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1801, 06-09, t. 5, n. 25-30 (20 juin, 5, 20 juillet, 4, 19 août, 3 septembre)
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MERCURE
DE
FRANCE ,
LITTÉRAIRE ET POLITIQUE .
TOME CINQUIEME.
VIRESACQUIRIT
EUNDO
A PARIS ,
DE L'IMPRIMERIE DE DIDOT JEUNE.
AN I X.
Bayerische
Simatebibli thak
München
G
}
( N. XXV . ) 1er Messidor An 9.
MERCURE
DE FRANCE.
*
LITTERATURE.
AU COMTE DE LIVOURNE . *
120
LORSQUE chez le peuple de Mars ,
Les Rois , alliés de sa gloire ,
Venaient au palais des Césars
Admirer la pompe des Arts
Et l'audace de la Victoire ;
On dit , qu'à leurs hôtes tremblants ,
Ces fameux vainqueurs de la terre
N'offraient que des plaisirs sanglants ,
Tristes images de la guerre.
De farouches gladiateurs ,
Au sein d'une paix inhumaine ,
Les amusaient de leurs fureurs ,
Et même , en tombant sur l'arène ,
Devaient montrer au spectateur
L'orgueil d'une fermeté vaine ,
Et la grace dans la douleur.
* Ces vers étaient cachés dans une couronne de fleurs ,
présentée au comte de Livourne , pendant la fête que lui
donna le Ministre de l'intérieur , le 23 prairial. ( Voyez l'article
Paris. )
5
4
MERCURE DE FRANCE ,
Loin de nous ces fêtes coupables ,
Les Français sont plus généreux ;
Et quand la Paix règne sur eux ,
C'est au milieu des Arts aimables .
A ces spectacles menaçants ,
Qui charmaient l'antique Italie ,
Nous préférons les jeux charmants
De Terpsychore et de Thalie ;
Nous adorons tous les talents .
Par eux , par leurs attraits touchants' ,
La gloire même est embellie .
Vous les voyez autour de vous
Multiplier leurs doux prodiges ;
Pour vous arrêter parmi nous ,
Nous n'avons pas d'autres prestiges ;
Mais tous les Arts suivront vos pas.
Charmés de vous avoir pour maître ,
Ramenez - les dans ces climats ,
Où l'Àrno les a yu renaître ,
Où les Médicis adorés ,
Des Muses relevaient les temples.
Des biens que vous y trouverez ,
Les plas feconds sont leurs exemples.
Un jour vous les égalerez.
Eh ! vous en faut-il d'autre gage
Que ces augures fortunés ?
Ce beau jour vous offre l'image
De ceux qui vous sont destinés.
Partout où le bon goût respire ,
Où les Arts parent la grandeur ,
Où les lois dictent le bonheur ,
On se croira sous votre empire .
La France , fière des vertus
Que vous portez à l'Etrurie ,
Veut qu'à ces peuples éperdus ,
Vous rendiez cette paix chérie ,
MESSIDOR AN IX . 5
Dont les charmes étaient perdus .
Elle vous charge de ses dettes
Et du sort qui leur fut promis.
Le bonheur des peuples soumis
Immortalise les conquêtes.
Soyez le prix de nos succès ;
Mais faites-en chérir l'histoire ,
Et que les Toseans satisfaits
Puissent unir dans leur mémoire
Nos triomphes et vos bienfaits ;
Ils aiment les arts et la gloire ,
Ils seront amis des Français .
ESMENAR D.
VERS pour mettre au bas du portrait du
général BRUNE.
A ses rares vertus l'Italien rend hommage ;
Les Français sur ses pas sont toujours triomphants ;
Le Batave sensible honore son courage ;
Et l'Europe étonnée admire ses talents .
Par le C. LIBERAL , sous- lieutenant des grenadiers
de la 80.me demi-brigade.
ENIGM E.
J'AI le bras vigoureux , la jambe fort agile ,
Mon embonpoint ne me nuit pas ;
Je ralentis , ou je presse le pas ,
Et n'en fais jamais d'inutile.
Si vous doutiez de ma sincérité ,
En m'entendant moi- même exalter ma puissance ,
Interrogez ceux de ma connaissance ;
Ils sont assez nombreux , soit dit sans vanité ;
Et , quoiqu'en répondant ils gardent le silence ,
6 MERCURE DE FRANCE ,
Ce muet témoignage est plein de vérité ;
Il convaincrait le plus sceptiqué.
Mais c'est assez sur mon physique ,
Parlons de ma moralité ;
En voici le portrait fidelle .
Mon coeur est dur comme un rocher ;
J'arrive sans que l'on m'appelle ;
On me trouve sans me chercher.
Par un abonné.
LOGO GRIPH E.
Qu'on me laisse un instant ma tête et mes six pieds ,
J'accroche ce qui reste , en retranchant ma tête ;
Ce reste s'endurcit , si l'on coupe un des pieds
Et court dans la musique en reprenant ma tête .
Sans elle un saint paraît en élaguant deux pieds.
Qu'on m'ôte encor un pied ; si l'on me rend la tête ,
Je sers aux bateliers . Sans reprendre mes pieds ,
J'épouvante sur mer dès que je perds la tête .
Que dirai -je de plus ? Mon tout n'a que sept pieds ,
Encore suis -je obligé d'y comprendre ma tête.
Par une abonnée.
"
Mots de l'Enigme et du Logogriphe insérés
dans le dernier Numéro .
Le mot du logogriphe est félicité , où l'on trouve :
été , if, cité ,fi , fil , ici , tic , ciel , lit.
Le mot de l'énigme , est énigme.
#
MESSIDOR AN IX. 7
J
EPITRE à Jacques DELILLE ; par Pierre
DARU. Paris , chez Charles Pougens , quai
Voltaire , n.º 10.
Si l'auteur de cette épître avait ambitionné cette
vogue éphémère que donnent presque toujours les.
ouvrages de parti ; s'il n'avait pas eu la modestie ,
ou si l'on veut , le noble orgueil de préférer un
succès d'estime ; il aurait pu produire beaucoup
plus d'effet avec la moitié du talent qu'il a déployé.
Quand on adresse des voeux et des conseils
à un poète , aveugle comme Homère , errant et
malheureux comme lui , il faut , pour le perŝuader
et l'attendrir , lui parler une langue qui flatte
son oreille et faire des vers presque aussi doux
que les siens ; or , je ne connais pas d'entreprise
plus difficile , de talent plus rare , et de mérite
plus mal récompensé . Mais quand on a l'esprit
de caresser , par de fades éloges , la vanité de tous
ceux qui se disputent le sceptre de la littérature ,
ou le courage d'outrager , par de plates satires ,
la morale religieuse , le bon goût et la vérité ,
l'on n'a pas besoin de se tourmenter pour donner
à son style , de l'harmonie , de l'élégance et de
la précision . L'on est sûr , d'avance , de tous ces
journaux , où la délation est honorée comme une
vertu républicaine , et la calomnie comme une
oeuvre patriotique ; on respire , à son aise , cet
encens si pur et si flatteur , et l'on arrive incognito
à sa troisième édition . Pour avoir dédaigné ce rare
avantage , le C. Daru aura sans doute le chagrin
de n'être lu que par les gens de goûte, et de n'être
estimé que par les gens de bien .
Il commence son épître en rappelant à Delille
3
8 MERCURE DE FRANCE ,
1
le succès glorieux dont il jouit autrefois dans sa
patrie ; succès qui pouvait irriter l'envie quand il
faisait la fortune du poète ; mais qui doit désarmer
la haine , depuis qu'il ne fait plus que parer son
malheur. Le souvenir de ses beaux jours devrait
en effet suffire à Delille , pour le ramener parmi
ses concitoyens qui lui décernèrent ses premiers
triomphes , et qui , comme l'observe très-bien le
C. Daru , voudraient encore couronner sa vieillesse
et ses derniers travaux .
Toi qui nous fais aimer , par tes accords touchants ,
L'étude , les beaux vers , les vertus et les champs ;
Toi qui vis tout un peuple , ivre de son Orphée ,
Suivre en foule ta voix et parer ton trophée ;
Infidelle aux honneurs qui t'attendaient encor ,
Tu fuis devant ta gloire , et vas au fond du Nord ,
De rois en rois , errant où ton chagrin t'exile ,
Porter la lyre d'or que te légua Virgile.
Tu fuis devant ta gloire , me paraît une fort
belle expression ; mais le vers suivant contient un
reproche qui n'est pas aussi juste . Il s'en faut de
beaucoup que l'abbé Delille erre de rois en rois .
Sorti de France à une époque où les images ensanglantées
, qui le poursuivaient partout , accablaient
son coeur et sa raison , il se retira d'abord
en Suisse , et l'on sait qu'il y vécut plus de deux
ans , trop heureux d'être également ignoré des
rois et des tyrans populaires. Les événements politiques
, qu'il n'a jamais connus que par la terreur
dont ils l'ont frappé , l'engagèrent à chercher un
autre asile . Il s'arrêta successivement à Francfort ,
à Brunswick , à Hambourg ; deux de ces villes
sont républicaines ; l'autre est gouvernée par un
MESSIDOR AN IX. 9
·
prince , élève du grand Frédéric , qui apprit , a
son école , que la liberté de cultiver les lettres et
les beaux-arts est la plus douce récompense de la
victoire . Enfin , Delille a passé en Angleterre ,
se flattant d'y trouver de nombreux souscripteurs
pour une nouvelle édition de ses ouvrages , devenue
nécessaire à son existence ; et j'ai lieu de
croire qu'il n'y voit guère le roi , ni les personnes
en crédit à la cour ; voilà l'exacte vérité : sans
doute , elle est indifférente pour ceux qui , dans
l'épître du C. Daru , ne cherchent que le mérite
de la poésie ; mais le témoignage d'un écrivain
qui honore son talent par son caractère , mérite
au moins d'être discuté , et c'est à lui surtout que
j'adresse ces observations : il me suffit d'avoir lu
ses vers pour être assuré qu'il aime Delille ; il ne
peut point partager l'insensibilité de ces froids.
raisonneurs qui , sous prétexte que Delille se refuse
au voeu de sa patrie et de ses amis , prennent
le parti de nier son malheur au lieu de le plaindre ,
comme si à son âge et dans sa position , l'erreur
dans laquelle il s'obstine , n'était pas la première
de toutes les infortunes . Le C. Daru doit en être,
d'autant plus persuadé , qu'il sent avec plus d'énergie
et qu'il peint avec plus de charme , le bon-,
heur de vivre et d'être honoré dans son pays. Il
ne fallait donc pas , pour y rappeler Delille , l'accuser
d'aller de rois en rois solliciter , pour ainsi
dire , le malheur d'en être exilé .
Un autre reproche , dicté , d'ailleurs , par un sentiment
bien naturel , est celui qu'il adresse aux
faux amis du poète , qui , dans un recueil apocryphe
de ses pièces fugitives , ont prétendu qu'il
allait voir bombarder Huningue , et qu'il s'exerçait
, pendant ce spectacle horrible , à faire des
τό MERCURE DE FRANCE ,
vers sur les effets de l'artillerie , pour son poème
de l'Imagination .- L'auteur de l'Ecole des pères,
le C. Pièyre , qui , par la moralité profonde de cet
ouvrage , a donné la mesure de la sienne , Youlait
engager le C. Daru à supprimer , de son épître ,
tout ce qui rappelle cette anecdote. Il explique ,
dans une note fort détaillée , les motifs qui l'en
ont empêché , et je pense qu'il a eu raison . Le
fait serait odieux , s'il était vrai ; l'irréflexion ne
l'excuserait pas. Heureusement , il est à peu près
impossible . Delille est aveugle , et certainement
ne suivait pas en l'air
Ces comètes d'airain qui renversaient nos villes .
Je sais même qu'à cette époque , il travaillait
à son poème sur les trois règnes de la nature ,
et point du tout à celui de l'Imagination . Si ,
depuis , dans le silence de l'étude , en cherchant
les effets toujours douteux de l'harmonie imitative
, presque étrangère aux vers français , il s'est
rappelé le bruit terrible de la bombe et du canon ,
qu'il avait trop entendu , je ne crois pas que ce soit un
prétexte suffisant pour calomnier son coeur . La douceur
bien connue de son caractère et de ses moeurs
dément l'idée que pourrait donner de lui le récit
de ses éditeurs ; et le C. Daru a bien fait de juger
Delille d'après lui - même . Je reviens à son épître .
Il n'y déguise point l'horreur de cette époque
déplorable , où tant de victimes confièrent à la
fuite une vie qu'il eût mieux valu , sans doute, conserver
par le courage. Mais , à peine jette - t-il un
coup - d'oeil rapide sur ces temps désastreux ,
bientôt il s'écrie :
Ces jours furent sanglants , affreux ; mais , désormais ,
Périsse enfin la haine au coeur de tout Français !
et
*
1
MESSIDOR AN IX. Í I
Périssent jusqu'aux noms de ces monstres sauvages !
Montrez-moi nos héros , nos bienfaicteurs , nos sages ;
·Lavoisier , méditant au fond de sa prison ;
Socrate , sous les traits du juste Lamoignon ;
Bailly , couvert de boue et souffrant sans murmure ;
Sombreuil , par ses vertus , consolant la nature ,
Voilà , voilà les noms que j'aime à retenir ;
D'autres les apprendront aux siécles à venir :
Ma voix ne peut aller à la race future ;
Il est vrai : mais du moins cette voix libre et puré ,
Par un lâche discours ne caressa jamais ,
Ni le crime puissant , ni les heureux forfaits ;
Et peut-être elle a droit d'offrir une couronne
Au héros pauvre et juste , au proscrit qui pardonne.
Que je voudrais te voir , par leur gloire excité ,
Partager avec eux ton immortalité !
C'est à toi de nous peindre , en tes vers si rapides ,
Les rapides exploits de nos jeunes Alcides ,
Tant de périls bravés , tant de tourments soufferts ,
Et l'Arabe vaincu jusque dans ses déserts .
Il me semble que les deux vers sur l'infortuné
Bailly et sur Mlle de Sombreuil , ne peignent
pas , avec des traits assez caractéristiques , le sublime
dévouement de l'une et l'inaltérable fermeté
de l'autre . Mais , en général , ce style est ferme
et vigoureux ; il annonce à la fois un bon écrivain
et un honnête homme. Il rappelle cette dé-
.claration énergique que le C. Daru a placée dans
ses notes , et qui devrait servir de loi à tous ceux
qui sont condamnés au malheur de parler des
ouvrages des autres.
«
<<<
« Je sais , dit-il , qu'en ménageant toutes les
opinions , un écrivain peut éviter quelques critiques
; mais je sais aussi que la première règle ,
12 MERCURE DE FRANCE ,
" pour écrire avec quelque énergie , c'est d'écrire
d'après sa conscience , comme si on était seul ,
<< sans avoir rien à craindre , rien à espérer. Je
<< ne connais rien de si petit qu'un homme qui ,
« pour avoir un ennemi de moins ou un appro-
<< bateur de plus , sacrifie ce qu'il croit la vérité ,
<< ou compose avec elle . Je suis prêt à rétracter
<< mes erreurs , à corriger , si je puis , mes fautes ,
<< à remercier ceux qui m'en avertiront ; mais je
« n'effacerai jamais une ligne de mes écrits , par
<<< timidité. »
Ce langage doit plaire à tous ceux qui ont dans
le coeur ce qu'il faut pour le sentir et pour le parler.
«<
Le C. Daru cite à l'abbé Delille l'exemple de
l'abbé Sicard , qui , après avoir échappé aux massacres
de septembre , fut proscrit , le 18 fructidor,
et condamné à la déportation . Quand les tyrans
de son pays lui laissaient , pour unique asile , le sol
dévorant de Cayenne , l'Angleterre lui offrit des
honneurs , et , ce qui dut le tenter davantage , du
bien à faire aux hommes. - « En cela , dit le C.
« Daru , nos ennemis nous donnèrent un bel
exemple : le philosophe nous en a donné un
plus beau. Il pouvait , sans crime , fuir un pays
« d'où il était banni , et aller consoler d'autres
<< malheureux , sur une terre hospitalière . Mais
<«< il ne confondit pas les factions et la patrie ; il
« ne désespéra point de la justice des Français ,
« et il exposa sa vie pour conserver l'honneur de
<< leur être utile : c'est le trait d'un grand citoyen .
« C'est à de tels hommes qu'on peut laisser , sans
<< crainte , le droit de choisir entre toutes les opi-
<< nions politiques.
«
>>
Je ne crois pas qu'il fût plus dangereux de
laisser ce droit à Delille , qui , sans être le bienMESSID.
OR AN IX. 13
faicteur de l'humanité , serait encore un des plus
beaux ornements de sa patrie .
Au reste , après l'autorité d'un si noble exemple ,
je ne connais rien de plus digne de l'y rappeler ,
que le tableau , tracé par le C. Daru , de nos
progrès dans les sciences , et de l'état des beauxarts
parmi nous . Une légèreté plus qu'indiscrète ,
quand ce n'est pas une haine irréfléchie , raconte
aux étrangers , que la saine littérature n'a plus en
France ni défenseurs , ni modèles.
"
"
Le génie est éteint chez ce peuple insolent ;
Comme il vous fit la guerre , il la fait au talent ;
" Un vil peuple d'auteurs troublant tout le Parnasse ,
" Des favoris du Dieu veut usurper la place ;
"
་ ་
"
"
De la langue et du goût dénaturer les lois ,
Et détrôner Racine aussi bien que les rois :
Rien n'est juste chez eux , si ce n'est la satire ,
Et l'on n'a plus de goût que lorsqu'on les déchire. »
Voici la réponse du C. Daru , à ces déclamations
qui deviennent trop ridicules , dès qu'on accuse
la littérature française de la folie de quelques
individus.
Venez les démentir , ombres de ces héros
Que retracent encor de si dignes pinceaux ;
Vous que je nommerais , si ma voix , inconnue
Aux lieux que vous charmez , pouvait être entendue.
Venez , vous qui montrez , savants dans un autre art ,
Les graces de Destouche ou l'esprit de Regnard ;
Et vous , qui dignement , aux fêtes de la gloire ,
Enseignez aux clairons l'hymne de la Victoire ;
Vous tous , qui promenez vos doigts harmonieux
Sur le luth , ou la lyre , ou les pipeaux joyeux :
14
MERCURE DE FRANCE,
Est - ce vous qu'on a vus parmi la troupe impie ,
Qui , du grand Despréaux , impuissante ennemie ,
Osa lui contester , au sommet d'Hélicon ,
"
La place d'où son oeil menace encor Pradon ?
Non , dans tous leurs efforts , plus ou moins fortunées
Vos Muses ont suivi les lois qu'il a données.
Vous excitez les ris , vous arrachez des pleurs ,
Sans jamais outrager ni Boileau , ni les moeurs ,
Moins louables encor pour des oeuvres si , belles ,
Que par votre respect pour nos sacrés modèles .
Elèves d'Apollon , de Xeuxis , venez tous ,
Et montrez si les Arts sont éteints parmi nous .
Il s'adresse ensuite à Delille .
Viens voir, homme trompé,viens voir chez ces Vandales,
Du temple des guerriers les voûtes triomphales ,
Le croissant de l'Arabe et l'aigle sans honneurs,
Inclinés vers la terre où dorment leurs vainqueurs .
Vois , sur nos tours , ces mâts balancés dans les airs ,
Se répondre du Rhin jusqu'aux rives des mers.
Ces mâts ont leur langage , et messagers fidelles ,
Pour porter la victoire ont emprunté ses ailes .
Enfin le C. Daru décrit le Muséum central des
Arts , où tant de chef-d'oeuvres sont devenus les
monuments immortels de nos conquêtes , et termine
ainsi cette épître , qui sert elle- même de
preuve à l'opinion que l'auteur défend .
Viens , Delille , regarde , et dis-moi quels palais ,
A l'oeil , ami des Arts , offrent de tels objets.
Dans cette vaste enceinte où le choix m'embarrasse ,
Maints tableaux, pourbriller , voudraient une autre place ;
{
*
MESSIDOR AN IX. 15
1
Je l'avoue , et partout promenant mon regard ,
Je trouve rassemblés , par la main du hasard ,
Miniatures , portraits , fleurs , tableaux magnifiques ,
Qui rappellent un peu tes belles Géorgiques ,
Où tu peins le trictrac , les Alpes , ton curé ,
Ta chatte , et de Barca le désert altéré.
Mais pardonne : est- ce à moi de conseiller ta Muse ?
Non , dans les traits badins où ta plume s'amuse ,
Je cherche bien plutôt ce qu'il faut applaudir ;
Ce secret de tout peindre et de tout ennoblir ,
Ce vers imitateur qui doucement murmure ,
Vif comme le ruisseau , frais comme la verdure ,
Ou qui gronde tantôt comme la vaste mer
Tantôt brille , pétille et fuit comme l'éclair.
Eh ! puis -je rappeler tant de vers qu'on admire !
Pour les louer , il faut.te dérober ta lyre.
D'autres l'ont pu tenter : je ne compterai past
Ces émules heureux qui marchent sur tes pas :
Le Dieu des vers sourit à leur noble imprudence ,
Qui de Delille absent veut consoler la France.
A
Mais non , viens et préside à leurs doctes concerts.
Instruits à ton école , ils t'en seront plus chers :
Leurs honneurs et les tiens s'en accroîtront encore.
Parmi tous ces talents , dont mon pays s'honore ,
Je ne me place point , mais j'aurai fait plus qu'eux
Si mes vers accueillis te rendent à nos voeux ,
Et qu'enfin , respirant sous son laurier fertile
La France puisse encor entendre son Virgile.
Il y a une faute évidente dans la construction
de ces derniers vers ; il faudrait , et si respirant
, etc.; la France peut encore , etc. Au reste ,
je suis tenté de l'attribuer à l'imprimeur , car l'auteur
est , en général , aussi correct qu'il est éner16
MERCURE DE FRANCE ,
.
gique et précis. Ce sont les qualités distinctives
de son style , dont l'élégance me paraît quelquefois
un peu pénible. Mais il est impossible de n'y
pas remarquer la justesse , la suite , l'enchaînement
des idées , et de très-beaux vers en assez
grand nombre. L'esprit de l'auteur est à lui ; ses
expressions ne sont qu'aux bons écrivains ; et si
je ne me trompe , il doit réunir au talent de la
poésie , le mérite d'écrire en prose sans enflure ,
sans néologisme et sans affectation.
E.
VOYAGE en Grèce et en Turquie , fait par
ordre de Louis XVI , et avec l'autorisation
de la cour ottomane ; par C. S. SONNINI ,
de plusieurs sociétés littéraires et savantes
de l'Europe , avec 1 vol . grand in-4.° contenant
une très- belle carte coloriée , et des planches
gravées en taille- douce . 2 vol . Paris , chez
Buisson , rue Hautefeuille , n.º 20. An 9.
LA
La plupart des voyageurs dans la Grèce n'ont parlé
que de ses ruines et de sa gloire antique . Leurs relations
étaient lues avec intérêt ; mais on y cherchait en vain
la Grèce actuelle. L'ouvrage que nous annonçons pourra
suppléer à cette omission. Il nous montre la Grèce telle
"qu'elle est ; ce point de vue n'offre pas le moins d'utilité
pour le lecteur , ni peut -être le moins de difficulté pour
f'écrivain ; car il est toujours plus aisé d'imaginer que
de bien voir. If me semble même qu'en parcourant la
terre des Grecs , devenue le domaine des Tures , il faut
un excellent esprit pour se défendre à la fois de ses
MESSIDOR AN I Cent
2
préventions et de ses illusions , d'un mépris chagrin
ou d'un enthousiasme indiscret. Des voyageurs trèsestimables
d'ailleurs n'ont pas su éviter ces excès ;
témoin Savary qui s'obstinait à ne voir que des merveilles
, ou bien l'auteur des Recherches Philosophiqui
assimilait les Grecs aux sauvages les
plus stupides.
*
ques "
Le citoyen Sonnini n'est prévenu d'aucun système ,
et il raconte avec un ton de candeur et de simplicité ,
qui imite trop bien le langage de la vérité pour ne
pas l'être en effet .
་་
45
C'était en 1778. La guerre qui venait de se déclarer
entre la France et l'Angleterre n'avait pas encore pénétré
dans l'Archipel. « Les Français y continuaient leur
" commerce comme au sein de la paix . Une seule
frégate de Toulon suffisait pour y conduire en su-
" reté un convoi de 60 ou 80 voiles. De nombreux na-
« vires partis des ports de la Provence et destinés à
vivre pendant trois années aux dépens des Turcs
n'avaient point ralenti leur cabotage.
"
"
"
Cet état florissant de notre commerce dans les échelles
du Levant , était dû à deux causes principales : aux
priviléges presque exclusifs dont nous jouissions alors ,
à l'ignorance des Turcs dans l'art de la navigation .
« Il en était peu parmi eux auxquels l'usage de la
« boussole fût familier. Il n'en était point qui eût quel-
« que idée de la géographie . L'on se rappelle que lors
" de la dernière guerre entre les Russes et les Turcs
« l'on ne parvint pas à persuader aux derniers que les
flottes russes pussent venir à Constantinople par une
« autre route que par la mer Noire . En vain leur désignaiton
sur la carte le chemin qui amenait les vaisseaux
« de la Baltique à l'Archipel , le divan dans lequel
"
*M. Paws.
5
18
MERCURE
DE FRANCE
,
་་
10
"
siégeait le grand amiral lui - même , s'obstinait à regarder
la chose comme impraticable ; et ce ne fut
que lorsque la flotte ennemie arriva dans les mers de
Turquie , que l'on crut à la possibilité de ce voyage.
On sait comment les charpentiers et les ingénieurs
français contribuèrent dans la suite à élever la marine
ottomane au degré de perfection où nous la voyons aujourd'hui.
L'auteur s'afflige que nous leur ayons ainsi
prodigué nos leçons ; il est vrai que nous n'avons pas
à nous féliciter beaucoup de leur reconnaissance .
Cette générosité , avec laquelle nous nous érigions
déja en instituteurs des autres nations , la manière peu
intelligente et par conséquent peu lucrative avec laquelle
les négociants de Marseille trafiquaient au Levant , enfin
l'imprudence de la cour qui négligeait des consuls
vieillis dans les affaires , pour entretenir des agents diplomatiques
dans un pays où il n'y a point de politique
, préparaient sensiblement la décadence de ce
commerce important , bien avant la révolution , qui
acheva de le détruire . Le citoyen Sonnini insiste sur la
nécessité de le relever ; il entre dans les moyens d'exécution
; ses vues doivent inspirer d'autant plus de confiance
, lorsqu'il sera temps de les appliquer , qu'elles
avaient été adoptées par le gouvernement en 1797 , à
l'époque de la prise des îles vénitiennes par les armées
françaises . Du reste , les observations de l'auteur
sont aussi variées que ses connaissances . Ce qu'il dit
des accouchements des femmes grecques , des divers
traitements de la peste qui n'abandonne jamais ces belles
contrées, s'adresse au médecin. Le naturaliste trouvera
Ja description de plusieurs animaux qui jusqu'à présent
n'ont jamais été , ou n'ont été que très - imparfaitement
décrits ; enfin notre agriculture pourra s'enrichir de
plusieurs remarques faites en Turquie.
MESSIDOR ANI X. 19
Mais nous donnerions, une idée incomplète de cet
Ouvrage , si nous ne le présentions que sous des rapt
ports d'utilité . Il n'a pas le titre de Voyage Pittoresque;
mais il en a souvent l'intérêt . Les rives qui inspirèrent
l'Odyssée seront toujours chères à l'imagination ? C'est
là que l'histoire ne se compose que de traditions poéti
ques. Une simple description des lieux suffit pour les rap
peler ; et les tableaux sont d'autant plus riches , qu'ils
sont plus simples.
Le lecteur suit avec plaisir le citoyen Sonnini , sut
les traces de cette antiquité célèbre . Il voit la place où
fut un temple enrichi par les offrandes des peuples , le
bois sacré s'étendait à l'entour. Pausanias rapporte quel
nombre prodigieux de statues était répandu sous ces ombres....
Aujourd'hui l'on n'y trouve plus que quelques
tas de pierres , les serpents qui viennent se jouer aux
rayons du soleil , et le silence. Quelquefois , dans les
cabanes des habitants , vous voyez l'airain qui avait servi
aux sacrifices , profané par les usages les plus vils . Sur
les bords de l'île , de méchantes barques de pêcheur sont
attachées à des tronçons de colonne ; mais déja les
ruines de tant de monuments qui existent encore dans là
mémoire des hommes , sont elles - mêmes détruîtes , où
bien elles restent ensevelies sous la terrè , d'où l'avarice
jalouse des Turcs ne permet pas de les tirer.
On retrouve mieux l'ancienne Grèce dans les détails
de la vie privée. Ici , les moeurs n'ont point changé ,
comme dans notre occident . Elles faisaient autrefois
la force du gouvernement ; elles sont aujourd'hui comme
les derniers appuis du corps social. Les danses guerrières
, les cérémonies funèbres , les enchantements ,
rappellent aussi plusieurs croyances antiques ; ces
croyances se mêlent plus ou moins à la religion qu'elles
défigurent ; l'ignorance et le mépris où vit le clergé grec ,
LO
20 MERCURE DE FRANCE ,
ne contribuent pas peu à affermir les superstitions po
pulaires.
་
Sur une hauteur , ' jadis consacrée au culte de quelque
divinité , s'élève un monastère à demi - ruiné ,
habite par des Caloyers ou moines grecs. Ils n'osent
réparer leur habitation , dans la crainte de passer
pour riches , et c'est un crime inémissib e. « Ces religieux
sont fort sales et l'on peut ajouter fort laids
" par l'habitude qu'ils ont de négliger leur extérieur ,
et de ne soigner ni leur barbe ni leurs cheveux . Leur
culte , d'ailleurs , est sans décence , et n'approche pas
de la dignité et de la gravité majestueuse des cérémonies
de l'église latine , en Europe. Tout y est petit
et mesquin ; tout s'y sent de la misère et du rétrécissement
des esprits. Dans toute l'étendue de la domination
des Turcs , les églises grecques n'ont point
´de cloches, Les Caloyers se servent de bandes de fer,
suspendues en demi- cercle , sur lesquelles ils frappent .
pour appeler à l'office . Les Turcs ont une aversion
insurmontable pour les cloches . "
-
Ces Turcs sont , à chaque page , l'objet de l'indignation
de notre voyageur. On dirait qu'il en est poursuivi
sans cesse : c'est que partout il reconnaît leurs traces.
Des terres incultes , ou couvertes de moissons avortées ,
des villes entières dépeuplées par la peste , des forts
démaptelés , des ports encombrés , etc. , voilà leurs
arts , leur politique. Sous de tels maîtres , les Grecs ne
conservent plus que leur nom et ces traits de noblesse
que la servitude n'a pu effacer. Si l'on remarque en eux
un certaine aptitude aux arts , un amour vif pour l'indépendance
, quelques sallies d'une éloquence naturelle
, ces dispositions heureuses ne sont plus que des
souvenirs inutiles , et le voyageur qui reconnaît encore
la Grèce , appelle par ses voeux cette époque nouvelle ,
où les prédictions prononcées , depuis si longtemps
MESSIDOR AN IX. 21
contre la puissance ottomane , seront enfin accomplies .
Ces hommes , tour - à - four exposés aux ravages de la
peste et des Tures , éprouvent encore des fleaux plus
terribles. Des commotions souterraines , des bouleversements
, menacent de les engloutir avec le sol
même de leur patrie. Quelquefois une portion d'une
ile se détache tout - à - coup , et va former une île
nouvelle. D'autres fois , on voit un îlot s'élever du fond
de la mer , comme il arriva au commencement du
siécle dernier.
"
"
"
"
"
« Ce fut le 23 mars 1707 , au point du jour , que l'on
aperçut les commencements de cette autre production
des feux souterrains qui brûlent dans ces parages.
On avait ressenti , le 18 du même mois , à
« Santorin , deux petites secousses de tremblement de
terre. On n'y fit pas alors beaucoup d'attention ;
mais , dans la suite , on eut lieu de croire qu'à ce
« moment , l'ilot nouveau commençait à se détacher
du fonds de la mer , et à s'élever à sa surface . Quoi:
qu'il en soit , des Grecs de Santorin ayant vu , de
grand matin , les premières pointes de l'île naissante
s'imaginèrent que ce pouvaient être les restes de
quelque naufrage que la mer avait amenés là pendant
« la nuit. Dans l'espérance d'être les premiers à en
profiter , ils se hâtèrent de s'y rendre ; mais , des
qu'ils eurent reconnu qu'au lieu de débris flottants ,
c'étaient des rochers calciués , ils revinrent , tout
effrayés , publiant partout ce qu'ils venaient de voir.
"
"
"
«
«
"
" La frayeur fut générale dans l'ile de Santorin. L'on
y savait que ces sortes d'apparitions de nouvelles terres
" avaient toujours été accompagnées de grands désastres
. Néanmoins , deux ou trois jours s'étant passés ,
" sans qu'il arrivât rien de funeste , quelques habitants
de Santorin prirent la résolution d'aller observer sur
les lieux mêmes. Ayant mis pied à terre , la curiosité
"
22 MERCURE DE FRANCE ,
·
« les fit aller de rocher en rocher. Ils trouvèrent partout
une espèce de pierre blanche , qui se coupait
comme du pain et qui en imitait si bien la figure , la
couleur et la consistance , qu'au goût près , on l'aurait
prise pour un véritable pain de froment . Ce qui leur
plat et les étonna davantage , fut une quantité d'huîtres
fraiches , attachées aux rochers , chose fort rare
à Santorin. Pendant que ces Grecs s'amusaient à manger
ces huitres , ils sentirent tout- à - coup les rochers
" se mouvoir , et le sol trembler sous leurs pieds . La
frayeur leur fit bientôt abandonner leur pêche , pour
sauter dans leurs bateaux et s'éloigner à force de
games. Cet ébranlement était un mouvement de l'île
qui croissait et qui , dans le moment , s'éleva à vue
d'oeil , ayant gagné , en très peu de jours , près de
20 pieds de hauteur et le double environ de largeur. "
9) Pendant une année entière , cette île , (qui se divisa
en deux portions , appelées aujourd'hui l'île Noire et
Vile Blanche) , croît au bruit des tonnerres souterrains ,
ab milieu de l'appareil le plus formidable. Si le volcan
paraît s'appaiser pour un temps , c'est pour éclater ensuite
avec plus de fureur . Le silence de la nuit est troublé
tout- à - coup par des détonations effrayantes . Les rivages
des les voisines en sont ébranlés , et leur verdure est
consumée par des vapeurs infectes . Les eaux de la mer
bouillonnent et changent plusieurs fois de couleur ; les
poissons morts flottent à leur surface . Pendant ce grand
travail de la nature , on voit l'île naissanté s'élever et
s'abaisser successivement , tandis que , du large fourneau
qui s'est ouvert dans son sein , des rochers calcinés , des
flammes de diverses couleurs et des nuages de cendre
s'élancent dans les airs , etc. Il faut voir , dans l'ouvrage
même , la description détaillée de ce phénomène , à-lafois
si magnifique et si effroyable. Il fournira quelques
conjectures sur la formation de l'Archipel.
MESSIDOR AN IX. 23
Nous pourrions reposer nos regards sur des tableaux
moins terribles . Au milieu de tant de ruines , la nature
donne toujours les preuves de son.ancienne fertilité.
Le dictame remplit encore de ses parfums les
vallées de l'ancienne Crète . C'est là , sous des forêts
d'orangers , de myrtes , de lauriers- roses , que le voyageur
va oublier les tyrans qui attristent et dépeuplent
ces contrées. C'est là qu'Hippocrate envoyait ses malades
, respirer un air chargé d'émanations salutaires .
Mais il faut s'arrêter on s'engage volontiers au
milieu de ces îles riantes ; on est attiré par la beauté
des rivages , par la variété des sites , par ses propres
souvenirs , et l'on oublie que l'on voyage depuis longtemps.
•
Le publie doit au C. Sonnini un voyage en Égypte ,
généralement estimé. Nous osons promettre à celui - ci
le même succès malgré les défauts de style que
la critique pourrait y relever. Il est accompagné d'un
atlas avec des gravures , et une très - belle carte de l'Archipel
.
G.
HISTOIRE critique de l'établissement des
Français dans les Gaules ; ouvrage inédit
de M. le président Hénault , de l'Académie
française etde celle des inscriptions et belleslettres
, imprimé sur le manuscrit original ,
écrit de sa main , 2 vol . Paris , chez Buisson ,
rue Hautefeuille , n.º 20.- An IX.
CEE
titre excitera la curiosité , et peut - être aussi la
défiance. Il y a toujours une sorte de défaveur attachée
à un ouvrage posthume. On exige surtout que l'authenticité
en soit bien constatée ; souvent le nom de l'au-
4
24 MERCURE DE FRANCE ,
teur influe beaucoup sur le jugement que l'on porte de
l'ouvrage .
" Pour nous , sans décider ce premier point de critique
, nous dirons seulement que si ce livre n'a été
attribué au président Hénault que par une de ces supercheries
trop communes , il y a de la vraisemblance
dans cette supposition . La méthode , la clarté , le
bonheur des rapprochements , en un mot , la composition
de l'ouvrage , n'est pas indigne de l'auteur de
l'Abrégé chronologique. Le ton de la critique , où l'agrément
se mêle à l'érudition , rappelle d'ailleurs un
homme d'esprit et de bonne société qui peut fort bien
être le président Hénault .
Il entreprend de fixer deux points curieux des premiers
âges de notre histoire . L'établissement des Français
dans les Gaules ; la manière dont se fit cet établissement
.
L'abbé Dubos est le premier qui ait éclairci le premier
point. D'après lui , l'établissement des Francs
dans les Gaules peut être rapporté à trois époques.
La première est celle où ils entrèrent dans les Gaules
pour n'en plus sortir , et se mélèrent au Gaulois dont
ils étaient esclaves ; ce fut en 351.
La deuxième , celle où ils eurent un territoire indépendant
dans les Gaules ; et ce fut en 445 , après la
conquête de Tournai et de Cambrai , par Clodion . La
troisième époque enfin , comprend tout le temps écoulé
depuis Clodion jusqu'aux fils de Clovis , à qui Justinien
cède la souveraineté des Gaules.
Ces trois époques sont admises par le président Hénault.
Le second point historique souffre plus de difficultés.
L'abbé Dubos a prétendu , comme l'on sait , que les
Français n'étaient point entrés dans les Gaules à titre
de conquérants , mais en traitant de gré à gré avec les
MESSIDOR AN IX. 25
Gaulois , devenus Romains. D'un autre côté , Boulainvilliers
avait avancé que les rois des Francs n'étaient
que de simples chefs , élus par des soldats , privés de
tout pouvoir législatif et civil . L'histoire a bientôt réfuté
ce dernier. Mais le critique s'attache particulièrement
à combattre l'abbé Dubos , d'autant que , suivant
Montesquieu , son ouvrage est écrit avec beaucoup d'art ,
et que tant de recherches ne permettent pas d'imaginer®
que l'on n'ait rien trouvé.
J'ai nommé Montesquieu , et le lecteur demande.
déja pourquoi l'on a employé deux volumes à traiter
un sujet auquel il avait consacré deux chapitres . Ce
grand homme , qui semble destiné à n'avoir que des
imitateurs malheureux , saisissait le trait principal de
chaque chose , de manière à ne rien laisser à dire , à
ceux- mêmes qui ne veulent que le commenter.
Peut- être , qu'à l'époque où le président Hénault
entreprit la critique de l'abbé Dubos , l'Esprit des Lois
n'avait pas encore paru . Ce qui l'indiquerait , c'est ,
qu'à l'occasion des bénéfices militaires , des fiefs , et de
plusieurs questions qui appartiennent à Montesquieu ,
celui- ci n'est pas cité une seule fois . On peut conjecturer
aussi , puisque les deux auteurs étaient contemporains
, que Montesquieu publiant son ouvrage , le
critique se crut dispensé de publier son travail.
1
les
Quoi qu'il en soit , l'objet n'en est plus nouveau ;
a même perdu de son importance , aujourd'hui que
vieilles bases de la législation sont renouvelées ou détruites
; mais l'intérêt de l'histoire subsiste . Un système
est un voyage dans le pays de la vérité , disait un
homme d'esprit . Pour établir le sien , l'abbé Dubos
s'engage dans des recherches aussi pénibles que curieuses
; il consulte les monuments des Gaules , il éclaire
ces âges douteux de l'antiquité que Plutarque compare
aux sirtes et aux terres lointaines , à peine nommées par
26 MERCURE DE FRANCE ,
les hommes . Son adversaire ne l'abandonne pas un seul
instant. Il discute chaque fait , rétablit des versions infidelles,
et , tout en combattant ses opinions , rend hommage
à son mérite .
On ne trouve dans cette critique , ni déclamation , ni
ce ton de légèreté avec lequel l'abbé Mably a traité un
homme dont Montesquieu a reconnu les talents et les
travaux utiles . Au reste , cette différence entre le ton de
l'abbé Mably et celui du président Hénault , s'explique
par la différence du temps où ils écrivaient .
Le président Hénault laisse échapper , dans cet ouvrage
posthume , plusieurs jugements sur nos historiens ,
que l'on doit recueillir avec respect. Il accuse entre
autres Mézerai de beaucoup d'inexactitude et de variation
dans tout ce qu'il dit sur les premiers temps
de l'histoire de France. Il lui reproche de n'accompa
gnerjamais ses récits d'aucune critique . Ceux qui lisent
les premiers volumes de cet historien seront tentés dé
le lui reprocher aussi . Du moins ils se plaindront que
les détails de nos premières guerres , de nos premières
moeurs , qui excitent notre intérêt , lorsque nous les
entrevoyons dans les ouvrages de Montesquieu , de
l'abbé Dubos , etc. , ne puissent plus se fixer dans notre
mémoire , une fois qu'ils sont enregistrés sous des dates
chronologiques. Ne faut- il pas en accuser nos historiens
plutôt que notre histoire ? Et ne pourrait- on pas
attribuer à ceux - ci cette espèce d'indifférence et de
sécheresse que l'on croit appartenir aux premiers âges
de la puissance française ?
G.
MESSIDOR AN IX. 27
LA Fille du Hameau
❤
me
, par M. REGINAMARIA
ROCHE , auteur des Enfants de
l'Abbaye , etc. , etc. , traduit de l'anglais ,
3 vol. avec gravures ; chez Dentu .
LE succès qu'a obtenu le roman des Enfants de l'Abbaye ,
-
a dû exciter une assez vive curiosité pour toutes les autres
productions de son auteur. Sa plume est féconde , et
tous les ouvrages qui en sortent , passent aussitôt en
notre langue. Mais il faut avouer que tous ceux qu'on
avait publiés jusqu'ici , à la suite de son premier roman
, en étaient à une trop grande distance . Celui- ci ,
sans l'égaler , s'en rapproche pourtant davantage . Le
mérite du premier ouvrage de M.me Roche , consistait
ǎ représenter des amants très intéressants et très - aimables.
On le retrouve dans cette nouvelle production ,
avec tout le charme que les peintures du même genre
répandent sur le roman des Enfants de l'Abbaye. La
Fille du Hameau est bien mieux qu'une héroïne de roman
; c'est l'enfant de la nature , cultivée par les soins
de l'amitié , et placée dans la situation la plus favorable
pour ne développer en elle que les sentiments les plus
purs et les goûts les plus heureux . Elle a vécu , elle a
été élevée loin des villes , mais non pas dans toute la
simplicité du village , Ici , le hameau est embelli par la
grace et décoré par l'élégance. Le plus excellent des
hommes , M. Belmore , tuteur de Matilde , dont il avait
aimé infructueusement la mère , ne conserve de ce sentiment
que l'intérêt le plus tendre et le plus animé
pour son enfant , demeurée orpheline dès le berceau
Réduit lui - même , par des revers successifs de fortune ,
28
MERCURE DE FRANCE ;
à une assez grande médiocrité , jamais il ne se sépare
du précieux dépôt qu'il a recueilli , et Matilde croît et
s'élève auprès de lui , comme une fleur protégée par un
arbre tutelaire et courbé par l'orage . Si elle n'est pas
to jours exempte , sous cet abri , d'agitations et de
peines , du moins elle n'y manque jamais de consolations
et de secours. Elle y est préservée des séductions ,
ou plutôt des piéges d'un homme vicieux de la capitale.
Cet e circonstance n'est que passagère dans l'ouvrage .
La conception principale , qui en fonde l'intérêt , et
l'auteu y en a mis beaucoup , est un amour réciproque
entre Matilde et un être aussi pur , aussi sensible qu'elle ,
et entre lesq els pourtant il s'élève un obstacle insurmontable
: produit d'une combinaison que je crois nouvelle
, quoique raisonnable , ce qui n'est pas aujourd'hui
un mérite médiocre.
Ce nouveau personnage est introduit dans l'ouvrage ,
comme un misanthrope bizarre et farouche. Il habite
une ruine voisine du hameau , et il y est un spectacle
très- extraordinaire pour toute la contrée . Tout le monde
le redoute , tout le monde le fuit , excepté le compatissant
M. Belmore , qui , s'exposant à toute sa violence ,
affrontant son irascibilité , s'en approche pour lui être
utile , y revient pour le consoler , adoucit un peu son
humeur sauvage ; enfin il parvient à l'attirer chez
lui. Le misanthrope , il faut le dire , est jeune , beau ;
et , à travers le désordre de son esprit , la singularité
de ses manières , il lui échappe une foule de traits , de
discours et d'actions qui ont une amabilité et un charme
irrésistibles. Matilde , sans se défier de l'intérêt qu'il
lui inspire , sans soupçonner même quelle peut être la
nature de cet intérêt , s'y livre avec toute l'innocence.
mais aussi avec toute la vivacité de son coeur. Il faut
voir, dans l'ouvrage , l'impression simultanée que proMES
SIDOR AN IX. 29
duisent sur Howard ( c'est le nom du misanthrope ) les
soins et la personne de Matilde ; par quels degrés il
passe insensiblement de l'état de violence à un état de
mélancolie ; les nouvelles bizarreries de sa conduite ;
ses contradictions inexplicables , ses incertitudes , ses
combats , ses desirs et sa fuite enfin d'un lieu où il a
laissé , et d'où il emporte une impression ineffaçable.
Le malheureux ! un engagement , incompatible avec le
sentiment qu'il éprouve et qu'il inspire , l'enchaine : il
est marié , et son mariage fait sa honte et son désespoir.
Il en dérobe au monde entier la connaissance , comme
il voudrait se la dérober à lui - même : il ne la révèle
qu'en fuyant. La femme qu'il a épousée , à son retour
d'un voyage assez long dans les Indes , est la femme
divorcée de son ami le plus cher ; une femme qui a été
l'opprobre de cet ami , le fléau , le tourment de sa vie ,
que l'infortuné a terminée dans ses bras , à la suite de
l'impression qu'a fait sur lui l'aspect inattendu ( et ménagé
avec beaucoup d'art ) de cette union monstrueuse .
Cette révélation explique tout , et voilà cette combinaison
de circonstances et de moyens , dont j'ai parlé
et que je crois nouvelle . Si elle l'est , et je ne puis me
vanter d'avoir , en fait de romans , une érudition assez
vaste pour l'affirmer , on la trouvera , ce ' me semble ,
assez heureuse . Je l'appellerais même une bonne fortune
, en songeant à la difficulté qu'il doit y avoir à
en trouver encore dans ce genre épuisé.
C'est assez , peut -être même est - ce avoir poussé trop
loin l'analyse . Après l'intérêt de la curiosité, il reste trop
peu de chose à un roman pour l'en dépouiller d'avance
par un extrait trop étendu . Mais je crois pouvoir promettre
à ceux qui se plaisent à ces lectures , que ce
qui leur reste à apprendre sur le soit de Matilde et de
son amant , conserve assez d'intérêt et de charme , pour
30 MERCURE DE FRANCE ,
valoir la peine qu'on recourre à l'ouvrage même . J'ajouterai
seulement que , pour compliquer le problème ,
l'auteur , faisant céder Matilde aux sollicitations de
M. Belmore , l'engage dans un mariage de raison et de
convenance , et que ce n'est qu'après beaucoup d'épreuves
qu'Howard et Matilde , si longtemps malheureux
, mais toujours intéressants , vertueux et aimables ,
sont enfin unis l'un à l'autre . Disons encore , à l'avantage
de ce roman , et on peut généralement le dire ,
l'éloge de tous ceux des dames anglaises , que la lecture en
est sans danger , et même aussi édifiante que peut l'être
celle d'un roman . Ce n'est pas un mérite à dédaigner ,
dans un tems où les romans sont devenus à peu près la
seule lecture des jeunes femmes . Aujourd'hui même , les
jeunes filles ne se font pas plus de scrupule de les lire ,
qu'on ne paraît trouver d'inconvénient à le leur permettre
. Nous verrons ce qui résultera de ces moeurs
nouvelles et perfectionnées. On peut remarquer , en
attendant , combien est devenue commune cette réponse
, qu'est- ce que cela fait ? C'est tout ce qu'on oppose
aux observations les plus sérieuses , et particulièrement
à celles qui ont rapport à ces lectures . Il me semble ,
pourtant , que c'est faire trop peu d'honneur aux livres .
Voltaire n'en pensait pas ainsi , quand il s'écriait , avec
un enthousiasme dont je ne considère pas ici le principe
: Les livres ont tout fait ! Ces réflexions pourraient
mener loin. Mais ce n'est pas sortir du sujet , que de
rappeler cette considération à ceux qui se livrent à la
composition des romans , et surtout aux femmes. Qu'elles
daignent songer que tout leur sexe les lira ; et , si on
ose le leur dire , qu'elles consentent à imiter quelque
chose de la retenue des femmes anglaises. On peut les
assurer qu'il n'y en a point , parmi elles , qui osassent
aller , dans ce genre périlleux , au - delà des bienséances,
1
MESSI D'OR AN IX. 31
même rigoureuses , et se montrer trop savantes dans la
peinture et le développement des passions dont elles
s'approchent. Elles craindraient que la pudeur , prenant
dans leur pays un accent vigoureux , ne leur criât :
N'avez-vous pas honte de savoir toutes ces choses ? Je
redoute , je l'avoue , le goût qu'elles prennent parmi
nous pour les compositions fortes , de préférence aux
productions aimables qui leur siéent si bien. Elles aspirent
à être brûlantes comme Rousseau ; elles lui empruntent
ses phrases , pour être plus sures de lui ressembler,
et négligent la page où il leur a donné d'autres conseils ,
et les a si bien rappelées à la destination que la nature
et la société leur ont marquée.
M.
PALMIRA , par ARMANDE R .... , 4 vol .
in - 12 . Prix , 6 fr. et 10 fr. , franc de port. A
Paris , chez Maradan , libraire , rue Pavée-
Saint - André , n.º 16 , et chez Lenormand ,
imprimeur- libraire , rue des Prêtres- Saint- Germain-
l'Auxerrois , n.º 42 , la porte cochère
vis -à-vis l'église , au premier , sur le devant.
ENNCCOORREE un roman ! et chaque jour on peut faire
la même exclamation . Cependant celui - ci a le mérite
d'indiquer une situation intéressante. Palmira est le
fruit d'un amour que des événements malheureux ont
empêché de devenir légitime. Elle n'a point de père
aux yeux de la loi . Sa mère cherche à la dédommager
de cette perte , par une sage éducation . Le moment
où cette jeune infortunée apprend le secret de sa naissance
, est mis en scène avec beaucoup d'intérêt , et ,
32' MERCURE DE FRANCE ,
dès les premières pages du premier volume , commande
celui que le lecteur ne cesse de prendre au sort de Palmira
, jusque à la fin de ses aventures.
On n'en donne point un extrait historique .... Cette
méthode est une véritable trahison qu'on fait à un roman
qui n'est qu'un roman ; et celui- ci n'est pas autre
chose. Il faut laisser au lecteur le plaisir de lire luimême
et d'arriver à un dénouement qu'il ne connaît
point encore. L'imagination d'Armande R... et sa remarquable
facilité ont nui peut - être à son style ; il est
par fois négligé , mais l'intérêt est soutenu , et c'est
beaucoup .... Palmira , malheureuse , errante et toujours
fidelle à ses principes de vertu , ressemble un peu
à Clarisse. Sa mère , séduite par son précepteur , rappelle
le souvenir de Julie. On conçoit aisément qu'un
officier français , chargé de l'éducation d'une demoiselle ,
marche sur les traces de Saint - Preux ; c'est connu .
Mais aussi ceux qui aiment la nouveauté , en trouveront
dans les moyens que l'auteur a mis en usage , pour
faire un espèce de Lovelace d'un intendant ou maître
d'hôtel italien. Enfin , Palmira ne pouvant survivre au
procédé infâme de ce scélérat , s'empoisonne et termine
ainsi sa déplorable existence.
·
pas
La fin de ce roman ne répand pas un jour assez lumineux
sur la question que l'auteur semblait s'être proposée
. Ne doit on pas résister au préjugé qui flétrit
affreux injustement les enfants naturels ? N'est - il
de rendre responsables de la faute ou de la faiblesse de
ceux qui leur donnent la vie , des êtres qui n'ont pu
exister qu'après cette faute ou cette faiblesse ? Il était
digne d'une femme sensible , de plaider cette cause ;
et M.me Armande a réussi à nous attendrir sur le sort
de ces innocentes victimes. Pour moi , j'aurais pourtant
mieux aimé voir Palmira mariée à son aimable cousin
MESSIDOR AN IX. 33
SEINE
DER
LA
M. de Mirecour , que déshonorée et réduite à un déses
poir inutile , par l'audace criminelle de ce vil intendint
Il me semble que ce mariage réparerait enfin les longues
injures du sort qui poursuit Palmira , et ce dénouement?
plus naturel , eût été sans doute plus moral .
Cependant , il faut convenir que ses malheur sa
résignation excitent l'intérêt le plus tendre. Ainsi
teur ne s'est point écarté du but qu'il avait en vue .
A. C.
VARIÉTÉ S
6 995
L'ABBÉ de Voisenon , qui n'a jamais été ni un homme
de lettres , ni un bon écrivain , a été fort longtemps ce
qu'on appelle un homme à la mode . Né de condition ,,
et reçu , à ce titre , dans la meilleure société , il l'aurait
été encore à titre d'homme aimable. Il y portait cet
extrême enjouement qui trouve à rire et à faire rire de
tout , un ton de galanterie badine, plus en vogue alors
qu'aujourd'hui ; beaucoup d'insouciance et de gaieté ,
qui en était la suite , et le talent des quolibets , plutôt
que celui des bons mots. Avec la figure d'un singe , il
semblait en avoir la légèreté et la malice ; et les femmes
s'en amusaient comme d'un homme sans conséquence ,
qu'on pouvait voir en passant , sans trop s'en apercevoir
, et sans que les autres s'en aperçussent. On
n'examinait pas si sa manière d'être dans la société n'appartenait
pas à la frivolité d'esprit et à la faiblesse de
caractère ; il semble que , dans le monde , on ait besoin
d'agréments plus que de vertus. Les vertus servent une
fois l'année , et les agrémens , tous les jours. Ceux de
5 . 3
34
MERCURE DE FRANCE ,
C
l'abbé de Voisenon lui tinrent lieu de tout. Comme les
gens du monde desirent assez volontiers que l'esprit
qui leur plaît soit le premier des esprits , il fallut lui
faire une réputation : ce qu'il avait écrit , n'en était
pas trop susceptible. Deux ou trois comédies à la glace ,
et quelques bouffonueries libertines , telles que le Sultan
Misapouf, et Tant mieux pour elle , et ses petits vers de
société n'étaient pas des titres bien brillants . On imagina
qu'il n'avait voulu donner au public ( apparemment
par modestie ) que la moitié de son esprit et de son
talent , et qu'il avait bien voulu en donner la plus
grande partie à son ami Favart , apparemment par générosité.
Cette opinion fut bientôt d'autant plus facilement
accréditée que Favart , modeste et retiré , et tout
simplement homme de talent , communiquait volontiers
ses ouvrages à l'abbé de Volsenon , son ami , où du
moins ami de sa femme. M. Favart se mêlait aussi
d'écrire , sous le nom de son mari ; en sorte qque des ouvrages
faits entre eux trois , on ne savait pas trop ce qui
devait 'demeurer à chacun ; mais Pon faisait toujours la
meilleure part à l'abbé de Voisenon , qui ne la refusait
que du ton d'un homme qui ne veut pas tout ôter à un
pauvre diable d'homme de lettres , qui a besoin d'esprit
pour vivre. Favart qui en avait réellement beaucoup
plus que l'abbé de Voisenon , se laissait bonnement
protéger par celui qui , dans le fond , lui devait sà petite
réputation' ; et ce n'est qu'à la longue que l'on s'aperçut
, en comparant les ouvrages imprimés de l'un et
de l'autre , que ceux de Favart étaient tous de la même
main et du même goût ; qu'il y avait de la connaissance
du théâtre , des pensées fines et délicates , des vers trèsagréabies
dans les Trois Sultanes , dans Annette et Lubin ,
dans l'Anglais à Bordeaux , etc. ; et qu'il n'y avait dans
les ouvrages avoués de l'abbé de Voisenon , que du paMESSIDOR
AN IX. 35
pillotage , des jeux de mots , du faux esprit: Favart luimême
, iustruit du tort qu'on lui faisait en faveur de
l'abbé , marqua son chagrin de cette injustice : l'abbé
commença à s'en défendre plus sérieusement , et ; ce
qu'il eut de pis , c'est qu'on commença à le prendre
au mot. I vieillissait sa gentillesse n'était plus de
mode , et des torts réels lui avaient ôté sa considération.
Il devait sa petite fortune à M. le duc de Choiseul
: il fit' sa cour aus chancelier de Maupèou , et fit
même une fête pour lui : tout cela réussit fort mal. L'es
prit de parti ne connaît pas d'indulgence ; et , ce qu'on
aurait à peine remarqué dans un autre temps , fut condamné
sans rémission. Un prince du sang ( Monseigneur
le duc d'Orléans ) à qui l'abbé de Voisenon avait
coutume de faire sa cour ne voulut plus le voir. La
dernière fois qu'il s'y présenta , il en fut fort mal reçu :
´eh bien ! dit-il , je ne verrai plus les princes ; je n'en
serai pas plus triste , ils n'en seront pas plus gais. Į
essaya pourtant de se justifier , et il alla , dans ce des
sein , à une séance de l'Académie. Il se plaignit qu'on
lui prétait bien des travers . M. l'abbé , lui répondit M. de
-Saint -Lambert , dans ce siécle - ci , on ne prête qu'aux
gens riches et ce fut tout ce qu'il remporta de son
apologie. En sortant , il alla dans une maison où on
lui demanda des nouvelles. - Je n'en sais aucune , dit- il,
j'ai été à l'Académie , on ne m'a rien dit.
"
肇
Dans les dernières années , il s'avisa de la fantaisie
d'être dévot , apparemment pour essayer de tout ; car
jamais il n'y eut dans sa tête ni persuasion , ni volonté.
Il était valétudinaire ; mais il n'y avait pas plus de fond
à faire sur ses maladies , que sur toute autre chose de
Jui. Il était à la mort aujourd'hui , et demain à l'Opéra.
Un jour qu'il se crut fort mal , il se confessa , et le prêtre
exigea de lui qu'il jetât au feu tous ses manuscrits ; il
30 MERCURE DE FRANCE ,
1
y consentit , et les manuscrits furent incendiés. Un
de ses amis vint , et lui en fit des reproches. Ne vous
fâchez pas, dit- il , Favart en a une copie. Une autre
fois étant dans son lit , il entendit dire qu'il fallait lui
administrer les sacrements ; et , en effet , on alla les chercher.
Il se leva et sortit . Le bruit se répandit le lendemain
qu'il avait reçu le bon Dieu. Non , dit- il à quelqu'un
qui lui en demandait des nouvelles il est venu
en effet chez moi , mais je n'y étais pas , et il s'est fait
écrire.
Sur la fin de sa vie , son confesseur devint une de
ses sociétés les plus intimes et les plus ordinaires. Quelqu'un
qui le rencontra un jour , lui demanda s'ils étaient
toujours bien ensemble . Non , dit l'abbé,je crois que nous
sommes brouillés .—Comment ? Pourquoi? Oh ! il a
voulu que je fisse ôter de mon appartement un mausolée
de M.me Favart ; j'ai résisté , il s'est fâché ; enfin il me
dit qu'il fallait ou renoncer au mausolée , ou lui renvoyerunpetit
crucifix d'argent qu'il m'avait donné , et un
petit livre de prières . Je lui ai renvoyé lettres et portraits.
Cependant le mausolée disparut , et le crucifix revint .
M. l'abbé se trouva plus mal et devint plus.accommodaut.
M. Geoffroi , dont j'ai eu l'honneur d'entretenir
V. A. I. , il n'y a pas longtemps , raconte un trait de
l'abbé de Voisenon , qui peint bien son caractère. Un jour
qu'elle l'engageait à souper ; il refusa obstinément de
rester chez elle. J'ai des affaires indispensables , dit-il.
-Des affaires ! Vous ! C'est donc un rendez-vous ? ----
Peut- être. Oh bien ! l'abbé , vous n'irez pas , je suis
trop votre amie pour le souffrir ; votre santé.....Allons ,
vous n'irez pas . Il hésite quelques moments . Mais , dit - il,
j'ai promis , il faut donc que j'écrive . - Oui , sans doute,
'écrivez , et l'on apporte tout de suite ce qu'il fallait
pour écrire. Il demeure quelque temps embarrassé ,
带
-
MESSIDOR AN IX. 37
#
comme un homme qui ne sait ce qu'il doit faire. Eh
bien ! pourquoi n'écrivez - vous pas ? Il hésite encore';
enfin , pressé de répondre Ce n'est pas la peine que
j'écrive , dit - il , je m'étais douté qu'il ne serait guère
possible d'aller à ce rendez - vous , et ma lettre est écrite.
Il tire la lettre de sa poche et l'envoie. Jugez si l'on
en rit.
(Extrait de la correspondance littéraire de Laharpe.)
SPECTACLES.
THEATRE DES ART S.
PAR un article du nouveau règlement de ce théâtre
il est accordé une représentation extraordinaire à chaque
artiste qui remplit encore les premiers emplois ,
après trente années de service . C'est une récompense
honorable et un encouragement utile. Les dispositions
de cet article ont été appliquées , le 26 prairial , au C.
Lainez , et la représentation donnée à son bénéfice a
eu le plus grand éclat . On remarque , dans toutes les
circonstances semblables , un empressement dont la curiosité
n'est pas l'unique motif. Il est permis de rire de
la confiance un peu niaise avec laquelle on applaudit
si souvent aux maximes de bienfaisance qui tiennent
lieu de style et d'intérêt , dans nos drames bourgeois ;
mais il faut reconnaître que tout ce qui porte un caractère
de justice et de bienveillance , est encore mieux
senti et presque toujours secondé par le public.
On jouait Alceste , l'un des plus beaux ouvrages de
Gluck , et deux ballets ( la Dansomanie et les Noces de
Gamache ) , auxquels le succès et la grace conservent le
38.
MERCURE DE FRANCE ,
·
prestige de la nouveauté. Aussi , depuis longtemps , n'avait
on pas vu d'assemblée plus nombreuse et plus
brillante; et la réunion des artistes les plus distingués
a développé , dans la même soirée , toutes les ressources
du théâtre des Arts. Le chant y laisse beaucoup à desirer
; quelques autres parties du spectacle pourraient
être portées à un plus haut degré de perfection . Mais ,
tel qu'il est , je le crois encore supérieur à tous les théâtres
de l'Europe ; je doute même que , dans aucun temps
et chez aucun peuple poli , l'on ait su combiner plus
ingénieusement l'action des arts mécaniques avec la
séduction des arts , du luxe et de l'esprit.
E.
THEATRE FRANÇAIS DE LA RÉPUBLIQUE .
2 LEE retour de M.le Contat a déja ranimé la comédie
qui languissait pendant son absence et pendant la ma-
Jadie opiniâtre de Fleury . Cette actrice célèbre a reparu
dans le Vieur Célibataire , par le rôle de M.me Evrard ,
et dans le Cercle , par celui d'Araminte . Pour donner
à cette représentation un attrait plus piquant , Molé ,
sexagénaire , n'a pas dédaigné de reprendre un rôle dont
il avait fait la fortune , à l'âge de 30 ans ; et , sans y
mettre cette extrême légèreté qui , souvent , prête à la
jeunesse le même charme qu'elle en reçoit , il a su rendre
à ce personnage , dont il ne reste aucun modèle , la
physionomie originale qu'il doit avoir. Il a , pour ainsi
dire , démontré le rôle , et cette leçon ne peut manquer
d'être utile aux jeunes acteurs qui sont appelés à lui
uccéder. Quant à M.le Contat , on a retrouvé son taMESSIDOR
AN IX, 39
lent , sans aucune altération , c'est - à - dire , au plus haut
degré qu'on puisse atteindre dans un genre donné .
M.e Polnay , quí a joué , le 27 prairial , le rôle
d'Azéma , dans Sémiramis , justifie de jour en jour
l'espérance que ses débuts ont fait naître. Son intelligence
est toujours prompte , sa diction juste , et ses
mouvements semblent avoir acquis plus de grace et dé
liberté. Du zèle , de l'étude , de la docilité , une confiance
médiocre et raisonnée dans les applandissements
qu'on lui prodigue ; avec ces moyens , elle sera bientôt
à même de rendre à la Comédie Française , par ses talents
, ce qu'on ne prête encore qu'à son âge et à ses
heureuses dispositions.
E.
OPERA- BUFFA, italien.
Nous avions prédit que la musique des grands maîtres
italiens déciderait le succès , d'abord équivoque , de
ce théâtre , que de faux calculs , une précipitation irréfléchie
et les ouvrages de deux compositeurs presque
ignorés avaient compromis dès son ouverture. La première
représentation du Matrimonio segretto , de Cinia-
Tosa a réalisé nos espérances.
,
Il y a bien peu d'opéra , même en Italie , où la musique
ait prodigué plus d'agréments et plus de richesses ,
Aussi , cet ouvrage semble avoir fixé l'étonnante mobilité
des Italiens , et les caprices de ce goût dédaigneux
qui leur fait rejeter , chaque année , les opéra qu'ils
viennent d'applaudir , pour courir à des plaisirs semblables
, produits par des compositions nouvelles . Depuis
dix ans , on joue le Mariage secret , de Cimarosa ,
dans toutes les saisons , depuis Turin jusqu'à Naples ,
40
MERCURE
DE FRANCE
,
partout et toujours avec le même succès. Les amateurs
lui rendent , à Paris , la même justice. Il soutiendra les
Bouffans ; il leur donnera le temps de choisir et de préparer
des nouveautés agréables , et ce spectacle , en
excitant sur tous nos théâtres lyriques une émulation
salutaire , nous fournira peut -être l'occasion de perfeotionner
notre Opéra - comique , et d'apprécier avec justesse
les progrès que l'art du chant a faits parmi nous •
E.
ANNONCES.
SUITE des éditions stéréotypes de Firmin Didot , rue
de Thionville. Théâtre de Voltaire , tomes 1 , 2 , 3 ,
4, 5 et 6 , in- 8.°
Cette partie des Euvres de Voltaire formera douze
volumes . Un ami de ce poète philosophe ( le C. Clos )
nous a confié un exemplaire de sa tragédie des Pélopides
, dans laquelle l'auteur a corrigé et refait plus
de deux cents vers. Le même citoyen nous a encore
remis divers opuscules de Voltaire , tous inédits , dont
nous ferons usage dans cette nouvelle édition. La
correspondance sera augmentée de plusieurs lettres
importantes , qu'on ne trouve point dans l'édition
de Beaumarchais ; et les divers passages que , par
des motifs purement relatifs à sa sureté et à sa conservation
personnelles , cet éditeur a retranchés des
lettres du roi de Prusse , de Voltaire et de d'Alembert
seront rétablis d'après les originaux autographes. On
joindra à ce recueil la correspondance , encore inédite ,
de Voltaire avec Maupertuis.
L'édition que nous publions aujourd'hui , sera purgée
de toutes les fautes qui déparent l'édition de Kehl,
MESSIDOR AN IX, 41
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On grave actuellement sur acier de très jolies figures
pour cette édition . Les figures du théâtre seront données
en quatre livraisons. La première , composée de
douze figures , paraît , et vaut 2 fr. après la lettre , et
4 fr. avant la lettre . Les autres livraisons seront chacune
du même prix .
( Extrait de l'avertissement du C. Naigeon , de l'Institut
national ) .
LIVRE du second âge , ou Instructions amusantes sur
l'Histoire naturelle des animaux et des végétaux ; par
J. B. Pujoulx. Ouvrage orné de 96 figures , représentant
quadrupèdes , oiseaux , insectes et végétaux .
Seconde édition . A Paris , chez Debray , libraire ,
palais du Tribunat , n.º 235 , ou à son dépôt , place
du Muséum , n.º 9. An IX ( 1801 ) .— Prix , 2 fr . 25 c. ,
figures en noir ; et 3 fr. figures coloriées ; 75 c . pour
le port. On reviendra sur cet ouvrage.
HISTOIRE du Consulat . I vol . in- 8.º , 3 fr . , et franc
de port , 4 fr. , idem , sur papier fin , 6 fr. , et franç
de port , 7 fr.
Cet ouvrage devient indispensable à ceux qui ontlu les
Euvres de Mably , Condillac, et de Millot, et complète ces
diverses collections . Les OEuvres de l'abbé Millot viennent
d'être imprimées , pour la première fois , in- 8.º , avec
des augmentations . L'Histoire de France est augmentée
d'observations sur le règne de Louis XV , et continuée
jusqu'à la mort de Louis XVI ; et l'Histoire d'Angleterre
est augmentée des règnes de Georges II et de
Georges III. Le prix des 15 vol . in - 8. ° est de 60 fr.
On vend séparément l'Histoire de France et d'Angletorre
, 12 fr.
Ces ouvrages se trouvent chez la veuve Durand , li42
MERCURE DE FRANCE ,
braire , rue de l'Hirondelle , n.º 30 , entre la rue Gîtle-
Coeur et le pont Saint- Michel .
VOYAGE à la côte occidentale d'Afrique , fait dans les
années 1786 et 1787 , contenant la description des
moeurs , usages , lois , gouvernement et commerce
des états du Congo , fréquentés par les Européens ,
et un précis de la traite des noirs , ainsi qu'elle avait
lieu avant la révolution française ; suivi d'un voyage
au Cap - de - Bonne - Espérance , contenant la description
militaire de cette colonie ; par Louis Degrandpré
, officier de la marine française . 2 vol . in - 8.º ,
sur papier carré fin , ornés de ri belles gravures
cartes , et du plan de la citadelle du Cap . Prix ,
10 fr. 50 cent. , et 13 fr. 50 cent. , franc de port par
Ja poste. Idem , papier vélin , figures avant la lettre ,
et atlas in 4. , 24 fr. , et 27 fr. , franc de port. A
Paris , chez Dentu , imprimeur - libraire , palais du
Tribunat , galeries de bois , n . 240. On rendra
compte de cet ouvrage.
*
COURS élémentaire de droit civil ( quatrième cahier ) ;
par G. V. Vasselin , ancien docteur en droit de la
faculté de Paris . Brochure in - 8.º de 172 pages , caractère
de philosophie , belle impression.
Ce Cours comprendra six cahiers , qui formeront
deux volumes in-8. de 5co pages d'impression chacun .
Les quatre premiers cahiers se vendent séparément :
I fr. 80 c. , et par la poste , 2 fr. 20 c.
Le premier ,
Le second ,
Le troisième , 2
Le quatrième , 2
I ' 50
༡༠ et par la poste , I
et par la poste , 2
50
et par la poste , 2 60
La souscription des six cahiers est de 8 fr. pour
Paris , et 11 fr. par la poste .
Ceux qui ont acheté les trois premiers cahiers sépaMESSIDOR
AN IX. 43
;
a
t
ir
1-
:
rément peuvent souscrire pour
les trois autres moyennant
4 fr. 50 c. pour Paris , et 6 fr . par la poste .
Le C. Vasselin continue son cours tous les jours impairs
de la décade , à sept heures précises du matin ,
rue du Jardinet , n.º 3. L'abonnement est de 20 fr.
par mois , jusqu'au 1.er vendémiaire an 10 .
Cet ouvrage élémentaire ne peut qu'être accueilli par
ceux qui prennent quelque intérêt à l'étude des lois .
Il est , pour les jeunes gens , un guide fidelle pour se
diriger dans la lecture des auteurs ex professo. Il offre
aux avoués , aux juges , aux hommes de loi , un abrégé
très utile des principes qui leur sont familiers ; mais
qu'il n'est pas inutile de retrouver dans un extrait
précis et exact.
On souscrit , à Paris , chez l'auteur , rue du Jardinnet
, n.º 3 ; J. B. Brasseur , rue de la Harpe , n.º 477 ;
Rondonneau , place du Carrousel .
LA GASTRONOMIE ou l'Homme des champs à table ,
poème didactique en 4 chants , pour servir de suite
à l'Homme des champs ; vol. in - 12 de 110 pages ; par
J. B. T. Chez Giguet et compagnie , imprimeurs - libraires
, rue des Bons -Enfants , n.º 6. Prix , ' I fr.
25 cent. et 1 fr. 50 cent . frane de port.
"
Le premier chant de ce poème est un tableau historique
de la cuisine des anciens . Le second , le troisième
et le dernier chant , par une division naturelle , traitent
du premier , du second service et du dessert.
ROZELLA Ou Les Effets des romans sur l'esprit des
femmes ; par M. *** 4 vol. in- 12 , fig. Prix , 7 fr.
20 cent. , et 9 fr. 70 cent. , franc de port. Paris ,
l'ax9 ; chez Fuchs , libraire , rue des Mathurins Saint-
Jacques , hôtel Cluny.
44
MERCURE
DE FRANCE
,
LA Paix , ou le Traité de Lunéville , poème ; suivi
d'une épître en vers à Virgile , sur la bataille de
Maringo , avec la traduction , en vers italiens , d'ane
ode au vengeur , accompagnée d'une lettre du C.
Saint-Ange , et d'un sonnet italien avec la traduction
française ; par Cubières jeune , membre de l'Athénée
de Lyon , et de plusieurs autres sociétés littéraires .
A Paris , chez Parisot , rue du Vieux - Colombier ,
n.º 389 , et chez les marchands de nouveautés. An 9.
HISTOIRE naturelle d'une partie d'Oiseaux nouveaux et
rares de l'Amérique et des Indes ; par Fr. Le Vaillant.
Ouvrage destiné , par l'auteur , à faire partie
de son Ornithologie d'Afrique. Première livraison.
Paris , G. Dufour , libr . , rue de Tournon , n.º 1126.
Il n'est aucun amateur de l'Histoire naturelle , qui
ne connaisse la riche collection d'oiseaux que le C. Le
Vaillant a rapportée de ses voyages. Les deux volumes
qui ont paru des Oiseaux d'Afrique , ont obtenu un
succès mérité ; nous espérons que la collection que
nous annonçons jouira du même avantage. Le papier
vélin est tiré des meilleures fabriques de France ; le
texte sort des presses du C. Didot jeune , et les figures
sont imprimées en couleur par le C. Langlois , avantageusement
connu dans cette partie.
Cette première livraison est composée de six planches.
Prix , grand in-folio , papier vélin , nom de Jésus ,
satiné , figures en couleur , auxquelles on a ajouté les
figures noires , 30 fr.; grand in -4. ° papier vélin , nom
de Jésus , figures en couleur 18 fr. ; papier fin , figures
noires , pour faire suite à l'Histoire naturelle de Buffon
, 6 fr.
La deuxième livraison paraîtra dans un mois. Oa
MESSIDOR AN IX.
45
C.
on
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ajouté
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nom
, figures
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mois
. Oa
trouvera des prospectus de cet ouvrage chez l'éditeur .
HISTOIRE de France depuis la révolution de 1789 ,
écrite d'après les mémoires et manuscrits contemporains
, recueillis dans les dépôts civils et militaires ,
par le C. Toulongeon , ancien militaire , ex- constituant
, membre de l'Institut national de France. 2 gros
volumes in- 8.° , de l'imprimerie de Didot jeune , accompagnés
: 1.º du plan de la salle des Etats- Généraux
; 2.º du plan de la bataille de Walmy ; 3. ° d'une
carte militaire de la campagne de 1792 , dressée au
dépôt général de la guerre , et gravée par Tardieu ;
où sont indiquées les positions respectives des troupes
depuis l'entrée des coalisés en France , jusqu'à l'époque
de leur sortie. Papier ordinaire , 12 fr . pour Paris ,
et 15 fr. 50 c. franc de port ; papier vélin , 18 fr.
pour Paris , et 21 fr. 50 c. franc de port .- Le même
ouvrage , format in-4.º , I gros vol . avec cartes et
plans. Papier ordinaire , 15 fr . pour Paris , et 19 fr.
franc de port ; papier vélin , 24 fr. pour Paris , et
28 fr. franc de port. A Paris , chez Treuttel et Wurtz,
libraires , quai Voltaire , n. ° 2 , et à Strasbourg ,
même maison de commerce , grande rue , n . 15 .
LE mérite des hommes , poème ; par Angélique- Rose
Gaëtan. in- 12 , 1 fr. , et 1 fr . 25 cent. par la poste.
A Paris , chez Maradan , libraire , rue Pavée- Saint-
André- des-Arcs , n.º 16.
+
BRUCE , ou le Don Quichotte de l'amitié , traduit de
l'anglais , par P. Chanin . 3 vol. in - 12 , ornés de jolies
figures. An IX ( 1801 ) . ·- Prix , 5 fr. , et , franc de
port , 6 fr. 50 c. A Paris , chez Lenoir , libraire , rue
de Savoie , n.° 4.
SUR le système actuel d'instruction publique , par le
46
MERCURE
DE
FRANCE
,
C. Dessult-Tracy , membre du sénat conservateur et
membre associé de l'Institut national ; in - 8 . ° de 80
pages . A Paris , chez la v. Panckouche , imprimeurlibraire
, rue de Grenelle , faubourg Germain , n.º 321,
et chez les marchands de nouveautés . Prix 1 fr. , et
I fr. 50 c. , franc de port.
- L'idée principale de l'auteur est qu'on ne saurait
faire un bon plan d'écoles , sans commencer par faire un
bon plan d'études. En conséquence , il trace un plan
d'études complet ; il se présente sous la formé d'un tableau
, afin qu'on puisse mieux voir les rapports de
toutes ses parties , et qu'on s'aperçoive plus aisément
de ses inconvénients , s'il en a. Il conclut que notre
système actuel d'instruction publique est très - propre
à exécuter le meilleur plan d'études ; que ses bases sout
excellentes , et qu'il ne faut que l'achever et le compléter
, pour en obtenir les meilleurs résultats .
Avis aux souscripteurs de l'Abrégé des hommes
illustres de Plutarque , par le C. Acher , ancien premier
commis des finances , et à présent juge du tribunal
d'appel , séant à Amiens.
Le premier volume de cet ouvrage fut publié en
l'an V.
1
-Ce n'est pas , dit le C. Acher , une traduction, nouvelle
, ni la copie mutilée d'un ancien traducteur : je
me suis appliqué à rendre l'esprit de l'original , sans le
suivre pas a pas , et sans emprunter une seule phrase
de ceux qui l'ont traduit. J'ai , d'ailleurs , ajouté des
faits importants qui ont échappé à Plutarque , mais qui
sont attestés par d'autres auteurs dignes de foi , et dont
la réunion rend complete la vie de chaque personnage .
fait , en outre , précéder plusieurs vies de quelques
MESSIDOR AN IX. 47
t
n
n
ade
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ore
ལྔ ལྔཎྜུལྦ
ut
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des
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age
.
gues
détails antérieurs aux événements dont j'avais à parler,
lorsque j'ai jugé que cela ferait mieux ressortir les personnages
qui en sont l'objet . Au lieu de restreindre les
parallèles à comparer un homme illustre avec un autre,
j'y ai inséré des réflexions morales , pour faire remarquer
aux élèves les vertus qu'ils doivent imiter , et les
erreurs qui ont souvent terni la gloire des héros qu'ils
admirent. Enfin , je me suis permis , dans mon second
volume , de ne point placer les vies suivant l'ordre
adopté par tous les traducteurs , et même par quelques
éditeurs grecs , parce que j'ai reconnu qu'ils ne s'étaient
conformés ni à l'ordre chronologique , ni à celui que
Plutarque a suivi . J'ai retrouvé cet ordre dans la plus
ancienne édition qui nous soit connue , celle imprimée
à Florence , en 1517 , sous le pontificat de Léon X. Je
développe les recherches que j'ai faites à ce sujet , dans
un avertissement en tête du second volume . J'y développé
aussi le nouveau plán que j'ai embrassé , et qui
m'a été suggéré par le désir de répondre à l'intérêt qu'a
inspiré mon premier volume.
"
Ce second volume contient , outre l'Avertissement et
un coup d'oeil sur Athènes , les vies d'Aristide , de
Caton le Censeur , de Cimon , de Lucullus , de Périclès ,
de Fabius - Maximus , de Nicias et de Crassus , avec les
comparaisons. On y a ajouté des particularités intéressantes
sur quelques hommes célèbres , qui ont paru dans
les mêmes temps , et notamment sur Miltiade , dont
nous n'avons plus la vie que Plutarque en avait rédigée .
Le troisième volume est commencé. Il contiendra un
coup - d'oeil sur Rome comparée avec Athènes. Ce volume
sera suivi de trois autres , et peut - être d'un quatrième
sur les femmes illustres .
Le second volume contient 408 pages . On le trouve ,
48 MERCURE DE FRANCE ,
-
ainsi que le premier
, à Paris , chez Debray
, libraire
,
palais
du Tribunat
, n . ° 235 , chez
Lenormant
, imprimeur
, rue des Prêtres
Saint-Germain
, n.º 42 , et chez
Morin
et Lenoir
, libraires
, rue de Savoye
, n.º 4. A
Amiens
, chez Caron
l'aîné
, imprimeur
, place
de la
Concorde
. A Beauvais
, chez Desjardins
, imprimeur
dudit
ouvrage
, rue de l'Oise .
---
Il faut affranchir le port des lettres et de l'argent.
Il paraît une petite brochure composée de deux feuilles
et demie d'impression , format in-8. ° , intitulée : De la
colonne triomphale. Elle se trouve chez tous les mar
chands de nouveautés , et au bureau du journal des
Bâtiments civils , des Monuments et des Arts . Prix , 50 c.
pour Paris , et 70 pour les départements .
1
L'auteur , qui est un artiste recommandable par ses
talents , rapporte , à la suite de ce petit ouvrage , les
opinions déja émises dans les divers journaux , par un
tableau qui , d'un seul coup - d'oeil , en présente l'ensemble.
་
?
TABLEAU servant à convertir exactement les toises
courantes et parties de toises en mètres courants et
parties de mètres , et à déterminer proportionnellement
au prix des mesures anciennes de longueur
celui des mesures nouvelles , conformément aux dispositions
de l'arrêté des consuls , du 13 brumaire an 9 .
A l'usage des administrations publiques , de tous les
entrepreneurs et ouvriers en bâtiments , approuvé par
le ministre de l'intérieur ; par Etienne Bonneau .
Prix , 75 cent. pour Paris , et 80 pour les départements
, franc de port. Se vend , chez l'auteur , rue
Marguerite , n.º 499 ; et au bureau du journal des
Bâtiments civils , des Monuments et des Arts , à la
ci-devant Abbaye- aux- Bois , rue de Sèves , faubourg
Saint- Germain .
MESSIDOR AN IX. 49
es
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JEE
POLITIQUE
EXTÉRIEUR.
SUR l'état actuel de la Pologne.
II.me Lettre au Rédacteur.
Je continuerai , citoyen , à vous entretenir de la Pologne
dans l'ordre que je me suis prescrit . Ma première
lettre se bornait à vous indiquer les lignes de partage
qui divisent aujourd'hui son territoire , le nombre de ses
habitants , et les moeurs qui les caractérisent dans leur
diverses conditions . Il fallait surtout vous faire connaître
les nobles , avant d'entrer dans le détail de leurs
institutions militaires . Quoiqu'il n'en reste aucune trace ,
je crois de voir vous les rappeler : c'est le seul moyen
d'apprécier , sinon les faibles ressources que la Pologne
offre actuellement à ses vainqueurs , du moins celles
qu'ils pourraient y trouver un jour.
Les devoirs de soldat étaient inséparables des droits
de citoyen : ceux que l'état reconnaissait exclusivement
pour ses membres , étaient aussi seuls chargés du soin
de le défendre ; mais ils remplissaient avec joie cette
obligation glorieuse , et le titre d'hommes belliqueux
ne les flattait pas moins que celui d'hommes libres .
Dès leur enfance , ils se destinaient à la profession des
armes , ils n'en voulaient point d'autre , et ne concevaient
pas qu'il pût y avoir une noblesse différente de
celle d'épée . Leur éducation consistait surtout à se
rendre habiles dans les exercices militaires : le souvenir
de leurs ancêtres , les préjugés , les lois , tout exaltait
en eux le sentiment de leur bravoure naturelle . A
peine entrés dans le monde , ils découvraient un nouveau
prix à cette qualité , elle seule pouvait ouvrir la
carrière de l'ambition . Il fallait s'être distingué parmi
ses compagnons d'armes pour oser prétendre à leurs
suffrages dans un jour d'élection. Les grands emplois
civils devenaient la récompense des services rendus à
5 . 4
50 MERCURE DE FRANCE ,
•
la guerre. Ainsi les sénateurs , les membres d'une diète ,
les palatins , les chefs de l'administration , tous étaient
sortis des rangs de l'armée , tous devaient y rentrer
dans un péril pressant.
On commençait ordinairement par servir un temps.
dans le corps de hussards , où les enfants des meilleures
familles s'empressaient d'être admis , et qui formait à
lui seul la majeure partie des troupes réglées de la
république. Nulle cavalerie , en Europe , ne pouvait
lui être comparée pour le choix des hommes , pour
l'élégance et la richesse de l'équipement . Des selles
magnifiquement brodées , des plaques d'or répandues
sur tous les harnois , des casques d'un travail précieux ,
des cuirasses embellies ; tel était le luxe permis aux
simples cavaliers ; ils montaient des chevaux tartares
dont la vitesse est admirable. Le sabre était leur arme
favorite , on ne pouvait le manier avec plus d'habileté
Deux pistolets pendaient encore à leurs ceintures , et le
mousquet avait remplacé les hautes lances dorées qu'ils
portaient autrefois ; mais à part la différence de l'armure
, on croyait revoir en chacun d'eux un de ces anciens
et preux chevaliers qui leur servaient de modèles .
La seconde division de la force publique , toujours
subsistante , consistait dans ce qu'on appelait les Pancernes
; c'étaient des compagnies de 200 maîtres , appartenantes
aux grands seigneurs , ou même à des évêques .
qui , ne pouvant servir en personne , se faisaient remplacer
par des lieutenants. Toute cette cavalerie de
gentilshommes portait encore le nom général de Towarisz
, qui veut dire camarades . Leurs chefs les traitaient
ainsi , en leur adressant la parole. Le roi lui -même
devait leur donner ce titre ; ce prince avait en outre
une garde personnelle de 2000 hommes , presque tous
tartares ou mahométans , mais dont la fidélité était à
l'épreuve Parmi les établissements militaires de la
Pologne , on ne peut oublier l'école d'artillerie fondée
par son dernier souverain : il en sortit d'excellents
officiers et les artilleurs polonais passaient pour être
les meilleurs , apres ceux de France et de Saxe.
21 En joignant à ces différents corps quelques bataillons
étrangers , soldés par la république , et dont elle
estimait peu l'utilité , vous aurez une idée complète.
1
MESSIDOR AN IX. 51
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des troupes qu'elle entretenait habituellement. On les
distinguait en armée de Pologne , et en armée de Lithuanie
. Ces deux états , quoique réunis en un seul
depuis 1569 , conservaient une administration séparée ;
chacun d'eux avait ses grands officiers , ses ministres
et ses généraux , qui tous prenaient également les
ordres de la diete , et ceux du roi , en sa qualité de chef
suprême de l'armée ; celle - ci , dans les temps ordi
naires , ne s'élevait pas en tout au delà de 18 à 20,000
hommes. On conçoit à peine qu'elle fût regardée
comme suffisante pour garder , même durant la paix.
d'aussi vastes frontières ; mais la manière dont elle
était composée doublait la confiance qu'on avait en
elle. D'ailleurs , en cas de surprise , elle n'avait à supporter
que le premier choc de l'ennemi . Bientôt elle
pouvait être soutenue par cent mille cavaliers qui
volaient à son secours de toutes les parties de l'empire.
Au premier appel de la diete , ou du prince , en
son absence , la noblesse entière devait s'ébranler . Elle
venait former ce grand corps appelé Pospolite , sur
qui l'état fondait sa plus ferme espérance. On eût dit
une formidable armée de réserve qui , dispersée d'abord
sur tous les points d'un territoire immense
tout à coup rassemblée à la voix de son chef. Le roi
devait la commander en personne ; chaque propriétaire
d'une terre noble devait s'y rendre , ou seul , ou accompagné
d'un certain nombre d'hommes armés , suivant
l'étendue de ses possessions. C'est là que les grands
seigneurs se montraient dans tout l'appareil de leur
puissance . On voyait arriver à leur suite la foule des
nobles sans biens , dont ils soutenaient l'existence. Le
prince Georges Radziwil , dont les richesses etaient
prodigieuses , et dont les terres couvrent une grande ,
partie de la Lithuanie , amenait lui seul trente miile.
hommes entretenus à ses frais . Il nommait leurs officiers
, il réglait tous leurs mouvements , et la république
laissait un de ses membres disposer , dans son
sein , de cette force étonnante. De tels citoyens ne.
pouvaient plus être contenus . Leurs moindres rivalités
nuisaient au bien du service , et leurs divisions ouvertes
se changeaient en guerres civiles ; alors ils
cherchaient , dans la constitution même , un prétexte
f
s'était
52 MERCURE DE FRANCE ,
à leurs fureurs ; ils se plaçaient à la tête de ces con
fédérations opposées qu'on avait droit de former après
une diète orageuse , et proclamant à leur tour le danger
de la patrie , ils empruntaient sa dernière ressource
; la pospolite convoquée en même temps par
diverses autorités , ne savait plus à laquelle entendre ,
la confusion était au comble , et l'état s'épuisait toujours
davantage par l'abus de sa principale force . On
en vit un exemple frappant dans ces temps malheureux
où Stanislas et Auguste se disputèrent la couronne
en présence de Charles XII . On se rappelle
quelles furent les agitations de cette noblesse incertaine
entre deux rois et deux diètes , contrainte à se
déchirer elle - même , et partout victime de son dévouement
à la cause qu'elle avait embrassée.
Cependant il faut convenir que la haine des étrangers
ralliait souvent toutes les factions , et que les
Polonais durent plus d'une fois leur salut au premier
dan de leur force publique . Mais en observant leur
système militaire , alors même que rien n'arrêtait au
dedans son entier développement , on voit mieux
ressortir ses défauts parmi ses avantages , on explique
comment il préparait les derniers désastres après avoir
assuré les anciens triomphes.
Les Polonais combattaient à cheval , et tant qu'ils
eurent à réprimer les rapides incursions des Tartares ,
ou à poursuivre les Cosaques dans leurs déserts , ils
durent se conformer à l'usage de ces peuples vagabonds ,
montés eux -mêmes sur d'excellents chevaux . Quand il
fallut ensuite se mesurer avec les redoutables Spahis
de l'empire Ottoman , ils furent encore sages de leur
opposer une cavalerie également nombreuse et terrible ;
mais , depuis plus d'un siécle , ils avaient changé d'ennemis.
Dans ces guerres nouvelles , ils rencontrèrent une
infanterie pesamment armée qui les attendait de pied
ferme , et leur impétuosité allait en vain se perdre
contre des masses inébranlables . Cependant ils négligèrent
de se créer , sur ce modèle , un genre de troupes
dont l'importance était si généralement sentie ; ou s'ils
en admirent , ce furent des corps étrangers et jamais
en nombre suffisant . Privés de ce secours , ils durent
éprouver que si , dans le cours d'une campagne réguMESSIDOR
AN IX. 53
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, leur marche était plus prompte , elle était aussi
plus embarrassée par la nécessité des fourrages , compliquée
sans cesse avec celle des vivres ; que s'ils se
déployaient sans obstacles dans leurs vastes plaines ,
ils perdaient aussi tout leur avantage sur un terrain
moins uni ; que durant les siéges , ils étaient moins
propres à emporter ces places- fortes dont leurs voisins
avaient hérissé leurs frontières , et qu'enfin dans les
batailles rangées les cavaliers étaient bons pour achever
la victoire , mais non pour la commencer. On
n'ignorait pas en Europe que depuis la célèbre phalange
et les légions romaines , jusqu'aux vieilles bandes
espagnoles , la supériorité de l'infanterie avait seule
opéré les plus grands succès militaires , et souvent
décidé du sort des empires. Les Polonais seuls s'obstinaient
à maintenir une tactique qui leur avait si longtemps
réussi contre des Barbares . Nourris d'ailleurs
dans les idées chevaleresques , ils continuaient à mépriser
le service à pied comme le partage des hommes
obscurs , et à croire qu'un gentilhomme ne pouvait
décemment se présenter au combat sans être monté
sur son palefroi.
"
les gouvernements
Cette erreur ne fut pas la seule où les entraînèrent leur
respect pour les vieilles institutions et la mémoire de
leurs premiers exploits. Ils honoraient leur pospolite
comme une image fidelle du ban et de l'arrière - ban
du régime féodal; mais elle avait aussi tous les inconvénients
de ces milices désordonnées dont on avait
partout reconnu l'abus et que
éclairés n'employaient plus à leur défense. Si elle suffisait
autrefois pour chasser devant elle des tribus
errantes qui menaçaient d'inonder son territoire , c'est
qu'alors une seule victoire sauvait la patrie , dans
moins d'un mois la guerre la plus sérieuse pouvait être
terminée , et aussitôt , après le danger , on se hâtait
de congédier la pospolite. L'état lui-même ne pouvait
la soutenir longtemps . C'était , si j'ose dire , une pesante
armure que la république revêtait au jour du
combat ; mais dont elle devait bientôt déposer l'insupportable
fardeau.
Rien n'était d'avance préparé pour la subsistance de
tant d'hommes qu'avait réunis une circonstance im54
MERCURE DE FRANCÉ ,
prévue . Réduits pour l'ordinaire à vivre de pillage ,
ils passaient comme un fléau sur leurs
dopropres
maines , et la Pologne n'etait pas moins ravagée par
ses défenseurs , qu'elle l'eût été par ses ennemis .
Nulle discipline ne pouvait être maintenue au milieu
d'une noblesse accoutumée à se donner elle - même des
lois . Incertains de son obéissance , ses chefs n'osaient
rién entreprendre avant de la consulter. Surtout ils
n'avaient pas le droit de l'entraîner au- delà des frontières
sans son agrément. Toujours impatiente , elle
voulait vaincre et retourner dans ses foyers . Quinze
jours d'inaction suffisaient pour la dégoûter du service
; alors elle se débandait à son gre , et il fallait
attendre qu'elle fût de nouveau rassemblée . Conduite
enfin à l'ennemi , elle montrait toujours sa bravoure ;
mais après une victoire , elle se donnait à peine le
temps d'en profiter ; après un revers , il était encore
plus difficile de se rallier. Ses généraux , tirés de son
sein , participaient au même.caractère et ne lui donnaient
pas toujours l'exemple du calme réfléchi dont elle
avait besoin. On cite ce trait de l'un de ceux à qui elle
accorda pourtant le plus de confiance dans les derniers
temps. Attaché à la poursuite des Prussiens , il arrive
sur les bords d'une grande rivière à laquelle il n'avait
point songé. On lui représente la nécessité de faire
jeter des pontons , pour que sa division puisse avancer
; mais il répond en colère , vous m'avez mis à
votre tête pour vous mener à l'ennemi , et non pour
vous aider à passer des rivières. Il pique aussitôt son
cheval et traverse à la nage. La cavalerie s'élance
après lui , mais il était impossible aux fantassins de
le suivre . On eut mille peines à lui faire entendre
qu'il fallait enfin suspendre sa course , et ne pas
abandonner , sur l'autre rive , une partie importante
de ses forces. Vous jugerez par ce fait , qui en rappelle
mille autres semblables de l'imprévoyance
et du courage emporté qui nuisaient souvent aux Polonais
dans la conduite de leurs expéditions . Tout se
réduisait pour eux à des chocs terribles , à des irruptions
soudaines ; mais la science des manoeuvres , le
choix des campements , les sages lenteurs , les combinaisons
profondes qui embrassent un plan de camMESSIDOR
AN IX. 55
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pagne , tous ces secrets de l'art militaire leur restaient
inconnus . Ils savaient se battre et non faire la
guerre .
Il faut ajouter encore qu'on ne voyait point chez
eux ce double et triple rang de forteresses , dont les
autres états avaient eu soin de s'entourer. Plus jaloux
de leur liberté intérieure que de leur sureté , ils avaient
toujours craint que leurs rois n'étendissent leur autorité
, en multipliant les villes fortifiées dont le gou
vernement leur eût appartenu . Ils n'en comptaient que
deux ou trois ; et leur pays , ouvert de toutes parts et
plat comme la Belgique , devenait , comme elle , un
vaste champ de bataille.
Tant et de si notables désavantages marquaient enfin
la décadence de cette nation inconsidérée , et quoiqu'elle
n'eût rien perdu de son antique valeur , le temps
de sa gloire était irrévocablement passé. Loin qu'elle
pût songer à étendre ses limites on commençait
à prévoir sa défense impossible. Il s'élevait autour de
ses frontières des puissances colossales qui jetaient sur
ses belles provinces un oeil d'envie. Leur force égalait
leur ambition ; leur rivalité seule pouvait encore
les contenir. On avait aussi quelque ombre de respect
pour cette politique moderne qui , rapprochant les
états policés de l'Europe dans une sorte d'union sociale
, les avait intéressés tous à la conservation de
chacun. Mais une fatalité rare permit que ces deux garanties
cessassent à la fois. Les puissances , d'accord ,
avouèrent leur dernière pensée , et l'Europe ne parut
attentive qu'aux progrès de la révolution française .
Dans l'extrémité du péril , les Polonais invoquèrent
en vain . toutes les lois divines et humaines ; ils poussèrent
un cri douloureux qui percera les siécles , et
que les contemporains n'entendirent pas. Abandonnés
à eux- mêmes , ils signalèrent encore une fois un courage
héroïque et malheureux , qui ne pouvait plus désormais
compenser l'avantage du nombre et d'une
habileté consommée . Ils offrirent un grand spectacle ;
et comment ne pas arrêter un instant ses regards sur
cette lutte dernière , où la liberté mourante épuisa, ses
prodiges , et rendit si longtemps la victoire incertaine ?
Déja les étrangers avaient tout envahi , lorsqu'à la
tête de 800 braves , Madalinski se dégage des armées .
56 MERCURE DE FRANCE ,
prussiennes ; il traverse , comme l'éclair , la Pologne
occidentale. Tous les coeurs s'enflamment sur son passage
; la noblesse , indignée, se relève. L'intrépide Koschiusko
les commande ; il se montre partout à la fois ;
il bat les Russes à Wraclawice ; il chasse les Prussiens
devant lui ; mais sa fortune l'abandonne en Lithuanie .
Il va s'éteindre dans une captivité plus cruelle pour
Jui que la mort. La patrie le pleure , et pourtant ne
désespere pas d'elle - même ; Varsovie soutient un siége
mémorable ; elle succombe enfin , et tout se perd , sauf
l'honneur.
Jamais la république ne s'était montrée plus digne
d'un long avenir la constitution avait été changée ,
les factions éteintes , l'esclavage aboli ; les anciennes
vertus avaient brillé d'un nouvel éclat , et l'amour de
la patrie redoublant avec ses malheurs , ce feu sacrén'avait
pu s'éteindre dans des flots de sang. Mais le
sort de la Pologne vaincue fut bientôt décidé. Trois
Parques redoutables tenaient entre leurs mains le fil
de ses destinées ; elles le rompirent , et l'histoire des
temps modernes n'a point offert de leçon plus terrible ,
que celle d'une grande puissance disparue tout -à- coup
de la scène politique.
Que vous dirai -je maintenant des forces d'une nation
consternée et tombée , après ses transports , dans
le calme d'une obéissance passive ? Le premier soin des
vainqueurs fut de briser tout ce qui leur avait plus
longtemps résisté. On licencia tous les corps , on dispersa
les restes de l'armée , et l'on se défiait encore des
lions qu'on tenait enchaînés. La Pologne fournit seulement
aujourd'hui quelques recrues , suivant le mode
établi dans le reste des empires auxquels elle est réunie.
C'est une sorte d'enrôlement forcé parmi les paysans et
le bas peuple. L'Autriche et la Russie qui se trouvaient
engagées dans une guerre sanglante , ont usé de
ce moyen avec plus de rigueur que la Prusse. Mais , au
lieu des mécontentements toujours dangereux qu'il pouvait
exciter , il n'a dû produire , dans un pays mal peuplé
, qu'un nombre médiocre de mauvais soldats , pris
dans une espèce d'hommes abâtardis par un long esclavage.
Ils n'ont point cette activité qui fait supporter
les fatigues de la guerre. Vainement on redouble les
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MESSIDOR AN IX. 57
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coups de bâton pour émouvoir leur apathie ; ils succombent
, ou désertent , ou ce qui est pis encore on
les voit , au milieu d'une affaire , se laisser prendre
en masse avec une honteuse facilité. Les dernières campagnes
d'Italie en ont offert plus d'une preuve. L'exemple
et la présence des nobles contiendraient mieux ce vil
troupeau ; mais ils dédaignent de s'y mêler. Leur courage
n'est pas mis encore à la disposition des puissances ;
c'est un trésor qu'ils ont sauvé dans le naufrage de la
liberté, et livrés , comme tous les malheureux , aux
rêves de l'espérance , ils pensent peut - être se tenir en
réserve pour des temps meilleurs. Ceux qui ont encore
des richesses , gardent une attitude fière au milieu de
leurs possessions ; retirés de la scène du monde , ils
restent , autant qu'ils le peuvent , étrangers à leurs
nouveaux maîtres . Beaucoup d'autres se sont dispersés
dans tous les pays de l'Europe , et paraissent disposés
à tout souffrir, plutôt que d'aller prodiguer les restes
de leur sang à ceux qu'ils appellent leurs ennemis. Il
en est bien peu que la nécessité ou d'anciennes liaisons
personnelles ayent déterminés à prendre du service.
Il est donc vrai de dire que , pour le moment , les
conquêtes de la Prusse , de l'Autriche et de la Russie
n'ont pas sensiblement augmenté leurs moyens militaires
, et tels sont les premiers mécomptes qu'on éprouve
dans l'exercice d'une domination si récemment établie .
Mais l'autorité peut chercher à captiver par des bien-.
faits ceux qu'elle a subjugués par la force ; elle doit
aussi recevoir la sanction du temps ; et quand les regrets
amers de la génération présente auront passé avec elle ,
on prévoit un terme dans l'avenir où la soumission se
changerait en fidélité.
Supposez encore un de ces phénomènes rares , mais
possibles , et réalisés plus d'une fois dans le cours des
siécles derniers . Que , parmi les souverains de la Pologne
, il s'élève un prince doué de qualités étonnantes,
comme Frédéric , passionné pour les conquêtes comme
Charles XII ; qu'il réveille , au bruit de ses exploits ,
cette noblesse lasse enfin de sa longue oisiveté ; qu'en,
l'absence de la liberté , il lui fasse entendre ces paroles
magiques d'honneur et de vertu guerrière : elle
se précipitera sur ses pas , elle ira partout , dans les
2
58
MERCURE DE FRANCE ,
hasards , se rendre compagne de sa fortune et de sa
gloire. Pour lui , peut - être , verrait - on se renouveler les
efforts qu'avait inspirés l'amour de la patrie. L'affeetion
des sujets ressemblerait au zèle des citoyens , et
les enfants se dévoueraient à leur tour pour un maître
adoré , comme les pères s'étaient autrefois dévoués pour
leur république .
C'est ainsi qu'entraînés par une circonstance extraordinaire
, ou gagnés par une longue suite de ménagements
, les véritables Polonais viendraient se rallier
d'eux mêmes à leurs gouvernements . Alors , transformés
en Autrichiens , en Prussiens , en Russes , ils s'accoutumeraient
à une meilleure discipline ; et s'il se pouvait
qu'en vieillissant sous un joug étranger , leur caractère
national ne perdit rien de son énergie , les puissancès
n'auraient point de meilleures troupes . Mais cette
perspective est aussi incertaine qu'elle est éloignée.
€
Il y avait une autre manière de recueillir sans délai
le fruit d'une grande invasion , et l'on pouvait plus
promptement s'enrichir aux dépens des provinces conquises
, qu'y trouver d'ardents défenseurs . Sous ce rapport
, il reste à examiner quelles étaient les finances
de la Pologne , et à quelles contributions on l'a soumise.
Evalués dans notre monnaie , les revenus de l'état
se montaient à 12 millions. On n'y percevait nul impôt
foncier ; une simple taxe sur les cheminées , et une
capitation sur les juifs , rendaient environ 8 millions.
Les droits exigés à l'entrée des grandes villes ou sur le
cours de la Vistule , en rapportaient encore un , et trois
autres étaient le produit des salines de Wielitska. Ces
mines fameuses , qu'on exploitait depuis plus de 600 ans,
paraissaient inépuisables . C'est dans leur sein que les
relations de quelques voyageurs plaçaient une ville souterraine
, régulièrement bâtie , des édifices resplendissants
aux flambeaux comme des palais de diamants ,
et une colonie entière d'hommes qui n'avaient point vu
la lumière du soleil. Ce sont autant de folles exagérations.
Il est vrai qu'on trouve là des galeries spacieuses
et de vastes enceintes , dont les parois formées de la
mine même , jettent un certain éclat : on est frappé de
la grandeur et de l'apparente régularité des excavations.
Tout se réduit pourtant à la simple distribution 'qu'on
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observe dans le local des établissements de ce genre .
Seulement les dimensions de celui - ci sont étonnantes et
aussi vastes qu'a pu les produire le travail continuel
d'une multitude d'ouvriers , pendant plusieurs siécles.
et
Je vous ai parlé de la plus importante propriété nationale.
Il y en avait encore un grand nombre d'autres ;
mais leurs produits ne se versaient pas dans le trésor
public. On en cédait la jouissance aux citoyens
les plus recommandables , comme une récompense de
leurs services ; les premiers dignitaires de l'état y trouvaient
aussi une sorte d'émolument attaché aux grandes
charges. La destination de ces domaines , appelés sta-
Tosties , ressemblait donc parfaitement à celle des anciens
bénéfices , sous nos rois de la première race
lorsque les fiefs n'étaient pas encore devenus héréditaires
.Les starosties continuaient à ne point passer des pères
aux enfants ; leur concession devait même être renouvelée
, pendant la vie du titulaire , à chaque mutation
de souverain . Le roi de Pologne avait le droit d'en disposer
; c'était une de ses plus belles prérogatives . Comme
il nommait encore à tous les grades militaires et. à un
grand nombre d'emplois civils , les Polonis se vantaient
de ne lui avoir laissé que le plaisir de faire des heureux .
Il ne se passe pas d'heure dans le jour , disaient - ils
communément , où notre prince n'aye une grace àfaire
et un bienfait à répandre. Aussi , continuant à l'honorer
au milieu des institutions républicaines , prétendaientils
ne lui rendre que l'hommage libre de la reconnaissance.
Ils voulaient être ses amis ou ses créatures , plutôt
que ses sujets. Mais , à le voir entouré d'hommes qui
Je remerciaient sans cesse des faveurs obtenues , ou qui
en sollicitaient de nouvelles , on l'eût pris pour un monarque
absolu , et sa cour était une des plus brillantes
de l'Europe , quoique son autorité constitutionnelle fût
une des moins affermies.
Le prince n'était chargé que de sa dépense personnelle
et de l'entretien de sa maison . Pour y subvenir ,
il retirait à peu près un million des biens affectés à la
couronne. La république lui payait , en outre , comme
à son premier fonctionnaire , une forte pension sur le
trésor de l'état . On avait ensuite à solder l'armée , qui ,
comme vous l'avez vu , 'était peu nombreuse. Les autres
бо MERCURE
DE FRANCE
,
frais de l'administration n'étaient pas non plus considérables
, parce que , dans toutes les parties du service
public , les starosties suppléaient à la modicité des traitements.
En somme , les dépenses n'excédaient pas les
recettes ; la Diète , qui se faisait rendre un compte rigoureux
des unes et des autres , y portait un esprit d'économie
qu'on retrouve difficilement sous les autres formes
de_gouvernement.
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Lorsque le démembrement de 1773 fut opéré , les
mines de Wielitska tombèrent au pouvoir des Autrichiens
, et le roi de Prusse s'empara des péages sur la
Vistule. La république , qui avait ainsi perdu le tiers
de ses finances , y suppléa par divers moyens . On fit
une retenue sur le produit des starosties ; on augmenta
l'impôt sur les cheminées , celui sur les juifs , et le déficit
fut à peu près comblé. Mais , dans la dernière crise ,
il fallut se faire de nouvelles ressources pour soutenir
des efforts extraordinaires. La noblesse et le clergé , qui
jusqu'alors n'avaient rien supporté des charges de l'état,
s'engagèrent à lui donner le 25. " de leurs revenus , et
la plupart , ne consultant que leur patriotisme , déclarèrent
une fortune bien supérieure à celle qu'ils avaient
réellement. La conquête suivit de près , et le régime
Prussien est parti de ces déclarations enflées , pour asseoir
la nouvelle contribution foncière. On voit combien
elle peut être inégale et ruineuse pour les seigneurs qui
s'étaient montrés les plus généreux . En y comprenant
divers droits additionnels , tels que celui mis sur la
consommation des fourrages , et un autre exigé pour
l'érection des nouvelles cours de justice , on peut affirmer
que chaque propriétaire paye au moins le dixième
de son revenu. En même temps , les ecclésiastiques ont
été dépouillés de leurs biens , et je vous ai déja rendu
compte de l'adresse avec laquelle on s'y était pris pour
les réduire à de modiques pensions . Il a fallu moins de
ménagements pour entrer en possession , d'abord des
domaines royaux , et enfin de toutes les starosties . Après
en avoir privé , sans dédommagement , les anciens titulaires
, on en a fait une nouvelle distribution . Le lieutenant
de police de Berlin en a obtenu une , et celle
de Mescritz , rapportant plus de 40 mille livres de rente,
est devenue la récompense d'un autre Prussien , trèsMESSIDOR
AN IX. 61
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par le zèle qu'il a mis à servir les projets de sa
cour sur la Pologne.
Tant de mesures fiscales , tant de spoliations , n’auront
pas néanmoins rempli l'attente d'un gouvernement
qui paraît possédé du desir de thésauriser. Il
règne un tel désordre dans la perception des deniers
publics , que la majeure partie en est dissipée avant
d'arriver à lui. On sait , par exemple , que la régie de
tous les biens du clergé , dans le palatinat de Pozen ,
ne rapporte guère plus de 36,000 écus net ; de même ,
le montant total des contributions énormes , levées dans
cette province qui est une des plus riches , ne va pas
au-delà de 400 mille livres , tous frais déduits. C'est
donc au profit des employés subalternes , que les peuples
sont foulés.
Dans les portions échues en partage à l'Autriche et
à la Russie , l'impôt est plus modéré , et perçu avec
plus d'économie. La cour de Vienne n'a point troublé
les ecclésiastiques , ni les starostes , dans leurs jouissances.
Celle de Pétersbourg s'est probablement imposé
la même réserve , et , suivant la méthode usitée dans
son empire , elle fait contribuer les seigneurs , en proportion
du nombre de leurs serfs . Cette base fixe les
sauve au moins des injustices particulières ; mais , s'il
règne là un ordre constant et sévère dans toutes les
parties de l'administration , c'est que les premiers agents
de l'autorité tremblent devant elle , comme les derniers
de ses sujets.
« Les armées françaises ont entièrement évacué le
pays ennemi. Toutes nos troupes sont repassées sur
la rive gauche du Rhin. - L'armée de l'empereur ,
qui était sur la Rednitz , est de , son côté , rentrée en
Bohême. La Suabe , la Franconie , et générale ment
les pays situés entre la Bohême , les états héréditaires
et le Rhin , ont été restitués aux princes de l'Empire
auxquels ils appartenaient . Un régiment de cavalerie
et une demi-brigade d'infanterie occupent encore le
Brisgau , jusqu'à ce que les agents du duc de Modene ,
auxquels ce pays doit être remis , soient arrivés pour
en prendre possession . Comme le duc de Modène n'a
1
62 MERCURE DE FRANCE ,
pas encore de troupes à lui , il a été convenu qu'un
régiment autrichien qui serait connu des deux puissances
servirait de troupes auxiliaires au duc de Modène
, sans que d'autres corps de l'armée autrichienne
puissent sortir des états héréditaires pour entrer en
Allemagne.
" Les fortifications des places de Dusseldorff , Ehrenbreistein
, Cassel et Kehl , ont été démolies , conformé- ,
ment à un article du traité de Lunéville. Ces places .
resteront dans l'état où elles se sont trouvées au moment
où les Français les ont évacuées .
"
« Plusieurs commandants avaient évacué la rive droite .
du Rhin sans dresser procès-verbal de l'état où on
laissait les fortifications de ces places ; le dépôt de la
guerre ayant demandé ces procès - verbaux , les commandants
de Dusseldorff et de quelques autres points ,
ont dû repasser sur la rive droite , dresser des procèsverbaux
de l'état des places , et les faire signer par les
syndics des villes . Cette opération a été faite en vingtquatre
heures.
" En Italie , toute la rive droite de l'Adige est occupée
par l'armée française. Des contestations se sont
élevées pour les points de Torbole , de Mori et de
Riva ; elles ont été levées de concert par les deux
puissances. Ceux de ces points qui appartenaient jadis
à la république de Venise , font partie de la république
cisalpine ; ceux qui appartenaient au Tyrol , continueront
à faire partie de l'évéché de Trente.
"
Quelques contestations se sont élevées entre le
pape et la république cisalpine pour les limites du côté
de la Romagne. Il a été décidé qu'on prendrait pour
arbitre le traité de Tolentino . Ainsi les pays que le :
gouvernement cisalpin a fait occuper , qui ne faisaient
pas partie de l'ancien territoire de la Romagne , ont
dû être évacués , le pape n'ayant cédé , par le traité de
Tolentino , que les legations de Ferrare , Bologne et
la Romagne. La plus grande harmonie règne entre les
troupes que commande le général Soult et qui occupent :
la presqu'ile d'Otrante , et les peuples de ce pays , ainsi ,
que le gouvernement napolitain . Quatre-vingt pièces
d'artillerie doivent être en ce moment en batterie , pour
défendre la superbe rade de Tarente.
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En Toscane , les présidi ont été remis à l'armée
française. Nos troupes ont occupé Orbitello où elles
ont trouvé une très - belle artillerie. La partie de l'Elbe
qui appartenait au roi de Naples , est occupée par les
Français . Porto - Langone est approvisionné convenablement.
Porto- Ferrajo n'a pas encore voulu se rendre.
Le conseil d'état discute les mesures à prendre pour
la main - levée du séquestre dans la Belgique ; cette
matière importante sera incessamment décidée.
"
Le traité de Lunéville a été , est et sera ponctuel
lement exécuté par la république . Celui de Florence ,
qui a terminé la guerre avec le roi de Naples a été , est et
sera pareillement ponctuellement executé ; et celui de
Tolentino , qui sert aujourd'hui de base pour ce qui est
relatif au pape , est également en pleine exécution . La
Hollande a jugé à propos de faire des changements
dans sa constitution : conformément aux principes du
gouvernement français , de n'intervenir aucunement dans
Tes affaires de ses alliés , à moins qu'ils ne le demandent ,
le'gouvernement ne se mêle en rien , des changements
que les Hollandais ont jugé à propos de faire dans
leur organisation intérieure.
"
L'Helvetie a dû songer aussi à se donner une organisation
définitive. Son gouvernement provisoire a
pensé devoir présenter au premier consul différents pro
jets , pour avoir son opinion sur celui qui paraissait le plus
convenable. Le premier consul s'est contenté de faire
aux CC. Glaire et Steffler , députés de l'Helvétie ,
cette seule observation , que le meilleur projet de constitution
de l'Helvétie serait celui qui aurait ce caractère
principal , de n'être applicable qu'à elle , et dans
lequel on reconnaitrait les circonstances particulières
du territoire , du climat et des moeurs de l'Helvétie
qui ne ressemble à aucun autre état européen ; que ,
du reste , le gouvernement français ne voulait aucunement
influencer leur délibérations ou diriger leurs
pensées. Les autorités constituées de l'Helvétie paraissent
s'être accordées sur le point de se donner une
organisation définitive .
"
Les autorités de la Ligurie ont discuté différentes
idées de constitution sans pouvoir s'accorder . Il parait
64
MERCURE DE FRANCE ,
toutefois qu'elles discutent en ce moment un projet plus
conforme à leurs habitudes que ceux qui leur avaient
été soumis. On doit espérer que les autorités liguriennes
s'accorderont incessamment ; et ce peuple est sur le
point de fixer aussi son organisation définitive.
« Le sort du Piémont n'a pas dû encore être décidé
d'une manière positive ; mais l'anarchie , les brigandages
et les désordres de toute espèce dont ce malheureux
pays était la proie , ont dû fixer la sollicitude du
gouvernement. Une organisation provisoire à peu près
semblable à celle des quatre départements réunis , du
temps où ils ne fesaient pas partie de la république ,
a été adoptée, et déja ce brave peuple éprouve quelque
soulagement et quelques espérances.
« Les peuples de la Lombardie et des légations réunies
dans un seul corps de nation , ont leur liberté et leur
existence assurées par les traités de Lunéville et de
Tolentino .
Avant la fin de l'année , une constitution forte
réunira leurs différents intérêts , et pourvoira à leurs
divers besoins. Plusieurs projets , discutés par la consulte
, n'ont pas paru être de nature à concilier l'opinion
de ces peuples ; mais déja le nombre des troupes
françaises est diminué de plus de moitié , l'ordre se
rétablissant ; et le gouvernement provisoire de cette
république fait des fonds considérables pour mettre sur
un pied respectable les places de Peschiera , Porto-
Legnago , la Roque - d'Anfo et Pizzightonne .
" Le roi d'Etrurie sera bientôt à Florence.
Ainsi tous les petits états qui ont reçu de nouvelles
modifications par le traité de Lunéville , sont tous en
chemin d'arriver à leur organisation définitive , et de
goûter enfin un peu de repos et de bonheur , après tant
de vicissitudes et de calamités .
Quant aux indemnités que doivent avoir le ci - devant
grand-duc de Toscane , le ci - devant stathouder et les
princes ci - devant possessionnés sur la rive gauche du
Rhin , c'est l'objet constant des soins et des discussions
de la diete de Ratisbonne . Le conclusum de la diete
vient seulement d'arriver à Vienne ; et avec un peu de
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"
liant et de modération de la part des grandes puisil
sera facile de concilier tous les intérêts.
Toutes les communications que le gouvernement a
reçues jusqu'ici de l'empereur Alexandre , sont propres
à donner une idée avantageuse du cabinet de Saint-
Pétersbourg , de l'esprit de modération et de la sagesse
qui y règnent .
" Toutes les colonies danoises et suédoises ont été
enlevées par l'Angleterre . Ces conquêtes ont été faciles .
Le petit - fils de Catherine n'abandonnera pas ses voisins
du Nord. On ne croit pas que l'Angleterre ait aucune
envie de garder la belle colonie de Sainte - Croix .
"
Une fregate portugaise a mouillé à Lorient ; elle
portait M. d'Aranjo , chargé des pleins - pouvoirs de la
reine de Portugal ; mais les armées espagnole et francaise
étaient déja entrées en Portugal . Il ne paraît pas
que le roi d'Espagne et la république française puissent
faire la paix avec cette puissance , sans avoir entre les
mains quelques provinces du seul allié qui reste sur le
continent à l'Angleterre , pour servir de compensation
lors de la paix avec cette dernière , pour la restitution
des colonies espagnoles et hollandaises.
Les plaies que la guerre a faites au continent , dans
les dernières années du siécle passé , commencent à se
cicatriser. Le gouvernement britannique veut- il since-
Tement mettre un terme à la guerre présente ? Le ministère
actuel le dit . On saura probablement bientôt
le cas que l'on doit faire de ces protestations. Les journalistes
ministériels répètent souvent que tout est en
-mouvement sur les côtes de France pour une expédition
contre l'Angleterre ; c'est par eux qu'on apprend
à Paris les détails de ces préparatifs. Quel est leur
but ? Veulent- ils exaspérer davantage deux nations qui
ne se sont que trop longtemps battues ? Quoi qu'il en
soit , nous osons assurer qu'une paix honorable et juste
est la premiere pensée du gouvernement français ; la
guerre n'est que sa seconde pensée . »
5 .
(Extrait du journal officiel).
5
66 MERCURE DE FRANCE ,
INTERIEUR.
SUITE du résumé sur la dernière session du
Corps législatif.
CHEZ
HOSPICES.
Enfants abandonnés .
HEZ plusieurs peuples , une politique barbare , une
législation atroce ; chez tous , et dans tous les temps , la
misère , plus encore la corruption des moeurs , le crime ,
et une honte tardive qui ne réparait pas , mais consommait
le crime , ont dévoué à la mort , ou abandonné à
la charité publique une foule d'innocentes victimes . De
tout temps aussi, un des plus difficiles problèmes de la législation
fut de prévenir ou corriger les torts de la
fortune , ou les funestes effets du vice .
En France , l'exposition des enfants fut longtemps
défendue sous les peines les plus rigoureuses ; mais cette
rigueur même trompa les vues du législateur , et les
crimes se multiplièrent On reconnut qu'il fallait plutôt
songer à remédier au mal , que non pas à l'empêcher.
En 1638 , saint Vincent de Paule fonda à Paris le
premier établissement des Enfants- Trouvés.
· -
Depuis cette époque , le nombre de ces infortunés a
toujours été grossissant , soit que l'indigence ou l'immoralité
ayent atteint un plus grand nombre d'individus
, soit que la facilité même de placer leurs enfants
dans ces asiles ait paru à plusieurs un moyen
de se débarrasser
des frais et des soins de l'éducation , ou enfin
parce que le crime en continuant ses désordres , cessa
d'être homicide. L'esprit de famille n'en fut pas augmenté;
il en souffrit peut- être parmi la classe mal - aisée ,
mais du moins l'état conservait des citoyens.
On voit , par un arrêt du conseil , du 10 janvier 1779 ,
que les abus , dans un objet si important , ne sont pas
nouveaux , Les neuf dixièmes de ces enfants périssaient ,
MESSID.OR AN IX. 67
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ou dans des transports sans précautions , ou dans les
maisons mêmes qui les devaient recevoir ,
mais que
que le
défaut d'air, de nourriture , ou de propreté , conver
tissait en de vastes tombeaux . On se plaignait aussi
qu'une grande partie des enfants abandonnés provenaient
pourtant d'unions légitimes. M. Necker , dans
son administration des finances , répète les mêmes
plaintes ; et , frappé de l'imperfection des mesures que
prenaient à cet égard les législateurs humains , il terminait
par ces paroles , qu'on permettra de citer : Je ne
puis m'empêcher , dit- il , d'inviter les curés et les autres
ministres de l'église à redoubler de zèle , pour détourner
de ces crimes secrets contre lesquels les lois ont si peu
de pouvoir. Philosophes de notre siécle , contentezvous
d'avoir concouru à dégager la religion des préjugés
d'une dure intolérance. Vous aurez un grand
tort , si vous voulez davantage . Laissez aux hommes
le frein le plus salutaire et la plus consolante des pensées.
"
---
Autrefois les seigneurs haut-justiciers étaient obligés
d'entretenir les enfants exposés sur leur territoire , et
de pourvoir à leur éducation . Cette charge était une
compensation des droits d'épaves , de déshérences et
de bâtardise. Ces droits furent supprimés , et un
décret du 29 novembre 1790 déchargea les ci - devant
seigneurs de l'obligation qui en était une suite. Les enfants
abandonnés furent tous à la charge de l'état .
Divers règlements ont été faits depuis , en attendant
une organisation complète .
La Convention nationale a voulu que les enfants désignés
ci- devant sous le nom d'Enfants - Trouvés , portassent
à l'avenir le nom d'Enfants naturels de la patrie ;
des sommes considérables leur furent allouées , et des
secours particuliers , décrétés en faveur des mères qui
allaiteraient leurs enfants ; le salaire des nourrices fut
augmenté , et enfin sont intervenus la loi du 27 frimaire
an V , et l'arrêté du 30 ventose , en exécution de cette
loi. On y retrouve les sages dispositions que les anciennes
ordonnances contenaient également , et que le gouver-
´nement consulaire exécute aujourd'hui .
Nous nous empressons de rappeler ici la lettre que le
68 MERCURE DE FRANCE ,
ministre de l'intérieur , Chaptal , écrivit le 8 pluviose
aux préfets des départements.
L'état actuel des enfants abandonnés s'élève
60,000 *.
L'administration qui soigne leur enfance , a plusieurs
devoirs à remplir envers eux. C'est beaucoup sans
doute , que de donner des soins paternels à leurs premières
années ; mais il faut encore envisager le moment
où , sortant des hospices pour se répandre dans la société
, ces êtres malheureux doivent porter en eux des
moyens suffisants pour assurer leur existence et servic
leur patrie.
Une prévoyante administration doit préparer ces
moyens , en faisant contracter de bonne heure , par
P'habitude d'un travail journalier , l'exercice d'une profession
honorable.
Par là les hospices des enfants abandonnés présenteront
partout une main - d'oeuvre économique aux manufacturiers
, et ils deviendront une pépinière féconde
d'artistes et d'artisans .
Indépendamment du travail qui peut s'exécuter dans
les hospices , les ateliers particuliers réclament le secours
de ces jeunes gens , et le gouvernement doit les
mettre à la disposition des compagnies qui pourront les
employer utilement. Mais il n'oubliera pas qu'il en est
le tuteur , et , par conséquent , son intérêt paternel les
suivra jusque dans l'atelier , où ils seront reçus. Il doit
leur continuer ses soins , exercer sur eux la même surveillance
, les protéger contre l'injustice , ou les mauvais
traitements , et concilier , dans tous les cas , les
droits sacrés de l'humanité avec les obligations que leur
impose l'étude de leur profession .
Le ministre de l'intérieur arrête :
Art. I. Les préfets des départements sont autorisés
à placer dans les divers ateliers et fabriques de leurs
arrondissements , tous les enfants abandonnés qui ont
l'âge et les forces nécessaires pour entrer en apprentissage.
II. La remise desdits enfants abandonnés aura lieu
M. Necker, en 1785 , le portait à 40,000.
MESSIDOR AN IX.
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d'après un traité que les préfets feront avec les compagnies
, ou les propriétaires desdits ateliers .
III. Ce traité fixera 1.º le nombre des enfants abandonnés
qui devront être remis ; 2.0 l'âge jusqu'auquel
lesdits enfants resteront dans lesdits établissements ;
3. les règlements nécessaires pour le maintien des
bonnes moeurs , pour la police et la discipline intérieure ;
4. les clauses et conditions sous lesquelles lesdites compagnies
ou propriétaires de manufactures s'obligeront de
loger , nourrir et entretenir lesdits enfants abandonnés ,
et de les perfectionner dans l'art de la lecture et l'écriture
; 5. le genre , l'ordre et la gradualité du travail
qui doivent être tels , qu'à l'âge qui sera fixé d'après la
différence des sexes , lesdits enfants abandonnés soient
assurés de trouver des moyens d'existence dans les
moyens d'industrie que l'instruction et la pratique leur
auront donnés.
IV. Au moment de l'entrée desdits enfants abandonnés
dans les ateliers ou manufactures , les compagnies
ou propriétaires d'ateliers fourniront aux administrateurs
des hospices , une reconnaissance qui énoncera
la mention faite sur un registre de la date de la remise
desdits enfants , de leurs noms , prénoms , âge et
sexe.
Ledit registre , sur papier timbré , sera visé , coté
et paraphé à chaque page par le maire ou un adjoint.
V. En cas de mort ou d'évasion d'aucun desdits enfants
abandonnés , sur le champ et à la réquisition
desdites compagnies et propriétaires , il en sera dressé
procès -verbal le maire ou les adjoints de la commune.
L'extrait en forme , dudit procès- verbal , sera
remis aux administrateurs de l'hospice duquel lesdits
énfants abandonnés auront été extraits .
par
Ledit procès - verbal constatant la mort ou l'évasion
sera mentionné sur le registre de l'administration de
Phospice , et sur celui desdites compagnies , ou desdits
propriétaires de manufactures.
VI. Les enfants mis à la disposition de particuliers
ne cesseront pas d'être sous la surveillance de l'autorité
civile , qui s'assurera : 1.° si les conditions du traité
Ces dispositions bienfaisantes avaient reçu quelques ap70
MERCURE DE FRANCE ,
sont observées ; 2.° si le travail n'est pas forcé ou
disproportionné à l'âge ; 3.º si la nourriture est saine
et suffisante ; 4. ° si les moeurs sont respectées ; 5.º si
l'instruction est convenable , etc.
VII. Tous les traités convenus entre les préfets et
les manufacturiers et propriétaires , ne pourront être
mis à exécution qu'après avoir reçu l'approbation du
ministre de l'intérieur .
En vertu de cet arrêté , un grand nombre d'enfants
abandonnés sont déja placés d'une manière aussi avantageuse
à l'état , qu'ils indemniseront un jour de ses
avancés , que profitable à eux-mêmes.
Ainsi le sort de ces malheureux enfants sera du moins
adouci , et ne peut que s'améliorer de plus en plus . S'il
est de la destinée d'un grand état de renfermer toujours
une classe d'hommes , condamnés dès leur naissance
à ignorer les soins maternels et les tendres caresses
d'un père , du moins le gouvernement doit-il
s'efforcer d'en diminuer le nombre. La révolution les
a multipliés , et longtemps encore la société se ressentira
de l'ébranlement de tous les principes. Mais
enfin le mariage rétabli dans ses droits et son antique
honneur , l'éducation étendue à tous , et bien dirigée ,
les progrès de l'agriculture , le perfectionnement des
arts et la prospérité du commerce , les établissements
d'humanité , et le bien- être , des pauvres ; toutes ces
causes auront chaque jour une influence plus sensible ;
elles rétabliront cet esprit de famille , si bizarrement
calomnié par certains philosophes , qui , vous dispenplications
sous l'ancien régime . Les enfants , placés chez des
artisans de toute espèce , restaient aussi sous la surveillance
de l'administration ; et pour exercer cette surveillance , on
avait créé une place d'inspecteur des apprentis.
Le dernier qui occupa cette place importante , dont le
double objet était de protéger les maîtres contre la légèreté,
la paresse et l'indocilité des apprentis , et les apprentis
contre la dureté , l'avarice , ou l'insouciance des maîtres ,
fut le C. Lambert. Il l'a remplie avec honneur depuis le
19 juin 1784 , jusqu'au 12 juin 1789.
MESSIDOR ANLX 71
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sant d'aimer votre père ou votre enfant , prétendaient
vous inspirer un vif intérêt pour l'habitant de la Chine ,
ou le sauvage de la nouvelle Hollande . Mais les systèmes
passent tôt ou tard , et les lois sacrées de la
nature survivent aux systèmes comme aux révolutions.
La nature et l'hymen , voilà les lois premières ,
Les devoirs , les liens des nations entières ;
Ces lois viennent des Dieux ; le reste est des humains.
Les hôpitaux militaires ont dû fixer plus que jamais
l'attention du gouvernement. Lorsque l'Europe entière
retentissait des exploits de nos armées , ces victoires
mêmes , qui ont coûté tant de sang et de blessures
demandaient que l'on préparât des asiles où nos braves
soldats pussent goûter le repos et réparer leurs forces.
Dans plusieurs villes, on a établi des succursales de l'hôtel
national des Invalides , et leur service a été assuré par
un arrêté du 8 germinal dernier. Quatre hôpitaux maritimes
sont placés à Brest , à Toulon , à Rochefort et
au Port- de-la- Liberté , outre les hôpitaux temporaires
qui , en cas de nécessité , seront momentanément établis
dans d'autres ports. Divers arrêtés ont eu pour but de
prévenir les abus de tout genre ; ils rappellent un monument
précieux d'administration , Pordonnance du
1. janvier 1780 : tout y est prévu , empêché ou réformé.
On a remarqué plus d'une fois que ces anciennes ordonnances
étaient , en général , un trésor de sagesse et
d'expérience. Il est peut- être difficile de faire des règlements
meilleurs . Mais ce qui doit assurer aujourd'hui
T'exécution de ces règlements , ce sont les témoignages
particuliers d'intérêt et de surveillance que Bonaparte
donne aux soldats , comme il leur a donné si souvent
l'exemple de la valeur. Il a visité dernièrement l'hôpital
de la garde consulaire , situé au Gros - Caillou ; il a questionné
les officiers de santé , les malades , le directeur,
et est sorti , content de la manière dont les malades
étaient soignés. Cette noble inquiétude du premier
consul équivaut , pour des soldats français , aux règlements
qui assurent leur bien - être .
er
72 MERCURE
DE FRANCE
,
Un médecin d'une réputation justement méritée .
vient de prononcer sur l'état actuel de l'enfant trouvé
dans les bois de l'Aveyron , et de décider que ce prétendu
sauvage n'est autre chosé qu'un imbécille . Les
changements favorables survenus dans les facultés morales
de ce jeune homme , depuis qu'il a été confié à mes
soins par l'administration des établissements de bienfaisance
, et depuis que le G. Pinél a cessé de le voir ,
ne me permettent pas de partager son opinion , et me
mettent dans le cas d'en énovéer une plus favorable.
Je me propose de la soumettre bientôt à l'examen des
savants et à l'impartialité même du docteur Pinel , en
publiant les faits nouveaux sur lesquels je m'appuie , et
qui composent, en quelque sorte , l'histoire des premiers
développements de la pensée de cet enfant . Quant à
présent , je me borne à assurer que , doué des facultés
de tous les êtres pensants , ce jeune infortuné commence
à donner des preuves d'attention , de mémoire et de
jugement.
ITARD
, (
Médecin de institution des Sourds- Muets,
Tous les journaux ont parle des fêtes données au
comte de Livourne par le ministre des relations extérieures
, par celui de l'intérieur , et par celui de la
guerre.
La première a eu lieu à Neuilly. Un très - beau concert
, dans lequel M.me Scio et M. Grassini ont fait
briller tour à tour des talents égaux , dans un genre
different ; des illuminations de la plus grande magnificence
, représentant le palais Pulli et d'autres monunients
de la ville de Florence ; un souper superbe ,
servi sous des orangers , qui rappelaient au prince le
ciel et les jardins du pays qu'il va gouverner ; tels ont
eté les principaux ornements de la fête. Les arts de
l'esprit en augmentaient l'agrément ; de jolis couplets
et des vers improvisés , faible image de ces productions
singulières qu'enfante si souvent l'imagination
ardente des poètes italiens , ont célébré les destinées
de l'Etrurie. Il paraissait impossible d'ajouter à l'éclat
MESSIDOR AN IX. 73
4
1
mobile et varié des illuminations , des femmes , des
fleurs qu'on trouvait partout , et de donner un caractère
plus aimable à cette fête , tour-à - tour magnifiqué
et champêtre.
Celle du ministre de Pintérieur a été plus particulièrement
la fête des talents et des beaux-arts. La comédie
française y était représentée par Molé , d'Azincourt ,
Caumont, Michaud , M.lles Contat , Devienne , Mars et
Mézeray ; des danses séduisantes étaient exécutées par
Vestris , Gardel , Saint- Amand, Beaulieu, M.mes Gardel
, Clotilde , Chevigny , Chameroy , etc.; la musique
était dirigée par Rey , Kreutzer , Duvernoy, Sallentin
, Xavier Lefebvre , et réunissait à peu près tout ce
que l'opéra et le conservatoire possèdent de plus parfait
. Partout de l'intérêt et de la grace , de l'ordre et de
la variété ; des esquisses de Teniers dans les jardins ;
des tableaux de l'Albane dans les appartements.
me
Le ministre de la guerre , ne pouvant demander aux
arts des efforts plus aimables , a lié sa fête à des sou
venirs plus glorieux . C'était l'anniversaire de la bataille
de Marengo. La galerie , décorée de nos trophées , était
remplie des guerriers à qui nous les devons . Pendant
le soupé , servi sous une tente , au milieu d'on camp
simulé, la g . demi-brigade d'infanterie légère , exécutait
des évolutions militaires au bruit du canon , et
le ballon de l'aeronaute Garnerin traçait dans les airs ,
en caractères de feu , le nom de Marengo . Le bal ,
auquel le roi d'Etrurie a dansé plusieurs contre - danses
avec Mle de Beauharnais et M.lle Lebrun , s'est prolongé
jusqu'à six heures du matin...
0
Le C. Mazéas , né à Landernau , dans la ci - devant
province de Bretagne , au mois de mars 1713 , auteur
d'un ouvrage estimé sur les mathématiques , est mort ,
à Paris , âgé de 88 ans. Cię
Le préfet du département de la Nièvre a pris un ar
rêté , d'après lequel tous les enfants de la patrie qui n'auront
pas eu la variole , seront vaccinés. L'opération sera
confiée aux médecins de chaque hospice . Ils seront tenus
de recueillir leurs observations sur les sujets vaccinés .
Ce mode d'inoculation vient d'être introduit en Espagne .
74 MERCURE DE FRANCE ,
Suivant un arrêté de la consulte législative , du 23
floréal an 9 , la république cisalpine est divisée en douze
départements : Agogna , Lario , Olona , Serio , Mella ,
Alto Pó , Mingio , Crostolo , Panaro , Basso Pô , Reno ,
Rubicone ; chaque département , en districts.
Le total de sa population est de 3,857,668 individus..
Le C. Berard , de Briançon , associé correspondant
de la Société d'agriculture de Paris , auteur de plusieurs
inventions relatives aux arts et aux sciences , possède
un photophore , espèce de lampe , au moyen de laquelle
on peut lire le petit cicero , à plusieurs mètres de diset
qui ne consomme que 4 onces d'huile en 24
heures. On peut voir cette lampe chez l'auteur , rue de
Thionville , n. ° 1840.
tance ,
Le C. Vermeil , jurisconsulte , a été nommé , par le
sénat conservateur , membre du tribunal de cassation
en remplacement du C. Desfongères , décédé.
On avait mis en question la validité du mariage.contracté
par des émigrés , rayés provisoirement et rentrés
en France. Le ministre de l'intérieur a décidé que l'officier
civil ne pouvait refuser de recevoir la déclaration
de mariage d'un citoyen , sous le prétexte qu'il est encore
sous la prévention de l'émigration. Tout ce qu'il
doit faire , c'est de s'assurer si les personnes ont les
qualités requises , et si elles ont rempli les conditions
prescrites par la loi du 29 septembre 1792 .
-
Il paraît une brochure ayant pour titre l'Après diner
de Mousseaux , ou la Défense d'Atala . L'auteur , après
avoir rendu justice aux talents et aux connaissances
du C. Morellet , relève quelques unes des réflexions
critiques sur le roman intitulé Atala. Il prétend que
l'analyse et la grammaire ne suffisent pas pour tout
expliquer ; mais que dans les ouvrages d'imagination ,
le sentiment a souvent décidé , tandis que le raisonnement
cherche en vain des démonstrations . A ce sujet ,
il oppose au critique le plaisir des lecteurs et le succès
de ce petit ouvrage , qui vient d'être traduit en anglais
, en allemand , en italien , et dont la quatrieme
édition se vend chez Migneret , rue Jacob , n.° 1186 .
MESSIDOR AN IX. 75
5
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ne
36
L
STATISTIQUE du département des Hautes-
Alpes *.
ASPECT DU DÉPARTEMENT.
LE département des Hautes-Alpes , hérissé de rochers ,
de glaciers , coupé par une multitude de torrents et
de précipices , n'offre à l'oeil rien que de repoussant.
On conçoit difficilement que des hommes ayent pu se
déterminer à fixer leurs habitations dans ces vallées
profondes et étroites , que le soleil semble éclairer à
regret , et qui , soumises à toutes les rigueurs d'un
climat âpre et variable , dédommagent à peine le cultivateur
de ses sueurs et de ses avances : on évalue
aux deux tiers de la surface du département , ce qui est
occupé par les montagnes , et perdu pour l'agriculture.
Presque tout le reste est composé de couches vegétales
souvent peu profondes , dès lors peu fertiles et
menacées chaque jour par les eaux qui se précipitent
des montagnes.
RIVIÈRES.
Aucune rivière ne porte ici l'abondance en favorisant
le commerce. On n'y voit que des torrents . La
Durance , qui est la plus considérable , inonde quelquefois
les vallées les plus fertiles. Le Drac , les deux
Bruchs , le Sevraïsse , le Romanche , le Guils , produisent
les mêmes ravages , mais sur de moindres
surfaces.
TEMPÉRATURE.
Le vent du nord qui souffle assez constamment dans
ce's vallées , et qui n'y arrive qu'après avoir passé sur
les glaciers et les neiges éternelles qui les environnent ,
accroît la rigueur et la durée des hivers. La neige
séjourne jusqu'à 7 ou 8 mois sur la terre , et alors les
habitants demeurent privés de toute communication .
* Cette statistique vient d'être imprimée à l'imprimerie ,
des sourds et muets , rue et faubourg Saint - Jacques .
7.115.
76 MERCURE DE FRANCE ,
Pendant les autres saisons , la température est très - variable.
Les vents violents , les ouragans , les alternatives
de chaud et de froid dans la même saison , dans la
même journée ; les grêles , qui sont très- fréquentes ,
menacent les récoltes jusqu'au moment de la moisson .
Tous les ans il y a des contrées entières frappées par
quelque fléau de cette espèce .
DIVISION D U TERRITOIRE .
Il n'y a point de villes considérables dans le département
des Hautes- Alpes. Gap , chef - lieu , ne compte
environ que 6000 ames , encore la population s'est - elle
accrue depuis la révolution . Du reste , des maisons mal
bâties et plus mal distribuées , des rues étroites et en-
'combrées de fumiers , un pavé inégal et enfoncé de
toutes parts par les passages fréquents de l'artillerie et
des convois militaires , tel est l'aspect de Gap . Cette
ville , plus considérable avant la guerre de 1692 , pendant
laquelle elle fut incendiée , n'aurait besoin que .
de débouchés et de communications pour prendre un
accroissement sensible .
Embrum, petite ville , était autrefois chef-lieu d'un
archevêché , c'est dife assez que la révolution lui a porté
un coup funeste .
"
La ville de Briançon est peu de chose par elle -même.
Mais ces forts entassés qui dominent toutes les vallées ,
toutes les grandes routes , en font une des principales
clefs de la France . Elle acquiert aujourd'hui plus
d'importance par la démolition des, forteresses d'Italie ,
et en cas de guerre , elle deviendra nécessairement
par la suite , le point de départ des armées , leur
arsenal , l'entrepôt des munitions et des subsistances.
a
Briançon , placé sur un sol ingrat , mais avantageusement
situé pour les communications extérieures ,
toujours eu plus de mouvement , plus d'instruction et
plus d'industrie que toutes les autres villes du département.
Mont-Lyon , autrefois Mont - Dauphin , situé au dé-
'bouché des vallées du Queyras et de Vars , est une
place très-forte par sa situation et par les ouvrages de
l'art. Elle bat les routes d'Embrun et de Briançon , et
serait très - propre à arrêter l'ennemi , s'il parvenait à
MESSIDOR AN IX. 77
tourner ou à emporter de vive force la position de
Tournou.
POPULATION.
D'après des calculs récents et authentiques , la population
du département des Hautes - Alpes s'élève à
118,100 ames. Cette population , plus considérable
qu'autrefois , malgré les pertes de la guerre , tend à le
devenir encore davantage , par les suites de la révolution
. On a suffisamment expliqué comment la division
des propriétés , la plus grande aisance des habitants
des campagnes et par conséquent la plus grande
facilité des mariages , doivent augmenter le nombre
des naissances.
CONSTITUTION DESHABITANT S.
{
Quoique l'on ne compte pas dans ce pays des
exemples remarquables de longévité , les santés y sont
généralement robustes . L'habitant est fort bien conformé
, ses muscles sont prononcés , .son teint peu coloré
et rembruni ; mais plusieurs causes affaiblissent et dé--
truisent même en partie ces principes de santé qu'un
air vif et pur tend à développer avec tant d'avantage,
D'abord l'usage continuel des viandes salées et d'un
pain très -grossier , dans les campagnes , occasionne ou
doit occasionner beaucoup de maladies. Il faut
compter encore la mauvaise distribution des maisons ,
le petit nombre des fenêtres , l'habitude que conserve
l'homme de la campagne , de coucher dans les écu
ries sur des tas de fumier humide , l'usage des corps
de baleine pour les femmes et pour les enfants , la
mal-propreté , la fatigue excessive , et enfin les ignorances
de la médecine , pour toutes sortes d'indispositions
, même celles qui proviennent d'échauffement.
Une ordonnance invariable prescrit des échauffans
sudorifiques , tels que la sauge , la gennépi , le poivre
et le gingembre , infusés dans du vin , etc.
PETITE VÉ ROLE .
On sent que , parmi de tels hommes , l'inoculation
doit trouver peu de partisans. Cette pratique a été
justifiée par de nombreux succès , depuis vingt années
78
MERCURE
DE FRANCE
,
auqu'elle
y a été introduite par le C. Dheralde ,
jourd'hui de Gap. Mais les vieux préjugés sont plus
forts que l'expérience , et la petite vérole continue de
dépeupler des contrées entières. Le nombre des enfants
qu'elle a emportés cette année , dans le Briançonnais ,
est prodigieux .
SAGES · FEMME S.
Il est peu de départements où l'on ne se soit élevé.
contre ces sages - femmes , répandues dans les villages
où elles abusent si cruellement de la confiance qu'elles
ont usurpée. On calculerait difficilement le tort que
ces charlatans femelles font à la population , soit par
le nombre des enfants qu'elles immolent ,
soit par le
nombre des mères qu'elles rendent stériles . Ce qu'il
y a de plus déplorable , c'est que l'habitant des campagnes
, accoutumé à leur pratique meurtrière , les
préfèrent , sans hésiter , à l'accoucheur le plus habile."
Il est temps que la loi vienne au secours de l'humanité
, en assujettissant à des examens et à l'exhibition
de diplomes ceux ou celles qui se livrent à des fonctions
aussi importantes. Un cours d'accouchement dans
chaque chef-lieu de département me paraît indispensable
. Ce voeu sans doute a déja été énoncé par un
grand nombre de préfets.
MALADIES VÉ NÉRIENNE S.
Une autre cause de dépopulation se développe de
plus en plus dans les Hautes-Alpes . Les maladies vénériennes
, presque inconnues avant la guerre , s'y propagent
avec une rapidité effrayante , depuis le passage
et le séjour des armées. Ce fléau qui tue les générations
futures , et qui a déja sensiblement altéré la constitution
robuste des habitants , appelle toute la vigilance de
l'administrateur.
GoÎTRE.
Les habitants du val Gaudemar , de quelques vallées
Briançonnaises , sont sujets au goûtre. Jusqu'à présent
on avait cru trouver la cause de cette difformité dans
la crudité des eaux de neiges , qui n'ont pas eu le
temps de s'imprégner d'air et de se purifier en filtrant
MESSIDOR AN IX. 79
"
dans les terres. Mais il faut nécessairement recourir à
une autre explication , puisque dans certaines communes
, placées à mi - côte et où l'on se sert d'eaux
prises quelquefois au pied des glaciers , l'on ne voit
point de goîtreux , tandis que l'on en voit un grand
nombre dans les villages situés au fond de la vallée
où l'on use des mêmes eaux , mais plus battues et par
conséquent plus pures.
ÉMIGRATION ANNUELLE.
L'extrême rigueur des hivers occasionne dans les
vallées briançonnaises et dans quelques autres contrées
montagneuses , une émigration annuelle. Pendant la
mauvaise saison , il ne reste dans les villages que les
femmes , les enfants et les vieillards . Les hommes ,
dans la force de l'âge , pénètrent dans les départements
méridionaux. Là, ils vivent à force d'industrie
et de travail . Au printemps , ils rapportent , dans
leurs chaumières , quelques épargnes qui aident à
payer les contributions. Ces longues absences
nuisent point à la population . Nulle part les enfants
ne sont aussi nombreux que dans les vallées où elles
ont lieu. On dit que , depuis la révolution , cette émigration
périodique a sensiblement diminué ; il serait à
desirer qu'elle cessât entièrement , et que , pendant
l'hiver , des ateliers , des manufactures , fournissent
aux pères de famille les moyens de subsister dans leur
patrie.
MEUR S.
"
ne
Au milieu de ce climat presque sauvage , on trouve
cependant des moeurs douces et sociales , une teinte
heureuse de caractère. De l'autre côté de la Durance ,
les têtes sont exaltées les vengeances atroces , les
partis furieux ; ici avec la lenteur et l'apathie des esprits
, règne la sagesse et la modération ; les habitants
n'ont vu que de loin , et , pour ainsi dire , du haut de
leurs montagnes , les orages de la révolution . Toujours
ils se sont signalés par de nombreux sacrifices , et leurs
pauvres récoltes ont fourni , plus d'une fois , aux besoius
de nos armées .
On ne voit point parmi eux de citoyens opulents . On
n'en trouve même que très -peu qui vivent seulement dans
80 MERCURE DE FRANCE,
l'aisance . Au reste , leurs besoins sont aussi bornés que
leurs ressources.-Leur vie simple et patriarchale garantit
le respect des propriétés et la tranquillité publique . Il
est rare que la justice ait à frapper quelques coupables.
Depuis six mois deux assassinats ont été commis , et on
les cite avec effroi , comme une chose sans éxemple ,
depuis un temps immémorial.
Les vieillards du Briançonnais se souviennent encore
du temps où les portes , sans serrures , laissaient les
maisons sous la sauvegarde de la foi publique . Mais
depuis le passage et le séjour des troupes , la confiance
a disparu avec la bonne - foi .
AGRICULTURE.
Dans un pays hérissé de rochers , où la température
change d'une vallée à l'autre , suivant la position des
montagnes et la direction des vents , la qualité et la
fertilite du sol doivent nécessairement varier. Aussi
vers le nord , les terres sont généralement plus légères ,
quelquefois le rocher se trouve à deux ou trois pouces
de profondeur. Ailleurs , les terres sont fortes , glaiseuses
, tandis que plus loin elles ne sont qu'un mélange
de cailloux et d'un peu de sable . Ces différences
essentielles devraient en amener dans la manière de
cultiver. Elle est cependant uniforme pour tout le département.
On n'a pu encore déterminer les habitants
à substituer , dans les lieux qui en sont susceptibles ,
la grande charrue ou du moins l'araire à une petite
pointe de fer qui ne fait qu'effleurer la surface de la
terre , et ne prépare à la semence qu'une couche déja
épuisée.
PRAIRIES ARTIFICIELLES.
Les prairies artificielles sont presque inconnues ,
quoique plusieurs expériences en aient démontré les
avantages. La chicorée sauvage , si productive et l'un
des meilleurs fourrages , abonde dans ce pays , et il ne
s'agirait que de la caltiver. Le colza et le turneps n'y
réussiraient pas moins ; toutes ces differentes cultures
permettraient aux laboureurs de réserver à d'autres
usages la paille qu'ils mêlent avec le foin , pour la
nourriture du bétail. D'ailleurs , les prairies artificielles ,
en augmentant les fourrages , contribueraient à la
multiplication des troupeaux , et par conséquent à la
prospérité de la ferme.
‹( N.º XXVI. ) ´ 16 Messidor An o
DEPT
MERCURE
DE FRANCE
LITTÉRATURE.
ཏི ཝེ
TRADUCTION de la fin du second livre des
Géorgiques de VIRGILE , depuis le 458. vers
jusqu'au 542.°
e
HEUREUX le laboureur s'il connaît ses richesses !
Voyez comme la terre , en ses justes largesses s
Loin du bruit , des combats , lui verse à tout moment , 1
De son sein libéral un facile aliment .
Si , dans de longs parvis que les arts enrichissent ,
Les cliens , dont les flots sans relâche grossissent ,
Ne vont point au matin saluer sa faveur jumal ardın
Si de hauts lambris d'or , tout pleins de sa grandeur ,
N'étalent point aux yeux errans dans leur enceinte ,
Les tapis de la Perse et l'airain de Corinthe ;
Si sa laine à Sidon n'est point teinte à grands frais ;
Si , pour flatter son goût , il ne mêle jamais
La canelle odorante aux flói's purs de l'olive ; .
Du moins , riche des biens qu'en ses champs il cultive ,
Sa vie a des plaisirs qui ne l'ont pas trompé :-
L'innocence , la paix les grottes de Tempé
De limpides viviers , quélqué forêt prochaine , ´
Le facile sommeil qu'il trouve au pied dan chêne ,
Et le boeuf mugissant , et les bois et les prés.
5
6
82 MERCURE DE FRANCE ,
1
Ici , comme les Dieux , les pères sont sacrés ;
La frugale jeunesse aux travaux est instruite ;
C'est dans les champs qu'Astrée , au moment de sa fuite ,
Prête à revoir les cieux , fit son dernier séjour.
O charme de ma vie , et mon premier amour !
Muses ! à tous les biens , c'est vous que je préfère .
Révélez- moi d'abord quelle force étrangère
Soulève l'océan , le rabaisse à grand bruit ,
Ebranle au loin la terre , ou cache dans la nuit ,
Et la lune en travail , et le soleil livide ;
Comment ces globes d'or se meuvent dans le vide ,
Pourquoi des promptes nuits l'été borne le cours ,
Et pourquoi de l'hiver les soleils sont si courts .
MAIS si mon sang trop froid à de tels voeux s'oppose ,
Ah ! qu'au fond des forêts , sans gloire , je repose !
Je n'aimerai que vous ', vallons , grottes , ruisseaux !
Taiëte , o porte-moi sur ces riants coteaux ,
Où les vierges de Sparte , à grands cris rassemblées
Le thyrse dans les mains dansent échevelées !
Puissé-je , ô Sperchius , fouler tes bords fleuris !
Sombre Hémus , ouvre - moi tes verdoyants abris !
O ! qu'en tes frais vallons , qu'en tes bois je m'arrête ,
Et qu'un ombrage épais protège au loin ma tête!
HEUREUX qui , pénétrant les lois de l'univers,
Foule à ses pieds le sort , la peur et les enfers , 127
Et Cerbere , et le bruit de l'Achéron avare.
Mais trop heureux aussi qui , dans les bois s'égare ,
Suit , adore les Dieux , protecteurs du berger ,
Pan et le vieux Sylvain , et le faupe léger ,,
Et leurs aimables soeurs , les Dryades champêtres .
Ni le choc , des états prêts à changer de maîtres ,
MESSIDOR AN I X. 83
Ni l'orgueil des faisceaux , ni l'homicide fer ,
Ni le Dace accouru des rives de l'Ister ,
Ni les frères armés par l'implacable Envie ,
Ni la chute des rois n'ont altéré sa vie.
L'aspect de l'indigent n'attriste point ses yeux ,
Et des trésors du riche il n'est point envieux.
Il cueille en paix les fruits que son terrain lui donne
Ou que l'arbre en été de lui -même abandonne .
Il ignore nos lois , les comices , nos moeurs ,
Et le vaste forum plein de folles clameurs .
1
D'AUTRES fendent les mers d'abîmes parsemées ,
Pénètrent dans les cours , volent dans les armées.
Ici le fer en main , le vainqueur furieux
Du foyer des vaincus exilant tous les Dieux ,
Renverse le cités pour boire dans l'Opale ,
Et fouler dans son lit la pourpre orientale .
L'avare aime à couver son trésor enfoui ,
Des palmes de la scène un autre est ébloui ,
Et celui -ci , du peuple implorant les suffrages
Ose de la tribune affronter les orages .
Le frère immole un frère , et , loin de son berceau
Sous un autre soleil va chercher un tombeau.
LE laboureur , suivant sa tâche fortunée ,
Fend le sein de la terre , et nourrit chaque année
L'état , les jeunes fils que forment ses leçons ,
Et le boeuf qui mérite une part des moissons .
Les mois , en ramenant ses trésors et ses peines ,
Fécondent son verger , son étable , ses plaines.
Nul repos , jusqu'aux jours où ses grains rassemblés
Font gémir sous leur poids ses greniers accablés.
L'ÉTÉ fuit : son pressoir dans les jours de l'automne ,
84
MERCURE
DE
FRANCE
,
Distille en gouttes d'or l'huile de Sicyone .
Ses bois chargent sa main de leurs fruits variés ;'
Le gland a réjoui ses porcs rassasiés ,
Et sur la roche enfin de pampres embellie ,
La chaleur du soleil cuit la grappe amollie.
Cependant de ses fils , il voit le doux essaim
Se suspendre à sa bouche , à ses bras , à son sein .
La paix et la pudeur gardent son chaste asyle ;.
D'intarissables flots son lait blanchit l'argile ;
La génisse l'apporte , et ses chevreaux heureux ,
En opposant leurs dards , déja luttent entre eux .
Lui-même , avec les siens , suivant les moeurs antiques ,
Autour du feu , sur l'herbe , en des fêtes rustiques ,
Boit , et t'offre , ô Bacchus , en chantant tés faveurs ,
La coupe aux bords rougis , et couronnés de fleurs.
A la lutte invités ses pasteurs se saisissent ;
Dans ce rustique jeù leurs corps nus s'endurcissent ,
Et , courbé sous leurs mains , l'arc en des jeux plus doux ,
Doit atteindre l'ormeau qu'il désigne à leurs coups.
Tels vivaient , en guidant le soc héréditaire , '
Les vieux Sabins , le Volsque , et Remus et son frère ,
Et du monde soumis , étonnant les regards ,
Rome ainsi renferma sept monts dans ses remparts , etc.
Par un abonné. T
FABLE.
LA ROSE.
MA Soeur A soeur, qu'avez-vous done ? Vous répandez des pleurs,
Disait la Tulipe à la Rose.
--
Ah ! c'est avec trop juste cause ;
Apprenez quels sont mes malheurs,
MESSIDOR AN IX. 85
J'aimais un Papillon , brillant , jeune , adorable ;
Lui - même il me trouvait aimable ;
Me le disait du moins , et de l'accent du coeur.
O dieux ! qu'il était enchanteur ,
Quand , reposant son vol sur ma tige flexible ,
Soumis , il me jurait une éternelle ardeur !
Eh bien le croirez - vous , ma soeur ?
Il m'abandonne , le volage ;
La Jonquille aux pâles couleurs.
Est le bef objet qui l'engage.
Ah! tous ils sont de même , inconstants et trompeurs ;
J'y renonce l'amour m'a trop causé de peines ;
J'abjure pour jamais son empire et ses chaînes,
Elle exhalait ainsi ses mortelles douleurs.
Un de ces étourdis paraît , s'approche d'elle ;
Avec transport il s'écria :
Que vous êtes charmante et belle !
A ces mots , la Rose oublia y
Qu'un Papillon est infidelle .
GRENUS.
86 MERCURE DE FRANCE ;
ENIGM E.
Voyageuse de mon métier ,
Je parcours la plaine azurée.
L'espèce dont je suis peut se glorifier
De toutes les couleurs dont Iris est parée.
Souvent arrêtée en mon cours ,
Je tombe en des mains sanguinaires
Qui me forcent encor de prêter mon secours
A l'assassinat de mes pères .
Que de biens ! que de maux je procure aux humains !
Ministre du public et celui du mystère ,
Je travaille de toutes mains ,
Et , sans parler , je sais ne me pas taire.
LOGO GRIPHE.
Pour aller me trouver , il faut plus que des pieds ,
Et souvent en chemin on dit sa patenôtre ;
Mon tout est séparé d'une de ses moitiés ,
La moitié de mon tout sert à mesurer l'autre .
Mots de l'Enigme et du Logogriphe insérés
dans le dernier Numéro.
Le mot du logogriphe , est crochet , où l'on trouve
rochet , roche , croche , Roch , стос › roc.
Le mot de l'énigme , est mort.
MESSIDOR AN IX. 87
ODES D'AN ACREON , traduites enfrançais,
avec le texte grec , la version latine , des notes
critiques , et un discours sur la musique
grecque , par J. B. GAIL , professeur de
littérature grecque au collège de France.
Nouvelle édition , ornée d'estampes et d'odes
grecques , mises en musique , par Méhul et
Chérubini. De l'imprimerie de Didot l'aîné
à Paris.
ILL est peut-être plus facile d'être le rival d'Anacréon
que son traducteur. Dans tous les temps ,
des esprits aimables , au milieu du délire de l'amour
et des festins , trouvèrent quelques-uns de
ces chants qui ont rendu le poète grec immortel .
Voyez Chaulieu s'asseoir aux banquets du temple ,
entre M.me Lassay et M. de Bouillon . Entendezle
chanter le verre à la main , et dire à sa maîtresse :
me
A l'envi de tes yeux : ô ! comme ce vin brille !
Viens m'en verser , Philis , et noyer de ta main ,
Dans sa mousse qui pétille ,
Les soucis du lendemain .
Qu'importe que la vieillesse
Vers moi s'avance à grand pas ,
Quand Epicure et Lucrèce
M'ont appris que la sagesse
Veut, qu'au sortir d'un repas
Ou des bras de sa maîtresse ,
Content , l'on aille là-bas ?
.88 MERCURE DE FRANCE ,
Pour moi , qui crois telles choses
Conformes à la raison ;
Je veux , couronné de roses '
Rendre visite à Pluton .
Je vois , d'un ceil sec , la Parque
Qui commence à se lasser ,
Et Caron fréter la barque
A Qui va bientôt me passer.
Lisez ces stances charmantes , où Voltaire a mis
tant de grace , de sentiment et de mélodie.
Si vous voulez que j'aime encore ,
Rendez -moi l'âge des Amours ;
Au crépuscule de mes jours ,
Rejoignez , s'il se peut , l'aurore .
Des beaux lieux , où le Dieu du vin
Avec l'Amour tient son empire ,
Le Temps , qui me prend par la main,
'M'avertit que je me retire .
Il est certain qu'en composant des vers semblables,
Chaulieu et Voltaire reproduisaient tout le génie
d'Anacréoni Mais s'ils ont chanté comme lui , c'est
qu'ils étaient animés d'un enthousiasme aussi doux .
La même Muse , en quelque sorte , avait monté
leur lyre et dictait leurs vers . Il est rare que les traducteurs
ayent le même avantage . Toute traduction
exige un peu d'effort . Rendra -t- elle , avec
vérité , ces chansons du plaisir qui doivent être
faites de verve , et s'échapper au sein de la joie ?
S'il faut cueillir ces fleurs , c'est d'une main légère ;
On flétrit aisément leur beauté passagere.
On n'ignore pas que ces fleurs ont été quelqueMESSIDOR
AN IX. 89
fois touchées par des mains un peu pesantes. La
grace vaut mieux ici que la science ; et toute l'éru
dition des plus graves hellénistes , tous les travaux
du savant Lefebvre et du respectable Dacier , sont
moins près d'Anacréon que la folie de Chapelle
et l'oisiveté de Desyveteaux.
Heureusement cette observation ne peut s'ap
pliquer au C. Gail . Il a senti son modèle ; sa traduction
, si on en, excepte quelques négligences
déja relevées , est correcte , pure , élégante . Mais ,
en dépit de tous les efforts , on ne peut faire passer
dans la prose la mieux travaillée des beautés aussi
délicates que celles d'Anacréon . Il faut un La Fontaine
, ou du moins un Chaulieu , pour les transporter
dans notre langue avec succès. On se
rappelle l'heureuse imitation que le premier a faite
de la troisième ode intitulée : 'Amour mouillé.
Il ne sera pas inutile de rapprocher des vers de
La Fontaine la prose du nouveau traducteur. La
Voici : .
«
«<
Naguères , tandis que l'Ourse tourne près de
<< la main du Bouvier , vers le milieu de la nuit ,
<< temps où reposent les mortels fatigués des travaux
du jour , l'Amour survenant tout-à - coup ,
<< heurte à ma porte . Qui frappe ? m'écriai-je ;
qui vient troubler mon songe ? -Ouvre , répond
<< l'Amour , ne crains pas ; je suis un petit enfant ,
« je suis mouillé ; il n'y a pas de lune , j'erre dans
<< les ténèbres. Je l'entendis , j'eus pitié de lui . Ma
lampe rallumée , je vois un petit enfant ailé ,
qui avait un arc et un carquois. Je l'assieds près
<< du feu ; je rechauffe ses petits doigts dans mes
<< mains , je lui presse les cheveux , je les essuye.
«
«<
90 MERCURE DE FRANCE ,
«<<
« Cà , dit-il , dès qu'il fut réchauffé : essayons si la
pluie n'aurait point un peu gâté la corde de cet
<< arc. Il le tend , et me lance un trait rapide qui
<< me perce. Puis , sautant et riant aux éclats , il
<< me dit Adieu , mon hôte ; mon arc est en
« bon état , mais je crois ton coeur bien ma-
<< lade. »
Cette version , sans doute , est bien inférieure
à l'imitation de La Fontaine , et rien , dans ce jugement
, ne peut humilier le C. Gail : il en conviendra
lui -même. Ce qui peut d'ailleurs le consoler,
c'est que La Fontaine est préférable à l'original luimême.
Il a mis , ce me semble , dans son récit , des
circonstances plus naïves.
se nomme.
Ouvrez , dit-il , je suis nu ;
Moi , charitable et bon - homme ,
J'ouvre au pauvre morfondu ,
Et m'enquiers , comme il
Je te le dirai tantôt ,
Repartit-il , car il faut
Qu'auparavant je m'essuie ;
J'allume aussitôt du feu .
Il regarde si la pluie
N'a point gâté quelque peu
Un arc dont je me méfie .
Ce dernier vers contient un trait charmant, qui
n'est point dans le poète ancien , non plus que ces
vers dont l'expression simple et naturelle est toutà-
fait propre à La Fontaine :
Moi , charitable et bon- homme ,
J'ouvre au pauvre morfondu , etc.
MESSIDOR AN IX. 91
qui
ces
Dut-
Tout ce qu'ajoute le poète français , donne un
nouveau charme à ce petit tableau .
Je dis pourquoi craindre tant ?
Que peut-il ? C'est un enfant.
Ma couardise est extrême
D'avoir eu le moindre effroi ;
Que serait- ce si chez moi
J'avais reçu Polyphème?
Ces réflexions sur la faiblesse de l'enfant ne sont
point dans l'original et n'en ont pas moins d'agrément.
Il me semble aussi que la dernière image
a plus d'effet dans La Fontaine :
L'enfant , d'un air enjoué ,
Ayant un peu secoué
Les pièces de son armure
Et sa blonde chevelure ,
Prend un trait , un trait vainqueur ,
Qu'il me lance au fond du coeur.
Amour fit une gambade ,
Et le petit scélérat
Me dit Pauvre camarade ,
Mon arc est en bon état ;
Mais ton coeur est bien malade.
Cette attitude de l'amour , qui , prêt à lancer
le trait , secoue les pieces de son armure et ses
blonds cheveux , n'est-elle pas plus pittoresque et
plus gracieuse dans l'imitateur que dans le modèle
?
Au reste , le fond des idées d'Anacréon est nécessairement
peu varié . Elles tirent tout leur prix
92 MERCURE
DE FRANCE
,
de l'élégance du style et de l'expression vraie
de la joie. Il chante tour- à-tour la rose qui couronne
ses cheveux , la colombe qui porte ses messages
à la jeune fille qu'il aime , et sa coupe autour
de laquelle serpente une vigne ou l'écharpe
de Vénus ; c'est- là tout le sujet de ses odes , et
quelques strophes ont suffi pour éterniser sa gloire .
On exigerait plus aujourd'hui . Les images de ce
poète ont été trop employées de siècle en siécle
dans les vers qui portent son nom , pour n'être
pas devenues un peu vulgaires. Ce n'est point
en les répétant qu'on l'égalera . Il faut vivre , sentir
, être inspiré comme lui ; et c'est - là ce qui
manque en général aux poètes qu'on nomme
anacreontiques
n'a
Ce genre , comme tous les jeux de l'imagination ,
que des moments , et s'épuise vite. C'est pourquoi
J. B. Rousseau disait , en parlant de Gresset ,
je voudrais , qu'après avoir usé les pinceaux
d'Anacreon , il employât ceux de Virgile. Cependant
le même Rousseau a pris dans Anacréon ,
le sujet d'une de ses plus belles cantates après
celle de Circé . C'est la cantate des Forges de
Lemnos , imitée de l'ode 45. d'Anacréon .
me.
Voyons d'abord comme le C. Gail l'a traduite :
« Aux antres de Lemnos , l'époux de Vénus forgeait
avec l'acier les flèches de l'Amour ; Cypris
en trempait dans du miel la pointe acérée ;
Cupidon y mêlait du fiel . Mars un jour revenait
des combats , brandissant sa redoutable
<« lance , et parlant de ces traits avec dédain :
« tiens , lui dit Cupidon , celui - ci est - il perçant ?
Juges en par expérience . Mars prend le trait ;
Cypris sourit. Oh ! oui , bien percent , dit Mars ,
«
«
*
«
MESSIDOR AN IX; 93
x
ès
le
n.
e :
or-
Cye
;
veble
in :
nt?
ait ;
ars ,
« avec un gémissement . Reprends , reprends .
« -
Garde , répliqua l'Amour .»
Lisons maintenant Rousseau" :
Aux antres de Lemnos , où Vulcain , nuit et jour ,
Forge de Jupiter les foudroyantes armes ,
Vénus faisait remplir le carquois de l'amour ;
Les Grâces , les Plaisirs lui prêtaient tous leurs charmes,
Et son époux , couvert de feux étincelants ,
Animait en ces mots les Cyclopes brûlants.
Travaillons , Vénus nous l'ordonne ,
Excitons ces feux allumés :
Déchaînons ces vents enfermés ;
Que la flamme nous environne;
Que l'airain écume et bouillonne ;
Que mille dards en soient formés ;
Que , sous nos marteaux enflammés ,
A grand bruit , l'enclume résonne .
C'est ainsi que Vulcain , par l'Amour excité ,
Armait contre lui - même une épouse volage ,
Quand le Dieu Mars , encor tout fumant de carnage ,
Arrive , l'oeil en feu , le bras ensanglanté ,
Que faites-vous , dit - il , de ces armes fragiles ,
Fils de Junon , et vous , Calybes assembles ?
Est- ce pour amuser des enfants inutiles
(
Que cet antre gémit de vos coups redoublés ?
Mais , tandis qu'il s'emporte - en des fureurs si vaines ,
Il se sent tout - à coup frappé d'un trait vengeur.
etc. , etc. , etc.
79
Le récit de Rousseau est , comme on voit ,
plus riche et plus animé. C'est avec l'harmonie
et l'expression de Virgile , qu'il a lutte contre les
graces d'Anacréon.
94 MERCURE DE FRANCE ,
Ces vers admirables ,
Que l'airain écume et bouillonne ;
Que , sous nos marteaux enflammés ,
A grand bruit , l'enclume résonne .
rappellent ceux de Virgile , et ne leur sont point
inférieurs.
Illi inter sese magnâ vi brachia tollunt
In' numerum versant que tenaci forcipe ferrum.
L'exemple de Rousseau et de La Fontaine apprend
comme il faut imiter les anciens , et comme
on peut les embellir.
Tous les amis de la littérature grecque doivent
de la reconnaissance au C. Gail . Il est un
de nos plus laborieux hellénistes ; il joint le
mérite d'un style pur à celui de l'érudition . Ses
notes sont instructives .
Cette édition , très-soignée , sort des presses de
Didot l'aîné. Le luxe de la typographie et de la
gravure ne peut être mieux employé qu'à l'ornement
d'un poète , dont le nom revient après
deux mille ans au milieu de toutes les fêtes de
l'Amour et de la Volupté.
D.
1
MESSIDOR AN IX. 95
{
A visible display of Divine Providence ; or , the
journal of a captured missionary , etc. , etc.
Journal d'un missionnaire , destiné pour
la mer Pacifique , fait prisonnier dans le
second voyage du vaisseau le Duff , commandé
par le capitaine Thomas Robson
pris , à la hauteur du cap Frid , par le
Grand-Bonaparte , vaisseau armé en course ,
commandé par le capitaine Auguste Carbonel
, le 19 février 1799 ; par William
Gregory , un des missionnaires ; un vol in-8.º ,
avec des gravures.
CET ouvrage anglais aurait plus d'un titre pour être
traduit dans notre langue , et il le mériterait de préférence
à tous ces romans insipides et monstrueux ,`
qui , en concurrence avec les nôtres , et avec une déplorable
fécondité , fournissent au désoeuvrement tant
de lectures frivoles ou nuisibles . Le faire connaître
c'est peut-être l'indiquer à quelqu'un de ceux qui se
livrent à ces entreprises. Du moins la mention qui en
sera faite ici empêchera que les faits intéressants qu'il
contient demeurent entièrement ignorés parmi nous . Je
crois que nous aurions trop à y perdre.
Le 13 décembre 1798 , le vaisseau le Duff fit voile
de Portsmouth pour les îles de la mer du Sud. L'objet
de son voyage était d'y transporter et d'y déposer
trente missionnaires évangéliques. Parmi eux , il y en
avait dix qui emmenaient leurs femmes et leurs enfans.
Ceux-ci étaient au nombre de sept , et quelques-unes
des femmes étaient enceintes.
96
MERCURE
DE
FRANCE
,
9
Le motif d'une pareille expédition de la part des
Anglais et au nom de la religion protestante , inspire
d'abord quelque surprise. On n'est pas accoutumé à
voir cette nation courir les mers dans de telles intentions
, ni à trouver le prosélytisme au nombre des
caractères de la religion réformée . Cependant on ne
doit pas ignorer que dans le nombre des sectes si
multipliées des non - conformistes , il y en a de trèszélées
; et que dans quelques- uns des Etats-Unis de
l'Amérique , à la formation desquels des motifs religieux
ont eu tant de part , il existe des établissements
publics pour la propagation de l'évangile , parmi les
peuplades des sauvages. Ce voyage du Duff était le
second qu'il faisait à la mer du Sud pour le même
objet. On voit dans l'ouvrage , qu'il s'est formé à
Londres , sous la dénomination de Société des missionnaires
, un établissement presque semblable à celui
qui exista longtemps parmi nous , sous celle de
Missions étrangères. On peut donc appliquer , aussi
aux Anglais ces vers de Voltaire , dans la tragédie ,
d'Alzire, touchant les Espagnols :
T
Tous ces conquérants ,
Ainsi que tu le crois , ne sont pas des tyrans.
Il en est que le ciel guida dans cet empire ,
Moins pour nous conquérir qu'afin de nous instruire ;
Qui nous ont apporté de nouvelles vertus ,
Des secrets immortels et des arts inconnus ,
La science de l'homme , un grand exemple à suivre ,
Enfin l'art d'être heureux , de penser et de vivre .
11.49
1-99
162 99
Il ne faut pas que des préventions , auxquelles ont
donné lieu quelques relations exagérées ou romanes ,,
ques des premieres découvertés des îles de la mer
Pacifique , nous portent légèrement à jeter du blâme,
MESSIDOR AN IX 197
sur de semblables expéditions. On ne se persuadera pas
que ces peuplades ne peuvent tirer aucune utilité des
moeurs et des exemples que leur portent ces missionnaires.
Ce serait renouveler la question de la barbarie et
de la civilisation , bonne tout au plus à fournir des traits
à l'indignation du satirique , des figures à la véhémence
de l'orat cur , et des raisons à la folie du misanthrope ;
mais indigne de la philosophie , qui doit rougir qu'on
l'ait sérieusement agitée en son nom . Peut- on douter
que le système social de ces peuples ne puisse être
perfectionné par l'exemple du nótre ? Qu'on ouvre les
voyages de Cook et ceux des navigateurs qui l'ont
suivi , on y verra que les sacrifices humains s'y renouvellent
fréquemment. Si Gélon mérita tant de
gloire pour avoir exigé la suppression de cette abominable
coutume en accordant la paix à Carthage ,
comment pourrait - on refuser de l'estime et de l'interêt
à des entreprises qui ont la même fin , et dans
lesquelles on s'engage à travers des périls de tout
genre , sans autres armes que celles de la persuasion
et sans autre ambition que le triomphe de
l'humanité ? La gloire et la fortune , ces mobiles de
la plupart des entreprises difficiles , sont, remplacées
ici par des motifs et des espérances qui ont leur source
dans des idées religieuses. Osera - t - on en affaiblir
l'importance et en rabaisser la valeur ? Montesquieu ,
Reynal lui - même et d'autres philosophes, nous ont
appris que l'Europe doit à la religion une grande
partie des conquêtes de la civilisation. Il faut , l'avouer
; depuis les chants orphiques jusqu'aux chants
chrétiens , depuis les instituteurs des Pelasges jusqu'aux
apôtres de la Germanie, et des Gaules , c'est
toujours un culte qui a chassé la barbarie . Ainsi a
commencé toute civilisation , à Jove, principium ; et
l'on peut mettre en doute s'il y aurait eu parmi les
7.
"
5
°
Bayerische
Simatsbibinyak
München
98 MERCURE DE FRANCE ,
hommes des institutions véritablement sociales , des
lois de propriété , et , à leur suite , de l'industrie , du
commerce , des arts et de la philosophie , si avant
tout il n'y avait eu des religions . A cette vérité historique
, tellement incontestable , qu'on la trouve à
P'origine de toutes les histoires et qu'elle en est le premier
fait , se rattache une foule de questions sociales
et religieuses de la plus haute importance . Le
principe religieux , après avoir donné l'existence à la
société , est - il nécessaire à sa conservation et à sa
durée , ou peut - il y devenir indifférent ? La pierre
fondamentale des sociétés peut - elle être brisée impunément
quand l'édifice est élevé ? ………
De telles questions
sont belles , grandes et utiles ; on s'afflige de ne
pouvoir les discuter philosophiquement sans allumer les
passions , envenimer les haines et exciter l'inquiétude.
?
Je reviens à la relation du voyage . Peu d'incidents
étaient survenus dans son cours , pendant une navigation
d'environ deux mois , lorsque , aux approches
de Rio-Janeiro , où le Duff devait relâcher , il fit la
rencontre d'un corsaire français , qui croisait dans ces
parages , le Grand-Bonaparte , capitaine Carbonel , qui
s'en empara sans obstacle. On peut juger des craintes.
et de la désolation des missionnaires , des femmes
des enfants , tombés au pouvoir d'un corsaire français .
On plaint ces infortunés , en songeant combien , à
cette époque de la puissance du directoire exécutif,
le caractère de prêtre , et la profession d'homme religieux
étaient une mauvaise recommandation ! Mais
bientôt on est rassuré. La générosité , l'humanité françaises
étaient alors représentées au milieu des mers ,
et le bâtiment d'un corsaire en était l'asile . Dans tout
le cours de ce récit , on est agréablement ému des
procédés humains et même des égards touchants du
capitaine français , et de l'effusion de reconnaissance.
*
erloai¬ays@
Ja:Buididāt
nentM
MESSIDOR AN IX.
99
avec laquelle ils sont rapportés par l'écrivain anglais .
Le capitaine Carbonel , après la capture qu'il fit du
Duff, voulant continuer quelque temps encore sa
croisière , expédia sa prise , avec les femmes et les
enfants , pour Monte Video , établissement espagnol ,
et retint les hommes à son bord . Cette séparation fut
très - douloureuse pour des femmes , des maris , des
enfants. Celui qui écrit la relation se vit séparé , par
cette mesure, de sa femme enceinte et déja très-avancée
dans sa grossesse , et de trois petits enfants. Il raconte
cette circonstance de la manière la plus naïve , et on
s'attendrit en le lisant . Mais bientôt c'est le capitaine
français qui produit ce sentiment , lorsqu'il exp ime
ses regrets de la conduite qu'il est obligé de tenir . Ici ,
je dois traduire l'auteur et le laisser parler lui -même :
Le capitaine français , lorsqu'il eut entendu la lec
ture des instructions des directeurs de la mission
parut excessivement touché de notre malheur . Il
dit que s'il avait su qui nous étions , et dans
quelle oeuvre nons étions engagés , plutôt que de
s'emparer de nous , il eût mieux aimé donner 500 louis
• de son argent propre. Mais , qu'actuellement , les
lois de son pays , ses officiers , son équipage le forçaient
d'en agir comme il faisait . Il nous assura que
« les femmes et les enfants seraient parfaitement
bien traités , vu que les officiers qu'il avait mis à
bord de la prise étaient des hommes fermes et
« honnêtes dont il répondait ; qu'il était fâché d'avoir
séparé les maris de leurs femmes , ce qu il n'aurait
« pas fait , s'il eût été informé de ce qu'il venait d'apprendre
; mais que , dans chaque prise qu'il ferait
"
K
R
« après celle du Duff, il les mettrait à bord , et les
- enverrait à la même destination.
3
邀
On voit par la suite de la relation , que le capitaine
tint avec exactitude tout ce qu'il avait promis.
1
100 MERCURE DE FRANCE ,
f On voit aussi qu'il avait su composer son équipage
d'officiers dignes de lui. Adcun des traits qui les
honorent n'est omis dans l'ouvrage ; et ils sont nom→
breux. Tantôt on les trouve faisant restituer, aux passagers
, avec une juste rigueur , les effets qui leur ont
été enlevés ; quelques hommes de l'équipage étaient
prêts à se porter à des outrages contre une dés prisonnières
un officier s'oppose seul , avec intrépidité , à
deur violence ; il emploie la force et l'autorité , protége
et punit avec bienséance , justice et valeur. On dirait
un corsaire monté par des chevaliers.
"
-
J'omets à regret un grand nombre de particularités
intéressantes . Je dirai seulement qu'après une croisière
heureusement terminée par la capture de plusieurs bâti
ments portugais, le Bonaparte se rendit, à son tour, dans
la rivière de la Plata . Il s'y réunit à toutes ses prises , et
retrouva la mission , à laqiielle'il fut encore d'une grande
utilité. Le commandant espagnol , obéissant à des ordres
supérieurs , se refusait à laisser mettre à terre des étran²
gers d'uné nation ennemies Renfermés en grand nombre
et sons un climat brûlant , dans l'étroit espace d'un
navireils y éprouvaient beaucoup d'incommodités.
Les représentations du capitaine , soǹ humanité , son
industrie , triomphèrent de tous les obstacles . Les
femmes , les enfants et même un assez grand nombre
de missionnaires furent , par ses soins , mis à terre et
obinrentles agréments qu'il fat en son pouvoir de leur
procurer. M. Jones et M. Gregory accouchèrent ;
il faut lite dans l'ouvrage avec quelle joie le bon mis
sionimire , devenu pere , obtint , et toujours par l'intervention
du capitaine , la liberté de baptiser avec
solennité son enfant , selon le rit de son église. H
raconte tous les détails de cette cérémonie avec une
naïve satisfaction qui se conanunique. L'enfant est
présenté par le capitaine et plus d'un lecteur aimerà
me
"
TMESSI DOREAN SIX. ΤΟΥ
a
་ ་
,,,
peut-être , ainsi que moi , à se représenter un capitaine
, corsaire français , s'alliant , en quelque sorte
par les liens du compérage , avec un prêtre anglais
sur les bords de la Plata , en présence , ainsi qu'il est
consigné dans l'ouvrage , « d'Européens ,, d'Africains ,
d d'Américains , de sentiments opposés et de cultes
différents ; catholiques - romains , infidelles et protestants
, choisis parmi toutes les nations du globe , de
France , d'Espagne , d'Angleterre , d'Afrique , du
nord et du sud de l'Amérique. -Tous les étrangers
présents à la cérémonie , ajoute l'auteur , s'y mon-
« trèrent très - attentifs , se comportèrent avec la plus
grande décence pendant toute la durée du service ;
« et , me remerciant de la faveur que je leur avais
faite , il's me priren't tous la main avec attendrisse-
" ment , et je la leur serai ayée émotion . En, même
temps leur visage exprimait la joie et lá satisfaction
« la plus vive ; enfin , ils se retirerent parfaitement
contents . Ma femme ayant quvert un cornet de
papier que lui ' avait donné le capitaine Carbonel , y
« trouva des bombons pour notre enfant , et au fond
deux portugaises d'or en présent pour le jeune étranger.
Nous ne nous en aperçumes qu'après qu'il nous
" eut laissés.
་ ་
«
་ ་
"
--
"
{
T
2
?
J'abrége les détails , et je me borne à dire que le capitaine
Carbonel se prêtant à tous les arrangements compatibles
avec les circonstances et ses devoirs , ayant réglé
avec le capitaine de la prise les conditions d'échange
et de cartel , l'autorisa à se procurer un bâtiment pour
se rendre en cette qualité à Rió - Janelio. Les missionnaires
se flattaient d'y trouver les moyens de poursuivre
leur voyage et de se rendre à leur destination .
Mais étant tombés dans une flotte portugaise qui se
rendait en Europe , le bâtiment qui les portait fut
condamné comme n'étant pas en règle. Devenus alors
102 MERCURE DE FRANCE ,
en quelque sorte prisonniers de leurs alliés , ils eurent
à regretter les traitements qu'ils avaient trouvés sur
un corsaire ennemi . La suite de la relation ne contient
plus que l'expression de leurs regrets. Les comparisons
qu'ils y établissent entre les Français et les Portugais , sont
toutes honorables pour les premiers . Enfin , ils aurivent
au port de Lisbonne , d'où ils se rendent en Angleterre.
Leur premier soin paraît avoir été d'y rédiger et de
publier leur relation , pour acquitter leur reconnaissance
envers leur généreux ennemi. Le caractère qui
distingue cette relation est le ton ascétique qui règne
partout , depuis le titre jusqu'à la conclusion. Il parait
extraordinaire de lire la relation d'une mission , faite
prisonniere dans sa totalité , sous le titre de « Mani-
" festation évidente de la Divine Providence. ( A
visible display of Divine Providence ) . Tel et le caractère
religieux de tout l'ouvrage. Tous les événements
y sont rapportés à la Providence divine , et leur issue
pour peu qu'elle soit moins fâcheuse qu'on ne devait
s'y attendre , attribuée à sa bonté. La Providence
est toujours invoquée dans les épreuves ; toujours remerciée
après le secours , dans le langage de l'Écriture ,
dont les citations couvient toutes les pages . Il est rare
de trouver ainsi à s'édifier dans la lecture et les récits.
d'un voyage de mer. Indépendamment de tout le reste ,
de l'intérêt du fond, de la variété des incidents , de la
description des lieux , et de beaucoup de détails instructifs
sur la côte du Paraguay , où est situé Monte
Video , cette manière et ce style sont une nouveauté
remarquable et même piquante dans un pareil sujet ,
L'ouvrage est terminé par un appendix , où l'auteur a
cru devoir réunir tous les vers , en assez grand nombre
, que les diverses circonstances de son voyage lui ont
inspirés. Ils sont , comme tout le reste , trés- édifiants ,
Le capitaine Carbonel ne se doute pas peut - être
MESSIDOR AN IX. 103
qu'il est le héros d'un ouvrage imprimé en Angleterre.
Mais peut- être aussi l'apprendra-t - il par l'extrait que
nous en donnons : ce motif nous aurait suffi pour l'entreprendre.
Il est moral , je crois , de faire jouir lẹ
bienfaicteur de la reconnaissance qu'il n'avoit point
cherchée ; il est doux d'offrir la gloire à celui qui n'agissait
que pour le bien. M.
DE l'Angleterre et des Anglais * .
SI un instinct sublime n'attachait pas l'homme à sa
patrie , sa condition la plus naturelle sur la terre ,
serait celle de voyageur. Une certaine inquiétude le
pousse sans cesse hors de lui ; il veut tout voir , et puis
il se plaint quand il a tout vu . J'ai parcouru quelques
régions du globe ; mais j'avoue que j'ai mieux observé
le désert que les hommes , parmi lesquels , après tout ,
on trouve souvent la solitude.
J'ai peu séjourné chez les Allemands , les Portugais
et les Espagnols , mais j'ai vécu assez longtemps
avec les Anglais . Comme c'est aujourd'hui le seul
peuple qui dispute l'empire aux Français , les moindres
détails sur lui , deviennent intéressants .
Erasme est le plus ancien des voyageurs que je connaisse,
qui nous ait parlé des Anglais. Il n'a vu à Londres ,
sous Henri VIII , que des barbares et des huties enfumées.
Longtemps après , M. de Voltaire , qui avait
besoin d'un parfait philosophe , le plaça parmi les
Quakers , sur les bords de la Tamise . Les tavernes de
la Grande - Bretagne devinrent le séjour des esprits
forts , de la vraie liberté , etc. , etc. Quoiqu'il soit bien
connu que le pays du monde où l'on parle le moins
* Il paraît un ouvrage très- estimable du C. Baërt , sur la
Grande-Bretagne . Les réflexions suivantes pourront fournir
aux lecteurs des rapprochements utiles.
104 MERCURE DE FRANCE ,
de religion , où on la respecte le plus , où l'on agite .
le mains de ces questions oiseuses qui troublent les
empires , soit l'Angleterre.
Il me semble qu'on doit chercher le secret des moeurs
des Anglais dans l'origine de ce peuple . Mélange du
sang Français et du sang Allemand , il forme la
nuance entre ces deux nations . Leur politique , leur
religion , leur militaire , leur littérature , leurs arts ,
leur caractère national , me paraissent placés dans ce
milieu ; its semblent réunir , en partie , à la simplicité ,
au calme , au bon sens , au mauvais goût germanique
, l'éclat , la grandeur , l'audace et la vivacité de
P'esprit français.
Inférieurs à nous , sous plusieurs rapports , ils nous
sont supérieurs en quelques autres , particulièrement
en tout ce qui tient au commerce et aux richesses . Ils
nous surpassent encore en propreté ; et c'est une chose
remarquable , que ce peuple qui paraît si pesant , a
dans ses meubles , ses vêtements , ses manufactures ,
une élegance qui nous manque. On dirait que l'An-,
glais met dans le travail des mains , la délicatesse que
nous mettons dans celui de l'esprit .
Le principal défaut de la nation anglaise , c'est
l'orgueil , et c'est le défaut de tous les hommes. Il
domine à Paris comme à Londres , mais modifié par
Je caractère français , et transformé en amour propre.
L'orgueil pur appartient à l'homme solitaire , qui ne
déguise rien , et qui n'est obligé à aucun sacrifice ;
mais l'homme qui vit beaucoup avec ses semblables ,
est forcé de dissimuler son orgueil et de le cacher
sous les formes plus douces et plus variées de l'amour
propre. En général les passions sont plus dures et plus
´soudaines chez l'Anglais ; plus actives et plus raffinées
chez le Français . L'orgueil du premier veut tout écrasér
de force en un instant ; l'amour propre du second
MESSIDOR AN IX. 105
mine tout avec lenteur. En Angleterre , on hait un
homme pour un vice , pour une offense ; en France ,
un pareil motif n'est pas nécessaire . Les avantages de
Ja figure ou de la fortune , un succès , un bon mot suf-'
fisent . Cette haine , qui se forme de mille détails honteux
, n'est pas moins implacable que la haine qui naît
d'une plus noble cause. Il n'y a point de si dangereuses
passions , que celles qui sont d'une basse origine ; car
elles sentent cette bassesse , et cela les rend furieuses .
Elles cherchent à la couvrir sous des crimes , et à se
donner par les effets , une sorte d'épouvantable grandear
, qui leur manque par le principe. C'est ce qu'a
prouvé la révolution .
-L'éducation commence de bonne heure en Angleterre.
Les filles sont envoyées à l'école , dès leur plus
tendre jeunesse. Vous voyez quelquefois des groupes
de ces petites Anglaises , toutes en grands mantelets
blancs , un chapeau de paille , noué sous le menton ,
avec un ruban , une corbeille passée au bras , et dans
laquelle sont des fruits et un livre ; toutes tenant les
yeux baissés , toutes rougissant lorsqu'on les regarde
Quand j'ai revu nos petites Françaises coiffées à l'huile
antique , relevant la queue de leur robe , regardant
avec effronterie , frédonnant des airs d'amour et prenant
des léçons de déclamation , ' j'ai regretté la gaucherie
et la pudeur des petites Anglaises un enfant
sans innocence est une fleur sans parfum .
Les garçons passent aussi leur première jeunesse à
P'école , où ils apprennent le grec et le latin. Ceux qui
se destinent à l'église ou à la carrière politique , vont
de là aux universités de Cambridge ou d'Oxford . La
première est particulièrement consacrée aux mathématiques
, en mémoire de Newton. Mais en général les
Anglais estiment peu cetle étude , qu'ils croient trèsdangereuse
aux bonnes moeurs , quand elle est portée
106 MERCURE DE FRANCE ,
1
trop loin. Ils pensent que les sciences dessèchent le
coeur , désenchantent la vie , mènent les esprits foibles
à l'athéisme , et de l'athéisme à tous les crimes . Les
belles -lettres au contraire , disent -ils , rendent nos jours
merveilleux , attendrissent nos ames , nous font pleins.
de foi envers la Divinité , et conduisent ainsi , par la
religion , à la pratique de toutes les vertus * .
L'agriculture , le commerce , le militaire , la religion ,
la politique , telles sont les carrières ouvertes à l'Anglais
devenu homme. Est on ce qu'on appelle un gentleman
farman (un gentilhomme cultivateur ) ? on vend
son blé , on fait des expériences sur l'agriculture , on ,
chasse le renard ou la perdrix en automne , on mange
l'oie grasse à Noel , on chante le rost beef of old england
; on se plaint du présent , on vante le passé , qui
ne valoit pas mieux , et le tout en maudissant Pitt et
la guerre , qui augmente le prix du vin de Porto ; on
se couche ivre , pour recommencer le lendemain la
même vie.
L'état militaire , quoique si brillant sous la reine
Anne , était tombé dans un discrédit , dont la guerre
actuelle l'a relevé. Les Anglais ont été longtemps sans.
songer à tourner leurs forces vers la marine . Ils ne voulaient
se distinguer que comme puissance continen
tale . C'était un reste des vieilles opinions , qui tenaient
le commerce à déshonneur. Les Anglais ont
toujours eu comme nous une physionomie historique ,
qui les distingue dans tous les siécles. Aussi c'est la
seule nation , qui , ayec la fiançaise , mérite propre→
ment ce nom en Europe. Quand nous avions notre
Charlemagne , ils avaient leur Alfred . Leurs archers ,
balançaient la renommée de notre infanterie gauloise ;
leur prince Noir le disputait à notre Duguesclin , et
leurs Malborough à nos Turenne. Leurs révolutions.et
* Vid. Gibbon , Litl. etc. etc..
MESSIDOR AN IX. 107
les nôtres se suivent ; nous pouvons nous vanter de la
même gloire , et deplorer les mêmes crimes et les
mêmes malheurs .
Depuis que l'Angleterre est devenue puissance maritime
, elle a d ployé son génie particulier dans cette
nouvelle carrière. Ses marins sont distingués de tous
les marins du monde , la discipline de ses vaisseaux
est singulière. Le matelot anglais est absolument
esclave. Mis à bord de force , obligé de servir malgré
lui , cet homme si indépendant , tandis qu'il est laboureur
, semble perdre tous ses droits à la liberté , aussitôt
qu'il devient matelot . Ses supérieurs appesantissent
sur lui le joug le plus dur et le plus humiliant . Comment
des hommes si orgueilleux et si maltraités se
soumettent- ils à une pareille tyrannie ? C'est là le miracle
d'un gouvernement libre ; c'est que le nom de
la loi est tout- puissant dans ce pays ; et quand elle
a parlé , nul ne résiste.
4
Je ne crois pas , que nous puissions , ni même que
nous devions jamais transporter la discipline anglaise
sur nos vaisseaux. Le Français , spirituel , franc , généreux
, veut approcher de son chef ; il le regarde comme
son camarade encore plus que comme son capitaine .
D'ailleurs , une servitude aussi absolue que celle du
matelot anglais , ne peut émaner que d'une autorité
civile or , il serait à craindre qu'elle ne fût méprisée
de nos marins. Car malheureusement le Français obéit
plutôt à l'homme qu'à la loi ; et ses vertus sont plus
des vertus privées que des vertus públiques.
Nos officiers de mer étaient plus instruits que les
officiers anglais . Ceux -ci ne savent que leurs manoeuvres
, ceux -là étaient des mathématiciens et des hommes
savants dans tous les genres . En général nous
avons déployé dans notre marine notre véritable caractère.
Nous y paraissons comme guerriers et comme
108 MERCURE DE FRANCE ,
artistes. Aussitôt que nous aurons des vaisseaux , nous
reprendrons notre droit d'aînesse sur l'océan , comme
sur la terre . Nous pourrons faire aussi des observations
astronomiques et des voyages autour du monde ; mais
pour devenir jamais un peuple de marchands , je crois
que nous pouvons y renoncer d'avance . Nous faisons
tout par génie et par inspiration ; mais nous mettons
peu de suite à nos projets. Un grand homme en
finance , un homme hardi en entreprises commerciales ,
s'élevera peut - être parmi nous ; mais son fils poursuivra
- t- il la même carrière , et ne pensera - t - il
pas à jouir de la fortune de son pere , au lieu " de
songer à l'augmenter ? Avec un tel esprit , une nation
ne devient point mercantille ; le commerce a toujours
eu chez nous je ne sais quoi de poétique et de fabuleux
comme le reste de nos moeurs . Nos manufactures
ont été créées par enchantement ; elles ont jeté un
grand éclat , et puis elles se sont éteintes . Tant que
Rome fut prudente , elle se contenta des Muses et de
Jupiter , et laissa Neptune à Carthage . Ce dieu n'avait
après tout que le second empire , et Jupiter lançait
aussi la foudre sur l'océan .
"
J
ཕ
Le clergé anglican est instruit , hospitalier et géné~
reux. Il aime sa patrie et sert puissamment au maintien
des lois . Malgré les différences d'opinion , il a
reçu le clergé français avec une charité vraiment chrétienne.
L'université d'Oxford a fait imprimer à ses
frais et distribuer gratis aux pauvres curés , un nou
veau Testament latin , selon la version romaine , avec
ces mots : A l'usage du clergé catholique , exilé pour
la religion. Rien n'est plus délicat et plus touchant. '
C'est sans doute un beau spectacle pour la philosophie ,
que de voir , à la fin du 18.e siécle , un clergé anglican
donner l'hospitalité à des prêtres papistes , souffrir
l'exercice publie de leur culte et même l'établissement
MESSIDOR AN IX . 109
de quelques communautés. Etrange vicissitude des opinions
et des affaires humaines ! Le cri , un pape ! un
pape ! a fait la révolution sous Charles I.er , et Jacques
II perdit sa couronne pour avoir protégé la religion
catholique !
Ceux qui s'effrayent au seul mot de religion , ne
connaissent guère l'esprit humain ; ils voient toujours
cette religion telle qu'elle était dans les âges de fana
tisme et de barbarie , sans songer qu'elle prend , comme
toute autre institution , le caractère des siécles où ellé
passe.
Toutefois le clergé anglais n'est pas sans défaut. Il
néglige trop ses devoirs , il aime trop le plaisir , il
donne trop de bals , il se mêle trop aux fêtes du
monde. Rien n'est plus choquant pour un étranger qué
de voir un jeune ministre promener lourdement une
jolie femme entre lès deux files d'une contre - danse an ▲
glaise , Il faut qu'un prêtre soit un personnage tout divin
; il faut qu'autour de lui règnent la vertu et le mystère
, qu'il vive retiré dans les ténèbres du temple , et
que ses apparitions soient rares parmi les hommes ;
qu'il ne se montre enfin au milieu du siécle , que pour
faire du bien aux malheureux. C'est à ce prix qu'on
accorde au prêtre le respect et la confiance ; il perdra
bientôt l'un et l'autre , s'il est assís au festin à nos
côtés , si on se familiarise avec lui , s'il a tous les vices
du temps , et qu'on puisse un moment le soupçonner
faible et fragile comme les autres hommes .
Les Anglais déploient une grande pompe dans leurs
fêtes religieuses ; ils commencent même à orner leurs
temples de tableaux. Ils ont à la fin senti qu'une religion
sans culte n'est que le songe d'un froid enthousiaste , et
que l'imagination de l'homme est une faculté qu'il faut
nourrir comme la raison.
L'émigration du clergé français a beaucoup servik
110 MERCURE DE FRANCE ,
répandre ces idées. On peut le narquer que , par un
retour naturel vers les institutions de leurs pères , les
Anglais se plaisaient depuis longtemps à mettre en
scènes , sur leur théâtre et dans leurs livres , la relig'on
romaine.
Dans ces derniers temps , le catholici me apporté à
Londres , par les prêtres exilés de France , se montre
aux Anglais précisément comme dans leurs romans , à
travers le charme des ruines et la puissance des souvenirs.
Tout le monde a voulu entendre l'oraison funèbre
d'une fille de France , prononcée à Londres par
un évêque émigré , dans une écurie.
L'eglise anglicane a surtout conservé pour les morts
la plus grande partie des honneurs que leur rend l'église
romaine.
Dans toutes les grandes villes d'Angleterre , il y a
des hommes appelés undertakers ( entrepreneurs ) qui
se chargent des pompes funèbres. On lit souvent sur
leurs boutiques King's coffins maker : Faiseur de
cercueils du roi ; ou bien , Here one performs funerals ;
mot- à mot : Ici on représente desfunérailles . Il y a longtemps
qu'on ne voit plus parmi nous que des représenta→
tions de la douleur , et il faut bien acheter des larmes
quand personne n'en donne à nos cendres. Les derniers
devoirs qu'on rend aux hommes seraient bien tristes , s'ils
étaient dépouillés des signes de la religion . La religion
a pris naissance aux tombeaux , et les tombeaux ne
peuvent se passer d'elle. Il est beau que le cri de l'espérance
s'élève du fond d'un cercueil ; il est beau que
Je piêtre du Dieu vivant escorte la cendre de l'homme
à son dernier asile ; c'est en quelque sorte l'immortalité
qui marche à la tête de la mort .
La vie politique d'un Anglais est bien connue en
France , mais ce qu'on ignore assez géneralement , de
sont les partis qui divisent le parlement aujourd'hui.
MESSIDOR AN IX. IIT
Outre le parti de l'opposition et le parti du ministère ,
il y en a un troisième qu'on peut appeler des anglicans
et à la tête duquel se trouve M. Wilberforce. C'est une
centaine de membres qui tiennent fortement aux moeurs
antiques et surtout à la religion . Leurs femmes sont
vêtues comme des quakeresses ; ils affectent eux - mêmes
une rigoureuse simplicité , et donnent une grande partie
de leur revenu aux pauvres : M. Pitt est de leur secte.
Ce sont eux qui l'avaient porté et qui l'ont soutenu au
ministère ; car , en se jetant d'un côté ou de l'autre ,
ils sont à peu près sûrs de déterminer la majorité. Dans
la dernière affaire d'Irlande , ils ont été alarmés des
promesses que M. Pitt avait faites aux catholiques ; ils
l'ont menacé de passer à l'opposition . Alors le ministre
a douné habilement sa retraite , pour conserver ses amis
dont l'opinion est intérieurement la sienne , et pour se tirer
du pas difficile où les circonstances l'avaient engagé.Si
le bill passe en faveur des catholiques , il n'en aura pas
l'odieux vis - à - vis les anglicans ; si , au contraire , il est
rejeté , les catholiques irlandais ne pourront l'accuser
de manquer à sa parole... On a demandé , en France , si
M. Pitt avait perdu son crédit en perdant sa place ; un
seul fait aurait dû répondre à cette question : M. Pitt
est encore membre de la chambre des communes . Quand
on le verra devenir pair et passer à la chambre haute ,
sa carrière politique sera finie.
C'est à tort que l'on croit ici quelque influence à la
pure opposition . Elle est absolument tombée dans l'opinion
publique ; elle n'a ni grands talents , ni véritable
patriotisme. M. Fox lui - même ne peut plus rien pour
elle ; il a perdu presque toute son éloquence , l'âge et des
excès de table la lui ont enlevée . On sait que c'est son
amour propreblessé , plus encore qu'aucune autre raison
qui l'a tenu si longtemps éloigné du parlement.
Lẹ bill qui exclut de la chambre des communes tout
112 MERCURE DE FRANCE ,
•
membre engagé dans les ordres sacrés , a été aussi mal
interprété à Paris. On ne savait pas que ce bill n'a d'autre
but que d'éloigner M. Horntook , homme d'esprit ,
violent ennemi du gouvernement ; jadis dans les ordres ,
ensuite réfractaire ; autrefois ami de la puissance , jusqu'au
point d'avoir été attaqué dans les lettres de Junius ,
ensuite devenu l'apôtre de la liberté , comme tant
d'autres.
Le parlement a perdu , dans M. Burke , un de ses membres
les plus distingués . Il détestait la révolution ; mais
il faut lui rendre cette justice , qu'aucun Anglais n'a
plus aimé les Français en particulier , et plus applaudi
à leur valeur et à leur génie . Quoiqu'il fút peu riche ,
il avait fondé une école pour les petits Français expatriés
, et il y passait des journées entières à admirer
l'esprit et la vivacité de ces enfants . Il racontait souvent
, à ce sujet , une anecdote. Ayant mené le fils d'un
lord à cette école , les pauvres orphelins lui proposèrent
de jouer avec eux. Le lord ne le voulut pas : « Je n'aime
pas les Français , moi , » répétait - il avec humeur. Un
petit garçon n'en pouvant tirer que cette réponse , lui
dit :: " Cela n'est pas possible ; vous avez un trop bon
• coeur pour nous haïr. Votre seigneurie ne prendraitelle
point sa crainte pour sa haine ? »
"
Il faudrait maintenant parler de la littérature et des
gens de lettres ; mais cela nous menerait trop loin et
demande un article à part. Je me contenterai de rapporter
quelques jugements littéraires qui m'ont fort étonné,
parce qu'ils sont en contradiction directe avec nos opinions
reçues .
Richardson est peu lu ; on lui reproche d'insupportables
longueurs et de la bassesse de style. Hume et
Gibbon ort , dit - on , perdu le génie de la langue anglaise ,
en remplissant leurs écrits d'une foule de gallicismes ;
on accuse le premier d'être lourd et immoral. Popå ne
REP .FR
5
MESSIDOR AN IX.
passe que pour un versificateur exact et élégant . Johnson
prétend que son Essai sur l'homme n'est qu'un recueil
de lieux communs , mis en beaux vers. C'est à
Dryden et à Milton qu'on donne exclusivement le titre
de poètes. Le Spectateur est presque oublié. On entend
rarement parler de Locke , qui est regardé comme un
assez faible idéologue . Il n'y a que les savants de profession
qui lisent Bacon . Shakespear seul conserve son
empire. On en sentira aisément la raison par le trait
suivant .
"
J'étais au théâtre de Covent - Garden , qui tire son nom ,
comme on sait , du jardin d'un ancien couvent où il est
bâti . Un homme fort bien mis était assis auprès de moi ;
il me demande « quelle est la salle où il se trouve ? » Je
le regarde avec étonnement , et je lui réponds : « Mais ,
Vous êtes à Covent Garden. » Pretty garden indeed !
« Joli jardin , en vérité ! » s'écrie- t - il en éclatant de rire
et me présentant une bouteille de rhum . C'était un matelot
de la cité , qui , passant par hasard dans la rue , à
l'heure du spectacle , et voyant la foule se presser à
une porte , était entré là pour son argent , sans savoir
de quoi il s'agissait.
Comment les Anglais auraient- ils un théâtre supportable
, quand leurs parterres sont composés de juges
arrivant du Bengale ou de la côte de Guinée , qui ne
savent seulement pas où ils sont ? Shakespear doit régner
éternellement chez un pareil peuple. On croit tout justifier
, en disant que les folies du tragique anglais sont
dans la nature. Quand cela serait vrai ; ce ne sont pas
toujours les choses naturelles qui touchent. Il est naturel
de craindre la mort , et cependant une victime qui se
lamente , sèche les pleurs qu'on versait pour elle . Le
coeur humain veut plus qu'il ne peut ; il veut surtout
admirer : il a en soi un élan vers je ne sais quelle beauté
5
114 MERCURE DE FRANCE ,
inconnue , pour laquelle il fut peut- être créé dans son
origine .
Il y a même quelque chose de plus grave. Un peuple
qui a toujours été à peu près barbare dans les arts , peut
continuer à admirer des productions barbares , sans que
cela tire à conséquence ; mais je ne sais jusqu'à quel
point une nation qui a des chef - d'oeuvres en tous
genres, peut revenir à l'amour des monstres, sans exposer
ses moeurs. C'est en cela que le penchant pour Shakespear
est bien plus dangereux en France qu'en Angleterre.
Chez les Anglais il n'y a qu'ignorance , chez nous il y a
dépravation . Dans un siécle de lumières , les bonnes
moeurs d'un peuple très - poli tiennent plus au bon goût
qu'on ne pense . Le mauvais goût alors , qui a tant de
moyens de se redresser , ne peut dépendre que d'une
fausseté ou d'un biais naturel dans les idées : or , comme
l'esprit agit incessamment sur le coeur , il est difficile
les voies du coeur soient droites , quand celles de
l'esprit sont tortueuses . Celui qui aime la laideur , n'est
pas fort loin d'aimer le vice ; quiconque est insensible
à la beauté , peut bien méconnaître la vertu . Le mauvais
goût et le vice marchent presque toujours ensemblee ;
le premier n'est que l'expression du second , comme la
parole rend la pensée .
Je terminerai cette notice par quelques mots sur le
sol , le ciel et les monuments de l'Angleterre.
Les campagnes de cette île sont presque sans oiseaux ,
les rivieres petites ; cependant leurs bords ont quelque
chose d'agréable par leur solitude. La verdure est trèsanimée
; il y a peu ou point de bois ; mais chaque propriété
étant fermée d'un fossé planté, quand vous regardez
du haut d'une éminence , vous croyez être au milieu
d'une forêt. L'Angleterre ressemble assez , au premier
coup d'oeil , à la Bretagne : des bruyères et des champs
entourés d'arbres.
MESSIDOR AN IX. 115
Le ciel de ce pays est moins élevé que le nôtre ; son
azur est plus vif , mais moins transparent. Les accidents
de lumière y sont beaux , à cause de la multitude des
nuages . En été , quand le soleil se couche , à Londres ,
par- delà les bois de Kinsington , on jouit quelquefois
d'un spectacle fort pittoresque . L'immense colonne de
fumée de charbon qui flotte sur la cité , représente ces
gros rochers noirs , enluminés de pourpre , qu'on voit
dans nos décorations du Tartare ; tandis que les vieilles
tours de Westminster , couronnées de nuages et rougies
par les derniers feux du soleil , s'élèvent au dessus de
la ville , du palais et du parc de Saint - James , comme
un grand monument de la mort , qui semble dominer
tous les monuments des hommes .
Saint-Paul est le plus bel édifice moderne , et Westminster
le plus bel édifice gothique de l'Angleterre . Je
parlerai peut- être un jour de ce dernier. Souvent , en
revenant de mes courses autour de Londres , j'ai passé
derrière Withall , dans l'endroit où Charles fut déca
pité. Ce n'est plus qu'une cour abandonnée , où l'herbe
croît entre les pierres . Je m'y suis quelquefois arrêté
pour entendre le vent gémir autour de la statue de
Charles second , qui montre du doigt la pláce où périt
son père. Je n'ai jamais vu dans ces lieux que des ouvriers
qui taillaient des pierres , en sifflant. Leur ayant
demandé un jour ce que signifiait cette statue , les uns
purent à peine me le dire , et les autres n'en savaient
pas un mot. Rien ne m'a plus donné la juste mesure
des événements de la vie humaine et du peu que, nous
sommes. Que sont devenus ces personnages, qui firent
tant de bruit ? Le temps a fait un pas , et la face de la
terre a été renouvelée . A ces générations divisées par
les haines politiques , ont succédé des générations indifférentes
au passé , mais qui remplissent le présent de
nouvelles inimitiés qu'oublieront encore les générations
qui doivent suivre. CHATEAUBRIAND.
116 MERCURE DE FRANCE ,
Du Projet onnoncé par l'Institut national , de
continuer le Dictionnaire de l'Académie française
par A. MORELLET.
"
;
Quam scii quisque lubens censebo exerceat artem .
HOR .
Paris , chez Migneret , rue du Sépulcre , faubourg
Saint-Germain , n.º 28 .
. LE
E Dictionnaire de la Langue française que faisait
" Pancienne Académie , dit le C. Morellet , et que l'Ins-
« titut entreprend de continuer , est le dépôt de la lan-
« gue usuelie , telle qu'elle est parlée par la classe des
• citoyens qui la parlent le mieux , et qui , en dépit
« de toutes les révolutions , est formée des citoyens
les plus distingués par le rang , la fortune et l'é-
« ducation . »
En indiquant les véritables sources où l'on a
puisé de tout temps les traditions et les délicatesses
de la langue , l'auteur indique ceux qui doivent
les recueill r. L'autorité d un dictionnaire étant
fondée sur la confiance , le choix de ses coopérateurs
n'est pas indifférent , et les réflexions qui
peuvent l'éclairer sont à la fois du devoir et de l'intérêt
de tous .
Les titres littéraires , les longs travaux et les
habitudes du C. Morellet donnent un grand poids
aux opinions et aux jugements qu'il public aujourd
hui . Le sujet lui appartient en quelque sorte :
il faut donc l'entendre lui-même.
Le bouleversement causé par la révolution a fait
disparaitre la plus grande partie de ces sociétés où iéMESSIDOR
AN IX. 117
•
惧
*
•
gnaient cette décence , ce ton de politesse , cette mesure
, ce tact de convenances , ce goût délicat qui
conservait dans la langue et dans la conversation, ce
qu'on appelait avec raison le bon ton , le ton de
la bonne compagnie . La situation , l'ensemble des
circonstances ne sont plus les mêmes pour les mêmes
personnes ; la dignité qui les gardait , les égards qu'on
leur portait , l'autorité qu'elles avaient , tout cela s'est
évanoui ou s'est affaibli . Or , où retrouver ce qui peut
rester encore de ces avantages perdus ou prêts à sẽ
perdre , si l'on ne s'adresse pas à ceux qui les ont connus
qui en ont joui et qui peuvent encore les transmettre.
Swift , dans un de ses ingénieux écrits , qui a pour
titre De la Conversation , observe que la décadence
de la conversation et une sorte de familiarité grossiere
qu'on donne pour de la gaieté et pour une liberté innocente
, se sont montrées en Angleterre , à la suite de
la révolution qui a fait périr Charles I. , dont le règne ,
dans sa partie paisible , a été , se on cet excellent observateur
, l'époque de la plus grande politesse de la
nation anglaise. Celle de la nation française lui paraît
dater aussi du même temps , le commencement du règne
de Louis XIV ( avec cette difference que les progrès n'en
ont pas été arrêtés en France , comme ils l'ont été en
Angleterre , par l'établissement de la république ).
"
«
$
La manière de soutenir et de conduire la conversation
était alors , continue-t- il , différente de la notre .
Plusieurs femmes que nous trouvons célébrées par les
poètes et les écrivains de ce temps , avaient des assemblées
dans leurs maisons , où des personnes spirituelles de
l'un et de l'autre sexe se réunissaient pour passer la soiree
en discourant sur quelque sujet in éressant que l'occa
sion faisait naître ; et quoiqu'on puisse jeter quelque
ridicule sur les idées subtiles ou exagérées qu'on s'y
faisait de l'amour et de l'amitié , ces subtilités mêmes
118 MERCURE DE FRANCÈ,
avaient un fonds de raison et d'utilité pour l'exercice
des facultés de l'esprit et le perfectionnement des sentiments
; car , dit - il , il faut un peu de romanesque à
l'homme c'est un assaisonnement qui relève et qui
conserve la dignité de la nature humaine , et l'empêche
de dégénérer jusqu'au vice et à la brutalité dont nous
devons nous défendre avec plus de soin dans nos climats
du Nord , où le peu de politesse et de décence que
nous avons , s'est introduit , pour ainsi dire , contre l'in
clination naturelle qui nous porte sans cesse à la barbarre
, etc.
་་ Mes lecteurs démêleront facilement dans les ré-'
flexions de l'écrivain anglais , ce qui en est applicable
à nous- mêmes et au sujet que je traite ici ; car je ne
piétends pas nous les approprier en entier .
Mais il est aisé de voir que l'un des caractères com
muns aux révolutions des deux pays , est certainement
cette tendance à corrompre la langue et le goût. Il fallait
done se rattacher , autant qu'il était possible , à ce qui
restait de l'ancien ordre de choses . C'est ainsi qu'on eût,
pu ver contre le torrent, une digue qu'on ne formera
pas avec les plus habiles gens du monde en sciences
exactes et naturelles , morales et politiques , non plus
qu'avec des grammairiens obscurs et des littérateurs encore
jeunes sans célébrité et par conséquent sans
autorité , quand ils pourraient développer un jour de
grands talents . »
&
* Il est vraiment remarquable qu'on ne compte parmi eux
aucun des hommes qui représentent encore plus dignement
la littérature française aux yeux de l'Europe. Unprince
étranger , qui connaît très-bien nos bons auteurs
jetant un jour les yeux sur la liste des membres de l'Institut',
fut étonné de ne pas trouver à la tête les noms d´s
seuls écrivains qui fussent venus jusqu'à lui . Ce prince était
le parent , l'ami , et le plus digne rival de Frédéric- le- /
Grand .
MES SIDOR AN IX. 119
Au reste , l'insuffisance de l'Institut pour l'exécution
d'un semblable travail , avait été déja reconnue
par un membre dela classe littéraire de ce
corps célèbre , à l'époque de sa formation .
Le fait suivant , qui ne doit pas être perdu pour
l'histoire de la littérature pendant la révolution
. prouvera qu'au droit de convenance , les membres
de l'ancienne Académie joignaient un titre plus
incontestable à la continuation du Dictionnaire
français .
7
" Vers la fin du mois d'août 1793 , en conséquence
d'un décret de la convention , portant suppression de
tous les corps littéraires , et notamment des trois Aca .
démies , les scellés furent mis sur les salles du Louvre ,
occupées par l'Académie française , et sur ses effets ,
consistant en quelques papiers et registres , un nombre
de portraits des académiciens , et de quelques souverains
, qui décoraient les salles , et une bibliothéque
de 5 ou 600 volumes. Le C. Morellet , directeur pour
le trimestre de juillet , occupant alors cette place , et
remplissant les fonctions de secrétaire , en l'absence du
C. Marmontel , ne fut point invité à l'apposition des
scellés . Les commissaires étaient les CC . Cubières-
Dorat et Urbain Domergue , membres du comité d'instruction
publique . Le C. Morellet , interpellé par eux ,
leur déclara qu'il avait entre les mains le manuscrit
de l'Académie , tel qu'on avait commencé de l'imprimer.
Cette copie était l'édition de Paris , en 2 volumes
in-folio , de 1762 , chargée en marge de toutes les cor- -
rections , additions et changements , fruits des travaux
de l'Académie , dans cet intervalle d'environ trente ans .
Quelques semaines s'étant écoulées , le C. Morellet
reçut du président du comité d'instruction publique ,
établi par la convention , l'ordre de remettré au comité
le manuscrit du Dictionnaire , et il obéit.
120 MERCURE DE FRANCE ,
- « L'an 3 de la république , le 1.er jour complémentaire
, en septembre 1794 , la convention nationale ,
ouï le rapport de son comité d'instruction publique ,
décréta que l'exemplaire du Dictionnaire de l'Académie
française , chargé des notes marginales , serait
remis aux libraires Smits et Maradan , pour être , par
eux , rendu public ; lesdits libraires prenant avee des
gens de lettres de leur choix , les arrangements nécessaires
pour ce travail , à condition qu'ils tireraient 1500
exemplaires , et qu'ils en remettraient un nombre aux
bibliothéques nationales.
"
En exécution de ce décret , les libraires ont publié ,
en l'an 8 , la cinquième édition du Dictionnaire de
l'Académie , sur le manuscrit qui leur a été remis ,
et auquel ils ont fait joindre un supplément , contenant
les mots nouveaux en usage depuis la révolution .
-On ne peut se dissimuler , continue le C. Morellet ,
que les académiciens qui avaient travaillé à cet ouvage ,
et dont plusieurs s'étaient occupés depuis 20 à 25
ans , avaient quelque droit sur leur manuscrit.
"
Il semble qu'une prétention si naturelle ne
pouvait être contestée qu'à l'époque où ce manuscrit
fut saisi . Quoi qu'il en soit , le succès n'a point
encore justifié l'entreprise , et le supplément consacré
aux mots en usage depuis la révolution , où
l'on trouve de ces définitions , que leurs auteurs
appellent dignes de la liberté , marque trop
l'intervalle et les circonstances qui ont séparé les
anciens académiciens des derniers coopérateurs
du Dictionnaire français.
Le C. Morellet consacre une partie de cette
brochure à réfuter le système grammatical du
C. Urbain Domergue . Ce dernier sera sans doute
flatté de l'importance que son système reçoit du
nom de son critique .
G.
MESSIDOR AN IX. 121
SPECTACLE S.
THEATRE FRANÇAIS DE LA RÉPUBLIQUE.
ร
ONN
avait dit
lle
M
que
Volnais terminerait ses débuts
par le rôle d'Inès ; les amateurs s'étaient flattés qu'une
jeune actrice , pleine de naturel et de sensibilité , ferait
rétablir sur le répertoire cette tragédie qu'on ne devrait
pas négliger pour des nouveautés insipides , puisque ,
malgré les vers de Lamothe, on y reconnaît encore le génie
du Camoëns . Mais on ne peut blâmer M.lle Volnais d'avoir
préféré Zaïre , l'ouvrage le plus éminemment tragique
que Voltaire ait mis au théâtre , et dans lequel elle trouvait
un rôle qui réclame particulièrement tous les avantages
qu'elle a reçus de la nature. En effet , elle m'a
rappelé plus d'une fois le portrait que Laharpe fait de
M.lle Gaussin ; et sans doute il suffit à sa gloire d'avoir
déja des traits de ressemblance avec cette actrice cêlèbre
. La figure de M.lle Gaussin , son regard , son
organe , tout était fait pour exprimer la tendresse ;
" elle avait des larmes dans la voix , elle avait cet air de
■ candeur , ce ton d'ingénuité modeste qui devait caaractériser
l'amante d'Orosmane. A ces avantages
précieux qui ne s'acquièrent pas , M. Volnais en réunit
quelques autres qu'elle doit à l'étude et aux leçons
de son maître . La pureté de sa diction , la justesse et
la simplicité de ses mouvements , et la connaissance
prématurée qu'elle paraît avoir de la scène , fout un
honneur égal à son intelligence et au talent du C. Da-
"
u
"
zincourt.
De son côté , Laffond , dans le rôle d'Orosmane , a
ranimé des souvenirs encore plus honorables , et provoqué
des comparaisons sans contredit plus dangereuses.
122 MERCURE DE FRANCE ,
Les vieux connaisseurs ( pusillus grex ) ont reconnu
dans son jeu beaucoup de traditions de Lekain ; et ,
sans affaiblir l'estime qu'il mérite par lui - même , on
peut avouer qu'il n'est jamais plus beau que lorsqu'il
ressemble à ce modèle . L'imitation est , dit-on , trèsfrappante
dans la manière dont il lit la lettre de Nérestan
, au 4.° acte , et dans l'expression profonde du
désespoir d'Orosmane , après cette lecture terrible . - Il
rend avec la même énergie l'ironie affreuse qui règne
dans ces vers :
C'est là ce Nérestan , ce héros plein d'honneur ,
Ce chrétien si vanté qui remplissait Solime ,
De ce faste imposant , de sa vertu sublime ! etc.
En général , ce jeune acteur a fait des progrès dignes
des plus grands éloges ; et la critique la plus sévère
doit reconnaître qu'il laisse à desirer beaucoup moins
qu'il n'a acquis , par une seule année d'efforts , d'études
solitaires et de travaux assidus.
On doit desirer d'autant plus qu'il s'attache à justifier
ses premiers succès , en perfectionnant son talent
que la retraite de Larive paraît décidée , et qu'elle va
laisser au théâtre un vide qu'il ne sera pas facile de
remplir ; plus sensible à la gloire de son art qu'à la jalousie
de la renommée , il semble qu'il veut lui - même
en préparer les moyens . Il vient de publier une brochure
sur l'Art theatral , où ses émules trouveront à la fois
des leçons et des souvenirs. Parmi les observations judicieuses
qui distinguent cet écrit , nous citerons les
suivantes , qui méritent d'être profondément méditées
par tous ceux qui veulent que l'art dramatique soit tou
jours d'accord avec la nature et la vérité.
་་
« Je pense , dit le C. Larive , qu'il est impossible
de peindre et d'exprimer tous les beaux effets de la
tragédie avec des intonations calculées . On peut éton-
"
MES SIDOR AN IX.´ 123
ner le public , on peut encore l'effrayer sans l'attendrir ; '
les véritables émotions par lesquelles on fait couler
ces larmes délicieuses qui nous rappellent à de tendres
souvenirs , n'ont point cette couleur obscure qui ne
trouve d'explosion que dans des convulsions effrayantes ,
et qui n'inspire aux spectateurs que de l'horreur. S'il
ne dépend pas toujours de soi d'être vrai et sensible , "
il dépend de soi au moins d'être décent , et dans ses
expressions , et dans ses mouvements. Il est plus facile
à quelques acteurs de sentir et de peindre l'effroi que de
l'inspirer il faut une audace et une énergie soutenues
pour avoir le droit d'en imposer aux spectateurs. Celui
qui croit provoquer sa sensibilité par des efforts et par
des éclats , n'en aura jamais '; quand le coeur parle , la
poitrine , la tête , et toutes les fibres de l'organisation lui
sont subordonnées , et ne lui fournissent que les moyens
nécessaires à son explosion ; mais quand la tête seule
veut remplacer le coeur , elle le comprime et l'étouffe. »
Aux réflexions solides , aux vues ingénieuses qu'il
développe dans cette brochure , le C. Larivé a joint'
plusieurs anecdotes , qui donnent à son ouvrage un intérêt
plus piquant.
A
En voici une qui pourrait servir de supplément aux
mémoires de Lekain , et qui prouve , avec mille autres ,
combien tous les acteurs tragiques qui ont illustré la
scène française depuis un demi- siécle , devaient de re-"
connaissance à l'auteur de Brutus , d'Alzire , de Mérope
et de Mahomet.— C'est le C. Larive qui la raconte .
« Je n'oublierai jamais l'intérêt que ce grand homme
portait à l'art difficile des comédiens . Il m'avait vu
jouer Zamore quinze jours avant sa mort , et il eut la
bonté de m'en témoigner son contentement ; encouragé
par ce suffrage honorable , je crus devoir l'aller prier
huit jours après de m'entendre répéter un rôle . Je le
124 MERCURE DE FRANCE ,
•
«
"
"
K И
trouvai tres accablé et presque mourant ; il me dit en
me voyant entrer « Ah ! mon ami , je ne puis plus
m'occuper des choses de ce monde , je me meurs.
" Eh ! monsieur , lui répondis-je avec douleur , que
je suis vivement affligé de l'état où je vous vois ! je
dois jouer demain Titus ; et comptant vous trouver
en bonne santé , j'avais osé espérer que vous daigueriez
me l'entendre répéter. Tout-à- coup il porte
sur moi ses yeux d'aigle : son visage et ses mouvements
reprennent leur ressort , et il me dit en levant
les mains Comment , mon ami , vous jouez demain
« Titus ? ah ! dans ce cas il n'y a point de mort qui
tienne , il faut que je vous le fasse répéter. Il se
lève aussitôt , va chercher la pièce et me fait répéter
avec tant d'intérêt , qu'il souriait avec bonté lorsqu'il
était content , et qu'il se fàchait sérieusement lorsqu'il
l'était moins . Dans ce dernier cas , sa chaleur était telle ,
que me trouvant interdit , sur ce que j'osai lui dire :
« Mais , monsieur , si vous criez contre moi , je ne
pourrai pas répéter ; il me répondit , en criant
encore plus fort : « Je ne crie pas contre vous , mon
ami , je crie pour vous . »
"
que
"
"
: «
33
>
"
Il n'est pas impossible qu'il s'élève parmi nous des
acteurs capables d'égaler un jour Lekain et de remplacer
Larive ; mais quel poète vivant aura le droit de
leur parler comme Voltaire , et d'imposer silence à leur
vanité !
E.
¿
MESSIDOR AN IX. 125
ANNONCES.
AMBASSADE au Thibet et au Boutan , contenant des
détails très - curieux sur les moeurs , la religion , les
productions et le commerce du Thibet , du Boutan
et des états voisins ; et une notice sur les événements
qui s'y sont passés jusqu'en 1793 ; par M. Samuel
Turner , chargé de cette ambassade : traduit de
l'Anglais avec des notes , par J. Castéru. 2 volumes
in- 8.º de 8 pages , imprimés sur papier carré fią
et caractères de cicéro neuf; avec un volume in-4.
sur grand raisin , contenant 15 planches , vues , monuments
, hieroglyphes , plans , animaux , carte géographique
, etc. , dessinées sur les lieux , et gravées
en taille -douce par Tardieu l'aîné . Prix , 12 fr . broché
, et 15 fr. par la poste , port franc . En papier
vélin , 24 fr . sans le port . A Paris , chez F. Euisson ,
imprimeur - libraire , rue Hautefeuille , n . ° 20.
L'abondance des matières nous force de renvoyer
get extrait à un autre numéro.
ESSAI de la puissance paternelle , par André Nougarède.
Paris , chez Lenormand , imprimeur-libraire ,
rue des Prêtres - Saint - Germain - l'Auxerrois . I vol.
in - 12.
On reviendra sur cet ouvrage.
CONSIDÉRATIONS sur la neutralité maritime , armée
ou non armée. A Paris , chez D bray , Palais , du
Tribunat , n . ° 235 , et à son dé ót , place du Muséum
, n.º 9 ; et chez A. Bailleul , rue Gran e - Batelière
, n.º 3. An 9. 1801 .
ESSAI sur le blanchiment avec la description de la
nouvelle méthode de blapchir par la vapeur , d'après
126 MERCURE DE FRANCE ,
les procédés du C. Chaptal , et son application aux
arts . Vol. in- 8.º , papier grand-raisin , avec quatorze
planches d'une exécution soignée . Paris , au bureau
des Annales des Arts et Manufactures , rue J. - J.
Rousseau , n.º 11 ; chez Déterville , rue du Battoir ,
et chez les frères Levrault , quai Malaquais , et à
Strasbourg. Prix , 6 fr . 50 cent . pour Paris , et 7 fr
75 cent. frane de port.
L'intérêt que met le ministre de l'intérieur à la propagation
des arts utiles , garantit le succès de cet ouvrage
qui contient les détails et l'application d'une des
découvertes modernes les plus intéressantes pour les
arts industriels . Il a bien voulu dérober quelques instants
à ses immenses travaux pour revoir cet Essai fait
par son ordre immédiat.
VIE privée , politique et militaire des Romains , sous
Auguste et sous Tibère , dans une suite de Lettres
d'un praticien à son ami ; traduite de l'Anglais
avec cette épigraphe :
Justum et tenacem propositi virum
Non civium ardor prava subentium ,
Non vultus instantis tyranni
Mente quatit solidâ.
HORACE , liv. 111 , ode 5.
I vol. in - 8.º de 450 pages , imprimé sur carré fin ,
et caractère de cicéro neuf. Prix , 4 fr. 50 cent. et
5 fr. 50 cent . franc de port par la poste. A Paris ,
chez F. Buisson , imprimeur - libraire , rue Hautefeuille
, n.º 20.
FLORE des jeunes personnes , ou Lettres élémentaires
sur la Botanique , écrite par une Anglaise à
son amie , et traduite de l'Anglais , par Octave Ségur ,
élève de l'Ecole polytechnique . I vol . in - 12 de 250 p.;
imprimé sur carré fin d'Argoulême , et caractères
MESSIDOR AN IX. 127
X
-
neufs ; avec douze planches gravées en taille - douce
par Sellier. Prix , 3 fr . 60 cent. broché , avec les
planches en noir ; avec les planches très - bien enluminées
7 fr. 50 cent. En papier vélin 7 fr.; idem avec
les planches enluminées 10 fr. Pour recevoir ce vol .
franc par la poste , on ajoutera 50 cent . A Paris ,
chez F. Buisson , imprimeur - libraire , rue Hautefeuille
, n.º 20. Villiers , libraire , rue des Mathurins .
Et chez Donnier , au Jardin des Plantes.
FETES et Courtisanes de la Grèce ; supplément aux
Voyages d'Anacharsis et d'Antenor ; comprenant ,
1.º la Chronique religieuse des anciens Grecs , Tableau
de leurs moeurs publiques ; 2. ° la Chronique
qu'aucuns nommeront scandaleuse , Tableau de leurs
moeurs privées. Enrichi d'un almanach athénien ; de
la description des danses grecques ; des chants anacréontiques
, musique de Méhul ; et de gravures
d'après l'autorité antique , sur les dessins de Garnerey
, élève de David ; avec cette épigraphe :
"
« On trouve presque partout l'extrême folie jointe à un peu
« de sagesse dans les lois , dans les cultes , dans les usages . »
VOLTAIRE , Moeurs des Nations , Disc . prélim.
4 vol. in-8.º de 1900 pages , imprimés sur carré fin
de Buges , et beaux caractères neufs ; avec cinq
planches gravées en taille- douce , et de la musique .
Prix , 20 fr. brochés , et 25 fr . par la poste , franc de
port. En papier vélin , 40 fr. sans le port. A Paris ,
chez F. Buisson , imprimeur - libraire , rue Hautefeuille
, n.º 20 ; Mongie l'aîné , libraire , Palais du
Tribunat ; et Desenne , libraire , même demeure .
DE Amoribus Pancharitis et Zorom , poëma eroticodidacticon
, seu umbratica Lucubratio de cultu Veneris ,
Mileti olim peracto , ut amathunteo sacello mysta subduxit
, et variis de generatione cum vegetantium tum
128 MERCURE DE FRANCE,
animantium exemplis auctum vulgavit Athenis. Secunda
editio , planè reformata et tabulis aneis illustrata
, cui accedit vita auctoris . Parisiis , excudebat
P. N. F. Didot junior , anno reipublicæ gallicæ IX.
ESSAI sur le Crédit commercial considéré comme
moyen de circulation , et Prospectus de la traduction
de l'Histoire des finances de la Grande - Bretagne ,
de sir John Sinclair , membre de la chambre des communes
; suivie de l'Exposition de la science du crédit
public et de celle de l'imposition ; 2 vol . in - 4.º ,
par Joseph M. A Hambourg , et se trouve à Paris ,
chez Petit , libraire , palais Egalité , galerie vitrée ,
et chez les marchands de nouveautés . An 9 ( 1801 ) .
MARINGO ou Campagne d'Italie , par l'armée de réserve
, commandée par Bonaparte , écrite par Joseph
Petit , fourrier des grenadiers à cheval de la garde
des Consuls . Seconde édition , revue et augmentée
par l'auteur , ornée d'une gravure en taille - douce ,
représentant la mort de Desaix . Prix , 2 fr . 25 cent.
pour Paris , et 3 fr. pour les départements. Chez
Favre , libraire , palais du Tribunat , galeries de bois,
n.º 220 , aux neuf Muses.
THEORIE purement algébrique des quantités imaginaires
, et des fonctions qui en résultent , où l'on traite
de nouveau la question des logarithmes , des quantités
négatives ; ouvrage qui fait suite aux différents traités
d'algebre ; par A.- Suremain-Missery , ci -devant officier
d'artillerie , de la Société des Sciences de Paris , et de
celle de Dijon , I vol . in - 8. ° Prix broché , 5 fr . , et 6 fr.
franc de port. A Paris , rue de Thionville , n.º 116 .
Chez Firmin Didot , libraire , pour les mathématiques ,
l'art llerie , la marine et les éditions stéréotypes.
N. B. On trouve chez le même libraire , un autre ouvrage
du même auteur , intitulé : Théorie acousticomusicale
, ou de la Doctrine des sons rapportés aux
principes généraux de leur combinaison , vol. in- 8. ° du
même prix.
MESSIDOR AN
DEPT
SEINE.
POLITIQUE
EXTÉRIEUR.
SUR la ville de Dantzick.
DANS un
5
cen
ANS un moment où la neutralité maritime a rallié
tous les peuples contre un seul , ou plutôt soulevé un
seul peuple contre tous , il est bon de se former une idée
exacte de l'intérêt de chaque puissance dans cette grande
querelle.
La Prusse n'est pas celle qui doit moins tenir à une
coalition , dont le but est d'assurer la liberté du commerce
et des mers .
Ce n'est pas que la Prusse , dans l'hypothèse même
qu'elle s'agrandisse un jour, paraisse jamais destinée à
prendre un rang parmi les puissances maritimes. Quelque
étendue de côtes qu'elle possède déja , il lui est
impossible de donner asile à des vaisseaux de guerre ,
et tous les arrondissements qu'elle peut recevoir ne sont
point de nature à faire naître un pareil avantage . Ainsi
cette puissance ne songera point à créer une marine
militaire. Sa marine marchande , au contraire , trèssusceptible
d'extension , ne laisse pas , dès à présent ,
d'être d'un grand intérêt.
Les ports de Stettin , de Dantzick et de Memel , et
les villes de Koenigsberg et d'Elbing , quoique ces deux
dernières soient un peu dans la dépendance des précédentes
, font un commerce très-actif. De ces cinq villes ,
la plus intéressante est incontestablement Dantzick.
C'est un des premiers ports marchands de la Baltique ;
et , même en admettant une acquisition importante
5 . 9.
130 MERCURE DE FRANCE ,
dans la mer d'Allemagne , l'industrie d'une nombreuse
classe d'hommes et la prospérité d'un grand pays n'en
resteront pas moins attachées à l'existence du port de
Dantzick.
Pour apprécier d'abord son importance commerciale ,
il suffit d'observer qu'il est à l'embouchure de la Vistule ,
et que ce fleuve , qui traverse la plus grande partie de
la Pologne , est à même de recevoir tout ce qu'exporte
un pays si fertile.
Or , en Pologne , où le paysan est encore en servitude
, il doit une portion considérable de son travail
à son seigneur , et ce seigneur perçoit ses revenus
seulement en nature . Obligé par cela même de vendre
ses récoltes , peu lui importe à qui la substance en profite
; l'essentiel est d'en tirer beaucoup d'argent , et ,
s'il le faut pour parvenir à ce but , il les vend au
dehors. f .
Sur ce malheureux système repose depuis longtemps
la richesse des villes de commerce à portée de la Pologne
. On ne l'a pas changé , quoiqu'on ait dépouillé la
plus grande partie des seigneurs primitifs ; au contraire
, il a reçu , des circonstances de la guerre , un
surcroît momentanée de crédit.
Mais , quelque vicieux qu'il soit en effet à l'oeil du
philosophe , tant que le Polonais sera dans l'esclavage ,
tant qu'il ne conservera pas lui -même une portion du
produit de ses peines , tant qu'il vivra de sarrazin ,
d'avoine et d'orge ; enfin , tant qu'il sera dans la misère ,
cette misère doit tourner au profit des spéculateurs de
Dantzick.
Les grains sont , en effet , la branche la plus importante
de son commerce , et l'Angleterre n'a pas de
meilleurs greniers dans la Baltique. Pendant ces années
de guerre , dont plusieurs ont de plus été des années de
disette , elle en a fait une traite si considérable , que le
MESSIDOR AN IX. 131
pain était cher à Dantzick comme à Londres . En nivose
dernier , il y revenait à 12 sous de France.
Il est vrai que l'état violent où se trouve le commerce
de presque tout le continent d'Europe , a beaucoup
influé sur cette angmentation . Mais , dans des temps.
moins orageux , Dantzick n'en reste pas moins un entrepôt
de grains très - important pour l'Angleterie , pour
la Suède , la Norwège , la Hollande , l'Espagne et quelquefois
même pour la France , orsque la récolte est
mauvaise dans les départements de l'Ouest : le prix du
transport par terre a fait préférer plus d'une fois les importations
de l'étranger.
D'ailleurs , les habitants de cette ville naissent spéculateurs
, et l'on y compte peu de grosses fortunes
dont l'origine ne remonte à la commission sur les grains ,
à partir des plus petits capitaux . Ce commerce a dégénéré
en jeu depuis la guerre , et la concurrence
étant devenue énorme , tous les joueurs n'ont pas été
heureux ; mais le nombre des gagnants l'emporte ,
et la
guerre ne finirait point , si l'on s'en rapportait aux,
marchands de Dantzick.
par
Ce n'est toutefois ni par le prix accidentel du blé
ni le retour considérable d'argent auquel il a donné
lieu , que l'on doit apprécier l'état prospère où se trouve
le commerce de Dantzick. Ce sont les quantités effectives
de l'exportation qui en sont la mesure ; et ici l'on
peut observer de combien de vicissitudes il a été affecté
à diverses époques .
A celle du premier partage de la Pologne , avant 1772,
les exportations ne surpassaient pas de beaucoup celles
qui ont eu lieu depuis , même pendant la guerre actuelle .
Lors du partage qui assurait au roi de Prusse la souve
raineté de la Vistule jusqu'aux portes de Dantzick ,
ce monarqué établit des péages ruineux sur cette rivière,
et un droit si considérable e faveur de ses propres
132 MERCURE DE FRANCE ,
états , qu'il réussit , comme il le desirait , à détourner le
commerce de Dantzick au profit de la ville d'Elbing .
Elbing n'offrait , à la vérité , ni les mêmes avantages
de localités , ni une navigation aussi commode que le
port de Dantzick ; mais les Polonais aimèrent mieux y
apporter leurs récoltes grévées d'un droit modéré , en
comparaison de ceux perçus à la porte de Dantzick. Ce
port devint un bien moindre entrepôt ; Elbing en prit
d'autant plus de consistance , et ce ne fut que dans les
besoins urgents , ou dans les cas de spéculation particulière
, que les grains passèrent outre, et s'écoulèrent par
Dantzick , malgré l'énormité du droit . Les choses sont
depuis rentrées dans l'ordre primitif , et , par le dernier
acte de partage qui donne Dantzick au roi de Prusse
en toute propriété , le commerce a repris sa route naturelle.
La balance a penché au profit de la Prusse ,
avec un avantage proportionné aux extrêmes besoins
de l'Angleterre ; en sorte que , de toute la monarchie ,
la ville de Dantzick est la plus riche en gros capitalistes.
Néanmoins , il résulte de la comparaison des exportations
anciennes avec celles des meilleures années qui
ont précédé la guerre , que cette guerre est l'unique
raison de la traite actuelle , et que les retours considérables
d'argent doivent être attribués au prix exorbitant
du grain , plutôt qu'à la quotité effective des
exportations ; ce qui doit faire craindre une diminution
au moment de la paix , où les besoins deviendront moins
pressants , les concurrents plus nombreux, et les demandes
moins considérables. Alors , l'administration exigera
quelques réformes. On craint que l'élévation du tarif ,
que les impositions extraordinaires sur les grosses fortunes
, que des prohibitions autrefois inconnues , toutes
choses portées fort loin , sous le règne actuel , ne deviennent
des entraves sensibles au commerce ; et si l'on
veut alors rétablir l'équilibre entre la somme des opé.
MESSIDOR AN IX. 133
rations anciennes et celle des opérations courantes de
Dantzick , il faudra concilier le système de police et de
protection que demande une ville devenue royale , avec
celui de liberté et de prérogatives dont elle a joui , à
titre de ville anséatique , dans le temps de sa prospérité.
Ses autres branches de commerce sont en assez grand
nombre , mais les mêmes observations ne leur sont pas
toujours applicables. On distingue d'abord les bois de
chêne , de hêtre et de sapin , pour la construction , aussi
quelques mâtures , mais en modique quantité , par comparaison
avec la traite qui s'en fait par les ports de
Memel et surtout de Riga . Les bois de chêne et de
hêtre viennent par la Vistule , où ils sont descendus
des forêts de Pologne , même de la portion acquise à
la Russie. Ils débouchent par cette route , parce qu'ils
ne pourraient rapporter les frais nécessaires pour les
rendre à portée du port de Memel ou de la Duna. C'est
encore l'Angleterre qui paye et qui prend la majeure
partie de ces approvisionnements ; mais on la rend tributaire
autant que possible. Les chantiers de Dantzick
sont couverts d'ateliers où l'on ouvrage tous les bois
d'une main - d'oeuvre chère , indépendamment de la
grande quantité qu'on en fournit en pièces et simplement
écarris . Les planches de sapin , le bordage en
chêne , et tous les autres matériaux qui font la cherté
des navires , sont ouvragés à Dantzick pour l'Angleterre
. Cela occupe un très - grand nombre d'ouvriers ,
active les chantiers et porte l'industrie aussi loin que le
permet le local . On en tire un parti admirable ; nonseulement
les Dantzigois y font construire leurs navires
, mais on y crée un plus grand nombre encore de
vaisseaux anglais ; et c'est ainsi que les deux nations
sont réciproquement utiles l'une à l'autre.
Un autre article qui forme , avec les précédents , la
partie principale des exportations de Dantzick , c'est
134 MERCURE DE FRANCE ,
l'extrait des cendres , connu dans le commerce sous le
nom de potasse. La potasse est une substance très- recherchée
, et qui devient tous les jours plus précieuse ,
en proportion du prix des bois et du nombre des manufactures
. Peu de pays en fabriquent assez pour leur
propre besoin , et c'est d'ailleurs une richesse de sol ,
qui n'appartient pas également à tous. La Hongrie , la
Pologne et les pays du Nord , très - fertiles en bois et
très peu avancés pour l'industrie et la civilisation ,
ne pouvant employer toutes les cendres qu'ils produisent
, dans leurs propres manufactures , en laissent
refluer le superflu chez les autres nations , et les répandent
dans le commerce , soit en nature de simples cendres
, soit après les avoir converties en potasse. La
Vistule en reçoit beaucoup sous ces deux formes .
Le peu que demande la Prusse , relativement à l'énorme
quantité qui en passe , reste dans ses manufactures
; le surplus descend à Dantzick , et là est épuisé
par les diverses nations. La guerre a mis la cherté sur
cet article , et la France en souffre particulièrement ;
car , ne pouvant s'en procurer ni d'Amérique , ni de Sicile
, ni d'Espagne , elle est obligée de recourir aux potasses
du Nord , et le prix s'en élève d'autant plus qu'il
y a moins de concurrence ; ainsi , l'on peut encore ranger
cet article parmi ceux sur lesquels s'exercent le calcul
et les spéculations des Dantzigois. Dans un ordre inférieur
, on peut classer les chanvres , les toiles d'emballage
, quelque peu d'acier et de fer , et l'ambre , enfin ,
que l'on recueille sur les bords de la mer , et qu'on
exploite aussi sur quelques cótes pour l'envoyer au reste
de l'Europe , mais en Turquie plus spécialement.
Ces derniers objets réunis à la masse , en augmentent
beaucoup l'intérêt ; pris à part , ils n'en ont qu'un fort
médiocre.
Les nations que le commerce peut mettre en rapport
MESSIDOR AN IX. 135
B
2
avec la ville de Dantzick , n'en reçoivent pas à beaucoup
près les mêmes avantages que ceux qu'elles procurent
à cette place . Il résulte , du système de prohibitions
établi dans la monarchie prussienne et applicable à
tout ce qui se peut fabriquer dans son étendue , qu'il
ne reste plus aux autres nations à lui fournir que des
produits industriels qu'elle n'ait point encore obtenus
d'elle - même , ou des productions étrangères à son sol .
De ce genre , il en est d'indispensables pour elle ; et si ,
pendant la guerre , c'est l'Angleterre seule qui jouit du
droit presqu'exclusif d'approvisionner toute l'Europe de
denrées dites coloniales , un droit non moins incontestable
, droit qui s'exerce pendant la paix , c'est celui dont
jouissent la France et l'Espagne , d'exporter les vins de
leur territoire. Ces deux nations doivent perdre moins
dans la balance , puisqu'elles effectuent un échange réel ,
et qu'à l'égard des articles coloniaux , elles peuvent
entrer en concurrence avec l'Angleterre . Il faut convenir
néanmoins que le plus grand avantage de ce droit.
n'est pas dans son application au commerce de la Baltique
; Dantzick reçoit moins qu'il ne donne , et , comme
la différence est un bénéfice net , les opérations de ses
habitants sont très- lucratives .
Une chose qui ne saurait échapper à l'examen de l'observateur
commerçant , c'est le soin que l'on met à la
conservation des grains et le respect avec lequel ils sont
gardés dans tous les dépôts de la ville . Ils ont un quartier
séparé ; c'est une île très - spacieuse , formée au sein
de la ville elle-même : c'est - là que sont les magasins.
Le jour , on les remplit , on les vide , on leur donne de
l'air , on les défend de tout dégât , notamment de celui
que pourraient faire les corbeaux attirés par une si riche ,
proie. La nuit , toutes les portes sont closes ; personne
n'y pourrait rester impunément. Passé l'heure où l'on
ferme , il est défendu d'y porter du feu ; la garde est
136 MERCURE DE FRANCE ,
confiée à des chiens sauvages qui feraient prompte jus
tice des mal -intentionnés Par ce moyen , la propriété
se trouve religieusement conservée , et c'est un exemple
admirable d'ordre et de bonne administration , que
l'économie qui préside à la conservation de la fortune
générale par la conservation des fortunes particulières.
D'après ces considérations sur la ville de Dantzick ,
il est fâcheux , mais pourtant nécessaire d'avouer que
sa prospérité se fonde en grande partie sur la calamité
publique. La guerre qui n'est que trop favorable au système
spéculatif qu'on y professe , la guerre qui afflige
si déplorablement toutes les autres villes maritimes ,
même celles , dans la Baltique , qui ne sont pas situées
d'une manière aussi avantageuse que Dantzick , la guerre
est évidemment le plus grand intérêt d'une ville dont
le commerce roule particulièrement sur l'exportation et
sur le débouché certain des grains de la Pologne. Le
prix auquel s'élève progressivement un article de nécessité
si absolue , compense tout autre inconvénient ;
et s'il faut débourser beaucoup d'argent pour importer
des vins et surtout des cafés , sucres , cotons , ainsi que
les autres denrées dont l'Angleterre a la fourniture exclusive
, on se retrouve et au - delà par le prix qu'on
met sur les grains . C'est un argent que l'on prête à usure ;
et cette usure n'a pas de terme , pui que la guerre est
une première chance , la disette une seconde , etc. Ce
sont ces vérités dont le négociant de Dantzick est tellement
pénétré , qu'il aperçoit avec regret la fin prochaine
d'un fléau , pour lui seul lucratif. Mais , indépendamment
des circonstances aussi particulières que celles du moment
actuel , et dans l'état de la plus grande pacification
maritime , ce port sera toujours un entrepôt très - précieux
pour les autres nations , un lieu d'échange avantageux
à la monarchie prussienne. Pour peu que l'on
fasse attention à ses rapports avec la Pologne , à ceux
MESSIDOR AN IX. 137
7
du même genre qui existent entre les villes de Konisberg
et de Memel et la Prusse proprement dite ,
même avec la Russie polonaise ; entre Stettin et le
Brandebourg avec la Silésie , il faudra en conclure l'influence
la plus sensible du commerce de ces villes sur
l'industrie et les consommations de presque tout le nord
de l'Allemagne . De telles raisons suffisent bien pour que
la Prusse s'oppose de tous ses moyens aux plus légères
entraves qui menaceraient le commerce maritime. Sa
cause est celle de toutes les puissances qui ont à déboucher
leur superflu et à se procurer le nécessaire , mais
qui ne veulent avouer d'autre domination maritime que
celle de l'industrie , de l'activité et d'un juste équilibre .
Des fortunes particulières peuvent bien se former rapidement
, au moyen de tel avantage local , de telle chance ;
mais la masse est intéressée à la liberté de transport la
plus illimitée ; et , tôt ou tard , les ports de Prusse doivent
se fermer aux Anglais , à moins que ceux -ci n'y
reviennent , avec les vaisseaux des autres nations , en
toute paix et toute liberté , sauf les avantages de l'industrie
et de l'émulation .
SUR le Danemarck.
•
Le Danemarck , non compris le duché de Slesvick
qui a son gouvernement particulier , est divisé en sept
grands bailliages , dans lesquels on compte 68 villes
dont un grand nombre pauvres et petites . Plusieurs
pays , dont nous avons parlé dans nos numéros précédents
, font partie de cet état : ce sont :
1 ) Au nord ; la Norwège , plus haut l'Islande ; dans
un éloignement plus considérable les îles de Fero , et
enfin le Groenland qui touche au pôle arctique , ou du
moins aux glaces éternelles .
2 ) Au midi , le duché de Holstein compris dans le
138
MERCURE
DE FRANCE
,
cercle de la Basse - Saxe , par conséquent soumis dans
plusieurs circonstances à la jurisdiction de l'empire
germanique , en dernier ressort .
3) En Asie , Tranquebar et ses dépendances sur la
côte de Coromandel ; plusieurs loges ou petits établissements
sur d'autres côtes , et en outre les îles de Nicobar
, à l'entrée du golfe de Bengale .
4 ) En Afrique , une étendue de 50 milles danois ou
80 lieues de France , sur la côte de Guinée .
5 ) Aux Antilles , les îles de Sainte - Croix , de Saint-
Thomas et de Saint- Jean .
En Danemarck , les hommes sont en général grands
et forts , leur teint animé et sain , leurs yeux peu vifs ,
leurs cheveux blonds ; les femmes , ordinairement blondes
aussi , ont la peau très - blanche et très- fine , le teint
éclatant , le regard un peu langoureux ; elles sont
grandes et assez bien faites. Les Danois , sans avoir ce
degré de pesanteur qu'on attribue à tel autre peuple ,
sont bien éloignés de la légèreté il le faut attribuer
à l'abondance et à la nature des aliments lourds et
farineux dont ils se nourrissent , à la pesanteur et à
l'humidité de l'air qu'ils respirent. Ils ont de la patience
, savent persévérer , résister à l'adversité et surmonter
les obstacles . Ils sont bons , honnêtes , bienfaisants
et véritablement hospitaliers . On serait peut- être
en droit de leur reprocher trop d'admiration et d'enthousiasme
pour tout ce qui vient de l'étranger , et en
même temps trop de défiance d'eux - mêmes . Ils aiment
beaucoup leurs aises et même le luxe : c'est un vice
national , chez les Danois et ailleurs mais ce qu'on
trouverait plus difficilement chez d'autres peuples , il s'y
commet peu de vols , les assassinats sont des crimes
rares , et les soulèvements presque inconnus .
:
La population des états de Danemarck , en Europe ,
était , en 1796 , de 2,444,335 individus ; savoir :
MESSIDOR AN IX. 139
Danemarck , 872,500 .
Norwege , 897,874.
Duches de Slesvick et de Holstein , 617,884 .
Islande , 46,201 .
Iles de Fero , 4,754 .
Groenland , 5,122 .
Le nombre des naissances , est à celui des vivants
dans la proportion d'un à 32 , parce qu'on ne peut
compter que deux ou trois naissances par mariage ; en
revanche , le nombre des morts n'est à celui des vivants
que comme un à 38. En général la population de ce pays
est bien loin d'être proportionnée à l'étendue de son
territoire , mais les efforts constants du gouvernement
actuel , la paix sans altération dont a joui le Danemarck
, et qu'il recouvrera sans doute après cet orage
passager , dans lequel il a su maintenir sa gloire et
mériter l'estime de toute l'Europe ; le peu de disposition
qu'ont heureusement , quoi qu'on en dise , les
habitants de ce pays à l'insurrection , la sureté et les
avantages dont y jouissent les étrangers , tout concourt
à en augmenter la population , qui ne peut que
s'accroître de plus en plus .
Les nobles , en Danemarck , ont des priviléges , mais
peu considérables : la noblesse d'ailleurs s'y acquiert
aisément , et il suffit d'être propriétaire de grandes
terres ou d'avoir un titre , pour jouir de la plus grande
partie des droits qui y sont attachés .
On jouit de tous , si l'on possède à la fois une terre et
un titre. Les comtes et les barons seulement forment une
classe particulière , et ont quelques priviléges au dessus
des autres ; mais ils sont généralement trop justes et
trop sages , pour exiger ou même desirer des distinctions
dont le mérite et les talents se trouveraient humiliés.
Si les nobles sont en possession de la plupart
des places lucratives et des charges éminentes , ce
140 MERCURE DE FRANCE ,
n'est guère qu'une suite naturelle de la forme du gouvernement.
Comme le duché de Slesvick, est sous plusieurs
rapports , réuni à celui de Holstein , et conséquemment
gouverné plutôt d'après des principes allemands
, que suivant l'esprit des lois du Danemarck , la
noblesse y jouit de plus de priviléges ( Le reeueil de
ces priviléges vient de paraître dans une édition trèssoignée
, in-4. ° ).
Pendant un assez long temps ce fut une fureur presque
universelle de courir après les titres bien plus qu'après
les dignités. Cette manie semble passée de mode , et
aujourd'hui , mieux qu'autrefois , on apprécie le titre
de bon citoyen. L'ordonnance qui règle les rangs et
qui les divise en neuf classes , et chaque classe en plu
sieurs degrés , est cependant en pleine vigueur. Indépendamment
de dix pour cent que les fonctionnaires
publics , en général , payent sur leurs appointements ,
chacun est encore soumis à un impôt , à raison de son
titre.
Quoique par la loi fondamentale de 1660 , le pouvoir
monarchique soit limité à l'égard de la religion et de
quelques autres objets qui regardent principalement la
personne du roi , cette loi n'ayant point déterminé de
moyens coactifs pour les cas où quelque roi de Danemarck
outre-passerait les bornes qu'elle prescrit , on
peut regarder ce gouvernement comme une des monarchies
les plus absolues qui existent. Cette loi fixe
également l'ordre de succession au trône ; elle y admet
les filles , mais seulement à défaut de lignée mâle . Le
roi y est déclaré majeur à l'âge de 13 ans accomplis .
Les deux principaux ordres de chevalerie sont celui
de l'Eléphant et celui de Dannebrog ; les chevaliers
du premier , dont le nombre est fixé à trente , portent
ordinairement le cordon bleu ; cet ordre est un des plus
anciens et des plus estimés de l'Europe.
MESSIDOR AN IX . 141
Les chevaliers du second , ont pour marque distinctive
, un cordon blanc à lisières rouges ; leur nombre
est aussi déterminé ; jamais on n'a plus respecté qu'aujourd'hui
ces deux institutions.
La religion dominante de l'état est la luthérienne ;
les autres cultes chrétiens et le judaïsme y sont nonseulement
tolérés , mais même spécialement protégés.
L'église est gouvernée par six évêques , et dans le
Slesvick , par un surintendant ; elle compte en totalité
1800 pasteurs.
Nous avons inséré dans le dernier N. ° des réflexions .
extraites du journal officiel , qui contenaient un coup-.
d'oeil général sur la situation actuelle de l'Europe ; ces
réflexions ont dû frapper tous les esprits. Aussi , les papiers
anglais attestent que le gouvernement français acquiert
de plus en plus , aux yeux même de l'Angleterre , le
crédit et la confiance qui doivent amener les négociations
définitives pour la paix. Les dépêches de Calais à
Douvres, et de Douvres à Calais se succèdent rapidement.
Un second article du Moniteur offre plus particulière,
ment la position respective de ces deux puissances :
་་
Le Cap-de -Bonne - Espérance , Ceylan et Surinam ,
n'ont pas été conquis par les armées anglaises , mais
leur ont été livrées par les Orangistes. La Hollande les
a perdus par suite des divisions et des désordres que.
produisent toujours les grandes révolutions .
Les Anglais n'ont rien pris aux Français dans l'Inde ,
qui fût susceptible de défense. Les îles de France et de
la Réunion appartiennent à la République.
Le pavillon britannique flotte sur la Martinique. Les
habitants ont appelé les Anglais et mis en dépôt dans
leurs mains leurs forteresses , pour se soustraire à l'insurrection
des noirs , pendant la durée de l'effervescence'
de la révolution , et jusqu'à ce que la France se fût donné
un gouvernement capable de les protéger. C'est donc
142
MERCURE DE FRANCE ,
par suite des désordres de la révolution , que l'Angleterre
occupe la Martinique .
" La Trinité était sans défense , et Malte même à l'égard
de laquelle les Anglais n'ont eu d'autre mérite que
de la bloquer avec quelques vaisseaux , aurait été secourue
, sans les désordres intérieurs et les divisions qui partagèrent
, en l'an 7 , les grandes autorités de la république
.
Lorsqu'on considère l'effet que dut produire , sur des
possessions éloignées , une révolution de la nature de
celle qui a agité , pendant dix années , les peuples français
et batave , on est étonné qu'il reste encore quelques.
colonies aux alliés .
Les motifs qui firent ouvrir le port de Toulon aux
Anglais , et qui , dans le même jour , mirent à leur dis- ,
position trente -trois de nos vaisseaux de guerre et notre
chantier le mieux approvisionné , ces motifs tiennent
aussi à la révolution .
Lorsqu'au Texel , la moitié des forces navales bataves
arbora le pavillon orangiste , la même cause produisit
encore le même effet .
Et , pendant que les Anglais profitaient des dissentions
civiles des alliés , pour obtenir de si grands avantages quidemandaient
de si faibles efforts et valaient si peu de .
gloire , deux coalitions fe for mèrent successivement . Le
continent de l'Europe ne fut qu'un champ de bataille où
plus de deux millions d'Européens trouvèrent la mort .
Cependant ces deux coalitions se sont dissoutes . Quelques-
uns des coalisés que l'Angleterre avait soudoyés ,
ont perdu une partie de leurs états : d'auties n'existent
plus au rang des puissances .
"
Les 500 mille livres sterling que le roi de Sardaigne
a longtemps touchés pour faire la guerre à la France ,
lui ont causé bien des malheurs.
Le roi de Naples qui , le premier , est entré dans la
MESSIDOR AN IX. 143
coalition , n'a trouvé de sureté que dans la protection
de la république .
Le Portugal qui a suivi , avec un dévouement et un
aveuglement presque inconcevables , l'influence britannique
, est prêt à perdre ses meilleures provinces.
La Prusse occupe l'Hanovre , et les puissances du
Nord arment de tous côtés , bien convaincues qu'il n'y
aura de sureté pour leur commerce , que lorsqu'elles
entretiendront des flottes puissantes ; car ce n'est désormais
qu'à l'aide de la force qu'il appartient de soutenir
les principes immuables et sacrés de la liberté des mers .
Que vont donc faire les ministres britanniques ?
Reformer une troisième coalition ?
Ils acheteraient en vain quelques ministres. Ils prodigueraient
en vain tout l'or de l'Asie et de l'Amérique ;
la guerre a appris aux peuples du continent à s'estimer :
elle les a réunis dans leur haine commune contre l'Angleterre.
Il n'est pas aujourd'hui une puissance en Europe
, il n'est pas une armée continentale qui voulût se
battre pour affermir les Anglais dans l'empire des mers.
Fomenter la guerre civile en France ?
La révolution est finie. Les Anglais soudoieront quelques
scélérats. Ils périront sur l'échafaud.
Abandonnés de l'Europe entière , continuer la guerre
contre la France ?
L'Angleterre , il est vrai , pourrait y gagner l'avantage
de jouir plus longtemps , presque seule , du commerce
du monde ; mais serait - il sensé de croire que
désormais , n'ayant plus rien à occuper , ses troupes
dispersées dans les quatre parties du monde , et dès -lors
faibles partout , elle pût espérer d'autres succès en continuant
la guerre ? Et d'ailleurs tout , dans la nature ,
n'a - t- il pas un terme ?
Nous n'examinerons pas si le fossé qui nous sépare est
tellement large qu'on ne le puisse franchir ; nous ne
144 MERCURE DE FRANCE ,
dirons pas qu'obligés à la guerre par la volonté des mi❤
nistres anglais , il n'y aurait aucun Français , de quelque
parti , de quelque opinion qu'il fût , qui ne briguât l'honneur
de contribuer au repos du monde et à la liberté
des mers.
Nous ne dirons pas tout ce que le peuple français
peut faire , s'il sent qu'un dernier effort est nécessaire
à son honneur et à son existence .
Mais , quelles que soient les chancesqu'offre aux alliés
la continuation de la guerre contre l'Angleterre seule
il n'en est pas moins vrai qu'elle est contraire à leurs
intérêts et à leurs voeux . Le bonheur des nations se compose
de tous les instants , de toutes les années ; du sang,
des souffrances et une privation de commerce , pendant
une année , sont , pour des hommes sages , des considérations
majeures qui doivent déterminer les gouver→
nements à se contenter de ce qui peut être compatible
avec l'honneur et une sage politique.
Les ministres anglais se résoudront-ils enfin à la paix ?
Elle dépend entièrement d'eux ; mais ils doivent considérer
que le peuple français du 19.me siécle n'est plus
ce peuple qui , vers le milieu du 18. , souffrait des
commissaires dans ses ports , et qui voyait de sang-froid
déchirer ses toiles sur les métiers .
Que les avantages qui ont été obtenus par eux sur les
alliés , sont dus aux désordres de la révolution , qui ne
peuvent plus se reproduire ; aux malheurs de la guerre
civile dont tous les Français sont désabusés ; aux efforts
immenses des deux grandes coalitions , qui n'ont plus
intérêt de se reformer que contre eux .
Que , s'ils ont dans les mains des établissements espagnols
et hollandais , la France dispose des états de
ceux de leurs alliés qui , par leur faiblesse , ne devaient
pas naturellement s'exposer avec tant d'imprudence à
son indignation.
MESSIDOR AN IX 145
DEPT
# 5
Qu'ils ne se sont résignés à tant de hasards que sus cent
cités par les agents anglais , et comptant en tout temps
sur leurs promesses et sur leurs secours .
Toutes ces considérations porteront - elles les ministres
anglais à concevoir un système conforme à l'honneur
et à la dignité de leur pays , mais fondé sur l'équilibre
dans les différentes parties de la terre ? La paix se trouvera
faite , et le monde livré de nouveau à l'industrie
au commerce , à toutes les sciences et à tous les arts
qui ont rendu les puissances européennes de notre âge
si recommandables et si supérieures aux générations
passées .
INTÉRIEUR.
..
Le C.Talleyrand,ministre des relations extérieures , est
parti de Paris le 9 messidor pour prendre les eaux à
Bourbon - l'Archambaut . Pendant son absence , le portefeuille
est remis au citoyen Caillard , garde des archives
du ministère.
Rien de certain sur l'Egypte , sinon l'incertitude même
des nouvelles qui se contredisent tous les jours dans les
papiers anglais ; mais cette incertitude est pour nous
un motif d'espérance . On parle d'une défaite des Anglais
auprès de Rdramanié. -Il semble que du sort définitif de
ces contrées dépend en grande partie la paix générale.
L'armée espagnole a poursuivi sa marche victorieuse
en Portugal . La paix vient d'être signée entre cette
puissance et S. M. C. Les conditions ne sont pas encore
connues.
L'embargo est levé de part et d'autre sur les vaisseaux
anglais , russes , danois. Les Suédois se flattent que cette
mesure leur sera bientôt commune. Les relations commerciales
se rétablissent , et l'on commence à espérer
la paix maritime . Mais les puissances du Nord ne pa-
5.
10
146 MERCURE DE FRANCE ,
raissent pas disposées à renoncer aux principes qui ont
formé la neutralité armée. Recemment encore , on a
publié à Stockholm la déclaration par laquelle S. M.
danoise accède à la convention du 16 décembre.
Une foule de braves ont obtenu des brevets d'honneur
du premier consul . Il est impossible de citer tous
les traits de courage par lesquels ils ont paru surpasser
tous les jours leurs premiers exploits. En voici un entre
mille.
Dans une affaire qui eut lieu le 24 frimaire an 8 ,
pendant le blocus de Gènes , l'ennemi fut mis en déroute
et poursuivi par les grenadiers de la 55. demibrigade
de ligne. Un de ces grenadiers , nommé Alexis ,
s'étant avancé rapidement par un sentier tres - escarpé ,
fait un faux pas et roule au fond d'un ravin où se trouvait
rassemblée une compagnie de soixante chasseurs
croates , armés de carabines à deux coups . Loin d'être
effrayé , il se relève aussitôt et crie à l'officier ennemi ;
Rendez- vous , ou vous allez être fusillés par un bataillon
qui vous entoure. L'officier obéit ; les armes sont posées ,
et l'intrépide Alexis conduit seul ses prisonniers jusqu'au
lieu où sa demi - brigade s'était ralliée .
Dans sa séance du 5 messidor , l'Institut a nommé le
C. Sicard à la place de la section de grammaire , vacante
par la mort du C. Dewailly.
Son excellence le cardinal de Gonsalvi , secrétaire
d'état de sa sainteté , est arrivé à Paris le 2 messidor.
Il a eu dans la soirée son audience de réception au palais
du gouvernement.
Le même jour , le ministre des relations extérieures a
présenté au premier consul M. le baron d'Ambach ,
conseiller de régence de l'électeur de Saxe ; M. le baron
d'Yvoi , gentilhomme attaché à la maison du prince
de Nassau Orange ; M. le sénateur Rodde , député de
Lubeck ; MM. les sénateurs Tucher et Kiessling , deputés
de Nuremberg. Le prince de Hohenzollern - Heckigen
a pris congé du premier consul , à la même
audience.
9. 6 .
MESSIDOR AN IX. 147
Le journal que nous avons annoncé dans le numéro XII ,
sous le titre de Journal général de littérature , des
sciences et des arts , a paru en effet le premier prairial ,
et continue de paraître deux fois par décade. Il justifie
les espérances que faisaient concevoir le nom du rédacteur
, le citoyen Fontenay. Il prouve que ce vieillard ,
respectable par ses moeurs , et qui mérita d'être longtemps
proscrit pendant la révolution , a conservé pour
saine littérature le bon goût qu'il manifestait dans son
Journal général de France.
la
L'estimable traducteur des ouvrages allemands , anglais
, espagnols , etc. qui concernent les établissements
d'humanité , continue le recueil de ses mémoires . Les numéros
23 et 24 ont paru . Le premier est la fin de l'histoire
des lazarets , et forme avec le numéro 19 le
tome deuxième de cette histoire . Le second , avec le
numéro 21 , complète l'extrait d'un ouvrage ayant pour
titre Etat des pauvres ; par sir F. Morton Eden . Le
même numéro 24 contient en outre une liste alphabétique
d'ouvrages français relatifs aux établissements
d'humanité , et la table générale des 24 premiers numéros
de cette utile collection.
::
L'Ecole polytechnique doit son existence à la révo→
lution ( 1 ) ; mais elle est du petit nombre des établissements
qui survivent aux circonstances qui les ont fait
naître. L'époque où cette école fut établie , était , plus
que toute autre , le moment favorable à son institution.
Tous les vieux monuments de l'éducation publique
avaient disparu . Deux années seulement nous séparaient
du temps où ils existaient encore et l'on eût dit qu'un
intervalle de deux siécles isolait la génération qui achevait
de s'instruire , et celle qui se présentait trop tard
à l'instruction . Ce fut une espèce de phénomène , que
cet établissement nouveau , seul au milieu des ruines,
Une foule de jeunes gens s'y réfugièrent pour sauver ces
années , qu'on ne répare point ; les autres , trop jeunes
encore le fixèrent comme le but de leurs études.
"
* Le premier décret de la convention nationale , concernant
cette école , est du 21 yentose an 2 .
148 MERCURE DE FRANCE ,
On sait d'ailleurs de quelle faveur extraordinaire jouissaient
depuis un certain temps les sciences mathématiques
et physiques. Tous les esprits se tournaient vers
les travaux qui avaient illustré les Lagrange , les Monge,
les Lavoisier , les Chaptal. Ce serait une recherche curieuse
, également digne du littérateur et du philosophe ,
d'examiner les effets de cette direction presque universelle
des esprits vers des sciences qui demandent surtout
un raisonnement froid , méthodique et rigoureux ,
et n'admettent que les résultats de l'analyse et du
calcul.
Enfin la guerre de la France contre l'Europe appelait
des ingénieurs au service des armées .
Les services que l'Ecole polytechnique a rendus , ceux
qu'elle doit rendre à l'avenir , et qui deviendront plus
importants , à mesure qu'elle recevra les perfectionnements
dont elle est susceptible, assurent sa durée.
L'organisation de cette école a été réglée par une loi
du 25 frimaire an 8 ; mais le législateur a sagement
pensé que , conçue sur un plan aussi vaste , et sans modele
chez aucun peuple , elle devait recevoir de la réflexion
et de l'expérience plusieurs améliorations . Un
conseil , formé des plus savants professeurs , de quelques
membres de l'Institut national , des officiersgénéraux
ou agents supérieurs des différents services publics
, est convoqué tous les ans. Il prend connaissance de
Ja situation de l'Ecole, des résultats qu'elle a donnés pour
P'utilité publique , et des moyens de coordonner le plus
avantageusement toutes les branches et tous les degrés
d'instruction .
Le conseil de perfectionnement vient de présenter
son premier rapport , au ministre de l'intérieur.
On y voit toutes les espérances justifiées par l'excellence
des méthodes d'enseignement , par le zèle et les
talents des professeurs , par l'assiduité et l'émulation
des élèves , qui s'y rassemblent de toutes les parties de
la république ; le sort des élèves assuré par le grade
qui leur procure la subsistance militaire , les dispenses
d'âge réservées aux défenseurs de la patrie , le mode
des examens d'admission ( 1 ) , rendu plus uniforme , le
97
* Les connaissances exigées pour l'admission à l'Ecole polytechnique
, sont : 1. l'arithinétique ; 2.º l'algèbre , com-
1
MESSIDOR AN IX. 149
choix des aspirants combiné avec les besoins des différents
services , un nouveau concours ouvert pour l'artillerie
de la marine , les examens étendus à toutes les parties.
de l'instruction ; les relations , mieux déterminées , de
cette école première , avec toutes les écoles d'application
, tels sont les amendements qui sont déja résultés.
de la loi du 25 frimaire .
Ainsi , l'Ecole polytechnique aura puissamment secondé
l'impulsion donnée vers les sciences exactes ; la
France a droit d'en attendre , soit en paix , soit en
guerre , de grands avantages , puisqu'elle y prodigue
aux élèves tout ce qui peut former des sujets pour l'artillerie
, le génie militaire , la marine , le corps des ingénieurs
des ponts - et - chaussées , celui des ingénieurs des
mines , ou même pour les établissements de commerce ,
d'arts et de manufactures.
Mais ce n'est ici pourtant qu'une seconde éducation ;
et quelque nécessaire , quelque avantageuse qu'elle puisse
être , son succès tient beaucoup au succès de l'éducation
qui la précède ; d'ailleurs , celle - ci est le besoin
de tous ; celle - là ne peut et ne doit appartenir qu'au
petit nombre. La première forme l'homme , la seconde
le savant . On conçoit combien il est plus facile de créer
une Ecole polytechnique , que d'établir , et surtout de
rétablir de bons colléges ou de bonnes écoles.
prenant la résolution des équations des deux premiers degrés
, la composition générale des équations ; la démonstration
de la formule du binome de Newton dans le cas seulement
des exposants entiers positifs ; les méthodes pour
trouver les diviseurs commensurables , qui peuvent être
contenus dans une équation , pour résoudre les équations
numériques par approximation , pour éliminer les inconnues
dans les équations de tous les dégrés ; 3.º la géométrie élémentaire
, en y comprenant la trigonométrie rectiligue et la
manière de faire usage des tables de logarithmes pour la résolution
des triangles ; 4.° les propriétés principales des sections
coniques ; 5.0 la mécanique statique , appliquée principalement
à l'équilibre des machines simples ; enfin ,
les
candidats seront tenus d'écrire , sous la dictée de l'examinateur
, quelques phrases françaises , pour constater qu'ils
savent écrire correctement leur langue.
Nota. La théorie des proportions et progressions , et des
logarithmes sera exigée dans les examens ; on exigera aussi
l'exposition du nouveau système métrique.
150 MERCURE DE FRANCE,
Au reste , on voit par le programme d'admission
combien les premiers éléments de l'éducation ont été
négligés depuis plusieurs années . Les examinateurs ont
demandé seulement que les élèves sussent écrire correctement
leur langue. Ils ont craint , avec raison , d'éloigner
des sujets que des circonstances , trop communes , auraient
privés , sous ce rapport , d'une instruction plus
étendue ; mais ils reconnaissent la nécessité d'exiger
par la suite des aspirants les preuves qu'ils ont suivi
des cours de langues anciennes et de littérature . La
France entière redemande ces cours . Elle se souvient
qu'elle eut à la fois Tourville et Vauban , et Bossuet
et Racine. A. R.
M. le comte et M.me la comtesse de Livourne ont
quitté Paris le 12 messidor.
L'armistice , entre le Danemarck et l'Angleterre ,
vient d'être prolongée de deux mois. On s'attend que
les négociations de paix seront terminées à cette époque .
Les tribunaux spéciaux , établis dans 27 départements,
d'après l'arrêté du 4 ventose (V. n. ° XVIII , sont en pleine
activité. A la fin du mois de prairial , ils avaient déja
jugé 354 affaires , et prononcé sur le sort de plus de 1200
individus , la plupart prévenus de délits très-graves et
de crimes atroces. Le tribunal de cassation n'a eu occasion
de relever que très - peu d'erreurs sur la compétence
des nouveaux tribunaux ; il n'a réformé que huit de leurs
jugements ; ainsi l'expérience même a justifié la sagesse
et l'à - propos de cette mesure extraordinaire : l'ordre
renaît et succède partout au plus affreux brigandage.
Mille opinions différentes d'amateurs et d'artistes ont,
jusqu'à présent , laissé très - indécises les questions qu'a
fait naître la colonne nationale. On attend incessamment
le rapport du jury , qui a fait adopter le dessin
du C. Moreau .
MESSIDOR AN IX. 151
SUITE de la Statistique du département des
Hautes - Alpes.
JACHÈRE S.
N ne connaît pas davantage cette méthode qui
consiste à réparer une terre en variant sa culture. Chaque
année , la moitié des champs reste en jacheres , et
la terre qui une fois a rapporté du froment , n'est jamais
énsemencée d'une autre espèce de grains .
PRODUCTIONS.
D'après une évaluation approximative , le produit
net des terres labourables s'élève à 600,000 quintaux de
froment ou de seigle. En général , il faut , chaque année,
retrancher de la récolte possible ce qui est perdu par la
manière vicieuse d'ensemencer les terres , et par le foulage
et le lavage des grains , qui se pratiquent encore
aujourd'hui comme anciennement. Cependant , cette
récolte suffit ordinairement à la consommation des habitants
; quelquefois même , il y a de l'excedent , et alors
une grande partie s'exporte dans la ci - devant Provence.
Mais jamais les exportations ne doivent prendre la totalité
de cet excédent ; tout l'argent du pays ne suffirait
pas pour le remplacer , dans les années stériles . Ces
réserves si précieuses dans un pays pauvre et sujet à
toutes les intempéries des saisons , viennent d'être
enlevées par les réquisitions des armées , et il y a tout
à craindre , si une année d'abondance ne vient au plutot
réparer cette perte. La pomme de terre , qui fait la
nourriture presque habituelle du pauvre , offrirait plus
de ressources encore , si on voulait la cultiver en grand.
"
Dans la partie méridionale du département , les vallées
sont couvertes de noyers , qui fournissent aux habitants
leur provision d'huile. Soit habitude , soit économie
ils en tirent fort peu de la ci - devant Provence , qui est
limitrophe. L'huile du prunier briançonnais , dont on
a cherché à encourager la culture, serait bien préferable,
sous tous les rapports , à l'huile de noix.
152 MERCURE DE FRANCE ,
On récolte aussi du vin dans plusieurs communes . Il
est très- mauvais dans la partie septentrionale du département
; mais les habitants s'en contentent . Sur les bords
de la Durance , la qualité devient meilleure ; il faut
même qu'elle soit excellente , puisque les propriétaires
ne viennent pas à bout de l'altérer tout - à- fait par les
vins de fabrication .
CHEVAUX , MULET S.
Ce pays fournit peu de chevaux. L'âne et le mulet
doivent avoir la préférence , dans une contrée montagneuse
et difficile . Le mulet surtout est d'un usage
général pour le roulage et pour porter des charges à
dos , dans les chemins escarpés , sur les bords des précipices
. On en élève de très - beaux dans le Champsaur et
dans la vallée de Queyras , limitrophe du Piémont . Les
habitants vont les acheter très - jeunes dans la ci - devant
Auvergne et dans l'ancien Limousin ; ils les gardent
pendant dix-huit mois environ , puis les revendent avantageusement.
Les ânes sont beaucoup moins nombreux que les mulets
. Il serait possible et même avantageux de les multiplier
davantage. Le Piemont en fournirait de la plus
belle race , pour former des haras ; des prairies artificielles
donneraient les fourrages . L'âne suppléerait,pour
beaucoup d'usages , au mulet , dont l'achat excède souvent
les facultés du pauvre.
BOEUFS.
Chaque exploitation rurale suppose au moins deux
ou un plus grand nombre de boeufs destinés au labour.
Les vaches donnent de fort bon lait , et les fromages
font la richesse de quelques vallées. On compte , dans
ce département , environ vingt - deux mille habitations.
En ne prenant , pour terme moyen , que deux têtes de
bétail par habitation , le nombre total des bêtes à corne
s'éleverait donc à quarante - quatre mille environ .
Ici , il faut encore regretter les prairies artificielles.
Car , sans doute , c'est à la disette de fourrages qu'il
faut attribuer la funeste habitude où l'on est de ne point
faire d'élèves et de vendre les veaux dans les départements
du Midi . La partie limitrophe du département de
MESSIDOR AN IXх.. 153
•
l'Isère fournit aux cultivateurs les boeufs dont ils ont
besoin. Mais le produit des veaux est loin de couvrir
les frais de cet achat , et c'est ainsi que l'indolence et
l'obstination des habitants tend à faire sortir le numéraire
d'un pays déja si pauvre par lui - même.
MOUTON S.
Les moutons des Alpes sont connus. Vers le milieu
du printemps , lorsque le soleil a fondu les neiges , on
les voit sortir du fond des vallées . Ils quittent leur étable
infecte et obscure , pour se répandre successivement sur
les montagnes reverdies , en les parcourant depuis la
base jusqu'au sommet , toujours au milieu d'un air pur,
des pâturages frais et odorants . Les premières neiges les
avertissent de quitter cet heureux séjour . Alors on les
voit descendre des montagnes , couverts de toisons
épaisses et blanchies par les rosées , chargés de graisse
et doublés de valeur.
Partout ailleurs , ce serait là un grand moyen de richesses
locales : la nature en fait presque tous les frais .
Cependant on n'en profite pas , ou du moins que trèspeu
, et les spéculateurs des départements méridionaux
viennent révéler aux habitants les ressources de leur
pays , en se les appropriant. 1
MOUTONS TRANS HUMANTS.
Chaque année amène , de la ci - devant Provence ,
d'immenses troupeaux qui consomment , pour le profit
de leurs maîtres , les pâturages des Alpes . L'hiver les
rappelle dans le midi , où ils dédommagent avec usure
les propriétaires des avances que nécessitent leur conduite
et les frais de séjour . Ĉes troupeaux , allant et
venant , sont connus sous le nom de races trans- humantes.
Cet usage remonte à un temps immémorial . Les conducteurs
jouissent de certains privileges , soit pour les lieux
de gite , soit pour les lieux de séjour , etc. Avant la révolution
, l'on comptait jusqu'à cent dix milie moutons
trans - humants. Mais , depuis 1790 , les vexations des
administrateurs ruraux ont alarmé les propriétaires et
les conductears , et cette année , la transmigration était
diminuée des quatre cinquièmes , malgré tous les efforts
154 MERCURE DE FRANCE ,
du ministre de l'intérieur , en l'an 6 , pour l'encourager.
En effet , tant que les habitants des Hautes - Alpes
ne sauront pas tirer parti eux mén es de leurs pâ urages
, ils ont un grand intérêt à favoriser ces transmigrations
qui répandent du numéraire ; le gouvernement
ne doit pas non plus les voir avec indifférence . Pendant
l'hiver , les troupeaux fournis ent les marchés du midi ,
et donnent aux manufactures des matieres premières
d'une tres- bonne qualité.
Mais les résultats seraient les mêmes pour le gouvernement
, et ils seraient bien plus avantageux pour
ces pays de montagnes , si les troupeaux , au lieu d'être
la propriété de quelques spéculateurs des Bouches- du-
Rhône ou de Vaucluse . appartenaient à ceux des Hautes-
Alpes . On sait que les moutons ne craignent pas le
froid , et il n'est pas prouvé , comme on l'a prétendu ,
que , pour prospérer , ils ayent besoin de changer alternativement
de climat et de sol . L'objection tirée de
l'incertitude de la vente n'est pas plus fondée ; car la
consommation du midi ne doit pas diminuer , parce que
le nom des propriétaires aura changé. Les débouchés
qui sont ouverts au département des Bouches- du - Rhône,
le seront également à celui des Hautes - Alpes . De plus ,
celui - ci établirait des relations directes avec l'Italie ;
et alors , il devient même douteux que ce département
pût suffire à la double consommation du Piémont
et du midi de la France. Toujours est - il certain que
l'on n'aurait à nourrir , pendant l'hiver , que les troupeaux
d'un an et les mères destinées à les reproduire.
CANAUX D'ARROSAGE.
Au reste , de pareilles entreprises dépendent essentiellement
des améliorations de l'agriculture ; ce pays
les réclame toutes . Les canaux d'arrosage , par exemple,
seraient d'une exécution facile . On pourrait avoir des
eaux à toutes les hauteurs , et forcer ainsi les torrents
à devenir utiles . Mais ces spéculations aussi simples ,
si bien d'accord avec les intérêts privés , n'ont convaincu
personne ; en attendant , la canicule amaigrit le
sol et brûle les moissons .
MESSIDOR AN IX. 155
A Gap même , chef - lieu du département , situé au
centre d'une vallée aride , on parle , depuis près d'un
siécle , du canal d'Orciers. La richesse de la ville , la
fertilité de ses environs en dépendent ; chacun applaudit
isolément au projet. Mais aucun plan , aucun devis
estimatif, aucune mise de fonds n'ont annoncé l'intention
de s'en occuper sérieusement.
DIGUE S.
Les secours de l'ancien gouvernement ont donné à
quelques communes les moyens de construire des digues .
Ĉes constructions réunissent le double avantage de garantir
des inondations les propriétés voisines , et de rendre
cultivables d'immenses délaissés qui , avec le temps ,
deviennent des fonds extrêmement précieux. Depuis la
révolution , elles sont devenues tout - à- fait impossibles ,
et il en résulte , chaque jour , des pertes plus ou moins
considérables . Ón compte des villages qui ont perdu la
moitié , d'autres la presque totalité de leur territoire.
On doit regretter que les prétentions de quelques
propriétaires privilégiés ayent fait rejeter, dans le temps ,
la proposition d'une compagnie de juifs qui , moyennant
l'abandon des délaissés , s'engageait à encaisser
la Durance. Par là , on eût conservé à ce département
cinquante on soixante mille ares des meilleures terres
labourables .
FORÊT S.
Il n'y a pas longtemps que la plupart des montagnes
étaient couvertes de belles forêts . Aujourd'hui , elles
ne présentent plus que des rocs dépouillés et stériles ;
leurs flancs sont creusés par les ravins , et les couches
végétales sont entraînées dans les vallons . On sait assez
la cause de ces ravages. Il faut dire , cependant , que
les approvisionnements des forts n'ont pas moins contribué
à la diminution des bois , que les fausses interprétations
de la liberté. Avant la révolution , on brûlait
de la houille dans les corps - de -garde , soit à Briançon ,
soit à Mont-Lyon . Il serait à desirer que cet usage prévalût
encore ; la houille se trouve en assez grande abondance
, auprès de Briançon même. La tourbe , répandue
çà et là dans les environs de Gap , pourrait aussi sup156
MERCURE DE FRANCE ,
pléer à la disette du bois . Une autre considération devrait
encore déterminer les habitants de la campagne à profiter
de ces ressources. Leurs maisons , construites avec des bois
résineux et couvertes de chaume , sont sujettes à des
incendies dont le relevé est véritablement effrayant.
C'est des forêts seules qu'ils peuvent tirer les matériaux
propres à reconstruire leurs maisons ; et il est tel village
aujourd'hui dont les habitants n'auraient pas
d'asile , si leurs maisons devenaient la proie des flammes .
Cependant ils ont porté la coignée au milieu de ces
beaux arbres , avec la même insouciance que , peutêtre
, ils ont vu brûler leurs maisons.
La seule forêt considérable de ce département est
celle de Durbon , dépendante de l'ancienne Chartreuse .
Cette forêt doit sa conservation à son escarpement et
à son site inaccessible. On y voit des pins antiques
et d'une grosseur extraordinaire , qui semblent n'avoir
plus à redouter que les orages . Chaque année cependant
il s'en fait une coupe de trois ou quatre cents'
pieds pour le service de la marine. On les précipite
dans le Buech , lorsque le torrent est flottable. De- là
ils vont jusqu'à la Durance qui les jette dans le Rhône ,
qui les amène enfin sur les côtes de la Méditerranée .
Au reste , cette forêt ne fournit rien à la consommation
du département ; et si l'on ne se hâte d'exploiter les
combustibles fossiles qu'il renferme , incessamment l'on
verra plusieurs vallées réduites à la condition des habitants
de la Grave , qui ne se chauffent qu'avec de la
fiente de vache séchée au soleil .
propre-
L'état déplorable de l'agriculture fait pressentir aisément
l'état du commerce. Il n'y a en point , à
ment parler , dans le département des Hautes- Alpes.
L'industrie est sans émulation ; les arts sont encore
daus l'enfance. Cette propreté , cette élégance que l'on
trouve ailleurs jusque dans les meubles les plus communs ,
est ici inconnue. Des draps grossiers , fabriqués dans
l'intérieur de chaque ménage , habillent presque toutes
les familles ; en un mot , leurs usages et leurs habitudes
annoncent moins une portion d'un peuple industrieux
, qu'une peuplade isolée et privée des communications
de la société.
Il faut compter pour rien deux ou trois petites fabriMESSIDOR
AN IX. 157
ques de toiles et de mouchoirs que l'on avait cherché
à relever dans les environs de Briançon , et qui , depuis
quelque temps, ont cessé leurs travaux .
Briançon possédait autrefois une manufacture de cristaux
de roche , qui était dans la plus grande activité
avant la révolution depuis les lois sur la requisition
et conscription , elle est entièrement tombée . C'était
un établissement , bien entendu , que celui où l'on employait
, comme matière première , les cailloux et les
rochers du pays pour les échanger contre l'or des étrangers
. Il mérite toute l'attention du gouvernement . Plusieurs
mémoires lui ont été présentés à cet égard .
MINE S.
Les découvertes minéralogiques sont encore à faire .
Tout annonce que les flancs arides des montagnes recèlent
des trésors oubliés ou méconnus. Entre Briançon
et Mont - Lyon , par exemple , est un village appelé
l'Argentière , qui tire son nom d'une mine de plomb et
argent , exploitée jusqu'en 1793. On y trouve , dit - on ,
des souterrains qui supposent des travaux de la plus
haute antiquité. Il est bien important pour ce département
et pour la république que cette exploitation soit
remise en vigueur.
On trouve aussi des mines de plomb à Saint- Martin ,
au Fonteuil , hameau de Briançon ; à la Grave et à Villard'Arène
; à Plampinet , vallée de Neuvache , il y a des
indices d'une mine de cuivre qui promet beaucoup .
Ce qui serait plus avantageux encore pour les habitants
, serait l'exploitation de la terre d'argile et de la
terre à pipe , que l'on trouve notamment dans le Brianconnais.
(
On pourrait établir des poteries , des faïenceries ,
qui ne sauraient être mieux placées que dans le voisinage
des mines de plomb et de houille . Au reste , toutes ces
ressources resteront ensevelies tant que le pays n'aura
pas de communications faciles avec le reste de la France ;
on peut craindre de les voir cesser entièrement.
GRANDES ROUTE S.
Les routes sont dans un état effrayant de dégradation ,
causée par le passage des troupes , des équipages d'ar◄
158 MERCURE DE FRANCE ,
tillerie , et plus encore par les torrents , les avalanches ,
les coulées de neige qui les coupent ou les emportent dans
toutes les saisons . On fait espérer des secours ; ils ne
sauraient être trop prompts ; jusqu'à présent il semble
que l'on ait voulu les proportionner au faible montant
de la taxe qui ne s'élève qu'à treize mille francs environ.
Cependant il faudrait faire attention qu'un seul
convoi d'artillerie qui ne rapporte rien aux fermiers de
la taxe , dégrade plus la route en quelques jours , que
le roulage pendant une année. Si l'on considère de plus
les causes de dégradations qui naissent des localités ,
de la chute des rochers , de la crue des eaux , etc.
on verra que le produit de la ferme est une donnée bien
incertaine pour calculer les réparations nécessaires et les
sommes qui doivent y être affectées.
Mais une entreprise du plus haut intérêt pour les
Hautes -Alpes serait l'ouverture de la route de France
en Italie par le Mont-Genève. Il est heureux que ,
dans
cette circonstance , les intérêts du département se trouvent
étroitement liés à ceux de la république . Sous les
rapports militaires cette route présente d'immenses
avantages , et il est démontré qu'aujourd'ui même que
la paix est conclue , il y aurait une économie des trois
quarts à ouvrir cette route pour le passage du matériel
de l'armée , plutôt que de le faire passer à force de bras
et d'argent par le Mont- Cénis , comme on a fait jusqu'à
présent.
MENDICITÉ.
Malgré toutes les raisons qui contribuent à rendre
ce pays un des plus misérables de la France , on y voit
peu de mendiants , si ce n'est quelques Piémontais , qui ,
sous prétexte de dévotion et de pélerinage , aiment
mieux vivre aux dépens d'autrui que de travailler . Ils
trouvent l'hospitalité dans ces vallées ; le pain noir est
partagé avec eux ; ils ont une place dans les écuries . Ce
sont , nous l'avons dit , les demeures de l'hiver. Heureux
encore les habitants , lorsque ces pélerins ne déguisent
pas d'adroits voleurs qui sont venus pour violer
F'asile de la pauvreté même. Depuis la guerre d'Italie ,
les mendiants piémontais se sont multipliés ; mais une
active surveillance les environne sans cesse.
MESSIDOR AN IX. 159
HOSPICES.
La détresse extrême des hospices a forcé de réduire
le nombre des infortunés qui y étaient admis . Il n'est
que de 26 à Gap , et moindre proportionnellement à
Embrun et à Briançon. Il est à desirer que ces établissements
atteignent enfin leur véritable destination . Dans
un pays où il n'y a ni mouvement , ni circulation , ni
population nombreuse dans les villes , les octrois ne
pourraient suffire à l'entretien des hospices ; l'industrie
doit venir au secours . La morale gagnerait autant que
l'économie à ce que des ateliers placés dans chaque établissement
de bienfaisance occupassent les forces naissantes
de l'enfance et les derniers loisirs de la vieillesse.
?
CONTRIBUTIONS.
Les contributions de toute nature s'élèvent pour ce
département à 1,018,008 . Cette somme n'excède pas la
quotité voulue par la loi ; mais l'inégalité dans la répartition
produit l'effet d'une grande surcharge ; et lors
même que le trésor public reçoit moins que n'a prescrit
la loi , les individus souffrent réellement et ne se
ressentent pas des ménagements du législateur dans l'as 、
sierte des charges publiques .
La mauvaise répartition des impôts tue l'agriculture ;
les lois intervenues jusqu'à présent sur cette matière
sont insuffisantes , il faut nécessairement y suppléer par
des règles indépendantes autant que posible , des passions
et des intérêts. Qui empêche , par exemple ,
d'avoir dans chaque commune des portions de terre
de toute qualité , qu'on évaluerait solennellement et
qui serviraient comme d'etalons pour l'évaluation des propriétés
qu'on prétendrait surchargées , et pourlesquelles
on solliciterait une reduction . A cote de l'évaluation de
ces portions de terrain , en revenu net et en revenu
brut , se trouverait la quotite de contribution déterminée
par la loi , et alors pour juger les réclamations ,
il ne s'agirait que de comparer les terres prétendues surcharges
avec les cratons. La notoriété publique déciderait
à quelle portion de terrain servant de terme
de comparaison , pourrait être comparé le fonds du
réclamant .
407
160 MERCURE DE FRANCE ,
INSTRUCTION .
Partout l'instruction a été négligée ; elle est nulle
ici. Les écoles républicaines sont desertes , et il faut
l'attribuer autant à la grossière indifférence des habitants
qu'à leur esprit d'opposition aux nouvelles doctrines.
Pour trouver quelque émulation et même une sorte
d'instruction , il faut remonter vers le Briançonnais
et pénétrer dans des vallées étroites , profondes et retirées
. Là il est rare qu'un enfant ne sache pas lire ,
écrire et même un peu calculer. Ainsi le veut l'usage
et la nécessité. Le sol ingrat et resserré ne saurait nourrir
tous les habitants. Le défaut d'ateliers les laisserait
oisifs pendant l'hiver qui couvre la terre de plusieurs
pieds de neige. Il faut donc qu'à l'époque decette émigration
périodique , dont nous avons parlé , il ait un moyen
d'existence . Aussi tous ceux qui ne connaissent pas d'arts
mécaniques , apprennent à lire , à écrire ; ils étudient la
grammaire française , même la grammaire latine , et aux
approches de la mauvaise saison , ils vont peupler d'instituteurs
l'ancienne Provence , et les pays méridionaux .
C'est même assez curieux de voir dans les foires d'au-.
tomne , ces instituteurs couverts d'habits grossiers , se
promener dans la foule et au milieu des bestiaux de toute
espece , portant sur leur chapeau une plume qui indique
et leur profession , et la volonté de se louer. Durant
les journées d'hiver , ces bonnes gens donnent des leçons
à certaines heures fixes . Dans les intervalles , ils
rendent à peu près les mêmes services que des domestiques
à gage , et pour tant de peine ils se contentent
du plus modique salaire. A la fonte des neiges , ils
reviennent dans leur pays natal avec quelques écus qui
les aident à payer des contributions , et travaillent
à la terre pendant tout le reste de la belle saison . II
est peu d'hommes sans doute aussi respectables aux
yeux de la société.
Tel est l'aperçu général d'un département que ses
hautes montagnes semblent avoir dérobé jusqu'à présent
aux regards des premières autorités . On voit cépendant
qu'il mérite toute leur attention , par son im-"
les resportance
, sous les rapports militaires , et par
sources territoriales dont il ne faut que savoir tirer
parti.
( N.° XXVII. ) 1. Thermidor An 9.
MERCURE
DE FRANCE.
LITTÉRATURE.
DESCRIPTION du Parc de Kensington,
tirée de la nouvelle edition du Poème des
Jardins *.
MUSE, quitte un instant les rives paternelles ;
Revole vers ces lieux que tu pris pour modèles :
Chante ce Kensington qui retrace à la fois ,
Et la main de Le Nôtre , et les parcs de nos rois ,
Où , dans toute sa pompe , un grand peuple s'étale.
A peine l'alouette à la voix matinale
A du printemps dans l'air gazouillé le retour ,
Soudain , du long ennui de ce pompeux séjour ,
Où la vie est souffrante , où des foyers sans nombre ,
Mélant aux noirs brouillards leur vapeur lente et sombre,
Par ces canaux fumeux élancés dans les airs ,
S'en vont noircir le ciel de la nuit des enfers ,
Tout sort : de Kensington , tout cherche la montagne ;
La splendeur de la ville étonne la campagne ;
Tout ce peuple paré , tout ce brillant concours ,
Le luxe du commerce et le faste des cours ;
tra
2
Ce Poème , réimprimé chez les frères Levrault , paratdans
deux ou trois jours.
45
cent
5 11
162 MERCURE DE FRANCE ,
Les harnois éclatants , ces coursiers dont l'audace
Du Barbe généreux trahit la noble race ,
Mouillant le frein d'écume , inquiets , haletants ,
Pleins des feux du jeune âge , et des feux du printemps ;.
Le hardi cavalier , qui , plus prompt que la foudre ,
Part , vole , et disparaît dans des torrents de poudre ;
Les rapides wiskis , les magnifiques chars ,
Ces essaims de beautés dont les groupes épars ,
Tels que dans l'Elysée , à travers les bocages ,
Des fantômes légers glissent sous les ombrages ,
D'un long et blanc tissu rasent le vert gazon :
L'enfant , emblême heureux de la jeune saison ,
Qui , gai comme Zéphyr , et frais comme l'Aurore ,
Des roses du printemps en jouant se colore ;
Le vieillard dont le coeur se sent épanouir ,
Et d'un beau jour encor se hâte de jouir ;
La jeunesse en sa fleur , et la santé riante ,
Et la convalescence à la marche tremblante ,
Qui , pâle et faible encor , vient sous un ciel vermeil ,
Pour la première fois , saluer le soleil.
Quel tableau varié ! je vois sous ces ombrages
Tous les états unis , tous les rangs , tous les âges :
Ici marche entouré d'un murmure d'amour ,
Ou l'orateur célebre , ou le héros du jour :
Là , c'est le noble chef d'une illustre famille ,
Une mère superbe , et sa modeste fille ,
Qui , mêlant à la grace un trouble intéressant ,
Semble rougir de plaire , et plaît en rougissant ;
Tandis que , tressaillant dans l'ame maternelle ,
L'orgueil jouit tout bas d'être éclipsé par elle.
Plus loin un digne Anglais , bon père , heureux époux ,
Chargé de son enfant , et fier d'un poids si doux >
Le dispute aux baisers d'une mère chérie .
Et semble avec orgueil l'offrir à la patrie.
VOYEZ ce couple aimable enfoncé dans ces bois :
THERMIDOR AN IX. 163
Là , tous deux ont aimé pour la première fois ,
Et se montrent la place où , dans son trouble extrême ,
L'un d'eux , en palpitant , prononça : Je vous aime.
Là , deux bons vieux amis vont discourant entre eux ;
Ailleurs , un étourdi qu'emporte un char poudreux ,
Jette , en courant , un mot que la rapide roue
Laisse bientôt loin d'elle , et dont Zéphyr se joue.
On se cherche , on se mêle , on se croise au hasard ;
On s'envoie un salut , un sourire , un regard ;
Cependant , à travers le tourbillon qui roule ,
Plus d'un grave penseur , isolé dans la foule ,
Va poursuivant son rêve ; ou peut-être un banni ,
A l'aspect de ce peuple heureux et réuni ,
Qu'un beau site , un beau jour , un beau spectacle attire,
Se souvient de Longchamps , se recueille , et soupire.
Fin du second chant. *
L'ÉTÉ.
ROMANCE.
DEJA de nos climats , Cérès exile Flore ;
L'Été brûlant succède à la saison des fleurs :
Tout languit dans nos champs , et la naissante Aurore
Ne verse plus sur eux le tribut de ses pleurs.
Les prés ont perdu leur parure ,
Les bosquets n'ont plus leur fraîcheur ;
Tout est changé dans la nature......
Mais rien n'est changé pour mon coeur.
L'ARBRE que le Printemps couronna de feuillage ,
Sous un ciel trop ardent , déshonoré , flétri ,
Enfant dénaturé , refuse son ombrage
Au ruisseau qui l'arrose , au sol qui l'a nourri ,
7
164 MERCURE DE FRANCE ,
Zéphyr a cessé son murmuré :
Plus d'abris pour le voyageur ;
Tout est changé dans la nature ....
Mais rien n'est changé pour mon coeur.
DANS le creux des rochers , la tendre Philomèle
Soupire , et se dérobe aux feux brûlants du jour :
Le ramier attentif craint de battre de l'aile ,
Et , tout en gémissant , fait trève à son amour .
Plus de concerts d'heureux augure ;
Plus d'asiles pour le bonheur ;
Tout est change dans la nature....
1
Mais rien n'est changé pour mon coeur.
QU'IMPORTE à mon bonheur que le Printemps expire ,
dans nos climats , Flore soit de retour?
Ou
que ,
Les beaux jours sont pour moi ceux où je vois Thémire;
L'Amour embellit tout ; rien ne plaît sans l'Amour.
Oui , ma Thémire , je le jure
Par tes attraits et mon ardeur ;
Tout peut changer dans la nature....
Rien ne changera pour mon coeur .
R .... R.
ENIGM E.
Vous pouvez sur mon nom , connu de toutes parts ,
Interroger la Politique ,
L'Architecture , la Musique ,
La Chasse même et d'autres Arts .
Je suis , sur leur rapport , vingt choses différentes ;
Mais , de peur d'embarras , je n'en suis qu'une iei .
THERMIDOR AN 1X 16
Pour les têtes intelligentes ,
Je vais me peindre en racourcci.
Graces aux éléments , graces à l'industrie ,
Je deviens de chacun l'ami le plus discret ;
Le plus défiant me confie
ก
Ses intérêts et son secret ;
Mais je veux de la vigilance.
Si vous me négligez , bien souvent je vous perds.
Craignez surtout ma ressemblance ,
Elle pourrait vous nuire autant que je vous sers.
LOGOGRIPHE.
>
Je suis avec cinq pieds parfois triste et plaintif ;
Avec quatre , sur l'eau je fais voguer l'esquif ;
Avec trois , je deviens une essence céleste ;
Avec deux , d'un pronom j'ai le titre modeste.
•
Mots de l'Enigme et du Logogriphe insérés
dans le dernier Numéro.
Le mot de l'énigme est plume.
Le mot du logogriphe est Angleterre , où l'on trouve
angle , terre.
166 MERCURE DE FRANCE ,
11
CHOIX des meilleurs morceaux de la litterature
russe, traduits en français par M. L,
PAPPA DOPOULO , et par le C. GALLET.
JUSQU'A présent , on n'avait en France , aucune
idée de la littérature russe. Quelques vers
français du comte Schouvalow , quelques fragments
en prose du prince Galitzin , avaient annoncé
qu'en Russie , la classe supérieure recevait
une éducation soignée , et se livrait , par
plaisir , à la culture des lettres. Mais la littérature
nationale , celle qui , seule , peut donner la
juste mesure du génie et de l'imagination des
Russes , n'avait point encore franchi les bornes
de leur empire.
La littérature des différents peuples nous apprend
à connaître leurs usages et leurs moeurs
mieux que l'histoire et les voyages. On remarque
, surtout dans les pièces de théâtre , les habitudes
, la manière de sentir et de juger , et les
opinions du peuple chez lequel elles ont été composées.
Une traduction des meilleurs ouvrages
russes est peut-être plus instructive que les nombreuses
relations qu'on nous donne sur la Russie ,
depuis quelques années.
Les deux traducteurs ont voulu faire connaître
quels sont les talents des Russes , dans différents
genres ; ils ont choisi les ouvrages les plus remarquables
; et leur recueil présente des odes ,
un morceau d'histoire , un poème épique , une
tragédie et une comédie .
Les odes de Lomonosow , le meilleur poète
lyrique de la Russie , sont toutes à la louange de
THERMIDOR AN IX. 167
•
l'impératrice Catherine II . Elles présentent dés
éloges outrés ; mais on y remarque de beaux
mouvements et des peintures gracieuses , autant
qu'on en peut juger sur une traduction en prose .
Le fonds en est peu intéressant , parce qu'elles
furent composées sur des événements trop éloignés
de nous , et , pour la plupart , tombés dans
l'oubli. Je n'en citerai qu'une strophe qui , en
supposant l'harmonie des vers , mérite d'être distinguée.
« Quelle fut votre surprise , Muses de la
Neva , lorsque vous entendites cette auguste
<< voix ! Unissant nos pensées et nos accords mé-
« lodieux , nous prononçâmes le serment de zèle' ;
et , quand le jour tomba , ce rivage et ces flots
<< nous parurent , à travers l'ombre subtile , pleine
« d'une majesté nouvelle . Au milieu des héros
« les plus distingués , parmi les armes brillantes ,
<< nous vîmes la beauté , tenant l'épée redoutable ,
animer le courage et enchanter à la fois tous
<< les coeurs . >>
«
霄
*
On se rappelle avec peiné que cette ode ; la
plus belle de Lomonosow, fut faite au moment
où Catherine venait d'usurper le trône , et où le
corps du malheureux Pierre III était encore exposé
dans l'église de Petersaw . On excuserait cette
flatterie , si le poète eût choisi , pour louer sa souveraine
, l'époque où l'on pouvait lui appliquer
ces beaux vers de Voltaire :
Et quinze ans de vertus et de travaux utiles ,
Les arides déserts , par vous rendus fertiles ,
Les sauvages humains soumis au frein des loix ,
Les arts , dans nos cités , naissants à votre voix ;
Ces hardis monuments que l'univers admire ,
Les acclamations de ce puissant empire ,
168 MERCURE DE FRANCE ,
Sont autant de témoins dont le cri glorieux
A déposé pour vous au tribunal des Dieux .
Le morceau d'histoire , intitulé : Révolte des
Strelitz , par Alexandre Soumaracow , est un
des ouvrages les plus intéressants de ce recueil.
C'est la conjuration de la princesse Sophie contre
. ies Narichskin , et le tableau de leur massacre.
On y voit quelles étaient la barbarie , et
la férocité des Russes , avant le règne de Pierre-
-le-Grand; les excès d'une soldatesque effrénée
y sont peints avec énergie ; on y trouve le mélange
de la brutalité guerrière et du fanatisme
religieux . C'est dans l'enceinte de l'église de
Moscow , c'est au pied des autels , c'est au
moment du sacrifice , c'est en présence du patriarche
et du clergé russes , que Sophie livre
son propre frère à des assassins , qui le traînent
par les cheveux hors du temple , lui donnent
la question , et le font périr lentement dans des
supplices inouis. L'historien russe a souvent
répandu dans son récit des réflexions politiques .
J'en transcrirai quelques-unes qui ont rapport
au pouvoir monstrueux et tyrannique qu'avaient
usurpé les Strélitz . « Il vaut mieux , pour les
monarques et pour les empires , n'avoir point
« de troupes que de dépendre d'elles ; il vaut
mieux , pour le peuple , être sous le joug d'une
« domination étrangère , que sous celui d'une
« populace armée , dont il faut flatter l'inso-
<«< lence , en tremblant jour et nuit , sous sa garde .
« Dans les troupes réglées de l'Europe , le soldat
subit la peine de mort , s'il désobéit . En
<< observant dans les armées une pareille discipline
, on fait naître la sureté commune ;
«
«
«
T* HERMIDOR AN IX. 169
<«< car celui qui n'est point accoutumé à com-
<«< mettre de petites fautes , ne se porte jamais
« aux grandes , parce que les choses marchent
<< par degrés ; jamais les incendies ne se manifes
<< tent par de grandes flammes , mais ils naissent
<< de petites étincelles : sitôt qu'on éteint l'étincelle
d'une révolte , il n'existe point d'embra-
«< sement pour la patrie , les troupes , contenues
dans le devoir de la discipline , sont dange-
« reuses aux seuls tyrans . »
.
Le poème de Pierre- le-Grand n'est que l'esquisse
d'un grand ouvrage , que l'auteur n'a
point achevé. Le sujet est un des exploits les
moins éclatants du héros ; c'est le siége de
Schluchelbourg , ville peu importante que pos
sédaient les Suédois. Cet ouvrage n'offre aucun
caractère fortement tracé ; Charles XII
n'entre pour rien dans la composition de la
fable. A peine y parle-t-on de ce guerrier , aussi
téméraire que fameux , qui balança si longtemps
la fortune de Pierre . Le poète russe s'est
encore privé du plus grand avantage que présentait
son sujet : il ne peint pas son héros
comme le créateur de son empire.
"
On remarque cependant que les chef- d'oeuvres ,
dans le genre épique , n'étaient point inconnus à
Soumarocow. Son poème présente quelques heureuses
imitations . Pierre se met en route pour
faire le siége de Schluchelbourg , sur les bords
d'Ouna , petite rivière qui se jette dans le lac
Ladoga. Un vieillard lui apparaît ; il prédit à
Pierre sa grandeur future , et le héros lui raconte
la révolte des Strélitz. La mort du vénérable Narichskin
rappelle celle de Coligni dans la Hen170
MERCURE DE FRANCE , "
riade . On trouve dans le récit , qui a quelques
rapports avec le second livre de l'Eneide , des
détails heureux , qui peignent , avec une grande
vérité , ce mélange des moeurs européennes et
orientales qui formait le caractère des Russes . Le
poète lui-même donne lieu à cette remarque
dans une exhortation à Pierre , qu'il met dans la
bouche du vieillard . « Ton père envoyait ici ,
« pour être enfermés dans ces murailles , tous
<< ceux qui , mus par un fanatisme opiniâtre , per
< «sistaient dans leur égarement , et que la per-
« suasion et l'horreur des cachots n'avaient pu
<< arracher aux prestiges d'une superstition enra-
«< cinée dans les coeurs. » On conviendra que ce
mélange de la persuasion et de l'horreur des cachots
est un peu russe.
Ce n'est point là qu'il faut chercher tout ce
qu'il y a de riant et d'aimable dans le génie de
l'ancienne Epopée . Le poète russe n'a devant les
yeux que des forêts de sapins , des lacs couverts
de glace pendant six mois de l'année , et l'imagination
, au milieu de ces déserts , doit être sans
vie comme la nature . Je citerai pourtant une
peinture assez poétique de la jonction des rivières
de Wolkow et de la Néva , que Pierre réunit en
détournant le cours de la première .
"
« Wolkow , tu te plaignais de ce que le sort
« t'entraînait vers le Ladoga , et t'éloignait de la
Néva que tu chérissais. Mais le destin avait
« décidé que ton entrée dans celle - ci ne se ferait
qu'après avoir été agitée par les tempêtes du
lac. Combien tu gémissais en te voyant forcé de
« réunir tes ondes aux siennes , et d'aller te perdre
← dans la mer , en terminant ton cours ! Tantôt ,
THERMIDOR AN IX. 171
" pour t'affranchir , tu élevais tes flots troublés aú
« dessus de tes rivages ; tantôt tu cherchais des
« passages secrets au dessous de la terre , et des
digues étaient opposées partout à tes efforts.
Tu n'as pu surmonter , ni les gouffres , ni tes
«< bords , jusqu'à ce que Pierre , enchaînant le
sort qui te maîtrisait , te donna un passage , et
« nous procura l'abondance des contrées orien-
« tales . » P.
AMBASSADE au Thibet et au Boutan
contenant des détails très-curieux sur les
moeurs , la religion , les productions et le
commerce du Thibet , du Boutan et des états
voisins ; et une notice sur les événements qui
s'y sontpassésjusqu'en 1793 ; par M. SAMUEL
TURNER , chargé de cette ambassade ; traduit
de l'Anglais , avec des notes, parJ. Cas-
TERA , 2 vol. in 8 ° de 780 pages , imprimés
sur papier carré fin et caractères de cicéro
neuf, avec un volume in- 4. ° sur grand raisin
, contenant 15 planches , vues , monuments
, hieroglyphes , plans , animaux, carte
géographique , etc. , dessinées sur les lieux ,
et gravées en taille-douce par Tardieu l'aîné.
Prix, 12 francs broché , et 15fr. parlaposte ,
port franc. En papier vélin , 24 fr. sans le
port. A Paris , chez Buisson , imprimeur-libraire ,
rue Hautefeuille , n.º 20 .
DEPUIS EPUIS quelque temps , nous devons aux Anglais
beaucoup de voyages nouveaux , et particulièrement
dans l'Inde. Ils nous donnent volontiers des relations
des pays où ils s'enrichissent . On en trouve plusieurs
172 MERCURE DE FRANCE ,
1
extraits dans ce journal * : L'ambassade dans le royaume
d'Ava ou l'empire des Birmans , nous a montré les Anglais
ouvrant les premières relations avec un pays dont
les bois de construction étaient devenus indispensables à
leur marine . L'histoire de leurs derniers établissements
dans l'Indostan est plus sanglante. On a vu comment
l'empire fondé par la valeur et la prudence , ne
peut être défendu par la valeur sans prudence. Ce
royaume , dont toutes les destinées étaient attachées
à une seule tête , tombe avec elle , et devient une possession
de la compagnie des Indes , ou la proie de
nouvelles révolutions. Du fond du golfe du Bengale ,
la ville de Calcuta envoya ses vaisseaux sur les côtes de
ces deux immenses péninsules , où fut l'empire de Mysore,
et où l'on voit encore le royaume d'Ava. La position
de cette ville , déja l'une des plus florissantes de
l'univers , semble avoir été choisie comme au centre de
sa domination future.
Ce voyage continue l'histoire des progrès de la compagnie
anglaise dans les Indes ; il offre une suite de travaux
, de dangers , de difficultés toutes nouvelles ; mais
que le génie particulier à cette académie de marchands
sut tourner au profit du commerce et des sciences . A
Ja fin de ce siécle , les relations commerciales entre les
peuples du Thibet et du Boutan , et ceux dù Bengale ,
qui sont pourtant limitrophes , n'existaient pas encore.
Ces peuples , unis par une religion et une origine communes
, restaient séparés par des montagues inaccessibles
et une défiance mutuelle . Ce ne fut qu'en 1774
que la compagnie des Indes envoya , pour la première
fois , une ambassade au Thibet. On en avait rapporté de
grandes espérances pour l'avenir ; mais elles ne durèrent
pas plus longtemps que le Lamu qui mourut en Chine
* Voyez les N. XV et XXI.
1
THERMIDOR AN IX. 173
de la petite vérole . Bientôt après il s'offre l'ocçasion
de renouer les négociations avec la régence du
Thibet ; elle est saisie . M. Turner est nommé chef de
l'ambassade . C'est toujours de Calcuta que partent de
semblables expéditions .
Parvenus sur les montagnes du Boutan , dont la chaîne
immense forme comme un plateau le plus vaste et le
plus élevé de notre continent , les voyageurs découvrent
une nature nouvelle . Ce ne sont plus les campagnes
riantes et toujours fertiles de l'Indostan , sous la
main qui les cultive à peine. Ici , tout a pris un aspect
plus sévère et plus vigoureux . Les habitants sont
grands et bien proportionnés , les flancs des montagnes
sont cultivés , un air vif et surtout le besoin ont
partout inspiré l'amour du travail. On croirait voir la
Suisse au sortir de l'Italie .
'
A mesure que nos voyageurs s'élèvent davantage , ils
découvrent devant eux des montagnes toujours plus élevées
et ressentent l'influence d'une température
plus rigoureuse ; au reste , cette température change
comme l'aspect du sol.
Le Boutan , situé sous le vingt-quatrième degré de
latitude à peu près , réunit tous les climats et toutes les
productions qui sont propres à chacun..
Le sommet des montagnes qu'habitent des Dewtas
ou Génies , qui président aux vallées , est couvert de
neige , quelquefois jusqu'au mois de juin . C'est la région
des hivers , propre aux sapins , aux ifs et à
d'autres arbres du nord. Dans les profondeurs des vallées
, les orangers , les cédrats , les manguiers , s'élevent
sous l'abri des montagnes , et leurs fruits mûrissent
au soleil de l'Inde. On y trouve aussi des ananas.
Cette dernière production n'est point indigène. Elle
fut apportée dans ce pays par des missionnaires por174
MERCURE DE FRANCE ,
tugais , et s'y multiplie , comme pour servir de monu
ment à leur mémoire .
}
Le lecteur prévoit aisément quelle impression durent
faire sur une imagination anglaise , tant de sites et
de fruits divers , tant d'accidents et de contrastes.
Les couleurs neuves et sauvages de cette nature impósante
sont reproduites dans l'ouvrage de M. Turner ,
mais elles y sont tellement mêlées , que nous essayerions
en vain , par des citations détachées , de rendre les différents
effets du fracas des cataractes , des gémissements
des forêts sous l'effort des vents toujours furieux
, de l'aspect effrayant de ces montagnes amoncelées
comme les débris d'un monde , des formes bizarres
et changeantes de ces paysages qui se perdent dans les
airs.
,
Désormais il faut suivre l'ambassade anglaise dans
des sentiers étroits et suspendus sur des précipices avec
des chevilles de fer , quelquefois à travers les nuages
qui roulent sur le flanc des montagnes , ta ntôtfranchissant
un abyme , à l'aide d'un pont de chaînes ou de
lianes , qui les balance sur un torrent qui mugit , etc.
Enfin elle arriva au palais du Deb-Reja , souverain du
Boutan .
M. Turner décrit très au long les particularités de sa
réception ; et le nombre d'écharpes reçues et données en
signe de bonne alliance , et cette coutume d'apporter
une tasse de thé pour indiquer la fin de la visite , ce
qui est une manière très -commode de l'abréger , lorsqu'elle
devient importune , etc.
L'étiquette de la cour du Raja , toujours rigoureuse ,
comme la défiance et le soupçon auxquels elle doit son
origine , s'adoucit en faveur des Anglais. Partout ils
reçoivent les témoignages de l'amour et du respect qui
les précèdent dans toutes les Indes , dit M. Turner .
Sans doute aussi , c'est à une prévention très-favo
THERMIDOR AN IX. 175
rable aux Boutaniens , qu'il faut attribuer la sécurité des
singes , divinités du pays dont les bandes sacrées voltigent
autour des monastères , et la familiarité des poissons
qui viennent recevoir leur nourriture de la main
des Gylongs ou moines boutaniens , lorsque ceux - ci se
lavent dans les eaux du fleuve .
La religion leur prescrit , comme aux Indous , de ces
ablutions fréquentes ; un jour M. Turner en rencontra
plusieurs qui allaient remplir ce devoir salutaire .
"
a
"
"
"
"
"
"
"
}
« Ils étaient conduits par un vieillard de leur ordre ,
qui avait le titre de Gouroubah. Ce moine portait
« un vase de fer , suspendu par une chaîne à un long
bâton , dans lequel brûlaient diverses sortes de bois
aromatiques , qui produisaient beaucoup de fumée.
Les autres Gylongs le suivaient sur une longue file.
« Ils étaient tous vêtus uniformément et avaient la
tête , les jambes et les pieds nus . Leur habillement
« extrêmement simple , consiste en un philiben , qui
leur tombe jusqu'auprès du genou , une courte veste
d'étoffe de laine sans manche , et un grand manteau
« d'un drap de couleur cramoisie , dont ils s'enveloppent
d'une manière en apparence négligée , mais qui ne
manque pas de grace ; il leur couvre la poitrine , et
- passe sous le bras gauche , en descendant jusqu'à
la cheville du pied , tandis que l'autre bout est rejeté
" sur l'épaule gauche. Le bras droit reste ordinairement
« nu. En se rendant à la rivière , les Gylongs marchaient
avec beaucoup de rapidité ; ils tenaient leur bras
gauche appuyé sur leur poitrine , et ils portaient dans
la main droite un rosaire , dont ils faisaient passer les
grains entre leurs doigts. »
"
"
Les monastères sont répandus en grand nombre sur
ces montagnes , et leurs dômes dorés , lorsqu'ils sont
frappés des rayons du soleil ,, réjouissent la vue au
milieu de ces horreurs sauvages . On trouvera dans cet
176 MERCURE DE FRANCE ,
ouvrage plusieurs particularités sur le régime de ces maisons
religieuses , sur les cérémonies du culte , sur les arts
et les connaissances des Boutaniens . L'auteur a observé ce
pays avec d'autant plus de soin , qu'il était moins connu
et qu'il était plus important pour la compagnie des
Indes , comme servant de passage au Thibet.
Nous avons anticipé sur la partie la plus intéressante
de ce voyage dans le 8.me N.º de ce journal , où l'on a
rapporté l'entrevue du capitaine Turner avec Teschou
Lama. Ces détails que nous avions extraits des mémoires
de la société de Calcuta , sont absolument les mêmes
dans cet ouvrage.
La cérémonie de l'inauguration du jeune Teschou-
Lama sur Musnud , où le trône des Lama , la relation
du voyage de son prédécesseur en Chine , où l'empereur
siguale sa magnificence et sa piété pour le chef
de sa religion , qu'il regarde néanmoins comme un vassal
de son empire , offrirait encore des détails curieux , mais
toujours à peu près semblables.
On connaît , en général , la doctrine des Thibétaius .
sur leur Lama, prince-dieu de ce pays , qui est immortel,
ou du moins qui ressuscite , et ne fait en mourant que
disparaître et changer de demeure mortelle . Cette
croyance si absurde a pourtant une grande influence
politique ; elle assure à l'état une forme invariable , et
aux actes du gouvernement une sanction sacrée .
Une alliance , jurée par un Lama , est inviolablement
gardee par ceux qui lui succèdent , autrement ce ne serait
pas le véritable , ce serait un faux Lama. Avec de tels
principes , un état n'a pas beaucoup de sujets de guerre.
L'histoire a même prouvé qu'il avait dans cette constitution
sacerdotale un rempart assuré contre les conquérauts
et les révolutions qui ont entraîné tout le
reste. Le Thibet , enclavé dans l'einpire de Gengiskan ,
qui avait soumis la plus grande partie du monde connu
THERMIDOR AN IX 177
s'est maintenu comme inviolable au milieu de cette
inondation de Tartares. Tous les conquérants , dit Voltaire
, à cette occasion , dans son Essai sur les moeurs
ont toujours épargné les chefs des religions , et parce
que ces chefs les ont flattés , et parce que la soumission
du pontife entraîne celle du peuple.
Il faut convenir que les avantages d'un pareil système
sont bien mélangés . La même cause qui assure à ce gouvernement
une forme invariable , est comme un poids
qui retarde sa marche vers les progrès de la civilisation .
Ces peuples sont aujourd'hui , tels que nous les trouvons
dans les écrits des anciens , dans les relations de nos missionnaires
, dans celles plus récentes des Anglais ; destinés
à représenter éternellement cet âge ingrat de la
société , aussi éloigné de la simplicité primitive que
d'une civilisation achevée .
Sous l'influence d'un climat aussi rigoureux que dans
les contrées les plus septentrionales de notre Europe ,
les Thibetains conservent moins d'énergie dans le caractère
que leurs voisins du Boutan . Ils se rapprochent
plus des Indous par leur apathie , et aussi par les austérités
excessives de leurs moines. Ces contrastes sont
fréquents dans l'Inde , où l'on voit la faiblesse unie à
l'exaltation , l'excès de l'indolence uni à l'excès de l'enthousiasme
; et , pour une cause bien plus sainte que la
religion de Brama , n'avons - nous pas vu , pendant la révolution
, les dévouements et les efforts qui semblaient
excéder les forces de l'homme , honorer le sexe le plus
faible ?
Tout le monde a entendu parler des pénitences homicides
auxquelles se livrent les Bonzes et tous les contemplatifs
de l'Indostan . L'histoire suivante pourra paraître
encore nouvelle .
Adopté par un dévot indien , et élevé par lui dans
5
12
178 MECURE DE FRANCE ,
"
les principes de sa religion , Prampouri était fort jeune
lorsqu'il commença à s'imposer des mortifications ex-
" traordinaires .
"
"
"
«
".
"
«
་་
"
de
« Le premier voeu que lui suggéra son ardente dévotion
, fut de rester debout douze ans de suite , sans
se coucher ni s'asseoir pour dormir. Pendant tout ce
temps - là , il erra en différents pays . Je lui demandai
comment il faisait alors pour résister au sommeil .
Il me répondit que , dans les commencements de
l'accomplissement de son vou , pour ne pas tomber
« en dormant , il avait coutume de s'attacher avec des
cordes à un arbre ou à un poteau ; mais qu'au bout
de quelque temps cette précaution était devenue
« inutile , parce qu'il dormait facilement debout .
« Lorsque le terme de cette pénitence fut expiré ,
Prampouri résolut de tenir , pendant le même espace
temps , ses mains jointes par dessus sa tête . Il
m'est impossible de dire , si ces faquirs choisissent
« ce terme de douze ans par rapport aux douze signes
du zodiaque . Quoi qu'il en soit , Prampouri avait
également fait vou de ne point avoir , pendant le
• même temps , de demeure fixe . De sorte qu'avant
« la fin de ces secondes douze années , il eut par-
« couru la plus grande partie du continent d'Asie .
Après avoir erré dans la Turquie , il alla à Ispaham ,
séjourna assez de temps dans les differentes provinces
de la Perse pour en apprendre la langue ;
pénétra dans la Russie , vit Moskow , traversa la
Sibérie et une partie de la Tartarie , alla à Pekin ,
revint au Thibet , de là rentra dans le Bengale. Je
vis , pour la première fois , ce singulier voyageur ,
en 1783. Il montait un cheval bai , de la race des
Tanguins du Boutan , et il portait une robe de satin
brodé, qu'il avait reçue en présent du Teschou-Lama ,
"
"
Ce
"
"
""
"
11
"
THERMIDOR AN IX, 179
«
R
"
• et dont il était très - vain . Il était robuste et bien
portant ; et son teint , relevé par la couleur très - noire
« d'une barbe longue et touffue , avait assez d'éclat .
Il n'avait pas alors plus de 40 ans . Deux gosseyns
• ou moines indiens l'accompagnaient et l'aidaient à
monter et à descendre de cheval. Il avait même besoin
de leurs secours dans beaucoup d'autres occa-
- sions car ses mains restaient constamment jointes
« et immobiles sur sa tête. Il semblait que le sang
ne eirculait plus dans ses bras . Ils étaient dessechés
roides et totalement insensibles . Cependant il me dit ,
« avec un air de confiance , qu'il espérait en recouvrer
l'usage ; et il ajouta que , l'année suivante , il déjoindrait
ses mains , parce que ce serait le terme de sa
pénitence.
"
04
"
"
" Il restait à Prampouri deux épreuves à accomplir.
Dans la première , le dévot est suspendu par les pieds
aux branches d'un arbre . On allume au dessous de
Iui un grand feu , et on le balance continuellement ,
de maniere que ses cheveux passent à travers la
flamme pendant trois heures trois quarts. Après cette
rude pénitence , il passe à la dernière épreuve , qui
« est d'être enterré debout et vivant dans un trou ,
qu'on creuse exprès. On le couvre alors entièrement
" avec de la terre fraîche , sous laquelle il reste encore
« trois heures trois quarts. A l'expiration de ce temps ,
" on le déterre ; et s'il est encore en vie , il se voit
élevé au premier rang des plus purs gogis. "
"
"
"
Au reste , cet ouvrage , comme ceux du même
genre , renferme plusieurs vérités utiles , avec beaucoup
de vérités indifférentes. Il faut encore dire un
mot de l'objet de l'ambassade anglaise . Le Thibet est ,
de tous les pays , celui qui répond le mieux aux recherches
du minéralogiste . On y trouve de l'or en
180 MERCURE DE FRANCE ,
"
grande quantité et souvent de très -pur . Ses montagnes
recèlent plusieurs autres mines d'argent et de cuivre
également abondantes. Il peut fournir au commerce le
musc , le tinkel , le poil de chèvre , etc .; enfin , continue
l'auteur , s'il s'établit une correspondance régulière
« entre le gouvernement du Bengale et les chefs du
Thibet , je crois qu'elle deviendra la base certaine
d'une correspondance avec la Chine . Oui , ce sera
probablement par l'entremise des Thibétains , que
« nous pourrons arriver à Pekin .
"
"
"
Cette espérance ( et dans les spéculations commerciales
, comme dans tous les calculs humains , l'espérance
est une quantité positive ) était le résultat le plus
avantageux de l'ambassade ; mais on ne l'a pas obétenu .
Une notice , publiée après ce voyage , et qui continue
'histoire du Thibet jusqu'en 1793 , nous apprend que
les rigueurs exercées par l'empereur de la Chine contre
les Thibétains , avaient pour objet de rompre les relations
commencées avec les Anglais. Depuis ce temps ,
elles ont entièrement cessé. Je ne sais même s'il faut
ajouter beaucoup de foi aux témoignages de confiance ,
d'amour et de respect pour la nation anglaise , que
M. Turner a consignés dans son ouvrage. Ce style est
celui de tous ses compatriotes. N'aurait- il pas abusé du
privilége exclusif que s'est attribué sa nation , de faire
l'histoire et le commerce de l'Inde ? La traduction
est assez recommandée par le nom du C. Castera .
G.
THERMIDOR AN IX. 181
"
VIE littéraire de Forbonais * ; par J. DE L'ISLE
DESALLES , membre de l'Institut national de
France et de l'Athénée de Lyon. Paris , chez
Fuchs , libraire , rue des Mathurins.
Le nom de Forbonais rappelle de grands talents et
de grands services.
Ses deux principaux titres à la reconnaissance publique
sont les Éléments du commerce et les Recherches
sur les finances. Les Eléments du commerce , où l'auteur
réduisit en art , pour la première fois , les pratiques
minutieuses des négociants et des armateurs ,
parurent en 1754. Cet ouvrage obtint un de ces succès
'd'enthousiasme , qui montre que les esprits étaient
alors dirigés vers les objets d'utilité publique avec
autant d'ardeur qu'ils le furent depuis vers la théorie
des gouvernements. Il s'en fit deux éditions en vingt
jours , et on le traduisit dans la plupart des langues
de l'Europe .....
Quatre ans s'écoulèrent jusqu'à la publication des
Recherches sur les finances. Elles embrassent un intervalle
de 126 ans , depuis 1595 , époque où le grand
Sully créa les finances françaises , jusqu'en 1721 , que
l'écossais Law en opéra le renversement.
-` ' · Il faut suivre , dans ce petit écrit , le développement
du système de Forbonais. Le C. Desalles a rendu claires
- et intéressantes pour tous des matières qui semblent
réservées aux hommes d'état.
>
sont ainsi renpublier
La Société libre des Arts du Mans venait e
Eloge historique , lorsque le C. Desalles devait la Vie
littéraire de Forbonais . Les auteurs qui contrés sur le même sujet et dans la ême intention , ne
doivent point le regretter. Leur travail conservera toujours
un mérite indépendant de toute concurrence et de toute
comparaison.
182 MERCURE DE FRANCE ,
፡
Les Recherches sur les finances avaient été précédées
des Considérations sur les finances d'Espagne , ouvrage
qui fut publié comme sorti des presses de Dresde , en
1753 , à l'époque où Montesquieu publiait son Esprit
des lois à Genève. Forbonais , écrivain politique et
philosophe , ne pouvait dissimuler son indignation
contre l'intolérance religieuse du clergé espagnol , contre
l'excès de sa puissance et de ses richesses . Il avançait
encore plusieurs de ces maximes , dont la vérité et
l'abus furent trop célèbres de nos jours. Son ouvrage ,
d'ailleurs , offre des résultats plus positifs , et dont l'application
est de tous les temps.
"
"
. En sondant avec habileté les blessures profondes
de l'Espagne , Forbonais découvrit qu'un de ses
principes de mort avait été de regarder l'or du Po-
« tosi comme un des principes organiques de son exis-
" tence . Cette erreur est funeste pour un empire
" accoutumé à voir affluer dans son sein les richesses
"8
"
représentatives ; il perd le goût des richesses réelles
« ôte la valeur des premières , en les dispersant sans
" mesure , et peu à peu voit disparaître son or , son
industrie et son agriculture. - Après avoir découvert
un des vices de la routine financière de l'Espagne ,
il s'agissait d'établir quelques principes pour fonder
« la vraie théorie des finances. Forbonais observe que
" la société étant naturellement divisée en non - propriétaires
qui travaillent pour vivre , et en propriétaires
qui ne peuvent jouir de leurs biens sans les dépenil
était dans l'ordre que toute contribution eût
pour base le travail du non - propriétaire , et pour
produit , le superflu des jouissances du propriétaire.
Cette vue générale a fourni à Smith un de ses plus
heureux chapitres , celui où il fait la distinction des
classes productives et non - productives de la société. Il
faut la rendre à l'auteur français puisqu'elle lui appar-
« ser ,
*
14
THERMIDOR
AN IX. 183
tient . Smith a recueilli ainsi plusieurs idées dont il a
profité avec une grande discrétion .
Le style de Forbonais est simple , méthodique' , mais
- en général froid , diffus et négligé. Peut-être faut -il
attribuer à ces défauts sa prodigieuse fécondité. On
doit écrire beaucoup lorsqu'on se retranche une partie
des difficultés de l'art d'écrire . Le nombre de ses ouvrages
publiés ou manuscrits est étonnant. Au reste ,
´si le style n'est jamais indifférent , les défauts en sont
bien moins sensibles dans ces sujets graves et importants
, où l'on était toujours dédommagé par un raisonnement
sûr et par des vues profondes .
Forbonais semblait destiné à gouverner un jour
les finances d'un grand empire . Il augmenta la liste des
hommes de mérite oubliés ou méconnus. An la vérité ,
Louis XV , dans un de ces moments si rares où il
lui était permis d'être lui-même , lui avait , donné ,
de son propre mouvement , une pension de 5000 fr. ,
sous cette condition bien honorable , qu'il ne refuserait
jamais ses lumières au gouvernement. Il faut ajouter
encore ( ée qui n'étonnera personne ) que la pension
et la clause furent continuées par l'infortuné Louis
XVI. Enfin , à l'époque du ministère de Silhouette ,
Forbonais , cédant à la voix de la patrie , fut installé
au contrôle général , et y acquit bientôt la prépondérance
que devaient lui donner son nom et ses lamières.
Mais , s'il lui était naturel de mériter l'estime ,
il lui fut impossible de conserver la faveur, paree
qu'il ne voulait pas l'acheter au prix qu'on y mettait..
Forbonais s'était imposé la loi de ne jamais donner
d'audience particulière sans deux témoins , afin d'éviter
~ toute idée de séduction par l'or on par les femmes.
-Un jour qu'il était question d'un projet d'édit qui
devait enrichir les receveurs généraux aux dépens du
trésor public , le contrôleur général trouvai le moyen
t
3
184.MERCURE DE FRANCE ,
C
•
"
•
d'arriver , sans témoin , jusqu'à lui ; il lui recommande
l'affaire avec chaleur , sous prétexte que la cour y
prend le plus vif intérêt . Pendant que le philosophe
fait son travail , arrive un receveur général des finances ,
qui , pour ajouter à la recommandation , laisse tomber
sur le bureau un mémoire et un bilet de 50,000 fr.
Forbonais , par un reste d'estime pour le financier ,
feint d'attribuer cet événement au hasard , et l'invite
à remettre le billet dans son porte - feuille. Mais le
corrupteur se dévoile..... Alors Forbonais se levant
avec la noble indignation de la vertu : Sortez , Monsieur
, lui dit-il , et remportez à la fois votre mémoire
et votre argent ; l'argent ne me rendra jamais abject :
pour le mémoire , il faut qu'il soit bien mauvais , puisqu'on
y met un si haut prix. Votre cause est jugéc à
mes yeux , et je ne m'en occuperai jamais .
Cet événement auquel il dut bientôt après sa disgrace,
lui avait mérité la haine de la marquise de
Pompadour et des financiers , mais aussi les regrets du
dauphin ; celui - ci consultait souvent , pour son instruction
particulière , Forbonais dont il estimait les
écrits et la personne. L'envie s'alarma d'une liaison
si honorable . On fit entendre à Silhouette que le philosophe
voulait le supplanter dans le ministère. Forbonais
fut obligé de quitter la cour : Dérobez- vous un
moment à tous les regards , lui dit le dauphin en lui
serrant la main , faites- vous oublier de vos ennemiş :
moi , je veillerai d'ici sur vos destinées , et je ne vous
oublierai jamais.
Nous ajouterons seulement que Forbonais suivit le conseil
du dauphin , et qu'après avoir vécu comme Aristide ,
il mourut comme lui , ne laissant, guère à la plus respectable
des veuves , qu'un héritage modeste , et l'exemple
de sa vie.
Le C. Desalles a répandu , dans cet écrit , un intéŋêt
THERMIDOR AN IX. 185
que l'on trouve rarement dans ceux du même genre .
Ses jugements sont énoncés avec franchise , son hommage
est pur , sa voix est libre …………. D'après une aņcienne
loi d'Athènes , qui fut trop oubliée , un orateur
était soumis à un examen qui consistait à rechercher
ses vertus aussi bien que ses talents . Alors on croyait que
la vertu , mieux que l'éloquence , connaissait le langage
digne de célébrer la mémoire des grands citoyens .
Si cette loi avait lieu parmi nous , l'éloge de Forbo-
-nais devait toujours appartenir au C. Desalles .
G.
FÊTES et Courtisanes de la Grèce , supplément
aux Voyages d'Anacharsis et d'Anlenor
, etc. , etc. 4 vol . in 8.º , enrichis de chants
anacréontiques , de gravures , etc .; chez Buisson.
An 9 ( 1801 ) .
.CE
E sujet est neuf. Les anciens , qui sont l'objet de
" cet ouvrage , n'ont pu en laisser que les matériaux ;
- et , parmi les modernes , nul n'avait songé à les réu-
" nir... La pudeur , ou plutôt l'hypocrisie de l'opinion
» enchaînait leur plume , et ils craignaient d'accuser
la nudité des moeurs .... Les peuples attendent un
" Plutarque. Il est temps de faire , pour ces grands individus
, ce que l'on a fait pour quelques héros ; et
" après les avoir réduits aux proportions communes de
la nature humaine , d'envisager leur nudité , leurs
« maladies morales , qui dérivent le plus souvent de
« leur tempérament politique.
"
"
"
" "
Qui croirait qu'un ouvrage ainsi annoncé dans l'avertissement
, ne traite que de prostitution et de
courtisanes ? On demande souvent à quels signes on
186 MERCURE DE FRANCE ,
reconnaît le mauvais goût et la décadence dont on se
plaint? A ces caractères , à cette enflure , à ce manque
de proportion entre le ton et le sujet . Ici , par exemple
, c'est le sublime du genre niais . Ce vice du style
domine dans tout l'ouvrage . Souvent il tombe dans la
licence ; mais alors c'est le vice du sujet.
« Des couleurs du sujet je teindrai mon langage . »
Passons aux choses. En écrivant sur les Grecs , on
a le malheur de rencontrer , dans la carrière , un devancier
incommode ; un abbé Barthelemy qui , parmi
les modernes , ne laisse pas aussi d'avoir songé à réunir
les matériaux laissés par les anciens . Mais on saura
s'en débarrasser et se mettre à l'abri de toute comparaison
, en plaignant Anacharsis d'avoir eu pour guide
un Mentor condamné à la chasteté ; puis on dira que
Barthelemy a écrit en abbé. Enfin on fera cette phrase :
"
ec
Le caractère , la profession de l'auteur , le senti-
« ment des convenances , celui de ses rapports , et peutêtre
, oserai- je le dire , sa faiblesse physique et morale,
la gravité du sujet , tout lui fit une loi d'épaissir le
voile que sa pudeur a laissé retomber sur la piquante
" nudité de ces objets . A l'exemple de Socrate , il donna
e
«
"
une ceinture aux Graces. » Rien assurément n'est plus
criant ; et quant à Socrate , c'est dominage qu'on
oublie de nous dire si ce rapport qu'on fait remarquer
entre lui et Barthelemy a tenu à sa faiblesse physique
et morale , ou a un même sentiment des convenances.
Quoi qu'il en soit , l'auteur se trouve ainsi libre de toute
concurrence ; il entrera sans obstacle dans son sujet :
les fêtes et les courtisanes.
Les fétes seules prennent trois volumes : cette longueur
ne doit pas surprendre d'après le système et la
manière de l'auteur. Dans le texte , comme dans les
notes , il copie , il prend de toute main , prose , vers ,
THERMIDOR AN IX . 187
C
tout lui est bon et ce n'est pas un vers , une phrase ,
un passage isolé qu'il emploie , mais c'est une suite
de pages , ce sont des poèmes tout entiers . Il est surtout
un ouvrage qu'il affectionne particulièrement , et
'dont il transcrit d'énormes tirades , les Voyages de
Pythagore , duquel il dit dans une note , ouvrage
digne , par son objet , d'être universellement répandu.
Or , remarquez bien que cet ouvrage , en cinq énormes
volumes in- 8. ° , publié il y a deux ou trois ans , et
universellement oublié , est du même auteur ... risum
teneatis. C'est un mystère que nous avons innocemment
pénétré , et que nous révélons toutefois avec discrétion.
L'auteur pourra exercer ses conjectures , et dire
noblement une seconde fois : « Je ne sais par quelle
indiscrétion mon secret a été trahi. Serait - ce en vain
que j'aurais , nouvel Alexandre , apposé mon cachet sur
les lèvres de mon Ephestion.
"
On sait à présent par quel stratagème le sujet des
fêtes de la Grèce , déja traité par l'auteur d'Anacharsis
, occupe tant de place dans un supplément . On
y recueille avec soin tout ce que le goût et la décence
avaient rejeté. On se plaît beaucoup aussi dans les
explications systématiques de Court de Gebelin et de
Dupuis . On les transcrit comme les Voyages de Pythagore.
Par exemple , on voit clairement dans l'ouvrage
, comment Bacchus et Jésus - Christ ne sont qu'un
même personnage
.
L'ordonnance est digne du choix des matériaux. Qui
n'a pas entendu crier , aux avenues des lieux publics
la Liste des jolies femmes , avec leurs noms , leur demeure
, et leur savoir -faire ? C'est ici la même chose.
Depuis la courtisane Barathron , dont le nom , en faveur
de ceux qui ne savent pas le grec , est agréablement
changé en celui d'abyme , jusqu'à sa camarade Tryphaine,
on y trouve la liste , par ordre alphabétique , de toutes
188 MERCURE DE FRANCE ,
-
celles qui ont exercé la même profession. Une notice
plus ou moins longue vous offre quelques détails sur
chacune. Je donnerai une idée du catalogue : « ANTIPATRA.
Qu'elle vienne à se montrer nue , vous
fuirez au- delà des colonnes d'Hercule. - EVARDIS .
-Aux charmes épais. - MÉLITE.- La maigre Mélite.
GLICÈRE. - Vous corrrompez la jeunesse , lui
disait Stilpon et toi , sophiste , tu la corromps et tu
l'ennuies (avis à l'auteur) .-PARORAME . -Ses faveurs
n'étaient pas à un haut prix; on les obtenait pour deux
drachmes. Elle fut surnommée Didrachme . PHANOS-
- La plus hideuse , la plus dégoûtante des
filles publiques d'Athènes , rongée de vermine ( Apollodore
est cité en garantie ; et voilà de l'érudition bien
employée ) . PITHIAS.- Ne s'écarta jamais de la
belle et simple nature ; conserva des moeurs honnêtes ,
malgré sa profession. » Le lecteur s'aperçoit que le
poison de l'ennui sert heureusement de contre- poison
à celui de la licence.
TRATE. -
--
Avec des notices si abrégées , il serait difficile d'enfler
des volumes . Mais l'auteur n'est jamais embarrassé.
On connaît sa manière. Ainsi tous les dialogues de
Lucien et de Fontenelle , où il est question de courtisanes
, les correspondances qu'il a plu au rhéteur
Alciphron de supposer entre elles ; les épigrammes de
J'Anthologie , tout est mis à contribution , c'est- à - dire ,
transporté en totalité . Paraît - il en Italie un roman
sous le titre d'Aventures de Sapho ? ( qui , après tout ,
fut une femme passionnée , un poète lyrique , et non
pas une courtisane ) : le roman est de bonne prise ; et
le voilà fondu dans l'ouvrage : c'est toujours 160 pages
de gagnées . L'auteur avait besoin de toutes ces resil
se
plaint encore avec amertume de leur
Soit défaut d'instruction , dit-il , soit fausse
sources ,
rareté : "
pudeur et préjugé , les savants ne nous ont transmis
THERMIDOR AN IX . 189
"
"
" que peu de secours. Je les ai rassemblés avec peine ,
mais je n'ai glané que des épis maigres et vides ,
lorsque j'espérais de recueillir les plus riches moissons .
C'est du moins le premier traité públic en français
« sur cet objet . » Du moins , il ne sera pas le dernier.
La publication de celui -ci nous a déja valu l'annonce
de quelques autres ; et nous pouvons espérer,
qu'on ne nous laissera rien à desirer sur les habituées
de tous les carrefours d'Athènes et de Corinthe. Nous
saurons quelles étaient les philosophes , les favorites ,
les familières , les vulgivagues . C'est ainsi qu'elles sont
classées dans l'ouvrage , et l'auteur est informé au plus
juste à quelle classe chacune appartient . Aspasie était
philosophe , et Laïs familière . Il y a eu deux Leana
ou la Lionne ; mais l'une philosophe , et l'autre familière
; prenez garde de les confondre .
Tel est ce fastueux et déplorable ouvrage , également
vicieux par le choix du sujet et l'exécution ; par
les intentions et par la manière . On a de la peine à
concevoir cette longue et froide débauche de l'esprit ,
qui se consume en travaux et en recherches arides
pour recueillir , avec une scrupuleuse exactitude , les
vieilles annales de la prostitution . On est confondu
de la folle admiration de l'auteur pour un pareil sujet
et du respect profond avec lequel il annonce et publie
un tel ouvrage . Non : il n'est pas vrai que la littérature ,
l'histoire , la philosophie eussent besoin d'un tel livre.
Il n'est pas vrai qu'on manquát en ce genre de l'instruction
nécessaire . Tout ce qui avait quelque importance
était connu . Aspasie , Phriné , Laïs et un petit nombre
d'autres appartiennent en effet à l'histoire . Elles y ont
toutes trouvé place . On ne nous apprend rien de nouveau
sur elles ; on ne pouvait rien nous apprendre ;
et il est aussi inutile que scandaleux de remuer des
égoûts pour en tirer au hasard quelques noms qui
190 MERCURE DE FRANCE ,
n'en deviendront pas plus célèbres . Barthelemy a écrit
sur ce sujet , avec mesure et avec grace. J'invite à relire
son chapitre sur Corinthe , et l'on pourra faire encore
l'application nouvelle du proverbe , il n'est pas donné à
tout le monde d'aller à Corinthe . Il a écrit en homme
de bonnes moeurs et de bon goût . Si c'est là écrire en
abbé , il n'y a plus d'injure . Les fêtes de la Grèce
sont aussi décrites dans son ouvrage. Jusqu'à lui les
brillantes théories de Délos n'avaient pas été représentées
avec autant d'élégance et d'éclat . Mais les fêtes
de prostitution ? Eh bien ! on savait aussi qu'il y eut
de telles fêtes . Seulement les détails étaient demeurés ,
non pas secrets , mais couverts de quelques voiles . '
L'auteur s'applaudit de les déchirer tous.
-
La philosophie , dira-t-on , ( et ce n'est pas moi qui mets
ici la philosophie en jeu et qui la rends complice de ces
écarts ; c'est l'auteur lui-même , qui se targue d'appar-"
tenir à l'école philosophique ) ; la philosophie a le droit
de scruter tout , et de tout révéler. Mais la limite de'
ce droit ne se trouve- t - elle pas où il est bon de s'arrêter
? Il y a une autre remarque à faire , c'est que dans
la plupart des sujets qui demanderaient en effet de la'
philosophie , et où l'on a la prétention d'en mettre ,
c'est surtout la philosophie qui manque . Ici , par exemple
, à propos des croyances et des fêtes religieuses , on
devait chercher comment l'homme s'est élevé du culte
des objets physiques au culte des choses intellectuelles ,
et de la religion des sens à celle de l'esprit . Ce changement
paraît conforme à toutes les autres vicissitudes
de la société humaine , qui passe , comme l'individu ,
par toutes les époques de l'enfance , de la jeunesse
et de la virilité . Dans l'enfance , et même à la première
époque de la jeunesse , tout s'adresse aux sens
qui , seuls , sont susceptibles de recevoir des impressions.
Cet âge est celui de l'innocence ; et je crois
1
THERMIDOR AN IX. 191
bien que longtemps il y en eut beaucoup , même dans
la plupart des usages religieux et des emblèmes , qui
seraient infames aujourd'hui . Appliqué à cette époque ,
ce vers de Delille est aussi juste que gracieux.
« Où l'amour sans pudeur n'est pas sans innocence . »
Mais quand Charron s'écrie : « Pourquoi chose tanı
« honteuse , si tant naturelle ? » Ce mot est inconsidéré
et nullement philosophique. Vous demandez , pourquoi
chose lant honteuse ? Mais ne voyez - vous pas que
c'est demander la raison d'un sentiment , et que c'est
dire , en d'autres termes , pourquoi y a- t- il en nous un
sentiment de pudeur ? L'innocence n'en a point , parce
qu'elle est l'innocence. La pudeur n'est pas un attribut
de l'enfance de l'homme , et ne dut point appartenir
à l'enfance du monde. Elle naquit et se développa ,
comme toutes les autres acquisitions sociales . Vous travaillez
à la détruire ; vous y parviendrez peut -être ; et ,
alors l'homme , après avoir perdu l'innocence , perdra
aussi la pudeur ' , qui en était au moins le souvenir.
-
Je ne dirai qu'un mot sur le système allégorique ,
qui occupe une grande place dans cet ouvrage. Il est
poussé , comme tout le reste , jusqu'à l'intempérance .
Non seulement il est dirigé contre le christianisme ;.
mais il tend à nous jeter dans un pyrrhonisme qui sape
tous les fondements et confond toutes les origines de
l'histoire. Il n'y aurait eu , dans un espace de temps
long et indéterminé , rien de réel ; tout serait emblématique.
Toujours le soleil et la lune ! Les historiens
les plus graves , en nous transmettant les annales des
empires et le nom de leurs législateurs , n'auraient décrit
que les révolutions des astres . Ainsi cet ouvrage offre
un double scandale : l'érudition que l'auteur emprunte ,
sans choix et sans goût , n'est jamais employée qu'à corrompre
les moeurs ou à dénaturer l'histoire. M.
192 MERCURE DE FRANCE ,
OBSERVATIONS sur le système actuel d'instruction
publique ; ouvrage du C. DESTUTTTRACY
.
LEE retour aux idées raisonnables , et l'abandon des
théories révolutionnaires devaient amener un examen
particulier des nouvelles méthodes d'enseignement.
Déja le gouvernement a cru devoir consulter , par
l'organe du ministre de l'intérieur , tous les conseils
généraux de département , sur les moyens de rétablir
les anciens colléges . Sa prudente lenteur qu'on ne doit
point attribuer à l'incertitude , mais au desir d'établir
un système profondément médité ; son empressement
à recueillir toutes les lumières , et la grande importance
du sujet ont encouragé les amis des lettres à
s'en occuper. Il a donc paru un assez grand nombre
d'ouvrages pour et contre les écoles centrales . Les
partisans exclusifs du système ancien ont essayé de
prouver que la restauration de l'instruction publique
dépendait essentiellement du rétablissement subit des
colléges , tels qu'ils étaient autrefois . Parmi les défenseurs
des écoles centrales , les uns ont prétendu
que leur système était le meilleur possible , le seul
philosophique , et qu'en l'attaquant on attaquait les
principes mêmes de la révolution ; d'autres , plus . modérés
, ont avoué que la loi du 3 brumaire était incomplète
; mais ils ont pensé que le plan dont elle a
fixé les bases , serait inattaquable s'il avait plus de
régularité dans son ensemble , et plus de gradation
dans ses parties . Le C. Tracy est du nombre de ces
derniers. Dans son ouvrage écrit avec sagesse et
modération , il ne dissimule point les inconvénients
du système actuel de l'instruction publique ; mais il
craint qu'un changement trop prompt ne produise un
"
THERMIDOR AN IX. 193
DEW
désordre fatal aux études ; il croit qu'on doit faire
avec prudence , les réformes commandées par les abus
et là dessus , le passé n'a que trop instruit avenir,
C'est dans cette vue estimable , qu'il s'est efforce
de mettre quelque ordre dans les matériaux informes
de la loi du 3 brumaire.
L'entreprise était difficile : nous allons voir si le
C. Tracy a rempli le but qu'il s'est proposé . Il com
mence par diviser les élèves en deux classes d'hommes
à instruire la classe ouvrière et la classe savante. Il
appuie beaucoup sur cette distinction , et les efforts.
qu'il fait pour l'établir prouvent que le retour aux idées
saines de la politique est bien lent , puisqu'on est
obligé de s'élever aujourd'hui contre l'égalité de 1793 .
Selon le C. Tracy , la classe ouvrière , qui est la plus
considérable , doit se borner à l'instruction qu'on re
cevra dans les écoles primaires ; et le petit nombre ,
seulement , suivra les écoles centrales et spéciales.
Par un système susceptible d'une longue discussion ,
mais sur lequel je ne m'arrêterai point , parce que
l'auteur ne lui donne aucun développement , le C.
Tracy pense que l'instruction primaire ne doit point
être un commencement , mais un abrégé de l'instruction
supérieure , et qu'ainsi elle doit être complète
dans son genre . Avant de s'occuper de l'instruction
qui convient à la classe ouvrière , il trace donc le plan
de celle qu'il destine à la classe savante. Pour donner
une idée juste de son travail , il est nécessaire de
rappeler que la loi qui fonde les écoles centrales porte
en substance que les élèves n'y seront admis qu'à
douze ans , et qu'ils y apprendront le dessin , l'histoire
naturelle , les langues anciennes , les mathématiques
, la physique et la chimie , la grammaire générale
, les belles - lettres , l'histoire et la législation. Aucune
autre gradation n'est fixée , si ce n'est l'ordre dans
5. 13
194 MERCURE DE FRANCE ,
lequel je viens de placer ces diverses études ; aucune
discipline n'est établie pour les professeurs , ni pour
les élèves , aucune disposition n'oblige ces derniers à
suivre un cours pour se préparer à un autre.
C'est dans ce cahos que le C. Tracy entreprend de
porter la lumière . Les matériaux , dit-il , nefont un monument
que quand ils sont placés dans un certain
ordre.
Il divise l'enseignement des écoles centrales en trois
sections langues et belles - lettres , sciences physiques
et mathématiques , et sciences idéologiques , morales et
politiques. Les élèves sont admis à 9 ou 10 ans ; le
cours d'étude est de huit ans ; pendant ces huit années
, ils suivent à la fois les trois parties d'enseignement
dont je viens de parler ; pendant la première , ils
n'apprennent que les éléments des langues et de l'arithmétique.
Du reste , le C. Tracy ne s'occupe point de la discipline
nécessaire dans l'intérieur des écoles . La seule
idée qu'il présente pour donner à l'instruction un ensemble
régulier , est de rétablir le conseil d'instruction
publique , fondé par le C. François ( de Neuchâteau) . Les
fonctions de ce conseil , attaché au ministère de l'intérieur
, étaient d'examiner les cahiers dictés aux élèves ,
et d'éclairer par ses conseils , les professeurs qui auraient
pu s'éloigner de la route tracée par la loi . Le
d'utilité de ce conseil a décidé le gouvernement peu à
le supprimer , à l'époque du 18 brumaire .
On voit , par cet aperçu rapide , que le C. Tracy sent ,
comme tous ceux qui se sont élevés contre les écoles
centrales , l'utilité des langues anciennes et l'insuffisance
du temps que la loi du 3 brumaire leur consacre.
Il desire donc que les élèves s'y appliquent pendant huit
ans. C'est déja un grand pas de fait vers le système
des anciens colleges. Mais , en examinant son travail
THERMIDOR AN IX. 195
avec attention , il est aisé de remarquer son embarras
pour employer des matériaux si disparates. Dans l'intention
de donner à chaque partie l'étendue convenable
, il a été contraint de faire marcher de front ,
pendant le cours presque entier des études , les trois
sections d'enseignement dont j'ai parlé plus haut. Je
conviens que c'était le seul moyen de donner à ce
bizarre assemblage de neuf sortes d'études différentes
une certaine régularité. Mais pour peu que l'on connaisse
les facultés de l'enfance , et même celles de l'âge mûr ,
on ne peut s'empêcher de convenir qu'il est impossible
que l'éleve s'applique en même temps à trois sortes
d'études aussi sérieuses et aussi étrangères les unes aux
autres . Multiplier les cours d'enseignement n'est pas
répandre l'instruction : en présumant trop de la force
et de l'aptitude des élèves , on s'expose au danger de
ne leur donner que des notions vagues et superficielles ,
plus funestes que l'ignorance même. Supposez - même
l'exécution de ce plan ; qu'arrivera - t -il ? L'élève , égaré
par les caprices de son âge , sera-t-il constant dans son
goût pour telle ou telle section d'études ? Ne se livrerat-
il pas , tantôt aux langues , tantôt aux sciences exactes ,
tantôt aux sciences morales , suivant la mobilité de son
caractère et de son âge ? Au milieu de tant d'objets divers
, le jeune homme sera l'esclave de son indépendance.
Attiré partout , il ne s'arrêtera nulle . part ; il écoutera
tout et ne retiendra rien. Ses forces s'épuiseront vîte.
Après avoir rassasié sa curiosité , il croira sans doute
avoir nourri son intelligence ; et ce double préjugé
donnera au premier âge l'orgueil du faux savoir , et
peut - être le dégoût de l'étude pour toute la vie. Tels
sont les inconvénients qui me semblent résulter du projet
du C. Tracy ; ils prouvent qu'avec les méditations les,
plus profondes , et le talent le plus distingué , il est
impossible de raffermir un édifice dont les bases sont
vicieuses .
196 MERCURE DE FRANCE ;
Quels seraient donc les moyens de restaurer l'instruction
publique ? Serait - il nécessaire de rétablir les colleges
, tels qu'ils existaient avant la révolution ? Je ne
dissimulerai point les reproches que les philosophes
ont faits aux universités , quoique , le plus souvent , il
y eût de l'exagération et de la mauvaise foi . Je conviendrai
avec eux que les sciences exactes et les lettres
françaises y étaient trop sacrifiées à l'étude de la langue
latine. Mais ils avoueront que cette instruction était
parfaitement conforme à l'organisation sociale de ce
temps là , puisque la connaissance du latin était nécessaire
pour exercer toutes les professions honorables
de la société. En général , le meilleur système d'instruction
est celui où les études de l'enfance préparent
aux fonctions de l'âge mûr. Or les différentes carrieres
ouvertes aujourd'hui à tous les citoyens , sont celles de
la guerre , du génie , de l'administration , de la judicature
, du barreau , et des diverses parties de l'art
de guérir. Dans les deux premières et dans la dernière ,
les sciences exactes sont indispensables ; dans les autres
, les langues anciennes ne sont pas moins utiles ,
dans presque toutes , il est impossible de se distinguer
si on n'est point parvenu à les réunir à un certain
pont. Ces deux parties d'enseignement me semblent
do e devoir étre les bases du nouveau système d'instraction
publique.
On voit qu'en écartant les cours inutiles qui existent
aujourd'hui , en renforçant ceux dont la nécessité
est reconnue , on reviendrait insensiblement au plan
des anciens coléges , avec cette seule difference que
l'on consacrerait un plus long espace de temps à l'étude
des sciences exactes et des lettres françaises. Du
reste , les seules théories sont impuissantes : c'est une
bonne discipline dans les écoles qui garantit le succès
des études ; et à cet égard , l'ancienne université peut
encore servir de modèle.
THERMIDOR AN IX. 197
Si l'on veut porter un jugement impartial sur ces
réflexions , on pourra apprécier à leur juste valeur ,
ces vaines déclamations contre toutes les institutions
qui n'ont pas dû leur origine à l'esprit de vertige des
temps révolutionnaires . Il n'appartient qu'aux hommes
qui se les permettent , d'appeler conspirateurs ceux
qui professent des principes d'ordre ; fanatiques , ceux
dont la modération fait la satire de toutes les opinions
exagérées ; ennem's de la révolution , ceux qui veulent
affermir ses bienfaits , et faire oublier ses errents.
(Article communiqué).
P.
EUVRES chirurgicales , ou Exposé de la doctrine
et de la pratique de P. J. DESAULT ,
chirurgien en chef du grand hospice d'hu
manité de Paris ; par . XAV. BICHAT , Son
élève
,
médecin-adjoint du même hospice.
Nouvelle édition , corrigée et augmentée. Paris ,
chez Méquignon l'aîné , libraire , rue de Ecole
de médecine , n.º 3 , vis à-vis la rue Haute- ,
feuille. An 9.
DESAULT fut à l'anatomie chirurgicale , ce que
है
Lavoisier. fut à la chimie. Son nom est une époque
dans la science . C'est à Desault que l'on doit les découvertes
fondamentales qui ont créé de nouveau
l'anatomie , et les réformes dans l'enseignement , qui
en assurent les progrès.
Sa jeunesse fut le modèle des vertus qui conduisent
à la gloire d'être utile ; de ce courage opiniâtre et de
cette longue patience qui sont le génie des sciences.
Sa vie fut une suite de services rendus à l'humanité.
Il écrivit peu : il abandonnait le soin de sa réputation
aux malades qu'il avait guéris , et confiait sa doctrine
198 MERCURE DE FRANCE ,
aux nombreux élèves qui , chaque jour , venaient l'entendre
ou assister à ses opérations.
Un de ces élèves qui se sont le plus distingués , le
C. Bichat , déja connu par des ouvrages estimés , a reeueilli
cette doctrine . Il fait précéder l'ouvrage qui
le renferme d'un éloge de Desault , digne à la fois du
disciple et du maître. Les gens de l'art y verront des
développements utiles , tous y trouveront des réflexions
judicieuses .
Le C. Bichat observe , avec raison , que , dans ces
derniers temps , les préventions contre les médecins ,
autant peut- être que leurs préjugés , prolongeaient
l'enfance de la médecine . Une certaine classe ( et toujours
d'hommes bien portants ) refusait au médecin
cette considération qui est la première récompense de
celui qui doit réussir dans une carrière pleine de difficultés
et de dégoûts . Était-ce parce qu'elle intéressait
de plus près l'humanité ? Je crois simplement que
c'était par une contradiction maligne du coeur humain
qui trouve du plaisir à se mocquer des choses respectables.
Là dessus le vulgaire était quelquefois plus
sage que les philosophes. Rousseau qui , tout en affectant
des opinions singulières et neuves , a rajeuni bien
des lieux communs , appuie de toute son éloquence
et de toute sa gravité , les satires de la comédie contre
la médecine.
Au lieu d'un extrait détaillé que ne comportent ni
l'ouvrage de Desault , ni ce journal , nos lecteurs nous
sauront gré de transcrire cet Eloge des médecins, extrait
d'un ouvrage inédit. L'imagination et le talent leur
devaient une réparation.
1
G.
THERMIDOR AN IX. 199
VARIÉTÉS.
ELOGE DES MÉDECINS.
L'ART merveilleux qui vient au secours de la vie ,
remonte à l'origine des sociétés . Il a même devancé le
labourage , puisque la femme a porté des enfants
avant qu'il y eût des moissons , et que le berceau de
l'homme est chargé de douleurs. Le premier médecin
qu'ait vu le monde , a sans doute été quelque mère
qui cherchait à soulager son enfant . La pitié et le
génie étendirent ensuite la médecine à tous les hommes ;
l'une découvre le malade , l'autre trouve le remède .
.
On peut dire aussi qu'elle est fille de l'amitié et des
héros . Le sauvage porte , dans les combats , le petit
morceau de gomme qu'il doit appliquer sur la blessure
d'un compagnon d'armes . Une feuille de nénufar
lui sert de compresse ; pour bandages , il a des écorces
de bouleau ; pour instrument , ses dents et ses doigts.
Celui- là est un médecin bien habile , qui tire du fond
de son ame , tout son enseignement et toute son expérience
. Un ami est la médecine du coeur , a dit la
Sagesse.
Nous voyons le même usage établi chez les patriarches
et dans les siécles héroïques de la Grèce . Le nom
même de médecin , emprunté du nom des Mèdes , rappelle
cet antique Orient , si fameux par ses sages.
Homère reconnaît quatre arts principaux , entre lesquels
il nomme celui de médecin . Les fils des rois , les guerriers
les plus renommés au siége de Troie , connaissaient
les vertus des plantes. Patrocle , le plus doux
des hommes , excellait à panser les blessures , et
Achille était célèbre dans la science de Chiron . Quel
200 MERCURE DE FRANCE ,
quefois de belles princesses, malheureuses, fermaient les
plaies des jeunes héros , dont elles étaient devenues
les esclaves . On croyait que la médecine était descendue
du ciel , et l'on disait qu'Apollon l'avait inventée
lorsqu'il était pasteur chez Admète . Esculape est peutêtre
le seul dieu de la fable , dont la raison pardonne
les autels.
Par une suite de ces mêmes idées qui attribuent
quelque chose de divin à la médecine , les peuples
chrétiens la remirent d'abord entre les mains des solitaires.
On supposa que ceux qui guérissaient les ames
pouvaient aussi guérir les corps , et que l'hermite qui
cueillait les baumes mystiques de la montagne de Sión ,
connaissait aussi le dictame qui appaise les douleurs
des mortels. Des vierges se consacrèrent à cet art
qui donne une seconde fois la vie. On eût dit que
pour payer ce tribut de douleurs maternelles auxquelles
leur virginité les avait dérobées , les femmes
se vouaient à une autre sorte de maternité bien plus
longue et bien plus douloureuse .
Considérée sous tous les rapports , la classe des médecins
ne saurait être trop respectée. C'est chez elle
qu'on rencontre le véritable savoir et la véritable philosophie.
Dans quelque lieu que vous soyez jeté , vous
n'êtes pas seul , s'il s'y trouve un médecin . Les médecins
ont fait des prodiges d'humanité. Ce sont les seuls
hommes , avec les prêtres , qui se soient jamais sacrifiés
dans les pestes publiques . Et quels philosophes ont
plus honoré l'humanité qu'Hippocrate et Gallien ? Cessons
de ravaler une science admirable qui tient aux
sentiments les plus nobles et les plus généreux ; chantée
par Homère et Virgile , elle réclame tout ce qu'il y a
de beau en souvenirs . Les études auxquels elle oblige
sont immenses ; elle nous donne une merveilleuse idée
de nous - mêmes , puisque pour connaître seulement
THERMIDOR AN IX. 201
notre édifice matériel , il faut connaître toute la nature.
Hippocrate , par une expression sublime , appeile
notre corps l'effigie de l'homme on pourrait aussi le
comparer à un palais dont , après la fuite de l'ame ,
le médecin parcourt les galeries solitaires , comme on
visite les temples abandonné que jadis une divinité
remplissait de sa présence.
Toutefois je n'ignore pas qu'on a fait un reproche
très-grave aux médecins : on les a accusés d'athéisme ;
mais ce reproche me semble démenti par toute l'histoire.
L'art qui demande le plus de raison et de sensibilité
, n'est point tombé dans le plus absurde et le
plus froid des systèmes . Si le spectacle des douleurs
humaines , trop souvent non méritées , à fait juger à
la plupart des hommes qu'il devait y avoir un monde
meilleur après celui - ci , les médecins n'ont - ils pas sans
cesse sous les yeux cette grande preuve de notre immortalité
? Enfin dans tous les temps et dans tous les
pays , les médecins les plus fameux , ont été remarquables
par leur piété. Hippocrate et Gallien , dans
les siécles antiques , Niewentyt , Hervey , Boerhave ,
Haller , dans les siécles modernes , en sont la preuve.
On soutient que l'anatomie et l'habitude de ne voir
que les opérations de la matière jettent les médecins
dans l'incrédulité ; mais il me paraît que ce spectacle
devrait plutôt produire l'effet contraire . On sait que
la merveilleuse structure des parties du corps humain
a toujours été mise au nombre des causes finales les
plus frappántes.
" 2 Platon , Aristote 2 Aristote 2 Cicéron 3- et une foule
d'auteurs modernes ont écrit , à ce sujet , des ,
' In Tim, ² Arist. de part. animal. lib . 3, cap . X. 3 de nat.
Deor. II
56 , 57. 4 Niewentyt , exist. de Dieu . liv . 1 ,
chap . XIII ,-page 181. Clark , Hancok , etc. , etc. , etc.
"
202 MERCURE DE FRANCE,
choses admirables. S'il s'est donc trouvé un Lamétrie
qui n'a vu dans l'homme que la matière , il s'est aussi
rencontré un Gallien qui y a découvert la Divinité . !
"
"
се
"
་་
Cet excellent homme , saisi tout- à -coup d'admiration
, au milieu d'une analyse anatomique , laisse
pour ainsi dire , échapper le scalpel , et levant les bras
vers le ciel , s'écrie : O toi qui nous a faits ! en com-
« posant un discours si saint , je crois chanter un véritable
hymne à ta gloire. Je t'honore plus en dé+
" couvrant la beauté de tes ouvrages , que si je te
sacrifiais des hécatombes entiers de taureaux , et que
je fisse fumer les temples de l'encens des aromates
les plus précieux . La véritable piété consiste à me
« connaître d'abord moi - même ; ensuite à enseigner
« aux autres quelle est la grandeur de ta bonté , de
« ton pouvoir et de ta sagesse ; ta bonté se montre
dans l'égale distribution de tes présents , ayant ré
parti à chaque homme les organes qui lui sont nécessaires
; ta sagesse se voit dans l'excellence de tes
dons ; et ta puissance dans l'exécution de tes desseins
"
"
" ·
CHATEAUBRIAND.
SPECTACLES.
THEATRE FRANÇAIS DE LA RÉPUBLIQUE.
LE 23 messidor , les sociétaires de ce théâtre ont
donné , dans la salle de B'Opéra , une représentation
extraordinaire au bénéfice du C. Florence , récompense
méritée par vingt- cinq ans de travaux utiles . On avait
choisi Cinina et les Fausses confidences . Ainsi le même
*
Gal. de usu , part. LIII , chap. X.
THERMIDOR AN IX. 203
jour offrait ensemble , à l'empressement du public , le
chef- d'oeuvre du grand homme qui créa l'art dramatique
en France , et les acteurs qui cultivent aujourd'hui
cet art avec le plus de succès. Pour ajouter une
singularité piquante à cette représentation , Molé s'était
chargé du rôle d'Auguste , et la manière dont il
l'a rendu , laissera sans doute un souvenir digne des
nombreux exemples que le Théâtre français doit à
ses talents.
"
On a eu raison de lui reprocher quelques mouvements
un peu trop brusques , et cette multiplicité de
gestes , toujours pleins de finesse et de vivacité , qu'une
longue habitude de la comédie explique et ne justifie
pas. Il faut même convenir que , malgré la supério
rité de son intelligence , la gravité de son âge , et
l'extrême flexibilité de ses moyens , il conserve encore
cette espèce de mobilité gracieuse , qui le rendit inimitable
dans les rôles de petit- maître , mais qui fit
dire plaisamment à un homme de beaucoup d'esprit ,
qu'il n'avait pas la cuisse tragique . Au reste , on ne
peut donner trop d'éloges à la pureté de sa diction ,
à la noblesse de ses intentions dramatiques , et surtout
à l'art profond qu'il a développé dans le monologue
du quatrième acte ; monologue admirable , dans
lequel Corneille a préparé cette scène plus admirable
encore , où la clémence d'Auguste triomphe à jamais
de la haine d'Emilie et des passions impétueuses de
Cinna .
:
Ce rôle d'Emilie est un de ceux qui font le plus
d'honneur au talent de M.lle Raucourt. Elle y a mérité
les suffrages les plus distingués , surtout dans la
scène, où Maxime vient lui proposer de fuir. L'ironie
dédaigneuse de son maintien secondait parfaitement
la précision énergique de ses réponses ; et je ne
erois pas qu'on puissé donner au mépris une expres204
MERCURE DE FRANCE ,
sion plus eloquente et plus vraie que celle qu'elle a
su mettre dans cet hemistiche ,
Allons , Fulvie , allons .....
Ce beau mouvement et la sortie de M.lle Raucourt,
ont excité des applaudissements universels .
Saint - Phal a soutenu le role ingrat de Maxime par
une diction toujours juste et souvent animée ; mais
Saint- Prix a été constamment faible et froid , dans
celui de Cinna. Il n'a pas même tiré parti des beaux
moyens que la nature lui a donnés. Dans les morceaux
où attention etait le plus fortement émue , tels que
le tableau sublime des cruautés d'Octave , triumvir , on
a remarqué que sa voix semblait prête à s'éteindre ,
et que sa mémoire lui manquait . En général , dans la
représentation de ce chef d'oeuvre , qu'une lâche politique
avait banni de la scène sous un gouvernement
oppresseur , les acteurs , malgré tous leurs efforts , se
sont elevés rarement à la hauteur du poète. Molé luimême
, quoique cette épreuve ajoute à l'idée qu'on
doit avoir de son prodigieux talent , est resté fort au
dessous du graud Corneille . Il n'a pas fait asséz ressortir
la peinture de l'ambition satisfaite et toujours
mécontente , Pinquiétude de l'esprit et le vide de l'ame ,
au moment où les faveurs de la fortune sont épuisées ;
enfin le sentiment si profond et si vrai qu'expriment
les vers suivants
Et comme notre esprit , jusqu'au dernier soupir ,
Toujours vers quelque objet pousse quelque desir ,
Il se ramène en soi , n'ayant plus où se prendre ,
Et monté sur le faîte , il aspire à descendre :
On sait que Racine citait souvent ce dernier vers à
son fils , et le regardait comme le plus beau qu'il y
eût dans notre langue . Quelques juges difficiles , qui
THERMIDOR AN IX. 205
savent qu'on peut tout exiger et tout attendre d'un
acteur tel que Molé , m'ont paru desirer aussi qu'il
mit une grandeur plus imposante dans le morceau qui
précède le fameux Soyons amis , Cinna :
Je suis maître de moi , comme de l'univers ;
Je le suis ; je veux l'être : ô siécles , ô mémoire !
Conservez à jamais ma dernière victoire.
Je triomphe aujourd'hui du plus juste courroux
De qui le souvenir puisse aller jusqu'à vous .
Ces observations sont un hommage au génie de Corneille
, et ne peuvent affaiblir l'estime que méritent
des acteurs justement chéris du public . Molé , surtout
doit reconnaitre dans cette critique , soumise à ses
propres lumières , le voeu d'un homme que l'habitude
de le voir sur la scène , a trop familiarisé , peut-être ,
avec l'idee de la perfection .
M.lle Contat , M. Devienne et Dazincourt , ont joué
les Fausses confidences avec une supériorité qu'on
aimerait mieux trouver dans la représentation des chefd'oeuvres
de Moliere Le genre de Marivaux , souvent
spirituel et délicat , mais essentiellement froid et toujours
inférieur à la véritable comedie , a cependant ,
pour le public , un attrait particulier ; on ne peut l'expliquer
que par la réunion des artistes qui le cultivent :
Fleury manque , depuis longtemps , à cet ensemble si
précieux ; et c'est un véritable éloge pour Baptiste ,
que d'avouer hautement , que sans faire oublier i’absence
de cet acteur aimable , il a du moins le talent
de la faire supporter.
E.
206 MERCURE DE FRANCE ,
ANNONCES.
LYCÉE ou Cours de littérature ancienne et moderne ;
par J.-F. Laharpe. Tomes 11 et 12. Le tome 11 est
divisé en deux parties. Paris , chez Agasse , rue des
Poitevins , n.º 18.
POÈME des Jardins ; par J. Delille . Nouvelle édition
augmentée de mille vers . Chez les frères Levrault.
Quand deux noms aussi célèbres reparaissent à la fois
dans la littérature française ; on peut dire qu'elle ne manquera
point encore de grands modèles et de leçons utiles .
On donnera , dans le premier numéro , l'extrait du
premier de ces ouvrages .
OBSERVATIONS sur le Projet du Code civil , par M. de
Montlozier, 1 vol.in - 12 . Prix , 1 fr. 50 c. , et 2 fr. franc
de port. Chez Giguet et compagnie.
DEs moyens de prévenir les délits de la société , suivis
d'un discours prononcé en brumaire de l'an 7 , par
le jury d'instruction de Vaucluse sur cette intéressante
matière. A Paris , chez Lemaire , rue d'Enfer,
n. ° 731 , an 9 .
MANUEL des autorités constituées et de tous les fonctionnaires
publics , etc. 2 forts volumes in-8 . ° Prix ,
7 fr. 50 cent. , et 10 fr. par la poste. Cet ouvrage.
se trouve , à Paris , chez Deroy , libraire , rue Hautefeuille
.
On avait inondé , jusqu'à ce jour , la république
d'un déluge de codes et de manuels de toute espèce ,
et personne n'avait imaginé de nous présenter l'organisation
politique de la France , de manière à rendre
ce tableau également utile à toutes les parties organiques
, si je puis m'exprimer ainsi , de ce corps immense
et vivant : c'est ce que le C. Balestrier vient de
faire dans les deux volumes que nous annonçons.
Cet ouvrage , absolument nécessaire à tous ceux qui
ont quelque emploi supérieur dans la république , est
également utile au simple citoyen qui veut connaître ,
non- seulement ses droits politiques , mais encore les
devoirs et les attributions de ceux dont il peut avoir
si souvent besoin . 1
}
THERMIDOR AN IX. 207 "
Il est cependant plus particulièrement destiné à tous
ees fonctionnaires en chef, militaires ou civils , et surtout
aux préfets et sous -préfets , dont les fonctions
importantes embrassent tous les genres d'administration
.
L'ordre alphabétique qu'on y a observé dans les
matières et dans les noms qualificatifs des fonction
naires , donne une très - grande facilité pour les recherches
; chacun d'eux peut y trouver , sous le nom qualificatif
de son emploi , non- seulement les lois , arrêtés
et règlements qui le concernent directement
encore les articles , épars ailleurs , qui ont rapport à
ses fonctions.
mais
On sent combien cette méthode abrège le travail et
facilite la science des lois à ceux qui ont le plus grand
intérêt de les connaître .
TRAITÉ des arbres et arbustes que l'on cultive en
France , en pleine terre ; par Duhamel , avec les figures
imprimées en couleur et terminées au pinceau ,
d'après les dessins faits sur nature ; par P. I. Redouté,
peintre du Muséum d'histoire naturelle , etc. Avec
cette épigraphe : Utile dulci. Seconde livraison .
er
Nous avons annoncé cet intéressant ouvrage dans le
n.º XIX ( 1.° r germinal an 9 ) . Il continue à être publié
par livrasions de six planches , avec le texte de format
in -folio .
Depuis que les progrès de l'histoire naturelle en ont
répandu le goût et l'étude , on ' a senti combien il importait
d'appliquer à l'agriculture , source de toutes nos
richesses , les connaissances que cette étude nous a
fournies. On a surtout distingué les travaux du célèbre
Duhamel. Son Traité des arbres et arbustes est , de
est
tous ses ouvrages , celui dont l'utilité est la plus immédiate
, parce qu'il contient plus d'observations de
détail , que les autres ; mais ce livre , devenu rare ,
confiné dans la bibliothéque de quelques savants . Il
était perdu pour la plus grande partie des amis de l'agriculture.
L'éditeur a cru n'être pas inutile à ses concitoyens
, en les mettant à même d'en jouir de nouveau.
Il a choisi un moment favorable , celui où le gouver
nement s'occupe de l'amélioration des forêts , encou
rage l'agriculture d'une manière spéciale , et où des
208 MERCURE DE FRANCE ,
sociétés s'établissent dans tous les départements , pour
diriger les effets et recueillir les expériences des agricoles.
Duhamel avait suivi la nomenclature de Tournefort ,
qui a été presque généralement abandonnée , depuis que
le système ingénieux de Linné , et la savante méthode
de Jussieu ont éclairé de nouvelles lumières en science
botanique.
Les six planches , de cette seconde livraison , offrent
le gainier d'Europe , ou Cercis siliquastrum ; le daphné
mezereum ; le daphné lauréole ; le daphné cneorum ; le
daphne des collines ; et le gautheria penché.
Le texte qui accompagne chacune de ces planches
explique parfaitement ie genre et l'espèce des diverses
productions ; l'usage qu'on en peut faire , soit dans les
arts , soit dans la médecine ; le temps de la floraison
et de la maturité des fruits , etc. Les dessins et les
gravures sont de la plus belle exécution .
Les nouveaux souscripteurs auront la faculté de ne
retirer les cahiers que l'un après l'autre , jusqu'à ce
qu'ils soient au pair avec les premiers: Les lettres de
demande et l'envoi de l'argent doivent être affianchis.
Les frais de port , par la poste ou par la diligence ,
seront à la charge des souscripteurs .
HISTOIRE de l'introduction et des progrès de la vaccine
en France par François Colon , docteur en
médecine , associé correspondant du Lycée de Toulouse
, de la Société, médicale de Tours , et de la
Société libre d'agriculture , commerce et arts du
département du Doubs ; membre du premier comité
medical de la vaccine , et dans la maison duquel
les expériences sur cette découverte ont été faites .
1 vol . in-8.º , prix , 3 fr. , et 4 fr. franc de port . A
Paris , chez Lenormant , imprimeur - libraire , rue
Prêtres-Saint -Germain - l'Auxerrois , n.º 42. la
porte cochère vis - à - vis l'église , au premier sur le
devant .
RÉFLEXIONS sur le duel , et sur les moyens les plus
efficaces de le prévenir : opuscule traduit de l'anglais
; par feu C. Godescard , chanoine de Saint-Honoré
de Paris, Brochure in- 8.° de 66 pages d'impression
. Prix , 75 cent . et 1 fr. franc de port . Paris.
L'an 9. Chez Fuchs , libraire , rue des Mathurins ,
hotel de Clunya
des
THERMIDOR AN IX. 209
SBINE
POLITIQU
EXTÉRIEUR
ESQUISSE
DE VIE
VIENNE semble aspirer à la primatie des grandes
villes de l'Europe. Il s'est extrêmement agrandi , et
sa forme , en y comprenant ses vastes faubourgs , l'a
fait comparer , avec assez de justesse , à une hirondelle
qui aurait les ailes d'un aigle . On comptait , en 1796 ,
1397 bâtiments dans la ville seule , et 5102 dans les
faubourgs . Beaucoup de ces derniers occupent un grand
emplacement , et sont d'ailleurs séparés par des jardins
spacieux. Il restait même , à cette époque , une quantité
considérable de terrains vagues.
La ville est coupée par le Danube , mais cet avantage
est acheté par quelques inconvénients . Lorsque
les ruisseaux , qui descendent des montagnes , s'enflent
subitement par la fonte des neiges et des glaces , ils
font déborder le fleuve , qui inonde quelquefois une
partie des faubourgs jusqu'à une grande hauteur : c'est
alors que la bonté de la police est surtout remarquable ;
il est difficile de se faire une idée de toutes les précautions
, de tous les moyens qu'elle emploie pour la
conservation et le soulagement des familles que cet
accident menace ou maltraite en effet .
On présume volontiers que le voisinage de ce fleuve
donne lieu à beaucoup de parties de plaisirs , qui ne
peuvent être que très agréables , principalement le
-
5 14
210 MERCURE DE FRANCE ,
long de la forêt du Prater ; mais ces sortes d'amusements
ne sont pas communs ; on se borne en général
à recueillir les avantages qu'offre ce beau fleuve pour
le transport des marchandises et les divers approvisionnements
Vienne est l'une des moins belles capitales de l'Europe
: aucune décoration extérieure n'y arrête les regards ;
les rues qui se croisent çà et là , de la manière la plus
irrégulière , ne sont ni nivelées , ni alignées . Non loin
du centre , il y en a une en forme de pont jeté à travers
sur une autre rue (nommée le Fossé profond ) , de sorte
que les voitures qui passent dans la première , se
trouvent quelquefois précisément au dessus d'un autre
équipage dans la seconde ; spectacle vraiment singulier
qui pique toujours la curiosité du voyageur. Ces hommes
et ces voitures , qui défilent sans cesse , qui vont et
viennent sous vos pieds , vous rappellent ces canaux
creusés en Angleterre et en d'autres pays de l'Europe ,
lesquels , passant sur une rivière , offrent souvent le
coup d'oeil d'un vaisseau navigant sous un
-
vaisseau.
autre
Les places , les théâtres , les temples , tout est barbare
ici pour des yeux et des sens formés dans la patrie
des Bernin et des Michel - Ange. Il n'y a guère ,
dans cette métropole , qu'une seule rue qu'on puisse
dire très -belle ; elle est formée par une suite de palais
magnifiques bien alignés ; aussi l'appelle - t - on la rue
des Seigneurs.
La seule promenade qu'on trouve dans la ville , en
ne comptant pas celle du Bastion , qui n'est fréquentée
, que dans l'été , c'est le Graben : elle s'étend le long
des trottoirs d'une place , qui n'a de commun avec la
place de Saint- Marc , que de rassembler les désoeuvrés ,
les Argus de la police , et des légions de ces malheur
THERMIDOR AN IX. 211
reuses créatures , qui ne font d'autre métier que l'infâme
trafic de leurs débauches.
Quoique la ville s'embellisse tous les jours , on peut
prédire qu'elle ne sera jamais parfaitement belle.
Les faubourgs sont construits sur un meilleur plan ,
èt auraient de l'élégance , si les bâtiments qu'on
élève étaient plus grands et d'une architecture plus
riche ; la plupart des rues sont larges et régulières ;
elles sont principalement occupées par des manufacturiers
, et par un grand nombre d'ouvriers . Malheureusement
la proximité de la capitale présente
beaucoup d'inconvénients pour cette classe d'individus.
Placés si près du luxe et de la corruption , ils perdent
rapidement leur argent et leurs moeurs. Ils conserveraient
mieux l'un et l'autre dans les petites villes , qui
n'ont pas généralement la population que comportent
la bonté du climat et la fertilité du sol .
·
D'après la situation topographique de Vienne , on
serait , au premier coup d'oeil , tenté de croire que
la température y doit avoir un haut degré de chaleur ;
c'est à peu près la latitude d'Orléans * ; mais on a
déja remarqué que plus un pays est situé vers l'orient ,
et plus , par cette raison même , il est froid ; Vienne ,
d'ailleurs , entouré de montagnes ou de hautes collines
sur lesquelles les neiges et les glaces s'entassent et se
conservent longtemps , n'éprouve de vives chaleurs que
pendant une couple de mois , tandis qu'en hiver le froid
devient très - vif.
La chaleur même est tempérée par des vents fréquents
, et quelquefois très - pénétrants. La réponse des
Viennois aux Italiens , qui s'en plaignent , a passé en
proverbe : Vienna è ventosa , o venenosa ; Vienne est
ou venteux , ou venimeux , disent- ils aux Lombards ,
* Vienne est au 48.° degré 12 ' ; Orléans au 47. degré 54 ' ■
212 MERCURE DE FRANCE ,
à ces bons Milanais qui se sont réfugiés chez eux , et
qui regrettent un ciel pur et serein , un air presque
toujours calme , un climat chéri du ciel .
Si l'on y souffre moins du froid que dans quelques
autres contrées , où il n'a guère plus d'intensité ,
c'est qu'à l'exemple des peuples voisins , tels que les
Hongrois , les Polonais , et même les Grecs et les
Turcs , on est dans l'usage de se vêtir d'une pelisse
aux premières fraîcheurs , et qu'en vrais allemands , les
Viennois se servent de poèles d'une grandeur , d'une
qualité qui ne permettent pas au moindre froid de se
faire sentir.
Une des principales causes qui altèrent la santé des
habitants , c'est l'impétuosité des vents qui , outre les
refroidissements et les rhumes qu'ils occasionnent ,
sèchent subitement un terrain de craie et de chaux ,
en enlèvent des molécules qu'ils insinuent dans la
poitrine , et y déposent ainsi le germe de la pulmonie .
Un prompt départ de la ville , est le plus sûr remède ,
surtout pour un étranger. Le relevé des pulmoniques ,
qui meurent annuellement dans ses murs est effrayant.
Cette cruelle maladie exerce , il est vrai , ses ravages
dans toutes les grandes villes ; mais nulle part elle
n'est plus funeste qu'ici , en dépit de tous les efforts
de l'art.
2
Cependant l'art de la médecine est peut -être mieux
cultivé à Vienne que dans toute autre ville d'Allemagne.
On pourrait citer plusieurs preuves de la perfection
à laquelle l'ont élevé les travaux et les leçons de
ceux qui s'y livrent . Tous les jours , par exemple , il
arrache aux douleurs et à la mort une infinité de ces
victimes de la volupté , que tout concourt à multiplier
chez un peuple sensuel , avide de nourriture , et que
son aisance met en état de se satisfaire . Nous ne sommes
THERMIDOR AN IX. 213
que trop fondés à croire que le mal syphillitique est
plus général à Vienne qu'à Paris même ; et que peuvent
les plus grands efforts de la science et tout le
zèle des médecins , pour extirper un fléau qui prend
sa source dans l'immoralité , toujours croissante ?
Moins meurtrière , quoique terrible encore , est cette
triste maladie que l'Europe ne connut pas autrefois , et
que d'heureux essais tendent à rejeter de son sein. La
petite vérole , en 1795 , avait enlevé ici jusqu'à 1,098
personnes . On vient d'introduire la nouvelle manière
d'inoculer par la vaccine , et , de tous côtés , on en
attend les plus grands avantages.
Le total de la population de Vienne , s'élevait , en
1795 , à 231,105 habitants , dont 1231 ecclésiastiques ,
3253 nobles , 4256 fonctionnaires publics ou gens vivant
noblement , et 7333 bourgeois ou chefs de corporation.
\
Si la mortalité n'est point excessive dans un pareil
centre de population , où tout d'ailleurs semble concourir
à l'augmenter , on doit l'attribuer , sans doute ,
et aux succès de la médecine , et aux soins paternels
que le gouvernement , et même les particuliers , prodiguent
aux malades .
Parmi les établissements qui leur sont destinés
il faut placer , en première ligne , le grand hôpital ,
dont la direction est confiée au célèbre Franck ; on y
reçut , en 1796 , jusqu'à 11,860 malades ; on y a joint
un musée pathologique.
Vient ensuite l'hôpital des femmes enceintes : il reçut
dans la même année , 1904 femmes , dont 111 moururent.
Les petites maisons renfermaient , en 1795 , 261 fous ,
dont 156 mâles et 105 femelles ; il y entra l'année
suivante , 190 individus , et il en sortit 122. Le principal
remède , dont on fait usage dans cet hospice
est le régime et l'abstinence. Personne n'y est admis
214 MERCURE DE FRANCE,
紧
sans apporter un état détaillé du traitement suivi jusqu'alors
à son égard , afin qu'on puisse mieux juger
la cause , la nature et les progrès du mal .
Il y a un hôpital militaire ; différents hospices desservis
par des religieux , et même un hôpital pour les
Juifs. En général , ces hôpitaux se distinguent par
leur propreté et la bonté du traitement.
Vienne se glorifie d'une institution bienfaisante , à
laquelle on ne peut rien comparer , sinon les établissements
faits en faveur des pauvres à Hambourg , à
Kiel , etc.; je veux dire cette sage institution de
Léopold , qui divise les faubourgs en huit districts ,
dont chacun a son médecin , son chirurgien , sa sagefemme
, tous soldés par le gouvernement pour soigner
les pauvres dans leur domicile . Ces praticiens traitèrent ,
en 1795 , 19,820 malades , 464 moururent , et 623 furent
envoyés à l'hôpital ; cette institution fut reconnue si
salutaire , que l'année suivante on fit participer la ville
même à ses bienfaits .
Nous ne devons pas omettre un autre établissement
qui se rapproche de celui- ci , et qui est formé pour les
enfants au dessous de dix ans ; en 1795 , 1935 malades
y furent soignés ; 113 seulement moururent.
Parmi les ordonnances favorables à la santé des habitants
, et que de pareils établissements supposent ,
nous en citerons une bien digne de servir de modèle
aux autres pays , dans un moment surtout où les grandes
villes s'agrandissent de plus en plus ; c'est celle du 13
mai 1796 , par laquelle il est défendu d'habiter un
bâtiment neuf, avant que le physicien du district l'ait
examiné et ait constaté qu'il a le degré de sécheresse
convenable. Une pareille mesure de police semble être
le comble de l'attention et de la vigilance.
Le prix des vivres est d'une modicité qu'on croirait
à peine. La Hongrie fournit la viande , le blé et le
THERMIDOR AN IX. 215
vin en abondance ; l'Autriche , le bois qu'on transporte
sur le Danube et qu'on ne peut guère exporter ; environ
150 jardiniers cultivent dans les faubourgs de vastes
potagers . Ils n'ont peut-être pas l'économie minutieuse
de leurs collégues des environs de Paris ; mais ils
connaissent toutes les ressources on dirait même
les délicatesses de l'art : ils emploient , pour les
arrosements , une longue pelle de bois faite tout
exprès. Graces à leurs soins industrieux , les légumes
sont toujours à un très-bas prix cependant ils forment
une classe aisée dans la bourgeoisie ; ils se font
aider dans leurs travaux par les montagnards de la
Stirie , qui viennent régulièrement , pour cet objet ,
tous les printemps. Or , avec le pain , le vin , la viande
et les légumes * , l'homme est suffisamment nourri , et
l'ouvrier peut ainsi se contenter d'un salaire modique ;
de sorte que , dans un pays qui tire abondamment de
son propre sol toutes les denrées de première nécessité,
et les principaux matériaux des manufactures ,
il n'y a guère que le luxe sur les marchandises des
Indes qui force un peu la dépense ** . La police
veille en même temps avec tant de soin à tout ce
qui a rapport à la nourriture du peuple , qu'il n'est
pas rare que ses agents , rencontrant des personnes qui
-
* Une sorte de légumes , qu'à Vienne on cultive beaucoup
, et qui assaisonne très agréablement les sauces
ce sont les pommes de paradis (paradeis-aepfel) . Il serait
à desirer qu'on en adoptât la culture dans le nord de l'Allemagne
.
** Le bois aussi est à bon marché , du moins relativement
aux prix de Hambourg et du Holstein ; au reste , on commence
à brûler à Vienne de la tourbe , du charbon de
terre qu'on tire des premiers confins de la Hongrie , et enfin
une tourbe factice , dont l'invention est due à M. Meidinger.
216 MERCURE DE FRANCE ,
1
viennent d'acheter de la viande , la pèsent de nouveau
en leur présence , pour en vérifier le poids.
Ajoutons à la louange du gouvernement et des particuliers
, qu'ils ont toujours réuni leurs efforts et leurs
sacrifices pour empêcher la mendicité. La maison des
orphelins nourrissait au commencement de 1797 jusqu'à
1,479 de ces infortunés ; mais , malgré cela , malgré
un établissement formé pour subvenir aux besoins des
vieillards et des pères de famille hors d'état de se procurer
leur subsistance par le travail , on est encore loin
d'avoir atteint sous ce rapport le point de perfection ,
dont s'enorgueillissent Hambourg , Kiel , etc. que nous
ne nous lasserons jamais de proposer à l'imitation des
autres villes .
Un grand nombre de sociétés particulières et de cercles
où règnent la décence et le bon ton , sont cause que les
cafés sont assez peu fréquentés ; mais , en revanche , il
n'est pas de ville où l'on voie plus d'enseignes de cabarets
et de maisons publiques.
On est bien dans les cafés * , et mal dans les auberges.
Lorsqu'on s'en plaint , les habitants s'excusent sur l'esprit
d'hospitalité qui domine parmi eux. En effet , indépendamment
de beaucoup de tables ouvertes , on trouve
plusieurs maisons où il est permis de venir à toute heure
du jour , même jusqu'à minuit , et de prendre part à
tout ce qu'on sert à l'assemblée , aussi bien qu'à la
conversation.
Cela n'empêche pas qu'à dix heures du soir , on
remarque déja dans les rues une tranquillité , un silence
qu'il est rare de trouver ailleurs à cette heure - là .
Il est de règle , lorsqu'on se retire plus tard , de faire
un léger cadeau au portier de la maison qu'on habite ;
chaque maison a le sien. C'est surtout dans les fau-
* Il faut savoir que , pour avoir du bon café , on doit
demander du café double ; on le paye en conséquence.
THERMIDOR AN IX. 217
bourgs , que le soir , à 10 heures , on admire le calme
profond , l'entière solitude qui y règnent ; on ne rencontre
presque que le guet , et le matin cependant l'on
n'est point réveillé de trop bonne heure . Vienne offre , à
cet égard , un contraste parfait avec Naples . Les Allemands
se plaisent à mettre en parallèle , ces deux capitales
; ils les regardent comme les plus agréables de
l'Europe , et , au total , bien préférables à Londres
et à Paris.
Un café , digne de la curiosité d'un étranger , est
celui de Hugelman , dans le faubourg Léopolstad . Cette
maison , située entre le Danube et la rue où passent
les voitures qui vont à la promenade du Prater , est
tellement fréquentée des Grecs ( fort nombreux à
Vienne ) qu'entendant partout leur langage , et voyant
partout leur costume , on se croirait souvent transporté
au milieu de la Grèce ; illusion qui n'est pas sans mérite
, pour ceux surtout qui ont puisé les premiers éléments
de leur érudition dans les ouvrages classiques de
ce peuple célèbre.
TROISIÈME LETTRE
SUR LA POLOGNE.
LES simples notes que je vous ai données sur la
Pologne seraient incomplètes , si je n'ajoutais encore
quelques considérations sur l'état du commerce , des
arts et des sciences dans cette contrée .
Les Polonais ont un sol fertile , et manquent d'industrie.
Telles sont les deux causes qui déterminent
leur commerce extérieur . Ils fournissent aux étrangers
le superflu de leurs productions territoriales ; ils en
reçoivent tous les objets manufacturés qui leur manquent.
Dans cet échange , l'avantage serait évidem218
MERCURE DE FRANCE ,
ment pour eux , s'ils avaient une bonne agriculture
et des moeurs simples. Ils vendraient toujours plus
qu'ils n'acheteraient . Mais le contraire devait arriver
chez une nation où s'est maintenue l'inégalité la plus
outrée des fortunes et des conditions . Les exportations
se trouvent réduites , parce que les terres cultivées par
de misérables serfs , ne donnent pas tout ce qu'elles
pourraient produire les importations sont devenues
considérables , parce que l'opulence des grands seigneurs
leur a fait connaître tous les besoins de luxe.
:
On sait que la Pologne fut appelée , dans un temps ,
le grenier du Nord , comme la Sicile le grenier du Midi .
Elle mérita ce nom sous Casimir-le- Grand , et tant que
durèrent les sages institutions fondées par ce prince.
Mais depuis plus de deux siécles , les vices du gouvernement
s'étaient multipliés , l'oppression des paysans
n'avait plus de bornes fixées par les lois ; les campagnes
étaient ravagées par des guerres fréquentes , et
la population allait en décroissant. On en voit aujourd'hui
les tristes effets . Les propriétaires sont forcés
de laisser en friche une partie de leurs terres. Quelquesuns
possèdent des provinces entières ; ceux - là surtout
renoncent à mettre en valeur toutes les portions d'un
aussi vaste domaine. Ils se contentent de rassembler
leurs esclaves dans les meilleurs cantons , et comme ils
recueillent seuls tout le fruit du travail de ces hommes
à qui ils ne doivent que la plus étroite subsistance
, ils jouissent encore d'une immense fortune .
Mais quelle que soit la richesse d'un petit nombre
de particuliers , l'état n'en est pas moins pauvre et
privé des ressources infinies que lui promettaient l'étendue
et la fécondité de son sol . Parmi les productions
qui lui restent , peu excèdent ses besoins. Le
chanvre et le lin y suffisent à peine ; le miel , dont on
fait une ample récolte dans les forêts de Lithuanie ,
THERMIDOR AN IX. 219
sert au peuple en guise de sucre , on en fait aussi de
l'hydromel , mais il n'a point cours hors du pays .
C'est presque uniquement en blé que consiste le superflu
dont s'entretient le commerce extérieur ; encore
ce superflu est- il moins le résultat d'une grande abondance
, que celui d'une singulière économie dans la consommation
de l'intérieur. Les cultivateurs sont réduits à
la nourriture la plus grossière , les nobles eux - mêmes
ne font servir sur leur table que du pain de seigle . L'usage
de la farine fine est réservé pour la pâtisserie , ou
pour les mets délicats . Ce n'est pas qu'on n'ait encore de
riches moissons , et des greniers remplis de froment ;
mais ce sont des trésors auxquels on ne touche pas.
Les propriétaires en sont avares , comme de la seule
denrée qu'ils puissent aisément convertir en numéraire.
La vente en est assurée par les demandes continuelles
de l'étranger. Cette facilité de l'écouler au
dehors , n'étant pas suffisamment restreinte par de
bonnes lois , produit au dedans les effets d'une véritable
disette , et le prix s'élevant en raison du besoin
plus ou moins pressant que peuvent en avoir des
peuples éloignés , il en résulte que le pain est souvent
aussi cher pour les Polonais que pour ces peuples mêmes ;
et , en général leur pays est un de ceux où l'existence
est plus dispendieuse.
Dantzickest l'entrepôt général des grains qu'on
exporte. Ils y arrivent par la Vistule , et de là on les
expédie pour la Suède , le Danemarck , l'Ecosse et la
Hollande . On y joint encore de la potasse , quelques
bois de sapin , trop inférieurs à ceux du nord pour
qu'ils puissent être d'un grand prix ; et , enfin , des bestiaux
qui , par leur petitesse et la médiocre qualité
de leur laine , ne peuvent soutenir la concurrence avec
ceux des pays environnants. La valeur de ces objets
peut être de 20 millions .
* Voyez le dernier n.º du Mercure.
220 MERCURE DE FRANCE ,
Mais on rend à l'Angleterre environ 6 millions pour
les articles de tout genre qu'on tire de ses fabriques ,
et qui sont fort recherchés en Pologne . Lorsque les
communications avec la France sont ouvertes , on est
également curieux de ses soieries , de ses modes et
de ses dentelles . Cette branche d'importation peut
encore être évaluée de 5 à 6 millions. Il n'en coûte
pas moins pour se procurer des vins de Hongrie ; ils
sont la bisson ordinaire des grands ; et malgré les
droits énormes qu'y a mis le roi de Prusse , il s'en fait
une consomination prodigieuse. J'ai vu des fêtes particulières
où l'on ne vidait pas moins de 5 ou 6 tonneaux
, et chacun d'eux revient pourtant à 12 ou 15
louis .
le sucre "
Si vous ajoutez ce qu'on dépense pour le tabac ,
dont l'usage est très répandu en Pologne , et dont la
culture y est inconnue ; pour le café et les
épiceries que fournit la Hollande ; pour les quincailleries
d'Allemagne , les toiles de Silésie , les porcelaines
de Berlin ; en un mot , tout ce qui sert à entretenir
le luxe des riches , vous voyez que la balance
du commerce doit être constamment au désavantage
des Polonais. On estime , en effet , que la différence
de ce qu'ils vendent à ce qu'ils achètent est annuellement
de 15 millions.
Les principaux négociants sont des étrangers , et
surtout des Allemands établis dans le pays . Les uns
président à l'achat des grains dans l'intérieur , et à
leur expédition ; les autres se rendent aux foires de
Leipsick et de Francfort , pour y choisir les brillantes
superfluités qui s'accordent le mieux au goût magnifique
des seigneurs polonais . Les Juifs sont , comme
je vous l'ai dit , plus particulièrement livrés aux affaires
de détail . Ils vont porter , dans les campagnes , les
produits de l'industrie grossière du peuple des villes ,
THERMIDOR AN IX. 221
et revendent à celui - ci des comestibles pour sa subsistance
journalière.
Il est une spéculation réservée aux propriétaires , on
l'appelle la propination ; elle consiste à fournir leurs
vassaux de certaines boissons , dont l'usage supplée
à celui du vin . Ils font préparer pour eux de la bière
et des eaux- de- vie de grains. Moyennant une légère
rétribution , des hommes de confiance se chargent du
détail de la vente. Il n'est point permis aux serfs de
s'approvisionner ailleurs. Ainsi , le peu d'argent qu'ils
ont pu gagner par un travail extraordinaire retourne
encore dans les mains de leur maître , et lui sert à
payer les menues dépenses de sa maison . Il faut observer
qu'à l'exception des villes principales , presque
toutes les autres sont encore sous la dépendance d'un
seigneur ; et le droit exclusif qu'il a d'y faire vendre
des liqueurs , dont le peuple ne peut se passer , lui
assure un bénéfice considérable . C'est même son revenu
le plus important .
A part ce monopole , que la noblesse regarde comme
un de ses meilleurs priviléges et comme faisant partie
de l'administration de ses domaines , elle dédaigne
toute autre espèce de négoce . Quelques gentilshommes
tombés dans la misère voulurent une fois , sous l'ancien
ordre de choses , essayer d'en sortir par quelques
spéculations ; il parut bientôt une loi qui les avertit
qu'il se dégradaient . Ils continuèrent à n'avoir d'autre
ressource que cette domesticité honteuse dont je vous
ai parlé. Les grands s'étaient persuadés qu'on pouvait ,
sans s'avilir , leur rendre les plus humbles services personnels
, et qu'il serait plus honorable d'être leur valet
que leur marchand .
Il faut se rappeler la force de pareils préjugés , et leur
influence sur l'esprit de l'ancien gouvernement , pour
concevoir jusqu'à quel point il avait négligé tous les
MERCURE DE FRANCE , ¨
établissements favorables à la prospérité du commerce.
On ne voit en Pologne ni fabriques , ni manufactures ,
qui puissent l'affranchir du tribut qu'elle paye à celles
de l'étranger . Elle est heureusement située entre deux
mers , elle est abondamment pourvue de bois propres à
la construction des navires , et elle n'a jamais eu de marine
. On est surtout frappé de la difficulté des communications
intérieures dans un pays uni et sablonneux , où
il était si facile de les établir par de belles routes .
Les plus grands chemins y ressemblent à ceux que l'on
appelle ailleurs de traverse ; ils sont à peine tracés au milieu
des bois , et l'on doit prendre des guides pour s'y reconnaître.
Il n'est pas rare de faire 15 ou 20 lieues
sans sortir d'une forêt , et sans rencontrer d'autres
habitations que celles où les relais de la poste sont placés.
Heureusement les chevaux vont fort vîte , et l'on
franchit rapidement ces tristes solitudes. On voudrait
ne pas s'arrêter d'une ville à l'autre. Il y a
dans l'intervalle quelques hôtelleries destinées à recevoir
les voyageurs ; mais elles sont occupées par des
Juifs qui joignent à leur misère une malpropreté dégoûtante.
Ils ont , pour toute provision , un pain à
peine mangeable , des oeufs et de la bière. On courrait
tout un village , sans trouver rien de plus . Il faut
dormir , enveloppé dans son manteau , et couché sur
de la paille , qui n'est pas toujours fraîche. Un lit est la
chose la plus extraordinaire dans de pareils gîtes . Aussi
les Polonais qui ont quelque aisance ne voyagent - ils
point sans porter ce meuble avec eux ; ils l'appellent leur
veni-mecum. On voit aussi pourquoi les grands seigneurs
ne marchent point sans une suite nombreuse
de valets à cheval : c'est une espèce de caravane , qui se
charge de tous les objets dont ils peuvent avoir besoin .
Mais un étranger , qui n'a pas la même prévoyance ou
les mêmes moyens , doit s'attendre aux plus rudes priTHERMIDOR
AN IX. 223
vations. Souvent il se croira engagé dans un désert
ou dans une contrée nouvellement habitée par une
peuplade misérable , qui n'a pas eu le temps de défricher
son territoire , ni de faire aucun progrès dans
les arts utiles.
Les maisons sont de bois , et de la structure la plus
grossière. Celles des nobles mêmes , quoique plus élevées
, sont loin d'avoir l'apparence et les commodités
de nos plus simples maisons de plaisance. Il n'y a dans
les campagnes qu'un petit nombre d'habitations régulières
et vraiment dignes du nom de château .
- Les villes , et surtout Varsovie , offrent bien aussi
quelques palais superbes ; mais , à côté d'eux , figurent
encore de vieilles échoppes , telles que nos marchands
en construisent pour les foires ; tous les quartiers populeux
ne sont pas bâtis autrement . Il est vrai qu'à
mesure que les anciennes maisons tombent en ruine ,
il est ordonné de les reconstruire en pierres et sur un
meilleur plan. Ce règlement a déja produit quelque
effet ; le goût de la bonne architecture commence à se
répandre ; et notamment dans la partie prussienne , plusieurs
villes prennent de jour en jour un aspect moins
désagréable. On sent aussi l'agrément qu'il y a de
se ménager des jardins autour des hôtels , on y cultive
les plantes potagères , et un grand nombre d'ar-'
bres fruitiers . La bonté du climat a permis d'y naturaliser
presque toutes les espèces de France . Celle des
abricotiers fut apportée par un valet - de - chambre
de la suite de Henri de Valois . Il réussit à en élever
quelques arbres dans un enclos particulier , et vendait
leurs fruits aux gens de la cour , en leur persuadant
qu'il les faisait venir de Paris . Il y mettait en
conséquence un prix excessif. Cette supercherie , quí
dura longtemps , lui valut une grande fortune ; et naguères
, l'un de ses descendants comptait encore , parmi
les riches banquiers de Varsovie.
224 MERCURE DE FRANCE ,
Quelques Italiens sont venus , pendant les derniers
troubles de leur patrie , chercher un asile en Pologne.
Ils s'y sont donnés pour peintres , sculpteurs et musiciens.
On les a crus sans peine , et l'on s'est empressé
de faire usage de leurs talents . Leur exemple
contribue à exciter l'émulation des naturels du pays ,
qui , jusqu'à présent , n'avaient pas eu la prétention de
se distinguer dans les beaux- arts. Tout ce qu'ils possèdent
de monuments précieux en ce genre est dû à
des artistes étrangers que les rois ou les grands avaient
attirés à différentes époques .
Le séjour des réfugiés français n'a pas été moins favorable,
sous d'autres rapports. Les plus instruits d'entre
eux se sont voués à l'enseignement public ou à des éducations
particulières. Ils ont fait connaître les diverses
méthodes ; ils ont inspiré le goût des mathématiques ,
de la physique et de la chimie moderne , dont on ne
s'occupait guère auparavant. Les Polonais se bornaient
presque uniquement à l'étude de leur histoire et à celle
de l'éloquence . L'une leur retraçait des souvenirs glorieux
; l'autre tendait à leur donner de l'influence dans
les délibérations publiques . Aussi ont- ils fait des progrès
remarquables dans ces deux genres . Peu de nations
modernes ont mis autant d'ordre dans leurs annales ,
et comptent autant d'historiens estimés . Kromer en particulier
a paru digne d'être comparé à Tite - Live. Les
Ouvrages éloquents d'Orzekowsky rappellent aussi l'orateur
romain , et dans tous les temps plusieurs nonces
distingués aux diètes par le talent de la parole y prouvèrent
qu'ils s'étaient nourris des grands modèles.
Les Polonais s'honorent encore de quelques écrivains
célèbres , en morale et en politique , tels que Fredzo
et Gorniky. Les ouvrages de leurs principaux poètes ont
été traduits dans plusieurs langues ; mais en général
leur littérature est pauvre et ne peut être comparée à
elle des nations éclairées.
THERMIDOR AN IX. 225
SEINE.
DE
5
On a beaucoup trop vanté leur amour pour la belle
Latinité, S'il faut en croire quelques voyageurs , il n'est
pas jusqu'aux paysans qui ne parlent la langue d'Horace
et de Virgile. M. Bernardin de Saint - Pierre est
tombé lui - même dans cette exagération ; sans doute il
aura pris , pour des gens du peuple , des domestiques ,
des économes , des intendants , qui , étant originare
cents
ment nobles , ont tous reçu un commencement d'édu
cation , et pouvaient garder quelques souvenirs confus
de leurs études . Il est vrai que le latin fut autrefois
très - cultivé en Pologne ; il paraît que les diètes l'avaient
anciennement admis dans leurs délibérations ; et presque
tous les auteurs nationaux l'ont employé dans leurs
écrits ; mais l'usage en est sensiblement tombé , le
peuple l'ignore entièrement . Il y a déja beaucoup de gentilshommes
qui ne l'entendent plus ; ceux qui en conservent
l'habitude le parlent avec aisance , mais sans
correction , à peu près comme les prêtres flamands.
On préfere l'étude des langues vivantes .
Il n'est pas de noble , élevé avec quelque soin , qui
n'en sache au moins deux ou trois . J'ai connu un comte
de Douzesky qui en possédait jusqu'à douze. Celle du
pays est dérivée de l'Esclavonne ; elle m'a paru dure
et chargée de consonnes . Un français est presque dispensé
de l'apprendre , tant il trouve là de personnes
qui le comprennent , et lui répondent aussi distinctement
que si elles eussent habité parmi nous . C'est ‹surtout
dans les classes élevées que notre langue est fort
usitée ; elle y obtient une telle préférence sur toutes les
autres , que bientôt aucun polonais de distinction ne
se croira permis de l'ignorer : leurs bibliotheques particulières
sont d'ailleurs pleines de nos bons ouvrages , et
prouvent l'habitude qu'on a de lire en original.
5.
15
226 MERCURE DE FRANCE ,
Il est pénible à dire que le talent de se rendre familier
le langage des autres pays , est souvent le seul
fruit que les nobles retirent de leur éducation , et le seul
genre d'instruction qui les distingue. C'est aussi le
moindre mérite de quelques - uns d'entre eux . Il en
est qui ont voyagé en Europe avec les avantages que
leur donnaient leur naissance , leur fortune , et un esprit
déja cultivé. Ils ont recueilli partout des observations
précieuses , et n'étant plus distraits par aucun
soin politique , ils se consolent aujourd'hui dans leurs
retraites avec le trésor de connaissances qu'ils ont acquises.
La supériorité de leurs lumières est encore plus
frappante au milieu des ténèbres qui les entourent.
Loin de les rendre plus fiers et plus inabordables , elle
les a portés à donner l'exemple de toutes les vertus humaines.
Ce sont les mêmes que je vous ai déja signalés
comme ayant affranchi leurs vassaux ou les traitant
avec bonté. C'est encore auprès d'eux que les infortunés
de tous les pays ont trouvé cet accueil bienveillant
et ces égards délicats , qu'obtient rarement le malheur.
Un étranger qui a eu le bonheur de les connaître , et
de vivre dans leur société , emporterait l'idée la plus
favorable de la nation à laquelle ils appartiennent , s'il
pouvait échapper à l'impression de tant d'autres objets
qui fatiguent l'oeil de l'observateur le moins sévère .
Mais ces hommes , si exempts des préjugés de leur ordre
, si touchés de la misère des peuples , si profondément
affectés des fautes de leur ancien gouvernement ,
et de leurs terribles conséquences ; ces hommes , dis - je ,
conviendraient eux - mêmes de la vérité du tableau
triste , mais fidelle , que j'ai dû vous faire de leur
patrie.
THERMIDOR AN IX. 227
INTÉRIEUR.
L'ANNIVERSAIRE du 14 juillet 1789 a été célébré à
Paris par la première fête vraiment populaire qu'on
ait donnée depuis la révolution . Cette journée , dont
tous les bienfaits devaient être pour le peuple , ce jour
mémorable qui delivra le laboureur de la dixme et des
droits féodaux , l'artisan des priviléges et des maîtrises
, la nation entière d'un système de contributions
humiliant , inégal et oppresseur , mérite sans doute
d'être consacrée comme la première époque de notre
régénération politique. Mais pour qu'il fût possible de
l'apprécier , il fallait que la logique des factions eût
cessé d'en dénaturer les principes , et que la sagesse
du gouvernement en eût mûri les résultats . D'ailleurs ,
comme l'a très bien dit un journaliste qui cite rarement
, mais qu'il est souvent agréable de citer , pour
préparer un jour de fête publique , il faut au moins
une année de bonheur .
•
-
Comme on trouve dans tous les journaux les détails
de cette fête , décrits avec une fidélité minutieuse , il
nous suffira d'en rappeler ici les principales parties . Si
les calculs ne sont pas exagérés , près de six cent mille
personnes ont été réunies dans les Champs -Elysées
pour y prendre part . Il est certain du moins que les
curieux sont arrivés en foule de tous les départements
voisins de la capitale : dans celui de la Seine - Infé
rieure seulement , il a été , dit - on , expédié plus de
six mille passe- ports pour Paris.
Depuis midi jusqu'à cinq heures les courses de bague
, les mâts de cocagne , les danses et surtout le
mouvement et la variété de cet immense tableau , for228
MERCURE DE FRANCE ,
maient un spectacle aussi singulier qu'agréable. A cinq
heures , on s'est porté principalement vers le carié
Marigny , où les pantomimes , les sauteurs et les marionnettes
étaient réunis .
Au milieu de l'Etoile des Champs-Elysées , s'élevait
un rocher très-pittoresque , surmonté de la statue colossale
de la Renommée . Il bornait , de ce côté , le point
de vue , et retenait , pour ainsi dire , tous les regards
dans l'enceinte destinée à la fête. Un temple magnifique
, orné d'une colonnade d'ordre ionique , était placé
du côté de la rivière . C'est- là qu'un très- beau con-,
cert a remplacé les spectacles forains , qui ont fini avec
le jour ; les morceaux les plus remarquables de ce concert
, ceux dont l'exécution a paru produire le plus
d'effet et de plaisir , sont le duo d'Echo et Narcisse , de
Gluck , et l'Hymne au Soleil , de Lesueur .
Les illuminations rendaient la nuit plus brillante que
le jour , et donnaient à la fête un caractère plus imposant.
Depuis le château des Tuileries jusqu'à l'Etoile
des Champs - Elysées , elles étaient dessinées avec
beaucoup de goût , et multipliées avec la plus grande
profusion . L'illumination , très-élégante de la colonne
nationale , servait surtout à montrer combien la place
de ce monument serait mal choisie , si l'on s'obstinait
à l'élever à l'endroit qu'occupe son modèle . On a dû
cet énorme soubasse- se convaincre , sans retour , .que
ment circulaire masque tout -à-fait le palais du gouvernement
, détruit une perspective unique en Europe ;
et loin d'embellir la place de la Concorde , ne sert
qu'à écraser les édifices qui la décorent.
A dix heures , on a tiré le feu d'artifice , qui a mal
réussi . On aurait voulu trou ve plus de liaisons dans
les détails , et reconnaître une intention dans son ensemble.
En général , les feux d'artifice tirés dans nos
fêtes publiques sont très -inférieurs à ceux d'Italie. Les
"
THERMIDOR AN IX. 229
amateurs qui ont vu celui de Rome , la veille de
Saint- Pierre , ne conçoivent point ce qui nous empêche
de l'imiter . Ce qu'il y avait de plus remarquable
dans celui - ci , c'est le ballon qui s'est élevé après les
premières fusées , et qui , transportant à une très - grande
hauteur une illumination brillante , est retombé tout- àcoup
en pluie de feu .
La place de la Concorde et les bâtiments du Gardemeuble
étaient illuminés avec un soin particulier. La
fausse façade , élevée en avant du Palais du Corps
législatif , était d'une architecture élégante ; mais ,
éclairée seulement par des lumières dont le foyer était
caché , son effet était médiocre au milieu des lampions
et des verres de couleurs . Elle suffisait cependant pour
faire apercevoir ce qui manque à l'édifice qu'elle annonçait.
Au reste , quoique tous les moyens d'amusement
fussent employés pour célébrer cette fête , rien ne l'a
rendue plus aimable que la gaieté sans tumulte , la confusion
sans désordre , la liberté sans licence , qui ont
régné parmi les spectateurs. Un sentiment universel
de confiance et de bonheur rendait à peu près inutiles
toutes les précautions qu'on avait prises pour maintenir
l'ordre . Les mesures ordinaires de police , si sɔuvent
insuffisantes , étaient ici presque superflues ; et c'est le
plus grand éloge qu'on puisse faire de la police même
et du gouvernement.
Ceux qui , jusqu'à présent , ont toujours vu le 14
juillet à travers les événements terribles que la main
de la révolution a jetés entre cette époque mémorable
et celle où nous sommes parvenus , doivent aujourd'hui
reconnaître quels sont ses véritables résultats . Cette
journée avait fait éclore tous les germes de la prospérité
publique ; mais bientôt une guerre générale arrêta
leurs progrès ; des monstres , dévoués à l'exécration de
230 MERCURE DE FRANCE ,
tous les siècles , les arrosèrent du sang innocent un
gouvernement audacieux par crainte , et cruel par faiblesse
, allait enfin les arracher. Tout-à- coup la Providence
a ramené parmi nous un de ces hommes qu'elle
destine à réparer les erreurs , les fautes , les folies , les
crimes de plusieurs générations . Il a paru , et les orages
politiques se sont dissipés devant lui ; les pressentiments
sinistres se sont évanouis ; le génie a rappelé la victoire ;
la modération a dicté la paix ; la justice a réglé l'administration
; les espérances sont devenues des certitudes
, et le 18 brumaire a réalisé toutes les promèsses
du 14 juillet.
E.
PROCLAMATION.
LES CONSULS DE LA RÉPUBLIQUE AUX FRANÇAIS .
FRANÇAIS
CEE jour est destiné à célébrer cette époque d'espérance
et de gloire où tombèrent des institutions barbares
, où vous cessâtes d'être divisés en deux peuples ,
l'un condamné aux humiliations , l'autre marqué pour
les distinctions et pour les grandeurs ; où vos propriétés
furent libres comme vos personnes , où la féodalité fut
détruite , et avec elle ces nombreux abus que des siécles
avaient accumulés sur vos têtes .
Cette époque , vous la célébrâtes en 1790 , dans l'union
des mêmes principes , des mêmes sentiments et
des mêmes voeux. Vous l'avez célébrée depuis , tantôt
au milieu des triomphes , tantôt sous le poids des
fers , quelquefois aux cris de la discorde et des factions
.
Vous la célébrez aujourd'hui sous de plus heureux
auspices : la discorde se tait , les factions sont comprimées
; l'intérêt de la patrie règne sur tous les intérêts .
THERMIDOR AN IX. 231
Le gouvernement ne connaît d'ennemis que ceux qui
le sont de la tranquillité du peuple .
La paix continentale a été conclue par la modération
; votre puissance et l'intérêt de l'Europe en garantissent
la durée.
Vos frères , vos enfants , rentrent dans vos foyers ,,
tous dévoués à la cause de la liberté , tous unis pour
assurer le triomphe de la république .
Bientôt cessera le scandale des divisions religieuses.
Un code civil , mûri par la sage lenteur des discussions
, protégera vos propriétés et vos droits .
Enfin une dure mais utile expérience vous garantit
du retour des dissensions domestiques , et sera longtemps
la sauve-garde de votre postérité.
Jouissez , Français , jouissez de votre position , de
votre gloire , et des espérances de l'avenir . Soyez toujours
fidelles à ces principes et à ces institutions qui
ont fait vos succès , et qui feront la grandeur et la
félicité de vos enfants. Que de vaines inquiétudes ne
troublent jamais vos spéculations ni vos travaux . Vos
ennemis ne peuvent plus rien contre votre tranquillité :
TOUS LES PEUPLES ENVIENT VOS DESTINÉES .
BONAPARTE , premier consul de la république , ordonne
que la proclamation ci - dessus sera insérée au
Bulletin des Lois , publiée , imprimée , et affichée dans
tous les départements de la république.
Le C. Isabey fait graver en ce moment le dessin
dans lequel il a représenté le premier consul se pro- ,
menant seul à la Malmaison . La ressemblance est
frappante il porte l'uniforme du corps de guides.
Au fond , on voit les bâtiments de la Malmaison.
: (
232 MERCURE DE FRANCE ,
M. le cardinal Gonzalvi a réussi dans les négocia
tions dont il a été chargé par le Saint- Siége auprès du
gouvernement . ( Extrait du journal officiel ).
D'après un arrêté du ministre de l'intérieur , un concours
sera ouvert pour la restauration du groupe du Laocoon
. Les statuaires sont invités à présentér un modèle
des bras qu'ils croiront convenir au mouvement et à
l'expression des trois figures . L'artiste qui obtiendra
le prix sera chargé de l'exécution en marbre . Il
recevra pour ce travail une somme de 10,000 francs.
Les modèles devront être remis à l'administration du
Musée central le 1.er vendémiaire de l'an 12. On sait
que Michel - Ange essaya de restaurer ce chef- d'oeuvre ;
mais peu content de son ouvrage , il le déposa aux
pieds du Laocoon .
Un des premiers travaux du conseil général des
hospices a eu pour objet l'amélioration du sort des
enfants , que l'indigence reconnue de leurs parents
force de confier à la charité publique . Ces enfants seront
en premier ordre , et autant qu'il sera possible ,
placés dans les campagnes . Le conseil prendra toutes
les informations nécessaires sur les nourrices et sur les
citoyens qui pourront s'en charger successivement.
Son intention est d'en laisser à Paris le moins possible ,
et dé diminuer les réunions trop nombreuses . Les enfants
seront mis en apprentissage , et leur éducation ,
leur bien- être , et leur avancement assurés par des
traités convenables. Enfin , pour le petit nombre de
ceux que l'on sera contraint de retenir , des ateliers
de divers genres seront établis dans toutes les maisons.
L'oisiveté sera sévèrement bannie des hospices.
THERMIDOR AN IX. 233
On sait que les nouveaux poids et mesures doivent
être seuls en usage , au 1.er vendémiaire an 10 ( V. le
n.° XI ) . Un arrêté du 29 prairial charge les sous - préfets
, auxquels est confiée la garde des étalons des poids
et mesures , de remplir les fonctions de vérificateurs.
Aucun fabricant ne pourra vendre , ni aucun citoyen
employer , pour peser et mesurer les matières de commerce
, que des poids et mesures vérifiés et étalonnés
par les sous-préfets de leur arrondissement. Un tarif
particulier détermine l'indemnité que payeront les citoyens
pour cette vérification . A Paris , elle se fera à
la préfecture de police . Tout fabricant ou marchand
de poids et mesures , qui présentera à la fois à la vérification
plus de dix poids ou plus de dix mesures neuves
de chaque espèce , jouira , pour les quantités excédentes ,
d'une remise de moitié sur le montant de la rétribution .
Les habitants d'Annonay , département de l'Ardèche ,
élèvent un monument à l'honneur des frères Montgolfier
, inventeurs des aérostats ; le préfet , le C. Caffarelli
, a posé la première pierre , au lieu même où se
fit , en 1783 , la première expérience.
Un autre monument va s'élever , dans la même ville ,
à la mémoire du cardinal Colombier , qui fonda son hôpital
, et eut une grande part , en 1536 , à la rédaction
de la bulle d'or germanique.
En remplacement du C. Jean- Debry , le Sénat conservateur
a nommé membre du tribunat , le C. Costaz,
professeur à l'Ecole centrale de la rue Saint- Antoine ,
et membre de l'Institut d'Egypte .
A la suite d'un rapport du ministre de l'intérieur sur
234 MERCURE DE FRANCE ,
les deux célèbres écoles de médecine , de Paris et de
Montpellier, les consuls ont arrêté que le C. Barthez ,
professeur de médecine à Montpellier , et le C. Corvisard
, professeur de médecine à Paris , également distingués
par leurs connaissances et les services rendus
à l'art qu'ils professent , prendraient le titre de médecins
du gouvernement , et seraient spécialement chargés
de l'éclairer , dans tous les cas où la santé publique
sera menacée par des épidémies et des maladies contagieuses.
Leur traitement de professeur sera porté à
12000 francs.
Le ministre de l'intérieur a renouvelé la commission
des hospices civils de Bruges. Les nouveaux administrateurs
sont les CC. Charles de Croeser , ancien président
du département de la Lys ; de Deurwaerder ,
Van Vyve , et Vanderbeke - Cryngen , ancien bourguemestre
; receveur- général , Guillaume Deys ; secrétaire ,
Eugène Goûbaû.
AUX Rédacteurs du Mercure de France.
E
Je viens de lire , dans le Mercure du 16 de ce mois ,
une notice sur l'Angleterre , par le C. Chateaubriand.
Permettez que , par la voie du même journal , je relève
une erreur qu'elle me paraît contenir . Il dit que
nos manufactures ont été créées par enchantement , et
qu'elles se sont éteintes. Dans mes Recherches sur les
Fabriques et le Commerce de France , que je me propose
de publier aussitôt que mes occupations me permettront
d'y donner les derniers soins , j'espère prouver
que depuis l'établissement de nos manufactures sous
Colbert , leur perfection a toujours été croissante , que
loin d'être éteintes , plusieurs jouissent d'un avantage
THERMIDOR AN IX. 235
qu'aucun peuple de l'Europe ne peut leur ravir * , et
que nous sommes aussi riches en ce genre que les Anglais
mêmes . Si , dans ce moment , l'industrie de nos
fabricants se trouve paralysée , la cause en est assez
connue. L'Angleterre doit la grande prospérité de son
commerce et de ses manufactures à la protection constante
que leur accorde le gouvernement , et à la considération
qui environne les hommes qui se vouent à
ces honorables professions . Nous nous habituerons aussi
à n'estimer les hommes , qu'en raison de leur utilité
relative , et la sagesse de notre gouvernement nous
donne l'assurance que nous jouirons bientôt de tous les
avantages dont nous avons été si longtemps privés.
Alors , seulement , les comparaisons sur l'industrie des
deux peuples seront permises , et il n'y a nul doute
qu'elles seront en faveur des Français .
Salut et considération .
Signé , GELOT , membre du conseil-général du
département de la Seine.
NOTE des Rédacteurs.
Nous avons relu l'article du C. Chateaubriand . Il a
voulu dire seulement que les moeurs élevées et généreuses
du peuple français étaient moins propres aux
* Il suffit de se rappeler l'état de nos manufactures de soie
à Lyon , Nîmes , Avignon , etc. celles de drap , à Sédan ?
Louviers , Abbeville , Elbeuf , Carcassonne , etc .; celles de
toiles et de batiste , à Saint- Quentin , Cambray, Valenciennes,
et dans toute la Flandre , à l'époque de 1789 ; remarquez
que je ne parle point ici de nos manufactures de luxe ,
telles que celle des Gobelins ; celle des glaces et la fabrique
d'armes établie actuellement à Versailles ; je ne rappelle
pas même le commerce de nos villes maritimes , telles
Bordeaux , Marseille , Nantes , le Hayre , Rouen , etc.
avant l'époque de 1793.
que
236 MERCURE DE FRANCE ,
spéculations mercantilles que l'esprit d'un peuple navi
gateur. C'est l'amour du gain qui forme les grandes entreprises
du commerce ; c'est l'économie qui les fait
prospérer de génération en génération. Un peuple
agricole et guerrier comme le Français , doit être moins
économe qu'un peuple insulaire. Cette observation a
été faite par Montesquieu , et avant lui par Xénophon .
Elle est fondée sur l'histoire ; et de plus , elle est honorable
pour le caractère national . Le C. Chateaubriand
n'a pas prétendu que l'art de la navigation et du commerce
nous fût étranger ; mais qu'en y apportant du
génie , nous y mettions moins de persévérance que les
Anglais. A l'égard des manufactures de luxe et de
goût , fondées sur les arts du dessin , notre supériorité
sans doute est incontestable. Le C. Chateaubriand est
loin de la nier , puisqu'il convient que les beaux - arts
sont presque inconnus en Angleterre .
1
INSTITUT NATIONAL .
Séance publique du 15 messidor an 9 .
'
La classe des sciences morales et politiques avait proposé
la question suivante : L'émulation est- elle un bon
moyen d'éducation ? Des longtemps cette question paraissait
résolue et sans doute le raisonnement a dû
confirmer les leçons de l'expérience . La classe a reçu
seize mémoires , dont la plupart ont paru mériter des
éloges. Le prix a été decerné au mémoire enregistré
sous le n.º 15 , portant pour épigraphe : La seule véritable
éducation est celle qui forme des citoyens . L'auteur
est le C. LOUIS FEUILLET , sous- bibliothécaire
de l'Institut.
Cette même classe a proposé , pour prix de géographie
, le sujet suivant :
Comparer les connaissances géographiques de Ptolémée
THERMIDOR AN IX. 237
sur l'intérieur de l'Afrique , avec celles que les géographes
et les historiens postérieurs nous ont transmises , en exceptant
l'Egypte et les côtes de la Barbarie , depuis Tunis
jusqu'à Maroc.
Le prix sera de 5 hectogrammes d'or ( ou 5 onces * ,
nouvelles mesures ) , frappés en médaille . Il sera distribué
dans la séance publique du 15 vendémiaire an 11 :
Les ouvrages ne seront reçus que jusqu'au 15 mes . an 10 .
La classe des sciences mathématiques et physiques
a proposé deux questions :
1.º Rechercher les moyens de diminuer le plus qu'il est
possible la dérive d'un vaisseau de guerre dans les routes
obliques , en combinant ensemble , de la manière la plus
favorable à cet effet , la forme de la carène , le tirant
d'eau , la position du maître- couple , et la stabilité.
Le prix sera une médaille d'or , de la valeur d'un
kylogramme , ( ou livre ** , nouvelles mesures ) . Il sera
décerné , dans la séance publique du 15 messidor an II.
Les ouvrages ne seront reçus que jusqu'au 1er germinal
an II.
2.° Etablir les rapports généraux qui existent entre
Porganisation interne et l'organisation externe des végétaux
, principalement dans les grandes familles de
plantes généralement avouées par tous les botanistes.
Le prix sera décerné dans la même séance du 15
messidor an 11. Il sera de cinq hectogrammes d'or . Les
ouvrages ne seront de même reçus que jusqu'au 1 .**
germinal an II .
Nous avons inséré , dans un dernier N.º , une lettre
écrite de Berlin , sur le galvanisme. La découverte de
*
1
L'hectogramme , ou l'once actuelle équivaut à 3 onces
2 gros 10 grains 7 dixièmes ( mesure ancienne ) .
** Le kylogramme ou la livre , répond à 2 livres 5 gros
35 grains ( mesures anciennes).
15
180
238 MERCURE DE FRANCE ,
ce fluide , dont les effets étonnants sont également certains
et inexplicables jusqu'à présent , excite de tous côtés
les recherches des médecins et des chimistes . Les CC .
Fourcroy , Vauquelin et Thénard ont communiqué à
l'Institut un fait aussi curieux qu'important , qu'ils ont
recueilli de leurs nombreuses expériences.
On savait , qu'en multipliant les disques qui composent
la pile , on augmentait la force des commotions
et la rapidité de la décomposition de l'eau ; ils
ont voulu voir ce qui arriverait , si on augmentait la
surface de chaque disque . En conséquence , ils ont composé
une pile avec des plaques d'un pied carré . Les
commotions et la décomposition sont restées les mêmes
qu'avec un nombre pareil de petits disques. Mais la
combustion des fils métalliques s'est opérée sur le champ
avec beaucoup de force ; et en les plongeant dans du
gaz oxygène , on les a vus s'enflammer avec un éclat trèsvif,
tandis que de petites plaques , quelque grand qu'en
soit le nombre , ne produisent rien de pareil ; ainsi la
combustion suit une loi relative à la surface des plaques ,
tandis que les autres phénomènes se rapportent à leur
nombre.
Il manquait à l'histoire des volcans , de déterminer
le degré de chaleur nécessaire pour donner la fluidité
aux laves . Cette question occupait depuis longtemps le
C. Dolomieu . Plusieurs des substances que les laves
contiennent , et qui étaient demeurées intactes , quoique
très-fusibles par elles mêmes , lui avaient déja donné
des doutes sur la grande chaleur qu'on attribue ordinairement
aux terrains volcaniqués . L'éruption du Vésuve
de l'an 2 lui a fourni les moyens de constater ce degré
de chaleur, en examinant les effets de la lave sur les
substances qu'elle avait enveloppées , et principalement
sqr les métaux . Il a trouvé que la chaleur ne surpassé
THERMIDOR AN IX. 239
气
pas celle qui peut fondre l'argent , et qu'elle est moindre
qu'il ne le faudrait pour fondre le cuivre.
On connaît le procédé proposé par le C. Chaptal pour
blanchir le coton , qui consiste à l'imprégner d'une lessive
alcaline , et à l'exposer ainsi à la vapeur de l'eau
bouillante. Le premier consul a été lui - même visiter
l'établissement du C. Bawens , à la barrière des Bons-
Hommes , où ce procédé a reçu les plus grands développements.
Le C. Chaptal en a fait l'essai pour le blanchissage
du linge . On a fait des expériences sur quelques
centaines de paires de draps pris à l'Hôtel - Dieu ,
et choisis parmi les plus sales . Ils ont été parfaitement
lavés en deux jours , avec sept dixièmes seulement
de la dépense ordinaire. Il y a d'ailleurs cet avantage
que les linges n'étant pas soumis au battage ni aux autres
opérations des blanchisseuses , ils sont beaucoup moins
usés , et que la chaleur à laquelle on les expose n'y laisse
aucun principe contagieux.
La gloire des armées françaises sur le continent ne
peut plus s'accroître. La renommée va s'occuper dorénavant
des succès de nos armées navales.
Le contre-amiral Linois , avec trois vaisseaux , le,
Formidable , et l'Indomptable , de 80 canons , capitaines
Loindet , Calonde et Moncousu ; le Desaix , de 74 ,
capitaine Passière , et la frégate la Mesiron , de 18 ca
nons , capitaine Martining , après avoir donné la chasse
aux vaisseaux ennemis qui croisaient sur les côtes de
Provence , s'est présenté devant Gibraltar , au moment
où une escadre anglaise de six vaisseaux de guerre y arrivait.
Le 15 messidor , le contre - amiral Linois était
mouillé dans la baie d'Algésiras. S'attendant à être
attaqué le lendemain matin , il a débarqué, dans la nuit ,
1
"
240 MERCURE DE FRANCE ,
le général de brigade Devaux , avec une partie des
troupes , pour armer les batteries de la rade. Le 16 , à 8
heures du matin , la canonnade a commencé contre les
six vaisseaux anglais qui n'ont pas tardé à venir s'embosser
à portée de fusil des vaisseaux français . Le
combat s'est chaudement engagé. Les deux escadres
paraissaient également animées de la résolution de
vaincre. Si l'escadre française avait quelque avantage
par sa position , l'escadre anglaise était d'une force
double , et avait plusieurs vaisseaux de 90. Déja le
vaisseau anglais l'Annibal , de 74 , était parvenu à se ,
placer entre l'escadre française et la terre . Il était onze
heures et demie . C'était le moment décisif. Depuis deux
heures , le Formidable , que montait le contre -amiral
Linois , tenaît tête à trois vaisseaux anglais . Un des vaisseaux
de l'escadre anglaise , qui était embossé vis - à - vis
de l'un des vaisseaux français , amena son pavillon à
onze heures trois quarts. Un moment après , l'Annibal ,
exposé au feu des batteries des trois vaisseaux français
qui tiraient des deux bords , amena aussi le sien . A
midi et demi , l'escadre anglaise coupa ses cables et
gagna le large. Le vaisseau l'Annibal a été amariné par
le Formidable. Sur 600 hommes d'équipage , 300 ont
été tués.
Le premier vaisseau qui avait amené son pavillon a
été dégagé par une grande quantité de chaloupes canonnières
et autres embarcations envoyées de Gibraltar.
(Journal officiel. )
VYOHL
Errata du numéro XXVI . — Page 85 , après ce vers :
Soumis , il me jurait une éternelle ardeur :
mettez :
A ses voeux , je devins sensible.
i.
SEINE
( N.° XXVIII. ) 16 Thermidor An 9.
MERCURE
DE FRANCE.
LITTERATURE.
FRAGMENT
D'UN POÈME INÉDIT SUR LES SCIENCES.
5
Acent
DÉBUT DU CHANT DES MONTAGNES.
VUE générale du Globe.
MUSE! c'est trop longtemps t'égarer dans les cieux ;
Arrête , arrête enfin ton vol ambitieux :
Quitte les champs d'azur , redescends sur la terre .
Tu sais que ma pensée , errante et solitaire ,
Se plaît à s'égarer dans de nouveaux chemins ,
Où l'oeil ne vit jamais la trace des humains.
Ah ! si la source pure , inconnue aux poètes ,
Me r'ouvrait à ta voix ses richesses secrètes ,
J'y puiserais encor des charmes plus touchants !
Soyez à votre tour le sujet de mes chants ,
Terre ! dont le berceau se cache dans les âges ,
Vous , abymes des mers , qu'assiégent les orages ,
5 16
242 MERCURE DE FRANCE ,
Volcans , vous qui , sous l'onde , allumez vos foyers ,
Et vous , monts sourcilleux , vieux trône des glaciers ,
Puissé-je , en vous chantant , faire aimer la nature !
DE ce globe d'abord dessinons la structure ;
L'océan , des replis de son voile azuré
L'entoure , et se divise en golfes séparé .
De frimats éternels deux immenses coupoles
Le pressent vers le Nord et terminent les pôles.
Sous les eaux , dans les airs , je découvre en tous lieux ,
Ces monts , liens du globe , et colonnes des cieux.
Là , les Alpes au loin , de leur cime hardie ,
Forment une barrière à la France agrandie ;
Gênes rampe à leurs pieds que la mer vient laver ;
Là , le vieux Apennin vit , Rome s'élever.
Atlas regarde au loin les débris de Carthage .
, de Sésostris j'aperçois l'héritage ;
Ndox sept canaux , dont l'urne est dans le ciel ,
A doo, nes monts de Sennar aux tentes d'Ismael.
Divine le Liban , où de saints solitaires
Contentan voyageur nos antiques mystères ?
rus , où l'Euphrate a caché ses berceaux ,
DA andre je dis vit flotter les drapeaux ;
Afrique brulante à l'Asie éloignée ,
Deuvre de sou front Amphitrite étonnée ;
Des peuples de l'Iudus protége le séjour ,
Et presse de ses bras les mers où naît le jour .
Ce mont , d'où l'Amazone épand son urne immense ,
Des bords de Panama jusqu'au Chili s'avance ,
Et voit des mers du Sud les heureux habitants
User dans les plaisirs un éternel printemps.
Telle est du globe entier la vaste architecture ;
Mais pour ses grands desseins la puissante nature ,
Donne aux divers climats des végétaux divers ,
THERMIDOR AN IX. 243
De hauts sapins , qu'un jour doivent porter les mers ,
Environnent le póle , ombragé de leurs têtes ,
Et croissent sans péril au berceau des tempêtes .
Fier de ses longs rubans , le lointain bananier
Au cèdre de Syrie ose s'associer ;
Et de ses pommes d'or parfumant nos rivages ,
L'oranger plus hardi nous prête ses ombrages.
Je voudrais vous offrir les myrtes toujours verts
L'aloës qui chez nous vient braver les hivers ;
Mais craignez l'aquilon de leur tête fleurie ,
Un seul jour voit souvent la richesse flétrie.
La plante de Cérès ne veut pas tant de soin :
Forte de sa faiblesse , elle s'étend au loin ,
Et des rives du Gange aux ondes boréales ,
Prodigue des moissons les pompes végétales .
Des arbres , fils du Nord , partis de ces climats ,
S'avancent , protégés par d'utiles frimats ,
Et du Taurus au loin suivant la croupe immense ,
S'étendent jusqu'aux lieux où l'équateur commence.
Vous , pins majestueux , vous , cèdres parfumés ,
Vous ombragez ainsi ces sommets enflammés
Qui semblent soutenir le ciel de Cachemire.
Vous voyez sous vos pieds s'étendre cet empire ,
Et les plaines d'Aden , et les champs de Lahor ,
Où le roseau distille un liquide trésor ,
Qui bientôt traversant les campages humides ,
Va nous offrir ses sucs durcis en pyramides .
L'arbuste d'Yémen croît pour flatter nos sens ;
Le soleil pour les dieux y distille l'encens,
Nature ! ta beauté n'est jamais monotone :
Chaque sol a sa Flore ainsi que sa Pomone.
Que dis -je ? est-il un roc , une grotte , un marais
Qui ne cache une fleur dans ses abris secrets ?
Les écueils de Thétis eux - mêmes sont fertiles.
Le globe , cependant , de ces scènes mobiles
244 MERCURE DE FRANCE ,
Varie , à chaque instant , le superbe tableau .
Buffon pour les tracer prête - moi ton pinceau !
Le soleil fait monter , du sein des mers profondes ,
Ces fleuves , dont le cours arrose les deux mondes .
Pour calmer de l'été les ardentes fureurs ,
De l'immense Océan il pompe les vapeurs ,
Et bientôt dans les airs il les change en nuages.
Voyez comme les vents , précurseurs des orages ,
Les suspendent en voile , en prisme , en voûte d'or
Et les splendeurs du ciel s'en accroissent encor,
Tantôt leur riche amas lentement se déploie
Comme un grand pavillon ou de pourpre ou de soie ;
Tantôt ils sont pareils aux dragons fabuleux ,
Et leur gueule enflammée au loin vomit des feux.
Le Caucase reçoit , sur sa cime glacée ,
Leur richesse , en frimats , en torrents dispersée ;
La terre , tous les ans , dans son sein altéré ,
Recueille de leurs eaux le tribut desiré .
Vents ! vous rendez ainsi les tempêtes fécondes ,
Et puisez dans leur sein l'abondance des mondes , etc.
CHENEDOLLÉ.
LA PATRIE ABSENTE.
ROMANCE imitée D' AT A LA.
HEUREU
EUREUX qui n'a point vu l'étranger dans ses fêtes ;
Qui , ne connaissant point les secours dédaigneux ,
Atoujours respiré , même au sein des tempêtes ,
L'air que respiraient ses aïeux !
La non -pareille des Florides ,
Satisfaite de ses forêts ,
Ne quitte point ses eaux limpides
Ses plantes , ses ombrages frais ,
THERMIDOR AN IX 245
Sur sa retraite toujours belle
Le ciel brille toujours serein .
En d'autres climats aurait-elle
Un nid parfumé de jasmin?
Heureux , etc.
ERRANT sur la plage inconnue
Le voyageur faible , attristé ,
Au toit qui vient frapper sa vue ,
Demande l'hospitalité.
En vain au maître il rend les armes
Ce toit pour lui n'est point ouvert ;
l'oeil tout en larmes
Le voyageur ,
Prend son are et fuit au désert.
Heureux , etc.
TERRE natale , quelle ivresse
Ton souvenir verse en mon coeur !...
Dans l'asile de ma jeunesse ,
Pourquoi cherchai-je le bonheur ?
Quel charme invite tous les êtres
A s'attacher à leur pays ?
On y vit près de ses ancêtres ,
On y meurt près de ses amis.
Heureux , etc.
ENIGM E.
Femelle , au moindre bruit , je suis sur le qui vive ,
Je me cache partout , car je suis très -craintive ;
Mâle quand je parais , je répands la gaîté ;
Je fais plus , j'embellis les traits dé la beauté.
246 MERCURE DE FRANCE ;
LOGO GRIPHE.
Trois pieds composent ma structure ;
Je suis aride , chauve et dur de ma nature ;
Mais si l'on me prend au rebours ,
Je puis faire un vacarme à rendre les gens
AUTRE .
Je suis le charme des amans ;
sourds.
Ils apprennent de moi les histoires plaintives
Et les amours du bon vieux temps.
Vieille , j'ai quelquefois des graces plus naïves ,
Et comme au premier jour , on m'aime après cent ans.
Les Français , qu'on dit inconstants ,
"
Me pardonnent enfin de n'être pas nouvelle
Si je suis tendre et simple , et surtout naturelle.
Cherche dans mes sept pieds déplacés à ton choix ,
D'un apôtre fameux le disciple fidelle ,
Un livre dont l'Asie aime à suivre les lois ,
Un stupide animal , une essence immortelle ,
Cette antique cité qui régna sur les rois ,
Un instrument guerrier craint des hôtes des bois ,
L'empire où se plait Amphitrite ,
Enfin ce qui finit trop vite
Et renait apres douze mois.
Mots de l'Enigme et du Logogriphe insérés
dans le dernier Numéro .
Le mot de l'énigme est clef.
Le mot du logogriphe est drame , où l'on trouve
Tame , ame et me.
THERMIDOR
AN IX. 247
LYCEE ou Cours de littérature ancienne et
moderne ; par J. F. LAHARPE . Chez H. Agasse,
imprimeur-libraire , rue des Poitevins , n.º 18.
Tomes 11 et 12 .
Indocti discant , et ament meminisse periti .
L'AUTEUR du Cours de littérature poursuit
toujours son grand ouvrage , sans compter le
nombre de ses ennemis , et sans craindre les injures
périodiques dont leur haine a constamment
payé ses talents et ses travaux . Sa vie orageuse
n'a été qu'un long combat en faveur du bon goût ;
et dans une lutte de quarante ans , il n'a jamais
quitté le poste où se rassemblaient le plus d'adversaires.
Seul il les défie tous et naguère encore
dans sa Correspondance * , il a provoqué leurs ressentiments
avec la plus audacieuse franchise . Peu
d'ouvrages , comme on l'avait prévu , devaient
avoir autant de lecteurs et faire plus de mécontents.
On lit , on cite partout des morceaux de cette
Correspondance , et partout on s'est déchaîné
contre elle ; en un mot , par une contradiction
singulière , on adopte presque tous les arrêts du
critique dont on blâme l'extrême rigueur . C'est
à la forme plus qu'au fond de ses jugements que
la censure s'est attachée. Il est certain qu'en publiant
ces lettres , l'auteur a montré plus de cou-
* La correspondance avec le grand duc de Russie. Voyez❤
en l'extrait dans le N.º XXII du Mercure .
248 MERCURE DE FRANCE ,
-
rage que de prudence , et plus d'intérêt pour les
arts que pour son repos. Qui mieux que lui doit
savoir, combien sont implacables les vengeances
de la vanité blessée ?
*
Le succès des nouveaux volumes de son Cours
de littérature , sera plus sûr et moins disputé .
C'est qu'ici les auteurs jugés n'existent plus ; à la
vérité , la faveur et la haine dont ils étaient l'objet
pendant leur vie , ne se sont pas toujours éteintes
avec eux , et les vivants peuvent encore être
blessés par la satire ou par l'éloge des morts.
Mais l'orgueil , en tout genre , est moins révolté
des leçons qu'il trouve sur les tombeaux.
Le tome onzième de ' ce Cours est divisé en
deux parties. La première comprend tous les tragiques
d'un ordre inférieur qui ont vécu dans le
18.me siécle , depuis Crébillon jusqu'à Dubelloy ;
la seconde , tous les comiques , depuis Destouches
jusqu'à Beaumarchais . Le douzième tome est
consacré au grand opéra , aux variations qu'il a
subies dans son système musical et dramatique
aux divers poètes qui , dans ce siècle , ont suivi
Quinault , sans l'égaler ; à l'opéra comique , et
même au théâtre du Vaudeville et de la Foire ,
dont l'examen fait connaître quelques nuances
curieuses des moeurs nationales.
Une triste observation s'offre en commençant .
C'est la prodigieuse supériorité du siècle de Louis
XIV sur celui qui vient de finir . L'auteur ne devait
pas la dissimuler , et c'est par cet aveu qu'il commence
le douzième tome . On va rapporter ses
paroles :
"
En résumant tout ce qui a été dit jusqu'ici de la
poésie dramatique dans ce siécle , nous voyons que la
THERMIDOR AN IX. 249
K
"
"
"
་་
τι
вс
"
"
"
tragédie seule peut soutenir la comparaison avec le
siécle dernier , grace à Voltaire qui a du moins balancé
, par l'effet théatral , la supériorité que Ra-
« cine s'est acquise par la perfection des plans et du
style ; que dans la comédie , nous étions restés dé-
« cidément inférieurs , puisque nos trois meilleures
pièces , partagées entre trois différents auteurs , n'atteignaient
pas la profondeur et l'originalité des chefs-
« d'oeuvres du seul Molière , et n'égalaient pas même
leur nombre ; et qu'aucun de ces trois écrivains ne
pouvait être généralement comparé , pour la force du
génie comique , à l'auteur du Joueur , du Légataire , et
« des Menechmes. Nous descendons encore davantage
dans l'Opéra , genre sans contredit moins difficile , et
dans lequel pourtant rien ne s'est approché , même de
loin , des nombreux avantages de l'heureux génie qui
« l'a créé , et qui seul y a jusqu'ici excellé. Quinault
" y reste toujours hors de comparaison comme Molière ,
" comme La Fontaine , comme Boileau , comme Rousseau
, chacun dans le sien . Ce résultat qu'on ne sau-
« rait contester , et que nous trouverons le même , dans
« le plus haut genre d'éloquence parmi nous , celui de
« la chaire , et dans presque toutes les parties les plus
- brillantes de la littérature , ne répond pas tout - à- fait
« aux magnifiques prétentions d'un siécle si prodigieuse-
« ment vain ; mais n'en sera pas moins avoué par l'equi-
« table postérité . Cette disposition me semble assez
bien expliquée par un mot fort remarquable d'un
« homme qui eut plus d'esprit que de talent dans les
productions de sa jeunesse ; mais dont la maturité
sage et réservée a bien racheté depuis la légèreté de
" ses premières années. Le cardinal de Bernis , qui , en
1767 , écrivait à Voltaire : Il est plaisant que l'or-
" gueil s'élève , à mesure que le siécle baisse. » La raison
peut en effet trouver ce contraste plaisant ; mais allo
« le trouve aussi très -naturel ,
"
"
"
"
་་
250 MERCURE DE FRANCE ,
Au reste , Voltaire a souvent avoué cette décadence
au milieu de la secte dont il était le
chef, et qui vantait les progrès de l'esprit humain.
Il adressait des vérités bien dures à ceux qui le nommaient
leur maître . Voyez comme il traite leurs
écrits et leurs systèmes dans quelques ouvrages de
sa vieillesse . Il finit quelque part la comparaison
des deux siècles par cet apologue si humiliant pour
le nôtre :
Jadis , dans sa volière , un riche curieux
Rassembla des oiseaux le peuple harmonieux :
Le chantre de la nuit , le serin , la fauvette ,
De leurs sons enchanteurs égayaient sa retraite ;
Il eut soin d'écarter les lézards et les rats ;
Ils n'osaient approcher. Ce temps ne dura pas :
Un nouveau maître vint ; ses gens se négligèrent ,
La volière tomba , les rats s'en emparèrent ;
Ils dirent aux lézards : illustres compagnons ,
Les oiseaux ne sont plus , et c'est nous qui régnons .
1
Les rats se sont bien multipliés depuis Voltaire ,
et malheur aux oiseaux qui reparaissent par intervalle.
On les chasse de toutes parts. Les curieux
et les volières leur manquent également.
Si , à l'exemple de Voltaire , Laharpe s'élève
contre les prétentions d'un siècle trop orgueilleux
, il s'empresse aussi d'avouer tout ce que
ce même siècle a produit de mémorable . S'il
rabaisse des noms trop vantés , il relève aussi
des noms trop peu connus . S'il fait justice des
succès usurpés , il arrache à la haine et à l'envie
quelques - unes de leurs victimes . C'est ainsi
qu'il se plaît à venger des plus odieuses imputations
la mémoire de Beaumarchais . Cet article
est un des plus étendus et des mieux travaillés.
L
THERMIDOR AN IX. 251
Il excite un grand intérêt . Rien n'était plus propre
à la variété des idées et des tons que la peinture
de cet homme à qui Montagne eût trouvé des
traits si ondoyants et si divers.
Beaumarchais eut deux esprits et deux renom
mées tout-à-fait contraires . Au dehors , on le crut
un monstre , et dans son intérieur il eut toutes les
qualités sociales . Haï de ceux qui ne le connaissaient
pas, il était aimé des personnes qui vivaient
auprès de lui . Homme de lettres et homme d'affaires
à la fois , également connu à la bourse et
au théâtre , il dirigeait une spéculation de commerce
non moins bien que l'intrigue d'une comédie.
Il naquit obscur , et vécut dans la société
des filles des rois. Mais le temps de sa faveur à
la cour ne fut pas celui de sa fortune . C'est au
fond d'une prison que commencèrent pour lui les
jours de la gloire et de l'opulence .
Ce procès fameux qui fit briller d'un si grand
éclat l'éloquence et le caractère de Beaumarchais ,
fut dans l'histoire de notre siécle une époque trèsremarquable.
L'opinion ne parut jamais si puissante.
Elle défendit seule un homme dans les
fers contre toutes les autorités prêtes à le frapper.
Cet homme fut en vain condamné par les lois.
L'opinion le fit absoudre par la France entière.
Cet événement a préparé , peut- être , ceux dont
nous sommes les témoins . Il décida du moins la
destruction des nouveaux parlements qu'un despotisme
habile aurait dû soutenir , puisqu'il était sûr
de leur obéissance . Les anciens magistrats furent
rappelés. Ce retour augmenta leur orgueil ; et , par
des plaintes répétées , ils excitèrent autour du trône
les premiers orages qui l'ont ébranlé . Dès que les
252 MERCURE DE FRANCE,
tribunaux créés par le chancelier Maupeou ,
eurent disparu , de plus grands changements devinrent
possibles. Les esprits audacieux durent
trouver de jour en jour moins de peine à bouleverser
un gouvernement où le monarque était si
prompt à fléchir sous la volonté des sujets.
Quoi qu'il en soit , Laharpe distingue avec le
coup-d'oeil d'un esprit supérieur toutes les causes
de la fortune de Beaumarchais.
"
"
Cette existence , sans doute , fort extraordinaire , dità
il , a tenu chez lui à une réunion de qualités qui ne
l'était pas moins , et surtout à ce que son caractère
et son esprit se rencontrèrent , jusqu'à la révolution ,
- dans l'accord le plus parfait avec le temps où il a vécu
et les circonstances où il s'est trouvé ; car c'est là ce
qui fait en tout genre les grands succès , qui ne sont
point pour cela de hasard , quand ils ne seraient
« que du moment , puisqu'ils supposent toujours dans
« l'homme le mérite d'avoir bien jugé les rapports des
choses avec ses moyens , et d'avoir vu d'un coupd'oeil
juste ce qu'il pouvait faire des autres et de lui .
« Ce mérite a manqué souvent à des hommes d'ailleurs
• fort au dessus du vulgaire. Ce n'est pas non plus
comme on peut bien l'imaginer , celui qui classe un
écrivain dans l'opinion . Sa place est d'ordinaire , et
en fort peu de temps , celle de ses écrits , même de son
« vivant , dans un siécle où le goût est formé. Mais je
parle de ce qu'on appelle la fortune d'un homme , et
.. de ce qui, réellement, est toujours son ouvrage ; et dans
■ Beaumarchais , l'homme m'a toujours paru supérieur
à l'écrivain , et digne d'une attention particulière. »
&
re
ex
L'auteur repousse ensuite , avec une indignation
THERMIDOR AN IX. 253
qui l'honore , les infames calomnies qui poursui
virent Beaumarchais. On n'ignore pas que des
gens humiliés par son esprit , l'accusèrent , pour
se venger , de l'empoisonnement de ses deux
femmes.
"
Il y a de quoi frémir , s'écrie fort à propos Laharpe
, si l'on fait réflexion que c'est pourtant à ce
qu'on appelle tout uniment de la médisance ( c'est-
« à- dire , ce qu'on regarde à peine comme une faute ) ;
« et qu'il n'y avait pas même le plus léger prétexte à une
si horrible diffamation . Il avait en effet épousé en peu
« d'années deux veuves qui avaient de la fortune , ce
qui est assurément très - permis à un jeune homme qui
" n'en a pas.
"
"
Il n'eût rien de l'une , quoiqu'elle lui eût donné beaucoup
, parce que la première chose qu'il oublia fut de
faire insinuer le contrat , et cet oubli seul , incompatible
avec un crime qu'il rendait inutile , suffit pour
en repousser tout soupçon . I hérita de l'autre , qui
« était très-aimable , qu'il adorait et qui lai laissait un
fils qu'il perdit peu de temps après. Je ne sais pour-
• quoi on n'a jamais dit qu'il avait aussi empoisonné ce
fils ; car il fallait encore ce crime pour avoir toute la
succession . La calomnie ne pense pas toujours à tout.
Il est évident que quand même il n'eût pas aimé sa
femme , il suffisait qu'il en eût un fils pour être intě-
• ressé à ce que la mère vécût longtemps ; et ce qui
était encore plus décisif et rendait le crime plus absurde
, c'est que la fortune de cette femme était en
grande partie viagère , et que son mari , qu'elle aimait
beaucoup , avait tout à gagner à ce qu'elle vécút . Elle
« l'avait mis dans une aisance qui tenait à elle seule , et
tous ses dons étaient ceux de sa tendresse pour un mari
qui la payait de retour en la rendant heureuse . Ce sont
"
#
"
254 MERCURE DE FRANCE ,
• des faits publics et dont je suis sûr ; mais la haine n'y
« regarde pas de si près ; elle sait que les autres n'y
regardent pas davantage . Où en sommes-nous , bon
Dieu ! si l'on ne peut pas avoir le malheur d'hériter
« de sa femme et de son fils , sans avoir empoisonné au
« moins l'un des deux , dès qu'on a aussi le malheur
« d'avoir des envieux et des ennemis ? Cette imposture
méprisable fut pourtant accréditée ,
K
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06
"
"
"
surtout par
le
moyen , si malheureusement facile et familier de ces
« répertoires de mensonges , autorisés en quelques pays ,
« et répandus dans tous les autres ; magasins de mal ,
« ouverts à tout le monde , et où le plus obscur et le plus
vil calomniateur peut faire imprimer un crime pour
« un écu , peut - être même pour rien , et pour l'amuse-
« ment des lecteurs . J'ai regardé comme un devoir ,
dans un ouvrage consacré à la vérité et à la justice ,
de rejeter dans leur néant ces inventions de la méchanceté
humaine , trop fréquentes et trop impu-
" nies . Je me rappelle bien de n'y avoir jamais cru ;
mais quand je vis l'homme au bout de quelques années
, je disais comme Voltaire , quand il lut ses mé-
" moires : Ce Beaumarchais n'est point un empoisonneur ,
« il est trop drôle ; et j'ajoutais ce que Voltaire ne pouvait
savoir comme moi : Il est trop bon , il est trop
sensible , trop ouvert , trop bienfaisant pour faire une
" action méchante , quoiqu'il sache fort bien écrire
« des malices très - gaies contre ceux qui lui en font de
très -noires. »
"
"
"
"
Le succès des mémoires contre Goësman n'est
point oublié. Paris , les provinces , l'Europe en
retentirent . Jamais le courage et le talent réunis
n'obtinrent un plus grand triomphe. Le mérite de
ces mémoires , où tant de genres d'éloquence font
pardonner quelques défauts de goût , n'avait point
THERMIDOR AN IX. 255
encore été si bien senti , et ne pouvait être plus
heureusement retracé que dans ce passage du Cours
de litterature.
Q
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20
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Ces écrits sont d'un genre et d'un ton qui ne pouvaient
avoir de modèle ; car il n'y en avait pas d'exemple.
S'il était quelquefois arrivé qu'un particulier
écrivit lui-même ses défenses , ce qui était rare , à
peine pouvait - on s'en apercevoir , parce qu'elles
étaient toujours dans le moule universel des écrits judiciaires
, sans quoi l'avocat, qui les remaniait toujours
plus ou moins , ne les aurait pas signées . Ici , rien de
semblable : Beaumarchais sentit que , quoiqu'il en
pût résulter , c'était avant tout pour les lecteurs qu'il·
devait écrire et plaider ; qu'il était à peu près impos
sible qu'il gagnât sa cause au parlement Maupeou ,
<< contre le conseiller Goësman ,
mais que les choses en
« étaient au point que rien ne serait perdu , s'il gagnait
devant le public ......... Et quelle jouissance pour
« lui , lorsqu'en lisant Beaumarchais , il ne vit plus dans
" tous ces différents mémoires qui se succédaient rapidement
, qu'un homme qui se chargeait de le venger
d'une magistrature bâtarde , et celle - ci qui , de son
côté, se chargeait de faire regretter la légitime , malgré
tous ses torts . Qu'il eut raison ! c'était l'affaire
d'un quart d'heure , les faits ne parlaient pas , ils criaient .
Mais cette forme si neuve , aussi saillante qu'inusitée ,
«< ces singuliers écrits qui étaient tout à la fois une plaisanterie
, une satire , un drame , une comédie une
galerie de tableaux , enfin une espèce d'arène ouverte
pour la première fois , où il semblait que Beaumarchais
s'amusát à mener en lesse tant de personnages
comme des animaux de combat , pour divertir les
spectateurs ; mais tous ces personnages si richement et
si diversement ridicules ou vils , qu'on les croirait.
"C
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256 MERCURE DE FRANCE ,
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choisis tout exprès , et que lui - même en effet rend
« graces au ciel de les lui avoir donnés pour adversaires ;
mais cette continuelle variété de scènes qu'on voit
« bien qu'il n'a pu inventer , et qui n'en sont que plus
plaisantes à force de vérité , de cette vérité qu'on ne
peut saisir et crayonner qu'avec le trait le plus fin et
l'imagination la plus gaie ! …………. L'on peut concevoir
l'alégresse universelle d'un public mécontent qui n'avait
d'autres armes que celles du ridicule , et qui les
voyait toutes au -delà même de ce qu'il en pouvait
" attendre dans une main légère et intrépide , qui frappait
sans cesse , en variant toujours ses coups . De là ,
" sans doute , l'admiration pour un talent inopiné que
l'envie n'atteignait pas encore , dans un moment où
le danger de l'innocence et la pitié pour l'infortune prédominaient
sur toute autre impression . De là en même
temps la joie de voir découler , de ces pages divertissantes
, des flots de mépris sur ce qu'on était char-
" mé de pouvoir avilir , en attendant qu'on pût le ren-
"
"
"
"
"
"
་་
« verser. »
La surprise qu'excita si justement l'audace éloquente
de ces mémoires , peut redoubler aujourd'hui
, quand on songe au temps qui les vit naître
et à celui qui leur succéda . C'était à l'époque où
Beaumarchais , dans ses factums , diffamait impunément
tous les tribunaux de France ; c'était
alors qu'Helvétius se plaignait de la tyrannie exercée
sur les écrivains ; et qu'il imprimait , à la tête
de son livre Sur l'homme * , ces propres paroles :
Ma patrie a enfin reçu le joug du despotisme.
Si quelqu'un avait pu révéler l'avenir à l'auteur
* Voyez la préface du livre intitulé : De l'Homme , de
ses facultés intellectuelles , etc.
THERMIDOR AN IX.
257
SEAN
de l'Esprit ,, et lui dire : « Le jour n'est pas loin
où le despotisme que vous trouvez si pesant , sera
détruit ; on ne confiera plus votre doctrine à
reille , on la publiera sur les toits ; les cathéc
à l'usage de la jeunesse seront pleins de tous
principes ; on honorera tellement votre me
que la rue de Paris où vous habitiez recevi vou
nom. Eh bien ! si , dans ce temps - là , un Fas
opprimé veut invoquer l'opinion , comme
marchais , votre contemporain ; que dis-je ? si quelque
citoyen ose concevoir seulement une pensée
courageuse , il faudra qu'il la renferme au fond de
son coeur , sous peine de mort , et peut -être , malgré
son silence , il périra sur l'échafaud ou dans les
déserts de Sinnamary. » Je crois qu'après une telle
prédiction , Helvétius eût supporté avec moins
d'impatience ce gouvernement despotique , sous
lequel il était permis de vivre en paix , dans de
beaux jardins , avec une grande fortune et de jolies
femmes qui se moquaient , auprès du philosophe ,
de tous les objets de la vénération publique .
Beaumarchais , en travaillant pour le théâtre ,
méconnut longtemps le genre qui était le sien . Il
fit des drames , et , comme Diderot , son maître , il
prodigua la morale , l'emphase et l'ennui . Il retrouva
son véritable esprit dans le Barbier de Séville
et dans la Folle Journée . Cet esprit était
propre au jeu des intrigues compliquées , dans le
drame comme dans les affaires. Si le fonds du
Barbier n'est pas neuf , plusieurs scènes de cette
comédie sont animées d'une gaieté vraiment originale
, qui ne se fait pas moins remarquer dans
les premiers actes de la Folle Journée. On regrette,
dans l'une et dans l'autre pièce , et surtout dans la
dernière , que les plus mauvaises plaisanteries se
5 17
258 MERCURE DE FRANCE ,
mêlent à des traits heureux . Trop de fois , l'expression
réunit ce qu'il y a de plus enflé dans les sentences
philosophiques et de plus trivial dans le
langage des bouffons .L'étude et le goût manquaient
absolument à Beaumarchais ; mais il amuse les
spectateurs par le mouvement de la scène ; il sème
son dialogue de saillies très - divertissantes , et c'est
assez pour le succès d'une comédie d'intrigue.
D'ailleurs , celui de la Folle Journée tenait beaucoup
aux allusions satiriques dont cette pièce est
remplie . Jamais la licence ne fut poussée plus loin.
Aristophane , vivant au milieu d'une démocratie ,
était contraint de cacher , sous la forme aliégorique
, les vérités qu'il adressait à la multitude.
Ici , dans une monarchie , on critique sans voile
tous les usages du gouvernement ; on verse le ridicule
sur la cour , sur les ministres , sur les tribunaux
; et , chose surprenante , les chefs même du
gouvernement étaient flétris de leur propre aveu .
Ils venaient applaudir les premiers aux bons mots
de celui qui les diffamait . On observe fort bien , dans
Je Cours de littérature , que le fameux monologue
de Figaro semblait être le manifeste de la révolution
. A la vérité , Beaumarchais la prépara sans le savoir;
il n'en partagea point les excès , et n'échappa
même qu'avec peine aux tyrans qu'elle avait élevés.
Il n'en fut pas ainsi de Fabre d'Eglantine . Celui-
ci périt , avec quelques-uns de ses complices ,
dans l'incendie révolutionnaire qu'il avait allumé.
Si Laharpe venge la réputation de Beaumarchais.
trop calomnié , il venge aussi le bon goût de la
réputation si follement exagérée qu'on a voulu
faire aux essais informes de Fabre d'Eglantine . Cet
* Dans le cinquième acte de la Folle Journée.
THERMIDOR AN IX. 259
auteur ne mérite , en effet , des éloges que pour une
conception heureuse de son Philinte. Dans tout le
reste , il conçoit aussi mal qu'il exécute , et son
style ridicule et barbare est tout-à-fait digne des
idées dont il fut l'apôtre et la victime .
Les trois meilleures comédies de ce siècle sont ,
au jugement du critique , la Métromanie , le Glorieux
et le Méchant . La Métromanie l'emporte
par la verve comique , et le Glorieux par la supériorité
du but moral. Le Méchant n'a pas , sans
doute , le même effet dramatique , mais il dédommage
le lecteur par cette foule de vers heureux
qu'une élégance si naturelle et qu'un tour si piquant
ont gravés dans la mémoire . 1
La tragédie , dans le 18. siécle , fut plus heureuse
que la comédie . Elle atteignit quelquefois la
hauteur où l'avait portée Corneille et Racine , et
c'est à Voltaire qu'elle dut cet avantage. En vain
la supériorité de ce grand tragique fut longtemps,
contestée ; elle est de jour en jour mieux reconnue,
et Crébillon qui lui fut opposé si longtemps , n'est
plus , après les trois grands maîtres , que le premier
des tragiques inférieurs. C'est ainsi que l'opinion
publique et son plus digne interprète fixent aujourd'hui
le rang de ces écrivains , trop longtemps
appréciés par la haine ou la flatterie . L'analyse
raisonnée des ouvrages de Crébillon met dans une
telle évidence les vrais principes de l'art , que certaines
hérésies littéraires n'oseront plus vraisemblablement
reparaître.On voit , dès le début , l'intervalle
immense qui doit séparer Crébillon de Corneille ,
de Racine et de Voltaire .
« Je vais parler d'un homme , dit Laharpe , dont le
nom fut , pendant bien des années , le mot de rallie
260 MERCURE DE FRANCE ,
"
« ment d'un parti nombreux qui , ne pouvant souffrir
« et encore moins avouer la prééminence de Voltaire
ne trouvait pas de meilleur moyen de s'en venger ,
" que de prodiguer des hommages affectés à un talent
« si inférieur au sien . Ce parti , protégé par le crédit ,
par les passions et les intérêts d'hommes puissants ou
irrités , eut longtemps une grande influence . Il dispo-
" sait de la voix des uns ou du silence des autres ; il en
« traînait ou intimidait . Il est aujourd'hui a peu près
" anéanti . Mais , après que le temps a ramené la justice ,
" il reste à la constater dans l'histoire littéraire ; et cette
• justice doit être d'autant plus complète , qu'elle a été
plus tardive et plus combattue. »
"
«
Ces observations , généralement avouées par les
esprits équitables , déplairont sans doute aux censeurs
qui refusent encore à Voltaire cette prééminence
tragique , et qui , seuls contre un siécle entier,
donnent , chaque jour, un démenti formel à toutes
les voix de la renommée. Mais ces censeurs sont
en petit nombre ; quelques - uns ont de l'esprit et
des connaissances , et l'on ne conçoit pas , de leur
part , ce mépris affecté pour les plus beaux ouvrages
de Voltaire. Cette opinion singulière n'est - elle
qu'un jeu propre à ranimer , tous les matins , la
Surprise des lecteurs ? Est-ce plutôt un reste d'attachement
aux vieux principes de l'école dont ils sont
sortis ? Est - ce enfin la crainte excusable de trop
louer des talents dont on a fait quelquefois un dangereux
usage ?
J'essaierai de leur répondre dans ces trois suppositions.
Il me semble d'abord que , dans les controverses
littéraires , comme dans toutes les autres , il faut
parler d'après sa conscience. Les sophismes ingé
THERMIDOR AN IX. 261
nieux ont la vogue de quelques instants ; la vérité
plaît toujours. C'est elle qui donnera un intérêt durable
à ces feuilles fugitives , dont l'intérêt trop
souvent finit dans un jour.
Si c'est pour rester fidelles aux leçons de leurs
anciens maîtres , que les censeurs modernes se
plaisent à déchirer Zaire et Mérope , ils poussent
trop loin la condescendance , et les temps ne sont
plus les mêmes . Lorsque Desfontaines et ses disciples
outrageaient Voltaire , il vivait encore ; c'était
en présence du Dieu , qu'ils consolaient l'envie
par leurs blasphèmes. Leur calcul était bon , car
ils flattaient sans cesse une passion sans cesse irritée
par l'éclat d'une gloire contemporaine. Mais
les satires contre un mort illustre intéressent peu
la malignité : ce n'est plus la peine d'être injuste .
t
Approuvera-t-on davantage ceux qui lui refusent
leurs éloges , par respect pour les principes qu'il
attaqua ? Mais ne peut - on louer le grand poète ,
sans approuver le philosophe irréligieux ? Quel
droit aurez-vous de blâmer ce qui est condamnable ,.
si vous ne rendez pas justice à ce qui est digne d'admiration
? N'épargnez pas les erreurs , mais respectez
les talents .
D'ailleurs , de quels ouvrages de Voltaire s'agitil
dans ce moment? de ses tragédies.Et qui ne sait pas
que le caractère dont elles sont empreintes est tout
opposé à celui des productions qu'on lui reproche ?
En effet , deux génies contraires , ceux du hien et
du mal , semblaient emporter tour- à -tour cet homme
singulier qui réunissait tous les contrastes. Il rele
yait sans cesse , par la puissance de son imagination,
ce qu'il avait abattu par ses raisonnements. Tandis
qu'il prodiguait contre le christianisme des injures
de tous les genres , il remplissait les vers de Zaïre
262 MERCURE DE FRANCE ,
de toutes les merveilles de la foi , de tout le charme
des lieux saints ; il peignait , dans Alzire , le triomphe
des vertus chrétiennes ; et , même dans les sujets
profanes , dans Oreste , dans Sémiramis , dans Mérope
, il reproduisait la majesté religieuse de la
tragédie grecque . Il aimait à montrer , comme elle,
les hommes entraînés invinciblement vers leur destinée
par cette main toute -puissante qui se dérobe
dans l'ombre et dans l'éternité. N'est-il pas étrange
que Voltaire n'ait jamais été plus grand que lors .
qu'il a contredit , dans les chef - d'oeuvres de son
théâtre , toutes les maximes de sa philosophie ?
L'instinct poétique servit mieux sa gloire que les
systèmes de sa raison . Un tel exemple , tiré des
ouvrages de Voltaire lui - même , ne serait - il pas
plus instructif et plus frappant que toutes les injures
qu'on lui adresse ?
J'ose dire plus , en s'élevant contre les excès de
Voltaire , il ne faut pas oublier les services qu'il
a rendus. Sa Henriade , ses belles tragédies et
quelques écrits en prose de son bon temps répandirent
en Europe des principes de modération qui
ont adouci plus d'un usage barbare . On ne peut
sans doute justifier son acharnement contre le culte
national . Rienn'était moins philosophique ; et , chez
les anciens , cette audace n'eût point obtenu d'indulgence
. Quand Cicéron était augure , il pouvait
bien rire en secret devant un autre augure ;
mais , sous son consulat , il aurait puni le citoyen
assez imprudent pour se moquer des poulets sacrés
, au milieu du peuple romain .
Voltaire a donc des torts graves ; mais ceux qui
l'accusent de la corruption générale , exagèrent
tout , ce me semble , et ne pensent point assez au
moment où ce grand poète s'éleva .
THERMIDOR AN IX. 263
Cette corruption était déja commencée . Les
vices marchaient à la suite du régent , et du fond
de sa course débordaient sur toute la France . Longtemps
la religion , ornée de toutes les pompes des
arts et de la victoire , avait habité la cour de Louisle
- Grand , et le chef de l'état se prosternait le premier
devant l'autel , que dix-sept siécles avaient
chargé de leurs voeux et de leurs offrandes ; mais
les malheurs du vieux monarque avaient affaibli
l'autorité de ses exemples ; et d'ailleurs le sanctuaire
perdait peu à peu toutes ses splendeurs.
On n'entendait plus la voix de Bossuet retentir
des hauteurs du ciel , jusque dans les profondeurs
du tombeau. L'austère Bourdaloue ne
prêtait plus la force de sa dialectique à la
morale de l'évangile . Fénélon ne faisait plus
aimer , par les charmes de son style , les dogmes
que faisaient craindre Bossuet et Bourdaloue . A
leur place , un misérable gazetier assis sur les
ruines augustes de Port-Royal , devait bientôt déshonorer
un parti qu'avaient illustré le génie de
Pascal , la science de Nicole , et l'exil du grand
Arnaud . Il semblait enfin que toutes les foudres
de la religion se fussent éteintes sur le cercueil
de ces grands hommes. A la vérité , Masillon était
encore l'honneur de la chaire ; mais il avait contre
lui sa condescendance pour le ministre des plaisirs
du régent* , et Dubois couvrait une tête déshonorée
de la mître que porta l'auteur du Télémaque .
Voltaire , entraîné par l'esprit du temps , respecta
trop peu ce qui était devenu moins respectable
aux yeux de la multitude ; mais du moins
il conserva le dogme sacré d'un Dieu rémunérateur
et vengeur ; il détesta l'athéisme jusqu'au
* C'est sur l'attestation de Masillon que Dubois était de
venu prêtre.
264 MERCURE DE FRANCE ,
dernier moment . Il ne pouvait souffrir ces systèmes
violents qui ébranlent toutes les bases de la
propriété et des empires * . On ne conçoit pas que les
docteurs révolutionnaires se soient appuyés de son
nom . Jamais aucun écrivain n'eut plus en horreur la
démocratie . Il aimait l'éclat des cours , le bruit
des théâtres , l'élégance des moeurs , tout cee qui
décore enfin la vie sociale . Il fut le plus constant
admirateur du règne illustre dont il avait vu les
dernières années. Il nous en a transmis la gloire
et les traditions. Et ne sait-on pas que sur son
lit de mort , entendant parler d'un livre contre
Louis XIV , il se réveilla un moment , dans l'intention
de venger toutes ces grandes ombres du
dernier siécle , auxquelles il était prêt à se rejoindre.
Résumons ces remarques trop longues que peut
seul faire excuser le nom du grand écrivain qui les a
fait naître. Ses beautés sont assez nombreuses pour
qu'on ne craigne point d'avouer ses défauts . Mais
qu'on ne croie pas éclipser les premières en ne
parlant jamais que des derniers.
me
Voltaire , placé en quelque sorte aux confins
du 17. et du 18.me siècle , semble s'élever entre
tous les deux comme un grand phare qui les
domine pour marquer les écueils et le port. Le
côté qui nous regarde n'a qu'une lumière trompeuse
, mais celui qu'éclairent encore les derniers
rayons du trône de Louis XIV , jette un éclat
immortel .
Ce double caractère est sans cesse marqué dans
les extraits du Cours de littérature . Comment
refuse-t- on d'adopter les jugements si bien motivés
* Voyez ses réponses à l'auteur du Système de la nature; ses
pièces intitulées les Cabales , les Systèmes , etc.
1
THERMIDOR AN IX. 265
qué le critique porte sur Zaïre , Mérope et Alzire,
quand on le voit , avec son impartialité'accoutumée,
rabaisser au dessous de Darchet , dans le genre
de l'opéra , ce même Voltaire qu'il vient de placer
à côté de Corneille et de Racine ? Si on veut
même lire un morceau d'un goût exquis , il faut
chercher le parallèle d'un des cheurs d'Esther
avec des paroles de Samson. C'est là que les jeunes
élèves peuvent étudier tous les secrets de la cadence
lyrique dont Voltaire n'eut aucune idée précise ,
et que l'oreille de Racine avait si bien approfondis.
Les détracteurs et les panégyristes outrés
de Voltaire , accusent tour- à - tour Laharpe d'avoir
trop vanté ou trop blâmé celui qu'ils outragent
ou qu'ils déifient. Cela prouve que Laharpe est
juste , et qu'il rend avec fidélité l'impression qu'il
reçoit des beautés et des défauts.
Partout se retrouve la même franchise . En examinant
les tragédies de Marmontel , qui sont aujourd'hui
presque ignorées , le critique en trouve
une digne d'être connue. Aussitôt il la recommande
à l'estime des lecteurs. Les talents qui ne
furent qu'aimables ne sont point oubliés. Favart
ici reprend sa couronne de fleurs , usurpée par Voisenon
, et les graces de la Chercheuse d'esprit ,
de Bastien et de Bastienne , reparaissent après
trente ans sous la main délicate et sûre qui
les développe sans les flétrir. Ainsi le goût , dans
cet ouvrage , choisit ce qui peut plaire , comme
la raison présente ce qui peut instruire .
Des lecteurs sages regrettent seulement que
l'auteur abandonne quelquefois les objets littéraires
pour des discussions d'un autre genre . Ils
disent que , dans ses institutions , Quintilien ne
suspend point ses préceptes pour retracer les hor266
MERCURE DE FRANCE ,
reurs du règne de Néron , et les crapuleuses orgies
de Vitellius dont il avait pourtant été le témoin .
Quintilien laissait peindre ce tableau à Tacite.
Que Laharpe , après avoir achevé , dans notre
langue , les Institutions de Porateur et du poète,
écrive aussi les annales de son temps : alors tout
aura sa place naturelle , et nous compterons un
beau monument de plus.
Au reste , quelques critiques n'ont pas jugé le
Cours de littérature avec le même esprit que
l'auteur de cet extrait et des deux autres qui ont
dėja paru dans les n.°s XIV et XVIII de ce journal
. Cela ne doit pas surprendre . Quelquefois la
hiérarchie littéraire est bouleversée comme la hiérarchie
politique , et les autorités légitimes y sont
méconnues et même outragées . Mais la vérité
demeure , et les principes reprennent tôt ou tard
l'empire qu'ils ont perdu . Les objets laissés en
arrière , dans les douze volumes de cet ouvrage ,
fourniront encore un seul et dernier extrait.
SIX Romances imitées d'Atala , par VINCENT
DARUTY. Musique et accompagnement de harpe
et de cor obligé , ou piano-forté , flûte ou violon
ad libitum , de Pierre Gaveaux , dédiées à
M.me BONAPARTE . OEuvre 2. des romances.
Prix , 7 fr. 50 cent . Paris , à la Nouveauté ,
chez les frères Gaveaux , passage Feydeau ,
1
n . 12 et 13.
е
On voit peu d'ouvrages , aujourd'hui remplir
aussi bien qu'Atala toutes les conditions d'un
succès. Car c'est par les injures comme par
les éloges , que le succès se prouve et s'établit.
THERMIDOR AN IX. 267
Depuis deux mois la plupart des journaux sont
attachés à ce roman ; on en morcelle , on en altère
chaque phrase , on le parodie sans esprit ,
on le plaisante sans gaieté . Enfin un écrivain
très - versé dans les matières d'économie politique
, a composé un petit livre pour prouver
qu'il ne fallait pas trouver du plaisir à la lecture
d'Atala ; tant d'efforts n'ont pas été perdus sans
doute. Tout le monde a voulu relire Atala ; et
sa réputations'en est augmentée . C'est qu'il ya dans
le coeur de l'homme des instincts plus sûrs que
tous les raisonnements , et des intérêts plus puissants
que tous les partis. Aujourd'hui la musique
et la poésie vont donner une nouvelle existence
à cette aimable production ; jamais assurément
il n'y eut plus de raison de pardonner à la cri- ·
tique. Si quelquefois elle est amère et fâcheuse ,
le C. Chateaubriand doit la remercier encore . Les
femmes sensibles chanteront Atala , et le nom de
l'héroïne et de l'auteur seront dans toutes les
bouches qui récompensent les succès * .
Pastores hederâ crescentem ornate poetam.
... invidia rumpantur ut ilia Codro ..
Le C. Daruty a montré , dans cet essai , un talent
qui promet encore davantage . Il est aisé , en général
, de rimer les paroles d'autrui . Il ne l'est pas
autant de conserver les intentions et les sentiments
qu'elles expriment.
Ce mérite sera remarqué dans les romances
d'Atala , et l'auteur a fait les plus heureux efforts
* La cinquième édition d'Atala paraît en ce moment.
Il s'en est fait aussi deux contrefaçous , dont l'une a déja
été saisie .
268 MERCURE DE FRANCE ,
pour effacer cette différence qui existe. nécessairement
entre une imitation en vers et une prose
originale.
On en jugera par la romance du Nouveau- né:
Près d'un cercueil paré de lys ,
Une jeune et sensible mère
Parlait en ces mots à son fils :
"
"
"
་
Mort en naissant à la lumière ,
Tu jouis d'un heureux sommeil ;
Mon fils , dans ton berceau d'argile ,
« Il n'est plus pour toi de réveil
Ma plainte , hélas ! est inutile . » "
Ta destinée à mon amour
Ne doit permettre aucun murmure :
A peine l'oiseau voit le jour
Qu'il lui faut chercher sa pâture .
De ses parents abandonné ,
Triste jouet des vents contraires ;
Dans le désert , l'infortuné
Trouve bien des graines amères.
Tu ne seras point déchiré
Des traits de l'humaine injustice ,
Tu n'auras jamais respiré
Le souffle empoisonné du vice.
Ainsi , sans s'être épanoui ,
Le bouton meurt dans le silence ;
Son parfum expire avec lui ,
(bis)
Comme avec toi ton innocence . ( bis ).
Heureux qui meurt dans le berceau !
Combien il est digne d'envie !
Il emporte dans le tombeau
La première fleur de la vie .
THERMIDOR AN IX. 269
1
Etranger aux plaintes , aux cris
Qu'arrache la douleur amère ,
Il n'a connu que le souris
Et les doux baisers d'une mère. (bis )
Une critique sévère relèverait ici plusieurs négligences
dans ce vers- ci , par exemple : le bouton
meurt dans le silence , ces mots , dans le
silence , sont impropres ; mais la pensée de l'auteur
est bien exprimée à la fin de la strophe. On conviendra
toujours que pour avoir imité , comme le
C. Daruty , il faut avoir senti soi - même.— Nous indiquerons
encore la romance de l'Hermite hospi
talier. La dernière strophe surtout reproduit heureusement
le tour mélancolique et l'expression
abandonnée de l'original .
Ainsi dit le vieillard : la tremblante Atala ,
Avec Chactas suivit le chef de la prière ;
De son ame chrétienne un soupir s'exhala ,
Un voeu presque trahi l'occupait toute entière ;
Ainsi , victime d'une erreur ,
S'égare un pauvre voyageur.
Mais nous regrettons de ne pouvoir offrir ces
romances que pour ainsi dire privées de la vie,
Il faudrait les entendre avec la musique ; elle est
du C. Gaveaux , aussi distingué par ses talents que
par ses qualités personnelles. Cet auteur de
plusieurs opéra estimés et de chants répétés par
toute la France , a rendu , dans un autre ordre de
poésie , cette pensée rêveuse , et ce charme de la
solitude , qui font le caractère d'Atala. Les amateurs
ont remarqué la musique de la 1. , 4. et
5. romance .
C
G.
270 MERCURE
DE FRANCE
,
LES SCANDINAVES ; poème traduit du
Sweo- Gothique , suivi d'observations sur les
moeurs et la religion de quelques peuples de
l'Europe barbare ; par JOSEPH CHERADEMONTBRON.
2 vol. in-8. ° A Paris , chez
Maradan , rue Pavée - Saint - André - des - Arcs ,
n.º 16. Prix , 8 fr. , et 10 fr. franc de port.
UnN homme, un seul homme , dans le siécle le plus
heureux de la littérature française , eut la gloire
d'un poète , sans porter le joug de la césure et de la
rime , et tandis qu'une foule de noms malheureux
s'ensevelissaient dans des poèmes en vers , et accréditaient
ce préjugé que les Français n'ont pas la tête épi→
que, il plaça le sien immédiatement au dessous d'Homère
et de Virgile . Qu'est- il besoin de nommer Fénélon ? Il a
été le seul . Il faudrait être un censeur trop chagrin
pour blâmer son exemple ; mais on peut s'affliger que
personne ne l'ait pu suivre . Le secret de sa prose
lui est resté , parce que ce secret était celui de son
génie. Nous avons vu Reyrac , dans l'Hymne au Soleil
, prodiguer l'ennui avec une rare magnificence.
Nous avons entendu Marmontel , dans les Incas ,
tigant notre areille d'une suite de phrases rhythmiques ,
dont chacune semblait un vers , et dont l'ensemble
n'était nullement de la poésie . Que dirais - je des Céramiques
de Saint - Symphorien , du Téléphé de Pehmejah
et de quelques autres encore qui ont enfanté des
poèmes en prose aussi facilement et avec moins de
succès que des romans. Ce Pehmejah fut vanté d'avance
pendant six mois , vendu en une semaine , abandonné
THERMIDOR ANŃ
IX. 271
au bout de trois , et laissa l'héroïsme et la poésie pour
se jeter dans la philosophie et la politique. Il fut un
des rapsodes dont l'abbé Raynal a cousu et s'est approprié
les lambeaux sous le titre , nom de poème ,
mais de Voyage philosophique. Pehmejah , dit- on , en
réclamait , sans bruit , plusieurs morceaux qui n'étaient
pas les moins ampoulés.
L'auteur des Scandinaves , jeune homme dont la
personne inspire un vif intérêt , qui fut malheureux ,
qui paraît très - savant , qui a l'imagination très-vive ,
et le ton fort modeste , l'auteur , dis-je , des Scandinaves
n'a point été vanté d'avance , et mérite d'être lu
davantage. Toutefois , il y a une grande difficulté à
se faire lire quand on choisit ce genre de composition ;
et en souhaitant à l'écrivain un plein succès , on ne
peut s'empêcher de s'écrier comme Virgile :
Jeune homme puisses- tu vaincre la destinée !
Le premier obstacle que le destin lui a suscité , est
de lui avoir fait choisir de tels héros . Les Scandinaves !
si c'est leur histoire , on s'attend presque , comme Voltaire
, à trouver celle des ours ; et quand on voit le
roi Olaüs , et Busis , et Adelston , et Forbas , et tout
ce qui marche à leur suite , tous ces guerriers dont les
mains sont toujours dans le sang , dont le sommeil
même paraît violent et féroce , tandis que leurs cuirasses
s'élèvent et retombent sur leur poitrine, on s'épouvante
, et l'on dit avec Boileau :
Qui de tant de héros va choisir Childebrand ?
L'auteur l'a senti , et pour sauver du blâme ses héros
un peu trop rudes , il recrimine , avec esprit et avec
grace , contre ceux d'Homère et des tragédies grecques ,
et montre que ceux-là aussi dégoûtent de sang et
1:72 MERCURE DE FRANCE ,
tiennent des discours très -farouches : il en donne des
preuves si positives , que quelqu'an , dans un journal ,
s'enest scandalisé , et a dit que le C. Montbron manque
cle respect aux anciens. Il ne leur en manque aucuneinent
; et , après l'avoir bien lu , j'affirme que surement
il connaît et sent vivement leur mérite . Il les admire
d'avoir su , dans leur belle poésie , conserver les vérités
d'une nature sauvage et même un peu barbare . Les
rois des petites cités grecques , du temps de l'Iliade ,
leurs guerriers , leurs combats , leur navigation , leurs
tarangues , leurs fêtes , ont en effet beaucoup de ressemblance
avec ce que Cook et ses successeurs ont vu
chez les insulaires des nouveaux archipels qu'ils ont
visités. La différence principale est dans les arts qui
étaient bien plus avancés chez les Grecs ( si leurs ouvrages
étaient déja tels que les décrit Homère) . Quelles
peintures n'offrent point à cet homme si heureux à
tout exprimer , l'artifice des laines , et la beauté des
teintures , et le poli des métaux , et le relief des sculptures
? C'est une source de poésie fermée à celui qui
chante les pauvres habitants du Nord . Un fruit creux
et desséché , arrondi en coupe pour recevoir l'hydromel
, une peau de rennes qui pare les épaules d'une
jeune fille , voilà les objets rares et les seuls arts gracieux
qui s'offrent à son pinceau. La mythologie met
bien une autre différence dans les moyens du poète.
Quelle est triste et stérile la mythologie des adorateurs
d'Odin ! Voyez les noms des divinités principales
et leurs fonctions ( p . 22 de l'avant- propos) ; dites
ce qu'on peut tirer de là pour un poème , et ne soyez
pas surpris que M. de Montbron , qui les nomme fort
à propos , et qui , dans ses notes en raisonne avec
érudition , convienne que de telles divinités ne lui ont
pu fournir aucun vrai merveilleux pour son poème .
Tous les savants en us , et en sfeld , et en torp , se
"
THERMIDOR AN IX. 273
cassent la tête pour apercevoir quelque figure un peu
distincte dans ce brouillard des fables septentrionales ,
tandis que les brillantes fictions d'Homère et de Virgile
saisissent les imaginations les plus vulgaires , et
semblent enchanter la nature.
DE
SET
Tels sont les obstacles contre lesquels a der
le jeune et courageux auteur ; et si , à ces obstacl
il eût fallu joindre les difficultés de la versification ------
c'était une entreprise presque au dessus de forcesh
maines. Il s'est tenu dans la modestie de la
par un raffinement de modestie plus grand , if
traducteur d'un vieux Scalde , et même de la traduction
latine d'un certain Ressenius . Car il lui à semblé
que c'était une trop haute prétention que celle d'avoir
traduit d'après le Sweo -Gothique ; personne n'en a été
la dupe , et il est déclaré auteur et poète à peu près
autant qu'on peut l'être en prose ( après Fénélon ) . Un
le loue d'avoir pu soutenir sa voix pendant quinze
chants ; il n'y en a aucun qui ne donne quelque
plaisir le premier est d'une beauté rare ; le treizième
contient un tableau plein de pitié et de terreur ; c'est
la mort d'Olaus , sacrifié par des prêt es aussi épouvantabies
que ceux que l'anglais Bryan , dans son
Antient mythology , a semés avec une hideuse p . fusion
sur tous les promontoires d'Egypte , d'Asie , de
Grèce , d'Italie , de Sicile , et qui égorgeaient tout ce
qui leur tombait sous la main . De là , suivant Bryan ,
vient la fable des Lestrygons et de bien d'autre .
Ceux du Nord figurent fort bien avec eux ; mais Olaüs
surpassa en magnanimité , en résignation , en clémence
tous les héros passés. Pour l'élever à ce degré
de sublimité , l'auteur feint qu'il meurt chrétien , et en
cela il montre sa pensée sur le christianisme ; puis ,
par oubli ou pour ramener la supposition que c'est
un Barde qui écrit , il canonise , d'une manière toute
5
18.
274 MERCURE DE FRANCE ,
payenne, ce même Olaus et ces chrétiens , ces mar
tyrs , les généreux compagnons de sa mort : il fait entrer
leurs ames , avec étonnement , dans le palais d'Oden .
Je me chargerais bien d'expliquer cette contradiction
par la position où l'auteur s'est mis en se disant traducteur
; mais je suis convaincu que lui - même ne
prétend pas l'excuser.
Il faut parler du sujet du poème .
La scène est établie dans les temps où le christia
nisme commence à pénétrer dans ces sauvages contrées .
La barbarie y règne encore. Buris , roi de Vandalie ,
se jette sur les états de Suénon ; il prend Lunden șă cápitale
: il veut son trône , et surtout il a soif de son sang.
Il se flatte un moment d'avoir réussi , et quand il croit
que Suenon est tombé sous le fer assassin , il va pour
jouir de son crime et contempler sa proie . Mais il a
étě trompé dans sa cruelie espérance , un sujet généreux
s'est dévoué pour Suénon , il s'est couvert des ori
nements royaux , il s'en est enveloppé en tombant , et
quand le vainqueur arrive , la victime se soulève et lui
dit : Suénon respire , et tu ne vois ici qu'un soldat heureux
de mourir pour son roi. Suenon en effet a fui vers
la Norwège , accompagné de sa fille Alpaïs . Buris né
peut l'y atteindre que par ses intrigues , mais Suénon
par ses vertus , les read inutiles , et par sa prudence il
évite ses embûches . La beauté d'Alpaïs allume un nouvel
incendie. Harald , roi de Norwege , s'est enflamme pour
elle ,et veut que sa main soit le prix de l'hospitalité et du
secours qu'il promet à Suénon . Elle le refuse , et demeure
fidelle au guerrier Adélus , brave sujet de son père .
Il faut fuir de nouveau. Dans cette faite , Adélus les
rejoint , et par sa valeur , jointe à celle du roi , mille
dangers sont surmontés. Ils ont atteint la Dalecarlie où
règne Olaüs , nouvellement conquis à la foi chrétienne ,
contre lequel l'enfer suscite à la fois une famine géné
3
THERMIDOR AN IX. 375
rale , la superstition furieuse des adorateurs d'Oden ,
et , par leur instigation , la révolte de tout le peuple.
Le néophite roi succombe ; il est immolé avec une
pompe horrible. Suénon cependant survit à ce malhear
avec Alpaïs. Il est même parvenu à calmer la fureur
du peuple , et à remettre sur le trône le fils même
d'Olaüs . On juge si le nouveau roi protégera la cause
de son vengeur. Mille guerriers Dalécarliens sont donnés
à Suénon , ils sont conduits par Adélus , et espèrent
punir Buris. Celui - ci était en guerre contre Harald qui
voulait lui enlever la Skone. Des combats terribles les
ont affaiblis tous deux , et chacun va succomber , s'ils ne
se rapprochent. L'intérêt de leurs conquêtes et celui de
leur vengeance les ont réunis tous deux contre Suénon . La
beauté d'Alpaïs qui fut une des causes du mal , en devient
le remède. Harald propose de nouveau son alfiance
, si Alpaïs lui accorde sa main. Suenon est loin
d'y consentir ; mais elle s'y dévoué , va elle -même trouver
Harald , accepte sa foi , engage la sienne , et dès que
les serments sont prononcés , elle venge Adélus , et sè
poignarde. Heureusement le coup n'est pas mortel , et
Harald est capable de générosité ; il se joint à Suénon .
Buris est attaqué , vaincu , frappé par Suenon luimême
, et
Parmi des flots de sang , vomit son ame impure..
Il reste à rendre Alpaïs heureuse , et à récompenser
Adéius. Harald remplira ce devoir. Il dégage la princesse
de ses serments forcés , et la rend au guerrier qui
a su toucher son coeur.
On voit bien que ce dénouement n'est pris ni dans les
mours norwégiennes de ces temps -là , ni dans les fictions
ordinaires des Bardes , mais dans des idées un peu
postérieures à ce siècle. Ils ne chantaient guère que la
valeur terrible , et ne connaissaient pas encore cès belles
276 MERCURE DE FRANCE ,
moeurs chevaleresques , toujours si brillantes à peindre ,
et que dans de douces rêveries , regrette l'amour et peutêtre
la vertu. C'est après les temps de Charlemagne et
celui du Saint-Graal , et de la table ronde , quand les
traits de courtoisie eurent éte aussi multipliés que les
beaux coups de lance , c'est alors , dis - je , qu'on put
chanter
1
La gran bontà de' cavalieri antichi.
Si les inventions de M. de Montbron tiennent aux
moeurs chevaleresques , son langage heureusement tient
encore plus des meilleurs temps modernes ; c'est dommage
qu'il ait voulu quelquefois l'ossianiser. Cette tentative
expose à des demi - hardiesses qui n'atteignent
point la fierté sauvage du Barde , et qui ne contentent
personne , pas même les adorateurs d'Ossian . , J'en ai
entendu quelques - uns remarquer de tels endroits dans
les Scandinaves , et ils les critiquaient comme ceux qui
veulent qu'on soit français par le style , en même temps
que de tous pays par les idées .
Le jeune écrivain a prouvé par cet essai de son talent
, qu'il pouvait être toujours noble , élégant et pur ,
et jamais bizarre ou force. Sa préface seule servirait de
titre contre lui , s'il fallait le condamner à revenir au
bon style. S'il s'en est écarté , ça eté ra ement , par système
peut - être , et en qualité de traducteur et de
Barde Sweo - Gothique. Nous protesions contre lui qu'il
est tres fiançais , et qu'il n'a pas besoin d'être extraordinaire
, pour peindre un pays qui l'est beaucoup , et
des hommes qui le sont davantage . C'est quand il faut
peindre de tel's hommes on de telles choses , que Virgile
redouble d'elégance en même temps que de force. L'ultima
Thule , le penitus toto divisos orbe Britannos , et
cent autres vers que je citerais de lui sur la diversité
des régions , sont très élégants. Lucain?, Stace, Silius
THERMIDOR AN IX. 277
et toute cette école subséquente qui crut pousser plus loin
l'énergie , a souvent rencontré l'excès ; par de continuels
tours de force , ils ont précipité la chute de la belle langue
romaine , et elle est tombée très -vite dans la barbarie.
Citons encore un passage de M. de Montbìon , il y en a
beaucoup de très bons , mais on se contentera de celuiei
, qu'encore j'abrége à regret. Il s'agit d'Adelstan
tiré d'un tas de mourants par une jeune bergère , et
confié aux soins de quelques villageois .
*
"
K
"
"
les
Déja les pasteurs attendris ont porté le héros sur
leur couche rustique. Pour guérir sa blessure , ils
ne recourent pas à des caracteres inconnus , à de mystérieuses
paroles , vains prestiges d'un art mensonger.
« Leurs pères furent instruits par la nature ou par
Dieux ; ils furent instruits par leurs pères . Ils répandent
sur la plaie des sucs bienfaisants qui cha- sent
la douleur. Bientôt les chairs semblent vermeilles
" comme le corail , quand les flots l'ont dégagé d'un
limon impur. Bientôt le doux sommeil fait couler
" dans les veines du guerrier un baume plus puissant
" encore . Assise sur le tronçon d'un chène , la fille des
pasteurs contemple en silence la beauté d'Adelstan
« et s'applaudit d'avoir dérobé à la mort une tête si
charmante. L'amour cependant , enfant de la douce
égalité , n'a point pénétré dans son coeur ; elle songe
« au rang du guerrier , regarde le simple habit qui le
« couvre et soupire. Ainsi la tourterelle au modeste'
plumage ne brûle point d'une flamme orgueilleuse
pour cet oiseau don la couronne de pourpre et les
riches couleurs brillent dans nos vastes bruyères .
Nous en resterons - là sur les Scandinaves. Il faut abréger
Je discours , surtout quand on vient tard , et que
d'autres ont parlé. V.
"
t
"
"
278 MERCURE DE FRANCE ,
ESSAI sur l'Histoire de la puissance paternelle
; parANDRÉ NOUGARE D E. Avec cette
épigraphe :
La puissance paternelle se perdit à Rome avec
la république.
Esprit des lois , liv. 5, ch. 7.
Paris , chez Lenormant , rue des Prêtres- Saint-
Germain- l'Auxerrois. An 9. 1 vol . in- 12.
L'INSTITU
INSTITUT national avait proposé une seconde
fois , pour le concours du 15 nivose dernier , la question
suivante : Quelles doivent être , dans une république
bien constituée , l'étendue et les limites du pouvoir
du père de famille ? Le prix n'a point été donné ;
mais le mémoire qui a été fondu en partie dans cet
ouvrage , a paru , à la classe des sciences morales et
politiques , mériter d'être distingué. L'Institut , dans
sa séance publique du 15 nivose , invita l'auteur à
revoir particulièrement les trois derniers livres de son
important ouvrage , et à rendre tous les détails qu'ils
renferment , exactement dignes des principes de morale
publique exposés dans les deux premières parties. Le
même sujet a été proposé , une troisième fois , pour le
concours de l'an 10. L'auteur , en publiant l'ouvrage
que nous annonçons , paraît se retirer du concours.
Le moment est favorable pour toutes les discussions
de ce genre. On s'occupe du code civil ; et parmi les
premières questions de morale et de législation , il n'en
est point qu'il importe davantage de considérer , saus
tous ses rapports , que celle du pouvoir paternel. On
doit savoir gré à l'Institut d'avoir provoqué cet examen
: il semble pourtant que les expressions du programme
offrent un sens un peu vague et hypothétique
THERMIDOR AN IX. 279
Il est évident que pour remplir toutes les conditions
de ce programme , il faut traiter d'abord la question
d'une république bien constituée , puisque ce terme est
indiqué comme celui auquel doit se rapporter la solution
du problème . Mais qui ne voit aussi que c'est
là ouvrir le champ le plus vaste à l'esprit de système ?
Parmi les concurrents , chacun pouvant ne trouver de
bién constituée que la république dont il aura conçu
le plan , on court risque de n'avoir sur l'institution du
père de famille , comme sur toutes les autres , que
des résultats applicables seulement à un être de raison
comme la république de Platon , ou toute autre Eutopie
également chimérique . Alors , plus d'utilité dans cette
discussion , plus d'application à un ordre de choses
positif ou même possible. Dira-t - on que par ces mots
une république bien constituée , l'Institut entend la république
française , et desire que la question soit
traitée conformément à l'esprit et aux principes de
cette république ? Mais cette réponse ne peut satisfaire
, puisque l'Institut reproduit , sans aucun changement
, en l'an la même question proposée en l'an
7, et que , dans cet intervalle , notre organisation républicaine
a tout - à - fait changé. Si nous étions une répu
blique bien constituée quand la question a été proposé
pour la première fois , nous ne le serions plus aujour
d'hui , et réciproquement ; cette alternative est embarrassante.—
Il semble qu'il eût suffi de demander quelles
doivent étre , dans la république , l'étendue et les limites
du pouvoir du père de famille ? Ces mots , dans la république
, auraient fait entendre que le pouvoir du pèra
de famille est susceptible de modifications , suivant la
nature du gouvernement , soit monarchique , républicain
, aristocratique , ou mixte. Sans doute , c'est
ainsi qu'on aurait posé la question , si le système
républicain était un , et s'il n'y avait pour les états
91
280 MERCURE DE FRANCE ,
qu'un seul mode d'institution républicaine . Mais il en
est de très- divers ; tellement , qu'entre la république ou
démocratie immédiate , et la république représentative
, deux espèces du même genre , il y a presque
autant de différence qu'entre les genres eux mêmes ,
entre le système héréditaire et le système électif. Loco
libertatis erit , quòd eligi coepimus . TACIT.
7
Enfin je me permets une dernière remarque sur la
question proposée , et je demande s'il n'eût pas mieux
valu la présenter dégagée de toute restriction relative
à la forme du gouvernement ? Je crois du moins qu'on
peut mettre en doute , si les rapports naturels sont
dans une telle dépendance des rapports politiques ,
qu'ils doivent nécessairement participer à toutes les
altérations du corps social . Les droits des pères entrèrent
dans la composition de la société politique .
formée par la réunion des sociétés naturelles des familles
, et durent y recevoir toutes les modifications
nécessaires. Ainsi le père de famille , comme élément ·
de toute société , me paraît devoir jouir , à ce titre ,
d'une sorte d'immutabilité . Pour lui assigner sa place ,
il est donc bien plus convenable de consulter l'ordre
primitif et constant de la nature , que l'esprit des
systèmes et l'instabilité des institutions. La loi posi--
tive ne doit être que la sanction d'une loi naturelle ;
c'est toujours à cette dernière qu'il faut remonter ; et
voilà peut - être la seule direction qu'il fallait donner
aux recherches .
La forme historique , adoptée par l'auteur de cet
Essai, l'a mis dans l'obligation de suivre cette marche.
Son plan mérite des éloges , il embrasse bien son sujet .
On y marque avec exactitude la place du père dans
les familles des premiers âges. Il portait alors le nom
vénérable de patriarche. On le suit dans les différentes
constitutions , de Sparte , d'Athènes , de la Chine ,
(
1
THERMIDOR AN IX. 281
de Rome , avant et après Auguste ; enfin on considère
le pouvoir paternel chez les peuples modernes , et particulièrement
chez les Français sous la monarchie et
dans la révolution . L'auteur va droit à son but , et
montre , à travers les scènes variées de l'histoire , le
seul tableau de la famille qu'il caractérise avec les
nuances propres aux temps , aux peuples et aux moeurs.
A cet exposé curieux des vicissitudes qu'a éprouvées
l'institution de la famille , l'auteur a soin d'ajouter
celui de leur influence sur le bonheur et l'éclat , sur
la force et la durée des empires.
Ainsi , après avoir représenté dans l'enfance du
monde chaque famille rassemblée autour de l'aïeul
commun , il montre ensuite comment chaque patriarche
dut à l'amour et au respect une autorité presque illimitée
. Il rapproche avec intérêt l'institution de la famille
à Sparte et à la Chine . Chez les Spartiates , tout
était sacrifié à l'extrême vigueur du corps social , et
chez les Chinois , tout à son extrême durée . Les lois
de Solon passèrent vîte , car l'institution domestique
était faible chez les Athéniens . Aucune des suites funestes
de cette inconcevable erreur n'est ici passée sous
silence . Enfin , l'auteur , après avoir parcouru les
institutions de tous les peuples , donne une haute préférence
à celle de Rome , où le patriarche des premiers
temps semble se reproduire sous le titre vénérable
du pater-familias ; il justifie cette opinion par les faits
et la grande autorité de Bossuet , dont il emprunte ce
passage : Si cette ville a produit plus de grands
hommes qu'aucune autre , ce n'a point été l'effet
du hasard ; c'est qu'elle avait reçu de son institution
le tempérament qui devait être le plus fécond en
héros. » Et il ajoute : « Je me plais à citer ce fameux
« écrivain : Bossuet me semble avoir parlé des Ro-
« -mains de la manière la plus digue d'eux . Il en a
"
14
་་
"
"
282 MERCURE DE FRANCE ,
❤
K.
•
dit de grandes choses , comme eux-mêmes les avaient
faites , avec la simplicité et la profondeur du génie. n
Après cette belle époque , on voit Auguste qui , voulant
changer le gouvernement , dirige ses principales
atteintes contre l'institution domestique , et l'inviolabilité
du père de famille . Cette conduite est celle de
tous les novateurs.
1
« Dans toute révolution , disent les rédacteurs du
« code civil , on doit renverser le pouvoir des pères
parce que les enfants se prêtent davantage aux nou-
• veautés. " C'est ainsi qu'avec les lois romaines des
empereurs , le pouvoir paternel entra dans notre législation
affaibli et altéré ; on eût dit que la vénérable
source où la nature a placé l'origine de ce pouvoir
était méconnue ; les droits du père étaient presque
réduits à ceux d'un tuteur ; les droits de l'enfant à ceux
d'un pupille.
7
Le style de l'auteur , malgré quelques défauts , est
souvent digne du sujet.
Il me semble que le caractère antique est bien conservé
dans ce morceau , où l'auteur justifie le pouvoir dont
jouissait le patriarche , aux premiers âges du monde :
« On devait , au surplus , tout espérer de celúi que
tant de titres offraient comme l'image et le ministre
de l'Etre suprême sur la terre. Il en avait exercé le
pouvoir créateur par le don de l'existence. Dans les
bienfaits de sa tendresse envers le premier âge , il s'était
montré l'organe de cette Providence divine , qui
protége et conserve tous les êtres . Comment eût-on pu
lui contester le droit de représenter aussi cette autorité
suprême qui régit le monde , quand on en reconnaissait
tous les caractères dans la sagesse qu'il devait à sa
longue expérience , dans une supériorité si évidente ,
qu'elle écartait jusqu'aux idées de rivalité et de jalousie.
Jamais , surtout , cette autorité ne dút lui être
THERMIDOR AN IX. 283
*
moins contestée , que lorsqu'à la tête de ses enfants , il
l'offrait en, hommage à l'Etre des êtres ; lorsque ,
debout , devant un autel de gazon , sa voix vénérée
s'élevait jusqu'aux cieux avec la fumée des holocaustes.
Ces êtres nombreux , qui lui devaient la naissance
, croyaient voir reluire la sagesse éternelle sur
son front que l'âge avait blanchi , et le confondaient
presque dans leurs adorations , avec cet Etre invisible
dont il leur transmettait les oracles. Aussi , depuis cette
époque , un vieillard vénérable servit- il de modèle aux
images visibles de l'Etre suprême. »
Je crois aussi qu'on distinguera un talent marqué
dans ce passage , touchant l'alliance nécessaire et dif
ficile de la subordination et de la liberté : Je ne me
dissimule point toutes les difficultés de ce problème .
Il serait facile à résoudre , si la liberté pouvait être
enseignée par le raisonnement. On pourrait alors expliquer
aux hommes les bornes qu'il faut lui imposer ,
et les principes de la subordination civile. Mais la nature
qui destinait également tous les hommes à la
liberté , ne l'a pas mise dans leur esprit , elle l'a placée
dans leur coeur. Elle en a fait , pour ainsi dire , l'ins
tinct de l'homme , comme la pudeur est l'instinct de
la femme...... Il ne reste donc qu'un seul moyen
pour admettre la subordination sans nuire à la liberté ;
c'est que la subordination soit aussi ce sentiment , et
qu'elle habite également dans le coeur des citoyens.
Il faut que ces deux passions réunies le conduisent
dans la carrière sociale ; semblables à ces deux coursiers
, rivaux de beauté comme de vîtesse , qui , dans
les jeux olympiques , faisaient ensemble voler un char
à la victoire.
Au reste , ces embellissements de style ne sont pas
sans quelques inconvénients dans un ouvrage philosophique
; mais ils sont plus purs et mieux choisis dans les
284 MERCURE DE FRANCE ,
premières parties de cet essai , comme si les temps et
les usages antiques offraient naturellement des couleurs
plus belles que les temps et les usages modernes !
- On pourrait reprocher à l'auteur l'impropriété de
quelques termes et l'abus de quelques autres , empruntés
aux sciences exactes. Ces dernières expressions dessèchent
toujours le style , lorsqu'elles ne l'éclaircissent pas.
Le C. Nongarède pardonnera ces observations , à
l'intérêt qu'inspire le talent dont il fait preuve dans
cet essai , que nous croyons être son premier ouvrage .
Il s'annonce comme un très bon esprit , et promet un
très bon ecrivain . Il lui rește maintenant à tirer les conséquences
des principes conservateurs et réparateurs
qu'il a établis. La préférence raisonnée qu'il donne à
l'institution domestique de Rome , fait assez pressentir
qu'il cherchera à s'en rapprocher , en traitant cette partie
de la législation . Son bon esprit nous est garant aussi
qu'il modifiera ses idées d'après les nouveaux rapports
introduits dans la société ! Toutefois , point de condescendance.
Dans la ruine entière des moeurs , nous
demandons des lois pour nous rendre des moeurs. Mais
qui retrouvera le secret de quelques législateurs anciens
qui faisaient des lois immortelles , et leur donnaient
la force des habitudes? Ce secret fut celui de'
Moyse ; Lycurgue le connut ; Solon l'ignora ; il fut
retrouvé par le législateur de Rome , et se perdit enfin
dans les révolutions sans nombre et sans système , auxquelles
notre occident fut livré dans les siècles de
barbarie. On peut demander si c'est le législateur
qui a manqué aux peuples , ou les peuples au législateur.
M.
THERMIDOR AN IX. 285 *
Aux Rédacteurs du Mercure .
CEST à regret que j'entretiens encore vos Lecteurs
de l'ouvrage dont j'ai rendu compte dans le dernier
numéro du Mercure : Les Fêtes et les Courtisanes de
la Grèce. Il a fallu en faire justice . Je n'ai rien à cet
égard à rétracter ; mais l'auteur des Voyages de Pytagore
, à qui je l'ai attribué , sur des indices qui m'avaient
paru infiniment plausibles , s'en défend ; et il
est juste de donner une prompte publicité , dans ce
journal , à son désaveu qu'on m'envoie. Sans doute
Le crime d'un tel livre est un pesant fardeau.
M.
t
Je vous salue ,
Bibliotheque des Quatre- Nations , le 4 thermidor ,
*
an 9.
Je certifie
n'avoir
ancune
part à la rédaction
de l'ouvrage
intitulé
: Des Fétes et Courtisanes
de la Grèce .
SYLVAIN
MARÉCHAL
,
Rédacteur
des Voyages
de Pythagore
.
SPECTACLE S.
THEATRE FRANÇAIS DE LA RÉPUBLIQUE ,
M.lle GROS , élève du C. Dugazon , a débuté , sur
ce théâtre , le 11 thermidor , par le rôle d'Aménaïde
dans Tancrède , qu'elle a joué , le 13 , une seconde
fois .
- Cette jeune actrice , annoncée peut-être avec un peu
trop d'éclat , n'a presque montré , dans ces deux représentations
, que les dons précieux qu'elle a reçus de
la nature ; une taille élevée , une physionomie noble ,
une force , vraiment prématurée , un organe imposant
et flexible , et tout ce qu'il faut pour exprimer , un
jour , avec la plus grande énergie , les affections vio
lentes et le délite des passions tragiques. Mais jusqu'à
présent , l'art à faiblement secondé ses rares disposi286
MERCURE DE FRANCE ,
tions. Elle n'a point appris à ménager ses moyens , à
les soutenir , à les diriger , à les étendre par l'usage
mesuré de ses forces ; sa déclamation est inégale ; son
jeu vague , et ses gestes multipliés manquent trop souvent
d'intention et d'effet. On l'a jugée moins sévèrement
que son maître , parce que tous ses défauts semblent
appartenir à cette inexpérience , qu'un maître
habile doit éclairer. Heureusement , pour sa réputation
de professeur , Dugazon , dans les mêmes représenta
tions , pouvait montrer Laffond à ses amis et à ses
ennemis .
Les progrès de cet acteur sont encore plus remarquables
dans le rôle de Tancrède , que dans celui d'Orosmane
, où l'explosion fréquente d'une passion , que rien
ne contraint , fournit à l'acteur des développements
plus brillants et plus faciles . Tancrède , au contraire ,
ne se livre sans réserve aux sentiments dont il est
rempli , que dans la première scène , et le beag
monologue du troisième acte. Ce moment passé , son
amour et son désespoir ne sont jamais en liberté ; la
figure de Laffond , qui n'exprime pas naturellement
la tristesse , la mélancolie et les passions concentrées
tend plus ingrate pour lui cette situation si pénible
où Tancrède , en renfermant sa douleur au fond de son
ame , doit cependant la faire partager au spectateur.
Les efforts de Laffond , pour vaincre ces difficultés
multipliées , ont été généralement sentis , et dans plusieurs
moments , il a eu le bonheur de rappeler le plus
parfait de tous nos modèles , Il ne lui manque peutétre
que de l'avoir vu , pour être en état de l'égaler
plus souvent. Il est certain du moins qu'on ne peut
profuer , avec un talent plus flexible , des traditions
fugitives qu'il s'est empressé de recueillir.
On annonce que M. Gros jouerà successivement
Alzitez Didon , Hermione , et les autres vôles du pre
THERMIDOR AN IX. 287
mier emploi. Pourquoi ne saisirait - on pas cette occasion
de remettre l'Electre de Crébillon et l'Oreste de Voltaire
? Il y a longtemps que ces deux ouvrages , qui
ne sont point égaux l'un à l'autre , mais dont le moindre
a pourtant des beautés , semblent bannis du répertoire.
Lorsque le temps et la critique impartiale , qui finissent
toujours par étouffer la voix de l'envie et des préjugés ,
ont fixé le rang de ces deux pièces , les connaisseurs aim .
raient sans doute à les revoir au théâtre et à comparer leur
effet. M.He Gros serait fort belle dans les deux Electres ; et
le rôle d'Oreste , dans ces deux tragédies , serait pour
Lffond l'objet de nouvelles études , qui donneraient à son
talent des nuances plus variées , et peut-être un cara‹ -
tère plus original et plus décidé. 1
Nous suivrons , avec empressement , les représentations
qui sont annoncées , et nous tâcherons d'apprécier
les progrès de Mille Gros. On doit beaucoup attendre
de ses nouveaux efforts , de l'assurance qu'inspire un
premier succès , des observations de son maître , et de
l'influence des jugemens du public.
THEATRE DES ARTS.
E.
TANDIS qu'un début attire toute la capitale au
Théâtre Français , il s'en fait deux , presque incognito ,
sur le Théâtre des Arts. Ce spectacle est toujours le
plus brillant et le plus suivi ; mais il ne doit ses succes
qu'aux talents de quelques artistes , connus depuis
trop longtemps , et à la perfection de ses ballets , dont
le charme paraît toujours nouveau. Nous ne croyons
pas que les CC . Picard et Julien , qui , tous les deux,
ont débuté le même jour , dans les Prétendus , ajoutent
beaucoup à l'empressement du public , et lui fassent
oublier ce que l'Opéra a pèrdu , du coté du chant et
de la déclamation ; mais il parait que l'un et l'autre
se destinent à ces emplois secondaires , où l'utilité la
plus constante ne peut ambitionner d'autre récompen. e
qu'un peu d'estime , et ce repòs , qui , sur lé thếat.e
comme ailleurs , est presque toujours le dédommagement
de l'obscurité,
288 MERCURE DE FRANCE ,
ANNONCES.
› LES Jardins , poème , par Jacques Delille nouvelle
édition , augmentée de 1100 vers , in - 18 , avec 4
figures , dessinées par Monciau , et gravées par Saint-
Aubin , imprimé par Didot aîné.
3 f. 10 c.
Idem , papier vélin . ·
Idem , idem , avec figure , avant la lettre .
Idem , papier commun sans figures.
-Edition in - 8.° avec figures , des mêmes
artistes. ·
,
in -8.°, papier vélin.
1
in 8. Idem , avec figures , avant la lettre
in- 8.º , papier commun , sans figures.
•
៖8
8
13 50 •
70
4
9
15
I 20
Se vend , chez les éditeurs Levrault , frères ; à Paris ,
quai Malaquais ; à Strasbourg , rue des Juifs.
ESSAIS sur la ligne droite et les courbes du second degré
, par F. L. Lefrançois , élève de l'école Polytechnique.
De l'imprimerie de Crapelet . A Paris , chez Duprat
, libraire ppoouurr les mathématiques , quai des Augustins.
An 9-1801 .
L'ECOLE Polytechnique compte déja parmi les professeurs
des sciences mathématiques plusieurs de ses éièves.
Rien ne prouve mieux la bonté des méthodes que
l'on y suit pour l'enseignement . L'auteur de cet ou
vrage en offe une nouvelle preuve. Sa grande jeunesse
et sa modestie ajoutent un mérite assez rare aux
connaissances qu'il annonce. Divers auteurs ont
publiéd'excellents traités sur l'application de l'Algèbre
à la Géometrie. Lecitoyen Lefrançois expose dans ces
Essais , la partie de cette science que l'on exige pour
l'admission des candidats , à l'école Polytechnique.
Son exemple et son livre encourageront également les
jeunes élèves.
VOYAGE en Espagne , aux armées , 1797 et 1798 ,
faisant suite aux voyages en Espagne du citoyen
Bourgoing , par Chrétien Auguste Fischer ; traducteur
, Ch. Fr. Cramer ; avec un Appendice sur la
manière de voyager en Espagne ; avec figures , 2 vol.
in 8. A Paris , chez Duchesne , libraire , rue des
grands Augustins , n.º 30 ; et Leriche , libraire , quai
des Augustins , nº 46. An 9. --1801 . -- Prix , 6 francs
et 8 fr., francs de port.
1
THERMIDOR AN İX. 289
EIN
POLITIQUE.
EXTÉRIEUR
DES forces militaires de la Porte otte
L'EEMMPPIIRRE turc fut longtemps regardé comme un
colosse de puissance . La chute d'un grand empire qui
marqua son origine , les exploits et le fanatisme heureux
de ses premiers conquérants , l'immense étendue
de pays soumis à sa domination , son établissement en
Europe , dont tous les peuples étaient ses ennemis
naturels , ont dû donner cette idée exagérée de sa
force. Cependant , il marche dès longtemps vers sa
ruine. Montesquieu l'a prédite ; et , depuis un demisiécle
, la France travaillait constamment à l'éloigner.
Des changements utiles dans plusieurs parties de l'administration
ont signalé l'avénement du sultan Selim
au trône de Mahomet II. Mais il s'en faut bien que
ces réformes partielles , quelque importantes qu'elles
pussent être , ayent rendu la vigueur à ce corps politique
, presque entièrement usé. Les dernières guerres
qu'il a eu à soutenir contre les. Russes et les Autrichiens
, ont de nouveau démontré sa faiblesse .
,
On aurait peine à croire , si l'expérience ne le
prouvait , que cette nation sans avoir souffert aucune
perte considérable dans son territoire , soit néanmoins
déchue à un tel point de son ancienne puissance . En
vain ses partisans ont voulu persuader que si les ennemis
de la Porte pénétraient au-delà de deux provinces chrétiennes
qu'elle est accoutumée à regarder comme
l'arène où se vident ses querelles , elle saurait bien
5
5. 19
290 MERCURE DE FRANCE ,
les en faire repentir , et pourrait reporter jusque sous
les murs de Vienne , la terreur qu'elle y répandit
autrefois . Ils niaient que les Turcs eussent été battus
par des armées bien inférieures en nombre aux leurs ,
et prétendaient que les Russes et les Autrichiens se
prévalaient dans leurs relations magnifiques , du silence
des Turcs .
Mais que diront- ils aujourd'hui ? La plus vaste , la plus
riche province de la Porte a été envahie . L'Egypte , qui
fournissait à Constantinople le riz et le café , plus nécessaires
à ses habitants que le pain même , est depuis
trois ans au pouvoir des Français , sans que les efforts
des orgueilleux Osmanlys ayent pu la leur enlever. Ils ont
rassemblé toutes leurs forces . 80,000 Turcs , soutenus
par les flottes anglaises , ont fui devant dix mille Français
abusés par une capitulation. Une déroute complète
a irrévocablement prouvé que 80,000 soldats turcs
ne sont pas une armée .
Ceux qui ont demeuré en Turquie , ont pu se convaincre
de l'impéritie de ces barbares dans l'art militaire.
La notice que nous offrons au public est rédigée
d'après les observations d'un Français , aussi digne de
foi qu'éclairé , qui a fait un assez long séjour à Constantinople
, pour connaître les vices de son gouvernement.
Ces observations datent de quatre années , et il
y a tout lieu de penser que les abus n'ont fait que se
multiplier et s'accroître.
On a cru devoir , pour mettre plus d'ordre dans cet
article , parler de chaque arme en particulier.
DE l'arme du génie .
Les Turcs n'ont d'autres ingénieurs que quatre ou
cinq élèves de l'ingénieur français Lafitte-Clavé. Le
plus habile de ceux -ci , connaît à peine le tracé de la
THERMIDOR AN IX. 201
fortification , et quelques principes de trigonométrie
rectiligne. Ils seraient d'ailleurs aussi embarrassés que
les plus ignorants des soldats turcs , s'il fallait élever des
fortifications. La pratique nécessaire dans tous les états
et surtout dans celui - ci , leur manque entièrement , et
ils sont loin d'avoir assez de théorie pour y suppléer .
Aussi la Porte leur préfère - t - elle toujours les étrangers
, qu'elle suppose avoir quelques connaissances * .
Mais lors même qu'elle a employé des ingénieurs français
du premier mérité , tels que Lafitte , Monnier , etc.
l'orgueil, l'ineptie ou la sordide avarice des commissaires
chargés de surveiller les travaux , a toujours , ou tronqué
leurs plans , ou entravé leur marche . C'est aux mêmes
causes que l'on doit le dépérissement des places fortes
qu'ils avaient autrefois conquises . Loin de chercher à fortifier
les défenses naturelles que formaient autour d'eux
les fleuves et les montagnes , ils ont laissé se détruire
les travaux déja existants ; et , sur une frontière de plus
de trois cents lieues , à peine leur reste- t - il huit ou dix
places , qu'on appellerait plutôt des postes...
Ils ne sont pas plus avancés dans l'art des fortifications
de campagne. Creuser un fossé , et rejeter la terre en
dehors , opposer à l'artillerie des parapets en terre d'un
mètre ou deux d'épaisseur , est tout ce qu'ils savent faire.
C'est en vain que l'ingénieur Lafitte et M. de Choiseul-
Gouffier ont fait traduire et imprimer en langue turque ,
des traités de fortifications . Les Turcs ne lesdisent pas ,
et suivent leurs anciens errements dont ils auraient dû
mille fois reconnaître les vices , s'ils pouvaient réfléchir
et se corriger .
La Porte entretient un corps de trois cents mineurs
* Le fameux capitan pacha Hassan avait choisi pour le
premier ingénieur de l'empire , un matelot , charpentier
français , sans éducation et sans culture. Il s'en servait pour
construire des forts et des vaisseaux de ligne.
292 MERCURE DE FRANCE ,
( laghemdgy ) , aussi peu instruits que les ingénieurs.
Ils sont dans une telle incertitude sur le succès de leurs
travaux , qu'ils emploient communément vingt fois plus
de poudre qu'il n'est nécessaire , et souvent leurs mines
jouent contre eux - mêmes.
Un pareil état de choses rend difficile à croire ce qu'on
lit dans plusieurs auteurs , que les premiers bastions qui
ayent été construits , le furent à Otrante , en 1480 ,
par Achmet - Pacha , général de Mahomet II . Il est
probable que les Turcs n'eurent pas l'honneur de cette
invention. La seconde enceinte du château , à Angora ,
est flanquée de tours bastionnées. Elle passe pour avoir
été construite par les Grecs , et c'est sans doute aux
ingénieurs qui survécurent à l'empire , d'Orient , et
qui prirent du service dans l'armée turque , qu'est due
une pareille découverte . Il en est de même des lignes
parallèles dont les Turcs firent usage les premiers , au
siége de Candie. Elles furent imaginées par un Italien ,
mais c'est beaucoup que les Ottomans ayent eu le bon
sens de les adopter..
De l'artillerie.
L
La décadence n'a pas été aussi complète dans l'artillerie
que dans le génie. Grace aux soins du baron
de Tott et du général Saint -Remy ; grace surtout à
l'activité des CC. Obert et Cussy , chefs de bataillon
dans l'artillerie française , les artilleurs turcs justifient ,
jusqu'à un certain point , ce que l'histoire nous apprend
de leurs prédécesseurs , dans les beaux jours de l'empire
du Croissant * .
Les bombes furent employées pour la première fois par
les Turcs au deuxième siége de Rhodes en 1522 ; mais cette
invention est encore vraisemblablement due à des Grecs ; et ,
ce qui appuie cette conjecture , c'est que l'ancien corps de
THERMIDOR AN IX. 293
है
Il sort de la fonderie et de l'arsenal de Constantinople
établissements créés et dirigés par des Français ,
des pièces de tous les calibres , d'une très-belle fonte , et
des affûts de bataille dont le fini est portéjusqu'au luxe .
Ces pièces de bataille sont malheureusement en petit nombre
, relativement à ce que devrait être l'artillerie d'un
grand empire . On n'en a jamais compté plus de 150 ;
et c'est en effet tout ce que pouvait fournir un seul arsenal
où les bons ouvriers sont très - rares , et dans un
pays où tout était à faire , et où le défaut d'entretien
détruit tout ce qui ést fait.
Aussi l'on chercherait vainement dans la vaste éten>
due de la Turquie , des affûts de place ou de côte , si
l'on excepte ceux de quelques- unes des batteries qui
défendent le canal . Dans la plupart des places que les
Turcs croient fortifiées , les canons sont portés sur des
solives ou sur des affûts si mal construits et si vieux
qu'ils ne résisteraient pas à la première décharge . Ces
canons sont grossièrement coulés , et il en est fort peu
qui ne fussent mis au rebut en France.
C
Les Turcs manquent encore de ces machines si nécessaires
dans les arsenaux et les parcs d'artillerie , telles
que les porte- corps , haquets , pieds - de -chèvre , etc. Ce
n'est pas que les artilleurs français ne leur en ayent présenté
des modèles , et même fait exécuter quelques-uns ;
mais les Turcs négligent tout ce qui ne leur paraît pas
d'une nécessité absolue , et peu de choses le sont aux
yeux de l'ignorance.
2
Leurs canons de fer coulé sont rarement de calibre
; ils sont remplis de soufflures ; les boulets sont peu
ff ་* ༈ ! { , «
l'artillerie ottomane , répandu dans les diverses provinces
de l'empire , est en partie composé de Grecs et d'Arméniens
qui touchent une payé plus forte , et out droit de
porter le bonnet vert et les pantoufles jaanes. d ,the
294 MERCURE DE FRANCE ,
-
et souvent , point battus. Leur poudre est ordinai
rement très faible , non pas qu'ils ne sachent da
faire, mais parce que ceux qui sont chargés de sa fabrication
, volent le salpêtre.
Quant au personnel , l'artillerie turque est l'arme qui
se rapproche le plus des nôtres .
Les CC . Cussy et Obert étaient parvenus , à force de
fatigues , à former environ 2000 canonniers qui servaient
les pièces de campagne avec une assez grande
célérité . Il faut observer néanmoins que parmi ces
2000 hommes , il ne s'en trouve pas un seul qui ait
autant de connaissances théoriques , qu'on en exige
en France d'un sergent de canonniers. Peut - il en
être autrement pour les soldats , quand les officiers
croiraient se dégrader , s'ils cherchaient à s'instruire ?
"
Deux causes empêchent que cette arme ne puisse être
portée à son complet , et acquérir un certain degré de
connaissances en Turquie , la peste , dont les ravages
sont décuples dans les casernes , et l'usage d'enrôler les
canonniers à vie , ce qui les porte à déserter , au moindre
dégoût qu'ils éprouvent .
On trouve encore , en Turquie , un corps de 18,000
hommes qui portent le nom et reçoivent la paye de canonniers
. Ils sont presque tous habitants des villes où il
existe quelques pièces d'artillerie , et leur service consiste
à les tirer , à l'aide de longs boute -feux , pour les
grand et petit Beyrain ( la Pâque et la Pentecôte , des
Turcs ).
*
Τ
Les manoeuvres de ce corps nne se font ni à la française
ni à l'autrichienne . Le C. Obert , chef de bataillon d'artillerie,
guidé , par une longue expérience du caractère ottoman↳
a , de concert avec le C. Cussy , composé un genre d'évolu
tion qui , sans trop choquer les préjugés des Turcs , conserve
les avantages de notre exercice.
THERMIDOR AN IX. 295
Les Turcs ont , en outre , un corps de bombardiers
( koums baradgys ) , qui sont un peu plus familiarisés
avec leurs armes ; mais ils ne sont guère plus habiles
théoriciens . J'en ai vu plusieurs fixer la bombe dans le
mortier avec de véritables coins , au lieu d'éclisses ,
croyant par là en augmenter la portée , et ne se doutant
pas qu'ils rendaient la justesse du coup plus incertaine.
Ce corps , de la fondation du fameux Bonneval , devrait
être de 600 hommes en temps de paix , et de 1200
pendant la guerre . Il n'est plus composé que de 4 à 500
bombardiers plus ou moins exercés.
L'obusier , cette arme si terrible , qui supplée aux
pièces de campagne , et qui peut quelquefois remplacer
le mortier , n'est presque pas connu des Turcs ; au moins
ne me rappelé - je pas d'en avoir vu chez eux , avant l'arrivée
d'une compagnie d'artillerie légère qui fit partie
de la suite de Dubayet . Cette compagnie exerça , dit - on ,
quelques canonniers turcs ; mais bic .. la Porte se lassa
de la dépense et les congédia.
On a vu , par ce court exposé , que le personnel de
l'artillerie turque se réduit à un bien petit nombre
d'hommes , eu égard à l'étendue et aux forces qu'il devrait
avoir. Encore n'y trouve - t - on pas an officier en état
de choisir une position favorable et de faire construire
une batterie , suivant les règles de l'art * , pas un qui con-
* Le C. Obert , pour apprendre aux Turcs à construire les
batteries en terre , voulut en faire exécuter une hors du
faubourg de Péra . L'ouvrage allait si lentement , qu'après
six semaines l'épaulement avait tout au plus 1 mètre 70 cen-,
timètres d'élévation . Le topchi bachi , ( grand-maître de
l'artillerie ) étant venu le visiter , demanda au C. Obert si cet
épaulement devait être encore beaucoup exhaussé. Cet officier
lui dit qu'il fallait l'élever de 33 centimètres environ .
C'est bou , répondit le Ture , laissez la batteric où elle ca
296 MERCURE DE FRANCE ,
naisse les grandes évolutions . Tous les efforts des Français
n'ont abouti qu'à dresser environ 2500 canonniers
ou bombardiers , parmi lesquels on chercherait vainement
un véritable artilleur.
La paresse des Turcs s'opposera toujours à leurs progrès
dans tout ce qui demande de l'application et de
l'expérience . Leur orgueilleuse présomption , qui leur
persuade qu'ils sont aussi habiles que leurs maîtres , dès
qu'ils manoeuvrent avec quelque justesse , ne les enchaîne
pas moins à leur ignorance. Tel est l'état de leur artillerie
, et l'on assure que la moitié de cette arme a péri
dans la guerre contre Passawan- Oglow.
Les conducteurs d'artillerie forment , en Turquie ,
un corps séparé , sous le nom d'azaradgy ( voituriers ),
Ce corps n'étant pas militaire , nous croyons inutile
d'entrer dans aucun détail sur sa composition.
DE la Cavalerie.
Si la cavalerie turque était ce qu'elle doit être , suivant
les règlements militaires de l'empire ottoman , sa force
et sa discipline la rendraient respectable , même sans le
secours de la tactique. Mais le cadre immense de cette
arme , exactement rempli , lorsqu'il s'agit de passer une
revue , demeure aux deux tiers vide , dès qu'il faut mareher
à l'ennemi. Nous en verrons les causes , après avoir
donné quelques détails sur les différents corps.
J Le mot sipahy * désigne génériquement un cavalier
est , quand nous en construirons à la guerre , je me souviendrai
que l'épaulement doit dépasser ma tête d'une
main ouverte. 1
* Sipahy, en persan , signifie soldat. Les Turcs , en adoptant
ce mot , l'ont appliqué aux soldats de cavalerie . C'est
de ce même mot qu'on a appelé les soldats indiens cipayes.
THERMIDOR AN IX. 297
armé. Il y a cependant deux corps de sipahys propre¬
ment dits. Le plus ancien porte l'enseigne jaune ; l'autre,
plus moderne et plus estimé , à l'enseigne rouge. Ces
deux corps doivent s'élever , en temps de guerre , à 12000-
hommes.
Les zaïmes , et au dessous d'eux les timariots , forment
la plus grande partie de la cavalerie turque . Ils
ne different des sipahys , qu'en ce qu'ils ne sont
le obligés au service qu'en redevance des fiefs que
grand-seigneur leur donne à vie . Ils doivent conduire
à la guerre un certain nombre de cavaliers , suivant l'im
portance de leurs fiefs . Ces deux corps , divisés en chambrées
ou régiments , sont supposés former ensemble plus
de 100,000 hommes .
Les dgebedgys ou cuirassiers devraient être aujourd'hui
au nombre de 30,000 .
Ces cavaliers , ainsi que tous les sipahys , sont tenus
d'être armés d'une carabine , d'une paire de pistolets ,
d'un sabre et d'une hache d'armes , etc. , etc.
Outre ces troupes appartenant immédiatement au
grand-seigneur , divers princes feudataires de la Porte ,
tels que le bey de Turkeménie , et Kara Osman- Oglow ,
fournissent encore six à sept mille cavaliers .
Chaque pacha conduit aussi avec lui un corps de cavalerie
plus ou moins considérable, suivant sa puissance .
Ces corps sont composés de bely-bachi ( tête folle ) , nom
des gardes à cheval des pachas , et de seg-ban ou segmem
, gendarmes à pied , mais qui sont ordinairement
montés pour aller à la guerre. - … ”
On peut évaluer à 4 ou 5000 cavaliers l'ensemble de
༣ :༼ ༽ ' 。
ces corps.
Voilà l'état fictif de la cavalerie ottomane ; voiti à
peu près son état réel.
Il faut d'abord , à cause des fiefs , ou dës payes accordées
à des protégés dispensés de servir, et surtout &
298 MERCURE DE FRANCE ;
cause du grand nombre de ceux qui s'en retournent dès
la moitié du chemin , en réduire le nombre à 70,000.
-
Soixante - dix mille hommes de bonne cavalerie seraient
sans doute une force respectable , si les cavaliers
n'étaient pas tenus de se pourvoir eux mêmes de leur
cheval , de leur équipement et de leurs armes. Il résulte
de la misère des uns et de l'avarice des autres , que
presque tous sont mal vêtus , mal armés , et plus mal
montés . D'autres , au contraire , surchargent des chevaux
entiers et fringants d'un amas d'armes brillantes
et de hardes inutiles . Ce goût pour l'ostentation
leur fait préférer de beaucoup la beauté des armes à
leur bonté ; et , pourvu qu'un fusil ou un pistolet soit
plaqué et damasquiné en argent , il leur importe fort
peu que la platine en soit bonne ou mauvaise.
11
La cavalerie du grand - seigneur est un peu mieux équipée
que les autres divisions , et est , en général , armée
de lances.
La cavalerie que fournissent Kara - Osman- Oglow et
quelques autres petits princes , ressemble beaucoup à
celle des pachas . Celle - ci est composée , en grande partie
, de brigands qui , s'étant acquis une réputation der
bravoure, en détroussant les caravanes , en pillant les
villages , et par d'autres exploits de ce genre , sont d'autant
plus recherchés par les pachas , qu'ils ont plus souvent
trempé leurs mains dans le sang.
Un autre défaut de la cavalerie , c'est d'être , en général ,
montée sur des chevaux fins et bien faits , mais petits , et
que l'on n'admettrait , en France , que dans la cavalerie:
légère. Ils sont délicats , et ruinés après une campagne.
Comme on ne suit aucune tactique dans la charge ,
les cavaliers les mieux montés et les plus braves laissent
bientôt derrière eux leurs camarades , et tombent avec
impétuosité sur l'ennemi. Le reste du corps suit en désordre
, et chacun n'y prend son rang que d'après sa vaTHERMIDOR
AN IX. 299
leur et la vigueur de son cheval. Il s'ensuit que , si
l'infanterie ennemie n'est point rompue par la vivacité
de l'attaque des premiers cavaliers , et si elle leur oppose
labaïonnette, les chevaux effrayés s'arrêtent et s'enfuient .
La foule qui les presse en arrière , les retient et les livre ,
à bout portant , au feu , de l'ennemi ; au lieu qu'en pareil
cas , nos chevaux de sont , mêmemalgré eux , jetés dans
les rangs ennemis par l'élan queleur a donné la charge .
;
On ne peut enfin se former une idée bien juste de la
cavalerie turque , qu'en se figurant une réunion de 70
mille hommes , pris au hasard , et montés , armés et
équipés , suivant leurs facultés , et leur fantaisie *.
DE l'Infanterie.
C'est dans l'infanterie que se fait sentir davantage la
décadence de la milice ottomane. Ces fameux janissaires
(jeni-cheri) , autrefois l'honneur de l'armée , redoutables
au sultan par leur audace , à l'ennemi par leur bravoure ,
ne forment plus qu'un corps nombreux et lâche.
I
On attribue surtout ce changement aux moyens que
prit le sultan Mahmout , pour énerver un corps dont il
craignait l'insubordination . Il lui accorda , à dessein ,
des priviléges qui le perdirent , en le rendant plutôt marchand
que militaire **.
* On ne doit pas juger de la cavalerie turque par les Mamelucks.
Ceux - ci ne sont guère plus tacticiens; mais ils sont
bien plus aguerris, et beaucoup plus exercés aux armes et à
l'équitation. Leurs chevaux sont d'ailleurs infiniment supérieurs
à ceux des Turcs .
" 3:02 55 Inslus 19
** Ces priviléges consistent principalement dans lexemption
de certains droits d'entrée , ce qui faitt qu'un grand
nombre de marchands se font janissaifes pour jouir de
Texemption. Avant le sultan Mahmout , on n'admettait ,
dans ce corps , que l'élite des jeunes esclaves que l'on accoutumait
de bonne heure à la plus exacte discipline. On
y reçoit aujourd'hui tout individu qui le demande , sans s'inquiéter
ni de ses habitudes , ni de sa bravourel)
300 MERCURE DE FRANCE ,
Une autre cause se joignit à celle- ci . L'art de la guerré
se perfectionnait chez les nations voisines , et ce perfectionnement
qui , chez d'autres peuples , eût excité l'émulation
, eut , chez les Turcs , une influence toute contraire.
Des défaites constantes , pendant cinquante années , les
découragèrent ; et les janissaires , rejetant peut -être leur
avilissement sur la fatalité , ont pris l'habitude de fuir ,
comme ils ont eu celle de vaincre.
Le nombre des janissaires soldés est fixé à 40,000 ; la
moitié en est rassemblée pour le service ordinaire. Dix
mille de ceux - ci forment la garnison de Constantinople ;
les dix mille autres sont répandus dans les villes frontières
. Le corps est divisé en 161 régiments désignés par
un numéro . Ces régiments reçoivent autant d'honoraires
qu'il s'en présente . Le 31. ° , auquel se font agréger presque
tous les marins de la mer Noire , s'élève à plus de
30,000 hommes . Mais ces janissaires honoraires forment
une sorte de corporation qui n'est assujettie à aucun service.
C'est ordinairement dans cette milicé que se font
les levées , en témps de guerre , et voici le mode que
l'on suit.
Le gouvernement adresse au ser-dam ( chef de la milice
) un beyrak ou drapeau . La ville est , suivant son
importance , obligée de fournir une compagnie plus ou
moins nombreuse , et que l'on rassemble , soit de force ,
soit avec le secours de l'argent des habitants , surtout
des chrétiens et des juifs. Le divan envoie un certain
nombre d'autres drapeaux , sous lesquels doivent se
former autant de compagnies , qui ne s'enrôlent que pour
une campagne. On nomme celles -ci mirili-betrak ( compagnies
du fisc ),, parce que la Porte donne une certaine
somme pour chacune d'elles . Le capitaine est obligé de
fournir l'excédent de la dépense.
}
On sent quels inconvénients doivent résulter de cette
manière de lever les troupes . Le chef n'étant pas assez
THERMIDOR AN IX . 301
payé , ne paye pas assez les soldats . Il est , par conséquent
, obligé de leur permettre des brigandages , et luimême
leur en donne l'exemple. Les villes ressemblent
assez bien alors à des places prises d'assaut. Les passants
y sont dépouillés , les femmes et les jeunes garçons insultés
, les maisons barricadées ou forcées . Si l'on parvient enfin
à se débarrasser de ces pillards , ils vont ailleurs recommencer
même vie ; et , s'agit- il de se battre , ils désertent.
Les ser- den gendcheti , dénomination qui revient a peù
près à celle d'enfants perdus , sont des compagnies de
janissaires volontaires , levées en temps de guerre par
des officiers de ce corps qui les conduisent à la guerre ,
à leurs frais . Ces troupes sont plus dangereuses et plus
pillardes encore que les autres. Leurs chefs ne sont ordinairement
que des spadassins fameux , qui prétendent
se faire pardonner leurs crimes par le Prophète et par les
hommes , en combattant les infidelles . Des voleurs subalternes
se joignent volontiers à eux , et ces défenseurs
zélés de la religion , ne se font point scrupule de dépouiller
leurs, frères qui se défendent moins que les
ennemis. *
A ces espèces de janissaires , il faut joindre cinq à six
mille bostandgys ** à peu près le même nombre de
* Il n'est pas d'horreur que ces scélérats ne se permettent.
Sous le nom d'esclaves autrichiens et russes , ils enchaînent
des milliers de sujets de la. Porte. Celle- ci , pour ne point
mécontenter les soldats , tolère , autorise même ces vexations ,
en leur délivrant des pendiks ou certificats qui attestent
qu'un tel est l'esclave d'un tel.
** Les bostandgys ou jardiniers forment un corps d'environ
12,000 hommes chargés spécialement de la garde
du sérail et des maisons de plaisance du graud seigneur.
Ces jardiniers sont aussi les canotiers de ce prince . Le chef,
le bostandgy - bachi , tient toujours le gouvernail du caii
de sa hautesse . Cet officier a la police du canal de la mer
Noire et des villages qui le bordent.
302 MERCURE DE FRANCE ,
sundgins ou soldats d'élite , destinés à garder le bagage ;
et deux ou trois mille mehterdgys qui , bien que ce nom
signifie musicien militaire , sont chargés de dresser et
de plier les tentes.
2 Le gouvernement ottoman laissant aux fantassins
comme aux cavaliers , le soin de s'armer et de s'équiper ,
on retrouve , à cet égard , dans l'infanterie , les mêmes
désordres que dans la cavalerie . Tous les fusils sont
différents en calibre et en longueur. Ils n'ont de conformité
qu'en ce qu'ils sont tous sans baïonnette .
Cette arme qui fait aujourd'hui la principale force
de l'infanterie , n'est adoptée en Turquie que par environ
un millier de bostandgys et par cinq à six cents
tufenkdgys , fusiliers. Ces troupes exercées par des renégats
allemands , sont l'objet du mépris des janissaires ,
qui , pour leur reprocher de se soumettre aux instructions
des Européens , les flétrissent du nom d'infidelles .
Exceptés ces fusiliers et un petit nombre de cavaliers
armés de lances , les Turcs ne font aucun usage des
armes de pointe , et c'est peut- être une cause de l'infériorité
de leurs troupes.
Tel est l'ensemble de l'infanterie ottomane . Sa force
est toujours incertaine , et dépend beaucoup de l'intérêt
que la nation prend à la guerre. L'idée qu'elle se forme
de l'ennemi , contribue aussi à l'augmenter ou à la diminuer
, mais dans un sens contraire à ce qui arriverait
parmi nous . Plus l'ennemi est redou-table , plus
l'armée turque diminue , et moins le soldat' développe
d'énergie . La Porte , en employant tous ses moyens ,
ne pourrait rassembler , dans les circonstances actuelles ,
qu'environ cent mille fantassins .
( La suite au numéro prochain ) .
THERMIDOR AN IX. 303
SUIVANT
INTÉRIEUR.
VIVANT un rapport du ministre de la marine , la
perte des anglais , dans le combat d'Algésiras , livré le
17 messidor , s'elève à 1500 hommes , tués ou blessés , et
500 prisonniers. Du côté des Français , il y a eu 186
hommes tués , 300 blessés , dont 13 sans espoir de guérison
, et 40 très -grièvement.
'
La division française était composée du Formidable ,
de 80 canons capitaine Laindet - Lalonde ( tué ) ; de
l'Indomptable , de 80 canons , capitaine Moncousu , ( aussi
tué ) ; du Desaix , de 74 , capitaine Christi- Pallière ;
de la frégate la Muiron , de 40 , capitaine Martineng
Ces quatre bâtiments avaient à combattre, la division
ennemie , ainsi formée : le César , de 84 canons ; le
Pompée , de 84 , ( hors de service ) ; le Spencer , de 84 ;
l'Audacieux , de 74 ; le Vénérable , de 74 , l'Annibal,
de 74 ( pris ) ; une frégate de 40 ; un lougre , de 16 .
Tous ces bâtiments ont perdu une partie de leur mâture
.
Le 5 messidor , l'amiral Gantheaume se trouvant dans
le canal entre Candie et l'Egypte , découvrit à la pointe
du jour un vaisseau de guerre . Il fit aussitôt le signal
de chasse générale. La marche de l'escadre avait une
grande supériorité sur celle de ce bâtiment. A cinq
heures du soir , on le reconnut pour un vaisseau anglais ,
de 74 canons . L'Indivisible et le Dix- Août , engagerent
le combat , à la distance de 600 toises . On fut bientôt
à la portée du fusil , et après une heure d'un combat
assez vif , le vaisseau anglais fut obligé d'amener. C'est
le Swifsture , un des plus beaux de l'escadre de l'amiral
Keith..... L'amiral Gantheaume l'a remis en état de
naviguer.
Le 15 du même mois , une corvette partie de Bristol ,
et chargée de provisions pour l'armée anglaise en Egypte,
a été aussi capturée par l'amiral Gantheaume.
* Ces différents noms ont été ainsi réformés dans le journal
officiel.
304
MERCURE DE FRANCE , +
Dans le mois de messidor , nous avons pris aux An
glais deux vaisseaux de 74 canons . (Journal officiel. )
Le 23 messidor , le même vaisseau , le Formidable ,
à peine réparé du combat d'Algésiras , et commandé par
le capitaine de frégate Troude , a repoussé avec avantage
trois vaisseaux anglais et une frégate . Il est entré
triomphant à Cadix . L'amiral Moreno y est entré aussi ,
après avoir eu le malheur de perdre deux vaisseaux
espagnols , qui , dans une nuit très -obscure , se sont crus
ennemis , ont engagé un combat terrible , et ont sauté
tous les deux.
Une dépêche télégraphique , du 6 thermidor , annonce
au ministre de la marine , qu'une frégate anglaise de
40 canons , le Juson , capitaine Murray , a échoué devant
la rade de Saint - Malo . Dans les batteries de ce
beau bâtiment se sont trouvés 28 canons de 16 et 12 de
32. Il a été construit il y a 17 mois.
Suivant une lettre que le citoyen Daure , inspecteur
aux revues , a écrite de Livourne , le 2 thermidor ,
au ministre de la guerre :
Le général Menou était , le Ier, messidor
Alexandrie , maître du lac Maréotis ; il était campé
sur les hauteurs , hors de l'enceinte de la ville. Les
Anglais occupaient la presqu'ile d'Aboukir , avec une
portion de leur armée , n'ayant pas fait un pas - depuis
leur débarquement. L'amiral Gantheaume mouil-
Tait à 25 lieues d'Alexandrie . Le général Belliard.commandait
au Caire , avec un corps d'armée beaucoup
plus fort que celui de Menou . Une autre portion de
l'armée anglaise , sous les ordres du général Hutchinson ,
était à Terranée. Le capitan - pacha , avec la flottille ,
était sur le Nil , appuyant l'armée anglaise . — Les
Anglais eux - mêmes estiment leur perte des 17,22 et 30
ventose à 5000 hommes tués. Ils sont tres - incommodés
des maux d'yeux.
9
On assure que la commission chargée d'examiner la
colonne nationale a fait son rapport au ministre de
l'intérieur. Elle est d'avis que ce monument doit être
élevé sur la place de la Concorde , où le modèle est
THERMIDOR ANX
SEINE
DEP
1
présentement ; mais avec des changementsprono par
le citoyen Moreau lui - même , et que tous les ar
approuveront .
Le soubassement circulaire disparaît . La colonne, dont
le diamètre et l'élévation sont augmentés , sera posée sur
un piedestal carré , orné de quatre bas- reliefs , dont les
sujets feront allusion aux produits naturels et industriels
des quatre points cardinaux de la France. Le
fût de la colonne sera de marbre blanc statuaire , décoré
d'un bas-relief spiral , où seront sculptées les batailles
les plus mémorables des armées françaises Chaque
victoire sera séparée par une renommée portant des
couronnes et des palmes . La colonne sera surmontée par
une statue de la république triomphante.
Le général en chef Brune est rentré au conseil d'état ,
et a pris son rang comme président de la section de la
g erre. Les citoyens Sainte- Suzanne , général de division
, et Dumas , général de brigade , sont nommés
conseillers d'état dans la même section. Le citoyen
Bourienne est aussi nommé conseiller d'état , en service
extraordinaire .
Le citoyen Clarke , général de division , est nommé
ministre de la république , auprès du roi de Toscane, "
Le citoyen Champagny , conseiller d'état , est nommề
ambassadeur à Vienne. Le premier secrétaire d'ambas
sade , près cette cour , est le citoyen Lacuée , chef de
brigade.
7
Le cardinal Gonsalvi est reparti pour Rome.
Le ministre des relations extérieures est de retour à
Paris , et a repris ses fonctions immédiatement après son
arrivée , le 6 thermidor.
2
Le roi d'Etrurie , arrivé à Parme , avec la reine
son épouse ,, le 20 juillet , a été reçu par tout le
peuple avec les plus grandes demonstrations d'intérêt
et de joie , reconnu personnellement en sa qualité de
roi par son père , et complimenté.
Le citoyen Girod , préfet du Morbihan , est nomm
5 20.
306 MERCURE DE FRANCE ,
у
commissaire du gouvernement auprès du conseil des
prises. Il remplace le citoyen Dufaut , un des cinq
administrateurs de la caisse d'Amortissement , que les
consuls viennent d'organiser par un arrêté du 23 messidor.-
Le C. Julien , adjudant - commandant , est nommé
à la préfecture du Morbihan .
Le capitaine Baudin a écrit , le 27 ventose , de l'Islede
- France , où il était arrivé heureusement , après une
traversée de quatre mois deux jours , à compter du
départ de Ténériffe . Il a déja recueilli beaucoup d'objets
d'histoire naturelle , inconnus jusqu'à présent .
?
Le Gouvernement Prussien , dont on a plus d'une
fois remarqué la prudente lenteur à adopter les innovations
après avoir recueilli les expériences réitérées
des plus habiles médecins , vient de recommander à
tous les pères et mères l'inoculation de la vaccine.
I ordonne en même temps , à tous les médecins et
chirurgiens de la Silésie , d'étendre , autant qu'il est
en leur pouvoir , cette inoculation , et de faire connoître
tous les ans , par la voie des journaux et des gazettes
, le nombre des personnes inoculées et les remarques
qu'ils auront faites sur les suites de ces opérations.
Le ministre de l'intérieur a fait annoncer que l'exposition
générale des productions des artistes vivants
au salon du Musée , aurait lieu , cette année , le 15
fructidor. Les ouvrages doivent être remis à l'administration
, avant le 5 du même mois .... On ne sait
pas s'il y aura , comme l'année dernière , un jury
nommé pour l'exclusion des ouvrages trop médiocres ,
indignes d'être offerts aux regards du public . Si ce
jury a lieu , il est à desirer , pour l'honneur de l'école
française , qu'il se montre sévère dans son choix . ( Extrait
des Annales du Musée , rédigées par le C. Landon . )
SUITE du Résumé sur la dernière session du
Corps législatif.
COMMERCE .
Une révolution est surtout contraire aux grandes
péculations du commerce ; souvent même elle le pa-
1
THERMIDOR AN IX. 307
ralyse jusque dans ces opérations de détail qui du
moins conservent la vie et le mouvement dans l'intérieur
du corps politique. Trop pen de b as restent
au premier des arts , à celui qui alimente tous les autres
; l'agriculture languit. Le travail manque aux
ouvriers , ou les ouvriers au travail . L'argent est enfoui
, ou détourné par les besoins extraordinaires de
l'état. D'ailleurs , c'est dans le temps même des plus
grandes détresses , que semblent se multiplier les
sangsues du trésor public , à peu près comme les
voleurs se rassemblent à la lueur d'un incendie . Ainsi
tout se ralentit et comprime le génie commercial ,
jusqu'à des temps plus heureux .
Ces temps sont venus pour la France , et , depuis .
le 18 brumaire , on a vu sensiblement la confiance se
ranimer , et les esprits se tourner vers les entreprises
utiles. Les manufactures ont repris leur ancienne
activité ; à l'exemple des Anglais , nous avons multiplié
les mécaniques ; un grand nombre de foires ont
été rétablies ou créées ; la banque de France continue
ses utiles opérations ; et le crédit renaît . Plusieurs bergeries
nationales nous promettent la propagation des ,
races espagnoles. Les maisons de détention , les hospices
d'enfants abandonnés sont devenus des ateliers de travail
et des pépinières d'artistes et d'artisans .
Un arrêté du 27 nivose a créé une compagnie
spéciale pour la pêche du corail sur les côtes d'Afrique
; une manufacture doit être établie dans le
port d'Ajaccio , département du Liamone , où réside
l'administration de cette compagnie ; et le corail ne
sera vendu à l'étranger , qu'après avoir été ouvré.
Un autre arrête du même jour rétablit la compagnie
d'Afrique , supprimée en 1792 eile rentre dans
la jouissance de ses établissements en Barbarie ; toutes
les concessions commerciales accordées par la ré ence
d'Alger , d'après le traite de 1694 * , lui sont également
rendues à l'exception de la pêche du corail ,
qui exige des dispositions particulières.
?
Dans un rapport présente aux consuls le 13 ventose ,
le ministre de l'interieur , Chaptal a rappelé les "
* On sait qu'un traité de paix définitif , couclu à la fin
de l'an 8 , a fait revivre les anciennes relations de la
France avec le Dey.
308 MERCURE DE FRANCE ,
•
henreux effets de l'exposition publique des produits de
l'industrie française , qui eut lieu au Champ- de - Mars ,
en l'an 6. Une émulation générale anima toutes les
manufactures , encouragea tous les artistes . Dans les
années 7 et 8 , la guerre et la pénurie du trésor public
ne permirent pas de renouveler cette exposition .
Mais , cette année où nous jouissons de la paix conti- .
nentale , et où la paix maritime est au moins espérée ,
cette institution peut recevoir les plus grands et les plus
utiles développements.
Les consuls ont done arrêté qu'il y aurait, chaque année ,
à Paris , une exposition publique pendant les cinq jours
complémentaires : tous les manufacturiers et artistes français
sont appelés à ce concours de toutes les industries et
de tous les talents . Les produits des découvertes nouvelles
et les objets d'une exécution achevée , si la fabrication
en est connue , feront seuls partie de l'exposition . Un jury
particulier prononcera sur ceux de ces objets qui seront
dignes d'être présentés au concours. Un échantillon de :
chacune des productions désignées par ce jury , sera déposé
au conservatoire des arts et métiers , avec une ins- .
cription particulière qui rappelera le nom de l'auteur.
Les canaux et les routes se réparent et s'achèvent de
tout côté , notamment dans la Belgique , dont les indus- ,
trieux habitants se rattacheront de plus en plus à leur
première métropole.
Enfin , depuis longtemps , l'intérêt du commerce demandait
qu'on étendit à un plus grand nombre de villes
un établissem . nt précieux , celui des Bourses. Cet intérêt
demandait surtout que des mesures sévères réprimassent
l'avidité et la mauvaise foi de ce.te nuée d'agioteurs qui ,
auraient suffi pour avilir l'honorable profession de négociants
et de banquiers .
La loi du 29 ventose est un premier bienfait du législateur.
Elle commence à venger le commerce des nombreuses
atteintes que lui ont portées la cupidité et
l'ignorance peut - être plus funeste encore. L'ignorance
fut , dans la plupart des révolutions , le plus ordinaire
et le plus dangereux des législateurs .
On se rappelle la loi du 8 mai 1791 , qui supprima
tout-à-coup les offices et commissions d'agents et courtiers
de change , de banque , de commerce et d'assu
THERMIDOR AN IX. 309
rances , tant de terre que de mer , etc. , etc. Une patente,
motivée sur la quittance des impositions , appuyée du
serment de remplir ses fonctions avec intégrité , fut le
seul titre à la confiance des. Français et des étrangers.
On se joua du serment , ici commé partout ailleurs , et
le commerce , comme tout le reste , ne fut plus qu'un
brigandage... Les brigands de tout genre ont commencé
à disparaître.
La loi du 29 ventose autorise le gouvernement à
établir des bourses de commerce dans tous les lieux où
il n'en existe pas encore , et où il le jugera convenable .
Il réglera tout ce qui concerne les emplacements nécessaires
à la tenue des bourses , et leur entretien .
Dans toutes les villes où il y aura une bourse , il
y
aura des agents - de-change et des courtiers de commerce,
nommés par le gouvernement. Eux seuls auront le droit
d'en exercer la profession , de constater le cours du
change , celui des effets publics , marchandises , matieres
d'or et d'argent , et de justifier devant les tribunaux
, et attester la vérité et le taux des négociations ,
ventes et achats. Un cautionnement , déterminé par le
gouvernement , offre une garantie de plus à la confiance
publique. L'intérêt leur en şera payé à 5 pour 100.
Le 29 germinal , les consuls ont arrêté les dispositions
préliminaires pour l'exécution de cette loi ; réglé le mode
de la nomination des agents- de change et des courtiers ;
le mode du cautionnement qu'ils doivent fournir , et la
police qui s'exercera dans l'enceinte de la bourse.
Un grand nombre de bourses de commerce sont déja
établies. Une mesure commune interdit aux agents - dechange
et courtiers de faire aucune opération de change
et de banque , ni aucun trafic , ni commerce pour leur
propre compte , sous leur nom ou sous des noms interposés
directement ou indirectement.
Partout aussi les usages locaux détermineront les droits
de commission et de courtage , jusqu'à ce qu'il y ait été
pourvu par un règlement général.
Nous offrirons , dans le tableau suivant , les disposi
tions particulières à chaque ville .
Département du Rhône. LYON. Les fonctions d'agentsde
change et courtiers seront cumulativement exer310
MERCURE DE FRANCE ,
cées par les mêmes individus . Le nombre des agentsde-
change- courtiers est fixé à 50 ; chacun d'eux
fournira un cautionnement * de 20,000 fr.
Départ. de l'Hérault. MONTPELLIER. Les fonctions
d'agents - de-change et de courtiers ne pourront être
cumulées ; il ne pourra y avoir plus de 6 agentsde-
change , et plus de 12 courtiers ; le cautionnement
des premiers sera de 6,000 fr . , celui des
seconds de 2 , coo fr .
Départ. de la Seine . PARIS . 8o agents- de - change ; cautionnement
, 60,000 fr. 60 courtiers ; cautionnement
, 12,000 fr.
Départ. du Morbihan . LORIENT. 6 agents de - changecourtiers
; cautionnement , 8,000 fr.
Départ du Nord. DOUAY. 2 agents- de- change ; cautionnement
, 6,000 fr. 3 courtiers ; caut. , 2,000 fr.
Idem . VALENCIENNES . 4 agents - de - change ; cautionnement
6,050 fr. 15 court.; caut. , 3,000 fr.
Idem. LILLE. 16 agents de - change ; caut , 6,000 fr.
10 Court. caut. , 4,0cd fr.
Idem . DUNKERQUE . 12 agents - de - change - courtiers ;
caut. , 12,000 fr .
Départ, de la Haute-Garonne: TOULOUSE. 8 agents -dechange
; caut. , 6,000 fr. 15 court. ; caut . , 2,000 fr .
Départ. de la Gironde, BORDEAUX , 20 agents - dechange
; caut. , 12,000 - fr. 70 court . ; caut . 4,000 fr.
Idem LABOURNE . 10 Court. BLAYE , 8. PAULHAIC , 5.
LAMARQUE , 3. SAINT - MACAIRE , 3. LANGON , 3 .
BARSAC , 3. LANGUIRON , 3 ; cant . , 2,000 fr.
Départ. de l'Aude. CARCASSONNE , 2 agents de - changecountiers
; caut. , 6,000 fr.
Départ de la Dyle. BRUXELLES . 18 agents - de- changecourtiers
; caut. , 6,000 fr.
Départ. des Bouches-du- Rhône. MARSEILLE . 20 agentsde-
change ; caut . , 15,000 fr. 50 courtiers ; caut .
5,000 fr.
Départ.du Gard. NIMES . 10 agents - de - change , caut .
6,000 fr. 12 court .; caut. , 2,000 fr.
Départ de la Marne. REIMS . 4 agents - de- change ;
2 * Ce cautionnement doit être versé en six termes égaux ,
à la caisse d'amortissement.
THERMIDOR AN IX. 31
2
caut. , 6,000 fr . 24 court. ; caut . , 2,000 fr .
Départ. de la Côte d'Or. DIJON . 6 agents - de- changecourtiers
; caut. , 6,000 fr.
Départ. de la Somme. AMIENS. 8 agents - de- change ;
caut. , 6.000 fr. 15 court . ; caut . , 2,000 fr.
Départ. de l'Escaut. GAND , 8 agents de - change - courtiers
; caut . 6,000 fr.
Départ. de la Lys . OSTENDE . 6 agents - de - changecourtiers
; caut. , 6,000 fr.
Idem . BRUGES. 3 agents- de change- courtiers ; caut. ,
2,000 fr.
Départ. des Deux-Nèthes . ANVERS . 20 agents - dechange
; caut. , 10,000 fr . 30 court . ; caut. , 2,000 fr.
Départ. des Hautes - Pyrénées . BAYONNE . 8 agentsde-
change ; caut . , 6,000 fr. 12 court .; caut. ,
3,000 fr.
Départ, du Pas- de- Calais. BOULOGNE 2 agents - dechange
; caut. , 6,000 fr. 8 court . ; caut . 2,000 fr .
Idem . SAINT - OMER . 6 court. ; caut . , 2,000 fr.
Idem . ARRAS. 4 agens - de - change . Caut. 6,000 fr. 4
court.; caut . 2,000 fr.
Départ. de Lot - et- Garonne. AGEN. 6 courtiers ; caut.
2,000 fr.
Départ. de la Seine- Inférieure . ROUEN. 12 agents - dechange
; eaut . , 12,000 fr . 30 court . ; caut. , 3,000 fr.
Idem. LE HAVRE . 6 agents- de-change ; caut . , 6,000 fr.
12 court . ; caut . , 2,000 fr.
Départ. du Puy - de - Dôme. CLERMONT - FERRAND . 4
agents de-change ; caut. , 6,000 fr. 4 court. ; caut.,
20,000 fr.
Départ. du Var. TOULON.
10. courtiers
.
Caut
. -
2000 francs.
Départ. des Deux- Sèvres . NIORT. 4 courtiers. ; caut. 2,000 fr.
Départ. de l'Aveyron . RHODEZ . 3 agents - de - changecourt.
; caut. 6,000 fr.
Départ. de Loir-et- Cher. BLOIS . 3 court . ; caut. , 2,000 fr.
Départ. du Finistère . BREST . 4 agens de- change court.
de commerce ; caut . 6,000 fr. 6 court . pour les navires
et le roulage ; caut : 2,000 fr.
312 MERCURE DE FRANCE ,
Le conseil d'état s'occupe de la discussion du projet
du code civil . La section de législation a examiné les
observations du tribunal de cassation et des tribunaux
civils des département . Le premier consul preside à
toutes les séances où le code civil est discuté . M. de
Montlozier , en Angleterre , et beaucoup d'hommes
éclairés , en France , ont fait des reproches très - graves
à ce projet. Il retranche à jamais de notre législation
des institutions que le temps semblait avoir consacrées :
il propose des institutions nouvelles . Sous ces deux
rapports , il est facile de concevoir que les anciens
souvenirs , les opinions , les préjugés , mille raisons
enfin doivent exciter des réclamations de toute espèce .
Une connaissance profonde du caractère et des moeurs
qui appartiennent à la nation française , et non pas
aux circonstances ou aux individus , une vue impartiale
de notre situation politique et morale , un sentiment
vrai de tous nos besoins , le concours de toutes
les lumieres , l'expérience de tant de siécles , et surtout
une sage lenteur dans la discussion , nous donneront
peut-être ce code sage et uniforme , qui fut toujours
la pierre philosophale des sociétés civiles.
-
-
聚
INSTITUTION DES ASILES. Tel est le
titre sous lequel un bon citoyen , se confiant aux
exemples de S. Vincent de Paule , et aux justes
espérances que conçoivent aujourd'hui les amis de
Ja paix et de la vertu , se propose de fonder un
établissement en faveur des victimes de l'âge ou de
Ja misère. Le C. Molin voudrait réparer les suites
funestis des longs travaux qui épuisent , des accidents
imprévus qui ruinent les moyens d'existence :
combien , par exemple , la classe ouvrière offre de
THERMIDOR AN IX . 313
vieillards ou d'infirmes sans ressource ! Il voudrait
surtout sauver ce grand nombre d'enfants qui meurent
au berceau , ou traînent une vie pire que la mort.
De tout temps l'humanité , et la morale ont réclamé
contre le spectacle hideux de ces malheureux enfants
qu'un intérêt sordide ou une pitié barbare expose mutilés
ou défigurés aux regards du public . Les asiles les retireraient
.... Sous tous ces rapports , la mendicité serait
au moins diminuée ; et la bienfaisance particulière
concourrait avec les mesures d'humanité , de police
et d'administration , que le gouvernement ne cesse de
prendre pour mettre fin à ce fléau . Toutes les idées
généreuses , tous les projets qui tendent au soulagement
de la classe toujours trop nombreuse des infortunés
, doivent être accueillis avec intérêt .
Le plan du C. Molin paraît simple et adapté aux
moyens d'exécution . L'établissement des asiles , dans
chaque département , dépendra du nombre et de l'em-1
pressement des inscriptionnaires. Remède , nourriture
saine , soins assidus ; secours à domicile , soit en argent
, soit en nature , pour les enfants infirmes qui
pourraient recevoir les soins maternels ; propreté , économie
; amélioration successive , à mesure que les fonds
deviendront plus considérables , telles sont les promesses
. Les vues que développe le C. Molin garantissent
sa fidélité à les accomplir.
Le prospectus se distribue chez tous les notaires ,
et chez l'auteur , rue Saint - André- des -Arcs , n.º 24.
Un arrêté du 13 thermidor défend l'importation , en
France , des chevaux anglais , commerce où nous avons
sout à perdre , et rien à gagner,
314 MERCURE DE FRANCE ,
STATISTIQUE du département de la
Haute-Saône .
LA Franche - Comté a formé les trois départements
du Jura , du Doubs et de la Haute - Saône . Ce dernier
est divisé en trois sous - préfectures , Gray , Vesoul et
Lure. Chacune de ces villes possède un tribunal civil
de première instance . Vesoui est le chef lieu ; et c'est
là que sont réunis le conseil de pr fecture et le
tribunal criminel. Le tribunal de commerce est à Gray.
Vesoul et Gray occupent peu de surface , et neanmoins
sont très- peuplées , à cause de la hauteur des édifices.
Le département est situé entre les 47. et 48. degrés
de latit. , et les 3. et 5. degrés de long. , à l'orient de
Paris . Cette situation , qui le rapproche des contrées septentrionales
de la France , porterait à croire que les
produits de l'agriculture y suivent les mêmes périodes
que dans les départements situés à la même latitude.
Cependant la correspondance particulière du préfet lui
a fait connaître que pendant l'an 8 , la fenaison , la
moisson , la vendange ont été commencées dans son département
, aux mêmes époques que dans celui du Lot
et Garonne , situé à une latitude beaucoup plus méridionale.
Si cette observation se confirme par la suite ,
il en résultera une nouvelle preuve , que les climats ,
relativement à l'agriculture , ne sont pas séparés par
des lignes est et ouest , mais par des lignes nord- est
et sud - ouest.
2
Le sol est très-varié : la surface présente de tous côtés
des champs labourés , des vignes , des bois , des espaces
vagues , des prairies , et un grand nombre de petites
villes ou villages.
POPULATION .
On compte dans ce département 454,405 hectares ,
48, ares ou 224 lieues carrées ( 25 au degre). Ainsi c'est un
des plus petits départements de la république ; mais il
est en même temps un des plus peuplés . Les derniers
états portent la population à 28,4073 personnes , ce qui
fait par lieue carrée 1268 habitants .
THERMIDOR AN IX. 315
Au commencement de la guerre , le nombre s'élevait
à 285,616 . Il y aurait donc une diminution de 1,543
individus . Ce résultat ne doit pas surprendre , si l'on
considere la quantité de soldats que le département
a fournis. Il a envoyé aux armées la vingtcinquième
partie environ de sa population totale ; c'està-
dire , quatre fois plus qu'il ne devait en fournir pour
conserver , sans perte , cette population .
Il n'a pas été possible de se procurer les relevés de
naissances , décès et mariages , pendant les huit premiers
mois de l'an 8. Les fréquents changements d'administrateurs
ont beaucoup nui au bon ordre dans cette
partie essentielle des comptes à rendre au gouvernement.
Si l'on en juge par les quatre derniers mois , on aurait
par an 10,119 naissances. 6,282 décès. 2,499
mariages.
-
AGRICULTURE .
Le département de la Haute - Saône nourrit une quantité
considérable de bestiaux de toute espèce . On y
compte , boeufs , 39,211 -vaches , 42,437 -veaux et génisses
, 36,713 - chevaux de tout âges , 4,836 — juments
, 3,983-mules et mulets , 15 -ânes et ânesses ,
590 -moutons et brebis , 132,620- chèvres et boucs
16,644- cochons mâles et femelles , 40,604.
Une épizootie cruelle a réduit le nombre des bêtes
à cornes à 107,503 ; nombre très -grand encore , mais
qui ne doit pas étonner dans un pays que l'on cultive
avec des boeufs , et qui contient d'immenses pâturages ,
La beauté et l'étendue des prairies permettraient de
nourrir plus de chevaux qu'il n'en existe jusqu'à présent.
La guerre en a enleve beaucoup à la paix , il n'est
pas de département qui offre plus de ressources pour
élever de belles races . Les pâturages ne sont point trop
gras , et le voisinage des montagues leur donne un goût
excellent.
Le foin de l'année dernière a été très - bon ; mais la
récolte médiocre : elle a produit 9,459,800 myriagrammes.
La sécheresse n'a point permis de faire les regains ,
Ainsi le gouvernement devra compter sur une grande
diminution dans la quantité de fourrages que la
Haute - Saône fournit ordinairement à la cavalerie. ,
316 MERCURE DE FRANCE ,
Il est difficile d'avoir une notion exacte des autres productions
. Des réponses vagues ont été faites par les maires
aux questions qui leur furent adressées , d'après la lettre
du ministre de l'intérieur . Une demande positive
sur la quantité de chaque espèce de grain , aurait été
plus facilement comprise , et plus exactement satisfaite.
En général la récolte a été médiocre pour les grains
semés avant l'hiver , et mauvaise pour la plupart des
autres , à cause de la longue sécheresse de l'été.
Le tiers des terres labourées du département est semé
en blé , ou en seigle ; beaucoup plus de blé que de seigle
; mais on ne connaît pas encore la proportion . On
sème 12 myriagrammes par hectare , et la semence déduite
du produit , il est résulté net 4,386,540 myriagrammes
en ces deux espèces de grains. En comptant 20 myriagrammes
par individu , la récolte de cette année ne
suffit pas pour nourrir tous les habitants .
L'orge et l'avoine ont rendu à peu près , comme le
blé ou le seigle , 6 pour 1 ; mais le poids est bien différent'
, surtout après une grande sécheresse. En supposant
que le poids de l'orge soit les deux tiers de celui
du blé ; que le poids de l'avoine soit la moitié , et que
la quantité d'orge soit égale à la quantité d'avoine , ce
qui se rapproche assez de la vérité , on trouve qu'il reste
de disponible , en orge , 1,462,180 myriagrammes ; en
avoine , 1,096,635 myriagrammes . Le gouvernement
peut statuer là dessus , pour la quantité de troupes à
cheval qu'il placera dans ce département , en défalquant
ce qui sera nécessaire aux chevaux du pays , et l'orge
que les habitants consommeront , ou pour se nourrir
faute de blé , ou pour faire de la bière.
Les habitants voisins des montagnes suppléent au
défaut de blé ou de seigle , par le sarrasin ou les
pommes de terre ; mais la sécheresse en a rendu la
récolte preque nulle , comme aussi celle du maïs et
celle des légumes , pour lesquels on n'interrompt pas
l'assolement ordinaire et qu'on recueille sur les jachères
.
"
C'est encore sur les jachères qu'on recueille les graines
de navette dont on fait de l'huile à brûler ; le chanre
, et le tabac qu'on cultiye dans quelques communes
THERMIDOR AN IX. 317
du département. La sécheresse a beaucoup nui à toutes
ces denrées.
On a récolté très - peu de via . L'hectare a produit tout
au plus cinq barriques , qui , à raison de 160 pintes la
barrique , font 800 pintes , ou 16,899 hectolitres.
BOIS .
?
On ne peut présenter aucune évaluation juste de la
récolte en bois . Le produit varie suivant les localités
à raison des dévastations plus ou moins considérables qui
ont eu lieu depuis dix ans. Les bois des communes sont
généralement partagés en nature entre les habitants ,
et consommés sur les lieux. Les parties qui en sont
vendues , sont , aussi bien que les forêts nationales , principalement
destinées aux usines en fer.
MINES.
Il existe une mine de sel , dont le produit n'est pas
encore constaté ; une mine de charbon de terre , dont
le revenu pour la république vient d'être porté par un
bail à 60 mile francs ; une mine de granit d'une trèsbelle
qualité, qui emploie environ soixante ouvriers par an .
Mais les mines les plus intéressantes pour la Haute-
Saône sont ses mines de fer ; mines si riches qu'elles '
rendent 35 à 40 livres pesant par quintal . On trouve
à une très-petite profondeur ce métal , qui ne le cède
pas à celui de Suède et d'Angleterre : 101 usines sont
continuellement occupées à le fondre et le fabriquer .
Elles donnent du travail à plus de 16,000 ouvriers ;
c'est la 18. partie de la population . Sous tous les rapports
, ce genre d'industrie mérite la faveur du gouvernement
. En l'an 7 , on l'avait accablé sous les droits
de patentes.
Il y a encore , dans ce département, un certain nombre
de moulins à huile ; 692 moulins à blé , dont quelquesuns
contiennent plusieurs couples de meules.
On ne connaît qu'imparfaitement jusqu'ici le produit
de plusieurs manufactures , dont les principales sont
29 tuileries , 12 brasseries , 6 verreries , I papeterie.
EAUX THER MALE S.
Les eaux thermales , qui se trouvent dans ce département
, sont surtout renommées pour la guérison des
1
318 MERCURE DE FRANCE ,
blessures et des maladies de la peau. Les bains sont
situés dans la ville de Luxeuil ; un hópital militaire
y est établi mille malades ont été reçus à la fois
et un grand nombre de blessés se sont retirés parfaitement
guéris .
?
On compte à Luxeuil six principales sources d'eaux
thermales , qui ont chacune un degré de chaleur différent.
Ces eaux sont très- limpides , insipides et inodores
. L'analyse démontre qu'elles contiennent du
carbonate de soude , un peu de magnésie , de la terre
calcaire , de la terre vitrifiable , et une petite quantité .
de gaz.
COMMERCE.
La seule ville commerçante du département est celle.
de Gray. Elle est située au point où la Saóne , qui
prend sa source dans le département des Vosges , commence
à être régulièrement navigable pendant toute
l'année. Le principal commerce de cette place consiste '
en fer et en blé.
On évalue les fontes , fers , fer - blanc , etc. , dont
les prix varient suivant l'espèce et la qualité , à une
exportation annuelle de cinq millions .
Le blé se rend au port de Gray de tous les points
des départements de la Haute Saóne , de la Côte d'Or ,
de la Haute- Marne et des Vosges . On y embarque
année commune , un million 500 mille myriagrammeś
de blé , qui , à raison de 2 francs le myriagramme ,
font 3 millions .
Ce double commerce qui est peu de chose en comparaison
des grandes places de la république , donne la
vie au département et soutient son agriculture.
On y fait commerce aussi de vins et de fromages ;
mais on ne peut offrir cette année des renseignements
certains sur le produit de ces objets .
NAVIGATION.
Il serait possible de donner une grande activité au
commerce du département , en rendant navigables :
les rivières qui le traversent , telles que la Saône et
l'Oignon . Mais les fonds manquent . Le revenu net des
bacs et bateaux ne s'est élevé , en l'an 8 , qu'à la modique
somme de 3,103 fr. 75 cent. ; qui n'offre aucuneTHERMIDOR
AN IX. 319
ressource pour perfectionner la navigation . Sans doute
le gouvernement pourra bientôt étendre ses soins à cet
égard sur toute la république.
ROUTES.
Le département de la Haute - Saône est un de ceux
qui contiennent le plus de routes relativement à leur
étendue.
re
Dans les trois arrondissements de Vesoul , de Gray
et de Lure , les routes- de la 1. classe occupent une
longueur de 19 myriamètres , 3284 mètres ; les routes
de la 2 , 31 myriamètres , 2419 mètres ; celles de la
3. , 18 myriamètres , 9147 metres ; et celles de la 4.º ,
13 myriamètres , 6957 mètres .
Total , 83 myriamètres , 1807 mètres , ce qui équivaut
à 187 lieues de 25 au degré.
Ces routes ne sont pas en bon état ; elles ont été
originairement construites de manière à exiger de fréquentes
réparations. Nulle part , il n'y a d'encaissement
ni de chaussée . Si le revenu des barrières était
soigneusement employé , on pourrait les mieux construire
par la suite. On trouve presque partout , dans
ce département , une espèce de matériaux excellents ,
et qui n'a point encore été mis en usage : c'est la crasse
des forges et fourneaux ; elle suppléerait avantageusement
au gravier dont les carrières sont très - rares .
On a établi sur ces routes trente-une barrières ,
sont affermées , pour l'an 9 , 82,870 fr.
qui
Les routes étaient plantées autrefois ; mais le défaut
de gardes a bientôt occasionné la ruine des plantations
. Pour les rétablir et les conserver , il serait utile
d'introduire dans le département le systeme des cantonniers.
On voudrait donner des notions précises sur les ponts
et pontceaux qui sont construits le long de ces routes ,
et sur leur état de bonté ou de dégradation , mais les
états nécessaires ne sont point parvenus .
CONTRIBUTIONS.
Le département supporte des contributions considérables
, et les acquitte avec un zèle et une exactitude
?
320 MERCURE DE FRANCE ,"
qui honorent également et le contribuable qui paye ,
et le gouvernement qui dépense . Voici celles de Fan 8.
CONTRIBUTIONS DIRECTES.
NOMS
CENTIMES
des PRINCIPAL . TOTAL
additionnels.
CONTRIBUTIONS.
Foncière...... 1,509,900 fr . 00 c .
Personnelle et mobiliaire 178,000 00
c.ţ1,774,13 , 232 fr . 5 : c.1,774,132 fi . 50 c
4 Co 178,000 00
Somptuaire .....
Portes et fenêtres
Subvention de guerre..
TUTAUX.
.2,363 27
148,943.45
2,343 27
O 00 148,943 45
$405,475 00 O 00 405,475 00
2,244,611 fr. 72 c. | . 264,232 fr. 50c . 2,508,914 fr . 22 C.
CONTRIBUTIONS INDIRECTES.
Patentes..... .....
Tabacs......
Droits de passe......
Bains et bateaux ...
138,832 fr . 11
3,149
82,870
7
3,333 75
46,578 12
143,919 75
Enregistrements .........
Timbre....……………………………
Hypotheques .…………………………
TOTAL..
23,363 15
863,145 fr . 96 0.
Les revenus nationaux , composés principalement des
bois , des fermages et des amendes , ont produit la
somme de 507,349 fr. 22 cent . Il reste très--peu de biens
de cette nature à vendre dans le département de la
Haute- Saone. 2
L'instruction publique est presque nulle dans les
campagnes ; mais déja les jurys d'instruction , établis
dans chaque arrondissement , ont inspiré quelque émulation
et fait naître des espérances.
L'école centrale est animée du meilleur esprit : seulement
on desire un cours d'etudes plus suivi et mieux
ordonué ; aucun objet ne mérite plus l'attention du
gouvernement : les plus belles institutions politiques
sont des bienfaits perdus , si l'éducation ne forme pas
de bonne heure les hommes à en profiter.
DEPT
( N.° XXIX. ) 1.er Fructidor An 9.
MERCURE
DE FRANCE.
LITTÉRATURE.
POÉSIE.
REP.FRA
.
FIN du troisième chant de la nouvelle édition
du Poème DES JARDINS.
AH ! si dans vos travaux est toujours respecté
Le lieu par un grand homme autrefois habité ,
Combien doit l'être un sol embelli par lui- même ?
Dans ces sites fameux , c'est leur maître qu'on aime .
Eh ! qui du Tusculum de l'orateur romain ,
Du Tivoli si cher au Pindare latin ,
Aurait osé changer la forme antique et pure ?
Tout ornement l'altère , et l'art lui fait injure .
Loin, donc l'audacieux qui , pour le corriger ,
Profane un lieu célèbre en voulant le changer !
Le grand homme au tombeau se plaint de cet outrage ,
Et les ans seuls ont droit d'embellir son ouvrage :
Gardez donc d'attenter à ces lieux révérés ;
Leurs débris sont , divins , leurs défauts sont sacrés.
Conservez leurs enclos , leurs jardins , leurs murailles ;
Tel on laisse la rouille au bronze des medailles ;
5
5. 21
322 MERCURE , DE FRANCE ,
Tel j'ai vu le Twicknham , dont Pope est créateur ;
Le goût le défendit d'un art profanateur ,
Et ses maîtres nouveaux , révérant sa mémoire ,
Dans l'oeuvre de ses mains ont respecté sa gloire .
Ciel ! avec quel transport j'ai visité ce lieu
Dont Mindipe est le maître et dont Pope est le dieu.
Le plus humble réduit avait pour moi des charmes .
Le voilà , ce musée où , l'oeil trempé de larmes ,
De la tendre Héloïse , il soupirait le nom ;
Là , sa muse évoquait Achille , Agamemnon ,
Célébrait Dieu , le monde , et ses lois éternelles ,
Ou les règles du goût , ou les cheveux des belles ;
Je reconnais l'alcove où , jusqu'à son réveil ,
Les doux rêves du sage amusaient son sommeil.
Voici le bois secret , voici l'obscure allée
Où s'échauffait sa verve en beaux vers exhalée :
Approchez , contemplez ce monument pieux
Où pleurait en silence un fils religieux :
Là repose sa mère , et des touffes plus sombres "
Sur ce saint mausolée ont redoublé leurs ombres ;
Là du Parnasse anglais le chantre favori
Se fit porter mourant sous son bosquet chéri ;
Et son oeeuil , que déja couvrait l'ombre éternelle ,
Vint saluer encor la tombe maternelle .
Salut , saule fameux que ses mains ont planté !
Hélas ! tes vieux rameaux , dans leur caducité ,
En vain sur leurs appuis reposent leur vieillesse ,
Un jour tu périras ; ses vers vivront sans cesse.
Console-toi , pourtant ; celui qui , dans ses vers
D'Homère , le premier fit ouïr les concerts ,
Bienfaicteur des jardins , ainsi que du langage ,
Le premier sur les eaux suspendit ton ombrage :
A peine le passant voit ce tronc respecté ,
La rame est suspendue et l'esquif arrêté ;
FRUCTIDOR AN IX. 323
Et même en s'éloignant , vers ce lieu qu'il adore ,
Ses regards prolongés se retournent encore,
Mon sort est plus heureux ; par un secret amour ,
Près de ces bois sacrés j'ai fixé mon séjour .
Eh ! comment résister au charme qui m'entraîne ?
Par plus d'un doux rapport mon penchant m'y ramène,
Le chantre d'Ilion fut embelli par toi ;
#
Virgile , moins heureux , fut imité par moi .
Comme toi je chéris ma noble indépendance ;
Comme toi des forêts je cherche le silence.
Aussi , dans ces bosquets , par ta muse habités ,
Viennent errer souvent mes regards enchantés ;
J'y crois entendre encor ta voix mélodieuse ;
J'interroge tes bois , ta grotte harmonieuse ;
Je plonge sous la voûte avec un saint effroi
Et viens lui demander des vers dignes de toi .
Protége donc ma muse ; et si ma main fidelle ,
Jadis à nos Français te montra pour modèle ,
Inspire encor mes chants ; c'est toi dont le flambeau
Guida l'art des jardins dans un chemin nouveau :
Ma voix t'en fait l'hommage ; et , dans ce lieu champêtre,
Je viens t'offrir les fleurs , que toi - même a fait naître.
"
LA ROSE ET LE CHARDON.
SUR un buisson que Zéphir caressait ,
La Rose s'épanouissait.
Elle était Reine , et c'était par ses charmes ,
Bons titres en tous lieux , bons titres en tous temps .
L'Aurore , avec ses douces larmes ,
La couronnait de diamants.
L'épine se joignait aux charmes de la Rose,
Quelques défauts qu'aux charmes on oppose ,
324 MERCURE DE FRANCE ,
Sont des charmes encor : l'objet le plus marquant
A besoin d'un peu de piquant.
Le Chardon , jusqu'alors paisible , et bonne plante ,
Croissait auprès de la Rose éclatante .
Il entendit vanter le prix
Que donnait l'épine à la Rose.
Ah ! se dit- il , un peu surpris ,
J'ai des piquants aussi ; c'est donc la même chose.
Si je les augmentais , je serais son rival .
་ ་་་
Que dis -je ? Son vainqueur , l'honneur , l'orgueil de Flore !
Poussons , force piquant , ils ne m'iront pas mal ,‹
Et voilà mon Chardon porc - épic végétal.
Tout en se balançant , il attend qu'on l'adore.
Les ânes , qui jadis étaient ses papillons ,
Pour le goûter se piquant la moustache
Tournèrent d'abord les talons ,
"
Et n'y revinrent pas de longtemps , que je sache.
Mais comme ils sont , dans tous les cas ,
Plus routiniers que délicats ,
L'ancienne habitude l'emporte .
ཏི ནྟི
4
Quelques piquants de plus ou de moins , il n'importe ,
Ils n'y prennent pas garde , et seulement ce mets
Leur chatouille un peu le palais .
Qu'est-ce que cela prouve ? Eh quoi ! faut- il le dire ?
Je veux montrer que bien des sots
Prétendent s'égaler aux gens que l'on admiré ,;
En ne prenant que leurs défauts.
B. S.
FRUCTIDOR AN Í X. 325
ENIGM E.
Je suis née au milieu des feux ,
Pour y passer toute ma vie ;
Je deviens le tombeau de bien des malheureux ,
Qu'à ses plaisirs le monde sacrifie.
Quoique de moi l'on fasse cas ,
Je n'occupe jamais qu'une main subalterne ;
C'est pourtant un grand embarras
Que celui de qui me gouverne.
LOGO GRIPHE.
Quatre pieds composent mon nom ;
Ma tête à bas , je suis animal domestique ;
Mon ventre ôté , je suis pronom.
Retranche tête et queue ; en cet état unique ,
Retourne moi , lecteur , et femme je parais.
Si tu ne peux encor me connaître à ces traits ,
Apprends qu'àtous les maux je suis un grand remède ,
Et qu'on ne vit heureux qu'alors qu'on me possède .
Mots de l'Enigme et du Logogriphe insérés
dans le dernier Numéro .
Le mot de l'énigme est souris.
Le mot du premier logogriphe est roc , où l'on
trouve cor.
Le mot du second est romance , où l'on trouve mare ,
coran ane , ame , Rome , cor , mer , an.
326 MERCURE DE FRANCE ,
LES JARDINS , poème ; par JACQUES
DELILLE , nouvelle édition considérablement
augmentée. A Paris , chez Levrault
frères , libraires . De l'imprimerie de P. Didot
l'aîné. An 9. 1801 .
CE poème est connu et jugé depuis longtemps .
La critique impartiale , qui se fait toujours entendre
après les satires de l'envie et les éloges
des prôneurs , a placé l'auteur au premier rang ,
dans un genre où l'invention est moins nécessaire ,
mais où l'art des vers doit employer toutes ses
ressources , et le style poétique s'orner de toute
sa parure . Laharpe a comparé le poème des
Saisons et celui des Jardins. Des juges trèséclairés
semblent adopter son opinion , quoique le
résultat en soit un peu sévère. C'est ainsi qu'il
termine ce parallèle réimprimé dans quelques
journaux.
་་
*
« J'avoue , dit - il , qu'en mettant en balance la manière
de l'abbé Delille et celle de Saint -Lambert , je
me sens porté à préférer dans celle- ci un ton naturelle-
« ment élevé , et une expression simple avec intérêt ,
« ou magnifique sans effort. Il a moins d'art et de va-
« riété dans la facture du vers , mais un naturel plus
" heureux et plus beau , où le travail ne se fait point
sentir ; ce que je préfere à tout dans les beaux - arts ,
"
"
"
« dont on sait que le plus grand effort est de faire oublier
l'art. ".
On ne peut sans doute rien ôter à ces éloges si
bien mérités par Saint- Lambert ; mais on pour-
* Voyez la Correspondance avec le grand duc de Russie,
tome 3 , page 393.
FRUCTIDOR AN IX. 327
rait ajouter quelque chose à ceux que mérite aussi
le traducteur des Géorgiques . Il a rendu , ce me
semble , un service essentiel à notre école poétique
; et , pour mieux le reconnaître , il est bon
de rappeler quel fut le caractère de cette école
pendant le 18. siécle.
Voltaire après avoir recueilli en grande partie
l'héritage du grand siécle qu'il avait vu finir ;
Voltaire soutenait presque seul , depuis cinquante
ans , la gloire de notre poésie héroïque. Seul il
possédait l'art du grand vers toujours employé
par Corneille , Racine et Boileau dans les compositions
importantes . Seul , à cette époque , il
savait écrire , dans les sujets nobles , avec un
style toujours élégant et soutenu . Aussi , dans
une de ces conversations familières où tous les
secrets de l'amour - propre s'échappent aux yeux
de l'amitié , il disait à quelques confidents : d'autres
que moi peuvent rencontrer , par intervalle ,
deux ou trois beaux vers . Mais il leur est bien
difficile d'en faire dix bons , impossible d'en
écrire cent d'une manière convenable. Il n'y
a que moi qui le puisse , et encore Jean et
Nicolas sont mes maîtres ! On sait qu'il appelait
ainsi Racine et Boileau . Ce jugement de Voltaire
était alors très fondé. Mais ses vers empreints du
plus beau talent et nés sans effort , avaient
quelques défauts inséparables d'une composition
trop précipitée. Il prodiguait les beautés , et ne
les perfectionnait pas. Il ne pouvait corriger
longtemps ce qu'il produisait si vite. Trop de
soin eût arrêté cette imagination mobile et féconde
toujours impatiente de créer . De là vient qu'en
général les masses de son style sont si bien jetées ,
ét que tous les détails n'en sont pas travaillés sévè-
•
1
328 MERCURE DE FRANCE ,
rement ; il trouve , avec facilité , l'élégance et le
nombre poétiques ; mais il en néglige quelques
secrets. Son élégance a plus de naturel que de
correction , plus d'éclat que de sagesse , plus de
charme que de régularité.
Son harmonie est presque toujours heureuse ,
sans être aussi savante que celle de Racine et de
Boileau . Le mécanisme de son vers est moins varié
que ses idées et ses images . On y trouve moins
souvent ces ellipses hardies , ces tours nouveaux ,
ces expresssions habilement rapprochées , qu'on
doit à l'art comme au talent , et qui nous frappent
sans cesse dans l'auteur de Phèdre ou dans celui
du Lutrin. D'ailleurs , on n'ignore pas que Voltaire
était éminemment né pour la tragédie , qu'il avait
pour elle un goût exclusif , et n'estimait pas assez
les autres genres. La tragédie doit être sans doute
conçue par l'imagination et l'ame d'un poète ;
mais les richesses et l'art de la poésie n'y doivent
pas trop paraître , et c'est-là que le versificateur
habile est moins nécesssaire que l'écrivain passionné.
Racine fut à la vérité l'un et l'autre , et sa gloire
s'en est accrue . Mais qu'on songe que Voltaire occupait
seul la renommée sans rivaux et sans juges.
Harcelé par les critiques de la haine ou de l'ignorance
, il n'eut pas le bonheur de rencontrer un
ami qui lui apprît , comme Despreaux , à faire
des vers difficilement . Grand poète par l'élévation
des pensées , par la noblesse et la vivacité des
images , par l'abondance , la verve et le mouvement
, il ne fut donc pas un versificateur aussi
parfait que les deux modèles du siécle passé . Celui
qui fit la Henriade , Mérope et Zaïre , possédait
bien , si j'ose m'exprimer ainsi , la lyre de Racine ;
mais il n'en faisait pas retentir toutes les cordes
/
C
FRUCTID OR AN IX . 329
avec la même précision . Sa main brillante était
moins pure , et ses accords étaient moins finis .
Bientôt l'école de Voltaire exagéra tous ses
défauts. Il s'était permis des vers négligés ; on fit
des vers prosaïques ; on ne porta presque plus le
joug de la rime , parce qu'il l'avait trop peu respecté
dans quelques - unes de ses nombreuses
productions. Comme son oreille était juste sans
qu'il eût beaucoup approfondi les diverses combinaisons
du vers français , on se crut dispensé
de les mieux étudier que lui . On oublia peu à
peu tous les effets du rhythme , les coupes va
riées , les prolongements harmonieux , les suspensions
inattendues de la phrase poétique , et tous
ces heureux artifices de la mesure et de la période
qui doublent le charme du sentiment ou la force
de la pensée , en les faisant retentir de l'oreille jusqu'au
coeur. Ajoutons que Voltaire , jeté dès l'enfance
au milieu des spectacles et des passions de la
société , les reproduisit toujours dans ses vers . On
y retrouve à chaque instant les goûts et les habitudes
de sa vie entière qui s'écoula dans le tumulte
du monde et dans les illusions de la gloire.
Demandez -lui de retracer avec grandeur les infortunes
des rois et les catastrophes des empires , de
peindre en vers charmants les embarras de Paris ;
mais ne cherchez pas dans ses ouvrages l'amour de
la campagne , et tous ces détails de la vie champêtre
qu'Homère et Virgile ramenaient sans cesse
au milieu des grandes scènes de l'Epopée . Ce n'est
pas chez Voltaire qu'on trouve ce style :
Qui sait même , au discours de la rusticité
Donner de l'élégance et de la dignité .
Il avait jugé lui - même que la traduction des
330 MERCURE DE FRANCE ,
Georgiques était presque impossible avant que
Delille eût osé la tenter.
Cette traduction a paru , et la poésie française
s'est étonnée de nommer avec élégance tous les
travaux et tous les instruments rustiques. Les difficultés
même , en excitant le traducteur , l'ont contraint
de travailler avec plus de soin sa versification
, et d'en varier les formes et les effets . Son
exemple n'a point été inutile aux jeunes élèves ; et ,
dans cette partie , Delille a rétabli l'école de Despréaux.
Les poètes qui lui succéderont ne doivent
point oublier ce service qu'il leur a rendu , et qui
sera toujours sa principale gloire.
Il a montré le même talent de style dans ses
Ouvrages originaux ; et , pour s'en tenir aux Jardins
, on avoue que le vers français ne peut avoir
plus d'éclat et de variété que dans quelques morceaux
de son poème. La description des beautés
naturelles d'Eden , comparées aux jardins pompeux
de Versailles , la destruction de ce vieux parc
de nos rois , les effets des eaux et des ruines sont
des modèles du style pittoresque. L'auteur n'a
point fait disparaître , dans cette nouvelle édition ,
les défauts qu'on lui reproche * ; mais , à une
foule de beaux vers , il ajoute de beaux vers encore .
On a pu déja en juger par le fragment sur les Jardins
de Pope , imprimé à la tête de ce journal . La
peinture de ceux de Bleinheim peut confirmer
ce jugement.
1
Ah ! si la paix des champs , si leurs heureux loisirs
N'étaient pas le plus par , le plus doux des plaisirs ,
D'où viendrait sur nos coeurs leur secrète puissance ?
* Voyez le tome 3 de la Correspondance.
FRUCTIDOR AN IX. 331
Tout regrette ou chérit leur paisible innocence.
Le sage à son jardín destine ses vieux ans ;
Un grand fuit son palais pour sa maison des champs ;
Le poète recherche un bosquet solitaire ;
A son triste bureau le marchand sédentaire ,
Lassé de ses calculs , lassé de son comptoir ,
D'avance se promet un champêtre manoir ,
Rêve ses boulingrins , ses arbres , son bocage ,
Et d'un verger futur se peint déja l'image .
Que dis - je ? Au doux repos invitant de grands coeurs ,
Un jardin quelquefois fut le prix des vainqueurs .
Là , le terrible Mars , sans glaive , sans tonnerre
Las de l'ensanglanter , fertilise la terre ';
Au lieu de ses soldats , il compte ses troupeaux ;
Au chêne du bocage il suspend ses drapeaux.
Sur ses foudres éteints je vois s'asseoir Pomone ;
Pales ceint en riant les lauriers de Bellone ;
Et l'airain , désormais fatal aux daims légers ,
A rendu les échos aux chansons des bergers .
?
Tel est Bleinheim, Bleinheim , la gloire de ses maîtres,
Plein des pompes de Mars et des pompes champêtres ; .
En vain ce nom fameux atteste nos revers ,
Monument d'un grand homme , il a droit à mes vers.
Si des arts créateurs j'y cherche les prodiges
Partout l'oeil est charmé de leurs brillants prestiges ,
Et l'on doute , à l'aspect de ces nobles travaux ,
Qui doit frapper le plus du peuple ou du héros .
Si j'y viens des vieux temps retrouver la mémoire ,
Je songe , ô Rosamonde , à ta touchante histoire ;
De Rose , mieux que toi , qui mérita le nom ?
En vain de la beauté le ciel t'avait fait don ;
Tendre et fragile fleur , fletrie en ton jeune âge ,
Tu ne vécus qu'un jour , ce fut un jour d'orage.
Dans ce nouveau Dédale où té cache Merlin ,
Ta rivale en fureur pénètre , un fil en main ,
332 MERCURE DE FRANCE ,
Et , livrant Rosamonde à sa rage inhumaine ,
Ce qui servit l'amour fit triompher la haine .
Ah ! malheureux objet et de haine et d'amour
Tu n'es plus ! mais ton ombre habite ce séjour.
Chacun vient t'y chercher de tous les coins du monde ;
Chacun grossit de pleurs le puits de Rosamonde ;
Ton nom remplit encor le bosquet enchanté ,
Et , pour comble de gloire , Addisson t'a chanté.
Mais ces tendres amours et ce récit antique ,
Qu'ont- ils de comparable au voeu patriotique
Qui , gravé sur l'airain , par un don glorieux ,
Acquitta de Malbrough les faits victorieux ?
Je ne décrirai point ce palais qui présente
La solide beauté de sa masse imposante ,
Et promet de porter aux siécles à venir
D'un bienfait immortel l'immortel souvenir ;
Ni ces riches tapis où combattent entre elles
La palme de Bleinheim et la palme d'Arbelles ;
Ni du triomphateur le bronze colossal ,
Du prodige de Rhode audacieux rival ;
Ni ce pont , monument de tendresse et de gloire ,
Que l'hyménée en deuil offrit à la victoire ;
Ce pont digne de Rome ; et tel que dans son sein
Aurait pu s'épancher l'urne immense du Rhin .
Ah ! dans cette héroïque et riante retraite ,
O champs ! d'autres beautés frappent votre poète.
Assez longtemps de l'art les fastueux apprêts ,
Et le bronze immobile , et les marbres muets ,
De tant d'autres vainqueurs furent le prix vulgaire ;
Il faut d'autres honneurs à ce foudre de guerre .
Par un don plus nouveau , mais non moins solennel ,
Grand comme ses desseins , et comme eux éternel ,
C
FRUCTIDOR AN IX. 333
C
La Nature elle - même avec magnificence
Consacre le bienfait et la reconnaissance :
Dans un jardin superbe , à fêter un héros
Elle-même elle invite et la terre et les flots :
Pour chanter ses exploits les bois ont leurs Orphées ;
Leur ombrage est son dais ; leurs festons , ses trophées.
Le ciel à son triomphe enchaîne les saisons ;
De leurs fruits tous les ans son char reçoit les dons :
Tous les ans de leurs fleurs les brillantes prémices
Reviennent de son front parer les cicatrices :
L'été conte à l'été , le printemps au printemps ,
Sa journée immortelle et ses faits éclatants :
La veillée en redit l'histoire triomphante :
Le hameau les apprend , la bergère les chante.
Point de terme aux bienfaits ; un peuple généreux
Paiera le sang du père à ses derniers neveux ;
Et sur eux étendant sa longue bienfaisance ,
Comme le ciel punit , Albion récompense.
Ah ! pour comble d'honneur, puisse un Spencer nouveau,
Par un chant de famille honorer son tombeau !
Malbrough ! Spencer ! l'honneur du moderne Elysée !
Malbrough en est l'Achille , et Spencer , le Musée.
Mais dans la douce paix des bois élysiens ,
、* } "
1
Malbrough , heureux Bleinhem , regrette encor les tiens :
Tant ce prix glorieux fut cher à sa grande ame !
Vous donc , fiers de leurs noms , Vous que leur gloire en-
· flamme ,
Vous serez dignes d'eux ; vous serez les Spencers ;
Qui chérissent les arts , et commandent aux mers :
Bienfaictrice sévère , Albion vous contemple ;
Salaire des vertus , Bleinheim en doit l'exemple.
Qui , s'il ne reproduit un exemple si beau ,
Le temple de la Gloire en devient le tombeau.
Mais , que dis- je ? Aux talents , au vieil honneur fidèle ,
334
MERCURE DE FRANCE ,
Bleinheim au monde encor en offre le modèle ;
L'immortelle Uranie en habite les tours :
Là , de plus d'un étoile Herschel traça le cours ,
Herschel qui de Newton agrandit l'héritage .
Un jour peut-être , un jour ,. par un nouyel hommage ,
Malbrough , astre nouveau , prendra sa place aux cieux ;
Herschel lui marquera son chemin radieux .
Jadis craint sur la terre , aujourd'hui sur les ondes ,
Ses feux à vos vaisseaux montreront les deux mondes .
Mais quels lieux verront - ils , quel climat reculé ,
Où du fameux Malbrough le nom n'ait pas volé ,
Et ne se mêle pas , sur ces plages lointaines ,
Aux grands noms des Condés , aux grands noms des Turennes
?
On s'étonnera peut - être que les Muses françaises
prodiguent tant d'adulations à un peuple ennemi , et
qu'on décrive si longuement des lieux qui leur sont
à peine connus.L'oreille pourra s'effrayer de l'âpreté
de tous les noms anglais accumulés dans cette nouvelle
édition . Celui même de Malbrough est fort
dur , comme tant d'autres dont l'auteur a surchargé
ses vers pour témoigner , sans doute , sa reconnaissance
à ses hôtes , ainsi que les anciens poètes quand
ils voyageaient loin de leur patrie . Voltaire avait
évité ce nom barbare en disant :
Le vainqueur de Tallard , l'enfant de la Victoire .
· Au reste , Delille a très bien senti que ses
longues admirations pour l'Angleterre pouvaient
blesser quelques convenances. A la fin de ce
même morceau sur Malbrough et sur Blenheim,
il a ramené le souvenir de la France avec un art
très-heureux , et par un mouvement imité de ce
beau cantique que répétaient les tribus exilées de
FRUCTIDOR AN IX. 335
Jérusalem , à l'ombre des saules de l'Euphrate.
Après avoir rappelé
Le grand nom des Condés , le grand nom des Turennes ,
Il s'écrie :
A ce nom mon coeur bat , des pleurs mouillent mes yeux,
O France ! ô doux pays ! berceau de nos ayeux !
Si je puis t'oublier , si tu n'es pas sans cesse
Le sujet de mes chants , l'objet de ma tendresse ,
Que de te voir jamais je perde le bonheur ,
Que mon nom soit sans gloire, et mes chants sans honneur !
On croit entendre ces strophes touchantes du
psalmiste : Si oblitusfuero tui , Jerusalem , oblivioni
detur dextera mea , adhæreat lingua mea
faucibus meis , etc.
De nos ayeux sacré berceau *
Sainte Jérusalem , si jamais je t'oublie ,
Si tu n'es pas jusqu'au tombeau
L'objet de mes desirs et l'espoir de ma vie :
Rebelle aux efforts de mes doigts
Que ma lyre se taise entre mes mains glacées ;
Et que l'organe de ma voix
Ne prête plus de sons à mes tristes pensées !
C'est ainsi que le talent doit imiter . La mémoire
ne pouvait servir plus heureusement la sensibilité
du poète.
Les tableaux graves et majestueux , les sentiments
énergiques et profonds paraissent , moins
propres aux talents de l'abbé Delille , que les
* Traduction de Lefranc de Pompignan.
336 MERCURE DE FRANCE ,
f
détails brillants et pittoresques. Cependant ce tableau
d'une abbaye de la Trape mérite d'être cité.
Il est des temps affreux où des champs de leurs pères
Des proscrits sont jetés aux terres étrangères : .
Ah ! plaignez leur destin , mais félicitez -vous :
De vos riches tableaux le tableau le plus doux ,
A ces infortunés vous le devrez peut- être.
Que dans l'immensité de votre enclos champêtre
Un coin leur soit gardé , donnez à leurs débris ,
Au fond de vos forêts de tranquilles abris ,
A vos palais pompeux opposez leurs cabanes ;
Peuplés par eux , vos bois ne seront plus profanes
Et leur touchant aspect consacrera ces lieux .
"
Mais , surtout , si l'exil de leur cloître pieux
A banni ces reclus qui , sous des lois austères ,
Dérobent aux humains leurs tourments volontaires
Ces enfants de Bruno , ces enfants de Rancé ,
Qui tous , morts au présent , expiant le passé ,
Entre le repentir et la douce espérance ,
Vers un monde à venir prennent leur volimmense ,.I
Accueillez leur malheur , et que sous d'humbles toits ,
Paisible colonie , ils habitent vos bois.
A peine on aura su le sort qui les exile ,
Vos soins hospitaliers et leur modeste asile 2
*
Des hameaux d'alentour , femmes , enfants , vieillards ,
Vers ces hotes sacrés courront de toutes parts :
La richesse y viendra visiter l'indigence ,
L'orgueil , l'humilité ; le plaisir , la souffrance :`
Vous-même , abandonnant pour leurs âpres forêts ,
Et vos salons dorés , et vos ombrages frais ,2
Viendrez au milieu d'eux , dans une paix profonde ,
Désenchanter vos coeurs des voluptés du monde ;
FRUCTIDOR AN IX.
337
Loin de ce monde où règne un air contagieux ,
Vous aimerez ce bois sombre et religieux ,
Ses pâles habitants , leur rigide abstinence ,
Leur saint recueillement , leur éternel silence
Et , la bêche à la main , la pénitence en deuil
Anticipant mort , et creusant son cercueil.
La terre sentira leur présence féconde :
DEPT
Pour vous , pour vos moissons , vers le maître du monde,
Ils lèveront leurs mains ; vous devrez à leurs voeux ,
Et les biens d'ici bas , et les trésors des cieux ;
Et lorsqu'à la lueur des lampes sépulcrales ,
De silences profonds , coupés par intervalles ,
Du sein de la forêt , leurs nocturnes concerts
En sons lents et plaintifs monteront dans les airs ;
Peut- être à ces accents vous trouverez des charines ;
Vous envierez leurs pleurs , vous yjoindrez vos larmes ,
Et le corps sur la terre , et l'esprit dans le ciel ,
Vos voeux iront ensemble aux pieds de l'Eternel .
Ainsi votre forêt prend un aspect moins rude ;
Vous charmez son effroi , peuplez sa solitude ,
Animez son silence et goûtez à la fois
Les charmes d'un bienfait et le charme des bois.
Quelques poètes , avant l'abbé Delille , avaient
employé les mêmes images. On avait dit dans un
sujet semblable :
Ce temple où chaque aurore entend de saints concerts
Sortir d'un long silence et monter dans les airs .
Mais les vers qui précèdent sont neufs et vraiments
beaux :
La terre sentira leur présence féconde :
Pour vous , pour vos moissons , vers le maître du monde
Ils leveront leurs mains vous devrez à leurs voeux
Et les biens de la terre et les trésors des cieux .
5
22 .
338 MERCURE DE FRANCE ,
L'addition la plus importante est l'épisode d'Abdolonyme
. Cet épisode est rempli de richesses
poétiques et d'allusions ingénieuses . Peut- être le
lieu de la scène y est -il encore mieux peint que
les personnages. Mais ce morceau , quoi qu'il en
soit , offre de grandes beautés . On n'y peut relever
qu'un petit nombre de négligences. Il paraîtra
dans le numéro prochain avec quelques remarques .
En général , les détails nouveaux de ce poème
l'ont enrichi ; mais sa marche n'en est que plus
vague et plus embarrassée . On est surpris de retrouver
à la fin d'un chant les mêmes sujets traités
dans le début , et cette confusion nuit au plaisir
du lecteur . L'oreille est toujours flattée , les yeux
toujours éblouis ; mais l'esprit ne reconnaît pas sa
route , et quelquefois il revient , après un long détour,
au point d'où il était parti .
On pourrait étendre ces observations, si l'auteur;
dans sa préface , ne paraissait très - mécontent de
celles qu'on se permit l'année dernière , dans ce
même journal , sur l'Homme des champs * . Il se
plaint avec quelque amertume de l'injustice du
censeur. Franchement , on ne croyait pas avoir été
sévère , et encore, moins injuste . La bienveillance
universelle a toujours environné l'abbé Delille
même quand il était heureux . Ce n'est pas quand il
est absent qu'elle l'abandonnera . Il doit , sans doute,
sa renommée à son grand talent ; mais il doit remercier
aussi la faveur populaire . Pourquoi tant de
reproches aux gens de lettres qui l'ont le plus loué
et le mieux défendu ? C'est ici qu'on peut dire
comme dans Racine :
On t'aime et tu murmures !
Souffrirais -je à la fois ta 400 gloire et tes injures ?
* Voyez le N.° VI de ce journal .
FRUCTIDOR AN IX. 339
Il faut rapporter quelques-unes des plaintes de
sa préface.
*
"
"
"
и
On a souvent observé , dit-il , qu'un des grands
" malheurs de la littérature et de ceux qui la cultivent
, c'est l'animosité qui marche toujours à leur
suite : ce qu'il y a de plus déplorable , c'est qu'on
la rencontre le plus souvent dans ceux qui courent
la même carrière . Malheur à ceux qui peuvent
descendre des objets les plus élevés au traças des
petites passions indignes d'un homme de lettres ! Je
crois voir des mouches brillantes de toutes les
couleurs de la lumière, qui , après s'être jouées aux
rayons du soleil , descendent dans la fange et sar
lissent tout ce qu'elles touchent . L'abeille ne fait
« que de la cire et du miel , et ne se repose que sur
des fleurs.
"
"
"
"
" "
On ne prend point le parti des mouches qui
jouent au soleil et qui salissent ce qu'elles touchent.
Mais on avait seulement observé que
toutes les saisons et tous les climats n'étaient
pas
propres à faire de la cire et du miel . On avait
surtout invité l'abeille à se reposer sur les fleurs
de France qui donnent des sucs plus choisis , et
perfectionnés par un soleil plus heureux. Ce n'est
pas là certainement le conseil de l'envie qui craint
la présence de la gloire.
One
On examinera peut-être un jour ces théories si
yantées des nouveaux jardins. L'orgueil de ce siécle
s'est révolté , dans tous les genres , contre la supériorité
de celui de Louis XIV. Ceux qui n'ont
pu faire tomber Racine devant Shakespear , ont
voulu du moins se venger sur Lenôtre , qui se
nommait très-modestement un jardinier , et non
un artiste. Mais en dépit des succès de la mode ,
340 MERCURE DE FRANCE ,
j'ose croire que ces jardiniers qui ont fait les
Tuileries et le parc de Versailles étaient plus
habiles dans leur art que tous les artistes penseurs
qui ont couvert l'Europe entière de leurs
colifichets ou de leurs monstruosités champêtres.
D'ailleurs , s'il y a quelque mérite à l'invention
de ces jardins , dits anglais , souvenons - nous que
Dufresny, notre compatriote , en fut l'inventeur.
Il précéda tous les auteurs de la nouvelle méthode.
Il voulut porter , dans les jardins , l'originalité
bizarre de son esprit et de sa conduite . Mais
ces jeux d'une imagination déréglée ne purent
s'accorder avec le caractère simple et majestueux
que Louis XIV imprimait à tous les monuments
de son règne.
que
D.
VOYAGE à Montbard , contenant des détails
très-intéressants sur le caractère, la personne
et les écrits de Buffon ; par feu HÉRAULTDE-
SÉCHELLES. Suivi de réffexions sur la déclamation
, et d'autres morceaux de littérature
du même auteur. Paris , chez Terrelonge,
rue du Petit-Bourbon , n.° 557. An 9.
LAA plupart des détails contenus dans ce voyage ont
été déja publiés . Mais le nom de l'écrivain qui représentait
encore le 18. siécle , à la veille des grandes
révolutions qui survinrent dans l'ordre politique et dans
les sciences , leur donne un intérêt indépendant de la
nouveauté. D'ailleurs , le grand homme est peint au
FRUCTIDOR AN IX. 341
milieu de ses habitudes , avec ses faiblesses ; le côté
scandaleux est même légèrement exagéré , et cet interêt-
là est de tous les temps.
On pourrait comparer Hérault - de- Séchelles , visitant
la retraite de Buffon , à un ambassadeur près d'une
cour étrangère , chargé d'y porter des hommages et
d'en rapporter le secret. Le secret d'alors était la
croyance religieuse : le Dictionnaire des Athées n'avait
point paru. Sans doute , le jeune voyageur dut triompher
lorsqu'il entendit l'illustre vieillard , sur le bord
de sa tombe , faire sa profession de matérialisme dans
les termes les plus formels.
-
fl serait facile d'opposer à cette calomnie les écrits
mêmes de Buffon. Il est vrai qu'on ne sait jamais
combien un écrivain peut être loin des opinions de
son livre. Cependant un livre est une preuve , lorsque
la conduite ne l'a jamais démenti . N'est-il pas vraisemblable
que l'auteur du voyage a voulu appuyer sa
propre doctrine d'une grande autorité ? Enfin , comment
persuadera - t-on qu'un vieillard aussi prudent ait
jamais fait une telle confidence à un jeune homme qu'il
voyait en passant , tandis qu'il aurait dissimulé ses
véritables sentiments à ceux qui l'environnaient sans
cesse ?
Celui qui écrit jouait , pendant son enfance , dans
les jardins de Montbard ; il s'est trouvé aux premières
sources de la tradition , et il a souvent entendu les
réclamations des amis et des parents de Buffon , à l'époque
où parurent les Fragments du voyage.
Mais une discussion de cette nature est trop ancienne
aujourd'hui . La secte qui avait alors intérêt de compter
parmi ses partisans l'auteur de l'Histoire naturelle , n'en
a plus besoin , soit que depuis elle ait trouvé un assez grand
342 MERCURE DE FRANCE ,
nombre de défenseurs pour s'en passer , ou que plutôt
elle soit tombée dans le mépris qui a tué ces ordres de
chevalerie où l'on recevait tout le monde.
4 Il serait également minutieux de relever toutes les
inexactitudes de cet écrit. Elles n'empêchent pas lé
portrait de Buffon d'être assez ressemblant. Sa vanité
est rappelée , à chaque page , d'une manière aussi vraie
que piquante. On sait qu'il porta ce faible jusqu'au
ridicule , peut- être parce qu'il n'avait pas l'art de le
déguiser....
*
7
Son extrême avidité de louanges le rendait peu diffi
cile sur le choix. M. de Montbeillard , qui avait le
don particulier de les assaisonner délicatement , lui
disait un jour de dépit : Mon ami , vous êtes au dessus
de la gloire , mais pas au dessus de la gloriole.
Puisque nous avons nommé ce coopérateur de Buffon ,
nous nous permettrons une réflexion sur le jugement
qu'en porte l'éditeur de ce voyage.
"
"C
Peu d'hommes , dit - il , possédaient au même degré
que M. de Montbeillard ce qui semblait manquer
à M. de Buffon . Rien de plus , spirituel et de plus
attachant que sa conversation . Mais pour le talent
qui constitue le grand écrivain , quelle différence !
" Sa plume est une plume d'acier ; que ses traits sont
loin de ceux du doux pinceau de M. de Buffon !
"
"
Sans prétendre ici rapprocher la distance qui sépare
l'auteur de l'Histoire naturelle de tous ceux qui l'ont
suivi , il nous semble que cette critique ne caractérise
point les défauts de M. de Montbeillard . Ce n'était
point avec une plume d'acier qu'écrivait l'auteur de
l'histoire du paon , du discours préliminaire placé à la
tête de la Collection académique , et de quelques autres
essais qui eurent la gloire d'être confondus avec ceux
de Buffon ; mais la meilleure réponse à cette étrange
FRUCTIDOR AN IX. 343
eritique , est l'histoire aimable du rossignol , morceau
plein de charmes et d'harmonie , et semé de détails.
d'amour , à la fois si chastes et si passionnés .
*
Au reste , ce jugement est moins celui de l'éditeur que
l'opinion d'une autre femme qui avait , dit -il , beaucoup
d'esprit , il aurait pu ajouter, beaucoup de vertus ; mais
qui , par une fatalité trop commune , n'eut jamais le
naturel de l'esprit et de la vertu : le mot est de M.me
Necker ; elle l'a consigné dans les mélanges publiés
après sa mort , en relevant plusieurs expressions de
M. de Montbeillard , qui lui paraissent dures et trop
communes,
Il est permis , lorsqu'il s'agit de goût et de convenances
de style , de récuser un juge qui les connaissait
si peu lui - même. On en pourrait apporter entre
autres preuves ,
cette inconcevable lettre à M.me Nadot
sur la mort de M. Buffon . Elle trouve aussi sa place
dans les mélanges.
" Votre sublime frère , y est-il dit , est entré tout
" entier dans le tombeau : la vieillesse , la maladie et la
" mort même , combattant à la fois contre sa belle ame ,
" n'ont pu l'ébranler un moment , ni la faire revenir
" en arrière ! » Jamais la douleur ne s'était aussi
magnifiquement exprimé.
M.me Necker entretint longtemps , avec M. de Buffon ,
une correspondance dont l'enflure allait toujours croissant
, comme son admiration . Tant d'exagération le
frappait lui- même , et c'était pourtant des éloges . Il
en riait tout doucement avec ses amis . Pardieu , pardieu ,
disait- il en secouant la tête , M. Necker m'envoie-là
de drôles de pièces d'éloquence.
Cependant il s'efforçait de répondre sur le même
ton . Souvent même il s'inquiétait avec bonhommie
344 MERCURE DE FRANCE ,
de ne pouvoir l'atteindre . Jamais , disait- il , je ne mon“
terai assez haut. - Cette contradiction s'explique . Do
tout temps , le mérite n'était qu'estimé , lorsqu'il
n'avait pas pour lui certaines voix qui décident les
succès. Un homme supérieur n'était pas toujours assez
philosophe pour dédaigner tous les petits moyens . Et
Buffon , méditant sa lettre comme une page de l'His¬
toire naturelle , était un ami de la Gloire qui écrivait
à la Renommée.
Nul écrivain ne corrigeait son style aussi laborieusement
. Il avait reçu de la nature un grand talent
sous la condition d'un grand travail ; il reçut encore une
volonté ferme de remplir cette condition toute entière.
Telle période de ses discours préliminaires lui a coûté
plusieurs jours d'efforts. I cherchait une expression
propre , comme un poète cherche le mot qui doit
remplir une mesure . Quelquefois , lorsqu'il était fatigué
de cet exercice , il proposait son embarras à table , et
il était rare qu'on en sortît sans avoir trouvé le mot.
Faut-il s'étonner qu'il définit le génie , une grande
aptitude à la patience ?
Cette extrême roideur dans le travail , lui rendait
peut- être impossible la construction du yers . On connait
ses critiques injustes et ridicules des chef- d'oeuvres
de notre poésie , et de tous les vers en général qui
n'étaient pas à sa louange. Le voyageur lui fait dire
qu'il aurait pu faire des vers tout comme un autre ;
mais qu'il avait bientôt abandonné ce genre, où la raison
ne porte que des fers. Buffon avait avoué à un de ses
amis intimes qu'il n'avait jamais pu terminer un seul
quatrain. Cette particularité n'est pas sans vraisemblance
.
Son style ( et cette remarque est aussi de Buffon
qui se rendait volontiers toute justice ) se perfectionna
FRUCTIDOR AN IX. 345
même dans sa vieillesse ; comme s'il eût fallu domptèr ,
par un travail de soixante années , cette nature si vigoureuse
, ou que , véritablement , le travail ajoute
tant à la nature , qu'il en compense même les pertes !
Il était fort ágé lorsqu'il écrivit l'Histoire du cygne ,
morceau admirable , où il déploie toutes les richesses
purès et la douce majesté du roi des oiseaux d'eau .
I affectionnait particulièrement l'histoire du cygne ,
peut-être parce qu'il y retrouvait ces couleurs adoucies
et ces affections plus calmes , qui conviennent au déclin
de la vie. Un jour, il le récitait chez M. de Montbeil-
Jard , après de longues et de cruelles souffrances de la
pierre . Jamais Buffon ne fut plus semblable à luimême
que ce jour- là . Il éprouvait ce rajeunissement
de la convalescence que l'on remarque dans un vieillard
, avec une joie mêlée de trouble et de pressentiment
. Sa manière de réciter avait même une perfection
qui ne lui était pas ordinaire . Mais lorsqu'il vint à
ées paroles qui terminent : « Les cygnes , sans doute ,
ne chantent pas leur mort. Mais toujours , en parlant
du dernier essor et des derniers élans d'un beau
génie prêt à s'éteindre , on rappellera avec sentiment
cette expression touchante : c'est le chant du eygne ! »
Alors sa voix était pleine d'émotion , et de grosses larmes
tombaient de ses yeux . "
"
On nous pardonnera d'avoir ajouté quelques traits à
ceux que l'on trouvera en grand nombre , dans cet
ouvrage. Jamais ce qui intéresse un grand homme
n'est tout- à - fait indifférent. Les simples propos de
table de Plutarque plaisent encore , parce que ces
propos quelquefois expliquent la conduite d'un homme
d'état. On aime aussi à retrouver la manière d'un écrivain
célèbre dans ses habitudes et ses moeurs. Le style
est tout l'homme,
346 MERCURE DE FRANCE ,
2
- Si quelqu'un , dit un écrivain peu connu , avait
rencontré un homme d'une attitude carrée , portant
la tête haute , comme s'il était né pour un grand travail
d'esprit , invariablement réglé dans la distribu-
« tion de sa journée , pendant soixante ans " péu remarquable
dans la conversation , égoïste par caractère
ou par convenance , comptant les plaisirs du coeur
« pour peu de chose dans les plaisirs de la vie , peut-
« être aurait-il conçu l'idée de ce style plein et fort ,
« simple dans ses formes , magnifique par la beauté
23
des idées , le choix des expressions et la justesse de
« leurs rapports ; du reste , montrant trop peu les af-
" fections de l'ame humaine , et dépourvu de cette
« vie qu'on ne trouve pas dans les régions froides
" et élevées. Cependant il n'aurait conçu toutes les
couleurs et toutes les pompes de ce style inimitable ,
qu'après avoir vu Buffon au lever du soleil , entouré
des parfums et des concerts du matin , s'avancer lentement
et avec majesté vers sa tour , à l'aspect des
paysages de Montbard , et des montagnes lointaines,
C'étaient , de son aveu , les plus beaux instants de sa
vie ; alors il entrait , pour ainsi dire , en communication
avec toute la nature. Mais il retenait ses inspirations
dans une tête puissante . Son génie plein d'essor
, mais calme et patient , n'était point fatigué par
le besoin d'écrire. L'esprit calculait longtemps ce que
l'imagination avait acquis , et il ne confiait au papier
ses hautes pensées , que lorsqu'il les jugeait dignes du
monument qu'il méditait toujours.
S.
1
FRUCTIDOR AN IX. 347
1
CONTES , fables , chansons et vers de L. P.
SEGUR l'aîné , ex-ambassadeur, membre du
Corps législatif, avec cette épigraphe :
4
eamus. Cantantes licet usque (minus via lædet )ear
VIRG. Eglog. IX .
1 vol . in-8.º de 260 pages , imprimé sur carrẻ
fin d'Angoulême , et caractère de petit-romain
neuf, 3 fr.; et 3 fr , 70 cent. , franc de port par
la
poste. En papier vélin , 6 fr . sans le port,
A Paris , chez F. Buisson , imprimeur- libraire ,
rue Hautefeuille , n.º 20.
Nous plaçons cette annonce des Chansons du C. Ségur ,
comme il les a faites , entre le compte que nous avons
rendu et celui que nous rendrons, incessamment d'ouvrages
sérieux et importants du même auteur : l'Histoire
du règne de F. Guillaume * et la Politique de tous les
cabinets de l'Europe.
?
* La seconde édition de cet ouvrage a paru , sous le titre
de Tableau historique et politique de l'Europe , de 1786
à 1996. Chez Buisson , 3 vol . in-8.º Le changement de titre
n'est pas la seule amélioration qu'il ait reçue dans cette nouvelle
édition , quoique , lui- même , en soit une assez impor
tante . On avait déja fait la remarque dans ce journal , que
le dernier roi de Prusse n'avait ni assez marqué en Europe , ni
ne se montrait assez dans l'ouvrage pour lui donner son nom .
En choisissant ce nouveau titre , l'auteur a mieux ordonné
toutes les parties de son travail , qui a beaucoup gagné à cette
disposition. L'ouvrage , en outre , est augmenté de nouveaux
faitset de morceaux intéressants par eux- mêmes , et travaillés
avec soin pour le style ; tel que celui sur Lavoisier , et
un grand nombre d'autres .
348 MERCURE DE FRANCE ,
C'est un heureux don de la nature , que cette disposition
toujours égale pour les choses agréables et les choses
sérieuses , les travaux de la raison et les jeux de l'esprit ,
les affaires et les plaisirs . Celui qui l'a reçu est vraiment
l'homme d'Horace :
Omne tulit punctum , qui miscuit utile dulci.
Les exemples de cette réunion ne sauraient être bien
communs ; car chacune de ces qualités , prise séparément ,
est elle-même assez rare . Un homme vraiment habile, et un
homme vraiment aimable , ont chacun beaucoup de prix.
On les trouverait plus souvent réunis , sans ce vieux préjugé
qui établit une prétendue incompatibilité entre les
études graves et les talents agréables ; les goûts littéraires
et les soins importants ; ce qu'on appelle proprement l'esprit
, et ce qu'on nomme assez improprement l'esprit des
affaires. On sait avec quel stupide orgueil les sots triomphent
de cette opinion ; et des gens sensés , à cet égard ,
pensent quelquefois comme les sots. Parmi tous les préjugés
que la révolution a détruits , il n'est pas bien sûr
qu'elle ait triomphe de celui-là.
Reconnaissons aussi que l'époque la plus favorable
pour offrir l'assemblage de ces qualités , plus diverses
qu'opposées , est celle où la civilisation a reçu tout son
développement ; où toutes les classes de la société se sont
´en quelque sorte pénétrées , et tous les esprits se sont confondus
; alors le savoir et les agréments se rencontrent
et s'allient . Quelques individus privilégiés échappent à la
frivolité , partage trop commun des rangs et des fortunes
héréditaires , et n'en retiennent que les graces; d'autres
secouent la poussière de l'école , et n'en gardent que les
connaissances solides . Alors on trouve Alcibiade à l'école
de Socrate , et Aristippe à la cour des rois ; Scipion conduit
la plame de Térence, et Cicéron s'élève au cousulat ;
des marchands de Florence ', au siécle de Léon X , .sont
tour-à-tour guerriers , politiques et beaux - esprits ; à une
autre époque et dans d'autres lieux , un souverain héré-
I
* ༔
FRUCTIDOR AN IX. 349
ditaire , le grand Frédéric , parcourt avec succès ces différentes
carrières ; et dans une île voisine , le fils d'un
menuisier , Prior , est un poète aimable et un habile
plénipotentiaire , et Buckingham , las d'être ambassadeur
, n'est plus que poète enfin , pour arriver à des
exemples plus récents , c'est alors que Voltaire est , pour
les courtisans eux - mêmes , un modèle de toutes les convenances
, et que Bernis , Nivernois , Ségur , tracent de
la même plume des traités d'alliance , de paix , de commerce
, et des poésies brillantes , des fables ingénieuses,
et de légères chansons .
On connaît déja quelques - unes des pièces de ce recueil
; ainsi nous ne rapporterons ni les jolis couplets sur
les infidelles , Ne soyez qu'infidelle , sans crime on peut
changer, etc. , ni l'Hymine à la lune , Tout coeur sensible
préfère la lune à l'astre du jour, etc. , ni la chanson A celle
que je ne veux pas nommer , qui s'est placée comme
d'elle- même dans la mémoire de tous ceux qui chantent ,
et même de ceux qui ne chantent pas. Je dirai seulement ,
à propos de cette chanson , que je donne la préférence à
un vers de la fin , tel qu'il s'est arrangé , je ne sais comment
, dans mon souvenir , à celui qui lui correspond
dans le recueil. J'ai toujours dit , et j'ai toujours cru
qu'on devait dire :
Vous la dépeindre si belle ,
Si propre à tout enflammer ,
N'est-ce pas vous nommer..cellet.
Que je ne veux pas nommer ?
Au lieu des mots soulignés , on lit dans le recueil,
N'est-ce pas désigner celle , etc. Je puis me tromper ,
mais le mot désigner ne me paraît pás
assez du genre ;
il me semble qu'il se chante moins bien , et même que
la répétition du mot a ici plus de grace. Laharpe a cité
comme je me souviens. Je soumets à l'auteur cette observation.
350 MERCURE DE FRANCE ,
Mais qui n'aimera la grace de ce couplet adressé à
une jolie femme qui se regardait dans un miroir :
Air De Raymonde. :
Dans un miroir de sa mère ,
Un jour l'Amour se mirait :
Plus joli qu'à l'ordinaire ,
Le petit Dieu s'admirait .
Ce miroir n'était qu'un verre.
De sou erreur on riait ;
Car Sophie était derrière ;
C'était elle qu'il voyait.
L'emploi du refrain est un des agréments de ce genre .
Quelquefois il supplée à l'esprit , d'autre fois il en augmente
l'effet , comme dans la chanson suivante :
Chanson à SYLVIE.
Air : N'allez pas mordre à la grappe , ou le Vaudeville
du Mameluc à Paris.
Dans les cieux quelle tristesse !
Que de trouble et de douleur !
A Jupin , chaque Déesse
Vient raconter son malheur.
La jeune Aurore s'écrie
Qu'on lui vole sa fraîcheur.
Je ne dis rien ; mais , Sylvie ,
Je connais bien le voleur.
Les Graces , toutes en larmes ,
Vont cherchant , de tout côté ,
De leurs regards les doux charmes ,
Leur sourire et leur gaîté ;
De leurs lèvres l'ambroisie ,
Et de leur front la pudeur.
Je ne dis rien ; mais , Sylvie ,
Je connais bien le voleur.
FRUCTIDOR AN IX. 351
De trop courir Hébé lasse ,
Demande envain son printemps ;
Les neuf Muses au Parnasse ,
Ne trouvent plus leurs talents ;
Flore , inquiète et pâlie ,
Voit ses roses sans couleur.
Je ne dis rien ; mais , Sylvie ,
Je connais bien le voleur.
De colère transportée ,
Vénus redemande en pleurs ,
Et sa ceinture enchantée ,
Et son pouvoir sur les coeurs .
Mais à Minerve , en furie ,
Si l'on ne rend sa rigueur ,
Sougez-y , belle Sylvie ,.
Je dénonce le voleur.
Le caractère qui me parait distinguer particulièrement
l'auteur , c'est l'élégance. Ce sujet est aussi un de ceux
auxquels il a le mieux réussi . On voit qu'il parait sa maîtresse.
Je citerai quelques couplets de la chanson qu'il
lui a consacrée.
Air : C'est un propos , c'est un regard , etc.
Il est une Divinité
Que je préfère à la beauté ,
Fille des grâces et du goût ;
C'est l'élégance ,
Dont la présence f
Embellit tout.
On a vu d'absurdes tyrans ,
"
Avides , grossiers , ignorans , 19
De ces lieux bannir trop longtemps ,
Etl'innocence ,
Et l'élégance ,
Et les talents .
!
352 MERCURE DE FRANCE ,
J'espère qu'on y reverra
Tout ce que le crime exila.
Ainsi , mes amis , annonçons
La renaissance ,
De l'élégance ,
Dans nos chansous.
La chanson qui a pour titre , Eloge et portrait d'un
ami, est un jeu d'esprit très - piquant ; le badinage s'y
mêle à la sensibilité , et il en est résulté un composé
fort original.
Air : Chantez , dansez , etc.
Jetez les yeux sur le portrait
Du tendre ami que je regrette ,
Et vous verrez dans chaque trait
L'affreuse perte que j'ai faite .
De tels amis qu'on a perdus ,
Hélas! ne se retrouvent plus.
Beau sans orgueil , doux et vaillant ,
Sensible , complaisant , aimable ;
Il était gai , bon , mais bouillant ,
Et pour les fripons implacable ;
Sou esprit , sans être méchaut ,
Pour les méchants était mordant.
Toujours vétu du même habit,
Méprisant et fortune et gloire ,
Le pain calmait son appétit ;
De l'eau lui suffisait pour boire.
Des philosophes d'à -présent ,
Je doute qu'ou en dise aulant.
Tendre et constant en amitié ,
Quoiqu'aimant la brune et la blonde ,
Sans intérêt il m'eût à pied
Suivi jusques au bout du monde ;
Quand la fortune me quitta ,
A mon dîner , seul il resta. ' I
FRUCTIDOR AN IX. 1353
DEPT
Mais , des amis tel est le sort ,
Quelquefois ils sont en querelle.
Je le grondais souvent à tort ;
Il redoublait alors de zèle.
Sur mes desirs réglant son goût ,
C'est à moi qu'il rapportait tout.
Le voilà peint ;tel qu'il était ,
Des amis ce parfait modèle ,
Toujours égal , toujours discret
Au même ami toujours fidèle ; i-
Etait- ce un homme ....? Mon dieu! non ;
C'était mon pauvre chien Pluton .
REP.FRA
Faisons aussi connaître le talent de l'auteur pour la
chanson bachique , que la joyeuse société des Dîneurs
du Vaudeville n'a garde de dédaigner. Il faut encore
dans ce genre , recourir à l'antiquité : les enfants n'ont
pas égalé les pères dans l'art de chanter et de boire . Cependant
toute la verve et toute la gaieté bachiques se retrouvent
dans la chanson qu'on va citer.
T
L'IVRESSE.Air: J'ons un curé patriote.
t
Amis , je suis dans l'ivresse ,
Bacchus dicte mes accens ;
Jainais la froide sagesse
Ne vient engourdir mes sens.
Chez moi l'ennui , le chagrin
Sont chassés dès le matin.
Dans le fonds
Des Baconson
# #
noTous, mes maux vont s'engloutir; l
Tout s'y noie , hormis le plaisir.
I
SIA 62 95
QUOMA Eu.l
De tous les biens de la terre
>
En m'enivrant , je ne ris ; A "
Je verse à flots , dans mon verre ,
La topase et le rubis ! and al
J'ai de l'or tout à mon gré , lat
ente
5
23
354 MERCURE DE FRANCE ,
Quand mou raisin est doré ;
Diamant
Bien brillant ,
Perles , cristal , ambre fin ,
Tout est dans un verre de vin .
A l'ivresse de la gloire
Je préfère le repos ;.
Mais j'excelle à rire , à boire ;
Ce sont là tous mes travaux.
Si je fais une chanson ,
Bacchus est mon Apollon ;
Quand j'écris ,
Etant gris ,
Je suis un rimeur divin' ;
Tout mou talent est dans mon vin .
Vous qui savez dans la ville
Ressusciter la gaîté ,
Troubadours du Vaudeville ,
Je bois à votre santé.
Voulez- vous que vos fivaux
Ne soient jamais vos égaux ?
Pour trouver ,
Sans rêver,
Bon couplet et gai refrain ,
Trempez vos plumes dans le vin.
Enfin , car il est aussi difficile de se borner que de
choisir , je citerai Les amours de Laure , ronde pour une
noce ; et , si , comme tout l'indique , c'est pour la noce
de sa fille qu'elle a été composée , nous ne féliciterons
pas moins le poète de son bonheur que de son talent.
siva
LES AMOURS DE LA URE ,
Air : L'amitié vive et pure.""
Aney ( O2 eurb , to . 6 9197
Ma Laure est douce et sage ;
Mais je vous dis sans détour,
ronde.
FRUCTIDOR AN I X.
355
Qu'avant le mariage ,
Elle connaissait l'Amour :
Il la prit dès son aurore.
( On sait qu'il est matinal. )
Ce premier amour de Laure ,
Ce fut l'amour filial.
( Bis . )
Un amour aussi tendre ,
Aussi vif, mais plus joyeux ,
Vint bientôt la
surprendre ,
Suivi des Ris et des Jeux ;
De fleurs , ici même encore
Elle pare son autel :
Ce second amour de Laure,
Ce fut l'amour fraternel.
A l'âge où la nature ,
Trop prompte à nous enflammer ,
A l'ame la plus pure ,
Donne le besoin d'aimer,
Un autre amour que j'honore ,
Vint briller à ses regards ;
Ce troisième amour de Laure ,
Ce fut l'amour des beaux-arts.
( Bis. )
(Bis.)
Un amour plus sévère ,
Si vivement l'exalta ,
Que fort loin de la terre ,
Sur son aile il l'emporta .
Cetamour nous peut encore
Permettre un joyeux refrain .
David dausait bien , mä Laure ,
En chantant l'amour divin.
Laure comptait tout juste
Déja ces quatre amours-là ,
Lorsqu'en voyant Auguste
D'un cinquième elle brûla :
Cet amour qui la colore
D'un incarnat virginal ,
Fera le bonheur de Laure ,
< Car c'est l'amour conjugal,
( Bis . )
( Bis.)
356 MERCURE DE FRANCE ,:
Ici , sans jalousie ,
De ces amours si nombreux
La troupe réunie
D'hymen célèbre les noeuds :
L'amitié qui les seconde ,
Chez nous , avec eux toujours
Chantera gaîment la roude
De Laure et de ses amours.
(Bis. )
Favart , dont les couplets sont chantés de tout le
monde , et qui méritait si bien de l'être lui - même ,
trouve un chantre dans son successeur . Il y trouve aussi
un juge qui apprécie son talent avec un goût sûr , et
rappelle ses titres avec une précision élégante. La chanson
qui lui est adressée se termine par un couplet que
l'on pourrait appliquer au C. Ségur .
Vous qui voulez , par vos chansons
Vous faire une gloire immortelle ,
De Favart suivez les leçons ;
Qu'il soit votre guide fidelle .
On ne saurait trop copier
Du bon goût ce parfait modèle ;
Nul ne peut le faire oublier :
Heureux celui qui le rappelle !
>
On distinguera , pour l'invention , et comme offrant
un modèle de facilité , sans négligence , la chanson de
POrigine de la Jalousie. Pour tenir lieu de toutes les
précautions des jaloux , on y donne cette recette :
Aimons , aimons bien ,
C'est le seul moyen
De garder nos maîtresses. ´
Veut- on connaître l'histoire de la Société des Dîners
du Vaudeville ? La voici en quatre vers , courte et bonne.
Mes chers amis , vivre toujours en paix
Rire de tout , manger chaud , boire frais ;
FRUCTIDOR AN IX. 357
1
Faire en dînant d'assez jolis couplets ,
Cet heureux songe est votre histoire.
La chanson , sur la Naissance du Vaudeville est un
petit drame , et il est charmant .
Enfin , voici un couplet , qui prouve que par fois
aussi le Vaudeville pourrait élever la voix. Il se trouve
dans la chanson sur l'Oreiller.
Sur Boreiller
La vertu dort , comme l'enfance ;
Sur l'oreiller
Nul remords ne peut l'éveiller.
Le crime y perd son insolence ;
Il est jaloux de l'innocence
Sur l'oreiller,
On trouvera aussi un grand nombre de chansons
faites sur un mot donné. C'est un des statuts de la Société
des Dîners . Cette obligation , comme tout ce qui
offre une difficulté à vaincre , est à la fois un obstacle
et un aiguillon . Ici , jamais la contrainte ne se fait
sentir. Le mot s'offre naturellement ; on le croirait toujours
choisi , jamais donné . C'est un petit genre ; mais
c'en est la perfection .
Je n'omettrai pas de dire que dans ce genre hasardeux ,
où l'on marche toujours , en quelque sorte , sur la limite
des convenances , l'auteur ne l'a jamais franchie. Il a
pris pour lui le conseil qu'il donne à ses confrères ,
dans sa chanson sur la Gaze.
Pour faire aimer notre gaîté ,
Amis ! n'oublions pas la gaze .
Ce précépte est autant dicté par le goût que par la morale
, et il n'est violé que par ceux qui ne connaissent
ni l'un ni l'autre.
358 MERCURE DE FRANCE ,
Beaucoup de traits piquants , mais généraux : Rien
de fâcheux et de direct , voilà encore un des caractères
estimables de cette collection . Trop souvent la
chanson a été une arme offensive .
Dans le nombre de ces chansons , il en est une moins
heureuse par le choix du sujet et par l'exécution ; c'est
celle de l'Ame et du Corps. Je crois qu'on blâmera aussi
ce trait dans celle pour madame L.......
Se voyant moins blanc qu'elle ,
Le lys rougit.
Le premier vers est dur , et la pensée est à la fois
commune et recherchée. On ne trouverait pas dans tout
le recueil un autre exemple de ce défaut.
:
Je me suis beaucoup étendu sur ces chansons , et on
me le pardonnera en faveur de tout ce que j'en ai cité.
Je passerai rapidement sur les autres poésies ; mais il
en est plusieurs sur lesquelles le lecteur s'arrêtera avec
plaisir ; L'Amour ou les Vents alizés , ou l'Origine de
l'Inconstance , est une fable , ou plutôt une allégorie ,
où l'abus de l'esprit se fait trop sentir ; mais la fable du
Lac et des Torrents est excellente , et n'est pas la seule,
Le conte du Pistolet , sujet déja traité , et trop souvent
peut - être , et un drame de société , grossissent
ce recueil , sans ajouter à son prix . Mais qui n'est pas
indulgent pour des vers de circonstance , accueillis dans
sa société ? Malheureusement le public n'était pas de la
fête. Toutefois ces observations ne tombent que sur un
très- petit nombre de pièces , et nous en exceptons formellement
les chansons ,
On distinguera la pièce adressée à l'impératrice de
Russie , sur l'influence prédominante du climat ou des
lois sur les moeurs , comme celle où l'auteur s'est le
plus approché de la haute poésie , et a fait yoir qu'il
en pouvait soutenir le ton . Il a donné , quant à cette
FRUCTIDOR AN IX. 359
influence , une grande supériorité aux lois sur le climat ,
enopposition avec l'impératrice , qui avait soutenu l'opinion
contraire. Il y a saisi l'occasion de faire noblement
sa cour à cette souveraine ; et on pourrait dire , en vérité,
qu'elle-même , la première , la lui avait faite , en
prenant , au 6o.me degré de latitude , un tel parti dans
cette question. C'était vouloir assurément qu'on eût
raison contre elle . L'auteur a bien profité de tous ses
avantages ; mais avec quelle politesse et quelle grace !
Si , comme Voltaire l'a dit quelque part , le premier talent
d'un négociateur est de plaire , on conviendra que
le choix de Ségur était bon. L'anecdote d'un traité
avantageux de commerce entre la France et la Russie ,
dressé au milieu des fêtes , et écrit avec la plume de
l'ambassadeur d'Angleterre , est connue de tout le
monde. C'est une gaieté d'un bien bon
genre. Le sentiment
de Voltaire et le choix de la cour ne pouvaient
être mieux justifiés . Nous avons été surpris de ne pas
trouver dans ce recueil un quatrain , que nous avions
toujours cru de l'ambassadeur de France , et qui méritait
bien d'y trouver place. L'imperatrice , disait- on ,
avait donné , en bouts rimés à remplir , ces quatre rimes
baroques ; amour , frotte , tambour , note ; et l'ambassadeur
les avait remplis sur le champ , de la manière
suivante :
De l'Univers entier , Catherine est l'Amour.
Dans les plaines de Mars , malheur à qui s'y frotte.
La renommée est son
Et la postérité sera son garde
tambour ,
note.
Si ces quatre vers ne sont pas de l'auteur des chansons
, ils pouvaient en être ; et leur auteur , quel qu'il
soit , a eu là un à - propos et un moment bien heureux .
Si des personnes d'un goût dur ou dédaigneux trouvalent
les noms d'ambassadeur et de souverain bien
360 MERCURE DE FRANCE ,
"
grands pour des jeux si petits , nous leur répondrionspar
ce passage de l'avant- propos du Temple du Goût
de cet homme qui a si souvent donné des formes piquantes
à la raison . Les barbares de son temps étaient
d'une autre espèce que les nôtres ; mais la même réponse
s'applique fort bien aux uns et aux autres ; et , de plus ,
justifie pleinement , s'il en est besoin , un homme d'état
chansonnier. « S'il y a encore , a dit Voltaire , dans
" notre nation si polie , quelques barbares et quelques
mauvais plaisants qui osent désapprouver des occupations
littéraires , on peut assurer qu'ils en feraient
☐ autant , s'ils le pouvaient. Je suis très - persuadé que
quand un homme ne cultive pas un talent , c'est qu'il
" ne l'a pas ; qu'il n'y a personne qui ne fît des vers , s'il
"
་་
était né poète , et de la musique , s'il était né musia
cien
. "
M.
整
1
SPECTACLE S ..
THEATRE FRANÇAIS DE LA RÉPUBLIQUE.
DEBUT de M. GROS , dans ALZIRE et
dans
ANDROMAQUE
.
lle
LE
ES progrès de cette jeune actrice , que tant de dispositions
brillantes recommandent à l'indulgence 'publique
, sont assez marqués sans être rapides. Avec une
taille d'une éléganer rare et d'une majesté prématurée ,
elle manque souvent de grace et de dignité ; sa voix
est , douce , vétendue et flexible ; mais les intonations
en sont monotones et quelquefois forcées : elle surprend
, elle entraîne par son énergie et par l'accent
passionné qu'elle donne à quelques ' traits de sentiment ;
cependant , il reste toujours dans ses gestes je ne sais
quoi de vague et de mal conçu , qui laisse des doutes ,
pénibles sur son intelligence . Ces contrastes qui ,
malheureusement sont aussi des contradictions
ne
FRUCTID OR AN IX. 36L
}
peuvent s'expliquer que par sa jeunesse , son inexpérience
et le peu de temps qu'on lui a laissé pour
étudier un emploi dont tous les rôles doivent être
approfondis .
Cest surtout dans Alzire que cette inégalité de caractère
et d'expression á vivement frappé le spectateur
attentif Le troisième acte de cette tragédie est un
des plus beaux qu'il y ait au théâtre. Il faut plaindre
les ennemis de Voltaire , qui se condamnent au tourment
de le voir et de l'analyser. Trop instruits pour
en méconnaître les beautés , trop assidus au spectacle
pour n'avoir pas senti l'effet qu'elles y produisent , il ne
leur reste d'autre parti que de nier ce qu'ils éprouvent ,
et de blâmer par système ce qu'ils admirent par
conviction . Mlle Gros qui , dans ce troisième acte et
surtout dans la scène d'Alzire avec Zamore , se livrait
plus franchement que les critiques , à son émotion et
à son instinct , a fait passer , dans tous les coeurs , le
charme de cette situation si éminemment tragique.
Elle a paru s'élever au dessus d'elle -même ; et fortement
soutenue par Laffond , elle a rendu avec une expression
toujours vraie , toujours frappante , les détails de
cette scène sublime qui , traduite dans toutes les langues
, a fait verser des larmes chez toutes les nations
. Dans le reste de la pièce , elle a été généralement
faible et quelquefois outrée . Cette inégalité
choquante l'expose à des reproches sévères , et peut
l'éloigner encore , pendant longtemps , du rang qui lui
parait destiné parmi les actrices d'un talent supérieur."
Mais elle promet du moins aux connaisseurs , que
M.lle Gros , bien différente de certains modèles qui ne
donnent jamais l'envie de les applaudir , ni le droit
de les sifiler , n'emploiera pas trente années de sa vie
à perfectionner la monotonie de la médiocrité.
-
Au reste , malgré l'éclat fugitif dont elle a brillé
quelquefois dans le rôle d'Alzire , il faut reconnaître
qu'elle a été plus constamment heureuse dans celui
Andromaque ; soit qu'elle ait été préparée à ce rôle
par des études plus suivies , soit qu'une douleur simple
et modeste , qui pénètre l'ame par son accent timide
et mélodieux , soit plus facile à rendre que les passions
tumultueuses d'Alzire , placée , pour ainsi dire ,
362 MERCURE DE FRANCE ,
entre la nature et la société , tour- à- tour accablée par
ses tyrans et par son père , par son amant et par son
époux . On a bien remarqué les fautes nombreuses qui
lui échappent dans sa diction et dans son jeu . Mais
elle a eu fréquemment l'attitude , l'esprit et le caractère
de son rôle. Sa sensibilité s'est exaltée dans la
scène admirable qui termine le troisième acte d'Andromaque
, et dans celle qui commence le quatrième .
Elle a dit du ton le plus juste , ce vers si naturel et
si touchant :
Et quelquefois aussi parle lui de sa mère !
Aussi les applaudissements qu'elle a reçus dans ces
deux scènes étaient une véritable récompense , sans
cesser d'être un encouragement.
On peut , dès aujourd'hui , prédire à M.lle Gros des
succès durables , si elle sait apprécier ceux qu'elle
obtient dans ce moment ; de tous les piéges qui envi
ronnent son inexpérience , les plus perfides sont les
éloges intéressés ou peu réfléchis . Si la voix empoisonnée
de quelques flatteurs lui persuadait qu'elle est
déja M.lle Clairon , elle resterait toujours M.lle Gros.
Laffond s'est élevé à une hauteur où la louange est
moins dangereuse et la critique encore plus utile. Mais
il ne faut pas que celle-ci porte sur le caractère de son
physique , à moins que l'acteur ne néglige de lui donner
ce degré d'expression que l'art peut saisir. On a dit
qu'il faudrait la taille et la voix d'Hercule pour représenter
Zamore : je ne crois pas que ce jeune sauvage
, ivré d'amour et de jalousie , dont la valeur
audacieuse attaque ses tyrans avec des armes trop inégales
, qui succombe au premier choc , et qui borne
tous ses exploits à frapper Guzman d'un fer imprévu ,
ait aucun trait de ressemblance avec l'athléte invincible
qui terrasse le lion de Némée , et qui étouffe
dans ses bras le fils de la Terre. Il me semble que
Laffond , jouant le róle de Zamore , pour la première
fois , en a très bien saisi le caractère , que son physique
n'est pas fort au dessous des dimensions qu'il
exige , et qu'il peut se flatter de le rendre avec autant
de vérité que de talent , quand il aura mieux calculé
l'usage de ses moyens . On a remarqué qu'un excès de
FRUCTIDOR AN IX. 363
chaleur et d'emportement précipite quelquefois son
débit , le fatigue , l'épuise , et que l'explosion de sa
force éclate avant le moment qui doit produire le plus
d'effet. C'est ainsi que , dans ces vers terribles , qui
ne doivent être qu'un cri de fureur ,
Êtes- vous donc des Dieux qu'on ne puisse attaquer !
Et teints de notre sang faut- il vous invoquer !
Laffond exhale toute la rage de Zamore dans le
premier , et fait à peine entendre le second.
Je m'arrêterai moins sur le rôle d'Oreste , dans Andromaque.
Laffond l'a joué souvent , même dans ses
débuts , et il y obtient un succès constant et mérité,
Il me semble toutefois que ses progrès sont beaucoup
moins sensibles dans ce rôle que dans ceux de Tancrède
et d'Orosmane.
Saint-Phal, acteur aimé du public , et digne d'en
être estimé par son caractère , comme par ses talents
a joué Guzman dans Alzire , et Pyrrhus dans Andromaque
avec tous les défauts et tous les avantages de
la manière qu'il s'est faite , et qu'il ne changera pas.
Il y a reçu des témoignages marqués d'une bienveillance
méritée ; son zèle , son intelligence , un maintien
plein de décence et de dignité , l'usage et la connaissance
de la scène , l'étude des bons modèles et des
traditions , assurent à cet acteur une place distinguée ,
et rachètent les défauts très - graves que ses efforts n'ont
pu corriger. Il n'est déplacé dans aucun des genres
qu'il cultive , et sa présence , dans les meilleurs ouvrages
, parmi les premiers artistes , ajoute toujours à
l'ensemble des représentations. E.
THEATRE DE LOUVOI S.
DUHAUTCOURS ou LE CONTRAT D'UNION ,
comédie en cing actes , en prose.
ENCORE une pièce de Picard ; c'est-à - dire , encore
un succès.
Durville , homme faible et sans caractère , séduit par
364 MERCURE DE FRANCE , 1
l'appas d'une fortune facile , adopte le projet d'une
faillite calculée , qui lui est inspiré par un fripon
nommé Duhautcours , entrepreneur général de toutes
les banqueroutes frauduleuses de Paris.- Les mesures
préliminaires que commandent la prudence et l'usage ,
ont été prises par Durville. Séparation de bien entre
sa femme et lui ; 800,000 fr. réalisés dans un portefeuille
; un actif ostensible , composé de bons effets
sur des négociants ruinés , et d'actions sur des corsaires,
pris par l'ennemi , rien n'est oublié. Le bilan va paraître
; et Durville , pour profiter d'un dernier moment
de son crédit , donne , ce jour - là même , une fête
brillante ; moyen très -innocent qui , malheureusement
pour les spéculateurs , commence à s'user dans la
pratique ; mais qui , dans la pièce , produit un effet
piquant , et met tous les personnages en situation .
En effet , M. Crépon , marchand de modes très à la
mode , M. Fiameschi , artiste pyrotechnique , vulgairement
artificier , et M. Maraschini , italien très -délié ,
docteur dans l'art des glaces et des rafraîchissements ,
viennent prodiguer leurs talents pour embellir la fête ,
sans se douter que , dans quelques heures , ils seront
appelés à l'assemblée des créanciers . Toutefois , Pitalien
a des pressentiments sinistres depuis qu'il a rencontré
le Duhautcours chez Durville ; il se plaint amèrement
des banqueroutes qu'il essuie chaque jour , et
trouve tout simple , lorsque tant d'honnêtes gens se
dispensent de payer , qu'on fasse du moins payer...
ceux qui payent : maxime très - accréditée chez les
artistes fournisseurs de la république.-Tous ces originaux
, et de son côté M.me Durville , enchantée de
sa parure et des préparatifs de la fête , animent les
premiers actes ; d'autant plus que sa gaieté , sa folie ,
son insouciance , les bruits des violons , la joie bruyante
des convives , ' contrastent profondément avec le silence ,
l'incertitude et l'agitation concentrée de son coupable
et malheureux époux .
Cependant tout va bien : la pièce et les préparatifs
de la banqueroute marchent ensemble , et le soupçon
n'est pas encore éveillé . Le crédit de Durville s'augmente
de l'éclat de sa maison ; Valmont , jeune étourdi
de sa connaissance le force de recevoir chez lui
2
1
FRUCTIDOR AN IX. 365
20,000 fr. qu'il vient de gagner à la bouillotte , et
qu'il veut mettre , dit- il , à l'abri des événements À la
vérité Durville , à qui les remords ne sont pas étrangers
, refuse d'abord , hésite , et se propose de rendre
la somme ; mais Duhautcours observe tres -plaisamment
que Valmont la perdrait au jeu ; et les 20,000 fr. vont
grossir le porte- feuille du banqueroutier.
Au milieu de tous ces mouvements , Durville , prêt
à faillir , poursuit avec opiniâtreté M. Delorme , l'un
de ses locataires , honnête marchand , qui lui doit
2,000 écus ; cet infortuné que des pertes trop réelles
précipitent vers sa ruine , n'a d'espérance que dans la
loyale franchise et l'active bienveillance d'un négociant
de Marseille , nommé Franval , son protecteur , le parrain
de sa fille et créancier de Durville pour une
somme de 50,000 fr . A la première nouvelle des malheurs
de M. Delorme , Franval est parti pour Paris,
-
de
9
Un journaliste , qui se pique d'esprit plus que de
justice , a dit que c'était fort légèrement , et qu'il
pouvait très - bien , sans quitter Marseille , acquitter
la dette de son ami. Mais il ne s'agit pas seulement
payer les 2,000 écus que Delorme doit à Durville.
Il s'agit de le préserver, d'une ruine inévitable , de
réparer ses malheurs , d'arranger ses affaires ; et c'est
bien assez pour motiver le voyage d'un homme généreux
, actif, un peu brusque , et qui n'hésite jamais
à prendre un parti.
Franval arrive au moment où le bilan de Durville
vient d'être déposé . Il se rend à l'assemblée des créanciers
, qui remplit tout le quatrième acte , et c'est le
tableau le plus vrai , le plus moral et le plus plaisant
de tous ceux que présente la pièce. Duhaulcours y
déploie tous ses talents . Placé lui - même parmi les
créanciers , avec un titre de 60,000 fr . que Durville à
eu la faiblesse de lui donner , pour lui tenir lieu de
ses honoraires ; environné de gens qui jurent et signent
pour lui quand il en a besoin , il épuise tous les ressorts
de l'intrigue pour faire accepter le Contrat d'union ,
dans lequel Ďurville offie 20 pour 100 , sur la masse
de ses dettes : il est prêt d'entraîner l'assemblée par
ses discours et par l'exemple de ses agents ; quand
Phonnête Franval , qui perce d'un coup- d'oeil ce mys
366 MERCURE DE FRANCE ,
tère d'iniquité , révèle avec énergie la turpitude de
ces négociations , refuse de signer , achète les titres des
véritables créanciers , et menace les faussaires de les
poursuivre criminellement. Les uns se trahissent ; les
autres se sauvent , et l'assemblée est dissoute.
Avec le cinquième acte , commencent les inquiétudes
de Duhautcours , et les remords de Durville , qui prennent
bientôt un caractère plus décidé. Le premier
s'efforce vainement de séduire Franval , en lui offrant
Je remboursement de sa créance. Le second , désespéré,
s'indigne contre son perfide conseiller , renonce au projet
honteux de sa banqueroute , et remet entre les mains
de sa femme le porte - feuille de 800,000 livres , pour
qu'elle paraisse à sa place , et satisfasse tous les créanciers.
Alors , l'infatigable Duhaulcours , qui veut absolument
recevoir le prix de son travail , se retourne ,
présente le billet de 60,000 francs dont il est porteur.
Mais Franval a fait acheter , à vil prix , les effets de ce
fripon décrédité. Il a même acquis un titre qui lui
donne prise de corps contre lui . Duhautcours ne résiste
pas à ce genre de raisonnement ; il s'éloigne , et la pièce
finit par le mariage de la fille de M. Delorme , avec
un neveu de Durville , qui lui abandonne désormais la
direction de son commerce et les affaires de sa maison.
et
Je n'ai rien dit encore de ces deux personnages épisodiques
; l'un me semble inutile et froid ; l'autre , qui
prend plus de part à l'action , et qui intéresse parle
contraste de ses principes avec ceux de son oncle , n'est
pas assez développé. Il serait facile à Picard de lui
donner plus d'influence sur le changement de Durville,
Je crois aussi que , pour mieux motiver le dénouement ,
il faudrait annoncer plutôt et peindre plus fortement
la faiblesse et les remords de celui-ci . Durville est un
peu trop librement le complice de Duhautcours dans
les trois premiers actes , pour qu'il puisse me ramener ,
dans le dernier , à des sentiments favorables pour lui.
Quand un personnage doit échapper au mépris , à la fin
de la pièce , il faut éviter de l'avilir au commencement.
Je crois devoir ces observations à l'auteur ingénieux
et fécond qui vient d'enrichir son théâtre de cette nouvelle
comédie. Il est aisé de voir , par une simple analyse
, combien elle mérite d'estime et de succès. Le but
FRUCTIDOR AN IX. 367
en est moral ; le plan fortement conçu , l'exécution
pleine de vérité , de naturel et de trais de comique excellents
; il y a des négligences dans le style. L'auteur
qui sen ait mieux que personne la profondeur et les ressources
du sujet , devait peut être à sa gloire de le traiter
en vers , et d'en faire un des titres principaux de sa réputation
littéraire. Tel qu'il est , on ne peut qu'applaudir
à la rapidité du dialogue , à sa simplicité , quelquefois
encore à sa force et à sa finesse , toujours exemptes
de recherche , d'affectation et de mauvais goût . Presque
tous les caracteres en sont dramatiques , et l'ouvrage
offie une foule d'aperçus très- fins sur les moeurs
du temps et la société de Paris .
'
Parmiles acteurs ceux qui m'ont paru mériter le
plus d'éloges , sont les CC. Barbier et Vigny , chargés
des roles de Durville et de Duhautcours.
ANNONCES.
E.
ABRÉGÉ de l'Histoire d'Angleterre , depuis l'invasion de
Jules - César , jusqu'à l'expédition d'Egypte , par les
Français , et le combat naval d'Aboukir ; par Gold-
Smith , auteur du Vicaire de Wakefidel , de l'Histoire
Romaine et de la Grèce , etc. etc .; deux vol
mes in- 12 , de 750 pages , et ornés de 36 portraits
gravés en taille - douce , traduit de l'anglais. Sur la
dernière édition ; prix 5 liv. pour Paris , et 7 liv. frane
de port ; papier vélin , 10 fr . et 12 fr. , franc de port.
A Paris , chez Dentu , imprimeur- libraire , palais du
tribunat , galerie de bois , n.º 240.
1
?
VOYAGE dans la partie méridionale de l'Afrique
fait dans les années 1797 et 1798 ; par Jonn . Barrow
, ex - secrétaire du lord Maikarney , et auditeur
général de la chainbre des comptes du Cap - de- Bonne-
Espérance ; contenant des observations sur la géo
logie , la géographie , l'histoire naturelle de ce continent
, et une esquisse du caractère physique et moial
des diverses races d'habitants qui environnent l'établissement
du Cap , suivi de la description de l'état
présent , de la population et du produit de cette importante
colonie ; traduit de l'anglais , par L.'de
Grandpré , auteur du Voyage à la côte occidentale
d'Afrique , dans l'Inde et au Bengale ; 2 vol. in - 8.º sur
carré fin , orné d'une très- belle carte d'Afrique ; prix ,
368 MERCURE DE FRANCE ,
9. fr. et 12 fr. , franc de port , par la poste ; idem ,
papier vélin , 18 fr . et 21 fr. , franc de port. A Paris
, chez Dentu , imprimeur - libraire , palais du tribunat
, galerie de bois , n.º 240 .
Le SONGE de Lucien , la Fable des Alcyons , et le
Misanthrope , du même auteur , traduits en français
par P. F. Lavau , professeur de langues anciennes
à l'école centrale de Seine et Oise , avec des Remarques
Elémentaires ; à Paris , de l'imprimerie de
Didot jeune. An IX. 1801 .
·-
On sait assez que les auteurs latins rappellent continuellement
, par leurs éloges ou par leurs imi
tateurs mêmes , les modèles qu'ils aimaient à suivre.
C'est ainsi que les latins , à leur tour , ont pu laisser à lą
postérité de si beaux monuments de leur propre génie .
Le C. Lavau voudraient ranimer l'étude de la plus
belle et de la plus riche des langues . Il met ici , à la
portée des commençants , quelques - uns des ouvrages de
Lucien. Toutes les difficultés sont aplanies par des remarques
élémentaires sur les diverses parties de sa traduction
; par le soin qu'il a pris de faire connaître les diverses
significations des verbes grecs , l'acceptation de
leurs modes , la combinaison de leurs temps , et leurs
variations ; d'appliquer enfin constamment , sur le texte ,
les règles de la grammaire . Il indique , avec exactitude
les racines de tous les mots du texte , et les termes
français qui en sont dérivés , attention d'autant plus
louable , que la langue de l'Histoire Naturelle , celle de
Ja physique , de la chimie , de la médecine et des ma
thématiques sont presque entièrement grecques . Sans
doute le succès de cet ouvrage engagera l'auteur à
faire , sur quelques poètes , le travail qu'il vient d'exécuter
sur Lucien ,
>
་་་་་ ་་་
LETTRES sur les Etudes et leur rapport avec l'entendement
humain et avec la morale , ou Conseil à un
jeune homme qui veut perfectionner son éducation
pour s'occuper avec avantage des affaires civiles ; par
Delpierre ( du Tremblay ) ; à Paris , chez Desenne
et Goullet , palais du tribunat ; chez Nyon , pavillon
des Quatre - Nations , et Beauchamp , boulevart Montmartre
; prix , 1 fr. 50 c . pour Paris ; 2 francs pour les
départements.
Rx
༔ །
DUBIC
FRUCTIDOR AN ' IX. 369
DE
5
Acent
*
}
POLITIQUE.
EXTÉRIEUR.
SUITE de l'essai sur les forces militaires
l'empire Ottoman *.
REP.FRA
.
DE L'ARMÉE TURQUE EN GÉN ÉR A L.
Iz résulte du recensement des diverses armes dont
nous avons parlé , que la force numérique de l'armée
ottomane n'excède point 172,500 combattants ; dont
100,000 d'infanterie , 70,000 de cavalerie , et 2,500
d'artillerie.
1
Supposons - là de 200,000 hommes , il est évident , pour
tous ceux qui connaissent sa composition , qu'elle ne
pourrait même résister à 30,000 hommes bien aguerris .
Qu'on se représente ces 200,000 hommes , multitude.
sans ordre et sans discipline
" sans aucune connaissance
des évolutions , ni du maniement des armes ;
les uns à peine armés d'une courte carabine , les autrès
embarrassés de fusils trois fois aussi longs ; des
fantassins presque nus , des cavaliers enveloppés dans
leurs 3 ou 4 pelisses ; ceux - ci chargés d'une lance
d'une hache d'armes , d'une massue , de deux pistolets
, de trois javelots , d'un sabre , d'un coutelas , d'un
mousqueton , d'une rondache , d'un poignard ; ceux - là
portant un coutelas ou un pistolet , quelquefois un
bâton ; des cavaliers , les uns montés sur des chevaux
vigoureux , les autres se traînant sur des chevaux
étiques ; que l'on imagine ces hordes demi- sauvages ,
n'allant à la guerre que dans l'espoir de piller leur
* Voyez le dernier Numéro.
DEPT
5
24
370 MERCURE DE FRANCE , :
propre pays , marquant leur passage par les atrocités
et les brigandages de tout genre , et l'on connaîtra
une armée ottomane ; on saura ce qu'elle est , et ce
qu'elle peut. Arrive- t -on en un lieu de campement ?
la tente du chef est placée au centre sur un tertre :
puis , sans ordre , la soldatesque se répand à l'entour :
quelques sentinelles , posées çà et là , s'asseyent ,
fument et s'endorment .
L'esprit qui anime de pareilles troupes est le même
qui gouverne tout l'empire. C'est un mélange , à la
fois odieux et ridicule , d'ignorance et de fanatisme
de poltronnerie et de jactance. Ils tremblent si un officier
leur raconte comment les Russes ont remporté une
grande victoire avec un canon que mille boeufs traînaient
à peine ; mais bientôt ils se rassurent : un dévot
leur apprend qu'il existe , dans l'armée musulmane ,
un cheik , armé d'un sabre merveilleux , qui , s'alongeant
au moment qu'il frappe , peut trancher , d'un
coup , 10,000 têtes d'infidelles . Je supprime une foule
de traits semblables * .
Mais à quoi attribuer un tel oubli ou une telle dégradation
des facultés de l'homme ? Une des causes
les plus apparentes est , ce semble , le fatalisme.
Cette doctrine malheureuse laisse à peine quelque
énergie aux Turcs : elle leur ôte même ce sentiment
d'honneur , le dernier qui expire dans l'ame d'un militaire.
Indifférents à tout , ils ne profitent ni de leurs
victoires , ni de leurs défaites. Ils semblent se résigner
à la bonne comme à la mauvaise fortune . S'ils sont
battus , ce n'est pas que l'ennemi ait mieux pris ses
Les Drogmans , en faisant part à la Porte des succès de
nos armées , avaient traduit littéralement des gazettes où
il était question d'artillerie volante. Les ministres ne doutèrent
pas que nous n'eussions le secret de faire voler des
canons.
FRUCTIDOR AN IX. 371.
mesures , ou leur ait opposé des troupes mieux aguerries
ou mieux disciplinées ; ils se disent : Comment résister,
à Dieu et à son Prophète ? Ainsi leurs défaites sont
sans honte , et leurs triomphes , sans gloire.
C'est encore le fatalisme qui , comme une digue
insurmontable , s'oppose à ce que les sciences puissent
jamais étendre leur cours chez les Turcs . Quel besoin
ont-ils d'étudier , puisque les lumières ne peuvent rien
contre la destinée ? Aussi les officiers demeurent - ils
ineptes comme les soldats. Ils ne distinguent , sur les
cartes géographiques , que des lignes , des points et
des couleurs *.
On ne doit pas s'étonner que des officiers qui ignorent
souvent jusqu'au nombre des soldats qu'ils ont sous
leurs ordres , manquent entièrement de prévoyance
pour assurer leur nourriture. Ils ne songent jamais à
former des magasins de vivres , et se reposent sur
l'arrivée incertaine de convois qui viennent quelquefois
de 400 lieues . Si la marche de ces provisions est
retardée par les ' pluies ou par toute autre , cause , la
famine est aussitôt dans l'armée,, et les Turcs qui ne
sont que trop portés à la désertion , profitent de ce
prétexte. L'automne souvent en donne le signal : cette
saison augmente les fatigues de la campagne ; les froids
se font sentir , et la plupart des soldats , nés dans les
pays chauds , y retournent en foule. En vain placet-
on des compagnies pour les arrêter. Elles sont ou ,
forcées de céder à la multitude des fuyards , ou trop,
contentes de se joindre à eux. Il faut renouveler l'armée.
pour la campagne suivante , et comme les levées se
font avec peine , il est rare que les recrues soient réunies
avant le mois de juin.
* Un pacha à deux queues , et qui avait longtemps fait la
guerre , se fâchait de ce qu'il ne voyait représenté que par
un point un village de Natolie , où il était né. Au moins,
s'écriait- il , s'il était grand comme le pouce !
372
MERCURE DE FRANCE ,
Mais c'est surtout dans les revers , que la désertion
et le désordre sont portés à leur comble. Les piétons
tuent les cavaliers pour avoir leurs chevaux , et le pauvre
profite de la confusion pour piller le riche . Une armée
turque , battue , est anéantie.
Nous nous sommes étendus sur les défauts de l'armée
ottomane'; parlons maintenant de ses bonnes qualités
elle en a de remarquables .
La frugalité est la première vertu du soldat , et
aucun , au monde , ne la porte plus loin que le ture.
Une ration de riz et un peu de manteigner pour l'assaisonner
, lui suffisent avec un morceau de pain ,
moins pour le manger que pour essuyer ses doigts. ' Il
est satisfait de cette nourriture , et se croit dans l'abondance
, s'il peut y ajouter un peu de café .
Son habit , ample et drapé , gênant dans les mouvements
rapides , est très -commode pour le bivouac . Le
plus grand nombre des Turcs , même un peu aisés , se
servent rarement de lit.
Il faut convenir que l'ignorance et le fanatisme des
Turcs rendent d'abord leur attaque impétueuse : une
confiance aveugle les précipite . Mais si leur premier
choc n'est pas un triomphe , le second est une défaite ,
et leur défaite , une déroute . La résistance les décourage
d'autant plus qu'il s'y attendent moins. Au reste , ces
Osmanlys si peu redoutables en campagne , défendent
opiniâtrement les places. Le manque de tactique et de
mauvais usage des armes , se fait moins sentir chez des.
soldats qui se battent derrière un mur ; d'ailleurs les
garnisons étant permanentes , ceux qui les composent
ont à défendre leur famille et leurs propriétés , et l'excès
de la résistance est dû à l'excès de la crainte. Ils.
n'osent pas compter sur une capitulation ; comment
se fieraient- ils à la bonne - foi d'un ennemi qui , dans
leur position , ne compterait pas impunément sur
la leur ?
FRUCTIDOR AN IX. 373
ARMÉE NAVA LE.
La marine des Turcs n'est pas proprement déchue.
Elle est restée à peu près au même point qu'était celle
de tous les peuples d'Europe au 15. ° siècle . Ils n'ont
point eu , comme les autres nations , de colonies lointaines
à conserver , de commerce étranger à soutenir , de
conquêtes à entreprendre. Malgré l'immense étendue de
leurs côtes , leur navigation ne s'est point perfectionnée .
La promenade fastueuse que leur flotte faisait , chaque
année , de Constantinople à Alexandrie , n'était que
d'ostentation , et ne servait qu'à entretenir à la fois
leur orgueil et leur , ignorance .
Les efforts du fameux capitan pacha Hassan , ceux
d'Hussien , capitan pacha actuel , et beau-frère du
sultan , les talents et le zèle des CC. Leroy et Brun ,
ingénieurs- constructeurs , l'activité du C. Petit , n'ont
eu d'autre résultat que de garnir l'arsenal de Constantinople
d'une douzaine de vaisseaux plus ou moins
bons , de 8 à 10 frégates et de plusieurs jolis bâtiments
légers. On a d ailleurs cherché vainement à créer une
marine à l'empire ottoman : on a inutilement tenté
d'instruire les Turcs dans l'architecture navale , l'hydrographie
et le pilotage ; on ne voit pas même chez
eux un bon manoeuvrier. Și leurs escadres peuvent
tenir la mer , elles le doivent aux talents des renégats
et des pilotes européens qui les conduisent .
Quel peuple cependant est plus heureusement situé
pour la navigation ? Environ mille lieues de côtes en
Europe , en Asie et en Afrique devraient fournir à la
Porte un nombre innombrable de matelots . Mais tout
ce qui est turc , est trop paresseux pour agir , trop
insouciant pour apprendre , et le gouvernement craint
374 MERCURE DE FRANCE ,
de confier des armes aux descendants des Grecs , si
loin pourtant de leurs ancêtres. Quand il se décide à
les employer , il choisit les plus lâches , et les avilit
encore par l'oppression . S'il reste à quelques - uns un
sentiment généreux , ils sont plutôt les ennemis secrets
que les défenseurs de leurs vils tyrans. Mais ces Grecs
ne sont , en général , que des machines que les coups
font mouvoir , tandis que les matelots turcs surchargent
le navire , fument ou dorment durant la manoeuvre
, et ne donnent un coup de main qu'à la dernière
extrémité.
ou
Il faut compter parmi les causes qui concourent à la
nullité de la marine ottomane , cette ignorance où végète
toute la nation , d'où résulte le manque absolu
l'extrême rareté des cartes et des livres nécessaires aux
marins'; la crainte des corsaires sous pavillon maltais ,
crainte qui réduisit longtemps le pavillon ottoman au
plus timide cabotage ; et le grand nombre d'armateurs
français qui , dans les mers de la Turquie , obtenaient
la préférence tant à cause de la bonne construction et
de la bonne manoeuvre des bâtiments , qu'à raison de
la sauve -garde de notre pavillon , plus respecté que
le pavillon turc lui -même , par les escadres et dans les
ports du Grand- Seigneur.
On peut conclure de cet état de choses , que l'armée
maritime des Turcs est encore inférieure à leur armée
de terre . Il ne faut pas oublier les guerres de 1769
et de 1787 , contre la Russie , toutes deux si fatales
à la Porte : cependant son escadre tint seule la mer
en 1788 , et força les Russes à rester dans leurs ports.
Ce moment passager de grandeur n'est plus qu'un
souvenir ; et à peine ils sont jaloux de le conserver.
Des officiers français qui avaient fait , en l'an 3 ,
une campagne sur une corvette turque de 28 pièces
de canon , racontaient qu'un corsaire maltais , de 1a
4
FRUCTIDOR AN IX. 375
canons , l'aurait facilement enlevée , à la vue de l'escadre
du capitan pacha , s'ils n'eussent aidé le Reys
de leurs conseils et même de leurs bras ; car l'équipage
était frappé d'une telle terreur , que ce ne fut
qu'à coups de bâton qu'on put le remettre à la manoeuvre.
On pourrait multiplier de pareils exemples ; mais
qu'il suffise d'ajouter que six vaisseaux turcs ont fui
plus d'une fois pendant le blocus de Corfou , devant
le seul vaisseau français , le Généreux , et n'osaient
tirer sur lui qu'à la distance de cinq à six portées
de canon .
,,,
Il n'est peut- être pas indifférent d'observer que les
soldats de marine portent le nom de levendy , qui
signifie insubordonnés , mutins , et cette dénomination
conviendrait assez à toutes les troupes ottomanes .
D'après cet aperçu , toutes les facilités que présente
la Turquie pour les constructions navales , deviennent
inutiles ou dangereuses. Un constructeur européen , à
Constantinople , peut trouver sur les vaisseaux francs
des ouvriers capables de le seconder : les forêts des
bords de la mer Noire , les mines de cuivre de Tocal ,
les fers de la Russie , lui fournissent abondamment
tout ce qui lui est nécessaire. Mais de quoi servent
tous ces avantages à la puissance qui les néglige ou
les méconnaît ? Il ne se lance pas un vaisseau des
ports ottomans , que la Russie ne puisse inscrire
d'avance sur la liste des siens ? Si de bons marins ,
sans vaisseaux , sont inutiles à un état , des vaisseaux
sans bons marins lui sont nuisibles , puisqu'ils ne servent
qu'à grossir les forces de ses ennemis.
* Les Turcs n'ont un arsenal de marine que dans leur capitale
; mais ils construisent aussi aux Dardarnelles , à Mételin
, à Erckli sur la mer Noire , et à Boudraun.
376 MERCURE DE FRANCE ;;
SUR Dresde et ses environs *.
LES grandes et superbes avenues qui conduisent à la
résidence des électeurs de Saxe , vous annoncent , au
premier aspect , le centre de l'urbanité germanique ,
l'asile des graces et des arts dans le nord. Presque de
tous côtés , on arrive à travers de beaux ombrages ,
et après avoir parcouru des campagnes riantes , où
l'art le dispute sans cessé à la nature .
1
arterb
Si vous entrez par la ville neuve , une allée large
et parfaitement entretenue vous mène à une vaste
place , sur laquelle s'élève une belle statue équestre .
En un instant vous êtes en face du pont magnifiqué
jeté sur l'Elbe.
De là qu'on porte ses regards à droite ou à gauche ,
on est frappé de la richesse du pays que ce fleuve arrose,
et de la beauté de l'horizon terminé par des montagnes
d'une médiocre élévation , qui présentent un mề-
Jange heureux de terres cultivées et de forêts de la plus
belle verdure.
"
Dès le milieu du pont s'offre en perspective , à droite ,
une église moderne d'une architecture élégante ; à gauche
et dans l'enfoncement , le dôme sombre ** et par
là même plus majestueux d'un temple antique ; en
face le château électoral qui précède une place trèsvaste
, mais irrégulière . Enfin on arrive entre deux bâ-
* Ces détails sont tirés en grande partie d'un ouvrage qui
a paru l'année dernière à Berlin , en forme de lettres , et
sous le titre trop modeste d'Esquisse .
** Cette teinte en effet semble nécessaire pour imprimer
aux beaux monuments quelque chose de religieux et de sublime.
On relit sur ces pierres grisâtres des vieux murs , les
révolutions des empires , la longue liste des générations qui
ne sont plus , et toutes les injures des ans.
FRUCTIDOR AN IX. 377
1
timents d'une masse imposante , au débouché d'une
belle rue qui , à travers une place plus vaste encore ,
conduit à l'hôtel de Saxe , l'une des plus grandes auberges
de l'empire , et dont la position est des plus
agréables.
Veut - on jouir de la plus magnifique vue qu'offre
la Florence de la Germanie , il faut monter , par une
belle soirée , sur le bastion qui domine ce qu'on appelle
le village Italien . L'ame s'exalte et s'agrandit à l'aspect
de ce bassin bien plus vaste que celui de Florence ;
l'oeil embrasse à la fois , et détaille , sans confusion
toutes les beautés que présente le côté du midi de la
montagne , la longue terrasse du palais et du jardin
de Bruhl ( l'un des principaux ornements de Dresde ) ,
la foule empressée qui va et revient sans cesse de la
Ville -Neuve à l'ancienne ville , le mouvement , le bruit
des chevaux et des voitures qui volent et roulent de
l'une à l'autre rive sur les arches hardies du plus beau
pont de l'Allemagne *. D'un autre côté , le curieux
admire le palais du Japon , qui élève ses dômes orgueilleux
du milieu des bosquets environnants , et reçoit les
derniers rayons du soleil. Après avoir joui du reflet.
de ces rayons sur la surface du fleuve , l'oeil ébloui
serepose sur l'extrémité verdoyanté de cette pompeuse.
allée , qui dans son cours , presque interminable , se
prolonge jusqu'à Ubigaw , en parallèle avec le lit de
l'Elbe ; les troncs vigoureux de ses arbres bravent depuis
un siécle la fureur des glaces et des inondations.
Qu'on se promène par un beau jour sur les trottoirs
du pont ; des balcons élégants , à balustre de fer ,
invitent à s'asseoir pour contempler les riches vignobles
qui s'étendent sur une côte d'environ trois lieues de
longueur , s'élèvent en amphithéâtres parsemés de
Ce pont a 400 pas de longueur.
378 MERCURE DE FRANCE ,
maisons de plaisance , et qui , tantôt , tapissent jusqu'au
sommet des coteaux , tantôt se couronnent d'arbres
touffus. Quelques - unes de ces vignes sont , pour
ainsi dire , des promenades publiques ; le goût et l'opulence
y prodiguent les embellissements pour mieux
satisfaire la curiosité des étrangers , et c'est là que
se déploie toute l'amabilité saxonne. Toutefois la
gaieté n'admet point ici d'enjouement excessif ; mais
dans le temps des vendanges , les plaisirs et la joie
qui animent les Saxons , rappellent assez bien l'image
des fêtes que chérit la Toscane.
Le fleuve roule majestueusement son onde au pied
de ces riches coteaux ; rien n'égale l'activité des nautonniers
, qui le traversent et se croisent en tout sens.
La navigation de l'Arno offre un mouvement continuel
la navigation de l'Elbe , encore plus brillante
et plus animée , complète , en achevant le tableau ,
l'enchantement du voyageur.
Les maisons de Dresde sont d'une belle simplicité ;
mais les palais y sont rares : le château électoral est
lui-même insignifiant à l'extérieur , quoique supérieur
à plusieurs autres résidences par la richesse et le goût
de l'ameublement .
Les deux palais des princes Antoine et Maximilien ,
situés l'un dans le faubourg Frederichstadt , l'autre
hors du Seethor , méritent d'être vus . Ils sont d'un goût
moderne , d'une architecture agréable , accompagnés
de jardins moitié anglais , moitié français , qui offrent
de jolis détails. L'entrée en est permise au public .
Parmi les jardins qui se trouvent hors de la ville ,
le plus vaste est le jardin électoral de 2500 pas de long
sur une largeur considérable ; il n'en est pas plus
fréquenté. Il offre quelques grandes allées ,
mais peu
de variété ; un bosquet en fait partie , mais il est réservé
à des faisans. On y trouve de belles statues . De
FRUCTIDOR AN IX. 379
temps en temps de beaux concerts y attirent une grande
affluence due à la parfaite exécution des plus précieux
morceaux des Naumann et des Schuster.
1
La foule se porte plus volontiers au jardin de Richter ,
où se donne régulièrement , toutes les semaines , un
concert , sans compter les fêtes particulières , les illuminations
, etc.
Hors de la barrière de Blascwitz , sur le bord de
l'Elbe , s'étend une prairie destinée à une fête annuelle,
populaire ; c'est la fête de la Cible , spectacle intéressant
et curieux auquel on ne saurait assister sans une
douce émotion. On se plaît à voir cette multitude de
tous âges , de toutes conditions , livrée aux impressions
de la joie , sans tumulte et sans désordre . C'est en même
temps une sorte de foire . Pendant plusieurs jours les
ateliers sont déserts : hommes , femmes , enfants , tous
veulent jouir de ce divertissement qui rassemble 5 à
6000 ames . Danse , musique , feux d'artifice , illuminations
, rafraîchissements , tout y est prodigué.
Une belle allée conduit hors de la ville à des bains
où rien ne manque de ce qui peut attirer les amateurs.
Des concerts multipliés , des comédies et des ballets
que donnent de petits enfants , sont les moindres plai-
' sirs de ces réunions. On y trouve une société nombreuse
et brillante , où les femmes saxonnes se distinguent
éminemment par la beauté de leurs traits , leur
vivacité , leurs manières et leur bon goût.
:
Nous arrivons à un paysage vraiment agreste et romantique
, au site le plus pittoresque et le plus délicieux
ô Terni ! ô Tivoli ! ô charmants vallons de la
Suisse ! Vous êtes perdus de réputation si quelque enchantement
vient à faire jaillir d'un des rochers de Tarand
aune seule de vos cascades . C'est le nom du plus aimable
canton auquel il ne manque que ce seul agrément.
Qu'on se figure une bourgade dont la grande rue cir380
MERCURE DE FRANCE ,
cule inégalement pendant un quart de lieue entre des
rochers , des ruines , des monticules et de jolis bosquets
; un ruisseau limpide serpente sur un lit rocailleux
, tantôt à travers cette rue , tantôt dans sa
longueur. Des maisonnettes , la plupart jolies , sont
éparses sur les hauteurs inégales qui encadrent le village.
Les débris d'un antique château , au centre de
ces habitations villageoises , dominent toute l'enceinte
; des sentiers en tout sens montent , descendent
, percent à travers les bois qui tapissent les
différents coteaux . Des reposoirs , placés avec goût , aux
points de vue les plus piquants , servent à délasser le
promeneur , et le rendent attentif aux belles scènes
qui se déployent sous ses yeux. Là c'est un étang dont
l'onde pure et transparenté réfléchit les arbres environnants
; ici un boulingrin avec une jolie fabrique , plus
loin , c'est le torrent dont les flots mugissent , écument
et bondissent , irrités des obstacles que leur opposent
les rochers ; ailleurs , cette masse d'eau coule tranquillement
sur un pré d'une verdure éblouissante , « car
"
le vert est plus vert ici qu'en tout autre lieu .
J'aperçois un temple ; j'y monte , ou plutôt j'y suis
insensiblement porté par les mille détours qui me
déguisent la montée en m'offrant une variété infinie
de points de vue. Arrivé au sommet , c'est là que mon
oeil plonge avec délices sur les détails de ce charmant
vallon. Parcourez les environs de Dresde : presque tous
vous offriront , réunies avec la même perfection , les
beautés de l'art et celles de la nature . Mais il est temps
de rentrer dans la ville , et d'admirer les collections
qu'elle possède en tout genre.
Les chef- d'oeuvres des Titien , le Guide , le Corrège ,
Rubens , Battoni , le Poussin , et de beaucoup d'autres
que renferme la galerie , sont si nombreux et en même
Temps si connus , que nous ne nous arrêterons pas à les
FRUCTIDOR AN IX. 381
1
détailler. Des artistes de tous les pays y viennent sans
çesse payer leur tribut d'admiration , étudier des modèles
, prendre et donner des leçons . Le polonais s'exerce
à côté dụ flamand , l'italien près du russe ou du suédois
, l'anglais, s'y distingue par le nombre de ses élèves
et sa conversation animée.
Le Zwinger offre un dépôt unique , peut- être , par
l'universalité de ses gravures et de ses dessins,
La bibliothéque se fait remarquer par la beauté , la
propreté , les décorations de ses salles , et l'ordre parfait
qui y règne.
Dans le palais du Japón , quelle immense collection
de statues , de bustes , etc. chef- d'oeuvres antiques , qui
n'ont , dans toute l'Allemagne , aucun objet de comparaison
, et qui la plupart le disputent à ceux de
Paris et d'Italie ! 'On y distingue les trois célèbres
statues déterrées dans les fouilles d'Herculanum , merveilleuses
surtout par la draperie , et que le roi Au¬
guste acquit pour la modique somme de 6000 écus
saxons .
Parmi les divers cabinets de curiosité , on admire
particulièrement la chambre verte ; énorme magasin de
bijouterie de toute espèce , formé de huit salles qui se
suivent , plus curieuses ou plus magnifiques les unes
que les autres , presque toutes parquetées en marbre ,
et ornées de glaces qui répètent et multiplient les prodiges
des arts.
Quoique cette ville ne fasse pas un commerce aussi
considérable que semblerait le permettre sa position ,
elle offre cependant plusieurs manufactures intéressantes.
On peut citer , avec confiance , ses fabriques
de galons d'or et d'argent , dont il se fait une grande
exportation chez l'étranger ; la belle fabrique de tapisseries
en papier , l'une des branches d'industrie où
le génie allemand l'emporte sur celui des Anglais. Les
382 MERCURE DE FRANCE ;
ouvrages d'orfévrerie et de joaillerie qui se font à
Dresde , sont connus de toute l'Europe , ainsi que ses
instruments de musique , orgues , hautbois , ' clairons ,'
cors- de-chasse , et surtout les flûtes traversières . La
fabrique de Macaronis jouit d'une réputation qui
l'égale presque à celle d'Italie ; mais une manufacture
justement célèbre est sans contredit celle de porcelaine
à Messein , petite ville sur l'Elbe , à une demi -journée
de la capitale ; ses ouvrages sont trop connus pour en
parler. Il existe dans le palais du Japon une collection
des plus anciennes pièces de cette porcelaine ,
outre une quantité de porcelaines du Japon et de la
Chine, qu'on estime plus d'un million.
INTÉRIEUR.
LE C. Pichon , commissaire général des relations commerciales
à Philadelphie , mande , en date du 14 prairial
, que le C. Victor Hugues est généralement estimé
dans toute l'Amérique. Depuis deux ans que le C. Victor
Hugues est commissaire du gouvernement à Cayenne ,
la colonie est considérablement améliorée.
Le premier consul a ratifié la convention qui rétablit
les anciennes relations d'amitié entre la République
française , et les Etats-Unis d'Amérique . Déja les né-'
gociants de l'un et de l'autre pays avaient repris leurs'
opérations avec confiance , et l'union des deux peuples
faisait pressentir que leurs gouvernements s'accorderaient
bientôt. C'était une querelle de famille , que de simples
explications devaient terminer.- A l'audience ordinaire
des ambassadeurs , le 17 thermidor , M. Murray , ministre
plénipotentiaire des Etats - Unis , a présenté au
premier consul M. Story , citoyen des Etats -Unis.
A la même audience , M. le baron d'Ehrensward ,
FRUCTIDOR AN IX. 383.
-
envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire de sa
majesté le roi de Suède , a remis ses lettres de créance.
-M. de Kalitcheff s'y est aussi trouvé comme ministre
plénipotentiaire de sa majesté l'empereur de Russie,
pour le rétablissement de la paix ; et M. le baron de
Dreyer , comme envoyé extraordinaire de sa majesté
danoise .
Le général Macdonald , ambassadeur de la république
fançaise près le Danemarck , est arrivé à Copenhague
le 5 thermidor. Il succède au C. Bourgoing , nommé
ambassadeur auprès de la cour de Stockholm.
Le 16 thermidor , l'amiral Nelson , avec trente bâtiments
de guerre de toutes grandeurs , a paru devant Boulogne.
Une division de notre flottille légère était mouillée à 500
toises , en avant de l'entrée du port. L'amiral anglais
a vainement tenté de la faire rentrer. Plus de'goo bombes,
lancées par l'ennemi , n'ont tué ni blessé personne . Deux
chaloupes canonnières , endommagées , ont été sur le
champ remises en service. Le 17 , la flotte anglaise a
disparu . Le combat a eu lieu à la vue des côtes des deux
pays. C'est le premier de cette nature .
Le comte de Ventura , en qualité de plénipotentiaire
de S. M. Louis I.er , a pris , en son nom , possession
de la Toscane. Il a reçu , à Florence , le 2 août ( 14 thermidor)
, le serment des Toscans , avec une grande pompe
et au milieu des acclamations d'un peuple nombreux.
Dans la séance du 18 thermidor , le premier consul a
fait part au conseil d'état de la convention faite avec
le cardinal Gonsalvi , et de tous les arrangements pris ,
de concert avec la cour de Rome , pour finir toutes les
discussions et terminer radicalement les querelles religieuses.
Le gouvernement est fondé à espérer que ,
384 MERCURE DE FRANCE ,
sous peu de mois , les prêtres , dits constitutionnels , ceux
qui ont fait la promesse de fidélité , et tous les autres ,
réunis de sentiments et d'opinions , s'occuperont paisiblement
du soin de leur ministère , et qu'aucun d'eux
n'oubliera que ce ministère est un ministère de paix ,
de concorde et d'union . ( Journal officiel. )
Le 16 thermidor , le ministre de l'intérieur a posé la
première pierre de la Bibliothèque nationale de musique,
dont l'établissement est ordonné par la loi du 16 thermidor
an 3 , dans l'enceinte du Conservatoire.
Le 18 ,
il a distribué les prix aux élèves du Collége de Paris . On
aime tout ce qui rappelle ces jours de gloire de l'ancienne
université.
-
Le C. Cadet - Devaux , que plusieurs découvertes intéressantes
, en matière d'économie domestique , ont placé
depuis longtemps au nombre des savants les plus utiles ,
à fait de nouvelles expériences sur la peinture au lait ,
substituée pour les bâtiments à la peinture à l'huile. Il
la recommande surtout aux administrations hospitalières
comme le moyen le plus efficace , en même temps
le plus économique , de détruire , ou même de prévenir
la méphitisation des murs , cause trop fréquente et
trop négligée d'insalubrité. La toise de cette peinture
, en substituant la chaux au blanc d'Espagne , ne
reviendrait qu'à 5 centimes.
T.
1
L'ancienne académie de Nîmes est rétablie sous le nom
de Lycée du Gard..
Les travaux sont commencés pour la construction des
trois ponts qui doivent être établis à Paris , et du monument
qui sera élevé sur la place Thionville , en l'honneur
du général Desaix.
L'ignorance toujours présomptueuse , et la crédulité ·
toujours aveugle , sont de vieux maux que le temps ne
REP.FRA
.
SF
FRUCTIDOR AN I X. 385
corrige guère. On s'est plaint partout de l'impéritie
meurtrière de cette foule de sages- femmes , qui , sans
la moindre instruction , par l'appât du gain , ou par
d'autres motifs plus criminels encore , exercent la profession
la plus importante , la plus pénible et la plus
délicate. Aussi combien d'enfants pourraient leur redemander
leurs mères , et combien de mères leurs enfants
! La plupart de ces sages - femmes , principale .
ment dans les campagnes , ne sauvent l'un qu'aux dépens
de l'autre ; souvent même tous deux sont victimes. Déja
plusieurs préfets ont fait ouvrir dans leurs départements
des cours publics et gratuits d'accouchement. Le C. Jean-
Marc Duclos , accoucheur à Toulouse , ex chirurgien
en chef des armées de la république , a ouvert un pareil
cours dans cette ville. Un grand nombre d'élèves
le suivent assidument , et plusieurs lui font espérer
la plus douce récompense de ses leçons et de son zèle
1
Un avis du ministre de l'intérieur , annonce que conformément
à ce qui est préscrit par la loi du 25 frimaire
an 8 , les examens pour l'admission à l'Ecole Polytechnique
seront ouverts dans les communes ci-après ; savoir :
Paris , le 1. jour complémentaire de l'an 9 ;
Nantes , le 1. jour complémentaire de l'an 9 ;
Rennes , le 4. jour complémentaire ;
Caen , le 6 vendémiaire , an 10 ;
Rouen , le 11 vendémiaire ;
: Dunkerque , le 17 vendémiaire ;
Gand , le 22 vendémiaire ;
Lille , le 27 vendémiaire ;
Tours , le premier jour complémentaire de l'an 9 ;
Angoulême , le 5.e jour complémentaire ;
Bordeaux , le 4 vendémiaire an 10 ;
Toulouse , le 11 vendémiaire ;
Montpellier , le 16 vendémiaire ;
6 25
386 MERCURE DE FRANCE ;
•
Lyon , le 24 vendémiaire ;
Dijon , le 1.er jour complémentaire de l'an 9 ;
Strasbourg , le 5 vendémiaire an 10 ;
Metz , le 14 vendémiaire ;
Châlons - sur- Marne , le 23 vendémiaire ;
Auxerre , le 27 vendémiaire .
Nous avons indiqué dans le N. XXVI , les connaissances
exigées pour l'admission à l'Ecole.
Les conditions pour être admis à l'examen sont détaillées
dans la loi du 25 frimaire an 8 , portant :
(8
H
"
Art. I.er Ne pourront se présenter à l'examen d'admission
que des Français âgés de 16 à 20 ans ; ils se-
" ront porteurs d'un certificat de l'administration municipale
de leur domicile , attestant leur bonne conduite
et leur attachement à la république.
"
"
? sera admis
V. Tout Français qui aura fait deux campagnes
de, guerre dans l'une des armées de la république , ou
un service militaire pendant trois ans
à l'examen jusqu'à l'âge de 26 ans accomplis.
VIII Chaque candidat déclarera à l'examinateur
«< le service public pour lequel il se destine , etc. » ( Ces
services sont , l'artillerie de terre , l'artillerie de la
marine , le génie militaire , les ponts et chaussées , la
construction civile et nautique des vaisseaux et bâtiments
civils de la marine , les mines , les ingénieurs géographes . )
Les actes de naissance , certificats et autres pièces
pour justifier que les candidats ont rempli les conditions
ci-dessus , seront remis par eux à l'examinateur avant
l'examen.
Ceux qui desireront concourir , devront se rendre dans
l'une des communes indiquées ci- dessus ; se présenter
au préfet ou sous - préfet , qui les fera inscrire , et
leur indiquera le jour et le lieu où ils pourront subir
l'examen. La liste des candidats sera fermée la veille de
l'ouverture de l'examen.
I X. 387
FRUCTIDOR. AN + I X.
Quant à ceux qui desireront être examinés à Paris ,
ils seront tenus de se présenter , avant le rer . jour complémentaire
, à l'Ecole Polytechnique .
Les candidats qui auront été admis par le jury , recevront
à leur domicile leur lettre d'admission ; ils seront
tenus de se rendre à Paris assez à temps pour
assister à l'ouverture des cours , que la loi a fixée le
1.er frimaire . Ceux des candidats admis qui auraient
besoin de secours , recevront pour leur voyage le traitement
du grade de sergent d'artillerie marchant sans
étape , d'après une feuille de route qui leur sera délivrée
par le commissaire des guerres de l'arondissement
de leur domicile , à la vue de leur lettre d'admission
conformément à l'article XI , de la loi précitée.
2
Nous avons annoncé , dans un précédent numéro , le
travail que le C. Locré , secrétaire général du conseil
d'état , a entrepris sur la législation française . La
seconde livraison vient de paraître . Elle contient la
fin du code des finances qui termine la seconde partie ,
et le commencement du code de l'organisation de la
République. Des notes instructives , des réflexions
judicieuses , beaucoup d'ordre et de clarté continuent
de recommander ce recueil.
TRIBUNAUX.
Pendant cette quinzaine , les tribunaux ont offert une
cause qui doit être remarquée. Il s'agissait du délit de
la contrefaçon , de ce fléau qui complète la longue
suite des fléaux qui assiégent les gens de lettres. On
se rappelle les traits véhéments de l'indignation de
Voltaire contre ces presses de Hollande , qui enlevaient
à l'écrivain l'honorable fruit de ses veilles , et ce qui est
plus criminel encore , dénaturaient, par ignorance ou par
mauvaise foi , les oeuvres du génie. De tout temps , il
y a eu bien des presses de Hollande en France. Il fallait
388 MERCURE DE FRANCE ,"
"
"
<<
un exemple . Cette cause , plus importante par les idées
générales qu'elle réveille , que par le fait particulier
dont il s'agit , était donc littéraire ; elle l'était encore
par la manière éloquente , dont le C. Joubert
commissaire du gouvernement près le tribunal de première
instance , a parlé , en cette occasion . D'abord il
á présenté des réflexions générales sur le délit de la
contrefaçon qu'il a raproché des autres vols , et il a
fait cette comparaison , comme un homme qui devait
en sentir toute la différence .
"
« Quoi ! s'est- il ecrié , nos tribunaux retentissent tous
les jours de vols de mouchoirs , de vols de montres ;
nous leur appliquons toute la sévérité des lois ; et nous
laisserions impunis les attentats contre une propriété
d'une nature plus noble et presque divine , contre
cette propriété qui est le fruit des privations de de
toute
la vie
et des
plus
beaux
moments
de
l'existence
; contre
" cette
propriété
dont
l'amour
ne
peut
être
comparé
qu'à
une
autre
paternité
, puisqu'elle
est
, en
quelque
sorte
,
« une
émanation
de
l'homme
; qu'elle
porte
l'empreinte
« de
l'homme
, qu'elle
est
tout
l'homme
, suivant
l'expression
d'un
écrivain
illustre
. »
"
"
Après avoir résumé avec clarté les moyens des défenseurs
, le C. Joubert a conclu , et d'après ses conclusions
, le tribunal a condamné les CC. Bossange et associés
, comme débitants d'éditions contrefaites , à la rèstitution
de 500 exemplaires de chacune des éditions
originales .
Ainsi , par la sagesse des magistrats qui justifient si
dignement le choix du gouvernement , la liberté de la
la presse reçoit ses limites naturelles , les véritables acceptions
sont rendues aux mots ; l'ordre renaît avec la
justice distributive .
" Ayant l'arrivée de Theseus , dit Amyot , le chemin
« de Trézènes à Athènes était bien dangereux , à raison
" des brigands et voleurs , tel que Sinnis , surnommé le
ployeur de pins , et autres qui détroussaient les passants
et se cachaient dans les brossailles . "
"
"
Cela ne ressemble pas mal à la France , avant le 18
brumaire.
$
118
FRUCTIDOR AN IX. 389
STATISTIQUE du département du Mont-Blanc.
LA Savoie , le comté de Nice , et le territoire de Genève
ont formé les trois départements du Mont-Blanc
des Alpes maritimes et du Léman .. »
Le département du Mont- Blanc est divisé en quatre
arrondissements communaux. Les chef-lieux sont Chambéry
, Annecy , Moutiers , Saint - Jean - de- Maurienne
Chambéry est en outre le chef - lieu de la préfecture
et possède le tribunal criminel du département..
Un tribunal de première instance est établi dans chacune
des sous - préfectures , et c'est à Grenoble que réside
le tribunal d'appel pour les quatre départements de la
Dróme, des Hautes - Alpes , de l'Isère et du Mont- Blanc.
Ce dernier , situé entre les 45. et 47 ° degrés de lati
tude , et les 23 et 25. ° de longitude , est borné , au levant,
par le Piémont et le Val d'Aoste ; au midi , par le dépar
tement de l'Isère ; au couchant , par celui de l'Ain ,
au nord , par celui du Léman , et par le Valais .
et
il
Ainsi placé dans la chaîne occidentale des Alpes ,
pe se découvre de loin que par la masse énorme et saus
vage de ses montagnes. A l'exception de ses glaciers ,
il a peu excité la curiosité du voyageur ; et l'histoire ne
fait guère mention de ses habitants , que pour attester
à la fois leur fidélité , leur bravoure et leur misère.
L'étendue actuelle du département est de 1,828,701
journaux de Piémont. * Savoir ,
Chambéry..
Arrondis Annecy.....
sements. Moutiers .
428,932
328,864
548,5431,828,701
.
St.Jean - de -Maurienne 522,362 )
"
des
La somme exacte des terres cultivées en toute espèce
de productions , est de 979,661 journaux. Il faut
encore en distraire les lits des rivières , des torrents ,
lacs , etc. On peut assurer que la moitié du territoire est
perdue pour l'agriculture.
MINES ET USINES.
En revanche , ces terrains incultes , ces bois , ces rochers
, ces bruyères , recèlent une sorte de fécondité.
* Le journal de Piémont équivaut à 400 trabucs superfi
cels , ou à 38 ares 4 centiares.
"
390
MERCURE DE FRANCE ,
MINES DE FER.
Le sol du Mont-Blanc possède plusieurs mines ; elles
donnent du fer en abondance , du cuivre , de l'argent ,
du plomb et de la houille : ses fers sont de première
qualité ; ils ont autant de ductilité et de malléabilité
que ceux de Suède et du ci - devant Berry.
Le minerai de fer est abondant dans la minière de
Saint- Georges d'Hurtières , qui est la seule actuellement
en exploitation . Cette minière alimente neuf
grandes usines , ou fourneaux à fonte de fer ; leur produit
annuel est de 20,000 quintaux ( poids de Genève ,
ou de dix - huit onces de marc à la livre ) de fonte ou
gueuse , dont la réduction en fer , à raison de quatorze
onces par livre , poids de marc , équivaut à 20,000 quintaux.
Cette fonte est nécessaire aux nombreuses forges d'acier
du ci - devant Dauphiné , au dessous de Grenoble.
Il est prouvé que , sans le mélange de la gueuse du
Mont-Blanc , on ne peut parvenir à faire le bon acier
qui alimente les fabriques d'armes , de taillanderie , de
quincaillerie de Saint - Etienne , Lyon , Valence ,
Vienne et autres villes qui bordent le Rhône .
Beaucoup d'autres filons de minerai de fer sont décou
verts ; il existe même peu de cantons où l'on ne trouve
des indices de mines de ce genre ; mais faute de ressources
, et surtout de bois , toutes ces richesses restent enfouies
dans le sein de la terre .
MINES FINE S.
Sur le territoire de la commune de Pesey , se trouve
une mine très riche de plomb et argent , découverte en
1714. En 1742 , elle fut exploitée par une compagnie anglaise
, qui en fut exclue en 1760 , par la chambre des
comptes de Turin ; celle- ci fut remplacée par une société
savoisienne , qui , en 1790 , vendit ses actions au marquis
Latour - Cordou , depuis émigré. Le produit annuel de
cette minière était de 150,000 marcs d'argent , et de 300,000
quintaux de plomb , ce qui rendait en numéraire 230, coo
livres de Piémont , et laissait un bénéfice net de 80,000 fr.
L'exploitation de cette mine fut suspendue à l'époque
de la révolution ; elle ne put être reprise en 1793 , cette
FRUCTIDOR AN IX. 391
partie du territoire du Mont- Blanc se trouvant alors occupée
par l'ennemi : lorsqu'il eut été repoussé au - delà des
monts , on trouva les ateliers déserts et en partie détruits
; le directeur et les ouvriers étaient passés en
Piémont. En l'an 6 , le gouvernement autorisa la régie
à disposer d'une somme de 25,000 fr. , pour remonter
cet établissement ; mais , soit défaut d'intelligence de
la part des employés , soit modicité de la somme , cette
avance a été infructueuse ; l'état de dégradation des
ateliers et des fosses , le découragement des ouvriers ,
la nécessité d'arrêter de plus amples dilapidations , ont
forcé de suspendre tout travail , et de n'y conserver
qu'un gardien .
Cependant il est de la plus grande urgence de prévenir
la destruction d'une mine aussi précieuse . Un premier
moyen serait de faire continuer l'exploitation par
le gouvernement ; le second , d'en passer concession à
une compagnie. Le premier ne serait pas le plus avantageux
; 1. il faudrait que la république fit une avance
de 150,000 fr. 2. ° les moyens d'économie ne pouvant
jamais être les mêmes que sous la direction d'une compagnie
intéressée , on risquerait de voir les dépenses couvrir
les recettes , d'autant plus que la pénurie des bois .
dans les environs , forcera le transport du minerai à
Conflans , au local des anciennes salines , le seul qui
puisse convenir pour l'établissement des fourneaux , que
les forêts abondantes de Beaufort alimenteraient facilement
, au moyen des coupes réglées.
Le but serait plutôt atteint , par la concession de
l'établissement de Pesey , à une compagnie qui offrirait
, dans son propre intérêt , toute la garantie nécessaire.
L'état où il se trouve actuellement , les réparations
, reconstructions , déblaiements , approvisionnements
, exigent que la durée de son exploitation soit
au moins de trente ans ; les conditions de l'acte de concession
porteraient pour clause essentielle , l'établissement
des fourneaux à Conflans : les concessionnaires
pourraient encore être obligés à céder la quantité de
schlich nécessaire au traitement du minerai de la mine
d'Allemont , qui s'exploite pour le compte du gouvernement.
La suspension de l'exploitation de cette mine , ré392
MERCURE DE FRANCE ; 1 .
duit à l'absolue mendicité un nombre infini d'hommes
de la Haute -Tarantaise , qui , transplantés sur un sol
ingrat et aride , ne trouvaient leur subsistance que dans
le prix de leurs travaux journaliers , pour l'excavation
des fosses , etc ..Ainsi sous tous les la cesrapports
,
sation de cet établissement serait une calamité.
"
Il existe encore dans le département divers filons de
mines fines , connues et non exploitées.
A Bonneval , hameau situé au dessus du bourg de
Saint-Maurice-en-Tarantaise , il se fit , en 1781 , un
éboulement de rochers , qui découvrit un minerai de
mine grise très- compacte , et reconnu pour mine d'argent
livide , dont les essais donnèrent douze onces d'argent
par quintal. Les recherches et expériences renouvelées
depuis , sont de nature à encourager l'exploitation.
A Bouvillard , arrondissement de Saint- Jean-de- Maurienne
, il existe une mine de plomb et argent , attaquée
et abandonnée plusieurs fois ; elle est actuellement
concédée à une compagnie existante , sous le nom de
Compagnie de Bouvillard. Les frais d'exploitation , trop
considérables , ont rebuté cette compagnie , qui ne s'occupe
maintenant que de la fonte des gueuses et fabrication
des fers , au moyen du minerai de la montagne de
Saint -Georges - d'Hurtières.
"
Au dessus de ces mines d'argent , et presque à la sommité
de cette montagne , ou a découvert un filon de
mine de cuivre jaune , dont on suit l'encaissement sur
une distance de quarante toises ; les échantillons de ce
minerai ont rendu 14 pour 109 au lavage , et le quintal
de ce schlich a rendu 40 livres de beau cuivre rosette.
1
A Argentine , se trouvent plusieurs filons de mines
de plomb et argent , qui furent exploitées , il y a environ
quarante -cinq ans , par une compagnie anglaise
elle fut forcée de les abandonner , par ordre du gouvernement.
Un particulier y a occupé , pendant quelques
années , deux mineurs , qui en ont extrait de la
très- bonne mine ; elle donne quarante à cinquante livres
de plomb par quintal , et près de quatre onces d'argent
par quintal de plomb .
Derrière la montagne de Saint - Georges d'Hurtières.
se trouve la vallée des Huilles , dont les montagnes.pré
FRUCTIDOR AN IX. 393
sentent plusieurs filons de mines de plomb et d'argent ,
dont l'exploitation fut mal -adroitement commencée par
le crâne ; ensorte qu'on a été obligé de la suivre , en
approfondissant toujours . L'abondance des eaux auxquelles
l'on n'a pu donner issue , a forcé la cessation'
des travaux ; il existe , entr'autres , un filon dit la Richesse
, ainsi nommé , par allusion à son grand produit ;
il serait facile de le retrouver , au moyen d'une galerie
de rabais sous les anciens travaux.
Dans la commune du Fourneau- cn - Maurienne , entre
Saint- André et Modâne , était une fonderie et toutes
ses dépendances . On a fondu jusqu'à 1792 du plomb et
de l'argent ; mais la perte d'un filon , dit de Sarazin , en
força l'abandon et la vente en parties brisées. On a tenté
infructueusement des travaux très - considérables pour
le retrouver ; il y existe cependant un autre filon de
plomb et argent , dit l'Argentière , qui a alimenté cette
fonderie pendant un certain temps . Son exploitation a
cessé , non par le défaut du minerai , mais par l'effet de
l'abondance des eaux ; leur écoulement deviendrait facile
, au moyen d'une galerie de 70 à 80 toises..
Au dessus de la fameuse mine de fer de Saint-Georgesd'Hurtières
, à la sommité de la montagne , on trouve un
filon de cuivre , exploité , avec soin , par une compagnie ;
mais comme c'est une mine à rognons , il y a des temps
où elle donne beaucoup , et d'autres où elle ne donne
presque rien .
Le Mont-Blanc renferme de très - tiches carrières de
marbre , granit et ardoises. Les marbres de la Tarantaise
sont d'une rare beauté ; il s'en transporte beaucoup
dans le département de l'Isère. Les échantillons
de ses diverses carrières occupent une place distinguée
au Muséum d'Histoire naturelle . Les ardoises de Sevins
sont d'une qualité recherchée ; la carrière en est extrê
mement abondante ; elle fournit pour la toiture de tous
les édifices de première classe.
Si le diguement de l'Isère rendait un jour cette riviere
navigable , le produit des carrières du département
serait pour lui une branche de prospérité , et pour
la France entière un avantage inappréciable.
Les détails ci - dessus suffisent pour donner une ideé
de la richesse du Mont -Blanc en minéralogie . Une école
394 MERCURE DE FRANCE ,"
des mines y serait nécessaire : elle pourrait elle -même
devenir concessionnaire de plusieurs établissements ;
elle répandrait l'instruction , encouragerait l'industrie ;
elle faciliterait la recherche et l'exploitation des mines
de houille et charbon de pierre , dont l'usage devient
tous les jours plus précieux et plus nécessaire.
L'arrondissement d'Annecy possède à Entrevernoz
dans une montagne , à deux lieues d'Annecy , et à demilieu
du lac , une excellente mine de charbon de pierre.
( Elle a été visitée par le naturaliste Dolomieu , qui l'a
jugée d'une qualité supérieure , même à celle de Givors.
Elle a été exploitée par une compagnie qui en est
devenue concessionnaire en l'an 6 : elle n'est malheureusement
d'aucun secours pour les mines du Mont- Blanc,
par la difficulté et la cherté des transports ; et les habitants
d'Annecy , à la portée desquels elle se trouve , semblent
la dédaigner ; mais tôt ou tard l'expérience et le
besoin triompheront du préjugé qui s'éleve contre son
usage.
La commune d'Annecy , par sa position , est susceptible
d'établissements en tout genre. La paix doit y fixer
plus particulièrement l'industrie : les concessionnaires
de la mine d'Entrevernoz ont formé le projet d'y établir
une fabriqué de bouteilles de verre vert.
ROCHE D'ARBON NE.
L'exploitation de la roche d'Arbonne est nulle , par
défaut de continuation des travaux entrepris en galerie ,
pour découvrir les filons de sel gemme. Le roc salé
existe , mais les seuls habitants voisins en tirent quelque
avantage , en en détachant quelques parties qu'ils
pilent , jettent daus un vase plein d'eau , font ensuite
évaporer par l'ébullition ; ils s'en servent pour les usages
domestiques , après les avoir passées à travers un
linge.
SALINES DE MOUTIER S.
Les salines de Moutiers forment un superbe établissement
, qui s'est infiniment amélioré depuis qu'il est
en régie : leur produit , avant la révolution , n'a jamais
FRUCTIDOR AN IX. 395
excédé 32,000 quintaux . Il a été porté , en l'an 8 , à
42,000. L'on doit cette augmentation de produit , par
ticulièrement à la construction d'une nouvelle mécanique
, par le C. Roche , l'un des régisseurs.
9
2
Une partie de cet établissement offre un mécanique
admirable . C'est un vaste bâtiment occupé par
des rangs de cordes tendues en lignes perpendiculaires
qui servent à la filtration et à la graduation
de l'eau salée , pendant la saison froide , et à
la cristallisation , sans le secours des chaudières , pendant
l'été. Chaque corde donne un produit annuel de
vingt - cinq quintaux ; la totalité 16,000 . Ce mécanique
est d'une grande économie pour la consommation
du bois. Il est bien à desirer qu'on puisse en
étendre l'usage ; les montagnes de la Tarantaise se dépouillent
rapidement.
Les salines de Conflans n'étaient entretenues qu'au
moyen de l'eau salée de la source de Moutiers , qui y
était conduite par des aqueducs construits à grands
frais , sur une étendue de quatre lieues de terrain
coupé par des rochers , des précipices et des rivières .
Ces aqueducs sont entièrement détruits ; l'on ne conseille
pas leur reconstruction. Le produit des salines
de Conflans n'en couvrirait de longtemps la dépense ;
d'ailleurs , les bâtiments sont en très mauvais état ;
on ne pourrait les rendre utiles , qu'au moyen de l'établissement
des fourneaux proposés pour le traitement
du minerai de la mine de Pesey.
"
·
La consommation du sel , provenant des salines de
Moutiers , ne se fait qu'en très - petite quantité dans le
département : on y préfère , pour les usages domestiques
, celui que procure le commerce , par la rivière
d'Isère , le Rhône et le lac du Bourget.
La Haute- Tarantaise ne fait guère usage du sel de
Moutiers que pour le bétail ; mais il a son débouché ,
en Piémont , par le Saint - Bernard , et surtout en
Suisse , par Genève. Pour la facilité des transports ,
les régisseurs ont dû proposer au gouvernement de se
charger de la confection d'une grande route le long de
la rivière d'Arly , depuis l'Hôpital jusqu'à Ugine , à
des conditions très-avantageuses pour le gouvernement
même le commerce réclame impérieusement l'adop396
MERCURE DE FRANCE ,
tion de leur projet ; le chemin de communication de
l'Hôpital à Ugine , par Pallud , devient chaque jour plus
dangereux et plus impraticable .
AGRICULTURE .
Nous avons vu que la moitié du département restait
à peine à l'agriculture. Avant la révolution , sur vn
territoire plus étendu , on récoltait ordinairement assez
de subsistances pour la consommation des habitants et
pour celle de 3000 hommes de garnison . Des échanges
mutuels établissaient l'équilibre entre les différents
cantons. Depuis qu'un tiers , environ , de ce territoire
a été détaché pour former le département du Léman ,
Genève , devenu le centre des rapports civils et commerciaux
des cantons démembrés , a profité de l'excédent
de leur produit. Les marchés de Chambéry , qui
sont les plus considérables en grains , sont approvisionnés
en partie par les départements de l'Ain et du
Rhône .
Cependant il est possible encore que le Mont - Blanc ,
dans sa circonscription actuelle , récolte assez pour ses
besoins. Déja les produits en grains ont reçu quelque
augmentation depuis la plus grande division des terres
due à la vente des domaines nationaux , et au partage des
terres communales , conformément à la loi du 10 juin
1793. Mais les avantages que présente cette dernière
mesure , sont quelquefois atténués par des inconvénients
très-graves pour l'agriculture elle -même , et sur
tout , comme nous le dirons pour la reproduction
des forêts.
Des données exactes permettent de conjecturer que ,
dans les bonnes années , les récoltes en grains se trouvent
à peu près en balance avec la consommation . Quand
le déficit n'est pas excessif , il est comblé par des productions
d'un autre genre , des châtaignes , des pommes .
de terre , etc. , plutôt que par des achats à l'étranger.
Mais une année aussi médiocre que l'an 8 peut nécessiter
des moyens extraordinaires . On n'a recueilli , en
froment , que les d'une année commune . La récolte
du blé noir , dit sarrasin , du maïs et des légumes ,
qui forment la principale nourriture de l'habitant des
campagnes , a été entièrement nulle par l'effet de l'èxFRUCTIDOR
AN IX. 397
cessive chaleur. La même cause a réduit au quart la
récolte des pommes de terre. A peine les propriétaires
aisés ont - ils retiré assez de vin pour leur usage : le
département se trouve ainsi privé d'une branche essentielle
de son commerce , comme vente ou comme
échange. La rareté du grain , en Piémont , a rendu
l'importation du riz extrêmement difficile : ce comestible
est à un prix immodéré.
Saus doute l'amélioration de l'agriculture pourra,
suppléer quelque jour aux ressources que le Mont- Blanc
a perdues , en perdant une portion de son territoire .
Mais cet art , le premier et le plus important de tous ,.
aura de grands obstacles à vaincre dans ce départe
ment. Outre les difficultés naturelles d'un terrain , souvent
entrecoupé de torrents , de rochers , de pentes
rapides , où les bêtes de charge abordent avec peine ,
il devra combattre surtout les préjugés de la routine :
de grands exemples , des expériences sûres et multipliées
, des profits certains peuvent seuls légitimer une
innovation aux yeux des cultivateurs .
* , ་ ་
C'est peu que la société d'agriculture , animée du
meilleur esprit , et distinguée par ses lumieres , leur
expose les vrais principes d'économie rurale , et leur
fournisse des idées salutaires ; l'expérience seule triomphera
de l'habitude . Il serait à souhaiter que cette société
pût devenir concessionnaire d'un terrain national
propre à tous les essais d'amélioration ...
D'ailleurs , la médiocrité des fortunes , et il faut le
dire aussi , la trop grande division des terres , ne favorisent
pas ces entreprises , dont l'objet est plus encore
un avantage futur qu'une jouissance actuelle . Ainsi les
marais ne se dessèchent point ; on craint d'essayer des
prairies artificielles ; chacun use avec épargne d'un
modique revenu , qu'il ne dépense pas sans quelque
inquiétude pour l'avenir .
L'administration forestière est enfin organisée ; les
délits sont plus rares : plusieurs jugements , rendus et
exécutés , ont appris à ne plus compter sur l'impunité qui
encourageait toutes les dévastations . Les forêts formaient
autrefois une des principales richesses de ces contrées .
Mais les agents de la marine les ont décimées ; l'armée
des Alpes a passé ; les habitants eux- mêmes ont porté
398 MERCURE DE FRANCE ,
la cognée partout ; des incendies annuels ont achevé les
ravages ; le prix du bois est doublé.
L'application inconsidérée de la loi du 10 juin sur
le partage des biens communaux a beaucoup contribué
à cette dépopulation des forêts . L'affouage des bois
de Jernes qui suffisaient à une population de 20,000
ames , préjudicie aux forêts des montagnes voisines.
C'est une cause de la fréquence des avalanches , des
débordements des torrents , des éboulements de terrains .
L'éducation du bétail , cette branche si essentielle
aux peuples agricoles , cette cause féconde de toutes
leurs richesses , à peine est - elle connue dans le Mont-
Blanc. Ici surtout une routine aveugle repousse tout
changement utile , du moins dans les parties basses
du département. Ajoutez le défaut de prairies artificielles
, la médiocre qualité des fourrages , et la grande
division des terres . Il n'en est pas de même du peuple
des montagnes. L'abondance et la bonté des fourrages
favorise ses efforts : ses bestiaux font toute sa fortune :
uniquement livré à ce soin , il suit de meilleurs pro
cédés , soit pour augmenter et améliorer la reproduction
, soit pour réduire le laitage en beurre et en
fromage de différentes espèces . On distingue , en ce
genre , les productions des montagnes de la Haute-
Tarantaise , des Beauges et de la Maurienne.
L'habitant de ces vallées fait quelques élèves en
mules et mulets , qui sont les seules bêtes de charge
dont il se sert pour ses transports : il en fait aussi un
commerce avec le Piémont.
L'éducation des chevaux ne forme pas , dans le
Mont-Blanc , une branche d'industrie , quoique plusieurs
localités Y soient favorables à la formation de
haras.
Quelques particuliers seulement entretiennent des
juments poulinières , mais d'une race abâtardie.
En général , les chevaux , mulets , et les diverses
espèces de bétail , y sont d'une petite espèce. La société
d'agriculture s'occupe de procurer , à chaque canton
, des faureaux et des étalons de races meilleures.
Le recensement des chevaux et mulets , donne un
résultat de 8,500 , sur lequel nombre les experts ont
eu peine à trouver le contingent du cinquantième qu'a
FRUCTIDOR AN IX. 399
fourni le département , en exécution de la loi du 4
vendémiaire an 8 .
Le recensement des bêtes à cornes n'a jamais été
ordonné , mais on peut affirmer que le nombre est environ
de 184,000 , sans y comprendre près de 8 à 10,000
chèvres qu'entretiennent les habitants des hautes collines
, et ceux voisins de la sommité des montagnes
au mépris des règlements sur la police rurale : les
défenses faites , à cet égard , n'ont jamais rien obtenu ;
la force seule pourrait opérer quelques résultats , mais
ils nuiraient à l'existence d'une population nombreuse.
Les troupeaux de bêtes à laine y sont très-multipliés
; il n'est pas de cultivateur , jusqu'à celui de la
plus petite métairie , qui n'ait les siens ; les services
qu'il en retire , soit pour ses vêtements , soit pour sa
nourriture , sont considérables , proportionnellement aux
peines et aux dépenses .
Les porcs y sont très - abondants : les chênes et les
arbres fruitiers qui couvrent son sol , y favorisent l'entretien
et l'accroissement de ces animaux : les foires
du Mont -Blanc en fournissent beaucoup aux départements
de l'Ain et de l'Isère.
Les épizooties , sans y être très-fréquentes , y causent
, cependant , chaque année , quelques ravages . Les
premiers principes de l'art vétérina re sont peu répandus
: une routine meurtrière fait toute la science de l'agriculteur
, qui passe pour être le plus habile en ce genre .
Les artistes vétérinaires y sont en très- petit nombre :
deux élèves de l'école de Lyon , patentés depuis peu ,
pourront rendre des services essentiels dans cette
partie , lorsqu'ils auront joint quelques années de pratique
à la théorie qu'ils ont acquise aux leçons des
plus habiles maîtres.
MANUFACTURES FABRIQUE S.
Le sol du département , l'abondance et la qualité de
ses eaux , appellent de toutes parts les fabriques et les
manufactures ; et cependant , nulle part , peut- être ,
elles ne sont aussi rares. Les moyens d'exploitation
manquent , et plus encore les dispositions naturelles
des habitants pour les établissements de cette espèce .
400 MERCURE DE FRANCE ,
Il paraît que l'ancien gouvernement n'a jamais encouragé
l'industrie . L'église , les armes , le barreau étaient
les seules carrières ouvertes à la classe aisée . Le reste
s'occupait presque exclusivement à la culture des terres
et à l'exercice des métiers qu'exigent les besoins les plus
usuels.
On ne compte guère , dans le Mont - Blanc , que
quatre papeteries , une vingtaine de tanneries et corroieries
, quelques fabriques de poterie , de clouterie ,
d'outils aratoires , et quelques ateliers naissants de
bonneterie.
Une fabrique de faïence fine , créée dès la révolution
sur le bord du lac du Bourget , lieu dit Haute - Combe ,
par une société qui a fait l'acquisition des biens et
bâtiments de l'abbaye de ce nom , prospère de jour
en jour. Elle a tenté , assez heureusement , quelques
essais d'une faïence qui imite celle d'Angleterre.
On a lieu de regretter : 1.º une fabrique d'indienne ,
modelée sur celle de Phâsi , de Genève ; mais les frais
de l'établissement et quelques misérables rivalités , ont
été jusqu'ici des obstacles invincibles.
1
2. Une fabrique de limes , élevée par le C. Golchmit
, a eu quelques moments de succes ; elle a été
abandonnée en l'an 7.
3. Une fabrique d'armes , créée par les CC. Marguet
et compagnie , longtemps adjudicataires privil giés de
la ferme des biens que possédait l'abbaye de Tanné ,
n'a eu que quelques moments d'activité.
о
4. Une autre fabrique d'armes , qui , élevée à grands
frais par le gouvernement , à Chambéry , n'a pas eu
un meilleur succès ; elle a dévoré 3 à 400,000 fr. pour
des établissements d'ateliers , transportés ensuite à
Grenoble .
5. Deux fabriques de gazes formaient , à Chambéry ,
une branche de commerce assez considérable avec Turin
et Lyon ; elles ont été entièrement anéanties par l'effet
de la révolution.
•
Un établissement de filature et toilerie a été projeté
par un citoyen de cette même ville. Ce projet
mérite des encouragements , puisque le Mont - Blanc
possède , à cet égard , toutes les matières premières .
(La suite au numéro prochain).
( N.° XXX. ) 16 Fructidor An 9.
MERCURE
DE FRANCE.
LITTÉRATURE.
POÉSIE .
FRAGMENT de la nouvelle Edition du
quatrième chant du poème DES JARDINS.
MAIS C'est peu d'enseigner l'art d'embellir les champs , "
Il faut les faire aimer ; et peut - être en mes chants ,
- Bien mieux qu'un froid précepte , une histoire touchante
Rendra plus chers encor les travaux que je chante :
Ces doux soins qui du sage occupent les loisirs ,
Quelquefois les rois même ont goûté leurs plaisirs.
C'est toi que j'en atteste , ô vieillard magnanime !
Toi , né du sang royal , modeste Abdolonyme **.
La description du parc de Kensington , imprimée dans
le N. XXVII de ce journal ; celle des Jardins de Pope
et de Bleinheim , qui ont paru dans le XXIX , avec les
vers sur une abbaye de la Trappe , et cet épisode d'Abdolonyme
qui termine aujourd'hui le quatrième chant du
poème des Jardins , forment la partie la plus importante
des additions faites par l'auteur. En réunissant ces divers
- morceaux , on connaît à peu près tout ce qu'offre de nouveau
la dernière édition .
** On peut lire dans le quatrième livre de Quinte- Curce ,
REP FRA .
5
26
402 MERCURE DE FRANCE ,
Obscur et retiré dans son paisible enclos ,
Entre son doux travail et son heureux repos ,
Le vieillard oubliait le sang qui le fit naître ;
Nul séjour n'égalait sa demeure champêtre ;
D'un côté , c'est Sidon , et son port , et ses mers ;
De l'autre , du Liban les cèdres toujours verts ,
Dont les sommets pompeux , disposés en étage ,
Levaient cime sur cime , ombrage sur ombrage.
Au flanc de la montagne , un fertile coteau ,
Vêtu d'un vert tapis , s'étendait en plateau
Et de là deux filets d'une onde cristalline ,
Tombaient en murmurant le long de la colline .
Au centre du jardin , vers le soleil naissant ,
>
chap. 3 et 4 , l'histoire d'Abdolonyme . Elle est écrite fort
simplement. On n'y retrouve presque aucune des circonstances
inventées par le poète moderne. Il est vrai qu'Abdolonyme
est un parent éloigné de la dernière maison
royale , mais il n'a jamais vécu dans la grandeur ; il n'a
point de fils , et la pauvreté le force de cultiver pour uu
modique salaire un verger voisin de la ville . Abdolonimum
quemdam longa quidem cognatione,stirpi regiæ àdnexum ,
sed ob inopiam suburbanum hortum exigua colentem stipe,
Ce n'est point Alexandre , mais Ephestion qui le choisit
d'après le conseil de quelques Tyriens . Abdolonyme est
seulement présenté au vainqueur de l'Asie ; et lorsque ce
dernier lui demande comment il a supporté l'indigence ,
plût aux Dieux , répond- il, queje puisse porter le sceptre
le même courage! Utinam , inquit , eodem animo
regnum pati possim ! C'est le seul trait remarquable de la
narration latine . Delille a donc fort amplifié ce récit , et
quelques détails trop minutieusement prolongés ne sont pas
dignes peut - être d'un tableau dont Alexandre est le premier
personnage. Mais quelques descriptions du site , le sacrifice
et la prière du vieillard , ses regrets en quittant sa retraite
et les arbres cultivés par ses mains , semblent racheter ,
par l'éclat du style , ce qui manque de noblesse et de vérité
dans la partie dramatique.
avec
FRUCTIDOR AN IX. 403
Un vallon fortuné se courbait en croissant ,
Zóne délicieuse , en tout temps , ignorée ,
Et du Midi brûlant , et du fougueux Borée.
Dans le fond , les sapins , les cyprès fastueux ,
En cercle dessinaient leurs troncs majestueux ;
Mille arbustes divers y versaient sans blessure ,
Le nard le plus parfait , la myrrhe la plus pure .
Au devant on voyait , déployant son trésor ,
Le citron orgueilleux de son écorce d'or ,
Et la rouge grenade , et la figue mielleuse ,
Et du riche palmier la date savoureuse .
Autour , quelques rochers du marbre le plus pur ,
Veinés d'or et d'argent , et de pourpre et d'azur ,
Charmaient plus ses regards dans leurs masses rústiques ,
Que ceux dont l'art jadis décorait ses portiques :
Sur leurs flanes ondoyaient des arbrisseaux en fleurs ,
Différents de parfums , de formes , de couleurs ;"
La rose les paraît , et , sur une onde pure ,
!
De vieux saules penchaient leur longue chevelure .
Plus loin , c'est un troupeau qui , content sous ses lois ,
Lui peignait l'origine et les devoirs des rois .
Les premiers souverains furent pasteurs des hommes ,
Se disait -il souvent ; mais , dans l'âge où nous sommes ,
Quels sages envieraient ces illustres dangers ?
2. Il disait , et content du sceptre des bergers
Il soignait tour-à - tour ses troupeaux et ses plantes :
Son fils le secondait de ses mains innocentes.
L'un est majestueux encor en son déclin ;
9.99
Sa barbe , en flots d'argent , se répand sur son sein ;
Sur son teint vigoureux , une male vieillesse
N'a point décoloré les fleurs de la jeunesse ;
Sa marche est assurée , et son auguste front
Du temps et du malheur semble braver l'affront.
Son fils est dans sa fleur ; máis de l'adolescence
Les traits déja plus murs s'éloignent de l'enfance ;
404
MERCURE DE FRANCE ,
race "
La rose est sur sa joue , et , d'un léger coton ,
Le duvet de la pêche ombrage son menton ;
Son air est doux , mais fier , et de sa noble
Je ne sais quoi de grand conserve encor la trace .
Tous deux , lorsque le soir tempérait les chaleurs ,
Au repos de la nuit abandonnant les fleurs ,
Quelquefois de l'empire ils lisaient les annales ,
Et du peuple et des grands les discordes fatales ;
Comment , au bruit confus de mille affreuses voix ,
Le crime ensanglanta la demeure des rois ,
Et du trône brisé fit tomber leurs ancêtres :
Le vieillard les pleurait ; mais sous ses toits champêtres,
Tranquille , il était loin d'envier leur splendeur.
Tel n'était point son fils : un instinct de grandeur ,
Quelquefois dans son ame éveillait son courage ,
Au dessus de son sort , au dessus de son âge ;
Mais l'exemple d'un père arrêtant son essor ,
A son labeur champêtre il se plaisait encor :
Tel un jeune arbrisseau qui , sur les vastes plaines ,
Doit déployer un jour ses ombres souveraines ,
Dans un antique bois qu'a foudroyé le ciel ,
Faible , se cache encor sous l'abri paternel .
Au centre du jardin est un autel champêtre ;
Là , tous deux des saisons ils adoraient le maître .
Un soir après avoir fini leurs doux travaux ,
Désaltéré leurs fleurs , taillé leurs arbrisseaux
Au pied de cet autel couronné de guirlandes ,
Tous deux agenouillés présentaient leurs offrandes .
L'air était en repos ; les rayons du soleil
Glissant obliquement de l'occident vermeil ,
Peignaient au loin les mers de leur pourpre flottante ;
Les vaisseaux de Sidon , dans leur voile ondoyante ,
A peine recueillaient quelque souffle de vents ;
La vague , avec lenteur , roulait ses plis mouvants ;
Enfin tout était calme , et la nature entière
1 FRUCTIDOR AN IX. 405
Semblait avec respect écouter leur prière .
Chaque veu vers le ciel s'élève en liberté ,
Par les voûtes d'un temple il n'est point arrêté ;
Et les fruits parfumés , les fleurs et la verdure ,
Formaient de mille odeurs l'encens de la nature.
Le vieillard , le premier , au maître des humains ,
Levait en suppliant ses vénérables mains :
1
Il priait pour ses fruits , pour son fils , pour l'empire ;
Sur ses lèvres errait un auguste sourire ;
Son fils l'accompagnait de ses timides voeux ;
Leurs voix montaient ensemble à l'oreille des dieux :
Soixante ans de vertus recommandent le père ;
L'innocence du fils protége sa prière.
Un si touchant spectacle attendrissait le ciel ,
Et , dans le même instant , au pied du même autel ,
Tout l'Olympe attentif contemplait en silence
Le malheur , la vertu , la vieillesse et l'enfance.
Voilà que tout-à-coup résonne aux environs
L'éclatante trompette et le bruit des clairons ;
Une troupe guerrière entoure cette enceinte ;
Le jeune Abdolonyme a tressailli de crainte.
Mon fils , dit le vieillard , ne t'épouvante pas ;
Lorsque l'orgueil armé rassemble ses soldats ,
Le riche peut trembler , mais le pauvre est tranquille :
Il dit , reste à l'autel , et demeure immobile.
Mais la trompette sonne une seconde fois ,
Et l'écho roulé au loin , prolongé dans les bois :
C'est le vainqueur de Tyr ; c'est lui , c'est Alexandre ,
Fatigué de marcher sur des palais en cendre ;
Effroi du trône , il veut en devenir l'appui ,
Et ce caprice auguste est digne encor de lui .
Des portes du jardin les pilastres rustiques
N'offraient point des palais les marbres magnifiques 2
D'un simple bois de chêne ils étaient façonnés ;
Ces lieux d'un vert rempart étaient environnés ;
406 MERCURE
DE FRANCE ,
Les mûriers , les buissons , les blanches aubépines ,
Ensemble composaient ces murs tissus d'épines .
Alexandre s'arrête ; et le triomphateur
Qui , dès plus fiers remparts , abaissa la hauteur ,
Contemple avec respect cette faible barrière ,
Et laisse hors des murs sa cohorte guerrière :
Il porte dans l'enceinte un pas religieux ,
Et craint de profaner le calme de ces lieux .
A peine il les a vus , ses passions s'appaisent ,
Son orgueil s'attendrit , ses victoires se taisent ,
Et sur ce coeur fougueux , sur ce tyran des rois ,
La nature un instant a repris tous ses droits .
Il cherche le vieillard , il le voit , il s'approche :
Ce lieu me fait , dit- il , un trop juste reproché ;
Il me dit que j'ai trop méconnu le bonheur ;
A terrasser les rois je mettais mon honneur ;
Je vais jouir enfin d'un charme que j'ignore :
Ton sang régna jadis , il doit régner encore;
Sors de l'obscurité : les peuples et les rois
Sont toujours criminels d'abandonner leurs droits .
Ne me refuse pas cette nouvelle gloire ,
"
'est
2
C'est le prix le plus doux qu'attendait ma victoire ;
Viens donc , tout te rappelle au rang de tes aïeux
Tes vertus , et ton peuple , Alexandre , et les Dieux.
Ainsita main toujours dispose des couronnes ;
Aux uns tu les ravis , aux autres tu les donnes 2
Répondit le vieillard ; et de tes fières lois ,
Le plus obscur réduit ne peut saáver les rois !
Hé bien à mes destins je suis prêt à souscrire ;
Pour le rendre à mon fils , je reprends mon empire.
Toi , si tu peux des champs goûter encor la paix ,
Contemple cet asile et conçois mes regrets.
Permets donc qu'en ces lieux , le sommeil des chaumières
Pour cette nuit du moins ferme encor mes paupières ,
Et qu'en ce doux abri , prolongeant mon séjour ,
1
FRUCTIDOR AN IX . 407.
༡. ་
Je dérobe aux grandeurs le reste d'un beau jour ;
Demain , à mes devoirs , je consens à me rendre.
Cette noble fierté plaît au coeur d'Alexandre ;
Mais , durant leurs adieux , le fils , dans le jardin ,
Ayant cueilli des fleurs qu'entrelace sa main ,
A ces lauriers cruels qu'ensanglanta Bellone ,
Demande à marier sa modeste couronne :
Le héros lui sourit , et ce front triomphant
Se courbe avec plaisir sous la main d'un enfant.
Il le prend , il l'embrasse , et fixant son visage ,
Dans ses destins futurs aime à voir son ouvrage.
Il part enfin , s'éloigne , et s'arrache à regret
A ce couple innocent qu'il envie en secret ,
Il s'éloigne indigné de sa grandeur cruelle ,
Qui traîne le ravage et le deuil après elle ,
Prend pitié de sa gloire , et sent avec douleur-
Qu'il a conquis le monde et perdu le bonheur,
Mais ce jour le console ; il éprouve en lui -même.
Ce plaisirpur qui fuit l'orgueil du diademe ,
Qu'ignore la victoire , et quitte ces beaux lieux ,
Fier d'un plus beau triomphe , et plus grand à ses yeux .
Le vieillard tout le soir suit sa tâche innocente ;
Il va de fleur en fleur , erre de plante en plante ; !
Se hâte de jouir , et dans le fond du coeur
Recueille avidement un reste de bonheur,
A peine l'horizon avait rougi l'aurore ,
Que , pressant dans ses bras cet enfant qu'il adore,
Je vais régner , dit-il ; et cet auguste emploi , " un
Mon fils , après ma mort , retombera sur toi .
Que je te plains ! ces bois , ces fleurs , sujets fidelles ,
Ne m'étaient point ingrats , ne m'étaient point rebelles ;
Qu'un sort bien différent nous attend aujourd'hui !
Viens donc , ô cher enfant ! viens , ô mon doux appui !
Du malheur de régner , viens consoler ton père ;
Et vous , objets charmants ! Toi , cabane si chère !
408 MERCURE DE FRANCE ;
/ Vous ,, que je cultivais , vergers délicieux ,
Arbres que j'ai plantés , recevez mes adieux !
Hélas ! coulant ici mes heures fortunées ,
Heureux , par vos printemps je comptais mes années ;
Ces fastes valaient bien les annales des rois .
Puisse du moins l'empire être heureux sous mes lois ,
Et me dédommageant de vos pures délices ,
Par le bonheur commun payer mes sacrifices !
Il dit , promène encor ses regards attendris'
Sur ses bois , sur ses fleurs , ses élèves chéris ,
Et part environné d'une brillante escorte.
Mais du palais à peine il a touché la porte ;
Mille ressouvenirs se pressent sur son coeur.
Dans un confus transport de joie et de douleur ,
En silence il parcourt le séjour de ses pères ,
Témoin de leur grandeur , témoin de leurs misères ;
Leur ombre l'y poursuit ; il pense quelquefois
Entendre autour de lui leur gémissante voix ;
Mais les flots d'un vin pur ,
Achève d'effacer la trace de ces crimes ;
et le
sang
des victimes
"
Il règne , et l'équité préside à ses projets :
Son sceptre est moins pesant , chéri par ses sujets.
Cependant quelquefois , loin d'un monde profane ,
Il revient en secret visiter sa cabane ,
Revient s'asseoir encor au pied de ses ormeaux
De ses augustes mains émonde les rameaux ,
Et , s'occupant en roi , se délassant en sage ,
D'un bonheur qu'il n'a plus , adore encor l'image,
Par Jacques DELILLE.
FRUCTIDOR AN IX. 409
VERS à Madame de SEGUR.
S'IL faut de l'or dans un ménage ,
Aucun de nous n'en a pour deux ;
L'amitié nous en dédommage ,
Chacun de nous en a pour deux.
On sait que j'eus de la folie ,
Et toi de la raison pour deux .
A présent , il te faut , Marie ,
Hélas ! de la santé pour deux .
Par le C. SEGUR.
CHARADE.
Non , loin de mon premier , sur le sein de Glycère ,
Vois l'éclat de la rose et la blancheur du lys ;
Heureux , de mon second si l'haleine légère ,
D'un importun fichu dérange tous les plis ,
Alors a disparu le voile du mystère ;
Alors ton oeil jouit ; mais quel malheur , hélas !
Si mon tout pour jamais recélait tant d'appas !
Par un abonné.
ENIGM E.
Chez un flatteur je suis dorée ;
Je suis morte chez maint savant.
Partout où l'on me voit fourrée
On me reçoit à coups de dents .
Je suis sans faste et toujours nue
Mais pourtant j'habite un palais ,
Et lorsque je suis bien pendue ,
Je fais plus de bruit que jamais .
410 MERCURE DE FRANCE ,
LOGO GRIPHE.
Les bornes de mon vaste empire
Sont les bornes de l'Univers ;
Je plais chez la jeune, Delphire ,
Chez la vieille Flora je deviens un travers .
En moi , du corps humain voyez une partie ;
Puis , laissant là l'anatomie ,
" Reconnaissez un don des cieux
Don gratuit , dit la théologie ;
De-là faisant un tour dans l'ornithologie ,
Reconnaissez l'oiseau qui sauva la patrie
D'un peuple austère et belliqueux.
Le tenez - vous ? Par la mythologie ,
De
Vous saurez promptement quel guide ingénieux ,
peur de s'égarer , un guerrier généreux ··
Reçut d'une amante chérie ;
Enfin vous trouverez par la géographie ,
Ce qu'entoure Thétis de ses flots écumeux .
6/21
Par un abonné.
Mots de l'Enigme et du Logogriphe insérés
dans le dernier Numéro.
Le mot de l'énigme est poèle.
Le mot du logogriphe est joie , où l'on trouve
oie, je , Io.
1
FRUCTIDOR AN IX. 411
NOUVELLE édition des Lettres de M.me de
SÉVIGNÉ , précédée d'un précis de sa vie et de
réflexions sur ses Lettres . Chez Bossange et
Compagnie , rue de Tournon ; 10 vol. in- 12 .
L'IMAGINATION et le goût aiment à revenir sans
cesse vers les beaux jours du siécle de Louis XIV.
Les livres qui nous entretiennent de sa gloire ont
un intérêt éternel: Voyez ce que Voltaire fait
dire à un Russe qu'il introduit dans une de ses plus
ingénieuses satires.
Tout mon coeur tressaillait à ces récits pompeux ,
De vos arts triomphants , de vos aimables jeux .
Quel plaisir, quand vos jours marqués par vos conquêtes
S'embellissaient encor à l'éclat de vos fêtes !
L'étranger admirait , dans cette auguste cour "
Cent filles de Héros , conduites par l'Amour ;
Ces belles Montbazons , ces Châtillons brillantes ,
Ces piquantes Bouillons , ces Nemours si touchantes ,
Dansant avec Louis sous des berceaux de fleurs ,
Et du Rhin subjugué couronnant les vainqueurs ;
Perrault du Louvre auguste élevant la merveille ,
Le grand Condé pleurant aux vers du grand Corneille . 1
}
Le nouvel éditeur des lettres de M.me de Sévigné
rappelle tous ces souvenirs dans sa préface. En le
lisant , on croit revoir les sociétés de ce grand
siècle , si riche en hommes supérieurs , et si
abondant enfemmes aimables . On participe aux
mouvements de toute leur vie ; on assiste à leurs
conversations , et l'on se dit à chaque page , celui
qui peint avec tant de charme et de vérité des per-
Cet ouvrage paraîtra incessamment.
MERCURE DE FRANCE ;
1
sonnages si aimables et si illustres , méritait de
vivre avec eux . Mais au milieu de ces cercles choisis ,
c'était M.me de Sévigné qui devait fixer son attention.
Il la suit à la cour et dans la solitude , au
théâtre de Racine et à la chaire de Bourdaloue ,
et , parmi tant de dissipations et de contrastes , il
la montre toujours occupée de sa fille et pleine
de cet amour maternel qui fit son bonheur et son
génie . Il cherche le caractère de son style dans ses
habitudes ; il ne dissimule point ses faiblesses , ses
faux jugements , et cette facilité de caractère qui se
laissait entraîner au flot de toutes les cabales dont
elle était environnée . Le mot de M.me de Sévigné
sur Racine n'est que trop connu . Mais ne sait - on
pas aussi que ce grand homme ne fut mis à sa
place que trente ans après sa mort , et par Voltaire
qui devait à son tour éprouver la même injustice
?
Heureusement M.me de Sévigné avait un meilleur
goût dans son style que dans ses opinions
littéraires . Elle jugeait avec ses préjugés , mais
elle écrivait avec un instinct qui ne la trompa jamais.
Laissons parler l'éditeur lui -même.
Sa destinée , dans sa vie , n'eut rien de très -singulier ,
Elle fut distinguée sans paraître la première
en rien , sans influer sur aucune opinion , ni sur
aucun événement . Elle procura un établissement considérable
à sa fille ; et son fils , très - aimable , dont tous les
goûts , après quelques égarements assez vulgaires , tournèrent
en sagesse et en repos , n'obtint qu'un avancement
très - ordinaire . L'envie ne fut point trop avertie d'inquiéter
cette femme heureuse. On ne savait pas et, encore
une fois , elle ignorait elle - même que son nom allait
FRUCTIDOR AN IX. 413
Souà
la gloire , à une gloire principale et neuve chez les
femmes , qu'elle serait non -seulement auteur mais
auteur célèbre , le modèle vanté et presque unique du
genre le plus exquis , le plus nécessaire à l'amitié , qui
renouvelle le mieux les affections de chaque jour ; que
son nom deviendrait un proverbe pour louer toute
femme dont les lettres sont lues avec plaisir : Elle
écrit comme M.me de Sévigné, ( Ce proverbe , disons- le
en passant , s'applique , comme tous les autres
vent mal à propos , mais non pas toujours. ) Quoi qu'il
en soit , elle s'est trouvée à la fin dans la bibliothéque
nécessaire et de choix de chaque homme de goût , de
chaque famille où l'on connaît tant soit peu les plaisirs
de l'esprit. Cette bibliothéque de choix est , dans
toute bonne maison , ce qu'était dans celle des anciens ,
le sucrarium domus , la Chapelle domestique , où parmi
les images des grands dieux quelque divinité familiere
et favorite recevait un culte plus confiant , plus assidu .
Ainsi parmi les oeuvres immortelles des grands talents
et des plus hauts génies , sont placées , avec prédilection
, les Lettres de Sévigné ; elles n'y font point ombrage
aux grands poètes , aux puissants orateurs , aux
imposants moralistes. Nicole même , dans les bibliothéques
où il est encore , sourit , je crois , de se voir auprès
d'elle ; mais elle est plus visitée et plus relue que
les poètes et les orateurs , et surtout que les moralistes
. D'ailleurs , tous ces noms éminents impriment
le respect ; ceux d'entre eux qu'on chérit le plus ne
sont pas ceux qui nous désespèrent le moins , et envers
qui l'émulation semble plus infructueuse. Qui aimet-
on mieux que La Fontaine ? personne n'osera tenter
d'être aussi bon homme. Mais M.me de Sévigné a un
mélange de négligence et de soin , quelque chose qui
s'élevant toujours au dessus de la simplicité ne sort
pas du naturel ; toute bonne mère desirera que sa fille
414 MERCURE DE FRANCE ,
atteigne ce point là : elle lui dira , Ecrivez ainsi , et
vous serez chère à vos amis . J'ai vu quelquefois que
ce voeu des mères n'était pas tout -à - fait trompé , que
des essais dé très -jeunes personnes étaient fort heureux.
Les mères et leurs enfants s'en aimaient davantage.
Ah ! M.me de Sévigné leur sera toujours chère et brillera
dans leur cabinet de livres,
*
C'est ce qu'on a remarqué mille fois , et presque
toujours fort bien , et je ne connais que feue M.me
Necker à qui M.me de Sévigné n'ait pas communiqué
de la grace en parlant d'elle. Un homme , d'un esprit
délicat et juste , en a surtout écrit un fort joli chapitre
, après lequel je m'étonné d'avoir encore quelque
chose à dire mais son but et le mien sont un peu
différents . Il ne veut que lui confirmer l'éloge d'avoir
excellé dans le style épistolaire . J'examine de plus
pourquoi il lui fut donné d'y exceller. Il prouve un
fait très- vrai , dont j'essaye de développer les causes ;
c'est pour cela que j'ai précédemment observé son
siécle , sa position , ses annis , certaines opinions qui
ont plus occupé son esprit . Tout cela influe sur les
qualités du style ; mais c'est surtout le caractère qui
les crée , et c'est pour cela que lecteur aimera
peut- être que celui de M.me de Sévigné lui soit bien
présenté.
1
J'examinerai d'abord si ce fut une femme passionnée .
On fait aujourd'hui beaucoup de bruit de ce mot , et
l'on répète , quelquefois bien au long , que les passions
poussent merveilleusement les voiles de notre esprit.
Il est rare , à mon avis , qu'elles le fassent bien aborder
, et le plus souvent elles causent son naufrage. Il
en est une surtout dont on recherche curieusement et
quelquefois assez ridiculement l'influence , surtout dans
les écrivains . Boileau , dit on , ne fut point agité de
* M. Suård.
FRUCTIDOR AN IX. 415
'celle-là , et on remarque , en souriant , qu'il ne fut
point sensible. Certes , il le fut beaucoup aux beautés
poétiques , et c'est pour cela que le sensiblé Racine le
reconnut pour juge. Ainsi le plus sensible des hommes
soumit avec succes son talent à l'homme qui l'était le
moins ; et il serait assez bizarre que là passion lui
ayant été si nécessaire pour produire ses chef- d'oeuvres
, són ami n'en ait eu nul besoin pour lui indiquer
la perfection . Boileau prononçait sur cette passion
'comme Racine sur l'àmbition d'Agrippine sans la ressentir
, et celui -ci dut beaucoup plus à Euripide , à
Virgile , à Port -Royal même et à la Bible , qu'à
quelques ardeurs passagères que lui inspirèrent des
femmes . Quelle passion , je vous prie , dominait Lä
Fontaine , qui dit si bien lui - même : Je suis chose
légère ? Chaque vent , pour faible qu'il fût , l'emmenait
tour à- tour , et il chanta presque aussi bien Psyché
que Jean- Lapin et le saint homme de Chat Je ne
finirais point de dénombrer tous les vrais talents qui ,
sans être soutenus dans leur vol par aucune passion
personnelle , ont excellé à peindre les passions ainsi
que tous les autres effets de la nature . Pourquoi donc
de notre temps les a - t- on louées , récommandées , exagérées
avec un si violent enthousiasme ? Je le dirai
avec le calme et avec l'inflexibilité d'un moraliste ;
c'était pour s'y livrer , et souvent pour les feindre ;
tout amant a voulu être le jeune Werther ; toute
femme effrénée , Héloïse ; et d'autres , qui n'étaient
rien de cela , que prétendaient- ils ? Que pensez - vous
de ce petit vieillard faible et septuagénaire , de l'abbé
Raynal , qui , dans son Voyage philosophique , insere
des pages brûlantes , et se donne les airs du plus déraisonnable
jeune homme ? Mais ne nous écartons point
de M. de Sevigné.
Je me rappelle un endroit de ses lettres , le seul , je
416 MERCURE
DE FRANCE
,
"
H
"
a
MAC
crois , où elle parle des passions. Ce n'est point en
forme de raisonnement profond ni subtil , c'est une
image vive qu'elle suit . Elle avait vu couper des vipères
pour faire des bouillons à M. de Lafayette. « On
coupe
la tête et la queue à cette vipère , on l'ouvre , on
l'écorche , et toujours elle remue ; une heure , deux heures
, on la voit toujours remuer : nous comparâmes cette
quantité d'esprits si difficiles à appaiser à de vieilles
passions .... que ne leur fait - on pas ? On dit des
injures , des rudesses , des cruautés , des mépris ,
des querelles , des plaintes , des rages , et toujours
elles remuent , on ne saurait en voir la fin ; on croit
« que quand on leur arrache le coeur , c'en est fait ,
« et qu'on n'en entendra plus parler ; point du tout ,
elles sont encore en vie , elles remuent encore . »
Voilà comme M. de Sévigné sait traiter un sujet
philosophique. Je connais de gros livres sur les pas
sions , qui sont tous bouffis de mérite , bien roides de
savoir , bien atournés d'éloquence , comme dit Montaigne
, d'où on ne tirerait pas dix lignes aussi brillantes
et aussi sensées . Et voyez comme elle est éloignée
de la prétention d'avoir dit une chose rare :
Je ne sais pas si cette sottise vous plaira comme à
mais nous étions en train de la trouver plai-
"
"
"L
" nous ,
" sante. »
Il y a dans ce même recueil une ligne de M.me de
Coulanges , qui est remarquable , et peut- être trop
gaie Je fais peu de cas des passions , surtout depuis
qu'elles ne sont plus à mon usage. Il fallait , pour
qu'elle se permît cette plaisanterie , qu'aucun souvenir
du passé ne la troublât , et pour suivre la comparaison
de son amie , que rien ne remuất dans son coeur ,
ni dans sa conscience. Il n'y a qu'une très - honnête
femme qui puisse risquer ce mot , parce qu'elle n'a pas
à rougir , ou Ninon , par une raison contraire , qui
1
FRUCTIDOR AN IX. 417
→
DE LA
est qu'elle ne rougit pas . Ninon s'était déclarée homme ,
et l'on assure qu'elle était un très - honnête homme.
Mais ce n'est peut - être pas là ce que , de nos jours , on
a le plus vanté en elle ; c'est le libertinage de
principes qui lui a valu le titre de femme philosophe.
A la bonne heure , mais cette philosophe elle-meme
serait surprise , et peut - être divertie de voir tout le
chemin qu'a fait parmi nous la philosophie des
sions , tout cet emportement de sublime , et ces amese
agitées , tourmentées , bouleversées par la sensibilité ,
ces vrais volcans d'amour , et surtout les progrès que
cette folie fait faire au génie et aux moeurs . Ce sont
les miracles de notre temps , et le siécle de Louis XIV
est pour la perfectibilité et la mélancolie à cent siécles
du nôtre . O Ninon ! & Molière , que vous ririez ! O précieuses
! que vous n'étiez rien en comparaison de nos
dames sublimes !
Que faisait - on donc alors du coeur humain , de
l'analyse de ses passions et de leur influence , on essayait
d'en faire à peu près ce qu'on en fait aujourd'hui
, des livres , des romans dont on lisait ce qu'on
pouvait , etc. , etc.
2 M.me de Sévigné , quoique très-sensible , avait
quelque penchant pour la doctrine austère de Port-
Royal. Son historien la soupçonne même d'un peu
de jansenisme. On remarque , en général , que
les écrivains de cette école ont été les peintres les
plus éloquents des passions , et peut- être les connaissaient-
ils mieux , parce qu'ils les réprimaient
davantage. C'est ainsi que l'auteur parle de ces fameux
solitaires , dont M.me de Sévigné aime tant
à rappeler les noms et les ouvrages.
Elle parle beaucoup des livres de ces Messieurs ;
5
cent
5 .
27
418 MERCURE DE FRANCE ,
/
c'est ainsi qu'elle appelle Port - Royal , et c'est pour
cela qu'un jésuite l'a placée dans un Dictionnaire des
livres jansénites , et que les jansénistes , de leur côté ,
ont fait un Sevigniana , ou Recueil de tout ce qui leur
plaît dans ses lettres , avec des notes qui sont le plus
souvent un nécrologe de Port - Royal . Je suis fâché
qu'elle ait eu la mauvaise fortune d'occuper si fort ces
deux partis de théologiens. Mais pourquoi célèbret-
elle si souvent ce Port - Royal ? Je vais le dire . ´´
Cette fameuse solitude était devenue le centre et la
capitale d'une secte ; mais il en sortait , avec des livres '
de parti , d'autres qui ont perfectionné l'esprit humain ;
et parmi ces livres de parti même , il y en avait un
que Boileau préférait aux anciens et aux modernes :
ce sont les Provinciales. Ce jugement n'était au fond '
qu'une hyperbole plaisante , par laquelle le satirique
s'amusa dans une conversation à dérouter un jésuite .
Mais enfin les Provinciales sont un chef- d'oeuvre tel
que n'en enfanta jamais le génie polémique ; et ce
chef-d'oeuvre n'est pas le seul que la postérité doit à
ces solitaires. Elle s'entretient tous les jours des obligations
que leur a la langue française et l'art du raisonnement
, et même la géométrie. Il faut se souvenir
que presque tout ce qui a excellé dans ce beau siécle
les appelait ses maîtres . Ils avaient mis la gloire en
commun ; chacun pour son compte avait renoncé au
je et au moi; et , quand il parlait de lui , il se cachait
sous la modeste particule on. C'est pour cela qu'en
parlant de leurs ouvrages , on disait les livres de ces
Messieurs.
i
Ces hommes habiles , et protégés par leurs talents
et leur austérité , soulevaient fortement l'opinion , et
plus d'un lecteur ne sait pas tout ce qu'ils auraient ´
voulu remuer ; mais il y a aujourd'hui tel homme aspirant
à se faire chef d'un parti ecclésiastique qui ne
FRUCTIDOR AN IX. 419
1
Pignore pas , et qui , dans un ouvrage récent * , vante
assez mal- adroitement leur conduite comme un modèle
de révolte sourde et persévérante. Louis XIV en
avait précisément la même idée , et il regardait la
faveur publique , qui réclamait pour eux , comme un
reste des tracasseries de la Fronde. Il ne se trompait
peut-être pas entièrement , car l'esprit d'opposition
qui s'était manifesté alors en France ne s'y était pas
éteint , il n'était qu'endormi et enchanté par les merveilles
du règne et la force du gouvernement. Mais'
cette force est impuissante à étouffer les pensées , et'
toutes les fois qu'elle s'exerçait , elle rencontrait l'improbation
et le chagrin d'un grand nombre d'esprits. '
Ainsi l'infortune de Fouquet , condamné par des
juges de cour , fut déplorée par des gens de lettres
et par M. de Sévigné. Ainsi les rigueurs contre
les partisans de Port Royal furent désapprouvées
par cette même M.me de Sévigné et par une foule de
gens de bien , qui ne voyaient dans ces solitaires que
les adversaires des jésuites et les défenseurs de la saine
morale. Ce monarque absolu échoua véritablement en
déployant beaucoup de pouvoir ; il encourut le blâme
d'avoir persécuté , et ne parvint point à éteindre une
hérésie . On lui soutenait que cette hérésie était un
fantôme. Tout le siécle se portait vers ces opinions
accréditées par l'éloquence et par la plaisanterie ( qui
a encore plus de pouvoir sur les Français ) . Le grand
Louis était enveloppé , sans le savoir , par le jansénisme ,
comme ses successeurs , dans notre siècle , l'ont été par
la philosophie , et l'opinion , après avoir éludé l'autorité
, a fini par la vaincre."
·
Qu'on ne dise pas ici , qu'à propos d'une femme ,
1
* Voyez la brochure intitulée : Les Ruines de Port -Royal
en 1801 , par Gr......
420
MERCURE
DE FRANCE ,
n'est
et
auteur de quelques lettres , je parle de toute la nation
, et me livre à une peinture vaste et tout - à- fait
historique ; outre que cette peinture a peut- être le
mérite de l'instruction , le lecteur voudra bien se souvenir
que nos lumières et nos erreurs , étant presque
toujours celles de notre temps , une personne
bien connue qu'autant qu'on fait connaître ses contemporains
. Il faut donc dire que M.me de Sévigné était ,
entraînée par les siens , et que ceux- ci l'étaient par,
quelques hommes adroits , constants , parés de mo-,
destie , et désintéressés de toute importance apparente ,
mais non pas de la gloire et de l'ambition d'influer ,
qui agissaient du fond d'une solitude de vierges ,
remuaient secrètement toute la France par le souvenir
de la discipline antique des chrétiens et l'attrait d'une
morale austère. Je demanderai , avec J. J. Rousseau, qui
peut bien se répondre que , s'il eût vécu du temps
d'Arnaud , de Pascal , de tous ces hommes d'un caractère
si grave et de talents si divers , il n'eût pas .
été le panégyriste de Port- Royal , comme Despréaux ,
comme Racine , comme une foule de savants magis • ,
trats et d'hommes vertueux , comme M.me de Sévigné ,
enfin , qui , libre de toute passion , excepté du plus
extrême amour maternel , voulait être femme de bien ,
en même temps que femme aimable ?
Il faut borner les citations , et renvoyer les lecteurs
à l'ouvrage même. Ils sentiront combien l'on
doit de reconnaissance à ces dignes amis de l'ancienne
littérature , qui , en appréciant si bien les
vrais modèles , semblent en rajeunir les graces et
la renommée .
C. N.
FRUCTIDOR AN IX. 421
PHILOSOPHIE de Kant , ou Principes fondamentaux
dela Philosophie transcendentale
par Charles VILLERS , de la Société royale
de Gollingue. Chez Henrichs , rue de la Loi ,
n.º 1231 ; Levrault frères , quai Malaquais , et
Pougens, quai Voltaire .
Le nom de Kant est plus connu que ses ouvrages.
Quelques Français appliqueront peut- être au philosophe
allemand ce que Voltaire a dit d'un poète
italien. On l'appelle divin , mais c'est une divinité
cachée ; peu de gens entendent ses oracles.
Les professeurs des universités d'Allemagne font
de très-longs commentaires sur la doctrine du divin
Kant , et Voltaire ajouterait encore Il a des
commentateurs , c'est une raison de plus pour
n'être pas compris.
:
Charles Villers veut enfin nous expliquer les
oracles de la divinité cachée ; et d'abord , à la
manière des anciens prêtres , il écarte tous les
profanes. Il lance les plus terribles anathèmes
contre l'ignorance et la frivolité des gens de lettres
français qui n'ont pas appris , comme lui , l'art
de penser et d'écrire , en Allemagne . Il les juge incapables
de toutes les études fortes , grandes et
libérales , pour parler le langage moderne ; en
conséquence , il n'adresse point son livre , dit-il ,
à cette secte niaise , prosternée devant l'autel
d'un certain Phoebus , qu'il lui plaît d'appeler
le bon goût , et qui prétend encore soutenir la
primatie intellectuelle de sa déité , etc. , etc.
On voit, par cette phrase , et tant d'autres , qu'il
serait trop long de citer , combien le disciple de
422 MERCURE DE FRANCE ,
Kant est éloigné de ce Phabus qu'il reproche aux
écrivains de notre nation . Mais après avoir récusé
Jes gens de lettres , quels seront les lecteurs qu'il
trouvera dignes de lui ? Il n'en veut point d'autres
que les savants de l'Institut , les Lalande
Jes Laplace , les Fouroroy , les Chaptal , les
Guilon , etc. dont il reconnaît la magistrature
suprême. On répète ici ses expressions.
9
Certes , un tel aréopage est fort imposant. Mais
on doute que Charles Villers obtienne la faveur
des juges nommés par lui -même. Une estime mutuelle
et plusieurs opinions communes rapprochent
les gens de lettres distingués et les savants illustres .
Tous les bons esprits dans les deux genres savent
que l'art de bien raisonner n'est pas moins utile
à ceux qui se livrent aux arts d'imagination , qu'à
ceux qui cultivent les sciences. Ainsi le disciple .
de Kant s'est trompé , s'il croit , en insultant les
gens de lettres , faire sa cour aux véritables sa-
'vants.
i
D'ailleurs , il n'a connu ni les temps ni les lieux.
Ce livre sur lequel il fonde sa renommée doit précisément
déplaire à ceux dont il invoque le suffrage;
car leurs principes sont tout-à - fait contraires.
aux siens . Les savants de l'Institut jetteront à peine
un coup-d'oeil sur ce travail , dont il espère tant
de gloire * . On prédit à Charles Villers qu'il ne
sera lu
que d'un petit nombre de gens de lettres
outragés dans sa préface , mais dont l'esprit s'attache
de préférence à ces systèmes salutaires qui
* L'auteur écrivait modestement de Hambourg : Mon
livre va éclater comme une bombe à Paris , et étonner toute
la France. La raison et la vraie philosophie ne s'annoncent
point de ce ton-là.
FRUCTIDOR AN IX. 423
joignent la terre au ciel , et qui prolongent les espérances
de l'homme au-delà du tombeau.
En effet , ce qu'on entrevoit de la doctrine de
Kant , à travers les nuages du commentaire , fait
du moins honneur aux intentions du philosophe
allemand. Il paraît avoir connu la dignité de la
nature humaine ; il veut donner à la morale des
bases nobles et solides. Son système n'est donc
point celui d'une secte moderne , qui cherche tous
les phénomènes de notre intelligence dans notre
seule faculté de sentir. Les apôtres de cette
secte ont cru expliquer , par le mécanisme des
organes matériels , les plus sublimes opérations
de l'entendement . Pour eux , la pensée n'a plus
de merveilles ; ils la décomposent dans leurs analyses
, aussi surement que le chimiste décompose
les substances qu'il jette dans ses fourneaux . L'ame,
disent-ils , ne peut échapper à la finesse de leur
nouvel instrument qui ne trompe jamais ; en conséquence
, ils vous apprendront au juste le moment
précis où la sensation se transforme en idée , en
réflexion , en jugement ; et si , dans ces diverses
métamorphoses de la sensation , vous ne voyez
pas aussi bien qu'eux la cause du génie d'Homère ou
de Pascal , on vous accusera d'être un fanatique
incurable et l'ennemi de toutes les lumières .
:
Kant , s'il faut en croire son commentateur , a
le plus grand mépris pour cette espèce de philosophes.
Charles Villers , qui parle au nom de son
maître , poursuit à chaque page ce sensualisme
étroit qui fait le fonds de la nouvelle métaphysique
française. On voit bien que je transcris
ses paroles. Il ajoute ailleurs : « Cette métaphy-
<< sique bornée , tournant dans un petit cercle de
conceptions , très-apte , par la matérialité de son
«
424 MERCURE DE FRANCE ,
«
principe , à devenir populaire , à être présentée
« d'une manière palpable aux esprits les moins
<< capables d'abstraction , fit une fortune prodigieuse
sous la plume des Encyclopédistes , sous
<< celle des Diderot , d'Alembert , d'Argens , Hel-
« vétius , etc. etc.; dès- lors le nom de la philosophie
se rencontra partout , et la chose nulle part .
On donna à cette période de bavardage le titre
« de Siecle philosophique , et , dans aucun temps ,
<< la philosophie n'avait été plus méconnue. »>
«<<
On voit que Charles Villers ne traite pas mieux
les philosophes que les gens de lettres , il ne sait pas
que la colère des premiers est sérieuse . On la désarme
difficilement. Si les Kantistes gagnent leur cause ,
il faut convenir qu'ils ne devront rien à l'adresse
de leur champion. Il est temps d'indiquer en peu
de mots cette philosophie transcendentale si fastueusement
annoncée et si mal-adroitement défendue.
Kant , pour combattre la métaphysique actuelle ,
n'a pas recours précisément aux idées innées qui
n'oseraient reparaître sous leur propre nom , depuis
que Locke les a chassées de l'école ; il ne rappelle
point l'harmonie préétablie de Leibnitz , que
M.me du Châtelet voulut reproduire * ; il admet
encore moins le dogme de la réminiscence , inventé
par Platon ; mais il suppose que l'homme
apporte en naissant une faculté de connaître , une
espèce de sens intime qui renferme d'avance toutes
les notions premières de l'espace et du temps , et
toutes les vérités de la géométrie pure. C'est , en
* Voyez une très - ingénieuse dissertation de cette femme
célèbre sur la philosophie de Leibnitz. Il est vraisemblable
que Voltaire y travailla. Charles Villers aurait
bien du en imiter la précision , la méthode et la clarté,
1
FRUCTIDOR AN IX. 425
quelque sorte , un archetype de toutes les idées que
réveillera successivement la vue des objets dont nous
serons frappés . Ici , les principes de Kant ont quelque
ressemblance avec ceux de Platon . Selon lui , la
synthèse précède l'analyse dans notre esprit , et
l'instinct vaut souvent mieux que la raison . Le
sens intérieur prouve Dieu plus surement que
les merveilles de l'Univers . L'immortalité de l'ame
et la liberté de l'homme , ainsi que l'existence de
Dieu , sont des dogmes écrits au fond de nos coeurs
avant de l'être à la porte des temples , ou dans les
vers des poètes et des sages qui ont éclairé les nations.
Dans tout ce qui tient à ces grands principes ,
l'homme croit avant de savoir , et c'est pour
cela même qu'il est sûr de posséder la vérité ; car
le raisonnement est incertain , et le sentiment
infaillible. La conscience dicte tous les préceptes
de la morale avant les législateurs. Les philosophes
matérialistes , comme Helvétius et ses disciples ,
fondent la morale sur l'intérêt personnel. Kant la
fonde sur le devoir ; et qui ne sait que l'intérêt
et le devoir sont trop souvent ennemis.!
Voilà le résultat assez clair de 440 pages , qui
ne le sont pas toujours. Si cette doctrine n'est pas
neuve , elle ennoblit au moins l'espèce humaine ,
et , sous ce rapport , l'auteur mérite des éloges .
On regrette qu'il l'ait enveloppée de toutes les
obscurités de l'ancienne scolastique . Il a cru ,
sans doute , qu'il paraîtrait plus profond en se
cachant dans ces ténèbres épaisses que le commentateur
aurait pu mieux dissiper . Charles Villers
convient que le style de Kant n'est point digne
de sa philosophie . Il aurait dû réparer ce défaut .
Mais , au contraire , il prétend le justifier en nous
assurant que l'art d'écrire n'est pas plus néces
426 MERCURE DE FRANCE ,
f
1
saire à un métaphysicien , que l'art de danser
à un général. Charles Villers , en avançant une
telle erreur , croit - il donner une preuve de ses
progrès dans l'art de penser ? Il devrait savoir que
l'élégante clarté de l'expression n'est jamais plus
nécessaire que dans les sujets métaphysiques.
L'homme qui ose remonter jusqu'aux premiers
principes, doit , pour ainsi dire , environner toutes
ses idées de cette lumière tranquille et pure
qui vient des lieux élevés. Il doit persuader , en
quelque sorte , par la netteté de son style , qu'il est
parvenu dans les régions où il n'y a plus d'ombres
et de nuages.
Au reste , en supposant même que Kant fût un
esprit aussi vigoureux que Leibnitz et Wolf,
ses compatriotes ( ce qu'on est très-loin de croire),
sa philosophie ne pourrait faire le même bruit
que celle de ses prédécesseurs . Soit que la frivolité
du siècle soit moins propre à ces hautes spéculations
, soit qu'on en ait reconnu le néant , il
est certain qu'elles n'inspirent plus le même intérêt.
Cependant aucune étude , il faut l'avouer , n'ouvre
un aussi vaste champ à l'essor de la pensée . L'oeil
du métaphysicien est toujours fixé sur les plus
grands objets. Nul ne goûte mieux , à la fois , le
calme de la méditation et les transports de l'enthousiasme
. Il s'égare , il se perd quelquefois dans
ses propres songes ; mais s'il a le génie de Platon ,
il est sûr que mille ans après sa mort , on se passionnera
pour ses songes bien plus que pour la
vérité même . Une imagination sensible doit trèsbien
concevoir les délices attachées à cette science
contemplative et rêveuse.
J'ignore donc pourquoi l'auteur du Paradis perdu
met au nombre des tourments de l'enfer les discus-
1
FRUCTIDOR A NI X. 427
sions métaphysiques . Il peint les damnés raisonnant
sur l'essence de l'ame avec aussi peu de fruit
que les docteurs de nos écoles . C'est une mauvaise
plaisanterie de Milton . J'aimerais mieux peindre
les métaphysiciens marchant , comme dans Virgile
, à travers l'immensité du vide , et l'empire
des fantômes ,
Perque domos ditis vacuas et inania regna ;
mais croyant toujours arriver à ces campagnes
fortunées , où s'épanchent les flots d'une lumière
inaltérable.
Largior hic campos æther et lumine vestit
Purpureo .....
Ajoutons encore que si la métaphysique ne trouve
pas souvent ce qu'elle cherche , elle exerce toujours
les facultés de l'entendement , et qu'elle en accroît
la force et la perspicacité . Combien les disputes
nombreuses qu'elle a fait naître depuis les Réaux
et les Nominaux jusqu'aux combats sur la Grace,
ont donné de mouvement à l'esprit humain ! Les
poètes eux-mêmes , ont plus d'une fois enrichi
leur pensée et leur imagination dans cette étude ,
qui ne leur est point étrangère , quoi qu'en disent
des esprits lourds ou superficiels . Virgile avait
beaucoup étudié Platon , et quand il exposa ,
dans le sixième livre de l'Enéide , quelques
dogmes de ce philosophe , sa poésie eut un caractère
plus imposant et plus merveilleux . C'est
dans la solitude où Nicole , Arnaud et Pascal développaient
toutes les subtilités et toutes les profondeurs
métaphysiques , qu'un jeune poète instruit
à leur école devint le plus grand peintre du coeur
humain. Voltaire lui-même n'a fait ses plus beaux
428 MERCURE DE FRANCE ,
ouvrages qu'après avoir promené son imagination
sur les idées qui occupaient Leibnitz et
Mallebranche , et ce Locke enfin , dont il fut
parmi nous le premier apôtre. Les questions de
ce genre l'occupèrent toute sa vie , et quand il
parlait en auteur grave , et même quand il n'était
que
que bouffon . Après avoir examiné tous les écrits
de ceux qui ont voulu pénétrer la grande énigme
de l'homme , il disait dans sa vieillesse :
La nature est muette , on l'interroge en vain ,
On a besoin d'un Dieu qui parle au genre humain.
Mais les philosophes de notre temps sont encore
plus avancés que Voltaire , et n'ont plus besoin
de ce Dieu dont il a toujours reconnu la nécessité.
D.
+
RAISON, Folie , Chacun son mot ; petit Cours
de morale , mis à la portée des vieux enfants ;
par P. E. L.- Paris , chez Deterville , libraire ,
rue du Battoir , n.º 16 , 1 vol . in -8.º
*
CETTE brochure est une des plus piquantes qui àyent
paru depuis quelques temps. Les fragments qu'elle renferme
ne forment pas un ouvrage ; mais elle - même est ,
à coup sûr , l'ouvrage d'un homme de beaucoup d'esprit.
On y trouve des contes en prose , des fables en vers ,
des essais historiques , économiques et politiques. L'auteur
a mis moins de variété dans son style , que dans
Je choix des sujets qu'il a traités . Sa manière n'est pas
exempte de recherche et d'affectation . Mais il y a partout
de l'élégance , de la finesse , et l'empreinte d'un
falent très- distingué.
FRUCTIDOR AN IX. 429
Les pièces de rapport qui bigarrent un peu cette col-
Jection , échappent nécessairement à l'analyse . Je ne
puis les faire connaître que par des citations , et je
prends volontiers ce parti : l'auteur et les lecteurs ne
peuvent qu'y gagner.
Voici l'introduction d'un très -joli conte , intitulé
Sparte à Paris.
"
L'esprit qui se fait en France ne pouvant suffire à la
consommation du pays , j'ai fondé un assez joli commerce
sur l'importation de l'esprit du Nord . Il est des
années où j'enlève des foires de l'Allemagne de fort belles
parties de littérature brute , que je fais dégrossir à Paris
dans mes ateliers de traduction . Cet honnête trafic , qui
ne tend pas moins au perfectionnement de l'intelligence
humaine qu'à celui de ma fortune , m'oblige à '
de fréquents voyages , me procure des amis intéressants
, et me donne la réputation de n'être pas un sot ,
quoique j'aie eu la faiblesse de mettre mon nom
quelques- uns des ouvrages que j'avais payés.
L'année dernière , en revenant de Hambourg , je
m'a.rêtai chez mon bon ami le conseiller Branddorf,
Je suis bien aise de vous apprendre qu'il a été pendant
quarante ans le plus grand homme d'état d'une
cour imperceptible de l'Allemagne , et qu'il aurait soulevé
l'Europe tout comme un autre si l'on eût fait
'attention à lui. Il dépensait à acheter de l'encre et des
plumes les 200 florins d'appointements qu'il tenait de
la magnificence de son prince ; et je ne connais pas
d'écrivain plus capable d'alimenter une imprimerie ,
et de faire mourir de faim un imprimeur.
"
Je fus reçus de M. le conseiller avec la plus franche
cordiali é. Nous ne nous dîmes pas quatre paroles , mais
nous vidâmes quatre pots de bière et nous brûlâmes
douze pipes. Je remarquai cependant que le front de
son excellence n'avait pas , au milieu des nuages du ta-
'
430 MERCURE DE FRANCE ,
་་
bac , cette sérénité olympique qu'il y faisait ordinairement
éclater ; je m'aperçus que son oeil ne suivait
pas les ondulations de la fumée avec cette douce complaisance
qui m'avait toujours charmé dans ce grand
homme , et je m'écriai : « M. Branddorf , vous avez du
chagrin ! Je fis cette exclamation en allemand , parce
qu'on ne connaissait pas d'autre langue dans tout le
château de Branddorf ; je la parle moi -même aussi familièrement
que si je l'avais sucée avec le lait maternel
, ou dans les caresses de mes premières amours.
>>
Pour toute réponse , mon ami poussa un soupir , qui´
fut visible par les ravages qu'il occasionna dans le foyer
de sa pipe. Il fit ensuite un geste que sa vieille domestique
interpréta fort juste , en apportant sur la table
un long flacon carré , rempli d'eau - de - vie de grain . Je
jugeai , par ces préparatifs , que le conseiller cherchait à
se donner des forces pour en venir à quelque pénible
confidence . En effet , lorsque nous eûmes abaissé d'environ
six pouces l'élévation de la liqueur dans le cristal ,
son excellence jugea la température convenable , et
entama le discours suivant :
"
Vous voyez , mon ami , un père au désespoir. Il y
a deux ans que mon petit Frédéric vous charma par les
graces de sa figure et la vivacité de son intelligence.
J'avais conçu de cet enfant les plus orgueilleuses espérances
; sa raison naissante promettait à la Westphalie
un nouveau Branddorf qui débrouillerait unjour la constitution
germanique . Hé bien , mon ami ! il n'y faut
plus penser , l'esprit de mon fils est complétement
aliéné. >>
Quoi ! déja ? m'écriai -je ; vous m'étonnez . J'avais cru
les têtes allemandes à l'abri d'un tel accident. Auriezvous
envoyé votre fils en Angleterre ou en France ?
Hélas ! non , continua le conseiller ; je l'ai mis dans
un collége renommé de l'évêché de Paderborn , et ses
"
FRUCTIDOR AN IX. 431
premières lectures l'ont perdu. Sa jeune tête s'est enflammée
pour la gloire de Sparte et les institutions de
Lycurgue . Lacédémone est devenue le rêve continuel de
ses jours et de ses nuits . Cette manie l'a rendu incapable
de tout travail , et la sévérité de ses maîtres a
porté au comble le désordre de son imagination . On me
l'a renvoyé dans l'état le plus déplorable. Vingt fois
par jour le pauvre enfant se jette à mes pieds , et me
conjure de le conduire à Sparte , ne dût- il y rester qu'un
jour. Il promet , à ce prix , de continuer ses études et
de faire tout ce que je lui prescrirai . En vain je lui remontre
que Sparte n'existe plus , et que son territoire
est un repaire de voleurs de grands chemins et de cacovougnis
( scélérats de la montagne ) , qui prennent le
deuil quand ils ont passé une semaine sans piller ou
égorger personne. Il imagine qu'on le trompe ; il pleure,
il sanglote , il appelle Sparte à grands eris , et sa santé
se perd aussi bien que sa raison . »
Or, pour guérir le jeune Westphalien de cette étrange
manie , l'auteur imagine de l'amener à Paris , et de lui
persuader qu'il est à Lacédémone. Il faut voir dans le
conte même , les détails du voyage , la manière ingénieuse
dont le malade est promené dans Paris , et comment
son guide , obligé de dédier chaque édifice à
quelque Dieu du paganisme , ou à quelque personnage
célèbre , loge Vénus aux Carmes , Bacchus Colonate aux
Cordeliers , Diane Orthia à Saint-Lazare , Minerve Chalcioecos
aux Feuillants , Lycurgue aux Jacobins , Hélène
aux Incurables , Ménélas aux Bons-Hommes , Mercure
aux Petits - Pères ; retrouve l'Hyppodrome aux Champde-
Mars , le Portique des Perses à la porte Saint - Denis ,
le Pécile de Sparte aux galeries du Louvre , et le fameux .
Plataniste au jardin des Thuileries. Mais ce qu'il y a
de plus plaisant , c'est la rencontre de Frédéric avec
un jeune allemand , fils d'un théologien de Gotha
432 MERCURE DE FRANCE ,
nommé Scapelman , et que sa patrie , dit l'auteur , avait
envoyé à Lacédémone ( Paris ) , pour qu'il étudiât les
belles manières en chirurgie , et qu'il pút , à son retour ,
découper les Saxons avec plus d'élégance . Comme il
habite Sparte depuis plusieurs années , l'imperturbable
baron lui adresse une foule de questions , beaucoup plus
savantes que celles du bailli de l'Ingénu , et qui produisent
un dialogue des plus curieux. Le voici.
Frédéric .- Est- il vrai qu'à Sparte on ne connaisse ni
deuil , ni pompes funèbres ?
Scapelman. - Sans doute , on a trop de franchise pour
se déguiser.
Frédéric.-Est- il vrai qu'on y exerce l'esprit des jeunes ,
gens par des combats de langue très - piquants ?
Scapelman .- Oh ! l'esprit des jeunes gens est devenu
si subtil , qu'il ne saisit plus que la pointe des mots .
Frédéric Lycurgue a t - il en effet ordonné que les
Spartiates fussent mal vêtus dans la ville , et parés dans
les camps ?
'
Scapelman.Il suffit , pour s'en convaincre , de voir
cette foule de commis qui sans autre arme que leur
plume, partent pour l'armée, plus délabrés que des flotes,
et reviennent six mois après brodés comme des Phrygiens.
Frédéric.- Les filles sont - elles vraiment élevées publiquement
avec les garçons ?
Scapelman.- Oui : souvent le public commence l'éducation
des filles ; mais , dans ce cas , les filles achèvent
ordinairement l'éducation du public .
Frédéric. - Pendant la première guerre de Messenie
toutes les vierges de Sparte devinrent mères ; cet exemple
a- t-il prospéré ?
Scapelman. - Beaucoup ; à la seule différence qu'on ne
distingue plus le temps de guerre et le temps de paix.
Frédéric. - Hermippus nous a-t -il trompés , quand il
FRUGTIDOR AN IX . 433
DEPT
a dit qu'on enfermait les filles de Sparte dans une salle
obscure , et que celui qui voulait se marier allait en
prendre une au hasard. T
Scapelman. - Hermippus a été exact . Ces salles obscures
s'appelaient des couvents . Depuis quelques années ,
on y a suppléé par la faculté de changer de femme à
l'infini , jusqu'à ce qu'on soit content et elle aussi .
L'institution de Lycurgue a été renforcée par celle de
Platon .
Frédéric.-Est - il bien vrai qu'un Spartiate ne peut
voir sa femme qu'à la dérobée , et qu'il serait couvert
de honte s'il se montrait avec elle ?
Scapelman . - Plus que jamais .
Frédéric. La maxime qu'importe qui soit le père ,
pourvu que l'enfant soit beau , est - elle toujours en vigueur
à Sparte ? et Xénophon parle -t - il sérieusement
quand il assure qu'une loi ordonne aux vieux maris de
prêter leurs femmes et d'en adopter les enfants ?
Scapelman.
en tient lieu.
La loi s'est perdue , mais la coutume
Frédéric.-Quand une femme est enceinte , a-t- on
encore le soin d'orner son appartement des portraits des
plus aimables demi - dieux , tels qu'Adonis , Hyacinthe ,
Endymion ?
Scapelman. - On fait mieux ; on ajoute aux portraits
des mannequins charmants , dont sa chambre ne désemplit
pas. Ce sont les plus beaux garçons de la ville ,
qui ont juste autant d'esprit qu'il en faut pour cet
emploi.
Frédéric -Pourquoi donc les enfants que j'ai vus ne
sont - ils pas plus merveilleux que ceux de Germanie ?
Scapelman.- Un statuaire gâte souvent son chefd'oeuvre
en voulant trop le finir.
Frédéric Unpeintre de l'antiquité , pour se conserver
les perceptions plus vives , vécut de lupin pendant plucen
5. 23
434 MERCURE DE FRANCE ,
1 sieurs années ; comment s'y prennent maintenant les
artistes ?
-
4 ཨམྫོ་ ཟ་ ༽ ན་ ཚལ་ ཝཱ ཙཾ ན
Scapelman. Ils suivent le même régime , non par
choix , mais par nécessité .
Frédéric Depuis que Lysander eut introduit les richesses
à Sparte , qu'a - t-on fait pour en dégoûter les
citoyens ?
vin 2-
Scapelman.- On corrige les enfants de la passion du
en leur montrant des esclaves ivres ; de même ,
pour nous dégoûter des richesses , on en gorge d'autres
esclaves.
Frédéric. -O Sparte adorable ! ô ville trois fois prudente
, qui donne de l'or à la stupidité , du lupin au
génie , et des haillons à la vertu !
C'est avec cette manière originale et piquante que
l'auteur écrit en prose . On ne peut point juger , par ses
fables , de son talent pour la poésie ; mais on peut apprécier
la sureté de son jugement et le caractère de sa
philosophie , par l'Apologue suivant.
81
LE PHILOSOPHE A GENES.
Certain athée , à qui Dieu fasse grace !
Dans Gênes avait débarqué.
Les églises , le port , la ville haute et basse 2
Par lui tout fut critiqué
Dieu sait surtout comme il s'était moqué
Des madones qu'on voit orner toutes les rues
Du dévot appareil de lampes suspendues.
"
« Ces gens - là sont foux , disait- il ,
" De perdre ainsi leur huile et leurs prières
« En l'honneur de quelques pierres.
Or il advint qu'un soir ce raisonneur subtil
Regagnait son auberge après certaine orgie.
Sur son passage , un stylet à la main ,
Etaient plusieurs bandits , enfants de l'Italie ,
FRUCTIDOR AN IX. 435
a Et pour un prix honnête égorgeant leur prochain.
Le philosophe est saisi par la bande ,
Qui va percer à jour son corps transi de peur ;
Car je doute que Dieu défende
Un incrédule aussi moqueur.
Pourtant il se débat , et d'un effort contraire
Entraîne le groupe assassin
Jusques au pied d'un dévot luminaire ,
Dont les rayons tombent soudain
Sur sa figure aux bandits inconnue .
Jésus ! ce n'est pas lui , dit le chef du complot.
Ce n'est pas lui , crie aussitôt
La troupe qui s'enfuit. Resté seul dans la rue ,
Notre homme voit , se tâte , et dien merci
N'est point blessé . Fut- il joyeux ? je n'ose
Vous l'assurer. Je crois qu'il fut en tout ceci
Fort content de l'effet , et fort sot de la cause ;
Car c'est à la madone , à son saint lampion
Que l'orgueilleux a dû sa délivrance ;
Et voici la réflexion
Qui fit les frais de sa reconnaissance .
Ah ! dit- il , je conçois qu'une religion
A souvent ici - bas quelque chose de bon ,
Et , dans l'ombre au coupable opposant ses lumières ,
Nous épargne les réverbères . E.
VIE privée , politique et militaire des Romains
sous Auguste et sous Tibère , dans une suite
de lettres d'un patricien à son ami ; traduites
de l'anglais. Paris , chez Buisson , rue
Hautefeuille , n.º 20. An 9 .
UN jeune patricien , Marcus - Quintus Flaminius
échappé au massacre des légions de Varus , à Teutberg
, est fait prisonnier par les Chérusques. Il reçoit
335 MERCURE DE FRANCE ,
une hospitalité généreuse de Cariovalde , leur chef ,
et devient d'ami de son fils Sigismar . Bientôt , par
une faveur particulière , Marcus se trouve réuni à un
grec , nommé Philoclès , aussi prisonnier d'une petite
nation voisine des Chérusques . C'était un philosophe ;
et la beauté de ses maximes et le charme de ses conversations
adoucissaient l'horreur des forêts de la Gerinanie
. Ce Philoclès , toujours en travail pour le bonheur
des hommes , imagine de civiliser les Germains
Il institue en choeurs les jeunes filles des Chérusques ,
leur apprend des hymnes à Vénus , et tient des discours
de législation et de philosophie aux compagnons
d'Arminius .
Les troubles et les révolutions qui préparèrent la
ruine de la Germanie , annoncèrent bientot le progrès
des lumières . Marcus l'avait prévu . Mais dans sa correspondance
avec son jeune ami , il lui parle surtout de
la belle Aurélie dont il est peut - être séparé pour jamais ;
il lui confie aussi ses inquiétudes sur le sort de Valerius
, son oncle et son second père , sénateur digne
de ses ancêtres , et qui , incapable de fléchir , devait
succomber sous la tyrannie .
Cependant Germanicus vient prendre le commandement
des légions . Marcus recouvre sa liberté , emportant
une aigle romaine , et combat aux côtés du jeune
héros , dans ces journées sanglantes qui vengèrent le
nom de Varus. Germanicus termine tant de grandes
actions par un beau trait de prudence : il éleve sur
les bords du Rhin , un monument à la gloire des
armées de César Tibère ; et retourne triompher à Rome ,
également coupable de sa gloire et de sa modération .
Il faut suivre Marcus à Rome: Valerius n'y était
plus. Aurélie , sur le bruit de la mort du jeune prisonnier
, avait épousé son rival... Après s'être conduit
comme un autre Grandisson avec cette Aurélie qui ,
FRUCTIDOR AN IX. 437
moins héroïque que Clémentine , meurt du poison
qu'elle s'est donné , Marcus se met à la recherche de
Valerius. La haine de Séjan l'avait relégué dans une
île misérable , où l'innocence et la piété de sa fille
unique , Valerie , le consolaient des malheurs de Rome.,
— Nous abrégerons . Nous ne dirons pas comment Sigismar
lui- même accourut du fond de la Germanie
pour apprendre cette retraite à Marcus . Valerius , sur
le point d'être la victime d'un ordre cruel du tyran ,
lui découvre une conjuration,
. Ce Philoclès dont nous avons parlé en était le
principal ageut. Il avait accompagné , à Rome ,
des ambassadeurs germains. Après avoir , tenté vainement
d'engager , Valerius dans ses complots contre
César , il accusa celui qu'il n'avait pu séduire ; et il
portait au généreux sénateur une coupe de poison de
la part de Tibère , lorsqu'il est tué de la main de
Sigismar qui , muni d'un contr'ordre de l'empereur, venge
sa patrie sur le philosophe. Valerius rentre en grace auprès
de Tibère , et l'on devine déja que Marcus devient
l'époux de Valerie, Tel est à peu près le plan de l'ouyrage
intitulé : Vie privée des Romains , etc. L'on ne s'y
attendait guère.
Il n'est pas besoin d'insister beaucoup sur l'inconvenance
de cette action de roman , cousue à des fragments
de Tacite . Si l'intérêt du roman l'emporte sur
celui de l'histoire , l'auteur a manqué son but ou sou
titre . Si , au milieu des cris du triomphe de Germa
nicus et des graves événements de l'empire romains
les héros amoureux doivent être oubliés , il était inutile
de les mettre en scène ..
L
2
au
Lorsque le jeune Anacharsis visite la Grèce
grand siécle de Périclès , il ne paraît jamais que pour
voir et raconter. Les événements de la vie d'un seul
hommé sont trop petits pour un pareil théâtre.
438 MERCURE DE FRANCE ,
Mais encore en supposant que les moeurs des Romains
sous Tibère , décrites par Tacite , eussent besoin
d'un cadre nouveau , il fallait du moins le choisir tel
qu'il embrassât le sujet tout entier. L'action de ce
roman se terminé au départ de Germanicus pour la
Syrie , et qui ne sait que , jusqu'à cette époque ,
l'aspect de la république n'avait point changé , au
plutôt qu'il était encore indécis , comme le caractère
du prince ? Mais avec Germanicus et Drusus , le
tyran perdit , pour ainsi dire , les accusateurs de sa
conscience. Il dépouille toute pudeur , et il n'a plus
qu'une froide et profonde dissimulation qui est la
perfection du crime. Alors on voit les sénateurs prosternés
aux pieds de Tibère , celui - ci devenu le premier
esclave de Sejan qui distribue des poisons à la
famille de son maître , cette loi de lèse- majesté qui
fournit des victimes à la vengeance , et des confiscations
au trésor toujours épuisé , les chutes effroyables
des ambitions subalternes , des excès de débauche ,
que la langue n'avait point encore nommés , et une tris→
tesse austère dans l'ile de Caprée , etc. Enfin , la consternation
d'une ville de quatre millions d'hommes ,
que l'historien latin rend avec une vérité si effrayante ,
lorsque , se délassant à tracer des guerres étrangères ,
il revient par intervalle sur le sort de sa patrie , en
ces mots at Romæ , cæde continud , jacuit ingens
strages ; expressions qui , au milieu du silence et de
la terreur , semblent marquer les coups qui abattent
les plus illustres têtes ! C'était- là l'époque qu'il fallait
peindre , c'était celle où un Tibère avait imprimé son
caractère à sa nation... Quelle histoire pour nous !
Nos peuples affaiblis s'en souviennent encor :
Son nom seul fait frémir nos veuves et nos filles .
Au
Au reste , les vices du plan et les inconvenances de
FRUCTIDOR AN IX. 439
} "
Pouvrage , sont rachetés à un certain point par des
détails instructifs et agréables . La plupart , il est vrai ,
sont pris chez les Germains ; mais on aimera la peinture
de cette terre humide et ' coupée de marais , de
ce ciel couvert , de cette verdure plus sombre , de ces
forêts de chênes pleines des mystères des druides , et
en général l'heureux emploi des couleurs de Tacite ."
1
En traversant les Gaules , Marcus voit cette fontaine
de Vaucluse qui sera chantée par Pétrarque , et réveille
mille souvenirs classiques par la description de ces monuments
qui doivent être nos ruines et nos antiquités.
Pendant les préparatifs du triomphe de Germanicus ,
il visite les lieux célèbres aux environs de Rome , et,
à l'imitation d'Anacharsis , il essaye de peindre les
écrivains célèbres dans leur conservation .
"
12
Germanicus m'a fait passer une matinée bien intéressante.
Ce jour étant uniquement consacré à la double
célébration du traité humiliant consenti par les Parthes
, et de la punition des meurtriers de Jules - César ,
Tibère est obligé d'aller offrir les sacrifices accoutumés
dans le temple de Mars vengeur , et même de
paraître publiquement. Toute la famille des Césars
( le général excepté ) * assiste à ces solennités . Libre
de disposer de sa journée , Germanicus me propose de
l'accompagner jusqu'à la maison de campagne de Tite-
Live. « La présence de cet admirable historien , me dit - il ,
m'inspire une vénération égale à celle que j'éprouve en
passant sous l'arche triomphale érigée , près de la porte
Capanée , à la mémoire de mon père , dont il a retracé
les grandes actions. "
Nous trouvâmes Tite- Live dans un petit appartement
donnant sur un jardin que bordent les eaux du Tibre .
Il nous ramena dans le vestibule de sa maison au mi-
* Les généraux auxquels on accordait le triomphe, ne pou .
vaient entrer dans Rome avant la célébration .
440 MERCURE DE FRANCE ,
lieu des grands hommes dont il nous a transmis
vertus. Leurs bustes sont placés dans six niches , et
représentent Camille , Fabius - Maximus , Paul Emile ,,
Marcellus , Scipion l'Africain , et Titus - Quintus
Flaminius.
"
.p
« Il reçut . Germanicus , avec affection et simplicité.
Vous travaillez depuis longtemps pour moi , mon fils ,
s'écria t il , mais je crains que la mort ne me ravisse
l'honneur de tracer vos victoires , et surtout vos vertus . "
Germanicus lui répondit avec modestie . Il me présenta
ensuite au sage , en lui faisant un récit de ma
conduite avec toute la partialité de l'amitié. Tite Live
alla dans sa bibliothéque , d'où il rapporta un petit
volume . Ce livre , dit - il en le montrant à César , cọntient
les notes que j'ai faites sur le temps présent : le
nom des familles illustres qui se sont distinguées au
service de la patrie , est à la tête de chaque page.
J'ai écrit au bas les noms , les qualités et les actions"
de ceux de leurs descendants qui soutiennent l'honneur
de leur race. Voyez combien j'ai écrit au titre de
Claude et , à celui de Quintius : j'ai déja noté ce que
Vous venez de me dire sur Marcus . Je voudrais , continua-
t - il en fermant le livre , que tous ceux dont les
noms seuls ornent ces pages , pussent , en jetant les
yeux sur le vide qui les suit , sortir de leur apathie et
travailler તà le remplir..."
"
9n
"
7 94.3
Je me hasardai à lui demander pourquoi il n'avait
pas orné son portique du buste de Jules - César, Il répondit
vivement : Parce que je n'aurais pule placer visà-
vis celui du grand Pompée J'espère cependant
qu'on trouvera que j'ai rendu justice à tous deux . " A
ces mots Germanicus l'embrasse : Mon vénérable'
ani , lui dit- il avec transport , quel prix votre sîn-
« cérité donne aux éloges que mon père à reçus de
* Auguste le nommait en plaisautant le Pompéien.
FRUCTIDOR AN IX. 44r
« vous , et que je suis fier de ceux que vous daignez
« accorder à son fils ! "
"
2 .
Tite- Live demande à César si on avait quelque
espoir qu'Ovide serait bientôt rappelé de son exil .
Je plains son sort , dit Germanicus , Suillius m'a
montré dernièrement une épître touchante que son infortuné
beau - père lui adressait pour m'engager à le
servir . Mais Tibère accordera difficilement une grace
refusée constamment par Auguste . »
Ce passage fera juger du style ; il est pur et facile
, à quelques anglicismes , près qui se sont glissés
dans la traduction. En : un mot , l'auteur de cet ou
yrage a peut-être rendu service aux amateurs de romans ,
mais les amis de l'histoire s'en ' plaindront. G. *
"
VARIÉTÉS, ...
A l'auteur de l'article sur le poème DES
JARDINS , inséré dans le précédent numéro .
CITOYEN
Vous avez traité le nouveau poème des Jardins , avec
tous les égards que l'on doit à son auteur ; cependant
yos lecteurs trouveront peut- être qu'en faisant la part
des éloges avec votre politesse accoutumée , vous avez
tropnégligé celle de la critique. Les fautes qui
échappent à un talent supérieur doivent être soigneusement
distinguées de ses beautés . C'est à la fois une
leçon et une consolation que l'on doit à ceux qui
voudront l'imiter . Pour moi , qui avais lu les nouveaux
Jardins avant le compte que vous en avez rendu ,
442 MERCURE DE FRANCE ,
1
j'attendais avec impatience votre jugement sur plusieurs
endroits qui m'avaient choqué. Par exemple ,
après ces deux beaux vers :
Ce peuple généreux
Paiera le sang du père à ses derniers neveux.
Celui - ci :
Comme le cielpunit , Albion récompense .
Me paraît offrir une comparaison , ou plutôt une
opposition très - inexacte , pour ne rien dire de plus.
Le ciel ne fait - il que punir ? L'idée de rigueur et
de châtiment est - elle la première qu'il réveille en
nous ? Le premier attribut de la Divinité , au contraire ,
n'est-il pas
la bonté ? En un mot , le ciel ne récom
pense- t - il pas éternellement et aussi magnifiquement
qu'Albion , s'il faut absolument comparer Albion au ciel.
Dans les vers qui suivent :
Ah! pour comble d'honneurs puisse un Spencer nouveau
Par un chant de famille honorer son tombeau .
Malbrough ! Spencer ! l'honneur du moderne Elysée ! -
Malbrough en est l'Achille , et Spencer le Musée.
J'observerai d'abord que ce dernier vers n'est intelligible
que pour ceux qui auront lu dans le sixième
livre de l'Enéide.
"
Musæum ante omnes , medium nam plurima turba ,
etc.
Mais après qu'ils l'auront compris , ils seront frappés
d'un défaut de justesse et de correspondance dans les
deux termes de cette comparaison . Car ce n'est point
Musée que les commentateurs appellent Theologus ,
qui doit chanter Achille ; c'est à un autre Homère à
chanter un autre Achille.
FRUCTIDOR AN IX. 443
Dans le tableau d'une abbaye de la Trappe , que vous
citez également , j'ai relu plusieurs fois le passage
suivant , sans en avoir pu saisir l'ordre grammatical :
Et lorsqu'à la lueur des lampes sépulcrales ,
De silences profonds , coupés par intervalles ,
Du sein de la forêt , leurs nocturnes concerts
En sous lents et plaintifs monteront dans les airs.
Je ne vous parle pas de ces quatorze vers consacrés
à célébrer l'étoile de Malbrough , ni de l'inconvenance
et de l'emphase du morceau de Bleinheim presque en
entier. Les détails froids et communs qui remplissent
Ja description du parc de Kensington , me paraissent
aussi mériter quelques remarques . Nous les attendions
de vous ; l'art et la critique y auraient gagné en même
temps.
Vir bonus et prudens versus reprehendet inertes ,
Culpabit duros , etc.
Au reste , quelque usage que vous fassiez de ces observations
que je me contente d'indiquer à votre
goût , j'espère que vous me les pardonnerez . J'ai trop
aimé Virgilius - Delille pour me taire aujourd'hui sur
Delille-Claudien.
D'Au .... un de vos abonnés.
Note des Rédacteurs.
Sans être aussi sévère que notre abonné, nous avions
eru indiquer suffisamment les défauts qu'il relève. Il
nous semble que la critique doit ménager un auteur
illustre , quand il est parvenu à cet âge où la renommée
est le juste prix des longs travaux . C'est le talent dans
sa force qui a besoin de leçons sévères , et qui peut
en profiter. Mais il faut jouir en paix de sa gloire ,
1
444 MERCURE DE FRANCE,
"
, manque
quand on commence à perdre les moyens de l'aug
menter. D'ailleurs , on n'a pas dissimulé que l'auteur.
de l'Homme des champs * et des Jardins
d'amis éclairés , loin de sa patrie , et qu'il ne retrouve
pas toujours au milieu des brouillards de l'Angleterre ,
ce style élégant et pur qui fit dire si justement à Voltaire
, quand il lut la traduction des Géorgiques :
Delille a quelquefois égalé son auteur.
༧ * ་ * 「… ! ་
Le petit nombre des remarques qu'on s'est permis ,
paraît même avoir déplu à Delille , si on en juge par
sa préface. On n'a donc pas cru devoir , une seconde
fois , affliger sans fruit un talent qu'on honore ,
pour qui l'excès de l'éloge est désormais plus excusable
que celui de la critique .
·
SPECTACLE S.
༡་་་་་་
THEATRE DE LA RÉPUBLIQUE ET DES ARTS . )
LES MYSTÈRES D'ISIS , opéra en quatre
actes , musique de MOZART.
n.
3 ༄' i * །
TROIS choses , indépendamment du poème , ou , si
l'on veut , malgré le poème , ont décidé le succès de
cet opéra , la musique , les ballets et les décorations . Il
n'y a rien à dire du drame ,' si ce n'est que pour l'intrigue
, la conduite et l'arrangement des scènes , il est
beaucoup moins ridicule que le canevas allemand ; voilà
tout : les vers sont d'un amateur. On sait que , dans les
beaux -arts , les amateurs ne travaillent point pour les
connaisseurs , et qu'il faut se méfier de leurs poésies un
peu plus qué de leurs concerts . Mais il serait injuste de
Voyez les extraits de ces poèmes , N.º VI et XXIX
de ce journal.
FRUCTID OR AN IX . 445
#
**
dissimuler qu'on doit de la reconnaissance et des éloges
à celui dont la patience laborieuse a triomphé de tous les
obstacles que présentait la traduction d'un ouvrage , pareil.
Pour nous faire entendre une mélodie , céleste , il
n'a pas été rebuté des invraisemblances , des niaiseries ,
des absurdités sans nombre qui remplissent en entier
ce chef- d'oeuvre de l'Opéra - Germanique ; et , dans le
chaos des scènes incohérentes et barbares qui composent
la flûte enchantée , il a découvert un principe d'action et
le noeud d'une intrigue supportable sur le théâtre de Paris .
C'est un mérite réel. Selon moi , les Mystères d'Isis lui
font plus d'honneur que la Caravane et Panurge , opéra
qu'on revoit pourtant tous les jours avec un nouveau
plaisir : car , dans ces deux ouvrages , dont les plans
sont de son choix ou de son invention , rien ne forçait
l'auteur à être ridicule ; tandis que , dans celui - ci , le
texte même était donné par la musique ; et cette musique
méritait d'être religieusement conservée. Ces observations
prouvent que s'il n'y a qu'une manière de
juger le poème , il y en a deux d'apprécier le travail .
Celui du musicien , contre lequel l'envie avait accrédité
beaucoup de préventions' , a cependant réuni tous les suffrages
, et son succès augmente chaque jour. L'air que
chante Zarastro et les choeurs du troisième acte , répondent
victorieusement aux détracteurs intéressés qui publient,
avant la représentation , que cette musique n'avait
pas un caractère assez noble pour soutenir la dignité du
théâtre des Arts . Une variété charmante distingue éminemment
cette belle production de Mozart. Tous les
morceaux chantés par Laïs ,, ' notamment celui du second
acte pendant le ballet des Esclaves , et le rondeau
"dir quatrième acte , sont d'une mélodie dont nous avons
trop peu de modèles . Partout , le chant est aimable ,
facile et pur ; partout il sait prendre le caractère de
la situation et du personnage . Il faut ajouter que les
446 MERCURE DE FRANCE ,
artistes ont mis , dans l'exécution , un ensemble de zèle
et de talents , dignes des plus grands éloges , et que
pour offrir au public une double nouveauté , ils ont , en
général , chanté sans crier. Ce triomphe était réservé
à Mozart , pour le dédommager des nombreux larcins
qu'on lui a faits , et qui , soit dit en passant , ont retardé
plus qu'on ne croit , la mise d'un ouvrage , dont
la première représentation était un jour de justice et
d'expiation .
Les ballets , composés par le C. Gardel , exécutés par
les premiers danseurs connus , justifient l'opinion qui
place aujourd'hui la danse de caractère parmi les arts
les plus agréables et les plus séduisants. Le pas des Esclaves
, au second acte ,' est dessiné avec autant de finesse
que de goût ; il suffirait pour prouver , au besoin , combien
le compositeur a réfléchi sur la nature et les effets
de son art. Quant aux ballets qui terminent l'ouvrage ,
il suffit de nommer ceux qui l'exécutent . M.lles Clotilde
´et Chameroy , dans un pas de deux ; Vestris , mesdames
Gardel, Chameroy et Chevigny , dans un pas de quatre ,
disputent à l'envi , de grace et de vigueur , de force et
de souplesse , d'à - plomb et de légèreté. Ce dernier pas
est accompagné par un concerto de cor et de harpe , où
les' talents de Dalvimare et de Fréd. Duvernoy , opposés
à ce que la danse a de plus brillant et de plus
aimable , soutiennent le parallele et partagent les applaudissements
. En général , les connaisseurs les plus
difficiles n'ont pas l'idée d'une plus grande perfection
dans le jeu de l'orchestre et l'exécution des ballets..
L'administration a déployé , pour la mise de cet ouvrage
, la magnificence éclairée qui distingue le théâtre
des Arts de tous ceux de l'Europe. Les deux premières
decorations , et surtout la derniere , surpassent tout ce
qu'on avait vu jusqu'à présent ; l'examen des détails
n'affaiblit point la séduction du premier coup- d'oeil ;
6
FRUCTIDOR AN IX: 447
et l'on peut justement s'étonner de la manière ingénieuse
dont la richesse et l'élégance des costumes s'allient
à l'exactitude et à la fidélité. En total , il serait peut-
-être impossible de former ailleurs un spectacle , qui ,
'par la perfection de plusieurs parties et la majesté de
l'ensemble , exerçát plus d'empire sur les sens et sur
l'imagination , et qui fit servir plus utilement pour le
commerce , pour les manufactures , pour l'éclat d'une
capitale immense , la magie et l'a seduction de tous les
beaux- arts.
E.
LES
OPERA ITALIEN .
ES Italiens , non pas ces acteurs français qui conservaient
si mal à propos un nom qui , depuis quarante
ans , avait cessé de leur appartenir , mais les
Italiens véritables , ceux qui parlent et chantent la
langue de Métastase , viennent de donner les Ennemis
généreux , musique de Cimarosa .
Nous ne dirons rien de la pièce en elle-même. On sait
que les compositeurs Italiens ont depuis longtemps
atteint le but auquel visent tous les musiciens , celui
de se passer de paroles , ou , ce qui est la même chose
de faire supporter des pièces tellement insignifiantes ,
qu'on les compte avec raison pour rien. Ils nous ont
appris que ce n'était pas une vaine fanfaronnade que
le pari de ce compositeur ( qui pourtant n'était pas Italien
) et qui se vantait de mettre en musique et de
faire écouter avec plaisir la Gazette de Hollande. Les
-pièces Italiennes ne sont guère que des gazettes , tant
les scènes sont décousues , tant l'intérêt est nul , tant
les événements sont peu préparés et mal amenés , mais
quel talent que celui qui peut animer ces tristes canevas
et leur faire produire les sensations délicieuses
qu'on va chercher à l'Opéra Italien , et qu'on est tou
jours súr d'y trouver!
"
La pièce des Ennemis généreux offre cependant quel448
MERCURE
DE FRANCE
,
9 ques situations comiques , entre autres un rôle de
'fat fanfaron et poltron , parfaitement bien joué par
le signor Raffanelli .
?
La musique est en tout digne de la réputation de
son célebre compositeur. Les morceaux les plus brillants
y sont prodigués. Il faudrait les citer tous , pour
dire ceux qui ont été applaudis , et qui méritent de
l'être . Les deux finales ont surtout excité le plus vif
enthousiasme.
Le jeu des acteurs de ce théâtre fait chaque jour
des progrès plus sensibles . Ils n'ont pas tous la même
étendue et la même beauté de voix ; mais quelle perfection
dans l'ensemble ! quelle sureté dans les moyens !
quel goût et quelle expression dans le chant ! Malheur
à ceux que de pareils accords ne trouvent pas sensibles
à leur mélodie . J.
ANNONCES.
ESSAIS de Philosophie morale , par Pierre CHINIAC ,
ex-lieutenant -général d'Uzerche , ancien membre de
laci-devant Académie de Montauban , associé résidant
de la Société libre d'Agriculture , Sciences , Belles-
Lettres et Arts , d'Agen.
Equè pauperibus prodest , locupletibus æquè ;
Et neglecta, æquè pueris senibusque nocebit.
HORACE , cap. I , lib . 1 , v . 25 et 26 .
Dieu l'Homme et la Nature , voilà la triple science
necessaire au sage .
Il n'a peut - être jamais été plus nécessaire de répéter
aux hommes ce qu'ils doivent à Dieu , ce qu'ils
se doivent à eux- mêmes et ce qu'ils doivent à leurs semblables
; et par conséquent ce qu'ils doivent à leur famille
, à leur patrie , au genre humain .
Cet ouvrage forme 5 vol. in- 8. , dont le prix est . de
20 fr. broché , et de 25 f. , envoyé franc de port par la
poste , dans toute la république.
A Paris , chez Bossinge , Masson et Besson , rue de
Tournon
Et à Agen , chez Currius , Dourdin et Noubel.
FRUCTIDOR AN IX. 4
POLITIQUE.
EXTÉRIEUR.
OBSERVATIONS SUR LA TURQUIE.
ON a vu, Na vu , dans les deux derniers numéros , l'état des
forces militaires de l'empire ottoman . Ces nouvelles observations
, plus récentes et plus générales , achèveront ,
sinon le tableau , du moins l'esquisse de ce gouvernement
monstrueux , qui , depuis si longtemps , survit à
sa gloire , et fatigue de sa nullité le monde politique.
Les Turcs , établis sur les ruines de l'empire d'Ocient
, attaquèrent la Pologne , la Hongrie , la république
de Venise , et l'Europe craignit de n'être plus
que l'empire des Turcs. Mais ils s'arrêtèrent , et tout
s'arrêta chez eux . Tous les arts avaient fui devant ces
conquérants farouches . Le poignard et le coran à la
main , ils se glorifiaient également de leurs victoires et
de leur ignorance . Les autres nations accueillirent les
arts , et leur puissance s'en accrut. Montesquieu eût
conjecturé des - lors la gloire des vaincus et la décadence
des vainqueurs.
L'attachement aux usages anciens semble commun à
toutes les nations orientales : il se remarque aux Indes ,
à la Chine , comme en Turquie ; mais partout il n'a pas
les mêmes résultats , non plus que les mêmes causes .
La Chine était éclairée , et le respect pour les coutumes
ne fut que le respect pour les lumières et les principes
conservateurs des sociétés ; il en fut aussi la sauvegarde.
Ce même respect , né en Turquie de l'indolence
et de l'orgueil , y perpétue les préjugés et l'ignorance
KEP.TRA
DEPT
Feen
5.
29
450 MERCURE DE FRANCE ,
4
des premiers conquérants . Plusieurs fois on essaya d'y
naturaliser les institutions européennes ; aucune n'y put
acquérir de stabilité. Ce sont des plantes exotiques ,
que repousse un sol ingrat et desséché. Une longue culture
serait nécessaire pour le préparer à les recevoir ,
et peut - être , avant cette époque , ses voisins l'auront
envahi.
Ibrahim -Effendi , savant Hongrois , et novateur courageux
, parvint , en 1701 , à établir une imprimerie
à Constantinople. Quelques ouvrages de géographie et
d'histoire furent publiés , et ce pouvait être un premier
pas ; il fut seul . Une nuée de copistes et de moines s'éleva
contre ce qu'ils appelaient les dangers de la presse :
ceux-ci craignaient la profusion des livres ; les autres
tenaient à celle des manuscrits ; le gouvernement luimême
se crut intéressé à donner au nouvel établissement
des bornes étroites. Après la mort d'Ibrahim
ses presses passèrent entre les mains de quelques Grecs ,
qui ne les firent gémir que sous des ouvrages
de controverse
théologique . Ce n'est que sous le règne actuel
que l'imprimerie a reçu une destination plus utile , par
les soins de Raschid Effendi , l'un des hommes les plus
éclairés qu'ait eus cet empire.
Le comte de Bonneval , devenu successivement colonel
en France , officier général en Autriche , pacha
à Constantinople , avait introduit chez les Turcs differentes
réformes , surtout dans le système militaire ; elles
ne lui survécurent point les régiments qu'il avait dis.
ciplinés à Peuropéenne furent incorporés dans les spahis
et les Janissaires ; et lorsque Tott , leur second réformateur
, arriva en Turquie , l'ouvrage de son prédécesseur
n'avait laissé aucune trace . Tott chercha à
remettre en crédit la tactique de nos armées ; il établit
des fonderies de canons , des fabriques de poudre , un
corps d'artillerie ; mais les Turcs faisaient alors à la
FRUCTIDOR AN IX. 451
Russie cette guerre malheureuse , qui fut terminée en
1774 par le funeste traité de Kainardgi. Cette circonstance
hâta la ruine des établissements que Tott avait
formés : on le négligea. Il revint en France , abreuvé de
dégoûts , et fatigué d'un séjour où l'on ne savait plus
apprécier les services .
Neuf ans après , la Porte- Ottomane demanda à la
France des constructeurs , des officiers de génie et d'artillerie
: ils firent quelques ouvrages de défense sur le
canal de la mer Noire et sur les frontières de la Russie ;
ils rétablirent des fonderies , des magasins à poudre ,
un corps de canonniers ; ils construisirent quelques fré
gates ; mais , en 1788 , la plupart de ces officiers furent
rappelés. L'Autriche pressentait avec inquiétude les
progrès que l'art militaire aurait peut-être faits chez ses
voisins . Ce fut , dit on , par déférence pour cette alliée
que la cour de Versailles retira au divan des hommes si
précieux pour lui .
D'autres Français les remplacèrent en 1792 ; ils devaient
reprendre les travaux suspendus , et opérer des
réformes dans toutes les parties du service militaire ;
mais ceux-là mêmes qui les avaient appelés contrarièrent
ensuite leurs opérations. Les instructeurs de l'infanterie
se trouvèrent en rivalité avec des officiers allemands
qu'on avait également attirés. La cavalerie turque pensa
qu'elle n'avait aucune leçon à recevoir les plans de
défense , proposés par les ingénieurs , furent modifiés
et gâtés ; il fallut , dans le service de l'artillerie , allier
les usages turcs à la manoeuvre européenne ..
L'ambassadeur Aubert - du- Bayet conduisit à Constantinople
, dans le cours de l'an 3 , une compagnie
d'artillerie légère ; le divan n'accepta leurs services que
pour quelques mois ; un autre Français y transporta une
colonie d'artistes : on méconnut un si grand bienfait ,
et ils furent contraints de revenir en France , sans avoir
452 MERCURE DE FRANCE ,
pu laisser à Constantinople la moindre trace d'un établissement
utile .
Ainsi la Porte -Ottomane s'écarta toujours des plans
de réforme qu'elle conçut : elle appela tour- à - tour des
Français , des Italiens , des Anglais , des Suédois , qui
s'accordaient rarement sur l'exécution et sur les principes
; il y eut entre chaque tentative des intervalles
d'inactivité qui détruisirent tous les ouvrages antérieurs
, et les essais les plus dispendieux ne donnèrent
pas des institutions meilleures , ni des troupes mieux
disciplinées . Sa marine seule parut avoir fait quelques
progrès ; mais les bâtiments , avec de plus belles proportions
, continuèrent à manquer de matelots et d'officiers.
C'est au commerce maritime à créer la puissance
navale d'une nation , et trop de causes arrêtent
chez les Turcs le développement de ce commerce pour
qu'on puisse leur supposer de longtemps une marine
redoutable.
Le sultan actuel passe pour aimer les usages et les
arts des Européens : il a souvent eu recours à des artistes
étrangers , pour l'embellissement de ses jardins
ou pour celui de sa capitale ; mais l'on ne doit pas espérer
que , sur ce point , il opère une révolution dans
l'opinion publique , et l'exemple donné au monde par
la Russie sera difficilement imité chez les Musulmans .
Si Pierre-le-Grand civili a son peuple , l'éclaira , transporta
chez lui nos moeurs et nos arts substitua des
troupes régulières à la milice des Strélitz , indisciplinée
et redoutable aux novateurs , comme celle des Janissaires
, Pierre fut un de ces hommes dont la nature
est avare , et auxquels elle départit à la fois un génie
vaste , une ame grande , une volonté forte. On le vit ,
avant de tenter ses réformes , les préparer de longue
main , parcourir l'Europe , s'initier lui - même dans tous
les secrets des arts , attirer , conduire dans ses états dés
FRUCTIDOR AN IX. 453
colonies d'artistes et d'ouvriers , donner des leçons.
et des exemples , s'instruire de toutes les parties de
la navigation , depuis le travail du calfat et les manoeuvres
du matelot jusqu'aux évolutions de l'amiral
parcourir tous les grades militaires et marcher à la tête
de ses armées , connaître nos institutions , savoir choisir
ce qu'elles avaient d'applicable à la position de son
peuple , et adapter les unes aux autres toutes les branches
d'administration qui constituent la force d'un empire.
Mais à quelle époque les Turcs auront - ils un
souverain semblable ? L'éducation , les moeurs du sérail
ne sont pas propres à former un prince pour de telles
entreprises , et quand il pourrait se rencontrer , ses réformes
trouveraient sans doute bien plus d'obstacles à
surmonter dans les intérêts des hommes puissants , dans
les préjugés populaires , et surtout dans cette léthargie
qui accable toutes les parties du gouvernement .
L'autorité du grand- seigneur est , dit - on , la plus despotique
de l'Europe ; mais ce prince , qui peut faire
tomber la tête d'un visir , tremble devant un pacha
révolté ; ceux d'Egypte et de Syrie se sont plusieurs
fois affranchis de sa domination ; ceux de Scutari , de
Viddin , qu'il pouvait plus aisément réprimer , ont porté
l'alarme aux portes de sa capitale. Il aurait à craindre
que toute innovation importante ne devînt pout
des pachas
insubordonnés un nouveau prétexte de rebellion , et
ne le privât en même temps des moyens de les contenir.
La puissance ottomane , placée dans l'alternative , ou
de périr de langueur , ou de subir une crise qu'elle croit
mortelle , aime mieux se laisser aller au cours des événements
, et se reposer de sa conservation sur les destins.
Le grand -seigneur n'eut longtemps aucun ambassadeur
près des cours étrangères : il regardait les missions
des autres princes à Constantinople comme un hommage
454 MERCURE DE FRANCE,
rendu à sa puissance , et se gardait bien d'adopter un
système , auquel il attachait des idées de servitude .
Mais , revenu enfin de ces principes d'isolement , qui ,
en mettant à découvert toute sa politique , lui dérobaient
celle des autres états , il entretient depuis quel
ques années des ambassadeurs en Espagne , en Prusse ,
à Paris , à Vienne . Cette innovation diplomatique est
sans doute l'un des plus grands pas qu'ait faits ce
gouvernement . Ses communications habituelles avec les
autres peuples lui rendront plus familières les idées
de commerce , d'administration , d'industrie , qui partout
sont devenus les véritables éléments de la prospérité
publique ; mais il faut avouer qu'elles donnent au
divan une place plus périlleuse sur le théâtre de la Pólitique
européenne ; elles le destinent à prendre aux
événements, une part plus active , lui font sentir le
contre coup de tous les chocs , et entraînent dans la
lutte une nation qui , avec ses institutions sans vigueur ,
ne peut y paraître qu'à son désavantage.
La Turquie n'avait de guerres à soutenir que contre
l'Autriche et la Russie. Un système d'hostilité plus
étendu l'expose à des dangers nouveaux , sans diminuer
ceux que lui font courir deux voisins , toujours
intéressés à devenir ses ennemis.
L'étendue de l'empire ottoman pourrait faire penser
qu'il doit être d'un grand poids dans la balance euro ,
péenne. Mais des provinces dépeuplées , sans commerce ,
Jes unes opprimées par leurs pachas et par tous les of
ficiers subalternes , les autres prêtes à s'insurger contre
l'autorité qui les écrase ; toutes gouvernées par des
principes différents ; ou plutôt , dans l'absence des lois ,
et dans leur silence, plus funeste encore , victimes de l'arbitraire
le plus odieux , ces provinces immenses ne présentent
qu'uu vaste corps , dont les membres , à peine
cohérents , se disloquent à la moindre secousse,
FRUCTIDOR AN IX. 455
Déja les régences d'Afrique , qui n'étaient que des
pachalicks , assimilés à ceux d'Europe et d'Anatolie
ont fait reconnaître leur indépendance et ne tiennent
plus à la sublime Porte que par des liens religieux et
par quelques faibles déférences. Un gouvernement qui
n'a point assez de nerf pour maintenir l'union de toutes.
les parties de son territoire , et qui voit prêtes à lui
échapper , même au voisinage de Constantinople , la
Moldavie , la Valachie , dont il n'a plus que la suzeraineté
, quelles armées peut-il mettre aux prises avec
celles qui ont sur les troupes ottomanes l'avantage du
choix des armes , de la discipline et de toutes les institutions
militaires * ?
Les états languissent par de mauvaises lois ils
précipitent leur chute par les vices de leur système
militaire . Les Turcs vainquirent aisément l'empire grec ,
qui n'avait plus à leur opposer les anciennes légions
de Bélisaire et de Narsès : les nations européennes ont
acquis sur eux une supériorité plus grande encore . Que
les Ottomans soient braves , vigoureux , endurcis à la
fatigue , ce n'est plus la force individuelle , c'est . le
choix des armes et la direction des masses qui décident
la victoire.
5
3
Chercher à perfectionner le système militaire des
Turcs , ce serait entreprendre de toucher à presque
toutes les parties de leur administration . Il faudrait
pour faciliter les opérations des armées , multiplier les
grandes routes et les entretenir , créer des magasins , des
hôpitaux , avoir un plan d'approvisionnement , et ne pas
abandonner au pillage des soldats les provinces qu'ils
parcourent ; il faudrait avoir des fonderies , des arsenaux ,
des manufactures d'armes , un système de fortifications
* Nous supprimons ici les détails relatifs à la composi
tion et à la nature des troupes ottomanes. Ils confirment
ce que nous en avons dit précédemment.
456 MERCURE DE FRANCE ,
la connaissance de toutes les parties de l'art de la guerre.
Tant d'améliorations à la fois ne pourront étre ,
du
moins sous l'empire des Turcs , que l'ouvrage du temps.
>
Quelques hommes ont pensé que les possessions du
grand - seigneur avaient trop d'étendue pour ne pas
affaiblir le gouvernement . Cette opinion n'est rien moins
qu'un paradoxe dans le système politique . Si cette puissance
était plus concentrée , il serait , sans doute , moins
difficile au divan de défendre les parties menacées par
l'étranger ou par des rebelles , de maintenir le bon ordre
et de s'occuper de réformes utiles. Dans une grande
partie de ses possessions d'Europe et de l'Archipel
le nombre des Grecs est supérieur à celui des Musulmans
les Mamelouks et les Arabes étaient les véritables
possesseurs de l'Egypte , quand les Français
s'en sont emparés les Arméniens et les autres
habitants de l'Asie mineure sont plus nombreux que
leurs maîtres : tout semble avertir le divan de rassembler
ses forces autour du centre de sa puissance , et
de ne pas dégarnir , pour des expéditions éloignées ,
les provinces qui l'environnent.
Depuis sa dernière guerre contre les Russes , la
Porte ottomane , occupée à réparer ses désastres , paraissait
ne vouloir prendre aucune part aux affaires
de l'Europe. Elle laissa attaquer la France , sans se
joindre à cette ancienne alliée , et aussi sans entrer
dans la coalition ; elle laissa consommer le partage de
la Pologne , dont les intérêts ne pouvaient pas être
étrangers à son intérêt ou à sa gloire. Les efforts de
nos ennemis l'arrachèrent enfin à son inaction , rompirent
les liens d'amitié qui l'unissaient à la France ,
et l'entraînèrent dans une guerre ruineuse dont ses
auxiliaires se promirent bien de recueillir les fruits.
L'expédition d'Egypte fut le prétexte des hostilités ;
la Russie saisit l'occasion d'obtenir , pour ses bâti-
*
FRUCTIDOR AN IX. 457
ments , l'entrée de la Méditerranée que le grand - seigneur
lui avait refusée constamment ; l'Angleterre
promit à ce prince de recouvrer l'Egypte , mais dans
la vue d'y supplanter les Français et d'en occuper au
moins les places maritimes : l'Autriche songea surtout
à se procurer de nouvelles facilités commerciales dans
la mer Noire et sur le Danube ; jamais on ne vit plus
d'empressement que dans les auxiliaires de la Porte
ottomane , à soigner les derniers jours , et peut - être à
accélérer la fin d'un état languissant dont ils aspirent
à partager la dépouille .
Le divan pourrait - il encore éviter l'abîme où tant
de zèle l'entraîne ? Un retour sincère vers ses anciens
alliés , vers ceux qui sont le plus intéressés à sa conservation
" peuvent encore le sauver. Les plaies
de la guerre sont , pour la Turquie , d'autant plus
dangereuses , que le commerce et l'industrie ne les guérissent
point ; que ce territoire si beau , mais condamné
par les lois mêmes à une éternelle stérilité , se
dépeuple de jour en jour ; que la guerre étrangère ,
au lieu de réunir les forces de l'état , devient le signal
des divisions intestines , et , enfin , que les ennemis naturels
de la Porte épient sans cesse le moment où ils
pourront lui porter le coup mortel.
Copie de la convention avec la cour de Londres , signée
à Saint -Pétersbourg , le 4 juin 1801 *.
AU NOM DE LA TRÈS - SAINTE ET INDIVISIBLE
TRINITÉ .
Le desir mutuel de S. M. l'empereur de toutes les
Russies et de S. M. le roi du royaume - uni de la
* Cette pièce importante doit être rapprochée de la con--
vention de la Neutralité armée , que nous avons inséré dans
le N.° XVIII .
458
MERCURE
DE FRANCE
,
Grande-Bretagne et de l'Irlande , étant , non - seulement
de s'entendre entre elles sur les différends qui ont altéré
en dernier lieu la bonne intelligence et les rapports
d'amitié qui subsistaient entre les deux états ;
mais encore de prévenir à l'avance , par des explications
franches et précises à l'égard de la navigation
de leurs sujets respectifs , le renouvellement de semblables
altercations et les troubles qui pourraient en
être la suite ; et l'objet de la sollicitude de leursdites
majestés étant de parvenir , le plus tôt que faire se
pourra , à un arrangement équitable de ces différends
et une fixation invariable de leurs principes sur les
droits de la neutralité , dans leur application à leurs
monarchies respectives , afin de resserrer de plus en
plus les liens d'amitié et de bonne correspondance
dont elles reconnaissent l'utilité et les avantages , elles
ont nommé et choisi pour leurs plénipotentiaires , savoir
S. M. l'empereur de toutes les Russies , le sieur.
Niquita , comte de Panin , son conseiller , etc.; eb
S. M. le roi du royaume- uni de la Grande -Bretagne
et de l'Irlande , Alleyne lord Bar. St. Helens , conseiller-
privé , etc. , lesquels , après s'être communiqué leurs >
pleins- pouvoirs et les avoir trouvés en bonne et due
forme , sont convenus des points et articles suivants :
er
Art. I. Il y aura désormais entre S. M. I. de toutes
les Russies et S. M. Britannique , leurs sujets , états
et pays de leurs dominations , bonne et inaltérable '
amitié et intelligence , et subsisteront comme par le
passé tous les rapports politiques de commerce et autres
d'une utilité commune entre les sujets respectifs ,
sans qu'ils puissent être troublés ni inquiétés en maniere
quelconque.
II. S. M. l'empereur et S. M. britannique déclarent
vouloir tenir la main à la plus rigoureuse exécution
des defenses portées contre le commerce de contrebande
FRUCTIDOR AN IX. 459
de leurs sujets avec les ennemis de l'une ou de l'autre
des hautes parties contractantes .
{
*
III. S. M. I. de toutes les Russies et S. M. britannique
ayant résolu de mettre sous une sauve - garde
suffisante la liberté du commerce et de la navigation
de leurs sujets , dans le cas où l'une d'entre elles serait
en guerre , tandis que l'autre serait neutre , elles sont
Convenues :
-1 ° Que les vaisseaux de la puissance neutre pourront
naviguer librement aux ports et sur côtes des nations
en guerre.
2.° Que les effets embarqués sur les vaisseaux neutres
seront libres , à l'exception de la contrebande de guerre
et des propriétés ennemies , et il est convenu de ne pas
comprendre au nombre des dernières les marchandises.
du produit , du crû ou de la manufacture des pays en
guerre qui auraient été acquises par des sujets de la
puissance neutre , et seraient transportées pour leur
comptes ; lesquelles marchandises ne peuvent être exceptées
en aucun cas de la franchise accordée au pavillon
de ladite puissance .
娄
3. Que pour éviter aussi toute équivoque et tout
mésentendu sur ce qui doit être qualifié de contrebande
de guerre , S. M. I. de toutes les Russies et
S. M. britannique déclarent conformément à l'article
XI du traité de commerce conclu entre les deux couronnes
le février 1797 , qu'elles ne reconnaissent
pour telles que les objets suivants , savoir : canons
mortiers , armes à feu , pistolets , bombes , grenades
boulets , balles , fusils , pierres à feu , mêchés , poudre ,
salpêtre , soufre , cuirasses , piques , épées , ceinturons
, gibernes , selles et brides , en exceptant toutefois
la quantité des susdits articles qui peut être né→
cessaire pour la défense du vaisseau et de ceux qui
en composent l'équipage ; et tous les autres articles
460 MERCURE DE FRANCE ,
quelconques non désignés ici ne seront pas réputés
munitions de guerre et navales ni sujets à confiscation
, et par conséquent passeront librement sans être
assujettis à la moindre difficulté , à moins qu'ils ne
puissent être réputés propriétés ennemies dans le sens
'arrêté ci -dessus .
Il est aussi convenu que ce qui est stipulé dans le
présent article , ne portera aucun préjudice aux stipulations
particulières de l'une ou de l'autre couronne
avec d'autres puissances par lesquelles des
objets de pareil genre seraient réservés , prohibés ou
permis.
4.° Que pour déterminer ce qui caractérise un port
bloqué , on n'accorde cette dénomination qu'à celui où
il y a , par la disposition de la puissance qui l'attaque
avec des vaisseaux arrêtés ou suffisamment proches ,
un danger évident d'entrer.
5.° .Que les vaisseaux de la puissance neutre ne peuvent
être arrêtés que sur de justes causes et faits évidents ;
qu'ils soient jugés sans retard , et que la procédure soit
toujours uniforme , prompte et légale.
Pour assurer d'autant mieux le respect dû à ces stipulations
dictées par le desir sincère de concilier tous
les intérêts et donner une nouvelle preuve de leur
loyauté et de leur amour pour la justice , les hautes
parties contractantes prennent ici l'engagement le plus
formel de renouveler les défenses les plus sévères à
leurs capitaines , soit de haut bord , soit de la marine
marchande , de charger , tenir ou récéler à leurs bords
aucun des objets qui , aux termes de la présente convention
, pourraient être réputés de contrebande , et
de tenir respectivement la main à l'exécution des ordres
qu'elles auront publiés dans leurs amirautés et
partout où besoin sera.
IV. Les deux hautes parties contractantes voulant
FRUCTIDOR AN IX. 461
·
encore prévenir tout sujet de dissension à l'avenir , en
limitant le droit de visite des vaisseaux marchands.
allant sous convoi , aux seuls cas où la puissance belligérante
pourrait essuyer un préjudice réel par l'abus
du pavillon neutre , sont convenues :
1.° Que le droit de visiter les navires marchands appartenants
aux sujets de l'une des puissances contractantes
et naviguant sous le convoi d'un vaisseau de
guerre de ladite puissance , ne sera exercé que par les
vaisseaux de guerre de la partie belligérante , et ne
s'étendra jamais aux armateurs , corsaires ou autres bâtiments
qui n'appartiennent pas à la flotte impériale
ou royale de leurs majestés , mais que leurs sujets auraient
armés en guerre.
2.° Que les propriétaires de tous les navires marchands
appartenants aux sujets de l'un des souverains
contractants qui seront destinés à aller sous convoi d'un '
vaisseau de guerre , seront tenus , avant qu'ils ne reçoivent
leurs instructions de navigation , de produire
au commandant du vaisseau de convoi leurs passe - ports
et certificats ou lettres de mer dans la forme annexée au
présent traité.
'
3.° Que lorsqu'un tel vaisseau de guerre ayant sous
convoi des navires marchands , sera rencontré par un
vaisseau ou des vaisseaux de guerre de l'autre partie
contractante qui se trouvera alors en état de guerre ,
pour éviter tout désordre on se tiendra hors de la
portée du canon , à moins que l'état de la mer ou le
lieu de la rencontre ne nécessitent un plus grand rapprochement
, et le commandant du vaisseau de la puissance
belligérante enverra une chaloupe à bord du
vaisseau de convoi , où il sera procédé réciproquement
à la vérification des papiers et certificats qui doivent
constater , d'une part , que le vaisseau de guerre neutre
est autorisé à prendre sous son escorte tels ou tels vais462
MERCURE DE FRANCE ,
seaux marchands de sa nation , chargés de telle cargaison
et pour tel port ; de l'autre part , que le vaisseau
de guerre de la partie belligérante appartient à la
flotte impériale ou royale de leurs majestés .
4. Cette vérification faite , il n'y aura lieu à aucune
visite si les papiers sont reconnus en règle , et , s'il
n'existe aucun motif valable de suspicion, Dans ce cas
contraire , le commandant du vaisseau de guerre neutre
[ y étant dûment requis par le commandant duvaisseau
ou des vaisseaux de la puissance belligérante ]
doit amener et détenir son convoi pendant le temps
nécessaire pour la visite des bâtiments qui le composent
, et il aura la faculté de nommer et déléguer un ,
ou plusieurs officiers pour assister à la visite desdits ,
bâtiments , laquelle se fera en sa présence sur chaque
bâtiment marchand , conjointement avec un ouplusieurs ,
officiers préposés par le commandant du vaisseau de la,
partie belligérante .
5. S'il arrive que le commandant du vaisseau ou des
vaisseaux de la puissance en guerre , ayant examiné les
papiers trouvés à bord , et ayant interrogé le maître et
l'équipage du vaisseau , apercevra des raisons justes et
suffisantes pour détenir le navire marchand , afin de
procéder à une recherche ultérieure , il notifiera ceite
intention au commandant du vaisseau de convoi qui
aura le pouvoir d'ordonner à un officier de rester à
bord du navire ainsi détenu , et assister à l'examen de
la cause de sa détention . Le navire marchand sera
amené tout de suite au port le plus proche et le plus
convenable appartenant à la puissance belligérante , et
la recherche ultérieure sera conduite avec toute la diligence
possible.
1
V. Il est également convenu que si quelque navire
marchand ainsi convoyé était détenu sans une cause ,
juste et suffisante , le commandant du vaisseau ou des
1
FRUCTIDOR AN IX. 463
vaisseaux de la puissance belligérante sera non - seulement
tenu envers les propriétaires du navire et de la
cargaison , à une compensation pleine et parfaite pour
toutes pertes , frais , dommages et dépenses- occasionnés
par une telle détention , mais il subira encore une
punition ultérieure pour tout acte de violence ou autre
faute qu'il aurait commis , suivant ce que la nature du
cas pourrait exiger . Par contre , il ne sera point permis ,
sous quelque prétexte que ce soit , au vaisseau de convoi
de s'opposer par la force à la détention du navire
ou des navires marchands , par le vaisseau ou les vaisseaux
de guerre de la puissance belligérante ; obligation
à laquelle le commandant du vaisseau de convoi n'est
point tenu envers les corsaires et armateurs .
*
VI . Les hautes parties contractantes donneront des
ordres précis et efficaces pour que les sentences sur les
prises faites en mer , soient conformes aux règles de la plus
exacté justice et équité , qu'elles soient rendues par des
juges non suspects , et qui ne soient point intéressés
dans l'affaire dont il sera question . Le gouvernement
des états respectifs veillera à ce que lesdites sentences
soient promptement et dûment exécutées selon les
formes prescrites .
En cas de détention mal fondée ou autre contraven
tion aux règles stipulées par le présent article , il sera
accordé aux propriétaires d'un tel navire et de la cargaison
, des dédommagements proportionnés à la perte
qu'on leur aura occasionnée. Les règles à observer pour
ces dédommagements et pour le cas de détention mal
fondée , de même que les principes à suivre pour accé
lérer les procédures , feront la matière d'articles additionnels
que les parties contractantes conviennent d'ar
rêter entre elles , et qui auront même force et valeur,
que s'ils étaient insérés dans le présent acte. Pour cet
effet , leurs majestés impériale et britannique s'engagent
464 MERCURE DE FRANCE ,
.
mutuellement de mettre la main à l'oeuvre salutaire
qui doit servir de complément à ces stipulations , et
de se communiquer sans délai les vues que leur suggé
rera leur égale sollicitude pour prévenir les moindres
sujets de contestation à l'avenir .
VII. Pour obvier à tous les inconvénients qui peuvent
provenir de la mauvaise foi de ceux qui se servent du
pavillon d'une nation , sans lui appartenir , on convient
d'établir pour règle inviolable , qu'un bâtiment quelconque
, pour être regardé comme propriété du pays
dont il porte le pavillon , doit avoir à son bord le capitaine
du vaisseau et la moitié de l'équipage des gens
du pays , et les papiers et passe -ports en bonne et due
forme ; mais tout bâtiment qui n'observera pas cette
règle , et qui contreviendra aux ordonnances publiées à
cet effet , perdra tous les droits à la protection des
puissances contractantes .
VIII. Les principes et les mesures adoptés par le présent
acte , seront également applicables à toutes les
guerres maritimes où l'une des deux puissances serait
engagée , tandis que l'autre resterait neutre . Ces stipulations
seront en conséquence regardées comme permanentes
, et serviront de règles constantes aux poissances
contractantes , en matière de commerce et de
navigation .
IX. S. M. le roi de Danemarck et S. M. le roi de
Suède seront immédiatement invitées par S. M. impériale
, au nom des deux puissances contractantes , à accéder
à la présente convention , et en même temps à
renouveler et confirmer leurs traités respectifs de commerce
avec sa S. M. britannique ; et sadite majesté s’engage
, moyennant les actes qui auront constaté cet accord
, de rendre et restituer à l'une et l'autre de ces
puissances toutes les prises qui ont été faites sur elles ,
ainsi que les terres et pays de leur domination qui ont
RUP.cente
5
FRUCTIDOR AN IX. 465
été conquis par les armes de S. M. britannique depuis
la rupture , dans l'état où se trouvaient ces possessions
à l'époque où les troupes de S. M. y sont entrées . Les
ordres de sadite majesté pour la restitution de ces prises
et de ces conquêtes seront expédiés immédiatement après
l'échange des ratifications des actes par lesquels la
Suède et le Danemarck accéderont au présent traité .
X. La présente convention sera ratifiée par les deux
hautes parties contractantes , et les ratifications échangées
à Saint- Pétersbourg , dans l'espace de deux mois
pour tout délai , à compter du jour de la signature .
En foi de quoi , les plénipotentiaires respectifs en ont
fait faire deux exemplaires parfaitement semblables ,
signés de leurs mains , et y ont apposé le sceau de leurs
armes. Fait à Saint - Pétersbourg , le juin 1801 .
L. S. N. comte de Panin , L. S. SAINT - HELENS .
Formulaire des passe-ports et lettres de mer qui doivent
étre délivrés , dans les amirautés respectives des états
des deux hautes parties contractantes , aux vaisseaux
et bâtiments qui en sortiront , conformément à l'article
IV du présent traité.
Faisons savoir que nous avons donné congé et permission
à N ………. de la ville ou lieu de N .... maître
ou conducteur du vaisseau N .... appartenant à N....
du port de N ... tonneaux ou environ , qui se trouve
à présent au port et havre de N .... de s'en aller à
N.... chargé de N .... pour le compte de N ....
après que la visite de son vaisseau aura été faite avant
son départ , selon la manière usitée , par les officiers
préposés à cet effet , et ledit N .... ou tel autre fondé
de pouvoirs pour le remplacer , sera tenu de produire
dans chaque port ou havre où il entrera avec ledit vaisseau
, aux officiers du lieu , le présent congé , et de
porter le pavillon de N .... durant son voyage.
En foi de quoi , etc.
Copie de l'article premier séparé de la convention avec
la cour de Londres , signé le juin 1801 .
Les intentions pures et magnanimes de S. M. l'em-
5. За
"
466 MERCURE DE FRANCE ,
pereur de toutes les Russies , l'ayant déja porté à restituer
les navires et les biens des sujets britanniques
qui avaient été séquestrés en Russie , sadite majesté
confirme cette disposition dans toute son étendue , et
S. M. britannique s'engage également à donner immédiatement
des ordres pour faire lever tout séquestre .
sur les propriétés russes , danoises et suédoises détenues
dans les ports de la Grande- Bretagne , et pour constater
d'autant mieux son desir sincère de terminer à
l'amiable les différends survenus entre la Grande- Bretagne
et les cours du Nord ; et pour qu'aucun nouvel
incident ne puisse apporter des entraves à cet oeuvre
salutaire , S. M. britannique s'engage de donner des
ordres aux commandants de ses forces de terre et de
mer , pour que l'armistice actuellement subsistant avec
les cours de Danemarck et de Suède soit prolongé
jusqu'au terme de trois mois , à dater de ce jour ; et
S. M. l'empereur de toutes les Russies , guidé par
les mêmes motifs , s'engage , au nom de ses alliés , de
faire maintenir également cet armistice pendant le
susdit terme .
Cet article séparé , etc.
En foi de quoi , etc.
Copie de l'article second et séparé de la convention avec
la cour de Londres , signée à Saint- Pétersbourg , le
juin 1801 .
1
)
Les différends et mésentendus qui subsistaient entre
S. M. l'empereur de toutes les Russies et S. M. le roi
du royaume- uni de la Grande - Bretagne et de l'Irlande
étant ainsi terminés , et les précautions prises par la
présente convention ne donnant plus lieu de craindre
qu'ils puissent troubler à l'avenir l'harmonie et la
bonne intelligence que les deux hautes parties contractantes
ont à coeur de consolider , leursdites majestés
confirment de nouveau , par la présente convention
, le traité de commerce du 14 fevrier 1797 , dont
toutes les stipulations sont rappelées ici pour être
maintenues dans toute leur étendue.
Cet article séparé , etc.
En foi de quoi , etc.
FRUCTIDOR AN IX. 467.
INTERIEUR.
D'APRÈS un arrêté du 29 germinal an 9 , la colonie
de la Guadeloupe doit être régie par trois magistrats ,
un capitaine général , exclusivement chargé de la défense
extérieure et intérieure de la colonie , exerçant à
peu près les mêmes pouvoirs que ceux qui étaient attribués
aux gouverneurs généraux ; un préfet colonial ,
chargé de l'administration et de la haute police ; et un
commissaire de justice , auquel appartient spécialement
l'inspection des tribunaux et le soin de veiller à la
prompte distribution de la justice .
Le contre- amiral Lacrosse , nommé capitaine général
de la Guadeloupe et dépendances , dans une lettre .
du 15 messidor , au C. Forfait , ministre de la marine ,
trace le tableau des malheurs qui ont désolé ces contrées
, le désordre dans les finances , l'arbitraire dans l'adminigration
de la justice , l'inaction ou la défiance
dans le commerce l'abandon de la culture des
terres , etc. , etc. Mais depuis qu'il est permis de se
confier au gouvernement et à ses agents , les maux
commencent à disparaitre ; les crimes , punis , sont
devenus plus rares ; une ordonnance sévère a réprimé
l'audace brutale , ou éclairé le faux honneur des duellistes.
Les relations commerciales reprennent leurs cours.
ordinaires Les arts mêmes vont germer sur ce sol trop
longtemps ingrat ou malheureux . Un élève de David,
le C. Collot , préside à une école de peinture . Un
théâtre doit être établi au port de la Liberté Enfin ,
le C. Lacrosse assure que l'état de défense où est la
colonie , ne permet pas de rien craindre des Anglais.
Le journal officiel du 9 fructidor , publie une convention
signée au Caire , le 27 juin ( 8 messidor ) entre
les Français et les Turco - Anglais . Elle porte que les
troupes françaises et leurs auxiliaires , sous le commandement
du général de division Belliard , évacueront la
viile du Caire , la citadelle , les forts de Boulac , Giza
et toute cette partie de l'Egypte qu'elles occupent
maintenant. Ces troupes seront embarquées et transportées
dans les ports français sur la Méditerranée ,
avec leurs armes , artillerie , bagages et effets , aux frais
468 MERCURE
DE FRANCE
,
des puissances àlliées. Toutes les administrations , les
membres de la commission des arts et sciences , en un
mot , toutes les personnes attachées à l'armée française
jouiront des mêmes avantages que le militaire. Tous
les membres de ladite administration , et ceux de la
commission des arts et sciences emporteront aussi avec
eux tous les papiers relatifs à leur mission et leurs
papiers particuliers . Tous les habitants de l'Egypte ,
de quelque nation qu'ils puissent être , qui voudront
suivre les troupes françaises auront la liberté de le
faire; leurs familles ne seront point inquiétées , ni
leurs biens confisqués. Tous les prisonniers seront rendus
de part et d'autre. Cette convention a dû être communiquée
au général Menou , qui pourra l'accepter pour
les troupes qui sont avec lui dans Alexandrie. C
Cette convention , ajoute le journal officiel , est toutà-
fait la même que celle d'El - Arisch. Si l'amiral Keith
manquait encore de bonne foi , et interdisait le passage
par mer , on ne tarderait pas à voir une nouvelle bataille
d'Héliopolis (cette bataille remit les Français en
possession de toute l'Egypte , deux mois après le traité
d'El- Arisch ) .
Cependant , les négociations continuent plus actives
que jamais entre les deux gouvernements. Le Portugal
est conquis. Nous avons vu les Anglais battus à Algé
siras , et récemment encore lord Nelson honteusement
repoussé devant Boulogne. La marine française n'estplus
un vain mot , et ce qui le prouve autant que ses
premiers succès , ce sont les immenses préparatifs qui
ont eu lieu sur toutes les côtes d'Angleterre , dans la
crainte d'une învasion . Tout tend à la paix également
nécessaire aux deux peuples et au monde entier. Il est
bien temps que l'équilibre se rétablisse entre les nations ;
elles auront toutes chèrement payé le bonheur du repos
, apres une si longue et si rude tempête.
9 Le roi et la reine de Toscane ont fait leur entrée
à Florence , le 24 thermidor. - Les actes publics se
font tous au nom de Louis , heureusement régnant.
•
1
Le 5 fructidor , le C. Caillard et M. Cetto , plénipotentiaires
de la république française et de l'électeur
de Bavière , ont sigué , à Paris , un traité de paix entre
les deux états.
FRUCTIDOR AN IX. 469
L'empereur , Alexandre I. , a été très -satisfait de
Ja mission du général Sprengporten à Paris . M. Markow
, nommé ambassadeur en France , est parti de
Pétersbourg le 10 thermidor - Le prince d'Algorowky
vient à Paris , chargé d'une mission spéciale.
Un traité de navigation et de commerce , entre les
cours de Russie et de Suède , a été ratifié , de part et
d'autre , le 11, avril , par Gustave - Adolphe , et le 30
mai par Alexandre L. , Pendant l'espace de douze
années , à compter du 29 octobre 1799 , les sujets
suedois en Russie , et les sujets russes en Suède , jouiront
d'une liberté entière pour leur commerce réciproque.
Les deux cours se réservent de convenir entre
elles , avant l'expiration de ce terme , de prolonger ce
traité, ou d'en conclure un nouveau. -L'article XXIV
prouve qu'Alexandre voudrait , comme son prédé- 1.
cesseur , maintenir les droits sacrés des nations contre
toute puissance usurpatrice. Les deux couronnes
est-il dit , intimement convaincues de la sagesse des
principes qui , pour le bien général des peuples commerçants
, ont été fixés et arrêtés dans la convention
maritime du 16 décembre dernier , déclarent en vouloir
faire la règle immuable de leur propre conduite ,
y avoir recours en toute occasion , et observer scrupuleusement
les principes fondamentaux des droits du
commerce et de la navigation marchande des peuples
neutres. "
"
Le 4 juillet dernier , a été célébré dans toute l'Amérique
, comme le 26. anniversaire du jour où a commencé
l'indépendance des États-Unis .
M. le comte Philippe de Cobentzel , se rend à Paris ,
comme ambassadeur de la cour de Vienne , où le C.
Champagny a dû arriver le 8 fructidor.
D'après une ordonnance de l'électeur de Bavière ,
la différence de religion ne sera plus un motif pour
refuser à personne le droit de bourgeoisie dans ses
états. Cette ordonnance a déja été exécutée en faveur
d'un marchand de chevaux , protestant , et reçu bourgeois
de Manich . - On écrit de Calcuta que l'empereur
de la Chine , sur une demande des missionnaires
470 MERCURE DE FRANCE ,
portugais , a permis , dans ses états , le libre exercice
de la religion chrétienne , et accordé des emplacements
pour y batir des églises..,
}
Le C. Verninac , préfet du Rhône , est nommé ministre,
plénipotentiaire de la république en Helvétie.-
Le C. Najac , conseiller d'état , lui succède dans sa
préfecture . On se rappelle combien les infortunés Lyonnais
se sont déja félicités d'une mission de ce digne
magistrat. Le vice - amiral Thevenard est nommé
préfet maritime à l'Orient,
2
"
L'académie royale de Stockholm a fait remettie
des lettres-patentes d'agrégation aux CC . Foureroy , conseiller
d'état , et Berthollet , membre du sénat conservaleur.
On voyait depuis longtemps avec la plus juste inquiétude
, la Bibliothèque nationale dans l'emplacement
qu'elle a occupé jusqu'ici au milieu des théatres et
des maisons particulières. La France , dépositaire de
ce monument , a dit avec raison de ministre de l'inté-
' rieur , en est comptable à toute l'Europe. Sur sa pro-
Fosition , les consuls ontarrêté qu'elle serait transférée
au Louvre. Elle y sera entièrement établie dans le cours
de l'an 11. Les bâtiments qu'elle occupe actuellement
seront vendus , et les fonds provenants de la vente ,
employés à cette coûteuse , mais nécessaire opération .
Un arrêté du 3 fructidor renouvelle les dispositions
-de la loi du 10 brumaire an 5 , relativement aux márchandises
anglaises. A compter du 1. vendemiaire
prochain , les basins , piqués , mousselinettes , toiles ,
draps et velours de coton qui ne porteront pas la
marque du fabricant , et l'estampille nationale avec
le numéro , seront censés provenir de fabriques anglaises
, et seront confisqués. La confiance qui ranime
toutes les industries , le perfectionnement de nos machines
, l'adoption de nouveaux procédés , ou l'amélioration
des anciens , les travaux et les découvertes de
nos savants et de nos artistes viennent heureusement
à l'appui de cette mesure , usitée chez tous les peuples ,
à peu près inutile chez tous , mais qui convient mieux
FRUCTIDOR AN IX. 471
à un état dont les propres ressources sont immenses ,
et seulement trop peu connues ou trop négligées .
Le C. Jollivet , conseiller d'état et commissaire dans
les quatre nouveaux départements réunis de la rive
gauche du Rhin , a ordonné la construction d'un monument
à l'honneur du chevalier d'Assas. Une colonne
d'une belle stucture s'élèvera sur le champ de bataille
de Clostercamp : on y lira ces dernières paroles du héros
français : A moi , Auvergne , ce sont les ennemis !
" et de
Qu'onfasse mieux , nous nous en réjouirons . Un pareil
titre prévient naturellement le lecteur , et si ce
titre est mis à la tête d'un ouvrage où les auteurs
n'ayent exprimé que des sentiments honnêtes et généreux
on est édifié à la fois de leur modestie
leur zèle si désintéressé pour le bien . Ce petit écrit est
en effet une nouvelle preuve des vertus bienfaisantes qui
dans tous les temps , ont distingué les médecins. Placés
sans cesse entre les morts et les mourants , ils ne sont que
trop à portée d'approfondir toutes les circonstances qui
occasionnent ou qui entretiennent les maux de l'humanité.
Ils savent que ceux -là mêmes qui , brillants de santé,
vivaient entourés de plaisirs et d'amis , trop souvent
restent seuls avec la maladie et la douleur. C'est surtout
dans les maisons garnies , que les abus les plus
criants , la cruelle insouciance ou la sordide avarice ont
multiplié les victimes.
Plusieurs de ces hommes estimables se sont réunis , et
ont ouvert une souscription pour fonder un établissement
de 80 lits. Nous offrons , disent ils , une maison
dans laquelle les malades * auront la liberté de se faire
transporter. Nous n'avons rien négligé pour y réunir
l'agréable et l'utile. Elle est spacieuse et bien aérée ;
les promenades sont belles ; les appartemen's commodes
et séparés ; la pharmacie est complète. Outre les
médecins ou chirurgiens logés dans la maison , d'au res
seront appelés aux consultations extraordinaires . Les
gardes , il suffit de les nommer , ce sont d'anciennes
soeurs de la charité. Les malades seront donc visités ,
traités , nourris , éclairés ,
éclairés , chauffés blanchis avec
les plus grands soins , jusqu'à leur entière guérison .
*
Des hommes seulement , à l'exception de ceux attaqués
de maladies vénériennes ou incurables.
་
472 MERCURE DE FRANCE,
"
"
Nous avons formé trois classes ; les soins seront
les mêmes. Il n'y aura de différence que relativement
à ces commodités arbitraires dont l'éducation et l'habitude
pourront nécessiter l'usage. Il n'en coûte que
6 francs par mois pour être admis , en cas de maladie ,
dans la première classe ; alors on occupe seul une
chambre meublée convenablement . Les malades de la
seconde classe occupent une chambre à deux lits et
payent 4 francs ; ceux de la troisième , 2 francs , et sont
placés dans une chambre à trois lits ; mais suffisamment
séparés. On voit que des frais d'abonnement si modiques ,
coûtent à peine le sacrifice de quelques superfluités ;
mais il était juste et nécessaire d'exiger quelque avance
de fonds. Il devra donc y avoir au moins un mois d'intervalle
entre le premier billet d'abonnement et le jour
où l'on se présentera comme malade , pour réclamer les
soins de l'établissement. Cet utile projet est dû au C.
Dupont , médecin en chef de l'hospice du Roule . L'abonnement
se fait chez le C. Montaud , notaire , rue
Saint-Honoré , près la rue de l'Echelle . f
On lit dans un ouvrage qui paraît sous le titre de Récréations
Morales * cette anecdote que toutes les
ames sensibles recueilleront avec confiance , et pour→
ront joindre à tant de souvenirs. » Sur la terre d'exil et
dans l'état de souffrance et de gêne où languit M.me
d'Orléans , elle a voulu satisfaire le besoin le plus impérieux
de son coeur , celui de secourir les malheureux ;
et c'est encore sur ses concitoyens qu'elle répand ses
bienfaits. Elle a concouru à l'établissement de Chaillot ,
approuvé et doté par le premier consul , et connu sous
le nom de Retraite assurée à l'infortune et à la vieillesse.
2,160 francs , ont été remis , le thermidor dernier
, à la caisse du C. du Chailla , fondateur et directeur
général de cette précieuse institution **. M.me d'Or
* Récréations morales , dédiées à Madame d'Orléans , par
J. M. Hékel , auteur de plusieurs écrits politiques et moraux
2 vol. in- 12 . A Paris , chez Maradan , libraire , rue
Pavée Saint-André-des- Aros , n.º 16. an IX .- 1801.
** D'autres maisons de retraite seront incessamment organisées
dans les départements sur le même modèle. Chaque
souscription est de 1080 fr. , qu'on acquitte en différents
payements , calculés à raison de 5 centimes par jour , depuis
l'âge de dix ans jusqu'à 70 , ou depuis le jour de ta
FRUCTIDOR AN IX. 473
;
léans a fait choix de deux dames septuagénaires , aussi
intéressantes par leurs vertus que par leur malheur
mais du moins elles ont souffert au sein de leur patrie ;
c'est sur leur patrie régénérée que tomberont leurs derniers
regards , et leurs dernières paroles pourront s'adresser
au sauveur de la France.
Un ancien magistrat , qui paraît avoir conservé pure
la tradition des principes et du goût , promet au public
un Recueil de causes célèbres. Cette sorte d'ouvrage
a toujours eu un grand nombre de lecteurs. Chacun y
trouve ce qu'il cherche , ou de l'instruction , ou de la
variété , ou des détails piquants , ou des anecdotes curieuses
, ou des traits d'éloquence , ou des discussions
profondes . Peu de contestations judiciaires , il est vrai ,
rappellent parmi nous les plaidoyers de la Grèce et de
Rome ; peu de causes excitent l'intérêt et piquent la curiosité
au même point que ces heureux mémoires de
Beaumarchais contre le conseiller Goezman . Il faut
convenir encore que le temple de la justice , comme
tant d'autres témoins de nos grandeurs passées , se soutient
sur des ruines , et demande où sont ses d'Aguesseau
, ses Cochin , ses Gerbier, Ces hommes ont bientôt
disparu ; ils se remplacent difficilement. Mais il serait
injuste de dire que la révolution a détruit toute espérance.
Elle a ébranlé , bouleversé le monde politique ,
moral et littéraire ; mais de grands talents naissent
quelquefois de grands événements , et c'est , sans doute ,
aux Néron , aux Domitien que nous devons Tacite..
Quoiqu'il en puisse être , on doit accueillir comme
une entreprise utile et très à propos un recueil qui consacrera
les vrais principes du droit , les décisions de
notre jurisprudence actuelle , les accents que l'éloquence
retrouve encore dans l'ame et dans la bouche d'un petit
nombre d'orateurs, et enfin quelques traits de nos moeurs.
Peut-être sous ce dernier point de vue , les tribunaux
devraient-ils fixer , plus qu'on ne le voit ordinairement ,
l'attention du philosophe et de l'historien.
Un grand avantage , qui a manqué à Desessarts et aux
autres rédacteurs de Causes célèbres , résulte de notre
nouvel ordre judiciaire. Les jugements sont motivés .
naissance jusqu'à 60 ans. Nous avons parlé de cet établis
sement au numéro XII da Mercure,
474 MERCURE DE FRANCE ,
Les oracles de la justice ne sont plus de mystérieuses
sentences où sa volonté paraissait seule , et jamais la
raison de sa volonté ; ce sont des monuments précieux
où le jurisconsulte explique les décisions du juge.
Quelques feuilles seront en outre destinées à mettre
Je lecteur au courant de la discussion du code civil .
Nous ne dirons rien du style . Autant qu'on en peut
juger par un prospectus , il nous a paru clair , facile
et pur. Le néologisme ou l'affectation seraient surtout
déplacés dans un pareil ouvrage. A ce propos on ne
peut s'empêcher de remarquer ici que l'on entend tous
les jours.... quos ego vidi………. des avocats , même distingués
par leurs talents , se permettre , dans leurs
plaidoieries , de faire bien indiscrètement l'aumône à
Ja langue française , ou pour parler en vrai néologue ,
de sacramenter les termes les plus bizarres et les plus
-inutiles . Le bon goût du C. Lebrun bannira de son
recueil cette ridicule abondance de mots , ce qui n'est
rien moins que de la richesse.
A compter du 1.er vendemiaire prochain , il paraîtra
tous les mois , un volume de cette collection , composé
d'environ 150 pages ; le prix de l'abonnement est
de 15 fr. pour l'annee , et de 8 fr. pour six mois
franc de port. Il faut s'adresser au directeur de la
collection des Causes célèbres , rue Boucher , n.º 10 ,
près celle de la Monnaie , à Paris.
Le C. Lebrun donnera aussi , mais séparément , une
notice complète des jugements du tribunal de cassation.
Les deux ouvrages se rapprochent naturellement
par leur objet et leur utilité . Cette notice sera trèsconcise
, et paraîtra par cahier , dans les premiers
jours de chaque mois , à compter de brumaire prochain.
Le prix du volume de 400 pages d'impression ,
sera de 2 fr. 50 cent. , et de 1 fr. de plus pour le port,
La clôture des écoles centrales du département de la
Seine a été célébrée , le 29 du mois dernier , dans l'église
de l'Oratoire . Il parait que le souvenir des résultats
heureux . dús aux concours de l'université , a décidé
le préfet à établir un concours général entre les
trois écoles centrales en activité. Cette mesure avait
éprouvé un grand obstacle de la part de ceux qui s'obs-
*Expression de Mercier , dans l'introduction à sa néologie.
FRUCTIDOR AN IX. 475
tinent à voir dans le rétablissement de ce que les anciennes
institutions avaient de meilleur , un retour aux
abus de ces mêmes institutions . Il était encore très -difficile
de faire concourir des élèves qui n'avaient pas étudié
les mêmes choses . Cependant on est parvenu à
profiter de ce puissant ressort d'émulation pour les
classes de dessin , de langues anciennes , de bellesletties
, de mathématiques et de physique .
Le préfet a ouvert la séance par un discours plein de
mesure. Une citation de Mirabeau sur les auteurs an-
.ciens a excité le plus vif enthousiasme.
Le citoyen Chénier a pris ensuite la parole. Il a retracé
, selon l'usage , les progrès de l'esprit humain,
toujours retardés par les amis des anciens colléges , et
toujours favorisés par les partisans des méthodes nouvelles.
Du reste , on a reconnu dans ce discours le talent
accoutumé de l'orateur. On a justement applaudi
la manière dont il a loué les Pascal , les Bossuet , les
Fénélon et tous les écrivains illustres du siécle de Louis
XIV. Mais comment accorder ces éloges avec la satire
des institutions qui ont formé ces grands hommes ?
Le 1. fructidor , le C. Arnaud , membre de l'Institut
et chef de l'instruction publique , a fait distribuer
les prix aux élèves du college ci - devant Sainte-
Barbe , maintenant college des sciences et des arts . Cette
école s'est distinguée par le grand nombre de prix qu'elle
a obtenus au concours général de toutes les écoles de
Paris. Le premier prix de mathématiques a été décerné
au C. Dacros , jeune berger du département de la
Somme , qui , seul , sans autre maître que son incroyable
ardeur pour llee ttrraavvaaiill , étudiait et dévorait les livres.
SUITE de la Statistique du département du
Mont-Blanc.
COMMERCE.
LE commerce du Mont- Blanc , quant à la vente ou
échange de ses matières premières , consiste en fers
bruts et ouvrés , outils aratoires , fromages , bétail ,
cuirs verts , peaux tannées , chanvres , papiers . Les
Jaines de ses troupeaux sont travaillées , en partie , sur
les lieux , et forment les vêtements grossiers.
476 MERCURE DE FRANCE ,
Le commerce intérieur s'étend à tous les objets de
consommation habituelle , dans une proportion relative
au nombre des habitants et à celui des étrángers . En
général , l'homme riche peut se procurer , dans le
Mont -Blanc , tout ce qui ajoute aux aisances et aux
commodités de la vie.
Mais le Mont- Blanc , dépourvu d'industrie , est tributaire
du commerce de l'intérieur , pour les étoffes ,
toiles , chapeaux , sels , savons , épiceries , etc. Situé
entre des pays beaucoup plus fertiles qu'il n'est luimême
, il ne peut y exporter l'excédent de ses denrées.
Ce sont les transits du commerce qui ont toujours
procuré leur consommation sur les lieux . Ces transits
sont donc nécessaires à l'existence des habitants , et au
payement des charges publiques.
ROUTES.
Aussi une des principales ressources du département
consiste dans les routes qui le traversent. Celle de Paris
en Italie , par Lyon et le Mont- Cénis , nous procure
Je passage du commerce de Lyon , et de tout le nord
de la France pour l'Italie. Les expéditions des marchandises
de l'Allemagne , de la Suisse et de Genève
pour la même contrée , viennent rejoindre la même
route à Chambéry : ainsi la ci - devant Savoie était
naturellement associée au bénéfice de toutes les relations
commerciales entre l'Italie , la France , l'Allemagne
et la Suisse. En ouvrant la chaîne des Alpes sur
la frontière, pour favoriser ces communications , la nature
semblait avoir voulu compenser l'ingratitude de son sol .
Ces avantages vont beaucoup diminuer : l'ouverture
du Simplon , dont on s'occupe , détournera , sur le
Valais , une bonne partie des chargements de Suisse
et d'Allemagne pour l'Italie , au préjudice des départements
du Mont-Blanc et du Léman.
On annonce encore le projet d'une autre communication
à travers les Alpes , de Suze à Grenoble , par
les montagnes du Mont- Genèvre , du Lautaret et du
Mont- de-Lems. Cette nouvelle jette ici la consternation.
D'ailleurs un tel projet suppose des sommes et
des travaux immenses , qui laisseraient encore subsister
une foule d'inconvénients . On ne pourrait jamais rendre
cette route praticable dans toutes les saisons , à cause
des neiges , des avalanches et des torrents .
FRUCTIDOR AN IX. 477
Il n'en est pas de même de la route du Mont Cenis ;
elle n'offre qu'un seul col à traverser : elle a sa direction
dans une vallée peuplée jusqu'au pied de ce col.
On y trouve des abris très-rapprochés . Sur le mont
même existent l'auberge de la Poste et d'autres habitations.
A l'Hôpital et à la Grand- Croix , la hauteur
est égale à celle du Lautaret * ; mais la pente en commence
à Montmélian , à 100 kilomètres au dessous.
En l'an 2 , on y fit exécuter , par des sapeurs , quelques
rampes qui suffirent pour y faire monter des pièces de
12 , sans les démonter , et avec l'attelage ordinaire ..
On pratique ce passage dans tous les temps . La disposition
physique des montagnes qui dominent la
partie la plus élevée , appelée la Plaine du Mont-
Cénis , abrite le col du côté du levant , du nord et
du couchant . Il en résulte une réflexion de lumière
et de chaleur , dans ce bassin , qui tempère les effets naturels
de cette grande élévation.
Si la route qui arrive des deux côtés au pied de ce
col , n'a pas été achevée sous le gouvernement sarde ,
c'est qu'on ne voulait point ouvrir , du côté de la
France , une porte sur le Piémont et l'Italie . Mais '
ne doit-on pas aujourd'hui prendre le système opposé?
La route de Paris à Turin , par le Mont-Cénis , est
de la dernière importance , sous les rapports militaires .
Pendant toute la guerre , elle a été , en quelque sorte ,
une galerie de communication entre l'armée d'Italie ,
celles de l'intérieur et du Rhin . Sa communication
directe entre Turin , Lyon et Paris , et ses nombreux
embranchements , lui donnent naturellement cette destination.
Elle aboutit à celle de Besançon et Strasbourg,
par Genève ; à celle de Bellay et Mâcon , par le Bourget
et Yenne ; enfin , à celle de Valence et Marseille,
par
Barreaux et Grenoble.
La traverse d'Aix au lac du Bourget , la met encore
en communication , par eau , avec l'intérieur , par le
moyen de ce lac , du canal de Savoie , du Rhône et
de la Saône. Si cette route était donc perfectionnée ,,
une armée pourrait être transportée , en très - peu de
jours , sur les bords du Pô et du Tésin , suivie de tous
ses bagages et munitions .:
* 2,088 mètres au dessus du niveau de la mer.
478 MERCURE DE FRANCE ,
Ainsi la route du Mont - Cénis , sous les rapports politiques
et militaires , importe autant à la république qu'à ›
l'existence et à la prospérité du Mont - Blanc ; elle offre
plus de sureté , plus d'abri , et les mêmes distances , au
commerce de Lyon et du nord de la France. Les dépenses,
pour son perfectionnement et son entretien , n'ont aucune
proportion avec celles qu'exigerait la route de Suze à
Grenoble d'ailleurs le Piémont lui - même y trouverait
un avantage égal , et pourrait concourir à ces dépenses
, quant à la portion qui traverserait son territoire .
Ajoutons une observation à toutes celles qui pré-
' cèdent : c'est que Chambéry est susceptible de devenir
un lieu d'entrepôt très - important pour le commerce:
de France avec l'Italie et l'Allemagne, et réciproquement..
L'ingénieur en chef du département , a prouvé la possibilité
et la facilité même de la construction d'un canal
de jonction de l'Isère au Rhône par le lac du Bourget ;
le grand bassin de ce canal , qui n'aurait , tout au
plus , que six lieues de longueur , de deux mille toises
chacune , ou vingt- trois kilomètres environ , serait à
Chambéry. L'exécution de ce projet n'éprouverait quelque
difficulté que dans la partie qui se trouve située
au bas de la montagne d'Apremont. Les avantages sont
incalculables ; les soies du Piémont pourraient être transportées
plus commodément dans les manufactures dé
Lyon ; les riz de l'Italie , dans toute la république ; et
les subsistances pour la guerre et tous les équipages
militaires , qui s'approvisionnent ordinairement dans la
Côte-d'Or , arriveraient par le Rhône , la Saône et le
canal du Bourget , et sur l'Isère jusqu'au pied des Alpes.
La construction de ce canal ouvrirait enfin des communications
utiles à toute la France ; il favoriserait le
dessèchement des marais de Mians , de Chales ; il
rendrait , à l'agriculture , une quantité considérable de
terrain dévasté par les torrents d'Isère , l'Aisse et l'Albanne
, dans la plaine située entre Chambéry et le
Bourget.
Cette entreprise importante se trouve intimement liée
à ceile si nécessaire du diguement de l'Isère . Si le gouvernement
les seconde , elles auront lieu , toutes deux ,
sans trop charger le trésor public ; il ne s'agira que
d'encourager et protéger des compagnies qui ne deFRUCTIDOR
AN IX. 479
manderont ( et encore pour un temps limité ) que la
concession du terrain qu'elles rendront à l'agriculture,
BARRIÈRES , ENTRETIEN DES ROUTES.
L'établissement des barrières est généralement odieux ;
les meilleurs esprits persistent à le croire contraire à
l'intérêt du commerce , et incohérent avec le système
politique de la nation. Son remplacement par un autre
impôt , tel que sur le sel à l'extraction , est sollicité
et attendu comme un bienfait les amis du gouver
nement le hâtent par leurs voeux , puisqu'il doit
augmenter la confiance et la reconnaissance publiques.
Les barrières du département ne sont affermées que
19,395 fr . , et les frais de l'administration des pontset-
chaussées , le traitement de l'ingénieur en chef,
celui des ingénieurs ordinaires , etc. , excédent 22,000 fr .
La reprise des relations commerciales favorise singulièrement
les adjudications des barrières qui se trouvent
sur la route de Lyon en Italie , par les Echelles et le
Mont Cenis. Le produit du transit des convois militaires
et des courriers de la malle équivaut , sur plu
sieurs points , au montant des baux à ferme. Il est
bien pénible de voir tourner , au profit d'avides spéculateurs
, des sommes arrachées avec autant de peine
et d'activité. Sans doute , les impôts les plus vicieux ,
sont ceux qui ne dépouillent les citoyens que pour enrichir
quelques individus , et laisser vide le trésor public.
Eh ! quel impôt , plus que celui des barrières ,
est entaché de ce vice , puisqu'il n'est bon qu'à entretenir
une nuée d'employés , établis , à des distances de deux et
quatre lieues , sur toutes les grandes routes de France ?
Les routes du département n'ont jamais été dans un
état aussi complet de détérioration les 40 mille francs
alloués , pour leur entretien , pendant l'an 8 et les trois
premiers mois de l'an 9 , n'ont pas suffi pour les travaux
les plus urgents : l'état des réparations indispensables
, dans le moment actuel , s'élève à près de 200 mille
francs. Il est dû un arriéré très - considérable pour les
travaux exécutés pendant les années 5 , 6 et 7. On ne
peut faire exécuter , à crédit , même les plus petites
réparations.
:
L'appel aux habitants de la campagne , pour des tra480
MERCURE DE FRANCE ,
vaux volontaires en gravelage , non -seulement ne produit
rien , mais encore devient impolitique , puisqu'il
démontre l'insuffisance de l'impôt des barrières , et légitime
en quelque sorte les plaintes contre leur établissement.
Il importe que le gouvernement réforme cet
impôt , réprouvé par l'opinion générale , et onéreux
sous tous les rapports.
CHEMINS VICINA U X.
"
Les chemins vicinaux ont été totalement négligés ,
pendant la suppression des conseils généraux des com
munes ceux institués par la loi du 28 pluviose dernier,
portent spécialement leur attention sur cet objet. Mais
ils se trouvent arrêtés d'un côté , par le défaut de
fonds pour les travaux d'art ; de l'autre , par le défaut dé
moyens de contrainte , et encore par quelques lacunes ,
dans les dispositions des lois sur cette partie. La loi du
6 octobre 1791 , charge bien chaque commune de l'entretien
de ses chemins vicinaux ; mais cette obligation
se trouve restreinte aux réparations ordinaires par l'article
4
de la loi du rifrimaire'an 7 , qui exclut des dépenses
communales l'entretien des fossés , aqueducs et
ponts , dont l'usage n'est pas particulier à la commune .
Ces dépenses , exclues de la classe des dépenses communales
, ne sont comprises dans aucun autre article de
du 11 frimaire.
Il faut donc qu'une nouvelle loi intervienne sur cet
objet , ou qu'un arrêté des consuls autorise les préfets
et les sous - préfets à répartir les dépenses de cette nature
sur toutes les communes qui , pour se rendre au
chef - lieu du département ou de l'arrondissement ,
pour leurs besoins particuliers , pratiquent et usent les
chemins vicinaux .
P. S. La convention signée à Paris , entre le cardinal
Gonsalvi , monseigneur Spina et le père Caselli , et les
CC. Joseph Bonaparte , Cretet et Bernier , a été ratifiée
à Rome le 15 août , après plusieurs délibérations qui
ont eu lieu devant le pape assisté de tous les cardinaux.
Le cardinal de Caprara est nommé légat du pape:
Il arrivera à Paris dans le courant du mois .
(Journal officiel) .
DEPT
DE
LA
cent
SEINE
TABLE
REP.FA
Du premier trimestre de la seconde année du
MERCURE DE FRANCE.
VE
*
TOME CINQUIÈME.
2
LITTÉRATURE.
POÉSIE .
ER S adressés au comte de Livourne , par
Esménard ,
.11
pages 3
5
Vers pour mettre au bas du portrait du général
Brune , par le C. Liberal ,
Enigmes , logogryphes et charades , 5 , 86 , 166 , 245 ,
Epître à Jacques Delille , par Pierre Daru ,
(Extrait.)
*
325 , 409
Traduction de la fin des Géorgiques de Virgile ,
La Rose , fable , par Grenus ,
Odes d'Anacréon , traduites en français , par J
B. Gail , ( Extrait.) =
Description du parc de Kensington , tirée de la
nouvelle édition du poème des Jardins.
L'été, romance .
Fragment d'un poème inédit sur les sciences .
Début du chant des montagnes , par le C..
Chênedolle
1876
87
161
163
241
La patrie absente. Romance imitée d'Atala,
Six romances imitées d'áalà , par Vincent Daruty.
244
(Extrait. )
A I 266
Les Scandinaves , poeme , par J. Ch. Montbron.
(Extrait.) 270
Fin du troisième chant de la nouvelle édition du
poeme des Jardins , 321
La Rose et le Chardon . Fable. 323
5. 31
482 TABLE
Les Jardins , poème , par J. Delille . ( Extrait . )
Contes , fables , chansons et vers de L. P. Ségur
l'aîné. ( Extrait.)
Fragment du quatrième chant du poème des
Jardins.
me
Vers à M. de Ségur.
ROMAN S.
~
La Fille du hameau , par M.me Regina- Maria
Roche (Extrait. )
Palmira , par Armande R... (Extrait .)
Vie privée , politique et militaire des Romains .
(Extrait.)
SPECTACLES.
Les Prétendus.
Théâtre des Arts . Alceste.
326
-347
401
£ 409
27
31
435
37
287
444
38
Les Mystères d'Isis.
Théâtre- Français . Retour de M.lle Contat.
Zaïre. Retraite de Larive.
Cinna , et les Fausses Confidences.
Tancrède . - Alzire - Andromaquc.- Débuts
de M.lle Gros.
Opéra-Buffa , italien . Matrimonio segretto .
Les Ennemis généreux .
Théâtre de Louvois . Duhautcours , ou le Contrat
d'union.
VOYAGES.
Voyage en Grèce et en Turquie , par C. S. Sonnini.
(Extrait. )
A visible display of divine providence , ou journal
of a captured missionary . ( Extrait. )
Ambassade au Thibet et au Boutan , par Samuel
Turner. (Extrait.)
Fêtes et courtisanes de la Grèce. ( Extrait. )
HISTOIRE.
Histoire critique de l'établissement des Français
dans les Gaules, ouvrage inédit de M. le prési❤
dent Hénault. ( Extrait. )
121
202
285
39
447
363
16
95
171
185
23
Abrégé de l'Histoire d'Angleterre , par Goldsmith. 367
DES MATIERE S. 483
BIOGRAPHIE.
Mort du C. Mazéas.
Vie littéraire de Forbonais , par Desalles. ( Ext. )
Voyage à Montbard , ou Détails sur la personne
et les écrits de Buffon.
PHILOSOPHIE.
Observations sur le Système actuel d'instruction
publique , par le C. Destutt- Tracy. ( Extrait. )
Essai sur l'histoire de la puissance paternelle , par
André Nougarede. ( Extrait. )
Philosophie de KANT , par Ch. Villers.
Raison , folie , chacun son mot. (Extrait. )
J
CRITIQUE.
Lycée ou Cours de littérature , par Laharpe .
(troisième extrait . )
GRAMMAIRE.
Du Projet de continuer le Dictionnaire de l'Académiefrançaise
, par A. Morellet. (Extrait.)
JURISPRUDENCE.
Cours élémentaire de droit civil , par le C. Vas-
A selin.
Question sur le mariage des émigrés rayés provisoirement
.
73
181
340
192
278
421
428
247
116
42
Tribunaux spéciaux.
74
150
Code civil. 206 , 312
Ouvrage sur la législation française. 387
Jugement rendu sur un délit de contrefaçon .
idem
MÉDECIN E.
Inoculation de la vaccine. 73 , 208 , 213 , 306
Eloge des médecins .
(Euvres chirurgicales de Desault. ( Extrait. )
Nomination de deux médecins du gouvernement.
ÉTABLISSEMENTS D'HUMANITÉ.
Suite des mémoires sur les établissements d'humanité
.
197
199
233
Hospices,
147
232 , 234
484 TABLE
Institution des asiles.
Cours gratuits d'accouchements .
Maison de secours pour les malades .
312
384
471
Retraite assurée à l'infortune et à la vieillesse. 472
BEAUX - ARTS .
Colonne nationale .
Portrait du PREMIER CONSUL , par Isabey.
Concours ouvert pour la restauration du groupe
150 , 304
231
du Laocoon.
232
Monuments en l'honneur des frères Montgolfier,
et du cardinal Colombier. 233
Exposition des productions des artistes vivants ,
au salon du Musée. 306
DÉCOUVERTES MODERNES.
Photophore , espèce de lampe . 74
238
384
Galvanisme. Méthode de blanchiment. Volcans.
Peinture au lait.
VARIÉTÉS.
Sur l'abbé de Voisenon . ( Extrait de la correspondance
de Laharpe. )
Après-Dîner de Mousseaux.
De l'Angleterre et des Anglais .
Journal général de littérature , des sciences et des
arts , par le C. Fontenay.
103
333
33
74
147
Choix des meilleurs morceaux de la littérature
russe. ( Extrait. ) 166
Lettre aux Rédacteurs , sur l'ouvrage intitulé :
Fêtes et Courtisanes de la Grèce, 285
Lettres de M.me de Sévigné. Nouvelle édition .
(Extrait. )
411
A l'auteur de l'article sur le Poème des Jardins ,
inséré dans le précédent numéro.
Annonces.
441
40 , 125 , 200 , 288,367 , 448
DES MATIERE S.- 485
POLITIQUÉ.
EXTÉRIEUR .
Empire ottoman. 289 , 369 , 449
Egypte.
Etats - Unis d'Amérique .
145 , 304 , 467
382 , 469
Guadeloupe . 467
Angleterre . 141 , 145 , 150 , 383 , 457
Russie.
457 , 469
Suède. 469 , 470
137 , 150 , 383 Danemarck .
Allemagne.
Pologne .
Prusse.
République cisalpine .
Toscane .
Cour de Rome.
Espagne .
Portugal.
Coup d'oeil sur la situation de l'Europe.
INTÉRIEUR.
209 , 376 , 468
49 , 217
Suite du résumé sur la dernière session du Corps
législatif.
Lettre sur le sauvage de l'Aveyron .
129
74
305 , 283 , 468
383 , 480
145
idem
61 , 141
66 , 306
71
72
150 , 305
74 , 233 , 305 , 470
146 , 236
146 , 232 , 305 , 469
147 , 385
227
Fêtes données au comte de Livourne .
Son départ de Paris . Son arrivée à Parme,
Nominations .
Institut national .
Agents diplomatiques.
Ecole polytechnique ,
Fête du 14 juillet.
Nouvelles mesures.
Lettre aux Rédacteurs sur le commerce de France . 234
Armées navales . Combat d'Algésiras .
Prise du Swifsture , vaisseau anglais , par le général
Gantheaume.
Voyage du capitaine Baudin .
233
239 , 303
303
306
313 , 470
Défense d'importer des marchandises anglaises en
France.
*486 TABLE DES MATIERES.
i
Translation de la Bibliothéque nationale .
Recueil de causes célebres .
470
473
Cloture des écoles centrales .
474
Variétés .
145 , 146 , 304 , 384 , 469
STATISTIQUE DE LA FRANCE.
Département des Hautes -Alpes.
Département de la Haute- Saône .
Departement du Mont- Blanc .
75 , 151
314
471 , 475
ANNONCE S..
"
Nota. Le défaut d'espace nous a empêché d'annoncer
beaucoup d'ouvrages qui nous ont été envoyés. Plusieurs
méritent cependant d'être distingués , soit par
le talent des auteurs , soit par l'importance des matières
. Nous en donnerons successivement des extraits
dans les numéros prochains .
LETTRES de Cicéron qu'on nomme vulgairement
Familières , traduites en français par l'abbé Prévost.
Nouvelle édition , revue et augmentée de Remarques
historiques , de Notes courantes et de plusieurs Tables ;
par Goujon ( de la Somme) ; cinq volumes in - 8.º d'environ
3030 pages . Prix du latin - français 21 fr.
et 30 fr. franc de port ; papierordinaire , 25 fr . ; et 34 fr.
papier fin.
-
La traduction , sans le latin , (disposée pour faire
suite , si l'on veut , aux Euvres Choisies de l'abbé
Prévost, en 39 volumes ) même format , caractère neuf ,
et toute en papier fin , 15 fr . pour Paris ; 20 fr . franc de
port pour les départements. Paris , chez Goujon fils
imprimeur- libraire , rue Taranne , n. ° 737 .
Le C Goujon ( de la Somme ) s'occupe de la suite des
Lettres de Cicéron traduites .... Le tout formera II à 12
volumes.
DE LA VÉRITÉ . Ce que nousfumes , ce que nous sommes
,
ce que nous devons être. Par André - Ernest - Modeste Grétry , membre
de l'Institut
National
des Sciences et des Arts , de l'Académie
des' Philharmoniques
de
Bologne
, de l'Académie
- Royale de musique
de Stock-
F
ANNONCES. 497
holm , et de la société d'Emulation de Liége ; 3 vol .
in-8.; à Paris , chez l'auteur , boulevart des Italiens
, n . 340 ; chez Pougens , quai Voltaire , n.º 10.
An 9-1801 ; et chez les principaux libraires .
PRÉCIS de l'Histoire Universelle ; par Edme Mentelle ;
I vol. in- 12 , broché ; Paris 1801. Prix , 2 francs 50
centimes , chez Levrault , frères , libraires , quai Malaquais,
au coin de la rue des Petits - Augustins, à Paris .
SATIRES d'Horace , traduites en vers
·
par Pierre
Daru ; à Paris , chez Parisot
, rue du Vieux - Colombier
, n.º 389 , en face des Orphelines
; et au dépôt
de
librairie
, rue de la Feuillade
, n.º 1. An 9-1801
.
TABLE
Analytique
et Raisonnée
des Matières
contenues
dansles
soixante
- dix volumes
des OEuvres
de Voltaire
,
édition
in -8.º dite de Beaumarchais
, au moyen
de
laquelle
cette collection
devient
une espèce
de Dictionnaire
Encyclopédique
, indiquant
, dans le plus
grand
détail , 1.° tout ce que Foltaire
a écrit sur l'Histoire
, la Philosophie
, les Opinions
religieuses
et
politiques
des peuples
, la Morale
, les Belles - Lettres
et les Arts , etc.; 2. ° l'Analyse
de ses Foèmes
et
Romans
, avec celle de ses différents
Commentaires
;
3. Ses vers à Sentence
, passés
en proverbe
,
pouvant
servir d'épigraphes
, ainsi que les Notices
historiques
et les Anecdotes
relatives
aux ouvrages
Ou aux personnes
qui ont fixé l'attention
de cet
homme
célèbre
, etc.; par le C. Chantreau
traduc- teur des Tables
chronologiques
de John Blair , et
professeur
d'Histoire
près l'Ecole
centrale
du département
du Gers. 2 volumes
in - 8.º ; à Paris , chez
Déterville
, rue du Battoir
, n.º 16. An 9.
-
1
ou
Cette Table est très -bien faite , et peut servir de
modèle à tous ceux qui s'occuperont d'un semblable
travail. Elle est digne du succès qu'elle a obtenu.
HISTOIRE de Gil -Blas de Santillane ; par M. Lesage.
Nouvelle édition avec douze gravures , d'après
Marillier.
Ce Roman n'a plus besoin d'éloges. L'édition que
nous annonçons nous a paru soignée et correcte .
DICTIONNAIRE de l'Industrie , ou Collection raisonnée
des procédés utiles dans les sciences et dans les arts ;
‹ contenant nombre de secrets curieux et intéressants
488
ANNONCES
.
1
pour l'économie et les besoins de la vie ; l'indication
de différentes expériences à faire ; la description de
plusieurs jeux très - singuliers et très amusants ; les notices
des découvertes et inventions nouvelles ; les détails
nécessaires pour se mettre à l'abri des fraudes et
falsifications dans plusieurs objets de commerce et de
fabrique ouvrage également propre aux artistes ,
aux négocians et aux gens du monde. Par le citoyen
Duchesne troisième édition , entièrement refondue ,
et considérablement augmentée , avec cette épigraphe:
Mulla quæfrustrà petimus , beatis
Ipsa se pandent animis nepotum :
Multa quæ nobis patuére , patrum
Nesciit ætas.
Six gros volumes in-8. ° , de 560 pages , à deux colonnes
, caracteres petit romain , non interligné.
Prix .
24 fr.
Cette
troisième
édition
n'a des précédentes
que
le
titre
; entièrement
refondue
, et augmentée
de plus
de moitié
, c'est
, à proprement
parler
, un ouvrage
neuf
. Son titre
indique
assez
son utilité
nous
nous
contenterons
de donner
ici un extrait
sommaire
des
matières
dont
il traite
. La physique
, la mécanique
,
la médecine
, la médecine
vétérinaire
, l'anatomie
, la
chimie
, l'art
de la verrerie
, l'alchimie
, les mathématiques
, Parithmétique
, l'optique
, la dioptrique
, la
ca optrique
, l'astrologie
, la météorologie
, l'histoire
naturelle
, la Botanique
, la minéralogie
, la pyrotechnie
,
l'agriculture
, le jardinage
, l'architecture
, la sculpture
,
la peinture
, la gravure
, la pêche
, la chasse
, etc. , etc ,
Il n'est
pas jusqu'à
l'art
de la toilette
, qui n'ait
trouvé
sa place
dans
cet ouvrage
intéressant
.
" A Paris , chez Poignée , imprimeur rue de Sorbonne,
n. 389.
libraire Calixte Volland , quai des Augustins ,
n°. 25.
SUPPLÉMENT aux Vies des Hommes illustres de Plutarque.
Nouvelle édition , corrigée et ornée de portraits
, gravés sur des dessins faits d'après l'antique
, tome quatrième. A Paris , chez Desessarts ,
ANNONCES. 489
¿
---
libraire et éditeur , rue du Théâtre- Français , n . ° 9 ,
au coin de la place . An IX . Les trois premiers
volumes contiennent les Vies des Hommes illustres ,
que Plutarque lui-même nous a laissées. Dans ce supplément
on trouve celles d'Annibal , d'Aristipe
d'Enée , de Tarquin l'ancien , de Junius - Brutus , de
Tullas Hostilius , d'Aristomane , de Gélon , de Cyrus
de Jason.
>
L'HOMME singulier ou Emile dans le monde , par Aug.
Lafontaine , imité de l'allemand , sur la dernière édition
, par J. B. J. Breton et J. D. Frieswinkel ; 2 vol .
in- 12 , ornés de figures , dessinées par Monsiau ; prix 3
fr . et 4 fr . franc de port. Paris , G. Dufour , libraire ,
rue de Tournon , n. 1126 ; et à Amsterdam , chez le
même.
OKYGRAPHIE , ou l'Art de fixer , par écrit , tous les sons
de la parole avec autant de facilité , de promptitude
et de clarté que la bouche les exprime . Nouvelle
méthode adaptée à la langue française , et applicable
à tous les idiomes ; présentant des moyens aussi
vastes que sûrs , d'entretenir une correspondance
secrète dont les signes seront absolument indéchiffrables
; par H. Blanc.
Legitimum- que sonum digitis callemus et aure.
1 vol . in- 8.º orné de 15 planches , avec un frontispice
gravé. Prix , 6 fr. A Paris , chez Bidault , lib . ,
rue et hôtel Serpente , n.º 14.
Cette découverte , accueillie l'année dernière avec
intérêt , a été perfectionnée depuis parson auteur. Aussi
il ne craint pas d'assurer qu'elle est préférable à toutes
les méthodes qui ont précédé ; dont la mémoire suffit
à peine à retracer tous les noms , tirés du grec , comme
il est juste , sténographie , tachygraphie , pasygraphie ,
polygraphie. Cependant l'auteur se plaît à rendre un
hommage particulier à l'ingénieuse invention de la
typographie , due au C. Pront , et qui mérite d'être
* Eléments d'une typographie qui réduit au tiers celle en
usage , et d'une écriture qui gagne près de trois quarts sur
l'écriture française , l'une et l'autre fort agréables à la vue
applicables à toutes les langues , conservant les principes
grammaticaux de celles qui s'impriment en caractère romain.
A Paris , chez l'auteur , tue d'Enfer , au coin de la rue Saint-
Dominique.
490
ANNONCES.
connue , lors même que l'Okygraphie paraît. Le second
avantage de cette dernière écriture paraît la distinguer
éminemment de toutes les autres. L'amitié , la politique
mais surtout l'amour sont donc tributaires de l'Okygraphie.
Au reste , une seule leçon suffit pour connaître
parfaitement la théorie de cette écriture mystérieuse.
Cette leçon coûte 12 fr. On souscrit , chez l'auteur ,
cour du Commerce , faubourg Saint-Germain , n.º 24.
DE la Peinture , considérée dans ses effets sur les
hommes en général , et son´influence sur les moeurs
et le gouvernement des peuples ; par George- Marie
Raymond , professeur d'histoire et de mathématiques
à l'école centrale du département du Mont-Blanc ;
avec cette épigraphe , tirée d'Ovide :
Disce bonas artes , moneo , romana juventus.
Paris , chez Charles Pougens , quai Voltaire , n.º 10.
Vol. in - 8 .° de 248 pages , carré fin d'Angoulême.
Prix , 3 fr . 60 cent. et franc de port , 4 fr . 50 cent.
LA Journée solitaire de l'homme sensible , ou Considération
sur l'existence et les attributs du créateur
par A. de Gomer , avec cette épigraphe :
Le jour , dans sa course brillante ,
M'entraîne vers le créateur.
La nuit, dans sa marche imposante ,
M'élève jusqu'à mon auteur .
A Paris , de l'imprimerie de Forget , 1800.- Prix , 1 fr.
50 cent. , et 2 fr. pour les départements . Se trouve
à Paris , chez Deray , libraire , rue Hautefeuille .
HISTOIRE naturelle d'une partie d'oiseaux nouveaux et
rares de l'Amérique et des Indes , par F. Levaillant ;
ouvrage destiné par l'auteur à faire partie de son ornithologie
d'Afrique ; 2. livraison , grand in- folio et
grand in-4.° sur papier Nom- de - Jésus vélin , ornée
de figures imprimées en couleur , par Langlois , et du
texte descriptif de l'imprimerie de Didot jeune. On
souscrit à Paris , chez J. C. G. Dufour , libraire , rue
de Tournon , n. ° 1126 ; et à Amsterdam , chez le
même.
MÉLANGES physico- mathématiques , ou Recueil de
Mémoires contenant la description de plusieurs maANNONCES.
'. 491
3
chines et instruments nouveaux de physique , d'économie
domestique , etc. Par J. B. Bérard , juge au
tribunal de Briançon , du jury d'instruction publique
des Hautes- Alpes , des Sociétés d'Agriculture de
Paris , Grenoble , Carpentras et Gap , avec cette épigraphe
: Les sciences éclairent les arts , et les arts
utilisent les sciences ; publiés par ordre du ministre
de l'intérieur. A Paris , de l'imprimerie des Sourds-
Muets, rue et faubourg Saint - Jacques , n.º115 , sous la
direction d'Adrien Leclerc , quai des Augustins ,
n.º 39. messidor , an 9 .
NOUVEAU Barême , ou Tables de réduction des monnaies
et mesures anciennes , en monnaies et mesures
républicaines analogues ; ouvrage utile aux notaires ,
propriétaires , hommes de loi , huissiers , arpenteurs
et marchands de toutes classes ; par A. J. B. Def…….
sixième édition , revue , corrigée et augmentée , dans
laquelle on trouve les nouvelles dénominations , dont
l'arrêté des consuls , du 13 brumaire an 9 , permet
l'usage , leur rapport avec les anciennes
et des
instructions sur la manière de les employer. Prix , 75
centimes pour Paris ; 1 fr. pour les départements. A
Paris , chez Favre , libraire , palais du tribunat , galerie
de bois n . ° 220 aux Neuf Muses . Thermidor
an 9.
" "
EDUCATION Pratique , traduction libre de l'anglais ,
de Maria-Edgeworth , par Charles Pictet , de Genève
* ; nouvelle édition revue , corrigée et augmentée
; 2 vol. in - 8 . ° . Prix , broché , 6 fr. et 8 fr. 50
centimes , franc de port . A Paris , an 9 ( 1801 ) , chez
Magimel, libraire , quai des Augustins , n.° 73 ; et
à Genève , chez J. J. Paschoud , libraire ..
2
La première édition de cet ouvrage devait être promptement
épuisée . Le succès qu'il eut en Angleterre , le
nom de ses auteurs , qui ont consacré vingt années
et des talents supérieurs à l'éducation de dix- sept enfants
; le mérite lui donnait en France la réputation
du traducteur , et surtout la disette des moyens
que
Le C. Pictet est rédacteur de la Bibliothéque britannique,
pour la partie littéraire et la partie politique..
492 ANNONCES.
d'éducation , l'ont fait accueillir avec avidité , et ont
bientôt rendu nécessaire une seconde édition .
Le mérite réel de cet ouvrage a frappé les hommes
qui réfléchissent ; en même temps que la variété , la
touche originale et des détails piquants ont fixé l'attention
de ceux qui lisent avec légèreté. Diriger l'association
des idées chez les enfants ; rendre les fautes
impossibles ou peu séduisantes , le bien facile et attrayant
; donner l'habitude plutôt que la règle ; prévenir
le mal plutôt que le punir ; préserver l'avenir
plutôt que faire expier le passé ; ces principes , et quelques
autres aussi féconds , sont heureusement développés
dans cet ouvrage . Ils s'y rattachent à ces grandes notions
métaphysiques , que les idées ne nous viennent que par
les sens , et que les êtres animés ne cherchent d'abord
que le bonheur. L'auteur anglais prétend trouver là tous
les moyens de former des êtres moraux et éclairés ; mais
tout lecteur qui est un peu moins que matérialiste ,
éprouve tristement , à la lecture de ce traité d'éducation
, le besoin et la disette totale des sentiments religieux.
Chez les Fénélon , chez les Rollin , le Dieu de l'Univers
est aussi le Dieu de l'enfance ; et Dieu en est
plus grand , et l'enfance plus aimable. Le traducteur a
senti ce défaut essentiel , et renversé les frivoles prétextes
dont miss Edgeworth se sert pour justifier son
silence. On trouvera ce point débattu dans deux lettres
de M. Edgeworth et de Charles Pictet , ajoutées à cette
édition .
ATALA , ogli Amori di due selvaggi nel deserto ; transportata
in lingua italiana da Blanvillain , traduttore
die Paolo e Virginia , vol . in - 8.º ; prix , 1 fr. 50 cent . et
I fr. 80 cent. fr. de port . Paris , de l'imprimerie de
Huguin , rue du Foin , n . 31 ; chez Delalain , libraire
, rue Hautefeuille , n.° 14.
SUPPLEMENT au Dictionnaire Géographique des Postes,
de Guyot , contenant le nom de toutes les villes ,
communes et principaux endroits des départements
des Alpes Maritimes , Dyle , Escaut , Forets , Jemmapes
, Leman , Lys, Meuse- Inférieure , Mont-
Blanc , Mont-Tonnerre , Deux - Nethes , Ourte , Bas-
Rhin , Haut-Rhin , Rhin- et - Moselle , Roer , Sambreet-
Meuse , Sarre et Vaucluse , ( départements - réunis
ANNONCE S.
493
en totalité ou en partie à la république française ) , avec
l'indication du département dans lequel ces endroits
sont situés , et leur distance en kilomètres du bureau
de poste par lequel les lettres doivent êtres
adressées; auxquels on a joint les départements de la
Seine , et Seine - et - Oise , attendu les changements
survenus dans le service des postes aux letties dans
ces deux départements ; présenté aux citoyens commissaire
central de gouvernement près les postes
et administrateurs généraux des postes , qui en ont autorisé
la publication . Un volume in - 8. de 260 pages
à deux colonnes , caractère petit -romain ; prix , 3 fr.
50 cent.; à Paris , chez Lecousturier l'aîné , rue J. J.
Rousseau ‚n.º 9 , en face de la poste aux lettres , au
Pélerin Blanc et Chaudouët , rue et Butte - des;
Moulins , n. 509.
"
2
LE Voyage à Montbar , annoncé chez le C. Terrelonge ,
imprimeur. Se vend chez le C. Salvet , éditeur et libraire
, rue du Coq - St. - Honoré.
"
*
LES Arbitrages simplifiés , ou Recueil des Arbitrages
de changes de la France avec les principales places
de l'Europe ; contenant un répertoire de vingt - huit
tableaux d'arbitrages , avec leurs règles conjointes ;
les règles réduites à trois nombres par nombres fixes ,
présentent des arbitrages tout faits , tant par les règles
ordinaires de l'arithmétique que par les logarithmes ,
et la nomenclature des monnaies de change de la
place principale de chaque tableau ; une table de
logarithmes , appropriée aux nombres fractionnaires
de tous les changes connus , pouvant servir sur les
différentes places de l'Europe ; des explications propres
à calculer les arbitrages avec beaucoup de promp →
titude ; différentes notes très - utiles dans ces opérations
, et une instruction à la portée de tout le monde ,
sur la propriété et l'usage des logarithmes ; par P.
Piet , teneur de livres ; in - 8 , ° grand - raisin , beau papier
; prix , 3 fr. pour Paris , et 3 fr. 50 cent. pour les
départements , fr. de port. A Paris , chez l'auteur ,
demeurant maintenant rue Montmartre , n.º 140 , au
coin du boulevart , ou à son bureau , rue Bergère ,
n.º 1004. Ant, Bailleul, imprimeur-libraire , rue Grange.
"
#94
ANNONCE S..
Batelière, n.º 3 , au bureau du journal de Commerce ;
P. N. F. Didot jeune , rue de Hurepoix , n.º 22.
"
Cet ouvrage paraît à une époque où la paix fait naître
de grandes espérances pour le commerce et sous la
protection spéciale des maisons de banque des CC.Geyler,
Jordan et compagnie , et des CC. Delessert et compagnie.
Une quantité de souscripteurs avaient déja donné ,
avant que ce travail eût vu le jour , l'idée la plus avantageuse
des talents de l'auteur.
Il a justifié les espérances du public. Traité par
principes , et avec beaucoup de méthode son livre
doit faire disparaître l'esprit d'apathie qui laisse une
grande distance entre le commerce de France et celui
des places étrangères , par rapport à la connaissance
des changes . Il est aussi précieux pour les personnes instruites
, auxquelles il évitera la peine de poser sans cesse
la règle conjointe , qu'utile à celles qui ont besoin de
se former dans la partie cambiste. Ainsi , le banquier ,
le négociant , l'agent de change , et l'employé , de
quelque classe qu'ils soient , s'en serviront ou l'étudieront
avec beaucoup d'intérêt. Le succès ne peut être douteux
.
"
Mais il ne sera pas utile seulement aux personnes qui
veulent calculer les changes. La partie des logarithmes.
c'est-à-dire , la science qui réduit la multiplication ,
quelque compliquée qu'elle soit , à une simple addition ,
et la division à une soustraction , que beaucoup n'osent
aborder , y est traitée avec clarté et précision , et peut
mettre tous ceux qui ne les connaissent pas , à portée
d'en faire usage sans avoir besoin de beaucoup d'étude ,
ni même d'une grande perspicacité.
L'auteur y donne aussi une méthode commode et facile
à retenir pour réduire sur le champ les livres en
francs , et les francs en livres.
DES SEPULTURES , par A. Gauthier- Lachapelle. A Paris ,
à l'ancienne librairie de Dupont , rue de la Loi ,
n.º 1132. An . 9. - 1801 .
-
CORRESPONDANCE de deux généraux sur divers sujets ,
ANNONCES.. 495
"
y
ว
publiée par le citoyen ***. A Paris , chez Magimel ,
libraire pour l'art militaire , quai des Augustins , n.º
73. An 9. Prix 2 fr. et 2 fr. 50 cent. franc de
port.
L'ART de Compter ou ELÉMENTS d'Arithmétique , rédigés
, selon les principes du Système décimal . Ouvrage
destiné à l'usage des enfants , des habitants
campagnes , des commerçants , etc .; dans lequel
on a tâché de mettre à la portée des commençants , les
bases du calcul décimal , le rapport qui se trouve entre
ce système et l'arithmétique ancienne , les règles
de Trois , de Société , d'Alliage , d'Escompte , de
Change , d'Intérêts , d'Annuités, etc.; I volume in - 8 .
prix , fr. 50 cent . ; et franç de port , 1 fr. 80 cent .
A Paris , chez Lenoir , libraire , rue de Savoie , n. 4.
TRAITÉ des Télégraphes , et Essai d'un nouvel établissement
de ce genre , avec table télégraphique des
chiffres et quatre planches pour les divers signaux ; par
M. Edelcrantz , secrétaire privé du roi de Suède , traduit
du suédois . Prix , 2 francs 50 cent. , et 3 francs
franc de port pour les départements. A Paris 1801
chez Patris , imprimeur ; Gilbert , libraire , n . ° 2 , quai
Malaquais , près la rue de Seine .
L
i
"
ALMANACH historique , nommé le Messager Boîteux
de Berne, calculé selon le style nouveau, pour l'an
de grace 1802 , contenant les propriétés et la température
des quatre saisons et des douze mois ; l'accroissement
et le déclin de la lune avec les autres observations
astrologiques , et une annotation des foires de
France, d'Allemagne , de Suisse et d'autres provinces
circonvoisines , avec une description des événements
les plus mémorables arrivés en Europe , Asie , Afrique
et Amérique. Par Antoine Souci , astrologue , 75 cent .;
chez Desenne , palais du tribunat.
SUITE du meilleur mode de contribution , par Jh.
Etienne Michel. A Paris , de l'imprimerie de Hy , rue
des Boucheries -Saint -Honoré , n.º 926. An 9. ( Nous
avons annoncé le premier ouvrage du citoyen Michel
dans le n.º XIV . )
LETTRES sur la Religion , par Fénélon , archevêque de
Cambray ; nouvelle édition ; I vol. in- 12 ; prix , 1 fr.
25 cent.; et franc de port , I franc 75 centimes . A
Paris , chez Lenoir , libraire , rue de Savoie , n.º 4.
ørfagley@ *
496 ANNONCES
..
THERMOLAMPES , ou Poêles qui chauffent en éclairant
avec économie , et offrent avec plusieurs produits
précieux une force motrice applicable à toute
espèce de machine , inventés par Philippe Lebon ,
génieur des ponts- et-chaussées .
in-
Le C. Lebon a parfaitement senti qu'il valait encore
mieux montrer qu'écrire les nombreux avantages de ces
nouveaux poêles , dont un seul , dans une maison , peut
dispenser de toutes cheminées , applicables d'ailleurs aux
fêtes publiques, aux illuminations , etc etc. Unesouscription
sera ouverte pour l'acquisition des Thermolampes ..
Mais il veut qu'auparavant le public lui -même ait prononcé
sur sa découverte , pour laquelle il a déja obtenu
un brevet d'invention. Plusieurs expériences auront lieu
jusqu'au premier brumaire prochain chez l'auteur
nême , rue Saint - Dominique , n. 1517 , faubourg Saint-
Germain. Le prix du billet , pour y assister , est de 3
francs. Ces billets se distribuent chez l'auteur ; chez
Pougens , quai Voltaire , n.º 10 ; Henrichs , rue de la
Loi , etc.
TABLEAU historique , topographique et moral des
peuples des quatre parties du monde , comprenant les
fois , les coutumes et les usages des peuples ; par
A. M. Sané, deux vol . in- 8.° de 1000 pages , imprimés
sur carré de Limoges , et caractère de cicero. Prix
9 francs , et 12 fr. par la poste , frane de port . A Paris,
chez Buisson , imprimeur - libraire , rue Hautefeuille
n. ° 20 .
ERRAT A.
"
N. XVIII - Page 266 , ligne 30 , après aujourd'hui,
mettez une/ virgule ; p . 277 , lig. 26 , le simple hubit
qui le , lisez , le simple habit qui la , p. 288 , voyage
en Espagne , aux armees , lisez , voyage en Espagne , aux
années ; p. 305 , lig. 34 , reconnu personnellement ,
lisez , reconnu solennellement ; idem , lig. 35 , après
complimenté , ajoutez , par les dépatés toscans , ligunens
et cisalpins.
N. XXIX.- Page 368 , ligne 13 , par leurs imitateurs
mêmes , liseż , par leurs imitations mémes ; idem ,
lig. 16 , voudratent , lisez , voudrait ; idem , lig. 22 ,
acceptation de leurs modes , lisez , acception de leurs
modes.
DE
FRANCE ,
LITTÉRAIRE ET POLITIQUE .
TOME CINQUIEME.
VIRESACQUIRIT
EUNDO
A PARIS ,
DE L'IMPRIMERIE DE DIDOT JEUNE.
AN I X.
Bayerische
Simatebibli thak
München
G
}
( N. XXV . ) 1er Messidor An 9.
MERCURE
DE FRANCE.
*
LITTERATURE.
AU COMTE DE LIVOURNE . *
120
LORSQUE chez le peuple de Mars ,
Les Rois , alliés de sa gloire ,
Venaient au palais des Césars
Admirer la pompe des Arts
Et l'audace de la Victoire ;
On dit , qu'à leurs hôtes tremblants ,
Ces fameux vainqueurs de la terre
N'offraient que des plaisirs sanglants ,
Tristes images de la guerre.
De farouches gladiateurs ,
Au sein d'une paix inhumaine ,
Les amusaient de leurs fureurs ,
Et même , en tombant sur l'arène ,
Devaient montrer au spectateur
L'orgueil d'une fermeté vaine ,
Et la grace dans la douleur.
* Ces vers étaient cachés dans une couronne de fleurs ,
présentée au comte de Livourne , pendant la fête que lui
donna le Ministre de l'intérieur , le 23 prairial. ( Voyez l'article
Paris. )
5
4
MERCURE DE FRANCE ,
Loin de nous ces fêtes coupables ,
Les Français sont plus généreux ;
Et quand la Paix règne sur eux ,
C'est au milieu des Arts aimables .
A ces spectacles menaçants ,
Qui charmaient l'antique Italie ,
Nous préférons les jeux charmants
De Terpsychore et de Thalie ;
Nous adorons tous les talents .
Par eux , par leurs attraits touchants' ,
La gloire même est embellie .
Vous les voyez autour de vous
Multiplier leurs doux prodiges ;
Pour vous arrêter parmi nous ,
Nous n'avons pas d'autres prestiges ;
Mais tous les Arts suivront vos pas.
Charmés de vous avoir pour maître ,
Ramenez - les dans ces climats ,
Où l'Àrno les a yu renaître ,
Où les Médicis adorés ,
Des Muses relevaient les temples.
Des biens que vous y trouverez ,
Les plas feconds sont leurs exemples.
Un jour vous les égalerez.
Eh ! vous en faut-il d'autre gage
Que ces augures fortunés ?
Ce beau jour vous offre l'image
De ceux qui vous sont destinés.
Partout où le bon goût respire ,
Où les Arts parent la grandeur ,
Où les lois dictent le bonheur ,
On se croira sous votre empire .
La France , fière des vertus
Que vous portez à l'Etrurie ,
Veut qu'à ces peuples éperdus ,
Vous rendiez cette paix chérie ,
MESSIDOR AN IX . 5
Dont les charmes étaient perdus .
Elle vous charge de ses dettes
Et du sort qui leur fut promis.
Le bonheur des peuples soumis
Immortalise les conquêtes.
Soyez le prix de nos succès ;
Mais faites-en chérir l'histoire ,
Et que les Toseans satisfaits
Puissent unir dans leur mémoire
Nos triomphes et vos bienfaits ;
Ils aiment les arts et la gloire ,
Ils seront amis des Français .
ESMENAR D.
VERS pour mettre au bas du portrait du
général BRUNE.
A ses rares vertus l'Italien rend hommage ;
Les Français sur ses pas sont toujours triomphants ;
Le Batave sensible honore son courage ;
Et l'Europe étonnée admire ses talents .
Par le C. LIBERAL , sous- lieutenant des grenadiers
de la 80.me demi-brigade.
ENIGM E.
J'AI le bras vigoureux , la jambe fort agile ,
Mon embonpoint ne me nuit pas ;
Je ralentis , ou je presse le pas ,
Et n'en fais jamais d'inutile.
Si vous doutiez de ma sincérité ,
En m'entendant moi- même exalter ma puissance ,
Interrogez ceux de ma connaissance ;
Ils sont assez nombreux , soit dit sans vanité ;
Et , quoiqu'en répondant ils gardent le silence ,
6 MERCURE DE FRANCE ,
Ce muet témoignage est plein de vérité ;
Il convaincrait le plus sceptiqué.
Mais c'est assez sur mon physique ,
Parlons de ma moralité ;
En voici le portrait fidelle .
Mon coeur est dur comme un rocher ;
J'arrive sans que l'on m'appelle ;
On me trouve sans me chercher.
Par un abonné.
LOGO GRIPH E.
Qu'on me laisse un instant ma tête et mes six pieds ,
J'accroche ce qui reste , en retranchant ma tête ;
Ce reste s'endurcit , si l'on coupe un des pieds
Et court dans la musique en reprenant ma tête .
Sans elle un saint paraît en élaguant deux pieds.
Qu'on m'ôte encor un pied ; si l'on me rend la tête ,
Je sers aux bateliers . Sans reprendre mes pieds ,
J'épouvante sur mer dès que je perds la tête .
Que dirai -je de plus ? Mon tout n'a que sept pieds ,
Encore suis -je obligé d'y comprendre ma tête.
Par une abonnée.
"
Mots de l'Enigme et du Logogriphe insérés
dans le dernier Numéro .
Le mot du logogriphe est félicité , où l'on trouve :
été , if, cité ,fi , fil , ici , tic , ciel , lit.
Le mot de l'énigme , est énigme.
#
MESSIDOR AN IX. 7
J
EPITRE à Jacques DELILLE ; par Pierre
DARU. Paris , chez Charles Pougens , quai
Voltaire , n.º 10.
Si l'auteur de cette épître avait ambitionné cette
vogue éphémère que donnent presque toujours les.
ouvrages de parti ; s'il n'avait pas eu la modestie ,
ou si l'on veut , le noble orgueil de préférer un
succès d'estime ; il aurait pu produire beaucoup
plus d'effet avec la moitié du talent qu'il a déployé.
Quand on adresse des voeux et des conseils
à un poète , aveugle comme Homère , errant et
malheureux comme lui , il faut , pour le perŝuader
et l'attendrir , lui parler une langue qui flatte
son oreille et faire des vers presque aussi doux
que les siens ; or , je ne connais pas d'entreprise
plus difficile , de talent plus rare , et de mérite
plus mal récompensé . Mais quand on a l'esprit
de caresser , par de fades éloges , la vanité de tous
ceux qui se disputent le sceptre de la littérature ,
ou le courage d'outrager , par de plates satires ,
la morale religieuse , le bon goût et la vérité ,
l'on n'a pas besoin de se tourmenter pour donner
à son style , de l'harmonie , de l'élégance et de
la précision . L'on est sûr , d'avance , de tous ces
journaux , où la délation est honorée comme une
vertu républicaine , et la calomnie comme une
oeuvre patriotique ; on respire , à son aise , cet
encens si pur et si flatteur , et l'on arrive incognito
à sa troisième édition . Pour avoir dédaigné ce rare
avantage , le C. Daru aura sans doute le chagrin
de n'être lu que par les gens de goûte, et de n'être
estimé que par les gens de bien .
Il commence son épître en rappelant à Delille
3
8 MERCURE DE FRANCE ,
1
le succès glorieux dont il jouit autrefois dans sa
patrie ; succès qui pouvait irriter l'envie quand il
faisait la fortune du poète ; mais qui doit désarmer
la haine , depuis qu'il ne fait plus que parer son
malheur. Le souvenir de ses beaux jours devrait
en effet suffire à Delille , pour le ramener parmi
ses concitoyens qui lui décernèrent ses premiers
triomphes , et qui , comme l'observe très-bien le
C. Daru , voudraient encore couronner sa vieillesse
et ses derniers travaux .
Toi qui nous fais aimer , par tes accords touchants ,
L'étude , les beaux vers , les vertus et les champs ;
Toi qui vis tout un peuple , ivre de son Orphée ,
Suivre en foule ta voix et parer ton trophée ;
Infidelle aux honneurs qui t'attendaient encor ,
Tu fuis devant ta gloire , et vas au fond du Nord ,
De rois en rois , errant où ton chagrin t'exile ,
Porter la lyre d'or que te légua Virgile.
Tu fuis devant ta gloire , me paraît une fort
belle expression ; mais le vers suivant contient un
reproche qui n'est pas aussi juste . Il s'en faut de
beaucoup que l'abbé Delille erre de rois en rois .
Sorti de France à une époque où les images ensanglantées
, qui le poursuivaient partout , accablaient
son coeur et sa raison , il se retira d'abord
en Suisse , et l'on sait qu'il y vécut plus de deux
ans , trop heureux d'être également ignoré des
rois et des tyrans populaires. Les événements politiques
, qu'il n'a jamais connus que par la terreur
dont ils l'ont frappé , l'engagèrent à chercher un
autre asile . Il s'arrêta successivement à Francfort ,
à Brunswick , à Hambourg ; deux de ces villes
sont républicaines ; l'autre est gouvernée par un
MESSIDOR AN IX. 9
·
prince , élève du grand Frédéric , qui apprit , a
son école , que la liberté de cultiver les lettres et
les beaux-arts est la plus douce récompense de la
victoire . Enfin , Delille a passé en Angleterre ,
se flattant d'y trouver de nombreux souscripteurs
pour une nouvelle édition de ses ouvrages , devenue
nécessaire à son existence ; et j'ai lieu de
croire qu'il n'y voit guère le roi , ni les personnes
en crédit à la cour ; voilà l'exacte vérité : sans
doute , elle est indifférente pour ceux qui , dans
l'épître du C. Daru , ne cherchent que le mérite
de la poésie ; mais le témoignage d'un écrivain
qui honore son talent par son caractère , mérite
au moins d'être discuté , et c'est à lui surtout que
j'adresse ces observations : il me suffit d'avoir lu
ses vers pour être assuré qu'il aime Delille ; il ne
peut point partager l'insensibilité de ces froids.
raisonneurs qui , sous prétexte que Delille se refuse
au voeu de sa patrie et de ses amis , prennent
le parti de nier son malheur au lieu de le plaindre ,
comme si à son âge et dans sa position , l'erreur
dans laquelle il s'obstine , n'était pas la première
de toutes les infortunes . Le C. Daru doit en être,
d'autant plus persuadé , qu'il sent avec plus d'énergie
et qu'il peint avec plus de charme , le bon-,
heur de vivre et d'être honoré dans son pays. Il
ne fallait donc pas , pour y rappeler Delille , l'accuser
d'aller de rois en rois solliciter , pour ainsi
dire , le malheur d'en être exilé .
Un autre reproche , dicté , d'ailleurs , par un sentiment
bien naturel , est celui qu'il adresse aux
faux amis du poète , qui , dans un recueil apocryphe
de ses pièces fugitives , ont prétendu qu'il
allait voir bombarder Huningue , et qu'il s'exerçait
, pendant ce spectacle horrible , à faire des
τό MERCURE DE FRANCE ,
vers sur les effets de l'artillerie , pour son poème
de l'Imagination .- L'auteur de l'Ecole des pères,
le C. Pièyre , qui , par la moralité profonde de cet
ouvrage , a donné la mesure de la sienne , Youlait
engager le C. Daru à supprimer , de son épître ,
tout ce qui rappelle cette anecdote. Il explique ,
dans une note fort détaillée , les motifs qui l'en
ont empêché , et je pense qu'il a eu raison . Le
fait serait odieux , s'il était vrai ; l'irréflexion ne
l'excuserait pas. Heureusement , il est à peu près
impossible . Delille est aveugle , et certainement
ne suivait pas en l'air
Ces comètes d'airain qui renversaient nos villes .
Je sais même qu'à cette époque , il travaillait
à son poème sur les trois règnes de la nature ,
et point du tout à celui de l'Imagination . Si ,
depuis , dans le silence de l'étude , en cherchant
les effets toujours douteux de l'harmonie imitative
, presque étrangère aux vers français , il s'est
rappelé le bruit terrible de la bombe et du canon ,
qu'il avait trop entendu , je ne crois pas que ce soit un
prétexte suffisant pour calomnier son coeur . La douceur
bien connue de son caractère et de ses moeurs
dément l'idée que pourrait donner de lui le récit
de ses éditeurs ; et le C. Daru a bien fait de juger
Delille d'après lui - même . Je reviens à son épître .
Il n'y déguise point l'horreur de cette époque
déplorable , où tant de victimes confièrent à la
fuite une vie qu'il eût mieux valu , sans doute, conserver
par le courage. Mais , à peine jette - t-il un
coup - d'oeil rapide sur ces temps désastreux ,
bientôt il s'écrie :
Ces jours furent sanglants , affreux ; mais , désormais ,
Périsse enfin la haine au coeur de tout Français !
et
*
1
MESSIDOR AN IX. Í I
Périssent jusqu'aux noms de ces monstres sauvages !
Montrez-moi nos héros , nos bienfaicteurs , nos sages ;
·Lavoisier , méditant au fond de sa prison ;
Socrate , sous les traits du juste Lamoignon ;
Bailly , couvert de boue et souffrant sans murmure ;
Sombreuil , par ses vertus , consolant la nature ,
Voilà , voilà les noms que j'aime à retenir ;
D'autres les apprendront aux siécles à venir :
Ma voix ne peut aller à la race future ;
Il est vrai : mais du moins cette voix libre et puré ,
Par un lâche discours ne caressa jamais ,
Ni le crime puissant , ni les heureux forfaits ;
Et peut-être elle a droit d'offrir une couronne
Au héros pauvre et juste , au proscrit qui pardonne.
Que je voudrais te voir , par leur gloire excité ,
Partager avec eux ton immortalité !
C'est à toi de nous peindre , en tes vers si rapides ,
Les rapides exploits de nos jeunes Alcides ,
Tant de périls bravés , tant de tourments soufferts ,
Et l'Arabe vaincu jusque dans ses déserts .
Il me semble que les deux vers sur l'infortuné
Bailly et sur Mlle de Sombreuil , ne peignent
pas , avec des traits assez caractéristiques , le sublime
dévouement de l'une et l'inaltérable fermeté
de l'autre . Mais , en général , ce style est ferme
et vigoureux ; il annonce à la fois un bon écrivain
et un honnête homme. Il rappelle cette dé-
.claration énergique que le C. Daru a placée dans
ses notes , et qui devrait servir de loi à tous ceux
qui sont condamnés au malheur de parler des
ouvrages des autres.
«
<<<
« Je sais , dit-il , qu'en ménageant toutes les
opinions , un écrivain peut éviter quelques critiques
; mais je sais aussi que la première règle ,
12 MERCURE DE FRANCE ,
" pour écrire avec quelque énergie , c'est d'écrire
d'après sa conscience , comme si on était seul ,
<< sans avoir rien à craindre , rien à espérer. Je
<< ne connais rien de si petit qu'un homme qui ,
« pour avoir un ennemi de moins ou un appro-
<< bateur de plus , sacrifie ce qu'il croit la vérité ,
<< ou compose avec elle . Je suis prêt à rétracter
<< mes erreurs , à corriger , si je puis , mes fautes ,
<< à remercier ceux qui m'en avertiront ; mais je
« n'effacerai jamais une ligne de mes écrits , par
<<< timidité. »
Ce langage doit plaire à tous ceux qui ont dans
le coeur ce qu'il faut pour le sentir et pour le parler.
«<
Le C. Daru cite à l'abbé Delille l'exemple de
l'abbé Sicard , qui , après avoir échappé aux massacres
de septembre , fut proscrit , le 18 fructidor,
et condamné à la déportation . Quand les tyrans
de son pays lui laissaient , pour unique asile , le sol
dévorant de Cayenne , l'Angleterre lui offrit des
honneurs , et , ce qui dut le tenter davantage , du
bien à faire aux hommes. - « En cela , dit le C.
« Daru , nos ennemis nous donnèrent un bel
exemple : le philosophe nous en a donné un
plus beau. Il pouvait , sans crime , fuir un pays
« d'où il était banni , et aller consoler d'autres
<< malheureux , sur une terre hospitalière . Mais
<«< il ne confondit pas les factions et la patrie ; il
« ne désespéra point de la justice des Français ,
« et il exposa sa vie pour conserver l'honneur de
<< leur être utile : c'est le trait d'un grand citoyen .
« C'est à de tels hommes qu'on peut laisser , sans
<< crainte , le droit de choisir entre toutes les opi-
<< nions politiques.
«
>>
Je ne crois pas qu'il fût plus dangereux de
laisser ce droit à Delille , qui , sans être le bienMESSID.
OR AN IX. 13
faicteur de l'humanité , serait encore un des plus
beaux ornements de sa patrie .
Au reste , après l'autorité d'un si noble exemple ,
je ne connais rien de plus digne de l'y rappeler ,
que le tableau , tracé par le C. Daru , de nos
progrès dans les sciences , et de l'état des beauxarts
parmi nous . Une légèreté plus qu'indiscrète ,
quand ce n'est pas une haine irréfléchie , raconte
aux étrangers , que la saine littérature n'a plus en
France ni défenseurs , ni modèles.
"
"
Le génie est éteint chez ce peuple insolent ;
Comme il vous fit la guerre , il la fait au talent ;
" Un vil peuple d'auteurs troublant tout le Parnasse ,
" Des favoris du Dieu veut usurper la place ;
"
་ ་
"
"
De la langue et du goût dénaturer les lois ,
Et détrôner Racine aussi bien que les rois :
Rien n'est juste chez eux , si ce n'est la satire ,
Et l'on n'a plus de goût que lorsqu'on les déchire. »
Voici la réponse du C. Daru , à ces déclamations
qui deviennent trop ridicules , dès qu'on accuse
la littérature française de la folie de quelques
individus.
Venez les démentir , ombres de ces héros
Que retracent encor de si dignes pinceaux ;
Vous que je nommerais , si ma voix , inconnue
Aux lieux que vous charmez , pouvait être entendue.
Venez , vous qui montrez , savants dans un autre art ,
Les graces de Destouche ou l'esprit de Regnard ;
Et vous , qui dignement , aux fêtes de la gloire ,
Enseignez aux clairons l'hymne de la Victoire ;
Vous tous , qui promenez vos doigts harmonieux
Sur le luth , ou la lyre , ou les pipeaux joyeux :
14
MERCURE DE FRANCE,
Est - ce vous qu'on a vus parmi la troupe impie ,
Qui , du grand Despréaux , impuissante ennemie ,
Osa lui contester , au sommet d'Hélicon ,
"
La place d'où son oeil menace encor Pradon ?
Non , dans tous leurs efforts , plus ou moins fortunées
Vos Muses ont suivi les lois qu'il a données.
Vous excitez les ris , vous arrachez des pleurs ,
Sans jamais outrager ni Boileau , ni les moeurs ,
Moins louables encor pour des oeuvres si , belles ,
Que par votre respect pour nos sacrés modèles .
Elèves d'Apollon , de Xeuxis , venez tous ,
Et montrez si les Arts sont éteints parmi nous .
Il s'adresse ensuite à Delille .
Viens voir, homme trompé,viens voir chez ces Vandales,
Du temple des guerriers les voûtes triomphales ,
Le croissant de l'Arabe et l'aigle sans honneurs,
Inclinés vers la terre où dorment leurs vainqueurs .
Vois , sur nos tours , ces mâts balancés dans les airs ,
Se répondre du Rhin jusqu'aux rives des mers.
Ces mâts ont leur langage , et messagers fidelles ,
Pour porter la victoire ont emprunté ses ailes .
Enfin le C. Daru décrit le Muséum central des
Arts , où tant de chef-d'oeuvres sont devenus les
monuments immortels de nos conquêtes , et termine
ainsi cette épître , qui sert elle- même de
preuve à l'opinion que l'auteur défend .
Viens , Delille , regarde , et dis-moi quels palais ,
A l'oeil , ami des Arts , offrent de tels objets.
Dans cette vaste enceinte où le choix m'embarrasse ,
Maints tableaux, pourbriller , voudraient une autre place ;
{
*
MESSIDOR AN IX. 15
1
Je l'avoue , et partout promenant mon regard ,
Je trouve rassemblés , par la main du hasard ,
Miniatures , portraits , fleurs , tableaux magnifiques ,
Qui rappellent un peu tes belles Géorgiques ,
Où tu peins le trictrac , les Alpes , ton curé ,
Ta chatte , et de Barca le désert altéré.
Mais pardonne : est- ce à moi de conseiller ta Muse ?
Non , dans les traits badins où ta plume s'amuse ,
Je cherche bien plutôt ce qu'il faut applaudir ;
Ce secret de tout peindre et de tout ennoblir ,
Ce vers imitateur qui doucement murmure ,
Vif comme le ruisseau , frais comme la verdure ,
Ou qui gronde tantôt comme la vaste mer
Tantôt brille , pétille et fuit comme l'éclair.
Eh ! puis -je rappeler tant de vers qu'on admire !
Pour les louer , il faut.te dérober ta lyre.
D'autres l'ont pu tenter : je ne compterai past
Ces émules heureux qui marchent sur tes pas :
Le Dieu des vers sourit à leur noble imprudence ,
Qui de Delille absent veut consoler la France.
A
Mais non , viens et préside à leurs doctes concerts.
Instruits à ton école , ils t'en seront plus chers :
Leurs honneurs et les tiens s'en accroîtront encore.
Parmi tous ces talents , dont mon pays s'honore ,
Je ne me place point , mais j'aurai fait plus qu'eux
Si mes vers accueillis te rendent à nos voeux ,
Et qu'enfin , respirant sous son laurier fertile
La France puisse encor entendre son Virgile.
Il y a une faute évidente dans la construction
de ces derniers vers ; il faudrait , et si respirant
, etc.; la France peut encore , etc. Au reste ,
je suis tenté de l'attribuer à l'imprimeur , car l'auteur
est , en général , aussi correct qu'il est éner16
MERCURE DE FRANCE ,
.
gique et précis. Ce sont les qualités distinctives
de son style , dont l'élégance me paraît quelquefois
un peu pénible. Mais il est impossible de n'y
pas remarquer la justesse , la suite , l'enchaînement
des idées , et de très-beaux vers en assez
grand nombre. L'esprit de l'auteur est à lui ; ses
expressions ne sont qu'aux bons écrivains ; et si
je ne me trompe , il doit réunir au talent de la
poésie , le mérite d'écrire en prose sans enflure ,
sans néologisme et sans affectation.
E.
VOYAGE en Grèce et en Turquie , fait par
ordre de Louis XVI , et avec l'autorisation
de la cour ottomane ; par C. S. SONNINI ,
de plusieurs sociétés littéraires et savantes
de l'Europe , avec 1 vol . grand in-4.° contenant
une très- belle carte coloriée , et des planches
gravées en taille- douce . 2 vol . Paris , chez
Buisson , rue Hautefeuille , n.º 20. An 9.
LA
La plupart des voyageurs dans la Grèce n'ont parlé
que de ses ruines et de sa gloire antique . Leurs relations
étaient lues avec intérêt ; mais on y cherchait en vain
la Grèce actuelle. L'ouvrage que nous annonçons pourra
suppléer à cette omission. Il nous montre la Grèce telle
"qu'elle est ; ce point de vue n'offre pas le moins d'utilité
pour le lecteur , ni peut -être le moins de difficulté pour
f'écrivain ; car il est toujours plus aisé d'imaginer que
de bien voir. If me semble même qu'en parcourant la
terre des Grecs , devenue le domaine des Tures , il faut
un excellent esprit pour se défendre à la fois de ses
MESSIDOR AN I Cent
2
préventions et de ses illusions , d'un mépris chagrin
ou d'un enthousiasme indiscret. Des voyageurs trèsestimables
d'ailleurs n'ont pas su éviter ces excès ;
témoin Savary qui s'obstinait à ne voir que des merveilles
, ou bien l'auteur des Recherches Philosophiqui
assimilait les Grecs aux sauvages les
plus stupides.
*
ques "
Le citoyen Sonnini n'est prévenu d'aucun système ,
et il raconte avec un ton de candeur et de simplicité ,
qui imite trop bien le langage de la vérité pour ne
pas l'être en effet .
་་
45
C'était en 1778. La guerre qui venait de se déclarer
entre la France et l'Angleterre n'avait pas encore pénétré
dans l'Archipel. « Les Français y continuaient leur
" commerce comme au sein de la paix . Une seule
frégate de Toulon suffisait pour y conduire en su-
" reté un convoi de 60 ou 80 voiles. De nombreux na-
« vires partis des ports de la Provence et destinés à
vivre pendant trois années aux dépens des Turcs
n'avaient point ralenti leur cabotage.
"
"
"
Cet état florissant de notre commerce dans les échelles
du Levant , était dû à deux causes principales : aux
priviléges presque exclusifs dont nous jouissions alors ,
à l'ignorance des Turcs dans l'art de la navigation .
« Il en était peu parmi eux auxquels l'usage de la
« boussole fût familier. Il n'en était point qui eût quel-
« que idée de la géographie . L'on se rappelle que lors
" de la dernière guerre entre les Russes et les Turcs
« l'on ne parvint pas à persuader aux derniers que les
flottes russes pussent venir à Constantinople par une
« autre route que par la mer Noire . En vain leur désignaiton
sur la carte le chemin qui amenait les vaisseaux
« de la Baltique à l'Archipel , le divan dans lequel
"
*M. Paws.
5
18
MERCURE
DE FRANCE
,
་་
10
"
siégeait le grand amiral lui - même , s'obstinait à regarder
la chose comme impraticable ; et ce ne fut
que lorsque la flotte ennemie arriva dans les mers de
Turquie , que l'on crut à la possibilité de ce voyage.
On sait comment les charpentiers et les ingénieurs
français contribuèrent dans la suite à élever la marine
ottomane au degré de perfection où nous la voyons aujourd'hui.
L'auteur s'afflige que nous leur ayons ainsi
prodigué nos leçons ; il est vrai que nous n'avons pas
à nous féliciter beaucoup de leur reconnaissance .
Cette générosité , avec laquelle nous nous érigions
déja en instituteurs des autres nations , la manière peu
intelligente et par conséquent peu lucrative avec laquelle
les négociants de Marseille trafiquaient au Levant , enfin
l'imprudence de la cour qui négligeait des consuls
vieillis dans les affaires , pour entretenir des agents diplomatiques
dans un pays où il n'y a point de politique
, préparaient sensiblement la décadence de ce
commerce important , bien avant la révolution , qui
acheva de le détruire . Le citoyen Sonnini insiste sur la
nécessité de le relever ; il entre dans les moyens d'exécution
; ses vues doivent inspirer d'autant plus de confiance
, lorsqu'il sera temps de les appliquer , qu'elles
avaient été adoptées par le gouvernement en 1797 , à
l'époque de la prise des îles vénitiennes par les armées
françaises . Du reste , les observations de l'auteur
sont aussi variées que ses connaissances . Ce qu'il dit
des accouchements des femmes grecques , des divers
traitements de la peste qui n'abandonne jamais ces belles
contrées, s'adresse au médecin. Le naturaliste trouvera
Ja description de plusieurs animaux qui jusqu'à présent
n'ont jamais été , ou n'ont été que très - imparfaitement
décrits ; enfin notre agriculture pourra s'enrichir de
plusieurs remarques faites en Turquie.
MESSIDOR ANI X. 19
Mais nous donnerions, une idée incomplète de cet
Ouvrage , si nous ne le présentions que sous des rapt
ports d'utilité . Il n'a pas le titre de Voyage Pittoresque;
mais il en a souvent l'intérêt . Les rives qui inspirèrent
l'Odyssée seront toujours chères à l'imagination ? C'est
là que l'histoire ne se compose que de traditions poéti
ques. Une simple description des lieux suffit pour les rap
peler ; et les tableaux sont d'autant plus riches , qu'ils
sont plus simples.
Le lecteur suit avec plaisir le citoyen Sonnini , sut
les traces de cette antiquité célèbre . Il voit la place où
fut un temple enrichi par les offrandes des peuples , le
bois sacré s'étendait à l'entour. Pausanias rapporte quel
nombre prodigieux de statues était répandu sous ces ombres....
Aujourd'hui l'on n'y trouve plus que quelques
tas de pierres , les serpents qui viennent se jouer aux
rayons du soleil , et le silence. Quelquefois , dans les
cabanes des habitants , vous voyez l'airain qui avait servi
aux sacrifices , profané par les usages les plus vils . Sur
les bords de l'île , de méchantes barques de pêcheur sont
attachées à des tronçons de colonne ; mais déja les
ruines de tant de monuments qui existent encore dans là
mémoire des hommes , sont elles - mêmes détruîtes , où
bien elles restent ensevelies sous la terrè , d'où l'avarice
jalouse des Turcs ne permet pas de les tirer.
On retrouve mieux l'ancienne Grèce dans les détails
de la vie privée. Ici , les moeurs n'ont point changé ,
comme dans notre occident . Elles faisaient autrefois
la force du gouvernement ; elles sont aujourd'hui comme
les derniers appuis du corps social. Les danses guerrières
, les cérémonies funèbres , les enchantements ,
rappellent aussi plusieurs croyances antiques ; ces
croyances se mêlent plus ou moins à la religion qu'elles
défigurent ; l'ignorance et le mépris où vit le clergé grec ,
LO
20 MERCURE DE FRANCE ,
ne contribuent pas peu à affermir les superstitions po
pulaires.
་
Sur une hauteur , ' jadis consacrée au culte de quelque
divinité , s'élève un monastère à demi - ruiné ,
habite par des Caloyers ou moines grecs. Ils n'osent
réparer leur habitation , dans la crainte de passer
pour riches , et c'est un crime inémissib e. « Ces religieux
sont fort sales et l'on peut ajouter fort laids
" par l'habitude qu'ils ont de négliger leur extérieur ,
et de ne soigner ni leur barbe ni leurs cheveux . Leur
culte , d'ailleurs , est sans décence , et n'approche pas
de la dignité et de la gravité majestueuse des cérémonies
de l'église latine , en Europe. Tout y est petit
et mesquin ; tout s'y sent de la misère et du rétrécissement
des esprits. Dans toute l'étendue de la domination
des Turcs , les églises grecques n'ont point
´de cloches, Les Caloyers se servent de bandes de fer,
suspendues en demi- cercle , sur lesquelles ils frappent .
pour appeler à l'office . Les Turcs ont une aversion
insurmontable pour les cloches . "
-
Ces Turcs sont , à chaque page , l'objet de l'indignation
de notre voyageur. On dirait qu'il en est poursuivi
sans cesse : c'est que partout il reconnaît leurs traces.
Des terres incultes , ou couvertes de moissons avortées ,
des villes entières dépeuplées par la peste , des forts
démaptelés , des ports encombrés , etc. , voilà leurs
arts , leur politique. Sous de tels maîtres , les Grecs ne
conservent plus que leur nom et ces traits de noblesse
que la servitude n'a pu effacer. Si l'on remarque en eux
un certaine aptitude aux arts , un amour vif pour l'indépendance
, quelques sallies d'une éloquence naturelle
, ces dispositions heureuses ne sont plus que des
souvenirs inutiles , et le voyageur qui reconnaît encore
la Grèce , appelle par ses voeux cette époque nouvelle ,
où les prédictions prononcées , depuis si longtemps
MESSIDOR AN IX. 21
contre la puissance ottomane , seront enfin accomplies .
Ces hommes , tour - à - four exposés aux ravages de la
peste et des Tures , éprouvent encore des fleaux plus
terribles. Des commotions souterraines , des bouleversements
, menacent de les engloutir avec le sol
même de leur patrie. Quelquefois une portion d'une
ile se détache tout - à - coup , et va former une île
nouvelle. D'autres fois , on voit un îlot s'élever du fond
de la mer , comme il arriva au commencement du
siécle dernier.
"
"
"
"
"
« Ce fut le 23 mars 1707 , au point du jour , que l'on
aperçut les commencements de cette autre production
des feux souterrains qui brûlent dans ces parages.
On avait ressenti , le 18 du même mois , à
« Santorin , deux petites secousses de tremblement de
terre. On n'y fit pas alors beaucoup d'attention ;
mais , dans la suite , on eut lieu de croire qu'à ce
« moment , l'ilot nouveau commençait à se détacher
du fonds de la mer , et à s'élever à sa surface . Quoi:
qu'il en soit , des Grecs de Santorin ayant vu , de
grand matin , les premières pointes de l'île naissante
s'imaginèrent que ce pouvaient être les restes de
quelque naufrage que la mer avait amenés là pendant
« la nuit. Dans l'espérance d'être les premiers à en
profiter , ils se hâtèrent de s'y rendre ; mais , des
qu'ils eurent reconnu qu'au lieu de débris flottants ,
c'étaient des rochers calciués , ils revinrent , tout
effrayés , publiant partout ce qu'ils venaient de voir.
"
"
"
«
«
"
" La frayeur fut générale dans l'ile de Santorin. L'on
y savait que ces sortes d'apparitions de nouvelles terres
" avaient toujours été accompagnées de grands désastres
. Néanmoins , deux ou trois jours s'étant passés ,
" sans qu'il arrivât rien de funeste , quelques habitants
de Santorin prirent la résolution d'aller observer sur
les lieux mêmes. Ayant mis pied à terre , la curiosité
"
22 MERCURE DE FRANCE ,
·
« les fit aller de rocher en rocher. Ils trouvèrent partout
une espèce de pierre blanche , qui se coupait
comme du pain et qui en imitait si bien la figure , la
couleur et la consistance , qu'au goût près , on l'aurait
prise pour un véritable pain de froment . Ce qui leur
plat et les étonna davantage , fut une quantité d'huîtres
fraiches , attachées aux rochers , chose fort rare
à Santorin. Pendant que ces Grecs s'amusaient à manger
ces huitres , ils sentirent tout- à - coup les rochers
" se mouvoir , et le sol trembler sous leurs pieds . La
frayeur leur fit bientôt abandonner leur pêche , pour
sauter dans leurs bateaux et s'éloigner à force de
games. Cet ébranlement était un mouvement de l'île
qui croissait et qui , dans le moment , s'éleva à vue
d'oeil , ayant gagné , en très peu de jours , près de
20 pieds de hauteur et le double environ de largeur. "
9) Pendant une année entière , cette île , (qui se divisa
en deux portions , appelées aujourd'hui l'île Noire et
Vile Blanche) , croît au bruit des tonnerres souterrains ,
ab milieu de l'appareil le plus formidable. Si le volcan
paraît s'appaiser pour un temps , c'est pour éclater ensuite
avec plus de fureur . Le silence de la nuit est troublé
tout- à - coup par des détonations effrayantes . Les rivages
des les voisines en sont ébranlés , et leur verdure est
consumée par des vapeurs infectes . Les eaux de la mer
bouillonnent et changent plusieurs fois de couleur ; les
poissons morts flottent à leur surface . Pendant ce grand
travail de la nature , on voit l'île naissanté s'élever et
s'abaisser successivement , tandis que , du large fourneau
qui s'est ouvert dans son sein , des rochers calcinés , des
flammes de diverses couleurs et des nuages de cendre
s'élancent dans les airs , etc. Il faut voir , dans l'ouvrage
même , la description détaillée de ce phénomène , à-lafois
si magnifique et si effroyable. Il fournira quelques
conjectures sur la formation de l'Archipel.
MESSIDOR AN IX. 23
Nous pourrions reposer nos regards sur des tableaux
moins terribles . Au milieu de tant de ruines , la nature
donne toujours les preuves de son.ancienne fertilité.
Le dictame remplit encore de ses parfums les
vallées de l'ancienne Crète . C'est là , sous des forêts
d'orangers , de myrtes , de lauriers- roses , que le voyageur
va oublier les tyrans qui attristent et dépeuplent
ces contrées. C'est là qu'Hippocrate envoyait ses malades
, respirer un air chargé d'émanations salutaires .
Mais il faut s'arrêter on s'engage volontiers au
milieu de ces îles riantes ; on est attiré par la beauté
des rivages , par la variété des sites , par ses propres
souvenirs , et l'on oublie que l'on voyage depuis longtemps.
•
Le publie doit au C. Sonnini un voyage en Égypte ,
généralement estimé. Nous osons promettre à celui - ci
le même succès malgré les défauts de style que
la critique pourrait y relever. Il est accompagné d'un
atlas avec des gravures , et une très - belle carte de l'Archipel
.
G.
HISTOIRE critique de l'établissement des
Français dans les Gaules ; ouvrage inédit
de M. le président Hénault , de l'Académie
française etde celle des inscriptions et belleslettres
, imprimé sur le manuscrit original ,
écrit de sa main , 2 vol . Paris , chez Buisson ,
rue Hautefeuille , n.º 20.- An IX.
CEE
titre excitera la curiosité , et peut - être aussi la
défiance. Il y a toujours une sorte de défaveur attachée
à un ouvrage posthume. On exige surtout que l'authenticité
en soit bien constatée ; souvent le nom de l'au-
4
24 MERCURE DE FRANCE ,
teur influe beaucoup sur le jugement que l'on porte de
l'ouvrage .
" Pour nous , sans décider ce premier point de critique
, nous dirons seulement que si ce livre n'a été
attribué au président Hénault que par une de ces supercheries
trop communes , il y a de la vraisemblance
dans cette supposition . La méthode , la clarté , le
bonheur des rapprochements , en un mot , la composition
de l'ouvrage , n'est pas indigne de l'auteur de
l'Abrégé chronologique. Le ton de la critique , où l'agrément
se mêle à l'érudition , rappelle d'ailleurs un
homme d'esprit et de bonne société qui peut fort bien
être le président Hénault .
Il entreprend de fixer deux points curieux des premiers
âges de notre histoire . L'établissement des Français
dans les Gaules ; la manière dont se fit cet établissement
.
L'abbé Dubos est le premier qui ait éclairci le premier
point. D'après lui , l'établissement des Francs
dans les Gaules peut être rapporté à trois époques.
La première est celle où ils entrèrent dans les Gaules
pour n'en plus sortir , et se mélèrent au Gaulois dont
ils étaient esclaves ; ce fut en 351.
La deuxième , celle où ils eurent un territoire indépendant
dans les Gaules ; et ce fut en 445 , après la
conquête de Tournai et de Cambrai , par Clodion . La
troisième époque enfin , comprend tout le temps écoulé
depuis Clodion jusqu'aux fils de Clovis , à qui Justinien
cède la souveraineté des Gaules.
Ces trois époques sont admises par le président Hénault.
Le second point historique souffre plus de difficultés.
L'abbé Dubos a prétendu , comme l'on sait , que les
Français n'étaient point entrés dans les Gaules à titre
de conquérants , mais en traitant de gré à gré avec les
MESSIDOR AN IX. 25
Gaulois , devenus Romains. D'un autre côté , Boulainvilliers
avait avancé que les rois des Francs n'étaient
que de simples chefs , élus par des soldats , privés de
tout pouvoir législatif et civil . L'histoire a bientôt réfuté
ce dernier. Mais le critique s'attache particulièrement
à combattre l'abbé Dubos , d'autant que , suivant
Montesquieu , son ouvrage est écrit avec beaucoup d'art ,
et que tant de recherches ne permettent pas d'imaginer®
que l'on n'ait rien trouvé.
J'ai nommé Montesquieu , et le lecteur demande.
déja pourquoi l'on a employé deux volumes à traiter
un sujet auquel il avait consacré deux chapitres . Ce
grand homme , qui semble destiné à n'avoir que des
imitateurs malheureux , saisissait le trait principal de
chaque chose , de manière à ne rien laisser à dire , à
ceux- mêmes qui ne veulent que le commenter.
Peut- être , qu'à l'époque où le président Hénault
entreprit la critique de l'abbé Dubos , l'Esprit des Lois
n'avait pas encore paru . Ce qui l'indiquerait , c'est ,
qu'à l'occasion des bénéfices militaires , des fiefs , et de
plusieurs questions qui appartiennent à Montesquieu ,
celui- ci n'est pas cité une seule fois . On peut conjecturer
aussi , puisque les deux auteurs étaient contemporains
, que Montesquieu publiant son ouvrage , le
critique se crut dispensé de publier son travail.
1
les
Quoi qu'il en soit , l'objet n'en est plus nouveau ;
a même perdu de son importance , aujourd'hui que
vieilles bases de la législation sont renouvelées ou détruites
; mais l'intérêt de l'histoire subsiste . Un système
est un voyage dans le pays de la vérité , disait un
homme d'esprit . Pour établir le sien , l'abbé Dubos
s'engage dans des recherches aussi pénibles que curieuses
; il consulte les monuments des Gaules , il éclaire
ces âges douteux de l'antiquité que Plutarque compare
aux sirtes et aux terres lointaines , à peine nommées par
26 MERCURE DE FRANCE ,
les hommes . Son adversaire ne l'abandonne pas un seul
instant. Il discute chaque fait , rétablit des versions infidelles,
et , tout en combattant ses opinions , rend hommage
à son mérite .
On ne trouve dans cette critique , ni déclamation , ni
ce ton de légèreté avec lequel l'abbé Mably a traité un
homme dont Montesquieu a reconnu les talents et les
travaux utiles . Au reste , cette différence entre le ton de
l'abbé Mably et celui du président Hénault , s'explique
par la différence du temps où ils écrivaient .
Le président Hénault laisse échapper , dans cet ouvrage
posthume , plusieurs jugements sur nos historiens ,
que l'on doit recueillir avec respect. Il accuse entre
autres Mézerai de beaucoup d'inexactitude et de variation
dans tout ce qu'il dit sur les premiers temps
de l'histoire de France. Il lui reproche de n'accompa
gnerjamais ses récits d'aucune critique . Ceux qui lisent
les premiers volumes de cet historien seront tentés dé
le lui reprocher aussi . Du moins ils se plaindront que
les détails de nos premières guerres , de nos premières
moeurs , qui excitent notre intérêt , lorsque nous les
entrevoyons dans les ouvrages de Montesquieu , de
l'abbé Dubos , etc. , ne puissent plus se fixer dans notre
mémoire , une fois qu'ils sont enregistrés sous des dates
chronologiques. Ne faut- il pas en accuser nos historiens
plutôt que notre histoire ? Et ne pourrait- on pas
attribuer à ceux - ci cette espèce d'indifférence et de
sécheresse que l'on croit appartenir aux premiers âges
de la puissance française ?
G.
MESSIDOR AN IX. 27
LA Fille du Hameau
❤
me
, par M. REGINAMARIA
ROCHE , auteur des Enfants de
l'Abbaye , etc. , etc. , traduit de l'anglais ,
3 vol. avec gravures ; chez Dentu .
LE succès qu'a obtenu le roman des Enfants de l'Abbaye ,
-
a dû exciter une assez vive curiosité pour toutes les autres
productions de son auteur. Sa plume est féconde , et
tous les ouvrages qui en sortent , passent aussitôt en
notre langue. Mais il faut avouer que tous ceux qu'on
avait publiés jusqu'ici , à la suite de son premier roman
, en étaient à une trop grande distance . Celui- ci ,
sans l'égaler , s'en rapproche pourtant davantage . Le
mérite du premier ouvrage de M.me Roche , consistait
ǎ représenter des amants très intéressants et très - aimables.
On le retrouve dans cette nouvelle production ,
avec tout le charme que les peintures du même genre
répandent sur le roman des Enfants de l'Abbaye. La
Fille du Hameau est bien mieux qu'une héroïne de roman
; c'est l'enfant de la nature , cultivée par les soins
de l'amitié , et placée dans la situation la plus favorable
pour ne développer en elle que les sentiments les plus
purs et les goûts les plus heureux . Elle a vécu , elle a
été élevée loin des villes , mais non pas dans toute la
simplicité du village , Ici , le hameau est embelli par la
grace et décoré par l'élégance. Le plus excellent des
hommes , M. Belmore , tuteur de Matilde , dont il avait
aimé infructueusement la mère , ne conserve de ce sentiment
que l'intérêt le plus tendre et le plus animé
pour son enfant , demeurée orpheline dès le berceau
Réduit lui - même , par des revers successifs de fortune ,
28
MERCURE DE FRANCE ;
à une assez grande médiocrité , jamais il ne se sépare
du précieux dépôt qu'il a recueilli , et Matilde croît et
s'élève auprès de lui , comme une fleur protégée par un
arbre tutelaire et courbé par l'orage . Si elle n'est pas
to jours exempte , sous cet abri , d'agitations et de
peines , du moins elle n'y manque jamais de consolations
et de secours. Elle y est préservée des séductions ,
ou plutôt des piéges d'un homme vicieux de la capitale.
Cet e circonstance n'est que passagère dans l'ouvrage .
La conception principale , qui en fonde l'intérêt , et
l'auteu y en a mis beaucoup , est un amour réciproque
entre Matilde et un être aussi pur , aussi sensible qu'elle ,
et entre lesq els pourtant il s'élève un obstacle insurmontable
: produit d'une combinaison que je crois nouvelle
, quoique raisonnable , ce qui n'est pas aujourd'hui
un mérite médiocre.
Ce nouveau personnage est introduit dans l'ouvrage ,
comme un misanthrope bizarre et farouche. Il habite
une ruine voisine du hameau , et il y est un spectacle
très- extraordinaire pour toute la contrée . Tout le monde
le redoute , tout le monde le fuit , excepté le compatissant
M. Belmore , qui , s'exposant à toute sa violence ,
affrontant son irascibilité , s'en approche pour lui être
utile , y revient pour le consoler , adoucit un peu son
humeur sauvage ; enfin il parvient à l'attirer chez
lui. Le misanthrope , il faut le dire , est jeune , beau ;
et , à travers le désordre de son esprit , la singularité
de ses manières , il lui échappe une foule de traits , de
discours et d'actions qui ont une amabilité et un charme
irrésistibles. Matilde , sans se défier de l'intérêt qu'il
lui inspire , sans soupçonner même quelle peut être la
nature de cet intérêt , s'y livre avec toute l'innocence.
mais aussi avec toute la vivacité de son coeur. Il faut
voir, dans l'ouvrage , l'impression simultanée que proMES
SIDOR AN IX. 29
duisent sur Howard ( c'est le nom du misanthrope ) les
soins et la personne de Matilde ; par quels degrés il
passe insensiblement de l'état de violence à un état de
mélancolie ; les nouvelles bizarreries de sa conduite ;
ses contradictions inexplicables , ses incertitudes , ses
combats , ses desirs et sa fuite enfin d'un lieu où il a
laissé , et d'où il emporte une impression ineffaçable.
Le malheureux ! un engagement , incompatible avec le
sentiment qu'il éprouve et qu'il inspire , l'enchaine : il
est marié , et son mariage fait sa honte et son désespoir.
Il en dérobe au monde entier la connaissance , comme
il voudrait se la dérober à lui - même : il ne la révèle
qu'en fuyant. La femme qu'il a épousée , à son retour
d'un voyage assez long dans les Indes , est la femme
divorcée de son ami le plus cher ; une femme qui a été
l'opprobre de cet ami , le fléau , le tourment de sa vie ,
que l'infortuné a terminée dans ses bras , à la suite de
l'impression qu'a fait sur lui l'aspect inattendu ( et ménagé
avec beaucoup d'art ) de cette union monstrueuse .
Cette révélation explique tout , et voilà cette combinaison
de circonstances et de moyens , dont j'ai parlé
et que je crois nouvelle . Si elle l'est , et je ne puis me
vanter d'avoir , en fait de romans , une érudition assez
vaste pour l'affirmer , on la trouvera , ce ' me semble ,
assez heureuse . Je l'appellerais même une bonne fortune
, en songeant à la difficulté qu'il doit y avoir à
en trouver encore dans ce genre épuisé.
C'est assez , peut -être même est - ce avoir poussé trop
loin l'analyse . Après l'intérêt de la curiosité, il reste trop
peu de chose à un roman pour l'en dépouiller d'avance
par un extrait trop étendu . Mais je crois pouvoir promettre
à ceux qui se plaisent à ces lectures , que ce
qui leur reste à apprendre sur le soit de Matilde et de
son amant , conserve assez d'intérêt et de charme , pour
30 MERCURE DE FRANCE ,
valoir la peine qu'on recourre à l'ouvrage même . J'ajouterai
seulement que , pour compliquer le problème ,
l'auteur , faisant céder Matilde aux sollicitations de
M. Belmore , l'engage dans un mariage de raison et de
convenance , et que ce n'est qu'après beaucoup d'épreuves
qu'Howard et Matilde , si longtemps malheureux
, mais toujours intéressants , vertueux et aimables ,
sont enfin unis l'un à l'autre . Disons encore , à l'avantage
de ce roman , et on peut généralement le dire ,
l'éloge de tous ceux des dames anglaises , que la lecture en
est sans danger , et même aussi édifiante que peut l'être
celle d'un roman . Ce n'est pas un mérite à dédaigner ,
dans un tems où les romans sont devenus à peu près la
seule lecture des jeunes femmes . Aujourd'hui même , les
jeunes filles ne se font pas plus de scrupule de les lire ,
qu'on ne paraît trouver d'inconvénient à le leur permettre
. Nous verrons ce qui résultera de ces moeurs
nouvelles et perfectionnées. On peut remarquer , en
attendant , combien est devenue commune cette réponse
, qu'est- ce que cela fait ? C'est tout ce qu'on oppose
aux observations les plus sérieuses , et particulièrement
à celles qui ont rapport à ces lectures . Il me semble ,
pourtant , que c'est faire trop peu d'honneur aux livres .
Voltaire n'en pensait pas ainsi , quand il s'écriait , avec
un enthousiasme dont je ne considère pas ici le principe
: Les livres ont tout fait ! Ces réflexions pourraient
mener loin. Mais ce n'est pas sortir du sujet , que de
rappeler cette considération à ceux qui se livrent à la
composition des romans , et surtout aux femmes. Qu'elles
daignent songer que tout leur sexe les lira ; et , si on
ose le leur dire , qu'elles consentent à imiter quelque
chose de la retenue des femmes anglaises. On peut les
assurer qu'il n'y en a point , parmi elles , qui osassent
aller , dans ce genre périlleux , au - delà des bienséances,
1
MESSI D'OR AN IX. 31
même rigoureuses , et se montrer trop savantes dans la
peinture et le développement des passions dont elles
s'approchent. Elles craindraient que la pudeur , prenant
dans leur pays un accent vigoureux , ne leur criât :
N'avez-vous pas honte de savoir toutes ces choses ? Je
redoute , je l'avoue , le goût qu'elles prennent parmi
nous pour les compositions fortes , de préférence aux
productions aimables qui leur siéent si bien. Elles aspirent
à être brûlantes comme Rousseau ; elles lui empruntent
ses phrases , pour être plus sures de lui ressembler,
et négligent la page où il leur a donné d'autres conseils ,
et les a si bien rappelées à la destination que la nature
et la société leur ont marquée.
M.
PALMIRA , par ARMANDE R .... , 4 vol .
in - 12 . Prix , 6 fr. et 10 fr. , franc de port. A
Paris , chez Maradan , libraire , rue Pavée-
Saint - André , n.º 16 , et chez Lenormand ,
imprimeur- libraire , rue des Prêtres- Saint- Germain-
l'Auxerrois , n.º 42 , la porte cochère
vis -à-vis l'église , au premier , sur le devant.
ENNCCOORREE un roman ! et chaque jour on peut faire
la même exclamation . Cependant celui - ci a le mérite
d'indiquer une situation intéressante. Palmira est le
fruit d'un amour que des événements malheureux ont
empêché de devenir légitime. Elle n'a point de père
aux yeux de la loi . Sa mère cherche à la dédommager
de cette perte , par une sage éducation . Le moment
où cette jeune infortunée apprend le secret de sa naissance
, est mis en scène avec beaucoup d'intérêt , et ,
32' MERCURE DE FRANCE ,
dès les premières pages du premier volume , commande
celui que le lecteur ne cesse de prendre au sort de Palmira
, jusque à la fin de ses aventures.
On n'en donne point un extrait historique .... Cette
méthode est une véritable trahison qu'on fait à un roman
qui n'est qu'un roman ; et celui- ci n'est pas autre
chose. Il faut laisser au lecteur le plaisir de lire luimême
et d'arriver à un dénouement qu'il ne connaît
point encore. L'imagination d'Armande R... et sa remarquable
facilité ont nui peut - être à son style ; il est
par fois négligé , mais l'intérêt est soutenu , et c'est
beaucoup .... Palmira , malheureuse , errante et toujours
fidelle à ses principes de vertu , ressemble un peu
à Clarisse. Sa mère , séduite par son précepteur , rappelle
le souvenir de Julie. On conçoit aisément qu'un
officier français , chargé de l'éducation d'une demoiselle ,
marche sur les traces de Saint - Preux ; c'est connu .
Mais aussi ceux qui aiment la nouveauté , en trouveront
dans les moyens que l'auteur a mis en usage , pour
faire un espèce de Lovelace d'un intendant ou maître
d'hôtel italien. Enfin , Palmira ne pouvant survivre au
procédé infâme de ce scélérat , s'empoisonne et termine
ainsi sa déplorable existence.
·
pas
La fin de ce roman ne répand pas un jour assez lumineux
sur la question que l'auteur semblait s'être proposée
. Ne doit on pas résister au préjugé qui flétrit
affreux injustement les enfants naturels ? N'est - il
de rendre responsables de la faute ou de la faiblesse de
ceux qui leur donnent la vie , des êtres qui n'ont pu
exister qu'après cette faute ou cette faiblesse ? Il était
digne d'une femme sensible , de plaider cette cause ;
et M.me Armande a réussi à nous attendrir sur le sort
de ces innocentes victimes. Pour moi , j'aurais pourtant
mieux aimé voir Palmira mariée à son aimable cousin
MESSIDOR AN IX. 33
SEINE
DER
LA
M. de Mirecour , que déshonorée et réduite à un déses
poir inutile , par l'audace criminelle de ce vil intendint
Il me semble que ce mariage réparerait enfin les longues
injures du sort qui poursuit Palmira , et ce dénouement?
plus naturel , eût été sans doute plus moral .
Cependant , il faut convenir que ses malheur sa
résignation excitent l'intérêt le plus tendre. Ainsi
teur ne s'est point écarté du but qu'il avait en vue .
A. C.
VARIÉTÉ S
6 995
L'ABBÉ de Voisenon , qui n'a jamais été ni un homme
de lettres , ni un bon écrivain , a été fort longtemps ce
qu'on appelle un homme à la mode . Né de condition ,,
et reçu , à ce titre , dans la meilleure société , il l'aurait
été encore à titre d'homme aimable. Il y portait cet
extrême enjouement qui trouve à rire et à faire rire de
tout , un ton de galanterie badine, plus en vogue alors
qu'aujourd'hui ; beaucoup d'insouciance et de gaieté ,
qui en était la suite , et le talent des quolibets , plutôt
que celui des bons mots. Avec la figure d'un singe , il
semblait en avoir la légèreté et la malice ; et les femmes
s'en amusaient comme d'un homme sans conséquence ,
qu'on pouvait voir en passant , sans trop s'en apercevoir
, et sans que les autres s'en aperçussent. On
n'examinait pas si sa manière d'être dans la société n'appartenait
pas à la frivolité d'esprit et à la faiblesse de
caractère ; il semble que , dans le monde , on ait besoin
d'agréments plus que de vertus. Les vertus servent une
fois l'année , et les agrémens , tous les jours. Ceux de
5 . 3
34
MERCURE DE FRANCE ,
C
l'abbé de Voisenon lui tinrent lieu de tout. Comme les
gens du monde desirent assez volontiers que l'esprit
qui leur plaît soit le premier des esprits , il fallut lui
faire une réputation : ce qu'il avait écrit , n'en était
pas trop susceptible. Deux ou trois comédies à la glace ,
et quelques bouffonueries libertines , telles que le Sultan
Misapouf, et Tant mieux pour elle , et ses petits vers de
société n'étaient pas des titres bien brillants . On imagina
qu'il n'avait voulu donner au public ( apparemment
par modestie ) que la moitié de son esprit et de son
talent , et qu'il avait bien voulu en donner la plus
grande partie à son ami Favart , apparemment par générosité.
Cette opinion fut bientôt d'autant plus facilement
accréditée que Favart , modeste et retiré , et tout
simplement homme de talent , communiquait volontiers
ses ouvrages à l'abbé de Volsenon , son ami , où du
moins ami de sa femme. M. Favart se mêlait aussi
d'écrire , sous le nom de son mari ; en sorte qque des ouvrages
faits entre eux trois , on ne savait pas trop ce qui
devait 'demeurer à chacun ; mais Pon faisait toujours la
meilleure part à l'abbé de Voisenon , qui ne la refusait
que du ton d'un homme qui ne veut pas tout ôter à un
pauvre diable d'homme de lettres , qui a besoin d'esprit
pour vivre. Favart qui en avait réellement beaucoup
plus que l'abbé de Voisenon , se laissait bonnement
protéger par celui qui , dans le fond , lui devait sà petite
réputation' ; et ce n'est qu'à la longue que l'on s'aperçut
, en comparant les ouvrages imprimés de l'un et
de l'autre , que ceux de Favart étaient tous de la même
main et du même goût ; qu'il y avait de la connaissance
du théâtre , des pensées fines et délicates , des vers trèsagréabies
dans les Trois Sultanes , dans Annette et Lubin ,
dans l'Anglais à Bordeaux , etc. ; et qu'il n'y avait dans
les ouvrages avoués de l'abbé de Voisenon , que du paMESSIDOR
AN IX. 35
pillotage , des jeux de mots , du faux esprit: Favart luimême
, iustruit du tort qu'on lui faisait en faveur de
l'abbé , marqua son chagrin de cette injustice : l'abbé
commença à s'en défendre plus sérieusement , et ; ce
qu'il eut de pis , c'est qu'on commença à le prendre
au mot. I vieillissait sa gentillesse n'était plus de
mode , et des torts réels lui avaient ôté sa considération.
Il devait sa petite fortune à M. le duc de Choiseul
: il fit' sa cour aus chancelier de Maupèou , et fit
même une fête pour lui : tout cela réussit fort mal. L'es
prit de parti ne connaît pas d'indulgence ; et , ce qu'on
aurait à peine remarqué dans un autre temps , fut condamné
sans rémission. Un prince du sang ( Monseigneur
le duc d'Orléans ) à qui l'abbé de Voisenon avait
coutume de faire sa cour ne voulut plus le voir. La
dernière fois qu'il s'y présenta , il en fut fort mal reçu :
´eh bien ! dit-il , je ne verrai plus les princes ; je n'en
serai pas plus triste , ils n'en seront pas plus gais. Į
essaya pourtant de se justifier , et il alla , dans ce des
sein , à une séance de l'Académie. Il se plaignit qu'on
lui prétait bien des travers . M. l'abbé , lui répondit M. de
-Saint -Lambert , dans ce siécle - ci , on ne prête qu'aux
gens riches et ce fut tout ce qu'il remporta de son
apologie. En sortant , il alla dans une maison où on
lui demanda des nouvelles. - Je n'en sais aucune , dit- il,
j'ai été à l'Académie , on ne m'a rien dit.
"
肇
Dans les dernières années , il s'avisa de la fantaisie
d'être dévot , apparemment pour essayer de tout ; car
jamais il n'y eut dans sa tête ni persuasion , ni volonté.
Il était valétudinaire ; mais il n'y avait pas plus de fond
à faire sur ses maladies , que sur toute autre chose de
Jui. Il était à la mort aujourd'hui , et demain à l'Opéra.
Un jour qu'il se crut fort mal , il se confessa , et le prêtre
exigea de lui qu'il jetât au feu tous ses manuscrits ; il
30 MERCURE DE FRANCE ,
1
y consentit , et les manuscrits furent incendiés. Un
de ses amis vint , et lui en fit des reproches. Ne vous
fâchez pas, dit- il , Favart en a une copie. Une autre
fois étant dans son lit , il entendit dire qu'il fallait lui
administrer les sacrements ; et , en effet , on alla les chercher.
Il se leva et sortit . Le bruit se répandit le lendemain
qu'il avait reçu le bon Dieu. Non , dit- il à quelqu'un
qui lui en demandait des nouvelles il est venu
en effet chez moi , mais je n'y étais pas , et il s'est fait
écrire.
Sur la fin de sa vie , son confesseur devint une de
ses sociétés les plus intimes et les plus ordinaires. Quelqu'un
qui le rencontra un jour , lui demanda s'ils étaient
toujours bien ensemble . Non , dit l'abbé,je crois que nous
sommes brouillés .—Comment ? Pourquoi? Oh ! il a
voulu que je fisse ôter de mon appartement un mausolée
de M.me Favart ; j'ai résisté , il s'est fâché ; enfin il me
dit qu'il fallait ou renoncer au mausolée , ou lui renvoyerunpetit
crucifix d'argent qu'il m'avait donné , et un
petit livre de prières . Je lui ai renvoyé lettres et portraits.
Cependant le mausolée disparut , et le crucifix revint .
M. l'abbé se trouva plus mal et devint plus.accommodaut.
M. Geoffroi , dont j'ai eu l'honneur d'entretenir
V. A. I. , il n'y a pas longtemps , raconte un trait de
l'abbé de Voisenon , qui peint bien son caractère. Un jour
qu'elle l'engageait à souper ; il refusa obstinément de
rester chez elle. J'ai des affaires indispensables , dit-il.
-Des affaires ! Vous ! C'est donc un rendez-vous ? ----
Peut- être. Oh bien ! l'abbé , vous n'irez pas , je suis
trop votre amie pour le souffrir ; votre santé.....Allons ,
vous n'irez pas . Il hésite quelques moments . Mais , dit - il,
j'ai promis , il faut donc que j'écrive . - Oui , sans doute,
'écrivez , et l'on apporte tout de suite ce qu'il fallait
pour écrire. Il demeure quelque temps embarrassé ,
带
-
MESSIDOR AN IX. 37
#
comme un homme qui ne sait ce qu'il doit faire. Eh
bien ! pourquoi n'écrivez - vous pas ? Il hésite encore';
enfin , pressé de répondre Ce n'est pas la peine que
j'écrive , dit - il , je m'étais douté qu'il ne serait guère
possible d'aller à ce rendez - vous , et ma lettre est écrite.
Il tire la lettre de sa poche et l'envoie. Jugez si l'on
en rit.
(Extrait de la correspondance littéraire de Laharpe.)
SPECTACLES.
THEATRE DES ART S.
PAR un article du nouveau règlement de ce théâtre
il est accordé une représentation extraordinaire à chaque
artiste qui remplit encore les premiers emplois ,
après trente années de service . C'est une récompense
honorable et un encouragement utile. Les dispositions
de cet article ont été appliquées , le 26 prairial , au C.
Lainez , et la représentation donnée à son bénéfice a
eu le plus grand éclat . On remarque , dans toutes les
circonstances semblables , un empressement dont la curiosité
n'est pas l'unique motif. Il est permis de rire de
la confiance un peu niaise avec laquelle on applaudit
si souvent aux maximes de bienfaisance qui tiennent
lieu de style et d'intérêt , dans nos drames bourgeois ;
mais il faut reconnaître que tout ce qui porte un caractère
de justice et de bienveillance , est encore mieux
senti et presque toujours secondé par le public.
On jouait Alceste , l'un des plus beaux ouvrages de
Gluck , et deux ballets ( la Dansomanie et les Noces de
Gamache ) , auxquels le succès et la grace conservent le
38.
MERCURE DE FRANCE ,
·
prestige de la nouveauté. Aussi , depuis longtemps , n'avait
on pas vu d'assemblée plus nombreuse et plus
brillante; et la réunion des artistes les plus distingués
a développé , dans la même soirée , toutes les ressources
du théâtre des Arts. Le chant y laisse beaucoup à desirer
; quelques autres parties du spectacle pourraient
être portées à un plus haut degré de perfection . Mais ,
tel qu'il est , je le crois encore supérieur à tous les théâtres
de l'Europe ; je doute même que , dans aucun temps
et chez aucun peuple poli , l'on ait su combiner plus
ingénieusement l'action des arts mécaniques avec la
séduction des arts , du luxe et de l'esprit.
E.
THEATRE FRANÇAIS DE LA RÉPUBLIQUE .
2 LEE retour de M.le Contat a déja ranimé la comédie
qui languissait pendant son absence et pendant la ma-
Jadie opiniâtre de Fleury . Cette actrice célèbre a reparu
dans le Vieur Célibataire , par le rôle de M.me Evrard ,
et dans le Cercle , par celui d'Araminte . Pour donner
à cette représentation un attrait plus piquant , Molé ,
sexagénaire , n'a pas dédaigné de reprendre un rôle dont
il avait fait la fortune , à l'âge de 30 ans ; et , sans y
mettre cette extrême légèreté qui , souvent , prête à la
jeunesse le même charme qu'elle en reçoit , il a su rendre
à ce personnage , dont il ne reste aucun modèle , la
physionomie originale qu'il doit avoir. Il a , pour ainsi
dire , démontré le rôle , et cette leçon ne peut manquer
d'être utile aux jeunes acteurs qui sont appelés à lui
uccéder. Quant à M.le Contat , on a retrouvé son taMESSIDOR
AN IX, 39
lent , sans aucune altération , c'est - à - dire , au plus haut
degré qu'on puisse atteindre dans un genre donné .
M.e Polnay , quí a joué , le 27 prairial , le rôle
d'Azéma , dans Sémiramis , justifie de jour en jour
l'espérance que ses débuts ont fait naître. Son intelligence
est toujours prompte , sa diction juste , et ses
mouvements semblent avoir acquis plus de grace et dé
liberté. Du zèle , de l'étude , de la docilité , une confiance
médiocre et raisonnée dans les applandissements
qu'on lui prodigue ; avec ces moyens , elle sera bientôt
à même de rendre à la Comédie Française , par ses talents
, ce qu'on ne prête encore qu'à son âge et à ses
heureuses dispositions.
E.
OPERA- BUFFA, italien.
Nous avions prédit que la musique des grands maîtres
italiens déciderait le succès , d'abord équivoque , de
ce théâtre , que de faux calculs , une précipitation irréfléchie
et les ouvrages de deux compositeurs presque
ignorés avaient compromis dès son ouverture. La première
représentation du Matrimonio segretto , de Cinia-
Tosa a réalisé nos espérances.
,
Il y a bien peu d'opéra , même en Italie , où la musique
ait prodigué plus d'agréments et plus de richesses ,
Aussi , cet ouvrage semble avoir fixé l'étonnante mobilité
des Italiens , et les caprices de ce goût dédaigneux
qui leur fait rejeter , chaque année , les opéra qu'ils
viennent d'applaudir , pour courir à des plaisirs semblables
, produits par des compositions nouvelles . Depuis
dix ans , on joue le Mariage secret , de Cimarosa ,
dans toutes les saisons , depuis Turin jusqu'à Naples ,
40
MERCURE
DE FRANCE
,
partout et toujours avec le même succès. Les amateurs
lui rendent , à Paris , la même justice. Il soutiendra les
Bouffans ; il leur donnera le temps de choisir et de préparer
des nouveautés agréables , et ce spectacle , en
excitant sur tous nos théâtres lyriques une émulation
salutaire , nous fournira peut -être l'occasion de perfeotionner
notre Opéra - comique , et d'apprécier avec justesse
les progrès que l'art du chant a faits parmi nous •
E.
ANNONCES.
SUITE des éditions stéréotypes de Firmin Didot , rue
de Thionville. Théâtre de Voltaire , tomes 1 , 2 , 3 ,
4, 5 et 6 , in- 8.°
Cette partie des Euvres de Voltaire formera douze
volumes . Un ami de ce poète philosophe ( le C. Clos )
nous a confié un exemplaire de sa tragédie des Pélopides
, dans laquelle l'auteur a corrigé et refait plus
de deux cents vers. Le même citoyen nous a encore
remis divers opuscules de Voltaire , tous inédits , dont
nous ferons usage dans cette nouvelle édition. La
correspondance sera augmentée de plusieurs lettres
importantes , qu'on ne trouve point dans l'édition
de Beaumarchais ; et les divers passages que , par
des motifs purement relatifs à sa sureté et à sa conservation
personnelles , cet éditeur a retranchés des
lettres du roi de Prusse , de Voltaire et de d'Alembert
seront rétablis d'après les originaux autographes. On
joindra à ce recueil la correspondance , encore inédite ,
de Voltaire avec Maupertuis.
L'édition que nous publions aujourd'hui , sera purgée
de toutes les fautes qui déparent l'édition de Kehl,
MESSIDOR AN IX, 41
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On grave actuellement sur acier de très jolies figures
pour cette édition . Les figures du théâtre seront données
en quatre livraisons. La première , composée de
douze figures , paraît , et vaut 2 fr. après la lettre , et
4 fr. avant la lettre . Les autres livraisons seront chacune
du même prix .
( Extrait de l'avertissement du C. Naigeon , de l'Institut
national ) .
LIVRE du second âge , ou Instructions amusantes sur
l'Histoire naturelle des animaux et des végétaux ; par
J. B. Pujoulx. Ouvrage orné de 96 figures , représentant
quadrupèdes , oiseaux , insectes et végétaux .
Seconde édition . A Paris , chez Debray , libraire ,
palais du Tribunat , n.º 235 , ou à son dépôt , place
du Muséum , n.º 9. An IX ( 1801 ) .— Prix , 2 fr . 25 c. ,
figures en noir ; et 3 fr. figures coloriées ; 75 c . pour
le port. On reviendra sur cet ouvrage.
HISTOIRE du Consulat . I vol . in- 8.º , 3 fr . , et franc
de port , 4 fr. , idem , sur papier fin , 6 fr. , et franç
de port , 7 fr.
Cet ouvrage devient indispensable à ceux qui ontlu les
Euvres de Mably , Condillac, et de Millot, et complète ces
diverses collections . Les OEuvres de l'abbé Millot viennent
d'être imprimées , pour la première fois , in- 8.º , avec
des augmentations . L'Histoire de France est augmentée
d'observations sur le règne de Louis XV , et continuée
jusqu'à la mort de Louis XVI ; et l'Histoire d'Angleterre
est augmentée des règnes de Georges II et de
Georges III. Le prix des 15 vol . in - 8. ° est de 60 fr.
On vend séparément l'Histoire de France et d'Angletorre
, 12 fr.
Ces ouvrages se trouvent chez la veuve Durand , li42
MERCURE DE FRANCE ,
braire , rue de l'Hirondelle , n.º 30 , entre la rue Gîtle-
Coeur et le pont Saint- Michel .
VOYAGE à la côte occidentale d'Afrique , fait dans les
années 1786 et 1787 , contenant la description des
moeurs , usages , lois , gouvernement et commerce
des états du Congo , fréquentés par les Européens ,
et un précis de la traite des noirs , ainsi qu'elle avait
lieu avant la révolution française ; suivi d'un voyage
au Cap - de - Bonne - Espérance , contenant la description
militaire de cette colonie ; par Louis Degrandpré
, officier de la marine française . 2 vol . in - 8.º ,
sur papier carré fin , ornés de ri belles gravures
cartes , et du plan de la citadelle du Cap . Prix ,
10 fr. 50 cent. , et 13 fr. 50 cent. , franc de port par
Ja poste. Idem , papier vélin , figures avant la lettre ,
et atlas in 4. , 24 fr. , et 27 fr. , franc de port. A
Paris , chez Dentu , imprimeur - libraire , palais du
Tribunat , galeries de bois , n . 240. On rendra
compte de cet ouvrage.
*
COURS élémentaire de droit civil ( quatrième cahier ) ;
par G. V. Vasselin , ancien docteur en droit de la
faculté de Paris . Brochure in - 8.º de 172 pages , caractère
de philosophie , belle impression.
Ce Cours comprendra six cahiers , qui formeront
deux volumes in-8. de 5co pages d'impression chacun .
Les quatre premiers cahiers se vendent séparément :
I fr. 80 c. , et par la poste , 2 fr. 20 c.
Le premier ,
Le second ,
Le troisième , 2
Le quatrième , 2
I ' 50
༡༠ et par la poste , I
et par la poste , 2
50
et par la poste , 2 60
La souscription des six cahiers est de 8 fr. pour
Paris , et 11 fr. par la poste .
Ceux qui ont acheté les trois premiers cahiers sépaMESSIDOR
AN IX. 43
;
a
t
ir
1-
:
rément peuvent souscrire pour
les trois autres moyennant
4 fr. 50 c. pour Paris , et 6 fr . par la poste .
Le C. Vasselin continue son cours tous les jours impairs
de la décade , à sept heures précises du matin ,
rue du Jardinet , n.º 3. L'abonnement est de 20 fr.
par mois , jusqu'au 1.er vendémiaire an 10 .
Cet ouvrage élémentaire ne peut qu'être accueilli par
ceux qui prennent quelque intérêt à l'étude des lois .
Il est , pour les jeunes gens , un guide fidelle pour se
diriger dans la lecture des auteurs ex professo. Il offre
aux avoués , aux juges , aux hommes de loi , un abrégé
très utile des principes qui leur sont familiers ; mais
qu'il n'est pas inutile de retrouver dans un extrait
précis et exact.
On souscrit , à Paris , chez l'auteur , rue du Jardinnet
, n.º 3 ; J. B. Brasseur , rue de la Harpe , n.º 477 ;
Rondonneau , place du Carrousel .
LA GASTRONOMIE ou l'Homme des champs à table ,
poème didactique en 4 chants , pour servir de suite
à l'Homme des champs ; vol. in - 12 de 110 pages ; par
J. B. T. Chez Giguet et compagnie , imprimeurs - libraires
, rue des Bons -Enfants , n.º 6. Prix , ' I fr.
25 cent. et 1 fr. 50 cent . frane de port.
"
Le premier chant de ce poème est un tableau historique
de la cuisine des anciens . Le second , le troisième
et le dernier chant , par une division naturelle , traitent
du premier , du second service et du dessert.
ROZELLA Ou Les Effets des romans sur l'esprit des
femmes ; par M. *** 4 vol. in- 12 , fig. Prix , 7 fr.
20 cent. , et 9 fr. 70 cent. , franc de port. Paris ,
l'ax9 ; chez Fuchs , libraire , rue des Mathurins Saint-
Jacques , hôtel Cluny.
44
MERCURE
DE FRANCE
,
LA Paix , ou le Traité de Lunéville , poème ; suivi
d'une épître en vers à Virgile , sur la bataille de
Maringo , avec la traduction , en vers italiens , d'ane
ode au vengeur , accompagnée d'une lettre du C.
Saint-Ange , et d'un sonnet italien avec la traduction
française ; par Cubières jeune , membre de l'Athénée
de Lyon , et de plusieurs autres sociétés littéraires .
A Paris , chez Parisot , rue du Vieux - Colombier ,
n.º 389 , et chez les marchands de nouveautés. An 9.
HISTOIRE naturelle d'une partie d'Oiseaux nouveaux et
rares de l'Amérique et des Indes ; par Fr. Le Vaillant.
Ouvrage destiné , par l'auteur , à faire partie
de son Ornithologie d'Afrique. Première livraison.
Paris , G. Dufour , libr . , rue de Tournon , n.º 1126.
Il n'est aucun amateur de l'Histoire naturelle , qui
ne connaisse la riche collection d'oiseaux que le C. Le
Vaillant a rapportée de ses voyages. Les deux volumes
qui ont paru des Oiseaux d'Afrique , ont obtenu un
succès mérité ; nous espérons que la collection que
nous annonçons jouira du même avantage. Le papier
vélin est tiré des meilleures fabriques de France ; le
texte sort des presses du C. Didot jeune , et les figures
sont imprimées en couleur par le C. Langlois , avantageusement
connu dans cette partie.
Cette première livraison est composée de six planches.
Prix , grand in-folio , papier vélin , nom de Jésus ,
satiné , figures en couleur , auxquelles on a ajouté les
figures noires , 30 fr.; grand in -4. ° papier vélin , nom
de Jésus , figures en couleur 18 fr. ; papier fin , figures
noires , pour faire suite à l'Histoire naturelle de Buffon
, 6 fr.
La deuxième livraison paraîtra dans un mois. Oa
MESSIDOR AN IX.
45
C.
on
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ajouté
les
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nom
, figures
ede
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mois
. Oa
trouvera des prospectus de cet ouvrage chez l'éditeur .
HISTOIRE de France depuis la révolution de 1789 ,
écrite d'après les mémoires et manuscrits contemporains
, recueillis dans les dépôts civils et militaires ,
par le C. Toulongeon , ancien militaire , ex- constituant
, membre de l'Institut national de France. 2 gros
volumes in- 8.° , de l'imprimerie de Didot jeune , accompagnés
: 1.º du plan de la salle des Etats- Généraux
; 2.º du plan de la bataille de Walmy ; 3. ° d'une
carte militaire de la campagne de 1792 , dressée au
dépôt général de la guerre , et gravée par Tardieu ;
où sont indiquées les positions respectives des troupes
depuis l'entrée des coalisés en France , jusqu'à l'époque
de leur sortie. Papier ordinaire , 12 fr . pour Paris ,
et 15 fr. 50 c. franc de port ; papier vélin , 18 fr.
pour Paris , et 21 fr. 50 c. franc de port .- Le même
ouvrage , format in-4.º , I gros vol . avec cartes et
plans. Papier ordinaire , 15 fr . pour Paris , et 19 fr.
franc de port ; papier vélin , 24 fr. pour Paris , et
28 fr. franc de port. A Paris , chez Treuttel et Wurtz,
libraires , quai Voltaire , n. ° 2 , et à Strasbourg ,
même maison de commerce , grande rue , n . 15 .
LE mérite des hommes , poème ; par Angélique- Rose
Gaëtan. in- 12 , 1 fr. , et 1 fr . 25 cent. par la poste.
A Paris , chez Maradan , libraire , rue Pavée- Saint-
André- des-Arcs , n.º 16.
+
BRUCE , ou le Don Quichotte de l'amitié , traduit de
l'anglais , par P. Chanin . 3 vol. in - 12 , ornés de jolies
figures. An IX ( 1801 ) . ·- Prix , 5 fr. , et , franc de
port , 6 fr. 50 c. A Paris , chez Lenoir , libraire , rue
de Savoie , n.° 4.
SUR le système actuel d'instruction publique , par le
46
MERCURE
DE
FRANCE
,
C. Dessult-Tracy , membre du sénat conservateur et
membre associé de l'Institut national ; in - 8 . ° de 80
pages . A Paris , chez la v. Panckouche , imprimeurlibraire
, rue de Grenelle , faubourg Germain , n.º 321,
et chez les marchands de nouveautés . Prix 1 fr. , et
I fr. 50 c. , franc de port.
- L'idée principale de l'auteur est qu'on ne saurait
faire un bon plan d'écoles , sans commencer par faire un
bon plan d'études. En conséquence , il trace un plan
d'études complet ; il se présente sous la formé d'un tableau
, afin qu'on puisse mieux voir les rapports de
toutes ses parties , et qu'on s'aperçoive plus aisément
de ses inconvénients , s'il en a. Il conclut que notre
système actuel d'instruction publique est très - propre
à exécuter le meilleur plan d'études ; que ses bases sout
excellentes , et qu'il ne faut que l'achever et le compléter
, pour en obtenir les meilleurs résultats .
Avis aux souscripteurs de l'Abrégé des hommes
illustres de Plutarque , par le C. Acher , ancien premier
commis des finances , et à présent juge du tribunal
d'appel , séant à Amiens.
Le premier volume de cet ouvrage fut publié en
l'an V.
1
-Ce n'est pas , dit le C. Acher , une traduction, nouvelle
, ni la copie mutilée d'un ancien traducteur : je
me suis appliqué à rendre l'esprit de l'original , sans le
suivre pas a pas , et sans emprunter une seule phrase
de ceux qui l'ont traduit. J'ai , d'ailleurs , ajouté des
faits importants qui ont échappé à Plutarque , mais qui
sont attestés par d'autres auteurs dignes de foi , et dont
la réunion rend complete la vie de chaque personnage .
fait , en outre , précéder plusieurs vies de quelques
MESSIDOR AN IX. 47
t
n
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ade
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ལྔ ལྔཎྜུལྦ
ut
-mmes
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des
qui
dont
age
.
gues
détails antérieurs aux événements dont j'avais à parler,
lorsque j'ai jugé que cela ferait mieux ressortir les personnages
qui en sont l'objet . Au lieu de restreindre les
parallèles à comparer un homme illustre avec un autre,
j'y ai inséré des réflexions morales , pour faire remarquer
aux élèves les vertus qu'ils doivent imiter , et les
erreurs qui ont souvent terni la gloire des héros qu'ils
admirent. Enfin , je me suis permis , dans mon second
volume , de ne point placer les vies suivant l'ordre
adopté par tous les traducteurs , et même par quelques
éditeurs grecs , parce que j'ai reconnu qu'ils ne s'étaient
conformés ni à l'ordre chronologique , ni à celui que
Plutarque a suivi . J'ai retrouvé cet ordre dans la plus
ancienne édition qui nous soit connue , celle imprimée
à Florence , en 1517 , sous le pontificat de Léon X. Je
développe les recherches que j'ai faites à ce sujet , dans
un avertissement en tête du second volume . J'y développé
aussi le nouveau plán que j'ai embrassé , et qui
m'a été suggéré par le désir de répondre à l'intérêt qu'a
inspiré mon premier volume.
"
Ce second volume contient , outre l'Avertissement et
un coup d'oeil sur Athènes , les vies d'Aristide , de
Caton le Censeur , de Cimon , de Lucullus , de Périclès ,
de Fabius - Maximus , de Nicias et de Crassus , avec les
comparaisons. On y a ajouté des particularités intéressantes
sur quelques hommes célèbres , qui ont paru dans
les mêmes temps , et notamment sur Miltiade , dont
nous n'avons plus la vie que Plutarque en avait rédigée .
Le troisième volume est commencé. Il contiendra un
coup - d'oeil sur Rome comparée avec Athènes. Ce volume
sera suivi de trois autres , et peut - être d'un quatrième
sur les femmes illustres .
Le second volume contient 408 pages . On le trouve ,
48 MERCURE DE FRANCE ,
-
ainsi que le premier
, à Paris , chez Debray
, libraire
,
palais
du Tribunat
, n . ° 235 , chez
Lenormant
, imprimeur
, rue des Prêtres
Saint-Germain
, n.º 42 , et chez
Morin
et Lenoir
, libraires
, rue de Savoye
, n.º 4. A
Amiens
, chez Caron
l'aîné
, imprimeur
, place
de la
Concorde
. A Beauvais
, chez Desjardins
, imprimeur
dudit
ouvrage
, rue de l'Oise .
---
Il faut affranchir le port des lettres et de l'argent.
Il paraît une petite brochure composée de deux feuilles
et demie d'impression , format in-8. ° , intitulée : De la
colonne triomphale. Elle se trouve chez tous les mar
chands de nouveautés , et au bureau du journal des
Bâtiments civils , des Monuments et des Arts . Prix , 50 c.
pour Paris , et 70 pour les départements .
1
L'auteur , qui est un artiste recommandable par ses
talents , rapporte , à la suite de ce petit ouvrage , les
opinions déja émises dans les divers journaux , par un
tableau qui , d'un seul coup - d'oeil , en présente l'ensemble.
་
?
TABLEAU servant à convertir exactement les toises
courantes et parties de toises en mètres courants et
parties de mètres , et à déterminer proportionnellement
au prix des mesures anciennes de longueur
celui des mesures nouvelles , conformément aux dispositions
de l'arrêté des consuls , du 13 brumaire an 9 .
A l'usage des administrations publiques , de tous les
entrepreneurs et ouvriers en bâtiments , approuvé par
le ministre de l'intérieur ; par Etienne Bonneau .
Prix , 75 cent. pour Paris , et 80 pour les départements
, franc de port. Se vend , chez l'auteur , rue
Marguerite , n.º 499 ; et au bureau du journal des
Bâtiments civils , des Monuments et des Arts , à la
ci-devant Abbaye- aux- Bois , rue de Sèves , faubourg
Saint- Germain .
MESSIDOR AN IX. 49
es
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3
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JEE
POLITIQUE
EXTÉRIEUR.
SUR l'état actuel de la Pologne.
II.me Lettre au Rédacteur.
Je continuerai , citoyen , à vous entretenir de la Pologne
dans l'ordre que je me suis prescrit . Ma première
lettre se bornait à vous indiquer les lignes de partage
qui divisent aujourd'hui son territoire , le nombre de ses
habitants , et les moeurs qui les caractérisent dans leur
diverses conditions . Il fallait surtout vous faire connaître
les nobles , avant d'entrer dans le détail de leurs
institutions militaires . Quoiqu'il n'en reste aucune trace ,
je crois de voir vous les rappeler : c'est le seul moyen
d'apprécier , sinon les faibles ressources que la Pologne
offre actuellement à ses vainqueurs , du moins celles
qu'ils pourraient y trouver un jour.
Les devoirs de soldat étaient inséparables des droits
de citoyen : ceux que l'état reconnaissait exclusivement
pour ses membres , étaient aussi seuls chargés du soin
de le défendre ; mais ils remplissaient avec joie cette
obligation glorieuse , et le titre d'hommes belliqueux
ne les flattait pas moins que celui d'hommes libres .
Dès leur enfance , ils se destinaient à la profession des
armes , ils n'en voulaient point d'autre , et ne concevaient
pas qu'il pût y avoir une noblesse différente de
celle d'épée . Leur éducation consistait surtout à se
rendre habiles dans les exercices militaires : le souvenir
de leurs ancêtres , les préjugés , les lois , tout exaltait
en eux le sentiment de leur bravoure naturelle . A
peine entrés dans le monde , ils découvraient un nouveau
prix à cette qualité , elle seule pouvait ouvrir la
carrière de l'ambition . Il fallait s'être distingué parmi
ses compagnons d'armes pour oser prétendre à leurs
suffrages dans un jour d'élection. Les grands emplois
civils devenaient la récompense des services rendus à
5 . 4
50 MERCURE DE FRANCE ,
•
la guerre. Ainsi les sénateurs , les membres d'une diète ,
les palatins , les chefs de l'administration , tous étaient
sortis des rangs de l'armée , tous devaient y rentrer
dans un péril pressant.
On commençait ordinairement par servir un temps.
dans le corps de hussards , où les enfants des meilleures
familles s'empressaient d'être admis , et qui formait à
lui seul la majeure partie des troupes réglées de la
république. Nulle cavalerie , en Europe , ne pouvait
lui être comparée pour le choix des hommes , pour
l'élégance et la richesse de l'équipement . Des selles
magnifiquement brodées , des plaques d'or répandues
sur tous les harnois , des casques d'un travail précieux ,
des cuirasses embellies ; tel était le luxe permis aux
simples cavaliers ; ils montaient des chevaux tartares
dont la vitesse est admirable. Le sabre était leur arme
favorite , on ne pouvait le manier avec plus d'habileté
Deux pistolets pendaient encore à leurs ceintures , et le
mousquet avait remplacé les hautes lances dorées qu'ils
portaient autrefois ; mais à part la différence de l'armure
, on croyait revoir en chacun d'eux un de ces anciens
et preux chevaliers qui leur servaient de modèles .
La seconde division de la force publique , toujours
subsistante , consistait dans ce qu'on appelait les Pancernes
; c'étaient des compagnies de 200 maîtres , appartenantes
aux grands seigneurs , ou même à des évêques .
qui , ne pouvant servir en personne , se faisaient remplacer
par des lieutenants. Toute cette cavalerie de
gentilshommes portait encore le nom général de Towarisz
, qui veut dire camarades . Leurs chefs les traitaient
ainsi , en leur adressant la parole. Le roi lui -même
devait leur donner ce titre ; ce prince avait en outre
une garde personnelle de 2000 hommes , presque tous
tartares ou mahométans , mais dont la fidélité était à
l'épreuve Parmi les établissements militaires de la
Pologne , on ne peut oublier l'école d'artillerie fondée
par son dernier souverain : il en sortit d'excellents
officiers et les artilleurs polonais passaient pour être
les meilleurs , apres ceux de France et de Saxe.
21 En joignant à ces différents corps quelques bataillons
étrangers , soldés par la république , et dont elle
estimait peu l'utilité , vous aurez une idée complète.
1
MESSIDOR AN IX. 51
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des troupes qu'elle entretenait habituellement. On les
distinguait en armée de Pologne , et en armée de Lithuanie
. Ces deux états , quoique réunis en un seul
depuis 1569 , conservaient une administration séparée ;
chacun d'eux avait ses grands officiers , ses ministres
et ses généraux , qui tous prenaient également les
ordres de la diete , et ceux du roi , en sa qualité de chef
suprême de l'armée ; celle - ci , dans les temps ordi
naires , ne s'élevait pas en tout au delà de 18 à 20,000
hommes. On conçoit à peine qu'elle fût regardée
comme suffisante pour garder , même durant la paix.
d'aussi vastes frontières ; mais la manière dont elle
était composée doublait la confiance qu'on avait en
elle. D'ailleurs , en cas de surprise , elle n'avait à supporter
que le premier choc de l'ennemi . Bientôt elle
pouvait être soutenue par cent mille cavaliers qui
volaient à son secours de toutes les parties de l'empire.
Au premier appel de la diete , ou du prince , en
son absence , la noblesse entière devait s'ébranler . Elle
venait former ce grand corps appelé Pospolite , sur
qui l'état fondait sa plus ferme espérance. On eût dit
une formidable armée de réserve qui , dispersée d'abord
sur tous les points d'un territoire immense
tout à coup rassemblée à la voix de son chef. Le roi
devait la commander en personne ; chaque propriétaire
d'une terre noble devait s'y rendre , ou seul , ou accompagné
d'un certain nombre d'hommes armés , suivant
l'étendue de ses possessions. C'est là que les grands
seigneurs se montraient dans tout l'appareil de leur
puissance . On voyait arriver à leur suite la foule des
nobles sans biens , dont ils soutenaient l'existence. Le
prince Georges Radziwil , dont les richesses etaient
prodigieuses , et dont les terres couvrent une grande ,
partie de la Lithuanie , amenait lui seul trente miile.
hommes entretenus à ses frais . Il nommait leurs officiers
, il réglait tous leurs mouvements , et la république
laissait un de ses membres disposer , dans son
sein , de cette force étonnante. De tels citoyens ne.
pouvaient plus être contenus . Leurs moindres rivalités
nuisaient au bien du service , et leurs divisions ouvertes
se changeaient en guerres civiles ; alors ils
cherchaient , dans la constitution même , un prétexte
f
s'était
52 MERCURE DE FRANCE ,
à leurs fureurs ; ils se plaçaient à la tête de ces con
fédérations opposées qu'on avait droit de former après
une diète orageuse , et proclamant à leur tour le danger
de la patrie , ils empruntaient sa dernière ressource
; la pospolite convoquée en même temps par
diverses autorités , ne savait plus à laquelle entendre ,
la confusion était au comble , et l'état s'épuisait toujours
davantage par l'abus de sa principale force . On
en vit un exemple frappant dans ces temps malheureux
où Stanislas et Auguste se disputèrent la couronne
en présence de Charles XII . On se rappelle
quelles furent les agitations de cette noblesse incertaine
entre deux rois et deux diètes , contrainte à se
déchirer elle - même , et partout victime de son dévouement
à la cause qu'elle avait embrassée.
Cependant il faut convenir que la haine des étrangers
ralliait souvent toutes les factions , et que les
Polonais durent plus d'une fois leur salut au premier
dan de leur force publique . Mais en observant leur
système militaire , alors même que rien n'arrêtait au
dedans son entier développement , on voit mieux
ressortir ses défauts parmi ses avantages , on explique
comment il préparait les derniers désastres après avoir
assuré les anciens triomphes.
Les Polonais combattaient à cheval , et tant qu'ils
eurent à réprimer les rapides incursions des Tartares ,
ou à poursuivre les Cosaques dans leurs déserts , ils
durent se conformer à l'usage de ces peuples vagabonds ,
montés eux -mêmes sur d'excellents chevaux . Quand il
fallut ensuite se mesurer avec les redoutables Spahis
de l'empire Ottoman , ils furent encore sages de leur
opposer une cavalerie également nombreuse et terrible ;
mais , depuis plus d'un siécle , ils avaient changé d'ennemis.
Dans ces guerres nouvelles , ils rencontrèrent une
infanterie pesamment armée qui les attendait de pied
ferme , et leur impétuosité allait en vain se perdre
contre des masses inébranlables . Cependant ils négligèrent
de se créer , sur ce modèle , un genre de troupes
dont l'importance était si généralement sentie ; ou s'ils
en admirent , ce furent des corps étrangers et jamais
en nombre suffisant . Privés de ce secours , ils durent
éprouver que si , dans le cours d'une campagne réguMESSIDOR
AN IX. 53
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, leur marche était plus prompte , elle était aussi
plus embarrassée par la nécessité des fourrages , compliquée
sans cesse avec celle des vivres ; que s'ils se
déployaient sans obstacles dans leurs vastes plaines ,
ils perdaient aussi tout leur avantage sur un terrain
moins uni ; que durant les siéges , ils étaient moins
propres à emporter ces places- fortes dont leurs voisins
avaient hérissé leurs frontières , et qu'enfin dans les
batailles rangées les cavaliers étaient bons pour achever
la victoire , mais non pour la commencer. On
n'ignorait pas en Europe que depuis la célèbre phalange
et les légions romaines , jusqu'aux vieilles bandes
espagnoles , la supériorité de l'infanterie avait seule
opéré les plus grands succès militaires , et souvent
décidé du sort des empires. Les Polonais seuls s'obstinaient
à maintenir une tactique qui leur avait si longtemps
réussi contre des Barbares . Nourris d'ailleurs
dans les idées chevaleresques , ils continuaient à mépriser
le service à pied comme le partage des hommes
obscurs , et à croire qu'un gentilhomme ne pouvait
décemment se présenter au combat sans être monté
sur son palefroi.
"
les gouvernements
Cette erreur ne fut pas la seule où les entraînèrent leur
respect pour les vieilles institutions et la mémoire de
leurs premiers exploits. Ils honoraient leur pospolite
comme une image fidelle du ban et de l'arrière - ban
du régime féodal; mais elle avait aussi tous les inconvénients
de ces milices désordonnées dont on avait
partout reconnu l'abus et que
éclairés n'employaient plus à leur défense. Si elle suffisait
autrefois pour chasser devant elle des tribus
errantes qui menaçaient d'inonder son territoire , c'est
qu'alors une seule victoire sauvait la patrie , dans
moins d'un mois la guerre la plus sérieuse pouvait être
terminée , et aussitôt , après le danger , on se hâtait
de congédier la pospolite. L'état lui-même ne pouvait
la soutenir longtemps . C'était , si j'ose dire , une pesante
armure que la république revêtait au jour du
combat ; mais dont elle devait bientôt déposer l'insupportable
fardeau.
Rien n'était d'avance préparé pour la subsistance de
tant d'hommes qu'avait réunis une circonstance im54
MERCURE DE FRANCÉ ,
prévue . Réduits pour l'ordinaire à vivre de pillage ,
ils passaient comme un fléau sur leurs
dopropres
maines , et la Pologne n'etait pas moins ravagée par
ses défenseurs , qu'elle l'eût été par ses ennemis .
Nulle discipline ne pouvait être maintenue au milieu
d'une noblesse accoutumée à se donner elle - même des
lois . Incertains de son obéissance , ses chefs n'osaient
rién entreprendre avant de la consulter. Surtout ils
n'avaient pas le droit de l'entraîner au- delà des frontières
sans son agrément. Toujours impatiente , elle
voulait vaincre et retourner dans ses foyers . Quinze
jours d'inaction suffisaient pour la dégoûter du service
; alors elle se débandait à son gre , et il fallait
attendre qu'elle fût de nouveau rassemblée . Conduite
enfin à l'ennemi , elle montrait toujours sa bravoure ;
mais après une victoire , elle se donnait à peine le
temps d'en profiter ; après un revers , il était encore
plus difficile de se rallier. Ses généraux , tirés de son
sein , participaient au même.caractère et ne lui donnaient
pas toujours l'exemple du calme réfléchi dont elle
avait besoin. On cite ce trait de l'un de ceux à qui elle
accorda pourtant le plus de confiance dans les derniers
temps. Attaché à la poursuite des Prussiens , il arrive
sur les bords d'une grande rivière à laquelle il n'avait
point songé. On lui représente la nécessité de faire
jeter des pontons , pour que sa division puisse avancer
; mais il répond en colère , vous m'avez mis à
votre tête pour vous mener à l'ennemi , et non pour
vous aider à passer des rivières. Il pique aussitôt son
cheval et traverse à la nage. La cavalerie s'élance
après lui , mais il était impossible aux fantassins de
le suivre . On eut mille peines à lui faire entendre
qu'il fallait enfin suspendre sa course , et ne pas
abandonner , sur l'autre rive , une partie importante
de ses forces. Vous jugerez par ce fait , qui en rappelle
mille autres semblables de l'imprévoyance
et du courage emporté qui nuisaient souvent aux Polonais
dans la conduite de leurs expéditions . Tout se
réduisait pour eux à des chocs terribles , à des irruptions
soudaines ; mais la science des manoeuvres , le
choix des campements , les sages lenteurs , les combinaisons
profondes qui embrassent un plan de camMESSIDOR
AN IX. 55
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pagne , tous ces secrets de l'art militaire leur restaient
inconnus . Ils savaient se battre et non faire la
guerre .
Il faut ajouter encore qu'on ne voyait point chez
eux ce double et triple rang de forteresses , dont les
autres états avaient eu soin de s'entourer. Plus jaloux
de leur liberté intérieure que de leur sureté , ils avaient
toujours craint que leurs rois n'étendissent leur autorité
, en multipliant les villes fortifiées dont le gou
vernement leur eût appartenu . Ils n'en comptaient que
deux ou trois ; et leur pays , ouvert de toutes parts et
plat comme la Belgique , devenait , comme elle , un
vaste champ de bataille.
Tant et de si notables désavantages marquaient enfin
la décadence de cette nation inconsidérée , et quoiqu'elle
n'eût rien perdu de son antique valeur , le temps
de sa gloire était irrévocablement passé. Loin qu'elle
pût songer à étendre ses limites on commençait
à prévoir sa défense impossible. Il s'élevait autour de
ses frontières des puissances colossales qui jetaient sur
ses belles provinces un oeil d'envie. Leur force égalait
leur ambition ; leur rivalité seule pouvait encore
les contenir. On avait aussi quelque ombre de respect
pour cette politique moderne qui , rapprochant les
états policés de l'Europe dans une sorte d'union sociale
, les avait intéressés tous à la conservation de
chacun. Mais une fatalité rare permit que ces deux garanties
cessassent à la fois. Les puissances , d'accord ,
avouèrent leur dernière pensée , et l'Europe ne parut
attentive qu'aux progrès de la révolution française .
Dans l'extrémité du péril , les Polonais invoquèrent
en vain . toutes les lois divines et humaines ; ils poussèrent
un cri douloureux qui percera les siécles , et
que les contemporains n'entendirent pas. Abandonnés
à eux- mêmes , ils signalèrent encore une fois un courage
héroïque et malheureux , qui ne pouvait plus désormais
compenser l'avantage du nombre et d'une
habileté consommée . Ils offrirent un grand spectacle ;
et comment ne pas arrêter un instant ses regards sur
cette lutte dernière , où la liberté mourante épuisa, ses
prodiges , et rendit si longtemps la victoire incertaine ?
Déja les étrangers avaient tout envahi , lorsqu'à la
tête de 800 braves , Madalinski se dégage des armées .
56 MERCURE DE FRANCE ,
prussiennes ; il traverse , comme l'éclair , la Pologne
occidentale. Tous les coeurs s'enflamment sur son passage
; la noblesse , indignée, se relève. L'intrépide Koschiusko
les commande ; il se montre partout à la fois ;
il bat les Russes à Wraclawice ; il chasse les Prussiens
devant lui ; mais sa fortune l'abandonne en Lithuanie .
Il va s'éteindre dans une captivité plus cruelle pour
Jui que la mort. La patrie le pleure , et pourtant ne
désespere pas d'elle - même ; Varsovie soutient un siége
mémorable ; elle succombe enfin , et tout se perd , sauf
l'honneur.
Jamais la république ne s'était montrée plus digne
d'un long avenir la constitution avait été changée ,
les factions éteintes , l'esclavage aboli ; les anciennes
vertus avaient brillé d'un nouvel éclat , et l'amour de
la patrie redoublant avec ses malheurs , ce feu sacrén'avait
pu s'éteindre dans des flots de sang. Mais le
sort de la Pologne vaincue fut bientôt décidé. Trois
Parques redoutables tenaient entre leurs mains le fil
de ses destinées ; elles le rompirent , et l'histoire des
temps modernes n'a point offert de leçon plus terrible ,
que celle d'une grande puissance disparue tout -à- coup
de la scène politique.
Que vous dirai -je maintenant des forces d'une nation
consternée et tombée , après ses transports , dans
le calme d'une obéissance passive ? Le premier soin des
vainqueurs fut de briser tout ce qui leur avait plus
longtemps résisté. On licencia tous les corps , on dispersa
les restes de l'armée , et l'on se défiait encore des
lions qu'on tenait enchaînés. La Pologne fournit seulement
aujourd'hui quelques recrues , suivant le mode
établi dans le reste des empires auxquels elle est réunie.
C'est une sorte d'enrôlement forcé parmi les paysans et
le bas peuple. L'Autriche et la Russie qui se trouvaient
engagées dans une guerre sanglante , ont usé de
ce moyen avec plus de rigueur que la Prusse. Mais , au
lieu des mécontentements toujours dangereux qu'il pouvait
exciter , il n'a dû produire , dans un pays mal peuplé
, qu'un nombre médiocre de mauvais soldats , pris
dans une espèce d'hommes abâtardis par un long esclavage.
Ils n'ont point cette activité qui fait supporter
les fatigues de la guerre. Vainement on redouble les
"
MESSIDOR AN IX. 57
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coups de bâton pour émouvoir leur apathie ; ils succombent
, ou désertent , ou ce qui est pis encore on
les voit , au milieu d'une affaire , se laisser prendre
en masse avec une honteuse facilité. Les dernières campagnes
d'Italie en ont offert plus d'une preuve. L'exemple
et la présence des nobles contiendraient mieux ce vil
troupeau ; mais ils dédaignent de s'y mêler. Leur courage
n'est pas mis encore à la disposition des puissances ;
c'est un trésor qu'ils ont sauvé dans le naufrage de la
liberté, et livrés , comme tous les malheureux , aux
rêves de l'espérance , ils pensent peut - être se tenir en
réserve pour des temps meilleurs. Ceux qui ont encore
des richesses , gardent une attitude fière au milieu de
leurs possessions ; retirés de la scène du monde , ils
restent , autant qu'ils le peuvent , étrangers à leurs
nouveaux maîtres . Beaucoup d'autres se sont dispersés
dans tous les pays de l'Europe , et paraissent disposés
à tout souffrir, plutôt que d'aller prodiguer les restes
de leur sang à ceux qu'ils appellent leurs ennemis. Il
en est bien peu que la nécessité ou d'anciennes liaisons
personnelles ayent déterminés à prendre du service.
Il est donc vrai de dire que , pour le moment , les
conquêtes de la Prusse , de l'Autriche et de la Russie
n'ont pas sensiblement augmenté leurs moyens militaires
, et tels sont les premiers mécomptes qu'on éprouve
dans l'exercice d'une domination si récemment établie .
Mais l'autorité peut chercher à captiver par des bien-.
faits ceux qu'elle a subjugués par la force ; elle doit
aussi recevoir la sanction du temps ; et quand les regrets
amers de la génération présente auront passé avec elle ,
on prévoit un terme dans l'avenir où la soumission se
changerait en fidélité.
Supposez encore un de ces phénomènes rares , mais
possibles , et réalisés plus d'une fois dans le cours des
siécles derniers . Que , parmi les souverains de la Pologne
, il s'élève un prince doué de qualités étonnantes,
comme Frédéric , passionné pour les conquêtes comme
Charles XII ; qu'il réveille , au bruit de ses exploits ,
cette noblesse lasse enfin de sa longue oisiveté ; qu'en,
l'absence de la liberté , il lui fasse entendre ces paroles
magiques d'honneur et de vertu guerrière : elle
se précipitera sur ses pas , elle ira partout , dans les
2
58
MERCURE DE FRANCE ,
hasards , se rendre compagne de sa fortune et de sa
gloire. Pour lui , peut - être , verrait - on se renouveler les
efforts qu'avait inspirés l'amour de la patrie. L'affeetion
des sujets ressemblerait au zèle des citoyens , et
les enfants se dévoueraient à leur tour pour un maître
adoré , comme les pères s'étaient autrefois dévoués pour
leur république .
C'est ainsi qu'entraînés par une circonstance extraordinaire
, ou gagnés par une longue suite de ménagements
, les véritables Polonais viendraient se rallier
d'eux mêmes à leurs gouvernements . Alors , transformés
en Autrichiens , en Prussiens , en Russes , ils s'accoutumeraient
à une meilleure discipline ; et s'il se pouvait
qu'en vieillissant sous un joug étranger , leur caractère
national ne perdit rien de son énergie , les puissancès
n'auraient point de meilleures troupes . Mais cette
perspective est aussi incertaine qu'elle est éloignée.
€
Il y avait une autre manière de recueillir sans délai
le fruit d'une grande invasion , et l'on pouvait plus
promptement s'enrichir aux dépens des provinces conquises
, qu'y trouver d'ardents défenseurs . Sous ce rapport
, il reste à examiner quelles étaient les finances
de la Pologne , et à quelles contributions on l'a soumise.
Evalués dans notre monnaie , les revenus de l'état
se montaient à 12 millions. On n'y percevait nul impôt
foncier ; une simple taxe sur les cheminées , et une
capitation sur les juifs , rendaient environ 8 millions.
Les droits exigés à l'entrée des grandes villes ou sur le
cours de la Vistule , en rapportaient encore un , et trois
autres étaient le produit des salines de Wielitska. Ces
mines fameuses , qu'on exploitait depuis plus de 600 ans,
paraissaient inépuisables . C'est dans leur sein que les
relations de quelques voyageurs plaçaient une ville souterraine
, régulièrement bâtie , des édifices resplendissants
aux flambeaux comme des palais de diamants ,
et une colonie entière d'hommes qui n'avaient point vu
la lumière du soleil. Ce sont autant de folles exagérations.
Il est vrai qu'on trouve là des galeries spacieuses
et de vastes enceintes , dont les parois formées de la
mine même , jettent un certain éclat : on est frappé de
la grandeur et de l'apparente régularité des excavations.
Tout se réduit pourtant à la simple distribution 'qu'on
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observe dans le local des établissements de ce genre .
Seulement les dimensions de celui - ci sont étonnantes et
aussi vastes qu'a pu les produire le travail continuel
d'une multitude d'ouvriers , pendant plusieurs siécles.
et
Je vous ai parlé de la plus importante propriété nationale.
Il y en avait encore un grand nombre d'autres ;
mais leurs produits ne se versaient pas dans le trésor
public. On en cédait la jouissance aux citoyens
les plus recommandables , comme une récompense de
leurs services ; les premiers dignitaires de l'état y trouvaient
aussi une sorte d'émolument attaché aux grandes
charges. La destination de ces domaines , appelés sta-
Tosties , ressemblait donc parfaitement à celle des anciens
bénéfices , sous nos rois de la première race
lorsque les fiefs n'étaient pas encore devenus héréditaires
.Les starosties continuaient à ne point passer des pères
aux enfants ; leur concession devait même être renouvelée
, pendant la vie du titulaire , à chaque mutation
de souverain . Le roi de Pologne avait le droit d'en disposer
; c'était une de ses plus belles prérogatives . Comme
il nommait encore à tous les grades militaires et. à un
grand nombre d'emplois civils , les Polonis se vantaient
de ne lui avoir laissé que le plaisir de faire des heureux .
Il ne se passe pas d'heure dans le jour , disaient - ils
communément , où notre prince n'aye une grace àfaire
et un bienfait à répandre. Aussi , continuant à l'honorer
au milieu des institutions républicaines , prétendaientils
ne lui rendre que l'hommage libre de la reconnaissance.
Ils voulaient être ses amis ou ses créatures , plutôt
que ses sujets. Mais , à le voir entouré d'hommes qui
Je remerciaient sans cesse des faveurs obtenues , ou qui
en sollicitaient de nouvelles , on l'eût pris pour un monarque
absolu , et sa cour était une des plus brillantes
de l'Europe , quoique son autorité constitutionnelle fût
une des moins affermies.
Le prince n'était chargé que de sa dépense personnelle
et de l'entretien de sa maison . Pour y subvenir ,
il retirait à peu près un million des biens affectés à la
couronne. La république lui payait , en outre , comme
à son premier fonctionnaire , une forte pension sur le
trésor de l'état . On avait ensuite à solder l'armée , qui ,
comme vous l'avez vu , 'était peu nombreuse. Les autres
бо MERCURE
DE FRANCE
,
frais de l'administration n'étaient pas non plus considérables
, parce que , dans toutes les parties du service
public , les starosties suppléaient à la modicité des traitements.
En somme , les dépenses n'excédaient pas les
recettes ; la Diète , qui se faisait rendre un compte rigoureux
des unes et des autres , y portait un esprit d'économie
qu'on retrouve difficilement sous les autres formes
de_gouvernement.
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Lorsque le démembrement de 1773 fut opéré , les
mines de Wielitska tombèrent au pouvoir des Autrichiens
, et le roi de Prusse s'empara des péages sur la
Vistule. La république , qui avait ainsi perdu le tiers
de ses finances , y suppléa par divers moyens . On fit
une retenue sur le produit des starosties ; on augmenta
l'impôt sur les cheminées , celui sur les juifs , et le déficit
fut à peu près comblé. Mais , dans la dernière crise ,
il fallut se faire de nouvelles ressources pour soutenir
des efforts extraordinaires. La noblesse et le clergé , qui
jusqu'alors n'avaient rien supporté des charges de l'état,
s'engagèrent à lui donner le 25. " de leurs revenus , et
la plupart , ne consultant que leur patriotisme , déclarèrent
une fortune bien supérieure à celle qu'ils avaient
réellement. La conquête suivit de près , et le régime
Prussien est parti de ces déclarations enflées , pour asseoir
la nouvelle contribution foncière. On voit combien
elle peut être inégale et ruineuse pour les seigneurs qui
s'étaient montrés les plus généreux . En y comprenant
divers droits additionnels , tels que celui mis sur la
consommation des fourrages , et un autre exigé pour
l'érection des nouvelles cours de justice , on peut affirmer
que chaque propriétaire paye au moins le dixième
de son revenu. En même temps , les ecclésiastiques ont
été dépouillés de leurs biens , et je vous ai déja rendu
compte de l'adresse avec laquelle on s'y était pris pour
les réduire à de modiques pensions . Il a fallu moins de
ménagements pour entrer en possession , d'abord des
domaines royaux , et enfin de toutes les starosties . Après
en avoir privé , sans dédommagement , les anciens titulaires
, on en a fait une nouvelle distribution . Le lieutenant
de police de Berlin en a obtenu une , et celle
de Mescritz , rapportant plus de 40 mille livres de rente,
est devenue la récompense d'un autre Prussien , trèsMESSIDOR
AN IX. 61
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par le zèle qu'il a mis à servir les projets de sa
cour sur la Pologne.
Tant de mesures fiscales , tant de spoliations , n’auront
pas néanmoins rempli l'attente d'un gouvernement
qui paraît possédé du desir de thésauriser. Il
règne un tel désordre dans la perception des deniers
publics , que la majeure partie en est dissipée avant
d'arriver à lui. On sait , par exemple , que la régie de
tous les biens du clergé , dans le palatinat de Pozen ,
ne rapporte guère plus de 36,000 écus net ; de même ,
le montant total des contributions énormes , levées dans
cette province qui est une des plus riches , ne va pas
au-delà de 400 mille livres , tous frais déduits. C'est
donc au profit des employés subalternes , que les peuples
sont foulés.
Dans les portions échues en partage à l'Autriche et
à la Russie , l'impôt est plus modéré , et perçu avec
plus d'économie. La cour de Vienne n'a point troublé
les ecclésiastiques , ni les starostes , dans leurs jouissances.
Celle de Pétersbourg s'est probablement imposé
la même réserve , et , suivant la méthode usitée dans
son empire , elle fait contribuer les seigneurs , en proportion
du nombre de leurs serfs . Cette base fixe les
sauve au moins des injustices particulières ; mais , s'il
règne là un ordre constant et sévère dans toutes les
parties de l'administration , c'est que les premiers agents
de l'autorité tremblent devant elle , comme les derniers
de ses sujets.
« Les armées françaises ont entièrement évacué le
pays ennemi. Toutes nos troupes sont repassées sur
la rive gauche du Rhin. - L'armée de l'empereur ,
qui était sur la Rednitz , est de , son côté , rentrée en
Bohême. La Suabe , la Franconie , et générale ment
les pays situés entre la Bohême , les états héréditaires
et le Rhin , ont été restitués aux princes de l'Empire
auxquels ils appartenaient . Un régiment de cavalerie
et une demi-brigade d'infanterie occupent encore le
Brisgau , jusqu'à ce que les agents du duc de Modene ,
auxquels ce pays doit être remis , soient arrivés pour
en prendre possession . Comme le duc de Modène n'a
1
62 MERCURE DE FRANCE ,
pas encore de troupes à lui , il a été convenu qu'un
régiment autrichien qui serait connu des deux puissances
servirait de troupes auxiliaires au duc de Modène
, sans que d'autres corps de l'armée autrichienne
puissent sortir des états héréditaires pour entrer en
Allemagne.
" Les fortifications des places de Dusseldorff , Ehrenbreistein
, Cassel et Kehl , ont été démolies , conformé- ,
ment à un article du traité de Lunéville. Ces places .
resteront dans l'état où elles se sont trouvées au moment
où les Français les ont évacuées .
"
« Plusieurs commandants avaient évacué la rive droite .
du Rhin sans dresser procès-verbal de l'état où on
laissait les fortifications de ces places ; le dépôt de la
guerre ayant demandé ces procès - verbaux , les commandants
de Dusseldorff et de quelques autres points ,
ont dû repasser sur la rive droite , dresser des procèsverbaux
de l'état des places , et les faire signer par les
syndics des villes . Cette opération a été faite en vingtquatre
heures.
" En Italie , toute la rive droite de l'Adige est occupée
par l'armée française. Des contestations se sont
élevées pour les points de Torbole , de Mori et de
Riva ; elles ont été levées de concert par les deux
puissances. Ceux de ces points qui appartenaient jadis
à la république de Venise , font partie de la république
cisalpine ; ceux qui appartenaient au Tyrol , continueront
à faire partie de l'évéché de Trente.
"
Quelques contestations se sont élevées entre le
pape et la république cisalpine pour les limites du côté
de la Romagne. Il a été décidé qu'on prendrait pour
arbitre le traité de Tolentino . Ainsi les pays que le :
gouvernement cisalpin a fait occuper , qui ne faisaient
pas partie de l'ancien territoire de la Romagne , ont
dû être évacués , le pape n'ayant cédé , par le traité de
Tolentino , que les legations de Ferrare , Bologne et
la Romagne. La plus grande harmonie règne entre les
troupes que commande le général Soult et qui occupent :
la presqu'ile d'Otrante , et les peuples de ce pays , ainsi ,
que le gouvernement napolitain . Quatre-vingt pièces
d'artillerie doivent être en ce moment en batterie , pour
défendre la superbe rade de Tarente.
MESSIDOR AN I X. 63
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En Toscane , les présidi ont été remis à l'armée
française. Nos troupes ont occupé Orbitello où elles
ont trouvé une très - belle artillerie. La partie de l'Elbe
qui appartenait au roi de Naples , est occupée par les
Français . Porto - Langone est approvisionné convenablement.
Porto- Ferrajo n'a pas encore voulu se rendre.
Le conseil d'état discute les mesures à prendre pour
la main - levée du séquestre dans la Belgique ; cette
matière importante sera incessamment décidée.
"
Le traité de Lunéville a été , est et sera ponctuel
lement exécuté par la république . Celui de Florence ,
qui a terminé la guerre avec le roi de Naples a été , est et
sera pareillement ponctuellement executé ; et celui de
Tolentino , qui sert aujourd'hui de base pour ce qui est
relatif au pape , est également en pleine exécution . La
Hollande a jugé à propos de faire des changements
dans sa constitution : conformément aux principes du
gouvernement français , de n'intervenir aucunement dans
Tes affaires de ses alliés , à moins qu'ils ne le demandent ,
le'gouvernement ne se mêle en rien , des changements
que les Hollandais ont jugé à propos de faire dans
leur organisation intérieure.
"
L'Helvetie a dû songer aussi à se donner une organisation
définitive. Son gouvernement provisoire a
pensé devoir présenter au premier consul différents pro
jets , pour avoir son opinion sur celui qui paraissait le plus
convenable. Le premier consul s'est contenté de faire
aux CC. Glaire et Steffler , députés de l'Helvétie ,
cette seule observation , que le meilleur projet de constitution
de l'Helvétie serait celui qui aurait ce caractère
principal , de n'être applicable qu'à elle , et dans
lequel on reconnaitrait les circonstances particulières
du territoire , du climat et des moeurs de l'Helvétie
qui ne ressemble à aucun autre état européen ; que ,
du reste , le gouvernement français ne voulait aucunement
influencer leur délibérations ou diriger leurs
pensées. Les autorités constituées de l'Helvétie paraissent
s'être accordées sur le point de se donner une
organisation définitive .
"
Les autorités de la Ligurie ont discuté différentes
idées de constitution sans pouvoir s'accorder . Il parait
64
MERCURE DE FRANCE ,
toutefois qu'elles discutent en ce moment un projet plus
conforme à leurs habitudes que ceux qui leur avaient
été soumis. On doit espérer que les autorités liguriennes
s'accorderont incessamment ; et ce peuple est sur le
point de fixer aussi son organisation définitive.
« Le sort du Piémont n'a pas dû encore être décidé
d'une manière positive ; mais l'anarchie , les brigandages
et les désordres de toute espèce dont ce malheureux
pays était la proie , ont dû fixer la sollicitude du
gouvernement. Une organisation provisoire à peu près
semblable à celle des quatre départements réunis , du
temps où ils ne fesaient pas partie de la république ,
a été adoptée, et déja ce brave peuple éprouve quelque
soulagement et quelques espérances.
« Les peuples de la Lombardie et des légations réunies
dans un seul corps de nation , ont leur liberté et leur
existence assurées par les traités de Lunéville et de
Tolentino .
Avant la fin de l'année , une constitution forte
réunira leurs différents intérêts , et pourvoira à leurs
divers besoins. Plusieurs projets , discutés par la consulte
, n'ont pas paru être de nature à concilier l'opinion
de ces peuples ; mais déja le nombre des troupes
françaises est diminué de plus de moitié , l'ordre se
rétablissant ; et le gouvernement provisoire de cette
république fait des fonds considérables pour mettre sur
un pied respectable les places de Peschiera , Porto-
Legnago , la Roque - d'Anfo et Pizzightonne .
" Le roi d'Etrurie sera bientôt à Florence.
Ainsi tous les petits états qui ont reçu de nouvelles
modifications par le traité de Lunéville , sont tous en
chemin d'arriver à leur organisation définitive , et de
goûter enfin un peu de repos et de bonheur , après tant
de vicissitudes et de calamités .
Quant aux indemnités que doivent avoir le ci - devant
grand-duc de Toscane , le ci - devant stathouder et les
princes ci - devant possessionnés sur la rive gauche du
Rhin , c'est l'objet constant des soins et des discussions
de la diete de Ratisbonne . Le conclusum de la diete
vient seulement d'arriver à Vienne ; et avec un peu de
MESSIDOR AN IX.
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"
liant et de modération de la part des grandes puisil
sera facile de concilier tous les intérêts.
Toutes les communications que le gouvernement a
reçues jusqu'ici de l'empereur Alexandre , sont propres
à donner une idée avantageuse du cabinet de Saint-
Pétersbourg , de l'esprit de modération et de la sagesse
qui y règnent .
" Toutes les colonies danoises et suédoises ont été
enlevées par l'Angleterre . Ces conquêtes ont été faciles .
Le petit - fils de Catherine n'abandonnera pas ses voisins
du Nord. On ne croit pas que l'Angleterre ait aucune
envie de garder la belle colonie de Sainte - Croix .
"
Une fregate portugaise a mouillé à Lorient ; elle
portait M. d'Aranjo , chargé des pleins - pouvoirs de la
reine de Portugal ; mais les armées espagnole et francaise
étaient déja entrées en Portugal . Il ne paraît pas
que le roi d'Espagne et la république française puissent
faire la paix avec cette puissance , sans avoir entre les
mains quelques provinces du seul allié qui reste sur le
continent à l'Angleterre , pour servir de compensation
lors de la paix avec cette dernière , pour la restitution
des colonies espagnoles et hollandaises.
Les plaies que la guerre a faites au continent , dans
les dernières années du siécle passé , commencent à se
cicatriser. Le gouvernement britannique veut- il since-
Tement mettre un terme à la guerre présente ? Le ministère
actuel le dit . On saura probablement bientôt
le cas que l'on doit faire de ces protestations. Les journalistes
ministériels répètent souvent que tout est en
-mouvement sur les côtes de France pour une expédition
contre l'Angleterre ; c'est par eux qu'on apprend
à Paris les détails de ces préparatifs. Quel est leur
but ? Veulent- ils exaspérer davantage deux nations qui
ne se sont que trop longtemps battues ? Quoi qu'il en
soit , nous osons assurer qu'une paix honorable et juste
est la premiere pensée du gouvernement français ; la
guerre n'est que sa seconde pensée . »
5 .
(Extrait du journal officiel).
5
66 MERCURE DE FRANCE ,
INTERIEUR.
SUITE du résumé sur la dernière session du
Corps législatif.
CHEZ
HOSPICES.
Enfants abandonnés .
HEZ plusieurs peuples , une politique barbare , une
législation atroce ; chez tous , et dans tous les temps , la
misère , plus encore la corruption des moeurs , le crime ,
et une honte tardive qui ne réparait pas , mais consommait
le crime , ont dévoué à la mort , ou abandonné à
la charité publique une foule d'innocentes victimes . De
tout temps aussi, un des plus difficiles problèmes de la législation
fut de prévenir ou corriger les torts de la
fortune , ou les funestes effets du vice .
En France , l'exposition des enfants fut longtemps
défendue sous les peines les plus rigoureuses ; mais cette
rigueur même trompa les vues du législateur , et les
crimes se multiplièrent On reconnut qu'il fallait plutôt
songer à remédier au mal , que non pas à l'empêcher.
En 1638 , saint Vincent de Paule fonda à Paris le
premier établissement des Enfants- Trouvés.
· -
Depuis cette époque , le nombre de ces infortunés a
toujours été grossissant , soit que l'indigence ou l'immoralité
ayent atteint un plus grand nombre d'individus
, soit que la facilité même de placer leurs enfants
dans ces asiles ait paru à plusieurs un moyen
de se débarrasser
des frais et des soins de l'éducation , ou enfin
parce que le crime en continuant ses désordres , cessa
d'être homicide. L'esprit de famille n'en fut pas augmenté;
il en souffrit peut- être parmi la classe mal - aisée ,
mais du moins l'état conservait des citoyens.
On voit , par un arrêt du conseil , du 10 janvier 1779 ,
que les abus , dans un objet si important , ne sont pas
nouveaux , Les neuf dixièmes de ces enfants périssaient ,
MESSID.OR AN IX. 67
De
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ou dans des transports sans précautions , ou dans les
maisons mêmes qui les devaient recevoir ,
mais que
que le
défaut d'air, de nourriture , ou de propreté , conver
tissait en de vastes tombeaux . On se plaignait aussi
qu'une grande partie des enfants abandonnés provenaient
pourtant d'unions légitimes. M. Necker , dans
son administration des finances , répète les mêmes
plaintes ; et , frappé de l'imperfection des mesures que
prenaient à cet égard les législateurs humains , il terminait
par ces paroles , qu'on permettra de citer : Je ne
puis m'empêcher , dit- il , d'inviter les curés et les autres
ministres de l'église à redoubler de zèle , pour détourner
de ces crimes secrets contre lesquels les lois ont si peu
de pouvoir. Philosophes de notre siécle , contentezvous
d'avoir concouru à dégager la religion des préjugés
d'une dure intolérance. Vous aurez un grand
tort , si vous voulez davantage . Laissez aux hommes
le frein le plus salutaire et la plus consolante des pensées.
"
---
Autrefois les seigneurs haut-justiciers étaient obligés
d'entretenir les enfants exposés sur leur territoire , et
de pourvoir à leur éducation . Cette charge était une
compensation des droits d'épaves , de déshérences et
de bâtardise. Ces droits furent supprimés , et un
décret du 29 novembre 1790 déchargea les ci - devant
seigneurs de l'obligation qui en était une suite. Les enfants
abandonnés furent tous à la charge de l'état .
Divers règlements ont été faits depuis , en attendant
une organisation complète .
La Convention nationale a voulu que les enfants désignés
ci- devant sous le nom d'Enfants - Trouvés , portassent
à l'avenir le nom d'Enfants naturels de la patrie ;
des sommes considérables leur furent allouées , et des
secours particuliers , décrétés en faveur des mères qui
allaiteraient leurs enfants ; le salaire des nourrices fut
augmenté , et enfin sont intervenus la loi du 27 frimaire
an V , et l'arrêté du 30 ventose , en exécution de cette
loi. On y retrouve les sages dispositions que les anciennes
ordonnances contenaient également , et que le gouver-
´nement consulaire exécute aujourd'hui .
Nous nous empressons de rappeler ici la lettre que le
68 MERCURE DE FRANCE ,
ministre de l'intérieur , Chaptal , écrivit le 8 pluviose
aux préfets des départements.
L'état actuel des enfants abandonnés s'élève
60,000 *.
L'administration qui soigne leur enfance , a plusieurs
devoirs à remplir envers eux. C'est beaucoup sans
doute , que de donner des soins paternels à leurs premières
années ; mais il faut encore envisager le moment
où , sortant des hospices pour se répandre dans la société
, ces êtres malheureux doivent porter en eux des
moyens suffisants pour assurer leur existence et servic
leur patrie.
Une prévoyante administration doit préparer ces
moyens , en faisant contracter de bonne heure , par
P'habitude d'un travail journalier , l'exercice d'une profession
honorable.
Par là les hospices des enfants abandonnés présenteront
partout une main - d'oeuvre économique aux manufacturiers
, et ils deviendront une pépinière féconde
d'artistes et d'artisans .
Indépendamment du travail qui peut s'exécuter dans
les hospices , les ateliers particuliers réclament le secours
de ces jeunes gens , et le gouvernement doit les
mettre à la disposition des compagnies qui pourront les
employer utilement. Mais il n'oubliera pas qu'il en est
le tuteur , et , par conséquent , son intérêt paternel les
suivra jusque dans l'atelier , où ils seront reçus. Il doit
leur continuer ses soins , exercer sur eux la même surveillance
, les protéger contre l'injustice , ou les mauvais
traitements , et concilier , dans tous les cas , les
droits sacrés de l'humanité avec les obligations que leur
impose l'étude de leur profession .
Le ministre de l'intérieur arrête :
Art. I. Les préfets des départements sont autorisés
à placer dans les divers ateliers et fabriques de leurs
arrondissements , tous les enfants abandonnés qui ont
l'âge et les forces nécessaires pour entrer en apprentissage.
II. La remise desdits enfants abandonnés aura lieu
M. Necker, en 1785 , le portait à 40,000.
MESSIDOR AN IX.
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d'après un traité que les préfets feront avec les compagnies
, ou les propriétaires desdits ateliers .
III. Ce traité fixera 1.º le nombre des enfants abandonnés
qui devront être remis ; 2.0 l'âge jusqu'auquel
lesdits enfants resteront dans lesdits établissements ;
3. les règlements nécessaires pour le maintien des
bonnes moeurs , pour la police et la discipline intérieure ;
4. les clauses et conditions sous lesquelles lesdites compagnies
ou propriétaires de manufactures s'obligeront de
loger , nourrir et entretenir lesdits enfants abandonnés ,
et de les perfectionner dans l'art de la lecture et l'écriture
; 5. le genre , l'ordre et la gradualité du travail
qui doivent être tels , qu'à l'âge qui sera fixé d'après la
différence des sexes , lesdits enfants abandonnés soient
assurés de trouver des moyens d'existence dans les
moyens d'industrie que l'instruction et la pratique leur
auront donnés.
IV. Au moment de l'entrée desdits enfants abandonnés
dans les ateliers ou manufactures , les compagnies
ou propriétaires d'ateliers fourniront aux administrateurs
des hospices , une reconnaissance qui énoncera
la mention faite sur un registre de la date de la remise
desdits enfants , de leurs noms , prénoms , âge et
sexe.
Ledit registre , sur papier timbré , sera visé , coté
et paraphé à chaque page par le maire ou un adjoint.
V. En cas de mort ou d'évasion d'aucun desdits enfants
abandonnés , sur le champ et à la réquisition
desdites compagnies et propriétaires , il en sera dressé
procès -verbal le maire ou les adjoints de la commune.
L'extrait en forme , dudit procès- verbal , sera
remis aux administrateurs de l'hospice duquel lesdits
énfants abandonnés auront été extraits .
par
Ledit procès - verbal constatant la mort ou l'évasion
sera mentionné sur le registre de l'administration de
Phospice , et sur celui desdites compagnies , ou desdits
propriétaires de manufactures.
VI. Les enfants mis à la disposition de particuliers
ne cesseront pas d'être sous la surveillance de l'autorité
civile , qui s'assurera : 1.° si les conditions du traité
Ces dispositions bienfaisantes avaient reçu quelques ap70
MERCURE DE FRANCE ,
sont observées ; 2.° si le travail n'est pas forcé ou
disproportionné à l'âge ; 3.º si la nourriture est saine
et suffisante ; 4. ° si les moeurs sont respectées ; 5.º si
l'instruction est convenable , etc.
VII. Tous les traités convenus entre les préfets et
les manufacturiers et propriétaires , ne pourront être
mis à exécution qu'après avoir reçu l'approbation du
ministre de l'intérieur .
En vertu de cet arrêté , un grand nombre d'enfants
abandonnés sont déja placés d'une manière aussi avantageuse
à l'état , qu'ils indemniseront un jour de ses
avancés , que profitable à eux-mêmes.
Ainsi le sort de ces malheureux enfants sera du moins
adouci , et ne peut que s'améliorer de plus en plus . S'il
est de la destinée d'un grand état de renfermer toujours
une classe d'hommes , condamnés dès leur naissance
à ignorer les soins maternels et les tendres caresses
d'un père , du moins le gouvernement doit-il
s'efforcer d'en diminuer le nombre. La révolution les
a multipliés , et longtemps encore la société se ressentira
de l'ébranlement de tous les principes. Mais
enfin le mariage rétabli dans ses droits et son antique
honneur , l'éducation étendue à tous , et bien dirigée ,
les progrès de l'agriculture , le perfectionnement des
arts et la prospérité du commerce , les établissements
d'humanité , et le bien- être , des pauvres ; toutes ces
causes auront chaque jour une influence plus sensible ;
elles rétabliront cet esprit de famille , si bizarrement
calomnié par certains philosophes , qui , vous dispenplications
sous l'ancien régime . Les enfants , placés chez des
artisans de toute espèce , restaient aussi sous la surveillance
de l'administration ; et pour exercer cette surveillance , on
avait créé une place d'inspecteur des apprentis.
Le dernier qui occupa cette place importante , dont le
double objet était de protéger les maîtres contre la légèreté,
la paresse et l'indocilité des apprentis , et les apprentis
contre la dureté , l'avarice , ou l'insouciance des maîtres ,
fut le C. Lambert. Il l'a remplie avec honneur depuis le
19 juin 1784 , jusqu'au 12 juin 1789.
MESSIDOR ANLX 71
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té,
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sant d'aimer votre père ou votre enfant , prétendaient
vous inspirer un vif intérêt pour l'habitant de la Chine ,
ou le sauvage de la nouvelle Hollande . Mais les systèmes
passent tôt ou tard , et les lois sacrées de la
nature survivent aux systèmes comme aux révolutions.
La nature et l'hymen , voilà les lois premières ,
Les devoirs , les liens des nations entières ;
Ces lois viennent des Dieux ; le reste est des humains.
Les hôpitaux militaires ont dû fixer plus que jamais
l'attention du gouvernement. Lorsque l'Europe entière
retentissait des exploits de nos armées , ces victoires
mêmes , qui ont coûté tant de sang et de blessures
demandaient que l'on préparât des asiles où nos braves
soldats pussent goûter le repos et réparer leurs forces.
Dans plusieurs villes, on a établi des succursales de l'hôtel
national des Invalides , et leur service a été assuré par
un arrêté du 8 germinal dernier. Quatre hôpitaux maritimes
sont placés à Brest , à Toulon , à Rochefort et
au Port- de-la- Liberté , outre les hôpitaux temporaires
qui , en cas de nécessité , seront momentanément établis
dans d'autres ports. Divers arrêtés ont eu pour but de
prévenir les abus de tout genre ; ils rappellent un monument
précieux d'administration , Pordonnance du
1. janvier 1780 : tout y est prévu , empêché ou réformé.
On a remarqué plus d'une fois que ces anciennes ordonnances
étaient , en général , un trésor de sagesse et
d'expérience. Il est peut- être difficile de faire des règlements
meilleurs . Mais ce qui doit assurer aujourd'hui
T'exécution de ces règlements , ce sont les témoignages
particuliers d'intérêt et de surveillance que Bonaparte
donne aux soldats , comme il leur a donné si souvent
l'exemple de la valeur. Il a visité dernièrement l'hôpital
de la garde consulaire , situé au Gros - Caillou ; il a questionné
les officiers de santé , les malades , le directeur,
et est sorti , content de la manière dont les malades
étaient soignés. Cette noble inquiétude du premier
consul équivaut , pour des soldats français , aux règlements
qui assurent leur bien - être .
er
72 MERCURE
DE FRANCE
,
Un médecin d'une réputation justement méritée .
vient de prononcer sur l'état actuel de l'enfant trouvé
dans les bois de l'Aveyron , et de décider que ce prétendu
sauvage n'est autre chosé qu'un imbécille . Les
changements favorables survenus dans les facultés morales
de ce jeune homme , depuis qu'il a été confié à mes
soins par l'administration des établissements de bienfaisance
, et depuis que le G. Pinél a cessé de le voir ,
ne me permettent pas de partager son opinion , et me
mettent dans le cas d'en énovéer une plus favorable.
Je me propose de la soumettre bientôt à l'examen des
savants et à l'impartialité même du docteur Pinel , en
publiant les faits nouveaux sur lesquels je m'appuie , et
qui composent, en quelque sorte , l'histoire des premiers
développements de la pensée de cet enfant . Quant à
présent , je me borne à assurer que , doué des facultés
de tous les êtres pensants , ce jeune infortuné commence
à donner des preuves d'attention , de mémoire et de
jugement.
ITARD
, (
Médecin de institution des Sourds- Muets,
Tous les journaux ont parle des fêtes données au
comte de Livourne par le ministre des relations extérieures
, par celui de l'intérieur , et par celui de la
guerre.
La première a eu lieu à Neuilly. Un très - beau concert
, dans lequel M.me Scio et M. Grassini ont fait
briller tour à tour des talents égaux , dans un genre
different ; des illuminations de la plus grande magnificence
, représentant le palais Pulli et d'autres monunients
de la ville de Florence ; un souper superbe ,
servi sous des orangers , qui rappelaient au prince le
ciel et les jardins du pays qu'il va gouverner ; tels ont
eté les principaux ornements de la fête. Les arts de
l'esprit en augmentaient l'agrément ; de jolis couplets
et des vers improvisés , faible image de ces productions
singulières qu'enfante si souvent l'imagination
ardente des poètes italiens , ont célébré les destinées
de l'Etrurie. Il paraissait impossible d'ajouter à l'éclat
MESSIDOR AN IX. 73
4
1
mobile et varié des illuminations , des femmes , des
fleurs qu'on trouvait partout , et de donner un caractère
plus aimable à cette fête , tour-à - tour magnifiqué
et champêtre.
Celle du ministre de Pintérieur a été plus particulièrement
la fête des talents et des beaux-arts. La comédie
française y était représentée par Molé , d'Azincourt ,
Caumont, Michaud , M.lles Contat , Devienne , Mars et
Mézeray ; des danses séduisantes étaient exécutées par
Vestris , Gardel , Saint- Amand, Beaulieu, M.mes Gardel
, Clotilde , Chevigny , Chameroy , etc.; la musique
était dirigée par Rey , Kreutzer , Duvernoy, Sallentin
, Xavier Lefebvre , et réunissait à peu près tout ce
que l'opéra et le conservatoire possèdent de plus parfait
. Partout de l'intérêt et de la grace , de l'ordre et de
la variété ; des esquisses de Teniers dans les jardins ;
des tableaux de l'Albane dans les appartements.
me
Le ministre de la guerre , ne pouvant demander aux
arts des efforts plus aimables , a lié sa fête à des sou
venirs plus glorieux . C'était l'anniversaire de la bataille
de Marengo. La galerie , décorée de nos trophées , était
remplie des guerriers à qui nous les devons . Pendant
le soupé , servi sous une tente , au milieu d'on camp
simulé, la g . demi-brigade d'infanterie légère , exécutait
des évolutions militaires au bruit du canon , et
le ballon de l'aeronaute Garnerin traçait dans les airs ,
en caractères de feu , le nom de Marengo . Le bal ,
auquel le roi d'Etrurie a dansé plusieurs contre - danses
avec Mle de Beauharnais et M.lle Lebrun , s'est prolongé
jusqu'à six heures du matin...
0
Le C. Mazéas , né à Landernau , dans la ci - devant
province de Bretagne , au mois de mars 1713 , auteur
d'un ouvrage estimé sur les mathématiques , est mort ,
à Paris , âgé de 88 ans. Cię
Le préfet du département de la Nièvre a pris un ar
rêté , d'après lequel tous les enfants de la patrie qui n'auront
pas eu la variole , seront vaccinés. L'opération sera
confiée aux médecins de chaque hospice . Ils seront tenus
de recueillir leurs observations sur les sujets vaccinés .
Ce mode d'inoculation vient d'être introduit en Espagne .
74 MERCURE DE FRANCE ,
Suivant un arrêté de la consulte législative , du 23
floréal an 9 , la république cisalpine est divisée en douze
départements : Agogna , Lario , Olona , Serio , Mella ,
Alto Pó , Mingio , Crostolo , Panaro , Basso Pô , Reno ,
Rubicone ; chaque département , en districts.
Le total de sa population est de 3,857,668 individus..
Le C. Berard , de Briançon , associé correspondant
de la Société d'agriculture de Paris , auteur de plusieurs
inventions relatives aux arts et aux sciences , possède
un photophore , espèce de lampe , au moyen de laquelle
on peut lire le petit cicero , à plusieurs mètres de diset
qui ne consomme que 4 onces d'huile en 24
heures. On peut voir cette lampe chez l'auteur , rue de
Thionville , n. ° 1840.
tance ,
Le C. Vermeil , jurisconsulte , a été nommé , par le
sénat conservateur , membre du tribunal de cassation
en remplacement du C. Desfongères , décédé.
On avait mis en question la validité du mariage.contracté
par des émigrés , rayés provisoirement et rentrés
en France. Le ministre de l'intérieur a décidé que l'officier
civil ne pouvait refuser de recevoir la déclaration
de mariage d'un citoyen , sous le prétexte qu'il est encore
sous la prévention de l'émigration. Tout ce qu'il
doit faire , c'est de s'assurer si les personnes ont les
qualités requises , et si elles ont rempli les conditions
prescrites par la loi du 29 septembre 1792 .
-
Il paraît une brochure ayant pour titre l'Après diner
de Mousseaux , ou la Défense d'Atala . L'auteur , après
avoir rendu justice aux talents et aux connaissances
du C. Morellet , relève quelques unes des réflexions
critiques sur le roman intitulé Atala. Il prétend que
l'analyse et la grammaire ne suffisent pas pour tout
expliquer ; mais que dans les ouvrages d'imagination ,
le sentiment a souvent décidé , tandis que le raisonnement
cherche en vain des démonstrations . A ce sujet ,
il oppose au critique le plaisir des lecteurs et le succès
de ce petit ouvrage , qui vient d'être traduit en anglais
, en allemand , en italien , et dont la quatrieme
édition se vend chez Migneret , rue Jacob , n.° 1186 .
MESSIDOR AN IX. 75
5
t
ne
36
L
STATISTIQUE du département des Hautes-
Alpes *.
ASPECT DU DÉPARTEMENT.
LE département des Hautes-Alpes , hérissé de rochers ,
de glaciers , coupé par une multitude de torrents et
de précipices , n'offre à l'oeil rien que de repoussant.
On conçoit difficilement que des hommes ayent pu se
déterminer à fixer leurs habitations dans ces vallées
profondes et étroites , que le soleil semble éclairer à
regret , et qui , soumises à toutes les rigueurs d'un
climat âpre et variable , dédommagent à peine le cultivateur
de ses sueurs et de ses avances : on évalue
aux deux tiers de la surface du département , ce qui est
occupé par les montagnes , et perdu pour l'agriculture.
Presque tout le reste est composé de couches vegétales
souvent peu profondes , dès lors peu fertiles et
menacées chaque jour par les eaux qui se précipitent
des montagnes.
RIVIÈRES.
Aucune rivière ne porte ici l'abondance en favorisant
le commerce. On n'y voit que des torrents . La
Durance , qui est la plus considérable , inonde quelquefois
les vallées les plus fertiles. Le Drac , les deux
Bruchs , le Sevraïsse , le Romanche , le Guils , produisent
les mêmes ravages , mais sur de moindres
surfaces.
TEMPÉRATURE.
Le vent du nord qui souffle assez constamment dans
ce's vallées , et qui n'y arrive qu'après avoir passé sur
les glaciers et les neiges éternelles qui les environnent ,
accroît la rigueur et la durée des hivers. La neige
séjourne jusqu'à 7 ou 8 mois sur la terre , et alors les
habitants demeurent privés de toute communication .
* Cette statistique vient d'être imprimée à l'imprimerie ,
des sourds et muets , rue et faubourg Saint - Jacques .
7.115.
76 MERCURE DE FRANCE ,
Pendant les autres saisons , la température est très - variable.
Les vents violents , les ouragans , les alternatives
de chaud et de froid dans la même saison , dans la
même journée ; les grêles , qui sont très- fréquentes ,
menacent les récoltes jusqu'au moment de la moisson .
Tous les ans il y a des contrées entières frappées par
quelque fléau de cette espèce .
DIVISION D U TERRITOIRE .
Il n'y a point de villes considérables dans le département
des Hautes- Alpes. Gap , chef - lieu , ne compte
environ que 6000 ames , encore la population s'est - elle
accrue depuis la révolution . Du reste , des maisons mal
bâties et plus mal distribuées , des rues étroites et en-
'combrées de fumiers , un pavé inégal et enfoncé de
toutes parts par les passages fréquents de l'artillerie et
des convois militaires , tel est l'aspect de Gap . Cette
ville , plus considérable avant la guerre de 1692 , pendant
laquelle elle fut incendiée , n'aurait besoin que .
de débouchés et de communications pour prendre un
accroissement sensible .
Embrum, petite ville , était autrefois chef-lieu d'un
archevêché , c'est dife assez que la révolution lui a porté
un coup funeste .
"
La ville de Briançon est peu de chose par elle -même.
Mais ces forts entassés qui dominent toutes les vallées ,
toutes les grandes routes , en font une des principales
clefs de la France . Elle acquiert aujourd'hui plus
d'importance par la démolition des, forteresses d'Italie ,
et en cas de guerre , elle deviendra nécessairement
par la suite , le point de départ des armées , leur
arsenal , l'entrepôt des munitions et des subsistances.
a
Briançon , placé sur un sol ingrat , mais avantageusement
situé pour les communications extérieures ,
toujours eu plus de mouvement , plus d'instruction et
plus d'industrie que toutes les autres villes du département.
Mont-Lyon , autrefois Mont - Dauphin , situé au dé-
'bouché des vallées du Queyras et de Vars , est une
place très-forte par sa situation et par les ouvrages de
l'art. Elle bat les routes d'Embrun et de Briançon , et
serait très - propre à arrêter l'ennemi , s'il parvenait à
MESSIDOR AN IX. 77
tourner ou à emporter de vive force la position de
Tournou.
POPULATION.
D'après des calculs récents et authentiques , la population
du département des Hautes - Alpes s'élève à
118,100 ames. Cette population , plus considérable
qu'autrefois , malgré les pertes de la guerre , tend à le
devenir encore davantage , par les suites de la révolution
. On a suffisamment expliqué comment la division
des propriétés , la plus grande aisance des habitants
des campagnes et par conséquent la plus grande
facilité des mariages , doivent augmenter le nombre
des naissances.
CONSTITUTION DESHABITANT S.
{
Quoique l'on ne compte pas dans ce pays des
exemples remarquables de longévité , les santés y sont
généralement robustes . L'habitant est fort bien conformé
, ses muscles sont prononcés , .son teint peu coloré
et rembruni ; mais plusieurs causes affaiblissent et dé--
truisent même en partie ces principes de santé qu'un
air vif et pur tend à développer avec tant d'avantage,
D'abord l'usage continuel des viandes salées et d'un
pain très -grossier , dans les campagnes , occasionne ou
doit occasionner beaucoup de maladies. Il faut
compter encore la mauvaise distribution des maisons ,
le petit nombre des fenêtres , l'habitude que conserve
l'homme de la campagne , de coucher dans les écu
ries sur des tas de fumier humide , l'usage des corps
de baleine pour les femmes et pour les enfants , la
mal-propreté , la fatigue excessive , et enfin les ignorances
de la médecine , pour toutes sortes d'indispositions
, même celles qui proviennent d'échauffement.
Une ordonnance invariable prescrit des échauffans
sudorifiques , tels que la sauge , la gennépi , le poivre
et le gingembre , infusés dans du vin , etc.
PETITE VÉ ROLE .
On sent que , parmi de tels hommes , l'inoculation
doit trouver peu de partisans. Cette pratique a été
justifiée par de nombreux succès , depuis vingt années
78
MERCURE
DE FRANCE
,
auqu'elle
y a été introduite par le C. Dheralde ,
jourd'hui de Gap. Mais les vieux préjugés sont plus
forts que l'expérience , et la petite vérole continue de
dépeupler des contrées entières. Le nombre des enfants
qu'elle a emportés cette année , dans le Briançonnais ,
est prodigieux .
SAGES · FEMME S.
Il est peu de départements où l'on ne se soit élevé.
contre ces sages - femmes , répandues dans les villages
où elles abusent si cruellement de la confiance qu'elles
ont usurpée. On calculerait difficilement le tort que
ces charlatans femelles font à la population , soit par
le nombre des enfants qu'elles immolent ,
soit par le
nombre des mères qu'elles rendent stériles . Ce qu'il
y a de plus déplorable , c'est que l'habitant des campagnes
, accoutumé à leur pratique meurtrière , les
préfèrent , sans hésiter , à l'accoucheur le plus habile."
Il est temps que la loi vienne au secours de l'humanité
, en assujettissant à des examens et à l'exhibition
de diplomes ceux ou celles qui se livrent à des fonctions
aussi importantes. Un cours d'accouchement dans
chaque chef-lieu de département me paraît indispensable
. Ce voeu sans doute a déja été énoncé par un
grand nombre de préfets.
MALADIES VÉ NÉRIENNE S.
Une autre cause de dépopulation se développe de
plus en plus dans les Hautes-Alpes . Les maladies vénériennes
, presque inconnues avant la guerre , s'y propagent
avec une rapidité effrayante , depuis le passage
et le séjour des armées. Ce fléau qui tue les générations
futures , et qui a déja sensiblement altéré la constitution
robuste des habitants , appelle toute la vigilance de
l'administrateur.
GoÎTRE.
Les habitants du val Gaudemar , de quelques vallées
Briançonnaises , sont sujets au goûtre. Jusqu'à présent
on avait cru trouver la cause de cette difformité dans
la crudité des eaux de neiges , qui n'ont pas eu le
temps de s'imprégner d'air et de se purifier en filtrant
MESSIDOR AN IX. 79
"
dans les terres. Mais il faut nécessairement recourir à
une autre explication , puisque dans certaines communes
, placées à mi - côte et où l'on se sert d'eaux
prises quelquefois au pied des glaciers , l'on ne voit
point de goîtreux , tandis que l'on en voit un grand
nombre dans les villages situés au fond de la vallée
où l'on use des mêmes eaux , mais plus battues et par
conséquent plus pures.
ÉMIGRATION ANNUELLE.
L'extrême rigueur des hivers occasionne dans les
vallées briançonnaises et dans quelques autres contrées
montagneuses , une émigration annuelle. Pendant la
mauvaise saison , il ne reste dans les villages que les
femmes , les enfants et les vieillards . Les hommes ,
dans la force de l'âge , pénètrent dans les départements
méridionaux. Là, ils vivent à force d'industrie
et de travail . Au printemps , ils rapportent , dans
leurs chaumières , quelques épargnes qui aident à
payer les contributions. Ces longues absences
nuisent point à la population . Nulle part les enfants
ne sont aussi nombreux que dans les vallées où elles
ont lieu. On dit que , depuis la révolution , cette émigration
périodique a sensiblement diminué ; il serait à
desirer qu'elle cessât entièrement , et que , pendant
l'hiver , des ateliers , des manufactures , fournissent
aux pères de famille les moyens de subsister dans leur
patrie.
MEUR S.
"
ne
Au milieu de ce climat presque sauvage , on trouve
cependant des moeurs douces et sociales , une teinte
heureuse de caractère. De l'autre côté de la Durance ,
les têtes sont exaltées les vengeances atroces , les
partis furieux ; ici avec la lenteur et l'apathie des esprits
, règne la sagesse et la modération ; les habitants
n'ont vu que de loin , et , pour ainsi dire , du haut de
leurs montagnes , les orages de la révolution . Toujours
ils se sont signalés par de nombreux sacrifices , et leurs
pauvres récoltes ont fourni , plus d'une fois , aux besoius
de nos armées .
On ne voit point parmi eux de citoyens opulents . On
n'en trouve même que très -peu qui vivent seulement dans
80 MERCURE DE FRANCE,
l'aisance . Au reste , leurs besoins sont aussi bornés que
leurs ressources.-Leur vie simple et patriarchale garantit
le respect des propriétés et la tranquillité publique . Il
est rare que la justice ait à frapper quelques coupables.
Depuis six mois deux assassinats ont été commis , et on
les cite avec effroi , comme une chose sans éxemple ,
depuis un temps immémorial.
Les vieillards du Briançonnais se souviennent encore
du temps où les portes , sans serrures , laissaient les
maisons sous la sauvegarde de la foi publique . Mais
depuis le passage et le séjour des troupes , la confiance
a disparu avec la bonne - foi .
AGRICULTURE.
Dans un pays hérissé de rochers , où la température
change d'une vallée à l'autre , suivant la position des
montagnes et la direction des vents , la qualité et la
fertilite du sol doivent nécessairement varier. Aussi
vers le nord , les terres sont généralement plus légères ,
quelquefois le rocher se trouve à deux ou trois pouces
de profondeur. Ailleurs , les terres sont fortes , glaiseuses
, tandis que plus loin elles ne sont qu'un mélange
de cailloux et d'un peu de sable . Ces différences
essentielles devraient en amener dans la manière de
cultiver. Elle est cependant uniforme pour tout le département.
On n'a pu encore déterminer les habitants
à substituer , dans les lieux qui en sont susceptibles ,
la grande charrue ou du moins l'araire à une petite
pointe de fer qui ne fait qu'effleurer la surface de la
terre , et ne prépare à la semence qu'une couche déja
épuisée.
PRAIRIES ARTIFICIELLES.
Les prairies artificielles sont presque inconnues ,
quoique plusieurs expériences en aient démontré les
avantages. La chicorée sauvage , si productive et l'un
des meilleurs fourrages , abonde dans ce pays , et il ne
s'agirait que de la caltiver. Le colza et le turneps n'y
réussiraient pas moins ; toutes ces differentes cultures
permettraient aux laboureurs de réserver à d'autres
usages la paille qu'ils mêlent avec le foin , pour la
nourriture du bétail. D'ailleurs , les prairies artificielles ,
en augmentant les fourrages , contribueraient à la
multiplication des troupeaux , et par conséquent à la
prospérité de la ferme.
‹( N.º XXVI. ) ´ 16 Messidor An o
DEPT
MERCURE
DE FRANCE
LITTÉRATURE.
ཏི ཝེ
TRADUCTION de la fin du second livre des
Géorgiques de VIRGILE , depuis le 458. vers
jusqu'au 542.°
e
HEUREUX le laboureur s'il connaît ses richesses !
Voyez comme la terre , en ses justes largesses s
Loin du bruit , des combats , lui verse à tout moment , 1
De son sein libéral un facile aliment .
Si , dans de longs parvis que les arts enrichissent ,
Les cliens , dont les flots sans relâche grossissent ,
Ne vont point au matin saluer sa faveur jumal ardın
Si de hauts lambris d'or , tout pleins de sa grandeur ,
N'étalent point aux yeux errans dans leur enceinte ,
Les tapis de la Perse et l'airain de Corinthe ;
Si sa laine à Sidon n'est point teinte à grands frais ;
Si , pour flatter son goût , il ne mêle jamais
La canelle odorante aux flói's purs de l'olive ; .
Du moins , riche des biens qu'en ses champs il cultive ,
Sa vie a des plaisirs qui ne l'ont pas trompé :-
L'innocence , la paix les grottes de Tempé
De limpides viviers , quélqué forêt prochaine , ´
Le facile sommeil qu'il trouve au pied dan chêne ,
Et le boeuf mugissant , et les bois et les prés.
5
6
82 MERCURE DE FRANCE ,
1
Ici , comme les Dieux , les pères sont sacrés ;
La frugale jeunesse aux travaux est instruite ;
C'est dans les champs qu'Astrée , au moment de sa fuite ,
Prête à revoir les cieux , fit son dernier séjour.
O charme de ma vie , et mon premier amour !
Muses ! à tous les biens , c'est vous que je préfère .
Révélez- moi d'abord quelle force étrangère
Soulève l'océan , le rabaisse à grand bruit ,
Ebranle au loin la terre , ou cache dans la nuit ,
Et la lune en travail , et le soleil livide ;
Comment ces globes d'or se meuvent dans le vide ,
Pourquoi des promptes nuits l'été borne le cours ,
Et pourquoi de l'hiver les soleils sont si courts .
MAIS si mon sang trop froid à de tels voeux s'oppose ,
Ah ! qu'au fond des forêts , sans gloire , je repose !
Je n'aimerai que vous ', vallons , grottes , ruisseaux !
Taiëte , o porte-moi sur ces riants coteaux ,
Où les vierges de Sparte , à grands cris rassemblées
Le thyrse dans les mains dansent échevelées !
Puissé-je , ô Sperchius , fouler tes bords fleuris !
Sombre Hémus , ouvre - moi tes verdoyants abris !
O ! qu'en tes frais vallons , qu'en tes bois je m'arrête ,
Et qu'un ombrage épais protège au loin ma tête!
HEUREUX qui , pénétrant les lois de l'univers,
Foule à ses pieds le sort , la peur et les enfers , 127
Et Cerbere , et le bruit de l'Achéron avare.
Mais trop heureux aussi qui , dans les bois s'égare ,
Suit , adore les Dieux , protecteurs du berger ,
Pan et le vieux Sylvain , et le faupe léger ,,
Et leurs aimables soeurs , les Dryades champêtres .
Ni le choc , des états prêts à changer de maîtres ,
MESSIDOR AN I X. 83
Ni l'orgueil des faisceaux , ni l'homicide fer ,
Ni le Dace accouru des rives de l'Ister ,
Ni les frères armés par l'implacable Envie ,
Ni la chute des rois n'ont altéré sa vie.
L'aspect de l'indigent n'attriste point ses yeux ,
Et des trésors du riche il n'est point envieux.
Il cueille en paix les fruits que son terrain lui donne
Ou que l'arbre en été de lui -même abandonne .
Il ignore nos lois , les comices , nos moeurs ,
Et le vaste forum plein de folles clameurs .
1
D'AUTRES fendent les mers d'abîmes parsemées ,
Pénètrent dans les cours , volent dans les armées.
Ici le fer en main , le vainqueur furieux
Du foyer des vaincus exilant tous les Dieux ,
Renverse le cités pour boire dans l'Opale ,
Et fouler dans son lit la pourpre orientale .
L'avare aime à couver son trésor enfoui ,
Des palmes de la scène un autre est ébloui ,
Et celui -ci , du peuple implorant les suffrages
Ose de la tribune affronter les orages .
Le frère immole un frère , et , loin de son berceau
Sous un autre soleil va chercher un tombeau.
LE laboureur , suivant sa tâche fortunée ,
Fend le sein de la terre , et nourrit chaque année
L'état , les jeunes fils que forment ses leçons ,
Et le boeuf qui mérite une part des moissons .
Les mois , en ramenant ses trésors et ses peines ,
Fécondent son verger , son étable , ses plaines.
Nul repos , jusqu'aux jours où ses grains rassemblés
Font gémir sous leur poids ses greniers accablés.
L'ÉTÉ fuit : son pressoir dans les jours de l'automne ,
84
MERCURE
DE
FRANCE
,
Distille en gouttes d'or l'huile de Sicyone .
Ses bois chargent sa main de leurs fruits variés ;'
Le gland a réjoui ses porcs rassasiés ,
Et sur la roche enfin de pampres embellie ,
La chaleur du soleil cuit la grappe amollie.
Cependant de ses fils , il voit le doux essaim
Se suspendre à sa bouche , à ses bras , à son sein .
La paix et la pudeur gardent son chaste asyle ;.
D'intarissables flots son lait blanchit l'argile ;
La génisse l'apporte , et ses chevreaux heureux ,
En opposant leurs dards , déja luttent entre eux .
Lui-même , avec les siens , suivant les moeurs antiques ,
Autour du feu , sur l'herbe , en des fêtes rustiques ,
Boit , et t'offre , ô Bacchus , en chantant tés faveurs ,
La coupe aux bords rougis , et couronnés de fleurs.
A la lutte invités ses pasteurs se saisissent ;
Dans ce rustique jeù leurs corps nus s'endurcissent ,
Et , courbé sous leurs mains , l'arc en des jeux plus doux ,
Doit atteindre l'ormeau qu'il désigne à leurs coups.
Tels vivaient , en guidant le soc héréditaire , '
Les vieux Sabins , le Volsque , et Remus et son frère ,
Et du monde soumis , étonnant les regards ,
Rome ainsi renferma sept monts dans ses remparts , etc.
Par un abonné. T
FABLE.
LA ROSE.
MA Soeur A soeur, qu'avez-vous done ? Vous répandez des pleurs,
Disait la Tulipe à la Rose.
--
Ah ! c'est avec trop juste cause ;
Apprenez quels sont mes malheurs,
MESSIDOR AN IX. 85
J'aimais un Papillon , brillant , jeune , adorable ;
Lui - même il me trouvait aimable ;
Me le disait du moins , et de l'accent du coeur.
O dieux ! qu'il était enchanteur ,
Quand , reposant son vol sur ma tige flexible ,
Soumis , il me jurait une éternelle ardeur !
Eh bien le croirez - vous , ma soeur ?
Il m'abandonne , le volage ;
La Jonquille aux pâles couleurs.
Est le bef objet qui l'engage.
Ah! tous ils sont de même , inconstants et trompeurs ;
J'y renonce l'amour m'a trop causé de peines ;
J'abjure pour jamais son empire et ses chaînes,
Elle exhalait ainsi ses mortelles douleurs.
Un de ces étourdis paraît , s'approche d'elle ;
Avec transport il s'écria :
Que vous êtes charmante et belle !
A ces mots , la Rose oublia y
Qu'un Papillon est infidelle .
GRENUS.
86 MERCURE DE FRANCE ;
ENIGM E.
Voyageuse de mon métier ,
Je parcours la plaine azurée.
L'espèce dont je suis peut se glorifier
De toutes les couleurs dont Iris est parée.
Souvent arrêtée en mon cours ,
Je tombe en des mains sanguinaires
Qui me forcent encor de prêter mon secours
A l'assassinat de mes pères .
Que de biens ! que de maux je procure aux humains !
Ministre du public et celui du mystère ,
Je travaille de toutes mains ,
Et , sans parler , je sais ne me pas taire.
LOGO GRIPHE.
Pour aller me trouver , il faut plus que des pieds ,
Et souvent en chemin on dit sa patenôtre ;
Mon tout est séparé d'une de ses moitiés ,
La moitié de mon tout sert à mesurer l'autre .
Mots de l'Enigme et du Logogriphe insérés
dans le dernier Numéro.
Le mot du logogriphe , est crochet , où l'on trouve
rochet , roche , croche , Roch , стос › roc.
Le mot de l'énigme , est mort.
MESSIDOR AN IX. 87
ODES D'AN ACREON , traduites enfrançais,
avec le texte grec , la version latine , des notes
critiques , et un discours sur la musique
grecque , par J. B. GAIL , professeur de
littérature grecque au collège de France.
Nouvelle édition , ornée d'estampes et d'odes
grecques , mises en musique , par Méhul et
Chérubini. De l'imprimerie de Didot l'aîné
à Paris.
ILL est peut-être plus facile d'être le rival d'Anacréon
que son traducteur. Dans tous les temps ,
des esprits aimables , au milieu du délire de l'amour
et des festins , trouvèrent quelques-uns de
ces chants qui ont rendu le poète grec immortel .
Voyez Chaulieu s'asseoir aux banquets du temple ,
entre M.me Lassay et M. de Bouillon . Entendezle
chanter le verre à la main , et dire à sa maîtresse :
me
A l'envi de tes yeux : ô ! comme ce vin brille !
Viens m'en verser , Philis , et noyer de ta main ,
Dans sa mousse qui pétille ,
Les soucis du lendemain .
Qu'importe que la vieillesse
Vers moi s'avance à grand pas ,
Quand Epicure et Lucrèce
M'ont appris que la sagesse
Veut, qu'au sortir d'un repas
Ou des bras de sa maîtresse ,
Content , l'on aille là-bas ?
.88 MERCURE DE FRANCE ,
Pour moi , qui crois telles choses
Conformes à la raison ;
Je veux , couronné de roses '
Rendre visite à Pluton .
Je vois , d'un ceil sec , la Parque
Qui commence à se lasser ,
Et Caron fréter la barque
A Qui va bientôt me passer.
Lisez ces stances charmantes , où Voltaire a mis
tant de grace , de sentiment et de mélodie.
Si vous voulez que j'aime encore ,
Rendez -moi l'âge des Amours ;
Au crépuscule de mes jours ,
Rejoignez , s'il se peut , l'aurore .
Des beaux lieux , où le Dieu du vin
Avec l'Amour tient son empire ,
Le Temps , qui me prend par la main,
'M'avertit que je me retire .
Il est certain qu'en composant des vers semblables,
Chaulieu et Voltaire reproduisaient tout le génie
d'Anacréoni Mais s'ils ont chanté comme lui , c'est
qu'ils étaient animés d'un enthousiasme aussi doux .
La même Muse , en quelque sorte , avait monté
leur lyre et dictait leurs vers . Il est rare que les traducteurs
ayent le même avantage . Toute traduction
exige un peu d'effort . Rendra -t- elle , avec
vérité , ces chansons du plaisir qui doivent être
faites de verve , et s'échapper au sein de la joie ?
S'il faut cueillir ces fleurs , c'est d'une main légère ;
On flétrit aisément leur beauté passagere.
On n'ignore pas que ces fleurs ont été quelqueMESSIDOR
AN IX. 89
fois touchées par des mains un peu pesantes. La
grace vaut mieux ici que la science ; et toute l'éru
dition des plus graves hellénistes , tous les travaux
du savant Lefebvre et du respectable Dacier , sont
moins près d'Anacréon que la folie de Chapelle
et l'oisiveté de Desyveteaux.
Heureusement cette observation ne peut s'ap
pliquer au C. Gail . Il a senti son modèle ; sa traduction
, si on en, excepte quelques négligences
déja relevées , est correcte , pure , élégante . Mais ,
en dépit de tous les efforts , on ne peut faire passer
dans la prose la mieux travaillée des beautés aussi
délicates que celles d'Anacréon . Il faut un La Fontaine
, ou du moins un Chaulieu , pour les transporter
dans notre langue avec succès. On se
rappelle l'heureuse imitation que le premier a faite
de la troisième ode intitulée : 'Amour mouillé.
Il ne sera pas inutile de rapprocher des vers de
La Fontaine la prose du nouveau traducteur. La
Voici : .
«
«<
Naguères , tandis que l'Ourse tourne près de
<< la main du Bouvier , vers le milieu de la nuit ,
<< temps où reposent les mortels fatigués des travaux
du jour , l'Amour survenant tout-à - coup ,
<< heurte à ma porte . Qui frappe ? m'écriai-je ;
qui vient troubler mon songe ? -Ouvre , répond
<< l'Amour , ne crains pas ; je suis un petit enfant ,
« je suis mouillé ; il n'y a pas de lune , j'erre dans
<< les ténèbres. Je l'entendis , j'eus pitié de lui . Ma
lampe rallumée , je vois un petit enfant ailé ,
qui avait un arc et un carquois. Je l'assieds près
<< du feu ; je rechauffe ses petits doigts dans mes
<< mains , je lui presse les cheveux , je les essuye.
«
«<
90 MERCURE DE FRANCE ,
«<<
« Cà , dit-il , dès qu'il fut réchauffé : essayons si la
pluie n'aurait point un peu gâté la corde de cet
<< arc. Il le tend , et me lance un trait rapide qui
<< me perce. Puis , sautant et riant aux éclats , il
<< me dit Adieu , mon hôte ; mon arc est en
« bon état , mais je crois ton coeur bien ma-
<< lade. »
Cette version , sans doute , est bien inférieure
à l'imitation de La Fontaine , et rien , dans ce jugement
, ne peut humilier le C. Gail : il en conviendra
lui -même. Ce qui peut d'ailleurs le consoler,
c'est que La Fontaine est préférable à l'original luimême.
Il a mis , ce me semble , dans son récit , des
circonstances plus naïves.
se nomme.
Ouvrez , dit-il , je suis nu ;
Moi , charitable et bon - homme ,
J'ouvre au pauvre morfondu ,
Et m'enquiers , comme il
Je te le dirai tantôt ,
Repartit-il , car il faut
Qu'auparavant je m'essuie ;
J'allume aussitôt du feu .
Il regarde si la pluie
N'a point gâté quelque peu
Un arc dont je me méfie .
Ce dernier vers contient un trait charmant, qui
n'est point dans le poète ancien , non plus que ces
vers dont l'expression simple et naturelle est toutà-
fait propre à La Fontaine :
Moi , charitable et bon- homme ,
J'ouvre au pauvre morfondu , etc.
MESSIDOR AN IX. 91
qui
ces
Dut-
Tout ce qu'ajoute le poète français , donne un
nouveau charme à ce petit tableau .
Je dis pourquoi craindre tant ?
Que peut-il ? C'est un enfant.
Ma couardise est extrême
D'avoir eu le moindre effroi ;
Que serait- ce si chez moi
J'avais reçu Polyphème?
Ces réflexions sur la faiblesse de l'enfant ne sont
point dans l'original et n'en ont pas moins d'agrément.
Il me semble aussi que la dernière image
a plus d'effet dans La Fontaine :
L'enfant , d'un air enjoué ,
Ayant un peu secoué
Les pièces de son armure
Et sa blonde chevelure ,
Prend un trait , un trait vainqueur ,
Qu'il me lance au fond du coeur.
Amour fit une gambade ,
Et le petit scélérat
Me dit Pauvre camarade ,
Mon arc est en bon état ;
Mais ton coeur est bien malade.
Cette attitude de l'amour , qui , prêt à lancer
le trait , secoue les pieces de son armure et ses
blonds cheveux , n'est-elle pas plus pittoresque et
plus gracieuse dans l'imitateur que dans le modèle
?
Au reste , le fond des idées d'Anacréon est nécessairement
peu varié . Elles tirent tout leur prix
92 MERCURE
DE FRANCE
,
de l'élégance du style et de l'expression vraie
de la joie. Il chante tour- à-tour la rose qui couronne
ses cheveux , la colombe qui porte ses messages
à la jeune fille qu'il aime , et sa coupe autour
de laquelle serpente une vigne ou l'écharpe
de Vénus ; c'est- là tout le sujet de ses odes , et
quelques strophes ont suffi pour éterniser sa gloire .
On exigerait plus aujourd'hui . Les images de ce
poète ont été trop employées de siècle en siécle
dans les vers qui portent son nom , pour n'être
pas devenues un peu vulgaires. Ce n'est point
en les répétant qu'on l'égalera . Il faut vivre , sentir
, être inspiré comme lui ; et c'est - là ce qui
manque en général aux poètes qu'on nomme
anacreontiques
n'a
Ce genre , comme tous les jeux de l'imagination ,
que des moments , et s'épuise vite. C'est pourquoi
J. B. Rousseau disait , en parlant de Gresset ,
je voudrais , qu'après avoir usé les pinceaux
d'Anacreon , il employât ceux de Virgile. Cependant
le même Rousseau a pris dans Anacréon ,
le sujet d'une de ses plus belles cantates après
celle de Circé . C'est la cantate des Forges de
Lemnos , imitée de l'ode 45. d'Anacréon .
me.
Voyons d'abord comme le C. Gail l'a traduite :
« Aux antres de Lemnos , l'époux de Vénus forgeait
avec l'acier les flèches de l'Amour ; Cypris
en trempait dans du miel la pointe acérée ;
Cupidon y mêlait du fiel . Mars un jour revenait
des combats , brandissant sa redoutable
<« lance , et parlant de ces traits avec dédain :
« tiens , lui dit Cupidon , celui - ci est - il perçant ?
Juges en par expérience . Mars prend le trait ;
Cypris sourit. Oh ! oui , bien percent , dit Mars ,
«
«
*
«
MESSIDOR AN IX; 93
x
ès
le
n.
e :
or-
Cye
;
veble
in :
nt?
ait ;
ars ,
« avec un gémissement . Reprends , reprends .
« -
Garde , répliqua l'Amour .»
Lisons maintenant Rousseau" :
Aux antres de Lemnos , où Vulcain , nuit et jour ,
Forge de Jupiter les foudroyantes armes ,
Vénus faisait remplir le carquois de l'amour ;
Les Grâces , les Plaisirs lui prêtaient tous leurs charmes,
Et son époux , couvert de feux étincelants ,
Animait en ces mots les Cyclopes brûlants.
Travaillons , Vénus nous l'ordonne ,
Excitons ces feux allumés :
Déchaînons ces vents enfermés ;
Que la flamme nous environne;
Que l'airain écume et bouillonne ;
Que mille dards en soient formés ;
Que , sous nos marteaux enflammés ,
A grand bruit , l'enclume résonne .
C'est ainsi que Vulcain , par l'Amour excité ,
Armait contre lui - même une épouse volage ,
Quand le Dieu Mars , encor tout fumant de carnage ,
Arrive , l'oeil en feu , le bras ensanglanté ,
Que faites-vous , dit - il , de ces armes fragiles ,
Fils de Junon , et vous , Calybes assembles ?
Est- ce pour amuser des enfants inutiles
(
Que cet antre gémit de vos coups redoublés ?
Mais , tandis qu'il s'emporte - en des fureurs si vaines ,
Il se sent tout - à coup frappé d'un trait vengeur.
etc. , etc. , etc.
79
Le récit de Rousseau est , comme on voit ,
plus riche et plus animé. C'est avec l'harmonie
et l'expression de Virgile , qu'il a lutte contre les
graces d'Anacréon.
94 MERCURE DE FRANCE ,
Ces vers admirables ,
Que l'airain écume et bouillonne ;
Que , sous nos marteaux enflammés ,
A grand bruit , l'enclume résonne .
rappellent ceux de Virgile , et ne leur sont point
inférieurs.
Illi inter sese magnâ vi brachia tollunt
In' numerum versant que tenaci forcipe ferrum.
L'exemple de Rousseau et de La Fontaine apprend
comme il faut imiter les anciens , et comme
on peut les embellir.
Tous les amis de la littérature grecque doivent
de la reconnaissance au C. Gail . Il est un
de nos plus laborieux hellénistes ; il joint le
mérite d'un style pur à celui de l'érudition . Ses
notes sont instructives .
Cette édition , très-soignée , sort des presses de
Didot l'aîné. Le luxe de la typographie et de la
gravure ne peut être mieux employé qu'à l'ornement
d'un poète , dont le nom revient après
deux mille ans au milieu de toutes les fêtes de
l'Amour et de la Volupté.
D.
1
MESSIDOR AN IX. 95
{
A visible display of Divine Providence ; or , the
journal of a captured missionary , etc. , etc.
Journal d'un missionnaire , destiné pour
la mer Pacifique , fait prisonnier dans le
second voyage du vaisseau le Duff , commandé
par le capitaine Thomas Robson
pris , à la hauteur du cap Frid , par le
Grand-Bonaparte , vaisseau armé en course ,
commandé par le capitaine Auguste Carbonel
, le 19 février 1799 ; par William
Gregory , un des missionnaires ; un vol in-8.º ,
avec des gravures.
CET ouvrage anglais aurait plus d'un titre pour être
traduit dans notre langue , et il le mériterait de préférence
à tous ces romans insipides et monstrueux ,`
qui , en concurrence avec les nôtres , et avec une déplorable
fécondité , fournissent au désoeuvrement tant
de lectures frivoles ou nuisibles . Le faire connaître
c'est peut-être l'indiquer à quelqu'un de ceux qui se
livrent à ces entreprises. Du moins la mention qui en
sera faite ici empêchera que les faits intéressants qu'il
contient demeurent entièrement ignorés parmi nous . Je
crois que nous aurions trop à y perdre.
Le 13 décembre 1798 , le vaisseau le Duff fit voile
de Portsmouth pour les îles de la mer du Sud. L'objet
de son voyage était d'y transporter et d'y déposer
trente missionnaires évangéliques. Parmi eux , il y en
avait dix qui emmenaient leurs femmes et leurs enfans.
Ceux-ci étaient au nombre de sept , et quelques-unes
des femmes étaient enceintes.
96
MERCURE
DE
FRANCE
,
9
Le motif d'une pareille expédition de la part des
Anglais et au nom de la religion protestante , inspire
d'abord quelque surprise. On n'est pas accoutumé à
voir cette nation courir les mers dans de telles intentions
, ni à trouver le prosélytisme au nombre des
caractères de la religion réformée . Cependant on ne
doit pas ignorer que dans le nombre des sectes si
multipliées des non - conformistes , il y en a de trèszélées
; et que dans quelques- uns des Etats-Unis de
l'Amérique , à la formation desquels des motifs religieux
ont eu tant de part , il existe des établissements
publics pour la propagation de l'évangile , parmi les
peuplades des sauvages. Ce voyage du Duff était le
second qu'il faisait à la mer du Sud pour le même
objet. On voit dans l'ouvrage , qu'il s'est formé à
Londres , sous la dénomination de Société des missionnaires
, un établissement presque semblable à celui
qui exista longtemps parmi nous , sous celle de
Missions étrangères. On peut donc appliquer , aussi
aux Anglais ces vers de Voltaire , dans la tragédie ,
d'Alzire, touchant les Espagnols :
T
Tous ces conquérants ,
Ainsi que tu le crois , ne sont pas des tyrans.
Il en est que le ciel guida dans cet empire ,
Moins pour nous conquérir qu'afin de nous instruire ;
Qui nous ont apporté de nouvelles vertus ,
Des secrets immortels et des arts inconnus ,
La science de l'homme , un grand exemple à suivre ,
Enfin l'art d'être heureux , de penser et de vivre .
11.49
1-99
162 99
Il ne faut pas que des préventions , auxquelles ont
donné lieu quelques relations exagérées ou romanes ,,
ques des premieres découvertés des îles de la mer
Pacifique , nous portent légèrement à jeter du blâme,
MESSIDOR AN IX 197
sur de semblables expéditions. On ne se persuadera pas
que ces peuplades ne peuvent tirer aucune utilité des
moeurs et des exemples que leur portent ces missionnaires.
Ce serait renouveler la question de la barbarie et
de la civilisation , bonne tout au plus à fournir des traits
à l'indignation du satirique , des figures à la véhémence
de l'orat cur , et des raisons à la folie du misanthrope ;
mais indigne de la philosophie , qui doit rougir qu'on
l'ait sérieusement agitée en son nom . Peut- on douter
que le système social de ces peuples ne puisse être
perfectionné par l'exemple du nótre ? Qu'on ouvre les
voyages de Cook et ceux des navigateurs qui l'ont
suivi , on y verra que les sacrifices humains s'y renouvellent
fréquemment. Si Gélon mérita tant de
gloire pour avoir exigé la suppression de cette abominable
coutume en accordant la paix à Carthage ,
comment pourrait - on refuser de l'estime et de l'interêt
à des entreprises qui ont la même fin , et dans
lesquelles on s'engage à travers des périls de tout
genre , sans autres armes que celles de la persuasion
et sans autre ambition que le triomphe de
l'humanité ? La gloire et la fortune , ces mobiles de
la plupart des entreprises difficiles , sont, remplacées
ici par des motifs et des espérances qui ont leur source
dans des idées religieuses. Osera - t - on en affaiblir
l'importance et en rabaisser la valeur ? Montesquieu ,
Reynal lui - même et d'autres philosophes, nous ont
appris que l'Europe doit à la religion une grande
partie des conquêtes de la civilisation. Il faut , l'avouer
; depuis les chants orphiques jusqu'aux chants
chrétiens , depuis les instituteurs des Pelasges jusqu'aux
apôtres de la Germanie, et des Gaules , c'est
toujours un culte qui a chassé la barbarie . Ainsi a
commencé toute civilisation , à Jove, principium ; et
l'on peut mettre en doute s'il y aurait eu parmi les
7.
"
5
°
Bayerische
Simatsbibinyak
München
98 MERCURE DE FRANCE ,
hommes des institutions véritablement sociales , des
lois de propriété , et , à leur suite , de l'industrie , du
commerce , des arts et de la philosophie , si avant
tout il n'y avait eu des religions . A cette vérité historique
, tellement incontestable , qu'on la trouve à
P'origine de toutes les histoires et qu'elle en est le premier
fait , se rattache une foule de questions sociales
et religieuses de la plus haute importance . Le
principe religieux , après avoir donné l'existence à la
société , est - il nécessaire à sa conservation et à sa
durée , ou peut - il y devenir indifférent ? La pierre
fondamentale des sociétés peut - elle être brisée impunément
quand l'édifice est élevé ? ………
De telles questions
sont belles , grandes et utiles ; on s'afflige de ne
pouvoir les discuter philosophiquement sans allumer les
passions , envenimer les haines et exciter l'inquiétude.
?
Je reviens à la relation du voyage . Peu d'incidents
étaient survenus dans son cours , pendant une navigation
d'environ deux mois , lorsque , aux approches
de Rio-Janeiro , où le Duff devait relâcher , il fit la
rencontre d'un corsaire français , qui croisait dans ces
parages , le Grand-Bonaparte , capitaine Carbonel , qui
s'en empara sans obstacle. On peut juger des craintes.
et de la désolation des missionnaires , des femmes
des enfants , tombés au pouvoir d'un corsaire français .
On plaint ces infortunés , en songeant combien , à
cette époque de la puissance du directoire exécutif,
le caractère de prêtre , et la profession d'homme religieux
étaient une mauvaise recommandation ! Mais
bientôt on est rassuré. La générosité , l'humanité françaises
étaient alors représentées au milieu des mers ,
et le bâtiment d'un corsaire en était l'asile . Dans tout
le cours de ce récit , on est agréablement ému des
procédés humains et même des égards touchants du
capitaine français , et de l'effusion de reconnaissance.
*
erloai¬ays@
Ja:Buididāt
nentM
MESSIDOR AN IX.
99
avec laquelle ils sont rapportés par l'écrivain anglais .
Le capitaine Carbonel , après la capture qu'il fit du
Duff, voulant continuer quelque temps encore sa
croisière , expédia sa prise , avec les femmes et les
enfants , pour Monte Video , établissement espagnol ,
et retint les hommes à son bord . Cette séparation fut
très - douloureuse pour des femmes , des maris , des
enfants. Celui qui écrit la relation se vit séparé , par
cette mesure, de sa femme enceinte et déja très-avancée
dans sa grossesse , et de trois petits enfants. Il raconte
cette circonstance de la manière la plus naïve , et on
s'attendrit en le lisant . Mais bientôt c'est le capitaine
français qui produit ce sentiment , lorsqu'il exp ime
ses regrets de la conduite qu'il est obligé de tenir . Ici ,
je dois traduire l'auteur et le laisser parler lui -même :
Le capitaine français , lorsqu'il eut entendu la lec
ture des instructions des directeurs de la mission
parut excessivement touché de notre malheur . Il
dit que s'il avait su qui nous étions , et dans
quelle oeuvre nons étions engagés , plutôt que de
s'emparer de nous , il eût mieux aimé donner 500 louis
• de son argent propre. Mais , qu'actuellement , les
lois de son pays , ses officiers , son équipage le forçaient
d'en agir comme il faisait . Il nous assura que
« les femmes et les enfants seraient parfaitement
bien traités , vu que les officiers qu'il avait mis à
bord de la prise étaient des hommes fermes et
« honnêtes dont il répondait ; qu'il était fâché d'avoir
séparé les maris de leurs femmes , ce qu il n'aurait
« pas fait , s'il eût été informé de ce qu'il venait d'apprendre
; mais que , dans chaque prise qu'il ferait
"
K
R
« après celle du Duff, il les mettrait à bord , et les
- enverrait à la même destination.
3
邀
On voit par la suite de la relation , que le capitaine
tint avec exactitude tout ce qu'il avait promis.
1
100 MERCURE DE FRANCE ,
f On voit aussi qu'il avait su composer son équipage
d'officiers dignes de lui. Adcun des traits qui les
honorent n'est omis dans l'ouvrage ; et ils sont nom→
breux. Tantôt on les trouve faisant restituer, aux passagers
, avec une juste rigueur , les effets qui leur ont
été enlevés ; quelques hommes de l'équipage étaient
prêts à se porter à des outrages contre une dés prisonnières
un officier s'oppose seul , avec intrépidité , à
deur violence ; il emploie la force et l'autorité , protége
et punit avec bienséance , justice et valeur. On dirait
un corsaire monté par des chevaliers.
"
-
J'omets à regret un grand nombre de particularités
intéressantes . Je dirai seulement qu'après une croisière
heureusement terminée par la capture de plusieurs bâti
ments portugais, le Bonaparte se rendit, à son tour, dans
la rivière de la Plata . Il s'y réunit à toutes ses prises , et
retrouva la mission , à laqiielle'il fut encore d'une grande
utilité. Le commandant espagnol , obéissant à des ordres
supérieurs , se refusait à laisser mettre à terre des étran²
gers d'uné nation ennemies Renfermés en grand nombre
et sons un climat brûlant , dans l'étroit espace d'un
navireils y éprouvaient beaucoup d'incommodités.
Les représentations du capitaine , soǹ humanité , son
industrie , triomphèrent de tous les obstacles . Les
femmes , les enfants et même un assez grand nombre
de missionnaires furent , par ses soins , mis à terre et
obinrentles agréments qu'il fat en son pouvoir de leur
procurer. M. Jones et M. Gregory accouchèrent ;
il faut lite dans l'ouvrage avec quelle joie le bon mis
sionimire , devenu pere , obtint , et toujours par l'intervention
du capitaine , la liberté de baptiser avec
solennité son enfant , selon le rit de son église. H
raconte tous les détails de cette cérémonie avec une
naïve satisfaction qui se conanunique. L'enfant est
présenté par le capitaine et plus d'un lecteur aimerà
me
"
TMESSI DOREAN SIX. ΤΟΥ
a
་ ་
,,,
peut-être , ainsi que moi , à se représenter un capitaine
, corsaire français , s'alliant , en quelque sorte
par les liens du compérage , avec un prêtre anglais
sur les bords de la Plata , en présence , ainsi qu'il est
consigné dans l'ouvrage , « d'Européens ,, d'Africains ,
d d'Américains , de sentiments opposés et de cultes
différents ; catholiques - romains , infidelles et protestants
, choisis parmi toutes les nations du globe , de
France , d'Espagne , d'Angleterre , d'Afrique , du
nord et du sud de l'Amérique. -Tous les étrangers
présents à la cérémonie , ajoute l'auteur , s'y mon-
« trèrent très - attentifs , se comportèrent avec la plus
grande décence pendant toute la durée du service ;
« et , me remerciant de la faveur que je leur avais
faite , il's me priren't tous la main avec attendrisse-
" ment , et je la leur serai ayée émotion . En, même
temps leur visage exprimait la joie et lá satisfaction
« la plus vive ; enfin , ils se retirerent parfaitement
contents . Ma femme ayant quvert un cornet de
papier que lui ' avait donné le capitaine Carbonel , y
« trouva des bombons pour notre enfant , et au fond
deux portugaises d'or en présent pour le jeune étranger.
Nous ne nous en aperçumes qu'après qu'il nous
" eut laissés.
་ ་
«
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"
--
"
{
T
2
?
J'abrége les détails , et je me borne à dire que le capitaine
Carbonel se prêtant à tous les arrangements compatibles
avec les circonstances et ses devoirs , ayant réglé
avec le capitaine de la prise les conditions d'échange
et de cartel , l'autorisa à se procurer un bâtiment pour
se rendre en cette qualité à Rió - Janelio. Les missionnaires
se flattaient d'y trouver les moyens de poursuivre
leur voyage et de se rendre à leur destination .
Mais étant tombés dans une flotte portugaise qui se
rendait en Europe , le bâtiment qui les portait fut
condamné comme n'étant pas en règle. Devenus alors
102 MERCURE DE FRANCE ,
en quelque sorte prisonniers de leurs alliés , ils eurent
à regretter les traitements qu'ils avaient trouvés sur
un corsaire ennemi . La suite de la relation ne contient
plus que l'expression de leurs regrets. Les comparisons
qu'ils y établissent entre les Français et les Portugais , sont
toutes honorables pour les premiers . Enfin , ils aurivent
au port de Lisbonne , d'où ils se rendent en Angleterre.
Leur premier soin paraît avoir été d'y rédiger et de
publier leur relation , pour acquitter leur reconnaissance
envers leur généreux ennemi. Le caractère qui
distingue cette relation est le ton ascétique qui règne
partout , depuis le titre jusqu'à la conclusion. Il parait
extraordinaire de lire la relation d'une mission , faite
prisonniere dans sa totalité , sous le titre de « Mani-
" festation évidente de la Divine Providence. ( A
visible display of Divine Providence ) . Tel et le caractère
religieux de tout l'ouvrage. Tous les événements
y sont rapportés à la Providence divine , et leur issue
pour peu qu'elle soit moins fâcheuse qu'on ne devait
s'y attendre , attribuée à sa bonté. La Providence
est toujours invoquée dans les épreuves ; toujours remerciée
après le secours , dans le langage de l'Écriture ,
dont les citations couvient toutes les pages . Il est rare
de trouver ainsi à s'édifier dans la lecture et les récits.
d'un voyage de mer. Indépendamment de tout le reste ,
de l'intérêt du fond, de la variété des incidents , de la
description des lieux , et de beaucoup de détails instructifs
sur la côte du Paraguay , où est situé Monte
Video , cette manière et ce style sont une nouveauté
remarquable et même piquante dans un pareil sujet ,
L'ouvrage est terminé par un appendix , où l'auteur a
cru devoir réunir tous les vers , en assez grand nombre
, que les diverses circonstances de son voyage lui ont
inspirés. Ils sont , comme tout le reste , trés- édifiants ,
Le capitaine Carbonel ne se doute pas peut - être
MESSIDOR AN IX. 103
qu'il est le héros d'un ouvrage imprimé en Angleterre.
Mais peut- être aussi l'apprendra-t - il par l'extrait que
nous en donnons : ce motif nous aurait suffi pour l'entreprendre.
Il est moral , je crois , de faire jouir lẹ
bienfaicteur de la reconnaissance qu'il n'avoit point
cherchée ; il est doux d'offrir la gloire à celui qui n'agissait
que pour le bien. M.
DE l'Angleterre et des Anglais * .
SI un instinct sublime n'attachait pas l'homme à sa
patrie , sa condition la plus naturelle sur la terre ,
serait celle de voyageur. Une certaine inquiétude le
pousse sans cesse hors de lui ; il veut tout voir , et puis
il se plaint quand il a tout vu . J'ai parcouru quelques
régions du globe ; mais j'avoue que j'ai mieux observé
le désert que les hommes , parmi lesquels , après tout ,
on trouve souvent la solitude.
J'ai peu séjourné chez les Allemands , les Portugais
et les Espagnols , mais j'ai vécu assez longtemps
avec les Anglais . Comme c'est aujourd'hui le seul
peuple qui dispute l'empire aux Français , les moindres
détails sur lui , deviennent intéressants .
Erasme est le plus ancien des voyageurs que je connaisse,
qui nous ait parlé des Anglais. Il n'a vu à Londres ,
sous Henri VIII , que des barbares et des huties enfumées.
Longtemps après , M. de Voltaire , qui avait
besoin d'un parfait philosophe , le plaça parmi les
Quakers , sur les bords de la Tamise . Les tavernes de
la Grande - Bretagne devinrent le séjour des esprits
forts , de la vraie liberté , etc. , etc. Quoiqu'il soit bien
connu que le pays du monde où l'on parle le moins
* Il paraît un ouvrage très- estimable du C. Baërt , sur la
Grande-Bretagne . Les réflexions suivantes pourront fournir
aux lecteurs des rapprochements utiles.
104 MERCURE DE FRANCE ,
de religion , où on la respecte le plus , où l'on agite .
le mains de ces questions oiseuses qui troublent les
empires , soit l'Angleterre.
Il me semble qu'on doit chercher le secret des moeurs
des Anglais dans l'origine de ce peuple . Mélange du
sang Français et du sang Allemand , il forme la
nuance entre ces deux nations . Leur politique , leur
religion , leur militaire , leur littérature , leurs arts ,
leur caractère national , me paraissent placés dans ce
milieu ; its semblent réunir , en partie , à la simplicité ,
au calme , au bon sens , au mauvais goût germanique
, l'éclat , la grandeur , l'audace et la vivacité de
P'esprit français.
Inférieurs à nous , sous plusieurs rapports , ils nous
sont supérieurs en quelques autres , particulièrement
en tout ce qui tient au commerce et aux richesses . Ils
nous surpassent encore en propreté ; et c'est une chose
remarquable , que ce peuple qui paraît si pesant , a
dans ses meubles , ses vêtements , ses manufactures ,
une élegance qui nous manque. On dirait que l'An-,
glais met dans le travail des mains , la délicatesse que
nous mettons dans celui de l'esprit .
Le principal défaut de la nation anglaise , c'est
l'orgueil , et c'est le défaut de tous les hommes. Il
domine à Paris comme à Londres , mais modifié par
Je caractère français , et transformé en amour propre.
L'orgueil pur appartient à l'homme solitaire , qui ne
déguise rien , et qui n'est obligé à aucun sacrifice ;
mais l'homme qui vit beaucoup avec ses semblables ,
est forcé de dissimuler son orgueil et de le cacher
sous les formes plus douces et plus variées de l'amour
propre. En général les passions sont plus dures et plus
´soudaines chez l'Anglais ; plus actives et plus raffinées
chez le Français . L'orgueil du premier veut tout écrasér
de force en un instant ; l'amour propre du second
MESSIDOR AN IX. 105
mine tout avec lenteur. En Angleterre , on hait un
homme pour un vice , pour une offense ; en France ,
un pareil motif n'est pas nécessaire . Les avantages de
Ja figure ou de la fortune , un succès , un bon mot suf-'
fisent . Cette haine , qui se forme de mille détails honteux
, n'est pas moins implacable que la haine qui naît
d'une plus noble cause. Il n'y a point de si dangereuses
passions , que celles qui sont d'une basse origine ; car
elles sentent cette bassesse , et cela les rend furieuses .
Elles cherchent à la couvrir sous des crimes , et à se
donner par les effets , une sorte d'épouvantable grandear
, qui leur manque par le principe. C'est ce qu'a
prouvé la révolution .
-L'éducation commence de bonne heure en Angleterre.
Les filles sont envoyées à l'école , dès leur plus
tendre jeunesse. Vous voyez quelquefois des groupes
de ces petites Anglaises , toutes en grands mantelets
blancs , un chapeau de paille , noué sous le menton ,
avec un ruban , une corbeille passée au bras , et dans
laquelle sont des fruits et un livre ; toutes tenant les
yeux baissés , toutes rougissant lorsqu'on les regarde
Quand j'ai revu nos petites Françaises coiffées à l'huile
antique , relevant la queue de leur robe , regardant
avec effronterie , frédonnant des airs d'amour et prenant
des léçons de déclamation , ' j'ai regretté la gaucherie
et la pudeur des petites Anglaises un enfant
sans innocence est une fleur sans parfum .
Les garçons passent aussi leur première jeunesse à
P'école , où ils apprennent le grec et le latin. Ceux qui
se destinent à l'église ou à la carrière politique , vont
de là aux universités de Cambridge ou d'Oxford . La
première est particulièrement consacrée aux mathématiques
, en mémoire de Newton. Mais en général les
Anglais estiment peu cetle étude , qu'ils croient trèsdangereuse
aux bonnes moeurs , quand elle est portée
106 MERCURE DE FRANCE ,
1
trop loin. Ils pensent que les sciences dessèchent le
coeur , désenchantent la vie , mènent les esprits foibles
à l'athéisme , et de l'athéisme à tous les crimes . Les
belles -lettres au contraire , disent -ils , rendent nos jours
merveilleux , attendrissent nos ames , nous font pleins.
de foi envers la Divinité , et conduisent ainsi , par la
religion , à la pratique de toutes les vertus * .
L'agriculture , le commerce , le militaire , la religion ,
la politique , telles sont les carrières ouvertes à l'Anglais
devenu homme. Est on ce qu'on appelle un gentleman
farman (un gentilhomme cultivateur ) ? on vend
son blé , on fait des expériences sur l'agriculture , on ,
chasse le renard ou la perdrix en automne , on mange
l'oie grasse à Noel , on chante le rost beef of old england
; on se plaint du présent , on vante le passé , qui
ne valoit pas mieux , et le tout en maudissant Pitt et
la guerre , qui augmente le prix du vin de Porto ; on
se couche ivre , pour recommencer le lendemain la
même vie.
L'état militaire , quoique si brillant sous la reine
Anne , était tombé dans un discrédit , dont la guerre
actuelle l'a relevé. Les Anglais ont été longtemps sans.
songer à tourner leurs forces vers la marine . Ils ne voulaient
se distinguer que comme puissance continen
tale . C'était un reste des vieilles opinions , qui tenaient
le commerce à déshonneur. Les Anglais ont
toujours eu comme nous une physionomie historique ,
qui les distingue dans tous les siécles. Aussi c'est la
seule nation , qui , ayec la fiançaise , mérite propre→
ment ce nom en Europe. Quand nous avions notre
Charlemagne , ils avaient leur Alfred . Leurs archers ,
balançaient la renommée de notre infanterie gauloise ;
leur prince Noir le disputait à notre Duguesclin , et
leurs Malborough à nos Turenne. Leurs révolutions.et
* Vid. Gibbon , Litl. etc. etc..
MESSIDOR AN IX. 107
les nôtres se suivent ; nous pouvons nous vanter de la
même gloire , et deplorer les mêmes crimes et les
mêmes malheurs .
Depuis que l'Angleterre est devenue puissance maritime
, elle a d ployé son génie particulier dans cette
nouvelle carrière. Ses marins sont distingués de tous
les marins du monde , la discipline de ses vaisseaux
est singulière. Le matelot anglais est absolument
esclave. Mis à bord de force , obligé de servir malgré
lui , cet homme si indépendant , tandis qu'il est laboureur
, semble perdre tous ses droits à la liberté , aussitôt
qu'il devient matelot . Ses supérieurs appesantissent
sur lui le joug le plus dur et le plus humiliant . Comment
des hommes si orgueilleux et si maltraités se
soumettent- ils à une pareille tyrannie ? C'est là le miracle
d'un gouvernement libre ; c'est que le nom de
la loi est tout- puissant dans ce pays ; et quand elle
a parlé , nul ne résiste.
4
Je ne crois pas , que nous puissions , ni même que
nous devions jamais transporter la discipline anglaise
sur nos vaisseaux. Le Français , spirituel , franc , généreux
, veut approcher de son chef ; il le regarde comme
son camarade encore plus que comme son capitaine .
D'ailleurs , une servitude aussi absolue que celle du
matelot anglais , ne peut émaner que d'une autorité
civile or , il serait à craindre qu'elle ne fût méprisée
de nos marins. Car malheureusement le Français obéit
plutôt à l'homme qu'à la loi ; et ses vertus sont plus
des vertus privées que des vertus públiques.
Nos officiers de mer étaient plus instruits que les
officiers anglais . Ceux -ci ne savent que leurs manoeuvres
, ceux -là étaient des mathématiciens et des hommes
savants dans tous les genres . En général nous
avons déployé dans notre marine notre véritable caractère.
Nous y paraissons comme guerriers et comme
108 MERCURE DE FRANCE ,
artistes. Aussitôt que nous aurons des vaisseaux , nous
reprendrons notre droit d'aînesse sur l'océan , comme
sur la terre . Nous pourrons faire aussi des observations
astronomiques et des voyages autour du monde ; mais
pour devenir jamais un peuple de marchands , je crois
que nous pouvons y renoncer d'avance . Nous faisons
tout par génie et par inspiration ; mais nous mettons
peu de suite à nos projets. Un grand homme en
finance , un homme hardi en entreprises commerciales ,
s'élevera peut - être parmi nous ; mais son fils poursuivra
- t- il la même carrière , et ne pensera - t - il
pas à jouir de la fortune de son pere , au lieu " de
songer à l'augmenter ? Avec un tel esprit , une nation
ne devient point mercantille ; le commerce a toujours
eu chez nous je ne sais quoi de poétique et de fabuleux
comme le reste de nos moeurs . Nos manufactures
ont été créées par enchantement ; elles ont jeté un
grand éclat , et puis elles se sont éteintes . Tant que
Rome fut prudente , elle se contenta des Muses et de
Jupiter , et laissa Neptune à Carthage . Ce dieu n'avait
après tout que le second empire , et Jupiter lançait
aussi la foudre sur l'océan .
"
J
ཕ
Le clergé anglican est instruit , hospitalier et géné~
reux. Il aime sa patrie et sert puissamment au maintien
des lois . Malgré les différences d'opinion , il a
reçu le clergé français avec une charité vraiment chrétienne.
L'université d'Oxford a fait imprimer à ses
frais et distribuer gratis aux pauvres curés , un nou
veau Testament latin , selon la version romaine , avec
ces mots : A l'usage du clergé catholique , exilé pour
la religion. Rien n'est plus délicat et plus touchant. '
C'est sans doute un beau spectacle pour la philosophie ,
que de voir , à la fin du 18.e siécle , un clergé anglican
donner l'hospitalité à des prêtres papistes , souffrir
l'exercice publie de leur culte et même l'établissement
MESSIDOR AN IX . 109
de quelques communautés. Etrange vicissitude des opinions
et des affaires humaines ! Le cri , un pape ! un
pape ! a fait la révolution sous Charles I.er , et Jacques
II perdit sa couronne pour avoir protégé la religion
catholique !
Ceux qui s'effrayent au seul mot de religion , ne
connaissent guère l'esprit humain ; ils voient toujours
cette religion telle qu'elle était dans les âges de fana
tisme et de barbarie , sans songer qu'elle prend , comme
toute autre institution , le caractère des siécles où ellé
passe.
Toutefois le clergé anglais n'est pas sans défaut. Il
néglige trop ses devoirs , il aime trop le plaisir , il
donne trop de bals , il se mêle trop aux fêtes du
monde. Rien n'est plus choquant pour un étranger qué
de voir un jeune ministre promener lourdement une
jolie femme entre lès deux files d'une contre - danse an ▲
glaise , Il faut qu'un prêtre soit un personnage tout divin
; il faut qu'autour de lui règnent la vertu et le mystère
, qu'il vive retiré dans les ténèbres du temple , et
que ses apparitions soient rares parmi les hommes ;
qu'il ne se montre enfin au milieu du siécle , que pour
faire du bien aux malheureux. C'est à ce prix qu'on
accorde au prêtre le respect et la confiance ; il perdra
bientôt l'un et l'autre , s'il est assís au festin à nos
côtés , si on se familiarise avec lui , s'il a tous les vices
du temps , et qu'on puisse un moment le soupçonner
faible et fragile comme les autres hommes .
Les Anglais déploient une grande pompe dans leurs
fêtes religieuses ; ils commencent même à orner leurs
temples de tableaux. Ils ont à la fin senti qu'une religion
sans culte n'est que le songe d'un froid enthousiaste , et
que l'imagination de l'homme est une faculté qu'il faut
nourrir comme la raison.
L'émigration du clergé français a beaucoup servik
110 MERCURE DE FRANCE ,
répandre ces idées. On peut le narquer que , par un
retour naturel vers les institutions de leurs pères , les
Anglais se plaisaient depuis longtemps à mettre en
scènes , sur leur théâtre et dans leurs livres , la relig'on
romaine.
Dans ces derniers temps , le catholici me apporté à
Londres , par les prêtres exilés de France , se montre
aux Anglais précisément comme dans leurs romans , à
travers le charme des ruines et la puissance des souvenirs.
Tout le monde a voulu entendre l'oraison funèbre
d'une fille de France , prononcée à Londres par
un évêque émigré , dans une écurie.
L'eglise anglicane a surtout conservé pour les morts
la plus grande partie des honneurs que leur rend l'église
romaine.
Dans toutes les grandes villes d'Angleterre , il y a
des hommes appelés undertakers ( entrepreneurs ) qui
se chargent des pompes funèbres. On lit souvent sur
leurs boutiques King's coffins maker : Faiseur de
cercueils du roi ; ou bien , Here one performs funerals ;
mot- à mot : Ici on représente desfunérailles . Il y a longtemps
qu'on ne voit plus parmi nous que des représenta→
tions de la douleur , et il faut bien acheter des larmes
quand personne n'en donne à nos cendres. Les derniers
devoirs qu'on rend aux hommes seraient bien tristes , s'ils
étaient dépouillés des signes de la religion . La religion
a pris naissance aux tombeaux , et les tombeaux ne
peuvent se passer d'elle. Il est beau que le cri de l'espérance
s'élève du fond d'un cercueil ; il est beau que
Je piêtre du Dieu vivant escorte la cendre de l'homme
à son dernier asile ; c'est en quelque sorte l'immortalité
qui marche à la tête de la mort .
La vie politique d'un Anglais est bien connue en
France , mais ce qu'on ignore assez géneralement , de
sont les partis qui divisent le parlement aujourd'hui.
MESSIDOR AN IX. IIT
Outre le parti de l'opposition et le parti du ministère ,
il y en a un troisième qu'on peut appeler des anglicans
et à la tête duquel se trouve M. Wilberforce. C'est une
centaine de membres qui tiennent fortement aux moeurs
antiques et surtout à la religion . Leurs femmes sont
vêtues comme des quakeresses ; ils affectent eux - mêmes
une rigoureuse simplicité , et donnent une grande partie
de leur revenu aux pauvres : M. Pitt est de leur secte.
Ce sont eux qui l'avaient porté et qui l'ont soutenu au
ministère ; car , en se jetant d'un côté ou de l'autre ,
ils sont à peu près sûrs de déterminer la majorité. Dans
la dernière affaire d'Irlande , ils ont été alarmés des
promesses que M. Pitt avait faites aux catholiques ; ils
l'ont menacé de passer à l'opposition . Alors le ministre
a douné habilement sa retraite , pour conserver ses amis
dont l'opinion est intérieurement la sienne , et pour se tirer
du pas difficile où les circonstances l'avaient engagé.Si
le bill passe en faveur des catholiques , il n'en aura pas
l'odieux vis - à - vis les anglicans ; si , au contraire , il est
rejeté , les catholiques irlandais ne pourront l'accuser
de manquer à sa parole... On a demandé , en France , si
M. Pitt avait perdu son crédit en perdant sa place ; un
seul fait aurait dû répondre à cette question : M. Pitt
est encore membre de la chambre des communes . Quand
on le verra devenir pair et passer à la chambre haute ,
sa carrière politique sera finie.
C'est à tort que l'on croit ici quelque influence à la
pure opposition . Elle est absolument tombée dans l'opinion
publique ; elle n'a ni grands talents , ni véritable
patriotisme. M. Fox lui - même ne peut plus rien pour
elle ; il a perdu presque toute son éloquence , l'âge et des
excès de table la lui ont enlevée . On sait que c'est son
amour propreblessé , plus encore qu'aucune autre raison
qui l'a tenu si longtemps éloigné du parlement.
Lẹ bill qui exclut de la chambre des communes tout
112 MERCURE DE FRANCE ,
•
membre engagé dans les ordres sacrés , a été aussi mal
interprété à Paris. On ne savait pas que ce bill n'a d'autre
but que d'éloigner M. Horntook , homme d'esprit ,
violent ennemi du gouvernement ; jadis dans les ordres ,
ensuite réfractaire ; autrefois ami de la puissance , jusqu'au
point d'avoir été attaqué dans les lettres de Junius ,
ensuite devenu l'apôtre de la liberté , comme tant
d'autres.
Le parlement a perdu , dans M. Burke , un de ses membres
les plus distingués . Il détestait la révolution ; mais
il faut lui rendre cette justice , qu'aucun Anglais n'a
plus aimé les Français en particulier , et plus applaudi
à leur valeur et à leur génie . Quoiqu'il fút peu riche ,
il avait fondé une école pour les petits Français expatriés
, et il y passait des journées entières à admirer
l'esprit et la vivacité de ces enfants . Il racontait souvent
, à ce sujet , une anecdote. Ayant mené le fils d'un
lord à cette école , les pauvres orphelins lui proposèrent
de jouer avec eux. Le lord ne le voulut pas : « Je n'aime
pas les Français , moi , » répétait - il avec humeur. Un
petit garçon n'en pouvant tirer que cette réponse , lui
dit :: " Cela n'est pas possible ; vous avez un trop bon
• coeur pour nous haïr. Votre seigneurie ne prendraitelle
point sa crainte pour sa haine ? »
"
Il faudrait maintenant parler de la littérature et des
gens de lettres ; mais cela nous menerait trop loin et
demande un article à part. Je me contenterai de rapporter
quelques jugements littéraires qui m'ont fort étonné,
parce qu'ils sont en contradiction directe avec nos opinions
reçues .
Richardson est peu lu ; on lui reproche d'insupportables
longueurs et de la bassesse de style. Hume et
Gibbon ort , dit - on , perdu le génie de la langue anglaise ,
en remplissant leurs écrits d'une foule de gallicismes ;
on accuse le premier d'être lourd et immoral. Popå ne
REP .FR
5
MESSIDOR AN IX.
passe que pour un versificateur exact et élégant . Johnson
prétend que son Essai sur l'homme n'est qu'un recueil
de lieux communs , mis en beaux vers. C'est à
Dryden et à Milton qu'on donne exclusivement le titre
de poètes. Le Spectateur est presque oublié. On entend
rarement parler de Locke , qui est regardé comme un
assez faible idéologue . Il n'y a que les savants de profession
qui lisent Bacon . Shakespear seul conserve son
empire. On en sentira aisément la raison par le trait
suivant .
"
J'étais au théâtre de Covent - Garden , qui tire son nom ,
comme on sait , du jardin d'un ancien couvent où il est
bâti . Un homme fort bien mis était assis auprès de moi ;
il me demande « quelle est la salle où il se trouve ? » Je
le regarde avec étonnement , et je lui réponds : « Mais ,
Vous êtes à Covent Garden. » Pretty garden indeed !
« Joli jardin , en vérité ! » s'écrie- t - il en éclatant de rire
et me présentant une bouteille de rhum . C'était un matelot
de la cité , qui , passant par hasard dans la rue , à
l'heure du spectacle , et voyant la foule se presser à
une porte , était entré là pour son argent , sans savoir
de quoi il s'agissait.
Comment les Anglais auraient- ils un théâtre supportable
, quand leurs parterres sont composés de juges
arrivant du Bengale ou de la côte de Guinée , qui ne
savent seulement pas où ils sont ? Shakespear doit régner
éternellement chez un pareil peuple. On croit tout justifier
, en disant que les folies du tragique anglais sont
dans la nature. Quand cela serait vrai ; ce ne sont pas
toujours les choses naturelles qui touchent. Il est naturel
de craindre la mort , et cependant une victime qui se
lamente , sèche les pleurs qu'on versait pour elle . Le
coeur humain veut plus qu'il ne peut ; il veut surtout
admirer : il a en soi un élan vers je ne sais quelle beauté
5
114 MERCURE DE FRANCE ,
inconnue , pour laquelle il fut peut- être créé dans son
origine .
Il y a même quelque chose de plus grave. Un peuple
qui a toujours été à peu près barbare dans les arts , peut
continuer à admirer des productions barbares , sans que
cela tire à conséquence ; mais je ne sais jusqu'à quel
point une nation qui a des chef - d'oeuvres en tous
genres, peut revenir à l'amour des monstres, sans exposer
ses moeurs. C'est en cela que le penchant pour Shakespear
est bien plus dangereux en France qu'en Angleterre.
Chez les Anglais il n'y a qu'ignorance , chez nous il y a
dépravation . Dans un siécle de lumières , les bonnes
moeurs d'un peuple très - poli tiennent plus au bon goût
qu'on ne pense . Le mauvais goût alors , qui a tant de
moyens de se redresser , ne peut dépendre que d'une
fausseté ou d'un biais naturel dans les idées : or , comme
l'esprit agit incessamment sur le coeur , il est difficile
les voies du coeur soient droites , quand celles de
l'esprit sont tortueuses . Celui qui aime la laideur , n'est
pas fort loin d'aimer le vice ; quiconque est insensible
à la beauté , peut bien méconnaître la vertu . Le mauvais
goût et le vice marchent presque toujours ensemblee ;
le premier n'est que l'expression du second , comme la
parole rend la pensée .
Je terminerai cette notice par quelques mots sur le
sol , le ciel et les monuments de l'Angleterre.
Les campagnes de cette île sont presque sans oiseaux ,
les rivieres petites ; cependant leurs bords ont quelque
chose d'agréable par leur solitude. La verdure est trèsanimée
; il y a peu ou point de bois ; mais chaque propriété
étant fermée d'un fossé planté, quand vous regardez
du haut d'une éminence , vous croyez être au milieu
d'une forêt. L'Angleterre ressemble assez , au premier
coup d'oeil , à la Bretagne : des bruyères et des champs
entourés d'arbres.
MESSIDOR AN IX. 115
Le ciel de ce pays est moins élevé que le nôtre ; son
azur est plus vif , mais moins transparent. Les accidents
de lumière y sont beaux , à cause de la multitude des
nuages . En été , quand le soleil se couche , à Londres ,
par- delà les bois de Kinsington , on jouit quelquefois
d'un spectacle fort pittoresque . L'immense colonne de
fumée de charbon qui flotte sur la cité , représente ces
gros rochers noirs , enluminés de pourpre , qu'on voit
dans nos décorations du Tartare ; tandis que les vieilles
tours de Westminster , couronnées de nuages et rougies
par les derniers feux du soleil , s'élèvent au dessus de
la ville , du palais et du parc de Saint - James , comme
un grand monument de la mort , qui semble dominer
tous les monuments des hommes .
Saint-Paul est le plus bel édifice moderne , et Westminster
le plus bel édifice gothique de l'Angleterre . Je
parlerai peut- être un jour de ce dernier. Souvent , en
revenant de mes courses autour de Londres , j'ai passé
derrière Withall , dans l'endroit où Charles fut déca
pité. Ce n'est plus qu'une cour abandonnée , où l'herbe
croît entre les pierres . Je m'y suis quelquefois arrêté
pour entendre le vent gémir autour de la statue de
Charles second , qui montre du doigt la pláce où périt
son père. Je n'ai jamais vu dans ces lieux que des ouvriers
qui taillaient des pierres , en sifflant. Leur ayant
demandé un jour ce que signifiait cette statue , les uns
purent à peine me le dire , et les autres n'en savaient
pas un mot. Rien ne m'a plus donné la juste mesure
des événements de la vie humaine et du peu que, nous
sommes. Que sont devenus ces personnages, qui firent
tant de bruit ? Le temps a fait un pas , et la face de la
terre a été renouvelée . A ces générations divisées par
les haines politiques , ont succédé des générations indifférentes
au passé , mais qui remplissent le présent de
nouvelles inimitiés qu'oublieront encore les générations
qui doivent suivre. CHATEAUBRIAND.
116 MERCURE DE FRANCE ,
Du Projet onnoncé par l'Institut national , de
continuer le Dictionnaire de l'Académie française
par A. MORELLET.
"
;
Quam scii quisque lubens censebo exerceat artem .
HOR .
Paris , chez Migneret , rue du Sépulcre , faubourg
Saint-Germain , n.º 28 .
. LE
E Dictionnaire de la Langue française que faisait
" Pancienne Académie , dit le C. Morellet , et que l'Ins-
« titut entreprend de continuer , est le dépôt de la lan-
« gue usuelie , telle qu'elle est parlée par la classe des
• citoyens qui la parlent le mieux , et qui , en dépit
« de toutes les révolutions , est formée des citoyens
les plus distingués par le rang , la fortune et l'é-
« ducation . »
En indiquant les véritables sources où l'on a
puisé de tout temps les traditions et les délicatesses
de la langue , l'auteur indique ceux qui doivent
les recueill r. L'autorité d un dictionnaire étant
fondée sur la confiance , le choix de ses coopérateurs
n'est pas indifférent , et les réflexions qui
peuvent l'éclairer sont à la fois du devoir et de l'intérêt
de tous .
Les titres littéraires , les longs travaux et les
habitudes du C. Morellet donnent un grand poids
aux opinions et aux jugements qu'il public aujourd
hui . Le sujet lui appartient en quelque sorte :
il faut donc l'entendre lui-même.
Le bouleversement causé par la révolution a fait
disparaitre la plus grande partie de ces sociétés où iéMESSIDOR
AN IX. 117
•
惧
*
•
gnaient cette décence , ce ton de politesse , cette mesure
, ce tact de convenances , ce goût délicat qui
conservait dans la langue et dans la conversation, ce
qu'on appelait avec raison le bon ton , le ton de
la bonne compagnie . La situation , l'ensemble des
circonstances ne sont plus les mêmes pour les mêmes
personnes ; la dignité qui les gardait , les égards qu'on
leur portait , l'autorité qu'elles avaient , tout cela s'est
évanoui ou s'est affaibli . Or , où retrouver ce qui peut
rester encore de ces avantages perdus ou prêts à sẽ
perdre , si l'on ne s'adresse pas à ceux qui les ont connus
qui en ont joui et qui peuvent encore les transmettre.
Swift , dans un de ses ingénieux écrits , qui a pour
titre De la Conversation , observe que la décadence
de la conversation et une sorte de familiarité grossiere
qu'on donne pour de la gaieté et pour une liberté innocente
, se sont montrées en Angleterre , à la suite de
la révolution qui a fait périr Charles I. , dont le règne ,
dans sa partie paisible , a été , se on cet excellent observateur
, l'époque de la plus grande politesse de la
nation anglaise. Celle de la nation française lui paraît
dater aussi du même temps , le commencement du règne
de Louis XIV ( avec cette difference que les progrès n'en
ont pas été arrêtés en France , comme ils l'ont été en
Angleterre , par l'établissement de la république ).
"
«
$
La manière de soutenir et de conduire la conversation
était alors , continue-t- il , différente de la notre .
Plusieurs femmes que nous trouvons célébrées par les
poètes et les écrivains de ce temps , avaient des assemblées
dans leurs maisons , où des personnes spirituelles de
l'un et de l'autre sexe se réunissaient pour passer la soiree
en discourant sur quelque sujet in éressant que l'occa
sion faisait naître ; et quoiqu'on puisse jeter quelque
ridicule sur les idées subtiles ou exagérées qu'on s'y
faisait de l'amour et de l'amitié , ces subtilités mêmes
118 MERCURE DE FRANCÈ,
avaient un fonds de raison et d'utilité pour l'exercice
des facultés de l'esprit et le perfectionnement des sentiments
; car , dit - il , il faut un peu de romanesque à
l'homme c'est un assaisonnement qui relève et qui
conserve la dignité de la nature humaine , et l'empêche
de dégénérer jusqu'au vice et à la brutalité dont nous
devons nous défendre avec plus de soin dans nos climats
du Nord , où le peu de politesse et de décence que
nous avons , s'est introduit , pour ainsi dire , contre l'in
clination naturelle qui nous porte sans cesse à la barbarre
, etc.
་་ Mes lecteurs démêleront facilement dans les ré-'
flexions de l'écrivain anglais , ce qui en est applicable
à nous- mêmes et au sujet que je traite ici ; car je ne
piétends pas nous les approprier en entier .
Mais il est aisé de voir que l'un des caractères com
muns aux révolutions des deux pays , est certainement
cette tendance à corrompre la langue et le goût. Il fallait
done se rattacher , autant qu'il était possible , à ce qui
restait de l'ancien ordre de choses . C'est ainsi qu'on eût,
pu ver contre le torrent, une digue qu'on ne formera
pas avec les plus habiles gens du monde en sciences
exactes et naturelles , morales et politiques , non plus
qu'avec des grammairiens obscurs et des littérateurs encore
jeunes sans célébrité et par conséquent sans
autorité , quand ils pourraient développer un jour de
grands talents . »
&
* Il est vraiment remarquable qu'on ne compte parmi eux
aucun des hommes qui représentent encore plus dignement
la littérature française aux yeux de l'Europe. Unprince
étranger , qui connaît très-bien nos bons auteurs
jetant un jour les yeux sur la liste des membres de l'Institut',
fut étonné de ne pas trouver à la tête les noms d´s
seuls écrivains qui fussent venus jusqu'à lui . Ce prince était
le parent , l'ami , et le plus digne rival de Frédéric- le- /
Grand .
MES SIDOR AN IX. 119
Au reste , l'insuffisance de l'Institut pour l'exécution
d'un semblable travail , avait été déja reconnue
par un membre dela classe littéraire de ce
corps célèbre , à l'époque de sa formation .
Le fait suivant , qui ne doit pas être perdu pour
l'histoire de la littérature pendant la révolution
. prouvera qu'au droit de convenance , les membres
de l'ancienne Académie joignaient un titre plus
incontestable à la continuation du Dictionnaire
français .
7
" Vers la fin du mois d'août 1793 , en conséquence
d'un décret de la convention , portant suppression de
tous les corps littéraires , et notamment des trois Aca .
démies , les scellés furent mis sur les salles du Louvre ,
occupées par l'Académie française , et sur ses effets ,
consistant en quelques papiers et registres , un nombre
de portraits des académiciens , et de quelques souverains
, qui décoraient les salles , et une bibliothéque
de 5 ou 600 volumes. Le C. Morellet , directeur pour
le trimestre de juillet , occupant alors cette place , et
remplissant les fonctions de secrétaire , en l'absence du
C. Marmontel , ne fut point invité à l'apposition des
scellés . Les commissaires étaient les CC . Cubières-
Dorat et Urbain Domergue , membres du comité d'instruction
publique . Le C. Morellet , interpellé par eux ,
leur déclara qu'il avait entre les mains le manuscrit
de l'Académie , tel qu'on avait commencé de l'imprimer.
Cette copie était l'édition de Paris , en 2 volumes
in-folio , de 1762 , chargée en marge de toutes les cor- -
rections , additions et changements , fruits des travaux
de l'Académie , dans cet intervalle d'environ trente ans .
Quelques semaines s'étant écoulées , le C. Morellet
reçut du président du comité d'instruction publique ,
établi par la convention , l'ordre de remettré au comité
le manuscrit du Dictionnaire , et il obéit.
120 MERCURE DE FRANCE ,
- « L'an 3 de la république , le 1.er jour complémentaire
, en septembre 1794 , la convention nationale ,
ouï le rapport de son comité d'instruction publique ,
décréta que l'exemplaire du Dictionnaire de l'Académie
française , chargé des notes marginales , serait
remis aux libraires Smits et Maradan , pour être , par
eux , rendu public ; lesdits libraires prenant avee des
gens de lettres de leur choix , les arrangements nécessaires
pour ce travail , à condition qu'ils tireraient 1500
exemplaires , et qu'ils en remettraient un nombre aux
bibliothéques nationales.
"
En exécution de ce décret , les libraires ont publié ,
en l'an 8 , la cinquième édition du Dictionnaire de
l'Académie , sur le manuscrit qui leur a été remis ,
et auquel ils ont fait joindre un supplément , contenant
les mots nouveaux en usage depuis la révolution .
-On ne peut se dissimuler , continue le C. Morellet ,
que les académiciens qui avaient travaillé à cet ouvage ,
et dont plusieurs s'étaient occupés depuis 20 à 25
ans , avaient quelque droit sur leur manuscrit.
"
Il semble qu'une prétention si naturelle ne
pouvait être contestée qu'à l'époque où ce manuscrit
fut saisi . Quoi qu'il en soit , le succès n'a point
encore justifié l'entreprise , et le supplément consacré
aux mots en usage depuis la révolution , où
l'on trouve de ces définitions , que leurs auteurs
appellent dignes de la liberté , marque trop
l'intervalle et les circonstances qui ont séparé les
anciens académiciens des derniers coopérateurs
du Dictionnaire français.
Le C. Morellet consacre une partie de cette
brochure à réfuter le système grammatical du
C. Urbain Domergue . Ce dernier sera sans doute
flatté de l'importance que son système reçoit du
nom de son critique .
G.
MESSIDOR AN IX. 121
SPECTACLE S.
THEATRE FRANÇAIS DE LA RÉPUBLIQUE.
ร
ONN
avait dit
lle
M
que
Volnais terminerait ses débuts
par le rôle d'Inès ; les amateurs s'étaient flattés qu'une
jeune actrice , pleine de naturel et de sensibilité , ferait
rétablir sur le répertoire cette tragédie qu'on ne devrait
pas négliger pour des nouveautés insipides , puisque ,
malgré les vers de Lamothe, on y reconnaît encore le génie
du Camoëns . Mais on ne peut blâmer M.lle Volnais d'avoir
préféré Zaïre , l'ouvrage le plus éminemment tragique
que Voltaire ait mis au théâtre , et dans lequel elle trouvait
un rôle qui réclame particulièrement tous les avantages
qu'elle a reçus de la nature. En effet , elle m'a
rappelé plus d'une fois le portrait que Laharpe fait de
M.lle Gaussin ; et sans doute il suffit à sa gloire d'avoir
déja des traits de ressemblance avec cette actrice cêlèbre
. La figure de M.lle Gaussin , son regard , son
organe , tout était fait pour exprimer la tendresse ;
" elle avait des larmes dans la voix , elle avait cet air de
■ candeur , ce ton d'ingénuité modeste qui devait caaractériser
l'amante d'Orosmane. A ces avantages
précieux qui ne s'acquièrent pas , M. Volnais en réunit
quelques autres qu'elle doit à l'étude et aux leçons
de son maître . La pureté de sa diction , la justesse et
la simplicité de ses mouvements , et la connaissance
prématurée qu'elle paraît avoir de la scène , fout un
honneur égal à son intelligence et au talent du C. Da-
"
u
"
zincourt.
De son côté , Laffond , dans le rôle d'Orosmane , a
ranimé des souvenirs encore plus honorables , et provoqué
des comparaisons sans contredit plus dangereuses.
122 MERCURE DE FRANCE ,
Les vieux connaisseurs ( pusillus grex ) ont reconnu
dans son jeu beaucoup de traditions de Lekain ; et ,
sans affaiblir l'estime qu'il mérite par lui - même , on
peut avouer qu'il n'est jamais plus beau que lorsqu'il
ressemble à ce modèle . L'imitation est , dit-on , trèsfrappante
dans la manière dont il lit la lettre de Nérestan
, au 4.° acte , et dans l'expression profonde du
désespoir d'Orosmane , après cette lecture terrible . - Il
rend avec la même énergie l'ironie affreuse qui règne
dans ces vers :
C'est là ce Nérestan , ce héros plein d'honneur ,
Ce chrétien si vanté qui remplissait Solime ,
De ce faste imposant , de sa vertu sublime ! etc.
En général , ce jeune acteur a fait des progrès dignes
des plus grands éloges ; et la critique la plus sévère
doit reconnaître qu'il laisse à desirer beaucoup moins
qu'il n'a acquis , par une seule année d'efforts , d'études
solitaires et de travaux assidus.
On doit desirer d'autant plus qu'il s'attache à justifier
ses premiers succès , en perfectionnant son talent
que la retraite de Larive paraît décidée , et qu'elle va
laisser au théâtre un vide qu'il ne sera pas facile de
remplir ; plus sensible à la gloire de son art qu'à la jalousie
de la renommée , il semble qu'il veut lui - même
en préparer les moyens . Il vient de publier une brochure
sur l'Art theatral , où ses émules trouveront à la fois
des leçons et des souvenirs. Parmi les observations judicieuses
qui distinguent cet écrit , nous citerons les
suivantes , qui méritent d'être profondément méditées
par tous ceux qui veulent que l'art dramatique soit tou
jours d'accord avec la nature et la vérité.
་་
« Je pense , dit le C. Larive , qu'il est impossible
de peindre et d'exprimer tous les beaux effets de la
tragédie avec des intonations calculées . On peut éton-
"
MES SIDOR AN IX.´ 123
ner le public , on peut encore l'effrayer sans l'attendrir ; '
les véritables émotions par lesquelles on fait couler
ces larmes délicieuses qui nous rappellent à de tendres
souvenirs , n'ont point cette couleur obscure qui ne
trouve d'explosion que dans des convulsions effrayantes ,
et qui n'inspire aux spectateurs que de l'horreur. S'il
ne dépend pas toujours de soi d'être vrai et sensible , "
il dépend de soi au moins d'être décent , et dans ses
expressions , et dans ses mouvements. Il est plus facile
à quelques acteurs de sentir et de peindre l'effroi que de
l'inspirer il faut une audace et une énergie soutenues
pour avoir le droit d'en imposer aux spectateurs. Celui
qui croit provoquer sa sensibilité par des efforts et par
des éclats , n'en aura jamais '; quand le coeur parle , la
poitrine , la tête , et toutes les fibres de l'organisation lui
sont subordonnées , et ne lui fournissent que les moyens
nécessaires à son explosion ; mais quand la tête seule
veut remplacer le coeur , elle le comprime et l'étouffe. »
Aux réflexions solides , aux vues ingénieuses qu'il
développe dans cette brochure , le C. Larivé a joint'
plusieurs anecdotes , qui donnent à son ouvrage un intérêt
plus piquant.
A
En voici une qui pourrait servir de supplément aux
mémoires de Lekain , et qui prouve , avec mille autres ,
combien tous les acteurs tragiques qui ont illustré la
scène française depuis un demi- siécle , devaient de re-"
connaissance à l'auteur de Brutus , d'Alzire , de Mérope
et de Mahomet.— C'est le C. Larive qui la raconte .
« Je n'oublierai jamais l'intérêt que ce grand homme
portait à l'art difficile des comédiens . Il m'avait vu
jouer Zamore quinze jours avant sa mort , et il eut la
bonté de m'en témoigner son contentement ; encouragé
par ce suffrage honorable , je crus devoir l'aller prier
huit jours après de m'entendre répéter un rôle . Je le
124 MERCURE DE FRANCE ,
•
«
"
"
K И
trouvai tres accablé et presque mourant ; il me dit en
me voyant entrer « Ah ! mon ami , je ne puis plus
m'occuper des choses de ce monde , je me meurs.
" Eh ! monsieur , lui répondis-je avec douleur , que
je suis vivement affligé de l'état où je vous vois ! je
dois jouer demain Titus ; et comptant vous trouver
en bonne santé , j'avais osé espérer que vous daigueriez
me l'entendre répéter. Tout-à- coup il porte
sur moi ses yeux d'aigle : son visage et ses mouvements
reprennent leur ressort , et il me dit en levant
les mains Comment , mon ami , vous jouez demain
« Titus ? ah ! dans ce cas il n'y a point de mort qui
tienne , il faut que je vous le fasse répéter. Il se
lève aussitôt , va chercher la pièce et me fait répéter
avec tant d'intérêt , qu'il souriait avec bonté lorsqu'il
était content , et qu'il se fàchait sérieusement lorsqu'il
l'était moins . Dans ce dernier cas , sa chaleur était telle ,
que me trouvant interdit , sur ce que j'osai lui dire :
« Mais , monsieur , si vous criez contre moi , je ne
pourrai pas répéter ; il me répondit , en criant
encore plus fort : « Je ne crie pas contre vous , mon
ami , je crie pour vous . »
"
que
"
"
: «
33
>
"
Il n'est pas impossible qu'il s'élève parmi nous des
acteurs capables d'égaler un jour Lekain et de remplacer
Larive ; mais quel poète vivant aura le droit de
leur parler comme Voltaire , et d'imposer silence à leur
vanité !
E.
¿
MESSIDOR AN IX. 125
ANNONCES.
AMBASSADE au Thibet et au Boutan , contenant des
détails très - curieux sur les moeurs , la religion , les
productions et le commerce du Thibet , du Boutan
et des états voisins ; et une notice sur les événements
qui s'y sont passés jusqu'en 1793 ; par M. Samuel
Turner , chargé de cette ambassade : traduit de
l'Anglais avec des notes , par J. Castéru. 2 volumes
in- 8.º de 8 pages , imprimés sur papier carré fią
et caractères de cicéro neuf; avec un volume in-4.
sur grand raisin , contenant 15 planches , vues , monuments
, hieroglyphes , plans , animaux , carte géographique
, etc. , dessinées sur les lieux , et gravées
en taille -douce par Tardieu l'aîné . Prix , 12 fr . broché
, et 15 fr. par la poste , port franc . En papier
vélin , 24 fr . sans le port . A Paris , chez F. Euisson ,
imprimeur - libraire , rue Hautefeuille , n . ° 20.
L'abondance des matières nous force de renvoyer
get extrait à un autre numéro.
ESSAI de la puissance paternelle , par André Nougarède.
Paris , chez Lenormand , imprimeur-libraire ,
rue des Prêtres - Saint - Germain - l'Auxerrois . I vol.
in - 12.
On reviendra sur cet ouvrage.
CONSIDÉRATIONS sur la neutralité maritime , armée
ou non armée. A Paris , chez D bray , Palais , du
Tribunat , n . ° 235 , et à son dé ót , place du Muséum
, n.º 9 ; et chez A. Bailleul , rue Gran e - Batelière
, n.º 3. An 9. 1801 .
ESSAI sur le blanchiment avec la description de la
nouvelle méthode de blapchir par la vapeur , d'après
126 MERCURE DE FRANCE ,
les procédés du C. Chaptal , et son application aux
arts . Vol. in- 8.º , papier grand-raisin , avec quatorze
planches d'une exécution soignée . Paris , au bureau
des Annales des Arts et Manufactures , rue J. - J.
Rousseau , n.º 11 ; chez Déterville , rue du Battoir ,
et chez les frères Levrault , quai Malaquais , et à
Strasbourg. Prix , 6 fr . 50 cent . pour Paris , et 7 fr
75 cent. frane de port.
L'intérêt que met le ministre de l'intérieur à la propagation
des arts utiles , garantit le succès de cet ouvrage
qui contient les détails et l'application d'une des
découvertes modernes les plus intéressantes pour les
arts industriels . Il a bien voulu dérober quelques instants
à ses immenses travaux pour revoir cet Essai fait
par son ordre immédiat.
VIE privée , politique et militaire des Romains , sous
Auguste et sous Tibère , dans une suite de Lettres
d'un praticien à son ami ; traduite de l'Anglais
avec cette épigraphe :
Justum et tenacem propositi virum
Non civium ardor prava subentium ,
Non vultus instantis tyranni
Mente quatit solidâ.
HORACE , liv. 111 , ode 5.
I vol. in - 8.º de 450 pages , imprimé sur carré fin ,
et caractère de cicéro neuf. Prix , 4 fr. 50 cent. et
5 fr. 50 cent . franc de port par la poste. A Paris ,
chez F. Buisson , imprimeur - libraire , rue Hautefeuille
, n.º 20.
FLORE des jeunes personnes , ou Lettres élémentaires
sur la Botanique , écrite par une Anglaise à
son amie , et traduite de l'Anglais , par Octave Ségur ,
élève de l'Ecole polytechnique . I vol . in - 12 de 250 p.;
imprimé sur carré fin d'Argoulême , et caractères
MESSIDOR AN IX. 127
X
-
neufs ; avec douze planches gravées en taille - douce
par Sellier. Prix , 3 fr . 60 cent. broché , avec les
planches en noir ; avec les planches très - bien enluminées
7 fr. 50 cent. En papier vélin 7 fr.; idem avec
les planches enluminées 10 fr. Pour recevoir ce vol .
franc par la poste , on ajoutera 50 cent . A Paris ,
chez F. Buisson , imprimeur - libraire , rue Hautefeuille
, n.º 20. Villiers , libraire , rue des Mathurins .
Et chez Donnier , au Jardin des Plantes.
FETES et Courtisanes de la Grèce ; supplément aux
Voyages d'Anacharsis et d'Antenor ; comprenant ,
1.º la Chronique religieuse des anciens Grecs , Tableau
de leurs moeurs publiques ; 2. ° la Chronique
qu'aucuns nommeront scandaleuse , Tableau de leurs
moeurs privées. Enrichi d'un almanach athénien ; de
la description des danses grecques ; des chants anacréontiques
, musique de Méhul ; et de gravures
d'après l'autorité antique , sur les dessins de Garnerey
, élève de David ; avec cette épigraphe :
"
« On trouve presque partout l'extrême folie jointe à un peu
« de sagesse dans les lois , dans les cultes , dans les usages . »
VOLTAIRE , Moeurs des Nations , Disc . prélim.
4 vol. in-8.º de 1900 pages , imprimés sur carré fin
de Buges , et beaux caractères neufs ; avec cinq
planches gravées en taille- douce , et de la musique .
Prix , 20 fr. brochés , et 25 fr . par la poste , franc de
port. En papier vélin , 40 fr. sans le port. A Paris ,
chez F. Buisson , imprimeur - libraire , rue Hautefeuille
, n.º 20 ; Mongie l'aîné , libraire , Palais du
Tribunat ; et Desenne , libraire , même demeure .
DE Amoribus Pancharitis et Zorom , poëma eroticodidacticon
, seu umbratica Lucubratio de cultu Veneris ,
Mileti olim peracto , ut amathunteo sacello mysta subduxit
, et variis de generatione cum vegetantium tum
128 MERCURE DE FRANCE,
animantium exemplis auctum vulgavit Athenis. Secunda
editio , planè reformata et tabulis aneis illustrata
, cui accedit vita auctoris . Parisiis , excudebat
P. N. F. Didot junior , anno reipublicæ gallicæ IX.
ESSAI sur le Crédit commercial considéré comme
moyen de circulation , et Prospectus de la traduction
de l'Histoire des finances de la Grande - Bretagne ,
de sir John Sinclair , membre de la chambre des communes
; suivie de l'Exposition de la science du crédit
public et de celle de l'imposition ; 2 vol . in - 4.º ,
par Joseph M. A Hambourg , et se trouve à Paris ,
chez Petit , libraire , palais Egalité , galerie vitrée ,
et chez les marchands de nouveautés . An 9 ( 1801 ) .
MARINGO ou Campagne d'Italie , par l'armée de réserve
, commandée par Bonaparte , écrite par Joseph
Petit , fourrier des grenadiers à cheval de la garde
des Consuls . Seconde édition , revue et augmentée
par l'auteur , ornée d'une gravure en taille - douce ,
représentant la mort de Desaix . Prix , 2 fr . 25 cent.
pour Paris , et 3 fr. pour les départements. Chez
Favre , libraire , palais du Tribunat , galeries de bois,
n.º 220 , aux neuf Muses.
THEORIE purement algébrique des quantités imaginaires
, et des fonctions qui en résultent , où l'on traite
de nouveau la question des logarithmes , des quantités
négatives ; ouvrage qui fait suite aux différents traités
d'algebre ; par A.- Suremain-Missery , ci -devant officier
d'artillerie , de la Société des Sciences de Paris , et de
celle de Dijon , I vol . in - 8. ° Prix broché , 5 fr . , et 6 fr.
franc de port. A Paris , rue de Thionville , n.º 116 .
Chez Firmin Didot , libraire , pour les mathématiques ,
l'art llerie , la marine et les éditions stéréotypes.
N. B. On trouve chez le même libraire , un autre ouvrage
du même auteur , intitulé : Théorie acousticomusicale
, ou de la Doctrine des sons rapportés aux
principes généraux de leur combinaison , vol. in- 8. ° du
même prix.
MESSIDOR AN
DEPT
SEINE.
POLITIQUE
EXTÉRIEUR.
SUR la ville de Dantzick.
DANS un
5
cen
ANS un moment où la neutralité maritime a rallié
tous les peuples contre un seul , ou plutôt soulevé un
seul peuple contre tous , il est bon de se former une idée
exacte de l'intérêt de chaque puissance dans cette grande
querelle.
La Prusse n'est pas celle qui doit moins tenir à une
coalition , dont le but est d'assurer la liberté du commerce
et des mers .
Ce n'est pas que la Prusse , dans l'hypothèse même
qu'elle s'agrandisse un jour, paraisse jamais destinée à
prendre un rang parmi les puissances maritimes. Quelque
étendue de côtes qu'elle possède déja , il lui est
impossible de donner asile à des vaisseaux de guerre ,
et tous les arrondissements qu'elle peut recevoir ne sont
point de nature à faire naître un pareil avantage . Ainsi
cette puissance ne songera point à créer une marine
militaire. Sa marine marchande , au contraire , trèssusceptible
d'extension , ne laisse pas , dès à présent ,
d'être d'un grand intérêt.
Les ports de Stettin , de Dantzick et de Memel , et
les villes de Koenigsberg et d'Elbing , quoique ces deux
dernières soient un peu dans la dépendance des précédentes
, font un commerce très-actif. De ces cinq villes ,
la plus intéressante est incontestablement Dantzick.
C'est un des premiers ports marchands de la Baltique ;
et , même en admettant une acquisition importante
5 . 9.
130 MERCURE DE FRANCE ,
dans la mer d'Allemagne , l'industrie d'une nombreuse
classe d'hommes et la prospérité d'un grand pays n'en
resteront pas moins attachées à l'existence du port de
Dantzick.
Pour apprécier d'abord son importance commerciale ,
il suffit d'observer qu'il est à l'embouchure de la Vistule ,
et que ce fleuve , qui traverse la plus grande partie de
la Pologne , est à même de recevoir tout ce qu'exporte
un pays si fertile.
Or , en Pologne , où le paysan est encore en servitude
, il doit une portion considérable de son travail
à son seigneur , et ce seigneur perçoit ses revenus
seulement en nature . Obligé par cela même de vendre
ses récoltes , peu lui importe à qui la substance en profite
; l'essentiel est d'en tirer beaucoup d'argent , et ,
s'il le faut pour parvenir à ce but , il les vend au
dehors. f .
Sur ce malheureux système repose depuis longtemps
la richesse des villes de commerce à portée de la Pologne
. On ne l'a pas changé , quoiqu'on ait dépouillé la
plus grande partie des seigneurs primitifs ; au contraire
, il a reçu , des circonstances de la guerre , un
surcroît momentanée de crédit.
Mais , quelque vicieux qu'il soit en effet à l'oeil du
philosophe , tant que le Polonais sera dans l'esclavage ,
tant qu'il ne conservera pas lui -même une portion du
produit de ses peines , tant qu'il vivra de sarrazin ,
d'avoine et d'orge ; enfin , tant qu'il sera dans la misère ,
cette misère doit tourner au profit des spéculateurs de
Dantzick.
Les grains sont , en effet , la branche la plus importante
de son commerce , et l'Angleterre n'a pas de
meilleurs greniers dans la Baltique. Pendant ces années
de guerre , dont plusieurs ont de plus été des années de
disette , elle en a fait une traite si considérable , que le
MESSIDOR AN IX. 131
pain était cher à Dantzick comme à Londres . En nivose
dernier , il y revenait à 12 sous de France.
Il est vrai que l'état violent où se trouve le commerce
de presque tout le continent d'Europe , a beaucoup
influé sur cette angmentation . Mais , dans des temps.
moins orageux , Dantzick n'en reste pas moins un entrepôt
de grains très - important pour l'Angleterie , pour
la Suède , la Norwège , la Hollande , l'Espagne et quelquefois
même pour la France , orsque la récolte est
mauvaise dans les départements de l'Ouest : le prix du
transport par terre a fait préférer plus d'une fois les importations
de l'étranger.
D'ailleurs , les habitants de cette ville naissent spéculateurs
, et l'on y compte peu de grosses fortunes
dont l'origine ne remonte à la commission sur les grains ,
à partir des plus petits capitaux . Ce commerce a dégénéré
en jeu depuis la guerre , et la concurrence
étant devenue énorme , tous les joueurs n'ont pas été
heureux ; mais le nombre des gagnants l'emporte ,
et la
guerre ne finirait point , si l'on s'en rapportait aux,
marchands de Dantzick.
par
Ce n'est toutefois ni par le prix accidentel du blé
ni le retour considérable d'argent auquel il a donné
lieu , que l'on doit apprécier l'état prospère où se trouve
le commerce de Dantzick. Ce sont les quantités effectives
de l'exportation qui en sont la mesure ; et ici l'on
peut observer de combien de vicissitudes il a été affecté
à diverses époques .
A celle du premier partage de la Pologne , avant 1772,
les exportations ne surpassaient pas de beaucoup celles
qui ont eu lieu depuis , même pendant la guerre actuelle .
Lors du partage qui assurait au roi de Prusse la souve
raineté de la Vistule jusqu'aux portes de Dantzick ,
ce monarqué établit des péages ruineux sur cette rivière,
et un droit si considérable e faveur de ses propres
132 MERCURE DE FRANCE ,
états , qu'il réussit , comme il le desirait , à détourner le
commerce de Dantzick au profit de la ville d'Elbing .
Elbing n'offrait , à la vérité , ni les mêmes avantages
de localités , ni une navigation aussi commode que le
port de Dantzick ; mais les Polonais aimèrent mieux y
apporter leurs récoltes grévées d'un droit modéré , en
comparaison de ceux perçus à la porte de Dantzick. Ce
port devint un bien moindre entrepôt ; Elbing en prit
d'autant plus de consistance , et ce ne fut que dans les
besoins urgents , ou dans les cas de spéculation particulière
, que les grains passèrent outre, et s'écoulèrent par
Dantzick , malgré l'énormité du droit . Les choses sont
depuis rentrées dans l'ordre primitif , et , par le dernier
acte de partage qui donne Dantzick au roi de Prusse
en toute propriété , le commerce a repris sa route naturelle.
La balance a penché au profit de la Prusse ,
avec un avantage proportionné aux extrêmes besoins
de l'Angleterre ; en sorte que , de toute la monarchie ,
la ville de Dantzick est la plus riche en gros capitalistes.
Néanmoins , il résulte de la comparaison des exportations
anciennes avec celles des meilleures années qui
ont précédé la guerre , que cette guerre est l'unique
raison de la traite actuelle , et que les retours considérables
d'argent doivent être attribués au prix exorbitant
du grain , plutôt qu'à la quotité effective des
exportations ; ce qui doit faire craindre une diminution
au moment de la paix , où les besoins deviendront moins
pressants , les concurrents plus nombreux, et les demandes
moins considérables. Alors , l'administration exigera
quelques réformes. On craint que l'élévation du tarif ,
que les impositions extraordinaires sur les grosses fortunes
, que des prohibitions autrefois inconnues , toutes
choses portées fort loin , sous le règne actuel , ne deviennent
des entraves sensibles au commerce ; et si l'on
veut alors rétablir l'équilibre entre la somme des opé.
MESSIDOR AN IX. 133
rations anciennes et celle des opérations courantes de
Dantzick , il faudra concilier le système de police et de
protection que demande une ville devenue royale , avec
celui de liberté et de prérogatives dont elle a joui , à
titre de ville anséatique , dans le temps de sa prospérité.
Ses autres branches de commerce sont en assez grand
nombre , mais les mêmes observations ne leur sont pas
toujours applicables. On distingue d'abord les bois de
chêne , de hêtre et de sapin , pour la construction , aussi
quelques mâtures , mais en modique quantité , par comparaison
avec la traite qui s'en fait par les ports de
Memel et surtout de Riga . Les bois de chêne et de
hêtre viennent par la Vistule , où ils sont descendus
des forêts de Pologne , même de la portion acquise à
la Russie. Ils débouchent par cette route , parce qu'ils
ne pourraient rapporter les frais nécessaires pour les
rendre à portée du port de Memel ou de la Duna. C'est
encore l'Angleterre qui paye et qui prend la majeure
partie de ces approvisionnements ; mais on la rend tributaire
autant que possible. Les chantiers de Dantzick
sont couverts d'ateliers où l'on ouvrage tous les bois
d'une main - d'oeuvre chère , indépendamment de la
grande quantité qu'on en fournit en pièces et simplement
écarris . Les planches de sapin , le bordage en
chêne , et tous les autres matériaux qui font la cherté
des navires , sont ouvragés à Dantzick pour l'Angleterre
. Cela occupe un très - grand nombre d'ouvriers ,
active les chantiers et porte l'industrie aussi loin que le
permet le local . On en tire un parti admirable ; nonseulement
les Dantzigois y font construire leurs navires
, mais on y crée un plus grand nombre encore de
vaisseaux anglais ; et c'est ainsi que les deux nations
sont réciproquement utiles l'une à l'autre.
Un autre article qui forme , avec les précédents , la
partie principale des exportations de Dantzick , c'est
134 MERCURE DE FRANCE ,
l'extrait des cendres , connu dans le commerce sous le
nom de potasse. La potasse est une substance très- recherchée
, et qui devient tous les jours plus précieuse ,
en proportion du prix des bois et du nombre des manufactures
. Peu de pays en fabriquent assez pour leur
propre besoin , et c'est d'ailleurs une richesse de sol ,
qui n'appartient pas également à tous. La Hongrie , la
Pologne et les pays du Nord , très - fertiles en bois et
très peu avancés pour l'industrie et la civilisation ,
ne pouvant employer toutes les cendres qu'ils produisent
, dans leurs propres manufactures , en laissent
refluer le superflu chez les autres nations , et les répandent
dans le commerce , soit en nature de simples cendres
, soit après les avoir converties en potasse. La
Vistule en reçoit beaucoup sous ces deux formes .
Le peu que demande la Prusse , relativement à l'énorme
quantité qui en passe , reste dans ses manufactures
; le surplus descend à Dantzick , et là est épuisé
par les diverses nations. La guerre a mis la cherté sur
cet article , et la France en souffre particulièrement ;
car , ne pouvant s'en procurer ni d'Amérique , ni de Sicile
, ni d'Espagne , elle est obligée de recourir aux potasses
du Nord , et le prix s'en élève d'autant plus qu'il
y a moins de concurrence ; ainsi , l'on peut encore ranger
cet article parmi ceux sur lesquels s'exercent le calcul
et les spéculations des Dantzigois. Dans un ordre inférieur
, on peut classer les chanvres , les toiles d'emballage
, quelque peu d'acier et de fer , et l'ambre , enfin ,
que l'on recueille sur les bords de la mer , et qu'on
exploite aussi sur quelques cótes pour l'envoyer au reste
de l'Europe , mais en Turquie plus spécialement.
Ces derniers objets réunis à la masse , en augmentent
beaucoup l'intérêt ; pris à part , ils n'en ont qu'un fort
médiocre.
Les nations que le commerce peut mettre en rapport
MESSIDOR AN IX. 135
B
2
avec la ville de Dantzick , n'en reçoivent pas à beaucoup
près les mêmes avantages que ceux qu'elles procurent
à cette place . Il résulte , du système de prohibitions
établi dans la monarchie prussienne et applicable à
tout ce qui se peut fabriquer dans son étendue , qu'il
ne reste plus aux autres nations à lui fournir que des
produits industriels qu'elle n'ait point encore obtenus
d'elle - même , ou des productions étrangères à son sol .
De ce genre , il en est d'indispensables pour elle ; et si ,
pendant la guerre , c'est l'Angleterre seule qui jouit du
droit presqu'exclusif d'approvisionner toute l'Europe de
denrées dites coloniales , un droit non moins incontestable
, droit qui s'exerce pendant la paix , c'est celui dont
jouissent la France et l'Espagne , d'exporter les vins de
leur territoire. Ces deux nations doivent perdre moins
dans la balance , puisqu'elles effectuent un échange réel ,
et qu'à l'égard des articles coloniaux , elles peuvent
entrer en concurrence avec l'Angleterre . Il faut convenir
néanmoins que le plus grand avantage de ce droit.
n'est pas dans son application au commerce de la Baltique
; Dantzick reçoit moins qu'il ne donne , et , comme
la différence est un bénéfice net , les opérations de ses
habitants sont très- lucratives .
Une chose qui ne saurait échapper à l'examen de l'observateur
commerçant , c'est le soin que l'on met à la
conservation des grains et le respect avec lequel ils sont
gardés dans tous les dépôts de la ville . Ils ont un quartier
séparé ; c'est une île très - spacieuse , formée au sein
de la ville elle-même : c'est - là que sont les magasins.
Le jour , on les remplit , on les vide , on leur donne de
l'air , on les défend de tout dégât , notamment de celui
que pourraient faire les corbeaux attirés par une si riche ,
proie. La nuit , toutes les portes sont closes ; personne
n'y pourrait rester impunément. Passé l'heure où l'on
ferme , il est défendu d'y porter du feu ; la garde est
136 MERCURE DE FRANCE ,
confiée à des chiens sauvages qui feraient prompte jus
tice des mal -intentionnés Par ce moyen , la propriété
se trouve religieusement conservée , et c'est un exemple
admirable d'ordre et de bonne administration , que
l'économie qui préside à la conservation de la fortune
générale par la conservation des fortunes particulières.
D'après ces considérations sur la ville de Dantzick ,
il est fâcheux , mais pourtant nécessaire d'avouer que
sa prospérité se fonde en grande partie sur la calamité
publique. La guerre qui n'est que trop favorable au système
spéculatif qu'on y professe , la guerre qui afflige
si déplorablement toutes les autres villes maritimes ,
même celles , dans la Baltique , qui ne sont pas situées
d'une manière aussi avantageuse que Dantzick , la guerre
est évidemment le plus grand intérêt d'une ville dont
le commerce roule particulièrement sur l'exportation et
sur le débouché certain des grains de la Pologne. Le
prix auquel s'élève progressivement un article de nécessité
si absolue , compense tout autre inconvénient ;
et s'il faut débourser beaucoup d'argent pour importer
des vins et surtout des cafés , sucres , cotons , ainsi que
les autres denrées dont l'Angleterre a la fourniture exclusive
, on se retrouve et au - delà par le prix qu'on
met sur les grains . C'est un argent que l'on prête à usure ;
et cette usure n'a pas de terme , pui que la guerre est
une première chance , la disette une seconde , etc. Ce
sont ces vérités dont le négociant de Dantzick est tellement
pénétré , qu'il aperçoit avec regret la fin prochaine
d'un fléau , pour lui seul lucratif. Mais , indépendamment
des circonstances aussi particulières que celles du moment
actuel , et dans l'état de la plus grande pacification
maritime , ce port sera toujours un entrepôt très - précieux
pour les autres nations , un lieu d'échange avantageux
à la monarchie prussienne. Pour peu que l'on
fasse attention à ses rapports avec la Pologne , à ceux
MESSIDOR AN IX. 137
7
du même genre qui existent entre les villes de Konisberg
et de Memel et la Prusse proprement dite ,
même avec la Russie polonaise ; entre Stettin et le
Brandebourg avec la Silésie , il faudra en conclure l'influence
la plus sensible du commerce de ces villes sur
l'industrie et les consommations de presque tout le nord
de l'Allemagne . De telles raisons suffisent bien pour que
la Prusse s'oppose de tous ses moyens aux plus légères
entraves qui menaceraient le commerce maritime. Sa
cause est celle de toutes les puissances qui ont à déboucher
leur superflu et à se procurer le nécessaire , mais
qui ne veulent avouer d'autre domination maritime que
celle de l'industrie , de l'activité et d'un juste équilibre .
Des fortunes particulières peuvent bien se former rapidement
, au moyen de tel avantage local , de telle chance ;
mais la masse est intéressée à la liberté de transport la
plus illimitée ; et , tôt ou tard , les ports de Prusse doivent
se fermer aux Anglais , à moins que ceux -ci n'y
reviennent , avec les vaisseaux des autres nations , en
toute paix et toute liberté , sauf les avantages de l'industrie
et de l'émulation .
SUR le Danemarck.
•
Le Danemarck , non compris le duché de Slesvick
qui a son gouvernement particulier , est divisé en sept
grands bailliages , dans lesquels on compte 68 villes
dont un grand nombre pauvres et petites . Plusieurs
pays , dont nous avons parlé dans nos numéros précédents
, font partie de cet état : ce sont :
1 ) Au nord ; la Norwège , plus haut l'Islande ; dans
un éloignement plus considérable les îles de Fero , et
enfin le Groenland qui touche au pôle arctique , ou du
moins aux glaces éternelles .
2 ) Au midi , le duché de Holstein compris dans le
138
MERCURE
DE FRANCE
,
cercle de la Basse - Saxe , par conséquent soumis dans
plusieurs circonstances à la jurisdiction de l'empire
germanique , en dernier ressort .
3) En Asie , Tranquebar et ses dépendances sur la
côte de Coromandel ; plusieurs loges ou petits établissements
sur d'autres côtes , et en outre les îles de Nicobar
, à l'entrée du golfe de Bengale .
4 ) En Afrique , une étendue de 50 milles danois ou
80 lieues de France , sur la côte de Guinée .
5 ) Aux Antilles , les îles de Sainte - Croix , de Saint-
Thomas et de Saint- Jean .
En Danemarck , les hommes sont en général grands
et forts , leur teint animé et sain , leurs yeux peu vifs ,
leurs cheveux blonds ; les femmes , ordinairement blondes
aussi , ont la peau très - blanche et très- fine , le teint
éclatant , le regard un peu langoureux ; elles sont
grandes et assez bien faites. Les Danois , sans avoir ce
degré de pesanteur qu'on attribue à tel autre peuple ,
sont bien éloignés de la légèreté il le faut attribuer
à l'abondance et à la nature des aliments lourds et
farineux dont ils se nourrissent , à la pesanteur et à
l'humidité de l'air qu'ils respirent. Ils ont de la patience
, savent persévérer , résister à l'adversité et surmonter
les obstacles . Ils sont bons , honnêtes , bienfaisants
et véritablement hospitaliers . On serait peut- être
en droit de leur reprocher trop d'admiration et d'enthousiasme
pour tout ce qui vient de l'étranger , et en
même temps trop de défiance d'eux - mêmes . Ils aiment
beaucoup leurs aises et même le luxe : c'est un vice
national , chez les Danois et ailleurs mais ce qu'on
trouverait plus difficilement chez d'autres peuples , il s'y
commet peu de vols , les assassinats sont des crimes
rares , et les soulèvements presque inconnus .
:
La population des états de Danemarck , en Europe ,
était , en 1796 , de 2,444,335 individus ; savoir :
MESSIDOR AN IX. 139
Danemarck , 872,500 .
Norwege , 897,874.
Duches de Slesvick et de Holstein , 617,884 .
Islande , 46,201 .
Iles de Fero , 4,754 .
Groenland , 5,122 .
Le nombre des naissances , est à celui des vivants
dans la proportion d'un à 32 , parce qu'on ne peut
compter que deux ou trois naissances par mariage ; en
revanche , le nombre des morts n'est à celui des vivants
que comme un à 38. En général la population de ce pays
est bien loin d'être proportionnée à l'étendue de son
territoire , mais les efforts constants du gouvernement
actuel , la paix sans altération dont a joui le Danemarck
, et qu'il recouvrera sans doute après cet orage
passager , dans lequel il a su maintenir sa gloire et
mériter l'estime de toute l'Europe ; le peu de disposition
qu'ont heureusement , quoi qu'on en dise , les
habitants de ce pays à l'insurrection , la sureté et les
avantages dont y jouissent les étrangers , tout concourt
à en augmenter la population , qui ne peut que
s'accroître de plus en plus .
Les nobles , en Danemarck , ont des priviléges , mais
peu considérables : la noblesse d'ailleurs s'y acquiert
aisément , et il suffit d'être propriétaire de grandes
terres ou d'avoir un titre , pour jouir de la plus grande
partie des droits qui y sont attachés .
On jouit de tous , si l'on possède à la fois une terre et
un titre. Les comtes et les barons seulement forment une
classe particulière , et ont quelques priviléges au dessus
des autres ; mais ils sont généralement trop justes et
trop sages , pour exiger ou même desirer des distinctions
dont le mérite et les talents se trouveraient humiliés.
Si les nobles sont en possession de la plupart
des places lucratives et des charges éminentes , ce
140 MERCURE DE FRANCE ,
n'est guère qu'une suite naturelle de la forme du gouvernement.
Comme le duché de Slesvick, est sous plusieurs
rapports , réuni à celui de Holstein , et conséquemment
gouverné plutôt d'après des principes allemands
, que suivant l'esprit des lois du Danemarck , la
noblesse y jouit de plus de priviléges ( Le reeueil de
ces priviléges vient de paraître dans une édition trèssoignée
, in-4. ° ).
Pendant un assez long temps ce fut une fureur presque
universelle de courir après les titres bien plus qu'après
les dignités. Cette manie semble passée de mode , et
aujourd'hui , mieux qu'autrefois , on apprécie le titre
de bon citoyen. L'ordonnance qui règle les rangs et
qui les divise en neuf classes , et chaque classe en plu
sieurs degrés , est cependant en pleine vigueur. Indépendamment
de dix pour cent que les fonctionnaires
publics , en général , payent sur leurs appointements ,
chacun est encore soumis à un impôt , à raison de son
titre.
Quoique par la loi fondamentale de 1660 , le pouvoir
monarchique soit limité à l'égard de la religion et de
quelques autres objets qui regardent principalement la
personne du roi , cette loi n'ayant point déterminé de
moyens coactifs pour les cas où quelque roi de Danemarck
outre-passerait les bornes qu'elle prescrit , on
peut regarder ce gouvernement comme une des monarchies
les plus absolues qui existent. Cette loi fixe
également l'ordre de succession au trône ; elle y admet
les filles , mais seulement à défaut de lignée mâle . Le
roi y est déclaré majeur à l'âge de 13 ans accomplis .
Les deux principaux ordres de chevalerie sont celui
de l'Eléphant et celui de Dannebrog ; les chevaliers
du premier , dont le nombre est fixé à trente , portent
ordinairement le cordon bleu ; cet ordre est un des plus
anciens et des plus estimés de l'Europe.
MESSIDOR AN IX . 141
Les chevaliers du second , ont pour marque distinctive
, un cordon blanc à lisières rouges ; leur nombre
est aussi déterminé ; jamais on n'a plus respecté qu'aujourd'hui
ces deux institutions.
La religion dominante de l'état est la luthérienne ;
les autres cultes chrétiens et le judaïsme y sont nonseulement
tolérés , mais même spécialement protégés.
L'église est gouvernée par six évêques , et dans le
Slesvick , par un surintendant ; elle compte en totalité
1800 pasteurs.
Nous avons inséré dans le dernier N. ° des réflexions .
extraites du journal officiel , qui contenaient un coup-.
d'oeil général sur la situation actuelle de l'Europe ; ces
réflexions ont dû frapper tous les esprits. Aussi , les papiers
anglais attestent que le gouvernement français acquiert
de plus en plus , aux yeux même de l'Angleterre , le
crédit et la confiance qui doivent amener les négociations
définitives pour la paix. Les dépêches de Calais à
Douvres, et de Douvres à Calais se succèdent rapidement.
Un second article du Moniteur offre plus particulière,
ment la position respective de ces deux puissances :
་་
Le Cap-de -Bonne - Espérance , Ceylan et Surinam ,
n'ont pas été conquis par les armées anglaises , mais
leur ont été livrées par les Orangistes. La Hollande les
a perdus par suite des divisions et des désordres que.
produisent toujours les grandes révolutions .
Les Anglais n'ont rien pris aux Français dans l'Inde ,
qui fût susceptible de défense. Les îles de France et de
la Réunion appartiennent à la République.
Le pavillon britannique flotte sur la Martinique. Les
habitants ont appelé les Anglais et mis en dépôt dans
leurs mains leurs forteresses , pour se soustraire à l'insurrection
des noirs , pendant la durée de l'effervescence'
de la révolution , et jusqu'à ce que la France se fût donné
un gouvernement capable de les protéger. C'est donc
142
MERCURE DE FRANCE ,
par suite des désordres de la révolution , que l'Angleterre
occupe la Martinique .
" La Trinité était sans défense , et Malte même à l'égard
de laquelle les Anglais n'ont eu d'autre mérite que
de la bloquer avec quelques vaisseaux , aurait été secourue
, sans les désordres intérieurs et les divisions qui partagèrent
, en l'an 7 , les grandes autorités de la république
.
Lorsqu'on considère l'effet que dut produire , sur des
possessions éloignées , une révolution de la nature de
celle qui a agité , pendant dix années , les peuples français
et batave , on est étonné qu'il reste encore quelques.
colonies aux alliés .
Les motifs qui firent ouvrir le port de Toulon aux
Anglais , et qui , dans le même jour , mirent à leur dis- ,
position trente -trois de nos vaisseaux de guerre et notre
chantier le mieux approvisionné , ces motifs tiennent
aussi à la révolution .
Lorsqu'au Texel , la moitié des forces navales bataves
arbora le pavillon orangiste , la même cause produisit
encore le même effet .
Et , pendant que les Anglais profitaient des dissentions
civiles des alliés , pour obtenir de si grands avantages quidemandaient
de si faibles efforts et valaient si peu de .
gloire , deux coalitions fe for mèrent successivement . Le
continent de l'Europe ne fut qu'un champ de bataille où
plus de deux millions d'Européens trouvèrent la mort .
Cependant ces deux coalitions se sont dissoutes . Quelques-
uns des coalisés que l'Angleterre avait soudoyés ,
ont perdu une partie de leurs états : d'auties n'existent
plus au rang des puissances .
"
Les 500 mille livres sterling que le roi de Sardaigne
a longtemps touchés pour faire la guerre à la France ,
lui ont causé bien des malheurs.
Le roi de Naples qui , le premier , est entré dans la
MESSIDOR AN IX. 143
coalition , n'a trouvé de sureté que dans la protection
de la république .
Le Portugal qui a suivi , avec un dévouement et un
aveuglement presque inconcevables , l'influence britannique
, est prêt à perdre ses meilleures provinces.
La Prusse occupe l'Hanovre , et les puissances du
Nord arment de tous côtés , bien convaincues qu'il n'y
aura de sureté pour leur commerce , que lorsqu'elles
entretiendront des flottes puissantes ; car ce n'est désormais
qu'à l'aide de la force qu'il appartient de soutenir
les principes immuables et sacrés de la liberté des mers .
Que vont donc faire les ministres britanniques ?
Reformer une troisième coalition ?
Ils acheteraient en vain quelques ministres. Ils prodigueraient
en vain tout l'or de l'Asie et de l'Amérique ;
la guerre a appris aux peuples du continent à s'estimer :
elle les a réunis dans leur haine commune contre l'Angleterre.
Il n'est pas aujourd'hui une puissance en Europe
, il n'est pas une armée continentale qui voulût se
battre pour affermir les Anglais dans l'empire des mers.
Fomenter la guerre civile en France ?
La révolution est finie. Les Anglais soudoieront quelques
scélérats. Ils périront sur l'échafaud.
Abandonnés de l'Europe entière , continuer la guerre
contre la France ?
L'Angleterre , il est vrai , pourrait y gagner l'avantage
de jouir plus longtemps , presque seule , du commerce
du monde ; mais serait - il sensé de croire que
désormais , n'ayant plus rien à occuper , ses troupes
dispersées dans les quatre parties du monde , et dès -lors
faibles partout , elle pût espérer d'autres succès en continuant
la guerre ? Et d'ailleurs tout , dans la nature ,
n'a - t- il pas un terme ?
Nous n'examinerons pas si le fossé qui nous sépare est
tellement large qu'on ne le puisse franchir ; nous ne
144 MERCURE DE FRANCE ,
dirons pas qu'obligés à la guerre par la volonté des mi❤
nistres anglais , il n'y aurait aucun Français , de quelque
parti , de quelque opinion qu'il fût , qui ne briguât l'honneur
de contribuer au repos du monde et à la liberté
des mers.
Nous ne dirons pas tout ce que le peuple français
peut faire , s'il sent qu'un dernier effort est nécessaire
à son honneur et à son existence .
Mais , quelles que soient les chancesqu'offre aux alliés
la continuation de la guerre contre l'Angleterre seule
il n'en est pas moins vrai qu'elle est contraire à leurs
intérêts et à leurs voeux . Le bonheur des nations se compose
de tous les instants , de toutes les années ; du sang,
des souffrances et une privation de commerce , pendant
une année , sont , pour des hommes sages , des considérations
majeures qui doivent déterminer les gouver→
nements à se contenter de ce qui peut être compatible
avec l'honneur et une sage politique.
Les ministres anglais se résoudront-ils enfin à la paix ?
Elle dépend entièrement d'eux ; mais ils doivent considérer
que le peuple français du 19.me siécle n'est plus
ce peuple qui , vers le milieu du 18. , souffrait des
commissaires dans ses ports , et qui voyait de sang-froid
déchirer ses toiles sur les métiers .
Que les avantages qui ont été obtenus par eux sur les
alliés , sont dus aux désordres de la révolution , qui ne
peuvent plus se reproduire ; aux malheurs de la guerre
civile dont tous les Français sont désabusés ; aux efforts
immenses des deux grandes coalitions , qui n'ont plus
intérêt de se reformer que contre eux .
Que , s'ils ont dans les mains des établissements espagnols
et hollandais , la France dispose des états de
ceux de leurs alliés qui , par leur faiblesse , ne devaient
pas naturellement s'exposer avec tant d'imprudence à
son indignation.
MESSIDOR AN IX 145
DEPT
# 5
Qu'ils ne se sont résignés à tant de hasards que sus cent
cités par les agents anglais , et comptant en tout temps
sur leurs promesses et sur leurs secours .
Toutes ces considérations porteront - elles les ministres
anglais à concevoir un système conforme à l'honneur
et à la dignité de leur pays , mais fondé sur l'équilibre
dans les différentes parties de la terre ? La paix se trouvera
faite , et le monde livré de nouveau à l'industrie
au commerce , à toutes les sciences et à tous les arts
qui ont rendu les puissances européennes de notre âge
si recommandables et si supérieures aux générations
passées .
INTÉRIEUR.
..
Le C.Talleyrand,ministre des relations extérieures , est
parti de Paris le 9 messidor pour prendre les eaux à
Bourbon - l'Archambaut . Pendant son absence , le portefeuille
est remis au citoyen Caillard , garde des archives
du ministère.
Rien de certain sur l'Egypte , sinon l'incertitude même
des nouvelles qui se contredisent tous les jours dans les
papiers anglais ; mais cette incertitude est pour nous
un motif d'espérance . On parle d'une défaite des Anglais
auprès de Rdramanié. -Il semble que du sort définitif de
ces contrées dépend en grande partie la paix générale.
L'armée espagnole a poursuivi sa marche victorieuse
en Portugal . La paix vient d'être signée entre cette
puissance et S. M. C. Les conditions ne sont pas encore
connues.
L'embargo est levé de part et d'autre sur les vaisseaux
anglais , russes , danois. Les Suédois se flattent que cette
mesure leur sera bientôt commune. Les relations commerciales
se rétablissent , et l'on commence à espérer
la paix maritime . Mais les puissances du Nord ne pa-
5.
10
146 MERCURE DE FRANCE ,
raissent pas disposées à renoncer aux principes qui ont
formé la neutralité armée. Recemment encore , on a
publié à Stockholm la déclaration par laquelle S. M.
danoise accède à la convention du 16 décembre.
Une foule de braves ont obtenu des brevets d'honneur
du premier consul . Il est impossible de citer tous
les traits de courage par lesquels ils ont paru surpasser
tous les jours leurs premiers exploits. En voici un entre
mille.
Dans une affaire qui eut lieu le 24 frimaire an 8 ,
pendant le blocus de Gènes , l'ennemi fut mis en déroute
et poursuivi par les grenadiers de la 55. demibrigade
de ligne. Un de ces grenadiers , nommé Alexis ,
s'étant avancé rapidement par un sentier tres - escarpé ,
fait un faux pas et roule au fond d'un ravin où se trouvait
rassemblée une compagnie de soixante chasseurs
croates , armés de carabines à deux coups . Loin d'être
effrayé , il se relève aussitôt et crie à l'officier ennemi ;
Rendez- vous , ou vous allez être fusillés par un bataillon
qui vous entoure. L'officier obéit ; les armes sont posées ,
et l'intrépide Alexis conduit seul ses prisonniers jusqu'au
lieu où sa demi - brigade s'était ralliée .
Dans sa séance du 5 messidor , l'Institut a nommé le
C. Sicard à la place de la section de grammaire , vacante
par la mort du C. Dewailly.
Son excellence le cardinal de Gonsalvi , secrétaire
d'état de sa sainteté , est arrivé à Paris le 2 messidor.
Il a eu dans la soirée son audience de réception au palais
du gouvernement.
Le même jour , le ministre des relations extérieures a
présenté au premier consul M. le baron d'Ambach ,
conseiller de régence de l'électeur de Saxe ; M. le baron
d'Yvoi , gentilhomme attaché à la maison du prince
de Nassau Orange ; M. le sénateur Rodde , député de
Lubeck ; MM. les sénateurs Tucher et Kiessling , deputés
de Nuremberg. Le prince de Hohenzollern - Heckigen
a pris congé du premier consul , à la même
audience.
9. 6 .
MESSIDOR AN IX. 147
Le journal que nous avons annoncé dans le numéro XII ,
sous le titre de Journal général de littérature , des
sciences et des arts , a paru en effet le premier prairial ,
et continue de paraître deux fois par décade. Il justifie
les espérances que faisaient concevoir le nom du rédacteur
, le citoyen Fontenay. Il prouve que ce vieillard ,
respectable par ses moeurs , et qui mérita d'être longtemps
proscrit pendant la révolution , a conservé pour
saine littérature le bon goût qu'il manifestait dans son
Journal général de France.
la
L'estimable traducteur des ouvrages allemands , anglais
, espagnols , etc. qui concernent les établissements
d'humanité , continue le recueil de ses mémoires . Les numéros
23 et 24 ont paru . Le premier est la fin de l'histoire
des lazarets , et forme avec le numéro 19 le
tome deuxième de cette histoire . Le second , avec le
numéro 21 , complète l'extrait d'un ouvrage ayant pour
titre Etat des pauvres ; par sir F. Morton Eden . Le
même numéro 24 contient en outre une liste alphabétique
d'ouvrages français relatifs aux établissements
d'humanité , et la table générale des 24 premiers numéros
de cette utile collection.
::
L'Ecole polytechnique doit son existence à la révo→
lution ( 1 ) ; mais elle est du petit nombre des établissements
qui survivent aux circonstances qui les ont fait
naître. L'époque où cette école fut établie , était , plus
que toute autre , le moment favorable à son institution.
Tous les vieux monuments de l'éducation publique
avaient disparu . Deux années seulement nous séparaient
du temps où ils existaient encore et l'on eût dit qu'un
intervalle de deux siécles isolait la génération qui achevait
de s'instruire , et celle qui se présentait trop tard
à l'instruction . Ce fut une espèce de phénomène , que
cet établissement nouveau , seul au milieu des ruines,
Une foule de jeunes gens s'y réfugièrent pour sauver ces
années , qu'on ne répare point ; les autres , trop jeunes
encore le fixèrent comme le but de leurs études.
"
* Le premier décret de la convention nationale , concernant
cette école , est du 21 yentose an 2 .
148 MERCURE DE FRANCE ,
On sait d'ailleurs de quelle faveur extraordinaire jouissaient
depuis un certain temps les sciences mathématiques
et physiques. Tous les esprits se tournaient vers
les travaux qui avaient illustré les Lagrange , les Monge,
les Lavoisier , les Chaptal. Ce serait une recherche curieuse
, également digne du littérateur et du philosophe ,
d'examiner les effets de cette direction presque universelle
des esprits vers des sciences qui demandent surtout
un raisonnement froid , méthodique et rigoureux ,
et n'admettent que les résultats de l'analyse et du
calcul.
Enfin la guerre de la France contre l'Europe appelait
des ingénieurs au service des armées .
Les services que l'Ecole polytechnique a rendus , ceux
qu'elle doit rendre à l'avenir , et qui deviendront plus
importants , à mesure qu'elle recevra les perfectionnements
dont elle est susceptible, assurent sa durée.
L'organisation de cette école a été réglée par une loi
du 25 frimaire an 8 ; mais le législateur a sagement
pensé que , conçue sur un plan aussi vaste , et sans modele
chez aucun peuple , elle devait recevoir de la réflexion
et de l'expérience plusieurs améliorations . Un
conseil , formé des plus savants professeurs , de quelques
membres de l'Institut national , des officiersgénéraux
ou agents supérieurs des différents services publics
, est convoqué tous les ans. Il prend connaissance de
Ja situation de l'Ecole, des résultats qu'elle a donnés pour
P'utilité publique , et des moyens de coordonner le plus
avantageusement toutes les branches et tous les degrés
d'instruction .
Le conseil de perfectionnement vient de présenter
son premier rapport , au ministre de l'intérieur.
On y voit toutes les espérances justifiées par l'excellence
des méthodes d'enseignement , par le zèle et les
talents des professeurs , par l'assiduité et l'émulation
des élèves , qui s'y rassemblent de toutes les parties de
la république ; le sort des élèves assuré par le grade
qui leur procure la subsistance militaire , les dispenses
d'âge réservées aux défenseurs de la patrie , le mode
des examens d'admission ( 1 ) , rendu plus uniforme , le
97
* Les connaissances exigées pour l'admission à l'Ecole polytechnique
, sont : 1. l'arithinétique ; 2.º l'algèbre , com-
1
MESSIDOR AN IX. 149
choix des aspirants combiné avec les besoins des différents
services , un nouveau concours ouvert pour l'artillerie
de la marine , les examens étendus à toutes les parties.
de l'instruction ; les relations , mieux déterminées , de
cette école première , avec toutes les écoles d'application
, tels sont les amendements qui sont déja résultés.
de la loi du 25 frimaire .
Ainsi , l'Ecole polytechnique aura puissamment secondé
l'impulsion donnée vers les sciences exactes ; la
France a droit d'en attendre , soit en paix , soit en
guerre , de grands avantages , puisqu'elle y prodigue
aux élèves tout ce qui peut former des sujets pour l'artillerie
, le génie militaire , la marine , le corps des ingénieurs
des ponts - et - chaussées , celui des ingénieurs des
mines , ou même pour les établissements de commerce ,
d'arts et de manufactures.
Mais ce n'est ici pourtant qu'une seconde éducation ;
et quelque nécessaire , quelque avantageuse qu'elle puisse
être , son succès tient beaucoup au succès de l'éducation
qui la précède ; d'ailleurs , celle - ci est le besoin
de tous ; celle - là ne peut et ne doit appartenir qu'au
petit nombre. La première forme l'homme , la seconde
le savant . On conçoit combien il est plus facile de créer
une Ecole polytechnique , que d'établir , et surtout de
rétablir de bons colléges ou de bonnes écoles.
prenant la résolution des équations des deux premiers degrés
, la composition générale des équations ; la démonstration
de la formule du binome de Newton dans le cas seulement
des exposants entiers positifs ; les méthodes pour
trouver les diviseurs commensurables , qui peuvent être
contenus dans une équation , pour résoudre les équations
numériques par approximation , pour éliminer les inconnues
dans les équations de tous les dégrés ; 3.º la géométrie élémentaire
, en y comprenant la trigonométrie rectiligue et la
manière de faire usage des tables de logarithmes pour la résolution
des triangles ; 4.° les propriétés principales des sections
coniques ; 5.0 la mécanique statique , appliquée principalement
à l'équilibre des machines simples ; enfin ,
les
candidats seront tenus d'écrire , sous la dictée de l'examinateur
, quelques phrases françaises , pour constater qu'ils
savent écrire correctement leur langue.
Nota. La théorie des proportions et progressions , et des
logarithmes sera exigée dans les examens ; on exigera aussi
l'exposition du nouveau système métrique.
150 MERCURE DE FRANCE,
Au reste , on voit par le programme d'admission
combien les premiers éléments de l'éducation ont été
négligés depuis plusieurs années . Les examinateurs ont
demandé seulement que les élèves sussent écrire correctement
leur langue. Ils ont craint , avec raison , d'éloigner
des sujets que des circonstances , trop communes , auraient
privés , sous ce rapport , d'une instruction plus
étendue ; mais ils reconnaissent la nécessité d'exiger
par la suite des aspirants les preuves qu'ils ont suivi
des cours de langues anciennes et de littérature . La
France entière redemande ces cours . Elle se souvient
qu'elle eut à la fois Tourville et Vauban , et Bossuet
et Racine. A. R.
M. le comte et M.me la comtesse de Livourne ont
quitté Paris le 12 messidor.
L'armistice , entre le Danemarck et l'Angleterre ,
vient d'être prolongée de deux mois. On s'attend que
les négociations de paix seront terminées à cette époque .
Les tribunaux spéciaux , établis dans 27 départements,
d'après l'arrêté du 4 ventose (V. n. ° XVIII , sont en pleine
activité. A la fin du mois de prairial , ils avaient déja
jugé 354 affaires , et prononcé sur le sort de plus de 1200
individus , la plupart prévenus de délits très-graves et
de crimes atroces. Le tribunal de cassation n'a eu occasion
de relever que très - peu d'erreurs sur la compétence
des nouveaux tribunaux ; il n'a réformé que huit de leurs
jugements ; ainsi l'expérience même a justifié la sagesse
et l'à - propos de cette mesure extraordinaire : l'ordre
renaît et succède partout au plus affreux brigandage.
Mille opinions différentes d'amateurs et d'artistes ont,
jusqu'à présent , laissé très - indécises les questions qu'a
fait naître la colonne nationale. On attend incessamment
le rapport du jury , qui a fait adopter le dessin
du C. Moreau .
MESSIDOR AN IX. 151
SUITE de la Statistique du département des
Hautes - Alpes.
JACHÈRE S.
N ne connaît pas davantage cette méthode qui
consiste à réparer une terre en variant sa culture. Chaque
année , la moitié des champs reste en jacheres , et
la terre qui une fois a rapporté du froment , n'est jamais
énsemencée d'une autre espèce de grains .
PRODUCTIONS.
D'après une évaluation approximative , le produit
net des terres labourables s'élève à 600,000 quintaux de
froment ou de seigle. En général , il faut , chaque année,
retrancher de la récolte possible ce qui est perdu par la
manière vicieuse d'ensemencer les terres , et par le foulage
et le lavage des grains , qui se pratiquent encore
aujourd'hui comme anciennement. Cependant , cette
récolte suffit ordinairement à la consommation des habitants
; quelquefois même , il y a de l'excedent , et alors
une grande partie s'exporte dans la ci - devant Provence.
Mais jamais les exportations ne doivent prendre la totalité
de cet excédent ; tout l'argent du pays ne suffirait
pas pour le remplacer , dans les années stériles . Ces
réserves si précieuses dans un pays pauvre et sujet à
toutes les intempéries des saisons , viennent d'être
enlevées par les réquisitions des armées , et il y a tout
à craindre , si une année d'abondance ne vient au plutot
réparer cette perte. La pomme de terre , qui fait la
nourriture presque habituelle du pauvre , offrirait plus
de ressources encore , si on voulait la cultiver en grand.
"
Dans la partie méridionale du département , les vallées
sont couvertes de noyers , qui fournissent aux habitants
leur provision d'huile. Soit habitude , soit économie
ils en tirent fort peu de la ci - devant Provence , qui est
limitrophe. L'huile du prunier briançonnais , dont on
a cherché à encourager la culture, serait bien préferable,
sous tous les rapports , à l'huile de noix.
152 MERCURE DE FRANCE ,
On récolte aussi du vin dans plusieurs communes . Il
est très- mauvais dans la partie septentrionale du département
; mais les habitants s'en contentent . Sur les bords
de la Durance , la qualité devient meilleure ; il faut
même qu'elle soit excellente , puisque les propriétaires
ne viennent pas à bout de l'altérer tout - à- fait par les
vins de fabrication .
CHEVAUX , MULET S.
Ce pays fournit peu de chevaux. L'âne et le mulet
doivent avoir la préférence , dans une contrée montagneuse
et difficile . Le mulet surtout est d'un usage
général pour le roulage et pour porter des charges à
dos , dans les chemins escarpés , sur les bords des précipices
. On en élève de très - beaux dans le Champsaur et
dans la vallée de Queyras , limitrophe du Piémont . Les
habitants vont les acheter très - jeunes dans la ci - devant
Auvergne et dans l'ancien Limousin ; ils les gardent
pendant dix-huit mois environ , puis les revendent avantageusement.
Les ânes sont beaucoup moins nombreux que les mulets
. Il serait possible et même avantageux de les multiplier
davantage. Le Piemont en fournirait de la plus
belle race , pour former des haras ; des prairies artificielles
donneraient les fourrages . L'âne suppléerait,pour
beaucoup d'usages , au mulet , dont l'achat excède souvent
les facultés du pauvre.
BOEUFS.
Chaque exploitation rurale suppose au moins deux
ou un plus grand nombre de boeufs destinés au labour.
Les vaches donnent de fort bon lait , et les fromages
font la richesse de quelques vallées. On compte , dans
ce département , environ vingt - deux mille habitations.
En ne prenant , pour terme moyen , que deux têtes de
bétail par habitation , le nombre total des bêtes à corne
s'éleverait donc à quarante - quatre mille environ .
Ici , il faut encore regretter les prairies artificielles.
Car , sans doute , c'est à la disette de fourrages qu'il
faut attribuer la funeste habitude où l'on est de ne point
faire d'élèves et de vendre les veaux dans les départements
du Midi . La partie limitrophe du département de
MESSIDOR AN IXх.. 153
•
l'Isère fournit aux cultivateurs les boeufs dont ils ont
besoin. Mais le produit des veaux est loin de couvrir
les frais de cet achat , et c'est ainsi que l'indolence et
l'obstination des habitants tend à faire sortir le numéraire
d'un pays déja si pauvre par lui - même.
MOUTON S.
Les moutons des Alpes sont connus. Vers le milieu
du printemps , lorsque le soleil a fondu les neiges , on
les voit sortir du fond des vallées . Ils quittent leur étable
infecte et obscure , pour se répandre successivement sur
les montagnes reverdies , en les parcourant depuis la
base jusqu'au sommet , toujours au milieu d'un air pur,
des pâturages frais et odorants . Les premières neiges les
avertissent de quitter cet heureux séjour . Alors on les
voit descendre des montagnes , couverts de toisons
épaisses et blanchies par les rosées , chargés de graisse
et doublés de valeur.
Partout ailleurs , ce serait là un grand moyen de richesses
locales : la nature en fait presque tous les frais .
Cependant on n'en profite pas , ou du moins que trèspeu
, et les spéculateurs des départements méridionaux
viennent révéler aux habitants les ressources de leur
pays , en se les appropriant. 1
MOUTONS TRANS HUMANTS.
Chaque année amène , de la ci - devant Provence ,
d'immenses troupeaux qui consomment , pour le profit
de leurs maîtres , les pâturages des Alpes . L'hiver les
rappelle dans le midi , où ils dédommagent avec usure
les propriétaires des avances que nécessitent leur conduite
et les frais de séjour . Ĉes troupeaux , allant et
venant , sont connus sous le nom de races trans- humantes.
Cet usage remonte à un temps immémorial . Les conducteurs
jouissent de certains privileges , soit pour les lieux
de gite , soit pour les lieux de séjour , etc. Avant la révolution
, l'on comptait jusqu'à cent dix milie moutons
trans - humants. Mais , depuis 1790 , les vexations des
administrateurs ruraux ont alarmé les propriétaires et
les conductears , et cette année , la transmigration était
diminuée des quatre cinquièmes , malgré tous les efforts
154 MERCURE DE FRANCE ,
du ministre de l'intérieur , en l'an 6 , pour l'encourager.
En effet , tant que les habitants des Hautes - Alpes
ne sauront pas tirer parti eux mén es de leurs pâ urages
, ils ont un grand intérêt à favoriser ces transmigrations
qui répandent du numéraire ; le gouvernement
ne doit pas non plus les voir avec indifférence . Pendant
l'hiver , les troupeaux fournis ent les marchés du midi ,
et donnent aux manufactures des matieres premières
d'une tres- bonne qualité.
Mais les résultats seraient les mêmes pour le gouvernement
, et ils seraient bien plus avantageux pour
ces pays de montagnes , si les troupeaux , au lieu d'être
la propriété de quelques spéculateurs des Bouches- du-
Rhône ou de Vaucluse . appartenaient à ceux des Hautes-
Alpes . On sait que les moutons ne craignent pas le
froid , et il n'est pas prouvé , comme on l'a prétendu ,
que , pour prospérer , ils ayent besoin de changer alternativement
de climat et de sol . L'objection tirée de
l'incertitude de la vente n'est pas plus fondée ; car la
consommation du midi ne doit pas diminuer , parce que
le nom des propriétaires aura changé. Les débouchés
qui sont ouverts au département des Bouches- du - Rhône,
le seront également à celui des Hautes - Alpes . De plus ,
celui - ci établirait des relations directes avec l'Italie ;
et alors , il devient même douteux que ce département
pût suffire à la double consommation du Piémont
et du midi de la France. Toujours est - il certain que
l'on n'aurait à nourrir , pendant l'hiver , que les troupeaux
d'un an et les mères destinées à les reproduire.
CANAUX D'ARROSAGE.
Au reste , de pareilles entreprises dépendent essentiellement
des améliorations de l'agriculture ; ce pays
les réclame toutes . Les canaux d'arrosage , par exemple,
seraient d'une exécution facile . On pourrait avoir des
eaux à toutes les hauteurs , et forcer ainsi les torrents
à devenir utiles . Mais ces spéculations aussi simples ,
si bien d'accord avec les intérêts privés , n'ont convaincu
personne ; en attendant , la canicule amaigrit le
sol et brûle les moissons .
MESSIDOR AN IX. 155
A Gap même , chef - lieu du département , situé au
centre d'une vallée aride , on parle , depuis près d'un
siécle , du canal d'Orciers. La richesse de la ville , la
fertilité de ses environs en dépendent ; chacun applaudit
isolément au projet. Mais aucun plan , aucun devis
estimatif, aucune mise de fonds n'ont annoncé l'intention
de s'en occuper sérieusement.
DIGUE S.
Les secours de l'ancien gouvernement ont donné à
quelques communes les moyens de construire des digues .
Ĉes constructions réunissent le double avantage de garantir
des inondations les propriétés voisines , et de rendre
cultivables d'immenses délaissés qui , avec le temps ,
deviennent des fonds extrêmement précieux. Depuis la
révolution , elles sont devenues tout - à- fait impossibles ,
et il en résulte , chaque jour , des pertes plus ou moins
considérables . Ón compte des villages qui ont perdu la
moitié , d'autres la presque totalité de leur territoire.
On doit regretter que les prétentions de quelques
propriétaires privilégiés ayent fait rejeter, dans le temps ,
la proposition d'une compagnie de juifs qui , moyennant
l'abandon des délaissés , s'engageait à encaisser
la Durance. Par là , on eût conservé à ce département
cinquante on soixante mille ares des meilleures terres
labourables .
FORÊT S.
Il n'y a pas longtemps que la plupart des montagnes
étaient couvertes de belles forêts . Aujourd'hui , elles
ne présentent plus que des rocs dépouillés et stériles ;
leurs flancs sont creusés par les ravins , et les couches
végétales sont entraînées dans les vallons . On sait assez
la cause de ces ravages. Il faut dire , cependant , que
les approvisionnements des forts n'ont pas moins contribué
à la diminution des bois , que les fausses interprétations
de la liberté. Avant la révolution , on brûlait
de la houille dans les corps - de -garde , soit à Briançon ,
soit à Mont-Lyon . Il serait à desirer que cet usage prévalût
encore ; la houille se trouve en assez grande abondance
, auprès de Briançon même. La tourbe , répandue
çà et là dans les environs de Gap , pourrait aussi sup156
MERCURE DE FRANCE ,
pléer à la disette du bois . Une autre considération devrait
encore déterminer les habitants de la campagne à profiter
de ces ressources. Leurs maisons , construites avec des bois
résineux et couvertes de chaume , sont sujettes à des
incendies dont le relevé est véritablement effrayant.
C'est des forêts seules qu'ils peuvent tirer les matériaux
propres à reconstruire leurs maisons ; et il est tel village
aujourd'hui dont les habitants n'auraient pas
d'asile , si leurs maisons devenaient la proie des flammes .
Cependant ils ont porté la coignée au milieu de ces
beaux arbres , avec la même insouciance que , peutêtre
, ils ont vu brûler leurs maisons.
La seule forêt considérable de ce département est
celle de Durbon , dépendante de l'ancienne Chartreuse .
Cette forêt doit sa conservation à son escarpement et
à son site inaccessible. On y voit des pins antiques
et d'une grosseur extraordinaire , qui semblent n'avoir
plus à redouter que les orages . Chaque année cependant
il s'en fait une coupe de trois ou quatre cents'
pieds pour le service de la marine. On les précipite
dans le Buech , lorsque le torrent est flottable. De- là
ils vont jusqu'à la Durance qui les jette dans le Rhône ,
qui les amène enfin sur les côtes de la Méditerranée .
Au reste , cette forêt ne fournit rien à la consommation
du département ; et si l'on ne se hâte d'exploiter les
combustibles fossiles qu'il renferme , incessamment l'on
verra plusieurs vallées réduites à la condition des habitants
de la Grave , qui ne se chauffent qu'avec de la
fiente de vache séchée au soleil .
propre-
L'état déplorable de l'agriculture fait pressentir aisément
l'état du commerce. Il n'y a en point , à
ment parler , dans le département des Hautes- Alpes.
L'industrie est sans émulation ; les arts sont encore
daus l'enfance. Cette propreté , cette élégance que l'on
trouve ailleurs jusque dans les meubles les plus communs ,
est ici inconnue. Des draps grossiers , fabriqués dans
l'intérieur de chaque ménage , habillent presque toutes
les familles ; en un mot , leurs usages et leurs habitudes
annoncent moins une portion d'un peuple industrieux
, qu'une peuplade isolée et privée des communications
de la société.
Il faut compter pour rien deux ou trois petites fabriMESSIDOR
AN IX. 157
ques de toiles et de mouchoirs que l'on avait cherché
à relever dans les environs de Briançon , et qui , depuis
quelque temps, ont cessé leurs travaux .
Briançon possédait autrefois une manufacture de cristaux
de roche , qui était dans la plus grande activité
avant la révolution depuis les lois sur la requisition
et conscription , elle est entièrement tombée . C'était
un établissement , bien entendu , que celui où l'on employait
, comme matière première , les cailloux et les
rochers du pays pour les échanger contre l'or des étrangers
. Il mérite toute l'attention du gouvernement . Plusieurs
mémoires lui ont été présentés à cet égard .
MINE S.
Les découvertes minéralogiques sont encore à faire .
Tout annonce que les flancs arides des montagnes recèlent
des trésors oubliés ou méconnus. Entre Briançon
et Mont - Lyon , par exemple , est un village appelé
l'Argentière , qui tire son nom d'une mine de plomb et
argent , exploitée jusqu'en 1793. On y trouve , dit - on ,
des souterrains qui supposent des travaux de la plus
haute antiquité. Il est bien important pour ce département
et pour la république que cette exploitation soit
remise en vigueur.
On trouve aussi des mines de plomb à Saint- Martin ,
au Fonteuil , hameau de Briançon ; à la Grave et à Villard'Arène
; à Plampinet , vallée de Neuvache , il y a des
indices d'une mine de cuivre qui promet beaucoup .
Ce qui serait plus avantageux encore pour les habitants
, serait l'exploitation de la terre d'argile et de la
terre à pipe , que l'on trouve notamment dans le Brianconnais.
(
On pourrait établir des poteries , des faïenceries ,
qui ne sauraient être mieux placées que dans le voisinage
des mines de plomb et de houille . Au reste , toutes ces
ressources resteront ensevelies tant que le pays n'aura
pas de communications faciles avec le reste de la France ;
on peut craindre de les voir cesser entièrement.
GRANDES ROUTE S.
Les routes sont dans un état effrayant de dégradation ,
causée par le passage des troupes , des équipages d'ar◄
158 MERCURE DE FRANCE ,
tillerie , et plus encore par les torrents , les avalanches ,
les coulées de neige qui les coupent ou les emportent dans
toutes les saisons . On fait espérer des secours ; ils ne
sauraient être trop prompts ; jusqu'à présent il semble
que l'on ait voulu les proportionner au faible montant
de la taxe qui ne s'élève qu'à treize mille francs environ.
Cependant il faudrait faire attention qu'un seul
convoi d'artillerie qui ne rapporte rien aux fermiers de
la taxe , dégrade plus la route en quelques jours , que
le roulage pendant une année. Si l'on considère de plus
les causes de dégradations qui naissent des localités ,
de la chute des rochers , de la crue des eaux , etc.
on verra que le produit de la ferme est une donnée bien
incertaine pour calculer les réparations nécessaires et les
sommes qui doivent y être affectées.
Mais une entreprise du plus haut intérêt pour les
Hautes -Alpes serait l'ouverture de la route de France
en Italie par le Mont-Genève. Il est heureux que ,
dans
cette circonstance , les intérêts du département se trouvent
étroitement liés à ceux de la république . Sous les
rapports militaires cette route présente d'immenses
avantages , et il est démontré qu'aujourd'ui même que
la paix est conclue , il y aurait une économie des trois
quarts à ouvrir cette route pour le passage du matériel
de l'armée , plutôt que de le faire passer à force de bras
et d'argent par le Mont- Cénis , comme on a fait jusqu'à
présent.
MENDICITÉ.
Malgré toutes les raisons qui contribuent à rendre
ce pays un des plus misérables de la France , on y voit
peu de mendiants , si ce n'est quelques Piémontais , qui ,
sous prétexte de dévotion et de pélerinage , aiment
mieux vivre aux dépens d'autrui que de travailler . Ils
trouvent l'hospitalité dans ces vallées ; le pain noir est
partagé avec eux ; ils ont une place dans les écuries . Ce
sont , nous l'avons dit , les demeures de l'hiver. Heureux
encore les habitants , lorsque ces pélerins ne déguisent
pas d'adroits voleurs qui sont venus pour violer
F'asile de la pauvreté même. Depuis la guerre d'Italie ,
les mendiants piémontais se sont multipliés ; mais une
active surveillance les environne sans cesse.
MESSIDOR AN IX. 159
HOSPICES.
La détresse extrême des hospices a forcé de réduire
le nombre des infortunés qui y étaient admis . Il n'est
que de 26 à Gap , et moindre proportionnellement à
Embrun et à Briançon. Il est à desirer que ces établissements
atteignent enfin leur véritable destination . Dans
un pays où il n'y a ni mouvement , ni circulation , ni
population nombreuse dans les villes , les octrois ne
pourraient suffire à l'entretien des hospices ; l'industrie
doit venir au secours . La morale gagnerait autant que
l'économie à ce que des ateliers placés dans chaque établissement
de bienfaisance occupassent les forces naissantes
de l'enfance et les derniers loisirs de la vieillesse.
?
CONTRIBUTIONS.
Les contributions de toute nature s'élèvent pour ce
département à 1,018,008 . Cette somme n'excède pas la
quotité voulue par la loi ; mais l'inégalité dans la répartition
produit l'effet d'une grande surcharge ; et lors
même que le trésor public reçoit moins que n'a prescrit
la loi , les individus souffrent réellement et ne se
ressentent pas des ménagements du législateur dans l'as 、
sierte des charges publiques .
La mauvaise répartition des impôts tue l'agriculture ;
les lois intervenues jusqu'à présent sur cette matière
sont insuffisantes , il faut nécessairement y suppléer par
des règles indépendantes autant que posible , des passions
et des intérêts. Qui empêche , par exemple ,
d'avoir dans chaque commune des portions de terre
de toute qualité , qu'on évaluerait solennellement et
qui serviraient comme d'etalons pour l'évaluation des propriétés
qu'on prétendrait surchargées , et pourlesquelles
on solliciterait une reduction . A cote de l'évaluation de
ces portions de terrain , en revenu net et en revenu
brut , se trouverait la quotite de contribution déterminée
par la loi , et alors pour juger les réclamations ,
il ne s'agirait que de comparer les terres prétendues surcharges
avec les cratons. La notoriété publique déciderait
à quelle portion de terrain servant de terme
de comparaison , pourrait être comparé le fonds du
réclamant .
407
160 MERCURE DE FRANCE ,
INSTRUCTION .
Partout l'instruction a été négligée ; elle est nulle
ici. Les écoles républicaines sont desertes , et il faut
l'attribuer autant à la grossière indifférence des habitants
qu'à leur esprit d'opposition aux nouvelles doctrines.
Pour trouver quelque émulation et même une sorte
d'instruction , il faut remonter vers le Briançonnais
et pénétrer dans des vallées étroites , profondes et retirées
. Là il est rare qu'un enfant ne sache pas lire ,
écrire et même un peu calculer. Ainsi le veut l'usage
et la nécessité. Le sol ingrat et resserré ne saurait nourrir
tous les habitants. Le défaut d'ateliers les laisserait
oisifs pendant l'hiver qui couvre la terre de plusieurs
pieds de neige. Il faut donc qu'à l'époque decette émigration
périodique , dont nous avons parlé , il ait un moyen
d'existence . Aussi tous ceux qui ne connaissent pas d'arts
mécaniques , apprennent à lire , à écrire ; ils étudient la
grammaire française , même la grammaire latine , et aux
approches de la mauvaise saison , ils vont peupler d'instituteurs
l'ancienne Provence , et les pays méridionaux .
C'est même assez curieux de voir dans les foires d'au-.
tomne , ces instituteurs couverts d'habits grossiers , se
promener dans la foule et au milieu des bestiaux de toute
espece , portant sur leur chapeau une plume qui indique
et leur profession , et la volonté de se louer. Durant
les journées d'hiver , ces bonnes gens donnent des leçons
à certaines heures fixes . Dans les intervalles , ils
rendent à peu près les mêmes services que des domestiques
à gage , et pour tant de peine ils se contentent
du plus modique salaire. A la fonte des neiges , ils
reviennent dans leur pays natal avec quelques écus qui
les aident à payer des contributions , et travaillent
à la terre pendant tout le reste de la belle saison . II
est peu d'hommes sans doute aussi respectables aux
yeux de la société.
Tel est l'aperçu général d'un département que ses
hautes montagnes semblent avoir dérobé jusqu'à présent
aux regards des premières autorités . On voit cépendant
qu'il mérite toute leur attention , par son im-"
les resportance
, sous les rapports militaires , et par
sources territoriales dont il ne faut que savoir tirer
parti.
( N.° XXVII. ) 1. Thermidor An 9.
MERCURE
DE FRANCE.
LITTÉRATURE.
DESCRIPTION du Parc de Kensington,
tirée de la nouvelle edition du Poème des
Jardins *.
MUSE, quitte un instant les rives paternelles ;
Revole vers ces lieux que tu pris pour modèles :
Chante ce Kensington qui retrace à la fois ,
Et la main de Le Nôtre , et les parcs de nos rois ,
Où , dans toute sa pompe , un grand peuple s'étale.
A peine l'alouette à la voix matinale
A du printemps dans l'air gazouillé le retour ,
Soudain , du long ennui de ce pompeux séjour ,
Où la vie est souffrante , où des foyers sans nombre ,
Mélant aux noirs brouillards leur vapeur lente et sombre,
Par ces canaux fumeux élancés dans les airs ,
S'en vont noircir le ciel de la nuit des enfers ,
Tout sort : de Kensington , tout cherche la montagne ;
La splendeur de la ville étonne la campagne ;
Tout ce peuple paré , tout ce brillant concours ,
Le luxe du commerce et le faste des cours ;
tra
2
Ce Poème , réimprimé chez les frères Levrault , paratdans
deux ou trois jours.
45
cent
5 11
162 MERCURE DE FRANCE ,
Les harnois éclatants , ces coursiers dont l'audace
Du Barbe généreux trahit la noble race ,
Mouillant le frein d'écume , inquiets , haletants ,
Pleins des feux du jeune âge , et des feux du printemps ;.
Le hardi cavalier , qui , plus prompt que la foudre ,
Part , vole , et disparaît dans des torrents de poudre ;
Les rapides wiskis , les magnifiques chars ,
Ces essaims de beautés dont les groupes épars ,
Tels que dans l'Elysée , à travers les bocages ,
Des fantômes légers glissent sous les ombrages ,
D'un long et blanc tissu rasent le vert gazon :
L'enfant , emblême heureux de la jeune saison ,
Qui , gai comme Zéphyr , et frais comme l'Aurore ,
Des roses du printemps en jouant se colore ;
Le vieillard dont le coeur se sent épanouir ,
Et d'un beau jour encor se hâte de jouir ;
La jeunesse en sa fleur , et la santé riante ,
Et la convalescence à la marche tremblante ,
Qui , pâle et faible encor , vient sous un ciel vermeil ,
Pour la première fois , saluer le soleil.
Quel tableau varié ! je vois sous ces ombrages
Tous les états unis , tous les rangs , tous les âges :
Ici marche entouré d'un murmure d'amour ,
Ou l'orateur célebre , ou le héros du jour :
Là , c'est le noble chef d'une illustre famille ,
Une mère superbe , et sa modeste fille ,
Qui , mêlant à la grace un trouble intéressant ,
Semble rougir de plaire , et plaît en rougissant ;
Tandis que , tressaillant dans l'ame maternelle ,
L'orgueil jouit tout bas d'être éclipsé par elle.
Plus loin un digne Anglais , bon père , heureux époux ,
Chargé de son enfant , et fier d'un poids si doux >
Le dispute aux baisers d'une mère chérie .
Et semble avec orgueil l'offrir à la patrie.
VOYEZ ce couple aimable enfoncé dans ces bois :
THERMIDOR AN IX. 163
Là , tous deux ont aimé pour la première fois ,
Et se montrent la place où , dans son trouble extrême ,
L'un d'eux , en palpitant , prononça : Je vous aime.
Là , deux bons vieux amis vont discourant entre eux ;
Ailleurs , un étourdi qu'emporte un char poudreux ,
Jette , en courant , un mot que la rapide roue
Laisse bientôt loin d'elle , et dont Zéphyr se joue.
On se cherche , on se mêle , on se croise au hasard ;
On s'envoie un salut , un sourire , un regard ;
Cependant , à travers le tourbillon qui roule ,
Plus d'un grave penseur , isolé dans la foule ,
Va poursuivant son rêve ; ou peut-être un banni ,
A l'aspect de ce peuple heureux et réuni ,
Qu'un beau site , un beau jour , un beau spectacle attire,
Se souvient de Longchamps , se recueille , et soupire.
Fin du second chant. *
L'ÉTÉ.
ROMANCE.
DEJA de nos climats , Cérès exile Flore ;
L'Été brûlant succède à la saison des fleurs :
Tout languit dans nos champs , et la naissante Aurore
Ne verse plus sur eux le tribut de ses pleurs.
Les prés ont perdu leur parure ,
Les bosquets n'ont plus leur fraîcheur ;
Tout est changé dans la nature......
Mais rien n'est changé pour mon coeur.
L'ARBRE que le Printemps couronna de feuillage ,
Sous un ciel trop ardent , déshonoré , flétri ,
Enfant dénaturé , refuse son ombrage
Au ruisseau qui l'arrose , au sol qui l'a nourri ,
7
164 MERCURE DE FRANCE ,
Zéphyr a cessé son murmuré :
Plus d'abris pour le voyageur ;
Tout est changé dans la nature ....
Mais rien n'est changé pour mon coeur.
DANS le creux des rochers , la tendre Philomèle
Soupire , et se dérobe aux feux brûlants du jour :
Le ramier attentif craint de battre de l'aile ,
Et , tout en gémissant , fait trève à son amour .
Plus de concerts d'heureux augure ;
Plus d'asiles pour le bonheur ;
Tout est change dans la nature....
1
Mais rien n'est changé pour mon coeur.
QU'IMPORTE à mon bonheur que le Printemps expire ,
dans nos climats , Flore soit de retour?
Ou
que ,
Les beaux jours sont pour moi ceux où je vois Thémire;
L'Amour embellit tout ; rien ne plaît sans l'Amour.
Oui , ma Thémire , je le jure
Par tes attraits et mon ardeur ;
Tout peut changer dans la nature....
Rien ne changera pour mon coeur .
R .... R.
ENIGM E.
Vous pouvez sur mon nom , connu de toutes parts ,
Interroger la Politique ,
L'Architecture , la Musique ,
La Chasse même et d'autres Arts .
Je suis , sur leur rapport , vingt choses différentes ;
Mais , de peur d'embarras , je n'en suis qu'une iei .
THERMIDOR AN 1X 16
Pour les têtes intelligentes ,
Je vais me peindre en racourcci.
Graces aux éléments , graces à l'industrie ,
Je deviens de chacun l'ami le plus discret ;
Le plus défiant me confie
ก
Ses intérêts et son secret ;
Mais je veux de la vigilance.
Si vous me négligez , bien souvent je vous perds.
Craignez surtout ma ressemblance ,
Elle pourrait vous nuire autant que je vous sers.
LOGOGRIPHE.
>
Je suis avec cinq pieds parfois triste et plaintif ;
Avec quatre , sur l'eau je fais voguer l'esquif ;
Avec trois , je deviens une essence céleste ;
Avec deux , d'un pronom j'ai le titre modeste.
•
Mots de l'Enigme et du Logogriphe insérés
dans le dernier Numéro.
Le mot de l'énigme est plume.
Le mot du logogriphe est Angleterre , où l'on trouve
angle , terre.
166 MERCURE DE FRANCE ,
11
CHOIX des meilleurs morceaux de la litterature
russe, traduits en français par M. L,
PAPPA DOPOULO , et par le C. GALLET.
JUSQU'A présent , on n'avait en France , aucune
idée de la littérature russe. Quelques vers
français du comte Schouvalow , quelques fragments
en prose du prince Galitzin , avaient annoncé
qu'en Russie , la classe supérieure recevait
une éducation soignée , et se livrait , par
plaisir , à la culture des lettres. Mais la littérature
nationale , celle qui , seule , peut donner la
juste mesure du génie et de l'imagination des
Russes , n'avait point encore franchi les bornes
de leur empire.
La littérature des différents peuples nous apprend
à connaître leurs usages et leurs moeurs
mieux que l'histoire et les voyages. On remarque
, surtout dans les pièces de théâtre , les habitudes
, la manière de sentir et de juger , et les
opinions du peuple chez lequel elles ont été composées.
Une traduction des meilleurs ouvrages
russes est peut-être plus instructive que les nombreuses
relations qu'on nous donne sur la Russie ,
depuis quelques années.
Les deux traducteurs ont voulu faire connaître
quels sont les talents des Russes , dans différents
genres ; ils ont choisi les ouvrages les plus remarquables
; et leur recueil présente des odes ,
un morceau d'histoire , un poème épique , une
tragédie et une comédie .
Les odes de Lomonosow , le meilleur poète
lyrique de la Russie , sont toutes à la louange de
THERMIDOR AN IX. 167
•
l'impératrice Catherine II . Elles présentent dés
éloges outrés ; mais on y remarque de beaux
mouvements et des peintures gracieuses , autant
qu'on en peut juger sur une traduction en prose .
Le fonds en est peu intéressant , parce qu'elles
furent composées sur des événements trop éloignés
de nous , et , pour la plupart , tombés dans
l'oubli. Je n'en citerai qu'une strophe qui , en
supposant l'harmonie des vers , mérite d'être distinguée.
« Quelle fut votre surprise , Muses de la
Neva , lorsque vous entendites cette auguste
<< voix ! Unissant nos pensées et nos accords mé-
« lodieux , nous prononçâmes le serment de zèle' ;
et , quand le jour tomba , ce rivage et ces flots
<< nous parurent , à travers l'ombre subtile , pleine
« d'une majesté nouvelle . Au milieu des héros
« les plus distingués , parmi les armes brillantes ,
<< nous vîmes la beauté , tenant l'épée redoutable ,
animer le courage et enchanter à la fois tous
<< les coeurs . >>
«
霄
*
On se rappelle avec peiné que cette ode ; la
plus belle de Lomonosow, fut faite au moment
où Catherine venait d'usurper le trône , et où le
corps du malheureux Pierre III était encore exposé
dans l'église de Petersaw . On excuserait cette
flatterie , si le poète eût choisi , pour louer sa souveraine
, l'époque où l'on pouvait lui appliquer
ces beaux vers de Voltaire :
Et quinze ans de vertus et de travaux utiles ,
Les arides déserts , par vous rendus fertiles ,
Les sauvages humains soumis au frein des loix ,
Les arts , dans nos cités , naissants à votre voix ;
Ces hardis monuments que l'univers admire ,
Les acclamations de ce puissant empire ,
168 MERCURE DE FRANCE ,
Sont autant de témoins dont le cri glorieux
A déposé pour vous au tribunal des Dieux .
Le morceau d'histoire , intitulé : Révolte des
Strelitz , par Alexandre Soumaracow , est un
des ouvrages les plus intéressants de ce recueil.
C'est la conjuration de la princesse Sophie contre
. ies Narichskin , et le tableau de leur massacre.
On y voit quelles étaient la barbarie , et
la férocité des Russes , avant le règne de Pierre-
-le-Grand; les excès d'une soldatesque effrénée
y sont peints avec énergie ; on y trouve le mélange
de la brutalité guerrière et du fanatisme
religieux . C'est dans l'enceinte de l'église de
Moscow , c'est au pied des autels , c'est au
moment du sacrifice , c'est en présence du patriarche
et du clergé russes , que Sophie livre
son propre frère à des assassins , qui le traînent
par les cheveux hors du temple , lui donnent
la question , et le font périr lentement dans des
supplices inouis. L'historien russe a souvent
répandu dans son récit des réflexions politiques .
J'en transcrirai quelques-unes qui ont rapport
au pouvoir monstrueux et tyrannique qu'avaient
usurpé les Strélitz . « Il vaut mieux , pour les
monarques et pour les empires , n'avoir point
« de troupes que de dépendre d'elles ; il vaut
mieux , pour le peuple , être sous le joug d'une
« domination étrangère , que sous celui d'une
« populace armée , dont il faut flatter l'inso-
<«< lence , en tremblant jour et nuit , sous sa garde .
« Dans les troupes réglées de l'Europe , le soldat
subit la peine de mort , s'il désobéit . En
<< observant dans les armées une pareille discipline
, on fait naître la sureté commune ;
«
«
«
T* HERMIDOR AN IX. 169
<«< car celui qui n'est point accoutumé à com-
<«< mettre de petites fautes , ne se porte jamais
« aux grandes , parce que les choses marchent
<< par degrés ; jamais les incendies ne se manifes
<< tent par de grandes flammes , mais ils naissent
<< de petites étincelles : sitôt qu'on éteint l'étincelle
d'une révolte , il n'existe point d'embra-
«< sement pour la patrie , les troupes , contenues
dans le devoir de la discipline , sont dange-
« reuses aux seuls tyrans . »
.
Le poème de Pierre- le-Grand n'est que l'esquisse
d'un grand ouvrage , que l'auteur n'a
point achevé. Le sujet est un des exploits les
moins éclatants du héros ; c'est le siége de
Schluchelbourg , ville peu importante que pos
sédaient les Suédois. Cet ouvrage n'offre aucun
caractère fortement tracé ; Charles XII
n'entre pour rien dans la composition de la
fable. A peine y parle-t-on de ce guerrier , aussi
téméraire que fameux , qui balança si longtemps
la fortune de Pierre . Le poète russe s'est
encore privé du plus grand avantage que présentait
son sujet : il ne peint pas son héros
comme le créateur de son empire.
"
On remarque cependant que les chef- d'oeuvres ,
dans le genre épique , n'étaient point inconnus à
Soumarocow. Son poème présente quelques heureuses
imitations . Pierre se met en route pour
faire le siége de Schluchelbourg , sur les bords
d'Ouna , petite rivière qui se jette dans le lac
Ladoga. Un vieillard lui apparaît ; il prédit à
Pierre sa grandeur future , et le héros lui raconte
la révolte des Strélitz. La mort du vénérable Narichskin
rappelle celle de Coligni dans la Hen170
MERCURE DE FRANCE , "
riade . On trouve dans le récit , qui a quelques
rapports avec le second livre de l'Eneide , des
détails heureux , qui peignent , avec une grande
vérité , ce mélange des moeurs européennes et
orientales qui formait le caractère des Russes . Le
poète lui-même donne lieu à cette remarque
dans une exhortation à Pierre , qu'il met dans la
bouche du vieillard . « Ton père envoyait ici ,
« pour être enfermés dans ces murailles , tous
<< ceux qui , mus par un fanatisme opiniâtre , per
< «sistaient dans leur égarement , et que la per-
« suasion et l'horreur des cachots n'avaient pu
<< arracher aux prestiges d'une superstition enra-
«< cinée dans les coeurs. » On conviendra que ce
mélange de la persuasion et de l'horreur des cachots
est un peu russe.
Ce n'est point là qu'il faut chercher tout ce
qu'il y a de riant et d'aimable dans le génie de
l'ancienne Epopée . Le poète russe n'a devant les
yeux que des forêts de sapins , des lacs couverts
de glace pendant six mois de l'année , et l'imagination
, au milieu de ces déserts , doit être sans
vie comme la nature . Je citerai pourtant une
peinture assez poétique de la jonction des rivières
de Wolkow et de la Néva , que Pierre réunit en
détournant le cours de la première .
"
« Wolkow , tu te plaignais de ce que le sort
« t'entraînait vers le Ladoga , et t'éloignait de la
Néva que tu chérissais. Mais le destin avait
« décidé que ton entrée dans celle - ci ne se ferait
qu'après avoir été agitée par les tempêtes du
lac. Combien tu gémissais en te voyant forcé de
« réunir tes ondes aux siennes , et d'aller te perdre
← dans la mer , en terminant ton cours ! Tantôt ,
THERMIDOR AN IX. 171
" pour t'affranchir , tu élevais tes flots troublés aú
« dessus de tes rivages ; tantôt tu cherchais des
« passages secrets au dessous de la terre , et des
digues étaient opposées partout à tes efforts.
Tu n'as pu surmonter , ni les gouffres , ni tes
«< bords , jusqu'à ce que Pierre , enchaînant le
sort qui te maîtrisait , te donna un passage , et
« nous procura l'abondance des contrées orien-
« tales . » P.
AMBASSADE au Thibet et au Boutan
contenant des détails très-curieux sur les
moeurs , la religion , les productions et le
commerce du Thibet , du Boutan et des états
voisins ; et une notice sur les événements qui
s'y sontpassésjusqu'en 1793 ; par M. SAMUEL
TURNER , chargé de cette ambassade ; traduit
de l'Anglais , avec des notes, parJ. Cas-
TERA , 2 vol. in 8 ° de 780 pages , imprimés
sur papier carré fin et caractères de cicéro
neuf, avec un volume in- 4. ° sur grand raisin
, contenant 15 planches , vues , monuments
, hieroglyphes , plans , animaux, carte
géographique , etc. , dessinées sur les lieux ,
et gravées en taille-douce par Tardieu l'aîné.
Prix, 12 francs broché , et 15fr. parlaposte ,
port franc. En papier vélin , 24 fr. sans le
port. A Paris , chez Buisson , imprimeur-libraire ,
rue Hautefeuille , n.º 20 .
DEPUIS EPUIS quelque temps , nous devons aux Anglais
beaucoup de voyages nouveaux , et particulièrement
dans l'Inde. Ils nous donnent volontiers des relations
des pays où ils s'enrichissent . On en trouve plusieurs
172 MERCURE DE FRANCE ,
1
extraits dans ce journal * : L'ambassade dans le royaume
d'Ava ou l'empire des Birmans , nous a montré les Anglais
ouvrant les premières relations avec un pays dont
les bois de construction étaient devenus indispensables à
leur marine . L'histoire de leurs derniers établissements
dans l'Indostan est plus sanglante. On a vu comment
l'empire fondé par la valeur et la prudence , ne
peut être défendu par la valeur sans prudence. Ce
royaume , dont toutes les destinées étaient attachées
à une seule tête , tombe avec elle , et devient une possession
de la compagnie des Indes , ou la proie de
nouvelles révolutions. Du fond du golfe du Bengale ,
la ville de Calcuta envoya ses vaisseaux sur les côtes de
ces deux immenses péninsules , où fut l'empire de Mysore,
et où l'on voit encore le royaume d'Ava. La position
de cette ville , déja l'une des plus florissantes de
l'univers , semble avoir été choisie comme au centre de
sa domination future.
Ce voyage continue l'histoire des progrès de la compagnie
anglaise dans les Indes ; il offre une suite de travaux
, de dangers , de difficultés toutes nouvelles ; mais
que le génie particulier à cette académie de marchands
sut tourner au profit du commerce et des sciences . A
Ja fin de ce siécle , les relations commerciales entre les
peuples du Thibet et du Boutan , et ceux dù Bengale ,
qui sont pourtant limitrophes , n'existaient pas encore.
Ces peuples , unis par une religion et une origine communes
, restaient séparés par des montagues inaccessibles
et une défiance mutuelle . Ce ne fut qu'en 1774
que la compagnie des Indes envoya , pour la première
fois , une ambassade au Thibet. On en avait rapporté de
grandes espérances pour l'avenir ; mais elles ne durèrent
pas plus longtemps que le Lamu qui mourut en Chine
* Voyez les N. XV et XXI.
1
THERMIDOR AN IX. 173
de la petite vérole . Bientôt après il s'offre l'ocçasion
de renouer les négociations avec la régence du
Thibet ; elle est saisie . M. Turner est nommé chef de
l'ambassade . C'est toujours de Calcuta que partent de
semblables expéditions .
Parvenus sur les montagnes du Boutan , dont la chaîne
immense forme comme un plateau le plus vaste et le
plus élevé de notre continent , les voyageurs découvrent
une nature nouvelle . Ce ne sont plus les campagnes
riantes et toujours fertiles de l'Indostan , sous la
main qui les cultive à peine. Ici , tout a pris un aspect
plus sévère et plus vigoureux . Les habitants sont
grands et bien proportionnés , les flancs des montagnes
sont cultivés , un air vif et surtout le besoin ont
partout inspiré l'amour du travail. On croirait voir la
Suisse au sortir de l'Italie .
'
A mesure que nos voyageurs s'élèvent davantage , ils
découvrent devant eux des montagnes toujours plus élevées
et ressentent l'influence d'une température
plus rigoureuse ; au reste , cette température change
comme l'aspect du sol.
Le Boutan , situé sous le vingt-quatrième degré de
latitude à peu près , réunit tous les climats et toutes les
productions qui sont propres à chacun..
Le sommet des montagnes qu'habitent des Dewtas
ou Génies , qui président aux vallées , est couvert de
neige , quelquefois jusqu'au mois de juin . C'est la région
des hivers , propre aux sapins , aux ifs et à
d'autres arbres du nord. Dans les profondeurs des vallées
, les orangers , les cédrats , les manguiers , s'élevent
sous l'abri des montagnes , et leurs fruits mûrissent
au soleil de l'Inde. On y trouve aussi des ananas.
Cette dernière production n'est point indigène. Elle
fut apportée dans ce pays par des missionnaires por174
MERCURE DE FRANCE ,
tugais , et s'y multiplie , comme pour servir de monu
ment à leur mémoire .
}
Le lecteur prévoit aisément quelle impression durent
faire sur une imagination anglaise , tant de sites et
de fruits divers , tant d'accidents et de contrastes.
Les couleurs neuves et sauvages de cette nature impósante
sont reproduites dans l'ouvrage de M. Turner ,
mais elles y sont tellement mêlées , que nous essayerions
en vain , par des citations détachées , de rendre les différents
effets du fracas des cataractes , des gémissements
des forêts sous l'effort des vents toujours furieux
, de l'aspect effrayant de ces montagnes amoncelées
comme les débris d'un monde , des formes bizarres
et changeantes de ces paysages qui se perdent dans les
airs.
,
Désormais il faut suivre l'ambassade anglaise dans
des sentiers étroits et suspendus sur des précipices avec
des chevilles de fer , quelquefois à travers les nuages
qui roulent sur le flanc des montagnes , ta ntôtfranchissant
un abyme , à l'aide d'un pont de chaînes ou de
lianes , qui les balance sur un torrent qui mugit , etc.
Enfin elle arriva au palais du Deb-Reja , souverain du
Boutan .
M. Turner décrit très au long les particularités de sa
réception ; et le nombre d'écharpes reçues et données en
signe de bonne alliance , et cette coutume d'apporter
une tasse de thé pour indiquer la fin de la visite , ce
qui est une manière très -commode de l'abréger , lorsqu'elle
devient importune , etc.
L'étiquette de la cour du Raja , toujours rigoureuse ,
comme la défiance et le soupçon auxquels elle doit son
origine , s'adoucit en faveur des Anglais. Partout ils
reçoivent les témoignages de l'amour et du respect qui
les précèdent dans toutes les Indes , dit M. Turner .
Sans doute aussi , c'est à une prévention très-favo
THERMIDOR AN IX. 175
rable aux Boutaniens , qu'il faut attribuer la sécurité des
singes , divinités du pays dont les bandes sacrées voltigent
autour des monastères , et la familiarité des poissons
qui viennent recevoir leur nourriture de la main
des Gylongs ou moines boutaniens , lorsque ceux - ci se
lavent dans les eaux du fleuve .
La religion leur prescrit , comme aux Indous , de ces
ablutions fréquentes ; un jour M. Turner en rencontra
plusieurs qui allaient remplir ce devoir salutaire .
"
a
"
"
"
"
"
"
"
}
« Ils étaient conduits par un vieillard de leur ordre ,
qui avait le titre de Gouroubah. Ce moine portait
« un vase de fer , suspendu par une chaîne à un long
bâton , dans lequel brûlaient diverses sortes de bois
aromatiques , qui produisaient beaucoup de fumée.
Les autres Gylongs le suivaient sur une longue file.
« Ils étaient tous vêtus uniformément et avaient la
tête , les jambes et les pieds nus . Leur habillement
« extrêmement simple , consiste en un philiben , qui
leur tombe jusqu'auprès du genou , une courte veste
d'étoffe de laine sans manche , et un grand manteau
« d'un drap de couleur cramoisie , dont ils s'enveloppent
d'une manière en apparence négligée , mais qui ne
manque pas de grace ; il leur couvre la poitrine , et
- passe sous le bras gauche , en descendant jusqu'à
la cheville du pied , tandis que l'autre bout est rejeté
" sur l'épaule gauche. Le bras droit reste ordinairement
« nu. En se rendant à la rivière , les Gylongs marchaient
avec beaucoup de rapidité ; ils tenaient leur bras
gauche appuyé sur leur poitrine , et ils portaient dans
la main droite un rosaire , dont ils faisaient passer les
grains entre leurs doigts. »
"
"
Les monastères sont répandus en grand nombre sur
ces montagnes , et leurs dômes dorés , lorsqu'ils sont
frappés des rayons du soleil ,, réjouissent la vue au
milieu de ces horreurs sauvages . On trouvera dans cet
176 MERCURE DE FRANCE ,
ouvrage plusieurs particularités sur le régime de ces maisons
religieuses , sur les cérémonies du culte , sur les arts
et les connaissances des Boutaniens . L'auteur a observé ce
pays avec d'autant plus de soin , qu'il était moins connu
et qu'il était plus important pour la compagnie des
Indes , comme servant de passage au Thibet.
Nous avons anticipé sur la partie la plus intéressante
de ce voyage dans le 8.me N.º de ce journal , où l'on a
rapporté l'entrevue du capitaine Turner avec Teschou
Lama. Ces détails que nous avions extraits des mémoires
de la société de Calcuta , sont absolument les mêmes
dans cet ouvrage.
La cérémonie de l'inauguration du jeune Teschou-
Lama sur Musnud , où le trône des Lama , la relation
du voyage de son prédécesseur en Chine , où l'empereur
siguale sa magnificence et sa piété pour le chef
de sa religion , qu'il regarde néanmoins comme un vassal
de son empire , offrirait encore des détails curieux , mais
toujours à peu près semblables.
On connaît , en général , la doctrine des Thibétaius .
sur leur Lama, prince-dieu de ce pays , qui est immortel,
ou du moins qui ressuscite , et ne fait en mourant que
disparaître et changer de demeure mortelle . Cette
croyance si absurde a pourtant une grande influence
politique ; elle assure à l'état une forme invariable , et
aux actes du gouvernement une sanction sacrée .
Une alliance , jurée par un Lama , est inviolablement
gardee par ceux qui lui succèdent , autrement ce ne serait
pas le véritable , ce serait un faux Lama. Avec de tels
principes , un état n'a pas beaucoup de sujets de guerre.
L'histoire a même prouvé qu'il avait dans cette constitution
sacerdotale un rempart assuré contre les conquérauts
et les révolutions qui ont entraîné tout le
reste. Le Thibet , enclavé dans l'einpire de Gengiskan ,
qui avait soumis la plus grande partie du monde connu
THERMIDOR AN IX 177
s'est maintenu comme inviolable au milieu de cette
inondation de Tartares. Tous les conquérants , dit Voltaire
, à cette occasion , dans son Essai sur les moeurs
ont toujours épargné les chefs des religions , et parce
que ces chefs les ont flattés , et parce que la soumission
du pontife entraîne celle du peuple.
Il faut convenir que les avantages d'un pareil système
sont bien mélangés . La même cause qui assure à ce gouvernement
une forme invariable , est comme un poids
qui retarde sa marche vers les progrès de la civilisation .
Ces peuples sont aujourd'hui , tels que nous les trouvons
dans les écrits des anciens , dans les relations de nos missionnaires
, dans celles plus récentes des Anglais ; destinés
à représenter éternellement cet âge ingrat de la
société , aussi éloigné de la simplicité primitive que
d'une civilisation achevée .
Sous l'influence d'un climat aussi rigoureux que dans
les contrées les plus septentrionales de notre Europe ,
les Thibetains conservent moins d'énergie dans le caractère
que leurs voisins du Boutan . Ils se rapprochent
plus des Indous par leur apathie , et aussi par les austérités
excessives de leurs moines. Ces contrastes sont
fréquents dans l'Inde , où l'on voit la faiblesse unie à
l'exaltation , l'excès de l'indolence uni à l'excès de l'enthousiasme
; et , pour une cause bien plus sainte que la
religion de Brama , n'avons - nous pas vu , pendant la révolution
, les dévouements et les efforts qui semblaient
excéder les forces de l'homme , honorer le sexe le plus
faible ?
Tout le monde a entendu parler des pénitences homicides
auxquelles se livrent les Bonzes et tous les contemplatifs
de l'Indostan . L'histoire suivante pourra paraître
encore nouvelle .
Adopté par un dévot indien , et élevé par lui dans
5
12
178 MECURE DE FRANCE ,
"
les principes de sa religion , Prampouri était fort jeune
lorsqu'il commença à s'imposer des mortifications ex-
" traordinaires .
"
"
"
«
".
"
«
་་
"
de
« Le premier voeu que lui suggéra son ardente dévotion
, fut de rester debout douze ans de suite , sans
se coucher ni s'asseoir pour dormir. Pendant tout ce
temps - là , il erra en différents pays . Je lui demandai
comment il faisait alors pour résister au sommeil .
Il me répondit que , dans les commencements de
l'accomplissement de son vou , pour ne pas tomber
« en dormant , il avait coutume de s'attacher avec des
cordes à un arbre ou à un poteau ; mais qu'au bout
de quelque temps cette précaution était devenue
« inutile , parce qu'il dormait facilement debout .
« Lorsque le terme de cette pénitence fut expiré ,
Prampouri résolut de tenir , pendant le même espace
temps , ses mains jointes par dessus sa tête . Il
m'est impossible de dire , si ces faquirs choisissent
« ce terme de douze ans par rapport aux douze signes
du zodiaque . Quoi qu'il en soit , Prampouri avait
également fait vou de ne point avoir , pendant le
• même temps , de demeure fixe . De sorte qu'avant
« la fin de ces secondes douze années , il eut par-
« couru la plus grande partie du continent d'Asie .
Après avoir erré dans la Turquie , il alla à Ispaham ,
séjourna assez de temps dans les differentes provinces
de la Perse pour en apprendre la langue ;
pénétra dans la Russie , vit Moskow , traversa la
Sibérie et une partie de la Tartarie , alla à Pekin ,
revint au Thibet , de là rentra dans le Bengale. Je
vis , pour la première fois , ce singulier voyageur ,
en 1783. Il montait un cheval bai , de la race des
Tanguins du Boutan , et il portait une robe de satin
brodé, qu'il avait reçue en présent du Teschou-Lama ,
"
"
Ce
"
"
""
"
11
"
THERMIDOR AN IX, 179
«
R
"
• et dont il était très - vain . Il était robuste et bien
portant ; et son teint , relevé par la couleur très - noire
« d'une barbe longue et touffue , avait assez d'éclat .
Il n'avait pas alors plus de 40 ans . Deux gosseyns
• ou moines indiens l'accompagnaient et l'aidaient à
monter et à descendre de cheval. Il avait même besoin
de leurs secours dans beaucoup d'autres occa-
- sions car ses mains restaient constamment jointes
« et immobiles sur sa tête. Il semblait que le sang
ne eirculait plus dans ses bras . Ils étaient dessechés
roides et totalement insensibles . Cependant il me dit ,
« avec un air de confiance , qu'il espérait en recouvrer
l'usage ; et il ajouta que , l'année suivante , il déjoindrait
ses mains , parce que ce serait le terme de sa
pénitence.
"
04
"
"
" Il restait à Prampouri deux épreuves à accomplir.
Dans la première , le dévot est suspendu par les pieds
aux branches d'un arbre . On allume au dessous de
Iui un grand feu , et on le balance continuellement ,
de maniere que ses cheveux passent à travers la
flamme pendant trois heures trois quarts. Après cette
rude pénitence , il passe à la dernière épreuve , qui
« est d'être enterré debout et vivant dans un trou ,
qu'on creuse exprès. On le couvre alors entièrement
" avec de la terre fraîche , sous laquelle il reste encore
« trois heures trois quarts. A l'expiration de ce temps ,
" on le déterre ; et s'il est encore en vie , il se voit
élevé au premier rang des plus purs gogis. "
"
"
"
Au reste , cet ouvrage , comme ceux du même
genre , renferme plusieurs vérités utiles , avec beaucoup
de vérités indifférentes. Il faut encore dire un
mot de l'objet de l'ambassade anglaise . Le Thibet est ,
de tous les pays , celui qui répond le mieux aux recherches
du minéralogiste . On y trouve de l'or en
180 MERCURE DE FRANCE ,
"
grande quantité et souvent de très -pur . Ses montagnes
recèlent plusieurs autres mines d'argent et de cuivre
également abondantes. Il peut fournir au commerce le
musc , le tinkel , le poil de chèvre , etc .; enfin , continue
l'auteur , s'il s'établit une correspondance régulière
« entre le gouvernement du Bengale et les chefs du
Thibet , je crois qu'elle deviendra la base certaine
d'une correspondance avec la Chine . Oui , ce sera
probablement par l'entremise des Thibétains , que
« nous pourrons arriver à Pekin .
"
"
"
Cette espérance ( et dans les spéculations commerciales
, comme dans tous les calculs humains , l'espérance
est une quantité positive ) était le résultat le plus
avantageux de l'ambassade ; mais on ne l'a pas obétenu .
Une notice , publiée après ce voyage , et qui continue
'histoire du Thibet jusqu'en 1793 , nous apprend que
les rigueurs exercées par l'empereur de la Chine contre
les Thibétains , avaient pour objet de rompre les relations
commencées avec les Anglais. Depuis ce temps ,
elles ont entièrement cessé. Je ne sais même s'il faut
ajouter beaucoup de foi aux témoignages de confiance ,
d'amour et de respect pour la nation anglaise , que
M. Turner a consignés dans son ouvrage. Ce style est
celui de tous ses compatriotes. N'aurait- il pas abusé du
privilége exclusif que s'est attribué sa nation , de faire
l'histoire et le commerce de l'Inde ? La traduction
est assez recommandée par le nom du C. Castera .
G.
THERMIDOR AN IX. 181
"
VIE littéraire de Forbonais * ; par J. DE L'ISLE
DESALLES , membre de l'Institut national de
France et de l'Athénée de Lyon. Paris , chez
Fuchs , libraire , rue des Mathurins.
Le nom de Forbonais rappelle de grands talents et
de grands services.
Ses deux principaux titres à la reconnaissance publique
sont les Éléments du commerce et les Recherches
sur les finances. Les Eléments du commerce , où l'auteur
réduisit en art , pour la première fois , les pratiques
minutieuses des négociants et des armateurs ,
parurent en 1754. Cet ouvrage obtint un de ces succès
'd'enthousiasme , qui montre que les esprits étaient
alors dirigés vers les objets d'utilité publique avec
autant d'ardeur qu'ils le furent depuis vers la théorie
des gouvernements. Il s'en fit deux éditions en vingt
jours , et on le traduisit dans la plupart des langues
de l'Europe .....
Quatre ans s'écoulèrent jusqu'à la publication des
Recherches sur les finances. Elles embrassent un intervalle
de 126 ans , depuis 1595 , époque où le grand
Sully créa les finances françaises , jusqu'en 1721 , que
l'écossais Law en opéra le renversement.
-` ' · Il faut suivre , dans ce petit écrit , le développement
du système de Forbonais. Le C. Desalles a rendu claires
- et intéressantes pour tous des matières qui semblent
réservées aux hommes d'état.
>
sont ainsi renpublier
La Société libre des Arts du Mans venait e
Eloge historique , lorsque le C. Desalles devait la Vie
littéraire de Forbonais . Les auteurs qui contrés sur le même sujet et dans la ême intention , ne
doivent point le regretter. Leur travail conservera toujours
un mérite indépendant de toute concurrence et de toute
comparaison.
182 MERCURE DE FRANCE ,
፡
Les Recherches sur les finances avaient été précédées
des Considérations sur les finances d'Espagne , ouvrage
qui fut publié comme sorti des presses de Dresde , en
1753 , à l'époque où Montesquieu publiait son Esprit
des lois à Genève. Forbonais , écrivain politique et
philosophe , ne pouvait dissimuler son indignation
contre l'intolérance religieuse du clergé espagnol , contre
l'excès de sa puissance et de ses richesses . Il avançait
encore plusieurs de ces maximes , dont la vérité et
l'abus furent trop célèbres de nos jours. Son ouvrage ,
d'ailleurs , offre des résultats plus positifs , et dont l'application
est de tous les temps.
"
"
. En sondant avec habileté les blessures profondes
de l'Espagne , Forbonais découvrit qu'un de ses
principes de mort avait été de regarder l'or du Po-
« tosi comme un des principes organiques de son exis-
" tence . Cette erreur est funeste pour un empire
" accoutumé à voir affluer dans son sein les richesses
"8
"
représentatives ; il perd le goût des richesses réelles
« ôte la valeur des premières , en les dispersant sans
" mesure , et peu à peu voit disparaître son or , son
industrie et son agriculture. - Après avoir découvert
un des vices de la routine financière de l'Espagne ,
il s'agissait d'établir quelques principes pour fonder
« la vraie théorie des finances. Forbonais observe que
" la société étant naturellement divisée en non - propriétaires
qui travaillent pour vivre , et en propriétaires
qui ne peuvent jouir de leurs biens sans les dépenil
était dans l'ordre que toute contribution eût
pour base le travail du non - propriétaire , et pour
produit , le superflu des jouissances du propriétaire.
Cette vue générale a fourni à Smith un de ses plus
heureux chapitres , celui où il fait la distinction des
classes productives et non - productives de la société. Il
faut la rendre à l'auteur français puisqu'elle lui appar-
« ser ,
*
14
THERMIDOR
AN IX. 183
tient . Smith a recueilli ainsi plusieurs idées dont il a
profité avec une grande discrétion .
Le style de Forbonais est simple , méthodique' , mais
- en général froid , diffus et négligé. Peut-être faut -il
attribuer à ces défauts sa prodigieuse fécondité. On
doit écrire beaucoup lorsqu'on se retranche une partie
des difficultés de l'art d'écrire . Le nombre de ses ouvrages
publiés ou manuscrits est étonnant. Au reste ,
´si le style n'est jamais indifférent , les défauts en sont
bien moins sensibles dans ces sujets graves et importants
, où l'on était toujours dédommagé par un raisonnement
sûr et par des vues profondes .
Forbonais semblait destiné à gouverner un jour
les finances d'un grand empire . Il augmenta la liste des
hommes de mérite oubliés ou méconnus. An la vérité ,
Louis XV , dans un de ces moments si rares où il
lui était permis d'être lui-même , lui avait , donné ,
de son propre mouvement , une pension de 5000 fr. ,
sous cette condition bien honorable , qu'il ne refuserait
jamais ses lumières au gouvernement. Il faut ajouter
encore ( ée qui n'étonnera personne ) que la pension
et la clause furent continuées par l'infortuné Louis
XVI. Enfin , à l'époque du ministère de Silhouette ,
Forbonais , cédant à la voix de la patrie , fut installé
au contrôle général , et y acquit bientôt la prépondérance
que devaient lui donner son nom et ses lamières.
Mais , s'il lui était naturel de mériter l'estime ,
il lui fut impossible de conserver la faveur, paree
qu'il ne voulait pas l'acheter au prix qu'on y mettait..
Forbonais s'était imposé la loi de ne jamais donner
d'audience particulière sans deux témoins , afin d'éviter
~ toute idée de séduction par l'or on par les femmes.
-Un jour qu'il était question d'un projet d'édit qui
devait enrichir les receveurs généraux aux dépens du
trésor public , le contrôleur général trouvai le moyen
t
3
184.MERCURE DE FRANCE ,
C
•
"
•
d'arriver , sans témoin , jusqu'à lui ; il lui recommande
l'affaire avec chaleur , sous prétexte que la cour y
prend le plus vif intérêt . Pendant que le philosophe
fait son travail , arrive un receveur général des finances ,
qui , pour ajouter à la recommandation , laisse tomber
sur le bureau un mémoire et un bilet de 50,000 fr.
Forbonais , par un reste d'estime pour le financier ,
feint d'attribuer cet événement au hasard , et l'invite
à remettre le billet dans son porte - feuille. Mais le
corrupteur se dévoile..... Alors Forbonais se levant
avec la noble indignation de la vertu : Sortez , Monsieur
, lui dit-il , et remportez à la fois votre mémoire
et votre argent ; l'argent ne me rendra jamais abject :
pour le mémoire , il faut qu'il soit bien mauvais , puisqu'on
y met un si haut prix. Votre cause est jugéc à
mes yeux , et je ne m'en occuperai jamais .
Cet événement auquel il dut bientôt après sa disgrace,
lui avait mérité la haine de la marquise de
Pompadour et des financiers , mais aussi les regrets du
dauphin ; celui - ci consultait souvent , pour son instruction
particulière , Forbonais dont il estimait les
écrits et la personne. L'envie s'alarma d'une liaison
si honorable . On fit entendre à Silhouette que le philosophe
voulait le supplanter dans le ministère. Forbonais
fut obligé de quitter la cour : Dérobez- vous un
moment à tous les regards , lui dit le dauphin en lui
serrant la main , faites- vous oublier de vos ennemiş :
moi , je veillerai d'ici sur vos destinées , et je ne vous
oublierai jamais.
Nous ajouterons seulement que Forbonais suivit le conseil
du dauphin , et qu'après avoir vécu comme Aristide ,
il mourut comme lui , ne laissant, guère à la plus respectable
des veuves , qu'un héritage modeste , et l'exemple
de sa vie.
Le C. Desalles a répandu , dans cet écrit , un intéŋêt
THERMIDOR AN IX. 185
que l'on trouve rarement dans ceux du même genre .
Ses jugements sont énoncés avec franchise , son hommage
est pur , sa voix est libre …………. D'après une aņcienne
loi d'Athènes , qui fut trop oubliée , un orateur
était soumis à un examen qui consistait à rechercher
ses vertus aussi bien que ses talents . Alors on croyait que
la vertu , mieux que l'éloquence , connaissait le langage
digne de célébrer la mémoire des grands citoyens .
Si cette loi avait lieu parmi nous , l'éloge de Forbo-
-nais devait toujours appartenir au C. Desalles .
G.
FÊTES et Courtisanes de la Grèce , supplément
aux Voyages d'Anacharsis et d'Anlenor
, etc. , etc. 4 vol . in 8.º , enrichis de chants
anacréontiques , de gravures , etc .; chez Buisson.
An 9 ( 1801 ) .
.CE
E sujet est neuf. Les anciens , qui sont l'objet de
" cet ouvrage , n'ont pu en laisser que les matériaux ;
- et , parmi les modernes , nul n'avait songé à les réu-
" nir... La pudeur , ou plutôt l'hypocrisie de l'opinion
» enchaînait leur plume , et ils craignaient d'accuser
la nudité des moeurs .... Les peuples attendent un
" Plutarque. Il est temps de faire , pour ces grands individus
, ce que l'on a fait pour quelques héros ; et
" après les avoir réduits aux proportions communes de
la nature humaine , d'envisager leur nudité , leurs
« maladies morales , qui dérivent le plus souvent de
« leur tempérament politique.
"
"
"
" "
Qui croirait qu'un ouvrage ainsi annoncé dans l'avertissement
, ne traite que de prostitution et de
courtisanes ? On demande souvent à quels signes on
186 MERCURE DE FRANCE ,
reconnaît le mauvais goût et la décadence dont on se
plaint? A ces caractères , à cette enflure , à ce manque
de proportion entre le ton et le sujet . Ici , par exemple
, c'est le sublime du genre niais . Ce vice du style
domine dans tout l'ouvrage . Souvent il tombe dans la
licence ; mais alors c'est le vice du sujet.
« Des couleurs du sujet je teindrai mon langage . »
Passons aux choses. En écrivant sur les Grecs , on
a le malheur de rencontrer , dans la carrière , un devancier
incommode ; un abbé Barthelemy qui , parmi
les modernes , ne laisse pas aussi d'avoir songé à réunir
les matériaux laissés par les anciens . Mais on saura
s'en débarrasser et se mettre à l'abri de toute comparaison
, en plaignant Anacharsis d'avoir eu pour guide
un Mentor condamné à la chasteté ; puis on dira que
Barthelemy a écrit en abbé. Enfin on fera cette phrase :
"
ec
Le caractère , la profession de l'auteur , le senti-
« ment des convenances , celui de ses rapports , et peutêtre
, oserai- je le dire , sa faiblesse physique et morale,
la gravité du sujet , tout lui fit une loi d'épaissir le
voile que sa pudeur a laissé retomber sur la piquante
" nudité de ces objets . A l'exemple de Socrate , il donna
e
«
"
une ceinture aux Graces. » Rien assurément n'est plus
criant ; et quant à Socrate , c'est dominage qu'on
oublie de nous dire si ce rapport qu'on fait remarquer
entre lui et Barthelemy a tenu à sa faiblesse physique
et morale , ou a un même sentiment des convenances.
Quoi qu'il en soit , l'auteur se trouve ainsi libre de toute
concurrence ; il entrera sans obstacle dans son sujet :
les fêtes et les courtisanes.
Les fétes seules prennent trois volumes : cette longueur
ne doit pas surprendre d'après le système et la
manière de l'auteur. Dans le texte , comme dans les
notes , il copie , il prend de toute main , prose , vers ,
THERMIDOR AN IX . 187
C
tout lui est bon et ce n'est pas un vers , une phrase ,
un passage isolé qu'il emploie , mais c'est une suite
de pages , ce sont des poèmes tout entiers . Il est surtout
un ouvrage qu'il affectionne particulièrement , et
'dont il transcrit d'énormes tirades , les Voyages de
Pythagore , duquel il dit dans une note , ouvrage
digne , par son objet , d'être universellement répandu.
Or , remarquez bien que cet ouvrage , en cinq énormes
volumes in- 8. ° , publié il y a deux ou trois ans , et
universellement oublié , est du même auteur ... risum
teneatis. C'est un mystère que nous avons innocemment
pénétré , et que nous révélons toutefois avec discrétion.
L'auteur pourra exercer ses conjectures , et dire
noblement une seconde fois : « Je ne sais par quelle
indiscrétion mon secret a été trahi. Serait - ce en vain
que j'aurais , nouvel Alexandre , apposé mon cachet sur
les lèvres de mon Ephestion.
"
On sait à présent par quel stratagème le sujet des
fêtes de la Grèce , déja traité par l'auteur d'Anacharsis
, occupe tant de place dans un supplément . On
y recueille avec soin tout ce que le goût et la décence
avaient rejeté. On se plaît beaucoup aussi dans les
explications systématiques de Court de Gebelin et de
Dupuis . On les transcrit comme les Voyages de Pythagore.
Par exemple , on voit clairement dans l'ouvrage
, comment Bacchus et Jésus - Christ ne sont qu'un
même personnage
.
L'ordonnance est digne du choix des matériaux. Qui
n'a pas entendu crier , aux avenues des lieux publics
la Liste des jolies femmes , avec leurs noms , leur demeure
, et leur savoir -faire ? C'est ici la même chose.
Depuis la courtisane Barathron , dont le nom , en faveur
de ceux qui ne savent pas le grec , est agréablement
changé en celui d'abyme , jusqu'à sa camarade Tryphaine,
on y trouve la liste , par ordre alphabétique , de toutes
188 MERCURE DE FRANCE ,
-
celles qui ont exercé la même profession. Une notice
plus ou moins longue vous offre quelques détails sur
chacune. Je donnerai une idée du catalogue : « ANTIPATRA.
Qu'elle vienne à se montrer nue , vous
fuirez au- delà des colonnes d'Hercule. - EVARDIS .
-Aux charmes épais. - MÉLITE.- La maigre Mélite.
GLICÈRE. - Vous corrrompez la jeunesse , lui
disait Stilpon et toi , sophiste , tu la corromps et tu
l'ennuies (avis à l'auteur) .-PARORAME . -Ses faveurs
n'étaient pas à un haut prix; on les obtenait pour deux
drachmes. Elle fut surnommée Didrachme . PHANOS-
- La plus hideuse , la plus dégoûtante des
filles publiques d'Athènes , rongée de vermine ( Apollodore
est cité en garantie ; et voilà de l'érudition bien
employée ) . PITHIAS.- Ne s'écarta jamais de la
belle et simple nature ; conserva des moeurs honnêtes ,
malgré sa profession. » Le lecteur s'aperçoit que le
poison de l'ennui sert heureusement de contre- poison
à celui de la licence.
TRATE. -
--
Avec des notices si abrégées , il serait difficile d'enfler
des volumes . Mais l'auteur n'est jamais embarrassé.
On connaît sa manière. Ainsi tous les dialogues de
Lucien et de Fontenelle , où il est question de courtisanes
, les correspondances qu'il a plu au rhéteur
Alciphron de supposer entre elles ; les épigrammes de
J'Anthologie , tout est mis à contribution , c'est- à - dire ,
transporté en totalité . Paraît - il en Italie un roman
sous le titre d'Aventures de Sapho ? ( qui , après tout ,
fut une femme passionnée , un poète lyrique , et non
pas une courtisane ) : le roman est de bonne prise ; et
le voilà fondu dans l'ouvrage : c'est toujours 160 pages
de gagnées . L'auteur avait besoin de toutes ces resil
se
plaint encore avec amertume de leur
Soit défaut d'instruction , dit-il , soit fausse
sources ,
rareté : "
pudeur et préjugé , les savants ne nous ont transmis
THERMIDOR AN IX . 189
"
"
" que peu de secours. Je les ai rassemblés avec peine ,
mais je n'ai glané que des épis maigres et vides ,
lorsque j'espérais de recueillir les plus riches moissons .
C'est du moins le premier traité públic en français
« sur cet objet . » Du moins , il ne sera pas le dernier.
La publication de celui -ci nous a déja valu l'annonce
de quelques autres ; et nous pouvons espérer,
qu'on ne nous laissera rien à desirer sur les habituées
de tous les carrefours d'Athènes et de Corinthe. Nous
saurons quelles étaient les philosophes , les favorites ,
les familières , les vulgivagues . C'est ainsi qu'elles sont
classées dans l'ouvrage , et l'auteur est informé au plus
juste à quelle classe chacune appartient . Aspasie était
philosophe , et Laïs familière . Il y a eu deux Leana
ou la Lionne ; mais l'une philosophe , et l'autre familière
; prenez garde de les confondre .
Tel est ce fastueux et déplorable ouvrage , également
vicieux par le choix du sujet et l'exécution ; par
les intentions et par la manière . On a de la peine à
concevoir cette longue et froide débauche de l'esprit ,
qui se consume en travaux et en recherches arides
pour recueillir , avec une scrupuleuse exactitude , les
vieilles annales de la prostitution . On est confondu
de la folle admiration de l'auteur pour un pareil sujet
et du respect profond avec lequel il annonce et publie
un tel ouvrage . Non : il n'est pas vrai que la littérature ,
l'histoire , la philosophie eussent besoin d'un tel livre.
Il n'est pas vrai qu'on manquát en ce genre de l'instruction
nécessaire . Tout ce qui avait quelque importance
était connu . Aspasie , Phriné , Laïs et un petit nombre
d'autres appartiennent en effet à l'histoire . Elles y ont
toutes trouvé place . On ne nous apprend rien de nouveau
sur elles ; on ne pouvait rien nous apprendre ;
et il est aussi inutile que scandaleux de remuer des
égoûts pour en tirer au hasard quelques noms qui
190 MERCURE DE FRANCE ,
n'en deviendront pas plus célèbres . Barthelemy a écrit
sur ce sujet , avec mesure et avec grace. J'invite à relire
son chapitre sur Corinthe , et l'on pourra faire encore
l'application nouvelle du proverbe , il n'est pas donné à
tout le monde d'aller à Corinthe . Il a écrit en homme
de bonnes moeurs et de bon goût . Si c'est là écrire en
abbé , il n'y a plus d'injure . Les fêtes de la Grèce
sont aussi décrites dans son ouvrage. Jusqu'à lui les
brillantes théories de Délos n'avaient pas été représentées
avec autant d'élégance et d'éclat . Mais les fêtes
de prostitution ? Eh bien ! on savait aussi qu'il y eut
de telles fêtes . Seulement les détails étaient demeurés ,
non pas secrets , mais couverts de quelques voiles . '
L'auteur s'applaudit de les déchirer tous.
-
La philosophie , dira-t-on , ( et ce n'est pas moi qui mets
ici la philosophie en jeu et qui la rends complice de ces
écarts ; c'est l'auteur lui-même , qui se targue d'appar-"
tenir à l'école philosophique ) ; la philosophie a le droit
de scruter tout , et de tout révéler. Mais la limite de'
ce droit ne se trouve- t - elle pas où il est bon de s'arrêter
? Il y a une autre remarque à faire , c'est que dans
la plupart des sujets qui demanderaient en effet de la'
philosophie , et où l'on a la prétention d'en mettre ,
c'est surtout la philosophie qui manque . Ici , par exemple
, à propos des croyances et des fêtes religieuses , on
devait chercher comment l'homme s'est élevé du culte
des objets physiques au culte des choses intellectuelles ,
et de la religion des sens à celle de l'esprit . Ce changement
paraît conforme à toutes les autres vicissitudes
de la société humaine , qui passe , comme l'individu ,
par toutes les époques de l'enfance , de la jeunesse
et de la virilité . Dans l'enfance , et même à la première
époque de la jeunesse , tout s'adresse aux sens
qui , seuls , sont susceptibles de recevoir des impressions.
Cet âge est celui de l'innocence ; et je crois
1
THERMIDOR AN IX. 191
bien que longtemps il y en eut beaucoup , même dans
la plupart des usages religieux et des emblèmes , qui
seraient infames aujourd'hui . Appliqué à cette époque ,
ce vers de Delille est aussi juste que gracieux.
« Où l'amour sans pudeur n'est pas sans innocence . »
Mais quand Charron s'écrie : « Pourquoi chose tanı
« honteuse , si tant naturelle ? » Ce mot est inconsidéré
et nullement philosophique. Vous demandez , pourquoi
chose lant honteuse ? Mais ne voyez - vous pas que
c'est demander la raison d'un sentiment , et que c'est
dire , en d'autres termes , pourquoi y a- t- il en nous un
sentiment de pudeur ? L'innocence n'en a point , parce
qu'elle est l'innocence. La pudeur n'est pas un attribut
de l'enfance de l'homme , et ne dut point appartenir
à l'enfance du monde. Elle naquit et se développa ,
comme toutes les autres acquisitions sociales . Vous travaillez
à la détruire ; vous y parviendrez peut -être ; et ,
alors l'homme , après avoir perdu l'innocence , perdra
aussi la pudeur ' , qui en était au moins le souvenir.
-
Je ne dirai qu'un mot sur le système allégorique ,
qui occupe une grande place dans cet ouvrage. Il est
poussé , comme tout le reste , jusqu'à l'intempérance .
Non seulement il est dirigé contre le christianisme ;.
mais il tend à nous jeter dans un pyrrhonisme qui sape
tous les fondements et confond toutes les origines de
l'histoire. Il n'y aurait eu , dans un espace de temps
long et indéterminé , rien de réel ; tout serait emblématique.
Toujours le soleil et la lune ! Les historiens
les plus graves , en nous transmettant les annales des
empires et le nom de leurs législateurs , n'auraient décrit
que les révolutions des astres . Ainsi cet ouvrage offre
un double scandale : l'érudition que l'auteur emprunte ,
sans choix et sans goût , n'est jamais employée qu'à corrompre
les moeurs ou à dénaturer l'histoire. M.
192 MERCURE DE FRANCE ,
OBSERVATIONS sur le système actuel d'instruction
publique ; ouvrage du C. DESTUTTTRACY
.
LEE retour aux idées raisonnables , et l'abandon des
théories révolutionnaires devaient amener un examen
particulier des nouvelles méthodes d'enseignement.
Déja le gouvernement a cru devoir consulter , par
l'organe du ministre de l'intérieur , tous les conseils
généraux de département , sur les moyens de rétablir
les anciens colléges . Sa prudente lenteur qu'on ne doit
point attribuer à l'incertitude , mais au desir d'établir
un système profondément médité ; son empressement
à recueillir toutes les lumières , et la grande importance
du sujet ont encouragé les amis des lettres à
s'en occuper. Il a donc paru un assez grand nombre
d'ouvrages pour et contre les écoles centrales . Les
partisans exclusifs du système ancien ont essayé de
prouver que la restauration de l'instruction publique
dépendait essentiellement du rétablissement subit des
colléges , tels qu'ils étaient autrefois . Parmi les défenseurs
des écoles centrales , les uns ont prétendu
que leur système était le meilleur possible , le seul
philosophique , et qu'en l'attaquant on attaquait les
principes mêmes de la révolution ; d'autres , plus . modérés
, ont avoué que la loi du 3 brumaire était incomplète
; mais ils ont pensé que le plan dont elle a
fixé les bases , serait inattaquable s'il avait plus de
régularité dans son ensemble , et plus de gradation
dans ses parties . Le C. Tracy est du nombre de ces
derniers. Dans son ouvrage écrit avec sagesse et
modération , il ne dissimule point les inconvénients
du système actuel de l'instruction publique ; mais il
craint qu'un changement trop prompt ne produise un
"
THERMIDOR AN IX. 193
DEW
désordre fatal aux études ; il croit qu'on doit faire
avec prudence , les réformes commandées par les abus
et là dessus , le passé n'a que trop instruit avenir,
C'est dans cette vue estimable , qu'il s'est efforce
de mettre quelque ordre dans les matériaux informes
de la loi du 3 brumaire.
L'entreprise était difficile : nous allons voir si le
C. Tracy a rempli le but qu'il s'est proposé . Il com
mence par diviser les élèves en deux classes d'hommes
à instruire la classe ouvrière et la classe savante. Il
appuie beaucoup sur cette distinction , et les efforts.
qu'il fait pour l'établir prouvent que le retour aux idées
saines de la politique est bien lent , puisqu'on est
obligé de s'élever aujourd'hui contre l'égalité de 1793 .
Selon le C. Tracy , la classe ouvrière , qui est la plus
considérable , doit se borner à l'instruction qu'on re
cevra dans les écoles primaires ; et le petit nombre ,
seulement , suivra les écoles centrales et spéciales.
Par un système susceptible d'une longue discussion ,
mais sur lequel je ne m'arrêterai point , parce que
l'auteur ne lui donne aucun développement , le C.
Tracy pense que l'instruction primaire ne doit point
être un commencement , mais un abrégé de l'instruction
supérieure , et qu'ainsi elle doit être complète
dans son genre . Avant de s'occuper de l'instruction
qui convient à la classe ouvrière , il trace donc le plan
de celle qu'il destine à la classe savante. Pour donner
une idée juste de son travail , il est nécessaire de
rappeler que la loi qui fonde les écoles centrales porte
en substance que les élèves n'y seront admis qu'à
douze ans , et qu'ils y apprendront le dessin , l'histoire
naturelle , les langues anciennes , les mathématiques
, la physique et la chimie , la grammaire générale
, les belles - lettres , l'histoire et la législation. Aucune
autre gradation n'est fixée , si ce n'est l'ordre dans
5. 13
194 MERCURE DE FRANCE ,
lequel je viens de placer ces diverses études ; aucune
discipline n'est établie pour les professeurs , ni pour
les élèves , aucune disposition n'oblige ces derniers à
suivre un cours pour se préparer à un autre.
C'est dans ce cahos que le C. Tracy entreprend de
porter la lumière . Les matériaux , dit-il , nefont un monument
que quand ils sont placés dans un certain
ordre.
Il divise l'enseignement des écoles centrales en trois
sections langues et belles - lettres , sciences physiques
et mathématiques , et sciences idéologiques , morales et
politiques. Les élèves sont admis à 9 ou 10 ans ; le
cours d'étude est de huit ans ; pendant ces huit années
, ils suivent à la fois les trois parties d'enseignement
dont je viens de parler ; pendant la première , ils
n'apprennent que les éléments des langues et de l'arithmétique.
Du reste , le C. Tracy ne s'occupe point de la discipline
nécessaire dans l'intérieur des écoles . La seule
idée qu'il présente pour donner à l'instruction un ensemble
régulier , est de rétablir le conseil d'instruction
publique , fondé par le C. François ( de Neuchâteau) . Les
fonctions de ce conseil , attaché au ministère de l'intérieur
, étaient d'examiner les cahiers dictés aux élèves ,
et d'éclairer par ses conseils , les professeurs qui auraient
pu s'éloigner de la route tracée par la loi . Le
d'utilité de ce conseil a décidé le gouvernement peu à
le supprimer , à l'époque du 18 brumaire .
On voit , par cet aperçu rapide , que le C. Tracy sent ,
comme tous ceux qui se sont élevés contre les écoles
centrales , l'utilité des langues anciennes et l'insuffisance
du temps que la loi du 3 brumaire leur consacre.
Il desire donc que les élèves s'y appliquent pendant huit
ans. C'est déja un grand pas de fait vers le système
des anciens colleges. Mais , en examinant son travail
THERMIDOR AN IX. 195
avec attention , il est aisé de remarquer son embarras
pour employer des matériaux si disparates. Dans l'intention
de donner à chaque partie l'étendue convenable
, il a été contraint de faire marcher de front ,
pendant le cours presque entier des études , les trois
sections d'enseignement dont j'ai parlé plus haut. Je
conviens que c'était le seul moyen de donner à ce
bizarre assemblage de neuf sortes d'études différentes
une certaine régularité. Mais pour peu que l'on connaisse
les facultés de l'enfance , et même celles de l'âge mûr ,
on ne peut s'empêcher de convenir qu'il est impossible
que l'éleve s'applique en même temps à trois sortes
d'études aussi sérieuses et aussi étrangères les unes aux
autres . Multiplier les cours d'enseignement n'est pas
répandre l'instruction : en présumant trop de la force
et de l'aptitude des élèves , on s'expose au danger de
ne leur donner que des notions vagues et superficielles ,
plus funestes que l'ignorance même. Supposez - même
l'exécution de ce plan ; qu'arrivera - t -il ? L'élève , égaré
par les caprices de son âge , sera-t-il constant dans son
goût pour telle ou telle section d'études ? Ne se livrerat-
il pas , tantôt aux langues , tantôt aux sciences exactes ,
tantôt aux sciences morales , suivant la mobilité de son
caractère et de son âge ? Au milieu de tant d'objets divers
, le jeune homme sera l'esclave de son indépendance.
Attiré partout , il ne s'arrêtera nulle . part ; il écoutera
tout et ne retiendra rien. Ses forces s'épuiseront vîte.
Après avoir rassasié sa curiosité , il croira sans doute
avoir nourri son intelligence ; et ce double préjugé
donnera au premier âge l'orgueil du faux savoir , et
peut - être le dégoût de l'étude pour toute la vie. Tels
sont les inconvénients qui me semblent résulter du projet
du C. Tracy ; ils prouvent qu'avec les méditations les,
plus profondes , et le talent le plus distingué , il est
impossible de raffermir un édifice dont les bases sont
vicieuses .
196 MERCURE DE FRANCE ;
Quels seraient donc les moyens de restaurer l'instruction
publique ? Serait - il nécessaire de rétablir les colleges
, tels qu'ils existaient avant la révolution ? Je ne
dissimulerai point les reproches que les philosophes
ont faits aux universités , quoique , le plus souvent , il
y eût de l'exagération et de la mauvaise foi . Je conviendrai
avec eux que les sciences exactes et les lettres
françaises y étaient trop sacrifiées à l'étude de la langue
latine. Mais ils avoueront que cette instruction était
parfaitement conforme à l'organisation sociale de ce
temps là , puisque la connaissance du latin était nécessaire
pour exercer toutes les professions honorables
de la société. En général , le meilleur système d'instruction
est celui où les études de l'enfance préparent
aux fonctions de l'âge mûr. Or les différentes carrieres
ouvertes aujourd'hui à tous les citoyens , sont celles de
la guerre , du génie , de l'administration , de la judicature
, du barreau , et des diverses parties de l'art
de guérir. Dans les deux premières et dans la dernière ,
les sciences exactes sont indispensables ; dans les autres
, les langues anciennes ne sont pas moins utiles ,
dans presque toutes , il est impossible de se distinguer
si on n'est point parvenu à les réunir à un certain
pont. Ces deux parties d'enseignement me semblent
do e devoir étre les bases du nouveau système d'instraction
publique.
On voit qu'en écartant les cours inutiles qui existent
aujourd'hui , en renforçant ceux dont la nécessité
est reconnue , on reviendrait insensiblement au plan
des anciens coléges , avec cette seule difference que
l'on consacrerait un plus long espace de temps à l'étude
des sciences exactes et des lettres françaises. Du
reste , les seules théories sont impuissantes : c'est une
bonne discipline dans les écoles qui garantit le succès
des études ; et à cet égard , l'ancienne université peut
encore servir de modèle.
THERMIDOR AN IX. 197
Si l'on veut porter un jugement impartial sur ces
réflexions , on pourra apprécier à leur juste valeur ,
ces vaines déclamations contre toutes les institutions
qui n'ont pas dû leur origine à l'esprit de vertige des
temps révolutionnaires . Il n'appartient qu'aux hommes
qui se les permettent , d'appeler conspirateurs ceux
qui professent des principes d'ordre ; fanatiques , ceux
dont la modération fait la satire de toutes les opinions
exagérées ; ennem's de la révolution , ceux qui veulent
affermir ses bienfaits , et faire oublier ses errents.
(Article communiqué).
P.
EUVRES chirurgicales , ou Exposé de la doctrine
et de la pratique de P. J. DESAULT ,
chirurgien en chef du grand hospice d'hu
manité de Paris ; par . XAV. BICHAT , Son
élève
,
médecin-adjoint du même hospice.
Nouvelle édition , corrigée et augmentée. Paris ,
chez Méquignon l'aîné , libraire , rue de Ecole
de médecine , n.º 3 , vis à-vis la rue Haute- ,
feuille. An 9.
DESAULT fut à l'anatomie chirurgicale , ce que
है
Lavoisier. fut à la chimie. Son nom est une époque
dans la science . C'est à Desault que l'on doit les découvertes
fondamentales qui ont créé de nouveau
l'anatomie , et les réformes dans l'enseignement , qui
en assurent les progrès.
Sa jeunesse fut le modèle des vertus qui conduisent
à la gloire d'être utile ; de ce courage opiniâtre et de
cette longue patience qui sont le génie des sciences.
Sa vie fut une suite de services rendus à l'humanité.
Il écrivit peu : il abandonnait le soin de sa réputation
aux malades qu'il avait guéris , et confiait sa doctrine
198 MERCURE DE FRANCE ,
aux nombreux élèves qui , chaque jour , venaient l'entendre
ou assister à ses opérations.
Un de ces élèves qui se sont le plus distingués , le
C. Bichat , déja connu par des ouvrages estimés , a reeueilli
cette doctrine . Il fait précéder l'ouvrage qui
le renferme d'un éloge de Desault , digne à la fois du
disciple et du maître. Les gens de l'art y verront des
développements utiles , tous y trouveront des réflexions
judicieuses .
Le C. Bichat observe , avec raison , que , dans ces
derniers temps , les préventions contre les médecins ,
autant peut- être que leurs préjugés , prolongeaient
l'enfance de la médecine . Une certaine classe ( et toujours
d'hommes bien portants ) refusait au médecin
cette considération qui est la première récompense de
celui qui doit réussir dans une carrière pleine de difficultés
et de dégoûts . Était-ce parce qu'elle intéressait
de plus près l'humanité ? Je crois simplement que
c'était par une contradiction maligne du coeur humain
qui trouve du plaisir à se mocquer des choses respectables.
Là dessus le vulgaire était quelquefois plus
sage que les philosophes. Rousseau qui , tout en affectant
des opinions singulières et neuves , a rajeuni bien
des lieux communs , appuie de toute son éloquence
et de toute sa gravité , les satires de la comédie contre
la médecine.
Au lieu d'un extrait détaillé que ne comportent ni
l'ouvrage de Desault , ni ce journal , nos lecteurs nous
sauront gré de transcrire cet Eloge des médecins, extrait
d'un ouvrage inédit. L'imagination et le talent leur
devaient une réparation.
1
G.
THERMIDOR AN IX. 199
VARIÉTÉS.
ELOGE DES MÉDECINS.
L'ART merveilleux qui vient au secours de la vie ,
remonte à l'origine des sociétés . Il a même devancé le
labourage , puisque la femme a porté des enfants
avant qu'il y eût des moissons , et que le berceau de
l'homme est chargé de douleurs. Le premier médecin
qu'ait vu le monde , a sans doute été quelque mère
qui cherchait à soulager son enfant . La pitié et le
génie étendirent ensuite la médecine à tous les hommes ;
l'une découvre le malade , l'autre trouve le remède .
.
On peut dire aussi qu'elle est fille de l'amitié et des
héros . Le sauvage porte , dans les combats , le petit
morceau de gomme qu'il doit appliquer sur la blessure
d'un compagnon d'armes . Une feuille de nénufar
lui sert de compresse ; pour bandages , il a des écorces
de bouleau ; pour instrument , ses dents et ses doigts.
Celui- là est un médecin bien habile , qui tire du fond
de son ame , tout son enseignement et toute son expérience
. Un ami est la médecine du coeur , a dit la
Sagesse.
Nous voyons le même usage établi chez les patriarches
et dans les siécles héroïques de la Grèce . Le nom
même de médecin , emprunté du nom des Mèdes , rappelle
cet antique Orient , si fameux par ses sages.
Homère reconnaît quatre arts principaux , entre lesquels
il nomme celui de médecin . Les fils des rois , les guerriers
les plus renommés au siége de Troie , connaissaient
les vertus des plantes. Patrocle , le plus doux
des hommes , excellait à panser les blessures , et
Achille était célèbre dans la science de Chiron . Quel
200 MERCURE DE FRANCE ,
quefois de belles princesses, malheureuses, fermaient les
plaies des jeunes héros , dont elles étaient devenues
les esclaves . On croyait que la médecine était descendue
du ciel , et l'on disait qu'Apollon l'avait inventée
lorsqu'il était pasteur chez Admète . Esculape est peutêtre
le seul dieu de la fable , dont la raison pardonne
les autels.
Par une suite de ces mêmes idées qui attribuent
quelque chose de divin à la médecine , les peuples
chrétiens la remirent d'abord entre les mains des solitaires.
On supposa que ceux qui guérissaient les ames
pouvaient aussi guérir les corps , et que l'hermite qui
cueillait les baumes mystiques de la montagne de Sión ,
connaissait aussi le dictame qui appaise les douleurs
des mortels. Des vierges se consacrèrent à cet art
qui donne une seconde fois la vie. On eût dit que
pour payer ce tribut de douleurs maternelles auxquelles
leur virginité les avait dérobées , les femmes
se vouaient à une autre sorte de maternité bien plus
longue et bien plus douloureuse .
Considérée sous tous les rapports , la classe des médecins
ne saurait être trop respectée. C'est chez elle
qu'on rencontre le véritable savoir et la véritable philosophie.
Dans quelque lieu que vous soyez jeté , vous
n'êtes pas seul , s'il s'y trouve un médecin . Les médecins
ont fait des prodiges d'humanité. Ce sont les seuls
hommes , avec les prêtres , qui se soient jamais sacrifiés
dans les pestes publiques . Et quels philosophes ont
plus honoré l'humanité qu'Hippocrate et Gallien ? Cessons
de ravaler une science admirable qui tient aux
sentiments les plus nobles et les plus généreux ; chantée
par Homère et Virgile , elle réclame tout ce qu'il y a
de beau en souvenirs . Les études auxquels elle oblige
sont immenses ; elle nous donne une merveilleuse idée
de nous - mêmes , puisque pour connaître seulement
THERMIDOR AN IX. 201
notre édifice matériel , il faut connaître toute la nature.
Hippocrate , par une expression sublime , appeile
notre corps l'effigie de l'homme on pourrait aussi le
comparer à un palais dont , après la fuite de l'ame ,
le médecin parcourt les galeries solitaires , comme on
visite les temples abandonné que jadis une divinité
remplissait de sa présence.
Toutefois je n'ignore pas qu'on a fait un reproche
très-grave aux médecins : on les a accusés d'athéisme ;
mais ce reproche me semble démenti par toute l'histoire.
L'art qui demande le plus de raison et de sensibilité
, n'est point tombé dans le plus absurde et le
plus froid des systèmes . Si le spectacle des douleurs
humaines , trop souvent non méritées , à fait juger à
la plupart des hommes qu'il devait y avoir un monde
meilleur après celui - ci , les médecins n'ont - ils pas sans
cesse sous les yeux cette grande preuve de notre immortalité
? Enfin dans tous les temps et dans tous les
pays , les médecins les plus fameux , ont été remarquables
par leur piété. Hippocrate et Gallien , dans
les siécles antiques , Niewentyt , Hervey , Boerhave ,
Haller , dans les siécles modernes , en sont la preuve.
On soutient que l'anatomie et l'habitude de ne voir
que les opérations de la matière jettent les médecins
dans l'incrédulité ; mais il me paraît que ce spectacle
devrait plutôt produire l'effet contraire . On sait que
la merveilleuse structure des parties du corps humain
a toujours été mise au nombre des causes finales les
plus frappántes.
" 2 Platon , Aristote 2 Aristote 2 Cicéron 3- et une foule
d'auteurs modernes ont écrit , à ce sujet , des ,
' In Tim, ² Arist. de part. animal. lib . 3, cap . X. 3 de nat.
Deor. II
56 , 57. 4 Niewentyt , exist. de Dieu . liv . 1 ,
chap . XIII ,-page 181. Clark , Hancok , etc. , etc. , etc.
"
202 MERCURE DE FRANCE,
choses admirables. S'il s'est donc trouvé un Lamétrie
qui n'a vu dans l'homme que la matière , il s'est aussi
rencontré un Gallien qui y a découvert la Divinité . !
"
"
се
"
་་
Cet excellent homme , saisi tout- à -coup d'admiration
, au milieu d'une analyse anatomique , laisse
pour ainsi dire , échapper le scalpel , et levant les bras
vers le ciel , s'écrie : O toi qui nous a faits ! en com-
« posant un discours si saint , je crois chanter un véritable
hymne à ta gloire. Je t'honore plus en dé+
" couvrant la beauté de tes ouvrages , que si je te
sacrifiais des hécatombes entiers de taureaux , et que
je fisse fumer les temples de l'encens des aromates
les plus précieux . La véritable piété consiste à me
« connaître d'abord moi - même ; ensuite à enseigner
« aux autres quelle est la grandeur de ta bonté , de
« ton pouvoir et de ta sagesse ; ta bonté se montre
dans l'égale distribution de tes présents , ayant ré
parti à chaque homme les organes qui lui sont nécessaires
; ta sagesse se voit dans l'excellence de tes
dons ; et ta puissance dans l'exécution de tes desseins
"
"
" ·
CHATEAUBRIAND.
SPECTACLES.
THEATRE FRANÇAIS DE LA RÉPUBLIQUE.
LE 23 messidor , les sociétaires de ce théâtre ont
donné , dans la salle de B'Opéra , une représentation
extraordinaire au bénéfice du C. Florence , récompense
méritée par vingt- cinq ans de travaux utiles . On avait
choisi Cinina et les Fausses confidences . Ainsi le même
*
Gal. de usu , part. LIII , chap. X.
THERMIDOR AN IX. 203
jour offrait ensemble , à l'empressement du public , le
chef- d'oeuvre du grand homme qui créa l'art dramatique
en France , et les acteurs qui cultivent aujourd'hui
cet art avec le plus de succès. Pour ajouter une
singularité piquante à cette représentation , Molé s'était
chargé du rôle d'Auguste , et la manière dont il
l'a rendu , laissera sans doute un souvenir digne des
nombreux exemples que le Théâtre français doit à
ses talents.
"
On a eu raison de lui reprocher quelques mouvements
un peu trop brusques , et cette multiplicité de
gestes , toujours pleins de finesse et de vivacité , qu'une
longue habitude de la comédie explique et ne justifie
pas. Il faut même convenir que , malgré la supério
rité de son intelligence , la gravité de son âge , et
l'extrême flexibilité de ses moyens , il conserve encore
cette espèce de mobilité gracieuse , qui le rendit inimitable
dans les rôles de petit- maître , mais qui fit
dire plaisamment à un homme de beaucoup d'esprit ,
qu'il n'avait pas la cuisse tragique . Au reste , on ne
peut donner trop d'éloges à la pureté de sa diction ,
à la noblesse de ses intentions dramatiques , et surtout
à l'art profond qu'il a développé dans le monologue
du quatrième acte ; monologue admirable , dans
lequel Corneille a préparé cette scène plus admirable
encore , où la clémence d'Auguste triomphe à jamais
de la haine d'Emilie et des passions impétueuses de
Cinna .
:
Ce rôle d'Emilie est un de ceux qui font le plus
d'honneur au talent de M.lle Raucourt. Elle y a mérité
les suffrages les plus distingués , surtout dans la
scène, où Maxime vient lui proposer de fuir. L'ironie
dédaigneuse de son maintien secondait parfaitement
la précision énergique de ses réponses ; et je ne
erois pas qu'on puissé donner au mépris une expres204
MERCURE DE FRANCE ,
sion plus eloquente et plus vraie que celle qu'elle a
su mettre dans cet hemistiche ,
Allons , Fulvie , allons .....
Ce beau mouvement et la sortie de M.lle Raucourt,
ont excité des applaudissements universels .
Saint - Phal a soutenu le role ingrat de Maxime par
une diction toujours juste et souvent animée ; mais
Saint- Prix a été constamment faible et froid , dans
celui de Cinna. Il n'a pas même tiré parti des beaux
moyens que la nature lui a donnés. Dans les morceaux
où attention etait le plus fortement émue , tels que
le tableau sublime des cruautés d'Octave , triumvir , on
a remarqué que sa voix semblait prête à s'éteindre ,
et que sa mémoire lui manquait . En général , dans la
représentation de ce chef d'oeuvre , qu'une lâche politique
avait banni de la scène sous un gouvernement
oppresseur , les acteurs , malgré tous leurs efforts , se
sont elevés rarement à la hauteur du poète. Molé luimême
, quoique cette épreuve ajoute à l'idée qu'on
doit avoir de son prodigieux talent , est resté fort au
dessous du graud Corneille . Il n'a pas fait asséz ressortir
la peinture de l'ambition satisfaite et toujours
mécontente , Pinquiétude de l'esprit et le vide de l'ame ,
au moment où les faveurs de la fortune sont épuisées ;
enfin le sentiment si profond et si vrai qu'expriment
les vers suivants
Et comme notre esprit , jusqu'au dernier soupir ,
Toujours vers quelque objet pousse quelque desir ,
Il se ramène en soi , n'ayant plus où se prendre ,
Et monté sur le faîte , il aspire à descendre :
On sait que Racine citait souvent ce dernier vers à
son fils , et le regardait comme le plus beau qu'il y
eût dans notre langue . Quelques juges difficiles , qui
THERMIDOR AN IX. 205
savent qu'on peut tout exiger et tout attendre d'un
acteur tel que Molé , m'ont paru desirer aussi qu'il
mit une grandeur plus imposante dans le morceau qui
précède le fameux Soyons amis , Cinna :
Je suis maître de moi , comme de l'univers ;
Je le suis ; je veux l'être : ô siécles , ô mémoire !
Conservez à jamais ma dernière victoire.
Je triomphe aujourd'hui du plus juste courroux
De qui le souvenir puisse aller jusqu'à vous .
Ces observations sont un hommage au génie de Corneille
, et ne peuvent affaiblir l'estime que méritent
des acteurs justement chéris du public . Molé , surtout
doit reconnaitre dans cette critique , soumise à ses
propres lumières , le voeu d'un homme que l'habitude
de le voir sur la scène , a trop familiarisé , peut-être ,
avec l'idee de la perfection .
M.lle Contat , M. Devienne et Dazincourt , ont joué
les Fausses confidences avec une supériorité qu'on
aimerait mieux trouver dans la représentation des chefd'oeuvres
de Moliere Le genre de Marivaux , souvent
spirituel et délicat , mais essentiellement froid et toujours
inférieur à la véritable comedie , a cependant ,
pour le public , un attrait particulier ; on ne peut l'expliquer
que par la réunion des artistes qui le cultivent :
Fleury manque , depuis longtemps , à cet ensemble si
précieux ; et c'est un véritable éloge pour Baptiste ,
que d'avouer hautement , que sans faire oublier i’absence
de cet acteur aimable , il a du moins le talent
de la faire supporter.
E.
206 MERCURE DE FRANCE ,
ANNONCES.
LYCÉE ou Cours de littérature ancienne et moderne ;
par J.-F. Laharpe. Tomes 11 et 12. Le tome 11 est
divisé en deux parties. Paris , chez Agasse , rue des
Poitevins , n.º 18.
POÈME des Jardins ; par J. Delille . Nouvelle édition
augmentée de mille vers . Chez les frères Levrault.
Quand deux noms aussi célèbres reparaissent à la fois
dans la littérature française ; on peut dire qu'elle ne manquera
point encore de grands modèles et de leçons utiles .
On donnera , dans le premier numéro , l'extrait du
premier de ces ouvrages .
OBSERVATIONS sur le Projet du Code civil , par M. de
Montlozier, 1 vol.in - 12 . Prix , 1 fr. 50 c. , et 2 fr. franc
de port. Chez Giguet et compagnie.
DEs moyens de prévenir les délits de la société , suivis
d'un discours prononcé en brumaire de l'an 7 , par
le jury d'instruction de Vaucluse sur cette intéressante
matière. A Paris , chez Lemaire , rue d'Enfer,
n. ° 731 , an 9 .
MANUEL des autorités constituées et de tous les fonctionnaires
publics , etc. 2 forts volumes in-8 . ° Prix ,
7 fr. 50 cent. , et 10 fr. par la poste. Cet ouvrage.
se trouve , à Paris , chez Deroy , libraire , rue Hautefeuille
.
On avait inondé , jusqu'à ce jour , la république
d'un déluge de codes et de manuels de toute espèce ,
et personne n'avait imaginé de nous présenter l'organisation
politique de la France , de manière à rendre
ce tableau également utile à toutes les parties organiques
, si je puis m'exprimer ainsi , de ce corps immense
et vivant : c'est ce que le C. Balestrier vient de
faire dans les deux volumes que nous annonçons.
Cet ouvrage , absolument nécessaire à tous ceux qui
ont quelque emploi supérieur dans la république , est
également utile au simple citoyen qui veut connaître ,
non- seulement ses droits politiques , mais encore les
devoirs et les attributions de ceux dont il peut avoir
si souvent besoin . 1
}
THERMIDOR AN IX. 207 "
Il est cependant plus particulièrement destiné à tous
ees fonctionnaires en chef, militaires ou civils , et surtout
aux préfets et sous -préfets , dont les fonctions
importantes embrassent tous les genres d'administration
.
L'ordre alphabétique qu'on y a observé dans les
matières et dans les noms qualificatifs des fonction
naires , donne une très - grande facilité pour les recherches
; chacun d'eux peut y trouver , sous le nom qualificatif
de son emploi , non- seulement les lois , arrêtés
et règlements qui le concernent directement
encore les articles , épars ailleurs , qui ont rapport à
ses fonctions.
mais
On sent combien cette méthode abrège le travail et
facilite la science des lois à ceux qui ont le plus grand
intérêt de les connaître .
TRAITÉ des arbres et arbustes que l'on cultive en
France , en pleine terre ; par Duhamel , avec les figures
imprimées en couleur et terminées au pinceau ,
d'après les dessins faits sur nature ; par P. I. Redouté,
peintre du Muséum d'histoire naturelle , etc. Avec
cette épigraphe : Utile dulci. Seconde livraison .
er
Nous avons annoncé cet intéressant ouvrage dans le
n.º XIX ( 1.° r germinal an 9 ) . Il continue à être publié
par livrasions de six planches , avec le texte de format
in -folio .
Depuis que les progrès de l'histoire naturelle en ont
répandu le goût et l'étude , on ' a senti combien il importait
d'appliquer à l'agriculture , source de toutes nos
richesses , les connaissances que cette étude nous a
fournies. On a surtout distingué les travaux du célèbre
Duhamel. Son Traité des arbres et arbustes est , de
est
tous ses ouvrages , celui dont l'utilité est la plus immédiate
, parce qu'il contient plus d'observations de
détail , que les autres ; mais ce livre , devenu rare ,
confiné dans la bibliothéque de quelques savants . Il
était perdu pour la plus grande partie des amis de l'agriculture.
L'éditeur a cru n'être pas inutile à ses concitoyens
, en les mettant à même d'en jouir de nouveau.
Il a choisi un moment favorable , celui où le gouver
nement s'occupe de l'amélioration des forêts , encou
rage l'agriculture d'une manière spéciale , et où des
208 MERCURE DE FRANCE ,
sociétés s'établissent dans tous les départements , pour
diriger les effets et recueillir les expériences des agricoles.
Duhamel avait suivi la nomenclature de Tournefort ,
qui a été presque généralement abandonnée , depuis que
le système ingénieux de Linné , et la savante méthode
de Jussieu ont éclairé de nouvelles lumières en science
botanique.
Les six planches , de cette seconde livraison , offrent
le gainier d'Europe , ou Cercis siliquastrum ; le daphné
mezereum ; le daphné lauréole ; le daphné cneorum ; le
daphne des collines ; et le gautheria penché.
Le texte qui accompagne chacune de ces planches
explique parfaitement ie genre et l'espèce des diverses
productions ; l'usage qu'on en peut faire , soit dans les
arts , soit dans la médecine ; le temps de la floraison
et de la maturité des fruits , etc. Les dessins et les
gravures sont de la plus belle exécution .
Les nouveaux souscripteurs auront la faculté de ne
retirer les cahiers que l'un après l'autre , jusqu'à ce
qu'ils soient au pair avec les premiers: Les lettres de
demande et l'envoi de l'argent doivent être affianchis.
Les frais de port , par la poste ou par la diligence ,
seront à la charge des souscripteurs .
HISTOIRE de l'introduction et des progrès de la vaccine
en France par François Colon , docteur en
médecine , associé correspondant du Lycée de Toulouse
, de la Société, médicale de Tours , et de la
Société libre d'agriculture , commerce et arts du
département du Doubs ; membre du premier comité
medical de la vaccine , et dans la maison duquel
les expériences sur cette découverte ont été faites .
1 vol . in-8.º , prix , 3 fr. , et 4 fr. franc de port . A
Paris , chez Lenormant , imprimeur - libraire , rue
Prêtres-Saint -Germain - l'Auxerrois , n.º 42. la
porte cochère vis - à - vis l'église , au premier sur le
devant .
RÉFLEXIONS sur le duel , et sur les moyens les plus
efficaces de le prévenir : opuscule traduit de l'anglais
; par feu C. Godescard , chanoine de Saint-Honoré
de Paris, Brochure in- 8.° de 66 pages d'impression
. Prix , 75 cent . et 1 fr. franc de port . Paris.
L'an 9. Chez Fuchs , libraire , rue des Mathurins ,
hotel de Clunya
des
THERMIDOR AN IX. 209
SBINE
POLITIQU
EXTÉRIEUR
ESQUISSE
DE VIE
VIENNE semble aspirer à la primatie des grandes
villes de l'Europe. Il s'est extrêmement agrandi , et
sa forme , en y comprenant ses vastes faubourgs , l'a
fait comparer , avec assez de justesse , à une hirondelle
qui aurait les ailes d'un aigle . On comptait , en 1796 ,
1397 bâtiments dans la ville seule , et 5102 dans les
faubourgs . Beaucoup de ces derniers occupent un grand
emplacement , et sont d'ailleurs séparés par des jardins
spacieux. Il restait même , à cette époque , une quantité
considérable de terrains vagues.
La ville est coupée par le Danube , mais cet avantage
est acheté par quelques inconvénients . Lorsque
les ruisseaux , qui descendent des montagnes , s'enflent
subitement par la fonte des neiges et des glaces , ils
font déborder le fleuve , qui inonde quelquefois une
partie des faubourgs jusqu'à une grande hauteur : c'est
alors que la bonté de la police est surtout remarquable ;
il est difficile de se faire une idée de toutes les précautions
, de tous les moyens qu'elle emploie pour la
conservation et le soulagement des familles que cet
accident menace ou maltraite en effet .
On présume volontiers que le voisinage de ce fleuve
donne lieu à beaucoup de parties de plaisirs , qui ne
peuvent être que très agréables , principalement le
-
5 14
210 MERCURE DE FRANCE ,
long de la forêt du Prater ; mais ces sortes d'amusements
ne sont pas communs ; on se borne en général
à recueillir les avantages qu'offre ce beau fleuve pour
le transport des marchandises et les divers approvisionnements
Vienne est l'une des moins belles capitales de l'Europe
: aucune décoration extérieure n'y arrête les regards ;
les rues qui se croisent çà et là , de la manière la plus
irrégulière , ne sont ni nivelées , ni alignées . Non loin
du centre , il y en a une en forme de pont jeté à travers
sur une autre rue (nommée le Fossé profond ) , de sorte
que les voitures qui passent dans la première , se
trouvent quelquefois précisément au dessus d'un autre
équipage dans la seconde ; spectacle vraiment singulier
qui pique toujours la curiosité du voyageur. Ces hommes
et ces voitures , qui défilent sans cesse , qui vont et
viennent sous vos pieds , vous rappellent ces canaux
creusés en Angleterre et en d'autres pays de l'Europe ,
lesquels , passant sur une rivière , offrent souvent le
coup d'oeil d'un vaisseau navigant sous un
-
vaisseau.
autre
Les places , les théâtres , les temples , tout est barbare
ici pour des yeux et des sens formés dans la patrie
des Bernin et des Michel - Ange. Il n'y a guère ,
dans cette métropole , qu'une seule rue qu'on puisse
dire très -belle ; elle est formée par une suite de palais
magnifiques bien alignés ; aussi l'appelle - t - on la rue
des Seigneurs.
La seule promenade qu'on trouve dans la ville , en
ne comptant pas celle du Bastion , qui n'est fréquentée
, que dans l'été , c'est le Graben : elle s'étend le long
des trottoirs d'une place , qui n'a de commun avec la
place de Saint- Marc , que de rassembler les désoeuvrés ,
les Argus de la police , et des légions de ces malheur
THERMIDOR AN IX. 211
reuses créatures , qui ne font d'autre métier que l'infâme
trafic de leurs débauches.
Quoique la ville s'embellisse tous les jours , on peut
prédire qu'elle ne sera jamais parfaitement belle.
Les faubourgs sont construits sur un meilleur plan ,
èt auraient de l'élégance , si les bâtiments qu'on
élève étaient plus grands et d'une architecture plus
riche ; la plupart des rues sont larges et régulières ;
elles sont principalement occupées par des manufacturiers
, et par un grand nombre d'ouvriers . Malheureusement
la proximité de la capitale présente
beaucoup d'inconvénients pour cette classe d'individus.
Placés si près du luxe et de la corruption , ils perdent
rapidement leur argent et leurs moeurs. Ils conserveraient
mieux l'un et l'autre dans les petites villes , qui
n'ont pas généralement la population que comportent
la bonté du climat et la fertilité du sol .
·
D'après la situation topographique de Vienne , on
serait , au premier coup d'oeil , tenté de croire que
la température y doit avoir un haut degré de chaleur ;
c'est à peu près la latitude d'Orléans * ; mais on a
déja remarqué que plus un pays est situé vers l'orient ,
et plus , par cette raison même , il est froid ; Vienne ,
d'ailleurs , entouré de montagnes ou de hautes collines
sur lesquelles les neiges et les glaces s'entassent et se
conservent longtemps , n'éprouve de vives chaleurs que
pendant une couple de mois , tandis qu'en hiver le froid
devient très - vif.
La chaleur même est tempérée par des vents fréquents
, et quelquefois très - pénétrants. La réponse des
Viennois aux Italiens , qui s'en plaignent , a passé en
proverbe : Vienna è ventosa , o venenosa ; Vienne est
ou venteux , ou venimeux , disent- ils aux Lombards ,
* Vienne est au 48.° degré 12 ' ; Orléans au 47. degré 54 ' ■
212 MERCURE DE FRANCE ,
à ces bons Milanais qui se sont réfugiés chez eux , et
qui regrettent un ciel pur et serein , un air presque
toujours calme , un climat chéri du ciel .
Si l'on y souffre moins du froid que dans quelques
autres contrées , où il n'a guère plus d'intensité ,
c'est qu'à l'exemple des peuples voisins , tels que les
Hongrois , les Polonais , et même les Grecs et les
Turcs , on est dans l'usage de se vêtir d'une pelisse
aux premières fraîcheurs , et qu'en vrais allemands , les
Viennois se servent de poèles d'une grandeur , d'une
qualité qui ne permettent pas au moindre froid de se
faire sentir.
Une des principales causes qui altèrent la santé des
habitants , c'est l'impétuosité des vents qui , outre les
refroidissements et les rhumes qu'ils occasionnent ,
sèchent subitement un terrain de craie et de chaux ,
en enlèvent des molécules qu'ils insinuent dans la
poitrine , et y déposent ainsi le germe de la pulmonie .
Un prompt départ de la ville , est le plus sûr remède ,
surtout pour un étranger. Le relevé des pulmoniques ,
qui meurent annuellement dans ses murs est effrayant.
Cette cruelle maladie exerce , il est vrai , ses ravages
dans toutes les grandes villes ; mais nulle part elle
n'est plus funeste qu'ici , en dépit de tous les efforts
de l'art.
2
Cependant l'art de la médecine est peut -être mieux
cultivé à Vienne que dans toute autre ville d'Allemagne.
On pourrait citer plusieurs preuves de la perfection
à laquelle l'ont élevé les travaux et les leçons de
ceux qui s'y livrent . Tous les jours , par exemple , il
arrache aux douleurs et à la mort une infinité de ces
victimes de la volupté , que tout concourt à multiplier
chez un peuple sensuel , avide de nourriture , et que
son aisance met en état de se satisfaire . Nous ne sommes
THERMIDOR AN IX. 213
que trop fondés à croire que le mal syphillitique est
plus général à Vienne qu'à Paris même ; et que peuvent
les plus grands efforts de la science et tout le
zèle des médecins , pour extirper un fléau qui prend
sa source dans l'immoralité , toujours croissante ?
Moins meurtrière , quoique terrible encore , est cette
triste maladie que l'Europe ne connut pas autrefois , et
que d'heureux essais tendent à rejeter de son sein. La
petite vérole , en 1795 , avait enlevé ici jusqu'à 1,098
personnes . On vient d'introduire la nouvelle manière
d'inoculer par la vaccine , et , de tous côtés , on en
attend les plus grands avantages.
Le total de la population de Vienne , s'élevait , en
1795 , à 231,105 habitants , dont 1231 ecclésiastiques ,
3253 nobles , 4256 fonctionnaires publics ou gens vivant
noblement , et 7333 bourgeois ou chefs de corporation.
\
Si la mortalité n'est point excessive dans un pareil
centre de population , où tout d'ailleurs semble concourir
à l'augmenter , on doit l'attribuer , sans doute ,
et aux succès de la médecine , et aux soins paternels
que le gouvernement , et même les particuliers , prodiguent
aux malades .
Parmi les établissements qui leur sont destinés
il faut placer , en première ligne , le grand hôpital ,
dont la direction est confiée au célèbre Franck ; on y
reçut , en 1796 , jusqu'à 11,860 malades ; on y a joint
un musée pathologique.
Vient ensuite l'hôpital des femmes enceintes : il reçut
dans la même année , 1904 femmes , dont 111 moururent.
Les petites maisons renfermaient , en 1795 , 261 fous ,
dont 156 mâles et 105 femelles ; il y entra l'année
suivante , 190 individus , et il en sortit 122. Le principal
remède , dont on fait usage dans cet hospice
est le régime et l'abstinence. Personne n'y est admis
214 MERCURE DE FRANCE,
紧
sans apporter un état détaillé du traitement suivi jusqu'alors
à son égard , afin qu'on puisse mieux juger
la cause , la nature et les progrès du mal .
Il y a un hôpital militaire ; différents hospices desservis
par des religieux , et même un hôpital pour les
Juifs. En général , ces hôpitaux se distinguent par
leur propreté et la bonté du traitement.
Vienne se glorifie d'une institution bienfaisante , à
laquelle on ne peut rien comparer , sinon les établissements
faits en faveur des pauvres à Hambourg , à
Kiel , etc.; je veux dire cette sage institution de
Léopold , qui divise les faubourgs en huit districts ,
dont chacun a son médecin , son chirurgien , sa sagefemme
, tous soldés par le gouvernement pour soigner
les pauvres dans leur domicile . Ces praticiens traitèrent ,
en 1795 , 19,820 malades , 464 moururent , et 623 furent
envoyés à l'hôpital ; cette institution fut reconnue si
salutaire , que l'année suivante on fit participer la ville
même à ses bienfaits .
Nous ne devons pas omettre un autre établissement
qui se rapproche de celui- ci , et qui est formé pour les
enfants au dessous de dix ans ; en 1795 , 1935 malades
y furent soignés ; 113 seulement moururent.
Parmi les ordonnances favorables à la santé des habitants
, et que de pareils établissements supposent ,
nous en citerons une bien digne de servir de modèle
aux autres pays , dans un moment surtout où les grandes
villes s'agrandissent de plus en plus ; c'est celle du 13
mai 1796 , par laquelle il est défendu d'habiter un
bâtiment neuf, avant que le physicien du district l'ait
examiné et ait constaté qu'il a le degré de sécheresse
convenable. Une pareille mesure de police semble être
le comble de l'attention et de la vigilance.
Le prix des vivres est d'une modicité qu'on croirait
à peine. La Hongrie fournit la viande , le blé et le
THERMIDOR AN IX. 215
vin en abondance ; l'Autriche , le bois qu'on transporte
sur le Danube et qu'on ne peut guère exporter ; environ
150 jardiniers cultivent dans les faubourgs de vastes
potagers . Ils n'ont peut-être pas l'économie minutieuse
de leurs collégues des environs de Paris ; mais ils
connaissent toutes les ressources on dirait même
les délicatesses de l'art : ils emploient , pour les
arrosements , une longue pelle de bois faite tout
exprès. Graces à leurs soins industrieux , les légumes
sont toujours à un très-bas prix cependant ils forment
une classe aisée dans la bourgeoisie ; ils se font
aider dans leurs travaux par les montagnards de la
Stirie , qui viennent régulièrement , pour cet objet ,
tous les printemps. Or , avec le pain , le vin , la viande
et les légumes * , l'homme est suffisamment nourri , et
l'ouvrier peut ainsi se contenter d'un salaire modique ;
de sorte que , dans un pays qui tire abondamment de
son propre sol toutes les denrées de première nécessité,
et les principaux matériaux des manufactures ,
il n'y a guère que le luxe sur les marchandises des
Indes qui force un peu la dépense ** . La police
veille en même temps avec tant de soin à tout ce
qui a rapport à la nourriture du peuple , qu'il n'est
pas rare que ses agents , rencontrant des personnes qui
-
* Une sorte de légumes , qu'à Vienne on cultive beaucoup
, et qui assaisonne très agréablement les sauces
ce sont les pommes de paradis (paradeis-aepfel) . Il serait
à desirer qu'on en adoptât la culture dans le nord de l'Allemagne
.
** Le bois aussi est à bon marché , du moins relativement
aux prix de Hambourg et du Holstein ; au reste , on commence
à brûler à Vienne de la tourbe , du charbon de
terre qu'on tire des premiers confins de la Hongrie , et enfin
une tourbe factice , dont l'invention est due à M. Meidinger.
216 MERCURE DE FRANCE ,
1
viennent d'acheter de la viande , la pèsent de nouveau
en leur présence , pour en vérifier le poids.
Ajoutons à la louange du gouvernement et des particuliers
, qu'ils ont toujours réuni leurs efforts et leurs
sacrifices pour empêcher la mendicité. La maison des
orphelins nourrissait au commencement de 1797 jusqu'à
1,479 de ces infortunés ; mais , malgré cela , malgré
un établissement formé pour subvenir aux besoins des
vieillards et des pères de famille hors d'état de se procurer
leur subsistance par le travail , on est encore loin
d'avoir atteint sous ce rapport le point de perfection ,
dont s'enorgueillissent Hambourg , Kiel , etc. que nous
ne nous lasserons jamais de proposer à l'imitation des
autres villes .
Un grand nombre de sociétés particulières et de cercles
où règnent la décence et le bon ton , sont cause que les
cafés sont assez peu fréquentés ; mais , en revanche , il
n'est pas de ville où l'on voie plus d'enseignes de cabarets
et de maisons publiques.
On est bien dans les cafés * , et mal dans les auberges.
Lorsqu'on s'en plaint , les habitants s'excusent sur l'esprit
d'hospitalité qui domine parmi eux. En effet , indépendamment
de beaucoup de tables ouvertes , on trouve
plusieurs maisons où il est permis de venir à toute heure
du jour , même jusqu'à minuit , et de prendre part à
tout ce qu'on sert à l'assemblée , aussi bien qu'à la
conversation.
Cela n'empêche pas qu'à dix heures du soir , on
remarque déja dans les rues une tranquillité , un silence
qu'il est rare de trouver ailleurs à cette heure - là .
Il est de règle , lorsqu'on se retire plus tard , de faire
un léger cadeau au portier de la maison qu'on habite ;
chaque maison a le sien. C'est surtout dans les fau-
* Il faut savoir que , pour avoir du bon café , on doit
demander du café double ; on le paye en conséquence.
THERMIDOR AN IX. 217
bourgs , que le soir , à 10 heures , on admire le calme
profond , l'entière solitude qui y règnent ; on ne rencontre
presque que le guet , et le matin cependant l'on
n'est point réveillé de trop bonne heure . Vienne offre , à
cet égard , un contraste parfait avec Naples . Les Allemands
se plaisent à mettre en parallèle , ces deux capitales
; ils les regardent comme les plus agréables de
l'Europe , et , au total , bien préférables à Londres
et à Paris.
Un café , digne de la curiosité d'un étranger , est
celui de Hugelman , dans le faubourg Léopolstad . Cette
maison , située entre le Danube et la rue où passent
les voitures qui vont à la promenade du Prater , est
tellement fréquentée des Grecs ( fort nombreux à
Vienne ) qu'entendant partout leur langage , et voyant
partout leur costume , on se croirait souvent transporté
au milieu de la Grèce ; illusion qui n'est pas sans mérite
, pour ceux surtout qui ont puisé les premiers éléments
de leur érudition dans les ouvrages classiques de
ce peuple célèbre.
TROISIÈME LETTRE
SUR LA POLOGNE.
LES simples notes que je vous ai données sur la
Pologne seraient incomplètes , si je n'ajoutais encore
quelques considérations sur l'état du commerce , des
arts et des sciences dans cette contrée .
Les Polonais ont un sol fertile , et manquent d'industrie.
Telles sont les deux causes qui déterminent
leur commerce extérieur . Ils fournissent aux étrangers
le superflu de leurs productions territoriales ; ils en
reçoivent tous les objets manufacturés qui leur manquent.
Dans cet échange , l'avantage serait évidem218
MERCURE DE FRANCE ,
ment pour eux , s'ils avaient une bonne agriculture
et des moeurs simples. Ils vendraient toujours plus
qu'ils n'acheteraient . Mais le contraire devait arriver
chez une nation où s'est maintenue l'inégalité la plus
outrée des fortunes et des conditions . Les exportations
se trouvent réduites , parce que les terres cultivées par
de misérables serfs , ne donnent pas tout ce qu'elles
pourraient produire les importations sont devenues
considérables , parce que l'opulence des grands seigneurs
leur a fait connaître tous les besoins de luxe.
:
On sait que la Pologne fut appelée , dans un temps ,
le grenier du Nord , comme la Sicile le grenier du Midi .
Elle mérita ce nom sous Casimir-le- Grand , et tant que
durèrent les sages institutions fondées par ce prince.
Mais depuis plus de deux siécles , les vices du gouvernement
s'étaient multipliés , l'oppression des paysans
n'avait plus de bornes fixées par les lois ; les campagnes
étaient ravagées par des guerres fréquentes , et
la population allait en décroissant. On en voit aujourd'hui
les tristes effets . Les propriétaires sont forcés
de laisser en friche une partie de leurs terres. Quelquesuns
possèdent des provinces entières ; ceux - là surtout
renoncent à mettre en valeur toutes les portions d'un
aussi vaste domaine. Ils se contentent de rassembler
leurs esclaves dans les meilleurs cantons , et comme ils
recueillent seuls tout le fruit du travail de ces hommes
à qui ils ne doivent que la plus étroite subsistance
, ils jouissent encore d'une immense fortune .
Mais quelle que soit la richesse d'un petit nombre
de particuliers , l'état n'en est pas moins pauvre et
privé des ressources infinies que lui promettaient l'étendue
et la fécondité de son sol . Parmi les productions
qui lui restent , peu excèdent ses besoins. Le
chanvre et le lin y suffisent à peine ; le miel , dont on
fait une ample récolte dans les forêts de Lithuanie ,
THERMIDOR AN IX. 219
sert au peuple en guise de sucre , on en fait aussi de
l'hydromel , mais il n'a point cours hors du pays .
C'est presque uniquement en blé que consiste le superflu
dont s'entretient le commerce extérieur ; encore
ce superflu est- il moins le résultat d'une grande abondance
, que celui d'une singulière économie dans la consommation
de l'intérieur. Les cultivateurs sont réduits à
la nourriture la plus grossière , les nobles eux - mêmes
ne font servir sur leur table que du pain de seigle . L'usage
de la farine fine est réservé pour la pâtisserie , ou
pour les mets délicats . Ce n'est pas qu'on n'ait encore de
riches moissons , et des greniers remplis de froment ;
mais ce sont des trésors auxquels on ne touche pas.
Les propriétaires en sont avares , comme de la seule
denrée qu'ils puissent aisément convertir en numéraire.
La vente en est assurée par les demandes continuelles
de l'étranger. Cette facilité de l'écouler au
dehors , n'étant pas suffisamment restreinte par de
bonnes lois , produit au dedans les effets d'une véritable
disette , et le prix s'élevant en raison du besoin
plus ou moins pressant que peuvent en avoir des
peuples éloignés , il en résulte que le pain est souvent
aussi cher pour les Polonais que pour ces peuples mêmes ;
et , en général leur pays est un de ceux où l'existence
est plus dispendieuse.
Dantzickest l'entrepôt général des grains qu'on
exporte. Ils y arrivent par la Vistule , et de là on les
expédie pour la Suède , le Danemarck , l'Ecosse et la
Hollande . On y joint encore de la potasse , quelques
bois de sapin , trop inférieurs à ceux du nord pour
qu'ils puissent être d'un grand prix ; et , enfin , des bestiaux
qui , par leur petitesse et la médiocre qualité
de leur laine , ne peuvent soutenir la concurrence avec
ceux des pays environnants. La valeur de ces objets
peut être de 20 millions .
* Voyez le dernier n.º du Mercure.
220 MERCURE DE FRANCE ,
Mais on rend à l'Angleterre environ 6 millions pour
les articles de tout genre qu'on tire de ses fabriques ,
et qui sont fort recherchés en Pologne . Lorsque les
communications avec la France sont ouvertes , on est
également curieux de ses soieries , de ses modes et
de ses dentelles . Cette branche d'importation peut
encore être évaluée de 5 à 6 millions. Il n'en coûte
pas moins pour se procurer des vins de Hongrie ; ils
sont la bisson ordinaire des grands ; et malgré les
droits énormes qu'y a mis le roi de Prusse , il s'en fait
une consomination prodigieuse. J'ai vu des fêtes particulières
où l'on ne vidait pas moins de 5 ou 6 tonneaux
, et chacun d'eux revient pourtant à 12 ou 15
louis .
le sucre "
Si vous ajoutez ce qu'on dépense pour le tabac ,
dont l'usage est très répandu en Pologne , et dont la
culture y est inconnue ; pour le café et les
épiceries que fournit la Hollande ; pour les quincailleries
d'Allemagne , les toiles de Silésie , les porcelaines
de Berlin ; en un mot , tout ce qui sert à entretenir
le luxe des riches , vous voyez que la balance
du commerce doit être constamment au désavantage
des Polonais. On estime , en effet , que la différence
de ce qu'ils vendent à ce qu'ils achètent est annuellement
de 15 millions.
Les principaux négociants sont des étrangers , et
surtout des Allemands établis dans le pays . Les uns
président à l'achat des grains dans l'intérieur , et à
leur expédition ; les autres se rendent aux foires de
Leipsick et de Francfort , pour y choisir les brillantes
superfluités qui s'accordent le mieux au goût magnifique
des seigneurs polonais . Les Juifs sont , comme
je vous l'ai dit , plus particulièrement livrés aux affaires
de détail . Ils vont porter , dans les campagnes , les
produits de l'industrie grossière du peuple des villes ,
THERMIDOR AN IX. 221
et revendent à celui - ci des comestibles pour sa subsistance
journalière.
Il est une spéculation réservée aux propriétaires , on
l'appelle la propination ; elle consiste à fournir leurs
vassaux de certaines boissons , dont l'usage supplée
à celui du vin . Ils font préparer pour eux de la bière
et des eaux- de- vie de grains. Moyennant une légère
rétribution , des hommes de confiance se chargent du
détail de la vente. Il n'est point permis aux serfs de
s'approvisionner ailleurs. Ainsi , le peu d'argent qu'ils
ont pu gagner par un travail extraordinaire retourne
encore dans les mains de leur maître , et lui sert à
payer les menues dépenses de sa maison . Il faut observer
qu'à l'exception des villes principales , presque
toutes les autres sont encore sous la dépendance d'un
seigneur ; et le droit exclusif qu'il a d'y faire vendre
des liqueurs , dont le peuple ne peut se passer , lui
assure un bénéfice considérable . C'est même son revenu
le plus important .
A part ce monopole , que la noblesse regarde comme
un de ses meilleurs priviléges et comme faisant partie
de l'administration de ses domaines , elle dédaigne
toute autre espèce de négoce . Quelques gentilshommes
tombés dans la misère voulurent une fois , sous l'ancien
ordre de choses , essayer d'en sortir par quelques
spéculations ; il parut bientôt une loi qui les avertit
qu'il se dégradaient . Ils continuèrent à n'avoir d'autre
ressource que cette domesticité honteuse dont je vous
ai parlé. Les grands s'étaient persuadés qu'on pouvait ,
sans s'avilir , leur rendre les plus humbles services personnels
, et qu'il serait plus honorable d'être leur valet
que leur marchand .
Il faut se rappeler la force de pareils préjugés , et leur
influence sur l'esprit de l'ancien gouvernement , pour
concevoir jusqu'à quel point il avait négligé tous les
MERCURE DE FRANCE , ¨
établissements favorables à la prospérité du commerce.
On ne voit en Pologne ni fabriques , ni manufactures ,
qui puissent l'affranchir du tribut qu'elle paye à celles
de l'étranger . Elle est heureusement située entre deux
mers , elle est abondamment pourvue de bois propres à
la construction des navires , et elle n'a jamais eu de marine
. On est surtout frappé de la difficulté des communications
intérieures dans un pays uni et sablonneux , où
il était si facile de les établir par de belles routes .
Les plus grands chemins y ressemblent à ceux que l'on
appelle ailleurs de traverse ; ils sont à peine tracés au milieu
des bois , et l'on doit prendre des guides pour s'y reconnaître.
Il n'est pas rare de faire 15 ou 20 lieues
sans sortir d'une forêt , et sans rencontrer d'autres
habitations que celles où les relais de la poste sont placés.
Heureusement les chevaux vont fort vîte , et l'on
franchit rapidement ces tristes solitudes. On voudrait
ne pas s'arrêter d'une ville à l'autre. Il y a
dans l'intervalle quelques hôtelleries destinées à recevoir
les voyageurs ; mais elles sont occupées par des
Juifs qui joignent à leur misère une malpropreté dégoûtante.
Ils ont , pour toute provision , un pain à
peine mangeable , des oeufs et de la bière. On courrait
tout un village , sans trouver rien de plus . Il faut
dormir , enveloppé dans son manteau , et couché sur
de la paille , qui n'est pas toujours fraîche. Un lit est la
chose la plus extraordinaire dans de pareils gîtes . Aussi
les Polonais qui ont quelque aisance ne voyagent - ils
point sans porter ce meuble avec eux ; ils l'appellent leur
veni-mecum. On voit aussi pourquoi les grands seigneurs
ne marchent point sans une suite nombreuse
de valets à cheval : c'est une espèce de caravane , qui se
charge de tous les objets dont ils peuvent avoir besoin .
Mais un étranger , qui n'a pas la même prévoyance ou
les mêmes moyens , doit s'attendre aux plus rudes priTHERMIDOR
AN IX. 223
vations. Souvent il se croira engagé dans un désert
ou dans une contrée nouvellement habitée par une
peuplade misérable , qui n'a pas eu le temps de défricher
son territoire , ni de faire aucun progrès dans
les arts utiles.
Les maisons sont de bois , et de la structure la plus
grossière. Celles des nobles mêmes , quoique plus élevées
, sont loin d'avoir l'apparence et les commodités
de nos plus simples maisons de plaisance. Il n'y a dans
les campagnes qu'un petit nombre d'habitations régulières
et vraiment dignes du nom de château .
- Les villes , et surtout Varsovie , offrent bien aussi
quelques palais superbes ; mais , à côté d'eux , figurent
encore de vieilles échoppes , telles que nos marchands
en construisent pour les foires ; tous les quartiers populeux
ne sont pas bâtis autrement . Il est vrai qu'à
mesure que les anciennes maisons tombent en ruine ,
il est ordonné de les reconstruire en pierres et sur un
meilleur plan. Ce règlement a déja produit quelque
effet ; le goût de la bonne architecture commence à se
répandre ; et notamment dans la partie prussienne , plusieurs
villes prennent de jour en jour un aspect moins
désagréable. On sent aussi l'agrément qu'il y a de
se ménager des jardins autour des hôtels , on y cultive
les plantes potagères , et un grand nombre d'ar-'
bres fruitiers . La bonté du climat a permis d'y naturaliser
presque toutes les espèces de France . Celle des
abricotiers fut apportée par un valet - de - chambre
de la suite de Henri de Valois . Il réussit à en élever
quelques arbres dans un enclos particulier , et vendait
leurs fruits aux gens de la cour , en leur persuadant
qu'il les faisait venir de Paris . Il y mettait en
conséquence un prix excessif. Cette supercherie , quí
dura longtemps , lui valut une grande fortune ; et naguères
, l'un de ses descendants comptait encore , parmi
les riches banquiers de Varsovie.
224 MERCURE DE FRANCE ,
Quelques Italiens sont venus , pendant les derniers
troubles de leur patrie , chercher un asile en Pologne.
Ils s'y sont donnés pour peintres , sculpteurs et musiciens.
On les a crus sans peine , et l'on s'est empressé
de faire usage de leurs talents . Leur exemple
contribue à exciter l'émulation des naturels du pays ,
qui , jusqu'à présent , n'avaient pas eu la prétention de
se distinguer dans les beaux- arts. Tout ce qu'ils possèdent
de monuments précieux en ce genre est dû à
des artistes étrangers que les rois ou les grands avaient
attirés à différentes époques .
Le séjour des réfugiés français n'a pas été moins favorable,
sous d'autres rapports. Les plus instruits d'entre
eux se sont voués à l'enseignement public ou à des éducations
particulières. Ils ont fait connaître les diverses
méthodes ; ils ont inspiré le goût des mathématiques ,
de la physique et de la chimie moderne , dont on ne
s'occupait guère auparavant. Les Polonais se bornaient
presque uniquement à l'étude de leur histoire et à celle
de l'éloquence . L'une leur retraçait des souvenirs glorieux
; l'autre tendait à leur donner de l'influence dans
les délibérations publiques . Aussi ont- ils fait des progrès
remarquables dans ces deux genres . Peu de nations
modernes ont mis autant d'ordre dans leurs annales ,
et comptent autant d'historiens estimés . Kromer en particulier
a paru digne d'être comparé à Tite - Live. Les
Ouvrages éloquents d'Orzekowsky rappellent aussi l'orateur
romain , et dans tous les temps plusieurs nonces
distingués aux diètes par le talent de la parole y prouvèrent
qu'ils s'étaient nourris des grands modèles.
Les Polonais s'honorent encore de quelques écrivains
célèbres , en morale et en politique , tels que Fredzo
et Gorniky. Les ouvrages de leurs principaux poètes ont
été traduits dans plusieurs langues ; mais en général
leur littérature est pauvre et ne peut être comparée à
elle des nations éclairées.
THERMIDOR AN IX. 225
SEINE.
DE
5
On a beaucoup trop vanté leur amour pour la belle
Latinité, S'il faut en croire quelques voyageurs , il n'est
pas jusqu'aux paysans qui ne parlent la langue d'Horace
et de Virgile. M. Bernardin de Saint - Pierre est
tombé lui - même dans cette exagération ; sans doute il
aura pris , pour des gens du peuple , des domestiques ,
des économes , des intendants , qui , étant originare
cents
ment nobles , ont tous reçu un commencement d'édu
cation , et pouvaient garder quelques souvenirs confus
de leurs études . Il est vrai que le latin fut autrefois
très - cultivé en Pologne ; il paraît que les diètes l'avaient
anciennement admis dans leurs délibérations ; et presque
tous les auteurs nationaux l'ont employé dans leurs
écrits ; mais l'usage en est sensiblement tombé , le
peuple l'ignore entièrement . Il y a déja beaucoup de gentilshommes
qui ne l'entendent plus ; ceux qui en conservent
l'habitude le parlent avec aisance , mais sans
correction , à peu près comme les prêtres flamands.
On préfere l'étude des langues vivantes .
Il n'est pas de noble , élevé avec quelque soin , qui
n'en sache au moins deux ou trois . J'ai connu un comte
de Douzesky qui en possédait jusqu'à douze. Celle du
pays est dérivée de l'Esclavonne ; elle m'a paru dure
et chargée de consonnes . Un français est presque dispensé
de l'apprendre , tant il trouve là de personnes
qui le comprennent , et lui répondent aussi distinctement
que si elles eussent habité parmi nous . C'est ‹surtout
dans les classes élevées que notre langue est fort
usitée ; elle y obtient une telle préférence sur toutes les
autres , que bientôt aucun polonais de distinction ne
se croira permis de l'ignorer : leurs bibliotheques particulières
sont d'ailleurs pleines de nos bons ouvrages , et
prouvent l'habitude qu'on a de lire en original.
5.
15
226 MERCURE DE FRANCE ,
Il est pénible à dire que le talent de se rendre familier
le langage des autres pays , est souvent le seul
fruit que les nobles retirent de leur éducation , et le seul
genre d'instruction qui les distingue. C'est aussi le
moindre mérite de quelques - uns d'entre eux . Il en
est qui ont voyagé en Europe avec les avantages que
leur donnaient leur naissance , leur fortune , et un esprit
déja cultivé. Ils ont recueilli partout des observations
précieuses , et n'étant plus distraits par aucun
soin politique , ils se consolent aujourd'hui dans leurs
retraites avec le trésor de connaissances qu'ils ont acquises.
La supériorité de leurs lumières est encore plus
frappante au milieu des ténèbres qui les entourent.
Loin de les rendre plus fiers et plus inabordables , elle
les a portés à donner l'exemple de toutes les vertus humaines.
Ce sont les mêmes que je vous ai déja signalés
comme ayant affranchi leurs vassaux ou les traitant
avec bonté. C'est encore auprès d'eux que les infortunés
de tous les pays ont trouvé cet accueil bienveillant
et ces égards délicats , qu'obtient rarement le malheur.
Un étranger qui a eu le bonheur de les connaître , et
de vivre dans leur société , emporterait l'idée la plus
favorable de la nation à laquelle ils appartiennent , s'il
pouvait échapper à l'impression de tant d'autres objets
qui fatiguent l'oeil de l'observateur le moins sévère .
Mais ces hommes , si exempts des préjugés de leur ordre
, si touchés de la misère des peuples , si profondément
affectés des fautes de leur ancien gouvernement ,
et de leurs terribles conséquences ; ces hommes , dis - je ,
conviendraient eux - mêmes de la vérité du tableau
triste , mais fidelle , que j'ai dû vous faire de leur
patrie.
THERMIDOR AN IX. 227
INTÉRIEUR.
L'ANNIVERSAIRE du 14 juillet 1789 a été célébré à
Paris par la première fête vraiment populaire qu'on
ait donnée depuis la révolution . Cette journée , dont
tous les bienfaits devaient être pour le peuple , ce jour
mémorable qui delivra le laboureur de la dixme et des
droits féodaux , l'artisan des priviléges et des maîtrises
, la nation entière d'un système de contributions
humiliant , inégal et oppresseur , mérite sans doute
d'être consacrée comme la première époque de notre
régénération politique. Mais pour qu'il fût possible de
l'apprécier , il fallait que la logique des factions eût
cessé d'en dénaturer les principes , et que la sagesse
du gouvernement en eût mûri les résultats . D'ailleurs ,
comme l'a très bien dit un journaliste qui cite rarement
, mais qu'il est souvent agréable de citer , pour
préparer un jour de fête publique , il faut au moins
une année de bonheur .
•
-
Comme on trouve dans tous les journaux les détails
de cette fête , décrits avec une fidélité minutieuse , il
nous suffira d'en rappeler ici les principales parties . Si
les calculs ne sont pas exagérés , près de six cent mille
personnes ont été réunies dans les Champs -Elysées
pour y prendre part . Il est certain du moins que les
curieux sont arrivés en foule de tous les départements
voisins de la capitale : dans celui de la Seine - Infé
rieure seulement , il a été , dit - on , expédié plus de
six mille passe- ports pour Paris.
Depuis midi jusqu'à cinq heures les courses de bague
, les mâts de cocagne , les danses et surtout le
mouvement et la variété de cet immense tableau , for228
MERCURE DE FRANCE ,
maient un spectacle aussi singulier qu'agréable. A cinq
heures , on s'est porté principalement vers le carié
Marigny , où les pantomimes , les sauteurs et les marionnettes
étaient réunis .
Au milieu de l'Etoile des Champs-Elysées , s'élevait
un rocher très-pittoresque , surmonté de la statue colossale
de la Renommée . Il bornait , de ce côté , le point
de vue , et retenait , pour ainsi dire , tous les regards
dans l'enceinte destinée à la fête. Un temple magnifique
, orné d'une colonnade d'ordre ionique , était placé
du côté de la rivière . C'est- là qu'un très- beau con-,
cert a remplacé les spectacles forains , qui ont fini avec
le jour ; les morceaux les plus remarquables de ce concert
, ceux dont l'exécution a paru produire le plus
d'effet et de plaisir , sont le duo d'Echo et Narcisse , de
Gluck , et l'Hymne au Soleil , de Lesueur .
Les illuminations rendaient la nuit plus brillante que
le jour , et donnaient à la fête un caractère plus imposant.
Depuis le château des Tuileries jusqu'à l'Etoile
des Champs - Elysées , elles étaient dessinées avec
beaucoup de goût , et multipliées avec la plus grande
profusion . L'illumination , très-élégante de la colonne
nationale , servait surtout à montrer combien la place
de ce monument serait mal choisie , si l'on s'obstinait
à l'élever à l'endroit qu'occupe son modèle . On a dû
cet énorme soubasse- se convaincre , sans retour , .que
ment circulaire masque tout -à-fait le palais du gouvernement
, détruit une perspective unique en Europe ;
et loin d'embellir la place de la Concorde , ne sert
qu'à écraser les édifices qui la décorent.
A dix heures , on a tiré le feu d'artifice , qui a mal
réussi . On aurait voulu trou ve plus de liaisons dans
les détails , et reconnaître une intention dans son ensemble.
En général , les feux d'artifice tirés dans nos
fêtes publiques sont très -inférieurs à ceux d'Italie. Les
"
THERMIDOR AN IX. 229
amateurs qui ont vu celui de Rome , la veille de
Saint- Pierre , ne conçoivent point ce qui nous empêche
de l'imiter . Ce qu'il y avait de plus remarquable
dans celui - ci , c'est le ballon qui s'est élevé après les
premières fusées , et qui , transportant à une très - grande
hauteur une illumination brillante , est retombé tout- àcoup
en pluie de feu .
La place de la Concorde et les bâtiments du Gardemeuble
étaient illuminés avec un soin particulier. La
fausse façade , élevée en avant du Palais du Corps
législatif , était d'une architecture élégante ; mais ,
éclairée seulement par des lumières dont le foyer était
caché , son effet était médiocre au milieu des lampions
et des verres de couleurs . Elle suffisait cependant pour
faire apercevoir ce qui manque à l'édifice qu'elle annonçait.
Au reste , quoique tous les moyens d'amusement
fussent employés pour célébrer cette fête , rien ne l'a
rendue plus aimable que la gaieté sans tumulte , la confusion
sans désordre , la liberté sans licence , qui ont
régné parmi les spectateurs. Un sentiment universel
de confiance et de bonheur rendait à peu près inutiles
toutes les précautions qu'on avait prises pour maintenir
l'ordre . Les mesures ordinaires de police , si sɔuvent
insuffisantes , étaient ici presque superflues ; et c'est le
plus grand éloge qu'on puisse faire de la police même
et du gouvernement.
Ceux qui , jusqu'à présent , ont toujours vu le 14
juillet à travers les événements terribles que la main
de la révolution a jetés entre cette époque mémorable
et celle où nous sommes parvenus , doivent aujourd'hui
reconnaître quels sont ses véritables résultats . Cette
journée avait fait éclore tous les germes de la prospérité
publique ; mais bientôt une guerre générale arrêta
leurs progrès ; des monstres , dévoués à l'exécration de
230 MERCURE DE FRANCE ,
tous les siècles , les arrosèrent du sang innocent un
gouvernement audacieux par crainte , et cruel par faiblesse
, allait enfin les arracher. Tout-à- coup la Providence
a ramené parmi nous un de ces hommes qu'elle
destine à réparer les erreurs , les fautes , les folies , les
crimes de plusieurs générations . Il a paru , et les orages
politiques se sont dissipés devant lui ; les pressentiments
sinistres se sont évanouis ; le génie a rappelé la victoire ;
la modération a dicté la paix ; la justice a réglé l'administration
; les espérances sont devenues des certitudes
, et le 18 brumaire a réalisé toutes les promèsses
du 14 juillet.
E.
PROCLAMATION.
LES CONSULS DE LA RÉPUBLIQUE AUX FRANÇAIS .
FRANÇAIS
CEE jour est destiné à célébrer cette époque d'espérance
et de gloire où tombèrent des institutions barbares
, où vous cessâtes d'être divisés en deux peuples ,
l'un condamné aux humiliations , l'autre marqué pour
les distinctions et pour les grandeurs ; où vos propriétés
furent libres comme vos personnes , où la féodalité fut
détruite , et avec elle ces nombreux abus que des siécles
avaient accumulés sur vos têtes .
Cette époque , vous la célébrâtes en 1790 , dans l'union
des mêmes principes , des mêmes sentiments et
des mêmes voeux. Vous l'avez célébrée depuis , tantôt
au milieu des triomphes , tantôt sous le poids des
fers , quelquefois aux cris de la discorde et des factions
.
Vous la célébrez aujourd'hui sous de plus heureux
auspices : la discorde se tait , les factions sont comprimées
; l'intérêt de la patrie règne sur tous les intérêts .
THERMIDOR AN IX. 231
Le gouvernement ne connaît d'ennemis que ceux qui
le sont de la tranquillité du peuple .
La paix continentale a été conclue par la modération
; votre puissance et l'intérêt de l'Europe en garantissent
la durée.
Vos frères , vos enfants , rentrent dans vos foyers ,,
tous dévoués à la cause de la liberté , tous unis pour
assurer le triomphe de la république .
Bientôt cessera le scandale des divisions religieuses.
Un code civil , mûri par la sage lenteur des discussions
, protégera vos propriétés et vos droits .
Enfin une dure mais utile expérience vous garantit
du retour des dissensions domestiques , et sera longtemps
la sauve-garde de votre postérité.
Jouissez , Français , jouissez de votre position , de
votre gloire , et des espérances de l'avenir . Soyez toujours
fidelles à ces principes et à ces institutions qui
ont fait vos succès , et qui feront la grandeur et la
félicité de vos enfants. Que de vaines inquiétudes ne
troublent jamais vos spéculations ni vos travaux . Vos
ennemis ne peuvent plus rien contre votre tranquillité :
TOUS LES PEUPLES ENVIENT VOS DESTINÉES .
BONAPARTE , premier consul de la république , ordonne
que la proclamation ci - dessus sera insérée au
Bulletin des Lois , publiée , imprimée , et affichée dans
tous les départements de la république.
Le C. Isabey fait graver en ce moment le dessin
dans lequel il a représenté le premier consul se pro- ,
menant seul à la Malmaison . La ressemblance est
frappante il porte l'uniforme du corps de guides.
Au fond , on voit les bâtiments de la Malmaison.
: (
232 MERCURE DE FRANCE ,
M. le cardinal Gonzalvi a réussi dans les négocia
tions dont il a été chargé par le Saint- Siége auprès du
gouvernement . ( Extrait du journal officiel ).
D'après un arrêté du ministre de l'intérieur , un concours
sera ouvert pour la restauration du groupe du Laocoon
. Les statuaires sont invités à présentér un modèle
des bras qu'ils croiront convenir au mouvement et à
l'expression des trois figures . L'artiste qui obtiendra
le prix sera chargé de l'exécution en marbre . Il
recevra pour ce travail une somme de 10,000 francs.
Les modèles devront être remis à l'administration du
Musée central le 1.er vendémiaire de l'an 12. On sait
que Michel - Ange essaya de restaurer ce chef- d'oeuvre ;
mais peu content de son ouvrage , il le déposa aux
pieds du Laocoon .
Un des premiers travaux du conseil général des
hospices a eu pour objet l'amélioration du sort des
enfants , que l'indigence reconnue de leurs parents
force de confier à la charité publique . Ces enfants seront
en premier ordre , et autant qu'il sera possible ,
placés dans les campagnes . Le conseil prendra toutes
les informations nécessaires sur les nourrices et sur les
citoyens qui pourront s'en charger successivement.
Son intention est d'en laisser à Paris le moins possible ,
et dé diminuer les réunions trop nombreuses . Les enfants
seront mis en apprentissage , et leur éducation ,
leur bien- être , et leur avancement assurés par des
traités convenables. Enfin , pour le petit nombre de
ceux que l'on sera contraint de retenir , des ateliers
de divers genres seront établis dans toutes les maisons.
L'oisiveté sera sévèrement bannie des hospices.
THERMIDOR AN IX. 233
On sait que les nouveaux poids et mesures doivent
être seuls en usage , au 1.er vendémiaire an 10 ( V. le
n.° XI ) . Un arrêté du 29 prairial charge les sous - préfets
, auxquels est confiée la garde des étalons des poids
et mesures , de remplir les fonctions de vérificateurs.
Aucun fabricant ne pourra vendre , ni aucun citoyen
employer , pour peser et mesurer les matières de commerce
, que des poids et mesures vérifiés et étalonnés
par les sous-préfets de leur arrondissement. Un tarif
particulier détermine l'indemnité que payeront les citoyens
pour cette vérification . A Paris , elle se fera à
la préfecture de police . Tout fabricant ou marchand
de poids et mesures , qui présentera à la fois à la vérification
plus de dix poids ou plus de dix mesures neuves
de chaque espèce , jouira , pour les quantités excédentes ,
d'une remise de moitié sur le montant de la rétribution .
Les habitants d'Annonay , département de l'Ardèche ,
élèvent un monument à l'honneur des frères Montgolfier
, inventeurs des aérostats ; le préfet , le C. Caffarelli
, a posé la première pierre , au lieu même où se
fit , en 1783 , la première expérience.
Un autre monument va s'élever , dans la même ville ,
à la mémoire du cardinal Colombier , qui fonda son hôpital
, et eut une grande part , en 1536 , à la rédaction
de la bulle d'or germanique.
En remplacement du C. Jean- Debry , le Sénat conservateur
a nommé membre du tribunat , le C. Costaz,
professeur à l'Ecole centrale de la rue Saint- Antoine ,
et membre de l'Institut d'Egypte .
A la suite d'un rapport du ministre de l'intérieur sur
234 MERCURE DE FRANCE ,
les deux célèbres écoles de médecine , de Paris et de
Montpellier, les consuls ont arrêté que le C. Barthez ,
professeur de médecine à Montpellier , et le C. Corvisard
, professeur de médecine à Paris , également distingués
par leurs connaissances et les services rendus
à l'art qu'ils professent , prendraient le titre de médecins
du gouvernement , et seraient spécialement chargés
de l'éclairer , dans tous les cas où la santé publique
sera menacée par des épidémies et des maladies contagieuses.
Leur traitement de professeur sera porté à
12000 francs.
Le ministre de l'intérieur a renouvelé la commission
des hospices civils de Bruges. Les nouveaux administrateurs
sont les CC. Charles de Croeser , ancien président
du département de la Lys ; de Deurwaerder ,
Van Vyve , et Vanderbeke - Cryngen , ancien bourguemestre
; receveur- général , Guillaume Deys ; secrétaire ,
Eugène Goûbaû.
AUX Rédacteurs du Mercure de France.
E
Je viens de lire , dans le Mercure du 16 de ce mois ,
une notice sur l'Angleterre , par le C. Chateaubriand.
Permettez que , par la voie du même journal , je relève
une erreur qu'elle me paraît contenir . Il dit que
nos manufactures ont été créées par enchantement , et
qu'elles se sont éteintes. Dans mes Recherches sur les
Fabriques et le Commerce de France , que je me propose
de publier aussitôt que mes occupations me permettront
d'y donner les derniers soins , j'espère prouver
que depuis l'établissement de nos manufactures sous
Colbert , leur perfection a toujours été croissante , que
loin d'être éteintes , plusieurs jouissent d'un avantage
THERMIDOR AN IX. 235
qu'aucun peuple de l'Europe ne peut leur ravir * , et
que nous sommes aussi riches en ce genre que les Anglais
mêmes . Si , dans ce moment , l'industrie de nos
fabricants se trouve paralysée , la cause en est assez
connue. L'Angleterre doit la grande prospérité de son
commerce et de ses manufactures à la protection constante
que leur accorde le gouvernement , et à la considération
qui environne les hommes qui se vouent à
ces honorables professions . Nous nous habituerons aussi
à n'estimer les hommes , qu'en raison de leur utilité
relative , et la sagesse de notre gouvernement nous
donne l'assurance que nous jouirons bientôt de tous les
avantages dont nous avons été si longtemps privés.
Alors , seulement , les comparaisons sur l'industrie des
deux peuples seront permises , et il n'y a nul doute
qu'elles seront en faveur des Français .
Salut et considération .
Signé , GELOT , membre du conseil-général du
département de la Seine.
NOTE des Rédacteurs.
Nous avons relu l'article du C. Chateaubriand . Il a
voulu dire seulement que les moeurs élevées et généreuses
du peuple français étaient moins propres aux
* Il suffit de se rappeler l'état de nos manufactures de soie
à Lyon , Nîmes , Avignon , etc. celles de drap , à Sédan ?
Louviers , Abbeville , Elbeuf , Carcassonne , etc .; celles de
toiles et de batiste , à Saint- Quentin , Cambray, Valenciennes,
et dans toute la Flandre , à l'époque de 1789 ; remarquez
que je ne parle point ici de nos manufactures de luxe ,
telles que celle des Gobelins ; celle des glaces et la fabrique
d'armes établie actuellement à Versailles ; je ne rappelle
pas même le commerce de nos villes maritimes , telles
Bordeaux , Marseille , Nantes , le Hayre , Rouen , etc.
avant l'époque de 1793.
que
236 MERCURE DE FRANCE ,
spéculations mercantilles que l'esprit d'un peuple navi
gateur. C'est l'amour du gain qui forme les grandes entreprises
du commerce ; c'est l'économie qui les fait
prospérer de génération en génération. Un peuple
agricole et guerrier comme le Français , doit être moins
économe qu'un peuple insulaire. Cette observation a
été faite par Montesquieu , et avant lui par Xénophon .
Elle est fondée sur l'histoire ; et de plus , elle est honorable
pour le caractère national . Le C. Chateaubriand
n'a pas prétendu que l'art de la navigation et du commerce
nous fût étranger ; mais qu'en y apportant du
génie , nous y mettions moins de persévérance que les
Anglais. A l'égard des manufactures de luxe et de
goût , fondées sur les arts du dessin , notre supériorité
sans doute est incontestable. Le C. Chateaubriand est
loin de la nier , puisqu'il convient que les beaux - arts
sont presque inconnus en Angleterre .
1
INSTITUT NATIONAL .
Séance publique du 15 messidor an 9 .
'
La classe des sciences morales et politiques avait proposé
la question suivante : L'émulation est- elle un bon
moyen d'éducation ? Des longtemps cette question paraissait
résolue et sans doute le raisonnement a dû
confirmer les leçons de l'expérience . La classe a reçu
seize mémoires , dont la plupart ont paru mériter des
éloges. Le prix a été decerné au mémoire enregistré
sous le n.º 15 , portant pour épigraphe : La seule véritable
éducation est celle qui forme des citoyens . L'auteur
est le C. LOUIS FEUILLET , sous- bibliothécaire
de l'Institut.
Cette même classe a proposé , pour prix de géographie
, le sujet suivant :
Comparer les connaissances géographiques de Ptolémée
THERMIDOR AN IX. 237
sur l'intérieur de l'Afrique , avec celles que les géographes
et les historiens postérieurs nous ont transmises , en exceptant
l'Egypte et les côtes de la Barbarie , depuis Tunis
jusqu'à Maroc.
Le prix sera de 5 hectogrammes d'or ( ou 5 onces * ,
nouvelles mesures ) , frappés en médaille . Il sera distribué
dans la séance publique du 15 vendémiaire an 11 :
Les ouvrages ne seront reçus que jusqu'au 15 mes . an 10 .
La classe des sciences mathématiques et physiques
a proposé deux questions :
1.º Rechercher les moyens de diminuer le plus qu'il est
possible la dérive d'un vaisseau de guerre dans les routes
obliques , en combinant ensemble , de la manière la plus
favorable à cet effet , la forme de la carène , le tirant
d'eau , la position du maître- couple , et la stabilité.
Le prix sera une médaille d'or , de la valeur d'un
kylogramme , ( ou livre ** , nouvelles mesures ) . Il sera
décerné , dans la séance publique du 15 messidor an II.
Les ouvrages ne seront reçus que jusqu'au 1er germinal
an II.
2.° Etablir les rapports généraux qui existent entre
Porganisation interne et l'organisation externe des végétaux
, principalement dans les grandes familles de
plantes généralement avouées par tous les botanistes.
Le prix sera décerné dans la même séance du 15
messidor an 11. Il sera de cinq hectogrammes d'or . Les
ouvrages ne seront de même reçus que jusqu'au 1 .**
germinal an II .
Nous avons inséré , dans un dernier N.º , une lettre
écrite de Berlin , sur le galvanisme. La découverte de
*
1
L'hectogramme , ou l'once actuelle équivaut à 3 onces
2 gros 10 grains 7 dixièmes ( mesure ancienne ) .
** Le kylogramme ou la livre , répond à 2 livres 5 gros
35 grains ( mesures anciennes).
15
180
238 MERCURE DE FRANCE ,
ce fluide , dont les effets étonnants sont également certains
et inexplicables jusqu'à présent , excite de tous côtés
les recherches des médecins et des chimistes . Les CC .
Fourcroy , Vauquelin et Thénard ont communiqué à
l'Institut un fait aussi curieux qu'important , qu'ils ont
recueilli de leurs nombreuses expériences.
On savait , qu'en multipliant les disques qui composent
la pile , on augmentait la force des commotions
et la rapidité de la décomposition de l'eau ; ils
ont voulu voir ce qui arriverait , si on augmentait la
surface de chaque disque . En conséquence , ils ont composé
une pile avec des plaques d'un pied carré . Les
commotions et la décomposition sont restées les mêmes
qu'avec un nombre pareil de petits disques. Mais la
combustion des fils métalliques s'est opérée sur le champ
avec beaucoup de force ; et en les plongeant dans du
gaz oxygène , on les a vus s'enflammer avec un éclat trèsvif,
tandis que de petites plaques , quelque grand qu'en
soit le nombre , ne produisent rien de pareil ; ainsi la
combustion suit une loi relative à la surface des plaques ,
tandis que les autres phénomènes se rapportent à leur
nombre.
Il manquait à l'histoire des volcans , de déterminer
le degré de chaleur nécessaire pour donner la fluidité
aux laves . Cette question occupait depuis longtemps le
C. Dolomieu . Plusieurs des substances que les laves
contiennent , et qui étaient demeurées intactes , quoique
très-fusibles par elles mêmes , lui avaient déja donné
des doutes sur la grande chaleur qu'on attribue ordinairement
aux terrains volcaniqués . L'éruption du Vésuve
de l'an 2 lui a fourni les moyens de constater ce degré
de chaleur, en examinant les effets de la lave sur les
substances qu'elle avait enveloppées , et principalement
sqr les métaux . Il a trouvé que la chaleur ne surpassé
THERMIDOR AN IX. 239
气
pas celle qui peut fondre l'argent , et qu'elle est moindre
qu'il ne le faudrait pour fondre le cuivre.
On connaît le procédé proposé par le C. Chaptal pour
blanchir le coton , qui consiste à l'imprégner d'une lessive
alcaline , et à l'exposer ainsi à la vapeur de l'eau
bouillante. Le premier consul a été lui - même visiter
l'établissement du C. Bawens , à la barrière des Bons-
Hommes , où ce procédé a reçu les plus grands développements.
Le C. Chaptal en a fait l'essai pour le blanchissage
du linge . On a fait des expériences sur quelques
centaines de paires de draps pris à l'Hôtel - Dieu ,
et choisis parmi les plus sales . Ils ont été parfaitement
lavés en deux jours , avec sept dixièmes seulement
de la dépense ordinaire. Il y a d'ailleurs cet avantage
que les linges n'étant pas soumis au battage ni aux autres
opérations des blanchisseuses , ils sont beaucoup moins
usés , et que la chaleur à laquelle on les expose n'y laisse
aucun principe contagieux.
La gloire des armées françaises sur le continent ne
peut plus s'accroître. La renommée va s'occuper dorénavant
des succès de nos armées navales.
Le contre-amiral Linois , avec trois vaisseaux , le,
Formidable , et l'Indomptable , de 80 canons , capitaines
Loindet , Calonde et Moncousu ; le Desaix , de 74 ,
capitaine Passière , et la frégate la Mesiron , de 18 ca
nons , capitaine Martining , après avoir donné la chasse
aux vaisseaux ennemis qui croisaient sur les côtes de
Provence , s'est présenté devant Gibraltar , au moment
où une escadre anglaise de six vaisseaux de guerre y arrivait.
Le 15 messidor , le contre - amiral Linois était
mouillé dans la baie d'Algésiras. S'attendant à être
attaqué le lendemain matin , il a débarqué, dans la nuit ,
1
"
240 MERCURE DE FRANCE ,
le général de brigade Devaux , avec une partie des
troupes , pour armer les batteries de la rade. Le 16 , à 8
heures du matin , la canonnade a commencé contre les
six vaisseaux anglais qui n'ont pas tardé à venir s'embosser
à portée de fusil des vaisseaux français . Le
combat s'est chaudement engagé. Les deux escadres
paraissaient également animées de la résolution de
vaincre. Si l'escadre française avait quelque avantage
par sa position , l'escadre anglaise était d'une force
double , et avait plusieurs vaisseaux de 90. Déja le
vaisseau anglais l'Annibal , de 74 , était parvenu à se ,
placer entre l'escadre française et la terre . Il était onze
heures et demie . C'était le moment décisif. Depuis deux
heures , le Formidable , que montait le contre -amiral
Linois , tenaît tête à trois vaisseaux anglais . Un des vaisseaux
de l'escadre anglaise , qui était embossé vis - à - vis
de l'un des vaisseaux français , amena son pavillon à
onze heures trois quarts. Un moment après , l'Annibal ,
exposé au feu des batteries des trois vaisseaux français
qui tiraient des deux bords , amena aussi le sien . A
midi et demi , l'escadre anglaise coupa ses cables et
gagna le large. Le vaisseau l'Annibal a été amariné par
le Formidable. Sur 600 hommes d'équipage , 300 ont
été tués.
Le premier vaisseau qui avait amené son pavillon a
été dégagé par une grande quantité de chaloupes canonnières
et autres embarcations envoyées de Gibraltar.
(Journal officiel. )
VYOHL
Errata du numéro XXVI . — Page 85 , après ce vers :
Soumis , il me jurait une éternelle ardeur :
mettez :
A ses voeux , je devins sensible.
i.
SEINE
( N.° XXVIII. ) 16 Thermidor An 9.
MERCURE
DE FRANCE.
LITTERATURE.
FRAGMENT
D'UN POÈME INÉDIT SUR LES SCIENCES.
5
Acent
DÉBUT DU CHANT DES MONTAGNES.
VUE générale du Globe.
MUSE! c'est trop longtemps t'égarer dans les cieux ;
Arrête , arrête enfin ton vol ambitieux :
Quitte les champs d'azur , redescends sur la terre .
Tu sais que ma pensée , errante et solitaire ,
Se plaît à s'égarer dans de nouveaux chemins ,
Où l'oeil ne vit jamais la trace des humains.
Ah ! si la source pure , inconnue aux poètes ,
Me r'ouvrait à ta voix ses richesses secrètes ,
J'y puiserais encor des charmes plus touchants !
Soyez à votre tour le sujet de mes chants ,
Terre ! dont le berceau se cache dans les âges ,
Vous , abymes des mers , qu'assiégent les orages ,
5 16
242 MERCURE DE FRANCE ,
Volcans , vous qui , sous l'onde , allumez vos foyers ,
Et vous , monts sourcilleux , vieux trône des glaciers ,
Puissé-je , en vous chantant , faire aimer la nature !
DE ce globe d'abord dessinons la structure ;
L'océan , des replis de son voile azuré
L'entoure , et se divise en golfes séparé .
De frimats éternels deux immenses coupoles
Le pressent vers le Nord et terminent les pôles.
Sous les eaux , dans les airs , je découvre en tous lieux ,
Ces monts , liens du globe , et colonnes des cieux.
Là , les Alpes au loin , de leur cime hardie ,
Forment une barrière à la France agrandie ;
Gênes rampe à leurs pieds que la mer vient laver ;
Là , le vieux Apennin vit , Rome s'élever.
Atlas regarde au loin les débris de Carthage .
, de Sésostris j'aperçois l'héritage ;
Ndox sept canaux , dont l'urne est dans le ciel ,
A doo, nes monts de Sennar aux tentes d'Ismael.
Divine le Liban , où de saints solitaires
Contentan voyageur nos antiques mystères ?
rus , où l'Euphrate a caché ses berceaux ,
DA andre je dis vit flotter les drapeaux ;
Afrique brulante à l'Asie éloignée ,
Deuvre de sou front Amphitrite étonnée ;
Des peuples de l'Iudus protége le séjour ,
Et presse de ses bras les mers où naît le jour .
Ce mont , d'où l'Amazone épand son urne immense ,
Des bords de Panama jusqu'au Chili s'avance ,
Et voit des mers du Sud les heureux habitants
User dans les plaisirs un éternel printemps.
Telle est du globe entier la vaste architecture ;
Mais pour ses grands desseins la puissante nature ,
Donne aux divers climats des végétaux divers ,
THERMIDOR AN IX. 243
De hauts sapins , qu'un jour doivent porter les mers ,
Environnent le póle , ombragé de leurs têtes ,
Et croissent sans péril au berceau des tempêtes .
Fier de ses longs rubans , le lointain bananier
Au cèdre de Syrie ose s'associer ;
Et de ses pommes d'or parfumant nos rivages ,
L'oranger plus hardi nous prête ses ombrages.
Je voudrais vous offrir les myrtes toujours verts
L'aloës qui chez nous vient braver les hivers ;
Mais craignez l'aquilon de leur tête fleurie ,
Un seul jour voit souvent la richesse flétrie.
La plante de Cérès ne veut pas tant de soin :
Forte de sa faiblesse , elle s'étend au loin ,
Et des rives du Gange aux ondes boréales ,
Prodigue des moissons les pompes végétales .
Des arbres , fils du Nord , partis de ces climats ,
S'avancent , protégés par d'utiles frimats ,
Et du Taurus au loin suivant la croupe immense ,
S'étendent jusqu'aux lieux où l'équateur commence.
Vous , pins majestueux , vous , cèdres parfumés ,
Vous ombragez ainsi ces sommets enflammés
Qui semblent soutenir le ciel de Cachemire.
Vous voyez sous vos pieds s'étendre cet empire ,
Et les plaines d'Aden , et les champs de Lahor ,
Où le roseau distille un liquide trésor ,
Qui bientôt traversant les campages humides ,
Va nous offrir ses sucs durcis en pyramides .
L'arbuste d'Yémen croît pour flatter nos sens ;
Le soleil pour les dieux y distille l'encens,
Nature ! ta beauté n'est jamais monotone :
Chaque sol a sa Flore ainsi que sa Pomone.
Que dis -je ? est-il un roc , une grotte , un marais
Qui ne cache une fleur dans ses abris secrets ?
Les écueils de Thétis eux - mêmes sont fertiles.
Le globe , cependant , de ces scènes mobiles
244 MERCURE DE FRANCE ,
Varie , à chaque instant , le superbe tableau .
Buffon pour les tracer prête - moi ton pinceau !
Le soleil fait monter , du sein des mers profondes ,
Ces fleuves , dont le cours arrose les deux mondes .
Pour calmer de l'été les ardentes fureurs ,
De l'immense Océan il pompe les vapeurs ,
Et bientôt dans les airs il les change en nuages.
Voyez comme les vents , précurseurs des orages ,
Les suspendent en voile , en prisme , en voûte d'or
Et les splendeurs du ciel s'en accroissent encor,
Tantôt leur riche amas lentement se déploie
Comme un grand pavillon ou de pourpre ou de soie ;
Tantôt ils sont pareils aux dragons fabuleux ,
Et leur gueule enflammée au loin vomit des feux.
Le Caucase reçoit , sur sa cime glacée ,
Leur richesse , en frimats , en torrents dispersée ;
La terre , tous les ans , dans son sein altéré ,
Recueille de leurs eaux le tribut desiré .
Vents ! vous rendez ainsi les tempêtes fécondes ,
Et puisez dans leur sein l'abondance des mondes , etc.
CHENEDOLLÉ.
LA PATRIE ABSENTE.
ROMANCE imitée D' AT A LA.
HEUREU
EUREUX qui n'a point vu l'étranger dans ses fêtes ;
Qui , ne connaissant point les secours dédaigneux ,
Atoujours respiré , même au sein des tempêtes ,
L'air que respiraient ses aïeux !
La non -pareille des Florides ,
Satisfaite de ses forêts ,
Ne quitte point ses eaux limpides
Ses plantes , ses ombrages frais ,
THERMIDOR AN IX 245
Sur sa retraite toujours belle
Le ciel brille toujours serein .
En d'autres climats aurait-elle
Un nid parfumé de jasmin?
Heureux , etc.
ERRANT sur la plage inconnue
Le voyageur faible , attristé ,
Au toit qui vient frapper sa vue ,
Demande l'hospitalité.
En vain au maître il rend les armes
Ce toit pour lui n'est point ouvert ;
l'oeil tout en larmes
Le voyageur ,
Prend son are et fuit au désert.
Heureux , etc.
TERRE natale , quelle ivresse
Ton souvenir verse en mon coeur !...
Dans l'asile de ma jeunesse ,
Pourquoi cherchai-je le bonheur ?
Quel charme invite tous les êtres
A s'attacher à leur pays ?
On y vit près de ses ancêtres ,
On y meurt près de ses amis.
Heureux , etc.
ENIGM E.
Femelle , au moindre bruit , je suis sur le qui vive ,
Je me cache partout , car je suis très -craintive ;
Mâle quand je parais , je répands la gaîté ;
Je fais plus , j'embellis les traits dé la beauté.
246 MERCURE DE FRANCE ;
LOGO GRIPHE.
Trois pieds composent ma structure ;
Je suis aride , chauve et dur de ma nature ;
Mais si l'on me prend au rebours ,
Je puis faire un vacarme à rendre les gens
AUTRE .
Je suis le charme des amans ;
sourds.
Ils apprennent de moi les histoires plaintives
Et les amours du bon vieux temps.
Vieille , j'ai quelquefois des graces plus naïves ,
Et comme au premier jour , on m'aime après cent ans.
Les Français , qu'on dit inconstants ,
"
Me pardonnent enfin de n'être pas nouvelle
Si je suis tendre et simple , et surtout naturelle.
Cherche dans mes sept pieds déplacés à ton choix ,
D'un apôtre fameux le disciple fidelle ,
Un livre dont l'Asie aime à suivre les lois ,
Un stupide animal , une essence immortelle ,
Cette antique cité qui régna sur les rois ,
Un instrument guerrier craint des hôtes des bois ,
L'empire où se plait Amphitrite ,
Enfin ce qui finit trop vite
Et renait apres douze mois.
Mots de l'Enigme et du Logogriphe insérés
dans le dernier Numéro .
Le mot de l'énigme est clef.
Le mot du logogriphe est drame , où l'on trouve
Tame , ame et me.
THERMIDOR
AN IX. 247
LYCEE ou Cours de littérature ancienne et
moderne ; par J. F. LAHARPE . Chez H. Agasse,
imprimeur-libraire , rue des Poitevins , n.º 18.
Tomes 11 et 12 .
Indocti discant , et ament meminisse periti .
L'AUTEUR du Cours de littérature poursuit
toujours son grand ouvrage , sans compter le
nombre de ses ennemis , et sans craindre les injures
périodiques dont leur haine a constamment
payé ses talents et ses travaux . Sa vie orageuse
n'a été qu'un long combat en faveur du bon goût ;
et dans une lutte de quarante ans , il n'a jamais
quitté le poste où se rassemblaient le plus d'adversaires.
Seul il les défie tous et naguère encore
dans sa Correspondance * , il a provoqué leurs ressentiments
avec la plus audacieuse franchise . Peu
d'ouvrages , comme on l'avait prévu , devaient
avoir autant de lecteurs et faire plus de mécontents.
On lit , on cite partout des morceaux de cette
Correspondance , et partout on s'est déchaîné
contre elle ; en un mot , par une contradiction
singulière , on adopte presque tous les arrêts du
critique dont on blâme l'extrême rigueur . C'est
à la forme plus qu'au fond de ses jugements que
la censure s'est attachée. Il est certain qu'en publiant
ces lettres , l'auteur a montré plus de cou-
* La correspondance avec le grand duc de Russie. Voyez❤
en l'extrait dans le N.º XXII du Mercure .
248 MERCURE DE FRANCE ,
-
rage que de prudence , et plus d'intérêt pour les
arts que pour son repos. Qui mieux que lui doit
savoir, combien sont implacables les vengeances
de la vanité blessée ?
*
Le succès des nouveaux volumes de son Cours
de littérature , sera plus sûr et moins disputé .
C'est qu'ici les auteurs jugés n'existent plus ; à la
vérité , la faveur et la haine dont ils étaient l'objet
pendant leur vie , ne se sont pas toujours éteintes
avec eux , et les vivants peuvent encore être
blessés par la satire ou par l'éloge des morts.
Mais l'orgueil , en tout genre , est moins révolté
des leçons qu'il trouve sur les tombeaux.
Le tome onzième de ' ce Cours est divisé en
deux parties. La première comprend tous les tragiques
d'un ordre inférieur qui ont vécu dans le
18.me siécle , depuis Crébillon jusqu'à Dubelloy ;
la seconde , tous les comiques , depuis Destouches
jusqu'à Beaumarchais . Le douzième tome est
consacré au grand opéra , aux variations qu'il a
subies dans son système musical et dramatique
aux divers poètes qui , dans ce siècle , ont suivi
Quinault , sans l'égaler ; à l'opéra comique , et
même au théâtre du Vaudeville et de la Foire ,
dont l'examen fait connaître quelques nuances
curieuses des moeurs nationales.
Une triste observation s'offre en commençant .
C'est la prodigieuse supériorité du siècle de Louis
XIV sur celui qui vient de finir . L'auteur ne devait
pas la dissimuler , et c'est par cet aveu qu'il commence
le douzième tome . On va rapporter ses
paroles :
"
En résumant tout ce qui a été dit jusqu'ici de la
poésie dramatique dans ce siécle , nous voyons que la
THERMIDOR AN IX. 249
K
"
"
"
་་
τι
вс
"
"
"
tragédie seule peut soutenir la comparaison avec le
siécle dernier , grace à Voltaire qui a du moins balancé
, par l'effet théatral , la supériorité que Ra-
« cine s'est acquise par la perfection des plans et du
style ; que dans la comédie , nous étions restés dé-
« cidément inférieurs , puisque nos trois meilleures
pièces , partagées entre trois différents auteurs , n'atteignaient
pas la profondeur et l'originalité des chefs-
« d'oeuvres du seul Molière , et n'égalaient pas même
leur nombre ; et qu'aucun de ces trois écrivains ne
pouvait être généralement comparé , pour la force du
génie comique , à l'auteur du Joueur , du Légataire , et
« des Menechmes. Nous descendons encore davantage
dans l'Opéra , genre sans contredit moins difficile , et
dans lequel pourtant rien ne s'est approché , même de
loin , des nombreux avantages de l'heureux génie qui
« l'a créé , et qui seul y a jusqu'ici excellé. Quinault
" y reste toujours hors de comparaison comme Molière ,
" comme La Fontaine , comme Boileau , comme Rousseau
, chacun dans le sien . Ce résultat qu'on ne sau-
« rait contester , et que nous trouverons le même , dans
« le plus haut genre d'éloquence parmi nous , celui de
« la chaire , et dans presque toutes les parties les plus
- brillantes de la littérature , ne répond pas tout - à- fait
« aux magnifiques prétentions d'un siécle si prodigieuse-
« ment vain ; mais n'en sera pas moins avoué par l'equi-
« table postérité . Cette disposition me semble assez
bien expliquée par un mot fort remarquable d'un
« homme qui eut plus d'esprit que de talent dans les
productions de sa jeunesse ; mais dont la maturité
sage et réservée a bien racheté depuis la légèreté de
" ses premières années. Le cardinal de Bernis , qui , en
1767 , écrivait à Voltaire : Il est plaisant que l'or-
" gueil s'élève , à mesure que le siécle baisse. » La raison
peut en effet trouver ce contraste plaisant ; mais allo
« le trouve aussi très -naturel ,
"
"
"
"
་་
250 MERCURE DE FRANCE ,
Au reste , Voltaire a souvent avoué cette décadence
au milieu de la secte dont il était le
chef, et qui vantait les progrès de l'esprit humain.
Il adressait des vérités bien dures à ceux qui le nommaient
leur maître . Voyez comme il traite leurs
écrits et leurs systèmes dans quelques ouvrages de
sa vieillesse . Il finit quelque part la comparaison
des deux siècles par cet apologue si humiliant pour
le nôtre :
Jadis , dans sa volière , un riche curieux
Rassembla des oiseaux le peuple harmonieux :
Le chantre de la nuit , le serin , la fauvette ,
De leurs sons enchanteurs égayaient sa retraite ;
Il eut soin d'écarter les lézards et les rats ;
Ils n'osaient approcher. Ce temps ne dura pas :
Un nouveau maître vint ; ses gens se négligèrent ,
La volière tomba , les rats s'en emparèrent ;
Ils dirent aux lézards : illustres compagnons ,
Les oiseaux ne sont plus , et c'est nous qui régnons .
1
Les rats se sont bien multipliés depuis Voltaire ,
et malheur aux oiseaux qui reparaissent par intervalle.
On les chasse de toutes parts. Les curieux
et les volières leur manquent également.
Si , à l'exemple de Voltaire , Laharpe s'élève
contre les prétentions d'un siècle trop orgueilleux
, il s'empresse aussi d'avouer tout ce que
ce même siècle a produit de mémorable . S'il
rabaisse des noms trop vantés , il relève aussi
des noms trop peu connus . S'il fait justice des
succès usurpés , il arrache à la haine et à l'envie
quelques - unes de leurs victimes . C'est ainsi
qu'il se plaît à venger des plus odieuses imputations
la mémoire de Beaumarchais . Cet article
est un des plus étendus et des mieux travaillés.
L
THERMIDOR AN IX. 251
Il excite un grand intérêt . Rien n'était plus propre
à la variété des idées et des tons que la peinture
de cet homme à qui Montagne eût trouvé des
traits si ondoyants et si divers.
Beaumarchais eut deux esprits et deux renom
mées tout-à-fait contraires . Au dehors , on le crut
un monstre , et dans son intérieur il eut toutes les
qualités sociales . Haï de ceux qui ne le connaissaient
pas, il était aimé des personnes qui vivaient
auprès de lui . Homme de lettres et homme d'affaires
à la fois , également connu à la bourse et
au théâtre , il dirigeait une spéculation de commerce
non moins bien que l'intrigue d'une comédie.
Il naquit obscur , et vécut dans la société
des filles des rois. Mais le temps de sa faveur à
la cour ne fut pas celui de sa fortune . C'est au
fond d'une prison que commencèrent pour lui les
jours de la gloire et de l'opulence .
Ce procès fameux qui fit briller d'un si grand
éclat l'éloquence et le caractère de Beaumarchais ,
fut dans l'histoire de notre siécle une époque trèsremarquable.
L'opinion ne parut jamais si puissante.
Elle défendit seule un homme dans les
fers contre toutes les autorités prêtes à le frapper.
Cet homme fut en vain condamné par les lois.
L'opinion le fit absoudre par la France entière.
Cet événement a préparé , peut- être , ceux dont
nous sommes les témoins . Il décida du moins la
destruction des nouveaux parlements qu'un despotisme
habile aurait dû soutenir , puisqu'il était sûr
de leur obéissance . Les anciens magistrats furent
rappelés. Ce retour augmenta leur orgueil ; et , par
des plaintes répétées , ils excitèrent autour du trône
les premiers orages qui l'ont ébranlé . Dès que les
252 MERCURE DE FRANCE,
tribunaux créés par le chancelier Maupeou ,
eurent disparu , de plus grands changements devinrent
possibles. Les esprits audacieux durent
trouver de jour en jour moins de peine à bouleverser
un gouvernement où le monarque était si
prompt à fléchir sous la volonté des sujets.
Quoi qu'il en soit , Laharpe distingue avec le
coup-d'oeil d'un esprit supérieur toutes les causes
de la fortune de Beaumarchais.
"
"
Cette existence , sans doute , fort extraordinaire , dità
il , a tenu chez lui à une réunion de qualités qui ne
l'était pas moins , et surtout à ce que son caractère
et son esprit se rencontrèrent , jusqu'à la révolution ,
- dans l'accord le plus parfait avec le temps où il a vécu
et les circonstances où il s'est trouvé ; car c'est là ce
qui fait en tout genre les grands succès , qui ne sont
point pour cela de hasard , quand ils ne seraient
« que du moment , puisqu'ils supposent toujours dans
« l'homme le mérite d'avoir bien jugé les rapports des
choses avec ses moyens , et d'avoir vu d'un coupd'oeil
juste ce qu'il pouvait faire des autres et de lui .
« Ce mérite a manqué souvent à des hommes d'ailleurs
• fort au dessus du vulgaire. Ce n'est pas non plus
comme on peut bien l'imaginer , celui qui classe un
écrivain dans l'opinion . Sa place est d'ordinaire , et
en fort peu de temps , celle de ses écrits , même de son
« vivant , dans un siécle où le goût est formé. Mais je
parle de ce qu'on appelle la fortune d'un homme , et
.. de ce qui, réellement, est toujours son ouvrage ; et dans
■ Beaumarchais , l'homme m'a toujours paru supérieur
à l'écrivain , et digne d'une attention particulière. »
&
re
ex
L'auteur repousse ensuite , avec une indignation
THERMIDOR AN IX. 253
qui l'honore , les infames calomnies qui poursui
virent Beaumarchais. On n'ignore pas que des
gens humiliés par son esprit , l'accusèrent , pour
se venger , de l'empoisonnement de ses deux
femmes.
"
Il y a de quoi frémir , s'écrie fort à propos Laharpe
, si l'on fait réflexion que c'est pourtant à ce
qu'on appelle tout uniment de la médisance ( c'est-
« à- dire , ce qu'on regarde à peine comme une faute ) ;
« et qu'il n'y avait pas même le plus léger prétexte à une
si horrible diffamation . Il avait en effet épousé en peu
« d'années deux veuves qui avaient de la fortune , ce
qui est assurément très - permis à un jeune homme qui
" n'en a pas.
"
"
Il n'eût rien de l'une , quoiqu'elle lui eût donné beaucoup
, parce que la première chose qu'il oublia fut de
faire insinuer le contrat , et cet oubli seul , incompatible
avec un crime qu'il rendait inutile , suffit pour
en repousser tout soupçon . I hérita de l'autre , qui
« était très-aimable , qu'il adorait et qui lai laissait un
fils qu'il perdit peu de temps après. Je ne sais pour-
• quoi on n'a jamais dit qu'il avait aussi empoisonné ce
fils ; car il fallait encore ce crime pour avoir toute la
succession . La calomnie ne pense pas toujours à tout.
Il est évident que quand même il n'eût pas aimé sa
femme , il suffisait qu'il en eût un fils pour être intě-
• ressé à ce que la mère vécût longtemps ; et ce qui
était encore plus décisif et rendait le crime plus absurde
, c'est que la fortune de cette femme était en
grande partie viagère , et que son mari , qu'elle aimait
beaucoup , avait tout à gagner à ce qu'elle vécút . Elle
« l'avait mis dans une aisance qui tenait à elle seule , et
tous ses dons étaient ceux de sa tendresse pour un mari
qui la payait de retour en la rendant heureuse . Ce sont
"
#
"
254 MERCURE DE FRANCE ,
• des faits publics et dont je suis sûr ; mais la haine n'y
« regarde pas de si près ; elle sait que les autres n'y
regardent pas davantage . Où en sommes-nous , bon
Dieu ! si l'on ne peut pas avoir le malheur d'hériter
« de sa femme et de son fils , sans avoir empoisonné au
« moins l'un des deux , dès qu'on a aussi le malheur
« d'avoir des envieux et des ennemis ? Cette imposture
méprisable fut pourtant accréditée ,
K
"
"
"
"
06
"
"
"
surtout par
le
moyen , si malheureusement facile et familier de ces
« répertoires de mensonges , autorisés en quelques pays ,
« et répandus dans tous les autres ; magasins de mal ,
« ouverts à tout le monde , et où le plus obscur et le plus
vil calomniateur peut faire imprimer un crime pour
« un écu , peut - être même pour rien , et pour l'amuse-
« ment des lecteurs . J'ai regardé comme un devoir ,
dans un ouvrage consacré à la vérité et à la justice ,
de rejeter dans leur néant ces inventions de la méchanceté
humaine , trop fréquentes et trop impu-
" nies . Je me rappelle bien de n'y avoir jamais cru ;
mais quand je vis l'homme au bout de quelques années
, je disais comme Voltaire , quand il lut ses mé-
" moires : Ce Beaumarchais n'est point un empoisonneur ,
« il est trop drôle ; et j'ajoutais ce que Voltaire ne pouvait
savoir comme moi : Il est trop bon , il est trop
sensible , trop ouvert , trop bienfaisant pour faire une
" action méchante , quoiqu'il sache fort bien écrire
« des malices très - gaies contre ceux qui lui en font de
très -noires. »
"
"
"
"
Le succès des mémoires contre Goësman n'est
point oublié. Paris , les provinces , l'Europe en
retentirent . Jamais le courage et le talent réunis
n'obtinrent un plus grand triomphe. Le mérite de
ces mémoires , où tant de genres d'éloquence font
pardonner quelques défauts de goût , n'avait point
THERMIDOR AN IX. 255
encore été si bien senti , et ne pouvait être plus
heureusement retracé que dans ce passage du Cours
de litterature.
Q
"
"
"(
20
"
"
"
Ces écrits sont d'un genre et d'un ton qui ne pouvaient
avoir de modèle ; car il n'y en avait pas d'exemple.
S'il était quelquefois arrivé qu'un particulier
écrivit lui-même ses défenses , ce qui était rare , à
peine pouvait - on s'en apercevoir , parce qu'elles
étaient toujours dans le moule universel des écrits judiciaires
, sans quoi l'avocat, qui les remaniait toujours
plus ou moins , ne les aurait pas signées . Ici , rien de
semblable : Beaumarchais sentit que , quoiqu'il en
pût résulter , c'était avant tout pour les lecteurs qu'il·
devait écrire et plaider ; qu'il était à peu près impos
sible qu'il gagnât sa cause au parlement Maupeou ,
<< contre le conseiller Goësman ,
mais que les choses en
« étaient au point que rien ne serait perdu , s'il gagnait
devant le public ......... Et quelle jouissance pour
« lui , lorsqu'en lisant Beaumarchais , il ne vit plus dans
" tous ces différents mémoires qui se succédaient rapidement
, qu'un homme qui se chargeait de le venger
d'une magistrature bâtarde , et celle - ci qui , de son
côté, se chargeait de faire regretter la légitime , malgré
tous ses torts . Qu'il eut raison ! c'était l'affaire
d'un quart d'heure , les faits ne parlaient pas , ils criaient .
Mais cette forme si neuve , aussi saillante qu'inusitée ,
«< ces singuliers écrits qui étaient tout à la fois une plaisanterie
, une satire , un drame , une comédie une
galerie de tableaux , enfin une espèce d'arène ouverte
pour la première fois , où il semblait que Beaumarchais
s'amusát à mener en lesse tant de personnages
comme des animaux de combat , pour divertir les
spectateurs ; mais tous ces personnages si richement et
si diversement ridicules ou vils , qu'on les croirait.
"C
"
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«
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"
"
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"
'
256 MERCURE DE FRANCE ,
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«
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"
choisis tout exprès , et que lui - même en effet rend
« graces au ciel de les lui avoir donnés pour adversaires ;
mais cette continuelle variété de scènes qu'on voit
« bien qu'il n'a pu inventer , et qui n'en sont que plus
plaisantes à force de vérité , de cette vérité qu'on ne
peut saisir et crayonner qu'avec le trait le plus fin et
l'imagination la plus gaie ! …………. L'on peut concevoir
l'alégresse universelle d'un public mécontent qui n'avait
d'autres armes que celles du ridicule , et qui les
voyait toutes au -delà même de ce qu'il en pouvait
" attendre dans une main légère et intrépide , qui frappait
sans cesse , en variant toujours ses coups . De là ,
" sans doute , l'admiration pour un talent inopiné que
l'envie n'atteignait pas encore , dans un moment où
le danger de l'innocence et la pitié pour l'infortune prédominaient
sur toute autre impression . De là en même
temps la joie de voir découler , de ces pages divertissantes
, des flots de mépris sur ce qu'on était char-
" mé de pouvoir avilir , en attendant qu'on pût le ren-
"
"
"
"
"
"
་་
« verser. »
La surprise qu'excita si justement l'audace éloquente
de ces mémoires , peut redoubler aujourd'hui
, quand on songe au temps qui les vit naître
et à celui qui leur succéda . C'était à l'époque où
Beaumarchais , dans ses factums , diffamait impunément
tous les tribunaux de France ; c'était
alors qu'Helvétius se plaignait de la tyrannie exercée
sur les écrivains ; et qu'il imprimait , à la tête
de son livre Sur l'homme * , ces propres paroles :
Ma patrie a enfin reçu le joug du despotisme.
Si quelqu'un avait pu révéler l'avenir à l'auteur
* Voyez la préface du livre intitulé : De l'Homme , de
ses facultés intellectuelles , etc.
THERMIDOR AN IX.
257
SEAN
de l'Esprit ,, et lui dire : « Le jour n'est pas loin
où le despotisme que vous trouvez si pesant , sera
détruit ; on ne confiera plus votre doctrine à
reille , on la publiera sur les toits ; les cathéc
à l'usage de la jeunesse seront pleins de tous
principes ; on honorera tellement votre me
que la rue de Paris où vous habitiez recevi vou
nom. Eh bien ! si , dans ce temps - là , un Fas
opprimé veut invoquer l'opinion , comme
marchais , votre contemporain ; que dis-je ? si quelque
citoyen ose concevoir seulement une pensée
courageuse , il faudra qu'il la renferme au fond de
son coeur , sous peine de mort , et peut -être , malgré
son silence , il périra sur l'échafaud ou dans les
déserts de Sinnamary. » Je crois qu'après une telle
prédiction , Helvétius eût supporté avec moins
d'impatience ce gouvernement despotique , sous
lequel il était permis de vivre en paix , dans de
beaux jardins , avec une grande fortune et de jolies
femmes qui se moquaient , auprès du philosophe ,
de tous les objets de la vénération publique .
Beaumarchais , en travaillant pour le théâtre ,
méconnut longtemps le genre qui était le sien . Il
fit des drames , et , comme Diderot , son maître , il
prodigua la morale , l'emphase et l'ennui . Il retrouva
son véritable esprit dans le Barbier de Séville
et dans la Folle Journée . Cet esprit était
propre au jeu des intrigues compliquées , dans le
drame comme dans les affaires. Si le fonds du
Barbier n'est pas neuf , plusieurs scènes de cette
comédie sont animées d'une gaieté vraiment originale
, qui ne se fait pas moins remarquer dans
les premiers actes de la Folle Journée. On regrette,
dans l'une et dans l'autre pièce , et surtout dans la
dernière , que les plus mauvaises plaisanteries se
5 17
258 MERCURE DE FRANCE ,
mêlent à des traits heureux . Trop de fois , l'expression
réunit ce qu'il y a de plus enflé dans les sentences
philosophiques et de plus trivial dans le
langage des bouffons .L'étude et le goût manquaient
absolument à Beaumarchais ; mais il amuse les
spectateurs par le mouvement de la scène ; il sème
son dialogue de saillies très - divertissantes , et c'est
assez pour le succès d'une comédie d'intrigue.
D'ailleurs , celui de la Folle Journée tenait beaucoup
aux allusions satiriques dont cette pièce est
remplie . Jamais la licence ne fut poussée plus loin.
Aristophane , vivant au milieu d'une démocratie ,
était contraint de cacher , sous la forme aliégorique
, les vérités qu'il adressait à la multitude.
Ici , dans une monarchie , on critique sans voile
tous les usages du gouvernement ; on verse le ridicule
sur la cour , sur les ministres , sur les tribunaux
; et , chose surprenante , les chefs même du
gouvernement étaient flétris de leur propre aveu .
Ils venaient applaudir les premiers aux bons mots
de celui qui les diffamait . On observe fort bien , dans
Je Cours de littérature , que le fameux monologue
de Figaro semblait être le manifeste de la révolution
. A la vérité , Beaumarchais la prépara sans le savoir;
il n'en partagea point les excès , et n'échappa
même qu'avec peine aux tyrans qu'elle avait élevés.
Il n'en fut pas ainsi de Fabre d'Eglantine . Celui-
ci périt , avec quelques-uns de ses complices ,
dans l'incendie révolutionnaire qu'il avait allumé.
Si Laharpe venge la réputation de Beaumarchais.
trop calomnié , il venge aussi le bon goût de la
réputation si follement exagérée qu'on a voulu
faire aux essais informes de Fabre d'Eglantine . Cet
* Dans le cinquième acte de la Folle Journée.
THERMIDOR AN IX. 259
auteur ne mérite , en effet , des éloges que pour une
conception heureuse de son Philinte. Dans tout le
reste , il conçoit aussi mal qu'il exécute , et son
style ridicule et barbare est tout-à-fait digne des
idées dont il fut l'apôtre et la victime .
Les trois meilleures comédies de ce siècle sont ,
au jugement du critique , la Métromanie , le Glorieux
et le Méchant . La Métromanie l'emporte
par la verve comique , et le Glorieux par la supériorité
du but moral. Le Méchant n'a pas , sans
doute , le même effet dramatique , mais il dédommage
le lecteur par cette foule de vers heureux
qu'une élégance si naturelle et qu'un tour si piquant
ont gravés dans la mémoire . 1
La tragédie , dans le 18. siécle , fut plus heureuse
que la comédie . Elle atteignit quelquefois la
hauteur où l'avait portée Corneille et Racine , et
c'est à Voltaire qu'elle dut cet avantage. En vain
la supériorité de ce grand tragique fut longtemps,
contestée ; elle est de jour en jour mieux reconnue,
et Crébillon qui lui fut opposé si longtemps , n'est
plus , après les trois grands maîtres , que le premier
des tragiques inférieurs. C'est ainsi que l'opinion
publique et son plus digne interprète fixent aujourd'hui
le rang de ces écrivains , trop longtemps
appréciés par la haine ou la flatterie . L'analyse
raisonnée des ouvrages de Crébillon met dans une
telle évidence les vrais principes de l'art , que certaines
hérésies littéraires n'oseront plus vraisemblablement
reparaître.On voit , dès le début , l'intervalle
immense qui doit séparer Crébillon de Corneille ,
de Racine et de Voltaire .
« Je vais parler d'un homme , dit Laharpe , dont le
nom fut , pendant bien des années , le mot de rallie
260 MERCURE DE FRANCE ,
"
« ment d'un parti nombreux qui , ne pouvant souffrir
« et encore moins avouer la prééminence de Voltaire
ne trouvait pas de meilleur moyen de s'en venger ,
" que de prodiguer des hommages affectés à un talent
« si inférieur au sien . Ce parti , protégé par le crédit ,
par les passions et les intérêts d'hommes puissants ou
irrités , eut longtemps une grande influence . Il dispo-
" sait de la voix des uns ou du silence des autres ; il en
« traînait ou intimidait . Il est aujourd'hui a peu près
" anéanti . Mais , après que le temps a ramené la justice ,
" il reste à la constater dans l'histoire littéraire ; et cette
• justice doit être d'autant plus complète , qu'elle a été
plus tardive et plus combattue. »
"
«
Ces observations , généralement avouées par les
esprits équitables , déplairont sans doute aux censeurs
qui refusent encore à Voltaire cette prééminence
tragique , et qui , seuls contre un siécle entier,
donnent , chaque jour, un démenti formel à toutes
les voix de la renommée. Mais ces censeurs sont
en petit nombre ; quelques - uns ont de l'esprit et
des connaissances , et l'on ne conçoit pas , de leur
part , ce mépris affecté pour les plus beaux ouvrages
de Voltaire. Cette opinion singulière n'est - elle
qu'un jeu propre à ranimer , tous les matins , la
Surprise des lecteurs ? Est-ce plutôt un reste d'attachement
aux vieux principes de l'école dont ils sont
sortis ? Est - ce enfin la crainte excusable de trop
louer des talents dont on a fait quelquefois un dangereux
usage ?
J'essaierai de leur répondre dans ces trois suppositions.
Il me semble d'abord que , dans les controverses
littéraires , comme dans toutes les autres , il faut
parler d'après sa conscience. Les sophismes ingé
THERMIDOR AN IX. 261
nieux ont la vogue de quelques instants ; la vérité
plaît toujours. C'est elle qui donnera un intérêt durable
à ces feuilles fugitives , dont l'intérêt trop
souvent finit dans un jour.
Si c'est pour rester fidelles aux leçons de leurs
anciens maîtres , que les censeurs modernes se
plaisent à déchirer Zaire et Mérope , ils poussent
trop loin la condescendance , et les temps ne sont
plus les mêmes . Lorsque Desfontaines et ses disciples
outrageaient Voltaire , il vivait encore ; c'était
en présence du Dieu , qu'ils consolaient l'envie
par leurs blasphèmes. Leur calcul était bon , car
ils flattaient sans cesse une passion sans cesse irritée
par l'éclat d'une gloire contemporaine. Mais
les satires contre un mort illustre intéressent peu
la malignité : ce n'est plus la peine d'être injuste .
t
Approuvera-t-on davantage ceux qui lui refusent
leurs éloges , par respect pour les principes qu'il
attaqua ? Mais ne peut - on louer le grand poète ,
sans approuver le philosophe irréligieux ? Quel
droit aurez-vous de blâmer ce qui est condamnable ,.
si vous ne rendez pas justice à ce qui est digne d'admiration
? N'épargnez pas les erreurs , mais respectez
les talents .
D'ailleurs , de quels ouvrages de Voltaire s'agitil
dans ce moment? de ses tragédies.Et qui ne sait pas
que le caractère dont elles sont empreintes est tout
opposé à celui des productions qu'on lui reproche ?
En effet , deux génies contraires , ceux du hien et
du mal , semblaient emporter tour- à -tour cet homme
singulier qui réunissait tous les contrastes. Il rele
yait sans cesse , par la puissance de son imagination,
ce qu'il avait abattu par ses raisonnements. Tandis
qu'il prodiguait contre le christianisme des injures
de tous les genres , il remplissait les vers de Zaïre
262 MERCURE DE FRANCE ,
de toutes les merveilles de la foi , de tout le charme
des lieux saints ; il peignait , dans Alzire , le triomphe
des vertus chrétiennes ; et , même dans les sujets
profanes , dans Oreste , dans Sémiramis , dans Mérope
, il reproduisait la majesté religieuse de la
tragédie grecque . Il aimait à montrer , comme elle,
les hommes entraînés invinciblement vers leur destinée
par cette main toute -puissante qui se dérobe
dans l'ombre et dans l'éternité. N'est-il pas étrange
que Voltaire n'ait jamais été plus grand que lors .
qu'il a contredit , dans les chef - d'oeuvres de son
théâtre , toutes les maximes de sa philosophie ?
L'instinct poétique servit mieux sa gloire que les
systèmes de sa raison . Un tel exemple , tiré des
ouvrages de Voltaire lui - même , ne serait - il pas
plus instructif et plus frappant que toutes les injures
qu'on lui adresse ?
J'ose dire plus , en s'élevant contre les excès de
Voltaire , il ne faut pas oublier les services qu'il
a rendus. Sa Henriade , ses belles tragédies et
quelques écrits en prose de son bon temps répandirent
en Europe des principes de modération qui
ont adouci plus d'un usage barbare . On ne peut
sans doute justifier son acharnement contre le culte
national . Rienn'était moins philosophique ; et , chez
les anciens , cette audace n'eût point obtenu d'indulgence
. Quand Cicéron était augure , il pouvait
bien rire en secret devant un autre augure ;
mais , sous son consulat , il aurait puni le citoyen
assez imprudent pour se moquer des poulets sacrés
, au milieu du peuple romain .
Voltaire a donc des torts graves ; mais ceux qui
l'accusent de la corruption générale , exagèrent
tout , ce me semble , et ne pensent point assez au
moment où ce grand poète s'éleva .
THERMIDOR AN IX. 263
Cette corruption était déja commencée . Les
vices marchaient à la suite du régent , et du fond
de sa course débordaient sur toute la France . Longtemps
la religion , ornée de toutes les pompes des
arts et de la victoire , avait habité la cour de Louisle
- Grand , et le chef de l'état se prosternait le premier
devant l'autel , que dix-sept siécles avaient
chargé de leurs voeux et de leurs offrandes ; mais
les malheurs du vieux monarque avaient affaibli
l'autorité de ses exemples ; et d'ailleurs le sanctuaire
perdait peu à peu toutes ses splendeurs.
On n'entendait plus la voix de Bossuet retentir
des hauteurs du ciel , jusque dans les profondeurs
du tombeau. L'austère Bourdaloue ne
prêtait plus la force de sa dialectique à la
morale de l'évangile . Fénélon ne faisait plus
aimer , par les charmes de son style , les dogmes
que faisaient craindre Bossuet et Bourdaloue . A
leur place , un misérable gazetier assis sur les
ruines augustes de Port-Royal , devait bientôt déshonorer
un parti qu'avaient illustré le génie de
Pascal , la science de Nicole , et l'exil du grand
Arnaud . Il semblait enfin que toutes les foudres
de la religion se fussent éteintes sur le cercueil
de ces grands hommes. A la vérité , Masillon était
encore l'honneur de la chaire ; mais il avait contre
lui sa condescendance pour le ministre des plaisirs
du régent* , et Dubois couvrait une tête déshonorée
de la mître que porta l'auteur du Télémaque .
Voltaire , entraîné par l'esprit du temps , respecta
trop peu ce qui était devenu moins respectable
aux yeux de la multitude ; mais du moins
il conserva le dogme sacré d'un Dieu rémunérateur
et vengeur ; il détesta l'athéisme jusqu'au
* C'est sur l'attestation de Masillon que Dubois était de
venu prêtre.
264 MERCURE DE FRANCE ,
dernier moment . Il ne pouvait souffrir ces systèmes
violents qui ébranlent toutes les bases de la
propriété et des empires * . On ne conçoit pas que les
docteurs révolutionnaires se soient appuyés de son
nom . Jamais aucun écrivain n'eut plus en horreur la
démocratie . Il aimait l'éclat des cours , le bruit
des théâtres , l'élégance des moeurs , tout cee qui
décore enfin la vie sociale . Il fut le plus constant
admirateur du règne illustre dont il avait vu les
dernières années. Il nous en a transmis la gloire
et les traditions. Et ne sait-on pas que sur son
lit de mort , entendant parler d'un livre contre
Louis XIV , il se réveilla un moment , dans l'intention
de venger toutes ces grandes ombres du
dernier siécle , auxquelles il était prêt à se rejoindre.
Résumons ces remarques trop longues que peut
seul faire excuser le nom du grand écrivain qui les a
fait naître. Ses beautés sont assez nombreuses pour
qu'on ne craigne point d'avouer ses défauts . Mais
qu'on ne croie pas éclipser les premières en ne
parlant jamais que des derniers.
me
Voltaire , placé en quelque sorte aux confins
du 17. et du 18.me siècle , semble s'élever entre
tous les deux comme un grand phare qui les
domine pour marquer les écueils et le port. Le
côté qui nous regarde n'a qu'une lumière trompeuse
, mais celui qu'éclairent encore les derniers
rayons du trône de Louis XIV , jette un éclat
immortel .
Ce double caractère est sans cesse marqué dans
les extraits du Cours de littérature . Comment
refuse-t- on d'adopter les jugements si bien motivés
* Voyez ses réponses à l'auteur du Système de la nature; ses
pièces intitulées les Cabales , les Systèmes , etc.
1
THERMIDOR AN IX. 265
qué le critique porte sur Zaïre , Mérope et Alzire,
quand on le voit , avec son impartialité'accoutumée,
rabaisser au dessous de Darchet , dans le genre
de l'opéra , ce même Voltaire qu'il vient de placer
à côté de Corneille et de Racine ? Si on veut
même lire un morceau d'un goût exquis , il faut
chercher le parallèle d'un des cheurs d'Esther
avec des paroles de Samson. C'est là que les jeunes
élèves peuvent étudier tous les secrets de la cadence
lyrique dont Voltaire n'eut aucune idée précise ,
et que l'oreille de Racine avait si bien approfondis.
Les détracteurs et les panégyristes outrés
de Voltaire , accusent tour- à - tour Laharpe d'avoir
trop vanté ou trop blâmé celui qu'ils outragent
ou qu'ils déifient. Cela prouve que Laharpe est
juste , et qu'il rend avec fidélité l'impression qu'il
reçoit des beautés et des défauts.
Partout se retrouve la même franchise . En examinant
les tragédies de Marmontel , qui sont aujourd'hui
presque ignorées , le critique en trouve
une digne d'être connue. Aussitôt il la recommande
à l'estime des lecteurs. Les talents qui ne
furent qu'aimables ne sont point oubliés. Favart
ici reprend sa couronne de fleurs , usurpée par Voisenon
, et les graces de la Chercheuse d'esprit ,
de Bastien et de Bastienne , reparaissent après
trente ans sous la main délicate et sûre qui
les développe sans les flétrir. Ainsi le goût , dans
cet ouvrage , choisit ce qui peut plaire , comme
la raison présente ce qui peut instruire .
Des lecteurs sages regrettent seulement que
l'auteur abandonne quelquefois les objets littéraires
pour des discussions d'un autre genre . Ils
disent que , dans ses institutions , Quintilien ne
suspend point ses préceptes pour retracer les hor266
MERCURE DE FRANCE ,
reurs du règne de Néron , et les crapuleuses orgies
de Vitellius dont il avait pourtant été le témoin .
Quintilien laissait peindre ce tableau à Tacite.
Que Laharpe , après avoir achevé , dans notre
langue , les Institutions de Porateur et du poète,
écrive aussi les annales de son temps : alors tout
aura sa place naturelle , et nous compterons un
beau monument de plus.
Au reste , quelques critiques n'ont pas jugé le
Cours de littérature avec le même esprit que
l'auteur de cet extrait et des deux autres qui ont
dėja paru dans les n.°s XIV et XVIII de ce journal
. Cela ne doit pas surprendre . Quelquefois la
hiérarchie littéraire est bouleversée comme la hiérarchie
politique , et les autorités légitimes y sont
méconnues et même outragées . Mais la vérité
demeure , et les principes reprennent tôt ou tard
l'empire qu'ils ont perdu . Les objets laissés en
arrière , dans les douze volumes de cet ouvrage ,
fourniront encore un seul et dernier extrait.
SIX Romances imitées d'Atala , par VINCENT
DARUTY. Musique et accompagnement de harpe
et de cor obligé , ou piano-forté , flûte ou violon
ad libitum , de Pierre Gaveaux , dédiées à
M.me BONAPARTE . OEuvre 2. des romances.
Prix , 7 fr. 50 cent . Paris , à la Nouveauté ,
chez les frères Gaveaux , passage Feydeau ,
1
n . 12 et 13.
е
On voit peu d'ouvrages , aujourd'hui remplir
aussi bien qu'Atala toutes les conditions d'un
succès. Car c'est par les injures comme par
les éloges , que le succès se prouve et s'établit.
THERMIDOR AN IX. 267
Depuis deux mois la plupart des journaux sont
attachés à ce roman ; on en morcelle , on en altère
chaque phrase , on le parodie sans esprit ,
on le plaisante sans gaieté . Enfin un écrivain
très - versé dans les matières d'économie politique
, a composé un petit livre pour prouver
qu'il ne fallait pas trouver du plaisir à la lecture
d'Atala ; tant d'efforts n'ont pas été perdus sans
doute. Tout le monde a voulu relire Atala ; et
sa réputations'en est augmentée . C'est qu'il ya dans
le coeur de l'homme des instincts plus sûrs que
tous les raisonnements , et des intérêts plus puissants
que tous les partis. Aujourd'hui la musique
et la poésie vont donner une nouvelle existence
à cette aimable production ; jamais assurément
il n'y eut plus de raison de pardonner à la cri- ·
tique. Si quelquefois elle est amère et fâcheuse ,
le C. Chateaubriand doit la remercier encore . Les
femmes sensibles chanteront Atala , et le nom de
l'héroïne et de l'auteur seront dans toutes les
bouches qui récompensent les succès * .
Pastores hederâ crescentem ornate poetam.
... invidia rumpantur ut ilia Codro ..
Le C. Daruty a montré , dans cet essai , un talent
qui promet encore davantage . Il est aisé , en général
, de rimer les paroles d'autrui . Il ne l'est pas
autant de conserver les intentions et les sentiments
qu'elles expriment.
Ce mérite sera remarqué dans les romances
d'Atala , et l'auteur a fait les plus heureux efforts
* La cinquième édition d'Atala paraît en ce moment.
Il s'en est fait aussi deux contrefaçous , dont l'une a déja
été saisie .
268 MERCURE DE FRANCE ,
pour effacer cette différence qui existe. nécessairement
entre une imitation en vers et une prose
originale.
On en jugera par la romance du Nouveau- né:
Près d'un cercueil paré de lys ,
Une jeune et sensible mère
Parlait en ces mots à son fils :
"
"
"
་
Mort en naissant à la lumière ,
Tu jouis d'un heureux sommeil ;
Mon fils , dans ton berceau d'argile ,
« Il n'est plus pour toi de réveil
Ma plainte , hélas ! est inutile . » "
Ta destinée à mon amour
Ne doit permettre aucun murmure :
A peine l'oiseau voit le jour
Qu'il lui faut chercher sa pâture .
De ses parents abandonné ,
Triste jouet des vents contraires ;
Dans le désert , l'infortuné
Trouve bien des graines amères.
Tu ne seras point déchiré
Des traits de l'humaine injustice ,
Tu n'auras jamais respiré
Le souffle empoisonné du vice.
Ainsi , sans s'être épanoui ,
Le bouton meurt dans le silence ;
Son parfum expire avec lui ,
(bis)
Comme avec toi ton innocence . ( bis ).
Heureux qui meurt dans le berceau !
Combien il est digne d'envie !
Il emporte dans le tombeau
La première fleur de la vie .
THERMIDOR AN IX. 269
1
Etranger aux plaintes , aux cris
Qu'arrache la douleur amère ,
Il n'a connu que le souris
Et les doux baisers d'une mère. (bis )
Une critique sévère relèverait ici plusieurs négligences
dans ce vers- ci , par exemple : le bouton
meurt dans le silence , ces mots , dans le
silence , sont impropres ; mais la pensée de l'auteur
est bien exprimée à la fin de la strophe. On conviendra
toujours que pour avoir imité , comme le
C. Daruty , il faut avoir senti soi - même.— Nous indiquerons
encore la romance de l'Hermite hospi
talier. La dernière strophe surtout reproduit heureusement
le tour mélancolique et l'expression
abandonnée de l'original .
Ainsi dit le vieillard : la tremblante Atala ,
Avec Chactas suivit le chef de la prière ;
De son ame chrétienne un soupir s'exhala ,
Un voeu presque trahi l'occupait toute entière ;
Ainsi , victime d'une erreur ,
S'égare un pauvre voyageur.
Mais nous regrettons de ne pouvoir offrir ces
romances que pour ainsi dire privées de la vie,
Il faudrait les entendre avec la musique ; elle est
du C. Gaveaux , aussi distingué par ses talents que
par ses qualités personnelles. Cet auteur de
plusieurs opéra estimés et de chants répétés par
toute la France , a rendu , dans un autre ordre de
poésie , cette pensée rêveuse , et ce charme de la
solitude , qui font le caractère d'Atala. Les amateurs
ont remarqué la musique de la 1. , 4. et
5. romance .
C
G.
270 MERCURE
DE FRANCE
,
LES SCANDINAVES ; poème traduit du
Sweo- Gothique , suivi d'observations sur les
moeurs et la religion de quelques peuples de
l'Europe barbare ; par JOSEPH CHERADEMONTBRON.
2 vol. in-8. ° A Paris , chez
Maradan , rue Pavée - Saint - André - des - Arcs ,
n.º 16. Prix , 8 fr. , et 10 fr. franc de port.
UnN homme, un seul homme , dans le siécle le plus
heureux de la littérature française , eut la gloire
d'un poète , sans porter le joug de la césure et de la
rime , et tandis qu'une foule de noms malheureux
s'ensevelissaient dans des poèmes en vers , et accréditaient
ce préjugé que les Français n'ont pas la tête épi→
que, il plaça le sien immédiatement au dessous d'Homère
et de Virgile . Qu'est- il besoin de nommer Fénélon ? Il a
été le seul . Il faudrait être un censeur trop chagrin
pour blâmer son exemple ; mais on peut s'affliger que
personne ne l'ait pu suivre . Le secret de sa prose
lui est resté , parce que ce secret était celui de son
génie. Nous avons vu Reyrac , dans l'Hymne au Soleil
, prodiguer l'ennui avec une rare magnificence.
Nous avons entendu Marmontel , dans les Incas ,
tigant notre areille d'une suite de phrases rhythmiques ,
dont chacune semblait un vers , et dont l'ensemble
n'était nullement de la poésie . Que dirais - je des Céramiques
de Saint - Symphorien , du Téléphé de Pehmejah
et de quelques autres encore qui ont enfanté des
poèmes en prose aussi facilement et avec moins de
succès que des romans. Ce Pehmejah fut vanté d'avance
pendant six mois , vendu en une semaine , abandonné
THERMIDOR ANŃ
IX. 271
au bout de trois , et laissa l'héroïsme et la poésie pour
se jeter dans la philosophie et la politique. Il fut un
des rapsodes dont l'abbé Raynal a cousu et s'est approprié
les lambeaux sous le titre , nom de poème ,
mais de Voyage philosophique. Pehmejah , dit- on , en
réclamait , sans bruit , plusieurs morceaux qui n'étaient
pas les moins ampoulés.
L'auteur des Scandinaves , jeune homme dont la
personne inspire un vif intérêt , qui fut malheureux ,
qui paraît très - savant , qui a l'imagination très-vive ,
et le ton fort modeste , l'auteur , dis-je , des Scandinaves
n'a point été vanté d'avance , et mérite d'être lu
davantage. Toutefois , il y a une grande difficulté à
se faire lire quand on choisit ce genre de composition ;
et en souhaitant à l'écrivain un plein succès , on ne
peut s'empêcher de s'écrier comme Virgile :
Jeune homme puisses- tu vaincre la destinée !
Le premier obstacle que le destin lui a suscité , est
de lui avoir fait choisir de tels héros . Les Scandinaves !
si c'est leur histoire , on s'attend presque , comme Voltaire
, à trouver celle des ours ; et quand on voit le
roi Olaüs , et Busis , et Adelston , et Forbas , et tout
ce qui marche à leur suite , tous ces guerriers dont les
mains sont toujours dans le sang , dont le sommeil
même paraît violent et féroce , tandis que leurs cuirasses
s'élèvent et retombent sur leur poitrine, on s'épouvante
, et l'on dit avec Boileau :
Qui de tant de héros va choisir Childebrand ?
L'auteur l'a senti , et pour sauver du blâme ses héros
un peu trop rudes , il recrimine , avec esprit et avec
grace , contre ceux d'Homère et des tragédies grecques ,
et montre que ceux-là aussi dégoûtent de sang et
1:72 MERCURE DE FRANCE ,
tiennent des discours très -farouches : il en donne des
preuves si positives , que quelqu'an , dans un journal ,
s'enest scandalisé , et a dit que le C. Montbron manque
cle respect aux anciens. Il ne leur en manque aucuneinent
; et , après l'avoir bien lu , j'affirme que surement
il connaît et sent vivement leur mérite . Il les admire
d'avoir su , dans leur belle poésie , conserver les vérités
d'une nature sauvage et même un peu barbare . Les
rois des petites cités grecques , du temps de l'Iliade ,
leurs guerriers , leurs combats , leur navigation , leurs
tarangues , leurs fêtes , ont en effet beaucoup de ressemblance
avec ce que Cook et ses successeurs ont vu
chez les insulaires des nouveaux archipels qu'ils ont
visités. La différence principale est dans les arts qui
étaient bien plus avancés chez les Grecs ( si leurs ouvrages
étaient déja tels que les décrit Homère) . Quelles
peintures n'offrent point à cet homme si heureux à
tout exprimer , l'artifice des laines , et la beauté des
teintures , et le poli des métaux , et le relief des sculptures
? C'est une source de poésie fermée à celui qui
chante les pauvres habitants du Nord . Un fruit creux
et desséché , arrondi en coupe pour recevoir l'hydromel
, une peau de rennes qui pare les épaules d'une
jeune fille , voilà les objets rares et les seuls arts gracieux
qui s'offrent à son pinceau. La mythologie met
bien une autre différence dans les moyens du poète.
Quelle est triste et stérile la mythologie des adorateurs
d'Odin ! Voyez les noms des divinités principales
et leurs fonctions ( p . 22 de l'avant- propos) ; dites
ce qu'on peut tirer de là pour un poème , et ne soyez
pas surpris que M. de Montbron , qui les nomme fort
à propos , et qui , dans ses notes en raisonne avec
érudition , convienne que de telles divinités ne lui ont
pu fournir aucun vrai merveilleux pour son poème .
Tous les savants en us , et en sfeld , et en torp , se
"
THERMIDOR AN IX. 273
cassent la tête pour apercevoir quelque figure un peu
distincte dans ce brouillard des fables septentrionales ,
tandis que les brillantes fictions d'Homère et de Virgile
saisissent les imaginations les plus vulgaires , et
semblent enchanter la nature.
DE
SET
Tels sont les obstacles contre lesquels a der
le jeune et courageux auteur ; et si , à ces obstacl
il eût fallu joindre les difficultés de la versification ------
c'était une entreprise presque au dessus de forcesh
maines. Il s'est tenu dans la modestie de la
par un raffinement de modestie plus grand , if
traducteur d'un vieux Scalde , et même de la traduction
latine d'un certain Ressenius . Car il lui à semblé
que c'était une trop haute prétention que celle d'avoir
traduit d'après le Sweo -Gothique ; personne n'en a été
la dupe , et il est déclaré auteur et poète à peu près
autant qu'on peut l'être en prose ( après Fénélon ) . Un
le loue d'avoir pu soutenir sa voix pendant quinze
chants ; il n'y en a aucun qui ne donne quelque
plaisir le premier est d'une beauté rare ; le treizième
contient un tableau plein de pitié et de terreur ; c'est
la mort d'Olaus , sacrifié par des prêt es aussi épouvantabies
que ceux que l'anglais Bryan , dans son
Antient mythology , a semés avec une hideuse p . fusion
sur tous les promontoires d'Egypte , d'Asie , de
Grèce , d'Italie , de Sicile , et qui égorgeaient tout ce
qui leur tombait sous la main . De là , suivant Bryan ,
vient la fable des Lestrygons et de bien d'autre .
Ceux du Nord figurent fort bien avec eux ; mais Olaüs
surpassa en magnanimité , en résignation , en clémence
tous les héros passés. Pour l'élever à ce degré
de sublimité , l'auteur feint qu'il meurt chrétien , et en
cela il montre sa pensée sur le christianisme ; puis ,
par oubli ou pour ramener la supposition que c'est
un Barde qui écrit , il canonise , d'une manière toute
5
18.
274 MERCURE DE FRANCE ,
payenne, ce même Olaus et ces chrétiens , ces mar
tyrs , les généreux compagnons de sa mort : il fait entrer
leurs ames , avec étonnement , dans le palais d'Oden .
Je me chargerais bien d'expliquer cette contradiction
par la position où l'auteur s'est mis en se disant traducteur
; mais je suis convaincu que lui - même ne
prétend pas l'excuser.
Il faut parler du sujet du poème .
La scène est établie dans les temps où le christia
nisme commence à pénétrer dans ces sauvages contrées .
La barbarie y règne encore. Buris , roi de Vandalie ,
se jette sur les états de Suénon ; il prend Lunden șă cápitale
: il veut son trône , et surtout il a soif de son sang.
Il se flatte un moment d'avoir réussi , et quand il croit
que Suenon est tombé sous le fer assassin , il va pour
jouir de son crime et contempler sa proie . Mais il a
étě trompé dans sa cruelie espérance , un sujet généreux
s'est dévoué pour Suénon , il s'est couvert des ori
nements royaux , il s'en est enveloppé en tombant , et
quand le vainqueur arrive , la victime se soulève et lui
dit : Suénon respire , et tu ne vois ici qu'un soldat heureux
de mourir pour son roi. Suenon en effet a fui vers
la Norwège , accompagné de sa fille Alpaïs . Buris né
peut l'y atteindre que par ses intrigues , mais Suénon
par ses vertus , les read inutiles , et par sa prudence il
évite ses embûches . La beauté d'Alpaïs allume un nouvel
incendie. Harald , roi de Norwege , s'est enflamme pour
elle ,et veut que sa main soit le prix de l'hospitalité et du
secours qu'il promet à Suénon . Elle le refuse , et demeure
fidelle au guerrier Adélus , brave sujet de son père .
Il faut fuir de nouveau. Dans cette faite , Adélus les
rejoint , et par sa valeur , jointe à celle du roi , mille
dangers sont surmontés. Ils ont atteint la Dalecarlie où
règne Olaüs , nouvellement conquis à la foi chrétienne ,
contre lequel l'enfer suscite à la fois une famine géné
3
THERMIDOR AN IX. 375
rale , la superstition furieuse des adorateurs d'Oden ,
et , par leur instigation , la révolte de tout le peuple.
Le néophite roi succombe ; il est immolé avec une
pompe horrible. Suénon cependant survit à ce malhear
avec Alpaïs. Il est même parvenu à calmer la fureur
du peuple , et à remettre sur le trône le fils même
d'Olaüs . On juge si le nouveau roi protégera la cause
de son vengeur. Mille guerriers Dalécarliens sont donnés
à Suénon , ils sont conduits par Adélus , et espèrent
punir Buris. Celui - ci était en guerre contre Harald qui
voulait lui enlever la Skone. Des combats terribles les
ont affaiblis tous deux , et chacun va succomber , s'ils ne
se rapprochent. L'intérêt de leurs conquêtes et celui de
leur vengeance les ont réunis tous deux contre Suénon . La
beauté d'Alpaïs qui fut une des causes du mal , en devient
le remède. Harald propose de nouveau son alfiance
, si Alpaïs lui accorde sa main. Suenon est loin
d'y consentir ; mais elle s'y dévoué , va elle -même trouver
Harald , accepte sa foi , engage la sienne , et dès que
les serments sont prononcés , elle venge Adélus , et sè
poignarde. Heureusement le coup n'est pas mortel , et
Harald est capable de générosité ; il se joint à Suénon .
Buris est attaqué , vaincu , frappé par Suenon luimême
, et
Parmi des flots de sang , vomit son ame impure..
Il reste à rendre Alpaïs heureuse , et à récompenser
Adéius. Harald remplira ce devoir. Il dégage la princesse
de ses serments forcés , et la rend au guerrier qui
a su toucher son coeur.
On voit bien que ce dénouement n'est pris ni dans les
mours norwégiennes de ces temps -là , ni dans les fictions
ordinaires des Bardes , mais dans des idées un peu
postérieures à ce siècle. Ils ne chantaient guère que la
valeur terrible , et ne connaissaient pas encore cès belles
276 MERCURE DE FRANCE ,
moeurs chevaleresques , toujours si brillantes à peindre ,
et que dans de douces rêveries , regrette l'amour et peutêtre
la vertu. C'est après les temps de Charlemagne et
celui du Saint-Graal , et de la table ronde , quand les
traits de courtoisie eurent éte aussi multipliés que les
beaux coups de lance , c'est alors , dis - je , qu'on put
chanter
1
La gran bontà de' cavalieri antichi.
Si les inventions de M. de Montbron tiennent aux
moeurs chevaleresques , son langage heureusement tient
encore plus des meilleurs temps modernes ; c'est dommage
qu'il ait voulu quelquefois l'ossianiser. Cette tentative
expose à des demi - hardiesses qui n'atteignent
point la fierté sauvage du Barde , et qui ne contentent
personne , pas même les adorateurs d'Ossian . , J'en ai
entendu quelques - uns remarquer de tels endroits dans
les Scandinaves , et ils les critiquaient comme ceux qui
veulent qu'on soit français par le style , en même temps
que de tous pays par les idées .
Le jeune écrivain a prouvé par cet essai de son talent
, qu'il pouvait être toujours noble , élégant et pur ,
et jamais bizarre ou force. Sa préface seule servirait de
titre contre lui , s'il fallait le condamner à revenir au
bon style. S'il s'en est écarté , ça eté ra ement , par système
peut - être , et en qualité de traducteur et de
Barde Sweo - Gothique. Nous protesions contre lui qu'il
est tres fiançais , et qu'il n'a pas besoin d'être extraordinaire
, pour peindre un pays qui l'est beaucoup , et
des hommes qui le sont davantage . C'est quand il faut
peindre de tel's hommes on de telles choses , que Virgile
redouble d'elégance en même temps que de force. L'ultima
Thule , le penitus toto divisos orbe Britannos , et
cent autres vers que je citerais de lui sur la diversité
des régions , sont très élégants. Lucain?, Stace, Silius
THERMIDOR AN IX. 277
et toute cette école subséquente qui crut pousser plus loin
l'énergie , a souvent rencontré l'excès ; par de continuels
tours de force , ils ont précipité la chute de la belle langue
romaine , et elle est tombée très -vite dans la barbarie.
Citons encore un passage de M. de Montbìon , il y en a
beaucoup de très bons , mais on se contentera de celuiei
, qu'encore j'abrége à regret. Il s'agit d'Adelstan
tiré d'un tas de mourants par une jeune bergère , et
confié aux soins de quelques villageois .
*
"
K
"
"
les
Déja les pasteurs attendris ont porté le héros sur
leur couche rustique. Pour guérir sa blessure , ils
ne recourent pas à des caracteres inconnus , à de mystérieuses
paroles , vains prestiges d'un art mensonger.
« Leurs pères furent instruits par la nature ou par
Dieux ; ils furent instruits par leurs pères . Ils répandent
sur la plaie des sucs bienfaisants qui cha- sent
la douleur. Bientôt les chairs semblent vermeilles
" comme le corail , quand les flots l'ont dégagé d'un
limon impur. Bientôt le doux sommeil fait couler
" dans les veines du guerrier un baume plus puissant
" encore . Assise sur le tronçon d'un chène , la fille des
pasteurs contemple en silence la beauté d'Adelstan
« et s'applaudit d'avoir dérobé à la mort une tête si
charmante. L'amour cependant , enfant de la douce
égalité , n'a point pénétré dans son coeur ; elle songe
« au rang du guerrier , regarde le simple habit qui le
« couvre et soupire. Ainsi la tourterelle au modeste'
plumage ne brûle point d'une flamme orgueilleuse
pour cet oiseau don la couronne de pourpre et les
riches couleurs brillent dans nos vastes bruyères .
Nous en resterons - là sur les Scandinaves. Il faut abréger
Je discours , surtout quand on vient tard , et que
d'autres ont parlé. V.
"
t
"
"
278 MERCURE DE FRANCE ,
ESSAI sur l'Histoire de la puissance paternelle
; parANDRÉ NOUGARE D E. Avec cette
épigraphe :
La puissance paternelle se perdit à Rome avec
la république.
Esprit des lois , liv. 5, ch. 7.
Paris , chez Lenormant , rue des Prêtres- Saint-
Germain- l'Auxerrois. An 9. 1 vol . in- 12.
L'INSTITU
INSTITUT national avait proposé une seconde
fois , pour le concours du 15 nivose dernier , la question
suivante : Quelles doivent être , dans une république
bien constituée , l'étendue et les limites du pouvoir
du père de famille ? Le prix n'a point été donné ;
mais le mémoire qui a été fondu en partie dans cet
ouvrage , a paru , à la classe des sciences morales et
politiques , mériter d'être distingué. L'Institut , dans
sa séance publique du 15 nivose , invita l'auteur à
revoir particulièrement les trois derniers livres de son
important ouvrage , et à rendre tous les détails qu'ils
renferment , exactement dignes des principes de morale
publique exposés dans les deux premières parties. Le
même sujet a été proposé , une troisième fois , pour le
concours de l'an 10. L'auteur , en publiant l'ouvrage
que nous annonçons , paraît se retirer du concours.
Le moment est favorable pour toutes les discussions
de ce genre. On s'occupe du code civil ; et parmi les
premières questions de morale et de législation , il n'en
est point qu'il importe davantage de considérer , saus
tous ses rapports , que celle du pouvoir paternel. On
doit savoir gré à l'Institut d'avoir provoqué cet examen
: il semble pourtant que les expressions du programme
offrent un sens un peu vague et hypothétique
THERMIDOR AN IX. 279
Il est évident que pour remplir toutes les conditions
de ce programme , il faut traiter d'abord la question
d'une république bien constituée , puisque ce terme est
indiqué comme celui auquel doit se rapporter la solution
du problème . Mais qui ne voit aussi que c'est
là ouvrir le champ le plus vaste à l'esprit de système ?
Parmi les concurrents , chacun pouvant ne trouver de
bién constituée que la république dont il aura conçu
le plan , on court risque de n'avoir sur l'institution du
père de famille , comme sur toutes les autres , que
des résultats applicables seulement à un être de raison
comme la république de Platon , ou toute autre Eutopie
également chimérique . Alors , plus d'utilité dans cette
discussion , plus d'application à un ordre de choses
positif ou même possible. Dira-t - on que par ces mots
une république bien constituée , l'Institut entend la république
française , et desire que la question soit
traitée conformément à l'esprit et aux principes de
cette république ? Mais cette réponse ne peut satisfaire
, puisque l'Institut reproduit , sans aucun changement
, en l'an la même question proposée en l'an
7, et que , dans cet intervalle , notre organisation républicaine
a tout - à - fait changé. Si nous étions une répu
blique bien constituée quand la question a été proposé
pour la première fois , nous ne le serions plus aujour
d'hui , et réciproquement ; cette alternative est embarrassante.—
Il semble qu'il eût suffi de demander quelles
doivent étre , dans la république , l'étendue et les limites
du pouvoir du père de famille ? Ces mots , dans la république
, auraient fait entendre que le pouvoir du pèra
de famille est susceptible de modifications , suivant la
nature du gouvernement , soit monarchique , républicain
, aristocratique , ou mixte. Sans doute , c'est
ainsi qu'on aurait posé la question , si le système
républicain était un , et s'il n'y avait pour les états
91
280 MERCURE DE FRANCE ,
qu'un seul mode d'institution républicaine . Mais il en
est de très- divers ; tellement , qu'entre la république ou
démocratie immédiate , et la république représentative
, deux espèces du même genre , il y a presque
autant de différence qu'entre les genres eux mêmes ,
entre le système héréditaire et le système électif. Loco
libertatis erit , quòd eligi coepimus . TACIT.
7
Enfin je me permets une dernière remarque sur la
question proposée , et je demande s'il n'eût pas mieux
valu la présenter dégagée de toute restriction relative
à la forme du gouvernement ? Je crois du moins qu'on
peut mettre en doute , si les rapports naturels sont
dans une telle dépendance des rapports politiques ,
qu'ils doivent nécessairement participer à toutes les
altérations du corps social . Les droits des pères entrèrent
dans la composition de la société politique .
formée par la réunion des sociétés naturelles des familles
, et durent y recevoir toutes les modifications
nécessaires. Ainsi le père de famille , comme élément ·
de toute société , me paraît devoir jouir , à ce titre ,
d'une sorte d'immutabilité . Pour lui assigner sa place ,
il est donc bien plus convenable de consulter l'ordre
primitif et constant de la nature , que l'esprit des
systèmes et l'instabilité des institutions. La loi posi--
tive ne doit être que la sanction d'une loi naturelle ;
c'est toujours à cette dernière qu'il faut remonter ; et
voilà peut - être la seule direction qu'il fallait donner
aux recherches .
La forme historique , adoptée par l'auteur de cet
Essai, l'a mis dans l'obligation de suivre cette marche.
Son plan mérite des éloges , il embrasse bien son sujet .
On y marque avec exactitude la place du père dans
les familles des premiers âges. Il portait alors le nom
vénérable de patriarche. On le suit dans les différentes
constitutions , de Sparte , d'Athènes , de la Chine ,
(
1
THERMIDOR AN IX. 281
de Rome , avant et après Auguste ; enfin on considère
le pouvoir paternel chez les peuples modernes , et particulièrement
chez les Français sous la monarchie et
dans la révolution . L'auteur va droit à son but , et
montre , à travers les scènes variées de l'histoire , le
seul tableau de la famille qu'il caractérise avec les
nuances propres aux temps , aux peuples et aux moeurs.
A cet exposé curieux des vicissitudes qu'a éprouvées
l'institution de la famille , l'auteur a soin d'ajouter
celui de leur influence sur le bonheur et l'éclat , sur
la force et la durée des empires.
Ainsi , après avoir représenté dans l'enfance du
monde chaque famille rassemblée autour de l'aïeul
commun , il montre ensuite comment chaque patriarche
dut à l'amour et au respect une autorité presque illimitée
. Il rapproche avec intérêt l'institution de la famille
à Sparte et à la Chine . Chez les Spartiates , tout
était sacrifié à l'extrême vigueur du corps social , et
chez les Chinois , tout à son extrême durée . Les lois
de Solon passèrent vîte , car l'institution domestique
était faible chez les Athéniens . Aucune des suites funestes
de cette inconcevable erreur n'est ici passée sous
silence . Enfin , l'auteur , après avoir parcouru les
institutions de tous les peuples , donne une haute préférence
à celle de Rome , où le patriarche des premiers
temps semble se reproduire sous le titre vénérable
du pater-familias ; il justifie cette opinion par les faits
et la grande autorité de Bossuet , dont il emprunte ce
passage : Si cette ville a produit plus de grands
hommes qu'aucune autre , ce n'a point été l'effet
du hasard ; c'est qu'elle avait reçu de son institution
le tempérament qui devait être le plus fécond en
héros. » Et il ajoute : « Je me plais à citer ce fameux
« écrivain : Bossuet me semble avoir parlé des Ro-
« -mains de la manière la plus digue d'eux . Il en a
"
14
་་
"
"
282 MERCURE DE FRANCE ,
❤
K.
•
dit de grandes choses , comme eux-mêmes les avaient
faites , avec la simplicité et la profondeur du génie. n
Après cette belle époque , on voit Auguste qui , voulant
changer le gouvernement , dirige ses principales
atteintes contre l'institution domestique , et l'inviolabilité
du père de famille . Cette conduite est celle de
tous les novateurs.
1
« Dans toute révolution , disent les rédacteurs du
« code civil , on doit renverser le pouvoir des pères
parce que les enfants se prêtent davantage aux nou-
• veautés. " C'est ainsi qu'avec les lois romaines des
empereurs , le pouvoir paternel entra dans notre législation
affaibli et altéré ; on eût dit que la vénérable
source où la nature a placé l'origine de ce pouvoir
était méconnue ; les droits du père étaient presque
réduits à ceux d'un tuteur ; les droits de l'enfant à ceux
d'un pupille.
7
Le style de l'auteur , malgré quelques défauts , est
souvent digne du sujet.
Il me semble que le caractère antique est bien conservé
dans ce morceau , où l'auteur justifie le pouvoir dont
jouissait le patriarche , aux premiers âges du monde :
« On devait , au surplus , tout espérer de celúi que
tant de titres offraient comme l'image et le ministre
de l'Etre suprême sur la terre. Il en avait exercé le
pouvoir créateur par le don de l'existence. Dans les
bienfaits de sa tendresse envers le premier âge , il s'était
montré l'organe de cette Providence divine , qui
protége et conserve tous les êtres . Comment eût-on pu
lui contester le droit de représenter aussi cette autorité
suprême qui régit le monde , quand on en reconnaissait
tous les caractères dans la sagesse qu'il devait à sa
longue expérience , dans une supériorité si évidente ,
qu'elle écartait jusqu'aux idées de rivalité et de jalousie.
Jamais , surtout , cette autorité ne dút lui être
THERMIDOR AN IX. 283
*
moins contestée , que lorsqu'à la tête de ses enfants , il
l'offrait en, hommage à l'Etre des êtres ; lorsque ,
debout , devant un autel de gazon , sa voix vénérée
s'élevait jusqu'aux cieux avec la fumée des holocaustes.
Ces êtres nombreux , qui lui devaient la naissance
, croyaient voir reluire la sagesse éternelle sur
son front que l'âge avait blanchi , et le confondaient
presque dans leurs adorations , avec cet Etre invisible
dont il leur transmettait les oracles. Aussi , depuis cette
époque , un vieillard vénérable servit- il de modèle aux
images visibles de l'Etre suprême. »
Je crois aussi qu'on distinguera un talent marqué
dans ce passage , touchant l'alliance nécessaire et dif
ficile de la subordination et de la liberté : Je ne me
dissimule point toutes les difficultés de ce problème .
Il serait facile à résoudre , si la liberté pouvait être
enseignée par le raisonnement. On pourrait alors expliquer
aux hommes les bornes qu'il faut lui imposer ,
et les principes de la subordination civile. Mais la nature
qui destinait également tous les hommes à la
liberté , ne l'a pas mise dans leur esprit , elle l'a placée
dans leur coeur. Elle en a fait , pour ainsi dire , l'ins
tinct de l'homme , comme la pudeur est l'instinct de
la femme...... Il ne reste donc qu'un seul moyen
pour admettre la subordination sans nuire à la liberté ;
c'est que la subordination soit aussi ce sentiment , et
qu'elle habite également dans le coeur des citoyens.
Il faut que ces deux passions réunies le conduisent
dans la carrière sociale ; semblables à ces deux coursiers
, rivaux de beauté comme de vîtesse , qui , dans
les jeux olympiques , faisaient ensemble voler un char
à la victoire.
Au reste , ces embellissements de style ne sont pas
sans quelques inconvénients dans un ouvrage philosophique
; mais ils sont plus purs et mieux choisis dans les
284 MERCURE DE FRANCE ,
premières parties de cet essai , comme si les temps et
les usages antiques offraient naturellement des couleurs
plus belles que les temps et les usages modernes !
- On pourrait reprocher à l'auteur l'impropriété de
quelques termes et l'abus de quelques autres , empruntés
aux sciences exactes. Ces dernières expressions dessèchent
toujours le style , lorsqu'elles ne l'éclaircissent pas.
Le C. Nongarède pardonnera ces observations , à
l'intérêt qu'inspire le talent dont il fait preuve dans
cet essai , que nous croyons être son premier ouvrage .
Il s'annonce comme un très bon esprit , et promet un
très bon ecrivain . Il lui rește maintenant à tirer les conséquences
des principes conservateurs et réparateurs
qu'il a établis. La préférence raisonnée qu'il donne à
l'institution domestique de Rome , fait assez pressentir
qu'il cherchera à s'en rapprocher , en traitant cette partie
de la législation . Son bon esprit nous est garant aussi
qu'il modifiera ses idées d'après les nouveaux rapports
introduits dans la société ! Toutefois , point de condescendance.
Dans la ruine entière des moeurs , nous
demandons des lois pour nous rendre des moeurs. Mais
qui retrouvera le secret de quelques législateurs anciens
qui faisaient des lois immortelles , et leur donnaient
la force des habitudes? Ce secret fut celui de'
Moyse ; Lycurgue le connut ; Solon l'ignora ; il fut
retrouvé par le législateur de Rome , et se perdit enfin
dans les révolutions sans nombre et sans système , auxquelles
notre occident fut livré dans les siècles de
barbarie. On peut demander si c'est le législateur
qui a manqué aux peuples , ou les peuples au législateur.
M.
THERMIDOR AN IX. 285 *
Aux Rédacteurs du Mercure .
CEST à regret que j'entretiens encore vos Lecteurs
de l'ouvrage dont j'ai rendu compte dans le dernier
numéro du Mercure : Les Fêtes et les Courtisanes de
la Grèce. Il a fallu en faire justice . Je n'ai rien à cet
égard à rétracter ; mais l'auteur des Voyages de Pytagore
, à qui je l'ai attribué , sur des indices qui m'avaient
paru infiniment plausibles , s'en défend ; et il
est juste de donner une prompte publicité , dans ce
journal , à son désaveu qu'on m'envoie. Sans doute
Le crime d'un tel livre est un pesant fardeau.
M.
t
Je vous salue ,
Bibliotheque des Quatre- Nations , le 4 thermidor ,
*
an 9.
Je certifie
n'avoir
ancune
part à la rédaction
de l'ouvrage
intitulé
: Des Fétes et Courtisanes
de la Grèce .
SYLVAIN
MARÉCHAL
,
Rédacteur
des Voyages
de Pythagore
.
SPECTACLE S.
THEATRE FRANÇAIS DE LA RÉPUBLIQUE ,
M.lle GROS , élève du C. Dugazon , a débuté , sur
ce théâtre , le 11 thermidor , par le rôle d'Aménaïde
dans Tancrède , qu'elle a joué , le 13 , une seconde
fois .
- Cette jeune actrice , annoncée peut-être avec un peu
trop d'éclat , n'a presque montré , dans ces deux représentations
, que les dons précieux qu'elle a reçus de
la nature ; une taille élevée , une physionomie noble ,
une force , vraiment prématurée , un organe imposant
et flexible , et tout ce qu'il faut pour exprimer , un
jour , avec la plus grande énergie , les affections vio
lentes et le délite des passions tragiques. Mais jusqu'à
présent , l'art à faiblement secondé ses rares disposi286
MERCURE DE FRANCE ,
tions. Elle n'a point appris à ménager ses moyens , à
les soutenir , à les diriger , à les étendre par l'usage
mesuré de ses forces ; sa déclamation est inégale ; son
jeu vague , et ses gestes multipliés manquent trop souvent
d'intention et d'effet. On l'a jugée moins sévèrement
que son maître , parce que tous ses défauts semblent
appartenir à cette inexpérience , qu'un maître
habile doit éclairer. Heureusement , pour sa réputation
de professeur , Dugazon , dans les mêmes représenta
tions , pouvait montrer Laffond à ses amis et à ses
ennemis .
Les progrès de cet acteur sont encore plus remarquables
dans le rôle de Tancrède , que dans celui d'Orosmane
, où l'explosion fréquente d'une passion , que rien
ne contraint , fournit à l'acteur des développements
plus brillants et plus faciles . Tancrède , au contraire ,
ne se livre sans réserve aux sentiments dont il est
rempli , que dans la première scène , et le beag
monologue du troisième acte. Ce moment passé , son
amour et son désespoir ne sont jamais en liberté ; la
figure de Laffond , qui n'exprime pas naturellement
la tristesse , la mélancolie et les passions concentrées
tend plus ingrate pour lui cette situation si pénible
où Tancrède , en renfermant sa douleur au fond de son
ame , doit cependant la faire partager au spectateur.
Les efforts de Laffond , pour vaincre ces difficultés
multipliées , ont été généralement sentis , et dans plusieurs
moments , il a eu le bonheur de rappeler le plus
parfait de tous nos modèles , Il ne lui manque peutétre
que de l'avoir vu , pour être en état de l'égaler
plus souvent. Il est certain du moins qu'on ne peut
profuer , avec un talent plus flexible , des traditions
fugitives qu'il s'est empressé de recueillir.
On annonce que M. Gros jouerà successivement
Alzitez Didon , Hermione , et les autres vôles du pre
THERMIDOR AN IX. 287
mier emploi. Pourquoi ne saisirait - on pas cette occasion
de remettre l'Electre de Crébillon et l'Oreste de Voltaire
? Il y a longtemps que ces deux ouvrages , qui
ne sont point égaux l'un à l'autre , mais dont le moindre
a pourtant des beautés , semblent bannis du répertoire.
Lorsque le temps et la critique impartiale , qui finissent
toujours par étouffer la voix de l'envie et des préjugés ,
ont fixé le rang de ces deux pièces , les connaisseurs aim .
raient sans doute à les revoir au théâtre et à comparer leur
effet. M.He Gros serait fort belle dans les deux Electres ; et
le rôle d'Oreste , dans ces deux tragédies , serait pour
Lffond l'objet de nouvelles études , qui donneraient à son
talent des nuances plus variées , et peut-être un cara‹ -
tère plus original et plus décidé. 1
Nous suivrons , avec empressement , les représentations
qui sont annoncées , et nous tâcherons d'apprécier
les progrès de Mille Gros. On doit beaucoup attendre
de ses nouveaux efforts , de l'assurance qu'inspire un
premier succès , des observations de son maître , et de
l'influence des jugemens du public.
THEATRE DES ARTS.
E.
TANDIS qu'un début attire toute la capitale au
Théâtre Français , il s'en fait deux , presque incognito ,
sur le Théâtre des Arts. Ce spectacle est toujours le
plus brillant et le plus suivi ; mais il ne doit ses succes
qu'aux talents de quelques artistes , connus depuis
trop longtemps , et à la perfection de ses ballets , dont
le charme paraît toujours nouveau. Nous ne croyons
pas que les CC . Picard et Julien , qui , tous les deux,
ont débuté le même jour , dans les Prétendus , ajoutent
beaucoup à l'empressement du public , et lui fassent
oublier ce que l'Opéra a pèrdu , du coté du chant et
de la déclamation ; mais il parait que l'un et l'autre
se destinent à ces emplois secondaires , où l'utilité la
plus constante ne peut ambitionner d'autre récompen. e
qu'un peu d'estime , et ce repòs , qui , sur lé thếat.e
comme ailleurs , est presque toujours le dédommagement
de l'obscurité,
288 MERCURE DE FRANCE ,
ANNONCES.
› LES Jardins , poème , par Jacques Delille nouvelle
édition , augmentée de 1100 vers , in - 18 , avec 4
figures , dessinées par Monciau , et gravées par Saint-
Aubin , imprimé par Didot aîné.
3 f. 10 c.
Idem , papier vélin . ·
Idem , idem , avec figure , avant la lettre .
Idem , papier commun sans figures.
-Edition in - 8.° avec figures , des mêmes
artistes. ·
,
in -8.°, papier vélin.
1
in 8. Idem , avec figures , avant la lettre
in- 8.º , papier commun , sans figures.
•
៖8
8
13 50 •
70
4
9
15
I 20
Se vend , chez les éditeurs Levrault , frères ; à Paris ,
quai Malaquais ; à Strasbourg , rue des Juifs.
ESSAIS sur la ligne droite et les courbes du second degré
, par F. L. Lefrançois , élève de l'école Polytechnique.
De l'imprimerie de Crapelet . A Paris , chez Duprat
, libraire ppoouurr les mathématiques , quai des Augustins.
An 9-1801 .
L'ECOLE Polytechnique compte déja parmi les professeurs
des sciences mathématiques plusieurs de ses éièves.
Rien ne prouve mieux la bonté des méthodes que
l'on y suit pour l'enseignement . L'auteur de cet ou
vrage en offe une nouvelle preuve. Sa grande jeunesse
et sa modestie ajoutent un mérite assez rare aux
connaissances qu'il annonce. Divers auteurs ont
publiéd'excellents traités sur l'application de l'Algèbre
à la Géometrie. Lecitoyen Lefrançois expose dans ces
Essais , la partie de cette science que l'on exige pour
l'admission des candidats , à l'école Polytechnique.
Son exemple et son livre encourageront également les
jeunes élèves.
VOYAGE en Espagne , aux armées , 1797 et 1798 ,
faisant suite aux voyages en Espagne du citoyen
Bourgoing , par Chrétien Auguste Fischer ; traducteur
, Ch. Fr. Cramer ; avec un Appendice sur la
manière de voyager en Espagne ; avec figures , 2 vol.
in 8. A Paris , chez Duchesne , libraire , rue des
grands Augustins , n.º 30 ; et Leriche , libraire , quai
des Augustins , nº 46. An 9. --1801 . -- Prix , 6 francs
et 8 fr., francs de port.
1
THERMIDOR AN İX. 289
EIN
POLITIQUE.
EXTÉRIEUR
DES forces militaires de la Porte otte
L'EEMMPPIIRRE turc fut longtemps regardé comme un
colosse de puissance . La chute d'un grand empire qui
marqua son origine , les exploits et le fanatisme heureux
de ses premiers conquérants , l'immense étendue
de pays soumis à sa domination , son établissement en
Europe , dont tous les peuples étaient ses ennemis
naturels , ont dû donner cette idée exagérée de sa
force. Cependant , il marche dès longtemps vers sa
ruine. Montesquieu l'a prédite ; et , depuis un demisiécle
, la France travaillait constamment à l'éloigner.
Des changements utiles dans plusieurs parties de l'administration
ont signalé l'avénement du sultan Selim
au trône de Mahomet II. Mais il s'en faut bien que
ces réformes partielles , quelque importantes qu'elles
pussent être , ayent rendu la vigueur à ce corps politique
, presque entièrement usé. Les dernières guerres
qu'il a eu à soutenir contre les. Russes et les Autrichiens
, ont de nouveau démontré sa faiblesse .
,
On aurait peine à croire , si l'expérience ne le
prouvait , que cette nation sans avoir souffert aucune
perte considérable dans son territoire , soit néanmoins
déchue à un tel point de son ancienne puissance . En
vain ses partisans ont voulu persuader que si les ennemis
de la Porte pénétraient au-delà de deux provinces chrétiennes
qu'elle est accoutumée à regarder comme
l'arène où se vident ses querelles , elle saurait bien
5
5. 19
290 MERCURE DE FRANCE ,
les en faire repentir , et pourrait reporter jusque sous
les murs de Vienne , la terreur qu'elle y répandit
autrefois . Ils niaient que les Turcs eussent été battus
par des armées bien inférieures en nombre aux leurs ,
et prétendaient que les Russes et les Autrichiens se
prévalaient dans leurs relations magnifiques , du silence
des Turcs .
Mais que diront- ils aujourd'hui ? La plus vaste , la plus
riche province de la Porte a été envahie . L'Egypte , qui
fournissait à Constantinople le riz et le café , plus nécessaires
à ses habitants que le pain même , est depuis
trois ans au pouvoir des Français , sans que les efforts
des orgueilleux Osmanlys ayent pu la leur enlever. Ils ont
rassemblé toutes leurs forces . 80,000 Turcs , soutenus
par les flottes anglaises , ont fui devant dix mille Français
abusés par une capitulation. Une déroute complète
a irrévocablement prouvé que 80,000 soldats turcs
ne sont pas une armée .
Ceux qui ont demeuré en Turquie , ont pu se convaincre
de l'impéritie de ces barbares dans l'art militaire.
La notice que nous offrons au public est rédigée
d'après les observations d'un Français , aussi digne de
foi qu'éclairé , qui a fait un assez long séjour à Constantinople
, pour connaître les vices de son gouvernement.
Ces observations datent de quatre années , et il
y a tout lieu de penser que les abus n'ont fait que se
multiplier et s'accroître.
On a cru devoir , pour mettre plus d'ordre dans cet
article , parler de chaque arme en particulier.
DE l'arme du génie .
Les Turcs n'ont d'autres ingénieurs que quatre ou
cinq élèves de l'ingénieur français Lafitte-Clavé. Le
plus habile de ceux -ci , connaît à peine le tracé de la
THERMIDOR AN IX. 201
fortification , et quelques principes de trigonométrie
rectiligne. Ils seraient d'ailleurs aussi embarrassés que
les plus ignorants des soldats turcs , s'il fallait élever des
fortifications. La pratique nécessaire dans tous les états
et surtout dans celui - ci , leur manque entièrement , et
ils sont loin d'avoir assez de théorie pour y suppléer .
Aussi la Porte leur préfère - t - elle toujours les étrangers
, qu'elle suppose avoir quelques connaissances * .
Mais lors même qu'elle a employé des ingénieurs français
du premier mérité , tels que Lafitte , Monnier , etc.
l'orgueil, l'ineptie ou la sordide avarice des commissaires
chargés de surveiller les travaux , a toujours , ou tronqué
leurs plans , ou entravé leur marche . C'est aux mêmes
causes que l'on doit le dépérissement des places fortes
qu'ils avaient autrefois conquises . Loin de chercher à fortifier
les défenses naturelles que formaient autour d'eux
les fleuves et les montagnes , ils ont laissé se détruire
les travaux déja existants ; et , sur une frontière de plus
de trois cents lieues , à peine leur reste- t - il huit ou dix
places , qu'on appellerait plutôt des postes...
Ils ne sont pas plus avancés dans l'art des fortifications
de campagne. Creuser un fossé , et rejeter la terre en
dehors , opposer à l'artillerie des parapets en terre d'un
mètre ou deux d'épaisseur , est tout ce qu'ils savent faire.
C'est en vain que l'ingénieur Lafitte et M. de Choiseul-
Gouffier ont fait traduire et imprimer en langue turque ,
des traités de fortifications . Les Turcs ne lesdisent pas ,
et suivent leurs anciens errements dont ils auraient dû
mille fois reconnaître les vices , s'ils pouvaient réfléchir
et se corriger .
La Porte entretient un corps de trois cents mineurs
* Le fameux capitan pacha Hassan avait choisi pour le
premier ingénieur de l'empire , un matelot , charpentier
français , sans éducation et sans culture. Il s'en servait pour
construire des forts et des vaisseaux de ligne.
292 MERCURE DE FRANCE ,
( laghemdgy ) , aussi peu instruits que les ingénieurs.
Ils sont dans une telle incertitude sur le succès de leurs
travaux , qu'ils emploient communément vingt fois plus
de poudre qu'il n'est nécessaire , et souvent leurs mines
jouent contre eux - mêmes.
Un pareil état de choses rend difficile à croire ce qu'on
lit dans plusieurs auteurs , que les premiers bastions qui
ayent été construits , le furent à Otrante , en 1480 ,
par Achmet - Pacha , général de Mahomet II . Il est
probable que les Turcs n'eurent pas l'honneur de cette
invention. La seconde enceinte du château , à Angora ,
est flanquée de tours bastionnées. Elle passe pour avoir
été construite par les Grecs , et c'est sans doute aux
ingénieurs qui survécurent à l'empire , d'Orient , et
qui prirent du service dans l'armée turque , qu'est due
une pareille découverte . Il en est de même des lignes
parallèles dont les Turcs firent usage les premiers , au
siége de Candie. Elles furent imaginées par un Italien ,
mais c'est beaucoup que les Ottomans ayent eu le bon
sens de les adopter..
De l'artillerie.
L
La décadence n'a pas été aussi complète dans l'artillerie
que dans le génie. Grace aux soins du baron
de Tott et du général Saint -Remy ; grace surtout à
l'activité des CC. Obert et Cussy , chefs de bataillon
dans l'artillerie française , les artilleurs turcs justifient ,
jusqu'à un certain point , ce que l'histoire nous apprend
de leurs prédécesseurs , dans les beaux jours de l'empire
du Croissant * .
Les bombes furent employées pour la première fois par
les Turcs au deuxième siége de Rhodes en 1522 ; mais cette
invention est encore vraisemblablement due à des Grecs ; et ,
ce qui appuie cette conjecture , c'est que l'ancien corps de
THERMIDOR AN IX. 293
है
Il sort de la fonderie et de l'arsenal de Constantinople
établissements créés et dirigés par des Français ,
des pièces de tous les calibres , d'une très-belle fonte , et
des affûts de bataille dont le fini est portéjusqu'au luxe .
Ces pièces de bataille sont malheureusement en petit nombre
, relativement à ce que devrait être l'artillerie d'un
grand empire . On n'en a jamais compté plus de 150 ;
et c'est en effet tout ce que pouvait fournir un seul arsenal
où les bons ouvriers sont très - rares , et dans un
pays où tout était à faire , et où le défaut d'entretien
détruit tout ce qui ést fait.
Aussi l'on chercherait vainement dans la vaste éten>
due de la Turquie , des affûts de place ou de côte , si
l'on excepte ceux de quelques- unes des batteries qui
défendent le canal . Dans la plupart des places que les
Turcs croient fortifiées , les canons sont portés sur des
solives ou sur des affûts si mal construits et si vieux
qu'ils ne résisteraient pas à la première décharge . Ces
canons sont grossièrement coulés , et il en est fort peu
qui ne fussent mis au rebut en France.
C
Les Turcs manquent encore de ces machines si nécessaires
dans les arsenaux et les parcs d'artillerie , telles
que les porte- corps , haquets , pieds - de -chèvre , etc. Ce
n'est pas que les artilleurs français ne leur en ayent présenté
des modèles , et même fait exécuter quelques-uns ;
mais les Turcs négligent tout ce qui ne leur paraît pas
d'une nécessité absolue , et peu de choses le sont aux
yeux de l'ignorance.
2
Leurs canons de fer coulé sont rarement de calibre
; ils sont remplis de soufflures ; les boulets sont peu
ff ་* ༈ ! { , «
l'artillerie ottomane , répandu dans les diverses provinces
de l'empire , est en partie composé de Grecs et d'Arméniens
qui touchent une payé plus forte , et out droit de
porter le bonnet vert et les pantoufles jaanes. d ,the
294 MERCURE DE FRANCE ,
-
et souvent , point battus. Leur poudre est ordinai
rement très faible , non pas qu'ils ne sachent da
faire, mais parce que ceux qui sont chargés de sa fabrication
, volent le salpêtre.
Quant au personnel , l'artillerie turque est l'arme qui
se rapproche le plus des nôtres .
Les CC . Cussy et Obert étaient parvenus , à force de
fatigues , à former environ 2000 canonniers qui servaient
les pièces de campagne avec une assez grande
célérité . Il faut observer néanmoins que parmi ces
2000 hommes , il ne s'en trouve pas un seul qui ait
autant de connaissances théoriques , qu'on en exige
en France d'un sergent de canonniers. Peut - il en
être autrement pour les soldats , quand les officiers
croiraient se dégrader , s'ils cherchaient à s'instruire ?
"
Deux causes empêchent que cette arme ne puisse être
portée à son complet , et acquérir un certain degré de
connaissances en Turquie , la peste , dont les ravages
sont décuples dans les casernes , et l'usage d'enrôler les
canonniers à vie , ce qui les porte à déserter , au moindre
dégoût qu'ils éprouvent .
On trouve encore , en Turquie , un corps de 18,000
hommes qui portent le nom et reçoivent la paye de canonniers
. Ils sont presque tous habitants des villes où il
existe quelques pièces d'artillerie , et leur service consiste
à les tirer , à l'aide de longs boute -feux , pour les
grand et petit Beyrain ( la Pâque et la Pentecôte , des
Turcs ).
*
Τ
Les manoeuvres de ce corps nne se font ni à la française
ni à l'autrichienne . Le C. Obert , chef de bataillon d'artillerie,
guidé , par une longue expérience du caractère ottoman↳
a , de concert avec le C. Cussy , composé un genre d'évolu
tion qui , sans trop choquer les préjugés des Turcs , conserve
les avantages de notre exercice.
THERMIDOR AN IX. 295
Les Turcs ont , en outre , un corps de bombardiers
( koums baradgys ) , qui sont un peu plus familiarisés
avec leurs armes ; mais ils ne sont guère plus habiles
théoriciens . J'en ai vu plusieurs fixer la bombe dans le
mortier avec de véritables coins , au lieu d'éclisses ,
croyant par là en augmenter la portée , et ne se doutant
pas qu'ils rendaient la justesse du coup plus incertaine.
Ce corps , de la fondation du fameux Bonneval , devrait
être de 600 hommes en temps de paix , et de 1200
pendant la guerre . Il n'est plus composé que de 4 à 500
bombardiers plus ou moins exercés.
L'obusier , cette arme si terrible , qui supplée aux
pièces de campagne , et qui peut quelquefois remplacer
le mortier , n'est presque pas connu des Turcs ; au moins
ne me rappelé - je pas d'en avoir vu chez eux , avant l'arrivée
d'une compagnie d'artillerie légère qui fit partie
de la suite de Dubayet . Cette compagnie exerça , dit - on ,
quelques canonniers turcs ; mais bic .. la Porte se lassa
de la dépense et les congédia.
On a vu , par ce court exposé , que le personnel de
l'artillerie turque se réduit à un bien petit nombre
d'hommes , eu égard à l'étendue et aux forces qu'il devrait
avoir. Encore n'y trouve - t - on pas an officier en état
de choisir une position favorable et de faire construire
une batterie , suivant les règles de l'art * , pas un qui con-
* Le C. Obert , pour apprendre aux Turcs à construire les
batteries en terre , voulut en faire exécuter une hors du
faubourg de Péra . L'ouvrage allait si lentement , qu'après
six semaines l'épaulement avait tout au plus 1 mètre 70 cen-,
timètres d'élévation . Le topchi bachi , ( grand-maître de
l'artillerie ) étant venu le visiter , demanda au C. Obert si cet
épaulement devait être encore beaucoup exhaussé. Cet officier
lui dit qu'il fallait l'élever de 33 centimètres environ .
C'est bou , répondit le Ture , laissez la batteric où elle ca
296 MERCURE DE FRANCE ,
naisse les grandes évolutions . Tous les efforts des Français
n'ont abouti qu'à dresser environ 2500 canonniers
ou bombardiers , parmi lesquels on chercherait vainement
un véritable artilleur.
La paresse des Turcs s'opposera toujours à leurs progrès
dans tout ce qui demande de l'application et de
l'expérience . Leur orgueilleuse présomption , qui leur
persuade qu'ils sont aussi habiles que leurs maîtres , dès
qu'ils manoeuvrent avec quelque justesse , ne les enchaîne
pas moins à leur ignorance. Tel est l'état de leur artillerie
, et l'on assure que la moitié de cette arme a péri
dans la guerre contre Passawan- Oglow.
Les conducteurs d'artillerie forment , en Turquie ,
un corps séparé , sous le nom d'azaradgy ( voituriers ),
Ce corps n'étant pas militaire , nous croyons inutile
d'entrer dans aucun détail sur sa composition.
DE la Cavalerie.
Si la cavalerie turque était ce qu'elle doit être , suivant
les règlements militaires de l'empire ottoman , sa force
et sa discipline la rendraient respectable , même sans le
secours de la tactique. Mais le cadre immense de cette
arme , exactement rempli , lorsqu'il s'agit de passer une
revue , demeure aux deux tiers vide , dès qu'il faut mareher
à l'ennemi. Nous en verrons les causes , après avoir
donné quelques détails sur les différents corps.
J Le mot sipahy * désigne génériquement un cavalier
est , quand nous en construirons à la guerre , je me souviendrai
que l'épaulement doit dépasser ma tête d'une
main ouverte. 1
* Sipahy, en persan , signifie soldat. Les Turcs , en adoptant
ce mot , l'ont appliqué aux soldats de cavalerie . C'est
de ce même mot qu'on a appelé les soldats indiens cipayes.
THERMIDOR AN IX. 297
armé. Il y a cependant deux corps de sipahys propre¬
ment dits. Le plus ancien porte l'enseigne jaune ; l'autre,
plus moderne et plus estimé , à l'enseigne rouge. Ces
deux corps doivent s'élever , en temps de guerre , à 12000-
hommes.
Les zaïmes , et au dessous d'eux les timariots , forment
la plus grande partie de la cavalerie turque . Ils
ne different des sipahys , qu'en ce qu'ils ne sont
le obligés au service qu'en redevance des fiefs que
grand-seigneur leur donne à vie . Ils doivent conduire
à la guerre un certain nombre de cavaliers , suivant l'im
portance de leurs fiefs . Ces deux corps , divisés en chambrées
ou régiments , sont supposés former ensemble plus
de 100,000 hommes .
Les dgebedgys ou cuirassiers devraient être aujourd'hui
au nombre de 30,000 .
Ces cavaliers , ainsi que tous les sipahys , sont tenus
d'être armés d'une carabine , d'une paire de pistolets ,
d'un sabre et d'une hache d'armes , etc. , etc.
Outre ces troupes appartenant immédiatement au
grand-seigneur , divers princes feudataires de la Porte ,
tels que le bey de Turkeménie , et Kara Osman- Oglow ,
fournissent encore six à sept mille cavaliers .
Chaque pacha conduit aussi avec lui un corps de cavalerie
plus ou moins considérable, suivant sa puissance .
Ces corps sont composés de bely-bachi ( tête folle ) , nom
des gardes à cheval des pachas , et de seg-ban ou segmem
, gendarmes à pied , mais qui sont ordinairement
montés pour aller à la guerre. - … ”
On peut évaluer à 4 ou 5000 cavaliers l'ensemble de
༣ :༼ ༽ ' 。
ces corps.
Voilà l'état fictif de la cavalerie ottomane ; voiti à
peu près son état réel.
Il faut d'abord , à cause des fiefs , ou dës payes accordées
à des protégés dispensés de servir, et surtout &
298 MERCURE DE FRANCE ;
cause du grand nombre de ceux qui s'en retournent dès
la moitié du chemin , en réduire le nombre à 70,000.
-
Soixante - dix mille hommes de bonne cavalerie seraient
sans doute une force respectable , si les cavaliers
n'étaient pas tenus de se pourvoir eux mêmes de leur
cheval , de leur équipement et de leurs armes. Il résulte
de la misère des uns et de l'avarice des autres , que
presque tous sont mal vêtus , mal armés , et plus mal
montés . D'autres , au contraire , surchargent des chevaux
entiers et fringants d'un amas d'armes brillantes
et de hardes inutiles . Ce goût pour l'ostentation
leur fait préférer de beaucoup la beauté des armes à
leur bonté ; et , pourvu qu'un fusil ou un pistolet soit
plaqué et damasquiné en argent , il leur importe fort
peu que la platine en soit bonne ou mauvaise.
11
La cavalerie du grand - seigneur est un peu mieux équipée
que les autres divisions , et est , en général , armée
de lances.
La cavalerie que fournissent Kara - Osman- Oglow et
quelques autres petits princes , ressemble beaucoup à
celle des pachas . Celle - ci est composée , en grande partie
, de brigands qui , s'étant acquis une réputation der
bravoure, en détroussant les caravanes , en pillant les
villages , et par d'autres exploits de ce genre , sont d'autant
plus recherchés par les pachas , qu'ils ont plus souvent
trempé leurs mains dans le sang.
Un autre défaut de la cavalerie , c'est d'être , en général ,
montée sur des chevaux fins et bien faits , mais petits , et
que l'on n'admettrait , en France , que dans la cavalerie:
légère. Ils sont délicats , et ruinés après une campagne.
Comme on ne suit aucune tactique dans la charge ,
les cavaliers les mieux montés et les plus braves laissent
bientôt derrière eux leurs camarades , et tombent avec
impétuosité sur l'ennemi. Le reste du corps suit en désordre
, et chacun n'y prend son rang que d'après sa vaTHERMIDOR
AN IX. 299
leur et la vigueur de son cheval. Il s'ensuit que , si
l'infanterie ennemie n'est point rompue par la vivacité
de l'attaque des premiers cavaliers , et si elle leur oppose
labaïonnette, les chevaux effrayés s'arrêtent et s'enfuient .
La foule qui les presse en arrière , les retient et les livre ,
à bout portant , au feu , de l'ennemi ; au lieu qu'en pareil
cas , nos chevaux de sont , mêmemalgré eux , jetés dans
les rangs ennemis par l'élan queleur a donné la charge .
;
On ne peut enfin se former une idée bien juste de la
cavalerie turque , qu'en se figurant une réunion de 70
mille hommes , pris au hasard , et montés , armés et
équipés , suivant leurs facultés , et leur fantaisie *.
DE l'Infanterie.
C'est dans l'infanterie que se fait sentir davantage la
décadence de la milice ottomane. Ces fameux janissaires
(jeni-cheri) , autrefois l'honneur de l'armée , redoutables
au sultan par leur audace , à l'ennemi par leur bravoure ,
ne forment plus qu'un corps nombreux et lâche.
I
On attribue surtout ce changement aux moyens que
prit le sultan Mahmout , pour énerver un corps dont il
craignait l'insubordination . Il lui accorda , à dessein ,
des priviléges qui le perdirent , en le rendant plutôt marchand
que militaire **.
* On ne doit pas juger de la cavalerie turque par les Mamelucks.
Ceux - ci ne sont guère plus tacticiens; mais ils sont
bien plus aguerris, et beaucoup plus exercés aux armes et à
l'équitation. Leurs chevaux sont d'ailleurs infiniment supérieurs
à ceux des Turcs .
" 3:02 55 Inslus 19
** Ces priviléges consistent principalement dans lexemption
de certains droits d'entrée , ce qui faitt qu'un grand
nombre de marchands se font janissaifes pour jouir de
Texemption. Avant le sultan Mahmout , on n'admettait ,
dans ce corps , que l'élite des jeunes esclaves que l'on accoutumait
de bonne heure à la plus exacte discipline. On
y reçoit aujourd'hui tout individu qui le demande , sans s'inquiéter
ni de ses habitudes , ni de sa bravourel)
300 MERCURE DE FRANCE ,
Une autre cause se joignit à celle- ci . L'art de la guerré
se perfectionnait chez les nations voisines , et ce perfectionnement
qui , chez d'autres peuples , eût excité l'émulation
, eut , chez les Turcs , une influence toute contraire.
Des défaites constantes , pendant cinquante années , les
découragèrent ; et les janissaires , rejetant peut -être leur
avilissement sur la fatalité , ont pris l'habitude de fuir ,
comme ils ont eu celle de vaincre.
Le nombre des janissaires soldés est fixé à 40,000 ; la
moitié en est rassemblée pour le service ordinaire. Dix
mille de ceux - ci forment la garnison de Constantinople ;
les dix mille autres sont répandus dans les villes frontières
. Le corps est divisé en 161 régiments désignés par
un numéro . Ces régiments reçoivent autant d'honoraires
qu'il s'en présente . Le 31. ° , auquel se font agréger presque
tous les marins de la mer Noire , s'élève à plus de
30,000 hommes . Mais ces janissaires honoraires forment
une sorte de corporation qui n'est assujettie à aucun service.
C'est ordinairement dans cette milicé que se font
les levées , en témps de guerre , et voici le mode que
l'on suit.
Le gouvernement adresse au ser-dam ( chef de la milice
) un beyrak ou drapeau . La ville est , suivant son
importance , obligée de fournir une compagnie plus ou
moins nombreuse , et que l'on rassemble , soit de force ,
soit avec le secours de l'argent des habitants , surtout
des chrétiens et des juifs. Le divan envoie un certain
nombre d'autres drapeaux , sous lesquels doivent se
former autant de compagnies , qui ne s'enrôlent que pour
une campagne. On nomme celles -ci mirili-betrak ( compagnies
du fisc ),, parce que la Porte donne une certaine
somme pour chacune d'elles . Le capitaine est obligé de
fournir l'excédent de la dépense.
}
On sent quels inconvénients doivent résulter de cette
manière de lever les troupes . Le chef n'étant pas assez
THERMIDOR AN IX . 301
payé , ne paye pas assez les soldats . Il est , par conséquent
, obligé de leur permettre des brigandages , et luimême
leur en donne l'exemple. Les villes ressemblent
assez bien alors à des places prises d'assaut. Les passants
y sont dépouillés , les femmes et les jeunes garçons insultés
, les maisons barricadées ou forcées . Si l'on parvient enfin
à se débarrasser de ces pillards , ils vont ailleurs recommencer
même vie ; et , s'agit- il de se battre , ils désertent.
Les ser- den gendcheti , dénomination qui revient a peù
près à celle d'enfants perdus , sont des compagnies de
janissaires volontaires , levées en temps de guerre par
des officiers de ce corps qui les conduisent à la guerre ,
à leurs frais . Ces troupes sont plus dangereuses et plus
pillardes encore que les autres. Leurs chefs ne sont ordinairement
que des spadassins fameux , qui prétendent
se faire pardonner leurs crimes par le Prophète et par les
hommes , en combattant les infidelles . Des voleurs subalternes
se joignent volontiers à eux , et ces défenseurs
zélés de la religion , ne se font point scrupule de dépouiller
leurs, frères qui se défendent moins que les
ennemis. *
A ces espèces de janissaires , il faut joindre cinq à six
mille bostandgys ** à peu près le même nombre de
* Il n'est pas d'horreur que ces scélérats ne se permettent.
Sous le nom d'esclaves autrichiens et russes , ils enchaînent
des milliers de sujets de la. Porte. Celle- ci , pour ne point
mécontenter les soldats , tolère , autorise même ces vexations ,
en leur délivrant des pendiks ou certificats qui attestent
qu'un tel est l'esclave d'un tel.
** Les bostandgys ou jardiniers forment un corps d'environ
12,000 hommes chargés spécialement de la garde
du sérail et des maisons de plaisance du graud seigneur.
Ces jardiniers sont aussi les canotiers de ce prince . Le chef,
le bostandgy - bachi , tient toujours le gouvernail du caii
de sa hautesse . Cet officier a la police du canal de la mer
Noire et des villages qui le bordent.
302 MERCURE DE FRANCE ,
sundgins ou soldats d'élite , destinés à garder le bagage ;
et deux ou trois mille mehterdgys qui , bien que ce nom
signifie musicien militaire , sont chargés de dresser et
de plier les tentes.
2 Le gouvernement ottoman laissant aux fantassins
comme aux cavaliers , le soin de s'armer et de s'équiper ,
on retrouve , à cet égard , dans l'infanterie , les mêmes
désordres que dans la cavalerie . Tous les fusils sont
différents en calibre et en longueur. Ils n'ont de conformité
qu'en ce qu'ils sont tous sans baïonnette .
Cette arme qui fait aujourd'hui la principale force
de l'infanterie , n'est adoptée en Turquie que par environ
un millier de bostandgys et par cinq à six cents
tufenkdgys , fusiliers. Ces troupes exercées par des renégats
allemands , sont l'objet du mépris des janissaires ,
qui , pour leur reprocher de se soumettre aux instructions
des Européens , les flétrissent du nom d'infidelles .
Exceptés ces fusiliers et un petit nombre de cavaliers
armés de lances , les Turcs ne font aucun usage des
armes de pointe , et c'est peut- être une cause de l'infériorité
de leurs troupes.
Tel est l'ensemble de l'infanterie ottomane . Sa force
est toujours incertaine , et dépend beaucoup de l'intérêt
que la nation prend à la guerre. L'idée qu'elle se forme
de l'ennemi , contribue aussi à l'augmenter ou à la diminuer
, mais dans un sens contraire à ce qui arriverait
parmi nous . Plus l'ennemi est redou-table , plus
l'armée turque diminue , et moins le soldat' développe
d'énergie . La Porte , en employant tous ses moyens ,
ne pourrait rassembler , dans les circonstances actuelles ,
qu'environ cent mille fantassins .
( La suite au numéro prochain ) .
THERMIDOR AN IX. 303
SUIVANT
INTÉRIEUR.
VIVANT un rapport du ministre de la marine , la
perte des anglais , dans le combat d'Algésiras , livré le
17 messidor , s'elève à 1500 hommes , tués ou blessés , et
500 prisonniers. Du côté des Français , il y a eu 186
hommes tués , 300 blessés , dont 13 sans espoir de guérison
, et 40 très -grièvement.
'
La division française était composée du Formidable ,
de 80 canons capitaine Laindet - Lalonde ( tué ) ; de
l'Indomptable , de 80 canons , capitaine Moncousu , ( aussi
tué ) ; du Desaix , de 74 , capitaine Christi- Pallière ;
de la frégate la Muiron , de 40 , capitaine Martineng
Ces quatre bâtiments avaient à combattre, la division
ennemie , ainsi formée : le César , de 84 canons ; le
Pompée , de 84 , ( hors de service ) ; le Spencer , de 84 ;
l'Audacieux , de 74 ; le Vénérable , de 74 , l'Annibal,
de 74 ( pris ) ; une frégate de 40 ; un lougre , de 16 .
Tous ces bâtiments ont perdu une partie de leur mâture
.
Le 5 messidor , l'amiral Gantheaume se trouvant dans
le canal entre Candie et l'Egypte , découvrit à la pointe
du jour un vaisseau de guerre . Il fit aussitôt le signal
de chasse générale. La marche de l'escadre avait une
grande supériorité sur celle de ce bâtiment. A cinq
heures du soir , on le reconnut pour un vaisseau anglais ,
de 74 canons . L'Indivisible et le Dix- Août , engagerent
le combat , à la distance de 600 toises . On fut bientôt
à la portée du fusil , et après une heure d'un combat
assez vif , le vaisseau anglais fut obligé d'amener. C'est
le Swifsture , un des plus beaux de l'escadre de l'amiral
Keith..... L'amiral Gantheaume l'a remis en état de
naviguer.
Le 15 du même mois , une corvette partie de Bristol ,
et chargée de provisions pour l'armée anglaise en Egypte,
a été aussi capturée par l'amiral Gantheaume.
* Ces différents noms ont été ainsi réformés dans le journal
officiel.
304
MERCURE DE FRANCE , +
Dans le mois de messidor , nous avons pris aux An
glais deux vaisseaux de 74 canons . (Journal officiel. )
Le 23 messidor , le même vaisseau , le Formidable ,
à peine réparé du combat d'Algésiras , et commandé par
le capitaine de frégate Troude , a repoussé avec avantage
trois vaisseaux anglais et une frégate . Il est entré
triomphant à Cadix . L'amiral Moreno y est entré aussi ,
après avoir eu le malheur de perdre deux vaisseaux
espagnols , qui , dans une nuit très -obscure , se sont crus
ennemis , ont engagé un combat terrible , et ont sauté
tous les deux.
Une dépêche télégraphique , du 6 thermidor , annonce
au ministre de la marine , qu'une frégate anglaise de
40 canons , le Juson , capitaine Murray , a échoué devant
la rade de Saint - Malo . Dans les batteries de ce
beau bâtiment se sont trouvés 28 canons de 16 et 12 de
32. Il a été construit il y a 17 mois.
Suivant une lettre que le citoyen Daure , inspecteur
aux revues , a écrite de Livourne , le 2 thermidor ,
au ministre de la guerre :
Le général Menou était , le Ier, messidor
Alexandrie , maître du lac Maréotis ; il était campé
sur les hauteurs , hors de l'enceinte de la ville. Les
Anglais occupaient la presqu'ile d'Aboukir , avec une
portion de leur armée , n'ayant pas fait un pas - depuis
leur débarquement. L'amiral Gantheaume mouil-
Tait à 25 lieues d'Alexandrie . Le général Belliard.commandait
au Caire , avec un corps d'armée beaucoup
plus fort que celui de Menou . Une autre portion de
l'armée anglaise , sous les ordres du général Hutchinson ,
était à Terranée. Le capitan - pacha , avec la flottille ,
était sur le Nil , appuyant l'armée anglaise . — Les
Anglais eux - mêmes estiment leur perte des 17,22 et 30
ventose à 5000 hommes tués. Ils sont tres - incommodés
des maux d'yeux.
9
On assure que la commission chargée d'examiner la
colonne nationale a fait son rapport au ministre de
l'intérieur. Elle est d'avis que ce monument doit être
élevé sur la place de la Concorde , où le modèle est
THERMIDOR ANX
SEINE
DEP
1
présentement ; mais avec des changementsprono par
le citoyen Moreau lui - même , et que tous les ar
approuveront .
Le soubassement circulaire disparaît . La colonne, dont
le diamètre et l'élévation sont augmentés , sera posée sur
un piedestal carré , orné de quatre bas- reliefs , dont les
sujets feront allusion aux produits naturels et industriels
des quatre points cardinaux de la France. Le
fût de la colonne sera de marbre blanc statuaire , décoré
d'un bas-relief spiral , où seront sculptées les batailles
les plus mémorables des armées françaises Chaque
victoire sera séparée par une renommée portant des
couronnes et des palmes . La colonne sera surmontée par
une statue de la république triomphante.
Le général en chef Brune est rentré au conseil d'état ,
et a pris son rang comme président de la section de la
g erre. Les citoyens Sainte- Suzanne , général de division
, et Dumas , général de brigade , sont nommés
conseillers d'état dans la même section. Le citoyen
Bourienne est aussi nommé conseiller d'état , en service
extraordinaire .
Le citoyen Clarke , général de division , est nommé
ministre de la république , auprès du roi de Toscane, "
Le citoyen Champagny , conseiller d'état , est nommề
ambassadeur à Vienne. Le premier secrétaire d'ambas
sade , près cette cour , est le citoyen Lacuée , chef de
brigade.
7
Le cardinal Gonsalvi est reparti pour Rome.
Le ministre des relations extérieures est de retour à
Paris , et a repris ses fonctions immédiatement après son
arrivée , le 6 thermidor.
2
Le roi d'Etrurie , arrivé à Parme , avec la reine
son épouse ,, le 20 juillet , a été reçu par tout le
peuple avec les plus grandes demonstrations d'intérêt
et de joie , reconnu personnellement en sa qualité de
roi par son père , et complimenté.
Le citoyen Girod , préfet du Morbihan , est nomm
5 20.
306 MERCURE DE FRANCE ,
у
commissaire du gouvernement auprès du conseil des
prises. Il remplace le citoyen Dufaut , un des cinq
administrateurs de la caisse d'Amortissement , que les
consuls viennent d'organiser par un arrêté du 23 messidor.-
Le C. Julien , adjudant - commandant , est nommé
à la préfecture du Morbihan .
Le capitaine Baudin a écrit , le 27 ventose , de l'Islede
- France , où il était arrivé heureusement , après une
traversée de quatre mois deux jours , à compter du
départ de Ténériffe . Il a déja recueilli beaucoup d'objets
d'histoire naturelle , inconnus jusqu'à présent .
?
Le Gouvernement Prussien , dont on a plus d'une
fois remarqué la prudente lenteur à adopter les innovations
après avoir recueilli les expériences réitérées
des plus habiles médecins , vient de recommander à
tous les pères et mères l'inoculation de la vaccine.
I ordonne en même temps , à tous les médecins et
chirurgiens de la Silésie , d'étendre , autant qu'il est
en leur pouvoir , cette inoculation , et de faire connoître
tous les ans , par la voie des journaux et des gazettes
, le nombre des personnes inoculées et les remarques
qu'ils auront faites sur les suites de ces opérations.
Le ministre de l'intérieur a fait annoncer que l'exposition
générale des productions des artistes vivants
au salon du Musée , aurait lieu , cette année , le 15
fructidor. Les ouvrages doivent être remis à l'administration
, avant le 5 du même mois .... On ne sait
pas s'il y aura , comme l'année dernière , un jury
nommé pour l'exclusion des ouvrages trop médiocres ,
indignes d'être offerts aux regards du public . Si ce
jury a lieu , il est à desirer , pour l'honneur de l'école
française , qu'il se montre sévère dans son choix . ( Extrait
des Annales du Musée , rédigées par le C. Landon . )
SUITE du Résumé sur la dernière session du
Corps législatif.
COMMERCE .
Une révolution est surtout contraire aux grandes
péculations du commerce ; souvent même elle le pa-
1
THERMIDOR AN IX. 307
ralyse jusque dans ces opérations de détail qui du
moins conservent la vie et le mouvement dans l'intérieur
du corps politique. Trop pen de b as restent
au premier des arts , à celui qui alimente tous les autres
; l'agriculture languit. Le travail manque aux
ouvriers , ou les ouvriers au travail . L'argent est enfoui
, ou détourné par les besoins extraordinaires de
l'état. D'ailleurs , c'est dans le temps même des plus
grandes détresses , que semblent se multiplier les
sangsues du trésor public , à peu près comme les
voleurs se rassemblent à la lueur d'un incendie . Ainsi
tout se ralentit et comprime le génie commercial ,
jusqu'à des temps plus heureux .
Ces temps sont venus pour la France , et , depuis .
le 18 brumaire , on a vu sensiblement la confiance se
ranimer , et les esprits se tourner vers les entreprises
utiles. Les manufactures ont repris leur ancienne
activité ; à l'exemple des Anglais , nous avons multiplié
les mécaniques ; un grand nombre de foires ont
été rétablies ou créées ; la banque de France continue
ses utiles opérations ; et le crédit renaît . Plusieurs bergeries
nationales nous promettent la propagation des ,
races espagnoles. Les maisons de détention , les hospices
d'enfants abandonnés sont devenus des ateliers de travail
et des pépinières d'artistes et d'artisans .
Un arrêté du 27 nivose a créé une compagnie
spéciale pour la pêche du corail sur les côtes d'Afrique
; une manufacture doit être établie dans le
port d'Ajaccio , département du Liamone , où réside
l'administration de cette compagnie ; et le corail ne
sera vendu à l'étranger , qu'après avoir été ouvré.
Un autre arrête du même jour rétablit la compagnie
d'Afrique , supprimée en 1792 eile rentre dans
la jouissance de ses établissements en Barbarie ; toutes
les concessions commerciales accordées par la ré ence
d'Alger , d'après le traite de 1694 * , lui sont également
rendues à l'exception de la pêche du corail ,
qui exige des dispositions particulières.
?
Dans un rapport présente aux consuls le 13 ventose ,
le ministre de l'interieur , Chaptal a rappelé les "
* On sait qu'un traité de paix définitif , couclu à la fin
de l'an 8 , a fait revivre les anciennes relations de la
France avec le Dey.
308 MERCURE DE FRANCE ,
•
henreux effets de l'exposition publique des produits de
l'industrie française , qui eut lieu au Champ- de - Mars ,
en l'an 6. Une émulation générale anima toutes les
manufactures , encouragea tous les artistes . Dans les
années 7 et 8 , la guerre et la pénurie du trésor public
ne permirent pas de renouveler cette exposition .
Mais , cette année où nous jouissons de la paix conti- .
nentale , et où la paix maritime est au moins espérée ,
cette institution peut recevoir les plus grands et les plus
utiles développements.
Les consuls ont done arrêté qu'il y aurait, chaque année ,
à Paris , une exposition publique pendant les cinq jours
complémentaires : tous les manufacturiers et artistes français
sont appelés à ce concours de toutes les industries et
de tous les talents . Les produits des découvertes nouvelles
et les objets d'une exécution achevée , si la fabrication
en est connue , feront seuls partie de l'exposition . Un jury
particulier prononcera sur ceux de ces objets qui seront
dignes d'être présentés au concours. Un échantillon de :
chacune des productions désignées par ce jury , sera déposé
au conservatoire des arts et métiers , avec une ins- .
cription particulière qui rappelera le nom de l'auteur.
Les canaux et les routes se réparent et s'achèvent de
tout côté , notamment dans la Belgique , dont les indus- ,
trieux habitants se rattacheront de plus en plus à leur
première métropole.
Enfin , depuis longtemps , l'intérêt du commerce demandait
qu'on étendit à un plus grand nombre de villes
un établissem . nt précieux , celui des Bourses. Cet intérêt
demandait surtout que des mesures sévères réprimassent
l'avidité et la mauvaise foi de ce.te nuée d'agioteurs qui ,
auraient suffi pour avilir l'honorable profession de négociants
et de banquiers .
La loi du 29 ventose est un premier bienfait du législateur.
Elle commence à venger le commerce des nombreuses
atteintes que lui ont portées la cupidité et
l'ignorance peut - être plus funeste encore. L'ignorance
fut , dans la plupart des révolutions , le plus ordinaire
et le plus dangereux des législateurs .
On se rappelle la loi du 8 mai 1791 , qui supprima
tout-à-coup les offices et commissions d'agents et courtiers
de change , de banque , de commerce et d'assu
THERMIDOR AN IX. 309
rances , tant de terre que de mer , etc. , etc. Une patente,
motivée sur la quittance des impositions , appuyée du
serment de remplir ses fonctions avec intégrité , fut le
seul titre à la confiance des. Français et des étrangers.
On se joua du serment , ici commé partout ailleurs , et
le commerce , comme tout le reste , ne fut plus qu'un
brigandage... Les brigands de tout genre ont commencé
à disparaître.
La loi du 29 ventose autorise le gouvernement à
établir des bourses de commerce dans tous les lieux où
il n'en existe pas encore , et où il le jugera convenable .
Il réglera tout ce qui concerne les emplacements nécessaires
à la tenue des bourses , et leur entretien .
Dans toutes les villes où il y aura une bourse , il
y
aura des agents - de-change et des courtiers de commerce,
nommés par le gouvernement. Eux seuls auront le droit
d'en exercer la profession , de constater le cours du
change , celui des effets publics , marchandises , matieres
d'or et d'argent , et de justifier devant les tribunaux
, et attester la vérité et le taux des négociations ,
ventes et achats. Un cautionnement , déterminé par le
gouvernement , offre une garantie de plus à la confiance
publique. L'intérêt leur en şera payé à 5 pour 100.
Le 29 germinal , les consuls ont arrêté les dispositions
préliminaires pour l'exécution de cette loi ; réglé le mode
de la nomination des agents- de change et des courtiers ;
le mode du cautionnement qu'ils doivent fournir , et la
police qui s'exercera dans l'enceinte de la bourse.
Un grand nombre de bourses de commerce sont déja
établies. Une mesure commune interdit aux agents - dechange
et courtiers de faire aucune opération de change
et de banque , ni aucun trafic , ni commerce pour leur
propre compte , sous leur nom ou sous des noms interposés
directement ou indirectement.
Partout aussi les usages locaux détermineront les droits
de commission et de courtage , jusqu'à ce qu'il y ait été
pourvu par un règlement général.
Nous offrirons , dans le tableau suivant , les disposi
tions particulières à chaque ville .
Département du Rhône. LYON. Les fonctions d'agentsde
change et courtiers seront cumulativement exer310
MERCURE DE FRANCE ,
cées par les mêmes individus . Le nombre des agentsde-
change- courtiers est fixé à 50 ; chacun d'eux
fournira un cautionnement * de 20,000 fr.
Départ. de l'Hérault. MONTPELLIER. Les fonctions
d'agents - de-change et de courtiers ne pourront être
cumulées ; il ne pourra y avoir plus de 6 agentsde-
change , et plus de 12 courtiers ; le cautionnement
des premiers sera de 6,000 fr . , celui des
seconds de 2 , coo fr .
Départ. de la Seine . PARIS . 8o agents- de - change ; cautionnement
, 60,000 fr. 60 courtiers ; cautionnement
, 12,000 fr.
Départ. du Morbihan . LORIENT. 6 agents de - changecourtiers
; cautionnement , 8,000 fr.
Départ du Nord. DOUAY. 2 agents- de- change ; cautionnement
, 6,000 fr. 3 courtiers ; caut. , 2,000 fr.
Idem . VALENCIENNES . 4 agents - de - change ; cautionnement
6,050 fr. 15 court.; caut. , 3,000 fr.
Idem. LILLE. 16 agents de - change ; caut , 6,000 fr.
10 Court. caut. , 4,0cd fr.
Idem . DUNKERQUE . 12 agents - de - change - courtiers ;
caut. , 12,000 fr .
Départ, de la Haute-Garonne: TOULOUSE. 8 agents -dechange
; caut. , 6,000 fr. 15 court. ; caut . , 2,000 fr .
Départ. de la Gironde, BORDEAUX , 20 agents - dechange
; caut. , 12,000 - fr. 70 court . ; caut . 4,000 fr.
Idem LABOURNE . 10 Court. BLAYE , 8. PAULHAIC , 5.
LAMARQUE , 3. SAINT - MACAIRE , 3. LANGON , 3 .
BARSAC , 3. LANGUIRON , 3 ; cant . , 2,000 fr.
Départ. de l'Aude. CARCASSONNE , 2 agents de - changecountiers
; caut. , 6,000 fr.
Départ de la Dyle. BRUXELLES . 18 agents - de- changecourtiers
; caut. , 6,000 fr.
Départ. des Bouches-du- Rhône. MARSEILLE . 20 agentsde-
change ; caut . , 15,000 fr. 50 courtiers ; caut .
5,000 fr.
Départ.du Gard. NIMES . 10 agents - de - change , caut .
6,000 fr. 12 court .; caut. , 2,000 fr.
Départ de la Marne. REIMS . 4 agents - de- change ;
2 * Ce cautionnement doit être versé en six termes égaux ,
à la caisse d'amortissement.
THERMIDOR AN IX. 31
2
caut. , 6,000 fr . 24 court. ; caut . , 2,000 fr .
Départ. de la Côte d'Or. DIJON . 6 agents - de- changecourtiers
; caut. , 6,000 fr.
Départ. de la Somme. AMIENS. 8 agents - de- change ;
caut. , 6.000 fr. 15 court . ; caut . , 2,000 fr.
Départ. de l'Escaut. GAND , 8 agents de - change - courtiers
; caut . 6,000 fr.
Départ. de la Lys . OSTENDE . 6 agents - de - changecourtiers
; caut. , 6,000 fr.
Idem . BRUGES. 3 agents- de change- courtiers ; caut. ,
2,000 fr.
Départ. des Deux-Nèthes . ANVERS . 20 agents - dechange
; caut. , 10,000 fr . 30 court . ; caut. , 2,000 fr.
Départ. des Hautes - Pyrénées . BAYONNE . 8 agentsde-
change ; caut . , 6,000 fr. 12 court .; caut. ,
3,000 fr.
Départ, du Pas- de- Calais. BOULOGNE 2 agents - dechange
; caut. , 6,000 fr. 8 court . ; caut . 2,000 fr .
Idem . SAINT - OMER . 6 court. ; caut . , 2,000 fr.
Idem . ARRAS. 4 agens - de - change . Caut. 6,000 fr. 4
court.; caut . 2,000 fr.
Départ. de Lot - et- Garonne. AGEN. 6 courtiers ; caut.
2,000 fr.
Départ. de la Seine- Inférieure . ROUEN. 12 agents - dechange
; eaut . , 12,000 fr . 30 court . ; caut. , 3,000 fr.
Idem. LE HAVRE . 6 agents- de-change ; caut . , 6,000 fr.
12 court . ; caut . , 2,000 fr.
Départ. du Puy - de - Dôme. CLERMONT - FERRAND . 4
agents de-change ; caut. , 6,000 fr. 4 court. ; caut.,
20,000 fr.
Départ. du Var. TOULON.
10. courtiers
.
Caut
. -
2000 francs.
Départ. des Deux- Sèvres . NIORT. 4 courtiers. ; caut. 2,000 fr.
Départ. de l'Aveyron . RHODEZ . 3 agents - de - changecourt.
; caut. 6,000 fr.
Départ. de Loir-et- Cher. BLOIS . 3 court . ; caut. , 2,000 fr.
Départ. du Finistère . BREST . 4 agens de- change court.
de commerce ; caut . 6,000 fr. 6 court . pour les navires
et le roulage ; caut : 2,000 fr.
312 MERCURE DE FRANCE ,
Le conseil d'état s'occupe de la discussion du projet
du code civil . La section de législation a examiné les
observations du tribunal de cassation et des tribunaux
civils des département . Le premier consul preside à
toutes les séances où le code civil est discuté . M. de
Montlozier , en Angleterre , et beaucoup d'hommes
éclairés , en France , ont fait des reproches très - graves
à ce projet. Il retranche à jamais de notre législation
des institutions que le temps semblait avoir consacrées :
il propose des institutions nouvelles . Sous ces deux
rapports , il est facile de concevoir que les anciens
souvenirs , les opinions , les préjugés , mille raisons
enfin doivent exciter des réclamations de toute espèce .
Une connaissance profonde du caractère et des moeurs
qui appartiennent à la nation française , et non pas
aux circonstances ou aux individus , une vue impartiale
de notre situation politique et morale , un sentiment
vrai de tous nos besoins , le concours de toutes
les lumieres , l'expérience de tant de siécles , et surtout
une sage lenteur dans la discussion , nous donneront
peut-être ce code sage et uniforme , qui fut toujours
la pierre philosophale des sociétés civiles.
-
-
聚
INSTITUTION DES ASILES. Tel est le
titre sous lequel un bon citoyen , se confiant aux
exemples de S. Vincent de Paule , et aux justes
espérances que conçoivent aujourd'hui les amis de
Ja paix et de la vertu , se propose de fonder un
établissement en faveur des victimes de l'âge ou de
Ja misère. Le C. Molin voudrait réparer les suites
funestis des longs travaux qui épuisent , des accidents
imprévus qui ruinent les moyens d'existence :
combien , par exemple , la classe ouvrière offre de
THERMIDOR AN IX . 313
vieillards ou d'infirmes sans ressource ! Il voudrait
surtout sauver ce grand nombre d'enfants qui meurent
au berceau , ou traînent une vie pire que la mort.
De tout temps l'humanité , et la morale ont réclamé
contre le spectacle hideux de ces malheureux enfants
qu'un intérêt sordide ou une pitié barbare expose mutilés
ou défigurés aux regards du public . Les asiles les retireraient
.... Sous tous ces rapports , la mendicité serait
au moins diminuée ; et la bienfaisance particulière
concourrait avec les mesures d'humanité , de police
et d'administration , que le gouvernement ne cesse de
prendre pour mettre fin à ce fléau . Toutes les idées
généreuses , tous les projets qui tendent au soulagement
de la classe toujours trop nombreuse des infortunés
, doivent être accueillis avec intérêt .
Le plan du C. Molin paraît simple et adapté aux
moyens d'exécution . L'établissement des asiles , dans
chaque département , dépendra du nombre et de l'em-1
pressement des inscriptionnaires. Remède , nourriture
saine , soins assidus ; secours à domicile , soit en argent
, soit en nature , pour les enfants infirmes qui
pourraient recevoir les soins maternels ; propreté , économie
; amélioration successive , à mesure que les fonds
deviendront plus considérables , telles sont les promesses
. Les vues que développe le C. Molin garantissent
sa fidélité à les accomplir.
Le prospectus se distribue chez tous les notaires ,
et chez l'auteur , rue Saint - André- des -Arcs , n.º 24.
Un arrêté du 13 thermidor défend l'importation , en
France , des chevaux anglais , commerce où nous avons
sout à perdre , et rien à gagner,
314 MERCURE DE FRANCE ,
STATISTIQUE du département de la
Haute-Saône .
LA Franche - Comté a formé les trois départements
du Jura , du Doubs et de la Haute - Saône . Ce dernier
est divisé en trois sous - préfectures , Gray , Vesoul et
Lure. Chacune de ces villes possède un tribunal civil
de première instance . Vesoui est le chef lieu ; et c'est
là que sont réunis le conseil de pr fecture et le
tribunal criminel. Le tribunal de commerce est à Gray.
Vesoul et Gray occupent peu de surface , et neanmoins
sont très- peuplées , à cause de la hauteur des édifices.
Le département est situé entre les 47. et 48. degrés
de latit. , et les 3. et 5. degrés de long. , à l'orient de
Paris . Cette situation , qui le rapproche des contrées septentrionales
de la France , porterait à croire que les
produits de l'agriculture y suivent les mêmes périodes
que dans les départements situés à la même latitude.
Cependant la correspondance particulière du préfet lui
a fait connaître que pendant l'an 8 , la fenaison , la
moisson , la vendange ont été commencées dans son département
, aux mêmes époques que dans celui du Lot
et Garonne , situé à une latitude beaucoup plus méridionale.
Si cette observation se confirme par la suite ,
il en résultera une nouvelle preuve , que les climats ,
relativement à l'agriculture , ne sont pas séparés par
des lignes est et ouest , mais par des lignes nord- est
et sud - ouest.
2
Le sol est très-varié : la surface présente de tous côtés
des champs labourés , des vignes , des bois , des espaces
vagues , des prairies , et un grand nombre de petites
villes ou villages.
POPULATION .
On compte dans ce département 454,405 hectares ,
48, ares ou 224 lieues carrées ( 25 au degre). Ainsi c'est un
des plus petits départements de la république ; mais il
est en même temps un des plus peuplés . Les derniers
états portent la population à 28,4073 personnes , ce qui
fait par lieue carrée 1268 habitants .
THERMIDOR AN IX. 315
Au commencement de la guerre , le nombre s'élevait
à 285,616 . Il y aurait donc une diminution de 1,543
individus . Ce résultat ne doit pas surprendre , si l'on
considere la quantité de soldats que le département
a fournis. Il a envoyé aux armées la vingtcinquième
partie environ de sa population totale ; c'està-
dire , quatre fois plus qu'il ne devait en fournir pour
conserver , sans perte , cette population .
Il n'a pas été possible de se procurer les relevés de
naissances , décès et mariages , pendant les huit premiers
mois de l'an 8. Les fréquents changements d'administrateurs
ont beaucoup nui au bon ordre dans cette
partie essentielle des comptes à rendre au gouvernement.
Si l'on en juge par les quatre derniers mois , on aurait
par an 10,119 naissances. 6,282 décès. 2,499
mariages.
-
AGRICULTURE .
Le département de la Haute - Saône nourrit une quantité
considérable de bestiaux de toute espèce . On y
compte , boeufs , 39,211 -vaches , 42,437 -veaux et génisses
, 36,713 - chevaux de tout âges , 4,836 — juments
, 3,983-mules et mulets , 15 -ânes et ânesses ,
590 -moutons et brebis , 132,620- chèvres et boucs
16,644- cochons mâles et femelles , 40,604.
Une épizootie cruelle a réduit le nombre des bêtes
à cornes à 107,503 ; nombre très -grand encore , mais
qui ne doit pas étonner dans un pays que l'on cultive
avec des boeufs , et qui contient d'immenses pâturages ,
La beauté et l'étendue des prairies permettraient de
nourrir plus de chevaux qu'il n'en existe jusqu'à présent.
La guerre en a enleve beaucoup à la paix , il n'est
pas de département qui offre plus de ressources pour
élever de belles races . Les pâturages ne sont point trop
gras , et le voisinage des montagues leur donne un goût
excellent.
Le foin de l'année dernière a été très - bon ; mais la
récolte médiocre : elle a produit 9,459,800 myriagrammes.
La sécheresse n'a point permis de faire les regains ,
Ainsi le gouvernement devra compter sur une grande
diminution dans la quantité de fourrages que la
Haute - Saône fournit ordinairement à la cavalerie. ,
316 MERCURE DE FRANCE ,
Il est difficile d'avoir une notion exacte des autres productions
. Des réponses vagues ont été faites par les maires
aux questions qui leur furent adressées , d'après la lettre
du ministre de l'intérieur . Une demande positive
sur la quantité de chaque espèce de grain , aurait été
plus facilement comprise , et plus exactement satisfaite.
En général la récolte a été médiocre pour les grains
semés avant l'hiver , et mauvaise pour la plupart des
autres , à cause de la longue sécheresse de l'été.
Le tiers des terres labourées du département est semé
en blé , ou en seigle ; beaucoup plus de blé que de seigle
; mais on ne connaît pas encore la proportion . On
sème 12 myriagrammes par hectare , et la semence déduite
du produit , il est résulté net 4,386,540 myriagrammes
en ces deux espèces de grains. En comptant 20 myriagrammes
par individu , la récolte de cette année ne
suffit pas pour nourrir tous les habitants .
L'orge et l'avoine ont rendu à peu près , comme le
blé ou le seigle , 6 pour 1 ; mais le poids est bien différent'
, surtout après une grande sécheresse. En supposant
que le poids de l'orge soit les deux tiers de celui
du blé ; que le poids de l'avoine soit la moitié , et que
la quantité d'orge soit égale à la quantité d'avoine , ce
qui se rapproche assez de la vérité , on trouve qu'il reste
de disponible , en orge , 1,462,180 myriagrammes ; en
avoine , 1,096,635 myriagrammes . Le gouvernement
peut statuer là dessus , pour la quantité de troupes à
cheval qu'il placera dans ce département , en défalquant
ce qui sera nécessaire aux chevaux du pays , et l'orge
que les habitants consommeront , ou pour se nourrir
faute de blé , ou pour faire de la bière.
Les habitants voisins des montagnes suppléent au
défaut de blé ou de seigle , par le sarrasin ou les
pommes de terre ; mais la sécheresse en a rendu la
récolte preque nulle , comme aussi celle du maïs et
celle des légumes , pour lesquels on n'interrompt pas
l'assolement ordinaire et qu'on recueille sur les jachères
.
"
C'est encore sur les jachères qu'on recueille les graines
de navette dont on fait de l'huile à brûler ; le chanre
, et le tabac qu'on cultiye dans quelques communes
THERMIDOR AN IX. 317
du département. La sécheresse a beaucoup nui à toutes
ces denrées.
On a récolté très - peu de via . L'hectare a produit tout
au plus cinq barriques , qui , à raison de 160 pintes la
barrique , font 800 pintes , ou 16,899 hectolitres.
BOIS .
?
On ne peut présenter aucune évaluation juste de la
récolte en bois . Le produit varie suivant les localités
à raison des dévastations plus ou moins considérables qui
ont eu lieu depuis dix ans. Les bois des communes sont
généralement partagés en nature entre les habitants ,
et consommés sur les lieux. Les parties qui en sont
vendues , sont , aussi bien que les forêts nationales , principalement
destinées aux usines en fer.
MINES.
Il existe une mine de sel , dont le produit n'est pas
encore constaté ; une mine de charbon de terre , dont
le revenu pour la république vient d'être porté par un
bail à 60 mile francs ; une mine de granit d'une trèsbelle
qualité, qui emploie environ soixante ouvriers par an .
Mais les mines les plus intéressantes pour la Haute-
Saône sont ses mines de fer ; mines si riches qu'elles '
rendent 35 à 40 livres pesant par quintal . On trouve
à une très-petite profondeur ce métal , qui ne le cède
pas à celui de Suède et d'Angleterre : 101 usines sont
continuellement occupées à le fondre et le fabriquer .
Elles donnent du travail à plus de 16,000 ouvriers ;
c'est la 18. partie de la population . Sous tous les rapports
, ce genre d'industrie mérite la faveur du gouvernement
. En l'an 7 , on l'avait accablé sous les droits
de patentes.
Il y a encore , dans ce département, un certain nombre
de moulins à huile ; 692 moulins à blé , dont quelquesuns
contiennent plusieurs couples de meules.
On ne connaît qu'imparfaitement jusqu'ici le produit
de plusieurs manufactures , dont les principales sont
29 tuileries , 12 brasseries , 6 verreries , I papeterie.
EAUX THER MALE S.
Les eaux thermales , qui se trouvent dans ce département
, sont surtout renommées pour la guérison des
1
318 MERCURE DE FRANCE ,
blessures et des maladies de la peau. Les bains sont
situés dans la ville de Luxeuil ; un hópital militaire
y est établi mille malades ont été reçus à la fois
et un grand nombre de blessés se sont retirés parfaitement
guéris .
?
On compte à Luxeuil six principales sources d'eaux
thermales , qui ont chacune un degré de chaleur différent.
Ces eaux sont très- limpides , insipides et inodores
. L'analyse démontre qu'elles contiennent du
carbonate de soude , un peu de magnésie , de la terre
calcaire , de la terre vitrifiable , et une petite quantité .
de gaz.
COMMERCE.
La seule ville commerçante du département est celle.
de Gray. Elle est située au point où la Saóne , qui
prend sa source dans le département des Vosges , commence
à être régulièrement navigable pendant toute
l'année. Le principal commerce de cette place consiste '
en fer et en blé.
On évalue les fontes , fers , fer - blanc , etc. , dont
les prix varient suivant l'espèce et la qualité , à une
exportation annuelle de cinq millions .
Le blé se rend au port de Gray de tous les points
des départements de la Haute Saóne , de la Côte d'Or ,
de la Haute- Marne et des Vosges . On y embarque
année commune , un million 500 mille myriagrammeś
de blé , qui , à raison de 2 francs le myriagramme ,
font 3 millions .
Ce double commerce qui est peu de chose en comparaison
des grandes places de la république , donne la
vie au département et soutient son agriculture.
On y fait commerce aussi de vins et de fromages ;
mais on ne peut offrir cette année des renseignements
certains sur le produit de ces objets .
NAVIGATION.
Il serait possible de donner une grande activité au
commerce du département , en rendant navigables :
les rivières qui le traversent , telles que la Saône et
l'Oignon . Mais les fonds manquent . Le revenu net des
bacs et bateaux ne s'est élevé , en l'an 8 , qu'à la modique
somme de 3,103 fr. 75 cent. ; qui n'offre aucuneTHERMIDOR
AN IX. 319
ressource pour perfectionner la navigation . Sans doute
le gouvernement pourra bientôt étendre ses soins à cet
égard sur toute la république.
ROUTES.
Le département de la Haute - Saône est un de ceux
qui contiennent le plus de routes relativement à leur
étendue.
re
Dans les trois arrondissements de Vesoul , de Gray
et de Lure , les routes- de la 1. classe occupent une
longueur de 19 myriamètres , 3284 mètres ; les routes
de la 2 , 31 myriamètres , 2419 mètres ; celles de la
3. , 18 myriamètres , 9147 metres ; et celles de la 4.º ,
13 myriamètres , 6957 mètres .
Total , 83 myriamètres , 1807 mètres , ce qui équivaut
à 187 lieues de 25 au degré.
Ces routes ne sont pas en bon état ; elles ont été
originairement construites de manière à exiger de fréquentes
réparations. Nulle part , il n'y a d'encaissement
ni de chaussée . Si le revenu des barrières était
soigneusement employé , on pourrait les mieux construire
par la suite. On trouve presque partout , dans
ce département , une espèce de matériaux excellents ,
et qui n'a point encore été mis en usage : c'est la crasse
des forges et fourneaux ; elle suppléerait avantageusement
au gravier dont les carrières sont très - rares .
On a établi sur ces routes trente-une barrières ,
sont affermées , pour l'an 9 , 82,870 fr.
qui
Les routes étaient plantées autrefois ; mais le défaut
de gardes a bientôt occasionné la ruine des plantations
. Pour les rétablir et les conserver , il serait utile
d'introduire dans le département le systeme des cantonniers.
On voudrait donner des notions précises sur les ponts
et pontceaux qui sont construits le long de ces routes ,
et sur leur état de bonté ou de dégradation , mais les
états nécessaires ne sont point parvenus .
CONTRIBUTIONS.
Le département supporte des contributions considérables
, et les acquitte avec un zèle et une exactitude
?
320 MERCURE DE FRANCE ,"
qui honorent également et le contribuable qui paye ,
et le gouvernement qui dépense . Voici celles de Fan 8.
CONTRIBUTIONS DIRECTES.
NOMS
CENTIMES
des PRINCIPAL . TOTAL
additionnels.
CONTRIBUTIONS.
Foncière...... 1,509,900 fr . 00 c .
Personnelle et mobiliaire 178,000 00
c.ţ1,774,13 , 232 fr . 5 : c.1,774,132 fi . 50 c
4 Co 178,000 00
Somptuaire .....
Portes et fenêtres
Subvention de guerre..
TUTAUX.
.2,363 27
148,943.45
2,343 27
O 00 148,943 45
$405,475 00 O 00 405,475 00
2,244,611 fr. 72 c. | . 264,232 fr. 50c . 2,508,914 fr . 22 C.
CONTRIBUTIONS INDIRECTES.
Patentes..... .....
Tabacs......
Droits de passe......
Bains et bateaux ...
138,832 fr . 11
3,149
82,870
7
3,333 75
46,578 12
143,919 75
Enregistrements .........
Timbre....……………………………
Hypotheques .…………………………
TOTAL..
23,363 15
863,145 fr . 96 0.
Les revenus nationaux , composés principalement des
bois , des fermages et des amendes , ont produit la
somme de 507,349 fr. 22 cent . Il reste très--peu de biens
de cette nature à vendre dans le département de la
Haute- Saone. 2
L'instruction publique est presque nulle dans les
campagnes ; mais déja les jurys d'instruction , établis
dans chaque arrondissement , ont inspiré quelque émulation
et fait naître des espérances.
L'école centrale est animée du meilleur esprit : seulement
on desire un cours d'etudes plus suivi et mieux
ordonué ; aucun objet ne mérite plus l'attention du
gouvernement : les plus belles institutions politiques
sont des bienfaits perdus , si l'éducation ne forme pas
de bonne heure les hommes à en profiter.
DEPT
( N.° XXIX. ) 1.er Fructidor An 9.
MERCURE
DE FRANCE.
LITTÉRATURE.
POÉSIE.
REP.FRA
.
FIN du troisième chant de la nouvelle édition
du Poème DES JARDINS.
AH ! si dans vos travaux est toujours respecté
Le lieu par un grand homme autrefois habité ,
Combien doit l'être un sol embelli par lui- même ?
Dans ces sites fameux , c'est leur maître qu'on aime .
Eh ! qui du Tusculum de l'orateur romain ,
Du Tivoli si cher au Pindare latin ,
Aurait osé changer la forme antique et pure ?
Tout ornement l'altère , et l'art lui fait injure .
Loin, donc l'audacieux qui , pour le corriger ,
Profane un lieu célèbre en voulant le changer !
Le grand homme au tombeau se plaint de cet outrage ,
Et les ans seuls ont droit d'embellir son ouvrage :
Gardez donc d'attenter à ces lieux révérés ;
Leurs débris sont , divins , leurs défauts sont sacrés.
Conservez leurs enclos , leurs jardins , leurs murailles ;
Tel on laisse la rouille au bronze des medailles ;
5
5. 21
322 MERCURE , DE FRANCE ,
Tel j'ai vu le Twicknham , dont Pope est créateur ;
Le goût le défendit d'un art profanateur ,
Et ses maîtres nouveaux , révérant sa mémoire ,
Dans l'oeuvre de ses mains ont respecté sa gloire .
Ciel ! avec quel transport j'ai visité ce lieu
Dont Mindipe est le maître et dont Pope est le dieu.
Le plus humble réduit avait pour moi des charmes .
Le voilà , ce musée où , l'oeil trempé de larmes ,
De la tendre Héloïse , il soupirait le nom ;
Là , sa muse évoquait Achille , Agamemnon ,
Célébrait Dieu , le monde , et ses lois éternelles ,
Ou les règles du goût , ou les cheveux des belles ;
Je reconnais l'alcove où , jusqu'à son réveil ,
Les doux rêves du sage amusaient son sommeil.
Voici le bois secret , voici l'obscure allée
Où s'échauffait sa verve en beaux vers exhalée :
Approchez , contemplez ce monument pieux
Où pleurait en silence un fils religieux :
Là repose sa mère , et des touffes plus sombres "
Sur ce saint mausolée ont redoublé leurs ombres ;
Là du Parnasse anglais le chantre favori
Se fit porter mourant sous son bosquet chéri ;
Et son oeeuil , que déja couvrait l'ombre éternelle ,
Vint saluer encor la tombe maternelle .
Salut , saule fameux que ses mains ont planté !
Hélas ! tes vieux rameaux , dans leur caducité ,
En vain sur leurs appuis reposent leur vieillesse ,
Un jour tu périras ; ses vers vivront sans cesse.
Console-toi , pourtant ; celui qui , dans ses vers
D'Homère , le premier fit ouïr les concerts ,
Bienfaicteur des jardins , ainsi que du langage ,
Le premier sur les eaux suspendit ton ombrage :
A peine le passant voit ce tronc respecté ,
La rame est suspendue et l'esquif arrêté ;
FRUCTIDOR AN IX. 323
Et même en s'éloignant , vers ce lieu qu'il adore ,
Ses regards prolongés se retournent encore,
Mon sort est plus heureux ; par un secret amour ,
Près de ces bois sacrés j'ai fixé mon séjour .
Eh ! comment résister au charme qui m'entraîne ?
Par plus d'un doux rapport mon penchant m'y ramène,
Le chantre d'Ilion fut embelli par toi ;
#
Virgile , moins heureux , fut imité par moi .
Comme toi je chéris ma noble indépendance ;
Comme toi des forêts je cherche le silence.
Aussi , dans ces bosquets , par ta muse habités ,
Viennent errer souvent mes regards enchantés ;
J'y crois entendre encor ta voix mélodieuse ;
J'interroge tes bois , ta grotte harmonieuse ;
Je plonge sous la voûte avec un saint effroi
Et viens lui demander des vers dignes de toi .
Protége donc ma muse ; et si ma main fidelle ,
Jadis à nos Français te montra pour modèle ,
Inspire encor mes chants ; c'est toi dont le flambeau
Guida l'art des jardins dans un chemin nouveau :
Ma voix t'en fait l'hommage ; et , dans ce lieu champêtre,
Je viens t'offrir les fleurs , que toi - même a fait naître.
"
LA ROSE ET LE CHARDON.
SUR un buisson que Zéphir caressait ,
La Rose s'épanouissait.
Elle était Reine , et c'était par ses charmes ,
Bons titres en tous lieux , bons titres en tous temps .
L'Aurore , avec ses douces larmes ,
La couronnait de diamants.
L'épine se joignait aux charmes de la Rose,
Quelques défauts qu'aux charmes on oppose ,
324 MERCURE DE FRANCE ,
Sont des charmes encor : l'objet le plus marquant
A besoin d'un peu de piquant.
Le Chardon , jusqu'alors paisible , et bonne plante ,
Croissait auprès de la Rose éclatante .
Il entendit vanter le prix
Que donnait l'épine à la Rose.
Ah ! se dit- il , un peu surpris ,
J'ai des piquants aussi ; c'est donc la même chose.
Si je les augmentais , je serais son rival .
་ ་་་
Que dis -je ? Son vainqueur , l'honneur , l'orgueil de Flore !
Poussons , force piquant , ils ne m'iront pas mal ,‹
Et voilà mon Chardon porc - épic végétal.
Tout en se balançant , il attend qu'on l'adore.
Les ânes , qui jadis étaient ses papillons ,
Pour le goûter se piquant la moustache
Tournèrent d'abord les talons ,
"
Et n'y revinrent pas de longtemps , que je sache.
Mais comme ils sont , dans tous les cas ,
Plus routiniers que délicats ,
L'ancienne habitude l'emporte .
ཏི ནྟི
4
Quelques piquants de plus ou de moins , il n'importe ,
Ils n'y prennent pas garde , et seulement ce mets
Leur chatouille un peu le palais .
Qu'est-ce que cela prouve ? Eh quoi ! faut- il le dire ?
Je veux montrer que bien des sots
Prétendent s'égaler aux gens que l'on admiré ,;
En ne prenant que leurs défauts.
B. S.
FRUCTIDOR AN Í X. 325
ENIGM E.
Je suis née au milieu des feux ,
Pour y passer toute ma vie ;
Je deviens le tombeau de bien des malheureux ,
Qu'à ses plaisirs le monde sacrifie.
Quoique de moi l'on fasse cas ,
Je n'occupe jamais qu'une main subalterne ;
C'est pourtant un grand embarras
Que celui de qui me gouverne.
LOGO GRIPHE.
Quatre pieds composent mon nom ;
Ma tête à bas , je suis animal domestique ;
Mon ventre ôté , je suis pronom.
Retranche tête et queue ; en cet état unique ,
Retourne moi , lecteur , et femme je parais.
Si tu ne peux encor me connaître à ces traits ,
Apprends qu'àtous les maux je suis un grand remède ,
Et qu'on ne vit heureux qu'alors qu'on me possède .
Mots de l'Enigme et du Logogriphe insérés
dans le dernier Numéro .
Le mot de l'énigme est souris.
Le mot du premier logogriphe est roc , où l'on
trouve cor.
Le mot du second est romance , où l'on trouve mare ,
coran ane , ame , Rome , cor , mer , an.
326 MERCURE DE FRANCE ,
LES JARDINS , poème ; par JACQUES
DELILLE , nouvelle édition considérablement
augmentée. A Paris , chez Levrault
frères , libraires . De l'imprimerie de P. Didot
l'aîné. An 9. 1801 .
CE poème est connu et jugé depuis longtemps .
La critique impartiale , qui se fait toujours entendre
après les satires de l'envie et les éloges
des prôneurs , a placé l'auteur au premier rang ,
dans un genre où l'invention est moins nécessaire ,
mais où l'art des vers doit employer toutes ses
ressources , et le style poétique s'orner de toute
sa parure . Laharpe a comparé le poème des
Saisons et celui des Jardins. Des juges trèséclairés
semblent adopter son opinion , quoique le
résultat en soit un peu sévère. C'est ainsi qu'il
termine ce parallèle réimprimé dans quelques
journaux.
་་
*
« J'avoue , dit - il , qu'en mettant en balance la manière
de l'abbé Delille et celle de Saint -Lambert , je
me sens porté à préférer dans celle- ci un ton naturelle-
« ment élevé , et une expression simple avec intérêt ,
« ou magnifique sans effort. Il a moins d'art et de va-
« riété dans la facture du vers , mais un naturel plus
" heureux et plus beau , où le travail ne se fait point
sentir ; ce que je préfere à tout dans les beaux - arts ,
"
"
"
« dont on sait que le plus grand effort est de faire oublier
l'art. ".
On ne peut sans doute rien ôter à ces éloges si
bien mérités par Saint- Lambert ; mais on pour-
* Voyez la Correspondance avec le grand duc de Russie,
tome 3 , page 393.
FRUCTIDOR AN IX. 327
rait ajouter quelque chose à ceux que mérite aussi
le traducteur des Géorgiques . Il a rendu , ce me
semble , un service essentiel à notre école poétique
; et , pour mieux le reconnaître , il est bon
de rappeler quel fut le caractère de cette école
pendant le 18. siécle.
Voltaire après avoir recueilli en grande partie
l'héritage du grand siécle qu'il avait vu finir ;
Voltaire soutenait presque seul , depuis cinquante
ans , la gloire de notre poésie héroïque. Seul il
possédait l'art du grand vers toujours employé
par Corneille , Racine et Boileau dans les compositions
importantes . Seul , à cette époque , il
savait écrire , dans les sujets nobles , avec un
style toujours élégant et soutenu . Aussi , dans
une de ces conversations familières où tous les
secrets de l'amour - propre s'échappent aux yeux
de l'amitié , il disait à quelques confidents : d'autres
que moi peuvent rencontrer , par intervalle ,
deux ou trois beaux vers . Mais il leur est bien
difficile d'en faire dix bons , impossible d'en
écrire cent d'une manière convenable. Il n'y
a que moi qui le puisse , et encore Jean et
Nicolas sont mes maîtres ! On sait qu'il appelait
ainsi Racine et Boileau . Ce jugement de Voltaire
était alors très fondé. Mais ses vers empreints du
plus beau talent et nés sans effort , avaient
quelques défauts inséparables d'une composition
trop précipitée. Il prodiguait les beautés , et ne
les perfectionnait pas. Il ne pouvait corriger
longtemps ce qu'il produisait si vite. Trop de
soin eût arrêté cette imagination mobile et féconde
toujours impatiente de créer . De là vient qu'en
général les masses de son style sont si bien jetées ,
ét que tous les détails n'en sont pas travaillés sévè-
•
1
328 MERCURE DE FRANCE ,
rement ; il trouve , avec facilité , l'élégance et le
nombre poétiques ; mais il en néglige quelques
secrets. Son élégance a plus de naturel que de
correction , plus d'éclat que de sagesse , plus de
charme que de régularité.
Son harmonie est presque toujours heureuse ,
sans être aussi savante que celle de Racine et de
Boileau . Le mécanisme de son vers est moins varié
que ses idées et ses images . On y trouve moins
souvent ces ellipses hardies , ces tours nouveaux ,
ces expresssions habilement rapprochées , qu'on
doit à l'art comme au talent , et qui nous frappent
sans cesse dans l'auteur de Phèdre ou dans celui
du Lutrin. D'ailleurs , on n'ignore pas que Voltaire
était éminemment né pour la tragédie , qu'il avait
pour elle un goût exclusif , et n'estimait pas assez
les autres genres. La tragédie doit être sans doute
conçue par l'imagination et l'ame d'un poète ;
mais les richesses et l'art de la poésie n'y doivent
pas trop paraître , et c'est-là que le versificateur
habile est moins nécesssaire que l'écrivain passionné.
Racine fut à la vérité l'un et l'autre , et sa gloire
s'en est accrue . Mais qu'on songe que Voltaire occupait
seul la renommée sans rivaux et sans juges.
Harcelé par les critiques de la haine ou de l'ignorance
, il n'eut pas le bonheur de rencontrer un
ami qui lui apprît , comme Despreaux , à faire
des vers difficilement . Grand poète par l'élévation
des pensées , par la noblesse et la vivacité des
images , par l'abondance , la verve et le mouvement
, il ne fut donc pas un versificateur aussi
parfait que les deux modèles du siécle passé . Celui
qui fit la Henriade , Mérope et Zaïre , possédait
bien , si j'ose m'exprimer ainsi , la lyre de Racine ;
mais il n'en faisait pas retentir toutes les cordes
/
C
FRUCTID OR AN IX . 329
avec la même précision . Sa main brillante était
moins pure , et ses accords étaient moins finis .
Bientôt l'école de Voltaire exagéra tous ses
défauts. Il s'était permis des vers négligés ; on fit
des vers prosaïques ; on ne porta presque plus le
joug de la rime , parce qu'il l'avait trop peu respecté
dans quelques - unes de ses nombreuses
productions. Comme son oreille était juste sans
qu'il eût beaucoup approfondi les diverses combinaisons
du vers français , on se crut dispensé
de les mieux étudier que lui . On oublia peu à
peu tous les effets du rhythme , les coupes va
riées , les prolongements harmonieux , les suspensions
inattendues de la phrase poétique , et tous
ces heureux artifices de la mesure et de la période
qui doublent le charme du sentiment ou la force
de la pensée , en les faisant retentir de l'oreille jusqu'au
coeur. Ajoutons que Voltaire , jeté dès l'enfance
au milieu des spectacles et des passions de la
société , les reproduisit toujours dans ses vers . On
y retrouve à chaque instant les goûts et les habitudes
de sa vie entière qui s'écoula dans le tumulte
du monde et dans les illusions de la gloire.
Demandez -lui de retracer avec grandeur les infortunes
des rois et les catastrophes des empires , de
peindre en vers charmants les embarras de Paris ;
mais ne cherchez pas dans ses ouvrages l'amour de
la campagne , et tous ces détails de la vie champêtre
qu'Homère et Virgile ramenaient sans cesse
au milieu des grandes scènes de l'Epopée . Ce n'est
pas chez Voltaire qu'on trouve ce style :
Qui sait même , au discours de la rusticité
Donner de l'élégance et de la dignité .
Il avait jugé lui - même que la traduction des
330 MERCURE DE FRANCE ,
Georgiques était presque impossible avant que
Delille eût osé la tenter.
Cette traduction a paru , et la poésie française
s'est étonnée de nommer avec élégance tous les
travaux et tous les instruments rustiques. Les difficultés
même , en excitant le traducteur , l'ont contraint
de travailler avec plus de soin sa versification
, et d'en varier les formes et les effets . Son
exemple n'a point été inutile aux jeunes élèves ; et ,
dans cette partie , Delille a rétabli l'école de Despréaux.
Les poètes qui lui succéderont ne doivent
point oublier ce service qu'il leur a rendu , et qui
sera toujours sa principale gloire.
Il a montré le même talent de style dans ses
Ouvrages originaux ; et , pour s'en tenir aux Jardins
, on avoue que le vers français ne peut avoir
plus d'éclat et de variété que dans quelques morceaux
de son poème. La description des beautés
naturelles d'Eden , comparées aux jardins pompeux
de Versailles , la destruction de ce vieux parc
de nos rois , les effets des eaux et des ruines sont
des modèles du style pittoresque. L'auteur n'a
point fait disparaître , dans cette nouvelle édition ,
les défauts qu'on lui reproche * ; mais , à une
foule de beaux vers , il ajoute de beaux vers encore .
On a pu déja en juger par le fragment sur les Jardins
de Pope , imprimé à la tête de ce journal . La
peinture de ceux de Bleinheim peut confirmer
ce jugement.
1
Ah ! si la paix des champs , si leurs heureux loisirs
N'étaient pas le plus par , le plus doux des plaisirs ,
D'où viendrait sur nos coeurs leur secrète puissance ?
* Voyez le tome 3 de la Correspondance.
FRUCTIDOR AN IX. 331
Tout regrette ou chérit leur paisible innocence.
Le sage à son jardín destine ses vieux ans ;
Un grand fuit son palais pour sa maison des champs ;
Le poète recherche un bosquet solitaire ;
A son triste bureau le marchand sédentaire ,
Lassé de ses calculs , lassé de son comptoir ,
D'avance se promet un champêtre manoir ,
Rêve ses boulingrins , ses arbres , son bocage ,
Et d'un verger futur se peint déja l'image .
Que dis - je ? Au doux repos invitant de grands coeurs ,
Un jardin quelquefois fut le prix des vainqueurs .
Là , le terrible Mars , sans glaive , sans tonnerre
Las de l'ensanglanter , fertilise la terre ';
Au lieu de ses soldats , il compte ses troupeaux ;
Au chêne du bocage il suspend ses drapeaux.
Sur ses foudres éteints je vois s'asseoir Pomone ;
Pales ceint en riant les lauriers de Bellone ;
Et l'airain , désormais fatal aux daims légers ,
A rendu les échos aux chansons des bergers .
?
Tel est Bleinheim, Bleinheim , la gloire de ses maîtres,
Plein des pompes de Mars et des pompes champêtres ; .
En vain ce nom fameux atteste nos revers ,
Monument d'un grand homme , il a droit à mes vers.
Si des arts créateurs j'y cherche les prodiges
Partout l'oeil est charmé de leurs brillants prestiges ,
Et l'on doute , à l'aspect de ces nobles travaux ,
Qui doit frapper le plus du peuple ou du héros .
Si j'y viens des vieux temps retrouver la mémoire ,
Je songe , ô Rosamonde , à ta touchante histoire ;
De Rose , mieux que toi , qui mérita le nom ?
En vain de la beauté le ciel t'avait fait don ;
Tendre et fragile fleur , fletrie en ton jeune âge ,
Tu ne vécus qu'un jour , ce fut un jour d'orage.
Dans ce nouveau Dédale où té cache Merlin ,
Ta rivale en fureur pénètre , un fil en main ,
332 MERCURE DE FRANCE ,
Et , livrant Rosamonde à sa rage inhumaine ,
Ce qui servit l'amour fit triompher la haine .
Ah ! malheureux objet et de haine et d'amour
Tu n'es plus ! mais ton ombre habite ce séjour.
Chacun vient t'y chercher de tous les coins du monde ;
Chacun grossit de pleurs le puits de Rosamonde ;
Ton nom remplit encor le bosquet enchanté ,
Et , pour comble de gloire , Addisson t'a chanté.
Mais ces tendres amours et ce récit antique ,
Qu'ont- ils de comparable au voeu patriotique
Qui , gravé sur l'airain , par un don glorieux ,
Acquitta de Malbrough les faits victorieux ?
Je ne décrirai point ce palais qui présente
La solide beauté de sa masse imposante ,
Et promet de porter aux siécles à venir
D'un bienfait immortel l'immortel souvenir ;
Ni ces riches tapis où combattent entre elles
La palme de Bleinheim et la palme d'Arbelles ;
Ni du triomphateur le bronze colossal ,
Du prodige de Rhode audacieux rival ;
Ni ce pont , monument de tendresse et de gloire ,
Que l'hyménée en deuil offrit à la victoire ;
Ce pont digne de Rome ; et tel que dans son sein
Aurait pu s'épancher l'urne immense du Rhin .
Ah ! dans cette héroïque et riante retraite ,
O champs ! d'autres beautés frappent votre poète.
Assez longtemps de l'art les fastueux apprêts ,
Et le bronze immobile , et les marbres muets ,
De tant d'autres vainqueurs furent le prix vulgaire ;
Il faut d'autres honneurs à ce foudre de guerre .
Par un don plus nouveau , mais non moins solennel ,
Grand comme ses desseins , et comme eux éternel ,
C
FRUCTIDOR AN IX. 333
C
La Nature elle - même avec magnificence
Consacre le bienfait et la reconnaissance :
Dans un jardin superbe , à fêter un héros
Elle-même elle invite et la terre et les flots :
Pour chanter ses exploits les bois ont leurs Orphées ;
Leur ombrage est son dais ; leurs festons , ses trophées.
Le ciel à son triomphe enchaîne les saisons ;
De leurs fruits tous les ans son char reçoit les dons :
Tous les ans de leurs fleurs les brillantes prémices
Reviennent de son front parer les cicatrices :
L'été conte à l'été , le printemps au printemps ,
Sa journée immortelle et ses faits éclatants :
La veillée en redit l'histoire triomphante :
Le hameau les apprend , la bergère les chante.
Point de terme aux bienfaits ; un peuple généreux
Paiera le sang du père à ses derniers neveux ;
Et sur eux étendant sa longue bienfaisance ,
Comme le ciel punit , Albion récompense.
Ah ! pour comble d'honneur, puisse un Spencer nouveau,
Par un chant de famille honorer son tombeau !
Malbrough ! Spencer ! l'honneur du moderne Elysée !
Malbrough en est l'Achille , et Spencer , le Musée.
Mais dans la douce paix des bois élysiens ,
、* } "
1
Malbrough , heureux Bleinhem , regrette encor les tiens :
Tant ce prix glorieux fut cher à sa grande ame !
Vous donc , fiers de leurs noms , Vous que leur gloire en-
· flamme ,
Vous serez dignes d'eux ; vous serez les Spencers ;
Qui chérissent les arts , et commandent aux mers :
Bienfaictrice sévère , Albion vous contemple ;
Salaire des vertus , Bleinheim en doit l'exemple.
Qui , s'il ne reproduit un exemple si beau ,
Le temple de la Gloire en devient le tombeau.
Mais , que dis- je ? Aux talents , au vieil honneur fidèle ,
334
MERCURE DE FRANCE ,
Bleinheim au monde encor en offre le modèle ;
L'immortelle Uranie en habite les tours :
Là , de plus d'un étoile Herschel traça le cours ,
Herschel qui de Newton agrandit l'héritage .
Un jour peut-être , un jour ,. par un nouyel hommage ,
Malbrough , astre nouveau , prendra sa place aux cieux ;
Herschel lui marquera son chemin radieux .
Jadis craint sur la terre , aujourd'hui sur les ondes ,
Ses feux à vos vaisseaux montreront les deux mondes .
Mais quels lieux verront - ils , quel climat reculé ,
Où du fameux Malbrough le nom n'ait pas volé ,
Et ne se mêle pas , sur ces plages lointaines ,
Aux grands noms des Condés , aux grands noms des Turennes
?
On s'étonnera peut - être que les Muses françaises
prodiguent tant d'adulations à un peuple ennemi , et
qu'on décrive si longuement des lieux qui leur sont
à peine connus.L'oreille pourra s'effrayer de l'âpreté
de tous les noms anglais accumulés dans cette nouvelle
édition . Celui même de Malbrough est fort
dur , comme tant d'autres dont l'auteur a surchargé
ses vers pour témoigner , sans doute , sa reconnaissance
à ses hôtes , ainsi que les anciens poètes quand
ils voyageaient loin de leur patrie . Voltaire avait
évité ce nom barbare en disant :
Le vainqueur de Tallard , l'enfant de la Victoire .
· Au reste , Delille a très bien senti que ses
longues admirations pour l'Angleterre pouvaient
blesser quelques convenances. A la fin de ce
même morceau sur Malbrough et sur Blenheim,
il a ramené le souvenir de la France avec un art
très-heureux , et par un mouvement imité de ce
beau cantique que répétaient les tribus exilées de
FRUCTIDOR AN IX. 335
Jérusalem , à l'ombre des saules de l'Euphrate.
Après avoir rappelé
Le grand nom des Condés , le grand nom des Turennes ,
Il s'écrie :
A ce nom mon coeur bat , des pleurs mouillent mes yeux,
O France ! ô doux pays ! berceau de nos ayeux !
Si je puis t'oublier , si tu n'es pas sans cesse
Le sujet de mes chants , l'objet de ma tendresse ,
Que de te voir jamais je perde le bonheur ,
Que mon nom soit sans gloire, et mes chants sans honneur !
On croit entendre ces strophes touchantes du
psalmiste : Si oblitusfuero tui , Jerusalem , oblivioni
detur dextera mea , adhæreat lingua mea
faucibus meis , etc.
De nos ayeux sacré berceau *
Sainte Jérusalem , si jamais je t'oublie ,
Si tu n'es pas jusqu'au tombeau
L'objet de mes desirs et l'espoir de ma vie :
Rebelle aux efforts de mes doigts
Que ma lyre se taise entre mes mains glacées ;
Et que l'organe de ma voix
Ne prête plus de sons à mes tristes pensées !
C'est ainsi que le talent doit imiter . La mémoire
ne pouvait servir plus heureusement la sensibilité
du poète.
Les tableaux graves et majestueux , les sentiments
énergiques et profonds paraissent , moins
propres aux talents de l'abbé Delille , que les
* Traduction de Lefranc de Pompignan.
336 MERCURE DE FRANCE ,
f
détails brillants et pittoresques. Cependant ce tableau
d'une abbaye de la Trape mérite d'être cité.
Il est des temps affreux où des champs de leurs pères
Des proscrits sont jetés aux terres étrangères : .
Ah ! plaignez leur destin , mais félicitez -vous :
De vos riches tableaux le tableau le plus doux ,
A ces infortunés vous le devrez peut- être.
Que dans l'immensité de votre enclos champêtre
Un coin leur soit gardé , donnez à leurs débris ,
Au fond de vos forêts de tranquilles abris ,
A vos palais pompeux opposez leurs cabanes ;
Peuplés par eux , vos bois ne seront plus profanes
Et leur touchant aspect consacrera ces lieux .
"
Mais , surtout , si l'exil de leur cloître pieux
A banni ces reclus qui , sous des lois austères ,
Dérobent aux humains leurs tourments volontaires
Ces enfants de Bruno , ces enfants de Rancé ,
Qui tous , morts au présent , expiant le passé ,
Entre le repentir et la douce espérance ,
Vers un monde à venir prennent leur volimmense ,.I
Accueillez leur malheur , et que sous d'humbles toits ,
Paisible colonie , ils habitent vos bois.
A peine on aura su le sort qui les exile ,
Vos soins hospitaliers et leur modeste asile 2
*
Des hameaux d'alentour , femmes , enfants , vieillards ,
Vers ces hotes sacrés courront de toutes parts :
La richesse y viendra visiter l'indigence ,
L'orgueil , l'humilité ; le plaisir , la souffrance :`
Vous-même , abandonnant pour leurs âpres forêts ,
Et vos salons dorés , et vos ombrages frais ,2
Viendrez au milieu d'eux , dans une paix profonde ,
Désenchanter vos coeurs des voluptés du monde ;
FRUCTIDOR AN IX.
337
Loin de ce monde où règne un air contagieux ,
Vous aimerez ce bois sombre et religieux ,
Ses pâles habitants , leur rigide abstinence ,
Leur saint recueillement , leur éternel silence
Et , la bêche à la main , la pénitence en deuil
Anticipant mort , et creusant son cercueil.
La terre sentira leur présence féconde :
DEPT
Pour vous , pour vos moissons , vers le maître du monde,
Ils lèveront leurs mains ; vous devrez à leurs voeux ,
Et les biens d'ici bas , et les trésors des cieux ;
Et lorsqu'à la lueur des lampes sépulcrales ,
De silences profonds , coupés par intervalles ,
Du sein de la forêt , leurs nocturnes concerts
En sons lents et plaintifs monteront dans les airs ;
Peut- être à ces accents vous trouverez des charines ;
Vous envierez leurs pleurs , vous yjoindrez vos larmes ,
Et le corps sur la terre , et l'esprit dans le ciel ,
Vos voeux iront ensemble aux pieds de l'Eternel .
Ainsi votre forêt prend un aspect moins rude ;
Vous charmez son effroi , peuplez sa solitude ,
Animez son silence et goûtez à la fois
Les charmes d'un bienfait et le charme des bois.
Quelques poètes , avant l'abbé Delille , avaient
employé les mêmes images. On avait dit dans un
sujet semblable :
Ce temple où chaque aurore entend de saints concerts
Sortir d'un long silence et monter dans les airs .
Mais les vers qui précèdent sont neufs et vraiments
beaux :
La terre sentira leur présence féconde :
Pour vous , pour vos moissons , vers le maître du monde
Ils leveront leurs mains vous devrez à leurs voeux
Et les biens de la terre et les trésors des cieux .
5
22 .
338 MERCURE DE FRANCE ,
L'addition la plus importante est l'épisode d'Abdolonyme
. Cet épisode est rempli de richesses
poétiques et d'allusions ingénieuses . Peut- être le
lieu de la scène y est -il encore mieux peint que
les personnages. Mais ce morceau , quoi qu'il en
soit , offre de grandes beautés . On n'y peut relever
qu'un petit nombre de négligences. Il paraîtra
dans le numéro prochain avec quelques remarques .
En général , les détails nouveaux de ce poème
l'ont enrichi ; mais sa marche n'en est que plus
vague et plus embarrassée . On est surpris de retrouver
à la fin d'un chant les mêmes sujets traités
dans le début , et cette confusion nuit au plaisir
du lecteur . L'oreille est toujours flattée , les yeux
toujours éblouis ; mais l'esprit ne reconnaît pas sa
route , et quelquefois il revient , après un long détour,
au point d'où il était parti .
On pourrait étendre ces observations, si l'auteur;
dans sa préface , ne paraissait très - mécontent de
celles qu'on se permit l'année dernière , dans ce
même journal , sur l'Homme des champs * . Il se
plaint avec quelque amertume de l'injustice du
censeur. Franchement , on ne croyait pas avoir été
sévère , et encore, moins injuste . La bienveillance
universelle a toujours environné l'abbé Delille
même quand il était heureux . Ce n'est pas quand il
est absent qu'elle l'abandonnera . Il doit , sans doute,
sa renommée à son grand talent ; mais il doit remercier
aussi la faveur populaire . Pourquoi tant de
reproches aux gens de lettres qui l'ont le plus loué
et le mieux défendu ? C'est ici qu'on peut dire
comme dans Racine :
On t'aime et tu murmures !
Souffrirais -je à la fois ta 400 gloire et tes injures ?
* Voyez le N.° VI de ce journal .
FRUCTIDOR AN IX. 339
Il faut rapporter quelques-unes des plaintes de
sa préface.
*
"
"
"
и
On a souvent observé , dit-il , qu'un des grands
" malheurs de la littérature et de ceux qui la cultivent
, c'est l'animosité qui marche toujours à leur
suite : ce qu'il y a de plus déplorable , c'est qu'on
la rencontre le plus souvent dans ceux qui courent
la même carrière . Malheur à ceux qui peuvent
descendre des objets les plus élevés au traças des
petites passions indignes d'un homme de lettres ! Je
crois voir des mouches brillantes de toutes les
couleurs de la lumière, qui , après s'être jouées aux
rayons du soleil , descendent dans la fange et sar
lissent tout ce qu'elles touchent . L'abeille ne fait
« que de la cire et du miel , et ne se repose que sur
des fleurs.
"
"
"
"
" "
On ne prend point le parti des mouches qui
jouent au soleil et qui salissent ce qu'elles touchent.
Mais on avait seulement observé que
toutes les saisons et tous les climats n'étaient
pas
propres à faire de la cire et du miel . On avait
surtout invité l'abeille à se reposer sur les fleurs
de France qui donnent des sucs plus choisis , et
perfectionnés par un soleil plus heureux. Ce n'est
pas là certainement le conseil de l'envie qui craint
la présence de la gloire.
One
On examinera peut-être un jour ces théories si
yantées des nouveaux jardins. L'orgueil de ce siécle
s'est révolté , dans tous les genres , contre la supériorité
de celui de Louis XIV. Ceux qui n'ont
pu faire tomber Racine devant Shakespear , ont
voulu du moins se venger sur Lenôtre , qui se
nommait très-modestement un jardinier , et non
un artiste. Mais en dépit des succès de la mode ,
340 MERCURE DE FRANCE ,
j'ose croire que ces jardiniers qui ont fait les
Tuileries et le parc de Versailles étaient plus
habiles dans leur art que tous les artistes penseurs
qui ont couvert l'Europe entière de leurs
colifichets ou de leurs monstruosités champêtres.
D'ailleurs , s'il y a quelque mérite à l'invention
de ces jardins , dits anglais , souvenons - nous que
Dufresny, notre compatriote , en fut l'inventeur.
Il précéda tous les auteurs de la nouvelle méthode.
Il voulut porter , dans les jardins , l'originalité
bizarre de son esprit et de sa conduite . Mais
ces jeux d'une imagination déréglée ne purent
s'accorder avec le caractère simple et majestueux
que Louis XIV imprimait à tous les monuments
de son règne.
que
D.
VOYAGE à Montbard , contenant des détails
très-intéressants sur le caractère, la personne
et les écrits de Buffon ; par feu HÉRAULTDE-
SÉCHELLES. Suivi de réffexions sur la déclamation
, et d'autres morceaux de littérature
du même auteur. Paris , chez Terrelonge,
rue du Petit-Bourbon , n.° 557. An 9.
LAA plupart des détails contenus dans ce voyage ont
été déja publiés . Mais le nom de l'écrivain qui représentait
encore le 18. siécle , à la veille des grandes
révolutions qui survinrent dans l'ordre politique et dans
les sciences , leur donne un intérêt indépendant de la
nouveauté. D'ailleurs , le grand homme est peint au
FRUCTIDOR AN IX. 341
milieu de ses habitudes , avec ses faiblesses ; le côté
scandaleux est même légèrement exagéré , et cet interêt-
là est de tous les temps.
On pourrait comparer Hérault - de- Séchelles , visitant
la retraite de Buffon , à un ambassadeur près d'une
cour étrangère , chargé d'y porter des hommages et
d'en rapporter le secret. Le secret d'alors était la
croyance religieuse : le Dictionnaire des Athées n'avait
point paru. Sans doute , le jeune voyageur dut triompher
lorsqu'il entendit l'illustre vieillard , sur le bord
de sa tombe , faire sa profession de matérialisme dans
les termes les plus formels.
-
fl serait facile d'opposer à cette calomnie les écrits
mêmes de Buffon. Il est vrai qu'on ne sait jamais
combien un écrivain peut être loin des opinions de
son livre. Cependant un livre est une preuve , lorsque
la conduite ne l'a jamais démenti . N'est-il pas vraisemblable
que l'auteur du voyage a voulu appuyer sa
propre doctrine d'une grande autorité ? Enfin , comment
persuadera - t-on qu'un vieillard aussi prudent ait
jamais fait une telle confidence à un jeune homme qu'il
voyait en passant , tandis qu'il aurait dissimulé ses
véritables sentiments à ceux qui l'environnaient sans
cesse ?
Celui qui écrit jouait , pendant son enfance , dans
les jardins de Montbard ; il s'est trouvé aux premières
sources de la tradition , et il a souvent entendu les
réclamations des amis et des parents de Buffon , à l'époque
où parurent les Fragments du voyage.
Mais une discussion de cette nature est trop ancienne
aujourd'hui . La secte qui avait alors intérêt de compter
parmi ses partisans l'auteur de l'Histoire naturelle , n'en
a plus besoin , soit que depuis elle ait trouvé un assez grand
342 MERCURE DE FRANCE ,
nombre de défenseurs pour s'en passer , ou que plutôt
elle soit tombée dans le mépris qui a tué ces ordres de
chevalerie où l'on recevait tout le monde.
4 Il serait également minutieux de relever toutes les
inexactitudes de cet écrit. Elles n'empêchent pas lé
portrait de Buffon d'être assez ressemblant. Sa vanité
est rappelée , à chaque page , d'une manière aussi vraie
que piquante. On sait qu'il porta ce faible jusqu'au
ridicule , peut- être parce qu'il n'avait pas l'art de le
déguiser....
*
7
Son extrême avidité de louanges le rendait peu diffi
cile sur le choix. M. de Montbeillard , qui avait le
don particulier de les assaisonner délicatement , lui
disait un jour de dépit : Mon ami , vous êtes au dessus
de la gloire , mais pas au dessus de la gloriole.
Puisque nous avons nommé ce coopérateur de Buffon ,
nous nous permettrons une réflexion sur le jugement
qu'en porte l'éditeur de ce voyage.
"
"C
Peu d'hommes , dit - il , possédaient au même degré
que M. de Montbeillard ce qui semblait manquer
à M. de Buffon . Rien de plus , spirituel et de plus
attachant que sa conversation . Mais pour le talent
qui constitue le grand écrivain , quelle différence !
" Sa plume est une plume d'acier ; que ses traits sont
loin de ceux du doux pinceau de M. de Buffon !
"
"
Sans prétendre ici rapprocher la distance qui sépare
l'auteur de l'Histoire naturelle de tous ceux qui l'ont
suivi , il nous semble que cette critique ne caractérise
point les défauts de M. de Montbeillard . Ce n'était
point avec une plume d'acier qu'écrivait l'auteur de
l'histoire du paon , du discours préliminaire placé à la
tête de la Collection académique , et de quelques autres
essais qui eurent la gloire d'être confondus avec ceux
de Buffon ; mais la meilleure réponse à cette étrange
FRUCTIDOR AN IX. 343
eritique , est l'histoire aimable du rossignol , morceau
plein de charmes et d'harmonie , et semé de détails.
d'amour , à la fois si chastes et si passionnés .
*
Au reste , ce jugement est moins celui de l'éditeur que
l'opinion d'une autre femme qui avait , dit -il , beaucoup
d'esprit , il aurait pu ajouter, beaucoup de vertus ; mais
qui , par une fatalité trop commune , n'eut jamais le
naturel de l'esprit et de la vertu : le mot est de M.me
Necker ; elle l'a consigné dans les mélanges publiés
après sa mort , en relevant plusieurs expressions de
M. de Montbeillard , qui lui paraissent dures et trop
communes,
Il est permis , lorsqu'il s'agit de goût et de convenances
de style , de récuser un juge qui les connaissait
si peu lui - même. On en pourrait apporter entre
autres preuves ,
cette inconcevable lettre à M.me Nadot
sur la mort de M. Buffon . Elle trouve aussi sa place
dans les mélanges.
" Votre sublime frère , y est-il dit , est entré tout
" entier dans le tombeau : la vieillesse , la maladie et la
" mort même , combattant à la fois contre sa belle ame ,
" n'ont pu l'ébranler un moment , ni la faire revenir
" en arrière ! » Jamais la douleur ne s'était aussi
magnifiquement exprimé.
M.me Necker entretint longtemps , avec M. de Buffon ,
une correspondance dont l'enflure allait toujours croissant
, comme son admiration . Tant d'exagération le
frappait lui- même , et c'était pourtant des éloges . Il
en riait tout doucement avec ses amis . Pardieu , pardieu ,
disait- il en secouant la tête , M. Necker m'envoie-là
de drôles de pièces d'éloquence.
Cependant il s'efforçait de répondre sur le même
ton . Souvent même il s'inquiétait avec bonhommie
344 MERCURE DE FRANCE ,
de ne pouvoir l'atteindre . Jamais , disait- il , je ne mon“
terai assez haut. - Cette contradiction s'explique . Do
tout temps , le mérite n'était qu'estimé , lorsqu'il
n'avait pas pour lui certaines voix qui décident les
succès. Un homme supérieur n'était pas toujours assez
philosophe pour dédaigner tous les petits moyens . Et
Buffon , méditant sa lettre comme une page de l'His¬
toire naturelle , était un ami de la Gloire qui écrivait
à la Renommée.
Nul écrivain ne corrigeait son style aussi laborieusement
. Il avait reçu de la nature un grand talent
sous la condition d'un grand travail ; il reçut encore une
volonté ferme de remplir cette condition toute entière.
Telle période de ses discours préliminaires lui a coûté
plusieurs jours d'efforts. I cherchait une expression
propre , comme un poète cherche le mot qui doit
remplir une mesure . Quelquefois , lorsqu'il était fatigué
de cet exercice , il proposait son embarras à table , et
il était rare qu'on en sortît sans avoir trouvé le mot.
Faut-il s'étonner qu'il définit le génie , une grande
aptitude à la patience ?
Cette extrême roideur dans le travail , lui rendait
peut- être impossible la construction du yers . On connait
ses critiques injustes et ridicules des chef- d'oeuvres
de notre poésie , et de tous les vers en général qui
n'étaient pas à sa louange. Le voyageur lui fait dire
qu'il aurait pu faire des vers tout comme un autre ;
mais qu'il avait bientôt abandonné ce genre, où la raison
ne porte que des fers. Buffon avait avoué à un de ses
amis intimes qu'il n'avait jamais pu terminer un seul
quatrain. Cette particularité n'est pas sans vraisemblance
.
Son style ( et cette remarque est aussi de Buffon
qui se rendait volontiers toute justice ) se perfectionna
FRUCTIDOR AN IX. 345
même dans sa vieillesse ; comme s'il eût fallu domptèr ,
par un travail de soixante années , cette nature si vigoureuse
, ou que , véritablement , le travail ajoute
tant à la nature , qu'il en compense même les pertes !
Il était fort ágé lorsqu'il écrivit l'Histoire du cygne ,
morceau admirable , où il déploie toutes les richesses
purès et la douce majesté du roi des oiseaux d'eau .
I affectionnait particulièrement l'histoire du cygne ,
peut-être parce qu'il y retrouvait ces couleurs adoucies
et ces affections plus calmes , qui conviennent au déclin
de la vie. Un jour, il le récitait chez M. de Montbeil-
Jard , après de longues et de cruelles souffrances de la
pierre . Jamais Buffon ne fut plus semblable à luimême
que ce jour- là . Il éprouvait ce rajeunissement
de la convalescence que l'on remarque dans un vieillard
, avec une joie mêlée de trouble et de pressentiment
. Sa manière de réciter avait même une perfection
qui ne lui était pas ordinaire . Mais lorsqu'il vint à
ées paroles qui terminent : « Les cygnes , sans doute ,
ne chantent pas leur mort. Mais toujours , en parlant
du dernier essor et des derniers élans d'un beau
génie prêt à s'éteindre , on rappellera avec sentiment
cette expression touchante : c'est le chant du eygne ! »
Alors sa voix était pleine d'émotion , et de grosses larmes
tombaient de ses yeux . "
"
On nous pardonnera d'avoir ajouté quelques traits à
ceux que l'on trouvera en grand nombre , dans cet
ouvrage. Jamais ce qui intéresse un grand homme
n'est tout- à - fait indifférent. Les simples propos de
table de Plutarque plaisent encore , parce que ces
propos quelquefois expliquent la conduite d'un homme
d'état. On aime aussi à retrouver la manière d'un écrivain
célèbre dans ses habitudes et ses moeurs. Le style
est tout l'homme,
346 MERCURE DE FRANCE ,
2
- Si quelqu'un , dit un écrivain peu connu , avait
rencontré un homme d'une attitude carrée , portant
la tête haute , comme s'il était né pour un grand travail
d'esprit , invariablement réglé dans la distribu-
« tion de sa journée , pendant soixante ans " péu remarquable
dans la conversation , égoïste par caractère
ou par convenance , comptant les plaisirs du coeur
« pour peu de chose dans les plaisirs de la vie , peut-
« être aurait-il conçu l'idée de ce style plein et fort ,
« simple dans ses formes , magnifique par la beauté
23
des idées , le choix des expressions et la justesse de
« leurs rapports ; du reste , montrant trop peu les af-
" fections de l'ame humaine , et dépourvu de cette
« vie qu'on ne trouve pas dans les régions froides
" et élevées. Cependant il n'aurait conçu toutes les
couleurs et toutes les pompes de ce style inimitable ,
qu'après avoir vu Buffon au lever du soleil , entouré
des parfums et des concerts du matin , s'avancer lentement
et avec majesté vers sa tour , à l'aspect des
paysages de Montbard , et des montagnes lointaines,
C'étaient , de son aveu , les plus beaux instants de sa
vie ; alors il entrait , pour ainsi dire , en communication
avec toute la nature. Mais il retenait ses inspirations
dans une tête puissante . Son génie plein d'essor
, mais calme et patient , n'était point fatigué par
le besoin d'écrire. L'esprit calculait longtemps ce que
l'imagination avait acquis , et il ne confiait au papier
ses hautes pensées , que lorsqu'il les jugeait dignes du
monument qu'il méditait toujours.
S.
1
FRUCTIDOR AN IX. 347
1
CONTES , fables , chansons et vers de L. P.
SEGUR l'aîné , ex-ambassadeur, membre du
Corps législatif, avec cette épigraphe :
4
eamus. Cantantes licet usque (minus via lædet )ear
VIRG. Eglog. IX .
1 vol . in-8.º de 260 pages , imprimé sur carrẻ
fin d'Angoulême , et caractère de petit-romain
neuf, 3 fr.; et 3 fr , 70 cent. , franc de port par
la
poste. En papier vélin , 6 fr . sans le port,
A Paris , chez F. Buisson , imprimeur- libraire ,
rue Hautefeuille , n.º 20.
Nous plaçons cette annonce des Chansons du C. Ségur ,
comme il les a faites , entre le compte que nous avons
rendu et celui que nous rendrons, incessamment d'ouvrages
sérieux et importants du même auteur : l'Histoire
du règne de F. Guillaume * et la Politique de tous les
cabinets de l'Europe.
?
* La seconde édition de cet ouvrage a paru , sous le titre
de Tableau historique et politique de l'Europe , de 1786
à 1996. Chez Buisson , 3 vol . in-8.º Le changement de titre
n'est pas la seule amélioration qu'il ait reçue dans cette nouvelle
édition , quoique , lui- même , en soit une assez impor
tante . On avait déja fait la remarque dans ce journal , que
le dernier roi de Prusse n'avait ni assez marqué en Europe , ni
ne se montrait assez dans l'ouvrage pour lui donner son nom .
En choisissant ce nouveau titre , l'auteur a mieux ordonné
toutes les parties de son travail , qui a beaucoup gagné à cette
disposition. L'ouvrage , en outre , est augmenté de nouveaux
faitset de morceaux intéressants par eux- mêmes , et travaillés
avec soin pour le style ; tel que celui sur Lavoisier , et
un grand nombre d'autres .
348 MERCURE DE FRANCE ,
C'est un heureux don de la nature , que cette disposition
toujours égale pour les choses agréables et les choses
sérieuses , les travaux de la raison et les jeux de l'esprit ,
les affaires et les plaisirs . Celui qui l'a reçu est vraiment
l'homme d'Horace :
Omne tulit punctum , qui miscuit utile dulci.
Les exemples de cette réunion ne sauraient être bien
communs ; car chacune de ces qualités , prise séparément ,
est elle-même assez rare . Un homme vraiment habile, et un
homme vraiment aimable , ont chacun beaucoup de prix.
On les trouverait plus souvent réunis , sans ce vieux préjugé
qui établit une prétendue incompatibilité entre les
études graves et les talents agréables ; les goûts littéraires
et les soins importants ; ce qu'on appelle proprement l'esprit
, et ce qu'on nomme assez improprement l'esprit des
affaires. On sait avec quel stupide orgueil les sots triomphent
de cette opinion ; et des gens sensés , à cet égard ,
pensent quelquefois comme les sots. Parmi tous les préjugés
que la révolution a détruits , il n'est pas bien sûr
qu'elle ait triomphe de celui-là.
Reconnaissons aussi que l'époque la plus favorable
pour offrir l'assemblage de ces qualités , plus diverses
qu'opposées , est celle où la civilisation a reçu tout son
développement ; où toutes les classes de la société se sont
´en quelque sorte pénétrées , et tous les esprits se sont confondus
; alors le savoir et les agréments se rencontrent
et s'allient . Quelques individus privilégiés échappent à la
frivolité , partage trop commun des rangs et des fortunes
héréditaires , et n'en retiennent que les graces; d'autres
secouent la poussière de l'école , et n'en gardent que les
connaissances solides . Alors on trouve Alcibiade à l'école
de Socrate , et Aristippe à la cour des rois ; Scipion conduit
la plame de Térence, et Cicéron s'élève au cousulat ;
des marchands de Florence ', au siécle de Léon X , .sont
tour-à-tour guerriers , politiques et beaux - esprits ; à une
autre époque et dans d'autres lieux , un souverain héré-
I
* ༔
FRUCTIDOR AN IX. 349
ditaire , le grand Frédéric , parcourt avec succès ces différentes
carrières ; et dans une île voisine , le fils d'un
menuisier , Prior , est un poète aimable et un habile
plénipotentiaire , et Buckingham , las d'être ambassadeur
, n'est plus que poète enfin , pour arriver à des
exemples plus récents , c'est alors que Voltaire est , pour
les courtisans eux - mêmes , un modèle de toutes les convenances
, et que Bernis , Nivernois , Ségur , tracent de
la même plume des traités d'alliance , de paix , de commerce
, et des poésies brillantes , des fables ingénieuses,
et de légères chansons .
On connaît déja quelques - unes des pièces de ce recueil
; ainsi nous ne rapporterons ni les jolis couplets sur
les infidelles , Ne soyez qu'infidelle , sans crime on peut
changer, etc. , ni l'Hymine à la lune , Tout coeur sensible
préfère la lune à l'astre du jour, etc. , ni la chanson A celle
que je ne veux pas nommer , qui s'est placée comme
d'elle- même dans la mémoire de tous ceux qui chantent ,
et même de ceux qui ne chantent pas. Je dirai seulement ,
à propos de cette chanson , que je donne la préférence à
un vers de la fin , tel qu'il s'est arrangé , je ne sais comment
, dans mon souvenir , à celui qui lui correspond
dans le recueil. J'ai toujours dit , et j'ai toujours cru
qu'on devait dire :
Vous la dépeindre si belle ,
Si propre à tout enflammer ,
N'est-ce pas vous nommer..cellet.
Que je ne veux pas nommer ?
Au lieu des mots soulignés , on lit dans le recueil,
N'est-ce pas désigner celle , etc. Je puis me tromper ,
mais le mot désigner ne me paraît pás
assez du genre ;
il me semble qu'il se chante moins bien , et même que
la répétition du mot a ici plus de grace. Laharpe a cité
comme je me souviens. Je soumets à l'auteur cette observation.
350 MERCURE DE FRANCE ,
Mais qui n'aimera la grace de ce couplet adressé à
une jolie femme qui se regardait dans un miroir :
Air De Raymonde. :
Dans un miroir de sa mère ,
Un jour l'Amour se mirait :
Plus joli qu'à l'ordinaire ,
Le petit Dieu s'admirait .
Ce miroir n'était qu'un verre.
De sou erreur on riait ;
Car Sophie était derrière ;
C'était elle qu'il voyait.
L'emploi du refrain est un des agréments de ce genre .
Quelquefois il supplée à l'esprit , d'autre fois il en augmente
l'effet , comme dans la chanson suivante :
Chanson à SYLVIE.
Air : N'allez pas mordre à la grappe , ou le Vaudeville
du Mameluc à Paris.
Dans les cieux quelle tristesse !
Que de trouble et de douleur !
A Jupin , chaque Déesse
Vient raconter son malheur.
La jeune Aurore s'écrie
Qu'on lui vole sa fraîcheur.
Je ne dis rien ; mais , Sylvie ,
Je connais bien le voleur.
Les Graces , toutes en larmes ,
Vont cherchant , de tout côté ,
De leurs regards les doux charmes ,
Leur sourire et leur gaîté ;
De leurs lèvres l'ambroisie ,
Et de leur front la pudeur.
Je ne dis rien ; mais , Sylvie ,
Je connais bien le voleur.
FRUCTIDOR AN IX. 351
De trop courir Hébé lasse ,
Demande envain son printemps ;
Les neuf Muses au Parnasse ,
Ne trouvent plus leurs talents ;
Flore , inquiète et pâlie ,
Voit ses roses sans couleur.
Je ne dis rien ; mais , Sylvie ,
Je connais bien le voleur.
De colère transportée ,
Vénus redemande en pleurs ,
Et sa ceinture enchantée ,
Et son pouvoir sur les coeurs .
Mais à Minerve , en furie ,
Si l'on ne rend sa rigueur ,
Sougez-y , belle Sylvie ,.
Je dénonce le voleur.
Le caractère qui me parait distinguer particulièrement
l'auteur , c'est l'élégance. Ce sujet est aussi un de ceux
auxquels il a le mieux réussi . On voit qu'il parait sa maîtresse.
Je citerai quelques couplets de la chanson qu'il
lui a consacrée.
Air : C'est un propos , c'est un regard , etc.
Il est une Divinité
Que je préfère à la beauté ,
Fille des grâces et du goût ;
C'est l'élégance ,
Dont la présence f
Embellit tout.
On a vu d'absurdes tyrans ,
"
Avides , grossiers , ignorans , 19
De ces lieux bannir trop longtemps ,
Etl'innocence ,
Et l'élégance ,
Et les talents .
!
352 MERCURE DE FRANCE ,
J'espère qu'on y reverra
Tout ce que le crime exila.
Ainsi , mes amis , annonçons
La renaissance ,
De l'élégance ,
Dans nos chansous.
La chanson qui a pour titre , Eloge et portrait d'un
ami, est un jeu d'esprit très - piquant ; le badinage s'y
mêle à la sensibilité , et il en est résulté un composé
fort original.
Air : Chantez , dansez , etc.
Jetez les yeux sur le portrait
Du tendre ami que je regrette ,
Et vous verrez dans chaque trait
L'affreuse perte que j'ai faite .
De tels amis qu'on a perdus ,
Hélas! ne se retrouvent plus.
Beau sans orgueil , doux et vaillant ,
Sensible , complaisant , aimable ;
Il était gai , bon , mais bouillant ,
Et pour les fripons implacable ;
Sou esprit , sans être méchaut ,
Pour les méchants était mordant.
Toujours vétu du même habit,
Méprisant et fortune et gloire ,
Le pain calmait son appétit ;
De l'eau lui suffisait pour boire.
Des philosophes d'à -présent ,
Je doute qu'ou en dise aulant.
Tendre et constant en amitié ,
Quoiqu'aimant la brune et la blonde ,
Sans intérêt il m'eût à pied
Suivi jusques au bout du monde ;
Quand la fortune me quitta ,
A mon dîner , seul il resta. ' I
FRUCTIDOR AN IX. 1353
DEPT
Mais , des amis tel est le sort ,
Quelquefois ils sont en querelle.
Je le grondais souvent à tort ;
Il redoublait alors de zèle.
Sur mes desirs réglant son goût ,
C'est à moi qu'il rapportait tout.
Le voilà peint ;tel qu'il était ,
Des amis ce parfait modèle ,
Toujours égal , toujours discret
Au même ami toujours fidèle ; i-
Etait- ce un homme ....? Mon dieu! non ;
C'était mon pauvre chien Pluton .
REP.FRA
Faisons aussi connaître le talent de l'auteur pour la
chanson bachique , que la joyeuse société des Dîneurs
du Vaudeville n'a garde de dédaigner. Il faut encore
dans ce genre , recourir à l'antiquité : les enfants n'ont
pas égalé les pères dans l'art de chanter et de boire . Cependant
toute la verve et toute la gaieté bachiques se retrouvent
dans la chanson qu'on va citer.
T
L'IVRESSE.Air: J'ons un curé patriote.
t
Amis , je suis dans l'ivresse ,
Bacchus dicte mes accens ;
Jainais la froide sagesse
Ne vient engourdir mes sens.
Chez moi l'ennui , le chagrin
Sont chassés dès le matin.
Dans le fonds
Des Baconson
# #
noTous, mes maux vont s'engloutir; l
Tout s'y noie , hormis le plaisir.
I
SIA 62 95
QUOMA Eu.l
De tous les biens de la terre
>
En m'enivrant , je ne ris ; A "
Je verse à flots , dans mon verre ,
La topase et le rubis ! and al
J'ai de l'or tout à mon gré , lat
ente
5
23
354 MERCURE DE FRANCE ,
Quand mou raisin est doré ;
Diamant
Bien brillant ,
Perles , cristal , ambre fin ,
Tout est dans un verre de vin .
A l'ivresse de la gloire
Je préfère le repos ;.
Mais j'excelle à rire , à boire ;
Ce sont là tous mes travaux.
Si je fais une chanson ,
Bacchus est mon Apollon ;
Quand j'écris ,
Etant gris ,
Je suis un rimeur divin' ;
Tout mou talent est dans mon vin .
Vous qui savez dans la ville
Ressusciter la gaîté ,
Troubadours du Vaudeville ,
Je bois à votre santé.
Voulez- vous que vos fivaux
Ne soient jamais vos égaux ?
Pour trouver ,
Sans rêver,
Bon couplet et gai refrain ,
Trempez vos plumes dans le vin.
Enfin , car il est aussi difficile de se borner que de
choisir , je citerai Les amours de Laure , ronde pour une
noce ; et , si , comme tout l'indique , c'est pour la noce
de sa fille qu'elle a été composée , nous ne féliciterons
pas moins le poète de son bonheur que de son talent.
siva
LES AMOURS DE LA URE ,
Air : L'amitié vive et pure.""
Aney ( O2 eurb , to . 6 9197
Ma Laure est douce et sage ;
Mais je vous dis sans détour,
ronde.
FRUCTIDOR AN I X.
355
Qu'avant le mariage ,
Elle connaissait l'Amour :
Il la prit dès son aurore.
( On sait qu'il est matinal. )
Ce premier amour de Laure ,
Ce fut l'amour filial.
( Bis . )
Un amour aussi tendre ,
Aussi vif, mais plus joyeux ,
Vint bientôt la
surprendre ,
Suivi des Ris et des Jeux ;
De fleurs , ici même encore
Elle pare son autel :
Ce second amour de Laure,
Ce fut l'amour fraternel.
A l'âge où la nature ,
Trop prompte à nous enflammer ,
A l'ame la plus pure ,
Donne le besoin d'aimer,
Un autre amour que j'honore ,
Vint briller à ses regards ;
Ce troisième amour de Laure ,
Ce fut l'amour des beaux-arts.
( Bis. )
(Bis.)
Un amour plus sévère ,
Si vivement l'exalta ,
Que fort loin de la terre ,
Sur son aile il l'emporta .
Cetamour nous peut encore
Permettre un joyeux refrain .
David dausait bien , mä Laure ,
En chantant l'amour divin.
Laure comptait tout juste
Déja ces quatre amours-là ,
Lorsqu'en voyant Auguste
D'un cinquième elle brûla :
Cet amour qui la colore
D'un incarnat virginal ,
Fera le bonheur de Laure ,
< Car c'est l'amour conjugal,
( Bis . )
( Bis.)
356 MERCURE DE FRANCE ,:
Ici , sans jalousie ,
De ces amours si nombreux
La troupe réunie
D'hymen célèbre les noeuds :
L'amitié qui les seconde ,
Chez nous , avec eux toujours
Chantera gaîment la roude
De Laure et de ses amours.
(Bis. )
Favart , dont les couplets sont chantés de tout le
monde , et qui méritait si bien de l'être lui - même ,
trouve un chantre dans son successeur . Il y trouve aussi
un juge qui apprécie son talent avec un goût sûr , et
rappelle ses titres avec une précision élégante. La chanson
qui lui est adressée se termine par un couplet que
l'on pourrait appliquer au C. Ségur .
Vous qui voulez , par vos chansons
Vous faire une gloire immortelle ,
De Favart suivez les leçons ;
Qu'il soit votre guide fidelle .
On ne saurait trop copier
Du bon goût ce parfait modèle ;
Nul ne peut le faire oublier :
Heureux celui qui le rappelle !
>
On distinguera , pour l'invention , et comme offrant
un modèle de facilité , sans négligence , la chanson de
POrigine de la Jalousie. Pour tenir lieu de toutes les
précautions des jaloux , on y donne cette recette :
Aimons , aimons bien ,
C'est le seul moyen
De garder nos maîtresses. ´
Veut- on connaître l'histoire de la Société des Dîners
du Vaudeville ? La voici en quatre vers , courte et bonne.
Mes chers amis , vivre toujours en paix
Rire de tout , manger chaud , boire frais ;
FRUCTIDOR AN IX. 357
1
Faire en dînant d'assez jolis couplets ,
Cet heureux songe est votre histoire.
La chanson , sur la Naissance du Vaudeville est un
petit drame , et il est charmant .
Enfin , voici un couplet , qui prouve que par fois
aussi le Vaudeville pourrait élever la voix. Il se trouve
dans la chanson sur l'Oreiller.
Sur Boreiller
La vertu dort , comme l'enfance ;
Sur l'oreiller
Nul remords ne peut l'éveiller.
Le crime y perd son insolence ;
Il est jaloux de l'innocence
Sur l'oreiller,
On trouvera aussi un grand nombre de chansons
faites sur un mot donné. C'est un des statuts de la Société
des Dîners . Cette obligation , comme tout ce qui
offre une difficulté à vaincre , est à la fois un obstacle
et un aiguillon . Ici , jamais la contrainte ne se fait
sentir. Le mot s'offre naturellement ; on le croirait toujours
choisi , jamais donné . C'est un petit genre ; mais
c'en est la perfection .
Je n'omettrai pas de dire que dans ce genre hasardeux ,
où l'on marche toujours , en quelque sorte , sur la limite
des convenances , l'auteur ne l'a jamais franchie. Il a
pris pour lui le conseil qu'il donne à ses confrères ,
dans sa chanson sur la Gaze.
Pour faire aimer notre gaîté ,
Amis ! n'oublions pas la gaze .
Ce précépte est autant dicté par le goût que par la morale
, et il n'est violé que par ceux qui ne connaissent
ni l'un ni l'autre.
358 MERCURE DE FRANCE ,
Beaucoup de traits piquants , mais généraux : Rien
de fâcheux et de direct , voilà encore un des caractères
estimables de cette collection . Trop souvent la
chanson a été une arme offensive .
Dans le nombre de ces chansons , il en est une moins
heureuse par le choix du sujet et par l'exécution ; c'est
celle de l'Ame et du Corps. Je crois qu'on blâmera aussi
ce trait dans celle pour madame L.......
Se voyant moins blanc qu'elle ,
Le lys rougit.
Le premier vers est dur , et la pensée est à la fois
commune et recherchée. On ne trouverait pas dans tout
le recueil un autre exemple de ce défaut.
:
Je me suis beaucoup étendu sur ces chansons , et on
me le pardonnera en faveur de tout ce que j'en ai cité.
Je passerai rapidement sur les autres poésies ; mais il
en est plusieurs sur lesquelles le lecteur s'arrêtera avec
plaisir ; L'Amour ou les Vents alizés , ou l'Origine de
l'Inconstance , est une fable , ou plutôt une allégorie ,
où l'abus de l'esprit se fait trop sentir ; mais la fable du
Lac et des Torrents est excellente , et n'est pas la seule,
Le conte du Pistolet , sujet déja traité , et trop souvent
peut - être , et un drame de société , grossissent
ce recueil , sans ajouter à son prix . Mais qui n'est pas
indulgent pour des vers de circonstance , accueillis dans
sa société ? Malheureusement le public n'était pas de la
fête. Toutefois ces observations ne tombent que sur un
très- petit nombre de pièces , et nous en exceptons formellement
les chansons ,
On distinguera la pièce adressée à l'impératrice de
Russie , sur l'influence prédominante du climat ou des
lois sur les moeurs , comme celle où l'auteur s'est le
plus approché de la haute poésie , et a fait yoir qu'il
en pouvait soutenir le ton . Il a donné , quant à cette
FRUCTIDOR AN IX. 359
influence , une grande supériorité aux lois sur le climat ,
enopposition avec l'impératrice , qui avait soutenu l'opinion
contraire. Il y a saisi l'occasion de faire noblement
sa cour à cette souveraine ; et on pourrait dire , en vérité,
qu'elle-même , la première , la lui avait faite , en
prenant , au 6o.me degré de latitude , un tel parti dans
cette question. C'était vouloir assurément qu'on eût
raison contre elle . L'auteur a bien profité de tous ses
avantages ; mais avec quelle politesse et quelle grace !
Si , comme Voltaire l'a dit quelque part , le premier talent
d'un négociateur est de plaire , on conviendra que
le choix de Ségur était bon. L'anecdote d'un traité
avantageux de commerce entre la France et la Russie ,
dressé au milieu des fêtes , et écrit avec la plume de
l'ambassadeur d'Angleterre , est connue de tout le
monde. C'est une gaieté d'un bien bon
genre. Le sentiment
de Voltaire et le choix de la cour ne pouvaient
être mieux justifiés . Nous avons été surpris de ne pas
trouver dans ce recueil un quatrain , que nous avions
toujours cru de l'ambassadeur de France , et qui méritait
bien d'y trouver place. L'imperatrice , disait- on ,
avait donné , en bouts rimés à remplir , ces quatre rimes
baroques ; amour , frotte , tambour , note ; et l'ambassadeur
les avait remplis sur le champ , de la manière
suivante :
De l'Univers entier , Catherine est l'Amour.
Dans les plaines de Mars , malheur à qui s'y frotte.
La renommée est son
Et la postérité sera son garde
tambour ,
note.
Si ces quatre vers ne sont pas de l'auteur des chansons
, ils pouvaient en être ; et leur auteur , quel qu'il
soit , a eu là un à - propos et un moment bien heureux .
Si des personnes d'un goût dur ou dédaigneux trouvalent
les noms d'ambassadeur et de souverain bien
360 MERCURE DE FRANCE ,
"
grands pour des jeux si petits , nous leur répondrionspar
ce passage de l'avant- propos du Temple du Goût
de cet homme qui a si souvent donné des formes piquantes
à la raison . Les barbares de son temps étaient
d'une autre espèce que les nôtres ; mais la même réponse
s'applique fort bien aux uns et aux autres ; et , de plus ,
justifie pleinement , s'il en est besoin , un homme d'état
chansonnier. « S'il y a encore , a dit Voltaire , dans
" notre nation si polie , quelques barbares et quelques
mauvais plaisants qui osent désapprouver des occupations
littéraires , on peut assurer qu'ils en feraient
☐ autant , s'ils le pouvaient. Je suis très - persuadé que
quand un homme ne cultive pas un talent , c'est qu'il
" ne l'a pas ; qu'il n'y a personne qui ne fît des vers , s'il
"
་་
était né poète , et de la musique , s'il était né musia
cien
. "
M.
整
1
SPECTACLE S ..
THEATRE FRANÇAIS DE LA RÉPUBLIQUE.
DEBUT de M. GROS , dans ALZIRE et
dans
ANDROMAQUE
.
lle
LE
ES progrès de cette jeune actrice , que tant de dispositions
brillantes recommandent à l'indulgence 'publique
, sont assez marqués sans être rapides. Avec une
taille d'une éléganer rare et d'une majesté prématurée ,
elle manque souvent de grace et de dignité ; sa voix
est , douce , vétendue et flexible ; mais les intonations
en sont monotones et quelquefois forcées : elle surprend
, elle entraîne par son énergie et par l'accent
passionné qu'elle donne à quelques ' traits de sentiment ;
cependant , il reste toujours dans ses gestes je ne sais
quoi de vague et de mal conçu , qui laisse des doutes ,
pénibles sur son intelligence . Ces contrastes qui ,
malheureusement sont aussi des contradictions
ne
FRUCTID OR AN IX. 36L
}
peuvent s'expliquer que par sa jeunesse , son inexpérience
et le peu de temps qu'on lui a laissé pour
étudier un emploi dont tous les rôles doivent être
approfondis .
Cest surtout dans Alzire que cette inégalité de caractère
et d'expression á vivement frappé le spectateur
attentif Le troisième acte de cette tragédie est un
des plus beaux qu'il y ait au théâtre. Il faut plaindre
les ennemis de Voltaire , qui se condamnent au tourment
de le voir et de l'analyser. Trop instruits pour
en méconnaître les beautés , trop assidus au spectacle
pour n'avoir pas senti l'effet qu'elles y produisent , il ne
leur reste d'autre parti que de nier ce qu'ils éprouvent ,
et de blâmer par système ce qu'ils admirent par
conviction . Mlle Gros qui , dans ce troisième acte et
surtout dans la scène d'Alzire avec Zamore , se livrait
plus franchement que les critiques , à son émotion et
à son instinct , a fait passer , dans tous les coeurs , le
charme de cette situation si éminemment tragique.
Elle a paru s'élever au dessus d'elle -même ; et fortement
soutenue par Laffond , elle a rendu avec une expression
toujours vraie , toujours frappante , les détails de
cette scène sublime qui , traduite dans toutes les langues
, a fait verser des larmes chez toutes les nations
. Dans le reste de la pièce , elle a été généralement
faible et quelquefois outrée . Cette inégalité
choquante l'expose à des reproches sévères , et peut
l'éloigner encore , pendant longtemps , du rang qui lui
parait destiné parmi les actrices d'un talent supérieur."
Mais elle promet du moins aux connaisseurs , que
M.lle Gros , bien différente de certains modèles qui ne
donnent jamais l'envie de les applaudir , ni le droit
de les sifiler , n'emploiera pas trente années de sa vie
à perfectionner la monotonie de la médiocrité.
-
Au reste , malgré l'éclat fugitif dont elle a brillé
quelquefois dans le rôle d'Alzire , il faut reconnaître
qu'elle a été plus constamment heureuse dans celui
Andromaque ; soit qu'elle ait été préparée à ce rôle
par des études plus suivies , soit qu'une douleur simple
et modeste , qui pénètre l'ame par son accent timide
et mélodieux , soit plus facile à rendre que les passions
tumultueuses d'Alzire , placée , pour ainsi dire ,
362 MERCURE DE FRANCE ,
entre la nature et la société , tour- à- tour accablée par
ses tyrans et par son père , par son amant et par son
époux . On a bien remarqué les fautes nombreuses qui
lui échappent dans sa diction et dans son jeu . Mais
elle a eu fréquemment l'attitude , l'esprit et le caractère
de son rôle. Sa sensibilité s'est exaltée dans la
scène admirable qui termine le troisième acte d'Andromaque
, et dans celle qui commence le quatrième .
Elle a dit du ton le plus juste , ce vers si naturel et
si touchant :
Et quelquefois aussi parle lui de sa mère !
Aussi les applaudissements qu'elle a reçus dans ces
deux scènes étaient une véritable récompense , sans
cesser d'être un encouragement.
On peut , dès aujourd'hui , prédire à M.lle Gros des
succès durables , si elle sait apprécier ceux qu'elle
obtient dans ce moment ; de tous les piéges qui envi
ronnent son inexpérience , les plus perfides sont les
éloges intéressés ou peu réfléchis . Si la voix empoisonnée
de quelques flatteurs lui persuadait qu'elle est
déja M.lle Clairon , elle resterait toujours M.lle Gros.
Laffond s'est élevé à une hauteur où la louange est
moins dangereuse et la critique encore plus utile. Mais
il ne faut pas que celle-ci porte sur le caractère de son
physique , à moins que l'acteur ne néglige de lui donner
ce degré d'expression que l'art peut saisir. On a dit
qu'il faudrait la taille et la voix d'Hercule pour représenter
Zamore : je ne crois pas que ce jeune sauvage
, ivré d'amour et de jalousie , dont la valeur
audacieuse attaque ses tyrans avec des armes trop inégales
, qui succombe au premier choc , et qui borne
tous ses exploits à frapper Guzman d'un fer imprévu ,
ait aucun trait de ressemblance avec l'athléte invincible
qui terrasse le lion de Némée , et qui étouffe
dans ses bras le fils de la Terre. Il me semble que
Laffond , jouant le róle de Zamore , pour la première
fois , en a très bien saisi le caractère , que son physique
n'est pas fort au dessous des dimensions qu'il
exige , et qu'il peut se flatter de le rendre avec autant
de vérité que de talent , quand il aura mieux calculé
l'usage de ses moyens . On a remarqué qu'un excès de
FRUCTIDOR AN IX. 363
chaleur et d'emportement précipite quelquefois son
débit , le fatigue , l'épuise , et que l'explosion de sa
force éclate avant le moment qui doit produire le plus
d'effet. C'est ainsi que , dans ces vers terribles , qui
ne doivent être qu'un cri de fureur ,
Êtes- vous donc des Dieux qu'on ne puisse attaquer !
Et teints de notre sang faut- il vous invoquer !
Laffond exhale toute la rage de Zamore dans le
premier , et fait à peine entendre le second.
Je m'arrêterai moins sur le rôle d'Oreste , dans Andromaque.
Laffond l'a joué souvent , même dans ses
débuts , et il y obtient un succès constant et mérité,
Il me semble toutefois que ses progrès sont beaucoup
moins sensibles dans ce rôle que dans ceux de Tancrède
et d'Orosmane.
Saint-Phal, acteur aimé du public , et digne d'en
être estimé par son caractère , comme par ses talents
a joué Guzman dans Alzire , et Pyrrhus dans Andromaque
avec tous les défauts et tous les avantages de
la manière qu'il s'est faite , et qu'il ne changera pas.
Il y a reçu des témoignages marqués d'une bienveillance
méritée ; son zèle , son intelligence , un maintien
plein de décence et de dignité , l'usage et la connaissance
de la scène , l'étude des bons modèles et des
traditions , assurent à cet acteur une place distinguée ,
et rachètent les défauts très - graves que ses efforts n'ont
pu corriger. Il n'est déplacé dans aucun des genres
qu'il cultive , et sa présence , dans les meilleurs ouvrages
, parmi les premiers artistes , ajoute toujours à
l'ensemble des représentations. E.
THEATRE DE LOUVOI S.
DUHAUTCOURS ou LE CONTRAT D'UNION ,
comédie en cing actes , en prose.
ENCORE une pièce de Picard ; c'est-à - dire , encore
un succès.
Durville , homme faible et sans caractère , séduit par
364 MERCURE DE FRANCE , 1
l'appas d'une fortune facile , adopte le projet d'une
faillite calculée , qui lui est inspiré par un fripon
nommé Duhautcours , entrepreneur général de toutes
les banqueroutes frauduleuses de Paris.- Les mesures
préliminaires que commandent la prudence et l'usage ,
ont été prises par Durville. Séparation de bien entre
sa femme et lui ; 800,000 fr. réalisés dans un portefeuille
; un actif ostensible , composé de bons effets
sur des négociants ruinés , et d'actions sur des corsaires,
pris par l'ennemi , rien n'est oublié. Le bilan va paraître
; et Durville , pour profiter d'un dernier moment
de son crédit , donne , ce jour - là même , une fête
brillante ; moyen très -innocent qui , malheureusement
pour les spéculateurs , commence à s'user dans la
pratique ; mais qui , dans la pièce , produit un effet
piquant , et met tous les personnages en situation .
En effet , M. Crépon , marchand de modes très à la
mode , M. Fiameschi , artiste pyrotechnique , vulgairement
artificier , et M. Maraschini , italien très -délié ,
docteur dans l'art des glaces et des rafraîchissements ,
viennent prodiguer leurs talents pour embellir la fête ,
sans se douter que , dans quelques heures , ils seront
appelés à l'assemblée des créanciers . Toutefois , Pitalien
a des pressentiments sinistres depuis qu'il a rencontré
le Duhautcours chez Durville ; il se plaint amèrement
des banqueroutes qu'il essuie chaque jour , et
trouve tout simple , lorsque tant d'honnêtes gens se
dispensent de payer , qu'on fasse du moins payer...
ceux qui payent : maxime très - accréditée chez les
artistes fournisseurs de la république.-Tous ces originaux
, et de son côté M.me Durville , enchantée de
sa parure et des préparatifs de la fête , animent les
premiers actes ; d'autant plus que sa gaieté , sa folie ,
son insouciance , les bruits des violons , la joie bruyante
des convives , ' contrastent profondément avec le silence ,
l'incertitude et l'agitation concentrée de son coupable
et malheureux époux .
Cependant tout va bien : la pièce et les préparatifs
de la banqueroute marchent ensemble , et le soupçon
n'est pas encore éveillé . Le crédit de Durville s'augmente
de l'éclat de sa maison ; Valmont , jeune étourdi
de sa connaissance le force de recevoir chez lui
2
1
FRUCTIDOR AN IX. 365
20,000 fr. qu'il vient de gagner à la bouillotte , et
qu'il veut mettre , dit- il , à l'abri des événements À la
vérité Durville , à qui les remords ne sont pas étrangers
, refuse d'abord , hésite , et se propose de rendre
la somme ; mais Duhautcours observe tres -plaisamment
que Valmont la perdrait au jeu ; et les 20,000 fr. vont
grossir le porte- feuille du banqueroutier.
Au milieu de tous ces mouvements , Durville , prêt
à faillir , poursuit avec opiniâtreté M. Delorme , l'un
de ses locataires , honnête marchand , qui lui doit
2,000 écus ; cet infortuné que des pertes trop réelles
précipitent vers sa ruine , n'a d'espérance que dans la
loyale franchise et l'active bienveillance d'un négociant
de Marseille , nommé Franval , son protecteur , le parrain
de sa fille et créancier de Durville pour une
somme de 50,000 fr . A la première nouvelle des malheurs
de M. Delorme , Franval est parti pour Paris,
-
de
9
Un journaliste , qui se pique d'esprit plus que de
justice , a dit que c'était fort légèrement , et qu'il
pouvait très - bien , sans quitter Marseille , acquitter
la dette de son ami. Mais il ne s'agit pas seulement
payer les 2,000 écus que Delorme doit à Durville.
Il s'agit de le préserver, d'une ruine inévitable , de
réparer ses malheurs , d'arranger ses affaires ; et c'est
bien assez pour motiver le voyage d'un homme généreux
, actif, un peu brusque , et qui n'hésite jamais
à prendre un parti.
Franval arrive au moment où le bilan de Durville
vient d'être déposé . Il se rend à l'assemblée des créanciers
, qui remplit tout le quatrième acte , et c'est le
tableau le plus vrai , le plus moral et le plus plaisant
de tous ceux que présente la pièce. Duhaulcours y
déploie tous ses talents . Placé lui - même parmi les
créanciers , avec un titre de 60,000 fr . que Durville à
eu la faiblesse de lui donner , pour lui tenir lieu de
ses honoraires ; environné de gens qui jurent et signent
pour lui quand il en a besoin , il épuise tous les ressorts
de l'intrigue pour faire accepter le Contrat d'union ,
dans lequel Ďurville offie 20 pour 100 , sur la masse
de ses dettes : il est prêt d'entraîner l'assemblée par
ses discours et par l'exemple de ses agents ; quand
Phonnête Franval , qui perce d'un coup- d'oeil ce mys
366 MERCURE DE FRANCE ,
tère d'iniquité , révèle avec énergie la turpitude de
ces négociations , refuse de signer , achète les titres des
véritables créanciers , et menace les faussaires de les
poursuivre criminellement. Les uns se trahissent ; les
autres se sauvent , et l'assemblée est dissoute.
Avec le cinquième acte , commencent les inquiétudes
de Duhautcours , et les remords de Durville , qui prennent
bientôt un caractère plus décidé. Le premier
s'efforce vainement de séduire Franval , en lui offrant
Je remboursement de sa créance. Le second , désespéré,
s'indigne contre son perfide conseiller , renonce au projet
honteux de sa banqueroute , et remet entre les mains
de sa femme le porte - feuille de 800,000 livres , pour
qu'elle paraisse à sa place , et satisfasse tous les créanciers.
Alors , l'infatigable Duhaulcours , qui veut absolument
recevoir le prix de son travail , se retourne ,
présente le billet de 60,000 francs dont il est porteur.
Mais Franval a fait acheter , à vil prix , les effets de ce
fripon décrédité. Il a même acquis un titre qui lui
donne prise de corps contre lui . Duhautcours ne résiste
pas à ce genre de raisonnement ; il s'éloigne , et la pièce
finit par le mariage de la fille de M. Delorme , avec
un neveu de Durville , qui lui abandonne désormais la
direction de son commerce et les affaires de sa maison.
et
Je n'ai rien dit encore de ces deux personnages épisodiques
; l'un me semble inutile et froid ; l'autre , qui
prend plus de part à l'action , et qui intéresse parle
contraste de ses principes avec ceux de son oncle , n'est
pas assez développé. Il serait facile à Picard de lui
donner plus d'influence sur le changement de Durville,
Je crois aussi que , pour mieux motiver le dénouement ,
il faudrait annoncer plutôt et peindre plus fortement
la faiblesse et les remords de celui-ci . Durville est un
peu trop librement le complice de Duhautcours dans
les trois premiers actes , pour qu'il puisse me ramener ,
dans le dernier , à des sentiments favorables pour lui.
Quand un personnage doit échapper au mépris , à la fin
de la pièce , il faut éviter de l'avilir au commencement.
Je crois devoir ces observations à l'auteur ingénieux
et fécond qui vient d'enrichir son théâtre de cette nouvelle
comédie. Il est aisé de voir , par une simple analyse
, combien elle mérite d'estime et de succès. Le but
FRUCTIDOR AN IX. 367
en est moral ; le plan fortement conçu , l'exécution
pleine de vérité , de naturel et de trais de comique excellents
; il y a des négligences dans le style. L'auteur
qui sen ait mieux que personne la profondeur et les ressources
du sujet , devait peut être à sa gloire de le traiter
en vers , et d'en faire un des titres principaux de sa réputation
littéraire. Tel qu'il est , on ne peut qu'applaudir
à la rapidité du dialogue , à sa simplicité , quelquefois
encore à sa force et à sa finesse , toujours exemptes
de recherche , d'affectation et de mauvais goût . Presque
tous les caracteres en sont dramatiques , et l'ouvrage
offie une foule d'aperçus très- fins sur les moeurs
du temps et la société de Paris .
'
Parmiles acteurs ceux qui m'ont paru mériter le
plus d'éloges , sont les CC. Barbier et Vigny , chargés
des roles de Durville et de Duhautcours.
ANNONCES.
E.
ABRÉGÉ de l'Histoire d'Angleterre , depuis l'invasion de
Jules - César , jusqu'à l'expédition d'Egypte , par les
Français , et le combat naval d'Aboukir ; par Gold-
Smith , auteur du Vicaire de Wakefidel , de l'Histoire
Romaine et de la Grèce , etc. etc .; deux vol
mes in- 12 , de 750 pages , et ornés de 36 portraits
gravés en taille - douce , traduit de l'anglais. Sur la
dernière édition ; prix 5 liv. pour Paris , et 7 liv. frane
de port ; papier vélin , 10 fr . et 12 fr. , franc de port.
A Paris , chez Dentu , imprimeur- libraire , palais du
tribunat , galerie de bois , n.º 240.
1
?
VOYAGE dans la partie méridionale de l'Afrique
fait dans les années 1797 et 1798 ; par Jonn . Barrow
, ex - secrétaire du lord Maikarney , et auditeur
général de la chainbre des comptes du Cap - de- Bonne-
Espérance ; contenant des observations sur la géo
logie , la géographie , l'histoire naturelle de ce continent
, et une esquisse du caractère physique et moial
des diverses races d'habitants qui environnent l'établissement
du Cap , suivi de la description de l'état
présent , de la population et du produit de cette importante
colonie ; traduit de l'anglais , par L.'de
Grandpré , auteur du Voyage à la côte occidentale
d'Afrique , dans l'Inde et au Bengale ; 2 vol. in - 8.º sur
carré fin , orné d'une très- belle carte d'Afrique ; prix ,
368 MERCURE DE FRANCE ,
9. fr. et 12 fr. , franc de port , par la poste ; idem ,
papier vélin , 18 fr . et 21 fr. , franc de port. A Paris
, chez Dentu , imprimeur - libraire , palais du tribunat
, galerie de bois , n.º 240 .
Le SONGE de Lucien , la Fable des Alcyons , et le
Misanthrope , du même auteur , traduits en français
par P. F. Lavau , professeur de langues anciennes
à l'école centrale de Seine et Oise , avec des Remarques
Elémentaires ; à Paris , de l'imprimerie de
Didot jeune. An IX. 1801 .
·-
On sait assez que les auteurs latins rappellent continuellement
, par leurs éloges ou par leurs imi
tateurs mêmes , les modèles qu'ils aimaient à suivre.
C'est ainsi que les latins , à leur tour , ont pu laisser à lą
postérité de si beaux monuments de leur propre génie .
Le C. Lavau voudraient ranimer l'étude de la plus
belle et de la plus riche des langues . Il met ici , à la
portée des commençants , quelques - uns des ouvrages de
Lucien. Toutes les difficultés sont aplanies par des remarques
élémentaires sur les diverses parties de sa traduction
; par le soin qu'il a pris de faire connaître les diverses
significations des verbes grecs , l'acceptation de
leurs modes , la combinaison de leurs temps , et leurs
variations ; d'appliquer enfin constamment , sur le texte ,
les règles de la grammaire . Il indique , avec exactitude
les racines de tous les mots du texte , et les termes
français qui en sont dérivés , attention d'autant plus
louable , que la langue de l'Histoire Naturelle , celle de
Ja physique , de la chimie , de la médecine et des ma
thématiques sont presque entièrement grecques . Sans
doute le succès de cet ouvrage engagera l'auteur à
faire , sur quelques poètes , le travail qu'il vient d'exécuter
sur Lucien ,
>
་་་་་ ་་་
LETTRES sur les Etudes et leur rapport avec l'entendement
humain et avec la morale , ou Conseil à un
jeune homme qui veut perfectionner son éducation
pour s'occuper avec avantage des affaires civiles ; par
Delpierre ( du Tremblay ) ; à Paris , chez Desenne
et Goullet , palais du tribunat ; chez Nyon , pavillon
des Quatre - Nations , et Beauchamp , boulevart Montmartre
; prix , 1 fr. 50 c . pour Paris ; 2 francs pour les
départements.
Rx
༔ །
DUBIC
FRUCTIDOR AN ' IX. 369
DE
5
Acent
*
}
POLITIQUE.
EXTÉRIEUR.
SUITE de l'essai sur les forces militaires
l'empire Ottoman *.
REP.FRA
.
DE L'ARMÉE TURQUE EN GÉN ÉR A L.
Iz résulte du recensement des diverses armes dont
nous avons parlé , que la force numérique de l'armée
ottomane n'excède point 172,500 combattants ; dont
100,000 d'infanterie , 70,000 de cavalerie , et 2,500
d'artillerie.
1
Supposons - là de 200,000 hommes , il est évident , pour
tous ceux qui connaissent sa composition , qu'elle ne
pourrait même résister à 30,000 hommes bien aguerris .
Qu'on se représente ces 200,000 hommes , multitude.
sans ordre et sans discipline
" sans aucune connaissance
des évolutions , ni du maniement des armes ;
les uns à peine armés d'une courte carabine , les autrès
embarrassés de fusils trois fois aussi longs ; des
fantassins presque nus , des cavaliers enveloppés dans
leurs 3 ou 4 pelisses ; ceux - ci chargés d'une lance
d'une hache d'armes , d'une massue , de deux pistolets
, de trois javelots , d'un sabre , d'un coutelas , d'un
mousqueton , d'une rondache , d'un poignard ; ceux - là
portant un coutelas ou un pistolet , quelquefois un
bâton ; des cavaliers , les uns montés sur des chevaux
vigoureux , les autres se traînant sur des chevaux
étiques ; que l'on imagine ces hordes demi- sauvages ,
n'allant à la guerre que dans l'espoir de piller leur
* Voyez le dernier Numéro.
DEPT
5
24
370 MERCURE DE FRANCE , :
propre pays , marquant leur passage par les atrocités
et les brigandages de tout genre , et l'on connaîtra
une armée ottomane ; on saura ce qu'elle est , et ce
qu'elle peut. Arrive- t -on en un lieu de campement ?
la tente du chef est placée au centre sur un tertre :
puis , sans ordre , la soldatesque se répand à l'entour :
quelques sentinelles , posées çà et là , s'asseyent ,
fument et s'endorment .
L'esprit qui anime de pareilles troupes est le même
qui gouverne tout l'empire. C'est un mélange , à la
fois odieux et ridicule , d'ignorance et de fanatisme
de poltronnerie et de jactance. Ils tremblent si un officier
leur raconte comment les Russes ont remporté une
grande victoire avec un canon que mille boeufs traînaient
à peine ; mais bientôt ils se rassurent : un dévot
leur apprend qu'il existe , dans l'armée musulmane ,
un cheik , armé d'un sabre merveilleux , qui , s'alongeant
au moment qu'il frappe , peut trancher , d'un
coup , 10,000 têtes d'infidelles . Je supprime une foule
de traits semblables * .
Mais à quoi attribuer un tel oubli ou une telle dégradation
des facultés de l'homme ? Une des causes
les plus apparentes est , ce semble , le fatalisme.
Cette doctrine malheureuse laisse à peine quelque
énergie aux Turcs : elle leur ôte même ce sentiment
d'honneur , le dernier qui expire dans l'ame d'un militaire.
Indifférents à tout , ils ne profitent ni de leurs
victoires , ni de leurs défaites. Ils semblent se résigner
à la bonne comme à la mauvaise fortune . S'ils sont
battus , ce n'est pas que l'ennemi ait mieux pris ses
Les Drogmans , en faisant part à la Porte des succès de
nos armées , avaient traduit littéralement des gazettes où
il était question d'artillerie volante. Les ministres ne doutèrent
pas que nous n'eussions le secret de faire voler des
canons.
FRUCTIDOR AN IX. 371.
mesures , ou leur ait opposé des troupes mieux aguerries
ou mieux disciplinées ; ils se disent : Comment résister,
à Dieu et à son Prophète ? Ainsi leurs défaites sont
sans honte , et leurs triomphes , sans gloire.
C'est encore le fatalisme qui , comme une digue
insurmontable , s'oppose à ce que les sciences puissent
jamais étendre leur cours chez les Turcs . Quel besoin
ont-ils d'étudier , puisque les lumières ne peuvent rien
contre la destinée ? Aussi les officiers demeurent - ils
ineptes comme les soldats. Ils ne distinguent , sur les
cartes géographiques , que des lignes , des points et
des couleurs *.
On ne doit pas s'étonner que des officiers qui ignorent
souvent jusqu'au nombre des soldats qu'ils ont sous
leurs ordres , manquent entièrement de prévoyance
pour assurer leur nourriture. Ils ne songent jamais à
former des magasins de vivres , et se reposent sur
l'arrivée incertaine de convois qui viennent quelquefois
de 400 lieues . Si la marche de ces provisions est
retardée par les ' pluies ou par toute autre , cause , la
famine est aussitôt dans l'armée,, et les Turcs qui ne
sont que trop portés à la désertion , profitent de ce
prétexte. L'automne souvent en donne le signal : cette
saison augmente les fatigues de la campagne ; les froids
se font sentir , et la plupart des soldats , nés dans les
pays chauds , y retournent en foule. En vain placet-
on des compagnies pour les arrêter. Elles sont ou ,
forcées de céder à la multitude des fuyards , ou trop,
contentes de se joindre à eux. Il faut renouveler l'armée.
pour la campagne suivante , et comme les levées se
font avec peine , il est rare que les recrues soient réunies
avant le mois de juin.
* Un pacha à deux queues , et qui avait longtemps fait la
guerre , se fâchait de ce qu'il ne voyait représenté que par
un point un village de Natolie , où il était né. Au moins,
s'écriait- il , s'il était grand comme le pouce !
372
MERCURE DE FRANCE ,
Mais c'est surtout dans les revers , que la désertion
et le désordre sont portés à leur comble. Les piétons
tuent les cavaliers pour avoir leurs chevaux , et le pauvre
profite de la confusion pour piller le riche . Une armée
turque , battue , est anéantie.
Nous nous sommes étendus sur les défauts de l'armée
ottomane'; parlons maintenant de ses bonnes qualités
elle en a de remarquables .
La frugalité est la première vertu du soldat , et
aucun , au monde , ne la porte plus loin que le ture.
Une ration de riz et un peu de manteigner pour l'assaisonner
, lui suffisent avec un morceau de pain ,
moins pour le manger que pour essuyer ses doigts. ' Il
est satisfait de cette nourriture , et se croit dans l'abondance
, s'il peut y ajouter un peu de café .
Son habit , ample et drapé , gênant dans les mouvements
rapides , est très -commode pour le bivouac . Le
plus grand nombre des Turcs , même un peu aisés , se
servent rarement de lit.
Il faut convenir que l'ignorance et le fanatisme des
Turcs rendent d'abord leur attaque impétueuse : une
confiance aveugle les précipite . Mais si leur premier
choc n'est pas un triomphe , le second est une défaite ,
et leur défaite , une déroute . La résistance les décourage
d'autant plus qu'il s'y attendent moins. Au reste , ces
Osmanlys si peu redoutables en campagne , défendent
opiniâtrement les places. Le manque de tactique et de
mauvais usage des armes , se fait moins sentir chez des.
soldats qui se battent derrière un mur ; d'ailleurs les
garnisons étant permanentes , ceux qui les composent
ont à défendre leur famille et leurs propriétés , et l'excès
de la résistance est dû à l'excès de la crainte. Ils.
n'osent pas compter sur une capitulation ; comment
se fieraient- ils à la bonne - foi d'un ennemi qui , dans
leur position , ne compterait pas impunément sur
la leur ?
FRUCTIDOR AN IX. 373
ARMÉE NAVA LE.
La marine des Turcs n'est pas proprement déchue.
Elle est restée à peu près au même point qu'était celle
de tous les peuples d'Europe au 15. ° siècle . Ils n'ont
point eu , comme les autres nations , de colonies lointaines
à conserver , de commerce étranger à soutenir , de
conquêtes à entreprendre. Malgré l'immense étendue de
leurs côtes , leur navigation ne s'est point perfectionnée .
La promenade fastueuse que leur flotte faisait , chaque
année , de Constantinople à Alexandrie , n'était que
d'ostentation , et ne servait qu'à entretenir à la fois
leur orgueil et leur , ignorance .
Les efforts du fameux capitan pacha Hassan , ceux
d'Hussien , capitan pacha actuel , et beau-frère du
sultan , les talents et le zèle des CC. Leroy et Brun ,
ingénieurs- constructeurs , l'activité du C. Petit , n'ont
eu d'autre résultat que de garnir l'arsenal de Constantinople
d'une douzaine de vaisseaux plus ou moins
bons , de 8 à 10 frégates et de plusieurs jolis bâtiments
légers. On a d ailleurs cherché vainement à créer une
marine à l'empire ottoman : on a inutilement tenté
d'instruire les Turcs dans l'architecture navale , l'hydrographie
et le pilotage ; on ne voit pas même chez
eux un bon manoeuvrier. Și leurs escadres peuvent
tenir la mer , elles le doivent aux talents des renégats
et des pilotes européens qui les conduisent .
Quel peuple cependant est plus heureusement situé
pour la navigation ? Environ mille lieues de côtes en
Europe , en Asie et en Afrique devraient fournir à la
Porte un nombre innombrable de matelots . Mais tout
ce qui est turc , est trop paresseux pour agir , trop
insouciant pour apprendre , et le gouvernement craint
374 MERCURE DE FRANCE ,
de confier des armes aux descendants des Grecs , si
loin pourtant de leurs ancêtres. Quand il se décide à
les employer , il choisit les plus lâches , et les avilit
encore par l'oppression . S'il reste à quelques - uns un
sentiment généreux , ils sont plutôt les ennemis secrets
que les défenseurs de leurs vils tyrans. Mais ces Grecs
ne sont , en général , que des machines que les coups
font mouvoir , tandis que les matelots turcs surchargent
le navire , fument ou dorment durant la manoeuvre
, et ne donnent un coup de main qu'à la dernière
extrémité.
ou
Il faut compter parmi les causes qui concourent à la
nullité de la marine ottomane , cette ignorance où végète
toute la nation , d'où résulte le manque absolu
l'extrême rareté des cartes et des livres nécessaires aux
marins'; la crainte des corsaires sous pavillon maltais ,
crainte qui réduisit longtemps le pavillon ottoman au
plus timide cabotage ; et le grand nombre d'armateurs
français qui , dans les mers de la Turquie , obtenaient
la préférence tant à cause de la bonne construction et
de la bonne manoeuvre des bâtiments , qu'à raison de
la sauve -garde de notre pavillon , plus respecté que
le pavillon turc lui -même , par les escadres et dans les
ports du Grand- Seigneur.
On peut conclure de cet état de choses , que l'armée
maritime des Turcs est encore inférieure à leur armée
de terre . Il ne faut pas oublier les guerres de 1769
et de 1787 , contre la Russie , toutes deux si fatales
à la Porte : cependant son escadre tint seule la mer
en 1788 , et força les Russes à rester dans leurs ports.
Ce moment passager de grandeur n'est plus qu'un
souvenir ; et à peine ils sont jaloux de le conserver.
Des officiers français qui avaient fait , en l'an 3 ,
une campagne sur une corvette turque de 28 pièces
de canon , racontaient qu'un corsaire maltais , de 1a
4
FRUCTIDOR AN IX. 375
canons , l'aurait facilement enlevée , à la vue de l'escadre
du capitan pacha , s'ils n'eussent aidé le Reys
de leurs conseils et même de leurs bras ; car l'équipage
était frappé d'une telle terreur , que ce ne fut
qu'à coups de bâton qu'on put le remettre à la manoeuvre.
On pourrait multiplier de pareils exemples ; mais
qu'il suffise d'ajouter que six vaisseaux turcs ont fui
plus d'une fois pendant le blocus de Corfou , devant
le seul vaisseau français , le Généreux , et n'osaient
tirer sur lui qu'à la distance de cinq à six portées
de canon .
,,,
Il n'est peut- être pas indifférent d'observer que les
soldats de marine portent le nom de levendy , qui
signifie insubordonnés , mutins , et cette dénomination
conviendrait assez à toutes les troupes ottomanes .
D'après cet aperçu , toutes les facilités que présente
la Turquie pour les constructions navales , deviennent
inutiles ou dangereuses. Un constructeur européen , à
Constantinople , peut trouver sur les vaisseaux francs
des ouvriers capables de le seconder : les forêts des
bords de la mer Noire , les mines de cuivre de Tocal ,
les fers de la Russie , lui fournissent abondamment
tout ce qui lui est nécessaire. Mais de quoi servent
tous ces avantages à la puissance qui les néglige ou
les méconnaît ? Il ne se lance pas un vaisseau des
ports ottomans , que la Russie ne puisse inscrire
d'avance sur la liste des siens ? Si de bons marins ,
sans vaisseaux , sont inutiles à un état , des vaisseaux
sans bons marins lui sont nuisibles , puisqu'ils ne servent
qu'à grossir les forces de ses ennemis.
* Les Turcs n'ont un arsenal de marine que dans leur capitale
; mais ils construisent aussi aux Dardarnelles , à Mételin
, à Erckli sur la mer Noire , et à Boudraun.
376 MERCURE DE FRANCE ;;
SUR Dresde et ses environs *.
LES grandes et superbes avenues qui conduisent à la
résidence des électeurs de Saxe , vous annoncent , au
premier aspect , le centre de l'urbanité germanique ,
l'asile des graces et des arts dans le nord. Presque de
tous côtés , on arrive à travers de beaux ombrages ,
et après avoir parcouru des campagnes riantes , où
l'art le dispute sans cessé à la nature .
1
arterb
Si vous entrez par la ville neuve , une allée large
et parfaitement entretenue vous mène à une vaste
place , sur laquelle s'élève une belle statue équestre .
En un instant vous êtes en face du pont magnifiqué
jeté sur l'Elbe.
De là qu'on porte ses regards à droite ou à gauche ,
on est frappé de la richesse du pays que ce fleuve arrose,
et de la beauté de l'horizon terminé par des montagnes
d'une médiocre élévation , qui présentent un mề-
Jange heureux de terres cultivées et de forêts de la plus
belle verdure.
"
Dès le milieu du pont s'offre en perspective , à droite ,
une église moderne d'une architecture élégante ; à gauche
et dans l'enfoncement , le dôme sombre ** et par
là même plus majestueux d'un temple antique ; en
face le château électoral qui précède une place trèsvaste
, mais irrégulière . Enfin on arrive entre deux bâ-
* Ces détails sont tirés en grande partie d'un ouvrage qui
a paru l'année dernière à Berlin , en forme de lettres , et
sous le titre trop modeste d'Esquisse .
** Cette teinte en effet semble nécessaire pour imprimer
aux beaux monuments quelque chose de religieux et de sublime.
On relit sur ces pierres grisâtres des vieux murs , les
révolutions des empires , la longue liste des générations qui
ne sont plus , et toutes les injures des ans.
FRUCTIDOR AN IX. 377
1
timents d'une masse imposante , au débouché d'une
belle rue qui , à travers une place plus vaste encore ,
conduit à l'hôtel de Saxe , l'une des plus grandes auberges
de l'empire , et dont la position est des plus
agréables.
Veut - on jouir de la plus magnifique vue qu'offre
la Florence de la Germanie , il faut monter , par une
belle soirée , sur le bastion qui domine ce qu'on appelle
le village Italien . L'ame s'exalte et s'agrandit à l'aspect
de ce bassin bien plus vaste que celui de Florence ;
l'oeil embrasse à la fois , et détaille , sans confusion
toutes les beautés que présente le côté du midi de la
montagne , la longue terrasse du palais et du jardin
de Bruhl ( l'un des principaux ornements de Dresde ) ,
la foule empressée qui va et revient sans cesse de la
Ville -Neuve à l'ancienne ville , le mouvement , le bruit
des chevaux et des voitures qui volent et roulent de
l'une à l'autre rive sur les arches hardies du plus beau
pont de l'Allemagne *. D'un autre côté , le curieux
admire le palais du Japon , qui élève ses dômes orgueilleux
du milieu des bosquets environnants , et reçoit les
derniers rayons du soleil. Après avoir joui du reflet.
de ces rayons sur la surface du fleuve , l'oeil ébloui
serepose sur l'extrémité verdoyanté de cette pompeuse.
allée , qui dans son cours , presque interminable , se
prolonge jusqu'à Ubigaw , en parallèle avec le lit de
l'Elbe ; les troncs vigoureux de ses arbres bravent depuis
un siécle la fureur des glaces et des inondations.
Qu'on se promène par un beau jour sur les trottoirs
du pont ; des balcons élégants , à balustre de fer ,
invitent à s'asseoir pour contempler les riches vignobles
qui s'étendent sur une côte d'environ trois lieues de
longueur , s'élèvent en amphithéâtres parsemés de
Ce pont a 400 pas de longueur.
378 MERCURE DE FRANCE ,
maisons de plaisance , et qui , tantôt , tapissent jusqu'au
sommet des coteaux , tantôt se couronnent d'arbres
touffus. Quelques - unes de ces vignes sont , pour
ainsi dire , des promenades publiques ; le goût et l'opulence
y prodiguent les embellissements pour mieux
satisfaire la curiosité des étrangers , et c'est là que
se déploie toute l'amabilité saxonne. Toutefois la
gaieté n'admet point ici d'enjouement excessif ; mais
dans le temps des vendanges , les plaisirs et la joie
qui animent les Saxons , rappellent assez bien l'image
des fêtes que chérit la Toscane.
Le fleuve roule majestueusement son onde au pied
de ces riches coteaux ; rien n'égale l'activité des nautonniers
, qui le traversent et se croisent en tout sens.
La navigation de l'Arno offre un mouvement continuel
la navigation de l'Elbe , encore plus brillante
et plus animée , complète , en achevant le tableau ,
l'enchantement du voyageur.
Les maisons de Dresde sont d'une belle simplicité ;
mais les palais y sont rares : le château électoral est
lui-même insignifiant à l'extérieur , quoique supérieur
à plusieurs autres résidences par la richesse et le goût
de l'ameublement .
Les deux palais des princes Antoine et Maximilien ,
situés l'un dans le faubourg Frederichstadt , l'autre
hors du Seethor , méritent d'être vus . Ils sont d'un goût
moderne , d'une architecture agréable , accompagnés
de jardins moitié anglais , moitié français , qui offrent
de jolis détails. L'entrée en est permise au public .
Parmi les jardins qui se trouvent hors de la ville ,
le plus vaste est le jardin électoral de 2500 pas de long
sur une largeur considérable ; il n'en est pas plus
fréquenté. Il offre quelques grandes allées ,
mais peu
de variété ; un bosquet en fait partie , mais il est réservé
à des faisans. On y trouve de belles statues . De
FRUCTIDOR AN IX. 379
temps en temps de beaux concerts y attirent une grande
affluence due à la parfaite exécution des plus précieux
morceaux des Naumann et des Schuster.
1
La foule se porte plus volontiers au jardin de Richter ,
où se donne régulièrement , toutes les semaines , un
concert , sans compter les fêtes particulières , les illuminations
, etc.
Hors de la barrière de Blascwitz , sur le bord de
l'Elbe , s'étend une prairie destinée à une fête annuelle,
populaire ; c'est la fête de la Cible , spectacle intéressant
et curieux auquel on ne saurait assister sans une
douce émotion. On se plaît à voir cette multitude de
tous âges , de toutes conditions , livrée aux impressions
de la joie , sans tumulte et sans désordre . C'est en même
temps une sorte de foire . Pendant plusieurs jours les
ateliers sont déserts : hommes , femmes , enfants , tous
veulent jouir de ce divertissement qui rassemble 5 à
6000 ames . Danse , musique , feux d'artifice , illuminations
, rafraîchissements , tout y est prodigué.
Une belle allée conduit hors de la ville à des bains
où rien ne manque de ce qui peut attirer les amateurs.
Des concerts multipliés , des comédies et des ballets
que donnent de petits enfants , sont les moindres plai-
' sirs de ces réunions. On y trouve une société nombreuse
et brillante , où les femmes saxonnes se distinguent
éminemment par la beauté de leurs traits , leur
vivacité , leurs manières et leur bon goût.
:
Nous arrivons à un paysage vraiment agreste et romantique
, au site le plus pittoresque et le plus délicieux
ô Terni ! ô Tivoli ! ô charmants vallons de la
Suisse ! Vous êtes perdus de réputation si quelque enchantement
vient à faire jaillir d'un des rochers de Tarand
aune seule de vos cascades . C'est le nom du plus aimable
canton auquel il ne manque que ce seul agrément.
Qu'on se figure une bourgade dont la grande rue cir380
MERCURE DE FRANCE ,
cule inégalement pendant un quart de lieue entre des
rochers , des ruines , des monticules et de jolis bosquets
; un ruisseau limpide serpente sur un lit rocailleux
, tantôt à travers cette rue , tantôt dans sa
longueur. Des maisonnettes , la plupart jolies , sont
éparses sur les hauteurs inégales qui encadrent le village.
Les débris d'un antique château , au centre de
ces habitations villageoises , dominent toute l'enceinte
; des sentiers en tout sens montent , descendent
, percent à travers les bois qui tapissent les
différents coteaux . Des reposoirs , placés avec goût , aux
points de vue les plus piquants , servent à délasser le
promeneur , et le rendent attentif aux belles scènes
qui se déployent sous ses yeux. Là c'est un étang dont
l'onde pure et transparenté réfléchit les arbres environnants
; ici un boulingrin avec une jolie fabrique , plus
loin , c'est le torrent dont les flots mugissent , écument
et bondissent , irrités des obstacles que leur opposent
les rochers ; ailleurs , cette masse d'eau coule tranquillement
sur un pré d'une verdure éblouissante , « car
"
le vert est plus vert ici qu'en tout autre lieu .
J'aperçois un temple ; j'y monte , ou plutôt j'y suis
insensiblement porté par les mille détours qui me
déguisent la montée en m'offrant une variété infinie
de points de vue. Arrivé au sommet , c'est là que mon
oeil plonge avec délices sur les détails de ce charmant
vallon. Parcourez les environs de Dresde : presque tous
vous offriront , réunies avec la même perfection , les
beautés de l'art et celles de la nature . Mais il est temps
de rentrer dans la ville , et d'admirer les collections
qu'elle possède en tout genre.
Les chef- d'oeuvres des Titien , le Guide , le Corrège ,
Rubens , Battoni , le Poussin , et de beaucoup d'autres
que renferme la galerie , sont si nombreux et en même
Temps si connus , que nous ne nous arrêterons pas à les
FRUCTIDOR AN IX. 381
1
détailler. Des artistes de tous les pays y viennent sans
çesse payer leur tribut d'admiration , étudier des modèles
, prendre et donner des leçons . Le polonais s'exerce
à côté dụ flamand , l'italien près du russe ou du suédois
, l'anglais, s'y distingue par le nombre de ses élèves
et sa conversation animée.
Le Zwinger offre un dépôt unique , peut- être , par
l'universalité de ses gravures et de ses dessins,
La bibliothéque se fait remarquer par la beauté , la
propreté , les décorations de ses salles , et l'ordre parfait
qui y règne.
Dans le palais du Japón , quelle immense collection
de statues , de bustes , etc. chef- d'oeuvres antiques , qui
n'ont , dans toute l'Allemagne , aucun objet de comparaison
, et qui la plupart le disputent à ceux de
Paris et d'Italie ! 'On y distingue les trois célèbres
statues déterrées dans les fouilles d'Herculanum , merveilleuses
surtout par la draperie , et que le roi Au¬
guste acquit pour la modique somme de 6000 écus
saxons .
Parmi les divers cabinets de curiosité , on admire
particulièrement la chambre verte ; énorme magasin de
bijouterie de toute espèce , formé de huit salles qui se
suivent , plus curieuses ou plus magnifiques les unes
que les autres , presque toutes parquetées en marbre ,
et ornées de glaces qui répètent et multiplient les prodiges
des arts.
Quoique cette ville ne fasse pas un commerce aussi
considérable que semblerait le permettre sa position ,
elle offre cependant plusieurs manufactures intéressantes.
On peut citer , avec confiance , ses fabriques
de galons d'or et d'argent , dont il se fait une grande
exportation chez l'étranger ; la belle fabrique de tapisseries
en papier , l'une des branches d'industrie où
le génie allemand l'emporte sur celui des Anglais. Les
382 MERCURE DE FRANCE ;
ouvrages d'orfévrerie et de joaillerie qui se font à
Dresde , sont connus de toute l'Europe , ainsi que ses
instruments de musique , orgues , hautbois , ' clairons ,'
cors- de-chasse , et surtout les flûtes traversières . La
fabrique de Macaronis jouit d'une réputation qui
l'égale presque à celle d'Italie ; mais une manufacture
justement célèbre est sans contredit celle de porcelaine
à Messein , petite ville sur l'Elbe , à une demi -journée
de la capitale ; ses ouvrages sont trop connus pour en
parler. Il existe dans le palais du Japon une collection
des plus anciennes pièces de cette porcelaine ,
outre une quantité de porcelaines du Japon et de la
Chine, qu'on estime plus d'un million.
INTÉRIEUR.
LE C. Pichon , commissaire général des relations commerciales
à Philadelphie , mande , en date du 14 prairial
, que le C. Victor Hugues est généralement estimé
dans toute l'Amérique. Depuis deux ans que le C. Victor
Hugues est commissaire du gouvernement à Cayenne ,
la colonie est considérablement améliorée.
Le premier consul a ratifié la convention qui rétablit
les anciennes relations d'amitié entre la République
française , et les Etats-Unis d'Amérique . Déja les né-'
gociants de l'un et de l'autre pays avaient repris leurs'
opérations avec confiance , et l'union des deux peuples
faisait pressentir que leurs gouvernements s'accorderaient
bientôt. C'était une querelle de famille , que de simples
explications devaient terminer.- A l'audience ordinaire
des ambassadeurs , le 17 thermidor , M. Murray , ministre
plénipotentiaire des Etats - Unis , a présenté au
premier consul M. Story , citoyen des Etats -Unis.
A la même audience , M. le baron d'Ehrensward ,
FRUCTIDOR AN IX. 383.
-
envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire de sa
majesté le roi de Suède , a remis ses lettres de créance.
-M. de Kalitcheff s'y est aussi trouvé comme ministre
plénipotentiaire de sa majesté l'empereur de Russie,
pour le rétablissement de la paix ; et M. le baron de
Dreyer , comme envoyé extraordinaire de sa majesté
danoise .
Le général Macdonald , ambassadeur de la république
fançaise près le Danemarck , est arrivé à Copenhague
le 5 thermidor. Il succède au C. Bourgoing , nommé
ambassadeur auprès de la cour de Stockholm.
Le 16 thermidor , l'amiral Nelson , avec trente bâtiments
de guerre de toutes grandeurs , a paru devant Boulogne.
Une division de notre flottille légère était mouillée à 500
toises , en avant de l'entrée du port. L'amiral anglais
a vainement tenté de la faire rentrer. Plus de'goo bombes,
lancées par l'ennemi , n'ont tué ni blessé personne . Deux
chaloupes canonnières , endommagées , ont été sur le
champ remises en service. Le 17 , la flotte anglaise a
disparu . Le combat a eu lieu à la vue des côtes des deux
pays. C'est le premier de cette nature .
Le comte de Ventura , en qualité de plénipotentiaire
de S. M. Louis I.er , a pris , en son nom , possession
de la Toscane. Il a reçu , à Florence , le 2 août ( 14 thermidor)
, le serment des Toscans , avec une grande pompe
et au milieu des acclamations d'un peuple nombreux.
Dans la séance du 18 thermidor , le premier consul a
fait part au conseil d'état de la convention faite avec
le cardinal Gonsalvi , et de tous les arrangements pris ,
de concert avec la cour de Rome , pour finir toutes les
discussions et terminer radicalement les querelles religieuses.
Le gouvernement est fondé à espérer que ,
384 MERCURE DE FRANCE ,
sous peu de mois , les prêtres , dits constitutionnels , ceux
qui ont fait la promesse de fidélité , et tous les autres ,
réunis de sentiments et d'opinions , s'occuperont paisiblement
du soin de leur ministère , et qu'aucun d'eux
n'oubliera que ce ministère est un ministère de paix ,
de concorde et d'union . ( Journal officiel. )
Le 16 thermidor , le ministre de l'intérieur a posé la
première pierre de la Bibliothèque nationale de musique,
dont l'établissement est ordonné par la loi du 16 thermidor
an 3 , dans l'enceinte du Conservatoire.
Le 18 ,
il a distribué les prix aux élèves du Collége de Paris . On
aime tout ce qui rappelle ces jours de gloire de l'ancienne
université.
-
Le C. Cadet - Devaux , que plusieurs découvertes intéressantes
, en matière d'économie domestique , ont placé
depuis longtemps au nombre des savants les plus utiles ,
à fait de nouvelles expériences sur la peinture au lait ,
substituée pour les bâtiments à la peinture à l'huile. Il
la recommande surtout aux administrations hospitalières
comme le moyen le plus efficace , en même temps
le plus économique , de détruire , ou même de prévenir
la méphitisation des murs , cause trop fréquente et
trop négligée d'insalubrité. La toise de cette peinture
, en substituant la chaux au blanc d'Espagne , ne
reviendrait qu'à 5 centimes.
T.
1
L'ancienne académie de Nîmes est rétablie sous le nom
de Lycée du Gard..
Les travaux sont commencés pour la construction des
trois ponts qui doivent être établis à Paris , et du monument
qui sera élevé sur la place Thionville , en l'honneur
du général Desaix.
L'ignorance toujours présomptueuse , et la crédulité ·
toujours aveugle , sont de vieux maux que le temps ne
REP.FRA
.
SF
FRUCTIDOR AN I X. 385
corrige guère. On s'est plaint partout de l'impéritie
meurtrière de cette foule de sages- femmes , qui , sans
la moindre instruction , par l'appât du gain , ou par
d'autres motifs plus criminels encore , exercent la profession
la plus importante , la plus pénible et la plus
délicate. Aussi combien d'enfants pourraient leur redemander
leurs mères , et combien de mères leurs enfants
! La plupart de ces sages - femmes , principale .
ment dans les campagnes , ne sauvent l'un qu'aux dépens
de l'autre ; souvent même tous deux sont victimes. Déja
plusieurs préfets ont fait ouvrir dans leurs départements
des cours publics et gratuits d'accouchement. Le C. Jean-
Marc Duclos , accoucheur à Toulouse , ex chirurgien
en chef des armées de la république , a ouvert un pareil
cours dans cette ville. Un grand nombre d'élèves
le suivent assidument , et plusieurs lui font espérer
la plus douce récompense de ses leçons et de son zèle
1
Un avis du ministre de l'intérieur , annonce que conformément
à ce qui est préscrit par la loi du 25 frimaire
an 8 , les examens pour l'admission à l'Ecole Polytechnique
seront ouverts dans les communes ci-après ; savoir :
Paris , le 1. jour complémentaire de l'an 9 ;
Nantes , le 1. jour complémentaire de l'an 9 ;
Rennes , le 4. jour complémentaire ;
Caen , le 6 vendémiaire , an 10 ;
Rouen , le 11 vendémiaire ;
: Dunkerque , le 17 vendémiaire ;
Gand , le 22 vendémiaire ;
Lille , le 27 vendémiaire ;
Tours , le premier jour complémentaire de l'an 9 ;
Angoulême , le 5.e jour complémentaire ;
Bordeaux , le 4 vendémiaire an 10 ;
Toulouse , le 11 vendémiaire ;
Montpellier , le 16 vendémiaire ;
6 25
386 MERCURE DE FRANCE ;
•
Lyon , le 24 vendémiaire ;
Dijon , le 1.er jour complémentaire de l'an 9 ;
Strasbourg , le 5 vendémiaire an 10 ;
Metz , le 14 vendémiaire ;
Châlons - sur- Marne , le 23 vendémiaire ;
Auxerre , le 27 vendémiaire .
Nous avons indiqué dans le N. XXVI , les connaissances
exigées pour l'admission à l'Ecole.
Les conditions pour être admis à l'examen sont détaillées
dans la loi du 25 frimaire an 8 , portant :
(8
H
"
Art. I.er Ne pourront se présenter à l'examen d'admission
que des Français âgés de 16 à 20 ans ; ils se-
" ront porteurs d'un certificat de l'administration municipale
de leur domicile , attestant leur bonne conduite
et leur attachement à la république.
"
"
? sera admis
V. Tout Français qui aura fait deux campagnes
de, guerre dans l'une des armées de la république , ou
un service militaire pendant trois ans
à l'examen jusqu'à l'âge de 26 ans accomplis.
VIII Chaque candidat déclarera à l'examinateur
«< le service public pour lequel il se destine , etc. » ( Ces
services sont , l'artillerie de terre , l'artillerie de la
marine , le génie militaire , les ponts et chaussées , la
construction civile et nautique des vaisseaux et bâtiments
civils de la marine , les mines , les ingénieurs géographes . )
Les actes de naissance , certificats et autres pièces
pour justifier que les candidats ont rempli les conditions
ci-dessus , seront remis par eux à l'examinateur avant
l'examen.
Ceux qui desireront concourir , devront se rendre dans
l'une des communes indiquées ci- dessus ; se présenter
au préfet ou sous - préfet , qui les fera inscrire , et
leur indiquera le jour et le lieu où ils pourront subir
l'examen. La liste des candidats sera fermée la veille de
l'ouverture de l'examen.
I X. 387
FRUCTIDOR. AN + I X.
Quant à ceux qui desireront être examinés à Paris ,
ils seront tenus de se présenter , avant le rer . jour complémentaire
, à l'Ecole Polytechnique .
Les candidats qui auront été admis par le jury , recevront
à leur domicile leur lettre d'admission ; ils seront
tenus de se rendre à Paris assez à temps pour
assister à l'ouverture des cours , que la loi a fixée le
1.er frimaire . Ceux des candidats admis qui auraient
besoin de secours , recevront pour leur voyage le traitement
du grade de sergent d'artillerie marchant sans
étape , d'après une feuille de route qui leur sera délivrée
par le commissaire des guerres de l'arondissement
de leur domicile , à la vue de leur lettre d'admission
conformément à l'article XI , de la loi précitée.
2
Nous avons annoncé , dans un précédent numéro , le
travail que le C. Locré , secrétaire général du conseil
d'état , a entrepris sur la législation française . La
seconde livraison vient de paraître . Elle contient la
fin du code des finances qui termine la seconde partie ,
et le commencement du code de l'organisation de la
République. Des notes instructives , des réflexions
judicieuses , beaucoup d'ordre et de clarté continuent
de recommander ce recueil.
TRIBUNAUX.
Pendant cette quinzaine , les tribunaux ont offert une
cause qui doit être remarquée. Il s'agissait du délit de
la contrefaçon , de ce fléau qui complète la longue
suite des fléaux qui assiégent les gens de lettres. On
se rappelle les traits véhéments de l'indignation de
Voltaire contre ces presses de Hollande , qui enlevaient
à l'écrivain l'honorable fruit de ses veilles , et ce qui est
plus criminel encore , dénaturaient, par ignorance ou par
mauvaise foi , les oeuvres du génie. De tout temps , il
y a eu bien des presses de Hollande en France. Il fallait
388 MERCURE DE FRANCE ,"
"
"
<<
un exemple . Cette cause , plus importante par les idées
générales qu'elle réveille , que par le fait particulier
dont il s'agit , était donc littéraire ; elle l'était encore
par la manière éloquente , dont le C. Joubert
commissaire du gouvernement près le tribunal de première
instance , a parlé , en cette occasion . D'abord il
á présenté des réflexions générales sur le délit de la
contrefaçon qu'il a raproché des autres vols , et il a
fait cette comparaison , comme un homme qui devait
en sentir toute la différence .
"
« Quoi ! s'est- il ecrié , nos tribunaux retentissent tous
les jours de vols de mouchoirs , de vols de montres ;
nous leur appliquons toute la sévérité des lois ; et nous
laisserions impunis les attentats contre une propriété
d'une nature plus noble et presque divine , contre
cette propriété qui est le fruit des privations de de
toute
la vie
et des
plus
beaux
moments
de
l'existence
; contre
" cette
propriété
dont
l'amour
ne
peut
être
comparé
qu'à
une
autre
paternité
, puisqu'elle
est
, en
quelque
sorte
,
« une
émanation
de
l'homme
; qu'elle
porte
l'empreinte
« de
l'homme
, qu'elle
est
tout
l'homme
, suivant
l'expression
d'un
écrivain
illustre
. »
"
"
Après avoir résumé avec clarté les moyens des défenseurs
, le C. Joubert a conclu , et d'après ses conclusions
, le tribunal a condamné les CC. Bossange et associés
, comme débitants d'éditions contrefaites , à la rèstitution
de 500 exemplaires de chacune des éditions
originales .
Ainsi , par la sagesse des magistrats qui justifient si
dignement le choix du gouvernement , la liberté de la
la presse reçoit ses limites naturelles , les véritables acceptions
sont rendues aux mots ; l'ordre renaît avec la
justice distributive .
" Ayant l'arrivée de Theseus , dit Amyot , le chemin
« de Trézènes à Athènes était bien dangereux , à raison
" des brigands et voleurs , tel que Sinnis , surnommé le
ployeur de pins , et autres qui détroussaient les passants
et se cachaient dans les brossailles . "
"
"
Cela ne ressemble pas mal à la France , avant le 18
brumaire.
$
118
FRUCTIDOR AN IX. 389
STATISTIQUE du département du Mont-Blanc.
LA Savoie , le comté de Nice , et le territoire de Genève
ont formé les trois départements du Mont-Blanc
des Alpes maritimes et du Léman .. »
Le département du Mont- Blanc est divisé en quatre
arrondissements communaux. Les chef-lieux sont Chambéry
, Annecy , Moutiers , Saint - Jean - de- Maurienne
Chambéry est en outre le chef - lieu de la préfecture
et possède le tribunal criminel du département..
Un tribunal de première instance est établi dans chacune
des sous - préfectures , et c'est à Grenoble que réside
le tribunal d'appel pour les quatre départements de la
Dróme, des Hautes - Alpes , de l'Isère et du Mont- Blanc.
Ce dernier , situé entre les 45. et 47 ° degrés de lati
tude , et les 23 et 25. ° de longitude , est borné , au levant,
par le Piémont et le Val d'Aoste ; au midi , par le dépar
tement de l'Isère ; au couchant , par celui de l'Ain ,
au nord , par celui du Léman , et par le Valais .
et
il
Ainsi placé dans la chaîne occidentale des Alpes ,
pe se découvre de loin que par la masse énorme et saus
vage de ses montagnes. A l'exception de ses glaciers ,
il a peu excité la curiosité du voyageur ; et l'histoire ne
fait guère mention de ses habitants , que pour attester
à la fois leur fidélité , leur bravoure et leur misère.
L'étendue actuelle du département est de 1,828,701
journaux de Piémont. * Savoir ,
Chambéry..
Arrondis Annecy.....
sements. Moutiers .
428,932
328,864
548,5431,828,701
.
St.Jean - de -Maurienne 522,362 )
"
des
La somme exacte des terres cultivées en toute espèce
de productions , est de 979,661 journaux. Il faut
encore en distraire les lits des rivières , des torrents ,
lacs , etc. On peut assurer que la moitié du territoire est
perdue pour l'agriculture.
MINES ET USINES.
En revanche , ces terrains incultes , ces bois , ces rochers
, ces bruyères , recèlent une sorte de fécondité.
* Le journal de Piémont équivaut à 400 trabucs superfi
cels , ou à 38 ares 4 centiares.
"
390
MERCURE DE FRANCE ,
MINES DE FER.
Le sol du Mont-Blanc possède plusieurs mines ; elles
donnent du fer en abondance , du cuivre , de l'argent ,
du plomb et de la houille : ses fers sont de première
qualité ; ils ont autant de ductilité et de malléabilité
que ceux de Suède et du ci - devant Berry.
Le minerai de fer est abondant dans la minière de
Saint- Georges d'Hurtières , qui est la seule actuellement
en exploitation . Cette minière alimente neuf
grandes usines , ou fourneaux à fonte de fer ; leur produit
annuel est de 20,000 quintaux ( poids de Genève ,
ou de dix - huit onces de marc à la livre ) de fonte ou
gueuse , dont la réduction en fer , à raison de quatorze
onces par livre , poids de marc , équivaut à 20,000 quintaux.
Cette fonte est nécessaire aux nombreuses forges d'acier
du ci - devant Dauphiné , au dessous de Grenoble.
Il est prouvé que , sans le mélange de la gueuse du
Mont-Blanc , on ne peut parvenir à faire le bon acier
qui alimente les fabriques d'armes , de taillanderie , de
quincaillerie de Saint - Etienne , Lyon , Valence ,
Vienne et autres villes qui bordent le Rhône .
Beaucoup d'autres filons de minerai de fer sont décou
verts ; il existe même peu de cantons où l'on ne trouve
des indices de mines de ce genre ; mais faute de ressources
, et surtout de bois , toutes ces richesses restent enfouies
dans le sein de la terre .
MINES FINE S.
Sur le territoire de la commune de Pesey , se trouve
une mine très riche de plomb et argent , découverte en
1714. En 1742 , elle fut exploitée par une compagnie anglaise
, qui en fut exclue en 1760 , par la chambre des
comptes de Turin ; celle- ci fut remplacée par une société
savoisienne , qui , en 1790 , vendit ses actions au marquis
Latour - Cordou , depuis émigré. Le produit annuel de
cette minière était de 150,000 marcs d'argent , et de 300,000
quintaux de plomb , ce qui rendait en numéraire 230, coo
livres de Piémont , et laissait un bénéfice net de 80,000 fr.
L'exploitation de cette mine fut suspendue à l'époque
de la révolution ; elle ne put être reprise en 1793 , cette
FRUCTIDOR AN IX. 391
partie du territoire du Mont- Blanc se trouvant alors occupée
par l'ennemi : lorsqu'il eut été repoussé au - delà des
monts , on trouva les ateliers déserts et en partie détruits
; le directeur et les ouvriers étaient passés en
Piémont. En l'an 6 , le gouvernement autorisa la régie
à disposer d'une somme de 25,000 fr. , pour remonter
cet établissement ; mais , soit défaut d'intelligence de
la part des employés , soit modicité de la somme , cette
avance a été infructueuse ; l'état de dégradation des
ateliers et des fosses , le découragement des ouvriers ,
la nécessité d'arrêter de plus amples dilapidations , ont
forcé de suspendre tout travail , et de n'y conserver
qu'un gardien .
Cependant il est de la plus grande urgence de prévenir
la destruction d'une mine aussi précieuse . Un premier
moyen serait de faire continuer l'exploitation par
le gouvernement ; le second , d'en passer concession à
une compagnie. Le premier ne serait pas le plus avantageux
; 1. il faudrait que la république fit une avance
de 150,000 fr. 2. ° les moyens d'économie ne pouvant
jamais être les mêmes que sous la direction d'une compagnie
intéressée , on risquerait de voir les dépenses couvrir
les recettes , d'autant plus que la pénurie des bois .
dans les environs , forcera le transport du minerai à
Conflans , au local des anciennes salines , le seul qui
puisse convenir pour l'établissement des fourneaux , que
les forêts abondantes de Beaufort alimenteraient facilement
, au moyen des coupes réglées.
Le but serait plutôt atteint , par la concession de
l'établissement de Pesey , à une compagnie qui offrirait
, dans son propre intérêt , toute la garantie nécessaire.
L'état où il se trouve actuellement , les réparations
, reconstructions , déblaiements , approvisionnements
, exigent que la durée de son exploitation soit
au moins de trente ans ; les conditions de l'acte de concession
porteraient pour clause essentielle , l'établissement
des fourneaux à Conflans : les concessionnaires
pourraient encore être obligés à céder la quantité de
schlich nécessaire au traitement du minerai de la mine
d'Allemont , qui s'exploite pour le compte du gouvernement.
La suspension de l'exploitation de cette mine , ré392
MERCURE DE FRANCE ; 1 .
duit à l'absolue mendicité un nombre infini d'hommes
de la Haute -Tarantaise , qui , transplantés sur un sol
ingrat et aride , ne trouvaient leur subsistance que dans
le prix de leurs travaux journaliers , pour l'excavation
des fosses , etc ..Ainsi sous tous les la cesrapports
,
sation de cet établissement serait une calamité.
"
Il existe encore dans le département divers filons de
mines fines , connues et non exploitées.
A Bonneval , hameau situé au dessus du bourg de
Saint-Maurice-en-Tarantaise , il se fit , en 1781 , un
éboulement de rochers , qui découvrit un minerai de
mine grise très- compacte , et reconnu pour mine d'argent
livide , dont les essais donnèrent douze onces d'argent
par quintal. Les recherches et expériences renouvelées
depuis , sont de nature à encourager l'exploitation.
A Bouvillard , arrondissement de Saint- Jean-de- Maurienne
, il existe une mine de plomb et argent , attaquée
et abandonnée plusieurs fois ; elle est actuellement
concédée à une compagnie existante , sous le nom de
Compagnie de Bouvillard. Les frais d'exploitation , trop
considérables , ont rebuté cette compagnie , qui ne s'occupe
maintenant que de la fonte des gueuses et fabrication
des fers , au moyen du minerai de la montagne de
Saint -Georges - d'Hurtières.
"
Au dessus de ces mines d'argent , et presque à la sommité
de cette montagne , ou a découvert un filon de
mine de cuivre jaune , dont on suit l'encaissement sur
une distance de quarante toises ; les échantillons de ce
minerai ont rendu 14 pour 109 au lavage , et le quintal
de ce schlich a rendu 40 livres de beau cuivre rosette.
1
A Argentine , se trouvent plusieurs filons de mines
de plomb et argent , qui furent exploitées , il y a environ
quarante -cinq ans , par une compagnie anglaise
elle fut forcée de les abandonner , par ordre du gouvernement.
Un particulier y a occupé , pendant quelques
années , deux mineurs , qui en ont extrait de la
très- bonne mine ; elle donne quarante à cinquante livres
de plomb par quintal , et près de quatre onces d'argent
par quintal de plomb .
Derrière la montagne de Saint - Georges d'Hurtières.
se trouve la vallée des Huilles , dont les montagnes.pré
FRUCTIDOR AN IX. 393
sentent plusieurs filons de mines de plomb et d'argent ,
dont l'exploitation fut mal -adroitement commencée par
le crâne ; ensorte qu'on a été obligé de la suivre , en
approfondissant toujours . L'abondance des eaux auxquelles
l'on n'a pu donner issue , a forcé la cessation'
des travaux ; il existe , entr'autres , un filon dit la Richesse
, ainsi nommé , par allusion à son grand produit ;
il serait facile de le retrouver , au moyen d'une galerie
de rabais sous les anciens travaux.
Dans la commune du Fourneau- cn - Maurienne , entre
Saint- André et Modâne , était une fonderie et toutes
ses dépendances . On a fondu jusqu'à 1792 du plomb et
de l'argent ; mais la perte d'un filon , dit de Sarazin , en
força l'abandon et la vente en parties brisées. On a tenté
infructueusement des travaux très - considérables pour
le retrouver ; il y existe cependant un autre filon de
plomb et argent , dit l'Argentière , qui a alimenté cette
fonderie pendant un certain temps . Son exploitation a
cessé , non par le défaut du minerai , mais par l'effet de
l'abondance des eaux ; leur écoulement deviendrait facile
, au moyen d'une galerie de 70 à 80 toises..
Au dessus de la fameuse mine de fer de Saint-Georgesd'Hurtières
, à la sommité de la montagne , on trouve un
filon de cuivre , exploité , avec soin , par une compagnie ;
mais comme c'est une mine à rognons , il y a des temps
où elle donne beaucoup , et d'autres où elle ne donne
presque rien .
Le Mont-Blanc renferme de très - tiches carrières de
marbre , granit et ardoises. Les marbres de la Tarantaise
sont d'une rare beauté ; il s'en transporte beaucoup
dans le département de l'Isère. Les échantillons
de ses diverses carrières occupent une place distinguée
au Muséum d'Histoire naturelle . Les ardoises de Sevins
sont d'une qualité recherchée ; la carrière en est extrê
mement abondante ; elle fournit pour la toiture de tous
les édifices de première classe.
Si le diguement de l'Isère rendait un jour cette riviere
navigable , le produit des carrières du département
serait pour lui une branche de prospérité , et pour
la France entière un avantage inappréciable.
Les détails ci - dessus suffisent pour donner une ideé
de la richesse du Mont -Blanc en minéralogie . Une école
394 MERCURE DE FRANCE ,"
des mines y serait nécessaire : elle pourrait elle -même
devenir concessionnaire de plusieurs établissements ;
elle répandrait l'instruction , encouragerait l'industrie ;
elle faciliterait la recherche et l'exploitation des mines
de houille et charbon de pierre , dont l'usage devient
tous les jours plus précieux et plus nécessaire.
L'arrondissement d'Annecy possède à Entrevernoz
dans une montagne , à deux lieues d'Annecy , et à demilieu
du lac , une excellente mine de charbon de pierre.
( Elle a été visitée par le naturaliste Dolomieu , qui l'a
jugée d'une qualité supérieure , même à celle de Givors.
Elle a été exploitée par une compagnie qui en est
devenue concessionnaire en l'an 6 : elle n'est malheureusement
d'aucun secours pour les mines du Mont- Blanc,
par la difficulté et la cherté des transports ; et les habitants
d'Annecy , à la portée desquels elle se trouve , semblent
la dédaigner ; mais tôt ou tard l'expérience et le
besoin triompheront du préjugé qui s'éleve contre son
usage.
La commune d'Annecy , par sa position , est susceptible
d'établissements en tout genre. La paix doit y fixer
plus particulièrement l'industrie : les concessionnaires
de la mine d'Entrevernoz ont formé le projet d'y établir
une fabriqué de bouteilles de verre vert.
ROCHE D'ARBON NE.
L'exploitation de la roche d'Arbonne est nulle , par
défaut de continuation des travaux entrepris en galerie ,
pour découvrir les filons de sel gemme. Le roc salé
existe , mais les seuls habitants voisins en tirent quelque
avantage , en en détachant quelques parties qu'ils
pilent , jettent daus un vase plein d'eau , font ensuite
évaporer par l'ébullition ; ils s'en servent pour les usages
domestiques , après les avoir passées à travers un
linge.
SALINES DE MOUTIER S.
Les salines de Moutiers forment un superbe établissement
, qui s'est infiniment amélioré depuis qu'il est
en régie : leur produit , avant la révolution , n'a jamais
FRUCTIDOR AN IX. 395
excédé 32,000 quintaux . Il a été porté , en l'an 8 , à
42,000. L'on doit cette augmentation de produit , par
ticulièrement à la construction d'une nouvelle mécanique
, par le C. Roche , l'un des régisseurs.
9
2
Une partie de cet établissement offre un mécanique
admirable . C'est un vaste bâtiment occupé par
des rangs de cordes tendues en lignes perpendiculaires
qui servent à la filtration et à la graduation
de l'eau salée , pendant la saison froide , et à
la cristallisation , sans le secours des chaudières , pendant
l'été. Chaque corde donne un produit annuel de
vingt - cinq quintaux ; la totalité 16,000 . Ce mécanique
est d'une grande économie pour la consommation
du bois. Il est bien à desirer qu'on puisse en
étendre l'usage ; les montagnes de la Tarantaise se dépouillent
rapidement.
Les salines de Conflans n'étaient entretenues qu'au
moyen de l'eau salée de la source de Moutiers , qui y
était conduite par des aqueducs construits à grands
frais , sur une étendue de quatre lieues de terrain
coupé par des rochers , des précipices et des rivières .
Ces aqueducs sont entièrement détruits ; l'on ne conseille
pas leur reconstruction. Le produit des salines
de Conflans n'en couvrirait de longtemps la dépense ;
d'ailleurs , les bâtiments sont en très mauvais état ;
on ne pourrait les rendre utiles , qu'au moyen de l'établissement
des fourneaux proposés pour le traitement
du minerai de la mine de Pesey.
"
·
La consommation du sel , provenant des salines de
Moutiers , ne se fait qu'en très - petite quantité dans le
département : on y préfère , pour les usages domestiques
, celui que procure le commerce , par la rivière
d'Isère , le Rhône et le lac du Bourget.
La Haute- Tarantaise ne fait guère usage du sel de
Moutiers que pour le bétail ; mais il a son débouché ,
en Piémont , par le Saint - Bernard , et surtout en
Suisse , par Genève. Pour la facilité des transports ,
les régisseurs ont dû proposer au gouvernement de se
charger de la confection d'une grande route le long de
la rivière d'Arly , depuis l'Hôpital jusqu'à Ugine , à
des conditions très-avantageuses pour le gouvernement
même le commerce réclame impérieusement l'adop396
MERCURE DE FRANCE ,
tion de leur projet ; le chemin de communication de
l'Hôpital à Ugine , par Pallud , devient chaque jour plus
dangereux et plus impraticable .
AGRICULTURE .
Nous avons vu que la moitié du département restait
à peine à l'agriculture. Avant la révolution , sur vn
territoire plus étendu , on récoltait ordinairement assez
de subsistances pour la consommation des habitants et
pour celle de 3000 hommes de garnison . Des échanges
mutuels établissaient l'équilibre entre les différents
cantons. Depuis qu'un tiers , environ , de ce territoire
a été détaché pour former le département du Léman ,
Genève , devenu le centre des rapports civils et commerciaux
des cantons démembrés , a profité de l'excédent
de leur produit. Les marchés de Chambéry , qui
sont les plus considérables en grains , sont approvisionnés
en partie par les départements de l'Ain et du
Rhône .
Cependant il est possible encore que le Mont - Blanc ,
dans sa circonscription actuelle , récolte assez pour ses
besoins. Déja les produits en grains ont reçu quelque
augmentation depuis la plus grande division des terres
due à la vente des domaines nationaux , et au partage des
terres communales , conformément à la loi du 10 juin
1793. Mais les avantages que présente cette dernière
mesure , sont quelquefois atténués par des inconvénients
très-graves pour l'agriculture elle -même , et sur
tout , comme nous le dirons pour la reproduction
des forêts.
Des données exactes permettent de conjecturer que ,
dans les bonnes années , les récoltes en grains se trouvent
à peu près en balance avec la consommation . Quand
le déficit n'est pas excessif , il est comblé par des productions
d'un autre genre , des châtaignes , des pommes .
de terre , etc. , plutôt que par des achats à l'étranger.
Mais une année aussi médiocre que l'an 8 peut nécessiter
des moyens extraordinaires . On n'a recueilli , en
froment , que les d'une année commune . La récolte
du blé noir , dit sarrasin , du maïs et des légumes ,
qui forment la principale nourriture de l'habitant des
campagnes , a été entièrement nulle par l'effet de l'èxFRUCTIDOR
AN IX. 397
cessive chaleur. La même cause a réduit au quart la
récolte des pommes de terre. A peine les propriétaires
aisés ont - ils retiré assez de vin pour leur usage : le
département se trouve ainsi privé d'une branche essentielle
de son commerce , comme vente ou comme
échange. La rareté du grain , en Piémont , a rendu
l'importation du riz extrêmement difficile : ce comestible
est à un prix immodéré.
Saus doute l'amélioration de l'agriculture pourra,
suppléer quelque jour aux ressources que le Mont- Blanc
a perdues , en perdant une portion de son territoire .
Mais cet art , le premier et le plus important de tous ,.
aura de grands obstacles à vaincre dans ce départe
ment. Outre les difficultés naturelles d'un terrain , souvent
entrecoupé de torrents , de rochers , de pentes
rapides , où les bêtes de charge abordent avec peine ,
il devra combattre surtout les préjugés de la routine :
de grands exemples , des expériences sûres et multipliées
, des profits certains peuvent seuls légitimer une
innovation aux yeux des cultivateurs .
* , ་ ་
C'est peu que la société d'agriculture , animée du
meilleur esprit , et distinguée par ses lumieres , leur
expose les vrais principes d'économie rurale , et leur
fournisse des idées salutaires ; l'expérience seule triomphera
de l'habitude . Il serait à souhaiter que cette société
pût devenir concessionnaire d'un terrain national
propre à tous les essais d'amélioration ...
D'ailleurs , la médiocrité des fortunes , et il faut le
dire aussi , la trop grande division des terres , ne favorisent
pas ces entreprises , dont l'objet est plus encore
un avantage futur qu'une jouissance actuelle . Ainsi les
marais ne se dessèchent point ; on craint d'essayer des
prairies artificielles ; chacun use avec épargne d'un
modique revenu , qu'il ne dépense pas sans quelque
inquiétude pour l'avenir .
L'administration forestière est enfin organisée ; les
délits sont plus rares : plusieurs jugements , rendus et
exécutés , ont appris à ne plus compter sur l'impunité qui
encourageait toutes les dévastations . Les forêts formaient
autrefois une des principales richesses de ces contrées .
Mais les agents de la marine les ont décimées ; l'armée
des Alpes a passé ; les habitants eux- mêmes ont porté
398 MERCURE DE FRANCE ,
la cognée partout ; des incendies annuels ont achevé les
ravages ; le prix du bois est doublé.
L'application inconsidérée de la loi du 10 juin sur
le partage des biens communaux a beaucoup contribué
à cette dépopulation des forêts . L'affouage des bois
de Jernes qui suffisaient à une population de 20,000
ames , préjudicie aux forêts des montagnes voisines.
C'est une cause de la fréquence des avalanches , des
débordements des torrents , des éboulements de terrains .
L'éducation du bétail , cette branche si essentielle
aux peuples agricoles , cette cause féconde de toutes
leurs richesses , à peine est - elle connue dans le Mont-
Blanc. Ici surtout une routine aveugle repousse tout
changement utile , du moins dans les parties basses
du département. Ajoutez le défaut de prairies artificielles
, la médiocre qualité des fourrages , et la grande
division des terres . Il n'en est pas de même du peuple
des montagnes. L'abondance et la bonté des fourrages
favorise ses efforts : ses bestiaux font toute sa fortune :
uniquement livré à ce soin , il suit de meilleurs pro
cédés , soit pour augmenter et améliorer la reproduction
, soit pour réduire le laitage en beurre et en
fromage de différentes espèces . On distingue , en ce
genre , les productions des montagnes de la Haute-
Tarantaise , des Beauges et de la Maurienne.
L'habitant de ces vallées fait quelques élèves en
mules et mulets , qui sont les seules bêtes de charge
dont il se sert pour ses transports : il en fait aussi un
commerce avec le Piémont.
L'éducation des chevaux ne forme pas , dans le
Mont-Blanc , une branche d'industrie , quoique plusieurs
localités Y soient favorables à la formation de
haras.
Quelques particuliers seulement entretiennent des
juments poulinières , mais d'une race abâtardie.
En général , les chevaux , mulets , et les diverses
espèces de bétail , y sont d'une petite espèce. La société
d'agriculture s'occupe de procurer , à chaque canton
, des faureaux et des étalons de races meilleures.
Le recensement des chevaux et mulets , donne un
résultat de 8,500 , sur lequel nombre les experts ont
eu peine à trouver le contingent du cinquantième qu'a
FRUCTIDOR AN IX. 399
fourni le département , en exécution de la loi du 4
vendémiaire an 8 .
Le recensement des bêtes à cornes n'a jamais été
ordonné , mais on peut affirmer que le nombre est environ
de 184,000 , sans y comprendre près de 8 à 10,000
chèvres qu'entretiennent les habitants des hautes collines
, et ceux voisins de la sommité des montagnes
au mépris des règlements sur la police rurale : les
défenses faites , à cet égard , n'ont jamais rien obtenu ;
la force seule pourrait opérer quelques résultats , mais
ils nuiraient à l'existence d'une population nombreuse.
Les troupeaux de bêtes à laine y sont très-multipliés
; il n'est pas de cultivateur , jusqu'à celui de la
plus petite métairie , qui n'ait les siens ; les services
qu'il en retire , soit pour ses vêtements , soit pour sa
nourriture , sont considérables , proportionnellement aux
peines et aux dépenses .
Les porcs y sont très - abondants : les chênes et les
arbres fruitiers qui couvrent son sol , y favorisent l'entretien
et l'accroissement de ces animaux : les foires
du Mont -Blanc en fournissent beaucoup aux départements
de l'Ain et de l'Isère.
Les épizooties , sans y être très-fréquentes , y causent
, cependant , chaque année , quelques ravages . Les
premiers principes de l'art vétérina re sont peu répandus
: une routine meurtrière fait toute la science de l'agriculteur
, qui passe pour être le plus habile en ce genre .
Les artistes vétérinaires y sont en très- petit nombre :
deux élèves de l'école de Lyon , patentés depuis peu ,
pourront rendre des services essentiels dans cette
partie , lorsqu'ils auront joint quelques années de pratique
à la théorie qu'ils ont acquise aux leçons des
plus habiles maîtres.
MANUFACTURES FABRIQUE S.
Le sol du département , l'abondance et la qualité de
ses eaux , appellent de toutes parts les fabriques et les
manufactures ; et cependant , nulle part , peut- être ,
elles ne sont aussi rares. Les moyens d'exploitation
manquent , et plus encore les dispositions naturelles
des habitants pour les établissements de cette espèce .
400 MERCURE DE FRANCE ,
Il paraît que l'ancien gouvernement n'a jamais encouragé
l'industrie . L'église , les armes , le barreau étaient
les seules carrières ouvertes à la classe aisée . Le reste
s'occupait presque exclusivement à la culture des terres
et à l'exercice des métiers qu'exigent les besoins les plus
usuels.
On ne compte guère , dans le Mont - Blanc , que
quatre papeteries , une vingtaine de tanneries et corroieries
, quelques fabriques de poterie , de clouterie ,
d'outils aratoires , et quelques ateliers naissants de
bonneterie.
Une fabrique de faïence fine , créée dès la révolution
sur le bord du lac du Bourget , lieu dit Haute - Combe ,
par une société qui a fait l'acquisition des biens et
bâtiments de l'abbaye de ce nom , prospère de jour
en jour. Elle a tenté , assez heureusement , quelques
essais d'une faïence qui imite celle d'Angleterre.
On a lieu de regretter : 1.º une fabrique d'indienne ,
modelée sur celle de Phâsi , de Genève ; mais les frais
de l'établissement et quelques misérables rivalités , ont
été jusqu'ici des obstacles invincibles.
1
2. Une fabrique de limes , élevée par le C. Golchmit
, a eu quelques moments de succes ; elle a été
abandonnée en l'an 7.
3. Une fabrique d'armes , créée par les CC. Marguet
et compagnie , longtemps adjudicataires privil giés de
la ferme des biens que possédait l'abbaye de Tanné ,
n'a eu que quelques moments d'activité.
о
4. Une autre fabrique d'armes , qui , élevée à grands
frais par le gouvernement , à Chambéry , n'a pas eu
un meilleur succès ; elle a dévoré 3 à 400,000 fr. pour
des établissements d'ateliers , transportés ensuite à
Grenoble .
5. Deux fabriques de gazes formaient , à Chambéry ,
une branche de commerce assez considérable avec Turin
et Lyon ; elles ont été entièrement anéanties par l'effet
de la révolution.
•
Un établissement de filature et toilerie a été projeté
par un citoyen de cette même ville. Ce projet
mérite des encouragements , puisque le Mont - Blanc
possède , à cet égard , toutes les matières premières .
(La suite au numéro prochain).
( N.° XXX. ) 16 Fructidor An 9.
MERCURE
DE FRANCE.
LITTÉRATURE.
POÉSIE .
FRAGMENT de la nouvelle Edition du
quatrième chant du poème DES JARDINS.
MAIS C'est peu d'enseigner l'art d'embellir les champs , "
Il faut les faire aimer ; et peut - être en mes chants ,
- Bien mieux qu'un froid précepte , une histoire touchante
Rendra plus chers encor les travaux que je chante :
Ces doux soins qui du sage occupent les loisirs ,
Quelquefois les rois même ont goûté leurs plaisirs.
C'est toi que j'en atteste , ô vieillard magnanime !
Toi , né du sang royal , modeste Abdolonyme **.
La description du parc de Kensington , imprimée dans
le N. XXVII de ce journal ; celle des Jardins de Pope
et de Bleinheim , qui ont paru dans le XXIX , avec les
vers sur une abbaye de la Trappe , et cet épisode d'Abdolonyme
qui termine aujourd'hui le quatrième chant du
poème des Jardins , forment la partie la plus importante
des additions faites par l'auteur. En réunissant ces divers
- morceaux , on connaît à peu près tout ce qu'offre de nouveau
la dernière édition .
** On peut lire dans le quatrième livre de Quinte- Curce ,
REP FRA .
5
26
402 MERCURE DE FRANCE ,
Obscur et retiré dans son paisible enclos ,
Entre son doux travail et son heureux repos ,
Le vieillard oubliait le sang qui le fit naître ;
Nul séjour n'égalait sa demeure champêtre ;
D'un côté , c'est Sidon , et son port , et ses mers ;
De l'autre , du Liban les cèdres toujours verts ,
Dont les sommets pompeux , disposés en étage ,
Levaient cime sur cime , ombrage sur ombrage.
Au flanc de la montagne , un fertile coteau ,
Vêtu d'un vert tapis , s'étendait en plateau
Et de là deux filets d'une onde cristalline ,
Tombaient en murmurant le long de la colline .
Au centre du jardin , vers le soleil naissant ,
>
chap. 3 et 4 , l'histoire d'Abdolonyme . Elle est écrite fort
simplement. On n'y retrouve presque aucune des circonstances
inventées par le poète moderne. Il est vrai qu'Abdolonyme
est un parent éloigné de la dernière maison
royale , mais il n'a jamais vécu dans la grandeur ; il n'a
point de fils , et la pauvreté le force de cultiver pour uu
modique salaire un verger voisin de la ville . Abdolonimum
quemdam longa quidem cognatione,stirpi regiæ àdnexum ,
sed ob inopiam suburbanum hortum exigua colentem stipe,
Ce n'est point Alexandre , mais Ephestion qui le choisit
d'après le conseil de quelques Tyriens . Abdolonyme est
seulement présenté au vainqueur de l'Asie ; et lorsque ce
dernier lui demande comment il a supporté l'indigence ,
plût aux Dieux , répond- il, queje puisse porter le sceptre
le même courage! Utinam , inquit , eodem animo
regnum pati possim ! C'est le seul trait remarquable de la
narration latine . Delille a donc fort amplifié ce récit , et
quelques détails trop minutieusement prolongés ne sont pas
dignes peut - être d'un tableau dont Alexandre est le premier
personnage. Mais quelques descriptions du site , le sacrifice
et la prière du vieillard , ses regrets en quittant sa retraite
et les arbres cultivés par ses mains , semblent racheter ,
par l'éclat du style , ce qui manque de noblesse et de vérité
dans la partie dramatique.
avec
FRUCTIDOR AN IX. 403
Un vallon fortuné se courbait en croissant ,
Zóne délicieuse , en tout temps , ignorée ,
Et du Midi brûlant , et du fougueux Borée.
Dans le fond , les sapins , les cyprès fastueux ,
En cercle dessinaient leurs troncs majestueux ;
Mille arbustes divers y versaient sans blessure ,
Le nard le plus parfait , la myrrhe la plus pure .
Au devant on voyait , déployant son trésor ,
Le citron orgueilleux de son écorce d'or ,
Et la rouge grenade , et la figue mielleuse ,
Et du riche palmier la date savoureuse .
Autour , quelques rochers du marbre le plus pur ,
Veinés d'or et d'argent , et de pourpre et d'azur ,
Charmaient plus ses regards dans leurs masses rústiques ,
Que ceux dont l'art jadis décorait ses portiques :
Sur leurs flanes ondoyaient des arbrisseaux en fleurs ,
Différents de parfums , de formes , de couleurs ;"
La rose les paraît , et , sur une onde pure ,
!
De vieux saules penchaient leur longue chevelure .
Plus loin , c'est un troupeau qui , content sous ses lois ,
Lui peignait l'origine et les devoirs des rois .
Les premiers souverains furent pasteurs des hommes ,
Se disait -il souvent ; mais , dans l'âge où nous sommes ,
Quels sages envieraient ces illustres dangers ?
2. Il disait , et content du sceptre des bergers
Il soignait tour-à - tour ses troupeaux et ses plantes :
Son fils le secondait de ses mains innocentes.
L'un est majestueux encor en son déclin ;
9.99
Sa barbe , en flots d'argent , se répand sur son sein ;
Sur son teint vigoureux , une male vieillesse
N'a point décoloré les fleurs de la jeunesse ;
Sa marche est assurée , et son auguste front
Du temps et du malheur semble braver l'affront.
Son fils est dans sa fleur ; máis de l'adolescence
Les traits déja plus murs s'éloignent de l'enfance ;
404
MERCURE DE FRANCE ,
race "
La rose est sur sa joue , et , d'un léger coton ,
Le duvet de la pêche ombrage son menton ;
Son air est doux , mais fier , et de sa noble
Je ne sais quoi de grand conserve encor la trace .
Tous deux , lorsque le soir tempérait les chaleurs ,
Au repos de la nuit abandonnant les fleurs ,
Quelquefois de l'empire ils lisaient les annales ,
Et du peuple et des grands les discordes fatales ;
Comment , au bruit confus de mille affreuses voix ,
Le crime ensanglanta la demeure des rois ,
Et du trône brisé fit tomber leurs ancêtres :
Le vieillard les pleurait ; mais sous ses toits champêtres,
Tranquille , il était loin d'envier leur splendeur.
Tel n'était point son fils : un instinct de grandeur ,
Quelquefois dans son ame éveillait son courage ,
Au dessus de son sort , au dessus de son âge ;
Mais l'exemple d'un père arrêtant son essor ,
A son labeur champêtre il se plaisait encor :
Tel un jeune arbrisseau qui , sur les vastes plaines ,
Doit déployer un jour ses ombres souveraines ,
Dans un antique bois qu'a foudroyé le ciel ,
Faible , se cache encor sous l'abri paternel .
Au centre du jardin est un autel champêtre ;
Là , tous deux des saisons ils adoraient le maître .
Un soir après avoir fini leurs doux travaux ,
Désaltéré leurs fleurs , taillé leurs arbrisseaux
Au pied de cet autel couronné de guirlandes ,
Tous deux agenouillés présentaient leurs offrandes .
L'air était en repos ; les rayons du soleil
Glissant obliquement de l'occident vermeil ,
Peignaient au loin les mers de leur pourpre flottante ;
Les vaisseaux de Sidon , dans leur voile ondoyante ,
A peine recueillaient quelque souffle de vents ;
La vague , avec lenteur , roulait ses plis mouvants ;
Enfin tout était calme , et la nature entière
1 FRUCTIDOR AN IX. 405
Semblait avec respect écouter leur prière .
Chaque veu vers le ciel s'élève en liberté ,
Par les voûtes d'un temple il n'est point arrêté ;
Et les fruits parfumés , les fleurs et la verdure ,
Formaient de mille odeurs l'encens de la nature.
Le vieillard , le premier , au maître des humains ,
Levait en suppliant ses vénérables mains :
1
Il priait pour ses fruits , pour son fils , pour l'empire ;
Sur ses lèvres errait un auguste sourire ;
Son fils l'accompagnait de ses timides voeux ;
Leurs voix montaient ensemble à l'oreille des dieux :
Soixante ans de vertus recommandent le père ;
L'innocence du fils protége sa prière.
Un si touchant spectacle attendrissait le ciel ,
Et , dans le même instant , au pied du même autel ,
Tout l'Olympe attentif contemplait en silence
Le malheur , la vertu , la vieillesse et l'enfance.
Voilà que tout-à-coup résonne aux environs
L'éclatante trompette et le bruit des clairons ;
Une troupe guerrière entoure cette enceinte ;
Le jeune Abdolonyme a tressailli de crainte.
Mon fils , dit le vieillard , ne t'épouvante pas ;
Lorsque l'orgueil armé rassemble ses soldats ,
Le riche peut trembler , mais le pauvre est tranquille :
Il dit , reste à l'autel , et demeure immobile.
Mais la trompette sonne une seconde fois ,
Et l'écho roulé au loin , prolongé dans les bois :
C'est le vainqueur de Tyr ; c'est lui , c'est Alexandre ,
Fatigué de marcher sur des palais en cendre ;
Effroi du trône , il veut en devenir l'appui ,
Et ce caprice auguste est digne encor de lui .
Des portes du jardin les pilastres rustiques
N'offraient point des palais les marbres magnifiques 2
D'un simple bois de chêne ils étaient façonnés ;
Ces lieux d'un vert rempart étaient environnés ;
406 MERCURE
DE FRANCE ,
Les mûriers , les buissons , les blanches aubépines ,
Ensemble composaient ces murs tissus d'épines .
Alexandre s'arrête ; et le triomphateur
Qui , dès plus fiers remparts , abaissa la hauteur ,
Contemple avec respect cette faible barrière ,
Et laisse hors des murs sa cohorte guerrière :
Il porte dans l'enceinte un pas religieux ,
Et craint de profaner le calme de ces lieux .
A peine il les a vus , ses passions s'appaisent ,
Son orgueil s'attendrit , ses victoires se taisent ,
Et sur ce coeur fougueux , sur ce tyran des rois ,
La nature un instant a repris tous ses droits .
Il cherche le vieillard , il le voit , il s'approche :
Ce lieu me fait , dit- il , un trop juste reproché ;
Il me dit que j'ai trop méconnu le bonheur ;
A terrasser les rois je mettais mon honneur ;
Je vais jouir enfin d'un charme que j'ignore :
Ton sang régna jadis , il doit régner encore;
Sors de l'obscurité : les peuples et les rois
Sont toujours criminels d'abandonner leurs droits .
Ne me refuse pas cette nouvelle gloire ,
"
'est
2
C'est le prix le plus doux qu'attendait ma victoire ;
Viens donc , tout te rappelle au rang de tes aïeux
Tes vertus , et ton peuple , Alexandre , et les Dieux.
Ainsita main toujours dispose des couronnes ;
Aux uns tu les ravis , aux autres tu les donnes 2
Répondit le vieillard ; et de tes fières lois ,
Le plus obscur réduit ne peut saáver les rois !
Hé bien à mes destins je suis prêt à souscrire ;
Pour le rendre à mon fils , je reprends mon empire.
Toi , si tu peux des champs goûter encor la paix ,
Contemple cet asile et conçois mes regrets.
Permets donc qu'en ces lieux , le sommeil des chaumières
Pour cette nuit du moins ferme encor mes paupières ,
Et qu'en ce doux abri , prolongeant mon séjour ,
1
FRUCTIDOR AN IX . 407.
༡. ་
Je dérobe aux grandeurs le reste d'un beau jour ;
Demain , à mes devoirs , je consens à me rendre.
Cette noble fierté plaît au coeur d'Alexandre ;
Mais , durant leurs adieux , le fils , dans le jardin ,
Ayant cueilli des fleurs qu'entrelace sa main ,
A ces lauriers cruels qu'ensanglanta Bellone ,
Demande à marier sa modeste couronne :
Le héros lui sourit , et ce front triomphant
Se courbe avec plaisir sous la main d'un enfant.
Il le prend , il l'embrasse , et fixant son visage ,
Dans ses destins futurs aime à voir son ouvrage.
Il part enfin , s'éloigne , et s'arrache à regret
A ce couple innocent qu'il envie en secret ,
Il s'éloigne indigné de sa grandeur cruelle ,
Qui traîne le ravage et le deuil après elle ,
Prend pitié de sa gloire , et sent avec douleur-
Qu'il a conquis le monde et perdu le bonheur,
Mais ce jour le console ; il éprouve en lui -même.
Ce plaisirpur qui fuit l'orgueil du diademe ,
Qu'ignore la victoire , et quitte ces beaux lieux ,
Fier d'un plus beau triomphe , et plus grand à ses yeux .
Le vieillard tout le soir suit sa tâche innocente ;
Il va de fleur en fleur , erre de plante en plante ; !
Se hâte de jouir , et dans le fond du coeur
Recueille avidement un reste de bonheur,
A peine l'horizon avait rougi l'aurore ,
Que , pressant dans ses bras cet enfant qu'il adore,
Je vais régner , dit-il ; et cet auguste emploi , " un
Mon fils , après ma mort , retombera sur toi .
Que je te plains ! ces bois , ces fleurs , sujets fidelles ,
Ne m'étaient point ingrats , ne m'étaient point rebelles ;
Qu'un sort bien différent nous attend aujourd'hui !
Viens donc , ô cher enfant ! viens , ô mon doux appui !
Du malheur de régner , viens consoler ton père ;
Et vous , objets charmants ! Toi , cabane si chère !
408 MERCURE DE FRANCE ;
/ Vous ,, que je cultivais , vergers délicieux ,
Arbres que j'ai plantés , recevez mes adieux !
Hélas ! coulant ici mes heures fortunées ,
Heureux , par vos printemps je comptais mes années ;
Ces fastes valaient bien les annales des rois .
Puisse du moins l'empire être heureux sous mes lois ,
Et me dédommageant de vos pures délices ,
Par le bonheur commun payer mes sacrifices !
Il dit , promène encor ses regards attendris'
Sur ses bois , sur ses fleurs , ses élèves chéris ,
Et part environné d'une brillante escorte.
Mais du palais à peine il a touché la porte ;
Mille ressouvenirs se pressent sur son coeur.
Dans un confus transport de joie et de douleur ,
En silence il parcourt le séjour de ses pères ,
Témoin de leur grandeur , témoin de leurs misères ;
Leur ombre l'y poursuit ; il pense quelquefois
Entendre autour de lui leur gémissante voix ;
Mais les flots d'un vin pur ,
Achève d'effacer la trace de ces crimes ;
et le
sang
des victimes
"
Il règne , et l'équité préside à ses projets :
Son sceptre est moins pesant , chéri par ses sujets.
Cependant quelquefois , loin d'un monde profane ,
Il revient en secret visiter sa cabane ,
Revient s'asseoir encor au pied de ses ormeaux
De ses augustes mains émonde les rameaux ,
Et , s'occupant en roi , se délassant en sage ,
D'un bonheur qu'il n'a plus , adore encor l'image,
Par Jacques DELILLE.
FRUCTIDOR AN IX. 409
VERS à Madame de SEGUR.
S'IL faut de l'or dans un ménage ,
Aucun de nous n'en a pour deux ;
L'amitié nous en dédommage ,
Chacun de nous en a pour deux.
On sait que j'eus de la folie ,
Et toi de la raison pour deux .
A présent , il te faut , Marie ,
Hélas ! de la santé pour deux .
Par le C. SEGUR.
CHARADE.
Non , loin de mon premier , sur le sein de Glycère ,
Vois l'éclat de la rose et la blancheur du lys ;
Heureux , de mon second si l'haleine légère ,
D'un importun fichu dérange tous les plis ,
Alors a disparu le voile du mystère ;
Alors ton oeil jouit ; mais quel malheur , hélas !
Si mon tout pour jamais recélait tant d'appas !
Par un abonné.
ENIGM E.
Chez un flatteur je suis dorée ;
Je suis morte chez maint savant.
Partout où l'on me voit fourrée
On me reçoit à coups de dents .
Je suis sans faste et toujours nue
Mais pourtant j'habite un palais ,
Et lorsque je suis bien pendue ,
Je fais plus de bruit que jamais .
410 MERCURE DE FRANCE ,
LOGO GRIPHE.
Les bornes de mon vaste empire
Sont les bornes de l'Univers ;
Je plais chez la jeune, Delphire ,
Chez la vieille Flora je deviens un travers .
En moi , du corps humain voyez une partie ;
Puis , laissant là l'anatomie ,
" Reconnaissez un don des cieux
Don gratuit , dit la théologie ;
De-là faisant un tour dans l'ornithologie ,
Reconnaissez l'oiseau qui sauva la patrie
D'un peuple austère et belliqueux.
Le tenez - vous ? Par la mythologie ,
De
Vous saurez promptement quel guide ingénieux ,
peur de s'égarer , un guerrier généreux ··
Reçut d'une amante chérie ;
Enfin vous trouverez par la géographie ,
Ce qu'entoure Thétis de ses flots écumeux .
6/21
Par un abonné.
Mots de l'Enigme et du Logogriphe insérés
dans le dernier Numéro.
Le mot de l'énigme est poèle.
Le mot du logogriphe est joie , où l'on trouve
oie, je , Io.
1
FRUCTIDOR AN IX. 411
NOUVELLE édition des Lettres de M.me de
SÉVIGNÉ , précédée d'un précis de sa vie et de
réflexions sur ses Lettres . Chez Bossange et
Compagnie , rue de Tournon ; 10 vol. in- 12 .
L'IMAGINATION et le goût aiment à revenir sans
cesse vers les beaux jours du siécle de Louis XIV.
Les livres qui nous entretiennent de sa gloire ont
un intérêt éternel: Voyez ce que Voltaire fait
dire à un Russe qu'il introduit dans une de ses plus
ingénieuses satires.
Tout mon coeur tressaillait à ces récits pompeux ,
De vos arts triomphants , de vos aimables jeux .
Quel plaisir, quand vos jours marqués par vos conquêtes
S'embellissaient encor à l'éclat de vos fêtes !
L'étranger admirait , dans cette auguste cour "
Cent filles de Héros , conduites par l'Amour ;
Ces belles Montbazons , ces Châtillons brillantes ,
Ces piquantes Bouillons , ces Nemours si touchantes ,
Dansant avec Louis sous des berceaux de fleurs ,
Et du Rhin subjugué couronnant les vainqueurs ;
Perrault du Louvre auguste élevant la merveille ,
Le grand Condé pleurant aux vers du grand Corneille . 1
}
Le nouvel éditeur des lettres de M.me de Sévigné
rappelle tous ces souvenirs dans sa préface. En le
lisant , on croit revoir les sociétés de ce grand
siècle , si riche en hommes supérieurs , et si
abondant enfemmes aimables . On participe aux
mouvements de toute leur vie ; on assiste à leurs
conversations , et l'on se dit à chaque page , celui
qui peint avec tant de charme et de vérité des per-
Cet ouvrage paraîtra incessamment.
MERCURE DE FRANCE ;
1
sonnages si aimables et si illustres , méritait de
vivre avec eux . Mais au milieu de ces cercles choisis ,
c'était M.me de Sévigné qui devait fixer son attention.
Il la suit à la cour et dans la solitude , au
théâtre de Racine et à la chaire de Bourdaloue ,
et , parmi tant de dissipations et de contrastes , il
la montre toujours occupée de sa fille et pleine
de cet amour maternel qui fit son bonheur et son
génie . Il cherche le caractère de son style dans ses
habitudes ; il ne dissimule point ses faiblesses , ses
faux jugements , et cette facilité de caractère qui se
laissait entraîner au flot de toutes les cabales dont
elle était environnée . Le mot de M.me de Sévigné
sur Racine n'est que trop connu . Mais ne sait - on
pas aussi que ce grand homme ne fut mis à sa
place que trente ans après sa mort , et par Voltaire
qui devait à son tour éprouver la même injustice
?
Heureusement M.me de Sévigné avait un meilleur
goût dans son style que dans ses opinions
littéraires . Elle jugeait avec ses préjugés , mais
elle écrivait avec un instinct qui ne la trompa jamais.
Laissons parler l'éditeur lui -même.
Sa destinée , dans sa vie , n'eut rien de très -singulier ,
Elle fut distinguée sans paraître la première
en rien , sans influer sur aucune opinion , ni sur
aucun événement . Elle procura un établissement considérable
à sa fille ; et son fils , très - aimable , dont tous les
goûts , après quelques égarements assez vulgaires , tournèrent
en sagesse et en repos , n'obtint qu'un avancement
très - ordinaire . L'envie ne fut point trop avertie d'inquiéter
cette femme heureuse. On ne savait pas et, encore
une fois , elle ignorait elle - même que son nom allait
FRUCTIDOR AN IX. 413
Souà
la gloire , à une gloire principale et neuve chez les
femmes , qu'elle serait non -seulement auteur mais
auteur célèbre , le modèle vanté et presque unique du
genre le plus exquis , le plus nécessaire à l'amitié , qui
renouvelle le mieux les affections de chaque jour ; que
son nom deviendrait un proverbe pour louer toute
femme dont les lettres sont lues avec plaisir : Elle
écrit comme M.me de Sévigné, ( Ce proverbe , disons- le
en passant , s'applique , comme tous les autres
vent mal à propos , mais non pas toujours. ) Quoi qu'il
en soit , elle s'est trouvée à la fin dans la bibliothéque
nécessaire et de choix de chaque homme de goût , de
chaque famille où l'on connaît tant soit peu les plaisirs
de l'esprit. Cette bibliothéque de choix est , dans
toute bonne maison , ce qu'était dans celle des anciens ,
le sucrarium domus , la Chapelle domestique , où parmi
les images des grands dieux quelque divinité familiere
et favorite recevait un culte plus confiant , plus assidu .
Ainsi parmi les oeuvres immortelles des grands talents
et des plus hauts génies , sont placées , avec prédilection
, les Lettres de Sévigné ; elles n'y font point ombrage
aux grands poètes , aux puissants orateurs , aux
imposants moralistes. Nicole même , dans les bibliothéques
où il est encore , sourit , je crois , de se voir auprès
d'elle ; mais elle est plus visitée et plus relue que
les poètes et les orateurs , et surtout que les moralistes
. D'ailleurs , tous ces noms éminents impriment
le respect ; ceux d'entre eux qu'on chérit le plus ne
sont pas ceux qui nous désespèrent le moins , et envers
qui l'émulation semble plus infructueuse. Qui aimet-
on mieux que La Fontaine ? personne n'osera tenter
d'être aussi bon homme. Mais M.me de Sévigné a un
mélange de négligence et de soin , quelque chose qui
s'élevant toujours au dessus de la simplicité ne sort
pas du naturel ; toute bonne mère desirera que sa fille
414 MERCURE DE FRANCE ,
atteigne ce point là : elle lui dira , Ecrivez ainsi , et
vous serez chère à vos amis . J'ai vu quelquefois que
ce voeu des mères n'était pas tout -à - fait trompé , que
des essais dé très -jeunes personnes étaient fort heureux.
Les mères et leurs enfants s'en aimaient davantage.
Ah ! M.me de Sévigné leur sera toujours chère et brillera
dans leur cabinet de livres,
*
C'est ce qu'on a remarqué mille fois , et presque
toujours fort bien , et je ne connais que feue M.me
Necker à qui M.me de Sévigné n'ait pas communiqué
de la grace en parlant d'elle. Un homme , d'un esprit
délicat et juste , en a surtout écrit un fort joli chapitre
, après lequel je m'étonné d'avoir encore quelque
chose à dire mais son but et le mien sont un peu
différents . Il ne veut que lui confirmer l'éloge d'avoir
excellé dans le style épistolaire . J'examine de plus
pourquoi il lui fut donné d'y exceller. Il prouve un
fait très- vrai , dont j'essaye de développer les causes ;
c'est pour cela que j'ai précédemment observé son
siécle , sa position , ses annis , certaines opinions qui
ont plus occupé son esprit . Tout cela influe sur les
qualités du style ; mais c'est surtout le caractère qui
les crée , et c'est pour cela que lecteur aimera
peut- être que celui de M.me de Sévigné lui soit bien
présenté.
1
J'examinerai d'abord si ce fut une femme passionnée .
On fait aujourd'hui beaucoup de bruit de ce mot , et
l'on répète , quelquefois bien au long , que les passions
poussent merveilleusement les voiles de notre esprit.
Il est rare , à mon avis , qu'elles le fassent bien aborder
, et le plus souvent elles causent son naufrage. Il
en est une surtout dont on recherche curieusement et
quelquefois assez ridiculement l'influence , surtout dans
les écrivains . Boileau , dit on , ne fut point agité de
* M. Suård.
FRUCTIDOR AN IX. 415
'celle-là , et on remarque , en souriant , qu'il ne fut
point sensible. Certes , il le fut beaucoup aux beautés
poétiques , et c'est pour cela que le sensiblé Racine le
reconnut pour juge. Ainsi le plus sensible des hommes
soumit avec succes son talent à l'homme qui l'était le
moins ; et il serait assez bizarre que là passion lui
ayant été si nécessaire pour produire ses chef- d'oeuvres
, són ami n'en ait eu nul besoin pour lui indiquer
la perfection . Boileau prononçait sur cette passion
'comme Racine sur l'àmbition d'Agrippine sans la ressentir
, et celui -ci dut beaucoup plus à Euripide , à
Virgile , à Port -Royal même et à la Bible , qu'à
quelques ardeurs passagères que lui inspirèrent des
femmes . Quelle passion , je vous prie , dominait Lä
Fontaine , qui dit si bien lui - même : Je suis chose
légère ? Chaque vent , pour faible qu'il fût , l'emmenait
tour à- tour , et il chanta presque aussi bien Psyché
que Jean- Lapin et le saint homme de Chat Je ne
finirais point de dénombrer tous les vrais talents qui ,
sans être soutenus dans leur vol par aucune passion
personnelle , ont excellé à peindre les passions ainsi
que tous les autres effets de la nature . Pourquoi donc
de notre temps les a - t- on louées , récommandées , exagérées
avec un si violent enthousiasme ? Je le dirai
avec le calme et avec l'inflexibilité d'un moraliste ;
c'était pour s'y livrer , et souvent pour les feindre ;
tout amant a voulu être le jeune Werther ; toute
femme effrénée , Héloïse ; et d'autres , qui n'étaient
rien de cela , que prétendaient- ils ? Que pensez - vous
de ce petit vieillard faible et septuagénaire , de l'abbé
Raynal , qui , dans son Voyage philosophique , insere
des pages brûlantes , et se donne les airs du plus déraisonnable
jeune homme ? Mais ne nous écartons point
de M. de Sevigné.
Je me rappelle un endroit de ses lettres , le seul , je
416 MERCURE
DE FRANCE
,
"
H
"
a
MAC
crois , où elle parle des passions. Ce n'est point en
forme de raisonnement profond ni subtil , c'est une
image vive qu'elle suit . Elle avait vu couper des vipères
pour faire des bouillons à M. de Lafayette. « On
coupe
la tête et la queue à cette vipère , on l'ouvre , on
l'écorche , et toujours elle remue ; une heure , deux heures
, on la voit toujours remuer : nous comparâmes cette
quantité d'esprits si difficiles à appaiser à de vieilles
passions .... que ne leur fait - on pas ? On dit des
injures , des rudesses , des cruautés , des mépris ,
des querelles , des plaintes , des rages , et toujours
elles remuent , on ne saurait en voir la fin ; on croit
« que quand on leur arrache le coeur , c'en est fait ,
« et qu'on n'en entendra plus parler ; point du tout ,
elles sont encore en vie , elles remuent encore . »
Voilà comme M. de Sévigné sait traiter un sujet
philosophique. Je connais de gros livres sur les pas
sions , qui sont tous bouffis de mérite , bien roides de
savoir , bien atournés d'éloquence , comme dit Montaigne
, d'où on ne tirerait pas dix lignes aussi brillantes
et aussi sensées . Et voyez comme elle est éloignée
de la prétention d'avoir dit une chose rare :
Je ne sais pas si cette sottise vous plaira comme à
mais nous étions en train de la trouver plai-
"
"
"L
" nous ,
" sante. »
Il y a dans ce même recueil une ligne de M.me de
Coulanges , qui est remarquable , et peut- être trop
gaie Je fais peu de cas des passions , surtout depuis
qu'elles ne sont plus à mon usage. Il fallait , pour
qu'elle se permît cette plaisanterie , qu'aucun souvenir
du passé ne la troublât , et pour suivre la comparaison
de son amie , que rien ne remuất dans son coeur ,
ni dans sa conscience. Il n'y a qu'une très - honnête
femme qui puisse risquer ce mot , parce qu'elle n'a pas
à rougir , ou Ninon , par une raison contraire , qui
1
FRUCTIDOR AN IX. 417
→
DE LA
est qu'elle ne rougit pas . Ninon s'était déclarée homme ,
et l'on assure qu'elle était un très - honnête homme.
Mais ce n'est peut - être pas là ce que , de nos jours , on
a le plus vanté en elle ; c'est le libertinage de
principes qui lui a valu le titre de femme philosophe.
A la bonne heure , mais cette philosophe elle-meme
serait surprise , et peut - être divertie de voir tout le
chemin qu'a fait parmi nous la philosophie des
sions , tout cet emportement de sublime , et ces amese
agitées , tourmentées , bouleversées par la sensibilité ,
ces vrais volcans d'amour , et surtout les progrès que
cette folie fait faire au génie et aux moeurs . Ce sont
les miracles de notre temps , et le siécle de Louis XIV
est pour la perfectibilité et la mélancolie à cent siécles
du nôtre . O Ninon ! & Molière , que vous ririez ! O précieuses
! que vous n'étiez rien en comparaison de nos
dames sublimes !
Que faisait - on donc alors du coeur humain , de
l'analyse de ses passions et de leur influence , on essayait
d'en faire à peu près ce qu'on en fait aujourd'hui
, des livres , des romans dont on lisait ce qu'on
pouvait , etc. , etc.
2 M.me de Sévigné , quoique très-sensible , avait
quelque penchant pour la doctrine austère de Port-
Royal. Son historien la soupçonne même d'un peu
de jansenisme. On remarque , en général , que
les écrivains de cette école ont été les peintres les
plus éloquents des passions , et peut- être les connaissaient-
ils mieux , parce qu'ils les réprimaient
davantage. C'est ainsi que l'auteur parle de ces fameux
solitaires , dont M.me de Sévigné aime tant
à rappeler les noms et les ouvrages.
Elle parle beaucoup des livres de ces Messieurs ;
5
cent
5 .
27
418 MERCURE DE FRANCE ,
/
c'est ainsi qu'elle appelle Port - Royal , et c'est pour
cela qu'un jésuite l'a placée dans un Dictionnaire des
livres jansénites , et que les jansénistes , de leur côté ,
ont fait un Sevigniana , ou Recueil de tout ce qui leur
plaît dans ses lettres , avec des notes qui sont le plus
souvent un nécrologe de Port - Royal . Je suis fâché
qu'elle ait eu la mauvaise fortune d'occuper si fort ces
deux partis de théologiens. Mais pourquoi célèbret-
elle si souvent ce Port - Royal ? Je vais le dire . ´´
Cette fameuse solitude était devenue le centre et la
capitale d'une secte ; mais il en sortait , avec des livres '
de parti , d'autres qui ont perfectionné l'esprit humain ;
et parmi ces livres de parti même , il y en avait un
que Boileau préférait aux anciens et aux modernes :
ce sont les Provinciales. Ce jugement n'était au fond '
qu'une hyperbole plaisante , par laquelle le satirique
s'amusa dans une conversation à dérouter un jésuite .
Mais enfin les Provinciales sont un chef- d'oeuvre tel
que n'en enfanta jamais le génie polémique ; et ce
chef-d'oeuvre n'est pas le seul que la postérité doit à
ces solitaires. Elle s'entretient tous les jours des obligations
que leur a la langue française et l'art du raisonnement
, et même la géométrie. Il faut se souvenir
que presque tout ce qui a excellé dans ce beau siécle
les appelait ses maîtres . Ils avaient mis la gloire en
commun ; chacun pour son compte avait renoncé au
je et au moi; et , quand il parlait de lui , il se cachait
sous la modeste particule on. C'est pour cela qu'en
parlant de leurs ouvrages , on disait les livres de ces
Messieurs.
i
Ces hommes habiles , et protégés par leurs talents
et leur austérité , soulevaient fortement l'opinion , et
plus d'un lecteur ne sait pas tout ce qu'ils auraient ´
voulu remuer ; mais il y a aujourd'hui tel homme aspirant
à se faire chef d'un parti ecclésiastique qui ne
FRUCTIDOR AN IX. 419
1
Pignore pas , et qui , dans un ouvrage récent * , vante
assez mal- adroitement leur conduite comme un modèle
de révolte sourde et persévérante. Louis XIV en
avait précisément la même idée , et il regardait la
faveur publique , qui réclamait pour eux , comme un
reste des tracasseries de la Fronde. Il ne se trompait
peut-être pas entièrement , car l'esprit d'opposition
qui s'était manifesté alors en France ne s'y était pas
éteint , il n'était qu'endormi et enchanté par les merveilles
du règne et la force du gouvernement. Mais'
cette force est impuissante à étouffer les pensées , et'
toutes les fois qu'elle s'exerçait , elle rencontrait l'improbation
et le chagrin d'un grand nombre d'esprits. '
Ainsi l'infortune de Fouquet , condamné par des
juges de cour , fut déplorée par des gens de lettres
et par M. de Sévigné. Ainsi les rigueurs contre
les partisans de Port Royal furent désapprouvées
par cette même M.me de Sévigné et par une foule de
gens de bien , qui ne voyaient dans ces solitaires que
les adversaires des jésuites et les défenseurs de la saine
morale. Ce monarque absolu échoua véritablement en
déployant beaucoup de pouvoir ; il encourut le blâme
d'avoir persécuté , et ne parvint point à éteindre une
hérésie . On lui soutenait que cette hérésie était un
fantôme. Tout le siécle se portait vers ces opinions
accréditées par l'éloquence et par la plaisanterie ( qui
a encore plus de pouvoir sur les Français ) . Le grand
Louis était enveloppé , sans le savoir , par le jansénisme ,
comme ses successeurs , dans notre siècle , l'ont été par
la philosophie , et l'opinion , après avoir éludé l'autorité
, a fini par la vaincre."
·
Qu'on ne dise pas ici , qu'à propos d'une femme ,
1
* Voyez la brochure intitulée : Les Ruines de Port -Royal
en 1801 , par Gr......
420
MERCURE
DE FRANCE ,
n'est
et
auteur de quelques lettres , je parle de toute la nation
, et me livre à une peinture vaste et tout - à- fait
historique ; outre que cette peinture a peut- être le
mérite de l'instruction , le lecteur voudra bien se souvenir
que nos lumières et nos erreurs , étant presque
toujours celles de notre temps , une personne
bien connue qu'autant qu'on fait connaître ses contemporains
. Il faut donc dire que M.me de Sévigné était ,
entraînée par les siens , et que ceux- ci l'étaient par,
quelques hommes adroits , constants , parés de mo-,
destie , et désintéressés de toute importance apparente ,
mais non pas de la gloire et de l'ambition d'influer ,
qui agissaient du fond d'une solitude de vierges ,
remuaient secrètement toute la France par le souvenir
de la discipline antique des chrétiens et l'attrait d'une
morale austère. Je demanderai , avec J. J. Rousseau, qui
peut bien se répondre que , s'il eût vécu du temps
d'Arnaud , de Pascal , de tous ces hommes d'un caractère
si grave et de talents si divers , il n'eût pas .
été le panégyriste de Port- Royal , comme Despréaux ,
comme Racine , comme une foule de savants magis • ,
trats et d'hommes vertueux , comme M.me de Sévigné ,
enfin , qui , libre de toute passion , excepté du plus
extrême amour maternel , voulait être femme de bien ,
en même temps que femme aimable ?
Il faut borner les citations , et renvoyer les lecteurs
à l'ouvrage même. Ils sentiront combien l'on
doit de reconnaissance à ces dignes amis de l'ancienne
littérature , qui , en appréciant si bien les
vrais modèles , semblent en rajeunir les graces et
la renommée .
C. N.
FRUCTIDOR AN IX. 421
PHILOSOPHIE de Kant , ou Principes fondamentaux
dela Philosophie transcendentale
par Charles VILLERS , de la Société royale
de Gollingue. Chez Henrichs , rue de la Loi ,
n.º 1231 ; Levrault frères , quai Malaquais , et
Pougens, quai Voltaire .
Le nom de Kant est plus connu que ses ouvrages.
Quelques Français appliqueront peut- être au philosophe
allemand ce que Voltaire a dit d'un poète
italien. On l'appelle divin , mais c'est une divinité
cachée ; peu de gens entendent ses oracles.
Les professeurs des universités d'Allemagne font
de très-longs commentaires sur la doctrine du divin
Kant , et Voltaire ajouterait encore Il a des
commentateurs , c'est une raison de plus pour
n'être pas compris.
:
Charles Villers veut enfin nous expliquer les
oracles de la divinité cachée ; et d'abord , à la
manière des anciens prêtres , il écarte tous les
profanes. Il lance les plus terribles anathèmes
contre l'ignorance et la frivolité des gens de lettres
français qui n'ont pas appris , comme lui , l'art
de penser et d'écrire , en Allemagne . Il les juge incapables
de toutes les études fortes , grandes et
libérales , pour parler le langage moderne ; en
conséquence , il n'adresse point son livre , dit-il ,
à cette secte niaise , prosternée devant l'autel
d'un certain Phoebus , qu'il lui plaît d'appeler
le bon goût , et qui prétend encore soutenir la
primatie intellectuelle de sa déité , etc. , etc.
On voit, par cette phrase , et tant d'autres , qu'il
serait trop long de citer , combien le disciple de
422 MERCURE DE FRANCE ,
Kant est éloigné de ce Phabus qu'il reproche aux
écrivains de notre nation . Mais après avoir récusé
Jes gens de lettres , quels seront les lecteurs qu'il
trouvera dignes de lui ? Il n'en veut point d'autres
que les savants de l'Institut , les Lalande
Jes Laplace , les Fouroroy , les Chaptal , les
Guilon , etc. dont il reconnaît la magistrature
suprême. On répète ici ses expressions.
9
Certes , un tel aréopage est fort imposant. Mais
on doute que Charles Villers obtienne la faveur
des juges nommés par lui -même. Une estime mutuelle
et plusieurs opinions communes rapprochent
les gens de lettres distingués et les savants illustres .
Tous les bons esprits dans les deux genres savent
que l'art de bien raisonner n'est pas moins utile
à ceux qui se livrent aux arts d'imagination , qu'à
ceux qui cultivent les sciences. Ainsi le disciple .
de Kant s'est trompé , s'il croit , en insultant les
gens de lettres , faire sa cour aux véritables sa-
'vants.
i
D'ailleurs , il n'a connu ni les temps ni les lieux.
Ce livre sur lequel il fonde sa renommée doit précisément
déplaire à ceux dont il invoque le suffrage;
car leurs principes sont tout-à - fait contraires.
aux siens . Les savants de l'Institut jetteront à peine
un coup-d'oeil sur ce travail , dont il espère tant
de gloire * . On prédit à Charles Villers qu'il ne
sera lu
que d'un petit nombre de gens de lettres
outragés dans sa préface , mais dont l'esprit s'attache
de préférence à ces systèmes salutaires qui
* L'auteur écrivait modestement de Hambourg : Mon
livre va éclater comme une bombe à Paris , et étonner toute
la France. La raison et la vraie philosophie ne s'annoncent
point de ce ton-là.
FRUCTIDOR AN IX. 423
joignent la terre au ciel , et qui prolongent les espérances
de l'homme au-delà du tombeau.
En effet , ce qu'on entrevoit de la doctrine de
Kant , à travers les nuages du commentaire , fait
du moins honneur aux intentions du philosophe
allemand. Il paraît avoir connu la dignité de la
nature humaine ; il veut donner à la morale des
bases nobles et solides. Son système n'est donc
point celui d'une secte moderne , qui cherche tous
les phénomènes de notre intelligence dans notre
seule faculté de sentir. Les apôtres de cette
secte ont cru expliquer , par le mécanisme des
organes matériels , les plus sublimes opérations
de l'entendement . Pour eux , la pensée n'a plus
de merveilles ; ils la décomposent dans leurs analyses
, aussi surement que le chimiste décompose
les substances qu'il jette dans ses fourneaux . L'ame,
disent-ils , ne peut échapper à la finesse de leur
nouvel instrument qui ne trompe jamais ; en conséquence
, ils vous apprendront au juste le moment
précis où la sensation se transforme en idée , en
réflexion , en jugement ; et si , dans ces diverses
métamorphoses de la sensation , vous ne voyez
pas aussi bien qu'eux la cause du génie d'Homère ou
de Pascal , on vous accusera d'être un fanatique
incurable et l'ennemi de toutes les lumières .
:
Kant , s'il faut en croire son commentateur , a
le plus grand mépris pour cette espèce de philosophes.
Charles Villers , qui parle au nom de son
maître , poursuit à chaque page ce sensualisme
étroit qui fait le fonds de la nouvelle métaphysique
française. On voit bien que je transcris
ses paroles. Il ajoute ailleurs : « Cette métaphy-
<< sique bornée , tournant dans un petit cercle de
conceptions , très-apte , par la matérialité de son
«
424 MERCURE DE FRANCE ,
«
principe , à devenir populaire , à être présentée
« d'une manière palpable aux esprits les moins
<< capables d'abstraction , fit une fortune prodigieuse
sous la plume des Encyclopédistes , sous
<< celle des Diderot , d'Alembert , d'Argens , Hel-
« vétius , etc. etc.; dès- lors le nom de la philosophie
se rencontra partout , et la chose nulle part .
On donna à cette période de bavardage le titre
« de Siecle philosophique , et , dans aucun temps ,
<< la philosophie n'avait été plus méconnue. »>
«<<
On voit que Charles Villers ne traite pas mieux
les philosophes que les gens de lettres , il ne sait pas
que la colère des premiers est sérieuse . On la désarme
difficilement. Si les Kantistes gagnent leur cause ,
il faut convenir qu'ils ne devront rien à l'adresse
de leur champion. Il est temps d'indiquer en peu
de mots cette philosophie transcendentale si fastueusement
annoncée et si mal-adroitement défendue.
Kant , pour combattre la métaphysique actuelle ,
n'a pas recours précisément aux idées innées qui
n'oseraient reparaître sous leur propre nom , depuis
que Locke les a chassées de l'école ; il ne rappelle
point l'harmonie préétablie de Leibnitz , que
M.me du Châtelet voulut reproduire * ; il admet
encore moins le dogme de la réminiscence , inventé
par Platon ; mais il suppose que l'homme
apporte en naissant une faculté de connaître , une
espèce de sens intime qui renferme d'avance toutes
les notions premières de l'espace et du temps , et
toutes les vérités de la géométrie pure. C'est , en
* Voyez une très - ingénieuse dissertation de cette femme
célèbre sur la philosophie de Leibnitz. Il est vraisemblable
que Voltaire y travailla. Charles Villers aurait
bien du en imiter la précision , la méthode et la clarté,
1
FRUCTIDOR AN IX. 425
quelque sorte , un archetype de toutes les idées que
réveillera successivement la vue des objets dont nous
serons frappés . Ici , les principes de Kant ont quelque
ressemblance avec ceux de Platon . Selon lui , la
synthèse précède l'analyse dans notre esprit , et
l'instinct vaut souvent mieux que la raison . Le
sens intérieur prouve Dieu plus surement que
les merveilles de l'Univers . L'immortalité de l'ame
et la liberté de l'homme , ainsi que l'existence de
Dieu , sont des dogmes écrits au fond de nos coeurs
avant de l'être à la porte des temples , ou dans les
vers des poètes et des sages qui ont éclairé les nations.
Dans tout ce qui tient à ces grands principes ,
l'homme croit avant de savoir , et c'est pour
cela même qu'il est sûr de posséder la vérité ; car
le raisonnement est incertain , et le sentiment
infaillible. La conscience dicte tous les préceptes
de la morale avant les législateurs. Les philosophes
matérialistes , comme Helvétius et ses disciples ,
fondent la morale sur l'intérêt personnel. Kant la
fonde sur le devoir ; et qui ne sait que l'intérêt
et le devoir sont trop souvent ennemis.!
Voilà le résultat assez clair de 440 pages , qui
ne le sont pas toujours. Si cette doctrine n'est pas
neuve , elle ennoblit au moins l'espèce humaine ,
et , sous ce rapport , l'auteur mérite des éloges .
On regrette qu'il l'ait enveloppée de toutes les
obscurités de l'ancienne scolastique . Il a cru ,
sans doute , qu'il paraîtrait plus profond en se
cachant dans ces ténèbres épaisses que le commentateur
aurait pu mieux dissiper . Charles Villers
convient que le style de Kant n'est point digne
de sa philosophie . Il aurait dû réparer ce défaut .
Mais , au contraire , il prétend le justifier en nous
assurant que l'art d'écrire n'est pas plus néces
426 MERCURE DE FRANCE ,
f
1
saire à un métaphysicien , que l'art de danser
à un général. Charles Villers , en avançant une
telle erreur , croit - il donner une preuve de ses
progrès dans l'art de penser ? Il devrait savoir que
l'élégante clarté de l'expression n'est jamais plus
nécessaire que dans les sujets métaphysiques.
L'homme qui ose remonter jusqu'aux premiers
principes, doit , pour ainsi dire , environner toutes
ses idées de cette lumière tranquille et pure
qui vient des lieux élevés. Il doit persuader , en
quelque sorte , par la netteté de son style , qu'il est
parvenu dans les régions où il n'y a plus d'ombres
et de nuages.
Au reste , en supposant même que Kant fût un
esprit aussi vigoureux que Leibnitz et Wolf,
ses compatriotes ( ce qu'on est très-loin de croire),
sa philosophie ne pourrait faire le même bruit
que celle de ses prédécesseurs . Soit que la frivolité
du siècle soit moins propre à ces hautes spéculations
, soit qu'on en ait reconnu le néant , il
est certain qu'elles n'inspirent plus le même intérêt.
Cependant aucune étude , il faut l'avouer , n'ouvre
un aussi vaste champ à l'essor de la pensée . L'oeil
du métaphysicien est toujours fixé sur les plus
grands objets. Nul ne goûte mieux , à la fois , le
calme de la méditation et les transports de l'enthousiasme
. Il s'égare , il se perd quelquefois dans
ses propres songes ; mais s'il a le génie de Platon ,
il est sûr que mille ans après sa mort , on se passionnera
pour ses songes bien plus que pour la
vérité même . Une imagination sensible doit trèsbien
concevoir les délices attachées à cette science
contemplative et rêveuse.
J'ignore donc pourquoi l'auteur du Paradis perdu
met au nombre des tourments de l'enfer les discus-
1
FRUCTIDOR A NI X. 427
sions métaphysiques . Il peint les damnés raisonnant
sur l'essence de l'ame avec aussi peu de fruit
que les docteurs de nos écoles . C'est une mauvaise
plaisanterie de Milton . J'aimerais mieux peindre
les métaphysiciens marchant , comme dans Virgile
, à travers l'immensité du vide , et l'empire
des fantômes ,
Perque domos ditis vacuas et inania regna ;
mais croyant toujours arriver à ces campagnes
fortunées , où s'épanchent les flots d'une lumière
inaltérable.
Largior hic campos æther et lumine vestit
Purpureo .....
Ajoutons encore que si la métaphysique ne trouve
pas souvent ce qu'elle cherche , elle exerce toujours
les facultés de l'entendement , et qu'elle en accroît
la force et la perspicacité . Combien les disputes
nombreuses qu'elle a fait naître depuis les Réaux
et les Nominaux jusqu'aux combats sur la Grace,
ont donné de mouvement à l'esprit humain ! Les
poètes eux-mêmes , ont plus d'une fois enrichi
leur pensée et leur imagination dans cette étude ,
qui ne leur est point étrangère , quoi qu'en disent
des esprits lourds ou superficiels . Virgile avait
beaucoup étudié Platon , et quand il exposa ,
dans le sixième livre de l'Enéide , quelques
dogmes de ce philosophe , sa poésie eut un caractère
plus imposant et plus merveilleux . C'est
dans la solitude où Nicole , Arnaud et Pascal développaient
toutes les subtilités et toutes les profondeurs
métaphysiques , qu'un jeune poète instruit
à leur école devint le plus grand peintre du coeur
humain. Voltaire lui-même n'a fait ses plus beaux
428 MERCURE DE FRANCE ,
ouvrages qu'après avoir promené son imagination
sur les idées qui occupaient Leibnitz et
Mallebranche , et ce Locke enfin , dont il fut
parmi nous le premier apôtre. Les questions de
ce genre l'occupèrent toute sa vie , et quand il
parlait en auteur grave , et même quand il n'était
que
que bouffon . Après avoir examiné tous les écrits
de ceux qui ont voulu pénétrer la grande énigme
de l'homme , il disait dans sa vieillesse :
La nature est muette , on l'interroge en vain ,
On a besoin d'un Dieu qui parle au genre humain.
Mais les philosophes de notre temps sont encore
plus avancés que Voltaire , et n'ont plus besoin
de ce Dieu dont il a toujours reconnu la nécessité.
D.
+
RAISON, Folie , Chacun son mot ; petit Cours
de morale , mis à la portée des vieux enfants ;
par P. E. L.- Paris , chez Deterville , libraire ,
rue du Battoir , n.º 16 , 1 vol . in -8.º
*
CETTE brochure est une des plus piquantes qui àyent
paru depuis quelques temps. Les fragments qu'elle renferme
ne forment pas un ouvrage ; mais elle - même est ,
à coup sûr , l'ouvrage d'un homme de beaucoup d'esprit.
On y trouve des contes en prose , des fables en vers ,
des essais historiques , économiques et politiques. L'auteur
a mis moins de variété dans son style , que dans
Je choix des sujets qu'il a traités . Sa manière n'est pas
exempte de recherche et d'affectation . Mais il y a partout
de l'élégance , de la finesse , et l'empreinte d'un
falent très- distingué.
FRUCTIDOR AN IX. 429
Les pièces de rapport qui bigarrent un peu cette col-
Jection , échappent nécessairement à l'analyse . Je ne
puis les faire connaître que par des citations , et je
prends volontiers ce parti : l'auteur et les lecteurs ne
peuvent qu'y gagner.
Voici l'introduction d'un très -joli conte , intitulé
Sparte à Paris.
"
L'esprit qui se fait en France ne pouvant suffire à la
consommation du pays , j'ai fondé un assez joli commerce
sur l'importation de l'esprit du Nord . Il est des
années où j'enlève des foires de l'Allemagne de fort belles
parties de littérature brute , que je fais dégrossir à Paris
dans mes ateliers de traduction . Cet honnête trafic , qui
ne tend pas moins au perfectionnement de l'intelligence
humaine qu'à celui de ma fortune , m'oblige à '
de fréquents voyages , me procure des amis intéressants
, et me donne la réputation de n'être pas un sot ,
quoique j'aie eu la faiblesse de mettre mon nom
quelques- uns des ouvrages que j'avais payés.
L'année dernière , en revenant de Hambourg , je
m'a.rêtai chez mon bon ami le conseiller Branddorf,
Je suis bien aise de vous apprendre qu'il a été pendant
quarante ans le plus grand homme d'état d'une
cour imperceptible de l'Allemagne , et qu'il aurait soulevé
l'Europe tout comme un autre si l'on eût fait
'attention à lui. Il dépensait à acheter de l'encre et des
plumes les 200 florins d'appointements qu'il tenait de
la magnificence de son prince ; et je ne connais pas
d'écrivain plus capable d'alimenter une imprimerie ,
et de faire mourir de faim un imprimeur.
"
Je fus reçus de M. le conseiller avec la plus franche
cordiali é. Nous ne nous dîmes pas quatre paroles , mais
nous vidâmes quatre pots de bière et nous brûlâmes
douze pipes. Je remarquai cependant que le front de
son excellence n'avait pas , au milieu des nuages du ta-
'
430 MERCURE DE FRANCE ,
་་
bac , cette sérénité olympique qu'il y faisait ordinairement
éclater ; je m'aperçus que son oeil ne suivait
pas les ondulations de la fumée avec cette douce complaisance
qui m'avait toujours charmé dans ce grand
homme , et je m'écriai : « M. Branddorf , vous avez du
chagrin ! Je fis cette exclamation en allemand , parce
qu'on ne connaissait pas d'autre langue dans tout le
château de Branddorf ; je la parle moi -même aussi familièrement
que si je l'avais sucée avec le lait maternel
, ou dans les caresses de mes premières amours.
>>
Pour toute réponse , mon ami poussa un soupir , qui´
fut visible par les ravages qu'il occasionna dans le foyer
de sa pipe. Il fit ensuite un geste que sa vieille domestique
interpréta fort juste , en apportant sur la table
un long flacon carré , rempli d'eau - de - vie de grain . Je
jugeai , par ces préparatifs , que le conseiller cherchait à
se donner des forces pour en venir à quelque pénible
confidence . En effet , lorsque nous eûmes abaissé d'environ
six pouces l'élévation de la liqueur dans le cristal ,
son excellence jugea la température convenable , et
entama le discours suivant :
"
Vous voyez , mon ami , un père au désespoir. Il y
a deux ans que mon petit Frédéric vous charma par les
graces de sa figure et la vivacité de son intelligence.
J'avais conçu de cet enfant les plus orgueilleuses espérances
; sa raison naissante promettait à la Westphalie
un nouveau Branddorf qui débrouillerait unjour la constitution
germanique . Hé bien , mon ami ! il n'y faut
plus penser , l'esprit de mon fils est complétement
aliéné. >>
Quoi ! déja ? m'écriai -je ; vous m'étonnez . J'avais cru
les têtes allemandes à l'abri d'un tel accident. Auriezvous
envoyé votre fils en Angleterre ou en France ?
Hélas ! non , continua le conseiller ; je l'ai mis dans
un collége renommé de l'évêché de Paderborn , et ses
"
FRUCTIDOR AN IX. 431
premières lectures l'ont perdu. Sa jeune tête s'est enflammée
pour la gloire de Sparte et les institutions de
Lycurgue . Lacédémone est devenue le rêve continuel de
ses jours et de ses nuits . Cette manie l'a rendu incapable
de tout travail , et la sévérité de ses maîtres a
porté au comble le désordre de son imagination . On me
l'a renvoyé dans l'état le plus déplorable. Vingt fois
par jour le pauvre enfant se jette à mes pieds , et me
conjure de le conduire à Sparte , ne dût- il y rester qu'un
jour. Il promet , à ce prix , de continuer ses études et
de faire tout ce que je lui prescrirai . En vain je lui remontre
que Sparte n'existe plus , et que son territoire
est un repaire de voleurs de grands chemins et de cacovougnis
( scélérats de la montagne ) , qui prennent le
deuil quand ils ont passé une semaine sans piller ou
égorger personne. Il imagine qu'on le trompe ; il pleure,
il sanglote , il appelle Sparte à grands eris , et sa santé
se perd aussi bien que sa raison . »
Or, pour guérir le jeune Westphalien de cette étrange
manie , l'auteur imagine de l'amener à Paris , et de lui
persuader qu'il est à Lacédémone. Il faut voir dans le
conte même , les détails du voyage , la manière ingénieuse
dont le malade est promené dans Paris , et comment
son guide , obligé de dédier chaque édifice à
quelque Dieu du paganisme , ou à quelque personnage
célèbre , loge Vénus aux Carmes , Bacchus Colonate aux
Cordeliers , Diane Orthia à Saint-Lazare , Minerve Chalcioecos
aux Feuillants , Lycurgue aux Jacobins , Hélène
aux Incurables , Ménélas aux Bons-Hommes , Mercure
aux Petits - Pères ; retrouve l'Hyppodrome aux Champde-
Mars , le Portique des Perses à la porte Saint - Denis ,
le Pécile de Sparte aux galeries du Louvre , et le fameux .
Plataniste au jardin des Thuileries. Mais ce qu'il y a
de plus plaisant , c'est la rencontre de Frédéric avec
un jeune allemand , fils d'un théologien de Gotha
432 MERCURE DE FRANCE ,
nommé Scapelman , et que sa patrie , dit l'auteur , avait
envoyé à Lacédémone ( Paris ) , pour qu'il étudiât les
belles manières en chirurgie , et qu'il pút , à son retour ,
découper les Saxons avec plus d'élégance . Comme il
habite Sparte depuis plusieurs années , l'imperturbable
baron lui adresse une foule de questions , beaucoup plus
savantes que celles du bailli de l'Ingénu , et qui produisent
un dialogue des plus curieux. Le voici.
Frédéric .- Est- il vrai qu'à Sparte on ne connaisse ni
deuil , ni pompes funèbres ?
Scapelman. - Sans doute , on a trop de franchise pour
se déguiser.
Frédéric.-Est- il vrai qu'on y exerce l'esprit des jeunes ,
gens par des combats de langue très - piquants ?
Scapelman .- Oh ! l'esprit des jeunes gens est devenu
si subtil , qu'il ne saisit plus que la pointe des mots .
Frédéric Lycurgue a t - il en effet ordonné que les
Spartiates fussent mal vêtus dans la ville , et parés dans
les camps ?
'
Scapelman.Il suffit , pour s'en convaincre , de voir
cette foule de commis qui sans autre arme que leur
plume, partent pour l'armée, plus délabrés que des flotes,
et reviennent six mois après brodés comme des Phrygiens.
Frédéric.- Les filles sont - elles vraiment élevées publiquement
avec les garçons ?
Scapelman.- Oui : souvent le public commence l'éducation
des filles ; mais , dans ce cas , les filles achèvent
ordinairement l'éducation du public .
Frédéric. - Pendant la première guerre de Messenie
toutes les vierges de Sparte devinrent mères ; cet exemple
a- t-il prospéré ?
Scapelman. - Beaucoup ; à la seule différence qu'on ne
distingue plus le temps de guerre et le temps de paix.
Frédéric. - Hermippus nous a-t -il trompés , quand il
FRUGTIDOR AN IX . 433
DEPT
a dit qu'on enfermait les filles de Sparte dans une salle
obscure , et que celui qui voulait se marier allait en
prendre une au hasard. T
Scapelman. - Hermippus a été exact . Ces salles obscures
s'appelaient des couvents . Depuis quelques années ,
on y a suppléé par la faculté de changer de femme à
l'infini , jusqu'à ce qu'on soit content et elle aussi .
L'institution de Lycurgue a été renforcée par celle de
Platon .
Frédéric.-Est - il bien vrai qu'un Spartiate ne peut
voir sa femme qu'à la dérobée , et qu'il serait couvert
de honte s'il se montrait avec elle ?
Scapelman . - Plus que jamais .
Frédéric. La maxime qu'importe qui soit le père ,
pourvu que l'enfant soit beau , est - elle toujours en vigueur
à Sparte ? et Xénophon parle -t - il sérieusement
quand il assure qu'une loi ordonne aux vieux maris de
prêter leurs femmes et d'en adopter les enfants ?
Scapelman.
en tient lieu.
La loi s'est perdue , mais la coutume
Frédéric.-Quand une femme est enceinte , a-t- on
encore le soin d'orner son appartement des portraits des
plus aimables demi - dieux , tels qu'Adonis , Hyacinthe ,
Endymion ?
Scapelman. - On fait mieux ; on ajoute aux portraits
des mannequins charmants , dont sa chambre ne désemplit
pas. Ce sont les plus beaux garçons de la ville ,
qui ont juste autant d'esprit qu'il en faut pour cet
emploi.
Frédéric -Pourquoi donc les enfants que j'ai vus ne
sont - ils pas plus merveilleux que ceux de Germanie ?
Scapelman.- Un statuaire gâte souvent son chefd'oeuvre
en voulant trop le finir.
Frédéric Unpeintre de l'antiquité , pour se conserver
les perceptions plus vives , vécut de lupin pendant plucen
5. 23
434 MERCURE DE FRANCE ,
1 sieurs années ; comment s'y prennent maintenant les
artistes ?
-
4 ཨམྫོ་ ཟ་ ༽ ན་ ཚལ་ ཝཱ ཙཾ ན
Scapelman. Ils suivent le même régime , non par
choix , mais par nécessité .
Frédéric Depuis que Lysander eut introduit les richesses
à Sparte , qu'a - t-on fait pour en dégoûter les
citoyens ?
vin 2-
Scapelman.- On corrige les enfants de la passion du
en leur montrant des esclaves ivres ; de même ,
pour nous dégoûter des richesses , on en gorge d'autres
esclaves.
Frédéric. -O Sparte adorable ! ô ville trois fois prudente
, qui donne de l'or à la stupidité , du lupin au
génie , et des haillons à la vertu !
C'est avec cette manière originale et piquante que
l'auteur écrit en prose . On ne peut point juger , par ses
fables , de son talent pour la poésie ; mais on peut apprécier
la sureté de son jugement et le caractère de sa
philosophie , par l'Apologue suivant.
81
LE PHILOSOPHE A GENES.
Certain athée , à qui Dieu fasse grace !
Dans Gênes avait débarqué.
Les églises , le port , la ville haute et basse 2
Par lui tout fut critiqué
Dieu sait surtout comme il s'était moqué
Des madones qu'on voit orner toutes les rues
Du dévot appareil de lampes suspendues.
"
« Ces gens - là sont foux , disait- il ,
" De perdre ainsi leur huile et leurs prières
« En l'honneur de quelques pierres.
Or il advint qu'un soir ce raisonneur subtil
Regagnait son auberge après certaine orgie.
Sur son passage , un stylet à la main ,
Etaient plusieurs bandits , enfants de l'Italie ,
FRUCTIDOR AN IX. 435
a Et pour un prix honnête égorgeant leur prochain.
Le philosophe est saisi par la bande ,
Qui va percer à jour son corps transi de peur ;
Car je doute que Dieu défende
Un incrédule aussi moqueur.
Pourtant il se débat , et d'un effort contraire
Entraîne le groupe assassin
Jusques au pied d'un dévot luminaire ,
Dont les rayons tombent soudain
Sur sa figure aux bandits inconnue .
Jésus ! ce n'est pas lui , dit le chef du complot.
Ce n'est pas lui , crie aussitôt
La troupe qui s'enfuit. Resté seul dans la rue ,
Notre homme voit , se tâte , et dien merci
N'est point blessé . Fut- il joyeux ? je n'ose
Vous l'assurer. Je crois qu'il fut en tout ceci
Fort content de l'effet , et fort sot de la cause ;
Car c'est à la madone , à son saint lampion
Que l'orgueilleux a dû sa délivrance ;
Et voici la réflexion
Qui fit les frais de sa reconnaissance .
Ah ! dit- il , je conçois qu'une religion
A souvent ici - bas quelque chose de bon ,
Et , dans l'ombre au coupable opposant ses lumières ,
Nous épargne les réverbères . E.
VIE privée , politique et militaire des Romains
sous Auguste et sous Tibère , dans une suite
de lettres d'un patricien à son ami ; traduites
de l'anglais. Paris , chez Buisson , rue
Hautefeuille , n.º 20. An 9 .
UN jeune patricien , Marcus - Quintus Flaminius
échappé au massacre des légions de Varus , à Teutberg
, est fait prisonnier par les Chérusques. Il reçoit
335 MERCURE DE FRANCE ,
une hospitalité généreuse de Cariovalde , leur chef ,
et devient d'ami de son fils Sigismar . Bientôt , par
une faveur particulière , Marcus se trouve réuni à un
grec , nommé Philoclès , aussi prisonnier d'une petite
nation voisine des Chérusques . C'était un philosophe ;
et la beauté de ses maximes et le charme de ses conversations
adoucissaient l'horreur des forêts de la Gerinanie
. Ce Philoclès , toujours en travail pour le bonheur
des hommes , imagine de civiliser les Germains
Il institue en choeurs les jeunes filles des Chérusques ,
leur apprend des hymnes à Vénus , et tient des discours
de législation et de philosophie aux compagnons
d'Arminius .
Les troubles et les révolutions qui préparèrent la
ruine de la Germanie , annoncèrent bientot le progrès
des lumières . Marcus l'avait prévu . Mais dans sa correspondance
avec son jeune ami , il lui parle surtout de
la belle Aurélie dont il est peut - être séparé pour jamais ;
il lui confie aussi ses inquiétudes sur le sort de Valerius
, son oncle et son second père , sénateur digne
de ses ancêtres , et qui , incapable de fléchir , devait
succomber sous la tyrannie .
Cependant Germanicus vient prendre le commandement
des légions . Marcus recouvre sa liberté , emportant
une aigle romaine , et combat aux côtés du jeune
héros , dans ces journées sanglantes qui vengèrent le
nom de Varus. Germanicus termine tant de grandes
actions par un beau trait de prudence : il éleve sur
les bords du Rhin , un monument à la gloire des
armées de César Tibère ; et retourne triompher à Rome ,
également coupable de sa gloire et de sa modération .
Il faut suivre Marcus à Rome: Valerius n'y était
plus. Aurélie , sur le bruit de la mort du jeune prisonnier
, avait épousé son rival... Après s'être conduit
comme un autre Grandisson avec cette Aurélie qui ,
FRUCTIDOR AN IX. 437
moins héroïque que Clémentine , meurt du poison
qu'elle s'est donné , Marcus se met à la recherche de
Valerius. La haine de Séjan l'avait relégué dans une
île misérable , où l'innocence et la piété de sa fille
unique , Valerie , le consolaient des malheurs de Rome.,
— Nous abrégerons . Nous ne dirons pas comment Sigismar
lui- même accourut du fond de la Germanie
pour apprendre cette retraite à Marcus . Valerius , sur
le point d'être la victime d'un ordre cruel du tyran ,
lui découvre une conjuration,
. Ce Philoclès dont nous avons parlé en était le
principal ageut. Il avait accompagné , à Rome ,
des ambassadeurs germains. Après avoir , tenté vainement
d'engager , Valerius dans ses complots contre
César , il accusa celui qu'il n'avait pu séduire ; et il
portait au généreux sénateur une coupe de poison de
la part de Tibère , lorsqu'il est tué de la main de
Sigismar qui , muni d'un contr'ordre de l'empereur, venge
sa patrie sur le philosophe. Valerius rentre en grace auprès
de Tibère , et l'on devine déja que Marcus devient
l'époux de Valerie, Tel est à peu près le plan de l'ouyrage
intitulé : Vie privée des Romains , etc. L'on ne s'y
attendait guère.
Il n'est pas besoin d'insister beaucoup sur l'inconvenance
de cette action de roman , cousue à des fragments
de Tacite . Si l'intérêt du roman l'emporte sur
celui de l'histoire , l'auteur a manqué son but ou sou
titre . Si , au milieu des cris du triomphe de Germa
nicus et des graves événements de l'empire romains
les héros amoureux doivent être oubliés , il était inutile
de les mettre en scène ..
L
2
au
Lorsque le jeune Anacharsis visite la Grèce
grand siécle de Périclès , il ne paraît jamais que pour
voir et raconter. Les événements de la vie d'un seul
hommé sont trop petits pour un pareil théâtre.
438 MERCURE DE FRANCE ,
Mais encore en supposant que les moeurs des Romains
sous Tibère , décrites par Tacite , eussent besoin
d'un cadre nouveau , il fallait du moins le choisir tel
qu'il embrassât le sujet tout entier. L'action de ce
roman se terminé au départ de Germanicus pour la
Syrie , et qui ne sait que , jusqu'à cette époque ,
l'aspect de la république n'avait point changé , au
plutôt qu'il était encore indécis , comme le caractère
du prince ? Mais avec Germanicus et Drusus , le
tyran perdit , pour ainsi dire , les accusateurs de sa
conscience. Il dépouille toute pudeur , et il n'a plus
qu'une froide et profonde dissimulation qui est la
perfection du crime. Alors on voit les sénateurs prosternés
aux pieds de Tibère , celui - ci devenu le premier
esclave de Sejan qui distribue des poisons à la
famille de son maître , cette loi de lèse- majesté qui
fournit des victimes à la vengeance , et des confiscations
au trésor toujours épuisé , les chutes effroyables
des ambitions subalternes , des excès de débauche ,
que la langue n'avait point encore nommés , et une tris→
tesse austère dans l'ile de Caprée , etc. Enfin , la consternation
d'une ville de quatre millions d'hommes ,
que l'historien latin rend avec une vérité si effrayante ,
lorsque , se délassant à tracer des guerres étrangères ,
il revient par intervalle sur le sort de sa patrie , en
ces mots at Romæ , cæde continud , jacuit ingens
strages ; expressions qui , au milieu du silence et de
la terreur , semblent marquer les coups qui abattent
les plus illustres têtes ! C'était- là l'époque qu'il fallait
peindre , c'était celle où un Tibère avait imprimé son
caractère à sa nation... Quelle histoire pour nous !
Nos peuples affaiblis s'en souviennent encor :
Son nom seul fait frémir nos veuves et nos filles .
Au
Au reste , les vices du plan et les inconvenances de
FRUCTIDOR AN IX. 439
} "
Pouvrage , sont rachetés à un certain point par des
détails instructifs et agréables . La plupart , il est vrai ,
sont pris chez les Germains ; mais on aimera la peinture
de cette terre humide et ' coupée de marais , de
ce ciel couvert , de cette verdure plus sombre , de ces
forêts de chênes pleines des mystères des druides , et
en général l'heureux emploi des couleurs de Tacite ."
1
En traversant les Gaules , Marcus voit cette fontaine
de Vaucluse qui sera chantée par Pétrarque , et réveille
mille souvenirs classiques par la description de ces monuments
qui doivent être nos ruines et nos antiquités.
Pendant les préparatifs du triomphe de Germanicus ,
il visite les lieux célèbres aux environs de Rome , et,
à l'imitation d'Anacharsis , il essaye de peindre les
écrivains célèbres dans leur conservation .
"
12
Germanicus m'a fait passer une matinée bien intéressante.
Ce jour étant uniquement consacré à la double
célébration du traité humiliant consenti par les Parthes
, et de la punition des meurtriers de Jules - César ,
Tibère est obligé d'aller offrir les sacrifices accoutumés
dans le temple de Mars vengeur , et même de
paraître publiquement. Toute la famille des Césars
( le général excepté ) * assiste à ces solennités . Libre
de disposer de sa journée , Germanicus me propose de
l'accompagner jusqu'à la maison de campagne de Tite-
Live. « La présence de cet admirable historien , me dit - il ,
m'inspire une vénération égale à celle que j'éprouve en
passant sous l'arche triomphale érigée , près de la porte
Capanée , à la mémoire de mon père , dont il a retracé
les grandes actions. "
Nous trouvâmes Tite- Live dans un petit appartement
donnant sur un jardin que bordent les eaux du Tibre .
Il nous ramena dans le vestibule de sa maison au mi-
* Les généraux auxquels on accordait le triomphe, ne pou .
vaient entrer dans Rome avant la célébration .
440 MERCURE DE FRANCE ,
lieu des grands hommes dont il nous a transmis
vertus. Leurs bustes sont placés dans six niches , et
représentent Camille , Fabius - Maximus , Paul Emile ,,
Marcellus , Scipion l'Africain , et Titus - Quintus
Flaminius.
"
.p
« Il reçut . Germanicus , avec affection et simplicité.
Vous travaillez depuis longtemps pour moi , mon fils ,
s'écria t il , mais je crains que la mort ne me ravisse
l'honneur de tracer vos victoires , et surtout vos vertus . "
Germanicus lui répondit avec modestie . Il me présenta
ensuite au sage , en lui faisant un récit de ma
conduite avec toute la partialité de l'amitié. Tite Live
alla dans sa bibliothéque , d'où il rapporta un petit
volume . Ce livre , dit - il en le montrant à César , cọntient
les notes que j'ai faites sur le temps présent : le
nom des familles illustres qui se sont distinguées au
service de la patrie , est à la tête de chaque page.
J'ai écrit au bas les noms , les qualités et les actions"
de ceux de leurs descendants qui soutiennent l'honneur
de leur race. Voyez combien j'ai écrit au titre de
Claude et , à celui de Quintius : j'ai déja noté ce que
Vous venez de me dire sur Marcus . Je voudrais , continua-
t - il en fermant le livre , que tous ceux dont les
noms seuls ornent ces pages , pussent , en jetant les
yeux sur le vide qui les suit , sortir de leur apathie et
travailler તà le remplir..."
"
9n
"
7 94.3
Je me hasardai à lui demander pourquoi il n'avait
pas orné son portique du buste de Jules - César, Il répondit
vivement : Parce que je n'aurais pule placer visà-
vis celui du grand Pompée J'espère cependant
qu'on trouvera que j'ai rendu justice à tous deux . " A
ces mots Germanicus l'embrasse : Mon vénérable'
ani , lui dit- il avec transport , quel prix votre sîn-
« cérité donne aux éloges que mon père à reçus de
* Auguste le nommait en plaisautant le Pompéien.
FRUCTIDOR AN IX. 44r
« vous , et que je suis fier de ceux que vous daignez
« accorder à son fils ! "
"
2 .
Tite- Live demande à César si on avait quelque
espoir qu'Ovide serait bientôt rappelé de son exil .
Je plains son sort , dit Germanicus , Suillius m'a
montré dernièrement une épître touchante que son infortuné
beau - père lui adressait pour m'engager à le
servir . Mais Tibère accordera difficilement une grace
refusée constamment par Auguste . »
Ce passage fera juger du style ; il est pur et facile
, à quelques anglicismes , près qui se sont glissés
dans la traduction. En : un mot , l'auteur de cet ou
yrage a peut-être rendu service aux amateurs de romans ,
mais les amis de l'histoire s'en ' plaindront. G. *
"
VARIÉTÉS, ...
A l'auteur de l'article sur le poème DES
JARDINS , inséré dans le précédent numéro .
CITOYEN
Vous avez traité le nouveau poème des Jardins , avec
tous les égards que l'on doit à son auteur ; cependant
yos lecteurs trouveront peut- être qu'en faisant la part
des éloges avec votre politesse accoutumée , vous avez
tropnégligé celle de la critique. Les fautes qui
échappent à un talent supérieur doivent être soigneusement
distinguées de ses beautés . C'est à la fois une
leçon et une consolation que l'on doit à ceux qui
voudront l'imiter . Pour moi , qui avais lu les nouveaux
Jardins avant le compte que vous en avez rendu ,
442 MERCURE DE FRANCE ,
1
j'attendais avec impatience votre jugement sur plusieurs
endroits qui m'avaient choqué. Par exemple ,
après ces deux beaux vers :
Ce peuple généreux
Paiera le sang du père à ses derniers neveux.
Celui - ci :
Comme le cielpunit , Albion récompense .
Me paraît offrir une comparaison , ou plutôt une
opposition très - inexacte , pour ne rien dire de plus.
Le ciel ne fait - il que punir ? L'idée de rigueur et
de châtiment est - elle la première qu'il réveille en
nous ? Le premier attribut de la Divinité , au contraire ,
n'est-il pas
la bonté ? En un mot , le ciel ne récom
pense- t - il pas éternellement et aussi magnifiquement
qu'Albion , s'il faut absolument comparer Albion au ciel.
Dans les vers qui suivent :
Ah! pour comble d'honneurs puisse un Spencer nouveau
Par un chant de famille honorer son tombeau .
Malbrough ! Spencer ! l'honneur du moderne Elysée ! -
Malbrough en est l'Achille , et Spencer le Musée.
J'observerai d'abord que ce dernier vers n'est intelligible
que pour ceux qui auront lu dans le sixième
livre de l'Enéide.
"
Musæum ante omnes , medium nam plurima turba ,
etc.
Mais après qu'ils l'auront compris , ils seront frappés
d'un défaut de justesse et de correspondance dans les
deux termes de cette comparaison . Car ce n'est point
Musée que les commentateurs appellent Theologus ,
qui doit chanter Achille ; c'est à un autre Homère à
chanter un autre Achille.
FRUCTIDOR AN IX. 443
Dans le tableau d'une abbaye de la Trappe , que vous
citez également , j'ai relu plusieurs fois le passage
suivant , sans en avoir pu saisir l'ordre grammatical :
Et lorsqu'à la lueur des lampes sépulcrales ,
De silences profonds , coupés par intervalles ,
Du sein de la forêt , leurs nocturnes concerts
En sous lents et plaintifs monteront dans les airs.
Je ne vous parle pas de ces quatorze vers consacrés
à célébrer l'étoile de Malbrough , ni de l'inconvenance
et de l'emphase du morceau de Bleinheim presque en
entier. Les détails froids et communs qui remplissent
Ja description du parc de Kensington , me paraissent
aussi mériter quelques remarques . Nous les attendions
de vous ; l'art et la critique y auraient gagné en même
temps.
Vir bonus et prudens versus reprehendet inertes ,
Culpabit duros , etc.
Au reste , quelque usage que vous fassiez de ces observations
que je me contente d'indiquer à votre
goût , j'espère que vous me les pardonnerez . J'ai trop
aimé Virgilius - Delille pour me taire aujourd'hui sur
Delille-Claudien.
D'Au .... un de vos abonnés.
Note des Rédacteurs.
Sans être aussi sévère que notre abonné, nous avions
eru indiquer suffisamment les défauts qu'il relève. Il
nous semble que la critique doit ménager un auteur
illustre , quand il est parvenu à cet âge où la renommée
est le juste prix des longs travaux . C'est le talent dans
sa force qui a besoin de leçons sévères , et qui peut
en profiter. Mais il faut jouir en paix de sa gloire ,
1
444 MERCURE DE FRANCE,
"
, manque
quand on commence à perdre les moyens de l'aug
menter. D'ailleurs , on n'a pas dissimulé que l'auteur.
de l'Homme des champs * et des Jardins
d'amis éclairés , loin de sa patrie , et qu'il ne retrouve
pas toujours au milieu des brouillards de l'Angleterre ,
ce style élégant et pur qui fit dire si justement à Voltaire
, quand il lut la traduction des Géorgiques :
Delille a quelquefois égalé son auteur.
༧ * ་ * 「… ! ་
Le petit nombre des remarques qu'on s'est permis ,
paraît même avoir déplu à Delille , si on en juge par
sa préface. On n'a donc pas cru devoir , une seconde
fois , affliger sans fruit un talent qu'on honore ,
pour qui l'excès de l'éloge est désormais plus excusable
que celui de la critique .
·
SPECTACLE S.
༡་་་་་་
THEATRE DE LA RÉPUBLIQUE ET DES ARTS . )
LES MYSTÈRES D'ISIS , opéra en quatre
actes , musique de MOZART.
n.
3 ༄' i * །
TROIS choses , indépendamment du poème , ou , si
l'on veut , malgré le poème , ont décidé le succès de
cet opéra , la musique , les ballets et les décorations . Il
n'y a rien à dire du drame ,' si ce n'est que pour l'intrigue
, la conduite et l'arrangement des scènes , il est
beaucoup moins ridicule que le canevas allemand ; voilà
tout : les vers sont d'un amateur. On sait que , dans les
beaux -arts , les amateurs ne travaillent point pour les
connaisseurs , et qu'il faut se méfier de leurs poésies un
peu plus qué de leurs concerts . Mais il serait injuste de
Voyez les extraits de ces poèmes , N.º VI et XXIX
de ce journal.
FRUCTID OR AN IX . 445
#
**
dissimuler qu'on doit de la reconnaissance et des éloges
à celui dont la patience laborieuse a triomphé de tous les
obstacles que présentait la traduction d'un ouvrage , pareil.
Pour nous faire entendre une mélodie , céleste , il
n'a pas été rebuté des invraisemblances , des niaiseries ,
des absurdités sans nombre qui remplissent en entier
ce chef- d'oeuvre de l'Opéra - Germanique ; et , dans le
chaos des scènes incohérentes et barbares qui composent
la flûte enchantée , il a découvert un principe d'action et
le noeud d'une intrigue supportable sur le théâtre de Paris .
C'est un mérite réel. Selon moi , les Mystères d'Isis lui
font plus d'honneur que la Caravane et Panurge , opéra
qu'on revoit pourtant tous les jours avec un nouveau
plaisir : car , dans ces deux ouvrages , dont les plans
sont de son choix ou de son invention , rien ne forçait
l'auteur à être ridicule ; tandis que , dans celui - ci , le
texte même était donné par la musique ; et cette musique
méritait d'être religieusement conservée. Ces observations
prouvent que s'il n'y a qu'une manière de
juger le poème , il y en a deux d'apprécier le travail .
Celui du musicien , contre lequel l'envie avait accrédité
beaucoup de préventions' , a cependant réuni tous les suffrages
, et son succès augmente chaque jour. L'air que
chante Zarastro et les choeurs du troisième acte , répondent
victorieusement aux détracteurs intéressés qui publient,
avant la représentation , que cette musique n'avait
pas un caractère assez noble pour soutenir la dignité du
théâtre des Arts . Une variété charmante distingue éminemment
cette belle production de Mozart. Tous les
morceaux chantés par Laïs ,, ' notamment celui du second
acte pendant le ballet des Esclaves , et le rondeau
"dir quatrième acte , sont d'une mélodie dont nous avons
trop peu de modèles . Partout , le chant est aimable ,
facile et pur ; partout il sait prendre le caractère de
la situation et du personnage . Il faut ajouter que les
446 MERCURE DE FRANCE ,
artistes ont mis , dans l'exécution , un ensemble de zèle
et de talents , dignes des plus grands éloges , et que
pour offrir au public une double nouveauté , ils ont , en
général , chanté sans crier. Ce triomphe était réservé
à Mozart , pour le dédommager des nombreux larcins
qu'on lui a faits , et qui , soit dit en passant , ont retardé
plus qu'on ne croit , la mise d'un ouvrage , dont
la première représentation était un jour de justice et
d'expiation .
Les ballets , composés par le C. Gardel , exécutés par
les premiers danseurs connus , justifient l'opinion qui
place aujourd'hui la danse de caractère parmi les arts
les plus agréables et les plus séduisants. Le pas des Esclaves
, au second acte ,' est dessiné avec autant de finesse
que de goût ; il suffirait pour prouver , au besoin , combien
le compositeur a réfléchi sur la nature et les effets
de son art. Quant aux ballets qui terminent l'ouvrage ,
il suffit de nommer ceux qui l'exécutent . M.lles Clotilde
´et Chameroy , dans un pas de deux ; Vestris , mesdames
Gardel, Chameroy et Chevigny , dans un pas de quatre ,
disputent à l'envi , de grace et de vigueur , de force et
de souplesse , d'à - plomb et de légèreté. Ce dernier pas
est accompagné par un concerto de cor et de harpe , où
les' talents de Dalvimare et de Fréd. Duvernoy , opposés
à ce que la danse a de plus brillant et de plus
aimable , soutiennent le parallele et partagent les applaudissements
. En général , les connaisseurs les plus
difficiles n'ont pas l'idée d'une plus grande perfection
dans le jeu de l'orchestre et l'exécution des ballets..
L'administration a déployé , pour la mise de cet ouvrage
, la magnificence éclairée qui distingue le théâtre
des Arts de tous ceux de l'Europe. Les deux premières
decorations , et surtout la derniere , surpassent tout ce
qu'on avait vu jusqu'à présent ; l'examen des détails
n'affaiblit point la séduction du premier coup- d'oeil ;
6
FRUCTIDOR AN IX: 447
et l'on peut justement s'étonner de la manière ingénieuse
dont la richesse et l'élégance des costumes s'allient
à l'exactitude et à la fidélité. En total , il serait peut-
-être impossible de former ailleurs un spectacle , qui ,
'par la perfection de plusieurs parties et la majesté de
l'ensemble , exerçát plus d'empire sur les sens et sur
l'imagination , et qui fit servir plus utilement pour le
commerce , pour les manufactures , pour l'éclat d'une
capitale immense , la magie et l'a seduction de tous les
beaux- arts.
E.
LES
OPERA ITALIEN .
ES Italiens , non pas ces acteurs français qui conservaient
si mal à propos un nom qui , depuis quarante
ans , avait cessé de leur appartenir , mais les
Italiens véritables , ceux qui parlent et chantent la
langue de Métastase , viennent de donner les Ennemis
généreux , musique de Cimarosa .
Nous ne dirons rien de la pièce en elle-même. On sait
que les compositeurs Italiens ont depuis longtemps
atteint le but auquel visent tous les musiciens , celui
de se passer de paroles , ou , ce qui est la même chose
de faire supporter des pièces tellement insignifiantes ,
qu'on les compte avec raison pour rien. Ils nous ont
appris que ce n'était pas une vaine fanfaronnade que
le pari de ce compositeur ( qui pourtant n'était pas Italien
) et qui se vantait de mettre en musique et de
faire écouter avec plaisir la Gazette de Hollande. Les
-pièces Italiennes ne sont guère que des gazettes , tant
les scènes sont décousues , tant l'intérêt est nul , tant
les événements sont peu préparés et mal amenés , mais
quel talent que celui qui peut animer ces tristes canevas
et leur faire produire les sensations délicieuses
qu'on va chercher à l'Opéra Italien , et qu'on est tou
jours súr d'y trouver!
"
La pièce des Ennemis généreux offre cependant quel448
MERCURE
DE FRANCE
,
9 ques situations comiques , entre autres un rôle de
'fat fanfaron et poltron , parfaitement bien joué par
le signor Raffanelli .
?
La musique est en tout digne de la réputation de
son célebre compositeur. Les morceaux les plus brillants
y sont prodigués. Il faudrait les citer tous , pour
dire ceux qui ont été applaudis , et qui méritent de
l'être . Les deux finales ont surtout excité le plus vif
enthousiasme.
Le jeu des acteurs de ce théâtre fait chaque jour
des progrès plus sensibles . Ils n'ont pas tous la même
étendue et la même beauté de voix ; mais quelle perfection
dans l'ensemble ! quelle sureté dans les moyens !
quel goût et quelle expression dans le chant ! Malheur
à ceux que de pareils accords ne trouvent pas sensibles
à leur mélodie . J.
ANNONCES.
ESSAIS de Philosophie morale , par Pierre CHINIAC ,
ex-lieutenant -général d'Uzerche , ancien membre de
laci-devant Académie de Montauban , associé résidant
de la Société libre d'Agriculture , Sciences , Belles-
Lettres et Arts , d'Agen.
Equè pauperibus prodest , locupletibus æquè ;
Et neglecta, æquè pueris senibusque nocebit.
HORACE , cap. I , lib . 1 , v . 25 et 26 .
Dieu l'Homme et la Nature , voilà la triple science
necessaire au sage .
Il n'a peut - être jamais été plus nécessaire de répéter
aux hommes ce qu'ils doivent à Dieu , ce qu'ils
se doivent à eux- mêmes et ce qu'ils doivent à leurs semblables
; et par conséquent ce qu'ils doivent à leur famille
, à leur patrie , au genre humain .
Cet ouvrage forme 5 vol. in- 8. , dont le prix est . de
20 fr. broché , et de 25 f. , envoyé franc de port par la
poste , dans toute la république.
A Paris , chez Bossinge , Masson et Besson , rue de
Tournon
Et à Agen , chez Currius , Dourdin et Noubel.
FRUCTIDOR AN IX. 4
POLITIQUE.
EXTÉRIEUR.
OBSERVATIONS SUR LA TURQUIE.
ON a vu, Na vu , dans les deux derniers numéros , l'état des
forces militaires de l'empire ottoman . Ces nouvelles observations
, plus récentes et plus générales , achèveront ,
sinon le tableau , du moins l'esquisse de ce gouvernement
monstrueux , qui , depuis si longtemps , survit à
sa gloire , et fatigue de sa nullité le monde politique.
Les Turcs , établis sur les ruines de l'empire d'Ocient
, attaquèrent la Pologne , la Hongrie , la république
de Venise , et l'Europe craignit de n'être plus
que l'empire des Turcs. Mais ils s'arrêtèrent , et tout
s'arrêta chez eux . Tous les arts avaient fui devant ces
conquérants farouches . Le poignard et le coran à la
main , ils se glorifiaient également de leurs victoires et
de leur ignorance . Les autres nations accueillirent les
arts , et leur puissance s'en accrut. Montesquieu eût
conjecturé des - lors la gloire des vaincus et la décadence
des vainqueurs.
L'attachement aux usages anciens semble commun à
toutes les nations orientales : il se remarque aux Indes ,
à la Chine , comme en Turquie ; mais partout il n'a pas
les mêmes résultats , non plus que les mêmes causes .
La Chine était éclairée , et le respect pour les coutumes
ne fut que le respect pour les lumières et les principes
conservateurs des sociétés ; il en fut aussi la sauvegarde.
Ce même respect , né en Turquie de l'indolence
et de l'orgueil , y perpétue les préjugés et l'ignorance
KEP.TRA
DEPT
Feen
5.
29
450 MERCURE DE FRANCE ,
4
des premiers conquérants . Plusieurs fois on essaya d'y
naturaliser les institutions européennes ; aucune n'y put
acquérir de stabilité. Ce sont des plantes exotiques ,
que repousse un sol ingrat et desséché. Une longue culture
serait nécessaire pour le préparer à les recevoir ,
et peut - être , avant cette époque , ses voisins l'auront
envahi.
Ibrahim -Effendi , savant Hongrois , et novateur courageux
, parvint , en 1701 , à établir une imprimerie
à Constantinople. Quelques ouvrages de géographie et
d'histoire furent publiés , et ce pouvait être un premier
pas ; il fut seul . Une nuée de copistes et de moines s'éleva
contre ce qu'ils appelaient les dangers de la presse :
ceux-ci craignaient la profusion des livres ; les autres
tenaient à celle des manuscrits ; le gouvernement luimême
se crut intéressé à donner au nouvel établissement
des bornes étroites. Après la mort d'Ibrahim
ses presses passèrent entre les mains de quelques Grecs ,
qui ne les firent gémir que sous des ouvrages
de controverse
théologique . Ce n'est que sous le règne actuel
que l'imprimerie a reçu une destination plus utile , par
les soins de Raschid Effendi , l'un des hommes les plus
éclairés qu'ait eus cet empire.
Le comte de Bonneval , devenu successivement colonel
en France , officier général en Autriche , pacha
à Constantinople , avait introduit chez les Turcs differentes
réformes , surtout dans le système militaire ; elles
ne lui survécurent point les régiments qu'il avait dis.
ciplinés à Peuropéenne furent incorporés dans les spahis
et les Janissaires ; et lorsque Tott , leur second réformateur
, arriva en Turquie , l'ouvrage de son prédécesseur
n'avait laissé aucune trace . Tott chercha à
remettre en crédit la tactique de nos armées ; il établit
des fonderies de canons , des fabriques de poudre , un
corps d'artillerie ; mais les Turcs faisaient alors à la
FRUCTIDOR AN IX. 451
Russie cette guerre malheureuse , qui fut terminée en
1774 par le funeste traité de Kainardgi. Cette circonstance
hâta la ruine des établissements que Tott avait
formés : on le négligea. Il revint en France , abreuvé de
dégoûts , et fatigué d'un séjour où l'on ne savait plus
apprécier les services .
Neuf ans après , la Porte- Ottomane demanda à la
France des constructeurs , des officiers de génie et d'artillerie
: ils firent quelques ouvrages de défense sur le
canal de la mer Noire et sur les frontières de la Russie ;
ils rétablirent des fonderies , des magasins à poudre ,
un corps de canonniers ; ils construisirent quelques fré
gates ; mais , en 1788 , la plupart de ces officiers furent
rappelés. L'Autriche pressentait avec inquiétude les
progrès que l'art militaire aurait peut-être faits chez ses
voisins . Ce fut , dit on , par déférence pour cette alliée
que la cour de Versailles retira au divan des hommes si
précieux pour lui .
D'autres Français les remplacèrent en 1792 ; ils devaient
reprendre les travaux suspendus , et opérer des
réformes dans toutes les parties du service militaire ;
mais ceux-là mêmes qui les avaient appelés contrarièrent
ensuite leurs opérations. Les instructeurs de l'infanterie
se trouvèrent en rivalité avec des officiers allemands
qu'on avait également attirés. La cavalerie turque pensa
qu'elle n'avait aucune leçon à recevoir les plans de
défense , proposés par les ingénieurs , furent modifiés
et gâtés ; il fallut , dans le service de l'artillerie , allier
les usages turcs à la manoeuvre européenne ..
L'ambassadeur Aubert - du- Bayet conduisit à Constantinople
, dans le cours de l'an 3 , une compagnie
d'artillerie légère ; le divan n'accepta leurs services que
pour quelques mois ; un autre Français y transporta une
colonie d'artistes : on méconnut un si grand bienfait ,
et ils furent contraints de revenir en France , sans avoir
452 MERCURE DE FRANCE ,
pu laisser à Constantinople la moindre trace d'un établissement
utile .
Ainsi la Porte -Ottomane s'écarta toujours des plans
de réforme qu'elle conçut : elle appela tour- à - tour des
Français , des Italiens , des Anglais , des Suédois , qui
s'accordaient rarement sur l'exécution et sur les principes
; il y eut entre chaque tentative des intervalles
d'inactivité qui détruisirent tous les ouvrages antérieurs
, et les essais les plus dispendieux ne donnèrent
pas des institutions meilleures , ni des troupes mieux
disciplinées . Sa marine seule parut avoir fait quelques
progrès ; mais les bâtiments , avec de plus belles proportions
, continuèrent à manquer de matelots et d'officiers.
C'est au commerce maritime à créer la puissance
navale d'une nation , et trop de causes arrêtent
chez les Turcs le développement de ce commerce pour
qu'on puisse leur supposer de longtemps une marine
redoutable.
Le sultan actuel passe pour aimer les usages et les
arts des Européens : il a souvent eu recours à des artistes
étrangers , pour l'embellissement de ses jardins
ou pour celui de sa capitale ; mais l'on ne doit pas espérer
que , sur ce point , il opère une révolution dans
l'opinion publique , et l'exemple donné au monde par
la Russie sera difficilement imité chez les Musulmans .
Si Pierre-le-Grand civili a son peuple , l'éclaira , transporta
chez lui nos moeurs et nos arts substitua des
troupes régulières à la milice des Strélitz , indisciplinée
et redoutable aux novateurs , comme celle des Janissaires
, Pierre fut un de ces hommes dont la nature
est avare , et auxquels elle départit à la fois un génie
vaste , une ame grande , une volonté forte. On le vit ,
avant de tenter ses réformes , les préparer de longue
main , parcourir l'Europe , s'initier lui - même dans tous
les secrets des arts , attirer , conduire dans ses états dés
FRUCTIDOR AN IX. 453
colonies d'artistes et d'ouvriers , donner des leçons.
et des exemples , s'instruire de toutes les parties de
la navigation , depuis le travail du calfat et les manoeuvres
du matelot jusqu'aux évolutions de l'amiral
parcourir tous les grades militaires et marcher à la tête
de ses armées , connaître nos institutions , savoir choisir
ce qu'elles avaient d'applicable à la position de son
peuple , et adapter les unes aux autres toutes les branches
d'administration qui constituent la force d'un empire.
Mais à quelle époque les Turcs auront - ils un
souverain semblable ? L'éducation , les moeurs du sérail
ne sont pas propres à former un prince pour de telles
entreprises , et quand il pourrait se rencontrer , ses réformes
trouveraient sans doute bien plus d'obstacles à
surmonter dans les intérêts des hommes puissants , dans
les préjugés populaires , et surtout dans cette léthargie
qui accable toutes les parties du gouvernement .
L'autorité du grand- seigneur est , dit - on , la plus despotique
de l'Europe ; mais ce prince , qui peut faire
tomber la tête d'un visir , tremble devant un pacha
révolté ; ceux d'Egypte et de Syrie se sont plusieurs
fois affranchis de sa domination ; ceux de Scutari , de
Viddin , qu'il pouvait plus aisément réprimer , ont porté
l'alarme aux portes de sa capitale. Il aurait à craindre
que toute innovation importante ne devînt pout
des pachas
insubordonnés un nouveau prétexte de rebellion , et
ne le privât en même temps des moyens de les contenir.
La puissance ottomane , placée dans l'alternative , ou
de périr de langueur , ou de subir une crise qu'elle croit
mortelle , aime mieux se laisser aller au cours des événements
, et se reposer de sa conservation sur les destins.
Le grand -seigneur n'eut longtemps aucun ambassadeur
près des cours étrangères : il regardait les missions
des autres princes à Constantinople comme un hommage
454 MERCURE DE FRANCE,
rendu à sa puissance , et se gardait bien d'adopter un
système , auquel il attachait des idées de servitude .
Mais , revenu enfin de ces principes d'isolement , qui ,
en mettant à découvert toute sa politique , lui dérobaient
celle des autres états , il entretient depuis quel
ques années des ambassadeurs en Espagne , en Prusse ,
à Paris , à Vienne . Cette innovation diplomatique est
sans doute l'un des plus grands pas qu'ait faits ce
gouvernement . Ses communications habituelles avec les
autres peuples lui rendront plus familières les idées
de commerce , d'administration , d'industrie , qui partout
sont devenus les véritables éléments de la prospérité
publique ; mais il faut avouer qu'elles donnent au
divan une place plus périlleuse sur le théâtre de la Pólitique
européenne ; elles le destinent à prendre aux
événements, une part plus active , lui font sentir le
contre coup de tous les chocs , et entraînent dans la
lutte une nation qui , avec ses institutions sans vigueur ,
ne peut y paraître qu'à son désavantage.
La Turquie n'avait de guerres à soutenir que contre
l'Autriche et la Russie. Un système d'hostilité plus
étendu l'expose à des dangers nouveaux , sans diminuer
ceux que lui font courir deux voisins , toujours
intéressés à devenir ses ennemis.
L'étendue de l'empire ottoman pourrait faire penser
qu'il doit être d'un grand poids dans la balance euro ,
péenne. Mais des provinces dépeuplées , sans commerce ,
Jes unes opprimées par leurs pachas et par tous les of
ficiers subalternes , les autres prêtes à s'insurger contre
l'autorité qui les écrase ; toutes gouvernées par des
principes différents ; ou plutôt , dans l'absence des lois ,
et dans leur silence, plus funeste encore , victimes de l'arbitraire
le plus odieux , ces provinces immenses ne présentent
qu'uu vaste corps , dont les membres , à peine
cohérents , se disloquent à la moindre secousse,
FRUCTIDOR AN IX. 455
Déja les régences d'Afrique , qui n'étaient que des
pachalicks , assimilés à ceux d'Europe et d'Anatolie
ont fait reconnaître leur indépendance et ne tiennent
plus à la sublime Porte que par des liens religieux et
par quelques faibles déférences. Un gouvernement qui
n'a point assez de nerf pour maintenir l'union de toutes.
les parties de son territoire , et qui voit prêtes à lui
échapper , même au voisinage de Constantinople , la
Moldavie , la Valachie , dont il n'a plus que la suzeraineté
, quelles armées peut-il mettre aux prises avec
celles qui ont sur les troupes ottomanes l'avantage du
choix des armes , de la discipline et de toutes les institutions
militaires * ?
Les états languissent par de mauvaises lois ils
précipitent leur chute par les vices de leur système
militaire . Les Turcs vainquirent aisément l'empire grec ,
qui n'avait plus à leur opposer les anciennes légions
de Bélisaire et de Narsès : les nations européennes ont
acquis sur eux une supériorité plus grande encore . Que
les Ottomans soient braves , vigoureux , endurcis à la
fatigue , ce n'est plus la force individuelle , c'est . le
choix des armes et la direction des masses qui décident
la victoire.
5
3
Chercher à perfectionner le système militaire des
Turcs , ce serait entreprendre de toucher à presque
toutes les parties de leur administration . Il faudrait
pour faciliter les opérations des armées , multiplier les
grandes routes et les entretenir , créer des magasins , des
hôpitaux , avoir un plan d'approvisionnement , et ne pas
abandonner au pillage des soldats les provinces qu'ils
parcourent ; il faudrait avoir des fonderies , des arsenaux ,
des manufactures d'armes , un système de fortifications
* Nous supprimons ici les détails relatifs à la composi
tion et à la nature des troupes ottomanes. Ils confirment
ce que nous en avons dit précédemment.
456 MERCURE DE FRANCE ,
la connaissance de toutes les parties de l'art de la guerre.
Tant d'améliorations à la fois ne pourront étre ,
du
moins sous l'empire des Turcs , que l'ouvrage du temps.
>
Quelques hommes ont pensé que les possessions du
grand - seigneur avaient trop d'étendue pour ne pas
affaiblir le gouvernement . Cette opinion n'est rien moins
qu'un paradoxe dans le système politique . Si cette puissance
était plus concentrée , il serait , sans doute , moins
difficile au divan de défendre les parties menacées par
l'étranger ou par des rebelles , de maintenir le bon ordre
et de s'occuper de réformes utiles. Dans une grande
partie de ses possessions d'Europe et de l'Archipel
le nombre des Grecs est supérieur à celui des Musulmans
les Mamelouks et les Arabes étaient les véritables
possesseurs de l'Egypte , quand les Français
s'en sont emparés les Arméniens et les autres
habitants de l'Asie mineure sont plus nombreux que
leurs maîtres : tout semble avertir le divan de rassembler
ses forces autour du centre de sa puissance , et
de ne pas dégarnir , pour des expéditions éloignées ,
les provinces qui l'environnent.
Depuis sa dernière guerre contre les Russes , la
Porte ottomane , occupée à réparer ses désastres , paraissait
ne vouloir prendre aucune part aux affaires
de l'Europe. Elle laissa attaquer la France , sans se
joindre à cette ancienne alliée , et aussi sans entrer
dans la coalition ; elle laissa consommer le partage de
la Pologne , dont les intérêts ne pouvaient pas être
étrangers à son intérêt ou à sa gloire. Les efforts de
nos ennemis l'arrachèrent enfin à son inaction , rompirent
les liens d'amitié qui l'unissaient à la France ,
et l'entraînèrent dans une guerre ruineuse dont ses
auxiliaires se promirent bien de recueillir les fruits.
L'expédition d'Egypte fut le prétexte des hostilités ;
la Russie saisit l'occasion d'obtenir , pour ses bâti-
*
FRUCTIDOR AN IX. 457
ments , l'entrée de la Méditerranée que le grand - seigneur
lui avait refusée constamment ; l'Angleterre
promit à ce prince de recouvrer l'Egypte , mais dans
la vue d'y supplanter les Français et d'en occuper au
moins les places maritimes : l'Autriche songea surtout
à se procurer de nouvelles facilités commerciales dans
la mer Noire et sur le Danube ; jamais on ne vit plus
d'empressement que dans les auxiliaires de la Porte
ottomane , à soigner les derniers jours , et peut - être à
accélérer la fin d'un état languissant dont ils aspirent
à partager la dépouille .
Le divan pourrait - il encore éviter l'abîme où tant
de zèle l'entraîne ? Un retour sincère vers ses anciens
alliés , vers ceux qui sont le plus intéressés à sa conservation
" peuvent encore le sauver. Les plaies
de la guerre sont , pour la Turquie , d'autant plus
dangereuses , que le commerce et l'industrie ne les guérissent
point ; que ce territoire si beau , mais condamné
par les lois mêmes à une éternelle stérilité , se
dépeuple de jour en jour ; que la guerre étrangère ,
au lieu de réunir les forces de l'état , devient le signal
des divisions intestines , et , enfin , que les ennemis naturels
de la Porte épient sans cesse le moment où ils
pourront lui porter le coup mortel.
Copie de la convention avec la cour de Londres , signée
à Saint -Pétersbourg , le 4 juin 1801 *.
AU NOM DE LA TRÈS - SAINTE ET INDIVISIBLE
TRINITÉ .
Le desir mutuel de S. M. l'empereur de toutes les
Russies et de S. M. le roi du royaume - uni de la
* Cette pièce importante doit être rapprochée de la con--
vention de la Neutralité armée , que nous avons inséré dans
le N.° XVIII .
458
MERCURE
DE FRANCE
,
Grande-Bretagne et de l'Irlande , étant , non - seulement
de s'entendre entre elles sur les différends qui ont altéré
en dernier lieu la bonne intelligence et les rapports
d'amitié qui subsistaient entre les deux états ;
mais encore de prévenir à l'avance , par des explications
franches et précises à l'égard de la navigation
de leurs sujets respectifs , le renouvellement de semblables
altercations et les troubles qui pourraient en
être la suite ; et l'objet de la sollicitude de leursdites
majestés étant de parvenir , le plus tôt que faire se
pourra , à un arrangement équitable de ces différends
et une fixation invariable de leurs principes sur les
droits de la neutralité , dans leur application à leurs
monarchies respectives , afin de resserrer de plus en
plus les liens d'amitié et de bonne correspondance
dont elles reconnaissent l'utilité et les avantages , elles
ont nommé et choisi pour leurs plénipotentiaires , savoir
S. M. l'empereur de toutes les Russies , le sieur.
Niquita , comte de Panin , son conseiller , etc.; eb
S. M. le roi du royaume- uni de la Grande -Bretagne
et de l'Irlande , Alleyne lord Bar. St. Helens , conseiller-
privé , etc. , lesquels , après s'être communiqué leurs >
pleins- pouvoirs et les avoir trouvés en bonne et due
forme , sont convenus des points et articles suivants :
er
Art. I. Il y aura désormais entre S. M. I. de toutes
les Russies et S. M. Britannique , leurs sujets , états
et pays de leurs dominations , bonne et inaltérable '
amitié et intelligence , et subsisteront comme par le
passé tous les rapports politiques de commerce et autres
d'une utilité commune entre les sujets respectifs ,
sans qu'ils puissent être troublés ni inquiétés en maniere
quelconque.
II. S. M. l'empereur et S. M. britannique déclarent
vouloir tenir la main à la plus rigoureuse exécution
des defenses portées contre le commerce de contrebande
FRUCTIDOR AN IX. 459
de leurs sujets avec les ennemis de l'une ou de l'autre
des hautes parties contractantes .
{
*
III. S. M. I. de toutes les Russies et S. M. britannique
ayant résolu de mettre sous une sauve - garde
suffisante la liberté du commerce et de la navigation
de leurs sujets , dans le cas où l'une d'entre elles serait
en guerre , tandis que l'autre serait neutre , elles sont
Convenues :
-1 ° Que les vaisseaux de la puissance neutre pourront
naviguer librement aux ports et sur côtes des nations
en guerre.
2.° Que les effets embarqués sur les vaisseaux neutres
seront libres , à l'exception de la contrebande de guerre
et des propriétés ennemies , et il est convenu de ne pas
comprendre au nombre des dernières les marchandises.
du produit , du crû ou de la manufacture des pays en
guerre qui auraient été acquises par des sujets de la
puissance neutre , et seraient transportées pour leur
comptes ; lesquelles marchandises ne peuvent être exceptées
en aucun cas de la franchise accordée au pavillon
de ladite puissance .
娄
3. Que pour éviter aussi toute équivoque et tout
mésentendu sur ce qui doit être qualifié de contrebande
de guerre , S. M. I. de toutes les Russies et
S. M. britannique déclarent conformément à l'article
XI du traité de commerce conclu entre les deux couronnes
le février 1797 , qu'elles ne reconnaissent
pour telles que les objets suivants , savoir : canons
mortiers , armes à feu , pistolets , bombes , grenades
boulets , balles , fusils , pierres à feu , mêchés , poudre ,
salpêtre , soufre , cuirasses , piques , épées , ceinturons
, gibernes , selles et brides , en exceptant toutefois
la quantité des susdits articles qui peut être né→
cessaire pour la défense du vaisseau et de ceux qui
en composent l'équipage ; et tous les autres articles
460 MERCURE DE FRANCE ,
quelconques non désignés ici ne seront pas réputés
munitions de guerre et navales ni sujets à confiscation
, et par conséquent passeront librement sans être
assujettis à la moindre difficulté , à moins qu'ils ne
puissent être réputés propriétés ennemies dans le sens
'arrêté ci -dessus .
Il est aussi convenu que ce qui est stipulé dans le
présent article , ne portera aucun préjudice aux stipulations
particulières de l'une ou de l'autre couronne
avec d'autres puissances par lesquelles des
objets de pareil genre seraient réservés , prohibés ou
permis.
4.° Que pour déterminer ce qui caractérise un port
bloqué , on n'accorde cette dénomination qu'à celui où
il y a , par la disposition de la puissance qui l'attaque
avec des vaisseaux arrêtés ou suffisamment proches ,
un danger évident d'entrer.
5.° .Que les vaisseaux de la puissance neutre ne peuvent
être arrêtés que sur de justes causes et faits évidents ;
qu'ils soient jugés sans retard , et que la procédure soit
toujours uniforme , prompte et légale.
Pour assurer d'autant mieux le respect dû à ces stipulations
dictées par le desir sincère de concilier tous
les intérêts et donner une nouvelle preuve de leur
loyauté et de leur amour pour la justice , les hautes
parties contractantes prennent ici l'engagement le plus
formel de renouveler les défenses les plus sévères à
leurs capitaines , soit de haut bord , soit de la marine
marchande , de charger , tenir ou récéler à leurs bords
aucun des objets qui , aux termes de la présente convention
, pourraient être réputés de contrebande , et
de tenir respectivement la main à l'exécution des ordres
qu'elles auront publiés dans leurs amirautés et
partout où besoin sera.
IV. Les deux hautes parties contractantes voulant
FRUCTIDOR AN IX. 461
·
encore prévenir tout sujet de dissension à l'avenir , en
limitant le droit de visite des vaisseaux marchands.
allant sous convoi , aux seuls cas où la puissance belligérante
pourrait essuyer un préjudice réel par l'abus
du pavillon neutre , sont convenues :
1.° Que le droit de visiter les navires marchands appartenants
aux sujets de l'une des puissances contractantes
et naviguant sous le convoi d'un vaisseau de
guerre de ladite puissance , ne sera exercé que par les
vaisseaux de guerre de la partie belligérante , et ne
s'étendra jamais aux armateurs , corsaires ou autres bâtiments
qui n'appartiennent pas à la flotte impériale
ou royale de leurs majestés , mais que leurs sujets auraient
armés en guerre.
2.° Que les propriétaires de tous les navires marchands
appartenants aux sujets de l'un des souverains
contractants qui seront destinés à aller sous convoi d'un '
vaisseau de guerre , seront tenus , avant qu'ils ne reçoivent
leurs instructions de navigation , de produire
au commandant du vaisseau de convoi leurs passe - ports
et certificats ou lettres de mer dans la forme annexée au
présent traité.
'
3.° Que lorsqu'un tel vaisseau de guerre ayant sous
convoi des navires marchands , sera rencontré par un
vaisseau ou des vaisseaux de guerre de l'autre partie
contractante qui se trouvera alors en état de guerre ,
pour éviter tout désordre on se tiendra hors de la
portée du canon , à moins que l'état de la mer ou le
lieu de la rencontre ne nécessitent un plus grand rapprochement
, et le commandant du vaisseau de la puissance
belligérante enverra une chaloupe à bord du
vaisseau de convoi , où il sera procédé réciproquement
à la vérification des papiers et certificats qui doivent
constater , d'une part , que le vaisseau de guerre neutre
est autorisé à prendre sous son escorte tels ou tels vais462
MERCURE DE FRANCE ,
seaux marchands de sa nation , chargés de telle cargaison
et pour tel port ; de l'autre part , que le vaisseau
de guerre de la partie belligérante appartient à la
flotte impériale ou royale de leurs majestés .
4. Cette vérification faite , il n'y aura lieu à aucune
visite si les papiers sont reconnus en règle , et , s'il
n'existe aucun motif valable de suspicion, Dans ce cas
contraire , le commandant du vaisseau de guerre neutre
[ y étant dûment requis par le commandant duvaisseau
ou des vaisseaux de la puissance belligérante ]
doit amener et détenir son convoi pendant le temps
nécessaire pour la visite des bâtiments qui le composent
, et il aura la faculté de nommer et déléguer un ,
ou plusieurs officiers pour assister à la visite desdits ,
bâtiments , laquelle se fera en sa présence sur chaque
bâtiment marchand , conjointement avec un ouplusieurs ,
officiers préposés par le commandant du vaisseau de la,
partie belligérante .
5. S'il arrive que le commandant du vaisseau ou des
vaisseaux de la puissance en guerre , ayant examiné les
papiers trouvés à bord , et ayant interrogé le maître et
l'équipage du vaisseau , apercevra des raisons justes et
suffisantes pour détenir le navire marchand , afin de
procéder à une recherche ultérieure , il notifiera ceite
intention au commandant du vaisseau de convoi qui
aura le pouvoir d'ordonner à un officier de rester à
bord du navire ainsi détenu , et assister à l'examen de
la cause de sa détention . Le navire marchand sera
amené tout de suite au port le plus proche et le plus
convenable appartenant à la puissance belligérante , et
la recherche ultérieure sera conduite avec toute la diligence
possible.
1
V. Il est également convenu que si quelque navire
marchand ainsi convoyé était détenu sans une cause ,
juste et suffisante , le commandant du vaisseau ou des
1
FRUCTIDOR AN IX. 463
vaisseaux de la puissance belligérante sera non - seulement
tenu envers les propriétaires du navire et de la
cargaison , à une compensation pleine et parfaite pour
toutes pertes , frais , dommages et dépenses- occasionnés
par une telle détention , mais il subira encore une
punition ultérieure pour tout acte de violence ou autre
faute qu'il aurait commis , suivant ce que la nature du
cas pourrait exiger . Par contre , il ne sera point permis ,
sous quelque prétexte que ce soit , au vaisseau de convoi
de s'opposer par la force à la détention du navire
ou des navires marchands , par le vaisseau ou les vaisseaux
de guerre de la puissance belligérante ; obligation
à laquelle le commandant du vaisseau de convoi n'est
point tenu envers les corsaires et armateurs .
*
VI . Les hautes parties contractantes donneront des
ordres précis et efficaces pour que les sentences sur les
prises faites en mer , soient conformes aux règles de la plus
exacté justice et équité , qu'elles soient rendues par des
juges non suspects , et qui ne soient point intéressés
dans l'affaire dont il sera question . Le gouvernement
des états respectifs veillera à ce que lesdites sentences
soient promptement et dûment exécutées selon les
formes prescrites .
En cas de détention mal fondée ou autre contraven
tion aux règles stipulées par le présent article , il sera
accordé aux propriétaires d'un tel navire et de la cargaison
, des dédommagements proportionnés à la perte
qu'on leur aura occasionnée. Les règles à observer pour
ces dédommagements et pour le cas de détention mal
fondée , de même que les principes à suivre pour accé
lérer les procédures , feront la matière d'articles additionnels
que les parties contractantes conviennent d'ar
rêter entre elles , et qui auront même force et valeur,
que s'ils étaient insérés dans le présent acte. Pour cet
effet , leurs majestés impériale et britannique s'engagent
464 MERCURE DE FRANCE ,
.
mutuellement de mettre la main à l'oeuvre salutaire
qui doit servir de complément à ces stipulations , et
de se communiquer sans délai les vues que leur suggé
rera leur égale sollicitude pour prévenir les moindres
sujets de contestation à l'avenir .
VII. Pour obvier à tous les inconvénients qui peuvent
provenir de la mauvaise foi de ceux qui se servent du
pavillon d'une nation , sans lui appartenir , on convient
d'établir pour règle inviolable , qu'un bâtiment quelconque
, pour être regardé comme propriété du pays
dont il porte le pavillon , doit avoir à son bord le capitaine
du vaisseau et la moitié de l'équipage des gens
du pays , et les papiers et passe -ports en bonne et due
forme ; mais tout bâtiment qui n'observera pas cette
règle , et qui contreviendra aux ordonnances publiées à
cet effet , perdra tous les droits à la protection des
puissances contractantes .
VIII. Les principes et les mesures adoptés par le présent
acte , seront également applicables à toutes les
guerres maritimes où l'une des deux puissances serait
engagée , tandis que l'autre resterait neutre . Ces stipulations
seront en conséquence regardées comme permanentes
, et serviront de règles constantes aux poissances
contractantes , en matière de commerce et de
navigation .
IX. S. M. le roi de Danemarck et S. M. le roi de
Suède seront immédiatement invitées par S. M. impériale
, au nom des deux puissances contractantes , à accéder
à la présente convention , et en même temps à
renouveler et confirmer leurs traités respectifs de commerce
avec sa S. M. britannique ; et sadite majesté s’engage
, moyennant les actes qui auront constaté cet accord
, de rendre et restituer à l'une et l'autre de ces
puissances toutes les prises qui ont été faites sur elles ,
ainsi que les terres et pays de leur domination qui ont
RUP.cente
5
FRUCTIDOR AN IX. 465
été conquis par les armes de S. M. britannique depuis
la rupture , dans l'état où se trouvaient ces possessions
à l'époque où les troupes de S. M. y sont entrées . Les
ordres de sadite majesté pour la restitution de ces prises
et de ces conquêtes seront expédiés immédiatement après
l'échange des ratifications des actes par lesquels la
Suède et le Danemarck accéderont au présent traité .
X. La présente convention sera ratifiée par les deux
hautes parties contractantes , et les ratifications échangées
à Saint- Pétersbourg , dans l'espace de deux mois
pour tout délai , à compter du jour de la signature .
En foi de quoi , les plénipotentiaires respectifs en ont
fait faire deux exemplaires parfaitement semblables ,
signés de leurs mains , et y ont apposé le sceau de leurs
armes. Fait à Saint - Pétersbourg , le juin 1801 .
L. S. N. comte de Panin , L. S. SAINT - HELENS .
Formulaire des passe-ports et lettres de mer qui doivent
étre délivrés , dans les amirautés respectives des états
des deux hautes parties contractantes , aux vaisseaux
et bâtiments qui en sortiront , conformément à l'article
IV du présent traité.
Faisons savoir que nous avons donné congé et permission
à N ………. de la ville ou lieu de N .... maître
ou conducteur du vaisseau N .... appartenant à N....
du port de N ... tonneaux ou environ , qui se trouve
à présent au port et havre de N .... de s'en aller à
N.... chargé de N .... pour le compte de N ....
après que la visite de son vaisseau aura été faite avant
son départ , selon la manière usitée , par les officiers
préposés à cet effet , et ledit N .... ou tel autre fondé
de pouvoirs pour le remplacer , sera tenu de produire
dans chaque port ou havre où il entrera avec ledit vaisseau
, aux officiers du lieu , le présent congé , et de
porter le pavillon de N .... durant son voyage.
En foi de quoi , etc.
Copie de l'article premier séparé de la convention avec
la cour de Londres , signé le juin 1801 .
Les intentions pures et magnanimes de S. M. l'em-
5. За
"
466 MERCURE DE FRANCE ,
pereur de toutes les Russies , l'ayant déja porté à restituer
les navires et les biens des sujets britanniques
qui avaient été séquestrés en Russie , sadite majesté
confirme cette disposition dans toute son étendue , et
S. M. britannique s'engage également à donner immédiatement
des ordres pour faire lever tout séquestre .
sur les propriétés russes , danoises et suédoises détenues
dans les ports de la Grande- Bretagne , et pour constater
d'autant mieux son desir sincère de terminer à
l'amiable les différends survenus entre la Grande- Bretagne
et les cours du Nord ; et pour qu'aucun nouvel
incident ne puisse apporter des entraves à cet oeuvre
salutaire , S. M. britannique s'engage de donner des
ordres aux commandants de ses forces de terre et de
mer , pour que l'armistice actuellement subsistant avec
les cours de Danemarck et de Suède soit prolongé
jusqu'au terme de trois mois , à dater de ce jour ; et
S. M. l'empereur de toutes les Russies , guidé par
les mêmes motifs , s'engage , au nom de ses alliés , de
faire maintenir également cet armistice pendant le
susdit terme .
Cet article séparé , etc.
En foi de quoi , etc.
Copie de l'article second et séparé de la convention avec
la cour de Londres , signée à Saint- Pétersbourg , le
juin 1801 .
1
)
Les différends et mésentendus qui subsistaient entre
S. M. l'empereur de toutes les Russies et S. M. le roi
du royaume- uni de la Grande - Bretagne et de l'Irlande
étant ainsi terminés , et les précautions prises par la
présente convention ne donnant plus lieu de craindre
qu'ils puissent troubler à l'avenir l'harmonie et la
bonne intelligence que les deux hautes parties contractantes
ont à coeur de consolider , leursdites majestés
confirment de nouveau , par la présente convention
, le traité de commerce du 14 fevrier 1797 , dont
toutes les stipulations sont rappelées ici pour être
maintenues dans toute leur étendue.
Cet article séparé , etc.
En foi de quoi , etc.
FRUCTIDOR AN IX. 467.
INTERIEUR.
D'APRÈS un arrêté du 29 germinal an 9 , la colonie
de la Guadeloupe doit être régie par trois magistrats ,
un capitaine général , exclusivement chargé de la défense
extérieure et intérieure de la colonie , exerçant à
peu près les mêmes pouvoirs que ceux qui étaient attribués
aux gouverneurs généraux ; un préfet colonial ,
chargé de l'administration et de la haute police ; et un
commissaire de justice , auquel appartient spécialement
l'inspection des tribunaux et le soin de veiller à la
prompte distribution de la justice .
Le contre- amiral Lacrosse , nommé capitaine général
de la Guadeloupe et dépendances , dans une lettre .
du 15 messidor , au C. Forfait , ministre de la marine ,
trace le tableau des malheurs qui ont désolé ces contrées
, le désordre dans les finances , l'arbitraire dans l'adminigration
de la justice , l'inaction ou la défiance
dans le commerce l'abandon de la culture des
terres , etc. , etc. Mais depuis qu'il est permis de se
confier au gouvernement et à ses agents , les maux
commencent à disparaitre ; les crimes , punis , sont
devenus plus rares ; une ordonnance sévère a réprimé
l'audace brutale , ou éclairé le faux honneur des duellistes.
Les relations commerciales reprennent leurs cours.
ordinaires Les arts mêmes vont germer sur ce sol trop
longtemps ingrat ou malheureux . Un élève de David,
le C. Collot , préside à une école de peinture . Un
théâtre doit être établi au port de la Liberté Enfin ,
le C. Lacrosse assure que l'état de défense où est la
colonie , ne permet pas de rien craindre des Anglais.
Le journal officiel du 9 fructidor , publie une convention
signée au Caire , le 27 juin ( 8 messidor ) entre
les Français et les Turco - Anglais . Elle porte que les
troupes françaises et leurs auxiliaires , sous le commandement
du général de division Belliard , évacueront la
viile du Caire , la citadelle , les forts de Boulac , Giza
et toute cette partie de l'Egypte qu'elles occupent
maintenant. Ces troupes seront embarquées et transportées
dans les ports français sur la Méditerranée ,
avec leurs armes , artillerie , bagages et effets , aux frais
468 MERCURE
DE FRANCE
,
des puissances àlliées. Toutes les administrations , les
membres de la commission des arts et sciences , en un
mot , toutes les personnes attachées à l'armée française
jouiront des mêmes avantages que le militaire. Tous
les membres de ladite administration , et ceux de la
commission des arts et sciences emporteront aussi avec
eux tous les papiers relatifs à leur mission et leurs
papiers particuliers . Tous les habitants de l'Egypte ,
de quelque nation qu'ils puissent être , qui voudront
suivre les troupes françaises auront la liberté de le
faire; leurs familles ne seront point inquiétées , ni
leurs biens confisqués. Tous les prisonniers seront rendus
de part et d'autre. Cette convention a dû être communiquée
au général Menou , qui pourra l'accepter pour
les troupes qui sont avec lui dans Alexandrie. C
Cette convention , ajoute le journal officiel , est toutà-
fait la même que celle d'El - Arisch. Si l'amiral Keith
manquait encore de bonne foi , et interdisait le passage
par mer , on ne tarderait pas à voir une nouvelle bataille
d'Héliopolis (cette bataille remit les Français en
possession de toute l'Egypte , deux mois après le traité
d'El- Arisch ) .
Cependant , les négociations continuent plus actives
que jamais entre les deux gouvernements. Le Portugal
est conquis. Nous avons vu les Anglais battus à Algé
siras , et récemment encore lord Nelson honteusement
repoussé devant Boulogne. La marine française n'estplus
un vain mot , et ce qui le prouve autant que ses
premiers succès , ce sont les immenses préparatifs qui
ont eu lieu sur toutes les côtes d'Angleterre , dans la
crainte d'une învasion . Tout tend à la paix également
nécessaire aux deux peuples et au monde entier. Il est
bien temps que l'équilibre se rétablisse entre les nations ;
elles auront toutes chèrement payé le bonheur du repos
, apres une si longue et si rude tempête.
9 Le roi et la reine de Toscane ont fait leur entrée
à Florence , le 24 thermidor. - Les actes publics se
font tous au nom de Louis , heureusement régnant.
•
1
Le 5 fructidor , le C. Caillard et M. Cetto , plénipotentiaires
de la république française et de l'électeur
de Bavière , ont sigué , à Paris , un traité de paix entre
les deux états.
FRUCTIDOR AN IX. 469
L'empereur , Alexandre I. , a été très -satisfait de
Ja mission du général Sprengporten à Paris . M. Markow
, nommé ambassadeur en France , est parti de
Pétersbourg le 10 thermidor - Le prince d'Algorowky
vient à Paris , chargé d'une mission spéciale.
Un traité de navigation et de commerce , entre les
cours de Russie et de Suède , a été ratifié , de part et
d'autre , le 11, avril , par Gustave - Adolphe , et le 30
mai par Alexandre L. , Pendant l'espace de douze
années , à compter du 29 octobre 1799 , les sujets
suedois en Russie , et les sujets russes en Suède , jouiront
d'une liberté entière pour leur commerce réciproque.
Les deux cours se réservent de convenir entre
elles , avant l'expiration de ce terme , de prolonger ce
traité, ou d'en conclure un nouveau. -L'article XXIV
prouve qu'Alexandre voudrait , comme son prédé- 1.
cesseur , maintenir les droits sacrés des nations contre
toute puissance usurpatrice. Les deux couronnes
est-il dit , intimement convaincues de la sagesse des
principes qui , pour le bien général des peuples commerçants
, ont été fixés et arrêtés dans la convention
maritime du 16 décembre dernier , déclarent en vouloir
faire la règle immuable de leur propre conduite ,
y avoir recours en toute occasion , et observer scrupuleusement
les principes fondamentaux des droits du
commerce et de la navigation marchande des peuples
neutres. "
"
Le 4 juillet dernier , a été célébré dans toute l'Amérique
, comme le 26. anniversaire du jour où a commencé
l'indépendance des États-Unis .
M. le comte Philippe de Cobentzel , se rend à Paris ,
comme ambassadeur de la cour de Vienne , où le C.
Champagny a dû arriver le 8 fructidor.
D'après une ordonnance de l'électeur de Bavière ,
la différence de religion ne sera plus un motif pour
refuser à personne le droit de bourgeoisie dans ses
états. Cette ordonnance a déja été exécutée en faveur
d'un marchand de chevaux , protestant , et reçu bourgeois
de Manich . - On écrit de Calcuta que l'empereur
de la Chine , sur une demande des missionnaires
470 MERCURE DE FRANCE ,
portugais , a permis , dans ses états , le libre exercice
de la religion chrétienne , et accordé des emplacements
pour y batir des églises..,
}
Le C. Verninac , préfet du Rhône , est nommé ministre,
plénipotentiaire de la république en Helvétie.-
Le C. Najac , conseiller d'état , lui succède dans sa
préfecture . On se rappelle combien les infortunés Lyonnais
se sont déja félicités d'une mission de ce digne
magistrat. Le vice - amiral Thevenard est nommé
préfet maritime à l'Orient,
2
"
L'académie royale de Stockholm a fait remettie
des lettres-patentes d'agrégation aux CC . Foureroy , conseiller
d'état , et Berthollet , membre du sénat conservaleur.
On voyait depuis longtemps avec la plus juste inquiétude
, la Bibliothèque nationale dans l'emplacement
qu'elle a occupé jusqu'ici au milieu des théatres et
des maisons particulières. La France , dépositaire de
ce monument , a dit avec raison de ministre de l'inté-
' rieur , en est comptable à toute l'Europe. Sur sa pro-
Fosition , les consuls ontarrêté qu'elle serait transférée
au Louvre. Elle y sera entièrement établie dans le cours
de l'an 11. Les bâtiments qu'elle occupe actuellement
seront vendus , et les fonds provenants de la vente ,
employés à cette coûteuse , mais nécessaire opération .
Un arrêté du 3 fructidor renouvelle les dispositions
-de la loi du 10 brumaire an 5 , relativement aux márchandises
anglaises. A compter du 1. vendemiaire
prochain , les basins , piqués , mousselinettes , toiles ,
draps et velours de coton qui ne porteront pas la
marque du fabricant , et l'estampille nationale avec
le numéro , seront censés provenir de fabriques anglaises
, et seront confisqués. La confiance qui ranime
toutes les industries , le perfectionnement de nos machines
, l'adoption de nouveaux procédés , ou l'amélioration
des anciens , les travaux et les découvertes de
nos savants et de nos artistes viennent heureusement
à l'appui de cette mesure , usitée chez tous les peuples ,
à peu près inutile chez tous , mais qui convient mieux
FRUCTIDOR AN IX. 471
à un état dont les propres ressources sont immenses ,
et seulement trop peu connues ou trop négligées .
Le C. Jollivet , conseiller d'état et commissaire dans
les quatre nouveaux départements réunis de la rive
gauche du Rhin , a ordonné la construction d'un monument
à l'honneur du chevalier d'Assas. Une colonne
d'une belle stucture s'élèvera sur le champ de bataille
de Clostercamp : on y lira ces dernières paroles du héros
français : A moi , Auvergne , ce sont les ennemis !
" et de
Qu'onfasse mieux , nous nous en réjouirons . Un pareil
titre prévient naturellement le lecteur , et si ce
titre est mis à la tête d'un ouvrage où les auteurs
n'ayent exprimé que des sentiments honnêtes et généreux
on est édifié à la fois de leur modestie
leur zèle si désintéressé pour le bien . Ce petit écrit est
en effet une nouvelle preuve des vertus bienfaisantes qui
dans tous les temps , ont distingué les médecins. Placés
sans cesse entre les morts et les mourants , ils ne sont que
trop à portée d'approfondir toutes les circonstances qui
occasionnent ou qui entretiennent les maux de l'humanité.
Ils savent que ceux -là mêmes qui , brillants de santé,
vivaient entourés de plaisirs et d'amis , trop souvent
restent seuls avec la maladie et la douleur. C'est surtout
dans les maisons garnies , que les abus les plus
criants , la cruelle insouciance ou la sordide avarice ont
multiplié les victimes.
Plusieurs de ces hommes estimables se sont réunis , et
ont ouvert une souscription pour fonder un établissement
de 80 lits. Nous offrons , disent ils , une maison
dans laquelle les malades * auront la liberté de se faire
transporter. Nous n'avons rien négligé pour y réunir
l'agréable et l'utile. Elle est spacieuse et bien aérée ;
les promenades sont belles ; les appartemen's commodes
et séparés ; la pharmacie est complète. Outre les
médecins ou chirurgiens logés dans la maison , d'au res
seront appelés aux consultations extraordinaires . Les
gardes , il suffit de les nommer , ce sont d'anciennes
soeurs de la charité. Les malades seront donc visités ,
traités , nourris , éclairés ,
éclairés , chauffés blanchis avec
les plus grands soins , jusqu'à leur entière guérison .
*
Des hommes seulement , à l'exception de ceux attaqués
de maladies vénériennes ou incurables.
་
472 MERCURE DE FRANCE,
"
"
Nous avons formé trois classes ; les soins seront
les mêmes. Il n'y aura de différence que relativement
à ces commodités arbitraires dont l'éducation et l'habitude
pourront nécessiter l'usage. Il n'en coûte que
6 francs par mois pour être admis , en cas de maladie ,
dans la première classe ; alors on occupe seul une
chambre meublée convenablement . Les malades de la
seconde classe occupent une chambre à deux lits et
payent 4 francs ; ceux de la troisième , 2 francs , et sont
placés dans une chambre à trois lits ; mais suffisamment
séparés. On voit que des frais d'abonnement si modiques ,
coûtent à peine le sacrifice de quelques superfluités ;
mais il était juste et nécessaire d'exiger quelque avance
de fonds. Il devra donc y avoir au moins un mois d'intervalle
entre le premier billet d'abonnement et le jour
où l'on se présentera comme malade , pour réclamer les
soins de l'établissement. Cet utile projet est dû au C.
Dupont , médecin en chef de l'hospice du Roule . L'abonnement
se fait chez le C. Montaud , notaire , rue
Saint-Honoré , près la rue de l'Echelle . f
On lit dans un ouvrage qui paraît sous le titre de Récréations
Morales * cette anecdote que toutes les
ames sensibles recueilleront avec confiance , et pour→
ront joindre à tant de souvenirs. » Sur la terre d'exil et
dans l'état de souffrance et de gêne où languit M.me
d'Orléans , elle a voulu satisfaire le besoin le plus impérieux
de son coeur , celui de secourir les malheureux ;
et c'est encore sur ses concitoyens qu'elle répand ses
bienfaits. Elle a concouru à l'établissement de Chaillot ,
approuvé et doté par le premier consul , et connu sous
le nom de Retraite assurée à l'infortune et à la vieillesse.
2,160 francs , ont été remis , le thermidor dernier
, à la caisse du C. du Chailla , fondateur et directeur
général de cette précieuse institution **. M.me d'Or
* Récréations morales , dédiées à Madame d'Orléans , par
J. M. Hékel , auteur de plusieurs écrits politiques et moraux
2 vol. in- 12 . A Paris , chez Maradan , libraire , rue
Pavée Saint-André-des- Aros , n.º 16. an IX .- 1801.
** D'autres maisons de retraite seront incessamment organisées
dans les départements sur le même modèle. Chaque
souscription est de 1080 fr. , qu'on acquitte en différents
payements , calculés à raison de 5 centimes par jour , depuis
l'âge de dix ans jusqu'à 70 , ou depuis le jour de ta
FRUCTIDOR AN IX. 473
;
léans a fait choix de deux dames septuagénaires , aussi
intéressantes par leurs vertus que par leur malheur
mais du moins elles ont souffert au sein de leur patrie ;
c'est sur leur patrie régénérée que tomberont leurs derniers
regards , et leurs dernières paroles pourront s'adresser
au sauveur de la France.
Un ancien magistrat , qui paraît avoir conservé pure
la tradition des principes et du goût , promet au public
un Recueil de causes célèbres. Cette sorte d'ouvrage
a toujours eu un grand nombre de lecteurs. Chacun y
trouve ce qu'il cherche , ou de l'instruction , ou de la
variété , ou des détails piquants , ou des anecdotes curieuses
, ou des traits d'éloquence , ou des discussions
profondes . Peu de contestations judiciaires , il est vrai ,
rappellent parmi nous les plaidoyers de la Grèce et de
Rome ; peu de causes excitent l'intérêt et piquent la curiosité
au même point que ces heureux mémoires de
Beaumarchais contre le conseiller Goezman . Il faut
convenir encore que le temple de la justice , comme
tant d'autres témoins de nos grandeurs passées , se soutient
sur des ruines , et demande où sont ses d'Aguesseau
, ses Cochin , ses Gerbier, Ces hommes ont bientôt
disparu ; ils se remplacent difficilement. Mais il serait
injuste de dire que la révolution a détruit toute espérance.
Elle a ébranlé , bouleversé le monde politique ,
moral et littéraire ; mais de grands talents naissent
quelquefois de grands événements , et c'est , sans doute ,
aux Néron , aux Domitien que nous devons Tacite..
Quoiqu'il en puisse être , on doit accueillir comme
une entreprise utile et très à propos un recueil qui consacrera
les vrais principes du droit , les décisions de
notre jurisprudence actuelle , les accents que l'éloquence
retrouve encore dans l'ame et dans la bouche d'un petit
nombre d'orateurs, et enfin quelques traits de nos moeurs.
Peut-être sous ce dernier point de vue , les tribunaux
devraient-ils fixer , plus qu'on ne le voit ordinairement ,
l'attention du philosophe et de l'historien.
Un grand avantage , qui a manqué à Desessarts et aux
autres rédacteurs de Causes célèbres , résulte de notre
nouvel ordre judiciaire. Les jugements sont motivés .
naissance jusqu'à 60 ans. Nous avons parlé de cet établis
sement au numéro XII da Mercure,
474 MERCURE DE FRANCE ,
Les oracles de la justice ne sont plus de mystérieuses
sentences où sa volonté paraissait seule , et jamais la
raison de sa volonté ; ce sont des monuments précieux
où le jurisconsulte explique les décisions du juge.
Quelques feuilles seront en outre destinées à mettre
Je lecteur au courant de la discussion du code civil .
Nous ne dirons rien du style . Autant qu'on en peut
juger par un prospectus , il nous a paru clair , facile
et pur. Le néologisme ou l'affectation seraient surtout
déplacés dans un pareil ouvrage. A ce propos on ne
peut s'empêcher de remarquer ici que l'on entend tous
les jours.... quos ego vidi………. des avocats , même distingués
par leurs talents , se permettre , dans leurs
plaidoieries , de faire bien indiscrètement l'aumône à
Ja langue française , ou pour parler en vrai néologue ,
de sacramenter les termes les plus bizarres et les plus
-inutiles . Le bon goût du C. Lebrun bannira de son
recueil cette ridicule abondance de mots , ce qui n'est
rien moins que de la richesse.
A compter du 1.er vendemiaire prochain , il paraîtra
tous les mois , un volume de cette collection , composé
d'environ 150 pages ; le prix de l'abonnement est
de 15 fr. pour l'annee , et de 8 fr. pour six mois
franc de port. Il faut s'adresser au directeur de la
collection des Causes célèbres , rue Boucher , n.º 10 ,
près celle de la Monnaie , à Paris.
Le C. Lebrun donnera aussi , mais séparément , une
notice complète des jugements du tribunal de cassation.
Les deux ouvrages se rapprochent naturellement
par leur objet et leur utilité . Cette notice sera trèsconcise
, et paraîtra par cahier , dans les premiers
jours de chaque mois , à compter de brumaire prochain.
Le prix du volume de 400 pages d'impression ,
sera de 2 fr. 50 cent. , et de 1 fr. de plus pour le port,
La clôture des écoles centrales du département de la
Seine a été célébrée , le 29 du mois dernier , dans l'église
de l'Oratoire . Il parait que le souvenir des résultats
heureux . dús aux concours de l'université , a décidé
le préfet à établir un concours général entre les
trois écoles centrales en activité. Cette mesure avait
éprouvé un grand obstacle de la part de ceux qui s'obs-
*Expression de Mercier , dans l'introduction à sa néologie.
FRUCTIDOR AN IX. 475
tinent à voir dans le rétablissement de ce que les anciennes
institutions avaient de meilleur , un retour aux
abus de ces mêmes institutions . Il était encore très -difficile
de faire concourir des élèves qui n'avaient pas étudié
les mêmes choses . Cependant on est parvenu à
profiter de ce puissant ressort d'émulation pour les
classes de dessin , de langues anciennes , de bellesletties
, de mathématiques et de physique .
Le préfet a ouvert la séance par un discours plein de
mesure. Une citation de Mirabeau sur les auteurs an-
.ciens a excité le plus vif enthousiasme.
Le citoyen Chénier a pris ensuite la parole. Il a retracé
, selon l'usage , les progrès de l'esprit humain,
toujours retardés par les amis des anciens colléges , et
toujours favorisés par les partisans des méthodes nouvelles.
Du reste , on a reconnu dans ce discours le talent
accoutumé de l'orateur. On a justement applaudi
la manière dont il a loué les Pascal , les Bossuet , les
Fénélon et tous les écrivains illustres du siécle de Louis
XIV. Mais comment accorder ces éloges avec la satire
des institutions qui ont formé ces grands hommes ?
Le 1. fructidor , le C. Arnaud , membre de l'Institut
et chef de l'instruction publique , a fait distribuer
les prix aux élèves du college ci - devant Sainte-
Barbe , maintenant college des sciences et des arts . Cette
école s'est distinguée par le grand nombre de prix qu'elle
a obtenus au concours général de toutes les écoles de
Paris. Le premier prix de mathématiques a été décerné
au C. Dacros , jeune berger du département de la
Somme , qui , seul , sans autre maître que son incroyable
ardeur pour llee ttrraavvaaiill , étudiait et dévorait les livres.
SUITE de la Statistique du département du
Mont-Blanc.
COMMERCE.
LE commerce du Mont- Blanc , quant à la vente ou
échange de ses matières premières , consiste en fers
bruts et ouvrés , outils aratoires , fromages , bétail ,
cuirs verts , peaux tannées , chanvres , papiers . Les
Jaines de ses troupeaux sont travaillées , en partie , sur
les lieux , et forment les vêtements grossiers.
476 MERCURE DE FRANCE ,
Le commerce intérieur s'étend à tous les objets de
consommation habituelle , dans une proportion relative
au nombre des habitants et à celui des étrángers . En
général , l'homme riche peut se procurer , dans le
Mont -Blanc , tout ce qui ajoute aux aisances et aux
commodités de la vie.
Mais le Mont- Blanc , dépourvu d'industrie , est tributaire
du commerce de l'intérieur , pour les étoffes ,
toiles , chapeaux , sels , savons , épiceries , etc. Situé
entre des pays beaucoup plus fertiles qu'il n'est luimême
, il ne peut y exporter l'excédent de ses denrées.
Ce sont les transits du commerce qui ont toujours
procuré leur consommation sur les lieux . Ces transits
sont donc nécessaires à l'existence des habitants , et au
payement des charges publiques.
ROUTES.
Aussi une des principales ressources du département
consiste dans les routes qui le traversent. Celle de Paris
en Italie , par Lyon et le Mont- Cénis , nous procure
Je passage du commerce de Lyon , et de tout le nord
de la France pour l'Italie. Les expéditions des marchandises
de l'Allemagne , de la Suisse et de Genève
pour la même contrée , viennent rejoindre la même
route à Chambéry : ainsi la ci - devant Savoie était
naturellement associée au bénéfice de toutes les relations
commerciales entre l'Italie , la France , l'Allemagne
et la Suisse. En ouvrant la chaîne des Alpes sur
la frontière, pour favoriser ces communications , la nature
semblait avoir voulu compenser l'ingratitude de son sol .
Ces avantages vont beaucoup diminuer : l'ouverture
du Simplon , dont on s'occupe , détournera , sur le
Valais , une bonne partie des chargements de Suisse
et d'Allemagne pour l'Italie , au préjudice des départements
du Mont-Blanc et du Léman.
On annonce encore le projet d'une autre communication
à travers les Alpes , de Suze à Grenoble , par
les montagnes du Mont- Genèvre , du Lautaret et du
Mont- de-Lems. Cette nouvelle jette ici la consternation.
D'ailleurs un tel projet suppose des sommes et
des travaux immenses , qui laisseraient encore subsister
une foule d'inconvénients . On ne pourrait jamais rendre
cette route praticable dans toutes les saisons , à cause
des neiges , des avalanches et des torrents .
FRUCTIDOR AN IX. 477
Il n'en est pas de même de la route du Mont Cenis ;
elle n'offre qu'un seul col à traverser : elle a sa direction
dans une vallée peuplée jusqu'au pied de ce col.
On y trouve des abris très-rapprochés . Sur le mont
même existent l'auberge de la Poste et d'autres habitations.
A l'Hôpital et à la Grand- Croix , la hauteur
est égale à celle du Lautaret * ; mais la pente en commence
à Montmélian , à 100 kilomètres au dessous.
En l'an 2 , on y fit exécuter , par des sapeurs , quelques
rampes qui suffirent pour y faire monter des pièces de
12 , sans les démonter , et avec l'attelage ordinaire ..
On pratique ce passage dans tous les temps . La disposition
physique des montagnes qui dominent la
partie la plus élevée , appelée la Plaine du Mont-
Cénis , abrite le col du côté du levant , du nord et
du couchant . Il en résulte une réflexion de lumière
et de chaleur , dans ce bassin , qui tempère les effets naturels
de cette grande élévation.
Si la route qui arrive des deux côtés au pied de ce
col , n'a pas été achevée sous le gouvernement sarde ,
c'est qu'on ne voulait point ouvrir , du côté de la
France , une porte sur le Piémont et l'Italie . Mais '
ne doit-on pas aujourd'hui prendre le système opposé?
La route de Paris à Turin , par le Mont-Cénis , est
de la dernière importance , sous les rapports militaires .
Pendant toute la guerre , elle a été , en quelque sorte ,
une galerie de communication entre l'armée d'Italie ,
celles de l'intérieur et du Rhin . Sa communication
directe entre Turin , Lyon et Paris , et ses nombreux
embranchements , lui donnent naturellement cette destination.
Elle aboutit à celle de Besançon et Strasbourg,
par Genève ; à celle de Bellay et Mâcon , par le Bourget
et Yenne ; enfin , à celle de Valence et Marseille,
par
Barreaux et Grenoble.
La traverse d'Aix au lac du Bourget , la met encore
en communication , par eau , avec l'intérieur , par le
moyen de ce lac , du canal de Savoie , du Rhône et
de la Saône. Si cette route était donc perfectionnée ,,
une armée pourrait être transportée , en très - peu de
jours , sur les bords du Pô et du Tésin , suivie de tous
ses bagages et munitions .:
* 2,088 mètres au dessus du niveau de la mer.
478 MERCURE DE FRANCE ,
Ainsi la route du Mont - Cénis , sous les rapports politiques
et militaires , importe autant à la république qu'à ›
l'existence et à la prospérité du Mont - Blanc ; elle offre
plus de sureté , plus d'abri , et les mêmes distances , au
commerce de Lyon et du nord de la France. Les dépenses,
pour son perfectionnement et son entretien , n'ont aucune
proportion avec celles qu'exigerait la route de Suze à
Grenoble d'ailleurs le Piémont lui - même y trouverait
un avantage égal , et pourrait concourir à ces dépenses
, quant à la portion qui traverserait son territoire .
Ajoutons une observation à toutes celles qui pré-
' cèdent : c'est que Chambéry est susceptible de devenir
un lieu d'entrepôt très - important pour le commerce:
de France avec l'Italie et l'Allemagne, et réciproquement..
L'ingénieur en chef du département , a prouvé la possibilité
et la facilité même de la construction d'un canal
de jonction de l'Isère au Rhône par le lac du Bourget ;
le grand bassin de ce canal , qui n'aurait , tout au
plus , que six lieues de longueur , de deux mille toises
chacune , ou vingt- trois kilomètres environ , serait à
Chambéry. L'exécution de ce projet n'éprouverait quelque
difficulté que dans la partie qui se trouve située
au bas de la montagne d'Apremont. Les avantages sont
incalculables ; les soies du Piémont pourraient être transportées
plus commodément dans les manufactures dé
Lyon ; les riz de l'Italie , dans toute la république ; et
les subsistances pour la guerre et tous les équipages
militaires , qui s'approvisionnent ordinairement dans la
Côte-d'Or , arriveraient par le Rhône , la Saône et le
canal du Bourget , et sur l'Isère jusqu'au pied des Alpes.
La construction de ce canal ouvrirait enfin des communications
utiles à toute la France ; il favoriserait le
dessèchement des marais de Mians , de Chales ; il
rendrait , à l'agriculture , une quantité considérable de
terrain dévasté par les torrents d'Isère , l'Aisse et l'Albanne
, dans la plaine située entre Chambéry et le
Bourget.
Cette entreprise importante se trouve intimement liée
à ceile si nécessaire du diguement de l'Isère . Si le gouvernement
les seconde , elles auront lieu , toutes deux ,
sans trop charger le trésor public ; il ne s'agira que
d'encourager et protéger des compagnies qui ne deFRUCTIDOR
AN IX. 479
manderont ( et encore pour un temps limité ) que la
concession du terrain qu'elles rendront à l'agriculture,
BARRIÈRES , ENTRETIEN DES ROUTES.
L'établissement des barrières est généralement odieux ;
les meilleurs esprits persistent à le croire contraire à
l'intérêt du commerce , et incohérent avec le système
politique de la nation. Son remplacement par un autre
impôt , tel que sur le sel à l'extraction , est sollicité
et attendu comme un bienfait les amis du gouver
nement le hâtent par leurs voeux , puisqu'il doit
augmenter la confiance et la reconnaissance publiques.
Les barrières du département ne sont affermées que
19,395 fr . , et les frais de l'administration des pontset-
chaussées , le traitement de l'ingénieur en chef,
celui des ingénieurs ordinaires , etc. , excédent 22,000 fr .
La reprise des relations commerciales favorise singulièrement
les adjudications des barrières qui se trouvent
sur la route de Lyon en Italie , par les Echelles et le
Mont Cenis. Le produit du transit des convois militaires
et des courriers de la malle équivaut , sur plu
sieurs points , au montant des baux à ferme. Il est
bien pénible de voir tourner , au profit d'avides spéculateurs
, des sommes arrachées avec autant de peine
et d'activité. Sans doute , les impôts les plus vicieux ,
sont ceux qui ne dépouillent les citoyens que pour enrichir
quelques individus , et laisser vide le trésor public.
Eh ! quel impôt , plus que celui des barrières ,
est entaché de ce vice , puisqu'il n'est bon qu'à entretenir
une nuée d'employés , établis , à des distances de deux et
quatre lieues , sur toutes les grandes routes de France ?
Les routes du département n'ont jamais été dans un
état aussi complet de détérioration les 40 mille francs
alloués , pour leur entretien , pendant l'an 8 et les trois
premiers mois de l'an 9 , n'ont pas suffi pour les travaux
les plus urgents : l'état des réparations indispensables
, dans le moment actuel , s'élève à près de 200 mille
francs. Il est dû un arriéré très - considérable pour les
travaux exécutés pendant les années 5 , 6 et 7. On ne
peut faire exécuter , à crédit , même les plus petites
réparations.
:
L'appel aux habitants de la campagne , pour des tra480
MERCURE DE FRANCE ,
vaux volontaires en gravelage , non -seulement ne produit
rien , mais encore devient impolitique , puisqu'il
démontre l'insuffisance de l'impôt des barrières , et légitime
en quelque sorte les plaintes contre leur établissement.
Il importe que le gouvernement réforme cet
impôt , réprouvé par l'opinion générale , et onéreux
sous tous les rapports.
CHEMINS VICINA U X.
"
Les chemins vicinaux ont été totalement négligés ,
pendant la suppression des conseils généraux des com
munes ceux institués par la loi du 28 pluviose dernier,
portent spécialement leur attention sur cet objet. Mais
ils se trouvent arrêtés d'un côté , par le défaut de
fonds pour les travaux d'art ; de l'autre , par le défaut dé
moyens de contrainte , et encore par quelques lacunes ,
dans les dispositions des lois sur cette partie. La loi du
6 octobre 1791 , charge bien chaque commune de l'entretien
de ses chemins vicinaux ; mais cette obligation
se trouve restreinte aux réparations ordinaires par l'article
4
de la loi du rifrimaire'an 7 , qui exclut des dépenses
communales l'entretien des fossés , aqueducs et
ponts , dont l'usage n'est pas particulier à la commune .
Ces dépenses , exclues de la classe des dépenses communales
, ne sont comprises dans aucun autre article de
du 11 frimaire.
Il faut donc qu'une nouvelle loi intervienne sur cet
objet , ou qu'un arrêté des consuls autorise les préfets
et les sous - préfets à répartir les dépenses de cette nature
sur toutes les communes qui , pour se rendre au
chef - lieu du département ou de l'arrondissement ,
pour leurs besoins particuliers , pratiquent et usent les
chemins vicinaux .
P. S. La convention signée à Paris , entre le cardinal
Gonsalvi , monseigneur Spina et le père Caselli , et les
CC. Joseph Bonaparte , Cretet et Bernier , a été ratifiée
à Rome le 15 août , après plusieurs délibérations qui
ont eu lieu devant le pape assisté de tous les cardinaux.
Le cardinal de Caprara est nommé légat du pape:
Il arrivera à Paris dans le courant du mois .
(Journal officiel) .
DEPT
DE
LA
cent
SEINE
TABLE
REP.FA
Du premier trimestre de la seconde année du
MERCURE DE FRANCE.
VE
*
TOME CINQUIÈME.
2
LITTÉRATURE.
POÉSIE .
ER S adressés au comte de Livourne , par
Esménard ,
.11
pages 3
5
Vers pour mettre au bas du portrait du général
Brune , par le C. Liberal ,
Enigmes , logogryphes et charades , 5 , 86 , 166 , 245 ,
Epître à Jacques Delille , par Pierre Daru ,
(Extrait.)
*
325 , 409
Traduction de la fin des Géorgiques de Virgile ,
La Rose , fable , par Grenus ,
Odes d'Anacréon , traduites en français , par J
B. Gail , ( Extrait.) =
Description du parc de Kensington , tirée de la
nouvelle édition du poème des Jardins.
L'été, romance .
Fragment d'un poème inédit sur les sciences .
Début du chant des montagnes , par le C..
Chênedolle
1876
87
161
163
241
La patrie absente. Romance imitée d'Atala,
Six romances imitées d'áalà , par Vincent Daruty.
244
(Extrait. )
A I 266
Les Scandinaves , poeme , par J. Ch. Montbron.
(Extrait.) 270
Fin du troisième chant de la nouvelle édition du
poeme des Jardins , 321
La Rose et le Chardon . Fable. 323
5. 31
482 TABLE
Les Jardins , poème , par J. Delille . ( Extrait . )
Contes , fables , chansons et vers de L. P. Ségur
l'aîné. ( Extrait.)
Fragment du quatrième chant du poème des
Jardins.
me
Vers à M. de Ségur.
ROMAN S.
~
La Fille du hameau , par M.me Regina- Maria
Roche (Extrait. )
Palmira , par Armande R... (Extrait .)
Vie privée , politique et militaire des Romains .
(Extrait.)
SPECTACLES.
Les Prétendus.
Théâtre des Arts . Alceste.
326
-347
401
£ 409
27
31
435
37
287
444
38
Les Mystères d'Isis.
Théâtre- Français . Retour de M.lle Contat.
Zaïre. Retraite de Larive.
Cinna , et les Fausses Confidences.
Tancrède . - Alzire - Andromaquc.- Débuts
de M.lle Gros.
Opéra-Buffa , italien . Matrimonio segretto .
Les Ennemis généreux .
Théâtre de Louvois . Duhautcours , ou le Contrat
d'union.
VOYAGES.
Voyage en Grèce et en Turquie , par C. S. Sonnini.
(Extrait. )
A visible display of divine providence , ou journal
of a captured missionary . ( Extrait. )
Ambassade au Thibet et au Boutan , par Samuel
Turner. (Extrait.)
Fêtes et courtisanes de la Grèce. ( Extrait. )
HISTOIRE.
Histoire critique de l'établissement des Français
dans les Gaules, ouvrage inédit de M. le prési❤
dent Hénault. ( Extrait. )
121
202
285
39
447
363
16
95
171
185
23
Abrégé de l'Histoire d'Angleterre , par Goldsmith. 367
DES MATIERE S. 483
BIOGRAPHIE.
Mort du C. Mazéas.
Vie littéraire de Forbonais , par Desalles. ( Ext. )
Voyage à Montbard , ou Détails sur la personne
et les écrits de Buffon.
PHILOSOPHIE.
Observations sur le Système actuel d'instruction
publique , par le C. Destutt- Tracy. ( Extrait. )
Essai sur l'histoire de la puissance paternelle , par
André Nougarede. ( Extrait. )
Philosophie de KANT , par Ch. Villers.
Raison , folie , chacun son mot. (Extrait. )
J
CRITIQUE.
Lycée ou Cours de littérature , par Laharpe .
(troisième extrait . )
GRAMMAIRE.
Du Projet de continuer le Dictionnaire de l'Académiefrançaise
, par A. Morellet. (Extrait.)
JURISPRUDENCE.
Cours élémentaire de droit civil , par le C. Vas-
A selin.
Question sur le mariage des émigrés rayés provisoirement
.
73
181
340
192
278
421
428
247
116
42
Tribunaux spéciaux.
74
150
Code civil. 206 , 312
Ouvrage sur la législation française. 387
Jugement rendu sur un délit de contrefaçon .
idem
MÉDECIN E.
Inoculation de la vaccine. 73 , 208 , 213 , 306
Eloge des médecins .
(Euvres chirurgicales de Desault. ( Extrait. )
Nomination de deux médecins du gouvernement.
ÉTABLISSEMENTS D'HUMANITÉ.
Suite des mémoires sur les établissements d'humanité
.
197
199
233
Hospices,
147
232 , 234
484 TABLE
Institution des asiles.
Cours gratuits d'accouchements .
Maison de secours pour les malades .
312
384
471
Retraite assurée à l'infortune et à la vieillesse. 472
BEAUX - ARTS .
Colonne nationale .
Portrait du PREMIER CONSUL , par Isabey.
Concours ouvert pour la restauration du groupe
150 , 304
231
du Laocoon.
232
Monuments en l'honneur des frères Montgolfier,
et du cardinal Colombier. 233
Exposition des productions des artistes vivants ,
au salon du Musée. 306
DÉCOUVERTES MODERNES.
Photophore , espèce de lampe . 74
238
384
Galvanisme. Méthode de blanchiment. Volcans.
Peinture au lait.
VARIÉTÉS.
Sur l'abbé de Voisenon . ( Extrait de la correspondance
de Laharpe. )
Après-Dîner de Mousseaux.
De l'Angleterre et des Anglais .
Journal général de littérature , des sciences et des
arts , par le C. Fontenay.
103
333
33
74
147
Choix des meilleurs morceaux de la littérature
russe. ( Extrait. ) 166
Lettre aux Rédacteurs , sur l'ouvrage intitulé :
Fêtes et Courtisanes de la Grèce, 285
Lettres de M.me de Sévigné. Nouvelle édition .
(Extrait. )
411
A l'auteur de l'article sur le Poème des Jardins ,
inséré dans le précédent numéro.
Annonces.
441
40 , 125 , 200 , 288,367 , 448
DES MATIERE S.- 485
POLITIQUÉ.
EXTÉRIEUR .
Empire ottoman. 289 , 369 , 449
Egypte.
Etats - Unis d'Amérique .
145 , 304 , 467
382 , 469
Guadeloupe . 467
Angleterre . 141 , 145 , 150 , 383 , 457
Russie.
457 , 469
Suède. 469 , 470
137 , 150 , 383 Danemarck .
Allemagne.
Pologne .
Prusse.
République cisalpine .
Toscane .
Cour de Rome.
Espagne .
Portugal.
Coup d'oeil sur la situation de l'Europe.
INTÉRIEUR.
209 , 376 , 468
49 , 217
Suite du résumé sur la dernière session du Corps
législatif.
Lettre sur le sauvage de l'Aveyron .
129
74
305 , 283 , 468
383 , 480
145
idem
61 , 141
66 , 306
71
72
150 , 305
74 , 233 , 305 , 470
146 , 236
146 , 232 , 305 , 469
147 , 385
227
Fêtes données au comte de Livourne .
Son départ de Paris . Son arrivée à Parme,
Nominations .
Institut national .
Agents diplomatiques.
Ecole polytechnique ,
Fête du 14 juillet.
Nouvelles mesures.
Lettre aux Rédacteurs sur le commerce de France . 234
Armées navales . Combat d'Algésiras .
Prise du Swifsture , vaisseau anglais , par le général
Gantheaume.
Voyage du capitaine Baudin .
233
239 , 303
303
306
313 , 470
Défense d'importer des marchandises anglaises en
France.
*486 TABLE DES MATIERES.
i
Translation de la Bibliothéque nationale .
Recueil de causes célebres .
470
473
Cloture des écoles centrales .
474
Variétés .
145 , 146 , 304 , 384 , 469
STATISTIQUE DE LA FRANCE.
Département des Hautes -Alpes.
Département de la Haute- Saône .
Departement du Mont- Blanc .
75 , 151
314
471 , 475
ANNONCE S..
"
Nota. Le défaut d'espace nous a empêché d'annoncer
beaucoup d'ouvrages qui nous ont été envoyés. Plusieurs
méritent cependant d'être distingués , soit par
le talent des auteurs , soit par l'importance des matières
. Nous en donnerons successivement des extraits
dans les numéros prochains .
LETTRES de Cicéron qu'on nomme vulgairement
Familières , traduites en français par l'abbé Prévost.
Nouvelle édition , revue et augmentée de Remarques
historiques , de Notes courantes et de plusieurs Tables ;
par Goujon ( de la Somme) ; cinq volumes in - 8.º d'environ
3030 pages . Prix du latin - français 21 fr.
et 30 fr. franc de port ; papierordinaire , 25 fr . ; et 34 fr.
papier fin.
-
La traduction , sans le latin , (disposée pour faire
suite , si l'on veut , aux Euvres Choisies de l'abbé
Prévost, en 39 volumes ) même format , caractère neuf ,
et toute en papier fin , 15 fr . pour Paris ; 20 fr . franc de
port pour les départements. Paris , chez Goujon fils
imprimeur- libraire , rue Taranne , n. ° 737 .
Le C Goujon ( de la Somme ) s'occupe de la suite des
Lettres de Cicéron traduites .... Le tout formera II à 12
volumes.
DE LA VÉRITÉ . Ce que nousfumes , ce que nous sommes
,
ce que nous devons être. Par André - Ernest - Modeste Grétry , membre
de l'Institut
National
des Sciences et des Arts , de l'Académie
des' Philharmoniques
de
Bologne
, de l'Académie
- Royale de musique
de Stock-
F
ANNONCES. 497
holm , et de la société d'Emulation de Liége ; 3 vol .
in-8.; à Paris , chez l'auteur , boulevart des Italiens
, n . 340 ; chez Pougens , quai Voltaire , n.º 10.
An 9-1801 ; et chez les principaux libraires .
PRÉCIS de l'Histoire Universelle ; par Edme Mentelle ;
I vol. in- 12 , broché ; Paris 1801. Prix , 2 francs 50
centimes , chez Levrault , frères , libraires , quai Malaquais,
au coin de la rue des Petits - Augustins, à Paris .
SATIRES d'Horace , traduites en vers
·
par Pierre
Daru ; à Paris , chez Parisot
, rue du Vieux - Colombier
, n.º 389 , en face des Orphelines
; et au dépôt
de
librairie
, rue de la Feuillade
, n.º 1. An 9-1801
.
TABLE
Analytique
et Raisonnée
des Matières
contenues
dansles
soixante
- dix volumes
des OEuvres
de Voltaire
,
édition
in -8.º dite de Beaumarchais
, au moyen
de
laquelle
cette collection
devient
une espèce
de Dictionnaire
Encyclopédique
, indiquant
, dans le plus
grand
détail , 1.° tout ce que Foltaire
a écrit sur l'Histoire
, la Philosophie
, les Opinions
religieuses
et
politiques
des peuples
, la Morale
, les Belles - Lettres
et les Arts , etc.; 2. ° l'Analyse
de ses Foèmes
et
Romans
, avec celle de ses différents
Commentaires
;
3. Ses vers à Sentence
, passés
en proverbe
,
pouvant
servir d'épigraphes
, ainsi que les Notices
historiques
et les Anecdotes
relatives
aux ouvrages
Ou aux personnes
qui ont fixé l'attention
de cet
homme
célèbre
, etc.; par le C. Chantreau
traduc- teur des Tables
chronologiques
de John Blair , et
professeur
d'Histoire
près l'Ecole
centrale
du département
du Gers. 2 volumes
in - 8.º ; à Paris , chez
Déterville
, rue du Battoir
, n.º 16. An 9.
-
1
ou
Cette Table est très -bien faite , et peut servir de
modèle à tous ceux qui s'occuperont d'un semblable
travail. Elle est digne du succès qu'elle a obtenu.
HISTOIRE de Gil -Blas de Santillane ; par M. Lesage.
Nouvelle édition avec douze gravures , d'après
Marillier.
Ce Roman n'a plus besoin d'éloges. L'édition que
nous annonçons nous a paru soignée et correcte .
DICTIONNAIRE de l'Industrie , ou Collection raisonnée
des procédés utiles dans les sciences et dans les arts ;
‹ contenant nombre de secrets curieux et intéressants
488
ANNONCES
.
1
pour l'économie et les besoins de la vie ; l'indication
de différentes expériences à faire ; la description de
plusieurs jeux très - singuliers et très amusants ; les notices
des découvertes et inventions nouvelles ; les détails
nécessaires pour se mettre à l'abri des fraudes et
falsifications dans plusieurs objets de commerce et de
fabrique ouvrage également propre aux artistes ,
aux négocians et aux gens du monde. Par le citoyen
Duchesne troisième édition , entièrement refondue ,
et considérablement augmentée , avec cette épigraphe:
Mulla quæfrustrà petimus , beatis
Ipsa se pandent animis nepotum :
Multa quæ nobis patuére , patrum
Nesciit ætas.
Six gros volumes in-8. ° , de 560 pages , à deux colonnes
, caracteres petit romain , non interligné.
Prix .
24 fr.
Cette
troisième
édition
n'a des précédentes
que
le
titre
; entièrement
refondue
, et augmentée
de plus
de moitié
, c'est
, à proprement
parler
, un ouvrage
neuf
. Son titre
indique
assez
son utilité
nous
nous
contenterons
de donner
ici un extrait
sommaire
des
matières
dont
il traite
. La physique
, la mécanique
,
la médecine
, la médecine
vétérinaire
, l'anatomie
, la
chimie
, l'art
de la verrerie
, l'alchimie
, les mathématiques
, Parithmétique
, l'optique
, la dioptrique
, la
ca optrique
, l'astrologie
, la météorologie
, l'histoire
naturelle
, la Botanique
, la minéralogie
, la pyrotechnie
,
l'agriculture
, le jardinage
, l'architecture
, la sculpture
,
la peinture
, la gravure
, la pêche
, la chasse
, etc. , etc ,
Il n'est
pas jusqu'à
l'art
de la toilette
, qui n'ait
trouvé
sa place
dans
cet ouvrage
intéressant
.
" A Paris , chez Poignée , imprimeur rue de Sorbonne,
n. 389.
libraire Calixte Volland , quai des Augustins ,
n°. 25.
SUPPLÉMENT aux Vies des Hommes illustres de Plutarque.
Nouvelle édition , corrigée et ornée de portraits
, gravés sur des dessins faits d'après l'antique
, tome quatrième. A Paris , chez Desessarts ,
ANNONCES. 489
¿
---
libraire et éditeur , rue du Théâtre- Français , n . ° 9 ,
au coin de la place . An IX . Les trois premiers
volumes contiennent les Vies des Hommes illustres ,
que Plutarque lui-même nous a laissées. Dans ce supplément
on trouve celles d'Annibal , d'Aristipe
d'Enée , de Tarquin l'ancien , de Junius - Brutus , de
Tullas Hostilius , d'Aristomane , de Gélon , de Cyrus
de Jason.
>
L'HOMME singulier ou Emile dans le monde , par Aug.
Lafontaine , imité de l'allemand , sur la dernière édition
, par J. B. J. Breton et J. D. Frieswinkel ; 2 vol .
in- 12 , ornés de figures , dessinées par Monsiau ; prix 3
fr . et 4 fr . franc de port. Paris , G. Dufour , libraire ,
rue de Tournon , n. 1126 ; et à Amsterdam , chez le
même.
OKYGRAPHIE , ou l'Art de fixer , par écrit , tous les sons
de la parole avec autant de facilité , de promptitude
et de clarté que la bouche les exprime . Nouvelle
méthode adaptée à la langue française , et applicable
à tous les idiomes ; présentant des moyens aussi
vastes que sûrs , d'entretenir une correspondance
secrète dont les signes seront absolument indéchiffrables
; par H. Blanc.
Legitimum- que sonum digitis callemus et aure.
1 vol . in- 8.º orné de 15 planches , avec un frontispice
gravé. Prix , 6 fr. A Paris , chez Bidault , lib . ,
rue et hôtel Serpente , n.º 14.
Cette découverte , accueillie l'année dernière avec
intérêt , a été perfectionnée depuis parson auteur. Aussi
il ne craint pas d'assurer qu'elle est préférable à toutes
les méthodes qui ont précédé ; dont la mémoire suffit
à peine à retracer tous les noms , tirés du grec , comme
il est juste , sténographie , tachygraphie , pasygraphie ,
polygraphie. Cependant l'auteur se plaît à rendre un
hommage particulier à l'ingénieuse invention de la
typographie , due au C. Pront , et qui mérite d'être
* Eléments d'une typographie qui réduit au tiers celle en
usage , et d'une écriture qui gagne près de trois quarts sur
l'écriture française , l'une et l'autre fort agréables à la vue
applicables à toutes les langues , conservant les principes
grammaticaux de celles qui s'impriment en caractère romain.
A Paris , chez l'auteur , tue d'Enfer , au coin de la rue Saint-
Dominique.
490
ANNONCES.
connue , lors même que l'Okygraphie paraît. Le second
avantage de cette dernière écriture paraît la distinguer
éminemment de toutes les autres. L'amitié , la politique
mais surtout l'amour sont donc tributaires de l'Okygraphie.
Au reste , une seule leçon suffit pour connaître
parfaitement la théorie de cette écriture mystérieuse.
Cette leçon coûte 12 fr. On souscrit , chez l'auteur ,
cour du Commerce , faubourg Saint-Germain , n.º 24.
DE la Peinture , considérée dans ses effets sur les
hommes en général , et son´influence sur les moeurs
et le gouvernement des peuples ; par George- Marie
Raymond , professeur d'histoire et de mathématiques
à l'école centrale du département du Mont-Blanc ;
avec cette épigraphe , tirée d'Ovide :
Disce bonas artes , moneo , romana juventus.
Paris , chez Charles Pougens , quai Voltaire , n.º 10.
Vol. in - 8 .° de 248 pages , carré fin d'Angoulême.
Prix , 3 fr . 60 cent. et franc de port , 4 fr . 50 cent.
LA Journée solitaire de l'homme sensible , ou Considération
sur l'existence et les attributs du créateur
par A. de Gomer , avec cette épigraphe :
Le jour , dans sa course brillante ,
M'entraîne vers le créateur.
La nuit, dans sa marche imposante ,
M'élève jusqu'à mon auteur .
A Paris , de l'imprimerie de Forget , 1800.- Prix , 1 fr.
50 cent. , et 2 fr. pour les départements . Se trouve
à Paris , chez Deray , libraire , rue Hautefeuille .
HISTOIRE naturelle d'une partie d'oiseaux nouveaux et
rares de l'Amérique et des Indes , par F. Levaillant ;
ouvrage destiné par l'auteur à faire partie de son ornithologie
d'Afrique ; 2. livraison , grand in- folio et
grand in-4.° sur papier Nom- de - Jésus vélin , ornée
de figures imprimées en couleur , par Langlois , et du
texte descriptif de l'imprimerie de Didot jeune. On
souscrit à Paris , chez J. C. G. Dufour , libraire , rue
de Tournon , n. ° 1126 ; et à Amsterdam , chez le
même.
MÉLANGES physico- mathématiques , ou Recueil de
Mémoires contenant la description de plusieurs maANNONCES.
'. 491
3
chines et instruments nouveaux de physique , d'économie
domestique , etc. Par J. B. Bérard , juge au
tribunal de Briançon , du jury d'instruction publique
des Hautes- Alpes , des Sociétés d'Agriculture de
Paris , Grenoble , Carpentras et Gap , avec cette épigraphe
: Les sciences éclairent les arts , et les arts
utilisent les sciences ; publiés par ordre du ministre
de l'intérieur. A Paris , de l'imprimerie des Sourds-
Muets, rue et faubourg Saint - Jacques , n.º115 , sous la
direction d'Adrien Leclerc , quai des Augustins ,
n.º 39. messidor , an 9 .
NOUVEAU Barême , ou Tables de réduction des monnaies
et mesures anciennes , en monnaies et mesures
républicaines analogues ; ouvrage utile aux notaires ,
propriétaires , hommes de loi , huissiers , arpenteurs
et marchands de toutes classes ; par A. J. B. Def…….
sixième édition , revue , corrigée et augmentée , dans
laquelle on trouve les nouvelles dénominations , dont
l'arrêté des consuls , du 13 brumaire an 9 , permet
l'usage , leur rapport avec les anciennes
et des
instructions sur la manière de les employer. Prix , 75
centimes pour Paris ; 1 fr. pour les départements. A
Paris , chez Favre , libraire , palais du tribunat , galerie
de bois n . ° 220 aux Neuf Muses . Thermidor
an 9.
" "
EDUCATION Pratique , traduction libre de l'anglais ,
de Maria-Edgeworth , par Charles Pictet , de Genève
* ; nouvelle édition revue , corrigée et augmentée
; 2 vol. in - 8 . ° . Prix , broché , 6 fr. et 8 fr. 50
centimes , franc de port . A Paris , an 9 ( 1801 ) , chez
Magimel, libraire , quai des Augustins , n.° 73 ; et
à Genève , chez J. J. Paschoud , libraire ..
2
La première édition de cet ouvrage devait être promptement
épuisée . Le succès qu'il eut en Angleterre , le
nom de ses auteurs , qui ont consacré vingt années
et des talents supérieurs à l'éducation de dix- sept enfants
; le mérite lui donnait en France la réputation
du traducteur , et surtout la disette des moyens
que
Le C. Pictet est rédacteur de la Bibliothéque britannique,
pour la partie littéraire et la partie politique..
492 ANNONCES.
d'éducation , l'ont fait accueillir avec avidité , et ont
bientôt rendu nécessaire une seconde édition .
Le mérite réel de cet ouvrage a frappé les hommes
qui réfléchissent ; en même temps que la variété , la
touche originale et des détails piquants ont fixé l'attention
de ceux qui lisent avec légèreté. Diriger l'association
des idées chez les enfants ; rendre les fautes
impossibles ou peu séduisantes , le bien facile et attrayant
; donner l'habitude plutôt que la règle ; prévenir
le mal plutôt que le punir ; préserver l'avenir
plutôt que faire expier le passé ; ces principes , et quelques
autres aussi féconds , sont heureusement développés
dans cet ouvrage . Ils s'y rattachent à ces grandes notions
métaphysiques , que les idées ne nous viennent que par
les sens , et que les êtres animés ne cherchent d'abord
que le bonheur. L'auteur anglais prétend trouver là tous
les moyens de former des êtres moraux et éclairés ; mais
tout lecteur qui est un peu moins que matérialiste ,
éprouve tristement , à la lecture de ce traité d'éducation
, le besoin et la disette totale des sentiments religieux.
Chez les Fénélon , chez les Rollin , le Dieu de l'Univers
est aussi le Dieu de l'enfance ; et Dieu en est
plus grand , et l'enfance plus aimable. Le traducteur a
senti ce défaut essentiel , et renversé les frivoles prétextes
dont miss Edgeworth se sert pour justifier son
silence. On trouvera ce point débattu dans deux lettres
de M. Edgeworth et de Charles Pictet , ajoutées à cette
édition .
ATALA , ogli Amori di due selvaggi nel deserto ; transportata
in lingua italiana da Blanvillain , traduttore
die Paolo e Virginia , vol . in - 8.º ; prix , 1 fr. 50 cent . et
I fr. 80 cent. fr. de port . Paris , de l'imprimerie de
Huguin , rue du Foin , n . 31 ; chez Delalain , libraire
, rue Hautefeuille , n.° 14.
SUPPLEMENT au Dictionnaire Géographique des Postes,
de Guyot , contenant le nom de toutes les villes ,
communes et principaux endroits des départements
des Alpes Maritimes , Dyle , Escaut , Forets , Jemmapes
, Leman , Lys, Meuse- Inférieure , Mont-
Blanc , Mont-Tonnerre , Deux - Nethes , Ourte , Bas-
Rhin , Haut-Rhin , Rhin- et - Moselle , Roer , Sambreet-
Meuse , Sarre et Vaucluse , ( départements - réunis
ANNONCE S.
493
en totalité ou en partie à la république française ) , avec
l'indication du département dans lequel ces endroits
sont situés , et leur distance en kilomètres du bureau
de poste par lequel les lettres doivent êtres
adressées; auxquels on a joint les départements de la
Seine , et Seine - et - Oise , attendu les changements
survenus dans le service des postes aux letties dans
ces deux départements ; présenté aux citoyens commissaire
central de gouvernement près les postes
et administrateurs généraux des postes , qui en ont autorisé
la publication . Un volume in - 8. de 260 pages
à deux colonnes , caractère petit -romain ; prix , 3 fr.
50 cent.; à Paris , chez Lecousturier l'aîné , rue J. J.
Rousseau ‚n.º 9 , en face de la poste aux lettres , au
Pélerin Blanc et Chaudouët , rue et Butte - des;
Moulins , n. 509.
"
2
LE Voyage à Montbar , annoncé chez le C. Terrelonge ,
imprimeur. Se vend chez le C. Salvet , éditeur et libraire
, rue du Coq - St. - Honoré.
"
*
LES Arbitrages simplifiés , ou Recueil des Arbitrages
de changes de la France avec les principales places
de l'Europe ; contenant un répertoire de vingt - huit
tableaux d'arbitrages , avec leurs règles conjointes ;
les règles réduites à trois nombres par nombres fixes ,
présentent des arbitrages tout faits , tant par les règles
ordinaires de l'arithmétique que par les logarithmes ,
et la nomenclature des monnaies de change de la
place principale de chaque tableau ; une table de
logarithmes , appropriée aux nombres fractionnaires
de tous les changes connus , pouvant servir sur les
différentes places de l'Europe ; des explications propres
à calculer les arbitrages avec beaucoup de promp →
titude ; différentes notes très - utiles dans ces opérations
, et une instruction à la portée de tout le monde ,
sur la propriété et l'usage des logarithmes ; par P.
Piet , teneur de livres ; in - 8 , ° grand - raisin , beau papier
; prix , 3 fr. pour Paris , et 3 fr. 50 cent. pour les
départements , fr. de port. A Paris , chez l'auteur ,
demeurant maintenant rue Montmartre , n.º 140 , au
coin du boulevart , ou à son bureau , rue Bergère ,
n.º 1004. Ant, Bailleul, imprimeur-libraire , rue Grange.
"
#94
ANNONCE S..
Batelière, n.º 3 , au bureau du journal de Commerce ;
P. N. F. Didot jeune , rue de Hurepoix , n.º 22.
"
Cet ouvrage paraît à une époque où la paix fait naître
de grandes espérances pour le commerce et sous la
protection spéciale des maisons de banque des CC.Geyler,
Jordan et compagnie , et des CC. Delessert et compagnie.
Une quantité de souscripteurs avaient déja donné ,
avant que ce travail eût vu le jour , l'idée la plus avantageuse
des talents de l'auteur.
Il a justifié les espérances du public. Traité par
principes , et avec beaucoup de méthode son livre
doit faire disparaître l'esprit d'apathie qui laisse une
grande distance entre le commerce de France et celui
des places étrangères , par rapport à la connaissance
des changes . Il est aussi précieux pour les personnes instruites
, auxquelles il évitera la peine de poser sans cesse
la règle conjointe , qu'utile à celles qui ont besoin de
se former dans la partie cambiste. Ainsi , le banquier ,
le négociant , l'agent de change , et l'employé , de
quelque classe qu'ils soient , s'en serviront ou l'étudieront
avec beaucoup d'intérêt. Le succès ne peut être douteux
.
"
Mais il ne sera pas utile seulement aux personnes qui
veulent calculer les changes. La partie des logarithmes.
c'est-à-dire , la science qui réduit la multiplication ,
quelque compliquée qu'elle soit , à une simple addition ,
et la division à une soustraction , que beaucoup n'osent
aborder , y est traitée avec clarté et précision , et peut
mettre tous ceux qui ne les connaissent pas , à portée
d'en faire usage sans avoir besoin de beaucoup d'étude ,
ni même d'une grande perspicacité.
L'auteur y donne aussi une méthode commode et facile
à retenir pour réduire sur le champ les livres en
francs , et les francs en livres.
DES SEPULTURES , par A. Gauthier- Lachapelle. A Paris ,
à l'ancienne librairie de Dupont , rue de la Loi ,
n.º 1132. An . 9. - 1801 .
-
CORRESPONDANCE de deux généraux sur divers sujets ,
ANNONCES.. 495
"
y
ว
publiée par le citoyen ***. A Paris , chez Magimel ,
libraire pour l'art militaire , quai des Augustins , n.º
73. An 9. Prix 2 fr. et 2 fr. 50 cent. franc de
port.
L'ART de Compter ou ELÉMENTS d'Arithmétique , rédigés
, selon les principes du Système décimal . Ouvrage
destiné à l'usage des enfants , des habitants
campagnes , des commerçants , etc .; dans lequel
on a tâché de mettre à la portée des commençants , les
bases du calcul décimal , le rapport qui se trouve entre
ce système et l'arithmétique ancienne , les règles
de Trois , de Société , d'Alliage , d'Escompte , de
Change , d'Intérêts , d'Annuités, etc.; I volume in - 8 .
prix , fr. 50 cent . ; et franç de port , 1 fr. 80 cent .
A Paris , chez Lenoir , libraire , rue de Savoie , n. 4.
TRAITÉ des Télégraphes , et Essai d'un nouvel établissement
de ce genre , avec table télégraphique des
chiffres et quatre planches pour les divers signaux ; par
M. Edelcrantz , secrétaire privé du roi de Suède , traduit
du suédois . Prix , 2 francs 50 cent. , et 3 francs
franc de port pour les départements. A Paris 1801
chez Patris , imprimeur ; Gilbert , libraire , n . ° 2 , quai
Malaquais , près la rue de Seine .
L
i
"
ALMANACH historique , nommé le Messager Boîteux
de Berne, calculé selon le style nouveau, pour l'an
de grace 1802 , contenant les propriétés et la température
des quatre saisons et des douze mois ; l'accroissement
et le déclin de la lune avec les autres observations
astrologiques , et une annotation des foires de
France, d'Allemagne , de Suisse et d'autres provinces
circonvoisines , avec une description des événements
les plus mémorables arrivés en Europe , Asie , Afrique
et Amérique. Par Antoine Souci , astrologue , 75 cent .;
chez Desenne , palais du tribunat.
SUITE du meilleur mode de contribution , par Jh.
Etienne Michel. A Paris , de l'imprimerie de Hy , rue
des Boucheries -Saint -Honoré , n.º 926. An 9. ( Nous
avons annoncé le premier ouvrage du citoyen Michel
dans le n.º XIV . )
LETTRES sur la Religion , par Fénélon , archevêque de
Cambray ; nouvelle édition ; I vol. in- 12 ; prix , 1 fr.
25 cent.; et franc de port , I franc 75 centimes . A
Paris , chez Lenoir , libraire , rue de Savoie , n.º 4.
ørfagley@ *
496 ANNONCES
..
THERMOLAMPES , ou Poêles qui chauffent en éclairant
avec économie , et offrent avec plusieurs produits
précieux une force motrice applicable à toute
espèce de machine , inventés par Philippe Lebon ,
génieur des ponts- et-chaussées .
in-
Le C. Lebon a parfaitement senti qu'il valait encore
mieux montrer qu'écrire les nombreux avantages de ces
nouveaux poêles , dont un seul , dans une maison , peut
dispenser de toutes cheminées , applicables d'ailleurs aux
fêtes publiques, aux illuminations , etc etc. Unesouscription
sera ouverte pour l'acquisition des Thermolampes ..
Mais il veut qu'auparavant le public lui -même ait prononcé
sur sa découverte , pour laquelle il a déja obtenu
un brevet d'invention. Plusieurs expériences auront lieu
jusqu'au premier brumaire prochain chez l'auteur
nême , rue Saint - Dominique , n. 1517 , faubourg Saint-
Germain. Le prix du billet , pour y assister , est de 3
francs. Ces billets se distribuent chez l'auteur ; chez
Pougens , quai Voltaire , n.º 10 ; Henrichs , rue de la
Loi , etc.
TABLEAU historique , topographique et moral des
peuples des quatre parties du monde , comprenant les
fois , les coutumes et les usages des peuples ; par
A. M. Sané, deux vol . in- 8.° de 1000 pages , imprimés
sur carré de Limoges , et caractère de cicero. Prix
9 francs , et 12 fr. par la poste , frane de port . A Paris,
chez Buisson , imprimeur - libraire , rue Hautefeuille
n. ° 20 .
ERRAT A.
"
N. XVIII - Page 266 , ligne 30 , après aujourd'hui,
mettez une/ virgule ; p . 277 , lig. 26 , le simple hubit
qui le , lisez , le simple habit qui la , p. 288 , voyage
en Espagne , aux armees , lisez , voyage en Espagne , aux
années ; p. 305 , lig. 34 , reconnu personnellement ,
lisez , reconnu solennellement ; idem , lig. 35 , après
complimenté , ajoutez , par les dépatés toscans , ligunens
et cisalpins.
N. XXIX.- Page 368 , ligne 13 , par leurs imitateurs
mêmes , liseż , par leurs imitations mémes ; idem ,
lig. 16 , voudratent , lisez , voudrait ; idem , lig. 22 ,
acceptation de leurs modes , lisez , acception de leurs
modes.
Qualité de la reconnaissance optique de caractères