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Nom du fichier
1801, 12, 1802, 01-03, t. 7, n. 37-42 (22 décembre, 6, 21 janvier, 5, 20 février, 7 mars)
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24.80 Mo
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491
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Texte
MERCURE
DE.
FRANCE ,
LITTÉRAIRE ET POLITIQUE.
TOME SEPTIÈME.
RES
ACQUIRIT
EUNDO
CIETE
DE
A PARIS ,
DE L'IMPRIMERIE
DE DIDOT JEUNE
AN X.
BIBL . URI ,
GANT
COMMER

DEPT
【N.º XXXVII . 1) I .: Nivose Añ 10 .
MERCURE
DE FRANCE.
LITTÉRATURE. :
FRAGMENTS d'une traduction de l'Art
poétique D'HORACE *.
Qu
། ་ ་་་་
U'UN peintre, obéissant au faux goût qui l'entraîne,
Sur le cou d'un cheval place une tête humaine ;
Qu'à des membres divers ses bizarres pinceaux » * )
Joignent , en cent couleurs , les plumes des oiseaux ;
Qu'un désordre insensé dans ce tableau domine ,
Et qu'un buste de femme en poisson , se termine :
Dites -moi , pourriez - vous , observant chaque trait ,
Ne pas rire , Pison , d'un semblable portrait ?
Image d'un poème , où toutes les parties
Ne marchent point ensemble et sont mal assorties
Où la fin répond mal au début , au milieu ;
Où les pieds , où la tête , où rien n'est en son lieu :
Tel un songe confus , dont les traits vains et sombres
Sont dans un cerveau creux enfantés par les ombres .
པར
* L'auteur nous a confié plusieurs morceaux de cette
traduction d'Horace , qui est achevée. On peut la comparer
à celles qui existent déja .
REP.FR
7. I
4 MERCURE DE FRANCE,
LE Peintre et le Poète ont droit de tout oser.
J'en use , et comme moi , vous pouvez en user.
Osez donc mais pourtant , : observateurs sévères ,
Vous ne devez jamais allier les contraires ,
Et par un fol accord , joindre dans nos tableaux
Les oiseaux aux serpents , les tigres aux agneaux.
PAR un début pompeux , fruit de ses longues veilles ,
Celui- ci me promet les plus grandes merveilles ;
Il va décrire , après l'arc - en -ciel , l'horizon ,
Les flots du Rhin , un temple , un autel , un gazon ,
Un ruisseau dont le vent effleure la surface.
Ces cyprès sont bien peints ; mais sont - ils à leur place ?
Tu soignes un cyprès quand les mers vont s'ouvrir ;
Quand sur un bois flottant le nocher va périr ,
Tu fais tourner la roue avec un air d'emphase :
Voyons ; j'attends une urue il sort un méchant vase.
C'EST peu que certains traits ravissent le lecteur ;
Au fond de l'atelier , regardez ce Sculpteur.
Le marbre , sous sa main , rival de la Nature ,
Peut s'arrondir en doigt , flotter en chevelure;
Quelques détails savants sont finis avec goût.
Mais l'ensemble est manqué , point d'accord dans le tou
UN vieux mot que le goût aura mis en sa place ,
Peut de la nouveauté vous présenter la grace .
N'innovez jamais rien sans de justes sujets ;
Créez de nouveaux mots pour de nouveaux objets
Il vous sera permis , s'ils sont Grecs d'origine ,
De les faire adopter par la Muse latine ;
Et pourquoi dépouiller Virgile et Varius
D'un droit qu'avaient jadis Plaute et Cécilius
NIVOSE AN X. 5
Vous pourrez de ces mots enrichir le langage ,
S'ils sont marqués par l'art au vrai coin de l'usage.
Aux feuillages naissants qui parent ces ormeaux ,
Succéderont un jour des feuillages nouveaux.
Ainsi les mots anciens tomberont de vieillesse ;
Les nouveaux brilleront des fleurs de la jeunesse.
Tout périt : les mortels , leurs ouvrages , leurs arts ;
Le temps détruit ces ports creusés par les Césars .
Ces digues , ces canaux , ces enceintes profondes ,
Où d'un fleuve étonné l'art dirige les ondes ;
Ces palais , jusqu'ici par le temps éprouvés ,
Tomberont avee ceux qui les ont élevés ;
Et lorsque tout périt , que tout change et tout passe
Les mots conserveraient leur éclat et leur grace ?
Quelques - uns sont tombés et renaîtront un jour ;
D'autres qu'on voit régner passeront à leur tour
Dominant sur les mots , le sceptre de l'usage
Leur impose des lois et règle le langage.
·
LE chantre d'Ilion , modèle des auteurs ,
Peint en grands vers les rois , la guerre et ses horreurs .
DANS ses vers inégaux , la touchante élégie ,
Des plaintes de l'Amour exprime l'énergie ;
Elle en sait peindre aussi Palégresse et les jeux.
Les juges cependant se disputent entr'eux ,
Sur le nom de l'auteur dont l'oreille si sure
Des pieds de Pélégie accourcit la mesure.
ON dit que de l'iambe Archiloque inventeur ,
S'en arma le premier pour servir są fureur ; an
L'ïambe qu'ont choisi Thalie et Melpomène ,
Est fait pour le récit , et convient à la scène 3
MERCURE DE FRANCE ,
Il pressé l'action , et dompte les clameurs
De ce peuple orageux qui juge les auteurs .
L'ode doit célébrer en vers mélodieux

Les courses , les festins , les amants et les Dieux .
Elle peint tour -à-tour , imposante ou légère ,
Des athlètes couverts d'une noble poussière ,
Des buveurs qui gaîment vont noyer leurs chagrins ,
Et Jupiter qui tonne , ou sourit aux humains .
MAIS quoi ! peut- on chanter, lorsque de chaque ouvrage
On ignore le ton , la couleur , le langage ?
Lisez ; instruisez - vous . Vaut- il mieux s'égarer ,
Que de prendre un flambeau qui peut vous éclairer?
TOUT doit garder son rang : une scène comique
Déplaît en vers pompeux qu'adopte lé tragique ,
Et des vers familiers , dignes du brodequin ,
Ne peignent point Atrée et son affreux festin .
LE comique souvent s'exprime avec noblesse ;
Parfois , dans le tragique , il faut que l'on s'abaisse ;
Crémès gourmande un fils d'un ton majestueux ;
Quand il veut m'attendrir sur son sort rigoureux .
Télèphe , à son malheur , conforme son langage ,
Et des termes pompeux il ignore l'usage .
CE n'est rien de briller ; il faut savoir toucher ;
C'est toujours vers ce but que vous devez marcher,
Auteurs qui desirez réussir sur la scène :
Il est dans la nature une règle certaine ;
L'objet lugubre , ou gai , que l'homme a devant lui ,
Inspire à son esprit l'alégresse ou l'ennui , '
Je regarde quelqu'un : je prends à la même heure
Un air riant , s'il rit ; un air triste , s'il pleure .
Si l'auteur , pour chercher le chemin de mon coeur ,
NIVOSE AN X. 7
Remplit par de grands mots la bouche de l'acteur ,
Ses discours , ses malheurs jamais ne m'attendrissent .
Mais lorsque vos sanglots dans mon coeur retentissent ,
Téléphe , c'est alors que je sens vos douleurs ,
Et lorsque vous pleurez , je sens couler mes pleurs .
L'HOMME a-t- il un air gai , ses mots sont pleins de grace ;
Paraît-il en courroux son langage menace ;
'
Car la nature est vraie et ne trompe jamais ;
Elle agit dans nos coeurs et se peint dans nos traits ;
Le courroux nous transporte , ou la pitié nous touche ,
Et les termes alors sortent de notre bouche ,
Pénibles ou coulants , doux ou majestueux ,
Des sentiments du coeur interprètes heureux.
QUE l'image du coeur soit donc bien exposée ,
Ou du peuple et des grands vous serez la risée .
NE vous y trompez pas ; l'homme a ses passions ,
Son âge , son pays , ses occupations.
A connaître ses tons que votre esprit s'applique ;.
Voyez - vous qu'un vieillard en jeune homme s'explique ?
Un sénateur jamais ne parle en financier ,
Une nourrice en reine , un valet en guerrier.
Même , à différents traits , on reconnaît sans peine
Celui qui fend les flots de la liquide plaine ,
Celui qui , dans ses champs , jouit d'un doux repos ,
Et l'habitant de Thébe et celui de Colchos.
REPRÉSENTEZ chacun d'après la renommée .
Que l'on me peigne Achille et sa rage enflammée ;
Io toujours errante en proie à ses tourments ;
Que j'entende d'Ino les longs gémissements ;
Qu'Oreste soit troublé du remord qui l'accable ;
Qu'Ixion soit perfide , et Médée implacable , etc.
8 MERCURE DE FRANCE ,
LA NAISSANCE DE L'ARIOSTE ,
FRAGMENT du Poème de l'Imagination , par M.
l'abbé DELILLE.
DE tableaux sérieux quelquefois rembrunie ,
L'Imagination, pour égayer sa cour ,
Permet aux Ris légers d'y paraître à leur tour.
Un jour que de l'ennui les vapeurs léthargiques
S'exhalaient d'un amas d'écrits soporifiques
D'insipides sonnets , d'odes sans majesté ,
De poèmes sans art , de chansons sans gaîté ,
Pour bannir les langueurs de la mélancolie ,
La Déesse appela le Goût et la Folie ,
Et leur dit d'enfanter un prodige nouveau .
L'Arioste naquit ; autour de son berceau
Tous ces légers esprits , sujets brillants des Fées ,
Sur un char de saphir , des plumes pour trophées ,
Leurs cercles , leurs anneaux et leur baguette en main ;
Au son de la guitare , au bruit du tambourin ,
Accoururent en foule , et fêtant sa naissance ,
De combats , de démons , bercerent son enfance.
Un prisme pour hochet , sous mille aspects divers ,
Et sous mille couleurs lui montre l'univers.
Raison , gaîté , folie , en lui tout est extrême ;
Il se rit de son art , du lecteur.... de lui -même ,
Inspire un sentimeut qu'il étouffe soudain ,
D'un récit commencé rompt le fil dans sa main
Le renoue aussitôt , part , s'élève , s'abaisse.
Ainsi d'un vol agile , essayant la souplesse
Cent fois l'oiseau volage interrompt son essor ,
S'élève , redescend , et se relève encor
1
NIVOSE AN X.
9
S'abat sur une fleur , se pose sur un chêne ,
L'heureux lecteur se livre au charme qui l'entraîne
Ce n'est plus qu'un enfant qui se plaît aux récits
De géants , de combats , de fantômes , d'esprits ,
Qui , dans le même instant , pleure , desire , tremble ,
S'arrête , s'adoucit , pleure et rit tout ensemble , etc.
Dans les vers suivants , le même auteur a essayé
d'exprimer ce que le peuple instruit par
Moïse offre de miraculeux , et surtout la longue
durée des impressions religieuses qu'il a reçues.
dece grand législateur . Leculte saint , dit le poète,
Par le sage Moïse aux Hébreux fut transmis ;
Les Hébreux dont la race , en prodiges féconde ,
Remontent dans les temps jusqu'au berceau du monde.
Jamais législateur , par des traits si puissants ,
Ne frappa la pensée et n'ébranla les sens :
Pour monarque à son peuple il donne un Dieu suprême ,
Ce Dieu le récompense et le punit lui - même .
Dans les flots suspendus Dieu lui fraye un chemin.
Ce Dieu , dans les déserts , le conduit par la main. "
Nourri par un prodige , instruit par des oracles ,
Il ne marche jamais qu'entouré de miracles.
Reçoivent-ils la loi du Dieu de l'univers ?
C'est au bruit de la foudre , aux lueurs des éclairs.
Aussi cette loi sainte , avec terreur suivie ,
Saisit tous leurs pensers , soumet toute leur vie ,
Les accompagne aux champs , aux combats , aux festins
Elle règle leurs mêts , elle ordonne leurs bains ,
Les suit dans leurs foyers , leur parle dans le temple ;
Sur les tables d'airain , sans cesse il la contemple.
Chez quelles nations , dans quels temps , en quels lieux ,
Un culte plus auguste a-t-il honoré Dieu ?
jo MERCURE DE FRANCE ;
Les candelabres d'or , les pierres précieuses
Des Lévites en choeur les voix mélodieuses ,
Les parfums , les métaux , les arts les plus vantés ,
Tout rehaussait l'éclat de ces solennités.
Mont sacré de Sion , redis- moi quels cantiques ,
Quels hymnes résonnaient sous tes palmiers antiques !
L'Esprit divin lui - même y répandait son feu ,
Partout la voix , la main et le regard d'un Dieu .
Ainsi marqués dès- lors d'un sceau que rien n'altère ,
Ils en ont conservé l'éternel caractère .
A travers tant d'états , d'âges , de lieux divers ,
Tout seuls avec leur loi , parcourant l'univers ,
Seuls ils ont demeuré sur sa base profonde ,
Comme ces vieux rochers contemporains du monde.
Το
1
ENIGM E.
OUT au rebours de la chauve - souris ,
Je porte plume et suis dépourvu d'aile .
Si sur la nuit ses voyages sont pris ,
A cet égard je diffère encor d'elle :
Communément je ne vais que de jour.
Quand je descends au terreste séjour ,
Tel de mon vol observe la justesse ,
Qui , si j'arrive au gré de son desir ,
1
Jaloux de montrer son adresse ,
Me reçoit et me chasse avec même plaisir.
NIVOSE AN X. II
LOGOGRIPHE.
AVEC cinq pieds , lecteur , je présente un mélange ,
De vices , de vertus , de raisons , de travers.
Si vous m'ôtez le coeur : mes caprices divers
Gouvernent à leur gré cet assemblage étrange .
Retranchez -vous ma tête en ce nouvel état ,
Je célèbre la paix , j'anime le combat.
Insérez un seul pied , et je présente au sage
De nos rapides jours une sensible image.
CHARADE.
DE la fidélité mon premier est l'image ;
Par lui le brigand repoussé
Craint que de mon second il n'aille faire
usage ;
D'un mal par fois cruel votre estomac brisé
Avec mon entier se soulage.
Mots de l'Enigme et du Logogriphe insérés
dans le dernier Numéro .
Le mot de l'Enigme est chaise.
Le mot du Logogriphe est cajolerie , ou l'on trouve
Eole , colère , lie , carie , lyre ,jolie.
12 MERCURE DE FRANCE ,
«<
HISTOIRE de la Rivalité de la France et do
P'Espagne , parG. H. GAILLARD , ci-devant
l'un des quarante de l'Académie française ,
et doyen de l'Académie des Inscriptions et
Belles-Lettres , 8 vol . in- 12 . A Paris , chez
Lavillette , rue Saint- André- des-Arcs. Prix
2 francs.
.
LE respectable écrivain qui vient d'ajouter ce
travail à tous ceux qui ont honoré sa vie , en a
voulu retirer , dit- il , le même fruit que Tite-
Live espérait de la composition de l'Histoire
de la liberté romaine. << En reportant ma
pensée toute entière vers les anciens souve-
« nirs , j'espère écarter un peu de moi la
<< vue des maux épouvantables qui ont affligé
<< notre âge * » . Le sage cherche ainsi à reposer
son esprit ; il ne veut que penser , et sait que sa
pensée servira l'avenir. Quand l'âge présent a
tout emporté comme un déluge , il recherche
dans le passé les germes qui y prospérèrent et
qui peuvent redevenir féconds pour la posté
rité.
Les siècles , les nations , les moeurs , les combats
, les combinaisons politiques, le choc des puissances
qui se sont supplantées , n'offrent dans le
livre du C. Gaillard rien que n'ayent surpassé quel-
* Ego hoc laboris præmium petam uti me à conspectu
malorum quæ nostra per tot annos vidit ætas , tantisper.
sertè , dum prisca illa tota mente repeto , avertam.
TITE-LIVE. Præf.
NIVOSE AN X. 13
ques années de nos nouveaux Français . Tout a
été extrême et prodigieux dans notre temps , la
soudaineté de la ruine , l'excès des maux et
de la honte qui l'ont suivie , et l'éclat , de la
gloire qui est survenue , amenant de tout autres
destinées , et des espérances toutes nouvelles.
*
>
Les esprits ordinaires sont si remplis du
spectacle qui a frappé nos regards ; ils sont
tellement surmontés et suffoqués de cette
continuité d'étonnements , que la curiosité n'y
trouve presque plus de place pour les récits
d'événements étrangers ou anciens et que
toute surprise , autre que celle de notre révo
lution , leur paraît vulgaire. De-là cette multitude
de narrateurs et de discoureurs empres
sés , qui nous en entretiennent jusqu'à re
qu'un historien arrive . Ils sont oubliés tour- àtour
; mais ils ne le sont qu'après avoir obtenu
un moment d'attention , tandis que ce moment
même n'est pas accordé à de vrais écrits his
toriques , à des compositions sages et nobles ,
Bavantes et utiles. L'attention au temps présent
détourne beaucoup de lecteurs de celle qui
serait due à l'histoire , de même que l'étude et
la composition de l'histoire dispensent un écri
vain d'écouter trop douloureusementle bruit que
font ses contemporains.
Il y a près d'un siécle et demi que la rivalité
de la France et de l'Espagne est éteinte , et par
des traités et des alliances , et parce que l'une
des deux nations a donné des rois à l'autre , et
parce que la politique a porté sa balance vers
d'autres régions , et que le midi désormais ne
* Expression de Madame de Sévigné.
34
MERCURE DE FRANCE ,
négocie et ne guerroye que lorsque la commotion
du nord s'étend jusqu'aux extrémités dẹ
l'Europe . Tolède et Madrid furent pendant
trois cents ans un foyer très-actif, d'où naissaient
de grands embrasements qui devorèrent Naples
, l'Italie , la Sicile , qui se communiquè,
rent à la France , qui menacèrent jusqu'à
l'Angleterre. L'Espagne intrigua et combattit
au loin. Deux de ses rois furent les premiers
qui concurent , ou à qui on supposa le projet
insensé d'une monarchie universelle . Mais toute
cette ambition s'est éteinte au sein de l'inertie ,
et n'est plus qu'un ancien souvenir qui occupe
encore le repos des contemplateurs studieux ,
mais qui n'irrite plus les passions et la curiosité
de la multitude . Elle n'est émue que par
un intérêt présent et d'une importance actuelle .
Voilà ce qui recommande un livre à ses yeux.
Les sages seuls, et ils sont toujours le petit nombre ,
lisent d'abord un bon ouvrage sur les temps passés
; et leur suffrage , à la longue , amène des
lecteurs , et dédommage le libraire de la langueur
du premier débit . Ils liront cette histoire
très- bien faite ; et nous sommes persuadés qu'elle
ajoutera , peut-être beaucoup , à la réputation de
son auteur..
M. Gaillard a toujours éclairé ses travaux
historiques par d'exactes recherches , et les a
recommandés par une intention très - morale . Il
a choisi , ou des époques intéressantes , telles
que Charlemagne et François I.er , ou un sujet
d'un grand développement , tel que les rivalités
de la France et de l'Angleterre .
Celle de la France et de l'Espagne paraît ,
au premier coup- d'oeil , un fonds de narrations
NIVOSE AN X. 15
moins riche , mais la vraie différence est que
la pensée de l'Angleterre nous frappe plus vivement.
Car l'ancienne rivalité subsiste pour la
puissance et la gloire militaire ; et le progrès
des siécles en a amené une autre plus honorable
, qui s'exerce même dans la paix , celle
des inventions et des lumières. Nous ne combattions
les Anglais qu'avec le fer ou le ca
non , et nous voulons aujourd'hui les vaincre , la
charrue , ou la navette , ou le télescope à la
main . Les arts et la prospérité sont la conquête
que les deux nations se disputent. Heureux
combat ! puisse-t - il n'être plus jamais troublé
par le bruit des armes !
Les dissentions de la France et de l'Espagne
furent moins nobles et non moins animées .
Elles étaient fort anciennes ; mais leur grand
éclat dura depuis Louis XII jusqu'à la minorité
de Louis XIV, où les vieilles bandes espagnoles
succombèrent sous la valeur d'un guerrier
âgé de vingt - deux ans , celui qui fut
dès - lors et a mérité depuis d'être appelé le
grand Condé ? Quel était l'objet , quel était le
fondement de ces haines ? Nous sommes obligés
d'avouer que l'histoire en a honte . Il faut
en revenir à la réflexion que notre auteur à
tant répétée dans ses histoires. « C'est bien
<< follement et bien inutilement que les na-
< tions se combattent ; leurs guerres ont d'o-
<< dieux motifs , et bien peu de fruit . » On a
trouvé qu'il revenait souvent sur cette vérité ;
mais il a pour lui l'excuse du grand orateur,
Bossuet , lorsqu'il s'écrie longuement avec l'ecclésiaste
: Vanité des vanités , et tout est vanité.
« C'est la seule parole qui me reste...
16 MERCURE
DE FRANCE
,
Je l'ai prise sans étude et sans choix ; et
quoique la vanité soit souvent nommée dans
ce livre du sage , elle ne l'est pas encore
« assez à mon gré pour le dessein que je me
propose. Je veux , dans un seul malheur ,
« déplorer toutes les calamités du genre hu-
« main. etc. »
Ce texte ( de la vanité des guerres ) avait
frappé M. Gaillard dès sa jeunesse , et il l'a
toujours affectionné depuis environ quarante
ans qu'il le traita en concurrence avec Laharpe,
sous les yeux de la philosophie , c'est- à- dire
pour le prix académique . Les deux ouvrages
furent couronnés , et il faut avouer que le
genre humain , qu'ils ont fort bien exhorté ,
n'en est pas devenu plus sage . Les philosophes
he corrigeront pas plus l'univers , que Socrate
ne les corrigea eux-mêmes .
Il faut bien se garder de croire que cette
grande vérité soit la seule qui ait occupé notre
académicien ; il n'en a négligé aucune . Au mérite
de l'extrême probité qui le met à la suite de
Plutarque et du bon Rollin , et du petit nombre
de ceux qui ont embelli de leur vertu le triste
récit des folies et des méchancetés humaines ,
il a joint le mérite de la discussion atten
tive et profonde , et s'est montré digne de la
savante Société dont il est devenu le doyen. Un
peu de fermeté peut -être et de rapidité aurait
pu recommander son style toujours clair , plus
oratoire qu'éloquent . Il a plus approché du ton
des mémoires et de celui des considérations
morales que de celui du récit continu , sententieux
, et varié qui constitue les grands histo
riens . Mais le dix-huitième siècle en a peu proNIVOSE
AN X.
duit en France ; et , tandis que l'Angleterre s'est
enorgueillie de la gloire de Hume et de Robertson
, nous avons vu plutôt briller quelques ta+
lents historiques que composer des histoires . H
est impossible de ne pas nommer celle de
Charles XII , par Voltaire ; c'est la seule où il
ait conservé constamment le fil d'une narration
continue . Dans les autres , il a peint ce qu'il
voulu , hélas ! et souvent au gré de sa fantaisie,
( M. Gaillard en fait plusieurs fois la remarque
quoiqu'en le réfutant avec beaucoup d'égards. *
C'est un vrai malheur qu'on ait perdu l'Histoire
de Louis XI , par Montesquieu . Celle de Duclos
est loin de nous en dédommager. Personne n'a
hérité de la plume de Vertot , historien moins
remarquable par la gravité que par l'intérêt et
l'élégance . Après lui , on voit arriver le jésuite
Bougeant , l'ami du poète Gresset , historien
du Traité de Westphalie , chez qui brille la sagacité
et l'esprit d'analyse ensuite l'Ecluse ,
très-estimable rédacteur de Sully , et enfin l'auteur
encore vivant de l'Esprit de la Ligue , dont
nous dirons pour tout éloge , qu'un homme de
grand talent qui méditait ce sujet ( Laharpe )
y renonça dès qu'il le vit si bien traité. Tels ont
été nos historiens dans ce siécle ; car personne
ne nous pardonnerait d'oser nommer Raynal . Les
quatre qu'on vient de compter avant lui , n'étaient
philosophes ni de profession ni d'esprit ,
et M. Gaillard ne l'est pas davantage . La philosophie
n'a donné aucun véritable historien , peut-
* En particulier à l'égard de Pierre -le-Cruel . Il est impossible
de porter plus loin la démonstration historique. La
conviction est flétrissante pour Voltaire.
7.
BIBL. UNIV,
AT
18 MERCURE DE FRANCE ,
être même chez les anciens , excepté le sage
Xénophon , disciple de Socrate. Avant ce temps ,
tous les charlatans qui avaient arboré l'enseigne
de la sagesse étaient sophistes ou rhéteurs ; c'est
pourquoi le fils de Sophronisque se moqua si
bien d'eux .
On nous pardonnera cette courte digression ,
pour montrer que si l'esprit philosophique est
nécessaire pour l'histoire , ce n'est point la profession
de raisonneur qui le donne . Revenons
au C. Gaillard..
Avant de considérer l'époque où l'Espagne
commença à rivaliser avec la France , il remonte
vers les origines , et peint la nation espagnole
sous les Carthaginois et les Romains , puis sous
les Goths , et de nouveau sous les Africains ou
Maures qui la leur arrachèrent. Elle sortit de
ces ruines successives . Un grand courage , des
faits d'armes heureux et répétés , y forment de
petits royaumes qui eurent souvent pour souverains
des Français . Ces royaumes se divisent
par la politique , se réunissent par des alliances
ou des conquêtes , et enfin une puissance s'établit
, s'accroît , et menace des états éloignés .
C'est celle de la maison d'Arragon qui vient
rivaliser à Naples avec celle d'Anjou , lui disputer
et enfin lui enlever la dépouille de la maison
de Suabe .
Ce long et violent débat , le scandale de la
papauté , des couronnes , de la chevalerie même ,
et pour le dire enfin des nations , est la matière
du premier et du second livre ; il a été
raconté dans cent histoires ecclésiastiques et civiles
; mais nous osons dire qu'il ne l'a été nulle
part avec plus d'impartialité , de netteté , d'examen
; nulle part il n'a fourni des réflexions
NIVOSE AN X. 19
«<<
d'une briéveté plus sententieuse . Nous citerons
celle-ci qui se trouve presque au commencement
, sur l'abandon où on laissa la maison de
Suabe. « Il eût fallu qne la réclamation fût
générale , ..... mais les rois et les peuples
<< n'ont jamais su se réunir pour l'intérêt com-
<< mun le plus manifeste et le plus pressant .
« C'est cependant la première leçon que leur
donnera la politique , si jamais il y en a
<< une. » Ce n'est jamais pour les réflexions que
cet écrivain rallentit sa marche , ce sont ses
discussions qui sont prolongées suivant le besoin
, alors il n'envisage que l'intérêt de l'histoire
, et cherche à débarrasser la vérité de
tous les doutes. D'autres se plaisent à dessiner
des portraits avec rapidité , il les grave avec
patience , chaque trait a été longtemps considéré
; et quand il prononce sur un caractère ,
il est difficile de ne pas adopter son jugement.
Les rivalités de la seconde maison d'Anjou et
de la seconde maison d'Arragon occupent le troisième
livre . Dans le quatrième , qui est plus
long , arrive Louis XII , puis François I.er,
et son heureux rival Charles Quint , et Philippe
II , ennemi des derniers Valois . La haine ,
chez tous ces monarques , se fortifie en deyenant
héréditaire : l'incendie s'est ac cru , et
après avoir ravagé les bords de la Méditerranée
et consumé l'Italie , il brûle longtemps
dans la Flandre et la Picardie , et un moment
dans la Provence . Mais , c'est surtout dans les
discordes des Français , que l'Espagne trouve
des moyens de leur nuire ; et déja , dans sa
pensée , elle envahissait leur trône . Henri IV démasque
ses artifices, repousse ses guerriers, l'embarrasse
à son tour dans des dissentions , aide la
·
20 MERCURE DE FRANCE ,
Hollande à s'élever et à se soustraire à son joug.
Louis XIII , quoique marié à une princesse
espagnole , suit , ou la trace de son père , ou
les impulsions de son ministre , et combat avec
des succès variés dans la Valteline , en Roussillon ,
et par tout . Enfin , sous la régence de cette même
espagnole , dans les premières armes de Louis
XIV, le grand Condé arrive , et aussitôt tombe
à jamais ce colosse qui avait tant inquiété la
France.
Telle est la longue cartiere historique que
fe C. Gaillard vient de parcourir dans sa vieillessé
, sans que nous ayons observé , en lui un
moment d'affaiblissement ni d'effort . Une mémoire
très-rare , un travail constant , un esprit
toujours judicieux le caractérisent . Ferme ami
de la vérité , jamais censeur sourcilleux , digne
de l'amitié dont l'honora Malesherbes , il a
rapporté avec attention un très- long procès ,
et en a suivi tous les incidents qui sont quelquefois
très- considérables , tels que les crimes
de Pierre - le- Cruel , les Vêprès siciliennes , la
prison de Maximilien . Il ne flatte point les rois,
et il avertit les peuples . Partout il honore la
vertu , et démásque les factions . Jamais le caractère
de l'honnêteté ne s'est mieux marqué
dans un livre. Il serait honteux pour quiconque
apprécie l'instruction de ne pas s'empresser de
le lire .
Réduits à indiquer seulement son travail ,
sans pouvoir citer de longs morceaux , nous en
détachons un trait historique que nous n'avons
rencontré nulle part , et qui est narré avec une
simplicité aimable * . B. V.
* Le défaut d'espace nous oblige de le renvoyer au N. pro
chain.
NIVOSE AN X. 21
REP.FRA
.
ARISTIPPE et quelques - uns de ses contemporains;
par WIELAND ; traduit par Henry
Coiffier, suivi d'une notice sur la vie et les
ouvrages de Wieland ; avec portraits. 3 vol.
Paris , de l'imprimerie de Poignée . An 10 .
1
1
23
AVANT
VANT
de parler
d'un ouvrage
recommandé
par le
nom le plus célèbre
de l'Allemagne
, nous jetterons
un coup-d'oeil
sur la littérature
de ce pays. Il n'y a
pas longtemps
encore
qu'elle
jouissait
d'un crédit
effrayant
parmi
nous . Il est vrai que , les ouvrages
de
Gessner
et de Kleist
exceptés
, nous n'en connaissions
que des drames
bizarres
, ou quelques
poèmes
dont les
beautés
rachetaient
à peine
le désordre
. Mais c'était
assez pour l'enthousiasme
; et même
une poétique
nou
velle
autorisant
la mode
par un système
, rangea
toute
la littérature
du nord dans un genre
melancolique
, où
devaient
puiser
abondamment
les habitants
de la zone
tempérée
. Sans
doute
l'amour
de la nouveauté
ent
beaucoup
de part à cette voque
germanique
; mais les
circonstances
n'y contribuerent
pas moins. Ce fut au
milieu
de nos déchirements
politiques
, et en quelque
sorte à la faveur
des
événements
de la guerre , que
nos relations
littéraires
s'ouvrirent
avec l'Allemagne
.
Alors
les colléges
étaient
détruits
, les bonnes
études
abandonnées
, et notre
jeunesse
, sans expérience
, répandue
sur les bords
du Rhin , dut céder
facilement
à l'attrait
des richesses
étrangères
. Dailleurs
, la manie
des langues
modernes
annonçait
depuis
longtemps
la
décadence
des lettres
; la langue
de Virgile
et celle d'Homère
étaient
regardées
chaque
jour comme
moins
nécessaires
à une bonne
éducation
; nous
ressemblions
à des
13
、། ་ , 17
"
22
"

DEPT
22 MERCURE DE FRANCE ,
enfants qui perdent les affections de famille , et puisque
nous avions commencé par une admiration exclusive pour
Jes ouvrages anglais , nous en devions venir à la passion
de la littérature allemande. Ainsi quelque jugement
que l'on en porte , on dira toujours qu'elle s'est
introduite chez nous pendant l'absence des muses .
Jusqu'à présent il était assez difficile de porter ce
jugement avec impartialité , au milieu des exagérations
des prôneurs et des plaisanteries de leurs adversaires
. Le seul parti à prendre était d'imiter ces anciens
Germains , qui attendaient le lendemain d'une discussion
. orageuse pour se décider. L'engouement a été si
loin qu'il n'a guère duré plus d'un jour , et déja l'on
peut raisonner. Nous osons même espérer que la critique
sera entendue avec intérêt lorsqu'elle aura pour
interprète le traducteur d'Aristippe lui - même , qui à
résumé la question dans un excellent discours préliminaire.
Les deux partis doivent s'applaudir d'avoir trouvé
un juge à la fois aussi impartial et aussi éclairé. Nous
' le citerons beaucoup.
ཟིན་
"
1
"
"
"
"
་ ་
<t
"
་་
tt
"
Il me semble d'abord , dit le C. Coiffier , qu'on juge
mal la langue allemande. De ce qu'elle est dure , on
conclut qu'elle doit être énergique ; ce qui ne me
paraît pas juste . Embarrassée d'articles et de verbes
auxiliaires innombrables , elle est verbeuse , souvent
traînante , manque surtout de dignité , et ne saurait
exprimer avec avantage les passions , du moins les
passions fortes . Ce n'est pas qu'elle n'offre souvent
des expressions très - énergiques ; mais c'est de cette
énergie qui peint vrai , sans peindre ni à grands
traits , ni avec noblesse . Ce qu'elle excelle à rendre
( grace à ses diminutifs et à ses composés ) sont les
sentiments tendres , les sensations douces , les scènes
domestiques ou champêtres , en un mot , tous ces
petits détails de la nature qu'aucun peuple , au con-
"
NIVOSE AN X. 23
traire, ne saisit peut-être aussi mal que les Français . »
Il me semble que l'on peut expliquer par là les bigarrures
qui se rencontrent dans leurs ouvrages , selon
qu'ils s'éloignent plus ou moins du genre pastoral et
descriptif c'est encore à l'impuissance du langage ,
autant qu'aux moeurs allemandes , qu'il faut attribuez
cette enflure de style et cette exagération de sentiment
qui caractérisent un peuple ou un écrivain qui
commence. Le lecteur est refroidi sans cesse par un
enthousiasme factice qui contrefait mal l'inspiration ,
par mille conceptions alambiquées d'un idéal si chéri
parmi eux , et qu'il est , dit le traducteur , aussi difficile
de concevoir , que de rendre pour les étrangers.
Mais ce qui doit les rebuter encore davantage , c'est
le défaut d'ensemble , de progression et d'unité dans
presque toutes leurs productions. Je ne doute pas ,
continue le C. Coiffier que cette assertion n'étonne
beaucoup de gens , et n'en scandalise beaucoup
d'autres. Car une des prétentions des Allemands , est
" au contraire d'avoir poussé la méthode plus loin
"
"
се
que
« tout autre peuple connu . Ils n'ont pas senti que
savoir faire des classifications et des nomenclatures ,
" n'est pas savoir tracer un plan méthodique et régulier.
་་
u
"
Je ne sache pas avoir lu un ouvrage allemand ,
quel que fût son mérite , où le style familier et même
populaire nevînt se mêler à chaque instant au style
noble , où il ne s'offrît des disparates et des horsd'oeuvres
choquants ; en un mot , où les parties
fussent toujours liées et subordonnées les unes aux
a autres , et surtout où l'art des transitions fût observé...
Nous en avons un exemple bien frappant dans le
poème d'Herman et Dorothée , dont le genre semblait
24
MERCURE
DE
FRANCE
,
d'ailleurs très- approprié au génie de la langue alle
mande. Dans ce poème où l'on distingue des beautés
touchantes et quelquefois d'un goût antique , c'est un
aubergiste, au lion d'or , qui est un des principaux
personnages. C'est un pharmacien qui remplit un chant
consacré à Erato ou à Calliope , de tous les lieux
communs de la conversation. Je sais bien que cette
peinture est vraie , et qu'un pharmacien dut s'entretenir
ainsi à l'auberge du lion d'or. Mais de tels sujets
et de tels personnages sont- ils l'objet d'une imitation
poétique ? Combien le poète nous eût intéressé davantage
, si au lieu de peindre avec tant de scrupule des
détails communs , et ce demi - luxe des habitants d'un
bourg à demi civilisé , il eût pris les couleurs dans
une nature plus champêtre , dans une simplicité de
maceurs primitive , et nous eût montré , pour ainsi dire ,
ses personnages dans un lointain favorable à l'imagi
mation ! La nature commune ne réussit pas mieux en
poésie que les termes moyens en morale . Aristote avait
dit de l'art dramatique , qu'il place les hommes ou plus.
haut ou plus bas * . Et cette règle est applicable à tout
poème qui a pour objet d'émouvoir et de plaire.
-Maintenant , si l'on recherche avec le C. Goiffier les
causes de tous ces défauts , on concevra peus d'espérances
pour la perfection des lettres allemandés . Du
moins l'on en conclura que les caractères de l'enfance
d'un peuples ont de grands rapports avec ceux de sa
décadence. 9 :
1166 "
Ce peuple , dit-il , hâté ( pour les lettres comme
pour les moeurs ) par le contact trop immédiat de
ses voisins , se corrompt sans, avoir parcouru les degrés
qui sont les âges des nations. L'Allemagne ,
v déjá inondée de sophistes , rappelle les derniers
"
Aut superiores aut deteriores facit.
NIVOSE AN X. 25
".
temps de la Grèce sans avoir rappelé ses beaux
jours. Du siécle de la pédanterie , qui est l'enfance
« des lettres , elle passe à celui des rhéteurs qui en est la
« vieillesse , sans parcourir le siécle du goût qui ordi-
• nairement les sépare. C'est un fruit qui , touché en-
« core vert , par un fruit déja avancé , sê gâte avant
d'atteindre la maturité.

D
« Il était difficile , au reste , pour ne pas dire impossible
, que la rapidité avec laquelle cette littéra-
" ture a passé d'une extrémité du cercle à l'autre ,
« ne jetât pas une grande confusion dans les genres ,
et qu'elle permît surtout à chacun d'eux de se fixer
d'une manière certaine au ton particulier qui lui
convient. Elle aurait donc eu besoin d'un de ces
génies vigoureux et sévères , propres à purger son
sol des plantes parasites qui le stérilisent ', et à
diriger celles qui promettent des fruits . Mais elle
aurait eu besoin surtout d'un centre commun , ой
pussent se former à la fois et la langue et le goût ;
car que pourrait un Quintilien lui- même dans un
pays où chaque auteur a sa poétique à part et sa
langue particulière ? Disons encore , et qui n'a sa
poétique à part que parce qu'il a la faculté d'innover
sans cesse dans la langue ………
"
·
"
2
Au reste , ces observations ne sont nullement applicables
aux génies heureux dont l'Allemagne s'honore ,
et qui ont su échapper , plus ou moins , à la double
influence des circonstances et du climat .
Nous avons presque toujours laissé parler le C. Coiffier
, parce qu'il nous semble que personne avant lui
n'avait répandu tant de lumières sur cette question.
Le style des différents morceaux que nous avons cités
prouve assez que nous ne pouvions qu'y gagner. Mais
venons à Aristippe...
Le sujet en est tiré du 32. chapitre du Voyage
26 MERCURE DE FRANCE ,
i
d'Anacharsis , et le personnage principal y est ainsi représenté
dès les premières lignes.
"
"
.... Le bruit courut qu'Aristippe de Cyrène venait
d'arriver à Athènes ) . Je ne l'avais jamais vu.
Après la mort de Socrate , son maître , il voyagea
" chez différentes nations , où il se fit une réputation
brillante plusieurs le regardaient comme un novateur
en philosophie , et l'accusaient de vouloir éta-
« blir l'alliance monstrueuse des vertus et des voluptés
. Cependant on en parlait comme d'un homme de
beaucoup d'esprit . »
"C
."
Ce caractère est parfaitement observé dans l'ouvrage
de Wieland : Aristippe quitte sa patrie à l'àge
'de vingt ans pour étudier les arts , les moeurs et les
lois des différents peuples de la Grèce. Il voit le Jupiter
de Phidias , assiste aux jeux olympiques , entend
les leçons de Socrate ; ' et , pendant deux ans , se soumet
au régime modeste de l'école du fils de Sophronisque
; mais il y puisa , ou plutôt il y avait apporté
d'autres principes. Dans un voyage à Egine , petite
île voisine d'Athènes , il rencontra la fameuse Laïs ,
et l'on verra qu'il était digne de l'aimer.
2
"
Pendant une belle matinée du printemps , au milieu
des bosquets odorants d'Egine , Aristippe et Laïs
tracent le code de morale qui doit régler la suite de leur
vie. Aristippe soumettant au calcul , les plaisirs et les
douleurs , les vices et les vertus , ne s'y abandonnera
qu'autant que le calme philosophique n'en sera point
altéré. La philosophie n'est que le soin d'éviter les
émotions trop fortes . La sagesse est l'art de se procurer
des sensations agréables . - Laïs s'élevant au
dessus de l'opinion qui prescrit des devoirs et des
vertus à son sexe , dédaigne la simple condition
d'une femme grecque. Elle veut anoblir le rôle de courtisane
, et se rendre célèbre · dans toute la Grèce par
NIVOSE A NO X. 27.
cet art de galanterie , qu'a si bien développé Ninon
Lenclos. Les sages et les sophistes viendront à ses
soupers disputer sur le souverain bien , et sa maison
sera convertie en un temple , où l'on apportera des
voeux et des offrandes , et d'où l'on sortira , comme
on sort du temple d'une idole , sans avoir rien obtenu.
Le reste de l'ouvrage ne sert qu'à mettre en action
cette morale qui donna naissance à celle d'Epicure.
Quelques lecteurs la trouveront peut-être un peu
moderné. La doctrine d'Aristippe a de grands rapports
avec cette doctrine de l'intérêt personnel , qui ,
aussi bien que la première , fut conçue au milieu des
jouissances du luxe ; cependant il ne faut pas accuser
Wieland d'avoir sacrifié la vérité de l'histoire
au mérite de l'allusion . Les personnes instruites des
moeurs et des opinions de la Grèce à ses différentes
époques , savent que rien ne devait mieux ressembler
à un voyage fait à Paris , vingt ans avant la révolu
tion , qu'un voyage à Athènes , cinquante ans avant
la bataille de Cheronée.
On peut donc apprécier le jugement de quelques
journalistes allemands qui placent les Lettres d'Aristippe
, à côté du Voyage d'Anacharsis . Il y a autant de
différence entre ces ouvrages , qu'il y a de distance
entre le genre d'esprit propre à écrire des lettres souvent
instructives et brillantes , et le talent nécessaire.
pour mettre une grande histoire en action , et la sou
tenir par l'intérêt des choses et le charme du bon
goût. D'ailleurs Barthelemy avait frayé la route ; il
avait fait sortir une Grèce nouvelle de ses ruines.
'C'est lui qui avait montré ses principaux personnages
au milieu des temples et des monuments encore debout.
Après cela , l'idée d'y placer une intrigue de ro-
' man , n'est qu'une conception petite , disons même
fâcheuse , puisque des détails trop libres ne permettent
28 MERCURE DE FRANCE ,
pas à tout lecteur indifféremment de profiter de l'instruction
qu'on y a mêlée .
Mais il faut que nos lecteurs jugent eux- mêmes de
la manière de l'auteur allemand.
ΠΟ
Laïs qui avait la prétention de concilier la philosophie
avec le rôle de courtisane , voulut un jour entendre
Socrate ; elle fait donc exprès le voyage d'Athènes
et raconte ainsi sa première entrevue :

r
d
"
Low I
C
you
Après m'être arrêtée deux jours à Mégare
j'avais quelques affaires à régler avec un ancien ami
de Leontides , je poursuis ma route et arrive , par
une belle soirée , sur une colline voisine d'Athènes,
couronnée de buissons , de bosquets , et dont la
beauté m'engage à descendre avec mes trois nymphes
. J'ordonne à mes esclaves d'avancer lentement ,
de m'attendre près d'un temple que je voyais devant
moi , et je me perds bientôt avec mes compagnes
entre les arbres qui bordent la route ; mais à peine
avons-nous fait deux cents pas sur le gazon , qu'un
platane d'une beauté et d'une grosseur , étonnante ,
frappe tout-à - coup nos regards , et nous fait re-
" marquer , à peu de distance , une source pure
comme le crystal , qui , coulant entre des massifs
de rose et de laurier , forme insensiblement un ruisseau
, que le voyageur peut passer, pour ainsi dire , à
pied sec. Un vieillard, encore vigoureux quoique
chauve , et ressemblant , pour les traits , et la stature ,
aux images du vieux Silène , et un beau jeune
bomme , dans la force de l'âge , étaient assis sur
un banc de gazon , au pied du platane , l'un couvert
d'un court manteau un peu délabré , l'autre vêta
d'une manière moins modeste et presque avec élé-
" gance ; tous deux étaient pieds nus , et semblaient
engagés dans une conversation si importante , que
nous sortîmes d'entre les arbres , et nous trouvâmes

Be..
4
2
?
NIVOSE AN X.
20
X.
1
"
"

1925
2
à vingt pas d'eux avant qu'ils nous eussent apercues.
Enfin , ils élèvent les yeux , nous voyent , pa-
« raissent étonnés , se parlent bas à l'oreille et res-
« tent immobile's , comme si une force magique les
eût enchaînés. Nous étions mises , il est vrai , à
raison de la chaleur du jour , d'une manière assez
légère quoique simple et décente ; et il est certain
• que l'apparition de quatre figures comme les nôtres ,
dans un endroit aussi solitaire , dut , au premier
abord , avoir quelque chose de merveilleux . Je m'ap-
• prochai lentement et leur demandai , ne sachant
trop que leur dire, si cette route était la plus di-
« recte pour se rendre à Athènes. Cette question parut
les soulager ; car je parierais que le vieillard ,
qui semblait un peu superstitieux eût été fort
« embarrassé , s'il lui eût fallu nous adresser le premier
la parole , dans la crainte d'en trop faire
• ou d'en faire trop peu . Promenant alors sur nous ses
• grands yeux vifs et saillants , il me répondit d'un
air gracieux qu'il ne nous était plus possible
de nous égarer jusqu'à Athènes. Ce vallon , Jeur
dis-je , me semble délicieux. Si vous y consentiez ,
« nous nous reposerions un instant près de vous , et
prendrions même volontiers part à votre entretien ,
si le sujet toutefois n'en est pas un mystère.-L'un
• et l'autre dépendent de toi , me répondit le vieillard
, quoique l'objet qui nous occupe , soit effec-
« tivement une sorte de secret ; mais les Grâces ne
• peuvent jamais être de trop dans un lieu consacré
aux Muses. N'est - il pas vrai , mon jeune ami ? —
« Le jeune homme rougit , le regarde en souriant , et
« approuve d'un regard ce qu'il venait de dire , etc. »
Il s'engage ensuite une longue discussion platonique
sur l'amour et la beauté. Ces dialogues reviennent
souvent dans le cours de l'ouvrage . La manière des
"

&
30 MERCURE DE FRANCE ,
universités allemandes s'y mêle plus ou moins à celle
du portique , et l'on trouve quelquefois que les soupers
de Laïs sont trop longs.

Au reste , le critique ne pourrait s'attacher aujourd'hui
qu'à des détails. Jusqu'ici le plan du voyage
d'Aristippe ressemble beaucoup à celui du voyage,
d'Antenor. Mais pour les comparer , il faut les connaître
, et nous n'avons encore que la moitié de l'ouvrage
allemand. On achève , dit- on , de l'imprimer à
Leipsick.
Le nom de Wieland est plus connu en France que
ses ouvrages. Nous avons à peine entendu parler de
ce nombre prodigieux de poèmes épiques , critiques ,
didactiques , romans contes moraux , contes d'été ,
contes d'hiver , poésies légères , etc. , etc. , qu'il n'a cessé
de publier jusqu'à présent , Mais c'est surtout à l'heureuse
facilité avec laquelle il a su prendre tant de tons divers
, qu'il doit le titre du Voltaire de l'Allemagne . Ses
premiers essais furent des ouvrages de théologie. Dans
la suite , quelques - unes de ses productions légères
eurent plus de faveur , et dès -lors il se livra princi-,
palement à ce genre de composition , celui qui doit
le plus réussir dans un pays divisé en une multitude
de petits états , et dont chaque ville , pour ainsi
dire , est la résidence d'une petite cour. Cependant
des traductions de Lucien , d'Horace , et plusieurs
savants commentaires prouvent qu'il n'était pas moins
propre aux études sérieuses . Il évita toujours la pédanterie
de l'érudition et ne retira de son commerce
avec l'antiquité , qu'une instruction variée , et
quelque chose de cette grace attique qu'il reproduit
dans sa conversation et dans ses ouvrages. On voit aussi
qu'il a tâché d'imiter la manière de nos poètes et de nos
écrivains modernes. Il faut convenir que ces imitations,
se ressentent de l'influence d'un climat moins heureux,
NIVOSE AN X.: 31
Mais ce qui diminuera plutôt la gloire de l'auteur
d'Oberon , d'Aristippe , etc. est d'avoir renchéri sur la
licence , et d'avoir adopté la doctrine anti - religieuse
de ses modèles. Au surplus , on peut le placer parmi
ce petit nombre de philosophes meilleurs que leurs
livres ; et Wieland qui , à l'âge de 78 ans , conserve
encore toute la vivacité de son imagination , a toujours
mérité cette considération personnelle attachée aux
vertus et aux moeurs domestiques que blessent quelquefois
ses écrits .
1
G.
LE Cultivateur anglais ; par ARTHUR YOUNG .
Chez Maradan , rue Pavée . 8 nouveaux volumes
in-8.° terminant la collection.
CETTE importante collection est terminée avec une
célérité et un soin qui font honneur aux traducteurs
et au libraire. On jouit de dix - huit volumes du célèbre
anglais qui a donné aux deux nations les plus
florissantes de l'Europe les leçons les plus méditées
et les plus complètes qu'ait jamais reçues l'agriculture .
Les Romains auraient bien fait d'accueillir les ouvrages
du carthaginois Magon comme nous faisons ceux
d'Arthur Young. La jalousie nationale fit perdre beaucoup
de connaissances qu'avait recueillies cette nation
ennemie. Notre rivalité avec les Anglais est plus
éclairée , et s'exerce pour les arts utiles avec une ardeur
aussi généreuse , aussi vive que celle qui brille dans les
combats . Ce sont les victoires de la paix . Puissent les
deux nations en remporter d'innombrables , triompher
partout du sol et des climats , et par la fécondité du
travail doubler et centupler les richesses de la créa32
MERCURE DE FRANCE ,
tion ! Que le nom des agriculteurs devienne fameux
comme celui des guerriers. Nous voyons avec plaisir
que celui d'Arthur Young est très -honoré en France ,
et que le C. de Pradt , en le célébrant dans un ouvrage
sur l'agriculture , vient de se rendre l'interprète de
l'opinion publique. Arthur Young en sera flatté , et
trouvera dans cet hommage la juste récompense de
l'estime que lui-même a témoignée pour nos meilleurs
agronomes *.
Son livre est à la vérité très - étendu . Les vérités y
sont éparses . On y revoit souvent les mêmes matières ,
et rarement un coup- d'oeil général et un corps de préceptes.
Ce sont tantôt des voyages et des visites de
contrées , tantôt des annales , et d'autres fois des réflexions
et des traités particuliers . L'état actuel de la
science ne comportait peut- être pas une autre forme ,
et un travail plus court et plus usuel . Il y a encore
beaucoup à faire avant de réduire et rassembler la
doctrine ; beaucoup de matériaux à amasser et à disposer
avant de construire la parfaite maison rustique
qu'avaient rêvée Olivier de Serre et le bon homme
Liger , qui pourtant furent des hommes de mérite ,
surtout le premier. Il faut avouer qu'Arthur Young
Jes surpasse.
B. V.
* Ses éloges ont d'autant plus de poids , qu'il exerce la
censure avec beaucoup de véhéinence. Par exemple, tom . 17,
pages 3ço et suivantes , parlant de la police des grains en
1788 et 1789 , il fait une terrible sortie contre M. Necker.
Nous nous abstenons d'en rien extraire . La censure litté
raire est la seule que se permet le Mercure.
NIVOSE. AN X. 33
LYCEE de Paris.
Nos lecteurs n'attendent pas de nous ' sans doute ,
que nous tenions registre de toutes les séances des nombreux
Lycées de Paris : un journal spécial y suffirait à
peine. Après avoir rendu compte des séances d'ouverture
des principaux Lycées , notre dessein n'était d'y
revenir que lorsque quelque circonstance intéressante
ou singulière y donnerait occasion ; dès sa seconde
séance , le Lycée de Paris vient nous l'offrir.
Une femme y a donné le spectacle , assez rare encore
pour être remarqué , d'une lecture publique . Profitons
, pour faire quelques observations à ce sujet , du
moment , qui ne sera pas long peut- être , où l'on n'est
pas encore habitué avec ce phénomène . Il pourrait n'être
plus temps demain ; demain , il y aurait prescription ;
on nous opposerait l'usage : et en effet , celui - ci , à
peine à sa naissance , a déja fait de rapides progrès.
On ne saurait contester à M.me Constance Pipelet la
gloire d'en hâter puissamment le cours ; elle achève
d'émanciper son sexe.
<< Elles veulent écrire et devenir auteurs ! »
s'écriait , il y a environ un siécle et demi , le philosophe
de la scène. Il a eu beau crier , elles l'ont voulu opiniâtrement
. Seulement , les pédantes et les savantes ,
les Scudéri , les Dacier , ont été plus longtemps à se
relever du ridicule que Molière avait jeté sur elles . Mais
de petits ouvrages , dans le genre gracieux , purent s'échapper
impunément de leur plume , et passer sans
conséquence. Disons même , qu'il eût fallu être ou bien
rigoriste , ou bien pénétrant , pour ne pas laisser les
7.
3
34 MERCURE DE FRANCE ,
}
me
femmes jouir , comme d'un droit , de tout ce que les
graces peuvent avouer. C'était la modeste idylle ; c'étaient
des romans délicats , les mémoires de leur temps
et des cours où elles vivaient ; délassements , plutôt
qu'occupations de l'esprit , et des jeux , bien plus que
des ouvrages. Pour M. de Sévigné , s'il en existe un
sous son nom , qui même occupe sur nos tablettes une
place considérable , grace à Dieu , il n'y a point de sa
faute ; elle a fait un livre , et n'est point auteur . Nous
jouissons de tout son esprit , sans qu'aucune idée d'effort
vienne s'offrir au nôtre , sans qu'il lui en coûte
une seule grace de son sexe ; et je trouve ainsi pourquoi
ce livre est , à une grande distance de tous les
autres , celui qui me charme le plus.
De la galanterie élégante et épurée de M.me de Lafayette
, des moutons et des oiseaux de M.mmee Deshoudières
, à l'indécence , à la bizarrerie des romans désordonnés
, et aux vers sententieux , érotiques , satiriques ,
de la plupart des femmes qui sont aujourd'hui au rang
des écrivains , de passage est brusque. Serait- ce là ce
qu'on doit entendre par l'irrésistible progrès des siècles
et des lumières ? Toutefois , auprès de ce qui restait à
tenter , auprès de ce que nous venons de voir , cette
licence elle -même était une retenue.
s'est
Dans une assemblée nombreuse , choisie sans doute ,
mais publique , M.me Constance Pipelet inconnue parmi
tant d'inconnus , s'est montrée avec assurance
élancée au pupitre avec légèreté , s'y est affermie avec
confiance , a déroulé sans trouble un ample cahier ; et ,
sous le titre déguisé d'Epître à unejeune et belle Sophie ,
d'une voix sûre et distincte , a débité une longue et
vive satire . Pour sujet , elle a choisi les hommes , et
pour objet le mariage. Les premiers lui ont fourni une
grande variété de portraits qu'elle a tous hardiment
erayonnés ; et le mariage , le sujet d'un tableau effrayant
NIVOSE AN X. 35
qu'elle offre en épouvantail à sa Sophie . O Molière !
et tu n'es pas là pour t'écrier une seconde fois , par la
bouche de ce bon M. Gorgibus : Et par où veux-tu donc
qu'ils débutent ? par le concubinage ? N'est - ce pas un
procédé dont vous avez sujet de vous louer ? Du reste ,
M.me Pipelet est habile , et , jusqu'aux précautions oratoires
, elle connaît tous les procédés de l'art. Mesdames
et messieurs , a -t-elle dit avant d'entrer en matière , ne
vous pressez pas de porter un jugement sur ce que vous
allez entendre. Vous me trouverez aujourd'hui opposée
au mariage; mais attendez la suite de mes épîtres , et
vous saurez ce qu'il en est . Je vous promets d'avance de
me résumer et de conclure conformément à l'usage reçu.
( Si ce ne sont ses paroles expresses , c'en est le sens. )
Et elle n'a pas vu que faire ainsi pressentir le scandale
et avertir qu'on l'a aperçu , c'est l'aggraver encore ; elle
n'a pas senti que cet emploi de l'art n'était que mal
adresse.
Je n'entreprendrai pas , après une seule lecture et
un débit d'une volubilité remarquable , d'analyser un
ouvrage qui m'a paru avoir cinq cents vers. C'est son
scandale , je le dis sans déguisement , que j'ai voulu
consigner ici , bien plus qu'une opinion littéraire et un
examen critique , assez peu importants auprès 'de plus
hautes considérations . Une femme , usant d'une indépendance
acquise au prix d'un divorce récent , pour
livrer le mariage à la risée publique ; une femme osant
citer à son tribunal tous les hommes qui ambitionnent
de titre d'époux ; n'omettant ni la peinture des excès
et de l'intempérance du jeune âge , ni le tableau de
l'affaiblissement et des privations de l'âge avancé ; souriant
aux rires qu'elle excite ; s'enivrant de quelques
applaudissements surpris à l'impression du moment ;
une scène enfin où le désordre moral m'a paru à son
comble , par la confusion des sexes , des fonctions , des
36 MERCURE DE FRANCE ,
rangs : tout cet ensemble de choses et d'idées m'a affecté
d'une impression que je communiquerai , si je le
puis , pour l'intérêt même des femmes , par respect
pour elles , et en hommage des véritables sentiments
qu'elles méritent d'inspirer .
Puisque l'occasion s'en présente , je conduirai du
moins les lecteurs sur les traces effacées de l'antique
pudeur. L'on conte , dit Plutarque , dans la vie de Numa
, qu'étant un jour avenu qu'une femme plaida ellemême
sa cause en pleine audience , devant les juges , le
sénat , qui en fut informé , envoya incontinent vers l'oracle
d'Apollon , pour enquérir que cela pronostiquait devoir
avenir à la ville. Une femme répondre à la satire
de Juvénal contre les femmes ! Mais une femme oserait-
elle la lire ? oserait -elle avouer qu'elle a lu
Ces ouvrages tout pleins d'affreuses vérités ?
Il n'appartient pas même à un homme de transporter
parmi nous le genre de satire de Juvénal. Approprié à
sa langue , aux moeurs privées et publiques du temps
où il vivait , ce genre ne peut nous convenir , sous aucun
rapport , et ces satires admirables doivent rester à jamais
parmi nous , comme ces belles médailles d'antiquité
qui n'ont plus cours de monnaie.
Peut-être la langue et les temps de Régnier permettaient-
ils de s'en rapprocher ; mais déja il était
trop tard à l'époque de Boileau . La langue avait pris
un autre caractère ; et la société , par le commerce
habituel des deux sexes et leur mélange journalier
dans les assemblées publiques et particulières , avait
introduit de nouvelles formes et un nouveau ton . Une
satire sur les femmes dans de telles circonstances ,
même sous la plume de ce grand maître , ne pouvait
.être , et ne fut en effet qu'un ouvrage manqué. A la
NIVOSE AN X. 37
place des portraits qui lui étaient interdits , il peignit
des caricatures et des grotesques ; mit à peine de l'humeur
là où des torrents d'indignation demandaient à
se répandre , et lorsque , malgré sa retenue , il lui
échappe dans quelques endroits une expression trop
libre , il choque le goût , blesse la décence , sans produire
l'effet , ni représenter les images qu'un tel sujet
lui fournissait tellement qu'on peut dire que , parmi
nous , le premier effet de la satire de moeurs appliquée
à ce sujet délicat , est d'y porter atteinte .
:
Mais si l'ouvrage du chaste Despréaux lui -même
n'est pas à l'abri de tout reproche , s'il n'a pu représenter
les caractères et les torts , même affaiblis , des
femmes considérées comme épouses , sans inconvénient
, que sera - ce de l'ouvrage d'une femme sur un
sujet semblable , et d'une femme qui se montre bien
moins timide qu'un homme ?
*
Ce n'est point là un jeu d'esprit , un simple badinage
; ou , croyez-moi , ces badinages ont des suites
sérieuses : Ha nuga seria ducunt.
La bonne humeur est indulgente , et cette disposition
a été très -favorable à l'ouvrage , considéré comme
production littéraire . On a tout applaudi . Voici un
vers qui l'a été avec éclat et à plusieurs reprises ;
l'auteur l'adresse à la jeune imprudente qu'elle cherche
à détourner du mariage :
Les hommes ne sont pas ce que tu les supposes.
C'est à la profondeur de l'idée sans doute qu'on a
rendu ces hommages , car le vers en lui -même , si c'est
là un vers , est bien ordinaire.
On a paru également satisfait de celui- ci , appliqué
à l'époux infidelle :
Valet de sa maîtresse et tyran de sa femme.
38 MERCURE DE FRANCE,
Je me permettrai de dire que ce n'est point le
valet , c'est l'esclave qui contraste avec le tyran.
Toutefois il y aurait de l'injustice à ne pas reconnaitre
que parmi tant de vers , tous applaudis , quel¬
ques - uns méritaient de l'être. Je les ai remarqués et
je les citerais , si ma mémoire me les rappelait. Il y a
de la précision , dans celui - ci sur la contradiction :
La contradiction qui renaît d'elle -même.
Mais que sont quelques vers un peu mieux tournés
dans un si long ouvrage ? Celui- ci , comme la plupart
de ceux que font éclore prématurément et les lycées
nombreux , et les théâtres multipliés , manque de
soin , de travail et de temps ; il est languissant et
imparfait. On n'achève point de tableaux quand on
trouvé partout le débit de ses esquisses , ét quand les
trépieds deviennent communs , l'inspiration devient rarë,
Je bornerai à ces observations les critiques de détail
sur cet ouvrage . Pour un grand nombre peut - être , la
scène n'aurait été que ridicule ; mais j'ai cru y voir
quelque chose de plus . Tous les jours , quelque nouvel
excès nous révèle de combien de manières peut s'égarer
ce sexe , lorsqu'une fois ,
De l'austère pudeur les bornes sont passées.
Il nous reste encore des bienséances que l'opinion
doit maintenir contre les sarcasmes ou les injures ,
Qu'on nous permette de le dire , car il y a quelque
parité entre ces écarts : les femmes qui osent tout
diré , tout révéler dans leurs romans , tout exposer dans
leurs vers ,
nous paraissent se placer sur la même
limite que celles qui , ayant déposé l'un après l'autre.
tous leurs vêtements , retiennent à peine un léger
tissu . Certes , il est permis alors de jeter un cri.
M.
NIVOSE ΑΝ Χ . 39
ESSAI sur la garantie des propriétés littéraires;
par GOUJON (de la Somme) , ex-législateur ,
associé-libre du Lycée des arts. Prix , 50 c .
A Paris , chez Goujon fils , imprimeur- libraire,
rue Taranne , n.º 737. -
L'AUTEUR de cette brochure, sans autre prétention que
celle d'ouvrirune carrière utile , a fait plus. On peut dire
qu'il l'a parcourue avec succès. Il est vrai qu'en défendant
le domaine des gens de lettres , le C. Goujon est ,
pour ainsi dire , sur son terrain , et l'intérêt personnel
est ici un droit de plus à la confiance et à l'estime
blique.
pu.
Il examine tour - à- tour sa question sous le rapport du
droit naturel , et sous celui du droit positif. Il établit
facilement que s'il existe une propriété légitime
et sacrée , c'est la propriété littéraire , la plus glorieuse
à la fois et la plus pénible de toutes. En un mot , le
style est tout l'homme ; car le style n'est que la pensée
écrite.
"
"
"
On chercherait en vain dans la nuit des siécles
qui précédèrent la naissance de l'imprimerie , les
« traces d'un droit quelconque , qui pût concerner la
propriété des auteurs . Les libraires , réduits à l'état
de simples copistes , avaient peu de moyens de multiplier
leurs volumes , et apparemment un auteur s'es-
" timait heureux de trouver des copistes pour répandre
" son ouvrage et sá réputation . »
"
Mais l'imprimerie parut. On admira d'abord cette
invention plus divine qu'humaine. Bientôt , inquiet de son
usage , le gouvernement voulut le restreindre et le
surveiller. De-là et de l'intérêt du fisc , les défenses d'im-
DELT
40. MERCURE DE FRANCE ,
primer sans congés du prince , sans lettres de privilége.
La propriété littéraire fit partie du domaine public . Le
privilége défendait en même temps la contrefaçon * ,
et déterminait l'indemnité que pouvait prétendre l'auteur
de l'ouvrage contrefait .
2
J'ai souligné deux fois ce malheureux mot de privilége.
On sait en effet comme il choqua l'assemblée
constituante. Elle se hâta d'abolir tout privilége , et
dans cette proscription générale , l'esprit d'égalité enveloppa
le privilége pour imprimer , qui ressemblait si
peu à un privilége de noble ou de grand seigneur . Dèslors
la propriété des gens de lettres fut envahie et ravágée
comme tant d'autres ; mais l'excès du brigandage
fut tel , qu'en 1793 même , la convention nationale
essaya de le réprimer ; et c'est encore la loi du 19
juillet , de cette année , qui garantit le droit des
auteurs . Cette loi consacre les principes ; mais le
C. Goujon la trouve incomplète . Il faut le suivre dans
les moyens qu'il croit propres à fixer ce point de la législation.
Quiconque voudrait user du droit d'auteur , soit pour
un ouvrage nouveau , soit pour la réédition d'un ouvrage
ancien , ferait sa déclaration à un dépôt public ,
établi sous le nom de Conservatoire des lettres . Il y
déposerait son manuscrit et un exemplaire de l'édition
imprimée , revêtus l'un et l'autre de sa propre signa
ture. L'auteur signerait également chacun des exemplaires
en émission . La fraude serait donc facile à découvrir
, et comme elle emporterait crime de faux , elle
10
* A ce mot contrefaçon , l'auteur , remontant à son étymologie
, ( factio contrà ) propose de substituer contrefaction.
L'académie semble indiquer ce changement dans
son dictionnaire. Nous aurons bientôt saus doute la décision
de l'Institut.
NIVOSE AN X. 4 .
serait poursuivie par la voie criminelle , et soumise à
des peines aussi justes que rigoureuses.
?
Mais le C. Goujon ne s'est - il pas écarté des principes
qu'il avait si bien établis sur la propriété litté
raire et son inviolabilité ? Il veut qu'après la mort de
l'auteur la propriété de l'ouvrage devienne la propriété
publique . La veuve et les enfants en auraient seulement
l'usufruit pendant dix années. On ne conçoit pas
comment une loi nouvelle limiterait ainsi le droit des
auteurs que les anciens priviléges étendirent plus d'une
fois jusqu'à 20 et 30 années . Il me semble que la propriété
littéraire doit , comme les autres propriétés
rester indéfiniment à la libre disposition de l'auteur et
de ses héritiers ou cessionnaires ; et si l'intérêt général
demande qu'un ouvrage devienne propriété publique ,
l'état leur doit une digne et généreuse indemnité .
Toutefois la 'contrefaction est née de l'imprimerie ,
comme l'effet de la cause et probablement ne finira
qu'avec elle . Une loi protégera toujours faiblement les
productions du génie contre les spéculations de la cupidité
. Le délit est . si facile et si commun ; on le
punira quelquefois ; mais on ne l'empêchera point.
Malheur aux bons ouvrages ! on pourrait dire , avec
autant de vérité malheur aux hommes de génie , si
la gloire ne les consolait pas des torts de la fortune .
Homère vécut à peine de ses rapsodies , et les descendants
de Corneille ont connu l'indigence. Ainsi va
le monde littéraire ; ou bien , il faut , comme le philosophe
Sénèque , enseigner du milieu des trésors le
mépris des richesses."
í
JJ
A.
42 MERCURE DE FRANCE ,
SPECTACLES.
THEATRE DE LA RÉPUBLIQUE ET DES ARTS.
M.lle Bigotini a paru une seconde fois dans le ballet
de Psyché; son jeu dans la pantomime et son talent
dans la danse , ont mérité et ont obtenu de vifs applaudissements
. Rien de plus agréable que cette scène où
Terpsichore donne une leçon de danse à Psychế.
}
D'un côté , l'on voit M.le Clotilde , belle à la fois
de la régularité de ses traits et de la noblesse de son
maintien , développant par degrés à sa jeune élève tous
les secrets de son art ; de l'autre , Mlle Bigotini ,
attentive et docile , répétant avec aisance et précision
tous les pas et tous les mouvements de son modèle ; l'illusion
est parfaite . C'est la Muse de la danse instruisant
la plus jeune des graces.
Saint- Amand, qui fait tous les jours de nouveaux
progrès , a fort bien joué le rôle de l'Amour.
Beaulieu nous a paru laisser quelque chose à desirer.
On pourrait souhaiter je ne sais quoi de plus léger
et de plus aérien dans l'acteur qui représente Zéphire.
Il doit raser la terre plutôt que la toucher. Je voudrais
qu'il offrît aux yeux ce que fait sentir à l'oreille l'harmonie
imitative de ces vers admirables , où Virgile dit
en parlant de Camille :
Illa vel intacta segetis per summa volaret
Gramina , nec teneras , cursu læsisset aristas :
Vel mare per medium , fluctu suspensa tumenti ,
Ferret iter , celeres nec tingeret æquora plantas.
ENEIDE
,
Voyez-vous des épis effleurant la surface
liv. 7.
Camille , dans les champs , qui court , vole et fend l'air ,
La muse suit Camille et part comme un éclair.
Essai sur la critique de Pope ; traduction de
l'abbé DU RESNEL, 0,
NIVOSE AN X. 43
THÉATRE FRANÇAIS .
LA tragédie nouvelle intitulée Alhamar fut à peine
achevée , au milieu des improbations tumultueuses du
parterre. Nous épargnerons à nos lecteurs l'ennui de
lire l'analyse d'un ouvrage qui ne reparaîtra plus , et
par une critique dont trop peu d'éloges pourraient
adoucir l'amertume , nous n'insulterons pas à la disgrace
d'un auteur jeune encore , et qui , dans une autre
pièce , pourra se montrer un jour avec plus d'avantage .
On doit des éloges aux acteurs ; dans les deux premiers
actes , dont les motifs ressemblent à ceux d'Adélaïde
du Guesclin . Lafond , Saint- Prix , Vanhove et
M.lle Volnay ont développé leurs talents accoutumés ,
et dans le reste de la tragédie , qui ne ressemble à
rien , ils ont lútié avec couragé contre les murmures
et les sifflets .
Nous observerons cependant que , dans le dernier
acte , Vanhove a montré plus de ténacité que d'adresse .
La défaveur publique était à son comble , et lorsqu'on
désespère de la fléchir , on doit au moins l'éludér...
Vanhove , par la pesanteur de son débit , a laissé
trop de prise à la malignité. Dans ces sortes de
crises , l'acteur doit animer , par la vivacité de son jeu ,
les scènes languissantes , passer rapidement sur les
vers faibles ou ridicules , et se précipiter avec l'ouvrage
vers l'action et le dénouement.
C'est le grand art de Mole dont le talent magique
a souvent fait supporter au publie les nouveautés les
plus insipides.
M.lle Bourgouing continue ses débuts avec le même
succès. Elle a joué tour- à-tour Nanine , Zaïre et Monime
dans Mithridate.
44
MERCURE
DE FRANCE
,
Il faut beaucoup d'art et d'usage pour saisir la
nuance qui convient au personnage de Nanine . Le ton
de l'actrice doit s'élever au dessus de celui de la comédie
familière ; mais il ne doit pas s'élever jusqu'à
P'accent tragique.
Entre ces deux écueils , la route est difficile.
Il n'est pas étonnant qu'une jeune débutante s'en
soit quelquefois écartée .
Le rôle tragique où elle a le plus approché de la
perfection est le rôle de Monime. Depuis longtemps
aucun début n'a procuré une recette plus utile pour
le théâtre , et des encouragements plus flatteurs pour
l'actrice.
THEATRE DU VAUDEVILLE.
DEPUIS longtemps, la comédie s'est emparée de quelques
personnages historiques . On sait quel fut le succès
de la Partie de Chasse d'Henri IV . Nous jouissons
encore de celui des Deux Pages. Cependant ces sortes
d'ouvrages, sont rares sur la scène française ; ils offrent
plus d'une difficulté. Il faut beaucoup d'art pour présenter
, sans les dégrader , les personnages héroïques
dans une situation plaisante , et dans le choix des oppositions
et des caractères. La vérité connue de l'histoire
ne laisse pas à l'auteur la même liberté que dans
les comédies de caractère et d'invention .
Depuis quelques années , le Vaudeville , dont le genre
aimable permet moins d'élévation , a pris plusieurs de
ses sujets dans l'histoire- anecdote des hommes de lettres
et des artistes célèbres . Nous avons déja vu Scaron ,
Teniers , Gessner , Florian . L'ouvrage que nous annonçons
nous présente Berquin , connu par ses Romances ,
NIVOSE AN X. 45
et par un ouvrage en prose , intitulé l'Ami des Enfants.
C'est un personnage moderne ; plusieurs des
spectateurs peuvent l'avoir connu . Nous avons eu cet
avantage . Ses manières étaient simples et sa société
plus douce qu'agréable ; il avait ce qu'on peut appeler
les moeurs littéraires . Revenons au Vaudeville dont il
est le sujet. Berquin loge dans un hôtel garni ; de jeunes
enfants veulent faire un présent à leur ami pour le jour
de sa fête il veut , à son tour , les conduire aux Prés-
Saint-Gervais , et leur offrir du lait , des fruits et des
fleurs . La scène se passe dans un jardin . Ces accessoires
et ces couleurs locales sont convenables ; elles sont même
fidelles à la vérité historique . Berquin logea longtemps
rue et hôtel du Croissant ; la maison était entourée
d'un jardin qui servait aux locataires de rendez - vous
et de salon de compagnie : l'intrigue est commune , et
elle a été plus d'une fois employée à la scène. Le fils
du propriétaire , qui est mort , avait épousé , malgré
son père , une jeune personne intéressante , que son
beau-père refuse de voir ; mais elle loge incognito dans
son hôtel ; il l'estime et l'aime sans la connaître . Berquin
les reconcilie . Ce motif est le même que celui du Consentement
Forcé et du Vieux Célibataire . Il est singulier
que sur un théâtre de chant , on n'ait point songé à
faire entendre les romances de Berquin . Si la jeune
personne
, au lieu d'être veuve , eût été abandonnée par
son amant , il eût été dramatique et ingénieux à la fois
de toucher et de ramener l'infidelle par cette romance
si connue : Dors mon enfant , clos ta paupière , etc. Au
reste , Berquin à réussi au Vaudeville , comme autrefois
ses ouvrages ont réussi dans le monde . On a demandé
les auteurs : ce sont les CC. Pain et Bouilly.
O
46
MERCURE
DE
FRANCE
,
ANNONCES.
Le C. Giguet , libraire , à Paris , imprime actuellement
le poème en 8 chants de PImagination , par M.
l'abbé Delille. Les autres poèmes du même auteur , le
Malheur et la Piié , en 4 chants , les Trois règnes de
la Nature , en 8 chants , la traduction de l'Enéide , etc. ,
seront successivement publiés , dans tous les formats et
avec figures par les premiers artistes de Paris .
L'abbé Delille a fini la traduction du Paradis perdu
de Milton , et l'envoie à Paris pour y être imprimée.
On dit enfin que l'auteur lui - même songe à revenir
dans sa patrie. Delitle manque à la France , et peutétre
aussi la France manque à Delille.
COURS élémentaire de maladies des femmes , ou Essai
sur une nouvelle méthode pour étudier et pour classer
les maladies de ce sexe ; par Joseph- Marie - Joachim
Vigardus , professeur à l'Ecole de médecine de Montpellier
, médecin en chef de l'Hospice d'humanité ,
de la Société libre d'agriculture du département de
l'Hérault , de la Société médicale d'émulation , etc. a
vol. in- 8.º A Paris , de l'imprimerie de Crapelet , chez
Déterville , libraire , rue du Battoir , n.° 16 , an X
( 1801 ).
NOUVELLE Théorie des lois civiles , où l'on donne le
plan d'un système général de Jurisprudence , et la
notice des codes les plus fameux , par J. E. D. Bernardi.
Prix , 3 fr . 60 cent. , et , franc de port , 4 fr.
50 cent. Chez Garnery , libraire , rue de Seine
n . Iạo3 .
DU COMMERCE des Neutres , en temps de guerre , ouvrage
élémentaire , destiné à fixer les principes des
conventions maritimes et commerciales entre les nations,
traduit de l'italien de Lampredi , professeur de
droit public en l'université de Pise , par Jacques Peuchet
, membre du conseil de commerce , au ministère
de l'intérieur , et de celui du département de la Seine .
Un fort vol . in - 8. ° Prix , broche , 5 fr . , et franc de
port , 6 fr. 60 cent. A Paris , chez H. Agasse , imprimeur-
libraire , rue des Poitevins , n.º 18 .
NIVOSE AN X. 47
MÉMOIRES historiques et politiques du règne de Louis
XVI , depuis son mariage jusqu'à sa mort ; ouvrage
composé sur des pièces authentiques , fournies à l'au
teur , avant la révolution , par plusieurs ministres et
hommes d'état , et sur les pièces justificatives , recueil-
Jies , après le 10 août , dans le cabinet de Louis XVI ,
à Versailles et dans le château des Tuileries ; orné
de tableaux analytiques , historiques , politiques , etc. ,
et de 113 portraits de personnages remarquables de
cette époque , ou qui ont figuré à toutes celles de la
révolution ; par Jean- Louis Soulavie ( l'aîné ) , correspondant
et associé d'un grand nombre d'Académies
nationales et étrangères , auteur des Mémoires du
maréchal de Richelieu , éditeur des oeuvres complètes
de Saint-Simon , etc. , etc. , etc. 6 vol. in - 8. °
A Paris , chez Treutel et Würtz , libraires , quai
Voltaire , n.º 2 , et à Strasbourg. An X ( 1801 ) .
( Nous reviendrons sur cet ouvrage. )
.
T
NOUVELLE Géographie universelle , descriptive , historique
, industrielle et commerciale , des quatre
parties du monde , par William Guthrie ; ouvrage traduit
de l'anglais , sur la 19. et dernière édition , par
Fr. Noel, ex-professeur en l'Université de Paris , exambassadeur
, etc. etc. Nouvelle édition française.
A Paris , chez Hyacinthe Langlois , libraire , quai
des Augustins , n .° 45. An 10-1802 . 10 volumes ,
dont 9 in-8. , imprimés par Crapelet , sur carré fin
double d'Auvergne , caractères neufs philosophie et
petit-romain , avec des notes , et un atlas , in- fol.
de 40 cartes , gravées à neuf au burin , avec les nouvelles
divisions , d'après les derniers traités de paix ,
augmenté de 7 grandes cartes , savoir 5 d'après d'Anville
pour la Géographie comparée , une des nouvelles
découvertes à la côte nord- ouest de l'Amérique septentrionale
, qui ne se trouvait dans aucun atlas , et
une nouvelle carte de l'empire d'Allemagne , réduite
sur celle de Sotzmann , en 16 feuilles .
Prix des 10 volumes , 39 fr. pour Paris , et 45 fr, port
franc par la diligence.
-Papier vélin sur carré superfin d'Annonay , dont
on n'a tiré que 50 exemplaires , cartonné à la Bradel ;
l'atlas avec les mers lavées , les montagues et bois
piqués , 84 fr. , et 92 fr. port franc.
48 MERCURE
DE FRANCE
Le texte , idem , avec le Nouvel atlas universel ,
grand in-fol . , de géographie ancienne et moderne pour
cette nouvelle édition , composé de 60 belles cartes
gravées par P. F. Tardieu , et enluminées ; avec les
nouvelles divisions d'après les derniers traités de paix ,
et les nouvelles découvertes de Lapérouse , de Marchand,
☛ notamment celles de Vancouver , sur grand- aigle ,
qui ne se trouvent dans aucun atlas : demi - reliûre ,
dos et coins de veau , 135 fr. , et 145 fr. port franc.
Idem , avec le même atlas in-folio maximo , sur
-jésus , mers lavées , montagnes et bois piqués , bien
relié en veau , 184 fr . , et 196 fr. port franc.
J
Les atlas se vendent séparément :
car- L'in-folio ordinaire de 40 cartes enluminées
tonné , 15 fr. - Le grand in- folio de 60 cartes , demireliúre
, dos et coins de veau , 66 fr. - Idem , in -folio
maximo , mers lavées , bien relié en veau , 120 fr.
ADELE et Cécile , Conte Moral , par un membre correspondant
du Lycée de Caen . Paris , chez Deroy ,
libraire , rue Haute- Feuille , n.º 34.
VRAIS Principes du gouvernement , ou Analyse raisonnée
des bases fondamentales de la vraie liberté ;
suivie d'un Tableau des principaux monuments politiques
de notre histoire ; par P. L. C. Gin , ancien
jurisconsulte , et membre de la Société académique
des Sciences , séante au Palais national des
Sciences et des Arts . A Paris , chez Boyez , libraire ,
rue de Thionville . An IX .- 1801 .
ODE sur les vertus civiles ; par Fortunée B. Briquet
de la Société des Belles - Lettres de Paris ; lue par
l'auteur à la séance publique du 23 vendémiaire
an 10 ; suivie de la traduction en Italien , par Domenico
Forges-Davanzati ; brochure in- 8 . ° de 20pages .
Prix , 30 centimes , et franc de port 40 centimes . Paris,
Charles Pougens , imprimeur - libraire , quai Voltaire ,
numéro 10. '
NIVOSE AN X.
49 DEP!
POLITIQUE.
EXTÉRIEUR.
SUITE du Précis sur l'état de l'Europe.
LA Suède , placée aux confins du monde civilisé ,
avec une population faible , dispersée sous un climat
rigoureux et sur un sol immense et presque partout
stérile , sans numéraire et sans colonies , a longtemps
entretenu l'Europe du bruit de ses expéditions romanesques
, et a joui , pendant plus d'un siécle
d'une considération qui ressemblait à de la puissance .
Comme elle a eu une grande part à la révolution politique
et religieuse que le traité de Westphalie a faite
en Europe , on nous permettra d'entrer dans quelques
détails sur l'histoire et l'on pourrait dire sur les aventures
de cette société.
Après une alternative de quelques siécles de troubles
ét de guerres , de force et de faiblesse , et ces progrès
Jents des lumières , qui remplissent l'enfance de tous les
peuples modernes et forment , pour ainsi dire , leur
première éducation , la Suède échut par voie d'héritage
à Marguerite de Waldemar , déja reine de Danemarck
par sa naissance , et de Norwège par son mariage
avec Haquin , son dernier roi . Rien ne prouve
mieux que les peuples viennent d'une famille que de
voir dans les premiers temps du monde et le premier
âge de presque toutes les nations les Etats
transmis par testament , par donation , ou portés en
dot comme des biens domestiques , et deux peuples se
confondre par l'alliance de deux maisons. Marguerite ,
7.
REP.FRA
.
50 MERCURE DE FRANCE ,
connue sous le nom de la Danoise , voulut unir irrés
vocablement ces trois parties de l'ancienne Scandinavie
et de la Chersonèse cimbrique , berceau de
l'Europe moderne , par le célèbre acte d'union consenti
à Calmar en 1395. Ce projet formé par la sagesse , la
folie le renversa , et il n'en resta d'autre monument
que trois couronnes placées au haut de la tour de
Calmar et dans les armes de Danemarck , et l'expression
usitée dans la langue diplomatique de l'Europe
des couronnes du nord pour désigner les trois états
de la Suède , du Danemarck et de la Norwège. On
prendra une idée assez juste des rapports politiques
et commerciaux de ces trois pays , à cette époque ,
lorsqu'on saura que Marguerite disait à son neyeu
Eric , qui lui succéda dans ces trois royaumes : La
Suède vous nourrira , la Norwège vous vêtira , et le
Danemarck vous défendra. Ces rapports ont changé ,
et le Danemarck aujourd'hui vaut mieux pour nourrir
, et la Suède pour défendre.
Après plus d'un siécle de succession collatérale du
royaume de Suède , en faveur de princes étrangers à.
la Suède et même au Danemarck , de régences exercées
par des Suédois , entremêlées aux règnes de quelques
princes danois et d'une anarchie presque continuelle ,
le sort des armes fit tomber la Suède aux mains de
Christiern I , roi de Danemarck , appelé le tyran ,
ou le Néron du nord ; prince né pour déshonorer le
pouvoir , la première loi des États , et le premier
besoin des hommes.
La domination qu'un état conquérant exerce sur un
peuple qu'il a conquis tout entier , est toujours plus
dure que celle qu'il exerce sur quelques provinces
qu'il a réunies à ses frontières , parce qu'il craint , de
la part d'une nation , une révolte générale , et qu'il ne
peut être dépossédé de quelques parties de territoire
NIVOSE AN X. 51
que par la guerre. Christiern voulut s'affranchir , d'un
seul coup , de la crainte d'une rebellion en Suède , en
se débarrassant de tous les chefs du peuple. En 1520 ,
au jour fixé pour son couronnement , après une fête
qui avait duré plusieurs jours , il fit assassiner , dans
la salle du festin , à Stockholm , 100 évêques ou principaux
seigneurs . Quand on rapproche cet événement
épouvantable d'événements arrivés pour les mêmes
motifs dans d'autres pays , on aperçoit ce que toutes
les révolutions ont de semblable , et ce que chaque
tyrannie a de différent.
Depuis bien des siécles , en Suède , les générations
se transmettaient fidellement l'une à l'autre une haine
désespérée contre les Danois , plus encore que l'amour
de leur propre indépendance ; l'attentat horrible de
Christiern y mit le comble , et un homme fut appelé
à recueillir cet héritage national. Gustave Wasa , issu
d'une maison qui avait régné sur la Suède , et échappé au
massacre de Stockholm , parut , comme tous les hommes
extraordinaires , au moment précis de la maturité des
événements ; un peu plus tôt il eût échoué , comme son
successeur , bien plus grand que lui , échoua quelques
années après dans de plus vastes desses . Wasa
appelle à lui , du fond des forêts et des mines de la
Dalecarlie , quelques paysans occupés de leurs travaux
; il leur commande de délivrer leur patrie , ils
obéissent ; ils chassent les Danois qui n'y sont plus
rentrés depuis. Gustave rendit le pouvoir héréditaire
dans sa maison ; mais ce prince fut plus heureux
qu'habile , c'est-à-dire , que les circonstances firent tout
pour lui , et qu'il parut au dessous de sa gloire. Détesté
des grands et même du peuple , il fit plutôt haïr
aux Suédois la tyrannie étrangère qu'il ne leur fit aimer
leur affranchissement.
Gustave détruisit lui - même les bons effets que la
52 MERCURE DE FRANCE,
Suède pouvait attendre de la révolution qu'il avait
faite dans le gouvernement , par celle qu'il fit dans la
religion . Le lutheranisme avait commencé depuis
quelques années en Allemagne ; Christiern l'avait embrassé
, et le meurtre des évêques catholiques avait
eu aussi pour motif un fanatisme religieux . Gustave
aurait dû laisser la Suède catholique , et même parce
que
le Danemarck devenait luthérien .
*
Ce prince , inécontent des évêques , avide de richesses
ecclésiastiques , adopta et fit adopter à son peuple les
dogmes de la réforme . La Suède , quoique assez récemment
chrétienne , et souvent troublée par la lutte
des deux pouvoirs politique et religieux non encore
exactement définis , opposa aux innovations une longue
et forte résistance. Ce ne fut même qu'en conservant
les livrées du catholicisme que le luthéranisme put s'y
introduire , et l'on y retint l'épiscopat , quelque chose
de la liturgie et jusqu'à un reste de confession auriculaire.
Ce lutheranisme ainsi déguisé , qui adaptait
les formes pompeuses et même la hiérarchie de la
#eligion catholique aux principes faciles de la réforme ,
était dans l'église absolument ce que sont dans la
société politique les gouvernements aristocratiques ,
comme ceux de Pologne où d'Angletere , qui conservent
les formes augustes de la monarchie , et même la
dénomination de royauté avec les principes des États
populaires ; et , comme J. J. Rousseau dit quelque
part , pour cette raison , que le lutheranisme est la
plus inconséquente des opinions religieuses , on peut
regarder l'aristocratie comme le moins inconséquent des
gouvernements .
Telle est l'influence irrésistible que la religion exerce
sur l'état , que la Suède , depuis la réforme , commença
* Dans les états qui ne sont pas monarchiques , le luthé,
ganisme n'a point d'évêques, et n'a que des super- intendants.
NIVOSE AN X. 53
à incliner sensiblement à l'aristocratie , à cet état de
gouvernement toujours dans les extrêmes de la servitude
ou de la licence ; la noblesse suédoise , si fière et même si
fidelle , écartée , dans ses rapports avec ses rois , de cette
juste mesure , que si peu de nations en Europe ont su
garder, fut condamnée à tout endurer des rois forts, et à
tout oser contre les rois faibles ou indulgents. On vit sous
Eric , le fils insensé de Gustave Wasa , un noble suédois
poignardé par ce prince , tirer , à genoux , le poignard de
sa blessure , le baiser , le lui rendre et mourir ; de nos
jours on a vu des nobles Suédois assassiner Gustave III ;
P'histoire de la Suède, nous montre la noblesse , sous
Gustave Adolphe , et plus encore sous Charles XII ,
entraînée loin de son pays , au fond de l'Allemagne
et de la Russie , dans des guerres sans fin et sans
objet ; et , à la diète de 1755 , cette même noblesse traiter
avec indignité un roi modéré , lui disputer le droit d'apposer
son sceau aux actes publics , et lui ôter jusqu'à
'éducation de son fils .
Dans les premiers temps de la révolution , la Suède
dut tomber dans la servitude , parce qu'elle sortait de
l'obéissance : mais combien , il faut le dire , cette dépendance
un peu servile , était ennoblie par de dignes
maîtres? Quel homme et quel roi que Gustave Adolphe ,
petit- fils de Gustave Wasa ! Ce prince , qu'on peut
regarder comme le héros de la réforme , montra la
force de caractère et les vertus qui font les grands
hommes , les connaissances qui font les hommes utiles ,
et les qualités mêmes qui font les hommes aimables.
Bon et populaire pour les hommes les plus obscurs ,
il avait coutume de dire que les rois n'avaient de
rang entre eux que celui de leurs vertus. Eloigné pendant
sa jeunesse de la reine son épouse , et au milieu
de la licence des camps , il s'honorait de lui avoir tou◄
54 MERCURE DE FRANCE ,
jours été fidelle . Il fut le créateur de l'art militaire en
Europe, le fondateur de l'école où se forma notre Turenne.
Sorti de son pays avec moins de 30,000 Suédois, faiblement
secouru ou même à la fin contrarié par les princes protestants
, jeté au milieu de la populeuse et belliqueuse
Allemagne , au siécle des lumières politiques et des
connaissances militaires , en présence de la monarchie
autrichienne , de Valstein et de Tilly , il éleva , il
soutint même , tant qu'il vécut , cette puissance formidable
qui n'avait qu'un camp pour territoire , et
pour peuple que son armée , cette puissance à qui les
réformés , toujours pressés de prédire , appliquaient
déja les oracles des livres saints , et toutes les prophéties
de l'Apocalypse , et qui sans doute aurait pu
les justifier à force d'enthousiasme religieux et de génie
, si l'Ordonnateur suprême des événements n'avait ,
depuis l'établissement du christianisme , retiré la force
à l'homme pour la donner à la société.
Le lecteur nous saura gré peut- être de lui citer ici
un morceau peu connu , tiré d'un écrit oublié , intitulé :
Motifs de la France pour la guerre d'Allemagne , et qui
fera mieux connaître ce grand roi que tout ce que
l'on pourrait en dire. « Les Suédois alliés de la France,
" avaient en Allemagne l'armée la mieux disciplinée
« qui ait jamais été depuis les légions de César. Ils
étaient presque toujours sûrs , dit un auteur du
temps , ou de battre ceux qui s'opposaient à leur
« valeur , ou de faire périr par leur patience ceux qui
« voudraient éviter le combat. Ils faisaient la guerre
" dans toutes les saisons de l'année , et ils subsistaient
"
#
trois mois dans les quartiers où l'armée impériale
In'aurait pas pu vivre huit jours. Tous les enfants
» qu'ils avaient eus depuis l'entrée de Gustave Adol-
- phe en Allemagne étaient accoutumés aux mousque-
1
NIVOSE AN X. 55
K
tades , et portaient , dès l'âge de six ans , de quoi
« manger à leurs pères dans les tranchées et dans la
" faction . Quoique l'armée ne soit pas un lieu fort propre
pour élever la jeunesse , néanmoins on prenait un soin
très-exact de leur éducation , leur faisant apprendre
à lire et à écrire dans de petites écoles portatives ,
« que l'on tenait dans le quartier ou dans le camp ,
" lorsqu'on était en campagne. Les ennemis étaient
quelquefois campés si proches , que leur canon por-
" tait jusque sur la petite école où l'on a vu trois ou
« quatre enfants emportés d'un seul coup , sans que
les autres changeassent de place ou quittassent la
« plume qu'ils avaient à la main .

"
"
"
-
"

"
Les recrues de l'infanterie ne se faisaient plus
* que parmi les enfants nés dans le camp. A l'âge de
seize ans , ils prenaient le mousquet , et n'avaient
garde de déserter jamais , parce qu'ils ne connais-
" saient plus d'autre vie , ni d'autre vacation . Pour la
cavalerie , c'étaient les valets de leurs reîtres qu'ils
" mettaient à cheval , après qu'ils avaient servi sept
< ou huit ans dans l'armée. Ils étaient aguerris
" avant que d'être enrôlés ; de sorte qu'ils pouvaient
« dire qu'ils avaient autant de capitaines que de soldats
, ce qui a paru dans toutes les batailles et rencontres
principales , où les officiers d'une compagnie
" ayant été tués , le premier reître se mettait à la
« tête , et la commandait aussi bien que le plus brave
« et le plus sage capitaine du monde . Les charges se
donnaient au service et au mérite , sans faveur , et
l'on y voyait plusieurs colonels qui avaient été
simples soldats dans le régiment qu'ils commandaient.
Cette armée était telle qu'il n'est pas au
pouvoir de tous les rois du monde , d'en composer
jamais une semblable , parce que le temps et la discipline
l'avaient formée , et qu'ils avaient appris sous
K
"
.
56 MERCURE DE FRANCE ,
le grand Gustave comment il faut obéir , servir et
« commander,
་་
« Si l'autorité des chefs était absolue dans l'armée ,
a celle des ministres de leur religion ne l'était pas
« moins. C'étaient des censeurs sévères , qui ne souf
• fraient ni le blasphème , ni le scandale des femmes.
Sitôt qu'ils apprenaient qu'un officier avait une
« femme chez lui , qui n'était pas légitime , ils allaient
" trouver le général pour l'obliger de l'épouser ou de
la quitter dans deux jours , et cela était exécuté
" sans rémission ; de sorte que le continuel exercice
de la guerre , et la discipline étroitement gardée
rendaient cette armée invincible.
".
cr
"
"
ес
« Par ce moyen , la couronne de Suède était considérée
, dans les négociations d'Osnabruck et de
Münster , à l'égal des plus puissantes couronnes .
« Les Suédois faisaient la guerre aux dépens de l'argent
de la France , et du sang des Allemands . Ils
tenaient dans l'empire 132 places , et pouvaient
dîner dans l'une et coucher dans l'autre , depuis la
« mer Baltique jusque dans la Hongrie,
"
"
(La suite de la Suède au numéro prochain) .
INTÉRIEUR.
CONVENTION entre la République française
et les Etats-Unis d'Amérique.
Le premier consul de la république française , au
nom du peuple français , et le président des Etats Unis
d'Amérique , également animés du desir de mettre fin
aux différends qui sont survenus entre les deux états ,"
ont respectivement nommé leurs plénipotentiaires' , et
"
NIVOSE AN X. 57
leur ont donné pleins pouvoirs pour négocier sur ces
différends et les terminer ; c'est - à - dire , le premier
consul de la république française , au nom du peuple
français , a nommé pour plénipotentiaires de ladite
république , les CC. Joseph Bonaparte , ex-ambassadeur
de la république française à Rome , et conseiller
d'état , Charles - Pierre Claret - Fleurieu , membre de
l'Institut national et du bureau des longitudes de
France , et conseiller d'état , président de la section
de la marine , et Pierre -Louis Roederer , membre de
l'Institut national et conseiller d'état , président de la
section de l'intérieur ; et le président des Etats - Unis
d'Amérique , par et avec l'avis et le consentement du
sénat desdits états , a nommé pour leurs plénipotentiaires
, Oliver Ellsworth , chef de la justice des
Etats- Unis , William Richardson Davie , ci - devant
gouverneur de la Caroline septentrionale , et William
Vans-Murray , ministre résident des Etats - Unis à la
Haye.
Lesquels , après avoir fait l'échange de leurs pleins
pouvoirs , longuement et mûrement discuté les intérêts
respectifs , sont convenus des articles suivants :
Art. I. Il y aura une paix ferme , inviolable et universelle
, et une amitié vraie et sincère , entre la république
française et les Etats - Unis d'Amérique , ainsi
qu'entre leurs pays , territoires , villes et places , et entre
leurs citoyens et habitants , sans exception de personnes
ni de lieux.
II . Les ministres plénipotentiaires des deux parties
ne pouvant pour le présent s'accorder relativement au
traité d'alliance du 6 février 1778 , au traité d'amitié
et de commerce de la méme date , et à la convention
en date du 14 novembre 1788 ; non plus que relativement
aux indemnités mutuellement dues ou réclamées ;
les parties négocieront ultérieurement sur ces objets ,
58 MERCURE DE FRANCE ,
dans un temps convenable , et jusqu'à ce qu'elles se
soient accordées sur ces points , lesdits traités et convention
n'auront point d'effet , et les relations des deux
nations seront réglées ainsi qu'il suit * .
III. Les bâtiments d'état qui ont été pris de part et
d'autre , ou qui pourraient être pris avant l'échange.
des ratifications , seront rendus.
IV. Les propriétés capturées et non encore condamnées
définitivement , ou qui pourront être capturées
avant l'échange des ratifications , excepté les marchandises
de contrebandes destinées pour un port ennemi ,
seront rendues mutuellement sur les preuves suivantes
de propriété , savoir :
De part et d'autre les preuves de propriété relativement
aux navires marchands , armés ou non armés
seront un passe - port dans la forme suivante :
a
"
"
"
2
A tous ceux qui les présentes verront soit notoire
que faculté et permission a été accordée à ......
« maître ou commandant du navire appelé ……………. de
la ville de ...... de la capacité de ...... tonneaux
ou environ , se trouvant présentement dans le port
« et hâvre de ..... et destiné pour ..... chargé de....
qu'après que son navire a été visité et avant son
a départ , il prêterá serment entre les mains des officiers
autorisés à cet effet , que ledit navire appartient
« à un ou plusieurs sujets de ...... dont l'acte sera
« mis à la fin des présentes , de même qu'il gardera
« et fera garder par son équipage , les ordonnances
"
*Le gouvernement des Etats - Unis , en ratifiant le traité
retrancha cet article , et ajouta le suivant : « Il est couvenu
« que la présente convention sera en vigueur pendant l'es-
<< pace de huit années , à dater de l'échange des ratifications . »
Le gouvernement français a consenti à ces changements ,
« bien entendu que , par la suppression de l'article II du
<«< traité , les deux états renoncent aux prétentions respectives
qui sont l'objet dudit article. »
NIVOSE AN X. 59
« et règlements maritimes , et remettra une liste
signée et confirmée par témoins , contenant les noms
« et surnoms , les lieux de naissance , et la demeure
des personnes composant l'équipage de son navire ,
et de tous ceux qui s'y embarqueront , lesquels il ne
« recevra pas à bord sans la connaissance et permission
des officiers autorisés à ce ; et dans chaque port
« ou havre où il entrera avec son navire , il montrera
la présente permission aux officiers à ce autorisés ,
« et leur fera un rapport fidelle de ce qui s'est passé
« durant son voyage ; et il portera les couleurs , armes
et enseignes (de la république française ou des Etats-
Unis ) durant sondit voyage ; en témoin de quoi ,
« nous avons signé les présentes , les avons fait contre-
signer par...... et y avons fait apposer le sceau
de nos armes. »
"
Donné à.... de l'an de grace , le .... et ce passeport
suffira sans autre pièce , nonobstant tout règlement
contraire . Il ne sera pas exigé que ce passe- port
ait été renouvelé ou révoqué , quelque hombre de
voyages que ledit navire ait pu faire , à moins qu'il
ne soit revenu chez lui dans l'espace d'une année.
Par rapport à la cargaison , les preuves seront des
certificats contenant le détail du lien d'où le bâtiment
est parti , et celui où il va , de manière que les marchandises
défendues et de contrebande puissent être
distinguées par les certificats , lesquels certificats auront
été faits par les officiers de l'endroit d'où le navire
sera parti , daps la forme usitée dans le pays ; et
si ces passe-ports ou certificats , ou les uns et les autres
ont été détruits par accidents , ou enlevés de
force , leur défaut pourra être suppléé par toutes les
autres preuves de propriétés admissibles , d'après l'usage
général des nations.
Pour les bâtiments autres que les navires marchands,
бо MERCURE DE FRANCE ,
les preuves seront la commission dont ils sont porteurs .
Cet article aura son effet , à dater de la signature de
la présente convention ; et si , à dater de ladite signades
propriétés sont condamnées contrairement
à l'esprit de ladite convention avant qu'on ait connaissance
de cette stipulation , la propriété ainsi con-,
damnée sera , sans délai , rendue ou payée.
V. Les dettes contractées par l'une des deux nations
envers les particuliers de l'autre , ou par des particuliers
de l'une envers des particuliers de l'autre , seront
acquittées ou le payement en sera poursuivi comme
s'il n'y avait eu aucune mésintelligence entre les deux
états ; mais cette clause ne s'étendra point aux indemnités
réclamées pour des captures ou pour des condamnations.
VI. Le commerce entre les deux parties sera libre :
les vaisseaux des deux nations et leurs corsaires , ainsi
que leurs prises , seront traités dans les ports respectifs
comme ceux de la nation la plus favorisée ; et , en général
, les deux parties jouiront dans les ports l'une de
l'autre , par rapport au commerce et à la navigation ,
des priviléges de la nation la plus favorisée .
VII . Les citoyens et habitants des Etats-Unis pourront
disposer par testament , donation ou autrement ,
de leurs biens , meubles et immeubles possédés dans
le territoire européen de la république française , et
les citoyens de la république française auront la même
faculté à l'égard des biens , meubles et immeubles
possédés dans le territoire des Etats - Unis , en faveur
de telles personnes que bon leur semblera . Les citoyens
et habitants d'un des deux états qui seront héritiers
des biens , meubles ou immeubles situés dans l'autre ,
pourront succédér ab intestat , sans qu'ils ayent besoin
de lettres de naturalité , et sans que l'effet de cette
stipulation leur puisse être contesté ou empêché , saus
NIVOSE AN X. 61
quelque prétexte que ce soit , et seront lesdits héritiers
, soit à titre particuliers , soit ab intestat , exempts
de tout droit quelconque chez les deux nations . Il est
convenu que cet article ne dérogera en aucune manière
aux lois qui sont à présent en vigueur chez les
deux nations , ou qui pourraient être promulguées à la
suite contre l'émigration , et aussi que , dans le cas où
les lois de l'un des deux états limiteraient pour les
étrangers l'exercice des droits de la propriété sur les
immeubles , on pourrait vendre ces immeubles ou en
disposer autrement en faveur d'habitants ou de citoyens
du pays où ils seraient situés , et il sera libre à l'autre
nation d'établir de semblables lois .
VIII . Pour favoriser de part et d'autre le commerce
il est convenu que si , ce qu'à Dieu ne plaise , la guerre
éclatait entre les deux nations , on allouera , de part
et d'autre , aux marchands et autres citoyens ou habitants
respectifs , six mois après la déclaration de
guerre , pendant lequel temps , ils auront la faculté de
se retirer avec leurs effets et meubles qu'ils pourront
emmener , envoyer ou vendre , comme ils le voudront ,
sans le moindre empêchement. Leurs effets , et encore
moins leurs personnes , ne pourront point , pendant ce
temps de six mois , être saisis ; au contraire , on leur
donnera des passe -ports qui seront valables pour le
temps nécessaire à leur retour chez eux , et ces passeports
seront donnés pour eux , ainsi que pour leurs
bâtiments et effets qu'ils desireront emmener ou renvoyer.
Ces passe -ports serviront de sauf-conduits contre
toute insulte et contre toute capture de la part des
corsaires , tant contre eux que contre leurs effets ; et
sí dans le terme ci - dessus désigné , il leur était fait
par l'une des parties , ses citoyens ou ses habitants ,
quelque tort dans leurs personnes ou dans leurs effets ,
on leur en donnera satisfaction complète.
62 MERCURE DE FRANCE ,
IX. Les dettes dues par des individus de l'une des
deux nations aux individus de l'autre ne pourront ,
dans aucun cas de guerre ou de démêlés nationaux ,
être séquestrées ou confisquées , non plus que les
actions ou fonds qui se trouveraient dans les fonds publics
ou dans des banques publiques ou particulières.
X. Les deux parties contractantes pourront nommer ,
pour protéger le négoce , des agents commerciaux qui
résideront en France et dans les Etats- Unis ; chacune
des parties pourra excepter telle place qu'elle jugera
à propos des lieux où la résidence de ces agents pourra
être fixée . Avant qu'aucun agent puisse exercer ses
fonctions , il devra être accepté dans les formes reçues
par la partie chez laquelle il est envoyé ; et quand il
aura été accepté et pourvu de son exequatur , il jouira
des droits et prérogatives dont jouiront les agents semblables
des nations les plus favorisées .
XI. Les citoyens de la république française ne payeront
dans les ports , havres , rades , contrées , îles , cités
et lieux des Etats- Unis , d'autresjni de plus grands
droits , impôts de quelque nature qu'ils puissent être ,
quelques noms qu'ils puissent avoir , que ceux que les
nations les plus favorisées sont ou seront tenues de
payer , et ils jouiront de tous les droits , liberté , priviléges
, immunités et exemptions en fait de négoce ,
navigation et commerce , soit en passant d'un port
desdits états à un autre , soit en y allant ou en revenant
de quelque partie , ou pour quelque partie du
monde que ce soit , dont les nations susdites jouissent
ou jouiront.
Et réciproquement les citoyens des Etats - Unis jouiront
, dans le territoire de la république française , en
Europe , des mêmes priviléges , immunités , tant pour
leurs biens et leurs personnes , que pour ce qui concerne
le négoce , la navigation et le commerce.
NIVOSE AN X. 63
XII. Les citoyens des deux nations pourront conduire
leurs vaisseaux et marchandises (en exceptant
toujours la contrebande) de tout port quelconque ,
dans un autre port appartenant à l'ennemi de l'autre
nation ; ils pourront naviguer et commercer en toute
liberté et sécurité , avec leurs navires et marchandises ,
dans les pays , ports et places des ennemis des deux
parties , ou de l'une ou de l'autre partie , sans obstacles
et sans entraves , et non -seulement passer directement
des places et ports de l'ennemi , susmentionnés ,
dans les ports et places neutres , mais encore de toute
place appartenante à un ennemi , dans toute autre place
appartenante à un ennemi , qu'elle soit ou ne soit pas
soumise à la même juridiction , à moins que ces places
ou ports ne soient réellement bloqués , assiégés ou
investis.
Et dans le cas , comme il arrive souvent , où les
vaisseaux feraient voile pour une place ou port appar➡
tenant à un ennemi , ignorant qu'ils sont bloqués ,
assiégés ou investis , il est convenu que tout navire
qui se trouvera dans une pareille circonstance , sera
détourné de cette place ou port , sans qu'on puisse le
retenir ni confisquer aucune partie de sa cargaison (à
moins qu'elle ne soit de contrebande , ou qu'il ne soit
prouvé que ledit navire , après avoir été averti du blocus
ou investissement , a voulu rentrer dans ce même port) ;
mais il lui sera permis d'aller dans tout autre port ou
place qu'il jugera convenable. Aucun navire de l'une
ou de l'autre nation entré dans un port ou place
avant qu'ils ayent été réellement bloqués , assiégés ou
investis par l'autre , ne pourra être empêché de sortir
avec sa cargaison s'il s'y trouve , lorsque ladite place
sera rendue , le navire et sa cargaison ne pourront être
confisqués , mais seront remis aux propriétaires.
XIII. Pour régler ce qu'on entendra par contrebande
8464 MERCURE DE FRANCE ,
de guerre , seront compris sous cette dénomination la
poudre , le salpêtre , les pétards , mêches , balles ,
boulets , bombes , grenades , carcasses , piques , hallebardes
, épées , ceinturons , pistolets , fourreaux , selles
de cavalerie , harnais , canons , mortiers avec leurs
affûts , et généralement toutes armés et munitions de
guerre et ustensiles à l'usage des troupes. Tous les articles
ci - dessus , toutes les fois qu'ils seront destinés
pour le port d'un ennemi , sont déclarés de contrebande
et justement soumis à la confiscation . Mais le bâtiment
sur lequel ils étaient chargés , ainsi que le reste de la
cargaison , seront regardés comme libres , et ne pourront
en aucune manière être viciés par les marchandises
de contrebande , soit qu'ils appartiennent à un
même ou à différents propriétaires.
XIV . Il est stipulé par le présent traité , que les
bâtiments libres assureront également la liberté des
marchandises , et qu'on jugera libres toutes les choses
qui se trouveront à bord des navires appartenants aux
citoyens d'une des parties contractantes , quand même
le chargement ou partie d'icelui , appartiendrait aux
ennemis de l'une des deux , bien entendu néanmoins
que la contrebande sera toujours exceptée. Il est également
convenu que cette même liberté s'étendra aux
personnes qui pourraient se trouver à bord du bâtiment
libre , quand même elles seraient ennemies de
l'une des deux parties contractantes , et elles nę pourront
être enlevées desdits navires libres , à moins
qu'elles ne soient militaires et actuellement au service
de l'ennemi.
XV. On est convenu au contraire que tout ce qui
se trouvera chargé par les citoyens respectifs sur des
navires appartenants aux ennemis de l'autre partie ou
à leurs sujets , sera confisqué sans distinction des marchandises
prohibées ou non prohibées , ainsi et de
NIVOSE AN X. 65
même que si elles appartenaient à l'ennemi , à l'exception
toutefois des marchandises et effets qui auront
été mis à bord desdits navires avant la déclaration
de guerre ou même après ladite déclaration , si , au
moment du chargement , on a pu l'ignorer ; de maniè
que les marchandises des citoyens des deux parties ,
soit qu'elles se trouvent du pombre de celles de contrebande
ou autrement , lesquelles comme il vient
d'être dit auront été mises à bord d'un vaisseau appartenant
à l'ennemi , avant la guerre , ou même après
ladite déclaration lorsqu'on l'ignorait , ne seront en
aucune manière sujettes à confiscation , mais seront
fidellement et de bonne - foi rendues sans délai à leurs
propriétaires qui les réclameront ; bien entendu néanmoins
qu'il ne soit pas permis de porter dans les ports
ennemis les marchandises qui seront de contrebande.
Les deux parties contractantes conviennent que le
terme de deux mois passé depuis la déclaration de
guerre , leurs citoyens respectifs , de quelque partie
du monde qu'ils viennent , ne pourront plus alléguer
l'ignorancé dont il est question dans le présent
article.
'XVI. Les navires marchands appartenants à des citoyens
de l'une ou l'autre des deux parties contractantes ,
lorsqu'ils voudront passer dans le port de l'ennemi de
l'une des deux parties , et que leur voyage , ainsi que les
effets de leur cargaison pourront donner de justes souplesdits
navires seront obligés d'exhiber en pleine
mer, comme dans les ports ou rades , non- seulement leurs
passe -ports , mais encore leurs certificats , prouvant que
ces effets ne sont point de la même espèce que ceux de
contrebande , spécifiés en l'article XIII de la présente
convention .
"
XVII . Et afin d'éviter des captures sur des soupçons
frivoles , et de prévenir les do mmages qui en résultent .
7.
5
66 MERCURE
DE FRANCE
,
il est convenu que , quand une des deux parties sera en
guerre , et l'autre neutre , les navires de la partie neutre
seront pourvus de passe -ports semblables à ceux spécifiés
dans l'article IV , de manière qu'il puisse par - là
apparaître que les parties appartiennent véritablement
à la partie neutre. Ces passe-ports seront valides pour
un nombre quelconque de voyages ; mais ils seront renouvelés
chaque année , si le navire retourne chez lui
dans l'espace d'une année .
Si ces navires sont chargés , ils seront pourvus nonseulement
des passe- ports susmentionnés , mais aussi de
certificats semblables à ceux mentionnés au même ar ..
ticle , de manière que l'on puisse connaître s'il y a à
bord des marchandises de contrebande . Il ne sera exigé
aucune autre pièce , nonobstant tous usages et règlements
contraires ; et s'il n'apparaît par ces certificats qu'il
y ait des marchandises de contrebande à bord , les navires
seront laissés à leur destination. Si au contraire
il apparaît , par ces certificats , que lesdits navires ayent
des marchandises de contrebande à bord , et que le
commandant offre de les délivrer , l'offre sera acceptée
et le navire sera mis en liberté de poursuivre son voyage ,
à moins que la quantité de marchandises de contrebande
ne soit trop grande pour pouvoir être prise convenablement
à bord du vaisseau de guerre ou corsaire :
dans ce cas , le navire pourra être amené dans le port
pour y délivrer ladite marchandise.
Si un navire est trouvé sans avoir le passe-port ou les
certificats ci -dessus exigés , l'affaire sera examinée par
les juges ou tribunaux compétents ; et s'il conste par
d'autres documents ou preayes admissibles par l'usage
des nations , que le navire appartient à des citoyens
de la partie neutre , il ne sera pas condamné , et il sera
remis en liberté avec son chargement , la contrebande
exceptée , et aura la liberté de poursuivre sa route.
"
NIVOSE AN X. 67
45 Micent
Si le capitaine nommé dans le passe-port du navire
venait à mourir ou à être ôté par toute autre cause et
qu'un autre fût nommé à sa place , le navire et sa cargaison
n'en seront pas moins en sureté , et le
demeurera dans toute sa force .
passe - port
XVIII. Si les bâtiments des citoyens de l'une ou
Pautre nation sont rencontrés le long des côtes , ou en
pleine mer , par quelque vaisseau de guerre ou corsaire
de l'autre , pour prévenir tout désordre , lesdits vaisseaux
ou corsaires se tiendront hors de la portée du
canon , et enverront leur canot à bord du navire marchand
qu'ils auront rencontré ; ils ne pourront y entrer
qu'au nombre de deux ou trois hommes , et demander
au patron ou capitaine dudit navire, exhibition du passeport
concernant la propriété dudit navire , fait d'après
la formule prescrite dans l'article IV , ainsi que
les certificats susmentionnés relatifs à la cargaison . Il
est expressément convenu que le neutre ne pourra être
contraint d'aller à bord du vaisseau visitant , pour y
faire l'exhibition demandée des papiers , ou pour toute
autre information quelconque .

XIX . Il est expressément convenu par les parties que
les stipulations ci- dessus relatives à la conduite qui sera
tenue à la mer par les croiseurs de la partie belligérante
envers les bâtiments de la partie neutre , ne s'appliqueront
qu'aux bâtiments navigants sans convoi ; et , dans
le cas où lesdits bâtiments seraient convoyés , l'inten
tion des parties étant d'observer tous les égards dus à
la protection du pavillon arboré sur les vaisseaux publics
, on ne pourra point en faire la visite . Mais la déclaration
verbale du commandant de l'escorte , que les
navires de son convoi appartiennent à la nation dont il
porte le pavillon , et qu'ils n'ont aucune contrebande
à bord , sera regardée par les croiseurs respectifs comme
pleinement suffisante ; les deux parties s'engageant ré-
1
68 MERCURE DE FRANCE ,
ciproquement à ne point admettre sous la protection de
leurs convois des bâtiments qui porteraient des marchandises
prohibées à une destination ennemie .
XX. Dans le cas où les bâtiments seront pris ou arrêtés
, sous prétexte de porter à l'ennemi quelqu'article
de contrebande , le capteur donnera un reçu des papiers
du bâtiment qu'il retiendra , lequel reçu sera joint à
une liste énonciative desdits papiers ; il ne sera point
permis de forcer ni d'ouvrir les écoutilles , coffres , caisses ,
caissons , balles ou vases trouvés à bord dudit navire ,
ni d'enlever la moindre chose des effets avant que la,
cargaison ait été débarquée en présence des officiers,
compétents qui feront un inventaire desdits effets ; ils
ne pourront , en aucune manière , être vendas , échangés
ou aliénés , à moins qu'après une procédure légale , le
juge ou les juges compétents n'ayent porté contre lesdits
effets sentence de coufiscation ( en exceptant toujours
le navire et les autres objets qu'il contient ) .
XXI. Pour que le bâtiment et la cargaison soient
surveillés avec soin , et pour empêcher les dégâts , il
est arrêté que le patron , capitaine ou subrécargue du
navire capturé , ne pourront être éloignés du bord , soit
pendant que le navire sera en mer , après avoir été: pris ,
soit pendant les procédures qui pourront avoir lieu contre
lui , sa cargaison , ou quelque chose y relative.
Dans le cas où le navire appartenant à des citoyens
de l'une ou l'autre partie serait pris , saisi et retenu
pour être jugé , ses officiers , passagers et équipages seront
traités avec humanité ; ils ne pourront être emprisonnés
, ni dépouillés de leurs vêtements , ni de l'argent
à leur usage , qui ne pourra excéder, pour le capitaine,
le subrecargue et le second , ciuq cents dollars chacun,
et pour les matelots et passagers , cent dollars chacun .
XXII . Il est de plus convenu que , dans tous les cas ,
les tribunaux établis pour les causes de prises dans les
NIVOSE AN X.
69
pays où les prises seront conduites , pourront seuls en
prendre connaissance ; et quelque jugement que le tribunal
de l'une ou de l'autre partie prononce contre
quelque navire ou marchandises ou propriétés réclamées
par des citoyens de l'autre partie , la sentence ou décret
fera mention des raisons ou motifs qui ont déterminé
ce jugement , dont copie authentique , ainsi que de toute
la procédure y relative , sera , à leur réquisition , delivrée
, sans délai , au capitaine ou agent dudit navire ,
moyennant le payement des frais .
XXIII . Et afin de pourvoir plus efficacement à la
sureté respective des citoyens des deux parties contractantes
, et prévenir les torts qu'ils auraient à craindre
des vaisseaux de guerre ou corsaires de l'une ou l'autre
partie , tous commandants des vaisseaux de guerre ou
de corsaires , et tous autres citoyens de l'une des deux
parties , s'abstiendront de tout dommage envers les citoyens
de l'autre , et de toute insulte envers leurs personnes.
S'ils faisaient le contraire , ils seront punis
set
tenus à donner , dans leurs personnes et propriétés ,
satisfaction et réparation pour les dommages avec intérêt
, de quelque espèce que soient lesdits dommages.

A cet effet , tous capitaines de corsaires , avant de
recevoir leurs commissions , s'obligeront devant un juge
compétent à donner une garantie , au moins par deux
cautions responsables , lesquelles n'auront aucun intérêt
sur ledit corsaire , et dont chacune , ainsi que le
capitaine , s'engagera particulièrement et solidairement
pour la somme de 7 , obo dollars , ou 36,820 francs ; et
si lesdits vaisseaux portent plus de 150 matelots où soldats,
pour la somme de 14,000 dollars ou 73,640 francs
qui serviront à réparer les torts où dommages que lesdits
corsaires , leurs officiers , équipages ou quelqu'un d'eux, '
auraient faits on commis pendant leur croisière , de
contraire aux dispositions de la présente convention ,
70
MERCURE DE FRANCE ,
ou aux lois et instructions qui devront être la règle de
leur conduite ; en outre , lesdites commissions seront
révoquées et annullées dans tous les cas où il y aura eu
agression.
XXIV. Lorsque les vaisseaux de guerre des deux
parties contractantes , ou ceux que leurs citoyens auraient
armés en guerre , seront admis à relâcher avec
leurs prises , dans les ports de l'une des deux parties ,
lesdits vaisseaux publics ou particuliers , de même que
leurs prises , ne seront obligés à payer aucuns droits ,
soit aux officiers du lieu , soit aux juges ou à tous
autres ; lesdites prises entrant dans les havres ou ports
de l'une des deux parties , ne pourront être arrêtées
ou saisies , et les officiers des lieux ne pourront prendre
connaissance de la validité desdites prises , lesquelles
pourront sortir et être conduites en toute franchise et
liberté aux lieux portés par les commissions dont les
capitaines desdits vaisseaux seront obligés de faire
apparoir. Il est toujours entendu que les stipulations
de cet article ne s'étendront pas au-delà des priviléges
des nations les plus favorisées.
"
XXV. Tous corsaires étrangers ayant des commissions
d'un état ou prince en guerre avec l'une ou l'autre
nation , ne pourront armer leurs vaisseaux dans les
ports de l'une ou l'autre nation , non plus qu'y vendre
leurs prises , ni les échanger en aucune manière : il ne
leur sera permis d'acheter de provisions que la quantité
nécessaire pour gagner le port le plus voisin
de l'état ou prince duquel ils ont reçu leurs commissions.
XXVI. Il est de plus convenu qu'aucune des deux
parties contractantes non-seulement ne recevra point
de pirates dans ses ports , rades ou villes , et ne permettra
pas qu'aucun de ses habitants les reçoive , protége
, accueille ou recèle , en aucune manière , mais
NIVOSE AN X.
75
encore livrera à un juste châtiment ceux de ses habitants
qui seraient coupables de pareils faits ou délits .
Les vaisseaux de ces pirates , ainsi que les marchandises
et effets par eux pris et amenés dans les ports de
l'une ou l'autre nation , seront saisis partout où ils
seront découverts et restitués à leurs propriétaires
agents ou facteurs dûment autorisés par eux , après
toutefois qu'ils auront prouvé devant les juges compétents
le droit de propriété.
Que si lesdits effets avaient passé par vente en d'autres
mains , et que les acquéreurs fussent ou pussent
être instruits , ou soupçonnaient que lesdits effets
avaient été enlevés par des pirates , ils seront également
restitués.
XXVII. Aucune des deux nations ne viendra participer
aux pêcheries de l'autre sur ses côtes , ni la
troubler dans l'exercice des droits qu'elle a maintenant
, ou pourrait acquérir sur les côtes de Terre-
Neuve , dans le golfe de Saint - Laurent , ou partout
ailleurs , sur les côtes d'Amérique au nord des Etats-
Unis. Mais la pêche de la baleine et du veau marin
sera libre pour les deux nations dans toutes les parties
du monde.
S
Cette convention sera ratifiée de part et d'autre en
bonne et due forme , et les ratifications seront échangées
dans l'espace de six mois , ou plutôt s'il est
possible.
En foi de quoi , les plénipotentiaires respectifs ont
signé les articles ci - dessus , tant en langue française
qu'en langue anglaise , et ils y ont apposé leur sceau ,
déclarant néanmoins que la signature en deux langues
ne sera point citée comme exemple , et ne préjudiciera
à aucune des deux parties.
1 1
Fait à Paris , le 8. jour de vendémiaire de l'an - 9
72 MERCURE DE FRANCE ,
de la république française , et le 3. jour de septem
bre 1800.
Signé , JOSEPH BONAPARTE , C. P. FLEURIEU ,
REDERER , OLIV. ELLSWORTH , W. R. DAVIE , W.
V. MURRAY."
Pour copie conforme ,
C. M. TALLEYRAND .
A l'audience des ambassadeurs , du 16 frimaire , le ministre
des relations extérieures a présenté M. le chancelier
Lewingston ministre plenipotentiaire des Etats - Unis
d'Amérique près la république française , et M. Smith ,
ministre des Etats-Unis à Lisbonne.
,
LES séances du Corps législatif , depuis le 15 frimaire
, ont été principalement consacrées aux discussions
sur les traités de paix conclus avec les diverses
puissances de l'Europe , et sur les premières lois du
code civil . Plusieurs de ces traités ont été sévèrement
examinés , quelques articles critiqués ; mais en général
le mot de paix a retenti dans la bouche des orateurs ,
et à la tribune comme sur les champs de bataille , ou
dans les cabinets , la paix , premier besoin du monde
a prévalu contre toute autre considération , et réuni
tous les suffrages. Les traités avec les Etats - Unis
avec le roi des Deux - Siciles , avec la Bavière , la
Russie , le Portugal , ont été successivement convertis
en lois , dans les séances des 15 , 16 , 17 , 18 et 19
frimaire. Nous donnerons dans le prochain numéro le
traité avec la Bavière.
9
Le projet de loi relatif à la promulgation , aux
effets et à l'application des lois en général , après une
longue et vive discussion , a été presque unanimement
rejeté au Tribunat , défendu au Corps législatif par
le C. Portalis et définitivement rejeté à une majoité
de 142 boules noires , contre 139 blanches . Le
deuxième projet de loi du code civil , présenté dans
la séance du 11 frimaire par Boullay ( de la Meurthe),
crateur du gouvernement , est soumis dans ce moment
à la discussion du Tribunat . Ha pour objet de déterminer
quelles sont les personnes qui jouissent des
droits civils , et de fixer les cas où cette jouissance
NIVOSE AN X.
73
s'acquiert et ceux où elle se perd , soit en tout , soit en
partie. Le troisième projet concernant les actesde l'état
civil , doit être discuté , le 11 nivose , au Corps législatif.
*
Le 13 frimaire , le ministre de l'intérieur a fait son
rapport aux consuls sur le travail de la commission
chargée de la rédaction d'un code du commerce
" La plupart des dispositions qu'il renferme ont été
extraites de l'édit de 1673 , de l'ordonnance de 1681 ,
et des règlements postérieurs. On a même conservé
l'expression littérale de ces lois , lorsqu'on a reconnu
qu'elle était précise et non surannée. Les dipositions
nouvelles sont le résultat de l'expérience , ou l'expression
d'un voeu émis par les grandes places de commerce.
» Les circonstances exigeaient la révision de
ces belles ordonnances qui illustrèrent un règne d'ailleurs
si fécond en grandes choses . Elles n'avaient pas
empêché ni corrigé tous les abus ; le temps en amena
de nouveaux , et la révolution précipita la ruine du
commerce par celle du crédit et des moeurs. Les banqueroutes
furent des spéculations , et le crime une science .
Des lois sévères en tout genre doivent plus que jamais
être opposées aux passions , comme les digues plus
fortes aux torrents plus rapides.
Un arrêté des consuls ordonne l'impression du projet ,
et son envoi aux tribunaux et aux conseils de commerce.
Ils seront invités à transmettre leurs observations dans
un délai de deux mois .
Le général Menou est parvenu à conserver et transporter
en France les différentes collections que les
membres de l'Institut et de la commission des aris
avaient rassemblées en Egypte. Il a aussi apporté avec
lui une civette qui se porte très bien , et dont il fait
présent au Muséum d'histoire naturelle de Paris , C'est la
seule qui ait survécu de trois que lui avait envoyées le roi
de Darfurt, pays situé à environ cent journées du Caire.
Une lettre du C. Fournier , géomètre , annonce que
*
Projet du Code du commerce , présenté par la commission
nommée par le Gouvernement , le 13 germinal ang.
A Paris , chez Giguet et Michaud , imprimeurs - libraires
rue des Bons - Enfants , n.º 6. On trouve chez le même libraire
une édition in- 18 de 340 pages environ.
74 MERCURE
DE FRANCE
,
ses recherches dans la Haute-Egypte ont pleinement
confirmé la théorie du C. Dupuis ( Origine des cultes,
tome III ) , sur l'origine et l'antiquité des figures du
zodiaque. Il s'ensuivrait que ce zodiaque , tel qu'il
nous a été transmis par les Grecs , est d'origine égyptienne
, et qu'il remonte au moins à QUINZE MILLE
ANS avant notre ère républicaine. Il y a quatre ou
cinq années , un professeur célèbre de l'école polytechnique
conjecturait que , dans vingt ou trente mille
ans , toutes les vérités physiques seraient connues ; la
nature alors n'aura plus de mystères , et l'esprit humain
plus de doutes. Mais les vieux monuments de
l'Egypte n'avaient pas encore été interrogés , et quelques
années d'une révolution où tout est science, et
art , ont , sans doute , rapproché cette époque du perfectionnement
de nos connaissances.
Un de nos plus habiles sculpteurs , le C. Mouchi ,
gendre du célèbre Pigal , est mort presque subitement
d'une attaque d'apoplexie.
Le 11 frimaire , on apprit à l'Institut national que
le célèbre naturaliste Dolomieu , à la suite d'un
voyage qu'il venait de faire dans les Alpes , était
tombé dangereusement malade à Château- Neuf , département
de Saône et Loire , chez le C. Drée , son
beau- frère. Les secours de l'art ont été prodigués vainement
, et le 15 frimaire , on a reçu la nouvelle de sa
mort *. Les CC. Mongez et Ginguené se sont empressés
de rendre hommage aux travaux de cet illustre et
malheureux savant , dans le sein même du Tribunat
et du Corps législatif. En votant pour l'adoption du
traité de palx avec le roi des Deux- Siciles , ils ont rappelé
ces temps funestes où a'affreuses vengeances furent exercées
au nom de la cour de Naples, Mais Dolomieu avait
pardonné sa longue captivité , comme la France tous les
torts de cette cour. En signant la paix , il convient d'oublier
ou de taire. « L'expérience de tous les âges , comme
a dit le C. Trouvé , membre du Tribunat , prouve
« que des peuples , ennemis aujourd'hui , peuvent se
réconcilier demain , mais que l'humiliation éternise
Le C. Hauy succède au C. Dolomieu dans la place de
professeur de minéralogie, au Muséum d'histoire naturelle.
Arrêté du 27 frimaire ).
NIVOSE AN X. 75
"
"
la haine. Aussi la France ne cherche - t - elle qu'à
« ramener à soi cette confiance antique qu'inspirèrent
partout la modération de ses principes et la douceur
de ses habitudes. "
En remplacement du C. Rallier , le Sénat conservateur
a nommé membre du Corps législatif, le C. Lints ,
juge au tribunal de révision de Tréves , département
de la Sarre.
-
Divers arrêtés nomment les généraux Moncey , Virion
et Radet , inspecteurs -généraux de la gendarmerie
nationale. Bollemont , commandant d'armes à Brest ;
Moranger , commandant d'armes à Grenoble . - Le C.
Château - Neuf- Randon , préfet des Alpes -Maritimes.
Un arrêté du 19 frimaire règle définitivement l'organisation
et la comptabilité de l'imprimerie de la
république. Elle est maintenue dans les attributions
que lui donnaient les lois des 8 pluviose et 21 prairial
de l'an 3. Elle continuera d'être régie sous la surveillance
immédiate du ministre de la justice , conformément
aux dispositions de l'arrêté du 16 nivose an 5. A
compter du 1. vendémiaire an 10 , les dépenses dites
du fond de l'imprimerie et celles de l'envoi des lois ,
ne seront plus à la charge du trésor public. Elles seront
prises , comme toutes les autres dépenses de l'établisseiment
, sur ses divers produits , résultants , soit des ordonnances
délivrées par les ministres pour frais d'impression
de leurs ministères , soit des ouvrages de sciences et arts ,
soit enfin des abonnements officiels et particuliers .
La compagnie chargée de la continuation du canal
d'Aiguemortes à Beaucaire , dès que la retraite des
eaux le permettra , donnera la plus grande activité aux
travaux dont elle est chargée , avec d'autant plus de
zèle , que le gouvernement vient de lui donner un
grand encouragement. Par arrêté des consuls du 19
frimaire , il a été reconnu que le tenement de la silve
godesque fait partie des terrains consistants en marais ,
étangs , palus , laies et relaies dont la concession lui a
Voyez dans le N. XXI l'arrêté qui ordonne l'achèvement
de ce canal .
MERCURE DE FRANCE ,
été faite en toute propriété depuis Beaucaire jusqu'à
Mauguio.
"
On revient peu à peu à tout ce qu'avaient de sage et
d'utile les vieilles méthodes de l'université. D'après
un arrêté du préfet du département de la Seine , le
cours complet des études , dans les trois écoles centrales
de Paris sera désormais de six années . Le
cours de belles - lettres , généralement professé jusqu'à
ce jour en français seulement , le sera à l'avenir dans
les trois langues française , latine et grecque . L'ordre
prescrit pour les différentes classes , sera exactement
suivi par tous les élèves , et ne pourra être changé
sans l'autorisation spéciale du conseil d'administration
de l'école . Dans les trois premières années , les élèves
suivront graduellement les classes de langues anciennes,
et le cours élémentaire d'histoire et de géographie ;
dans la quatrième année , la classe de grammaire générale
et celle de belles- lettres ; dans la cinquième ,
la classe de mathématiques ; enfin , dans la sixième ,
les classes de physique et chimie , et d'histoire naturelle
; le cours de législation et la conférence sur l'histoire.
Les élèves pourront se borner , dans cette dernière
année , à l'un ou à l'autre de ces cours , selon
qu'il leur importera de se livrer plus spécialement à
l'étude des sciences physiques , ou à celle des sciences
morales et politiques.
Un nouvel arrêté du 11 frimaire règle l'administration
intérieure des écoles centrales de Paris. Chacune
d'elles , à compter du 1. nivose , aura un conseil
composé d'un président et de deux administrateurs ,
choisis parmi les professeurs de l'école . Ils veilleront
à la conservation des objets de sciences et arts , à
l'entretien des édifices , etc. Le président est spécialement
chargé de l'exécution de l'arrêté du 24 vendémiaire
dernier , qui contient le règlement des études.
L'école spéciale des langues orientales vivantes , établie
près la bibliothéque nationale , a commencé ses
cours le 25 frimaire , dans l'ordre suivant :
Le cours de Persan , par le C. Langlès , membre de
l'Institut national des sciences et arts. Il donne ses
NIVOSE A N X.
77
leçons les duodis , quartidis , septidis et nonidis , à
sept heures du soir.
Le cours d'Arabe , les mêmes jours , à cinq heures
par le C. Sylvestre -Sacy.
Le cours de Ture , les primidi , tridi , quintidi et
septidi de chaque décade , à cinq heures , par le C. Jaubert
, secrétaire interprète de la république pour les
langues orientales .
Le cours de Grec moderne , par le C. d'Ansse- Villoison.
Nous avons annoncé dans les N.os XIX et XXVII ,
les deux premières livraisons du Traité des arbres et
arbustes que l'on cultive en France en pleine terre , par
Duhamel *.
"
Lorsqu'un bon ouvrage est ainsi publié , le public
, impatient de le posséder tout entier , desire à
la fois la rapidité dans la publication et la perfection
dans le travail . Cette dernière condition a toujours été
parfaitement remplie par l'éditeur de cet intéressant
recueil ; et si la troisième livraison a éprouvé quel
ques retards , on est dédommagé par l'intérêt des
sujets qui la composent , par leur étendue , par les
vues neuves que l'on y trouve , et la manière dont ils
sont traités. La méthode et le goût président à la disposition
des matières et à l'explication qui les accompagne.
On suit , dans les descriptions , la forme didactique
, consacrée par les botanistes de l'école linéenne.
Le style est ordinairement simple , toujours correct ,
pur et concis , souvent même fleuri et animé , comme
les objets qu'il décrit. La partie typographique est
belle , comme tout ce qui sort des presses de Didot ,
et les feuilles colo: iées sont aussi de la plus grande
beauté. Cet ouvrage fera époque dans l'histoire des
sciences naturelles.
Les autres livraisons ne tarderont pas à paraître.
Celle - ci contient : 1.º La Fuschsia magellanique , ainsi
nommée de Leonard Fuschsius , célèbre botaniste et
* On souscrit chez Etienne Michel, éditeur, rue des Francs-
Bourgeois , au Marais n.º 699. Les lettres de demande et
Penvoi do l'argent doivent être affranchis.
"
"
5.1 .
78 , MERCURE DE FRANCE ,
médecin , né à Vembdingue , dans la Rhétie , en 1501 ,
et mort à Tubingue , en 1566 quatre espèces .
2.° La Pervenche majeure. C'est le vinca ou pervinca
de Pline. L'étymologie de ce nom est vincere , vain- ·
cre , parce que cette plante conserve ses feuilles toujours
vertes , et triomphe des rigueurs de l'hiver.
Cinq espèces. - La pervenche mineure était la plante
favorite de J. J. Rousseau.
-
3.º Le Chèvrefeuille. -Vingt-deux espèces , dont neuf
indigènes de l'Europe , et treize susceptibles d'y être
naturalisées . Les plus remarquables sont le chèvrefeuille
des Pyrénées , le chèvrefeuille alpigène , le chèvrefeuille
bleu , qui croît dans les lieux frais et humides des
montagnes d'Italie , de Suisse , de France , etc. , et
le chèvrefeuille Dierville , qui habite l'Acadie , dans
l'Amérique septentrionale ; on le cultive en France.
depuis 1706 ; il fut apporté par Dierville , chirurgien
français.
Les lignes qui suivent donneront une idée des morceaux
qui accompagnent quelquefois l'explication des
dessins :
"
Les chèvrefeuilles sont , de tous les arbrisseaux ,
« ceux qui ornent le plus les jardins ..... La plupart
produisent un grand nombre de bouquets de fleurs
" d'un aspect agréable dont l'odeur exquise rend la pro-
" menade délicieuse dans les belles matinées et les frai-.
« _ches soirées de l'été. Qu'on les prodigue donc dans les
jardins ; c'est dans ces lieux charmants que l'on
" doit rassembler les plus doux présents de la nature :
" c'est là que les plaisirs qu'elle accorde n'ont point
" un excès dangereux. Que nos regards parcourent
les tapis émaillés , et se reposent sous les dais de
verdure. La gaieté ouvre notre ame , aux sensations
« de bienveillance .....
"
"

33
Le ministre de l'intérieur a envoyé aux préfets des
départements les modèles des tableaux de statistique ,
qu'ils auront à remplir pendant l'an 10. Le travail est
immense ; mais il doit être si utile , le gouvernement
suit avec tant d'ardeur le projet de connaître enfin
toute la France , ce qu'elle est déja , et ce qu'elle
peut être ; les exemples de nos voisins , des essais
NIVOSE A N X.
79
heureux parmi nous , et quelques-uns même qui offrent
des modèles , ont répandu une telle émulation , que
c'est bien le cas de dire : Nil desperandum.
Suivant la lettre circulaire que Lucien Bonaparte
adressa aux préfets , en prairial an 8 , ils devaient
envoyer chaque mois l'état respectif de leurs départements.
Mais l'expérience a démontré qu'un pareil tra
vail ne pourrait pas , en si peu de temps , offrir des
résultats assez vastes ou assez fidelles. Désormais les
états ne seront envoyés que tous les trois mois.
"
"
"
" Le ministre ne s'est dissimulé aucune des difficultés
qui accompagnent cette grande entreprise.
Mais il a pensé que s'il est un moment où on puisse
les surmonter , c'est celui où après tant d'oscilla-
« tions et de troubles , la France a enfin un gouvernement
digne d'elle ; où toute couverte de gloire ,
la nation dirige son activité et ses efforts vers son
" amélioration intérieure ; et s'il est des hommes qui
doivent se livrer avec zèle à ce travail , ce sont sans
doute ceux que le gouvernement associe à ses nobles
et généreuses pensées ; ceux dont le devoir et l'hon-
" neur sont tout entier dans la prospérité publique ,
" dont l'estime de leurs concitoyens fait la récompense
, et qui , plus que tout autre français , doivent
" être fiers d'une patrie qu'ils sont plus à portée de
bien connaître . »
H
"
"
«
"
Sur tous les objets que peut embrasser l'économie
politique et rurale , population , agriculture , industrie ,
mendicité , coutumes civiles et religieuses , moeurs privées
et publiques , éducation , etc. , etc.; les préfets
devront comparer la situation actuelle de leurs départements
avec celle des provinces en 1789 , rechercher
avec soin et dire avec vérité les différences et leurs
* Nous avons reçu plusieurs ouvrages en ce genre , dont
nous rendrons compte successivement . Eutre autres , Des
cription topographique de l'arrondissement communal de
Louviers , département de l'Eure ; var J. Duteus , ingénieur
des ponts - et- chaussées , à Évreux . - Statistique de
la partie espagnole de Saint- Domingue ; par le C. Lyonnet
. A Paris , chez Giguet et Michand, rue des Bons -Enfants
. Prix , i fr. , et. i fr. 50 cent.- Aperçu statistique
de l'arrondissement de Lanzo , département de l'Eridan
en Piémont; par le C. Degregori , etc. , etc.
1
8 MERCURE DE FRANCE ,
{
causes , les maux et les remèdes. La révolution a tourmenté
toutes les parties de la France , laissé ou
répandu quelques germes de vie , prodigué les germes
de mort. Ces grands changements survenus dans la
condition des hommes , depuis dix ans , échapperont
bientôt aux regards les plus attentifs ou disparaîtront
en nuances fugitives , si on ne se hâte de les fixer par
une comparaison exacte des deux époques les plus importantes
, celle où sous une surface encore brillante
des bruits sourds , annonçaient l'éruption du Volcan ,
et celle où la lave refroidie permet d'étudier les ruines
'ou même d'élever de nouveaux édifices.
?
On doit au C. Desquinemare , ingénieur- mécanicien ,
membre de la Société des inventions et découvertes
la précieuse découverte d'un enduit qui , appliqué sur
la toile et les taffetas , les rend absolument imperméables
à l'air et à l'eau , et dont il fait des sceaux à incendie
qui sont devenus aujourd'hui d'un usage générat ; il
vient de former un dépôt de couvertures et de caparaçons
pour chevaux , que les gens du métier et les connaisseurs
ont jugé être ce qu'il y avait de plus de durée
et de de plus parfait dans ce genre . Ce dépôt est chez
Anderson Mansand sellier anglais , boulevart de la
Madeleine.
.P. S. Le général Murat est arrivé , le 23 , à Paris;
il accompagnera le premier consul à Lyon. Les membres
de la consulte extraordinaire doivent s'y trouver
pour lejro nivose ...
"
AJ
Amiens possède actuellement les plénipotentiaires
de France , d'Angleterre et de Hollande , le C. Joseph
Bonaparte , lord Cornwallis , et M. Schimmelpenninck . "
On attend sous peu les ministres d'Espagne et du
Portugal les opérations du congrès ne tarderont
pas à commencer.
:
La Société maternelle redouble de zèle , et sollicite
de nouveau les secours de la charité. Sur 42,686 fr. qui s
lui ont été confiés , 32,500 ont été et seront successivement
distribués dans 300 familles dont les mères garderont
et nourriront leurs enfants chez elles . Les
dons doivent être envoyés chez le C. Grivel , trésorier
honoraire de la Société , rue Coq- Héron , n. ° 58.
( N.° XXXVIII. ) 16 Nivose An 10..
MERCURE
DE FRANCE.
LITTÉRATURE.
R
PORTRAIT DE L'IMAGINATION.
FRAGMENT d'un poème inédit sur les sciences , tiré du
Chant de l'Homme et de la Société ( IV.me CHANT).
L'IMAGINATION , rapide messagère ,
Effleure les objets dans sa course légère ,
Et bientôt rassemblant tous ses tableaux divers ,
Dans les plis du cerveau reproduit l'univers .
Elle fait plus . Souvent sa puissante énergie ,
Au monde extérieur opposant sa magie ,
Dans un monde inconnu cherche à s'entretenir ,
Se dérobe au présent , et vit dans l'avenir.
Source des voluptés , des terreurs et des crimes ,
Elle a ses favoris , comme elle a ses victimes ;
Et toujours des objets altérant les couleurs ,
Ainsi que nos plaisirs , elle accroît nos douleurs.
Mais pour elle c'est peu. Lorsque le corps sommeille ,
Elle aime à retracer les tableaux de la veille.
A
7.
96
82 . MERCURE DE FRANCE ,
Je la vois au héros présenter des lauriers ,
Au jeune homme un carquois , un char et des coursiers ,
Jeter le Barde aux bords d'une mer blanchissante
Et , quelquefois aussi , terrible et menaçante ,
Dans des rêves vengeurs effrayer les tyrans ,
Ou présenter l'exil aux favoris des grands.
Que de fois au desir elle a servi de guide !
Que de fois à la vierge innocente et timide ,
N'a - t- elle pas surpris dans un songe enchanté
Les soupirs de l'amour et de la volupté !
Déesse au front changeant , mobile enchanteresse ,
Qui sans cesse nous flatte , et nous trompe sans cesse !
Mère des passions , des arts et des talents ,
Qui , peuplant l'univers de fantômes brillants ,
Et d'espoir tour- à-tour , et de crainte suivie ,
Ou dore , ou rembrunit le tableau de la vie !
CHÊNEDOLLÉ.
LE LINX ET LES TAUPES.
JADIS ,
ADIS , un jeune Linx , contemporain d'Esope ,
Etourdiment s'était jeté
Dans un noir souterrain de Taupes habité ,
Et comme il n'était pas myope ,
Il ne distinguait rien dans cette obscurité .
Les Taupes s'en moquaient ; mais bientôt plus humaine,
Leur vanité daigna compâtir à sa peine .
Par pitié , de leur hôte , elles guidaient les pas ; 1
Même à le consoler chacune s'évertue ,
Remerciant les Dieux tout bas
De Kexcellence de sa vue.
NIVOSE AN X
83
1
Le Lynx , humilié , se traînant de son mieux , ' ai
Tâcha , pour y voir clair , de fermer ses deux yeux . 1
Un talent déplacé n'est qu'un meuble nuisible ;
"
Les dons les plus exquis ne sont bons qu'à propos ... )
Souvent l'homme, d'esprit , s'il veut vivre paisible ,
Doit être aveugle avec les sots on my
DANS
E-NIGM E.
ANS tous les pays on me donne ;
Je trompe souvent le desir ;
Je suis très- bien reçue. Il n'est presque personne
Qui ne m'accueille avec plaisir.
Quelquefois légère et mignonne ,
Je te suis en tous lieux , et j'apprends tour - à - tour
Au ministre , au savant , au fat qui déraisonne ,
Et l'histoire du monde , et l'histoire du jour.
C'est quelquefois l'homme très - riche
Qui , de mon tout , est le plus chiche .
Apollon me reçoit souvent ,
Et Dieu sait s'il en est content.
Pur un abonné.
LOGOGRIPHE..
L'ELEMENT que j'habite échappe à votre vue :
Je sers en certains jeux , si vous m'otez le coeur ;
Je renferme en mon sein un objet séducteur ,
Dont l'aventure est très-connue.
Junon en fut jalouse ; Ovide est mon auteur ;
Vous
y voyez encore un fleuve d'Italie ,
84 MERCURE DE FRANCE ,
Un arbre qui plaisait à la mère des Dieux ,
Cette arme dont se sert un Breton furieux ,
Un oiseau babillard ; et cet homme fidèle ,
Qui , du monde noyé , fut le réparateur ;
Enfin dans mes six pieds , lecteur ,
Des plus parfaits amants tu verras le modèle .
Par un abonné.
A
CHARADE.
BIEN des gens semblent nés pour porter mon premier ;
C'est toujours mon second qui porte mon entier.
2
Mots de l'Enigme , du Logogriphe et de la
Charade insérés dans le dernier Numéro.
Le mot de l'Enigme est volant.
Celui du Logogriphe est monde , ou l'on trouve mode,
ode , onde.
Celui de la Charade est chien-dent.
NIVOSE AN X. 85
"
EUVRES de P. CORNEILLE , avec le
Commentaire de VOLTAIRE sur les pièces
de théâtre , et des observations critiques surce
Commentaire par le C. PALISSOT . Edition
complète , dédiée au premier Consul. A Paris,
de l'imprimerie de Didot l'aîné , au palais des
Sciences et Arts .
;
LA Henriade et le succès de ses nombreuses
tragédies attirerent à Voltaire moins d'ennemis
et d'injures que ses commentaires sur
Corneille .
La générosité du motif ne put désarmer la
malignité. Les sommes considérables que produisit
cette édition furent employées à réparer
les torts de la fortune envers la petite
nièce du grand Corneille ; mais on ne pardonnait
pas plus à l'auteur d'Alzire une bonne action
qu'un bel ouvrage .
Les petits vers satyriques se mêlèrent aux
attaques pesantes des brochures et des journaux.
Dorat , en parlant de Voltaire , faisait,
dire à Corneille :
Il conspire comme Cinna ,
Je lui pardonne comme Auguste.
Il n'y avait d'autre conspiration que celle de
Dorat contre la vérité et le bon goût . Ici se présente
une réflexion générale. De tout temps les
écrivains les plus célèbres ont été insultés avec
la plus ridicule insolence , par des hommes dont
86 MERCURE DE FRANCE ,
Desfontanmmande le nom d'u
& Jus dad
"
aucun ouvrage ne justifiait la présomption , ou
dont les essais malheureux attestaient la la nullité
Mais Voltaire ! mais un poète , aussi distingué
par la richesse de son imagination que par la
variété de ses connaissances , n'aura pu composer
un commentaires judicieux , dont les
observations sévères ne dérobent rien à l'admigrand
homme!
et d'autres auront pu, pendant quarante
ans , affirmer que Voltaire était un faux
bel esprit , et l'auteur de Mérope et de Mahomet
et de
n'osera juger avec respect l'auteur du Cid et
Pompeout 9uko
Aucune de ces réflexions ne peut s'appliquer
au C. Palissot ; il a publié des ouvrages estimables
en vers et en prose , et il ' s'est généras'et
lement montre juste à Pégard de Voltaire. Si
dans ses notes , il condamne quelques articles du
commentaire , c'est toujours avec les ménagements
qu'on doit aus hommes supérieurs quand
on écrit contre enx . Il nous est impossible de
n'être pas quelquefois d'un avis contraire à celui
du C. Palissot ; máis en réfátant quelques- unes
de ' ses opinions , nous aurons aussi pour fur les
egards dûs à son âge et à ses longs travaux ...
Les trois principaux reproches qu'on a fait à
Voltaire, lorsqueses commentaires parurent pour
la première fois , sont d'avoir pour Racine une
prédilection secrète , d'être jaloux de Corneille,
d'avoir relevé ses moindres fautes avec affectation
et malignité . Nous tacherons de répondre à
ces trois accusations .
a
Voltaire avait pour Racine , non pas une admiration
exclusive , mais un goût de préférence
qu'il est permis de ne point partager , mais dont
NIVOSE AN X. 87
on ne peut lui faire un reproche . Le C. Palissot
indique quelques - unes des raisons de cette pré- .
dilection secrète ; c'est peut-être le morceau de
son avertissement le mieux pensé et le mieux
écrit ; nous allons le citer littéralement ; il serait
difficile de dire aussi bien.
14
"
0935
me
10
A cette époque , il existait une foule de partisans.
" outrés de Corneille, qui semblaient avoir hérité de toute
la prévention de M. de Sévigné contre Racine , et
qui ne plaçaient ce dernier poete qu'à une distance,
immense du premier. On peut juger de la distance
⚫ encore plus grande à laquelle ils reléguaient Voltaire.
Selon eux , ce n'était qu'un bel esprit , dont ils respec
• taient assez peu le jugement , et à qui , par conséquent,
ils étaient bien loin d'accorder du génie . Quoiqu'il eût
déja fait la Henriade , Edipe , Bruus, Zaïre , Alzire , la
» Mortde César , Mérope et Mahomet , on n'eût osé établir
quelque comparaison entre ce bel esprit et Corneille
, sans s'exposer au souris le plus dédaigneux . On
voulait bien ne pas lui contester une certaine habileté
de metteur en oeuvre ; au moyen de quelques paillettes
• d'or dérobées , disait-on , et mêlées à beaucoup de
clinquant , il savait à peu de frais en imposer à la
" multitude. Súly of mostmal teen polvo desen
"
«
"
Telle était alors l'opinion plus ou moins accréditée,
« par Fontenelle , Lamotte , ( quoiqu'il se fût d'abord
montré plus juste ) Crehillon père , Marivaux , Piron,
et mise principalement en faveur par les amis de J , B.
Rousseau , devenu l'un des plus ardents ennemis de
Voltaire , après l'avoir comblé d'éloges .
10
-Les comédiens eux- mêmes , quelqu'obligation qu'ils
« eussent à Voltaire , ne manquèrent pas de l'adopter
• par ingratitudes et c'est chez eux qu'elle s'est maintenue
le plus longtemps. na odmo
88 MERCURE DE FRANCE ,
с
"
Or , on s'imagine aisément l'effet que devait produire
sur une ame sensible , et dévorée du besoin de
« la gloire , un pareil excès d'injustice. On conçoit combien
Voltaire , admirateur passionné de Racine , et
" à qui d'ailleurs il était permis , sans qu'on fût en
droit de l'accuser d'orgueil , de le juger avec un peu
plus de faveur que ne lui en accordaient ces prétendus
arbitres des réputations , devait se soulever contre une
" cabale jalouse qui , non contente de chercher à l'a-
" vilir , ne laissait échapper aucune occasion de le per+
" sécuter."

-5 4 1
Ce passage est le seul que les bornes d'un
extrait nous permettent de citer ; mais il donne
suffisamment à nos lecteurs l'idée d'un style sage
et soutenu . Cependant, dans quelques-unes de ses
notes sur les commentaires , le C. Palissot paraît
toujours soupçonner que Voltaire ne louait autant
Racine que par haine contre Corneille . Il est
possible ( car les sentiments personnels influent
quelquefois sur les jugements de l'esprit ) , que
Voliaire se soit ressouvenu que les détracteurs
de Racine s'étaient déclarés contre lui - même , et
avaient été ses plus ardents persécuteurs . Son
admiration pour l'auteur de Phèdre a pu s'accroître
de son indignation contre leurs ennemis
communs . eup
En effet , on peut remarquer beaucoup de ressemblance
dans les destinées de ces deux grands
hommes. Ils furent tous deux insultés , au milieu
de leurs nombreux triomphes . Tous deux
ne parvinrent que très- tard aux honneurs littéraires
; leur supériorité fut , contestée jusqu'à
leur mort. L'envie les poursuivit jusque dans
le tombeau. La mémoire de Racine fut longNIVOSE
AN X. 89
temps attaquée par une faction puissante dont
Fontenelle était le chef; et ne voyons- nous pas
encore de nos jours s'élever contre la gloire
de Voltaire un parti qui ne peut , il est vrai ,
s'honorer du nom de Fontenelle.
Cependant on peut , dans les ouvrages même
de Corneille et de Racine , trouver les raisons
de cette prédilection secrète que Voltaire a
toujours eue pour ce dernier. Nous ne renouvellerons
pas ces lieux communs de littérature ,
où l'on examine quel degré d'admiration mé,
ritent les deux maîtres de la scène tragique ; mais
nous soumettrons quelques réflexions au jugement
du public , et à celui du C. Palissot luimême.
L'admiration que nous font éprouver les
hommes de génie peut avoir des motifs trèsdifférents
; nous louons dans les uns la création ,
et dans les autres la perfection de l'art. Chez
les Latins et les Français , Lucrèce et Corneille
sont dans la première classe , Virgile et Racine
dans la seconde. Les génies créateurs doivent
avoir plus de droits aux hommages de la mul
titude ; d'abord leur nom devient , pour ainsi
dire , une époque dans l'histoire de l'esprit hu
main ; leurs beautés , qu'ils ne doivent qu'à euxmêmes
, ont quelque chose de plus prononcé et
de plus indépendant , et cette rudesse même de
leur siécle dont ils gardent toujours quelque
empreinte , leur conserve un caractère plus neuf
et plus original. Ils jouissent encore d'un autre
avantage ; pendant plusieurs années , leur éclat
brille seul sur les ruines de la barbarie , et lorsqu'avertis
par leur exemple , et formés
par les
progrès d'un siècle qui croît et qui s'éclaire ,
90 MERCURE DE FRANCE ,
1
des hommes plus jeunes ajoutent à l'art des
beautés nouvelles , et le font atteindre à la perfection
, ces talents , plus purs et plus polis , surpassent
le premier modèle, sans pouvoir l'effacer.
Leurs ouvrages s'élèvent au dessus des siens ,
mais leur gloire reste au dessous de la sienne.
D'ailleurs les hommes médiocres et jaloux ,
désespérant de flétrir une renommée consacrée
par de longs hommages , tournent tous leurs
efforts contre les renommées naissantes . La haine
des succès présents leur fait exagérer les succès
passés , et leur rage contre Racine adore jusqu'à
la Bérénice de Corneille.
Les mêmes passions n'existent plus pour les
générations suivantes. Mais d'autres causes dirigent
dans le même sens l'opinion de la multitude
.
Le jugement des bons esprits acquiert peu à
peu une autorité longtemps contestée , mais enfin
inévitable . Bientôt sont reconnues et senties les
beautés secrètes et sans nombre renfermées dans
le tissu dustyle de Virgile et de Racine (car j'aime
à joindre le nom de ces deux grands hommes qui
brillent d'un éclat pareil , et que le ciel n'a placés.
à deux époques différentes qu'afin que le siécle
de Louis XIV n'eût rien à envier au siécle
d'Auguste).
1
Les poètes d'un demi-talent, dont la conscience
littéraire est quelquefois fort opposée à leur
doctrine ostensible , désespérant d'atteindre à
l'art inimitable de Virgile et de Racine , vantent
avec un feint enthousiasme les hommes d'un
génie sublime , mais inégal , non qu'ils ayent.
aucune ressemblance avec leurs heautés , mais.
ils en ont du moins avec leurs défauts.
NIVOSE AN X. 91
Telle est l'opinion du moderne Quintilien.
Tes défauts , dit - il en s'adressant à Corneille :
! ་
Heb PE
Tes défauts , qui n'ont point obscurci ta mémoire ,
Rassurent en secret ceux qu'effrayait ta gloire ;
Mais la perfection qu'on ne peut égaler
Desespère toujours sans ' jamais consoler.
14TH S
LAHARPE. Discours sur les préjugés littéraires.
Voltaire avait souvent pénétré dans le secret
des. vers de Racine.
Si son style est moins savant , il rachète , par
le mouvement et l'éclat de ses images , les légères
négligences que l'oeil exercé peut y découvrir ,
mais qui blessent rarement les convenances et
le goût.
L'auteur d'Alzire , en admirant la perfection
de Racine , a dû être blessé plus qu'un autre
des incorrections de Corneille qui tombe de
plus haut parce qu'il s'est élevé davantage , et
parce que des vers communs et même ridicules
se trouvent placés auprès des vers les plus sublimes
que la langue française ait produits.
Si Voltaire eût pu être jaloux de quelqu'un ,
c'eût été, sans doute , de Racine , et le C. Palissot
convient que Racine n'eût pas de plus véritables
admirateurs .
و
Le jugement sévère que Voltaire a porté sur
quelques pièces de , Corneille ne peut être
attribué à l'envie qui ne loue ni ne critique ja
mais avec franchise , et qui s'étudie moins à
faire remarquer les défauts qu'à nier et à obscurcir
les beautés des bons ouvrages . Dans ses commentaires
, Voltaire admire les beautés de Corneille
avec la même franchise qu'il critique ses
1
92
MERCURE DE FRANCE ,
défauts . Nous n'en citerons que trois exemples,
en parlant de la belle exposition de Pompée , dont
il marque d'ailleurs les fautes et les négligences.
"
"
<<
"
Ces défauts dans le détail (ajoute - t- il )
n'empêchent
* pas que le fond de cette première scène ne soit une
des plus belles expositions que l'on ait vues sur aucun
théâtre. Les anciens n'ont rien qui en approche ;
elle est auguste , intéressante , importante ; elle entre
• tout d'un coup en action : les autres expositions ne
" font qu'instruire du sujet de la pièce ; celle - ci en
" est le noeud ; placez- là dans quelque acte que vous
vouliez , elle sera toujours attachante : c'est la seule
qui soit dans ce goût.
"
"
"
Et dans les notes sur le Menteur :
Qu'il me soit permis de dire en passant que , dans
les quatre scènes précédentes , la résurrection d'Alcippe
, le nouvel embarras de Dorante avec Géronte
la noble confiance de ce dernier , forment les situa-
" tions les plus heureuses et les plus piquantes . On ne
« voit point de tels exemples chez les Grecs et chez
" les Latins. "
Il s'exprime encore avec plus de force en examinant
la fin du second acte des Horaces .
« J'ai cherché , dit- il , dans tous les anciens et dans
tous les théâtres étrangers une situation pareille , un
* pareil mélange de grandeur d'ame , de douleur , de
bienséance , et je ne l'ai point trouvé. » #
Ainsi Voltaire nous présente Corneille comme
un homme qui non - seulement créa en France la
tragédie et la comédie , mais qui encore s'éleva
S&
NIVOSE AN X. 93
dans les deux genres à des beautés que les anciens
n'ont point connues , et que les modernes
n'ont point égalées .
Ainsi nous ne croyons pas , comme le C. Palissot
, que Voltaire ait en général jugé Corneille
avec trop de sévérité , ni qu'il ait eu tort
d'entreprendre ses commentaires . Mais en répondant
aux détracteurs de Voltaire , ce n'est
pas au C. Palissot que nous avons cru répondre.
Nous avons sur ce point l'avantage d'être souvent
de son avis , et son admiration est presque
toujours d'accord avec la nôtre .
En parlant de Polieucte , le C. Palissot observe
, avec quelque vraisemblance , que la haine
de Voltaire contre les idées religieuses a pu
influer sur le jugement qu'il a porté de cette
tragédie.
Cependant nous opposerons à cette assertion
une citation du commentaire . « Voltaire con-
< «vient qu'il y a de très-beaux traits dans le rôle
<«< de Polieucte , et qu'il a fallu un très- grand
génie pour manier un sujet si difficile. » «<<
16
Et auparavant :
L'extrême beauté du rôle de Sévère , dit l'auteur
« de Zaïre , la situation piquante de Pauline , sa scène
" admirable avec Sévère , au quatrième acte , assurent
" à cette pièce un succès éternel : non- seulement elle
enseigne la vertu , mais la dévotion et la perfection
du christianisme . "
"
Et d'ailleurs qui a su mieux que Voltaire ,
dans la Henriade , revêtir des couleurs de la
poésie les mystères sacrés de la religion chrétienne
? Où la religion est- elle plus tendre et
94 MERCURE
DE FRANCE
,
plus dramatique que dans la bouche de Zairé ,
amante d'un musulman et fille des rois de Jérusalem
, placée entre le trône des Sultans et le
tombeau de Jésus- Christ?
Où la morale de l'évangile est-elle plus impo
sante que dans le beau rôle d'Alvarès , plus touchante
et plus vraie que dans le repentir de
Gusman , qui pardonne sa mort à son rival ?
Il est vrai , comme l'observe le C. Palissot,
que , dans les dernières années de sa vie , Volfaire
porta sa rage philosophique jusqu'au délire.
D'Alembert , Voltaire et Frédéric , avaient
formé un triumvirat pour écraser la religion
chrétienne , qu'ils désignajent sous le nom de
l'infame.
Mais en lisant avec attention leur correspondance
, qui constate cette conspiration , on
s'aperçoit que d'Alembert , comme esprit froid
et comme géomètre , était le seul dont l'im
piété fut incurable ; Voltaire , comme grand
poète , et Frédéric , comme grand roi , étaient
sans cesse , par cette raison supérieure qui est
l'instinct du génie et des gouvernements , ramenés
comme malgré eux vers cette religion ,
qui , d'un côté , est la base la plus ferme de
l'ordre social , et qui , de l'autre , peut seule
reculer pour l'imagination les bornes du monde
idéal jusque dans l'infini et dans l'éternité .
Voltaire , en admirant la première scène de
Pompée , lui reproche quelquefois des déclamations
et des vers de mauvais goût. Palissot
accuse Voltaire de trop de sévérité . Pour justifier
Voltaire nous opposerons Boileau luimême
au C. Palissot . Après avoir cité le qu'il
mourût du vieil Horace , et avoir loué dans ce
NIVOSE AN X. 95
mot une simplicité qui en fait la grandeur , il
ajoute :
68
Ce sont -là de ces choses que Longin appelle sublimes
, et qu'il aurait beaucoup plus admiré dans
« Corneille , s'il eût vécu du temps de Corneille , que
ces grands mots dont Ptolomée remplit sa bouche
au commencement de la mort de Pompée , pour exagérer
les vaines circonstances d'une déroute qu'il n'a
point vue, Préface de Longin.
"

i
On peut voir encore , dans les réflexions critiques
qui suivent la traduction de Longin ,
quelle était l'opinion générale de Boileau sur
le théâtre de Corneille :
10
+48
"
"
" Corneille est celui de tous nos poètes qui a fait le
plus d'éclat en notre temps ; et on ne croyait pas
qu'il pût y avoir jamais en France un poète digne
de lui être égalé. Il n'y en avait point en effet qui
« eût plus d'élevation de génie , ni qui eût plus composé
; tout son mérite pourtant , à l'heure qu'il est ,
« se réduit à huit ou neuf pieces de théâtre qu'on
admire , et qui sont , s'il faut ainsi parler , comme
le midi de sa poésie , dont l'orient et l'occident n'ont
rien valu . Encore , dans ce petit nombre de bonnes
pièces , outre les fautes de langue , qui y sont assez
fréquentes , on commence à s'apercevoir de beaucoup
d'endroits de déclamation qu'on n'y voyait pas
autrefois. "
69

"
46
Ainsi le jugement de l'auteur de la Henriade
se trouve d'accord avec celui de l'auteur de l'Art
poétique , et nous observerons que Voltaire , qui
fut accusé pendant cinquante ans d'avoir cor96
MERCURE DE FRANCE ,
rompu le goût de son siécle , a le premier rétabli
l'autorité du législateur du goût , longtemps
insultée et méconnue .
Quant aux notes sur les détails , le C. Palissot
nous paraît quelquefois se plaindre à tort
de la sévérité de Voltaire , lorsque celui- ci condamne
, dans les commentaires , des tours de
phrases incorrects ou des expressions vieillies et
inusitées . Il ne pouvait en avertir avec trop de
soin les jeunes poètes , à qui le grand Corneille
aurait servi d'excuse et d'autorité ; mais quelquefois
aussi Voltaire a eu tort d'accuser dans les
vers de Corneille des hardiesses que condamne
la timide exactitude de la prose , mais que réclame
le langage de la poésie ; et sur ce point ,
comme sur plusieurs autres , Palissot a raison
contre Voltaire .
Ici se présente une dernière réflexion . Depuis
environ cinquante ans que le C. Palissot est entré
dans le monde , il s'est élevé des hommes doués
d'une imagination plus riche et plus brillante ,
et dont les ouvrages sont marqués au coin d'un
talent plus prononcé que le sien . Mais tous les
écrits du C. Palissot se font remarquer par
une conception sage , et par un style élégant
et pur.
Il est au moins inutile d'énoncer ici notre
opinion sur la Dunciade , et les autres écrits
satiriques de Palissot ; mais en mettant à part
les préventions de l'auteur , ses mémoires littéraires
annoncent un esprit fécondé par la lecture
des bons modèles. Il recueille aujourd'hui
le prix de ses longs travaux et de son
bon esprit. Depuis longtemps il n'a point produit
d'ouvrages d'imagination ; il a su s'arrêter
à propos , et n'a point exposé son ancienne réNIVOSE
AN X.
97
putation au jugement incertain d'une génération
nouvelle . Mais lorsqu'il ne donne plus d'exemples
, il peut encore donner des préceptes ;
de pareils travaux conviennent à l'âge du C.
Palissot , et ajoutent à sa réputation .
C'est ainsi que dans les anciennes républiques ,
ceux dont les talents et le courage avaient illustré
la jeunesse en recueillaient le prix dans l'âge
avancé , et venaient s'asseoir avec honneur parmi
les juges de ces jeux dont autrefois ils avaient
partagé la gloire.
FLINS.
PROJET d'éléments , idéologie à l'usage des
écoles centrales ; par le C. DESTUTT- TRACY ,
membre du Sénat conservateur et membre
associé de l'Institut national. 1 vol . in- 8.º
Paris , chez Pierre Didot l'aîné , imprimeur ,
aux galeries du Louvre , n.° 3 ; Firmin Didot
, rue de Thionville , n. ° 116 .
«< ON n'a qu'une connaissance imparfaite d'un
« animal , si l'on ne connaît pas ses facultés
<< intellectuelles . - L'idéologie est une partie
<< de la zoologie , et c'est surtout dans l'homme
<< que cette partie est importante et mérite
« d'être approfondie.
»
: C'est ainsi que l'auteur annonce , dès les premières
lignes , l'esprit et l'objet de son ouvrage .
Nous croyons inutile de faire remarquer l'insuffisance
du mot idéologie pour indiquer la science
7.
7
98 MERCURE DE FRANCE ,
qui traite de l'intelligence de l'homme , c'est- àdire
, de ses idées , de ses affections et de ses
penchants , il nous suffira de montrer en peu
de mots que la suite de l'ouvrage est parfaitement
d'accord avec le début.
Nos idées sont la sensation elle-même lorsqu'elle
a lieu , et le souvenir de la sensation
lorsqu'elle a cessé . La pensée ou la faculté de
penser peut se réduire à quatre facultés élémentaires
, savoir : la sensibilité proprement
dite , ou la faculté de recevoir une sensation
présente ; la mémoire , ou la faculté de sentir
un souvenir ; le jugement , ou la faculté de
sentir des rapports ; la volonté , ou la faculté de
sentir des desirs . Penser n'est toujours que
sentir.
Ainsi , la colique , ce dérangement mécanique
opéré dans nos organes, lorsque nous le
sentons toutefois et que nous ne sommes pas
gangrénés , est vraiment un acte de la pensée .
O que de penseurs , graces à l'idéologie !
.
Mais la faculté de sentir est nécessairement
liée à celle de nous mouvoir , facultés aussi inséparables
que nos muscles et nos nerfs ; car c'est
par nos nerfs que nous sentons , et par nos mus
cles que nous nous mouvons.. « A le bien pren-
« dre , l'action de penser ou de sentir n'est qu'un
<«< effet particulier et comme une dépendance de
<< l'action de nous mouvoir. Ce mouvement est le
produit de la force vitale , et nous pouvons nous
<< le représenter comme le résultat d'attractions
<< et de combinaisons chimiques qui , pendant un
<< temps , donnent naissance à un ordre de faits
particuliers , et bientôt , par des circonstances
<<
«<
NIVOSE AN X.
99
inconnues , rentrent sous l'empire de lois plus
générales , qui sont celles de la matière jnorganisée.
Tant qu'elle subsiste , nous vivons
« à-dire que nous sentons et que pus noy
<< mouvons. »
Si l'on étudie avec soin les chapitres ou Ta
teur examine les rapports de la faculté de nou
mouvoir avec celle de sentir , l'inence de
notre volonté sur la faculté de nos mou
voir et sur celle de penser , et les effetse
produit en nous la répétition des mêmes actes ,
on aura le corps complet de cette doctrine qui
doit expliquer tous les mystères de l'homme et
servir d'introduction à l'étude des sciences , de
la morale et de la législation.
«
Veut-on savoir comment un homme dominé
par un desir devenu habituel ( par exemple par
desir habituel de voler ) , agit pour le satisfaire
contre les lumières les plus évidentes de
la raison? « D'abord l'on établira cette loi gé-
<< nérale de tous nos mouvements , que plus ils
<< sont répétés , plus ils deviennent faciles et
rapides , et que plus ils sont faciles et rapides ,
«< moins ils sont perceptibles . » Et ensuite l'on
dira <<« que tandis que cet homme porte avec
« réflexion quelques jugements sensés qu'il perçoit
nettement , parce qu'il les porte avec
peine , il en porte en même temps un grand
«< nombre d'autres , dont il ne s'aperçoit pas
précisément, parce qu'ils lui sont extrêmement
« familiers , et que , par cette raison - là même ,
<«< ils en excitent une foule d'autres qui l'en-
<< traînent. » Maintenant si l'on oppose à cet
homme qu'il n'a pu contracter cette habitude
«<
«
KEP.
FRA
5.
100 MERCURE DE FRANCE ,
de mouvements familiers sans une première
volonté coupable , il répondra qu'à la vérité sa
volonté a une certaine influence sur ses mouvements
, tant intérieurs qu'extérieurs , mais que
les desirs qui déterminent sa volonté , sont le
résultat de mouvements antérieurs qui s'exécutent
d'eux -mêmes . L'on voit donc , pour n'en
citer qu'un exemple , comment , à l'aide de
l'idéologie appliquée à la jurisprudence , l'on
peut remonter à la question intentionnelle , et
déterminer la moralité d'une action . Pour nous ,
il nous semble que si cette science pouvait être
comprise , elle dispenserait bientôt d'un code
civil et criminel .
Il est remarquable que , dans un temps où les
sciences physiques ont conduit à tant de résultats
utiles à la société , les sciences morales n'ont été
que des spéculations vaines et souvent désastreuses.
C'est que l'on a toujours confondu ces
deux ordres de vérités si distinctes , et voilà
comme la métaphysique de Locke a été réduite à
l'idéologie. Observons un instant quelle distance
les sépare , et combien l'analyse a été meurtrière .
Locke qui , suivant l'expression du lord Liddelton
, est le père de la réforme philosophique,
et que l'on n'a jamais cité que pour en abuser,
reconnaît deux sources de toutes nos idées , la
sensation et la réflexion ; c'est- à-dire , cette faculté
de l'amé qui se replie sur elle-même pour
combiner les perceptions acquises par les seus
et en découvrir les rapports. Condillac admit les
deux principes du philosophe anglais ; mais il
s'en écarta dans la suite , et mérita d'être appelé
le créateur de l'Idéologie . Il parut oublier tout ce
NIVOSE AN X. 101
que l'homme doit à la réflexion , pour ne s'occuper
que de ce qu'il doit à ses besoins physiques.
Il répète sans cesse que nos idées ne sont que
des sensations transformées , et qu'avec la sensation
transformée , il avait expliqué dans sa
statue toute la suite des opérations de l'entendement
humain ; alors les idéologues ne virent
plus dans l'homme que la statue de Condillac.
Les circonstances furent favorables à cette nouvelle
école ; car c'est à l'époque où les arts
de l'imagination déclinent que commencent les
maladies de l'esprit. Toutefois , il en arriva
de la philosophie comme des ouvrages de
goût , les imitations de la médiocrité outrerent
les défauts du modèle . L'entendement de
l'homme , successivement analysé par cette foule
de disciples jaloux d'ajouter à la science , perdit
ce qu'il avait d'intellectuel , et la société fut attaquée
par ces systèmes qui laissaient tant de
conséquences à tirer , et dont la plupart se
rattachent à l'histoire de nos derniers malheurs.
Platon exprime , par une image bien frappante
, l'influence de cette doctrine que l'on affecte
de nous montrer dans ses rapports avec la
législation et la morale , lorsque dans cet ouvrage
admirable où il compare successivement
les différents caractères de l'homme avec les différentes
formes du gouvernement , il ajoute :
«< Mais pour celui
qui se laisse gouverner par ses
« sens , (ou qui n'a que des sensations transformées
) , et dont la raison n'apaise pas le cou-
« rage , comme un berger apaise son chien ,
«
* Le mot courage est pris dans le sens de Platon pour
l'animation , la force vitale.
102 MERCURE DE FRANCE ,
« nous le comparerons à l'état démocratique où
<< la multitude fait la loi , où la voix de l'homme
<< de bien ne peut se faire entendre sur la place
« publique , etc. , etc. »>
Au reste , nous n'avons trouvé de nouveau
dans cet ouvrage que le titre ; c'est aux écoles
centrales qu'il est dédié. C'est au moment où
toutes les ames sont appauvries par le long
oubli des principes religieux , où les croyances
'ont été remplacées par une crédulité stupide ,
où les discurs de bonne fortune se multiplient
dans nos rues et nos places publiques ; que
l'on propose à la génération nouvelle cette
science qui substitue le mouvement de la brute
à la raison humaine , et ne voit dans l'homme
que des muscles et des nerfs ! Mais l'auteur
n'a -t il pas compris que son travail serait bientôt
Inutile , et que , s'il faut partager ses espérances
sur les progrès de l'idéologie , et de l'idéologie
comparée , dans dix ans d'ici , il n'y aura de
classique pour les écoles centrales que les livres
sur l'Art de procréer les sexes et les hommes
de génie à volonté? Heureusement , le coeur de
l'homme , plus infaillible que l'analyse , instruit
mieux sa raison et le temps emporte tous ces
systèmes , si douloureusement démentis , et qui
ne sont , pour ainsi dire , que l'écume qui reste
sur le rivage après la tempête.
Oui : les hommes admireront toujours les productions
du génie , parce qu'ils croiront à une
étincelle cachée qui se dérobe aux mesures de
l'angle facial. Ils contracteront toujours des
relations d'amour et d'amitié , parce qu'ils distingueront
leurs joies et leurs afflictions de
l'effet de quelques verres de vin , ou de la
NIVOSE AN X. 103
suite d'une mauvaise digestion ; ils viendront
toujours pleurer sur les tombeaux , parce qu'ils
ne verront pas seulement dans la mort la cessation
d'attractions et de combinaisons chimiques,
En un mot , l'homme cherchera toujours
à satisfaire les immenses besoins de son
esprit et de son coeur dans un ordre de choses
mystérieuses et éternelles , et il s'élève de toute
la société un cri de réprobation contre cette
doctrine froidement brutale qui tue le germe
des arts , dessèche les affections de famille , et
menace même de détruire les bienséances qui
sont encore les faibles gardiennes des moeurs.
Nous ne dirons plus qu'un mot : les ennemis de
la philosophie l'accusent de corrompre la morale
publique ; les défenseurs de la philosophie
l'invoquent à l'appui de principes qu'elle désa
youe. Quelle espérance lui reste -t - il entre ses
adversaires qui l'accusent , et ses défenseurs qui
la calomnient ?
G.
104 MERCURE DE FRANCE ;
1
SATIRES de Juvenal et de Perse , traduites
en vers français , avec des notes ; par F.
DUBOIS - LAMOLIGNIÈRE. I vol . in- 8. ° Avec
cette épigraphe :
Dulcia non meruit qui non gustavit amara.
Paris , chez Ch. Pougens , imprimeur-libraire ,
quai Voltaire, n. ° 10 , et chez Colas , libraire ,
place de Sorbonne , n .° 412 .
L'AUTEU
'AUTEUR de cet extrait , dans l'un des articles du
dernier N.° du Mercure , avait dit , à propos des satires
, ou plutôt de la manière de Juvénal : Ce genre
ne peut nous convenir sous aucun rapport , et ces satires
admirables doivent rester à jamais parmi nous , comme
ces belles médailles d'antiquité qui n'ont plus cours de
monnaie.
Soit pour le redresser et le contredire , soit par tout
autre motif , on s'est empressé de lui faire parvenir
une traduction en vers , assez nouvelle , de ces satires.
Il ne la connaissait point. Frappées une seconde fois
au bon coin de la poésie , sans doute ces médailles
pourraient redevenir monnaie et reprendre cours . Il
est quelques poètes anciens , en assez petit nombre
à la vérité , à qui des traducteurs poètes ont rendu
ce service. Reproduit par Delille , Virgile est devenu
français. Le C. Saint -Ange ne s'est pas donné
des soins inutiles pour faire parler notre langue à
Ovide. Mais , nous le disons à regret , nous doutons
beaucoup que Juvénal et Perse soient jamais redevables
à leur nouveau traducteur d'une semblable naNIVOSE
AN X 105
uralisation . Aiusi nous comptons en ce genre mille
tentatives pour un succès , et l'expérience apprend
qu'en poésie , il n'est pas moins difficile de rendre la vie
que de la donner.
2
Toutefois on ne doit décourager aucun essai , ni
prononcer témérairement à l'avance qu'une entreprise ,
quelle qu'elle soit , est inexécutable. Le génie , et même
le talent seul , aidés de patience et de temps , ont heureusement
donné plus d'un démenti à ces décisions
prématurées. Cependant on est autorisé à dire que ,
dans le nombre de ces entreprises , il en est qui offrent
d'excessives difficultés . On a fort bien développé , dans
des écrits qu'il suffit d'indiquer et qu'il serait inutile
de répéter ici , comment les poésies anciennes , et
même toute poésie en langue étrangère , du genre
qu'on peut appeler domestique , résistent plus que
toute autre à une poésie nouvelle ; la comédie plus
que la tragédie ; l'épître et la satire plus que l'Epopée
et que le genre lyrique lui-même. Il n'est point de bon
esprit qui n'en aperçoive aussitôt la cause générale et
essentielle. Il suffit d'observer que le genre héroïque
se sert de moyens et de couleurs à peu de chose près
invariables pour tous les temps et dans tous les lieux ,
et que le genre domestique doit s'approprier aux moeurs
privées et se conformer aux circonstances locales . On
peut quelquefois l'imiter avec avantage , rarement le
copier avec succès. Ainsi nous conjecturons que les
meilleures traductions d'Horace , de Juvénal , de Perse ,
seront longtemps pour nous les belles imitations que
Despréaux en a faites . Je dis pour nous , car il paraît
qu'on peut aller beaucoup plus loin dans d'autres
pays. Nous avons lu , il y a peu de temps , qu'on a
représenté dans une ville d'Allemagne , avec le plus
grand succès , et dans sa langue , une comédie de Térence.
Cette ville est sans doute le pays latin de l'Al◄
106 MERCURE DE FRANCE ;
1
lemagne , comme l'était autrefois pour Paris la rue
Saint -Jacques. Encore peut-on douter qu'en aucun
temps un pareil essai y eût fait fortune . Déja même
les Allemands pourraient donner de tristes nouvelles
à l'Allemagne de nos dispositions pour les spectacles en
idiome étranger : mais les Allemands sont tout autre
chose.
Si l'on était prudent et avisé, on s'en tiendrait à s'exercer
pour soi , et pour soi seul , à la traduction de ces
sortes de poésie ; à peu près comme les peintres s'appliquent
longtemps à copier des têtes d'après l'antique
et à dessiner d'après la bosse. On acquerrait
dans cet exercice de grands avantages pour produire
dans les mêmes genres. En outre , on y trouverait pour
le besoin un fonds d'avance , où le discernement et le
goût feraient ensuite d'heureux emprunts ; et c'est
ainsi que les peintres , pour suivre notre comparaison ,
font entrér fréquemment dans leurs ouvrages un grand
nombre de traits copiés de leurs études. Mais , de tous
les artistes , les poètes furent toujours les plus avides
de jouissances précoces . Il en est peu qui n'ayent fait
libéralement présent au public de leur premier thème.
Expectes eadem a summo minimoque poeta.
Ne nous lassons pas toutefois de leur faire entendre
ce conseil judicieux ; mais bien habile qui réussira à
le leur faire adopter :
Croyez-moi , résistez à vos tentations ;
Dérobéz au public ces occupations.
Il n'y a pas un honnête homme qui , consulté d'avance
par le traducteur de Juvénal et de Perse dont il s'agit
dans cet article , ne lui eût donné cet avis salutaire ;
mais comme déja , sans doute , témoin du froid accueil
que reçoit son ouvrage , il n'est pas à sé repentir de
1
$
107 NIVOSE AN X.
ne l'avoir pas demandé ou de ne l'avoir pas suivi ;
nous lui épargnerons , ainsi qu'aux lecteurs , une critique
minutieuse. Pour justifier l'opinion que nous
énonçons , il nous suffira de prendre au hasard quelques
passages , et nous n'abuserons pas de la triste
facilité de multiplier les preuves que ce travail infortuné
nous fournirait à toutes les pages .
Transcrivons d'abord ces vers foudroyants de l'auteur
original , au sujet de la dépravation des moeurs de son
temps ; ces vers qui ont coulé d'une source si pleine
et qu'on dirait que l'indignation a fournis tout faits à
son poète :
Aude aliquid brevibus gyariis , et carcere dignum ,
Si vis esse aliquid : probitas laudatur et alget.
Criminibus debent hortos , prætoria , mensas ,
Argentum vetus et extantem extrà pocula caprum.
Quem patitur dormire nurus corruptor avaræ ?
Quem sponse turpes ? et prætextatus adulter?·
Si natura negat , facit indignatio versum
Qualemcumque potest , quales ego , vel Cluvienus.
Ecoutons à présent le traducteur :
Vive l'honneur , dit- on ; mais il manque de tout.
Voulez - vous parvenir ? Osez ; entrez en lice .
Risquez un de ces tours qui frisent le supplice.
Les mets fins , les châteaux , les jardins , les palais ,
Les métaux ciselés sont le prix des forfaits.
Oh ! qui peut fermer l'oeil , quand ce beau -père infame
Déshonore sou gendre en séduisant sa femme ?
Fût-on né sans talent , tel que moi , tel qu'Arcas
Sur un rival d'Hébé qui ne vomirait pas ?
Et coutre l'homme affreux haletant sur ses traces ,
Le courroux seul suffit , et doit venger les Graces.
Relever tous les défauts de pareils vers ,
cher de ceux de l'original , montrer en quoi ils en difles
rappro1.08
MERCURE DE FRANCE ,
ferent , soit par les traits omis , soit par ceux qu'on a
substitués , serait un travail trop ingrat pour la critique
, trop fastidieux pour les lecteurs , et , nous le
pensons , sans utilité pour l'auteur. Il n'y a point de
témérité à prononcer que celui qui , ayant un pareil
modèle devant lui , et , s'il faut le dire , les temps
présents sous les yeux , imite avec tant de faiblesse,
une peinture si vigoureuse , n'a point reçu la vocation
de la poésie ; qu'il n'est point né poète , et qu'ainsi ,
quoi qu'il fasse et quoi qu'on lui puisse dire , il ne
le deviendra pas ; et quant au goût , qu'en attendre
lorsque sans y être obligé , sans que l'original lui en
fournisse le plus léger prétexte , il nous parle de vomir
sur un rival d'Hébé , et s'érige un vers après en vengeur
des Graces ?
the
Nous sommes bien loin assurément d'offrir comme
un modèle la traduction de ce même morceau que
nous venons de faire à la hâte. Nous croyons y avoir
mieux conservé la ressemblance avec l'original ; et
c'est tout ce que nous nous sommes proposés en faveur
de ceux de nos lecteurs qui , ignorant sa langue , en
prendraient une idée bien étrange d'après le travestissement
de la traduction :
Avez- vous mérité le carcan , la potence ?
Osez briguer alors un emploi d'importance.
En estimant l'honneur , on le laisse transir.
Ces jardins , ces palais , et la pourpre de Tyr ,
Et l'argent ciselé qui brille sur leurs tables ;
Ils les doivent au crime , en ces temps détestables .
Eh ! qui peut au sommeil laisser fermer ses yeux ,
Quand l'adultère veille et se glisse en tous lieux ?
Quand l'épouse introduit l'opprobre en sa famille ?
Quand un père , à prix d'or , corrompt sa belle- fille ?
Fût-on né sans talent , comme moi , comme Affron ,
Les vers naissent alors de l'indignation.
NIVOSE AN X. 109
Quel Edipe pourra trouver un sens à un vers tel
que celui - ci :
Qu'un plaisant raille un sot ; que l'ivoire , l'ébenne ?
Eh bien ! c'est une bardiesse , une ellipse. On conviendra
qu'elle est forte. De tels latinismes réclameraient
une traduction nouvelle , et il est nécessaire dé
dire à beaucoup de lecteurs que le dernier hémistiche
doit s'interpréter de la manière suivante : que l'ivoire
Taille l'ébenne. Le vers correspondant dans l'original
est celui-ci :
Loripedem rectus derideat , Ethiopem albus.
Et l'on voit tout de suite qu'indépendamment d'une
tournure si vicieuse , le sens est entièrement manqué.
Entre deux variétés de la même espèce , et d'homme
à homme , on peut opposer le blanc au nègre. Mais
l'ivoire et l'ébenne étant des substances d'une nature
entièrement différente , l'opposition n'est point rendue .
Tout le monde connaît , tout le monde a retenu ces
vers admirables de la satire VI .
Nunc patimur longæ pacis mala : sævior armis
Luxuria incubuit , victumque ulciscitur orbem.
« Nous souffrons à présent tous les maux d'une longue
paix plus cruelle que les armes , la luxure exerce ses
ravages ; elle venge l'univers de nos victoires. » Du
moins voilà le sens littéral . Il est beau ; mais qu'est - ce
auprès du poète ? Il faut entendre rugir le monstre.
Pour le traducteur , assurément il ne rugit pas , et le
monstre est bien apprivoise.
La Paix ; la Paix a fait plus de mal que la guerre.
Le luxe est plus funeste , il a vengé la terre.
Quelle nuit après tant d'éclat ! après ce tonnerre ,
1to MERCURE DE FRANCE ,
quel chétif frédon ! et jusqu'au sens qui est manqué ;
car le luxe assurément n'est pas ici l'équivalent de
luxure.
Cependant , voici une heureuse rencontre. Les vers
qui précèdent , ceux - là immédiatement méritent d'être
cités avec éloge , et j'en saisis l'occasion avec une satisfaction
véritable :
Sous le chaume , jadis nos pères vertueux
Voyaient , dans leurs moitiés , des épouses , des mères
Toutes à leurs devoirs , aimables et sévères ;
Et qui , lorsqu'Annibal assiégeait leurs maris ,
S'occupaient noblement à filer leurs habits.
Ces vers sont très-bons , le dernier+ est très-beau ,
l'opposition d'aimables et sévères , très - heureuse , et
noblement et filer , rapprochés comme ils le sont , méritent
d'être cités parmi les belles alliances de mots
dont notre poésie offre des exemples . Peut- être avonsnous
été trop prompts à désespérer d'un talent qui a
pu , ou rencontrer ou choisir dés beautés de cet ordre.
Cependant l'impression que nous a laissée la lecture
de la totalité de l'ouvrage , ne nous permet pas de
nous démentir. Après tout , la critique sévère et même
la critique injuste peuvent affliger , mais non pas étouffer
le talent véritable.
.....Ab ipso
Ducit opes, animumque ferro.
Avec quel empressement nous nous rétracterions ,
si l'auteur y donnait lieu ! Mais ce qui redouble nos
craintes , c'est la malheureuse préface qu'il a mise à
la tête de son ouvrage . Il y professe , avec une légèreté
réfléchie , en quelque sorte , les opinions littéraires
les plus déraisonnables ; et jusqu'au mépris de
Boileau , après lequel il n'y a plus rien .
NIVOSE AN X. IIL
Respect à Despréaux , jeunes imprudents , novices
Littérateurs ! Et qu'on vienne encore reprocher à Laharpe
de trop s'étendre , de s'animer trop contre les
mauvaises doctrines , de trop insister sur les paradoxes
diserts de Lamotte et Fontenelle . Le goût de la littérature
est passé ; on ne l'aime plus , et cette prétendue
lassitude n'est qu'un triste symptôme de notre
dégoût. On l'a trouvé diffus aussi dans son article sur
Boileau. Il a tout dit en effet , tout combattu , tout
terrassé. Mais qui ignore que , dans des disputes qui
se renouvellent sans cesse on réduit tous les jours à
l'absurde certains adversaires , sans réussir jamais à les
réduire au silence ? Nous ne dirons pas ,
"
2
Hercule est sous la tombe , et les monstres renaissent.
Il est dans l'arène ; il y combat sans relâche avec
une vigueur qui ne s'affaiblit point ; et toujours abattues ,
les cent têtes de l'Hydre repoussent toujours. Tout ce
qu'on reproduit ici a été victorieusement réfuté d'avance
dans le Cours de littérature . Mais qu'importe au C. Dubois-
Lamolignière ? Erigeant en idole , selon l'usage ,
l'auteur qu'il entreprend de traduire , il se croit obligé ,
d'honneur , à lui immoler tous ses rivaux , et Nicolas
Boileau-Despréaux lui a paru sans doute la victime qui
devait lui être la plus agréable. En effet , de quelle
utilité nous sont aujourd'hui ses faibles diatribes ? Des
éloges fades , des critiques injustes , et le mépris le
plus révoltant pour l'homme malheureux , voilà le fond
de ses satires. D'ailleurs , pas un mot sur les moeurs
de son siécle , fort peu de bons préceptes , jamais une
effusion de coeur : il plaisante , il égaye ; mais à là
réflexion il nous glace .... C'est un homme fort , qui,
par lâcheté , n'attaque que la discrétion , l'infortune ou
la faiblesse.
Citer de pareils traits , c'est y répondre . Mais une
112 MERCURE DE FRANCE ,
4
prévention , aussi injuste que toutes les autres , s'est
accréditée davantage au sujet de Boileau. On voudrait
faire admettre sans contradiction qu'il ne fut rien
qu'un vil adulateur ; et , après l'avoir supposé , on s'indigne
tout à son aise de la bassesse d'un tel caractère
dans un satirique de profession , qu'on représente comme
s'acharnant impitoyablement sur les auteurs , sous l'égide
des grands , aux pieds desquels il n'a pas cessé de ramper.
Parmi tant de traits qu'il lance contre les uns 2
il ne lui en échappe aucun , dit - on , contre les autres.
"
On pourrait répondre d'abord , que s'il lui avait plu
de se borner à la satire littéraire , laissant à part la
satire des moeurs il en était le maître sans doute.
Mais loin de là , les moeurs le réclament comme le
goût , et sa lecture ne satisfait pas moins l'honnête
homme que l'amateur éclairé des arts de l'esprit .
Quittons donc pour jamais une ville importune ,
Où l'honneur a toujours guerre avec la fortune ,
Où le vice orgueilleux s'érige en souverain ,
Et va la mitre en tête et la crosse à la main .
S'agit-il d'auteurs dans ce passage ? et le dernier vers
est-il un trait assez hardi et assez fort contre des
hommes assez puissants et assez élevés ?
Boileau un flatteur !
Pour un si bas emploi , ma muse est trop altière ;
Je suis rustique et fier, et j'ai l'ame grossière.
Eh quoi ! dit-on , les nobles et les grands , Boileau
ne s'est - il pas toujours servilement prosterné devant
eux ? Qui ; et en voici de bonnes preuves ;
Je ne puis souffrir qu'un fat , dont la mollesse
N'a rien pour s'appuyer qu'une vaine noblesse,
Se pare insolemment du mérite d'autrui ,
Et me vante un honneur qui ne vient pas de lui.
NIVOSE AN X. 113
....A le voir avec tant d'arrogance
Vanter le faux éclat de sa haute naissance
On dirait que le ciel est soumis à sa loi ,
Et que Dieu l'a pétri d'autre limon que moi.
On ne m'éblouit point d'une apparence vaine ;
La vertu , d'un coeur noble , est la marque certaine.
Si vous ne faites voir qu'une bassesse insigne ,
Ce long amas d'aïeux que vous diffamez tous ,
Sont autant de témoins qui parlent contre vous ;
Et tout ce graud éclat de leur gloire ternie ,
Ne sert plus que de jour à votre ignominie .
En vain , tout fier d'un sang que vous déshonorez ,
Vous dormez à l'abri de ces noms révérés ;
En vain vous vous couvrez des vertus de vos pères :
Ce ne sont à mes yeux que de vaines chimères ;
Je ne vois rien en vous qu'un lâche , un imposteur ,
Un traître , un scélérat , un perfide , un menteur ,
Un fou , dont les accès vout jusqu'à la furie ,
Et d'un tronc fort illustre une branche pourrie.
Il faut nous arrêter ; car nous commençons à craindre
de représenter Boileau comme un philosophe.
Le voilà pourtant ; voilà ce flaiteur déhonté des
nobles , ce distributeur d'éloges fades , cet homme
qui , par lâcheté , n'attaque que la faiblesse. Mais on
exige peut- être qu'il eût fait des applications plus directes
de ces traits généraux ; il devait nommer tel ét
tel grand , comme il a nommé tel et tel poete ; voilà
qui est puissamment raisonné ; et , comme nous l'avons
dit , on ne peut pousser plus loin un adversaire dans
ces sortes de disputes . Quant aux éloges de Louis XIV,
c'est un lieu commun de querelle qu'on a tant épuisé , que
nous nous abstiendrons d'en dire un seul mot. Louisreștera
grand , et Boileau un honnête homme , en dépit des
7. 8
114 MERCURE DE FRANCE ;
criailleries de tous les petits hommes d'état et de tous
les petits écrivains de toutes les révolutions politiques
et littéraires du monde .
Si ce n'était pas sortir des bornes , dans un extrait
où l'on ne peut qu'effleurer les objets , il serait aisé de
prouver que Boileau s'est autant formé dans Juvenal
que dans Horace , et qu'il a imité l'un aussi fréquemment
que l'autre : et peut - être est - ce là le sujet de
tant d'humeur et de chagrin ;
Inde ire et lacrymæ.
En effet , veut- on connaître Juvénal , et Juvénal tout
entier ? Ce n'est pas à cette traduction complète qu'on
doit recourir. Dix vers de ce Boileau , que l'on décrie ,
vont y suffire :
Ses ouvrages , tout pleins d'affreuses vérités ,
Etincellent pourtant de sublimes beautés ;
Soit que sur un écrit , arrivé de Caprée ,
Il brise de Séjan la statue adorée ;
Soit qu'il fasse au conseil courir les sénateurs ,
D'un tyran soupçonneux , pâles adulateurs ,
Ou que , poussant à bout la luxure latine ,
Aux porte - faix de Rome il vende Messaline.
Ces écrits pleins de feu partout brillent aux yeux.
Nous terminerons en rappelant à l'auteur , qu'on a
souvent entendu Voltaire dire , dans ces épanchements
familiers où tous les vrais sentiments s'échappent , celui
qui n'aime pas Nicolas ne prospérera pas . L'anathème
s'est accompli .
M.
NIVOSE AN X. 115
แวว
SUITE du Salon de l'an 9 .
PORTRAIT S.
Le nombre des portraits compose chaque année plus
d'un tiers du salon . De toutes les branches de la peinture
, c'est celle qui procure le plus aisément à ceux qui
s'y livrent les ressources les plus faciles . Les succès ne
s'y obtiennent pourtant pas plus facilement que dans
tout autre genre ; les Titien , les Vandick , les Rubens ,
les Rembrand seront toujours rares .
Un tableau qui fut exposé assez tard pour que l'on
pût craindre d'en être privé , vient enfin d'être offert à
l'empressement du public. Une dame est assise avec
grace , sur un lit de repos. Son maintien est noble , sa
physionomie a du calme et de la dignité ; on devine
qu'elle est bonne et généreuse ; on reconnaît l'épouse.
du premier consul. La plus parfaite ressemblance est
le premier mérite de ce tableau ; il y règne cette grace
qui fait disparaître les difficultés de l'art , et qui n'abandonne
jamais le pinceau de Gérard. Cependant ne peuton
pas lui reprocher un ton un peu jeaunâtre dans les
chairs , qui , d'ailleurs , pourraient être modelées avec
plus d'étude ?
Depuis longtemps les femmes se sont exercées avec
avantage dans le genre du portrait . Mesdames Lebrun
et Guiard ont acquis une célébrité qui a fait naître l'émulation.
Quelques - unes de leurs élèves les ont suivies
de près ; et s'aidant des conseils les plus distingués ,
elles ont dirigé leurs talents vers une route plus sévère.
M.me Villers a présenté cette année le portrait d'une
jeune femme ; elle est assise près d'une fenêtre. La
figure presqu'entièrement dans la demi teinte est gra116
MERCURE DE FRANCE ,
cieuse de mouvement , de dessin et de couleur ; l'effet
en est piquant ; les oppositions douces , le fond adroitement
composé. On retrouve dans ce tableau le caractère
du précieux talent de Giraudet , dont M.me Villers
a , dit on , reçu des leçons . Cependant on peut desirer
que l'auteur , parvenue à ce degré de talent , cherche
à se faire un caractère original , et quitte un peu les
lisières de l'école .
Le principal ouvrage de M.me Chaudet nous offre un
enfant endormi dans un berceau ; plus de grace et d'éclat
que de vérité. Le blanc et le rose qui dominent dans
les chairs leur ôle cette transparence si précieuse , qui
charme dans la nature , et qui se fait admirer surtout
dans les tableaux de l'école flamande .
Trois charmants tableaux assurent à M. le Gérard le
succès le plus mérité ; pinceau précieux et spirituel ,
harmonie riche et douce , scènes agréables , présentées
avec les moyens les plus adroits de la composition : si ,
à tant de mérites divers , M. le Gérard pouvait joindre
plus de décision dans les formes et plus de vérité dans
les chairs , rien ne manquerait à ce talent aimable.
Nous demandons place ici pour une réflexion générale.
Aucune mode ne fut jamais plus favorable à la peinture
que le costume actuel des femmes . Cependant l'oeil est
fatigué par l'uniformité qui règne au salon dans tous
ces portraits de femmes vétues en blanc. Ne pourrait - on
pas remédier à cet inconvénient en variant la couleur
des étoffes ou du moins en faisant servir ces schalls
officieux dont les artistes n'apprécient pas assez l'usage ?
Les chairs y gagneraient de l'éclat , et les tableaux de
la richesse et de l'harmonie.
2
Quitterai-je les femmes sans parler de Greuse , qui a
employé trente ans de travaux applaudis à peindre leurs
graces et leurs vertus ? Il vient d'exposer au salon quelNIVOSE
AN X. 117
t
S
1
a
TS
ques portraits , et un tableau représentant un cultivateur
qui , en présence de sa famille , remet sa charrue
dans les mains de son fils . On reconnaît , dans les ouvrages
de cet artiste , les principes d'un homme qui a
beaucoup réfléchi sur son art .
On pourrait se livrer ici à une critique qui , sans manquer
de justesse , blesserait les convenances. Ne doiton
pas plutôt être étonné du ressort qui existe encore
dans un talent dont la jeunesse eut tant de droits à
notre reconnaissance ? Tant il est vrai , pour tous les
arts , que les idées puisées dans la nature et dans les .
grands modèles , après avoir mis un frein à l'ardeur in-
·considérée du premier âge , soutiennent le talent dans
l'âge le plus avancé , et peuvent en retarder la chute.
On reconnaît la main d'un maître dans le portrait
d'Arnaut , par Vincent. Au mérite d'une grande ressemblance
, ce portrait réunit tout ce que l'art peut ajouter
d'adresse et de fermeté. Dans le tableau de la mélancolie
, par le même auteur , on retrouve l'homme dont
une main habile seconde la pensée . Tout y est relatif
au sujet ; la touche est ferme et grave ; c'est la production
d'un talent mur. Heureux si la santé de l'artiste
lui permettait de donner moins rarement un tableau
d'une plus grande proportion !
Berthon a représenté une jeune personne touchant de
la lyre. Le mouvement de la figure est doux et simple ;
Ja couleur locale du tableau est agréable ; mais l'eil est
fatigué par la rencontre de plusieurs lumières qui se
disputent entre elles , soit pour les formes , soit pour
l'éclat. Berthon n'a laissé que peu de jours au salon le
portrait en pied du premier consul , qui se faisait remarquer
, par le même mérite et par les mêmes défauts .
Le portrait de Guérin , par Robert- Lefevre , est un
des meilleurs ouvrages de son auteur. Le ton en est
brillant et sage. La figure bien posée donne une juste
118 MERCURE DE FRANCE ,
indication de l'habitude de l'artiste qu'il représente .
Que ne nous est - il permis de louer autant , dans un autre
portrait de Robert - Lefevre , l'attitude de cette femme
qui tient un médaillon ?
Quoique moins abondant cette année que les précédentes
, Droling n'en a pas moins de droits à nos éloges.
Il a exposé deux ouvrages peints sur porcelaine , un
portrait de grandeur naturelle , et un petit tableau ,
représentant un enfant distrait dans ses occupations . Ces
deux tableaux nous ont paru mériter d'autant plus d'éloges
, qu'il faut savoir gré à l'artiste des difficultés qu'il
rencontre dans l'emploi des couleurs , et dans le cacul
des tons à qui l'action du feu fait toujours éprouver
quelqu'altération. Ces considérations ajoutent encore
au mérite réel de l'ouvrage , et peuvent faire pardonner
un ton généralement trop violâtre qui y domine.
MIGNATURE.
Les peintres en mignature se multiplient tous les
jours. On doit peu s'en étonner . Ce genre est le refuge
ordinaire de ceux qui , fatigués d'avoir fait des efforts
inutiles pour avancer dans une carrière plus distinguée ,
se voyent forcés de prendre une route plus facile . Cependant
on aurait tort de faire l'application de cette
vérité générale à quelques peintres en mignature. Je
pourrais citer plusieurs exemples de cette exception
honorable ; je me contenterai d'en nommer deux . Isabey
et M.lle Capet , tous deux instruits dans l'art du dessin ,
nous offrent dans la mignature des modèles de perfection.
Leurs manières , entièrement différentes , sont
également fidelles à la vérité qui s'allie dans leurs ouvrages
, à l'esprit , à la force et à la douceur.
Augustin , dans une tête en émail ; Auber , Laurent
Dumont et Davin- Mirvault , ont de la finesse et beaucoup
de précieux. Ce dernier s'est surpassé lui-même
NIVOSE AN X. 119
"
dans le portrait d'un enfant qui préfère les armes aux
auties objets de son éducation .
Le Gai , dans ses ouvrages peints sur porcelaine ,
n'est pas moins recommandable qu'eux pour son fini et
sa richesse de ton .
TABLE AUX DE GENRE.
Le genre , proprement dit , comprend le paysage ,
les animaux , la marine , et même ce qu'on appelle la
nature morte .
Les peintres de genre offrent encore des talents plus
variés que les peintres de portraits ; dans l'exposition
de cette année , les élèves ont montré des progrès rapides
, les maîtres se sont surpassés eux - mêmes . Parmi
les derniers , nous aimons à citer Taunay, dont l'abondance
, la grace et la finesse caractérisent la manière ;
et Demarne , brillant , riche et animé dans sa couleur
et dans ses compositions. Cependant nous reprocherons
au premier , une tendance à une masse de ton trop
grisâtre , et au dernier , trop d'éclat , même dans les
objets qui n'en sont pas susceptibles .
Swebach dit Fontaine pétille d'esprit , mais il lui
manque un peu d'étude ; César- Vanloo , après un long
séjour en Italie , est enfin revenu enrichir l'école française
d'un talent facile et vrai . Les fabriques et les
figures dont sont ornés ses paysages , font connaître
que le style historique ne lui est pas étranger.
Le style de Valenciennes est pur. Ses figures sont
bien combinées , ses sites nobles et riches. On est fâché
d'y apercevoir un ton généralement jaunâtre , et trop
peu d'études dans ses premières places.
Dans la classe des peintres de genres qui , depuis
l'année dernière , ont fait des progrès sensibles , nous
pouvons compter Granet et Forbin. Tous deux semblent
se plaire à représenter les anciens monuments , et à
120 MERCURE DE FRANCE ,
produire les effets les plus riches et les plus singuliers
de la lumière . Quoique l'un soit plus simple de
façon de faire et plus riche de ton , et que l'autre ,
avec une maniere moins large , choisisse de préférence
les tons grisâtres ; tous deux tendent également à la
vérité.
Bertin , élève d'une école pure en principes , s'était
d'abord attaché à la manière de Valenciennes , son
maître , avec la timidité de la modestie ; mais il a
pris depuis un essor auquel il doit ses nouveaux succès.
Ne pourrait- on pas cependant lui demander plus de
résolution dans les masses , et plus de profondeur dans
le ton ?
Bourgeois était connu seulement par de beaux dessins
; mais les moyens de la palette lui semblaient
peu familiers. Cette année , il a , pour la première
fois , exposé des paysages . L'accent des premiers maîtres
s'y trouve réuni à la douceur de la couleur , à la
finesse du pinceau , et place cet artiste sur la ligne des
plus grands talents .
Je dois un coup-d'oeil à Vandaël , peintre de fleurs
et de fruits .
Les trois petits tableaux qu'il a présentés sont sans
doute d'un genre moins important que ceux de l'année
dernière ; mais c'est la même transparence de couleur ,
la même vérité , la même perfection.
Je crois en avoir dit assez pour donner une idée des
richesses que nous offre la peinture , et je passe aux
dessins qui , ainsi que la gravure , en sont des dérivés .
En m'occupant des dessins , je rejetterai ceux qui ne
supposent qu'une minutieuse patience , et ne présentent
que des imitations plus ou moins faibles des ouvrages
produits , dans ce genre , par Isabey.
Cette manie de réduire cet art , a la fatigue de
remplir un espace donné , par des points rangés ave
NIVOSE AN X. 121
S
S
Ee
es
ne
-nt
es
de
e:
un soin extrême , a perdu un grand nombre d'élèves ,
et a fait des manouvriers de dessins , au lieu de dessinateurs.
La distance qui existe entre les premiers et les seconds
, est facile à apprécier ; je ne parlerai donc que
de ceux qui joignent au génie qui conçoit , le talent
de rendre leur pensée avec grace et simplicité.
Je citerai dans cette classe Boichot , habile statuaire.
Le caractère de ses ouvrages rappelle celui de Pinnatice
; ses compositions sont originales , ses groupes bien
disposés , son style fermé et gracieux ; les mouvements
de ses figures fins et animés.
Prud'hon , déja counu par plusieurs dessins et des
ouvrages d'un vrai mérité , a exposé un dessin allégorique
représentant la paix ; l'ordonnance en est riche
ét noble.
Chaudet , statuaire du premier ordre , a pris ses
sujets dans la tragédie d'Athalie. Ces dessins sont remarquables
, ainsi que ses autres ouvrages , par la
finesse d'intention et par la pureté du style..
Moreau jeune étonne par sa fécondité. Ses charmantes
vignettes sont toujours d'une composition agréable
, et souvent d'un très-bon style. Personne n'est plus
adroit dans l'invention de ses fonds , aussi variés que
multipliés, et qui présentent presque toujours des moyens
aussi heureux que nouveaux .
Je dois aussi parler avec éloge de Barabaud. Il rend
avec vérité l'image des oiseaux et des insectes ; ils sont
peints sur papier vélin , et de grandeur naturelle . Ce
genre présente plus de difficultés qu'on ne le croit
communément ; il exige une parfaite connaissance des
objets à représenter , et dans l'imitation une fidélité
scrupuleuse qui satisfasse également et le naturaliste ,
et l'homme instruit dans les arts .
122 MERCURE DE FRANCE ,
GRAVURE.
Que ne m'est -il permis d'accorder à la gravure les
louanges qu'il m'a été si doux de donner à la peinture
et aux dessins ? Mais nous ne pouvons nous dissimuler
que l'art de la gravure est loin de la perfection dont
il pouvait s'enorgueillir au temps des Edeimet et des
Audran.
On pourrait en accuser , dans nos graveurs modernes ,
leur ignorance presque générale de l'art du dessin , et
dans leur soin minutieux de ranger avec propreté les
tailles plus ou moins multipliées. Application stérile
qui les distrait et les empêche d'étudier le caractère
des maîtres qu'ils traduisent. Cependant nous exceptons
de cette censure générale , Desnoyers et Geofroy. Desnoyers
a représenté , d'après le tableau de Carrafe ,
l'Esperance soutenant l'homme jusqu'au tombeau . On
trouve , dans cette estampe , assez de ton , de la douceur
et de l'intelligence dans le travail ; d'ailleurs le
caractère de l'original est fort bien conservé.
La manière de Geofroy est agréable. Ses estampes
ont de l'effet .
Nous croyons aussi que si d'habiles artistes , que nous
pourrions citer , eussent exposé cette année , nous aurions
pu multiplier de justes éloges .
me
Nous sommes loin d'égaler les anciens dans la gravure
en pierres fines et en médailles. Nous n'avons
distingué que Jeuffroi dont le goût approche fort du
goût antique . Son portrait de M. Bonaparte est fin
et d'un beau travail . Les talents de Simon Dror et
Andrieux appellent aussi l'attention. Il nous semble
qu'on devrait encourager cet art difficile qui , par la
nature du travail et des matières employées , laisse des
monuments durables et précieux à l'histoire .
NIVOSE. AN X. 123
S
1
t
e
a
28
SPECTACLE S.
THEATRE DU VAUDE VILL E.
2
NOUVEAU succès d'une petite pièce tirée d'un nouveau
roman . C'est Ida ou Que deviendra - t-elle ? Il est
aisé de deviner ce qu'elle deviendra . Elle est jolie et
sage. M. Polten , bon allemand , est honnête et sensible
. Elle ne possède, qu'une robe de toile , et elle la
donne à sa pauvre voisine. M. Potten lui donne une
bourse pleine d'or ; elle enrichit encore sa voisine du
présent de son bienfaicteur. Qui pourra résister à tant
de graces et de vertus ? Ce ne sera sûrement pas
M. Potten . Il finit par épouser la charmante Ida. Et ne
croyez pas que son bonheur lui ôte rien de sa modestie !
Elle vient encore s'incliner devant le public , et lui dire,
en jolis vers , ce que je vais traduire en mauvaise prose.
Si la pièce tombe , c'est la faute de l'auteur qui n'aura
pas su tirer parti du roman. Si l'ouvrage est applaudi ,
c'est au roman seul à qui l'auteur de la pièce devra son
succès. Et le public alors d'applaudir ; et la modeste
Ida est aussi bien traitée par tous les bons Français
qu'elle le fut par le bon Allemand .
A qui doit-on ce nouveau succès ? A Radet qui a
fait la pièce , et à M.lle Desmare qui a joué le rôle
d'Ida.
0.
L'abondance des matières nous oblige de remettre
Particle des autres spectacles au N. ° prochain..
124 MERCURE DE FRANCE ,
+
ANNONCES.
EUVRES de Plutarque , traduites par J. Amyot , avec
les notes de MM. Brotier et Vauvilliers ; nouvelle édition
, revue , augmentée de la version de divers traîtés
et fragments inédits de Plutarque , par E. Clavier;
proposée par souscription , en 25 vol. in-8. ° , ornés de
fig. en taille -douce , et d'un grand nombre de portraits
des hommes illustres , ou monuments antiques
ayant traits à leurs vies . A Paris , chez Cassac , imprimeur-
libraire- éditeur, rue Croix - des- Petits - Champs ,
p.º 33 ; à Lyon , chez Maire ; à Rouen , chez les
frères Vallée , ainsi que chez les autres libraires les
plus acrédités de France et de l'étranger.
On paye en souscrivant :
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Pour le gr. in-8. °
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(gr. rai. fin . 17fr.
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15
6 fr. nc. )
12 .. 50 le vol .
J 8fr. 50c .
et 16. 50 le vol .
Au moyen de ce payement de souscription fait d'avance
les tomes 24 et 25 seront livrés aux souscrip→
teurs , à la présentation de la reconnaissance .
2
Cet ouvrage se continue avec succès . La 3. livraison
qui vient de paraître , est composée des tomes 5 et 6
des vies des hommes illustres. L'exécution typographique
de ces deux vol. , ne le cede en rien à celle des précédentes
livraisons. Les six vol . imprimés sont ornés de 10 fig.
en taille- douce ; et de 37 médaillons artistement gravés
en bosse , dont l'impression se fait en même temps
que celle de l'ouvrage. Cette découverte , susceptible
de perfection , démontre suffisamment son utilité , surtout
dans le style lapidaire où il n'est besoin que du
simple trait ; l'exécution de cette intéressante entreprise
en fera peut- être mieux connaître tout l'avantage . H
ne faut pas s'attendre à trouver la finesse du burin ,
dans la description de ces médaillons ou monuments ;
mais bien des traits mâlement tracés , quelquefois même
NIVOSE AN X. 125
e
S
DS
le
T-
3 = g :s
;
me
de la rudesse , comme dans les têtes d'Hercule , de Brutus
; que nous représentent ces froids monuments de
l'antiquité , ceux mêmes composés des métaux les plus
purs , ou les pierres les plus précieuses ? Que de simples
traits. Si l'art a quelquefois cherché à tromper la nature
, c'est presque toujours en s'écartant de la vérité.
Ces monuments ne sont donc pas un vain ornement
de luxe , mais une réunion de portraits des grandshommes
échappés à la destruction du temps , exposés
dans cet ouvrage comme dans une galerie , a l'admiration
du lecteur. L'éditeur peut donc se flatter que
cette nouvelle édition , parée de tous ces monuments
et enrichie des notes du C. Clavier , sera favorablement
accueillie du public.
La modicité du prix attribué à chacun des vol . , obligera
le C. Cussac à fermer incessamment la souscription
; ceux qui n'auront pas souscrit payeront alors l'ouvrage
plus cher. Le public en sera prévenu quelques
jours d'avance.
Les tomes 7 et 8 paraîtront vers les premiers jours
de pluviose.
VUES , costumes , moeurs et usages de la Chine ; par
Alexandre, dessinateur attaché à l'ambassade du lord
Macartney , annoncés dans le dernier Mercure. Le
prix de chaque livraison , imprimée sur beau papier ;
est de 3 fr. , et de 3 fr. 25 cent , franc de port . On a
tiré un petit nombre d'exemplaires sur papier vélin .
Prix , 5 fr . A Paris , chez S. Simon , graveur, rue Saint-
Jacques , n. ° 77 , et F. Buisson , imprimeur-libraire ,
rue Hautefeuille , n.º 20 .
La seconde livraison a suivi de près la première et
ne lui est pas inférieure .
JOURNAL général de littérature étrangère , ou Indicateur
bibliographique et raisonné des livres nouveaux
en tous genres , cartes géographiques , etc. etc. , qui
paraissent dans les divers pays étrangers à la France ;
avec la Notice des Sociétés savantes et des prix qui
y ont été proposés , les nouvelles découvertes et inventions
, la nécrologie des écrivains et artistes célèbres
de l'Europe etc. Douze cahiers ou première
année complète. Prix de la souscription , pour l'année ,
21 francs , franc de port. Chez Treuttel et Würtz ; à
"
126 MERCURE
DE FRANCE
,
Paris , quai Voltaire 2 n. 2 ; et à Strasbourg,
grand'rue , n.º 15.
"
Parmi les entreprises utiles au progrès des sciences
et des lettres , il faut distinguer le Journal Général
de Littérature . Nous avons maintenant sous les yeux
une année de ce recueil , et il justifie les espérances
qu'il avait annoncées . On ne peut qu'applaudir à
l'ordre de la distribution à la variété des sujets , à la
modération des jugements. Dans la courte Notice qu'ils
donnent de chaque ouvrage , les rédacteurs n'ont point
prétendu donner un extrait qui dispensât de recourir à
F'original. Ils ont voulu seulement exciter la curiosité
en annonçant toutes les productions dignes de quelque
intérêt qui ont paru en Angleterre , en Hollande , en
Suède , en Danemarck , en Allemagne , en Suisse , en
Italie , en Portugal et en Espagne. C'est un guide instructif
qui sera souvent consulté par les savants et les
écrivains qui ont besoin de rassembler des faits ou des
opinions.
Nous avons aussi remarqué dans ce recueil plusieurs
Notices sur l'état présent des lettres , des Sociétés savantes
, etc. chez différents peuples du Nord et du Midi
de l'Europe. Ces détails entièrement inconnus parmi
nous sont aussi précieux par leur nouveauté que par
recherches qu'ils supposent.
les
Le journal de Littérature étrangère , correspond
à un Journal ou Indicateur général de la Littérature
française , rédigé dans les mêmes vues , et que les
mêmes libraires publient depuis quatre années.
MANUEL de la justice de paix , ou Traité des différentes
fonctions civiles et criminelles des officiers
publics qui y sont attachés , avec des formules d'actes
et un recueil chronologique des lois intervenues sur
cette matière , rédigé d'après les bases établies par la
loi du 8 pluviose an 9 ; par A. F. N. Levasseur ,
ancien jurisconsulte, 1 vol. in - 8. ° broché , 4 fr. , et
franc de port 5 fr.
I
Cet ouvrage contient deux parties. La première traite
des fonctions civiles de la justice de paix :
#
1. Comme tribunal contentieux , la compétence , la
demande , l'instruction , les incidents , le jugement et
ses suites.
NIVOSE
AN X.
127
7
2. Comme bureau de conciliation , quelles affaires
doivent y passer , la citation , le procès-verbal à dresser.
A Paris , chez Garnery , libraire , rue de Seine , hôtel
Mirabeau.
MANUEL et nouveau style des huissiers , contenant ,
dans l'ordre alphabétique , l'analyse des lois relatives
à leurs fonctions , et les formules des actes qui se
font par leur ministère , tant au civil qu'au crimi
nel ; avec un supplément et le texte entier des lois
des 13 brumaire , 22 frimaire an 7 , et 27 ventose
an 9 , sur le timbre et l'enregistrement ; par l'auteur
du Manuel alphabétique des maires , de leurs adjoints
et des commissaires de police. Prix , 2 fr . 50 cent. ,
et franc de port 3 fr. 50 cent. A Paris , chez Garnery
, libraire , rue de Seine , ancien hôtel Mirabeau.
An 10-1801 .
PRINCIPES d'économie politique , ouvrage couronné
par l'Institut national , dans sa séance du 15 nivose
an IX ( 5 janvier 1801 ) ; et depuis revu , corrigé et
augmenté par l'auteur ; par N. E. Canard , ancien
professeur de mathématiques à l'Ecole centrale de
Moulius. Un volume in - 8. ° de 250 pages. Prix 3 fr.
broché , et 3 francs 75 centimes , franc de port par
la poste. A Paris , chez F. Buisson , libraire- imprimeur,
rue Hautefeuille , n.º 20.
TOME VI . et dernier des Constitutions des principaux
états de l'Europe , et des Etats - Unis d'Amérique ;
par J. V. de la Croix , ancien professeur de droit
public au Lycée , etc. I vol . in- 8. ° de 440 pages ,
avec une table alphabétique , très - ample , des matières
contenues dans les 6 volumes . Prix , 4 fr . 50 c. ,
et 5 fr. 50 c . par la poste , franc de port.
L'ouvrage complet en 6 volumes , coûte 27 fr . , et
34 fr. , franc de port. On invite les personnes qui ont
les premiers volumes de cet ouvrage , à se compléter
incessamment. A Paris , chez F. Buisson , imprimeurlibraire
, rue Hautefeuille , n . ° 20.
DE l'Energie de la Matière , et de son influence sur le
systeme moral de l'univers ; par Jean - François- Marie
Ďaon. A Paris , de l'imprimerie de Didot jeune.
JOURNAL de l'instruction publique ; par une société
de gens de lettres .
L'éditeur n'a rien négligé pour mériter les suffrages
128 MERCURE DE FRANCE ,
du public : il s'est adjoint des collaborateurs versés
dans la littérature , les sciences et les arts ; il fait ,
d'ailleurs , un appel aux savants , aux gens de lettres ,
et aux professeurs des écoles centrales ; il cherchera
moins à paraître qu'à faire connaître les auteurs ; ce
journal ne devant pas simplement se borner à des analyses
, mais devant être comme un salon littéraire et
scientifique où l'on exposera , dans leur entier , les ouvrages
d'une certaine étendue .
Ce journal paraîtra , le 5 de chaque décade , par cahier
de quatre feuilles in-8. ° , caractère cicero. Le prix de
l'abonnement est de 40 fr . par an , de 22 fr. pour six
mois , et de 12 fr. pour trois mois.
Le premier numéro de ce journal paraîtra le 5. de
-nivose.
Il faut adresser , franc de port , les abonnements et
les demandes de toute espèce au directeur du Journal
de l'Instruction publique , rue du Bacq , hôtel des Colonies
, n.º 1066 ; et chez tous les directeurs de la poste
'aux lettres .
On ne recevra point de paquet qui ne soit affranchi .
Ce journal comprendra les lois , règlements , arrêtés
et décisions touchant la matière des cultes ; les lois
relatives à l'instruction publique ; le tableau des principaux
établissements publics et particuliers , consacrés
à l'instruction de France et chez les peuples. voisins ;
les mémoires sur les arts et les sciences , des réflexions
sur les divers genres de littérature , des mélanges en
vers et en prose ; les consultations , mémoires , plaidoyers
et jugements des causes célèbres ; les institutions
, les spectacles , les fêtes nationales , sous le rapport
de la morale , des arts et des sciences ; les actes
de vertus et d'héroïsme , les bons-mots et nouvelles
littéraires , les expériences nouvelles ; une notice sur
la vie et les ouvrages des savants , des littérateurs et
des artistes distingués ; un bulletin typographique et
bibliographique universel de livres , cartes géographi-
´ques , gravures et oeuvres de musique ; enfin , tout ce
qui concerne la régénération des moeurs la propagation
des lumières , le progrès et la prospérité des arts
et des sciences,
NIVOSE AN X.
129
POLITIQUE.
EXTÉRIEUR.
SUITE du Précis sur l'état de l'Europe et de la
Suède .
GUSTAVE -ADOLPHE succomba à Lutzen, au sein même
de la victoire , et quoique l'impulsion qu'il avait donnée
aux affaires se prolongeât encore quelque temps après
lui , sa mort permit la paix à l'Europe. Des hommes
de cette force , nécessaires au mouvement général du
monde , sont incompatibles avec le repos qui doit succéder:
ils ressemblent aux tempêtes envoyées de temps en
temps pour donner à l'air une agitation salutaire , et c'est
pourquoi ils naissent et meurent toujours à propos.
La France , qui n'avait voulu que troubler l'Allemagne
, et non y élever une puissance formidable , rassurée
par la mort de Gustave sur les progrès de la
Suéde , se servit d'elle pour conclure la paix , comme
elle s'en était servi pour faire la guerre ; elle cacha
son influence derrière la médiation de la Suède , et
si celle- ci garantit à l'Allemagne sa constitution , la
France , par son alliance et ses subsides , garantit à la
Suède sa puissance. C'était , de part et d'autre , promettre
plus qu'on ne pouvait tenir , et garantir ce
qu'on ne pouvait assurer. L'auteur de cet article a
considéré ailleurs ce fameux traité de Westphalie .
événement peut - être le plus décisif de l'histoire moderne
, où la France ébranla la religion ancienne
de l'Europe pour en affermir la politique nouvelle.
Dans ce traité, la constitution germanique , aristocra-
* Du traité de Westphalic. Chez Lenormand , rue des
Prêtres- Saint-Germain ,
+
7. 9
130 MERCURE DE FRANCE ,
tique dans ses formes , mais monarchique dans son
esprit et son principe , devint au contraire aristocratique
dans le principe , et monarchique seulement dans
sa forme. Cette constitution si vantée , comme si la
nécessité de la garantir ne supposait pas la certitude
de son impuissance , conserva une force suffisante pour
empêcher le prince de Neuwied et son voisin le prince
d'Isembourg , de guerroyer l'un contre l'autre , à la
tête de leurs domestiques , ou les bourgeois d'Ulm
d'aller brûler les faubourgs de Ratisbonne ; mais elle
n'a pas empêché la France de s'étendre en Allemagne
, l'empereur de s'y accroître , même de nouveaux
royaumes de s'y former ; et cette constitution ne sera
jamais qu'un moyen lent , mais sûr , d'amener sans trop
de déchirements et de troubles , la Germanie entière
sous la domination de deux à trois puissances , La paix
de Westphalie a eu , sous d'autres rapports , une influence
plus décisive . Elle a fait germer l'indifférentisme
pour toute religion , en consacrant la rivalité dẹ
tous les cultes , et elle a préparé ainsi les voies à la
philosophie moderne et à la révolution qui pèse sur
l'Europe.
Les braves Suédois qui avaient été l'honneur de leur
pays et la terreur de l'Allemagne , nés dans la guerre ,
élevés pour la guerre , périrent dans la guerre , et
très - peu revirent leur patrie. Les restes de ces troupes
valeureuses passèrent au service de la France , où leur
nom s'est perpétué , comme leur esprit , dans les deux
régiments de Royal- Suédois et de Royal- Allemand.
Gustave-Adolphe ne laissa qu'une fille qui hérita de
sa couronne et même de son esprit . Sans doute pour
gouverner la Suède , au sortir de la guerre de trente
ans , et apaiser ce lion irrité d'un si long combat , une
femme habile valait mieux qu'un homme médiocre
mais Christine qui , toute disposée qu'elle était à la
religion romaine qu'elle embrassa depuis , n'avait pas
NIVOSE AN X." 131
1.
ir
Br
et
Des
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UX
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ute
une
re;
la
раб
les faiblesses de la dévotion , avait la faiblesse du bel
esprit , plus opposée que toute autre à l'esprit de gouvernement
; lasse des devoirs de la royauté , et plus
jalouse de la liberté de ses goûts , promena dans toute
l'Europe son inquiétude et peut-être ses passions , et
finit ses jours à Rome , asile le plus décént des rois
détrônés , parce que Rome appartenant , comme centre
de la religion de l'Europe , à tous les états , les rois
n'y sont sujets de personne , même alors qu'ils ne sont
plus souverains.
Dans l'origine d'une société , les chefs forment leur
nation , mais la nation une fois formée doit former
ses chefs. C'est ce qui arriva en Suède lors de l'abdication
de Christine , et les trois princes de la maison
des Deux-Ponts qui se succédèrent , furent tous dignes
de recueillir l'héritage de Wasa , austères , vigilants ,
belliqueux , fermés dans le commandement , et même.
portant ces qualités à l'excès , et jusqu'à se faire redouter
de leurs sujets et haïr de leurs voisins.
La Suède , destinée à faire des révolutions partout
où elle porte ses armes , avait fait une révolution en
Allemagne sous Gustave - Adolphe ; plus tard Charles
XII hâta la révolution de la Russie ; Charles X , son
grand père , successeur immédiat de Christine , mit
le siége devant Copenhague , et ce siége , sans fruit
pour la Suède , fut pour le Danemarck l'occasion de
la révolution de 1658 , dans laquelle les Danois , fatigués
de l'aristocratie des grands , se soumirent à l'autorité
royale sans réserve , avec une plénitude de dépendance
et une bassesse , ou plutôt une abjection
d'expressions à laquelle , deux cents ans plutôt , aucune
nation chrétienne ne serait descendue . Mais la
religion réformée avait fait perdre de vue à la société
le principe du pouvoir , et par conséquent la mesure
de l'obéissance. Elle avait posé comme un dogme fon132
MERCURE DE FRANCE;
damental que la souveraineté vient du peuple , et en
même temps elle avait attribué au magistrat la suprématie
de l'autorité religieuse ; en sorte que , donnant
à la fois aux peuples et aux rois ce qui n'appartient
qu'à Dieu et à ses ministres , elle avait mis la rivalité
à la place des rapports , et placé la société entre la
licence populaire et le despotisme royal.
Ce despotisme , au reste , a été tempéré en Danemarck
, comme il l'est dans la Hesse et dans la Prusse ,
par les vertus personnelles des souverains , et il aboutit
à la langueur et non à la violence.
"
or
"
"
Nous avons parlé de Charles XII à l'article de la
Russie , de ce prince qui semble un composé de l'antique
et du moderne , brave comme Achille et comme
Turenne , austère comme un stoïcien et un anachorète
, zélé pour la discipline chrétienne dans ses armées,
au point que son historien remarque « qu'on faisait
toujours dans son camp la prière deux fois par jour ,
qu'il ne manqua jamais d'y assister et de donner à
ses soldats l'exemple de la piété comme de la valeur.
La vie de Charles XII a été écrite par M.
de Voltaire , avec la simplicité de style qui convenait
si bien à la grandeur romanesque du héros ; mais on
lui reproche de l'inexactitude , comme si tout devait
être fabuleux dans Charles XII , et même son histoire.
Les expéditions de Charles XII achevèrent d'épuiser
la Suède d'hommes , tellement que plusieurs années
après , et même dans des temps voisins du nôtre , les
femmes s'y livraient aux travaux les plus rudes , et selon
le rapport d'un voyageur , servaient de postillons dans
les postes aux chevaux .
"
L'ardeur effrénée pour la guerre extérieure avait été
en Suède , comme elle l'est dans tout état , l'effet d'un
vice intérieur de constitution qui se développe avec violence.
Lorsque son épuisement , et aussi l'affermissement
NIVOSE AN X. 133
it
re.
Ser
ées
les
Jon
aps
eté
'un
ioent
it
du système politique du nord , ne permirent plus à
la Suède ces fréquentes éruptions , alors l'aristocratie
du patriciat suédois ( car partout où un ordre de citoyens
a quelque part au pouvoir législatif , il y a
un patriciat électif ou héréditaire , et il n'y a pas de
noblesse dont l'essence est de servir l'état et non de
le gouverner ) , l'aristocratie , dis - je , affaiblie par la
continuité d'une même race et de rois toujours forts ,
se réveilla à la mort de Charles XII . Elle trouva l'occasion
favorable dans l'accession au trône de la princesse
soeur du dernier roi , que les états obligèrent de
renoncer solennellement à tous droits héréditaires , et
bientôt après , dans l'élévation d'une race étrangère . Il
en résulta une lutte qui n'est peut -être pas encore
terminée entre la royauté et le patriciat ; lutte dont les
chances ont été variées selon le caractère des chefs.
Les puissances étrangères prirent part dans la querelle
; la Russie , par des craintes récentes , la France
par d'anciens souvenirs , et toutes deux avec aussi peu
de motifs l'une que l'autre ; car la Russie alors n'avait
pas plus à craindre de la Suède que la France ne pouvait
en espérer. Cette guerre intestine où les deux
partis , les bonnets et les chapeaux , se distinguèrent
comme en Angleterre et même ailleurs , par le genre
de coiffure , affaiblit la Suède par la division qu'elle
produisit , avilit , les Suédois par la vénalité scandaleuse
qu'y introduisirent les intrigues des deux puissances
qui combattaient , l'argent à la main , dans le sénat
et les diètes. Lorsque le patriciat triomphait , ce qu'on
appelait dans un parti , et particulièrement en Russie ,
le triomphe de la liberté , l'autorité royale était.comprimée
au point de ne plus être qu'une dignité de
pure représentation à peu près semblable au dogat de
de Venise , et funeste au bonheur de la Suède , parce
qu'elle était inutile à sa défense. Bientôt , comme l'abus
134 MERCURE DE FRANCE ,
7
de deux cents pouvoirs est bien plus pesant , bien plus
excessif que l'abus d'un pouvoir , les haines privées se
joignirent aux oppositions politiques , et des patriciens
vindicatifs , non contents d'avoir ôté au roi toute influence
publique , le tourmentaient méme dans ses
affections privées , et les choses furent au point qu'en
la diète de 1756 , ils voulurent lui ôter jusqu'à la direction
de l'éducation de son fils . Cependant le gou
vernement distrait par cette guerre , entre la` nation
et sa constitution , ne pouvait se défendre contre
l'étranger , et la Suède perdait peu à peu toutes les
conquêtes qu'elle avait gagnées par les faits d'armes
les plus mémorables , et qui lui avaient été assurées
par les traités les plus solennels.
L'autorité royale devait s'anéantir sans retour , ou
réagir avec force , et cette loi est de l'ordre moral
comme de l'ordre physique. Elle réagit , il y a peu
d'années , et fit , avec l'argent de la France et les
talents de son ambassadeur , la célèbre révolution qui
rendit au père du roi régnant l'autorité , et qui fut
effectuée sans troubles , sans effusion de sang ,
avec de
la force sans violence , comme toutes les opérations où
les hommes secondent la nature .
Mais cette révolution fut plutôt celle des hommes
que celle des institutions . Le sénat fut abaissé , mais
il subsista toujours prêt à se ressaisir de l'autorité , et
d'autant plus redoutable qu'il confondait des ressentiments
récents avec d'antiques prétentions. Les premiers
effets de ces fâcheuses dispositions se firent sentir dans
la guerre que la Suède déclara à la Russie ; et où
le roi se montra digne de son rang , et de ses prédécesseurs
, et de sa nation . Plusieurs de ses officiers
l'abandonnèrent , dans l'opinion sans doute que la cause
de leur pays était mieux aux mains de la Russie qu'en
celles de leur propre souverain , ou que la Suède ne
REP.F
$
S
e
NIVOSE AN X.
pouvait être libre que lorsqu'elle serait gouvernée p
trois ou quatre cents sénateurs. Quelques années après
la haine des patriciens contre le roi éclata avec fureur
, et produisit l'attentat dont je crois que la Suède
était pure encore et qui fut tramé par un vieux
général , et exécuté par un jeune officier des gardes.
L'horreur qu'il inspira , autant que la fermeté du régent
, empêcha le patriciat d'en recueillir le fruit , et
il semble même qu'il ait tourné à l'avantage de la
couronne , s'il est vrai , comme l'ont dit les journaux ,
qu'un certain nombre de sénateurs ayent , à la diète
de Norkioping , donné la démission de leur noblesse ,
c'est- à - dire , du pouvoir de gouverner l'état , car on
ne peut renoncer à le servir. Si cela était , la Suède
serait sortie de l'enfance , et il serait temps de conjecturer
ce qu'elle peut devenir.
La Suède , et l'on peut dire aussi la Norwège , manquent
d'habitants * ; et ces contrées qui ont envoyé
de nombreuses colonies dans toute l'Europe , sont aujourd'hui
à moitié désertes . On ne peut attribuer cette
dépopulation au climat , ni même uniquement aux
„guerres après lesquelles la population se rétablit promptement
, lorsqu'elle n'a pas à combattre quelque autre
cause ; la raison de la dépopulation d'un pays civilisé
ne peut être que dans ses habitudes et ses institutions .
Le commerce maritime , très -périlleux dans les mers
du nord , où l'on a vu , cette année , jusqu'à deux cents
vaisseaux naufragés sur la côte de Scanie , peut affaiblir
la population de la Suède. La guerre ne consomme
que des célibataires , mais la navigation consomme
les pères de famille , et elle doit être plus
* J'ai lu quelque part que la Norwège ne s'était jamais
remise de la peste du quatorzième siècle qui commença
dit - on , au Cathai , près du Japon , et parcourut toute l'Europe.
136 MERCURE DE FRANCE ,
funeste à la population d'un pays qui n'a point de
colonies pour réparer les pertes de la métropole . L'excessive
intempérance des peuples du nord , et leur goût
pour les liqueurs fortes , qui tient un peu du sauvage ,
compromet annuellement la subsistance en pain de la
Suède par l'énorme quantité de grains que, consomme
la distillation des eaux - de -vie ; et , qui sait même si
l'excès de cette boisson ardente ne produit pas un effet
contraire à celui que Montesquieu attribue à la consommation
abondante du poisson dans les ports de mer ?
A conjecturer les destinées de la Suède sur des circonstances
locales et des considérations naturelles qui
prévalent à la longue sur tous les motifs particuliers
des hommes , la Suède doit perdre avec la Russie
et gagner sur le Danemarck. La Russie , en plaçant sa
capitale à une extrémité , s'est imposé la loi d'étendre
de ce côté sa frontière , et la portera sans doute jusqu'au
golfe de Bothnie , vers lequel elle a déja fait un pas.
La Suède , bornée de ce côté par la mer et la Russie ,
doit , ce semble , s'étendre sur la Norwège , séparée
de tout autre état , même du Danemarck , par la mer ,
contigue à la Suède dans sa plus grande longueur , et
sur laquelle le roi de Suède prétend d'anciens droits
de propriété. La Laponie danoise suivrait le sort de
la Norwège , et alors la Suède , adossée aux extrémités
du monde , acquerrait , par la nature des hommes
et des lieux , en force de résistance , ce qui lui manquerait
en moyen d'agression .
Le Danemarck n'est pas , à beaucoup près , dans
une position aussi stable. Composé de parties anciennement
plutôt que naturellement réunies , continental
à la fois et maritime , et partageant moins les avan-
* C'est un goût aujourd'hui très - répandu en France , et
qu'elle doit à la révolution .
NIVOSE AN X.
137
es
_nans
ental
tages que les inconvénients de cette double situation ,
'il offre à l'ambition de la puissance qui grandit au
nord de l'Allemagne le fertile pays du Jutland et du
Sleswick , et la Norwège à l'ambition de la Suède .
Ces deux belles îles d'Odensée et de Fionie recevraient
la loi de deux parties voisines du continent , et malheureusement
le Danemarck , devenu trop commerçant
pour faire la guerre lui - même , ne l'est pas assez pour
payer. La constitution de tout état qui , pour se défendre
, consulte le cours du change , est à peu près
comme le tempérament d'un homme qui consulte ,
avant de sortir de chez lui , le temps qu'il fait. Un
état commerçant , dit J. J. Rousseau , ne peut se con--
server libre qu'à force de grandeur ou de petitesse , et
le Danemarck n'est pas assez fort , ou n'est pas assez
faible. (La suite aux numéros prochains) .
INTÉRIE U R.
SUR LA RÉVOLUTION.
la
Es opinions et les erreurs se multiplient à mesure qu'on
perd de vue les principes. Ceci est généralement vrai ,
et peut expliquer comment depuis un demi- siécle et plus,
nous sommes accablés d'ouvrages sur l'éducation , de
traités sur la politique , d'essais sur l'art de gouverner.
A force de raisonnements profonds et d'analyses subtiles
, on est arrivé à la folie , et de la folie à la fureur.
Sans doute l'homme qui se trompe est plus excusable
l'homme qui veut et commet que le crime. Mais en politique
, comme dans un ordre de choses plus élevé , l'erreur
est plus funeste que le crime ; car le crime passe ,
et l'erreur subsiste ; devenue principe , elle serait bientôt
la source même des crimes ; et telle est celle que
repousse le C. Fiévée dans un écrit de quelques pages * ,
* Du Dix-Huit Brumaire , opposé au Système de la terreur.
A Paris , chez Maradan , libraire , rue Payée Saint-
André- des-Arcs , n 16. An X.- 1802 .
138 MERCURE DE FRANCE ,
desquelles on peut dire , sans crainte d'être démenti , et
presque sans restriction , que la raison les avoue ' , et que
I'histoire les réclame.
"
"
"
Un ouvrage récent contient cette étrange assertion .
« C'est au terrorisme que la France elle - même , dans sa
position topographique , doit cette majestueuse et re-
« doutable contenance qu'elle s'est donnée , en s'appuyant
sur le Rhin , les Alpes , les Pyrénées , l'Océan
« et la Méditerranée . Ce sont les armées de Robespierre
qui ont tracé ces limites ...."
On sent bien que cette monstrueuse erreur ne résiste
pas au premier examen. Aussi tombe - t - elle aussitôt devant
la distinction que le C. Fiévée établit entre le terrorisme
et l'esprit militaire ; l'un , moyen de conservation ,
l'autre , de destruction ; l'un , pouvoir et force , l'autre ,
impuissance et faiblesse ; l'un , qui corrige ou fait naître
les circonstances , l'autre , qui leur obéit ; celui - ci enfin ,
toujours inquiet parce qu'il est coupable ; cruel , parce
qu'il est lâche ; menaçant , parce qu'il tremble : celui - là
tranquille , modéré , pacifique , parce qu'il prévoit , parce
qu'il peut , parce qu'il règle les choses et se confie aux
hommes ( Mais l'esprit militaire n'est pas le gouvernement
militaire) .;
Ces idées sont parfaitement développées dans l'ouvrage
que nous annonçons , et particulièrement dans le chapitre
VI.me , où l'auteur venge les armées françaises qui
n'étaient pas les armées de Robespierre , et montre comment
nous avons vu à la fois l'excès de la honte au- dedans
, l'excès de la gloire au - dehors.
Au reste , nous ne prétendons pas faire connaître ici
tout ce que cet écrit renferme de vérités importantes et
fécondes. Il faut le lire : On y verra toute la révolution ,
et l'assemblée constituante qui renverse tout avec ses
principes éternels , ses raisonnements sublimes , ses
vues libérales ; et l'assemblée législative , envoyée pour
assister à la chute de l'ancien gouvernement ; et la
convention , qui gouverne en parlant , et ne parle
que les livres des écrivains politiques -philosophes à la
main ; et le directoire qui veut régulariser les effets
de la terreur , et se perd dans ses conceptions métaphysiques
; enfin le 18 brumaire , et le consulat , qui
arrête la révolution et nous rend l'espérance . C'a été
(
NIVO'SE AN X. 139
eci
et
11 ,
ses
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Our
la
rle
la
fets
taqui
· en quelque sorte le conclusum de cette grande et terrible
leçon que la Providence a voulu donner aux peuples,
et aux rois pour les ramener réciproquement à leurs devoirs.
Nous transcrivons seulement les dernières pages ,
qui offrent un parallèle aussi juste que précis entre les
résultats de ces deux principes de gouvernement , le
terrorisme et l'esprit militaire , si le terrorisme peut être
appelé un principe , ou n'est pas plutôt l'absence de
tous .
"
L'esprit de la terreur a régné sur la France sans
aucune influence de l'esprit militaire ; il en est résulté
pour le gouvernement , le comité de salut public.
L'esprit militaire est venu ; il a créé le gouvernement
consulaire . Jugeons par les faits , c'est la seule manière
de ne pas se tromper .
Qu'a voulu la terreur ?
Au profit de la tyrannie , rendre la souveraineté du
peuple active.
Aujourd'hui , au profit de la tranquillité publique , la
souveraineté du peuple , entièrement passive , est un
hommage que le gouvernement se rend à lui - même au
nom de la nation .
Qu'a voulu la terreur ?
Mettre tous les états en démocraties , et toutes les démocraties
dans une seule république .
Aujourd'hui toutes les nations sont respectées dans
leurs gouvernements , et tous les gouvernements sont
appelés , par l'esprit militaire , à fixer les destinées de
l'Europe.
Qu'a voulu la terreur ?
Anéantir toutes les religions , et les remplacer par
le déisme ou l'athéisme , dont les effets , pour la société
, sont absolument les mêmes .
Les religions qui existaient en France , ou qui y sont
arrivées par la réunion de plusieurs pays , compteront
dans les dépenses nationales , et le soin de les protéger
fera partie des devoirs du gouvernement . Un ministrę
est créé pour que la tolérance accordée aux autres religions
ne soit pas un sujet de troubles à venir pour l'état .
La religion de l'immense majorité des Français est de
nouveau rattachée à la grande famille des catholiques
de toutes les parties du monde ; et c'est dans cette im140
MERCURE DE FRANCE ,
portante négociation qu'il faut reconnaître que l'art ,
si difficile de gouverner , ne s'apprend pas dans les livres,
puisque , depuis cinquante ans , tous les livres de philosophie
politique ont eu principalement pour but de
séparer ce que le concordat tend à réunir.
Qu'a voulu la terreur ?
Détruire toutes les propriétés pour enrichir le peuple.
Il est convenu aujourd'hui que la prospérité de l'agriculture
et du commerce , seuls fondements de la richesse
du peuple , tient non - seulement au respect pour
les propriétés , mais à une certaine étendue des propriétés.
Le temps , maintenant , ne servira qu'à rendre
cette vérité plus évidente.
Qu'a voulu la terreur ?
Eterniser les haines par la proscription , et les
criptions par la haine.
pros-
Aujourd'hui les proscriptions et les haines disparaissent
devant l'intérêt de l'état .
Qu'a voulu la terreur ?
Briser les familles par l'émancipation précoce des
enfants et le divorce scandaleux des époux .
Aujourd'hui toutes les lois combattent pour recréer
les familles.
Qu'a voulu la terreur ?
Plonger les Français dans la barbarie , en anéantissant
toutes les distinctions qui naissent du pouvoir , de
l'éducation et de l'emploi des richesses .
Aujourd'hui les distinctions que la politesse des nations
établit , reprennent leur ascendant , parce que la
nation française retourne à la prospérité.
Qu'a voulu la terreur ?
Déraciner toutes les habitudes et n'en préparer qu'une ,
celle de la férocité .
Aujourd'hui nous revenons à nos usages , parce que ,
depuis qu'il nous est permis de nous estimer , nous sentons
que tout fut honorable dans notre ancienne existence
nationale .
Sur quoi reposait le système de la terreur ?
Sur l'ignorance.
Quels étaient ses moyens en politique et en administration
?
Un seul ; la mort.
NIVOSE AN X. 141
Aujourd'hui tout est retour vers l'ordre , tout est conservation
, création ; la promptitude dans le bien est
même écartée comme un moyen que l'on croit dangereux
.
.
Je ne pousserai pas plus loin la liste des oppositions .
Mais il m'a paru nécessaire de remarquer une fois
1.° qu'il y a autant de défaut de vues politiques que de
dangers à absoudre le crime , en lui prêtant des résultats
qu'il n'a pas eus , qu'il ne pouvait pas avoir ; 2,º que
de l'ignoránce la plus profonde de toutes idées sur l'art
de gouverner , il ne pouvait pas naître un gouvernement
énergiquement constitué ; 3. ° que l'agrandissement
de la France n'est pas dû aux armées de Robespierre
, mais aux armées françaises et à la paix ; 4.º que.
la paix n'eût jamais été l'ouvrage du terrorisme , parce
qu'elle dépendait plus encore de grandes conceptions
politiques que de la victoire ; /5.° que ceux dont la folie,
constante fut le renversement de tous les trônes et l'anéantissement
de toutes les religions , n'avaient certainement
dans la tête aucune conception politique ;.
6.° qu'ils n'en pouvaient avoir aucune , parce qu'ils ne
connaissaient rien du gouvernement que ce qu'ils en
avaient appris dans les livres des philosophes ; 7.º que
l'art de gouverner , le plus difficile de tous les arts ,
ne s'apprend pas dans les livres ; 8. enfin , que dans
le moment où nous nous vantions ridiculement de nos
lumières , nous n'en savions plus assez pour pouvoir
soupçonner notre ignorance.
Cette dernière vérité est particulièrement celle que
j'ai desiré établir.
L'auteur a parfaitement réussi ; il a porté cette vérité
et beaucoup d'autres jusqu'à la démonstration . Sans
doute parmi tant de volumes que la révolution a déja
produits , l'écrivain qui sera jugé digne d'écrire son
histoire, distinguera ce petit nombre de pages , et souvent
y trouvera les jugements de la postérité.
On a beaucoup déclamé contre les anciennes méthodes
d'enseignement ; on a imaginé grammaires sur grammaires
, méthodes sur méthodes . On a feint , à l'égard
de l'éducation et de plusieurs autres choses , d'ignorer
142 MERCURE DE FRANCE ,
que le but est atteint et la route tracée. Mais on revient
sur ses pas. On commence à se douter que
tous ces frais d'idéologie , de métaphysique , n'étaient
pas nécessaires , ou même sont dangereux pour de
jeunes esprits. On retourne aux Fénelon , aux Rollin ,
et depuis une ou deux années le public accueille , avec
cet empressement qui suit une disette , de nouvelles
éditions d'excellents ouvrages , que trop d'ouvrages
modernes nous ont appris à estimer.
Un des livres les plus utiles que l'amour des lettres
et le zèle de l'éducation ayent inspirés , c'est le Cours
de latinité de M. Vanière . Les intentions les plus
pures l'ont dicté. La religion et le goût ont présidé
à sa composition . Cet avantage est si rare ! Il est
précieux surtout dans un moment où l'on songe à rétablir
les vraies bases de la morale . Les étrangers
comme les Français y trouvent un moyen aussi sûr que
facile d'apprendre les deux langues française et latine.
L'auteur l'a destiné aux personnes de l'un et l'autre
sexe ; il leur promet qu'elles pourront l'entendre sans
le secours d'aucuh maître . Au moins est - il certain que
le père et l'instituteur pourront en peu de temps instruire
leurs élèves , et leur former à la fois l'esprit et
le coeur. Une autre raison encore recommande le Cours
de latinité. Un grand nombre de jeunes gens ont vu leurs:
études arrêtées par la révolution , ils éprouvent le besoin
de les reprendre , et aucun livre ne leur présente plus !
de facilité avec plus d'agrément et d'instruction.
Le conseiller d'état Dubois , préfet du département
de la Gironde , a autorisé , l'année dernière , les CC.
Rodrigues et Goethals à ouvrir à Bordeaux un Mu
séum d'instruction publique. L'ouverture aura lieu tous
les jours , et commencera vers le mois de thermidor
prochain. Ce museum offrira des collections 1. ° d'objets
d'histoire naturelle ; 2. ° de tableaux , sculptures , dessins
, etc.; 3. ° d'antiques médailles , et objets rares et
curieux . tenant à l'histoire des moeurs de l'homme ;
4.° d'instruments de physique . Il y aura un salon de .
1
་ །
Quatrième édition: A Paris , chez Belin , imprimeurlibraire
, rue Saint-Jacques , u. 22,3 vol. in- 8.9 Prix 10 fr.
et 14 fr . franc de port,
NIVOSE AN X.... 143
lecture , où l'on trouvera une bibliothéque choisie , et
les journaux scientifiques et littéraires . Il sera fait an
nuellément des cours d'histoire naturelle , de physique ,
de chimie , de mathématiques , de théorie , de peinture
, d'astronomie , d'histoire , appliquée particulièrement
à Bordeaux et aux villes voisines. Un journal
consacré aux sciences et aux arts sera publié tous les
mois. L'inauguration des cours , s'est faite le 30
frimaire , en présence d'une nombreuse assemblée.
C'est , il nous semble , une heureuse idée de multiplier
les moyens d'instruction dans les villes commer→
çantes , dans celles surtout qui , comme Bordeaux ,
tiennent par leur commerce au monde entier . La littérature
, le goût des beaux-arts , l'amour des sciences.
doivent peut-être tempérer par des idées plus élevées
et plus généreuses , l'influence trop commune des spéculations
mercantiles. Voyez la Hollande , etc. , etc.
Il est impossible d'assigner les bornes de l'esprit humain.
Nous mettons en avant cet axiome de philosophie
, extrait du prospectus dont nous allons faire
connaître l'objet , et l'on verra s'il était nécessaire de
préparer ainsi le lecteur.
Antonio Callegari , musicien italien , par une méthode
aussi profonde que simple , est parvenu à composer
un ouvrage au moyen duquel les personnes qui
ignorent l'art de la composition musicale , et même
qui n'ont aucune connaissance de la musique , peuvent
composer, sur le champ et sans ta moindre difficulté, des
airs , tels qu'ariettes , romances , chansons , duo et trio .
Ces airs , en nombre presque infini , n'ont entre eux rien
de semblable , et offrent constamment une musique
harmonieuse , de facile exécution , et dans les tons les
plus agréables . Le hasard seul préside à leur composi->
tion ; un enfant de six ans , sans autre guide que son
caprice , fera tout de suite plusieurs morceaux tous
gracieux et pleins de mélodie ; enfin de la musique
italienne. Cet ouvrage , dédié à M. Bonaparte ,'
est en cinq cahiers , contenant environ Ico pages de
12 portées chacune . On souscrit chez le C. Turrel ,
notaire à Paris , rue des Prouvaires , d'ici au 20 pluviose
, et on ne payera qu'en retirant l'ouvrage chez
l'éditeur , le C. Frède- Boudin , rue des Saints - Pères ,
n.º 26 , ou chez le C. Dubut, place Thionville.- Prix ,
12 fr. pour les souscripteurs ; 18 fr. pour les autres .
ms
144 MERCURE DE FRANCE ,
NOMINATION S.
Le C. Otto , nommé ministre plénipotentiaire de la
république française auprès des Etats - Unis d'Amérique
, a été nommé , par arrêté du 9 frimaire , ministre
plénipotentiaire de S. M. britannique , pour en
exercer les fonctions jusqu'à la paix définitive .
Le général Hédouville est nommé envoyé extraordinaire
et ministre plénipotentiaire près S. M. l'empereur
de toutes les Russies .
Quatre arrêtés du 9 frimaire , nomment conseillers
d'état :
Le C. Bigot- Préameneu , section de législation ;
Les CC. Forfait , ex-ministre de la marine , et Bruix,
section de la marine , et le C. Dessolles , section de la
guerre ;
Le C. Grégoire , législateur , a été proclamé membre
du Sénat conservateur ; le C. Hoffmann , receveur du
département du Mont- Tonnerre , remplace , au Corps
législatif, le C. Pison du Galand.
- ·
On a reçu nouvellement les démissions suivantes :
René Demoustiers Démérainville , évêque de Dijon ;
François- Marie Paget , évêque de Genève ; Jean-
Henry Frankenberg , cardinal archevêque de Moulins
; Barthelemy Louis Martin de Chaumont
évêque de Saint - Diez ; Et. Fr. Xavier des Michels de
Champorcin , évêque de Toul ; Ferdinand- Maximilien
Meriadec , prince de Rohan Guemené , archevêque
de Cambray ; Clément Venceslas de Saxe , prince royal
de Pologne , archevêque électeur de Trêves , évêque
et prince d'Augsbourg ; l'évêque de Ruremonde ; Charles
Alexandre d'Arbert , évêque d'Ypres ; Anne-Antoine-
Jules de Clermont-Tonnerre , évêque de Châlons - sur-
Marne ; Camille- Louis- Apolinaire de Polignac , évêque
de Meaux ; Frédéric Charles- Joseph baron d'Hertat ,
archevêque de Mayence , évêque de Worms ; Charles-
Eugène Valpergue , évêque de Nice ; Jean - Marc de
Royère , évêque de Castres.
NIVOSE AN X.
145
Le traité de paix avec la Bavière , conclu à Paris
le 6 fructidor an 9 ( 24 août 1801 ) , et dont les ratifications
ont été échangées le 27 fructidor de la même,
année ( 14 septembre 1801 ) , a été promulgué gomme
une loi de la république , le 17 frimaire derler :
Le premier consul de la république française , au nom
du peuple français , et son altes e sérénissime l'électeur
palatin de Baviere , ayant à coeur de rétablir d'une manière
solennelle et incontestable les anciens rapports
d'amitié et de bon voisinage qui ont subsisté entre la
France et la sérénissime maison bavaro - palatine , avant
la guerre qui a été terminée entre la république française
et l'empire germanique , par le traité de paix
de Lunéville , et à laquelle son alte se électorale avait
pris part , non -seulement moyennant les secours fournis
en vertu des arrêtés de la diete , mais aussi en sa qualité
d'auxiliaire des puissances alliées ; les parties contractantes
sont convenues de constater le retour parfait
d'une bonne harmonie entre elles par un traité de
paix particulier ; et , à cet effet , elles ont nommé pour
leurs plénipotentiaires , savoir : le premier consul , au
nom du peuple français , le cit. Caillard , garde des archives
du ministère des relations extérieures , et son
altesse sérénissime électorale l'électeur de Bavière , le
sieur Antoine de Cetto , son conseiller- d'état actuel, et
ministre plénipotentiaire au cercle électoral et à celui du
Haut-Rhin , lesquels , après avoir échangé leurs pleins
pouvoirs respectifs , ont arrêté les articles suivants :
Art. I. Il y aura paix , amitié et bon voisinage entre
la république française et l'électeur palatin de Bavière.
L'une et l'autre ne négligerout rien pour maintenir cette
union , et se rendre réciproquement des services propres
à resserrer de plus en plus les liens d'une amitié sincère
et durable.
II. Sa majesté l'empereur et l'Empire ayant consenti,
par l'article IV du traité conclu à Lunéville , le 20 pluviose
an 9 de la république , ou le 9 février 1801 , à ce
que la république françaisse possède désormais en toute
souveraineté et propriété les pays et domaines situés sur
7.
10
146 MERCURE DE FRANCE ,
la rive ganche du Rhin , et qui faisaient partie de l'Empire
germanique , son altesse électorale palatine de Bavière
renonce pour elle , ses héritiers et successeurs
aux droits de supériorité territoriale , de propriété et
autrès quelconques , que sa maison a exercés jusqu'ici ,
et qui lui appartenaient sur les pays et domaines à la
rive gauche du Rhin . Cette renonciation a lieu nommément
pour le duché de Juliers , le duché de Deux-
Ponts avec ses dépendances , et tous les bailliages du
Palatinat du Rhin , situés sur la rive gauche de ce
fleuve.
?
III. Convaincue qu'il existe un intérêt pour elle à empêcher
l'affaiblissement des possessions bavaro -palatines ,
et conséquemment de réparer la diminution de forces
et de territoire qui résulte de la renonciation ci - dessus
la république française s'engage à maintenir et à défendre
efficacement l'intégrité des susdites possessions à
la droite du Rhin dans l'ensemble et l'étendue qu'elles
ont ou qu'elles doivent avoir d'après le traité et les conventions
conclues à Teschen le 13 mai 1779 , sauf les
cessions qui auraient lieu du plein gré de son altesse
électorale et du consentement de toutes les parties
intéressées .
La république française promet en mêmetemps qu'elle
usera de toute son influence et de tous ses moyens , pour
que l'article VII du traité de paix de Lunéville , en vertu
duquel l'Empire est tenu de donner aux princes héréditaires
qui se trouvent dépossédés à la rive gauche du
Rhin , un dédommagement pris dans son sein , soit particulièrement
exécute à l'égard de la maison électorale
palatine de Bavière ; en sorte que cette maison reçoive
une indemnité territoriale , située , autant que possible, à
sa bienséance , et équivalente aux pertes de tous les
genres qui ont été une suite de la présente guerre.
IV. Les parties contractantes s'entendront , dans
tous les temps , en bons voisins , et en suivant , de part
et d'autre , les principes d'une parfaite équité pour régler
les contestations qui auraient lieu , soit par rapport
au cours du Talweg entre les états respectifs ,
qui , aux termes de l'art. VI du traité de paix de Lunéville
, sera désormais la limite du territoire de la république
française et de l'empire germanique , soit par
NIVOSE AN X.
147
e
e
23

ar
rapport à la navigation du Rhin et au commerce , soit
à l'égard des constructions à faire sur l'une ou l'autre
rive .
V. L'article VIII du traité de paix de Lunéville , concernant
les dettes hypothéquées sur le sol des pays de la
rive gauche du Rhin , servira de base à l'égard de celles
dont les possessions et territoires compris dans la renonciation
de l'article II du présent traité , se trouvent
grevés .
Comme ledit traité de Lunéville ne reconnaît à la
charge de la république française que les dettes résultantes
d'emprunts consentis par les états des pays cédés ,
ou des dépenses faites par l'administration effective desdits
pays ; et comme , d'un autre côté , le duché de
Deux- Ponts , ainsi que la partie du Palatinat du Rhin ,
cédés par l'article II du présent traité , ne sont pas pays
d'états , il est convenu que les dettes desdits pays , qui ,
à leur origine , ont été enregistrées par les corps administratifs
supérieurs , seront assimilées à celles qui ont
été consenties par les états dans les pays où il y en a.
Immédiatement après l'échange des ratifications du
présent , il sera nommé , de part et d'autre , des commissaires
pour procéder à la vérification et à la répartition
des dettes éloignées ci - dessus.
com- VI. Les dettes particulières contractées par les
munes et les ci - devant bailliages , sous l'autorité du
gouvernement , restent à leur charge , et seront acquittées
par eux .
VII. Tous les papiers , documents et actes relatifs
aux propriétés publiques et particulières des pays cédés
par l'article II ci- dessus , seront, dans l'espace de trois
mois , à dater de l'échange des ratifications , délivrés
fidellement au commissaire nommé par le
gouvernement
français pour les recevoir.
La même chose aura lieu pour tous les papiers , documents
et actes concernant les objets d'administration
qui se rapportent exclusivement auxdits pays. Quant à
ceux desdits papiers , documents et actes qui concernent
les intérêts communs des états de la maison palatine
, tant ceux cédés sur la rive gauche , que ceux
qu'elle conserve à la rive droite , il en sera fait , à frais
communs , des copies collationnées qui seront remises
au commissaire français.
448 MERCURE DE FRANCE ,
VIII. Du jour de l'échange des ratifications , tous
séquestres qui auraient été mis , à cause de la guerre ,
sur les biens , effets et revenus des citoyens français
dans les états de son altesse sérénissime électorale , et
ceux qui auraient été mis dans le territoire de la république
française , sur les biens , effets et revenus des
sujets ou serviteurs de sa susdite altesse sérénissime , domiciliés
sur la rive droite et propriétaires sur la rive gauche
du Rhin , sont levés . Il n'est pas fait d'exception par
rapport aux sujets ou serviteurs bavaro - palatins qui ,
lors de l'entrée des armées françaises , se sont retirés
de la rive gauche à la rive droite du Rhin .
IX, Le présent traité sera ratifié par les parties con
tractantes , dans l'espace de vingt jours , ou plus tôt , si
faire se peut , et son altesse sérénissime l'électeur palatin
de Baviere s'engage à procurer , dans le même espace
de temps , un acte d'accession de la part de son
altesse sérénissime Guillaume , duc de Bavière , aux cessions
faites par ledit traité.
Fait à Paris , le 6 fructidor , l'an 9 de la république
française ( 24 août).
>
Ainsi signé : ANTOINE - BERNARD CAILLARD et
ANTOINE DE CETTO .
CORPS LÉGISLATI F.
. Nous avons dit , dans un précédent numéro , que Jes
tribunaux criminels avaient élevé la question , s'ils pouvaient
encore appliquer la peine de mort. Le ministre
de la justice répondit affirmativement , en observant
que l'époque fixée par la convention pour l'abolition
de cette peine , n'était point arrivée , puisque la paix
définitive n'était pas encore générale. Une loi du 8
pivose justifie cette décision , et prolonge même indéfiniment
l'application de la peine capitale :
ˇ
La peine de mort continuera d'être appliquée dans
les cas déterminés par les lois , jusqu'à ce qu'il en
ait été autrement ordonné. "
Cette loi n'a éprouvé aucune opposition , et n'en derait
point attendre. On a cité Montesquieu et même
NIVOSE AN X... 149
le philanthrope auteur du Contrat social , etc. Il suffisait
du tableau de la France , tel que l'a présenté l'orateut
du Tribunat , ou tel que le présentent journellement
les correspondances publiques ou particulières. Ce n'est
pas au moment où de nouveaux crimes confondent
l'imagination et désolent la société , qu'il convient
d'ôter au scélérat sa dernière crainte , au citoyen sa
dernière garantie.
La plupart des orateurs qui ont démontré la nécessité
actuelle de cette loi , ont énoncé un voeu que
l'humanité semble dicter d'abord , dont la philosophie
s'est beaucoup vantée , mais que malheureusement
l'expérience des siécles ne justifie pas. La paix de
toutes les nations entre elles , la paix de tous les individus
d'une société avec la société elle -même , doivent
être mis au nombre de ces rêves fortunés qui consolent
pour un moment l'homme de bien , mais n'abuseront
jamais la pensée du législateur . Il est vrai , comme a
dit le tribun Gary , " le législateur qui tourmenterait
« par une sévérité inutile un peuple naissant , encore
« peu nombreux , ami de l'ordre et du travail , chez
qui régneraient la douceur et la pureté des moeurs ,
l'union dans les familles , la concorde entre les ci-
" toyens , où les vertus publiques auraient enfin pour
fondement et pour appui toutes les vertus privées ,
un pareil législateur serait la honte et même le
corrupteur de son pays. » Mais où retrouver ce
peuple dans les siécles à venir ? Où même le trouver
dans les siécles qui ne sont plus , si ce n'est peut-être
dans l'âge d'or des poètes ?.
"
К

"
"
Nous sera- t - il permis d'énoncer à notre tour un voeu
que l'humanité inspire , que la charité commande ,
que la religion se charge de remplir , comme elle
seule le peut et le veut ? Elle seule sait résoudre les
problèmes les plus difficiles de l'ordre social , et concilier
les intérêts si souvent ennemis de la société et
1
* Le journal officiel annonce l'arrestation de plusieurs
scélérats qui , armés de fers tranchants et de breuvages
mortels, exerçaient la profession d'avorteurs . On a dit ,
avec raison , que les moeurs d'un peuple formaient sa langue .
Avant la révolution , il y avait des avortements ,
mais non
pas des avorteurs .
150 MERCURE DE FRANCE ;
de l'individu . Plusieurs fois déja les papiers publics
ont remarqué qu'on commençait à revoir de vertueux
prêtres accompagner sur l'échafaud les criminels condamnés
au dernier supplice. Les peuples doivent bénir ,
les lois mêmes autoriser le sublime ministère d'un
homme qui , dans ces terribles moments , médiateur
entre le criminel et sa conscience , entre la justice
humaine , qui va frapper , et la justice divine qui laisse
encore espérer le pardon , obtient du coupable qu'il
pleure sa vie et ne maudisse pas sa mort . La philo
sophie doit admirer cette religion qui imprime à l'enfance,
un caractère sacré , découvre à la vieillesse une
nouvelle vie , et n'abandonne pas un scélérat sur l'échafaud
. C'est ainsi que le crime est puni ; et la société ,
en se vengeant , verse sur le criminel des larmes moins
amères ,
:
1
Un projet de loi rétablissait la marque pour le crime
de faux. De longues et orageuses discussions sur le
code civil remplissaient les séances... Le 13 nivose les
consuls ont envoyé le message suivant au Corps législatif
: « Législateurs , le gouvernement a arrêté de
retirer les projets de loi du code civil , et celui sur le
rétablissement de la marque.
"
C'est avec peine qu'il se trouve obligé de remettre
à une autre époque les lois attendues avec tant d'intérêt
par la nation . Mais il s'est convaincu que le
temps n'est pas venu où l'on portera , dans ces grandes
discussions , le calme et l'unité d'intention qu'elles
demandent. " A. R.
M.lle Hortense Beauharnais épouse Louis Bonaparte.
Le général Lamartilière est nommé sénateur.
Le ministre des relations extérieures et celui de l'intérieur
, le conseiller d'état Pétiet , ministre de la république
française à Milan , sont arrivés à Lyon. Le
premier consul s'y rendra incessamment. L'archevêque
de Milan , venu pour voir Bonaparte qu'il avait connu
en Italie , vient d'y mourir à l'âge de 82 ans. On lui
prépare des obsèques convenables .
NIVOSE AN X. 151
SUITE de la Statistique du Département des
Deux-Sèvres * .
On trouve dans Parthenay des jurisconsultes instruits ,
des médecins , quelques mathématiciens , des hommes
qui pourraient faire honneur aux lettres , si les fonctions
publiques n'absorbaient tous leurs moments. L'art
dramatique est le principal amusement de la jeunesse .
Il existait , avant la révolution , un collége dont le
rétablissement est réclamé avec instance .
ans 2
Les environs de Parthenay n'offrent rien de symétrisé
; la nature a fait tous les frais des beautés simples
de cet arrondissement . C'est un pays mélé de val-
Jons , de montagnes , d'étangs , de forêts : ce sont partout
des tableaux , des paysages variés et charmants.
Le sol est sec , pierreux et sablonneux , aquatique dans
les bas-fonds , et , en général , peu fertile ; il produit .
peu de seigle , mais des pâturages et des fourrages excellents.
La culture y est encore dans son enfance ; la
terre , très -maigre , a besoin d'être fumée tous les
ce qui exige des frais considérables , et la modicité des
fortunes du pays s'oppose aux améliorations . D'ailleurs ,
peu de propriétaires se livrent à l'agriculture ; ils l'abandonnent
à l'aveugle routine des paysans. Il croît ,
dans les environs de Parthenay , une grande quantité
de plantes médicinales. On y trouve des carrières de
granit ordinaire et de granit à bandes . Cette espèce
de pierre très - compacte est bonne pour toutes sortes
de constructions ; mais les frais d'exploitation sont coûteux
; le pied cube peut revenir à 25 centimes d'extraction
. Elle a d'ailleurs Vinconvénient de répandre une
grande humidité dans les maisons.
AIRVA U T.
"
Airvaut est situé à cinq lieues nord de Parthenay. L'air
y est vif et sain ; les vents nord et ouest y dominent.
On y voit rarement des maladies épidémiques si ce
n'est la petite-vérole , dont le retour paraît périodiquement
marqué tous les sept à neuf ans ; peut-être la
* Voyez le N.º XXXIV.
152 MERCURE DE FRANCE ,
vaccine nous en délivrera. Les maladies les plus
communes sont les fièvres putrides , printannières
et
automnales , les fluxions de poitrine. La population ,
de 2,068 individus , était plus considérable
il y a dix ans.
Ce décroissement
ne peut être attribué qu'à la guerre
de la Vendée ; un grand nombre de jeunes gens ont
été tués en défendant la ville de Thouars . Plus de deux
cents ont aussi péri sur les frontières , en combattant
glorieusement
pour la république. Les habitants d'Airvaut
sont généralement
doux , honnêtes , hospitaliers ,
actifs , laborieux , unis entre eux , attachés au gouvernement
et à la religion . Sans être riches , ils vivent dans
une honnête médiocrité.
On remarque une belle église d'architecture gothique,
bâtie dans le huitième siècle . La tour , élevée sur quatre
piliers , est légère , et a quarante sept metres de hauteur.
Devant l'église , au milieu de la principale place ,
est une fontaine qui , à six cents mètres de distance ,
fait tourner un moulin . Le canal qui y conduit l'eau
passé sous la ville , et forme dans chaque maison un
bassin propre et commode.
On fabrique à Airvant quelques étoffes de laines du
pays , et il y a au moins deux cents metiers de tisserands
, occupés à faire des toiles fortes et bien conditionnées
, de chanvre et de lin. Le commerce consiste
en vin , eau-de- vie , blé , laine , lin et chanvre , qui sont
Jes productions du territoire . Le sol sans être trèsfertile
, produit néanmoins tout ce qui est nécessaire à
la vie. Il paraît propre surtout à la culture de la vigne ;
mais cette culture est bien susceptible d'amélioration .
On y possède un plant de Bourgogne , dont le raisin est
excellent ; le vin en est léger , agreable , et se conserve
longtemps. Mais cette espèce de vignes rapporte moins
que les autres ; et l'homme qui entend mal ses vrais intérêts
, aime mieux l'abondance que la qualité. Les environs
d'Airvaut sont fort agréables ; ils offrent , d'un
côté , de belles plaines couvertes de riches moissons , et,
de l'autre , des coteaux de vignobles , au pied desquels
le Thouet serpente en traversant de riantes prairies. Les
étymologistes se sont exercés sur Airvaut : les uns y voient
Ara Vallis , et attribuent ce nom à un autel dédié à
quelque dieu de l'ancienne Gaule ; d'autres expliquent
NIVOSE AN X. .. 153
Airvaut par Aurea Vallis , la Vallée - d'Or. En effet , les
anciens prononçaient et écrivaient Orvaut on doute
cependant que jamais les productions du pays , ou la
science de ses habitants ayent pu donner lieu à une si
riche dénomination .
SAINT - LOUP.
Saint- Loup et Secondigny ont eu , dit-on , le titre
de villes , et ne sont aujourd'hui que des villages.
Saint- Loup avait un petit hôpital qui a perdu la presque
totalité de ses revenus . Un homme bienfaisant ,
qui avait acheté un assez beau château , bâti sous
Louis XIII , par le cardinal de Sourdis , donnait 300 liv.
à quiconque venait s'établir à Saint- Loup , avec, un
métier quelconque . Cette générosité attira plusieurs
ouvriers en draperie , et l'on voit encore de fort bons
tapis , fabriqués à Saint - Loup . Après la mort de ce
bon citoyen , l'industrie cessa d'être encouragée , et il
ne resta plus que quelques tanneries . La commune de
Saint- Loup , se glorifie d'avoir donné le jour au père
de Voltaire. Il existe encore quelques Arouet dans les
environs.
Secondigny , à la source du Thouet , fabrique quelques
étoffes de laine sur fil , comme droguets et troismarches
et de laine sur laine , comme serges , molletons
et ratines.
"
On fabrique des étoffes du même genre à Moncoutant.
Il y a encore quelques fabriques de tiretaines croisées ,
chaîne de fil et trame de laine en demi - aune ; de molletons
croisés , tout en laine , en demi - aune ; de boulangers
cinq huitièmes , chaîne de fil et trame de laine ;
de droguets unis et rayés en demi- aune dans les
communes d'Azay , Saint- Jouin , Largeasse , les Moutiers
, Vernon . Ces fabriques , ainsi que les autres fabriques
de laine existant dans l'arrondissement de Parthenay
, ont beaucoup perdu depuis la suppression
des inspecteurs jurés , qui s'assuraient de la qualité
des étoffes et de leur largeur. Il serait utile de réta
blir ces préposés.
A Largeasse et à Labsie on fabrique des toiles de
lin en aune.
154 MERCURE DE FRANCE ,
Il
y a dans divers endroits de cet arrondissement
des tuileries et briqueteries.
Il existait jadis , à la Chapelle - Séguin , canton de
Moncoutant , une verrerie où l'on faisait toute sortes
de verres , et même des glaces . Les matières premières
se prenaient sur les lieux ou à peu de distance . Ces
moyens ne sont pas détruits ; la manufacture pourrait
se rétablir avec quelques avances.
On trouve , à l'est , du côté du département de la
Vienne , la forge de la Peiratte , qui a appartenu au
gouvernement. Cette usine est maintenant une propriété
particulière , et elle a besoin d'encouragement. Il faudrait
lui affecter des coupes de bois , et lui donner
plus de latitude pour la fouille du minerai . Son fer est
recherché pour les instruments aratoires et pour les
gros ouvrages .
Le village de Saint- Pardoux possède un petit hôpital
; il y en a un autre à Ménigoute , qui est assez
bien doté.
Saint- Jouin avait autrefois une riche abbaye de bénédictins
. Il subsiste encore plusieurs grands tableaux
peints par un de ces moines , et qui ne sont pas sans
quelque mérite.
"
L'arrondissement de Parthenay comme celui de
Thouars , renfermait autrefois un grand nombre de
châteaux , où les ci - devant seigneurs habitaient toute
l'année. Ils ont été brûlés pendant la guerre. Sur la
route de Parthenay à Saint -Maixent , on voit encore
celui de la Meilleraye , qui fut bâti pour la belle Hortense
Mancini , niece du cardinal Mazarin . Il y avait
dans la cour une statue en marbre du cardinal de
Richelieu . Dans le temps qu'on mutilait les statues , un
particulier trouva gai d'acheter la tête de celle - ci pour
servir de poids à son tourne-broche.
L'arrondissement de Parthenay , a encore , avec celui
de Thouars cette grande conformité , que sapartie orientale
( les cantons d'Airvaut , Saint - Loup et Thenezay )
renferme de vastes plaines , plantées de quelques arbres
aux environs des habitations seulement , et produisant
en abondance d'excellent froment ; de belles
prairies , des coteaux ornés de pampres , tandis que la
partie occidentale , connue sous le nom de Gatine
NIVOSE AN X. 155
offre une continuité de collines et de ravins , de landes
et de forêts. Là , des chênes antiques ombragent une
terre siliceuse , qui ne donne à ses habitants que du
seigle et du blé noir. Là , chaque propriété est close
d'une haie impénétrable , et les terres exigeant un long
repos , servent presque toujours de pâturages . Plus
d'une ferme de cent hectares ne produit que 600 francs
de revenu
et il faut 2,400 francs de bestiaux pour
l'exploiter.
"
La grande quantité de vipères qu'on rencontre dans
la Gâtine , et qu'on vient chercher d'assez loin pour l'usage
de la pharmacie , expose les habitants à en être fréquemment
mordus , et donne lieu à beaucoup d'accidents.
La morsure de ce reptile se guérit très - promptement
avec l'alcali volatil ( ammoniac ) , ou seulement
l'eau de Luce ; mais les chirurgiens de campagne en
sont rarement pourvus.
On croit que ce nom de Gâtine ou Gastine a une
étymologie teutonique , et veut dire petite principauté.
Gast , en cette langue , signifiait chef ou seigneur. La
plupart des chefs germains , dont parle Tacite , ont
leurs noms terminés par ce radical : Arbogast , Hildegast
, Nevogast , etc.
TROISIÈME ARRONDISSEMENT.
Le troisième arrondissement , au sud des deux premiers
, est composé de quatre-vingt - seize communes ,
dont les plus considérables sont Niort et Saint Maixent .
NIORT .
Niort , chef-lieu de la préfecture des Deux - Sèvres ,
est situé au bord de la Sèvre , sur le penchant de deux
collines. Cette ville , prise et saccagée par les Anglais ,
et qui a été dix - huit ans en leur puissance , est fort
ancienne. C'est la cinquième ville de France qui ait
été municipalisée ; ses chartes sont de 1222. Elle était
protégée par un château formé de deux grosses tours ,
hautes de trente - cinq mètres et demi , et réunies par un
massif. Ce château subsiste encore , et sert de maison
d'arrêt. La ville est assez grande , mais mal bâtie
édifices , sans aucune fontaine publique , quoiqu'il y ait
sans
156 MERCURE DE FRANCE ,
une
des sources pures et très -abondantes à bien peu de distance.
On élève une salle de spectacle , on travaille à
redresser et aplanir les rues . Les halles ont été détruites
pendant la guerre , ainsi que de très - belles promenades
dont on vient de replanter une partie. Il reste
un corps de casernes de cavalerie à recevoir 2 propre à
trois cents chevaux , établissement d'autant plus utile
que les fourrages sont abondants à Niort , et de fort
bonne qualité. L'hôpital général , très- mal construit ,
renferme deux cent quatre individus ; on y emploie
avec succès les soupes à la Rumpford . Il y avait un bél
hôpital militaire qui vient d'être supprimé ; les malades
ont ététransportés à la Rochelle , quoique l'air de cette
- dernière ville soit bien moins favorable que celui de
Niort , à la guérison des fièvres et des plaies . Niort
a la préfecture , le tribunal criminel , un tribunal de
première instance , un tribunal de commerce ,
société d'agriculture , une école centrale assez florissante
, soutenue par un pensionnat d'environ cent élèves
que dirigent plusieurs professeurs , anciens oratoriens
. Le cours de dessin est particulièrement suivi .
La bibliothéque renferme douze mille volumes ; mais
trop peu d'ouvrages modernes . Le jardin botanique est
très - vaste , propre à tous les genres de culture et de
production. Le professeur d'histoire naturelle y fait un
cours- pratique d'agriculture. La population de Niort
est de quinze mille vingt- huit individus , sans y comprendre
les faubourgs , qui en contiennent plus de deux
mille. Elle était à peine de onze mille en 1789. Cet
accroissement tient à la sureté dont on a constamment
joui a Niort , même au plus fort de la guerre , et au
bon esprit de ses habitants , qui ont su éloigner d'eux ,
par leur union , les malheurs dont tant d'autres villes
ont été la proie . Beaucoup d'habitants des campages , et
même des départements voisins , sont venus s'y réfugier,
Il paraît pourtant que la population de Niort était ,
y a cent cinquante ans , au moins aussi nombreuse
qu'aujourd'hui . Dans un ouvrage publié , à cette époque ,
par Christophe Augier , maire de Niort , on voit que
le nombre des communiants était de onze à douze mille ,
sans compter les réformés. Un octroi de bienfaisance
est établi à Niort .
il
Niort est avantageusement situé pour le commerce.
NIVOSE AN X. 157
Plusieurs grandes routes y aboutissent de Paris , de
Rochefort , de la Rochelle , de Bordeaux par Saint-
Jean - d'Angely , de Nantes par Fontenay , de Saumur
par Saint-Maixent . La Sèvre , est d'ailleurs , navigable
depuis Niort jusqu'à la mer ; son cours est très - sinueux ;
mais , au lieu de le redresser , il serait bien plus utile
de creuser un canal qui aboutirait à la Rochelle.
#
?
Les principales manufactures de Niort sont les chamoiseries.
On y apprête des cuirs de boeuf en chamois
blanc et jaune , qu'on appelle vulgairement buffle
dont on fait des ceinturons et des porte-gibernes . On y
prépare la majeure partie des peaux de chevreuil
et de daim , qui sont apportées de la Louisiane . Ces
peaux servent à faire des gants et des culottes. Les
chamoiseries de Niort fournissaient , avant la révolution
, les culottes et les gants à plus de trente régiments
de cavalerie et de dragons ; elles ne leur fournissent
plus rien , aussi sont- elles sensiblement déchues
et appauvries . Elles occupent encore cent soixanteneuf
ouvriers. Ce sont ces chamoiseries qui fournissent
aux tanneurs la matière appelée dégras , connue pour la
préparation des peaux de veau ; mais si elles ne trouvent
pas comme autrefois , dans les troupes à cheval , le
débouché de leurs peaux , elles ne pourront continuer
à produire ce dégras si nécessaire , et on aura la douleur
de voir les Anglais fournir cette matière , et nous
rendre leurs tributaires par ce nouveau moyen . On peut
assurer que les chamoiseries de Niort rivalisent et surpassent
dans la préparation des peaux , les chamoiseries
anglaises. Il se fait à Niort grande quantité de gants
2
* Vers le milieu de l'an 6 , des commissaires , envoyés
en Italie par le gouvernement français pour la recherche
des objets de sciences et arts , firent partir pour la France,
un troupeau de quatre buffles mâles et douze buffles femelles.
Ils ont été transportés à Rambouillet , et le ministre
de l'intérieur vient d'en envoyer huit dans le département
du Gard. -Cet animal est moins terrible que le boeuf : sa
peau , plus épaisse et plus dure , est d'un grand usage pour
l'équippement des troupes. La femelle est peu propre au
travail , mais elle donne du lait abondamment ,
lait produit plus de beurre et de fromage que celui de
vache. Le buffle mâle est extrêmement fort .... Tout fait
croire que l'on s'empressera , surtout dans le Midi , d'employer
ces utiles animaux. (Moniteur du 12 nivose an 10).
et sou
158 MERCURE DE FRANCE ,
de peaux de daim et de gants de peau de mouton qui imitent
parfaitement les premiers , à un prix modique , qui y
fixe ce genre de commerce.Ces gants s'envoient dans tous
les départements , en Piémont , en Italie ; il s'en introduit
par fraude en Espagne . On y fait aussi une quantité de
culottes de peau . Cet ouvrage de couture occupe six
cent vingt - cinq femmes ou enfants. Il y a aussi quel- ›
ques tanneries à Niort.
Niort possède plus de quatre cents ouvriers cordonniers.
On y fabrique des chapeaux communs , faits
avec des laines d'agneaux du pays , du département de
la Haute-Vienne et de celui de la Gironde , mêlées par
moitié avec les laines d'Arragon . Cinquante ouvriers
sont journellement employés à Niort à forger des clous ,
tant pour la consommation intérieuré , que pour vendre
aux foires et marchés voisins . On compte à Niort quarante
ouvriers en peignes . Cette manufacture est , depuis
les désastres de la Vendée , diminuée d'un tiers.
Niort possède aussi deux papeteries ; la plus considérable
a trois cylindres qui entretiennent quatre grandes
cuves ; elle fournit annuellement huit ou neuf mille ra
mes de papier fin , et fabrique peu de commun ; elle
occupe quarante ouvriers. L'autre , à mailloches , n'a
que huit ouvriers , et donne par an environ deux mille
rames de meilleure qualité.
Il y a une tuilerie qui fournit à la consommation ;
une amidonnerie languissante ; deux vinaigreries quis
suffisent en grande partie aux besoins du département ;
l'une d'elles approvisionne l'hôpital de la marine à
Rochefort . Elles pourraient brûler des lies de vin ,
et les convertir en cendres gravelées qui s'emploient.
dans les teintures .
Niort est renommé pour ses excellentes confitures
d'angélique. La consommation en est diminuée de
plus de trois quarts depuis la cherté du sucreinsmash.
"
Il y a plusieurs fabriques d'étoffes communes ;
pinchinas croisés , pinchinas lisses , draps lisses
molletons croisés , flanelles lisses , kalmouks croisés ,
campas noires croisées , redins croisés ratinés , tiretaines
croisées et unies , etc. etc. On expédiait autrefois
une grande quantité de ces étoffes pour la Louisiane
et le Canada .
Avant la guerre maritime , les négociants de Niort
tiraient de Marseille les productions du Midi , et les
NIVOSE AN X. 159
entreposaient dans cette ville pour la consommation
des départements de la Charente , de la Vienne et
d'une grande partie de la Vendée .
Il se faisait aussi un commerce assez considérable des
sels qui se tiraient par Marans des îles de Ré et d'Oléron
; de résine venant des landes de Bayonne par mer.
Ces objets se transportaient par voitures , dans les départements
voisins .
Le commerce actuel a pour objets la graisserie , les
laines du pays , qui sont recherchées par ies fabriques
d'Amiens , Reims , Beauvais , Rouen , Darnetal , Bourges
et autres , d'où elles reviennent ensuite manufac
turées , pour être vendues aux foires de Niort , aux
marchands de Bordeaux , des deux Charente , des deux
Vienne.
Les farines fabriquées à Lamothe - Sainte - Heraye ,
s'entreposent à Niort , où elles s'embarquent pour l'approvisionnement
de Rochefort , la Rochelle et les îles.
Niort a de très-bonnes foires de bestiaux.
Niort a aussi une fabrique de salpêtre , produisant
douze milliers par an , et susceptible de donner trente
milliers , si celui qui la dirige était en état de faire
quelques avances , ou si le gouvernement pouvait
l'aider.
Les habitants de Niort sont naturellement gais
affables , hospitaliers , braves , soumis aux lois , paisibles,
mais un peu nonchalants. Ils sont robustes et d'une
taille moyenne , adonnés au commerce , économes sans
parcimonie ; tous ont de l'aisance , et plusieurs sont
riches ; ils aiment à placer leurs épargnes en fonds de
terres . ›
Les vents qui dominent à Niort , sont d'est - nordest
et de sud - ouest ; ce dernier qui vient de la mer
amène preque toujours de la pluie, Les froids sont ordinairement
très - courts et très-supportables ; les chaleurs
sont plus longues , mais souvent tempérées par des
pluies d'orage. On y voit assez souvent des centenaires .
Les maladies y sont peu compliquées ; ce sont des dyssenteries
en automne des fièvres quartes , pendant
l'hiver ; la petite vérole y est bénigne , et se montre
épidémique à peu près tous les six ans ; l'inoculation
y lutte avec peine contre les préjugés. On voit à Niort
160 MERCURE DE FRANCE ,
et dans les villages voisins beaucoup de boiteuses et de
bossues , on doit attribuer ces difformités à la maladresse
des sages-femmes et des nourrices.
Les environs sont très agréables ; il est difficile de
trouver des promenades plus délicieuses que les bords
de la Sèvre et du Lambon , petit ruisseau qui s'y
jette? La terre produit beaucoup de fruits et de légumes
et quo que les jardiniers de Niort soient peu
habiles , ils étaient cependant en possession de fournir
les premiers petits pois à la table des rois de France .
On y récolte de bon fourrage , du blé , et un vin faible ,'
qui n'a pas toujours été sans réputation si l'on en'
juge par ce vers de Philippe-le-Breton : "
?
Lodunumque ferax Cereris , Bacchique Niortum.
Le voyageur ne doit point quitter Niort , sans avoir
vu les jardins et les bosquets de la Moujotterie.
Il y a aux environs de Niort , des carrières de pierre
blanche , propre à la bâtisse , et se taillant au ciseau
attendu qu'elle est remplie de petites parties siliceuses,
qui empêchent de la débiter à la scie . Cette pierre est.
très-sujette au salpêtre , lorsqu'elle est employée dans
les endroits humides.
" A quatre lieues de Niort , sur le territoire d'Ardin
on trouve une carrière de marbre. Cette carrière est
formée d'une chaîne de rochers , s'élevant d'un mètre
ou deux , et même dans quelques endroits , de plusieurs
doubles mètres au dessus du sol , sur le pens
chant d'un petit coteau , en partie couvert de bois et
en partie inculte. Ce marbre est d'un tissu très-fin , et
par-là , susceptible d'un beau poli ; sa couleur en gé+
néral est d'un gris cendré , rayé d'un blanc pur ; dans
quelques veines du rocher , il est noir ou noirâtre , éga,
fement rayé de blanc. Il s'en trouve aussi de ces deux
couleurs , qui est nuancé de blanc et de rougeâtre . On
avait commencé , il y a quelques années , exploita
tion de ce marbre dans l'une des extrémités du rocher ;
mais sans avoir , à proprement parler , ouvert de carrière
, on peut présumer qu'il descend assez profon
dément .
( La suite aux numéros suivants . )
"
(N ° XXXIX . ) 1.er Pluviose. An 10.
MERCURE
DE FRANCE.
LITTÉRATURE.
DESCRIPTION, des Harpies , livre 3... , me
vers 209 et suivants . Servatum ex undis , etc.
C'est ÉNÉE qui parle .
LES strophades enfin , ces îles renommées
Dans la mer d'Ionie en désordre semées ,
Sur leurs tranquilles bords accueillent nos vaisseaux ,
Echappés avec peine à la fureur des eaux .
C'est - là qu'ont autrefois abordé les Harpies ,
Quand , chassés par la peur , ces convives impies
Eurent du roi Phinée abandonné la cour .
Jamais monstres pareils ne souillèrent le jour ;
Et des marais du Styx , la colère céleste
Ne fit sortir jamais un fléau plus funeste.
Ces oiseaux d'une vierge ont l'aspect et la voix ,
Et d'un ventre hideux traînent l'énorme poids ;
* Fragment d'une traduction inédite de l'Enéide.
7.
1 1
162 MERCURE DE FRANCE ,

Leurs bouches de la faim offrent les traits livides ,
Et des ongles crochus arment leurs mains avides .
Nous entrons dans le port , lorsque , de toutes parts ,
Des troupeaux sans pasteurs s'offrent à nos regards.
Nous saisissons le fer ; on vole , et , pleins de joie ,
Nous invitons les Dieux à partager la proie .
Le banquet sur la rive est préparé soudain
Et des mets abondants apaisaient notre faim ,
Quand , sur le dos d'un mont , dès longtemps accroupies ,
S'élèvent tout -à - coup les immondes Harpies .
Leurs ailes , dont le choc accroît les battements ,
Epouvantent les airs de leurs longs sifflements .
Elles fondent sur nous , et leurs bouches impures
-Sur tous nos aliments impriment leurs souillures ;
Et s'exhalant du sein d'une horrible vapeur ,
Une effroyable voix répand au loin la peur.
Nous fuyons. Dans les flancs d'un roc immense et sombre
Qu'entoure un bois épais du rempart de son ombre ,
Le banquet par nos mains est de nouveau dressé ,
Et sur d'autres autels le feu saint est placé.
Mais dans les airs bientôt prenant une autre voie ,
Le bruyant escadron plane encor sur sa proie ,
Et verse sur nos mets son souffle dégoûtant .
Aux armes , compagnons , m'écriai - je à l'instant
Et que le fer vengeur combatte ces Furies !
Chaque guerrier , soudain dans l'herbe des prairies ,
Va chercher son épée avec son bouclier.
DÉJA dans les forêts , prompte à se replier ,
La horde de ses cris remplissait la colline ,
Quand Misène , placé sur la roche voisine ,
Donne aux accents du cor le signal convenu .
Engageant un combat jusqu'alors inconnu
PLUVIOSE AN X.
=
163
11
Nous lançons mille dards sur ces monstres sauvages ;
Mais nos traits impuissants glissent sur leurs plumages ,
Et , sans blesser leurs corps , le fer tombe émoussé.
Aussitôt dans les airs l'escadron élancé
Remonte et laisse aux lieux qu'ont souillés ses atteintes ,
De sa voracité les hideuses empreintes.
LATRESNE.
E N.IG ME.
MES pleurs annoncent ma naissance ,
Et lorsque je parais , tout reprend la gaîté.
Malheur à l'être ingrat qui , plein d'indifférence ,
A mon aspect n'est pas tendrement agité !
Des millions de rubis décorént ma couronne ;
On ne peut me fixer quand je sors de mon trône ;
Et , par un contraste étonnant ,
Le riche me dédaigne ; il n'est que l'indigence
Qui , peut-être , me voit avec reconnaissance ,
Et me bénit souvent.
LOGO GRIPH E.
N'EN déplaise à l'égalité ,
Je m'élève au dessus de ce qui m'environne.
J'ai sept pieds , si j'ai bien compté.
Décomposez mon tout : votre étrenne mignonne
Offre d'abord un saint en tout lieu très -vanté.
Nymphe invisible , je résonne ;
164 MERCURE DE FRANCE ,
Sur les ondes par moi vous vous yoyez porté ;
Si l'acteur craint les sifflets du parterre ,
Qu'il me rende avec vérité ;.
Enfin , sur une ame vulgaire
Mon pouvoir est illimité. ,
MON
CHARADE.
N premier de ses bras environne la terre ,
Et l'enfant d'Esculape opère mon second.
Ce Dieu qu'à plus d'un titre à la fois l'on révère ,
De mon entier , lecteur , te présente le nom.
AUTRE.
Mon premier est un ordre ,
Mon second est un ordre ,
Et mon tout un désordre .
1
Mots de l'Enigme , du Logogriphe et de la
Charade insérés dans le dernier Numéro .
Le mot de l'Enigme est étrenne.
Le mot du Logogryphe est pigeon , où l'on trouve
pion , Io , Po , pin , poing , pie , Noé.
Le mot de la Charade est bâteau.
PPLLUUVVIIOSE AN X. 165
CHARLES et MARIE ; par l'auteur d'Adèle
de Sénanges ( M. DE FLAHAUT ) . Brochure
in- 12 d'environ 150 pages. Chez Maradan ,
rue Pavée - Saint-André- des- Arcs.
ERNESTINE , le plus court des romans de
M.me Riccoboni , fut peut - être le plus remarqué.
Quelqu'un le comparait à un diamant sans
tache , substance précieuse qui tient peu d'espace
et jette la lumière . Charles et Marie fera
le même honneur à M. de Flahaut ; il n'y a
point d'image trop gracieuse , ni de comparaison
trop aimable pour exprimer l'effet de cette
composition.
me
Charles Lenox est le meilleur jeune homme ,
le plus candide , qui se rend à lui - même le
compte le plus exact de ses actions et de leurs
motifs ; et aussi des actions , des paroles , du
silence , des regards , du maintien de Marie
Seymour. Il ne veut point être trompé par luimême
non plus que par elle , et examine nonseulement
s'il en est aimé , mais s'il obtiendra
de lui- même et de son caractère , ce qui obtient
et conserve l'amour. Car son caractère , trèspassionné
, est un peu rude , comme il convient
à un jeune étudiant d'Oxford , qui n'a point conversé
encore avec les graces.
Etendu sur le gazon , je me suis demandé
« compte de ce penchant qui m'entraîne vers
« Marie ; moi , dont. l'ame semble réunir tous
< «les contrastes ; moi , jaloux , susceptible , in-
«
quiet , et léger . Oui , léger , car je fuirais
« Marie à l'aperçu d'un défaut , et peut - être
166 MERCURE DE FRANCE ,
«
«
«
que la perfection me fatiguerait . Comment
oserais-je me livrer à l'amour ! L'amitié n'a-
< «t-elle pas eu quelquefois à souffrir de mes
injustices ? Marie me rendra malheureux , ou
je la tyranniserai . Sera - t - elle calme ? Je la
supposerai indifférente . Si , en me revoyant ,
<< elle paraît gaie , je croirai qu'elle ne s'est point
« aperçue de mon absence . Je la trouve triste !
« elle ne jouit pas assez de mon retour. Enfin
je n'aime pas encore , et j'entrevois déja toutes
<< les agitations de l'amour. »
<<
«
C'est ainsi que cet excellent jeune homme se
juge bien insupportable , et il n'a pas tout- à-fait ,
tort ; car il se montrera jaloux , susceptible ,
inquiet , mais non léger , il aura beau faire
pour l'être , il n'y aura pas moyen. Marie le
ramènera d'un mot , d'un coup-d'oeil , et souvent
sans y songer. Il aura précisément autant de
défauts qu'il est nécessaire pour qu'il ressente
et cause les peines d'un amour heureux et délicat.
Le roman sera suffisamment intrigué ;
Charles écrit chaque jour ce qui arrive : or ,
chaque jour amène quelque obstacle , ou fait
faire quelques progrès ; et ces annales de trois
mois qui ont précédé un mariage tout ordinaire
, contiennent beaucoup de grands événements
du coeur.
«<<
Voulez-vous connaître cette Marie Seymour ?
Elle est fille de ce lord qui se tient « dans un
grand fauteuil , à gauche de la cheminée ,
<< avec deux gros chiens à ses pieds ; qui leur
parle sans cesse , et dit à l'un d'eux je t'aime
« toi , parce que tu n'es pas sensible. » (Cette
vilaine épigramme était dirigée contre la sensibilité
de Marie) . Vous saurez d'abord qu'elle
PLUVIOSE AN X.
chante parfaitement. Charles , entré par hasard
dans le parc , et s'y promenant au clan de la
lune , a entendu le son de cette voix inconnue
<«< mais qui semblait venir du ciel ou devoir y
pénétrer. » Il sentait un charme qu'il ne peut
définir ; « mais cette voix s'est interrompte , et
<< à l'instant plusieurs personnes ont loué vive-
<< ment celle qui venait de chanter , alors toute
« mon illusion a cessé ; ces applaudissements
<< m'ont troublé. Je ne sais si celle à qui j'avais
«< dû de si douces impressions , m'avait inspiré
<< trop d'intérêt , mais j'éprouvais de l'humeur
« contre elle ; je me la représentais flattée de
«
briller ; c'est à force d'art , me disais-je , qu'elle
« a trouvé ces notes sensibles , qu'elle a surpris
mon coeur sans défense . »
Certes , Charles Lenox est difficile à gâter .
Il se demande si cette femme , par malheur ,'
serait une coquette . « Une voix secrète lui
« a crié en même temps : Si elle est laide ! -
« Laide ? non , non pas même une figure ordi-
<< naire . >> Telles sont ses agitations .
On se doute bien qu'il sera présenté au château
du lord Seymour. Son père l'y conduit , it
y trouve toute la famille ; Milady est une de ces
mères parfaites que se rappellent toujours ceux
qui ont vu les moeurs des vrais honnêtes gens
en Angleterre . Elle a trois filles , brillantes de
jeunesse et de beauté. « Miss Sara , qui est
« l'aînée , a paru en habit de cheval ; elle a pris
<< le parti d'être sémillante et gaie , s'occupe de
<«< chevaux et de chiens , m'a compté d'avance
« parmi ses compagnons de chasse , sans daigner
<< s'informer si je pouvais la suivre . »
Miss Eudoxie est arrivée ensuite. C'est une
168 MERCURE DE FRANCE ,
savante qui estime bienheureux les gens qui
habitent Oxford. Elle paraît quelquefois dans
le cours du livre , et s'y montre envieuse , perfide
, ennuyeuse surtout , comme il convient à
celles de sa profession . On demandera où est
Marie , dans ce salon ; elle est auprès de sa
mère c'est sa compagne fidelle . « Elle prête ,
<< dit Milady , à ma faiblesse l'appui que je don-
<< nais à son enfance . » Jamais fille n'a plus ressemblé
à sa mère. « Comme la timidité l'empêche
de parler , ses beaux yeux seulement
cherchent les vôtres , quand.vous avez dit une
«< chose qui lui a plu : et si un mot , un oubli ,
«< « lui paraissent inconcevables , elle ne s'en rap-
« porte plus à elle ; ses regards demandent à sa
<< mère si elle a raison d'être mécontente.
<<
« Marie , j'ignore si c'est vous dont la voix
« m'a touché , je n'ai même plus le desir de
« m'en instruire ; je ne sais si je voudrais vous
<< trouver ces talents enchanteurs ; j'ai besoin
« de vous aimer , je craindrais d'être séduit.
<< Marie , je vous aime de tout l'amour que vous
<< portez à votre mère ; je vous aime encore de
« tous les défauts de vos soeurs ; chacune de
<< leurs prétentions fait ressortir vos qualités ;
je vous aime pour cette réserve , ce silence ,
qui semblent promettre à un seul la connaissance
de votre coeur. Marie , j'ignore si vous
« êtes riche , et je suis sûr que vous êtes bien-
<< faisante . Si le pauvre ne prononce pas votre
« nom avec amour , avec reconnaissance , mon
<< coeur reviendra d'un long rêve . »
«<
Nous avons transcrit tout entier ce morceau
un peu étendu . C'est un exemple des continuelles
réflexions de Charles , sur chaque circonstance
relative à son amour.
PLUVIOSE AN X. 169
Le lecteur craindra peut -être que cette marche
ne soit un peu longue , et ne retarde sans cesse
le dénouement . Il se trompe , et l'auteur a su
donner à cette petite action le degré de rapidité
nécessaire . Il n'y a qu'un interlocuteur , qui est
Charles , et comme il doit se marier avec réflexion
et par amour , il est nécessaire qu'il aime
beaucoup et ne réfléchisse pas moins . Ces deux
choses sont rarement réunies ; et de-là les surprises
, le repentir , l'inconstance . On est rassuré
sur le sort à venir de Charles , et l'on sent qu'il
aimera toujours , et sera toujours heureux . Il
n'y a que lui qui parle , mais il n'est pas le seul
qui agit . Le contraste des caractères des trois
Soeurs amène des événements . Ce contraste étonne
d'abord . Comment cette admirable lady Seymour
a -t-elle souffert que , sur trois filles , deux lui
ressemblassent si mal ? L'auteur a pris soin d'indiquer
les causes qui ont produit ces différences
, et elles ne sont pas rares dans les familles
; car à quoi tient souvent leur bonheur ,
la succession des agréments et des vertus ? Souvent
, dis - je , c'est dans la maison paternelle
que les enfants se dépravent et s'égarent. Sara
fut encouragée par son père à adopter ses goûts
campagnards et bruyants. Une tante riche s'est
emparée d'Eudoxie , et en à fait ce chef- d'oeuvre
qu'idolâtrent tous les pédants du pays . Elles
n'ont pas manqué l'une et l'autre d'essuyer les
goûts du jeune arrivant d'Oxford. Il a suivi Sara
à une chasse ; « Sa franche gaieté excita la
<< mienne. Il me semblait que nous avions passé
<< notre vie ensemble . J'admirais ses graces , son
« courage et même sa témérité. Le soleil était
« dans son éclat , l'air pur , le ciel sans nuage .
170 MERCURE DE FRANCE ,
« Nous franchissions tous les obstacles ; elle me
<< semblait une divinité aérienne . » Par malheur
la divinité parut bientôt une mortelle si inconsidérée
, si étourdie , que Charles revint de la
chasse , préservé pour jamais de l'amour des
beautés cavalières.
Remarquons encore ici un trait de pinceau.
« Lord Seymour nous rejoignit . Je revins avec
«< le reste de la chasse , caressant mon cheval
<< de temps en temps , lui parlant comme un
<< ami. Ce pauvre animal ne savait pas qu'il devait
toute cette faveur à ce que Sara m'avait
déplu ; qu'auparavant , je l'aurais sacrifié
<< la suivre ou la dépasser à la course . Il en est
<< de même dans le monde , me disais- je , celui
qui reçoit une marque d'intérêt inattendue
<<
«<
pour
<< devrait chercher à côté de lui le sentiment
<< de joie ou d'humeur à qui il en est redeva-
« ble. » Cette réflexion est jolie , mais si elle se
présentait détachée , on l'attribuerait plutôt à
quelque bel esprit délicat qui a observé le monde ,
qu'à un jeune homme qui secoue à peine la poussière
des écoles d'Oxford . Il me semble qu'il dit
trop bien.
Il est plus , dans la juste mesure , en peignant
la pédante Eudoxie . Comme elle veut l'éblouir
dès la première parole ! Comme elle est indignée
de son bon sens ! Comme elle le laisse là , tandis
qu'elle s'entoure des demi- savants qui sont venus
lui faire leur cour ! Mais quand elle s'aperçoit
que ce jeune ignorant a su intéresser lady Sey
mour , et que l'on converse avec lui , elle accourt
pour enlever cette proie , et l'avaler , comme dit
M.me de Sévigné. Elle lui parle , lui reparle ,
et sans cesse , et avec tant de bruit , que la bonne
PLUVIOSE AN X.
171
et souffrante Lady demande la permission de se
retirer. « A l'instant , Marie a donné le bras à
« sa mère , et s'est éloignée . A l'instant , ce sa-
«< lon m'a paru vide , et cette conversation in-
«
supportable. J'entraînai mon père , etc. » Voilà
les vraies couleurs , et de l'esprit sans mélange
de recherche , et d'allusions fines . Si l'auteur
avait voulu , combien d'allusions se seraient présentées
sur ces Eudoxies discoureuses de notre
pays , comme de celui- là , dont le babil , tourà
- tour subtil et pétulant , fait pâmer d'aise la
vaine philosophie , taire ou enfuir le bon sens ,
et qui croient que leur conversation est une sorte
de phénomène.
Quant à Marie , qui se, taît , et que sa soeur
juge à peine digne de verser le thé à messieurs
les savants , elle avance rapidement dans le
coeur de son jeune et clairvoyant ami ! Comme
elle a , par hasard , avec lui un innocent et heureux
tête -à-tête , dans la cabane qu'elle a arrangée
au jardin , où va venir déjeûner sa mère . Quel
charmant embarras de ces deux jeunes gens
Soyez sûr pourtant qu'il entrera dans la cabane ,
qu'il déjeûnera avec la mère et la fille , que
celle- ci chantera ; et quel chant ! Mais , quand
y aura bien pensé , il dira : « Non , Marie n'est
« pas coquette ; elle chantait parce que sa voix
plaît à sa mère. Marie , mon coeur est à
« vous , etc. » Miss Sara avait dit le premier
jour que Charles parut au château , Marie ne
dépasse pas l'ombre de la maison . Elle se trompait
, car , le 20 juillet , Charles la rencontre
dans le village. « N'osant lui offrir mon bras ,
je me suis promené seul à côté d'elle . Maric
« est entrée dans différentes chaumières où on
il
«<<
<<
172 MERCURE DE FRANCE ,
«
« n'existe que par ses bienfaits : mon coeur pal- .
pitait d'amour et de joie , en voyant le respect
, l'adoration qu'elle inspire , etc. » Mais
quand il faut se quitter , ce sera un autre embarras.
Citons encore : « Marie m'a dit adieu ;
je suis resté à la même place , tant que j'ai
<< pu l'apercevoir . Elle s'est retournée plusieurs
< «fois , et toujours un signe obligeant m'a fait
<< voir que non- seulement elle me voyait , mais
qu'elle s'attendait à me voir . Arrivée près
«< d'un sentier qui devait me la cacher entière-
<< ment , elle m'a regardé une dernière fois ; et ,
«< de sa main , de son mouchoir , m'a dit un
<< dernier adieu , tandis que moi , presque immo-
«<
bile , je ne pouvais pas même la saluer , etc. »
Ce détail est charmant , et rappelle Virgile , et
le long adieu qu'on dit au bel' lolas :
Et longum formose vale , vale inquit , Tola.
Tel est le style de M.me de Flahaut ; tel est
son art , que nous n'appellerons point sublime ,
mais qui certes est très - aimable . Des événements
simples lui fournissent de vives peintures ; c'est
l'innocence même de ces deux amants qui forme
et noue , et avance leur intrigue . Ce sont les
vertus de Marie qui font naître un grand orage ,
dont sa prospérité et celle de Charles est troublée.
Qu'allait- elle faire dans cette maison voisine
du parc , chez la mère d'un certain Philippe
qui vient de partir pour les Indes , mais
qui a longtemps et familièrement vécu au château
? Quel intérêt Marie prend- elle à ce Philippe
? Eudoxie , la savante , a dit que c'était un
amant , et n'a pas ajouté qu'elle a vainement es-
4
PLUVIOSE AN X.
173
sayé d'attirer son amour . Voilà le noeud de la
pièce. L'esprit du jeune homme est obscurci de
doutes fâcheux ; la candeur de miss Seymour
pourra seule les dissiper ; mais il faut qu'elle
parle , et il faut qu'il l'écoute , et cela souffrira
des obstacles . Mais enfin elle parle. Son apologie
est douce , et naïve , et convaincante. Tout le
secret d'un coeur innocent y est mis à découvert.
C'est un des endroits où l'auteur a montré
plus d'adresse et de grace. On sourit , mais
on est touché de la dernière raison qui enfonce
le coeur de l'ami courroucé , et en fait sortir
tous les soupçons. C'est que la mère de Philippe
a jugé elle- même qu'il n'était pas aimé.
Et à quoi l'a - t - elle jugé ? A la manière dont
Marie prononçait le nom de Charles . ( Il y a un
accent auquel les femmes ne se trompent jamais).
Voilà donc Charles à jamais reconquis ; vous
êtes sûr qu'il va se marier. Mais son cheval ne
vient - il pas , par malheur , à faire une chute
effroyable , dont le cavalier est blessé , est dans
un affreux danger. La fièvre le prend ; il est
fou. J'avoue que je me fâche au moins contre le
cheval et contre la folie . C'est un tableau affligeant
et usé. Nous avons eu , pendant quelques
années , tant de folles d'amour! J'aurais desiré
que l'auteur se fût passée de cette ressource devenue
vulgaire ; mais personne ne s'en est mieux
servi qu'elle . Tout est noble dans la peinture
qu'elle fait , et rien ne désespère . On est touché
du courage de Marie qui s'immole au milieu
du danger de cette situation effrayante . Ils sont
unis , et il est rendu à la vie et à l'amour.
Voilà l'histoire, de Charles et Marie . Nous avons
cru pouvoir donner quelques pages à l'éloge d'une
174 MERCURE DE FRANCE ,
lecture que nous avons mêlée , sans regret , à
d'autres plus importantes et plus longues . Celleci
nous a paru ne pouvoir blesser la sévérité
même ; ces autres concernent des opinions , et
discutent des préjugés bien délicats à éclairer ,
bien soupçonneux et sujets à s'offenser . Il est
vrai que nous préférerons toujours , et c'est
notre devoir , de parler des ouvrages d'une utilité
reconnue ; et lorsque , d'un côté , une dame
se joue dans un récit gracieux , et que , de
l'autre , le génie s'élève vers de hautes concep
tions , ou que le travail s'exerce à approfondir
quelque vérité utile , c'est vers eux que notre
inclination se range , et nous préférons de leur
offrir le tribut de notre estime . Mais puisque le
savant évêque Huet n'a pas dédaigné d'écrire
deux volumes sur les romans , le Mercure peut- il
balancer à en indiquer quelqu'un d'estimable ?
Dailleurs , il lui appartient de dire comme La
Fontaine Diversité, c'est ma devise , et il faut
plaire à plusieurs sortes de lecteurs .
Ce serait ici l'occasion de discuter si les romans
peuvent être composés d'une suite de lettres , ou
doivent offrir un récit continu . M.me de Flahaut
a préféré que Charles Lenox écrivît à un de ses
amis l'histoire journalière et détaillée de tous
les mouvements de son coeur . Peut- on bien sup..
poser une telle correspondance , et quelqu'un
s'en est-il jamais avisé ! On garde pour soi ces
secrets précieux , on s'en entretient avec sa mémoire
, ou tout au plus avec sa femme. J'aurais
voulu un récit au lieu de lettres . Cette forme de
lettres n'est pas ancienne. Des personnes d'un
grand talent s'en sont servies , et je la crois plus
commode , sans la croire meilleure . Ernestine ,
PLUVIOSE AN. X.
175
dont nous parlions au commencement de cet
article , est , ce me semble , en récit ; la princesse
de Clèves est de même . L'abbé Prévost
a toujours pris la peine de raconter : Voltaire a
raconté dans Zadig , et Babouc , et Memnon ,
et , quoi qu'on die , il a raconté avec talent et
- avec charme .
B. V.
IL
TRADUCTION D'ATALA.
L n'y a pas encore un an qu'Atala a paru , et
déja elle est traduite dans presque toutes les.
langues de l'Europe ; elle a fourni des chants
à la musique , des tableaux à la peinture , rien
ne manque à sa gloire. La manière dont elle
a été accueillie dans les pays étrangers , prouve
assez que son succès n'est pas dû à l'esprit de
parti , comme quelques personnes ont voulu le
faire croire. Au reste , les critiques , les parodies ,
les satyres sont oubliées , et l'on relit toujours
Atala avec un nouveau plaisir ; on y retrouve
toujours quelqu'expression , quelque pensée ,
quelque sentiment qui avaient échappé aux premières
lectures , et qui s'approprient aux diverses
situations de l'ame. Comme l'on n'a point
encore parlé des diverses traductions d'Atala
nos lecteurs nous sauront gré peut- être d'en
comparer quelques morceaux avec l'original.
L'on verra que c'est injustement que les étrangers
accusent notre langue de ne pouvoir se
ployer à toutes les sortes d'harmonies.
176 MERCURE DE FRANCE ,
Nous choisirons cette description du désert ;
si harmonieuse et si mélancolique.
«Ε
ג נ
"
Le village de Stico , avec ses tombes pyramidales
« et ses huttes en ruines , se montrait à notre gauche ,
« au détour d'un promontoire : nous laissions à droite
« la vallée de Keaw , terminée par la perspective des
cabanes de Jore , suspendues au front de la montagne
du même nom . Le fleuve qui nous entraînait
coulait entre de hautes falaises , au bout desquelles
" on apercevait le soleil couchant. Ces profondes solitudes
n'étaient point troublées par la présence de
l'homme. Nous ne vîmes qu'un chasseur indien , qui ,
appuyé sur son arc , et immóbile sur la pointe d'un
rocher , ressemblait à une statue , élevée dans la montagne
, au génie de ces déserts.
ET
п
"
ex
" Atala.....
fit
« éclater dans les airs une voix pleine d'émotion et
de mélancolie ; elle chantait la patrie absente . Heureux
ceux qui n'ont point vu les fêtes de l'étranger
, et qui ne se sont assis qu'aux festins de leurs
pères !
"
"
"
"
Merveilleuses histoires racontées autour du foyer ,
tendres épanchements du coeur , longues habitudes
d'aimer si nécessaires à la vie , vous avez rempli les
journées de ceux qui n'ont point quitté leur pays
natal ! Leurs tombeaux sont dans leur patrie avec
« le soleil couchant , les pleurs de leurs amis , et les
charmes de la religion , etc. "..
«<
"
Traduction espagnole.
Sobre la izquierda , à la vuelta de un promoutorio ,
se descubria ellugar de Estico con sus tombas pirami-
་་
PLUVIOSE AN X. 177
*
Jales , y sui chozas arruinadas , y à la derecha dexa
bamos el valle de Keow , terminado con la perspectiva
de las cabanas de Jore , suspendidas al frente de la
montanna del mismo nombre. Arrastrados por el rio ,
corriamos con el por entrepennascas empinados , y sabre
sus eumbres veiamos ponerse el sal , la presencia del
hombre no turbaba aquellas profundas sole dades , no
vimos mas que un indio cazador , que apaya do sobre
su arco , e immobil sobre la punta de una roca , seme
jaba una estatua erigida en la montana al genio delos
desiertos.
Atala .... ... hizo
rezonar por los ayres una voz lliena de emocian y de
melancolia : ella cantaba la patria ansente dichosos los
que no han visto el lunno de las fiestas del extrangero ,
y que no se han sentado sino à las festines de sus padres
, etc. ... ·
Traduction italienne .
Il villaggio di Stico , colle sue tombe piramidali e
sue capanne rovinate , mostravasi alla sinistrà sul rovescio
d'un promontorio : lasciavamo alla dritta la valle
di Keow terminata dalla prospettiva delle capane di
Jora , saspese sulla fronte della montagna del medisimo
nome. Il fume che ci portava seco , scorreva fra
le alte arene all' estremità delle quali vedevasi il sol
cadente. Queste solitudini profonde non erano turbate
dalla presenza dell' uomo ; non vedenuno che un solo
cacciatore indiano ; il quale appoggiato sull' arco ed
immobile sulla punta d'una rupe samigliava ad una
statua eretta supra la montagna al genio de' deserti .
Atala ... fece
7.
12
178 MERCURE DE FRANCE ,
C
sentire per l'aria una voce piena di passionne e di malinconia
; ella cantava la patria assente.
Felici quelli che non han veduta il fumo delle feste
dello straniero e che non hanno mai assistito che al
sali conviti de' loro padri , etc …….
Il nous semble que l'espagnol , avec ses finales
en os , en es et en as , est trop fastueux pour
l'âpreté du désert , ses sons éclatants interrompent
le silence des vallées avec trop de fracas.
L'italien , au contraire , est trop sourd pour les
échos de la montagne . Le français n'exagère ,
ni n'affaiblit la sauvage grandeur de la scène.
La douceur de son harmonie ne trouble point
le repos du désert , et cependant il est assez
sonore pour se marier au bruit des eaux , des
brises ; et , comme dit l'auteur d'Atala , anx
voix de la solitude . C'est une erreur de croire
que les voyelles fermées soient harmonieuses .
Ce sont les consonnes , à la fin des mots , qui
retentissent ; remarque si vraie que la poésie
italienne est obligée de supprimer ses voyelles
finales pour se donner ces terminaisons en ar
et en or, si fréquentes dans notre langue.
Notre e muet , loin d'être nuisible à l'harmonie
, comme on l'a prétendu' , lui est donc quelquefois
très-favorable .
Nous demanderóns ensuite si quelques expressions
françaises n'ont pas plus de charme que
les expressions espagnoles et italiennes qui y correspondent.
Le mot de mélancolie , par exemple,
si agréable en français , est rendu en espaPLUVIOSE
AN X.
179
gnol par melancolia , dont le son est moins
tendre , et en italien par melinconia , qui est
presque burlesque . Debile et debale , en par
lant de l'écho , offrent une nuance moins de
cate que le mot faible employé dans l'original .
Mais ces remarques ne tombent que sur les
idiomes comparés , et point du tout sur les tra
ducteurs qui nous paraissent avoir rendu le textes
avec beaucoup d'exactitude , et souvent trèsheureusement
.
Nous observons , avant de terminer cet article
, que l'originalité du style d'Atala est telle
qu'elle perce encore à travers les idiomes étran
gers , et que cette fille du désert conserve partout
quelque chose de sa grace native et sauvage.
N'est- ce pas , en général , que l'imitation vraie
de la nature se distingue par un caractère d'u
nité que l'on saisit toujours , malgré la variété
des talents et des idiomes ?
Que chacun garde donc avec soin les singularités
qui lui sont propres quand elles ne blessent
point la raison . L'essentiel est d'être naturel
pour soi , et on le paraît bientôt aux autres.
Il faut suivre son génie .
Chacun pris dans son air est agréable en soi ,
Ce n'est que l'air d'autrui qui peut déplaire en moi,
Nous sommes fâchés de n'avoir, pas sous les
yeux les deux traductions anglaises . La langue
dans laquelle M. Macpherson a fait gémir le vieux
barde de la Calédonie , doit bien exprimer les
douleurs du vieux sauvage de la Louisiane . On
dit que la traduction allemande de M. Cramer
est un modèle d'élgance et de fidélité. Quel-
BEA
180 MERCURE DE FRANCE ,
ques personnes ont entendu lire un autre épi
sode du génie du christianisme . C'est l'histoire
de ce jeune René poussé dans le désert par des
passions et des malheurs.
On dit que le fond de cette histoire est aussi
neuf, et encore plus simple que celui d'Atala ,
le style plus continuellement élevé et l'intérêt
aussi pressant. Le public en jugera bientôt , car
on assure que l'impression du génie du christianisme
est fort avancée . Nous allons voir enfin
paraître cet ouvrage , attendu peut- être avec
autant d'impatience par les critiques que par les
admirateurs d'Atala.
TRAITÉ élémentaire de métaphysique et de
· morale ; par M. l'abbé de LAMBLARDIE .
Paris , chez Leclerc , quai des Augustins .
Prix , 2 fr. , et franc de port , 2 francs 75 centimes.
-
СЁ
E petit traité est un recueil de quelques lettres sut
la métaphysique , adressées par un instituteur à son élève.
A la simplicité du genre épistolaire , il joint le mérite
d'une grande précision , qui n'est jamais achetée aux dépens
des choses essentielles et de toute la clarté nécessaire
à l'enseignement
de la métaphysique . Nous
n'examinerons pas d'ailleurs si , dans sa méthode et ses
définitions , l'auteur est bien ce que l'on appelle au courant
de la science ; et , dans tous les cas , nous ne sommes
point tentés de lui en faire un reproche ; car , pour ne
rien dire de ces théories monstrueuses qui substituent
des absurdités à des choses incompréhensibles
, et blessent
le sens commun pour expliquer l'entendement ha-

PLUVIOSE AN X. 18L
main , que nous reste - t - il de toutes ces distinctions de
modes mixtes , d'idées simples , complexes du premier et
second ordre , si ce n'est la faculté d'en recommencer
d'autres tout aussi fondées en raison ?
Ce traité est destiné à un élève qui vient d'achever
ses études : il nous semble que l'on se méprend beaucoup
aujourd'hui sur l'ordre et la place que doit tenir
cette science dans le système général de l'éducation . Autrefois
le jeune homme n'apprenait à distinguer les diverses
opérations de son entendement , que lorsqu'il
était enrichi des couleurs d'Homère , de Virgile ,
et de plusieurs connaissances utiles et agréables ; alors
son intelligence était développée . Ses idées allaient ,
pour ainsi dire , prendre leur essor ; c'était le moment
de lui apprendre à le régler. On ajoutait même au cours
de philosophie , suivant le conseil de Mallebranche ,
quelques notions sur les mathématiques , et ces notions
tout élémentaires , dans un temps où la science était
réservée à ceux qui l'appliquaient à une profession
suffisaient pour donner à l'élève l'habitude d'un raisonnement
précis et rigoureux . Du reste , il est aessz prouvé
que les mathématiques transcendantes , si fécondes dans
leurs applications aux sciences et aux arts , sont à peu
près stériles pour l'esprit , et que les détails et le mécanisme
du calcul en dérobent au plus grand nombre
et le raisonnement et la marche.
'
Aujourd'hui , l'on donne aux enfants de gros livres de
métaphysique et de mathématiques , sous prétexte qu'ils
y apprendront l'art d'être clairs et méthodiques ; c'està-
dire , que l'on s'empresse de mettre de l'ordre dans
une tête vide , et Dieu sait comme l'on y réussit . Majs
la sécheresse de l'imagination , et une certaine routine
d'esprit , toujours esclave , sont le moindre inconvénient
de ce renversement de méthode. Le jeune
homme, séduit par les affirmations de ses maîtres , qui
t
182 MERCURE DE FRANCE ,
annoncent leur science comme la clef de toutes les autres,
se, persuade qu'en remontant à l'origine des idées , il va
puiser abondamment à la source de toutes les connaissances
humaines. Qui sait même s'il ne croit pas , súr
la parole de Condillac , que l'on peut faire une tragédie
comme Corneille en procédant du connu à l'inconnu * ?
et c'est ainsi qu'il demeure toute sa vie dans cette ignorance
que Socrate appelle la pire de toutes ; c'est le
faux savoir.
Locke observe que , de son temps , la philosophie était
très-favorable aux prétentions de la médiocrité ; cette remarque
trouve surtout son application aujourd'hui . A vrai
dire , la philosophie n'est plus qu'un temple en ruine ,
auquel l'opinion attache encore un droit d'asile pour les
amours-propres blessés , et tous les talents impuissants
et jaloux. Cette science , en passant des scolastiques aux
gens du monde , dut perdre nécessairement ce qu'elle
avait de repoussant et même de ridicule ; mais elle
s'entoura d'un appareil malheureusement plus aisé à
contrefaire. Eh ! quel grand travail d'esprit , quel
effort de pensée exige cette étude qui se réduit à une
froide anatomie ou à des suppositions puériles et arbitraires
!
Helvétius ne put être poète , et il fut philosophe ; c'est
l'histoire de la plupart de ses successeurs qui , avec bien
moins de talents , en eurent toujours assez pour calomnier
l'intelligence humaine , ou discourir sur les idées
avec cette espèce de netteté qui n'en est que la disette
.
L'ouvrage de M. de Lamblardie est divisé comme le titre
l'annonce , en deux parties ; l'une analytique , et l'autre
morale ; cette division est prise dans la nature des choses.
Il est au moins inutile de connaître nos facultés intel-
* Voyez la langue des calculs ,
PLUVIOSE AN X. 183
4
lectuelles , si cette connaissance ne nous conduit à celle
de nos devoirs. Ce serait imiter des législateurs qui , au
lieu d'un code civil , donneraient au peuple les droits de
l'homme. Nous ne saurions trop recommander ce petit
traité aux instituteurs , amis des vrais principes de l'éducation
, et nous félicitons l'auteur d'avoir enfin reconcilié
la métaphysique et la morale . "
G.
VIE polémique de VOLTAIRE , ou Histoire
de ses proscriptions , avec les pièces justificatives
,, par G .....y. Paris , chez Dentu ,
imprimeur- libraire , palais du Tribunat , galeries
de bois , n.º 240. — An X , 1802 .
VOLTAIRE avait donné une juste idée de ces pamflets
, qui , de tout temps , ont déshonoré les lettres ,
lorsqu'il s'écriait :
Que de fiel s'évapore , et que d'encre est perdue !
2
Je ne sais si l'on peut juger , avec cette gaieté indulgente
, un ouvrage qui , après tant d'années , revient sur
d'affligeantes querelles , et les reproduit avec tout leur
scandale et leur dégoût.
Tel est le livre qu'on vient de publier sous le titre
de Vie polémique de Voltaire. On y a réuni ce qu'on a
lu cent fois , ce qu'on a lu partout sur ses démêlés avec
des gens de lettres de tout étage, depuis le célèbre Jean-
Baptiste Rousseau , jusqu'au très - obscur M. Grasset.
Tous les greffes littéraires ont été soigneusement com
184 MERCURE DE FRANCE ,
pulsés pour former ce volume. Voudrait-on entreprendre
pour la littérature , comme pour la jurisprudence , un
recueil de causes célebres ? L'humanité ne serait pas représentée
plus en beau dans l'un que dans l'autre , et ,
dans celui-ci , la laideur ne serait pas rachetée par
P'utilité ; d'ailleurs , le plus souvent , en littérature , les
juges sont eux-mêmes parties. Il n'est qu'un seul tribunal
compétent , la postérité , qui , dans la plupart de ces querelles
, ne prononce que des arrêts d'oubli.
Mais ce livre , où l'on juge avec tant d'autorité ,
n'est pas même une instruction . Du commencement
à la fin , c'est un parti pris de trouver Voltaire toujours
en faute , toujours également coupable , et dans
le fond et dans la forme. Il y est toujours agresseur ,
toujours odieux dans ses attaques , odieux dans ses
défenses , toujours succombant , ou devant succomber
, quel que soit le sujet de la dispute , philosophique
ou littéraire , d'érudition ou de goût. Voici , pour citer
un exemple, ce qu'on lit à l'article de l'abbé Makarti , que
l'auteur ne paraît connaître que par les invectives de
Voltaire contre lui . « Nous ignorons ce qui peut avoir
fait dire ces compliments à cet abbé ( nous ne ferons
point de réflexions sur ce style ) , nous nous contentons
de soupçonner qu'il devait avoir du mérite , etc , etc » .
Tel est l'esprit et le résumé de tout l'ouvrage. Excepté
Voltaire , tous ceux dont il y est question sont des gens
de mérite .
"
се
Le ton qui y règne est précisément celui qu'on emploierait
contre un adversaire qui devrait répondre
demain à la page qu'on lui adresse aujourd'hui . On dirait
que Voltaire est en présence , qu'il est là , qu'il sentira
tous les coups qu'on lui porte , qu'il s'abreuvera de
toutes les injures qu'on lui prodigue , et que l'on pourra
jouir encore de son indignation , provoquée à la fois par
3
PLUVIOSE AN X. 185

leur platitude et leur injustice. C'est ainsi qu'à propos
de l'abbé Nonotte , que Voltaire avait sans doute appelé
ex -jésuite , l'auteur prend feu et riposte avec vivacité.
M. de Voltaire était ex par bien des endroits exchambellan
, ex - pensionnaire d'un grand roi , ex -de
• Prusse , ex - de France , ex - de vingt autres pays , exchrétien
, ex- philosophe , ex- bon poète , etc. etc. etc. "
Nous avons prévenu que nous ne ferions aucune remarque
sur le style ; mais quel ton ! quelle manière ! et contre
un mort ! dans quelques passages l'apostrophe est directe
. Sans doute on transcrit alors littéralement quelque
pamflet du moment ; et ce volume même ne paraît être
en grande partie qu'un recueil de centons , copiés dans
les brochures polémiques du temps.
pas
Pour nous , nous ne troublerons la cendre des morts ;
et sans chercher qui , de Desfontaines ou de Voltaire ,
eut tort dans cette rencontre , et raison dans cette cir
constance ; quand ce fut Labaumelle qui manqua aux
égards , et quand ce fut Voltaire ; quand il est arrivé à
Fréron d'être juste et impartial , et ainsi de tous les
autres , nous laisserons dormir tant d'écrits dans la poussière
et l'oubli dont une haine aveugle et puérile voudrait
les retirer.
Cette production , si stérilement volumineuse , porte
tous les caractères d'une de ces spéculations qui se
fondent sur un nom célèbre ; elle rappelle l'industrie
de ce plaideur de profession , de qui Dufresny a dit si
plaisamment :
Il achetait sous main de petits procillons ,
Qu'il savait élever , nourrir de procédures ;
Il les empâtait bien , et de ces nourritures ,
Il en faisait de bous et gros procès du Mans !
Ce serait là sans doute le côté le plus graciable de
1
186 MERCURE DE FRANCE ;
P'ouvrage ; mais s'il était entrepris pour servir la cause
honorable de la morale et de la religion , il donnerait
lieu à d'autres réflexions. Nous croirions mieux la défendre
en repoussant de tels moyens , non - seulement
comme odieux par leur injustice , mais encore comme
nuisibles par leur mal - adresse . En est- on réduit , pour
ôter à Voltaire son influence pernicieuse , à la ressource
désespérée d'une partialité révoltante ? Non , sans doute ,
ou plutôt on perd , en y recourant ses meilleurs avantages
, et contre lui , et en faveur d'une cause si belle
C'est prendre une bien fausse position que de l'attaquer
, tantôt par ses productions purement littéraires ;
tantôt , comme ici , en se joignant aveuglément et indistinctement
à tous ses ennemis . Votre injustice évidente
et votre acharnement ridicule décréditent d'avance
tous les reproches si justes et si graves qu'il mérite trop
souvent. Nous n'entendons point décourager ceux qui
s'appliquent à détruire les impressions qu'il a faites sur
la génération contemporaine , et à prévenir celles que
ses écrits , si témérairement reproduits et multipliés ,
menacent d'exercer sur la génération qui s'élève . Mais
cet ouvrage , c'est à la raison qu'il appartient de l'exécuter
, et non pas à la passion , bien moins encore à la
cupidité.
M.
i...
PLUVIOSE AN X. 187
VARIÉTÉS.
L'AMBASSADE infructueuse , trait historique
, tiré de l'Histoire dela Rivalité de la
France et de l'Espagne , par G. H. GAILLARD ,
ci-devant l'un des quarante de l'Académie
française , et doyen de l'Académie des Ins
criptions et Belles - Lettres , 8 vol . in - 12 .
A Paris , chez Lavillette , rue Saint- Andrédes
Arcs . Prix , 20 francs .
LES Historiens d'Italie et d'Espagne font connaître
une ancienne maison Arborea , famille sarde , dont le
chef s'intitulait juge et prince d'Arborea . Les droits en
ont passé dans la maison Doria et dans celle de Narbonne-
Lara . Cette maison tirait vraisemblablement son
nom d'Arborea , ville ancienne de l'île de Sardaigne 9
qu'on croît être la même que Oristagni , qui était en
effet le séjour des juges d'Arborée .
9
Vers le milieu du douzième siècle , dans un temps
où les Génois et les Pisans , après avoir enlevé aux
Sarasins l'île de Sardaigne , s'en disputaient la possession
, Barissone , qui était de cette maison Arboreal
profita de leurs divisions pour se faire roi de Sardaigne ;
..mais il ne put s'y maintenir : ce fut
lui dont la fille épousa un André Doria. La Sardaigne
fut de nouveau partagée entre les Pisans et les Génois ;
les rois d'Arragon s'en emparèrent vers la fin du treizième
siècle , en vertu de concessions de pape ; mais
les seigneurs de la maison Arborea , sous les titres de
juges et de princes , non plus de rois , défendaient vaillamment,
leur pays contre ces usurpateurs étrangers.
Vers le milieu du quatorzième siècle , Mariano , juge
et prince d'Arborea , faisait la guerre avec de grands
188 MERCURE DE FRANCE ,
succès à ce même Pierre IV , dit le Cérémonieux , roi
d'Arragon , ennemi du duc d'Anjou ; Mariano mourut
vers l'an 1376. Hugues , son fils , est ce juge d'Arborée ,
à qui le duc d'Anjou envoya cette ambassade en 1378 ;
il était le vingt - deuxième juge et prince d'Arborea ;
les titres qu'il prenait étaient : Hugues , par la grace
de Dieu , juge et prince d'Arborée , comte de Gociano ,
vicomte de Bosa. Ce fut Béatrix , sa soeur , qui , par
son mariage avec Amauri VII , vicomte de Narbonnei
porta , dans la maison de Narbonne- Lara , les droits de
la maison Arborea , et les aînés de cette branche de
Narbonne portèrent dans la suite le titre de juge et
prince d'Arborea .
Hugues continua la guerre avec gloire contre le roi
d'Arragon ; c'est le motif qui engagea le duc d'Anjou à
rechercher son alliance . Il avait déja fait précédemment
avec Hugues un traité qui était resté sans exécution
comme on va le voir par le précis de la relation de
cette ambassade de 1378 .
Les ambassadeurs partirent , le 5 août , d'Avignon ; le
23 , de Marseille ; ils arrivèrent , le 28 , au port de Bosa
en Sardaigne , d'où ils envoyèrent à Oristagni , séjour
du juge d'Arborée , pour lui annoncer leur arrivée. Il
était tard , lorsqu'ils se présentèrent pour entrer dans
la ville de Bosa ; le podestat et les anciens leur déclarèrent
qu'il était impossible de les y introduire ; que les
défenses du juge d'Arborée à cet égard étaient expresses
; que la crainte des corsaires catalans qui croisaient
sans cesse dans ces parages pour nuire aux habitants
de la Sardaigne , rendait cette précaution nécessaire
. Le 30 , ils arrivèrent à Oristagni , dont les
gardes leur fermèrent la porte , en leur déclarant qu'ils
* Res dura et regni novitas me talia cogunt
Moliri, et latè fines custode tueri..
VIRG. Eneid, lib . 1 .
PLUVIOSE AN X. 189
"
ne pouvaient entrer sans un ordre exprès du juge d'Arborée.
La porte s'étant ouverte plus d'une heure après ,
ils entrèrent et allèrent dans une hôtellerie où sur le
soir , un officier du palais , nommé don Pal , accompagné
de quatre massiers et d'environ une vingtaine
d'hommes armés d'épées , vint les prendre pour les
mener à l'audience du prince ou juge ; ils le trouvèrent
couché sur une espèce de petit lit de repos , ayant des
bottines de cuir blanc , à la manière des Sardes ; la
chambre et le lit sans aucun ornement : il avait avec
lui un évêque , son chancelier , qu'il fit sortir. Ce juge
d'Arborée était un fier et sauvage insulaire , qui n'entendait
rien à la politique des princes de l'Europe
qui regardait tout traité comme un engagement sacré ,
qui ne savait pas qu'il y en a qu'on fait par précaution
et à tout événement , et sur l'exécution desquels personne
ne compte que d'après les intérêts et les circonstances
; qu'on traite , d'un côté , avec ses amis , pour
obtenir du secours contre ses ennemis , et de l'autre ,
avec ses ennemis , pour se passer du secours de ses amis,
et se dispenser de leur en fournir . Le duc d'Anjou ,
par des traités précédents , avait fait quelques promesses
qu'il n'avait pas tenues ; le juge d'Arborée le reprocha
durement aux ambassadeurs : Je suis très -mécontent
- de votre maître , leur dit -il ; c'est un parjure , il a
manqué à sa parole : n'est- il pas bien indécent que le
« fils d'un roi n'observe pas ce qu'il a promis et juré ?
- Il m'a fait tort ; il a tiré de mon île à la faveur de
« notre alliance , des arbalêtriers et d'autres guerriers
qui m'étaient nécessaires ; il n'en a fait aucun usage
pour notre cause commune et il m'a empêché de
pousser la guerre contre le roi d'Arragon , aussi vigou-
- reusement que je l'aurais fait : il traitait avec lui pendant
qu'il s'alliait avec moi . Ce roi d'Arragon m'a aussi
envoyé des ambassadeurs pour traiter de la paix ; je
#
es
2
190 MERCURE DE FRANCE ,
1
1
« ne les ai pas seulement voulu voir . Je ne sais pas ce
« que c'est que de traiter avec mes ennemis au préju-
" dice de mes amis.
'
Les ambassadeurs , un peu étourdis de ce ton , auquel
ils n'étaient pas accoutumés , répondirent que
leurs instructions contenaient des réponses satisfaisantes
à ces reproches : « Eh bien ! dit-il , donnez- m'en
copie , ainsi que de vos pouvoirs je vous ferai ma
réponse én peu de mots , et vous expédierai en peu
« de temps.
"
་་
" "}
Le duc d'Anjou avait en effet envoyé précédemment
au juge d'Arborée une ambassade , qui avait conclu
avec lui contre le roi d'Arragon , un traité d'alliance
resté jusqu'alors sans exécution . Il excusait ce délai
dans les instructions de ses nouveaux ambassadeurs ...
S'il n'a pas encore commencé la guerre contre l'Arragon
, ces négociations du roi de Castille en sont en
partie la cause ; mais de plus , le roi de France , son.
frère , l'avait prié de ne point s'engager dans cette
guerre , tant que durerait celle qui se faisait alors contre
les Anglais ; mais enfin , quelque chose qui arrive , il
est résolu de commencer la guerre contre le roi d'Arragon
en 1380. S'il prend un si long terme c'est
pour s'y mieux préparer , et même il l'abrégerait , et
commencerait dès l'année prochaine , 1379 , si le juge
d'Arborée le desirait . Enfin il lui annonce , comme à
son ami et à son allié , qu'il lui est né un fils le 7 octobre
1377 et il lui offre ce fils pour sa fille , il ne
lui cache pas que le roi de Castille a domandé cet
enfant pour la fille du duc de Girone , fils du roi d'Arragon
, et qu'il a voulu faire de ce mariage le gage
de la réconciliation du duc d'Anjou avec le roi d'Arragon
; beaucoup d'autres puissants princes Tui avaient
demandé son fils pour leurs filles ; mais c'est au juge
d'Arborée qu'il donne la préférence pour la sienne.
2
"
1.
PLUVIOSE AN X. 191
En effet , les nouveaux ambassadeurs étaient munis de
pouvoirs, non - seulement pour confirmer et renouveler
les alliances , mais encore pour contracter ce mariage.
Une telle proposition devait , selon les apparences ,
flatter sensiblement un petit prince , qui n'était pas
même compté parmi les souverains de l'Europe , et que
les rois d'Arragon regardaient comme un aventurier et
un rebelle. Elle ne le flattait point du tout ; il répondit
:«Cette proposition n'est dans votre intention qu'une
« fourberie nouvelle , et elle n'est en elle - même qu'une
• dérision et un ridicule ma fille est nubile , votre fils
« n'a pas un an ; je prétends marier ma fille de mon vị-
« vant , et voir ses enfants qui seront ma consolation
et ma joie , et non pas attendre les vents , qui , dit-
« on , souffleront un jour , et non expectare ventos fuu
turos, "
"
Quant aux autres propositions contenues dans les
instructions des nouveaux ambassadeurs , voici quelle
fut la réponse du juge d'Arborée :
8
Се
"
"
" J'ai donné ordre qu'on fit voir aux nouveaux ambassadeurs
les articles arrêtés et jurés par les premiers
, en présence du peuple , dans la cathédrale
d'Oristagni , afin qu'ils eussent connaissance des dommages
et intérêts , et des autres peines auxquelles le
duc d'Anjou s'est soumis , en cas d'infidélité ; je saurai
« en temps et lieu lui demander ces dommages et intérêts
, et lui faire subir les peines qu'il a encourues .
J'ai vu ses fausses et frivoles excuses , et ses offres nou-
« velles d'entrer en guerre avec l'Arragon ; il n'a point,
il n'aura point de guerre avec l'Arragon : en tout cas
peu m'importe ; que chacun fasse ses affaires de son
côté , sans toutes ces frauduleuses alliances. Les Arra
gonis et les Catalans sont mes ennemis ; je leur fais
la guerre avec honneur depuis quatorze ans , soit pour
" mon père , soit pour moi -même , sans autre secours
"
K
"
"
192 MERCURE DE FRANCE ,
"
K
que celui de Dieu , de la bienheureuse vierge Marie ,
« de mon bon droit et de mes sujets sardes ; je la con-
« tinuerai sans autre secours. Je ne trompe personne
« et l'on ne me trompe pas deux fois ; je n'ai besoin ni
du duc d'Anjou , qui , s'étant montré une fois parjure ,
« est présumé l'être toujours , ni d'aucune autre puis-
* sance : que les princes se trompent les uns les autres
puisque ce jeu les amuse ; je ne veux d'alliance avec
« aucun d'eux ; je suffis seul et à ma défense et à ma
vengeance. Que le duc d'Anjou songe donc , non à
• s'allier avec moi , non à donner à ma fille un enfant
pour mari , mais à me dédommager convenablement .
de l'inexécution du traité , sinon j'en porterai mes
plaintes , et j'en demanderai justice à tous les princes
« et à tous les peuples du monde , non pour implorer
« leur secours , mais pour faire connaître ce prince tel
« qu'il est , et pour que toutes les puissances de la terre
❤ sachent comme il se joue de la foi des traités . "
"
«
A cette réponse , était jointe une lettre adressée aut
duc d'Anjou J'ai vu vos ambassadeurs ; ils m'ont
fait part de vos frivoles excuses ; je leur ai fait remettre
ma réponse , et j'ai pris la précaution de faire
enregistrer le tout dans ma chancellerie. »
K
A la dureté des réponses , le juge d'Arborée joignit
la dureté des procédés à l'égard des ambassadeurs .
Ceux- ci , ayant remis leurs papiers au juge , attendaient
tranquillement sa réponse au palais archiepiscopal
, où le juge les avait fait loger et traiter assez
honorablement. Le mardi , dernier août , deux massiers
´et deux sergents ou domestiques , armés d'épées et portant
la livrée du prince , vinrent leur dire , dans la
langue du pays , que monsieur le juge les mandait .
Arrivés dans la grande cour du palais du prince , ils
la trouvent remplie d'un peuple immense , au milieu
duquel on distinguait un évêque , frère mineur , entouré
PLUVIOSE AN X. 193
d'autres frères mineurs , une multitude de prêtres et
de moines , et quantité de domestiques à la livrée du
prince . Les ambassadeurs voulurent se tirer de la
foule , et passer , comme la veille , de cette grande
cour extérieure dans la petite cour intérieure , qui menait
à la chambre du juge ; on leur en ferma brusquement
la porte , et ils furent obligés d'attendre dans la
première , confondus parmi le peuple. Au bout d'un
certain temps la porte s'ouvrit , et ils virent paraître
l'évêque - chancelier , tenant un papier à la main , et
assisté d'un notaire ou secrétaire qui portait aussi divers
papiers. Avec eux étaient don Pal , cet officier
du palais , qui , la veille , avait introduit les ambassadeurs
dans la chambre du juge ; le Podestat , et à
leur suite un grand nombre de massiers , de sergents
et domestiques du juge. L'évêque , élevant la voix
pour être entendu de toute l'assemblée , cria , dans la
langue du pays : « Bonnes gens , monsieur le juge vous
a fait assembler ici pour vous faire connaître les variations
et l'infidélité du duc d'Anjou , en présence
de ses nouveaux ambassadeurs. Voici le traité dont
« vous avez entendu les premiers ambassadeurs jurer
solennellement l'exécution dans l'église de Sainte-
Marie ; il est possible que les nouveaux ambassadeurs
n'en ayent pas connaissance ; c'est pourquoi
nous avons voulu vous le lire en leur présence.
Voici ensuite la nouvelle dépêche du duc d'Anjou ,
apportée par ses nouveaux ambassadeurs ; elle con-
« tient l'aveu formel de l'inexécution du traité , avec
de nouvelles promesses qui ne seraient que de nouveaux
mensonges . Voici la réponse que monsieur le
juge fait à toutes ces fourberies. >>
17
et
"
<1
"
+
11
et
1
(On a vu plus haut cette réponse) .
En même temps le chancelier fit lire toutes ces pièces
qu'il accompagnait de commentaires pour aggraver les
7.
13
194 MERCURE DE FRANCE,
torts du duc d'Anjou , et pour rendre plus sensible
l'infidélité qu'on lui reprochait ; ensuite se tournant
vers les ambassadeurs , il leur dit , de la part du juge
d'Arborée , qu'ils eussent à sortir de ses terres , dans
le jour , et à se retirer dans leur navire ; et que c'était
ainsi que le juge leur donnait leur congé. Ce n'est pas
ainsi qu'il doit être donné à des gens de notre caractère
, répondirent les ambassadeurs ; et ils demandèrent
à l'évêque chancelier une copie de la réponse du juge ,
et la permission de le voir pour prendre congé de lui.
Attendez ici un moment , leur dit l'évêque ; et il alla
prendre les ordres de Hugues. Don Pal qui était rentré
avec lui , revint un moment après , et dit aux ambassadeurs
qu'ils ne pouvaient voir le juge , mais qu'ils
retournassent dîner au palais ( archiépiscopal ) , et
qu'ils attendissent ses ordres . Ils dînèrent tristement ,
et après le dîner , que la relation appelle prandium
pessimum , n'entendant parler de rien , ils envoyèrent
jusqu'à deux fois à don Pal des personnages des plus
distingués pour demander de nouveau la permission
de voir le juge. La première fois , ils ne purent pas
même parvenir jusqu'à don Pal ; la seconde , ils le
virent , mais ils en reçurent pour réponse définitive , que
le juge ne voulait point absolument revoir les ambassadeurs
on leur fit même toute sorte d'avanies , soit
par ordre du juge , soit en croyant entrer dans ses
vues ; on retint les provisions de vivres que le juge
leur avait permis de faire dans la ville pour leur
voyage , et qu'ils avaient exactement payées ; on arrêta
leurs malles à la porte de la ville , et on les
fouilla très - rigoureusement , pour voir s'ils n'avaient
point de papiers secrets ou suspects ; mais ils avaient
pris leurs précautions à cet égard .
Ce même mardi , 31 août , à l'entrée de la nuit , les
ambassadeurs étant dans leur navire , François Pisani
PLUVIO SE A N X195
cer
vint , de la part du juge d'Arborée , leur apporter la
5 .
copie de la réponse de ce prince , qui avait été life .
dans l'assemblée du peuple , et sa lettre adressée au
duc d'Anjou *.
Le retour en France ne fut pas sans danger ; on
craignait surtout la rencontre des navires catalans. Le
vaisseau qui portait les ambassadeurs avait été loué à
Marseille ; le patron était marseillais : les Provençaux ,
alors sujets de la reine Jeanne I.re de Naples , étaient
en paix avec les Arragonois et les Catalans ; c'était un
danger de moins . Le vaisseau relâcha , pour faire eau ",
dans un port du golfe d'Algéry , à dix milles.de dis
tance de cette place . Algéry et toute cette partie de
la Sardaigne appartenaient aux Arraganois : une barque
survient , portant pavillon marseillais , plusieurs hommes
en sortent , entre autres un consul , résident à Algéry,
pour les Marseillais et les Provençaux ; ils entrent dans
le vaisseau des ambassadeurs , et , s'adressant au patron
, se disent envoyés par le gouvernement d'Algéry,
qui s'étonne , qu'attendu l'amitié qui règne entre les
Provençaux et les Catalans , le patron ne se soit pas
adressé à lui pour demander des rafraîchissements ; il
le prévient donc , et les envoie pour lui en offrir. Nous
sommes très- bien pourvus de tout , répondit le patron ,
et pour le prouver , il leur fait servir d'excellent vin
"
dans des vases d'argent , et se met à boire avec eux .
Tout en buvant et en causant , on lui demande amicalement
d'où il vient : « Je viens , dit - il , de donner
la chasse à quelques corsaires sarrasins qui ont exercé
" des brigandages dans la mer de Marseille . - Oh !
non , répond un des envoyés d'Algéry ; vous revenez
de Sardaigne , vous portez deux ambassadeurs français
. Il lui en dit les noms , surnoms , titres et
On a vu ci-dessus ces deux pièces,
"
"
196 MERCURE DE FRANCE ,
"
* "
qualités . « Le gouverneur d'Algéry , ajouta - t - il , én
" est bien instruit , et n'en est pas médiocrement inquiet
comment avez - vous l'imprudence de vous
engager ici dans un golfe arragobois ? Croyez moi , ne
☐ vous y arrêtez pas plus longtemps ; vous n'y seriez
pas en sureté. Le patron , qui était homme de
coeur , répliqua : « Le voulez - vous ainsi ? Eh bien !
tout ce que vous dites est très - vrai ; j'ai dans mon
☐ vaisseau les ambassadeurs français ; je prétends les
remettre sains et saufs à Marseille je ne crains
• point monsieur le gouverneur d'Algéry ; qu'il fasse
du pis qu'il pourra . Je ne pars d'ici que demain an
matin , je soupe ici , je dors ici ; si l'on me réveille ,
nous verrons et sachez qu'il n'y a pas dans le port
de Marseille un seul vaisseau qui ne soit aux ordres
du duc d'Anjou , sauf l'obéissance due à notre sou-
* veraine . »
R
Après ce discours , les envoyés partirent ; le patron
resta comme il l'avait dit , et ne partit que le lendemain
matin. Le nom de cet homme courageux était
Jean Casse.
Les ambassadeurs , dans le reste de leur course , essuyèrent
de violentes tempêtes qui maltraitèrent leur
pavire au point qu'il faisait eau de tous côtés , et que
chacun s'attendait à périr ; on prit terre , et on le radouba
: à peine s'était- on remis en mer , qu'on aperçut
deux vaisseaux de corsaires , qui donnèrent la chasse
à celui des ambassadeurs ; mais celui- ci étant meilleur
voilier , leur échappa .
Les ambassadeurs n'arrivèrent à Marseille que le 16
septembre ; par le compte des frais du nolage , ils se
trouvèrent devoir au patron 1,075 livres ; ils n'avaient
point cette somme ; ils offrirent des otages ; le généeux
Jean Casse les refusa ne voulant point d'autre
PLUVIOSE AN X.
197
sureté que leur promesse et la protection du due
d'Anjou.
Ils arrivèrent , le 18 , à Avignon , où ils séjournèrent
quelque temps ; ce ne fut enfin que le 11 d'octobre
qu'ils purent remettre à Toulouse , au duc d'Anjou ,
les réponses et la lettre du juge d'Arborée , et rendre
compte du mauvais succès de leur ambassade * .
ˋ
VOYAGE au Sénégal , pendant les années 1784
et 1785 , d'après les mémoires de LAJAILLE,
ancien officier de la marine française , contenant
des recherches sur la géographie , la
navigation et le commerce de la côte occidentale
d'Afrique , depuis le Cap - Blans
jusqu'à la rivière de Serra- Léone , avec des
notes sur la situation de cette partie de
l'Afrique jusqu'en l'an X ; par P. LABARTHE
; orné d'une très-belle carte. Paris ,
chez Dentu , imprimeur- libraire , palais du
Tribunat , galeries de bois , n.º 240 .
1
CE voyage offre plus de faits que de détails , plus de
résultats que d'aventures , et par conséquent plus d'utilité
que d'agrément. Mais si l'on n'y trouve pas beaucoup
de particularités qui amusent , on y trouvera des notions
sur la navigation de la côte occidentale d'Afrique , sur
les lieux propres aux stations des équipages ; sur les
denrées qui s'y vendent avec le plus de succès , des tableaux
comparatifs d'exportations et d'importations ; en
un mot , des renseignements précieux et puisés aux
sources les plus sûres . Ils acquièrent un intérêt plus
Tiré du tome 3 de l'ouvrage du C. Gaillard.
198 MERCURE DE FRANCE ,
particulier au moment où la paix vient d'ouvrir de
nouvelles espérances au commerce .
On sait que jusqu'à la révolution , la traite des nègres
était le principal objet de nos relations au Sénégal ; par
elle nous fournissions des bras à nos diverses colonies '
dont le défaut de culture , suivant les relevés de notre
auteur , priverait la France d'un revenu réel de 160 millions
, et le gouvernement d'un bénéfice de 20 millions ,
et nous rendrait tributaires des colonies anglaises .
Nous ne reviendrons pas avec lui sur la question de
la traite des nègres ; elle est décidée par l'événement .
Il est inutile aujourd'hui d'insister sur les dangers du
brusque affranchissement de ces hommes furieux et incapables
de liberté , dont la servitude , insensiblement
adoucie par le progrès de la civilisation européenne , se
convertissait en une sorte de domesticité , à la fois plus
conforme à la dignité de l'homme , et plus avantageuse
à eux - mêmes. D'ailleurs , comme le dit fort bien le
C. Lebarthe , ces déclamateurs philanthropes , qui réclamaient
avec tant de chaleur les droits de l'Africain ,
et ne craignaient pas d'ébranler les fondements de la
société qui les protégeait , ne se sont jamais entendus :
témoin Raynal , l'orateur le plus emporté de la liberté
des nègres , qui assure formellement dans son Histoire
philosophique , que : « La loi de Constantin , qui dé-
" clarait libres les esclaves qui se feraient chrétiens ,
fut une des causes de la chute de l'empire romain ;
" que cette loi , dictée par l'imprudence et le fanatisme ,
« quoiqu'elle parût l'être par l'humanité , peut servir
à nous faire voir qu'une grande innovation est souvent
" un grand danger, et que les droits primitifs de l'espèce
humaine , ne peuvent être toujours les fondements de
« l'administration ! » Et voilà le christianisme en défaut,
là où la philosophie doit avoir raison ! Au reste , la
liberté des nègres n'était pas l'objet principal de l'auteur
"
"
"
PLUVIOSE AN X. 199
de l'histoire philosophique , et même des armateurs
encore existants pourraient nous certifier que ses malheureux
clients n'ont pas moins servi à sa fortune qu'à sa
réputation littéraire.

"
"
On ne parcourra pas sans utilité les notes qui sont
à la suite de ce voyage , et qui donnent des détails sur
la situation actuelle de cette côte d'Afrique ; elles sont
terminées par un extrait des mémoires présentés au
ministre de la marine et des colonies en 1783 , sur la
manière la plus avantageuse à l'état , de faire le commerce
du Sénégal. On y discute tour- à- tour les motifs
en faveur de la liberté du commerce , les motifs en
faveur du privilége exclusif des compagnies ; et la conclusion
est favorable à la liberté indéfinie ; on y démontre
que « Les compagnies qui , jusqu'à présent ,
" ont fait le commerce exclusif du Sénégal , ont été
obligées de l'abandonner par leur mauvaise administration
; que l'établissement des compagnies exclusives
amène le découragement parmi les naturels et
les habitants du Sénégal , et la stagnation du com-
" merce national, ce qui , en 1791 , amena la suppression
de celle du Sénégal . » Ces raisonnements paraissent victorieux
, mais jusqu'à présent ils n'ont point persuadé
les gouvernements . Smith , qui jouit d'une si grande
considération parmi ses compatriotes , a consacré plusieurs
volumes à prouver que la balance du commerce
ne pouvait s'établir que par une liberté indéfinie ; et
les douanes , les primes , les priviléges exclusifs , subsistent
en Angleterre . La compagnie d'Afrique vient
d'être rétablie parmi nous . Ces défenseurs de la liberté
du commerce dont on estimé d'ailleurs les talents
et les connaissances , ressemblent à ces poètes que les
magistrats de la république de Platon renvoyaient
couronnés de fleurs .
"
R
2
G.
200 MERCURE DE FRANCE ;
SPECTACLES.
THEATRE DE LA RÉPUBLIQUE ET DES ARTS.
LE 10
E 10 nivose , il n'y a pas eu d'Opéra . La salle de la
République et des Arts était consacrée à une autre solennité.
Le ministre de l'intérieur y distribua les prix aux
élèves du Conservatoire . Il prononça un discours ana-
Jogue aux circonstances , où il décrivit les effets des
différents instruments de musique. La présence du premier
consul , et des ambassadeurs étrangers , les membres
des différentes autorités , qui , sans avoir été invités
en corps , y assistaient comme particuliers ; des
femmes élégantes et distinguées , une illumination brillante
, tout donnait à cette assemblée l'air d'une fête
nationale.
Dans ces temps où la tyrannie la plus absurde pesait
sur tous les Français , on n'eût osé , sous peine de
mort ou d'exil , hasarder aucune idée contraire aux
institutions alors existantes ; mais telle est ma confiance
dans cette véritable liberté dont nous jouissons
depuis le 18 brumaire , qu'en exprimant mon opinion
avec franchise sur la fête dont il s'agit , je ne
craindrai point d'offenser le gouvernement , et de
manquer , ni au respect dû au ministre d'un grand
empire , ni à l'estime , acquise depuis longtemps à un
savant distingué , ni aux sentiments particuliers qui
m'attachent à sa personne . Nous observerons d'abord
que cette fête fut instituée dans les temps révolutions
PLUVIOSE AN X. · 201 J
naires ; après le 18 brumaire , Lucien Bonaparte ,
ministre de l'intérieur , et Chaptal , qui lui succéda ,
se conformèrent à l'usage établi .
Personne ne nous soupçonnera de blâmer les encouragements
accordés aux arts ; mais ces encouragements
doivent être proportionnés à l'importance des arts différents
auxquels le gouvernement accorde sa bienveillance
; et telle est la pompe dout est entourée cette
distribution des prix décernés aux élèves du Conservatoire
, qu'ils paraissent recevoir des honneurs plutôt
que des récompenses. Supposons un étranger que l'on
aurait introduit , le 10 nivôse , dans la salle de l'Opéra ,
sans l'avoir prévenu du motif de cette brillante réunion.
A qui décernez -vous ( aurait - il dit ) ces honneurs
et ces triomphes ? Est- ce à ces généraux français qui
ont vaincu et pacifié l'Europe ? Et lorsqu'on lui auraie
répondu que ces couronnes ne leur étaient point destinées
, il aurait cru qu'elles allaient être offertes à ces
hommes d'état , qui , dans les orages de la révolution ,
ont rendu leur courage et leur sagesse également re
doutables aux ennemis de la liberté et aux partisans
de l'anarchie, Si on lui avait expliqué que des musiciens
étaient l'objet de ce triomphe , il se serait attendu
pendant quelques moments , à voir couronner les bustes
de Piccini , de Gluck , ou de Sacchini , après une
représentation de Didon , d'Alceste ou d'Iphigénie en
Tauride ? Mais quelle aurait été sa surprise , lorsqu'il
aurait vu couronner , par un ministre , en présence des
premières autorités de la république , de jeunes élèves
qui pourront un jour jouer agréablement de la flûte
on de la clarinette ?
On m'opposera peut être l'usage établi dans
l'Université , où le premier prix était offert par le
premier président du parlement. Quelle différence !
202 MERCURE DE FRANCE ,
*
c'étaient aussi des élèves , sans doute ; mais des élèves
appelés à parcourir les carrières les plus honorables ,
et dont plusieurs étaient destinés à briller dans les
premières places de la monarchie . L'un d'eux devait
être Bossuet ; l'autre , Turenne ; celui -ci Catinat ;
celui- là , Lamoignon.
La carrière des élèves du Conservatoire est circonscrite
; et du premier au dernier sujet , la seule
différence qui puisse jamais exister , consiste en
plus ou moins d'habileté sur le clavecin ou sur le
violon.
On doit , sans doute , encourager et récompenser
les jeunes gens qui annoncent d'heureuses dispositions.
pour la musique ; mais on ne doit point les honorer à
l'égal de ceux qui sont destinés , par leur genre d'instruction
, à devenir des héros ou des hommes d'état.
Que dans l'enceinte de leur école , les élèves du Conservatoire
reçoivent des prix offerts par leurs professeurs ,
rien de plus raisonnable. Mais que les pompes solennelles
soient réservées , par exemple , pour les prix accordés
aux élèves de cette école polytechnique , dont les maîtres
illustres ont , les premiers en France , honoré le
nom de sénateurs ; à ces jeunes hommes enfin , -aujourd'hui
l'espérance , demain l'honneur de la république.
La reprise d'Adrien n'a encore eu que deux représentations
; elle est , dit l'affiche , interrompue par
l'indisposition de M.lle Maillard , qui a cependant reparu
dans les Mystères d'Isis . Il serait injuste de juger , avec
rigueur , la musique de cet ouvrage , composé depuis
douze ans. On y trouve et l'harmonie et l'éclat des
accompagnements qui recommandent Méhul à l'estime
des savants musiciens . Mais il a depuis daigné , dan's
l'Irato , compâtir à l'ignorance des oreilles , qui ne
PLUVIOSE AN X. 203.
sont que sensibles , et composer des airs que l'on chante
et que l'on répète avec plaisir .
Il faut espérer qu'enfin les premiers principes de l'art
dramatique seront connus et sentis.
Le secret est d'abord de plaire et de toucher.
Ce ne sera pas en vain que la musique de Mozart , å
l'Opéra , et celle de Pasiello , au théâtre des Bouffons ,
donne tous les jours aux compositeurs français des
leçons harmonieuses .
0 .
THEATRE FRANÇAIS DE LA RÉPUBLIque .
CE théâtre n'offre point de nouveautés.
Mlle Bourgoing est reçue à quart de part.
Baptiste aîné et Michot ont reparu tous deux avec
succès. Le premier dans le Glorieux et la Métromanie,
le second dans la belle Fermière.
THEATRE DE LA RUE DE LOUVOIS..
DEPUIS
EPUIS quelques temps le théâtre de la rue de
Louvois n'avait rien présenté de remarquable.
La pièce en répétition , quoique l'ouvrage de deux
auteurs estimés , n'a eu qu'un succès médiocre. L'Auberge
de Calais , avec moins de mérite peut - être , ne
s'est jusqu'à présent soutenue au théâtre que par le
jeu piquant et animé de Picard.
Les comédies transportées d'un autre théâtre ont été
204 MERCURE DE FRANCE ,
plus heureuses. Le Tom- Jones à Londres de Desforges,
et la Nuit aux aventures de Dumaniant , avec différents
degrés de succès et d'estime , ont réussi au théâtre de
la rue de Louvois , comme autrefois aux Italiens et aux
Variétés. Mais rien de tout cela n'amenait l'affluence,
Enfin la Grande Ville fut annoncée. La salle était pleine
à cinq heures et demie ; il resta plus de personnes en
dehors qu'il n'y en avait en dedans et l'on plaça
moins de spectateurs que l'on ne renvoya de curieux .
La séance fut orageuse , et le bruit des improbations
fut prêt d'étouffer celui des acclamations. La seconde
représentation fut plus tranquille , quoique plusieurs
sifflets se soient fait entendre. Il paraît qu'à la troisième
, où l'affluence était aussi grande qu'à la première
, d'un côté , la' turbulence' des malveillants , de
l'autre , le zèle inconsidéré des amis , ont causé quelques
désordres. On a même répandu à ce sujet , contre
la garde de Paris , des propos calomnieux que Picard
s'est empressé de démentir.
On retrouve dans cet ouvrage la gaieté franche , le
naturel et la vérité qui caractérisent le talent de Pi
card; mais on peut lui reprocher aussi toutes les négli
gences d'une facilité dont il devrait se défier davantage.
Il s'occupe en ce moment à supprimer le cinquième
acte. Pour énoncer notre opinion sur la Grande Ville ,
nous attendrons qu'elle ait reparu avec les corrections .
que l'auteur a lui -même jugées nécessaires.
Q.
..
PLUVIOSE Α Ν Χ.

ANNONCES.
TRADUCTION libre des odes d'Horace , en vers français
, suivie de notes historiques et critiques. 2 vol .
in-8. 7 fr. 50 c. , et 1o fr. franc de port. A Paris ,
chez Belin , imprimeur , rue Saint-Jacques , n.º 22 .
L'ACHILLÉIDE et les Sylves de Stace , traduites
en français ; par P. L. Cormiliolle , de la Société libre
des sciences , lettres et arts de Paris , et traducteur
de la Thebuïde du même auteur ; avec cette épigraphe
:
Maroneique sedens in margine templi ,
Sumo animum , et magni tumulis adcanto magistri.
Lib. 4 , Sylv. 4, v. 54.
2 vol . in- 12 , br. Prix , 4 fr. , et 5 fr. 75 cent. franc
de port. Paris , Demoraine , imprimeur- libraire , rue
du Petit-Pont , n.º 99.
Cet ouvrage manquait à notre littérature , et était desiré
depuis longtemps . Réuni à la Thébaïde , imprimée eu
1783 , il complète la collection des OEuvres de Stace ,
et celle des traductions des anciens poètes latins. Le
C. Cormiliolle n'a rien négligé pour rendre son travail
digne des regards du public et de l'accueil favorable
que les gens de lettres ont fait à sa Thébaïde.
Trente- cinquième suite de la Notice de l'Almanach
sous verre ; pour l'an 10 de la république française :
contenant les découvertes , inventions ou expériences
nouvellement faites dans les sciences , les arts , les métiers
, l'industrie. Cette brochure , grand in- 4.° à deux
colonnes , paraît tous les ans. Prix , 1 fr. 20 cent . , ft
I fr. 50 cent. franc de port. La collection complète ,
25 fr. , et 28 fr. 50 cent. frane de port. Paris , Demoraine
, imprimeur- libraire , rue du Petit- Pont , n.º 99 .
Trente - cinq ans d'existence prouvent suffisamment
en faveur de ce recueil . Formé avec soin , on n'y trouve
que des faits exacts , instructifs , et d'une utilité directe..
206 MERCURE DE FRANCE ,
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Lassus , Valmont de Bomare , membres de l'Institut ;
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Economie politique et rurale : Tessier , de l'Institut .
Législation , politique : Delamalle , jurisconsulte
Paul Ustéry , etc.
Histoire , antiquités , voyages : Langlès , Laporte-
Dutheil , Leblond , Mentelle , Emmanuel- Toulongeon ,
membres de l'Institut ; Chardon Larochette , P. H. Marron,
Ste.-Croix , etc. , etc.
Philosophie , littérature , poésie , théâtre , romans :
Molé , Sicard , Villeterque , membres de l'Institut ;
Boufflers , Ségur aîné ; Mesdames Beaufort- d'Hautepoul,
Henriette Bourdic - Viot , Louise - St - Léon Antoinette
Legroing-la-Maisonneuve , Hélène Maria Williams , etc.
On souscrit aussi chez tous les directeurs de poste ,
et chez les principaux libraires de l'Europe.
,
ANALYSE des blessures d'armes à feu et de leur trai
tement , par Pierre Dufouart , officier de santé supérieur
, et chirurgien en chef à l'hôpital militaire de
Paris . Paris , chez Charles Pougens , imprimeurlibraire
, quai Voltaire , n.º 10.

Cet ouvrage , comme le titre l'annonce , se partage en
deux parties , et présente , dans un grand détail , une
analyse théorique , appuyée sur les faits , et une pratique
sage , fondée sur cette théorie. On y trouve l'empreinte
de cet esprit méthodique
, dont on sent de plus en plus
la nécessité pour assurer les progrès des sciences , et dont
l'influence
s'est fait trop peu sentir jusqu'ici dans l'enseignement
de la médecine externe en particulier. Ce
traité , joint à celui des blessures , faites par les armes
blanches que l'auteur nous promet , formera un cours
complet de chirurgie militaire , et lui donnera des droits
à la reconnaissance
publique . Elle est la première récompense
des guerriers qui versent leur sang pour la
patrie , et de celui qui consacré à leur soulagement
ses ta
lents et son existence.
PLUVIOSE AN X. 209
POLITIQUE.
EXTÉRIEUR.
SUITE du Précis sur l'état de l'Europe.
Nous continuerons le tour de Europe par la Pologne
et la Turquie ; l'un , enfant déshérité , l'autre ,
enfant bâtard de la grande famille européenne . Ces
deux Etats , si opposés dans leurs moeurs et leur religion
, sont , plus qu'on ne pense , semblables dans leur
constitution ; de- là la faiblesse de l'un et de l'autre ;
l'anéantissement de la Pologne déja effectué , l'anéantissement
inévitable de la Turquie , retardé par son
éloignement et par des intérêts particuliers. D'autres
Etats ont péri par les abus de leurs administrations ;
la Pologne et la Turquie périssent par des vices de
constitution ; tous deux peuvent offrir au publiciste
un cours de politique pratique , à peu près comme
ces cours de médecine clinique que l'on fait sur les
malades eux - mêmes. Mais le lecteur nous permettra
de lui rappeler ici des principes contenus dans quelques
ouvrages politiques assez récents * , pour lui faire
mieux sentir la verité des principes dans la justesse
de l'application.
La loi fondamentale de toute société est celle de
l'unité de pouvoir , et la seconde , aussi nécessaire ,
aussi fondamentale que la première , est celle de la
nécessité du ministère qui exécute l'action conservatrice
du pouvoir envers le sujet . Ainsi il y a dans chaque
* Le divorce , considéré au dix-neuyième siècle .
7. 14
210 MERCURE DE FRANCE ,
société un chef , un ministère qui sert au chef , et des
sujets qui sont le terme de la volonté de l'un et du
service des autres. L'orgueil humain peut se révolter
contre cette doctrine , mais la nature l'établit ou la
rétablit partout : elle s'aperçoit , cette loi de l'unité de
pouvoir , jusque dans les Etats qui s'en sont le plus
écartés ; elle paraît même dans les corps législatifs où
un seul propose la loi et vide le partage , dans les corps
exécutifs ou les armées où un seul commande ; en sorte
que le gouvernement populaire , chez un peuple nombreux
, n'est qu'un Etat où l'on cherche qui sera le
chef; et si je voulais faire entendre à un enfant toute ma
pensée par une comparaison familière , je lui représenterais
le pouvoir dans ces gouvernements comme ces
royautés de festin qu'on tire au sort .
762
Ces trois personnes sociales , le chef , le ministère ,
le sujet , doivent être homogènes ou de même nature ,
comme la cause , le moyen et l'effet, Elles ont deux
manières d'être ; elles sont , au moins les deux premières
, mobiles ou fixes , c'est -à - dire , électives ou héréditaires.
Si le chef est électif , le ministère doit être
électif; si le chef est héréditaire , le ministère doit
l'être aussi ; et , sous cette forme , il s'appelle noblesse.
Nous ne prononçons point ici entre ces formes de gouet
nous nous contentons vernement d'exposer des
faits.
Or , en Pologne et en Turquie , l'homogénéité des
personnes sociales , ou n'a jamais existé , ou n'existait
plus depuis longtemps ; et , quoique la manière soit différente
dans l'un et dans l'autre Etat , le résultat a été
le même pour tous les deux je m'explique. Le pouvoir
ou le chef , en Pologne , était devenu électif, et
le ministère ou la noblesse était restée héréditaire .
En Turquie , au contraire , le pouvoir était héréditaire
et le ministère électif ; et de - là ces élévations subites
PLUVIOSE AN X. 211
:
et fréquentes d'un jardinier du sérail , ou d'un icoglan,
aux premiers postes de l'état ; de- là , un double désordre
le chef électif , en Pologne , était devenu trop
faible pour contenir dans de justes bornes le ministère
héréditaire qui , écarté de sa destination naturelle ,
faisait des lois , au lieu de servir à leur exécution ; et
le roi n'était plus lui-même qu'un ministre , ou plu
tôt qu'un esclave. En Turquie , le chef héréditaire
n'avait trouvé aucune limite à ses caprices dans la
mobilité perpétuelle de tout ce qui existait autour de
lui ; et , dans ses volontés arbitraires plutôt qu'ab -`
solues , il n'avait plus été servi que par des esclaves
ou des satellites . De- là le despotisme du chef en Turquie
, et le despotisme du patriciat en Pologne ; de-là
le gouvernement tumultuaire des Turcs , et le gouvernement
orageux des Polonais ; de - là , en Turquie ,
ces soldats qui se révoltent et qui déplacent le pouvoir
; et , en Pologne , ces luttes éternelles du chef
et des grands qu'il voulait soumettre ; de- là , dans ces
deux Etats , l'anarchie , la misère , la dépopulation ,
la faiblesse , l'avilissement , la destruction . L'influence
nécessaire des lois sur les moeurs , c'est -à- dire , de la
société publique sur la société domestique , s'était fait
sentir dans ces deux états et de la même manière. Le
despotisme avait passé en Turquie de la famille dans
l'Etat , et la polygamie , qui est le despotisme domestique
, avait produit le despotisme politique ; mais en
Pologne , le despotisme était descendu de l'Etat dans
la famille , et malgré le catholicisme dominant en
Pologne , les dissolutions de mariage , pour empêchement
dirimant , étaient devenues chez les grands
une véritable polygamie ; car quoique les femmes les
provoquent même plus souvent que les hommes , elles
n'en sont que plus esclaves , puisqu'elles le sont à la
}
212 MERCURE DE FRANCE ,
1
"
.fois des passions des hommes et de leurs propres pas-
-sions. Ce sont ces abus sur les sentences en nullité
de mariage , qui ont fait dire , mais à tort , que le
divorce était permis en Pologne. La religion y avait
maintenu , là comme ailleurs , le principe général de
l'indissolubilité du lien conjugal ; mais les passions
des hommes qui n'étaient pas contenues par une autorité
´suffisante , faisaient du principe une application vicieuse.
Nous reviendrous ailleurs à la Turquie , et nous ne
nous occuperons ici que de la Pologne .
me
La Pologne , convertie au christianisme dans le 10.'
siécle , et entourée , même encore aujourd'hui ,
de nations
barbares ou de voisins inquiets , s'était rapidement
formée , à l'aide de l'influence des deux causes
· les plus efficaces qui puissent agir sur une société , la
religion et la guerre ; l'une , je parle de la religion
chrétienne , qui perfectionne les moeurs ; l'autre , qui
fortifie les ames et les corps . Elle était parvenue à un
haut degré de considération parmi les peuples du nord ,
et avait laissé bien loin derrière elle les Borusses, devenus
depuis les prussiens , et les Moscovites ou les Russes .
Les Jésuites s'y étaient introduits ; et , soit l'extrême
richesse des premières maisons de Pologne qui leur
permettait de faire donner à leurs enfants une éducation
soignée , soit l'habitude , commune à presque
tous les Polonais , de parler latin , qui les disposait à
l'étude de la littérature ancienne et à celle des lois ,
soit enfin leur gouvernement où le talent de la parole
et la pratique des affaires donnaient de l'influence , il
est certain qu'il y avait de l'instruction en Pologne ,
autant que de la valeur et de la générosité , et plus
d'instruction peut être chez les grands que partout
ailleurs ; qu'elle a fourni à la littérature du nord des
hommes distingués dans tous les genres de connais-
-
PLUVIOSE AN X. 213
sances utiles et agréables , dans tous les arts de la
guerre et de la paix . La Pologne avait donc en ellemême
, et dans le caractère , et l'esprit de ses habitants
, tous les moyens de civilisation et de politesse
s'ils n'eussent pas tous été rendus inutiles ou
même funestes au bien du pays par une constitution
vicieuse ; c'était un homme qu'un tempérament faible
empêche de mettre à profit , pour son utilité personnelle
, ses moyens naturels ou acquis . Il faut remonter
aux causes de ce désordre , et c'est ici surtout que l'histoire
, qui est la leçon des hommes , est aussi la leçon'
des sociétés.
Le pouvoir , en Pologne , fut de bonne heure héréditaire
. A mesure que l'on remonte vers l'enfance des petples
, la société ressemble à la famille , au point de n'être
plus qu'une famille , et c'est ce qui fait qu'on retrouve la
loi de l'hérédité en usage dans les temps héroïques de la
Grèce , les plus anciens gouvernements politiques dont
nous ayons connaissance . A cet âge de la société , ces
théories subtiles et composées de gouvernement , ce jeu
de pouvoir où on le tire à chaque délibération comme
une loterie , où chacun le cherche et le poursuit continuellement
, et quelquefois sans pouvoir l'atteindre ,
ne pouvaient pas se présenter à l'esprit d'hommes simples
accoutumés à respecter le pouvoir domestique dans le
père de famille , et d'hommes violents qui , dans la
simplicité native de leur bon sens , sentaient que cette
pomme de discorde jetée au milieu d'eux y produirait
des troubles effroyables , y anéantirait toute union et
conséquemment toute force publique , et qu'après avoir
été la risée de leurs voisins , ils finiraient par en de- *
venir la proie . Les Polonais vécurent donc jusqu'en
1572 , et presque sans interruption , sous le gouvernement
héréditaire des deux races vénérées des Piast et des
214 MERCURE DE FRANCE ,
Jagellons (cette dernière était passée de la Lithuanię
en Pologne) . Ce fut sous leur conduite que la Pologne
combattit , et souvent avec avantage , les chevaliers
Teutons , les Borusses , les Moscovites et les Tartares
; car elle se trouvait aux postes avancés , dans cette 、
guerre longue et terrible , que le mahométisme et l'idolâtrie
du nord ont déclarée à la chrétienté depuis que
la guerre contre le christianisme a cessé au midi par la
destruction de l'empire romain . On n'a pas assez remarqué
cette lutte sanglante de la barbarie contre la
civilisation , qui a été marquée par des accidents si
extraordinaires , et par le plus extraordinaire de tous ,
les invasions des Normands et les croisades . La Pologne
nous fournira à ce sujet des réflexions intéressantes.
Lorsque la race des Jagellons s'éteignit , les
opinions des Hussites de Bohême , renouvelées et étendues
par Luther , avaient ébranlé partout , et surtout
au nord de l'Europe , le principe de l'obéissance , et fait
perdre de vue la nature du pouvoir politique , là même
où elles n'avaient pas changé le culte public.
Les nobles Polonais , déja puissants par leurs richesses,
profitèrent de l'extinction de la famille régnante pour
envahir l'exercice du pouvoir. Ils cessèrent d'être nobles ,
ministres , c'est-à- dire , serviteurs , et devinrent patriciens
, ou pouvoir eux -mêmes , puisqu'ils en disposèrent
par l'élection , et y nommèrent , pour la forme , quelques
princes étrangers, ou même quelques- uns d'entre eux ; mais
ils crurent le donner , et ne firent jamais que le céder ou
le vendre . Les maisons souveraines voisines de la Pologne,
la regardaient, ou peu s'en faut , comme un apanage pour
leurs cadets . La Suède , la Saxe , la Russie , la Tran-
* On croit que ce sont les mêmes que les Gallizins dẹ
Russie.
PLUVIOSE AN XX. 213
sylvanie , et même la France , donnèrent , à force d'argent
et d'intrigues , ou voulurent donner des dictateurs
à cette turbulente république. A Rome , ces magistrats
, nommés seulement pour les dangers pressants ,
étaient toujours des hommes d'un grand talent , et
souvent des hommes d'un grand génie que faisait éclore
un gouvernement toujours armé , où toutes les grandes
passions étaient sans cesse en haleine ; au lieu qu'en
Pologne , une fermentation intérieure , fruit de la corruption
des diètes et de l'intrigue des cours étrangères ,
ne pouvait produire que des hommes médiocres , s'ils
étaient choisis parmi les Polonais ; et presque la seule
circonstance où ils ayent nommé d'eux - mêmes un grand
homme , c'est lorsque le danger commun réunit tous
les esprits en faveur de Sobieski.
L'état de faiblesse , toujours croissant , où cette forme
de gouvernement retenait la Pologne , n'était pas indifférent
à des voisins longtemps balancés et souvent
humiliés par ses succès . Il était dans l'ordre de cette
politique qui s'est établie depuis quelques siécles en
Europe , que ces mêmes voisins , loin d'aider cette
malheureuse nation à sortir de l'état d'enfance où elle
était retombée , cherchassent à l'y retenir ; entreprise
d'autant plus facile , que la liberté en était le prétexte ,
ét l'argent le moyen , l'argent dont ces Grands fastueux
étaient avides pour le dépenser , plus que les avares ne
le sont pour l'entasser. C'était toujours pour maintenir la
liberté dans les diètes , et conserver à la nation son indépendance
, que les étrangers faisaient entrer en Pologne
les troupes qui l'asservissaient et y commandaient la liberté
des suffrages . Il s'élevait un parti opposé ; et des
confédérations sans unité ne manquaient jamais de se
former , appuyées par des troupes sans discipline . Le
principe était le même de part et d'autre . Tous voulaient
élire le chef : ils ne différaient que sur la personne , et
216
MERCURE DE FRANCE ,
cette personne , quelle qu'elle fût , nommée par les uns
ou par les autres , sous condition qu'elle serait l'esclave
d'un parti et l'ennemi de l'autre , revêtue de la pourpre
royale , mais chargée d'une couronne d'épines , et
tenant un rozeau pour sceptre , montait sur ce trône
chancelant au dessus des abymes , et y traînait dans les
dégoûts et les douleurs une vie inutile à sa gloire , fatale
à son repos , et toujours sans fruit pour le bonheur de
la Pologne.
' L'anarchie religieuse précéda à la fois et suivit l'anarchie
politique . La Pologne était sincèrement attachée
au culte dominant en Europe , et même la religion chrétienne
était chargée de la tutelle dans les minorités périodiques
de cette société. L'archevêque de Gnesne ,
primat du royaume , prenait les rênes de l'Etat à la mort
du roi , et gouvernait pendant l'interrègne ; institution.
sublime , qui mettait la nation sous la garde du pouvoir
général de la chrétienté , lorsque son pouvoir particulier
était suspendu , ainsi que dans une famille , le pouvoir
domestique , à la mort du père , retourne à l'aïeul ; iustitution
très- politique , puisqu'elle attribuait l'exercice
du pouvoir à des fonctions qui n'avaient d'autre force
que celle que leur donnait le respect des peuples , et
qu'elle en empêchait ainsi l'usurpation violente , si facile
dans un temps d'interrègne et de faction . Mais toutes les
sectes rivales entre elles et ennemies du culte dominant ,
grecs non unis , ariens et sociniens , sous le nom de
frères Polonais , anabaptistes , luthériens , d'autres sectes
occultes et plus dangéreuses avaient germé en Pologne
et y formaient le parti nombreux des dissidents . Pour
combler les maux de ce malheureux pays , une immense
population de juifs s'y était emparée de toutes les branches
de commerce et de tous les débouchés de l'industrie .
Les plus riches d'entre eux ruinaient les grands seigneurs
par leurs avances ; les plus pauvres , à l'affût de tous
-
PLUVIOSE AN X. 217
les moyens de gagner , ôtaient au peuple le travail , et ,
par conséquent , la subsistance , et ils mettaient sous les
yeux de tous , le spectacle continuel de cette activité
prodigieuse pour acquérir de l'argent ; de cette industrie
usuraire et cruelle qui spécule sur la détresse particulière
comme sur les malheurs publics , sur les haillons
de l'indigence comme sur les revenus de l'Etat , ne connaît
aucun sentiment de générosité , et étouffe ainsi
toutes les vertus privées et publiques .
Cet état de choses ne pouvait durer. Le règne si agité
du dernier roi , le plus aimable et le plus instruit des
hommes , annonçait assez que la maladie tirait à sa fin ,
et que le moment fatal était arrivé où une nation , depuis
longtemps avertie par ses troubles intérieurs , et
toujours inutilement , de revenir à l'ordre dont elle s'est
écartée , tombe dans la crise inévitable qui l'y ramène.
(La suite aux numéros prochains) .
DE Dresde et de ses environs * .
Dresde a perdu environ un cinquième de sa population
depuis la guerre de 1756 , mais ses édifices se sont
agrandis et perfectionnés .
Celui qui frappe le plus un étranger , c'est l'église
catholique ** située près du pont , assurément l'un des,
plus beaux temples de l'Allemagne , quoique l'architecte
se soit écarté des formes qui passent aujourd'hui
pour règles et pour modèles. C'est un bâtiment oblong
que surmonte un toit plat , couvert de cuivre et entouré
d'une double galerie ornée de plus de cinquante
statues. Le clocher est rond , élancé et à trois
étages ; chacun d'eux est entouré de colonnes élé-
*
Voyez le N.º XXIX où nous avons déjà parlé de Dresde .
** On sait que l'électeur est catholique , et le peuple protestant
; le culte s'exerce alternativement dans la même
église , selon l'un et l'autre rit.
218 MERCURE DE FRANCE ,

-
gantes. On monte jusqu'au dernier étage par une
rampe de fer artistement placée entre les colonnes .
On admire également et la beauté de l'ensemble , et
la richesse des détails . Un tableau magnifique du célèbre
Mengs , orne le maître hôtel ; il représente
l'Ascension . Une douzaine de personnages paraissent
agités de mouvements divers : l'expression est aussi
naturelle que les contrastes sont heureux. Aux traits
doux ét majestueux de la figure principale , à ces torrents
de lumière qui l'environnent , on reconnaît
aussitôt le Dieu sauveur qui rentre en possession de sa
gloire. On voit , dans une chapelle à droite , un calvaire
que tout être sensible contemple avec une émotion
profonde , quelle que soit d'ailleurs sa croyance.
Mais ce qui attire surtout la foule , c'est l'excellente
musique de la chapelle de l'électeur ; il suffit de nommer
un Naumann , un Schuster , un Scidelmann *. A
l'exception de Rome et de Naples , aucune capitale.
de l'Europe ne possède une musique d'église comparable
à celle de Dresde .
Quoique l'auteur des Lettres sur Dresde paraisse , en
général , n'offrir à ses lecteurs que les résultats d'observations
multipliées et sûres , on a peine à croire
qu'il ne se soit pas glissé quelques erreurs dans son
ouvrage. Par exemple , on lit dans la lettre XXV :
« Sur une douzaine d'enfants , vous en trouverez toujours
trois ou quatre qui sont estropiés , déhanchés ,
et dont le corps ou les jambes sont difformes. La pâleur
de leur visage , au lieu de ce charmant coloris ,
partage ordinaire des enfants bien constitués , l'oeil
morne et déja éteint quand il est à peine ouvert , lä
fatigue qu'ils éprouvent à suivre leurs petits camarades
, tout cela vous déchire le coeur ... » Et cependant
l'auteur observe plus bas : " qu'il n'est peut- être
*
D'après le calendrier de la Cour pour cette année , l'électeur
soudoic jusqu'à 67 musiciens .
PLUVIOSE AN X. 219
pas de ville en Allemagne , Berlin excepté , qui offre
un plus grand nombre d'individus des deux sexes ,
distingués par une taille haute , svelte et avantageuse.
Cette observation rend presque incroyable ce qu'il dit
de la proportion des enfants mal conformés avec ceux
qui ne jouissent pas d'une bonne conformation . Cette
proportion déja si étonnante , l'est cependant bien
moins que celle qu'il établit entre les enfants trouvés
et les enfants avoués . Il assure que le nombre des premiers
est à celui des seconds comme un est à quatre ;
chose inouie , surtout dans un pays dont les habitants
sont généralement aisés .
Peut - être l'auteur n'aurait pas dû établir ces proportions
, sans y mettre le ton du doute.
On ne peut que partager son opinion sur le défaut
de casernes dans une ville comme Dresde . Il en résulte
que le soldat est logé , ou plutôt relégué chez le citadin
auquel il est à charge , et que celui- ci , pour
alléger son fardeau , loge le défenseur de la patrie
aussi mal que possible.
On trouve aussi une véritable sagesse dans ses observations
sur la manière dont sont employés et gardes
les forçats. Bien vêtus et bien nourris , distingués par
une certaine décoration en fer qu'ils portent à la jambe
gauche , ces malheureux soignent la propreté des
rues. Ils finissent par acquérir une sorte de politesse
et de civilisation ; la morale et la société y gagnent
également ; trop souvent ailleurs ils sont perdus pour
l'une et pour l'autre.
Enfin , dans plusieurs lettres , et spécialement dans
la 17. et la 21. , l'auteur rend un juste hommage à
l'électeur actuel , vrai père de ses sujets , et il repousse
avec horreur les reproches qu'ont osé faire à ce
souverain , des hommes qui ne peuvent s'accoutumer
à voir le talent de gouverner , là où ils sont forcés de
reconnaître des vertus..
MERCURE DE FRANCE,
INTÉRIEUR.
CORPS LÉGISLATIF .
LES
Es séances sont comme suspendues , ou du moins
l'intérêt est presque nul en ce moment. Aux termes
de la constitution ( art. 27 et 31 ) un cinquième des
membres du corps législatif et du tribunat doit sortir
chaque année ; le premier renouvellement ( art. 38 )
doit avoir lieu dans le cours de l'an X ; cette mesure va
s'exécuter. Le sénat , auquel appartient le droit d'élection
, désignera nominativement les quatre cinquièmes
qui doivent rester.
On ne parle pas du congrès d'Amiens : on lit seulement
dans les papiers anglais que des courriers sont
partis de Londres pour cette ville et pour Paris , à l'issue
d'un conseil de cabinet , tenu le 5 janvier , dans
lequel les articles du traité définitif ont été pris en
considération.
Tous les regards se tournent vers Lyon . On s'attend
à de grands résultats d'une convocation si solennelle .
La consulta , dit - on , a ouvert ses séances.
Le premier consul , parti de Paris le 19 nivose , à
une heure du matin , a couché à Lucy- les - bois ; le 20
il a dîné à Autun , et couché à Châlons : il est arrivé
à Lyon le 21 , à huit heures du soir. Les autorités constituées
de la ville, 150 jeunes lyonnais à cheval , tous les
corps militaires , les préfets des départements méridionaux
, une députation considérable de la consulta cisalpine,
et un concours immense de peuple , réunis aux ministres
des relations extérieures et de l'intérieur, ont été à sa
rencontre , jusqu'à une lieue de la ville . Il a été reçu
aux acclamations de tous , et a recueilli sur toute sa
route les témoignages multipliés de l'affection et de
la confiance dont jouit le gouvernement.
Le 22 , à midi , toutes les autorités constituées du
département et de la ville , ainsi que les corps militaires
, dont un grand nombre revenant d'Egypte , ont
PLUVIOSE. AN X. 221
été présentés au premier consul. Il a reçu ensuite des
députations du commerce et des sociétés savantes ; il
a entretenu chacune d'elles de leurs intérêts , de leurs
travaux , et il leur a donné l'assurance de l'empressement
du gouvernement à favoriser leurs efforts et à en
assurer le succès . Il a pareillement reçu et entretenu en
particulier chacun des préfets des départements méridionaux
convoqués ici , et s'est occupé avec eux de ce
qui concerne leur administration.
Après cette première partie de l'audience , le premier
consul a reçu les membres de la consulte extraordinaire,
au nombre de 450 , et , dans leur propre langue,
les a entretenus des changements dont ils s'occupaient
dans l'organisation de leur république , du respect qu'ils
devaient prendre pour eux-mêmes en devenant une nation
libre , et des devoirs qui en résulteraient pour eux ;
les exhortant à mettre au premier rang le maintien des
propriétés et le respect pour la religion . Cette seconde
audience a duré jusqu'à six heures , et tous les membres
de la consulte ayant recueilli cette nouvelle preuve
de l'intérêt que le gouvernement français porte à l'indépendance
de leur pays , se sont retirés avec une joie
qui éclatait de toutes parts , et qui aura été pour eux
un encouragement à consommer leurs travaux de la manière
la plus conforme au véritable intérêt de la Cisalpine.
"
'
Dans la soirée le premier consul s'est rendu au
spectacle , où l'on jouait Mérope , et les acclamations.
sans cesse répétées des spectateurs , les illuminations
générales qu'il a trouvées à sa sortie comme le jour
précédent , l'ont fait jouir avec transport de l'attachement
et de la confiance qu'inspire le gouvernement à
tous les habitants de cette cité , si intéressante par ses
malheurs , par son dévouement , par les efforts renaissants
de son commerce , de son industrie manufacturière ,
et par toutes les espérances qu'ils donnent pour la prospérité
même du commerce extérieur de la république.
On ne saurait dire assez combien , parmi les transporis
qui ont éclaté ici , ont été remarquables ceux
des troupes qui arrivent d'Egypte .
Le cardinal Bellinzone , envoyé du pape à la consulta ,
222 MERCURE DE FRANCE ,
et député à la même consulta comme évêque de Cèsenne
, a dîné , le 22 , avec le premier consul.
Le premier consul sera de retour à Paris dans la
mière décade de pluviose .
pre-
Le gouvernement provisoire de la république lucquoise
a fait publier , le 26 , la nouvelle constitution
de ce pays.
Le C. Reding , membre de la diète helvétique et premier
landman , vient de quitter Paris pour retourner
en Suisse. Tout porte à espérer que les autorités actuelles
de ce pays prendront des mesures telles qu'il
aura un gouvernement stable et définitivement constitué
, qui le replacera au nombre des puissances de
l'Europe.
Les journaux anglais publient des nouvelles désastreuses
de Saint - Domingue , en date des 25 et 30 octobre.
Une armée de nègres se serait révoltée , aurait
entrepris d'incendier le Cap - Français , massacré les
blancs et même les noirs revêtus de quelque autorité....
enfin le chef des rebelles serait arrêté . On doute beaucoup
de l'authenticité de ces nouvelles.
NOMINATION S.
Le C. Daguesseau , président du tribunal d'appel ,
séant à Paris , est nommé ministre plénipotentiaire en
Danemarck.
Le C. Treilhard , vice- président de ce tribunal , remplace
le C. Daguesseau , et est lui-même remplacé par
le C. Agier , juge au même tribunal .
Le C. Merlin de Douai est nommé commissaire du
gouvernement près le tribunal de cassation , en rémplacement
du C. Bigot - Préameneu .
Le C. Jean- Bon - Saint- André , est nommé préfet du
département du Mont-Tonnerre , commissaire -général
dans les départements de la rive gauche du Rhin , en
remplacement du C. Jollivet, qui reprendra ses fonctions
au conseil d'état.
PLUVIOSE AN X. 223
Le C. Desmeuniers , tribun , est nommé membre du
Sénat.
Le C. Duquesnoy a publié récemment un ouvrage
intitulé : Esquisse d'un ouvrage en faveur des pauvres ;
par Jérémie Bentham * . Nous en rendrons compte dans
un prochain Numéro . Nous jetterons un coup- d'oeil sur
les établissements qui se multiplient si heureusement
pour le soulagement des pauvres , et qui font espérer
l'extirpation de la mendicité .
On sait que l'institution des conseils généraux a
pour but de constater , chaque année , l'état de leurs
départements respectifs , sous tous les rapports que
peut embrasser l'administration . Ils font connaître au
gouvernement leurs besoins et leurs voeux , et lui indiquent
les moyens d'y satisfaire . La session de l'an 8
offrit peu de résultats utiles , et l'on en conçoit facilement
les raisons. Le 18 brumaire luisait à peine ; une
première année nous apprit que nous existions encore :
une seconde nous permit de reconnaître comment nous
existions. Aussi le travail de l'an 9 est bien supérieur
au précédent . Il présente plus d'objets d'une utilité générale
; il offre des vues saines sur les contributions ,
le commerce , les arts , l'agriculture , les hospices , les
maisons d'instruction , le culte public , etc. « Du dépouillement
de tous les procès - verbaux , dit le ministre
dans son rapport aux consuls , il résulte une vérité consolante
: c'est que toutes les parties de l'administration
s'améliorent chaque jour , et que , peut- être , pour arriver
au degré de perfection où tendent tous nos efforts ,
il ne faut plus que le mérite , à la vérité , le plus rare
de tous , celui de savoir attendre. Une nation ne prospère
que par la pratique des bonnes institutions ; mais
ces institutions ne sont pas seulement le résultat d'une
loi , ni le produit d'un arrêté ; elles sont l'effet naturel
d'une bonne morale publique , et du sentiment du
bonheur chez le peuple : elles naissent surtout de l'amour
et du respect pour le gouvernement. "
Le ministre publie aujourd'hui l'analyse de tous les
procès-verbaux de la dernière session ** . L'ordre observé
* A Paris, chez Henrichs , rue de la Loi.
** A Paris , de l'imprimerie de la République .
224
MERCURE DE FRANCE ,
dans cette analyse devra servir de modèle au travail de
l'an 10. Une marche uniforme pour tous les départements
, constante pour toutes les années , doit donner
au gouvernement toutes les lumieres qu'il sollicite avec
tant de courage. L'ensemble offrira les renseignements
les plus précieux à l'administrateur , à l'écrivain politique
, et doit intéresser tout français jaloux de connaître
sa patrie .
Nous ferons connaître , quand l'occasion s'en présentera
, ce qui concerne chaque département , l'opinion
des conseils généraux sur les divers objets qui intéressent
la religion et les sciences , l'agriculture et le
commerce , etc. Nous n'en donnerons ici qu'une légère
idée.
Par exemple , à l'article du culte public , on lit : f
ARRIÉGE . La majorité des habitants tient au culte
de ses pères , presque autant qu'à la vie .
' DORDOGNE. Laisser la plus grande latitude au culte
religieux. Exempter les ecclésiastiques de tout serment
relatif à leur ministère .
CALVADOS . Les habitants aiment leur religion . Ils
regrettent les jours de repos consacrés par elle : ils regrettent
ces jours où ils adoraient Dieu en commun.
Leurs temples étaient pour eux des lieux de rassemblement
où les affaires , le besoin de se voir , de s'aimer
, réunissaient toutes les familles et entretenaient la
paix et l'harmonie . Ils forment hautement le voeu de
voir renaître ce temps de bonheur pour eux . Le gouvernement
, loin de s'en alarmer , y trouverait un grand
avantage s'il protège la religion , la religion à son
tour le soutient et l'affermit , etc. , etc. , etc.
LANDES . Les ministres du culte catholique ne sont
pas exempts de reproches ; une surveillance active peut
seule tranquilliser les citoyens paisibles .
On peut juger par - là , que les opinions ont été émises
avec une grande franchise , qu'elles ont été recueillies
de même ; c'est ainsi qu'un gouvernement veut et fait.
le bien . C'est en connaissant toutes les opinions et tous
les voeux , qu'il pourra peut- être trouver le moyen de
ramener tous les Français à l'union religieuse et politique.
PLUVIOSE AN X.
AN 225
COURS historique et élementaire de peinture , ou Galerie
complete du Muséun central de France ; par une
société d'amateurs et d'artistes .
Cet ouvrage , conçu depuis longtemps , mais retardé
par les circonstances , a pour but de faire connaitre les
compositions les plus célèbres , le caractère des auteurs ,
et les particularités qui les distinguent , et d'enseigner
aux jeunes artistes la route qu'ils doivent suivre pour les
atteindre. Chaque livraison , grand format in - 8.º , sera
accompagnée d'un texte descriptif et raisonné , rédigé
par le C. Curaffe , peintre. On fera sentir les beautés
et les défauts des principaux ouvrages . Cette analyse
donnera lieu à des digressions sur le dessin , la perspective
, l'anatomie , le coloris , l'art en général , les
différents genres en particulier , sur la nature , le beau
idéal et la poésie de la peinture . Les planches seront
exécutées avec précision . Elles ne sont confiées qu'à des
artistes d'un merite reconnu , parmi lesquels sont déja
les citoyens Duplessi - Bertaux , Masquelier , Pauquet ,
Coiny , etc. , pour les figures ; Pillement fils et Dessaux ,
son élève , pour le paysage ; Delaporte et Réville , pour
l'architecture.
Telles sont les promesses . Une gravare jointe au Prospectus
, et qui représente St. Paul préchant à Ephèse ,
et faisant bruler les livres profanes , annonce qu'elles
seront fidellement remplies. Il paraitra par mois une
livraison d'estampes , avec le texte explicatif. Chaque
livraison sera composée de 5 tableaux et d'une statue.
Le prix est de 8 francs , sur papier fin , nom de Jésus ,
et de 12 francs , sur papier vélin . La première paraitra
en ventose . On souscrit à Paris , chez Filhol , graveur
et éditeur , rue Sainte - Hyacinthe , n .° 684 , et chez les
principaux libraires de Paris , des départements et de
l'étranger.
La partie typographique est d'une grande beauté ;
elle est du C. Gilié , rue Saint-Jean -de-Beauvais .
Le Muséum national d'histoire naturelle a fait une
perte qui sera difficilement réparée. L'éléphant mâle est
mort le 17 nivose. Son examen anatomique a été confié
au C. Cuvier des peintres habiles doivent en representer
toutes les parties , jusqu'à présent peu connues .
7.
15
226 MERCURE DE FRANCE ,
INSTITUT NATIONAL.
Séance publique du 15 nivose an 10.
PRIX.
Dans la séance publique du 15 germinal an 8 , la
classé de littérature et beaux- arts avait proposé pour
sujet de prix qu'elle devait décerner le 15 nivose an
10 , la question suivante :
Analyser les rapports qui existent entre la musique et
la déclamation .
Déterminer les moyens d'appliquer la déclamation à
la musique , sans nuire à la mélodie.
Le prix a été donné au mémoire portant pour épigraphe
:
Incedo per ignes.
( HORAT ).
L'auteur est le C. FRAMERY , homme de lettres .
Extrait de la notice des travaux de la classe des sciences
mathématiques et physiques.
Pendant les trois mois qui viennent de s'écouler , leş
membres de la classe ont particulièrement dirigé leurs
travaux vers les progrès de la physique expérimentale ,
de la chimie , de la minéralogie , de la botanique et
de l'agriculture.
Le C. Volta , professeur de Pavie , est venu leur
communiquer les résultats de ses nombreuses recherches
sur la nature des phénomènes auxquels on a donné le
nom de phénomènes galvaniques , parce que les premiers
de ces effets que l'on a découverts , ont été observés par
feu le physicien Galvani * .
Une commission , composée des CC . Laplace , Coulomb
, Hallé , Monge , Fourcroy , Vauquelin , Pelle-
* Nous avons souvent parlé du galvanisme dans nos précédents
numéros , et particulièrement dans les numéros
XXIV et XXXIV.
PLUVIOSE AN X.
227
tan , Charles , Brisson , Sabathier , Guyton et Biot , a
répété les principales expériences de Volta , et avant
de présenter à la classe le tableau général qui comprendra
toutes les découvertes des physiciens français
au sujet du galvanisme , elle a desiré exposer la théorie
du savant de Pavie.
D'après le rapport fait , au nom de cette commission
, par le C. Biot , le C. Volta annonça le premier
que lorsque , dans les expériences galvaniques , on
voit des contractions musculaires excitées par le
contact d'un arc métallique , ces contractions , que l'on
avait regardées comme la partie la plus importante du
phénomène , n'étaient que l'effet de l'action électrique.
produite par le contact des métaux dont l'arc excitateur
était formé . Le C. Volta a depuis fait connaître un
grand nombre d'autres faits ; il en a composé une théorie
très - ingénieuse et dont les bases paraissent invariables
. Parmi les phénomènes dont l'ensemble forme
cette théorie , celui dont les autres découlent consiste
dans le changement qu'éprouve l'électricité de deux
métaux différents , isolés , et qui , n'ayant que leur
quantité d'électricité naturelle , sont mis en contact :
lorsqu'on les retire du contact , l'un est positif, et l'autre
négatif. L'action subsiste aussi longtemps que le contact
dure ; mais son intensité n'est pas la même pour
tous les métaux .
Le professeur de Pavie croit que non -seulement les
métaux , mais encore , suivant beaucoup de probabilités
, tous les corps de la nature exercent une action
réciproque sur leurs électricités respectives , au moment
de leur contact . Il a montré ensuite la grande
influence qu'avait sur le développement de l'électricité
métallique , l'intervention d'une substance mouillée
ou d'un conducteur humide placé immédiatement au
bout d'une lame composée de deux métaux différents.
C'est en multipliant cette succession de deux métaux ,
228 MERCURE DE FRANCE ,
différents et d'un conducteur humide , en plaçant plusieurs
fois et alternativement au dessus l'une de l'autre
une paire de lames métalliques différentes l'une de
l'autre et une substance mouillée , que le C. Volia a
construit sa pile ou colonne électrique , qui dorénavant
portera son nom , comme le portent depuis longtemps
le condensateur et d'autres instruments précieux
aux physiciens qui s'occupent d'électricité. Il a facilement
expliqué les phénomènes que produit cette
pile , en appliquant à ses diverses parties , ce qu'il avait
déja exposé au sujet des deux lames métalliques suivies
d'une substance humide . Il a considéré sa colonne
comme isolée , et il a fait voir que les quantités d'élec-,
tricité croissent pour chacun des éléments de cette
pile de la base au sommet , dans une progression
arithmétique dont la somme est égale à zéro . Il a
montré que , lorsque le nombre des éléments est pair ,
Ja pièce inférieure et la pièce supérieure sont également
électrisées , l'une en plus et l'autre en moins ; qu'il en
est encore de même de toutes les pièces prises à égale
distance des extrémités de la pile ; qu'avant de passer
du positif au négatif , l'électricité devient nulle , et
que les deux pièces qui jouissent de l'électricité naturelle
se trouvent au milieu de la pile.
Le C. Volta a prouvé ensuite que , lorsque la colonne
n'est point isolée , les quantités d'électricité des différents
éléments qui la composent , croissent dans une
progression arithmétique , dont le dernier terme est
d'autant plus fort , et la somme d'autant plus grande ,
que le nombre des paires métalliques est plus considérables
, et que l'action de la colonne peut être amenée
ainsi au degré necessaire pour faire éprouver des commotions
très - sensibles , donner des étincelles , charger
une bouteille de Leyde , et produire , d'une manière
très-marquée , d'autres phénomènes électriques .
Il a cru devoir diviser les conducteurs galvaniques
PLUVIOSE AN X. 229
ou électriques en deux classes ; la première comprend les
corps solides , et la seconde les substances liquides., Sa
pile ne peut être construite que par un mélange convenable
de corps appartenants à ces deux classes ; il
est du moins impossible de la former uniquement avec
des substances de la première.
Le même savant a pensé que les acides et les dissolutions
salines, favorisent l'action de sa colonne , principalement
parce qu'ils augmentent la propriété conductrice
de l'eau dont on imbibe les pièces non métalliques
, et il a considéré l'oxydation qu'éprouvent les
pièces de métal , comme établissant un contact plus
étroit entre les éléments de la pile , et rendant son action
plus continue , ainsi que plus énergique.
Le C. Biot a terminé son rapport par faire observer
de nouveau comment la théorie du C. Volta réduisait
tous les phénomènes galvaniques à un seul , au développement
de l'électricité métallique par le contact des
métaux .
C'est à la suite de ce rapport , que les commissaires
rappelant une proposition qui avait été faite quelques
jours auparavant par un des membres de la classe ( le
C. Bonaparte ) , ont présenté un projet d'arrêté que
la classe a adopté , et d'après lequel elle a donné au
C. Volta une médaille d'or , comme une marque de
son estime particulière , et du desir qu'elle a de voir
les savants étrangers lui communiquer le résultat de
leurs travaux .
(La suite aux numéros prochains).
Le C. Desessarts , homme de lettres et libraire , place
de l'Odéon , vient d'acheter des héritiers de Thomas ,
les manuscrits qui contiennent les oeuvres posthumes
de cet académicien . Elles formeront 2 vol . in - 8, ° ou 2
vol . in- 12 ; on les vendra séparément ou réunis à la
collection complète de ses oeuvres que le même libraire
230 MERCURE DE FRANCE ,
fera paraître incessamment. Outre 6 chants du poème
épique , la Pétréide , les 2 vol . contiendront une traduction
en vers de la satire des Vaux , de Juvénal ; un
traité de la Langue poétique , et des Mélanges ,tant en
prose qu'en vers.
me
2
Le fils du célèbre Lavater , auteur du Traité de la
Physiognomonie , annonce un tóme 4.'
faisant suite
aux 3 vol . in - 4. ° de la belle édition de cet ouvrage.
On souscrit chez le C. Royez , libraire , rue de Thionville
, n.º 20.
" 4
Le même libraire ouvre une souscription pour réimprimer
un ouvrage publié à Londres en 1800. C'est un
choix d'extraits et même d'ouvrages entiers , en prose
et en vers , des meilleurs écrivains français , sous le
titre de Bibliothéque portative ; en payant 6 fr. d'avance
on s'assurera les vol . in- 8. qui coûteront
24 fr .- Il ne faut pas les confondre avec les petites
Bibliothèques portatives dont il distribue des prospectus
, et qu'il annonce pour étrennes : celles - ci sont de
jolies boîtes , sous la forme d'un grand volume qui en
renferme 25 à 50 en petit format , tous reliés élégamment
, et qu'on choisit soi -même.
Lettres philosophiques sur la magie * ! Ce titre est
hardi la philosophie et la magie , ces deux mots
semblent se heurter , se repousser l'un l'autre. Depuis
si longtemps , nous n'avions entendu parler de magie ,
ni de sorciers . Le 19.me siécle allait oublier les Trois-
Echelles , les Gaufredy , les Grandier, les Diables de
Loudun , etc. , etc .; non qu'il n'y ait autant et plus
que jamais des devins , faiseurs de prognostics , astrobogues
, diseurs de bonne fortune , bohémiens et bohémiennes
, empoisonneurs , enleveurs d'hommes , et autres
gens de cette sorte , dont parlent les ordonnances ,
arrêts , jugements , auteurs célèbres , et naguere les
journaux d'Angleterre et de France. Mais dans tout
cela , on ne voit plus que des filoux , des brigands ,
des hommes enfin , et non plus des diables. On pourrait
donner mille raisons graves ou plaisantes , de ce que
le siécle des lumières nie obstinément les opérations
* A Paris , chez Richard , Caille et Ravier , libraires , rue
Hautefeuille , n.º 11. Prix , 1 fr. , et 1 fr . 25 c . franc de port.
PLUVIOSE AN X 23
REPE
regret
et même l'existence de l'esprit infernal. Nous ren
voyons les curieux , voire les philosophes , à l'ouvrage
du C. Fiard , publié en l'an 9 , et que nous regrettons
de n'avoir pas connu plus tôt.
.
"
"
"
" Ces lettres affichées à Paris , dans les premiers jours
d'août 1792 , furent presque aussitôt retirées que
livrées au public . La tourmente survenue à cette
époque mit les esprits dans une agitation peu favorable
à leur lecture , qui demande du calme. "
5.
cen
On voit d'abord que l'auteur y va franchement. II
ne prétend pas effrayer ou séduire les imaginations ; il
veut du calme , un grand amour pour la vérité , une
saine logique ; il se présente avec des autorités , des
raisonnements , des fails ; il croit rendre un grand service
à la société en lui dénonçant le diable et ses suppôts
, en lui prouvant , non pas précisément l'existence
actuelle des sortiléges et des sorciers , mais du moins
leur possibilité. Rien de plus louable que ses intentions .
Il avoue tous les progrès de la physique depuis un siécle ,
les arts perfectionnés , les propriétés de la matière mieux
connues , l'action étonnante de certains corps , leurs
forces , leurs facultés , les causes et les effets du mouvement
, toutes les découvertes , en un mot , qu'a faites
et que peut faire la science des corps ; mais en même
temps , au nom de la bonne philosophie , avec les de
Thou , les Daguesseau , les Peiresc , les Gilbert , les
Gassendi , les Bossuet , les Mallebranche , les Nicole ,
les Bayle , avec les textes nombreux des lois divines
et humaines , enfin avec l'ENCYCLOPEDIE , il soutient
qu'il serait insensé de ne pas croire que les démons entretiennent
avec les hommes de ces commerces qu'on
nomme magie.
On peut être tranquille aujourd'hui sur les conséquences
de cette doctrine . Les tribunaux ne s'écarteront pas de
la circonspection que leur recommande Montesquieu
dans la poursuite de la magie . Le C. Fiard la recommande
aussi : mais il a cru nécessaire de montrer que
le diable n'était pas étranger à toutes les absurdités et
friponneries de ce monde. Du reste , il ne s'est pas dissimulé
à combien de fines plaisanteries , de sarcasmes
ingénieux , de facéties et de bons-mots , il se dévouait
d'avance. Il est si facile de ridiculiser des histoires de
diables et de sorciers !
232
MERCURE DE FRANCE ,
Pour nous , si nous prenons la question sous un point -devue
général , il nous semble que dès longtemps le procès
est vidé , et que d'abondant la révolution l'a jugé en
dernier ressort : il est trop visible que le diable se mêle
des choses d'ici -bas . Nier Dieu et le diable , nier l'un
ou l'autre , c'est faire trop et trop peu d'honneur à
l'espèce humaine. Depuis que l'histoire consacre les
vertus et les crimes des hommes , leurs inconcevables
folies , leurs délirantes fureurs , ou leurs actions sublimes
, il s'est fait et s'est dit des choses si étonnantes
, si surprenantes , si merveilleuses , si miraculeuses
, si étourdissantes , si inouies , si singulières , si
extraordinaires , si incroyables , si imprévues , sigrandes,
si petites et si basses , si éclatantes , si secrètes , ajoutons
, puisqu'enfin nous parlons sérieusement , on a vu
tout à la fois , dans tous les temps , un tel excès de
grandeur d'ame et d'avilissement , de résiguation et de
violence , de courage et de faiblesse , de liberté et de
servitude , de raison et de démence , de douceur et de
cruauté , que tout a été au dessus et au dessous de
l'homme. Malesherbes ou Robespierre sur l'échafaud :
sous des aspects si différents , je reconnais un Dieu
Qui punit le crime , et couronne la vertu.
Phalaris chauffant son taureau d'airain , Néron souhaitant
que le peuple romain n'ait qu'une seule tête ,
Robespierre célébrant la fête de l'Etre suprême , Marat
au Panthéon , voilà l'oeuvre du diable ; et Dieu
nous préserve de ces hommes- diables. Je croirais volontiers
qu'ils furent sorciers ; oui , sorciers , hommesliges
de Satan , comme dit Bayle , qui lui vouent une
obéissance sans réserve , et s'imaginent qu'afin de se
maintenir dans ses bonnes graces , il n'est rien tel que de
faire mille crimes , de profaner les choses saintes , d'ôter
la vie à des enfants , d'empoisonner ses amis , de voler
les fortunes , de causer des maladies , etc. , etc. , etc.
Nous n'avons rien dit du style , et ce n'est pas en effet
le principal mérite de ces lettres , quoiqu'il soit ordinairement
correct et simple ; mais la singularité et le
grand nom du sujet , beaucoup de faits , d'autorités ,
de l'énergie et de la méthode dans la discussion , un
vrai desir d'être utile , recommandent l'ouvrage aux
lecteurs curieux , quelle que soit leur opinion pour ou
contre le diable et ses affidés. A. R.
2
PLUVIOSE ANN XX. 233
·
SUITE de la Statistique du Département des
Deux-Sèvres .
SAINT- MAIXENT est bâti sur le penchant d'une colline ,
et baigné par la Sèvre niortaise , qui n'est point navigable
à cette hauteur , mais qui peut le devenir . La
grande route de Paris à la Rochelle , par Niort , en
traverse les faubourgs ; celle d'Angers par Saumur ,
Thouars et Parthenay y aboutit également . Cette ville
doit sa naissance à un monastère , foudé en 507 , par
Je moine Adjutor , et autour duquel beaucoup de personnes
pieuses vinrent habiter. Les manufactures de
laine , notamment la bonneterie , furent en grande
activité à Saint- Maixent , jusqu'à la guerre de la
Vendée. Leur principal débouché était la Bretagne ;
mais les troubles ayant intercepté cette communícation
, les pays qui tiraient de Saint-Maixent ont pris
P'habitude de s'approvisionner ailleurs ; cependant
les fabriques de cette ville occupent encore deux
mille cinq cents individus ; leur produit annuel est d'environ
200,000 francs en bonneterie , 30,000 francs en
serges , et 3000 fr. en ras. Saint-Maixent a aussi des
foires de bestiaux très- fréquentées . Il y avait autrefois
un tribunal d'élection , un district et un évêché . Ces
établissements sont détruits ; et la population en souffre ;
elle n'est plus que de cinq mille habitants . Il reste un hôpital
pour dix malades , susceptible d'en recevoir cent
cinquante si ses revenus étaient augmentés ; il se
soutient par un droit d'octroi sur la viande . La ville
n'est pas jolie , mais elle est entourée de promenades
très- agréables. Les habitants sont bous et honnétes. La
température y est douce ; les vents dominants sont
d'ouest et sud-ouest . Les fièvres printannieres sont
communes. Autour de Saint - Maixent , la campagne
est de la plus grande richesse , et les bords de la Sevre
couverts de peupliers , offrent mille points de vues délicieux
.
"
On trouve encore dans l'arrondissement de Niort ,
234 MERCURE
DE
FRANCE
,
et près de la Gâtine , Chamdeniers , dont les foires de bestiaux
sont renommées , Coulonges et Mauzé.
?
Le sud -ouest de cet arrondissement consiste en marais
ou en terres arides , pierreuses , de très-mauvaise qualité
pour toute autre culture que celle de la vigne .
Des propriétaires industrieux y ont fait de grands éta-.
blissements de ce genre ; ils récoltent beaucoup de
vin donnant de très -bonne eau - de-vie . Elle passe dans
le commerce pour eau -de - vie de Cognac , et s'expédie
pour la Hollande. Cette spéculation est très-favorable
à la population , puisque trois arpents de vigne
suffisent pour occuper et faire vivre une famille
tandis que trois cents arpents de la même terre ,
semée en grains , feraient une mauvaise métairie . Aussi
voit on les villages naître autour du propriétaire
qui donne à ses capitaux cet emploi utile. Ce commerce
d'eau- de- vie attire en France l'or de l'étranger ,
et sous tous les rapports , il mérite que le gouvernement
veuille bien l'encourager . Planter en vignes fécondes
des champs qui ne rapportaient au laboureur
que tout au plus deux grains pour un , c'est un véritable
défrichement qui devrait jouir pendant quelques
années de l'exemption de contributions: Cette faveur ,
loin d'être perdue pour l'état , lui rendrait bientôt au
centuple le montant de ses sacrifices.
·
Dans le marais , on recueille beaucoup de chanyres
et lins . Cette culture aurait besoin d'encouragement
; elle pourrait donner assez de matières pour établir
à Niort une manufacture de toiles à voile , qui suffirait
à l'approvisionnement de Rochefort et de la Rochelle.
QUATRIÈME ARRONDISSEMENT.
Le quatrième arrondissement ne renferme aucune
grande commune. Les plus considérables sont Melle ,
Chef- Boutonne et Lamothe- Sainte- Heraye.
Melle est très - ancien . Le recueil des ordonnances
nous apprend qu'on y battait monnaje avant le règne de
Charles -le - Chauve. En 1600 il y avait six cents
maisons ; le nombre n'en est plus que de trois cent
2
PLUVIOSE AN X. 235
trente , pour une population de mille sept cent quarante
et un individus. Cette diminution tient aux persécutions
exercées contre les protestants ; tout le pays de
Melle avait embrassé la réforme , et souffrit beau
coup des guerres de religion et de la révocation de
l'édit de Nantes . Cette ville a eu deux hôpitaux ; il
reste l'emplacement d'un seul . Elle possède quatre à cinq
tanneries , et huit à dix métiers occupés à fabriquer des
étoffes de laines fortes , épaisses et d'un bon usage. Sou
commerce consiste en bestiaux et en laines du pays.
Elle sert d'entrepôt aux marchands étrangers qui viennent
acheter des mules dans les Deux - Sèvres et la Vendée.
On y remarque une fort jolie promenade. Melle
est bâtie sur une colline ; le mauvais état des chemins
en rend l'accès très-difficultueux L'air y est très -sain .
Les vents dominants sont , en été , nord - est , et en
hiver sud- ouest. Les habitants sont doux , pacifiques ,
peu industrieux , et quittant difficilement leurs foyers.
Les environs sont riants et pittoresques ; le sol est favorable
à toutes les productions , excepté à la vigne.
A trois lieues , la fontaine de Fontadan , dont les eaux
sulfureuses n'ont point encore été analysées , a quelque
réputation pour la guérison des maladies de peau .
Un octroi de bienfaisance est établi à Melle.
Chef Boutonne , bourg très-ancien , mentionné dans
les commentaires de César , et défendu autrefois par un
château fort , est bâti à la source de la Boutonne , d'où
lui vient son nom. Sa population est de quatorze cent
vingt-deux habitants , adonnés au commerce des laines,
des grains et des bestiaux. Il y a une manufacture de
faïence très - commune , dont le produit peut s'élever à
8000 fr . par an : il y a aussi quelques tanneries languissantes
, auxquelles six ouvriers suffisent , et dont le produit
est évalué à la même somme. Les terres sont fortes,
grasses , argileuses . C'est un pays de plaine .
Le bourg de Lamothe - Sainte- Heraye est la commune
la plus importante de l'arrondissement de Melle , à cause
de ses marchés et de ses foires , où les Normands viennent
acheter des bestiaux pour l'approvisionnement de
Paris . Les Espagnols et les Piémontais y viennent aussi
faire empleuc de mules , Sa population , de deux mille
236 MERCURE DE FRANCE ,
cinq cent quinze individus , est brave , industrieuse , a
l'esprit mercantile , et , sans être riche , sait se préserver
de la pauvreté. On y trouve quelques tanneurs
et des fabricants d'étoffes grossières à l'usage de la
campagne ; mais surtout des meuniers , connus sous le
nom de minotiers , qui convertissent le blé en farine
pour la Rochelle , Rochefort , efc. Ce commerce de farines
, autrefois plus considérable , languit depuis qu'il
ne se fait plus d'embarquement . Cependant cent vingt
moulins à Lamothe - Sainte - Heraye et une lieue à la
ronde , peuvent tourner toute l'année , et fournirent en
très - peu de temps , lors de l'expédition de Jean - Bon
Saint- André , quarante mille quintaux de fleur de farine
, malgré la disette et le maximum.
Cette commune , fondée par Sainte- Heraye ,
les premiers siécles de la monarchie française , est
située sur la Sèvre , à une lieue de sa source . Ses environs
sont très - agréables ; le sol en est pourtant de
médiocre qualité , plus favorable au seigle qu'au blé ; '
les prés y sont assez bons , mais les bois y croissent avec
peine. On y récolte de mauvais vin , et l'on y cultive
le sainfoin , le trèfle et la luzerne , tant pour la nourriture
des bestiaux , que pour en recueillir la semence
qui s'envoie dans les départements voisins .
Les affections nerveuses , vaporeuses ,
dans
scrofuleuses ,
ainsi que les rhumatismes
, sont
assez
communs
à Lamothe
. On attribue
ces maladies
à l'air humide
et malsain
que respirent
les habitants
; le bourg
étant
bâti
au
niveau
de la rivière
, les eaux
séjournent
dans
les rues
une grande
partie
de l'année
.
Aux environs de Lamothe - Sainte - Heraye , on aperçoit
du fer à la superficie du terrain. Quelques fouilles
faites au hasard , donnent la conviction que le minerai
est abondant et riche. La quantité de bois nationaux
et particuliers , situés dans un rayon de trois lieues ,
permettrait de construire une forge pour l'exploitation de
ces mines ; mais il serait difficile de trouver un emplace
ment sans nuire aux prés , qui sont d'une valeur précieuse
pour le pays.
On trouve encore dans cet arrondissement , Chizé ,
qui a soutenu siége contre les Anglais , et ensuite contre
PLUVIOSE AN X.
237,
Henri IV. Il est situé sur la rive droite de la Boutonne,
au revers d'un coteau , dont l'exposition est à l'est . Sa population
s'est accrue de trois dixièmes depuis vingt ans ;
elle est actuellement de sept cent cinquante. La belle
forêt , qui n'en est qu'à un mille , détermine l'industrie
de ses habitants yers le commeree du bois , du
charbon , des sabots , des pelles , etc. Son commerce
en bétail , est peu considérable . Il y a un vieux château
ruiné , sur l'emplacement duquel on pourrait établir un
vaste champ de foire ; un hôpital pour neuf malades.
Les terres sont pierreuses et peu fertiles.
7 A l'extrémité sud-est de l'arrondissement de Melle
sur les confins du département de la Charente , on trouve
des mines de fer. Celle de Montalembert est de fort
bonne qualité et abondante ; celle de Mairé lui est encore
supérieure . L'une et l'autre pourvoient les forges de
Ruffec ( département de la Charente ) ; le fer en est
doux et malléable.
Les communes rurales du département des Deux-
Sèvres sont presque toutes composées de hameaux épars ,
de métairies isolées ; chaque hameau s'appelle village ,
et celui qui possède le clocher , donne son nom à la commune.
La population de ces communes varie depuis 80
jusqu'à 2515.
{
DESCRIPTION DU SO L.
Les collines et coteaux sont très - multipliés . Une chaîne
principale , ou une sorte de plateau d'une moyenne élévation
, lié au système général des montagnes de France,
divise le département en deux bassins.
Le premier (sud- ouest) se compose de grandes plaines
dont le terrain est généralement de nature calcaire ,
où l'on trouve une prodigieuse quantité de restes pétrifiés
d'animaux marins . Les coteaux sont formés d'une
eroûte siliceuse assise sur un banc d'argile très - profond
; ce qui a donné lieu à un grand nombre d'établissements
de tuileries .
Le second bassin (nord-ouest ) ne renferme , pour ainsi
dire , point de plaines , surtout la partie que l'on nomme
Gatine ; elle ne présente qu'une suite de coteaux et de
238 MERCURE DE FRANCE ,
t
:
ravins . Lá nature du sol n'est pas la même dans toute
son étendue le revers sud -ouest du plateau , dans
une largeur de plus de cinq lieues , est formé d'un
banc schisteur assez profond , et disposé verticalement.
Le revers opposé est entièrement granitique . Il
faut, excepter la partie orientale des arrondissements
de Thouars et de Parthenay , qui , s'abaissant in
sensiblement , se terminent en plaines de nature cal,
caire ,
Les coteaux nombreux qui traversent ces deux bassins
, et particulièrement celui du nord , y forment une
multitude de vallées par lesquelles s'écoulent les ruisseaux
et les rivières , qui prennent leurs sources dans
ces mêmes coteaux . Les plus remarquables de ces vallées
sont , dans la partie méridionale , celle dans laquelle
coule la Sèvre niortaise ; dans la partie du nord , celles
qu'arrosent le Thouet et l'Argenton .
RIVIÈRE S.
;
Sans être sensiblement élevé , ce département ne
reçoit aucune rivière des départements voisins
toutes celles qui l'arrosent ont leur source sur son territoire.
et
La Sèvre niortaise prend sa source près d'une petite
commune dite de Sevret , passe à Lamothe - Sainte - Heraye
, à Saint - Maixent et à Niort , entre dans les départements
de la Charente- Inférieure et de la Vendée ,
qu'elle sépare , pour aller se rendre dans la mer audelà
de Marans . Son embouchure est dans le pertuis
breton , vis - à - vis la pointe d'Aiguillon . Sa longueur
navigable commence à Niort , et est d'environ 75,000
toises , dont 28,000 dans le département des Deux -Sèvres .
Sa moyenne largeur est de 20 à 25 toises , sa profondeur
moyenne de deux pieds réduits ; il y a une écluse
placée à la Roussille ; mais sa construction est vicieuse.
La navigation de la Sèvre est presque interrompue
dans les basses eaux de l'été pendant environ
deux mois. Ses plus gros bâtiments sont du port de
quinze à vingt tonneaux. Il n'y a nulle part de chemin
de hallage ; les mariniers ne conduisent leurs bateaux
PLUVIOSE AN X. 239
qu'avec beaucoup de difficulté , surtout en remontant *.
On a présenté , depuis longtemps , le projet d'ouvrir
un canal de navigation entre la Rochelle et Niort . Ce
canal serait une source de richesses pour ces deux
villes. Il servirait en outre à dessécher 50,000 arpents
de marais dans les départements de la Charente - Inférieure
et des Deux- Sèvres , et rendrait salubre un pays
qui maintenant est presque inhabitable. Mais pour
obtenir ces avantages , il faudra diriger le canal sur
Damvix , et non pas sur Marans , comme l'ont proposé
quelques ingénieurs . On ne saurait trop recommander
ce projet à la sollicitude du gouvernement.
La Sèvre nantaise est couverte d'usines , dont la
majeure partie sert à moudre les grains du pays ; et
l'on croit que la rapidité de sa pente , l'escarpement
de ses bords et la nature de son lit , qui est de granit
, sont des obstacles invincibles à ce qu'on puisse en
tirer parti pour la navigation et pour la flottaison
comme elle est bordée d'excellentes prairies , susceptibles
d'être étendues et améliorées par les irrigations ,
il serait facile de la rendre utile sous ce rapport.
;
Le Thouet prend sa source vers Secondigny . Il serait
possible de le rendre navigable depuis Thouars jusqu'à
Montreuil-Bellay où il porte bateau.
L'Argenton prend sa source près de la commune de
Therves , et va se jeter dans le Thouet , en deçà de
Montreuil - Bellay. Elle a très-peu d'eau pendant l'été ,
et comme elle est , ainsi que le Thouet et la Sèvre
nantaise , sur un fond de roc dur , que ses bords sont
très- escarpés et sa pente rapide , on ne présume pas
qu'elle puisse jamais servir à la navigation . Toute son
utilité se borne aux irrigations et aux usines.
La Dive du nord prend sa source du côté de Mirebeau
, et se jette aussi dans le Thouet , au dessous de
Montreuil. On a projeté de prendre une partie des
eaux de ce ruisseau , au dessous d'Oyron , et de les
conduire dans le Thouet . Cette dérivation aurait le
Le C. Dupin , préfet des Deux- Sèvres , a proposé pour
sujet d'un prix de poésie la Navigation de la Sèvre niortaise
(Voyez le N.º XXXIII du Mercure).
240 MERCURE DE FRANCE ,
+
triple avantage d'arroser une grande étendue de ter
rain trop sec en été , de dessécher beaucoup de marais
noyés , et de procurer au Thouet une meilleure navigation.
Ce projet mérite d'être examiné. L'inondation
des marais dont la Dive est bordée , provient probablement
de la quantité de moulins qui suspendent son
cours , et qui auront insensiblement élevé son lit à
fond vaseux .
Il n'y a aucun parti à tirer pour le flottage et la navigation
de la Dive du midi.
Le Mignon prend sa source près Saint-Etienne - la-
Cigogne , et se jette dans la Sèvre niortaise . Ce ruisseau
est peu de chose par lui- même dans son état
actuel ; mais il pourra faire un jour partie accessoire
du projet général de navigation de la Sèvre , et devenir
navigable jusqu'à Mauze ce qui serait fort utile
"
au pays.
?
La Boutonne prend sa source à Chef Boutonne , et
se jette dans la Charente. On pourrait la rendre flottable
à partir du bourg de Chizé ; elle servirait alors
au transport des bois de la forêt nationale qui avoisine
ce bourg.
On voit , par ce que l'on vient de dire , que le département
des Deux- Sèvres , quoique arrosé d'un assez
grand nombre de ruisseaux et de rivières , n'est pas
aussi heureusement conformé qu'il serait à desirer pour
y établir une bonne navigation : il faut excepter toutefois
la Sèvre niortaise , dont il est possible de tirer
un grand parti , sous le double rapport de la navigation
et du desséchement d'une quantité de marais trèsconsidérable.
(La suite aux numéros prochains).
ERRAT A.
Page 150 , ligne 14 ; lisez , ainsi le crime est puni ,
et la société , etc.
Page 157 , note ligne 7 , moins terrible ; lisez , moins
traitable.
( N.° XL. ) 16 Pluviõse. An iõ .
MERCURE
DE FRANCE.
LITTÉRATURE.
LA PROPHÉTIE DU TAGE ,
OD E imitée de l'espagnol , de LoUIS DE LÉON ,
religieux de l'ordre de Saint- Augustin .
Loin du monde et du bruit, Rodrigue, aux bords duTage ,
A la belle. Florinde exprimait ses amours :
*
* Cette Florinde , surnommée Caba , était fille , d'autres
disent femme du comte Julien . Le roi Roderic , ou Rodrigue ,
en devint amoureux et l'enleva. Le comte , indigné de l'outrage
, appela les Maures en Espagne. Il se livra un sanglant
combat auprès de Xerès , dans lequel Rodrigue perdit la vie
après avoir perdu la plus grande partie de son royaume.
Dans ce morceau lyrique , visiblement imité de l'ode d'Horace
: Pastor cùm traheret , le poète suppose que le Dieu
du Tage reproche au roi son indolence et sa lâcheté. On
sait que cette ode produisait sur les Espagnols le même effet
que le ranz-des-vaches sur les Suisses. Le nom du jeune
auteur de ces vers est connu par un poème sur le Potager ,
dont on a rendu compte dans ce journal , et où l'on disting
gue les germes d'un véritable talent.
7.
16
REP.F
242 MERCURE DE FRANCE ,
Le fleuve , hors des eaux découvrant son visage ,
De l'avenir ainsi lui dévoila le cours.
Pour goûter cette ivresse où ton ame se plonge ,
Infame ravisseur , tu prends mal tes moments .
Déja Mars gronde , éclate ; et dans les airs prolonge
L'horreur de ses frémissements .
Que de pleurs expîront cette joie insensée !
Quelle grêle de dards sur l'Espagne amassée
Et cette belle , hélas ! source de mille maux ,
Dont un astre sanglant a marqué la naissance ,
Fatale à ta puissance ,?
Qu'elle doit coûter cher à l'empire des Goths !
Monarque sans honneur , qu'un fol amour dévore ,
Tu verras , mais trop tard , après ces doux moments ,
Le deuil , le feu , la mort , tous les fléaux éclore
De tes embrassements .
Quels longs combats ! quelle ruine
Menacent ces peuples lointains ,
Qui , sous les tours de Constantine
Cultivent les champs africains ;
Ceux qui de l'Ebre boivent l'onde ,
Les bords que mon fleuve féconde ,
De plus près soumis à ta loi ,
Les habitants de la Bétique ,
Et la Lusitanie antique ,
Et l'Ibérie entière , et toi !
Déja , pour te punir de ta lâche insolence ,
Le comte dans Cadis appelle la vengeance :
* Ville d'Afrique , aussi nommée Cirthe.
PLUVIOSE AN X. 243
La vengeance l'anime encor plus que l'affront.
Il crie , impatient de ta mort qui s'apprête ,
Et hâte la tempête
Qui doit frapper ton front.
Entends la trompette bruyante
Dont tout l'Olympe est ébranlé :
Regardé dans les airs la bannière ondoyante ,
Sous qui le Maure est rassemblé .
L'Arabe , s'agitant dans son désert immense ,
Bat les vents , à grand bruit ; et , brandissant sa lance ,
Appelle les hasards .
Dieu ! quel vaste appareil ! quelle innombrable armée
S'assemble , se grossit , en un clin d'oeil formée
De pelotons épars !
Toute la nation déja couvre la terre :
Sous les voiles au loin disparaissent les mers .
Le bruit confus des voix imite le tonnerre :
Des tourbillons de poudre enveloppent les airs.
Vois ceux- ci s'élancer sur la flotte infidelle ;
Ceux - là , sur l'aviron , roidir leurs bras vengeurs.
Le flot blanchit d'écume , et la mer étincele ,
Sous l'effort des rameurs .
Eole , d'un souffle propice ,
Pousse leurs agiles vaisseaux :
Pour eux , de sa main protectrice ,
Neptune aplanissant les eaux ,
Leur ouvre ce détroit rapide ,
Où l'on voyait , avant Alcide ,
Des deux mers se briser les flots.
244 MERCURE DE FRANCE ,
Cependant que fais - tu ? Potentat ridicule ,
Tu languis mollement dans le sein des amours ;
Et voilà que le port où l'on adore Hercule *
A l'ennemi livre ses tours.
Réveille - toi ; va , cours , franchis les monts , arrive.
Ne donne ni repos , ni relâche à ton bras ;
Charge une armure enfin sur ton épaule oisive :
Agite et fais briller le glaive des combats.
O combien cette guerre , en désastres féconde ,
Fait tomber de guerriers ,
De braves fantassins , de nobles cavaliers !
Quelle sueur inonde
Et soldats et coursiers !
Et toi , fleuve Bétis , dans ton onde sanglante ,
Combien tu rouleras de casques fracassés !
Dans les gouffres muets de la mer dévorante ,
Combien s'engloutiront de cadavres pressés !
Durant cinq jours entiers d'attaque et de défense ,
L'horrible Mars tiendra la victoire en balance ,
Aux deux partis rivaux également cruel ;
Et la sixième aurore , hélas ! ô ma patrie ,
Verra la barbarie
Consommer sans pitié ton opprobre éternel !
J. B. LALANNE.
* Cadis , où Hercule avait un temple fameux.
PLUVIOSE AN X. 245
VERS adressés au C. " TAL.... , min. des relat.
ext. le jour de sa fête , en lui donnant une
boite sur laquelle était le portrait de sa
chienne , nommée Jonquille .'
UN Eillet occupait , dans son loisir aimable ,
Le Héros de Rocroi , de Nerwinde et de Lens :
D'un ministre admiré par l'Europe équitable ,
Jonquille amuse les moments .
La Nature a lié , par un charme durable ,
Les goûts simples aux grands talents.
Que cet hommage , offert aux repos du génie ,
Arrête quelquefois vos yeux :
Le pinceau que guidait le coeur de votre amie
Aurait pu réunir des traits plus précieux .
Une famille qui vous aime
Eût fourni des portraits charmants ;
Mais on a choisi cet emblême
Pour vous peindre ses sentiments.
ENIGMES.
JE viens sans qu'on y pense ;
Je meurs à ma naissance ,
Et celui qui me suit
Ne vient jamais sans bruit.
A UTR E.
D'UN père lumineux je suis la fille obscure ,
Je méprise la terre , et je m'élève aux cieux ,
Où j'apaise souvent la colère des Dieux .
Si mon père est aimé , personne ne m'endure ,
Car je coûte des pleurs aux gens les plus joyeux .
246 MERCURE
DE FRANCE
, 1
TREMBL
LOGOGRIP HE.
REMBLE , lecteur, je suis pour le malheur du monde
Un monstre à double tête , et monté sur deux pieds ,
Je porte la terreur sur la terre et sur l'onde ;
Je détruis et défends des peuples effrayés.
Coupe moi la seconde tête ,
Tous mes desirs sont dans l'éternité.
Je te distingue de la bête .
Repose cette tête à mon extrémité ,
Tu verras bientôt les grimaces
De l'enfant qui me trouve avec ses aliments.
A l'autre bout si tu le places ,
Je fendrai les flots émants.
Retranche - moi deux pieds , lecteur , et tu vas lire
Un des mots qu'un auteur doit rarement écrire .
A présent que mon tout rentre en l'ordre premier ,
Si tu veux entre chaque pied
Mettre ma double tête , alors mon cau bourbeuse .
Souvent donne aux poissons une existence heureuse.
Par un abonné de Bourg.
CHARAD E.
ONOn aime mon dernier mais devant mon premier.
Hélas ! Si mon dernier est toujours mon premier ,
On le plaint ; car bientôt il n'est que mon entier.
Mots de l'Enigme , du Logogriphe et de la
Charade insérés dans le dernier Numéro.
Le mot de l'Enigme est aurore.
Celui du Logogriphe est clocher , où l'on trouve
Roch , écho , coche , róle , or, etc.
Le mot de la première Charade est Mercure ; celui
de la seconde est vacarme.
PLUVIOSE AN X. 247
VOYAGE de la Troade , fait dans les années
1785 et 1786 , par J. B. LECHEVALIER ,
membre de la Société des Sciences et Arts
de Paris , du Lycée de Caen , des Académies
d'Edimbourg, de Gottingue , de Cassel
et de Madrid ; trois volumes in-8.° , ornés
d'un bel atlas de 37 planches , cartes , vues ,
médailles , etc. ; précédé de l'analyse de toutes
les planches , sur papier jesus , formant 16
pages . Prix, papier carré double d'Auvergne ,
25fr. , el 30fr. , franc de port , par la poste ;
papierfaçon hollande , premières épreuves
36 fr. et 42fr. ; papier grand raisin vélin
«
2.
Delagarde ) , dont il n'a été tiré que 25
exemplaires , figures avant la lettre ; prix ,
60 fr . et 66fr. A Paris , chez Dentu , imprimeurlibraire
, palais du Tribunat , galeries de bois
n . 240 .
Quel plaisir de te suivre aux rives du Scamandre !
D'y trouver d'Ilion la poétique cendre ! »
Ce voeu d'un poète , que , dans un beau mouvement
d'enthousiasme , exprima si harmonieusement
Despréaux , devient l'expression la plus
naturelle qui s'offre pour témoigner à l'auteur
du Voyage de la Troade la satisfaction.
que fait éprouver la lecture de son intéressant
ouvrage . Déja , il a fourni à ce journal un
que notre ancien collaborateur
Esménard , a orné avec goût des morceaux
extrait

9
* N . " IV , 16 thermidor an 8.
248 MERCURE DE FRANCE ,
"
les plus brillants de l'original , et qu'il a enrichi
en outre du tableau pittoresque , qui lui
appartient en propre , du magnifique aspect
de Constantinople . En suivant après lui Lechevalier
dans ses belles recherches nous
éviterons de repasser sur des traces , où déja
nos lecteurs ont trouvé plus d'agrément que
nous ne pourrions leur en promettre ; et même
nous remplirons mieux ce qu'ils doivent attendre
de nous , en nous attachant plus particulièrement
à leur faire connaître les nouveaux objets que
cette édition offre abondamment à l'intérêt et
à la curiosité .
Elle est considérablement augmentée . Le
Voyage de la Troade , n'avait eu jusqu'ici
qu'un volume ; il en a trois dans cette nouvelle
édition , enrichie en outre d'un bel atlas composé
de cartes et de gravures ; et parmi celles- ci
il en est plusieurs , telles que celles du port
d'Ithaque , de la fontaine Aréthuse , du temple
de Minerve au promontoire Sunium , de la
plaine de Troie , des sources du Scamandre ,
qui réunissent au charme des souvenirs qu'elles
retracent , un mérite d'exécution très- distingué.
Ainsi l'auteur nous fait jouir par les sens comme
par l'esprit de toutes les positions qu'il a retrouvées
, de tous les objets qu'il nous a rendus .
Dans le compte qu'il avait donné jusqu'ici
'de ses découvertes , on le trouvait envahissant
tout-à-coup sa conquête , et se plaçant brusquement
au centre du domaine qui lui appartient
, à des titres qui ne lui seront point contestés
par les amis de l'antiquité , ni surtout par les
amis d'Homère , à la gloire duquel il a même
l'honneur d'avoir ajouté quelque éclat. Ce beau
PLUVIOSE AN X. 249
domaine littéraire , il l'a 'fondé sur les débris
poétiques d'Ilion , depuis le rivage où les mille
vaisseaux des Grecs s'étendaient sur deux rangs ,
entre les postes d'Achille et celui d'Ajax
placés aux deux extrémités du camp , jusqu'aux
murs de la ville assiégée , aux portes Scées
dont il a retrouvé la place ; et au- delà même
jusqu'aux plus hauts sommets de l'Ida , d'où
le Simoïs se précipite encore avec impétuosité
dans la plaine , où il retrouve encore le fidelle
Scamandre :
Hic Dolopum manus , híc sævụs tendebat Achillesz
Classibus hic locus , hic acies certare solebant.
Jusqu'à présent , l'auteur nous transportait
soudainement et sans nous y conduire , au milieu
de ce site si riche de grands souvenirs ; il
nous associait sans préparation à ses recherches ;
nous révélait à la fois toutes ses découvertes
dans cette plaine fameuse , combattant de nouveau
tous les grands combats des Grecs et des
Troyens , indiquant toutes les positions , retrouvant
tous les lieux , non pas dans des ruines périssables
elles - mêmes , étiam periere ruinæ ; mais
sur le sol durable * contemporain de tous
les temps , et campos ubi Troja fuit.
Aujourd'hui sa narration reprend de plus
haut il nous fait parcourir la route qui l'a conduit
au terme ; et l'on verra combien nous aurions
à regretter qu'il eût persisté à nous priver du
récit du trajet. C'est encore la Grèce ; c'est toujours
cette antiquité poétique qui ne vieillira
* Le sol , solidum.
250 MERCURE DE FRANCE ,
point ; partout nous recueillons des souvenirs
homériques sur cette route qu'a sondée partout ,
avec une merveilleuse exactitude , le bâton sacré
du divin aveugle . Ainsi nous sommes conduits au
terme de la course , et dans le champ des grandes
découvertes tout disposés à la confiance . Il suffit
de cette considération pour faire sentir combien
cette partie de l'ouvrage était nécessaire
à l'autre ; non- seulement elle y mène , mais elle
y prépare . La comparaison de la topographie.
ancienne et moderne de la plaine de Troie ,
qui est le but de l'ouvrage , et dont il s'agit
d'établir la concordance , l'est à moitié quand
nous y arrivons ; déja nous avons vu l'accord.
parfait de la poésie avec la géographie et l'histoire
, et Homère trouvé fidelle en toutes ses,
descriptions .
2
9.
L'auteur s'embarque à Venise ; traverse le
golfe de ce nom , celui de Morée , l'Archipel
les Dardanelles , et arrive à la plaine d'Asie
opposée à Constantinople , terme de sa course ,
et objet de ses recherches. Mais rendons à ces
mers leurs anciens noms de mer Adriatique .
Jonienne , Égée , Hellespont ; et aussitôt les
souvenirs poétiques de la jeunesse du monde
et de la nôtre même s'offrant en foule à
notre esprit , nous nous sentons transportés
comme par un charme magique , dans d'autres
temps , dans d'autres lieux , au milieu d'autres
peuples. Partout , nous rencontrons sur ces
mers orageuses , unis ou dispersés ; sous la protection
ou livrés au courroux des dieux , les vaisseaux
confondus des vaincus et des vainqueurs.
Ici , c'est Ulysse ; là , c'est Énée ; et toujours ,
marchant devant nous , et nous servant de guides ,
PLUVIOSE AN X. 251
Homère et Virgile ; toujours leurs chants antiques
, leurs vers sacrés assiégeant la pensée ,
s'échappant de la mémoire , et se plaçant , à notre
inscu , dans tous nos récits . Triomphe de la
poésie ! O sacer et magnus vatum labor ! Quel
autre art , quelles sciences peuvent se vanter de
produire et d'éterniser de telles impressions ? A
l'exclusion de tout autre , le génie poétique.
jouit seul de ce privilége ; et il ne l'a pas perdu ,
il ne le perdra pas , même en s'éloignant des
premiers temps ; même à la distance la plus reculée
de cette haute antiquité. Quels que soient le
lieu , le temps , et en quelque langue qu'il s'exprime
; qu'il s'empare d'un sujet heureux et
fécond , qu'il y sème les grandes images , les
belles descriptions , l'héroïsme et le pathétique
des sentiments vrais ; enfin qu'il s'élève à la
perfection du style poétique , et il vivra ; il
vivra à jamais dans la mémoire des hommes.
Ainsi le Tasse , ainsi Racine sont entrés en par-.
tage de l'immortalité d'Homère et de Virgile.
Ces réflexions ne sont point une digression
dans cet extrait . A toutes les pages , le Voyage
de la Troade en réveillera de semblables dansl'esprit
des lecteurs ; l'auteur lui - même les
indique partout . Mais nous allons le suivre de
plus près dans sa course ; nous ne le perdrons
plus de vue .
L'antique Venise , où déjà l'on a vu qu'il
s'est embarqué, appartient à l'antiquité moderne ;
à moins que , par déférence pour les érudits
Bas-Bretons * , nous ne consentions à faire remonter
son origine jusqu'aux Celtes , ou Vé-
Le brigant , etc. etc.
252 MERCURE DE FRANCE ,
nètes , lesquels , disent- ils , sont évidemment
le même peuple , issu de la célèbre ville de
Vannes, berceau et métropole de tous les peuples
anciens , des Etrusques , des Pélasges , des Phéniciens
, colonies éloignées , mais incontestablement
originaires de Basse - Bretagne . Sans
égard pour ces prétentions , auxquelles il néglige
même de donner la plus légère attention ,
Lechevalier paraît plus agréablement attiré par
l'occasion offerte d'un vaisseau partant direc
tement pour Ténédos :
Est in conspectu Tenedos , notissima famâ
Insula.
Le célèbre naturaliste Spallanzani , aussi familier
avec Homère et Virgile , qu'avec Pline
et Aristote ; le chevalier Zuliani , ambassadeur,
qui réunissait l'amour des sciences et des arts ,
aux talents d'un négociateur habile ; un compatriote
d'Ulysse , officier du vaisseau ; enthousiaste
d'Homère , qu'il sait par coeur dans sa
langue , toujours prêt à appliquer à chaque
lieu , à chaque objet , le passage descriptif ,
le vers propre du poète géographe et historien
; voilà en quelle compagnie Lechevalier
s'embarque pour la Troade ; voilà quelle attente
est offerte au lecteur : elle ne sera point
trompée. Sous la conduite de tels guides , rien
n'échappe ; l'antiquité est fouillée jusqu'en ses
plus secrètes profondeurs ; la poudre des ossements
se ranime ; tous les débris des monuments
se relèvent . Ainsi , l'amphithéâtre
romain de l'antique Pola , colonie des peuples
de la Colchide , suivant quelques auteurs ; des
PLUVIOSE AN X. 253
Pélasges et des Etrusques , selon quelques
autres , aujourd'hui ville d'Istrie ; son arc de
triomphe , ses deux autels à Auguste , sont
visités et décrits ; Spalatro , retraite de l'empereur
Dioclétien , indiquée ; les monts Acrocerauniens
, infames scopulos , dépassés ; l'île
de Calypso , la même que Fano , suivant la
conjecture très-probable du célèbre Danville ,
reconnue ; et la Skéria d'Homère , la Corcyre
des historiens grecs , aujourd'hui l'île de Corfou ,
abordée . Ici , nous nous retrouvons dans le
domaine d'Alcinois , au milieu des Phéaciens ,
dans des champs couverts de pommiers , de
poiriers , de figuiers , de vignes , de grenadiers ,
de dattiers , d'orangers , de citroniers , riche et
simple parure des jardins fameux dont nous
reconnaissons l'emplacement , ainsi que le fleuve
et le port qui offrirent à Ulysse , errant au
gré des flots depuis deux jours et deux nuits
un abri sûr et commode. La côte opposée
d'Epire , la ville de Buthrotum ( Butrinto ) ;
l'autel où Pyrrhus tomba sous les coups d'Oreste ;
le simulacre de Troie , qu'Andromaque éleva
sur cette rive , ou pour tromper , ou pour entretenir
sa' douleur,
....... Parvam Trojam , simulataque magnis ,
Pergama ;
«
Andromaque , à travers de mille cris de joie ,
Porte jusqu'aux autels le souvenir de Troie. »
Virgile , Racine ! Quels noms !
Quels souvenirs ! Lechevalier n'y résistera
point. Il loue un bateau pour s'y rendre ; il
y arrive , et sa curiosité ne sera point vaine :
la situation de Buthrotum resta profondément
254 MERCURE DE FRANCE ,
gravée dans sa mémoire , et ces souvenirs dans
la suite ne lui furent pas inutiles pour la dé
couverte de l'ancienne Troie.
"
Nous voiciparvenus au promontoire d'Actium,
à l'entrée du golfe de Larta , ( Ambracicus
sinus ). Les ruines de Nicopolis , la ville de
la victoire , fondée par Auguste , pour consacrer
le grand souvenir de celle qu'il y remporta
lui rendent encore témoignage . De
' aspect de ce promontoire , qui nous a rap、
pelé tant de souvenirs d'histoire , nous passons
bientôt à celui Leucate , qui réveille tant de
souvenirs d'amour, Son escarpement sur les flots
a été reconnu par nos voyageurs , comme trèspropre
en effet à mettre fin aux tourments
qu'il nous cause ; toutefois on n'y relâcha point z
sans doute ce vaisseau ne portait point d'amants
malheureux .
Mais déja on a aperçu Ithaque ; on a pu
distinguer les troupeaux de chèvres qui paissent
sur ses collines . Ici , l'officier qui retrouve sa
patrie , ne peut plus contenir ses transports.
Ulysse , Télémaque , le vieux Laerte , le fidelle
Eumée , n'en firent point éclater de plus vifs , et
ne les exprimèrent point en un autre langage.
Tout ce qu'il voit , tout ce qu'il montre , il l'expose
dans les vers d'Homère ; et les vers d'Homère
correspondent à tout ce qu'il montre , à tout
ce qu'il voit ; « N'est- ce pas , dit avec raison ,
« à ce sujet , l'auteur du Voyage , un véritable
sujet d'admiration pour les amis d'Homère ,
« d'observer avec quelle exactitude ses des-
«<
criptions correspondent encore avec la nature ,
<< après tant de siécles , et après toutes les alté- "
<«< rations qu'ont éprouvées les ouvrages et les
« pays dont il nous offre le tableau. »
PLUVIOSE AN X. 255
Les bords de l'île voisine de Zante ( Pharos ,
Zacinthe ) , sont encore renommés par l'abondance
des phoques , à la chasse ou à la pêche
desquels ses habitants sont toujours périlleusement
adonnés ; nouveau témoignage en faveur
du véridique vieillard , qui a placé dans ces
lieux le séjour de l'immortel Protée :
«<
immania cujus
Armenta , et turpes pascit sub gurgite phocas.
. De cet endroit , le vaisseau passera en vue
de l'heureuse Elide , « où aucun soldat étranger
« ne pouvait pénétrer sans déposer ses armes
« à la frontière , et que toutes les nations de
la Grèce avaient mise sous la sauve -garde de
Jupiter. » Ils ne violeront point cet asile , et
ils s'en tiendront à reconnaître respectueusement
l'embouchure du fleuve Alphée. Quant aux îles
Strophades , séjour des immondes harpies , ils
ne seront pas tentés sans doute d'y descendre
et d'y prendre leur repas ; ils éviteront même
d'entrer , en remontant , le Pamisus , dont le
nom et l'embouchure les inviteront vainement
´au port appelé aujourd'hui Calamata ,
<< dont
les habitants désignés par les autres peuples
de l'Archipel , sous le nom de Mavra matia ,
( hommes aux yeux noirs ) , passent pour être
les dignes successeurs des brigands de Lacé-
« démone. » Il y a de l'amertume dans ce
souvenir , le seul que donne en passant notre
Voyageur au peuple de Lycurgue .
<<
Une tempête affreuse , décrite dans l'ouvrage
avec une effrayante vérité , les accueille au
cap Sant-Angelo , qui n'est autre que le pro256
MERCURE DE FRANCE ,
K
montoire Malée , où Ménélas , à son retour de
Troie , manqua aussi de faire naufrage ; rapport
singulier , et qui a pu ne pas déplaire à des navigateurs
aussi homériques que ceux dont nous
suivons les traces. Enfin cet orage les pousse
à Cythère; et c'est ainsi toujours qu'on y aborde.
Cythère est une île sauvage , aride , et pres-
« que inhabitée . » On ne s'en plaignait pas ,
et sans doute on ne s'en apercevait pas même ,
lorsqu'elle était le séjour des Amours et de leur
mère. Spallanzani observa que l'île de Cérigo
était une production toute volcanique , et même
qu'elle a dû sortir du sein des eaux , par l'action
des volcans. La naissance de Cythérée ,
son union avec Vulcain , telles que les rapportent
les mythologistes , ne seraient-elles qu'une allégorie
physique ?
Après Cythère , Athènes : telle est la route
que suivent nos voyageurs. Ainsi , après les
Amours , les arts , les lettres , les sciences . Je
ue cherche ni n'écarte ces rapports qui viennent
s'offrir d'eux-mêmes. L'ancien port de Sunium ,
est la première terre d'Attique où ils descendent .
Au dessus , s'élève avec les belles ruines du temple
de Minerve et les souvenirs de Platon toujours
subsistants , le fameux promontoire de ce
nom. Quel vif empressement, et même quelle
sorte d'émotion religieuse excitera cette association
des idées et des objets ! Mais il faut
laisser l'auteur exprimer lui -même les sensations
qu'il éprouve . Ce morceau un peu étendu ,
donnera , de plus , aux lecteurs , une idée de sa
manière , que je me reproche d'avoir tardé si
longtemps à leur faire connaître. Il faut les
prévenir qu'une circonstance, née de l'impatience
PLUVIOSE AN X. 257
même de l'auteur , pour visiter Athènes , l'a
séparé de ses compagnons et du vaisseau , qu'il
ne rejoindra plus. Il a cherché un lieu élevé
pour tâcher de les découvrir au point du jour,
et ce lieu sera le promontoire lui - même :

"

Je montai donc aussitôt sur le sommet du Cap ,
« afin d'observer le lendemain , au point du jour , sije
« ne l'apercevrais pas dans la rade de l'île Longue ,
" ou dans les environs de l'ile de Zea . Le ciel était pur ;
" les étoiles brillaient de leur éclat ordinaire dans ces
beaux climats ; l'air était embaumé du parfum des
· plantes aromatiques. Je m'étends sur les marches du
temple de Minerve , et je m'endors au bruit des va-
* gues qui viennent se briser au pied du Cap.- Lorsque
* le soleil parut sur l'horizon , et qu'il frappa de seg
premiers rayons les sommets de l'ile de Zea et les
colonnes antiques au pied desquelles j'étais assis , un
" mouvement d'enthousiasme s'empara de mon ame ;
le spectacle de la mer , le chant des oiseaux , les
", bois touffus dont ces belles ruines sont entourées ,
« l'Attique enfin , l'Attique et ses grands souvenirs , tout
semblait concourir à m'exalter l'imagination. Je jouissais
par toutes les facultés de mon ame. A ma gau-
« che , au pied du Cap , était l'île de Cranaé , où Pâris
reçut les premières faveurs d'Hélène . J'avais à ma
droite l'île de Patrocle et le port Sunium , autrefois
« une des plus fortes places des Athéniens . Un canal
étroit me séparaît de l'île de Zea , l'ancienne Ceos."
• A une grande distance vers le nord , j'apercevais l'île
d'Andros et la pointe méridionale de l'Eubée. C'est
■ ici , me disais - je , qu'abordèrent Ménélas et Nestor ,
unis d'une intime amitié , lorsqu'à leur retour de Troie ,
ils voguaient ensemble vers les rivages de leur patrie.
"
--
7.
17
258 MERCURE DE FRANCE ,
་་
"
་་
C'est ici qu'Apollon perça de ses flèches invisibles le
« fils d'Onetor , Phrontis , supérieur à tous les hommes
« dans l'art de guider un navire pendant la tempête."
« Dès - lors , sans doute , quelque divinité avait un
temple sur ce promontoire , puisqu'Homère l'appelle
« la Pointe sacrée de l'Attique . Peut - être Ménélas et
" Nestor ont-ils foulé les marches sur lesquelles j'ai reposé
cette nuit ? Peut -être ont- ils touché de leurs"
« mains la colonne sur laquelle je suis maintenant ap-
" puyé ! C'est aussi du fond de ce vestibule que
Platon , observant la tempête qui s'élevait sur l'ho-"
« rizon , expliquait à ses disciples la formation du
« monde , et leur annonçait , au bruit du tonnerre , un
Dieu unique , immuable et infini .... »
·"l

"
-
Combien je regrette de ne pouvoir placer ici
les remarques intéressantes de l'auteur , même
après celles d'Anacharsis , sur l'Athènes ancienne,
qu'il a toujours cherchée , et qu'il a tou--
jours su découvrir dans l'Athènes moderne ! Je
voudrais pouvoir le montrer , enle citant encore ,
et dans la plaine de Marathon , auprès du tombeau
de Miltiade ; et sur le mont Hymète , d'où
son weil plonge dans la ville et embrasse au loin
ses environs ; et au milieu des ruines majestueuses
du temple de Minerve , de ce temple , ou on -luiraconta
que, « Peu de temps auparavant, un Français
aveugle s'était fait conduire , qu'il s'était
« jeté à genoux au pied de ses colonnes , les
<< avait embrassées en versant des larmes d'atten-
« drissement sur la destruction d'un monument
<< aussi fameux. A ce mouvement d'enthou-
<«< siasme , continue l'auteur , et au portrait qui.
<«< me fut fait du voyageur français , je reconnus.
<< un ami des arts et de l'antiquité : c'était l'abbé
PLUVIOSE. AN X. 259
«
Delille , qui allait à Constantinople avec l'am-
« bassadeur Choiseul - Gouffier , et qui en effet ,
<< avait alors perdu la vue. » Eh bien ! du sein
de ces ruines magnifiques , s'élève une misérable
mosquée construite de leurs débris ; et
même , s'il faut le dire , cet emploi des chefd'oeuvres
mutilés des Phidias et des Praxitelle ,
est celui dont il faut savoir le plus de gré aux
Turcs. Le plus souvent on les trouvera dans
le cours de cet ouvrage , ou brisant ces marbres
animés pour en faire de la chaux , ou transformant
un chapiteau corinthien en un mortier
à broyer , ou l'arrondissant d'un ciseau grossier
pour en faire un boulet : « détruire est leur
<< ouvrage. » EEtt que serait-ce si , faisant usage
contre eux de toutes les accusations ou plutôt
de toutes les preuves de barbarie rapportées
dans l'ouvrage , je rappelais les incroyables et
familières atrocités qui constituent le droit de
guerre d'un peuple qui n'a point un droit des
gens ? si je représentais un pacha de Janina ,
forçant des prisonniers , dans lesquels tout autre
ennemi aurait respecté autant de héros , à dépouiller
, à saler les têtes de leurs camarades ,
de leurs amis , de leurs chefs sanglants et tués
à leurs côtés ou à leur tête , et à les porter
pendant quarante- six jours de marche , des confins
de l'Albanie à l'extrémité de l'Europe , qui
ne s'indigne point d'inscrire au nombre de ses
villes principales , la capitale d'une nation stupidement
barbare et étrangère à l'Europe ; et qui
changeant tout au milieu d'elle , et s'accordant
pour effacer jusqu'à d'antiques royaumes chrétiens
, n'est plus choquée de cette inconcevable
alliance de mots : Turquie européenne ?.. Mais
260 MERCURE DE FRANCE ,
achevons ce tableau , dans les termes mêmes de
l'auteur , et ajoutons encore à l'indignation :
Lorsque trop affabili par la douleur , la faim ou «<
<<
le froid , quelqu'un d'eux se traînait avec trop
« de difficulté , un tartare le poussait sur le bord
« d'un fossé , lui tranchait la tête , et la donnait
<< à porter à ses compagnons. »>-Le lecteur doit
souffrir dans l'extrait , cette opposition de tableaux
, et ce contraste d'objets , comme il est
dans l'ouvrage ; les omettre , ou les déguiser , ce
ne serait pas le lui faire connaître .
Une chaloupe , ayant pour tout équipage un
vieillard de soixante-dix ans , et un enfant de
douze , remplace le vaisseau de 74 pièces de
canons , que Lechevalier n'a pu rejoindre ; et
c'est ainsi qu'il s'embarque au Pirée , ce port
fameux qui contenait toute la marine des Athéniens
, et où quatre de nos frégates ne pourraient
aujourd'hui trouver place. Hâtons- nous de le
conduire au terme de son voyage , à travers
une navigation dangereuse , et par la fragilité
du bâtiment , et par l'inhabilité des pilotes , et
par la rencontre des pirates , et par les tempêtes,
et par les îles , les écueils dont ces mers étroites
sont toujours semées. On le retrouvera dans ce
trajet , suivant toujours les traces poétiques qui
ne l'égarent point , soit à Trézène où il touche ,
soit à Scyros où il relâche , soit à Ténédos
où il aborde enfin , et dont la rade justifie encore
l'idée qu'en a donnée Virgile , non moins exact
qu Homère dans la description des lieux :
Nunc tantum sinus et statio malefida carinis.
Moins contrarié à Ténédos par les vents enPLUVIOSE
AN X. 261
nemis , que le roi des rois , et sans être obligé
d'immoler une vierge ,
Pour obtenir les vents que le ciel lui dénie ,
il arrive au rivage troyen en traversant l'Hel
lespont , qui du moins n'a pas perdu toute la
grace antique de son nom , en le changeant
pour celui des Dardanelles , qui se rattache
lui-même au souvenir de l'antique cité de Dardanus
. D'avance , il avait formé son plan de
recherches dans Homère , et il l'a réalisé sur
le terrain , avec un succès qui a rempli toute
son attente. La plaine de Troie , telle qu'elle
existe , se rapporte à la plaine de Troie décrite
par Homère avec une exactitude parfaite : l'emplacement
de la ville et celui du camp des Grecs
ont été reconnus ; les sources du Scamandre retrouvées
; son cours et celui du Simois suivis
et retracés , depuis leur origine qui les sépare ,
jusqu'au confluent qui les réunit ; et de là ,
jusqu'à l'embouchure où ils portent ensemble
leur tribut à la mer. Les tombeaux -mêmes , les
tombeaux d'Achille , d'Hector et d'Ajax , se
distinguent encore ; ils ont subsisté parce qu'ils
ne peuvent périr ; parce qu'ils ne furent point
les ouvrages d'un art sur lequel les hommes
et le temps exercent à l'envi leurs ravages ;
parce qu'ils ne furent ni de marbre ni d'airain .
A cette époque , sur le corps des chefs , des héros
qu'on voulait honorer , l'armée , le peuple entier ,
élevaient une colline , entassaient une montagne :
terræ congestio super ossa tumulus dicitur. Le
monument était durable , et par sa masse , et
262 MERCURE DE FRANCE ,
par la simplicité des matériaux , et par le respect
qui l'entourait :
Et la vigne flexible , et le lierre aux cent mains ,
qui dans les monuments fastueux des arts ,
Achèvent d'ébranler l'ouvrage des Romains ,
" eux - mêmes achevaient d'affermir de lier
ensemble l'ouvrage de peuples qui n'avaient
de matériaux que le sol , d'instruments que leurs
bras , d'industrie que le nombre , et d'art que
le travail . Du reste , toutes ces découvertes de
Lechevalier ont déja été constatées par des
voyageurs , même même défiants , défiants , qui l'ayant suivi
pour le contredire , se sont réunis pour le justifier.
Nous nous y arrêterons moins dans cet
extrait , parce qu'elles ont été exposées avec
détail , ainsi qu'on l'a dit , dans un des premiers
cahiers de ce journal . On en lit toutes les circonstances
singulières et intéressantes dans le
second volume de cette édition , qui diffère peu
des premières publications.
Le troisième se compose de la traduction
d'un ouvrage anglais bien inférieur au sien ,
que l'auteur a eu la politesse de faire , şans
doute pour répondre à celles qu'il y reçoit , et
qui ne sont au reste qu'une justice qu'on lui
rend. Toutefois ce volume a le mérite réel
d'être une confirmation de tout ce qu'on a
yu dans les précédents ; l'auteur , M. Morritt ,
accompagné de quelques-uns de ses compatriotes ,
juges compétents et peu prévenus , a repassé avec
eux sur toutes les traces de Lechevalier , et a
été forcé d'admettre sur les lieux , les mêmes
PLUVIOSE AN X. 263
inductions qu'il en avait tirées , avec une sagacité
à laquelle on rend un entier hommage ;
en outre , le nouveau voyageur réfute fort au
long dans son ouvrage , l'opinion insensée d'un
de ses compatriotes , qui veut à tout prix ,
qu'on cherche en Egypte la célebre Troie du
poète grec , et qui , de son cabinet , prétend
bien l'y avoir retrouvée. Il faut croire que cet
anglais , comme notre père Hardouin , s'est toute
sa vie levé à quatre heures .
«<.
«
Ceux qui , parmi nous , ont présent à la mémoire
l'ouvrage d'un écrivain plus imposant ,
l'auteur d'Anacharsis , l'opposeront à Lechevalier,
comme un adversaire plus redoutable. Barthelemi
, en effet , a conduit son jeune héros sur
le rivage de Troie , et lui a fait dire : « Je ne
« pus reconnaître les lieux immortalisés par
<< les poèmes d'Homère ; il ne reste aucun vestige
de Troie , les ruines mêmes ont dis-
<< paru ; des atterrissements et des tremblements
<«< de terre ont changé toute la face de cette
<«< contrée. » L'exact Barthelemi ne manque
pas d'alléguer ses autorités , de citer ses garants
, Hérodote , Strabon . Ces noms imposent ;
mais l'auteur , qui n'a pu ni les ignorer , ni passer
sous silence ce qu'ils ont dit ou paru dire ,
en opposition avec les résultats de ses recherches,
a aussi examiné , pesé , comparé les passages.
C'est une discussion qu'on doit lire dans l'ouvrage
; elle est lumineuse , propre à satisfaire
et concilie tont. J'ajouterai qu'ayant examiné
le texte d'Hérodote qu'indique Barthelemi ,
je n'y ai rien trouvé qui se rapporte à un tremblement
de terre , le seul fléau qu'on se repré264
MERCURE DE FRANCE ,
sente comme , capable de rendre un vaste site
entièrement méconnaissable ; encore pouvaiton
reconnaître la campagne autour de Lisbonne
, même après la mémorable catastrophe
qui bouleversa la ville . Quant à Strabon , il est
bien reconnu qu'il n'a point été sur les lieux , et
qu'il s'en est rapporté à un témoignage qui
n'a pas
la même valeur qu'aurait le sien , Démétrius
de scepsis . J'ai confiance , je l'avoue
à la constance des grandes formes que la nature
a imprimées aux lieux considérés dans une
vaste étendue ; et les découvertes faites dans
la Troade ne font point naître dans mon esprit
des idées vagues et confuses d'improbabilité.
Je crois avoir lu sans prévention , mais
avec soin , et j'ai été convaincu . J'en remercie
l'auteur. Un grand charme est attaché à une
grande conviction . Et pourquoi , s'il ne fallait ,
à l'imagination , que de belles images , pourquoi
des poésies toutes fantastiques , les Nuits arabes,
l'enluminure orientale , qui ne manque point
d'éclat, et tout ce qui y ressemble , la séduiraientelles
à peine , et nous fatigueraient-elles sitôt ?
Oui , toutes les fictions , et même celles d'Homère
, pour opérer leur effet et produire des
impressions réelles et durables , ont besoin
de quelque vérité ; et s'il n'exista même ni
ville ni plaine de Troie , si le mont Ida est
aussi chimérique que les divinités qui s'y reposent
, le Simoïs et le Scamandre sans réalité ;
enfin si toute cette structure sans charpente
repose sur le vide absolu ; à commencer par
mon plaisir , tout s'évanouit. Ainsi , la satisfaction
que m'ont donnée les recherches sur
+
PLUVIOSE AN X. 265
la Troade , tient à l'appui qu'elles ajoutent
à ma confiance en la réalité des événements
principaux et du site lui- même ; laissant ensuite
à l'imagination et au génie , à peindre et à embellir
. L'esprit de l'homme est donc bien fait
pour la vérité , puisqu'il en faut même à la
fiction pour lui plaire. La topographie de la
Troade , sous les yeux , je sens que je vais re-
Jire pour la centième fois , mais avec un charme
plus parfait et nouveau à quelques égards , le
poème du chantre immortel; oui :
« Je vais , plein de son nom , plein de ses vers sacrés ,
« Les lire aux mêmes lieux qui les ont inspirés. »
M.
LETTRES de M. de LALLY TOLENDAL, sur
le bref du pape aux évêques français . In-8.
de 108 pages , publié à Londres , et imprimé
à Paris . Chez Leclere , quai des Augustins ,
et Desenne , palais du Tribunat .
CEs lettres , au nombre de trois , adressées au rédacteur
du Courrier de Londres , et datées des derniers
jours de septembre , n'ont été réimprimées en France
qu'après plus de trois mois , et nous en attendons encore
la suite. Mais tel est le talent de l'auteur , que dès
(qu'il a posé les questions , et qu'il en a traité quelquesunes
, les autres paraissent résolues d'avance ; et que
le commencement d'un ouvrage semble déja , sous sa
main , une oeuvre complète. On dira , avec son éditeur
( qui est lui - même un homme d'une éloquence re-
4
266 MERCURE DE FRANCE ,
connue ) , que dans les deux questions qu'il a traitées ,
il a épuisé son sujet.
"
Cet éditeur ajoute : « Si l'on demandait ici , comme
on a fait à Londres , quel est cet homme qui vient
défendre une cause à laquelle il semble si étranger ,
voici ce que nous pourrions , répondre et cette
réponse est un magnifique éloge qu'il termine ainsi :
Vainement un tel homme voudrait rester inconnu ;
il a trop uni sa personne à ses ouvrages , ses vertus
« à ses talents , et ses succès à sa vie entière .
се
»
Cette réponse est belle et imposante. Croirait-on que
celle de M. de Tolendal est plus belle et plus imposante
encore ? « Quel est cet homme , a - t - on dit qui
« est venu tout- à- coup au milieu de si tristes débats ,
faire entendre sa voix à tous les partis , et parler à
« terre des choses du ciel ? Qui l'a envoyé ? De quel
ministère est-il revêtu ? De quel droit s'est - il porté
pour le héraut proclamant les vérités évangéliques ?
Voilà le cri qu'ont répété peut être quelques personnes
simples ou inattentives : mais qu'ont élevé
les premiers , qu'ont propagé de toutes leurs forces
- ceux - là qui , consternés de ne pouvoir rien oppo-
« ser à la doctrine , ont imaginé de disputer , sur la
"
"
"
mission .
"
Or , voici ce que j'ai à leur répondre à tous :
Qu'importe ce que je suis , si ce que je dis est la
a vérité , si ce que je réfute est l'erreur , si ce que je
défends n'est rien moins que la religion , la morale ,
« la paix des nations ? Est - ce donc le mérite de la
cause , ou la qualité du défenseur qu'il s'agit de
juger ?
"
"
"
"
Si j'étais un de ces faux prophètes contre lesquels
vous avez été avertis de vous mettre en garde.... •
"
PLUVIOSE AN X. 267
་ ་
Eh bien ! jugez - moi d'après les principes que votre
divin législateur a lui- même établis pour votre règle.
" Si la cause que j'ai embrasséé est sainte , si la doctrine
que j'énonce est pure , etc. , etc. , etc. , vous
voyez les fruits , vous en savez assez sur l'arbre.
་ ་
?
"
"

"
« Je serais revêtu du plus auguste sacerdoce , il ajou-
« terait sans doute beaucoup au poids de la prédication
, mais il n'ajouterait rien à l'essence de la vérité.
La vérité existe par elle-même , elle se confond
" avec Dieu qui en est la source. On peut dire d'elle ce
qu'il a dit de lui : LA VÉRITÉ EST CELLE QUI EST .
Que je sois un simple fidelle perdu dans le troupeau.........
Toutefois je suis homme et chrétien ,
et n'admets pas que rien me soit étranger de ce qui
" intéresse à un tel degré le christianisme et l'huma-
« nité. Niera - t - on que des brigands de toute espèce
n'ayent , depuis dix ans , couvert de blessures la religion
et la morale ? Selon le langage de Jésus-
" Christ , ce n'était pas une huile sacrilege que versait
« le samaritain dans ces plaies qu'avaient dédaignées
" en passant un piêtre et un lévite .....
"
"
"
"
"
་་
"
44
+
"
"
"
...Je cherche qui fit
autrefois l'apologie du christianisme auprès de l'empereur
Adrien , l'an 126 ; auprès d'Antonin , l'an
153 ; auprès de Marc - Aurèle , l'an 177 ; auprès de
Sévère , l'an 209 ; et je trouve que ce fut un Aristide
, philosophe d'Athènes , un Justin , un Athénagore
, autres philosophes , un Minucius Feix , jurisconsulte
romain . Je trouve qu'Origene , soupçonné
d'erreur presque aussitôt qu'il eut été élevé à la prêtrise
, avait , simple laïque , rendu les oracles les plus
purs , comme les plus solennels , sur les vérités de la
religion , sur les dogmes et sur la discipline.....
......
Et qu'a été Lactance , surnommé le
a Cicéron chrétien ? Et , dans ces derniers temps ,
268 MERCURE DE FRANCE ,
qu'était Pascal , lorsque dans ses immortelles pensées
« il préparait une si sublime défense de la religion ?
« On sent bien que tous ces rapprochements ont pour
unique objet le caractère extérieur , l'état des per-
<< sonnes ; car qui oserait dire : J'ai la science et le
a zèle d'Origène , j'ai le génie et les vertus de Pascal?
Mais l'un répand avec confiance tous ses trésors ,
et l'autre dépose humblement son denier , etc. »
Telle est , en substance , la réponse de M. de Tolendal
à cette question . Quel est cet homme , et de
quel droit parle- t - il ? Cette réponse modeste et fière
nous rappelle le mot de Tertullien sur l'humilité , Incedit
superbè dejecta humilitas . C'est le vrai caractère
chrétien oser tout en ne présumant rien , et aller droit
au bien que l'on peut faire. Nous supprimons ce qu'il
ajoute ; nous avons abrégé ce que nous avons extrait ,
et nous regrettons également ce que nous laissons et
ce que nous avons retranché. Mais ce que nous en
donnons suffit au lecteur pour juger la marche oratoire
de M. de Tolendal . Elle est facile , variée , et noble ,
et savante , et assurée . On est charmé , dans tout le
cours de l'écrit , de ce fond d'érudition chrétienne.
qui en forme la contexture , et qui devait la former.
La science y est employée par le raisonnement , et celuici
, est toujours fort , toujours paré des richesses du
style . Il rappelle ces orateurs des anciennes républiques ,
qui , s'appuyant sans cesse sur les anciennes lois , sur
les usages des ancêtres , præscripta majorum , avaient
soin d'être en même temps nerveux comme de simples
dialecticiens , brillants et harmonieux comme des
poètes , et déployaient l'art , ce grand art de parler
tout ensemble à la pensée , à l'imagination et au coeur ,
qui saisit tout l'homme à la fois et le renverse . Il sait
bien que beaucoup d'esprits se complaisent aujourd'hui
à vivre dans l'iguorance des choses chrétiennes , qu'ils
PLUVIOSE AN X. 269
7
"

s'en font presque un titre et un orgueil , et ne s'ent
croient que de plus vigoureux raisonneurs . « Je conçois
, dit - il , que , pour certaines gens du monde ,
« cette manière de voir les événements et de juger les
questions , ce rapport entre les choses du ciel et
« celles de la terre , toutes ces citations , tous ces vieux
« souvenirs peuvent paraître bizarres , Mais puisque
parmi ces gens du monde , puisque dans les cercles du
monde , aux soupers , au jeu , au théâtre , les courti
sans , les enfants , jeunes ou vieux , veulent citer le ,
pape , interroger le pape , prononcer sur les devoirs ,
sur les actions , sur les lettres du pape , il faut bien
cependant qu'ils apprennent la langue du pape , à
moins qu'ils n'ayent la prétention de lui enseiguer
la leur , etc. ».
"
<<

"
a
"(
C'est donc cette langue du pape qu'il emploie et qu'il
fait comprendre , et il la parle avec une propriété ,
une abondance , une onction même ( car l'onction appartient
proprement à cette langue ) , en un mot , il la
parle de manière à ce qu'on puisse , sans exagération ,
lui appliquer l'éloge donné par un concile général à un
prince , vous avez parlé comme un évêque. Si nous avons,
nous - mêmes quelque connaissance et quelque faible habitude
de ce langage , nous osons dire que nous n'avons
point vu de notre temps , que , dans les temps passés , on
a très- rarement et presque jamais vu qu'un homme du
monde sût allier cette justesse théologique à tout l'éclat
de la diction oratoire.'
Nous voudrions transcrire , mais les bornes d'un extrait
nous permettent à peine d'indiquer tous les morceaux
remarquables par le genre de mérite que nous venons
de louer par exemple celui sur l'unité de l'église . C'est
un tableau entier qui embrasse son histoire depuis ses
saintes origines jusqu'aux pénibles occurences de nos
temps ; et ce tableau , pour employer en passant le
270
MERCURE DE FRANCE ,
ས་
langage des peintres , nous paraît de l'école de Bossuet .
"
са
Une autre peinture , moins vaste , moins savante ,
mais attachante et sensible , est celle d'un bon curé
rentré dans un canton de France , peuplé d'environ
dix -huit mille ames , que sa situation à un peu isolé
du reste de l'empire. Trois pasteurs soignaient autrefois
ce troupeau. Deux étaient morts ; le troisième paraissait
attaqué d'une maladie mortelle . Elle a cédé
à l'air natal dès qu'il l'a respiré , et surtout à la vue
des anciens objets de son zèle . Il s'est mis à rassembler
le troupeau et à bâtir le bercail , c'est -à- dire , la
paroisse. Sa première prédication a été en pleine campagne
. D'anciens souvenirs lui ont ramené les uns ,
la nouveauté l'a fait écouter par d'autres . A mesure
qu'il a parlé , il a retrouvé son ascendant sur le
coeur des premiers : les vieillards ont entraîné les
jeunes. Il leur a dit à tous : Levons -nous et bâtisasons
un tabernacle au seigneur . Surgamus et ædificemus.
Tous se sont levés avec lui ; avec tous ,
« dressé une tente sous laquelle il a élevé un autel ;
des feuillages , des branches , des toiles , ont à la
suite de cette tente , marqué et couvert une enceinte
destinée à la réunion du peuple fidelle : on a eu un
sanctuaire , une nef , une église . De place en place ,
de maison en maison , de cabane en cabane , le
champêtre et pieux Esdras à été , avec un langage
paternel , inviter les coeurs et les consciences à la
pureté , à la reconciliation , à la paix , aux fêtes du
Seigneur , aux sacrements de l'église , aux devoirs
du christianisme , etc. »

"
"
AC
<

"
il a
Tout le récit est du même intérêt ; il dure plusieurs
pages . On dirait une longue lettre de Saint- Vincentde-
Paul ; tant la sollicitude et le zèle pastoral s'y expriment
avec une grace naturelle . On éprouve , ce que
Bossuet dit , en rapportant de la princesse Palatine des
PLUVIOSE ANN X. 271
paroles simples et des actions d'une humble charité.
Il méprise l'éloquence , lui ! Bossuet ! il la méprise et
dit : Je voudrais ne plus parler que ce langage. M. de
Tolendal paraît s'être plu comme lui au milieu de
cette simplicité et de ces oeuvres modestes du vénérable
pasteur.
Et s'il peint avec charme la vraie piété , avec quelle
force ne tonne-t - il pas contre l'ostentation et les minuties
dévotes , contre cette piété qui veut toujours
s'asseoir à part , se distinguer par certaines oeuvres ,
se sanctifier avec gloire , se dire seule pure , et réprouver
tout l'univers , et surtout les pasteurs qui
prennent la liberté de gouverner ? Il faut avouer que
certaines personnes , et particulièrement telle et telle
dames , ont , dans ces derniers temps , étalé un christianisme
presque aussi orgueilleux que la philosophie
de telle autre . Des deux côtés , on a rêvé ambitieusement
la perfection ; ici , sous le nom de perfectibilité, là , sous
celui de pureté , ou , si l'on veut , de purisme. Et
qu'a- t-on rencontré des deux côtés ? De pures imaginations
, et , comme dit le sage , vanité et affliction
d'esprit.
M. de Tolendal ne souffre pas qu'on vante , et à
peine souffre- t-il qu'on excuse certaines assemblées qui
se sont appelées de culte , qui ont cru que le culte
était renfermé chez elles , et exclusivement même aux
paroisses les plus catholiques ; enfin , pour nommer la
chose , ces oratoires qui ont fait commetre à tant de
dames tant de petits péchés de médisance et d'orgueil ,
et leur ont fait prononcer contre les prêtres soumis
tant de sentences de damnation que le pape , grace au
ciel , n'a point ratifiées . Détacherons- nous pour elles
dans M. de Tolendal , un endroit fort véhément contre
leurs oratoires , aux pages 69 , 70 , 71 , 72 ? Il suffit de
le leur indiquer , ou plutôt elles le connaissent. Car
272 MERCURE DE FRANCE ,
;
elles ont été très- avides de lire M. de Tolendal , et chars
mées de lui , excepté pour le morceau sur les oratoires
dont quelques - unes nous ont paru aussi affligées qu'elles
le disaient. Au reste , nous devonsremarquer ici , ce
qui est très vrai , que chez M. de Tolendal , cette
même censure est grave et religieuse en même temps
que véhémente ; et que de plus elle tient à une des
questions qu'il a proposées sur l'état actuel du culte
en France. Son caractère s'éloigne de tout ce qui
ressemble à la satire , en même temps que son talent
n'en a pas besoin. Certes , dans une question
grave , le sarcasme est la ressource d'un esprit stérile
ou dépravé , et si l'ironie est permise , si même elle
est utile lorsqu'il ne s'agit que du ridicule , comme
en parlant des prétentions de quelque sophiste , où
de l'emphase d'un charlatan qui se loue lui - même ,
il faut bien se donner de garde de l'employer lorsqu'on
traite d'un grand intérêt , du sentiment sacré de la
conscience ; d'une occurrence difficile où l'illusion même
provient d'un motif non -seulement excusable , mais rėspectable
; où l'on veut engager des hommes d'une grande.
dignité , d'une instruction reconnue , éprouvés par un
long malheur , à consommer le plus douloureux sactifice
, à briser leur coeur pour l'immoler à un devoir
tout - à - fait nouveau , extraordinaire , imprévoyable.
Cette question toute neuve dans l'église , cette occurrence
unique , cet abandon des affections qui paraissent
les plus sacrées , ce brisement du coeur , ce triomphe
de l'obéissance , c'est ce qui vient d'être traité avec
quatre - vingts évêques français , et dont la décision
approche. Ce n'est qu'avec le plus respectueux ménagement
que M. de Tolendal se permet d'en parler
d'avance. S'il a ensuite à parler non plus de ce qu'on
devra faire , mais de ce qu'on aura fait ; on verra ,
dit-il , comment je traiterai cette question dès qu'elle '
R

PLUVIOSE AN X. 273
?
"
ne sera plus entière ; on verra si j'aurai la témérité
coupable , si j'aurai la barbarie de décider que tous
« ceux qui , dans ce premier moment , auront refusé
leur démission , se seront pour cela dépouillés de
" toutes leurs vertus et de tous leurs mérites , auront
" terni leur carrière , et se seront rendus dignes d'être
confondus avec les souillures, qu'on prétend balayer
devant soi. Ah ! je n'ai pas besoin de sortir de moi
pour sentir les combats qu'ont dû éprouver au- dedans
d'eux - mêmes tous les prélats français . Que la
bonne-foi soit partout , et , je le répète , j'admire la
victoire , je respecte la défaite , je plains l'une et
l'autre. "
K
"
"
"
Nous sommes trompés si nos lecteurs ne trouvent dans
ce morceau , et dans beaucoup d'autres , les deux plus
beaux caractères qui doivent signaler l'éloquence , LA
HAUTEUR ET LA CONVENANCE . On ne doit jamais
s'en détacher dans les grandes matières , et Cicéron
lui-même a tort quelquefois , lorsqu'il descend à la facétie
, comme lorsqu'il emploie les termes injurieux.
Les gens polis sont choqués , lorsqu'à la première ligne
de sa harangue contre Pison , il l'appelle Bellua , bête
féroce ; et les gens de goût sont blessés de ses jeux de
mots contre le brigand , l'oppresseur , le meurtrier
Verrès.
Il faut avouer (en n'accordant aux modernes que les
avantages qui leur appartiennent) que le sentiment de
la décence est bien plus perfectionné qu'il ne l'était
chez les anciens. Ils ne présentent guère d'exemple de
la politesse avec laquelle M. de Tolendal honore son
adversaire , M. de Montlosier , en foudroyant toutes les
lignes de son écrit . De quel écrit ? D'un article de
journal , espèce d'ouvrage envers lequel on se met plus
à l'aise , et on traite plus légèrement l'auteur. M. de
Tolendal s'empresse à lui reconnaître , et presque à
7. 18
274 MERCURE DE FRANCE ,
"
«
lui supposer un grand talent . Après ce beau morceau
sur l'unité de l'église , que nous avons indiqué , il lui
dit : Je n'abuserai pas , monsieur , de l'émotion que
vous a surement causée cette faible esquisse d'un si
grand tableau . ( Eh ! que n'a - t - il été tracé par vous ! )
Mais convenez qu'une telle exposition était plus digne
de votre ame et de votre génie , plus digne surtout
de votre sujet , plus digne de la vérité et de la gravité
des circonstances .
"
"
"
Et ailleurs , avec quelle franchise , mais en même
temps avec quel ménagement de délicatesse il loue , il
exalte un très - beau trait d'éloquence , dont M. de
Montlosier charma , mais épouvanta l'assemblée coostituante.
Il rapporte ce trait , il l'admire , et il épargne
à la pudeur de son adversaire de rougir de l'éloge et
de s'entendre dire directement : C'est vous qui disitz
ce beau mot .
Nous renvoyons les lecteurs à l'écrit de M. de Tolendal
, pour qu'ils aient le plaisir d'observer cet en-
'droit et cent autres : mais nous répéterons une réflexion
devenue très - nécessaire aujourd'hui , c'est qu'il faut
´toujours dans les disputes , excepté le cas d'impossibilité
absolue et d'indignation nécessaire ; il faut , dis-je ,
autant qu'on le peut , honorer son adversaire. Cela est
même utile contre sa cause ; si la raillerie , cette arme
légère et facile , fait de sanglantes piqûres , la décence
seule contient toujours , et unie à la force des raisons
elle abat irrésistiblement l'homme qui a tort. Voyez
Bossuet , nous le citons souvent , et on ne peut assez
le citer ; voyez - le , dis -je , dans son Histoire des Variations
, dans ses Avertissements contre Jurieu , on ne
peut unir plus de calme , plus d'aménité , plus de charité
à plus de zèle . Si contre quelque autre ( que le
respect pour les grands hommes nous empêche de
nommer) il a montré plus de véhémence , et peut - être
PLUVIOSE AN X. 275
quelque âpreté , ç'a été un oubli passager de sa grandeur
, et on a eu droit de le lui reprocher. Fénélon ,
ah ! je le nomme enfin , son aimable nom m'échappe ;
Fénelon en a paru plus intéressant , et sa douceur plus
vénérable .
Terminons sur M. de Tolendal , et que ce soit encore
s'il se peut par des réflexions utiles à l'éloquence.
Nous laissons la question qu'il a traitée . Il nous paraît
plus convenable au Mercure de la respecter et de s'en
taire ; mais le talent avec lequel il l'a traitée excité
toute notre attention . Ce n'est point le succès de son
écrit que nous remarquerons ; il a eu un grand nombre
de lecteurs , et il sera relu . Mais c'est la cause de son
succès qui importe , et cette cause est proprement dans
le génie de l'orateur , et non pas seulement dans l'intérêt
d'une grande question , religieuse tout ensemble
et politique , et que beaucoup de gens veulent décider
au gré de leur passion ou de leur indifférence. Sans ,
doute la nouveauté d'un sujet éveille les esprits , trais
ce qui les détermine c'est le talent , et tour sujet des
vient neuf entre des mains habiles à le traiter. Sans
doute aussi , il est heureux pour celui qui descend
dans l'arène de l'éloquence , d'y rencontrer les passions
pour les vaincre , et l'indifférence pour l'émouvoir. En
triompher , est le but de son art et l'acquit de son
devoir ; et l'honneur de ce triomphe survit quelquefois
longtemps à l'intérêt de la cause . Que sont trop souvent
les questions sur lesquelles on s'est partagé avec plus ,
de chaleur , et dont la décision a demandé plus d'efforts
à l'éloquence ? Que m'importe la couronne que
prétendait Démosthène et la jalousie d'Eschine qui
veut la lui arracher , et les dispositions des auditeurs
qui accoururent à la place publique , et l'humeur dont
étaient ce jour- là les Athéniens qui changeaient si souvent
d'humeur ? Mais la harangue victorieuse de Démos276
MERCURE DE FRANCE ,
thène a survécu , elle m'émeut encore , et je contemple
sa victoire . Le monstre a rugi : Athènes entière a été
émue , et je vois Eschine fuir en répétant à toute la
Grece : Ah ! si vous aviez entendu le monstre . C'est
ainsi que l'éloquence doit vaincre , et c'est ainsi qu'ou
doit publier ses triomphes.
Le nom de Démosthène est bien grand , dira quelqu'un
! Nous le savons , et s'il nous revient à l'esprit ,
au sujet d'une brochure récente , ce n'est point que
nous veuillons établir un vain parallèle entre notre contemporain
et le plus invincible des orateurs anciens. Mais
l'idée du célèbre athénien se présente dès qu'on rencontre
, dans une composition oratoire , une dialectique
pressante et des mouvements véhéments et précis . L'auteur
des lettres dont nous avons parlé a su élever la
familiarité, du genre jusqu'à l'empire de l'éloquence ,
non comme les innombrables déclamateurs de nos jours ,
en couvrant la faiblesse d'un raisonnement vague et
coufus de l'éclat des mots , et de la pompe des figures ,
niais en procédant avec la force d'une raison armée et
d'une ame toujours émue . Il est raisonneur et passionné.
Celui qui serait ces deux choses à la fois , et dans un souverain
degré , serait le plus éloquent des hommes ,
serait Démosthène . Qu'ensuite , comme ce même Démosthène
ou comme notre Bossuet , il mêle à la dignité
des mouvements la simplicité des tournures , ou
même l'extrême familiarité des mots , ou que , comme
Cicéron , il veuille flatter l'oreille et la remplir de
l'harmonie des périodes , ou amuser l'esprit par les
graces de l'urbanité , ou les saillies de la dicacité
romaine , toujours est-il vrai qu'il n'est orateur , et
qu'il ne règne que par l'autorité du raisonnement et
par la sympathie des passions qui se communiquent
de l'homme qui parle à ceux qui l'écoutent , et de
ceux- ci à celui qui leur parle ; ensorte que bientôt
il
PLUVIOSE AN X.
27足
Porateur et l'assemblée ne sont plus qu'une ame fet.
une ame souverainement émué , et qu'ils sont entière,
ment identifiés l'un avec l'autre . Voilà L'OEUVRE OR
TOIRE , comme s'exprime Cicéron . Les anciens savaient
la produire , et à cause de cela , tout ami de l'eloquence
se rappelle avec vénération les anciens, lorsqu'il
est satisfait d'un moderne ; et M. de Tolendal m'inspire
de célébrer Démosthène.
B. V.
L'ANNÉE la plus remarquable de ma vie ,
suivie d'une Refutation des Mémoires secrets
sur la Russie, par AUGUSTE DE KOTZ BUE ,
traduit de l'allemand , par G.... D.- P ... c.
et J. B. D...... s; deux volumes in-8 .° de
700 pages , sur beau carré d'Auvergne
et caractère de cicero , avec les portraits
d'ALEXANDRE 1. et de KOTZBUE, prix
8fr. , brochés , et 10fr. , par la poste , franc
de port. A Paris , chez F. Buisson , libraire ,
rue Hautefeuille , n.º 20 ; Bertrandet , rue
de Sorbonne , n.º 384 ; et Mongie l'aîné ,
palais du Tribunat , galeries de bois , n.º 224.
"
cr
CE doit être , en effet , une année assez remarquable
pour M. Kotzbue , que celle où il se vit tout-àcoup
transporté au fond de la Sibérie , sans accusation ,
sans jugement préalables ; puis appelé bientôt après
à la cour de Paul I.er , où il fut comblé de présents .
Le nom de l'auteur , célèbre sur tous les théâtres du
"
.
278 MERCURE DE FRANCE ,
nord , a excité un grand intérêt pour cet événement
et sa relation qui a eu beaucoup de lecteurs dans son
pays , n'en aura pas moins dans le nôtre .
On y verra donc , comment il fut arrêté aux frontières
de la Russie , où il venait visiter la famille de
'son épouse ; comment il fut arraché des bras de cette
- épouse évanouie , de ses enfants en pleurs , et sous prétexte
d'aller à Pétersbourg , assister à l'examen de ses
papiers, conduit à Tobolsk à travers des fleuves débordés,
des forêts que la flamme parcourait , et les dangers et
les intempéries de ces contrées . M. Kotzbue n'omet
aucune particularité du voyage ; il nous fait d'abord le
portrait du conseiller d'état qui l'accompagnait , du
courrier qui faisait préparer les chevaux de poste , et
qui ressemblait beaucoup au conseiller. Il raconte la
fuite qu'il tenta vainement , les vertus hospitalières des
paysans russes , le peu de commodité des auberges livoniennes
, etc. et mille autres particularités , qui seraient
déplacées dans le récit d'un voyage , et qui le sont moins
ici , tant le malheur répand d'intérêt sur tout ce qui
l'environne .
Chacun sait qu'il nous rend naturellement observateurs
de petites choses ; d'ailleurs , qui pouvait attirer
l'attention de notre voyageur dans le silence de ces
routes affreuses , si ce n'est un malheureux comme lui ,
conduit dans une kibitche * , sous la garde d'un conseiller
d'état et d'un courrier , quelquefois traînant à
pied la chaîne des malfaicteurs ; ou bien de petites
bandes d'hommes et de femmes , chargés d'instruments
de labourage et de métiers divers , et allant tristement
peupler une colonie sur les bords de la mer
Baltique ?
Nous dirons cependant la rencontre qu'il fit à sa pre-
Espèce de chariot découvert.
PLUVIOSE AN X. 279
mière station en Sibérie ; elle nous semble bien propre
à annoncer cette terre d'exil et de souvenir.
"
་་
se
"

"
་་
"
"
2
Nous étions arrêtés dans un village , pour y changer
de chevaux , et pendant qu'on les attelait , nous buvions
dans une auberge , du lait aigre , qui nous avait été
offert amicalement ; j'étais moi , sur le pas de la
" porte , trempant mon pain dans le breuvage. Je vois
« venir un vieillard de 70 ans , avec les cheveux et la
barbe blanche ; il se jette à mes genoux , avec une
peine infinie , et me demande avec empressement si
je lui apporte quelques lettres de Rével ; à ces mots
je fus tellement surpris , que je regardai fixement
ce malheureux ; il me répéta , avez -vous apporté de
Rével quelques lettres pour moi ? Je ne pouvais lui
répondre . Il pense que je ne l'avais pas entendu , et
il allait recommencer encore , lorsqu'une paysanne
« se mit entre nous deux , et me dit tout bas en riant ;
" C'est un homme insensé ; toutes les fois qu'un voyageur
" passe , il se lève de son lit de mort et vient , ou
plutôt il se traîne , ne pouvant se soutenir même
sur son bâton , pour faire la même demande . Elle
nous pria de lui donner un morceau de papier , car ,
ajouta- t- elle , pour le satisfaire et s'en débarrasser ,
« il faut lui lire quelque chose qui ressemble à une
lettre ; autrement il pousse des cris lamentables
et ne veut pas quitter la place . Je donnai à cette femme
le papier dont elle avait besoin , l'infortuné qui suivait
des
yeux tous mes mouvements , montre les transports
de sa joie , au seul aspect de ce qu'il croyait une
lettre ; la paysanne s'approchant de lui , et feignant de
lire , lui dit : Mon cher mari , je me porte bien , nos
enfants sont aussi en bonne santé , nous viendrons
" bientôt te voir , nous t'apporterons tout ce que tu
peux desirer. Cette fausse lecture , qu'il avait écouté
avec la plus vive attention , rauima sa vieillesse , il
"
"
"
"
"
"
་་
"
се
"
"
280 MERCURE DE FRANCE ,
"
"
"
"
" parut moins faible , moins courbé ; le sourise du bon-
« beur vint rafraîchir ses lèvres , il me fit mille remerciments
, ainsi qu'à la paysanne ; et prenant , avec
le plus grand soin , la lettre qui l'avait tant charmé ;
il la porta sur son coeur , l'y pressa tendrement , et
promit qu'elle n'en sortirait jamais . Il me raconta
ensuite qu'il avait été soldat , qu'il avait servi sur
« la flotte à Rével , à Cronstadt , et que depuis le moment
de sa retraite , il n'avait plus entendu parler
de sa famille..... Quand il fut assis sur un banc près
de nous , le conseiller et le courrier voulurent plaisanter
" avec lui ; il parut ne faire attention à eux ; et se parlait
à lui- même , sans qu'il fût possible de rien distinguer ;
" enfin il prononça tout haut , ces paroles : Où es - tu
" maintenant ma Colombe ? Es-tu à Rével , à Riga ,
à St. - Pétersbourg ? Ces mots avaient tant de rapport
« avec ma situation , ils m'émurent si vivement , qu'à
peine eus-je la force de me retirer dans la cour de
l'auberge. Grands dieux ! m'écriai - je , est - ce encore
un avertissement que je reçois ? etc. "
"
"
་ ་
"
"
er
La démence de ce vieillard , dont la dernière pensée
avait été pour sa famille , intéresse et déchire le coeur.
Combien d'autres , plus malheureux , poussés par les
discordes civiles , peut - être jusque dans les climats
sauvages , venaient alors presser les genoux du voya
geur , et l'interroger sur la patrie , sur tout ce qu'ils
aimaient ? ....
La réputation de M. Kotzbue l'avait précédé en
Sibérie. On jouait sur le théâtre de Tobolsk , Misanthropie
et repentir, la Vierge du soleil , etc .; aussi reçutil
plusieurs témoignages d'une considération flatteuse ,
mais à peu près rendue stérile par la crainte du nom
de Paul I. , qui remplissait les villes et les déserts .
de son empire . .
Cet ouvrage offrira plusieurs détails sur la vie de cet
PLUVIOSE AN X. 28r
empereur , qui sans doute ne sont pas les moins curieux.
On sait déja que l'épreuve fut aussi courte , pour M.
Kotzbue , qu'elle avait été cruelle ; après deux mois
d'exil , il fut appelé à Pétersbourg , où l'attendaient
sa femme et ses enfants , et bientôt il fut admis dans
la familiarité de Paul I. , qui lui donna un bien de
la couronne , d'un revenu de 4 mille roubles , et le
nomma directeur du théâtre allemand de Pétersbourg .
Il vit donc de près ce souverain qui pouvait inspirer
un peu d'attachement , et beaucoup de terreur , violent
plutôt que cruel ; du reste , imitant mal la politesse européenne
, mais unissant à une sorte de magnificence
asiatique , la galanterie d'un cosaque nouvellement fait
chevalier ; il faut en citer un trait .
Paul affectionnait particulièrement son palais de Michaïlowitch
, qui venait de s'élever , comme par enchantement
dans l'espace de quatre années . Il en
montrait lui - même avec complaisance , les appartements
, où il avait entassé à grands frais , le marbre
et les tableaux d'Italie ; mais une couleur rougeâtre en
rendait l'aspect extérieur désagréable ; voici l'origine
de cette bizarrerie : une dame de la cour , qu'il aimait ,
se présenta un jour avec des gands rouges. Cette couleur
lui plut tellement , qu'il envoya sur le champ ,
un de ces gands à son peintre , avec ordre d'en imiter
la couleur , et d'en couvrir son palais .
·
On s'attend que M. Kotzbue , qui habitait ce palais
où il entretint l'empereur douze heures avant sa
mort, rapportera quelques circonstances de cet événement
; mais jusqu'ici la politique ou la prudence
les ont enveloppées du secret ; et quel écrivain peut se
dispenser de suivre la prudence et d'imiter la politique ?
Si la critique avait quelque, droit sur un ouvrage qui
sera lu avec d'autant plus d'avidité , qu'il est de la na282
MERCURE DE FRANCE ,
ture de ceux qui ne se relisent pas , nous dirions que
l'on y a porté jusqu'à l'excès , l'amour des détails inutiles.
Il nous semble encore qu'il y a quelque chose
de faux , et même de fatigant dans cette sensibilité
allemande , qui s'exaltant à tout propos , ne laisse
d'autre parti que de s'évanouir pour une grande circonstance.
Néanmoins l'auteur intéresse toujours à ses
malheurs ; il vous attache par des peintures de moeurs
et de pays , et par des particularités de sa vie privée ,
qui prouvent que les affections de famille , sont mieux
connues ou plus vantées chez les Allemands , que chez
nous.
G.
SPECTACLES.
THEATRE DE LA RUE DE LOUVOIS.
Les Provinciaux à Paris.
PICARD a fait sur son nouvel ouvrage une soustraction
plutôt que des corrections. Il a suprimé le cinquième
acte. Les trois premiers n'ont point subi de changements
; le quatrième n'a éprouvé que ceux qui étaient
absolument nécessaires pour amener le dénouement .
L'affiche a fait de plus grands , sacrifices : elle avait
annoncé d'abord la Grande Ville ou les Provinciaux
à Paris ; mais à la quatrième représentation elle n'a
plus conservé que ce dernier titre. Celui de la Grande
Ville avait paru trop ambitieux . Mais nous observerons
que ce fut d'abord le public qui parut indiquer à
Picard , et l'idée et le titre de sa nouvelle comédie.
On se souvient du succès de la Petite Ville ; le sujet
était piquant , sans être absolument neuf. Dans la Comtesse
d'Escarbagnas , Molière avait opposé les prétentions
et les ridicules d'une comtesse de province aux
manières simples et nobles d'un homme et d'une femme
PLUVIOSE AN X. 283
de la cour, On se rappelle
aussi ces vers du Tartufe
,
dans lesquels
Dorine
dit a Mariane
:
Vous irez par le coche en sa petité ville ,
Qu'en oncles ou cousins vous trouverez fertile ,
Et vous vous plairez fort à les entretenir .
D'abord chez le beau monde on vous fera venir.
Vous irez visiter pour votre bien venue ,
Madame la Baillive , ou madame l'Elue ,
Qui , d'un siége pliant , vous feront honorer.
Là , dans le carnaval , vous pourrez espérer
Le bal et la grand- bande , à savoir deux musettes
Et par fois Fagotin , et les mariounettes.
Ces vers et quelques lignes de La Bruyère fournirent
sans doute à Picard les premières idées de la Petite
Ville ; plusieurs personnes parurent desirer que l'au
teur, après avoir représenté des hommes de Paris , dans
une ville de province , offît ensuite des provinciaux à
Paris , et que la grande Fille succédant à la petite
Ville lui servit , pour ainsi dire , de pendant .
Picard obéit aux voeux du public , mais les voeux
du public , et les talents de l'auteur n'ont pu rendre le
sujet de cette seconde pièce aussi heureux que celui
de la première. Un sujet vaste n'est pas toujours un
sujet riche..
Le seul courroux d'Achille , avec art ménagé
Remplit abondamment une Iliade entière.
Souvent trop d'abondance appauvrit la matière .
Dans une petite ville , les moeurs et les manières
sont assez uniformes , et , malgré la différence des caractères
, elles ont un air de famille. Tous les gens bien
élevés ne forment guère qu'une même société , et rien
n'est plus aisé que de réunir toute la bonne compagnie
de la ville , dans un même salon.
Dans Paris , au contraire , je ne dis pas un seul
quartier , une seule rue , mais une seule maison , présente
souvent les états , les éducations , les fortunes ,
les moeurs , les manières , les religions , et les langues
différentes , de gens qui habitent sous le même toit ,
284 MERCURE DE FRANCE ,
en restant absolument étrangers les uns aux autres ,
aussi les poètes comiques dans la plupart de leurs
ouvrages , ont représenté partiellement les moeurs et
les caractères de ceux qui habitent la grande ville
mais personne n'avait encore essayé de peindre lagrande
ville dans un seul tableau.
Les Provinciaux à Paris offraient un cadre plus
heureux , que l'auteur pouvait étendre ou resserrer à
son gré. Molière dans Pourceaugnac ; Colin dans les
Moeurs du jour , et Picard lui - même dans l'Entrée dans
le monde , l'avaient tenté avec succès. Mais revenons
à la nouvelle comédie.
Pierre Gaulard , cultivateur de Ligny , son fils et sa
fille , George et Fanchette Gaulard , arrivent à Paris ,
dans un hotel garni ; ils apprennent à l'hôtesse , qu'ils
ont hérité de quelques cent mille écus , et qu'ils
viennent se fixer dans la capitale. Ajoutez à cela un
léger souvenir de George Gaulard pour une petite
paysanne de Ligny , voilà toute l'avant - scène . On entend
du bruit , c'est un fiacre renversé par un carrosse;
l'on voit arriver ensemble , et la dame du fiacre qui
se trouve mal , et le maître du carrosse qui vient à son
secours et lui fait des excuses. Bientôt l'un et l'autre
sont informés par Pierre Gaulard , et de sa nouvelle
fortune et de ses nouveaux projets. M.me Dercour ,
( c'est la dame du fiacre ) , et Dorival , ( c'est le maître
du carrosse ) , se promettent de tirer parti de l'avanture.
L'une cherche et réussit bientôt à plaire au jeune
Gaulard ; l'autre a quelques projets sur la main de
Fanchette ; mais sous le prétexte d'une entreprise avantageuse
: il espère surtout tirer du père Gaulard , beaucoup
d'argent comptant. Dorival se vante tout haut d'un
grand crédit auprès des ministres . M.me Dercour révèle
en secret à George Gaulard , qu'elle est marquise polonaise
, arrivée en France avec le roi Stanislas , elle a
éprouvé tous les malheurs de la révolution , mais elle
espère bientôt rentrer dans ses biens ; elle desire se
lier avec l'aimable famille , qu'elle invite à déjeûner
pour le lendemain. Cependant un grand jeune homme ,
fort bien tourné , qui est entré avec les autres , sans
paraître connu de personne , se fait aussi connaître ;
il se nomme Launay de St. -André , et prie tous les
PLUVIOSE AN X. 285
Gaulard à dîner pour le jour suivant ; il a aussi ses
yues sur la petite Fanchette , qui n'est point ingrate ,
et le trouve fort aimable. Le lendemain nos paysans
enrichis vont déjeûner chez M.me Dercour , la passion
qu'elle a inspirée au jeune Gaulard , s'accroît et se
déclare ; mais tout le charme est rompu par l'arrivée
d'une femme de campagne ; elle nous apprend que la
marquise polonaise , n'est autre chose que Manette
Robin , fille d'un quincaillier , à qui un étudiant en
médecine a fait un enfant , dont elle vient réclamer
les mois de nourrice. Les bonnes gens de Ligny , un
pea consternés , vont dîner au faubourg St. -Germain ,
chez Launay de St. - André , où les attend une nouvelle
catastrophe. Dorival reconnaît dans Launay de Saint-
André, son ancien laquais , qui , d'après l'avanture de
la veille , a quitté son maître , et s'est établi dans
un hôtel garni, pour mieux tromper les nouveaux débarqués
; il démasque à son tour Dorival qui veut épouser
Fanchette , quoiqu'il soit déja le mari d'une femme
bel - esprit, dont Gaulard le père est amoureux , et qu'il
est aussi sur le point d'épouser ; les bonnes gens un peu
détrompés de la grande ville , retournent à Ligny.
. Cette comédie renferme deux morceaux épisodiques
pleins de naturel et de gaieté , mais qui ne tiennent
point à l'intrigue. Dans le premier acte , une espèce
de lanterne magique que l'on nomme Panorama moral
, fait passer en revue des joueurs , des usuriers ,
des journalistes , des procureurs , etc .; c'est au moins
un coin du tableau de la Grande Ville dans un cadre
un peu trivial . Au troisième acte , le propriétaire chez
qui loge M.me Dercour , est un bourgeois du Marais
homme flegmatique et plaisant à la fois , est très -fier
d'être inscrit sur la liste nationale . Nous observons qu'il
est permis de se moquer de ces listes composées telles
qu'elles le sont aujourd'hui , pour la plupart ; mais
elles ne devront plus être exposées aux traits de la malignité
, lorsqu'elles offriront les noms d'anciens propriétaires
, ou d'hommes dont les talents et la moralité
donneront une autre espèce de garantie à la nation qu'ils
représentent .
D'après l'extrait que nous venons de présenter , il
est aisé de voir quei est le défaut principal des Pro286
MERCURE DE FRANCE ,
1
vinciaux à Paris. Dans un pareil sujet , l'homme de
province devait être ou intéressant par ses qualités personnelles
et les dangers réels auxquels il se trouve exposé
, comme le jeune homme qui arrive à Paris dans
l'Entrée dans le monde , ou ridicule par ses propres
travers et par les pièces comiques dont il est entouré
comme le Pourceaugnac de Molière. Or , la famille
Gaulard n'est ni tres - intéressante , ni très ridicule. On
ne connaît guère les dangers auxquels elle est en but ,
que lorsque ces dangers ne sont plus à craindre , et que
les intrigants sont dévoilés.
D'ailleurs l'intérêt se trouve partagé entre le père
et les enfants , et il faut toujours offrir , dans un drame
comme dans un tableau , un principal personnage auquel
les autres sont subordonnés , et autour duquel tous
les fils de l'action se nouent et se rallient .
Les Fâcheux de Molière, et le Mercure galant de Boursaut
, sont aussi des comédies épisodiques ; mais toutes
les scènes sont liées par un même motif, elles tendent
également par des moyens différemment comiques à
impatienter l'auteur du Mercure et l'homme de cour ;
et à les empêcher de se trouver avec la femme qu'ils
aiment et qu'ils finissent par épouser. Dans les Provinciaux
à Paris , un musicien et un petit savoyard qui
semblent d'abord se liguer contre les intrigants en
faveur de la famille Gaulard , ne servent ni à nouer ,
ni à dénouer l'intrigue , puisque la fausse marquise est
dévoilée par la nourrice de son enfant , le laquais de
Dorival par son maître , et Dorival par son laquais .
Nous le demandons à Picard lui même , n'eût- il pas été
possible de donner un intérêt plus tendre et plus dramatique
aux souvenirs de Georges Gaulard , pour ses
amours de village ? Sa maîtresse abandonnée n'auraitelle
pu jouer un rôle dans la pièce et servir elle -même
à démasquer l'avanturiere qui est prête de séduire son
amant ?
Au reste , les Provinciaux à Paris attirent toujours
la foule , et sont censurés avec sévérité. On peut expliquer
cette espèce de contradiction , sans accuser ni le
public de mauvais goût , ni les censeurs d'envie et de
malignité. Dumoustier et d'autres auteurs nés avec un
faux bel- esprit , avaient introduit sur la scène une nature
PLUVIOSE AN XX.: 287
de convention qui ne se trouve que dans leurs ouvrages ,
et un prétendu bon ton qui ne fut jamais celui des
hommes bien élevés . Nous avons , il est vrai , deux
poètes comiques qui appartiennent à la bonne école ;
mais les comédies de Colin sont rares , celle d'Andrieux
est unique .
Aucun des ouvrages de Picard (en excepiant peutêtre
le premier acte des Amis du collège) n'est égal
pour le talent du vers comique au Vieux célibataire et
aux Étourdis. Mais tout ce qui soit de sa plume porte
l'empreinte d'une imagination facile et d'une gaieté
franche ; joignez à cela une extrême fécondité , et il
n'est point étonnant que Picard attire la foule , jouisse
de beaucoup de reputation , et ait , à trente ans , au
théâtre une école.
D'un autre côté , les connaisseurs sévères que ses
succès même ont rendu difficiles , voudraient qu'il cherchât
à s'élever vers de plus hautes conceptions , et que
la force de ses moyens et de son style comiques fût égale
au naturel de son expression et à la vérité de ses caractères.
Ils trouvent dans ses ouvrages une nature toujours
vraie , mais ils desirent quelquefois une nature
plus choisie. Le public jouit avec plaisir et reconnaissance
des comédies agréables qu'il multiplie avec tant
d'esprit et de facilité ; mais ses amis ont un peu d'humeur
de ne pas voir arriver le mieux qu'ils ont le droit
d'attendre d'un homme déja fameux par ses succès nombreux
à l'âge où les premiers poètes comiques étaient
à peine connus par leurs premiers essais .
Ainsi Picard doit également les succès dont il jouit
et les critiques qu'il éprouve , à l'intérêt et à l'estime
qu'inspire un talent véritable."
Nous devons en général des éloges au zèle et au talent
des acteurs qui ont joué dans la Grande Ville ; mais la
longueur de cet article nous empêche de parler d'aucun
d'eux en particulier .
0.
288 MERCURE DE FRANCE ,
THEATRE DU
ACHILLE
VAUDE VILL E
'ILLE à Scyros n'a eu qu'une représentation .
Ce théâtre réussit dans les interrogations. Après Que
deviendra- t-elle ? il a donné Se fâchera- t- il ? c'est une
espèce de proverbe qui n'a fâché personne . Un père
fort raisonnable se livre à des emportements feints
pour guérir son fils sujet à des emportements véritables
. Le fils , déja corrigé , est soumis à des épreuves
plaisantes. On distingue , dans ce petit ouvrage , une
scène qui appartient à la bonne comédie. Parmi de
jolis couplets , nous avons remarqué celui- ci : un valet ,
après avoir donné un tarif pour les coups de canne
et les soufflets auxquels l'expose une commission dangereuse
, ajoute :
Je suis maintenant convaincu ;
Il n'y a plus rien à rabattre :
Coups de canne un petit écu ,
Chaque soufflet un gros éeu .
Le premier comptera pour quatre.
Monsieur , voudrait- il , s'il lui plaît ,
M'avancer le premier soufflet ?
Dans le Joueur , Tout - à- bas avait dit :
Vous plairait- il , monsieur , de m'avancer le mois ?
Mais m'avancer le premier soufflet , nous paraît plus
dróle.
O.
Errata du N.º XXXIX.
Page 67 , ligne 17 , au lieu de difficile à gâter ; lisez ,
difficile à ganter; p. 232 , lig. 23 , au lieu d'un vers ,
ne voyez que de la prose.
Une erreur importante s'est glissée à l'article Dresde,
page 217 ; dans la seconde note , il faut lire : L'église
catholique est uniquement réservée aux catholiques , et
les protestants ont leurs édifices séparés .
PLUVIOSE AN X. 289
POLITIQUE.
EXTÉRIEUR *.
PROCES- VERBAL des opérations de la Consulta extraor
dinaire de la république Cisalpine , à Lyon.
LAA république cisalpine formée , au milieu de la
guerre , par la réunion de plusieurs états , ne pouvait
altendre que de la paix , du temps et d'un gouvernement
fort, sa consistance politique et sa tranquillité
intérieure. Son voeu était d'obtenir une organisation définitive
; elle en fit la demande au premier consul , et
attendit de la main qui l'avait fondée en l'an 6 , et rétablie
deux ans après,l'appui dont elle avait besoin pour
se constituer et s'unir en corps de nation .
Le premier consul , en déférant au voeu qui lui était
exprimé , voulut s'entourer de toutes les lumières que
pouvaient avoir les Cisalpins eux -mêmes sur les intérêts
de leur pays ; et ce fut pour répondre aux vues bienveillantes
du premier consul , et pour lui donner les renseignements
qu'il desirait , qu'une consulta extraordinaire
de 450 membres , choisis parmi les membres les
plus éclairés et les plus recommandables de la république
cisalpine , fut convoquée par son gouvernement.
Lyon fut désigné pour le lieu de la session , comme plus
à portée de cette république et du premier consul, et
plus remarquable par ses nombreux rapports avec le
nord de l'Italie.
Le ministre des relations extérieures se rendit à Lyon
* L'intérêt général qu'excite l'organisation de la république
italienne , nous a determinés à donner en une seule
fois tout ce qui la concerne. Nous sommes forcés de renvoyer
au prochain numéro la suite du Précis sur l'Etat
de l'Europe.
7.
19
290 MERCURE DE FRANCE ,
le 7 nivose , et le C. Marescalchi , député de la république
cisalpine près le gouvernement français , devenant
en cette qualité l'intermédiaire naturel des communications
du ministre avec les notables cisalpins , lui
présenta successivement ceux du Milanais des trois
legations ecclésiastiques , des pays détachés de l'état de
Venise , du ci - devant Modénois , du Novarrois et de la
Valteline .
Ces conférences partielles avaient l'avantage d'établir
des rapports plus intimes entre le ministre et les
notables de chacune des fractions territoriales de la
république cisalpine .
"
Une consulta aussi nombreuse n'aurait pu se réunir
sur le territoire français , sans l'autorisation du gouvernement
, et c'était à lui qu'appartenait la désignation
du mode suivant lequel elle pouvait s'assembler.
Le ministre s'occupa de l'organisation de la consulta
de concert avec un bureau de délibération , composé
de cinq membres appartenants aux cinq divisions territoriales
de la Cisalpine ; à la connaissance des intérêts
, des localités , les membres joignaient l'avantage
de pouvoir servir de centre de réunion .
La consulta législative , dont les membres faisaient
partie de la consulta extraordinaire , et qui avait rendu
la loi sur la convocation de celle- ci , concourait encore
à l'exécution de cette loi , en discutant et en convertissant
en arrêtés les propositions du bureau de délibération
. Elle devint un nouveau lien de communication
entre ce bureau et l'assemblée générale , et , d'après la
proposition du bureau , elle arrêta que la consulta extraordinaire
serait partagée en 5 sections , dont chacune
correspondait également à l'une des cinq principales
nations cisalpines dans une assemblée dont les
éléments étaient si peu homogènes . Cette division promettait
des opérations plus calmes ; elle offrait plus de
facilité pour constater l'assentiment de chaque peuple
à sa réunion en un seul état ; et cet assentiment bien
prononcé devenait nécessaire pour donner plus de consistance
à la république .
Les cinq sections s'assemblèrent séparément , et leur
bureau fut formé des CC. Melzi et Strigelli pour la
PLUVIOSE AN X. 291
section milanaise ; Aldini et Belmonte pour les légations
; Bargnani et Carissimi , pour les provinces vénitiennes
; Paradisi et Candrini , pour le Modénois ; de
Bernardi et Guicciardi Guido , pour le Novarrois et la
Valteline . Dans chaque section , l'on suivit une marche
uniforme , afin d'avoir , au moment de l'arrivée du premier
consul , une opinion bien formée sur les différents
objets sur lesquels il desirait des renseignements . Les
bases de la constitution , déja adoptée par la consulta
législative de Milan , furent présentées aux différentes
sections , pour obtenir d'elles les observations les plus ,
propres à en déduire des lois organiques. Chaque section
jugea convenable de charger de cet examen une
commission particulière prise dans son sein , et elle discuta
ensuite les observations. Toutes celles que les cinq
sections adoptèrent furent réunies et présentées au ministre
des relations exterieures .
Chaque assemblée était aussi chargée de préparer une
liste nombreuse des citoyens que la confiance et l'estime
publique appelaient de préférence au Corps législatif.
On passa au scrutin secret ; chaque membre donna
soixante noms et ces bulletins furent remis au ministre
, pour être présentés au premier consul. Le
premier consul prit connaissance des opérations an-.
térieures ; et regardant la formation des trois colléges
électoraux comme la base de la nouvelle organisation
de la Cisalpine , il desira que chaque section lui remît
une liste qui contînt le double du nombre des citoyens
qui auraient les qualités requises pour être membres des
colléges. En même temps , il réunit chez lui les présidents
des cinq sections , fit lire et discuter les observations
qu'elles avaient présentées sur la constitution ; y fit
quelques changements qui lui furent indiqués par
l'expérience
et par la connaissance des intérêts de la Cisalpine.
Il ne restait qu'à s'occuper de faire connaître les per- ,
sonnes qui pouvaient remplir les premières , places du.
gouvernement
.
Un comité de trente membres fut chargé , par la consulta
réunie pour la première fois en assemblée générale ,
de former des listes de candidats , doubles du nombre
292 MERCURE DE FRANCE ,
des places à remplir , pour indiquer au premier consul
les hommes que l'opinion publique y appelait.
Le comité , après s'être occupé de l'opération qui
lui était confiée , fit à l'assemblée générale de la consulta
extraordinaire , le rapport suivant :
«
Citoyens députés ,
Votre commission des trente , après s'être attachée
avec le plus grand soin à proposer une liste d'hommes
en état d'entrer dans la composition du gouvernement ,
vous fait part du résultat de ses réflexions sur le choix
du premier magistrat.
Elle s'est occupée , pendant trois de ses séances ,
de cet objet le plus important de tout ; et après avoir
discuté toutes les idées qui s'associaient à cette nomination
, elle est toujours arrivée , par des voies différentes
, à une même conséquence.
" Si l'on compte très-peu d'hommes capables d'être
élevés à la première place du gouvernement , il faut convenir
que notre situation intérieure doit les faire paraître
parmi nous plus rares qu'ils ne le sont réellement . Il
est facile de voir que le peu de temps qui s'est écoulé
depuis que la Cisalpine a été formée de six nations dif
férentes , ne peut pas suffire pour qu'elles se connaissent
entre elles , et pour que les hommes les plus remarquables
leur inspirent une égale confiance. Ce n'est
sans crainte que l'on peut choisir entre eux , si l'on considère
que,divisés , comme nous le sommes , de lois , d'usages
et de moeurs et habitués en tout genre à des
opinions différentes , on ne peut guère espérer de trouver
un homme qui , renonçant à tout système particulier
, puisse ainsi arracher la masse du peuple à ses anciennes
habitudes , et lui donner ( ce qui est le fondement
le plus solide des républiques ) un esprit national.
'
pas
L'histoire des vicissitudes qu'a éprouvées la république
cisalpine , rendait plus difficiles les recherches
de la commission . Si les hommes de cette époque n'avaient
été attachés à aucune magistrature , on ne pourrait
pas présumer qu'ils fussent assez versés dans la
science toujours difficile , mais plus encore au milieu
de nous , de gouverner la république . S'ils avaient
tena , à cette époque , les rênes du gouvernement , agités
comme ils l'étaient par le trouble des opinions ,
PLUVIOSE AN X. 293
distraits de mille manières , emportés par l'influence
étrangère , ils ne pouvaient pas s'élever à cette considération
qui , dans des temps moins malheureux
leur aurait gagné la confiance publique.
"
Mais en supposant qu'après avoir surmonté ces
nombreux obstacles , on eût pu désigner un homme
capable de soutenir une si grande charge , beaucoup
d'autres difficultés plus graves empêcheraient bientôt
qu'on ne pût entièrement se reposer sur ce choix . Les
troupes françaises ne peuvent pas encore complétement
évacuer la Cisalpine : un grand nombre de raisons por
litiques et notre propre intérêt ne le permettraient pas
dans le moment actuel , et au milieu de notre dénuement
de troupes nationales.
сс
1
La Cisalpine d'ailleurs , quoiqu'elle ait été garan
tie par les traités de Tolentino et de Lunéville , ne
peut dans les premiers moments espérer d'obtenir par
elle - même , de la part des anciens gouvernements de
l'Europe , cette considération nécessaire pour se consolider
au- dedans et au- dehors ; il faut qu'on la fasse
reconnaître par plusieurs puissances qui ne sont pas
encore entrées en relations avec elle : elle a besoin d'un
homme qui , par l'ascendant de son nom et de sa puissance
, la mette au rang qui convient à sa grandeur ;
mais ce nom , cette puissance , on les aurait inutilement
cherchés parmi nous.
"
Ce fut donc pour mettre la dignité du gouvernement
à l'abri de l'influence des troupes étrangères ,
et pour ajouter un éclat et une grandeur nouvelle aux
commencements de la Cisalpine que la commission
crut qu'il était essentiel au bonheur de cette république
que , dans les premiers moments , elle eût un
appui qui l'emportât sur tout autre , en force et en
élévation .
"
D'aprés des motifs d'une telle importance , la commission
a cru devoir conclure que si , d'un côté ,
la consulta
extraordinaire doit former le veu que la constitution
soit proclamée , et que les colléges , la législature
et les autres autorités soient incessamment choisis parmi
les hommes qu'elle a cru les plus dignes de son
estime , afin de voir cesser enfin le gouvernement provisoire
; d'un autre côté , elle doit desirer ardemment
294 MERCURE DE FRANCE ,
que le général Bonaparte veuille honorer la Cisalpine
en retenant la magistrature suprême , et en ne dédaignant
pas , au milieu de la direction des affaires de la
France , d'être la grande pensée de notre gouvernement
pendant le temps qu'il croira nécessaire pour amener
à une parfaite uniformité les différentes parties de
notre pays , et faire reconnaître , par toutes les puissances
de l'Europe , la république cisalpine. "
Le voeu du comité devint l'opinion unanime de la
consulta extraordinaire réunie , le 5 pluviose , en assemblée
générale ; elle décréta par acclamation et au milieu
des plus vifs applaudissements , que le rapport du
comité qu'elle venait d'entendre, serait présenté au premier
consul , comme l'expression fidelle des sentiments
et des opinions de la consulta extraordinaire.
Le résultat de cette délibération ayant été présenté
au premier consul , il reconnut que , d'après toutes les
lumières qu'il avait recueillies , l'état des choses exigeait
une prompte organisation ; qu'il pouvait en confier
la partie intérieure , sans compromettre les intérêts
et le bonheur de la république , aux citoyens que l'opinion
générale avait désignés comme les plus propres
aux différentes fonctions constitutionnelles ; mais qu'en
même temps les motifs puissants exprimés dans le rapport
, se reunissant à prouver que , dans la position
actuelle de la Cisalpine , il lui serait presqu'impossible
de s'élever par ses propres moyens à ce degré de consistance
et de force auquel elle est appelée parmi les
puissances de l'Europe , il ne pouvait se dissimuler la
nécessité impérieuse de conserver la haute direction
des affaires , jusqu'à ce que la Cisalpine puisse se trouver
en état de soutenir par elle- méme son indépendance
. Il annonça que le lendemain , 6 pluviose , il se
rendrait au milieu de la consulta extraordinaire formée
en assemblée générale , pour proclamer la constitution
et le choix des membres destinés à entrer dans
la première formation des autorités.
A deux heures , le premier consul se rendit à la séance ,
accompagné des ministres des relations extérieures et
de l'intérieur , des CC. Petiet , Cretet , Najac , et Bourrienne
, conseillers- d'état , des généraux et des préfets
PLUVIOSE AN X.
295
réunis à Lyon , et des principales autorités de cette
commune.
Le premier consul , au-devant duquel se porta me
députation nombreuse de Cisalpins , fut reçu dans la
salle , au milieu des applaudissements ; il se plaça Bur
une estrade , et prononça le discours suivant :
се
La république cisalpine , reconnue depuis Campo
Formio , a déja éprouvé bien des vicissitudes .
Les premiers efforts que l'on a faits pour la constituer
, ont mal réussi .
"
Envahie depuis par les armées ennemies, son exi- .
stence ne paraissait plus probable , lorsque le peuple
français , pour la seconde fois , chassa par la force de
ses armes , vos ennemis de votre territoire .
"
Depuis ce temps , on a tout tenté pour vous démembrer.....
....!!
((
....
La protection de la France l'a emporté ..
.... « Vous avez été reconnus à Lunéville.
Accrus d'un cinquiéme , vous existez plus puissants,
plus consolidés , avec plus d'espérances !!!
"
Composés de six nations différentes , vous allez être
réunis sous le régime d'une constitution plus adaptée
que toute autre à vos moeurs et à vos circonstances .
« Je vous ai réunis à Lyon autour de moi comme
les principaux citoyens de la Cisalpine . Vous m'ayez
donné les renseignements nécessaires pour remplir la
tâche auguste que m'imposait mon devoir , comme premier
magistrat du peuple français , et comme l'homme.
qui a le plus contribué à votre création .
((
Les choix que j'ai faits pour remplir vos premières
magistratures , l'ont été indépendamment de toute idée
de parti , de tout esprit de localité.
"
Celle de président , je n'ai trouvé personne parmi
vous qui eût encore assez de droits sur l'opinioù publique
, qui fût assez indépendant de l'esprit de localité
, et qui eût enfin rendu d'assez grands services à
son pays , pour la lui confier.
"
Le procès-verbal que vous m'avez fait remettre par
votre comité des trente , où sont analysées , avec autant
de précision que de vérité , les circonstances extérieures
et intérieures dans lesquelles se trouve votre
patrie , m'ont vivement pénétré. J'adhère à votre
--
201
296 MERCURE .. DE FRANCE ,
you .
- Je conserverai encore pendant le temps que
ces circonstances le voudront , la grande pensée de
Vos affaires .
Au milieu des méditations continuelles qu'exige
le poste où je me trouve , tout ce qui vous sera relatif
et pourra consolider votre existence et votre prospérité
ne sera point étranger aux affections les plus chères
de mon ame.
"
Vous n'avez que des lois particulières , il vous faut
désormais des lois générales.
"
Votre peuple n'a que des habitudes locales , il
faut qu'il prenne des habitudes nationales.
Enfin vous n'avez point d'armées ; les puissances
qui pourraient devenir vos ennemis en ont de fortes ; —
mais vous avez ce qui peut les produire , une population
nombreuse , des campagnes fertiles , et l'exemple
qu'a donné dans toutes les circonstances essentielles
le premier peuple de l'Europe..
Le discours du premier consul , interrompu à chaque
phrase par de nombreux applaudissements , fut suivi
de la lecture de la constitution . Au moment où l'on en
lisait le titre , un mouvement général de l'assemblée
indiqua le voeu de substituer au nom de la république
cisalpine , celui de république italienne , et le premier
consul parut se rendre à ce voeu général.
CONSTITUTION de la république italienne.
er
TITRE PREMIER.
Art. I. La religion catholique , apostolique et romaine
est la religion de l'état .
2. La souveraineté réside dans l'universalité des citoyens.
3. Le territoire de la république se divise en départements
, districts et communes .
TITRE I I.
Du droit de cité.
4. Tout homme né d'un père cisalpin , et demeurant
sur le territoire de la république , acquiert les droits de
citoyen à sa majorité.
;
PLUVIOSE
AN X.
297
5. Le même droit est accordé à tout étranger qui , possédant
dans le territoire de la république une propriété
foncière ou un établissement d'industrie ou de commerce
, y a séjourné pendant sept années consécutives ,
et a déclaré vouloir étre citoyen cisalpin .
6. Indépendamment de l'exigence du domicile , la loi
accorde la naturalisation à ceux qui peuvent justifier , ou
d'une propriété remarquable sur le territoire de la république
, ou d'une rare habileté dans les sciences et les arts,
même dans les arts mécaniques , ou qu'ils ont rendu des
services importants à la république.
7. Les naturalisations accordées par le passé , n'ont
d'effet qu'après qu'on a vérifié si elles s'accordent avec
les conditions précédentes .
8. La loi détermine le terme de la minorité , la valeur
de propriété nécessaire pour acquérir de droit le titre de
citoyen , et les causes pour lesquelles l'exercice des droits
de citoyen est suspendu ou perdu.
9. Elle règle également la formation d'un registre civique.
Les seuls citoyens inscrits dans ce registre sont
éligibles aux fonctions constitutionnelles .
TITRE II I.
Des Colléges.
10. Trois colléges électoraux , savoir , le collége des
Possidenti , celui des Dotti , celui des Commercianti ,
sont l'organe primitifde la souveraineté nationale.
11. Sur l'invitation du gouvernement , les colléges se
rassemblent au moins une fois tous les deux ans , pour se
compléter et pour nommer les membres de la consulte
d'état , du corps législatif , des tribunaux de révision et
de cassation , et les commissaires de la comptabilité.
Leur session ne peut durer que quinze jours .
12. Ils délibèrent sans discussion et au scrutin secret
.
13. La séance de chaque collége n'est légale que par
l'intervention de plus d'un tiers de ses membres
14. A chaque session ordinaire des colléges , le gouvernement
présente à chacun d'eux la liste des places
vacantes et les renseiguements relatifs aux nominations
298 MERCURE
DE FRANCE
,
à faire. Lès colléges peuvent recevoir directement les réclamations
de ceux qui allèguent quelque titre pour y
être admis .
15. Ils approuvent ou rejettent les dénonciations qui
leur sont faites d'après les articles suivants : 109 , 111 et
114.
16. Ils prononcent sur les réformes d'articles constitutionnels
qui leur sont proposées par la consulte d'état.
17. Les membres de chaque collége doivent avoir au
moins 30 ans . Ils sont élus à vie..
18. On cesse d'être membre des colléges , 1. ° par
banqueroute frauduleuse légalement constatée ; 2.º par
une absence prolongée sans cause légitime et pendant
trois sessions consécutives du collége dont on est membre
; 3.º par acceptation de service chez une puissance
étrangère , sans autorisation du gouvernement ; 4.° par
continuation d'absence hors de la république , six mois
après avoir été légalement rappelé ; 5.º enfin par toutes
les raisons qui font perdre le droit de cité.
19. Chaque collége , avant de se séparer , transmet
à la prochaine censure le procès - verbal de sa
session.
TITRE IV.
Du college des Possidenti.
20. Le college des Possidenti est composé de trois cents
citoyens choisis parmi tous les propriétaires de la république
qui ont en biens fonds un revenu de 6,000 livres
au moins. Sa résidence , pendant les dix premières années
, est à Milan.
21. Chaque département a droit d'avoir dans le col-
Jége des Possidenti au moins autant de membres que la
population doit en donner à raison d'un pour 30 mille ha→
bitants .
22. S'il ne se trouve pas dans un département up assez
grand nombre de citoyens qui ayent le revenu exigé
par l'article 20 , ce nombre se complète sur une liste
quadruple des plus grands propriétaires du même département.
23. A chaque session , ce collége se complète luimême
d'après les états de propriété foncière qu'il a droit
de demander au gouvernement.
PLUVIOSE AN X. 299
Il choisit dans son sein neuf membres qui compo-
24.
sent la censure .
25. Il forme , à la majorité relative des votes , une
liste triple pour l'election des fonctionnaires publics
indiqués à l'article 11 , et il la présente à la censure .
TITRE V.
Du collège des Dotti.
26. Le college des Dotti est composé de deux cents
citoyens choisis parmi les hommes les plus célèbres dans
tous les genres de sciences ou arts libéraux et méca-
'ques , ou parmi les plus distingués par leur doctrine.
en matières ecclésiastiques , ou par leurs connaissances
en morale , en législation , en politique et en administration
. Sa résidence , pendant les dix premières années ,
est à Bologne.
27. A chaque session , le collége transmet à la censure
une triple liste des citoyens qui ont les qualités précédentes
et d'après laquelle la censure nomme aux postes
vacants.
7
28. Il choisit dans son sein six membres , lesquels font
partie de la censure .
29. Il forme , à la majorité relative des suffrages ,
une double liste pour l'élection des fonctionnaires publics
, indiqués à l'article 11 , et la présente à la censure
..
TITRE V I.
Du college des Commercianti.
30. Le collége des Commercianti est composé de deux
cents citoyens choisis parmi les négociants les plus accrédités
et les fabricants les plus distingués par l'importance
de leur commerce. Sa résidence , pendant les dix
premières années , est à Brescia.
31. A chaque session , le college se complète , à l'aide
des renseignements qu'il a droit de demander au gouvernement.
32. Les articles 28 et 29 lub sont communs .
300 MERCURE DE FRANCE ,
TITRE VII.
De la Censure.
33. La Censure est une commission de vingt- un
membres , nommés par les colléges de la manière et
dans les proportions indiquées aux articles 24 et 28.
Sa résidence , pendant les dix premières années , est à
Crémone.
34. Elle se réunit nécessairement cinq jours après la
session des trois colléges .
35, Elle n'est pas rassemblée plus de dix jours , et ses
séances ne sont légales que par la présence de dix-sept
de ses membres .
36. Sur les listes des trois colléges , elle nomme aux
emplois constitutionnels indiqués a l'article 11 , à la pluralité
absolue des voix.
37. Elle proclame l'élection des fonctionnaires nom-.
més à la majorité absolue par les trois colléges .
38. Elle nomme aux places vacantes dans le collége des
Dotti, conformément à l'article 27 .
39. Elle doit terminer les nominations qui lui sont
confiées par la constitution , dans le délai fixé pour ses
sessions .
40. Elle exerce les fonctions qui lui sont dévolues par
la constitution , aux termes des articles 109 , 111et
114.
41. La Censure se renouvelle à chaque session ordinaire
ou extraordinaire des colléges électoraux .
42. Les actes de la Censure doivent être présentés aux
colléges dans leur plus prochaine session .
TITRE VIII.

Du Gouvernement.
9
43. Le gouvernement est confié à un président , à un
vice-président , à une consulte d'état , à des ministres
et à un conseil législatif , d'après leurs attributions respectives.
44. Le président reste dix ans en fonctions , et il est
indéfiniment rééligible.
PLUVIOSE AN X. 301
45. Le président a l'initiative de toutes les lois , conformément
à l'article 63.
46. Il a également l'initiative de toutes les négociations
diplomatiques .
47. Il est exclusivement chargé du pouvoir exécutif,
qu'il exerce par le moyen des ministres .
48. Il nomme les ministres , les agents civils et diplomatiques
, les chefs de l'armée et les généraux . La
loi pourvoit à la nomination des officiers de grade inférieur.
49. Il nomme le vice - président , qui , à son défaut ,
prend sa place dans la consulte d'état , et le représente
dans toutes les parties qu'il veut lui confier. Une fois
nommé , il ne peut être écarté durant la présidence de
celui qui l'a élu .
50. Dans tous les cas oùla présidence vient à vaquer , il
a toutes les attributions du président jusqu'à l'élection
du successeur de celui - ci.
51. Les sceaux de l'état sont confiés au président. Un
secrétaire d'état choisi par lui , lequel a le rang de conseiller
, est chargé , sous sa responsabilité personnelle ,
de lui présenter , dans le délai de trois jours , les lois
sanctionnées par le corps législatif , d'y apposer le sceau
de l'état, et de les promulguer.
52. Le même secrétaire d'état contre-signe la signature
du président , et tient un registre particulier de ses
actes.
53. Le traitement du président est de cinq cent mille
livres de Milan. Celui du vice - président est de cent mille
livres.
TITRE I X.
De la Consulte d'état.
54. La consulte d'état est composée de huit citoyens
âgés de quarante ans au moins , élus à vie par les colléges
, et distingués par des services signalés rendus à la
république.
55. Le président de la république préside la consulte
d'état. Un de ses membres , au choix du président , est
ministre des affaires étrangères . Celui- ci préside la consulte
, à défaut du président.
56. La consulte d'état est spécialement chargée de
302 MERCURE DE FRANCE ,
l'examen des traités diplomatiques et de tout ce qui a
rapport aux affaires extérieures de l'état .
57. Les instructions relatives aux négociations diplomatiques
, sont discutées dans la consulte , et les traités
ne sont definitifs qu'après avoir été approuvés par la majorité
absolue de ses membres .
58. Si le gouvernement , par des motifs de sureté pour
la république , a ordonné l'arrestation de quelque per- !
sonne suspecte , le président doit , dans le terme de dixjours
, la renvoyer par - devant les tribunaux compétents ,
ou en considération des circonstances particulières où
se trouve l'état , obtenir de la consulte un décret de
prorogation pour ce renvoi . Le décret doit être signé
par le président et par la majorité des membres de la
consulte.
59. Un décret semblable est également nécessaire lorsqu'il
s'agit d'éloigner de la ville centrale de la république
, quelque citoyen qui en trouble le repos .
60. Toutes les mesures particulières qui ne sont pas
appuyées sur le texte d'une loi générale , mais seulement ?
réclamées par la sureté de l'état ; sont nécessairement
l'objet d'un décret spécial de la consulte.
61. Si la sureté de l'état exigeait de mettre hors la
constitution un département , ou si l'insurrection de
quelque corps armé ou la conduite de quelque grand
fonctionnaire , nécessitait quelque mesure extraordinaire
pour le salut de la république , cette mesure doit
être préalablement autorisée par un décret de la consulte
d'état.
62. Tout décret de la consulte est constamment res--
treint au cas particulier qui l'a déterminé.
63. Le président a exclusivement l'initiative de toutes
les affaires qui se proposent dans la consulte d'état ,
et sa voix est prépondérante dans toutes les délibérations.
64. La consulte d'état , en cas de cessation , renonciation
ou mort du président , élit son successeur , à la
pluralité absolue des suffrages et dans le délai de 48
heures , et elle ne peut se séparer avant d'avoir achevé la
nomination. Le vice-président préside à cette session , à
défaut du président.
65. Le traitement des membres de la consulte d'état
est de 30,000 liv.
PLUVIOSE AN X. 303
TITRE X.
Des Ministres.
66. Les ministres sont choisis par le président , et il
peut les révoquer.
67. Le gouvernement peut nommer un grand juge
national qui est de droit ministre de la justice . Il est
nommé par le président , mais il ne perd sa charge
que par démission ou condamnation .
68. Les attributions particulières du grand juge sont :
1.° d'établir des règlements sur la manière de procéder
dans les tribunaux ; 2. ° de pouvoir suspendre , pour un
semestre , le juge négligent ou dont la conduite n'est
pas conforme à la dignité de son emploi ; 3.° d'avoir le
droit de présider , quand le gouvernement l'y invite ,
le tribunal de cassation avec voix prépondérante.
69. Lorsque le gouvernement juge convenable de
nommer un secrétaire d'état de la justice , et de lui
confier ce département , le grand juge conserve son
titre , mais il en cesse les fonctions . Le secrétaire d'état
de la justice remplit les fonctions de ministre de la
justice , sans jouir des prérogatives du grand juge.
70. Le ministre des relations extérieures est néces- .
sairement pris parmi les membres de la consulte d'état
au choix du président , lequel le nomme et le destitue
à son gré.
·
71. Un ministre est spécialement chargé de l'administration
du trésor public . Il veille aux recettes , ordonne
les mouvements de fonds et les payements autorisés
par la loi ; mais il ne peut permettre aucun payement
, si ce n'est en vertu , 1. ° d'une loi , et jusqu'à la
concurrence des fonds spécialement assignés à un objet
de dépenses déterminé ; 2.° d'un arrêté du gouvernement
; 3.° d'un mandat signé par un ministre.
72. Il doit , sous sa propre responsabilité , faire présenter,
chaque année, le compte général du trésor public
aux commissaires de la comptabilité , dans le dernier
semestre de l'année suivante.
73. Chaque ministre doit publier , chaque année ,
les comptes détaillés de ses dépenses , signés de lui .
74. Aucun acte du gouvernement ne peut avoir de
force , s'il n'est signé d'un ministre.
304 MERCURE DE FRANCE ,
TITRE X I.
Du Conseilé Igislatif.
75. Le conseil-législatif ne peut être composé de moins
de dix citoyens âgés au moins de trente ans
élus par
le président , et qui peuvent être révoqués par lui au
bout de trois ans .
76. Les membres de ce conseil ont voix délibérative
sur les projets de loi proposés par le président ,
et qui ne peuvent être approuvés qu'à la majorité absolue
des suffrages.
77. Ils ont voix consultative dans toutes les autres
affaires , quand le président juge ' convenable de les consulter.
78. Ils sont spécialement chargés de la rédaction
des projets de loi , de l'exposition des motifs qui les
ont déterminés , des conférences avec les orateurs du
corps législatif et des discussions qui y sont relatives
conformément aux articles 87 et 88 .
79. Les ministres peuvent assister au conseil -législatif
d'après l'invitation du président.
80 Le traitement de chaque conseiller est de 20,000 1 .
TITRE X I I.
Du Corps législatif.
81. Le corps législatif est composé de 75 membres ,
âgés d'au moins 30 ans . La loi détermine le nombre
des membres qui doivent être choisis dans chaque département
, à raison de la population ; la moitié au
moins doit être prise hors du collége.
82. Il se renouvelle par tiers , tous les deux ans : la
sortie du premier tiers et du second est déterminée par
le sort ; elle est réglée ensuite par l'ancienneté.
1
83. Le gouvernement convoque le corps législatif
et il en proroge les séances ; elles ne peuvent cependant
durer moins de deux mois par an .
84. Il ne peut délibérer sans avoir plus de la moitié
de ses membres présents , non compris les orateurs.
85. Les membres des colléges , ceux de la consulte
d'état , ceux du conseil législatif et les ministres ont
droit d'assister aux séances du corps législatif , dans la
tribune qui leur est spécialement destinée.
86. Le corps législatif nomme dans son sein une
PLUVIOSE AN X. 305
chambre d'orateurs , dont le nombre ne peut être de .
plus de quinze. Tout projet de loi transmis par le Gouvernement
est communiqué à cette commission .
87. La commission l'examine , confère secrétement
avec les conseillers du Gouvernement 2 et porte au
Corps législatif son vote d'approbation ou de rejet.
88. Le projet est discuté , en présence du Corps
législatif , par deux orateurs et deux conseillers du
Gouvernement.
89. Le Corps législatif délibère sans discussion , au
scrutin secret et à la majorité absolue des suffrages :
les orateurs n'ont point de voix .
96. La promulgation de la loi est faite par le Gouvernement
, trois jours après la décision du Corps législatif.
91. Durant cet intervalle , la loi peut être dénoncée
comme inconstitutionnelle .
92. La dénonciation suspend la promulgation et l'effet
de la loi.
93. Le traitement des membres du Corps législatif est
de 6,000 liv. de Milan ; celui des orateurs est de 9,000 liv.
TITRE XIII.! ,
Des Tribunaux.
94. Les différends entre particuliers peuvent être terminés
par arbitres : leur jugement est sans appel et sans
récours en cassation.
95. On ne peut appeler de deux sentences conformes
l'une à l'autre , la révision a lieu dans le seul cas de deux
sentences contradictoires.
96. Le tribunal de cassation , 1. ° annulle les jugements
sans appel dans lesquels les formes ont été violées , ou
qui contiennent une contravention manifeste à la loi ;
2.° il prononce sur les demandes de renvoi d'un tribu-
'nal à l'autre , pour cause de soupçons légitimes ou de
sureté publique ; 3. ° il prononce également sur la question
d'incompétence dans les affaires criminelles , et sur
les actes d'accusation portés contre quelque tribunal ;
4.° il dénonce aux colléges les actes du Corps législatif
ou du Gouvernement qui portent usurpation du
pouvoir judiciaire , ou mettent obstacle à son libre
exercice .
7. 20
306 MERCURE DE FRANCE ,
97. En matière de délits , il y a des tribunaux criminels
: quant aux délits qui emportent peines afflictives
ou infamantes , un premier jury admet ou rejette l'accusation
. Lorsqu'elle est admise , un second jury reconnaît
et constate le crime , et les juges appliquent ensuite la
loi; leur jugement est sans appel .
98. La loi établit l'organisation , la compétence , la
juridiction territoriale , les fonctions des tribunaux et le
traitement des juges.
99. La loi fixe l'organisation des jurys , et l'époque
de leur activité qui ne peut pas être retardée de plus de
dix ans .
100. Les questions d'administration publique sont de
la compétence particulière du Conseil législatif.
101. Les chambres de commerce prononcent sommairement
dans les affaires de commerce.
102. Les délits militaires sont jugés par des conseils
de guerre , conformément au code militaire .
103. Les membres du tribunal de cassation et de celui
de révision sont nommés par les colleges. Ceux des tribunaux
d'appel , les juges ordinaires et les juges- de- paix,
sont nommés par le Conseil législatif , sur les listes
qui leur sont présentées par les tribunaux de cassation
de révision et d'appel. La loi règle la formation de ces
listes.
>
104. Les juges sont nommés à vie ; ils ne sont destitués.
que pour fautes relatives à leur emploi , et pour toutes
les causes qui font perdre le droit de cité.
TITRE XI V.
De la responsabilité des fonctionnaires publics.
105. Les fonctions des membres des colléges et de la
censure , du président et du vice- président du Gouvernement
, des membres de la Consulte d'état , du Conseil législatif
, du Corps législatif, de la chambre des orateurs,
des tribunaux de révision et de cassation , ne sont soumis
à aucune responsabilité.
106. Pour les délits personnels et qui ne dérivent pas
de l'exercice des susdites fonctions , les prévenus sont
renvoyés aux tribunaux compétents par les corps aux
quels ils appartiennent .
107. Les ministres sont responsables , 1.º des actes du
PLUVIOSE AN X. 307
Gouvernement signés par eux ; 2. ° de l'inexécution des
lois et des règlements d'administration publique ; 3.º des
ordres particuliers qu'ils auraient donnés et qui seraient
contraires à la constitution et aux règlements qui la
maintiennent ; 4. ° de la malversation des deniers publics .
108. Le Gouvernement , la chambre des orateurs , le
tribunal de cassation , chacun dans les objets de leur
compétence , dénoncent aux tribunaux les actes inconstitutionnels
et les dilapidateurs de la fortune publique.
Si deux colléges déclarent que la dénonciation mérite
d'être prise en considération , elle est renvoyée à la
censure .
109. La censure , d'après le vote des deux colléges ,
examine la dénonciation , entend les témoins , cite les
accusés , et lorsqu'elle croit l'accusation fondée , les renvoie
au tribunal de révision qui les juge sans appel et
sans recours en cassation.
110. Quelle que soit l'issue du jugement , le décret par
lequel la censure admet l'accusation , prive le fonctionnaire
de son emploi , et le rend pour quatre ans inhabile
à tout emploi public.
111. Outre les cas de dénonciation prévus dans les articles
108 et 109 , la censure peut faire directement connaître
au Gouvernement qu'un fonctionnaire a perdu la
confiance de la nation , ou qu'il a dilapidé la fortune publique
. Cette communication est secrète .
112. Le Gouvernement , ou destitue le fonctionnaire
dénoncé , ou communiqué par un message au collége ,
les raisons pour lesquelles il ne partage pas l'opinion de
la censure .
113. Les colléges , s'ils adhèrent à l'opinion du Gouvernement
, passent à l'ordre du jour sur la dénonciation
; s'ils adhèrent à l'opinion de la censure , ils renvoient
le message du Gouverment à l'examen de la prochaine
censure.
114. La seconde censure , après le voeu des deux colléges
, examine le fonds de la dénonciation , entend
l'accusé et les témoins ; et quand elle croit l'accusation
fondée , elle renvoie le prévenu au tribunal de
révision . Ce renvoi produit les effets indiqués à l'article
110.
115. Les juges civils et criminels sont également ren-
I
308 MERCURE DE FRANCE ,
i
voyés au tribunal de révision par le tribunal de cassation ,
pour les délits relatifs à leurs fonctions.
TITRE X V.
Dispositions générales.
116. La constitution ne reconnaît d'autre distinction
civile que celle qui dérive de l'exercice des fonctions
publiques..
117. Chaque habitant du territoire cisalpin est libre
dans l'exercice particulier de son culte .
118. L'arrestation , sans mandat préalable d'une autorité
qui ait droit de l'ordonner , est nulle , à moins
que le délinquant n'ait été pris en flagrant délit ; mais
cette arrestation peut être rendue légale par l'arrêté
postérieur d'une autorité compétente , motivé sur des
indices suffisants .
119. La république ne connaît de privilége et d'entraves
à l'industrie et au commerce intérieur et extérieur
, que ceux qui sont fondés sur la loi .
120. Il y a dans toute la république uniformité de
poids , de mesures , de monnaies , de lois criminelles
et civiles ; il y a uniformité dans le cadastre territorial
et dans le système élémentaire d'instruction publique
.
121. Un institut national est chargé de recueillir
les découvertes , et de perfectionner les sciences et
les arts.
122. Une comptabilité nationale règle et vérifie les
comptes des recettes et des dépenses de la république.
Cette magistrature est composée de cinq membres
nommés par les colleges : elle se renouvelle par la sortie
d'un de ses membres tous les deux ans ; ils sont indéfiniment
rééligibles .
123. La troupe soldée est subordonnée aux règlements
d'administration publique. La garde nationale ne l'est
qu'aux lois.
124. La force publique est essentiellement obéissante :
aucun corps armé ne peut délibérer.
125. Toutes les dettes et créances des anciennes provinces
, aujourd'hui cisalpines , sont reconnues par la
république. La loi détermine les dispositions relatives
à celles des communes .
PLUVIOSE AN X. 309
REP.FRA
126. L'acquéreur de biens nationaux , quelle que soit
leur origine , qui en jouit d'après une vente légalement
faite , ne peut , à aucun titre , être troublé dans
possession des biens acquis , sauf au tiers réclamun ,
toutes les fois qu'il y a droit , d'être indemnise Parle
trésor public.
127. La loi assigne sur les biens nationaux non- edu
un revenu convenable aux évêques , à leurs chapitres
aux séminaires , aux curés et aux fabriques de vacathé
drale. On ne peut en changer la destination.
128. Si , après l'intervalle de trois ans , la Consulte
d'état juge nécessaire la réforme de quelque article
constitutionnel , elle le propose aux colléges qui en
jugent.
Le C. Mariani ayant obtenu la parole , développa
l'esprit de cette constitution , et tous les avantages qui
devaient en résulter pour l'ensemble de l'état , et tout
ce qu'elle avait de conforme aux voeux et aux intérêts
de chacune des divisions territoriales de la Cisalpine ;
il déclara avec quel empressement toutes les parties de
cette république devaient déposer l'esprit de localités
pour ne former qu'une seule nation .
On fit ensuite une lecture de la première loi organique
de la constitution , qui est celle du clergé.
LOIS ORGANIQUES.
SUR L'E CLERGÉ.
TITRE I.er
Des ministres du culte catholique.
1. Les évêques de la république cisalpine sont nommés
le Gouvernement et institués par le saint - siége , avec
lequel ils communiquent librement pour les affaires spipar
rituelles .
2. Les curés sont élus et institués par l'évêque , avec
l'agrément du Gouvernement.
L'évêque peut, d'après les besoins du diocèse , envoyer
dans les paroisses vacantes des coadjuteurs .
3. L'évêque peut ordonner , à titre de bénéficiers , de
chapelains , de légats , le nombre d'ecclésiastiques nécessaires
pour les besoins spirituels des peuples ..
310 MERCURE DE FRANCE ,
TITRE I I.
Etablissements ecclésiastiques.
1. Les limites des diocèses ne sont soumises à aucune
innovation ; partout où elles auraient été changées , on en
concertera le rétablissement avec le saint-siége.
2. Chaque diocèse a son chapitre attaché à une métropole
ou une cathédrale , et doté en conséquence.
3. La possession des canonicats et autres bénéfices nonvendus
, qui ont été saisis ou occupés en tout ou en partie ,
est conservée aux évêques , aux chapitres et aux curés,
On leur rend les archives et les papiers qui concernent
Teurs biens actuels et leurs emplois respectifs .
4. Chaque cathédrale jouit , sous le titre de fabrique ,
d'un fonds pour ses dépenses de réparations et pour celles
du culte qui s'y exerce ,
5. Chaque diocèse a son séminaire épiscopal doté convenablement
et destiné à l'éducation du clergé, laquelle ,
suivant les formes canoniques , est confiée à l'autorité de
L'évéque.
6. Les biens et les dotations des évêchés , des chapitres
, des séminaires , des fabriques seront fixés sous
trois mois .
7. Les conservatoires , les hôpitaux , établissements
de charité et autres fondations pieuses , sont dirigés
par un conseil administratif de bienfaisance publique ,
dont l'évêque est nécessairement président , quand c'est
par les évêques qu'ils ont été institués. Dans les lieux
où il n'y a pas de semblables institutions , l'évêque sera
toujours membre de l'administration .
8. L'aliénation et le séquestre des biens qui seront
assignés par la loi pour doter les évêchés , chapitres ,
séminaires et fabriques , n'aura plus lieu : les biens
actuellement possédés par ces corps et par les curés ne
pourront étre vendus . On assurera , par des moyens
efficaces , le payement des pensions accordées aux
individus des corps supprimés .
TITRE III,
Etablissement de discipline.
1. Les chancelleries des évêques et leurs archives
respectives sont conservées. Les ministres nécessaires
pour faire observer les règles de leur institution
PLUVIOSE AANN XX.. 311
et celles de discipline qui ont été établies pour assujettir
le clergé aux corrections et aux peines canoniques
, exerceront leurs fonctions.
2. L'évêque peut ordonner à l'ecclésiastique délinquant
une retraite de pénitence dans les séminaires da
dans quelque couvent. Si le délit est grave , il l'interdit
des fonctions de son ministère , et suspend pour
lui la perception des revenus de son bénéfice , afin
d'assurer le salaire de celui qui occupe l'interim , et de
faire remplir les charges attachées au bénéfice . Si le
coupable refuse d'obéir , l'évêque a recours au bras
séculier.
*
3. Si un ecclésiastique trouble la tranquillité publique
dans l'exercice de ses fonctions , l'évêque est requis
de l'interdire ; et s'il ne s'y prête pas , on á recours
à l'autorité civile ordinaire .
4. Quand le délit d'un ecclésiastique emporte peine
infamante ou afflictive , on donne connaissance du jugement
à l'évêque , qui peut , avant l'exécution de la
sentence , faire tout ce qui , dans des cas semblables
est prescrit par les lois canoniques.
5. Le clergé est dispensé de toute espèce de service
militaire.
6. Tout ce qui tend à dépraver publiquement les
bonnes moeurs et à avilir le cultè et ses ministres , est
défendu .
7. Un curé ne peut être forcé par aucune autorité à
administrer le sacrement de mariage à quiconque ést
lié par un empêchement canonique.
Lorsque la lecture de cette loi fut terminée , l'archevêque
de Ravennè exprima , dans un discours , l'assentiment
de tout le clergé cisalpin , et invita tous les
ministres du culte à se servir de leur ascendant sur le
peuple pour lui imprimer le rèspect dû aux propriétés ,
et pour l'attacher au nouveau pacte social qui venait
d'être proclamé.
Le premier consul confirmant le vou exprimé par
l'archevêque de Ravenne , fit sentir combien le peuple
devait être attaché aux principes de sa religion , et
combien le clergé devait l'être aux principes adoptés
par la république,
Les listes des membres du collége des Possidenti, de
312 MERCURE DE FRANCE ;
1
celui des Dotti , de celui des Commercianti, la liste des
membres du Gouvernement , qui devaient composer la
Consulte d'état et le Conseil législatif, et celle des
membres du Corps législatif , furent lues successivement
, et toutes les nominations furent accueillies avec
les témoignages de satisfaction les plus éclatants .
Les membres du Gouvernement sont :
Melzi , François , vice- président ; Guicciardi , Diegue
, secrétaire d'état ; Spanocchi , grand juge ,
Le premier consul invita le vice - président , le C.
Melzi d'Eril , à venir se placer auprès de lui . Il le prit
par la main et l'embrassa. Ce mouvement affectueux et
spontané communiqua à l'assemblée une vive émotion .
Le C. Prina demanda la parole , et , en peu de mots ,
fit sentir combien on avait droit d'espérer qu'une constitution
fondée sur les intérêts et la situation de la Cisalpine
, lui permettrait d'atteindre rapidement aux
belles destinées qui lui sont promises. « Sila main , a -til
dit , qui nous a créés et défendus , veut bien.se charger
de nous guider vers ce but , aucun obstacle ne peut
nous arrêter et notre confiance doit être égale à l'admiration
que nous inspire le héros à qui nous devons
notre bonheur. '
w
'
Après le discours du C. Prina , le premier consul leva
la séance et fut reconduit au palais du Gouvernement
au milieu des acclamations des Cisalpins et des Lyonnais
réunis . y form
ཙྪཱནཾ སཛཱ ཏྟཱ །
Le premier consul , avant de quitter Lyon , a fait
remettre , par préfet du palais , cau cardinal Bellinzone
, envoyé du pape à la Consulta , une tabatière sur
laquelle se trouve son portrait .

Le premier consul , parti de Lyon , le 8 pluviose , à
6 hear. du matin , est arrivéà Paris le 11 , à 6 heur. du soir .
Le 12 , il a reçu la visite d'un grand nombre de membres
du Sénat conservateur. Ensuite une députation dé
vingt -quatre membres du Corps législatif a été introduite
, et la félicité par l'organe du C. Devisme. Le
premier consul a fait la réponse suivante :
"
Il était de la gloire et de l'intérêt de la France
d'assurer pour toujours le sert d'une république qu'elle
a créée .
PLUVIOSE AN X. 313 *
J'espère que sa constitution et ses nouveaux magistrats
feront son repos et son bonheur.
" "
"
Ce bonheur et ce repos ne seront point étrangers
au nôtre. Notre prospérité ne peut désormais être séparée
de la prospérité des peuples qui nous environnent.
« J'ai recueilli dans mon voyage la plus douce récompense
des efforts que j'ai faits pour la patrie ; j'y ai
recueilli surtout l'expression libre et franche de l'opinion
publique , dans l'abandon de la confiance particulière
, dans le langage simple du commerçant , du
manufacturier , du cultivateur . Tous demandent que le
gouvernement soit fidelle aux principes qu'il a développés
c'est de - là qu'ils attendent leur bonheur.
"
J'étais déja plein de reconnaissance pour les marques
d'intérêt dont la nation a honoré mes premiers
efforts.
"
Je reviens pénétré de sentiments encore plus profonds.
" Le sacrifice de toute mon existence ne saurait payer
les émotions , que j'ai senties . J'en éprouve une bien
douce en vous voyant associer votre voeu au voeu de
la nation . "
Le lendemain , 13 , une députation du Tribunat , à
la tête de laquelle était le C. Delpierre , président ,
exprimé les mêmes sentiments d'admiration et de joie.
Le premier consul a reçu successivement les félicitations
des tribunaux , de l'état -major , etc.
On a remarqué dans la réponse du premier consul
au président du tribunal de première instance , les traits
suivants Le conseil d'état et les savants rédacteurs
qui ont présenté et discuté le projet du code civil ne
ne cesseront pas de s'en occuper .... J'espère qu'avant
la fin de l'année ces lois seront présentées au Corps
législatif , qui sentira surement que le mieux possible
est ennemi du bien…...
Nota. Nous reviendrons , dans le prochain numéro ,
sur ce qui s'est passé à Lyon , l'organisation des hospices
, les gratifications accordées à plusieurs savants ,
L'établissement d'un conseil de commerce .
SUISSE .
Plusieurs journaux ont imprimé une lettre du pre314
MERCURE DE FRANCE ,
mier consul au C. Reding , premier landamman de la
république helvétique . Cette lettre a été tronquée ;
voici la véritable :
Paris , le 16 nivosé an 10.
Citoyen Reding , depuis deux ans , vos compatriotes
m'ont quelquefois consulté sur leurs affaires. Je leur ai
parlé comme l'aurait fait le premier magistrat dés
Gaulés , dans le temps où l'Helvétie en faisait partie .
Les conseils que je leur ai donnés pouvaient les conduire
à bien , et leur épargner deux ans d'angoisses : ils
en ont peu profité. Vous me paraissez animé du desir
du bonheur de votre patrie ; soyez secondé par vos
compatriotes , et que l'Helvétié se replace enfin parmi
les puissances de l'Europe.
Les circonstances de la guerre ont conduit les armées
françaises sur votre territoire : le desir de la liberté a
arme vos peuples , et surtout ceux des campagnes
contre les privilégiés . Des événements de différente nature
se sont succédés en peu d'années ; vous avez éprouvé
de grands maux ; un grand résultat vous reste , l'ègalité
et la liberté de vos concitoyens .
Quel que soit le lieu ou naisse un suisse aujourd'hui ,
sur les bords du Léman , comme sur ceux de l'Aar , il
est libre : c'est la seule chose que je voie distinctement
dans votre état politique actuel .
La base du droit publie de l'Europe est aujourd'hui
de maintenir dans chaque pays l'ordre existant . Si toutes
les puissances ont adopté ce principe , c'est que toutes
ont besoin de la paix et du retour des relations diplomatiques
et commerciales.
Le peuple français ne peut donc reconnaître qu'un,
gouvernement qui serait fondé sur les principes qui vous
régissent aujourd'hui .
Vous êtes sans organisation , sans gouvernement ,
sans volonté nationale..... Pourquoi vos compatriotes
ne feraient- ils pas un effort ? qu'ils évoquent les vertus
patriotiques de leurs pères ! qu'ils sacrifient l'esprit de
système , l'esprit de faction , à l'amour du bonheur et
de la liberté publique !
Alors vous ne craindrez pas d'avoir des autorités qui
soient le produit de l'usurpation momentanée d'une
fection ; vous aurez un gouvernement , parce qu'il aura
pour lui P'opinion et qu'il sera le résultat de la volonté
PLUVIO SE AN X. 315
nationale. Toute l'Europe renouvellera avec vous ses
relations ; la France ne sera arrêtée par aucun calcul
d'intérêt particulier ; elle fera tous les sacrifices qui
pourront assurer davantage votre constitution , l'égalité
et la liberté de vos concitoyens ; elle continuera
par- là à montrer pour vous ses sentiments affectueux et
paternels qui , depuis tant de siécles , forment les liens.
de ces deux parties indépendantes d'un même peuple.
COLONIES.
Le C. Magallon a été confirmé dans le gouvernement
des îles de France et de la Réunion. Il avait
remplacé provisoirement le général Malartic , nommé
par Louis XVI à la fin de 1791 , et qui mourut le 28
juillet 1800 , vivement regretté de toute la colonie.
Les journaux anglais et les débats du parlement
offraient, depuis quelque temps, des soupçons et presque
des plaintes au sujet de la sortie de l'escadre de Brest .
Le journal officiel du 13 pluviose répond à ces vaines
alarmes . Il est difficile de concevoir comment , lorsque
nous sommes en état de paix , une expédition qui
se rend à Saint - Domingue pour y établir la tranquillité
, peut inquiéter la Jamaïque ..... Ces discussions
puériles , et qui montrent simplement la mauvaise foi
des hommes qui les provoquent , sont bien contraires
aux ordres qui furent donnés à Brest , lors de la signature
des préliminaires . Le préfet demandant des instructions
pour le cas où l'escadre du lord Cornwalis , poussée
par le mauvais temps , serait forcée de se réfugiér à Brest ,
il lui fut répondu , non-seulement de la laisser entrer
dans le port , mais même de ne prendre aucune espèce
de précautions extraordinaires : car c'est la plus grande
injure qu'on puisse faire à des Européens civilisés , que,
de leur laisser voir que l'on soupçonne possible une
conduite que l'honneur et les droits des nations ont
rendue sans exemple .
D
. On écrit de Baltimore , en date du 29 novembre
qu'une insurrection a eu lieu au Cap , le 11 de ce mois.
Il en est résulté le massacre de tous les blancs qui résidaient
sur leurs plantations . Ils ont été , à la réserve
de deux , impitoyablement égorgés par les règres ré-,
voltés. Tous les habitants du Cap , et même les Américains
du continent , étaient destinés au même sort.
Ils doivent leur salut à la prudence et à la førmétë du
316 MERCURE DE FRANCE ,
noir Christophe , qui commande dans la ville , et qui
a découvert ce complot un moment avant que l'on en
commençât l'exécution .
-
Il parait que cette trame était ourdie par le général
Moïse , neveu de Toussaint. Non seulement tous les
blancs , mais même les noirs attachés à ce dernier devaient
être également massacrés . Heureusement ce complot
n'a pas réussi dans toute son étendue , et jusqu'à
présent les habitants des plantations en ont seuls été victimes.
Les chefs de la conspiration ont été arrêtés , et
plusieurs d'entre eux ont été exécutés . On a encore de
grandes craintes sur les conséquences que la paix peut
entraîner , et l'on appréhende avec raison qu'elle ne
cause de nouvelles révoltes , qui pourraient à la fin dégénérer
en une insurrection générale de la colonie. J'espère
toutefois que ceci n'arrivera point ; et je pense
que si le Gouvernement français n'use point de trop
précipitation à l'égard de Toussaint , et sans témoigner
de ressentiment pour sa conduite passée , le traite avec
douceur , l'on peut compter que tout ira bien.
CONGRÈS D'AM I EN S.
M. le chevalier d'Azzara , ministre plénipotentiaire
du roi d'Espagne au congrès d'Amiens , est arrivé dans
cette ville le 9 pluviose. Les conférences se suivent
avec la plus grande activité entre les différents plénipotentiaires.
CORPS LÉGISLATIF
.
Le 17 nivose , les consuls de la république ont envoyé
au Sénat conservateur le message suivant :
Sénateurs ,
L'article 38 de la constitution veut que le renouvellement
du premier cinquième du Corps législatif et
du Tribunat ait lieu dans l'an 10 , et nous touchons
au quatrième mois de cette année.
Les consuls ont cru devoir appeler votre attention
sur cette circonstance . Votre sagesse y trouvera la nécessité
de vous occuper sans délai des opérations qui
doivent précéder ce renouvellement.
Dans la séance du 8 pluviose , le Sénat a proclamé
membre du Corps législatif , le C. Bollemont , général
d'artillerie .
Dans la séance du 14 pluviose , le C. Fontanes (des.
Deux- Sèvres) , ancien rapporteur près du ministre de
1
PLUVIOSE AN X. 317
l'intérieur , a été nommé membre du Corps législatif,
et le C. Robin , commissaire du gouvernement près le
tribunal de première instance de la Seine , membre du
Tribunat.
Le C. Millin , conservateur des médailles de la Bibliothèque
nationale , rédacteur du Magasin encyclopédique
, fait paraître un ouvrage qui lui assure un
nouveau droit à la reconnaissance des gens de lettres
et des artistes . Sous le titre de Monuments antiques ,
inédits ou nouvellement expliqués , cet ouvrage offrira
les statues , bas - reliefs , bustes , peintures , mosaïques ,
gravures , vases , inscriptions , médailles et instruments
tirés des collections nationales et particulières , accompagnés
d'un texte explicatif. Il fera suite aux recueils
de Caylus et de Guattani ** .
*
Chaque volume , composé de cinquante feuilles de
texte et d'au moins quarante planches , sera distribué
en 6 livraisons. Chaque livraison coûte 6 fr. , prise à
Paris , et 6 fr. 60 cent. , rendue franche de port dans
les départements. L'ouvrage aura six volumes , et sera
terminé en moins de quatre années . L'impression est
du C. Didot jeune. Les gravures sont de la plus grande
fidélité , et plus ou moins terminées selon la nature
et l'intérêt des objets qu'elles représentent.
La première livraison de cet ouvrage a déja paru ; elle
doit satisfaire également l'amateur et l'artiste , l'historien
et l'homme de lettres , celui qui veut éclaircir les
questions difficiles de la palæographie et de la numismatique
, et celui qui se contente de connaître nos richesses
en ce genre. On distingue particulièrement la description
du beau camée du cabinet des antiques de la
Bibliothèque nationale , connu sous le nom des Vainqueurs
à la course , et la dissertation sur un vase grec
orné d'une peinture qui représente la mort d'Actéon .
Société d'encouragement pour l'industrie nationale.
Nous avons annoncé , dans le N. ° du 1.er vendémiaire
an 10 , la formation de cette société. Deux mois se sont
à peine écoulés depuis qu'elle a arrêté le plan de son organisation
, et déja elle commence à justifier ses promesses.
Recueil d'antiquités égyptiennes , grecques et romaines.
** (Monumenti antichi inediti. )
318 MERCURE DE FRANCE ,
Tout fait espérer qu'elle rivalisera bientôt avec la Société
d'encouragement de Londres , qui lui a servi en
partie de modele.
Deux assemblées générales auront lieu chaque année ;
l'une en pivose , l'autre en messidor . L'assemblée générale
de nivose est consacrée particulièrement à proposer les
prix que la Société croira devoir accorder pour l'encouragement
de l'industrie nationale , et à décerner
ceux qui ont été proposés dans les séances précédentes.
La Société s'est en effet réunie le 9 nivose au palais
national des Sciences et des Arts , dans l'ancienne salle
de l'Académie française , que le ministre de l'intérieur.
lui a concédée : son conseil d'administration , nommé
le 27 brumaire , s'était occupé de rechercher les besoins
les plus pressants de notre industrie , et les moyens
d'obtenir les perfectionnements qu'elle réclame . Voici
les cinq sujets de prix qu'il a proposés comme les plus
importants , et les plus convenables aux circonstances :
1. Pour celui qui présentera des échantillons de filets
pour la pêche , fabriqués au métier , ou par tout autre
moyen qui pourrait en accélérer la confection ; le prix
consisterá en une médaille et une somme de 1000 fr.
2.º Pour celui qui aura trouvé l'art de fabriquer le
blanc de plomb avec une perfection qui satisfasse pleinement
aux besoins des arts ; une médaille et une
somme de 2000 fr.
---
3. Pour celui qui aura fait connaître un procédé
pour obtenir constamment , et au prix du commerce ,
le bleu de Prusse d'une beauté et d'une nuance égales
à celles des qualités les plus recherchées dans les arts ;
une médaille et une somme de 600 fr.
4.º Pour celui qui trouvera le moyen de fabriquer
des vases de métal, revêtus intérieurement d'un vernis
ou émail fortement adhérent , non susceptible de se
fendre ou de s'écailler , d'entrer en fusion étant exposé
feu ordinaire , inattaquable par les acides et par
les substances grasses et d'un prix qui ne soit pas
supérieur à celui des vases en cuivre dont on se sert
dans nos cuisines . Le prix consistera en une médaille
et une somme de iooo fr.
à un
"
5. Pour le cultivateur français qui aura , au printemps
prochain , repiqué des grains d'automne dans un plus
grand espace de terrain.- Un premier prix de la vaPLUVIOSE
AN X. 319

leur de 1000 fr. , et un second de la valeur de 600 fr.
pour celui qui en aura le plus approché.
Les pluies , qui n'ont presque pas discontinué depnis
le commencement de l'automne , ont produit deux fâcheux
effets ; l'un , d'empêcher l'ensemencement de
celles des terres pour lesquelles la grande humidité est
toujours un obstacle ; l'autre , par les debordements des
rivieres , qui en ont été la suite , de détruire des grains
déja en pleine végétation .
Sans doute , ceux qui en auront la facilité se pourvoiront
de grains de mars , soit pour remplir les champs
qu'ils n'auront pu ensemencer avant l'hiver , soit pour
remplacer ce que les inondations auront ravagé. Il est
desirable qu'au printemps prochain ces cultures en
grand soient aussi multipliées que le besoin l'exigera ,
et qu'on les favorise par tous les moyens possibles .
Mais indépendamment de ce qu'il est à craindre que
pour remplir ce but utile , on ne trouve pas assez
grains de mars de la nature de ceux qui sont destinés
a la nourriture de l'homme , on sait que les grains qui
n'ont qu'une végétation courte , tels que ceux qu'on
sème au printemps , n'ont jamais des produits aussi
abondants que les grains dont la végétation a commencé
avant l'hiver.

de
Ces considérations déterminent la Société à faire
entrer dans ses encouragements l'emploi d'un moyen
aussi simple que facile , qui , tout à la fois , peut épar
gner beaucoup de semence , couvrir les champs qui
n'ont pu en recevoir cet automne , et donner des produits
avantageux . Ce moyen , c'est le repiquage ou la
transplantation des grains d'automne .
On peut l'exécuter de deux manières ; à la charrue
pour les grandes parties , et au plantoir pour celles
qui ont peu d'étendue.
"
Le moindre champ de blé , de seigle ou d'escour→
geon est en état de servir de pépinière pour une
quantité considérable de terrain . Il suffit d'y prendre
des touffes par un temps qui ne soit pas sec , de les
partager par brins en laissant à chacun des racines ,
et de les placer à la distance les uns des autres , de 9
à 18 centimètres ( 3 à 6 pouces ) , et à la profondeur
de 9 centimètres ( 3 pouces ).
"
320 MERCURE DE FRANCE ,
Les méthodes usitées pour la plantation du colzá
et la multiplication des légumes , sont celles qui conviennent
à la transplantation des grains d'automne.
L'intelligence des cultivateurs saura , suivant les pays
et le sol , trouver la manière d'accélérer le travail.
La Société exige des concurrents qu'ils indiquent la
manière dont ils auront procédé , et les produits de leurs
plantations de grains , comparés avec ceux des champs
de qualité égale et amandés de même , qui , ensemencés
en automne , n'auront point souffert.
Les préfets sont invités à répandre ce programme .
C'est à eux que les concurrents s'adresseront dans chaque
département , pour faire constater leurs expériences .
La Société s'en rapportant au zèle de ces magistrats
et à leur amour pour la vérité et pour l'utilité publique
, espère qu'ils voudront bien lui transmettre les
noms seulement des deux cultivateurs qui auront employé
le plus en grand la pratique du repiquage des
grains d'automne , avec les détails de leurs expériences.
C'est dans la réunion de tous les noms , accompagnés
de ce que chacun aura fait , que la Société distinguera
ceux qui auront le plus mérité les prix .
Si la Société est assez heureuse pour que le concours
soit nombreux , elle se consolera de n'avoir à donner
que deux prix , par la certitude que les concurrents trouveront
dans les produits mêmes de leurs expériences une
récompense suffisante de leur travail.
Pour tous les autres sujets de prix , les modèles
mémoires , descriptions , renseignements , échantillons
et pièces , destinés à constater les droits des concurrents
, seront adressés , franc de port , au secrétaire de
Ja Société d'encouragement pour l'industrie nationale ,
au palais national des Sciences et des Arts. Ils doivent
être remis avant le 1.er brumaire de l'an II : ce terme
est de rigueur.
Les étrangers sont admis à concourir ; mais dans le
cas où l'un d'eux aurait obtenu un prix , la Société conservera
la propriété du procédé , à moins qu'il ne le
mette à exécution en France en prenant un brevet d'invention
.
(N.º XLI. ) 1.er Ventose. An io.
MERCURE
DE FRANCE.
LITTERATURE.
EPISODE du Poème de L'ETUDE , extrait
du troisième chant.
VERSAILLES.
י ד
) 7
4772
' ERRAIS dans ces jardins où la main du Génie
Ouvrit à tous les Arts sa carrière infinie ;
Je marchais entouré de ces grands, monuments ,
Des loisirs du grand Roi nobles amusements,
Ces monuments , vainqueurs des discordes civiles .
Lorsque tout s'écroulait.... restèrent immobiles.
J
De la cour de Louis je m'avance entouré.
Peut-être en ce bosquet la Vallière a pleuré ,
Quand son coeur dédaigné , retenant le murmure
Pardonnait de l'oubli l'impardonnable injure .
O royales amours !! ô jours d'enchantement!
O trop long repentir d'un court égarement !
Modèle idolâtré de vertu généreuse ,
7. 21
322 MERCURE DE FRANCE,
La Vallière ! à jamais ton amour malheureuse
Dans les sensibles coeurs gravera ton destin .
Quand , du soir de ta vie expiant ton matin ,
Tu voulus effacer par tes larmes fidelles ,
D'un amour réprouvé les traces criminelles ;
A cet époux divin , qui paya mieux ta foi ,
Tu vins offrir un coeur , hélas ! à peine à toi :
Ce coeur , d'où les tourments du jeûne et du cilice
Ne chassaient pas l'objet d'un cruel sacrifice
Ce coeur saigna longtemps ; mais quand Louis en deuil
Pleurant tous ses lauriers sur un triple cercueil ,
Changé par des revers constants comme sa gloire ,
Redemandait un fils promis à la Victoire ;
La Vallière se tût , et son pieux remord
Déplorait sa naissance encor plus que sa mort ...
Des nobles souvenirs , quelle est donc la puissance !
Ces beaux lieux sont tout pleins des beaux jours de la
France.
C'est d'ici que Louis étendait ses regards
Sur les fils d'Apollon et sur les fils de Mars ,
De ses fiers ennemis ordonnait la ruine ,
Et retrouvait son coeur dans les vers de Racine.
Là , Louis embrassait le vainqueur de Rocroy ;
Plus loin il relevait le triste Villeroy.
Ici , le souverain de Gênes désolée
Apportait en tribut sa grandeur exilée.
O d'un règne si beau , fin trop digne de pleurs !
Longue prospérité mère de longs malheurs !
Celui dont les vaisseaux asseryissaient Neptune ,
Quand les remparts tombaient au bruit de sa fortune ,
Qui vit s'humilier , au sein de ses Etats ,
4
VENTOSE AN X. 323
REP.FRA
cer
L'orgueil encor surpris du front des Potentats ;
Pour avoir épuisé la coupe de la gloire ,
Confiait , en tremblant , ses lauriers à l'Histoire .
Voyez- vous arriver la saison des revers ,
Frapper ces cheveux blancs de palmes tout couy
Hélas ! voilà la fin de ces jours qu'on renomme
Et ce superbe Roi gémit ainsi qu'un homme
Oh ! si j'avais ce luth du Dieu de Ténédos !
Beaux lieux ! plus noblement à vos nobles échos
J'aurais dit dans mes vers : au retour des batalles.
Louis créant d'un mot vos superbes murailles ;
On l'aurait vu réduire un terrain mutiné ,
Pour la première fois d'un obstacle étonnés pains .
Et forçant les rameaux à donner leur arure ,
Comme ses ennemis subjuguer la nature .
t
Mais je n'ose fixer de mes yeux éblouis
Cet immortel éclat de l'immortel Louis.
Moi , j'oserais saisir les crayons héroïques !
Non , j'aime mieux rêver des vers mélancoliques ,
J'aime mieux égarer mes paresseux penchants .
Mais , hélas ! de l'oubli qui défendra mes chants ?
O Muse ! à nos neveux ne sois pas inutile !
Laisse luire un peu d'or pour un futur Virgile.
Si je suis orgueilleux de cet humble destin ,
Qu'obtenait Ennius de l'Homère latin ,
Que je pare mon front de ce laurier modeste ,
Qu'il suffise à mes vers , et qu'un tel nom me reste :
Mais qu'il soit oublié des censeurs indécens ,
Insultant le Génie , au nom de leur bon sens ;
Devant leur tribunal en arrêts trop fertile ,
Amenant sans pudeur et Laharpe et Delille ;
Risibles magistrats , dont l'arrêt condamné
324 MERCURE DE FRANCE ,
Est puni du trépas qu'il n'a jamais donné ,
Et qui , pour échapper à l'ennui des ténèbres ,
Joignent leurs noms obscurs aux noms les plus célèbres .
Tel ce monstre fameux , entre les grands pervers ,
Condamné par Virgile à vivre dans ses vers ,
Dans les accès nouveaux d'un féroce Génie ,
Attachait un cadavre à des corps pleins de vie .
"
ET vous , qui des Héros dispersiez les autels ,
Qui transformiez les voeux en projets criminels ,
Qui profaniez l'honneur du repos de Turenne ,
Et sur de grands débris signalant votre haine ,
Arrachiez sans effroi , du cercueil indigné ,
L'or des riches lambeaux qui couvraient Sévigné ;
Vous qu'un siécle fameux fatigue de sa gloire ,
Pardonnez quelques vers indignes de mémoire ,
Permettez -nous l'espoir d'un meilleur avenir ,
Et ne défendez pas des pleurs au souvenir , etc. etc.
CORIOLIS.
?
FRAGMENT de la PETREIDE. Chant
de L'ANGLETERRE.
A
LE Czar est conduit par la Liberté dans les
tombeaux de Westminster.
LEE spectre épouvanté voulut s'enfuir . Arrête :
Sur l'échafaud sanglant , regarde cette tête.
La connais- tu ? D'horreur , le spectre fut frappé ,
Et d'un deuil éternel son front enveloppé
' Retombe dans la nuit. Le Czar reste immobile.
Grand Dieu ! quel est le sang qui profane cette île ?
VENTOSE AN X. 325
Quel horrible appareil ! quel spectacle ! —Tu vois ,
Et les crimes du peuple , et les fautes des rois ;
Malheur aux lieux , aux temps où des lois téméraires ,
Forcent d'approfondir ces terribles mystères ,
Ces bornes du pouvoir , ce secret des états !
L'imprudence bientôt conduit aux attentats .
Le danger suit de près l'audace curieuse.
>
D'un voile antique et saint , la nuit religieuse ,
Rend aux yeux des mortels leurs devoirs plus sacrés ;
Et plus ils sont obscurs , plus ils sont révérés.
Charles , que de son père égarait
la doctrine
;
Charles , réclamant
trop la puissance
divine ,
Hardi dans ses projets , faible dans ses moyens ,
Peu terrible aux guerriers
, et trop aux citoyens ;
Emporté
par sa fougue , et cédant par mollesse
,
Méconnut
tour-à-tour sa force et sa faiblesse
.
Par les chocs opposés , son pouvoir
s'irritant
,
Compromit
sa grandeur
en la précipitant
;
Il perdit ce respect
, rempart
de sa puissance
:
Et le peuple , à son tour , las de l'obéissance
Le peuple aussi terrible
en sa férocité
,
Qu'il est docile esclave
avant d'être irrité ,
Au nom sacré des lois ose briser sa chaîne ;
Il ose mesurer
la grandeur
souveraine
,
Et ne vit , dans son roi , qu'un fameux criminel.
Tu sais le reste. " O jour ! jour d'opprobre éternel ,
S'écria le Héros. Ombre trop malheureuse !
Tu ne méritais pas ta destinée affreuse.
L'univers , indigné , doit s'attendrir sur toi ;
Et , roi , mon coeur gémit sur le destin d'un roi , ■
24
326 MERCURE DE FRANCE ,
ENIGM E.
ON m'a souvent pour une obole ;
J'exige des soins assidus.
Quand on me perd , on se désole ;
Quand on me gagne , on ne m'a plus.
LOGO GRIPHE.
COMBINE les trois pieds dont mon être se forme ;
Je suis nymphe , arbre , Dieu , le terme du mépris.
Au comptoir du marchand , aux boudoirs de Cypris ,
Mon tout se donne pour la forme.
UTILE
CHARADES.
TILE à l'écrivain et commun au barreau ,
Mon premier de l'oreille est surtout le fléau.
Aux grands combats de mer , mon second se rallie ;
Mon tout , en se montrant , éveille la folie .
AUTRE.
De mille trous criblé , pour épargner ton sang ,
Mon premier , sexe aimable , est un meuble important,
En formant mon dernier , ta blonde chevelure ,
Sous tes doigts délicats , ajoute à ta parure .
Enfin , lecteur , veux - tu connaître mon entier ?
C'est l'état où longtemps a gémi le rentier.
S ... u .
Mots des Enigmes , du Logogriphe et de la
Charade insérés dans le dernier Numéro.
Le mot de la première énigme est éclair ; celui de
la seconde est fumée .
Le mot du logogriphe est arme ,
amer , rame , me , mare.
où l'on trouve ame,
Le mot de la charade est bonhomme,
VENTOSE AN X. 327
HISTOIRE de quatre Espagnols ; par L. F.
MONTJOIE . Nouvelle édition revue et augmentée
.
J'abhorre les méchants ,
Leur esprit me déplaît comme leur caractère ,
Et les bous coeurs ont seuls le talent de me plaire.
GRESSET.
A Paris , chez Lenormant , libraire , rue des
Prêtres - Saint-Germain -l'Auxerrois , vis- à- vis
l'église .
DON Pedro de Massarena , grand seigneur
espagnol , doit le rétablissement de sa fortune'
aux soins et aux talents de Texado , célèbre
avocat. Ce dernier meurt , et laisse , avec une
veuve sans fortune , un fils , Fernand Texado ,
et deux filles , Bénédictine et Rosalie . Massarena
conserve aux enfants de Texado l'amitié
qu'il avait pour le père. Il fait nommer le jeune
Fernand secrétaire d'ambassade , et l'emmène à
Naples , où il est lui-même envoyé par le roi , en
qualité d'ambassadeur. Voilà l'avant scène , et le
roman commence.
Fernand entretient une correspondance exacte
et suivie avec don Carlos , fils de Massarena
son protecteur. La confiance de Fernand pour
don Carlos est sans réserve . Il le charge de découvrir
le nom et l'état d'une jeune inconnue
dont il est éperdument amoureux , et dont les
manières distinguées trahissent la naissance et
328 MERCURE DE FRANCE ,
l'éducation , malgré la simplicité de ses habits
et l'état modeste d'ouvrière en robe.
Après plusieurs événements épisodiques , on
découvre que Josephine ( c'est le nom de celle
qu'aime Fernand Texado) est la fille de César
de Susa , condamné à mort pour un crime capital
; et qui , pour échapper au supplice , s'est
réfugié dans les environs de Naples . Fernand
l'a rencontré par hasard , s'est lié avec lui sans
le connaître , et s'est vu forcé de le livrer à
l'ambassadeur d'Espagne , à qui sa cour a donné
l'ordre de faire arrêter César et de l'envoyer à
Madrid. Massarena obéit d'abord ; mais après
avoir interrogé celui que l'on croit si coupable ,
il croit avoir acquis les présomptions morales
de son innocence , et , en attendant des certitudes
plus positives , il s'assure de sa personne sans le
livrer à la justice . Cependant don Carlos entretient
toujours une correspondance suivie avec le
jeune Fernand, il lui parle surtout de Josephine
et des deux soeurs , qu'il a laissées à Madrid ,
Benedictine et Rosalie . Benedictine a tous les
ridicules d'une bourgeoise à prétentions ; Rosalie
, que l'on destine à l'état de religieuse , est
sensible, douce et modeste . On sent d'abord qu'elle
est la favorite de son frère ; et elle devient bientôt
celle du lecteur . Sur ces entrefaites don Carlos
tombe dans une maladie de langueur ; sa famille
a perdu l'espérance ainsi que son médecin , qui
croit pourtant que la cause du mal est dans le
coeur. Mais Carlos s'obstine à garder le silence .
Don Pedro de Massarena , prêt de perdre son
fils unique , envoie près de lui Fernand , son
jeune ami , qui lui promet de ne lui rien cacher ,
VENTOSE AN X. 329
et de lui faire parvenir les détails les plus fidelles
sur l'état de son fils . Le danger est à son comble,
et déja l'on pleure la mort de don Carlos . Ecoutons
Fernand lui même :
"
« Au même instant une sueur froide découla de
« son front , et il lui prit un léger hoquet. Il ne nous
répondit plus ; il ne donna plus aucune marque qu'il
" nous entendit. Sa mère , aussi pâle que lui , le contemplait
avec des yeux où se peignaient l'amour ,
l'inquiétude et l'horreur. Elle avait la main droite
en avant , comme si elle eût voulu repousser la mort ,
et lui disputer son fils .
"
"
«
"
"
"
"
" Cette agonie ne fut pas longue . Les yeux de don
Carlos se fermèrent . Sa tête se pencha et tomba sur
" son épaule. Sa mère voulut le saisir dans ses bras ;
mais elle l'eut à peine touché , qu'elle retomba sur
« son siége en disant d'une voix étouffée , c'est le froid
de la mort ...! je ne le verrai plus ... ! Elle s'évanouit
en prononçant ces derniers mots. Ses femmes
la transportèrent chez elle . Tout l'hôtel retentit aussitôt
de gémissements , de cris de désespoir. Jamais
la douleur ne se peignit sous une image plus ter-
" rible Vous croyez peut - être que je m'abandonnai
comme les autres aux larmes et aux plaintes ? Non ,
j'étais accablé , mais calme et seul impassible au mi-
" lieu de la consternation générale. Le triste tableau
" que j'avais sous les yeux m'étonnait plus qu'il ne
m'effrayait. Je doutais si mes yeux me faisaient un
fidelle rapport. Je priai toutes les personnes qui
" étaient dans l'appartement , et même don Juan de
" sortir et de me laisser seul . Vous avez raison ,
« me dit- il , vous l'avez trop aimé pendant sa vie pour
qu'un autre que vous doive se charger du soin de
• sa sépulture .
88
"
"
"
te .
330 MERCURE DE FRANCE ,
1
"
τι
« Sa sépulture , dis - je , lorsque je fus tout seul ; quel
est donc ce charme qui leur fascine les yeux ? M'asseyant
ensuite , comme à l'ordinaire , à côté du lit ,
« et parlant à don Carlos , comme s'il eût dû me répondre
, je lui dis : Que pensez - vous de ce délire universel
? j'en perdrai la tête . Ils veulent absolument
que vous soyez mort. En disant cela je levai les
"
"
"
yeux
« sur lui , et voyant ce corps sans vie , je fus , à mon
tour , frappé de terreur. Je me levai en sursaut , je
« reculai d'effroi . Reprenant ensuite un peu de cou-
" rage , j'allai ouvrir les fenêtres , parce qu'il y avait
réellement de l'odeur dans l'appartement , et je m'imaginai
que c'était le mauvais air qu'on y respirait
qui l'avait suffoqué . Je revins à lui , je l'appelai inutilement
à diverses reprises , par son nom ; je fis
" comme San- Domingo , j'appliquai ma main sur son
« coeur ; il était froid comme le marbre .
«
"
"
"
་་
Tout à -coup la porte s'ouvre , et je vois entrer des
pénitents noirs. Ils s'approchent du lit. Je leur demande
avec beaucoup de tranquillité et sans bou-
« ger ce qu'ils desirent. L'un d'eux , me présentant un
• de ses sacs dont ils se revêtent , me dit , qu'ils viennent
« habiller le mort . Un autre , en même temps, s'approchant
de plus près de don Carlos , se met en devoir
« de lui remplir les narines de coton . Oh ! alors j'entrai
en fureur comme une lionne à qui on enlève
" ses petits. Je me levai , je repoussai avec violence
"
се
་་
"
"
ces gens - là ; je fermai les rideaux ; je m'adossai contre
le lit ; j'étendis les bras contre les rideaux , et je m'é-
« criai : n'approchez pas , sortez d'ici , gårdez - vous de ,
toucher à ce dépôt ; c'est à moi qu'il est confié , c'est
" à moi à en rendre compte. Mais seigneur , me dit
" l'un d'eux , vous devez connaître nos usages ; pourriez
- vous nous blâmer de notre pitié envers les
Eh ! qui vous a dit , répondis-je , qu'il
་་
се
" morts ? -
1
-
VENTOSE AN X. 33r
"
"
"
était mort ? Non , non , il n'est pas mort , il sommeille.
Quand il serait mort , il sera temps dans vingtquatre
heures de songer à votre ministère Retirezvous
, vous dis-je . Ils m'obéirent , je les suivis jusqu'à
-« la porte , et là , je m'écriai de nouveau de manière
à être entendu des domestiques : Je trouve souverai-
" nement extraordinaire qu'on introduise ici quelqu'un
sans mon agrément ; on profite de la circonstance ,
« mais on n'oubliera pas impunément que c'est moi seul
qui commande ici , et que c'est à moi seul qu'on
u doit obéir.
u
"
""
"
"
"
Rentré dans l'appartement , je me promenais à
grands pas ; je rêvais , je fatiguais mon imagination ,
- et je ne la fixais pas ; tout me disait , tout me criait
que j'avais perdu mon ami sans retour : et cette idée
qui , si je m'en fusse occupé , m'eût donné la mort
à moi- même , ne put jamais entrer dans mon esprit ;
je m'arrêtai à une circonstance qui était une véri-
« table puérilité , et je crois que c'est d'elle seule que
je tirai la conviction impertubable que mon ami n'était
point mort , que je jouirais encore des douceurs de
« sa société . J'avais envoyé de Naples , un petit chien
à ma soeur Rosalie , la supérieure n'ayant pas voulu
་་
་ ་
τι
་ ་
"1
"
KI
"
lui permettre de le prendre , don Carlos l'avait gardé
avec lui ; j'avais remarqué , depuis que j'étais arrivé ,
« que ce petit chien lui était singulièrement attaché ,
du moment où don Carlos avait été obligé de garder
le lit , cet animal avait pris sa place à ses pieds , et
n'en bougeait que pour satisfaire à ses besoins ; il se
hâtait de revenir aux pieds de son maître , et on était
obligé de lui porter là sa nourriture . Lorsque don
Carlos avait reçu les dernières onctions , l'animal avait
semblé partager la tristesse universelle , et l'avait témoigné
par des hurlements lamentables ; lorsque les
pénitents s'approchèrent du lit , il quitta son poste
"
#
"
་ 2
332 MER CURE DE FRANCE ,
K
«
"
་་
a
s'élança sur eux avec furie , et revint lorsqu'ils furent
partis , reprendre paisiblement sa place.
"
« Je me disais à moi - même : l'instinct de cet animal
" vaut mieux que toute notre prétendue habileté , s'il
" avait la conscience que son maître fût mort , il hurlerait
d'une manière bien plus pitoyable encore , que
lorsqu'il nous a vu accompagner de nos gémissements
« les dernières prières du prêtre , et cependant il se tait ;
« son silence m'est une preuve que le repos de don
Carlos n'est pas celui de la mort , que ce n'est qu'un
sommeil ; si , lorsque les pénitents sont venus , l'animal
s'est jeté sur eux , c'est qu'il voulait m'avertir de ne
point partager l'erreur où l'on est , que son maître a
perdu la vie ; je ne dois pas négliger cet avertissement .
Cette idée toute puérile , toute folle qu'elle était ,
* me plut tellement , je la repassais en moi- même avec
" une telle complaisance , que je vis dans la conclusion
que j'en tirai la vérité , l'évidence et tout levain d'inquiétude
s'échappa de mon esprit. Je regardai la
pendule , il était dix heures ; j'ouvris la porte , j'appelai
Cascara , et avec une tranquillité d'ame qui
« lui fit croire que j'avais entièrement perdu l'esprit ,
je lui dis Cascara , allez -vous en de ce pas , chez
San-Domingo , amenez - le moi sur le champ , faites
" une diligence extraordinaire. Eh! mon cher seigneur
, me répondit-il , vous feriez bien mieux de
quitter ce triste objet , d'entrer dans votre apparte-
" ment et de permettre qu'on vous donne des soins. —
Jour de dieu , m'écriai -je , en m'emportant , que veut
« dire ceci ? et vous aussi Cascara , vous ne savez plus
m'obéir. Par Saint- Jacques , je ne sais ce qui me retient
de faire voir sur le champ qu'il n'est pas bon
« de manquer aux ordres que je donne , et que je donne
de la part de don Pedro , qu'on devrait mieux res
" pecter , surtout en telle circonstance. Ne répliquez
"
"
-
-
VENTOSE AN X. 333
pas Cascara , partez ; si , lorsque onze heures sonne-
" ront , vous n'êtes pas ici avec San - Domingo , ne
« remettez jamais les pieds dans l'hôtel ; ni l'âge , ni les
services , ni les infirmités , ne vous y feront rentrer ;
❤: obéissez.
#
"
"
"


C
-
Cascara obéit . Un peu avant onze heures , la porte
s'ouvre , San- Domingo paraît , fait deux pas dans
la chambre ; je cours à la porte , j'en tire la clef,
je la ferme en dedans et je mets la clef dans ma
poche. Je fis tout cela si promptement , que je crois
que le docteur ne s'en apperçut pas . Il fixa don Carlos ,
leva les épaules ; et , faisant un mouvement pour revenir
sur ses pas , il me dit avec humeur : Allons
... donc , vous moquez- vous de moi ? pour qui me prenezvous
? quel moment prenez -vous pour vous égayer ?
" est- ce que l'on mande un médecin pour voir un mort?-
Seigneur , lui dis-je , je vous jure que mon ami n'est
pas mort. Ce visage , me répondit- il , est d'un
<< mort de deux heures; laissez - moi donc passer , laissezmoi
donc sortir. Eh bien ! non , m'écriai -je , en me
tenant toujours entre la porte et lui ; non , morbleu ,
« Vous ne sortirez pas , vous mourrez ici avec moi , si
vous n'avez la complaisance de faire ce que je vous
• demande : à quoi se réduit ma prière ? à tâter le pouls
de don Carlos . Quoi ! homme barbare , vous voyez
« son ami poignardé par le désespoir , et vous lui refusez
cette légère consolation , pour satisfaire à je
ne sais quelle morgue ! ... Au nom de dieu ! continuai-
je , en me jetant à ses pieds , et embrassant
ses genoux , au nom de tout ce que vous avez de
plus cher , prenez quelque pitié de moi ; vous ne
savez pas ce que je perds , si je perds don Carlos ;
• accordez-moi la faible grace que je vous demande :
venez lui tâter le pouls ; à quoi peut vous engager
- cette condescendance envers le plus malheureux des
"
"
"
08
"
N
334 MERCURE DE FRANCE ;
"
مالس
" hommes ? Craignez-vous le ridicule ? eh! qui saura
« que vous m'aurez rendu ce service ? rendez- le moi ,
je vous en conjure ; si je l'obtiens , demandez -moi
tout ce que j'ai , tout ce que je possède , tout mon sang
" est à vous. Pauvre jeune homme , répondit le docteur
! il est bien excusable , il me fait pitié.
«Ε
—-
« En dissnt cela , le docteur s'avança vers le lit , et .
me pria de lui apporter une bougie , j'en apportai
deux , il en prit une , la passa et repassa plusieurs
" fois sans mot dire , devant le visage de don Carlos ,
« et me la rendit ; il glissa ensuite sa main droite sous
« le drap , et la colla contre le coeur de mon ami , en
« se penchant comme un homme qui écoute avec la
plus grande attention ; au bout d'environ quatre minutes
, il agita la main gauche , en me regardant de
manière à me faire entendre qu'il me recommandait
« de ne me point laisser aller à quelqu'extravagance ,
lorsqu'il romprait le silence ; quand il crut que je
comprenais le sens du geste qu'il me faisait , il tira
" sa main droite , et me dit : ce coeur palpite encore
il n'est pas mort. »
"
"
"
"
K
"
"

Ce morceau donne une idée suffisante d'un
style qui fait desirer quelquefois plus de soin et
d'élégance ; mais la narration nous a paru remplie
d'un véritable intérêt. Don Carlos y est rappelé
du tombeau , et revient à la vie, sans mouvements
heurtés et sans incidents invraisemblables ,
Cependant il laisse échapper son secret pendant
sa convalescence . Il aime en secret Rosalie
, soeur de son ami Fernand , la reconnaissance
fait, oublier à don Pedro de Massarena
la distance que la hiérarchie sociale a mise entre
sa famille et celle des Texado. Il consent au
mariage de don Carlos avec Rosalie . Mais don
VENTOSE AN X. 333
Carlos pourrait- il être heureux , si son ami Fernand
ne l'était pas ? Fernand peut-il être heureux
sans épouser Josephine ? et peut-il s'unir
sans déshonneur à la fille d'un homme qu'un
jugement légal vient de condamner à une mort
ignominieuse ? La Providence vient au secours
de tout le monde. Un soldat qui a voulu assas❤
siner don Carlos , au moment de monter sur
l'échafaud , s'accuse d'un crime caché jusqu'alors,
Il a été domestique de Cesar de Suza , père de
Josephine ; c'est lui qui a commis l'assassinat
pour lequel son maître a été condamné. Cesar
de Suza , réhabilité par les lois et par l'opinion ,
donne sa fille au jeune Fernand , qui obtient un
poste honorable.
Nous avons présenté les faits et les caractères
principaux des Quatre Espagnols ; mais on y
trouve encore des événements et des caractères
épisodiques qui y répandent de l'intérêt et concourent
au noeud et au dénouement de la fable.
Don Juan de Spenoletto , oncle maternel de
don Carlos, est un véritable Espagnol , trop vain
à la fois de sa noblesse , et trop familier avec
les ministres méprisables de ses plaisirs ; dévot
par faiblesse , libertin par habitude , et qui , dans
tout le cours du roman , fait enlever de jeunes
filles , et finit par se faire chartreux .
Salomon Wanderghen , fils d'un juif enrichi
par des usures criminelles , réunit dans son caractère
l'audace et la bassesse de l'ambition . Sa
perfidie et sa lâcheté se montrent jusque dans
un duel , où il expose sa vie , et son audace ne
l'abandonne pas lorsque , convaincu de plusieurs
crimes , il prévient la vengeance des lois en se
336 MERCURE
DE FRANCE ,
·
.
donnant lui-même la mort. Mais les vices d'Inigo
Asturia ne sont rachetés par aucune qualité ;
c'est un scélérat imbécille , qui inspire moins
d'horreur que de dégoût . Ambroise Hombregreno
est un coquin encore plus atroce et plus
bête ; c'est lui qui a commis l'assassinat pour
lequel Cesar de Suza a été condamné. L'auteur
en a fait un apprenti auteur , et Salomon se
sert de ses prétentions au bel- esprit pour en
faire l'instrument de ses desseins pervers. Il y
a quelque vérité dans cet aperçu ; les prétentions
littéraires , lorsqu'elles sont trompées , ai
grissent l'amour-propre , dénaturent le caractère
et transforment souvent en lâches coquins des
hommes qui n'étaient nés que pour être ridicules.
Mais ce goût de littérature vient un peu
tard à Ambroise , qui est déja d'un âge mûr,
et qui a été tour- à - tour soldat , déserteur , jardinier
, domestique. D'ailleurs , il est un peu
trop bête , et pas assez sot pour un bel- esprit.
• Plusieurs romans modernes sont écrits avec
plus de soin et d'élégance que les Quatre Espagnols
, mais il en est peu qui présentent plus
d'intérêt et de moralité. Les sentiments n'y sont
point exagérés , les faits ont de la vraisemblance ,
les caractères de la vérité. Les hommes mûrs
peuvent lire cet ouvrage avec plaisir , et les
jeunes personnes sans danger. C'est beaucoup
pour un roman ."
VENTOSE AN X. 337
TOME VI et dernier des Constitutions des
principaux Etats de l'Europe , et des Etats-
Unis d'Amérique ; par J. V. DE LA CROIX ,
ancien professeur de droit public au Lycée ,
etc. Volume in- 8.º de 440 pages , avec une
table alphabétique , très- ample , des matières
contenues dans les 6 volumes. Prix , 4 francs
50 cent. , et 5 fr. 50 cent . par la poste , franc
de port. L'ouvrage complet en 6 vol. coûte
27 francs , et 34 francs , franc de port . On invite
les personnes qui ont les premiers volumes
de cet ouvrage , à se compléter incessamment .
A Paris , chez F. Buisson , imp . - libraire , rue
Hautefeuille , n.º 20 .
CE volume complète et termine l'ouvrage de J. V.
de la Croix sur les constitutions des principaux Etats
de l'Europe. On doit le regarder comme le complément
du Cours de droit public , commencé par l'auteur , en
1790 , au Lycée , appelé depuis Républicain , et bientôt
interrompu par des événements qui ne se conciliaient
ni avec la libre exposition , ni même avec l'exercice
assuré d'aucun droit public ou privé . Cependant le C.
de la Croix , fidelle , et peut - être trop fidelle à son
plan , en a suivi l'exécution avec persévérance . Le professeur
a interrompu ses leçons , mais l'écrivain a continué
son travail. Il avait choisi la forme oratoire ; et ,
en considérant ses habitudes , et surtout le temps , le
lieu , les personnes auxquelles ce cours était destiné ,
sans approuver ce choix , on en trouve la raison . Dans
l'exercice de sa profession d'avocat consultant , le C.
7. 22
338 MERCURE DE FRANCE ,
'
de la Croix s'était déja honorablement distingué par des
compositions qui , par leur nature , ne laissaient pas le
choix d'un autre genre d'écrire. En outre , dès cette
époque , quel que fût le sujet qu'on traitât on
aspirait surtout à éblouir , à frapper les esprits ; ce
qu'on appelait , viser à l'effet . On ne peut guère douter
que cette disposition , qui , depuis ce temps , ne s'est
point affoiblie parmi nous , et dont l'influence , en s'étendant
de la chaire du professeur à la tribune de l'orateur
politique , rend raison de tant de discours , et
expliquerait même tant de conduites, n'ait eu une grande
part au choix de la forme de ces leçons de droit public.
L'instruction était bien le prétexte , mais ne pouvait
être le but réel du concours de tant de personnes du
grand monde qui se portaient en foule au ' Lycée . Les
professeurs ne pouvaient s'y méprendre . Les formes sévères
, sans lesquelles il n'y a point d'instruction solide ,
auraient repoussé bien loin les grands enfants qui ne
consentaient à venir s'asseoir une heure sur ces bancs
académiques , que sous la condition tacite qu'un plaisir
d'un nouveau genre leur y serait offert : c'était le spectacle
du matin . Il fallait bien que le professeur se
transformât un peu en acteur ; et l'orateur , dans l'exercice
d'un art dont une des conditions est d'émouvoir
et de plaire , a bien quelque affinité avec ce personnage .
C'est ainsi , et nous ne croyons pas cette conjecture trop
hasardée , que l'auteur de cet ouvrage a été entraîné à
lui donner à son origine la forme oratoire , dont ensuite
il ne s'est plus départi . Mais on peut craindre que cette
forme , bonne pour l'occasion , et favorable au succès
du mouvement , ne le soit pas de même à la lecture et
au succès durable. Des leçons applaudies ne forment pas
toujours un ouvrage approuvé. Il est quelques sujets heureux
, tels que ceux qui appartiennent à des genres purement
littéraires , et l'on peut y joindre quelques parties
·
VENTOSE AN X. 339
des sciences naturelles , où , au-delà des premiers élé
ments qu'on suppose acquis , l'obligation de charmer
est elle -même une condition du devoir d'instruire Mais
l'exposition du droit public , l'analyse des constit
tions , des documents historiques , appartiennent à un
ordre de connaissances tout autre. Le bon espr
couvre des sujets de dissertations plutôt solides.que_
brillantes , et des questions que la dialectique reven
dique sur l'éloquence . On peut croire qu'il eût mieux
convenu de les traiter en une suite de chapitres , qu'en
une suite de discours.
Ce défaut est capital ; et tout ce grand ouvrage , es- ,
timable sous beaucoup de rapports , et surtout par une
véhémente indignation contre les fureurs et les excès
des partis , qui y est fortement empreinte , en est malheureusement
frappé . Dans des matières toutes du ressort
du jugement , justesse et clarté sont les qualités essentielles
, on peut même dire les vrais ornements des
idées et du style ; l'ambition de les embellir touche à
l'abus de les dénaturer. Dans un pareil sujet , un lecteur
judicieux ne demande point à être entraîné ; il
veut suivre . Qu'on ne me fasse point de reproche , nous
dit l'auteur dans un avertissement, si, fidelle à mon plan,
je n'aiprésentédans le cours de cet ouvrage que des masses
et des résultats. Nous ne serons point les seuls peut- être
à ne trouver dans ces paroles que l'aveu implicite d'un
auteur qui cherche à pallier aux yeux d'autrui un défaut
qu'il ne se dissimule point à lui -même. Il n'y a
point de mérite à être fidelle à un plan défectueux ; et
on ne nous prévient point favorablement en ne nous
faisant entrevoir , au terme d'une longue course , que
les résultats des masses.
Pour nous renfermer dans ce qui nous concerne spé
cialement , et ne parler que des spéculations de l'auteur
sur notre histoire et notre gouvernement , auxcen
340 MERCURE DE FRANCE ,
K
"
: "
quelles il a consacré les trois derniers volumes de son
cher- ouvrage , nous croyons que bien vaiṇement on y
cherait un résultat quelconque ; soit incertitude réelle
de principes , et faute d'une opinion arrêtée sur la
forme et la nature de l'institution la plus convenable à
la France , soit circonspection et embarras de concilier
ses opinions particulières avec celles qui , dans leş circonstances
où il a écrit , se sont manifestées avec tant
d'intolérance , et ont appelé tant de violence à leur
aide , il ne donne de l'appui à aucun système , n'indique
ni ne saisit aucun point fixe . La masse du peuple
y reçoit tour-à- tour des respects et des outrages . Ici
on lira « C'était peut-être à cette époque (celle de la
guerre de 1741 ) , qu'il eût été à desirer qué la nation
éclairée par l'expérience se fut levée toute entière ,
« pour nous servir d'une expression dont on a trop
abusé ; que , dans une assemblée de tous les ordres
« du royaume , elle arrêtât que le prince ne pourrait
plus disposer arbitrairement de la fortune et du sang
des citoyens , que leur vou et leur intérêt seraient
toujours consultés avant de prendre les armes . Mais
le moment n'était pas venu de mettre des bornes à
l'autorité royale . Le peuple français ne faisait qu'un
avec son monarque , etc. , etc. » Et ailleurs , ce même
peuple , dont on vient de dire qu'il serait si sage de
consulter nominativement dans toutes les grandes circonstancés
l'intérêt et le voeu , recevra cette rude apostrophe
: Peuple lâche dans l'oppression , effréné dans
« la licence , jamais tu ne sauras garder une juste me-
« sure : tu passeras toujours envers ceux qui te gouvernent
, de l'adulation la plus insensée à l'audace la
plus brutale . Pourquoi des princes s'occuperaient-ils
de ta prospérité ? Tu ne sais ni punir les mauvais ,
" ni conserver les bons. Enfin , voici comment on
capitule avec lui ; voici à présent tout ce qu'on lui
B
"
"
"
fr
"
2
"
"
"}
VENTOSE AN X. 341
demande , comme la chose la plus simple et la plus
facile Serait- ce trop exiger de vous , qui avez tant
K
"
parlé de républiques , que de demander de vous
« élever à la hauteur des républicains qui ont illustré
Rome sous ses premiers consuls ? » Rien que cela ,
et l'auteur est content . Nous le serons aussi nousmêmes
, et bien difficile qui pourrait exiger davantage.
Mais tout lecteur judicieux se demandera ce que c'est
qu'un livre de politique , et sur les constitutions , où ,
à la place du raisonnement , on rencontre presque tou--
jours des déclamations pareilles à ce qu'on vient de
lire ; où le langage vide du rhéteur courant après la
phrase , obtient toujours la préférence sur le langage
ferme du publiciste , seul convenable dans un pareil
sujet , et où l'importante question de l'influence du
peuple dans la constitution est résolue au gré des circonstances
, et suivant que , dans le long cours des
événements de l'histoire , celui qui les raconte trouve
en faute ou le peuple ou le prince ?
On a assez relevé , dans des feuilles où l'on a rendu
compte avant nous de cet ouvrage , l'extrême inconséquence
de l'auteur dans tout ce qu'il dit de la religion
et de ses ministres . On sait qu'il lui a paru beau , et
même assez adroit , de réclamer en leur faveur et d'en
prendre la défense , en faisant hautement profession
d'esprit fort , et jactance d'incrédulité ; à peu près comme
ces personnes du bel- air , qui , à table , entourées de
laquais , disaient spirituellement : C'est pour ses gens
qu'on va à la messe . Mais on n'a pas remarqué comme
on l'aurait dû , où conduit cet abandon de principes
et d'opinions qu'on laisse dédaigneusement au vulgaire ,
en affectant de publier que l'on avoue que les opinions
qu'on a reçues dans son enfance , se sont tellement effacées
de son esprit , qu'on ne croit plus qu'à la néces▾
sité d'adorer Dieu dans ses sublimes productions , etc
342 MERCURE DE FRANCE ,
Fastueuse déclaration , où , avec la même emphase
déclamatoire , se retrouve le même vide d'idées en
matière de religion , que nous avons trouvé jusqu'ici
en matière de politique . Or , voici ce que nous
enseignent ces sublimes esprits , si bien dégagés de
leurs opinions de l'enfance , lorsqu'il leur arrive d'aborder
une question de moeurs , et de traiter de morale. Les
moeurs , dit- on dans cet ouvrage , sont la probité de la
vie (entendra cela qui pourra) , et non l'extinction des
facultés de l'homme ( Ceci se devine à peu près ; c'est
un trait lancé contre de sages préceptes qui tendent
à régler , et non pas à éteindre certaines facultés dé
l'homme) . Mais c'est à l'application qu'il faut voir ce
que devient cette probité de la vie , ces moeurs du citoyen
, "dont la société ne doit se mettre en souci qu'autant
qu'elles ont rapport à son état , à sa profession ;
de telle sorte que lors même qu'il a à rougir devant
une épousé en larmes , à l'aspect d'un père , à l'approche
de ses enfants , son front peut se lever avec assurance
aux yeux de la république assemblée.
mais la licence des maximes n'a été portée plus loin.
Ainsi voilà le mauvais fils , le mauvais père , le
mauvais époux , proclamés excellents citoyens ! Voilà
ceux qui lèveront le front avec assurance aux yeux de
Ja république assemblée ! On s'est donc bien trompé
en admirant jusqu'ici , comme l'expression réalisée du
beau idéal , cette disposition d'une loi ancienne qui
prescrivait qu'un avis salutaire à la république , s'il
était proposé par un citoyen notoirement décrié par
ses moeurs , avant d'être porté à la délibération du
peuple , devait s'épurer en passant par la bouche de
l'homme honnête. La censure de Rome eut d'autres
formes , mais fut instituée sur les mêmes principes ;
et nous - mêmes , nous qui eûmes de si belles institutions
, nous qui pouvions faire une assez belle révolution
"
- JaVENTOSE
AN X. 343
seulement en remontant à leur esprit et en les rappelant
à leur exécution , dans l'enquête de vie et de moeurs ,
pour arriver aux grandes magistratures et dans les
fonctions du ministère public , nous avions consacré les
mêmes principes et retenu une ombre de cette censure.
-
Et voilà de quelle hauteur nous sommes tombés ! et
l'on paraît s'étonner que toutes ces doctrines folles ou
perverses qui caractérisent le siécle nommé fastueusement
le siécle de la philosophie , ayent mis en discrédit
et en horreur même auprès de quelques - uns , le nom
de philosophie , et flétri le siécle qui les a engendrées ,
répandues , adoptées et mises en pratique ! Dirai - je
même que la douleur profonde qu'excite dans une ame
honnête l'influence pestilentielle d'un pareil siécle ,
redouble en la voyant s'étendre à des hommes , à des
écrivains tels que le C. de la Croix , personnellement
si estimable , qu'on n'a pu connaître , même légèrement ,
et rencontrer dans le monde , sans être attiré par l'agrément
de son esprit et l'affabilité de ses manières ; et
qui , s'élevant à une plus grande hauteur , quand tout
se précipitait dans l'avilissement , a attiré sur sa personne
un grand respect par des traits de conduite et
des actes de courage , qui , dans la stupeur générale
des ames et des esprits , excitèrent , si on ose le dire,
l'effroi de l'admiration ! Mais aussi quel siécle et quels
temps que ceux qui altèrent et égarent de tels hommes
eux-mêmes ! aerem etiam constupratum diceres.
Du reste , ce volume devient indispensable à ceux
qui possèdent les cinq premiers , et comme complétant
l'ouvrage , et comme renfermant la table générale des
matières qui y sont contenues.
M.
344 MERCURE DE FRANCE ;
EUVRES diverses du Cit . GIN ancien
magistrat.
"
Nous recevons en même temps
les ouvrages suivants :
Vrais principes du Gouvernement , ou Analyse raisonnée
des bases fondamentales de la vraie liberté. 2 vol.
in- 12 . Chez Royez , rue Thionville , et Bertrand , quai
des Augustins.
Odes de Pindare , unique traduction complète , en
prose poétique , avec un volume de notes. Chez Artus
Bertrand et Moutardier , quai des Augustins.
Idylles de Théocrite et Eglogues de Virgile. Traduetion
nouvelle , deuxième édition . Chez Artus Bertrand
et Royez. 2 vol. in- 12 .
" On annonce sous peu de temps , du même auteur :
1.° Odes d'Anacréon , Bion, Moschus, Sapho , et autres
lyriques grecs ;
1
2.° Suite du discours de Bossuet sur l'Histoire universelle.
2 vol. in-4.° ;
3.° De la religion , par un homme du monde. 5 vol.
in- 8.º , 2. édition ; la première , par Moutard , étant
épuisée .
·
Le même auteur a publié les traductions de l'Iliade
et l'Odyssée , les Harangues de Démosthènes , etc. , etc.
Voilà un nombre de volumes tel qu'il faudrait en
consacrer un tout entier au compte que nous en voudrions
rendre , et , certes , ce compte serait animé d'un
sentiment de bienveillance et même de respect pour la
vieillesse laborieuse de l'auteur. Voilà le fruit de 75
années , et de l'ardeur infatigable que lui inspira le
souvenir des noms illustres dans la littérature , auxquels
il était allié . Son aïeule était la soeur de l'immortel
Nicolas Boileau- Despréaux. Il appartient,, par une autre
VENTOSE AN X. 345
descendance , à la famille du docte Sirmond . Quand
on parcourt cette liste d'ouvrages , et qu'on sait qu'il
a traité aussi les matières de jurisprudence auxquelles
son état le consacrait , on voit qu'il n'a rien médité
de frivole , et que sa carrière a été vraiment littéraire.
Nous ne parlerons point de sa candeur extrême et de l'ingénuité
de ses moeurs , sinon pour déplorer qu'il ait
eu à gémir quelquefois des assauts inconsidérés et
´des sarcasmes de la critique. Il est bon qu'un écrivain
qui entreprend beaucoup , soit souvent et judicieusement
averți , afin que sa fécondité se préserve de négligence.
Mais c'est une injustice envers lui , et ce
n'est point une utilité pour les lettres , qu'il soit le jouet
de la légèreté et la proie de la haine. Il n'est que trop
vrai que cet écrivain les a rencontrées l'une et l'autre
dans toutes les routes où il a voulu faire quelques pas
On a décrié plutôt que jugé ses traductions ; on a calomnié
ses principes politiques ; on a feint de dédaigner
ses travaux religieux. Nous ne répéterons pas
avec Ovide que les livres ont leur destin qui domine
et trompe les efforts des auteurs , et que tel était le
sort qui attendait M. Gin . Mais nous observerons
qu'il´a choqué des partis dont les opinions prévalaient :
il déplaisait aux parlements , il déplaisait aux philosophes
; il a été froissé dans tous les heurts de son
siécle. Nous pourrions cependant montrer à ceux qui
l'accusent d'avoir favorisé la puissance monarchique
que ses Vrais principes de Gouvernement , imprimés il
y a vingt ans , sont précisément le même ouvrage qu'il
a depuis présenté à la république , et qui ne paraît pas
exciter de réclamation . M. de Voltaire a connu cet ouvrage
, il en a écrit à l'auteur , et sa lettre , que celui- ci
ajoute à ses deux volumes , n'en est nullement la censure.
Quant à sa Religion d'un homme du monde
peut et on doit louer les recherches dont elle est remon
346 MERCURE DE FRANCE ,
plie , et on n'y trouve ni personnalités , ni violence .
Je sais qu'il y a une sorte de hardiesse , et même
d'ambition un peu inconsidérée , d'oser , de la même
plume dont on multiplie des volumes si divers , traduire
et Homère , et Démothènes , et Pindare , et Théocrite
, et Virgile , etc. Qui peut parler tous les langages
de tant de Muses ?
Non mihi si centum linguæ .
Mais ce choix des plus grands modèles annonce des
principes et un goût de littérature puisé dans l'antiquité.
Le grand siécle , notre siécle par excellence , était
très- indulgent pour les traductions , parce qu'il en sentait
à la fois et la difficulté et le besoin. Marolles et
du Ryer ne furent point , dans leur temps , frappés de
tout le ridicule qu'ils avaient mérité. D'Ablancourt
reçut beaucoup trop d'éloges . M. Gin est plus fidelle
que d'Ablancourt ; et , sans doute , il est bien moins
négligé que du Ryer et que Marolles . D'ailleurs , quelle
traduction a le bonheur de satisfaire et les lecteurs et
les critiques ? Ne voyons - nous pas comment ceux - ci
tombent avec roideur sur d'assez légères imperfections ?
N'est - ce pas l'usage quand quelqu'un hasarde , dans
notre langue , quelque ouvrage d'un ancien , ne fût-ce
qu'une lettre de Cicéron ( celle à Brutus par exemple) ,
ou bien quelque tirade poétique de Claudien , de Catulle
, aussitôt un concours se forme sans même être
indiqué , et vingt traducteurs appellent leur page comme
la seule bien traduite ? Ils tombent ensuite , et bientôt ,
dans le grand fleuve de l'oubli . La traduction est une
oeuvre ingrate qui procure rarement la gloire ; mais le
travail du traducteur est considérable et digne d'égards .
S'il sait les langues , s'il est fidelle , ce sont deux grands
points et je crois , après avoir parcouru les volumes
de M. Gin , que sur ces deux articles il est à peu près
VENTOSE AN X. 347
sans reproches . Mais cela ne suffit pas ; outre l'obligation
de rendre le sens , il faut exprimer le génie propre à
chaque grand auteur. Il ne faut point ressembler à M.
Dubois de Port-Royal qui , dans ses traductions , faisait
parler Cicéron précisément comme Saint- Augustin . Cela
est arrivé à bien d'autres , ne fût- ce qu'à l'abbé Auger ,
lisez son Cicéron , son Démosthènes , son Saint - Basile ,
et vous aurez toujours l'abbé Auger. Ce ne sont pas
les traducteurs seuls qui tombent dans cet inconvénient
d'altérer le génie d'un auteur, en conservant le sens de
son texte. Les commentateurs , par leurs gloses , leurs
similitudes , leurs paraphrases , changent une pensée
noble en une phrase triviale . Celui dont le savant Heyne
estime le plus le travail sur Pindare , Benedicte , a
occasionné , à notre avis , une petite faute de ce genre
à M. Gin dans son Pindare. Le poète dit que les Dieux
cachent les maux de la vie sous les biens , tournant en
dehors ce qui est beau . Là dessus le commentateur et le
traducteur ajoutent ainsi qu'on cache en dessous la tache
qui dépare un vêtement. Ce vêtement et cette tache
rappellent une ruse du fripier. C'est comme si on se
servait de l'expression proverbiale , parer le panier , à
cause des marchands de fruits qui mettent les plus
beaux par- dessus . L'impétueux et sublime Pindare n'a
point de ces locutions vulgaires , et si un scoliaste
ose les lui prêter , il faut dédaigner le scoliaste .
Quand M. Gin donnera la Suite du discours de Bossuet
sur l'Histoire universelle , nous ne doutons pas
qu'il suive ce grand homme de moins loin que le faible
abbé de Parthenay ; mais si lui - même échouait dans
une si haute entreprise , il faudrait qu'il se consolât par
cette maxime d'un ancien : In magnis cecidisse decorum
est.
"
C'est dans un grand projet qu'il est beau de tomber.
B. V.
348 MERCURE DE FRANCE ,
APOLOGUES et Allégories chrétiennes , ou la
Morale de l'Evangile , développée et rendue
sensible dans quatre livres d'Apologues et
d'Allégories en vers français. Vol . in- 12 de
250 pages . Paris , chez Leclerc , quai des
Augustins.
UN livre de piété pourrait en même temps être un ouvrage
de littérature exquise. La piété et la poésie, s'entendant
ensemble , avanceraient mutuellement leurs affaires .
Mais la piété le plus souvent se cache , même pour édifier.
Cependant Racine et son fils , et J.-B. Rousseau ,
et même quelquefois Poinpignan , ont su sanctifier les
sons de la lyre , sans en affaiblir l'harmonie. Ces deux
beaux langages , religieux et poétiques , peuvent former
de si belles alliances . Corneille y échoua en traduisant
l'imitation en vers ; et que dirai - je de Racan , de
Godeau , du bon homme d'Andilly, et de tant d'autres :
Faibles rimeurs , et grands hommes de bien ,
Ensevelis au Parnasse chrétien.
Ou dans quelque autre semblable recueil ?
Il me paraît que la poésie sacrée ne s'est guère exercée
avec succès parmi nous , que sur David et les prophètes.On
tirerait un grand parti des descriptions du livre de Job.
Il y a , dans d'autres parties de la Bible , quelques apologues
faciles à revêtir de la forme poétique . L'auteur
de l'ouvrage que nous annonçons a puisé les siens dans
les similitudes et paraboles de l'Evangile , et a voulu y
appliquer la langue de notre inimitable fabuliste . Comme
nous connnaissons cet auteur , nous dirons qu'il joint la
VENTOSE AN X. 349
1
ce ,
candeur du bon La Fontaine aux vertus d'un homme apostolique
; surtout il en a la douceur ; on vante sa patienet
l'on n'accuse point son zèle . Mais a- t- il ce don
de raconter qui distingue l'immortel bon homme ? Nous
nous avançons jusqu'à dire qu'il en aurait un peu approché
, s'il s'était exercé davantage et de meilleure
heure. Il offre de temps en temps des traits de narration
excellente ; par exemple , le Voleur qui s'est emparé
d'une maison ( livre 3 , apol . 5 ) .
Ennuyé de passer ses jours
2 Dans les bois et parmi les ours
Ayant pour tout bien le pillage ,
Pour palais un antre sauvage ,
Un jour il observe un château
Sis à l'écart , et fort , et de grande apparence ,
Le choisit , sans façon , pour lieu de résidence ;
Et , chassant le Seigneur , s'y loge bel et beau.
Point ne fallut-il de notaire ,
De témoins , de tabellion :
Pour le mettre en possession ,
Un coup de main en fit l'affaire.
Le voilà là -dedans qui tranche , qui commande ,
Aux gens du logis fait la loi ,
Assaisonnant la réprimande
De mots qui répandent l'effroi :
Bat les valets , fait enfuir les servantes ,
Boit les bons vins , fait apporter les rentes , etc ..
Voici un autre récit ( même livre , apol . 12 ).
Un homme se mit en tête
De devenir opulent.
Il avait des amis , n'était pas sans talent :
Le voilà qui se lance ; il court , rien ne l'arrête ,
Ennemi , ni concurrent ,
Orage , vent ni tempête ;
Il devint riche et puissant
350 MERCURE DE FRANCE ,

En un clin d'oeil , et partant
Insolent.
Qu'importe ? de la roue il a gagné le faîte ;
Tout lui rit , chacun le fête ;
Il est au plus haut point de la prospérité.
Mais ....funeste retour cette félicité
Ne fut pas de longue durée .
- Vint la cruelle mort qui de lui fit curée .
Impitoyable mort ! ô mort dénaturée !
A peine il jouissait qu'il se vit emporté ,
Plus d'un voisin cessa de lui porter envie ;
Car , à quoi lui servit sa fortune arrondie ,
Ce palais , ce grand nom à grands frais acheté ,
Et tout cet éclat emprunté ? etc.
Terminons par Héraclite et Démocrite.
Après le dolent Héraclite ,
Qui de nos vices s'atristait ,
Parut le joyeux Démocrite
Qui seulement en plaisantait.
Héraclite pleurait sans cesse ;
Toujours Démocrite riait ,
Et chacun se glorifiait
D'avoir rencontré la sagesse .
Or , qui des deux avait raison ?
Je le laisse à juger. Seulement la tristesse ,
Si j'en crois l'Evangile , est ici de saison ,
Bien plus souvent que l'alégresse .
Quelques- uns de ces vers faciles auraient besoin d'être
encore retouchés. Dans le dernier , l'alégresse n'est pas
le mot. Le plaisir malin que prenait Démocrite , en riant
de nos travaux , n'est pas de l'alégresse . Quelques vers
plus haut , chacun est mis pour tous les deux , et ne signifie
pas la même chose ; car il fait une légère amphibologie.
Un plus grand défaut dans le cours de l'ouvrage
, c'est que le style de l'auteur ne se hâte pas
assez ; c'est toujours un malheur de paraître long. It
VENTOSE AN X. 351
s'embarrasse surtout , quand il veut arriver à la moralité
, à ce mot de l'Evangile qui doit consacrer son récit.
Que l'art des vers a de difficultés , même dans les plus
petites compositions ! Celles -là mêmes sont peut - être
celles qu'on veut plus parfaites . Mais la critique se taît ,
quand elle songe que c'est la vertu qui tint la plume .
Son temps appartient aux bonnes oeuvres , et elle abrége
les instants où elle se délasse.
B. V.
MES Souvenirs , ou Recueil de poésies fugitives
D'HOFFMAN
,
Beatus ille qui procul negotiis.
A Paris , chez Huet , libraire , rue Vivienne ,
n.º 8 ; et Charon , libraire , passage Feydeau .
HOFFMAN est connu par l'opéra d'Adrien , et surtout
par des opéras comiques , dont le style est plus soigné
que celui de ses rivaux dans un genre où l'on n'exige pas
un talent très - distingué pour les vers . On a retenu ces
deux vers de Stratonice , qui seraient remarqués dans un
ouvrage plus important.
La pitié d'une femme et , plus douce et plus tendre ,
Au coeur des malheureux sait mieux se faire entendre.
La plupart des poésies contenues dans le petit volume
que nous annonçons , avaient déja paru dans différents
recueils . On y trouve souvent des idées ingénieuses
; mais quelquefois aussi l'on peut y blâmer un
goût au moins très- bizarre. Voici , par exemple , le
352 MERCURE DE FRANCE ,
commencement d'une pièce intitulée : L'Origine du
drame.
Quand de Sapho les jeunes prosélites ,
Au coeur brûlant , aux regards hypocrites ,
Par les douceurs d'un art tout féminin ,
Charmaient l'ennui du sexe masculin ,
On n'a point vu leur fureur libertine
Se féconder de leurs baisers menteurs ;
Et de tout temps la matrone Lucine
A dédaigné leurs stériles ardeurs . *
Ces vers courraient les risques d'être obscènes , s'ils
étaient moins obscurs , et nous ne les avons cités que
dans l'espérance que nos lecteurs ne les entendront pas
plus que nous ; mais pour les réconcilier avec l'esprit
et le goût du C. Hoffman , nous leur offrirons deux
fables ingénieuses qui ne sont pas les seuls morceaux
de ce recueil digne d'estime et d'éloges .
LE MIROIR OU LE PORTRAIT.
FABLE .
Au temps jadis une femelle,
Sans agréments , sans esprit , sans beauté ,
Et pourtant pas sans vanité ,
Desira son portrait . Vint un enfant d'Apelle
Qui lorgna , dessina mais surtout qui vanta
Toutes les graces du modèle.
Vous êtes charmant , lui dit - elle ;
Mais ne me flattez pas , le peintre la flatta.
Le portrait fait , il l'apporta.
Dieux ! quel plaisir ! ô surprise charmante !
Mais c'est bien moi ! Mais , mais j'y suis parlante !
Parents , voisins , sont accourus ;
Qui répètent tous en chorus ,
VENTOSE AN X : 353
Il est parlant ! mais c'est à s'y méprendre.
Si ce n'est que Madame a l'air encor plus tendre ,
Le coloris plus frais , plus de feu dans les yeux ;
A cela près , le portrait est au mieux .
Ainsi dans l'art , croyant voir la nature ,
L'original admirait la peinture ,
Sans se lasser de la revoir ,
Quand , par malheur , la folle aperçut un miroir.
Ciel ! quelle horreur ! Dieux ! quelle glace impure !
Que ce verre est mauvais ! que ce miroir est faux !
Il m'a renversé la figure .
Vîte au miroir elle tourna le dos ,
Et caressa la mignature.

On chérit le flatteur qui cache nos défauts ;
On fuit l'ami qui les censure.
Nous avons souligné quelques expressions qui nous
ont paru défectueuses . Nous observons qu'on dit le
· coloris d'un tableau , mais non pas le coloris d'un visage.
Un autre fable nous a paru renfermer une sage moralité
dans des vers recommandables pour leur précision.
LA DOULEUR ET L'ENNUI.
FABLE .
MOURANT de faim , un pauvre se plaignait ;
Rassasié de tout , un riche s'ennuyait ;
Qui des deux souffrait d'avantage ?
Ecoutez sur ce point la maxime d'un sage :
De la douleur et de l'ennui
Connaissez bien la différence .
L'ennui ne laisse plus de desirs après lui ,
Mais la douleur près d'elle a toujours l'espérance .
D. E. Q.
7.
23
354 MERCURE DE FRANCE ,
LA
VARIÉTÉ S.
DES anciens et des modernes.
A longue querelle entre les anciens et les modernes
sur le mérite de leurs productions littéraires , n'a jamais
offert de résultat satisfaisant , parce qu'on s'est
obstiné à porter des jugements formels , au lieu de
procéder par arbitrage , et de chercher des compensations.
Avant de comparer la littérature ancienne et
la littérature moderne , il eût fallu peut-être examiner
si une comparaison entre elles était possible ; si notre
apologue était l'apologue des anciens , notre tragédie
la tragédie des anciens , notre épopée l'épopée des antiens
, notre société enfin la société des anciens. Car
la littérature est l'expression de la société , comme
la parole est l'expression de l'homme. C'est sur ce
sujet qui n'a peut - être pas été considéré dans ses principes
, que nous allons hasarder quelques réflexions ,
bien moins pour le traiter que pour l'indiquer.
La manière dont le poète fait agir et parler les personnages
de son poème ou les êtres qu'il personnifie ,
s'appelle les moeurs . Dans ce sens , il y a les moeurs des
animaux , les moeurs des plantes , les moeurs des hommes ,
les moeurs mêmes des dieux , si le poète . les met eu
scène. Il y a les moeurs de l'âge et les moeurs du sexe.
Ces moeurs sont bonnes , si elles expriment l'état naturel
de l'individu considéré sous tel ou tel rapport ;
elles sont mauvaises si elles expriment un autre état
que cet état naturel . Ce sont là les moeurs de l'individu
; mais la société a aussi les siennes , et comme
elle est domestique ou publique , les moeurs seront privées
ou publiques , et ces moeurs sociales seront bonnes
ou mauvaises , selon qu'elles exprimeront ou n'expriVENTOSE
AN X. 355
1
5
meront pas les rapports naturels des êtres en société.
Ainsi , si le poète représente une épouse dans un état
de société qui lui permette de se séparer de son époux
par le divorce , les moeurs domestiques sont mauvaises ,
quoique l'individu puisse n'être pas vicieux ; et de - là
vient qu'il ne faut pas un grand talent pour rendre
interessante au théâtre la fidélité conjugale , et que
tout l'art du monde ne peut y rendre le divorce même
supportable. C'est par la même raison qu'un héros
accompli d'ailleurs , est un personnage vil sur le théâtre ,
s'il est traître à son pays , parce que ses moeurs publiques
sont mauvaises .
>
A cette distinction générale de moeurs poétiques
en moeurs privées et en moeurs publiques , correspond
une distinction générale des ouvrages d'esprit en deux
genres : l'un , le genre familier et en quelque sorte domestique
, pastoral , géorgique , élégiaque , érotique ,
bachique , comique , qui chante les occupations , les
plaisirs , les peines de l'homme privé , et qui représente
les scènes de la vie domestique ; et le genre héroïque
qui célèbre les grands personnages et les grands
événements de la société publique , religieuse ou politique
. Ces deux genres se confondent quelquefois dans
ee genre mixte ou plutot bâtard qui forme la comédie
héroïque ou la tragédie bourgeoise ou drame , et où l'on
voit tantôt des hommes publics occupés de petits intérêts
, et tantôt des hommes privés livrés à de grandes passions
: l'unique raison du discrédit où ce genre est tombe.
La perfection du genre familier est le naturel naïf ,
dont l'excès est le puéril ou le niais ; la perfection du
genre héroïque est le naturel grand , élevé , appelé sublime
par excellence , et l'excès est le gigantesque , le
monstrueux. Les anciens , plus près des temps où les
nations n'étaient encore que des familles , ont excellé
dans le genre familier , et Homère surtout , offre , même
1
356 MERCURE DE FRANCE ;
}
dans son poème épique , des modèles accomplis du sublime
de naïveté . Les modernes , placés dans un état de
société plus avancé , ont excellé dans le genre hérʊique
, et Bossuet et Corneille entr'autres , offrent de
ces traits de grandeur sublime dont les anciens n'avaient
pas même l'idée . Je pourrais m'autoriser ici des réflexions
de M. de Voltaire , sur la tragédie. A mérite
égai d'expression , le genre héroïque l'emporte sur le familier.
Qui n'aimerait pas mieux avoir fait l'Énéide
que les Géorgiques , quoique les Géorgiques soient plus
parfaites ou du moins plus finies que l'Enéide ? A
mérite inégal , le familier l'emporte sur l'héroïque , et
l'on aimerait mieux avoir fait des idylles comme Théocrite
, ou des elégies comme Tibulie , que des poèmes
héroïques tels que l'Achilléide de Stace , ou l'Enlèvement
de Proserpine , par Claudien . La société passe de
l'état domestique à l'état public ; c'est là le progrès du
temps ; la littérature passe avec la société, de l'expression
familiere dans le genre , même héroïque , à l'expression
nobie et élevée même dans le genre familier ;
c'est là le progrès du goût.
Là , si je ne me trompe , est le point décisif du procès
, et le moyen d'accommodement.
Pour pouvoir comparer avec fruit la littérature ancienne
et la littérature moderne , il faut prendre les
deux extrêmes des deux genres , la poésie pastorale
pour le genre familier , la poésie épique pour le genre
héroique. La comparaison est facile , et elle sera extrêmement
exacte , car nous avons les idylles de Théocrite
les bucoliques de Virgile , et les pastorales de
Gessner , le coryphée de ce genre chez les modernes, et
nous avons pour l'épopée , l'Iliade , l'Enéide et la Jérusalem
délivrée. Or , en examinant avec attention ces
trois ouvrages à la fois , dans chaque genre , on remarque
l'enfance des genres dans les premiers , et au
VENTOSE AN X. 357
REP.FRA
temps de l'enfance de la société ; l'adolescence des
genres dans les seconds , et au temps de l'olescence.
de la société ; la virilité des genres dans leiste
et au temps de la perfection de la société. Eton
peut dire , en forme de proportion géométrie de
idylles de Théocrite , les bucoliques de Virgile
storales de Gessner sont entre elles dans les me
ports que les épopées d'Homère, de Virgile et du Tasse
Je ne parle pas des individus , qui sont , dans toutes ,
des bergers ou des héros , ni même des moeurs individuelles
, car tous ces poètes font agir et parler leurs
individus d'une manière relative à leur âge et à leur
sexe , mais des moeurs sociales , c'est -à -dire , des moeurs
de la famille et de celles de l'Etat .
Ainsi , dans Théocrite , les moeurs sont d'une simplicité
qui approche de la grossièreté , et il y a même,
sous le rapport des moeurs domestiques , un reproche
bien plus grave à lui faire , et dont Virgile n'est pas
exempt , quelque sens favorable qu'on donne aux amours
de Corydon et d'Alexis . Dans Gessner , on voit une nature
simple , mais décente , sans grossièreté et sans
Juxe , quia , à la fois , de la parure dans sa simplicité ,
et de la simplicité dans sa parure . Il est aisé de voir
que Virgile tient le milieu entre la simplicité inculte
de Théocrite, et la simplicité décente et parée de Gessner
. Les mêmes rapports se ' remarquent entre les trois
épopées ; je ne parle pas du sujet de chacune d'elles ;
il est , dans chaque poète, relatif au temps et à l'âge de
la société purement familier dans Homère , où il s'agit
d'une esclave enlevée à son maître , plus national
dans Virgile , c'est Rome dont son héros jette les fondements
; plus général dans le Tasse , c'est la religion
du monde civilisé , et qui doit devenir la religion du
monde entier , que les héros chrétiens vengent des outrages
des infidelles. Les objets , dans le Tasse ne sont
358
MERCURE DE FRANCE ,
pas au dessous de la majesté du sujet c'est l'Europa
entière , qui s'arrache de ses fondements pour tomber
sur l'Asie ; ce sont tous les rois de l'Europe qui vont
combattre tous les peuples de l'Orient : et , scus ce rapport
, Homère , et même Virgile , ne peuvent soutenir
la comparaison avec le Tasse qu'à la faveur de l'éloignement
des temps qui , comme la distance des lieux ,
a le privilégé d'agrandir de petits objets , et d'affaiblir
l'impression de très -grands événements .
Je viens aux moeurs des personnages de l'épopée ,
ou des hommes publics .
Agamemnon est brave et sait gouverner les peuples ;
ce sont des moeurs publiques bonnes dans un chef ,
mais , par son orgueil et sa brutalité , il indispose tous
ses alliés . Énée est brave et religieux , ses moeurs sont
meilleures , mais sa foile passion pour Didon lui fait
oublier la grandeur de ses destinées et les ordres des
dieux. Godefroi a toutes les qualités d'un héros et d'un
chef , sans aucun des vices ni des faiblesses de l'homme
privé ; sublime pensée du Tasse qui attribue la perfection
au chef , et laisse les faiblesses aux subalternes !
et ce beau poème est plein de ces grandes intentions.
Voltaire , dans la Henriade , donne des faiblesses à son
héros : l'histoire l'y autorisait , mais nos idées , plus justes
sur la société , ne le permettent peut - être plus ; et S.
Louis eût été beaucoup plus propre à l'épopée , si le
Tasse n'eût point épuisé le sujet des croisades , ou si
celle de S. Louis eût fini heureusement.
Les héros d'Homère s'occupent de détails domestiques
, ceux de Virgile s'amusent à des jeux , ceux du
Tasse éprouvent les tourments de l'amour.
Les faiblesses du coeur sont les seules passions de
l'homme privé qu'on puisse , sans déroger à la noblesse.
du genre héroïque , mêler aux scènes de la tragédie
ou aux récits de l'épopée. Les détails des besoins doVENTOSE
ÁN X. 359
mestiques , ou des jeux doivent en être bannis , parce
qu'ils sont des entraves ou des obstacles aux soins publics
, et qu'il est vrai de dire , dans un sens , que
l'homme public ne doit connaître ni besoins , ni jeux . Il
en est de ces détails dans la vie de l'homme public ,
comme de ces lieux destinés à apprêter les aliments ,
et que , dans un palais , on place au plus loin de la
chambre du conseil.
2
La valeur noble , généreuse , toujours la même , des
héros du Tasse , est préférable à la valeur brutale ,
grossière , féroce et souvent en défaut des héros d'Homère
; et l'on aperçoit sensiblement dans le Tasse
l'influence du droit des gens reçu chez les chrétiens ,
qui accorde à l'humanité tout ce qu'il peut accorder
sans rien ôter à la valeur . Les héros de Virgile , moins
civilisés que ceux du Tasse , sont moins grossiers que
ceux de l'Iliade. En général , on peut remarquer des
progrès sensibles dans la raison , d'Homère à Virgile ,
et de Virgile au Tasse . (Virgile est placé à égale distance
du siége de Troie et des croisades) . Ce progrès est surtout
sensible dans la philosophie du sixième livre du
poème latin , et dans les moeurs des divinités de l'Enéide
, comparées à celles des dieux d'Homère .
Ce sont là des vérités de tous les temps et de tous
les lieux , et qui ne seraient pas moins des véritės ,
quand elles auraient été défendues par la Mothe , ou
combattues par Despréaux . Racine , qui met en scène
le fier Atride et le bouillant Achille , leur donne les
mours que le Tasse donne à ses héros ; et Boileau ,
s'il eût fait un poème épique , dont le sujet eût été pris
dans la Grèce antique , n'eût pas donné à ses héros les
moeurs qu'Homère prête aux siens . Le poète , il est
vrai , peignait les moeurs de son temps , comme le barde
du nord peint les brouillards et les tempêtes de son
pays et peut - être est - ce le contraste d'une nature
360 MERCURE DE FRANCE ,
"
puérile et familière , et d'une expression très - élevée
et très - noble , qui est une des sources de notre admiration
pour ce grand poète : car rien ne nous plaît
autant que les contrastes . Homère a peint une nature
de société dans l'enfance ; Virgile une nature plus
avancée le Tasse une nature parfaite : il est l'extrême
d'Homère. Celui- ci a célébré les temps héroïques du
paganisme ; le Tasse a chanté les temps chevaleresques
de la chrétienté : ils ont suivi chacun leur siécle. « Dans
« le siécle d'Auguste , dit Terrasson , Homère n'eût pas
mis ou laissé tous ces dérangements de caractères
et de discours qui se trouvent dans son poème »
Mais Homère a- t - il mieux peint l'enfance de la société
, ou Virgile ses progrès , que le Tasse n'a peint sa
virilité ? C'est - là le point de la question ; et si , ainsi
posée , elle était décidée contre le Tasse versificateur ,
le Tasse poète pourrait en appeler , et demander que
J'on compensât l'infériorité de l'expression , avec des
beautés d'un autre ordre , et la supériorité de son sujet
et de son plan . On a dit , dans un journal , qu'Homère
est constamment épique , et que le Tasse vise au pastoral
; on a confondu les artistes et leurs instruments.
La langue d'Homère est plus héroïque que son sujet ,
et le sujet du Tasse plus héroïque que sa langue. La
langue italienne , faible , molle et sans dignité , ne convient
qu'au genre familier. Lorsqu'elle parle l'épopée ,
on croirait entendre jouer le vieil Horace par l'amou
feuse du théâtre italien. C'est Herminie qui prend les
armes d'Argant pour combattre Tancrède. Homère et
le Tasse sont deux musiciens , dont l'un joue quelquefois
une ariette sur des orgues , et l'autre une sonate
sur une musette. Aussi , remarquez que les reproches
que Despréaux fait au Tasse , portent principalement
sur les concetti de sa langue , et que ceux qu'Horace
fait à Homère tombent plutôt sur la conduite du poème .
VENTOSE AN X 361
Be-là vient qu'Homère et Virgile perdent tout à être
traduits , et que le Tasse y gagne peut -être , et que
son poème est meilleur dans toutes les langues de
l'Europe qui sont plus mâles et plus héroïques que la
sienne..
Les mêmes rapports , absolument les mêmes que nous
avons remarqués dans le caractère de la pastorale et
de l'épopée antiques , nous les retrouverions , et plus
marqués peut-être , dans la tragédie grecque , comparée
à la tragédie française , où il y a bien plus d'art , d'intérêt
et d'action , des moeurs bien plus nobles et bien
plus soutenues dans le genre élevé ; mais ici nous ne
pourrions en faire la comparaison avec la tragédie latine.
Les six qui nous restent ne peuvent y servir , et
sans doute , comme les Romains n'osaient pas mettre
leurs anciens rois sur la scène , et qu'il n'était pas permis
d'y présenter les magistrats de la république , obligés
de prendre leurs sujets dans l'histoire grecque , ils
ne pouvaient que copier les Grecs . La comédie permettrait
plutôt ce parallèle. La bouffonnerie d'Aristophane
, la décence de Térence , l'élevation de Molière
et de nos bons comiques , dans le Misanthrope , le Glorieux
, le Méchant , dont le genre noble , sans être héroïque
, n'était pas connu des anciens , nous donneraient
nos trois termes de l'enfance , de l'adolescence et de
la virilité . Nous les retrouverions aussi distinctement
marqués dans la nudité d'Esope , dans la simplicité
de Phedre et dans les graces de La Fontaine ; enfin
les épigrammes de l'anthologie , celles de Martial et
les nôtres nous offriraient les mêmes points de comparaison
.
En un mot , et pour nous résumer , les anciens ont
trop souvent rabaissé le genre héroique par des détails.
d'une excessive familiarité , et les modernes ont relevé
le geure même familier par la noblesse , et même la
362 MERCURE DE FRANCE ,
dignité des détails . Dans La Fontaine , le chêne et le
roseau , ou la belette et le lapin parlent plus décemment
que les héros de l'Iliade.
«
Le christianisme n'est pas étranger à ces progrès de
l'art ; et , puisqu'il est incontestablement la cause des
progrès de la société , il l'est nécessairement de ceux
de la littérature . Le christianisme a donc aussi son
génie même poétique , et c'est ce qui nous sera incessamment
démontré. « Le fil du bon goût , dit Terrasson
, vient des Grecs , plus châtié par les Latins , et
« porté à sa perfection , du moins quant à sa théorie ,
par les Français . Les ennemis de l'érudition voudraient
nous faire perdre la première moitié de ce
fil , et l'admiration outrée pour les anciens nous ferait
perdre la dernière . » Nihil majus præstandum est ,
dit Sénèque , quàm ne , pecorum ritu , antecedentium
gregem sequamur , pergentes non quà eundum est , sed
quà itur.
«
"
B. auteur du Précis sur l'État de l'Europe.
SPECTACLES.
THEATRE FRANÇAIS DE LA RÉPUBLIQUE .
TALMA.et
ALMA et Mlle Vanhove sont revenus de Lyon , et
ils ont tous deux reparu à ce théâtre dans l'Andromaque .
de Racine.
THEATRE DUDU VAUDEVILLE.
SOPHIE , ou la Malade qui se porte bien , n’à eu
qu'un demi - succès . Un tuteur dupé , un amant travesti
ne pouvaient guère offrir qu'une intrigue de vieille
comédie ; mais il nous semble qu'elle aurait pu être
rajeunie , avec plus d'esprit et de grace , par l'aimable
auteur de l'Opéra- Comique. 0.
VENTOSE AN X. 363
ANNON. C E S.
BULLETIN de l'Institut de jurisprudence et d'économie
politique. Première livraison *..
Les anciennes écoles de droit sont peut-être de tous
les établissements que la révolution à renversés , ceux
qui excitent le moins de regrets. Cependant , ici comme
ailleurs , il fallait réformer les abus , et non pas détruire
P'institution . Aussi le gouvernement a senti la nécessité
de ces écoles. Il en promet de nouvelles , et sans doute
elles seraient établies , si leur formation ne devait concourir
avec les nouveaux codes civil , criminel et commercial
, que la France sollicite. En attendant , les
institutions particulières qui conservent et transmettent
les principes de cette science , appelée autrefois la science
des choses divines et humaines , et qui portent la lumière
au milieu du chaos de notre législation actuelle , ne
sauraient être trop encouragées .
L'Institut de Jurisprudence et d'économie politique ,
paraît surtout mériter la confiance . Cet établissement ,
autorisé l'année dernière par le ministre de l'intérieur ,
a commencé ses cours et obtenu des succès. Le directeur
est le C. Lamourque , jurisconsulte et ancien magistrat.
L'enseignement est distribué en cinq cours.
Le premier , de législation naturelle et d'économie
politique , par le C. Perreau , membre du Tribonat ;
Le second , de droit romain et français , par le C. Bernardy,
jurisconsulte , chef de division au ministère de
la justice ;
Le troisième , de jurisprudence - pratique , ou procédure,
par le C. Pirault-Deschaumes, jurisconsulte , avoué
près le tribunal de la Seine ;
* Le Bulletin de l'Institut et le Journal de Jurisprudence
, fout chacun dix à douze feuilles , suivant l'abondance
des matières , format in - 8. ° , caractère de cicéro . Le
Bulletin paraît le premier , et le Journal , le 15 de chaque
inois. Le prix de l'abonnement , soit au Bulletin , soit au
Journal, est de 30 fr. pour un an , 15 fr. pour six mois
et 7 fr. 55 cent. pour trois mois . Tous les renseignements ,
demandes , lettres , abonnements , envois de fonds , seront
adresses , franc de port , au directeur général , quai Voltaire,
hôtel Labriffe , n .° 2. A Paris.
364
MERCURE
DE
FRANCE
,
1
Le quatrième , de législation criminelle , par le C. Morand
, jurisconsulte , professeur à l'école centrale de la
rue Saint- Antoine ;
Le cinquième , de logique et d'éloquence , par le C.
Gallais , hommes de lettres , ancien professeur.
Les cours finissent le 30 fructidor de chaque année .
L'abonnement à la totalité des cours , comme à un
seul , est de 100 fr. pour leur durée , qui est de dix
mois. Cette somme est payable par cinquième , de deux
mois en deux mois , et d'avance .
UNE année mémorable de la vie d'Auguste de Kotzebue,
publiée par lui - même. 2. ° édition orignale , revue et
corrigée. 2 vol . in - 12 . Prix , 2 fr. 50 cent. , et 3 fr.
60 cent. franc de port. A Paris , chez Henrichs , à
l'ancienne librairie de Dupont , rue de la Loi . An
10-1802.
DICTIONNAIRE botanique et pharmaceutique , contenant
les principales propriétés des minéraux , des
végétaux et des animaux , avec les préparations de
pharmacie , internes et externes , les plus usitées en
médecine et en chirurgie , d'après les meilleurs auteurs
, et surtout d'après les modernes ; par une société
de médecins , de pharmaciens et de naturalistes.
Grand in- 8.º , divisé en deux parties , imprimé sur
beau papier , en caractère petit romain neuf , avec
17 grandes planches , divisées dans l'ouvrage , sortant
du livre , et représentant 278 plantes gravées avec
le plus grand soin . Le prix de ces 2 vol . , brochés en
carton et étiquetés , est de 12 fr. , et 15 fr. pour les
départements , brochés en papier , la poste ne se chargeant
pas de brochures en carton . A Paris , chez J. Fr.
Bastien , rue des Poitevins , n.º 18 ; et chez Boiste ,
imprimeur , rue Hautefeuille , n . ° 21 .
Beaucoup d'éditions de cet ouvrage , faites à Paris et
ailleurs , assurent le succès de cette nouvelle , entièrement
refondue et augmentée . Elle en differe encore par
le format, qui est grand in - 8.º , un vocabulaire , les tables,
les figures qui y sont ajoutées pour la première fois , etc.
Cet ouvrage , indistinctement utile et presque nécessaire
à tout le monde , convient particulièrement aux
médecins , aux chirurgiens , aux pharmaciens , et surtout
à ceux qui veulent se soigner eux-mêmes dans beaucoup
de maladies.
VENTOSE AN X. 365
METROLOGIES constitutionnelle et primitive , comparées
entre elles et avec la Métrologie d'ordonnances ;
ouvrage approuvé par l'Institut national en l'an 6. 2 v.
in-4.° ; par le C. Lesparat , ancien jurisconsulte.
"
"
"
"
L'auteur appelle Métrologie constitutionnelle notre
système métrique décimal ; Mesures d'ordonnances
celles qui étaient en usage en France avant le nouveau
système , et dont la valeur a été fixée par des
lois ou par des jugements, à différentes époques de la
« monarchie ; enfin , il appelle Métrologie primitive
celle d'un peuple primitif qui aurait pris la base de
" son système métrique dans la grandeur de la terre. »
"
L'auteur présente dans un très - grand détail l'exposition
des poids et mesures propres à chacune des trois
métrologies , leurs évaluations rigoureuses , et des tables
qui les résument , le tout rapporté d'abord au metre
provisoire des trois dimensions , et au kilogramme provisoire
, puis au mètre et au kilogramme définitifs .
Il donne , en outre , la description d'un compas graphique
dont les différentes ouvertures forment , au
moyen de l'équerre cursive adaptée à l'une de ses branches
, toutes les échelles graphiques possibles.
L'Institut national vient récemment encore de témoigner
au C. Lesparat , par l'organe d'un de ses secrétaires
, combien il était satisfait de cet intéressant
ouvrage. Il est tiré à 750 exemplaires seulement , imprimé
in- 4 ° , sur beau papier carré , avec un caractère
Saint-Augustin neuf , et se vend chez Jansen , rue des
Maçons - Sorbonne. Prix , pour le particulier , 18 fr.
VOCABULAIRE français ou Dictionnaire portatif de la
langue française , extrait du grand Dictionnaire de
l'Académie française ; contenant une definition claire
et précise de tous les mots usités , leur genre , et les
différentes acceptions dans lesquelles ils sont ou peuvent
être employés , tant au sens propre , qu'au sens
figuré. 4.me édition , augmentée de tous les mots
nouveaux , au nombre de plus de 6000 adoptés par l'usage
, et de ceux créés pendant le cours de la révotion
qui ne se trouvent point dans le Dictionnaire de
l'Académie précédés d'une table pour la conjugaison
des verbes , de remarques sur la formation des
temps ou modes de chaque verbe et des essais de
366 MERCURE DE FRANCE ,
1
Grammaire , par d'Olivet. On trouvera à la fin de chaque
volume un Vocabulaire géographique très étendu,
dans lequel on a indiqué les principaux changements
arrivés dans les quatre parties du monde , et particulièrement
la nouvelle division de la France en départements
, préfectures , sous-préfectures. Deux vol .
in-8. ° à deux colonnes , en petit caractère. Prix , 7 fr.
50 cent. A Paris , chez Calixte Volland , libraire ,
quai des Augustins , n.º 25. An 10. — 1862 .
LE Buffon des écoles , à l'usage de la jeunesse , ou
Histoire naturelle calquée sur la classification des
animaux par Linnæus , avec des descriptions familières
, comme celles de Goldsmith , Buffon et Pen- .
nant , traduit de l'anglais de Guillaume Mavor , docteur
en droit , vicaire de Hurley , etc. Orné de 103
figures en taille - douce . 2 vol . in - 12 . A Paris , chez
Gueffier jeune , et au cabinet de lecture , boulevart
Cérutti , n . 21. An 10-1802 .
On peut dire que ce livre justifie son titre , Buffon
des écoles , à l'usage de la jeunesse , et c'est en faire
un assez grand éloge . Car il faudra qu'il contente l'imagination
avide et curieuse des enfants , qu'il leur donne
au moins assez de connaissances pour exciter en eux le
desir de l'instruction ; il faudra surtout qu'il satisfasse
à ce précepte , trop oublié , de Quintilien Maxima
debetur puero reverentia. L'ouvrage de Guillaume Mavor
remplit toutes ces conditions. Aussi est-ce l'ouvrage
d'un père , adressé à son enfant .
"
:
*
Pour inspirer la confiance que mérite le Buffon des
écoles il suffirait de dire qu'à l'exemple de notre
Pluche , et comme a fait récemment Louis Despréaux
dans son estimable ouvrage des Leçons de la Nature
l'auteur anglais , en même temps qu'il éclaire l'esprit
et enrichit l'imagination , songe à nourrir le coeur de
la pensée du dieu qui créa la mousse et l'Univers.
Ainsi Racine faisait dire à l'enfant des rois :
Aux petits des oiseaux il donne leur pâturé ,
Et sa bouté s'étend sur toute la nature.
Sans doute l'Histoire naturelle , étudiée sous ce point
* Ou Histoire , naturelle physique et la chimie , appliquée
à l'esprit et au coeur. A Paris , chez la veuve Ayon ,
ruc du Jardinet .
VENTOSE AN X. 367'
de vue , mérite tous les éloges qu'on prodigue à cette
science , et toutes les recherches des Buffon , des Dolomieu
, des Fourcroy .
TRAITE des plaies d'armes à feu , dans lequel on démontre
l'inutilité de l'amputation des membres , à la
suite des blessures faites par les coups de fusils , et
l'inutilité générale de cette opération dans le plus
grand nombre des autres cas ; par Jean Mchée , médecin
et professeur à l'hopital militaire d'instruction
du Val- de-Grace , etc, A Paris , chez Gabon , Donier
et Gérardin , libraires.

Ce traité est divisé en trois parties : la première se
borne à l'examen des accidents qui accompagnent les
coups d'armes à feu : ces accidents sont primitifs ou
consécutifs ; l'auteur réduit les premiers à la contusion
et à la commotion , et quelquefois y comprend la lésion
des parties ; les seconds varient suivant la nature
de l'instrument , la partie qu'il a frappée , la gravité
de la blessure , etc. L'auteur pose ensuite les principes
généraux d'un traitement méthodique , pour en faire
P'application dans la troisième partie : c'est là , que parcourant
en détail les différents cas où une balle a frappé
un membre , soit dans le corps de l'os , soit dans l'articulation
, il établit , d'après sa théorie , et par un grand
nombre d'observations qui lui sont propres ou qui lui
ont été fournies par des auteurs estimés , que jamais
les désordres qui suivent ces blessures ne peuvent nécessiter
l'amputation ; que la gangrène même qui survient
quelquefois ne doit pas faire recourir à ce moyen
extrême , et peut céder à un traitement convenable. Cependant
il ne partage point l'opinion exagérée de ceux
qui , dans tous les cas , ont voulu proscrire l'amputation
. Dans les coups de fen où la contusion est si forte
qu'elle doit nécessairement produire la gangrène et la
mortification , il juge que l'unique ressource est dans
l'amputation , et il fixe sagement l'époque où elle doit
être pratiquée . Cet ouvrage , écrit avec inéthode, où les
préceptes sont moins fondés sur des théories , toujours
incertaines , que sur des faits nombreux et précis , se
recommande également aux méditations des gens de
l'art , par l'importance de sou objet et par la manière
dont il est traité.
368 MERCURE DE FRANCE ;
――
Du retour à la Religion . I fr. , et 1 fr. 25 cent. , frans
de port. A Paris , de l'imprimerie de Giguet et Michaud
, rue des Bons- Enfants , n.º 6. - 1802 .
Brochure de quelques pages , et que la dédicace recommande
assez . L'auteur s'adresse à BONAPARTE.
« La richesse et la paix proclament votre nom sur tout
le globe. La voix de la renommée s'empresse à publier
vos exploits : celle de la reconnaissance bénit vos succès!
Au milieu de ce concours d'actions de graces , une
voix céleste se fait entendre et vous dit : « Examinez
les faits , étudiez les causes , et pendant que vous verrez
les empires tomber presque d'eux -mêmes , et la religion
se soutenir par sa propre force , vous connaîtrez aisément
qu'elle est la solide grandeur , et où un homme
sensé doit mettre son espérance ( Bossuet , disc. sur
l'Hist. univ.)
L'auteur a considéré la religion comme bienfaictrice
du genre humain pertransit benefaciendo . Il a voulu
prouver qu'elle importe également aux nations et aux
individus , au philosophe et à l'homme du peuple . Il a
réussi .
MYTHOLOGIE des enfants ; par J. B. A. B ……….
.... " exagrégé
de l'université de Paris . Chez Debray , palais
du Tribunat , n. ° 235 , ou à son dépot , place du Muséum
, n.º 9 ; de l'imprimerie de Gillé fils . An X-
1802 .
NOUVEAU dictionnaire de poche de la langue française
, avec la prononciation ; composé sur le système
orthographique de Voltaire , par P. Catineau ; contenant
les principes de la langue française , un traité
de prononciation , des remarques sur les signes
orthographiques , un paradigme des conjugaisons ,
qui les réduit presque toutes à une seule ; la liste des
verbes réguliers et irréguliers , etc. , etc.; plus de cinq
mille mots , ou omis dans les dictionnaires même
les plus estimés , ou francisés depuis peu d'années .
Prix , 7 fr. , relié , broché , 6 fr . , et franc de port , 7 fr.
A Paris , chez Batilliot père , rue du Cimetière- Saint-
André- des-Arcs ; Batilliot fils rue du Foin - Saint-
Jacques , et Batilliot jeune , rue Hautefeuille . - An
10-1802 .
VENTOSE AN X. 369
}
POLITIQU E.
EXTÉRIEUR.
1
SUITE du Précis sur l'état de l'Europe et de
la Pologne.
CEPENDANT la Pologne , à la veille de sa perté , cherchait
un remède à ses maux. En 1771 , le comte Wielhorski
demanda à J. J. Rousseau un plan de constitution , et ,
dans le même temps , d'autres Polonais , ou peut- être
le même seigneur , s'adressèrent à l'abbé de Mably.
Cette demande prouvait plus d'amour de la patrie que
de lumières politiques . On peut demander à l'homme
un plan d'administration , mais on ne doit demander
une constitution de société qu'à la nature ; et
ces bons polonais faisaient comme des malades qui
prieraient un médecin de leur faire un tempérament ,
au lieu de le consulter sur le régime qu'ils doivent
suivre. Ils n'avaient qu'à jeter les yeux sur
l'Europe , et voir où il y avait le plus de force , de
paix , de lumières , d'amabilité , où était le clergé le
plus instruit , la magistrature la plus grave , le militaire
le plus dévoué , où il y avait plus de freins à la
violence , plus de secours pour la faiblesse ; et , s'ils
ne voulaient pas chercher des modèles au loin , ils
n'avaient qu'à lire leur propre histoire et se rappeler
les temps où ils se soutenaient à forces égales contre
leurs voisins , malgré des vices nombreux d'administration
et même quelques défauts de constitution qui
tenaient à l'âge de leur société , une des plus jeunes
7.
24
370 MERCURE DE FRANCE,
se
de l'Europe. Mais les idées philosophiques avaient
germé en Pologne , et même , plus que partout ailleurs
, chez ces magnats opulents et oisifs qui ne
voyaient la liberté de la nation que dans leur propre
indépendance , et la prospérité publique que dans leur
puissance individuelle . Quoi qu'il en soit , nos deux
philosophes , érigés tout - à - coup en législateurs
regardèrent comme ces sages de l'antiquité à qui les
peuples demandaient des institutions , ou qui parcouraient
le pays , distribuant des lois sur leur passage ,
et ils écrivirent l'un et l'autre sur le gouvernement
qui convenait à la Pologne , quoique J. J. Rousseau
déclarât modestement « que , dans toute la vigueur de sa
tête , il n'aurait pu saisir l'ensemble de ces grands
rapports , et qu'au moment qu'il écrivait , il lui restait
à peine la faculté de lier deux idées. *
"
"
Il y a peu de lectures plus amusantes pour un observateur
que celle de ces deux écrits , lorsqu'on les
rapproche des événements qui se sont passés en Europe
depuis qu'ils ont paru. Nous croyons entrer dans
l'esprit d'un journal consacré à répandre l'instruction ,
en comparant entre elles et avec l'état présent des choses,
ces deux législations philosophiques , semblables dans
les principes , différentes dans les formes , selon la diversité
d'état et de caractère de leurs auteurs . Ce rapprochement
est d'autant plus instructif qu'on y retrouve
la théorie de nos deux révolutions législatives ,
celle de 1789 et celle de 1793 ; la première , faite
* J'ai sous les yeux l'édition in-8.º de Mably , faite
à Londres , 1789 , tome 8. Ce que j'ai à en citer paraîtra si dépourvu
de raison , que je suis quelquefois tenté de supposer,
en lisant la date de l'édition , que les disciples de l'auteur en
France ont altéré son texte à l'iustant qu'ils voulaient en
faire usage , et qu'ils nous ont donné leurs projets pour les
opinions de leur maître.
VENTOSE ANNXX.. 371
d'après les principes de Mably ; la seconde , d'après
ceux de J. J. Rousseau , pris à la rigueur. Si les bornes.
d'un article nous permettaient de donner à cette discussion
tout le développement dont elle est susceptible , il
n'y aurait pas , nous osons l'assurer , de meilleur traité de
droit politique que la comparaison et la réfutation de
ces deux systèmes sur le gouvernement de Pologne ;
l'un , celui de J. Jacques , composé avec chaleur , écrit
avec force , et où brillent quelquefois des lueurs de
raison et même de génie ; l'autre , diffus et froid comme
une mer de glace , ouvrage d'un auteur chagrin et pédantesque
, dont l'esprit est étroit , mais dont l'orgueil est
sans bornes. Mably ne saurait faire un pas , s'il n'a ,
d'un côté , les Grecs et les Romains pour en admiret
tout , et , de l'autre , les modernes pour y tout censurer ,
Ces deux écrits sont d'autant plus intéressants à lire ;
qu'ils sont l'un et l'autre l'application des théories
politiques de leurs auteurs à un gouvernement particulier
, et c'est ce qui fait qu'elles nous paraissent aujourd'hui
si ridicules semblables à ces mécaniques
mal organisées où tout se remue , et où rien ne joue.
K
Les deux législateurs partent également de ce principe
, que le chef d'une nation est nécessairement l'ennemi
de sa liberté et de ses lois. « Tout législateur ,
dit Mably , doit partir de ce principe que la puis-
" sance exécutrice a été , est et sera éternellement
« l'ennemie de la puissance législative ; proposition
aussi raisonnable que si l'on disait que l'action dans
l'homme a été , est et sera éternellement l'ennemie de
la volonté. J. J. Rousseau qui s'était moqué , dans le
Contrat social , de cette division de pouvoirs introduite
par M. de Montesquieu , qu'il compare , sans respect
pour sa réputation , à ces charlatants du Japon qui
dépècent un enfant et le font reparaître vivant n'avait
garde d'employer , au moins sans correctif, les ex372
MERCURE DE FRANCE ,
*
"
pressions de puissance législative et de puissance exécutrice
dont Mably se sert ; mais il présente au fond la
même idée en d'autres termes : « C'est un grand mal
que le chef d'une nation soit l'ennemi né de sa
« liberté dont il devrait être le défenseur. » Cependant
, plus raisonnable que Mably , il ajoute : « que
་་
»
ce mal n'est pas tellement inhérent à cette place
" qu'on ne puisse l'en détacher ; car J. J. Rousseau
pense juste toutes les fois que son imagination , ce qui
est rare , n'égare pas sa raison.
Ce principe posé , la législation faite pour rendre
unes les volontés et les actions , pour réunir tous les
hommes dans la société , suivant cette maxime du
grand maître , que tout royaume divisé contre lui-même
sera détruit , ne pouvait plus être que l'art d'organiser
la division et de régulariser le désordre ; et des philosophes
ne faisaient que mettre en pratique l'axiome
favori des tyrans , divide et impera . Dès - lors Mably et
Rousseau , s'ils différaient entre eux , ne pouvaient différer
que dans les moyens ; plus décidés et plus expéditifs
chez le Genévois , plus lents , plus timides chez
l'ecclésiastique , mais tout aussi efficaces .
Mably , par lequel je commence , parce qu'on a commencé
en France par ses principes , Mably , avant
tout , conseille fort sagement aux Polonais , divisés ,
battus , qui n'on : ni argent , ni troupes , de chasser
de leur territoire les armées russes , et , dans tout
le cours de son ouvrage , il leur donne les moyens les
plus sûrs d'éterniser chez eux l'influence de la Russie.
Dans ses idées de collége , il veut faire de la diète de
Pologne le sénat romain , et l'on dirait qu'il prend la
puissance de la Russie , de l'Autriche et de la Prusse ,
comparée à celle de la Pologne , pour les forces de
Tigrane , de Persée ou d'Antiochus , comparées à
celles des Romains.
VENTOSE AN X.
373
P
К
"
Le premier et le plus important des soins du légis-.
lateur est la formation d'une puissance législative « dont
l'anéantissement , dit - il , est la cause de tous les
maux dont la république se plaint » : Comme si la
Pologne , comme si un État qui a un chef et des ministres
, eût jamais manqué de lois , et n'eût pas plutôt
besoin de force pour les faire exécuter. Il établit donc
une puissance législative , mais une puissance « armée ,
dit- il lui - même , d'une force à laquelle rien ne puisse
« résister. » Et même , craignant qu'elle n'étrangle les
lois , c'est son expression , lorsqu'il devrait craindre
qu'elle n'étouffe la nation , il regarde comme un reste de
l'ancienne barbarie des Sarmates le terme fixé à la diète
pour sa session , ce qui prouve seulement que les Sarmates
s'entendaient mieux en législation que les philosophes
. Nous avons vu en France , en 1789 , cette
puissance législative , infinie dans sa puissance et illimitée
dans sa durée.
46
Cette puissance législative , Mably la place dans
l'ordre équestre assemblé en diète générale , qu'il rend
très -nombreuse , pour qu'il y ait sans doute plus d'unité
dans les résolutions ; comme pour donner plus d'ensemble
à la puissance exécutrice , il la rend multiple
et l'attribue au sénat et au roi à la fois . L'objet perpétuel
de ses craintes est que cette puissance législative
, résidant dans un corps riche et nombreux , ne
soit entravée dans le développement de son énorme
pouvoir. Je voudrais , dit - il , qu'on déclarât de la
manière la plus solennelle que le roi , les sénateurs
« et les ministres n'ont aucun droit de s'opposer aux
résolutions de la diète générale , et que l'espèce
d'hommage qu'elle leur rend avant de se séparer ,
« n'est dans le fond qu'une façon polie de leur communiquer
les lois de la nation , et les lois qu'ils
doivent observer eux- mêmes en veillant à leur exé-
"
"
K
B
་་
374
MERCURE DE FRANCE ,
« cution dans les palatinats de la république. » Touț
ceci est écrit , en 1771 , du château de Liancourt , et
Fon voit que Mably , dans sa constitution philosophique
, n'oubliait rien de ce que nous avons vu depuis
, pas même les politesses dérisoires qu'on prodigue
à un pouvoir humilié .
Mably a investi la puissance législative d'une force
prodigieuse , d'un pouvoir monstrueux ; il songe un peu
tard à l'abus qu'elle peut en faire , et les freins qu'il
lui oppose sont capables de le prévenir , comme quelques
gouttes d'eau d'empêcher l'éruption d'un volcan .
"
་ ་
་་
"
W
Mais , continue- t- il , après avoir donné à la diète
générale tous les droits de la souveraineté , c'est-àdire
, le pouvoir de faire de nouvelles lois , de changer
, modifier et annuller les anciennes , il faut
" songer, autant que le permet la dépravation actuelle
des moeurs , à disposer de telle manière la police ,
le régime et tous les mouvements de la diète , qu'elle
" ne puisse se servir de sa souveraineté que pour le
plus grand bonheur de la nation . » C'est avec cette
simplicité , vraiment enfantine , que Mably veut contenir
, par des règlements de police , un corps légalement
investi de la puissance de faire des lois même
constitutionnelles , et qu'il croit qu'il est aussi aisé à
l'homme de dire aux passions humaines lancées dans
l'arène de l'ambition : « Vous respecterez cette limite , "
qu'il l'a été au Créateur de dire à la mer : « Tu vien-
« dras jusqu'ici , et tu n'iras pas plus loin. »
"
Avant d'opposer des freins à l'abus de ce pouvoir ,
Mably commence par ôter tous les obstacles qui pourraient
en gêner l'exercice. Il s'élève contre le liberum
veto , qu'un seul noble , nonce à la diète , pouvait opposer
aux résolutions de l'assemblée entière ; droit
assez récent , remède désespéré au danger toujours imminent
d'une diète factieuse , et qui peut - être en
VENTOSE AN X. 375
5.
cen
1
"
.
«
61
avait jusque - là préservé la Pologne ; droit enfin
dont l'abus de la part d'un seul n'était guère à craindre
en présence d'une assemblée où tous siégeajent le sabre
au côté. C'est encore dans les mêmes vues que Mably
proscrit l'usage de ces confédérations armées , Autre
liberum veto plus efficace , et qui , pareil à l'insurrection
de Crète , ne défendait la nation de l'extrême oppres
sion que par l'extrême désordre. C'est pour cont
balancer ces moyens terribles d'opposition , moins forts
encore que la puissance qu'ils avaient à combattre ,
que Mably prescrit gravement : « que tous les nonces
(dont il a eu la précaution de rendre la personne
inviolable et même sucrée ) , tenant la main sur
l'évangile , prêteront serment d'observer les lois fondamentales
, et même celles qu'ils doivent faire et
qui ne sont pas encore connues ; « que si un nonce
« porte l'oubli de ses devoirs jusqu'à mettre le sabre
à la main , il doit être déclaré coupable de lèse majesté
, parce qu'il a porté atteinte à la majesté de la
nation. Cependant telle est la force de cette législation
, que si une diétine * intraitable s'obstinait à rejeter
une loi émanée de cette puissance à laquelle rien ne doit
résister , il vaudrait mieux ne pas l'y soumettre . » En
sorte que le même législateur qui ne veut pas de confédérations
contre les lois , autorise les résistances. Il
n'est pas hors de propos de remarquer que nos athées
de 1793 ne savaient nous lier que par des serments
qui ne sont rien , si on ne les fait à la Divinité ; et que
Mably , fortement soupçonné de déïsme , ne trouvait
pas de plus sûr garant des engagements publics que
l'évangile. Continuons.
"
24

"
Mais c'est surtout dans l'organisation de la puissance
exécutrice que paraissent également , et les petites
craintes du législateur , et le petit esprit du philosophe .
* Assemblée particulière d'une province .
376 MERCURE DE FRANCE ,
7
"
с
"
Mably la place dans un sénat dont la composition ,
très-indifférente en elle -même , ne mérite pas de nous
arrêter. Le roi ne doit en être que le président ; première
inconséquence , car s'il ne fallait qu'un président ,
tout membre du sénat était bon pour cette fonction ,
mais ce qui est plus inconséquent encore ,
c'est que
Mably le veut héréditaire. « J'ose avancer , dit - il ,
que , dans la situation actuelle des choses , il importe
de rendre , en Pologne , la couronne héréditaire
, et quelque révoltante que paraisse d'abord
cette proposition , je prie M. le Comte et ses amis
de suspendre leur colère et d'avoir la patience d'écouter
et de discuter mes raisons. En effet , il les
déduit fort au long , comme s'il était besoin de prouver
le danger de l'élection ou les maux de la Pologne . Mais
on peut se reposer sur l'écrivain , du soin de rendre
la royauté nulle et l'hérédité même illusoire . Mably
qui s'enrapporte avee tant d'abandon au serment civique
d'une multitude de nonces , n'a la même confiance
à celui qu'un seul homme doit prêter en présence
de toute la nation , d'observer les pacta conventa ;
et il entrave de toutes les manières ce malheureux être
Joyal placé , en apparence à la tête , et réellement aux
pieds de la nation .
་་
་ ་
"
«
"}
pas
D'abord , dit- il , il faut bien se garder d'imiter
l'exemple des Anglais qui ont mis entre les mains
de leur prince de grandes richesses . Plus la liste
civile sera petite , plus la loi qui l'aura réglée appro-
« chera de la perfection. » Ce qui pourrait aller , comme
l'on voit , jusqu'à la pauvreté absolue . Non-seulement la
liste civile sera petite , mais de peur qu'elle ne s'accroisse
insensiblement, le revenu royal he sera pas établi sur des
fonds de terre. Tout est prévir 2 « surtout , ajoute le
sévère législateur , défense absolue d'acquitter les
# dettes du roi , sous quelque prétexte , ni raison que
VENTOSE AN X. 377
8
"
"
ce puisse être. » La république doit hériter de tout
l'argent qu'il pourra laisser ( un roi héréditaire ! ) « On
" sent aisément l'esprit de ces lois , et l'on ne veut
pas que le prince puisse se servir de ces richesses.
pour débaucher les citoyens et les attacher à ses
intérêts. Et , à ce propos , il cite le gouvernement
anglais avec aussi peu de raison que de connaissance .
Non-seulement le roi n'aura pas l'influence que donne
la richesse , mais il n'aura pas celle que donne la nomination
aux emplois. « Dignités ecclésiastiques , civiles
et militaires , starosties , biens royaux , tout doit être
'« conféré, si vous voulez , au nom du prince , et donné
« véritablement par la diète et le sénat , qui doivent
" présenter trois candidats pour les places inférieures
« commé pour les supérieures , entre lesquels le roi
choisira ..... Mais comme il pourrait arriver que le
prince eût l'esprit gauche et le coeur dépravé , il
serait à propos de statuer que quand un candidat
« serait recommandé pour la troisième fois par la diète
" ou le sénat , il serait du bon plaisir du roi de le préférer
à ses concurrents . "
"
"
(f
<c
Rassasé par toutes ces précautions auxquelles certainement
on n'aurait pu rien ajouter , s'il eût été
question de conférer la royauté de la Pologne au kan
des Tartares , Mably dit gravement : la royauté
même héréditaire , bornée à représenter la majesté
"
"
7
« de l'état , comme un roi de Suède ou un doge
de Venise , recevra des hommages respectueux , et
« n'aura qu'une ombré d'autorité. » Il répète ailleurs
la même expression et ne veut jamais d'autorité
´qu'en ombre. C'est après ces cruciles dérisions , que ,
' content de lui même et admirant son courage , il
*
Mably écrivait en 1771 , avant la dernière révolution de
Suède,
378 MERCURE DE FRANCE ,
<8
се
33
s'écrie : « Il me semble que l'hérédité , accompagnée
dé toutes les précautions que je propose , ne peut
inspirer aucune alarme . Insensé , qui ne voit
pas que ce qui doit inspirer les plus justes alarmes
à l'homme vertueux est une ombre d'autorité publique
qui laisse usurper à toutes les passions particulières
une autorité réelle ! Mais nous avons entendu les
rêveries d'un bel esprit , écoutons les oracles du
génie C'est une grande erreur , dit Bossuet , de
" croire avec M. Jurieu , qu'on ne puisse donner de
bornes à la puissance souveraine qu'en se réservant
« sur elle un droit souverain ; ce que vous voulez faire
« faible à vous faire du mal , par la condition des
choses humaines , le devient autant à proportion à
« vous faire du bien ; et , sans borner la puissance
▾ par la force que vous vous pouviez réserver contre
elle , le moyen le plus naturel pour l'empêcher de
" vous opprimer , c'est de l'intéresser à votre salut. "
Mably craint jusqu'à la pitié qu'une majesté ainsi
dégradée , car il se sert quelque part de cette expression
, pourrait inspirer aux Polonais . « On regarde ,
dit- il , communément en Pologne le roi comme un
« ennemi domestique dont il faut toujours se défier ;
pourquoi donc s'y ferait-on un scrupule ou une dif-
« ficulté de le dépouiller pour rendre sa dignité ou son
" nom plus cher à ses sujets ? »
K

a
ec
"
L'abbé législateur porte cet esprit heureux de réforme
jusque dans la religion , qu'il traite à peu près comme
la politique . Nous retrouvons encore ici l'histoire de notre
révolution religieuse de 89 : Pour ne trouver, dit - il , au-
" cune opposition dans la cour de Rome, il faut commencer
par priver vos ecclésiastiques de la protection
« du Saint-Père ; il faut séparer les intérêts des deux
puissances unies , en apprenant aux laïques que la
Pologne doit avoir ses libertés , et à vos évêques qu'il
"

VENTOSE AN X. 379
est temps qu'ils jouissent de la même indépendance
☐ que ceux de plusieurs autres États. " (Le pape , comme
le roi , ne recevait en Pologne que des respects , et y
obtenait peu de soumission ). « Dès que cette doctrine
salutaire commencera à s'établir , la puissance législa-
<< tive pourra publier les lois qu'elle jugera les plus néces-
" saires pour le bien de la religion ; mais cette révolution
ne doit se faire qu'en répandant les lumières qui peu
" à peu dissiperont l'erreur et les préjugés. "
Tel est le plan de constitution qu'au 18.me siécle ,
en 1771 , un philosophe du pays le plus éclairé de
l'Europe , un écrivain que l'on imprime , que l'on
vend , qu'on lit peut - être , propose à une nation raisonnable
et belliqueuse dont le territoire , beaucoup,
plus grand que la France entière , entouré de voisins
ambitieux , barrière de l'Europe contre les inondations
des Tartares , ouvert de toutes parts , et sans défense
naturelle , ne peut en trouver que dans la force de sa
constitution . L'expérience de la turbulente faiblesse des
gouvernements populaires de l'antiquité , et de la force
toujours croissante des gouvernements monarchiques
des temps chrétiens , est perdue pour le philosophe.
Aussi malheureux dans ses applications qu'il est absurde
dans sa théorie il vante à tout propos l'excellent
gouvernement que la Suède se donna à la mort de
Charles XII , où elle tomba dans cette aristocratie
vénale et factieuse dont elle a tant de peine à sortir ,
et il avoue ingénument que « l'excellent gouverne-
« ment de la Suède a quelque peine à s'affermir . » Eṭ
effectivement il fut renversé moins de dix ans après .
Enfin , il finit cet amas de rêves incohérents par un trait
digne de la comédie , et qui peut paraître plaisant
même dans un sujet aussi sérieux . Je ne suis
2
"
point du tout, dit- il , dans l'admiration de ces politiques
" étourdis et présomptueux qui , sans connaître les
380 MERCURE DE FRANCE.
*
hommes , prétendent les gouverner. Ils ignorent que,
• nous avons des passions et des habitudes plus fortes
que leurs vérités , leur évidence et leur pouvoir .
il Au reste , absorbé dans la lecture de l'antiquité ,
avoue lui -même qu'il néglige l'histoire de son temps ,
au point de ne pas lire même les nouvelles politiques ,
et l'on dirait que c'est pour lui tout exprès que l'illustre
Leibnitz écrivait , il y a un siécle , ces paroles remarquables
: La plupart des écrivains politiques sont
" travaillés d'une maladie qui , leur ôtant tout goût
" pour le moderne , fait qu'ils ne sont curieux qué
« l'antiquité, et ne nous parlent que de choses dont
à peine il subsiste de notre temps quelque vestige /
Aussi , quand ils parlent du droit public et du droit
« des gens , ils disent des choses pitoyables , et l'on
apprendra plus dans un recueil de gazettès de dix
années , que dans cent auteurs classiques. » Tome 4 ,
part. 3 , p. 355. De jure suprematus.
K
( La suite au numéro prochain).
RUSSI E.
de
Un grand nombre d'améliorations et de réformes ont
signalé le commencement du règne d'Alexandre 1er
Les propriétés plus libres , les travaux publics repris
avec zèle , le commerce plus étendu , les sciences et les
manufactures encouragées , les hôpitaux , et particulièrement
la maison des Enfants Trouvés , à Moscou , visités
et gratifiés par l'empereur lui - même : la rédaction
d'un nouveau code civil et pénal , confiée à un seul
homme , le comte de Sawadofsky , à la fois jurisconsulte
et homme d'état , qui d'ailleurs peut s'entourer de
tous les secours nécessaires ; les paysans ramenés ou
promis graduellement à l'aisance et à la liberté * , etc.
Tels sont les bienfaits qui ont déja mérité la reconnaissance
des Russes.
** A la fin de la réfutation des Mémoires secrets sur la
Russie , qui termine l'année la plus remarquable de ma
VENTOSE AN X. 381
"
Un nouvel ukase , remarquable par son objet et par
ses motifs , rétablit les ordres vénérés qu'avait institués
Catherine , du vainqueur et saint martyr Georges , et
du saint apôtre et prince Vladimir . « Combien de fois ,
dit l'empereur , des guerriers russes , en méprisant la
" mort sur le champ de bataille , n'ont - ils pas triomphe
de leurs ennemis dans l'unique vue d'être décorés de
« l'ordre du grand vainqueur Georges ? Combien de
" fois les vertus civiles , desirant se distinguer dans
une profonde paix , n'ont - elles pas suivi les sen-
" tiers de la justice , de l'ordre et du bien public ,
uniquement pour mériter la décoration de l'ordre de
Saint-Wladimir ?
R
"
"
"
ן כ
Ainsi , celui qui aura rendu de grands services à l'humanité
, à l'agriculture , celui qui aura mérité , dans
son district , le titre d'arbitre de paix , celui qui , par
son génie et ses connaissances , aura mérité l'estime
non seulement de ses compatriotes , mais même celle
des principales sociétés savantes de l'Europe , etc..
aura le droit de prétendre à l'ordre de Wladimir.
H
"
·
"
L'empereur ajoute : Ayant ouvert au vrai mérite
" tous les chemins de la gloire , ayant fixé et assuré ses
droits et ses récompenses , nous desirons que le sen-
" timent de l'honneur , qui réveille le citoyen au milieu
" de ses occupations paisibles , et qui conduit le guerrier
aux grandes actions , soit dorénavant pour les
" Russes P'unique guide de leurs pensées et de leurs
démarches , et que tous leurs efforts tendent à l'avanvie,
par KOTZEBUE , on lit cette lettre d'Alexandre I.er à un
grand de l'Empire , qui lui demandait une terre héréditaire .
<< Pour la plus graude partie , les paysans de la Russie sont
esclaves. Je n'ai pas besoin de m'étendre sur l'avilissement
et le malheur d'un état pareil . J'ai donc fait vou de ne pas
eu augmenter le nombre , et j'ai pris pour principe de ne
pas donner des hommes en propriété. Cette terre vous sera
accordée en arrentement à vie ( c'est - à- dire , en emphytéose)
à vous et à vos descendants ; ce qui revient à peu près à la
même chose , avec la seule différence que le paysan ne peut
être vendu ou aliéné comme une bête. Voilà nies raisons
et je suis persuadé que vous en agiriez de même à ma place .
(L'original est français . Cet extrait en est tiré mot à mot.)
L'année remarquable de ma vie , dont on a donné l'extrait
dans le dernier N. , se vend aussi chez Lepetit jeune et
Gérard , libraires , rue Pavée St. -André- des - A rés
palais du Tribunat. Prix , 3 francs , et 4 francs.
2'
et au
4
382 MERCURE DE FRANCE ,
ес
tage et à la gloire de la patrie reconnaissante. »
Il semble qu'on peut prédire des vertus , du bonheur
et des destinées brillantes à un état où l'honneur peut
être présenté comme un si puissant mobile à toutes les
classes de la société ; où , en même temps , on sait
garder la modération dans le bien , et ne pas proclamer
tout d'un coup les droits du pauvre et de l'opprimé.
COLONIES.
D'après un écrit , signé Toussaint-Louverture , en date
du 16 brumaire dernier , la tranquillité était rétablie
partout dans l'ile Saint - Domingue. Les ordres les plus
sévères avaient été donnés pour que les travaux de la
culture fussent repris , et le moindre tumulte réprimé.
Un bâtiment entré , le 14 pluviose , dans la rivière de
Bordeaux , et venu du cap en 30 jours , a rapporté
que depuis l'exécution de Moïse , auteur de la dernière
insurrection dans laquelle cent blancs ont péri , tout
était tranquille. On desirait des nouvelles de France ,
et l'on croyait que l'escadre française ne trouverait
aucune opposition.
Nous avons fait connaître , dans le n.º du 16 fructidor
an 9 , l'arrêté des consuls' qui organisait le gouvernement
de la Guadeloupe ; le contre-amiral Lacrosse
fut nommé capitaine général , et déja il avait rétabli
quelque ordre dans cette colonie longtemps désolée.
Les papiers anglais ont publié un manifeste , du 3 décembre
1801 , par lequel il annonce qu'elle vient de se
révolter par les intrigues de quelques factieux . Il dénonce
cette rébellion à tous les états amis ou alliés de
la France , et les requièrent d'empêcher toute exportation
d'armes et de munitions à l'usage des rebelles.
Les vaisseaux destinés pour la Guadeloupe aborderont
aux trois petites îles des Saintes , qui appartiennent à sa
majesté britannique , et qu'elle accorde à cet effet
jusqu'à nouvel ordre.
L'Ile-de-France est vraiment l'île fortunée . La tranquillité
qui y règne permet de jouir de toutes les délices
de son séjour. Il a paru si agréable aux compagnons du
capitaine Baudin * , que quelques - uns des dessinateurs
* L'expédition y a relâché le 27 ventose an 9.

VENTOSE AN X. 383
3
partis avec lui ont borné là leur voyage autour du monde.
L'état florissant de la colonie , les richesses dont jouissent
en général les habitants , ont mis ces artistes dans le cas
d'y exercer avec fruit leurs talents , et avec d'autant
plus d'avantages , que l'éloignement de l'Europe privant
cette ile de la présence des hommes qui cultivent
les arts , ils n'ont point eu de concurrence à craindre.
L'un d'eux a déja acquis , du fruít de son travail , une
maison , des terres , des nègres , etc.
A propos de ces nègres , on rapporte une aventure
qui donne tout à la fois une idée du caractère de
ces hommes et de la police qui s'exerce dans l'île . Cet
artiste , voulant passer la soirée au spectacle , avait
donné ordre à cinq ou six de ses nègres de l'attendre
dans un endroit convenu. Il s'y rendit et ne les y trouva
pas. Une heure après ils le rejoignirent ; il se contenta
de les gronder de leur négligence , et n'y songea plus.
Le lendemain matin , il est réveillé par des cris perçants
; il se lève avec empressement , vole vers le lieu
d'où partent ces cris , et trouve ces mêmes nègres que
la police faisait fustiger pour avoir désobéi à leur maître.
Elle avait été avertie par une femme qui avait été témoin
de l'indulgence de l'artiste . Son coeur fut fortement
ému d'un spectacle si nouveau pour lui , et dont
il était la cause innocente. Il employa les prières , les
larmes même pour qu'on abrégeât le châtiment ; mais
ce qui surtout eut droit de le surprendre , ce fut que
les autres nègres présents tournèrent son humanité en
ridicule ; ils ne concevaient pas comment un événement
qu'ils trouvaient si naturel , pouvait le toucher
si vivement.
Traité de paix entre la République française et la Régence
d'Alger , conclu le 26 frimaire an 10.
Le gouvernement français et la régence d'Alger reconnaissent
que la guerre n'est pas naturelle entre les
deux états , et qu'il convient à la dignité , comme aux
intérêts de l'un et de l'autre , de reprendre leurs anciennes
liaisons .
En conséquence , Mustapha pacha dey , au nom de
la régence , et le C. Charles - François Dubois- Tainville
, chargé d'affaires et commissaire général des re384
MERCURE DE FRANCE ,
lations commerciales de la république française , revêtu
des pleins pouvoirs du premier consul , à l'effet de traiter
la paix avec la régence , sont convenus des articles
suivants :
er
Art. I. Les relations politiques et commerciales sont
rétablies entre les deux états , telles qu'elles existaient
avant la rupture .
II. Les anciens traités , conventions , stipulations seront
revêtus , dans le jour , de la signature du dey et
de celle de l'agent de la république .
III. La régence d'Alger restitue à la république française
les concessions d'Afrique , de la même manière et
aux mêmes conditions que la France en jouissait avant
la rupture.
IV.L'argent , les effets et marchandises dont les agents
de la régence se sont emparés dans les comptoirs , seront
restitués , déduction faite des sommes qui ont servi
à payer les redevances dues à l'époque de la déclaration
de guerre du 1.er nivose an 7. Il sera en conséquence
dressé , de part et d'autre , des comptes qui devront
être consentis mutuellement.
V. Les lismes ne seront exigibles que du jour où les
Français seront rétablis dans les comptoirs .
VI . A partir de cette époque , le dey , pour indemniser
la compagnie d'Afrique des pertes qu'elle a éprouvées
, lui accorde une exemption générale de lisme
d'une année .
VII. Les Français ne pourront être retenus comme
esclayes dans le royaume d'Alger , en quelque circonstance
et sous quelque prétexte que ce soit .
VIII. Les Français saisis sous un pavillon ennemi de
la régence , ne pourront être faits esclaves , quand même
les bâtiments sur lesquels ils se trouveront se seraient
défendus , à moins que , faisant partie de l'équipage
comme matelots ou soldats , ils ne soient pris les armes
à la main .
IX. Les Français passagers ou résidants dans le
royaume d'Alger sont soumis à toute l'autorité de l'agent
du gouvernement français . La régence ne peut ,
et ses délégués n'ont aucun droit de s'immiscer, dans
l'administration intérieure de la France en Afrique .
X. Les capitaines de bâtiments français , soit de l'état ,
soit particuliers , ne pourront être contraints de rien
VENTOSE AN X. 385
embarquer sur leurs bords contre leur gré , ni être
envoyés où ils ne voudraient, point aller.
а
XI. L'agent du gouvernement français ne répond
d'aucunes dettes pour les particuliers de sa nation , à
moins qu'il ne se soit engagé , par écrit , à les acquitter.
XII. S'il arrive une contestation entre un Français et
un sujet algérien , elle ne pourra être jugée que par les
premieres autorités , après toutefois que le commissaire
français aura été appelé.
XIII. S. E. le dey s'engage à faire rembourser toutes
les sommes qui pourraient être dues à des Français par
ses sujets , comme le C. Dubois - Thainville prend l'engagement
, au nom de son gouvernement , de faire aequitter
toutes celles qui seraient légitimement réclamées
par des sujets algériens.
XIV. Les biens de tous Français morts dans le royaume
d'Alger , sont à la disposition du commissaire- général
de la république.
XV. Le chargé d'affaires et les agents de la compagnie
d'Afrique choisissent leurs drogmans et censaux .
XVI. Le chargé d'affaires et commissaire- général des
relations commerciales de la république française continuera
à jouir de tous les honueurs , droits , immunités
et prérogatives stipulés par les anciens traités . Il conservera
la prééminence sur tous les agents des autres nations .
XVII. L'asile du commissaire français est sacré aucune
force publique ne peut s'y introduire , s'il ne l'a
lui -même requise des chefs du gouvernement algérien .
XVIII . Dans le cas d'une rupture ( et à Dieu ne plaise
qu'un pareil événement puisse jamais arriver ) , les Français
auront trois mois pour terminer leurs affaires . Pendant
ce temps , ils jouiront de toute l'étendue de liberté
et de protection que les traités leur assurent en pleine
paix. Il demeure entendu que les bâtiments qui aborderaient
dans les ports du royaume pendant ces trois
mois , participeront aux mémes avantages .
XIX . S. E. le dey nomme Salah Khodjx pour se
rendre à Paris en qualité d'ambassadeur .
Signé , MUSTAPHA PACHA , dey d'Alger.
DUBOIS-THAINVILLE , chargé d'affaires et commissaire-
général des relations commerciales de la
république française .
25
386 MERCURE DE FRANCE ,
1
INTÉRIEUR.
LEE traité de Lunéville a consacré l'indépendance de
la république italienne ; au moment où le traité se signait
, ce pays , encore pays de conquête , vivait sous
un régime provisoire , tout- à -fait à la disposition du
général commandant l'armée française ..
Il a fallu procéder à l'organisation de ce pays cela
a été l'objet de la consulte à Lyon .
Il y avait deux espèces d'organisation à lui donner.
Une dans le genre de celle qu'elle avait eue en 1796 .
On pouvait l'imposer par la force , mais elle n'aurait
jamais été accueillie par les habitants. Elle aurait produit
désordre et dissentions civiles ; elle aurait été pour
les voisins de la Cisalpine un objet d'épouvante , parce
qu'elle aurait été un centre d'anarchie .
La seconde était une organisation à peu près dans le
genre de celle que les habitants ont proposée , avec un
gouvernement central et fort .
2
car Toutes les places ont été facilement remplies
peu de pays abondent en citoyens aussi distingués par
leurs lumieres , par leur probité.
Mais la premiere place , dans ces circonstances , n'était
pas facile à remplir. On a pris , à cet égard , le
parti que dictait l'intérêt du pays , et , nous osons le dire ,
l'intérêt bien entendu de ses voisins .
Le gouvernement est installé à Milan .
Les principales lois qui doivent mettre en mouvement
la constitution vont se faire sans effort ; et , dans
peu de temps , le pays se trouvera entièrement organisé
.
Ceux qui croient que les nations peuvent s'organiser
dans un jour , dans une heure , par la seule rédaction
d'une charte , doivent trouver dans cette marche quelque
chose d'extraordinaire.
Mais ceux qui sont convaincus qu'un peuple n'a une
constitution que lorsqu'elle marche , et que , chez
toutes les nations , les moments d'organisation sont des
VENTOSE AN X.
·
1
crises terribles , qui produisent des malheurs , seront
bien convaincus que le parti qu'a pris la consule
à Lyon , est à la fois sage et naturel ; et alors tout ce
que l'on peut débiter pour chercher dans son résultat
ce qui n'y est pas , n'est que du bavardage.
Mais la France va donc réunir à ses trente millions
d'habitants , l'accroissement d'influence attaché aux
quatre millions qui habitent la république italienne !!!
De -là on feint de s'alarmer , et l'on se récrie sur la
puissance et l'ambition de la France .
Comparons cependant l'influence de la France dans
les différentes parties de l'Europe , depuis le traité de
Lunéville , à celle qu'elle avait en 1788.
En 1788 , la France exerçait en Italie une espèce de
patronage bien déterminé sur le roi de Sardaigne , sur
le roi de Naples , et sur la république de Venise .
Sur la république de Venise ! parce qu'elle était géographiquement
l'ennemie de l'Autriche..
Sur le roi de Naples ! par le pacte de famille.
Sur le roi de Sardaigne ! il était lié à la France par
l'impuissance de défendre la Savoie et le comté de Nice,
par des doubles alliances , et plus encore par les prétentions
de la maison d'Autriche sur le Montferrat :
ainsi donc dans le système de l'Europe , la France avait
une influence marquée en Italie , sur trois grands Etats ,
ayant douze millions de population .
Aujourd'hui Venise est à l'empereur.
Naples ... le pacte de famille n'existe plus.
La république italienne doit donc compenser l'une
et l'autre de ces pertes.
Ainsi la France n'a pas accru son influence .
La cession de Venise à l'empereur a donné à ce
prince un ascendant marqué et sur l'Adriatique , et sur
I'Italie ; et si la république italienne languissait désorganisée
; si elle n'était pour la France une alliée súre
et fidelle , la politique de l'Italie serait à la disposition
de l'Autriche. Il n'y aurait plus d'équilibre , et le résultat
d'une guerre où nous avons vaincu dans cent
combats , où nous avons deux fois trouvé la paix sous
les murs de Vienne , aurait été de nous mettre dans
une position pire que celle où nous étions avant la guerre.
La France ne doit pas exercer sur les pays voisins un
388 MERCURE DE FRANCE ,
1
pouvoir désordonné ; mais elle doit veiller avec attention
a conserver l'équilibre , véritable garant de la durée de
la paix .
Dans le système de l'Allemagne , la Pologne , la Turquie
et la Suède se réunissaient au système politique
de la France. La Pologne n'est plus ; elle a augmenté
la puissance de nos voisins .
La Turquie , en proie à la guerre civile , n'a juste que
la consistance nécessaire pour continuer à exister. Elle
ne peut plus être d'aucun poids dans les affaires d'Allemague.
L'acquisition qu'a faite la Russie en Pologne , le degré
de civilisation et de puissance auquel cet état est parvenu
dans les temps modernes , le temps qui change et
modifie tout , a appelé les descendants de Charles XII
à maintenir l'équilibre de la Baltique , mais ne leur a plus
laissé aucune puissance réelle dans les affaires d'Allemagne.
L'accroissement des quatre départements du Rhin
n'équivaut pas pour la France à l'accroissement qu'ont
reçu ses voisins par le partage de la Pologne. Par- là la
France a fait double perte , puisqu'elle a vu un de ses
alliés naturels d'une population considérable , nonseulement
s'annuller dans la balance de l'Europe , mais
encore renforcer ceux qu'il devait contenir.
Dans l'équilibre des affaires d'Allemagne , la France
a donc encore plutôt perdu que gagné ; et si elle eût
dû souscrire aux deux partages de la Pologne , et n'avoir
en compensation , ni la Belgique , ni les quatre
départements du Rhin , elle aurait cessé d'être ,
qu'elle a toujours été , puissance du premier ordre.
ce
Nous ne continuerons pas plus longtemps ce parallèle ,
et nous ne démontrerons pas combien est differente la position
de la France en 1788 , ou après les préliminaires
de Londres. Tippo - Saïb , comme la Pologne , a disparu
du système de l'Inde , et ses Etats ont accru l'immense
territoire des Anglais.
Aucune nation n'a montré autant de modération que
Ja France .
Conquérante dans la guerre , elle a tout restitué à
la paix. Mais elle doit se tenir dans des limites qui ɔ
VENTOSE AN X. 389
1
si elle les dépassait , décélerait dans le gouvernement
une indigne faiblesse et une étrange ineptie.
Equilibre dans les affaires d'Allemagne , équilibre
dans les affaires d'Italie , voilà le système de la France .
Qu'elle ne donne pas la loi , mais qu'elle ne la reçoive
pas !
A considérer la situation politique de l'Europe sous
tous les points , on voit que la France n'a gagné aucune
nouvelle influence , elle s'est maintenue au rang
où elle était.
Plusieurs membres de la consulte de Lyon , sont arrivés
à Milan . Leur retour a produit l'enthousiasme et le contentement
dans toute l'étendue de la république . Par un
mouvement spontanée , toute la ville de Milan a été
illuminée pendant trois jours. Le comité de gouvernement
, avant de cesser ses fonctions , a proclamé , aux acclamations
du peuple , l'acceptation de la constitution , la
nomination de NAPOLEON BONAPARTE , premier prési
dent de la république , et celle de l'excellent C. MELZI
vice-précident . ( Extrait du journal officiel.)
Le pape a nommé Monsignor Arezzo nonce apostolique
près le roi d'Etrurie .
LYON.
Nous ne répéterons pas ici tous les témoignages d'attachement
et de joie qui ont été prodigués au premier
consul pendant son séjour dans cette ville , soit de la part
des Lyonnais dont il relève les ruines , soit de la part
des autres départements. Plusieurs députations ont exprimé
le voeu de recevoir à leur tour Bonaparte dans le
sein de leurs villes . Il a annoncé que son intention était
de visiter , aussitôt que les circonstances le permettraient
, les diverses parties de la république.
Les fêtes données au premier consul et à son épouse
n'ont rien laissé à desirer pour la richesse et l'élégance
des préparatifs , l'affluence des spectateurs français ou
étrangers , et surtout la commune alégresse.
Des bienfaits durables marqueront cette époque dans
les annales de Lyon.
Le premier consul et le ministre de l'intérieur ont
390 MERCURE DE FRANCE ,
visité les principaux établissements , constaté leurs besoins
encore considérables , et les améliorations dont ils
sont susceptibles . Ils ont laissé partout des espérances ,
qui ne seront point trompées .
9
Dès le 25 nivose , le ministre des relations extérieures
avait annoncé aux trois maires de Lyon , que le premier
consul sans cesse occupé des moyens de faire
prospérer l'industrie manufacturière , avait profité du
rétablissement de la paix avec la Russie
, pour inviter
l'auguste chef de cet empire à favoriser le retour et
l'extension des anciens rapports de commerce entre les
deux puissances. "
" Sa majesté l'empereur de Russie , qui se montre
aussi éclairée sur les moyens d'assurer la prospérité de
ses états , qu'empressée de les mettre en usage , a écrit
directement au premier consul une lettre pleine des
dispositions les plus analogues à celles du gouvernement
français , et les plus favorables au développement avantageux
des relations commerciales entre la France et
la Russie .... »
?
Le 29 nivose , le ministre de l'intérieur a établi un
conseil de commerce dans la ville de Lyon , et nommé
les membres qui le composent au nombre de trentedeux
. Ce conseil est divisé en trois sections , section de
Commerce , section de Manufactures et d'Arts section
d'Agriculture . Son installation a eu lieu le 11 pluviose.
Il a de grands maux à réparer. Lyon surtout a
souffert de tous les coups portes au commerce pendant
la révolution . Mais les plus terribles sont ceux qui
ont anéanti , aux yeux de tant d'individus , les principes
de la probité et de la bonne- foi . Des profits honteux
ont souvent remplacé les ressources légitimes . Les maisons
de jeu se sont multipliées ; elles dévoraient le
patrimoine des familles , les produits de l'industrie , et
même ceux de l'agriculture. Le préfet vient d'ordonner,
conformément au voeu de tous les négociants honnêtes ,
la fermeture de toutes les maisons de jeu qui existaient
dans le département.
Sur l'avis que , les membres du bureau consultatif de
commerce ont donné au ministre de l'intérieur , de la
position malheureuse où languissait , à l'âge de 73 ans ,
le C. Richard , créateur de l'art de chiner les étoffes de
VENTOSE AN X. 391
1
soie à Lyon , une gratification annuelle de 600 fr . a été
aussitôt accordée à cet artiste . Les membres de l'Athénée
ont obtenu une pareille gratification pour le
C. Lefebvre , membre de la ci - devant Académie de
Lyon et de la Congrégation de l'Oratoire , professeur
distingué de physique au grand college.
3,000 fr . ont été accordés à la Société d'Agriculture ,
pour faciliter les améliorations nécessaires .
Enfin les hospices ont été organisés. Par un arrêté
du 28 nivose , l'administration en est confiée à un conseil
général , composé du préfet du département , des
trois maires de Lyon , et de quinze citoyens. Il a été
installé le 4 pluviose.
*
Lyon renferme deux hospices civils ; l'un , sous la
dénomination d'hospice des malades , reçoit les malades
, les femmes enceintes , au terme de leur grossesse ,
et les fous ; l'autre , appelé l'hospice des vieillards , orphelins
et enfants de la patrie , retire , à vie , les vieillards
septuagénaires , recueille et entretient les orphelins
et enfants abandonnés , jusqu'à l'âge de 16 ans ,
et admet les filles enceintes , au terme de leur grossesse .
Les revenus des deux hospices étaient considérables
avant la révolution . La munificence charitable qui a
toujours distingué les citoyens de Lyon , avait - richement
doté ces asiles de la douleur et de l'infortune ,
et leur assurait une grande abondance de secours journaliers
. Peu de sociétés de commerce se formatent où
l'on ne fit intervenir les hospices , pour une part dans
les bénéfices ; il y avait peu de dispositions testamentaires
où les hospices fussent oubliés . Telle était la
piété généreuse des Lyonnais , que le soin de les administrer
gratuitement était le premier titre à la considération
publique , et un indispensable degré pour
monter aux fonctions municipales . Sous d'aussi heureuses
influences , les hospices n'avaient pu que prospérer.
Les malheurs de la révolution leur ont fait perdre
une partie de leurs biens et de leurs ressources ; des
hommes égarés semblaient s'être proposé de tarir la
*
Ce qui suit est extrait de la Statistique du département
du Rhône , rédigée par le C. Verninac , prédécesseur du
préfet actuel.
392 MERCURE DE FRANCE ,
source même de la bienfaisance , en faisant briser les
marbres sur lesquels la reconnaissance avait gravé les
noms des bienfaicteurs de ces asiles , outrage que l'admi
nistration préfectorale s'est empressée de réparer. La
bienfaisance des Lyonnais est restée la même. Comprimée
par les circonstances qui ont atteint toutes les
fortunes , elle se signalera de nouveau , lorsque les produifs
du travail et du commerce seconderont son noble
penchant.
CORPS LÉGISLATIF.
er
On assure que l'élection du cinquième qui remplacera
les sortants , commencera le 1. ventose . Aux termes
de la constitution , le Sénat choisira dans les listes d'éligibilité
nationale ."
Le journal officiel n'a point encore publié les noms
de ceux qui sortent cette année .
Le C. Sébastiani est arrivé de Constantinople. Il a
remis au premier Consul une lettre du sultan Selim ,
et lui a fait connaître la manière distinguée dont il a
été reçu par le sultan et les principaux officiers de la
Porte. Tous lui ont témoigné le desir d'une paix longue
et sincère .
Tout ce que disent les journaux anglais , relativement
aux préliminaires signés avec la Porte , et à ses
relations actuelles avec la France , est dénué de fondement.
Jamais les deux nations n'ont été animées d'une
volonté aussi franche , pour cultiver l'ancienne amitié
et rétablir les liens dont elles se sont si bien trouvées
pendant si longtemp » ( Journal officiel ) .
Le général Abd . J. Menou a adressé de Marseille
le 16 nivose , au premier consul une lettre , par laquelle
il l'informe de l'arrivée des membres qui composaient
l'institut et la Commission des Arts en Egypte . Plusieurs
rapportent , en collections et en dessins , des
choses extrêmement précieuses.
Un arrêté du 17 pluviose ordonne que les mémoires ,
plans , dessins , et généralement tous résultats relatifs
aux sciences et aux arts , obtenus pendant le cours de
l'expédition , serntt publiés aux frais du gouvernement.
VENTOSE AN X. 393
Il s'est formé à Berlin un établissement pour l'instruction
des sourds muets , dont la methode semble avoir
encore perfectionné celle de l'abbé de l'Epee et de
Sicard. L'instituteur leur apprend à former des sons rauques
, confus , inexacts , il est vrai , mais tels cependant
qu'avec de l'attention et de la patience , on parvient à
comprendre plusieurs phrases de suite prononcées par
ces enfants. L'instituteur leur apprend aussi à placer
eux-mêmes leurs mains sur leur gosier , de manière à
faire rendre tel ou tel son.
Un autre point sur lequel cette méthode paraît encore
avoir l'avantage sur l'ancienne , c'est que les éleves
devinent assez rapidement et presque toujours surement
les mots que l'on a prononcés , en voyant le mouvement
( un peu ralenti ) des lèvres , surtout quand le
col découvert leur laisse apercevoir en même temps les
mouvements de la gorge.
On s'occupe d'un travail sur cet intéressant établissement
, qui doit être envoyé au ministre Chaptal .
Le Lycée du Gard , dout nous avons annoncé la
formation , propose , pour sujet du premier concours ,
PÉloge de Chrétien-Guillaume Lamoignon deMalesherbes.
Le prix consistera en une médaille d'or , de la valeur
de 600 fr.; il sera donné dans la séance publique du
25 messidor an 10 ( 14 juillet 1802 ) . L'ouvrage couronné
sera lu dans cette même séance .
Le concours sera fermé le 25 floréal prochain . Ce
terme est de rigueur.
Un grand nombre de personnes bienfaisantes envoient
journellement des offrandes à l'établissement des soupes
économiques . Le C. Lucien Bonaparte a fait remettre
1800 fr. valeur de 100 souscriptions. Un grenadier de
la garde consulaire , le C. Chanoine , à cause de l'heureux
retour du premier consul , a voulu que la somme
de 36 fr. fût employée de cette manière au soulagement
des indigents ,
394 MERCURE DE FRANCE ,
*
Notice sur le cardinal MUZIO GALLO , évêque de
Viterbe .
Les papiers publics m'apprennent que le cardinal
Muzio Gallo , évêque de Viterbe , vient de mourir ,
frappé d'apoplexie.
J'ai connu ce vénérable prélat , et dans des temps dont
le souvenir ne s'effacera jamais de ma mémoire.
Je lui dois la vie , celle de ma femme et des personnes
qui me suivaient à Malte , où j'allais remplir les fonctions
de commissaire du gouvernement.
Qu'il me soit permis de publier , après la mort de ce
vieillard , des traits de vertu héroïque que , par respect
pour ses ordres formels , j'ai dû taire pendant sa
vie.
Dans les premiers jours de frimaire an 7 , l'armée napolitaine
avait pénétré dans l'état romain , et s'avançait
vers la capitale avec des forces supérieures . L'ordre
d'une évacuation générale fut donné à tous les Français
. Je me trouvais alors à Rome , et j'en sortis le 5
frimaire , avec ma famille et un grand nombre d'employés
de tous grades , pour me rendre à Civita - Castellana
, où le quartier- général fut établi le même soir.
Trompé par de faux avis , je changeai de route , et je
me dirigeai avec plusieurs de mes compatriotes vers Viterbe
, où nous arrivâmes le 7 , sur les six heures du
matin .
Bientôt la ville retentit de cris séditieux ; on court
aux armes de toutes parts ; les portes sont fermées , et
l'auberge où nous étions descendus est investie d'une
multitude furieuse qui menace nos jours . Nous étions
trente Français rassemblés ; notre mort nous paraissait
inévitable ; et quelle mort !!! Dans ce péril extrême ,
un prêtre à jamais recommandable se présente , nous
console par les
moyens que sa piété lui suggère ,
loin de nous abuser par un espoir qu'il avait perdu lui-
**
et ,
* Le défaut d'espace a retardé l'insertion de cette lettre
intéressante , sous plus d'un rapport. Celui qui l'a écrite ,
vient à Paris avec l'autorisation du gouvernement.
** Le père Martinelli , prieur des Cordeliers , aujourd'hui
secrétaire-général de cet ordre .
VENTOSE AN X. 395
même , nous exhorte à finir nos jours dans des sentiments
religieux .
se
Parmi les voyageurs retirés dans cette auberge
trouvaient un enfant et plusieurs femmes ; la mienne
était du nombre . Nous pouvions nous résoudre à périr ;
mais voir massacrer sous nos yeux des êtres aussi chers ,
sans pouvoir les défendre ! cette idée , qui se présentait
avec toutes les circonstances d'un horrible carnage , nous
jetait dans les convulsions du désespoir .
Effrayé de notre situation , le digne religieux engagea
nos femmes à se revêtir d'habits du pays , et leur offrit une
retraite dans son couvent : cette proposition fut acceptée
avec transport , et de suite réalisée . Ce n'est pas ici le
lieu de peindre ce que cette séparation , que tout annonçait
devoir être éternelle , eut de déchirant , ni d'exprimer,
ce qui est au dessus de toute expression , les tourments
que nous éprouvâmes pendant cinq heures d'agonie.
2
Cependant nos chevaux étaient emmenés nos voitures
brisées , et tous nos effets livrés au pillage . Nons
attendions le coup fatal , lorsque M. le comte Zelli
Pazzaglia , que les insurgés venaient de nommer gouverneur
de la ville , vint dans notre auberge , et sur le
champ nous donna ordre de le suivre à son palais . Nous
y trouvâmes sa famille réunie . Jamais nous ne pourrons
nous acquitter envers ces personnes généreuses et sensibles
de tout ce que nous leur devons . Point de périls
auxquels ne se soit exposé pour nous M. Zelli ; point de
sacrifices qu'il n'ait faits , point d'attentions délicates
de soins empressés qu'il ne nous ait prodigués : conduite
d'autant plus admirable , qu'il ne partageait pas
nos opinions , et que les mauvais traitements que sa
famille avait reçus de Français indignes de ce nom
devaient
exciter ses ressentiments contre ceux que le sort
remettait entre ses mains .
M. Zelli , qui d'abord n'avait cédé qu'à la générosité
de son coeur en nous donnant asile , conçut un attachement
sincère pour plusieurs d'entre nous . Ses bontés
envers les proscrits lui avaient fait perdre presque tout
son crédit sur l'esprit des insurgés les choses en vinrent
au point qu'il n'était plus en son pouvoir de garantir
notre vie , et peut- être la vie des siens . Enfin , le
396 MERCURE DE FRANCE ,
26 au soir , il fut informé que les Français seraient saisis
dans son hôtel pendant la nuit , et que tout y serait abandonné
à la discrétion de la multitude .
Dans ce te cruelle position dont il voulut nous épargner
l'horreur en nous la dissimulant , cet homme incomparable
, toujours ingénieux à trouver les moyens
de nous protéger , recourut au cardinal Muzio Gallo ;
il lui représenta le danger imminent dont nous étions
menacés , et le détermina à venir coucher dans son hôtel,
afin de nous couvrir de son influence , des égards dûs
à son âge , à ses vertus et à sa dignité.
Le cardinal , malgré sa faiblesse et son grand âge
( il avait 82 ans ) n'hésita point à suivre M. Zelli . Ša
présence ramena le calme dans le palais ; nous lui fîmes
tous notre visite , et nous le quittâmes émus de respect et
d'attendrissement.
"
Le 27 au matin , un corps de l'armée française parut
devant la ville , pour tenter notre délivrance. Tout-àcoup
un attioupement se forme à la porte de Rome ;
et de là , leur nombre se grossissant dans les rues les
séditieux se diligent vers notre asile , armés de torches,
de fusils et de poignards. La terreur se répand dans la
maison , les femmes fuient de toutes parts en remplissant
l'air de lamentations ; les cris redoublés de viva
Maria , morte a li Francesi , retentissent partout ; déja
la porte est frappée à grands coups de haches .
Au premier bruit , le cardinal s'était levé ; ce bon
vieillard se hâtait de s'habiller, et s'indignait de la lenteur
de ses valets de chambre. Nous étions tous autour de lui ;
il daignait uous rassurer ; mais l'effroi était à son comble ;
s'il tardait quelques minutes encore , c'en était fait ;
peut-être sa dignité était - elle méconnue , et le sang
de trente personnes déchirées en lambeaux allait inon
der la chambre étroite où nous étions amoncelés .
Le prélat , soutenu de deux ecclésiastiques , se transporte
au balcon ; il demande silence , et à peine a - t - il
prononcé quelques mots , que cette multitude perd sa
furie , tombe à genoux , reçoit la bénédiction , et se retire.
Pendant ce temps , le canon grondait , et le combat se
prolongeait au- dehors. Nos alarmes et nos espérances se
succédaient suivant le bruit plus ou moins éloigné du
canon et de la mousqueterie.
VENTOSE AN X. 397
1
Revenus de notre premier trouble , nous descendîmes
chez madame Zelli . Toutes les fenêtres étaient fermées ;
une lampe seule éclairait faiblement l'appartement :
cette dame était dans un état affreux : mes chers enfants ,
nous dit- elle sitôt qu'elle nous vit , vous êtes sauvés pour
le moment ; mais cette journée est la dernière pour nous
tous . Nous ne pouvions répondre que par les larmes et
le silence ; le cardinal l'encourageait et la consolait .
La tentative des Français fut encore cette fois infructueuse
, et nous res âmes plongés dans un abyme d'incertitudes
sur le sort qui nous était réservé.
Sur les six heures , le cardinal se retira à son palais ;
mais il était trop hasardeux pour nous de rester dans
notre premier asile . Le cardinal avait donné ordre qu'on
nous préparât des lits dans ses propres appartements .
Nous nous y acheminâmes sur les dix heures du soir ,
précédés de M. Zelli et de toute sa famille , non sans
beaucoup de périls dignes d'être rapportés , mais dont
le récit augmenterait trop cette notice .
Nous arrivons donc au palais du cardinal , édifice
'd'une architecture gothique , que l'on prétend avoir
été bâti par Frédéric- Barberousse . Nous sommes aussitôt
admis à une collation , et ensuite répartis dans les
chambres qui nous avaient été préparées. Le cardinal
reçut , avant de nous séparer , l'expression de notre
reconnaissance avec la simplicité la plus touchante. Le
comte Magnoni, son gentilhomme d'honneur, fut chargé
de veiller à nos besoins ; et , pour faire son éloge en
un seul mot , il était digne d'être l'ami de Muzio
Gallo.
Les nouvelles les plus contradictoires se succédaient ,
et nous annonçaient souvent des événements sinistres .
Les jardins de l'évêché , adossés aux remparts , étaient
gardés par des séditieux dont les cris jetaient l'épouvante
parmi nous. Notre occupation constante était de
chercher un refuge pour nous garantir des assassins ,
dans le cas où ils violeraient la demeure de leur évêque.
D'abord , nous avions imaginé de soulever quelques
tombes sépulcrales , et de nous réfugier dans l'asile de
la mort contre la mort elle - même ; mais outre l'horreur
que nous inspirait cette voie de salut , elle était
peu certaine , et cette profanation des tombeaux , si
398 MERCURE DE FRANCE ;

elle avait été connue , eût , elle seule , assuré notre
perte.
*
Le cardinal occupait le premier appartement : ses
habits pontificaux étaient disposés sur un autel près
de la porte , afin qu'il pût s'en revêtir au besoin , et se
présenter aux rebelles avec toutes les marques de sa
dignité. M. Zelli , sa femme , son fils , ses filles , occupaient
le second , dans l'intention de nous couvrir de
leurs personnes ; noùs occupions les chambres suivantes.
Le 29 au soir , M. Zelli nous demanda , au C. Mangourit
et à moi , une conférence particulière : il nous
apprit que , deux jours avant , le général Kellermann
avait envoyé sommer la ville de se rendre , et de mettre
en liberté les Français , sous peine d'exécution militaire
; que les gens raisonnables avaient inutilement
tenté de déterminer la populace à se rendre à cette
sommation ; qu'enfin les séditieux avaient résolu , dans
le cas ou le général Kellermann insisterait et enverrait
une sommation nouvelle , de s'emparer de nous , de
nous enfermer dans une maison située près de la porte
Saint- Pierre , sur la route de Toscanella , d'y placer
des barils de poudre , et de nous faire sauter à la première
apparition de l'armée française . Cette sommation
itérative , qui devait décider de notre sort , était arrivée ;
M. Zelli l'avait reçue à trois heures de l'après - midi : il
ne l'avait pas fait connaître ; cependant , il ne pouvait
pas se dispenser de lui donner de la publicité , et de
faire encore un effort pour sauver la ville . Il est facile
de juger de l'impression que fit sur nous cette déclaration
terrible. Du reste , ajouta le comte Zelli , je
périrai avec vous , et nous vendrons cher notre vie.
J'ai décidé près de deux cents bourgeois notables
« à se réunir à l'évêché au premier signal : "nous
combattrons ; et s'il faut battre en retraite , nous
barricaderons successivement les chambres du palais
, et nous nous réfugierons dans des souterrains
qui conduisent jusqu'à Toscanella , où doit être le
quartier du général Kellermann. » Tant d'héroïsme
nous pénétrait d'enthousiasme et de douleur. La nuit
pouvait être terrible : les femmes et nos compatriotes
reposaient ; mais nous , instruits du péril , le moindre
"
"
OR
"
<<
t
VENTOSE AN X.
399
bruit nous faisait frissonner d'effroi et dresser les cheveux
sur la tête .
Dès le lendemain , nous visitâmes ces souterrains :
leur communication avec Toscanella n'était qu'une
fable populaire ; ils ne nous offraient aucune sureté. Le
hasard nous fit découvrir une retraite cachée par un
lambris , nous pouvions nous y réunir tous. Pour la
rendre plus secrète et plus respectable , nous approchâmes
devant la porte un autel portatif, et nous le
chargeâmes de madones , d'images de saints , de chapelets
et d'une foule d'objets de dévotion ....
Le cardinal , n'écoutant que son courage et son humanité
, voulait sortir en habits pontificaux pour haranguer
la multitude et l'amener à des principes raisonnables.
Nous le conjurâmes de ne point s'exposer pour
nous , et nous ne pûmes déterminer ce généreux vieillard
à renoncer à son dessein , qu'en lui observant que
s'il arrivait qu'on manquât une seule fois au respect qui
lui était dû et qui nous servait d'égide , nous péririons
infailliblement. " I
Tandis que nous cherchions ainsi des retraites contre
les assassins , et que nous nous disposions aux événements
les plus funestes , nous étions pres de notre délivrance.
Le chef des insurgés vint nous trouver ; nous
traitâmes avec lui et un colonel napolitain , qui n'avait
pas su conserver le commandement de la place , et
s'assurer par- là d'une capitulation quelconque . Les détails
de ces négociations bizarres sont piquants et méritent
d'être connus ; ils trouveront place ailleurs.
Enfin , le 1. nivose , nous eûmes la satisfaction d'em .
brasser des Français . Le général Kellermann descendit
chez le comte Zelli , et le remercia de sa conduite , au
dessus de tout éloge ; il s'empressa de faire une visite
au cardinal Muzio Gallo , et de témoigner au père
Martinelli combien il avait été touché de son dévouement.
*
Nous quittâmes Viterbe le 5 nivose . En retournant
en France , je passai par cette ville ; je volai chez le
comte Zelli ; il n'y habitait plus et s'était retiré en
Toscane : ses ingrats concitoyens , qu'il avait honorés ,
servis et sauvés de la vengeance de l'armée française ,
400 MERCURE DE FRANCE ,
l'avaient proscrit. J'allai présenter mes hommages at
cardinal Gallo : il m'accueillit avec toute l'expansion
de la tendresse . « Mon cher fils , me dit ce bon prélat ,
mon très - cher fils , souvenez - vous du vieillard de
Viterbe ; il priera toujours Dieu pour vous ; mais je
vous défends de parler de ce que j'ai eu le bonheur
« de faire pour vous servir.
"
"
1
Non , jamais le souvenir du vieillard de Viterbe ne
s'effacera de mon coeur. Sa mémoire me sera toujours
- chère ; elle le sera à toutes les ames honnêtes et sensibles
.
Au moment même où j'apprenais , par la voie publique
, la mort du cardinal Muzio Gallo , M. le comte.
Salvatico , gentilhomme de la chambre de S. M. le roi
d'Etrurie , me donnait des nouvelles satisfaisantes de
sa santé. Le même jour fut marqué pour moi par la
joie de savoir exister mon bienfaicteur , et par la douleur
de l'avoir perdu.
Je ne terminerai pas cet article sans consacrer les
noms des romains qui ont concouru à notre salut.
Que le recommandable évêque d'Aquapendente ,
Paolo Bartholi ; le chanoine viterbois , Vincenzo Parentlai
; l'avocat des pauvres , Sciofi , reçoivent avec
bonté cette marque de souvenir et de reconnaissance .
Je n'oublierai pas non plus un honnête ecclésiastique
français , déporté ; je ne tairai ni son nom , ni l'action
généreuse qui le recommande d'une manière spéciale
à l'estime des gens de bien et à la bienveillance du
gouvernement. Au moment de l'insurrection de Viterbe,
trois militaires français étaient à l'hospice , et en danger
d'être massacrés : Etienne Salle , prêtre de Montpellier
, que les circonstances avaient forcé de se retirer
dans l'état ecclésiastique , et qui avait été placé dans
un couvent de Viterbe , recueillit ces trois militaires
- dans sa cellule , partagea , pendant vingt-six jours , sa
modique ration avec eux , au risque de périr lui- même,
s'il avait été découvert. Cette belle action eût été ignorée,
sans une circonstance qui nous la fit connaître , et qu'il
serait trop long de rapporter ici.

MECHIN , préfet des Landes,

( N.° XLII. ) 16 Ventose . An . 10 .
MERCURE
DE FRANCE.
LITTÉRATURE.

b
B
EXTRAIT de la Pétréide. CHANT des
Mines . Un Géniemontre au Czar les merveilles
du monde souterrain.
Icı d'un vieil airain , usé dans les combats ,
Les tronçons avec bruit venaient heurter ses pas ;
D'une armure ignorée il contemplait les formes
Les larges boucliers et les lances énormes ,
Monuments des Héros. Ces restes effrayants
Semblaient lui rappeler les combats des géantsing )
La rouille dévorait les formidables piques ; abz
La roche s'incrustait dans des casques antiques.
Ailleurs gissaient au loin des dômes écroulés ,
Des images d'airain , des marbres mutilés ,
Obélisques ; palais , colosses , pyramides ..
Brisés , rompus ,
couchés sous des cendres arides
Sous le gouffre des mers , des traces de chemins ,
Les Dieux des nations morts comme les humains ;
Des milliers de tombeaux et des urnes funèbres ,
Veuves depuis longtemps de morts longtemps célèbres.
7.
26
19
402 MERCURE DE FRANCE ;
1

Le Héros croyait voir les âges rassemblés ;
Il touchait de la main les siécles reculés ,
Premiers enfants du monde , aînés de la nature.
« Grand Dieu ! de vastes tours je vois l'architecture ,
Est-ce une illusion qui trompe mes regards ? »
C'étaient plusieurs cités ceintes de leurs remparts ,
Sous le globe debout restant ensevelies ,
Que vingt siécles encor n'avaient pas démolies.
Pierre approche , aperçoit des portiques ouverts , ]
Des cirques désolés , des théâtres déserts ;
L'oeil y cherchait en vain leurs pompes disparues.
Un silence effrayant seul habitait les rues ,
Partout régnait la mort et sa lugubre paix.
Il ose pénétrer dans le sein des palais .
Sous les enfoncements des voûtes solitaires ,
Dans les temples , séjour des antiques mystères,
Les Dieux étaient encor debout sur leurs autels ,
Et près d'eux les foyers pour l'encens des mortels.
Sous des toits plus obscurs , de plus profonds asiles ,
Son oeil vit des vieillards , des formes immobiles
De femmes et d'enfants qui semblaient respirer ;
Les mères sur leurs fils se penchaient pour pleurer.
Dès longtemps de la vie ils n'avaient plus que l'ombre.
Il crut voir des mortels , à l'oeil farouche et sombre :
C'étaient des criminels , depuis deux mille hivers ,
Aux murs de leurs prisons attachés par des fers.
Le Czar , en frémissant , sort de ces lieux terribles ,
De ces mornes remparts , peuplés d'ombres visibles ,
Où la destruction qui repose et qui dort ,
Semble joindre la vie au calme de la mort.
" O spectacle , dit - il , qu'avec effroi j'admire !
K
Roi de ce monde obscur , quel formidable empire !
« Ici tout est ruine ; et d'un crèpe obscurcis ,
10
"
Chacun sur leurs tombeaux , les siécles sont assis ,
Animaux , végétaux , et l'homme et ses ouvrages.
VENTOSE AN , X. 403
1
"
Ici la mer des temps roule tous les naufrages .
O de destructions redoutables trésors !
(( Ce que vois tu ne pas est plus terrible
encor ,
« Dit le Génie. Ici chaque grain de poussière
Fut jadis animé. Ces couches de matière ,
" Elément insensible et foulé sous tes pas ,
Que ton regard distrait même n'aperçoit pas ,
Ont vécu comme toi , guerriers , monarques , princes ,
Ou peuples habitant d'innombrables provinces.
K
"
"

"
"
«
"
"
Au moment où la vie éclipse son flambeau ,
Chaque homme sur la terre hérite d'un tombeau ;
Mais les débris de l'homme en ses couches profondes ,
Reposent par climats , par siécles et par mondes .
Vois , comme par la mort , chaque rang est pressé !
Vois-tu ? le premier lit sous la terre enfoncé !
« Du premier genre humain sa poussière est la trace ;
La trace du second occupe cette place . "
Il périt par les feux ; englouti par les eaux ,
« L'autre mêle sa poudre à ces lits de roseaux.
"
ec
Vois des monceaux épars de royales poussières ;"
Là , des peuples pasteurs ; là , des races guerrières.
Dans leur cendre enfermés , vois des peuples savants ;
« J'ai vu , même après eux , leurs noms encor vivants ,
Répétés sur la terre au milieu des hommages ,
" Se perdre en échos sourds dans le lointain des âges .
K J'ai vu mourir enfin leur immortalité ;
On ne saura jamais s'ils ont jamais été . »
404
MERCURE DE FRANCE ,
LE COUCOU.
FABLE.
UN sansonnet de sa cage avait fui ,
Et vers les champs volait d'une aile agile.
Un coucou le rencontre et l'apostrophe ainsi :
De nous autres oiseaux , que dit- on à la ville ?
Du rossignol y prise- t-on les chants ?
-Très-fort .-- De la fauvette ? --On dit qu'elle est gentille ,
Et l'on vante les soins qu'elle a pour sa famille .
-Et du merle ! Le merle a bien ses partisans ;
On trouve qu'il siffle avec grace.
-Et de moi , que dit- on ? -De toi ? pas un seul mot
Personne ne s'en embarrasse.
-De moi , rien , me dis -tu ; me prend- on pour un sot?
De ces gens -là vraiment la bétise est extrême :
De moi l'on ne dit rien ; mais j'en parlerai , moi ;
Et mes chants désormais seront pleins de moi - même.
Que de gens qui seraient ignorés comme lui ,
Si d'eux ils ne parlaient sans cesse !
L'impudence les sert , et souvent cette espèce ,
En se louant beaucoup , séduit encor autrui.
4 J. L. GREN US.
VENTOSE AN X. 405
ENIGM E.
FEMME EMMES , enfants , vieillards , ne peuvent se lasser
De prêter leur oreille à ma voix séduisante
;
Et , de leur propre aveu , quoique souvent je mente ,
Par mes contes toujours ils se laissent bercer.
S'il n'était indécent de se louer soi - même
Je dirais que du sort les coups sont superflus ,
Lorsqu'il faut m'arracher au malheureux que j'aime ,
Et qu'on peut me nommer bien de qui n'en a plus.
LOGOGRIPHE.
Je suis haut , fier ; mon caractère E
Passe partout pour orgueilleux ;
Aussi voit on ma tête altière
Sur onze pieds chercher les cieux.
J'ai payé cher ma suffisance ,
Et je porte au fond de mon coeur
Le regret, l'ennui , le malheur
Dont j'abreuvai longtemps la France.
Si ces traits sont insuffisants ,
• Tu peux décomposer mon étre ,
Jouet de tant d'événements.
Souvent il m'a fallu paraître
Sous bien des aspects différents.
D'abord , l'ami d'Alcibiade
Se présente à toi sur sept pieds.
L'ami ! ....j'entends , vous souriez ;
Mais le pays des Miltiade
T'offre encor un grand nom justement célébré
Dans la savante antiquité ;
1
"
T
406 MERCURE DE FRANCE ,
Ensuite un animal immonde ;
De tout métier le plus triste du monde ;
Le plus léger des éléments ,
Même les fameux instruments ,
Avec lesquels on y fait des voyages ;
Le ton de la plupart des sages ,
Le nom d'un célèbre conteur ,
Mais d'un conteur de comédie ;
Terme qui doit faire partie
De l'idiome du bréteur ;
Une échange commerciale ;
De cupidon l'arme fatale.
Encor un mot ? Hé bien , de l'Angleterre
Un usage transmis à tous nos grands repas.
Me permettras- tu donc à présent de me taire ?
Comment à tant de traits ne me connaître pas ?
G. A.
Mots de l'Enigme , du Logogriphe et des
Charades insérés dans le dernier Numéro.
Le mot de l'Enigme est procès.
Celui du Logogriphe est foi.
Les mots des Charades sont carnaval et détresse,
VENTOSE AN X. 407
EDITION complète des Euvres d'ANTOINE
THOMAS , de l'Académie française. Chez
Desessarts , place de l'Odéon . 7 vol . in - 8.º
24 fr. Les deux derniers se vendent à part ;
in- 8.7 fr. , et in- 12 , 5 fr .
En voyant réunis , comme en un seul monument
, ce que nous avait donné le travail de
Thomas , et les commencements de ce qu'il préparait
pour l'avenir ; ces premiers discours qui
élevèrent sa réputation , et si promptement et
si haut , et ces projets d'épopée qu'il aurait désespérément
suivis jusqu'à sa dernière vieillesse ;
quand on se rappelle l'élévation de son ame ,
combien il desirait la gloire , et combien il la
voulait pure , on ne sait ce qu'on doit regretter
davantage , ou qu'un espace de vie trop limité
n'ait point suffi à une si noble ambition , ou que
des desirs si vastes ayent fatigué son ame et accéléré
la décadence de ses forces. Ses yeux mourants
jetaient un regard douloureux sur ce grand
ouvrage de la Pétréide, par lequel il avait espéré,
dans sa jeunesse , associer son nom à ceux des
plus grands poètes. Il avait assemblé , non des
matériaux ordinaires , faciles à remuer et à polir ,
mais des masses et des rochers dont il avait taillé
quelques- uns , se promettant de les réunir et de
disposer un édifice . Vain espoir ! Je ne laisserai ,
disait - il , dans une lettre , trois ans avant sa
mort , « Je ne laisserai que des ruines , qui res-
<< sembleront trop à celles de nos jardins anglais ,
<< des ruines mortes en naissant et qui n'ont hérité,
408 MERCURE DE FRANCE ,
« d'aucun grand souvenir. Je me sens loin de
<< la force qu'il faut pour reprendre et continuer
«< mon ouvrage . » Et vers le même temps il
s'écriait « Misérable espèce humaine ! Depuis
«< deux ans , je travaille à conserver ma vie . Čela
« en vaut-il la peine ? ... Eh! qu'importe de vi-
« vre , puisque tout est si fragile , si court , etc. >>
Ce langage est touchant , et l'on s'intéresse à
cet homme studieux , ardent , courageux , qui
ne vécut que pour l'avenir. Il ne regardait que la
postérité , et l'envisageait en face , et ne pouvait
souffrir , disait-il , ceux qui , lorsqu'on la
nomme , pâlissent et detournent la tête, Voilà
donc quelle amertume remplace l'illusion , et
comme l'espérance trompée se flétrit ! Du moins ,
il ne manqua pas à la gloire' ; il s'efforça de la
mériter , et employa sa vie . Il est toujours pénible
d'avoir satisfait d'honorables desirs ; mais
un chagrin plus inconsolable est celui d'avoir
pu s'illustrer par des travaux , et d'avoir consumé
vainement et dissipé ses beaux jours .
Les lettres qu'on a recueillies de Thomas
furent toutes écrites pendant cette dernière
époque de sa vie. Elles respirent , ainsi que
les
derniers entretiens que ses amis se rappellent ,
une mélancolie , une sorte d'exaspération secrète
qu'il dissimulait mal aux autres et à lui-même ;
car il n'était pas content de ses contemporains
et il lui semblait que leur admiration se retirait
de lui , et que sa réputation commençait à déchoir.
Il le disait ainsi lui-même , et peut-être
qu'en allant au loin , il fuyait Paris autant qu'il
cherchait la santé . Il vanta les solitudes champêtres
qu'il visita , et crut s'y reposer ; mais on
soupçonne que Lyon eut pour lui plus d'attrait,
VENTOSE AN X. 409
1
1
et que les honneurs
qu'il
y reçut
lui plurent
.
Surtout
il se consolait
par la communication
avec
ses amis , et il s'écrie
quelque
part , qu'il
s'attache
à son sentiment
pour
eux comme
le
malheureux
Pilatre
s'attachait
de toutes
ses
forces
à sa galerie
, en tombant
du haut
des
airs . Quelle
image
funeste
! Pilatre
et Thomas
semblent
tous deux
renouveler
la fable
d'lcare
;
mais
Pilatre
seul avait
été téméraire
.
Thomas aurait pu compter beaucoup d'amis,
mais il n'admettait que ceux dont l'ame lui semblait
en harmonie avec la sienne. Il n'y eut d'exception
que pour Barthe ; il le vit périr et le
pleura , après lui avoir été fidelle , malgré toutes
ses inconvenances ' , et put dire qu'il avait traîné
jusqu'à la fin le poids de cette amitié. Mais les
vraies délices de ce sentiment furent pour lui ,
dans le commerce de Ducis , de M.me Necker ,
de M.me Monnet. La dernière est connue par ses
Contes orientaux , qui peignent fort bien son
genre d'esprit. Elle portait , dans toute sa vie
et dans son amitié , je ne sais quel tourment intérieur
qui était fait pour intéresser vivement
un homme aussi sensible que Thomas . Cet intérêt
était presque celui d'une douce compassion
; un exercice de la bonté. Celui qui l'attachait
à M.me Necker était bien plus fort et même
il paraissait de plus d'un genre , la renommée
de l'époux , la bienfaisance de la femme , l'admiration
qu'ils lui prodiguaient tous deux . Cette
maison était pour lui le temple de la gloire , il y
rendait un culte assidu , et en recevait un qui
ne l'était pas moins. On sait que cette dame et
lui vécurent dans un mutuel et vertueux enthousiasme.
Mais cet enthousiasme les tint à une
410 MERCURE DE FRANCE ,
hauteur d'idées et de langage où nous autres
mortels craindrions de nous élever dans la conversation
ou dans le commerce épistolaire . Ils
parlent de l'espace , de l'infini , du temps , et de
toute l'ontologie . Ils sont au dessus de la terre
et conversent dans le langage des planètes. « Le
« monde , lui dit- il , le monde qui vous entoure
« ne peut vous suffire ; vous vivez comme les
<< Cassini et les Newton , qui avaient les pieds
sur la terre et la pensée dans les Cieux. »
Elle lui répondait des choses non moins admirables
, du genre de celles qu'elle écrivait aussi
à Buffon ; un peu d'amour platonique tempérait
ces sublimités , et même Thomas ( par respect
humain ) y mêlait un air de galanterie . Lorsqu'il
lui rend compte de son voyage à Vaucluse , il ne
manque pas de comparer son héroïne à celle de
Pétrarque ; à cette Laure , célébrée dans ces vers
charmants :
4
Non sa egli come amor ancide e sana.
Che non sa come ella dolce sospira ,
E come dolce vide , e dolce parla.
Vous allez croire que Thomas exagère ; mais
sachez qu'au contraire c'est Pétrarque qui rêvait
les perfections de sa Laure , et que la réalité est
ce que Thomas voyait tous les jours . O! que les
métaphysiciens en amour sont heureux !
Cette illusion est touchante , mais on aperçoit
l'illusion ; et on est plus satisfait de sa correspondance
avec Ducis que de celle avec M.me Necker.
Le ton en est moins solennel , et le mérite
moral et littéraire de cet ami est un fond qui
supporte mieux les ornements de l'imagination : il
s'en faut bien qu'il le flatte. « Mon cher ami , vous
VENTOSE AN X. 411
·
« êtes le missionnaire du théâtre ; vous faites
« la tragédie comme le père Bridenne faisait
«< ses sermons , parlant d'une voix de tonnerre ,
<<< criant , pleurant , effrayant l'auditoire , comme
<< on effraye des enfants par des contes terri-
«< bles , les enlevant tous à eux - mêmes avant
qu'ils ayent eu le temps de se défendre , mê-
<<< lant dans l'éloquence le désordre à la gran-
<< deur , et trouvant , sans y penser , le sublime
<< dans le pathétique . Mon cher Bridenne , je
<< voudrais bien pouvoir assister à votre sermon
du roi Léar. »
«
Nous observerons en passant que dans ce peu
de lignes où Thomas badine , on trouve ce caractère
qui donna tant de gravité à son éloquence
, cette volonté d'exprimer tout ce que
contient une idée , et de ne l'abandonner que
quand elle ne fournit plus rien. Un autre se serait
borné à dire : Vous êtes le missionnaire du
théâtre , vous faites la tragédie comme le père
Bridenne faisait ses sermons . Mais le voilà qui
ajoute la peinture et presque la pantomime du
père Bridenne , et puis celle des enfants qu'on
'effraye par des contes ; et ensuite le désordre
mêlé à la grandeur , et le sublime trouvé sans
y penser dans le pathétique . Ce n'était pas sans
Y penserque Thomas le rencontrait . Nous n'avons
garde d'en multiplier les exemples ; ils abondent ;
mais il faut nous hâter dans un extrait , et parler
de son poème , ou de cette pensée épique qui
l'occupa et le consuma pendant vingt - cinq ans ,
sans qu'il ait pu la réaliser.
Puisque chacun publie aujourd'hui ses souvenirs
, celui qui écrit ceci s'honore de dire que
dès l'an 1760 , M. Thomas lui récita quelques
412 MERCURE DE FRANCE ,
vers , les premiers , sans doute , qu'il destina
pour cette grande composition . Il croit les reconnaître
dans le chant de l'Angleterre , en particulier
celui - ci , en parlant de la liberté romaine
:
Et l'ame de Caton fut son dernier asile ,
et ceux qui suivent immédiatement :
Sur sa tombe sacrée elle versa des pleurs ,
Et courut dans le Nord pour venger ces douleurs.
Là , parmi les forêts , les rochers et les glaces ,
Elle donna le jour à de nouvelles races ,
Tout- à coup les lança du sein de leurs déserts ,
Et du monde opprimé courut briser les fers .
Il est clair que ces vers peuvent être d'un jeune
homme , et n'ont point la coupe laborieuse et
cette empreinte de travail qui se remarque dans
les autres. Ce fut deux ans après , que , s'occupant
de Duguay-Trouin et de la gloire maritime , il
imagina le chant de la Hollande , Lorsqu'il youlut
bien me faire sa première confidence , je lui
demandai quel était son plan ; il ne put faire
qu'une réponse confuse , qu'il méditait une conception
immense qui étonnait le génie . Huit
et dix ans après , lorsque je réitérai ma question ,
il ne me dit rien de plus clair. Un jour , qu'il
vint me voir , je voulus lui conseiller de réduire
son sujet , en l'intitulant : Voyages du Czar
Pierre. Il se tut , et un air de dépit se marqua
dans son sourire . Il avait résolu de peindre une
action très - étendue ; la révolte du Czarowitz en
devait faire partie , ainsi , dit - on , qu'un épisode
d'un prince tartare , banni de ses états. Cet .
1
VENTOSE AN X. 413
celui qui
épisode manque . Il n'a véritablement chanté que
les voyages de son héros , en Hollande , où il
est instruit par le génie de la marine ; en Angleterre
, par celui de la liberté ; en France
par celui des arts , en Allemagne , par celui
préside aux richesses souterraines . Toujours des
génies ! des êtres moraux ! quoiqu'il ait dit ( tome
VII , page 121 ) : « Ce genre de merveilleux ,
adopté par Voltaire , par égard pour des têtes
françaises et philosophiques , est une sorte de
<< voile transparent qui laisse peut - être voir l'ob-
«< jet moral de trop près. Mais par cette raison
<< même , il ne s'empare point assez de l'imagi-
«< nation , et ne lui donne point de ces secousses
<< vives et fortes , dont l'homme a besoin pour
<< sortir de son calme habituel , et oublier sa
« propre nature , au dessus de laquelle il doit
<< s'élever , soit par l'admiration , soit par la ter-
«<<
<<< reur , etc. »
Comme dans Virgile , le vaillant Enée pleure
souvent par tendresse ; ainsi l'infatigable Pierre ,
à force de travail , est souvent vaincu par le sommeil
; il s'endort au chantier de Sardam, il s'endort
au fond d'une mine , en Allemagne , etc.; et toujours
en dormant , il brille d'une majesté divine ;
et toujours il a quelque songe prophétique ,
admirable . Cette machine , si c'en est une , est
encore imitée du songe de Henri IV , mais si
on s'en sert plusieurs fois , on est soupçonné de
stérilité .
y
a des gens attachés à leurs vieilles lectures
, qui aimeront mieux les voyages d'Ulysse
ou ceux de son fils , dans Homère et dans Fénélon
, que ceux du Czar dans M. Thomas ; et
les inventions de la fable , que les détails de
414 MERCURE DE FRANCE,
marine et de minéralogie. Les richesses de la
science ne valent pas , en poésie , les charmes
de la fiction . Quelle muse amoureuse du geure
ténébreux a suggéré à ce poète le Chant des
mines , dont les DOUZE CENTS VERS obstruent si
violemment une épopée , et cette descente dans
des paniers , et par des échelles , et le long des
rocs , aux abymes qui recèlent le métal , et le cortége
lugubre qui , à la clarté des torches , embarque
le héros dans son voyage , et entonne
pour lui un requiem.
Dieu , maître de la mort ! si leur frêle poussière
Ne doit plus remonter vers la douce lumière ,
Daigne les recueillir dans ton sein paternel .
Donne leur , Dieu des morts , le repos éternel.
Le repos éternel! à l'oreille attentive
Trois fois fut répété par la roche plaintive ,
L'abyme murmura le repos éternel.
Quel chant , s'écria Pierre , affreux et solennel !
On sera de l'avis de Pierre ; mais il ne faut
point se hâter de rejeter l'ouvrage d'un homme
tel que Thomas. Je serai juste . Je ne l'ai jamais
entendu parler de cette partie de son poème.
Mais je suis persuadé qu'il se félicitait de l'avoir
créé , et qu'il croyait s'être élevé à la sphère la
plus voisine de Milton . Je lui pardonne cette
illusion quand je remarque une foule de beautés
âpres , qu'il a répandues dans ce sujet si nouveau
pour la poésie . Dans le peu que je viens
de citer , j'aime ce vers :
L'abyme murmura le repos éternel.
Il y a grand nombre de vers Ilya , frappés fortement,
VENTOSE AN X. 415

2
savamment fabriqués , mais un grand malheur est
qu'ils ne rompent pas la monotonie , et qu'à
chaque instant on revoit les mêmes formes et
on entend les mêmes sons , ce qui , à la longue ,
tuerait les chants d'Orphée lui -même. Il est évident
qu'il a imaginé ce chant des mines pour
équivalent à ces descriptions des enfers , que l'on
admire chez Homère et Virgile , chez le Tasse
chez ce Milton, que je ne sais quel auteur ( anglais
je crois ) a appelé le poète excellemment infernal.
L'intérieur d'une mine , ces ténèbres , ces
flammes , ces bruits des outils qui se brisent
des roues qui gémissent , des rochers qui éclatent
, offrent des images très - approchantes de
l'enfer. Mais M , Thomas n'a pu oublier que ces
grands poètes ont grand soin de remédier à la
terreur en conduisant dans des lieux de délices ;
Virgile dans son Elysée , Milton dans Eden. Le
génie de Thomas n'est pas si heureux en contrastes
, quoiqu'il les aimât beaucoup et qu'il en
parlât souvent. Car ce mot était répété sans cesse
par Barthe , son écho , qu'on appelait aussi son
errata. Le contraste donc qu'il a imaginé pour
la peinture des mines , est celle de toutes les
cavernes de la terre , de tous ces grands et obscurs
laboratoires de la nature où elle travaille
les métaux , les diamants , etc. , etc .; du noir il
passe à du noir. Le Czar , profondément endormi
sur un rocher d'argent , sous une voûte argentée ,
et reposant comme un dieu, rêve une promenade
souterraine. L'idée de cette promenade
n'est pas précisément nouvelle dans la poésie.
Virgile l'a indiquée dans sa fable d'Aristée , et
le Tasse , dans son épisode d'un sage enchanteur.
L'un et l'autre révèlent les berceaux des
416 MERCURE DE FRANCE ,
·
fleuves , Thomas dissèque savamment la matrice
des métaux , des diamants , de tout ce qu'a enseveli
plus profondément l'avarice de la nature ,
et que celle des hommes cherche à lui dérober
et à lui ravir. Je le répète , il en tire des trésors
d'une instruction que n'a jamais cherché
l'Epopée , et comme son héros ne ressemble à
aucun autre , sa poésie étonne l'oreille de sons
hardis et inconnus , d'une suite de vers fort travaillés
, fort beaux et admirablement fatigants.
L'imagination qui aime tant à varier et se dé
lasser , ne trouve chez lui que travail , fierté
stoïque , chagrin de philosophe ; et ce songe qui
devait , en reposant le Czar , le récompenser
du courage qui le conduisit au fond des mines ,
ce songe
finit par une épouvantable phantasmagorie
, dont on serait malade pendant huit jours.
Tout-à- coup le Héros entend des cris funèbres ,
De longs gémissements , des fers dans les ténèbres ,
Se roulant , se traînant l'un sur l'autre heurtés .
Le Héros tressaillit de lugubres clartés
Guident ses pas ; il marche à ces voix douloureuses.
Il croit voir dans la nuit des ombres malheureuses
Pleurant
Ce participe rejeté au commencement d'un
vers , ne fait pas un effet heureux . Suivons :
....... elles formaient un innombrable essaim ;
Et de longs traits de sang leur sillonnaient le sein.
Il distingue à l'entour des roches éclatantes ;
C'était des mines d'or , mais de sang dégouttantes :
L'or distillait le sang , l'or distillait les pleurs.
Où suis-je ? quel spectacle et quel cri de douleurs . !
J'aperçois sous ce globe un monde de victimes ,
Est-ce ici le Tartare où l'on punit les crimes ?
VENTOSE AN X. 417
·
-Oui. Tu vois un enfer créé par les humains .
C'est ici , c'est ici que de barbares mains
Ont plongé les enfants de la vaste Amérique .
Deux cents peuples , semés sous le double tropique ,
Sont disparus ici sous les coups des tyrans ;
A des peuples de morts succédaient des mourants ;
L'esclavage y tremblait en servant l'avarice.
Pour hâter la richesse , on hâtait le supplice.
Sur des tas d'ossements roulait chaque trésor ;
Les habitants d'un monde ont péri pour de l'or.
Vois leurs mânes plaintifs . Un jour dans tes contrées ,
Quand l'homme creusera des mines ignorées ;
Ce spectacle sanglant t'avertit d'être humain .
-J'en fais , dit le Héros , le serment dans ta main.
Ah pour les rois , dit- il , que de leçons sublimes !
Que les trônes sont bas au fond de ces abymes , etc.
Voilà le rêve que donne Thomas à son héros
pour le délasser au fond des mines ! et en même
temps il suit le sien ( qui était alors le rêve à la
mode) , de donner aux rois des leçons sublimes.
N'en est-ce pas une de leur dire : Que leurs
trônes sont bas au fond de ces abymes ? Je
souhaite que cette incorrigible espèce , appelée
les rois , s'amende par les leçons des poètes et
des philosophes ; mais en attendant les poètes
trouveront ici une leçon utile pour eux . Il est
toujours bien fait de gourmander les puissances
comme fait Thomas , qui tumido dilitigat ore.
Mais il faut se souvenir pour soi- même et pour
ses vers , du précepte tant répété par Horace , et
Despréaux , et Voltaire ; variez vos tons , passez
du grave au doux.
L'hexamètre est fort beau , mais parfois ennuyeux.
7.
27
418 MERCURE DE FRANCE ,
La grandeur sans variété et sans souplesse ;
est un colosse sans jointures et qui ne peut
se mouvoir. Tel fut le poème de Thomas
dans sa tête ; il ne s'y débrouilla jamais ; il
a obstinément tâché de rouler cette pierre
tournant autour comme aurait eu à faire ce
sculpteur grec qui voulait tailler le mont
Athos en statue ; il en a arraché quelques blocs ;
il y a imprimé fortement et savamment son
ciseau ; les connaisseurs , en voyant ces fragments
, diront : Cet homme savait manier l'outil;
beaucoup de ses vers ont le mérite qu'on
appelle de facture , jamais le bonheur de la grace.
On montrerait aisément qu'il a presque le même
mécanisme de versification que Delille , son
contemporain , son ami , et qui , étant plus jeune
de quelques années , parut d'abord presque son
J
élève ; mais leurs poèmes qui existent et qui
prouvent entre eux cette espèce de ressemblance,
montrent bien en même temps qu'à Delille seul ,
par la flexibilité de son talent et le choix de ses
sujets , appartenait de s'asseoir entre les grands
poètes. La place de Thomas est parmi les
hommes de beaucoup d'esprit , d'une vaste instruction
, d'un travail obstiné , qui font tout ,
et même des vers , mais jamais la poésie , disait
Métastase dans une lettre que j'ai vue , i verst
bene , ma non mai lapoesia : la Muse , lorsqu'ils
naquirent , n'a point regardé complaisamment
leur berceau ,
Quos non Melpome semel
Nascentes placido lumine viderit.
N'anticipons pas ce que nous dirons à la fin
de notre article sur cet homme très- estimable ,
VENTOSE AN X.
419
et présentons aux lecteurs un autre morceau
de son poème. Nous en présenterons d'autres
encore à la tête de nos prochains numéros . Ils
en seront ornés ; car ses vers , en manquant de
quelque attrait , sont rarement dépourvus de
mérite .
Voyons le Czar lancer à la mer le vaisseau
qu'il construisit à Sardam.
Trois fois l'astre des nuits , parcourant sa carrière ,
Avait vu dans les cieux éclipser sa lumière ;
Et , ramenant trois fois son disque renaissant ,
Avait de nouveaux feux argenté son croissant.
Tout est prêt. Du vaisseau , la structure immortelle
Semble d'un art divin présenter le modèle.
Déja les ais serrés ont revêtu ses flancs ;
Le bitume épaissi sur les fourneaux brûlants ,
A la fureur des eaux le rend impénétrable.
Le rivage est couvert d'une foule innombrable.
Sous le regard de Pierre , un prodige nouveau
Au sein des vastes mers va lancer ce fardeau .
Environné d'appuis , le colosse tranquille ,
Reste encor suspendu sur son centre immobile,
Le s'gnal est donné. Le vaisseau chancelant
S'ébranle ; on voit marcher ce colosse tremblant .
Sa pente s'accélère , et les cris retentissent.
Les cables sont rompus , les madriers gémissent .
L'air siffle , le sol tremble. En sa course emporté ,
Comme un bruyant tonnerre il est précipité :
Son chemin est brûlant ; son lit fume et s'embrase
La rive a disparu sous le poids qui l'écrase ;
L'onde mugit , bouillonne , et s'ouvre en frémissant ;
Le vaisseau dans son sein s'élance en bondissant .
Jusqu'en ses profondeurs la mer est ébranlée ,
Le noir limon se mêle à la vague troublée ;
420 MERCURE DEFRANCE,
Elle roule en fureur , et le flot écumant
Frappe , à coups redoublés , le rivage fumant.
Jamais procès - verbal d'un vaisseau lancé ne
fut si complet et si brillant. Virgile n'aurait pas
voulu, accumuler tant de détails ; mais Lucain
s'y serait plu , et Stace encore davantage. Quoi
qu'il en soit , au défaut peut- être des Muses ,
Neptune est content.
Ce bruit a pénétré dans ces grottes profondes
Où le vieil Océan , le souverain des ondes ,
Garde , loin du tumulte , une éternelle paix .
Il sort des branches d'algue , et de roseaux épais
Ombragent de son front la vieillesse éternelle ,
Une flamme azurée en son oeil étincelle ;
Il tenait dans sa main ce sceptre redouté ,
Qui frappe quelquefois le globe épouvanté.
:
De sa main immortelle il toucha le navire ,
Et dit je te reçois au sein de mon empire ,
Vaisseau sacré , bâti de la main d'un Héros ;
Que sous ton pavillon la mer courbe ses flots.
....
Nous avons regret à supprimer quelque chose ;
mais c'est la faute de Thomas , toujours long ,
lors même qu'il est très - beau . Aurions- nous mis
ce vers-ci ?.
La mer devant son roi s'incline avec respect.
Il faut mettre fin à cette critique , et résumer
notre opinion sur cet homme qui a honoré une
belle époque du dernier siécle , qui excita l'attention
publique , lorsque de si grands talents
VENTOSE AN
REP
2
l'occupaient , qui se montra plutôt leur émuls
que leur élève , qui lui même , de bonne heure
entouré d'admirateurs et de disciples , paruti
avoir formé une école et créé un genre noble et
moral.
Voici ce que nous écrivions sur lui,. il y a
quelques années , lorsqu'on publia cette relation
de la captivité du grand Fréderic à Custrin
, qui termine la nouvelle édition :
Thomas a su , dans cette intéressante anecdote,
allier la simplicité du récit à la dignité historique.
Ce morceau , et quelques notes de ses
éloges , prouvent que s'il eût entrepris d'écrire
l'histoire , ce n'était pas le talent qui lui aurait
manqué ; il en avait beaucoup en des genres trèsdivers
. La poésie , l'éloquence , l'histoire , la morale
, la méthode de composer les traités , les
genres même familiers et agréables , rien ne
lui était étranger . Il avait beaucoup cultivé ,
exercé , retourné en quelque sorte un fonds d'esprit
excellent et profond . Heureux , s'il avait su se
contenter du produit naturel de ce fonds , s'il n'eût
pas quelquefois surchargé , exagéré sa pensée ;
si , dans l'espoir idéal de je ne sais quelle perfection
, qu'il desira plus qu'il ne l'a conçut , il
n'avait pas substitué à son talent réel cette manière
ambitieuse , déclamatoire , stoïque que M.
de Voltaire appella un jour du nom malin de Galithomas.
Certes , Voltaire ne prétendait pas ,
par un mot plaisant , retirer l'estime publique
à un écrivain d'un grand mérite , mais indiquerson
défaut , qui était le malheur de tâcher. Thomas
aurait pu éviter ce malheur , et l'on voit de la
facilité et de la grace dans des ouvrages qui sont
incontestablement de lui , quoiqu'il n'y ait pas
attaché son nom. Ce nom , au reste , est respec422
MERCURE DE FRANCE ,
table dans l'éloquence , et marche après les premiers.
Il y a peu d'hommes de lettres qui n'ayent
les OEuvres de Thomas dans leur bibliothéque,
et qui n'ayent lu plus d'une fois son Descartes
et son Marc- Aurele . Ce dernier , surtout , se distingue
par une noblesse , et une élévation de style
plus exempte d'efforts ; mais tous ses ouvrages
annoncent le penseur appliqué , l'homme de courage
. Tous respirent une odeur de vertu qui accompagnera
sa mémoire et attirera encore la
postérité , comme elle laisse un doux souvenir
à ceux qui , comme moi , ont été les compagnons
de sa jeunesse et les témoins de sa vie,
Virtutis veræ custos rigidus que satelles,
B. V.
ELEMENTS de Grammaire générale appliqués
à la languefrançaise ; par R. A. SICARD,
directeur de l'institution des sourds - muets ,
membre de l'Institut national de France , etc.
Seconde édition , revue , corrigée et considérablement
augmentée . Paris , chez Deterville ,
libraire , rue du Battoir , n.º 16 , quartier St.-
André - des -Arcs .
CE livre , que le nom de son auteur et le prompt débit
d'une édition précédente recommandent assez , doit être
distingué de la foule des ouvrages de même nature ;
et cet avertissement devient plus nécessaire que jamais.
Il n'est aujourd'hui personne qui ne veuille faire sa grammaire.
On ne voit que méthodes nouvelles et simplifiées.
On nous montre les conjugaisons en panorama; une gram
VENTOSE AN X. 423
maire générale même , est une oeuvre légère . Cela prouvet
- il que les règles du langage soient mieux connues et
plus suivies ? A peu près , comme la multitude des lois
suppose l'ordre et la prospérité d'une république ; et
jamais on ne vit plus de grammaires , que depuis que
l'on parle moins français.
On conviendra aussi qu'une grammaire , toute excellente
qu'on la suppose , est d'une faible ressource .
pour les progrès et la réforme d'une langue ; ce ne sont
pas les grammairiens , mais les bons écrivains qui forment
les bons écrivains. Et après une révolution , ой
le désordre général s'est introduit dans la langue , où
les abus de la langue ont été un puissant moyen de
désordre , ce seront encore moins les méthodes et les
préceptes qui la ramèneront à son caractère primitif,
et suivant l'expression de Tacite * , rendront le nom
aux choses. Plus d'un siécle après la première tragédie
de Racine , l'abbé Dolivet ne comptait qu'un
seul mot employé par ce grand poète , dont la signification
ait été restreinte ; l'autorité de tous les grammairiens
du monde ne pourrait jamais consacrer une
seule expression .
Mais surtout quelle confiance doivent inspirer
tant de réformateurs indiscrets , qui chargeut de
commentaires ce que mille autres ont dit clairement
avant eux , ou qui , s'imaginant avoir trouvé un système
, parce qu'ils ont rencontré quelque terme barbare
, refont la langue de la grammaire , parce qu'on a
refait celle de la chimie ? Les règles de l'art de la
parole ont- elles si peu de rapport avec le bon goût
et les convenances ? Au reste , il y a place ici bas
pour tous les ridicules . Je remarquerai seulement , que
les juges naturels des difficultés du langage , de ses dé-
Rediit nomen rebus. ANN.
424 MERCURE DE FRANCE ,
licatesses et de ses usages , ont été , dans tous les temps ,
des hommes choisis , recommandables par d'excellents
ouvrages , ou capables d'en produire,
La première grammaire raisonnée sortit de Port-
Royal. Ces petits chapitres que , dans son loisir , le
savant Arnaud dictait au bon Lancelot , renferment
à peu près toutes les vues fécondes que l'on a développées
dans la suite ; ils expliquent, par le raisonnement ,
ce qu'auparavant on expliquait par les , caprices de l'usage
, et montrent que la métaphysique est aussi inséparable
de la grammaire , que la pensée de la parole .
Duclos, par ses notes piquantes , ajoute beaucoup d'intérêt
et d'utilité à la grammaire de Port-Royal . Mais
son respect pour les usages de la langue parlée , l'entraîne
trop loin des sources de l'étymologie. Duclos
par ses nouveautés hardies , a peut -être encouragé
les novateurs de nos jours , qui n'ont ni les mêmes
titres , ni les mêmes lumières. Je passe de suite à
Dumarsais , qui travailla sur le plan de Port-Royal.
Il est probable que s'il eût achevé l'ouvrage dont nous
ne connaissons que les fragments ' épars dans l'Encyclopédie
, on ne serait plus embarrassé sur le choix
d'une grammaire générale . Je pourrais grossir cette
liste des noms célèbres de plusieurs écrivains qui réfléchirent
sur la métaphysique des langues en général ,
ou bien , essayant de remonter à la langue qu'aurait
parlée un peuple primitif , crurent voir la succession
et les alliances des familles de la terre , dans la
variété et les analogies de leurs idiomes , et rencontrèrent
plusieurs vérités en poursuivant une chimère.
D'autres , bornant l'objet de leurs recherches , rendirent
des services plus positifs à l'esprit humain , et
à la langue française . Un abbé Girard , par exemple
, qui fixa les nuances délicates qui distinguent les
mots entre eux ; il avait répondu d'avance aux déclaVENTOSE
AN X.

425
16
F
i
5
mations
que l'on répète aujourd'hui , en démontrant que
la richesse d'une langue ne consiste pas tant dans le
nombre des mots , que dans celui de leurs combinaisons
, ou la variété des formes ; suivant lui , et comme
il est aisé de s'en convaincre par la lecture de nos classiques
, la répétition d'un même mot , n'est jamais
choquante , lorsqu'il est nécessaire à la clarté du discours
, ou qu'il est signe d'une idée différente ; que de
pronoms et de particules répétés dans les vers de Racine ,
sans nuire à leur élégance et à leur l'harmonie. Ainsi ,
notre langue qui exige en quelque sorte des idées parfaites
, n'est vraiment pauvre que pour les écrivains
médiocres. Est - ce un si grand inconvénient de repousser
ainsi la médiocrité ? A côté de l'abbé Girard se place
naturellement le doyen de l'Académie , l'abbé Dolivet,
qui mérita de critiquer Racine , et dont Voltaire
aimait à reconnaître l'autorité . Nous compterions encore
aujourd'hui de dignes collégues de l'abbé Dolivet
, tels que le C. Morellet et quelques autres , dont
on a trop oublié les services , et négligé le secours , etc.
Personne , sans doute , ne pouvait mieux les remplacer
que le respectable instituteur des sourds- muets."
Comme eux , il voit toujours la grammaire dans ses
rapports nécessaires avec la logique ; mais il sut encore
tirer de sa position particulière des ressources qui
manquèrent à ses prédécesseurs. Obligé , dans l'instruction
des sourds-muets , de leur faire considérer le langage
comme la peinture des idées , tandis que , pour
les autres enfants , le langage est la peinture des sons ,
qui sont eux - mêmes les signes des idées ; toutes ses
démonstrations durent être sensibles et rigoureuses .
Les idées intermédiaires , les rapports les plus fugitifs
furent fixés avec précision pour ces intelligences qui
n'avaient été prévenues par aucune habitude de la société
; en un mot , il fallut faire la grammaire pour
426 MERCURE DE FRANCE ,
les
yeux ; et cette marche
, plus lente et aussi plus féconde
, conduisit
quelquefois
l'auteur
à des aperçus
nouveaux
et lui fournit
des procédés
heureux
pour l'enseignement
de l'enfanceen
général
.
Veut- il , par exemple , exprimer la fonction de l'article
qui détermine la signification vague du nom , et
qui sert en quelque sorte à le prendre pour l'employer
dans le discours ? Il le compare à l'anse qui sert à
porter un vase , et cette image sensible est mieux comprise
que la définition la plus complète de l'article.
Un des changements les plus considérables qui distinguent
cette seconde édition , est le système de conjugaison
que M. l'abbé Sicard a cru devoir adopter
d'après Beauzée . On connaît ce système dans lequel
chaque temps du verbe , considéré par rapport à l'instant
de la parole et par rapport à l'époque où s'opère
l'action exprimée par le verbe , reçoit un nom qui indique
ce double rapport . Dans cet exemple , je chantai
hier; je chantai , exprime une action présente par rapport
à hier ; mais une action passée par rapport à
l'instant où je parle . C'est tout à la fois un présent
et un passé , ce sera donc un présent antérieur. Je
chanterai demain , qui exprime une action présente par
rapport à une époque qui doit suivre l'instant de la
parole , sera un présent postérieur.
Le besoin d'abréger ne nous permet pas d'entrer dans .
un plus grand développement et de motiver nos objections
sur ce mode de conjugaison . Nous renvoyons le
lecteur à ce qu'en a dit Condillac. Sa grammaire ,
défectueuse à plusieurs égards , ne laisse rien à desirer
sur le verbe , et le chapitre où il en expose la théorie
passe généralement pour un chef- d'oeuvre d'analyse et
de précision. Le système de M. Beauzée , comme il nous
l'apprend lui -même , lui avait paru , au premier coupd'oeil
, aussi solide qu'ingénieux ; mais , après de múres
VENTOSE AN X.
427
réflexions , il crut devoir l'abandonner en profitant
toutefois de plusieurs vues de ce grammairien célebre.
" Il est vrai , continue- t - il , que ce qui est simultanée
avec une époque , soit antérieure , soit posté-
"
་་
rieure , est présent par rapport à cette époque . Mais
« si , en conséquence , on voulait regarder comme des
présents , j'aime et j'aimerai , on confondrait tout :
- il n'y aurait plus ni passé , ni futur , puisque tout
« ce qui arrive est nécessairement simultanée avec une
époque quelconque.
"
"
«
"
"
"
"
«
"
Et ailleurs :
"
L'époque actuelle ne saurait être plus ou moins
présente ; car ou elle est simultanée avec le moment
où je parle , ou elle ne l'est pas . Si elle l'est , elle
est présente ; et si elle ne l'est pas , elle est antérieure
ou postérieure , et par conséquent passée ou
future . Il n'y a donc qu'une manière d'envisager le
présent, et il n'y a aussi qu'un seul présent dans
chaque verbe j'aime.
"
Je n'ajouterai pas que , malgré les éclaircissements
de M. l'abbé Sicard , la méthode de Beauzée
peut paraître trop compliquée pour l'enfance . Les méthodes
doivent varier comme la portée des esprits ;
chacune est bonne , pourvu qu'elle remplisse son objet
qui est d'instruire .
Je ne crois pas encore qu'il soit nécessaire de surcharger
nos conjugaisons des verbes auxiliaires falloir
et devoir , et je m'appuierai toujours de Condillac . II
montre , par une analyse aussi juste que déliée , que
ces expressions je dois faire , j'ai à faire , que l'on
confond avec des futurs en doivent être distinguées.
Par exemple , si je dis je crains le jugement que
vous devez porter de mon ouvrage ; devez porter est
pour porterez ; mais observons les accessoires qui font
la différence de ces deux tours .
}
428 MERCURE DE FRANCE ,
Si je ne doute pas que vous ne portiez un jugement ,
je préfererai de dire : je crains le jugement que vous
porterez de mon ouvrage ; et je dirai , au contraire ,
le jugement que vous devez porter , si je présume que
votre jugement ne sera pas favorable. Porterez , a donc
pour accessoire la persuasion où je suis que vous jugerez
mon ouvrage , et l'accessoire de devez porter est la
présomption où je suis que vous n'en jugerez pas favorablement.
Or , serait-on fondé , d'après ces accessoires
, à regarder les expressions comme deux futurs
différents ? etc.
a
1
Ne perdons pas une délicatesse de style pour compter
un verbe auxiliaire de plus , et n'enrichissons pas notregrammaire
aux dépens de notre langue . En vain diraton
que le futur indiqué par le verbe auxiliaire devoir
correspond au shell des Anglais : ce n'est pas une
raison pour nous le donner. Assurément les scolastiques
qui voulaient nous apprendre le fraais avec
des rudiments , l'entendaient beaucoup mieux que les
réformateurs qui veulent faire notre grammaire avec
celles des étrangers . Car , enfin , notre langue qui ,
dans ses premiers essais , porte les marques d'une origine
latine , conserve toujours des rapports avec elle. C'est
en y remontant que nos écrivains célèbres ont trouvé
des formes et des expressions heureuses ; c'est en y
remontant encore que peut- être on en trouverait de
nouvelles , que nous laissons dans les écrits de Montagne
, d'Amyot et de Charron.- En un mot , le rapprochement
des deux langues sera toujours fécond ;
c'est un fleuve qui se renouvelle en communiquant
avec ses sources. Mais quels tours et quelles expressions
analogues pouvons -nous tirer d'une langue dont
les éléments , empruntés de la nôtre , ont été assortis
à d'autres vues et combinés avec d'autres idiomes ? Ce
serait peut- être ici le lieu d'examiner cette préférence
VENTOSE AN . X.
429
que l'on donne à la langue anglaise comme plus philosophique.
Avant tout , il faudrait s'entendre sur la signification
de ce mot philosophique. Je suppose , qu'en terme de
grammaire , il soit le synonyme de claire ; et , sans entrer
dans une comparaison détaillée , je remarquerai
que ce ne sont pas tant les détails de la grammaire
mécanique que la grammaire logique , la construction ,
la syntaxe , qui font la clarté d'un langue ou la rendent
philosophique. Nos langues modernes seront d'autant
plus claires que leur construction se rapprochera davantage
de l'ordre logique des idées , ou que , s'en
écartant , elle présentera une variété de terminaisons
suffisante pour indiquer cet ordre.
. Or , je demande à présent si la langue anglaise où
les genres , quelquefois les nombres et les autres accords
de la syntaxe , ne sont pas distingués par les sons ou
par l'orthographe , où les verbes sont modifiés par des
prépositions rejetées à la fin , et qui souvent ajoutent
áu vague de leur signification ; où les inversions enfin
sont plus fortes et plus hardies que dans la nôtre .
peut être appelée plus philosophique.
Il serait trop facile d'opposer à cette étrange assertion
le témoignage de l'Europe entière , et en particulier
celui des bons auteurs anglais , dont la construction
se rapproche insensiblement de la nôtre.
Un homme d'esprit , qui a beaucoup voyagé , observait
dernièrement que les Français étaient le seul
peuple qui n'attendissent pas la fin d'une question pour
y répondre , qui comprissent à demi -mot , suivant l'expression
des étrangers ; et il ajoutait avec raison que
cette particularité était moins l'effet de la promptitude
de leur intelligence , que de la construction de leur
langue , amie de l'évidence et de la clarté . Ceux qui
aiment à étudier le caractère d'un peuple dans le génie
430 MERCURE DE FRANCE ,
de sa langue , peuvent expliquer par là comment
l'esprit de méthode peut s'allier avec la légèreté des
Français , et comment ils sont les seuls qui sachent
faire un livre.
Au reste , cette prétendue supériorité de la langue
anglaise ne peut -être l'objet d'une discussion sérieuse.
Nous ne lui avons donné quelque importance , que
parce que ses partisans se sont autorisés du nom de
M. l'abbé Sicard .
Le traité de ponctuation , tel à peu près que l'auteur
l'a donné dans ses leçons de l'école normale , est
ce que nous avons de plus complet sur cette partie,
intéressante de l'orthographe et du style . Je remar
querai à ce sujet une innovation assez bizarre , et qui
sans doute ne méritait pas d'occuper l'auteur de cette
grammaire ; je veux dire ce doublement et triplement,
d'interjection qui a passé de nos proclamations dans
nos romans et nos brochures . Est- ce que nous aurions
fait aussi des progrès dans l'étonnement !!! Cette observation
, je le répète , est minutieuse ; mais elle tien-,
drait à d'autres plus importantes. Il me semble que ces
plates déclamations dont tout le mouvement et là
chaleur consistent dans des interjections , prouvent
à merveille combien l'affectation est naturelle à l'im-,
puissance .
Plusieurs additions importantes , telles qu'un traité
sur l'analyse numarle de la proposition , déja connue.
dans l'instruction des sourds- muets , une théorie nouvelle
de la conjonction , un chapitre sur l'orthographe
et la prononciation , etc. , recommandent cette seconde
édition . L'auteur y suit un nouvel ordre qui nous
semble plus naturel . Dans le premier volume , il expose ,
la théorie du nom , du verbe , de la préposition , etc. des
différentes parties du discours ; le second volume est
consacré à l'exposition de la syntaxe. Il donne les
VENTOSE AN X. 43ť
mots ou les éléments du langage ; ensuite il apprend
l'art de les arranger !d'une manière convenable pour
l'expression de la pensée .
"
"(
"
Que manque-t-il donc , continue M. l'abbé Sicard ,
à ces éléments sur l'art de la parole , quand , depuis
" un traité des lettres qui composent les mots , jusqu'à
l'art d'écrire correctement les mêmes mots et de les
bien lire , et jusqu'à l'art de revêtir la pensée de
tout ce que la poésie a de charmes dans les expressions
et les tours , aucun intermédiaire n'a élé
"
"
" oublié ? »
Rien sans doute : il est possible cependant qu'on y
desire un peu moins de digressions , un peu plus de sévérité
et de précision dans les développements . Cette
facilité qui reproduit les mêmes choses sous mille
formes diverses , qui multiplie les images et les comparaisons
, et répand à la fois la lumière et l'intérêt
dans une leçon parlée , peut amener bien des
détails superflus dans une leçon écrite. En lisant cette
grammaire , on croit assister aux démonstrations publiques
de l'auteur , et déja nous l'avons justifié en
voulant le critiquer . D'ailleurs , lá précision devient
moins importante dans un ouvrage de cette nature .
Toujours est- il certain que les détails , même superflus
, sont moins embarrassants pour l'élève que la
sécheresse des abrégés. Nous ne savons pas combien
il doit, oublier de choses accessoires et inutiles pour
retenir les principales .
A Nous ne dirons pas quelle tendresee pour l'enfance
respire à chaque page de ce livre ; avec quel soin
aimable , son instituteur seme des fleurs , parmi les difficultés
; ou , s'il vient à les approfondir , avec quelle
clarté et quelle supériorité de méthode il donne deş
leçons à tous les âges . Nous ne répéterons pas ce que
432 MERCURE DE FRANCE ,
tout le monde sait . La plupart des talents se nourrissent
de louanges ; mais lorsque la bienfaisance dírige
l'exercice des talents , ils doivent trouver leur
récompense loin du bruit et de l'approbation des
hommes.
G.
Le Valet du Fermier , poème champêtre , par
ROBERT BLOOMFIELD , traduit de l'anglais ,
sur la dernière édition ; un volume in - 12 ,
sur papier superfin d'Angoulême , orné de
dix jolies gravures ; prix , 2 fr. 50 cent. , et
3 fr. , franc de port. Idem , papier vélin ,
dont il a été tiré quelques exemplaires ;
prix, 5fr. , et 5 fr. 50 cent:, franc de port.
A Paris , chez Dentu , imprimeur- libraire ,
palais du Tribunat , galeries de bois , n.º 240 .
Avec cette épigraphe :
L'AUTEUR
Valet de Berger.... il n'aspire point
de plus hauts titres .
' AUTEUR du poème dont nous annonçons la traduction
, Robert Bloomfield , est cordonnier pour femme,
C'est dans un grenier , et au milieu de six ou sept ou
vriers , qu'il l'a composé , à l'insçu de ses camarades ·
il travaillait de tête , faisait , défaisait , corrigeait ses
vers ,sans quitter un seul instant l'alêne pour la plume ,
et il ne les a confiés pour la première fois au papier ,
qu'après les avoir mis au net dans sa tête ( 1 ) . Disons ,
* Le traducteur rappelle dans une note que cette manière
de travailler était celle de Crébillon . ( On dit à peu près la
VENTOSE AN X. 433
pour ne le point céder à nos rivaux , que nous possédons
un auteur qui est parvenu à se dispenser d'écrire
même une fois ses ouvrages , et qui jouit de la faculté
de les faire passer immédiatement de son cerveau à la
presse ; à force d'écrire , on nous assure qu'il s'est mis
en état de s'en passer , et de substituer à la lenteur
et à l'attirail des manuscrits , cette méthode expéditive
et sans rature. Quant à Robert Bloomfield , nous devons
dire encore , qu'avant de prendre la profession de cordonnier
, il avait été , deux ans , le personnage qu'il
chante , Valet de Fermier. Les journaux , qu'on accuse
parmi nous d'étouffer des poètes naissants , et même
de faire pâlir des poètes éprouvés , donnèrent les premiers
l'impulsion à celui-ci . Ainsi , tout s'expie et se
compense.
Et par où l'un périt , un autre est conservé.
Avec le porter du jour , on apportait régulièrement aux
ouvriers le journal de la veille . Robert faisait la lecture ,
2
même chose de l'abbé Delille ; il n'écrivait , dit-il , ses pièces
de théâtre qu'après les avoir composées en entier et corrigées
dans sa tête. Passe ; mais il ajoute , qu'à sa mort on
en aperduplusieurs qu'il n'avait pas eu le temps de confier
au papier. Cette anecdote ne mérite aucune confiancé.
Tout le monde sait que Crébillon a terminé , plus qu'octogénaire
, sa carrière dramatique par le Triumvirat, ou la
Mort de Cicéron , joué en 1754. Il mourut huit ans après
en 1762 , âgé de quatre -vingt -huit ans. Certes , ce n'est pas
Le temps qui lui a manquépour confier ses pièces aupapier;
et qui pourra croire que c'est dans le cours de ces huit années
, et toujours avec la même confiance en sa mémoire
' plus qu'octogénaire , qu'il a composé plusieurs pièces ?
Du reste , celle par laquelle il a fini , ne laisserait aucun
› regret. Les personnes qui conservent les souvenirs et les
anecdotes de cette époque , ne parlent que d'un Cromwel ,
dont il avait conçu le projet , et , dit-on , composé quelques
scènes.
7.
28
434 MERCURE DE FRANCE ,
cherchait dans un petit dictionnaire les mots qui l'embar
rassaient , « et s'élevait ainsi par degrés , de l'intelligence
des longs et beaux discours des Burke et des Fox , à
« celle des Saisons de Thompson , du Paradis perdu , des
romans qu'il rencontra , dédaignés et sans estime , parmi
les livres d'un calviniste outré , dont il fit par hasard
• la connaissance .
"
33
Au reste , nous renvoyons le lecteur à la notice sur
Bloomfield , insérée dans notre N. XXXIII : parlons
aujourd'hui de l'ouvrage.
Il a obtenu en Angleterre , un succès d'enthousiasme ;
on en a fait , en six mois , trois éditions ; une souscription
à une guinée l'exemplaire. Les libéralités du duc
d'Yorck , du duc de Grafton , ont témoigné à la manière
anglaise , l'estime publique et la satisfaction générale ;
enfin les suffrages littéraires se sont unis à tant de
bienveillance et de générosité. Un petit livre , quelques
vers , ont égalé le sort de Robert à celui de Tibulle
, et le cordonnier poète jouit aujourd'hui , comme
le poète chevalier * , de tous les biens qui rendent heureuse
la vie d'un honnête homme , la considération et
l'aisance ; joignons -y un peu de bonne grace et la santé,
et tout ce qu'Horace adressait au doux chantre des
Elégies , conviendra à ce nouveau chantre de la campagne
:
Utque
Gratia , fama , valetudo contingat abundè
Et mundus victus , non deficiente crumenă.
On peut douter que , dans les mêmes circonstances ,
un poète recueillit parmi nous autant d'avantages. Hors
le cercle des gens de lettres , les phénomènes littéraires
, y trouveraient , je crois , assez d'indifférence ; les
goûts et les esprits ont une autre direction ; mais il nous
paraît que les juges naturels des talents n'auraient point
* Tibule était de l'ordre des chevaliers
2
2
435
VENTOSE AN X.
refusé leur estime à l'auteur d'un tel ouvrage. Même
en se produisant dans la simplicité de la prose , il laissë
deviner les graces de la poésie . Le Valet du Fermier ,
est , sous une forme nouvelle , un poème des Saisons.
Moins ambitieux que tous ceux qui l'ont précédé dans
la même carrière , et qui ont traité le même sujet ,
Robert Bloomfield n'a cultivé qu'un coin de ce vasté
'domaine ; mais il l'a soigné avec une naïve élégance .
C'est un fleuriste dans un parc . Robert n'est point sorti
de son état ; il fut valet dans la ferme ; il ne fait
point le maître dans le poème. Les travaux du servi
teur ," ses peines et ses plaisirs , ses occupations et
ses loisirs , voilà le cercle qu'il a parcouru dans la
vie , et il s'y est tenu dans l'ouvrage. Sous le hom tout
naïf de Gilles , il s'en est fait le héros , et n'a chanté
que Robert Bloomfield . Mais parlons de Gilles.....
De Gilles , doux , pauvre et privé de son père. Le
travail était son partage , mais il n'avait à redouter
ni les coups ni la tyrannie . Sa vie était une servi▴
tude gaie et constante; étranger au monde , son main-
- tien était timide ; les champs furent son étude , et
la nature son livre ; et lorsque les saisons amenaient
tour- à-tour la chaleur et le froid , le calme et la tema
pête , quoique chaque révolution variat don emploi ,
chaque nouveau devoir lui apportait sa part de plaisir..
Ce fut la que son coeur goûta les premiers charmes
de la nature ; elle imprime la religion à l'homme
quiTobserve. Son généreux maître cultivait une ferme
peu vaste , et's'y distinguait par ses vertas , on le
chérissait pour son hospitalité ; on le servait par affection
, et sa probité le rendait respectable . Une
« famille satisfaite environnait sa table abondante ; ses
champs étaient fertiles , et ses greniers remplis ; il
nourissait quatre Tors vingt brebis , un attelage robuste
, et son 'troitpeau mugissant , paissait sur les
«
K
ee
K
436 MERCURE DE FRANCE ,
" n.
« ` bords du ruisseau . Occupé sans relâche de soins in
dustrieux , Gilles ne manqua jamais d'occupation .
On a du plaisir à entendre parler ainsi de son état ,
un homme qui s'en montre aussi naturellement satisfait.
Un paysan chanter la campagne qu'il aime ; un
serviteur nous entretenir de son maître , auquel il
ne porte point envie ; rien de tout cela n'est commun.
Cette vérité , que les chantres du bonheur champêtre
tâchent tous de trouver , et qu'il est si difficile de rencon→
trer quand on tâche , est enfin retrouvée , c'est elle-même
qui parle ; et voilà sans doute la véritable raison du
plaisir qu'on aura , si nous en jugeons par nos impressions
, à la lecture de ce petit ouvrage .
C'est donc ici une véritable bucolique , et pour la première
fois , peut -être , il arrive à la poésie de moduler
les entretiens d'un véritable bouvier . Théocrite , poète
de cour , a imité les bergers de Sicile ; Virgile a imité
Théocrite ; Fontenelle imita les galants de ruelle ; et
Gessner , le touchant , le moral Gessner, n'a point imité ,
quoi qu'on en veuille dire , les bergers de ses Alpes;
mais , romancier de la pastorale , il s'est fait absoudre
par le sentiment . Ici , dans ce poème , les graces du
printemps , et tous les soins champêtres dont il ouvre
le cercle , la laiterie , le fromage de Chester , les jeux
des agneaux , sont décrits au naturel , et chantés en présence
des objets . On trouvera , je crois , qu'il fallait
soi-même avoir gardé les vaches , pour décrire , ainsi
qu'on va le lire , leur marche vers la laiterie , où nous
allons les voir traire. La laitière , au milieu des
" vapeurs du lait et de la crême , chante et dispose ses
" vases : Gilles , crie- t -elle , va chercher les vaches. Il
" n'attend pas davantage , et gagne , en sifflant , la
"
-
ילד
"
prairie. Le cri d'appel retentit au loin , l'espèce pa-
- resseuse reconnaît la voix de Gilles , elle l'entend ,
mais ne l'exprime que par un regard inquiet. Com-
GA
VENTOSE AN X. 437
་ ་
"
" ment abandonner un gras pâturage , pour une demeure
où ne se rencontreront ni le parfum des herbes , ni
" les provisions de l'hiver ; leurs pas tardifs marquent
leur répugnance. Cependant le troupeau s'avance ,
« en cédant à la force , le seul droit qu'il connaisse .
« Ces bêtes soumises se suivent l'une l'autre ; une
" d'elles toujours marche la première , partout où l'ins-
" tinct les conduit ; la préséance , fruit de plus d'un
combat , ne lui est pas disputée ; elle la conserve
avec une fierté jalouse……….. Riante , comme le matin ,
accompagnant sa maîtresse , je vois venir Marie ;
toutes deux sont suivies de Gilles ; un simple trépied
forme leur siége ; leurs vases sont polis et brillants.
Sous l'épais ombrage des ormes , commence leur travail
; commence le chant joyeux : de la mamelle remplie
, découle un ruisseau abondant ....... » A cette
phrase près , Gilles va chercher les vaches ; où , je l'avoue ,
il y a trop de naturel , et peut-être par la faute du traducteur
, on aura remarqué sans doute , la vérité précieuse
qui règne dans tout ce morceau. Ce regard inquiet ,
qui répond au cri d'appel de Gilles ; les pas tardifs , qui
expriment la répugnance ; cette vache conservant avec
tant de fierté , son droit de préséance , sont des traits
qui me paraissent n'avoir pu s'offrir qu'à un poète
vacher de profession. Mais ces traits de vérité , quand
le goût peut les adopter , sont des diamants pour la
poésie , et font les délices des amateurs .
"
C'est à une foule de traits de cette nature , gemés
partout dans les quatre chants du poème , que ces nouvelles
Saisons , doivent un caractère d'origïnalité qui
les fera distinguer. N'y cherchez pas des morceaux de
grande poésie , tels que ceux où Thompson a si ma
gnifiquement décrit et chanté l'origine des fleuves , ou
représenté , dans un tableau si vigoureux , et avec des
touches si énergiques , les malheurs de l'amour . N'exigez
pas cette alliance habile de la morale avec la poésie ,
i
438 MERCURE DE FRANCE,
qui , toujours s'accompagnant l'une l'autre , sans jamais
se nuire , donne au beau poème de St. - Lambert
un caractère qui le distingue de tous ceux auxquels it
ressemble . Ne vous attendez point à la vivacité spirituelle
, au luxe brillant , à l'artifice ingénieux des contrastes
, prodigués avec éclat par Delille , et mis à
leur place dans les jardins de l'opulence et de l'art ,
qu'il a chantés : lui - même , il l'a dit :
La ferme est aux jardins ce qu'aux vers est l'Idylle .
T Tel est le caractère modeste.de la ferme , et tel le
Jui a conservé dans ce poème , son humble et reconnaissant
ami. 1
La traduction , à quelques négligences près , parmi
lesquelles nous devons traiter de fautes , celles qui
jetent dans quelques morceaux , une obscurité impénétrable
est généralement agréable , et n'est point
entièrement dépourvue d'harmonie. Cependant toute
soignée qu'est cette prose , elle ne remplace point les
vers , ou plutôt , elle les fait toujours desirer ; si les
vers peuvent seuls traduire les vers , c'est surtout dans
des sujets tels que celui - ci . Le genre descriptif dans
un ouvrage un peu étendu , ne saurait comporter un
autre langage. Je me permettrai d'inviter à ce travail ,
comme me paraissant convenir à la nature d'un talent
qui , en se montrant , a donné à la fois l'espérance et
la réalité , le jeune Lalane : il me paraît fait aussi pour
tenter un auteur qui n'est moins connu , peut- être ,
que parce qu'il se cache , même en, imprimant. Mais
ceux que J. L. Grenus a favorisés du recueil de ses
fables , et qui s'accordent à trouver que personne n'a
autant de La Fontaine dans son (alent , lui indiqueront
aussi , je crois , quand ils en auront pris connaissance ,
ce poème naif , qui , lui-même rappelle souvent la
manière de cet admirable modèle. ・・
Et cantare pares.
Arcades ambo ,
M
VENTOSE AN X. 439
SPECTACLES.
THEATRE FRANÇAI
Première représentation d'EDOUARD EN
EcoSSE, drame en trois actes , par le
C. DU VAL.
LE
E sujet de cette pièce appartient à la politique ,
puisqu'il roule tout entier sur les malheurs qu'éprouva ,
en Ecosse , Charles Edouard , petit- fils de Jacques II
et fils du prétendant . La représentation en fut permise
par le ministère qui avait jugé , avec raison , les
Français assez raisonnables pour ne plus changer des
illusions théatrales en allusions sectionnaires ; et , si
cette pièce a été suspendue , c'est , dit - on , par les
mêmes considérations qui décidèrent le gouvernement
monarchique à défendre de mettre sur la scène la mort
tragique de don Carlos . Quel ouvrage dramatique pourrait
en effet l'emporter sur le respect et la condescendance
que les gouvernements se doivent mutuellement .
Charles Édouard débarque en Ecosse , lui huitième ?
pour reconquérir l'Angleterre. Son apparition étonne ;
ses partisans se réveillent : il forme une petite armée ,
bat deux fois les troupes anglaises , s'affaiblit par ses
victoires et plus encore par la division des siens qui
tous voulaient commander , parce que leur prince
n'étaient ni assez fort , ni assez riche pour les forcer
à obéir. Vaincu à Culloden , il est obligé de fuir ; sa
-tête est mise à prix ; tout ce qu'il souffre est au dessus
' du courage d'un homme , et aurait abattu tout autre
qu'Edouard . Enfin il parvient à joindre un vaisseau français
, et le voila sauvé , n'ayant retiré dé son expédition
440 MERCURE DE FRANCE ,
que le droit d'avoir une place intéressante dans l'his
toire. Tels sont les événements qu'on raconte dans la
pièce , car la vérité n'y est qu'en récit ; les situations
ont été imaginées par l'auteur ,
Ces situations sont dramatiques , quoique leur effet
tienne à des invraisemblances plus fortes que toutes
celles qui font ordinairement le succès des pièces dites
imbroglios ; mais à présent le public des spectacles
est plus avide d'émotions que des plaisirs tranquilles
qui dépendent de l'esprit . Le temps où l'on jouait deux
actes du Tartuffe est si loin de nous qu'à peine pouvons-
nous concevoir l'intérêt qui rassemblait les hommes
les plus distingués de la France , pour voir représenter
deux cinquièmes d'une comédie de Molière. Cette disposition
des esprits devait nécessairement former de
grands écrivains.
Edouard vaincu , poursuivi , accablé de fatigue ,
mourant de faim , résolu à livrer sa tête , s'il ne peut
émouvoir la pitié , entre dans une maison sans s'informer
à qui elle appartient . Elle a pour maître le
duc d'Arthol , entièrement dévoué au roi Georges. Le
duc est absent , et heureusement n'est connu de personne
dans le pays, pas même de ses domestiques. La duchesse
son épouse , favorite de la reine , a les mêmes opinions
politiques que le duc ; elle a d'avance témoigné hautement
que , s'il est permis de plaindre Edouard , il serait
dangereux de le secourir. Cependant , quand elle le reconnaît
, la commisération parle plus haut que la prudence
et l'esprit de parti ; elle consent à protéger celui que
le ciel a confié à sa générosité . Ce sentiment est vrai ;
mais la vérité ne suffit pas dans un drame , et bientôt
la duchesse d'Arthol met à sauver Edouard des
soins , un dévouement , un esprit d'intrigue , qu'il aurait
peut-étre vainement espéré de ses plus chauds
partisans.
"
*
2
VENTOSE AN X. 441
B
1
Un chevalier , Dargyle , est chargé , par la cour ,
de poursuivre le petit - fils de Jacques II ; il a , pour
ainsi dire , établi son état - major dans le même salon
où la duchesse reçoit ce prince malheureux ; ce salon
est ouvert de tous côtés . Pour peu qu'on s'intéresse à
Edouard , il y a de quoi frémir , et ne fût- ce que pour
son propre intérêt , la duchesse devrait se presser de
cacher son protégé . Quiconque a été proscrit et poursuivi
de près , sait que le besoin d'une retraite précède
toujours celui d'une conversation . Au théâtre, c'est tout
le contraire . Pendant que l'on cause , Dargyle entre ,
voit Edouard on frissonne ; mais il le prend pour le
duc d'Arthol. On lui laisse son erreur , et , pendant
trois actes , il s'arrange toujours si bien , qu'il se trompe
lui-même beaucoup plus qu'on le trompe. Sans doute ,
c'est moins sa faute que celle du ministère qui l'a
chargé d'arrêter un proscrit sans s'informer s'il le connaissait
, sans lui faire délivrer son signalement , ou
sans lui donner un seul officier capable de suppléer à
cette ignorance et à ce défaut de formes.
Le duc d'Arthol arrive ; on l'arrête sur ce qu'il est
probable que la duchesse n'ayant qu'un époux , il est
vraisemblable que celui qui en prend le titre , lorsqu'un
autre est déja en possession , ne peut être qu'un malheureux
qui veut tromper pour s'échapper. Le vrai
dluc demande à paraître devant son épouse ; on l'amène.
Edouard est présent , car il est toujours là , au milieu
de ceux qui le cherchent , quoiqu'il lui soit très - facile ,
même comme duc d'Arthol , de se retirer , ne fût - ce
que sous le prétexte plausible de se reposer des fatigues
d'un voyage et d'un naufrage , en supposant ` qu'un
maître de maison doive compte de ses moments à
ceux qu'il a la complaisance d'admettre chez lui . La
duchesse nie à son véritable époux qu'elle ait le plaişir
de le connaître ; le duc est étonné ; ses yeuxinquiets
442 MERCURE DE FRANCE ,
se portent sur Edouard qui jadis lui sauva la vie , et
la reconnaissance l'engage à avouer qu'il n'est pas le
mari de sa femme, Le petit-fils de Jacques II profite
d'une occasion pour sortir ; on sortir ; on parle d'une flotte française
, et bientôt on apprend qu'il s'est embarqué.
Tout s'éclaircit alors ; le duc rentre dans ses droits ,
et celui qui aurait pu le punir , ainsi que son épouse ,
avoue de bonne grace qu'à leur place il aurait agi
comme eux. C'est faire à la fois leur éloge , le sien ,
et forcer les applaudissements du public .
a
En essayant de donner une idée des principales
situations de cette pièce , nous n'avons pas voulu en
faire la critique. Au théâtre , elle produit grand effet ;
l'intérêt et la vivacité de l'action entraînent ; et les
événements vrais que l'on raconte , rendent l'esprit
plus facile à se prêter aux situations fausses qu'on lui
présente ; mais les émotions qu'un auteur peut produire
avec des acteurs , un écrivain ne peut les rendre
dans une analyse , et c'est malgré lui qu'il fait ressortir
les invraisemblances qu'il lui serait impossible
de dissimuler. On applaudissait avec transport , on
pleurait , et , la toile baissée , on discutait froidement.
La malheureuse facilité de ce genre de pièces est telle ,
que ceux- mêmes qui avaient été entraînés par la repré.
sentation , s'amusaient à refaire l'ouvrage.
Il y a trois rôles dans ce drame ; celui de Dargyle ,
rôle ingrat , difficile à nuancer , et fort bien joué par
Damas ; celui d'Edouard , quoique beau , exigeait un
grand travail , Saint - Fal n'a rien laissé à desirer . Le
rôle de la duchesse est moitié drame et moitié comédie ;
M.lle Contat a rendu , avec autant de grace que d'esprit
, la partie qui tient à la comédie. Les autres personnages
ne sont pas assez dans la pièce pour qu'on
puisse louer ou critiquer les acteurs qui en étaient
chargés.
VENTOSE AN X. 443
ANNONCES.
VOYAGE d'Alexandre Mackensi , fait en 1789 et
1793 , dans l'intérieur de l'Amérique septentrionale ,
depuis Mont- Réal , au fort Chipewion , et à la mer
du Nord , et de cette mer du Nord jusque sur les
-bords de l'océan Pacifique ; traduit de l'anglais ,
par J. Castera , et orné de belles cartes . Chez Dentu
libraire , palais du Tribunat , galeries de bois , n.º
240 .
Ce voyage , également utile à la géographie , à la
navigation et au commerce , contient la description
de différentes parties de l'Amérique septentrionale ,
qui étaient encore inconnues , et celles des moeurs de
plusieurs des nations sauvages répandues dans ces vastes
contrées , ainsi qu'un tableau historique et politique
de la traite des pelleteries dans le Canada et le nordouest
de l'Amérique .
BIBLIOTHEQUE commerciale ; ouvrage destiné à répandre
les connaissances relatives au commerce , à la
navigation et aux divers établissements qui ont l'un et
l'autre pour objet ; par J. Peuchet, membre du Conseil
du commerce au ministère de l'Intérieur , et de celui
du département de la Seine.
De toutes les parties des connaissances ,
il n'en est
point qui ait plus besoin d'un recueil périodique et
raisonné d'instructions et de faits que le commerce . Ceux
qui apprennent cette utile et honorable profession n'ont
guère le temps de lire ; ceux qui l'exercent l'ont encore
moins. Il faut pourtant que les uns et les autres puissent
quelquefois se mettre sous les yeux les objets , les con
naissances et les faits qui intéressent l'état qu'ils ont
embrasse ; c'est un moyen d'étendre leurs spéculations
et de diriger leur attention vers de plus grandes entreprises.
La Bibliotheque commerciale diffère du Journal du
Commerce , en ce que la première a pour objet de développer
, faciliter et répandre les connaissances propres an
commerce et à la navigation ; le second est destiné à publier
chaque jour les nouvelles et les événements qui peuvent
intéresser le commerce.
444 MERCURE DE FRANCE ,
"
L'Angleterre , que l'on doit toujours citer en matière
de commerce a plusieurs ouvrages estimés de cette
espèce ; et peut - être est-ce aux vues qu'on y trouve et
à l'usage où sont les négociants de cet empire de les
consulter , qu'est due , en partie , cette habitude des
grandes entreprises qui caractérisent le commerce britannique.
t
Nous ferons donc particulièrement connaître les établissements
dont les négociants ont le plus grand intérêt
à suivre l'objet et les résultats.
Les pêches maritimes , la manière d'en faire le commerce
, les règlements et les usages qui s'y rapportent .
Les traités de commerce , d'alliance , de navigation ;
enfin les actes diplomatiques qui intéressent le commerce
, entreront utilement dans notre Bibliothéque .
Les tarifs des droits d'entrée et de sortie , et les
changements que les États commerçants y font de temps
en temps , y seront aussi rapportés .
En un mot , soit comme théorie , soit comme fait ,
nous ne négligerons rien de ce qui peut intéresser le
commerce , la navigation et la pêche.
Notre ouvrage devant être non- seulement propre à
l'instruction élémentaire , mais encore aux spéculations
fondées sur la connaissance des faits et des mouvements
du commerce , nous nous attacherons à faire connaître
les débouchés offerts aux productions du sol , aux produits
de l'industrie , ainsi que les établissements de commerce
auxquels les nouvelles découvertes des navigateurs
et les progrès des arts peuvent donner lieu . Cette
partie sera traitée avec une attention particulière .
Nous joindrons à notre travail les prix courants des
grandes places de l'Europe ; c'est- à - dire , de Londres ,
d'Amsterdam , de Hambourg , de Livourne , de Marseille
, de Rouen , de Nantes et de Bordeaux . Celui de
Londres sera en anglais et en français .
La Bibliothéque commerciale paraîtra chaque mois ,
en un cahier de 100 pages in - 8 . ° d'impression , grande
justification. On y joindra aussi des tableaux et des
cartes géographiques , lorsque les matières l'exigeront.
Le premier N. paraîtra le 1. germinal prochain ,
( 22 mars 1802 ).
བྷྲ་
Le prix de la souscription pour Paris , les départe
VENTOSE AN X.
445
ments et les pays étrangers , est de 21 fr. pour l'année ;
et l'on recevra , franc de port par la poste , les 12 N.ºs
mois par mois . On s'abonne aussi pour six mois , mais
on paiera 12 fr.; et l'on recevra 6 N. °s aussi francs de
port.
Les abonnés des départements et de l'étranger affranchiront
la lettre et l'argent qu'ils remettront aux directeurs
des postes. Ils pourront aussi envoyer le prix de
la souscription , en un mandat sur Paris.
On adressera le tout au C. F. Buisson , imprimeurlibraire
, rue Hautefeuille , N. ° 20 , à Paris.
MÉMOIRES de M. de Bouillé , ancien lieutenant général
, sur la révolution française , depuis son origine
jusqu'à la retraite du duc de Brunswick ; imprimés
sur le manuscrit de l'auteur , peu de temps avant sa
mort. 2 vol. in - 12 , ornés du portrait de l'auteur.
Prix , 4 fr. , et, 5 fr. franc de port. A Paris , chez
Giguet et Michaud , rue des Bons - Enfants , n.º 6 ,
au coin de celle Baillif.
, 4
Du sentiment considéré dans ses rapports avec la litté→
rature et les arts ; par P. S. Ballanche fils . Avec cette
épigraphe :
2017
!
Omnes tacitè quodam sensu sine ulla
'arte aut ratione , quæ sint in artibus ac
rationibus recta ac prava , dijudicant.
Vol. in-8.° , 4 fr. , et 5 fr. franc de port par la poste. A
Lyon , chez Ballanche et Barret , imprimeurs , aux
halles de la Genette ; et à Paris , chez Calixte Volland
, libraire , quai des Augustins , n.º 25.
DICTIONNAIRE des sciences naturelles , dans lequel
on traite méthodiquement des différents êtres de la
nature , considérés , soit en eux- mêmes , d'après l'état
actuel de nos connaissances , soit relativement à l'utilité
qu'en peuvent retirer la médecine , l'agriculure ,
le commerce et les arts , suivi d'une biographie des
plus célèbres naturalistes ; ouvrage destiné aux médecins
, aux agriculteurs , aux manufacturiers , aux
artistes , aux commerçants , et à tous ceux qui ont
intérêt à connaître les productions de la nature , leurs
caractères génériques et spécifiques , leur lieu natal ,
leurs propriétés et leurs usages , par plusieurs pro-
I
446 MERCURE DE FRANCE ,
fesseurs du Muséum national d'histoire naturelle et
des autres principales écoles de Paris.
Le Dictionnaire des Sciences naturelles sera composé
de quinze volumes in- 8.º , de 6 à 700 pages chacun . On
en tirera aussi une édition en dix volumes in -4.º , et
de celle - ci un petit nombre d'exemplaires sur papier
vélin ; la beauté du papier répondra à celle de l'impresssion
. L'ouvrage paraîtra en entier dans le courant dé
l'an 11. On peut s'inscrire dès à présent , pour le rece
voir. L'avantage de cette inscription , qui n'entraîne
aucun déboursé , consistera , jusqu'au mois de floréal
prochain , dans une diminution sur le prix , d'un franë
par volume. Les inscrits ne payeront chaque volume
qu'à raison de 5 francs. La liste en sera imprimée à la
fin de l'ouvrage . On ne payera rien avant sa publication.
On s'inscrit à Paris chez les frères Levrault, imprimeurslibraires
, quai Malaquais ; Magimel , quai des Augusdins
; à Strasbourg , chez Levrault frères , et chez les
principaux libraires de France et de l'Etranger ·
NOUVEAU Dictionnaire d'Histoire naturelle , appliquée
aux arts , principalement à l'agriculture et à l'économie
rurale et domestique ; par une Société de savants
naturalistes et agriculteurs , dont les noms se
trouvent ci-dessous , et dont le travail est distribue
- comme il suit :
1 .
L'HOMME , les quadrupèdes , les oiseaux , les reptiles et
les poissons. Sonnini , membre de la Société d'agriculture
de Paris , éditeur et continuateur de Histoire
naturelle de Buffon ; Virey , auteur de l'Histoire
naturelle du genre humain.
L'ART vétérinaire , et l'Economie domestique . Parmentier
, Huzard , membres de l'Institut national ;
Sonnini , membre de la Société d'agriculture de
Paris , etc.
LES molusques et les vers. Bosc , membre de la Société
d'Histoire naturelle de Paris , et de la Société innéenne
de Londres .
LES insectes. Olivier , membre de l'Institut national ;
Latreille , membre associé de l'Institut national .
La botanique , et son application aux arts , à l'agriculture
, à l'économie rurale et au jardinage . Chaptai
Parmentier, Cels , membres de l'Institut national ;
VENTOSE AN X. 447
Touin , membre de l'Institut national , professeur et´
administrateur au Jardin des Plantes ; Dutour , membre
de la Société d'agriculture de Saint - Domingue ;
Bosc , membre de la Société d'Histoire naturelle , etc.
LA minéralogie et la météorologie. Chaptal , membre
de l'Institut ; Patrin , membre associé de l'Institut
national , et de l'Académie des sciences de Saint-
Pétersbourg , et auteur d'une Histoire naturelle des
minéraux , etc. A Paris , chez Deterville , libraire ,
rue du Battoir , n.º 16 , quartier de l'Odéon .
Cet ouvrage , qui paraîtra en entier dans le courant
de vendémiaire an 11 , est offert par souscription juse
qu'au premier germinal prochain . Les personnes qui se
feront inscrire avant cette époque , ne payeront chaque
volume qu'à raison de 5 francs , et il coûtera 6 fr. à celles
qui ne seront pas inscrites au premier germinal.
Les ouvrages que le C. Deterville a déja mis au jour
sont , pour le public , un sûr garant que celui- ci paraîtra
au terme fixé , et qu'il aura la même perfection typographique
que ceux qui sont sortis de sa librairie.
On souscrit à Paris , chez Deterville , libraire , rue du
Battoir , n.º 16 , et chez les principaux libraires de
France et de l'Etranger.
PREMIÈRE Promenade d'un solitaire provincial , depuis
le faubourg Saint -Honoréjusqu'au palais du Tribunat.
Un vol. in - 12 avec fig. A Paris, chez Fuchs , libraire ,
rue des Mathurins. Prix , 1 fr. 50 cent,, et fr . pour
les départements.
BANQUE départementale destinée à venir au secours
de l'agriculture , des manufactures , du commerce ,
des sciences et des arts ; suivie de quelques idées sur
les faillites,attermoyements,abandons de biens ,comme
ayant trait à la banque départementale. Par P. C. N.
Guibert fils , manufacturier, rue de Vendôme au Marais .
A Paris , chez Petit , libraire , Palais-Egalité. Au X
APPEL à la justice des nations et des rois , ou Adresse
d'un citoyen français au congrès de Lunéville , au
nom de tous les habitants de l'Europe , professant la
religion juive. Par Michel Berr , membre de la société
d'émulation de Nancy. A Strasbourg , de l'imprimerie
de Levrault , frères . An X.
448 MERCURE DE FRANCE ,
RÉPONSE de J. B. Gail , professeur de littérature grecque
au collège de France , à la critique de son Traité de
la chasse , par E. Clavier , ancien magistrat et maintenant
éditeur du Plutarque d'Amyot . Prix 50 cent.
A Paris , chez Fuchs , rue des Mathurins , et Mongie ,
Palais -Egalité.
BIBLIOGRAPHIE analytique de médecine ou Journal
abréviateur des meilleurs ouvrages nouveaux , latins
et français , de médecine clinique , d'hygiène et
de médecine préservatrice ; par Laurent Bodin , docteur
en médecine , etc. Troisième année.
"
LES deux insulaires , ou Histoire de M. de Fayel et de
M.me de Forlis , suivie de Nathalie , anecdote récente.
Par M. de N...' , auteur d'Édouard et Clémentine
ou les Erreurs de la jeunesse . 2 vol . in - 12.
Prix , 3 fr. , et 4 fr. franc de port . A Paris , chez Renard
, libraire , rue de Caumartin , n.° 750 , 1802.
ODE sur la Paix , avec des choeurs , précédée d'observations
sur la poésie lyrique des anciens , comparée
dans ses effets à celle des modernes. Par le général
Despinoy. A Paris , de l'imprimerie de Pougens . 1801.
LA paix ; par Félicité-Gueriet Saint-Martin . Paris , chez
les Marchands de nouveautés . 18 brumaire , an X.
LE Bouquet de roses , ou le Chansonnier des Graces
• rédigé par Chazet , pour l'an 10 ; contenant un choix
de romances , ariettes vaudevilles madrigaux ,
fables , contes , etc. qui n'ont jamais été imprimés ,
et que l'on a tirés du porte - feuille des auteurs les
plus estimés dans ce genre. Prix , 1 fr. 20 cent. pour
Paris , et 1 fr. 80 cent. pour les départements. A Paris,
chez Favre , libraire , palais du Tribunat , galeries
de bois , n.º 220 , aux Neuf Muses , et , à son magasin
, rue Traversière - Honoré , n . ° 845 , vis- à- vis celle
Langlade .
" "
ALMANACH poétique de Bruxelles pour l'an X , in - 18.
Prix , 1 fr. 20 cent. , et 1 fr. 50 cent . , franc de port.
A Bruxelles , chez Lecharlier ; et à Paris , chez Fuchs,
libraire , rue des Mathurins , hôtel Cluny.
VENTOSE AN X.. 449
POLITIQUE
EXTÉRIEUR.
RÉPUBLIQUE ITALIENNE.
LEE gouvernement constitutionnel a été installé , le 14
février (25 pluviose ) , avec une grande solennité , au
milieu des applaudissements et des cris de Vive le
président Bonaparte ! vive le vice - président Melzi ! La
journée s'est terminée par une fête brillante qu'a donnée
le général Murat. Le vice - président a adressé cette
proclamation à ses concitoyens :
Le gouvernement constitutionnel , que les voeux publics
réclament depuis si longtemps , entre aujourd'hui
dans l'exercice de ses fonctions. Ouvrage du grands
homme qui a créé la république , il vous offre , danlé
nom de son fondateur , le gage le plus sûr de l'ac
complissement de vos plus flatteuses espérances . Lorsque
Bonaparte est notre appui et guide hos premiers pas ,
lorsque Bonaparte , à la face de toute l'Europe , prend
l'engagement solennel d'être la pensée et le conseil de
la république , jusqu'à ce qu'elle se soit élevée à ce
degré de prospérité au dedans et de considération au
dehors que la gloire de ce héros et notre sure é demandent
, quelles espérances ne devons - nous pas coneevoir
!
Pour les voir réalisér , il faut que nous redoublions
d'efforts plus que jamais Mesurez avec attention , citoyens
, l'espace qui nous reste à parcourir pour aniver
à ce but . Comparez notre état actuel à celui vers lequel
nous devons tendre.
Non , nous ne somines pas encore un peuple , mais
nous devons le devenir ; nous devons former bientôt
une nation forte par son union , heureuse par, sa sagesse ,
indépendante par un véritable sentiment national..Nous
n'avons point un gouvernement réglé , et nous devons
7.
29
450 MERCURE DE FRANCE ,
le créer ; nous n'avons point une administration organisée
, nous devons en établir une. Que cette tâche
est grande , citoyens ! vous le devez sentir , et vous
concevez encore combien sont neufs , dans la vaste carrière
qui s'ouvre devant eux , ceux que vous avez placés
à votre téte. Maintenant ce n'est que par l'union la
plus intime de sentiments et d'efforts , que nous pourrons
accomplir cette entreprise grande et difficile , mais
de laquelle dépend votre salut.
Ceux qui sont aujourd'hui chargés de régir la chose
publique , vous doivent et vous promettent ordre ,
économie , assiduité et impartiale justice : vous , à votre
tour , vous leur devez respect , confiance et dévouement
sincère. Souvenez -vous que , quand vous respectez les
autorités publiques , vous vous respectez vous -mêmes
dans les autorités qui vous représentent. Lorsque vous
accordez à ceux qui sont les dépositaires du pouvoir ,
votre confiance toute entière , vous doublez , à votre
avantage , et leur force et leurs moyens lorsqu'avec
une ferme résignation vous supportez les charges publiques
, vous donnez un appui nécessaire aux magistrats
qui trouveront toujours pénible ce qui est un
fardeau pour vous . C'est cette union qu'il importe d'établir
solidement , à laquelle rien ne résiste avec le temps,
et sans laquelle vous resterez toujours dans un état de
faiblesse et de déchirement..
Vous avez déja fait preuve d'une rare constance dans
l'adversité , faites preuve de modération et de fermeté
dans la prospérité qui vous est réservée . En vous lançant
dans le nouvel ordre de choses , prenez cette attitude
qui convient à un peuple appelé à de nouvelles
et grandes destinées souvenez-vous que l'Europe vous
contemple d'un oeil jaloux , et que la postérité sévère
yous attend . Vous n'avez reçu le nom de RÉPUBLIQUÉ
3TALIENNE que pour réclamer hautement ,
portion principale de la belle Italie , la grande part
qui vous appartient dans l'honorable héritage de la
mère commune , qui ne connut de rivale dans aucun
genre de gloire.
comme
Oui , ces hauts faits qui ont illustré notre patrie ,
ces vertus domestiques qui ont rendu nos aïeux les
maîtres et la lumière du monde , sont des exemples qui
nous appartiennent, Soyez assez grands pour les imiter :
VENTOSE AN X. 45t
7
que les peuples , vos , voisins et vos frères , sachent que
la paix de la grande famille ne sera jamais troublée
par vous ; mais que vous ne le céderez à aucun lorsqu'il
s'agira de vous montrer les émules de ces grands
hommes dont le sang coule dans vos veines . Le champ
d'honneur est ouvert , et la palme sera le prix de ceux.
qui se montreront , par leur ,sagesse et leurs vertus '
les plus dignes du nom italien.
Signé , MELZI , vice-président.
" Par un décret du 15 février an I.cr le viceprésident
de la république , le conseil législatif entendu
, a arrété que , pour ne pas retarder la marche
des affaires , les ministres actuels , les autorités et leurs
employés respectifs en exercice en ce moment , sont
provisoirement conservés dans leurs fonctions , et cela
jusqu'à nouvelle détermination.
QUELQ
INTÉRIEUR.
COLONIES FRANÇAISES .
UELQUE temps après les derniers malheurs de
Saint - Domingue , le gouverneur Toussaint - Louverture a
publié la proclamation suivante , que des blancs ne désavoueraient
pas. `
Depuis la révolution , j'ai fait tout ce qui a dépendu
de moi pour ramener le bonheur dans mon pays , pour
assurer la liberté de mes concitoyens. Forcé de combattre
les ennemis intérieurs et extérieurs de la république
française , j'ai fait la guerre avec courage , honneur
et loyauté. Avec mes plus grands ennemis , je ne
me suis jamais écarté des règles de la justice , et si j'ai
employé tous les moyens qui étaient en mon pouvoir
pour les vaincre , j'ai cherché , autant qu'il était en
moi , à adoucir les horreurs de la guerre , `à épargner'
le sang des hommes . J'ai toujours eu pour principe le
pardon des offenses, pour premier sentiment l'humanité ,
et souvent , après la victoire , j'ai accueilli comme des
amis et des frères ceux qui , la veille , étaient sous des
drapeaux ennemis . Par l'oubli des erreurs et des fautes ,"
452 MERCURE DE FRANCE ;
j'ai voulu faire aimer la cause légitime et sacrée de la
liberté , même à ses plus ardents adversaires..
A mes frères d'armes , généraux et officiers , je leur
ai constamment rappelé que les grades auxquels ils
étaient élevés ne devaient être que la récompense de
l'honneur , de la bravoure et d'une conduite privée irréprochable
; que plus ils étaient au dessus de leurs.comcitoyens
, plus toutes leurs, actions et toutes leurs paroles
devaient être mesurées et irréprochables ; que le scandale
des hommes publics avait des conséquences encore
plus funestes pour la société , que celui des simples
citoyens ; que les grades et les fonctions dont ils étaient
revêtus , ne leur étaient pas donnés pour servir uniquement
à leur fortune ou à leur ambition , mais que ces
institutions nécessaires avaient pour cause et pour but
le bien général ; qu'elles imposaient des devoirs qu'il
fallait d'abord remplir avant de songer à soi ; que
l'impartialité et l'équité devaient dicter toutes leurs
décisions , l'amour de l'ordre , la prospérité de la colonie
, la répression de tous les vices ; exciter sans
cesse leur activité , leur surveillance et leur zèle .
J'ai toujours et énergiquement recommandé à tous
les militaires la subordination , la discipline et l'obéissance
, sans lesquelles il ne peut exister d'armée . Elle
est créée pour protéger la liberté , la sureté des personnes
et des propriétés ; et tous ceux qui la composent
ne doivent jamais perdre de vue l'objet de son hono
rable destination ; c'est aux officiers à donner à leurs
soldats , avec de bonnes leçons , de bons exemples.
Chaque capitaine doit avoir la noble émulation d'avoir
sa compagnie la mieux disciplinée , la plus proprement
tenue , la mieux exercée ; il doit penser que les écarts
de ses soldats rejaillissent sur lui , et se croire avili
des fautes de ceux qu'il commande. Les mêmes sentiments
doivent animer à un plus haut degré encore ,
les chefs de bataillon pour leurs bataillons , et les chefs
de brigade pour leurs brigades . Ils doivent les regarder
comme leurs propres familles , quand les individus qui
les composent , remplissent bien leurs devoirs , et se
montrer en chefs rigides lorsqu'ils s'en écartent.
Tel est le langage que j'ai enu au général Moyse,
depuis dix ans , dans toutes mes conversations partiVENTOSE
AN X. 453
.
culières ; que je lui ai répété mille fois en présence
de ses cam rades , en présence des généraux ; que je
lui ai renouvelé dans ma correspondance : tels sont les
principes et les sentiments consignés dans miile de res
lettres. Dans toutes les occasions , j'ai cherché à lui
expliquer les saintes maximes de notre religion , à lui
prouver que l'homme n'est rien , sans la puissance et
la volonté de Dieu ; que les devoirs d'un chrétien qui
a reçu le baptême ne devaient jamais être négligés ;
que , lorsqu'un homme brave la Providence , il doit
s'attendre à une fin terrible. Que n'ai -je pas fait pour
le ramener à la vertu , à l'équité , à la bienfaisance
pour changer ses inclinations vicieuses , pour l'empêcher
de se précipiter dans l'abyme ? Dieu seul le sait . Au
lieu d'écouter les conseils d'un père , d'obéir aux ordres
d'un chef dévoué au bonheur de la colonie , il n'a voulu
se laisser guider que par ses passions , ne suivre que
ses funestes penchants , il a péri misérablement ! Tel
est le sort réservé à tous ceux qui voudront l'imiter.
La justice du Ciel est lente , mais elle est infaillible
et tót ou tard elle frappe les méchants et les écrasé
comme la foudre.
?
La cruelle expérience que je viens de faire ne sera
pas inutile pour moi , et d'après l'inconduite du général
Moyse , il ne sera plus nommé de général divisionnaire
, jusqu'à de nouveaux ordres du gouvernement
français.
Le général Dessalines , néanmoins , à cause des services
qu'il a rendus , conservera son grade de général
divisionnaire.
Dans une de mes proclamations , à l'époque de la
guerre du Sud , j'avais tracé les devoirs des pères et
mères envers leurs enfants , l'obligation où ils étaient
de les élever dans l'amour et la crainte de Dieu , ayant
toujours regardé la religion comme la base de toutes
les vertus et le fondement du bonheur des sociétés . En
effet , quels sont ceux qui , depuis la révolution , ont
causé les plus grands malheurs de la colonie ? N'ontils
pas été tous des hommes sans religion et sans moeurs ?
Celui qui méprise Dieu et ses divins préceptes , qui'ne
chérit pas ses premiers parents , aimera-t- il ses semblables
? Père et mère honoreras , afin que tu vives lon454
MERCURE DE FRANCE ,
?
guement, est un des premiers commandements de Dieu.
Un enfant qui ne respecte pas son père et sa mère
écoutera- t -il les bons conseils de ceux qui lui sont étrangers
? Obéira - t-il aux lois de la société , celui qui a
foulé aux pieds la plus sainte et la plus douce loi de
la nature ? Et cependant avec quelle négligence les pères
et les mères élèvent- ils leurs enfants , surtout dans
les villes ! Au lieu de les instruire de leur religion ,
d'exiger d'eux le respect et l'obéissance qui leur sont
dûs , de leur donner des idées conformes à leur état ,
au lieu de leur apprendre à aimer le travail , ils les
laissent dans l'oisiveté et dans l'ignorance de leurs
premiers devoirs ; ils semblent mépriser eux -mêmes
et leur inspirer le mépris pour la culture , le premier ,
le plus honorable et le plus utile de tous les états. A
peine sont - ils nés , on voit les mêmes enfants avec des
bijoux et des pendants d'oreilles , couverts de haillons ,
salement tenus , blesser par leur nudité les yeux de
Ja décence . Ils arrivent ainsi à l'âge de douze ans ,
sans principes de morale , sans métier , avec le goût
du luxe et de la paresse pour toute éducation. Et
comme les mauvaises impressions sont difficiles à corriger
, à coup sûr , voilà de mauvais citoyens , des
vagabonds et des voleurs ; et si ce sont des filles , voilà
des prostituées , toujours prêts les uns et les autres
à suivre les impulsions du premier conspirateur qui
leur prêchera le désordre , l'assassinat et le pillage .
C'est sur des pères et mères aussi vils , sur des élèves
aussi dangereux , que les magistrats du peuple , qué
les commandants militaires doivent avoir sans cesse
les yeux ouverts , que la main de la justice doit toujours
être étendue.
Les mêmes reproches s'adressent également à un
grand nombre de cultivateurs et de cultivatrices sur
les habitations : Depuis la révolution , des hommes pervers
se sont adressés à des lâches , à des perturbateurs ,
et leur ont dit que la liberté était le droit de rester
oisifs , de faire le mal impunément , de mépriser les
lois , et de ne suivre que leurs caprices : une pareille
doctrine devait être accueillie par tous les mauvais sujets
, les voleurs et les assassins . Il est temps de frapper
sur les hommes endurcis qui persistent dans de pareilles
>
VENTOSE AN X. 455
idées ; il faut que tout le monde sache qu'il n'est d'autre
moyen pour vivre paisible et respecté que le travail ,
et un travail assidu.
Telle est la leçon que les pères et mères doivent
donner à leurs enfants , tous les jours et tous les instants
de leur vie.
A peine un enfant peut - il marcher , il doit être employé
sur les habitations à quelque travail utile , suivant
ses forces , au lieu d'être envoyé dans les villes ,
où , sous prétexte d'une éducation qu'il ne reçoit pas ,
il vient y apprendre des vices , grossir la tourbe des
vagabonds et des femmes de mauvaise vie , troubler ,
par son existence , le repos des bons citoyens , et la
terminer par le dernier supplice . Il faut que les commandants
militaires , que les magistrats soient inexorables
à l'égard de cette classe d'hommes ; il faut , malgré
elle , la contraindre à être utile à la société dont elle
serait le fléau , sans la vigilance la plus sévère .
Depuis la révolution , il est évident que la guerre
a fait périr beaucoup plus d'hommes que de femmes ;
aussi s'en trouve - t - il un plus grand nombre de ces
dernières dans les villes , dont l'existence est uniquement
fondée sur le libertinage . Entièrement livrées aux
soins de leur parure , résultat de leur prostitution ;
dédaignant non - seulement les travaux de la culture ,
mais même toute autre occupation , elles ne veulent
absolument rien faire d'utile . Ce sont elles qui recèlent
tous les mauvais sujets qui vivent du produit de leurs
rapines , qui les excitent au brigandage , afin de partager
le fruit de leurs crimes . Il est de l'honneur des
magistrats , généraux et commandants de n'en pas
laisser une seule dans les villes ou bourgs ; la moindre
négligence à cet égard les rendrait dignes de la mésestime
publique.
Moyse , il est vrai , était l'ame et le chef de la dernière
conspiration ; mais il n'aurait jamais pu con
sommer son infamie , s'il n'avait trouvé de pareils
auxiliaires.
Quant aux domestiques , chaque citoyen ne doit en
avoir qu'autant qu'ils sont nécessaires à un service
indispensable . Les personnes chez lesquelles ils demeurent
, doivent être les premiers surveillants de leur
(
456 MERCURE DE FRANCE ,
conduite , et ne rien tolérer de leur part de contraire
aux bonnes moeurs , à la soumission et au bon ordre ;
s'ils sont paresseux , ils doivent les corriger de ce vice ;
s'ils sont voleurs , les dénoncer aux commandants militaires
, pour être punis conformément aux lois . Un
bon domestique , traité avec justice , mais aussi forcé
à remplir tous ses devoirs , fait plus d'ouvrage que
quatre mauvais , et puisque , dans le nouveau régime ,
tout travail mérite salaire , tout salaire doit exiger son
travail. Telle est l'invariable et la ferme volonté du
gouvernement .
"
Il est encore un objet digne de son attention , c'est
la surveillance des étrangers qui arrivent dans la colonie.
Quelques -uns d'entre eux ne connaissant que par
les rapports des ennemis du nouvel ordre de choses ,
les changements qui se sont opérés , sans avoir réfléchi
sur les causes qui les ont amenés sur les difficultés à
vaincre pour faire succéder au plus grand désordre qui
ait jamais existe , la tranquillité et la paix , la restauration
des cultures et du commerce , tiennent des propos
d'autant plus dangereux , qu'ils sont recueillis avec
avidité par tous ceux qui , fondant leurs espérances
sur les troubles , ne demandent que des prétextes . De
pareils écarts doivent être d'autant plus sévèrement
punis , que l'insouciance des fonctionnaires publics à
cet égard nuirait à la confiance dont ils ont besoin ,
et les ferait regarder , avec justice , comme complices
des ennemis de la liberté.
La plus sainte de toutes les institutions parmi les
hommes qui vivent en société , celle d'où découle les
plus grands biens , c'est le mariage . Un bon père - defamille
, un bon époux entièrement occupé du bonheur
de sa femme et de ses enfants , doit être , au
milieu d'eux , l'image vivante de la Divinité. Aussi un
gouvernement sage doit- il toujours être occupé à environner
les bons ménages d'honneur , de respect et dé
vénération ; il ne doit se reposer qu'après avoir extirpé
la dernière racine de l'immoralité. Les commandants
militaires , les fonctionnaires publics surtout sont sans
excuse , lorsqu'ils donnent publiquement le scandale du
vice. Ceux qui, ayant des femmes légitimes, souffrent des
concubines dans l'intérieur de leurs maisons , ou ceuxVENTOSE
AN X.
457
mêmes qui , n'étant pas mariés , vivent publiquement
avec plusieurs femmes , sont indignes de commander ;
ils seront destitués.
Eu dernière analyse , tout homme qui existe dans
la colonie , doit à ses concitoyens de bons exemples ;
tout commandant militaire , tout fonctionnaire public
doit remplir exactement ses devoirs ; ils seront jugés
sur leurs actions , sur le bien qu'ils auront fait , sur la
tranquillité et la prospérité des lieux qu'ils commandent.
Tout homme qui veut vivre doit travailler. Dans un
état bien ordonné , l'oisiveté est la source de tous les
désordres ; et si elle est soufferte chez un seul individu ,
je m'en prendrai aux commandants militaires , persuadé
d'avance que ceux qui tolèrent les paresseux et les vagabonds
, ont de mauvais desseins , qu'ils sont ennemis
secrets du gouvernement .
Personne , sous aucun prétexte , ne doit être exempt
d'une tâche quelconque , suivant ses facultés. Les pères
et mères créoles , qui ont des enfants et des propriétés ,
doivent aller y demeurer , pour y travailler , faire travailler
leurs enfants ou en surveiller les travaux ,
et , dans les moments de repos , les instruire euxmêmes
ou par des instituteurs , des préceptes de notre
religion , leur inspirer l'horreur du vice , leur expliquer
les commandements de Dieu , en graver les principes
dans leurs cours d'une manière ineffaçable , et les bien
pénétrer de cette vérité que puisque l'oisiveté est la
mère de tous les vices , le travail est le père de toutes
les vertus. C'est par ces moyens que seront formés des
citoyens utiles et respectables , qu'on peut espérer de
voir cette belle colonie l'une des plus heureuses contrées
de la terre , et en éloigner , pour toujours , les
horribles événements dont le souvenir ne doit jamais
s'effacer de notre mémoire .
En conséquence j'arrête ce qui suit :
er
" a
Art. I. Tout commandant qui , lors de la dernière
conspiration , a eu connaissance des troubles qui devaient
éclater , et a toléré le pillage et les assassinats ; qui
pouvant prévenir ou empêcher la révolte
laissé enfreindre
la loi qui déclare la vie , la propriété et l'asyle
de tous citoyens , sacrés et inviolables , sera traduit devant
un tribunal spécial , et puni conformément à la
loi du 22 thermidor an 9 ( 10 août 1801 ) .
458 MERCURE DE FRANCE ,
Tout commandant militaire qui , par imprévoyance ou
négligence , n'a pas arrêté les désordres qui se sont commis
sera destitué et puni d'un an de prison.
2
Il sera fait en conséquence une enquête rigoureuse
de leur conduite , d'après laquelle le gouverneur prononcera
sur leur sort .
II. Tous généraux , commandants d'arrondissements
ou de quartiers qui , à l'avenir , négligeront de prendre
toutes les mesures nécessaires pour prévenir ou empêcher
des séditions , et laissseront enfreindre la loi qui
déclare la vie , la propriété et l'asile de chaque citoyen
sacrés et inviolables , seront traduits devant un tribunal
spécial , et punis conformément à la loi du 22 thermidor
an 9 ( 10 août 1801 ) .
,
III. En cas de trouble ou sur des indices qu'il doit en
éclater , la garde nationale d'un quartier ou d'un arrondissement
sera aux ordres des commandants militaires
sur leur simple réquisition . Tout commandant militaire
qui n'aura pas pris les mesures nécessaires pour empê
cher les troubles dans son quartier , ou la propagation
des troubles d'un quartier voisin dans celui qu'il commande
; tout militaire , soit de ligne , soit de la garde
nationale , qui refusera d'obéir à des ordres légaux ,
sera puni de mort , conformément aux loix .
IV. Tout individu , homme ou femme , quelle que soit
sa couleur , qui sera convaincu d'avoir tenu des propos
graves , tendants à exciter la sédition , sera traduit devant
un conseil de guerre , et puni conformément aux
loix.
V. Tout individu créole * , homme ou femme , convaincu
d'avoir tenu des propos tendants à altérer la tranquillité
publique , mais qui ne serait pas jugé digne de
mort , sera renvoyé à la culture , avec une chaîne à un
pied, pendant six mois.
VI. Tout individu étranger qui se trouverait dans
le cas de l'article précédent , sera déporté de la colonie,
comme mauvais sujet .
VII. Dans toutes les communes de la colonie où il
existe des administrations municipales , tous les citoyens
et les citoyennes qui les habitent , quelle que
* Par le mot créole , on entend ici tout individu né dans
les colonies ou en Afrique.
VENTOSE AN X. 459
1
soit leur qualité ou leur condition , sont tenus de se munir
d'une carte de sureté.
" " Ladite carte contiendra les noms surnoms domiciles
, états , professions et qualités , l'âge et le sexe de
ceux qui en seront porteurs.
Elle sera signée du maire et du commissaire de police
du quartier sur lequel habite l'individu à qui elle
sera délivrée .
Elle sera renouvelée tous les six mois , et payée un gourdin
par chaque individu , pour les sommes qui en proviendront
être destinées aux dépenses communales .
"
VIII. Il est expressément ordonné aux administrations
municipales de ne délivrer des cartes de sureté
qu'à des personnes qui auront un état ou métier bien
reconnu une conduite sans reproche et des moyens
d'existence bien assurés . Tous ceux qui ne pourront remplir
les conditions rigoureusement nécessaires pour en
obtenir , s'ils sont créoles , seront renvoyés à la culture ;
s'ils sont étrangers , renvoyés de la colonie.
IX. Tout maire ou officier de police qui , par négligence
ou pour favoriser le vice , aura signé et délivré
une carte de , sureté à un individu qui n'est pas dans
le cas d'en obtenir , sera destitué et puni d'un mois de
prison.
X. Quinze jours après la publication du présent arrêté
, toute personne trouvée sans carte de sureté sera ,
si elle est créole , renvoyée à la culture ; si elle est étrangère
, déportée de la colonie sans forme de procès , si elle
ne préfere servir dans les troupes de ligne.
XI. Tout domestique qui , en sortant d'une maison
dans laquelle il servait , n'aura pas été jugé digne d'obtenir
un certificat de bonne conduite , sera déclaré incapable
de recevoir une carte de sureté. Toute personne
qui , pour le favoriser , lui en aurait délivré un
sera punie d'un mois de prison .
2
XII. A dater de quinze jours après la publication du
présent , arrêté , tous gérants ou conducteurs d'habitation
sont tenus d'envoyer aux commandants de leurs
quartiers , la liste exacte de tous les cultivateurs de leurs
habitations , de tout âge et de tout sexe , à peine de huit
jours de prison. Tout gérant ou conducteur est le premier
surveillant de son habitation ; il est déclaré per-
J
460 MERCURE DE FRANCE ,
sonnellement responsable de toute espèce de désordre
qui y serait commis , de la paresse et du vagabondage
des cultivateurs .
XIII. A dater d'un mois après la publication du présent
arrêté , tous les commandants de quartiers sont
tenus d'envoyer les listes des cultivateurs de toutes les
habitations de leurs quartiers aux commandants d'arrondissements
, sous peine de destitution.
XIV. Les commandants d'arrondissements sont tenus
d'envoyer des listes de toutes les habitations de leurs
arrondissements aux généraux sous les ordres desquels
ils sont , et ces derniers au gouverneur , dans le plus
bref délai , sous peine de désobéissance.
Lesdites listes déposées aux archives du gouvernement
, serviront , pour l'avenir , de base immuable pour
la fixation des cultivateurs sur les habitations .
XV. Tout gérant ou conducteur d'habitation sur
laquelle se serait réfugié un cultivateur étranger à l'habitation
, sera tenu de le dénoncer au capitaine ou commandant
de section , dans les 24 heures , sous peine
de huit jours de prison.
XVI. Tout capitaine ou commandant de section
qui , par négligence , aura laissé un cultivateur étranger
plus de trois jours sur une habitation de sa section
sera destitué.
XVII. Les cultivateurs vagabonds ainsi arrêtés , seront
conduits au commandant de quartier , qui les fera
ramener par la gendarmerie sur leur habitation . Il tes
recommandera à la surveillance particulière des conducteurs
et des gérants , et ils seront privés , pendant
trois mois , de passe-ports pour sortir de l'habitation
.
XVIII. Il est défendu à tout militaire d'aller tra
vailler sur une habitation ou chez des particuliers en
ville. Ceux qui voudront travailler et qui en obtiendront
la permission de leurs officiers , seront employés
à des travaux pour le compte de la république , et payés
de leurs journées suivant leurs peines.
XIX . Il est défendu à tout militaire d'aller sur une
habitation , à moins que ce ne soit pour y voir son père
ou sa mère , et avec un permis limité de son chef. S'il
manque de rentrer à son corps , à l'heure fixée , il sera
VENTOSE AN X. 46r
puni suivant l'exigence du cas , conformément aux ordonnances
militaires.
XX . Toute personne convaincue d'avoir dérangé ou
tenté de déranger un ménage , sera dénoncée aux autorités
civiles et militaires , qui en rendront compte au
gouverneur , qui prononcera sur leur sort , suivant l'exigence
des cas.
XXI. Mon règlement relatif à la culture , donné au
Port- Républicain , le 20 vendémiaire an 9 , sera exécuté
dans sa forme et teneur ; il est enjoint aux commandants
militaires de s'en bien pénétrer , et de le
faire exécuter à la rigueur et littéralement , en tout ce
qui n'est pas contraire à la présente proclamation .
La présente proclamation sera imprimée , transcrite
sur les registres des corps administratifs et judiciaires ,
lue , publiée et affichée par tout où besoin sera ; et en
outre insérée au Bulletin officiel de Saint- Domingue.
Un exemplaire sera envoyé à tous les ministres du
culte , pour le lire à tous les paroissiens après la
messe.
Il est enjoint à tous les généraux commandants
militaires , toutes les autorités civiles dans tous les
départements , de tenir la main la plus sévère à l'éxécution
pleine et entière de toutes ses dispositions , sur
leur responsabilité personnelle , et sous peine de désobéissance.
Donné au Cap- Français , le 4 frimaire an ro de la
république française ( 25 novembre 1801 ) .
Le gouverneur de Saint - Domingue ,
Signé , TOUSSAINT- LOUVERTURE.
On donne pour certain , qu'un aviso parti de Saint-
Domingue , a apporté l'heureuse nouvelle de l'arrivée
de notre armée navale à sa destination . Tout ayant
rentré dans l'ordre à la Guadeloupe , des commissaires ,
accompagnés des deux enfants de Toussaint Louverture
, lui ont été envoyés pour lui annoncer les secours
formidables du gouvernement. Il les a parfaitement
accueillis et a donné sur le champ , l'ordre de faire
construire un tres- grand nombre de baraques , pour
faire camper les troupes lors de leur arrivée dans la
colonie.
462 MERCURE DE FRANCE ;
Ile-de-France , 20 vendémiaire.
L'assemblée coloniale > aux Consuls de la République
Française.
Le 18 brumaire de l'an 8 fut un jour heureux pour
la France ; il ne le fut pas moins pour ses colonies
lointaines.
Aun gouvernement tyrannique et avili , a succédé un
gouvernement juste , fort et libéral .
L'autorité du directoire exécutif s'était armée pour
nous perdre ; celle des consuls a conservé à la France ,
une colonie que sa situation , sa fidélité , sa persévérance
rendent recommandable et importante.
Les politiques anglais ne s'égareront plus dans leurs
vaines pensées , et ne supposeront pas désormais que
nos voeux tendent à l'indépendance.
Nous ne serons jamais à ce point ingrats et coupables.
Les principes conservateurs ont prévalu . L'expérience
est aujourd'hui la sagesse des hommes chargés de gouverner
l'état. Ils savent que , dans l'ordre politique , la
première des conditions est de faire jouir les citoyens
de la protection et de la sureté que le pacte social leur
a garanties , d'abord et avant tout.
1 La patrie redemande en vain à ceux qui les ont sacrifiés
, ces innombrables sujets , qui travaillaient au
loin pour sa prospérité . Ici elle n'a point à pleurer sur
nos tombeaux : elle encourage ses enfants . C'est elle ,
c'est son amour qui excite notre énergie.
Si nous nous sommes montrés forts pour nous conserver
, fidelles pour la défendre, c'est elle , c'est la patrie
qui nous a dicté ces impérieux , ces honorables devoirs.
Aujourd'hui , que le sort de l'état et la destinée des
sujets ne sont plus entraînés par ces vains systèmes qui
successivement se sont choqués et détruits ; aujourd'hui
que , dans toutes les parties du corps politique ,
l'ordre est rétabli , que les droits sont rappelés , les
maximes libérales consacrées , et que l'intérêt de la
patrie est tout , notre constance et nos alarmes , notre
fidélité et notre énergie , seront des titres pour nous
aux yeux de la république entière , auprès du premier
magistrat qui la gouverne.
La place que la France occupe parmi les états de
l'Europe , et le maintien de sa puissance , fussent- ils
VENTOSE AN X. 463
indépendants de l'existence de ses colonies et de la
prospérité de leur commerce , les Français qui les habitent
sous un gouvernement probe , et tel que celui qui
la régit , n'ont pas moins de droit à la protection et aux
soins que leur éloignement doit rendre et plus nécessaires
et plus paternels encore.
Mais si , par sa situation , elle est appelée à disputer
le sceptre maritime , ou plutôt si , supérieure au rôle
que peut jouer une nation rivale , et prenant , dans les
affaires de l'Europe , un rang plus auguste et plus important
, elle fait servir sa puissance à assurer aux autres
états la liberté des mers ; alors elle doit encourager la
navigation ; elle doit maintenir et protéger ses établissements
au-dehors ; elle doit surtout compter sur le dé-
Youement et la fidelité de leurs habitants.
Alors ces colonies orientales , ces colonies qu'elle a
eu le bonheur de conserver , qui ont eu le mérite de
s'être conservées elles-mêmes , deviennent aussi importantes
pour elle , qu'elles sont dignes de sa sollicitude
et d'une protection efficace .
Ainsi , en sauvant ces colonies , en écartant d'elles
tout ce qui tend à leur destruction , le gouvernement
français remplit le voeu de l'Europe entière. Il agit
d'après les principes de son zèle pour la grandeur et
les intérêts de l'état , et il exerce envers nous un acte
de justice nationale.
Dès-lors nos alarmes vont cesser. La sécurité va renaître
dans nos îles ; car les calamités de la guerre
peuvent nous atteindre , maiselles ne nous alarment pas.
Nous serions coupables de ne pas nous fier aux promesses
de salut qui nous sont adressées . Elles sont écrites
dans la lettre administrative , en date du 18 ventose ;
elles sont gravées dans la conscience du premier consul
de la république .
Et quand tous les sentiments nobles et généreux sont
réunis avec la puissance , les citoyens ne doivent point
chercher ailleurs la garantie de leurs droits que dans
la foi due au gouvernement .
Mais ne changeant jamais quant aux principes de nos
devoirs , il nous trouvera toujours dévoués à la mèrepatrie
, fidelles à la république , et brûlants de zèle
pour sa prospérité et pour sa gloire.
C'est la confiance que tout français doit avoir dans la
464 MERCURE DE FRANCE ,
générosité , dans la justice du premier consul , qui est
la base inébranlable de notre sécurité : nous nous y
attachons plus fortement que jamais .
Puissions- nous , dans la partie du globe que nous
habitons , ajouter quelque chose à sa force et à sa gloire,
certains de trouver dans sa stabilité la garantie la plus
assurée de notre salut .
Le président de l'assemblée coloniale ,
Signé, J. SAULNIER.
DEVIENNE , secrétaire.
Enregistré au registre de correspondance de l'assemblée
coloniale de l'Ile- de-France , et remis au C. Ché
vreau , le 23 vendémiaire an 10 de la république.
LEMAIRE , secrétaire et archiviste.
(Journal officiel) .
Le comte de Dietz , prince heréditaire de Nassau ,
et fils du ci- devant stathouder , arrivé à Paris le 5 ventose
, a été présenté le 6 au premier Consul , qui a ordonné
qu'il fût traité avec les égards dus au beau-frère
et au cousin-germain du roi de Prusse. Le premier Consul
lui a fait connaître , à sa première audience , la satisfac→
tion qu'il avait éprouvée en lisant la belle lettre de son
père , tendante , à procurer la tranquillité à sa patrie ,
et qu'il espérait que les circonstances ne tarderaient pas
à se présenter où la France pourrait lui en donner des
témoignages réels .
D'après un arrêté du 13 ventose , l'Institut national
formera un tableau général de l'état et des progrès des
sciences , des lettres et des arts , depuis 1789 jusqu'au
1. vendémiaire an 10. Ce tableau , divisé en trois
parties correspondantes aux trois classes de l'Institut ,
sera présenté au gouvernement dans le mois de fruc
tidor an 11. Il en sera formé et présenté un semblable
tous les cinq ans. C
A la même époque , l'Institut national proposera au
gouvernement ses vues concernant les découvertes dont
il croira Fapplication utile aux services publics , les
secours et les encouragements dont les sciences , les
arts et les lettres auront besoin , et le perfectionnement
des méthodes employées dans les diverses branches de
l'enseignement public.
1
465
VENTOSE
AN X.
* B
24
2.5
23
.
Sur la mendicité.
Depuis quelques années , la mendicité semble occu
per , d'une manière plus spéciale , l'attention des Gouvernements.
L'Angleterre où les règlements relatifs
aux pauvres forment une partie si importante de la
législation , et ne devraient peut - être appartenir , comme
parmi nous , qu'à l'administration , songe , dit - on , à une
réforme générale .
L'Allemagne , et la France surtout , multiplient tous
les moyens de parvenir à ce double but soulager le
malheur , corriger ou réprimer le vice. C'est à la fois le
conseil de la politique et de l'humanité : on sait trop
ce que peuvent ceux qui n'ont rien et ne font rien . Dans
plusieurs endroits , les mesures de douceur et de séyérité
employées à propos ont déja réussi . Le préfet de
Ja Dyle a pu dire avec un noble orgueil à Bruxelles
il n'existe plus un seul mendiant . Des maisons de refuge
et de travail , des secours à domicile sagement distribués
, la fermeté sans rigueur , la compassion sans
faiblesse ont fait ce prodige ; car c'en est ' un , en si peu
de temps , et d'une manière si utile à la société , si honorable
pour le magistrat. Les autres dépositaires de
la confiance du Gouvernement s'empresseront sans doute
d'imiter un si bel exemple . Tous les principes à cet égard
sont connus et proclamés. Le ministre de l'intérieur les
a retracés récemment dans une lettre circulaire adressée
à tous les préfets , et que nous abrégerions , si tout n'y
était pas fondé en principes , et fécond en résultats.
La société , citoyen préfet , ne doit des secours qu'à
ceux qui , par la force des circonstances , se trouvent
dans l'impossibilité de fournir à leurs premiers besoins .
Distribuer des secours dans tout autre cas , c'est créer
la mendicité , nourrir la paresse , et produire des vices.
Ainsi , le premier soin qui doit occuper une administration
chargée de répartir des aumônes , consiste à
constater l'état de besoin. Ce soin est à la fois le plus
important et le plus difficile à remplir.
Les besoins qui provoquent les secours publics sont
de trois genres.
L'état de pauvreté.
L'état d'infirmité.
L'état d'abandon.
""
7.
30
466 MERCURE DE FRANCE ,
Pour constater ces trois états , qui donnent droit à
des secours publics , il suffit d'organiser dans chaque
ville un ou plusieurs bureaux de bienfaisance , conformément
à la loi du 7 frimaire an 5.
Ces bureaux doivent être composés de personnes riches
et considerées .
Ces personnes seront aidées dans leurs utiles fonctions
par la charité douce et active des soeurs hospitalières
attachées au comité.
Nul ne peut avoir droit à des secours publics qu’après
avoir fait la déclaration de ses besoins au bureau
de son arrondissement , qui , seul , prononce sur le besoin
, et détermine le genre de secours qui convient à
l'individu.
Le bureau classe dans l'état de pauvreté , et leur donne
droit à la distribution des secours à domicile , tous ceux
qui manquent de travail par la force des circonstances ,
ou qui sont chargés d'une famille trop nombreuse pour
que le chef puisse fournir à ses premiers besoins .
Il classe dans l'état d'infirmité , et leur donne droit
à leur admission dans les hôpitaux , tous ceux que des
infirmités passagères empêchent de se livrer au travail ,
et qui n'ont aucun autre moyen d'existence .
Il classe daus t'état d'abandon , et leur donne droit à
une retraite ou à une place dans un hospice , tous ceux
que l'âge ou des infirmités incurables rendent inhabiles
à un travail capable de les faire vivre .
Un médecin attaché au bureau peut constater l'état
d'infirmité.
Le témoignage de quelques hommes probes et le rapport
des soeurs hospitalières peuvent garantir et éclairer
sur tous les autres ,
Dans le premier état se trouvent 1 -º les individus vivant
habituellement du travail de leurs mains , et privés
momentanément de ce travail ; 2. ° les familles à qui
des malheurs imprévus viennent enlever leurs moyens
d'existence .
Il s'agit , pour le premier cas , de s'assurer que l'abandon
du travail n'est pas un prétexte pour le repos :
l'administration doit craindre par - dessus tout de faire
contracter à l'ouvrier une vie oisive ; elle n'accordera des
secours qu'après avoir acquis la conviction que le besoin
VENTOSE AN X. 467
1
50
est réel , et qu'il est impossible de procurer du travail
pour y satisfaire ; elle les rendra provisoires pour que
l'individu qui en est l'objet conserve le desir du travail
et le recherche.
Le genre de secours qu'on peut administrer n'est pas
indifférent ; il doit être borné à la seule distribution en
nature des objets qui peuvent remplir les besoins : le
pain , la soupe , les vêtements et les combustibles sont
seuls dans ce cas .
Les soupes aux legumes forment aujourd'hui une ressource
aussi facile qu'économique *. On ne saurait trop
les multiplier ; elles peuvent faire la moitié de la nourriture
du pauvre.
Le pain est devenu la base de notre nourriture ; il
doit être le fond des secours publics.
La distribution des vêtements et des combustibles est
peut-être une des plus utiles . Le dénuement de ces objets
dans la saison rigoureuse de l'hiver éteint le courage
et paralyse les forces.
Ainsi les bureaux de bienfaisance distribueront à la
première classe du pain , des soupes , des vêtements et
des combustibles . Ils employeront à ces dépenses les re-

Dix-sept fourneaux de soupes économiques existent
à Paris. Ils sont placés : 1.º Place du Panthéon ; 2.° rue du
Crucifix -Saint- Jacques -la - Boucherie ; 3.9 Séminaire Saint-
Sulpice , rue du Vieux Colombier ; 4. rue Montmartre ,
maison Bon- Secours ; 5.º Passage des Messageries - Hauteville,
n.º 188 ; 6.º Passage du Saint- Esprit , Place de Grève ; 7. ° rue
du Bacq , au couvent Sainte - Marie ; 8. ° Cloître St- Marcel,
n. 15 ; 9.0 rue St-Bernard , en face de, l'église Sainte -Marguerite
; 10. rue de Sèves , aux Filles St- Thomas ; t1.º rue
de la Lune , vis -à- vis l'église Bonne- Nouvelle ; 12. ° Cloître
des Bernardins ; 13.º Passage Saint- Paul , rue Saint-Antoine ;
14.° enclos de la Trinité , rue Grenetat ; 15.º rue St - Nicolas ,
chaussée d'Antin ; 16.0 Vieille rue du Temple , en face de
celle des Blancs -Manteaux ; 17.º rue des Poulies , vis-à - vis
les colonnades du Louvre. Le comité s'occupe à organiser.
de nouveaux établissements dans les fauxbourgs du Roule
et de Saint- Martin , au Gros - Caillou , et dans plusieurs autres
arrondissements de cette capitale .
On souscrit dans les divers établissements , et chez les CC.
Delessert , rue Coq- Héron ; Pastoret , Place de la Concorde;
Cadet-Devaux , rue de la Liberté ; Mathieu- Montmorency,
rue Saint- Dominique ; et Decandolle , rue Copeau . Pour
18 fr. on reçoit 240 bons de soupe.
468 MERCURE DE FRANCE ,
venus que la loi , la charité individuelle ou la bienfaisance
nationale consacrent pour ces sortes de secours ;
ils inviteront les particuliers à les enrichir de leurs aumônes
et à centraliser , par ce moyen , l'administration
des secours publics : on concevra sans peine que tous
les besoins arrivant à un centre commun et tous les
secours partant du même centre , la vigilance doit être
plus sévère , les vrais besoins mieux satisfaits , le vice
et la paresse flétris ou signalés.
2. La seconde classe d'individus qui réclame des secours
publics , est composée de tous ceux qui sont atteints
d'infirmités passagères auxquelles leur état de
fortune ne permet pas d'appliquer les soins et les remèdes
convenables.
Presque tous ceux qui sont dans cet état , ne trouvent
de ressources que dans les secours qu'on peut leur administrer
dans les hôpitaux ; mais ces asiles ne devraient
être ouverts qu'à ceux qui n'ont point de famille. Une
administration paternelle doit les fermer à tous les malades
qui peuvent recevoir des soins domestiques dans
leur demeure .
Ainsi , le premier soin de l'administration , après avoir
constaté l'état d'infirmité , doit être de s'assurer si le
malade peut être soigné dans sa maison ; et , dans ce
cas , on le confiera à la charité douce des filles consacrées
à ce genre de service , et on aura soin de lui procurer
les secours de l'art , les remèdes et les aliments
nécessaires. Ce genre de secours à domicile , dont on
retire de si grands avantages partout où il est établi, présente
encore une grande économie pour les hôpitaux ;
car , dans une famille dont le chefest malade , la femme
ou les enfans s'estiment heureux d'être allégés d'une
partie de la dépense . Si l'on ajoute à ces avantages la
consolation que doivent éprouver des pères et des mères
lorsqu'ils peuvent être soignés dans leur propre lit par la
main de leurs propres enfants , l'on n'hésitera pas à
penser qu'on ne doit admettre dans les hôpitaux que
les êtres qui sont assez malheureux pour n'avoir ni feu ,
ni lieu , ni parents.
Organiser et multiplier les secours à domicile , est
donc le complément d'une charité bien entendue.
3. Il se présente une troisième classe de malheureux
VENTOSE AN X. 469
qui réclament des secours publics : ce sont ceux qui se
trouvent abandonnés et privés de tout appui dans la société.
C'est dans les deux extrémités de la vie que nous trouvons
des individus de cette classe . L'enfant qui vient
de naître n'est déja très - souvent avoué par personne ;
il est confié à la charité publique , et la société doit en
prendre soin. Le vieillard , parvenu au bout de sa carrière
, a vu disparaître tous ses appuis , et s'anéantir
avec ses forces , sa modique fortune ainsi que les
moyens de pourvoir par ses mains à sa subsistance : la
société ne peut pas rejeter les restes d'une vie qui lui a
été utile . Souvent encore des infirmités viennent assiéger
un homme au milieu d'une carrière pénible ; elles
Je rendent incapable de travail , et la société doit y
pourvoir.
7.
Cette troisième classe comprend donc les enfantstrouvés
, les vieillards et les incurables.
De tous temps et chez tous les peuples la société a
donné des secours à ces infortunés ; mais elle doit prendre
des moyens pour n'y faire participer que ceux qui en
ont un besoin absolu : elle rejettera l'enfant dont les
parents sont connus ; elle refusera le vieillard dont la
famille peut soutenir ses dernières années ; elle n'adoptera
que ceux qui se trouvent sans appui comme sans
secours. Le droit qu'a seul le vrai besoin aux aumônes
publiques fait un devoir à l'administration de la plus
inflexible sévérité.
Le régime et l'éducation qui conviennent à des enfants
, ne permettent pas de les confondre avec les vieil-
Jards et les incurables ; il faut les séparer avec soin.
Les enfants doivent être élevés de manière à devenir
utiles à la société qui les adopte ; il faut donc leur faire
contracter de bonne heure l'habitude du travail ; if
est seul capable de faire de leur hospice une école de
moeurs et une pépinière de citoyens utiles .
Les vieillards et les incurables ne demandent que du
repos ; il ne s'agit que de leur fournir une habitation
saine et spacieuse pour qu'ils terminent dans une heureuse
tranquillité leur vie laborieuse .
Je suis persuadé que les soins que prend une sage administration
pour ne faire participer aux secours pu
470 MERCURE DE FRANCE ,
blics que ceux qui y ont des droits positifs , commencent
par en réduire le nombre de plus de moitié , et
permettent alors à la société de pouvoir soulager les
véritables nécessiteux.
Je suis encore convaincu que l'administration qui
mettra dans la distribution de secours cette sage intelligence
qui sait les proportionner aux besoins , aux circonstances
, et à la position des indigents , produira plus
d'effet et soulagera un bien plus grand nombre de nécessiteux
, que ne font ces charités répandues sans discernement
, qui , voulant embrasser tous les besoins , satisfont
rarement à ceux qui sont les plus réels .
Donner à tous indistinctement , ce serait doter la
profession de mendiant.
Donner au seul nécessiteux , c'est s'acquitter d'un
devoir envers l'humanité , c'est payer la dette de la société.
Porter des consolations dans le sein des familles , y
distribuer les secours de la bienfaisance , c'est la perfection
de la charité publique.
Je vous invite , citoyen préfet , à vous pénétrer de
ees principes , et à en faire la règle de votre conduite :
vous trouverez dans une sévère organisation des secours
publics , des moyens suffisants pour fournir au vrai besoin
: vous ramènerez alors dans le domicile de l'indigent
la charité individuelle qu'une mauvaise administration
en aurait écartée ; vous rendrez au travail
l'homme qui s'y refuse ; vous détruirez les vices qui
naissent de la paresse et de la dissimulation .
C'est là , si je ne me trompe , citoyen préfet , un sujet
digne de toute votre sollicitude ; et je vous invite , au
nom de l'humanité , au nom des moeurs et de la patrie ,
à vous en occuper de manière à ne laisser après vous
que des bénédictions . Signé , CHAPTAL .
A tous ces moyens que dicte la prudence humaine
un autre désormais , plus efficace encore et plus universel
, joindra son influence. La religion reprenant son
empire , va de nouveau répandre ses bienfaits . Elle ne
se contente pas de guérir le malade ; elle ne donne pas
seulement du pain et des habits , elle seule parle au
coeur des malheureux , lui fait un devoir de la résignation
, et peut même ramener la joie au milieu des
souffrances (La suite aux N.° prochains).
VENTOSE AN X.
47
INSTITUT NATIONAL.
Séance publique du 15 nivose.
EXTRAIT de la notice des travaux de la classe de
littérature et Beaux-Arts.
Le C. Ameilhon a communiqué la première partie
d'un mémoire fort étendu sur l'art de tisser chez les
anciens.
"
C'est par la fabrication des toiles de lin que l'art de
tisser a commencé. En effet on dut alors préférer
les substances qui présentaient des fils d'une certaine
longueur , et presque tout faits. Les poils des animaux ,
étant plus courts , n'offraient pas la même facilité pour
le tissage. Le C. Ameilhon , guidé par les anciens , a
observé le lin dans toutes ses métamorphoses , depuis
le moment où le cultivateur en confiait la semence à la
terre , jusqu'à l'époque où il était converti en toile , et
où cette toile , apres avoir reçu ses derniers apprêts ,
était livrée à des mains habiles qui en faisaient des vêtements
, ou du linge propre aux usages domestiques.
Il n'est pas facile de déterminer le pays où le lin
a pris naissance ; car il paraît s'accommoder de tous
les climats. Un savant , Cimbre ou Teuton , a fixé le lieu
de son origine dans les contrées boréales . Du mot lien ,
les Grecs , selon lui , ont fait dériver 2ívov : or , dans
la langue des Cimbres , le mot lien signifie souffrir; ce
qui convient d'autant mieux au lin , ajoute- t- il , qu'il
n'est point d'être dans la nature plus tourmenté , plus
outragé pendant toute la durée de son existence .
Pour le démontrer , Géropius Béranus ( c'est le nom
du savant ) examine les divers états par où le lin est
contraint de passer. Tous sont marqués par de nouvelles
tortures ; mais l'instant le plus douloureux pour
la plante est celui où , changée en papier , elle se voit
réduite à supporter bien des sottises . Telle est l'opinion
de Géropius. Il faut avouer qu'elle ne manque pas de
fondement.
Au surplus , celle du C. Ameilhon , sur l'origine du lin ,
paraît plus certaine. Il croit , sur la foi du plus ancien
de nos livres , que l'Egypte pourrait en avoir été le vrai
berceau. Du temps de Moïse , le lin faisait , en Egypte ,
une branche d'agriculture considérable. Diverses autorités
prouvent qu'il y avait dans ces mêmes contrées de gran-
·
472 MERCURE DE FRANCE ,
des manufactures de lin établies dans l'enclos des temples.
Sous le règne des Ptolémées , on entretenait des fabriques
où le lin était travaillé pour le compte du souverain
monarque . Orose rapporte qu'Auguste après
s'être rendu maître d'Alexandrie , fit mourir Quintus
Ovinius , sénateur du peuple romain , pour avoir rabaissé
l'auguste dignité dont il était revêtu , jusqu'à
exercer l'emploi d'intendant des manufactures de lin
et de laine qui appartenaient à la reine Cléopâtre.
S'il est vrai , comme Pline le remarque , et comme
les modernes en conviennent d'un commun accord ,
que l'arrosement par voie d'irrigation est plus salutaire
au lin que celui de la pluie , le lin devait prospérer
en Egypte plus que dans tout autre pays , puisqu'il n'y
était jamais mouillé que par les eaux du Nil. Malgré
cet avantage , il n'avait pas beaucoup de corps : Egyptio
tino , dit Pline , minimùm firmitatis ; mais il n'en était pas
moins cher , plurimùm lucri : c'était sans doute à cause
de sa finesse et de sa beauté .
Plusieurs cantons d'Espagne produisaient aussi du lin
en abondance et de la meilleure qualité. Le lin , surtout
des environs de Terragone , avait la plus grande réputation.
L'Italie le disputait à l'Espagne par la finesse,
la force et la beauté de celui qu'elle cultivait . On estimait
beaucoup le lin qui croissait dans la Campanie ,
et plus encore celui des environs de Cumes . Ce dernier
était principalement employé à tisser des toiles pour
prendre des sangliers . Quoique ces toiles fussent d'une
extrême finesse , elles résistaient , dit -on , à tous les
efforts des bêtes féroces. Les Germains , les Gaulois et
les Bataves cultivaient aussi le lin pour en faire des
toiles et des voiles de navire, Pline nous apprend , au
sujet des Germains , une particularité assez remarquable.
Il dit que ce peuple travaillait le lin dans des cavernes
ou des souterrains . In Germaniâ defossi atque sub terrâ
id opus agunt, Cet usage s'est perpétué jusqu'à nous. Les
caves servent ordinairement d'ateliers à nos tisserands .
La Grece ne le cédait point aux autres nations dans
l'art de cultiver le lin et d'en faire de la toile.
Nota. Parmi nous , les plus beaux lins connus sont ceux
que produisent les départements de la Dyle et de l'Es
caut . On se plaint , dans plusieurs endroits de la France ,
que la culture du lin , autrefois florissante , a beaucoup
VENTOSE AN X.
478
?
1
1
souffert dans son étendue et dans ses produits . Les uns
demaudent qu'on encourage par des primes l'importation
des graines de lin du Nord , dont l'expérience , disentils
, a démontré la supériorité ; les autres desirent qu'on
améliore nos propres graines , et sans doute les Sociétés
d'agriculture seconderont leurs voeux , et encourageront
les essais , aujourd'hui que la France a reconnu sur
combien d'objets elle peut non plus payer , mais imposer
un tribut à ses voisins ( Extrait du procès - verbal
de la session des conseils généraux en l'an 9 ) :
L'administration du Musée central des Arts est parvenue
à restaurer le fameux tableau de Raphael , connu
sous le nom de la Vierge de Foligno. Il représente la
Vierge , l'Enfant -Jésus , Saint -Jean , et plusieurs autres
figures de diverses grandeurs. Il était peint sur un fond
de bois une fente s'étendait depuis le ceintre jusqu'au
pied gauche de l'Enfant - Jésus deux courbures partageaient
sa surface : il s'écaillait dans plusieurs parties ,
et un grand nombre d'écailles s'étaient déja détachées .
La peinture était piquée de vers en beaucoup d'endroits.
11 fallait donc se hater de sauver le tableau par la res-
-
tauration .
L'opération qui a dû précéder toutes les autres , était
le rétablissement de la surface qui s'était contournée
en plusieurs sens : on l'a exécuté avec des coins introduits
dans de petites tranchées pratiquées à différentes
distances. Ces coins étaient imbibés d'eau , et le gonfiement
qui en provenait obligeait le bois à reprendre
sa première figure. Quand la surface a été rendue plane
par ce procédé , on a fixé le tableau à des barres solides .
Après cela , la surface a été cartonnée avec soin . On
a retourné et fixé le tableau sur une table . Pour réussir
à séparer le bois sur lequel il était peint , on a eu recours
à des scies de différentes formes , qui en ont réduit
l'épaisseur à celle d'une feuille de papier. Ce qui
en restait a été détaché par petites parties , à l'aide
d'une lame de couteau arrondie. On a séparé l'ancien
apprêt de la toile par des moyens qu'on a pris soin de
varier selon la force avec laquelle il adhérait.
Ce qui rendait cette dernière opération encore plus
difficile , c'est que de mauvais vernis , appliqués dans
des restaurations antérieures , avaient coulé entre les
parties recoquillées de la peinture , et qu'elles avaient
474. MERCURE DE FRANCE ,
inégalement durci le fond. On a commencé par débarrasser
la peinture de tout ce qui lui était étranger ; puis
on l'a fixée sur une impression nouvelle , ainsi que sur
plusieurs toiles successives et recouvertes d'un enduit
résineux.
Enfin , l'on a délivré la surface de son cartonnage ,
pour la soumettre elle -même à des opérations trèsdélicates.
Il a fallu aplanir les parties recoquillées ,
en les imprégnant d'huile , et en leur appliquant , avec les
plus grandes précautions , un fer échauffé.
Toutes ces opérations ont été confiées au C. Hacquins
, qui , dans les nombreux détails de l'exécution ,
a montré que chacune d'elles exigeait autant de patience
que d'adresse et d'habileté.
Mais après la restauration mécanique , restait encore
la restauration pittoresque . Celle-ci demande une grande
délicatesse d'oeil , pour savoir accorder les teintes nouvelles
avec les anciennes ; une connaissance approfondie
des procédés employés par les maîtres ; une longue expérience
, pour prévoir , par le choix et l'emploi des
couleurs , ce que le temps peut apporter de changements
dans les teintes nouvelles , et pour prévenir la discordance
qui résulterait de ces changements.
L'art de la restauration pittoresque exige encore le
plus grand scrupule à ne recouvrir que les parties endommagées
; une adresse extraordinaire , pour accorder
le travail du restaurateur avec celui du maître , restituer
, pour ainsi dire , la pâte première dans toute son
intégrité , et faire disparaître le travail à tel point , que
l'oeil , même exercé , ne puisse distinguer ce qui est sorti
de la main du maître , d'avec ce qui appartient à l'artiste
réparateur.
La restauration surtout de l'ouvrage de Raphaël , demandait
toute la prudence et toute l'habileté des pre-.
miers talents .
L'administration du Musée-central des Arts a tout
prévu . Le C. Roeser , dont elle a fait choix , et qui ,
par des succes multipliés , avait déja mérité sa confiance,
lui a donné une nouvelle preuve de son talent connu
La partie pittoresque a tout le degré de pureté qu'on pouvait
lui desirer, Tel est le jugement qu'en ont porté les
CC. Berthollet , Guyton -Morvaux , Vincent et Taunay,
nommés par l'Institut pour assister à toutes les opérations.
TABLE
Du troisième trimestre de la seconde année
du MERCURE DE FRANCE.
TOME SEPTIÈME.
LITTÉRATURE.
POÉSIE.
FRAGMENT d'une traduction de l'Art poétique
8
d'Horace. pages 3
La Naissance de l'Arioste.Fragment du Poème
de l'Imagination ; par M. l'abbé Delille.
Vers sur le peuple hébreux ; par le même.
Enigmes , logogriphes et charades. ´10 , 83 , 163 , 245
326 , 405
-
Portrait de l'Imagination. Fragment d'un poème
inédit sur les Sciences ; par Chênedollé.
Le Linx et les Taupes. Fable.
OEuvres de Pierre Corneille , avec le Commentaire
de Voltaire , et les Observations du C. Palissot
(Extrait.)
81
82
85
Satyres de Juvénal et de Perse , traduites en vers
français , par Dubois - Lamolignière (Extrait.) . 104
Descriptions des Harpies - Fragment d'une traduction
inédite de l'Enéide.
La Prophétie du Tage , ode imitée de l'Espagnol ;
par le C. Lalanne .
1741
Vers adressés au C. Tal .... min. des rel. ext. le jour
de sa fête.
Episode du poème de L'ETUDE , extrait, du troisieme
chant , par le C. Coriolis.
L
161
24F
245
321
Fragment de la PETREIDE , chant de l'Angleterre, 324
Les Souvenirs , ou Poésies fugitives d'Hoffman .
(Extrait. )
Extrait de la PÉTRÉIDE , chant des Mines.
351
104
476 TABLE
Le Coucou , fable ; par J. L. Grenus 404
Le Valet du Fermier , poème champêtre (Ext .) . 432
SPECTACLE S.
Théâtre Français. Alhamar.
Andromaque de Racine.
Première représentation d'Edouard en Ecosse.
Théâtre de la République et des Arts. Ballet de
Psyché.
Théâtre de la rue de Louvois . La Grande - Ville , ou
les Provinciaux à Paris .
Théâtre du Vaudeville. Berquin.
cu
34
362
439
42
284
44
Ida , ou Que deviendra-t- elle ? 123
Achille à Scyros.
Sophie , ou la Malade qui se
porte bien.
ROMAN S.
Aristippe et quelques-uns de ses contemporains ; par
Wieland ( Extrait. ) .
288
362
: 21
Charles et Marie ; par Madame de Flahaut (Ext.) . 165
Atala Traductions d' ) . ( Extrait.) . 175 Histoire
des quatre Espagnols
, par Montjoie
(Ext. ). 327
HISTOIRE.
Histoire de la Rivalité de la France et de l'Espagne ;
par G. H. Gaillard ( Extrait.) . 12 , 187
Tome VI . et dernier des constitutions des principaux
Etats de l'Europe , par Delacroix ( Ext. ). 337
VOYAGE S.
Voyage au Sénégal ; par P. Labarthe ( Extrait. ) . 197
Voyage de la Troade ; par J. B. Lechevalier (Ext. ) . 247
L'Année la plus remarquable de ma vie ; par A.
de Kotzebue (Extrait.). 277
DES MATIÈRES.
477
PHILOSOPHI E.
Projets d'Eléments d'idéologie ; par Destutt-Tracy
(Extrait.).
Traité élementaire de métaphysique et de morale ,
par M. l'abbé de Lamblardie (Extrait.).
Lettres philosophiques sur la magie (Extrait. ).
Lettres de M. Lally- Tolendal sur le bref du Pape ,
aux évêques français ( Extrait. ).
Eléments de grammaire générale , par R. A. Sicard
(Extrait) .
JURISPRUDENCE.
97
180
230
265
422
Institut de jurisprudence et d'économie politique . 363
ÉCONOMIE RURAL E.
Le Cultivateur anglais ; par Arthur- Young (Ext.). 31
SCIENCES ET ARTS.- DÉCOUVERTES MODERNES .
Collections rapportées d'Egypte .
Traité des arbres et arbustes ; par Duhamel.
Caparaçons et couvertures pour chevaux .
Suite du Salon de l'An 9 .
"
73, 392
77
80
115
Muséum d'instruction publique à Bordeaux .
Art de composer la musique sans en connaître les
éléments.
Distribution des prix aux élèves du Conservatoire
de musique.
142
143
200
Cours historique et élémentaire de peinture . 225
Mort de l'éléphant mâle , au Muséum d'histoire
naturelle .
Galvanisme .
Monuments antiques ; par Millin .
SOCIÉTÉS SAVANTES ET LITTÉRAIRES .
Institut national . - Séance publique du 15 nivose
an X.
idem
226
317
227 , 491
Société d'encouragement pour l'industrie nationale . 317
Lycée de Paris. 33
478
TABLE
VARIÉTÉS.
Essai sur la garantie des propriétés littéraires ; par
Goujon , de la Somme (Extrait. ).
39
Vie polémique de Voltaire ; par G...y(Extrait. ) . 183
Euvres posthumes de Thomas.
Traité de physiognomonie de Lavater.
OEuvres diverses du C. Gin ancien magistrat
(Extrait.).
"
Apologues et allégories chrétiennes (Extrait.) .
Des anciens et des modernes .
229
230
344
348
354
Edition complète des OEuvres de Thomas (Ext.) . 407
POLITIQUE.
EXTÉRIEUR.
Empire ottoman .
Colonies françaises.
États -Unis d'Amérique .
Russie.
Suède .
Allemagne.
Bavière.
Suisse .
République cisalpine. - Auj . italienne.
209
222 , 315,382
56
380
49 , 129
217
145
222 , 313
289 , 386
222
République lucquoise.
Suite du Précis sur l'état de l'Europe . 49 , 129 , 209 ,
Traités de paix.
369
56 , 145 , 383
DES MATIÈRES 479
4
INTÉRIEUR.
Corps législatif.
Congrès d'Amiens .
72 , 148 , 220 , 316 , 392
80 , 220 , 316
La consulta de Lyon. 80 , 150 , 220 , 289 , 389
Voyage du premier Consul à Lyon . 220 , 289 , 312
Conseils généraux des départements.
223
Education publique .
Du Dix- Huit Brumaire , opposé à la terreur
76 , 141
(Extrait.) .
Nominations.
Affaires de l'église .
137
75 , 144 , 150 , 222
.144
Sèvres.
Nécrologie. Morts de Mouchy , sculpteur.
Dolomieu , naturaliste.
Notice sur Muzio - Gallo , évêque de Viterbe .
Travaux publics.
Etablissement d'humanité.-Société maternelle .
Etablissement des sourds et muets à Berlin .- Soupes
économiques .
Sur la mendicité.
Organisation de l'imprimerie de la république.
Variétés.
STATISTIQUE DE LA FRANCE .
Modèles de tableaux de statistique envoyés à tous
les préfets .
Suite de la statistique du département des Deux-
78
151,233
74
idem
394
75
80
idem , 393
465
75
150 , 223
ANNON CE S.
A
MEMOIRE historique et politique sur le commerce de
l'Inde ; par le C. Garonne , aîné. Paris , chez Ant.
Bailleul , imprimeur-libraire , rue Grange-Batelière ,
n.º 3 , et chez P. Mongie , libraire , cour des Fontaines
, n.° II , et galeries de bois du palais du Tribunat
, n.º 224. An X ( 1801 ) . Prix , 1 fr . 50 cent.
et 1 fr. 85 cent. , franc de port.
On considère dans ce mémoire la question du commerce
de l'Inde dans tous ses rapports avec notre situation
actuelle , tant intérieure que maritime , et l'on
y balance les avantages et les inconvénients , soit de
la liberté , soit d'une compagnie privilégiée. On s'y dé-
'cide pour le commerce libre. L'auteur est lui -même
négociant , et on le reconnaît aux connaissances posi
tives dont ce mémoire nous paraît être un résultat solide.
Sans doute l'expérience du comptoir est uu meilleur
guide dans ces matières que les théories de cabinet .
LES OEuvres d'Horace , traduites en français , par René
Binet , ancien recteur de l'université de Paris . Nouvelle
édition , revue et retouchée avec soin par l'auteur.
2 vol . in- 12 . Prix , 5 fr . reliés . A Paris , chez
Colas , libraire , place Sorbonne . An X ( 1802 ) ,
RECHERCHES sur le vomissement , sur ses causes multipliées
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des secours qu'on peut lui opposer dans les différents
cas ; par Bouvenot , médecin.
in-8. Prix , broché...
et port franc , par la poste ..
2 fr . c.
2 50
"
A Paris , chez Méquignon, l'aîné , libraire , rue de l'E-
¡ cole de Médecine , n . ° 3 , vis-à-vis la rue Hautefeuille.
Le Nouveau Bureau d'esprit , où les Amours d'un auteur.
A Paris , chez Allut , rue Saint- Jacques , n.° 1126 ,
et Mongie , Palais - Egalité.
JUGEMENT sur Lekain , par Molé , Linguet... ou Mémoires
de ce grand acteur. Suivi d'une notice de Linguet
sur Garrick. Prix , 75 cent. A Paris , chez Colnet ,
rue du Bacq ; Debray et Mongie , palais du Tribunat.
Qualité de la reconnaissance optique de caractères
Soumis par lechott le