il vient , en conséquence
, d'arrêter que dans chaque arrondissement communal
ilpourroit être prisdeuxhommes pour les grenadiers
à pied , et deux pour les chasseurs à pied. Ils ne pourront
être choisis queparmi les militaires légalement congédiés
ayant fait la guerre , âgés de moins de trente ans, et jouissant
d'une bonne réputation. La taille requise est d'un
mètre huit décimètres ( 5 pieds 6 pouces ) , pour les grenadiers
; et d'un mètre sept décimètres (5 pieds 4pouces ) ,
pour les chasseurs .
Les sous-préfets feront dresser la liste des individus qui
se présenteront et réuniront les qualités nécessaires. Cette
liste contiendra: 1°. les noms et prénoms de chacun ; 2°. le
lieu de sa naissance et son domicile ,en désignant l'arrondissement
; 3°. la date de sa naissance ; 4. sa taille ; 5°. les
corps dans lesquels il a servi , et les motifs pour lesquels
il en est sorti ; 6°. la note des certificats dont il est porteur,
etdes observations sur sa moralité et sa conduite. Sur ces
listes , il sera ensuite formé par chaque préfet , un état
général qui sera ensuite adressé au ministre.
Les diamètres des nouvelles pièces d'or, d'argent et de
cuivre , sont fixés ainsi qu'il suit , par un arrêté du gouvernement
:
Les piècesd'orde 40fr. à 26millimètres ; celles de 20 fr.
à 21 millimètres .
Les pièces d'argent de 5 fr. à 37 millim; celles de 2 fr .
à 27; celles de 1 , à 23 ; celles 3/4 , à 21 ; celles de 1/2 ,
à 18 , et celles de 1/4 , à 15.
Les pièces de cuivre de 5 cent. , à 27 millim.; celles
de 5, à 25 , et celles de 2, à 22.
Dans la séance que le tribunal de cassation atenue le13,
en robes rouges , sousla présidence du grand-juge , ministre
de la justice , est émanée une décision en vertu delaquelle
lesmembres du tribunał spécial de la Loire , séant à Montbrisson
, ont été cités à comparaître , le 15 prairial prochain
, devant le tribunal de cassation , au sujet d'un jugement
par eux rendu dans une affaire où l'accusé a été acquitté
,nonobstant la preuve acquise à son égard d'un
crime de faux matériel.
336 MERCURE DE FRANCE.
er
Le ministre de l'intérieur donne avis que le 1. prairial
et jours suivans , il sera vendu , à l'établissement rural de
Perpignan , 1. trois cents brebis et béliers de race pure
d'Espagne , 2º. environ 150 miriagrammes ou 3000 livres
de laine superfine .
On a mis à exécution, le 11 floréal , à Abbeville une
sentence , portant bannissement de la ville d'une femme
de mauvaise vie. Cette exécution avait attiré beaucoup de
monde, et il est arrivé un accident dont voici les principales
circonstances : Le concierge , chargé de la fermeture
des portes , ayant poussé avec violence celle par où cette
femme venait d'être chassée , comme cela se pratique , diton
, dans ces sortes de cas , les ferrures , extrêmement
vieilles , qui soutenaient cette porte , se détachèrent à l'instant,
et lesdeux battans n'ayant plus desoutien , tombèrent
sur la foule. Six personnes ont été tuées et quatre blessées .
M. Beauvarlet , commissaire de police , qui venait dé
faire lecture de la sentence , fut du nombre , et eut la
cuisse cassée. Il a été fait aussi-tôt dans la ville une collecte
qui ,jusqu'ici , a produit 10,000 fr. pour être distribués
entre les parens de ceux qui ont péri et ceux qui ont été
blessés. Quant à M. Beauvarlet , dont le zèle pour l'intérêt
public est infiniment précieux aux habitans de la ville , et
la personne extrêmement chère et recommandable , il lui
a été fait une rente à vie de 1200 fr.
:
L'horison politique s'est beaucoup éclairci depuis hier :
il n'est pas vrai que l'ambassadeur d'Angleterre soit parti
comme on en avoit répandu le bruit ; il est même certain
àprésent qu'il ne partira pas avant l'arrivée d'un courier
que S. Ex. attend de sa cour. Mais une nouvelle bien importante
, c'est l'arrivée d'un courier de Vienne qui a apporté
hier la ratification de S. M. I. et R. au conclusum
général de la diète de l'empire.
۰
Faute essentielle à corriger.
1
1
N°. XCXIV , page 165 , ligne 17 , au lieu de ces mots :
d'honneur sans noblesse, lisez d'honneur politique sans
noblesse..
1
( N°. XCVIII . ) 24 FLORÉAL an II .
( Samedi 14 Mai 1803. )
:
MERCURE
DE FRANCE.
LITTÉRATURE.
POÉSIE.
DE TOUT UN PEU, sujet donné à un thé.
Air : de la Pipe de tabac ,
ou J'ai vu partout dans mes Voyages .
Qu'un autre ait la triste folie
١٠٠
De lutter contre ses désirs ;
Pour moi , si je tiens à la vie,
C'est par la chaîne des plaisirs.
Jouir de tout avec mesure ,
Mes bons amis , tel est mon voeu ;
Et , vrai disciple d'Epicure ,
Ma maxime est : De tout un peu.
Ami sincère et femme aimable
Me font passer de doux instans ;
J'aime le lit , le jeu , la table ,
Je fais cas de tous les talens .
Je me plais avec la nature ,
L'art me séduit j'en fais l'aveu ;
)
:
13 Y
338 MERCURE DE FRANCE ,
Fidèle aux leçons d'Epicure ,
Je veux goûter de tout un peu.
Qu'on me verse un vin qui réveille
Des vieux temps la franche gaîté ,
Et je livre au Dieu de la treille
Ma raison , mais non ma santé .
Pour tenir long-temps la gageure
Il faut conserver son enjeu ,
Et bien songer que d'Epicure
La maxime est : De tout un peu.
L'étude au sage offre un salaire
Que n'ont jamais connu les sots ,
Et le travail a de quoi plaire ,
Il fait mieux goûter le repos.
Mais je n'irai pas , je vous jure ,
Sécher sur le grec , sur l'hébreu ;
Je sais trop bien que d'Epicure
La maxime est : De tout un peu.
Ovous , dont la jeune maîtresse
Anime et partage l'ardeur ,
Ménagez bien sa douce ivresse ,
Et prolongez votre bonheur.
Voulez-vous faire feu qui dure ?
Croyez-moi , dans ce joli jeu ,
N'oubliez pas que d'Epicure
La maxime est : De tout un peu.
Mes amis , pour Flore et Pomone
On va bientôt fuir les cités ;
Mais les derniers jours de l'automne
Ramèneront enfin nos thés.
Moi , je regrette la froidure
Qui nous rassemble au coin du feu ;.
J'oublie alors que d'Epicure
La maxime est : De tout un peu .
DE WAILLY.
:
FLORÉAL AN XII T
339
MONOLOGUE GASCON.
G
Un soufflet ! sur ma joue ! en pleine compagnie!
Sandis! un tel affront né sé pardonné pas ;
Et si jamais j'aimai l'honnûr plus qué la vie ,
Dé lé pronver, jé crois, c'est bien ici lé cas,
Allons vité trouver mon homme ,
Il faudra qu'il sé batte ou bien qué jé l'assomme.
Mais, pour exécuter un si noble projet,
Voyons un peu l'armé qué je dois prendre.
Choisirai-jé l'épée ou bien lépistolet?
L'épée... hem ! en mes mains saurait mal mé défendre ;
Je suis pour cé jû trop distrait ,
Sans doute qu'à mes yeux la pointe échappérait.....
Il séra plus prudent , je pense ,
Dém'en ténir au pistolet .
C'est dommagé pourtant qu'à peiné l'on commence
Tout dé suite on sauté lé pas.
Jé voudrais un combat qui mé mit dans le cas
Dé fairé plus long-temps admirer ma vaillance.
Capédébious ! quel embarras !
Maudit soit le pays dé France!
On n'y trouvé seulement pas
D'armé pour venger une offense.
H. VERNERT.
ייני
ENIGME.
:
1.
Je suis un mot àdouble sens ;
Jeune beauté, n'en prenez point d'ombrage
J'offre des plaisirs innocens ,
Vous me goûtez , sans cesser d'être sage.
L'oeil est flatté de mavive couleur;
J'ose disputer de fraîcheur
Avec la plus belle personne.
Fléau de mille êtres vivans ,
Plus j'en détruïs , plus je suis bonne.
Unvaste empire est peuplé d'habitans
Qui different d'habit , de taille et de visage;
:
Ya
340 MERCURE DE FRANCE ,
y
1
C'est là que j'aime à porter le ravage;
J'y suis funeste aux petits comme aux grands ,
Aux opprimés comme aux tyrans,
Les plus doux des humains s'amusent de mes crimes ;
Ils aiment à compter mes nombreuses victimes .
LOGOGRYPH Ε.
Je suis ville fameuse en conservant ma tête ;
Je deviens animal en me coupant la tête .
CHARADE.
1
Ménagez mon dernier ;
S'il n'est pas mon premier ,
Le couper c'est folie.
C'est avec mon dernier
Que l'on fait mon entier .
Aimez-vous l'harmonie ? .
Vous irez écouter ,
Celui qui de l'entier
Sait faire une partie
1
Mots de l'Enigme, du Logogriphe et de la
Charade insérés dans le dernier Numéro.
९
Le mot de l'Enigme est Bulle de savon..
Celui du Logogryphe est Triangle , où l'on trouve
angle , an , ane , ange , géant , tiran , tage , étain , lait ,
rate , linge , lin , laine , âge , légat , rage, étang ,gant ,
rat , tan , art , rang , gare.
Le mot de la Charade est Dé-tour.
FLOREAL ANXI 340
Génie du Christianisme , ou Beautés de la R
ligion chrétienne , par François-Auguste Cháteaubriand
; seconde édition , deux vol, in- 8 ° ,,
avec la Défense , petit vol. même format. Prix ,
11 fr. , et par la poste 15 fr. 80 cent. A Paris ,
chez Migneret , imprimeur-libraire , rue du
Sépulcre , nº. 28 ; et chez le Normant, imprimeur-
libraire , rue desPrêtres Sain-t Germainl'Auxerrois
, nº. 42.
LORSQU'UN écrivain se montre dans la littérature ,
et que , par un talent original , il se place tout-àcoup
auxpremiers rangs , il doit s'attendre à essuyer
beaucoup de critiques ; quelques-uns même de ceux
qui lui ont applaudi d'abord , repoussés bientôt par
ses succès , se retirent peu à peu , comme s'ils se
reprochaient d'avoir servi à sa renommée : il est
vrai que les critiques de la malveillance retombent
bientôt dans l'oubli , quand elles ne sont
pas appuyées sur un fonds de vérité ; toutefois
il en est quelques-unes d'une nature telle qu'un
auteur ne doit pas négliger d'y répondre : c'est
cette raison qui a engagé M. de Châteaubriand à
joindre àcetteseconde éditiondu Génie du Christianisme,
une Défense qui nous parait un chef-d'oeuvre .
Elle est d'autant plus remarquable que l'auteur semble
s'être dépouillé exprès de tout l'éclat de son imagination
, pour se réduire aux formes du raisonnement
le plussévère. Cette Défense estdivisée en trois
parties : le sujet, le plan et les détails de l'ouvrage ;
l'auteur y suit pas à pas la critique , et répond victorieusement
à toutes les objections. Il suffira d'en
citer un passage , pour prouver avec quelle force
de logique l'auteur combat ses adversaires.al ,
cen
Y3
342 MERCURE DE FRANCE ,
OBJECTION.
Il ne faut pas envisager la religion sous le rapport de
ses simples beautés humaines , morales , poétiques , c'est
en ravaler la dignité , etc. etc.
L'auteur va tâcher d'éclaircir ce point principal de la
question dans les paragraphes suivans :
I. D'abord , l'auteur n'attaque pas , il défend ; il n'a
pas cherché le but , le but lui a été offert : ceci change
d'un seul coup l'état de la question , et fait tomber la
critique. L'auteur ne vient pas vanter de propos délibéré
ane religion chérie , admirée et respectée de tous ; mais
une religion haïe , méprisée et couverte de ridicules par
les sophistes . Il n'y a pas de doute que le Génie du Christianisme
eût été un ouvrage fort déplacé au siècle de
Louis XIV , et le critique qui observe que Massillon n'eût
pas publié une pareille apologie, a dit une grande vérité.
Certes , l'auteur n'auroit jamais songé à écrire son livre ,
s'il n'eût existé des poëmes , des romans , des livres de
toutes les sortes , où le christianisme est exposé à la dérision
des lecteurs : mais puisque ces poëmes , ces romans ,
ces livres existent , il est nécessaire d'arracher la religion
aux sarcasmes de l'impiété ; mais puisqu'on a dit et écrit
de toutes parts , que le christianisme est barbare , ridicule ,
ennemi des arts et du génie , il est essentiel de prouver
qu'il n'est ni barbare , ni ridicule , ni ennemi des arts et
dugénie ; et que ce qui semble petit , ignoble , de mauvais
goût , sans charme et sans tendresse sous la plume du
scandale , peut être grand , noble , simple , dramatique
etdivin sous la plume de l'homme religieux.
Il . S'il n'est pas permis de défendre la religion , sous
le rapport de sa beauté pour ainsi dire humaine ; si l'on
ne doit pas faire ses efforts pour empêcher le ridicule de
s'attacher à ses institutions sublinies , il y aura donc tou
jours un côté de cette religion qui restera à découvert ?
Là tous les coups seront portés ; là vous serez surpris sans
défense : vous périrez par-là. N'est-ce pas ce qui a déjà
pensé vous arriver ? N'est-ce pas , avec des grotesques et
desplaisanteries , que M. de Voltaire est parvenu à ébranler
les bases même de la foi ? Répondrez-vous , par de la
théologie et des syllogismes , à des contes licencieux et à
des folies ? Des argumentations en forme , enrpêcherontelles
unmonde frivole d'être séduit par des vers piquans ,
ou écarté des autels par la crainte du ridicule ? IgnorezFLOREAL
ANXI. 343
a
5.
vous que chez la nation française , un bon inot , une impiété
d'un tour agréable , felix culpa , ont plus de pouvoir
que des volumes de raisonnement etdemétaphysique ?
Persuadez à la jeunesse qu'un honnéte homme peut être
chrétien sans être un sot ; ôtez-lui de l'esprit qu'il n'y a
que des capucins et des imbécilles qui puissent croire à la
religion ; et votre cause sera bientôt gagnée. Il sera temps
alors ,, pour achever la victoire , de vous présenter avec
des raisons théologiques et des considérations plus sérieuses
; mais commencez par vous faire lire . Ce dont
vous avez besoin d'abord , c'est d'un ouvrage religieux ,
qui soit pour ainsi dire populaire. Vous voudriez conduire
votre malade d'un seul trait au haut d'une montagne
escarpée , et il peut à peine marcher ! Montrez-lui donc à
chaque pas des objets variés et agréables ; permettez - lui
de s'arrêter pour cueillir çà et là les fleurs qui s'offriront
sur sa route ; et de repos en repos , il arrivera jusqu'au
sommet. :
III. L'auteur n'a pas écrit seulement son apologie pour
les écoliers , pour les chrétiens persuadés , pour les simples
prêtres , pour les Docteurs de Sorbonne ( 1 ) , mais
il l'a écrite encore pour les gens de lettres , et pour
le monde. C'est ce qui a été dit plus haut formellement ;
c'est ce qui est impliqué dans les deux derniers paragraphes
. Si l'on ne part point de cette base ,etque l'on feigne
toujours de méconnoître l'espèce de lecteurs à qui particulièrement
le Génie du Christianisme est adressé , il
est assez clair qu'on ne doit rien comprendre à l'ouvrage.
Cet ouvrage a été fait exprès pour être lu de
l'homme de lettres le plus incrédule et du jeune homme
le plus léger , avec la même facilité que le premier feuil-
Jette un livre impie , et le second un roman dangereux .
Vous voulez donc , s'écrient ces rigoristes , si bien intentionnés
pour la religion chrétienne ; vous voulez donc
faire de la religion une chose de mode ? Eh ! plût à Dien
qu'elle fût a la mode cette divine religion , dans ce sens
que lamode est l'opinion du monde ! Cela pourrait favoriser
, il est vrai , quelques hypocrisies particulières ; mais
(1) Et pourtant ce ne sont ni les vrais chrétiens , ni les docteurs
de Sorbonne, mais les philosophes ( comme nous l'avons déjà dit )
qui semontrent si scrupuleux sur l'ouvrage : c'est ce qu'il ne faut
pas oublier.
4
344 MERCURE DE FRANCE ,
il est certain d'un autre part que la morale publique y
gagnerait. Le riche ne mettrait plus son funeste amourpropre
à corrompre le pauvre , le maître à pervertir le
domestique , le père à donner des leçons d'athéisme à ses
enfans; la pratique du culte menerait tôt ou tard à la
croyance du dogme , et l'on pourrait espérer de voir renaître
avec la piété, le siècle des moeurs et des vertus.
, IV. M. de Voltaire , en attaquant le christianisme
connoissait trop bien les hommes, pour ne pas chercher
às'emparer de cette opinion qu'on appelle l'opinion du
monde ; aussi employa-t-il tous ses talens à faire une
espècede bon ton de l'impiété: il y réussit en rendant la
religion ridicule aux yeux des gens frivoles. C'est ce ridicule
que l'auteur du Génie du Christianisme a cherché
àeffacer; c'est-là le but de tout son travail , le but qu'il
ne faut jamais perdre de vue , si l'on veut juger son ouvrage
avec impartialité. Mais l'auteur l'a-t-il effacé , ce
ridicule ? Ce n'est pas là la question. Il faut demander :
a- t- il fait tous ses efforts pour l'effacer ? Sachez-lui gré
de ce qu'il a entrepris , et non de ce qu'il a exécuté.
Permitte divis cætera. Il ne défend rien de son livre ,
hors l'idée qui en fait la base : considérer le christianisme
dans ses rapports avec les sociétés humaines , montrer
quel changement il a apporté dans la raison et les passions
de l'homnie , comment il a civilisé les peuples gothiques
, comment il a modifié le génie des arts et des
lettres , comment il a dirigé l'esprit et les moeurs des
nations modernes , en un mot , découvrir tout ce que
cette religion a demerveilleux dans ses relations poétiques
, morales , politiques , historiques , etc.; cela semblera
toujours à l'auteur un des plus beaux sujets d'ou
vrage que l'on puisse imaginer. Quant à la manière dont
il a exécuté cet ouvrage , il l'abandonne à la critique.
On remarque dans tout le cours de cette défense
une manière savante de s'appuyer sur les
autorités; les recherches y sont profondes et le ton
plein dedignité; cependant on découvre que l'arme
de le plaisanterie ne serait pas étrangère à l'auteur,
s'il voulait aussi en faire usage ; et ce ne serait pas
la première fois que la sensibilité de l'imagination
se fût alliée au talent de l'ironie . L'auteur semble
avoir senti quels pourraient être ses moyens
FLOREAL AN XI. 345
dans ce genre , si l'on en juge par ce passage qui
termine sa défense .
« Il n'y a ni science , ni littérature qui puisse
>> résister à ce pédantisme ; c'est bien pis encore
>>quand on y joint les dénonciations et les calom-
>> nies : mais l'auteur les pardonne aux critiques ;
» il conçoit que cela peut faire partie de leur plan ,
>> et ils ont le droit de réclamer pour leur ouvrage
>> l'indulgence que l'auteur demande pour le sien.
>> Cependant , que revient-il de tant de censures
>> multipliées , où l'on n'aperçoit que l'envie de
>> nuire à l'ouvrage et à l'auteur , et jamais un goût
>> impartial de critique ? Que l'on provoque des
>> hommes que leurs principes retenaient dans le
>> silence , et qui , forcés de descendre dans l'a
>> rêne , peuvent y paraître quelquefois avec des
>> armes qu'on ne leur soupçonnait pas. >>>
Cette défense en développant le sujet et le
plan du Génie du Christianisme , ajoute un nouveau
poids à l'ouvrage , et achèvera sans doute son
succès. Cette seconde édition parait sous les auspices
du premier Consul. Dans une épître dédicatoire
, M. de Châteaubriand a parlé au héros
qui a relevé nos autels , avec la noble simplicité
d'un chrétien reconnaissant .
Dans le nouvel avertissement qui est en tête de
l'ouvrage , l'auteur fait l'aveu de quelques erren's
qui lui sont échappées , et dont il a été averti par
de savans ecclésiastiques. Quelques critiques s'étoient
plû à répandre, avec une intention au moins
suspecte , que le Génie du Christianisme pourrait
bien n'être pas agréable aux ministres de la religion;
et cependant on sait que l'auteur a été comblé
de marques de bienveillance par tous les membres
du Clergé. Quelle folie en effet de prétendre
faire croire que l'Eglise ne sentirait pas tout le
prix du seul livre religieux qui ait réussi depuis
>
1
346 MERCURE DE FRANCE ,
long-temps , et qui a présenté sous un jour si touchant
les vertus et le dévoûment des prêtres !
44
M. de Chateaubriand a prouvé par cette
seconde édition , très - supérieure à la première ,
qu'il savait profiter de la censure et se corriger en
homme de goût : on ne trouverait pas maintenant
dans Atala , une seule des phrases qu'on a tant
critiquées , et le reste de l'ouvrage nous a semblé
revu avec le même soin.
Il est inutile aujourd'hui de revenir sur le
plan du Génie du Christianisme. Tout le monde
le connait ; et quant aux beautés de détail , elles
sont si multipliées , qu'on est embarrassé du
choix des citations. Dans la partie critique , il
faudrait citer tout le livre des caractères et des
passions , et en particulier le chapitre sublime sur
la religion considérée elle-même comme passion ;
il faudrait citer encore celui où l'auteur considère
Vincrédulité comme la cause de la décadence du
goût , ce qu'il dit du siècle de Louis XIV, et les
magnifiques portraits de Bossuet etde Pascal. Dans
la partie dramatique , qui ne connait Atala et
René? Dans la partie historique , comment choisir
parmi tous ces tableaux admirables du clergé
séculter et régulier ? Dans la partie descriptive , il
faudroit faire connaître toute l'histoire naturelle ,
la description des tombeaux de l'ancienne Ecosse ,
d'Otaïti , de l'Egypte , de la Grèce , comparés à
nos cimetières de campagne , aux caveaux de nos
vieilles abbayes , et à la sépulture des rois à Saint-
Denys. Ce dernier tableau est un modèle de la plus
haute éloquence; il a été cité par-tout .
Nous choisirons ici seulement un morceau tiré
du livre des Ruines ; livre qui a peut-être été un
des moins remarqués parmi tant de richesses , et
qui pourtant est un des plus brillans de l'ouvrage.
FLORÉAL AN XI 347
C'est là sur-tout que l'auteur nous semble avoir
poussé au dernier dégré le talent descriptif.
La vallée de Tempée , les bois de l'Olympe , les côtes de
l'Attique et du Péloponèse, étalent de toutes parts les rui
nes de la Grèce. Là , commencent à paraître les mousses ,
les plantes grimpantes , et les fleurs saxatiles. Une guirlande
vagabonde de jasmin enibrasse une Vénus antique,
'comme pour lui rendre sa ceinture ; une barbe de mousse
blanche descend du menton d'une Hébé ; le pavot croít
sur les feuillets du livre de Mnémosine : aimable symbolede
larenommée passée , et de l'oubli présent de ces lieux . Les
flots de l'Egée , qui viennent expirer sous de croulans portiques
;Philomèle qui se plaint, Alcyon qui gémit, Cadınus
qui roule ses anneaux autour d'un autel , le cygne qui fait
son nid dans le sein d'une Léda ; tous ces accidens , reproduits
comme par les Grâces , enchantent ces poétiques débris
: ondirait qu'un souffle divin anime encore la poussière
destemples d'Apollon et des Muses ; et le paysage entier
, baigné par la mer , ressemble au beau tableau d'Apelle
, consacré à Neptune , et suspendu à ses rivages.
Les ruines des monumens chrétiens n'ont pas la même
élégance ; mais , sous d'autres rapports , elles peuvent
supporter le parallèle avec les ruines de Rome et de la
Grèce. Les plus belles que l'on connaisse dans ce genre ,
se trouvent en Angleterre , principalement vers le nord ,
au bord du lac de Cumberland, sur les montagnes d'Écosse ,
et jusque dans les Orcades. Les bas-côtés du choeur , les
arches pointues des fenêtres , les ouvrages ciselés des voussures
, les pilastres des cloîtres , et quelques pans de la
tour des cloches , sont les parties qui ont le plus résisté
aux efforts du temps.
Dans les ordres grecs , les voûtes et les ceintres suivent
parallèlement les arcs du ciel , de sorte que sur la tenture
grise des nuages , ou sur un paysage obseur , ils se perdent
dans les fonds. Dans l'ordre gothique, les pointes
contrastent par-tout avec les arrondissemens des cienx et
les courbures de l'horizon. De plus , le gothique étant
tout composé de vides , se décore plus aisément d'herbes
et de fleurs, qquue les pleins des ordres grecs. Les filets
redoublés des pilastres , les dômes découpés, en feuillage ,
ou creusés en forme de cueillcir , deviennent autant de
corbeilles où les vents portent , avec la poussière , les
semences des végétaux. La joubarbe se cratipomre dans
348 MERCURE DE FRANCE ,
1 ciment ; les mousses emballent d'inégales décombres
dans leur bourre élastique ; la ronce fait sortir ses cercles
bruns de l'embrâsure d'une fenêtre , et le lierre , se traînant
le long des cloîtres septentrionaux , retombe en
feston dans les arcades.
Il n'est aucune ruine d'un effet plus pittoresque que ces
débris. Sous un ciel nébuleux , au milieu des vents et des
tempêtes , aux bords de cette mer dont Ossian a chanté
les orages , leur architecture gothique a quelque chose de
grand et de sombre , comme le Dieu de Sinaï , dont elle
rappelle le souvenir. Assis sur un autel brisé , dans les
Orcades , le voyageur s'étonne de la tristesse de ces lieux .
Des mornes embrumés , des vallées où s'élève la pierre
d'un tombeau , des torrens qui coulent à travers des
bruyères , quelques pins rougeâtres , jetés sur la nudité
d'un désert flanqué de couches de neige ; c'est tout ce qui
s'offre aux regards. Le vent circule dans les ruines , et
leurs innombrables jours deviennent autant de tuyaux d'où
s'échappent mille plaintes : l'orgue avait jadis moins de
soupirs sous ces voutes religieuses. De longues herbes
tremblent aux ouvertures des dômes . Derrière ces ouvertures
, on voit fuir la nue et planer l'aigle marin.
Quelquefois égaré dans sa route un vaisseau caché sous
ses toiles arrondies , comme un Esprit des eaux voilé de
ses ailes , sillonne le noir Océan ; sous le souffle de l'aquilon
, il semble se prosterner à chaque pas , et saluer
les mers qui baignent les débris du temple de Dieu . :
Le premier de ces tableaux nous semble digne du
Corrège , et le second a quelque chose du double
génie du Poussin et de Michel-Ange; dans le premier
l'auteur a reproduit toute la grace et le mouvement
des images mythologiques , et il leur a opposé
dans le second toute la majesté et le repos
des idées chrétiennes .
On a reproché , selon nous , bien injustement
à l'auteur d'avoir quelquefois de la recherche dans
son style. Il nous semble qu'on pourrait plutôt
démontrer qu'aucun auteur de notre âge n'a fait
revivre autant de ces expressions simples et de ces
tours naïfs , si communs dans les grands écrivains
du siècle de Louis XIV.
FLORÉALANXI. 349
On ne saurait savoir trop de gré à l'auteur
d'avoir retrouvé la simplicité du langage , et d'avoir
su nommer les plus petites choses avec une grâce
qui lui est toute particulière. Il semble qu'il soit
venu exprès pour effacer certains ridicules , d'autant
plus difficiles à détruire , qu'ils semblaient inhérens
au nom même des choses. Aurait-on cru ,
par exemple , qu'il était possible de parler au siècle
des Litanies , des Notre-Dames , des Moines ? etc.
Et pourtant l'auteur a su éloigner toute idée de
moquerie , car à l'instant même où le lecteur du
monde se sentirait prêt à sourire , un trait touchant
vient lui mettre des larmes dans les yeux.
On n'observe pas d'ailleurs qu'il n'est point en
littérature, de simplicité absolue , et que la simplicité
consiste sur-tout à savoir traiter chaque
genre dans le style qui lui est propre.
Soyez vif et pressé dans vos narrations ;
Soyez riche et pompeux dans vos descriptions.
Or , il nous semble que M. de Chateaubriand
est éminemment simple dans la narration ; témoin
presque tout le 4e. vol. , et en particulier le bean
livre des Missions. 1
Quoi de plus clair et de plus précis , même au
jugement de ses ennemis , que la partie critique
et littéraire de son livre ? nous n'en voulons pour
exemple que le parallèle déjà si connu de la
Bible et d'Homère.
Ses preuves métaphysiques de l'existence de
Dieu et de l'immortalité de l'âme sont remarquables
par la concision et la méthode. Qu'on en
juge:
Première proposition. - Quelque chose a existé de
toute éternité. 7
Preuves.- Par la raison que quelque chose existe;
Dieu ou matière, peu importe à présent.
1
350 MERCURE DE FRANCE ,
Deuxième proposition.- Quelque chose a existé de
toute éternité , et cet être existant est indépendant et
immuable.
- Preuves .
cession infinie de causes et d'effets, etc.
Il faudrait autrement qu'il y eût une suc-
Cette logique est sévère , et ce n'est pas là la
marche d'un homme qui s'égare.
Les chapitres de législation et de politique
offrent la même force de raisonnement et la même
sobriété d'imagination.'
Puisqu'on avoit eru jusqu'à nos jours, dit l'auteur , que
la religion est la base de la société civile , ne faisons pas
un crime à nos pères d'avoir pensé comme Platon, Aris
tote , Cicéron , Plutarque , et d'avoir mis l'autel et ses
ministres au degré le plus éminent de l'ordre social.
- Mais si personne ne nous conteste sur ce point l'influence
de l'église dans le corps politique , on soutiendra ,
peut-être , que cette influence a été funeste au bonheur
public et à la liberté. Nous ne ferons qu'une réflexion sur
*ce vaste et profond sujet : remontons un instant aux principes
généraux , d'où il faut toujours partir , quand on
veut atteindre à quelque vérité.
La nature , au moral et au physique , semble n'employer
qu'un seul moyen de création ; c'est de mêler
pour produire, la force à la douceur. Son énergie paroît
Tésider dans la loi générale des contrastes. Si elle joint la
violence à la violence , ou la foiblesse à la foiblesse , loin
de former quelque chose , elle détruit par excès ou par
défaut. Toutes les législations de l'antiquité offrent ce sys
tèmed'opposition , qui enfante le corps politique.
Cette vérité une fois reconnue , il faut ensuite chercher
les points d'opposition : il nous semble que les deux prin
cipaux résident , l'un dans les moeurs du peuple , l'autre
dans les institutions à donner à ce peuple. S'il est d'un
caractère timide et foible , que sa constitution soit hardie
et robuste ; s'il est fier, impétueux , inconstant , que son
gouvernement soit doux , modéré , invariable. Ainsi la
théocratie ne fut pas bonne aux égyptiens ; elle les asservit
sans leur donner les vertus qui leur manquoient : c'étoit
une nation pacifique ; il lui fallait des institutions militaires.
L'influence sacerdotale , au contraire ,produisit àRome
FLOREAL AN XI. 351
des effets admirables : cette reine du monde dut sa grandeur
àNuma , qui sut placer la religion au premier rang
chezunpeuple de guerriers : qui ne craintpas leshommes ,
doit craindre les dieux.
Ce que nous venons de dire du romain s'applique au
français . Il n'a pas besoin d'être excité , mais d'être retenu.
On parle du danger de la théocratie ; mais chez
quelle nation belliqueuseun prêtre a-t-il conduit l'homme
àla servitude ?
C'est donc de ce grand principe général qu'il faut partir
pour considérer l'influence du clergé dans notre ancienne
constitution , et non pas de quelques détails particuliers ,
locaux et accidentels. Tous ces cris contre la richesse de
P'Eglise , contre son ambition , sont de petites vues d'un
sujet immense ; c'est considérer à peine la surface des
objets , et ne pas jeter un coup-d'oeil ferme dans leurs profondeurs.
Le christianisme étoit dans notre corps politique,
comme ces instrumens religieux dont les Spartiates
se servoient dans les batailles , moins pour animer le soldat,
que pour modérer son ardeur. 1
Il est extrêmement curieux d'envisager le Génie
du Christianisme sous ce rapport grave qu'on n'a
pas assez fait connaître. Car, indépendamment du
charme du style et de cette imagination qui a
enchanté le monde , c'est encore un des livres qui
renferme le plus de germes d'idées neuves sur tous
les sujets.
Qu'on relise le livre sur la philosophie , les
chapitres sur le christianisme , dans la Manière
d'écrire l'Histoire ; celui sur les sciences exactes
que l'auteur a beaucoup retouché, et qui estdevenu
un des meilleurs de l'ouvrage ; que l'on parcourre
les articles sur l'influence du christianisme dans
nos loix civiles et criminelles , et on verra la preuve
de ce que nous avançons ici. Le dernier chapitre,
intitulé : Quelseroitaujourd'hui l'état dela société,
si le christianisme n'eût pas paru sur la terre ?
est un morceau d'histoire digne de l'ouvrage de
Montesquieu sur les Romains. Nous le citerons içi
presque tout entier..
352 MERCURE DE FRANCE ,
Auguste parvint à l'empire par des crimes , et régna
sous la forme des vertus. Il paraissait après un conquérant;
et pour se distinguer , il fut tranquille. Ne pouvant
êtreun grandhomme , il voulut être un prince heureux.
Il donna beaucoup de repos à ses sujets ; un immense
foyer de corruption s'assoupit ; ce calme fut appelé prospérité.
Auguste eut le génie des circonstances ; c'est celui
qui recueille les fruits que le véritable génie a préparé : il
le suit, etne l'accompagne pas toujours. Tibére méprisa trop les hommes , et sur-tout leur fit
trop voir ce mépris Le seulsentiment où il mit de la franchise,
était le seul où il eût dû dissimuler ; mais c'était
un cri de joie qu'il ne se pouvait empêcher de pousser ,
en trouvant le peuple et le sénat romains , au-dessous
même de la bassesse de son propre coeur .
১
Lorsqu'on vit ce peuple-roiseprosterner devant Claude, et adorer le fils d'Enobarbus , on put juger qu'on l'avait
honoré, en gardant avec lui quelque mesure.Rome aima
Nérón : long-temps après la mort de ce tyran, ses fantômes
faisaient tressaillir l'empire de joie et d'espérance.
C'est ici qu'il faut s'arrêter pour contempler les moeurs
romaines ; car ni Titus , ni les Antonin , ni Marc - Aurèle
ne purent en changer le fond : un Dieu seul le pouvoit.
Le peuple romain fut toujours un peuple horrible : on ne tombe point dans les vices qu'il fit éclater sous ses
maîtres ,sans une certaine perversité naturelle et quelque
défaut de naissance dans le coeur. Athènes corrompue ne
fut jamais exécrable ; dans les fers elle ne songea qu'a
jouir : elle trouva que ses vainqueurs ne lui avoient rien
ôté , puisqu'ils lui avoient laissé le temple des muses.
QuandRome eut des vertus, ce furent des vertus contre
nature : le premier Brutus égorge ses fils , et le second
assassine son père. De plus , il y a des vertus de position , qu'on prend trop facilement pour des vertus générales , et qui ne sont que des résultats locaux. Rome libre fut
d'abord frugale , parce qu'elle était pauvre ; courageuse , parce que ses institutions lui mettaient le fer à la main, et qu'elle sortait d'une caverne de brigands. Elle était
d'ailleurs féroce , injuste , avare , luxurieuse ; elle n'eut de
beau que son génie ; son caractère fut odieux.
Lesdécemvirs la foulent aux pieds ; Marius verse à vo
lonté le sang des nobles , et Sylla , celui du peuple ; pour
dernière insulte , il abjure publiquement la dictature. Les
conjurés de Catilina s'engagent à massacrer leurs propres
pères,
:
1
FLOREAL AN XI 353
pérés , et se font unjeuderenverser cette majesté romain
que Jugurtha se propose d'acheter. Viennent les triur
ét leurs proscriptions : Auguste ordonne au père et
de s'entre-tuer, et le père et le fils s'entre-tuent. I
se montre trop vil ,même pour Tibère. Le dieu-Iron
des temiples . Sans parler de ces délateurs sortis des
mières familles patriciennes , sans montrer les chefs
même conjuration , se dénonçant et ss''égorgeant l'un l
tre ; sans représenter des philosophes discourantde vertus,
au milieu des débauchés de Néron , Sénèque excusant un
parricide , Burrhus le louant et le pleurant à-la-fois ; sans
rechercher sous Galba , Vitellius , Domitien , Commode
ces actes de lâcheté qu'on a lus cent fois , et qui étonnent
toujours , un seultrait nous peindra l'infamie romaine :
Plautien , ministre de Sévère , en mariant sa fille au fils
aîne de l'empereur , fit mutiler cent Romains libres , dont
quelques-uns étaient mariés et pères de familles : « afin ,
dit l'historien , que sa fille cût à sa suite des eunuques
> dignes d'une reine d'Orient ( 1) . »
Acette lacheté de caractère , joignez une épouvantable
corruption de moeurs. Le grave Caton vient pour assister
aux prostitutions des jeux de Flore. Sa ferrime Marcia
étant enceinte , il la ecde à Hortensius ; quelque temps
après Hortensius meurt, et ayant laissé Marcia héritière
de tous ses biens , Caton la reprend au préjudice du fils
d'Hortensius. Cicéron se sépare deTerentia, pour épouser
Publia, sa pupille. Sénèque nous apprend qu'il y avait
des femmes qui ne comptaient plus leurs années par con
suls, mais par le nombre de leurs maris ( 2) ; Tibere
Invente les scellarii et les spintrice ; Néron épouse publi
quement l'affranchiPythagore (5) , et Héliogabale célèbre
ses noces avec Hiéroclès ( 4 ) .
Ce fut cẻ même Néron , déjà tant dé foís cité, qui insti
tua les fêtes juvénales. Les chevaliers , les sénateurs et les
femmes du premier rang étaient obligés de monter sur le
théâtre , à l'exemple de l'empereur , et de chanter des chansons
dissolues , en copiant les gestés des histrions (5 ). Pour
(1) Dion. lib . LXXVI , p. 127L.
(2) De Benefic. III , 16.
(3) Tac. An. 15.
(4) Dion. lib . LXXIX , p. 1363. Hist. Aug. p. 103.
(5) Tacit. An. 14.
REP
FRA
5.
COD
12 Z
354 MERCURE DE FRANCE ,
le repas de Tilleginus , sur l'étang d'Agrippa, on avait
bâti des maisons au bord du lac , où les plus illustres romaines
étaient placées vis-à-vis des courtisanues toutes
nues. A l'entrée de la nuit tout fut illuminé ( 1 ) , afin que
Jes débauches eussent un sens de plus et un voile de moins.
La mort faisait une partie essentielle de ces divertissemens
antiques. Elle était là pour contraste , et pour rehaussement
des plaisirs de la vie. Afin d'égayer les repas , on
faisait venir des gladiateurs , avec des courtisannes et des
joueurs de flûte. En sortant des bras d'un infâme , on allait
voir une bête féroce boire du sang humain; de la vue
d'une prostitution , on passoit au spectacle des convulsions
d'un homme expirant. Quel peuple que celui- là , qui
avoit placé l'opprobre à la naissance età la mort , et élevé
sur un théâtre les deux grands mystères de la nature , pour
déshonorer , d'un seul coup , tout l'ouvrage de Dieu !
•
Si donc les Romains tombèrent dans la servitude, il ne
*durent s'en prendre qu'à leurs moeurs. C'est la bassesse qui
produit d'abord la tyrannie , et, par une juste réaction ,
latyrannie prolonge ensuite la bassesse . Ne nous plaignons
plus de l'état actuel de la société ; le peuple moderne le
plus corrompu est un peuple de sages , auprès des nations
païennes.
Quand on supposerait même un instant , que l'ordre
politique des anciens fût plus beau que lenôtre; leur ordre
moral n'approcha jamais de celui que le christianisme a
fait naître parmi nous. Et comme , enfin, la morale est en
dernier lieu la base de toute institution sociale , janrais
nous n'arriverons à la dépravation de l'antiquité , tandis
que nous serons chrétiens.
Quand les liens politiques furent brisés à Rome et dans
la Grèce , quel frein resta-t-il aux homines ? Le culte de
tant de divinités infâmes pouvait il maintenir des moeurs
que les loix ne soutenaient plus? Loin de remédier à la
'corruption, il en devint un des agens le plus puissant.
Par un excès de misère , qui fait frémir , l'idée de l'existence
des dieux , qui nourrit la vertu chez les hommes ,
entretenait les vices parmi les païens , et semblait éterniser
le crime , en lui donnant un principe d'éternelle durée.
Que fût devenu le monde, si la grande arche du chris-
(1) Id. loc. c
FLORÉAL AN XI. 355
tianisme n'eût point sauvé les restes du genre humain de
ce nouveau déluge? Quelle chance restait-il à la postérité ?
Où les lumières se fussent-elles conservées ?
Les prêtres du polythćisme ne formaient point un corps
d'hommes lettrés, hors en Perse et en Egypte ; mais les
mages et les prêtres Egyptiens , qui d'ailleurs ne communiquaient
point leurs sciences au vulgaire , n'existaient
déjà plus en corps , lors de l'invasion des Huns et des
Goths. Quant aux sectes philosophiques d'Athènes et d'Alexandrie
, elles se renfermaient presqu'entièrement dans
ces deux villes , et consistaient tout au plus en quelques
centaines de rhéteurs , qui eussent été égorgés avec le reste
des citoyens.
3
Point d'esprit de prosélytisme chez les anciens; aucune
ardeur pour enseigner; point de retraite au désert poury
vivre avec Dien , et pour y sauver les sciences. Quel pontife
de Jupiter eût marché au-devant d'Attila pour l'ar
rêter ? Quel lévite eût persuadé à un Alaric de retirer ses
troupes de Rome ? Les Barbares qui entraient dans l'em
pire , étaient déjà à demi chrétiens ; mais voyons-les marcher
sous la bannière sanglante du dieu de la Scandinavie
ou des Tartares ; ne rencontrant sur leur route , ni une
force d'opinion religieuso qui les obligeât à respecter
quelque chose , ni un fonds de moeurs qui commençất à
se renouveler chez les Romains par le christianisme; n'en
doutons point , ils eussent tout détruit. Ce fut même le
projet d'Alaric : « Je sens en nroi , disait ce roi barbare ,
quelque chose qui me porte à brûler Rome. » C'est un
hommemonté surdes ruines , et qui paraît gigantesque.
Des différens peuples qui envahirent l'empire , lesGoths
semblent avoir eulegénie le moins dévastateur. Théodoric,
vainqueur d'Odoacre , fut un grand prince : mais il était
chrétien; maisBoëce, son premier ministre, étaitunhomme
de lettres , chrétien ; cela trompe toutes les conjectures .
Qu'eussent fait les Goths idolatres ? Ils auraient , sans
doute , tout renversé comme les autres Barbares. D'ailleurs
, ils se corrompirent très-víte ; et s'ils s'étaient mis à
adorer Flore , Vénus etBacchus, quelle effroyable mélange
ne fût-il point résulté de la religion sanglante d'Odin , et
des fables dissolues de la Grèce?
Le polythéisme était si peu propre à conserver quelque
chose , qu'il tombait lui-même en ruines de toutes parts ,
et que Maximin voulut lui faire prendre les formes chrétiennes
pour le soutenir. Il établit , dans chaque province ,
Z2
356 MERCURE DE FRANCE ,
1
un lévite qui correspondait à l'évêque , un grand prêtre
qui représentait le métropolitain ( 1) . Julien voulut fonder
des couvens de païens , et faire prêcher les ministres
de Baal dans leurs temples. Cet échafaudage, imité du
christianisme , se brisa bientôt , parce qu'il n'était pas soutenu
par le même esprit , et ne s'appuyait pas su ries
moeurs.
La seule classe des vaincus , respectée par les Barbares ,
fut celle des prêtres et des religieux. Les monastères devinrent
autant de foyers ou le feu sacré des arts se conserva
avec la langue grecque et latine. Les premiers citoyens de
Rome et d'Athènes , s'étant réfugiés dans le sacerdoce
chrétien , évitèrent ainsi la mort ou l'esclavage , auquel
ils eussent été comdamnés comme le reste du peuple.
On peut juger de l'abyme où nous serions plongés
aujourd'hui , si les Barbares avaient surprisle monde sous
le polythéisme , par l'état des nations où le christianisme
s'est éteint. Nous serions tous des esclaves Turcs , ou quelque
chose de pis encore ; car Ic mahométisme a un fonds
de morale qu'il tient de la religion chrétienne , dont il
n'est, après tout, qu'une secte très-éloignée. Il est remarquable
que le premier Ismaël fut ennemi de l'antique
Jacob, comme le second l'est de la nouvelle.
If est donc très-probable que , sans le christianisme , le
naufrage de la société et des lumières eût été total. Il est
impossible de calculer combien de siècles le genre humain
eût été à sortir de l'ignorance et de la barbarie
corrompue , dans laquelle il se seroit trouvé enseveli. Il
ne falloit rien moins qu'un corps immense de solitaires
répandus dans les trois parties du globe, et travaillant de
concert à la même fin, pour conserver ces étincelles qui
ont ralfumé, chez les modernes , le flambeau des sciences .
Encore une fois, aucun ordre politique , philosophique
ou religieux du paganisme , n'eût pu rendre ce service
inappréciable au défautdela religionchrétienne. Les écrits
des anciens , en se trouvant dispersés dans les monastères ,
échappèrent par cela même aux ravages des Goths. Enfin,
le polythéisme n'étoit point porté à écrire comme le chrislanisme,
parce qu'il ne joignoit point , comme celui-ci ,
la métaphysique et la morale à la religion. Ce penchant
des prêtres chrétiens à publier des livres , a puissamment
servi à la conservation et à la renaissance des lumières .
(1) Eusku . Vari, cap . 14 , lib . IX , cap. 2-8 .
FLOREAL AN XL 357
Dans tous les cas possibles , on trouve toujours que l'évangile
aprévenu ladestruction de lasociété ; car , en sup--
posant qu'il n'eût point paru sur la terre, et que , d'un
autre côté , les Barbares fussent demeurés dans leurs förets,
le monde romain , pourrissant dans ses moeurs , était menacé
d'une dissolution épouvantable.
Les esclaves se fussent-ils soulevés ? Mais ils étaient
aussi pervers que leurs maîtres; ils partageaient les mêmes
plaisirs et la même honte ; ils avaient la même religion ,
et cette religion passionnée détruisait toute espérance de
changement dans les principes moraux. Les lumières n'avançaient
plus , elles reculaient;; les arts tombaient on
décadence. La philosophie ne servait qu'à répandre une
sorte d'impiété , qui , sans conduire à la destruction des
idoles , produisait les crimes et les malheurs de l'athéisme
dans les grands , en laissant aux petits ceux de la supers
tition. Le genre humain avait-il fait des progrès ,parce
que Néron ne croyait plus aux dieux du Capitole ,
qu'il souillait par mépris toutes les choses sacrées ?
et
Tacite prétend qu'il y avait encore des moeurs au fond
des provinces ; mais ces provinces commençaient déja
a devenir chrétiennes, et nous supposons que le chris
tianisme n'eût pas été connu , et que les Barbares n'eussent
paint sorti de leurs déserts. Quant aux armées romaines
, qui vraisemblablement auraient démembré l'empire,
les soldats en étaient aussi corrompus que le reste
des citoyens , et l'eussent été bien davantage, s'ils ne s'étaient
recrutés parmi les Goths et les Germains. Tout
ce qu'on peut conjecturer , c'est qu'après des longues
guerres civiles , et un soulèvement général qui eût duré
plusieurs siècles , la race humaine se fût trouvée réduite
aquelques hommes errans sur des ruines. Mais que d'années
n'eût-il point fallu à ce nouvel arbre des peuples,
pour étendre ses rameaux sur tant de débris ! Combien
de temps les seiences oubliées ou perdues n'eussent-elles
point mis à renaître , et dans quel état d'enfance la société
ne serait-elle point encore aujourd'hui 2
Demême que le christianisine a sauvé la société d'une
destruction totale , en convertissant les Barbares , et recueillant
les débris de la civilisation et des arts ; de même
it eút sauvé le monde romain de sa propre corruption
si cemonde n'eût point succombé sous des armes étran
gères. Une religion seule peut renouveler un peuple dans
ses sources déjà celle du Christ rétablissain ttooutes les
23
358 MERCURE DE FRANCE ,
1
bases morales. Les anciens admettaient l'infanticidè et la
dissolution du lien du mariage , qui n'est , en effet , que le
premier lien social ; leur probité et leur justice étaient
relatives à la patrie , elles ne passaient pas les limites de
leurs pays; les peuples en corps avaient d'autres principes
que le çitoyen en particulier ; la pudeur et l'humanité
n'étaient pas mises au rang des vertus; la classe la plus
nombreuse des hommes était esclave ; les sociétés flottaient
éternellement entre l'anarchie populaire et le despotisme
: voilà les maux auxquels le christianisme apportait
un remède certain , comme il l'a bien prouvé en
délivrant les sociétés modernes. L'excès même de ses
premières austérités était nécessaire : il fallait qu'il y
eût des martyrs de la chasteté , quand il y avait des
prostitutions publiques ; des pénitens couverts de cendre
etde cilice , quand la loi autorisait les plus grands crimes
contre les moeurs ; des héros de la charité , quand il y
avait des monstres de Barbarie ; enfin , pour arracher
tout un peuple corrompu aux vils combats du cirque
et de l'aréne , il fallait que la religion eût , pour ainsi
dire , ses athlètes et ses spectacles dans les déserts de la
Thébaïde.
Jésus-Christ peut donc , en toute vérité , être appelé ,
dans le sens matériel , le Sauveur du monde , comme il
l'est dans le sens spirituel. Son apparition sur la terre
est, humainement parlant , le plus grand événement qui
soit jamais arrivé chez les hommes ; puisque c'est à partir
de l'évangile , que le monde entier a changé de face. Le
moment de la venue du Fils de l'homme est bien remarquable.
Un peu plus tôt , sa morale n'était pas absolument
nécessaire , les peuples se soutenaient encore par leurs
anciennes loix ; un peu plus tard , la société faisait naufrage.
Nous nous piquons de philosophie dans ce siècle ;
mais certes , la légèreté avec laquelle nous traitons les
institutions chrétiennes , n'est rien moins que philosophique.
L'évangile , sous tous les rapports , a changé les
hommes ; il leur a fait faire un pas immense vers la
perfection. Il faut le considérer comme une grande pensée
religieuse , qui a renouvelé la race humaine ; alors , toutes
les petites objections , toutes les chicanes de l'impiété disparaissent.
Il est certain que le vieil univers était dans un
étatd'enfance morale, par rapport à ce que nous sommes.
De beaux traits de justice , échappés à quelques peuples
anciens , ne changent pas l'économie des choses. Un
1
FLORÉAL AN XI . 359
homme, une nation même , peut avoir un élan de vertu;
mais cet élan ne se répétera point , ne sera point souvent
renouvelé , si le plan moral, sur lequel reposent toutes les
vertus, a quelque vide. Pour juger du génie d'un peuple,
le vrai philosophe ne s'attache pas à découvrir cà et là
quelques grands hommes ; il regarde si le cours des idées
générales est changé , et si la nature humaine est parvenue
enmasse à des notions plus saines de justice et d'humanité.
Or , le christianisme nous a indubitablement apporté
ces nouvelles lumières : il est , sous tous les rapports , la
religion qui convient à un peuple mûri par le temps ; il
est, si nous osons parler ainsi , la religion naturelle à l'âge
présent du monde , comme le règne des figures convenait
au berceau d'Israël. Au ciel , il n'a placé qu'un Dieu ; sur
la terre , il aboli l'esclavage. Que l'on considère ses
mystères (ainsi que nous l'avons fait ), comme l'arché
type des loix de la nature , il n'y a en cela rien d'affligeant
pour un grand esprit. Les vérités du christianisme ,
Join de demander la soumission de la raison,een réclament ,.
au contraire , l'exercice le plus sublime.
a
Quant à la morale évangélique ,tout le monde convient
de sa beauté ; plus elle sera connue et pratiquée ,
plus les hommes seront éclairés sur leur bonheur et leurs
véritables intérêts. La science politique est extrêmement
bornée : le dernier degré de perfection où elle puisse atteindre
, est le système représentatif, né , comme nous
l'avons montré , du christianisme. Mais une religion qui
est a-la-fois un code moral , est une institution qui présente
sans cesse de nouvelles ressources , quipeut suppléerà
tout , et qui , entre les mains des saints et des sages ,
est un instrument universel de félicité. Il viendra peutêtre
un temps où toutes les formes de gouvernement ,
hors le despotisme , paraîtront indifférentes , et l'on s'en
tiendra aux simples loix morales et religieuses , qui sont
le fond permanent et le véritable gouvernement des
hommes.
Ceux qui raisonnent sur l'antiquité, et qui voudroient
nous ramener à ses institutions , oublient toujours que
Pordre social n'est plus , ni ne peut être le même. Au
défaut d'une grande puissance morale , une grande force
coërcitive est du moins nécessaire parmi les hommes.
Or , cette force qui devient nulle contre la foule , ne peut
jamais être déployée que pour un certain nombre d'indi
vidus. Dans les républiques ou dans les empires de l'anti
Z4
360 MERCURE DE FRANCE ,
۱
quité , l'état , proprement dit , était circonscrit à ce petit
nombre de citoyens ou de sujets , que la loi peut atteindre
immédiatement. Le reste du genre humain était
esclave ; l'homme qui laboure la terre appartenait à un
autre homme ; il y avait des peuples , il n'y avait point
de nations.
Le polythéisme ( religion imparfaite de toutes les mapières
) pouvoit donc convenir à cet état imparfait de la
société , parce que chaque maître était une espèce de
magistrat absolu , dont le despotisme terrible contenait
P'esclave dans le devoir , et suppléait , par des fers , à
ce qui manquait à la force morale religieuse : le paganisme
n'ayant pas assez d'excellence pour rendre le
pauvre vertueux , était obligé de le laisser traiter comme
un malfaiteur.
Mais dans l'ordre présent des choses , qui réprimera
une masse énorme de paysans libres et éloignés de l'oeil
du magistrat? qui pourra dans les faubourgs obscurs d'une
grande capitale , prévenir les crimes d'une populace indigente
et sans maître , si ce n'est une religion qui préchę
la morale et la paix , et qui parle de devoirs et de vertus
à toutes les conditions de la vie ? Détruisez le culte évangélique
, et il vous faudra dans chaque village une police ,
des prisons et des bourreaux. Si jamais , par un retour
inouï , les autels des dieux passionnés du paganisme se
relevaient chez les peuples modernes ; si dans un ordre
de société où la servitude est abolie, on allait adorer Mercure
le voleur et Vénus la prostituée , c'en serait fait du
genrehumain,
Si ce n'est pas là de la pensée , si ce ne sont
pas là des vues neuves et philosophiques , nous
avouons que nous ne savons plus ce qu'on entend
par ces expressions.
Au reste , on sent une singulière impression
à la lecture de cet ouvrage : les beautés y sont
tellement pressées , il y a un tel éclat , et quelque
chose de si original et de si inattendu dans le style ,
qu'on éprouve d'abord une sorte d'éblouissement,
Mais quand une fois on s'est un peu accoutumé
à la manière de l'auteur, il est difficile de le quitter :
de-la le succès prolongé et toujours croissant de
2 1.
FLORÉALAN XI. 361.
:
1
ce livre. Nous avons vû plusieurs personnes qui
commençant la lecture de l'ouvrage avec humeur ,
ont fini par en devenir enthousiastes. On ne peut
nier que le Génie du Christianisme n'ait fait une
sorte de révolution dans les lettres. Le champ des
arts était presqu'épuisé. M. de Chateaubriand l'a
renouvelé. L'aspect d'une grande catastrophe politique
lui a donné des idées positives sur les choses ,
tandis que le malheur et le désert ont fourni à
son style de nouveaux sentimens et de nouvelles
images. Quand le Génie du Christianisme parut ,
M. de Fontanes , qui l'annonça comme devant
faire honneur au dix-neuvième siècle , prédit , ainsi
que M. de la Harpe, que ce serait une mine où
tout le monde viendrait puiser. Cela n'a pas manqué
d'arriver. Les prosateurs , les poètes, se sont
emparédes idées et des couleurs que M. de Chateaubriand
répand avec tant d'abondance. Beaucoup de
livres nouveaux sont parés des lambeaux du Génie
du Christianisme ; on copie jusqu'aux formes de
son style ; on ne publie pas un ouvrage d'imagination'
, qui n'offre des scènes de prêtres , d'église,
etc. et tous ces ressorts religieux autrefois si
scrupuleusement bannis. Cet effet ne s'est pas borné
ala France. Il y a dans le Génie du Christianisme
un tel principe de mouvement et de chaleur ,
qu'il a excité par-tout la même sensation, et fait
naître les mêmes controverses dans toutes les littératures
de l'Europe .
On assure que M. de Chateaubriand s'est déterminé
à ne plus rien publier de long-temps. Nous
l'encouragerions presque dans cette résolution. Nous
sommes persuadés que ce n'est point en multipliant
les volumes qu'on augmente sa renommée. Montesquieu
nes'est montre que trois fois au public, et à
de longs intervalles. Les beautés littéraires qu'on
prodigue, cessent d'être des beautés pour la foule des
362 MERCURE DE FRANCE
ecteurs. Ons'habitue bientôt austyle et à lamanière
d'un écrivain , et l'originalité même finit par devenir
vulgaire. M. de Chateaubriand a pu l'éprouver
lui -même. Nous nous rappelons qu'il a donné
dans deux articles , sur le voyageur Mackensie,
des descriptions de l'Amérique , peut - être supérieures
à celles qu'on a tant louées dans Atala , et
pourtant qu'est-ce qui les a remarquées ? au reste
quand on a, comme M. de Chateaubriand , élevé à
trente-quatre ans un monument tel que leGéniedu
Christianisme , on a le droit de se reposer.
I.
FABLES, par J. J. F. M. Boisard , faisant suite aux
deux volumes publiés en 1773 et 1777 ; un vol. in-12 .
A Caen , de l'imprimerie de P. Chalopin , fils ; et se
trouve à Paris , chez Petit, libraire, galerie vitrée au
Palais du Tribunat.
Toutes les fois qu'on parle d'un nouveau recueil
de Fables , le lecteur songe d'abord à Lafontaine , et
j'avoue que cette idée n'est pas encourageante pour les
nouveaux venus . Mais ne pourrait-on pas arranger tout
cela , en se figurant que les fables du bon-homme ont
été produites par la même main qui a jeté les fleurs dans
les champs ? On sait qu'on avait appelé Lafontaine , le
Fablier ; on voulait dire par-là qu'il portait des fables
comme un rosier porte des roses ; cette idée qui n'a
rien qui puisse être injurieux à la nature , sauverait peutêtre
à nos écrivains modernes l'humiliation d'un parallèle
qu'ils n'ont point la prétention de soutenir.
Tâchéz donc , mon cher lecteur, de vous figurerque les
fables de Lafontaine nous sont arrivées comme les fleurs
du printemps ou les fruits de l'automne; tâchez de vous
FLOREAL AN XI. 363
persuader qu'elles sont comme ces prodiges par lesquels
la nature se plaît quelquefois à imiter les arts , et
nous oserons vous parler de quelques hommes qui sont
venus après lui. Parmi ces hommes , on peut compter
MM. de la Mothe , Florian , notre aimable professeur
M. Aubert , et M. Boisard.
Tout le monde connaît les fables des trois premiers ;
nous allons faire connaitre celles de M. Boisard. Il avait
déjà publié deux volumes de Fables; plusieurs lui avaient
mérité la réputation d'homme de goût, et le nouveau
recueil que nous annonçons est fait , sous beaucoup de
rapports , pour accréditer l'opinion que M. Boisard nous
avait donnée de son talent. Nous allons citer.
LE CHÊNE ET LES COINS,
UN CHÊNE Constamment respecté du tonnerre ,
Au fer de la coignée une nuitssuccomba :
De toute sa hauteur le grand Chêne tomba ;
De son sublime front il vint frapper la terre !
Et de sa propre tige on vit sortir , hélas !
Les Coins qu'on employa pour le fendre en éclats :
En subissant , dit - il , ma triste destinée ,
J'aurais pu pardonner au fer de la coignée ,
Qui , m'étant étranger , me frappait sans pitié ,
Et , sans me rien devoir , me coupait par le pié :
J'aurais pu de mes jours faire le sacrifice !
Mais quand on reconnaît que de son assassin
Soi-même on s'est rendu complice ;
Quand on a formé dans son sein
Les instrumens de son supplice ;
Quand on se sent briser le coeur
.... Par ceux qu'on a nourris . O justice ! ô pudeur!
C'est alors , c'est alors qu'il faut bien qu'on gémisse ,
Et que de son destin l'on sent toute l'horreur !
L'idée de cette fable est naturelle et ingénieuse. La
marche en est rapide , l'action simple , l'intérêt bien ménagé
, et le style facile et correct. Passons à une autre
citation.
364 MERCURE DE FRANCE ,
LA POULE ET LES OEUFS DE CROCODILE.
L'INSTINGT , on a beau dire , est par fois imbécile .
Une Poule couvait des OEufs de Crocodile
Qu'un méchant dans soit nid vint fourrer tout exprès
Il'arriva que l'oeil du maître ,
2
Faisant sa ronde un soir ,comme cela doit être ,
Sur d'assez bons avis y regarda de près ,
Et qu'à l'oeuvre l'ayant trouvée :
Voyez donc la belle couvée ,
Que nous promet , dit - il , cette couveuse - ei !
Bêtes et gens n'auraient qu'à déloger d'ici ,
Si je ne venais y mettre ordre :
Les Poulets renfermés dans les OEufs que voici ,
Dès qu'ils seraient éclos , commenceraient par mordre.
Aces
Avant peu , je n'en doute point ,
Nous aurions vu de belles choses !
2 Pour découvrir le pot aux roses
Par bonheur que j'arrive à point ,
Et que tels qu'ils sont je m'en moque....
ces mots il yous prend tous les OEufs sans pitié ,
Et vous écrase sous le pié
Les Crocodiles dans leur coque ,
De ces futurs petits Poussins
S'applaudissant de faire avorter les desseins.
Mais depuis ce temps-là j'enrage
Qu'on n'ait pas toujours eu par-tout le même soin.
Car c'est fauted'un soin si sage ,
Que malheureusement , dans plus d'un vilain coin ,
T
:
On a vu de nos jours éclore
Des Poussins plus fàcheux encore
Etplus méchans que tout cela :
Opourquoi n'a-t-on pas cassé tous ces OEufs-là !
Cette fable n'est pas seulement remarquable par le
mérite de l'invention , mais encore par le gracieux des
détails..Le discours du maître semble fait d'après l'inimitable
modèle; le dernier trait a quelque chose à-la-fois
de malin et de naïf. い。
Nous allons citer encore une autre fable dans le même
genre , et qui achèvera de faire connaître le talent , la
manière et l'esprit de l'auteur.
FLOREAL AN XI. 365
LE LYNX ET LA TAUPE
LE LINX dit à la Taupe : Ah , pauvre solitaire !
Comment peux- tu vivre sans voir ?
Végéter du matin au soir
1
Voilà donc ce que tu peux faire ! ...
Encor si tu savais ce que je sais , ma chère ,
En t'occupant l'esprit dans ton petit manoir ,
De tes cruels ennuis tu pourrais te distraire ;
Mais , quand on n'a rien vu , l'on ne peut rien savoir ,
Moi ,qui vois clairement d'une lieue à la ronde
Ce qui se passe dans le monde ,
Al'instant même autour de toi ,
Je puis t'instruire , écoute-moi ;
Sur un rapport des plus fidèles ,
Je vais, ma chère enfant , te conter des nouvelles :
L'Hirondelle s'amuse à nourrir ses petits
Avec les moucherons que l'araignée a pris ;
L'épervier dans la nue enlève l'allouette ;
Le chat sous la javelle attrappe la souris ;
,
;
L'épagneul , ou le chien qu'on fouette
Sous le plonh meurtrier du chasseur qui la guette ,
Avec tous ses perdreaux fait passer la perdrix ;
Ici , c'est le lapin que suce la belette;
Là, c'est la vache à lait que la couleuvre tette ;
L'ours atteint sur le roc la chèvre et ses cabris ;
Le renard est en train de croquer la poulette ;
Le loup à belles dents déchire la brebis ...
1
[
J'ensais trop , dit la Tanpe.... Ah! Dieux, je vous rends grâce ,
Si c'est là ce qu'on fait dans le monde , en ce cas ,
C'est bien assez d'entendre , hélas !
Sans voir encor ce qui s'y passe !
Parmi les fables de M. Boisard , il en est plusieurs dans
lesquelles il a imité le laconisme et la noble simplicité
d'Esope. Envoici un exemple :
1
'T
1
1
LE SINGE , L'ANE ET LA TAUPE.
De leurs plaintes sans fin , de leur souhaits sans bornes ,
Le Singe et l'Ane un jour importanaient les Dieux ;
Ah! jen'ai point de queue ! ... Ah ! je mispaint de oormes !
Ingrat , reprit la taupe , et vous avez des yeux ! atto
On pourrait en citer plusieurs autres , mais la plupart
de ces fables , par leur laconisme, perdent l'intérêt de
366 MERCURE DE FRANCE ,
l'apologue , et dégénèrent en épigrammes , comme
celles-ci.
Mais ne trouvez-vous pas que la voix m'est venue ,
Dit la grenouille ! c'est plaisant ;
Je gazouillais jadis et je chante à présent !
Comme jedanse ! dit en riant la tortue.
Une fusée en l'air s'élança , toute fière
De se perdre en faisant de l'éclat et du bruiť.
Le voyageur maudit cette vaine lumière ,
Qui n'a fait qu'épaissir les ombres de la nuit.
Nous avons fait voir jusqu'à présent les beautés que
renferme le nouveau recueil de M. Boisard ; nous
sommes loin cependant de dire que ses fables soient sans
défaut ; il veut souvent être naïf , mais il n'y réussit pas
toujours. Le naïf est le genre le plus difficile à saisir ; on
le confond trop avec le familier , et ce n'est pas la même
chose ; la familiarité du style n'est pas toujours de la
naïveté , et le naïfse trouve quelquefois réuni aux sentimens
héroïques. Racine donne un exemple du naïf dans
Athalie , ou Joas fait à Athalie les reproches les plus
amers dans les expressions les plus simples. Rien n'est
plus naïf que ce passage d'Homère , où lejeune Astyanax,
effrayé de l'aigrette qui flotte sur le casque de son père ,
sé précipite épouvantédans les bras de sa nourice , tandis
qu'Hector fait à Andromaque l'adieu le plus tendre.La
simplicité dans ces exemplesn'est pas naïve par elle-même;
mais elle est naïve, parce qu'elle renferme une vérité frappante
, une belle pensée , un sentiment noble , où une
passion exprimée sans affectation et sans art. Quand un
objet qui a de la grandeur ,de la beauté , ou qui est présenté
sous un aspect intéressant , est exprimé par un signe
simple , cette expression est naïve. Le naïf , dans la fable ,
consiste souventàs'identifier avec ses personnages, età leur
2
FLORÉALAN XI. 367
fair,e exprimer quelque chose de grand dans le langage le
plus simple. Une des qualités les plus admirables de Lafontaine
, c'est qu'il paraît toujours persuadé de la vérité de
tout ce qu'il raconte et de tout qu'il fait dire aux personnages
de ses apologues. Cette qualité essentielle n'est autre
hose que de la bonhomie ; et l'idée de la bonhomie peut
nous donner une idée juste de la naïveté.
Lenoble a traité tous les sujets de Lafontaine ; il est familier
et souvent trivial ; mais il n'est jamais naïf. Nous
ne ferons pas à M. Boisard l'injure de le comparer à
Lenoble , mais il n'est pas toujours exempt de ses défauts.
Il emploie souvent des expressions qui sont communes,
et qui n'ont rien de naïf ni de pittoresque , tels que s'empiffrer
, farfouiller. L'une de ses fables qui a pour titre :
l'Eusse- tu cru ! finit par ce vers :
Et S.... B. .pourtant , enfants , nous y voilà ?
Nous allons paraître un peu sévères ; mais on peut
l'être avec ceux de qui on doit beaucoup attendre. M. Boisard
n'a pas craint de traiter quelques-uns des sujets de
Lafontaine, tels que le Chêne et le Roseau, l'Ane chargé de
reliques , le Loup et l'Agneau ; et cela seul pourrait auto
riser une critique plus sévère encore que la notre. Il sera
curieux sans doute pour le lecteur , de voir comment le
fabuliște moderne a traité le sujet du Loup et de l'Agneau.
LE LOUR ET L'AGNEAU .
Un loup, à quelques pas au-dessus d'un agneau ,
Vint au même moment boire au même ruisseau .
Le loup était àjeun : danscette conjoncture
Ilsentit tout àcoup qu'un déjeûné d'eau pure
Ne lui convenait nullement.
Heureusement la faim , qui n'est pas scrupuleuse,
Lui suggéra subitement
Defaire à son voisin,à propos d'eau bourbeuse,
Une querelle d'Allemand :
D'où te vient , dit-il , cette audace
:
1
368 MERCURE DE FRANCE ,
५
1.
Detroubler mon cau ,quand je boi?
Seigneur , répond l'Agneau , considérez de grace
Que l'eau coule de vous àmoi. .... نم
Etde là tu conclus , selon tonte apparence ,
Que je ntents à mà conscience ,
Comme unbrigand fieffé , que je suis ,selon toi...
Je ne sais comment tu t'arranges ;
Mais je sais que tu tiens des propos fort étranges
Sur mon compte , et cela depuis plus de six mois.-
Vous ne savez donc pas qu'à peine j'en ai trois .-
En ce cas , c'est ton père ,ou je confonds l'époque ;
Mais le père ou le fils , au surplus , je m'en moque :
Il suffit que je sais fort bien ce que je sais....
Et par le loup , jugé et partie ,
L'agneau pris à la gorge , et serré de fort près ,
Se défendit fort mal , et paya de sa vie ,
Comune battu , l'amende , avec les intérêts ,
Dominages et dépends , comme on dit , du procès.
Cette fable de M. Boisard n'est pas sans grâce dans les
détails ; une critique sévère pourrait bien ne pas trouver
fort bon , un déjeuné d'eau pure ; il y a dans cette expression
un sorte de puérilité , qui est loin d'être naïve ;
defaire à son voisin , à propos d'eau bourbeuse , est encore
plus mauvais. La colère du loup est beaucoup mieux ;
ces vers sont agréables :
Je ne sais comment tu t'arranges ,
Mais je sais que tu tiens des propos fort étranges , etc.
Le dénouement manque de vivacité ; l'intérêt se trouve
perdu dans une foule de mots inutiles.
Nous allons mettre à côté de cette fable celle de Lafontaine
, et l'on verra ici plus que jamais qu'il fut toujours
inimitable.
LE LOUP ET L'AGNEAU
La raisondu plus fort est toujours la meilleure ;
Nous l'allons montrer tout- à-l'heure
Un agneau se désaltérait
Dans le courant d'une ende pure.ωνία
Un
FLORÉAL AN XI .
REP.FRA
cen
5.
T
Un loup survint à jeun , qui cherchait aventure ,
Et que la faim en ces lieux attirait .
Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ?,
Dit cet animal plein de rage :
Tu seras châtié de ta témérité .-
Sire , répond l'agneau , que votre majesté
Ne se mette pas en colère ;
Mais plutôt qu'elle considère
Que je me vas désaltérant
Dans le courant ,
Plus de vingt pas au-dessous d'elle ;
Et que, par conséquent , en aucune façon ,
Je ne puis troubler sa boisson.
Tu la troubles ! reprit cette hête cruelle ;
Et je sais que de moi tu médis l'an passé.-
Comment l'aurais-je fait si je n'étais pas né ?
১
Reprit l'agneau ; je tette encor ma mère.-
Si ce n'est toi , c'est done ton frère . -
Jen'en ai point .-C'est donc quelqu'un des tiens ;
Car vous ne m'épargnez guère ,
Vous , vos bergers et vos chiens.
On me l'a dit : il faut que je me venge .
Lá-dessus , au fond des forêts
Le loup l'emporte, et puis le mange ,
Sans autre forme de procès.
{
Je demande pardon au lecteur de lui citer des vers
qu'il doit savoir par coeur ; mais on sait que Lafontaine
est toujours nouveau. Quelle vérité dans ce vers ! i
t
Un loup survint à jeun, qui cherchait aventur .
Le vers suivant sert admirablement à caractériser l'action.
Le loup ne vient point auprès du ruisseau pour
boire de l'eau pure ou de l'eau bourbeuse , mais il vient
pour chercher une proie. La réponse de l'agneau est admirable
; il exprime d'abord son respectpourle loup , etil
parle ensuite avec tout l'embarras de la crainte; ce vers ,
dans le courant, jeté au milieu du discours , caractérise
parfaitement la situation critique où se trouve l'agneau ,
qui ne se justifie qu'en tremblant et par des mots entre
12 Aa
370 MERCURE DE FRANCE ,
coupés . Qu'on compare les deux fables , et l'on verra la
différence qu'il y a entre un bon-homme comme Lafontaine
, et unhomme de beaucoup d'esprit , comme
M. Boisard.
Au reste , nous ne nous permettrons pas de plus longs
détails sur Lafontaine ; c'est un très-grand mérite que de
sentir tout celui de ce divin fabuliste , et ce mérite est
plus rare qu'on ne pense. Tout le monde parle du bonhomme
, mais je ne crains pas de dire que s'il écrivait aujourd'hui
, la plupart de ceux qui le louent le plus , seraient
les premiers à réprimer , par leur critique, l'essor
de son génie. On trouve fort mauvais que Boileau n'en
ait pas parlé ; mais qu'en auraient dit la plupart de nos
pédagogues , de nos géomètres , de nos métaphysiciens ?
On n'a qu'à lire ce que dit J.-J. Rousseau de la fable
du Corbeau et du Renard : Dalembert,dans une séance de
l'académie française , où l'on examinait les fables de
Lafontaine , ne concevait rienà ces deux vers :
La fourmi n'est pas prêteuse,
C'est là son moindre défaut .
Fontenelle , qui définissait le naïf une nuance du bas ,
ne savait point apprécier Lafontaine , et l'école de
Fontenelle est encore fort nombreuse.
Nous n'avons d'ailleurs plus rien de naïf ni dans nos
moeurs ni dans notre langage , et je doute que parmi
nous un écrivain consentit à être une béte , comme Lafontaine
, afin de n'être qu'un homme de génie.
FLORÉAL AN XI. 371
VARIÉTÉS.
Théorie de l'Imagination , par le fils de l'auteur de la
Théorie des sentimens agréables : 1 vol. in-12. Prix ,
2 fr. 50 cent. et 5 fr. franc de port. A Paris , chez
Bernard , libraire , quai des Augustins , n°. 31 ; et
le Normant , imprimeur-libraire , rue des Prêtres Saint-
Germain l'Auxerrois , nº. 42 , vis-à-vis le petit portail.
Voilà un fils auquel on ne reprochera pas de dégéné
rer. Non content de suivre son père dans la carrière , et
de se lancer , comme lui , dans les théories , il a pris un
bien plus grand essor. M. de Pouilly avait donné la théon
rie des sentimens agréables , dans un ouvrage véritable
ment digne du titre qu'il porte. Son fils a choisi un sujet
plus relevé . Il s'est proposé de nous éclaircir les mystères
des opérations de notre imagination.
Montesquieu a dit , quelque part, que toute la méta
physique tiendrait dans quatre pages. M. de P. a été , sans
doute , pénétré de cette vérité , qui ne devait d'ailleurs
être prise tout au plus qu'au figuré , lorsqu'il n'en a employé
que 253 à traiter un sujet tel que celui qu'il avait
choisi. En effet , tout ce qui a rapport à nos idées innées
ou acquises, à nos sensations , qui n'en sont que le sujet;
en un mot, à ce qui n'est pas en nous matière , entre
dans le domaine de l'imagination. Ce sujet vaste peut se
prêter à tous les développemens que celui qui s'en estenmparé
voudra lui donner.
Après avoir considéré l'imagination comme principe
de la pensée , M. de P. l'envisage comme institutrice du
langage ; puis il applique ces premières données à diverses
opérations de notre entendement , et termine par les
moyens qu'il croit propres à la régler. Ce livre offre une
foule de pensées ingénieuses , qui , si elles ne sont pas
absolument neuves , en ont l'apparence , par le point de
vue sous lequel l'auteur les présente, point de vue qui
Aa 2
372 MERCURE DE FRANCE ,
naît de l'essence de son sujet. Nous pourrions , si l'espace
nous le permettait , citer beaucoup de passages agréables .
Pour faire connaître la manière de l'auteur , nous nous
bornerons à une citation qui est tirée du chapitre intitulé :
De l'imagination des Femmes . Il les justifie du reproche
de ne pouvoir compter qu'un très-petit nombre d'entr'elles
qui aient acquis une grande célébrité dans les lettres
ou dans les arts. Il fait sentir l'injustice de ce reproche
, dont la nature de l'éducation qu'elles ont toujours
reçues et les vertus que nous exigeons d'elles , avant tout ,
devraient les garantir.
« S'il existait, ajoute-t-il ,une fille qui , dès sa plus ten-
» dre jeunesse , eût assez cultivé ces dons heureux qu'elle
>> a reçus de la nature , pour se rendre capable de pro-
>> duire quelque chef-d'oeuvre digne d'être opposé à ceux
>> des plus grands maîtres , et qui prétendît en même-
» temps au genre de gloire dont nous voulons que son
> sexe se tienne le plus honoré , croira-t-on qu'elle pût
> l'obtenir , si elle nous présentait avec vérité la marche
» et le développement de son esprit , en faisant compa-
>> raître devant nous tous les objets qui auraient attiré ses
>> regards , en nous exposant toutes les pensées dont elle
>> se serait entretenue , pour atteindre au sublime talent
» qu'elle aurait acquis ? Nous avons voulu appuyer leur
>> sagesse sur une ignorance qui entrave leur génie ; puis
>> on leur fait l'injure de dire qu'elles ne peuvent en
>> avoir. Les muses sont bien réputées vierges intactes ,
mais on n'a jamais dit qu'elles ignorassent rien . Je
>> doute que les méditations , non- seulement d'aucun
>> poète , d'aucun artiste , mais même d'aucun philosophe
, aient toujours été assez pures pour ne pas ternir
>> l'imagination de celles qui aspiraient aux vertus qui
>> leur sont singulièrement proposées . »
4
Dans un chapitre sur le travail de l'imagination dans
les beaux-arts , M. de P. a bien énoncé quelques idées que
nous pourrions relever et même combattre. Il paraît
croire que les sciences et les arts exigent moins d'imagiFLOREAL
AN XI. 373
nation que les sciences exactes. Il veut qu'on cherche
principalement dans la tête d'un géomètre ou d'un métaphysicien
, le fil des traits imperceptibles qu'elle y trace ,
et dont l'ensemble se réunit pour former ensuite un ta
bleau , dont le secret de la composition nous échappe.
Nous aimons à croire que M. de P. s'est oublié , quand
il s'est exprimé ainsi sur les sciences et sur les arts ; il est
possible que , peu familier avec ceux-ci , et quelques
passages de son livre nous le feraient croire , il eût énoncé
cette opinion à leur égard ; mais pour les belles-lettres ,
cette façon de voir nous étonne , et nous pensons que
M. de P. leur a particulièrement trop d'obligations pour
les traiter ainsi.
Dernière volonté et testament du major - général
CLAUDE MARTIN. ( 1 ) 4
Claude Martin , né à Lyon au mois de janvier 1735 , sur
la paroisse de Saint-Pierre et Saint-Saturnin , après avoir
fait ses premières armes en France , passa au service de la
compagnie des Indes d'Angleterre , en qualité de simple
soldat.
Peu de temps après son arrivée dans le Bengale , il fut
promu au grade de major-général des troupes qui servaient
dans l'Indostan.
Plein de courage et de valeur , actif et laborieux , il
rendit des services importans aux princes indiens et à cette
compagnie fameuse par l'étendue de ses spéculations com-
Y
(1 ) Un vol . in -4°. grand raisin , de vingt-une feuilles , dont onze
de tableaux , imprimé en rouge et noir , texte anglais et traduction
française en regard . Prix , 18 fr. A Lyon , chez Ballanche , père et
fils , imprimeurs- libraires; et à Paris , chez Rondonneau , Desenne ,
Callixte Volland, Capelle , Martinet, Mongie , libraires ;
Et chez le Normant, imprimeur-libraire , rue des Prêtres Saint-
Germain-l'Auxerrois , n°. 42 .
1
Aa3
894 MERCURE DE FRANCE ,
merciales , dans lesquelles sans doute il fut intéressé ,
puisqu'il a laissé une fortune de plus de douze millions ,
argent de France.
Il est décédé sans postérité , à Lucnow , dans l'Inde , au
commencement du mois de septembre 1800 .
Ses dernières dispositions annoncent qu'il était pénétré
de vénération pour la foi de ses pères , qu'il avait conservé
un profond attachement à sa famille, et un tendre souvenir
pour la ville qui l'avait vu naître.
Il a légué à ses parens près d'un million de biens.
Il donné à la ville de Lyon 750,000 liv. , pour être employés
à des établissemens d'utilité publique et de bien
faisance , qu'il a placés sous la protection spéciale et la
surveillance des magistrats.
Son testament , qui vient d'être imprimé par MM. Ва-
lanche , père et fils , de Lyon , n'est pas indigne d'attention
. C'est un monument curieux du contraste de l'éducation
européenne etdes moeurs asiatiques.
Ilya quelque chosede magnanime etde religieux dans le
dernier acte de cet homme , qui repasse dans sa conscience
le bien qu'il doit faire avant de mourir , et qui travaille a
laisser de lui une mémoire chère aux siens , et à effacer ,
par des bienfaits , quelques torts d'une vie agitée.
On ne saurait donner trop de publicité à la manière
dont le major-général Claude Martin a disposé de sa fortune
, parce qu'il est temps de rétablir dans toutes les
ames l'empire de l'émulation , de la bienfaisance et du
zèle pour le bien de ses concitoyens .
to
L'impression de ce testament a été exécutée avec beaucoup
de soins ; on l'a figurë telle que se trouve l'expédition
anglaise . Les mots écrits en rouge , et qui , dans ladite
expédition ,sont annoncés se trouver en crayon dans l'original
, ont été imprimés en rouge. Il en a été de même
pour les chiffres et autres signes. On aeu la précaution
de barrer les chiffres en noir ou en rouge , suivant que
FLORÉAL AN XI. 375
eer chiffres l'ont été de l'une ou de l'autre couleur dans
la susdite expédition.
Les obstacles de tout genre qu'on a été obligé de surmonter
dans l'exécution typographique , pour la rendre
le plus semblable que possible à l'original , et la manière
dont ces obstacles ont été surmontés , recommandent aussi
cet ouvrage aux bibliographes ; il doit trouver place dans
toutes les bibliothèques publiques.
ΑΝΝΟNCES..
Traité sur les bêtes à laine d'Espagne , leur éducation ,
leurs voyages , le lavage et le commerce des laines , les
causes qui donnent la finesse aux laines ; auquel on a
ajouté l'historique des voyages que font les moutons des
Bouches-du-Rhône et ceux du royaume de Naples ; l'origine,
les succès , l'état actuel du troupeau de Rambouillet,
et les moyens de propager et de conserver la race espagnoledans
toute sa pureté.
Lanigeros agitare greges.....
Hiclabor: hinc laudem, fories, sperate colano.
VIRGIL. Georg. liv. 5 , v. 287.
Par C.-P. Lasteyrie , de la société d'Agriculture de
Paris , etc.
AParis , chez A.-J. Marchant , imprimeur et libraire
pour l'agriculture , rue des Grands-Augustins , nº. 12.
Unvol. in-8°. de près de 400 pages , avec une planche.
Prix , 4 fr . , et 5 fr. par la poste.
On trouve à la même adresse trois autres ouvrages sur
les bêtes à laine fine.
Le Château de Saint-Donats , ou Histoire du fils d'un
émigré échappé aux massacres en France ; traduit de
l'Anglais , de Charles Lucas , auteur de l'Infernal don-
Quichotte. Trois vol. in-12 , fig. Prix : 5 fr. et 6 fr. 60 cent.
franc de port. A Paris , chez J.-J. Fuchs , libraire , rue des
Mathurins-Saint- Jacques , n°. 554 ; Onfroy, libraire , rue
Saint -Victor , nº3; Debray, libraire , place du Muséum;
et chez le Normant , imprimeur- libraire , rue des Prêtres
Saint-Germain-l'Auxerrois , nº. 42 .
Aa4
376 MERCURE DE FRANCE ,
POLITIQUE.
Le 5 mai , la ville de Londres ajoui d'un bonheur qui
n'a duré qu'un instant, mais qui a suffi pour enrichir quelques
agioteurset en ruiner quelques autres.Le lord-maire
areçu du ministre de la guerre une note ,qui le préve
nait que les négociations entre la France et l'Angleterre
étaient heureusement terminées. Ce magistrat s'est empressé
de communiquer une si bonne nouvelle à la
bourse , et de la faire afficher dans les grands cafés politiques.
Deux heures après , on a su que la nouvelle
était fausse , l'écriture contrefaite ; et le lord-maire a bien
vîte envoyé dans la Cité démentir le bruit qu'il avait tant
aidé lui-même à répandre. Autrefois on aurait appelé un
pareil tour , une insigne friponnerie ; aujourd'hui ce n'est
qu'ane spéculation de commerce , qui n'a rien de beaucoup
plus extraordinaire que toutes celles dont se compose
l'agiotage. Il est vrai qu'elle est assez hardie , pour
avoir scandalisé le ministère , et fait crier ceux qui en ont
été dupes ; aussi a-t-on créé un comité pour faire toutes
les recherches possibles sur les auteurs de cette invention :
il est probable qu'on ne les découvrira pas , malgré les
5,000 livres sterlings promises ceux qui les dénonceront.
Quelques personnes prétendent , en France , que l'esprit
du commerce anglais est en cemoment tourné à la guerre ;
nous ne ferons qu'une observation à cet égard : sur la
nouvelle de la paix , les fonds ont été à 70 ; quand la
nouvelle a été reconnue fausse , les fonds sont retombés
à 62.
à
:
L'explication qui devait avoir lieu dans le parlement ,
le 3 mai , a encore été ajournée sur la demande des ministres
, qui ne veulent entrer dans des détails, qu'au momentoù
ils auront la certitude de la paix ou de la guerre.
Le parlement se fatigue d'un pareil silence ; mais , après
l'avoir approuvé si long-temps , il sent lui-même qu'il ne
peut exiger que les ministres le rompent avant la fin des
négociations.
Le 7 mai , les débats ont été assez viſs ; on a sur-tout remarqué
dans la chambre des communes un de ces mouvemens
d'impatience , qui annoncent combien lesdiverses
oppositions désirent se soulager de la contrainte qu'elles
s'imposent depuis long-temps. Voici le fait.
G
FLOREAL AN XI. 377
et
Il est certain que les négociations ont été comme rompues
; et Paris a cru vingt-quatre heures que la guerre
allait être déclarée. Le même jour , 7 mai ,Londres était
dans la même attente. Les ministres ont annoncé au parlement
que l'ambassadeur français avait , le matin, fait
demander ses passe-ports pour retourner en France ,
que l'ambassadeur anglais devait avoir quitté Paris. En
conséquence , les ministres ont promis de mettre, lundi 9,
sous les yeux du parlement , toutes les pièces relatives
aux négociations , et ils ont engagé les deux chambres à
s'ajourner à lundi.
Dans l'une et l'autre chambre , il s'est ouvert de longs
débats sur cet ajournement : il n'était question que de la
situation alarmante , sinistre , du pays , et de la nécessité
où chaque membre se trouvait de rester à son poste dans
les dangers de la patrie ; grands mots , que les assemblées
délibérantes aiment à répéter pour se donner de l'importance
et de la vigueur. Les ministres ont objecté que
la patrie ne périrait pas , quand le parlement ne s'assemblerait
point le samedi , et qu'il se reposerait le dimanche:
ils ont ajouté que lord Whitworth n'était pas encore de
retour ; que probablement il ne descendrait pas de voiture
à la porte du parlement , et qu'il fallait au moins
accorder au ministère le temps d'examiner les derniers
papiers que cet ambassadeur apporterait. Ces raisons
étaient sans réplique : ce qui n'a pas empêché beaucoup
d'altercations , de tumulte, de cris à l'ordre , de mots
hasardés presqu'aussi-tôt retractés ; on a fait retirer les
étrangers , et la discussion a continué jusqu'à huit heures
du soir : enfin , l'ajournement à lundi a passé à une grande'
majorité dans les deux chambres.
On ne savait pas alors à Londres , que le départ du lord
Whitworth avait été retardé ; que les négociations étaient
reprises ; et peu s'en est fallu que des débats prématurés
ne vinssent ajouter de nouvelles difficultés à toutes celles
que les deux gouvernemens essayent de surmonter pour
éviter une rupture.
Une lettre de Pétersbourg , du 17 avril ( 25 germinal ) ,
contient ce qui suit : Toutes les espérances de paix sont
entièrement évanouies ; nos troupes se mettent en marche
dans trois jours ; l'empereur fait des avances d'argent aux
officiers qui en manquent, pour leur donner la facilité de
faire leurs équipages. Le général Michelson commande
378 MERCURE DE FRANCE ,
l'armée , et le général van Suchtelen reste auprès de S.
M. I. qui, se'on le bruit général, est décidée à faire la cam
pagne. La flotte est commandée par l'amiral Tschitschagow
le cadet. Le colonel Colbert est au moment de retourner
en courrier à Paris. Le lieutenant-général comte
de Buxhoden vient de rentrer au service , en qualité de
général d'infanterie.
L'entrevue de l'empereur d'Allemagne et del'empereur
de Russie , que les journaux ont annoncée depuis quelque
temps, ne tardera pas à avoir lieu. On présume que le voyage
que l'archiduc Palatin d'Hongrie a fait à Pétersbourg , a
pourbut de régler tout ce qui a rapport à cette conférence
importante. Les deux empereurs doivent se réunir à Kaminieck-
Podolski , sur le Dniester. Cette ville est capitale
de la Podolie. Le roi de Prusse doit aussi se mettre en
route , vers la fin du mois de mai , pour se rendre à
Wurzbourg , où S. M. doit avoir une entrevue avee
l'électeur de Bavière .
Les forces anglaises s'augmentent de jour en jour sur
les côtes de la Hollande : des troupes françaises se rendent
: aussi sur le territoire de cette république. On assure que
les Anglais cherchent à s'emparer de l'île de Sicile , afin
de prévenir les Français , si la guerre venoit à éclater .
Nous avons annoncé dans notre dernier numéro que S. M. I. et R.
avait ratifié le concluşum général de la diète de Ratisbonne , du5
mars (4 germinal) , qui termine toutes les affaires relatives aux indemnités.
L'importance de cette pièce nous détermine à la donner ici en
entier.
François II , empereur des Romains, etc., etc., aux électeurs ,princes
et états de l'Empire , réunis à la diète générale:
« La députation extraordinaire de l'Empire , nommée pour l'exécu
tiondes articles 5 et 7 du traité de paix de Lunéville , ayant terminé.
l'oeuvrequilui avait été confié , etles électeurs, princeset états de l'Empire
germanique en ayant demandéla confirmation parleur conclusum
commune du24mars; S. M. l'empereur, dans sa sollicitude paternelle.
pour le maintiende la paix et de la tranquillité de l'Allemagne ,
veut pas tarder à donneerr ,, d'après lamesure de ses devoirs , lasanction
légale à cet oeuvre si important par sa nature et par ses suites .
ne
>> Le but vers lequel son attentionse dirige dans ce moment décisif,
consiste à concilier,autant que possible,l'accomplissementdes obligations
que l'Empereur et l'Empire se sont imposées , d'une part , avee
lemaintiende la constitution germanique, et de l'autre, avec les égards
que S. M. a eus pour les propositions des deux hautes puissances médiatrices,
ainsi que pour les voeux etle contentement des états del'Empire.
>> C'est ce même but qui a dirigé les démarches et les efforts de S.
M. l'empereur , lors de la convocation de la députationde l'Empire,
et danstous les actes etnégociations de celle-ci. Conformément àce
FLORÉAL AN XI. 379
Lut, elle a,durant le cours de ces négociations, appuyé leplan d'in
demnité proposé par les puissances médiatrices et adopté à la major
ritédes voix par la députation, autant que le permettait la teneur
précisedes articles du traité de paix , et lesbornes des pleins-pouvoirs
de la députation qui avaient pour objet l'exécution de ces articles etle
maintiende la constitutiondans tous les points qui s'accordent avea
eux.
>> La convention conclue à Paris , le 26 décembre de l'année der
nière ,prouve avec quelle modération et quels égards pour les puis
sances médiatrices et les états de l'empire interresses, S M. impériale
s'est efforcéede faciliter l'applanissement des difficultés qui s'étaient
élevées, lorsque ces difficultés venaient des intérêts légitimesdesamaison
. Dans cette convention, elle a étendu volontairement les obligationsdu
traitéde Lunéville , et elle a restreint , antant qu'il était possible,
l'indemnité complette qui appartenait à un des princes de sa
maison. S. M. impériale a montré les mêmes dispositions et facilités
relativement aux autres propositions qui ont été ajoutées ultérieure
Iment au plan d'indemnités, qui n'émanaient pas de la base d'indemnisation
adoptée, ou qui ne s'accordaient pas avec la constitution intérieuredu
corps germanique.
Par les mêmes considérations et égards , S. M. I. s'est aussi déterminée
à donner son adhésion , dans la convention susmentionnée , au
conclusum de la députation du 23 novembre de l'année dernière , en
se réservant toutefois formellement tous les droits conciliables avec le
plan d'indemnités qui lui appartiennent tant comme chef suprême de
l'Empire, que comme souverain de ses états héréditaires . N'ayant eu,
dans cettedernière qualité, aucune part aux indemnités pour les pertes
qu'elle a essayées par la guerre , elle ne peut être assujettie aux restric
tions liées à ceplan, qu'autant que le nécessite l'exécution de la base
générale d'indemnité.
>> Coume enfin , après la conclusiondela convention du 26décembre,
ila encore été fait diversesadditions et changemens auconclusum principal
du 23 novembre , et qu'ensuite la députation a pris un nouveau
conclusum , sous la date du 25 février , dont la diète , par sa décision,
demande l'approbation sous certaines réserves formellement exprimées ;
S. M. I. , après avoir pesé mûrement toutes les circonstances énoncées ,
et guidée par le sentiment de ses devoirs les plus chers , a résolu de
donner sasanction, comme chef suprême , au conclusum de l'Empire
mentionné plus haut , aux conditions suivantes :
>›› La convention conelue à Paris le 26 décembre de l'année dernière ,
etportée à la connaissance de la députation , sera maintenue dans toute
savalidité et force obligatoire , d'après la teneur littérale de ses articles,
et particulièrement en ce qui regarde les réserves contenues dans l'artiele4.
>>> Les droits de S. M. comme empereur et chef suprême de l'Empire,
auxquels ces réserves se rapportent , seront maintenus intacts ,
tant lors de l'exécution de la présente décision de l'Empire , que dans
tous les cas futurs .
» La confirmation des lois fondamantales de l'Empire , mentionnée
dans le conclusum de la diète du 24 mars, et particulièrement du traité
de paix de Westphalie et des traités subsequens, en tant qu'il n'ont
point été formellement changés par le traité de Lunéville et la présente
décision de la diète , ainsi que la réserve proposée dans cette:
décisionpour lemaintiendelaconstitutio,n germanique,dans tous les
380 MERCURE DE FRANCE ,
points où il n'a point été apporté un changement formel , et telle que
cetteconstitution existe jusqu'à présent pour les électeurs, princes et
etats de l'Empire,ycompris aussi l'ordre Teutonique et l'ordre Equestre
: toutes ces confirmations et réserves seront maintenues et mises à
exécution.
>> La difficulté que S. M. I. a montrée à l'occasion de la demande de
votes virils dans le collége des princes , faite par les premières propо-
sitions de la députation, n'ayant été levée en aucune manière par les
propositions ultérieures , S. M. se voit obligée , par les devoirs qu'elle
ajuréde remplir pour le maintien de la constitution germanique et la
protection de la religion catholique , de suspendre instantanément sa
ratification surcet objet , et de se réserver de demander , par un décret
de commissionqui sera rendu sans délai , qu'il soit pris un conclusum
ultérieur de l'Empire à ce sujet, afin que,par des propositions convenables
, il soit pourvu à ce que (la partie protestante ayant déjà obtenu
une majorité si décisive dans le collége des électeurs et dans celui des
villes) les anciens rapports entre les deux religions ne soient pas aussi
changés dans le college des princes , au point qu'il en résulte une disproportion
qui dérange entièrement la parité des votes.
>> Relativement enfin aux points du dernier conclusum de la députation
, qui doivent être soumis à un exanien et des délibérations ultérieures
, tels que ceux dont il est fait mention à la fin des paragraphes 2
et 39, S. M. et l'empire se réservent d'intervenir ainsi qu'il conviendra
à ce sujet.
2
» S. M. impériale en donnant , sous ces réservés et condictions , sa
sanction forinelle, comme chef suprême de l'Empire , au conciusum
'de la diète du 22 mars , saisit cette occasion pour adresser ses remercimens
et ceux de l'Empire aux hautes puissances médiatrices , pour
leur sollicitude et les soins qu'elles ont montrés dans cette affaire importante
; elle a aussi l'espérance certaine que ces puissances reconnaitront
les preuves que l'empereur et l'Empire ont données de leurs
égards pour leurs voeux et leurs propositions amicales , et que l'oeuvre
de la paix , ainsi terminé , sera assuré et affermi de la manière la plus
durable. »
Cette ratification impériale a été remise au ministre directorial , qui
l'a transmise aussi-tôt à la diète .
TRIBUNAT.
A
Séance du 16 floréal. A l'ouverture de la séance Boissyd'Anglas
est monté à la tribune. Les discussions des projets
de loi , dit- il , ayant changé de forme dans le lieu du
tribunat , il serait convenable de consigner en entier dans
Je procès-verbal les rapports et discours prononcés à la
tribune , au lieu d'une analyse toujours plus ou moins
'mal faite et nécessairement insignifiante. Le tribunat a
passé à l'ordre du jour sur cette proposition .
Duvidal et Jubé font chacun un rapport ; le premier ,
sur un projet de loi relatif à des ventes , acquisitions ,
concessions , impositions extraordinaires ; le second , sur
FLOREAL AN XI. 381
un projet de loi concernant un droit de péage pour
l'amélioration de la navigation du Tarn. Le tribunat ordonne
l'impression des rapports et adopte au scrutin ces
deux projets de loi : il s'ajourne au ig.
Séance du 19. A deux heures la séance est ouverte ; on
fait lecture du procès-verbal de la dernière séance , de la
correspondance , et de quelques messages du corps législatif,
et le tribunat s'ajourne au 26.
CORPS LÉGISLATIF.
Séance du 17 floréal. Le cit. Lagrange est élu président;
les nouveaux secrétaires sont Despallières , Saligny ,
Juhem et Bollioud.
On discute un projet de loi en deux cents articles d'un
intérêt local : Duvidal au nom du tribunat , exprime le
voeu d'adoption de cette autorité et en développe les
motifs . Ce projet , dit- il , a paru au tribunat , dirigé par
la bienfaisance , la protection au commerce , et l'avantage
public et local. Le corps législatif le sanctionne à la
majorité de 211 voix contre 6.
Séance du 19. Cette séance n'avait pour objet que la
discussion du projet de los relatif à la concession, d'un
droit de péage pour la navigation du Tarn. Le corps
législatif , après avoir entendu Auguste Jubé , orateur du
tribunat , sanctionne ce projet à l'unanimité de 205 suffrages.
Le corps législatif s'ajourne au 26.
PARIS.
Le gouvernement de la république a pris , le 3 floréal ,
l'arrêté suivant :
Art. I. Les successions directes auxquelles la république
étoit appelée par représentation d'émigrés , qui s'ouvriront
à compter du 1 messidor prochain , seront recueillies
par les parens républicoles.
er
II. Les successions collatérales auxquelles elle étoit arpelée
par représentation d'énigrés , échues postérieurement,
àla loi du 8 messidor an 7 , seront également recueillies par
les parens républicoles .
III . Toutes créances de la république contre un rayé ,
éliminé ou amnistié , antérieures à son amnistie , di
;
382 MERCURE DE FRANCE ,
meurent éteintes , s'il est justifié que le trésor publicait
reçu , soit par le versement du prix de ses biens vendus , soit
par la valeur des bois ou autres propriétés affectées àun
service public , soit par l'effet de la confusion des créances
et droits qui lui appartenoient , une soume égale au mortant
des dites créances. Il y aura lieu seulenient à compen
sation jusqu'à concurrence de cсе dont aura profité la répu
blique , si ces créances s'élèvent àune somme plus forte.
IV. Les biens échus à la république , sont par l'effet de
la représentation dans les successions directes et colatérales,
pendent la mort civile des énigrés , sott parl'effetde partages
de présuccession , et non vendus , réservés ou affectés
à un service public , sont spécialement affectés aux
créanciers de l'émigré , après le paiement des créanciers de
la succession .
V. Le directeur-général de l'administration des domai
nes fera dresser, en conséquence , unétat , lequel contiendra
tout cequi reste pour chaque émigré en inimeubles , en mobilier
ou en contrats , droitsetactions, et leur évaluation
d'après le prix des baux et autres renseignemens, et il en enverra
expédition au directeur général de la liquidation.
VI. Le directeur général de la liquidation fera dresser
un état contenant le nom de l'émigré , les noms des créanciers,
la date du dépôt de leurs titres et le montantdes
sommes réclamées , à quelque titre que ce soit, par chacun
d'eux.
VII. Le conseil de la liquidation générale prononcera,
conformément aux loix , sur les demandes en liquidation ,
et formera le tableau de toutes les créances existantes au mo
ment de la main-mise nationale surles biens, et reconnues et
admises en bquidation,
VIII . Les ventes seront faites comme celles des antres
domaines nationaux , et il sera tenu un compte partieulier
du prix des ventes des biens compris dans l'art. IV ,
lequel sera distribué au centime le franc entre les créanciers.
IX. Les créanciers pourront , après la vente des biens
qui leur sont affectés , demander des certificats de colloca
tion admissibles en paiement desdits biens , et employer ech
certificats à leur acquit , s'ils sont acquéreurs , ou les céder
et transporter aux acquéreurs .
X. Les créanciers seront liquidés et payés , conformé
ment aux loix , pour la partie de leurs créances qui n'auroits
pu être acquittée du produit des ventes.
XI. Tout créancier d'émigré rayé , éliminé ou amnistié
FLORÉAL AN XI. 383
qui voudra exercer ses droits contre son débiteur , pourra
réclamer s-s titres , s'il les avoit déposés : ils lui seront rendus
, à moins qu'il n'ait donné quittance et reçu son titrede
liquidation définitive.
XII. Les créanciers des émigrés rayés , éliminés ou amnistiés
, qui prétendront que leurs débiteurs n'ont reçu
aucune restitution de biens , ou n'en possèdent pas de suffisans
pour les payer , pourront demander que leur liquidation
soit faite conformément aux lois sur la dette publique.
XIII. Il sera procédé à la liquidation jusqu'à concurrence
de la valeur des sommes dont il serajustifié que la république
aura profité , par la vente ou autre disposition des
biens de leurs débiteurs. :
XIV. Dans le cas où le trésor public se trouveroit avoir
liquidé des dettes d'un rayé , éliminé ou amnistié , pour
une somme supérieure , tant celle versée aux caisses publiques
, pour le prix de la vente de ses biens , qu'à la
valeur, soit de bois réunis aux forêts nationales , soit d'autres
propriétés affectées au service public , soit des créances et
droits éteints par confusion ,le trésor public aura recours ,
pour l'excédant , sur lesbiens de toute nature dont l'émigré
sera entré en possession par suite de sa radiation , éliminalion
, ou amnistie; à l'effet de quoi il sera pris un arrêté
par leconseil général de liquidation qui établira son débet.
Le préfet de Maine-et-Loire a reçu du ministre de l'intérieur
une lettre ainsi conçue :
« L'article XLV , titre III de la loi du 18 germinal
an 10, a réglé , citoyen préfet , qu'aucune cérémonie religieuse
n'aurait lieu hors des édifices consacrés au culte
catholique , dans les villes où ily a des temples destinés à
différens cultes. Cette disposition ne s'applique qu'aux
communes où ily a une église protestante consistoriale ,
reconnue par le conseiller d'état chargé des affaires concernant
les cultes .
>> L'intention du gouvernemet est , en conséquence',
que les cérémonies religieuses puissent se faire publi
quement dans toutes les autres. Veuillez bien prendre les
mesures pour que l'on s'y conforme. J'observe, àcette oc.
casion , que les préfets ne doivent point refuser l'encens
qui leur seroit offert dans les églises , ni les autres honneurs
qu'ony rendroit aux fonctions qu'ils exercent.
Signé, CHAPTAL .
384 MERCURE DE FRANCE.
En vertu d'un autre arrêté du gouvernement , il sera
désormais libre au public d'affranchir ou de ne point affranchir
jusqu'à destination les lettres et paquets pour les
villes et lieux de la République italienne . L'affranchissement
continuera néanmoins d'être obligatoire jusqu'à
destination , pour les journaux , les prospectus , et
en général pour toute espèce d'imprimés adressés dans la
République italienne. L'affranchissement des lettres et paquets
, celui des journaux et des imprimés destinés pour
le Tyrol , la Carniole et les pays ex-vénitiens , restera pareillement
obligatoire jusqu'à l'extrême frontière de la
République italienne. L'affranchissement obligatoire des
'journaux jusqu'à destination dans la République italienne
etjusqu'a Véronne pour le Tyrol , la Carniole et les pays
ex-vénitiens , sera perçu d'avance à raison de huit centimes;
celui des livres brochés , catalogues , prospectus et
autres imprimés , à raison de dix centimes , le tout par
feuille d'impression , et proportionnellement pour chaque
*demi-feuille et quart de feuille.
C'estmardi, àdeux heures après-midi , que l'ambassadeur
d'Angleterre a communiqué au ministre des relations
extérieures , la réponse aux dernières propositions de notre
gouvernement , qui lui avait été apportée , la veille , par
un courrier de sa cour. L'ambassadeur avait ordre, assuret-
on , de partir trente-six heures après la remise officielle
*de cette pièce, au cas que les articles qu'elle contient ne
fussent pas accordés. On dit que le PREMIER CONSUL , en la
*recevant des mains du minisisttrreedesrelations extérieures ,
*témoigné qu'il y trouvait des demandes contradictoires ,
ajoutant qu'il n'improvisait pas une réponse à une pièce
de ce genre , et qu'il prendrait le temps qu'il lui faudrait
pour la donner. Jeudi , à dix heures un quart du soir ,
I'ambassadeur a quitté Paris .
a
D'après les papiers anglais que nous venons de recevoir,
l'ultimatum qu'a présenté lord Withworth au gouvernement
français , aurait pour principaux points les conditions
suivantes : 1. Les troupes françaises évacueront
la Hollande ; 2°. la Suisse redeviendra un gouvernement
libre ; 3°. Malte restera , pendant un certain nombre
d'années , sous la domination britannique , jusqu'a
ce qu'on soit convenu de quelque nouvel arrangement
qui assure son entière indépendance.
POP.FEA
( No. XCIX. ) rer. PRAIRIAMan 11 .
( Samedi 21 Mai 1803.
MERCURE
DE FRANCE.
LITTERATURE.
POÉSIE.
L'ÉGYPTÉÏDE , poëme.
/
Fragment du chant premier.
Je chante ce guerrier qui , vainqueur d'Italie ,
Asubjugué les champs d'Egypte et de Syrie ,
Qui , grand dans les combats , sage dans le repos ,
Mêle au laurier des arts le laurier des héros .
Achille est immortel dans les pages d'Homère ,
Le plus grand des Henris est plus grand dans Voltaire;
Ce Grec , qui vit le Gangé obéir à ses lois ,
Qui vainquit l'Orient , qui régna sur des rois ,
Craignait que l'avenir ignorât tant de gloire
Que ne célébraient point les filles de mémoire.
Bonaparte vainqueur est le dieu de mes chants ;
Les cordes de ma lyre enchaîneront le temps.
Toi qui le dirigeais dans sa noble carrière ,
Viens , Amour de la gloire , ouvre-moi labarrière;
13
Bb
386 MERCURE DE FRANCE ;
:
Et vous qui l'admirez , compagnes d'Apollon ,
Qui chantez ses exploits dans le sacré vallon ,
Répétez-moi ces vers ; que ces cordes fidelles
Disent , aux temps futurs , vos chansons immortelles.
Le drapeau tricolor flottait sur les remparts
,
Où naguères planaient les aigles des Césars ;
L'Empire était vaincu , l'Eridan était libre
La France menaçait la Tamise et le Tibre ,
Son bras , toujours armé , s'agitait dans les airs ,
Pareil à l'aigle altier du Dieu de l'univers ,
Qui , promenant la foudre après des jours d'orages ,
Fait retentir encor les échos des rivages .
Enfin , la douce Paix , digne fille des cieux ,
Sur ce triste univers daigna jeter les yeux :
Et de même qu'on voit , habitans des ténèbres ,
Les tigres s'enfoncer dans leurs roches funèbres ,
Lorsque le dieu du jour sur un char éclatant
Fend les plaines de l'air ; soudain , au même instant ,
La Mort fut désarmée , et la Haine cruelle
Fuit aux premiers regards de l'auguste immortelle.
Guerriers , brisez le fer , et quittez en ce jour
Les bannières de Mars pour les drapeaux d'amour.
Le myrthe vous promet une douce victoire ,
Les époux de Vénus sont les fils de la gloire.
Mais non , pour les soldats il n'est point de repos ,
Le tumulte des camps plaît au coeur des héros.
Auprès de Mincius , un bosquet solitaire
Ombrage un frais gazon de son ombre légère ;
Le fleuve , en serpentant , y baigne mille fleurs ,
Les airs sont embaumés de leurs douces odeurs .
Là croît le lys d'albâtre et la rose si belle !
Le laurier , des frimats , y défend l'immortelle.
Là, Virgile rêvait au vainqueur des Latins ,
Qui , battu par les vents , et joué des destins ,
PRAIRIAL AN XI. 387
Pour les champs de Turnus abandonna Carthage ;
Et conduit par son luth surgit à cette plage.
Dans cet aimable lieu , le plus grand des guerriers ,
Bonaparte rêvait à l'ombre des lauriers ,
Quand le dieu qui , la nuit , semble enchaîner la vie ,
Entoura de pavots sa téte appésantie ,
Et des songes heureux le brillant appareil
De ses douces erreurs enivra son sommeil.
Le poète , endormi sur un lit de verdure ,
Entend d'un clair ruisseau l'agréable murmure ,
Le chant du rossignol , le souffle des zéphirs ,
Ou la voix des bergers qui chantent leurs plaisirs .
L'amant rêve l'amour , et l'artiste la gloire ,
Le héros des Français doit rêver la victoire.
Il crut voir un guerrier dans les plaines de l'air ,
Précédé par la foudre , annoncé par l'éclair.
Ainsi , quand des Hébreux la troupe fugitive
Du Nil persécuteur abandonna la rive ,
Sur le mont Sinaï tout-à-coup l'Eternel
Parut aux yeux tremblans des enfans d'Israël .
« Français , dit le guerrier ; vainqueur de l'Italie ,
>> Le destin te promet une éternelle vie ;
::
>> Mille autres ont moins fait et sont surnommés grands ;
>> Mais tu touches à peine à l'été de tes ans ,
>> Que pour toi l'avenir aux jours passés réponde ,
>> Tu te dois au bonheur , à la gloire du monde.
>> L'Europe humiliée a demandé la paix ;
>> Mais dans d'autres climats , à de nouveaux succès
>> Le ciel veut te conduire , et l'amitié t'appelle :
» Qui , mon coeur t'a choisi pour venger ma querelle .
>> Je vécus comme toi , comme toi je vainquis ,
>> Et je fus comme toi l'honneur de mon pays .
>> Roi , pacificateur , ennemi magnanime ,
>> Je conquis des vaincus et l'amour et l'estime ;
Bb2
388 MERCURE DE FRANCE ,
» Je protégeai les arts , j'en hâtai les progrès ,
>> Et fis , par mes vertus , pardonner mes succès .
>> Mais je n'étais qu'un homme ! et la parque inflexible
>> Tient les fils de vos jours dans sa main insensible ,
>> Et j'eus quelque regret de quitter sans retour
>> Cette terre où le ciel m'avait donné le jour.
>> Je regrettai sur-tout cette cíté chérie
>> Que sur les bords du Nil ma main avait bâtie ;
>> Elle porte mon nom , mais un peuple sans arts
>> A laissé par le temps détruire ses remparts.
>> D'un plus beau jour , pour eux , je vois briller l'aurore ,
>> Je veux qu'on les relève , et que le Nil encore ,
>> Vaincu par un héros , lui doive sa splendeur.
>> Les destins ont parlé , tu seras ce vainqueur.
>> Pars ; toi seul , jusqu'ici , fus digne d'entreprendre
>>De rétablir des murs que bâtit Alexandre . >>>
Ainsi , dit le guerrier.......... • etc.
RICARD-SAINT-HILLAIRE , fils .
ROMANCE.
AIR : Te bien aimer 6 ma tendre Zélie ! etc.
,
Tor qui fesais le charme de ma vie ,
Dont la présence électrisait mon coeur !
Ah ! loin de toi , douce et tendre Amélie !
Mes jours seront comptés par ma douleur.
Quand le soleil ouvrira sa carrière ,
Je n'oserai descendre dans mon coeur ;
Le soir ,hélas ! sa mourante lumière
Me trouvera plongé dans ma douleur !
Si dans la nuit tu m'apparais en songe ,
Le doux plaisir agitera mon coeur ;
PRAIRIAL AΝ ΧΙ. 389
Quand le réveil finira ce mensonge ,
Je sentirai redoubler ma douleur !
Daignez , 6 dieux ! protéger Amélie !
Vous le devez aux vertus de son coeur :
Accordez-lui les jours dignes d'envie ,
Et je pourrai supporter ma douleur.
f
PAR J. A. NICOD.
VERS
Lus au Premier Consul , le jour de sa visite au Prytanée
de Paris .
Au milieu des forêts , tu vois ce faible lierre :
Sa tête en se courbant rase humblement la terre ;
Il dessèche , il languit : sans force et sans soutien ,
Il voudrait s'élever ; mais , hélas ! c'est en vain :
Sans honneur , au milieu d'une foule inconnue ,
Sur un sol trop ingrat sa tige est retenue .
Cependant , & bonheur ! s'il s'offre dans ces lieux ,
Quelque chêne touffu , dont les bras vigoureux
Protègent la forêt d'une ombre impénétrable ;
Si , ne dédaignant pas son voisin misérable ,
Ce souverain des bois compatit à ces maux ,
Et pour le secourir penche un de ses rameaux ,
Alors il ose enfin s'élever de la terre ;
Il ose s'appuyer sur l'arbre tutélaire ,
Qui , daignant accueillir ce jeune audacieux ,
Soutient son faible poids sur ses bras généreux ;
Et , quoique de son front il surpasse la nue ,
Sur ce débile objet il répose sa vue ;
Bb3
390 MERCURE DE FRANCE ;
Il aime à voir briller ses branchages nouveaux ,
A se dire : « C'est moi qui soutiens ses rameaux ! »
, Reconnais , o Consul , dans ce fragile lierre
Un enfant orphelin , et qui retrouve un père.
Pour toi , qui le soutiens par de si grands bienfaits ,
Ton emblême est ce chêne , ornement des forêts .
DARAS.
IMPROMPTU.
Sur la visite impromptu du Premier Consul au Prytanée
de Paris , le 24 floréal, an XI.
Vos , ôvos , memori alma fovet quos Patria curâ ,
Spem nunc , moxque decus , præsidiumve suum ,
Aspectate virum , quo nos præsente beamur !
Hic patriæ vindex , lumen et una salus ,
Indicat ad quantos assurgere possit honores
Qui virtute , armis , ingenioque valet.
L. D. L.
Traduction littérale.
Ovous , que la Patrie élève en ce séjour ,
Pour l'aimer , la défendre , ou l'honorer un jour ,
Contemplez ce héros ! Par sa seule présence ,
Le vengeur , le soutien , et l'espoir de la France ,
Vous dit à quels honneurs , par de nobles élans ,
S'élèvent la vertu , la valeur , les talens .
Par le même .
PRAIRIAL AN XI 391
ENIGME.
SUR de lugubres murs , dans l'horreur des ténèbres ,
Je roule tristement mes cris lents et funèbres.
Au sénat d'Albion on me voit tous les jours ;
Je vis dans le grand monde , et brille dans les cours.
Je suis toujours sur terre ; en planant dans les nues ,
Je poursuis vivement les habitans des airs .
Sur un rapide char je fais trembler les rues ,
Et je ne vais jamais que dans les lieux déserts .
Quoique laid et méchant , je plais assez aux belles :
Je porte plume et poil ; j'ai des bras et des ailes ;
J'habite des palais et dans de vieilles tours ;
Assassin et brigand , ne vivant que de crimes ,
Sans les faire rôtir , je mange mes victimes ;
Et , pour tout dire enfin , dînant bien tous les jours ,
J'ai de bons cuisiniers , dont l'utile secours
Par-tout me fait chérir de cent amis intimes.
G. DE P.
LOGOGRYPΗΕ.
Méprisée à la ville et chérie au village ,
Je n'inspire que le plaisir.
De l'amant discret ou volage ,
Je favorise le désir ;
Grâce à moi la jeune bergère ,
Sous les yeux même de sa mère ,
Ose voir son amant et lui donner la main ,
Et c'est moi qui la guide au temple de l'hymen.
Si tu ne m'as point devinée ,
Cherche dans mes neuf pieds , lecteur , tu trouveras
L'épouse du pieux Enée ;
Ce qui cause tant d'embarras
Bb4.
392 MERCURE DE FRANCE,
Aux rimeurs , aux gens sans oreille ;
Un sel avec art préparé ,
Mais avec raison préféré
Au fruit du labeur de l'abeille ;
Un titre en tout lieu vénéré ;
Un instrument qui n'est bon qu'à la chasse ,
Si l'art n'en adoucit les sons ;
La déïté qui préside aux moissons ;
Une habitante du Parnasse .
En moi que ne trouve-t-on pas ?
On y voit cette fleur chérie ,
Si belle , mais sitôt flétrie ,
Dont Iris orne ses appas ;
Une cité jadis souveraine du monde ;
Un arbre utile , un habitant de l'onde ;
Une ville de France , un fleuve poissonneux ,
L'île où naquit l'homme fameux
Que l'univers admire et que la France adore ;
Ony trouve ...... eh ! bon dieu ! l'on est las d'y trouver,
Finissons : aussi bien , si l'on veut y rêver ,
On y pourra trouver encore.
CHARADE.
L'un de l'autre est le frère ,
Et le tout est le père.
Mots de l'Enigme , du Logogriphe et de la
Charade insérés dans le dernier Numéro.
Le mot de l'Enigme est Péche.
Celui du Logogryphe est Ilion , où l'on trouve lion.
Le mot de la Charade est Haut-Bois
3
1
PRAIRIAL ANXI. 393
Les Femmes , leur Condition et leur Influence
dans l'ordre social chez différenspeuples anciens
et modernes. Par J. Al. de Ségur. Trois vol.
in - 12. fig. Prix, 12 fr. et 15fr.francs de port.
A Paris , chez Treuttell et Wurtz , libraires ,
quai de Voltaire , et chez le Normant , imprimeur-
libraire , rue des Prêtres Saint- Germainl'Auxerrois
, nº. 42 , vis-à-vis le petit portail.
IL est des sujets qui ne sauraient jamais être
épuisés ; il y a long - temps qu'on écrit sur les
femmes , et il reste toujours quelque chose à
dire. La variété de leur destinée , chez les différens
peuples , le contraste de leurs vertus avec les
nôtres , fa prodigieuse mobilité de leurs formes
morales, offrentsans cesse quelque chose de curieux
à l'observateur ; ce sexe aimable ne saurait être
comparé qu'à la nature dont il est le plus bel ouvrage
, à la nature toujours la même , et toujours
variée , qui change sans cesse ses formes , en les
conservant toujours.
J'ai peut- être déjà donné une idée , non pas de
l'esprit de M. de Ségur , mais de l'esprit de son
ouvrage. Son Histoire des Femmes n'est au fond
que leur panégyrique ; il serait difficile d'espérer
autre chose. Une Histoire doit être écrite avec
impartialité ; mais qui peut parler des femmes
avec la froideur de l'historien ? Pour écrire l'Histoire
des Femmes , il faudrait être sans intérèt dans
leur cause , et M. de Ségur n'a point le malheur
d'être désintéressé.
M. de Ségur traite d'abord de la condition et
du caractère des femmes chez les peuples anciens ,
tels que les Hébreux , les Egyptiens , les Grecs
les Romains et même chez les Sauvages. Passant
394 MERCURE DE FRANCE ,
ensuite au sort et à la vie des femmes chez les Chrétiens
et chez les Mahométans , il en vient naturellement
au siècle de la chevalerie , où les femmes
ont exercé un ascendant qu'elles ont bientôt
perdu , parce que la nature leur a donné tout
ce qu'il faut pour acquérir l'empire , et que par
une juste compensation , elle leur a refusé beaucoup
de qualités qui sont propres à le conserver.
L'auteur resserrant ensuite ses observations dans un
cadre plus étroit , parle en particulier des femmes
dans les différens âges de la monarchie française ,
et il s'attache à caractériser celles qui ont eu le
plus d'influence sur les destinées de la nation depuis
le règne de François premier jusqu'au règne
de Louis XVI. Il termine son ouvrage par un
coup-d'oeil général sur la condition des femmes
chez les peuples de l'Europe moderne. Ce précis ,
comme les tableaux qui le précèdent , est semé
de beaucoup d'observations neuves , et l'auteur a
presque toujours l'art de rajeunir celles qui ne le
sont pas : il parait avoir bien saisi le caractère et
l'esprit des femmes , et celles-ci pourraient lui re -
procher de nous avoir révélé leurs secrets , si ces
secrets n'étaient pas le sujet de ses éloges.
Ala lecture des premiers chapitres , le lecteur est
frappé d'une idée qui est presque affligeante ; c'est
que le sort des femmes était beaucoup moins heureux
chez les peuples anciens qu'il ne l'est chez les
peuples modernes. Chez les peuples pasteurs dont
on célèbre les vertus simples et modestes , les
femmes étaient presque réduites à la condition
d'esclaves ; elles n'étaient pas beaucoup plus heureuses
chez les Egyptiens , la plus sage des nations ,
et chez les Grecs , le plus poli des peuples de l'antiquité
: chez les anciens , et sur-tout chez les peuples
pasteurs , le commerce des deux sexes n'était point
environné de ces heureuses illusions qui lui prêtent
PRAIRIAL AN XI. 395
un nouveau charme , et qui balancent les avantages
et les désavantages de l'un et de l'autre. On
voit par l'ouvrage de M. de Ségur , que les femmes
les plus malheureuses sont celles des Sauvages ; on
en trouvera facilement la cause ; parmi les Sauvages
, la force seule doit assigner les rangs , et la
faiblesse est un tort qu'il faut expier par une condition
humiliante. D'utiles préjugés ne viennent
point au secours des femmes ; aucune illusion ne
créée pour elles cet empire moral , qui , chez les
peuples policés , met souvent le plus foible à l'abri
des tentatives du plus fort ; elles sont comme
ces captifs éternellement destinés à servir les vainqueurs.
Les femmes ne gagnent donc rien à être
trop près de la nature , mais elle ne gagnent pas
davantage à s'en trop éloigner , car c'est ici que
les deux extrêmes se touchent ; la civilisation est
un cercle qu'il ne faut pas parcourir tout entier ,
si on ne veut pas courir le risque de revenir au
point du départ. L'empire des femmes est établi
sur des préjugés , les Sauvages n'en ont point
encore; les peuples corrompus par l'excès de la
civilisation , n'en ont déjà plus , ce qui revient
au même : que les femmes y prennent garde
qu'elles veillent au dépôt sacré des moeurs ; les
moeurs seules leur offrent une barrière contre les
invasions de la force, qui finit toujours par être la
seule chose réelle , quand toutes les illusions se sont
évanouies ; je ne saissi je ne me trompe, et je désire
beaucoup n'exprimer ici qu'une erreur , mais il
me semble , que, sous beaucoup de rapports , nous
sommes plus près des Sauvages qu'on ne pense.
,
M. de Ségur conseille sur - tout aux femmes de
rester fidelles aux vertus de leur sexe. « La main ,
>> dit cet écrivain , qui a ordonné ce vaste uni-
>> vers , assigna à chacun un but qu'il doit rem-
>> plir ; s'il s'en écarte , il nuit à l'ordre général ;
396 MERCURE DE FRANCE,
>>> il en est puni , par cela même qu'il manque
» aux loix éternelles , d'où naissent l'ensemble
» et l'harmonie que la nature ne laisse point
>> violer impunément. >>>M. de Ségur observe que
le voeu de la nature , en créant les femmes , a
été de les consacrer principalement à l'emploi de
mères. Toutes leurs qualités semblent annoncer
cette sainte destination , et peu de leurs imperfections
empêchent qu'elle ne s'accomplisse. Après
l'amour maternel, la passion qui est la plus rap
prochée de la manière de sentir chez les femmes ,
c'est l'amour. Ce sentiment va fort bien avec l'irréflexion
qui caractérise un sexe qui se détermine
plus par le coeur que par la raison , et avec ce généreux
abandon de soi-même , dont les femmes
seules paraissent être capables. M. de Ségur refuse
cependant aux femmes la prééminence en amitié ;
il ne fait de ce sentiment , plus durable que l'amour
, que le second intérêt de leur vie ; l'auteur
pressent lui - même ici le malheur qu'il aura de
déplaire à un sexe qu'il révère ; il demande grâce ;
la vérité est son excuse : mais a-t-on jamais pardonné
quelque chose en faveur de la vérité ?
Aureste , il accorde aux femmes tous les talens et
toutes les qualités qui ne tiennent point a la réflexion
dont elles paraissent manquer essentiellement
; il ne leur refuse point le talent d'écrire , ni
même la gloire d'avoir surpassé notre sexe dans
plusieurs genres de littérature ; il les croit beaucoup
plus capables que nous du sentiment de la
bienfaisance , de celui de la pitié , etc. Il semble
que leur mission sur la terre , soit d'appaiser , de
secourir , de consoler : entraînées vers les malheureux
, dit leur panégyriste , quand nous ne sommes
qu'émus par leurs cris , elles les ont déjà soulagés ,
que nous hésitons encore à voler à leur secours.
Nous ne suivrons point M. de Ségur dans ce
PRAIRIAL AN XI . 397
qu'il dit des moeurs des femmes dans les différens
âges de la monarchie , depuis François I jusqu'à
Louis XVI ; les lecteurs y verront que les femmes
ont quelquefois abusé de leur ascendant , qu'elles
ont quelquefois troublé l'état par leurs intrigues ;
mais que les règnes où elles ont eu le plus d'empire ,
sont souvent ceux qui ont jeté le plus d'éclat. Elles
furent déifiées par la chevalerie , sous François I;
elles furent adorées sous Henri IV , honorées sous
Louis XIV . Mais bientôt les moeurs se corrompirent.
« Les nouveaux philosophes , dit M. de Ségur ,
>> et les libertins , les courtisans et les novateurs ,
» marchèrent au même but , conjurèrent ensem-
>>> ble sans s'en douter. On déprécia la puissance
>> et l'on détrôna l'amour. » La politesse, qui
supplée quelquefois à la décence et au défaut
demoeurs , qui peut tenir lieu jusqu'à un certain
point des sentimens qu'elle exprime , défendit
encore l'empire des femmes sous le règne de
Louis XV ; mais tout acheva de dégénérer sous
Louis XVI. Les sensations prirent la place des
sentimens ; les passions les plus douces furent soumises
aux calculs; la galanterie perdit ses formes
brillantes ; l'amour ne fut plus qu'un grossier libertinage.
Si on conservait encore quelque respect
pour un sexe aimable , ce n'était plus qu'un respect
de tradition , où le coeur n'était pour rien.
L'empire des femmes tomba, pour ainsi dire , avec
celui des monarques ; elles ne furent dès- lors pour
les Français que comme ces dieux de la fable , dont
le nom ne rappelle plus que des souvenirs , et que
les poètes célèbrent encore dans leurs vers , lorsque
personne ne croit plus à leur divinité.
Mais si les femmes avaient perdu leur empire au
sein de la corruption qu'avait fait naître une longue
prospérité , elles ont montré qu'elles en étaient
encore dignes , par leur courage au milieu des
?
398 MERCURE DE FRANCE ,
crimes et des calamités de la révolution. Le courage
de la résignation semble être une qualité que
la nature a donnée particulièrement aux êtres faibles
, et les femmes , dans les derniers temps , ont
souvent porté la résignation jusqu'à l'héroïsme. La
pitié est plus active dans leur coeur; elles ont seules
osé verser des larmes , dans ces jours malheureux
où il était défendu de pleurer ; elles ont consolé
ceux qui avaient perdu jusqu'à l'espérance ,
qui seule nous console dans les grands revers. Elles
ont fait plus , elles se sont servi de ce qui leur restait
d'empire pour nous défendre , et la faiblesse
en larmes a souvent fléchi la puissance irritée.
M. de Ségur cite un grand nombre de traits généreux
, qui semblent plus appartenir à des héros
qu'à des femmes; plusieurs sont déjà connus; tous
sont propres à inspirer le plus grand intérêt , et
rappellent ces vers du chantre de la Pitié.
Et vous , charme d'un peuple élégant et volage ,
Qui , dès vos premiers ans entendîtes toujours
Le sonde la louange et le luth des amours ,
Sous le faste imposant de l'âpreté stoïque ,
Où donc aviez-vous pris cette force héroïque ?
Dans lafoule des traits héroïques cités parM. de
Ségur , nous nous contenterons de rappeler ici le
discours que Charlotte Corday adressa à son défenseur
, Chauveau- Lagarde , après avoir entendu
son arrêt de mort. <<< Monsieur , lui dit-elle , je
>> vous remercie du courage avec lequel vous m'avez
>> défendue, d'une manière digne de vous etdemoi.
>> Ces messieurs , (en parlantdes juges vers lesquels
>> alors elle se retourna ) ces messieurs me con-
>>fisquent mon bien.... mais je veux vous donner
>> un plus grand témoignage de ma reconnais-
>> sance ; je vous prie de payerpour moi ce queje
>> dois à la prison. » Ce discours est de la plus
noble éloquence , et il ne manque peut-être à la
PRAIRIAL AN XI. 399
dernière phrase qu'une antiquité de quatre ou
cinq cents ans , pour être regardée comme une des
choses les plus sublimes qui soient jamais sorties
de la bouche des hommes. Les femmes ont souvent
plaidé notre cause devant les tribunaux révolutionnaires
; et c'est par ces traits héroïques ,
qu'elles la plaideront encore devant la postérité.
Dans son dernier chapitre , le panégyriste des
femmes les suit dans les diverses contrées de l'Europe
civilisée ; il voit des nuances différentes dans
leur sort , dans leur condition , mais il reconnaît
partout leur caractère principal. Nous passerons
rapidement sur les détails , et nous arriverons à la
conclusion de l'ouvrage , dans laquelle l'auteur en
résumant ses opinions , regrette les avantages que
les femmes ont perdu parla corruption des moeurs ,
et les engage à chercher dans l'éducation les véritables
moyens de rétablir l'égalité des sexes. Nous
ferons sans doute plaisir à nos lecteurs de citer
quelques passages de cette conclusion.
<< Chez nos bons ayeux , dit M. de Ségur , un
>> homme à trente ans était plus soumis au vieux
>> chef de la famille , qu'un enfant de dix-huit
>> ans ne l'est actuellement à son père. Aussi , ces
>> principes sacrés , conservateurs de la morale ,
>> sont appelés préjugés ; les idées religieuses n'ont
>> pu s'altérer , sans les dénaturer et leur ôter toute
» leur force. Dans cette anarchie sociale , une
>> jeune personne a besoin , plus que jamais , d'a-
>> voir sa mère pour guide et pour amie. D'après
>> cette périlleuse liberté depenser , trop établie
>>depuis quelque temps pour s'en préserver , une
>> tète vive trouve presque d'avance une excuse
>> pour sa faute , même une espèce de principe nou-
>> veau pour l'autoriser à la commettre , et trop de
>> gens pour la défendre. Quand tout est con-
>>fondu, l'opinion perd son influence. Long-temps,
400 MERCURE DE FRANCE ,
>> elle fut la sauve-garde de la réputation. Avant
>> même que d'être jugé par elle , long-temps le
>> tribunal de famille , exerça dans l'intérieur un
>> pouvoir auguste que l'on redoutait. Toutes les
>> familles vivaient réunies , au lieu d'être disper-
>>sées , comme elles le sont à présent , par les mal-
>> heurs , les opinions et les fortunes. On tremblait
>> de rentrer sous le toit paternel , de reparaître
>> devant les siens , quand on avait des torts graves
>> à se reprocher ; on devait compte , à tous , du
> nom que l'on portait et que l'on entachait par
>> une bassesse ; tous étaient intéressés à vous ra-
>> menerà des principes d'honneur. Osait-on fran-
>> chir cette barrière ; on retrouvait cette opinion
>> générale qui jugeait en dernier ressort , et vous
>> punissait d'avoir méconnu vos devoirs. Un
>> Homme se cachant dans l'obscurité d'une vie
>>> honteuse , pouvait quelquefois échapper à l'op-
>> probre ; mais une Femme , par les préjugés
>> reçus , par diverses formes auxquelles elle était
>> soumise , ne pouvait éviter sa punition ; elle
» était perdue. Dans ce siècle , tant de gens ont
>>> dit : Qu'est-ce que cela fait ? Tout est à peu
>> près égal. Ilfautfaire ce qui convient. Les ju-
>> gemens justes et sévères , sont réduits à un si
> petit nombre , qu'il importe peu de les braver.
>> Je ne dis pas que les femmes , dans d'autres
>> temps, fussent plus attachées à l'honneur ; mais
>> en principes , en actions , il existait des bornes
>> que publiquement on ne franchissait pas , et le
>> scandale est le premier destructeur delamorale.
>> Il résulte donc de cet état de choses , que la
>>>condition des femmes, en ce moment, se réduit
>> à trois points , dépendans les uns des autres :
→ beaucoup plus de liberté , moins de considéra-
>> tion,moins d'influence.
Comme l'usage est une espèce de mode qui
s'établit
१
PRAIRIAL AN XI. 1
➤ s'établit dans les moeurs, avec autant de despo-
>> tisme , que celle des habits et des parures , de
>> long-temps nous ne verrons certains préjugées
> essentiels , sur-tout pour les femmes , reprendre
>> leur empire. Il faut donc que l'éducation supplée
>> d'avance , par la force des principes , à la faiblesse
des barrières que les passions ont à fran-
>> chir pour se satisfaire. Soyons sincères ; il n'y a
▸ véritablement plus aucuns freins , que ceux qu'on
> se donne à soi-même.
α
>>> L'éducation d'une jeune personne pouvait
>> autrefois se borner à des principes qu'elle rece-
>> vait de ses parens avec une religieuse soumis-
>> sion; à présent , je le répète , elle les discute et
>> ne se laisse pas persuader par l'expérience. L'é-
> ducation doit donc changer de nature. Il faut
>> que la mère , plus dévouée que jamais à sa fille ,
> gagne sa confiance , rivalise avec les conseils de
>> ses jeunes compagnes, lutte sans cesse contre les
>> principes à la mode , contre les brillantes illu-
>> sions de l'esprit , oublie qu'elle devrait comman
>> der , et sente qu'elle doit séduire. Il faut que ,
>> forcéede mener son élève trop tôt dans le monde,
>> elle tire un avantage de cet inconvénient , joigne
» l'exemple au précepte , et à l'aide d'une douce
>> patience , d'une suite difficile et rare , démontre
>> ce que jadis elle avait le droit d'ordonner, >>>
J'ai donné , je crois , une idée suffisante de
l'ouvrage de M. de Ségur, et je pourrais me dispenser
d'en faire l'éloge; le nouveau panégyriste
des femmes , n'a point trempé saplume dans l'iris,
selon l'expression un peu burlesque de Diderot. Il
n'apoint cherché, commeThomas , àse faire admirer
par des sentences ingénieuses ; mais se conformant à
lanaturede son sujet, il a cherché à plaire , et tout
nous fait croire qu'il a réussi. Un censeur sévère
lui reprochera peut-être des négligences dans le
12
Cc
402. MERCURE DE FRANCE ,
style , des répétitions fréquentes , un défaut d'ordre
dans le plan , mais il serait injuste d'employer tes
formes pédantesques de la critique , pour analyser
l'éloge d'un sexe aimable; et pour bien juger
un pareil ouvrage , je crois qu'il faut consulter son
coeur autant que son esprit , le sentiment autant
que la raison , et s'asseoir , si j'ose parler ainsi , au
tribunal des femmes. L'ouvrage de M. Ségur est
sur-tout remarquable parla variété qu'on ytrouve ;
les récits historiques , les observations morales , y
sont souvent interrompus par des nouvelles où les
moeurs des femmes sont représentées sous la forme
la plus attachante. Les noces de Jacob , dans le
premier volume , la conversation de Fouquet et de
Lauzun au château de Pigneroles , dans le second
volume , et Zunilda , dans le troisième , se font lire
avec un grand intérêt.
MICHAUD .
VOYAGE de M. Candide , fils , au pays d'Eldorado ,
vers la fin du dix-huitième siècle , pour servir de suite
aux Aventures de monsieur son père. Deux vol. in-8°.
Prix , 6 fr. et 8 fr. , par la poste. AParis , chez Barba ,
libraire , palais du Tribunat; et chez le Normant , imprimeur
- libraire , rue des Prêtres Saint - Germainl'Auxerrois
, n°. 42.
ON a dit depuis long-temps que la première qualité
d'un journaliste était l'impartialité , et sans elle en effet
le talent même ne sert qu'à induire plus sûrement en
erreur ; mis il en est de cette vérité comme de tant d'autres ,
que tout le monde reconnaît , que chacun prescrit à son
voisin et que personne ne pratique. Cependant il me paraît
facile de prouver, même aux plus incrédules , qu'il serait ,
PRAIRIAL AN XL 403
je ne dirai pas de lajustice , mais de l'intérêt de tous , ( car
c'est toujours cette corde qu'il faut toucher quand on
cherche à convaincre , ) de se montrer impartiaux même en
jugeant leurs ennemis. Parmi nous au contraire on loue,
en général , ou l'on critique un ouvrage , non d'après son
mérite réel , mais suivant qu'il est, ou n'est pas dans
les principes de l'homme qui écrit ; en sorte que chacun
est sûr d'avance, quand il voit l'éloge d'un livre dans
tel journal , qu'il sera nécessairement déchiré dans tel
autre : cette règle est même si certaine , que l'on pourrait ,
d'après elle , parier mille fois , sans craindre de se tromper
'une seule. Qu'il en fût ainsi aux temps de nos discussions
politiques , c'était un malheur sans doute , mais un mal
heur inévitable, l'homme, malgré le système de la perfec
tibilité, n'étant pas encore assez parfait pour que l'on
puisse exiger de lui de se montrer juge intègre dans sa
propre cause."Mais quand il s'agit d'un beau vers , d'un
bon ouvrage , ne saurait-on juger la chose en elle-même ,
et rendre hommage au talent , tout en blamant, si on le
veut , l'emp'oi qu'on en a fait ? Agir autrement , n'est-ce
donc pas vouloir s'exposer au reproche , toujours si sensible
pour l'oreille d'un homme de lettres ,de manquer de
goût et de discernement ? Mais je dis plus: je crois que
l'intérêt même de la cause que l'on prétend défendre exige
cette bonne foi, cette impartialité. En attaquant sans
cesse , à tort et à travers , soit la religion , soit la philosophie
, on est sûr de plaire aux siens , je l'avoue , mais
dedéplaire à tous les gens neutres ou modérés , et de ne
faire par conséquent ni un seul prosélyte , ni une seule conversion.
Si l'on consentait à examiner avec calme , à trouver
bon ce qui l'est effectivement , à louer , à admirer
même ce qui mérite de l'être , on aurait alors et le droit de
blâmer ensuite , et celui de persuader : mais l'exagération
réfroidit , la mauvaise foi reconnue détruit la confiance ,
Cc 2
404 MERCURE DE FRANCE ,
et l'on finit par ne persuader plus , même quand on dit
la vérité. Les uns s'imaginent porter un coup terrible à la
religion , en cherchant à tout propos , et souvent sans
l'ombre même de vraisemblance , à lui prêter des torts ou
des crimes : les autres se figurent de même détruire
l'influence des écrivains philosophes , en leur refusant du
génie , du goût ou des talens. Mais tous se trompent : cette
conduite ne fait , de part et d'autre , que gâter leur cause;
et loin de gagner par-là les esprits , ils les repoussent,
parce qu'il est de fait que l'injustice révolte tout le monde,
excepté celui qui la commet. Pour moi ,je voudrais , à ce
qu'il me semble , trouver bons et les vers de Chénier et
ceux de la Harpe , quand ils le sont , quitte à combattre
ensuite leurs principes s'ils n'étaient pas les miens , ou
pour mieux dire , s'ils me paraissaient dangereux etcontotires
au repos de la société. Cette conduite , d'abord plus
juste , serait à-la-fois et plus avantageuse pour le parti
que 'on défend, et sur-tout (ce qui ne flatterait pas moins
un grand nombre de nos critiques) plus dangereuse pour
celui qu'on attaque.
Si je me permets ces réflexions, c'est qu'elles me semblent
n'être rien moins qu'étrangères à l'ouvrage dont je
vais rendre compte. Déja je nommerais d'avance ceux
d'eutre nos journalistes qui ont résolu , sur le titre seul ,
d'en dire du bien , et qui en diront du mal après l'avoir
lu ; ceux au contraire que le titre a révoltés , mais que la
lecture du livre réconciliera avec l'auteur. La sagesse , la
modération de ses idées , la douceur de sa critique , toujours
gaie , souvent plaisante , mais jamais acre ou passionnée
, devraient lui faire trouver grâce aux yeux même
de ceux qui pourront se reconnaître dans ses tableaux , si
la justice n'était pas un peu passée de mode parmi nous.
N'envisageant même le régime de la terreur que sous son
point de vue ridicule ou absurde, il n'emploie, dans le
PRAIRIAL AN XI. 405
peu qu'il dit sur cette époque désastreuse , que les traits
seuls de la plaisanterie; et l'on doit convenir en effet que
laplupartde nos horreurs révolutionnaires seraient assez
burlesquement plaisantes , si elles étaient moins atroces.
Il faut lui savoir gré d'être resté fidèle au ton qu'il a
d'abord adopté. Quant à moi pourtant , je n'eusse point ,
je le confesse , été fâche de le voir attaquer avec plus de
vigueur , nos vices , nos moeurs bassement corrompues ,
et sur-tout jeter à pleines mains le ridicule sur ces tripots
littéraires et ces tripots comiques , où tant d'hommes
vont a-la-fois rapetisser leur âme et éteindre leur talent :
car l'esprit ne produit rien de grand, quand l'âme est
avilie.
Je vais dire un mot du plan de ce nouveau Candide ;
mais comme le mérite d'un ouvrage de ce genre tient
moins au cadre qu'à l'exécution , je mettrai ensuite le
lecteur à même , par quelques citations, de juger du
style et de la manière de l'auteur .
Il nous mène d'abord retrouver Candide et ses amis
près de Constantinople , dans la petite métairie , où
chacun d'eux exerce ses talens pour faire aller le ménage,
tandis que Pangloss et Martin passent le temps , comme
autrefois , à argumenter et à prouver l'un que tout est
mal , l'autre que tout est bien. Mais une fantaisie de la
saltane favorite force tout-à-coup Candide à faire voyager
son fils ; et le jeune homme part pour le pays d'Eldorado ,
accompagné de Pangloss , de Martin , et conduit par le
fidèle Cacambo . Dans ces deux premiers chapitres, l'intérieur
de la métairie, la différence qui existe entre les
philosophes des différens siècles , et la bisarre fantaisie de
la sultane , sont présentés d'une manière plaisante et qui
se rapproche très-heureusement de celle du modèle. Après
quelques légers accidens , quelques rencontres , qui fourpissent
matière à de nouvelles querelles entre les phile
Cc3
406 MERCURE DEFRANCE ;
sophes , et leur procurent des renseignemens sur Rispa ,
capitale d'Eldorado , nos voyageurs atteignent les frontières
de cet heureux pays , où on les met en prison
dès qu'ils paraissent. Relachés la nuit même , ils apprennent
comment on ébauche une révolution , et vont
se faire arrêter de nouveau à Rispa. Séparés alors , ils
recouvrent leur liberté par divers moyens , éprouvent
mille aventures , et font tour-à-tour mille métiers . Les uns ,
par exemple , devenus auteurs , s'instruisent de ce qui fait
tomber ou réussir une pièce , un journal ou un roman :
Candide, associé à un fournisseur , voit comment ces
messieurs font fortune , comment on réussit près de leurs
femmes , comníent ils dinent, se battent , se marient ou
se démarient et élèvent leurs enfans ; Pangloss , après
avoir fait des souliers , fait une éducation , voit l'assemblée
des sages , l'entend reconnaître l'existence de l'Etre-
Suprême , va à l'école d'une déesse de la raison , assiste à
un cours public , à plusieurs discussions sur Dieu , sur
l'immortalité de l'âme , et apprend , par sa propre expérience
comment le théâtre est l'école des moeurs :
Cacambo agioté , lève une maison de prêt , fait un petit
mariage à la mode , donne dans les entreprises , fait banqueroute
, se ruine malgré celà , et devient alors tour-àtour
auteur et charlatan , afficheur et traducteur , etc. etc.
Réunie enfin après tant d'aventures , la petite troupe se
disposé à célébrer le mariage de Candide fils , avec une
jeune et belle Eldoradienne , lorsqu'une lettre de Candide
père , ouverte et interprétée par un comité révolutionnaire
, est sur le point de les conduire à l'échafaud ;
mais un cordonnier, ami de Pangloss , les délivre ; et ils
retournent tous à la petite métairie , où Candide fits
épouse sa maîtresse. Tout finit par une lettre qu'il reçoit
au bout de quelques années , et dans laquelle on lui annonce
qu'Eldorado a bien changé de face depuis son dé
,
PRAIRIAL AN XI. 407
part; que la multitude de gens qui faisaient , à eux tous ,
beaucoup de mal, a été remplacée par un homme quifait,
à lui seul , beaucoup de bien ; et la petite troupe , ou pour
mieux dire l'auteur , termine en bénissant celui qui s'occupe
à arranger les choses de manière à ce que tout soit l
mieux possible.
On voit que le cadre est heureux : quelques citations
feront connaître maintenant la manière de l'auteur , et le
ton de sa critique.
i
Martin s'emporte contre les femmes , qui en sont venues
au point de ne plus daigner même cacher leurs intrigues
: Pangloss prend leur défense. « Jusqu'à présent , s'-
>> crie-t- il , on avait sans cesse reproché aux femmes leur
>> dissimulation ; elles profitent de la leçon , et cherchent
» à s'en corriger : rien de mieux assurément ; ceux qui
>>> les accusaient auparavant , voudraient ils mainte-
>> nant les blâmer d'avoir suivi leurs conseils ? Ils au-
>> raient grand tort , puisqu'en retranchant un défaut ,
on faitun pas de plus vers la perfection , qui fut , qui
>> est , et qui sera toujours le véritable but de la nature :
>> cela est donc fort bien , coramme tout le reste ; et je ne
>> vois encore ici que de nouveaux progrès de l'esprit hu-
>> main , et de nouveaux bienfaits de la philosophie. C'est-
>> à- dire , reprit Martin , de nouveaux degrés de déprava-
>> tion , de nouveaux élans vers la dissolution totale de la
>> société ; puisque renverser les moeurs , qui en sont le
>> fondement et le lien , c'est la détruire elle - même.
>> Faux principes , conséquences plus fausses encore , rei
>> plique Piangloss . Qui peut donner de la force et de la
> consistance à la société , si ce n'est les rapprochemens
>> et les rapports plus fréquens et plus intimes entre ses
>> différens membres ? Où résidait la résistance qu'oppo-
» sait ce faisceau de dards , présenté jadis par un père à
>> ses enfans ? n'était-ce pas dans les liens qui servaient à
C64
408 MERCURE DE FRANCE ,
» les réunir et à les resserrer ? Or , les femmes formant
» une grande chaîne , qui lie plus ou moins tous les
» hommes entr'eux , plus elles ajouteront de chaînes par
» ticulières à cette chaîne , plus le faisceau général de
> viendra compacte et difficile à délier. Donc , il est pour
» le mieux que les fenimes aient beaucoup d'amans , puis
>> que multiplier les alliances , c'est établir de nouveaux
>> noeuds entre les hommes ; c'est fonder véritablement
» parmi eux cette grande famille , dont parlent tous les
>> philosophes et les philantropes.>>>
Plus loinPangloss soutient que l'habitude récente qu'ont
prise les femmes de faire assez souvent les avances , est
juste. « Elles ont raison , interrompit Pangloss. La femme
» a été créée pour partager les plaisirs et les peines de
» l'homme; or , si c'est un plaisir d'avouer le premier
>> qu'on aime , il y aurait de l'injustice à vouloir Pen pri-
» ver; si , d'un autre côté , c'est un embaras et une gêne ,
>> comme on le croyait autrefois , il y aurait aussi de
>> l'injustice à prétendre que l'homme dût seul la sup-
>> porter. Il est donc au mieux que le moins timide ou le
>> plus pressé s'explique d'abord , quelque puisse être son
➤ sexe.>>
Pour donner un échantillon d'un genre plus sévère ,
je vais laisser parler l'aigre Martin , au moment où il
vientde voir égorger un vieillard et incendier une maison.
<< Que le peuple pille pour s'enrichir , je le conçois,dit
>> Martin ; mais que , comme nous venons de le voir ,
>> il brûle et renverse , sans en tirer aucun profit , voilà
» ce que je ne puis comprendre ; voilà ce qui me prouve
>> que , quoique tout soit mal dans l'univers , l'homme
>> est encore ce qu'il y a de pire. Y eut-il jamais , par
>> exemple , de cruauté pareille à celle des hommes que
>> nous venons de voir? C'est précisément sur celui qut
les comblait de bienfaits continuels , que retombe leur
4 409 PRAIRIAL AN XI.
» barbarie ! Ils viennent de me convaincre pour jamais
>> d'une vérité dont j'étais déjà persuadé d'avance : c'est
>> que la bienfaisance , qu'on appelle la première des
>> vertus , n'est autre chose que la première des folies ,
>> la première des erreurs . Dites , au contraire , s'écria
>> Pangloss , que l'ingratitude est la première des ressources
>> dont l'homme puisse user pour parvenir à tout. Ce
» n'est qu'en oubliant ses bienfaiteurs , en écrasant même
» ceux qui vous ont rendu service , qu'on réussit à s'éle-
>> ver. Tout être se reproduit de la dissolution d'un autre :
>> la chenille naît sur la feuille pour la dévorer ; donc ,
>> l'ingratitude est dans la nature ; donc l'ingratitude est
>> un bien, puisqu'il ne peuty avoir rien de mieux que la
» nature. »
Candide se trouvant sans ressources , un de ses amis
lui cherche un métier : c'est Candide même qui raconte
cet entretien. « Avez-vous quelque talent , me demanda
» mon ami ? Non , lui répondis - je. D'après cela , re-
> prit - il , je ne vous vois d'autre ressource que de vous
>> faire auteur; commencez un roman. Mais , repliquai-je ,
>> je ne connais ni les moeurs , ni la société ; je suis trop
>> jeune pour avoir sondé le coeur humain , et fait des
» observations sur ce qui se passe dans le monde. Que
>> pourrai-je écrire ? une histoire , où il n'y aura ni carac-
>> tères , ni vraisemblance , ni intérêt. Eh ! tant mieux ,
>> dit- il ; c'est comme cela qu'on les aime. Trouvez-vous
>> cependant plus aisé de faire une comédie ? Mille fois
>> plus difficile , répondis-je : je n'ai d'abord aucune con-
>> naissance du théâtre. Cela n'empêche pas , répondit-il;
>> vous me paraissez avoir de l'esprit; lisez quelques
» ana , causez ensemble quelques mauvaises anecdotes ,
> formez un habit avec des morceaux de différentes coul
>> leurs , pour défigurer quelques personnages du siècle
> de Louis XIV; lardez cela de calembourgs, de pointes,
410 MERCURE DE FRANCE ,
>> de proverbes ; mettez dans vos couplets la nature , les
> fleurs , la sensibilité ; entremêlez le tout de quelques
» équivoques bien claires , et je connais plus d'un théâtre
» où vous aurez du succès. Croyez- vous , dis-je à demi
» ébranlé ? J'en suis sûr , me répondit - il d'ailleurs ,
> essayez. Si les chutes tuaient , ou même étaient capables
>> d'estropier , vous verriez presque tous les jeunes gens
> de Rispa porter des béquilles.>>>
Quelques personnes feront peut-être un crime à l'auteur
d'avoir osé donner une suite au Candide de Voltaire :
je ne partage pas , je l'avoue , cette opinion. Il serait
parfaitement ridicule sans doute , pour ne rien dire de
plus , de prétendre refaire le roman de Candide , bien que
Candide ne soit pas la Phèdre de Racine ; mais non-seulement
il est permis de prendre un bon ouvrage pour
modèle , et de chercher à suivre les traces d'un maître ,
ce choix annonce même du goût et un bon esprit .
L'ouvrage est en général trop bien écrit pour que l'on
puisse mettre sur le compte de l'auteur deux ou trois
fautes grossières , qui viennent évidemment de l'imprimeur.
Il est tout simple que ces messieurs ne se piquent
pas de connaître leur langue , depuis que la plupart des
auteurs ne se piquent plus de la savoir .
H. COIFFIER. 4
VARIÉTÉS.
4
Le champ de la littérature devient tous les jours plus
stérile. Ce n'est pas que les catalogues des nouveautés ne
soient toujours fort bien remplis , mais il semble que
leur nombre nuise à leur valeur ; plus les gazettes sont
chargées de titres nouveaux , moins nous avons de bons
livres , et l'on peut dire que rien n'est si pauvre que cette
PRAIRIAL ANXI. 411
1
richesse étalée dans les affiches de Paris et des départemens.
Quelques journaux ont annoncé un nouvel ouvrage de
M. Lantier , auteur du voyage d'Antenor. Il est en trois
gros volumes , et il a pour titre : Les Voyageurs en Suisse.
On a dit que les voyages étaient une affaire de mode , et
que les derniers venus étoient toujours les mieux accueillis
; M. Lantier a fait mentir le proverbe ; et son voyage
en Suisse ne fera point oublier son voyage en Grèce. Dans
son voyage d'Antenor , M. Lantier avait profité de l'idée
accréditée parmi le peuple , que les Athéniens ressembloient
aux Parisiens , et il était parti de là, pour faire
passer sous le nom d'Antenor , les anecdotes de Paris , le
bulletin de nos modes , et jusqu'à l'histoire scandaleusé
des coulisses de nos théâtres ; ce roman avait parfaitement
réussi , et toutes nos petites maîtresses s'applaudissaientde
voir leurs intrigues et même leurs billets doux déterrés
tout-à-coup dans Herculanum. Quoique la Suisse soit
beaucoup plus près de nous , il était difficile d'en tirer le
même parti dans un roman. Il n'était pas aisé de transporter
les Suisses à l'opéra , de faire entrer les Alpes dans
le cadre de la miniature , et de représenter le Saint-
Gothard sur des éventails. Aussi l'auteur a-t-il complettement
échoué ; on n'a vu dans son ouvrage qu'un roman
dans un voyage , et un voyage dans un roman ; ce mélange
bisarre du sérieux et du frivole , du vrai et du faux ,
n'intéresse ni ceux qui cherchent à s'éclairer , ni ceux
qui n'ont d'autre but dans leurs lectures que de s'amuser.
Le choix du sujet, l'intrigue du roman ont paru déplacés ,
et le style même en est beaucoup moins agréable que
celui d'Antenor
Pendant que M. Lantier nous fait faire levoyage de Suisse,
un autre voyageur beaucoup plus éclairé nous transporte
dans l'Indostan; on voit que nous voulons parter ici des
412 MERCURE DE FRANCE ,
Lettres philosophiques et historiques sur l'état de l'Inde,
sur les moeurs des Indiens et des autres peuples de
l'Asie ( 1 ). Ces lettres sont presque traduites littéralement
de l'intéressant recueil publié par l'académie de
Calcutta. L'auteur des lettres donne d'abord une idée de
la théologie des Indous , en faisant connaître les Veidas ,
dont les savans Européens n'avaient eu jusqu'à ce jour
que des notions inexactes. C'est d'après les Veidas que
l'auteur compare la casmonogonie des Indous avec celle
des Juifs sous la forme aisée à saisir d'une page divisée
en colonnes , sur chacune desquelles le système de ces deux
anciens peuples est présenté au lecteur.
Il résulte de ce tableau , que , selon Moïse ,' « Dieu ,
>> après avoir créé les cieux et la terre , se reposa ; tandis
>> que , selon Menou , fils de Brahma , celui dont les pou-
>> voirs sont incompréhensibles, ayant créé l'univers , fut
>> absorbé dans l'esprit,
Cette doctrine de l'absorption ou de l'ame universelle ,
selon Pythagore , est généralement reconnue par les Indous.
Ils se la rendent sensible , en comparant son effet à
celui d'une tortue retirant dans son écaille ses pattes et ses
articulations qui les meuvent , et à l'araignée faisant rentrer
dans son estomac ses pattes et ses fils ; ainsi qu'au
porc-épic qui retire ou lance à volonté ses dards, dont il
estarmé par la nature.
La lettre sixième contient l'extrait approfondi d'une
savante dissertation de William Jones , sur la comparaison
des dieux de la Grèce et de l'Italie , avec ceux de
l'Inde.
La lettre septième nous montre la source et nous apprend
la suite et l'influence des cérémonies et des devoir
(1) Unvol. in-8º avec cartes ; prix 5 f. et 6 f. 50 c . par la poste.
AParis , chez C. Pougens , libraire , quai Voltaire, n. 10.
PRAIRIAL AN XI. 413
'religieux , sur les moeurs et les coutumes des Indous,depuis
plus de 3000 ans. Quelques-unes ont lieu chez des
peuples à peine connus jusqu'à la publication de ces lettres.
Dans le Ghat de Chaudnie , sur les rives duGange,
près Hurdwar , il se trouvait , à la solennité du mořs
d'avril 1796 , plus de deux millions et demi de pélerins
de tout âge et de tout sexe. La religion de Brama a maintenu
jusqu'à ce jour la division politique des Indous en
classes essentiellement inégales ; cette division est révoltante
pour l'inexpérience , mais elle n'est pas sans utilité ,
aux yeux de la sagesse et de la raison, On n'a qu'à lire
ce que dit Bossuet de la division des castes égyptiennes ,
dans son Histoire universelle .
"
La lettre onzième est consacrée à la poésie et à la
littérature orientales. Il aurait été facile à l'auteur de la
rendre extrêmement longue , en traduisant tout ce qu'en
ont écrit les plus éclairés des amateurs Anglais. Mais il
a cru qu'il serait plus agréable pour ses lecteurs de
connaître le caractère du génie poétique des Asiatiques,
que de faire des remarques sur leurs ouvrages. En les
lisant , on voit avec surprise qu'un poète Turc , imitateur
des Ferdust, des Hazis et autres grands maîtres de
l'école persanne , ait été jusqu'à tracer un portrait du
printemps digne d'être comparé à celui que l'immortel
auteur des Jardins et des Géorgiques françaises , nous fait
de la nature.
1
Le disciple Ture des poites persans , connu sous le
nom de Mésihi , nous prouve combien son coeur était
sensible aux charmes du plus beau moment de l'année,
en nous disant :
<< Lorsque l'agréable ramaaggee des oiseaux, qui chantent
>> et célèbrent par- tout le doux retour du mois de Mai ,
>> un vent frais répand sur les humains son souffle adouci ,
>> et fait déployerle riche tapis vert de la nature, parseme
414 MERCURE DE FRANGE ,
-
>> de ses fleurs d'argent. Cette saison riante de roses et des
>> plus belles productions de la nature , nous invite à jouir
>> des plaisirs. Soyons gais , et profitons de l'éclat et de
➤ l'odeur des productions printannières , qui sans doute
>> ne se faneront que trop tôt.....
>> Des gouttes éparses de rosée se répandent sur les lys,
>> en forme de perles d'orient. Si l'amour et la jeunesse
>> engagent alors vos jeunes coeurs , écoutez , jeunes nym-
>> phes , ces paroles de votre poète ; pendant que vous
>> serez assises à l'ombre des légers feuillages , soyez
>> gaies , etc. :
>> Voyez - vous les anémones avec leurs feuilles dé-
« ployées , leurs rubis flamboyans et leur azur doré ? Pen-
>>>dant que la fraîcheur des fleurs descend des nuages
>>> humides , jouis de la société de ton fidèle ami. Au
>> moment où le vin est apporté , relève - toi de ton
> moëlleux sopha , sois gai , etc.
>> Chaque matin dépose légèrement la plus limpide
>> rosée sur les feuilles de la rose , et le zéphir vient
>> aussi-tôt s'enivrer de cet agréable parfum . Par égard
» pour vous-mêmes , charmantes filles, ne m'en deman-
>> dez pas davantage. Que l'homme sage désire , et que
>> l'insensé s'exhale en reproches et en plaintes aussi vai-
>> nes que lui ! soyons gais , etc.
vous
>> Puisse cette ébauche informe conserver d'âge en âge
» les manières amoureuses de ce siècle ! Venez , char-
>> mantes filles , et entendez la voix de votre poète ,
>> chantant : Vous êtes la rose et l'enfant du printemps.
>> Aimez celui qui fait entendre ces chants à votre louange,
» comme vous aimez l'amant qui a su vous plaire ;
>>>soyez gaies , etc.
A ce tableau peint si évidemment par le coeur , opposons
celui dans lequel on trouvera sûrement bien plus
1
!
PRAIRIALAN XI. 415
de méthode et bien plus d'esprit, mais non toujours une
supériorité de génię poétique ..
Tantôt dans nos vallons , jeune , fraîche et brillante ,
Tu ( la nature ) marches , et des plis de ta robe flottante ,
Secouant la rosée et versant les couleurs ,
Tes mains sènment les fruits , les semences , les fleurs ;
Les rayons d'un bean jour naissent de ton sourire ;
De ton soufle léger s'exhale le zéphire ;
Et le doux bruit des eaux , le doux concert des bois ,
Sont les accens divers de ta brillante voix !
K
Les Lettres que nous annonçons , sont en général trèscurieuses
par les faits ; on y désireroit seulement un pen
plus de netteté dans le style , et plus de méthode dans la
classification des matières .
:
Plusieurs ouvrages remarquables dans les sciences
viennent de paraître. Parmi ces ouvrages , on distingue
celui de M. Hassenfratz , sur l'Astronomie , et celui de
M. Izarn , sur les Pierres tombées du ciel.
L'ouvrage astronomique de M. Hassenfratz , n'est quữn
abrégé du Systême du Monde de M. de la Place , mis dans
unordre propre àl'enseignementde l'école polytechnique.
Cela ne diminue en rien son mérite. Ce n'est pas une chose
très-facile à un savant que de bien écrire pour la jeunesse ;
ce n'est pas un petit travail que cette traduction de sa propre
science , qui ne laisse rien d'obscur , qui procède avec
ordre , et qui consent à se mettre au niveau de l'ignorance,
pour être mieux entendu d'elle. Prendre la peine de refaire
, pour les autres , dans la science , le voyage qu'on a
déjà fait soi-même , avec la précaution d'en mieux dessiner
la route , et d'en ôter une partie des peines et des dif
ficultés : cette méthode demande du temps , de la patience,
et une sorte de bonté de coeur et d'esprit .
1
M. Hassenfratz a eu certainement la volonté de suivre
cette méthode ; il pousse souvent l'attention jusqu'à déſi-
1
416 MERCURE DE FRANCE ,
nir les choses les plus simples. Mais si , à la différence de
beaucoup de savans , il veut bien consentir à être clair
dans les choses claires, on desirerait qu'il eût voulu prendre
la peine de l'être aussi dans les choses obscures. On
desirerait aussi quelquefois que son style eût plus de précision.
« Son explication (de l'aberration ) a présenté de
>>grandes difficultés , et suppose deux choses ; la suppo-
>> sition du mouvement de la terre autour du soleil fixe ,
» au milieu du système planétaire. » Nous entendons
très-bien sa pensée ; mais un malheureux élève perdra
peut êtreune journée à comprendre à quoi se rapporte
l'épithète fixe.
D'un autre côté , pourquoi invoquer la démonstration
géométrique , quand elle n'est pas nécessaire ? Et pourquoi
la hérisser de caractères grecs ? Nous approuvons
fort ses explications étymologiques ; mais n'a-t-il pas
poussé quelquefois ce soin jusqu'à la puérilité. Était-il
nécessaire de nous apprendre dans des notes queport vient
de portus ; marée de mare, perturbation de perturbare ?
-Qui aurait pu croire que nous aurions un jour une
Lithologie atmosphérique : c'est le nom de l'ouvrage de
M. Izarn. La première section offre le recueil des faits et
des opinions publiées depuis l'an 1700 , au sujetdes pierres
tombées du ciel. La seconde analyse les explications publiées,
tant sur la réalité de ces faits , que sur leur cause
et leur origine. La troisième section établit l'opinion particulière
de l'auteur. :
Divers savans , d'une grande célébrité, se sont occupés
de la chute des pierres atmosphériques. Les uns ont contesté
le fait , d'autres l'ont expliqué par des éruptions de
montagnes ignivomes ; d'autres les ont attribuées à des
projections volcaniques de la lune.
M. Izarn nous a paru combattre avec beaucoup de jugement
ces diverses opinions. Il prouve d'abord en point
de
PRAIRIAL AN XI.
47
REP.FR
dè fait qu'ily a des pierres réellement tombées de atmos
phère : il montre ensuite , en point de théorie , omment
elles ont pu se former. Tous les corps de la nature peuvent
être divisés, selon lui , en solides, liquides et gazeus.
Après avoir décrit de quelle manière la nature fait passer
les substances de l'un de ces états à l'autre , il présente
Y'atmosphère comme le grand alambic de la terre. Comment
imaginer que cet océan , composé de tout ce qui
peut être volatilisé de la surface du globe , se borne aux
trois substances oxigène , azote, et idrogène , que les savans
lui ont reconnu ? Or , si par une cause quelconque
les substances térrestres évaporées et sublimées en état de
gaz , viennent à se réunir subitement , il est évident que
groupées ainsi et amalgamées , elles acquerront une densité
, au moyen de laquelle elles se précipiteront avec plus
ou moins de violence sur la terre .
Quand eette explication a été présentée à M. Vauquelin ,
il a répondu qu'il aimait mieux croire que ces pierres
venaient de la lune , qued'admettre dans l'atmosphère une
assez grande quantité de matières denses , poury produire
de semblables concrétions. Cependant , M. Sage , et beaucoup
d'autres savans , ont trouvé de l'or et du fer dans des
plantes qui , en raison des précautions auxquelles elles
avoient été assujetties, n'avoient pu recevoir ces métaux
que de l'atmosphère. M. Izarn profite judicieusement de
ces faits; mais quoique son instruction paraisse, égaler sa
sagacité , il s'en faut bien , selon nous , qu'il ait usé de tous
ses avantages. Pour montrer à quel point les substances les
plus pesantes de la nature étoient susceptibles d'évaporation
et de volatilité, il pouvait citer le quartz ; il pouvait
citer , non-seulement ces nuées de sable du désert , transportées
comme des vapeurs par le vent; il pouvait montrer
que l'air en paraît en quelque sorte dissous et inprégné.
D'après différentes expériences faites sur lesiroco,
12 Dd
418 MERCURE DE FRANCE ,
dans les pays méridionaux de l'Europe , il a été constaté
. que ce vent déposait une sorte de sédiment quartzeus .
M. de Monlosier , auteur de cet article , a la suite de
longues observations faites , soit sur la roche de corne ,
soit sur les marbres, soit sur les grès , s'est convaincu que
les filons se forment dans la nature d'une manière habituelle
et continue , par la seule perspiration insensible
des élémens subtils et gazeux ; il s'est convaincu que
l'effet de cette perspiration est de fendre peu à peu la
pierre , d'en écarter les parois , et de s'y établir dans des
dimensions proportionnées à la quantité des matières et à
leur force. La théorie établie par M. Izarn , ne porte
donc point sur un système particulier , ou une exception
aux lois de la nature ; elle repose sur un système constant
et une loi générale.
Sermons de M. de Géry , ancien abbé de Sainte-
Géneviève(1 ).
M. de Géry s'est rendu recommandable par les talens
supérieurs qu'il a montrés dans la chaire évangélique.
Plusieurs personnes qui l'ont entendu , ont osé le comparer
àBourdaloue , à Massillon. En effet , on retrouve dans ses
sermons la sublime éloquence du premier , le pathétique et
l'onction du second, et on ne cesse d'y admirer la manière
noble et touchante avec laquelle il présente les
( 1 ) Cette édition contient les sermons pour l'Avent , le Carême ,
l'octave du Saint-Sacrement et autres solennités , les panégyriques ,
oraisons funèbres, instructions diverses sur le Symbole des Apôtres ,
la première communion , le renouvellement des voeux de baptême, etc.
Elle est ornée du portrait de l'auteur . Six vol . in- 12. Prix , broc . , 15 fr .
A Paris , chez Méquignon l'ainé , libraire, rue de l'Ecole de Møde-
Gine, n.3, vis-a-vis la rue Hautefeuille.
PRAIRIAL AN XI. 419
saintes écritures , les explications lumineuses qu'il en
donne , d'après les saints docteurs de l'Eglise , et les conséquences
qu'il entire pour la règle des moeurs.
Les ecclésiastiques eux-mêmes y trouverontdes modèles
bienpropres à les intéresser.
M. E. Depierris nous écrit que c'est à tort qu'on a dit
dans ce journal , que M. Briquet , professeur à Niort ,
préférait Pradon à Racine, et faisait remarquer à ses élèves
la supériorité du premier sur l'auteur d'Athaliex
M. Depierris aurait dû envoyer sa réclamation à M. de
Cubieres-Palmézeaux , qui , dans le dialogue qui sert de
préface à sa tragédie d'Hippolyte, a prêté cette opinion à
M. Briquet. Nous n'avons vu nulle part , jusqu'à présent ,
que M. le professeur Briquet s'en soit trouvé offensé. Il
semble nous cependant que c'était à lui à démentir le
langage qu'on lui fait tenir.
SPECTACLES.
THEATRE FRANÇAIS.
Nos lecteurs ne doivent point s'étonner que nous ne
parlions point des spectacles , nos théâtres n'offrent cette
année qu'une triste nomenclature de pièces sans intérêt ,
et qui sont tombées dans l'oubli en sortant du portefeuille
de leurs auteurs. Herman et Werner ou les Militaires ,
coinédie historique en trois actes, nous dédomagera un
peu de la stérilité de nos répertoires.
Werner, soldat dans un régiment autrichien s'est engagé
au capitaine Herman, qui lui a donné sa parole de
le'rendre au bout de trois ans à sa liberté et à sa famille ;
les trois ans sont écoulés ; Werner arrive avec son régi
Dd 2
420 MERCURE DE FRANCE.
mentdans le village où il a pris naissance ; il y revoit ses
parens , ily retrouve la jeune Lisbeth , qu'il doit épouser ,
et il se dispose à quitter le service , pour devenir époux.
Ils'adresse au capitaine Herman ; le capitaine prometde
Ini délivrer sa cartouche de congé; mais le colonel , rigoureux
observateur de la discipline , ne veut point consentir
au licenciement de Werner , sous prétexte que les
ordres de l'empereur s'y opposent. Herman rappelle au
colonel la parole qu'il a donnée ; mais ce dernier est inflexible
: alors le capitaine Herman donne sa démission ,
et se propose de remplacer Werner , comme simple soldat.
Werner ne tarde pas à connaître la générosité de son
capitaine , il refuse son congé ; ce combat de générosité
est interrompu par l'arrivée d'une lettre de l'empereur ,
qui élève le capitaine Herman au grade de major. Le
colonel , touché alors de cette marque de justice de l'empereur
, se laisse fléchir , et consent à licencier Werner.
T'el est le sujet de la pièce des Militaires , qui méritait
les suffrages du public , et qui les a obtenus. On lui a reproché
quelques longueurs , quelques incidens mal amenés
; mais elle intéresse par le naturel et la vivacité du
dialogue. Nous désirons que l'auteur fortifie l'intérêt de
ses deux premiers actes , et qu'il fasse arriver le dénouement
d'une manière un peu plus piquante. Cette pièce est
de M. Favières , auteur de Paul et Virginie , et de quelques
ouvrages très-estimables .
4
i ANNONCES.
Des Esquinancies simples , malignes , contagieuses
ei épizootiques , reconnues et observées pour la première
fois chez les chevaux , les bêtes à cornes et les porcs ,
avec quelques aperçus nouveaux sur les Epizooties ; par
Pierre-Marie Crachet , médecin de l'université de Montpellier
, etc. 1vol. in-8°. Prix : 1 fr. 25 c. , et II fr. 50 c.
par la poste.
A Paris , chez A. J. Marchant , imprimeur - libraire
pour l'agriculture , rue des Grands- Augusins , nº. 12 ; et
chez le Nermant , imprimeur-libraire , rue des Prêtres
Saint-Germain-d'Auxerrois , n°. 42.
PRAIRIAL AN XI . 421
POLITIQUE.
En attendant que les ministres consentent à s'expliquer.
le parlement s'occupe tranquillement d'affaires d'admi-
Distration ; pour savoir des nouvelles , il faut suivre la
bourse de Londres . Les agioteurs envoient chez les ministres
demander ce qu'ils doivent penser de tel ou tel
bruit, et les ministres leur donnent des réponses beaucoup
plus détaillées qu'aux membres du parlement. Par
exemple , c'est aux agioteurs que , par l'organe du lordmaire
, le Lord Hawkesbury a appris que l'ambassadeur
Anglais avait quitté Paris; aussitôt les fonds sont tombés
plus bas qu'à aucune époque , depuis la paix ; la Bourse
paraissait dans une confusion , dans un désordre qu'on
ne se figurera jamais bien, si on ne connaît pas à fond
l'esprit de ce peuple marchand.
Du reste , rien de positif. Les Anglais attendent les
nouvelles de Paris comme nous attendons les nouvelles
de Londres ; de l'un et de l'autre côté , on parle de l'intervention
de la Russie. Si les Anglais , en recommençant
les hostilités , n'avaient pas l'espoir d'agiter peu-à-peu le
continent , à coup sûr ils frémiraient à l'idée de la gurre..
Que les grandes Puissances Continentales se prononcent
et bientôt les démélés entre la France et l'Angleterre s'arrangeront
à l'amiable ; on prétend que la Russie s'est
prononcée.
1
La république des Sept Isles jouit en ce moment d'une
tranquillité parfaite. Depuis qu'elle avait cessé d'étresous.
la domination des Vénitiens , il avait existé dans ces îles
des agitations plus ou moins considérables. Le nouveau
gouvernement ayant obtenu plus de confiance et de considération,
les troubles ont dû naturellenient cesser.
On pourrait croire , d'après les préparatifs de guerre
qui se font en Russie , que l'empereur d'Allemagne et
l'empereur de Russie auraient renoncé à l'entrevue projetée
entre ces deux souverains ; mais les nouvelles du
Nord s'accordent à dire que cette entrevue aura lieu , et
que l'empereur d'Allemagne n'exécutera point son voyage
d'Italie , qui aurait pu la retarder. S. M. 1. et R. passera
en revue les troupes d'un camp qui se forme en Gallicie.
L'empereur de Russie rassemble aussi une armée sur les
Dd3
422 MERCURE DE FRANCE ,
-
frontières de cette province. Ces rassemblemens paraissent
avoir excité l'attention de la Prusse , et le cabinetde Berlin
a fait demander à la cour de Vienne quel en était le but ;
il a été répondu qu'on n'avait d'autre objet que de former
des camps de plaisance. Cette réponse est peu tranquillisante,
dans un moment où tout fait craindre une
rupture prochaine entre la France et l'Angleterre. Quoi
qu'il en soit , le cabinet de Vienne est résolu , dit-on , de
garder une exacte neutralité . Cette résolution paraît déconcerter
les conjectures que les politiques établissaienų
sur la réunion des armées et l'entrevue des deux premières
puissances du Nord. :
SÉNAT-CONSERVATEUR.- Séance du 24floréal.
Les conseillers-d'état Bigot-Préameneu , Dessolles et Fleurieu , orateurs
du gouvernement, ont donné communication au Sénat , de la
note adressée , le 23 de ce mois , à l'ambassadeur de S. M. Britannique
par le ministre des relations extérieures .
23floréal an 11 .
Dans les circonstances importantes et graves où se trouvent les deux
nations, le soussigné ministre des relations extérieures de la république
française , a reçu l'ordre de mettre sous les yeux du gouvernement britannique
lanotesuivante :
Le 17ventose, sa majesté britannique fit connaître àson parlement ,
parun message spécial , que des armemens formidables se préparaient
dans les ports de France et de Hollande , et que des négociations importantes,
dont l'issue était douteuse,divisaient les deux gouvernemens.
Cette déclaration extraordinaire et inattendue excita un étonnement
général; mais la situation maritime de la France était patente. L'Angleterre
, l'Europe savaient qu'il n'y avait d'armement formidable , ni
dans lesports de France, ni dans les ports de Hollande.
Le soussigné ne rappellera pas à S. E. lord Whitworth tout ce qui
fut dit alors. On se demanda de quelle source avaient pu sortir des
informations aussi mal fondées . Le discernement personnel de lord
Whitworth, la loyauté de son caractère , ne pouvaient être un seul
instant soupçonnés.
L'assertion que la France faisait des armemens hostiles, était une
suppositionmanifeste ,et qui nepouvait en imposer à personne. Son
effet naturel devait être d'induire à penser qu'elle n'était qu'un moyen
dontvoulaient se servir des hommes signalés par leurs opinions perturbatrices,
etquicherchaient avidement desprétextes pour susciter des
troubles, pour enflammer les passions du peuple britannique , pour
exciter ladéfiance ,la haine et les alurmes.
Quant ou gouvernement anglais , on dut croire que, si , par de faux
rapports,ilavaitpu être induit en erreur sur l'existence des armemens ,
il ne pouvait l'être sur l'existence des négociations.
L'ambassadeur de la république à Londres ne fut pas plutôt informé
dumessage de S.M.britannique, qu'étonnédecequ'il annonçait
PRAIRIAL AN XI . 423
l'existence d'une négociation dont il n'avait pas connaissance , il se
rendit chez S. E. lord Hawkesbury ; et devant dès-lors soupçonner
qu'un appel aux armes , fondé sur deux fausses suppositions , pouvait
couvrir le projet de violer le traité d'Amiens , dans les clauses quí
n'étaient pas encore exécutées , il présenta at ministre de sa majesté
britannique, le 19 ventose, une note pour lui demander des explication
Enmême temps le soussigné eut l'ordre de pressentir Ş . E. lord
Whitworth sur les motifs qui avaient pu déterminer le gouvernement
anglais à s'autoriser , dans son message , de deux assertions, toutes deux
également fausses, pour appeler sa nation aux armes , et rompre le lien
de paixqui unissait les deux états .
S. E. JordHawkesbury remit , le 24 ventose , au général Andréossi ,
une note vague , agressive , absolue. Cette note , loin de rien éclaircir ,
jetaitdenouvelles obscurités sur le sujet de la discussion. Elle laissait à
peine entrevoir la possibilité de l'ouvrir , et bien moins encore l'espoir
de la voir arriver à une heureuse issue .
La réponse du gouvernement français , en date du 8 germinal , fut
autant pacifique et modérée que la note du ministère britannique avait
étéhostile.
Lepremier consul déclara qu'il ne relevait pas le défi de guerre de
l'Angleterre ; qu'il évitait de peser sur des expressions dont le sens
pouvaitporter un caractère d'agression ; qu'il se refusait enfin à croire
que S. M. britannique voulut violer la sainteté d'un traité sur lequel
reposait la sûreté de toutes les nations.
Cette déclaration faite par ordre du premier consul , provoqua le
17 germinal une nouvelle note , dans laquelle le gouvernement français
nevit pas sans surprise qu'une dentande indéterminée de satisfactions,
lui était adressée. Le vague de cette demande , exprimée sans motifs et
sans objet , ne laissait apercevoir distinctement que l'inconvenance de
son expression.
On manifestait dans cette note l'intention de violer le traité d'Amiens,
en refusant d'évacuer Malte. On semblait se flatter que le peuple
francaiscousentirait à donner satisfaction sur deux faits supposés ,
sur l'allégation desquels il avait peut-être le droit d'en demander luimême.
Enremettant cet office , lord Whitworth demanda qu'un arrangement
fût fait immédiatement sur les bases qui viennent d'être exposées ;
et il fit en même temps entendre que , dans le cas contraire , il craignait
de se voir obligé , par les ordres de son gouvernement , de quitter
incessamment sa résidence , et de mettre fin à sa mission.
Que pouvait répondre le gouvernement de la république à d'aussi
brusques, à d'aussi étranges ouvertures ? Il n'y avait qu'un grand amour
de lapaix qui pût l'emporter sur I indignation .
Pour s'arrêter à une décision froide et calme , qui laissût à la raison
et à lajustice le temps de l'emporter sur les passions , il fallait se pénétrer
profondément de l'idée que les nombreuses victimes des discordes
des gouvernemens , n'ont aucune part aux insultes qui les aigrissent
; que ces milliers de braves citoyens , qui , dans les voeux de
feurhéroïquedévouement , versent leur sang uniquement pour leur
patrie , n'ont jamais le désir d'offenser un peuple voisin et puissant;
qu'ils ne prennent aucun intérêt à des démarches d'orgueil et
àde vaines prétentions de suprématie. Il ne fallait pas seulement se
pénétrer de cette idée , il fallait s'en laisser maîtriser à tous les instans.
Son E. lordWhitworth convint d'écrire à sa cour que le premier
Dd4
424 MERCURE DE FRANCE ,
consul ne pouvait consentir à la violation d'un traité solennel ; mais
qu'il voulait la paix ; que si le gouv roement d'Angleterre désirait
qu'une convention fût faite pour des arrangemens étrangers au traité.
d'Amiens , il ne s'y refuserait pas , et que les motifs de cette convention
pourraient être tirés des griefs réciproques .
Ces vues étaient justes et modérées . Il était difficile de proposerune
négociation sur des bases plus libérales. Il n'est pas hors de propos
d'observer ici que c'était six semaines après le message oùune négocia
tiondifficile , d'un intérêt grave , et d'une issue incertaine , mais prochaine
, avait été signalée ; que les ministres des deux gouvernemens
n'avaient pu encore arriver à ouvrir une véritable négociation .
Lord Whitworth reçut de nouveaux ordres ; il présenta successivement
deux projets de convention.
Par le premier, il était proposé que Malte restât sous la souverainete
du roi d'Angleterre ; et cette clause adoptée , S. M. P. offrait de reconnaître
tout ce qui avait été fait enEurope deeppuuiiss llee traité d'Amiens.
S. M. le roi dd'' .Angleterre promettait encore deprendredesmesures
pour que les hommes qui , sur les différens points dee l'Angleterre ,
ourdissent des trames contre la France , fussent efficacement réprimés.
Le soussigné eut l'honneur d'observer àS.E. lord Whitworth que ce
premier projet de convention était une violation palpable du traite
d'Amiens , et renversait la base de négociation que S. E s'était chargée
de présenter à sa cour; que quant à la reconnaissance offerte àS. M. В. ,
il n'y avait réellement point d'objets auxquels elle pût s'appliquer
qu'iln'y avait pas de changement enEurope depuis le traité d'Amiens,
si ce n'est l'organisation de l'Empire , à laquelle le roi d'Angleterre
avait concouru par son veoeu, comme électeur d'Hanovre, et qui n'était
elle-même qu'une suite nécessaire du traité de Lunéville , antérieur de
beaucoup au traité d'Amiens.
Que les événemens relatifs à l'existence politique du Piémont, du
royaume d'Etrurie et des républiques italienne et ligurienne , avaient
Jour dateavant le traitéd'Amiens; que, dans la négociation decetraité,
La France avait désiré que l'Angleterre reconnut ces trois puissances ;
mais que comme on n'avait pu s'accorder ni sur ce point, ni sur lesaffaires
de l'Inde, en ce qui concernait la destruction de quelques Etats
principaux, et les inappréciables acquisitions faites par l'Angleterre
dans cette contrée , on en était resté à considérer la discussion de ces
objets comme ne tenant pas à l'exécution des articles préliminaires , et
à l'objet fondamental de la pacification des deux Etat . Le soussigné onserva
enfin que le gouvernement français ne demandait sur ce peint
aucune approbation , ni reconnaissance à S. M. B.
Le soussignéajouta que, quant àla république batave, elle avait été
reconnue par le roi d'Angleterre, puisqu'il avait traité avec elle;etque
par les traités existens entre cette république et la France, Farrièregardedes
troupes françaises devait évacuer ce pays à la nouvelle defen
tière exécution du traité d'Amiens .
Quant aux criminels réfugiés à Londres et à Jersey , où ils se livraient
à tous leurs, penchans pervers , et où , loin d'être réprimés , ils
étaient traités et pensionnés par l'Angleterre , le gouvernement français
concevaitque , dans la situation actuelle des négociations , il ne
Gevait y attacher aucune importance.
S. E, lord Whitworth proposa un second projet . L'Angleterre
demandait que, le gouvernement civil de Malte étant laissé au grandmattre
, les garnisons britanniques continuassent d'occuper les fortis
PRAIRIAL AN XI. 425
fications de l'ile. Cette proposition étoit impraticable et inouie. Comme
celle du premier projet, elle était contraire au traité d'Amiens , et
conséquemment aux bases de négociation , offertes par le premier
consul; elle avait de plus l'inconvénient irrémédiable de mettre un
ordre de chevaliers , appartenant à toutes les puissances de l'Europe ,
sous l'autorité et la tutelle arbitraire d'une seule puissance ; elle était
enfinpar elle-même une offense à l'honneur et à la religion d'un ordre
lié par tous ses élémens à l'honneur et à la religion de l'Europe entière.
Ainsi , dans tous les pas de cette négociation , le gouvernement
de la république était obligé de voir que le gouvernement
anglais n'avait qu'une seule volonté qu'unseul oobbijet en vue , celui
de ne pas remplir les stipulations du traité d'Amiens , et de conserver
Malte, par la seule raison que Malte était à sa convenance ,
et qu'elle appelait cette acquisition une garantie suffisante .
Mais quelle est la puissance de l'Europe, dût-elle se reconnaître indgale,
qui pânt souffrir de se soumettre aux volontés d'une autre sans
discussionde ces droits , sans appel aux principes de lajustice ? Quelle
est lapuissance sur-tout qui , placée comme l'a été la France , dans le
coursde cette discussion , eût pu souscrire à des conditions dictées dès
ledébut d'une négociation , et plutôt annoncées au bruit des menaces
de guerre , par des préparatifs etdes armemens ,que proposées comme
un moyen d'accorder les droits et les intérêts des deux Etats ?
Dans une circonstance , à quelques égards analogues , une nation fai-
Lle, non par son courage , mais par l'étendue et la population de ses
provinces, osa braver la puissance anglaise , dans sa capitale menacée,
exposer la demeure de ses rois , compromettre ses magasins , sa seule
richesse , résultat de cent ans de paix , et d'une industrieuse économie ,
plutôt que de souscrire à des conditions injustes proposées alors ,
comme aujourd'hui , sur le motif de la convenance de l'Angleterre , et
appuyées par l'appareil d'un armement considérable. Des hraves y périrent;
les colonies danoises furent envahies ; mais quelque inégale que
fut la lutte , l'honneur ne laissait pas à cette généreuse nation le choix
du parti qu'elle avait à prendre.
Ου
Dans la discussion présente, la politique parle le même langage que
T'honneur; si le gouvernement britannique est le maître de se conformer
denepas se conformer à ses engagemens ; s'il peut, dans les traités
qu'il a faits , distingner l'esprit,de la lettre ; si l'on admet ses restrictions
mentales courne autant d'exceptions autorisées; si les convenances
de l'Angleterre doivent enfin expliquer le sens des conventions
politiques , quel sera le terme des concessions qu'on se flattera d'aracher
su cessivement à la foiblesse de la France? quelle sera la mesure
des sacrifices et des humiliations qu'on entreprendra de lui inmy oşer
? Aujourd'hui la convenance de l'Angleterre exige une garantiecoutre
la France , et l'Angleterre garde Malte ! Autrefois la convenance de
Angleterre voulait une garantie contre la France , et l'on détruisit
Dunkerque ! et un comunissaire anglais donna des lois dans un pays où
flouaient les couleurs françaises ! Demain la convenance de l'Angleterre
demandera une garantie contre les progrès de l'industrie française,
et on proposera un tarif de commerce pour arrêter les progrès.
de notre industrie .
Si nous réparens nos ports , si nous construisons un mo'e , si nous
creusons un canal, si, par quelque encouragement , nous relevons nos
manufactures , etc. on demandera que nos ports soient dégradés , que
pos moks soient détruits, que nos canaux soient conblés , que ncs
426 MERCURE DEFRANCE ,
manufactures soient ruinées ; on exigera que la France devienne pauvre,
ot soit désarmée pour se conformer aux convenances de l'Angleterre ,
et donner une garantie suffisante à son gouvernement.
Que l'on considère les principes , ou qu'on examine les conséquences,
on est également frappé de l'injustice et du scandale de ces
prétentions. Onpeut le demander, si elles étaient soumises à un jury
anglais, hésiterait-il à les réprouver unanimément? Le gouvernement
dela république a droit de s'étonner que le ministère britannique ait pu
se croire autorisé à lui supposer ce degré d'avilissement. Comment
a-t-il pu penser que le gouvernement actuel de la France perdrait,
dans un lache repos , et le souvenir de tout ce qu'il a fait , et le sentiment
de tous ses devoirs ? Nos provinces sont-elles moins étendues ,
moins peuplées ? ne sommes-nous plus ces mèmes hommes qui ont
tout sacrifié au maintien des plus justes intérêts ? Et si , après nos succès
, nous avons fait éclater une grande modération , à quelle autre
cause cette modération peut-elle être imputée , si ce n'est à la justice
de nos droits et au sentiment de nos forces ?
Le soussigné , en exposant à S. E. lord Whitworth ces observations,
croit avoir le droit de lui faire remarquer que la conduite modérée de
toute l'administration française , pendant deux mois entiers d'une suite
deprovocations offensantes , et malgré la profonde impression qu'elle
en ressentait , doit lui faire apprécier le véritable caractère du gouvernement
français. Cependant , c'est lorsque , par son profond silence
sur des insultes répétées , le gouvernement de la république eût dû s'attendre
à voir qu'on chercherait à les réparer , ou au moins à y mettre
un terme; lorsqu'évitant de préjuger la tournure finale que pourraient
prendre les affaires , il n'a montré que de l'attention et de l'empressement
à examiner les moyens qui pourraient être proposés pour concilier
et satisfaire le gouvernement anglais ; c'est alors que verbalement
et sans vouloir consentir à donner aucune déclaration écrite ,
S. E. lord Whitworth a fait , au nom et par l'ordre de son gouvernement
, le 6 floréal , au soussigné , les demandes suivantes : Que l'Angleterre
garde Malte pendant dix ans ; Que l'Angleterre prenne possession
de l'isle de Lampedosa;Que la Hollande soit évacuée par les
troupes françaises : S. E. lord Whitworth a de plus déclaré que ces
propositions étaient l'ultimatum de sa cour , et que sur le refus de
les accepter , il avait ordre de quitter Paris dans le délai de sept jours.
Le soussigné ose dire qu'il n'y a pas d'exemple d'une telle forme
donnée à un ultimatum aussi impérieux. Eh quoi ! la guerre ne doitelle
avoir d'inconvéniens que pour nous ? le ministère anglais juge-t-il
lanation française tellement faible , que , dans une circonstance où il
s'agit pour elle de la plus importante des délibérations , il ne se croie
pas tenu à se conformer , à son égard , aux usages qui sont observés
par tous les gouvernemens des nations civilisées ?
Ou bien n'est- ce pas plutôt que le sentiment de l'injustice , qui pèse
sur la conscience deThomme public , comme sur celle de l'homme privé
, a empêché le gouvernement britannique de signer la demande
qu'il avait faite ; et que , par une marche moins décidée , il a cherché
à se réserver , pour l'avenir , les moyens de faire perdre les traces de
ses véritables prétentions , et de tromper un jour l'opinion sur l'origine
de la rupture ?
Ou enfin , les ministres de S. M. britannique connaissant mal le caractère
du premier consul , ont- ils espéré , à forcede provocations , de
Texaspèrer ou de l'intimider , deleporter à oublier les intérêts de la
PRAIRIAL AN XI. 427
nation, ou de l'exciter à quelqu'acte d'éclat , qu'ils pourraient ensuite
travestir aux yeux de l'Europe en initiative de guerre ?? Le premier
consul plus qu'aucun homme qui existe, connaît les maux de la guerre,
parce que plus que personne il est accoutumé à ses calculs et à ses
chances; il croit que , dans des circonstances telles que celles où nous
nous trouvons , la première pensée des gouvernemens doit se porter sur
les catastrophes et les malheurs qui peuvent naître d'une nouvelle
guerre; il croit que leur premier devoir est non-seulement de ne pas
céder à des motifs d'irritation , maisde chercher par tous les moyens
à éclairer , à modérer les passions imprévoyantes des peuples. Le soussigné
s'arrêtant done d'abord à la forme de cette communication de S.
E. lord Whitworth , le pria d'observer que des conversations verbales
et fugitives sont insuffisantes pour la discussion d'aussi immenses intérêts
, dont ordinairement tous les motifs sont traités dans les conseils
des nations, après les plus mûres délibérations. Dans ces conseils , et
dans de telles circonstances, rien n'est jugé indifférent : les formes , les
expressions même y sont pesées, examinées , débattues , appréciées , et
servent toujours à déterminer comme à justifier le parti que l'on doit
prendre.
Si une aussi imprudente , aussi inconvenante violation de toutes les
formes , avait été faite par la France, que n'aurait-on pas dit, que
n'aurait-on pas écrit en Angleterre ? Il n'est pas un orateur dans les
deux chambres du parlement qui n'eût déclaré que cet écart des règles
générales établies entre les nations dans des circonstances importantes,
était un outrage à la nation anglaise. Aux yeux de tous , une telle offense
eût été regardée comme un motif suffisant de rompre toute négociation.
:
Quant au fonds de l'ultimatum proposé, le soussigné a l'honneur
de rappeler à S. E. lord Whitworth, qu'il fut charge de déclarer par
une note qui lui fut remise,le 12 floréal , que le premier consul restait
impassible aux menaces comme aux injures , et passait par dessus
l'oubli des formes dont il n'est pas d'exemple qu'aucun gouvernement
dars l'histoire se soit écarté dans une aussi importante circonstance ;
Que l'île de Lampedosa n'appartenait pas à la France; qu'elle était
sous la souveraineté d'une puissance étrangère ,et que sur le désir
de S. M. B. d'en avoir la possession. le premier consul n'avait le
droit d'énoncer ni consentement ni refus;
Que l'indépendance de l'Ordre et de l'île de Malte était le résultat
d'un article spécial du traité d'Amiens ; que le premier consul ne
pouvait prendre , à cet égard , aucune nouvelle détermination , sans le
concours des deux autres puissances contractantes à ce traité , S. M.
le roi d'Espagne et la République hatave;
Que l'indépendance de l'île de Malte avait été garantie par S. M.
l'empereur d'Allemagne, et que les ratifications de cette garantie
étaient échangées; que leurs majestés l'empereur de Russie et le roide
Prusse avaient garanti l'indépendance del'ordre et de l'île de Malte; que
ces garanties avaient été demandées à ces puissances par l'Angleterre ,
commepar la France ; qu'il était du devoir du premier consul de les
accepter , et qu'il les avait acceptées ; que lepremier consul ne pou
vait done entendre à aucune proposition relative à l'indépendance
de l'Ordre et de l'île de Malte , sans qu'au préalable il cût connu
relativement à cette indépendance , les intentions des gouvernemens
qui l'avaient authentiquement garantie;
,
Qu'un corps peu nombreux de troupes françaises était encore , au
428 MERCURE DE FRANCE
1
moment du message , stationné en Hollande ; en vertu d'une convention
conclue entre cette république et la France; et que le premier
consul n'avait point hésité à dire qu'il ferait évacuer la Hollande aussitôt
que les stipulations du traité d'Amiens auraient eu leur entière exécution
dela part de l'Angleterre.
A cette note qui , dans les expressions et dans l'exactitude sur-tont
et la précision de ses motifs , ne respirait qu'équité , paix et modération
, S. E. Jord Whitworth répondit parunedemande péremptoire
de passeports , eett'en informant qu'il comptait enfaireusage
mercredi 4 mai , à cinq heures du matin.
Le gouvernement français sentit profondément le contraste d'une
détermination aussi absolue , avec le caractère de bienséance , de justice
et de conciliation que , dans toutes les circonstances , etprincipalement
dans la dernière , il s'était attaché à donner à ses démarches.
Néanmoins il crut devoir faire un sacrifice aux intérêts de l'humanité.
Il ne voulut abandonner tout espoir de paix qu'au dernier moment ,
et le soussigué remit à S. E. lord Whitworth une nouvelle note , par
laquelle la France offrait de consentir à ce que Malte fut remis à la
garde d'une des trois puissances garantes , l'Autriche , la Russie ou
Ja Prusse.
Cette proposition parut à lord Whitworth loi-même devoir,satisfaire
les prétentions de sa cour ; il suspendit son départ , et prit la
note ad referendum .
En même-temps l'ambassadeur de la république à Londres , prévenu
de la demande que S. E. lord Whitworth avait faite à Paris de ses
passeports pour retourner en Angleterre , eut ordre de se tenir prét
àpartir. Il fit en conséquence lademande de ses passeports , qui lui
furent accordés sur l'heure .
Lemezzo termine , proposé par le gouvernement français, s'éloignait
de l'article du traité d'Amiens ; mais il avait le double avantage
de se rapprocher, le plus possible, de son esprit, c'est-à-dire de mettre
Malte dans l'indépendance des deux nations , et d'offrir cette garantie
tant réclamée , et que le ministère britannique prétendait être le seul
objetde ses alarmes .
Le gouvernement britannique comprit la force de ces raisons ; et la
malheureuse fatalité qui l'entraîne àla guerre , ne lui offrit de réponse
que dans une fausse allégation. Le at de ce mois , lord Whitworth
remit une note dans laquelle il déclara que la Russie s'était refusee à
ce qu'on demandait d'elle.
Les puissances garantes étant au nombre de trois , si la Russie s'y
était refusée , il restait encore l'empereur d'Allemagne et le roi de
Prusse ; mais comment la Russie pouvait-elle avoir fait connaître son
opinion sur une proposition nouvelle et faite depuis peu de jours ? If
était à la connaissance de l'Angleterre que la Russie et la Prusse avaient
proposé de garantir l'indépendance de Malte avec de légères modifica
tions , et que le gouvernement français s'était empressé d'accepter ladite
garantie; et par une sute de l'esprit de conséquence et de fidélité.
à ses engagemens , qui caractérise Tempereur Alexandre , il n'était
nullement douteux qu'il n'acceptat la proposition qui lui é ait offerte ;
mais la Providence qui se plaît par fois à confondre la mauvaise foi ,
fit arriver à la mème heure , au mème instant où lord Whitworth remettait
sa note , un courrier de Russie , adressé aux plénipotentiaires.
de cette puissance à Paris et à Londres , par lequel S. M. l'empereur
de Sune manifestait avec une Sergie tone particulière, la peine qual
PRAIRIAL AN XI. 429
के
avait éprouvée d'apprendre la résolution où était S. M. B. de garder
Malte; il renouvelait les assurances de sa garantie, et faisait connaître
qu'il accepterait la demande de sa médiation qui avait été faite par le
premiieerr consulal,, si les deux puissances y avaient recours. Lesoussigné
s'empressa , le 22 , de faire connaître à lord Whitworth , par une note,
Terreur dans laquelle était sa cour, ne doutant pasque, puisque c'était
Iaseule objection qu'elle avait faite au projet qui avait été présenté ,
dès l'instant qu'elle connaîtrait la déclaration réitérée et positive de la
Russie , elle ne s'empressat d'adhérer à la renise de Malte entre les
mains d'une des trois puissances garantes. Quel dut donc être l'éton
nement du soussigné , lorsque lord Whitworth n'entrant dans aucune
explication , et ne cherchaut ni à contredire ni à discuter les déclarations
que lui avait faites le soussigné , a fait connaître , par une note du
mèmejour, qu'aux termes de ses instructions , il avait l'ordre de,partir
trente-six heures après la remise de sa dernière noce, et a réitéré la
demandede ses passeports? Le soussigné dut les lui faire passer immé
diatement.
L'ambassadeur d'Angleterre se serait- il comporté différemment , si
le gouvernement français eût été assiégé dans une place battue en
brèche , et qu'il eût été question , non des intérêts les plus importars
que le cabinet britannique ast traités depuis plus de but cents ans ,
mais d'une simple capitulation.
On a fait précéder l'ouverture des négociations par des armemens
fastueusement annoncés ; tous les jours , à toute heure , on a signalé
la reprise des hostilités .
Et quel est cet aitimatum qu'on présente au gouvernement français
pour être signé dans le délai d'un jour !
, pour
Il faut qu'il consente à donner une île qui ne lui appartient pas ;
qu'il viole lui même, à son détriment , un traité solennel , sous le prétexte
que l'Angleterre abesoin contre Iur d'une garantie nouvelle ;
qu'il manque à tous les égards dus aux autres puissances contractantes ,
endétruisant , sans leur aveu , l'article qui par considération
elles , avait été le plus longuement disenté àà l'époque des confe
rences ; qu'il manque également à ceux qui sout dus aux puissances
garantes , en consentant qu'une île, dont elles ont voulu Tindépendance,
reste pendant dix ans sous l'autorité de la couronne britannique
; qu'il ravisse à l'ordre de Malte la souveraineté de l'état qui lui
a été rendu , et que cette souveraineté soit transmise aux habitans ;
que par cette spoliation il offense toutes les puissances qui ont reconnu
le rétablissement de cet ordre , qui l'ont garanti , et qui , dans
les arrangemens de l'Allemagne , lui ont assuré des indemnités pour
les pertes qu'il avoit éprouvées .
Tel est le fonds de cet ultimatum, qui présente une série de prétentions
toujours croissantes , en proportion de la modération que le gouvernement
de larépublique avait déployée. D'abord l'Angleterre consentait
à la conservation de l'ordre de Malte , et voulait seulement assu
jettir cet ordre et ses états à l'autorité britannique .
Aujourd'hui, et pour la première fois, on demande l'abolition de cet
ordre, et elle doit être consentie dans trente-six heures , ১
Mais les conditions définitivement proposées , tussent - elles aussi
conformes au traité d'Amiens et aux intérêts de la France qu'elles leur
sont contraires , la seule forme de ces demandes , le terme de trente-six
beures prescrit àla réponse , ne peuvent laisser cnoun doute sur la dé
termination du gouvernement Français. Nou, ja mis la France ne
430 MERCURE DEFRANCE ,
fours
connaîtra dans aucun gouvernement le droit d'annuler, parun seul acte
de sa volonté, les stipulations d'un engagement réciproque. Si elle a
souffert que sous des ffoorrnmrreess qui annonçaientla menace, on lui présentât
în ultimatum verbalde sept jours, unultimatum de trente six
heures et des traités conclus avant d'être négociés , elle n'a pu avoir
d'autre objet que de ramener le gouvernement britannique par l'exemplede
sa modération; mais elle ne peut consentir à rien de ce qui
compromet les întérêts de sa dignité et ceux de sa puissance .
Le soussigné est done chargé de déclarer à S. E. lord Whitworth
qu'aucune communication , dont le sens et les formes ne s'accorderaient
pas avec les usages observés entre les grandes puissances , et
avec le principe de la plus parfaite égalité entre l'un et l'autre état, ne
sera plus admise en France.
Querienne pourra obliger le gouvernement français àdisposer des
pays qui ne lui appartiennent point , et qu'il ne reconnaîtra jamais à
I'Angleterre ledroit de violer, en quelque point que ce soit , les traités
qu'elle aura faits avec lui .
Enfin le soussigné réitère la propositionde remettre Malte entre les
mains de l'une des trois puissances garantes ; et pour tous les autres
objets étrangers au traité d'Amiens, il renouvelle la déclaration que le
gouvernement français est prêt à ouvrir une négociation à leur égard.
Si le gouvernement anglais donne le signal de la guerre , il ne restera
plus au gouvernement de la république qu'à se confier en la justice de
sa cause et au Dieu des armées .
Le ministre des relations extérieures ,
Signé Ch . M. TALLEYRAND.
Après avoir entendu ceMessage,,le sénat conservateur anommeune
députation pour porter ath premier consul ses remercîmens pour cette
communication. Dans sadélibération , le sénat dit : qu'il est impor-
>>'tant dedonner à la France le signal de la reconnaissance , si la paix
>> répond aux voeux du premier consul; et du dévouement , si la
>>digniténationale luidemande la guerre. »
Pareille communication a été faite au corps législatif et au tribunat;
ces deux autorités ont également envové une députation au premier
consul. Le C. Fontanés à porté la parole atu nom de la députation du
corps législatif. Nous regrettons que le défaut d'espace ne nous permette
pas de donner le discours qu'il a prononcé devant le premier
consul , et celui qu'il a prononcé dans le sein du corps législatif : on
verrait que le C. Fontanes n'est pas seulement un homme de lettres
très-distingué , mais qu'il est encore un orateur éloquent. LeC. Costas
aporté la parole au nom de la députation du tribunat ; il a rendu
hommage à la sagesse , à la modération et à la fermeté du premier
consul dans sa négociation avec le cabinet britannique .
TRIBUNAT.
Séance du 26 poréal. Le tribunat ouvre sa séance à
deux heures et demie. Le C. Garry occupe le fauteuil
enl'absence du président. On renvoie au gouvernement
une pétition tendante à faire interpréter l'article 3 de
ta loidu24frimaire an 6 , pour la liquidation des dépôts
PRAIRIAL AN XI. 431
judiciaires volontaires. On passe à l'ordre du jour sur une
pétition tendante à faire réviser des jugemens rendus par
défaut. La séance est levée et ajournée à samedi , premier
prairial.
CORPS LÉGISLATIF.
Séance du 26 floréal. -Un secrétaire lit le procèsverbal
de la dernière séance ; la rédaction en est adoptée .
Le président annonce que l'ordre dujour appelle le renou-
Vellement de la commission administrative.
Le C. Fontanes demande et obtient la parole pour faire
une motion d'ordre. Le corps législatif se forme en comité
secret pour l'entendre. A trois heures , le corps législatif
lève sa séance , et s'ajourne à samedi , 1. prairial. Rien
n'a transpiré sur l'objet du comité secret.
Le 30 floréal , le tribunat et le corps législatif ont été
convoqués extraordinairement ; des orateurs du gouver-
* nement ont remis à ces deux autorités toutes les pièces
relatives à la négociation avec l'Angleterre : « Les hegociations
sont interrompues , a dit l'orateur chargé de
porter la parole au tribunat ; nous sommes prêts à combattre
, si l'on nous attaque ; nous combattrons pour soutenir
la foi des traités et l'honneur français . >> Les présidens
du corps législatif et du tribunat ont répondu aux orateurs.
Le corps législatif s'est formé en comité secret
pour nominer une commission chargée de rédiger un
projet de message au gouvernement : il s'est ajourné atı
Tendemain. Letribunat a nommé une commission chargée
de lui faire un rapport lundi prochain , sur les pièces de la
négociation.
PARIS.
Les insurgés de Saint-Domingue ont fait une tentative
pour prendre la ville du Cap , mais ils ont été vivement
repoussés. Nous avons repris le fort Belair , dont ils s'étaient
précédemment emparés.
1
Le C. Lauriston , aide-de-camp du premier Consul ,
est àBrest depuis le 21 floréal. Douze vaisseaux anglais
étoient à la vue de ce port , ily adéjà plusieurs jours .
432 MERCURE DE FRANCE ,
D'après un arrêté du gouvernement , les déclarai
tions de succession ou de fortune , prescrites aux pensionnaires
de la liste civile , aux ex-religieux et religieuses ,
et aux veuves des défenseurs de la patrie , par les lois des
17 nivose et 17 germinal an 2 , 11 pluviose an 3 , et
14 fructidor an 6 , ne seront plus , à l'avenir , exigées
lors du paiement des pensions.
lor1
Les pièces officielles de la négociation avec l'Angle
terre forment un volume de 258 pages in-4°.; nous allons
en extraire l'ultimatum du gouvernement britannique, tel
qu'il a été présenté , le 20 floreal ( 10 mai , ) par
Whitworth. « 1°. Le gouvernement français s'engage à
>> ne mettre aucune opposition à la cession de l'ile de
» Lampedosa à S. M. B. par le roi des Deux-Siciles .
>> 2° . Vu l'état actuel de l'île de Lampedosa , S. M. B. res-
>> tera en possession de l'île de Malte , jusqu'à ce qu'il ait
» été pris des arrangeinens pour mettre S. M. à meme
>> d'occuper l'ile de Lampedosa comme poste militaire
> après quoi l'ile de Malte sera remise aux habitans et
>> reconnue état indépendant. 3°. Le territoire batave sera
>> évacué , par les troupes françaises , dans l'espace d'un
>> mois après la conclusion d'une convention fondée sur
» les principes de ce projet. 4°. Le roi d'Etrurie et
>> les républiques Italienne et Ligurienne seront recon-
➤ nues par S. M. 5° . La Suisse sera évacuée par les trou-
> pes françaises . 6°. Uue provision territoriale convenable
sera assignée au roi de Sardaigne en Italie.-ARTICLE
>> SECRET. S. M. ne sera pas requise par le gouvernement
> trançais d'évacuer Malte qu'après l'expiration du terme
de dix ans . »
?
Nous avons remarqué dans une des premières notes
présentées après le traité d'Amiens , que le gouvernement
français a demandé , d'après des considérations très-intposantes
, l'éloignement des ci-dévant évêques d'Arras et
de St.-Pol de-Léon ; que le nommé Georges et ses adherens
scient déportés au Canada; que les princes de la
maison de Bourbon , actuellement dans la Grande-Brdtagne
, soient requis de se rendre à Varsovie , près du chef
de leur famille; que ceux des émigrés qui se permettent
encore de porter des ordres et des décorations appartenant
à l'ancien gouvernement de France ,soient tenus de quitter
le territoire de l'empire britannique. 1. L
( No. C. ) 8 PRAIRIAL an
REP.FRA
5.1
cen
( Samedi 28 Mai 1803. )
MERCURE
DE FRANCE.
LITTÉRATURE.
POÉSIE.
CURE MERVEILLEUSE
J'AVAIS gagné certaine maladie ,
Qui se rapproche et tient de la folie :
J'étais privé de raison, de bon sens ;
Far fois pourtant j'en rattrapais l'usage.
Pour prévenir semblables accidens,
Je crus devoir recourir aux talens
D'un médecin , habile autant que sage.
-Racontez-moi , dans le plus grand détail ,
Dit le docteur , le mal qui vous possède ;
Sur ce rapport je ferai mon travail ,
Et tâcherai d'appliquer le remède.
-Voici le fait : j'éprouve , à chaque instant,
Certain besoin impérieux d'écrire ,
De compiler, commenter et traduire ;
Je ne saurais dormir paisiblement ;
Souvent la nuit en sursaut je me lève.
Tout en rêvant , je couche par écrit ,
Ce qui dans l'ombre a troublé mon esprit ,
12 Ec
434 MERCURE DE FRANCE ,
4
Et je compose un livre de mon rêve.
Je ne lis pas un seul mot des anciens ,
Qu'à ce sujet je n'exerce ma plume .
Je prends bientôt leurs travaux pour les miens ,
Et j'en compose un moderne volume ,
Lequel revu , corrigé , mis au net ,
Je vais porter à monsieur Crapelet.... (1 )
Quand un Fréron s'acharne à me poursuivre ,
Et sans respect s'amuse à me gloser ,
Pour lui prouver la bonté de mon livre ,
Je crie au meurtre , et vais lui proposer
De lui lancer une balle mâchée
Dans la cervelle , ou l'artère trachée.
On me retient.... Je répands mes noirceurs
Sur le papier ; je dirige ma rage
Contre mon siècle et contre les auteurs ,
Dont les écrits me portent quelqu'ombrage :
Je les insulte et je les pousse à bout ,
En les traitant , dans mes rimes peu chastes ,
De Polissons , de gueux , de Pédérastes ,
Puis je gémis sur la perte du goût ;
Et m'enfermant pendant une semaine ,
Sans m'approcher de créature humaine ,
Amon ardeur je donne un libre cours.
Je voudrais être au dernier de mes jours .
...
...
Tantôt je veux abandonner la ville ,
Me retirer dans un bois de sapins ,
Faire mon trou parmi ceux des lapins ,
Brouter de l'herbe avec l'auteur d'Emile .
Je dîne peu . - Soupez -vous ?
J'ai des raisons pour négliger ces soins .
...
Encor moins ;
...
(1 ) Le nom de Crapelet , imprimeur , est ici uniquement pour la
rime , et l'auteur n'a entendu faire allusion à personne dans le cours
de cette plaisanterie.
PRAIRIAL AN XI. 435
- Je vous entends : sur votre nourriture
Vous éprouvez quelque difficulté....
On m'avoit dit que la littérature
A ses amis faisait la charité ;
Qu'on avait fait une quête publique ,
Pour assister les pauvres gens d'esprit.
Que n'allez-vous partager le produit
D'une collecte aussi philantropique ?
Vous êtes fier ? - Un peu. - Vous avez tort.
Si vous aimiez la soupe économique ,
Et faisiez cas des bouillons de Rumfort ....
-Mourir de faim n'est pas ce qui me touche ;
Je ne tiens pas aux plaisirs de la bouche :
Pour me nourrir peu de chose suffit.
Dans mon état j'ai si peu d'appétit !
Sommes-nous faits pour manger et pour boire ?
J'ai faim et soif ; mais , hélas ! c'est de gloire :
On m'en refuse , et voilà mon malheur !
De - là , je crois , cette affreuse maigreur.,
Ce teint plombé , cette mine allongée , ...
Cet air sournois , ces accès de courroux ...
- Vous m'effrayez ! Donnez-moi votre pouls ;
Voyons la langue.... Elle est un peu chargée....
En travaillant , quels livres lisez-vous ?
Quel est , mon cher , l'aliment ordinaire
De votre esprit ? - Helvétius , Voltaire ,
Rousseau , Mably, Diderot , Condorcet ,
Baile , Raynal , le baron de Copet ....
Le plus souvent , pour aider mon génie ,
Je vais puiser dans l'Encyclopédie ,
Dont chaque livre , avec profusion ,
Peut me fournir de l'érudition ,
Des mots abstraits , de la métaphysique ,
Et de l'esprit par ordre alphabétique....
Eca
436 MERCURE DE FRANCE ,
-Que pensez-vous de la religión ? ..."
Je penche un peu pour un Étre Suprême ,
Premier moteur.... mais , quand j'y songe bien ,
En vérité , je ne penché pour rien. ...
- Sur l'homme enfin quel est votre système ?
- Je crois que l'homme est un simple animal ,
Un composé de subtile matière ,
Qui , mise en jeu par un souffle vital ,
Retourne ensuite en petite poussière ,
Dont se nourrit le règne végétal....
Nous nous changeons peut-être en d'autres bêtes.
Il se pourrait , tout docteur que vous êtes ,
Que vous prissiez la forme d'un cheval....
-Fort bien. Je vois , dans votre maladie ,
Un caractère alarmant et fâcheux,
Lequel provient d'une philosophie
Qui fait chez vous des ravages affreux .
J'y réfléchis et et je ne trouve encore
Aucun remède au mal qui vous dévore ,
:
Mais . attendez .... J'en vois un tout nouveau ...
Dont je conçois un favorable augure;
Je le crois propre à guérir le cerveau
Le plus fêlé par la littérature ,
Par l'atheïsme et l'incrédulité :
On le peut faire avec facilité ;
Car il s'agit d'une simple lecture ,
Qui peut produire un merveilleux effet....
Pendant un mois vous lirez , s'il vous plait ,
Châteaubriant , sur le Christianisme.
- Vous me voulez remettre au catéchisme.
Ce livre-là , selon quelques savans ,
Peut , tout au plus , séduire des enfans.
Vous me donnez un secours inutile :
Le titre seul m'a causé du dégoût ,
...
PRAIRIAL AN XI. 437
Et le sujet a remué ma bile.
-
-
L'avez-vous lu tout entier ?-Pas du tout.
Il faut vous vaincre , et lire jusqu'au bout....
Je surmontai bientôt ma répugnance....
O de ce livré effet prodigieux !
En peu de temps il desilla mes yeux.
Dans mon esprit , une douce croyance
S'introduisit par un charme nouveau ;
Je fus rempli d'amour et d'espérance :
Je crus sortir de la nuit du tombeau.
Humilié de mes erreurs grossières ,
J'en reconnus la cause avec effroi ;
Je m'étonnai du charme de la foi ,
De la beauté du culte de nos pères.
Des jours sereins se levèrent pour moi ;
Sur l'avenir j'osai porter la vue :
La vérité dans mon coeur descendue ,
Y ramena le calme , le bonheur....
Je fus guéri de ma mauvaise humeur,
De mon orgueil , de la sotte manie
De publier d'impertinens écrits ;
Plus éclairé , j'eus plus de modestie ,
Et je laissai messieurs les beaux-esprits
Se rengorger dans leur philosophie....
* Je rendis grâce au mortel inspiré ,
Dont le génie et le touchant langage
Avaient produit ce bien inespéré .
Mon médecin eut aussi mon hommage...
Ason remède , amis , ayez recours ,
Si quelques maux troublent votre pensée ,
Confiez-vous à ce seul panacée
Pour consoler etprolonger vos jours.
T
BERCHOUX.
Ee3
438 MERCURE DE FRANCE,
f
ENIGME .
De l'énigme je suis le principe et la fin ,
Mon être occupe le destin ;
Je commence en été , je finis en automne ,
Et suis toujours Flore et Pomone.
N. E. C. , Abonné.
LOGOGRYPΗΕ.
Sur cinq pieds , du guerrier paralysant le bras ,
Au rôle de trompeur , sans tête , on me ravale ;
Si je perds tête encor femme , n'eut tant d'appas ,
Et ne pût moins que moi redouter de rivale.
Parun Abonné.
CHARADE.
Mon premier peut être un faux-pas ,
Que mon dernier fuit , s'il est sage ;
Mon tout , cher lecteur , ici-bas ,
N'est , à dire vrai , qu'un passage.
A. B.
:
Mots de l'Enigme, du Logogriphe et de la
Charade insérés dans le dernier Numéro.
Lemot de l'Enigme est Duc ( grand seigneur),Duc ( sorte
de hibou et oiseau de proie. )
Celui du Logogryphe est Cornemuse , où l'on trouve
Creuse , mesure , sucre , mère , cor , Cérès , Muse , rose ,
Rome , orme , morue , Rouen , Meuse , Corse , encore.
Le mot de la Charade estPa-pa.
PRAIRIAL AN XI. 439
Dialogues sur l'éloquence en général, et sur celle
de la chaire en particulier , suivis des Sermons
choisis de Fénélon. Un vol. in- 12. Prix 2 fr.
50 cent. et 3 fr. 25 cent. franc de port. A Paris ,
à la librairie typographique , quai des Augustins
, nº. 70 ; et chez le Normant , imprimeur
- libraire , rue des Prêtres Saint - Germain-
l'Auxerrois , nº . 42.
L'ÉDITEUR des Sermons choisis de Bossuet ne
pouvait donner un meilleur pendant à cet ouvrage
qu'en recueillant ce que Fénélon a écrit de plus
soigné dans ce genre. Ces deux grands noms vont
ensemble , et la postérité s'est plu à les réunir
dans un même sentiment d'admiration. Mais chacun
a son génie qui lui est propre , et il n'y a
point de lecture plus variée que celle de leurs
ouvrages , lors même qu'ils roulent sur un fonds
d'idées semblables . Dans ces hauteurs admirables
où Bossuet vous ravit , il semble que l'on converse
avec une intelligence supérieure , qui voit
ce que nous croyons. En écoutant Fénélon , on
croit reposer sur le sein d'un aini , dont la voix
endort nos douleurs. Mais je n'ai garde de vouloir
chercher un sujet de comparaisons et d'antithèses
dans ces deux grands hommes ; l'imagination
trouve à se jouer entre l'Aigle de Meaux et le
Cygne de Cambrai. Mais la vérité est presque toujours
sacrifiée à ces petites pointes d'esprit. Je
suis loin de croire que Bossuet n'eût que de la
force sans douceur et de l'élévation sans tendresse ;
il avait une âme aussi profondément sensible que
celle de Fénélon ; et je souffre de voir que ceux
qui l'ont lu trop légèrement , en prennent une autre
opinion. Si son coeur et ses entrailles parlent moins
Ee 4
440 MERCURE DE FRANCE ;
1
.....
souvent dans ses livres , c'est que la nature de ses
méditations ne le permettoit pas ; il croyoit devoir
au public des vérités plutôt que des sentimens : mais
s'il s'attachait , avant tout , à porter la lumière dans
le fond des esprits , avec quelle puissance ne remuait-
il pas ses auditeurs quand il le voulait ?
Dans mille endroits de ses Oraisons Funèbres , n'y
a-t- il pas des accens qui vont chercher l'âme ?
sur-tout dans cette dernière et éloquente effusion
de son coeur , lorsqu'il vient pleurer , après tous
les autres , sur le tombeau du prince de Condé ,
ce retour attendrissant qu'il fait sur lui-même,
ces cheveux blancs par lesquels il se sent averti
de son heure ; enfin ces derniers sons d'une voix
qui tombe.... N'y a-t-il pas là quelque chose
de bien sentimental et de bien profond ? Que ce
ne soit encore , si l'on veut , que des mouvemens
oratoires , j'y consens ; entrons dans le sein de
l'amitié et dans le coeur même de ce grand homme ,
Jisez la lettre qu'il écrivait à milord Perth , pendant
que ce seigneur souffrait pour la foi en
Ecosse. Quel coeur ! quelle bonté ! quelle plénitude
et quelle force de sentiment ! que c'est bien
là qu'on trouve le génie et la vraie beauté du
christianisme ! Jamais , depuis Saint Paul et Saint
Augustin , on n'avait rien écrit de si tendre ; ja
mais la religion n'avait consolé le malheur avec
uneéloquencesitouchante ; jamais onn'avaitmontré
une si belle âme. Il est impossible de lire cette
lettre sans être ému jusqu'aux larmes et sans avoir
le coeur plein d'une tendre vénération pourle grand
homme qui l'a écrite .
Voilà , voilà les maîtres dont notre patrie a besoin,
si l'on veut que des sentimens d'honneur et
de vertu éteignent cette ardeur d'ambition et de
cupidité, cette soifdu gain qui est devenue comme
le seul esprit de notre nation. Leurs livres ne sont
PRAIRIAL AN XI. 441
pas seulement des trésors d'éloquence et de savoir,
mais de générosité et de grandeur d'âme ; et telle
page de Bossuet ou de Fénélon fera plus de coeurs
français, que la philosophie n'a fait d'égoïstes avec
ses viles maximes. Lors même que le monde n'anrait
plus d'autres ressorts que l'intérêt et l'amour
propre , il faudrait encore qu'il retournât vers ces
grands hommes , et qu'il en reçût les leçons , puisque
leurs ennemis même leur accordent d'être les
plus parfaits modèles dans l'art le plus brillant et
le plus difficile (1 ) . M. de Voltaire , qui avait ses
momens de conscience et de justice , dit dans un
endroit , en parlant de Bossuet , l'homme le plus
naturellement éloquent qui aitjamais paru......
Et on pourrait dire de même de Fénélon , que
c'est l'écrivain le plus naturellement spirituel qui
ait existé : car tous deux ont ce rare mérite , que
leur éloquence ne décèle jamais l'effort ni le travail
; on n'y sent aucune gêne , aucun apprêt ; tout
y est le fruit d'un heureux naturel ; tout y coule
de source ; on ne sait où ils prennent cette multitude
de tours pleins d'aisance , d'une grâce achevée
et d'une simplicité énergique.
Ce qui est sorti de la plume de Fénélon se distingue
par ce genre d'esprit aisé , fertile , plein de
naturel ; mais ce qui l'a rendu immortel , c'est ce
que son coeur a produit. Il avait un talent rare
pour le dialogue , genre de composition qui demande
beaucoup de finesse et de vivacité. Ses Dialogues
des Morts sont peu travaillés ; ce sont le
plus souvent des thêmes composés à la hâte pour
l'instruction du duc de Bourgogne ; mais la main
du maître s'y fait sentir en biendes endroits : parmi
une foule de traits aussi fins et aussi enjoués que
(1) Fénélon et Bossuet seraient auteurs classiques, même
chez des payens,
442 MERCURE DE FRANCE ;
2
ceux de Lucien , il y en a de profonds , qui en
trent bien avant dans le coeur humain. Il était plus
jeune lorsqu'il fit ses dialogues sur l'éloquence et
sur la chaire ; il y parait très-vif ; le style en est
séduisant , et ses idées sont quelquefois pressées
avec beaucoup de force et de chaleur : cependant
sa méthode pour la prédication souffre quelques
difficultés .
Son idée est que les orateurs sacrés devraient
s'accoutumer à parler d'inspiration et d'abondance
de coeur , au lieu de réciter de mémoire un
discours écrit. C'est de là qu'il fait dépendre les
plus vives impressions de l'éloquence. Cette question
touche à des points délicats. L'exemple des
premiers apôtres , qui parlaient toujours sans préparation
, prout spiritus dabat eloqui , comme dit
l'écriture , semble être ici d'une grande autorité ;
mais outre que les voies extraordinaires ne doivent
pas entrer dans une méthode générale , il faut considérer
ce que le progrès des choses demande dans
la société ; et c'est à quoi l'on fait peu d'attention ,
lorsqu'on va prendre un exemple dans des temps
éloignés. Les premiers hérauts du christianisme
portaient la parole à des nations étrangères. On
les écoutait, ou on les faisait mourir. Leur mission
était aussi simple qu'hérïoque. Ils n'avaient qu'à
jeter la semence , et à la rendre féconde par leur
sang. Cet ouvrage est achevé ; aujourd'hui la parole
est répandue , et elle a pris racine. Il reste à
en tirer les conséquences pour toute la conduite
de la vie , parce qu'elle renferme en soi les principes
les plus étendus de la société , qui se développent
avec l'âge et selon ses besoins. Chaque
jour, il en faut faire l'application à des moeurs et
à des usages connus , à des circonstances plus ou
moins délicates , qui demandent du ménagement ,
parce qu'il n'est plus question de conquérir , mais
PRAIRIAL AN ΧΙ. 443
de gouverner. Enfin , les difficultés naissent et se
compliquent. Il y a des erreurs à éclaircir , des
objections à résoudre , des faits à présenter , une
histoire entière à recueillir. Le secours de l'étude ,
de la méditation , de la mémoire , l'art du raisonnement
, celui de l'éloquence , toutes les sciences
humaines , en un mot , deviennent donc nécessaires
, par degrés : on les cultive par un besoin invincible
, qui prend sa source dans la nature même ;
et ce progrès fait assez comprendre comment telle
méthode qui convenait à l'origine des choses ne
peut plus suffire à un état plus avancé.
C'est pour avoir mal connu un point si important
dans les choses humaines , que Rousseau a
perpétuellement vu l'homme et la société sous un
jour faux. Ses idées même les plus justes lui tendaient
des piéges , en donnant une couleur de
vérité à ses illusions. On le voit clairement , dans
sa réplique au roi de Pologne , où l'on aperçoit
unhomme encore chancelant dans ses opinions ,
et qui cherche à s'affermir sur un terrain où il a
d'abord mis le pied assez légèrement. Il cite les
pères et les docteurs ; et c'est , l'évangile à la main ,
qu'il s'imagine confondre les sciences , lorsqu'il
s'écrie éloquemment : Non , ce n'estpoint avec tant
d'art et d'appareil que l'évangile s'est étendu par
tout l'univers , et que sa beauté ravissante a pénétré
les coeurs. Mais sa beauté , Philosophe , n'a
point empêché ses ennemis de l'attaquer. La défense
est donc devenue nécessaire , conséquemment
l'art et le savoir. On a avili sa sublime simplicité
par de misérables pointilleries. Si sa simplicité
n'avait rencontré que des coeurs droits , il
n'eût fallu sans doute employer ni tant de raisonnemens
, ni tant d'éloquence. Si les philosophes
n'avaient pas eu des subtilités pour l'obscurcir , les
théologiens n'auraient pas eu besoin d'argumens
444 MERCURE DE FRANCE ,
pour le justifier. Ce qui revient à dire que s'il n'y
avait pas d'erreur , on n'aurait pas besoin de démonstration
; et que sans l'ignorance et la mauvaise
foi , l'étude et la logique seraient inutiles .
Mais qui verra le monde , tel qu'il est , livré au
combat de la vérité et de l'erreur , et qui prendra
la peine de considérer la proportion naturelle qui
doit s'établir entre l'attaque et la défense , sera
conduit par un enchaînement sensible à reconnaître
que les plus hautes questions de la théologie
sont devenues aussi nécessaires que les premiers
principes de l'évangile , puisqu'elles n'en sont que
le développement. Les jeunes gens qui sont accoutumés
à traiter de minuties et de vaines disputes
tout ce qui passe leur portée , ne soupçonnentpas
combien il y a d'ignorance et de légèreté
dans ce mépris. Les philosophes ont étrangement
brouillé toutes les nations. Mais on ne désespère
pas à la longue de faire recevoir des idées plus
justes.
En appliquant ce qui vient d'être dit à la méthode
de Fénélon, on peut juger que , dans l'état
présent des choses, la prédication , tout en conservant
les grands caractères de l'éloquence évangélique
, la simplicité du sublime et la tendresse de
P'onction , ne peut plus être ce qu'elle était dans
les premiers temps. Elle ne doit pas se borner aux
mouvemens d'un coeur sensible qui se répand sur
un auditoire déjà convaincu. Il faut instruire , et
le champ de l'instruction est devenu si vaste , il
comprend tant de questions importantes , qu'il n'y
a, ce semble , que des écrits raisonnés et profonds
qui puissent répandre avec ordre toutes les
idées de l'esprit. Fénélon entreprend d'accorder
ces deux choses, Il veut que l'orateur sacré parle
sans avoir rien écrit , ni rien appris par coeur ,
mais il veut aussi qu'il ne l'entreprenne qu'après
PRAIRIAL AN XI. 445
avoir longuement et mûrement médité. Il lui demande
un savoir étendu , et une logique exercée.
Il veut qu'il se soit rempli de son sujet, qu'il en
ait d'avance rangé toutes les parties dans sa tête ,
qu'il ait distribué ses preuves , disposé ses raisonnemens
, qu'il ait même mis en réserve certains
tours et certains mouvemens propres à ranimer une
attention languissante, de manière qu'il n'ait plus
qu'à s'abandonner à son génie et à l'inspirationdu
moment qui lui fourniront ses expressions. Il fait
sentir tout ce que l'éloquence extérieure gagnerait
à cette méthode ; combien l'action de l'orateur
serait vive , sa déclaration pleine de grâce et d'esprit
, sá voix variée par mille inflexions touchantes
, ses yeux pleins d'éclairs ou de larmes , tout
son corps animé par des mouvemens naturels ;
enfin, combien l'auditoire serait ému , puisque
l'orateur le serait nécessairement lui-même. Il va
jusqu'à croire que les idées et les raisonnemens y
gagneraient , sinon pour la justesse et la précision ,
au moins pour le tour et l'énergie ; et il est certain
que l'âme , dans cet état d'agitation , a quelquefois
des hardiesses de style qui l'étonnent elle-même.
Tout cela est appuyé de l'exemple des anciens orateurs
qu'on suppose avoir parlé de cette manière ,
apparemment parce qu'ils mettaient l'action audessus
de tout , et que l'action n'accompagné
guères un discours récité mot-à-mot.
Il y a là bien des choses vraies , et Fénélon a
fait , presque sans y penser , un des meilleurs traités
qu'il y ait sur l'éloquence. Mais cet ouvrage
n'a pas paru de son vivant. Il a craint de le rendre
public , parce qu'il s'éloigne un peu des manières
de son temps. Singulière retenue dans un si grand
homme , lorsqu'on la compare à l'audace burles-,
que de ces philosophes qui voulaient apprendre
à leur siècle à penser , et qui se montaient sur
446 MERCURE DE FRANCE ,
des échasses pour annoncer à tout l'univers qu'ils
avaient des idées !
4
Fénélon avait pris en lui-même le modèle de
son orateur ; et , à bien des égards , sa méthode
ne peut convenir qu'à un homme que la surabondance
de son génie et de son coeur rend éloquent ,
comme malgré lui. Il y a trop peu d'hommes qui
soient capables d'une forte méditation , et qui , en
même temps , soient doués d'une présence d'esprit
assez ferme , pour pouvoir arranger et suivre
dans leur tête tous les points d'une discussion approfondie.
Indépendamment de mille causes imprévues
qui peuvent jeter de la confusion dans les
idées , et troubler l'attention de l'esprit , le seul
danger d'une parole hasardée , qui peut échapper
àun orateur qui improvise , rend cette méthode
absolument impraticable pour la chaire , qui n'admet
rien que de réfléchi et de mesuré. A ne con--
sidérer que l'art oratoire , la coutume de parler
sans préparation , ou plutôt sans le secours de l'écriture
, jette les hommes dans un autre défaut
qui n'est pas moins nuisible à l'éloquence. C'est
cette malheureuse facilité d'avocat , cette abondance
fade et stérile , qui accoutume l'esprit à se
contenter de raisons superficielles et d'expressions
petites et vulgaires : défaut, du reste , qui se fait
remarquer aussi bien dans ceux qui écrivent sans
avoir réfléchi , que dans ceux qui parlent sans avoir
écrit. De tels orateurs et de tels écrivains font l'étonnement
de la multitude qui n'admire en eux
qu'une seule chose , c'est qu'ils ne tarissent point.
Mais leur fécondité inépuisable est le fléau de
habiles gens. Si l'on réfléchit ensuite à ce qui a été
dit du progrès de la science , on se convaincra que ,
dans bien des questions , il ne suffit pas à l'homme
le plus éloquent de parler ou d'écrire de génie. Il
faut s'appuyer des autorités , appeler l'histoire en
PRAIRIAL AN ΧΙ. 447
témoignage , discuter les monumens et les titres ,
s'engager dès-lors dans des recherches savantes , et
multiplier les citations , ce qui nous ramène à la
nécessité d'écrire avant de parler , car on sent bien
qu'un discours improvisé ne peut guères avoir ni
ce poids ni cette mesure. Mais s'il est permis de
mêler ses idées à celles d'un aussi grand maître
que Fénelon , il semble qu'on aura concilié les
avantages qui sont propres à chaque méthode , si
l'orateur traite d'abord ce qui appartient à l'instruction
et à l'information , dans un sujet quelconque
, avec toute la force de réflexion que comporte
un discours écrit , et qu'ensuite , dans tout
ce qui touche aux passions , il s'abandonne sans
préparation et sans étude , aux mouvemens de son
ame. On ne voit pas d'autre moyen de réunir les
deux points de ce bel art , d'être solide pour convaincre
, et touchant pour persuader .
Fénélon avait été missionnaire ; il s'était formé
par état à l'éloquence apostolique ; il avait la
science du coeur; il faisait couler les larmes , parce
qu'il savoit pleurer lui-même ; sa méthode était le
fruit de son expérience , et on assure qu'il la pratiqua
toute sa vie. C'est pour cela qu'il n'a laissé
que quelques sermons écrits dans sa jeunesse ou
dans des circonstances d'éclat. Mais on peut voir
avec quel soin et quelle application il se pénétrait
de son sujet , combien le travail de la réflexion
suppléait en lui au travail de la plume. On trouvera
à la fin des Sermons choisis , un plan d'un
de ses discours , figuré d'après son manuscrit , où
l'on peut étudier sa manière de composer , et suivre
en quelque sorte les traces de la méditation . Il est
heureux qu'il se soit fait un devoir d'écrire son
discours à l'électeur de Cologne , qui passe pour
un chef-d'oeuvre , et qui est effectivement admirable
, sur-tout par l'emploi de l'Ecriture, d'où il
:
448 MERCURE DE FRANCE ,
a tiré des richesses d'expression et des beautés
de sentiment bien supérieures à tout ce qui est
sorti du coeur et de l'imagination des poètes. « La
>>première partie de ce discours , dit M. l'abbé
>> Mauri , est écrite avec l'énergie et l'élévation de
» Bossuet ; la seconde suppose une sensibilité qui
» n'appartient qu'à Fénélon. » On a vu ce qu'il
faut penser de ce dernier éloge ; le premier est
plus juste et plus vrai. Il n'y a rien de si noble
que tout ce que Fénélon établit pour montrer
que les puissances et les sociétés ont besoin de
christianisme pour s'affermir , mais que le christianisme
n'a pas besoin d'elles , puisque jamais il
n'a paru aussi ferme et aussi florissant que lorsqu'il
s'est soutenu , non - seulement sans leur secours
mais même contre tous leurs efforts , pendant la
durée de trois siècles. Voilà une force inattaquable
, elle se fonde sur sa doctrine , et se prouve
par l'histoire. Où sont ces hommes qui croyaient
son dernier jour arrivé ? Hier ils faisaient un peu
de bruit , aujourd'hui on ne les entend plus .
• • ..
Dans la seconde partie , on a remarqué ce mouvement
si digne d'un grand évêque : O pasteurs !
loin de vous tous coeurs rétrécis ! élargissez , élar
gissez vos entrailles ; vous ne savez rien , si vous
ne savez que commander , que reprendre , que corriger
, que montrer la lettre de la loi; soyez
pères ; ce n'estpas assez , soyez mères , enfantez
dans la douleur. etc. Non , ce n'est pas
le coeur de l'homme qui peut donner la vie à une
éloquence de ce caractère , il ne s'est pas enseigné
à lui-même des sentimens si élevés au-dessus
de sa nature , un dévouement si contraire à
ses passions les plus vives et les plus enracinées ;
tant de grandeur et tant de petitesse ne peuvent
sortir du même fonds. Une si héroïque tendresse
n'a pu être mêlée dans ses entrailles avec tant de
cruauté ;
PRAIRIAL AN XI.
REP.
FRA
cruauté ; il en faut chercher la source dans cet
esprit surnaturel qui faisait die à un orateur de
la même loi : Qui est--ccee qui s'affaiblit , saks que
je m'affaiblisse avec lui ? Qui est-ce qui tombe
sans que mon coeur brûle pour le relever ! Our
infirmatur , et non infirmor ? etc. étonnante bonté ,
qui s'emploie à consoler l'homme des maux que
Thomme lui fait souffrir ! c'est elle qui inspire les
Fénélon , les Paul , les Augustin , ces anges de la
paix et de la douceur , qui , pendant que les
hommes se déchirent impitoyablement , arrosent
de leurs larmes les blessures qu'ils se font , et soutiennent
sur le lit de mort ceux qui les ont calomniés
pendant toute leur vie.
Ch . D.
5.
cen
1
1
:
1
1
ELIESER ET NEPHTALY , poëme traduit de l'Hébreu ,
suivi d'un DIALOGUE ENTRE DEUX CHIENS . Nouvelle
imitée de Cervantes ; ouvrages posthumes de M. de
Florian : un volume in- 18 . Prix , 1fr . et 1 fr. 25 cent .
franc de port. A Paris , chez Guillaume , libraire , rue
de la Harpe , collége d'Harcourt ; et le Normant , imprimeur
- libraire , rue des Prêtres Saint - Germain
l'Auxerrois , n. 42 .
La Renommée est une déesse plus capricieuse que la
Fortune , et ses faveurs ne sont pas toujours faites pour
justifier les mouvemens de notre amour propre . Je connais
plus d'une tête vide qui se trouve chargée de myrtes
et de lauriers , et plus d'un autel a été élevé à des gens qui
n'étaient point des dieux. Rien n'est , d'ailleurs , plus arbitraire
que les réputations. On connaît ce vers duMéchant :
L'aigle d'une maison n'est qu'un sot dans une autre .
Paris avait autrefois des grands hommes pour tous les
13 Ff
450 MERCURE DE FRANCE ,
pays. Tel écrivain qui était à peine connu dans la capitale
, était célèbre dans la province ; un autre n'avait de
célébrité qu'en Allemagne , et il était ignoré par-tout
ailleurs ; le nom d'un poète ou d'un romancier, qui n'était
jamais cité sur les bords de la Seine , passait souvent
les mers , et il recevait tout l'encens des Antilles. Ces
réflexions ne seront peut-être pas déplacées dans un article
où il est question de M. de Florian. On sait que cet
écrivain avait joui d'abord d'une assez grande réputation
dans la capitale; peu-à-peu sa gloire avait passé dans la
province ; et lorsqu'il est mort , elle commençait à prendre
tout doucement le chemin des Colonies. L'oeuvre posthume
que nous annonçons , ne l'aurait assurément pas
fait revenir de ces climats lointains ; cette oeuvre posthume
consiste en un poëme en quatre chants, intitulé Nephtaly
et Elieser , et un Dialogue entre deux Chiens , traduit de
Michel Cervantes .
Nous allons donner une idée du poëme: « Sadoc n'avait
plus d'épouse. Deux fils jumeaux lui étaient restés. Elieser
et Nephtaly , à peine âgés de dix-neuf ans , étaient l'exemple
et l'amour d'Israël. Beaux , sages comme Joseph ,
aimables comme Benjamin , lorsque , revêtus de leurs
robes blanches , ils accompagnaient le grand-prêtre , et
lui présentaient à l'autel les arymes ou l'encens , le peuple,
envoyant le père et les fils , croyait voir Abraham
au milieu des Anges. Lorsqu'après le coucher du soleil ,
se promenant autour de la ville , ils se plaisaient à lever
les pesantes pierres qui couvraient les citernes , pour
abreuver les troupeaux des jeunes filles revenant des
champs , ces jeunes filles , en les saluant , ne pouvaient
s'empêcher de rougir , et , toutes pensives auprès de leurs
mères , se faisaient dire le soir comment Jacob choisit
pour épouse celle dont il avait abreuvé le troupeau. »
Elieser et Nephtaly ne connaissaient point l'amour ,
PRAIRIAL AN XI. 45
mais ils étaient unis par l'amitié la plus vive. Elieser ,
non moins aimant , non moins tendre que Nephtaly, était
né plus sérieux et plus grave ; Nephtaly , plus impétueux ,'
mais aussi pur que son frère , aimait comme lui la vertu.
Un jour qu'ils parcouraient tous deux , suivis de leurs
jeunes amis , les brûlans rochers de Remmon, Nephtaly ,
se laissant emporter à la suite d'une panthère , s'écarté ,
s'éloigne d'Elieser, laisse loin de lui tous ses compagnons ,
et passe bientôt les limites des lieux qui lui étaient connus.
Il s'égare dans le désert , et ressent bientôt les tourmens de
cette soif si terrible , qui seule dans ces climats suffit pour
donner une prompte mort.
Il saisit le vase de lait qu'il portait toujours dans son
sein. Il va l'approcher de sa bouche , lorsqu'il entend derrière
lui des cris inarticulés ; il regarde , il voit une jeune
Israélite qui tombe à genoux, en demandant de l'eau pour
appaiser sa soif mortelle. Nephtaly court à cette infortunée
, et lui verse le vase de lait , qui était son seul espoir
contre le trépas ; il se condamne à une mort presque certaine
, pour sauver la vie de la jeune inconnue ; victime
de sa générosité , il tombe bientôt en défaillance ; la jeune
Israélité s'en aperçoit , et bravant les hordes des Moabites
qui la poursuivaient , elle court à la maison d'Abdias son
père , afin de trouver des secours pour son bienfaiteur
expirant. Pendant que la fille d'Abdias retournait à la mai-.
son de son père , Elieser et ses jeunes compagnons arrivent
auprès de Nephtaly, et ils le reportent presque mourant à
la maison de Sadoe. Bientôt Nephtaly est rappelé à la vie et
à la santé ; l'image de la jeune Israélite est la première
idée qui vient le frapper à son réveil : il ne respire plus
que pour cette belle inconnue dont il ignore le pays et le
nom. Rachel , la fille d'Abdias , n'a pu oublier le jeune
étranger qui lui a sauvé la vie ; elle quitte la maison paternelle
pour aller , à Silo , offrir dans le temple du Sei-
Ff2
452 MERCURE DE FRANCE ,
gneur , deux jeunes colombes et un agneau blanc ; elle
invoque le dieu d'Israël , elle le conjure en secret de sauver
les jours du jeune inconnu à qui elle doit la vie ;
Elieser présidait alors aux sacrifices ; la jeune Israélite
s'adresse à lui : « Pardonnez , lévite du Seigneur , lui ditelle,
pardonnez à une inconnue de vous retenir un moment.
Quoique étrangère dans Silo , je ne suis point une infidelle ,
je demeure en Benjamin , dans le hameau de Luza. Mon
nom est Rachel. Mon père Abdias adore le dieu d'Isaac .
Je viens offrir à l'éternel cet agneau , ces deux colombes ,
seule richesse dont puisse disposer la fille d'un simple pasteur.
Daignerez-vous , enfant d'Aaron , les immoler pour
moi sur l'autel , et solliciter du Très-Haut la grâce que je
lui demande ? >>> « Fille d'Abdias , lui dit Eliezer , que
demandez-vous au Seigneur ? » Rachel lui répond qu'elle
implore le Très-Haut pour le mortel à qui elle doit la
vie , et l'innocente fille d'Abdias laisse croire ainsi au
jeune lévite qu'elle vient offrir un sacrifice pour son père.
Le noeud du poëme réside en partie dans ce jeu de mots.
-
Cependant Elieser n'a pas vu la belle Rachel sans adıniration
, et il en devient épris à son tour . Les deux frères
sont rivaux sans le savoir , et bientôt leur amitié sera mise à
l'épreuve par l'amour. Les deux frères ne tardent pas à se
faire part du nouveau sentiment qu'ils éprouvent , l'un
pour une beauté dont il ignore le nom et la famille , l'autre
pour la jeune Rachel . « O mon frère ! s'écrie Elieser ,
>> si tu l'avais vue à genoux , tenant dans ses mains deux
>> colombes , élevant au ciel des yeux pleins de larmes !
>>> sa tristesse l'embellissait , sa douleur augmentait sa
>> grâce ; elle priait pour son père.... » On s'étonnera de
voir ces jeunes Israélites , de la tribu de Lévi , parler un
langage qu'on trouverait précieux aujourd'huimême dans
nos salons ; Nephtaly ne parle pas avec moins de prétention.
« Le temps qui s'écoule sans elle , s'écrie-t-il
PRAIRIAL AN XI. 453
!
» n'appartient pas à ma vie ; l'univers se réduit pour moi
> à la place où je la rencontrai.-O mon frère pardonne à
>> ton tour , ou plutôt , mon frère , rassurons nous , nos
>> âmes sont toujours les mêmes ; le feu sacré de notre
>> amitié n'a point rallenti son ardeur ; il nous anime , il
>> nous soutient ; c'est lui , c'est lui qui nous fait vivre ,
» mais une flamme différente nous consume et nous fait
>> mourir.... Tous deux s'interrompent mutuellement ;
>> tous deux depuis leur confidence semblent avoir changé
>> d'amour. »
Nephtaly ne sait pas même le nom de celle qu'il adore :
on ne peut ni le consoler , ni le rendre heureux. Elieser
aime Rachel ; et Rachel n'est point inconnue : Nephtaly
s'offre d'aller la demander lui-même en mariage pour son
frère. Il part , après avoir obtenu le consentement de
Sadoc ; il arrive chez Abdias. Mais quelle est sa surprise ,
lorsqu'il reconnaît lajeune Israélite , à laquelle il a sauvé
la vie ! Quel est l'étonnement de Rachel , lorsqu'elle revoit
l'étranger qu'elle a vu dans le désert ! « Mon père ,
>> dit-elle d'une faible voix , vous m'avez donnée au fils
>> de Sadoc ; je dois obéir en silence. Mon coeur sera prêt
» à suivre ma main , si le frère d'Elieser veut me con-
> firmer de sa bouche , que c'est pour m'appeler sa soeur
» qu'il est venu jusque dans ces lieux. » Rachel a recours
aux petits moyens de la coquetterie ; elle cherche à provoquer
un aveu de Nephtaly ; mais celui-ci reste fidèle à
l'amitié . La fille d'Abdias , dit M. de Florian , en éprouvait
un secret dépit , qu'elle prenait pour de la haine.
Elle se promettait de haïr le jeune Hébreux , et elle le
regardait sans cesse. Cependant Nephtaly , Abdias et Rachel
se mettent en marche pour se rendre à Silo , où les
attendaient l'heureux et tranquille Elieser. Le mariage
est célébré avec une pompe solennelle. Rachel aime toujours
Nephtaly , et elle ne peut résister à sa passion. « Ne
7
Ff3
454 MERCURE DEFRANCE,
1
>> nous cachons point nos combats , dit- elle à celui qu'elle
>> aime; mais assurons - nous plutôt la victoire ; je vous
» aime , et vous m'adorez : je me hâte d'en faire l'aveu . »
Après cet aveu un peu singulier , l'épouse d'Elieser conjure
Nephtaly de s'éloigner : elle lui déclare qu'elle ne
peut plus être vertueuse auprès de lui. Nephtaly consent
à tout pour l'amour de son frère . Mais Elieser a tout entendu;
il apprend que son mariage va causer le malheur
de Nephtaly et de Rachel. Saisi du plus violent désespoir
, il s'éloigne de la maison paternelle , et disparaît
pour jamais. On le croit mort ; il est pleuré par
Sadoc , par Nephtaly, par Rachel. Soixante - dix jours
se sont écoulés ; et , suivant la coutume d'Israël , Nephtaly
épouse la veuve de son frère , non cependant sans avoir
hésité , et sans s'être reproché son bonheur. « Elieser n'est
>> plus , s'écrie-t-il , comment oserais-je étre heureux !
Que ce jargon est loin de la nature ! qu'il est loin surtout
du ton et des moeurs des Israélites !.
Après tous ces combats , Nephtaly finit cependant par
oser être heureux ; et douze lunes s'étant renouvelées ,
Rachel lui donna un fils , qui fut nommé Elieser. Lejeune
Elieser croissait en âge et en sagesse. Il n'avait pas atteint
sa neuvième année , qu'il courait déjà dans le désert
; or , il a rencontré dans le désert un solitaire qui
traînait sa vie de caverne en caverne. Cet inconnu seplaisait
à attirer le fils de Rachel dans sa grotte sauvage. Le
jeune Elieser s'échappait chaque jour de la maison paternelle
pour le visiter. Un jour le solitaire était tombé grą
vement malade , et la mort paraissait déjà sur son visage.
Le jeune Elieser vient chercher sa mère ; Rachel et Nephtaly
se rendent à la grotte du solitaire ; mais quelle est
leur surprise , leur douleur , lorsqu'ils reconnaissent Elieser
, premier époux de Rachel ! Nephtaly n'osait pas être
heureux sans Elieser ; dès qu'Elieser voit Nephtaly et
1
PRAIRIAL AN XI. 455
Rachel , il n'ose plus être malheureux ; et après avoir raconté
le secret de sa fuite , il expire au milieu de ce qu'il
a de plus cher.
,
Tel est le sujet et la marche du poëme d'Elieser et de
Nephtaly. On a long - temps agité la question de savoir
si on pouvait faire un poëme en prose : cette discussion
s'était élevée au sujet du Télémaque , et nous ne la renouvellerons
pas au sujet d'Elieser , qui mériterait à peine le
titre de roman. On n'a jamais poussé plus loin , dans aucun
roman moderne , l'invraisemblance des incidens. La
passion d'Elieser pour Rachel , qu'il a vue au temple , et
celle de Nephtaly pour une inconnue , qu'il a vue dans le
désert , ne sont là que pour attester la pauvreté d'invention
dans l'esprit de l'auteur. Ce que nous avons cité , peut
suffire pour donner une idée du style : non - seulement
M. de Florian n'employe pas les couleurs de son sujet ,
mais il se trompe sur l'amitié , qu'il représente comme
une passion , et sur l'amour, qu'il ne peint que comme un
simple sentiment. Les Lévites agissent comme nos merveili
leux ;les filles israélites parlent comme nos coquettes, et les
Hébreux ne sont au fonds que de légers Parisiens. Même
dans les morceaux les plus agréables de son poëme , M.
de Florian ne s'élève jamais au-dessus du ton fade et doucereux
de l'idylle ; et l'on pourrait répéter ici le mot
d'une femme qui disait en parlant de l'auteur de Galatée :
Les bergeries de M. de Florian sont charmantes , iln'y
manque qu'une chose ; C'EST UN LOUP.
t
1
La préface du poëme est beaucoup plus intéressante
que le poëme lui-même ; elle renferme quelques détails
piquanssur les moeurs desjuifs ; nous en citerons ici quelque
chose , pour dédommager le lecteur. C'est un dialogue
entre M. de Florian et M. Jonathas : « A combien faites-
>> vous monter , dit l'auteur , le nombre des Hébreux
>> actuellement dispersés sur la terre ? Ce calcul n'est pas
Ff4
456 MERCURE DE FRANCE ,
\
» facile , répond Jonathas ; on a de la peine à faire le
>> dénombrement exact des habitans d'un seul empire ,
>> jugez de la difficulté de dénombrer un peuple répandu
>> dans les quatre parties du monde , et se cachant presque
>> par-tout. Mais si l'on veut ajouter à la très-grande quan-
>> tité de juifs établis en Europe le prodigieux nombre
>> de ceux qui vivent en Asie , depuis Constantinople jus-
» qu'àPékin , ceux que l'on trouve sur les côtes d'Afrique
>> et dans quelques contrées de l'Amérique , je crois à-
> peu-près certain qué ce calcul passerait cinq millions
>> d'individus . Vous en êtes étonné ; vous cesseriez de
>> l'être si vous connaissiez nos moeurs et nos lois .
>> Ces lois nous prescrivent le mariage avant vingt ans :
>> tout Hébreux qui , àcet âge, ne prend point une femme,
>> est regardé comme vivant dans le crime. Nos frères
» d'Orient ont plusieurs épouses , et par-tout le divorce
>> est permis. Voilà déjà de grandes raisons pour que
>> notre population soitimmense.Ajoutez-y qu'en général
>>> nous sommes sobres , laborieux , continens ; que , chez
>> aucun peuple , la foi conjugale n'est autant respectée ;
>> que nous ne portons point les armes ; et que nous seuls
>>> peut-être , en Europe , sommes exempts des deux fléaux
>> qui détruisent le plus l'espèce humaine , la guerre et la
>> débauche.
>> Sans cela , d'après les persécutions que nous avons
>> souffertes dans tous les pays , d'après l'innombrable
>> quantité de juifs immolés , la race en serait éteinte.
>> Mais ces persécutions nous ont plus unis , plus resserrés
» entre nous. Des frères heureux peuvent se diviser : des
>> frères malheureux s'embrassent. Quand nous étions dans
>> notre Palestine , sous nos rois , sous nos grands-prêtres,
>> nous nous déchirions entre nous , nous n'observions pas
>> notre loi , nous élevions des temples aux idoles. Depuis
>> que nous n'avons plus ni patrie, ni prêtres,ni temples,
PRAIRIAL AN XI. 457
>> depuis qu'il faut s'exposer à la mort pour obéir à notre
>> Dieu , nous lui sommes bien plus fidèles , nous nous
>> souvenons beaucoup mieux qu'il nous ordonne de nous
» aimer. Hélas ! c'est notre seule jouissance. Etrangers
>> dans tous les états , inhabiles à tous les emplois , ne nous
>> mêlant point des affaires publiques , la seule ambition
>> qui nous soit permise , les seuls plaisirs qu'on nous ait
>> laissés , c'est d'être bon époux , bon père ; de réunir ,
>> de concentrer dans notre bonheur domestique toutes les
>> sortes de bonheur ; de chercher , de trouver dans nos
>> familles , les douceurs , les consolations que le monde
> entier nous refuse .
>> Une de ces consolations , c'est de remplir avec un
>> grand zèle le beau précepte de l'aumône. Vos villes les
> plus opulentes sont souvent pleines de vos pauvres ;
>> vous n'avez guère rencontré de juif qui vous ait de-
>> mandé du pain. Par-tout où nous sommes un peu
>> nombreux , nous avons une bourse commune pour se-
>> courir nos frères indigens . Cette bourse n'estjamaisvide ;
» et la manière dont elle se remplit est encore un secret ,
>> même entre nous. Vos édits nous défendent de posséder
>> des biens-fonds ; nous sommes pourtant assez riches :
>> et l'origine de nos fortunes n'est pas l'usure , comme
>> on l'a trop répété ; mais l'activité , l'amour du travail ,
>> la nécessité de vivre avec moins de moyens que les au-
>> tres , l'intelligence du commerce , qui semble être l'a-
>> panage des Hébreux , cette intelligence , qui , dans des
>> temps de barbarie , nous fit inventer les lettres de
>> change , nous rendit les facteurs de l'univers , où nous
>> étions dispersés , et contribua , plus qu'on ne pense , à
>> former les premiers liens qui depuis ont uni entr'elles
>> toutes les nations de l'Europe. Ainsi , nous devons en-
>> core nos richesses à l'oppression, comme nous lui de-
>> vons en partie notre population et notre bienfaisance.
458 MERCURE DE FRANCE ,
>> On nous laisse , cependant , assez paisibles en Pologne
>> et dans quelques cantons de l'Italie. En Angleterre ,
>> sur-tout en Hollande, nous sommes plus que tolérés.
>> Nous y professons notre culte publiquement ; nous y
» avons des synagogues , où nos rabbins , qui ne sont au-
>> tre chose que les docteurs de notre loi , nous exhortent
» à la vertu , à la pureté , reprennent ceux d'entre nous
» qui n'observent pas le sabbat , font les mariages , pro-
>> noncent les divorces , en un mot , expliquent la loi.
>> Cette explication demande , non-seulement une pro-
>> fonde connaissance des livres de Moïse , mais encore du
>> Thalmud, ouvrage très-révéré parmi nous , parce qu'il
>> est le recueil de toutes les opinions et traditions qui
>> composent notre loi orale. Nous regardons comme
>> savans ceux qui font une étude particulière de ce Thal-
>> mud, devenu , pour ainsi dire , le code civil et cano-
>> nique des Hébreux. Ce n'est pas à moi d'apprécier de-
>> vant un chrétien le mérite de cette science. Malheu-
>> reusement nous n'en avons guère d'autre : excepté quel-
>> ques auteurs , qui se sont appliqués à l'astronomie , à la
>> grammaire , à la médecine , les autres n'ont écrit que
>> sur la controverse . Notre littérature est à-peu-prèsnulle ;
>> et votre goût serait peu satisfait d'une bibliothèque
>> hébraïque.
>> Cependant nous avons eu des académies celèbres , et
» nous avons encore des écoles dans les villes où il nous est
>> permis de bâtir des synagogues . Dans celles où elles ne
>> sont pas tolérées , nous nous rassemblons dans une
>> chambre , louée à frais communs , qui n'a d'autres
>> meubles que des bancs , une table , et une armoire pla-
>> cée du côté de l'orient. Cette armoire , qui nous repré-
>> sente si pauvrement l'arche de bois de Cetim , couverte
>> de lames d'or , renferme les cinq livres de Moïse , écrits
>> à la main sur du parchemin , avec de l'encre faite ex
-PRAIRIAL AN ΧΙ. 459
>> près. Ils ne sont point reliés comme les autres volumes ;
>> ils sont copiés sur de longues peaux , cousues bout à
>> bout, non avec du fil , mais avec les nerfs d'un animal
>>> pur. Ces peaux sont rouléessur deux bâtons, et le rouleau
>> est recouvert d'un riche voile , brodé par les plus habi-
) les de nos ouvriers . Dans nos assemblées , nous mettons
>> à prix l'honneur de porter ce volume depuis l'armoire
>> où il est enfermé , jusqu'à la table où on l'appuie pour
>> en lire des fragmens. L'argent de cette enchère est à
>> nos pauvres. Les hommes , assis sur des bancs , les
>> femmes dans une galerie grillée , assistent à la lecture ,
>> et chantent nos pseaumes hébreux. Voilà tout ce qui
>> nous reste du fameux temple de Salomon.
>> Nos fêtes ne pourraient être célébrées qu'à Jérusa-
>> lem , mais nous en retraçons une faible image , suivant
>> notre calendrier particulier , que nous renouvelons avec
>> soin tous les ans. Indépendamment du Sabbat , nos
>> solennités sont nombreuses : elles ont toutes rapport à
>> de grandes époques de notre histoire , telles que le
>> Purim , pour la délivrance des Juifs , par Esther ;
>> l'Hanucca , pour les victoires de nos Machabées , et
>> beaucoup d'autres , parmi lesquelles vous seriez sûre-
>> ment touché de celle que nous appelons le Quipour ou
>> l'expiation . C'est le jour même où Moïse , après avoir
>> obtenu le pardon de l'idolatrie du veau d'or , redes-
>> cendit de la montagne avec les dernières tables de la
>> loi. Jadis c'était le seul jour de l'année où le grand
>> prêtre entrait dans le saint des saints , pour y porter les
>> regrets , le repentir , les larmes d'un peuple trop sou-
>> vent prévaricateur. Nous passons ce jour tout entier
>> dans le jeûne le plus austère ; nous nous rendons à la
» synagogue dès l'aurore , pour n'en sortir qu'à la nuit,
>> revêtus d'habits de deuil , les cheveux , la barbe, en dé-
>> sordre. Là , nous crions tous : OmonDieu ! miséricorde !
460 MERCURE DE FRANCE ,
>> nous avons péché , nous avons fait le mal , nous sommes
>> justement punis ; miséricorde ! Dieu de bonté ! Chacun
>> déclare tout ce qu'il se reproche , chacun demande
>> grace au Seigneur et à ses frères. On oublie toutes les
>>> discordes , on se pardonne les anciennes plaintes , les
>> vaines injures , dont on s'accuse soi-même avec un vif
>> repentir ; on s'embrasse en versant des larmes. Ce spec-
>>> tacle d'une foule d'hommes pleurant en commun leurs
>> fautes , et demandant à grands cris de revenir à la vertu ,
>> n'existe peut-être dans aucune religion du monde , et
>> vous frapperait à-la-fois de surprise et de compassion. »
A la suite du poëme d'Elieser et de Nephtaly se trouve
un dialogue entre deux chiens ; c'est une nouvelle imitée
de Michel Cervantes . Deux chiens se rencontrent dans
une basse-cour , et ils se racontent ce qu'ils ont vu chez les
différens maîtres qu'ils ont servi ; on retrouve encore dans
ce dialogue quelques traces du génie de Cervantes , mais
la nouvelle ne valoit pas cependant la peine d'être traduite
dans notre langue ; nous ne saurions prendre aucun intérêt
au récit de deux chiens qui racontent des aventures
galantes , et des histoires de voleurs. L'apologue fait parler
quelquefois les animaux , mais c'est pour amener une moralité
; il n'y a point de moralité dans la nouvelle de Michel
Cervantes ; dans l'apologue , il est reçu de faire parler les
animaux , mais ils ne parlent pas long-temps , et ils parlent
d'après leur caractère particulier. Ici la conversation des
chiens est trop longue , et tout ce qu'ils disent serait beaucoup
mieux placé dans la bouche de l'auteur lui-même.
Il est inutile de faire parler les chiens , lorsqu'on peut dire
soi-même tout ce qu'ils disent ; ce genre d'invention ne
saurait réussir parmi nous , nous ne chercherons jamais
notre histoire dans la conversation des animaux , bien que
M. Dupont de Nemours ait fait annoncer dans les journaux
, qu'il avait trouvé quinze mots du vocabulaire des
PRAIRIAL AN XI. 461
chiens , dix ou douze de celui des chevaux , et que M. Leroi
nous ait prouvé que le génie des corneilles pouvait s'élever
jusqu'aux calculs de la géométrie transcendante .
MICHAUD .
VARIÉTÉS.
De quelques maximes dangereuses avancées par certains
continuateurs de Buffon etpar un des rédacteurs d'un
Dictionnaire d'Histoire naturelle .
Quand les cinq propositions de Jansénius furent condamnées
par la cour de Rome , les jansénistes se contentèrent
de dire que ces propositions ne se trouvaient point
dans le livre de leur patron : la même chose est arivée
pour certains livres de nos savans qui étaient accusés de
matérialisme ; les adeptes se sont contentés de répondre
qu'on n'avait pas bien saisi leur système ; et beaucoup
de gens les ont crus sur parole. Un débutant dans la
science naturelle , accusé d'avoir fait de l'homme un être
purement matériel , a cru se justifier en disant , qu'il
n'avait parlé que de l'homme physique. Cependant nous
lisons dans un ouvrage de ce même écrivain , intitulé ,
Histoire naturelle du genre humain , les passages suivans ,
auxquels il serait difficile de donner une interprétation
conforme aux idées reçues en morale : « Ne pensons pas ,
» dit-il, que le moral soit autre chose que le physique ina-
>> perçu par les yeux du vulgaire. » Là-dessus notre garçon
philosophe cite l'Écriture , et s'écrie : Erudimini qui judicatis
terram. Plus loin il apostrophe l'homme et luiditdu
ton d'un inspiré : O homme ! animal fier et superbe, qui t'énorgueillis
de ta puissance sur les étres organiques , pourquoi
portes- tu tes regards au-delà de ta propre sphère ! n'estudonc
pas soumis comme la fleur nouvelle à ces lois despotiques
et immuables qui enchaînent l'univers ? ON
PEUT DONC AFFIRMER QUE L'HOMME APPARTIENT
A LA FAMILLE NATURBLLE DES SINGES . Nous pour462
MERCURE DE FRANCE ,
:
rions demander à ce philosophe superbe à quelle famille
il appartient lui même? Au reste , l'auteur a quelque raison
de parler ainsi à le bien prendre , beaucoup
d'hommes ne sont réellement que des singes , qui se plaisent
à répéter de mauvaises caricatures , et notre philosophe
n'est dans son histoire naturelle du genre humain ,
que le singe maladroit de Diderot , d'Helvétius , de Boulanger
, qu'il imite , qu'il répète , et qu'on reconnaît partout.
Peut- être , dit-il dans un Dictionnaire d'Histoire naturelle,
que des être plus parfaits que l'homme prendrontsa
place sur la térre. Rétif de la Bretonne avait dit mot pour
motlamême chose dans son roman de la Vie de M. Nicolas .
Qu'est-ce que cela prouve , si ce n'est que nos savans etnos
romanciers se rencontrent , et qu'ils niettent tour-à-tour les
romans en histoire naturelle , et l'histoire naturelle en romans
?Nous allons citer quelque chose de beaucoup plus
extraordinaire , et que les roinanciers n'ont pas osé dire . La
phrase est tirée du même dictionnairé d'histoire naturelle .
« L'homme commence dès le sein maternel par un état de
végétation. Il devient anguille , zoophite , puis ver , molusque
, poisson , reptile , quadrupède , enfin homme. »
Ne voilà-t- il pas une fort belle généalogie ? Ami lecteur ,
je gage que vous ne vous souvenez pas d'avoir été anguille
, molusque , quadrupède : il est cependant trèscertainque
vous avez été tout cela , et vous devez en
croire nos philosophes , qui vous en donnent leur parole
d'honneur. Vous aurez beau rire ; il est démontré que le
sein maternel est un véritable cabinet d'histoire naturelle ,
dans lequel on peut faire un cours complet.
L'auteur de ce nouveau système aurait pu pousser són
énumération beaucoup plus loin : car , il est évident que
l'homme subit de plus nombreuses métamorphoses dans
le sein maternel ; et avec le microscope , qui multiplie
neuf millions de fois les objets, nous verrons bien d'autres
choses. Nous trouverons alors mille raisons pour abaisser
l'orgueil de l'homme , nous ferons voir aux plus grands
PRAIRIAL AN XI. 463
monarques qu'ils ont commencé par être un ciron ou une
fourmi : nous rappellerons aux philosophes , aux sages de
la terre , le temps où ils étaient zoophites et quadrupèdes .
On pourra même expliquer le caractère de chaque individu
, par l'espèce d'animal dont il aura pris la figure dans
le sein maternel. Il est évident que nos petits maîtres ont
d'abord été des papillons ; certains fournisseurs , des sangsu
sues ; nos chanteurs , des rossignols; plusieurs orateurs ,
des perroquets. Je ne sais point ce qu'à été l'auteur dont
nous parlons , mais je jurerais qu'il n'était pas un aigle
dans le sein de sa mère .
Ecoutons encore notre oracle. « Il n'y a d'essentiel dans
>> l'homme , dit- il , que ce qui a rapportà la nutrition età la
>> génération. Tout le reste n'est qu'un habillement super-
>> ficiel.>> On voit par là que l'homme n'est sur la terre
quepour digérer, et pour faire des enfans, qui sont d'abord
des plantes , des anguilles , des quadrupèdes : tout le réste
n'est qu'un habillement superficiel. N'allez pas croire que
l'auteur dit ici un mensonge ; il ne s'exposeraiť point ainsi
àperdre son crédit , car il nous dit dans un autre passage
de son livre : que le mensonge est une banqueroute frauduleuse,
faite dans le commerce de la vie humaine. Il ne
faut pas trop raisonner sur cette définition , car notre philosophe
nous menace de nous apporter le cadavre de la pensée
et de le disséquer à nos propres yeux . Ces messieurs le
feraient comme ils le disent ; on sait qu'ils sont capables
de tout , et qu'ils ont grande envie de conduire l'homme
moral au cimetière.
ΑΝΝΟΝCE .
Lettres sur les Etudes , ou Conseils à un jeune homme
qui veut perfectionner son instruction. Par Delpierre de
Tremblay. Seconde édition , revue et augmentée. Un
vol . in- 12. Prix : 1 fr. 50 cent. et 2 fr . par la poste .
4
A Paris , chez Debray , libraire , place du Muséum ;
Et chez le Normant , imprim .-libraire , rue des Prêtres
Saint-Germain-l'Auxerrois , n°. 42.
464 MERCURE DE FRANCE ,
POLITIQUE.
Dans notre numéro du 15 frimaire dernier , article
Politique , nous imprimions :
« Si les Anglais oublient qu'après les avoir admirés , on
>> les juge , s'ils vont toujours sur le crédit que leur avait
>> donné les philosophes français , ils metront à décou-
>> vert une politique qui révoltera généralement , parce
>> qu'elle frappera et les plus incrédules , et les bonnes
>> gens qui n'ont pas l'esprit de la deviner.>>
Ce que nous disions il y a six mois est complettement
prouvé aujourd'hui ; la politique des Anglais est à découvert
, et l'indignation est générale. Cette politique
n'est rien moins que nouvelle , mais l'Europe , mais les
Français sur-tout sont revenus de leur incroyable admiration
; on juge ce peuple , isolé par la nature et conséquemment
égoïste , et l'on est étonné que tant de perfidie,
tant de barbarie aient pu se conserver au milieu
des progrès de la civilisation.
Puisque l'Angleterre voulait rompre le traité d'Amiens ,
elle se serait moins déshonorée en avouant hautement que
ce traité lui était odieux , en le dichirant avec fierté , qu'en
employant la ruse et la bassesse pour accuser le gouvernement
français ; en effet , ces deux ressources honteuses
n'ont servi qu'à avilir les ministres qui en ont fait
usage.
Le cabinet de Saint-James prête au gouvernement
français des vues hostiles , mais loin d'appuyer son accusation
sur les pièces des négociations , il est réduit à en
cacher une partie au public , et à tronquer celles qu'il
communique. Toutes ses assertions sont fondées , ou sur
des notes verbales ( ce qui signifie sans doute des propos ) ,
ou sur des extraits de lettres dont on ne montre pas les
originaux , et qu'on dit écrites par des agens qu'on n'ose
avouer : voilà tout ce que produisent les ministres. Il est
vrai qu'il leur était impossible d'accuser le gouvernement
français d'avoir manqué à la foi des traités , d'avoir
négligé , retardé , refusé d'en exécuter toutes les clauses .
Cette accusation formelle , le gouvernement français la
porte contre l'Angleterre ; il la porte appuyée de preuves
sans réplique , car ces preuves sont toutes les pièces offi
eielles des négociations entre les deux gouvernemens.
Par
PRAIRIAL AN XI. 463
n
Par le traité d'Amiens , les Anglais ont promis d'eva
cuer l'île de Malte ; sans cette condition
rait point été signé par la France; les Anglais ehi
refusent d'exécuter cette clause , garantie par Autriche,
ła Russie , la Prusse, l'Espagne et les deux gouverne
mens contractans; tel est le fond de a disenssion que
toutes les chicanes britaniques n'ont pu meme em
brouiller . Le mot garantie , bien défini prietes grammairiens
, ne l'est peut-être pas encore pour les politiques
; mais la conduite des puissances garantes va révéler
pour la postérité si, en 1803 , l'Europe avait un
droit public , ou si elle n'avait que l'habitude des expressions
qui font croire qu'il en existe un.
Avant toute déclaration de gueerrrree ,, nos vaisseaux
étaient déjà saisis dans les ports de la Grande-Bretagne ,
et la course autorisée contre nos bâtimens marchands ;
nous avions des prisonniers de guerre en Angleterre ,
que l'ambassadeur anglais était encore à Calais . Telle
est la conduite de cette nation libérale , proposée si longtemps
pour exemple à la France , à la France dont l'histoire
atteste l'antique loyauté même envers ses plus
mortels ennemis .
Mais il y a plus : l'ambassadeur hollandais était encore
à Londres , et l'ambassadeur anglais à la Haie , que l'Angleterre
faisait saisir les vaisseaux hollandais , et courir
sur les bâtimens marchands de cette puissance . Veut-on
plus encore : la correspondance règne si bien entre ces
deux nations comme en temps de paix , que c'est par les
lettres de commerce que les négocians hollandais adressent
à leurs correspondans de Londres , que le cabinet
de Saint-James a appris le nombre des bâtimens que la
Hollande attend de Batavia , leur chargement , l'époque
de leur arrivée , et conséquemment où et quand les vaisseaux
anglais pourront les atteindre . Si , sur la parole
d'un chef de brigands on était entré dans sa caverne ,
on aurait la certitude d'en sortir ; et , au dix-neuvième
siècle , lorsque sur la foi des traités des nations policées
se livrent à un peuple que quelques grands hommes
ont rendu illustre sans pouvoir changer le fond de son
caractère , elles s'exposent à être traitées avec une pareille
indignité. Et il n'y a pas quatre mois que M.
Windham , en parlant des Russes , les appelait des barbares
! L'accusation était hardie après la manière dont
le cabinet britannique a traité les troupes que Paul Ir.
12 G
464 MERCURE DE FRANCE ,
resavait
fournies pour une querelle , dans laquelle il ne fut.
entraîné que par un sentiment chevaleresque , bien
pectable , puisqu'il tenait à l'honneur. Ce sentiment
sacré , trop oublié en Europe depuis que la politique et
les principes d'un peule marchand y sont devenues dominans
, cet honneur si nécessaire aux grands peuples du
continent , a été réveillé par l'éclat de nos armes ; tout
annonce qu'il va reprendre son ancien empire , et alors
on n'aceusera plus de barbarie que la nation qui viole le
droit des gens et ne se croit point liée par les traités les
plus solennels.
: Le rebelle Abdul-Wechab qu'on avait cru un moment
dans une défection complette , a obtenu de nouveaux
succès sur les troupes envoyées pour le combattre ; on
assure qu'il s'est rendu maître de la Mecque , et qu'il
s'est fait proclamer Caliphe et souverain de l'Arabie.
Le camp qui doit être formé près de Minkendorf ne
sera rassemblé que dans le mois d'août; il sera composé
de trente mille hommes et commandé par S. A. R. le
prince Ferdinand. Il doit toujours être formé un autre
campde plaisance près de Lemberg . D'un autre côté S. M.
I. et R. est déterminée à envoyer quarante mille hommes
en Italie , pour couvrir les frontières de l'Istrie , de la
Dalmatie et des Etats ci-devant Vénitiens. Une partie de
l'artillerie est déjà en route pour cette destination. Des
troupes françaises rassemblées sur le Bas - Rhin , sous le
commandement du général Mortier , sont en marche
depuis quelques jours pour aller fermer aux Anglais
l'embouchure de l'Elbe et du Weser , et pour s'emparer
de l'électorat d'Hanovre et le garder en dépôt jusqu'à
la paix ; la régence d'Hanovre qui s'attend sans
doute à cette mesure , sollicite le cabinet de Berlin de faire
occuper ce pays par les troupes prussiennes. On ignore
encore quelle sera la résolution de S. M. Il se forme par
ses ordres un camp très-considérable dans les environs
de Nuremberg ; S. M. doit y passer dix jours et y
recevoir les visites de plusieurs personnages considérables.
1.
A peine a-t-on annoncé la possibilité de l'occupation
de l'Hanovre par les troupes françaises , qu'il se manifesto
déja ( dans les gazettes allemandes ) une opposition à cette
mesure. Suivant une de ces gazettes , une cour du Nord
PRAIRIAL AN XI. 465
1
1
1
f
1
1
a fait représenter au gouvernement français , que l'entrée
d'une armée étrangère sur le territoire de l'Allemagne ,
et particulièrement vers le Nord , occasionnerait des
contre-mesures qui ne s'accorderaient pas avec le dernier
traité de paix et le rétablissement de la bonne intelligence .
Plusieurs journaux rapportent aujourd'hui que la
France a cédé la Louisianne aux Etats-Unis d'Amérique ,
moyennant une somme d'argent très- considérable .
CORPS LÉGISLATIF.
Séance du 1. prairial.- Nous avons donné cette séance
dans notre précédent numéro ; mais nous n'avons pas fait
connaître le résultat du scrutin pour le renouvellement du
bureau. Renaud- Lascours est élu président. Les secrétaires
sont Guérin ( du Loiret) , Jacopin , Firmin Beaumont et
Jaubert.
Séance du 3. Trois conseillers d'état sont introduits.
Emery porte la parole. « L'exposé des négociations qui
vous a été fait précédemment , dit-il , a pu vous mettre en
état d'apprécier la sincérité du voeu que le gouvernement
n'a cessé d'exprimer pour le maintien de la paix .... Il est
donc vrai que l'Angleterre nous fait la guerre ! Dans cette
crise nouvelle , le gouvernement ne manquera pas à la
nation , et la nation ne manquera pas au gouvernement.
Lagression a commencé de la part de l'Angleterre. Les
représailles doivent suivre immédiatement.
L'orateur donne communication d'un arrêté du gouver
nement relatif aux représailles . ( Voyez la séance du tribunat
de ce jour ). Sur la proposition de Devismes , le corps
législatif se forme en comité secret, pour entendre le rapport
de sa commission. A cinq heures et demie , il lève sa
séance secrète , après avoir nommé une députation de
vingt - cinq membres , pour aller féliciter le premier
Consul sur la sagesse et la fermeté qu'il déploie dans une
circonstance aussi importante .
Séance du 5. - Organe de la députation chargée de
porter au premier consul l'expression des sentimens du
corps législatif , le C. Ramond rend compte de la manière
dont cette mission a été remplie : « Nous nous sommes
rendus à midi au palais du gouvernement ; nous avons
été admis à une heure devant le premier consul , immé
Gg 2
466 MERCURE DE FRANCE ,
diatement après la députation du sénat. Nous lui avons
donné communication de l'adresse dont le corps législatif
avait approuvé la rédaction .
Le premier consul a témoigné la satisfaction et la profonde
sensibilité que lui faisait éprouver la démarche du
corps législatif. Il a répondu en substance : nous ne faisons
pas la guerre , mais nous repoussons une injuste
agression. La paix sera rétablie lorsqu'elle pourra l'être
avec honneur. Rien n'est plus propre à faire présager
nos succès , que les sentimens exprimés en ce moment
par le corps législatif au nom du peuple français .
Ala réponse officielle du premier consul a succédé une
conversation familière. Le premier consul a fait remarquer
la différence que les nations , témoins de nos démêlés,
doivent nécessairement établir entre la loyauté du gouvernement
français , qui s'est fait un devoir de mettre sous
les yeux de la nation les pièces officielles de la négociation ,
dans toute leur intégrité , et la fourberie du gouvernement
britannique , qui n'a pas craint de tromper le parlement
, pour que le parlement abusé trompât la nation
anglaise , en publiant ces mêmes pièces , tronquées , incomplètes
et dénaturées . Enfin , il a observé qu'aucun manifeste
ne nous fit autant d'honneur que celui du roi d'Angleterre;
qu'il justifie le peuple français , en produisant
Pacte d'accusation de son perfide ennemi.
Séance du 6. Le président fait lecture d'un message parlequel
le tribunat communique le voeu qu'il a émis dans sa
séance de lundidernier pour que le gouvernement prenne les
mesures les plus énergiques , afin de faire respecter la foi
des traités et la dignité du peuple français. Le corps législatif
ordonne l'insertion au procès-verbal et le dépôt dans
ses archives , de la communication faite par le tribunat ,
puis il s'ajourne à samedi.
:
TRIBUNAT.
er
Dans sa séance du 1. prairial , le tribunat a renouvelé
con bureau . Le C. Trouvé a été élu président ; les nouveaux
secrétaires sont Perrée, Sahuc , Beauvais et Mouricault.
Séance du 5.- Daru a fait un rapport sur les commu-
Rications des pièces relatives aux différends avec l'Angleterre.
Voici un extrait de son discours :
PRAIRIAL AN XI. 467
Le rapporteur , en parcourant les griefs allégués par
l'Angleterre , en fait ressortir l'injustice : s'il faut en croire ,
ajoute-t-il , ces insulaires dominateurs , vous ne pouvez
plus rétablir la paix chez vos voisins, faire une conquête ,
consommer un échange , sans que bientôt l'Angleterre
n'ait le droit de réclamer une nouvelle garantie pour ses
possessions : garantie qu'elle n'exige aujourd'hui que
parce qu'elle vous croit hors d'état de lui résister. Ainsi
elle trace autour de vous le cercle étroit de Popilius , mais
Popilius était romain , et le roi de Syrie ne commandait
pas à unmillionde braves : mais sicetexcès d'impudence et
d'orgueil est extraordinaire , quelque chose l'est plus encore
, c'est cette modération , cet excès de modération qui
contraste avec elle dans tous le cours des négociations ,
cette modération qui est le calme de la force .... Imitons
la, tribuns !
Dans une note du ministère britannique , le roi d'Angleterre
se plaint des allégations offensantes contenues dans
le rapport du colonel Sébastiani. Ce rapport n'est qu'une
réparation nécessaire , et telle que l'armée française avait
droit de l'attendre des calomnies dégoûtantes , des injures
basses, des accusations outrageantes, renfermées dans l'ouvrage
d'un militaire anglais ; et auxquelles l'accueil fait
en Egypte au colonel Sébastiani avait déjà répondu.
L'Angleterre se plaint de la part que nous avons prise
aux différends de la Suisse . Certes , la Suisse à payé bien
cher l'avantage de se garder elle-même : la guerre civile
s'est allumée dans son sein ; le sang de ses citoyens a coulé ;
tous les bienfaits du règne des lois ont été méconnus. Et
quel a été le résultat de cette médiation contre laquelle on
s'élève ? ... Celui d'arrêter l'effusion du sang , de rendre les
citoyens au repos , et de donner à ce pays une constitution
convenable , après laquelle il soupirait , et que seal
peut-être il ne pouvait se garantir.
L'Angleterre argue encore d'un accroissement de territoire
; et il n'est pas plus exact d'avancer que la France
est aujourd'hui dans un état de possession différent de
celui qui existait à l'époque des négociations d'Amiens , à
moins qu'on ne veuille faire entrer dans ce tableau comparatif
les conquêtes auxquelles elle a renoncé . ...
L'orateur termiue en proposant , au nom de la commission
dont il est rapporteur , l'arrêté suivant :
Le tribunat , considérant que le gouvernement britannique
, par des formes insolites , des allégations fausses
Gg 4
568 MERCURE DE FRANCE ,
des demandes injustes , et même des mesures hostiles , a
donné le signal de la guerre , émet le voeu qquuee les plus
énergiques mesures soient prises pour faire respecter la foi
des traités et la dignité du peuple français. >> Le tribunat
se lève spontanément pour donner son assentiment à
l'arrêté. Il ordonne l'impression du discours à six exemplaires
, et arrête qu'une députation de vingt- cinq inembres
sera envoyée au premier consul , pour lui porter le
voeu du tribunat. On introduit trois conseillers-d'état.
Regnault (de Saint-Jean d'Angely) , l'un d'eux , fait lecture
d'un message du gouvernement et d'un arrêté relatif aux
représailles contre l'Angleterre. Voici cet arrêté :
Art. Ir. Il est prescrit à tout commandant des escadres
et des divisions navales de la république , capitaines de ses
vaisseaux et autres bâtimens de guerre , de courir sus à
ceux du roi d'Angleterre , ainsi qu'aux navires appartenant
à ses sujets ; de les attaquer , de s'en emparer , et de les
conduire dans les ports de la république.
II . Il sera délivré des commissions en course à ceux
des armateurs français qui en demanderont , et qui sont
dans le cas d'en obtenir en se conformant , pour lesdits
armemens en course , aux lois et réglemens existans ou
qui pourront intervenir.
,
III. Tous les anglais enrőlés dans la milice , et âgés de
dix-huit ans au moins , et de soixante au plus , ou tenant
commission de S. M. B. , qui sont actuellement en France ,
seront immédiatement constitués prisonniers de guerre ,
pour répondre des citoyens de la république qui auraient
été arrêtés et faits prisonniers par des bâtimens ou sujets
/ de S. M. B. avant la déclaration de guerre.
Le président répond à l'orateur que le tribunat secondera
avec zèle toutes les mesures que le gouvernement
prendra pour faire respecter les traités et l'honneur du
peuple français.
On entend successivement Boissy-d'Anglas , Carion de
Nisas , Costas et Riouffe , qui parlent en faveur du projet.
Leurs discours seront imprimés .
PARIS.
Les pièces officielles , publiées par ordre du gouvernement
, forment , comme nous l'avons dit , 258 pages
in-4°.; nous allons donner celles de ces pièces qui ren
PRAIRIAL AN XI. 469
ferment les prétendus griefs de l'Angleterre contre la
France , et la réponse du gouvernement français à ces
griefs. On pourra juger lequel des deux gouvernemens
a cherché à troubler la paix qui venait d'être rendue
à l'Europe.
Le 19 ventose anın , le général Andréossi remit une
note à lord Hawkesbury , par laquelle il lui demandait
des éclaircissemens sur l'occupation prolongée de l'île
de Malte par les troupes anglaises. Lord Hawkesbury
remit cinq jours après une réponse ainsi conçue :
Le soussigné , principal secrétaire d'état de S. M. , ayant le département
des affaires étrangères , a mis sous les yeux du roi la note
de son excellence l'ambassadeur de France , du to courant .
Lesoussigné , endonnant, d'après les ordres qu'il a reçus , une
réponse officielle à cette note , et en répétant les explications qui
*ont été déjà données en plus d'une occasion , soit par lui-même verbalement
au général Andréossi , soit par lord Whitworth à M. Talleyrand
sur le sujet de cette note ou sur les points qui paroissent y
avoir rapport , sent qu'il est nécessaire d'y ajouter quelque chose de
plus. Il peut assurer sans difficulté l'ambassadeur de France , que S.
M. n'a cessé de désirer constamment et sincèrement que le traité
d'Amiens pût être exécuté d'une manière pleine et entière ; mais qu'il
ne lui a pas été possible de considérer ce traité comme fondé sur des
principesdifférensde ceux qui ont été invariablement appliqués à toutes
les conventions on à tous les traités antérieurs; savoir, qu'ils sont négociés
eu égard à l'état actuel de possession des parties contractantes
et aux traités ou aux engagemens publics par lesquels elles sont
liées à l'époque de leur conclusion ; de sorte que si cet état de possession,
et si ces engagemens sont altérés assez matériellement par les
démarches de l'une on de l'autre des deux parties pour affecter la nature
du pacte lui-même , l'autre partie est fondée , suivant le droit
des gens , d'intervenir afin de réclamer une satisfaction on une com
pensation pour tout changement essentiel que de telles démarches
peuventavoir subséquemment causé dans leur situation respective : ets'il
yajamais eu une circonstance à laquelle ces principes pussent s'appliquer
d'une manière plusparticulière , c'a été celle du dernier traitéde
paix car la négociation a été conduite d'après un principe nonseulement
mis en avant par S. M., mais dont il a été spécialement convenu
pr le gouvernement français dans une note officielle ; savoir :
Que S. M. retiendrait sur ses propres conquéles une compensation
pour les importantes acquisitions territoriales faites par la
France sur le continent. Ceci estune preuve suffisante qu'on a entendu
conclure le traité eu égard à l'état des choses alors existantes ;
car la compensation obtenue par S. M. a dû être calculée relativement
aux acquisitions de la France à cette époque : et si l'interventiondu
gouvernement français dans les affaires générales del'Europe
depuis lors; si sa conduite envers la Suisse et la Hollande , dont il
avait garanti l'indépendance au temps de la conclusion du traité de
paix ; si les acquisitions faites par la France en divers lieux , et particulièrement
en Italie , ont étendu son territoire et accru sa puissance,
S. M. serait fondée, conformément à l'esprit du traité de paix ,
Gg3
470 MERCURE DEFRANCE ,
à réclamer des équivalens pour ces acquisitions, qui pussent servir de
contre- poids à l'augmentation du pouvoir de la France . Cependant
S. M. , soigneuse de prévenir toute occasion de mésintelligence , et désirant
consolider la paix générale de l'Europe autant qu'il est en son
pouvoir, était résolue à ne pas faire valoir les prétentions de cette nature
qu'elle peut avoir droit de mettre en avant ; et de même que le
autres artisles du traité définitif sont graduellement exécutés de sa
part, elle aurait été disposée à effectuer un arrangement conforme à
l'intention vraie du dixième article du traité , puisque l'exécution de
cét arrangement , suivant les termes du traité , avait été rendue
impratiquable par des circonstances qu'il n'apas été aupouvoir de S. M.
de prévenir . Pendant que S. M. était animée de ces sentimens pa-
-cifiques et modérés , et disposée à en faire les mobiles de sa conduite ,
*son attention a été prticulièrement engagée par la publication très -extraordinaire
du rapport officiel du colonél Sébastiani au premier consul
. Ce rapport contient les insinuations et les accusations les plus inex
cusables contre le gouvernement de S. M. , contre l'officier commandant
ses forces en Egypte et contre l'armée britannique dans ce
-pays-là; accusations et insinuations entièrement destituées de fondement,
et telles qu'elles auraient obbgé S. M. a demander la satisfaction
qu'ont droit d'attendre l'une de l'autre dans des occasions de
cette nature , des puissances indépendantes et dans un état d'amitié.
Ce rapport découvre , de plus , des vues injurienses au plus haut degré
aux intérêts des possessions de S. M. et directement contraires
* et ouvertement opposées à l'esprit et à la lettre du traité conclu entre
S. M. et le gouvernement français . L'ambassadeurde S. M. à Paris
a reçu en conséquence l'ordre de faire au gouvernement français des
représentations telles que la nature des imputations dont il a été parić,
et qui développaient des projets incompatibles avec la bonne foi et hantement
injurieux aux intérêts de son peuple , exigeait de la part de
S. M.; et comme le gouvernement français avait fait récemment une réelamation
au sujet de l'évacuation de Malte , lord Whitworth a été
ch. rgé de joindre à ces représentations une déclaration de S. M. ,
portant que avant que l'on pût entrer dans une discussion ultérieure ,
relative à cette île on attendrait qu'il fût donné des explications
satisfaisantes sur les divers points qui avaient excité les plaintes de
S. M. Cette représentation et cette réclamation,fondées sur des principes
incontestablement justes , et conçues dans les termes les plus modérés ,
poraissent avoir été entièrement négligées par le gouvernement fran-
Cus . Aucune satisfaction n'a été donnée ; ancune explication ne s'en est
suivie : mais , au contraire , les soupçons de S. M. , touchant les vues
da gouvernement français au sujet de l'empire ture , ont été fortifiés
er confirmés par les événemens subsequens .
,
Dans ces circonstances , S. M. sent qu'il ne lai reste plus d'alternative,
et que la juste considération de ce qu'elle doit à son propre
Lonneur et aux intérêts de son peuple , lui fait une nécessité de déçlarer
qu'elle ne peut pas consentir à ce que ses troupes évacuent Malte ,
jusqu'à ce qu'il ait été pourvu à la sûreté essentielle des objets qui , dans
s circonstances présentes , peuvent être matérielement en péril par
Jeur éloignement .
Al'égard de plusieurs des propositions mentionnées dans la note ,
et fondées sur le principe que l'article to doit être exécuté dans son
sens littéral , elles appellent quelques observations . Suivant l'article, to
da traitéd'Amiens , l'île de Malte doit être rendue par S. M. alas
PRAIRIAL AN XI. 471
dre de Saint- Jean , sous certaines conditions ; l'évacuation de Ille à une
époque pécise est une de ces conditions , et si l'exécution graduelle des
antres stipulations avait été effectuée , S. M. aurait été obligée , aux
termes du traité , d'ordonner à sestroupes d'évacuer I'tle. Mais ces conditions
doivent être considérées comune étant tontes de égale nece-
sté ; et si quelque partie matérielle en avait été trouvée incapable
d'exécution , on si leur exécution avait été retardée par quelques cir
constances , S. M. serait fondée à différer l'évacuation de l'île jusqu'à
ce que les autres conditions de l'article pussent être exécutées , onjusqu'à
ce que de nouveaux arrangemens qui auraient été jugés les plus
satisfaisans par les parties contractantes , cu sent été conclus. Le refus
de laRussied'accéder à l'arrangement pris ,à moins que la langue maltaise
ne fût sholie ; le silence gardé par la cour de Berlin , sur l'invitation
qui lui a été faite en conséquence du traité d'être une des puissances
garantes; l'abolition des prieurés espagnols , prononcée en défiance du
même traité par le roi d'Espaga , qui en était cependant une des paties
contractantes ; la déclaration du gouvernement portugais , manifestant
son intention de séquestrer les biens duprieuré portugais com
me faisant partie de la langue d'Espagne , à moins que les prieurés
espagnols ne fussent rendus; toutes ces circonstances auraient été suflisantes
, à défaut d'aucun autre motif spécial , pour autoriser S. M.
suspendre l'évacuation de l'ile . Lévacuation de Tarente et de Brinde
n'a aucune espèce de rapport avec celle de Malte : le gouvernement
français s'était engagé à évacuer le royaume de Nap'es par son traité
avec le roi desDeux-Siciles , une époque antérieure à celle où cette
stipulation a été exécutée .
à
Le gouvernement français était également obligé , par ses engagemens
avec l'empereur de Russie , à respecter l'indépendance du
royaume de Naples : mais , même en adimettant que le départ des
troupes françaises de Tarente dépendît seulement de l'article du traité
dAmiens , dans les termes du traité , leur départ devait avoir lieu
dans le même temps que les autres évacuations enEurope ; savoir , un
mois après la ratification du traité définitif, époque à laque'le Porto
Ferraïo et Minorque ont été évacués par les troupes de S. M. Mais
les troupes de S. M. n'étaient , dans aucun cas , obligées d'évacuer
Tile de Malte avant le débi de trois mois après la ratification du traité
définitif ; et même à cette époque cette évacuation devait être considérée
comme dépendante de l'exécution acurelle et gr duelle des
autres parties de l'arrangement. Quant à l'assertion insérée dans
lanote, portant que les troupes napolitaines devaient former la
garnison de Malte jusqu'à l'époque où les arrangemens relatifs à l'ordre
pourraient être effectués , il résultera de l'inspection de l'article que ,
par le paragraphe préliminairee,, l'ile devait être rendue àl'Ordre sous
condition des stipulations suivantes , et que ce serait seulement de
l'époque où la restitution à l'ordre aurait effectivement eu lieu , qu'aux
termes du paragraphe 12 , les troupes napolitaines devraient former
une partie de la garnison .
Le soussigné a donc établi , avec toute la franchise que l'importance
du sujet lui a paru demander , les sentimens de S. M. sur la note qui
mi a été remise par son excellence le général Andréossi , et sur les
points en discussion entre les deux pays.
8. M. conserve l'espérance que la conduite du gouvernement franenis
en cette occasion sera guidée par les meines principes qui ont in-
Variablement guidé la sienne propre; que toutes les causes de mélance
472 MERCURE DE FRANCE ,
ettout obstacle à la bonne intelligence entre les deux pays , seront
complètement et efficacement é'oignés , et que la paix sera consolidée
sur une base certaine et durable. Le soussigné prie le général Andréossi
d'agréer l'assurance de sa haute considération .
Downing street, 15 mars 1803 ( 24 ventose an 11 ) .
Signé HAWKESBURY.
>> Les plaintes renfermées dans la note du lord Hawkesbury
auraient dû précéder , à un long intervalle , l'éclat
fait au parlement. C'était au moment où les trois mois
fixés pour l'évacuation de Malte étaient sur le point d'expires,
qu'il aurait fallu faire connaître les divers motifs sur
lesquels on prétendait s'appuyer pour différer ou refuser
l'évacuation ; il se fût élevé alors une discussion entre les
gouvernemens; et quelques légitimes que pussent lui paraître
ses prétentions , les voies de négociation devaient
sans doute être employées par l'Angleterre avant qu'elle
voulût courir aux armes. Tout au contraire , le gouvernement
britannique avait déjà proclamé ses projets et ses
dispositions de guerre , et il venait ensuite exposer pour
la premiére fois les griefs qui devaient servir de motifs
ses résolutions. La singulariité de cette conduite , et les
justes soupçons qu'elle dût donner, n'empêchèrent pas que
le premier Consul ne fût empressé de répondre à la note
du cabinet britannique. Cette réponse fut remise par le
général Andréossi. Elle était conçue en ces termes :
à
Le soussigné a mis sous les yeux de son gouvernement la note écrite
par S. E. mylord Hawkesbury , il a reçu l'ordre de faire aux observations
qu'elle contient la réponse suivante :
Cette note paraît avoir pour but d'expliquer le message de S. M. B ,
et de donner les éclaircissemens qui avaient été demandés relativement
à l'exécution du traité d'Ainiens. Le premier consul ne veut
porter aucune plainte sur les allégations extraordinaires et inattendues
de cet cte émané de S. M. B. Il n'en est aucune de fondée.
S. M. B. croit son royaume menacé par des préparatifs faits dans
les ports de Hollande et de France. Elle a été trompée : le premier
ensul n'a fait aucun préparatif. Il n'y avait , au moment du message ,
dans les rades de Hollande , que deux frégates , et dans la rade de
Dunkerque , que trois corvettes . Comment les ministres de S. M. B.
ont- ils pu être trompés sur des faits aussi évidens ? Les ambassadeurs
de S. M. B. à Paris et à la Haye ont de bien graves reproches à se
faire,s'ils ont accrédité des informati ns aussi évidemment fausses ,
et négligé de prévoir que par-là ils exposaient leur gouvernement à
s'égarer dans la plus importante des délibérations. N'était- il pas conforme
au premier usage pratiqué entre les nations de demander des
explications , et de se mettre ainsi en mesure de se convaincre de
la fausseté des rapports que les ministres auraient pu recevoir ? Les
PRAIRIAL AN XI. 473
moindres effets de l'ouh'i de cette règle ne devaient-ils pas être d'extraîner
la riune des familles , et de porter la confusion , incertitude
et le désordre dans toutes les relations de commerce de chacune des
deux nations ?
Le premier consul sait , et par ses propres sentimens , et en jugeant
des autres peuples par le peuple français , qu'une grande nation ne
peut jamais être effrayée . Il croit que la bonne politique et le sentiment
de la véritable dignité inspirent toujours d'estimer une nation
rivale , et jamais de la menacer. On peut tuer un grand peuple , mais
non fintimider .
La seconde partie du message de S. M. B. énonce une allégation
qui n'est pas mieux fondée . S. M. B. y parle de discussions dont le
sujet estdouteux. Quelles sont ces discussions ? Quelles sont les notes
officielles ,quel est le protocole qui constatent l'ouverture , le progrès
, les vicissitudes d'un débat ? Un état de difficultés qui conduit à
une alternative de paixłou de guerre , peut- il naître inopinément sans
commencement , sans progression , et aboutir sans nuances à un appel
aux armes , avant d'avoir épuisé tous les moyens de se concilier ?
Ici l'appel a éclaté avant qu'on pût savoir qu'il y avait lien à mesintelligence
; on a signalé la fin des discussions avant qu'elles fussent
'commencées ; on a déclaré l'issue d'une discussion difficile avant
qu'elle eût été élevée. Que penserait l'Europe , que penseraient l'une
et l'autre wasion , si elles savaient que ces discussions annoncées par
S. M. B. comme si difficiles à terminer , étaient ignorées du gouvernement
français , et que le prentier consul , en lisant le message ,
n'a pu comprendre le sens ni de l'une ni de l'autre déclaration qu'il
renferme ! Aussi , s'est -il abstenu d'aucune démarche ostensible ; et
quels qu'aient été l'éclat , l'activité , les provocations de guerre qui
ont eu lieu depuis ce message en Angleterre , il n'a donné aucun
ordre , n'a fait aucure disposition , aucun préparatif. Il met toute sa
gloire , dans une affaire de cette nature , à être pris au dépourvu . Il
continuera dans ce système de franchise loyale , jusqu'à ce que S. M. B.
⚫ait bien mûri le parti qu'elle voudra prendre .
Dans sa note, lord Hawkesbury exprime l'opinion que la république
française s'est accrue en puissance depuis la paixd'Amiens.
C'est une erreur de fait. La France a , depuis cette époque , évacué
beaucoup de pays. La puissance française n'a reçu aucun degré
d'augmentation. Si S. M. B. est décidée à faire la guerre, elle peut
mettre en avant tous les prétextes qu'il lui plaira , elle en trouvera peu
qui soient moins fondés .
,
Quant aux plaintes portées relativement aux publications qui
peuvent avoir lieu en France , elles sont d'un ordre trop secondaire
pour pouvoir influer sur une telle décision . Serions -nous donc revenus
au siècle desitournois ? Des motifs de cette nature pouvaient autoriser ,
il y a quatre cents ans ,le combat des Trente ; mais ils ne sauraient
être aujourd'hui ure raison de guerre entre les deux pays. Il suffiroit
'à cet égard , de répondre à S. E. , qu'aucune réclamation de sa part
n'a été adressée sur cet objet au gouvernement de la république , et
que , s'il eût été juste de donner une satisfaction , le premier consul
aurait été en droit d'attendre celle qui , pour des causes d'une nature
plus grave et plus juste , avait été demandéedans la note du 28
thermidor , par le C. Otto . Et comment le ministère anglais pouvaitil
ignorer que , depuis la conclusion du traité d'Amiens , les presses
anglaises n'ont cesséde répandre en Europe la passion de la guerre ,
474 MERCURE DE FRANCE ,
la inécréance de la paix , et des outrages sans pudeur et sans mesure
contre tout ce qui est l'objet de l'amour et de la vénération du
peuple français !
Feu de jours après la ratification de la paix , un des min stres
de sa majesté britannique déclara que l'état de paix devait être considérable;
et la méfiance , éveillée par une telle déclaration , commenta
en séance de parlement , avec autant d'amertume que d'inconvenance
,les exagérations et les alarmes répandnes dans des pamphlets
méprisables , et dans des journaux aussi méprisables que ces libelles.
Depuis , ces écrivains se sont constamment vus autorisés dans l'insolence
de leurs observations par des phrases textuelles , tirées des discours
de quelques membres considérables du parlement. Ces discours ,
sur lesquels les journalistes ne pouvaient guère enchérir , ont servi ,
pendant dix-huit mois , à encourager l'insulte contre les gouvernemens ,
à un tel point qu'il n'est aucun Européen qui ne doive s'offenser , et
ancunAnglais raisonnable qui ne doive être humilié d une licence aussi
inouie; que , si l'on rapproche de ces écarts des procédés d'une gra
vité pus olfensante , l'indulgence accordée à de criminels Français ,
écrivant des outrages journaliers en langue française; la tolérance
plus inexcusable , éprouvée par des brigands couverts de crimes et
méditant sans cesse des assassinats , tels que Georges , qui continue
encore à demeurer à Londres , protégé etjouissant d'un état considé
rable; le peu de droit enfin qu'on a fait à toutes nos représentations ,
comment se rendre compte de l'éclat que S. M. B. a cru devoir faire,
relat vement à quelques griefs vagues , qu'elle n'avait pas auparavant
cannécessaire de porter à la connaissance du premier consul !
Le premier consul a eu lieu de se convainere que ses représentations
sur tous ces objets étaient inutiles , et que sa majesté britannique était
résolue , sans égard pour les puissances voisines , à tout autoriser chez
elle : mais il n'a pas pourcela douté de la continuation de la paix ,
ni effrayé l'Europe de l'annonce d'une guerre ; il s'est restreint à
adopter pour principe de conduite d'autoriser et de réprimer en
France, par rapport à lAngleterre , tout ce qui en Angleterre est autorisé
et réprimé par rapport à la France.
Cependant il a exprimé et il exprime encore le désir que l'on parviemme
à s'entendre , pour que désormais , dans les discussions officielles
et les écrits polémiques en Angleterre , on ne traite rien de ce
qui se fait en France , comme dans les discussions officielles et les
écrits polémiques en France , on ne traiterait rien de ce qui se fait
enAngleterre.
Lord Hawkesbury parle de l'article d'un journal où l'on a imprimé
un rapport d'un colonel français. On pourrait se dispenser , dans de
graves discussions , de répondre sur cet objet; mais enfin il n'est ni
long ni difficile de le faire. 1
Un colonel de l'armée anglaise a imprimé en Angleterre un ouvrage
rempli des plus atroces et des plus dégoûtantes calomnies contre l'armée
française et son général . Les mensonges de cet ouvrage ont été
démentis par l'accueil fait au colonel Sébastiani ; la publicité de son
rapport était en même temps une réfutation et une réparation que
l'armée française avait le droit d'attendre. A son arrivée en Egypte ,
get officier , à son grand étonnement , a trouvé l'armée anglaise , qui
devait l'avoir évacuée , et les tures extraordinairement alarmés de cette
permanence de l'armée anglaise , ainsi que de ses liaisons avec les rehelies
du pays en révolte ouverte contre la Sublime-Porte. Il a dû cone
PRAIRIAL AN XI. 475
eevoir que les traités qui nous lient à la Porte , et par lesquels nous
lui avons garanti l'intégrité de ses possessions , nous obligeaient à
Hous joindre à elle ; car il était simple de penser que l'Angleterre vou-
Leit déclarer la guerre , dès l'instant qu'elle ne voulait pas exécuter les
arti les du traité . Car enfin , la France n'est pas réduite à un tel état
d'abaissement , que l'on puisse exécuter ou non les traités foits avee
elle. De-là les recherches que cet officier a faites sur les forces qui se
trouvaient en Egypte , et sur la position qu'occupait l'armée anglaise.
Mais depuis, l'Egypte est rentrée sous la domination de son souve
rain légitime, et l'idée d'une rupture entre les deux nations , par
rapport à l'obligation contractée avec la Porte , se trouve évanouie.
Iln'existe done qu'un seul objet qui soit digne de fixer l'attention
des deux nation ; l'exécution du traité d'Amiens , en ce qui concerne
Malte . S. M. s'est engagée à la restituer à l'Ordre , et , jusqu'à ce
que l'Ordre soit en état de la garder , à la confier à l'ar.. će napolitaine.
S. M. rejettera tout sophisme , toute distinction , toute restriction
mentale qu'on pourrait lui présenter pour mettre en doute
la force et la validité de son engagement. Le garant du gouvernement
français est , à cet égard , dans la religion , la conscience de S. M. B.
Quel moven auraient désormais les deux nations pour s'entendre , s'il
en était autrement ? Tout ne serait-il pas chaos ? Ce serait véritablement
ajouter une calamité aux calamités qui ont menacé l'ordre
social.
En résumé, le soussigné est chargé de déclarer que le premier consul
He veut point relever le défi de guerre que lAngleterre a jeté à la
France; que , quant à Malte , il ne voit aucune matière de discus
sion, le traité ayant tout prévu .
Londres , 7 germinal an 11 . Signé , ANDREOSSI .
On lit dans le journal officiel l'article suivant :
16
« La déclaration du roi d'Angleterre vient de paraître.
Elle est accompagnée d'un volume de pièces de 145 pages
in-folio.Ce volume contient soixante-douze articles , parmi
lesquels dix seulement sont officiels , encore plusieurs de
ceux-ci sont-ils insignifians : soixante-deux sont des extraits
de lettres des ministres à leurs agens , et des agens anglais
àleur cabinet , lettres sans doute fabriquées par la chancellerie
, suivant la convenance des ministres .
>> Les notes les plus importantes , les plus propres à
faire connaître au peuple anglais la marche du gouvernement
français et le véritable esprit de la négociation , ont
été soigneusement supprimées. Et ce qui paraît le dernier
degré de l'impudeur et même de la folie, c'est que dans la
note de lord Whitworth , en date du 10 mai , imprimée
page 112 des pièces officielles de Londres , le passage le
plus essentiel est omis par une infidélité qui ne pouvait
manquer d'être relevée.
Ici le Moniteur représente sur deux colonnes la note originale re476
MERCURE DE FRANCE.
mise par lord Whitworth et signéede lui , et celle que le cabinet an
glais a fait imprimer dans le recueil des pièces qu'il appelle officielles .
Dans la note originale , on lit ce qui suit: Le soussigné , ambassadeur,
etc. ayant transmis à sa cour la proposition qui lui a été faite
parleministredes relations extérieures , le 4 du courant , « et cette
proposition ayant été jugée impraticable par le refus de S. M. l'empereur
de Russiede s'y prêter » , et en même temps au-dessus des justes
prétentions de sa majesté , vient de recevoir l'ordre de remettre à
S. E. le projet de convention ci -joint . ( C'est l'ultimatum que nous
avons rapporté.) Dans la même note, imprimée par ordre du ministère
anglais , ces mots : et cette proposition ayant étéjugée impraticablepar
le rafus de S. M. l'empereur de Russie de s'y
préter, se trouvent totalement supprimés .
>> Cette infidélité commise pour cacher une fausse allégation
qu'on n'osait plus soutenir, en a exigé une autre.
Enconséquence , les ministres anglais ont retranché la
note en réponse remise par le Cit. Talleyrand , le 12 floréal
.
Le ministre répondait que « l'assertion contenue dans la note de
» S. E. lord Whiworth , et qui est exprimée en ces termes , le refus
» de S. M. l'empereur de s'y préter, est entièrement contraire à la
» garantieque S. M. I. a formellement offerte sous la condition de
» quelques légers changemens que le premier consul n'a fait aucune
>> difficulté d'adopter , et auxquels il est à sa connaissance que le mi-
> nistère anglais s'est refusé , inéditant sans doute alors l'étrange pré-
>> tention de garder Malte; que de plus cette assertion se trouve encore
» en opposition absolue avec les assurances que le premier consul a
>> reçues de Pétersbourg depuis que le message de S. M. B. y a été
» connu , et qui viennent de lui être renouvelées par une communi
>> cation authentique que M. le comte de Marcoff a donné hier ( 21
>> floréal ) , des intentions de sa cour .... >>>
» Et la nation anglaise se dit libre ! et le parlement représente
la nation...... !
>> On traduit tout ce factum , qui sera imprimé dans ce
journal , car rien ne doit être caché au peuple français.
>> Si l'on a eu l'impudeur de supprimer les notes les
plus importantes , et de tronquer celles dont l'original est
dans les mainsde notre gouvernement , sur des objets aussi
majeurs , quelle confiance peut-on avoir dans des récits
de conversations faits pardes agens anglais , et dénaturés
par le ministère au gré de ses propres intérêts .
>> Et cependant cinquante millions d'hommes en viennent
aux mains pour s'égorger !
>> L'esprit de vertige qui s'est emparé depuis plusieurs
mois du gouvernement anglais , ne saurait se concevoir ;
il croit sans doute que nous n'avons ni encre , niarmes.
>> Mais qu'importe au cabinet de Londres l'opinion de
PEurope et celle de la postérité ? Le parlement aura fait
PRAIRIAL AN XI. 477
son adresse , beaucoup de membres auront été animés par
des rapports mensongers ; c'est tout ce qu'il faut au gouvernement
anglais. ( Journal officiel . )
>> Le gouvernement anglais a donc commencé les hostilités
par la ruine d'un ou deux misérables marchands ,
qui, sous la foi des traités , naviguaient paisiblement sur
nos côtes . Il a commis cet acte d'hostilité sans déclaration
de guerre , sans aucune des formes voulues par les nations
policées et convenues entr'elles , et en suivant les
odieux principes d'un droit public qu'il a créé pour lui
seul , etqui est en tout barbare. C'est avec peine que le
gouvernement de la république s'est vu forcé , pour user
de représailles , à constituer prisonniers de guerre tous les
anglais enrôlés dans la milice et se trouvant sur le territoire
français . En tout ce qui est illibéral , il laissera toujours
l'initiative à l'Angleterre ; mais le peuple français se
doit d'agir envers l'Angleterre comme elle agit envers la
France. Trop long-temps l'Europe a eu une conduite différente
. C'est spécialement ce qui a autorisé l'Angleterre
a se constituer pour elle seule un droit public auquel elle
est si fort accoutumée aujourd'hui , que tout acte de juste
réciprocité lui paraît une injustice. » ( Journal officiel. )
Des lettres d'Italie annoncent que l'armée franco-italienne
, qui s'est rassemblée sur les frontières de l'état de
l'Eglise et sur les bords du Rubicon , doit se mettre incestamment
en marche pour le royaume de Naples ; elle est
commandée par le général divisionnaire Verdier , qui luimême
est subordonné au général en chef Murat. Les
mêmes lettres ajoutent , qu'en cas de rupture entre la
France et l'Angleterre , les Français occuperont les ports
du pays de Naples , et seront autorisés ày mettre garnison.
Alors une partie de ces troupes sera embarquée pour
Messine et occupera les côtes de Sicile. Une colonne française
se porteradans le royaume d'Etrurie , pour renforcer
la garnison de Livourne et s'étendre sur toute l'étendue
des côtes de la Méditerranée , et les défendre contre toute
invasion. Des mouvemens et des démonstrations semblables
ont lieu dans la république ligurienne. On attend
en Italie un renfort de vingt à trente mille Français.
Le tribunal de cassation , sur les conclusions du citoyen
Merlin, commissaire du gouvernement, vient d'annuller
478 MERCURE DE FRANCE ,
le jugement du tribunal criminel de la Seine , qui débou
tait les libraires Bossange , Masson et Besson de l'action
qu'ils avaient intentée contre Moutardier et Leclere , à
l'occasion d'une nouvelle édition du Dictionnaire de
l'Académie
OfficeRomain noté , depuis Primes jusqu'à Complies ,
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2
FRA
( No. CI. ) 15 PRAIRIAL an 11
( Samedi 4 Juin 1803. )
MERCURE
DE FRANCE.
1
১.
cen
LITTERATURE.
:
POESIE.
IMITATION eEnn vers français de l'Epitre d'Héloïse à
Abailard,de Pope. -Troisième Fragment ( 1) .
L'ÉPOUSE
د
とい
,
' ÉPOUSE du Seigneur ,, au pied du sanctuaire ,
Nourrit pour un mortel une flamme adultère !
Entre le ciel et toi mon coeur flotte incertain ;
Dieu m'attire vers lui , je me rends ; mais soudain
De trop chers souvenirs ton image adorée ,
Luttent contre le ciel dans mon âme égarée.
A toi seul désormais s'adressent tous mes voeux
Et l'amour dans mon sein a rallumé ses feux .
$
La perte d'un amant m'arrache encor des larmes ,
Et le crime pour moi conserve tous ses charmes :
En vain mon faible coeur s'efforce à te trahir ;
Hélas! il brûle encore au sein du repentir !
Il passe tour-à-tour du reproche à la plainte ,
(1) Voyez le Nº. du 26 germinal dernier,
12 HK
480 MERCURE DE FRANCE ,
5 Des regrets au désir , de l'espoir à la crainte ;
Il combat son amour , s'y livre tout entier :
En un mot , il peut tout , excepté t'oublier.
Viens m'apprendre àdompter une flamme rebelle ;
Abailard , conduis-moi vers le Dieu qui m'appelle ;
Viens me ranger encor sous sa divine loi ,
M'arracher à moi-même , et , s'il se peut , à toi .
Remets entre ses bras Héloïse mourante ;
Viens à son joug austère asservir ton amante ,
Et que ce Dieu jaloux règne seul sur mon coeur.
Heureuse mille fois la fille du Seigneur ,
Au ciel par ses sérmens , par ses vertus liée !
En oubliant le monde elle en est oubliée :
Son coeur est simple et pur , son front toujours serein ,
Et le remords jamais n'habita dans son sein.
Le sommeil bienfaisant a-t-il fui ses paupières ?
De profanes pensers troublent-ils ses prières ?
Elle trouve la paix à l'ombre de l'autel ,
Et ses heureux soupirs ne s'adressent qu'au ciel ;
Et moi , dans cet abîme où l'amour m'a plongée ,
De quels affreux tourmens ma vie est assiégée !
Quand un sommeil tardif assoupit mes douleurs ,
Et vient fermer mes yeux toujours baignés de pleurs ,
A mes sens enchantés il offre ton image ;
D'un sort injurieux il répare l'outrage :
Je te vois , je t'entends ; une coupable ardeur
Fait bouillonner mon sang et palpiter mon coeur ;
Je repousse les lois d'un devoir trop austère ;
Mon âme vers la tienne a volé tout entière :
Je m'éveille , et te cherche en vain autour de moi ;
Le fantôme me fuit , aussi cruel que toi.
Hélas ! de ton image Héloïse occupée ,
Ne pense qu'à regret qu'un songe l'a trompée :
Je t'appelle ,l'écho répond seul à mes cris.
PRAIRIAL AN ΧΙ . 481
Viens , douce illusion , viens charmer mes esprits :
Tu m'offres une erreur , mais cette erreur m'est chère ;
J'invoque le sommeil , je ferme ma paupière :
Hélas ! d'autres tableaux me sont alors offerts !
Nous nous trouvons jetés au milieu des déserts ,
Seuls , errans sur les bords de la mer agitée.
Là, s'élève une tour par les ans respectée :
Je te vois y monter ; un nuage envieux
M'empêche de te suivre , et te cache à mes yeux.
Soudain j'entends au loin magir la mer profonde ;
L'air siffle , l'éclair brille , et le tonnerre gronde :
Je déplore ta perte ; et déjà le sommeil
Me fuit , et m'abandonne aux horreurs du réveil .
Du ciel , cher Abailard , la barbare clémence
Sur tes paisibles jours répand l'indifférence ;
Ton coeur à son devoir obéit sans effort ,
Et ta vie est semblable au repos de la mort.
Dans le sein de ton Dieu , satisfait et tranquille ,
Rien ne trouble la paix de ton pieux asile ;
Jamais d'aucun combat ton coeur n'est agité ,
Et par de vains désirs tu n'es plus tourmenté.
Libre depuis long-temps du feu qui me dévore
Abailard est glacé ... j'aime , je brûle encore :
Tels on voit près des morts de lugubres flambeaux
Sans ranimer leur cendre éclairer leurs tombeaux .
Quand nous louons de Dieu la grandeur infinie ,
Quand des hymnes sacrés la pieuse harmonie ,
D'une flamme épurée embrase notre coeur ,
Lorsque l'ange est saisi d'une sainte terreur ,
Tout- à- coup je crois voir , à travers d'un nuage ,
Entre l'autel et moi s'élever ton image ,
Alors par ton éclat tout se trouve effacé ;
Dans son temple par toi Dieu même est éclipse,
Tandis que vers l'autel humblement prosternée
Hh2
482 MERCURE DE FRANCE ,
Le ciel semble parler à mon âme étonnée ,
Quand la grâce a calmé l'ivresse de mes sens
Et fait luire sur moi ses rayons bienfaisans ;
Quand le front tout couvert de cendre et de poussière
Je veille dans les pleurs au sein de la prière ;
Quand je suis désormais touté entière au seigneur ,
Viens t'opposer au ciel : dispute- lui mon coeur ;
Emporte tout le fruit de mes pieuses larmes ,
Détruis mon repentir , dissipe mes alarmes ,
Parais , cher Abailard , un regard de tes yeux
Te rendra la victoire et confondra les cieux .
Viens reprendre ton bien , combats en moi la grâce ,
Ne souffre pas que Dieu puisse usurper ta place.
Ah ! qu'ai-je dit ? Fuis-moi , je le veux : entre nous
Mer , fais gronder tes flots , rochers , élevez-vous !
Fuis-moi , n'écoute pas une amante égarée ,
D'Abailard pour jamais que je sois séparée ,
Ne vois qu'avec horreur l'amour que j'ai pour toi ,
Ne viens point , n'écris point , ne songe point à moi ;
C'est peu de m'oublier , que mon amant m'abhorre ,
Je te rends tes sermens. Toi qui me suis encore ,
Image d'Abailard , respecte mon devoir ,
Cesse de me troubler. Viens , o divin espoir !
Viens vers l'éternité diriger mes pensées ,
Verse en mon coeur l'oubli de mes peines passées !
Et toi , céleste foi ! fruit de mon repentir ,
Qui nous fais ici bas vivre dans l'avenir ,
Empare toi d'un coeur qui te fut trop rebelle
Et conduis Héloïse à la gloire éternelle .
DE WOLFF.
A 7
PRAIRIAL AN XI .
STANCES.
J'AI vu des époux s'aimer bien ,
1
Après trente ans de mariage ,
J'ai vu de quelques gens de bien
Le bonheur être le partage.
1. t
J'ai vu nos nouveaux parvenus ,
Etonnés de leur opulence , ...
Tâcher d'acquérir des vertus ,
Pour faire oublier leur naissance.
J'ai vu des femmes de vingt ans ,
Gharmantes , sans être coquettes ;
J'ai vu des riches bienfaisans ,
Et des babillardes discrètes .
J'ai vu l'honnête homme en faveur ,
Malgré l'envie au regard sombre ;
J'ai vu l'intrigant sans honneur ,
Chercher à se cacher dans l'ombre.
J'ai vu du palais de Thémis
Bannir l'intrigue et le mensonge ;
Mais ,quel malheur ! Ô mes amis !
Je n'ai vu tout cela qu'en songe. f
LAGACHE , fils , d'Am .
483
ENIGME.
LECTEUR , sous deux rapports tu peux m'envisager
Je suis une boisson , ou bien une demeure :
Boisson , je rafraîchis ; je te donne à songer ,
Sous le second rapport , quelle est cette demeure ?
Le destin la désigne ; il ne saurait changer :
Pour la trouver , hélas ! pense à ta dernière heure.
Par M. VERLHAC , de Brive.
Hh 3
1
484 MERCURE DE FRANCE ,
LOGOGRYPΗ Ε.
, LORSQUE la nuit , le front orné d'étoiles
Vient , sur son char parsemé de saphirs ,
Envelopper l'univers de ses voiles ,
Du malheureux je suspends les soupirs ,
Il m'appelle , et je le console.
Tu peux rencontrer dans mon sein
La nymphe que Junon fit garder à dessein ;
Ce qu'il faut deux cents fois pour faire une pistole;
La fille de Thémis ; ce qu'elle a pour symbole ;
Le nom de ces oiseaux qui furent autrefois
Propices aux Romains , funestes aux Gaulois ;
Un instrument à dents ; un terme numérique ;
Le sédiment qu'on trouve au fond d'une barrique ;
Un produit de l'abeille , et trois notes de chant.
Mais il est temps que je termine ;
Sans que le lecteur me devine ,
Il me rencontreroit peut-être en me cherchant.
LAGACHE , fils , d'Am .
CHARADE.
1
Le compas à la main , un savant géomètre
Décrit , en circulant , quelquefois mon premier.
Dans ta maison des champs , tu vois de ta fenêtre ,
Couler à petit bruit mon limpide dernier.
Poètes du vieux temps ! assis au pied d'un hêtre ,
Vous chantiez vos amours en faisant mon entier .
Mots de l'Enigme , du Logogriphe et de la
Charade insérés dans le dernier Numéro.
Lemotde l'Enigme est la lettre E.
Celui du Logogryphe est Tréve, où l'on trouve rêve etEve.
Le mot de la Charade est Pas-sage.
PRAIRIAL AN XI. 485
Poésies de Marguerite - Eléonore - Clotilde de
Vallon-Surville. Un volume in-8°. Prix : 4 .
et 5 fr. par la poste. A Paris , chez Henrichs
libraire , rue de la Loi , nº. 1231 ; et chez
le Normant, imprimeur-libraire , rue des Prétres
S. Germain- l'Auxerrois , nº. 42.
ILLy a huit jours que nousdisions que rien n'était
si arbitraire que les réputations , et que la fortune
distribuait souvent les rangs sur le Parnasse , comme
elle les distribue sur la scène du monde. Combien
d'écrivains illustres chez les Grecs et chez les Romains
, dont les ouvrages sont perdus pour nous
et qui ont été engloutis pour jamais dans un tremblement
de terre , ou qui ont péri tout entiers au
milieu des horreurs d'une guerre civile ! combien
d'autres , moins célèbres dans leur siècle , se sont
conservés , sont parvenus jusqu'à nous , semblables
à ces fleuves qu'on admire dans leur cours , et dont
l'origine est à peine connue-! Mais sans remonter
aux Grecs et aux Romains , nous avons la preuve
de ce que nous venons de dire , dans le sort
qu'ont éprouvé les poésies de Clotilde de Vallon-
Surville , qui écrivait dans le 15. siècle. Née en
1405 dans la Limagne d'Auvergne , elle parcourut
une très-longue carrière ; elle chanta , en 1495 ,
Tes triomphes de Charles VIII ; elle ne quitta jamais
, dit l'éditeur de ses oeuvres , la province où
elle était née , et sa langue est plus correcte que
celle même de Marot qui vint après elle. Mariée à
quinze ans à un jeune chevalier qui défendoît
Ja cause de Charles VII contre les Anglais et le
duc de Bourgogne , elle lui écrivit dès la première
année de leur union , une épître que Sapho n'eût
pas désavouée ; cette même femme dicta des1 règles
,
Hh4
486 MERCURE DE FRANCE ,
de goût et de versification française, qui n'ont été
en vigueur que deux siècles après elle , et qu'elle
observa constamment. Elle fut recherchée par Marguerite
d'Ecosse , belle- fille de Charles XII ; elle
forma des élèves qui héritèrent d'une partie de ses
talens ; et cependant la trace de son école s'est entièrement
perdue ; elle-même est restée inconnue
à tous nos littérateurs ; et c'est trois siècles après
sa mort qu'on nous donne la faible partie de ses
ouvrages , qui a échappé à la faulx du temps , et à
la révolution qui a détruit presque toutes les choses
que le temps avait le plus respectées .
Ce fut en 1782 que M. de Surville , un des
descendans de Clotilde , découvrit les manuscrits
de son aïeule : il ne dut cette découverte qu'au
hasard : aidé d'un féodiste , il fouillait dans les
archives de sa famille pour trouver des papiers
tout- à-fait étrangers à la littérature ; les poésies de
Clotilde tombèrent sous sa main ; il n'étoit point
familier avec les anciennes écritures , et ce ne fut
que sous la dictée du féodiste qu'il put transcrire ,
dans ces premiers momens , les stances de Rosalire
et un rondeau contre Alain Chartier. Cette première
découverte excita sa curiosité , et il fut assez
heureux pour recueillir ensuite plusieurs autres
morceaux. La révolution' le surprit au milieu de
son travail : forcé de fuir en 1791 , il laissa en
France les manuscrits originaux de Clotilde ; ces
originaux furent tous brûlés en 1793 par ordre
du comité révolutionnaire de Viviers ; et ce n'est
que sur les copies que M. de Surville avait commencées
et qu'il avait emportées avec lui , qu'on a
pu parvenir à faire le recueil donné aujourd'hui
au public.
L'éditeur , après avoir fait ainsi l'histoire du
manuscrit qu'il publie , ne se dissimule point qu'il
doit trouver des incrédules ; il nous a páru re
1
PRAIRIAL AN XI. 487
pondre aux objections de la manière la plus victorieuse
; mais comme dans ces sortes de discussions
, les plus grandes preuves qu'on puisse donner
, sont dans l'ouvrage lui-même , nous allons
faire connaître les poésies de Clotilde. Nous commencerons
par l'Héroïde qu'elle adressa à son
époux Berenger de Surville , qui était alors dans
Parmée de Charles VII. Cette Héroïde contient
plus de deux cents vers. Clotilde parle d'abord de
la guerre qui désolait la France , et la plupart de
ses vers annoncent clairement le temps et le siècle
où elle écrivait; après avoir exhorté son époux à
rester fidèle à l'honneur , elle lui parle des inquiétudes
que lui donne son absence.
Pardonne maints soulcys à ceste qui t'adore !
,
A tant d'amour est permis quelqu'effroy ;
Ah! dès chaque matin que l'Olympe se dore ,
Se me voyoiz montant sur le beffroy ,
Pourmenant mes regards tant que peuvent s'étendre ,
Et me livrant à d'impuissants desirs !
Folle que suis hélas ! m'est adviz de t'attendre !
Illusion me tient lieu de playsirs !
Lors nul n'est estrangier à ma vive tendresse ,
Te cuide veoir : me semble te parler :
Là , me dis-je , ai reçu sa dernière caresse....
Et jusqu'aux oz soudain me sens brusler.
Icy , lez un ormeil ( 1) cerclé par aubespine ,
Que doux printemps ja coronnoit de fleurs ,
Me dit adieu : sanglots suffoquent ma poictrine ,
Et dans mes yeux roulent torrents de pleurs
1
,
etc.
Ces vers et ceux qui suivent sont gracieux ,
facite,s pleins d'harmonie et de l'amour le plus
vrai. Ils ne peuvent être que d'une femme , et
(1) Ormeau.
488 MERCURE DE FRANCE ,
c'est bien ici le cas de répéter avec le savant
éditeur : que vous importe le siècle où vécut
Clotilde ! Lisez ses poésies ; si vous y trouvez une
mère tendre , une épouse sensible , poète par sentiment
plus que par le désir de la gloire , demandez
à votre coeur si un froid imitateur d'une langue
surannée a pu écrire ces morceaux pleins de
chaleur et de vérité ? L'amour maternel n'a pas
inspiré Clotilde d'une manière moins heureuse ;
et pour le prouver , nous allons transcrire ici des
stances intitulées : Verselets àmon premier né.
VERSELETS
A MON
1
PREMIER NÉ.
Refrain.
Ocher enfantelet , vray pourtraict de ton pere ,
Dors sur le seyn que ta bousche a pressé !
Dors petiot ; cloz , amy, sur le seyn de ta mere ,
Tien doulx oeillet par le somme oppressé !
Bel amy, cher petiot , que ta pupille tendre
Gouste ung sommeil qui plus n'est fait pour moy !
Je veille pour te veoir , te nourrir , te défendre ...
Ainz qu'il m'est doulx ne veiller que pour toy !
Dors , mien enfantelet , mon soulcy, mon idole !
Dors sur mon seyn , le seyn qui t'a porté !
Ne m'esjouit encor le son de ta parole ,
Bien ton soubriz cent fois m'aye enchanté.
O cher enfantelet , etc.
5
10
Vers 1 ..... vrai portrait...
3 et 4. Dors , petit ; ferme ( cloz , l'impératif du verbe clorre) ...
ton doux petit oeil ....
5 .... que ta tendre prunelle ( pupille du latin pupilla ).
8. Mais qu'il m'est doux... ( ainz , de l'italien ainzi ) .
9. Dors, mon enfant ...
11. Le son de ta parole ne me réjouit... ( esjouir , pour réjouir ) .
12. Bien que ton sour's
"PRAIRIAL AΝ ΧΙ. 489
1
Me soubriraz , amy , dez ton réveil peut- estre ;
Tu soubriraz à mes regards joyeulx ...
Jà prou m'a dict le tien que me savoiz cognestre ,
Jà bien appriz te myrer dans mes yeulx .
Quoy ! tes blancs doigtelets abandonnent la mamme ,
Où vingt puyzer ta bouschette à playzir ! ...
Ah ! dusses la seschier , cher gage de ma flamme ,
N'y puyzeroiz au gré de mon dezir !
Cher petiot , bel amy, tendre fils que j'adore !
Cher enfançon , mon soulcy, mon amour !
Te voy toujours ; te voy et veulx te veoir encore :
Pour ce trop brief me semblent nuict et jour.
O cher enfantelet , etc.
Estend ses brasselets ; s'espand sur lui le somme ;
Se clost son oeil , plus ne bouge ... il s'endort...
N'estoit ce tayn floury des couleurs de la pomme,
Ne le diriez dans les bras de la mort ? ...
:
Arreste , cher enfant ! ... j'en frémy toute engtière ! ...
15
20
25
13. Tu me souriras .
15. Ton oeil m'a déjà dit assez ( prou ) ...
16. Tu as déjà bien appris ...
17. ( Doigtelets , diminutif de doigt; mamme, pour mammelle ,
de mamma . )
18. Où ta petite bouche vient puiser...
19.... dusses- tu la dessécher ...
20. Tu n'y saurais puiser ...
23. Je te vois ...
24. .. . pour te voir ... ( brief, bref , court ) .
25. Il étend ses petits bras ; - le sommeil se répand ( s'espand )
sur lui ;
26. Son oeil se ferme , il ne bouge plus...
27. Si son teint n'était pas fleuri...
28. Ne le croiriez-vous pas ...
29... toute entière . ( Rien de si touchant et de si vrai que ce
mouvement ; il nous paraît impossible qu'il ait été dicté par aucune
autre inspirationque celle de l'amour maternel. )
400 MERCURE DE FRANCE ,
Réveille-toy ! chasse ung fatal propoz ! ...
Mon fils ! ... pour ung moment... ah ! revoy la lumière !
Au prilx du tien , rends-moy tout mon repoz ! ...
14
Doulce erreur ! il dormoit ... c'est assez , je respire ;
Songes légiers , flattez son doulx sommeil !
30
Ah ! quandvoyray cestuypour qui mon coeursouspire, 55
Aux miens costez , jouir de son réveil ?
O cher enfantelet, etc.
Quand te voyra cestny dont az reçeu la vie ,
Mon jeune espoulx , lele plus beau des humains ?
Oui , desjà cuyde voir ta mère aux cieulx ravie
Que tends vers luy tes innocentes mains ! 40
Comme ira se duyzant à ta prime caresse !
Aux miens bayzers com'tira disputant !
Ainz ne compte , aà toy seul , d'espuyser sa tendresse ,
A sa Clotilde en garde bien autant ...
Qu'aura playzir, en toy, de cerner son ymaige , 45
Ses grands yeulx vairs , vifs , et pourtant si doulx !
30. (Propoz, idée.)
34. Songes légers...
35. .. quand verrai-je celui...
36. A mes côtés ...
37. Quand te verra-t- il celui dont tu as ... ?
39. Oui , ta mere... croit ( cuyde ) déjà voir .
40. Que tu tends vers lui ...
१४
41. Comme il ira se complaisant (duyzant) à ttaa première...
42. Comme il te disputera ( t'ira disputant ) à mes baisers !
7.07
43. Mais ne compte pas épuiser seul sa tendresse...
44.... il en garde ...
45. Qu'il aura de plaisir à voir ( cerner, du latin cernere ) entoi
son image.
46. ( ... Vair , verd , verdâtre , suivant le dictionnaire de La
Combe , qui observe que les yeux verds étaient à la mode dans les
douzième , treizième et quatorzième siècles : il faudrait , d'après ce
passage , que la mode eût continué jusqu'au quinzième . Nous croyons
quevairne signifie paspprrééccisément"verd mais la couleur que les
Grecs et les Latins rendaient par le mot glaucus , etque madame
Dacier traduit par pers , enparlant de Minerve. )
tre
,
PRAIRIAL AN XI. 491
Ce front noble , et ce tour gracieulx d'ung vizaige
Dont l'amour mesme eut fors esté jaloux !
O cher enfantelet , etc.
Pour moy , des siens transportz onc ne seray jalouse
Quand feroy moinz qu'avec toy les partir :
Faiz amy, comme luy, l'heur d'ugne tendre épouse,
Ainz , tant que luy, ne la fasses languir ! ...
311
50
Te parle , et ne m'entends... eh ! que dis-je ? insensée !
Plus n'oyorit- il , quand fust moult esveillé ...
Povre chier enfançon ! des filz de ta pensée
r
:
55
L'eschevelet n'est encor débroillé ...
Tretouz avons esté , comme ez toy, dans ceste heure ;
Triste rayzon que trop tost n'adviendra !
En la paix dont jouys , s'est possible , ah ! demeure !
Ates beaux jours mesme il n'en souviendra.
Ocher enfantelet , etc.
Ce quatrain isolé se lit au long d'une marge :
Voylà ses traicts ... son ayr ! voylà tout ce que j'ayme !
48. ( Fors , peut-être. )
60
49. ( Onc , jamais . )
50. Comment ferais-je moins que les partager ( partir , de partiri)
avec toi ?
L
51. Fais un jour comme lui le bonheur d'une ...
52. Mais autant que lui ne la fais pas languir.
53. Je te parle , et tu ne m'entends pas .
:
54. Il n'entendrait , ne comprendrait pas davantage , quandmême
il serait très-éveillé.
53. Pauvre cher ...
55 et 56. Le petit écheveau ( l'eschevelet ) des fils de ta pensée
n'est pas encore débrouillé. ( Quelle naïveté , quelle propriété dans
cette figure ! il nous semble qu'une femme pouvait seule la trouver. )
57. Nous avons tous été , comme tu es , toi..."
58.
..
n'arrivera .
59. Dans la paix dont tu jouis, s'il est possible....
61. Voilà les traits de mon époux...
,
492 MERCURE DE FRANCE,
Feu de son oeil , et roses de son tayn...
D'où vient m'en esbahyr ? aultre qu'en tout luy-mesme
Pust-il jamais esclore de mon seyn ?
Ces vers , ou plutôt ces verselets , ( pour nous
servir de la vieille expression ,) portent évidemment
le caractère de l'antique; toutes les nuances les
plus délicates de l'amour maternel , l'espérance ,
les souvenirs , la crainte , la tendre inquiétude ,
sont rendus de la manière la plus naturelle et la
plus touchante. Un poète moderne peut bien
employer des expressions qui ont vieilli , nous
en avons plusieurs exemples ; mais qui pourrait
prendre ce ton de naïveté et de simplesse , qui
est encore plus ici dans les idées , dans les sentimens
que dans les mots ? Tout ce qu'a fait l'esprit
, sans doute que l'esprit peut le faire encore ;
mais ce qu'a produit le coeur reste toujours inimitable
; nous avons pu surpasser nos pères dans
l'art de penser , peut-être dans l'art de parler et
d'écrire ; mais dans tout ce qui tient aux moeurs ,
à la nature , à l'heureuse faculté de sentir , nous
sommes restés au-dessous d'eux. Nous n'avons pas
même conservé dans notre langage les vives expressions
du sentiment ; nous les avons reléguées dans
le dictionnaire du peuple ; et si notre langue continue
toujours à se polir , à s'épurer, je ne sais
comment on pourra parler encore de l'amour ou
de l'amitié , dans ce qu'on appelle la bonne compagnie
, dans le cercle des gens qui se piquent de
bien parler et de bien écrire.
On trouve dans ce recueil des poésies de Clotilde
, quatre petits poëmes sur les quatre saisons ;
63. Pourquoi m'en étonner ? un enfant qui ne serait pas en tout luimême
, qui ne lui ressemblerait pas parfaitement .
64. Aurait- il pu naître de moi ?
PRAIRIAL AN XI. 493
le premier a pour titre : Chant d' Amour auprintemps;
le second : Chant d'Amour en été ; le
troisième : Chant d'Amour en aultom ; le quatrième
: Chant d'Amour en hiver. Ces chants renferment
quelques morceaux de poésie descriptive
qui pourraient servir de modèle même aujourd'hui..
Nous citerons ici une description de l'orage
dans les jours d'été .
!
Maiz quoy ! tandyz qu'en ce vaste silence ,
Soubz grotte obscure ay trefve à mes ennuicts,
Quel tourbillon dans le vuyde s'eslance !
S'abscond le jour entre voyles des nuicts ;
Des quatre vents jouste la turbulence ; 40-
Marche la fouldre enmyeu nuaiges noirs ;
Gronde , reluict , esclate , hélaz ! et tombe ...
Dieulx ! sur ce roc , le plus fraiz des manoirs ;
Frappe la creste où sylvestre palombe
Prez son ramier rouccouloit touz les soirs : 45
L'a veu périr ; s'enfuyt... Ah ! malheureuse ,
A peyne viz , et cuydes t'envoler !
Me fend le coeur ta plaincte langoureuse ;
Et moinz barbare estoit de t'immoler ,
Vers 37. Sous une grotte... j'ai relâche ...
39. Le jour se cache ( s'abscond., du latin abscondere : voyez
Borel).
40. .. combat la violence .
41. La foudre marche au milieu .
42. ( Ce vers nous paraît admirable par sa précision et sa chûte
imitative . )
43. Dieux ! elle tombe sur ce roc ...
44. ..
vestris ) .
le sommet où la colombe sauvage ( sylvestre , de sy
45. Près de...
46. Elle l'a vu périr...
47. Tu vis à peine, et tu crois t'envoler.
49. Il étoit moins barbare de t'immoler.
:
494 MERCURE DE FRANCE,
Que te forcier vivre ainsy douloureuse !
Que quierz entour ce funeste rosclier ?
De ta demeure encor toute fumante
Ne peulx t'enfuyr ; et trembles d'approscher !
Vole plustost sur le seyn d'ugne amante,
Qu'au pair de toy tes maulx doibvent touscher ;
Laz ! n'est plus temps : s'allanguissent tes esles !
Tien seul amy pouvoist te secourir :
Sçaiz qu'il n'est plus , et sy tousjours l'appelles !
Oui , m'apprenez , coulple d'oyseaulx fideles ,
Qu'en pareil cas ne reste qu'à mourir.
50
55
60
Ici les vers descriptifs sont agréablement mêlés
à des vers de sentiment ; la nature y est animée et
embellie de tout ce que le coeur humain a de plus
doux et de plus délicat ; et le sentiment s'y embellit
à son tour des scènes brillantes de la nature.
Nous pourrions faire beaucoup d'autres citations
dans le même genre , telle que celle de la
description d'un vieux castel abandonné , mais
nous renvoyons le lecteur à l'ouvrage même ; il y
verra combien Clotilde est au-dessus de Ronsard
et de Dubartas , dans le genre descriptif , et audessus
de Villon , dans le genre léger et naïf.
Ronsard et Dubartas sont souvent burlesques et
bizarres dans leurs tableaux , Villon souvent gros-
50. Que te forcer à vivre ainsi douloureuse ( dans la douleur. )
51. Que cherches-tu autour de ...
52 et53. Tu ne peux t'enfuir de ta demeure encore toute fumante ,
et tu trembles d'en approcher .
54. d'une amante .
... !
55. Qu'à l'égal de toi , autant que toi ...
56. il n'est plus temps; tes ailes s'affaiblissent ... ( s'allanguir,
formé comme languir, de languescere ) .
57. Ton seul ami...
58. Tu sais qu'il n'est plus , et pourtant...
.59. ... Vous m'apprenez , couple d'oiseaux. 14
sier
PRAIRIAL AN XI . 465
RÉP.FRA
sier dans ses épîtres ; il appartenait à une femme
de les surpasser et de donner des modèles pour tes
âges suivans. Les femmes ont plus de délicatesse
dans l'esprit ; elles écrivent d'après leur coeur , et
le coeur trompe rarement ceux qu'il inspire. Chez
une nation où le goût n'est pas encore formé , les
femmes écrivent presque toujours plus purement
que les hommes ; elles devinent les règles du goût
bien long- temps avant que les commentateurs ne
les aient expliquées dans les écoles.
Dans les treizième , quatorzième et quinzième
siècles , la France et l'Italie comptèrent le plus
grand nombre de leurs poètes parmi les femmes ;
plusieurs ont laissé des modèles à suivre , et la
plupart ont évité les défauts du siècle où elles ont
vécu .
On a dû voir , par les vers que nous avons cités ,
que Clotilde avait jeté les fondemens d'une nouvelle
école , qui se perdit après elle , et que les
progrès du goût ont pu seuls faire renaître. Dans
toutes les poésies que nous avons sous les yeux ,
on ne trouve pas un hiatus , et l'alternative des
rimes masculines et féminines y est scrupuleusement
observée. Il s'en faut de beaucoup que
Marot , qui est venu après elle , ait un mètre aussi
harmonieux et aussi parfait ; mais cette perfection
même est propre à faire naître des doutes sur l'authenticité
du manuscrit qui vient d'être publié. Plus
les vers de Clotilde sont purs , moins ils paraissent
appartenir au quinzième siècle ; le goût , la finesse
du poète parlent ici contre lui , et peuvent le faire
regarder comme un être chimérique : cette objection
est très- forte ; elle a même ébranlé notre crédulité
, mais nous avons été obligés de céder à la
force des raisonnemens et des preuves accumulées
dans le discours préliminaire de l'éditeur. Il
ne nous paraît point étonnant que les oeuvres de
12 Ii
496 MERCURE DE FRANCE ,
Clotilde aient été oubliées , dans un siècle qui
comptoit à peine quelques personnes capables de
les juger et de les apprécier. Clotilde vécut toujours
dans la retraite ; elle ne parut jamais à la
cour , où elle avait pour antagoniste le fameux
Alain Chartier ; sa gloire fut ainsi immolée à l'intrigue.
Nous ne voyons pas qu'il y ait en cela rien
d'incroyable , puisque nous avons des exemples
d'une pareille injustice sous nos yeux, et dans un
siècle beaucoup plus éclairé que celui de Clotilde.
Au reste , Charles , duc d'Orléans , qui vivait au
quinzième siècle , qui était un des beaux esprits de
son temps , a éprouvé le même sort que Clotilde ;
et les poésies de ce prince , qui étaient restées
long-temps inconnues , n'ont été publiées que vers
la fin du siècle dernier.
Clotilde , retirée dans la solitude la plus profonde
, passa sa vie à polir ses vers , et c'est à son
travail assidu que nous devons la pureté de son style
qu'elle corrigeait sans cesse , d'après les progrès que
la langue et le goût faisaient chaque jour : elle
semblait prévoir elle-même le sort de ses ouvrages ,
lorsqu'elle écrivait vers la fin de sa vie :
Grâce au temps qu'ai vescu , se peult que les povrets
De cil qui tout détruit , n'apprehendent les traicts :
Tel que fiz sans effort ne corrige sans payne ;
Ains , quand simples et doux coulèrent de ma vayne ,
N'eusse dit , qu'en fauldroit , septenaire , bannir
Vocables dont jeunette aimoye à les garnir .
Ainsi veult le tyran qui des langues dipose.
L'éditeur nous apprend que Jeanne de Vallon ,¹
une des descendantes de Clotilde , se proposait de
publier les oeuvres de son aïeule. Jeanne de Vallon
vivait au siècle de Malherbe , et l'on est fondé à
croire qu'elle avait rajeuni quelques expressions de
Clotilde ; elle mourut avant d'avoir pu achever
i.
PRAIRIAL AN XI. 497
l'ouvrage qu'elle avait commencé. M. de Surville ,
qui avait suivi le même travail , a été fusillé au
Puy-en- Velay , en 1797 ; et dans une lettre qu'il
écrivait à sa femme , une heure avant sa mort , il exprimait
encorele regret de n'avoir pu enrichir notre
littérature des oeuvres de Clotilde. Il semble qu'un
sort funeste se soit attaché à cet aimable poète ,
et à tous ses descendans qui s'intéressaient à sa
gloire ; elle fut sacrifiée à l'intrigue et à la plus
basse jalousie pendant sa vie : après sa mort , elle
semblait destinée à avoir un éditeur dans sa propre
famille; le sort et la révolution l'ont privée de cette
gloire , mais elle n'y a rien perdu , et M. Vanderbourg
, qui donne aujourd'hui l'édition de ses
oeuvres , a plaidé sa cause avec autant de goût que
d'érudition dans une préface , qui est elle-même
un ouvrage très-recommandable.
MICHAUD.
LES ETHIOPIENNES , OU THÉAGÈNES ET CHARICLÉE ,
roman écrit en grec par Héliodore ; traduction nouvelle
et exacte , avec des notes ; par N. Quenneville, professeur
de langue grecque , etc. Trois volumes in- 12 ; Prix , 6
francs , et 7 francs 75 cent. franc de port. A Paris ,
chez Bertrandet , imprimeur-libraire , place S. Michel ,
maison de l'horloger ; et le Normant , imprimeur-
Libraire , rue des Prêtres Saint-Germain-l'Auxerrois ,
n°. 42, vis-à-vis le petit portail.
L'apparition d'un nouveau roman dans la république
des lettres , n'est point aujourd'hui une chose extraordinaire.
Jamais , au contraire , la littérature ne fut plus fertile
en ce genre de production , et il ne peut rester aux
amateurs de ces sortes de lectures que l'embarras du
choix. Mais un roman traduit du grec , et traduit exactement
avec des notes grecques , est une chose qu'on ne voit
lia
498 MERCURE DE FRANCE ,
pas tous les jours. Aussi , avant de parler de celui que nous
annonçons , devons-nous louer le traducteur d'avoir conservé
le goût de la saine littérature et des langues anciennes
, dans un temps où les bonnes études étaient totalement
anéanties , et où tout ce qui sentait l'antiquité était
voué au ridicule . M. Quenneville a droit de réclamer une
place parmi le petit nombre d'amis restés aux muses
grecques et latines ; et si son ouvrage est apprécié comme
il mérite de l'être , il peut espérer d'être cité comme un
de nos bons hellénistes .
,
Le mérite d'Héliodore est assez connu , pour qu'il ne
soit pas nécessaire de faire son éloge. L'enthousiasme qu'il
avait inspiré à l'illustre Racine , qui l'avait appris par
coeur dans sa jeunesse , et emprunta de lui des traits que
nous admirons dans Phèdre et dans Iphigénie ; cet enthousiasme
en dit plus que ne pourrait en dire le meilleur
panégyrique. Les soins qu'Amiot donna à sa traduction
et la récompense qu'elle lui valut , prouvent de même
quel cas en faisaient et cet homme célèbre et son siècle.
Mais sans recourir à ces témoignages illustres , il suffit
d'en appeler aux véritables hommes de lettres de nos
jours , qu'ils soient ou non versés dans la langue des
Sophocle et des Thucydide. Tous trouveront , dans les
Ethiopiennes , les conditions qui constituent un excellent
ouvrage ; plan étendu et riche d'invention , épisodes amenés
naturellement , et qui occupent agréablement l'attention
, sans faire perdre de vue l'action principale ; caractères
bien tracés et bien soutenus, événemens qui naissent les
uns des autres , sans effort et sans contrainte , et qui , merveilleux
quelquefois , ne sortent pourtant jamais des bornes
d'une vraisemblance reçue ; peinture fidelle des moeurs
et des passions , élévation des sentimens , noblesse des pensées
et de l'expression , beauté et vérité des descriptions ;
enfin , principes d'honnêteté et de vertu , que le plus rigide
moraliste ne pourrait désavouer.
Si l'Histoire Ethiopique mériteles suffrages des hommes
• de lettres , elle n'a pas moins de droits à ceux des gens du
!
PRAIRIAL AN XI. 499
monde , qui ne cherchent dans la lecture des romans
qu'undélassement à leur esprit et un aliment à leur curiosité
. Il n'en est point où ils puissent trouver une plus grande
variété de faits et d'aventures , ni qui réunisse plus de ces
qualités générales , qui rendent une lecture agréable et
amusante . On y rencontre encore avec plaisir quelques
notions sur l'Egypte , cette contrée célèbre depuis tant de
siècles et qui l'est devenue encore davantage de nos jours ,
par les exploits des Français et la gloire du héros qui les
commandait.
Une bonne traduction de cet ouvrage manquait à notre
langue ; car , quoique la version d'Amiot soit bonne , on
peut dire que sa langue n'est pas la nôtre. M. Quenneville
a rempli ce vide d'une manière qui ne laisse rien à désirer.
Son premier but a été d'être exact , et ce but il l'a atteint
. Il est , à la vérité , des expressions , des phrases mêmes
qui , tenant exclusivement au génie de la langue grecque ,
ne sont pas susceptibles d'être rendues dans la nôtre , et
que M. Quenneville a été obligé de suppléer par des équivalens
. Mais c'est encore là une manière d'être exact , car
c'est l'esprit d'un auteur qu'il faut conserver , et quand la
lettre tue l'esprit , il faut abandonner la lettre . Si vous présentez
dans une version française une expression , une idée
ignoble dans notre langue , mais qui ne l'était pas dans la
langue de l'original , vous défigurez votre auteur. Il n'a
rien dit de choquant , et vous dites quelque chose de choquant.
Les traductions du seizième siècle étaient plus littérales
, mais elles ne pouvaient être plus fidelles dans le sens
qu'on doit donner à ce mot. Car, elles rendaient , dans une
langue informe et grossière , ce qui avait été écritdans une
langue formée et perfectionnée.
M. Quenneville a expliqué quelques-uns de ces passages
dans des notes érudites , qui prouvent combien il est familiarisé
avec la langue d'Homère et de Platon ; et si nous
regrettons quelque chose , c'est qu'il n'ait pas multiplié
ces notes ; il faut espérer qu'il le fera dans une seconde
édition; et si jamais la langue française devient une lan
Ii 3
500 MERCUR E DE FRANCE,
gue morte , son ouvrage pourra être une pièce de comparaison
, un monument précieux de la manière dont les
anciens pouvoient être rendus dans cette langue à l'époque
de sa perfection , et des différences essentielles qui
existaient entre le génie du grec et celui du français .
Il n'est pas nécessaire de dire que M. Quenneville n'a
point fait comme quelques traducteurs qui suivent pas à
pas ceux qui les ont precédés , ou qui prétendant traduire
du grec , ne traduisent qu'une mauvaise version latine.
Ceux qui compareront l'original avec la traduction , reconnaîtront
facilement qu'il n'a suivi d'autre modèle
qu'Héliodore , et que c'est de lui directement qu'il a pris
les idées , comme un interprête reçoit les paroles de la
bouche d'un étranger et les rend dans son idiome. Son
style est pur , correct , élégant , d'une noble simplicité. On
n'y trouve point ces expressions hasardées , ces tournures
précieuses et recherchées , cette affectation de néologisme
qui déparent un grand nombre d'ouvrages modernes. On
voit que l'auteur s'est nourri de la lecture des écrivains
français du grand siècle , et que chez eux , non moins que
chez les Grecs et les Latins , ila puisé ce goût sage et droit ,
qui sait discerner ce qui est beau et naturel d'avec ce qui
n'est que brillant et maniéré . Enfin , ou je me trompe , ou
cet ouvrage fera autant d'honneur au talent de l'écrivain ,
qu'à celui du traducteur.
On lira avec intérêt , dans une préface que M. Quenneville
a mise à la tête de son ouvrage , une dissertation sur
les causes qui ont empêché que le genre du roman ne fût
cultivé dans les beaux siècles de la Grèce , et un morceau
brillant sur l'imagination des Grecs , où l'auteur peint
avec beaucoup d'art et de vérité la richesse , la pompe et
lamagnificence de l'imagination des Grecs , si différente
de cette imagination bizarre , et souvent horrible , qui
inspire la plupart des romanciers anglais.
On a reproché à M. Quenneville d'avoir beaucoup appuyé
, dans sa préface , sur le mérite d'Héliodore , de l'avoir
même exagéré. Mais , pour être juste , il fallait ajouPRAIRIAL
AN XI 501
L
ter qu'il blâme aussi ses défauts , et dans cette préface et
dans des notes qui sont à la fin du troisième volume. On
lui a reproché d'avoir dit qu'Héliodore , comme romancier
, n'avait peut- être pas moins de mérite qu'Homère ,
comme poète . Car , outre que c'est le sentiment du célèbre
Huet , et que les phrases suivantes fixent le vrai sens de
cet éloge , il laisse toujours entre Homère et Héliodore la
distance qui existe entre le poëme épique et le roman ;
et selon moi , cette distance est immense .
Pour conclure , on ne peut qu'applaudir à l'entreprise
du traducteur et à la manière dont il l'a exécutée ; et
puisque la nature de son talent le porte à franciser les
Grecs , la littérature a droit d'attendre de lui la traduction
de quelqu'autre ouvrage , qui présente autant d'utilité
que celui-ci présente d'agrément ; et s'il y réussit aussi
bien qu'il a fait dans ce premier essai , on pourra lui appliquer
cet éloge :
Omne tulit punctum , qui miscuit utile dulci.
BURNOUF .
VARIÉTÉS.
Le Calendrier de Flore , ou Etudes des Fleurs d'après
nature , par Madame V. D. C... Trois volumes in-8° .
Prix , 15 fr. , et 19fr. 50 cent. franc de port; à Paris ,
chez Maradan , libraire , rue Pavée Saint-André-des-
Arcs n . 16 ; et chez Le Normant , libraire , imprimeur
du Journal des Débats , rue des Prêtres Saint-Germainl'Auxerrois
, nº 42 .
Rousseau disait qu'il manquait pour la botanique un
livre essentiellement élémentaire , qui renfermerait la description
des plantes de la manière la plus simple , et avec
lequel on pût étudier la nature tout seul. Ce livre élémentaire
nous manquait en effet , mais le voeu de Rousseau ,
celui de tous les amateurs d'histoire naturelle , viennent
d'être remplis , et l'ouvrage de Madame de V. D. C. est
Ii 4
502 MERCURE DE FRANCE ,
un guide sûr et facile pour tous ceux qui veulent réunir
au plaisir d'admirer la nature , celui de la connaître.
Le Calendrier de Flore est un recueil de lettres consacrées
à l'étude , et à la description d'environ quatre cents
plantes. L'auteur expose dans les premières , les trois sys-
-temes principaux qui , depuis un siècle , ontaidé les travaux
des savans . Elle promet à son amie le développement plus
complèt du système de Linnée , à mesure que les fleurs
dont elle lui proposera l'examen lui en fourniront l'occasion.
Elle les cueille sans choix , et selon l'ordre de
leur floraison , qui correspond nécessairement aux dates
deslettres . Elle les décrit avec autant de précision qu'il
dépend d'elle , et ne fait jamais usage d'un mot purement
technique , sans le définir. Ces explications sont même
renouvelées différentes fois dans les premières lettres .
Cet ouvrage est très-propre à inspirer le goût de la botanique
, et à donner , sur les élémens de cette science , des
notions claires et faciles à retenir. Les plantes décrites
dans ce recueil , l'ont toutes été d'après nature.
On pourra rapprocher , avec quelque intérêt , les modèles
de leurs esquisses ; reconnaître les plantes , en apprendre
les noms , et mieux jouir , en les détaillant mieux ,
des merveilles qu'elles présentent .
Les deux premiers volumes de cet ouvrage ont été trèsaccueillis
du public éclairé ; le troisième volume est fait
pour obtenir les mêmes suffrages. L'auteur ne se borne
point à faire une exacte nomenclature des fleurs et des
plantes ; madame V. D. C. a su par-tout unir les grâces
du style à la vérité et à la fidélité des descriptions. Nous
en citerons quelques exemples. Dans le premier volume,
-l'auteur parle du bluet . « Vous cueillez une fleur , dit- elle
>> à son amie , un coquelicot par exemple. Vous observez
>> la beauté de ses couleurs , la fragilité de sa riche tenture
; vous songez peut-être au sommeil , à l'opium
que cette pourpre recèle dans son sein. Si vous êtes mé-
>> contente, ce sera un poison, ce sera l'instrument des
PRAIRIAL AN ΧΙ. 503
i
haines , des vengeances , des révolutions . Si votre esprit
>> est serein , ce sera la consolation du malade, dont quel-
>> ques heures d'un sommeil bienfaisant calmeront les
>> douleurs. Si votre humeur est sombre , le rouge coque-
>> licot sera l'ennemi de la culture , et arraché sans misé-
>> ricorde. Si vous êtes tranquille au sein de votre fa-
>> mille , cesera l'innocente parure prodiguée par la nature
>> aux bergères. Dieu nous donne l'existence , et tout ce
>> qui la soutient , mais il ne la donne pas comme nous
>>> ferions l'aumône . >> 1
Notre aimable auteur dit plus loin , en parlant des prodiges
de la végétation : « J'ai quelquefois pensé à la conti-
>> nuité de ce mouvement végétal universel , qui , au mo-
> ment même que j'écris , mûrit les semences et en dis-
>> perse , entr'ouvre le bouton , engraisse le champ où la
>> charrue enterre les herbes venues spontanément , ré-
» chauffe les germes , leur ouvre la terre , agite leur sève
>> sans interruption , etc. , etc. Ce mouvement se fait sentir
>> jusqu'aux algues qui tapissent le fond des eaux , jus-
» qu'aux mousses qui rongent la pierre , et s'y dessinent
>> en forme de roses. Pénétrée de cette idée , je croirais en-
>> tendre le bruit de cette étonnante végétation , si , dans
>> le moment où elle me frappe , je me trouvais au milicu
>> d'une belle et riante campagne . Ma bonne amie , toutes
>> les routes sont semées de fleurs , et une guirlande non
>> interrompue entrelace de fait Paris et Ch ... n . »
On doit sentir ici combien de charmes doivent répandre
ces images sur l'étude de la nature. Quelques savans diront
peut-être qu'il est ridicule de vouloir parer le printemps
et de semer en quelque sorte des fleurs dans les jardins de
Flore; oui , sans doute , si les savans nous montraient des
roses , on les dispenserait d'en parler d'une manière agréable
, mais ils se contentent d'en parler ; on ne voit jamais
les belles choses dont ils nous parlent. Il nous semble que
l'art d'écrire consiste principalement à employer les couleurs
de son sujet; et personne ne doit trouver mauvais
504 MERCURE DE FRANCE ,
qu'on emploie un coloris riant , pour exprimer les innombrables
variétés de la nature dans la belle saison . La nature
physique ne nous intéresse vivement que lorsque ses tableaux
se mêlent aux sentimens de la nature morale ; on
ne peut les séparer , sans courir le danger d'ennuyer les
lecteurs , et madame de V. D. C. l'a très - bien senti .
Aussi son livre est-il fait pour intéresser autant que pour
instruire. Nous ajouterons encore une citation tirée du
volume qui vient de paraître.
« Je viens , ma chère amie , avec mon hommage jour-
>> nalier ; mais aujourd'hui vous n'aurez que des plantes
>> aussi simples que communes ; nous sommes convenues
>> de ne rien négliger. Toutes les études ont un période ,
>> pendant lequel on court le risque de se décourager entiè-
>> rement. Les premiers pas sont presque toujours très-ra-
>> pides. L'intelligence en aide le progrès , et la nouveauté
>> des observations ajoute beaucoup à leur charme. Mais
>> enfin , cet attrait cesse. L'intelligence qui ne marque
>> plus chaque jour par une riante découverte , se fatigue
>> et s'éteint. On croit se traîner toujours sur les mêmes
>> notions , et l'on ne s'aperçoit pas que c'est l'unique
>> moyen de se les rendre familières. Les plantations ont le
» même cours. Le premier jet est charmant comme l'es-
>> pérance , rapide comme les progrès de l'aurore . Puis le
>> travail des racines commence ; elles pivotent , elles s'é-
>> tendent , elles se nourrissent , se fortifient. L'arbre pa-
>> raît en stagnation ; mais une fois en possession du sol, il
>> reprend un nouvel essor , et peu d'instans suffisent pour
» couronner sa tête . »
Je sais que ces sortes de digressions, en revenant toujours
de la même manière , peuvent faire naître la monotonie ;
aussi madame de V. D. C ... a-t-elle soin de les varier sans
cesse et de les adapter toujours au sujet qu'elle traite si
bien ; toutes ses pensées paraissent faire partie de la nature
qu'elle décrit . Les images qu'emploie madame de V. D. C...
sont toujours simples , ses idées n'ont presque jamais rien
PRAIRIAL AN XI. 505
de recherché ; il est permis peut-être de chercher à montrer
de l'esprit , en parlant des arts , qui ne sont qu'une
imitation de la nature , mais non pas en parlant de la
nature elle-même; ici la ligne qu'on doit suivre est trop
indiquée par le sujet dont on s'occupe , et le modèle est
trop près du tableau , pour qu'on puisse être impunément
infidèle ; peut- être que cette aimable simplicité ne pouvait
se trouver que dans l'ouvrage d'une femme ?
ÉPHÉMÉRIDES ( I ) .
L'an 1666 , le 4 juin , première représentation du
Misantrope de Molière.
Cet ouvrage est regardé comme le chef-d'oeuvre du
haut comique : il eut à la première représentation les
applaudissemens qu'il méritait ; mais c'était un ouvrage
plus fait pour les gens d'esprit que pour la multitude , et
plus propre encore à être lu qu'à être joué; le théâtre
fut désert dès le troisième jour. Molière ayant suspendu
son chef-d'oeuvre du Misantrope , le rendit quelque temps
après au public , accompagné du Médecin malgré lui ,
farce très-gaie et très-bouffone , et dont le peuple encore
grossier avait besoin ; le Médecin malgré lui soutint le
Misantrope : c'est peut-être à la honte de la nature humaine
, mais c'est ainsi qu'elle est faite ; on va plus à la
comédie pour rire , que pour être instruit . Le Misantrope
était l'ouvrage d'un sage qui écrivait pour les hommes
éclairés , et il fallut que le sage se déguisât en farceur
pour plaire à la multitude.
(1 ) Douze volumes in-8° . - Il paraît un volume par mois. Onpeut
se procurer chaque volume à mesure qu'il paraît , en payant d'avance
36 fr . pour les douze volumes. Il faut ajouter à ce prix , 50 c. par volume
, pour le recevoir franc de port. A Paris , chez le Normant ,
rue des Prêtres Saint - Germain - l'Auxerrois , n. 42;et chez Henri
Nicole , rue des Jeuneurs , n. 26.
مع
1
506 MERCURE DE FRANCE ,
L'an 1785 , le 5juin , première expérience de Montgolfier
à Annonai sur les globes aérostatiques pour voyager
dans les airs. « Jamais , dit M. de Lalande , la phy-
>> sique n'avait fait une aussi belle découverte ; peut-être
>> même l'esprit humain n'avait jamais rien produit
>> d'aussi étonnant. De tous les noms célèbres , celui de
>> Montgolfier est fait pour l'emporter sur tous les autres ;
>> il planera sur les temps comme il nous a appris à
>> planer sur les airs .
>> Joseph Montgolfier , né à Darvezieux , près Annonai ;
>> le 6 août 1740 , raconte que ce fut au mois de décem-
» bre 1782 , qu'étant à Avignon , il songea pour la pre-
>> mière fois au pouvoir de l'air raréfié ; il envoya acheter
» dix aunes de taffetas , les découpa en fuseaux qu'il fit cou-
» dre ; il alluma une feuille de papier au-dessous ; il vit le
>> globe s'élever , et la découverte était faite . Son frère vint
» à Paris , on fit un globe , et le 21 novembre, Pilâtre tra-
>> versa la rivière .
>> Charles , célèbre physicien , ne tarda pas à compren-
>> dre qu'en remplissant un ballon avec de l'air inflam-
>> mable , on aurait plus de sûreté , quoiqu'avec plus de
>> dépense ; et le 1. octobre 1783 , il fit une superbe as-
>>> cension au Jardin des Tuileries . L'enthousiasme des
>> sepctateurs alla jusqu'à l'ivresse , et pendant quelques
►mois , on ne parlait dans Paris que de cette étonnante
▸ découverte. Pour la rendre plus utile , il faudrait pou-
>> voir diriger les aréostats : mais les physiciens n'en déses-
>> pèrent pas. Dans la campagne de 1793 , il y a eu vingt-
>> huit ascensions dans la Belgique ; et le 7 messidor , à la
>> bataille de Fleurus , le général Morelot fut pendant
>> deux heures dans un aréostat. Il envoya au général
» Jourdan deux lettres , de la hauteur de deux cents toises ;
>> elles firent gagner la bataille , dont le succès entraîna la
>> conquête de toute la Belgique.
>> On a fait à Meudon , sous la direction de M. Conté,
>> beaucoup d'expériences curieuses en 1797 : lorsqu'elles
PRAIRIAL AN XI. 507
>> seront publiées , l'art de l'aérostation sera considérable-
> ment perfectionné , et déjà nous savons qu'au lieu de
>> dépenser 3000 fr. pour l'acide vitriolique , on peut
>> décomposer l'eau en la faisant couler lentement dans
>> des tuyaux de fer rougis au feu , et cela suffit pour
>> remplir les ballons . >>>
ΑΝΝΟNCE.
Prones , ou Instructions familières sur les Epitres et
Evangiles des Dimanches et des principales Fêtes de
l'année , ouvrage que l'on peut regarder comme le développement
complet de toutes les vérités de la religion et
de la morale ; par feu M. Cochin , curé de Saint-Jacquesdu-
Haut-Pas ; troisième édition , revue , corrigée , augmentée
d'une suite d'Homélies sur le saint Sacrifice de la
Messe ; d'une Table analytique ; orné du portrait de l'auteur.
Quatre volumes in- 12 brochés. Prix : 10 fr . , et 14 fr.
franc de port. A Paris , chez Méquignon l'aîné , libraire ,
rue de l'Ecole de Médecine , n°.5 , vis-a-vis la rue Haute-
Feuille ; et chez le Normant , imprimeur-libraire , rue des
Prêtres Saint-Germain-l'Auxerrois , n° . 42.
M. Cochin , mort en 1783 , est un des curés de Paris
qui a fait le plus d'honneur à son état et le plus de bien
dans sa paroisse , et l'on peut dire que ses Prônes , solides
comme sa vertu et simples comme son caractère , ont
continué , en quelque sorte après sa mort , une partie
du ministère pastoral qu'il exerçait si dignement pendant
sa vie. Ils eurent un grand succès dès qu'ils parurent ,
et leur réputation s'est toujours soutenue . Mais , si jamais
il a été nécessaire d'en recommander la lecture , c'est surtout
depuis une révolution où l'Eglise a plus encore besoinde
catéchistes que d'orateurs , et où il faut au peuple
des instructions familières , qui , sans rabaisser la Religion ,
et en lui conservant toute la dignité qui lui convient ,
le mettent néanmoins à la portée de tout le monde. Les
Prônes de M. Cochin sont des modèles en ce genre .
508 MERCURE DE FRANCE ,
POLITIQUE.
La séance du parlement , du 24 mai , n'a pas été aussi
intéressante pour le public , qu'on s'y attendait. La chambre
des communes a fait interdire la porte aux journalistes
; de sorte qu'on ne sait rien de plus , sinon que les
partisans de la paix se sont trouvés 7 , et les partisans de
la guerre , ou plutôt du ministère , 388. L'objet de la discussion
roulait sur les remercîmens que la nation croyait
devoir au roi , pour une reprise d'hostilités dont personne
ne peut prévoir les conséquences . La séance de la chambre
des pairs a été publique , et l'on a compté jusqu'à 10 partisans
de la paix contre 142 partisans de la guerre. Il est
vrai que la fortune des pairs est faite , ce qui leur donne
une plus grande indépendance , au lieu que beaucoup de
membres de la chambre des communes ont leur fortune
à faire.
Nous allons analyser brièvement les discours.
Le duc de Cumberland a dit qu'il ne s'agissait de rien
moins que de savoir si l'Angleterre continuerait à être une
nation libre , heureuse et indépendante , et si la France
donnerait des fers au monde .
Le duc de Clarence a soutenu que ce n'était point là la
véritable question , et que , sans gazer les expressions ,
il fallait dire à la France : Vous n'aurez pas Saint-Domingue
, vous n'aurez pas la Louisiane ; aux Espagnols :
Vous n'aurez pas la Floride ; et à tous ceux qui sont protégés
par le premier Consul : Vous n'aurez rien que ce
que la Grande-Bretagne voudra bien vous laisser prendre.
Cette manière de s'expliquer change un peu la question
posée par le duc de Cumberland ; car alors ce ne serait
plus la France qui donnerait des fers au monde , mais bien
Ia Grande-Bretagne. On peut trouver extraordinaire que
deux membres de la famille royale ne s'accordent pas
mieux dans leurs discours .
Lord Melville a réduit la discussion à Malte, qu'il trouve
très- fort à la convenance de l'Angleterre , et il a fini par
dire : Malte doit désormais nous appartenir en toute
propriété.
Le comte de Moira s'est écrié : Qu'est-ce que Malte ?
La grande affaire est de diminuer la puissance continentale
de la France , et nous n'aurons rien gagné tant que
PRAIRIAL AN XI. 50g
-
2
C
!
2
L
d
1
nous n'aurons pas le pouvoir d'empêcher les Français de
passer le Rhin chaque fois qu'ils le jugeront à propos.
Notre situation ne nous permet pas de faire une guerre
longue ; mais si nous avons de l'énergie , elle sera courte .
Lord Grenville a parlé en faveur de la guerre ; mais il
a prévenu qu'elle serait longue , ce qui devient assez embarrassant
, s'il est vrai , comme l'a dit le comte de Moira ,
que la situation de l'Angleterre ne permet qu'une guerre
fort courte.
Par ces extraits de discours , que nous avons composés
des phrases mêmes de ceux qui les ont prononcés , qu'on
juge de l'accord qui règne dans les vues de ceux qui décident
du sort de l'Angleterre. Je doute qu'on puisse faire
de la bonne politique à la tribune ; mais enfin , quand il y
a un vrai motif de guerre , tout le monde en convient , et
c'est ce qui est arrivé en France. Tous les discours prononcés
par nos corps délibérans , ont porté sur cette vérité
, que l'Angleterre refusait d'exécuter un traité solennellement
juré ; qu'elle était coupable de la reprise des
hostilités , et que quand il n'y a plus de traités entre les
nations , il ne leur reste plus qu'à confier à leur valeur la
justice de leur cause.
Le roi d'Angleterre , en qualité d'électeur d'Hanovre,
a fait publier , le 18 mai , une proclamation dans cet électorat
,par laquelle il enjoint à toutes les autorités publiques
de dresser promptement la liste complète de tous
ceux de ses sujets de ses fidèles pays allemands qui sont
propres au service militaire , et d'exiger d'eux la promesse
qu'au premier appel qui leur sera fait , ils accoureront à
la défense de la patrie , et se porteront par-tout où leur
présence sera jugée nécessaire. En conséquence de cette
proclamation , il a été ordonné une levée en masse de tous
les individus en état de porter les armes , depuis l'âge de
16 ans jusqu'à 50. On espère cependant que l'électorat
ne sera point occupé par les troupes françaises . On attend
même à Hanovre un ministre plénipotentiaire de la Russie.
Nous avons annoncé, il y a huit jours , d'après les gazettes
allemandes , que plusieurs puissances du Nord s'opposaient
a cette invasion ; il paraît se confirmer aujourd'hui
que le roi de Prusse et l'empereur de Russie ne veulent
pas consentir à ce qu'elle ait lieu ; le dernier sur-tout a témoigné
au colonel Colbert , qu'il verrait cette invasion
avec peine , ainsi que la clôture de l'Elbe et du Veser.
Mais en cas d'invasion , S. A. R. le prince Adolphe d'An
510 MERCURE DE FRANCE ,
gleterre , duc de Cambridge , se mettra à la tête de l'armée
qui doit défendre ce pays .
La Russie, fait équiper en ce moment , avec la plus
grande activité , toute la flotte qui se trouve dans les ports
de Cronstadt et de Revel ; de manière que l'on verra bientôt
une flotte considérable dans la Baltique ; 13 vaisseaux
de 40 canons chacun , sont déjà prêts à mettre à la voile
dans le port de Revel.
La cour de Pétersbourg a fait remettre au cabinet de
Vienne une note , par laquelle elle demande itérativement
la dignité électorale pour le duc de Mecklenbourg.
Les votes de la religion catholique étant au nombre de
cinq , et ceux de la religion protestante au nombre de six ,
la concession de la dignité électorale à un prince de la religion
évangélique rend encore plus difficile l'égalité des
votes que S. M. I. et R. voulait établir entre les deux religions
. S. M. pense qu'il est de sa dignité d'exiger que
les votes de la religion qu'elle professe ne soient pas inférieurs
en nombre à ceux du parti protestant. En accédant
à la demande de l'empereur de Russie , l'empereur
d'Allemagne se trouvera forcé de choisir deux nouveaux
électeurs catholiques .
4
CORPS LEGISLATIF.
Séance du 8 prairial. - On introduit les conseillersd'état
Regnault , Réal et Jollivet , chargés de faire au corps
législatif le discours de clôture. Le C. Regnault commence
par exprimer la satisfaction que fait éprouver au gouvernement
l'union intime et continue qui règne entre lui et
le corps législatif , il présage les heureux effets que l'influence
de cette union , toujours inaltérable , doit produire
dans l'étendue de la république , pour l'exécution des lois
préparées et sanctionnées par cette union raisonnée , dont
l'exemple se multiplie entre tous les corps constitués , et
produit l'harmonie qui les enchaîne .
Arrivés au terme devos importans travaux , vous emportez
, citoyens législateurs , le contentement d'avoir fidèlement
rempli vos devoirs , et d'avoir enfin comblé l'attente
du peuple , en lui donnant un code civil qu'il réclamait
depuis si long-temps. Vous avez apporté de vos départemens
le calme de la sagesse , reportez-y le calme de la
sécurité.
Dites
PRAIRIAL AN XI.
511
Dites que les rentes continueront à être payées à leur
échéance avec une ponctualité religieuse ; dites que les
fonds destinés à creuser et entretenir les canaux , à réparer
les ports , et aux autres travaux publics, seront exclusivement
employés à ces objets .
L'orateur fait lecture d'un arrêté du premier Consul,
daté de Saint-Cloud , le 7 prairial , dont voici la substance:
« Bonaparte , en vertu du sénatus-consulte du ... arrête
>> que la clôture de la session du corps législatif aura lieu
>> samedi 8 prairial . >>>
Après avoir répondu aux orateurs du gouvernement ,
et ceux-ci s'étant retirés , le président nomme au sort les
cinq membres qui , pendant la vacance , doivent composer
la commission administrative : ce sont les CC. Woussen ,
Terrasson , Delcroix , Despálières , Lespérut. Le corps
législatif se forme en comité secret pour régler quelques
affaires de son administration intérieure; puis le président
proclame la clôture de la séance de l'an 11 .
1
4
1
1
PARIS.
Nous donnons ici la déclaration du roi d'Angleterre ,
traduite d'après le texte anglais du journal intitulé l'Argus .
Pendant tout le cours des négociations qui ont précédé les préliminaires
et le traité définitif entre sa majesté et la république française ,
le désir sincère de sa majesté a été non- seulement de mettre un terme
aux hostilités entre les deux pays , mais d'adopter des mesures qui pussent
contribuer d'une manière effective à consolider la tranquillité de
l'Europe. Les mêmes motifs , d'après lesquels sa majesté s'est conduite
dans les négociations pour la paix , ont toujours depuis dirigé invariablement
sa conduite. Aussi-tôt après la conclusion du traité d'Amiens,
toutes les cours de justice de sa majesté ont accueilli toutes réclamations
fondées de la part des Français ; les sequestres sur leurs propriétés
ont été levés ; les prohibitions contraires àleur commerce pendant la
gurre ont cessé , et ils ont été traités , dans tout ce qui a rapport au
commerce et aux communications , sur le même pied que toutes celles
des autres nations amies de l'Angleterre , avec lesquelles sa majesté
n'avait pas de traité de commerce .
Les procédés du gouvernement de France forment le plus frappant
contraste avec cette conduite franche, libérale et amicale. Les prohibitions
de marchandises anglaises , qui avaient eu lieu pendant la guerre ,
ont été maintenues et augmentées avec rigueur et sévérité : dans plusieurs
circonstances , des actes de violence ont eu lieu contre les vaisseaux
de nos sujets et leurs propriétés ; et jamais dans aucune circonstance
, il n'y a eu ni justice , ni satisfaction accordées , à cet
égard , aux demandes réitérées des ministres de sa majesté ou de son
ambassadeur à Paris. Dans de telles circonstances , tandis que les sujets
12 Kk
512 MERCURE DE FRANCE ,
dé sa majesté ne pouvaient jouir d'aucun des avantages communs de la
paix sur le territoire de la république et des pays de sa dépendance ,
le gouvernement de France a eu recours à la mesure extraordinaire
d'envoyer dans ce pays un nombre de personnes , pour résider dans
les ports les plus considérables de l'Angleterre et de l'Irlande , en
qualité d'agens de commerce ou de consuls. Ces personnes ne pouvaient
avoir aucune prétention à faire connaître en elles ce caractère ,
un tel droit ne pouvant leur être acquis , ainsi que les priviléges qui y
sont attachés , que par un traité de commerce : or il n'y avait aucun
traitéde cette nature entre sa majesté et la république française.
Il y avaitdonc toute raison de conjecturer que l'objet réel de leur
mission était d'une toute autre nature ; et le soupçon était confirmé
non-seulement parce que quelques-unes de ces personnes étaient militaires
, mais même par la connaissance qu'on a eu que plusieurs d'entr'elles
étaient chargées par leurs instructions de prendre les sondes
des ports et de se procurer les plans des lieux où elles résidaient. Sa
majesté a cru qu'il était de son devoir d'empêcher leur départ , et on
ne peut nier que les circonstances dans lesquelles on les a envoyées, et
les instructions qu'elles ont reçues , ne doivent être regardées comme
des indices incertains des dispositions et des intentions du gouverце-
ment qui les employait.
La conduite du gouvernement français , quant aux relations commerciales
entre les deux pays , ne peut paraître convenable dans la
paix, et tous ses procédés dans ses relations politiques les plus générales
, aussi bien que dans ce qui a un rapport direct avec les états
soumis à sa majesté , sont opposés à tous principes de justice , de modération
et de bonne foi . Sa majesté , d'après les assurances répétées
du gouvernement français , avait conservé l'espérance qu'il pourrait
adopter un système. de politique qui , s'il n'inspirait pas une grande
confiance aux autres puissances , du moins n'exciterait pas leur jalousie.
Si ce gouvernement avait donné quelque chose aux apparences
d'un tel système ; si ses dispositions s'étaient annoncées connne pacifiques
, on aurait pu l'attribuer à la situation où se trouve un gouvernement
nouveau après des convulsions telles que celles qui ont été
produites en France par la révolution ; mais sa majesté a vu avec douleur
que le système de violence , d'agression et d'agrandissement , qui
avait caractérisé les différens gouvernemens de France pendant la
guerre , avait continué d'exister sans plus de ménagemens depuis la
paix. Des armées ont été tenues en Hollande , malgré le voeu et les
réclamations du gouvernement batave , et contre la lettre même de
trois traités solennels ; pendant la paix même, le territoire et l'indépendance
de la Suisse ont été violés , au mépris du traité de Luneville
, qui a stipulé l'indépendance de cette nation, et son droit de se
donner une forme de gouvernement à son choix. La France a annexé
A ses domaines le Piémont , Parine , Plaisance et l'île d'Elbe , sans
qu'aucune indemnité ait été assignée au roi de Sardaigne pour la plus
grande partie de ses états dont il se voit dépouillé , quoiqu'il eût été
pris à cet égard un engagement solennel avec l'empereur de Russie.
On peut assurément dire avec vérité que le temps qui s'est écoulé
depuis la conclusion du traité , a été marqué par une suite continuelle
d'agressions , de violences et d'insultes de la part du gouvernement
français.
Aumoisd'octobre dernier , sa majesté a été engagée , par les pressantes
sollicitations de la Suisse , à tâcher , par des représentations
LOP
PRAIRIAL AN XI. 513
au gouvernement français , de détourner les maux qui menaçaient ce
pays ; ces représentations ont été conçues dans les térmes les plus то-
dérés , et sa majesté a pris des mesures pour s'assurer , dans les cir
constances alors existantes , de la situation réelle et des voeux des can
tons suisses , aussi bien que des sentimens des autres cabinets de l'Europe.
Sa majesté a vu , avec regret , qu'aucune disposition ne se faisait
chez les puissances les plus immédiatement intéressées à réprimer ces
violences et ces infractions des traités , et que des efforts de sa part
seule ne pouvaient produire que peu de chose en faveur de ceux pour
qui elle s'intéressait .
de
Cefut vers ce temps que le gouvernement français avança pour la première
fois ce principe, que sa majesté n'avait aucundroit de sseeplaindre
cette conduite nidese meler de tout ce que pouvait faire la France
dans ce qui ne faisait pas partie des stipulations du traité d'Amiens .
Ce traité était incontestablement fondé sur les mêmes principes que
tont autre traité précédent ou toute convention; il l'était sur l'état
de possession et les engagemens existans au temps de sa conclusion;
et si cet état de possession et ces engagemens sont matériellement
changés par quelqu'acte volontaire de l'une des parties contractantes ,
au point d'altérer les conditions auxquelles l'autre partie a souscrit au
contrat , ce changement doit être considéré comme une infraction formelle
au traité , et comme donnant à la partie lésée un droit à quelque
satisfaction ou compensation pour la différence que de tels actes
opèrent dans leur situation relative. Mais quelque soit le principe
qu'on regarde comme le fondement du traité , il y a incontestablement
une loi générale des nations , qui , quoique susceptible d'être limitée ,
expliquée ou restreinte par quelque convention spéciale , lui est antérieure;
et c'est cette loi ou cette règle de conduite que tous les souverains
et tous les états ont coutume d'invoquer , par- tout où la loi
conventionnelle paraît n'avoir pas parlé . Le traité d'Amiens et tout
autre traité , en réglantles objets auxquels il est particulier , ne suppose
,ni ne nécessite l'indifférence pour tout ce qu'il ne stipule pas.
Il prononce encore moins , qu'excepté ce qui est explicitement contenu,
tout le reste doive être abandonné à la volonté et au caprice de
celui qui est violent et puissant.
La justice de la cause suffit seule pour autoriser l'interposition des
puisssaanncceessde l'Europ'e , dans les différends qui peuvent s'élever entre
nations , et il n'y a que les considérations de prudence qui puissent
déterminer l'étendue et l'application de cette juste interposition . On
ne peut contester ces principes ; mais cette prétention nouvelle et extraordinairedu
gouvernement français , qui refuse à sa majesté le droit
de se mêler de tout ce qui regarde les autres nations , à moins que ce
ne soit un objet stipulé par le traité d'Amiens : si l'on pouvoit la soutenir
, ces puissances auroient le droit au moins de réclamer à leur
tour ce principe , dans tous les cas où il surviendroit des différends
entre laFranceet l'Angleterre . Sans doute , toutes ces nations doivent
être indignées de la déclaration du gouvernement français ,que daus
Pévénement des hostilités , ces mêmes puissances qui ne sont pas
contractantes dans le traité d'Amiens , et à qui on n'a pas permis de
profiter des remontrances de samajesté en leur faveur , sont contraintes
cependant de devenir les victimes de la guerre , et être sacrifiées
dans une contestation , que non-seulement elles n'ont pas occasionnée
, mais même qu'elles n'ont pas eu les moyens d'empêcher.
Toutefois sa majesté jugeait qu'il valait mieux , dans les circonstances
Kk2
514 MERCURE DE FRANCE ,
actuelles de l'Europe , s'abstenir d'avoir recours aux hostilités par
rapport aux vues d'ambition et aux actes d'agression de la France sur
lecontinent ; mais la connaissance acquise des dispositions du gouvernement
français , ne pouvait manquer de faire sentir à sa majesté la
nécessité de redoubler de vigilance , quand il s'agissait de soutenir les
droits et la diguité de sa couronne , et de protéger les intérêts de son
peuple.
Tandis que samajesté était occupéede ces pensées, elle a été pressée
parlegouvernement français d'évacuer Malte. Sa majesté amanifesté,
dès le moment de la signature définitive du traité d'Amiens , ses dispositions
à exécuter les articles relatifs à cette isle. Aussi-tôt qu'elle a
été informée que l'élection du grand-maître était faite sous les auspices
de l'empereur de Russie , et qu'il avait été convenu de reconnaître en
cettequalité celui dont le pape aurait fait choix , elle avait proposé au
gouvernement français , pour éviter toutes les difficultés qu'un telarrangement
pourrait entraîner, de reconnaître la validité de cette élcetion;
et lorsque le gouvernement français s'adressa au mois d'août , à
sa majesté, pour obtenir que des troupes napolitaines fussent envoyées
dans l'isle de Malte , elley consentit sans hésiter, et donna
en conséquence ses ordres pour que ces troupes y fussent admises ; mais
sa majesté ne peut reconna tre que le gouvernement français ait eu en
aucun temps le droit de sommer l'Angleterre , en vertu de ce traité, de
retirer les troupes qu'elle avait à Malte. Dans le temps où cette demande
a été faite par le gouvernement français , plusieurs des articles
importans stipulés par le traité , n'avaient pas reçu leur exécution; l'élection
du grand-maître n'était pas faite ; et l'article X stipulait que
l'indépendance de Malte serait mise sous la garantie et la protectionde
laGrande-Bretagne , de la France , de l'Autriche , de la Russie , de
l'Espagne et de la Prusse. L'empereur d'Allemagne n'avait accédé à la
garantie, qu'à condition que les autres puissances désignées accéder
raient également ; l'empereur de Russie n'avait donné son accession
qu'à conditionque lalangue maltaise serait supprimée , et le roi de
Prusse n'avait point fait de réponse. Mais le principe fondamental,
dont l'exécution des autres parties du traité dépendait , avait été détruit
par les changemens qui avaient eu lieu dans la constitution de l'ordre
depuis la conclusion de la paix.
C'était à l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem que S. M. était obligée ,
par la première stipulation de l'article 10 , de restituer l'isle de Malte.
L'ordre était déterminé par la composition des langues existantes à l'époquedu
traité. Les trois langues de France ayant été abolies , et une
langue maltaise ajoutée à cette institution , l'ordre consistait , en conséquence,
dans les langues suivantes : d'Arragon , de Castille, d'Alle
magne , de Bavière et de Russie. Depuis la conclusion du traité définitif,
les langues d'Arragon et de Castille ont été séparées de l'ordre de
l'Espagne ; une partie de la langue italienne a été abolie par la réunion
du Piémont et de Parme à la France ; il y a une forte raisonde croire
que l'on avait en vue de séquestrer les propriétés de la langue de Bavière
, et l'on a manifesté l'intention de comprendre la langue de Russie
dans les domaines de l'empereur.
Dans ces circonstances , l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem ne pouvait
pas être considéré comme un corps auquel , en se conformant aux
stipulations du traité , l'isle de Malte puisse être remise ; et les fonds
indispensablement nécessaires pour son entretien et pour le maintien
de son indépendance ont été séquestrés presqu'en totalité.Quand même
PRAIRIAL AN XI. 515
cela serait dérivé de circonstances qu'il n'était au pouvoir d'aucune
des parties contractantes du traité d'empêcher , S. M. n'en aurait
pas eu moins le droit de différer de faire évacuer l'isle , jusqu'au
temps où un arrangement équivalent eût été conclu pour maintenir l'indépendance
de l'isle : mais si ces changemens avaient été faits d'après
Irs actes de l'autre partie interressée au traité , si le gouvernement
français paraissait avoir agi d'après un système de rendre l'ordre ,
dont l'indépendance avait été stipulée, incapable de la maintenir , le
droit qu'avait S. M. de continuer à occuper l'isle dans ces circonstances
ne peut être contesté. Il est également hors de doute que les
revenus des deux langues espagnoles ont été enlevés à l'ordre par S.
M. C.; qu'une partie de la langue italienne a été abolie par le fait
de l'injuste réunion du Piémont , de Parme et de Plaisance au territoire
français . L'électeur de Bavière a été déterminé par la France
à séquestrer les propriétés de l'ordre dans son territoire ;et il est certain
qu'elle a non-seulement approuvé , mais encouragé l'idée de séparer
la langne de Russie du reste de l'ordre . Puisque ce sont les
gouvernemens de France et d'Epagne qui ont opéré , tantôt directement,
tantôt indirectement, les changemens qui ont eu lieu dans
l'ordre , et qui lui ont ôté les moyens de soutenir son indépendance ,
c'est à ces gouvernemens et non à S. M. qu'il faut reprocher la non
exécution de Particle to du traité d'Amiens .
Telle serait la conclusion qu'on pourrait en tirer , si l'article 10 de
ce traité pouvait être considéré comme un arrangement à part ; mais il
fout observer que cet article n'est qu'une partie du traité, dont le tout
s'enchaîne ,et dont toutes les stipulations réglées d'après les principes
communs à tous les traités , ont une liaison entr'elles .
S. M. s'était engagée par le traité de paix d'abandonner l'isle de
Malte et à la restituer à l'ordre de Saint-Jean , sous la condition de son
indépendance et de sa neutralité ; mais une condition ultérieure que
L'on doit nécessairement supposer avoir eu une grande influence sur
S. M. , pour la décider à faire une concession aussi importante , était
le consentement du gouvernement français à un arrangement pour la
sûreté du Levant , convenu dans ses articles 8 et gdu traité , qui stipulent
l'intégrité de l'empire turc et l'indépendance des isles ïoniennes.
S. M. a cependant appris que le gouvernement français avait eu depuis
des vues hostiles sur ces deux pays , et qu'il avait même eu l'idée d'un
partage de l'empire ture. Ces vues sont devenuės publiques et manifestes
par les rapports officiels du colonel Sébastiani , par la conduite
de cet officier et des autres agens français en Egypte, en Syrie , et
dans les isles ïoniennes , et enfin par les expressions du premier consut
lui-même dans ses communications avec lord Whitworth . S. M. était
en conséquence autorisée à penser que le gouvernement français était
déterminé à violer les articles du traité de paix qui stipulaient l'intégrité
et l'indépendance de l'empire ottoman , et celle des isles
ïoniennes ; et , en conséquence , elle n'aurait pas pu se justifier d'avoir
évacué l'isle de Malte , sans recevoir d'autres garanties , qui puissent
également pourvoir à cet objet important . S. M. sentit qu'elle avaitun
droit incontestable de se plaindre , d'après la conduite de la France
depuis le traité de paix , et, eu égard aux objets qui faisaient partie
des stipulations du traité , de refuser ,dans les circonstances présentes,
d'abandonner la possession de Malte.
Cependant , malgré ce droit si clair et si incontestable , le gouver
Kk3
5,6 MERCURE DE FRANCE ,
nement de France a présenté à sa majesté , en termes positifs et menacans,
l'alternative de l'évacuation de Malte ou de la guerre.
Si les vues d'ambition et d'agrandissement manifestées par le gouvernement
français , depuis la conclusion du traité de paix , ont attiré ,
d'une manière si particulière , l'attentionde S. M. , il lui était également
impossible de ne pas sentir et de ne pas faire connaître les insultes
réitérées faites par ce gouvernement,à sa couronne et au peuple anglais.
Le rapport du colonel Sébastiani contient des insinuations et des invectives
contre le gouvernement de S. M. , contre l'officier qui commandait
ses forces en Egypte , et contre l'armée anglaise dans cette
contrée. Cet écrit ne peut pas être considéré comme l'ouvrage d'un
individu sans qualité; il est avoué et porte le caractère le plus évident
d'un rapport officiel d'un agent accrédité , publié sous l'autorité
du gouvernement auquel il était adressé , et qui lui a donné une sanction
expresse .
Ce rapport était à peine publié , qu'une autre insulte a été faite à
ce pays , dans une communication du premier consul au corps législatif.
Dans cette communication il ne balance pas à affirmer avec le caractère
du premier magistrat de ce pays : « que la Grande - Bretagne
>> seule ne peut pas lutter contre la puissance de la France. » Assertion
aussi mal fondée qu'indécente , démentie par les événemens de
plusieurs guerres , et notamment par ceux de la guerre qui vient de se
terminer . Une pareille assertion avancée officiellement de la manière
la plus solennelle , dans un acte du gouvernement, faite par conséquent
pour être avouće devant toutes les puissances de l'Europe , ne
peut être considérée que comme un défi donné publiquement à S. M.
et à unpeuple brave et puissant , qui peut et veut défendre , contre
l'insulte et l'agression , ses justes droits et ceux des pays qui lui sont
soumis.
La conduite du premier consul envers l'ambassadeur de S. M. , à
sonaudience, enprésence des ministres de la plus grande partiedes
puissances del'Europe , fournit une autre preuve deprovocation de la
Pan,t dy4sgouvernement français , qu'il est à propos de rappeler dans
Eatte gecasion , l'explication qu'elle a amenée pouvant être considérée
comme une aggravation plutôt qu'une réparation de l'outrage.
Danaule même temps que S. M. demandait une satisfaction et une
explication sur quelques-uns des points ci-dessus mentionnés , le ministre,
français à Hambourg essayait d'obtenir l'insertion , dans une gazette
de cette ville , d'un libelle des plus grossiers et des plus inju-
Ficus contre S. M. Lorsqu'on lui fit des difficultés pour l'insérer , il
se pravalut de son caractère officiel de ministre de la république francais
pour requérir, par ordre de son gouvernement , la publication de
Serécit dans la gazette du sénat de cette ville.La nature de la réqui
sitionengagen le sénat de Hambourg à y accéder , et par-là l'indépendance
de cette ville a été violée. Un état litre fut coutraint par les menapes
du gouvernement français , de propager dans toute l'Europe et
sous son, autorité, les calomnies les plus offensantes et les plus dépouryues
de fondemens contre S. M. et son gouvernement. S. M. doit
ajouter à la liste de ces outrages , les demandes pressantes et réitérées,
Juugouvernement français , pour changer les loix de ce pays , relatives
liberté de la presse. S. M. y ajoutera encore toutes les réquisitions
faites par ce gouvernement dans différentes occasions , tendantes à
violer Les loix de l'hospitalité envers des personnes qui avaient trouvé
un asila dans ses domaines , et contre la conduite desquelles on n'avait
こ4
PRAIRIAL AN ΧΙ. 517
pu, en aucune occasion , articuler aucune plainte. Il est impossible ,
quand on réfléchit sur cette suite de procédés, de ne pas éprouver la
conviction qu'ils ne sont pas l'effet du hasard , mais une partie d'un
plan adopté pour dégrader , avilir et insulter S. M. et son gouverne-
.ment.
Au milieu de tant d'outrages et de provocations , sa majesté , sans
oublier ce qu'elle devait à sa dignité , a procédé avec la plus grande
modératión pour obtenir des réparations et des satisfactions; en même
temps elle ne négligeait aucun des moyens compatibles avec son honneur
et la sûreté de ses états , pour engager le gouvernement de France aux
concessions qu'elle juge absolument nécessaires pour assurer la tranquillité
future de l'Europe. Ces efforts ont échoué : elle a, en conséquence
, jugé nécessaire d'ordonner à son ambassadeur de quitter Paris .
Enrecourant à ce moyen, le but de S. M. a été de mettre fin à ces discussions
inutiles , qui existaient depuis si long-temps entre les deux
gouvernemens , et d'apporter un terme à un état d'indécision préjudiciable
aux sujets de sa majesté.
Mais quoique les provocations faites à S. M. pussent l'autoriser à
des réclamations plus fortes ,cependant son désir de prévenir des calamités
qui peuvent s'étendre sur toute l'Europe, l'a déterminée encore
à se prêter à tout ce qui sera compatible avec son honneur et les
intérêts de son peuple ; elle n'hésite pas de déclarer à toute l'Europe
que malgré les changemens survenus depuis le traité de paix , malgré
l'extensiondu pouvoir de la France , au mépris du traité et contre tout
esprit de paix , S. M. ne se prévaudra pas de ces circonstances pour
demander des compensations proportionnées à ses droits . Mais elle est
disposée , même encore aujourd'hui , à concourir à tout arrangement
qui lui procurerait une satisfaction pour les insultes faites à sa couronne
et àson peuple , et assurerait leur tranquillité contre de nouvelles
entreprises de la part de la France .
S. M. vient d'exposer clairement et sans réserve les motifs de sa
conduite. Elle n'est mue ni par la disposition de s'immiscer dans les
affaires intérieures d'aucun autre état , ni par des projets de conquête
et d'agrandissement ; elle n'est animée que du sentiment de ce que
réclament l'honneur de sa couronne et les intérêts de son peuple , et
par un désir ardent d'arrêter les progrès d'un système qui , s'il ne rencontre
pas d'obstacles , pourrait amener la ruine totale de toutes les
parties dumonde civilisé.
Nous avons parlé au commencement del'articlepolitique
de ce numéro , de la séance du parlement d'Angleterre ,
du 24 mai ; l'extrait que nons en avons donné , ne nous
parait pas suffire , la discussion qui a eu lieu est d'un intérêt
tel qu'il est indispensable de la faire connaître en
entier : nous la rapportons ici d'après le journal officiel.
La discussion sur le messagedu roi , relativement à la guerre , a eu
lieu hier soir 24 mai , à la chambre des pairs , et lord Pelham a prononcé
le discours suivant :
Lord Pelham : Milords , j'ai des espérances assez fondées qu'il ne
peutyavoir une grande différence d'opinions sur la question importante
qui va nous occuper. L'évidence contenue dans les pièces qui
vous ont été soumises , est si claire , et prouve d'une manière si
Gg4
518 MERCURE DE FRANCE ,
incontestable la modération du gouvernement de S. M. , et la corduite
peu mesurée de la France , que toutes les personnes qui m'ertendent
doivent être convaincues que nous avons de justes motifs
d'entreprendre la guerre . C'est d'après ces considérations que je suis
fondé à croire que l'adresse au roi que j'ai l'intention de vous proposer
, n'éprouvera aucune opposition de la part de vos seigneuries.
Cependant, je dois vous observer que les ministres de S. M. ne
prétendent pas se garantir par-là de la responsabilité qui est attachée
à leurs forctions. Ils désirent que leur conduite soit scrupuleusement
et sévèrement examinée, et ce sera l'objet d'une autre discusion.
Il s'agit aujourd'hui de déterminer si nous avons eu , ou non , des
motifs légitimes d'entreprendre la guerre .
Vos seigneuries peuvent se rappeler qu'aussitôt après la signature
du traité d'Amiens ,on prit des mesures pour évacuer Malte, conformément
au traité. Sa majesté donna des ordres pour nommerun
commissaire qui , conjointement avec un commissaire nommé par le
gouvernement français , devait régler toutes les dispositions nécessaires
à cet effet. Mais peu de temps après , la France fitune tentative pour
qu'on procédât à l'élection d'un grand-maître , d'une manière qui
devoit lui donner une influence sur Malte. On verra aussi que la
France ne fit aucune démarche pour obtenir la garantie des puissances
neutres , qui devait assurer l'indépendance de l'ile . Sa majesté désirait
que le pape eût seul le droitde nommer un grand-mattre . Elle avare
consenti pareillement qu'on envoyat 2000 hommes de troupes napolitaines
pour garnison dans l'île, et comme une preuve du désir sincère
de S. M. de remplir à ce sujet les conditions du traité; vos seigneuries
verront, par la correspondance avec la cour de Vienne , que les ministres
de S. M. faisaient toutes lesdémarches nécessaires pour arsiver
àce but. Cependant plusieurs circonstances dans la conduite dela
France, et notamment la manière dont Vilection d'un grand-maître
avait été faite , nous firent sentir la nécessité de ne pas encore nous
dessaisir de l'ile . An mois de janvier dernier , le gouvernement français
commença à prendre une part active dans la question relative à
L'évacuation de l'île de Malte , qui devint alors l'objet d'une discussion
plus sérieuse , et je suis persuadé que , d'après les faits qui ont été nis
sous vos yeux , vos seigneuries jageront que les ministres de S. M. ,
en refusant d'évacuer Malte , ont agi d'après des motifs d'intérêt
public , et des considérations fondées sur l'honneur et l'indépendance
de la nation .
En se prononçant sur ce point , il y avait d'autres discussions
d'un ordre inférieur qui auraient pu facilement être mises de côté,
On verra que la France avait fait des représentations insoutenables ,
par lesquelles elle se plaignait de la liberté de la presse, et du réfuge
que nous accordions à plusieurs émigrés français . On attribuait ces
remontrances , et d'autres de la même espèce , plutôt à des mouveniens
d'humeur , qu'à des dispositions hostiles de la part du gouvernement
français.
J'ai toujours été un zélé défenseur des libertés de mon pays , et
particulièrementde la liberté de la presse. Cependant je pense quela
Vicence de la presse ne devrait être tolérée sous aucun rapport; et je
dois avouer que j'ai lu , dans diverses gazettes de ce pays , plusieurs
observations sur le gouvernement de la France , qui étaient extrêmement
indécentes et injurienses ; et qu'il aurait eu le droit de se
plaindre de ces libelles , s'il n'avait pas lui-même employé les mêmes
PRAIRIAL AN XI.
519
moyens. Cependant , ni ces discussions particulières , ni l'accroissement
de la puissance continentale de la France , n'auraient mis une
Larrière insurmontable à l'exécution du traité , sans la publication
officielle qui fut faite en France d'un rapport rédigé parune personne
qui avait eu du premier consul la mission expre se d'aller recueiller des
renseignemens positifs sur la situation actuelle de notre armée en
Egynte et des autres pays qui avoisinent le Levant. Le rapport an
nonçait, de la part de la France , certaines vues et certains projets
infiniment préjudiciables aux intérêts de l'empire britannique . Ce
fut alors queles ministres de S. M.jugèrentqu'i'illss devaient
Malte , commele meilleur préservatif contre les projets ambitieux
que lepremier consul paraissait avoir formés l'Egypte et la Syrie .
Il est d'ailleurs démontré , par les pièces qui vous ont été soumises ,
que l'exéention du traité d'Amiens relativement à l'île de Malte était
Gevenue impraticable par la conduite de la France.
sur
conserver
C'est d'après toutes ces considérations que je me propose d'engager
la chambre à voter une adresse au roi , pour lui exprimer nos regrets
sur le non- succès des efforts de S. M. pour le maintien de la paix.
Mais avant de terminer , je ne dois pas oublier de fixer l'attention de
vos seiereuries sur les prétentions nouvelles et extraordinaires annoncées
parla France. Le gouvernement de ce paysne voulait rien moins
que d'obtenir que les débats dans les deux chambres du parlement
frosent asservis à de certains règlemens , et que la liberté de la presse ,
ce palladium sacré de notre constitution libre , fût soumise à sa volonté
et àson bon plaisir. Mais en faisant allusion à cette conduite
de la France, je suis a dernière personne qui vous inviterai à enployerdes'd
scours injurieux contre le gouvernement de ce pays. Pins
notre cause est juste , plus nous devons montrer de modération en la
défendant. Je propose en conséquence , « qu'une humble adresse soit
>> présentée à S. M. pour la remercier de son très-gracieux message ;
>> pour lui exprimer que nous sommes vivement pénétrés des efforts
>> qu'elle a faits pour nous conserver les avantages de la paix , et que
>> nous avons la conviction intime que 'S. M. ne négligera aucune
>> occasion de terminer la guerre dans laquelle nous sommes engagés ,
>> d'accord avec l'honneur etlasûreté dell''EEnmpire. Que nous avons
১) obsrvé avec la plus vive indignation,que les efforts de S. M. pour
>> maintenir la paix avaient été renversés par les projets ambitieux de
>> gouvernement de la France , et par des prétentions injurieuses à
>> notre indépendance et à nos intérêts les plus chers comme nation ;
>> et que S. M. avait en vain demandé satisfaction pour les outrages
>> qui avaient été faits à ce pays, Animés par ces sentimens , nous
>> soutiendrons de tout notre pouvoir la cause que S. M. vient d'em-
>>>brasser , et qui a pour objet de maintenir les droits de sa couronne
>>les intérêts de son peuple, et tout ce qui nous est cher comme nation
>> libre et indépendante . >>>
?
:
Son altesse royale le duc de Cumberland : Milords , en secondant
l'adresse qui vient de vous être proposée par le noble secrétaire-d'état ,
je ne puis m'empêcher de vous dire quelques mots à ce sujet. De
quoi s'agit-il aujourd'hui ? de savoir si l'Ang'eterre continuera à être
une nation libre , heureuse et indépendante ; ou si elle se soumettra
a la volonté arbitraire et aux ordres insolens de la France ? Voilà
une question de la plus haute importance , et qui doit fixer toute
notre attention , tandis que nous voyons ce pays afficher les prétertions
les plus violentes , sans que rien puisse jamais le satisfaire. II
520 MERCURE DE FRANCE ,
ne peut y avoir , milords , aucune différence d'opinion dans une
question comme celle-ci . Il s'agit de nos intérêts les plus chers , et
denous défendre contre le danger commun qui nous menace.
Je ne me permettrai aucune personnalité sur le premier consul
de France;je ne parlerai de lui que sous le rapport de la place officielle
qu'il occupe, et je le regarde , sous ce point de vue, comme
l'ennemi de ma, patrie. A rès avoir désolé et mis sous le joug une si
grande é endue de territoirecontinental, il sent actuellement que l'Angleterre
est le seul pays qui puisse arrêter le torrent de sou ambit.on ,
etl'empêcher de donner des fers au restedu monde. Jetons les yeux ,
milords , sur la situation de la Hollande et de la Suisse ; vous les verrez
sous le jougde la France . L'Italie est presque dans la même situation
et il ne reste que l'Angleterre qui n'ait pas été asservie. Il n'y a
pas une seule partie du globe où la France n'ait pas cherché à exécuter
les projets de son ambition dévastatrice. Le premier consul
n'a-t-il pas déclaré positivement que tôt ou tard l'Egypte devait
tomber entre ses mains ? Et c'est sa détermination que tôt ou tard
vos possessions orientales tombent au pouvoir de la France. En un
mot, wilords , la France n'est dirigée que par le désir d'étendre sa
dom nation. Le motif de l'Angleterre est de défendre sa constitution .
Ne perdons jamais de vue , que si elle étoit anéantie, la noblesse et tous
les ordres respectables de l'état tomberoient avec elle , et que le
soleil glorieux de l'Angleterre s'éteindroit pour jamais. Il est vrai ,
milords , que nous ne pouvons compter actuellement sur l'assistance
d'aucun allié ; mais j'ai la plus grande confiance que , méme seuls ,
nous l'emporterons , et que nous arracherons le laurier du front de
P'insolence et de l'injustice .
Le comte Stanhope : Milords , j'apporterai dans cette discussion
resprit de modération qui a été si justement recommandé par son
altesse royale. Je commencerai par examiner la nature du différend
qui existe entreles deux pays , d'après les documens qui ont été mis
sous nos yeux. D'un côté je vois qu'on veut garder Malte pendant dix
ans , et de l'autre qu'on en exige l'évacution d'après les conditions du
traité d'Amiens . Je pense que tout cela pouvoit s'arranger. Mais il
estun autre objet qui me touche de plus près ;savoir, la constitution
de mon pays , à laquelle je ne souffrirai jamais qu'aucune puissance
ose porter atteinte. J'endurerais plutôt tous les tourmens que la
cruauté des hommes peut inventer , que d'abandonner un seul des
poirts de cette constitution inappréciable. Mais comment et quand
la France a-t-elle montré le projet d'y porter atteinte ? Pour revenir
à l'objet relatif à Male ; il paraît d'après les pièces déj o-ées sur le
bureau, que le principe mis en avant par lord Hawkesbury , pour en
réclamer la possession pendant dix ans , est que S. M. avoit le droit
d'exiger un équiva'ent pour l'agrandissement de la puissance continentale
de la France. On peut donc poser ainsi la question :<« Nous
Angleterre et France , avons fait un traité ; mais,depuis lors, la France
aconsidérablement augmenté sa puissance ; et l'Angleterre exige qu'il
lui soit accordé un équivalent. » Je prétends que ce principe est eroné,
et qu'il ne peut être admis.
En effet, vous n'avez pas plus le droit d'exiger un équivalent dans
cette hypothèse ,que le premier consul ne l'aurait à en exiger un de
vous dans le cas où vous eussiez fait des acquisitions depuis la signature
du traité , qui seraient étrangères à la France; par exemple l'arquisition
de la Sicile: Mais examinons la question de fait , savoir si
,
PRAIRIAL AN ΧΙ. 521
1
1
1
ne
Is France a augmenté son territoire depuis la paix ? Je soutiens que
zon ,etje dis que la France ne jouit pas actuellement , à beaucoup
près , de l'étendue du territoire dont elle étoit en possession après les
batailles de Hohenlinden et de Marengo. Voyons actuellement ce que
la France a perdu depuis le traité de paix . Elle a perdu un territoire
beaucoup plus étendu que toutes nos colonies des Indes-Occidentales
réunies; elle a perdu Saint-Domingue , et je crois en conscience que
la puissance de la France est diminuée depuis la signature du traité
d'Amiens. Quant à la possession de Malte , je ne suis nullement surpris
que les ministres aient désiré de la conserver. Si j'avois été ministre
lorsde la signature du traité , jen'aurois jamais consenti à abandonner
cette île. Mais on dit que le premier consul de France a conçu de cer
tains projets , et que pour les renverser , la possession de Malte nous
devient indi pensab'e . Je demanderai si ces projets étoient nouveaux
pour ce pays , et s'ils n'étaient pas connus depuis long-temps ? Le
caractèredeBBoonaparte nous est-il donc pas encore connu , etne
savons-nous pas qu'il offre de trait particulier , que nul homme ne peut
prévoir aujourd'hui ce qu'il Ini plaira de faire demain? et je l'en aime
davantage pour cela. En un mot, je ne vois rien dans les pièces o'ficielles
qui puisse jus.ifier une infraction aussi manifeste au traité que
nous avions signé. Mais vous vous plaignez que Bonaparte ait exigé
que vous renvoyassiez les princes français et les évêques hors du pays .
Je ne veux pas dire tous les évêques. Quant à ces émigrés qui sont
venus dans les états de S. Mavec l'intention de calomnier le gouvernement
de la France , le premier consultava't très-fort le droit de demander
qu'ils fussent chassés du pays , et je ne vois en cela aucune
démarche insolente . Mais s'il avait osé demander que nous changeassions
notre constitution , et que la liberté de la presse fût restreinte ,
je lui aura's répondu , en renvoyant aujourd hui son ambassadeur , et
en tirant le canon le lendemain. Il y a une grande distinction entre
la liberté et la licence de la presse, et j'admire la franchise avec
laquelle le noble secrétaire d'état a déclaré qu'on avait publié dans ce
pays des écrits très-indécens contre la personne du premier consul . Je
ne pais m'empêcher de regarder comme un grand malheur que les
deux nations en soient venues au point de s'entre-détruire pourun
mal-entendu. Au lieu de continuer les négociations relativement à
Malte, pourquoi n'en est-on pas venu à une explication sur les différens
griefs qu'on se reprochoit ? pourquoi n'avoir pas dit à Bonaparte ,
lorsqu'il se plaignait des libelles qu'on écrivait contre lui dans ce
pays , qu'on aviserait aux moyens d'en faire punir les auteurs? Je
viens actuellement à cette partie du message de S. M. , où l'on annonçait
que des armemens avaient lieu dans les ports de France et de
Hollande. J'avone que je suis hien surpris , lorsque je considère à
quel point les ministres de S. M. ont été dans l'erreur à ce sujet. Iis
ne nous ont remis aucun document qui prouve la vérité de cette assertion.
Il paraît que le fait a été démenti par le gouvernement français ,
et qu'il n'y avait pas un seul vaisseau dans ces ports qui pût inspirer
le moindre ombrage. Je suis convaincu que tous les différends anraient
pa se seterminerd'une manière amicale, en en venant à des explications
franches. Lorsque l'offre a été faite de céder Malte moyennant un
équivalent, pourquoi les ministres n'auraient-ils pas offert en échange
les flesde Jersey et de Guernesey ? Cest de-là que sont sortis la
plupartde ces libelles écrits en langue française , qui devoient tant
522 MERCURE DE FRANCE ,
, déplaire au premier consul. Ces îles ne nous sont d'aucune utilité
et elles pourraient être d'une grande ressource pour la France. Je
prie vos seigneuries de jeter les yeux sur la situation dans laquelle
nous sommes . Considérez que nous avons une dette de 500 millions ;
que nous sommes déjà courbés sous le poids des impôts; que grand
nombre d'individus n'ont aucun moyen d'existence. Je blâme le secrétaire-
d'état d'avoir employé un langage peu ocnciliant , et d'avoir
parlé de la haine du gouvernement francais. Je ne suis guères dans
l'habitude de louer les ministres de S. M.; mais il en est un à qui je
ne puis refuserde donner un témoignage de inon approbation. Je veux'
parler de l'honnête et bon M. Addington. Je crois en conscience qu'il
n'existe pas un meilleur homme , un personnage plus franc et plus
honorable dans les états de S. M. , et je crois de plus qu'il est parfaitement
pacifique. Pour les raisons que j'ai déjà déduites , je vote
contre l'adresse.
ala
des
Le duc de Clarence : Je commencerai , milords , par exposer à vos
seinenries les motifs qui m'engagent à voter en faveur de l'adresse. Je
crois devoir remonter à une époque antérieure à la signature des préliminaires,
et je prie vos seigneuries de se rappeler les trois expéditions
contre Belle-Isle, le Férol et Cadix , dont le non- succès , ajouté
longue duréede la guerre , avait fait une impression si profonde dans
les esprits , qu'il y avait une clameur presque générale pour la paix.
Cefutdans cette situationdes choses que les ministres de S. M. ernrent
devoir signer les préliminaires de paix. Mais il se passa
choses étranges en Italiedepuis la signaturedes préliminaires jusqu'à
celledu traité définitif. Il y avoit deux choses dans ce traité qui m'affectèrent
vivement. La première , qu'on n'eut rien stipulé en favent
de notre ancien et fidèle allié le roi de Sardaigne ; et la seconde ,
que nous eussions consenti à abandonner Malte. Mais je considérai
cettecession comme une mesure commandée par la nécessité, la paix
étant toujours vivement désirée par la nation ; et mes sentimens à ce
snjet ne furent pas alors manifestés , ayant éludé de donner monvote
sur le traité définitif. Je ne vois rien dans les pièces qui ne prouveles
dispositions les plus sincères de la partdes ministres de maintenir la
paix. Je viens actuellement , milords , à la conversation qui a eu lien
entre le premier consul et lord Whitworth. C'est à tort qu'il nous a
accuséde ne pas vouloir évacuer Malte conformément au traité.Quelles
étaient , en effet, les conditions du traité? On n'était pas convenn
de céder Malte à la France , mais aux chevaliers de l'ordre de Saint-
Jean-de-Jérusalem, et ily a une stipulation formelle pour l'indépendance
de l'ordre, et celle de l'île.
Cette indépendance est garantie par trois des premières puissances
de l'Europe , et il m'est démontré que les ministres n'eussent jamais
signé le traité sans l'assurance que cette indépendance serait assurée .
Examinons maintenant , milords, le rapport infâme de l'homme qui
a été qualifié du titre d'agent commercial depprreemmiieerr consul enEgypte.
Jen'hésistepas milords , àdonner à cet écritll''épithète d'infame
parce qu'ils la mérite bien , parce qu'il contient les mensonges les
plusvils, et les libelles les plus grossiers contre l'honneur et la dignité
du gouvernement de S. M.. contre notre armée et ses braves généraux.
Cependant lorsqueM. Talleyrand fut requis de s'expliquer à ce
sujet , il dit que sa mission n'avait rapport qu'à des objets de commerce,
et malgré les remontrances réitérées qui ont été faites à ce
sujet , on n'a fait aucune réponse satisfaisante, et on a toujours élude
PRAIRIALAN ΧΙ. 523
1
de s'expliquer , commesi l'on avait eu le dessein d'ajouter l'insulte à
Poutrage. (Il fait ici lecture de la conversation entre le premier consul
et lord Whitworth . ) Milords, n'êtes-vous pas actuellement convaincus
des projets du premier consul sur l'Egypte ? J'ai fait lecture de cette
pièce , non pas tant pour nous convaincre de ses desseins hostiles , que
de sa persévérance dans le système d'envahissement qu'il avait adopté
depuis la signature du traité définitif , et ces mots : Ce sont des bagateltes
, est comme s'il avait dit , que sa marche ne pourrait jamais
ètre entravée par l'Angleterre .
Voilà le véritable sens de ces expressions. Mais je soutiens que l'Angleterre
n'a pas rompu le traité. Les choses ont tellement changé de
face , que l'indépendance de Malte était devenue plus nécessaire que
jamais , et les ministres de S. M. ont dû insister pour conserver cette
possession jusqu'à ce que nous eussions une garantic complète de son
indépendance . J'espère que cette possession sera entre nos mains le
gage du salut des libertés de l'Europe. Milords , c'est avec une grande
satisfaction que j'envisage la situation on nous sommes en commerçant
cette guerre . Un noble comte a attribué la perte de Saint-Domingue
aux fautes du premier consul . Moi , je l'attribue aux efforts de la
Grande-Bretagne , et j'espère que nous serons en mesure de lui dire ,
sans rien gazer dans les expressions , vous n'aurez pas SaintD-omingue
, vous n'aurez pas la Louisiane .- De dire aux Espagnols ,
vous n'aurez pas les Florides , et de dire à tous ceux qui sont protégés
par ce tout-puissant consul , vous n'aurez rien que ce que la
Grande-Bretagne voudra bien vous laisser prendre . Je désire voir
cette nation employer les vastes ressources qu'elle a dans son sein
pour convaincre ce puissant consul que nous sommes capables de nous
m surer seuls contre la France et contre tous ceux qui se joindront à
elle. Je désire voir la Grande-Bretagne châtier la France .-Ce n'est
pas la première fois que nous l'aurons fait , et si la guerre est conduite
avec vigueur et sagesse , je pense qu'elle ne peut durer longtemps.
Je vote en faveur de l'adresse .
LordMulgrraavvee ,, en votant pour l'adresse , s'appuie sur les changemens
survenus dans l'ordre de Malte , sur le rapport du colonel Sébastiani
, et sur la conversation entre le premier cousul et lord Whitworth.
Lord Mellville ( M. Dundas ) prononce , dans cette occasion, son
premier discours à la chambre des pairs :
<< Milords , si l'on examine attentivement l'article X du traité d'Amiens
, on verra qu'il est inexécutable , et que jamais l'indépendance
de l'île de Malte n'eût été assurée , l'indépendance de cette île qui
est la clef de l'Egyp'e , et qui , sous ce rapport , doit fixer toute noire
attention. Je ne vois parmi les puissances garantes que la Grande-
Bretagneet la Russie qui puissent assurer l'indépendance de Malte .
parlede laRussie avec une satisfaction particulière , parce qu'une
alliance avee cette puissance doit tendre à l'avantage commun.
Je
>>Dans la situation actuelle de l'Europe , une alliance avec la Russie
est d'autant plus désirable , qu'elle promet des résultats plus solideset
plus durables , en influant sur le grand objet de la paix. Mais il est
plus avantageux pour la Russie elle-même que Malte reste au pouvoir
de l'Angleterre , en raison de sa grande puissance navale , qui la
met à même de la protéger constamment contre toute espèce d'attaque.
Sous quelque point de vue que nous considérions, Malte, nous
verrons qu'elle est pour nous de la plus haute importance. Elle l'est
sous le rapport denos possessions des Indes Orientales; et par ses re-
1
524 MERCURE DE FRANCE ,
lations dans la Méditerranée , dans le Levant et dans la mer Adriat
que, elle est de la plus haute importance pour notre prospérité com
merciale. Les puissances du Levant et de laMéditerranée seront protégées
plus efficacement tant que Malte restera entre nos mains; et
plus nous serons rapprochés d'elles , plus elles pourront compter sur
la jouissance de leurs droits et de leur indépendance. Je met de cote
tous les autres points de discussion , etje me renferme dans ce seul
objet , que nous allons faire la guerre uniquemeut pour Malte .
>> Je prétends que cette île ne peut plus être remise à l'Ordre de
Saint- Jean de Jérusalem , et que nous devons la garder pour noumêmes
. Nous devons la garder pour notre intérêtparticulier et pour
celui des autres puissances . Nous devons la garder non- seulement
pendaut la guerre , mais à perpétuité. Les changemens survenus dans
fordre de Saint - Jean de Jérusalem ne lui laissent plus les moyens
d'aspirer à la souverainetéde cette île . Ce serait d'ailleurs imposer un
joug insupportable aus bons habitans de Malte ,qui , je ne crains pas
dele dire , aimeraient mieux appartenir à la France elle - même , que
de voir le rétablissement de l'ordre des chevaliers . Qu'on ne nous parte
donc plus de cet ordre , qui n'existe pas de fait. La guerre est entreprisepour
Malte, et Malte doit désormais nous appartenir en toute
propriété.>>>
sud
Le duc de Richmond soutient qu'il ne voit pas de motifs suffisans
pourrecommencer la guerre. Les ministres s'étaient d abord engagés
a ne garder Malte que pendant d'x ans , et ils se seraient contentes de
la petite île de Lampedouse , qui leur offrait une sécurité suffisante .
Il ne voit done pas pourquoi on parle aujourd'hui de Malte avec tant
dechaleur. Il finit par émettre le voen queleschoses puissent s'arranger
d'une manière amicale .
Le marquis de Lansdowne dit que c'est d'après l'examen de toutes
les pièces que le parlement doit prononcer si la guerre est juste ét nécessaire.
Il a entendu beaucoup parler de la liberté de la presse , mais
l'étab'issement du jugement parjury la mettrait à l'abri de toute espèce
d'influence. Il ne voit aucune nécessité de faire la guerre pour soutenir
les intérêts de la Hollande. « Quant à la Suisse , il est évident
que,malgré son indépendance si vantée , c'est à d'autres puissances ,
etnou à l'Angleterre , à intervenir pour sa délivrance. L'Autriche
avait certainement un intérêt direct à se mêlerdes affaires de la Suisse,
ét cependant elle n'a vou'u prendre à ce sujet aucun parti. Pourquoi
JaRussie n'a- t-elle pas jugé à propos d'intervenir, tandis qu'elle manifestait
ouvertement le vif intérêt qu'elle prenait à la conservation
deceterritoire? Mais la mission de Sébastiani en Egypte , est un antre
motif sur lequel on se fonde pour recommencer la guerre . Je déclare
que je ne võis rien en cela qui puisse la justifier. Ne sait-on pas que
les gouvernemens de tous les pays sont dans l'h: bitude d'envoyer des
agens au-dehors pour recueillir des renseignemens, soit relatifs au commerce,
soit relatifs à la situation politique et militaire de certains pays ?
Devons-nous apprendre aujourd'hui pour la première fois , que de tous
les gouvernemens , celui de France était leplus attack à cesystème?
Mais on allègue comme une autre cause de la guerre , que le premier
consul ades vues sur l'Egypte. Je ne doute pas , milords , qu'il n'en
ait , et je pense que tout autre dans sa place concevrait précisément
les mêmes projets. Je suis cependant bien éloigné de croire que ses
desseins soientd'une nature aussi alarmante qu'on se plaît à l'annoncer,
car il est presqu'impossible qu'il ait déclaré , comme on l'assure , que
PRAIRIAL AN XI. 525
i
2
1
1
l'Egypte devait tôt ou tard appartenir à la France. Quand j'entends
parlerde l'importance de Malte avec tant d'emphase ,vos seigneuries
m'excuseront si je ne partage pas leur opinion relativement à l'acqui
sition de cette île . Comment se fait-il que cette importance soit vantée
aujourd'hui pour la première fois ? Vos seigneuries ne peuvent avoir
oublié qu'on n'y attachait pas cette même importance il ya environ
quatre ou cinq ans , lorsque le grand- mattre offrit à ce pays de la lui
remettre. D'ailleurs , comme elle est en notre possession , je ne vois
pas l'absolue nécessité d'entreprendre la guerre pour nous y maintenir.
J'espère , milords , qu'on tiendra toujours une portelouverte pour
recommencer les négociations et pour éviter les dangers et les calamités
de la guerre. Profitons de l'exemple de la guerre d'Amérique ,
etprenons garde que notre discrétion et notre prudence ne soient pas
sacrifiées à une vaine gloire. »
Le duc de Norfolk déclare gu'il désire que la paix et le traité soient
maintenus.
Lord King propose pour amendement à l'adresse , « que S. M. soit
priéede renouer la négociation avec le gouvernement français, de manière
à terminer le différend par un arrangement amical.>>>
Lord Ellenborough parle fortement en faveur de la guerre , et ne
fait que répéter les mêmes argumens relativement à Malte , à l'Egypte
, etc.
a
S
1
Le comte de Moira : Je considère la guerre comme une des plus
grandes calamités qui puissent affliger nne nation : la désolation et la
ruine marchent à sa suite ; mais il faut que nous soyons les premiers à
montrer l'exemple du dévouement et du désintéressement . Nous sommes
rassemblés pour discuter si la guerre que le gouvernement a entreprise
est juste et légitime. Un noble lord (lord Mellville ) , a annoncé
que Malte était l'objet de la dispute. Je ne pense pas que , d'après les
dispositions incorrigibles qu'on a manifestées en France , ce point soit
une sécurité suffisante .
Qu'est-ce que Malte ? On dit que c'est le boulevard del'Inde. L'indépendance
de la Hollande et de la Suisse n'est-elle donc pas d'une
plus grande importance ? On doit déclarer quel est le véritable motif
dela guerre. C'est la prépondérance de la puissance de la France, dont
elle a toujours abusé. Sera-t- elle diminuée par l'acquisition de Malte ?
Jele nie, puisque nous n'aurions pas encore le pouvoir d'empêcher les
Français de passer le Rhin lorsqu'ils le jugeraient à propos. Disons
donc que nous voulons diminuer la puissance continentale de la France.
Examinons ensuite notre situation qui ne nous permet pas de faire une
longue guerre. Il ne servira de rien à notre objet que nous prenions
ses colonies . La France , il est vrai , sera gênée , mais nous serions toujours
dans la même situation .
Nedites pas que vous n'avez pas moyens de réduire la puissance de
laFrance. Væ victis ! Quand on est pusillanime , on n'a pas le droit
de se plaindre. Je le répète , faites la guerre avec vigueur, mais qu'elle
soit courte. Rien ne peut être plus ruineux qu'une longue guerre.
Vous avez déjà sur votre établisse nent de paix un déficit de 4 millions
dans le revenu , et vous serez obligés cette année d'augmenter votre
dépense. Supposons que Malte nous reste par la guerre , votre établissement
enserait-il moindre ? Je crois qu'il en est peu parmi nous qui
ne soient vivement pénétrés des desseins ambitieux de la France. Je
n'ai pas approuvé le traité définitif. Je n'examinerai pas aujourd'hui
pourquoi onadifféré si long-temps à mettre unfreinàlapuissance de
:
S
326 MERCURE DE FRANCE ,
Ja France , pourquoi on lui a laissé gagner tant de terrain. Dans mon
opinion , on aurait dû tenir la même conduite le jour même de la signature
du traité définitif. Les principes de la France étaient alors également
manifestes .
La conduite des ministres de S. M. doit faire l'objet d'une discussion
séparée. Je désire que l'unanimité prévale aujourd'hui ; car il est
de la plus grande importance que notre unanimité influence l'opinion
publique. Il est inutile que j'en dise davantage sur la nécessité de faire
une guerre vigoureuse et courte. Si nos moyens sout employés avec vigueur
et célérité , nos ressources suffiront pour restreindre la puissance
gigantesque de la France. J'espère qu'on ne se consumera pas en expéditions
coloniales , mais qu'on se dirigera vers le seul point qui peut
terminer promptement la guerre; mais si nous n'agissons pas avec toute
l'énergie dont nous sommes capables pour soutenir la guerre actuelle
vous aurez du moins cette consolation que vous ne serez plus jamais
dans la nécessité d'en soutenir une autre .
,
Le comte de Spencer parle en faveur de la guerre , se réservant d'émettre
ensuite son opinion sur la conduite des ministres .
Lord Rosyln vote en faveur de l'adresse , en observant que Malte
n'est pas le seul motif de la guerre , mais qu'il s'agit de restreindre
l'ambition et la puissance de la France qui menace d'envahir toute
l'Europe.
Lord Grenville parle en faveur de la guerre ; il se réserve aussi d'émettre
dans une autre occasion son opinion sur la conduite des ministres
. Il serait fastidieux de détailler son discours , qui n'est qu'une
répétition de ce qui a été dit auparavant. Il a observé qu'il ne pensait
pas comme lord Moira, que la guerre actuelle pût étre courte , et
qu'il fallait au contraire que la nation fût bien pénétrée des dangers
qu'elle courait , afin qu'elle mette toute son énergie à les surmonter.
Onva aux voix sur l'amendement proposé par lord King. Dix votes
sonten faveurde l'amendement et 142 contre. L'adresse sera portée
àS. M.
Préfecture de police.-Représailles contre l'Angleterre.
-Ungrandnombre de citoyens ayant écrit au conseillerd'état
préfet de police , pour lui manifester leurs désirs de
contribuer aux frais de construction de chaloupes canonnières
et autres bâtimens , pour être employés à la descente
en Angleterre , le conseiller-d'état préfet prévient
ses concitoyens qu'on recevra à cet effet , tous les jours ,
depuis neufheures du matin jusqu'à cinq heures de relevée
, leurs offrandes ou souscriptions au secrétariat-général
de la préfecture de police.
- Le sénat conservateur a arrêté qu'il serait pris sur la
dotation du sénat la somme nécessaire pour la construction,
dans le plus court délai , d'un vaisseau du premier
rang , qui serait offert pour la guerre actuelle.
-La peste s'est déclarée à Malte; ilmeurt plus de 60 personnes
par jour des troupes de la garnison : la contagion
agagné lleesshabitans.
T
1
KEP.ER.
5.
( No. CII. ) 22 PRAIRIA Lani
( Samedi'r Juin 1808 )
MERCURE
DE FRANCE.
LITTERATURE.
POESIE.
ÉPITRE
A LA BONTÉ.
Qu'un autre vante la beauté ,
L'esprit , les grâces , la finesse ,
Et les talens et la richesse ,
,
Moi , je préfère la bonté.
Quoi ! dira,dans sa cotterie
Certain faiseur de madrigaux
Et d'épigrammes sans saillie ,
Qui , pour quelques fades bons mots ,
Se croit unhomme de génie
:
1
« Quoi ! mettre au second rang l'esprit !
>> A la bonté donner la pomme !
>> Cet auteur-la n'est qu'un bonhomme ! >>>
Le fat se rengorge et sourit ; les
Son épigramme fait larondes studeri
12
528 MERCURE DE FRANCE,
On la répète , on applaudit ,
Et j'en ris avec tout le monde.
D'un sarcasme sur moi lancé
La blessure n'est pas profonde ,
Lorsque mon coeur n'est pas blessé.
Mais je dois prendre ta défense
Contre l'esprit et les travers
D'un siècle léger et pervers ,
Qui te dégrade et qui t'offense.
Bonté ,don cher et précieux !
Sans toi , l'esprit et la science
Ont peu de mérite à mes yeux.
L'esprit , de système en système,
Marche sur les pas de l'erreur ;
Ton chemin est toujours le même ,
Et ton seul guide c'est le coeur.
L'esprit sait orner son langage ;
Et par un coloris flatteur ,
Son discours , souvent imposteur ,
Nous a ravi notre suffrage :
Dédaignant ce vain étalage ,
Tu parles comme la candeur.
L'esprit souvent prompt à médire ,
De nos vices fait le portrait ,
Plus pour briller que pour instruire ;
Loin d'applaudir à la satire ,
Ta main en détourne le trait :
Tu gémiş şur notre faiblesse ;
Il dit la vérité qui blesso ;
Tu dis la vérité qui plaît.
L'esprit, gonflé de so science ,
Souvent d'un regard de mépris ,
Rebute la faible ignorance ;
Tu l'entends avec indulgence ,
あん
"
1
PRAIRIAL AN XI.. 529
Tu l'encourages , lui souris.
Sous la forme de l'innocence,
Tu soutiens avec complaisance ,
Un vieillard courbé sous les ans ;..
Et tous les jours , encheveux blancs ,
Tu folâtres avec l'enfance.
L
1
....
:
Que d'esprits , de coeurs corrompus ,
Sous le nom de philosophie!
Toi , sous le nom de bonhomie ,
Tu caches toutes les vertus.
Souvent l'esprit , avec adresse , )
S'insinue au séjour des grands ,
Et , préconisant leur faiblesse ,
Il leur prodigue un vil encens :
Sous les traits de la bienfaisance ,
Tuvasvisiter les hameaux ;
Tu soulages de l'indigence
Et les besoins et les travaux ;
Tu jouis des biens que tu donnes ;
Et , si quelquefois les destins
Te conduisent au pied des trônes , 1.
C'est pour le bonheur des humains.
Les trésors que , dans ses caprices,
Le sortprodigue à l'univers ,
Sans toi nous donnent des travers
Et souvent enfantent des vices :
On voit naître avec la beautés
L'insupportablevanité ;
L'or produit le vil égoïsme ,
Le courage devient fureur ,
Et la science , pédantisme.
1
Qu'un autre célèbre un vainqueur ,
Qui ne vit que pour les alarmes ;
Lla
530 MERCURE DE FRANCE ,
Arrosés de sang et de larmes ,
Tous ses lauriers te font horreur.
Tu ne te laisses point surprendre
Al'éclat des fausses vertus ,
Et tu détestes Alexandre
Autant que tu chéris Titus .
Henri , guidé par la victoire ,
Est appelé grand dans l'histoire :
Mais quel Français n'est attendri
Au souvenir du bon Henri !
O toi ! qui créas la lumière ,
Et qui diriges la carrière
De tous ces astres radieux
Dont ta main a semé les cieux ;
Qui , jetant les yeux sur laterre ,
La vois comme un grain de poussière ,
Et contemples de l'Océan
L'onde à tes ordres appaisée ,
Comme une goutte de rosée
Prête à rentrer dans le néant :
Jeme prosterne en ta présence .
Et j'adore ta majesté ;
Je tremble devant ta puissance :
Mais combien j'aime ta bonté !
Al'infortune qui t'offense ,
Et redoute un juge irrité ,
Elle sourit , et l'espérance
Renaît dans son coeur agité.
En donnant à l'humanité
Ce doux et sublime apanage
r
Ce dieu nous fit à son image.
La bonté , des vertus du sage
Sait tempérer l'austérité.
7
PRAIRIAL AN ΧΙ. 53
Ah ! sans elle , d'un ton sévère
En vain nous le verrions s'armer ::
Pour instruire il sait qu'il faut plaire ;
Pour instruire il se fait aimer..
La vertu sourit sur sa bouche :
İl
nous parlé ; et , sans le vouloir ,
Nous nous livrons au doux pouvoir
De cette bonté qui nous touche.
O FÉNÉLON ! dans tes écrits ,
Ce sentiment divin respire :
On t'aime autant que l'on t'admire.
Quand tu veux nous montrer le prix
Des vertus que ton âme inspire ,
Tu sais leur donner ta douceur ,
Et nous cédons à leur empire
Moins qu'à la bonté de ton coeur.
Qui t'a donné , bon LAFONTAINE !
Cette douce naïveté
Qui nous captive et nous entraîne ?
Ah ! tu la dois à la bonté.
Peintre toujours inimitable ,
Dont l'art est de n'en point avoir ;
Moraliste toujours aimable ,
Philosophe sans le savoir ,
Tu seras nommé d'âge en âge ,
L'ami de l'enfance et du sage.
Vous , qui de lapostérité
Osez espérer le suffrage ,
Voulez-vous qu'il soit mérité ?
Que l'amour du bon vous enflamme !
L'amour dubeau toujours le suit :
L'esprit ne séduit que l'esprit ;
Mais l'âme seule parle à l'âme .
T
L13
532 MERCURE DE FRANCE ;
Pour moi , sans prétendre au laurier
Oudu poète ou du guerrier ,
Heureux si je coulé ma vie
Loin des honneurs et de l'envie,
Et si , des humains oublié,
Je vois ma carrière embellie
Par la bonne et franche amitié !
:
ADRIEN DE SARRASIN.
ENIGME.
MON origine est due au Créateur.
Où serais-tu sans moi ? sans moi que peux-tu faire ?
Le gris , dit - on , est ma couleur ;
Cependant , qui parcourt l'un et l'autre hémisphère ,
En moi , suivant les lieux , aisément pourra voir ,
Et le rouge et le vert , le blanc comme le noir ;
Mais par-tout je conserve une couleur de terre.
Tantôt mon aspect est affreux ;
Tantôt il est riant,, il te plaît , il t'enchante.
Ah ! que de fois j'ai trompé ton attente ,
Ou j'ai répondu mal à tes soins généreux !
Qu'on ne me cherche point ni dans l'air , ni sur l'ondes
Au milieu d'eux pourtant j'existe dans le monde.
L'homme doit tout à mes bienfaits ,
Oui tout , jusqu'à son existence.
Après les dons que je lui fais,
J'ai quelques droits sans doute à sa reconnaissance :
Hélas ! quel est mon sort !... L'homme ingrat,inhumain ,
Me foule sous ses pieds , et déchire mon sein :
Du bienfaiteur souvent telle est la récompense !
Par Pra. ROQUE (de Brive.)
PRAIRIALANXI 533
LOGOGRYPΗΕ.
Mon essence , lecteur ,n'est point dûe au hasard :
I
Je suis enfant chéri du génie et de l'art.
Si je remonte encore à plus haute distance ,
Mes aïeux sont créés de la toute-puissance ;
Dieu les plaça lui - même à des postes divers
Les uns , sans nul effort , font mouvoir l'Univers ;
D'autres , doux et lians , 6 sublime structure !
Font agir de concert la vivante nature.
Archimède étonné de ses propres succès ,
Calcula mon pouvoir et ses heureux effets ;
Enfin la mécanique à ma force asservie
Reçoit de mes moyens un principe de vie.
Il s'en faut dejà peu que yous ne deviniez
Ma nature , mon nom , le nombre de mes pieds.
Votre sagacité m'ordonne le silence ,
}
Et je la blesserais avec moins de prudence.
Transposez à loisir mes membres tortueux :
Vous verrez ce que prend l'aigle majestueux ,
Quand , s'élançant des monts , il veut dans l'Ethérée ,
Admirer la grandeur de la voûte azurée ;
L'idole qu'Harpagon si souvent visitait
Le métal pour lequel toujours il soupirait ;
Un être singulier ,tout incompréhensible ,
Qui distribue aux uns ses plus douces faveurs ,
Tandis qu'au même instant , par son bras invisible .
D'autres sont accablés de toutes ses rigueurs;
Vous y verrez enfin cet homme ridicule ,
Pour qui toute science est absolument nulle ,
,
Qui havarde sans desse et se mêle de tout , Ibuls
Qui n'ani faculté, ni jugement , ni goût ;
Qui prend les lourds propos pour d'heureuses sentences ,
Et termine toujours par des impertinences.
L1 4
534 MERCURE DE FRANCE ,
CHARADE.
Mon premier fut jadis une plante sacrée ,
Par nos vieux Gaulois révérée ,
Comme reine des végétaux ,
Et comme un remède à tous maux ;
Mais rien n'est stable ence bas monde :
Sur la fortune est bien fou qui se fonde !
4
Il aperdu tout son crédit ;
Le cultivateur le détruit ;
1
Aujourd'hui l'on ne le voit guères
Que chez les oiseleurs et les apothicaires ,
Et non , comme autrefois , chez les gens du bon ton.
Il est certaine circonstance ,
Où l'on doit d'un total soustraire mon second :
Du brut au net il est la différence .
Vous voyez qu'en détail je ne suis pas heureux :
Mais en total serais-je plus chanceux ?
Je suis sans cesse à la torture :
Mes boyaux sont pincés , bandés outre mesure ;
On se plaît à me tourmenter :
Et pourquoi , s'il vous plaît ? Pour me faire chanter.
:
1
Mots de l'Enigme , du Logogriphe et de la
Charade insérés dans le dernier Numéro.
Le mot de l'Enigme est Bière.
Celui du Logogryphe est Sommeil , où l'on trouve le , sol,
loi , oeil , oie , lime , mil , lie , miel , si , mi , sol.
Le mot de la Charade est Rond-eau.
:
PRAIRIAL AN XI. 535
OEuvres complètes de Laurent Sterne. Six vol.
in-8°. Prix : 30 fr. , et 38 fr. francs de port.
A Paris , chez Bastien , libraire rue Hautefeuille
, nº . 21 ; et chez le Normant, impr. - libr.
rue des Prêtres S. Germain-l'Auxer. , nº. 42 .
STERNE
7
,
TERNE a été quelque temps l'écrivain à la
mode; il a opéré une sorte de révolution dans le
monde littéraire. Né avec un esprit vif, plein de
saillies , charmant dans la conversation , et plus
propre à amuser un cercle qu'à instruire des lecteurs
, il a prouvé qu'on pouvait faire un livre
sans rien savoir , en écrivant hardiment toutes les
fadaises qui vous passent par la tète. Son exemple
a séduit cette foule d'agréables ignorans , qui se
croient pleins d'esprit au moindre billet qu'ils écrivent
, et que leurs amis trouvent charmant. Ces
gens-là sont quelquefois étonnés de leur génie ; ils
font des gentillesses qui les ravissent ; il leur semble
que s'ils prenaient la peine de composer , ils écriraient
tout naturellement des choses délicieuses ;
ils ont des plaisanteries excellentes qui feraient crever
de rire les lecteurs ; mais ils sont retenus ordinairement
par un certain respect, dont les auteurs
ne peuvent d'abord se défendre , et qui leur fait
croire qu'il faut parler sérieusement au public.
Sterne a bien secoué cette timidité , il a fait voir
qu'on pouvait tout dire et tout écrire ; il traite
ses lecteurs avec une familiarité dont il n'y avait
pas d'exemple ; il va jusqu'à informer le public
de l'état de sa garde-robe : la postérité saura que
cet homme avait dans son porte-manteau une
culotte de soie noire. Nos jolis coeurs trouvaient
cette liberté admirable , ils appelaient cela du na-
1
536 MERCURE DE FRANCE ,
1
ne
turel ; et avec ce beau naturel , tout le monde
pouvait écrire les plus insipides niaiseries , et se
croire , comme Sterne , un auteur original : car
qui est-ce qui ne pourrapas faire quelques phrases
sentimentales sur son chien, sur un ane mort
sur un sansonnet , ou sur le chapeau d'unedame ?
Ces sujets-là sont à la portée de tout le monde.
Il n'y a qu'à se livrer et écrire tout ce qui vient à
l'esprit , n'importe sur quoi , et voilà un livre dans
le goût de Sterne ; la forme est encore plus facile
et plus commode que le fond ; vous n'avez ni
ordre , ni suite , ni liaison à mettre dans les idées ;
vous passez d'un cimetière à un cabaret , sans
transition aucune; c'est là le piquant. Si une phrase
vous embarrasse à finir , vous la laissez ; cette suspension
est un trait d'esprit : chaque page de Sterne
est remplie de ces petites surprises qui décèlent
de l'affectation. Il commence une aventure , et
l'achève point ; le lecteur , dont il a piqué la curiosité
, cherche la suite des événemens , et ne
trouve rien : n'est-ce pas là un tour bien gai? Quelquefois
il annonce un sujet dans le titre , et parle
ensuite de toute autre chose; presque jamais il ne
termine une idée. Il s'interrompt à tout propos
pour se donner un air mystérieux; c'est un homme
qui veut qu'on entende finesse à tout ce qu'il dit.
S'il affecte de remarquer des choses que personne
ne remarque jamais ; s'il s'entretient avec une
femme , if observe qu'elle avait des gants qui
étaient ouverts au bout des pouces et des doigts.
Il y a des gens assez complaisans pour croire que
ces observations-là sont profondes. Je sais que les
Anglais et les Allemands font plus d'attention que
nous àtous les signes extérieurs. Richardson et
Fielding ne manquent jamais de représenter la
pantomime de leurs personnages. Il y a telle circonstance
où un geste vous peint un homme de
PRAIRIAL AN XI. 537
la tête aux pieds : mais lorsque ces sortes de remarques
n'ajoutent rienà l'expression des figures ,
ni à la peinture des caractères , elles ne sont que
puériles: et que m'importe de savoir que Sterne ,
causant avec M. Dessin , aubergiste à Calais , lui
appuyoit le bout de l'index sur la poitrine ? De
quelle énorme vanité faut- il qu'un petit particulier
ait la tête gonflée pour s'imaginer que tout
l'univers va s'intéresser à de pareilles futilités ?
Sterne se défend là-dessus assez plaisamment :
<<Je résolus , dit-il , d'écrire mes mémoires ; et
>> pourquoi non ? il n'y a pas un enseigne fran-
>> çais qui ne le fasse ; si nous ne sommes pas de
>> grande conséquence pour l'univers , nous le
>> sommes certainement pour nous-mêmes : nous
>>> sentons toute notre importance , et il est bien
>> naturel d'exprimer ce que l'on sent. >>>
Voilà qui est à merveille : mais avec cette belle
raison , il suffira qu'on ait le sentiment de son importance,
( et qui est-ce qui ne l'a pas ? ) pour se
croire en droit de publier, comme Sterne , ses
conversations avec son laquais , et les mémoires
desablanchisseuse. C'étoit apparemment unhomme
bien important que celui qui a fait imprimér un
livre intitulé : Mes entretiens avec mon bonnet de
nuit. L'auteur était sûrement très-digne d'un par
reil interlocuteur. Ce n'est cependant pas toujours
parce qu'un homme a une haute idée de luimême
qu'il écrit dans ce goût-là; c'est plutôt par
Ja petite envie de paraître plaisant et original , en
allant chercher un sujet auquel personne n'ajamais
pensé : c'est une fantaisie qui ressemble à
celle de ce Lubin de Molière , qui dit à son mattre
: Sij'avais étudié , j'aurais été songer à des
choses où on n'a jamais songé; j'aurais voulu
savoir pourquoi il ne fait pas jour la nuit. C'est
aussi , depuis Sterne , que les auteurs s'attachent
538 MERCURE DE FRANCE ,
à mettre tout leur esprit dans le titre du livre et
dans celui des chapitres ; c'est ordinairement tout
ce qu'il y a de piquant dans leur ouvrage.
Sterne était un homme de beaucoup d'esprit ;
mais le genre qu'il a embrassé est d'autant plus
mauvais, qu'il a fait une foule d'imitateurs et de
copistes par sa dangereuse facilité ; car il est bien
plus aisé d'enfanter sans choix les saillies d'une
imagination folle et hardie , que d'écrire élégamment
sous la dictée d'une raison juste et sévère ,
qui se laisse parer des agrémens de l'esprit comme
la Beauté se fait servir par les Grâces. Sterne en
convient avec assez de bonhomie ; il se juge même
très sévèrement , lorsqu'il avoue que ces écrits du
jour , dans lesquels l'auteur n'a pas d'autre dessein
que d'apprendre au public qu'il a de l'esprit ,
manquentde cette splendeur du vrai savoir,decette
raison , de ce sens exquis , quifont le charme
de la morale.
Il faut avoir une idée de sa manière : cet homme
qui avait beaucoup voyagé en France , devait avoir
fait des observations bien curieuses sur le caractère
des deux nations. Voici comme il traite ce
sujet en philosophe , dans un chapitre de son
Voyage sentimental. Etant à Paris , il fait venir
un perruquier , à qui il propose d'accommoder sa
perruque. Le perruquier la regarde avec un profond
mépris, et lui déclare qu'il n'y touchera pas.
Mais à son tour il lui propose d'en prendre une
de sa façon , qu'il lui présente d'un air triomphant.
Sterne s'avise de la critiquer ; cette boucle , dit-il ,
ne me paraît pas tenir bien ferme . Vous la tremperiez
dans la mer , dit le perruquier , qu'elle y
tiendroit comme un roc . Grand Dieu ! s'écrie
Sterne , tout est mesuré dans ce pays-ci sur une
grande échelle . Un perruquier anglais aurait tout
au plus proposé de fremper la boucle dans un
PRAIRIAL AN XI. 539
seau d'eau. Quelle différence d'image ! Cependant,
à force de disserter là-dessus , Sterne remarque que
le sublime du perruquier français ne soutient pas
l'examen ; car il n'est guère raisonnable de proposer
à un homme qui essaie une perruque à
Paris , d'aller la tremper dans l'Océan pour en
éprouver la solidité ; au lieu que la proposition du
perruquier anglais est toute naturelle , c'est un
essai qu'on peut faire sur-le-champ. Sterne conclut
donc de-là que , si les Français ont des conceptions
vastes et pleines de feu , en revanche les
Anglais brillent par le sang froid et le jugement :
et en effet , tout cela n'est-il pas bienjudicieux ?
Sterne avait la manie de son temps , de vouloir
paraître profond avec un air frivole. « Je ne sais
>> si je me trompe , dit-il , en finissant sa disserta-
>> tion , mais il me semble que ces minuties sont
» des marques beaucoup plus sûres et beaucoup
>> plus distinctives des caractères nationaux que
>> les affaires les plus importantes de l'Etat , etc. >>>
Voilà qui est étonnant ! Qui aurait jamais cru que
ce chapitre sur une perruque fùt si instructif?
(۲
Le Tristram Shandy est un ouvrage prodigieusement
diffus , dont l'intérêt et la philosophie ne
s'élèvent pas de beaucoup au-dessus de la scène drz
perruquier parisien. Madame Shandy devient
grosse au premier chapitre. Le second traite de
l'embryon ; cet embryon est le héros de l'ouvrage ,
qui ne vient au monde qu'au bout de plusieurs
volumes : et ce héros est l'auteur lui-même qui
écrit son histoire, et qui , enattendant l'époque de
sa naissance , disserte à tort à travers sur tout ce
qui se présente à son esprit. Il y a des scènes de
ménage qu'on admire beaucoup. Madame Shandy
est un caractère parfait , c'est une femme qui a
tout moment met son mari hors des gonds de la
manière la plus agréable , car il ne s'impatiente
1
540 MERCURE DE FRANCE ,
jamais que parce qu'elle est toujours de son avis.
Voici , par exemple , un petit dialogue qui fait
bien connaitre le génie de l'auteur , et qui met
dans un beau jour le caractère de M. et de madame
Shandy.
»
»
»
-
-
-
<<Nous devrions , dit mon père , en se retour-
>> nant à moitié dans son lit , nous devrions pen-
>> ser , madame Shandy , à mettre cet enfant en
culottes.-Vous avez raison , monsieur Shandy,
dit ma mère. Il est même honteux , ma
>> chère , dit mon père , que nous ayons différé si
>> long-temps. - Je le pense comme vous , dit
>> ma mère. -Ce n'est pas , dit mon père , que
l'enfant ne soit très-bien comme il est . Il est
>> très-bien comme il est , dit ma mère. Et en
>> vérité , dit mon père , c'est presque un péché
>> de l'habiller autrement. - Oui , en vérité , dit
» ma mère . — Je ne puis , dit mon père , imagi-
>> ner à qui diantre il ressemble.-Je ne saurais
» l'imaginer , dit ma mère. Quais , dit mon
>> père...... apparemment , continua-t-il , qu'il
>> est fait comme tous les enfans des hommes.
>> Exactement , dit ma mère. - Je veux dit
>> mon père , qu'il ait des culottes de peau.-Elles
>> dureront plus long-temps , répondit ma mère.
Il vaut mieux pourtant , reprit mon père ,
>>qu'elles soient de futaine. Il n'y a rien de
>> meilleur en effet , dit ma mère. - Excepté le
>> basin , répliqua mon père.- Oui , oui , le basin
>>vaut mieux, dit ma mère. - Mais , dit mon
père en insistant , ne trouvez-vous pas que cela
>> est bien ?- Très-bien , dit ma mère , s'il vous
>> plaît ainsi , monsieur Shandy.- S'il me plaît !
>> s'écrie mon père , perdant toute patience , par-
>>bleu ! vous voilà bien ; s'il me plaît ! ne distin-
>> guerez-vous jamais , madame Shandy , ne vous
» -
ة ي ن ي س ح
,
A
PRAIRIAL AN XL. 541
1
5
4
1
1
> apprendrai-je jamais à distinguer ? ..... Minuit
>>> vint à sonner. » 1
Tout l'ouvrage est un long tissu de conversations
aussi familières que celle-là. Il n'y a presque
pas d'action , mais un enchaînement de discours
et de réflexions qui ne finissent point. A chaque
mot l'auteur se jette dans des digressions , dans
des dissertations qui veulent être plaisantes , mais
qui ne réussissent pas toujours à faire rire. Il y a
du feu et de l'originalité dans les peintures. Les
caractères sont vifs et singuliers ; mais ce sont
des caricatures plutôt que des portraits. Le docteur
Slop qui , en tombant dans la boue , s'y enfonce
d'un pied et demi , et se trouve là comme
dans son élément , le caporal Trim qui monte en
chaire , l'oncle Tobie qui ne rêve que fortifications
, contrescarpes , ravelins , et qui a la tête
remplie d'ouvrages à cornes .... A ce mot d'ouvrages
à cornes , M. Shandy prétendit qu'il aimerait
mieux qu'on lui donnat une chiquenaude sur
lenez.... M. Shandy n'aimait pas les équivoques.
Mais que dire de la bonne madame Shandy qui
est morte sans savoir si la terre était ronde ou
carrée ? Son inari le lui avait bien expliqué cent
fois ; mais à mesure qu'il l'expliquait , madame
Shandy l'oubliait bien vite pour avoir le plaisir
de l'apprendre de nouveau , et de l'oublier encore.
Il faut avouer que Sterne a peint la nature;
mais une nature qui est souvent basse et ignoble.
Ce sont des tableaux de l'école flamande , pleins
de vérité , si vous voulez , mais d'un style commun
; et quel est l'homme de mauvais goût qui
préférera la tête d'un bourgmestre hollandais à
une vierge de Raphaël ? Cependant , à travers
toutes ces folies , on trouve quelques pages qui
étincellent d'esprit , et d'une éloquence sans art ,
mais pleine de sentiment : il y en a mème d'extré542
MERCURE DE FRANCE,
par
mement touchantes . La mort d'Yorick
exemple , est un tableau vraiment extraordinaire
dans son genre. C'est sa propre destinée que Sterne
a voulu peindre dans ce tableau , et avec quelles
couleurs ! Il y a de quoi faire frémir sur le sort
d'un homme si gai. Cet homme meurt , comme
il a vécu , en faisant des plaisanteries , et cependant
il arrache des larmes; il ne dit qu'un mot ,
un adieu , mais qui vous remue le coeur. Tout le
monde l'a abandonné ; il ne lui reste qu'un ami ,
un jeune homme qui pleure auprès de son lit.'
Accablé par la douleur , ce jeune homme s'éloigne
un moment : il sort doucement de la chambre .
- Yorick le suit des yeux jusqu'à la porte.
et ne les ouvre plus. ....
-
Alors il les ferme. -
Cette mort silencieuse a quelque chose de plus
touchant que des cris.
Le Voyage sentimental m'a paru généralement
mieux écrit que le Tristram-Shandy. Il y a plus
de précision et plus de finesse dans les idées : il y
a aussi des scènes plus gracieuses. C'est d'ailleurs
la même manière et le même ton , comme on en
peut juger par la dissertation sur la perruque. On
remarquera dans des ouvrages si frivoles , quelques
morceaux d'une érudition recherchée , qui sont
comme des pièces de marqueterie assez adroitement
rapportées. Ils auraient pu faire beaucoup
d'honneur au savoir de Sterne ; mais un maudit
critique anglais s'est avisé de faire là-dessus des
recherches remplies d'une sagacité détestable. Il a
déterré et mis au jour quantité de petits larcins ;
et ce qu'il y a de plus cruel , c'est qu'il a prétendu
prouver que l'auteur n'avait pas seulement pillé
des traits d'érudition , mais même qu'une partie
de son esprit devait être mise sur le compte de sa
mémoire. C'était un rude coup porté à la gloire
de Sterne . Heureusement la critique était savante ;
elle
PRAIRIAL AN XL 543
!
1
1
cen
elle n'a fait que glisser. La réputation d'originalité
que Sterne avait acquise n'a pas même été ébranlée,
Je doute pourtant que ses fondemens soient bien
solides. Bien des gens se persuadent que c'est la 5.
force du génie et du naturel qui a entraîne Sterne
dans un genre d'écrire aussi bizarre que le siem
Pour moi , je trouve qu'il y a de fortes raisons de
croire que l'extrême envie de paraître et de se singulariser
qui a dominé tous les esprits de ce siècle ,
cette fureur d'écrire , qui s'est signalée par tant
d'ouvrages déraisonnables , tant d'imaginations extravagantes
, qui a enfanté tantde poètes licencieux ,
tant d'écrivains sans jugement , tant de philosophes
sans sagesse , ce démon d'un amour propre insensé,
a précipité Sterne dans une carrière pour laquelle
il n'était point fait , où il n'a trouvé que des malheurs
très-réels et une vaine gloire , qui même est
menacée de décroître , comme toutes les réputations
contemporaines , qui se trouvent aujourd'hui
remises en question par des esprits plus fermes et
plus sensés que ceux qui les ont faites. Il y a dans
la vie de cet homme singulier quelques circonstances
qui autorisent cette opinion. D'abord simple
vicaire de campagne , et ensuite chanoine de la
cathédrale d'Yorck , il avait très-long-temps rempli
ses fonctions de la manière la plus régulière et
Ja plus édifiante , lorsque tout- à-coup la lecture de
Rabelais lui tourna la tête , au point de lui faire
abandonner tous les devoirs de sa place , et renoncer
même à son état. Mais un trait qui le peint
tout entier , c'est d'avoir publié , sous le nom
d'Yorick , des sermons qu'il avait fait pendant son
vicariat. Yorick est le nom d'un bouffon que Shakespeare
a fait figurer dans la tragédie deHamlet,
d'unemanière qui ne peut convenir qu'au théâtre
anglais et à. Shakespeare, Il faudrait connaître są
situation pour sentir tout ce qu'il y a d'incompré
12 Mm
544 MERCURE DE FRANCE ,
hensible dans le choix d'un pareil nom. Ce mépris
des bienséances , dans un état qui doit commander
le respect plus qu'aucun autre , donnerait de terribles
impressions sur le caractère de Sterne. Mais
la critique doit être généreuse ; il suffit de décréditer
un genre d'écrire dont on a faitvoir le danger.
Sterne est comme le docteur Swift , et comme
Rabelais qu'il a beaucoup imité , un de ces
hommes dont on peut admirer l'esprit , mais qu'on
ne doit pas prendre pour modèle.
CH. D.
DE L'ARCHITECTURE ÉGYPTIENNE , considérée
dans son origine , ses principes et son goût, et comparée
sous les mêmes rapports à l'Architecture Grecque ;
dissertation qui a remporté , en 1785 , le prix proposé
par l'Académie des Inscriptionset Belles- Lettres . Par
M. Quatremère de Quincy . Un volume in-4° . Prix : 13
fr. et 16fr.franc deport.A Paris , chez Barrois , aîné ,
rue de Savoie , n°. 23 ; et chez le Normant , imprimeur-
libraire , rue des Prêtres Saint-Germain-l'Auxer-
τοίς , πο. 42 .
Lorsque M. Quatremère composa cet ouvrage , on n'avait
pu obtenir que très-difficilement des renseignemens
positifs sur l'ancienne architecture égyptienne. Les voyageurs
, exposés à une multitude d'avanies , troublés sans
cesse dans leurs recherches par la défiance et la superstitiond'un
peuple barbare , n'avaient eu qu'àpeine le temps
de faire des observations rapides et de tracer les croquis
des monumens qu'ils voulaient étudier. Les Spon , les
Paul Lucas , les Norden , les Bruce , avaient , malgré les
obstacles de tout genre qui leur avaient été opposés , recueilli
une certaine quantité de matériaux précieux ,
dont le savant et l'artiste pouvaient profiter pour établir
PRAIRIAL AN XI. 545
:
des conjectures raisonnables , ou pour indiquer de nouvelles
recherches ; mais ils n'avaient pu s'arrêter sur aucun
détail , et ils n'avaient saisi , tout au plus , que l'ensemble
des ruines devant lesquelles ils n'avaient pu s'arrêter longtemps
. C'est dans les relations de ces voyageurs , et principalement
dans les ouvrages des anciens , lorsque les ob
servations des modernes s'accordaient avec les traditions
grecques et romaines , que M. Quatremère a puisé les
faits positifs sur lesquels il a fondé son système. Il est glorieux
pour lui qu'après une époque où l'Egypte a été
ouverte à tous les savvaannss et à tous les artistes français , où
les monumens de son antique grandeur ont été exposés à
leurs recherches et à leurs études , l'ouvrage couronné
en 1785 , ne présente aucune inexactitude , et que les
nombreux renseignemens recueillis dans les nouvelles relations
ne servent qu'à confirmer la justesse des opinions
de M. Quatremère. Cela prouve qu'il n'a négligé aucun
moyen de s'instruire sur le sujet qu'il avait à traiter , et
qu'un profond discernement a présidé à ce travail difficile.
Une des causes qui a le plus contribué au succès qu'a obtenu
M. Quatremère , c'est qu'il n'a point , à l'exemple
de plusieurs écrivains modernes , raisonné d'après des hypothèses
; qu'il n'a point substitué aux traditions historiques
, des notions puisées dans des conjectures abstraites
sur la nature de l'homme; qu'enfin il n'a point cherché
à tracer l'origine des sociétés , cachée dans les ténèbres de
l'antiquité . En suivant une route opposée , il est arrivé
beaucoup plus sûrement au but. Les anciens ont été ses
guides pour toute la partie de son ouvrage qui traite du
gouvernement , de la religion et des moeurs des Egyptiens ;
il s'est confié aux modernes , non point pour les détails
dans lesquels ils diffèrent souvent , mais pour les faits
généraux , pour l'ensemble des monumens , sur lesquels
ils s'accordent.
L'idée que nous allons donner de cet ouvrage prouvera
combien la marche de M. Quatremère est assurée dans
Mma
546 MERCURE DE FRANCE ,
cette carrière difficile . L'Académie des Inscriptions et
Belles-Lettres avait proposé cette question : « Quel fut
>> l'état de l'architecture chez les Egyptiens , et ce que les
>> Grecs paraissent en avoir emprunté ? » M. Quatremère
a eu pour objet , en discutant cette question , de donner
d'abord des notions précises sur l'architecture égyptienne ,
et de prouver ensuite que celle des Grecs ne lui a pas dû
son origine , quoiqu'elle lui ait emprunté quelques détails.
Il ne se dissimule pas le désavantage que peuvent éprouver
un savant et un artiste , lorsqu'ils n'établissent leurs
théories que sur les relations des voyageurs ; et il sent
que , dans beaucoup de circonstances , il est nécessaire
d'avoir examiné soi-même les objets dont on veut parler.
Cependant il prouve très-bien que , pour l'exécution de
son projet , cet examen scrupuleux n'était point d'une
utilité indispensable. Il convient que , dans les arts , tout
ce qui produit des impressions sur l'âme ne peut être saisi
que par celui qui a vu les objets ; qu'il est des sensations
qu'aucune description ne peut exciter : mais il soutient
que les descriptions suffisent pour saisir le caractère spécial
, le principe originaire et le système général d'une
architecture .
M. Quatremère ne s'épuise point en recherches idéales
sur l'origine de l'architecture. La nécessité où fut l'homme ,
dans tous les climats , de se procurer un abri , lui paraît
suffire pour prouver que les premiers hommes firentusage
de ce procédé , qui ne devint un art que lorsque la société
fut parvenue à un certain degré de perfection. L'invention
de l'architecture , ajoute-t-il , doit donc se mettre
sur la même ligne que celle du langage , c'est-à-dire , que
l'une et l'autre invention ne peuvent s'attribuer à aucun
homme, mais sont les attributs de l'homme.
L'auteur entre en matière , et il cherche dans les moeurs
des peuples , dans leurs habitudes , dans leurs besoins , les
traces du principe et du caractère spécial de leur architecture.
Il ne craint point de tomber dans le vague des
hypothèses , en établissant que les premiers peuples furent,
PRAIRIAL AN XI. 547
en raison de leur position , chasseurs , pasteurs ou agricul
teurs. Ce point reconnu par tous les anciens historiens , et
consacré par les traditions respectables de la religion , sert
de base au système de M. Quatremère ; c'est delà qu'il
part pour assigner à chacun de ces peuples un genre particulier
de construction. Les peuples chasseurs , parmi
lesquels on comprend ceux qui vivaient de la pêche , après
avoir fait de longues courses , revenaient constamment
dans l'asile où ils avaient laissé leur famille . Leurs occupations
, le besoin du repos qui doit suivre ou l'exercice
pénible de leur chasse , ou l'attention assidue et patiente
qu'exige la pêche , durent porter ces peuples à profiter
des excavations naturelles , ou à se creuser eux-mêmes des
demeures souterraines . Cette opinion est confirmée par
les récits des voyageurs qui ont été à portée d'observer
des peuples chasseurs , dans les pays nouvellement découverts.
Les peuples pasteurs , obligés de changer sans cesse
de lieu , pour changer de pâturages , ne purent se servir
de ces demeures creusées par la main de la nature. Une
habitation fixe ne pouvait les retenir ; il leur en fallut de
mobiles , et qui pussent les suivre. Delà l'usage des tentes.
Les peuples agriculteurs adoptèrent une vie en même
temps active et sédentaire ; ils se trouvèrent dans la nécessité
de bâtir des demeures fixes et solides ; pour mettre
leurs récoltes en sûreté , ils eurent besoin de hangars ; la
tranquillité dont ils purent jouir dans la saison du repos ,
leur fournit les moyens de se construire des habitations
commodes , saines et étendues. Tout porte à croire qu'ils
élevèrent la cabane de bois avec son toit, premier modèle
des édifices grecs .
M. Quatremère trouve dans ces trois procédés employés
par les hommes pour se procurer des abris , le tipe
primordial des diverses sortes d'architecture. L'architecture
massive des Egyptiens , l'irrégularité de ses dimensions
, l'énorme épaisseur de ses murs , l'obscurité qui régnait
dans les temples ; tout annonce l'imitation des excavations
naturelles qui furent les premiers asiles de ce
Mm3
548 MERCURE DE FRANCE,
peuple. La chaleur excessivé du climat dut fortifier le
goût des Egyptiens pour les habitations souterraines ; ils
en creusèrent bientôt eux-mêmes , et ce travail leur fut
d'autant plus facile que , depuis le Deltajusqu'à Syenne , il
se trouve des carrièresd'une pierre blanche et molle , dans
lesquelles on pratique sans peinede profondes excavations .
La description qu'Hérodote nous a laissée du labyrinte
bâti près de laville d'Arsinoé , contribue encore à prouver
le grand usage des souterrains chez les anciens peuples de
l'Egypte , et l'imitation qu'ils en faisaient constamment
dans l'ensemble de leurs constructions. Les peuples qui ,
dans leur origine , furent pasteurs , eurent , comme on l'a
déjà dit , des demeures mobiles. Leur architecture prit
donc et conserva les formes primitives de la tente. Cetteimitation
se retrouve dans tous les édifices des Chinois . « Les
>> toits recourbés de leur architecture , dit M. Quatremère ,
>>> ses découpures , ses supports grêles , ses décorations co-
>> loriées , prouvent qu'on a contrefait dans les maisons
>>> l'habitation de l'ancien état pastoral ; et cela estconforme
>> à ce qu'on peut savoir de plus vrai sur le premier genre
>> deviedes Chinois , qui ont été , comme tous les Tartares ,
>> des Nomades ou des Scénites , c'est-à-dire , qu'ils ont
>>campé avec leurs troupeaux avant d'avoir des villes. ».
Les peuples agriculteurs bâtirent des cabanes ; et de la
forme qu'ils leur donnèrent pour les rendre solides et
saines , naquirent les premiers principes de l'architecture
grecque. « Le fronton des Grecs , ajoute M. Quatremère ,
>> appartient à un genre de construction indépendant de
>> tout autre. Il se lie, ainsi que toutes les autres parties de
>> cette architecture , au principede la charpente età cette
>> fidelle imitation de la cabane de bois , dont l'empreinte
» s'est conservée d'une manière si authentique dans les
>> productions de l'art perfectionné , et lui assure par-là
» le caractère le plus incontestable d'originalité. »
Après avoir posé ces principes d'où il résulte que l'architecture
égyptienne n'a pu servir de modèle à l'architecture
grecque , M. Quatremère , dans la seconde partie de
PRAIRIAL AN ΧΙ . 549
6
sa dissertation , donne l'analyse de l'architecture égyptienne.
Il observe très - bien que presque tous les auteurs
qui ont composé des ouvrages sur cette matière , n'ont pas
réuni les talens et les connaissances qu'exigeait le sujet de
leurs travaux. « On rencontre , dit-il , deux défauts assez
>> habituels dans les ouvrages qui traitent des arts du des-
>> sin , de l'architecture et des monumens. Les uns , com-
>> posés par des hommes qui ne sont que lettrés , sont rem-
>> plis de descriptions vagues , de notions abstraites , d'ob-
>> servations superficielles et de jugemens la plupart insi-
» gnifians , aussi inutiles à ceux qui ignorent les arts ,
» qu'à ceux qui les professent ; les autres , fruits des con-
>> naissances pratiques d'artistes , qui souvent n'en ont pas-
>> d'autres , ont l'inconvénient de rebuter par leur séche-
>> resse le commun des lecteurs , peu initiés dans le voca-
>> bulaire et la doctrine technique des arts : de sorte qu'il
>> arrive que les uns font lire des ouvrages qui n'ins-
>> truisent pas , et que les autres font des ouvrages ins-
>> tructifs qu'on ne lit pas . » Quoique M. Quatremère ne
se flatte point d'avoir évité l'un de ces deux défauts , il
nous semble que personne , mieux que lui , ne pouvait
réunir les avantages du goût et d'un style élégant , à l'érudition
et à la méthode d'un genre purement didactique.
L'analyse de l'architecture égyptienne est divisée en trois
sections. Dans la première , l'auteur s'occupe de la construction
, et il donne des détails sur les différens matériaux
qu'employaient les Egyptiens. Il parle ensuite des moyens
mécaniques , de la coupe des pierres , et des procédés dont
on se servait pour la construction des pyramides et des
temples. La seconde section offre la forme et la disposition
des édifices . On y trouve la description des différens
objets dont ils étaient composés , et leurs dimensions exac--
tement calculées. Les savans modernes ont fait plusieurs
conjectures sur la destination des pyramides , et ils ont prétendu
, tantôt que c'était des monumens astronomiques qui
servirent de gnomons , de méridiennes ou d'observatoires ;
tantôt que c'était des monumens allégoriques consacrés au
Mm 4
550 MERCURE DE FRANCE ,
soleil. M. Quatremère , habitué à ne s'en rapporter qu'à des
traditions historiques , repousse ces suppositions dont les
philosophes modernes ont tiré tant de fausses conséquences .
« Le témoignage des auteurs grecs et romains , ajoute-
› til , les analogies les plus décisives dans la conformité
des mêmes usages en d'autres pays , les observations mo
dernes , tout concourt à prouver que l'objet essentiel des
▸ pyramides fut la sépulture de ceux qui les firent cons-
› truire. Mais , dit-il plus loin , si la force des opinions
› relatives aux soiris de la sépulture en Egypte , ne paraît
» pas une raison suffisante , qu'on explique donc d'une
› autre manière tous ces autres tombeaux célèbres dont
>> l'histoire ou le temps ont transmis les notions ou les dé-
» bris. Faudra-t-il révoquer en doute la destination des
immenses tombeaux des empereurs romains , dontquelques-
uns , sinon pour la masse , au moins pour la dépense
>> et le travail , le disputent aux pyramides ? Et si un sim-
> ple épulon de Rome fit pour sa sépulture la dépensé
> d'une pyramide revêtue en marbre blanc et haute de 17 i
palmes , faudra-t-il s'étonner que des rois d'Egypte ayent
» pu en construire qui fussent deux ou trois fois plus
› grandes que celle de C. Cestius ? Et paraîtra-t-il surpré-
>> nant que , dans un pays où tout prouve le zělé le plus rea
>> cherché pour la conservation des corps , ils aient choisi ,
> pour lui confier la durée de leur repos , la forme d'édi-
>> fice qui de toutes celles que l'architecture a jamais mises
» en oeuvre , nous est parvenue la plus intègre , et est par
>> conséquerit la plus convenable à la fin pour laquelle on
>> l'emploie.>> La troisième section de cette partie de l'ouvrage
de M. Quatremère, traite de la décoration dans l'architecture
égyptienne. Après avoir développé quelques
idées générales , l'auteur parle de hiérogliphes , des basreliefs
, de la peinture et des diverses sortes d'ornemiens.
Ses recherches présentent des aperçus neufs et satisfaisans ,
elles ne laissent , du reste , rien à désirer du côté de l'érudition
.
On voit que M. Quatremère , dans les deux premièrca
PRAIRIAL AN ΧΙ . 551
1
parties de son ouvrage , a donné tous les détails nécessaires
sur l'état de l'architecture égyptienne. La troisième et
dernière présente des réflexions lumineuses sur la diffé
rence d'origine qui sépare l'architecture grecque de celle
de l'Egypte , et sur les rapports de détails qui se rencon
trent entre ces deux architectures . Il prouve , par des faits
positifs et par d'excellens raisonnemens , que l'architecture
grecque n'a point tiré son origine des monumens de
l'Egypte , et qu'elle ne leur a emprunté que quelques détails
, quelques ornemens perfectionnés ensuite par les
grands artistes de Corinthe et d'Athènes. Il pense que la
colonne corinthienne n'a point été inventée par les Grecs ,
et il rejette l'anecdote poétique de Callimaque , qui , selon
Vitruve , conçut l'idée du chapiteau à Campane , en voyant
une corbeille d'Acanthe placée sur le tombeau d'une jeune
fille. Tout en reconnaissant les divers emprunts que les
Grecs ont faits aux Egyptiens , l'auteur a toujours soin de
faire observer que les deux genres n'ont jamais été confondus
. « Il faut finir par s'étonner , dit-il , qu'avec ce
* goût et cet usage qu'on suppose avoir été si familiers
>> aux Grecs de s'approprier en tant de genres les idées et
>> les inventions des autres peuples , ils aient été aussi ré-
>> servés avec l'Egypte dans les emprunts qu'ils lui ont
>> faits en architecture . Ils paraissent avoir conçu la plus
>> haute admiration pour la grandeur de ses entreprises.
>> Leurs auteurs et leurs historiens n'en parlent qu'avec
>> respect. Selon Hérodote , le labyrinthe , par sa gran-
>> deur , valait à lui seul les édifices réunis de toute la
» Grèce. Le travail d'une seule pyramide l'emportait
גו encore , dit- il , sur les plus grands monumens de sa
>> patrie. Cependant on ne voit pas que le goût égyptien
>> se soit mêlé à l'architecture grecque , si ce n'est dans
» quelques détails de ses ornemens. Cela vient de ce que
>> lesdeux caractères d'architecture étant originaux , étaient
» exclusifs l'un de l'autre. Le moindre mélange des par-
» ties essentielles eût tout dénaturé , tout confondu. »
Il nous semble que , d'après cette analyse , on a pu ap
552 MERCURE DE FRANCE ,
précier le goût, la méthode et l'érudition de M. Quatremère
; on a dû remarquer sur-tout ses vastes connaissances
dans les arts , qui se concilient rarement avec l'élégance et
la correction d'un bon écrivain. Le désir d'exposer son
système avec clarté , et de ne point l'embarrasser par des
digressions , nous a fait négliger une des parties les plus
intéressantes de cet ouvrage , celle où l'auteur traite de la
religion , du gouvernement et des moeurs des anciens
égyptiens. Nous allons revenir sur ces objets importans ,
et donner une idée des opinions de M. Quatremère sur
une matière qui a épuisé les conjectures de tant de philosophes
et de savans .
La religion des Egyptiens était grave et mystérieuse ;
elle ne se prétait pas , comme celle des Grecs , à tous les
écarts de l'imagination humaine. Des colléges de prêtres ,
seuls initiés dans les secrets de leur culte, se transmettaient
leur doctrine qui ne sortait point de l'enceinte des temples.
Les cérémonies , les rites ne changeaient jamais ;
et les arts , employés à représenter les emblêmes religieux ,
ne variaient point leurs combinaisons. C'est ce qui explique
l'uniformité des monumens de l'Egypte , et le peu de
progrès des arts dont l'essor était contenu par l'obligation
de se conformer toujours aux mêmes types . L'indiscrète
curiosité de l'homme , qui s'exerce sans cesse sur des objets
inaccessibles à ses recherches , était réprimée par
des institutions inébranlables. « Tout , dans les temples
>> d'Egypte , dit M. Quatremère , respire le mystère qui
>> fut la première base de sa religion , et qui doit l'être de
>> toute religion ; car la religion a pour objet principal
>> d'empêcher l'esprit de l'homme de chercher ce qu'il ne
>> trouvera jamais. C'est l'antidote à la curiosité , cette
passion de l'humanité , dont l'action est salutaire lors-
» qu'elle se borne à la découverte des choses qui sont à sa
>> portée ; mais fléau le plus pernicieux de tous , lorsque
>> l'orgueil , qui en est le principe , se révolte contre sa
>> propre faiblesse ; et , dans le dépit de son impuissance
>> à découvrir la vérité , brise tous les remparts que la
PRAIRIAL AN XI . 553
>>>sagesse des temps avait élevés entre l'homme et le
>> néant. » On pourra chercher à réfuter l'opinion de
M. Quatremère , en s'appuyant sur la superstition des
Egyptiens , sur le nombre et la bassesse de leurs divinités
, sur l'absurdité de leur culte ; mais il est facile de
répondre à cette objection , en observant que , pour les
peuples , les croyances les plus insensées , pourvu qu'elles
se concilient avec les principes de l'ordre social , sont
moins dangereuses que la présomption des incrédules.
<< En effet , dit Pascal , lorsque dans les choses de la na-
>>> ture , dont la connaissance ne nous est pas nécessaire ,
>> il y en a dont on ne sait pas la vérité , il n'est peut- être
>> pas mauvais qu'il y ait une erreur commune qui fixe
>> l'esprit des hommes ; comme , par exemple , la lune , à
>> qui on attribue les changemens de temps , les progrès
>> des maladies , etc.: car , c'est une des principales ma-
>> ladies de l'homme , que d'avoir une curiosité inquiète
>> pour les choses qu'il ne peut savoir , et je ne sais si ce
>> ne lui est pas un moindre mal d'être dans l'erreur pour
>> les choses de cette nature , que d'être dans cette curio
>>> sité inutile . >>>
Le gouvernement des Egyptiens était monarchique.
Il paraît qu'il exista en Egypte de temps immémorial. La
conservation scrupuleuse des mêmes opinions , des mêmes
usages , de la même doctrine , l'impossibilité de quitter la
profession dans laquelle on était né , la stabilité qui devait
résulter de ces institutions par lesquelles la raison des
hommes , et même l'imagination qui perfectionne les
arts , étaient enchaînées , semblent être les principales
causes de la persévérance des Egyptiens dans les travaux
qu'ils ont entrepris et terminés. M. Quatremère ne s'étend
peut- être pas assez sur le parti qu'ils surent tirer du Nil ,
source principale de la fécondité de leur pays. « Ce qu'ils
>> ont fait du Nil , dit l'éloquent évêque de Meaux , est
>> incroyable. Il pleut rarement en Egypte ; mais ce fleuve
» qui l'arrose toute entière par ses débordemens réglés ,
>> lui apporte les pluies et les neiges des autres contrées.
554 MERCURE DE FRANCE ,
» Pour multiplier un fleuve si bienfaisant , l'Egypte était
> traversée d'une infinité de canaux d'une longueur et
>> d'une largeur incroyables. Le Nil portait par-tout la
>> fécondité avec ses eaux salutaires , unissait les villes entr'elles
, et la grande mer avec la mer Rouge , entrete-
➤ nait le commerce au dedans et au dehors du royaume et
» le fortifiait contre l'ennemi ; de sorte qu'il était tout
>> ensemble et le nourricier et le défenseur de l'Egypte.
» On lui abandonnait la campagne ; mais les villes , rehaussées
avec des travaux immenses , et s'élevantcomme
» des îles au milieu des eaux , regardaient avec joie , de
>> cette hauteur , toute la plaine inondée et tout ensem-
» ble fertilisée par le Nil. Lorsqu'il s'enflait outre me-
➡ sure , de grands lacs creusés par les rois tendaient leur
* sein aux eaux répandues. Ils avaient leurs décharges
>> préparées : de grandes écluses les ouvraient ou les fer-
>> maient , selon le besoin ; et les eaux ayant leur retraite ,
▸ ne séjournaient sur les terres qu'autant qu'il fallait pour
→ les engraisser. » Les Grecs et les Romains ont souvent
chanté les bienfaits de ce fleuve. Lorsque César est en
Egypte , Lucain ne trouve d'autre moyen de donner une
grande idée du caractère de ce héros que de lui faire désirer
de connaître les sources du Nil. Il s'étend ensuite
sur ses débordemens périodiques :
Cancro suam torrente Syenen
Imploratus adest ; uec campos liberat undis
Donec in autumnum declinet Phebus , et umbras
Extendat Meroë . Quis causas reddere posset?
Sicjussit natura parens decurrere Nilum :
Sic opus est mundo.
Les savans et les philosophes modernes ont voulu soumettre
à des calculs géométriques les relations des anciens
historiens sur l'immense population de l'Égypte. Sans
s'arrêter à l'extrême différence de leur religion, de leur
gouvernement , de leurs lois avec les institutions des
peuples modernes , ils ont établi des parallèles inexacts ;
et , révoquant en doute les témoignages de la tradition ,
· PRAIRIAL AN XI. 555
1
!
1
ils ont tourné en ridicule Bossuet et Rollin qui avoient cru
devoiry ajouter foi . Pourrez-vous croire , dit M. de Vol-
>> taire , que , par chacune des cent portes de Thèbes , il
>> sortait deux cents charriots armés en guerre et dix mille
>> combattans ? Cela ferait vingt mille charriots et un
>> million de soldats , et un soldat pour cinq personnes :
>> ce nombre suppose au moins cinq millions de têtes
>>> pour une seule ville dans un pays qui n'est pas si grand
>>>que l'Espagne ou que la France. Mononcleriait , dit Vol-
>> taire, dans un pamphlet composé pour défendre l'Essai
>> sur les Moeurs et l'Esprit des Nations , mon oncle riait
>> quand il voyait Rollin copier Bossuet mot à mot , et
>> Bossuet copier les anciens. » Qui ne croirait , d'après
cette observation , que l'évêque de Meaux n'a mis aucun
discernement dans le choix des faits qui composent son
discours sur l'Histoire Universelle ; qui ne croirait qu'il
n'est qu'un copiste servile , qu'il n'a aucune grande vue ,
et qu'il adopte sans examen les plus grossières absurdités ?
Cependant Bossuet lui-même , qui n'avait point l'habitude
de raisonner sur des hypothèses , et qui ne jugeait point
les moeurs des anciens d'après les nôtres , élève quelques
doutes sur ce point de l'histoire ancienne. Voici comment
il parle de la population de Thèbes aux cent portes :
« Elle n'était pas moins peuplée qu'elle était vaste , et on
>> a dit qu'elle pouvait faire sortir ensemble dix mille
>> combattans par chacune de ses portes. Qu'il y ait , si
>> l'on veut , de l'exagération dans ce nombre , toujours
>> est-il assuré que son peuple était innombrable. >> On voit
que Bossuet n'affirme point un fait qui paraît incroyable ;
il se borne à rapporter ce qu'on a dit : et ensuite il fait remarquer
qu'il peut y avoir de l'exagération dans ce nombre.
Ce n'est sûrement point là la manière d'un copiste sans
discernement ; c'est celle que doit adopter tout bon historien
, dont le devoir n'est pas de divertir son lecteur par
des rapprochemens et des contrastes piquans , mais de
l'instruire par le choix , l'ensemble et la discussion des
traditions anciennes.
556 MERCURE DE FRANCE ,
M. Quatremère n'a point affecté le septicisme orgueilleux
des philosophes modernes. Il lui eût été facile de douter
de tout , et de montrer une grande supériorité d'esprit
en rejetant les témoignages de l'histoire ancienne , et en les
traitant de fables ridicules. Il a cru devoir suivre un plan
'beaucoup plus difficile à exécuter , mais dont les résultats
sont d'une toute autre importance que des bons mots et
des aperçus superficiels. Il cherche dans les habitudes du
peuple , dans sa manière de vivre , dans les influences du
climat , les causes de la population de l'Égypte; et il par
vient à donner quelque vraisemblance aux récits des anciens.
« Quelle que soit la foi , dit M.Quatremère , que l'on
>> veuille accorder aux historiens de l'antiquité , sur la
>> population de l'Égypte et sur ses vingt mille villes , il
>> est hors de doute , d'après les nombreuses ruines qu'on y
>> voit encore aujourd'hui , d'après la grande fertilité du
>> pays , la fécondité des femmes et la sagesse de ses lois',
>> que son territoire dût renfermer un peuple beaucoup
>> plus considérable qu'on ne pense. Les calculs et les pa-
>> rallèles modernes sont d'une faible autorité dans cette
>> matière. Il est une multitude de causes , telles que la na-
>> ture du climat , la sobriété qu'il commande , la facilité
>> de certaines cultures , l'abondance des vivres , la qualité
>> plus ou moins nourricière des alimens , qui ne peuvent
>> s'apprécier que très-imparfaitement. L'excessive popu-
>> lation de la Chine est une induction en faveur de l'an-
>> cienne population de l'Egypte , et servirait à en démon-
>> trer la réalité en dépit de tous les calculs géométriques .
>> Qui pourrait dénombrer tous ceux qui vivaient ou n'a-
>>vaient d'habitation que sur le Nil et sur les canaux , selon
>> l'usage qui existe encore aujourd'hui ? Il dûty avoir en
>> Egypte , comme il y a en Chine , une surabondance de
>> population , et c'était sans doute cet excédent qu'on em-
>> ployait à la construction des ouvrages publics. »
On a pu se former une idée du plan général de cet ouvrage
, du style de l'auteur , et de l'esprit qui a présidé à
son travail. Cette dissertation, que la modestie de M. QuaPRAIRIAL
AN XI. 557 .
C
S
1
tremère l'avait empêché de publier lorsqu'il fut couronné
par l'Académie des Belles-Lettres , nous paraît digne des
plus grands éloges , sous les rapports de la littérature , de
l'érudition et des arts. Elle enrichira la collection des ouvrages
intéressans qui ont été publiés depuis l'expédition
d'Egypte ; et , comme nous l'avons déjà observé , on s'étonnera
que M. Quatremère , sans d'autres secours que celui
des historiens anciens et des voyageurs , ait pu obtenir
des résultats aussi satisfaisans et aussi certains. Nous ne
nous permettrons , sur le style , qu'une seule observation
qui terminera cet article : M. Quatremère a introduit
dans la partie littéraire de son ouvrage , quelques termes
techniques qui ne sont admis que dans les sciences et
dans les arts . Cette innovation , bien excusable dans un
ouvrage qui traite principalement de l'architecture , se
fait remarquer depuis long-temps dans la poésie , l'éloquence
et les écrits les plus étrangers aux sciences et aux
arts. C'est le signe certain de la décadence d'une langue .
Il annonce une confusion de genres , qui ne peut résulter
que d'un goût dégénéré. M. Quatremère , rachète ce défaut
, si c'en est un , dans le sujet qu'il a traité , par unstyle
brillant , animé et quelquefois éloquent. On remarquera
facilement que notre observation le regarde beaucoup
moins que certains écrivains qui se plaisent à dénaturer
notre langue par un néologisme que rien ne peut faire
excuser .
P.
P
1
1
1
Au
VARIÉTÉS.
RÉDACTEUR.
Permettez , monsieur , à unjeune amateur des lettres de
réparer un oubli qui s'est glissé dans la rédaction de l'analyse
des Fables de M. Boisard , insérée au N° : XCVIII de
votre Journal ; vous avez omis de comprendre dans l'é
558 MERCURE DE FRANCE ,
numération des littérateurs français qui se sont distingués
dans ce genre gracieux depuis Lafontaine , un auteur qui
sut acquérir l'estime de ses contemporains , autant par ses
qualités personnelles , que par les talens qui le firent longtemps
remarquer dans la carrière poétique : cette omission
ferait injure , je crois , à la mémoire de celui qui
enrichit le porte-feuille des gens de lettres , du Jugement de
Páris , du Jaloux sans Amour , de l'Elégie sur la mort
dePiron , des Nouvelles et Contes en vers , et d'autres
ouvrages de poésie légère , également recommandables ,
par la pureté du style , la finesse des idées et la fraîcheur
de coloris : je ne crains pas même de dire qu'on placera
ses fables au nombre des productions qui lui font le plus
d'honneur ; on y admire un choix de tableaux toujours intéressans
, une naïveté soutenue , et sur-tout une morale
saine qui annonçaient , de la part de son auteur , un grand
fonds d'observations , et une connaissance parfaite du coeur
humain. Mön inexpérience semblerait me défendre d'indiquer
celles qui pourraient , par préférence , fixer les
regards de l'homme de goût ; mais je crois pouvoir avancer
, à l'appui demonéloge , qu'on lira toujours avec plaisir
, l'Habit et l'Oreiller , le Conseil d'état duLyon , laRose
et le Bouton , l'Ours et le Singe , et l'Eléphant ; sans atténuer
le mérite des autres , j'ai cru découvrir dans celles
que je cite , une narration plus facile , une originalité piquante
, et une plus grande richesse de composition.
Imbert était à la fleur de l'âge lorsqu'il fut enlevé à la
France littéraire : sa perte fut vivement sentie par les
muses ; quoiqu'à l'époque où la inort moissonna ses jours ,
ma raison ne pût encore recevoir les premières impres
sions du vrai beau , j'ai su néanmoins puiser ensuite dans
ses ouvrages ce vif enthousiasme bien pardonnable à une
âme neuve et sensible. Me blâmeriez-vous , monsieur , de
réclamer pour ce charmant auteur une place dans le cadre
précieux
(
RÉP.
PRA
1
!
!
ト
3
۱۰
d
1
1
PRAIRIAL AN XI. 559
précieux que vous avez tracé au dernier numéro de votre
journal ? Vous êtes trop juste pour que je puisse le craindre:
c'est donc avec confiance que je vous priede consacrer
une de vos pages à l'insertion de cette lettre : c'est un
hommage que j'offre au talent. Il peut être faible , mais il
n'en est pas moins dû à celui qui en est l'objet.
Recevez l'assurance de ma parfaite estime ,
B. L. fils , (d'Agen. )
Nous n'avons pas prétendu faire une énumérationexacte
et complète des fabulistes qui sont venus après Lafontaine.
M. Imbert avait beaucoup d'esprit , et peut-être en
a-t-il trop inis dans ses fables. Nous aurions pu parler de
lui , mais nous aurions du parler aussi de Groselier , du
duc de Nivernois , de Lemonnier, de Dorat lui-même, de
Vitalis , et de plusieurs auteurs qui ont fait des fables fort
jolies. ( Note du rédacteur. ) .
SPECTACLES.
THEATRE DE LOUVOIS.
Le Vieillard et les Jeunes Gens , comédie en cinq actes
et en vers , de M. Collin-d'Harleville , est jouée depuis
quelques jours , avec beaucoup de succès , au théâtre de
Louvois.
La comédie n'est autre chose qu'une aventure principale
, traversée par des événemens contraires et vraisemblables
; c'est la diversité et l'opposition de ces événemens
qui sert à faire sortir les caractères et à répandre du plaisantdans
lapièce. Mais pour parvenir à mettre les caractères
en jeu , il faut plus que de l'esprit. Ce n'est point en
cousant ,tant bien que mal , des paquets de vers faits en
différens temps , que l'on forme un ensemble. Ce n'est
point encopiant servilement les expressions passagères du
jour, que l'on fait un ouvrage solide et durable. Les ridicules
sont dans les choses , et non dans les mots. Un plan
de comédie bien régulier , consiste dans un enchaînement
13 Nn
560 MERCURE DE FRANCE ;
de scènes , où l'embarras augmente par degrés , jusqu'à ce
qu'il se développe aussi naturellement qu'il paraît avoir
été formé , et qu'enfin il se détermine par un dénouement
qui ne soit ni forcé ni prévu. Voilà le grand art du théâtre.
Y réussir , c'est la difficulté . On trouve par-tout de
l'esprit , mais où trouve-t-on du génie ? Un homme d'esprit
n'a pas plus de peine à en semer dans ses ouvrages ,
qu'un financierà répandre de l'argent; l'un et l'autre manquent
presque toujours leur but faute de savoir placer
leur dépense.
On sacrifie le fond à la broderie. On donne des scènes
vides d'action et chargées de portraits ; on néglige l'intrigue
, et on préfère ce qui est saillant à ce qui est raisonnable.
La fureur de l'épigramme absorbe tout dans ce
siècle ; c'est le règne des tirades. Il faut qu'une pièce soit
un feu d'artifice continuel. Apeine veut-on souffrir l'exposition.
Les acteurs , dès le début , font assaut d'esprit ;
par ce moyen les événemens ne sont point préparés , les
situations n'intéressent plus ; la pièce est brillante , mais
non théâtrale ; on y trouve beaucoup de coloris , et point
de dessin . Si un auteur s'avisait aujourd'hui de travailler
après un plan bien combiné, plein de justesse et dans le
goût du dernier siècle , on dirait qu'il connaît le théâtre ,
mais qu'il ne connaît point le monde ; l'ouvrage serait
estimé et ne serait pas couru : on le traiterait comme une
belle femme sans rouge , mise simplement , qui est toujours
écrasée par un visage de fantaisie.
La comédie de M. Collin-d'Harleville est faite pour
nous ramener à ces règles de goût , autant qu'à celles de
la morale ; il ne sera pas difficile de le démontrer , dans
une analyse un peu plus étendue .
Une mère faible a deux fils assez mal élevés , qui se sont
emparés de son esprit , et qui veulent faire épouser leur
soeur à un M. Dorsan , jeune homme à lamode et libertin
effronté. Euphrasie aime son cousin Olivier , qui n'est
point riche , qui est plein d'heureuses qualités , et qui ,
pour comble de malheur , n'est point à lamode; M. Denaudé
, vieux militaire , qui a conservé quelque ascendant
sur lamère d'Euphrasie , cherche à éloigner le funeste
hymenée qui se prépare ; et pour écarter le jeune
Dorsan , il se met lui-même sur les rangs , et demande
Euphrasie en mariage : il a une fortune considérable ; sa
fortune séduit la mère , et favorise les calculs des frères
d'Euphrasie; il est accueilli , et au moment où il l'emPRAIRIAL
AN XI. ." 561
1
1
+
!
porte sur Dorsan , il cède tous ses droits et une partie de
sa fortune au jeune Olivier , qui épouse celle qu'il aime
et dont il est aimé.
Nous reviendrons sur cette pièce , qui méritait , sous
plusieurs rapports, le succès qu'elle a obtenu. Elle a pour
but de venger les droits si souvent outragés de la vieillesse ;
etelle représente avec beaucoup de vérité , les ridicules des
jeunes gens , lesvices de l'éducation actuelle, et les moeurs
du siècle présent. On a reproché à l'auteur l'invraisemblance
de quelques incidens , l'exagération de certains
caractères. Nous reviendrons sur cette pièce qui sera vrai
semblablement jouée long-temps ; nous nous contenterons
de faire aujourd'ui quelques -observations que nous tâcherons
de développer dans un autre numéro .
ΑΝΝΟNCE.
-Supplément au Répertoire alphabétique , chronologique et
par classement de matières , des lois rendues par les assemblées
nationales et les corps législatifs , et des arvétés du gouver
nement , depuis 1789. Par Guillanine Beaniac , homme de loi.
Ledit Supplément contenant l'indication de la législation du quatrième
trimestre de l'an IX et celle de l'an X. Prix : 1 fr. 50.0. , et
2fr. par la poste.
AParis, chezle Normant , imprimeur-libraire , rue des Prêtres-
Saint-Germain- l'Auxerrois , nº.142. ٠٢٠
t
Tableau religieux et politique de l'Indostan , ou Précihistorique
des révolutions de l'Inde , où l'on voit les mas
noeuvres employées par la compagnie anglaise , pour
s'emparer exclusivement du commerce , des terres et des
manufactures des peuples Indous , et assurer leur tyrannie
par l'expulsion des autres nations européennes ; suivi de
deuxmémoires présentés en 1781 , à Louis XVI , par l'auteur
de cet ouvrage , contenant un plan pour anéantir la
puissance anglaise dans l'Inde , et d'un troisième sur les
moyens actuels d'y parvenir encore. Par M. C*** , lieutenant-
général des armées françaises , gouverneur-général
de l'Isle-de-France , ayant commandé dans l'Inde, Publié
et enrichi de notes , par A. B. de B*** , auteur de l'examen
du discours de M. Necker , à l'ouverture des étatsgénéraux
; d'une lettre à M. Pitt; de la traduction des
ouvrages de M. Burke ; des vérités à ceux qui les aiment ,
etc. , et de beaucoup d'autres ouvrages politiques . Prix ;
6 fr. et 7 fr . So cent. franc de port.
AParis , chez Marchant , imprimeur-libraire , rue du
Pont-de-Lodi , n°. 1 ; et chez le Normant.
Nna
562 MERCURE DE FRANCE ,
POLITIQUE.
MEDIATION DE LA RUSSIE.
Ladiscussion qui a eu lieu au parlement d'Angleterre ,
relativement à la médiation de la Russie, est trop intéressante
dans les circonstances actuelles , pour que nous
négligions de la mettre sous les yeux de nos lecteurs ;
nous ladonnons ici avec les observations qui se trouvent
dans le journal officiel .
M. Fox. Il considère la question qu'il va traiter comme une des
plus importantes qui aient été soumises à la chambre. En ce qui concerne
laquestion générale de la paix ou de la guerre, il s'est déjà
expliqué : son opinion est bien connue : la majorité de la chambre
n'a pas été du même avis. La guerre est déclarée , et toute mesure
propre àla rendre heureuse aura son appui. Mais chacun est obligé
de convenir qu'il seroit désirable de trouver un moyen qui conduisit
promptement à la fin de cette guerre. Or , sa motion a pour objet de
proposer un moyen parfaitement praticable qui conduiroit à cette fin,
et dont les conséquences seroient très-favorables. Il s'agit de
seiller à S. M. de profiter des dispositions où l'empereur de Russie
aparu être de servir de médiateur entreles deux nations belligérantes.
Les avantages d'une telle médiation sont sensibles. La médiation d'une
grande puissance est toujours utile , lors même que cette puissance
ne fait que prêter son nom ; car un tel nom mis au bas d'un traité ,
lui donne aux yeux de l'Europe un poids qu'autrement il n'auroit pas.
Si une médiation a été offerte par l'empereur de Russie , et si , ainsi
qu'on le publie , elle a été acceptée par l'ennemi (1 ) , on ne sauroit
se dissimuler l'avantage qu'auroitl'Angleterre à l'accepter elle-même.
con-
Qui seroit plus propre , en cette occasion , à servir de médiateur
que laRussie , qui déjà est garantede l'île de Malte , point principal
dela contestation ? La médiation de la Russie iroit beaucoup plus
loin : d'après son pouvoir , son caractère et diverses autres circonstances,
l'empereurde Russie est le souverain le plus propre àentreprendre
une médiation de cette nature. La cour de Saint-Pétersbourg
aprouvé son ardent désir de conserver la tranquillité de l'Europe ,
celle de la France et de l'Angleterre, et celle des puissances inférieures
. D'après la déclaration de S. M. , cette cour auroit même hautement
désapprouvé la conduite de la France en plusieurs occasions .
Maintenant si nous considérons ce que c'est qu'une médiation , nous
(1) Oui , sans doute , la France a accepté la médiation de la
Russie. Elle a notifié cette acceptation avant que lord Whitworth
eût quitté Paris; elle l'a notifiée de nouveau avant que le généralAndréossi
eûtquitté Londres : et les ministresont osé trahir la vérité , au
point ,nondene pas accepter la médiation ( chaque gouvernement
estbienle maître d'avoir ses projets et ses vues ) , mais de nier que
Russiel'ent offert.
:
!
1
1
1
}
1
1
PRAIRIAL AN XI. 563
trouverons qu'elle exige deux qualités extrêmement essentielles , qui se
trouvent ici réunies . D'abord nous trouvons dans la Russie un sincère
désir de la paix ; en second lieu , une désapprobation de la conduite
du gouvernement français ,désapprobation qui pèse principalement
sur les objets qui ont donné lieu à la guerre actuelle. Si une telle
médiation est heureuse , et j'avoue que je fonde sur elle un gra
espoir , elle pent conduire à un vaste système , et avoir une utile
influence sur l'état général de l'Europe. Cette médiation est la chance
la plus favorable qui puisse s'offrir pour nous.
:
Tous les honorables membres doivent être convaincus , comme
moi , que dans les circonstances où nous nous trouvons , ce que nous
avons le plus à regretter , c'est le pouvoir de protéger les autres
états; ainsi la guerre continuera , avec la certitude que la France
userade son pouvoir énorme , pourra s'agrandir encore , et opprimer ,
si tel est son intérêt , les nations qut sont incapables de lui résister.
La médiation de la Russie préviendroit ces malheureuses conséquences.
Quelle puissance est plus en état de prescrire la paix à
l'Europe ?
Le dernier empereur a été en querelle avec notre pays ; cette querelle
a été arrangée à l'amiable , et il n'y a pas la moindre raison de
supposerqu'on veuille la renouveler . On prétend que , dans le traité
d'Ainiens , ily a plusieurs articles qui nous blessent ; on prétend aussi
que, dans notre traité avec laRussie , il ya quelques articles qui peutêureblessent
cette puissance. L'empereur peut donc nous dire : si
vous ne respectez pas votre traité , pourquoi respecterai-je le mien ?
Ilpeuttenirà notre ennemi un langage encore plus ferme.
Il me semble qu'une partie de la déclaration de S. M. fait allusion à
une proposition de la France à la Russie pour le démembrement
de l'empire ture (2). Il est assez counu que la Russie a toujours été
ennemie de l'empire ottoman ; que ses princes ont formé héréditairement
des projets contre la Turquie , et que si un démenbrement de
cet empire avait lieu , la Russie obtiendroit nécessairement la meilleure
part. Mais l'empereur peut dire au premier consul : je renonce
à mes projets , renoncez aux vôtres , et un système peut être adopté
pour préserver l'empire ottoman de toute injure. L'empereur de
Russie pourrait encore se joindre à ce pays pour seconder efficacementles
pouvoirs secondaires de l'Europe contre l'oppression de la
France.
(2) Si le ministère a avancé que la France a proposé à la Russie
ledémembrement de l'empire turc , c'est sans doute pour n'échapper
aucune occasion de sejouer de la crédulité du peuple anglais. Il avoit
étéquestion entre les deux puissances , et avec l'Angleterre , de
prendre des mesures pour mettre un terme aux pirateries des barbaresques
, les obliger à cultiver leurs belles et fertiles contrées , et les
forcer à ne plus faire la guerre à la croix , pour l'honneur du croissant .
Jamais il ne s'est agi d'autre chose. Il n'est pas nécessaire d'être doué de
vnes bien supérieures en politique , pour s'apercevoir que la puissance
laplus intéressée à la conservation de l'empire ottoman est la France ,
puisque l'effet qu'auroit sur la balance de l'Europe l'immense accroissement
des empires de Russie et d'Allemagne , seules puissances
limitrophesde l'empire ture , serait incalculable. Il n'est pas unhomme
Nn3
564 MERCURE DE FRANCE ,
On pourra dire que la France d'accéderoit à une pareille propositionque
pour gagner du temps . Soit : Ismalheurs de la guerre
seraient retardés . Si la Russie proposait une mesure tendant à la
sûreté de l'empire turc , la France serait obligée d'y donner son
consentement . On objectera que la France y consentirait d'abord , et
romprait ensuite le traité. Cela pourrait être ;mais on peut en dire
autant de tous les traités du monde.
Quel serait cependant le résultat , si la France rompait un traité
semblable ? Elle n'auroit pas seulement à combattre la Grande Bretagne
, elle aurait aussi à combattre la Russie. On a beaucoup parlé
précé leminent des alliances continentales ; elles peuvent être bonnes
on mouvaises , suivant les circonstances ; et si les alliances sont nécessaire
, aucune puissance n'est plus propre quela Russie à lutter contre
la France. Je demande si , après qu'une médiation aura été tentée et
aura échoué , nous n'aurons pas plus d'espoir que maintenant , de
compter sur la coopération cordiale de la Russie. La circonstance est
propice ; si nous ne la saisissons pas , nous aurons tout le loisir de la
regretter. Je demande , quel que soit le pouvoir de la France , si elle
ne redontera pas le combat , lorsqu'elle verra réunies contr'elle la
Russie et la Grande-Bretagne ? Dira- t- on que l'Autriche et la Prusse
pourraient opérer une diversion en se joignant àla France ? mais cette
chance est tellement improbable , que ce n'est pasla peine de s'y
arrêter . La politique générale de la cour de Berlin est pacifique ; en
Autriche on a adopté à-peu- près le même système , et cela tient aux
mutations survenues dans les consei's , et à l'influence de l'archidue
Charles. Ce dernier , quoiqu'il n'ait pas été définitivement heureux
dans la dernière guerre , a obtenu par sa conduite une très -grande
gloire, et regarde que , pour l'intérêt de cette gloire même , il doit
maintenir la paix . Ainsi , la paix étant voulue par les cours deBerlin,
Vienne et Pétersbourg , on doit espérer toutes sortes d'avantages de la
médiation proposée. Si elle échoue , on peut se flatter que la cour
de Pétersbourg épousera notre querelle ; an moins nous assureronsnous,
dansla poursuite dela guerre , les voeux de tout le genre humain ;
le parlement et la nation seront satisfaits ; la Grande-Bretagne aura
rendu sa cause aussi favorable que possible.
,
Si l'on suppose que la médiation de la Russie n'a été
offerte que pour voiler un penchant secret pour la France
certes les ministres de S. M. ont eu raisonde la rejeter. Mais
il n'est pas du tout vraisemblable qu'il en soit ainsi. La médiation
est arrivée très-tard (3). Je me flatte que pour celle
sensé qui ne puisse remarquer que si la France avait en effet nourri
le projet du démembrement des états de la Porte , elle n'auroit pas ,
au traité de Lunévilie , laissé à l'empereur d'Allemagne la Dalmatie et
les états vénitiens , seuls points par lesquels elle pouvait devenir
Quissance limitrophes de la Turquie , et prendre une part utile dans
un projet de démembrement. Mais , en vérité , il est des suppositions
tellement absurdes , qu'elles ne mériteroient pas l'honneur d'une
réfutation.
( 3 ) Et les ambassadeurs respectifs étaient encore à Londres et a
Paris; la médiation est arrivée plusde douze jours avant le commencement
des hostilités.
PRAIRIAL AN XI. 565
2
raison seule les ministres n'hésiteront pas à mettre fin à la
guerre , aussi-tôt qu'ils le pourront , en ménageant l'honneur
de ce pays. Si la paix étoit l'effet d'une médiation , il
en résulteroit une ligue forte et solide ; il ne s'agiroit plus
de la garantie de Malte , mais de la garantie de l'Europe.
La tranquillité du continent pourrait être assurée ; tous ces
échanges , toutes ces cessions pourraient être prévenus , et
un système serait établi , en vertu duquel les nations qui
ont éprouvé des pertes auraient la certitude de ne pas en
éprouver de nouvelles . Celles qui ont gagné seraient forcées
de s'en tenir à leurs avantages acquis : toute invasion nouvelle
serait rendue impossible , l'Europe aurait la consolante
perspective d'une paix longue etnon interrompue.
Je conclus en faisant la motion qu'une humble adresse
soit présentée à S. M. , suppliant S. M. de vouloir bien profiter
des dispositions manifestées par l'empereur deRussie ,
en offrant sa médiation entre S. M. et le gouvernement
de France , à l'effet de terminer la guerre , si cela peut être
fait d'une manière compatible avec l'honneur de la couronne
et l'intérêt du peuple.
M. Windham appuie la motion .
LordHawkesbury : Je suis parfaitement d'eccord avee
Thonorable membre sur plusieurs des opinions qu'il vient
d'avancer. La déclaration de S. M. fait évidemment connaître
l'intention où elle est de terminer la guerre aussi-tôt que
P'honneurde sa couronne et les intérêts de son peuple lepermettront.
Je pense donc que la motion de l'honorable membre
est inutile, et je ne conçois pas qu'on puisse l'adopter :
voilàma première objection: je respecte assez la constitutiondemon
pays et les priviléges dela chambre , pour savoir
qu'elle a le droit d'intervenir et de donner son avis sur une
branche quelconque de la prérogative de la couronne , si
ellereconnaît dans l'abus de cette prérogative une violation
des principes de la constitution. Si ,dans la circonstance
présente, il y avait abus de pouvoir , e ne m'opposerois pas
àla motion de l'honorable membre ; mais je persiste à
soutenir que les principes fondamentaux de la constitution
autorisent S. M. à faire la guerre ou la paix. Je soutiens
également que s'il ne paroît pas manifeste que le gouverne
ment deS. M. soit coupablede négligence ou d'ignorance (4) ,
(4) Plus que cela : dites à-la- fois de foiblesse ,d'arrogance cl.
mauvaise foi.
Na
566 MERCURE DE FRANCE ,
la proposition de l'honorable membre ne peut être admise
par le parlement.
Je pense comme l'honorable membre sur la situation présentedu
continent; je suis comme lui d'avis que le seul système
à opposer à l'esprit d'agrandissement de la France , est
uneunion parfaite et un concert entre les grandes puissances
de l'Europe , dégagées de tout intérêt personnel , et n'ayant
pour objet que le biengénéral.Je crois que la Russie est la
puissance que nous devrions plus particulièrement nous
concilier. Je le declare avec franchise ; une des circonstances
qui avait fait le plus d'impression sur mon esprit ,
pour conclure le dernier traité de paix , était de voir une
barrière élevée contre l'agrandissement de la France. J'avoue
que , depuis la signature du traité d'Amiens jusqu'à ce
moment , les affronts n'ont pas manqué de la part de la
France , pour engager l'Angleterre etles puissances continentales
a recommencer la guerre , ou du moins , pour
déterminer la Grande-Bretagne à entrer dans un système
de guerre défensive. Je proteste àla chambre que , pendant
le cours des négociations , les ministres de S. M. ont fait
tous leurs efforts pour faire sentir à la cour de Russie la
nécessité de maintenir la paix ; mais ils prévirent que la médiation
proposée par l'empereur , quoique bienveillante , ne
servirait qu'a jeter dans des longueurs que laFrance désirait.
Il n'était pas de l'intérêt de notre pays de rester dans un état
d'incertitude. :
La paix de 1801 , quoique satisfaisante , a pu ne pas
l'être pour la Russie , et je ne doute pas que l'empereur
Alexandre ne soit bien disposé à l'établir sur une base plus
solide , sans qu'il ait pour cela aucun désir d'augmenter sa
puissance. LaRussie , dans quelque occasion future , peut
renouveler son système au sujet de la navigation des neutres.
Je suis même assuré qu'aujourd'hui quelques individns
professent encore cette opinion. Je sais que quelques personnes
enRussie, voudraient qu'on revînt à cette neutralité
armée , rêvée sous undes règnes précédens', et par la vanité
de se trouver à la tête d'une grande confédération (5).
(5) Ainsi te ministère britannique conteste aux puissances du continent
jusqu'au droitde rester neutres.Ainsi les mers qui sont lemoyen
de communication entre tous les états , et qui couvrent les deux tiers du
globe, sont soumises à l'Angleterre et à ses règlemens. Elle ne respecte
rien: les simples négocians,comme les guerriers, sont faits prisonniers
par ses marins. Au moment où telle est savolonté , elle enlève les bâ
PRAIRIAL AN XI. 567
Maisje sais aussi que la grande majorité dans ce pays , est
convaincue que l'intérêt de la Russie, dans cette grande quetion
, est parfaitement d'accord avec celui de la Grande-
Bretagne. C la doit paraître évident à quiconque voudra
examiner la situation da la Russie. Elle n'a aucune marine
marchande , et même elle est presque dans l'impossibilité
den avoir une , puisque tout son commerce se fait par
les navires des autres nations. Il est vraisemblable que la
Grande Bretagne et la Russie prendroient l'engagement réciproque
d'opposer une barrière à l'ambition de la France.
Mais dans un tel espoir , il ne pourroit rien résulter de la
médiation qui ſût avantageux pour nous. S'il y avoit eu
quelque proposition de la Russie d'une manière officielle ,
faite avec précision , et ayant pour objet d'amener une
paix juste , honorable et durable , elle n'auroit pas été rejetée(
6).
Je suis prêt à admettre toutes les mesures qui tendent
au rétablissement de la paix, pourvu qu'elles ne puissent pas
paralyser les efforts de mon pays ; cependant comme la
motion de l'honorable membre pourroit donner à croire
que les ministres de S. M. n'ont pas été sincères dans leurs
déclarations pacifiques; et sur-tout , comme la motion
tend à détruire l'esprit public , et à faire concevoir des espérances
trompeuses , je crois qu'il vaut mieux l'écarter entièrement.
Je proposerai donc la question préalable , toutefois
en rendant justice aux principes généraux avancés par
le très-honorable membre (7) .
timens de commerce , elle dépouille et ruine les familles. Les puissances
barbaresques sont moins barbares; elles se sont engagées par
leurs traités envers les puissances , à ne courir sur les bâtimens du commerce
que trois mois après la guerre déclarée , et elles respectent leurs
engagemens .
(6) C'est-à-direque ce n'est point une médiationque voulait lord
Hawkesbury, mais un projet de coalition que l'empereur Alexandre
aurait envoyé signé en blanc pour une croisade contre la France. L'empereur
deRussie et les autres puissances du continent , savent très-hien
que si une seule d'entr'elles était insuffisante pour arrêter la marche de
Ja France , il n'en serait pas de même si deux étaient réunies. Mais
elles savent également que toutes les marines de l'Europe en masse suffiraient
à peine contre la marine anglaise ; et cependant les mers confinentàtous
les pays ! !
(7) C'est-à dire que lord Hawkesbury persiste dans son système;
qu'il ne veut de la médiation d'aucune puissance ; que le but de sa
politique étroite est de piller pendant six mois tout ce que les sujets
568 MERCURE DE FRANCE,
/
M. Fox donne quelques explications , et l'orateur pose
la question.
M. Pitt : Les observations que j'ai à faire ne seront
pas longues , d'autant plus que je partage parfaitement le
sentiment du très-honorable membre , sur les principes généraux
qu'il a établis touchant les alliances continentales;
j'ai entendu ces principes avec satisfaction , et ma satisfaction
a redoublé en les voyant approuvés par le noble lord
Hawskesbury. Ce sont ces principes qui ont élevé notre
pays au plus haut point de grandeur qu'on n'ait jamais
vu ; ce sont ces principes qui ont contribué en grande
partie aux libertés de l'Europe , et réprimé toute invasion
, de quelque côté que vint le danger. Ce n'est pas
contre la France seulement que ces principes sont dirigés ;
mais on ne peut s'empêcher de surveiller d'un oeil jaloux
cette puissance qui cherche à diminuer , affoiblir ou détruire
la richesse et l'indépendance de la Grande - Bretagne. Ces
principes , auxquels notre pays doit sa grandeur , me sont si
chers , que je ne puis consentir à y renoncer tant que je
pourrai espérer encore , des alliances continentales, quel.
qu'utilité pour nous dans les conjonctures présentes . C'est
cette considération qui m'a engagé à inviter la chambre à
ne pas perdre de vue le secours de l'étranger , et a fini par
me faire perdre la confiance de plusieurs de mes amis , qui
ne pouvoient partager mon opinion. Je me félicite de vor
aujourd'hui l'honorable membre ( M. Fox ) se ranger die
mon avis , et j'espère qu'il résultera quelque bien pour notre
pays , du principe qu'il n'y a point d'inconvénient à ce que
la Grande-Bretagne fasse des sacrifices pour des alliances
continentales (8) .
eu les flottes de S. M. britannique rencontreront sur les mers : ensuite
il fera jouer tous les ressorts de l'intrigue pour parvenir à une nouvelle
paix. Mais que lord Hawkesbury se souvienne bien de ceci ; cette
guerre de six mois ne se termineraitque par la restitution à notre commerce
de toutes les pirateries de l'Angleterre. Ces six mois une fois
écoulés, notre commerce n'aurait plus de pertes à éprouver, la Grande-
Bretagne plus de pillages à exercer; mais cemoment où nous n'aurions
plus rien à perdre , seroit celui où il n'y aurait aucune sorte de risques
etdepertes qu'elle n'eût à redouter .
(8) Quelle importante découverte ! les succès de la Grande-Bretagne
dans les dernières guerres ne furent-ils pas dus aux diversions opérées
par les armées de la coalition ! Certainement les alliances continen.
tales sont utiles à l'Angleterre ; mais il faudrait qu'elle se souvint de ce
principe si solennellement énoncé , non pas au commencement des
guerres ,mais lors des négocietions pour la paix qui les termine ; il
PRAIRIAL AN ΧΙ. 569
1
Ainsi , quelles que soient les dispositions de la cour de Pétersbourg
, en offrant sa médiation, les ministres doivent en
volontaire , dela part du gouvernement . Je me flatte que le
parlement britaunique saura toujours maintenir ses droits ;
mais aussi ne perdons pas de vue le maintien de la prérogative
de la couronne : n'oublions pas que le droit de faire la
paix ou la guerre fait partie de cette prérogative.
M. Fox a retiré sa motion pour une adresse à sa majesté ,
tendante à accepter la médiation de la Russie. Les ministres
restentlibresde se conduire à cet égard comme ils voudront .
3
Dans la séance du parlement d'Angleterre du 3 juin ,
la conduite des ministres a été attaquée dans la chambre
des pairs , par le comte Fitz -William. J'accuse les ministres
, dit-il , et je demande que leur conduite soit censurée
; je ne citerai point tel ou tel acte , je ne relèverai
point telle ou telle faute , je me plains de la conduite
générale des ministres ; ils n'ont pas assez veille aux intérêts
de ce pays , ils ont tenu trop long-temps le parlement
dans l'ignorance. Le comte de Lienmerick parle
en faveur des ministres ; ils ont été patiens , dit-il , autant
qu'il a été nécessaire ; ils ont gardé un silence prudent
lorsqu'il ne leur convenait pas d'ouvrir la bouche; enfin ,
ils se sont indignés et ont donné le signal de la guerre
lorsqu'ils s'y sont vus contraints par l'ambition du premier
consul. Quant à la médiation de la Russie , continuet-
il , qui ne s'aperçoit que la France n'a trouvé moyen
de la faire offrir que pour gagner du temps ? Lord
Danley ne trouve aux ministres qu'un seul tort , c'est de
n'avoir pas résisté au premier consul dès le principe.
Dans la chambre des communes , M. Patten a le premier
pris la parole contre la conduite des ministres ; il
les blâme de ce qu'ils n'ont point informé la chambre
de l'état où se trouvait ce pays depuis le traité définitif
faudrait qu'alors elle rapportât à la masse les conquêtes dues àla combinaison
des efforts communs; qu'elle fit tourner ses succès à l'avantage
de ses alliés moins heureux , et que d'équitables sacrifices fussent consacrés
par une juste compensation àréparer leurs pertes . Mais comment
faire entendre cette politique grande et généreuse à des marchands
! la politique anglaise a ouvert les yeux à l'Europe ,et il est
douteuxquede long-temps l'Angleterre serre les liens d'une alliance
continentale.
570 MERCURE DE FRANCE ,
jusqu'au message de S. M.; de ce qu'ils ont abusé le
public avec des espérances de paix , tandis qu'ils conviennent
qu'ils étaient à-peu-près certains qu'une guerre
nouvelle était inévitable. Le colonel Bastard fait part à
la chambre que plusieurs membres regrettent que des
personnes , douées des plus grands talens , ne fassent plus
partie de l'administration ; l'un d'eux particulièrement ,
dit le colonel , devait y rentrer ; mais il n'y est point
rentré en effet , parce qu'il a voulu se faire accompagner
par tous ses anciens amis. ( Un grand cri à l'ordre , à
l'ordre ! ) Je me trouve , continue l'honorable membre ,
entre deux partis opposés : l'un accuse les ministres d'être
trop audacieux , l'autre les accuse d'être trop timides
d'où je conclus que leur conduite est très-louable. Plusieurs
autres membres parlent encore les uns pour , les
autres contre les ministres ; le chancelier de l'échiquier
supplie la chambre de manifester clairement son opinion.
Lesministres continueront , dit-il , à remplir leur devoir,
et ils le rempliront avec zèle , si la chambre juge qu'ils
ne sont point à blamer. Il ne s'agit que de prononcer
oui ou non . Quant à lui , s'il est approuvé par la chambre
, il continuera à servir son souverain et son pays
avec loyauté , fidélité et constance ; s'il est blâmé par elle ,
il est prêt à se soumettre à sa décision et à se retirer.
M. Pitt dit que son devoir l'oblige de s'expliquer : qu'il
ne saurait pourtant le faire sans ressentir une peine extrême
, sur-tout d'après ce que vient de déclarer solennellement
le très-honorable gentleman (le chancelier de
l'échiquier ) . S'il était prêt à donner son opinion entière ,
il l'a donnerait , sans doute , conformément aux inspirations
de sa conscience ; s'il était persuadé , comme l'honorable
M. Grenville , et plusieurs autres membres qui ont
soutenu la motion , que le premier et le plus important
pas à faire pour le salut public , était de jeter un regard
en arrière sur la conduite des ministres ; s'il pensait qu'un
tel regard prouvât leur inhabileté complète , leur mauvaise
conduite et même leur conduite criminelle , il se
joindrait à ceux qui demandent une adresse de la chambre
pour obtenir leur renvoi : il le ferait avec une extrême répugnance
, et malgré ses affections personnelles. Mais il
n'est pas de ce sentiment. Il croit que la conduite des ministres
mérite quelques reproches , et que sur certains
points , elle est inexcusable. Il croit en même temps qu'il
ne faut recourir qu'à la dernière extrémité à ce moyen
,
PRAIRIAL AN XL 571
violent d'une adresse à S. M. , pour obtenir le renvoi des
ministres. Il ne faut donc pas prononcer sur la motion , il
faut la mettre de côté. Il importe de donner à S. M. des
preuves réelles de zèle , il ne faut pas perdre une
heure pour repousser le danger. Un bill de subside est ce
quidoit fixer l'attention de la chambre. En conséquence ,
il demande que l'on passe à l'ordre du jour.
Lord Hawkesbury dit qu'il n'a jamais eu le coeur aussi
serré qu'en ce moment ; je ne saurais , dit-il , accepter l'espèce
de transaction que nous offre monhonorable ami. IL
est nécessaire de statuer sur la motion. Je supplie la chambre
de prononcer.
Divers autresmembresprennent laparole pour et contre.
On va aux voix , d'abord sur la motion de M. Pitt. Pour
l'ordre du jour 56 voix ; contre 333. Sur la motion première
, pour , 34 voix; contre , 275 .
M. Tierney n'entre pas seul dans l'administration , lord
Moira, M. Grey et M. Sheridan, vont incessammenty occuper
des places. M. Fox les suivra sans doute bientôt.
Onassure qu'il est question de faire M. Sheridan , ministre
de la guerre.
( Journal Officiel. )
PARIS.
EdouardMortier, lieutenant-général, commandant en chef, au
ministre de la guerre. -Au quartier-général à Niewboug ,
le 15prairial an 11 .
CITOYEN MINISTRE ,
J'ai eu l'honneur de vous rendre compte, par ma lettredu 8prairial,
de la marche de l'armée française sur le pays d'Hanovre . Après des
marches excessivement fatigantes au travers des sables arides et des
bruyères marécageuses , j'ai pris position le 11 en avant de Wechte.
Je m'étais assuré que l'ennemi gardait la ligne de la Hunte. Le général
Hammerstein, commandant l'avant-garde de l'armée du roi d'Angleterre,
occupaitDiepholz avec les 2. et6. régimensd'infanterie, deux
régimens de cavalerie et une division d'artillerie. Je fis mes dispositions
pour l'en débusquer le lendemain matin. La 2ª division commandéepar
le général Schiner , celle de cavalerie aux ordres du général
Nansouty , reçurent l'ordre de se porter sur Goldenstadt , de forcer le
passage de la Hunte , et de se diriger sur Suhlingen pour couper tout
cequi pourrait se trouver entre cet endroit et Diepholz que la division
du général Montrichard avait ordre d'attaquer de vive force. L'ennemi
voyant que par ce mouvement il était tourné par sa droite , se
retira pendant la nuit sur Borsten.
Le 12 , l'avant-garde commandée par le général Drouet eut une es-
1
572 MERCURE DE FRANCE ,
carmouche très-vive , enavant de Bauver, avec l'arrière-garde ennemic.
Le 13 , le corps d'armée se réunit en avant de Suhlingen ; l'avantgarde
se porta à Borsten ; elle y rencontra l'ennemi , et malgré la supériorité
du nombre , et l'extrême fatigue de la troupe qui avait fait
de jour-là douze lieues , le général Drouet donna l'ordre d'attaquer .
L'ennemi fit une vive canonnade. Quelques escadrons du 2. régiment
de hussards chargèrent avec valeur les dragons légers du 9. régiment .
Us rompirent la ligne de ce corps qu'ils mirent en déroute , et firent
plusieurs prisonniers.
J'étais instruit par mes espions que la tête du pont de Niewbourg
était réparée , et que l'ennemi avait réuni toute son artillerie sur la rive
droite on Weser. Je sentis combien il était important de précipiter
mon mouvement . Je fis marcher ma réserve d'artillerie , et je ſis toutes -
mes dispositions pour pousser et culbuter dans le Weser tout ce qui
était devant moi, forcer la tête du pont de Niewbourg , ou passer au
bac de Stolzrau , et intercepter par - là la communication avec la
capitale.
Les troupes étaient en marche lorsque les députés civils et militaires
de la régence d'Hanovre se présentèrent à mes avant-póstes ; ils miuvifèrent
à suspendre ma marche et m'annoncèrent qu'ils étaient prêts à
faire des propositions avantageuses .
Ma réponse fut négative ; ils revinrent me faire de nouvelles propositions;
je leur fis connaitre que je n'en entendrais aucune , à moins
que je n'eusse la certitude d'occuper de suite le pays d'Hanovre , et spécialement
toutes les places fortes qui en dépendent. Après une discussion
assez longue , ils signèrent un convention que j'acceptai sous la
condition qu'elle serait ratiiée par les gouvernemens respectifs . Vous
y verrez que l'arinée du roi d'Angleterre est prisonnière de guerre ;
queje suis maître de tout le pays , et particulièrement des embouchures
de l'Elbe et du Wese r .
Je donne les ordres pour qu'on s'empare de tous les bâtimens qui
sont sur ces fleuves. Le due de Cambridge , fils du roi d'Angleterre et
gouverneur du Hanovre , a jugé à propos de donner sa démis- ion avant
la bataille et de faire sa retraite en poste. Il avait cependant promis de
mourir avec la levée en masse ; il est probable qu'il se sera embarqué
avant que nous arrivions à l'embouchure de l'Elbe.
Nous avons trouvé à Niewbourg 14 mille fusils neufs et beaucoup
d'artillerie. D'après les comptes qui me sont rendus , je présume que
je trouverai dans les magasins et dans les places d'Hanovre environ cent
mille fusils et plus de mille bouches à feu .
Je serai après demain dans la ville d'Hanovre, capitale continentale
du roi d'Angleterre. J'ai trouvé une quantité considérable de chevaux
pour remonter la cavalerie et les équipages d'artillerie.
J'ai beaucoup à me louer des soins et du zéle du général Dułauloy.
J'ai l'honneur de vous saluer .
EDOUARD MORTIER
Convention passée entre messieurs les deputés civils et militaires
de la régence d'Hanovre et le lieutenant-général Mortier ,
commandant en chefl'armée francaise.
Art. Ier . Le Hanovre sera occupé par l'armée française , ainsi que
les forts qui en dépendent.
II . Les troupes hanovriennes se retireront derrière l'Elbe; elles s'engageront
sur parole d'honneur à ne commettre aucune hostilité , et à
ne porter les armes contre l'armée française et ses alliés , aussi longPRAIRIAL
AN XI 573
=
temps que durera la guerre entre la France et l'Angleterre . Elles ne
seront relevées de ce serment qu'après avoir été échangées contre au
tant d'officiers-généraux , officiers , sous-officiers , soldats ou matelots
français que pourrait avoir à sa disposition l'Angleterre .
III . Aucun individu des troupes hanovriennes ne pourra quitter
l'emplacement qui lui est désigné , sans que le général-commandant
en chef en soit prévenu .
IV. L'arinée hanovrienne se retira avec les honneurs de la guerre ;
les régimens emmeneront avec eux leurs pièce de campagne.
V. L'artillerie , les poudres , les armes et munitions de toute es
pèce seront mises à la disposition de l'armée française.
VI. Tous les effets quelconques appartenans au roi d'Angleterre ,
seront mis à la disposition de l'armée française..
VII. Le séquestre sera mis sur toutes les caisses; celle de l'université
conservera se destination .
VIII. Tout militaire anglais ou agent quelconque à la solde de
l'Angleterre , sera arrêté par les ordres du général- commandant en
chef, et envoyé en France. i
IX. Le général - commandant en chefse réserve de faire dans le
gouvernementet les autorités constituées par l'électeur , tel changement
qu'il jugera convenable.
X. Toute la cavalerie française sera remontée aux frais de l'Hanovre
; l'électorat pourvoira également à la solde , à l'habillement et à
lanouriture de l'armée française .
XI. Le culte des différentes religions sera maintenu sur le pied ac
tuellement établi .
XII. Toutes les personnes , toutes les propriétés et les familles des
officiers honovriens seront sous la sauve-garde de la loyauté française .
XIII. Tous les revenus du pays , tant des domaines électoraux que
des contributions publiques , seront à la disposition du gouvernement
français. Les engagemens pris jusqu'ici , seront respectés .
XIV. Le gouvernement actnel de l'électorat s'abstiendra de toute
espèce d'autorité dans tout le pays occupé par les troupes françaises .
XV. Le général commandant en chefprélevera sur l'élect rat deHanovre,
telle contribution qu'il croira nécessaire aux besoins de l'armée .
XVI . Tout article sur lequel il pourrait s'élever des doutes , sera in
terprété favorablement aux habitans de l'électorat .
XVII. Les articles précédens ne porteront pas préjudice aux stipulations
qui pourraient être arrêtées en faveur de l'électorat , entre le
PREMIER CONSUL et quelques puissance médiatrice.
:
Auquartier-général de Suhlingen, le 14prairialan 11.(3juin 1803) .
Saufl'approbationdu PREMIER CONSUL.
14
Le lieutenant-général commandant en chef.11
ED. MORTIER .
F. DE BREMER ,juge de la courélectorale de justice et conseillerprovincial.
G. DE BOCH , lieutenant- colonel commandant le régiment des
gardes-du-corps électoral.
:
S. M.le rai de Toscane est mort des suites de la maladiedont
il étoit tourmenté depuis plusieurs années. La reine
a été déclarée régente. (Journal officiell )
574 MERCURE DE FRANCE ,
La lettre circulaire ci-après a été écrite , par le premier
consul , aux cardinaux , archevêques et évêques de France.
<<Monsieur , les motifs de la présente guerre sont connus
de toute l'Europe. La mauvaise foi du roi d'Angleterre ,
qui a violé la sainteté des traités en refusant de restituer
Malte à l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem , qui a fait
attaquer nos bâtimens de commerce sans déclaration préalable
de guerre, la nécessité d'une juste défense , tout nous
oblige de recourir aux armes. Je vous fais donc cette
lettre pour vous dire que je souhaite que vous ordonniez
des prières pour attirer la bénédiction du ciel sur nos
entreprises. Les marques que j'ai reçues de votre zèle
pour le service de l'état , m'assurent que vous vous conformerez
avec plaisir à mes intentions. >>>
Ecrit à Saint-Cloud , le 18 prairial an 11 .
Signé , BONAPARTE.
Avis aux Abonnés au Bulletin de Paris.
M. de Montlosier a l'honneur de prévenir les
abonnés au Bulletin de Paris , qu'en raison de
circonstances aussi imprévues pour lui qu'impérieuses
, il a dù prendre des arrangemens pour
transporter au Mercure de France une partie du
travail qu'il fournissait au Bulletin de Paris. En
conséquence , les abonnés à ce dernier journal
recevront désormais le Mercure de France , pour
satisfaire à leur abonnement. Ceux d'entr'eux à
qui cet arrangement pourrait ne pas cconvenir,
peuvent se présenter chez M. Demonville , à son
imprimerie , rue Christine , nº. 12; ils seront remboursés
, sur leur quittance , de tout ce qui pourra
leur être dû.
Acompter de Samedi prochain , M. de Montlosier
est chargé, dans le Mercure de France , de
la partie politique : les articles qu'il pourrait fournir
dans les parties de science et de littérature
seront signés de lui.
,
1
(No. CIII .) 29 PRAIRIAL an II .
( Samedi 18 Juin 1803. )
MERCURE
DE FRANCE.
LITTÉRATURE.
:
POÉSIE.
FRAGMENT
Du 13. Chant d'une Traduction de l'ORLANDO FURIOSO.
Isabelle captive dans une cavernee, raconte ses aventures
à Roland.
J A I dix-sept ans , monnom est Isabelle ;
J'étais enfant du roi de Compostelle :
J'ai dit j'étais , car depuis mon malheur ,
Je ne suis plus qu'enfant de la douleur.
L'amour fit tout : quand ce dieu nous caresse ,
C'est pour cacher les panneaux qu'il nous dresse .
Ah! que ses noeuds sont doux en commençant !
REP.FRA
5.1
22
Qu'ils sont cruels , seigneur , en finissant !
Las! de mon sort je vivais satisfaite ,
Belle , dit-on , puissante , riche , honnête ;
Pauvre aujourd'hui , sans amis , sans états ,
Le chagrin seul ne m'abandonne pas.
12 00
576 MERCURE DE FRANCE ,
1
De ce chagrin vous saurez l'origine ,
Et d'où naquit la douleur qui me mine :
Je n'attends plus d'appui dans mes malheurs ;
Mais c'est beaucoup que d'obtenir des pleurs.
Un an en çà , dans les murs de Bayonne ,
En mon honneur il se fit un tournois ..
Maint chevalier y brigua la couronne :
Zerbin y fut ; je le vis une fois .
Enfant d'Ecosse , héritier de ce trône ;
Soit qu'il brillât par sa seule personne ,
Soit que pour lui quelqu'amour me prévînt ,
Je ne pus voir ni louer que Zerbin.
Mais quand il m'eut , par sa rare vaillance ,
Fait palpiter de plaisir et d'effroi
L'amour alors me trouva sans défense ;
Mon coeur parla , mon devoir fit silence :
Je fus à lui ; je n'étais plus à moi.
,
Je m'applaudis encor lorsque j'y pense ;
Et quoiqu'amour ait troublé mon destin ,
Je lui pardonne , il m'a donné Zerbin.
Zerbin était si beau , si magnanime !
Il surpassait si bien tous ses rivaux !
Il me montrait un feu si légitime !
Ils sont si doux les soupirs d'un héros !
Nos yeux parlaient pour nos bouches muettes :
Ce qu'ils taisaient nos mains se l'écrivaient ;
Et lui parti , tous deux sans interprètes ,
Bien qu'éloignés , nos coeurs se retrouvaient ;
Car il partit. La fête terminée ,
On vit en mer son escadre ramer .
Or , si savez ce que c'est que d'aimer ,
Savez aussi que restai chagrinée ,
Toujours pensant et ne pensant qu'à lui ;
Et mon Zerbin suivant sa destinée ,
PRAIRIAL AN XI. 577
Pensant à moi , sentait le même ennui :
L'amour enfin lui prêta son appui.
Zerbin n'aurait , né dans la foi chrétienne,
Pu m'obtenir d'un père musulman ;
Mais à l'amour qu'importe l'Alcoran !
Moi , je n'avais d'autre foi que la sienné
Et je quittai mon Dieu pour mon amantan
Près de la ville ,aux bords de l'Océano
Un mien palais dominait à la ronde ,
Les monts voisins et les plaines de l'ondes
Pour notre fuite il était bien placé.
Mais mon héros , d'un saint devoir préssé ,
Près du roi Charlé assiégé dans Lutèce , A
D'un père âgé remplaçant la vieillesse ,
Auprès de moi fut aussi remplacé
Par Odoric , ami de sa jeunesse ,
1
A
romif
1
Vaillant , expert , et qu'il se crut acquis , me ol
Si les bienfaits acquéraient des amis..
1.
1
29110 200 1
Le jour venu , ce jour si plein d'alarmes ,
Et que pourtant je trouvais plein de charmes ,
Je descendis le soir dans mon jardin ,
L'oreille au guet ; et mon fier paladin
Aux flots voisins confiant sa galère ,
Suivi des siens , marchant avec mystère ,
A la faveur des ombres de la nuit
Franchit les murs , et s'approcha sans bruit.
A son aspect , mon escorte débile ,
Vieux courtisans , sages dames d'honneur ,
Fit éclater un courage inutile ,
٤٠٠٠٠
Et se battit , mais sans être vainqueur ,
Puisque j'étais du parti du voleur.
Ainsi , seigneur , je quittai ma patric:
;
٠١٤
:
7
002
578 MERCURE DE FRANCE ,
Beaux lieux ! témoins du bonheur de ma vie ,
Je vous quittais pour chercher le bonheur.
On rame , on part , le bord fuit , la nefvole.
De l'Océan nous sillonnions le dos ,
Quand le Mistral , l'aîné des fils d'Eole ,
Vint de Neptune attaquer le repos.
Il gronde , il siffle , il croît : notre équipage
Pompait en vain , en vain poussait des cris ,
Coupait ses mâts ; et déjà de l'Aunis
Les rocs voisins nous montraient le naufrage.
Mon conducteur ,qui connaît le danger ,
Du haut du pont jette un canot léger ,
M'y fait descendre , y descend à ma suite ,
Et rame aidé de deux guerriers d'élite ;
Dieu nous sauva ; tous le reste périt.
Les mains au ciel , attendrie , éperdue ,
Je bénissais ce ciel qui me punit :
Pour mon Zerbin il m'avait défendue.
Tous mes trésors laissés au bâtiment ,
Avec nos gens descendirent dans l'onde ,
Et plus n'avais aucun bien dans le monde ,
Fors que le bien de revoir mon amant.
Des pas humains cette plage ignorée
N'offrait au loin qu'un roc silencieux ,
Qui présentait , sauvage et nébuleux ,
Ses pieds aux flots et son front à Borée.
Là, je connus cet enfant déloyal ,
Qui , quand il veut , fait d'une égale adresse.
Rire le deuil et pleurer l'allégresse :
Il a changé mon espoir en tristesse ,
Ma joie en pleurs , et tous mes biens enmal;
Dans son ami , Zerbin eut un rival , etc.
PRAIRIAL AN XI. 579
ENIGME.
Je suis affectueux , sincère ,
Cher aux amis , cher aux amours ,
Heureux , si tel on me voyait toujours !
Mais quelquefois aussi je suis vain , dur , colère ,
Impérieux , méprisant et brutal.
Mon frère , ou plutôt mon rival ,
Est d'un tout autre caractère :
Il est froid , réservé , civil et complaisant ;
C'est un flatteur insinuant :
Aussi , près d'un monarque il est seul enusage.
Je suis plus élevé , plus sublime pourtant :
Aussi ,quand un auteur , dans un pompeux ouvrage ,
Apostrophe le Tout-Puissant ,
Un prince , un grand héros , un grand poète , un sage ,
Mon frère , au prix de moi , serait froid et rampant.
Dans un instant d'emportement ,
On le quitte pour moi , même assez brusquement.
Mais , lorsque l'on commence à calmer sa furie ,
Ou qu'on veut concentrer tout son ressentiment ,
On me quitte pour lui , mais pas si promptement.
Pendant le temps de crime et d'anarchie ,
Je m'étais perverti , gâté ;
Et mon rival , par- tout persécuté ,
S'est presque vu contraint de quitter la partie :
Enfin , de nous trouver êtes-vous curieux ?
Eh bien ! voici ce qu'il faut faire :
Feuilletez à loisir les tomes de Voltaire ;
Il nous a célébré tous deux.
Par un Abonné.
003
580 MERCURE DE FRANCE ;
(
LOGOGRYPΗ Ε .
Le plaisant animal ! comment se peut-il faire
Qu'en lui coupant la queue , il devienne sa mère ,
Et qu'entier il ait moins de piés
Qu'une seule de ses moitiés ?
Entier , nous le mangeons ; mais , o prodige étrange !
Réduit à sa moitié , ce coquin-là nous mange !
Par M. BUSSIÈRES , jeune .
CHARADE.
HABITANT des forêts , qu'anime sa présence ,
Fier , orgueilleux , léger comme le vent ,
Triste jouet de la puissance ,
Mon premier quelquefois sert aux plaisirs des grands ,
Et rarement échappe à leur perfide adresse.
Mon dernier , qu'on dirige avec dextérité ,
Va de l'amant à la maîtresse ,
Et bien souvent , dans sa légèreté ,
Est un tableau de l'infidélité ,
Qui cependant amuse la jeunesse .
Mais mon tout , plus audacieux ,
Plus vif en sa course légère ,
S'en va presque toucher les cieux ,
Sans se séparer de la terre.
Par M. LE Roux .
Mots de l'Enigme , du Logogriphe et de la
Charade insérés dans le dernier Numéro.
Le mot de l'Enigme est la Terra.
:
Celui du Logogryphe est ressort , où l'on trouve essor,
trésor , or , tort , sort et sot.
Le mot de la Charade est Gui- tare.
PRAIRIAL AN XI. 581
FRAGMENT D'UN OUVRAGE SUR LE BONHEUR .
J
Etre avec un autre , second élément
du Bonheur.
,
,
E suppose le lecteur dans les plus belles contrées
de la terre , soit sur les bords d'un beau fleuve
soit au milieu de ces forêts éternellement vertes
dont les arbres enchaînés l'un à l'autre par des
cordons de liane , offrent aux regards tout ce qui
se peut concevoir de plus magnifique . Je suppose
auprès de lui les parfums de l'Orient , les fleurs
les plus suaves , les mets les plus exquis , les fruits
les plus succulens : se trouvera-t-il heureux dans
cette situation ?
Faire sa volonté est certainement pour l'homme
son premier attrait ; il exerce par ce moyen toutes
ses facultés , il développe tous ses talens , il semble
jouir de toute son existence ; mais bientôt il s'aperçoit
qu'il lui faut quelque chose de plus. Va
soli , disent les écritures . Etre seul est un malheur
dont l'imagination ne peut supporter l'idée. Ce
n'est qu'aux portes de l'enfer qu'on a pu écrire ,
lasciate ogni speranza. L'homme qu'on enferme
dans un cachot , y entre avec ses espérances , il y
vit avec ses souvenirs : isolez -le entièrement , il
mourra ; les ténèbres sont effrayantes , parce
qu'elles nous isolent : l'homme viril a peine à les
supporter , l'enfant plus foible en est accablé.
Les animaux craignent , ainsi que l'homme ,
cet état d'isolement; le cheval hennit dès qu'on les
sépare du compagnon qu'on lui a donné; le chien
qui a perdu son maître, gémit comme l'agneau
qui a perdu sa mère ; le lion gémit de même et
004
582 MERCURE DE FRANCE ,
succombe s'il vient à perdre l'ami qu'il s'était fait
dans sa captivité.
De grands philosophes n'ont vu que des préjugés
dans tous ces effets ; les liens du sang , ceux
de l'amour et de l'amitié n'ont été regardés par
eux que comme les illusions des âmes tendres .
Ah ! ces liens ont leurs attaches aux principes
mêmes de la vie. Dans les temps ordinaires , l'oiseau
surpris par l'oiseleur peut s'accoutumer à
la captivité ; il meurt si c'est dans la saison des
amours . Considérez cette mère éplorée au moment
où elle vient de perdre son fils ; observez ,
si vous le pouvez , le déchirement que cause dans
ses entrailles cette rouvelle et terrible séparation .
On n'a pas mieux raisonné sur le sentiment
qui porte le noir , acheté en Afrique , à se donner
la mort ; on l'a attribué à l'horreur de la servitude
: qui ne sait que la servitude est un état familier
à ces hommes ! L'incertitude de sa destinée ,
sa séparation de tout ce qui lui était cher , voilà
ce qui porte le nègre au désespoir et au suicide ;
Ja première douleur vient -elle à s'émousser , la vie
rentre dans son coeur avec l'espérance ; établi ensuite
dans sa case avec une femme et des enfans ,
il s'accommode à sa condition , et il est heureux .
Qui de nous n'a pu observer de ces villageois
qu'une certaine bienfaisance a cru combler de
bonheur en les faisant entrer au service d'une
maison opulente ! Au milieu de cette magnificence
inaccoutumée , souvent l'ennui les gagne , un dégoût
invincible les saisit ; loin d'un père , d'une
mère , d'une soeur qu'ils chérissaient , leur condition
leur paraît insupportable , ils redemandent
la misère qu'on leur a fait abandonner ; et bientôt
on les voit déposer leurs riches vêtemens , pour
aller recommencer , avec des haillons , la carrière
de leurs travaux et de leurs peines. Que de préPRAIRIAL
ANXI. 583
1
1
1
cautions n'a-t-il pas fallu prendre autrefois pour
écarter des Suisses expatriés les accens de ce chant
rustique auquel ils avaient été accoutumés dès leur
enfance , et qui leur rappelaient leurs parens ,
leurs foyers , leurs montagnes ! On sait de quel
transport fut saisi un jeune Otaïtien lorsqu'il
aperçut au Jardin du Roi un arbre de son pays.
Les législateurs me paraissent bien plus savans
à cet égard que les philosophes ; la force du sentiment
que je décris ne leur a point échappé ,
on voit qu'elle a été calculée dans toutes les institutions
. L'excommunication chez les premiers
Chrétiens a été une peine décernée par la religion ;
chez les Germains , la même peine a été décernée
par l'honneur ; chez tous les peuples , l'exil et
l'emprisonnement sont des excommunications prononcées
par la loi . Il en est de même de l'homme
en état de démence , il ne souffre pas; l'effroi que
cause sa situation ne provient que de l'espèce d'excommunication
qui en est la suite. En effet ,
l'homme en démence n'entend plus ses semblables
, il ne peut recevoir leurs affections et les
rendre ; il n'a ni mémoire , ni espérance , il ne
connoît ni passé , ni avenir.
Cette simple observation manifeste une grande
vérité : c'est qu'il ne suifit pas d'être parmi les
hommes pour être avec eux : on peut être seul
auprès d'une personne , de deux , de trois , de
mille. Transporté au milieu des rues de Pékin ou
d'Ispahan , un Européen pourra y considérer tant
qu'il voudra cette foule d'individus , de moeurs , de
conditions et de costumes différens ; il se trouvera
presque aussi isolé que s'il étoit tombé au fond
de la mer , et qu'il eût reçu la faculté d'y apercevoir
les êtres nombreux qui en parcourent les
espaces.
D'un côté , cet état d'isolement où se trouve
584 MERCURE DE FRANCE ,
tout individu hors de son pays , cause une douleur
qui mène souvent à la mort , sous le nom de
mal dupays ; de l'autre , il donne lieu à un sentiment
particulier de pitié , connu sous le nom
d'hospitalité. Cette vertu , négligée parmi les nations
civilisées , est sacrée pour tous les peuples
qui appartiennent aux premiers temps de la nature.
Un homme séparé de sa femme , de ses
enfans, de son pays , présente l'idée d'une si grande
infortune , que tout le monde est ému de compassion
à sa vue ; le Sauvage qui boit dans le crâne
de son ennemi , et qui a mangé sa chair , est touché
du malheur d'un étranger; il le recevra chez
lui avec transport.
Le même effet peut s'observer dans ce qu'on
appelle communément société. Vous êtes avec
votre ami ; vous lui parlez de choses qui vous intéressent
: un homme avec qui vous êtes moins lié
survient , puis un second, puis un troisième. La
conversation languit en proportion que la confiance
se retire ; et vous êtes d'autant plus seul ,
qu'il est venu plus de personnes s'interposer entre
vous et votre ami. Combien de fois on se trouve
ainsi isolé au milieu de ces êtres indifférens , qui
s'entassent chaque jour les uns auprès des autres ,
et qui s'appellent pompeusement le monde ! Ah !
si , dans cette foule étrangère , il se présente par
hasard un ami qui vous protège de sa parole , qui
vous appuie de son affection , ne vous semblera-t-il
pas que vous avez reçu une sorte d'hospitalité ?
Etre avec un autre est donc aussi un élément
essentiel du bonheur. Il faut que l'homme s'unisse
à ses semblables , pour sa nourriture et pour sa
défense. Il lui faut des associés pour ses plaisirs. Il
lui en faut pour se construire des remparts commodes
contre l'inclémence des saisons. Il lui faut
encore une compagne qui entre dans son coeur ,
PRAIRIAL AN XI 585
et qui se mêle en quelque sorte à son sang et à
sa vie. Les expéditions de la chasse et les expéditions
de la guerre, la culture des champs et celle
des jardins , la construction des maisons et celle
des vêtemens , les intérêts de la propriété , ceux
de la famille , les délices de l'amitié , les voluptés
de l'amour , tout entraîne l'homme à l'union et à la
société. De cette source se produisent , sous plusieurs
rapports , les mouvemens de son coeur , ceux
de son esprit , ceux de ses organes. Son esprit peut
s'élever très-haut ; mais il a besoin de l'esprit des
autres. Son coeur est susceptible de grands mouvemens
; mais son enthousiasme veut se nourrir de
tous les autres enthousiasmes. Ses organes sont
susceptibles des chefs-d'oeuvres de l'art ; mais ils ne
peuvent vaincre, que par le nombre et le concert ,
fes obstacles immenses que leur opposent les objets
matériels .
Différentes manières d'être avec un autre.
J'ai dit , dans le chapitre précédent , qu'on peut
être seul au milieu du monde. Etre auprès n'est
pas la même chose qu'être avec. La présence et la
co existence ont ainsi des caractères différens . Ce
qui fait qu'il ya dans la nature desjuxta positions
de corps brutes sans adhérence , fait qu'il y a dans
le monde des rassemblemens d'hoinmes sansunion.
L'union elle-même est susceptible de beaucoup
de variétés . L'Evangile dit qu'une femme quittera
son père et sa mère , pour suivre son époux. C'est
que la co-existence de mari et de femme est plus
forte que celle de mère et de fille. Un mari et sa
femme , un père et sa fille , un frère et sa soeur ,
un parent , un serviteur , un associé , nous représentent
, dans les attachemens humains , une échelle
qui semble correspondre à celle des affinités chi
586 MERCURE DE FRANCE ,
miques. Ces nuances semblent , d'un autre côté,
parallèles à celles de la pudeur. Une femme en a
moins avec son mari : elle en a davantage avec son
père ou son frère. Dans certains pays elle embrasse
son parent ; dans d'autres , un étranger ne peut ,
sans l'offenser , ni la regarder , ni lui toucher la
main.
L'orgueil n'est pas moins délicat sur ce point
que la pudeur. Toucher la main à un autre homme ,
suppose une sorte de familiarité. L'orgueil ne s'offense
pas seulement du contact, il redoute la présence.
Tout le monde sait que l'élévation de la
naissance, ainsi que celle du pouvoir, aiment à tenir
à une certaine distance le commun des hommes.
Dans les premiers temps de Rome , un patricien
ne pouvait épouser une plébéïenne. Le même usage
fut long-temps admis chez les Visigoths . Dans les
moeurs des Européens , il est convenu qu'unhomme
d'un rang élevé ne mange , ni s'allie , ni s'établit
en familiarité avec des individus d'un rang subalterne.
Dans l'Orient , les précautions en ce genre
sont poussées à l'extrême. Le regard d'une femme
ne doit point rencontrer le regard d'un homme.
Quedis-je ! un brame et un naïre allant à la pagode,
se croiraient souillés par la rencontre d'un homme
d'une caste inférieure.
C'est ainsi que se trouvent dans la différence
des rangs, des dispositions qui semblent propres
à la différence des affections. Les êtres qui se
haïssent , s'efforcent autant qu'ils peuvent de n'être
pas les uns auprès des autres. Le contact seul de
notre ennemi , ou de quelque chose de lui , nous
est odieux. Les amis cherchent , au contraire , le
plus qu'ils peuvent à se rapprocher. Il y a du bonheur
à être près de son ami , ou à posséder quelque
chose de lui . La présence a ainsi un effet qui tend
à former ou à cimenter l'union. L'absence, au conPRAIRIAL
AN XI. 587
1
1
1
1
1
1
1
traire , amène peu -à-peu l'oubli et la séparation
totale. Tel est l'empire de l'habitude. L'instinct du
coeur ne se trompe pas à cet égard. Est- on absent
de ce qu'on aime ? on repousse la présence de tout
ce qui est indifférent. Dans l'éloignement d'un être
chéri, ce n'est pas la société qui vous console , c'est
la solitude. Le deuil est le premier bien de la douleur.
Oh ! combien ils vous font de mal, ceux dont
l'imprudente amitié s'efforce de vous arracher prématurément
à votre tristesse !
L'isolement que j'ai décrit dans le chapitre précédent
, comme le comble de l'infortune , peut
donc, en certains cas , devenir un moyen de bonheur
; mais alors c'est en nous faisant exister davantage
avec ce que nous chérissons. D'un côté , on
peut être seul au milieu du monde ; de l'autre , on
peut être en société dans une profonde solitude.
Nous ne sommes pas seuls au moment où nos pensées
nous rappellent les personnes que nous aimons.
Si nos voeux s'attachent fortement à leurs destinées
; s'ils les accompagnent dans leurs actions ,
dans leurs désirs , dans leurs projets , nous sommes
réellement avec elles. Tel est l'homme qu'on dit
amoureux à la folie. Il ne fait cette impression sur
ceux qui l'observent , que parce qu'il aime à s'isoler.
Il a peur de n'être pas assez avec sa maîtresse ,
si quelqu'autre chose l'occupe , ou veut être avec
lui.
Toutes nos passions, à mesure qu'elles prennent
un grand caractère, ont pour premier effet de nous
isoler . L'anachorète recherche , comme l'amant ,
les lieux solitaires et le silence de la nuit. L'écriture
dit : Je le conduirai dans la solitude , et là
jeparleraià son coeur(1 ). On ne sait aujourd'hui
(1) Ducam eum in solitudinem ethic loquarad cor ejus.
1
588 MERCURE DE FRANCE ,
ce que veulent dire ces expressions : Dieu soit AVEC
vous.... Je suis AVEC vous tous lesjours jusqu'à la
consommation des siècles. ÊTRE AVEC DIEU , semble
n'avoir plus aucun sens, même pour nos dévots.
Il faut être familiarisé avec l'antiquité ascétique
pour avoir une idée de cet état d'extase : félicité
pure et céleste , pour laquelle les brachmanes de
l'Inde , les mages de Perse , les gymnosophistes
d'Ethiopie, les thérapeutes d'Alexandrie , les pythagoriciens
, certaines branches de stoïciens et de platoniciens
, les religieux du Mont - Carmel et du
Mont- Cassin , ceux de Citeaux et de la Thébaïde ,
firent autrefois de si grands et de si douloureux
sacrifices.
Les autres passions ont le même caractère. L'am
bitieux veut être sans cesse avec l'objet de son
ambition ; l'homme haineux avec celui de sa colère.
L'exemple connu d'Archimède , prouve que
le philosophe lui- même peut vivre avec l'objet de
ses méditations , de manière à se trouver étranger
au reste du monde.
Si ces observations sont justes , il s'ensuit qu'on
est avec un autre plus ou moins , suivant le degré
d'attrait qui meut , l'espèce de lien qui attache , ou
le caractère même des communications. L'homme
léger veut être peu avec beaucoup de monde.
L'homme sensible veut être beaucoup avec peu
de personnes. La co-existence peut être entière ,
comme entre deux amis , lorsque tous leurs sentimens
sont confondus : ce qui est rare ; elle est plus
complète entre deux époux dont le sang et la vie
même sont unis. Elle ne l'est pas moins entre un
enfant et les auteurs de ses jours. Ce n'est pas seulement
lorsqu'un enfant est dans le sein de samère,
qu'il participe à sa vie ; produit hors de son sein ,
il ne cesse d'être avec elle; elle ne cesse d'être avec
lui. La co-existence peut devenir telle , qu'elle
PRAIRIAL AN XI. 589
!
triomphe de l'éloignement et de l'absence. Le miracle
des sympathies franchit quelquefois des distances
considérables. L'union vive des sens , l'union
plus calme des parens et de leurs enfans , celle des
frères , et sur-tout des frères gémeaux , en offrent
des exemples.
Les co-existneces de religion, de gouvernement
et de patrie; les co-existences d'opinion et de sectes
, de moeurs et de lumières , de plaisir et de
goût , d'intérêt et d'affaires ; tout ce qui peut unir
Ies coeurs par quelque côté de craintes ou d'espérance
, compose autant de différentes manières
d'être ensemble. Quand ces co-existences sont
d'accord entr'elles , nous sommes en paix avec
nous-mêmes et avec nos semblables . Viennentelles
à être en opposition ? notre vie se trouve
dans un état de crise.
Le choix d'Albe et de Rome otent toute douceur
Aux noms jadis si doux de beau-frère et de scoeur .
..
Albe vous a nommé , je ne vous connais plus .
Le sentiment de patrie peut se trouver ainsi aux
prises avec le sentiment de famille ; le sentiment
d'intérêt avec celui d'amitié , celui de religion avec
les uns et les autres. Les co-existences d'opinions ,
de plaisirs et de goût n'étant que partielles , leurs
oppositions sembleraient devoir causer moins de
déchirement ; mais elles ne se montrent que trop
souvent avec les bannières du fanatisme. Les plus
petits intérêts , quand ils s'exaltent , peuvent troubler
les familles et les empires.
Tels sont , parmi les hommes , les différentes
manières d'être ensemble. Quand on veut réfléchir
aux effets du son , de l'électricité , de la lumière ,
on croit apercevoir un principe général qui met
ensemble tous les êtres , et qui ordonne toutes les
590 MERCURE DE FRANCE ,
communications de l'univers. Quand on réfléchit ,
d'un autre côté , à la contagion , à la sympathie ,
à la nature de l'enthousiasme , de l'esprit public et
des passions populaires , on est forcé de reconnaître
des règles particulières d'où s'ordonnent les
communications humaines . C'est sur ces deux
points que je vais porter l'attention du lecteur .
MONTLOSIER .
Cornélius Népos français , ou Notices historiques sur les
géneraux , les marins , les officiers et les soldats qui se
sont illustrés dans la guerre de la révolution. Un volume
in- 12. Prix , 2 fr . , et 2 fr. 50 c. par la poste . A Paris ,
chez M. Châteauneuf, rue Saint-Honoré, près Saint-Roc ;
et chez le Normant, imprimeur-libraire, rue des Prêtres
Saint-Germain- l'Auxerrois , n°. 42 .
Le premier titre de cet ouvrage serait assez difficile à
concevoir , si l'auteur ne l'expliquait dans une préface
historique. « Deux motifs ont fait donner à ce livre le titre
>> de Cornélius Népos français. Le premier a été d'an-
>> noncer sa forme et l'esprit qui nous animait en le com-
>> posant ; le second de rappeler aux militaires étrangers
» et français le nom d'un auteur classique , où , quelques
» soient leurs vertuuss ,, ils trouveront encore des exemples
>>> à imiter » .
M. de Châteauneuf commence par observer qu'à Rome
on éleva des statues à Cornélius Népos , puis il ajoute :
>> circonscrits dans les mêmes bornes que le biographe
» romain , on n'a pu recueillir toutes les belles actions ;
>> on a du moins choisi les plus dignes d'être admirées.
>> Cependant on n'a pasvoulu toujoursêtre aussi concis que
>> cethistorien abréviateur , lorsque les faits qu'on raconte
>> constataient de grands services. On a développé les
>> caractères lorsqu'ils étaient assez connus. Les vies des
>> hommes illustres de Népos , dit M. de la Harpe , dans
» son
PRAIRIAL AN ΧΙ. 591
→
15
son Cours de Littérature , sont , à proprement parler
FP.FRA
>> des sommaires de leurs actions principales ; mais en rap-
>> prochant les événemens , il a négligé les détails qui pei-
>> gnent les hommes et les traits caractéristiques dont la 35.
>> réunion forme leur physionomie. >>
On voit que l'auteur, s'appuyant sur lejugementporté
parM.de laHarpe , trouve son modèle imparfait, et qu'il
espère présenter des tableaux plus corrects et plus complets.
Or , si on a élevé des statues à Cornélius Népos , qui
n'a pas entièrement rempli son but , que ne doit-on pas
faire pour M. de Châteauneuf ?
L'auteur , après ce préambule , entre en matière. Il
assure que nous n'avons en histoires , à peu d'ouvrages
près, que des gazettes , et il se fonde sur ce que les historiensdeRome
avaient plus detalent et d'imagination que
Les nôtres. « Par imagination, ajoute-t-il , on n'entend pas
>> ici cette faculté qui invente , mais cet heureux don du
>> style qui anime un récit ; cet art qu'on tient du génie
>>> de grouper des événemens , d'opposer des caractères
>> comme dans un tableau , de laisser échapper une réflexion
ou un trait imprévu qui charme dans un his-
>> torien , lequel doit avoir quelque chose du poète et de
>> l'orateur. Voltaire est peut-être le seul qui ait élevé à
>> la France de beaux monumens historiques. »
Ce passage suffit pour donner une idée de la théorie de
l'auteur. Il ne sera peut-être pas hors de propos de placer
ici quelques fragmens de l'excellent traité de Lucien , sur
la manière d'écrire l'histoire. On pourra comparer les
principes de l'auteur ancien avec ceux de M. de Châteauneuf.
Nous pensons , d'ailleurs , qu'il n'est pas inutile de
rappeler cet ouvrage classique , dans un moment où tant
d'auteurs veulent devenir historiens. Lucien indique d'abord
, d'une manière très-piquante , l'état de la littérature
àl'époque où il vivait , et les triomphes des armées romaines.
«Depuis la campage d'Arménie , dit-il ,et les vic-
>> toires remportées ensuite sur les barbares , nos beaux
Pp
cen
592 MERCURE DE FRANCE ,
>> esprits ne peuvent se tenir d'écrire des histoires , et l'on
>> ne voit plus que des Xénophon , des Hérodote , et des
>> Thucydide ; ce qui justifie le dire de cet ancien, que
» la guerre est mère de tout , puisqu'elle produit même
>> des historiens. >>>Lucien parle ensuite des qualités que
doit avoir celui qui veut écrire l'histoire. « Je veux qu'il
» aime à dire la vérité , et n'ait point sujet de la taire ;
» qu'il ne donne rien à la crainte , ni à l'espérance ; à
>> l'amitié ni à la haine ; qu'il ne soit d'aucun pays , ni
>> d'aucun parti ; qu'il appelle chaque chose par son nom,
» sans se soucier d'offenser ni de plaire. Pour son style , il
>> faut qu'il soit clair et naturel , sans être bas ; car nous
>> lui proposons la liberté et la vérité pour règle de ce qu'il
>> doit dire ; aussi , prenons-nous la clarté et l'intelligence
>>pour règle de la façon dont il doit le dire. Il faut que les
>> figures qui sont comme l'assaisonnement du discours , ne
» soient ni trop hautes , ni trop recherchées ; il faut que
» l'historien ne s'élève qu'à la mesure des choses dont il
>> parle. Son style doit être exempt d'enthousiasme et de
> toute fureur poétique. S'il veut s'élèver , que ce soit par
>> les choses plutôt que par les paroles ; car il vaut mieux
>> que son style soit ordinaire , et que sa pensée ne le soit
>> pas , que d'avoir des pensées faibles et un style trop
» élevé , ou de se laisser emporter à l'essor de son imagi-
> nation. Il faut aussi, pour les pensées, qu'elles aient plus
>> de solidité que d'éclat , et approchent plus du raisonne-
>> ment d'un sage politique , que de la pointe d'un décla-
>> mateur ; que les sentences ne soient pas trop fréquentes
>> et trop détachées , mais qu'elles se trouvent comme en-
>> châssées dans le cours de l'ouvrage . >>>
M. de Châteauneuf indique les sources où il a puisé
les nombreux volumes qu'il a consultés ; car il ne veut
pas que son ouvrage ressemble à une de ces compilations
qui nous viennent de l'étranger. Cette phrase est empruntée
de M. de Voltaire ; mais M. de Châteauneuf ne peut
être heureux , même quand il se borne à copier. Où a-t-il
PRAIRIAL AN XI. 593
vu qu'il nous venait aujourd'hui de nombreuses compilations
de l'étranger ? Cela était vrai du temps de Voltaire :
alors les novateurs faisaient imprimer leurs ouvrages en
Hollande, en Angleterre ou à Genève , quand des diatribes
trop violentes auraient pu donner l'éveil à la police ; et
ensuite ces productions vendues clandestinement étaient
recherchées par tous les prosélites de la philosophie moderne.
Aujourd'hui au contraire on est dégoûté de ces
sortes d'ouvrages ; on sait que ce n'est qu'en France que
l'on fait de bons livres français , qu'aucune entrave n'en
empêche la publication; et comme il n'y a plus aucun
motifde faire imprimer hors de France , toute compilation
venant de l'étranger ne serait point accueillie.
Ainsi , de ce changement de circonstances , il est résulté
que l'exportation à succédé à l'importation , et que les
compilations faites en France , et qui n'y peuvent réussir ,
vont chercher fortune à l'étranger .
M. de Châteauneuf ne laisse échapper aucune occasion
de se comparer à M. de Voltaire ; il dit , comme l'auteur
du Siècle de Louis XIV : <<Deux lignes m'ont coûté
>> quelquefois quinze jours de travail. » Quoique dans
ces sortes d'ouvrages le temps ne fasse rien à l'affaire ,
M.de Châteauneuf, en parlant ainside ses travaux, semblait
prendre l'engagement de tracer à grands traits les caractères
de ses héros , et d'offrir , comme Plutarque et Népos ,
le récit de leur vie publique , et les détails intéressans de leur
vie privée. M. deChâteauneufa-t-il remplil'espoir qu'ilavait
donné au public ? Dans la première notice , il se borne à
dire que M. de Rochambeau est né à telle époque , qu'il
s'est distingué à tant de batailles , à tant de siéges ; qu'il a
été créé colonel à tel âge , puis lieutenant-général , puis
maréchal de France , etc. La vie de Custines offre quelques
circonstances plus détaillées que celle de M. de Rochambeau.
Custines fut l'un des généraux qui se distinguèrent
dans le commencement de la guerre de la révolution. Ses
victoires donnèrent de l'ombrage; il fut une des premières
Pp2
594 MERCURE DEFRANCE ,
victimes du tribunal révolutionnaire . On devait s'attendre
àtrouver dans la vie de Custines quelques aperçus sur le
changement de système qui a eu lieu dans la tactique française
, et auquel Custines ne peut manquer d'avoir 'contribué.
Ce changement était assez important pour mériter
quelques observations : l'auteur ne s'en occupe nullement.
Des siéges , des batailles , la séance du tribunal révolutionnaire
, voilà tout ce que présente la notice de Custines.
M. de Châteauneuf ayant jugé à propos d'être le Cornélius
Népos français , nous ne croyons pas pouvoir terminer
cet article sans mettre le lecteur à portée de juger de la
distance qui sépare le compilateur français de l'historien
latin. Deux courtes citations suffiront pour remplir ce
but. M. de Châteauneuf raconte le jugement et la mort de
Custines. << Mayence , au bout de quatre mois , capitula.
>> L'ingrat Houchard l'accuse ( Custines ) de ce nouveau
>> revers ; on en fait un nouveau chef d'accusation : l'in-
>> trigue , la haine , le jacobinisme , agitent leursfuries
het leurs serpens ; les vrais coupables de la brièveté de la
défence de Mayence ont besoin de trouver une victime .
On soudoie de faux témoins ; les jurés nommés par la
Vengeance consacrent l'iniquité. Onvioletoutes les lois ;
>> on tourmente toutes les formes sacrées de la justice. On
>> ne peut le convaincre , mais on l'assassine au nom des
>> fois , et le 28 août vit tomber sa vénérable tête sur un
>> échafaud.>> Cornélius Népos termine ainsi le récit de la
mort de Dion. « Confecta coede , quum multitudo visendi
gratia introiisset , nonnulli ab insciis pro noxiis conciduntur.
Nam celeri rumore dilato Dioni vim allatam ,
multi concurrerant , quibus tale facinus displicebat.
Hi falsa suspicione ducti , immerentes , inermes , ut
sceleratos occidunt. Hujus de morte ut palam factum
est, mirabiliter vulgi immutata est voluntas. Nam qui
vivum cum tirannum vocitarant , eumdem liberatorem
patriæ , tirannique expulsorem prædicabant. Sic subito
inisericordia odio successerat , ut cum suo sanguine , si
possent , ab Acheronte cuperent redimere.
PRAIRIAL AN XI. 595
On nes'étendrapas davantage sur le livre deM. de Chateauneuf,
qui ne peut , sous aucun rapport , soutenir
l'examen même le moins sévère. Cependant , on doit savoir
gré, à l'auteur de l'intention ; il a voulu élever un
monument à la gloire de nos guerriers ; mais sa main était
trop faible pour une pareille entreprise. Les victoires
multipliées et presque incroyables de nos armées , les
actions généreuses et hardies qui ont si souvent étonné
l'Europe , les exploits qui ont forcé l'admiration même
denos ennemis , les catastrophes de la révolution , qui , à
chaque instant , obscurcissaient l'éclat de ce tableau , cette
réunionde circonstances inouies formaient un sujet brillant,
mais difficile à traiter.
M. de Châteauneuf, dans les deux notices qui composent
son premier volume , ne nous a paru posséder aucune
des qualités qu'exigeait une si grande entreprise. La
présomption de sa préface ne laisse malheureusement pas
espérer qu'il se perfectionne dans les volumes suivans.
Boileau disait , en faisant allusion aux auteurs médiocres
qui voulaient célébrer Louis XIV :
Et j'approuve les soins du monarque guerrier
Qui ne pouvait souffrir qu'un artisan grossier
Entreprît de tracer , d'une main criminelle ,
Un portrait réservé pour le pinceau d'Apelle.
L'épithète de criminelle est un peu forte: ce que nous
avons dit de la pureté des intentions de M. de Châteauneuf
prouve que nous sommes hien éloignés de vouloir la lui
appliquer.
VARIÉTÉS.
P
Malesherbes . Un vol. in-8°. Prix , 3.fr. 75 c. et 4 fr. par
la posse.AParis, chez Duprat, Letellieret Compagnie ,
libraires , rue Saint-André-des-Arcs , n°, 46; et chez
leNormant, rue des Prêtres S. Germain-l'Auxerrois.
Cet Ouvrage est un monument élevé à la mémoire
d'un homme dont la France doit à jamais s'honorer .
Pp3
596 MERCURE DE FRANCE ,
M. de l'Isle de Sales , qui en est l'auteur , suit en cela
l'exemple du gouvernement actuel qui a fait élever une
statue en marbre à cet homme extraordinaire ; cette
statue sera un jour plus chère à l'humanité que le temple
que les Athéniens avaient élevé à Socrate : le sage
d'Athènes mourut pour une question oiseuse qui n'était
ni la vérité ni la vertu ; mais personne n'oubliera
jamais quelle fut la cause à laquelle M. de Malesherbes
fut sacrifié . L'éloge des grands hommes se compose de
leurs actions , et l'éloge de M. de Malesherbes n'est que le
récit des événemens de sa vie. On trouvera , dans cet
ouvrage plusieurs traits neufs et piquans , plusieurs anecdotes
touchantes qui feront connaître le caractère de ce
ministre vertueux et de ce généreux défenseur de la
vertu.
Ce panégyrique a pour épigraphe ces paroles , tirées de
la vie d'Agricola : Bonum virum facile crederes , magnum
libenter. On le croyoit facilement un homme de bien et
volontiers un grand homme. Cette épigraphe est heurensement
choisie ; le caractère de Malesherbes n'est pas sans
rapport avec celui d'Agricola , tel qu'il est peint par
Tacite. Ces deux hommes se ressemblent encore par le
temps où ils ont vécu , et l'auteur aurait pu ajouter à son
épigraphe ce que l'historien latin dit de la mort de son
héros : Potest videri et beatus futura effugisse , nam
sicuti durare in hac beatissimi sæculi luce , ac principem
Trajanum videre , ita festinatæ mortis grande
solatium tulit , evasisse postremum illud tempus , quo
Domitianus non jam per intervalla ac spiramenta temporum
, sed continuo et velut uno ictu rempublicam
exhausit. « Heureux d'avoir échappé à l'avenir : en effet ,
» s'il n'a pu voir Trajan et son règne heureux , il se con-
>> solait de l'autre , d'une mort prématurée , qui le dé-
>> robait à ces derniers temps , où Domitien ne laissant
PRAIRIAL AN ΧΙ. 597
a
>> plus respirer l'état par intervalle , l'engloutit comme
>> d'un seul coup. >>>
On pourrait dire encore de M. de Malesherbes ce que
Tacite disait d'Agricola , qu'il réunit les suffrages de
tous les partis : « Sa perte , déplorable pour ses amis ,
» n'a pas même été indifférente aux inconnus et aux
» étrangers . » Malesherbes fut de la secte des philosophes ;
et lorsque ceux-ci sont accusés d'avoir préparé les maux
de la révolution , ils peuvent répondre qu'un d'entr'eux
en a été la plus glorieuse victime . Mais Malesherbes a
désavoué ses principes philosophiques à la fin de sa carrière
, et si les philosophes peuvent citer quelques-unes
de ses opinions , les adversaires de la philosophie peuvent
citer en leur faveur les belles actions et sur-tout la mort
de cet illustre martyr de la vertu ; au reste , c'est un tort
excusable que de s'être trompé dans ses opinions avec le
défenseur de Louis XVI , et si jamais les voeux des hommes
de bien sont accomplis , s'il se fait une salutaire alliance
entre la religion et la philosophie épurée , les philosophes
et les chrétiens doivent s'embrasser au pied de la statue de
Malesherbes.
Paris et ses Modes , ou les Soirées Parisiennes , par C....
Prix : 1 fr. 50 c . , et 2 fr . par la poste . A Paris , chez
Ponthieu , libraire , place Saint-Germain-l'Auxerrois ;
et chez le Normant , imprimeur-libraire , rue des Prêtres
Saint-Germain-l'Auxerrois , nº. 42 .
Cette brochure présente une esquisse des embarras , des
embellissemens , des plaisirs , et même des ennuis de Paris.
Ce tableau est fait sans ordre , et peut-être est-il plus ressemblant.
Il commence par les mots qui étaient gravés
sur la pomme de la Discorde , et le premier chapitre est
Întitulé : A la plus belle. Elle est modeste , elle est sim
Pp 4
598 MERCURE DE FRANCE ,
ple,elle n'est point coquette , elle aime mieux son mari
que ses amans ; elle fait des heureux , qui bénissent plus
encore sa vertu que ses charmes ; cette femme est le modèle
de son sexe. L'auteur paraît ici sortir de son sujet ,
avant même que d'y être entré ; et j'ai grand'peur que
cette femme rare ne soit point de Paris .
Après la plus belle, vientl'homme que l'auteur appello
l'Orphee français , et cet Orphée est Garat. Après Garat
et les concerts dont il est l'ornement , viennent les embel
lissemens projetés à Paris : quand on parle de la mode ,
il faut s'y prendre d'avance ; et l'auteur fait très-bien de
nous présenter Paris de l'année prochaine. Tout change
dans cette grande ville , et la ville change elle - même tous
les six mois ; non- seulement elle change de forme , mais
elle change de place. Je veux faire imprimer quelque
jour un livre intitulé : les Voyages de la ville de Paris.
Jemontrerai d'abord Paris dans l'étroite et modeste enceinte
de l'Isle-Saint-Louis ; il quitte bientôt le liende son
origine, pour se porter vers la Montagne de Sainte-Geneviève;
il vient ensuite au Marais , puis au Faubourg-
Saint-Germain ; il est actuellement à la Chaussée-d'Antin;
il s'en ira quelque jour en province. Je ne sais ce qu'il a
gagné dans ses voyages : il a commencé à la Montagne-
Sainte-Geneviève , qu'on appelle le Pays - Latin , et je
trouve qu'aujourd'hui il se rapprochetrop de Montmartre.
1
Je suis faché que parmi les plans d'embellisemens pour
Paris , l'auteur n'ait pas parlé de quelques projets qu'on
a présentés ; quelques-uns lui auraient offert des particularités
piquantes , comme celui de changer le nom des
rues , et d'enseigner aux Parisiens la géographie , en écrivant
sur toutes les places, le nom d'un royaume , d'une
province , ou d'une ville de l'Europe. On sent combien
on pourrait tirer parti d'un pareil projet : les commis
sionnaires , les porte-faix , les cochers de fiacre ne manqueraient
pas , au bout de six mois , de s'ériger en profes
seurs de géographie. Ce plan n'a qu'un inconvénient , c'est
PRAIRIAL AN XI. 5gg
1
1
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1
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1
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1
que les Parisiens connaîtraient fort bien l'Europe , mais
il serait à craindre qu'ils ne reconnussent plus Paris.
Mais tous ces détails deviennent peut - être ennuyeux :
passons au chapitre du Plaisir. En France , à Paris sur
tout , le mot plaisir n'est jamais qu'une formule , on s'amuse
peu , on s'étourdit.
Qui ne croirait à ce brillant soupé
Q'on est heureux ? On n'est que dissipé.
Le mot plaisir est dans toutes les bouches , et n'exprime
jamais ce qu'il signifie. Un homme a le plaisir de vous
voir , le plaisir de vous écrire , le plaisir de vous entendre
, quoique vous lui soyez très-indifférent; interrogez
- le , il a eu le plaisir de dîner chez un tel ; et il s'y
est ennuyé à la mort : l'invitez - vous à venir chez vous ?
avec grand plaisir , dit - il , et il n'y vient pas ; enfin , à
Paris , plaisir veut presque toujours dire : ennui , indifférence
, gêne , contrainte , etc. Il en est de l'honneur
comme du plaisir ; ces deux mots n'ont presque plus de
sens .
Au reste, ces deux mots qui vont souvent ensemble ,
et qui signifient quelquefois la même chose , peuvent faire
connaître l'esprit des Parisiens. La vanité , qui est l'orgueil
des petites choses , est leur caractère dominant. Beaucoup
de gens à Paris sont heureux de la seule idée qu'ils le paraissent
aux yeux du public. Le plus grand fléau des Parisiens
est l'ennui ; mais ils s'y résoudront facilement , s'il
y a quelqu'honneur à s'ennuyer. Ce caractère était , dit-on,
celui des Athéniens ; il est ausssi celui des artistes , et de
tous les gens qui vivent des jouissances puériles de la vanité.
Le peuple de Paris est une troupe de comédiens un
peu plus nombreuse que les autres , et qui a presque la
même manièrede vivre : on n'y fait pas grande attention
aux choses essentielles, mais ony est très-susceptible pour
les petites choses : il est tel homme qui se croirait plus
injurié , si on lui reprochait d'être un sot , que si on l'accusait
d'êreunfrippon ; on peut s'y vanter de sa probité,
600 MERCURE DE FRANCE ,
sans craindre d'irriter l'envie , qui n'y prend pas garde ;
mais personne n'oserait se vanter d'être aimable , dans la
crainte d'armer tous les amours propres. Enfin , la varité
est le mobile principal qui fait mouvoir cette grande
masse ;etchacun comme les artistes , aime par - dessus
tout à s'entendre dire qu'il s'est bien présenté sur la scène,
qu'il a bien joué son rôle...
,
Il ne faut pas croire cependant qu'à côté de ces petits
ridicules , la capitale n'ait de grandes choses à offrir à la
méditation des voyageurs , et qu'elle ne renferme aussi
dans son sein de grands exemples de vertus ; mais la vertu
se cache et se dérobe aux regards de ceux qui tracent le tableau
de cette grande cité. Il ne faut pas croire non plus
qu'il n'y ait point de vrai plaisir à Paris : le véritable commercede
Paris est le plaisir. Depuis deux cents ans , Paris
vit du plaisir qu'il donne et qu'il promet aux étrangers.
Dans ce commerce de plaisirs , il y en a de vrais et de
faux : à côté des plaisirs frivoles , se trouvent ceux que
donne l'étude des arts et des lettres ; chacun peut choisir :
mais , pour ne pas s'y tromper , je conseillerai toujours
de donner la préférence à ceux qui coûtent le moins. Les
plaisirs dont on ne se repent point , sont à Paris ceux qui
se vendent le meilleur marché.
Cet article est déjà trop long ; nous ne suivrons point
l'auteur de l'ouvrage que nous annonçons , à Tivoli , à
Bagatelle , à Frascati , au Hameau de Chantilly , ni dans
les nombreux établissemens formés à Paris pour les plaisirs
du public.
4 Le cardinal Fesch a reçu à son passage à Lyon toutes
les marques de l'attachement et de l'amour le plus vrai de
la part du clergé et des habitans de cette ville. Le journal
de Lyon a publié plusieurs vers latins qui lui ont été
adressés ; nous regrettons de ne pouvoir les donner ici. On
lit dans le même journal que M. de Châteaubriand a été
accueilli très-honorablement par les Lyonnais : les savans
PRAIRIAL AN XI. 601
:
et la plupart des membres de l'athénée de cette ville l'ont
reçu à la bibliothèque publique , et là plusieurs d'entr'eux
ont félicité , au nom de leurs concitoyens , l'auteur du
Génie du Christianisme . M. Petit , médecin distingué et
littérateur aimable , et M. Berenger , auteur de plusieurs
ouvrages utiles , lui ont adressé des vers où ils ont exprimé
tout-à-la-fois leur respect pour la religion et leur recon
naissance pour celui qui l'a si glorieusement défendue .
ΑΝΝΟNCES.
Six Nouvelles , par M. Fiévée . Deux vol. Prix : 4 fr . , et
5 fr. par la poste.
Ces Nouvelles ont paru successivement dans la Bibliothèque
des Romans; elles sont pour la première fois recueillies
dans cette édition. Sur la fin du siècle dernier ,
on faisait des Nouvelles philosophiques et licencieuses ,
que l'on intitulait : Contes moraux ; celles de M. Fiévée
sont d'un autre genre. Pour n'effrayer personne , il n'a
point annoncé la morale , et il l'a placée dans ses contes
avec tant de naturel , tant de charme et de sensibilité , que
malgré sa sévérité , aucun lecteur ne l'a trouvée trop austère.
Toutes ces Nouvelles sont charmantes ; tout le monde
en a porté ce jugement. Il me semble que nous n'avons
rien dans ce genre que l'on puisse mettre au - dessus des
* trois contes intitulés : leDivorce , le Faux Révolutionnaire
et l'Egoïsme. Dans ce dernier , M. Fiévée a présenté
d'une manière supérieure , la folie et l'inconséquence
d'unpère donnant à son fils une éducation philosophique;
les résultats de cette éducation font frémir (1) . Le plan de
ce conte est très - ingénieux; il est rempli de scènes frappantes
et terribles . Ces six Nouvelles ainsi rassemblées ,
seront relues avecdélices par tous ceux qui ont dela sensibilité
, du goût , et de bons principes , et même par les gens
les plus frivoles ; car elles sont écrites d'une manière si
naturelle et si piquante , qu'il n'est point de lecteur qui
puisse leur refuser son suffrage.
D. GENLIS.
(1 ) J'ai peint aussi depuis ( dans le Mari corrupteur ) , mais épisodiquement,
le repentir d'un père philosophe ; la Nouvelle de M.
Fiévée est très-antérieure à la mienne.
603 MERCURE DE FRANCE ,
La Dot de Suzette , ou Histoire de madame de Senneterre
, racontée par elle-même ; par J. Fiévée , nouvelle
édition,unvolume. Prix: 2fr., et 2 fr. 50 c. parlaposte.
Qui n'apas lu cet ouvrage charmant , où tout est vrai ,
naturel et moral ? Il n'en est point qui présente dans un
seul volume ,une variété aussi piquante, tant de peintures
parfaites , et de genres différens sans disparates ,
des traits de gaieté plus aimable et des scènes plus
touchantes. Ce roman est déjà classé dans le petit nombre
des ouvrages originaux ; il ne doit sa réputation ni à la
cabale ,ni à l'esprit de parti ; il la conservera.
Ces deux ouvrages se trouvent à Paris , chez Perlet ,
libraire , rue de Tournon ; et chez le Normant , imprimeur-
libraire , rue des Prêtres Saint Germain-l'Auxerrois .
Bibliothèque Géographique et Instructive des Jeunes
Gens, ou Recueil de voyages intéressans pour l'instruction
et l'amusement de la jeunesse ; par Campe : traduits de
Pallemand et ornés de cartes et figures ; sixième et dernière
livraison de la première année. Tomes 11 et 12 , contenant
la relation de l'ambassade de M. Samuel Turner,
zuprès du Teschou-Lama au Thibet et au Foutan : 2 vol.
in-18 ornés d'une belle Carte de l'Asie et d'une jolie Gravure.
Prix , 3 fr. , et 3 fr. 75 c. par la poste.
Cette collectionde voyages ayant eu tout le succès que
lui promettaient l'utilité et l'agrément du sujet et le
nom de son auteur , l'éditeur va publier une seconde
année qui ne le cédera pas en intérêt à la première. Elle
commencerapar la relation des voyages du capitaine Cook
autour du monde ; suite nécessaire des voyages de Byron ,
Carteretet de Wallis , formant les tomes 3 et4de la première
année ; les autres pièces seront traduites d'un nouveau
Recueil que publie maintenant M. Campe , où l'on
voit qu'il a toujours pour but d'instruire en amusant.
Les conditions de souscription à cette année , sont les
mêmes que pour la première , savoir : les 12 volumes au
prix de 15 fr. , payables avec la première livraison , et
5f.. pour chacune , en ne les payant qu'à mesure.
Il reste encore un petit nombre d'exemplaires de la
première année , qui ne seront donnés au prix de 15 fr .
qu'aux personnes qui souscriront pour la seconde.
AParis , chez G. Dufour , éditeur , libraire , rue des
Mathurins , au coin de celle de Sorbonne ; et chez le
Normant, imprimeur-libraire , rue des Prêtres Saint-
Germain-l'Auxerrois , n°.42.
PRAIRIAL AN XI. 603
POLITIQUE.
L'occupationde l'électorat d'Hanovre par une armée
française , deux grands débats au parlenient britannique ,
relatifs , l'un à la conduite des ministres , l'autre à la més
diation de la Russie , sont des événemens qui ont attiré
une grande attention. La séance relative à la conduite des
ministres , s'est terminée d'une manière qu'il était peu
difficile de prévoir. Si on en excepte l'attitude peu atten
due de M. Pitt, qui n'a pas craint d'avouer ses sentimens
d'improbation envers ses honorables amis , le chancelier
de l'échiquier et le ministre des affaires étrangères ; si on
en excepte l'indignation ou du moins le serrement de
coeur qu'en a éprouvé le lord Hawkesbury , et qu'il n'a
pas craint de manifester à la chambre , on ne voit pas
que la véritable question ait été même abordée.
Est-ce de la bonne foi des ministres qu'on s'est ocсире?
Est-ce sur la fidélité à leurs engagemens qu'on les a interrogés
? Est-ce sur le soin qu'ils ont mis à observer strictement
et religieusement le traité d'Amiens ? Aucune
question n'a été faite sur ce point, aucun mot n'a été proféré
à cet égard. La séance n'a été remarquable que par
l'ingénuité du colonel Bastard : Nous avions besoin de
quelque temps pour renouvelter nos forces. Ces mots, sur
lesquels il ne s'est pas élevé la moindre réclamation , expliquent
toute la conduite du gouvernement britannique.
Autrefois les peuples se faisaient honneur d'être fidèles à
leurs engagemens. Firma pacis fædere , fut le premier
hommage qu'obtint autrefois , dans l'Europe , lanation
des Francs. Il est vrai que quelques nations anciennes se
sont mises peu en peine de la qualification de fædifraga.
Les marchands de Carthage semblent avoir légué la foi
punique aux marchandsdd''AAlbion.
Que l'Angleterre n'ait eu, dans le traité d'Amiens , d'autre
objet que de gagner du temps , ce n'est pas le seul
aveu qui soit sorti de ces débats. Lord Hawkesbury nous
apprend , dans la séance relative à la médiation de la
Russie , que ce n'est point pendant la guerre qu'on forme
commodement des coalitions , et que la paix d'Amiens
n'aeeuu ,, dans sa pensée , d'autre objet que de préparer une
barrière contrel'agrandissement de la France ( 1). Il nous
(1) He must candidly admit that one circonstance weighed par
604 MERCURE DE FRANCE ,
révèle que , depuis la signature du traité jusqu'au moment
présent , aucun effort n'a été épargné pour former aves
la Russie une alliance étroite , qui aurait eu pour objet
non des vues d'hostilité envers aucune puissance, mais
seulement les mesures nécessaires d'une juste défense (1) .
Il se trouve malheureusement que la Russie n'a jamais
voulu accéder à cette innocente proposition , et c'est ce
qui fait que nous avons la guerre.
Quoique lord Hawkesbury ait eu ainsi un moment de
candeur , qu'il nous soit permis de croire que ce n'est pas
au parlement , mais dans l'intérieur du cabinet qu'il aura
manifesté toute sa pensée. « En engageant la guerre , aura-
>> t-il dit , nous donnons aux nations un grand exemple
>> de provocation , qu'elles peuvent être tentées d'imiter.
>> Nous affaiblissons , envers la France , le sentiment d'ad-
>> miration qu'ont créé ses victoires , nous la faisons des-
>>>cendre de ce haut rang où l'ont élevée sa valeur et ses
>> succès . Notre audace peut réveiller les souvenirs , r'ou-
» vrir les blessures , aigrir les ressentimens , ranimer peut-
>> être des espérances. Quand même nous ne parviendrions
>> pas à atteindre ce grand objet , gardons-nous pour cela
>> d'écouter les propositions de la Russie : ce n'est pas le
>> moment. Commençons par offrir à nos marins la prise
>> facile de quatre ou cinq cents millions , que la France
et ses alliés ont mis , en pleine sécurité , sur les mers :
>> ces millions , il nous sera facile de les repomper par un
>> emprunt , quand ils auront effectué le grand objet de
>> populariser la guerre ; et alors , pendant que les gazettes
>> retentiront de notre gloire , nous aurons tout le temps
>> qui nous sera nécessaire pour prêter l'oreille aux pro-
>>positions de la Russie ; exciter , s'il le faut , l'interven-
» tion de quelqu'autre grande puissance , et refaire ainsi ,
- » à la fin d'une carrière commode de déprédation et de
>> capture , telle nouvelle paix qui nous conviendra. Peu
>> importe , dans cette nouvelle occurence , que nous gar-
>>> dions Malte , ou que nous la donnions à laRussie. Nous
ticularly on his mind with respect to the conclusion of the last peace,
which was that of forming a barrier to the aggrandizement ofFrance.
(1 ) From the signing of the treaty to the present time no efforts
have been wanting on the part of his majesttyyss ggoovveerrnment to form
close connection with Russia having for its basis no hostility towards
any power , and having only in view the necessary measures ofdefence.
Those efforts have however failed. Otherwise it is highly
probable that the present crisiswould not have arisen.
PRAIRIAL AN XI . 605
>> aurons fait la guerre contre la France avec audace ,
>> et nous lui en aurous fait payer les frais. Nous aurons
>> énervé l'essor renaissant de son commerce ; nous aurons
>> paralysé pour long-tenips son industrie ; ses viiles com-
>> merçantes , toutes meurtries des plaies que nous leur au-
>> ront faites , n'oseronthasarderde long-temps sur les mers
>> leur industrie et leurs capitaux. Notre activité prépon
› dérante pourra alors insulter a leur timidité. Nous an
>> rons consolidé , sur le sol des mers , une suprématie
que la France , à sa renaissance » , veut encore nous
>>> contester. >>>>
Le lord Hawkesbury et le cabinet britannique peuvent
se bercer tant qu'ils voudront de ces illusions. Nous
sommes fachés de les tirer de cette sécurité. Il faut pourtant
qu'ils sachent , ainsi que le leur a dit unjourM.Burke ,
que la guerre , cette Gorgone hérissée de dards et de serpens
, n'est pointune coquette avec laquelle on puisse
jouer impunément. Quand la France voulait la paix , vous
avez voulu la guerre. Craignez que la France ne veuille
la guerre quand il vous sera commode de vouloir la paix .
Rien n'est plus singulier , au surplus , que le langage
de tous ces fameux hommes d'état. L'uu veut une guerre
vigoureuse et courte ; il faut se diriger vers le seul point;
l'autre ne se dissimule pas que la guerre ne doive étre
d'une longue durée. Celui-ci regarde comme un jeu de
châtier la France ; celui-là ne veut point taire qu'il en contera
à son pays de longs et de douloureux sacrifices. Un
des ministres veut défendre tout le pays avec des milices ;
un autre ne voit de salut que dans les troupes de ligne.
M. Pitt est convaincu que l'Angleterre n'est capable d'aucune
offensive ; selon M. Windham , celui-là seul est capable
de se défendre qui est capable d'attaquer. Il n'est pas
d'anglais, unpeu sensé , qui ne doive frémir de tout ce
chaosde vues et de plans contradictoires. Pour tout homme
raisonnable, ami ou ennemi , les projets mis actuellement
en agitation de levée en masse , de milice , d'augmentation
de troupes de lignes , ne peuvent être que des conceptions
désespérées .
Ce qu'il y a de singulier , c'est que , parmi tous ces
nombreux amis de la liberté , il n'en est pas un qui ait
jugé à propos de concevoir des alarmes sur l'augmentation
des troupes de ligne. Tout le pays faillit se soulever
autrefois au sujet d'une simple construction de casernes ;
aujourd'hui une armée immense est votée et mise à la
606 MERCURE DEFRANCE ,
2
disposition de la couronne. Le secrétaire de la guerre cite
àson aise l'exemple des milices américaines, celle des
milices françaises au temps de la révolution. Il pouvait
citer aussi la Vendée, et , dans des temps plus anciens
l'exemple des Suisses et celui des Provinces-Unies. Quand
unpeuple est remué dans ses plus ardentes volontés , lorsque
toutes ses passions sont vivement émues , il peut faire
non-seulement des efforts , mais des miracles; mais lorsqu'un
peuple naturellement lent et paresseux , façonné a
toutes les commodités de l'opulence,àtoutes les douceurs
de la civilisation , est poussé avec violence hors de toutes
ses habitudes , à l'effet de soutenir les lubies de quelques
hommes, lestravers dequelques ministres; lorsqu'un peuplede
marchands est invité à sortir de ses comptoirs , et a
mener,pendant des années entières , lavie dehouzard ou
celle de pandour; uniquement pour l'honneur de possé
der quelque roche , et d'être infidèle à un traité solennellementpromis
, nous avons peine à croire que les ministres
atteignent le but qu'ils se proposent. Les députés
de l'électorat d'Hanovre peuvent leur apprendre en ce
moment l'espèce de fonds qu'il faut faire sur les levées en
masse. Qu'ils sont imprudens , ceux qui prétendent faire
sortir des nuages de leurs cerveaux la matière électrique
qui forme,dans certains temps , les grandes commotions
populaires ! Les insurrections que les ministres veulent
aujourd'hui provoquer , ne se réaliseront que trop peutêtre;
mais ce sera pour mettre en pièces des hommes qui
se verront réduits àdemander une paix honteuse ; suite
nécessaire d'une fatale guerre.
- En attendant que se déroulent ces grands événemens ,
l'occupation du Hanovre est venu se mettre dans la balance
des pertes que notre commerce doit nécessairement
éprouver au commencement de la guerre. C'eût été , en
effet , pour les marchands de Londres , un très-doux amusement
, que de voir arriver , pendant plusieurs mois de
suite, les navires de France enrichir ses ports. Il est assez
juste que le roi Georges paye de ses propres deniers cette
petite récréation qu'il a bien voulu accorder à ses sujets .
Cen'est pas sans peine qu'il s'est décidé à supporter cette
injure. Retranché pourson compte derrière le détroit et
ses fortifications flottantes , il espérait que les grandes puissances
voudraient bien se charger de protéger ses possessions
continentales ; les cent voix de la renommée semblaient
sur ce point à ses gages. « La Prasse , disait - on ,
>> le
PRAIRIAL AN XI. 607
!
1
!
1
1
1
1
1
»
>> le Danemarck , la Russie ne verront jamais d'un oeil
➤ paisible les Français entrer dans l'électorat d'Hanovre ,
>> jeter de cette manière l'alarme dans toute l'Allemagne
>> du nord , et violer la paix d'un pays protégé par la paix
de Lunéville. >>>Sur ces considérations , toutes les flottes
de la Russie étaient déjà prêtes à mettre à la voile , toutes
ses armées en marches;d'un aauutre côté , une armée prus
sienne s'avançait , on notait sa direction , on nommait son
général. Ces rumeurs étaient de véritables absurdités. Il
eût été assez singulier que ceux qui violaient le traité
d'Amiens , eussent pu se retrancher derrière le traité de
Lunéville ; il eût été singulier que ceux qui déclaraient
la guerre à la république italienne et à la Hollande , sous
le seul prétexte que ces pays étaient sous la domination
du chef de la France , eussent fait respecter les pays qui
étaient sous la domination du roi d'Angleterre. On pourrait
croire que ce n'est pas même de bonne foi que les
Anglais proclamaient cette espérance ; la proclamation
royale pour une levée en masse , l'arrivée d'un des fils
du roi d'Angleterre pour la commander , ont plus clairement
établi la question. Il fallait la gaucherie de ces deux
circonstances , pour donner à l'expédition du général
Mortier l'apparence d'un triomphe , en donnant à la capitulation
de l'armée hanovrienne l'apparence d'une dé
faite. On observera que cette capitulation est la même
que le maréchal de Richelieu fit signer , le 10 septembre
1757 , à Clostersevern. Il fut alors arrêté , sous la garantie
du roi de Danemarck , que les troupes hanovriennes
n'exerceraient aucune hostilité jusqu'à la conclusion de la
paix. On sait comme cette capitulation fut violée après la
bataille de Rosback. Le fameux comte de Chatam , père
de M. Pitt , décida que le roi d'Angleterre n'ayant point
ratifié cette capitulation , elle était nulle. Ce fut en conséquence
de cette décision , que les Hanovriens sortirent
de leur ligne, et allèrent , sous le commandement du
prince Ferdinand , gagner la bataille de Crevelt.
Si l'occupation du pays d'Hanovre , que la maladresse
du gouvernement britannique nous force d'appeler une
conquête , a peu d'importance comme fait d'arme , c'est
au moins un objet d'exploitation. C'est encore un grand
point militaire. C'est beaucoup d'avoir donné cinquante
lieues de plus à cette muraille de fer si bien dépeinte par
M. Windham , et qui va s'étendre à présent depuis les
bords où l'Océan produit la Méditerranée , jusqu'à ceux
1
608 MERCURE DE FRANCE,
où il engendre la Baltique. La guerre , en ce moment,
n'est encore qu'une niaiserie. Quand les Anglais auront
fini , sur les mers , leurs jeux actuels de capture et de déprédation
, et que lles Français auront fini d'établir sur toute
cette ligne de côte leurs formidables préparatifs , c'est
alors que la véritable guerre commencera. Tout annonce
qu'elle sera terrible.
CHAMBRE DES COMMUNES.
Séance du 6juin.
La chambre se forme en comité de subside.
Le secrétaire de la guerre ( M. Yolke ) se propose de
soumettre à la chambre les derniers états estimatifs concernant
l'armée. Il ne sera pasnécessaire , dit-il , d'augmenter
considérablement l'armée. La chambre voudra bien se
rappeler qu'elle a déjà voté une armée de 130 mille
hommes. L'augmentation aura lieu principalement pour
la cavalerie. La dépense totale , tant pour la Grande-
Bretagneque pourl'Irlande,ne s'élèveraqu'à3,100,000l.st.
M. Windham : Le plan des ministres ne vaut rien. Le
système militaire qui nous est proposé ne convient pas
anotre population. Les ministres veulent avoir une armée
régulière , et ils veulent avoir une nombreuse milice.
N'est-il pas bien connu que notre armée de milice empêchera
le recrutement de notre armée régulière ? Ne sait-on,
pas que l'on fait trafic de la milice ? Les primes accordées
pour entrer dans cette dernière , empêcheront la formation
d'une armée de ligne.
Ce n'est cependant qu'avec une armée de ligne que
nous pouvons résister ; car c'est une armée de ligne qui
nous attaquera. Le diamant seul coupe le diamant. Mais
les ministres n'ont aucun plan ; ils ne se font aucune idée,
de la guerre actuelle. Après avoir laissé subsister trop.
long-temps une paix honteuse , lorsqu'enfin ils sont forcés
à la guerre , ils se proposent lâchement de se tenir sur
la défensive. Ignorent-ils qu'une guerre, de ce genre,est,
détestable , et que celui qui attaque est presque certaindu
succès ?
Nous devons avoir une grande armée de ligne , nonseulement
maintenant , mais toujours , etjusqu'à cequ'un
changement essentiel ait lieu sur Continent. Encore
PRAIRIAL AN XI . 609
une fois , il ne doit pas être question uniquement de se
défendre : la balance de l'Europe est rompue ; une puissance
colossale s'est élevée. Nous n'avons que deux moyens
à adopter : augmentous nos forces et diminuons celles de
l'ennemi. Suivons le même système que durant la guerre
dernière : cherchons à affaiblir notre ennemi ; c'est ce
qu'il y a de plus sûr et de plus simple. Il est plus aisé de
tuer le tigre que de l'enchaîner ou de le mettre en cage.
Jen'affirme pas que nous réussirons ; mais il s'agit d'abrêger
la contestation; et pour des personnes qui se trouvent
dans notre situation , c'est ce qu'il y a de mieux à
faire.
Nous sommes tombés sous le vent, et nous aurons beaucoup
de peine à nous remettre en bonne route. Grâces
soient rendues au traité d'Amiens ! il a détruit toute notre
influence sur le Continent, il a fait pour nous une côte
de fer de toute la côte de l'Europe , et il n'y a plus pour
nous de crique , de havre , où nous puissions mettre à
l'abri une chaloupe. On m'observera que le Continent
déteste la France ; que lui importe qu'on la haïssepourvu
qu'on la craigne !
J'espère cependant que le Continent n'abandonnera pas
sa propre cause. Je me flatte que nous y trouverons encore
quelques dispositions amicales. Je n'en suis que plus
mécontent des ministres , qui paraissent vouloir isoler
l'Angleterre . J'ai lu avec peine la fin de la déclaration de
S. M. , où l'on ne semble vouloir agir que pour l'intérêt
britannique. :
$30
Ne va-t- on pas encore me dire que je veux me battre
pour les Bourbons , pour les royalistes , pour la monarchie
? On ne m'a jamais bien compris. Enfin on a jugé à
propos de signer le traité d'Amiens : en est-on bien satisfait?
Je ne saurais croire que les ministres soient assez
francspour convenir qu'ils se sont grossièrement trompés .
Oui , sans doute , il eût été à souhaiter que l'Angleterre
fit une déclaration grande et généreuse à la face de l'Europe:
non pas une déclaration ridicule et chevaleresque ,
mais capable d'attirer à elle tous les sentimens , et de lui
procurer la réunion de tous les efforts ; une telle déclaration
aurait produit le plus grand effet .
On ne cesse de parler de l'immense pouvoir de la République
française ; ne confondons pas le pouvoir et la
durée. Le pouvoir est incontestable ; mais combien durera-
t-il ? Personne de nous ne peutnier que nous sou
Qq2
610 MERCURE DE FRANCE ;
haitons tous la fin de ce pouvoir , quelque soit le langage
bas et rempant qui ait été tenu; telle est notre secrette
espérance. Tout ce que j'ai vu me jette dans le désespoir ;
cependant , j'ai la plus grande confiance dans la vigueur
et les ressources de ce pays , si nous sommes bien dirigés.
Je suis du nombre de ceux qui ne traitent point avec
mépris l'idée d'une invasion. Nous avons affaire à un
ennemi qui ne fait rien à demi. L'orage qui nous menace
peut éclater soudainement. Nous pouvons, d'un moment
à l'autre , être jetés dans la consternation et en danger de
perdre tout ce qu'il y a de cher aux hommes . Certes , je le
confesse , une invasion est à redouter , et l'on a bien tort
d'en parler légèrement. Je m'en suis entretenu avec des
hommes capables de bien juger , avec des officiers blanchis
dans le service, et qui connaissent véritablement la
guerre ; ceux-là ne parlent pas légèrement d'une invasion.
Quels sont ceux qui la tournent en ridicule ? Ce sont ceux
qui n'y entendent rien; ceux qui ne seraient d'aucun service
unjour de bataille ; ceux qui ajouteraient au désordre
d'une défaite , qui n'ont jamais vu tirer un coup de fusil ,
et qui parlent à leur aise de la destruction de toute une
armée française. Je n'estime pas que l'opinion de ces messieurs
mérite un grand respect. Ne parlons donc point
avec légèreté d'une invasion , et en même temps soyons
convaincus de la force et des ressourses de notre pays , si
on en fait un bon usage. :
M. Pitt : Je n'aime pas que l'on discute dans cette
chambre l'état des forces nécessaires pour notre salut.
J'avoue que j'aurais une grande inquiétude si nous n'avons
pas de plus grandes forces que celles que les ministres
nous annoncent; mais je n'ajouterai pas unmot.
Embarrassé de l'improbation réunie de M. Pitt et de
M. Windham , le secrétaire de la guerre reprend la parole
: « Les ministres de S. M. , dit-il , ne peuvent pas
s'expliquer entièrement , mais il leur est pourtant permis
de dire qu'ils ont adopté un plan qui assurera parfaitement
notre existence . Le très-honorable M. Windham a
créé un fantôme , pour avoir le plaisir de le combattre. Il
a parlé d'une guerre purement défensive. Je lui réponds
jue nous ferons un digne usage de nos armes. Notre armée
régulière est plus considérable maintenant qu'elle ne
l'a jamais été au commencement d'une guerre. Il en est
demême de notre milice. Je ne prétends pas que ces fordes
soient suffisantes . Nous en aurons d'autres.
PRAIRIAL AN ΧΙ. Gir
>> Il ne s'agit pas de voter une grande somme d'argent
pour les frais de la guerre ; il s'agit d'ordonner de bonnes
mesures ; elles nous serviront mieux que l'argent. Certainement
les forces militaires de la France sont redoutables ,
ses armées sont nombreuses , sa puissance est grande , mais
nous sommes en état de lui résister. Il est plus que temps
de lui prouver , non par des paroles , mais par des actions ,
que nous ne souffrons pas qu'on nous insulte , que nous
ne nous laissons pas intimider , et que si ses soldats se
montrent en grande troupe sur le rivage opposé au nôtre ,
nous ne tomberons pas pour cela dans une terreur panique.
Il est très-possible que l'on parvienne à jeter quelques
régimens sur notre territoire ; ces régimens seront
bientôt faits prisonniers .
>> Un honorable membre a dit qu'une armée de ligne
seule pouvait résister à une armée de ligne . Cela est vrai ,
s'il ne s'agit que d'une bataille; cela est faux , s'il s'agit
d'une guerre prolongée. L'Amérique en a été la preuve :
notre armée a constamment battu les Américains ; mais ,
à la fin , les milices américaines ont accablé notre armée.
La France en a été la preuve : l'armée du roi de Prusse
était composée des meilleures troupes régulières de l'Europe
, et les Français ne leur ont opposé que des gardes
nationales . Tout le monde sait quel a été le résultat . Non,
non , notre insolent ennemi ne nous insultera pas impunément
: s'il nous attaque , malheur aux assaillans ! >>>
M. Pitt est satisfait en grande partie de ce qu'il vient
d'entendre de la bouche de son honorable ami : il est bien
aise d'apprendre que les ministres ne regardent pas la
milice actuelle comune suffisante pour assurer le salut public
: ils se proposent d'employer des forces additionnelles .
Mais ils pensent que le moment n'est pas encore venu de
les faire connaître. Quant à moi , je déclare que la meilleure
de toutes les mesures est d'augmenter l'armée régulière.
Il faut ébranler l'opinion publique ; lui faire connaître
sur-le-champ toute l'étendue du péril et la disposer à
une guerre vigoureuse. Je n'hésite point à avouer que nous
n'avons pas les moyens de faire une guerre offensive
mais nous en ferons mieux la guerre défensive . Je loue les
ministres de ce qu'ils considèrent attentivement comment
ils doivent agir ; mais je leur crie , agissez , agissez promptement,
les délais ne nous conviennent plus. Que l'on vote
d'abord les grandes mesures ; nous nous occuperons ensuite
de la dépense. La question est celle-ci :voule-zvous
Qq3
612 MERCURE DE FRANCE ,
sauver votre pays ? sauvez-le si vous le pouvez par la voie
la plus sûre et la plus prudente , mais sauvez-le, Adoptez ,
s'il le faut , des moyens qui attachent sur vous une haine
temporaire. Ayez le courage de lutter contre les préjugés ;
ne songez qu'au salut de l'Angleterre , qu'à son honneur .
Eussiez-vous à vaincre de la résistance , marchez , et que
notre pays soit sauvé . Je suis prêt à prendre sur moi une
partie du blâme. Toute la chambre doit être convaincue
que nos forces actuelles sont insuffisantes : tous les membres
doivent déclarer en leur nom , au nom du parlement ,
au nom de la nation , que l'on ne doit plus perdre un seul
instant pour adopter une forte mesure. Nous sommes sur
le point de nous occuper de finances : il convient que le
peuple connaisse clairement le fardeau qu'il va supporter ,
qu'il connaisse l'étendue des dépenses , et la grandeur de
ses devoirs .
Des préparatifs extraordinaires , des moyens extraordinaires
, voilà ce qu'il nous faut ; et voilà ce qu'il ne faut
pas laisser ignorer. Je ne pense pas que notre milice soit
trop nombreuse ; je pense que notre armée de ligne ne
l'est pas assez . Nous pouvons beaucoup augmenter cette
dernière sans nuire ni à l'industrie ni à l'agriculture. En un
mot , que tout le pays soit sur un pied militaire .
Du 9juin .-Le club des Whigts s'est réuni mardi pour
son dernier dînerà la Taverne de Londres . M. Fox a déclaré
dans le discours qu'il a prononcé à cette occasion , que les
causes de la guerre actuelle sont plus futiles encore que
celles de toutes les querelles précédentes ; que rien n'eût été
plus facile à arranger que les différends des deux nations;
i a formé des voeux pour que l'on n'ait pas à regretter d'avoir
fait la guerre avec cette incroyable légèreté .
Du 10. Cet après-midi , les négocians qui se présentent
pour acheter l'emprunt , ont eu audience du ministre.
On demande onze millions ; le restant des subsides pour
le service de cette année , sera levé sur des taxes additionnelles.
On assure qu'on proposera ce soir un vote additionnel
de 40,000 matelots ,y compris 8,000 gardes- marine.
Le général Stuart a ordre de se rendre de Malte en Sicile
avec 3000 hommes , pour protéger cette île contre une
invasion des Français. Il se portera dans les environs de
Messine , afin de défendre le passage étroit de Charibde
etScylla des anciens , tandis qu'une escadre anglaise reseraen
croisière dans le détroit de Messine et au nordde l'ile.
:
PRAIRIAL AN XI. 613
Onparle d'une conscription pour la milice,d'unhomme
sur sept.
M. Addington a eu une conférence avec les banquiers
et négocians de la Cité. Il a annoncé qu'il aurait
besoin de millions sterlings. On compte sur une dépense
annuelle de 50 millions sterlings .
Le bruit se répandit samedi , à la Cité , que Bonaparte
avait été assassiné.
Le ministre a annoncé que les impositions seraient
lourdes , et on lui a démandé si les fonds publics seraient
taxés ; il a répondu : certainement.
Un messager français est arrivé hier soir , dimanche, à
huit heures , avec des dépêches de M. de Talleyrand pour
lord Hawkesbury. Il était si pressé d'arriver qu'il n'a point
voulu attendre à Calais un paquebot régulier , mais s'est
embarqué dans un bateau découvert, bien que le vent fût
violent et contraire. Lorsqu'il est arrivé à Douvres , le
télégraphe a prévenu le gouvernement de son arrivée. Les
dépêches qu'il a apportées ont été sur-le-champ envoyées
àlord Hawkesbury , à sa maison de campagne. Les ministres,
qui étaient absens , ont été convoqués pour cematin.
On conjecture que Bonaparte désire renouveller des négociations
de paix ( 1 ) .
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE.
Tandis qu'au dehors tout prend une face guerrière ,
au dedans tout s'arme , tout se combine , tout se prépare.
Lyon , Rouen , Strasbourg , Anvers se sont joints à la
ville de Paris ; tout redouble d'activité : les chantiers
d'Anvers sont déjà disposés pour la frégate de quarante--
quatre canons , offerte par le département des Deux-
Nèthes . Les contributions du commerce de Paris , et celles
de la ville de Strasbourg ont pris une organisation déçidée.
Le département du Nord a offert un vaisseau ; celui
du Tarn une frégate. Des adresses de toutes les parties
de la France apportent au gouvernement l'hommage des
mêmes dispositions. Le département de la guerre marche
( 1 ) Nous avons lieu de penser que ce conseil était relatif à la convention
couclue par le général Mortier en Hanovre. Un courrier ev
traordinaire a porté cet acte à la ratification du roi d'Angleterre , le
premier consul attendant cette ratification pour ratifier lui-même.
(Journal officiel. )
Qq4
614 MERCURE DEFRANCE ,
du même pas que celui de la marine. Un grand nombre
d'officiers-généraux , membres du sénat , du corps législatifet
du tribunat , ont écrit au premier consul, pour lui
offrir leur dévouement. Quatre légions , formant environ
15 mille hommes vont être levées dans les départemens
des Alpes-Maritimes , de la Doire , du Léman , de Marengo
, du Mont-Blanc , du Pô , de la Sesia , de la Stura
et duTanaro; elles seront rassemblées à Turin , à Chambéry
et àNice. L'ordre est donné à tous les officiers et soldats
qui ont obtenu des congés limités , de se rendre surle-
champ à leurs drapeaux. La mesure des conscrits se
presse avec une nouvelle activité. En vertu d'ordres supérieurs
du gouvernement , et d'un arrêté du préfet , la
ville d'Anvers a été mise à exécution militaire , pour
n'avoir pas encore fourni son contingent de conscrits. Le
préfet du département du Rhône à Lyon , a adressé à tous
les maires du département , une circulaire pour leur annoncer
qu'il serait établi des garnisons chez les parens
des conscrits réfractaires , ou chez ceux qui leur donneraient
asile : plusieurs autres préfets ont pris une semblable
mesure.
D'unautre côté , rien n'est négligé dans toutes les parties
d'ordre public. Le ministère des finances vient d'organiser
l'administration monétaire ; elle sera composée de
trois membres nommés par le premier consul. Le ministre
de l'intérieur vient d'écrire aux préfets des départemens
, relativement à la vaccination , une lettre circulaire
,qui fait espérer que l'usage de ce traitement pourra
faire disparaître le fléau de la petite-vérole. Nous sommes
obligés de citer en même temps une lettre du ministre
grand-juge au préfet du département de la Meurthe. Il
paraît , par cette lettre , que des émigrés rayés ou amnistiés
ont cherché à intervenir dans des actes de vente de
leurs anciennes propriétés , pour garantir ces ventes , et
renoncer à tous droits qu'ils ont , ou pourraient avoir sur
ces propriétés. « Vous regardez très-justement ces con-
>> ventions illusoires , comme inconvenantes , et on doit
>> s'étonner qu'il se trouve des fonctionnaires publics qui
>> se permettent de les insérer dans les actes qu'ils re-
>> coivent. >> Tels sont les termes de la lettre du grandjuge.
Nous n'avons , comme on peut le croire , aucune
observation à faire sur cette lettre .
Nous nous arrêterons avec plus de plaisir sur l'essor que
prennent par-tout les esprits contre l'ennemi commun. {
PRAIRIAL AN XI. 615
On vient de publier de nouveau , et de remettre en vente
unenotice historique des descentes qui ont été faites dans
les îles britanniques , depuis Guillaume le Conquérantjusqu'à
l'an 6, avec une carte qui nous a paru très-bien
faite. M. de Thilorier n'est pas le seul aéronaute qui s'occupe
des moyens d'envahir l'Angleterre ; le fameux Blanchard
vient de déposer chez le maire de Cherbourg , un
instrument qu'il vient d'appliquer à l'art de la navigation .
Get instrument peut suffire , dit-on , à faire voguer un
bâtiment sans voiles , sans cordages , sans mâts , sans vent ,
et même contre le courant et sans bruit. Une lettre du
maire de Cherbourg , qui constate le dépôt de cette ma
chine, annonce que l'expérience en sera faite incessamment.
"
:
La cour de Vienne a fait contredire officiellement la
nouvelle publiée dans quelques gazettes , que les ports de
l'Adriatique seraient fermés aux Anglais , et la Valachie ,
cédée par la Porte à la maison d'Autriche .
Le roi de Prusse n'a pas cru devoir envoyer de nouveaux
renforts en Westphalie , se confiant pleinement en
l'assurance que le général en chef de l'armée française a
donnée au général Blucher , qu'aucune violation du territoire
prussien n'aura lieu. S. M. a reçu aussi du C. Laforest
, nouvel ambassadeur de la république française à
Berlin , une déclaration sur le même sujet , également satisfaisante
.
Il y aura bien un cordon sur les frontières de la Prusse ,
du côté du Hanovre , mais il sera formé de poteaux avec
l'aigle prussienne , et les français sauront respecter cette
barrière , comme si elle était protégée par une triple li
gue de bataillons .
On écrit de la Haye ( 19 prairial ) : « On ne serait pas
surpris de võir , lorsque l'heure en sera venue , l'électorat
d'Hanovre devenir un objet de compensation , qui serait
offert par la France , à un prince dont les intérêts ont été
indignement sacrifiés par l'Angleterre , et qui n'a perdu
son rang que pour avoir originairement épousé la querelle
de cette puissance. On voit assez qu'il est question
ici de la maison d'Orange , à qui la France a déjà fait sentir
, dans plus d'une occasion , qu'elle ne se souvenait plude
la conduite qu'avait tenue , dans les premières années
de la guerre ; l'ancien chefdu gouvernement hollandais.
616 MERCURE DE FRANCE ,
M. Liston , ministre de la Grande-Bretagne à la Haye,
vient de quitter cette résidence pour retourner en Angleterre
; et réciproquement M. Schimmelpenninck , ministre
de la république batave près le gouvernement britannique
, doit, dans ce moment, être parti de Londres , pour
retourner à la Haye.
Le vice-consul d'Angleterre , résidant à Hambourg , a
adressé ( le 2 juin) aux capitaines marchands de sa nation
la circulaire suivante :
<< Messieurs , il vous est enjoint de sortir du port avec
vos navires , et de les disposer à faire voile dans une heure ,
afin de pouvoir vous rendre avec le reflux à Cuxaven. »
Hambourg , le 2 juin 1803. Signé ED. NICHOLAS ,
vice-consul.
PARIS.
Le 22 prairial , à huit heures du matin , une partie de
la garde à cheval des consuls est partie pour se rendre à
Eruxelles.
Les entrepreneurs , constructeurs de vaisseaux , invités
par l'avis publié , à adresser à la chambre de commerce
de Paris , leurs soumissions pour la construction , le
gréement , l'armement et l'équipement du vaisseau de 120
canons , le Commerce de Paris , sont prévenus que , par
décision du ministre de la marine , cette construction
devra avoir lieu à Rochefort.
Le corsaire le Courrier de Terre- Neuve , capitaine Leg ,
de Saint-Malo , a pris un navire de 500 tonneaux , chargé
de tabac , rhum et thé.
Le corsaire l'Impromptu de Boulogne-sur-Mer , capitaine
Pequel , a capturé dans la Tamise un superbe brick
anglais , nommé le Sunderland , chargé de bois de construction.
Cettte prise est entrée le 18 de ce mois àOstende.
Deux bateaux français armés , ont pris un navire anglais
près de Margatlı .
A Bonaparte-le-Grand , les soldats soussignés , membres
du sénat , du corps législatif et du tribunat.
2
Géné al , nous venons vous demander une faveur que vous ne refuserez
pas à Lotre zèle et à notre affection .
PRAIRIAL AN XI 617)
Sans vouloir pénétrer les secrets de votre sagesse , en laquelle
nons aurons toujours une pleine et entière confiance , et seuleusent si
tel est l'ordre de vos desseins , et dans le cas où vous n'aurez pas
autrement disposé de nous, nous vous prions de nous admettre à borp
du vaisseau qui vous portera en Angleterre , et avec vous la vengeance
et les destinées du peuple français .
G
Signés Kellermaun , Pérignon , Serrurier , Lamartillière , l'Espinasse
, Rampon , Vanbois , Cazabianca , Dubois -Dubay, Dédelayd'Agier,
Béguinot , Jacopin , Ligniville, Lefranc, Latour-Maubourg ,
Auguis , Nattes , Aniel Duranteau , Toulongeon , Regnaud-Lascours ,
Burdenet, Travenet , Tarrasson , Dalesme , Despalières , Sapey
Duhamel , Sahuc, Auguste Jubé, DDaarruu ,, Félix Beaujour , Leroi ( de
l'Orne ) , Chabaud-Latour , Carrion-Nisas , Emile Gaudin ,etc., etc)
,
Le général Dessolles est attendu à la Haye , avee un
corps d'armée , dont il aura, dit-on , le commandement.
M. Otto estnommé ministre plénipotentiaire àMunich.
Le général Bernadotte ne partira point pour les États-
Unis. On dit qu'il sera remplacé , dans son ambassade, par
M. Laussat,préfet colonial de la Louisiane.
Les nouvelles arrivées à la Porte , d'Alexandrie et
de toute l'Egypte , constatent que le général anglais avant
de quitter Alexandrie , a passé trois jours au milieu des
Mamelucks , a cherché à concerter avec eux des mesures
contre la Porte et les a assurés de la protection de la
Grande-Bretagne. Ely Bey qui s'est embarqué avec les Anglais
doit continuer à Malte de correspondre avec les Mamelucks.
( Journal officiel. )
ا ل
L'embargo a été mis à Brême sur tous les bâtimens
anglais pour tenir lieu aux Brémoisde leurs bâtimens pris
par les Anglais. ( Journal officiel. )
Les Français ont trouvé à Stade une frégate de 30
canons. ( Idem. ).
Le depart du premier consul , qui devait avoir lieu
aujourd'hui , vendredi , est retardé. On le dit renvoyé à S
jours...........
Le comte de Marcoff , anıbassadeur de Russie , va prendre
les eaux de Barrège.
La frégate l'Uranie a pris un bâtiment anglais de
huit pièces de canon et de 26 hommes d'équipage.
1
618 MERCURE DE FRANCE ;
Le navire anglais le John , venant de la Trinité , a été
capturé par le vaisseau français l'Intrépide.
Une polacre anglaise , venue de Damiette , en42 jours ,
a été capturée par un corsaire français.
Unbrigantin anglais a été capturé par un brick ,
mandé par le capitaine Volaire.
com-
La maison Barillon a fait l'offre patriotique de faire
construire à ses frais un bateau plat de troisième espèce.
Le conseil d'arrondissement de Lille , département
du Nord , à émis , le 5 prairial , le voeu d'offrir à l'état
un bâtiment équipé et armé de 30 canons , qui portera le
nom de l'Arrondissement de Lille.
Le conseil-général du département de la Côte-d'Or
a arrêté qu'il serait offert , au nom du département ,
roo pièces de canon de dix-huit. La culasse de chacune
deces bouches à feu portera ces mots : La Côte-d'Or , au
premier Consul. Pour satisfaire à cette dépense , le même
conseil a voté une imposition de 5 centimes par franc.
Nouvelles Règles pour la pratique du dessin et du
lavis de l'architecture civile et militaire , par C. M. Delagardette
, professeur d'architecture , architecte des bâtimens
civils , ancien professeur de l'école des beaux-arts à
Rouen , membre de la société libre des sciences , belles
lettres et arts de Paris , architecte de l'école de médecine
de Montpellier. Unvol. in-8°. avec 20 planches supérieure
mentgravées. Prix , broche , 6 fr. et 7 fr. par la poste.
A Paris , chez Barrois l'aîné et fils , libraires pour l'architecture
et l'art militaire , rue de Savoie , n°. 23 .
Et chez le Normant , imprimeur-libraire , rue des.
Prêtres-Saint-Germain-l'Auxerrois , n°. 42 .
PRAIRIAL AN XI. 619
TABLE
Du quatrième trimestre de la troisième année
du MERCURE DE FRANCE.
TOME DOUZIÈME.
LITTERATURE.
POÉSIE.
PARAPHRASE du psaume Dixit Dominus , page 3
Le Printemps , ( trad. de Métastase. )
:
5
Envoi d'un serin. 7
Imitation de la Partenza di Nice , ( de Métastase. ) 49
Elégie sur la mort de Saint- Lambert. 51
Fragment d'un poëme. 97
Inscription pour le jardin des Plantes. 102
Imitation de l'épitre d'Héloïse à Abailard de Pope. 145
et479
Paraphrase du psaume In Exitu. 195
Mort de Nisus et Euryale ,( trad. de Virgfle. ) 241
Ode à la Pudeur. 244
Les deux rats , ( trad. d'Horace. ) L 289
L'Avare , ( trad. du Buchanan.) 291
De tout un peu ; chanson. :
337
Monologue gascon.
539
L'Égyptéïde , poëme , ( fragment. )
385
Romance.
388
Vers lus au premier consul , le jour de sa visite au
PrytanéedeParis, 589
620 MERCURE DE FRANCE ,
Impromptu au même ( lat. et franç . )
Cure merveilleuse .
360
433
Stances . 483
:
١٠٨
Epître à la Bonte. 527
Fragment d'une Traduction du 13°. Chant de
e Orlando Furiosa 575
EXTRAITS ET COMPTES RENDUS D'OUVRAGES .
Traité de l'éloquence du barreau , par M. Gin.
Nouveau Dictionnaire d'Histoire naturelle .
La Pitié , poëme par M. Delille.
I I
18
22 et 172
Oeuvres de Bernard .
:.
24
A r
Hippolyte ou l'enfant sauvage , roman. ১ 28
Le Pénitent instruit . 30
Atlas , Hist. et Géogr. de M. Lesage. Id.
Histoire des lois civiles , sur le mariage et sur le divorce
, par A. Nougarède. 65
Oeuvres de Parni. ! 77
Histoire de Gustave Wasa , roi de Suède . 105
,
Les Ages français , poëme de Lemercier. 121
Le chemin du ciel, ou l'Hôpital des fous , satire
chrétienne . 125
:
Essais hist. sur les causes et effets de la révolution de
France, par C. F. Beaulieu. 157
Lettres Athéniennes , ( trad. de l'anglais.) 167
Le Faux Dauphin . : 176
Manière d'apprendre et d'enseigner , ( trad. de Jouvency.
)
201
Lettres inédites de J. J. Rousseau . 1208 et 215
Galerie des antiques. 215
L'éducation , роёте.
Eustasia , hist. italienne , par d'Arnaud.
Léontine , ou la Grotte allemande
Essai deMétaphysique , de politique et de morale.
Précis historique de la Révolution Française , par
M. Lacretelle , le jeune.
217
219
231
225
247
PRAIRIAL AN XI. 621
Hippolyte, tragédie de M. de Palmezeaux,(Cubières.) 258
Fontenelle , Colardeau et Dorat , par M. Cubières. 279
Pensées de Léibnitz sur la religion et la morale. i 295
1
Sur les finances , le commerce , etc. 306
Génie du Christianisme , seconde édition . 319 et 341
Le Printemps d'un Proscrit , troisième édition. 322
Ephémérides politiques et religieuses , 324et505
Fables de Boisard . 362
Théorie de l'imagination . 371
Testament du major-général Cl. Martin. 373
Les Femmes , etc. , par J. Al. de Ségur. 393
Voyage de Candide fils , au pays d'Eldorado .
Les voyageurs en Suisse , par M. Lantier.
Lettres philosophiques et historiques sur l'Inde.
Sur l'astronomie .
Sur les pierres tombées du ciel .
Sermons de M. Géry.
Dialogues sur l'éloquence , et Sermons choisis de Fénélon
.
402
411
412
415
416
418
439
Ouvrages posthumes de Florian. 449
Poésies de Clotilde de Vallon- Surville. 485
Théagènes et Chariclée , ( trad. d'Héliodore. ) 497
Le Calendrier de Flore. 501
:
Oeuvres de Sterne . 535
De l'architecture égyptienne. 544
Fragment d'un ouvrage sur le Bonheur. 181
Cornelius Népos français.
152971
590
VARERLAST
Apologie de la religion ; par M. de Laharpe, ( fragment.)
2.1 00
Des institutions morales , ( fragment. )
Observations sur un passage d'Homère.
Athénée de Paris.
r
57
113
151
225
Les Sciences doivent-elles l'emporter sur les lettres ?, 310
De quelques maximes dangereuses. 461
BIBL. UNIV.
GENT
622 MERCURE DE FRANCE ,
Au Rédacteur. 557
Malesherbes. 595
Pariset ses Modes , ou les Soirées parisiennes . 597
SPECTACLES
1
Théâtre de la République et desArts.
Proserpine , opéra. 84
Théatre Français.
Le Veuf amoureux , comédie en trois actes. Idem .
Theatre Feydeau.
Les Confidences . Ibid.
Théâtre Louvois.
Le Valet embarrassé , comédie en quatre actes.
Les Maris en bonne fortune, comédie.
31
87
La Suite du Menteur. 227
Le Vieillardet les Jeunes gens , comédie en cinq
actes , par Collin-d'Harleville . 559
A POLITIQUE. :
Aperçus généraux et nouvelles extérieures. 34, 85 ,
128,181,250 , 284, 327,376, 421, 464, 508, 517, 562,
603.
Nouvelle banque de France. 187
Note adressée par le ministre des relations extérieures
à l'ambassadeur d'Angleterre. 422
Pièces officielles relatives à la négociation avec l'Angleterre.
Déclaration du roi d'Angleterre.
468
511
Convention entre le général Mortier et la régence
d'Hanovre. 572
Tribunat. 55 , 90, 132, 182, 250, 286 , 329,380 ,
٠٤
430 ,466.
Corps législatif. 41 , 91 , 134, 182 , 232 , 287 , 330 , 381 ,
:.
451, 465, 510.
Loi sur la levée des conscrits des années II et 12.
Paris.
236.
185,332 , 381 , 431 , 571,616.
Qualité de la reconnaissance optique de caractères