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1799, 09-10, t. 9, n. 31-32, 35 (5, 10, 25 vendémiaire an 8) (27 septembre, 2, 17 octobre)
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MERCURE
DE FRANCE ,
JOURNAL POLITIQUE ,
LITTÉRAIRE ET DRAMATIQUE ,
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES.
Diversité , c'est ma devise.
LAFONTAINE.
TOME NEUVIÈM E.
A PARIS ,
DE L'IMPRIMERIE DE CAILLEAU ,
Éditeur-Propriétaire du MERCURE DE FRANCE ,
rue de la Harpe , N.º 461 , en face de celle
des Cordeliers .
AN VIII.
MERCURE
DE FRANCE,
Du quintidi , 5 Vendémiaire , an 8.
POÉSIE S.
LA RIPOSTE DU COMMIS,
DEUX
ANECDOTE.
EUX Ecoliers , d'assez manvais renom ,
Etourdis ! ..... comme on l'est dans la fougue de l'âge ,
S'en allaient un jour en voyage ,
Lestement affourchés sur un gentil ânon.
Heureux et fiers d'un pareil équipage ,
Les voilà méditant un tour de leur façon.
( Des Ecoliers , dit- on ,
Ne restent jamais en arrière . )
En leur chemin se trouve une barrière ;
Où tout cavalier , riche ou non ,
Contre son gré , paie un droit nécessaire.
Nos Jouvenceaux , qui savaient bien
Ne devoir acquitter aucun droit de péage ,
S'avancent ; puis , d'un ton , voisin du persifflage :
« Çà , dites- nous , monsieur le citoyen ,
» De payer pour un âne est- il chez-vous d'usage ? »
Un vieux Commiş , plus fin que le couple Ecolier ,
Leur réplique en même langage :
« Çå passez , mes amis , avec votre équipage ,
» Les ânes n'ont rien à payer. >>
BOINVILLIERS , Professeur de Belles-Lettres ,
à l'Ecole Centrale de l'Oise.
A 2
MERCURE
MON PLAN DE VIE.
SI Dieu me permettait d'élire.
Entre tous les biens d'ici -bas ,
La splendeur , l'état d'un empire ,
A mes yeux seraient sans appas ;
A la grandeur , à l'opulence ,
Au faste , à la célébrité ;
Je préférerais le silence
D'une modeste obscurité.
.
JE n'irais point sous la bannière
Du terrible dieu des combats ,
Couvert de sang et de poussière ,
Chercher la gloire sur ses pas ;
Loin de moi , le laurier fétide ,
Cueilli par de sanglantes mains;
Loin de moi , le fer homicide ,
Arrosé du sang des humains .
JE n'irais point , avec bassesse ,
D'un Prince mendier l'appui ,
Ni le flatter avec adresse ,
Afin d'être tyran sous lui;
Il me faudrait , avec étude ,
Sur les siens composer mes yeux :
Ah je hais trop la servitude !
Qui n'est pas libre est malheureux !
DE FRANCE. 5
JE n'irais point vers ces retraites ,
Ces monumens de piété ,
Où d'impudents Anachoretes ,
Qui firent voeu de pauvreté ,
Trafiquant , avec indécence "
De l'aveuglément des mortels ,
Vivent , au sein de l'opulence ,
Du revenu de leurs autels.
J'IRAIS , loin du fracas des villes ,
Dans le silence des forêts ,
Couler des jours purs et tranquilles,
Au sein d'une profonde paix ;
Là , jouissant de la nature ,
Ignoré de tout l'Univers
Les bois , les ruisseaux , la verdure ,
Seraient seuls l'objet de mes vers.
AH ! si jamais je pouvais suivre
Un projet si cher à mon coeur !
Si jamais je puis aller vivre ,
Loin d'un monde injuste et trompeur ;
Riants vallons , sombres boccages ,
Asyles sacrés des amours ,
Sous vos délicieux ombrages ,
Je veux finir en paix mes jours.
MELY JANIN
A 3
MERCURE
A MA MAITRESSE VOLAGE.
QUAND , charmante Glicère ,
Je vous dis l'autre jour ,"
Que vous étiez l'Amour ,
Je ne me trompais guère ;
Je vois , sur vos attraits
Ses couleurs les plus belles ;
Vous avez tous ses traits ,.
Et par malheur ses aîles.
GERMAIN DAUBERJON , abonné.
A CÉCILE
Si ta beauté , Cécile , est périssable ,
D'un bien qui fuit, hite-toi de jouir :
Si ta beauté ne doit jamais périr ,
Prodigue alors un bien inépuisable .
AUGUSTE LABOUISSE.
Explication de la Charade , de l'Enigme et du
Logogriphe du numéro précédent.
Le mot de la Charade est Délire ; celui de
l'Enigme est Coche , et celui de Logogriphe
est Cor , qui , retourné , fait Roc , et la première
ôtée , donne Or.
DE FRANCE.
CHARADE.
MON premier quelquefois se présente à ta vue
En s'élevant jusqu'à la nue ;
Quelquefois , pour te divertir ,
Il échappe à tes yeux sous une main subtile .
Il te fait aller et venir,
A la campagne et dans la ville.
Mon second , cher lecteur , n'est pas moins singulier
Dans ta poche , il peut faire un peu plus d'une obole ,
Mais en le prononçant , on peut sur ta paroie ,
Te croire un fort gros financier ,
Un fermier du Pérou , le maître du Pactole.
Mon tout fut , pour certain auteur ,
Le fondement d'un grand systême ;
Mais sans résoudre ce problême ,
J te dirai , mon cher lecteur ,
Qu'il fait des choses surprenantes.
Entre celles qu'on peut citer ,
C'est par lui que nos élégantes ,
A Tivoli se laissent emporter.
Par le citoyen P ...... employé.
.
ÉNIGM E.
INSENSIBLE aux douleurs qu'une mère m'oppose
De ses enfans chéris ma cruauté dispose.
En tout pays , je suis avec même pouvoir ,
Je puis aller chez toi le matin ou le soir ;
Et tu peux te fermer à deux tours de serrure ,
Te mettre dans un fort , j'entrerai , je te jure.
Pistolets , ni fusils , n'arrêtent point mes pas ,
Je vais dans les palais hérissés de soldats ;
A 4
MERCURE
Si je commande aux rois de laisser leur couronne ,
Leurs arrêts , leurs faisceaux , de me suivre en personne,
Ils viennent à l'instant. Mes ordres absolus
N'ont jamais des mortels éprouvé les refus.
Maintenant , cher lecteur , tu me connais sans doute.
Tu peux me rencontrer , sans changement de route ;
Je t'assure , au surplus , que je te ferai peur ,
Si ce n'est mon pouvoir , ce sera ma laideur
Mais j'irai cependant te faire une visite :
Adieu , sois sans chagrin : l'époque est sans limite.
GERMAIN DAUBERJON , abonné.
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
JOURNAL DE L'ÉCOLE POLYTECHNIQUE , ou Bulletin
du travail fait à cette école , publié par
le conseil d'instruction et d'administration de
cet établissement. Sixième cahier. De l'imprimerie
de la République , et se trouve chez
Bernard , libraire , quai des Augustins , nº. 37.
Prix , 3francs. 50 centimes.
OICI le sixième cahier des travaux
de l'école polytechnique. Il n'est qu'une
nouvelle preuve des services essentiels
que cette école rend à l'instruction publique
, et du zèle que mettent les savans
professeurs à remplir la tâche aussi
utile qu'honorable qui leur est imposée.
En faisant imprimer le Journal de l'école
polytechnique , le gouvernement s'est.
DE FRANCE.
9
✓
proposé de faire connaître l'ensemble
et les objets de l'enseignement , les méthodes
employées par les instituteurs célèbres
qui y professent , et les variations
que la marche rapide des connaissances
y apporte , afin d'indiquer aux français
qui se dévouent à l'instruction de la
jeunesse dans les écoles centrales , le
point précis où ils doivent amener les
élèves , et établir entre eux un mode
uniforme d'enseignement public . Cette
attention était digne d'un gouvernement
qui ne néglige rien de ce qui peut être
utile , et doit assurer la marche des connaissances
; c'est un fanal propre à éclai
rer ceux qui suivent la carrière de l'ins
truction.
Les premières pages de ce cahier sont
occupées par les discours que les instituteurs
ont prononcés , le 7 pluviôse ,
an7 , dans la séance d'ouverture des cours,
présidée par le ministre de l'intérieur.
Le citoyen R. Prony , succédant au citoyen
Guyton , le directeur , a prononcé
un discours d'introduction au cours d'analyse
pure et d'analyse appliquée à la
mécanique ; le citoyen Fourcroy a parlé
ensuite sur les avantages de l'étude
de la chymie , et sur la manière dont
elle est enseignée à l'école polytechnique
; Lagrange s'est occupé de la théor
A 5.
10 MERCURE
rie des fractions analytiques ; Hassen-
· fratz a traité de la physique , et le citoyen
Neveu a ramené l'attention sur
l'étude du dessin .
Les articles qui composent ensuite le
corps du Journal sont : les solutions de
quelques problêmes relatifs aux triangles
sphériques , avec une analyse complette de
ces triangles , par J. L. Lagrange ; Théorie
du mouvement , autour d'une axe libre
de rotation , d'un corps de figure invariable
, sollicité par des puissances quelconques
, par R. Prony ; sur la Méchanique
, par Laplace ; des Courbes à double
courbure , par Monge ; Mémoire sur
les proportions à donner aux chaudières
, et sur la quantité d'eau évaporée ,
en raison de sa température , par J. H.
Hassenfratz ; de la Physique générale ,
par le même ; Lettre sur le serein et la
rosée , par C. A. Prieur ; du Dessin ,
par Neveu ; Description d'une pierre
appelée Sybérite , par Lermina ; etc.
Je terminerai cette notice en donnant
une idée de cette pierre , ainsi nommée
, parce qu'elle vient de la Sybérie.
C'est le citoyen Weyer qui l'a rappor
tée de la Russie . Elle fut trouvée en un
seul bloc dans le gouvernement de Perme
, près de Catherinbourg. On la cassa
en plusieurs morceaux . Le gouvernement
DE FRANCE. II
et plusieurs amateurs en ont depuis vainement
fait rechercher d'autres. Lesmorceaux
de cette pierre présentent un assemblage
de longues aiguilles agrégées ,
partant d'un ou plusieurs centres , et divergeantes
jusqu'à la superficie où elles
se terminent par des sommets à faces
planes.
Lorsque les aiguilles sont fines , la
masse ressemble , par sa disposition , à
certains morceaux d'asbete ; lorsqu'elles
sont plus grosses , la masse ressemble
parfaitement à celle de la thallite ou
schorl vert du Dauphiné.
1
Dans quelques parties , la masse aiguillée
est interrompue par des rognons
solides , noirs ou bruns , qui semblent
n'être que la même matière devenue
compacte , et sans aucune trace de crystallisation.
Quelques cavités ou interstices sont
remplies d'une matière terreuse jaune ,
dont la nature n'a pas été déterminée ,
La Sybérite est transparente , consi
dérée dans chacune de ses aiguilles où
crystaux particuliers : mais cette transparence
est altérée par l'intensité de la
couleur , par l'agrégation parallèle des
crystaux ou aiguilles qui se touchent
sans adhérer parfaitement , et par des
félures perpendiculaires.
A 6
12 MERCURE
Sa couleur est d'un lilas vineux trèsbrillant
; elle ne peut être mieux comparée
qu'aux fleurs de cobat lilas lorsque
celles- ci ont de la transparence.
On peut assimiler sa dureté au bérił
de Sybérie ; elle fait feu au briquet ,
raye fortement le verre , et attaque fai❤
blement le crystal de roche.
J.
JULIERI , ou le Triomphe de la Vérité sur
l'erreur. Paris , à la librairie , rue André- des-
Arts , nº. 46. Deux vol. in- 12 avec figures.
Prix , 3francs , et 4francs 25 centimes franc
de port par la poste.
CE roman est original français ; il est
divisé par lettres.
Julieri , âgé de dix-huit ans , fils d'un négociant
de Troies , que trop de bonté et de
confiance ont fait tomber dans le malheur,
est venu chercher , à Paris , un emploi ,
eapable de soulager les besoins de ses
parens. Il s'est séparé de Sophie de la
B*** qu'il devait épouser ; mais le père
de sa maîtresse , en apprenant les infor
tunes qui ont accablé la famille Juliéri
, ne veut plus consentir à leur union,
Julieri se place copiste chez un homme
de lettres , à raison de cinquante livres
DE FRANCE. 13
par mois. Il a pour camarade , dans cet
emploi , le jeune Lerval , de moeurs dissolues
et suspectes , qui l'entraîne dans
une infidélité envers Sophie. Cette rivale
de Sophie se nommemadame de Nancré.
Comme elle est riche , elle fait quitter
à Julieri son mince emploi , et pourvoit
་
à tous ses besoins.
Sophie est instruite de la conduite de
son amant , et lui en fait de tendres reproches
. Juliéri abandonne aussitôt Paris
, après avoir renvoyé à l'amoureuse de
Nancré tous ses dons . Sophie lui pardonne.
Reconcilié avec lui - même , Juliéri
retourne à la grande ville . Un soir qu'il
est entré dans un petit spectacle , une
femme , placée à côté de lui , l'accusé
de lui avoir volé sa bourse en lui coupant
le fond de sa poche. De légères
apparences sont contre lui ; il est conduit
au grand - Châtelet. La procédure
s'instruit à la hâte ; intervient un jugement
qui prononce contre l'accusé un
plus amplement informé de six mois ,
pendant lequel tems il gardera prison ..
Ce long séjour dans un lieu qui ren
fermait presque aussi souvent l'innocent
que le coupable , donne à Julieri connaissance
de plusieurs anecdotes de fa14
MERCURE
meux vols , dont il rend compte dans
ses lettres.
Appel de son jugement , et arrêt du
parlement qui condamne Julieri à servir
sur les galères pendant trois ans , avec
la flétrissure préalable.
La providence se réveille enfin : Julieri
obtient un sursis avec la faculté
de se pourvoir en révision . L'arrêt est
cassé Julieri est libre . Mais hélas ! ;
pendant sa longue et trop longue détention
, la B *** . , le père de Sophie ,
qui soupçonnait sa fille d'entretenir une
correspondance avec son amant emprisonné
, a quitté la ville de Troyes ,
après avoir vendu tout ce qu'il y pussédait
, et a emmené Sophie : on ignore
leur nouvelle habitation .
Julieri , sevoyant alors sans maîtresse ,
sans fortune , forme le projet d'aller
chercher des consolations et de l'emploi
auprès d'un ami établi à Saint -Domingue.
Un vieillard espagnol , nommé don
Calédo , que Julieri a connu en prison ,
victime comme lui des apparences , offre
à notre infortuné de l'emmener avec
lui dans cette colonie , où il a de riches
habitations. Ils arrivent à St-Domingue,
Par un de ces événemens qui appartiennent
plus exclusivement aux romans,
Julieri y retrouve Sophie . Elle n'est
DE FRANCE. 15
point la fille de la B*** . ; ce n'est plus
Sophie , c'est dona Ysaura , fille de don
Calédo . Il faut lire dans l'ouvrage même
l'histoire touchante de ce vieillard , ainsi
que les événemens qui ont amené à croire
que Sophie fut la fille de ce la B***.
Nous ne pourrions qu'affaiblir l'effet de
cet intéressant épisode , en essayant de
l'analyser. Faisons - en seulement connaître
ce qui est nécessaire pour donner
une idée du dénouement.
La B***. , jeune français , se trouvait
à Saint-Domingue en qualité de secrétaire
d'un riche espagnol ; il avait gagné
la confiance de Calédo . Un jour , il lui
propose une partie de plaisir avec toute
sa famille dans la forêt voisine ; elle est
acceptée. Là , dona Calédo est arrêtée
par des esclaves gagnés par l'espagnol ;
ce misérable , conduit par un ancien motif
de vengeance , veut la déshonorer
aux yeux même de son époux. Dona
Calédo n'échappe à l'infanie qu'en se
donnant la mort. L'espagnol accuse aussitôt
Calédo d'être le meurtrier de son
épouse ; cet infortuné est arrêté , et le
traître la. B*** . profite de sa détention
pour retourner en France , en lui enlevant
sa Sophie avec une partie de ses
richesses. Calédo a trouvé depuis les
moyens de se sauver et de s'embarquer
16 MERCURE
幛
:
•
aussi pour la France. Cependant la
beauté de Sophie , ou plutôt de doną.
Ysaura , avait , touché vivement le coeur
féroce de la B*** ., et cet homme n'avait
même quitté Troyes que pour soustraire
l'objet de sa passion à l'amour de
Julieri mais furieux de voir en ce moment
ses espérances trompées par la
réunion de nos deux amans , il s'introduit
de nuit dans la chambre de dona
Ysaura , et lui plonge un poignard dans
le sein . Ses cris sont entendus de Julieri
qui accourt , et percè le scélérat
la B***. de mille coups..
Dona Ysaura échappe heureusement
à une mort que long-temps on a cru
certaine Calédo l'unit à Julieri. Ils retournent
en France.
Au bagne de Brest , Julieri reconnaît
Lerval , son camarade d'écriture chez
l'homme de lettres . C'est ce misérable
qui a cherché a entraîner Julieri dans le
désordre avec cette malheureuse de Nancré
, femme riche en apparence , mais
qui ne vivait que d'escroqueries et de
vols ; c'est lui qui . devenu furieux des
suites de cette affaire , qui a tourné à
sa honte , avait imaginé le prétendu
vol de Juliéri , au spectacle des Variétés
. Il lui en fait l'humble aveu , et JuDE
FRANCE. 17
liéri a encore la générosité de lui donner
dix louis .
Cet ouvrage tend entièrement à prouver
que le hazard peut prêter souvent à
la vertu l'apparence du crime ; mais
que le terrible châtiment de la providence
, quoique tardif, fait toujours
triompher la vérité de l'erreur . Cette
morale consolatrice est bien faite sans
doute pour prévenir le découragement
dans mille circonstances de la vie. Les
récits de Julieri , dans la prison , faits
souvent dans un style brûlant , suivant
qu'il se voit plus ou moins prêt de l'instant
qui va flétrir le reste de sa vie du
sceau légal de l'ignominie , ne nous
donnent pas à regretter notre jurispru
dence criminelle d'autrefois ; ils dévoi
lent l'erreur trop souvent commune des
magistrats suprêmes , et la conduite insolente
et basse en même-tems des magistrats
subalternes , dans les tems où
il écrivait.
L. D. B.
18 MERCURE
ALMANACH DES RENTIERS , dédié aux affamés ,
pour leur servir de passe-tems , par un auteur
inscrit sur le grand livre , un vol in- 18 , avec
fig. Paris , chez Cailleau , éditeur-propriétaire
du Mercure de France , rue de la Harpe , n.º
461 , en face de celle des Cordeliers : prix : 75
centimes.
Il est bon d'amuser les rentiers puisqu'on
ne les paye pas . Voici un petit
almanach qu'un de leurs confrères leur
offre pour étrennes. C'est un recueil de
bons mots , de petites pièces de poésies ,
de jolies épigrammes , d'anecdotes piquantes
, et de faits intéressans ; le tout
peu ou point connu , et sur - tout bien
choisi. Si ce recueil curieux peut suspendre
, un moment , les cruelles inquiétudes
de quelques rentiers , je m'empresse
de le leur indiquer. Voici une des anecdotes
: « On dit que M. C.... , comédien ,
» a fait une fortune des plus considé-
» rables ; qu'il a sept personnes à son
>> service , et qu'il ne parlé plus que par
» les pronoms possesifs , mon , ma ,
» mes , etc .; mon château , ma ferme ,
» mes bois ... Un plaisant , à qui l'on fai-
>> sait cette remarque , demanda s'il di-
» sait aussi ma femme ».
DE FRANCE. 19
UNE É PIGRAM M E.
D'une satyre débonnaire ,
Champagne , trop cruel auteur ,
Fait mourir de faim son libraire ,
Et d'ennui son pauvre lecteur.
UNE AUTRE ANECDOTE.
« Un jeune homme , en tête -à- tête avec
» une beauté très -humaine , prenait des
» libertés décisives .
» dit- elle , vous me
» pour une autre.
» c'est pour moi ».
Monsieur , lui
prenez sûrement
Non , madame
L'ANNÉE THEATRALE ou ALMANACH DES SPEC
TACLES de Paris , pour l'an VIII , rédigé par
un observateur impartial, un vol. in-18. Prix :
75 centimes : Paris , chez Cailleau , éditeurpropriétaire
du Mercure de France , rue de la
Harpe , nº . 461 .
Cet almanach doit convenir à ceux qui
fréquentent les théâtres ; il peut être utile
aux directeurs , acteurs , etc .; et bien
certainement il ne plaira pas à tous les
auteurs.... mais c'est leur faute . Il contient
les lois , arrêtés , et actes du gouvernement
, relatifs aux théâtres ; des
notices nécrologiques sur les auteurs dra20
MERCURE
matiques , morts depuis peu ; la liste de
tous les théâtres de Paris ; les noms de
leurs administrateurs , directeurs , régisseurs
, acteurs , etc. , et enfin des notices
critiques sur toutes les pièces, qui ont
été jouées , l'année dernière , sur les différens
spectacles . Cette dernière partie
n'est pas la moins piquante. Il nous suffit
d'avoir indiqué le travail et le but du
rédacteur , pour faire sentir de quelle
espèce peuvent être l'intérêt et l'utilité
de cet almanach. L'éditeur se propose
de le faire paraître tous les ans. Ce recueil
pourrait devenir intéressant sous
le rapport de l'art ; mais il faudrait qu'il
ne sentit jamais , ni l'envie de plaire , ni
celle de nuire. La vérité seule , la vérité
décente cependant , devrait guider la
plume de l'observateur.
FANNY MORNA OU L'ÉCOSSAISE , Drame lyrique
en trois actes et en prose , par Ed. Favières
musique de Persuis. Paris , chez Cailleau ,
éditeur-propriétaire du Mercure de France
rue de la Harpe , n. ° 461 : prix un frane
vingt centimes.
Nous avons rendu un compte assez
étendu de ce drame , qui continue toùjours
de faire plaisir , pour nous dispenser
d'en parler encore. Nous nous conDE
FRA N CE. 21
tenterons de transcrire la romance suivante.
Fanny seule , au milieu du mélancolique
bosquet où elle se plaît , se
rappelle , avec amertume , les sermens
de l'ingrat qu'elle chérit toujours. Alors
il l'aimait , alors il lui disait :
Fanny , tu vois à tes genoux
L'amant qui t'aime , qui t'adore ;
Fanny , son plaisir le plus doux
Est de te répéter encore :
Je t'aimerai jusqu'au tombeau
Auprès de toi , toujours chérie ,
Le même jour verra s'éteindre le flambeau
De mon amour et de ma vie.
L
Constant , comme l'est dans son cours ,
Ce ruisseau dont l'onde est si pure,
Constant comme l'astre des jours ,
Fidèle amant de la nature ;
Je t'aimerai jusqu'au trépas ,
Je t'aimerai d'amour extrême ;
Je vivrai près de toi , je mourrai dans tes bras,
Et mon adieu sera : je t'aime,
*
Les directeurs de province doivent
s'empresser de monter cette pièce , trèsfacile
à établir , et dont l'intérêt touchant
émeut si délicieusement le coeur.
22 MERCURE
RÉPONSE AU MANIFESTE DE LOUIS XVIII , par
.... avec cette épigraphe :
L'honneur est comme une île escarpée et sans bords ,
On n'y peut plus rentrer dès qu'on en est dehors.
BOILEAU.
deux volumes in- 18 , avec fig. Paris , chez
Rochette , imprimeur , rue et maison de Sorbonne
, no. 382. i
•
« Le passage d'une révolution , dit
>> l'auteur dans sa préface , est toujours
>> funeste aux hommes probes qui exis-
>> tent pendant l'orage : là , l'intrigant se
» jette dans les rangs et parle haute-
>> ment de vertu ; la multitude , qui n'a
pas encore eu le tems de juger les
>> hommes par leurs actions , est faci-
» lement trompée par ces charlatans ,
» et ce sont eux qui obtiennent presque
» toutes les places. Qu'en résulte - t- il ?
» des forfaits . Le peuple oublie quel-
» quefois , pendant leur règne , les souf-
» frances de ses anciens tyrans , et se
» trouve disposé à s'abandonner à toute
» la vengeance du pouvoir , sans calcu-
» ler quelles en ont été dans tous les
» tems , et quelles en seraient encore
» les conséquences ».
Ces lignes , que je viens de transcrire
DE FRANCE. 23
annoncent l'intention de l'auteur ; elle
est excellente , mais il fallait une autre
plume que la sienne pour la remplir ; il
fallait aussi d'autres moyens. Ce passage
que nous avons choisi est peut - être.
le morceau écrit le plus purement de
tout l'ouvrage ; ce n'est pas donner une
idée bien avantageuse du reste . Les épithètes
infâme , horrible , sanglant ,
exécrable , à jamais execrable , y sont
entassés les unes sur les autres : il est
presque impossible de lire . C'est le style
des journaux de 93 ; c'en est aussi la
manière de voir. Le citoyen R..... est
persuadé qu'un roi doit être un scélérat.
En réfléchissant , on doit effectivement
croire qu'un homme qui jouit d'un pouvoir
absolu , et qui est entouré des préjugés
attachés à son rang , et des passions
de ceux qui l'approchent , doit nécessairement
trouver mille occasions d'agir
comme s'il était hors de la ligne commune
; mais , pour l'honneur de l'humanité
, croyons qu'il peut se trouver
un honnête homme sur le trône . Haïssons
la royauté , jurons en la haine ;
mais ne délirons pas , pour prouver que
le gouvernement républicain , par la
raison que personne ne peut s'y mettre
au dessus des lois est le meilleur
celui qui tient l'homme dans une situa-
-
24
MERCURE
tion plus libre et plus noble. République
sifinifie Vertu ; Monarchie , signifie
Crime , dit l'auteur. Voilà une plaisante
manière de raisonner . Il faut
laisser à ceux qui en sont capables , le
soin de défendre une telle cause : un
zèle que le talent ne seconde point ne
produit qu'une défense ridicule ; c'est
alors donner des armes contre soi.
Au surplus , le citoyen R..... qui n'a
cependant pas envie de plaisanter , ne
se donne pas tout - à - fait la peine de
cacher certains principes , qu'il sait bien
n'être pas très - propres à faire aimer le
gouvernement populaire , mêmes aux
sincères républicains . Il loue la fermeté
que l'on montra du tems de la Convention
; il attribue les excès révolutionnaires
au royalisme. Il suit , à ce
sujet , une logique toute particulière :
suivant lui , le régime de ce tems ne
peut que faire détester davantage la
royauté ; tous les députés envoyés en
mission avaient , chacun dans leurs
départemens , l'autorité des rois ; ils le
furent donc , et agirent en conséquence.
Le citoyen R..... raisonne à sa manière,
et ne raisonne pas , cependant , si mal
en cet endroit ; mais il fait rire , et ce
n'est pas sa faute . Son premier volume
est une analyse rapide de l'histoire de
la
DE FRANCE. 25
la Révolution ; on peut deviner comment
il juge. La seconde partie n'est
qu'un abrégé des crimes des rois , de
Lavicomterie.
L'auteur fait dans un endroit une
réflexion très-judicieuse , qu'on devrait ››
mettre plus souvent sous les yeux de
ces hommes qut ne jugent jamais que
par de fausses comparaisons. « La génération
qui commence , dit - il , ne
>> connait les . rois que de nom , et la
» vieillesse est assez injuste , pour com-
» parer aux regnes luxurieux , et en
» apparence paisibles , de Louis XV et
» de Louis XVI , les crimes , les dé-
» sastres et tous les malheurs qu'amène
>> inévitablement une révolution qui
>> froisse les intérêts ou les préjugés de
>> plusieurs millions d'hommes ..... Je ne
» souffrirai jamais , ajoute - t- il , qu'on
>> mette en parallèle une monarchie
» tranquille avec un pays en révolu-
» tion ; c'est vouloir comparer un corps .
>> en santé avec un corps malade. »
Un ouvrage dont le citoyen R ......
donna l'idée , serait certainement trèsutile
dans les circonstances présentes ;
mais pour qu'il atteignit autant que
possible , son but , il faudrait que
teur n'eût jamais été qu'un simp
toyen , ( on en sent la raison )
Tome IX. B
26 MERCURE
drait qu'à un civisme épuré de tous les
miasmes pestilentiels des partis , il joiguit
une philosophie éclairée , un grand
talent et la réputation d'un homme qui
n'a jamais cherché à s'élever. Il serait
écouté , Par
parce qu'on n'aurait pas le
droit de lui supposer un intérêt personnel.
J.
MEUR S.
LE BAL.
Il est certaines choses qui se passent journellement
sous nos yeux et auxquelles nous ne prenons
pas garde , parce que l'habitude de les voir
nous les a rendu familières ; cependant , lorsque
nous examinons plus attentivement ces mêmes
choses , lorsque nous nous appésantissons sur
elles , alors elles prennent un caractère tout
différent , elles sortent du cercle des choses ordinaires
où l'usage les avait placées , et ce
qu'hier nous regardions comme naturel nous
paraît aujourd'hui singulier et extravagant : telle
est la Danse .
Des hommes qui dansent , a dit je ne sais
quel auteur , ne different des fous qu'en ce que
leur folie dure moins longtems : en effet , qui ne
serait tenté de prendre pour autant d'insensés
tous ces êtres qui sautent , se démenent , vont
en ayant , en arrière , à droite , à gauche , et
tout cela d'un air aussi sérieux que s'il s'agissait
de la chose du monde la plus utile et la plus
essentielle ? mais vous avez tort , me dira- t -on ,
DE FRANCE. 27
T
de vouloir fronder un plaisir tout- à- fait innocent
et qui ne se prend aux dépens de personne...
fronder !... ah ! A Dieu ne plaise que je
veuille vous faire un crime d'un amusement !
ômes chers Concitoyens ! chantez , dansez
amusez-vous , alors vous ne vous occuperez pas
de questions politiques et la chose n'en ira que
mieux chantez , dansez , amusez -vous , et vous
verrez renaître l'âge d'or dont nous ne connaissons
plus que le nom : chantez.... mais je
m'égare. Revenons à nos moutons :
:
Je suis au bal , car vous saurez que moi , qui
fais ici le philosophe , j'y vais pourtant et que,
j'augmente quelquefois le nombre des fous ;
d'après cela , je puis parler savamment et personne
ne pourra se fâcher. Je suis donc au bal
mais aujourd'hui je suis raisonnable et je ne
danse pas ; je m'enterre dans un large fauteuil
et , la tête appuyée sur ma main , j'examine et je
réfléchis. Que vois -je ? ( remarquez bien ici que
mes idées se sont élevées par dégrés , que je ne
suis plus moi , et que je vois tout ce qui se passe
sous mes yeux , comme si j'arrivais du Congo. ) ,
Le premier coup d'archet est donné ; aussitôt :
une commotion générale se fait sentir dans la
salle , les uns vont à droite , les autres à gauche , ›
ceux-ci se pressent , ceux-là se heurtent , tout
est en mouvement : bientôt après j'apperçois.
distinctement plusieurs quadrilles composés
d'hommes et de femmes , ils sont droits comme
des piquets , les cavaliers mettent leurs gands
les dames retroussent l'énorme ampleur de leur
queue. La musique se fait entendre de rechef:
aussitôt un homme et une femme , qui ne se
sont jamais vûs , qui peut-être ne se reverront
jamais , s'avancent gravement vis -à- vis l'un de
l'autre , tournent dos à dos , font la poussette ,
B 2
28 MERCURE
le balancer , puis revenant à leurs places , prennent
leurs danseuses et les entrainent en leur
disant ; la queue du chat. La queue du chat ! ...
qui m'expliquera d'où vient cette expression
bisarre , eten quoi deux personnes qui marchent
côte à côte ressemblent à une queue de chat ? Si
l'ordonnateur du bal s'avisait de crier , la queue
du chien au lieu de la queue du chat , tout le
monde partirait par un grand éclat de rire ';
cependant pourquoi ne serait -ce pas aussi bien
une queue de chien que celle de tout autre
animal ? Voilà comme l'usage a consacré les
mots les plus extraordinaires . La contredanse
est terminée et l'on se repose : on en a besoin , je
vous assure , car chacun sue comme s'il venait
d'enfoncer des pilotis ; mais ce repos durera- tillongtems
? non à la danse , comme à la guerre,
nous sommes infatigables . Ce ne sont plus des
quadrilles maintenant , on est deux à deux , bras
dessus , bras dessous , comme si on s'était connu
toute la vie , on marche en procession : an
moins , dis-je , cette danse- la n'est pas fatiguanté,
chacun , en se promenant ainsi , va sans doute
entretenir sa danseuse de choses agréables : ce
n'est pas cela , beaucoup font très-bien un rigaudon
et ne savent pas dire deux mots de suite
chaque cavalier saisit sa Dame et les voilà qui
tournent comme des tontons , rien ne les arrê→
te , ils s'échappent , ils passent avec une vélocité
et une rapidité inconcevables , ils accro-, ›
chent les fauteuils , les musiciens , les quinquets
, c'est égal ; ils vont toujours leur train :
moi , qui crains d'être entrainé dans ce tourbillon
, je tente de in'esquiver , mais je suis arrêté
en chemin ; un peloton me choque , je tombe ,
et tous les tontons tombent sur moi. Je me
retire avec peine et tout froissé de ma chûte
DE FRANCE. 29
Je me dis en m'en allant : ó nations policées !
avez vous droit de trouver ridicules , les coutumes
des peuples barbares , puisque vous dansez ?
MELY JA NIN.
S-PE- C TACLE S.
THEATRE DES JEUNES ARTISTES ,
Rue de Bondi.
Troisième jour complémentaire.
CASSANDRE AVEUGLE , Vaudeville en un actes
LE
E jeune Notaire qui , dans la troupe des
Petits Artistes , remplit les rôles de Cassandre
et autres grimes , avec beaucoup de succès ,
a été aveugle pendant trois mois. Le
vaudeville de Cassandre aveugle a été fait
pour sa rentrée au théâtre cette pièce , fort
légère pour le fonds , a outre le mérite de
Fa-propos , celui d'être semée de très jolis
couplets. 19
9.
-
Le citoyen Désaugiers , connu par le Testament
de Carlin , et le citoyen Jacquelin
sont auteurs de cet im-promptu.
THEATRE DE L'AMBIGU- COMIQUE.
Cinquième jour complémentaire.
L'ACTEUR DANS SON MENAGE , Vaudeville ,
en un acte .
Aucun rapport avec le charmant opéra de
Auteur dans son Ménage , du citoyen Gosse
B 3.
30
MER CURE,
sujet imité d'une anecdote attribuée au citoyen
Saint-Phal , artiste distingué du théâtre français.
Du Dialogue, du sentiment , de la délicatesse.
Quelques longueurs , des enfans
raisonnant trop pour leur âge. - Succès.
Cette pièce est du citoyen Boullaut.
-
---
THEATRE DES VICTOIRES NATIONALES ,
RUE DU BACQ.
Premier Vendémiaire .
LES DANGERS DE L'AMBITION , Drame en cinq
actes et en prose. •
་་་
T
Encore un drame imité de l'allemand . Celuici
n'est pas de Kotzbüe ; mais il n'en a pas
eu moins de succès dans le vaste empire de la
Germanie , où il a été représenté sous le titre
du Joueur. Beaucoup de nos lecteurs vont croire
que nous allons établir une comparaison . Hélas !
cette pièce ne pourrait la supporter. Elle est trop
au-desous du Joueur de Regnard , et du Beverley,
de Saurin. Mais , nous dira-t - on, dans vos analyses
précédentes , vous vous êtes montré trèspartisans
de ces sortes de drames . Oui , dans
le principe , nous avons encouragé , avec tous
les amateurs de l'art dramatique , les gens de
lettres estimables qui travaillaient à enrichir notre
théâtre des chefs - d'oeuvres étrangers : mais la
plûpart , au lieu de profiter seulement du sujet ,
pour devenir ensuite créateurs , n'ont été que
des imitateurs serviles , sans goût et sans
moyens ; aussi les ouvrages de ces derniers
n'ont- ils parus un instant sur la scène française
que pour être ensuite ensevelis dans un oubli
éternel.
DE FRANCE. 31
Madame Pubertt, femme estimable et bonne
mère de famille , aimant trop le luxe et les dépenses
, a dissipé toute la fortune qu'e' elle avait
apporté en dot à son mari. Il faut absolument
se restraindre , et monsieur Rubertt signifie à
son épouse qu'il n'a plus d'autres moyens d'exis
tence que sa place de receveur des deniers publics
. Cependant l'intéressante Louise , fille de
Rubertt , a plu au jeune Charles , fils du contrôleur
des caisses publiques , homme riche et
d'un caractère à peu près semblable à celui du
Bourru bienfaisant. D'abord ce vieux financier
refuse de donner son consentement au mariage
des deux jeunes gens ; mais , toujours fidèle à
ses principes d'honneur , il ordonne bientôt à
- son fils de contracter cette union , dès qu'il
apprend que Charles a promis à Louise de
l'épouser. Le receveur Rubertt se consolerait
volontiers de la perte de sa fortune , si les
folles dissipations de son fils Édouard ne venaient
encore accroître ses chagrins . Ce jeune
étourdi est entraîné par de faux amis dans la
société d'une femme d'un très -haut ton , qui
l'a séduit par les dehors trompeurs d'un amour
invincible , et par une promesse solemnelle
mais feinte , de l'épouser ; et il devient chaque
jour la dupe des nombreux fripons qu'il y rencontre.
,
Ruberit veut absolument rendre son fils a
l'honneur et à la vertu. Edouard est impétueux ,
mais sensible. Il faut que la femme artificieuse
qui trouble sa raison , consente dans la journée
à lui donner sa main , ou il rompt à l'instant
tout commerce avec elle . Tel est le desir de
'M. Rubertt. Édouard retourne dans ce cercle
imposteur pour remplir les volontés de , son
père. Là , il se trouve en butte à de nouvelles
B 4
32 MERCURE
"
9
séductions . Les tables de jeu se dressent , on
le presse de s'y asseoir ; il ne peut résister à
cette passion fatale , qui le maîtrise , et il perd
tout ce qu'il possède , et cinq mille écus sur
sa parole d'honneur . On sait que ces sortes de
dettes , que la sottise humaine a rendu plus
sacrées que celles contractées même pour l'existence
, doivent s'acquitter dans les 24 heures .
Le créancier d'Edouard se présente chez lu
Notre infortuné , rongé par les remords , ne sait
plus quel parti prendre. Enfin il se décide
entre dans un cabinet voisin , et en sort bientôt
avec les cinq mille écus qu'on lui demande.
Comment le malheureux a-t - il pu se procurer ,
en aussi peu de tems , une somme aussi considérable
? Hélas , un faux honneur l'aveugle ,
et , pour se le conserver , il n'a pas craint de se
rendre coupable d'un crime infâme , et a soustrait
à la caisse publique les deniers confiés
à son père . Peu de tems après , le vieux contrôleur
vient recevoir le compte de caisse du
receveur Rubertt . Mais quel est le désespoir de
ce dernier , lorsqu'il trouve le déficit de la
somme soustraite . Il tombe sans connaissance ;
le contrôleur ne sait que penser , et accuse
madame Rubertt. Edouard , présent à cette
scène , ne peut taire davantage son secret , et
il's'avoue le seul coupable. Rubertt est rappelé
à la vie. Le contrôleur retire sur- le-champ son
consentement au mariage de Charles et de
Louise , et sort en menaçant d'aller tout déclarer
à la justice . Mais son bon coeur le ramène
bientôt auprès de cette famille malheureuse .
Il fait des reproches à Edouard, qui se repent
sincèrement , remet son porte -feuille entre les
mains de Louise , qu'il unit à son fils , et promet
, par ce mariage , de rétablir la fortune de
Phonnête Rubertt.
DE FRANCE. 33
"' Telle est , à-peu-près , l'analyse de ce drame,
dans lequel on rencontre de belles situations ;
mais qui n'est point arrangé pour la scène française.
Le traducteur n'a point su tirer parti de
son sujet. Cette pièce est un composé d'allées
et de venues éternelles . Il y a nombre de scènes
qui auraient dû faire un grand effet , si elles
avaient été développées. Le rôle principal ,
Edouard , est manqué , et ne produit pas l'intéret
dont il était susceptible . Cet ouvrage pêche
aussi par le style , qui n'est point en général
correct. Le titre des Dangers de l'ambition n'est
nullement motivé . Ce drame n'offre pas un
seul caractère ambitieux . Nous croyons que les
titres des Dangers de la séduction ou de la
coquetterie , ou celui de l'Ecole de lajeunesse ,
lui auraient convenu davantage . Quelques situations
de ce drame offrent des ressemblances frappantes
avec celles de l'Ecole des pères , du cit.
Peyre , ce qui nous ferait croire que ce littérateur
distingué a puisé son sujet dans la même source.
L'arrivée du médecin , au quatrième acte , quoique
très-vraisemblable , a paru ridicule . Le traducteur
aurait dû imaginer un autre moyen
pour, rappeler à la vie monsieur Rubertt ,
là étant trop allemand pour des français. Nous
ferons aussi quelques reproches aux acteurs qui
ont joué dans le second acte ; car il est de même
ridicule de les voir s'asseoir autour d'une table
et remplir leurs tasses de thé , pour.ne point le
prendre. Outre cela , la plupart ne savaient point
leurs rôles. Il vaut mieux retarder de quinze
jours la représentation d'une nouveauté , et la
jouer à la satisfaction générale . Les citoyens
Faur , Pompée, et le jeune acteur chargé du
rôle d'Edouard , ont été très - applaudis.
celni-
Ce drame a été imité de l'allemand d'Iffland,
B. 5
MERCURE T
par le citoyen Gamas , auteur de Michel Cer
vantes.
VARIÉTÉ S.
Tours , deuxième jour complémentaire ,
de l'an 7.
sur
UN professeur d'Ecole Centrale arrive à
Tours..... Il a perdu une petite somme
une voiture de foin ……... ( On sait que les gens
de lettres ne voyagent guères que sur la paille . )
Ge professeur arrive à Tours , s'adresse aut
Département ; l'Administration lui donne snrle-
champ une somme pour continuer sa route .
Le Professeur l'a acceptée à titre de prêt....
On observera qu'il avait prié les députés de
son département de lui avancer un peu d'argent
pour son voyage . L'argent lui a été , par
eux , nettement refusé.
Aux Rédacteurs du Mercure
Citoyens , n'en est-il pas de quelques ouvra
ges d'esprit comme de nombre d'hommes , qui ,
avec des talens et de la probité , restent dans
l'obscurité , et laissent à des sots et à des intrigans
la place qu'ils auraient dû occuper au
milieu de leurs semblables ? Ces jours passés , '
il m'est tombé entre les mains une petite brochure
, mal imprimée , sur vilain papier , traitée !
enfin comme ces rebuts de littérature , que l'avidité
, qui sait tirer parti de tout , trouve encore
, à l'aide d'un prix très-modique , le moyen
de faire circuler. J'avoue que , cette fois-ci , je
fus un peu comme les enfans , presque toutes les
DE FRANCE. 35
:
་
femmes , et tous les sots , je me laissai prévenir
par l'habit , et fus quelque tems sans daigner
ouvrir ma brochure de papier gris. Je m'en
répentis bien lorsque , lisant par hazard le titre ,
je vis qu'il s'agissait d'un ouvrage du célèbre
Wieland , le Voltaire de l'Allemagne. Je me
dis cet ouvrage-ci , fut-il d'un grand homme
ne peut être entièrement mauvais ; et , par une
autre prévention , avant d'avoir lu , je fis le
procès au barbare libraire qui avait assimil
production d'un homme de génie aux niaiseries
romanesques , qui vont continuellement
amuser les belles du jour et leurs soubrettes
en cela j'eus raison , Wieland qui , dans cet
ouvrage , a trop d'esprit pour amuser les lecteurs
à dix sous , n'êst pas vêtu d'une manière
assez décente , pour attirer le regard
difficile , des gens qui sont faits pour jouir de
sa conversation ; et voilà comment , lorsque le
physique n'est pas d'accord avec le moral , on
a tant de peine à se placer à son rang.
ก
J'en viens à ce livre , d'abord dédaigné , et
qui est maintenant mon favori. Il est intitulé
Pérégrinus protée ou les Dangers de l'enthou
siasme. L'idée de cet ouvrage vint à Wieland
en traduisant les oeuvres de Lucien . La diatribe
our cet auteur couvre de ridicule la vie et la
mort de Pérégriaus , ne lui plut point . Frappé ,
du caractère de cet homme singulier , il entre
prit de le venger , ou , pour parler plus sérieusement
, il résolut de s'en emparer , de le développer
, et de le présenter sous un jour propre
à échirer ses semblables . Pérégrinus , d'une
imagination vive , ardente , doué d'un coeur
sensible , et d'un esprit qui ne chérissait que
les illusions d'une vertu purement céleste ;
trompé d'ailleurs , dès le berceau , par une édu
B 6
36 MERCURE ·
cation superstitieuse , ne rêve que des choses
extraordinaires , et ne veut être heureux que
comme les esprits dégagés de la matière et
placés auprès des dieux ; on lui a sur- tout inspiré
un respect singulier pour la mémoire du
fameux Appollonius de Thyane. Il apprend
qu'une fille de ce second Pythagore se rend
célèbre dans le pays d'Halycarnasse , il quitte
aussitôt Parium , sa patrie , pour aller trouver
cette prophetesse , dont il est enchanté , et qui
l'initie aux mystères les plus secrets de Vénus-
Uranie , qui le fait même jouir du bonheur
d'Adonis . Jamais mortel n'avait été plus heureux';
le jeune enthousiaste n'imaginait pas un
sort plus doux pour les dieux eux-mêmes . Ce
ne fut cependant qu'une illusion ; une des.
Grâces qui entouraient Vénus , laissa échapper
un sourire ironique ; Pérégrinus y reconnut le
trait de l'humanité ; ses yeux se dessilèrent ,
et il ne vit plus , dans ses bras , qu'une des.
plus ardentes courtisanes qui ait été. Le voile
déchiré , il sut que sa prêtresse n'était qu'une
ancienne danseuse , qui jonait un rôle different ,
et que sa Vénus n'était qu'une riche et volup
tueuse romaine , à qui son mari avait laissé des
biens immenses . Il se crut alors même audessous
de l'humanité . Ce morceau , un des'
plus étonnans que l'on puisse lire , est plein'
de feu et de grâces , on ne peut s'en défendre ;
on est enthousiaste comme Pérégrinus , et
presqu'aussi heureux que lui.
Déchu du bonheur céleste , le jeune homme
fuit les lieux où on voulait le rendre heureux
encore . Bientôt il rencontre un prophête d'un
autre genre ; on le nommait Cérinthe . Il étonne
Pérégrinus , et le conduit dans une assemblée
mystérieuse , où il entend une morale qui le
DE FRANCE. 37
transporte de nouveau aux cieux . Le christianisme
commençait à se répandre , mais n'était
pas encore connu ; chacun en faisait des contes
à sa manière ; c'était dans une assemblée de
chrétiens que Cérinthe avait introduit Pérégrinus
. Celui-ci , entraîné encore une fois par
cette imagination , qui ne lui peignait rien que
sous une forme divine , se fit chrétien . Son père
venait de mourir ; il vendit son héritage , et .
en apporta le prix aux pieds de Cérinthe , qui
s'en empara sous le masque de la charité. Ön
l'initia aux nouveaux mystères , et il fut prêcher
l'évangile . Par suite d'événemens , il fut mis
en prison , et il s'applaudissait d'être sur le
point de jouir des palmes du martyr , lorsqu'une
femme entra dans sa prison , se dépouilla d'un
voile grossier , et lui laissa voir celle qu'il avait ,
cru la fille d'Apollonius , cette séduisante Théoclée
, avec laquelle il avait été presque aussi .
heureux qu'avec Venus- Uranie . Elle avait appris
son aventure , et venait le sauver. Une complaisance
de plus l'avait mise à même de disposer
de l'autorité du gouverneur , et elle avait
exigé la liberté de Pérégrinus. Cette fameuse.
prophetesse avait changé de métier ; elle était
alors chrétienne , mais avec les mêmes vues,
qu'elle avait été prêtresse de Vénus. Cérinthe,
était son frère ; elle apprit à Pérégrinus que
ce pontife , cet homme sublime qui lui paraissait
presqu'un dieu , n'était qu'un habile intrigant
, qui , profitant de la nouvelle superstition,
qui s'établissait , voulait sourdement se rendre
chef d'un empire qui , par la suite , devait être
aussi puissant que celui des rois mêmes ; depuis
peu elle était entrée dans les intérêts de
son frère , et elle invitait Pérégrinus à faire,
cause commune avec eux. Pérégrinus profita
38 MERCURE
et
de la liberté qu'elle lui rendait , mais encore
une fois éclairé sur la bassesse des vues humaines
, il ne voulut plus croire à la vertu ,
se fit cynique . Sous ce nouvel habit , il moralisa
les hommes , les gourmanda sur leurs vices ,
et ne réussit pas mieux que Diogènes , son .
modele. Enfin , las de la vie , il annonça solemnellement
, dans toute la Grèce , qu'il la quitterait
volontairement sur un bûcher qu'il allumerait
de sa propre main . I tint parole , au
milieu d'une multitude de monde accourue pour
voir ce spectacle d'un nouveau genre .
On sent qu'un cadre semblable ne peut être
rempli par une plume ordinaire . Wieland y
a aussi déployé un talent bien au-dessus du
commun. Il se montre , dans ce petit ouvrage ,
philosophe éclairé , et profond scrutateur du
eoeur humain. Quant à sa touche , elle est belle ,
large et pleine de noblesse. Je crois que cette
histoire de Pérégrinus se placera naturellement ,
par la suite , au nombre des bons ouvrages , et
ce nombre n'est pas très -grand.
J'avoue qu'après la lecture de ce livre , traduit
depuis cinq ans , et avec infiniment de
goût , par le citoyen Labaume , j'ai été étonné
de le voir aussi peu connu et aussi peu répandu
, malgré son prix plus que modique. Je
n'en vois que la raison que j'en ai donné. C'est
aux hommes éclairés et amis de la bonne littérature
, à venger Wieland de cette injure ,
que , dans tout autre tems , il n'eut pas reçu
dans notre patrie . Sous ce rapport , je crois
faire mon devoir , en le rappelant à la mémoire ,.
et je suis persuadé que les lecteurs de cette
feuille ne n'en sauront point mauvais gré. C'est
une nouvelle jouissance que j'indique à ceux
qui n'ont pas encore été à méme d'en profi
DE FRANCE. 39
ter ; c'est un hommage que je rends à un grand
bomme d'un autre pays .
Wieland doit être maintenant fort âgé. Ses
poésies font les délices de l'Allemagne . Au
milieu des préjugés , qui l'entourent , il sait se
montrer philosophe ; son Pérégrinus en est
une preuve. On nous a déjà fait connaître
de lui , Musarion où la Philosophie de Graces ,
poëme que les Grâces elles- mêmes semblent
avoir dicté ; PEpreuve d'Abraham ; poëme ,
inséré dans un recueil de poésies allemandes
composé par Huber , traducteur de Gessner ;
des Contes comiques , Agathon , Don Silviode-
Rosalva , Idris et Zenide , poëme ; Socrate
en Délire ; le Miroir d'Or ; l'Amour accusé
poëme ; les Abdérites , etc. Wieland , à qui
le travail est très - facile , et qui est obligé de
vivre du produit de ses ouvrages , a beaucoup
écrit ; il reste encore de lui nombre
d'ouvrages qui ne sont point traduits dans.
notre langue . Il a commencé en 1773 un
Mercure Allemand , dans l'espoir de donner ,
une bonne direction , à la littérature de
son pays , qui se sent encore d'une
taine grossièreté que les drames tudesques
nous ont mis à portée de counaitre . Il s'est
exercé dans plusieurs genres , et a vu ses
efforts couronnés par des succes flatteurs. 11
me suffit , en ce moment , de lui avoir rendu
justice en faveur d'un ouvrage qui est trop
bon pour avoir rien de commun avec ces
productions qui nous viennent du même pays ,,
et que nous accueillons si complaisamment.
cer-
PIERRE BLANCHARD .
40
MERCURE
MERCURE
DE FRANCE.
Du 5 Vendémiaire , an 8.
POLITIQUE.
NOUVELLES ÉTRANGÈRES.
LE
ALLEMAGNE.
Manheim , 28 fructidor.
E bombardement de Philipsbourg cessa
avant - hier dans la matinée , et on leva le
blocus.
Nota. La reprise de Manheim par les autrichiens
a été annoncée par le Télégraphe
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE .
PARIS .
MINISTÈRE DE LA GUERRE.
L'adjudant-général Dardenne , chef de l'étatmajor
de l'armée française en Batavie , écrit
du quartier-général d'Alkmaer , le troisième
jour complémentaire .
L'ennemi a attaqué ce matin , à quatreheures
, sur toute notre ligne : une colonne
russe , forte de six mille hommes , comman
DE FRANCE. 4r
s'est dirigée
dée par le général Hermann
sur l'avant-garde des troupes françaises , aux
ordres du général Vandamme ....... Le résultat
connu de cette mémorable journée , est que
l'ennemi a perdu deux mille hommes tués sur
le champ de bataille , huits cents blessés ,
dont la moitié le sont mortellement , quinze
cents prisonniers , parmi lesquels se trouvent
une quarantaine d'officiers de tout grade ; de
ce nombre est le général Hermann commandant
en chef les troupes de l'expédition russe ,
le colonel Stryk , blessé dangereusement ; on
leur a pris , en outre , cinq drapeaux et vingt,
pièces d'artillerie de divers calibres .
Nous avons eu trois cens hommes blessés ,
peu de tués.
La fête de la fondation de la République a
été célébrée au Champ de Mars. Le président
du Directoire a prononcé un discours dans
lequel il invitait tous les républicains à abjurer
de funestes divisions. Le ministre des Finances
a cité les départemens où l'emprunt forcé se
paye avec le plus de zèle. Celui de la Guerre ,
a lu les noms de ceux qui ont le plus contribué
à étouffer les troubles du Midi . Le
ministre de l'Intérieur a proclamé les belles
actions , et le président de l'Institut , les bons
ouvrages . Un bataillon de Conscrits a reçu
un drapeau .
Autant pour faire cesser les craintes que les
bons citoyens auraient pu concevoir , que pour
prévenir les trahisons , et apprendre à l'Europe
les véritables intentions des français , le
conseil des Cinq- Cents , sur la proposition de
Gareau , a adopté la résolution suivante :
42 MERCURE
.
Sont déclarés traitres à la patrie , et seront
punis de mort , tous négociateurs , généraux ,
ministres , directeurs , représentans du peuple
ou tels autres citoyens français qui proposeraient
, appuieraient ou accepteraient des conditions
de paix , tendantes à modifier , en tout
ou en partie , la constitution , ou à altérer l'intégralité
du territoire de la République , telle
qu'elle a été déterminée par la constitution ,
et par les lois qui ont prononcé des réunions..
FRAGMENT POLITIQUE.
Des sociétés populaires.
Fremier jour complémentaire.
:
On
EN 1792 les sociétés populaires sauvèrent la
liberté ; en 1793 elles la perdirent en l'an`7
de la république , la turbulence de ces mêmes
sociétés vient de forcer le gouvernement à
suspendre leur exercice . Aujourd'hui ,
en reclame la réorganisation comme moyen
de salut public. Pour obtenir cette réorganisation
, il faut donc qu'elles prouvent , et
l'avantage du droit , et celui du fait ; c'est-àdire
, qu'il soit démontré , non-seulement que
des citoyens quelconques peuvent légitimement
former une réunion politiqué , mais aussi que
cette réunion politique sera profitable à l'état.
Sur la première partie de cette question , l'acte
constitutionnel décide en faveur des réclamans.
La seconde trouve un appui dans mon opinion
particulière , mais avec des restrictions telles
que , désespérant de les voir jamais respectées ,
je concluerai bientôt moi -même à la clôture in
définie des sociétés populaires . B
DE FRANCE.
43
721
Oui , certes , ces réunions seraient d'un avantage
inappréciable à la république , si cenx qui
des composent , exempts de passions et de prétentions
, devenaient entre les gouvernans et les
gouvernés , des intermédiaires dont l'objet fut
de faciliter la confection et l'exécution des lois .
Lorsqu'une question serait agitée au corps
gislatif , par exemple , ils lui feraient connaitre
exactement les dispositions du peuple , ses
movens , ses facultés ; et le corps législatif ,
guilé dans son opération par ces avis précieux ,
décide it a question d'une manière d'autant
plus profitable à l'état , que les meilleures lois
sont celles qui s'accommodent davantage au caractère
et aux moyens des hommes qu'elles
doivent réir. Les sociétaires ensuite se présenteraient
devant le peuple , se serviraient de
leur influence sur lui pour assurer l'exécution
de l'acte législatif , en feraient ressortir adroitement
tout le mérite , et, par de sages commentaires
, lui rendraient chacun de ses détails
familiers . La législation d'un peuple qui posséderait
de tels amis , serait parfaite , et ses
actes ne trouveraient jamais aucune opposition.
Il existe toujours une espèce de défiance des
gouvernés contre les gouvernans , à laquelle
cette institution porterait remède . De même
que par un sentiment naturel qui n'échappera
à aucun de ceux qui voudront sonder leur propre
coeur , plus un homme a de droits sur nous
plus il lui est difficile de nous persuader ; tandis
qu'au contraire de la parité des conditions
naissent ordinairement la confiance et une prévention
favorable . Dans le cas particulier , d'ailleurs
, nous croirons d'autant plus facilement
celui qui nous vantera l'excellence d'une lor ,
que relativement son intérêt est même que le
nôtre .
C
£ 21
44
MERCURE
Mais pour que les sociétés populaires offrent
cet avantage à l'état , il faut deux conditions
indispensables : il faut qu'elles se bornent aux
fonctions d'un écho fidèle , et il faut que les
gouvernans du pays où elles siègent , se montrent
constamment justes et amis de la chose
publique . Si elles prétendent au droit de discuter
les lois , elles sont un foyer de guerre civile : si
elles demeu ent fidelles aubut de leur institution,
et que les gouvernans commettent des abus de
pouvoir , elles deviennent les instrumens de la
tyrannie. Sous un gouvernement dont les administrateurs
sont annuels ; il vaut cependant mieux
souffrir l'effet d'une mauvaise loi , qu'en prévenir
l'exécution par une guerre civile. Vous
savez combien de tenis , cette loi pésera suf
votre tête , et il ne tiendra qu'à vous ensuite de
l'abroger , pouvez vous de mênie calculer la
durée d'une guerre intestine , et jamais serez,
vous maître de mettre un terme à ses fureurs ?
Mais il n'est pas moins intéressant que cette
loi ne passe pas pour bonne dans l'opinion publique
; car alors ce mal , qu'on pouvait facilement
guérir , deviendrait incurable. Dans l'hypothèse
, la société populaire eut donc , par sa
résistance , excité la guerre civile , ou , en applaudissant
au législateur , perpétué le malheur
public . « Eh bien , me direz vous , il faut donc
» aussi enchaîner la main des écrivains . » Non
vraiment , vous répondrai-je , et je prétends au
contraire en faire une sauve-garde à la liberté.
Quel effet produit le journal ou la brochure
qui critique un acte législatif ? Il est , pour le
magistrat , un rappel à son devoir , et pour le
peuple , la dénonciation d'une mauvaise loi :
le législateur corrigera son ouvrage , ou , à la fin.
de l'année , par l'élection de magistrats imbus
de l'opinion générale , le peuple pourvoira à
DE FRANCE. 45
T'exclusion de cette mauvaise loi . « Mais , reprendrez
- vous peut - être , l'opposition de la société
populaire eut produit le même effet. »
Non , vous répondrai -je encore ; en pareil cas
l'effet d'un écrit est bien moins dangereux que
celui d'une discussion verbale. D'un côté , c'est
une protestation qui frappe įsölément chaque
citoyen ; de l'autre , c'est un examen qui a pour
témoin tons les citoyens à la fois , et dont le
résultat peut produire une révolte . Prouvez au
peuple assemblé qu'une loi est injuste , et il
refusera de lui obéir , et il voudra la combattre
à force ouverte ; administrez la même preuve
à chacun isolément ; chacun , par une défiance
salutaire des dispositions de son voisin , renfermera
soigneusement en lui- même son mécontement
, obéira provisoirement ; mais se
promettra bien , au terme des élections , de prendre
des mesures pour faire triompher son opi-"
nion particulière . Ce terme arrivé , chacun concourra
isolément à un effort général , et de
cette manière la justice reprendra bientôt ses
droits , sans que l'état ait souffert une secousse
violente. Cette observation devient encore plus
sensible , quand on songe que les meilleures
lois ne sont pas à l'abri de la censure ; et qu'on
se représente enfin combien les factieux sont
habiles à s'emparer des moindres circonstances
, pour semer le trouble et la division dans
l'état.
Les réunions politiques , repoussées par cette
discussion générale , perdent encore davantage ,
quand on regarde autour de soi , et qu'on exa-"
mine l'état de la République où on demande
leur formation . La République française , on ne
peut se le dissimuler , est dans un grand péril :
elle a presque entièrement perdue , en deux
46
MERCURE
ou trois mois , le fruit d'une longue guerre ,
faite avec succés , et , après une lutte aussi longue
que pénible , elle voit de nombreuses troupes,
ennemies la menacer de toutes parts. On
propose donc la réorganisation des sociétés po- ,
pulaires , et on prétend qu'elles seules peuvent
relever l'esprit public , et par contre coup sau➡
ver l'état. Je déclare franchement que je ne
partage pas cette opinion . Je pense , moi , qu'il
n'y a que l'union et une confiance entière au
gouvernement , qui puissent nous tirer de ce
mauvais pas. Si on entrave la marche des gou- :
vernans , ou qu'on les déconsidère , nous sommes
perdus , à jamais perdus. Je ne crois pas les
sociétés populaires propres à maintenir cette
union , et le caractère connu de ceux qui les ,
ont composées jusqu'à ce jour , et qui sans doute ,
en seraient encore les principaux personnages ,
ne me laisse non plus entrevoir rien de favorable
pour ce qui est de relatif à la confiance
constitutionnelle , mais entière , dont nous devons
environner , en ce moment , le pouvoir ,
exécuti . Allons plus loin , et disons que la situation
de certains esprits , relativement à plu- ,
sieurs membres de ce pouvoir exécutif , quel-i
ques phrases même échappées à ceux qui invoquent
la réorganisation des sociétés populaires ,
et leur agitation , en général , nous donnent la
mesure des maux que causerait bien certainement
l'admission de cette demande intempestive
. Depuis quelques jours , on entend circuler ,
des bruits injurieux au patriotisme d'hommes
qui furent cependant les fondateurs , et les
soutiens constans de notre République . Ces accusations
vagues et dénuées de toute vraisemblance
, ainsi répandues , sont peu dangereuses ,
parce qu'elles excitent le mépris de l'homme .
DE FRANCE.
47
éclairé , et qu'elles ne sont , pour la classe
moins instruite , qu'un vain propos sans appui
comme sans auteur connu ; mais si elles étaient
répétées au milieu d'une société , et par des
hommes revêtus d'un caractère públic , elles
acquéreraient alors de l'intérêt et déviendraient
pernicieuses : le peuple persuadé qu'il est effectivement
vendu à l'étranger par ses gouvernans
, opposerait encore plus de répugnance
aux sacrifices que les circonstances exigent de
lui , et le soldat , entendant sa tente retentir de
ces insinuations perfides , refuserait d'en ' sortir
pour combattre l'ennemi..
On parle de voleurs à poursuivre , d'abus à
dévoiler , de traitres puissans à démasquer.
J'aime bien qu'on poursuive les voleurs publics
; mais c'est quand on peut le faire , sans
alarmer le peuple par le spectacle trop nud
des plaies qu'ils ont faites à l'état . J'aime bien
qu'on dévoile les abus ou ceux qu'on croit
exister ; mais c'est quand on peut dévoiler les
abus , sans prêter des arines à la malveillance ;
mais c'est quand on peut se tromper sans'
danger pour la République. S'il existe des
traîtres , j'aime bien encore qu'on les démasque
; mais je n'aime point à voir le magistrat
chaque jour déconsidéré par des déclainations
virulentes , et la marche du gouvernement
ainsi entravéé , la sûreté de l'Etat ainsi compromise
par les visions d'un sot ou les
suppositions perfides d'un ennemi caché, Disous
encore que les recréations des sociétés
populaires , loin de porter le peuple à l'amour
de la République , est capable , par les allarmes
qu'elle inspirerait à une grande portion de
ce même peuple d'augmenter encore le
nombre des aspirans à la royauté . Un jour ,
1
48
MERCURE
peut-être , le français reconnaîtra qu'il ne doit
pas prescrire la chose à cause de son abus ;
mais il faut lui laisser le tems de réfléchir
et quand tous nos efforts doivent tendre à lui
fase envisager le gouvernement républicain ,
comme le meilleur gouvernement , ne point
proclamer une des ressources , ce qu'il appelle
un instrumeut de désordre et de tyrannie . Le
meilleur moyen de relever l'esprit public , est
de faire cesser l'état de crise et de gêne dans
lequel nous nous trouvons . Et certes , ce n'est
point en préparant de nouvelles scissions
parmi nous qu'on assurera la défaite de
l'ennemi ; ce n'est point en entravant par la
défiance les opérations des gouvernans , qu'on
accélèrera la paix .
Quand nos ennemis seront vaincus , quand
la paix sera faite , nous pourrons sans péril essayer
de le convaincre de son erreur. Les partisans
des réunions politiques proposeront alors
leurs moyens d'organisation , et nous verrons
si , formées sur ce modèle , elles offrent une
utilité réelle à l'état. Mais aujourd'hui il n'est
pas tems de faire cette épreuve dangereuse ,
il faut respecter l'opinion publique , et laisser
le pouvoir exécutif déjouer dans le calme et
le silence les efforts de la coalition , La constitution
lui a donné des surveillans , le corpslégislatif
le précède quelquefois , et l'accompagne
toujours dans la carrière politique ; il
sera notre sauve-garde.
HENRI LEMAIRE.
CAILLEAU , Éditeur-Propriétaire.
MERCURE
DE
FRANCE ,
Décadi , 10 Vendémiaire , an 8.
H.
POÉSIE S.
A LA VIOLETTE.
UMBLE fleur , hate-toi d'éclore ,
Zéphir est enfin de retour ;
N'es-tu pas pour la jeune Flore ,
Le premier fruit de son amour ;
Ta naissance est l'heureux présage
De la plus belle des saisons ;
L'hyver a quitté ce rivage ,
Quand tu renais sur les gazons.
Mais il semble que ta parure ,
Image des vives douleurs ,
Du trop long deuil de la nature
Conserve encore les couleurs.
Tels , à l'aurore de notre âge ,
Après les larmes , les soucis ,
Nos yeux , sont, d'un léger nuage
Quelque tems encor obscurcis,
Tome IX. C
50 MERCURE
DES pleurs du fils de Cythérée ,
Autrefois , dit- on , tu naquis ,
Sur la bouche décolorée
Du jeune et sensible Adonis ;
Non , d'Amour , tu n'es pas l'ouvrage :
Comment , depuis , unirais- tu
La timide pudeur du sage ,
Et le parfum de la vertu ?
QU'UNE autre , forçant la nature ,
Se plaise à transplanter des fleurs ,
Dont-il change , par la culture ,
Et le climat et les couleurs ;
Moi , sur le sol qui t'a vu naître ,
J'irai jouir de ta beauté ;
Dans un asyle moins champêtre ,
Tu perdrais ta simplicité.
H. M. SERIGNY.
Ci-devant au 20º. régiment de Cavalerie,
STANCES ANACREONTIQUES,
ASSIS sous un dais de verdure ,
Tapissé des fleurs du printems ;
J'ai vu , sous la simple parure ,
Des objets très intéressans.
J'AI vu , très-blonde chevelure ,
Flotter au gré du doux Zéphir ;
Sur un col de belle structure
J'ai vu, j'ai goûté ce plaisir,
DE FRANCE. 31
J'AI vu tête bien agréable ,
Offrir les traits de la douceur ;
J'ai vu femme la plus aimable ,
Sûre de conquérir un coeur.
J'AI vu , quelle volupté pure !
Pour un mot dit en badinant ,
La vive et prudente nature ,
Lui donner coloris charmant.
J'AI vu , sans crainte d'aucun blâme,
J'ai vu l'éclat de deux beaux yeux ,
Imprimer au fond de mon ame ,
Un sentiment délicieux.
SUR des lèvres couleur de rose ,
J'ai vu sourire gracieux ;
J'ai vu de mon bonheur la cause ,
Et le bon goût de mes ayeux.
SOUFFREZ que je vous remercie,
Grace à vos soins , j'ai bien tout vu j
J'ai vu votre charinante amie ,
Qui , foi d'honneur , m'a beaucoup plu.
Si ses yeux étaient de nature ,
A me voir ainsi que j'ai vu ;
Je rirais de mon aventure :
Mais je crois que c'est tems perdu.
LE BOURGEOIS.
C 2
52 MERCURE
IMITATION ( 1 ),
Du passage des Géorgiques de Virgile :
Qualis populeâ mærens . etc. lib. 4.
EN longs gémissemens exhalant sa douleur ,
Telle , sur un ormeau , Philomèle attendrie ,
Appelle ses petits , que , d'une main hardie ,
A ravis , de son nid , le cruel oiseleur ;
Chers petits , qui n'avaient déjà vu qu'une aurore ,
Et n'étaient revêtus d'aucune plume encore.
Sur sa branche , la nuit , et pleurant jusqu'au jour ,
Elle remplit de cris tous les bois d'alentour.
" GEOUFFRE -LAPRADELLE
( 1 ) Ayant vu six imitations du même morceau dans le journal
des Muses , et par des auteurs célèbres , il y a peut-être de la témérité
à paraître sur les rangs : je reconnais assurément mon infériorité.
Mais on ne blâmera pas les efforts que i'avais faits , il y a
plus de dix ans , pour exprimer , telle que je l'avais sentie , l'idée
du poëte latin.
Explication de la Charade , et de l'Énigme da
numéro précédent,
; Le mot de la Charade est Tourbillon ; celui
de l'Enigme est la Mort,
DE FRANCE. 53
ENIGM E.
JEUNE et piquante ,
Appétissante ,
Corsage rond ,
Et fort mignon ;
Fraîcheur charmante ,
Que l'onde augmente,
Teint blanc de lait ,
Carmin parfait ;
Aimant village ,
Et jardinage ;
Oh ! t'y voilà ?
Lecteur , hold !.
Voici la crise ,
Qui dépayse
.....
Ton esprit prompt :
Joins au crayon
Qui te dessine ,
Nymphe lutine ,
Des cheveux verts ,
Barbe à l'envers ,
Et fort prolixe ;
Puis , des yeux -,
Ce tableau mien ;
fixe ,
Que tiens-tu ? Rien:
J. C. F. C. de Péronne.
C 3
54
MERCURE
LOGO GRIPH E.
AUTOUR d'un tapis verd , souvent , ami lecteur ,
Je sers à tes plaisirs , et tu fais ma partie :
Mon héros est homme de coeur ;
Je lui crois cependant de la poltronnerie ,
Car il ne sort qu'en compagnie ,
Toujours une lance à main ,
Quand , pour courir la bête , il se met en chemia.
Il marche sur huit pieds que tu peux retourner ,
De diverses façons , pour mieux le deviner.
Cherche d'abord deux notes de musique ;
Le résultat heureux d'un talent méchanique ;
De la déesse des Amours ,
Les favoris , les chevaliers d'atours ,
Que j'ai , par fois , vu déserter Cythère
Pour folâtrer avec Glycère ;
Un reptile rongeur ; un vase transparent ,
Qui te charme , rempli d'un aï petillant ;
Pour tirer droit ', ce qu'il faut savoir faire ;
Ce qui , souvent , au milieu du sommeil ,
Nous plait , et disparaît à l'instant du réveil ;
Un titre qu'on donnait au roi dans les placets ;
Et qui toujours savait lui plaire ;
Ce que l'on craint dans ces cabriolets ,
Que l'on rencontre par douzaine ,
D'où l'on peut sans sortir , et même de plein- pić ,
Entrer à l'entre-sol , sans en avoir la clé ,
-
Ni se donner beaucoup de peine ;
Ce qu'avec fermeté nous devons supporter ,
Quand il plaît au destin de nous les envoyer.
Enfin , lecteur , ce que je viens d'écrire ,
Puisse- tu ne pas trop t'ennuyer à les lire.
G. M. de Meaux.
DE FRANCE. 55
MÉLANGES.
ARTUS ET MORGAN E.
CONTE.
ALLONS , mes enfans ,
approchezvous.
La veillée commence , et , dans les
longues soirées d'hyver , il faut , à la
campagne , trouver les moyens de s'amuser.
Que ferons -nous ? Les cartes vous
ennuyent et m'endorment
. Eh bien !
Causons , racontons des histoires ; je
vais vous donner l'exemple .... Ma
Julie , tu me succéderas ; ton frère
Auguste ensuite nous récitera quelquesunes
des fables que je lui traduis des
langues étrangères ; ainsi nous gagnerons
l'heure du souper. Mais quel sujet
choisir ? Je voudrais , s'il était possible
joindre dans mon conte l'agrément à
l'utilité ; car je me garderai bien d'effaroucher
votre imagination jeune encore
par des avantures à l'anglaise. Les spec
tres , les fantômes , les cachots , les sorciers
, les poignards , lugubre attirail des
romans diaboliques dont grâce au "
C 4
56 MERCURE "
mauvais goût , on nous régale depuis
quelques-temps ; tout cela fait frissonner
d'horreur.... Attendez ; je me ressouviens
d'avoir lû , l'autre jour , dans
un vieux chroniqueur ultramontain une
historiette qui pourra vous amuser. Je
vous ai parlé quelquefois de la chevallerie
. Ecoutez une aventure merveilleuse
qui arriva au fils de Pendragon , à ce
brave Artus , frère de la fée Morgane ,
à celui -là même qui institua l'ordre des
chevaliers de la table ronde qu'on montre
encore aujourd'hui au château de
Winchester.
9
Un jour Artus étant à la chasse s'égara
dans une antique forêt. La nuit
survint. Accablé de fatigue , il cher
chait , mais inutilement , un azile pour
y attendre le retour du soleil . Tout - àcoup
, s'offre à ses regards un cerf dont
le bois orné de perles brillantes répandait
au loin l'éclat de la plus vive lumiè
re. Artus étonné d'abord ' , suit bientôt
l'animal , dans l'espérance de le saisir,
Après avoir long-temps couru envain ,
il découvre sur sa droite une plaine
agréable et fertile . Au milieu , s'éleve
un petit mont pierreux , dans le flane
duquel est pratiquée l'ouverture d'une
caverne sombre . Un sentier tortueux
'étroit et difficile conduisait dans l'inté-
↓
DE FRANCE. 57
1
rieur. C'est-là que se précipite le cerf à
la ramure éclatante. Artus descend
aussitôt de son coursier qu'il attache à
l'entrée de la grotte , et suit avec peine
les traces de l'animal léger. A la clarté
de la lumière , il pénétre si avant , qu'il
croit descendre sur les rives infernales :
mais voilà qu'une Nymphe traverse ,
tout près de lui , un sentier pierreux.
Sa robe , couleur d'azur , était parsémée
d'éméraudes et de rubis étincelants .
A peine le cerf l'apperçut , qu'il vint
docilement se coucher à ses pieds. Artus
dit alors : ô toi qui nourris un animal
aussi précieux , aimable divinité !
sois moi propice. Daigne m'apprendre
où je suis , et si cette grotte s'enfonce
encore bien avant ; dis moi quels sont
les habitans de ces lieux ; car , puisque
je t'y vois , belle Nymphe , je ne dois
pas ailleurs les trouver déserts . Mais
toi , reprit-elle , qui es tu ? D'où vient
qu'abandonnant la surface émaillée de
la terre , tu as pénétré dans les abîmes
qui recèlent les secrets de la nature ? Il
faut qu'un courage , plus qu'ordinaire ,
t'enflamme ; il faut que tu sois un héros ;
autrement , mon cerf ne t'aurait pas
attiré dans ces lieux . Je suis , rondsimplement
Artus , le fils de Person
- Et la Nymphe aussitôt : stre, et
-
EP
58 MERCURE
vaillant chevalier , le voyage que tu entreprends
ne sera pas infructueux. Tu
vas voir Morgane ; mais en allant rejoindre
cette illustre Fée , tu connaîtras les
merveilles que la terre renferme dans
son sein ; tu connaîtras même encore
la structure de l'univers et la voûte merveilleuse
dont le divin architecte a couronné
son ouvrage ; si tu le désires , tu
monteras sur une montagne_dont_la
cîme touche au firmament. Là , sous
ses pieds , Morgane voit rouler le globe
terrestre . Je vais t'y conduire ; suis - moi.
A ces mots , elle se fit précéder de son
cerf dont le bois lumineux dissipait
l'horreur des ténébres et reflettait un
éclat éblouissant sur les objets renfermés
dans ces voûtes obscures .
Ils marchent . Sur la route s'offrent à
leur rencontre des Nymphes occupées
de travaux divers . Artus émerveillé s'arrête
et demande à sa conductrice :
Mais quel est le soleil qui dissipe l'épaisseur
de ces ténèbres ? D'où provient le
bruit qui frappe mes oreilles ? - Te
voilà , répond la Nymphe , bien plus
renfoncé que tu ne l'imagines , dans les
entrailles de la terre . Le soleil qui t'éclaire
là haut , ne peut ici trouver de
passage et ce jour est d'une autre nature.
Il jaillit des angles opposés de ces
DE FRANCE. 59
couches de diamans imprégnés de mille
et mille couleurs différentes. Ce que les
mortels prisent le plus , se forme dans
ces grottes mystérieuses . Tourne de ce
côté les regards ; tu verras dans leurs
atteliers les filles de la terre travailler
les matériaux bruts les pétrir , leur
imprimer les formes particulières sous
lesquelles chaque espèce doit paraître
au jour.
Et en effet , Artus est saisi d'étonnement
en parcourant des yeux cet immense
laboratoire d'où s'élève un murmure
sourd , pareil aux vents déchaînés
, quand ils s'engouffrent dans les
forêts. Nul silence ne l'interrompt , une
Nymphe épuisée de fatigue se reposet'elle
quelques instans ? Une autre aussitôt
lui succède et continue sa tâche.
Ainsi leur active industrie compose l'or ,
l'argent , les autres métaux les diamans
, le marbre , le porphire ; ainsi
d'autres remplissent sans cesse les inépuisables
réservoirs des lacs , des fleuves
et des fontaines. D'autres encore dirigent
vers la surface de la terre le souffre ,
le nître et les sels ; d'autres enfin préparent
, élaborent ces sucs végétatifs qui
nourrissent les herbes et les plantes . Le
héros voit aussi les sources bouillonnantes
des matières bitumineuses qui
C 6
MERCURE
s'élancent , à travers des torrens de fumée
, des cratères de l'Etna , du Vesuve
et des autres montagnes . Il découvre
l'origine des vapeurs dont le mêlange
hétérogène produit dans la plaine éthérée
ces feux , ces météores , ces éclairs
qui frappent de terreur les Nations tremblantes
.
9
Mais un mugissement horrible , semblable
à celui d'un taureau prêt à se
mésurer avec son rival , fixe tout -àcoup
son attention. Il en demande la
"cause. Dans ces cavernes obscures
répond la Nymphe , gissent les corps
monstrueux de ces Encelades qui , las
de rester emprisonnés , murmurent ,
éclatent , secouent , déchirent la terre.
Plus loin , entends le bruissement des
'mers. De leurs gouffres profonds elles.
précipitent leurs flots. Leurs flots de
nouveau s'abyment et sont de nouveau
revomis au jour . Mais nous approchons
de l'asyle heureux qu'habite la Fée qui
se dérobe avec soin aux regards du
vulgaire . Prends courage. Tu recevras.
un gage précieux de son amitié pour
toi peu de mortels , jusqu'à présent
ont obtenu la faveur de la voir. Quand
on y parvient , on ne la quitte jamais ,
sans être dédommagé de ses fatigues
avance donc ; elle prévoit ton arrivée .
Je te quitte.
DE FRANCE. 61
A ces mots , la Nymphe retourne
sur ses pas ; et le héros continue sa route,
toujours à la lueur de la brillante ramure
du cerf qui le précède. Enfin un jour
plus pur , une lumière plus vive que
celle du soleil , éclate à ses regards
éblouis et confondus .
( La suite au numéro prochain. )
NOUVELLES LITTERAIRES.
VOYAGE DANS LA HAUTE ET BASSE ÉGYPTE , fait
par ordre de l'ancien gouvernement , et contenant
des observations de tous genres , par
C. S. SONINI , ancien officier-ingénieur de la
marine française , et membre de plusieurs
sociétés savantes et littéraires , avec une collection
de 40 planches , gravées en tailledouce
, par J. B. Tardieu , contenant des portraits
, vues , plans , cartes géographiques ,
antiquités , plantes , animaux , etc. , dessinés
sur les lieux , sous les yeux de l'auteur ; trois
forts volumes in-8° , Prix , 21 francs , brochés,
et 26 francs par la poste , francs de port ; en
papier velin , 42 fr . , non compris le port ; en
papier ordinaire , avec planches enluminées ,
26 francs. Paris , chez F. Buisson , imprimeurlibraire
, rue Haute -feuille , n.º 20.
Le nom de Sonini , l'ami et le coopérateur
de Buffon , doit attirer l'attention
sur ce voyage ; les circonstances
62 MERCURE
"
doivent aussi ajouter à l'intérêt qu'il inspire
par lui- même. L'auteur ne s'est volontiers
décidé à le donner au public , en
ce moment , que par rapport à ces circonstances.
Il aurait eu tort cependant
de le laisser dans l'oubli ; il aurait privé
les sciences , sur- tout celles qui tiennent
à la physique et à l'histoire naturelle
d'une foule d'observations précieuses .
Un homme , tel que Sonini , ne peut que
voyager utilement pour ses semblables ;
il å senti , par la suite , que ce zèle qui
l'avait porté à faire tant de sacrifices
pour les sciences ne lui permettait
point de condamner à l'oubli le résultat
des travaux , entrepris uniquement dans
la vue de les faire tourner à l'avantage
de ces sciences , et , par suites naturelles ,
à celui de sa patrie. L'expédition de l'Egypte
a réveillé à ce sujet sa conscience.
Voici comment il s'en explique luimême
. « L'Egypte , dégradée de nos
» jours , et repaire de brigandage et de
» barbarie , peut espérer enfin de re-
» prendre l'éclat dont elle brilla jadis .
» Devenue la possession d'un peuple
>> non moins célèbre que celui dont l'antiquité
se glorifie ; cette contrée fameuse
que des siècles , écoulés pour
>> la destruction , avaient rendue mécon-
» naissable , remontera vers son antique
DE FRA N C E. 63
>> renommée . Les hommes , comme le
» territoire ; le pays , comme sa popu-
>> lation , vont prendre un nouvel as-
» pect , et bientôt l'Egypte ne sera plus
» ce qu'elle était naguères.
» Il ne pouvait donc être indifférent
>> de faire connaître l'Egypte telle que
>> les français l'auront trouvée ; de pein-
>> dre les moeurs des différens peuples qui
>> l'habitaient , et chez lesquels la civilisa-
» tion succédera à la grossière et féroce
» ignorance ; de décrire les débris des
» monumens augustes , épars sur un sol
> enorgueilli de leur hardiesse et de leur
» masse prodigieuse ; de dessiner quel-
» ques traits de la parure que la nature
» généreuse n'a pas cessé d'étaler aux
» hommes ingrats , qui ne cessaient à
>> leur tour de l'outrager ; enfin de tracer
l'esquisse de cette portion de l'A-
» frique , avant qu'elle n'eut changé de
>> face . >>
J'ai pris d'autant plus de plaisir à
transcrire ce passage , qu'il annonce le
but de l'auteur , et montre en même
tems son patriotisme , zèle éclairé qui
lui fait faire des voeux pour la gloire
de son pays , et le convainc de la pos-
´sibilité de vastes projets entrepris dans
cette intention .
Le citoyen Sonini a suivi , dans son
64 MERCURE
:
à
ouvrage , la forme de la relation ; c'est
la plus convenable aux voyages. L'on
aime à tenir la main du voyageur ,
l'accompagner dans ses courses , et à
partager ses fatigues et ses dangers
comme à jouir , avec lui , des succès qu'il
obtient dans ses recherches. Il ne faut
pas croire cependant que cet ouvrage
ait l'aridité d'un journal ou d'un itinéraire
des observations , des développemens
, des considérations générales , en
éloignent la fastidieuse monotonie. Les
dessins viennent à l'aide de la narration ,
et montrent aux yeux ce que l'auteur
n'a fait que décrire ; tous ont été pris
sur les lieux mêmes , et la plupart
représentent des objets peu connus.
L'on y remarque principalement les
singulières figures , découvertes dans le
temple d'Isis , à Dandera . L'auteur a
suivi le conseil du savant Caylus , qui
exhorte ceux qui rassemblent des monumens
d'antiquité , à les communiquer ;
parce que leur collection , quelque peu
nombreuse qu'elle soit , peut offrir des
singularités qu'on ne trouve pas dans
les plus amples cabinets .
Nous suivrons le voyageur , dans sa
route , autant que les limites de cette
feuille nous le permettront. C'est d'auprès
de Buffon qu'il part pour Toulon ,
DE FRANCE. 65
où il s'embarque. Avant de passer outre
je ne puis résister au désir de mettre
sous les yeux du lecteur le portrait qu'il
trace de l'immortel Pline francais.
Buffon , dit-il , n'était pas du nombre
» des gens de lettres qu'Erasme compa-
>> rait plaisamment aux tapisseries de
>> Flandres à grands personnages , qui
» ont besoin , pour produire leur effet ,
>> de n'être apperçus que de loin . Sa
>> conversation était aussi agréable qu'in-
» téressante , et il y mêlait une gaîté
>> franche., un ton de bonhommie qui
» mettait tout le monde à l'aise . A ces
» qualités sociales , il joignait les belles,
> formes du corps ; il était , comme Pla-
» ton , de la stature la plus brillante et
>> la plus robuste ; de larges épaules an-
>> nonçaient sa force ; son front était
» élevé et majestueux , et il se faisait
>> remarquer par la noblesse de son
>> maintien , et par la dignité de ses
» mouvemens. Mais il avait , de plus
» que la plupart des anciens , ce soin
» de soi-même , cette propreté élégante
>> dans les vêtemens , qui marquent l'at-
» tention et la déférence pour les au-
>> tres.n
Ce fut le 26 avril 1777 , que Sonini
sortit du port de Toulon , sur la frégate
l'Attalante. Nous ne nous arrêterons
66 MERCURE
*
sepoint
avec lui à Gênes , à Palerme , à
Malte , à Candie ; nous le prendrons à
son arrivée en Egypte même. Ce fut
à Alexandrie qu'il débarqua. Le port
neuf d'Alexandrie , qui est très-mauvais,
n'a que sa situation avantageuse au commerce
qui le fasse fréquenter ; le vieux
port , beaucoup plus commode , n'est
ouvert qu'aux musulmans. La ville n'est
qu'un bourg assez misérable , dont on
ne parlerait point s'il n'était bâti sur les
ruines d'une des villes les plus célèbres
de l'antiquité. Ses habitans , féroces ,
dissimulés , vindicatifs , et ignorans ,
raient très-propres à éloigner les étran
gers , si la cupidité n'attirait point les
hommes là où il y a de l'or à gagner. Le
voyageur entre dans de grands détails
sur les monumens de l'antique Alexandrie
, et sur-tout sur les deux obélisques
nommés Aiguilles de Cléopatre , et sur
celui appelé Colonne de Pompée. Il a
fait graver les dessins qu'il en a pris.
Comme son principal objet est l'histoire
naturelle , il saisit l'occasion de parler
des animaux peu connus qu'il rencontre.
Il donne une très-grande place à la Gerboise
, petit animal que Buffon n'a pu
décrire exactement , faute de renseignemens
, et que Bruce n'a fait connaitre
que quelque temps après Sonini.
DE FRANCE. 67
Le voyageur se rend ensuite , à travers
le désert , d'Alexandrie à Rossette ( 1 ).
Placée entre la méditerranée , d'un côté ,
et une mer de sable de l'autre , Alexandrie
est isolée , et ne semble tenir à
aucun pays. La scène change à Rossette.
Après avoir parcouru des plaines de
sable , que le soleil brûle sans cesse , et
où on n'apperçoit , de loin en loin , que
quelques palmiers qui interrompent cette
triste uniformité avec quelle volupté
ne doit-on pas contempler la culture animée
des environs de Rossette , et respirer
le frais sous les berceaux de verdure
qui ombragent les bords du Nil . Rossette
est une jolie ville , bien peuplée , simplement
bâtie. Elle est moderne , et si
elle ne contient point d'édifices imposans ,
du moins elle n'offre rien qui puisse exciter
les regrets. Le Nil baigne ses murs
du côté de l'orient. Un vastę terrein
cultivé , s'étend au nord de la ville ; l'on
en a formé des jardins . La froide main
de la symétrie ne les a point alignés ;
tout y semble jetté au hazard ; l'oranger
et le citronier entrelacent leurs rameaux ,
et la grenade pend à côté du corosol.
Le soleil peut à peine introduire ses
(1) Rossette et non Rosette , comme on
l'écrit communément.
68 MERCURE
rayons au travers de ces vergers touffus;
de petits ruisseaux y amènent , en serpentant
, la fraîcheur et l'aliment de la
végétation. C'est là , dit Sonini , que le
turc oisif , assis toute une journée , avec
une pipe et du café , semble méditer
profondément , et ne pense à rien. Les
tourterelles , que l'on n'inquiète jamais ,
sont accoutumées à la présence de
l'homme , et ne le fuient point.
:
Le voyageur établit une assez grande
différence entre le caractère des habitans
d'Alexandrie et ceux de Rossette . Ceuxci
sont plus doux , plus tolérans . Il croit
que le site plus agréable , et leurs occupations
plus rapprochées de la nature ,
en sont cause. Les meurs n'attirent point
également ses éloges. La culture du riz ,
la première richesse du lieu , occupe
une partie des habitans des environs.
L'auteur , qui ne perd jamais de vue tout
ce qui peut intéresser ou instruire , entre ,
à ce sujet , dans des détails très - curieux.
Voici le tableau qu'il fait des environs
'de Rossette ; ses couleurs sont aussi fraî
ches que celles de la nature : « Si l'on
» porte les yeux de l'autre côté du
» fleuve , on découvre une plaine qui
» n'a d'autre borne que l'horizon ; c'est
» le Delta. Sorti du sein des eaux , il
> conserve la fraîcheur de son origine :
DE FRANCE. 69
» à l'or des guerets , succède , dans la
>> même année , la verdure des prairies.
Des vergers , semblables à ceux qui
» sont auprès de Rossette ; des grouppes
d'arbres toujours verts , d'autres épars ;
> des troupeaux de toute espèce diver
>> sifient les points de vue , et animent
> cette riche et verdoyante partie de
» l'Egypte. Des bourgs , des villages
» nombreux , ajoutent à la beauté du
paysage : ici des villes montrent , par
» des échappées , leurs hauts et étroits
>> minarets ; là , sont des lacs et des ca-
» naux , source d'une fécondité inépui
» sable ; par - tout on reconnaît les signes
» d'une culture facile , d'un printems
» éternel , et d'une fertilité sans cesse
>> renaissante et toujours variée . »
La position de Rossette , ses agrémens,
sa culture , ses bosquets et ses richesses ,
lui ont fait donner le nom de Jardin
de l'Egypte.
*
par
Entraîné la beauté des lieux et
par son amour pour l'étude de la nature ,
le citoyen Sonini fit nombre d'excursions
dans les environs . Il eut grand soin
d'observer tous les animaux qu'il put découvrir.
Il les décrit exactement , peint
leurs moeurs , et exprime le plaisir qu'il
eut à suivre cette utile et agréable étude .
Cette partie de son ouvrage , écrite avec
༡༠ MERCURE
grâce et en habile naturaliste , jette un
certain charme sur tout le reste. Quoiqu'il
embrasse plusieurs objets , qu'il
traite d'une manière également satisfaisante
, il n'entre point dans ces détails.
puérils qui fatiguent dans les autres
voyageurs , qui ne font pas même grâce
de la peinture de la chambre où ils ont
couché , et du portrait de la servante
qu'ils ont trouvée à l'hôtellerie. L'étude
des antiques l'occupa aussi . Pendant son
séjour à Rossette , il fit un voyage à
Aboukir , pour visiter les ruines de l'ancienne
et voluptueuse Canope. Il en rap
porta une petite pyramide , qu'il eut bien
de la peine à arracher à la puissance de
l'Aga de Rossette , qui , dans sa stupidité ,
ne pouvait pas concevoir quel prix on
attachait à une pierre , et s'imaginait
qu'elle devait être remplie d'or pour
qu'on la recueillit si précieusement.
L'on sait que les juifs et les musulmans
sont circoncis , et l'on sait en quoi consiste
cette circoncision ; mais en Egypte
la circoncision n'est pas particulière
qu'aux hommes ; on la pratique aussi à
l'égard des femmes , et cette espèce de
circoncision ou plutôt cette d'excision ,
est peu connue dans son opération. L'on
savait bien que les Egyptiennes se faisaient
circoncire ; mais on n'était pas
DE FRANCE. 71
d'accord sur le motif de cette coutume .
Le plus grand nombre de ceux qui en
ont écrit l'on regardée comme le retranchement
d'une portion des nymphes
lesquelles croissent , dit- on , dans ces contrées
d'une manière extraordinaires ;
d'autres , parmi lesquels on distingue
P'illustre voyageur Bruce , ont pensé qu'il
ne s'agissait rien moins que de l'amputation
du clitoris , dont le prolongement
a , suivant les mêmes auteurs , quelque
chose de difforme et de dégoûtant. Sonini
voulut s'en instruire par lui-même.
Avec de l'argent , il parvint à engager
une des femmes qui font cette opération
, et qui vont dans les rues , en
criant : à la bonne circonciseuse , à circoncire
, dans sa chambre , une petite
fille de sept à huit ans , de race égyptienne.
Cette petite fille avait une excroissance
épaisse , flasque , charnue , et
recouverte de peau. Cette excroissance
prenait naissance au-dessus de la commissure
des grandes lèvres , et elle pendait
d'nn demi- pouce le long de cette
même commissure. Sonini la compare ,
pour la grosseur et la forme , à la caroncule
pendante , dont le bec du coqd'inde
est chargé. L'opératrice s'assit sur
le plancher , fit asseoir la petite devant
elle , et , sans aucune préparation , elle
2 MERCURE
!
se servit d'un mauvais rasoir pour couper
cette excroissance singulière. L'enfant
ne donna pas des marques d'une
grande douleur. Une pincée de cendres
fut le seul topique appliqué sur la plaie ,
quoiqu'elle ne laissât pas que de jetter
beaucoup de sang.
Telle est la circoncision des filles égyp
tiennes ; telle est la cause qui la néces
site . Il faut observer que cette espèce
de caroncule est particulière aux femmes
d'origine égyptienne , et qu'elle croîtrait
avec l'âge , au point de couvrir l'ouver
ture entière de la vulve. Les autres
femmes , quoique appartenant à des peuples
domiciliés et naturalisés en Egypte ,
sont exemptes de cette excroissance.
Sonini fut retenu à Rossette beaucoup
plus long-temps qu'il ne le désirait. Les
troubles qui régnaient alors dans l'Egypte
en furent cause. Comme il lui était impossible
de se rendre dans la haute-
Egypte , remplie de combattans sans
discipline , et de brigands sans frein , il
résolut de visiter , en attendant , cette
portion du désert de Lybie , que l'on
nomme désert de Nitrie ou de Saint-
Macaire . Le vif desir qu'il avait d'accroître
la somme des connaissances dont
il était déjà pourvu , et de remplir , autant
qu'il lui était possible , le but de son
voyage ,
DE FRANGE.
voyage , le fit passer par-dessus toutes
les considérations de prudence et d'amitié
qui auraient pu le retenir à Rossette .
Comme la médecine est très en honneur
chez les orientaux , et qu'elle est plus
puissante que toutes les recommandations
de l'autorité , il prit le titre de médecin
, sous le nom de Mallim Yousef
( maître Joseph ) ; dans d'autres circonstances
, il se revêtit de celui de
Kavouadji , marchand , ou de Sidi ,
monsieur. Son costume était celui d'un
Kiaschef, officier de mameloucks . Ses
trois compagnons , dont un était dessinateur
, portaient l'habit des soldats des
Beys. Il partit de Rossette le 29 décembre.
Nous le suivrons dans la suite de
ce voyage intéressant , ainsi que nous
l'avons fait jusqu'ici.
P. B**.
La suite au numéro prochain.
Tome IX. D
74
MERCURE
THEATRE DE L'HERMITAGE DE CATHERINE II ,
Impératrice de Russie ; composé par cette
princesse ; par L. P. Ségur l'aîné , alors
ambassadeur de France à St-Pétersbourg ';
par le comte de Cobentzel , ambassadeur de
Empereur ; le comte. Iwan Schwalof ; par
le comte de Strogonof ; par le Prince de
Ligue , général autrichien ; par le favori Momonof;
par d'Estat ; par mademoiselle Aufresne
, etc. Deux vol. in-8°. de 880 pages ,
imprimés sur carré fin , et caractère cicéro
Didot. Avec le portrait de Catherine II ,
gravé en taille douce . A Paris , chez F.
Buisson , imprim.-libraire , rue Hautefeuille ,
n°. 20.
-
+
Ces pièces ont été composées en langue
française , et représentées par des acteurs
"français , à Saint-Pétersbourg , en 87 et 88 ,
"devant Catherine II , sa société intime et ses
favoris , sur le théatre particulier de cette
princesse , appelé l'Hermitage .
<< CATHERINE II occupe une place
brillante parmi le petit nombre de femmes
célèbres qui se sont distinguées sur le
trône . Il est naturel de rechercher avec
curiosité les plus légers détails de la vie
des personnes qui ont fixé les regards
de leur siècle , les anecdotes qui peignent
leur caractère , et les discours et
les écrits qui donnent une idée de leur
gout , de leurs occupations , de leurs taleus
ou de leurs défauts. »
DE FRANCE.
75
Catherine , en revenant de la Crimée ,
en 1787 , voulut faire jouer chez elle , à
l'Hermitage ( 1 ) , des pièces et des proverbes
qui n'eussent été
représentées sur aucun
théâtre ; elle engagea plusieurs des personnes
qui l'avaient suivie en Tartarie , à
en composer , et , pour les encourager par
son exemple , elle écrivit elle-même rapidement
quelques proverbes. Ces pièces
ont été
composées en langue française,
et jouées par des acteurs français , à
Saint -
Pétersbourg , en 1787 et 1788 ,
devant un petit nombre
d'auditeurs
seuls admis à ces
représentations.
Le Théâtre de
l'Hermitage contient
dix -neuf ouvrages
dramatiques , savoir :
Le
Tracassier ,
proverbe , par l'impératrice
Catherine , il est bien écrit.
Crispinduègne , comédie en trois actes
et en prose , par L. P. Ségur , l'aîné ,
ministre de France à la cour de Saint-
Pétersbourg : il a donné depuis plusieurs
jolis ouvrages au théâtre du Vaudeville.
La Rage aux proverbes , par l'impératrice
.
Le jaloux de
Valence ,
proverbe en
(1)
L'Hermitage est une partie du palais de
l'impératrice à Pétersbourg , dans laquelle
sa galerie de tableaux , son cabinet ,
avait fait bâtir un théâtre.
76
MERCURE
deux actes , par M. d'Estat , français
attaché au cabinet de l'impératrice.
Le Flatteur et les Flattés , proverbe ,
par l'impératrice .
Gros- Jean ou la Régimanie , proverbe
composé par le comte de Cobent--
zel , ambassadeur de l'Empire , d'après
une anecdote fournie par l'impératrice.
Caius Marcius Coriolan , tragédie ,
en cinq actes et en vers , par L. P. Ségur.
On lit cette tragédie avec plaisir , même
après celle de Laharpe .
L'Insouciant , comédie en trois actes
et en prose , par Alex. Momonof , favori
de l'impératrice , faite d'après un
courtisan , original assez comique .
L'Amant ridicule , proverbe , par le
prince de Ligue .
Les Quiproquo , comédie - proverbe ,
par M. d'Estat .
the
Le Sourd et le Bègue , proverbe , par
L. P. Ségur.
Les Voyages de M. Bontems , proverbe
, par M. de Schwalof, grandchambellan.
Il n'y a point de mal sans bien ,
proverbe , par l'impératrice.
L'Enlèvement , comédie en un acte
Apar L. P. Ségur.
La matinée de l'Amateur , par le
comte de Strogonof.
DE FRANCE. 77
L'Officier suffisant , proverbe , par
mademoiselle Aufresne .
L'Homme inconsidéré, comédie , par
L. P. Ségur.
Et une Imitation de Shakespear , par
l'impératrice.
Plusieurs de ces sujets pourraient être
mis sur la scène française ; mais ce qui
étonne le plus dans ce théâtre , c'est de
voir des étrangers écrire avec autant de
pureté , dans une langue qui n'est pas la
leur.
L'ÉTÉ , poëme , par le citoyen Devineau ,
auteur du poëme du Printems . Paris , chez
l'auteur , rue du Four - Honoré , nº . 10 ,
Dentu , Palais-Egalité. Prix : 75 centimès.
ON se ressouvient , peut - être , que
nous avons , dans le tems , dit quelques
mots d'un poëme du Printems , par
le citoyen Devineau. Le , même auteur
nous donne aujourd'hui l'Été ; les autres
Saisons viendront , sans doute , ensuite ;
et ce poëte pourra mettre ses oeuvres à
côté de celles de Thompson et de Saint
Lambert. Comme il procure cependant
un plaisir tout particulier , et qui n'est
point du tout de l'espèce de celui que
donnent les deux poëtes que nous venons
de nommer , nous ne pouvons nous em-
D 3
78
MERCURE
pêcher de transcrire un morceau de
son poëme. Il a des beautés qui lui
appartiennent , et nos lecteurs ne seront
point fâchés d'en connaître quelque
chose pour faire comparaison . A la
suite d'une tirade sur les oiseaux , et où
il n'est point question du Coucou , dont
le citoyen Devineau a pris soin de
réhabiliter la réputation , le poëte parle
de la méchanceté des enfans , qui tourmentent
si cruellement ce peuple ailé ,
et vont détruire le plus tendre espoir de
l'amour. Ce passage est remarquable
par la grâce et la douceur que le moderne
Orphée a su y mettre ; c'est un
véritable chef-d'oeuvre qu'on distinguera
certainement des beaux traits de nos
meilleurs poëtes . Qu'on en juge . Il s'agit
des oiseaux .
PLUS heureux dans leur sort , si d'un pâtre
féroce ,
L'enfant ne faisait point , mille fois plus atroce ,
Plus méchant dans ses jeux , qu'innocent en ses
tours
Un plaisir destructeur d'eux et de leurs amours ,
Sans songer bien plutôt au soin qui le domine ,.
A punir , du moineau , la nuisible rapine ;
Lorsqu'il devrait bien mieux quand , ces tendres
oiseaux
Changent tout leur amour en de petits travaux ,
DE FRANCE. 79
Voir tous les soins , pour eux , que prend un
faible père ,
Qu'il a souvent privé d'une moitié bien chère ;
Qui nourrit , seul , pour lors , de petits orphelins >
Qui , sans lui , périraient à ces coups inhumains ,
Dont une main barbare autant que sanguinaire ,
Atroce par humeur comme par caractère ,
Joignant la frénésie à d'odieux penchans ,
Massacre , sans pitié , la mère et les enfans ,
Au moment qu'elle est vue avec délicatesse ,
Soigner si chèrement le fruit de sa tendresse.
Mais à ce doux tableau dont je suis agité ,
Je sens que je me suis un peu loin emporté ;
Parlant de barbarie en place d'innocence ,
Je me suis pénétré d'un peu trop d'apparence.
Ce morceau ne rappelle -t-il pas naturellement
les plaintes touchantes de
Philomèle , dans les Géorgiques ? La
longueur de la phrase , ou tant de belles
choses sont renfermées , n'est - elle pas
bien favorable à l'harmonie des vers
et à la lucidité des idées ? Je demande ,
sur-tout , s'il y a rien d'admirable comme
la transition par laquelle l'auteur nous
apprend qu'agité par le doux tableau
de la férocité des petits pátres , il
s'est pénétré d'un peu trop d'apparence.
Comme cela est beau ! bien dit! ·
bien sentimental ! l'apparence joue la
D 4
80 MERCURE
un rôle charmant. Voilà ce que c'est
que d'avoir un esprit aussi fin que délicat
on sait s'en servir.
f
Nous nous dispenserons de faire une
autre citation. Nos lecteurs doivent ,
par ce qu'ils connaissent maintenant , juger
de ce qu'ils n'ont pas encore le plaisir
de connaître. On ne dira point de notre
poëte ce qu'Horace a dit d'Homère :
Quandoque bonus dormitat Homerus;
il est par -tout le même et par- tout digne
de lui .
J.
SPECTACLE S.
THEATRE DU VAUDEVILLE.
4 Vendémiaire.
LA FILLE EN LOTERIE , Arlequinade , en un
acte , en Vaudevilles .
COUPLET D'ANNONCE.
AIR :
Le jour d'un ouvrage nouveau ,
On sait fort bien que , chez Thalie ,
On ne distribue au bureau
Que des billets de loterie..
avec cette différence , pourtant ,
DE FRANCE.
,
Qu'aux dépens des joueurs déçus ,
Ailleurs s'enrichit l'entreprise ,
Et qu'ici vos frais sont perdus ,
Lorsque vous perdez votre mise.
"
Cassandre est receveur d'un bureau de loterie.
Gille , qui est devenu agioteur , lui a prêté
douze mille francs , exigés par la loi comme
cautionnement. L'époque fixée pour le remboursement
de cette somme est arrivée ; et il
faut que Cassandre s'acquitte , dès le jour
même avec Gille , ou consente à lui céder
son bureau . Les fonds que Cassandre avait
disposés à cet effet viennent de lui être enlevés
par une banqueroute inattendue . Quel
parti va-t-il prendre ? Gille n'est pas homme
à lui accorder une seule minute de délai . Un
gascon , amoureux de la fille de Cassandre
lui propose de mettre Colombine en loterie.
Elle serait composée de quatre billets , chacun
de mille écus , et le premier numéro sortant
du tirage qui s'effectuera dans la matinée
serait le gagnant. Cassandre écoute volontiers
cet avis , et sort pour consulter sa fille Co-
Lombine . Cette dernière est très-attachée à
Arlequin , qui est crieur de billets de loterie ..
Elle lui fait part du projet de son père. Arlequin
a déposé chez un notaire une somme
d'environ mille écus qu'il complettera bientőt
par la vente des bijoux dont se dépouille avec
plaisir Colombine pour les lui donner . C'est le
fruit de ses épargnes. Il n'hésite pas , choisit.
d'abord ses numéros , et remet ensuite som
billet à Cassandre , en attendant qu'il lui apporte
les fonds . Mais quel malheur ! son empressement
à revenir auprès de Colombine lui
fait perdre son porte- feuille , contenant les mille
D 5
82 MERCURE
écus que le notaire lui a comptés en bons effets
de la caisse des comptes courans . Il se désole
et court à la recherche. Pendant ce tems
Gille vient trouver Cassandre , et ce dernier
le décide à prendre le billet d'Arlequin , sur le
retour duquel il ne compte plus. Gille le paye
en effets de la caisse des comptes courans. Les
numéros du tirage sont connus , et le billet
d'Arlequin est le gagnant. Gille ne peut contenir
sa joie ; mais an moment où il l'exprime
le plus fortement , Arlequin découvre que
Gille a trouvé son porte- feuille . C'est avec les
mille écus qu'il renfermait , que ce fripon a
payé son billet . Gille , confondu , avoue tout.
On le chasse honteusement , et Arlequin épouse
Colombine.
Si cette bluette n'avait point été soutenue
par de fort jolis couplets , certes son succès
eut été très-douteux. L'intrigue , qui n'est rien
en apparence , nous a paru tellement compliquée
, que nous avons eu peine à la saisir parfaitement.
Le plan , en général , est mal conçu .
Les scènes se succèdent avec tant de rapidité
qu'elles ne donnent lieu à aucun développement.
Malgré l'agrément de quelques détails , on n'y
rencontre aucune situation comique. Hélas !
quelle différence entre ce vaudeville et les autres
productions estimables des mêmes auteurs.
Le public , qui a fait répéter justement quelques
couplets bien faits , a voulu connaitre les
noms des aimables troubadours qui avaient eu
l'intention de charmer un instant ses loisirs .
Ce sont les citoyens Jouy et Longchamps .
DE FRANCE. 83
THEATRE DE LA CITÉ.
4 Vendémiaire.
PARIS EN MINIATURE , Bluette épisodique , en
huit actes , à spectacle.
ON ne pouvait guères représenter une pièce
en huit actes sans blesser les convenances théâtrales
; mais les auteurs de cette bluette doivent
trouver leur excuse dans la franchise de leur
aveu. Malgré les sifflets , en petit nombre à la
vérité qui se sont fait entendre à la fin
nous n'en avouerons pas moins que nous y
avons ri , et que par conséquent elle nous
fait plaisir. C'est absolument un tableau mouvant
des moeurs parisiennes .
و
"'
Un jeune époux , séduit par les plaisirs trompeurs
de la capitale , abandonne sa femme et
sa fille . Un de ses amis , jeune homme prudent
et estimable , veut absolument le rendre à sa famille,
en lui faisant voir le vice dans toute sa nudité.
Il le conduit d'abord au palais égalité , ensuite
chez des filles galantes . ( Nous invitons les
auteurs à retrancher cette scène trop contraire
aux bienséances sociales , et qui est un tableau
dangereux à placer sous les yeux d'une ardente
jeunesse. ) Ils vont successivement à la bourse ,
au faubourg Antoine , chez une bonne mère
de famille ; ( tableau touchant des moeurs simples
et domestiques . ) à la place de Grève
et enfin dans une maison de jeu , où le jeune
époux perd mille écus. Parfaitement corrigé
il retourne bientôt auprès de son épouse , et lužj
2
D. 6
84
MERCURE.
promet d'éviter désormais tous les plaisirs trom
peurs de Paris , pour ne se livrer qu'à ceux
d'un amour pur et durable.
Les auteurs sont les citoyens Bizet et Sauteret.
Ils auraient dû éviter de prendre , pour
refrain de leur vaudeville final , ces mots :
Paris en mi-ni- a-ture , dont le dernier offre à
l'oreille une consonnance fort désagréable .
THEATRE DE L'OPÉRA - COMIQUE
NATIONAL , RUE FAVART .
5 Vendémiaire ..
LAURE , OU L'ACTRICE CHEZ ELLE , Opéra , en:
un acte , avec des scènes épisodiques.
Cette pièce avait pour but de faire briller ,
dans un seul cadre , tous les talens et toutes .
les grâces dont la nature a pourvu si abondamment
l'inimitable actrice qui fait , depuis
plus de dix ans , les délices des amateurs de
ce théâtre. Les intentions de l'auteur ont été
parfaitement remplies de ce côté ; mais le défaut
d'intrigue l'ayant obligé à avoir recours
aux scènes épisodiques , plusieurs , véritablement
inutiles et faisant longueur , ont donné
lieu à quelques murmures. Il est cependant
aisé de reconnaitre la plume d'un homme de
lettres , estimable . A travers mille , détails char
mans , et qui ont échappé sans doute à beaude
spectateurs , on en rencontre d'autres.
un peu minutieux. En général , cet ouvrage
pêche sur - tout par un trop grand luxe d'es
coup
DE FRANCE. 85
prit. Hélas ! combien de gens sont affligés du
défaut contraire ! Au reste , il y a tout lieu
d'espérer qu'au moyen de coupures heureuses ,
ce petit opéra sera vu avec plaisir aux représentations
subséquentes , et que le public s'empressera
de rendre justice aux grâces enchanteresses
d'une actrice que depuis long- tems il
chérit justement , et aux talens connus des.
auteurs qui ont déjà su mériter plus d'une fois
ses nombreux suffrages .
L'ouverture a fait le plus grand plaisir , ainsi
que l'air chanté par la citoyenne Saint- Aubin ,
et où elle remplit trois roles différens , dont
elle a saisi les diverses nuances avec la dernière
perfection.
Quelques scènes de cet opéra offrent de légers
rapprochemens avec plusieurs de la Débutante
, opéra , de feu Chevrier , représenté ,
depuis peu , sous un autre nom d'auteur , sur
le théâtre des Jeunes Artistes.
7 Vendémiaire.
en-
La seconde représentation de cet opéra a
obtenu autant de succès que la première avait
éprouvé de défaveur. L'auteur à fait des coupures
heureuses dans son dialogue , et a
tièrement supprimé deux scènes , absolument
inutiles à l'action . Ce sont celles où paraissent
la marchande de modes , et l'infortuné débiteur
de Laure. La marche de cette pièce en
devient plus rapide , et il n'y a pas de doute
qu'elle n'ajoute encore à la réputation méritée
de ses auteurs , connus depuis long-tems
par des succès . Ils ont été demandés à grands
cris et nommés . Ce sont les citoyens Marsollier
et d'Aleyrac.
86 MERCURE
THEATRE DES TROUBADOURS ,
RUE DE LOUVOIS.
1
5 Vendémiaire .
LE PANORAMA , Vaudeville en un acte.
Tout le monde sait ce que c'est qu'une pièce à
tiroirs . Point de fonds , nulle intrigue , et dénouement
prévu . Des scènes bien dialoguées et
comiques , des détails agréables et saillans ,
voilà ce qui constitue une bonne comédie épisodique
. Celle dont nous nous occupons en ce
moment réunissait - elle tous ces avantages ?
Non. Plusieurs scènes ont paru froides et languisaantes
, et les auteurs ne doivent leur succès
qu'à une foule de très-jolis couplets dont beaucoup
ont été répétés .
Cécile est aimée par Bellevue , auteur du
Panorama ; mais elle a donné son coeur au
jeune Dercourt. Le père de Cécile écoute la
proposition que lui fait Bellevue d'épouser sa
fille , et lui promet d'y consentir , si les cinq
premières personnes qui vont venir , lui garantissent
le succès de son entreprise . Dercourt
forme le projet de jouer les cinq rôles , et
parait successivement sous les divers travestissemens
d'un peintre , d'un petit maître , d'un
niais , d'un philosophe et d'un poëte. Ainsi déguisé
, il assure que l'auteur du Panorama né
fera pas fortune , et que son tableau est manqué.
Bellevue est obligé de renoncer à Cécile.
Mais bientôt Dercourt reparaît , avoue sa ruse ,
DE FRANCE. 87
et obtient son pardon et la main de son amante.
Le citoyen Léger est fort bien dans le rôle de
Dercourt. Il a parfaitement saisi les caricatures
des cinq différens personnages qu'il était chargé
de représenter.
Les auteurs , sont les citoyens Armand
Gouffé et Duval , à qui le même théâtre est
redevable du charmant vaudeville du Val-de-
Vire. Ils ont été démandés et n'ont point
paru.
THEATRE DE LA GAITÉ,
BOULEVARD DU TEMPLE.
6 Vendémiaire.
LES AMANS VOLEURS Comédie , en trois
actes et en prose , mélée de danses et à
spectacle.
-
-
La Belle Arsène travestie . Point de style.
Des scènes froides et insignifiantes. - Un
rôle de valet assez comique et fort bien rendu
par le citoyen Blondin . Celui de madame
Hautaine , parfaitement parodié et joué. -
Nous n'en dirons pas autant du rôle de la
Peu de succès . Cette pièce ,
annoncée comme nouvelle , est connue depuis
près de trente ans.
fée . J
88
MERCURE
THÉATRE DU JARDIN ÉGALITÉ ,
CI - DEVANT MONTANSIE R.
7 Vendémiaire .
LES TROIS SOEURS DANS LEUR MÉNAGE ou La
SUITE DE ROBERT LE BOSSU , Vaudeville en
un acte.
L'expérience nous a toujours prouvé que la
suite d'une pièce , justement applaudie , obtenait
peu ou point de succès. Il semble que
l'auteur ait concentré toutes ses facultés comiques
et poëtiques dans l'oeuvre première de son
génie. Qui n'a pas réuni ses suffrages à ceux
d'un public connaisseur , en voyant le sentiment
, la douce morale , la franche gaîté répandus
dans le charmant vaudeville de Robert le
bossu ? Eh bien ! on ne peut s'imaginer que la
suite de cette jolie comédie soit sortie de la
même plume. Dans Robert aîné , point de couplets
qui ne soient dignes d'être répétés . Dans
Robert cadet , ils sont à peine ébauchés. Il s'en
trouve même plusieurs dont l'idée nous a paru
tellement entortillée , que nous croyons presque
que l'auteur lui - même n'a pas su ce qu'il
voulait écrire . Nullité de plan et d'intrigue.
Des scènes froides et monotones . Le Bossu
si aimable précédemment , n'est ici qu'un moraliste
ennuyeux. Chacune de ses paroles est
un sermon. Il met beaucoup d'importance dans
tout ce qu'il fait , et cependant rien de plus
simple ni de plus naturel. Il réunit Lucas et
Louise , qui ne demandent pas mieux ; il paye
DE FRANCE. 89
les dettes de Bastien , et appaise une dispute
que ce dernier s'était suscitée , par jalousie
contre la coquette Charlotte , sa femme ensuite
il finit par associer ses deux beaux-frères à sa
ferme. Voilà , en peu de mots , le sujet de
cette suite , qui n'a pas réussi. Ajoutez une
jeune femme qui trouve qu'il n'y a que son
mari qui a de l'esprit et des bonnes qualités ,
et nous le répète sans cesse ; puis un mari qui
dit , à chaque parole , que sa femme est tendre
, sensible , fraîche , jolie , etc. , et vous
aurez aussi une idée du ménage de Germainè ,
et de Robert le bossu.
Les acteurs ont employé tous leurs moyens ,
par la manière dont ils se sont acquittés de
leurs rôles , pour soutenir la pièce . Efforts inutiles
!.....
L'auteur n'a pas été demandé.
ERRATUM.
Au numéro précédent , article Variétés
page 35 , lignes 7 et 8 , au lieu de cet ouvrage ,
fut-il d'un grand homme , ne peut-être entièrement
mauvais ; lisez , fut-il indigne d'un grand
homme etc.
,
90
MERCURE
(
MERCURE
DE FRANCE.
Du 10 Vendémiaire , an 8.
POLITI Q U E.
NOUVELLES ÉTRANGÈRES.
ANGLETERRE.
盘
Londres , 30 Fructidor. Jov
Les nouvelles de la Sicile continuent toujours
de nous donner de nouveaux détails des massaeres
qui se commettent à Naples .
Quatre-vingt-cinq personnes , composées de
nobles , de moines de Mont- Olivetto , se sont
réfugiés dans le monastère de Santa -Pietra-à-
Majella , où ils se sont fortifiés , mais ils ont
tous été égorgés les uns sur les autres . Toutes
les maisons de ces quatre-vingt-cinq victimes
de la vengeance royale , furent saccagées et
brûlées ; beaucoup de négocians furent assommés
en masse. On cite , parmi la foule , les
signors Mamia , Coumo , Reccia , etc. Ils brûlèrent
40 hommes de loi , et 30 médecins qui
ont expiré sur des buchers. Un nombre considérable
de citoyens de toutes les classes sont
journellement étranglés , ou brûlés , ou pendus ,
DE FRANCE.
ou jettés tout vivans aux chiens affamés , pour
leur servir de pâture.
Les princes de Moliterni et de Rocca-Romana
, sont nommés généralissimes des armées
napolitaines.
L'évêque de Cambani a été pendu.
Les membres du nouveau gouvernement et
toutes leurs familles , qui forment une liste
très- étendue , ont aussi été sacrifiés avec tous
leurs amis , et ont péri dans des tourmens plus
cruels les uns que les autres. Naples présente
l'aspect d'un charnier ; le pavé des rues est
rouge de sang. Dans un quartier on entend
les rugissemens des bourreaux , se désignant
leurs victimes ; dans un autre , règne un morne
silence , que n'osent interrompre les soupirs
des malheureux voués à la mort.
Après ces sanglantes exécutions , les égorgeurs
royaux ont chanté un Te Deum , pour
remercier le Dieu de la clémence !!!
RÉPUBLIQUE HELVÉTIQUE
Lucerne , 28 fructidor.
Le 22 de ce mois , à une heure après midi ;
les russes qui campaient près de Vollishofen
et Laibach , ont été brusquement surpris par
les français . Ceux-ci , après avoir pénétré aussi
promptement que l'éclair , dans toutes les maisons
et les granges voisines , ont exterminé
l'ennemi. Sa déroute a été totale . Il ne s'est
pas fait entendre un seul coup de feu pendant
toute l'affaire . Le sabre et la bayonnette ont
été les seules armes dont les français se sont
servis. L'action a été extrêmement meurtrière ,
le carnage affreux. Les russes , outre plusieurs
prisonniers , ont perdu sept à huit cents
92 MERCURE
hommes , en tués et blessés , et les français
très-peu de monde. Tout ce qui a pu fuir a
été poursuivi la bayonnette aux reins , jusqu'à
une demi-lieue de Zurich.
L'ennemi a élevé plusieurs batteries sur la
route de Baden. Il a formé un nouveau camp
près Vipkinguen , entre Zurich et Hong , et
un autre , dit-on , près du couvent de Fahr.
Baden , 1er complémentaire.
Les nouvelles qui nous parviennent de la
partie de la Suisse , occupée par l'ennemi , font
frémir. Les russes surpassent en horreurs tout
ce qu'on attendait de ce peuple barbare. Tout
ce qu'il y avait dans les maisons et dans les
granges , est consumé . Les campagnes sont absolument
dévastées .... et la famine la plus
cruelle menace ces contrées , à la porte de
l'hiver. Les femmes sont traitées d'une manière
affreuse . L'une d'entr'elles , belle et jeune
encore , vient de fuir sur notre rive , échappant
à peine à la fureur de quelques soldats russes
qui la poursuivaient. Chaque jour nous voyons
les Suisses , sur la rive opposée , nous exprimer
leur désespoir par des signes..... hélas ! trop
impuissans .
ALLEMAGNE.
Vienne , 20 fructidor.
Malgré l'union qui paraît régner entre les
puissances alliées , notre cabinet , toujours surveillant
, a nommé M. le comte de Bellegarde
pour se rendre en Hollande , en qualité de commissaire
impérial près de l'armée combinée
russe et anglaise . Le cabinet de Londres a
donné l'exemple de ces précautions . Partout où
DE FRANCE. 93
sont les armées , il y a des commissaires anglais
qui assistent aux conseils de guerre , et auxquels
on doit communiquer tous les plans , les proclamations
et les traités .
On mande de Venise , en date du 16 fructidor
, que l'armée qui forme le siége d'Ancône
est maintenant forte de 22,000 hommes ,
tant autrichiens que russes , turcs , et insurgés.
Cette place , continuellement battue du côté
de la terre , par une artillerie formidable que
l'escadre russe-turque a débarquée , oppose une
résistance à laquelle on devait peu s'attendre.
La garnison n'est que de 6,000 hommes , dont
3,000 de troupes françaises .
Hambourg, premier jour complémentaire .
Voici l'acte par lequel S. M. l'empereur de
Russie a élevé le général Suwarow à la dignité
de Prince , en lui donnant le nom d'Italiski.
Ordre à notre Sénat.
Pour conserver jusques dans l'avenir le plus
éloigné le souvenir des grandes actions de notre
général feld-maréchal Suwarow Rymninski,
lequel , à la tête de notre armée victorieuse , et
de celle de l'empereur d'Allemagne , a délivré
toute l'Italie des impies qui s'en étaient rendus
maîtres , a rétablí dans ce pays les gouvernemens
monarchiques légitimes , nous lui
avons conféré la dignité de prince de l'empire
russe , avec le titre d'Italiski. Nous voulons
que cette dignité reste héréditaire pour tous
ses descendans des deux sexes , et ordonnons
qu'il soit signé : Le prince Italiski , comte Suwarow-
Rymniski.
Paulowick , le 8 août 1799 ,
PAUL,
94
MERCURE ·
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE.
PARIS.
LE conseil des Cinq- Cents , dans la séance
du 7 , a reçu une dépêche télégraphique , du
général Massena , ainsi conçue : « J'ai passé
la Limath , le 3 vendémiaire , et me suis
» avancé sous les murs de Zurick. Le 4 , l'ar-
» mée a attaqué et battu complettement l'enne-
» mi sur tous les points de la ligne . La troi-
» sième division a franchi la Linth , entre le
lac de Zurich et celui de Wellenstadt..
» L'ennemi est en pleine déroute : nous
sommes maîtres de Zurich . »
Tandis que nous remportons ces avantages
dans la Suisse on écrit de Genêve , en date ,
du cinquième jour complémentaire : un courier
extraordinaire , arrivé hier au soir , a apporté
à l'administration de notre département , la
nouvelle officielle , qu'au moment où Gênes
allait capituler , le général Moreau , par un
mouvement aussi rapide qu'imprévu , avait
réussi à couper une colonne de l'armée ennemie
, et qu'une perte de 4,800 russes -
la
retraite de l'armée ennemie en deça de Novi
et l'occupation de cette place par les troupes
françaises , avait été le fruit de cette importante
journée .
ARMÉE DU RHI N.
Extrait d'une dépêche du général Baraguayd'Hilliers
, chef de l'état-major-général.
Le deuxième jour complémentaire , à la
pointe du jour , l'armée autrichienne , forte de
DEFRANCE. 95
30,000 liomines , et commandée par le prince
Charles en personne , attaqua les troupes françaises
, qui ne consistaient qu'en 5,000 hommes
d'infanterie et 300 de cavalerie . Son attaque
commença par le village de Neckerreau , dé
fendu par le général de brigade Vandermarck,
Tout ce que pouvaient la bravoure , le sangfroid
, et l'habileté , a été déployé et exécuté
pendant six heures par les braves troupes sous
ses ordres ; trois fois le village a été pris et repris
à la bayonnette , mais l'ennemi ayant , à
raison de son grand nombre , pénétré par la
digue du Rhin , et tourné la droite des troupes
républicaines , il a fallu abandonner le champ
de bataille , et se retirer dans l'ouvrage à cornes
qui est placé en arrière , entre Neckereau et
Manheim. L'ennemi , en attaquant la droite ,
attaqua successivement le centre et la gauche
par deux colonnes et beaucoup d'artillerie , et
porta sur la rive droite une troisième colonne.
A la faveur de ces attaques , différens retranchemens
imparfaits furent emportés de vive
force , quoique défendus avec une résistance
opiniâtre par l'adjudant-général Lefal , qui commandait
la gauche.
Malgré la valeur des républicains ; malgré
celle du général de division Ney , qui arriva
avec un bataillon de la seizième de bataille , il
fallut céder à la supériorité du nombre et sortir
de Manheim , où l'ennemi avait pénétré de
toute part.
La retraite s'exécuta dans le meilleur ordre ,
et à l'exception de quelques pièces de canon
tombées au pouvoir de l'ennemi , l'artillerie et
les munitions ont été évacuées avec autant de
promptitude que de précision .
Le général Laroche , qui commandait à Man95
MERCURE '
heim ; le citoyen Prevot , son aide -de-camp
le citoyen Bermod , officier du génie , qui a eu
son cheval tué sous Ini , et le bras percé d'une
balle ; le général Ney , si sonnu par des actes de
bravoure , se sont surpassés en cette occasion.
On évalue la perte des républicains en tués ,
blessés et prisonniers , à mille 200 hommes
au plus celle de l'ennemi excède trois mille
hommes.
:
On doit des éloges aux habitans de Manheim ,
et plus encore à ceux de Neustadt , qui ont
accueilli et soigné nos blessés avec un zèle ,
une générosité et un dévouement qui , dans
tous les tems , doivent leur concilier l'estime
et la reconnaissance des français .
CAILLEAU , Éditeur-Propriétaire.
AVIS IMPORTANT.
D'après le desir d'un grand nombre de nos
Souscripteurs , cette feuille paraît deuxfois par
Decade , les Quintidis et les Décadis. Ce retour
plus fréquent nous occasionne quelques sacrifices;
mais nous n'avons en vue que l'intérét
et l'agrément de nos lecteurs , et , quoique
nous arons , en outre , à supporter une augmentation
dans le timbre du papier , le prix
de cet ouvrage est toujours le méme.
15
Les Souscripteurs dont l'abonnement expire le
30 vendémiaire, sont invités à le renouveller aussitot,
s'ils ne veulent point éprouver d'interruption .
Les Abonnés au Mercure Français recevront
gratuitement le premier mois de la reprise du
MERCURE DE FRANCE , au renouvellement de leur
abonnement.
MERCURE
DE FRANCE ;
Quintidi , 25 Vendémiaire , an E.
POÉSIE S.
LE PÈCHEUR ET LES DEUX POISSONS ,
SUR
FABLE.
les bords d'un lac transparent ,
Jean, le pêcheur , passant par aventure ,
Apperçut deux poissons jouant et folâtrant
A travers l'onde pure.
Oh! oh! dit-il , voici qui nous promet
Quelque bonne capture ;
Courons chercher notre filet.
Les Poissons ont l'oreille fine ;
A ces mots , comme on le devine ,
La reur ne tarda guere à venir s'emparer
De nos deux citoyens de l'élément liquide.
Que faire hélas ! comment parer
A ce terrible coup , et du filet avide
Eviter le vaste contour ?
L'un d'eux , poisson d'esprit , et sur-tout plein d'adresse ,
Pour se sauver , croit jouer un bon tour.
Il contrefait le mort , et doucement se laisse
Tome IX. .I
194
MERCURE
Aller sur l'eau sans aucun mouvement..
Le second , sans tant de finesse ,
Ayant fort peu d'esprit , mais un bon jugement ,
Vit bien que le plus court , en pareille détresse ,
Etait de décamper , et le plus promptement.
Le voi'à donc qui s'esquive au plus vite ,
Par un ruisseau qui , fort heureusement ,
Sortait du lac , et secondait sa fuite.
Le Pêcheur vient enfin , qui , voyant le faux mort,
Sans mouvement , flotter au gré de l'onde ,
Et le croyant parti pour l'autre monde ,
A tour-de-bras le jette sur le bord;
Puis se met à pêcher , croyant faire merveille .
Hélas ! ce fut du tems perdu ,
Et Jean s'en retourna comme il était venu.
A peine il est parti , notre mort se réveille ,
Et se trouvant fort mal sur le sable étendu ,
Le pauvre diable alors se trémousse et s'agite ,
Espérant gagner l'eau ; mais efforts superflus ;
Il ne trouva que celle du Cocyte.
A vouloir trop ruser voilà comme on se perd :
L'esprit dans le danger nuit bien plus qu'il ne sert.
GABRIEL M......
VERS.
QU'UN autre , moins timide et d'une voix plus fière,
Embouche des combats la trompette guerrière ;
Qu'il chante des héros les exploits éclatans ,
Et se couvre , avec eux , d'une noble poussière ,
Que sa muse sanglante , à la tête des camps ,
DE FRANCE. 195
Excite du soldat la valeur intrépide ,
Couvre les bords du Rhin de bataillons nombreux ,
Et préférant au luth le bouclier d'Alcide ,
Du laurier de la gloire orne son font poudreux :
Ce laurier flatte peu ma muse encor craintive ,
Elle fuit des combats le sinistre tableau ,
Et sur un simple chalumeau ,
Elle aime à soupirer quelque chanson naïve:
Elle se plaît sur les bords d'un ruisseau
Qui murmure sous la fougère
Et , loin des foudres de la guerre ,
Assise à l'ombre d'un ormeau,
Elle aime à rêver solitaire.
Peut-être elle pourrait , prenant un noble essor
Jusques aux cieux porter son vol sublime ,
Des noms pompeux d'Andromaque et d'Hector
Elle pourrait énorgueillir sa rime ,
Et du Parnasse escaladant la cîne ,
Crier , à tous , d'une voix de Stentor .
Ecoutez- moi dans l'ardeur qui m'anime ,
Je ne puis plus maîtriser mon transport ,
Je vais chanter : elle pourrait encor
6. 2)
Chaussant le tragique cothurne ,
Amener sur la scène un nouveau Fabius .
Et dans les roseaux de Minturne ,
S'enfoncer avec Marius ;
Ou bien , sur un ton moins sévère ,.
Montant son luth harmonieux ,
Sur une indigeste matière ,
Créer des vers mélodieux
Et de la Trinité plaisantant le mystère ,
Composer la Guerre des Dieux :
1
I 2
196
MERCURE
Elle pourrait aussi , d'un sel attique ,
Assaisonnant des vers très -innocens ,
Doucereuse et jamais caustique ,
A ses amis distribuer l'encens ,
Au beau sexe , adresser quelques quatrains galans ,
S'élever quelquefois à la hauteur comique ,
De nos auteurs censurer les talens ,
En bannissant une gêne importune ,
Tantôt analyser d'insipides romans ,
Tantôt dans ses sublimes chants
Redresser l'ode à la fortune ;
?
Mais elle aime bien mieux , sage dans ses accens .
Suivre une route plus commune ,
Et sauvant son vaisseau des fougues des autans
Se rire , dans le port , des fureurs de Neptune ,
Et de l'inconstance des vens.
Elle sait que la scène , en naufrages fertile ,
Fut fatale à plus d'un héros ,
Que la faveur d'un vulgaire imbécile ,
Est plus mobile que les flots ;
Et que, pour conquérir quelque laurier futile ,
On hazarde souvent sa vie et son repos ;
Elle n'ignore pas non plus que
Est un genre à tous odieux ,
la satyre ,
Que sur ce ton monter sa lyre ,
N'est pas d'un coeur très-généreux ;
Que , d'ailleurs c'est exciter l'ire
Des sots auteurs , peuple toujours nombreux ;
Aussi , se resserrant dans de justes limites ,
Elle a banni l'usage des sifflets ;
On ne la verra point , hardie en ses projets,
Franchissant les bornes prescrites .
DE FRANCE. 197
Aux Delangle , aux Fabien Pillet ,
Distribuer quelque petit soufflet ,
Ni jamais redouter la suite
D'une épigramme , ou d'un couplet ;
Elle a borné tout son mérite
Aux soupirs de son flageoler.
Par ce moyen , au temple de mémoire ,
Son nom ne sera point porté ;
Et dans les fastes de l'Histoire ,
On ne l'inscrira point avec célébrité ;
Mais son repos et sa sécurité
Consoleront sa vanité •
Des illusions de la gloire ,
Et des attraits de l'immortalité.
M. J.
IMPROMPTU
A TROIS DA ME S.
VENUS me disait l'autre jour :
Tout le monde quitte ma cour ;
Je voyois , jadis , sur mes traces ,
Les Grâces , les Ris et l'Amour :
Oh ! lui dis-je , pour les trois Grâces ⠀⠀⠀
Elles font ici leur séjour.
GERMAIN DAUBERJON , abonné.
I 3
798
MERCURE
Explication de l'Énigme et du Logogriphe du
numéro précédent,
Le mot de l'Enigme est Mercure ( dieu )
celui du Logogriphe est Mathieu , dans lequel
on trouve Aime , Hait , Ut , Mi , Mai , Mie
Mamie , Ami , Ah ! Eh ! Amit ; Mát ( de
Vaisseau ) , Mat ( aux Echecs ) , Thym , Ame ,
Etaim ( laine très-fine ) , Muet.
CHARADE I
PLUS que ton coeur , Iris , ton doigt est tendre :
Malgré cela , pour se défendre ,
Il ne prend pas un bien gros bouclier ,
Il n'a jamais que mon premier..
Ton coeur en á de toute espèce ;
Quand un amant , dans un délire entier ,
Plein de desir et de tendresse ,
Veut te donner et prendre mon dernier.
Voilà pourquoi , beauté cruelle,
De te toucher on ne vient pas à bout ;
On aurait beau rester tendre et fidèle ,
Que ta rigueur ferait sentir mon tout.
GERMAIN DAUBERJON ; abonné.
DE FRA N- CE. 199
123
ÉNIGME.
DE la boîte de Pandore ,
Nous sortimes beaucoup d'enfans ;
Je me trouve un des plus méchans ,
Et j'entraîne à ma suite encore
Les horreurs des ressentimens.
C'est dans les ames dépravées ,
Que mes armes sont conservées :
Par elles , les pauvres humains ,
Errans , poursuivis de mon ombre ,
Quand ils sont tombés sous mes mains
Descendent dans l'abîme sombre ,
Le front d'airain , l'oeil hagard , furieux ,
Je semble menacer les cieux .
Tout frémit , tremble à mon approche ;
Inaccessible au remords , au reproche ,
Les seuls arrêts de l'Eternel
Peuvent punis mon coeur implacable et cruel
Lecteur , de mon spectre terrible ,
Redoutez les noirs attentats ?
Mon aspect est toujours horrible ;
Et je suis de tous les états.
B. J. V. L. R......
I 4
200 MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
HISTOIRE DES CAMPAGNES DU COMTE ALEXANDRE
SUWAROW RYMINIKSKI , général feld-maréchal
, au service de sa majesté l'empereur de
toutes les Russies , traduite de l'allemand et
du russe, avec portrait , 2 vol. in- 12 . Paris
chez Giguet et compagnie , imprimeurs- libraires
, maison des petits Pères , à côté de la
Bourse.
pres-
Les succès que les barbares du Nord
ont si facilement obtenu , en Italie , sur
notre armée désorganisée , ont attiré
l'attention sur eux , et principalement
sur leur général. Les français ont
que cru , un instant , qu'ils leurs étaient
supérieurs par la valeur ; et les sourds
ennemis que nous avons au milieu de
nous , n'ont point manqué d'exalter leurs
succès et de faire circuler que ces nouveaux
Vandales seraient nos sauveurs . A
les entendre , ces demi - sauvages étaient
la politesse et l'humanité même ; il ne
suffisait volontiers que de leur tendre les
bras pour trouver aussitôt le bonheur.
Depuis nos derniers avantages , vous
trouvez ou des incrédules qui font sem
blant de ne pas croire qu'un russe puisse
DE FRANCE. 201
être vaincu par un français , ou des hypocrites
qui assurent que nous ne pouvons
retourner à la félicité que par des
défaites. Voici un traducteur de russe et
d'allemand qui vient à leur secours . Non
content d'avoir traduit une lourde et
fastidieuse compilation des gazettes de
Vienne et de Pétersbourg , qu'il lui a
plu de qualifier du titre d'Histoire , il
a cru de son devoir d'élever jusqu'aux
nues , dans un avant- propos , les qualités
, les vertus , et même la douceur de
son héros . Je reviendrai sur cet avantpropos.
Disons auparavant un mot de
la Gazette historique ; ce sera bientôt,
fait. L'auteur ne montre Suwarow que
comme guerrier ; il n'a pas consacré
une page à l'homme. Son ouvrage n'offre
qu'une longue et fastidieuse suite de
batailles , où le héros eut plus ou moins
de part. Nous n'entrerons point dans des
détails qui nous meneraient beaucoup
trop loin . Cette histoire , d'ailleurs , est
aussi intéressante que est toute histoire
faite sur des gazettes . C'est le récit des
opérations militaires du tems , tel qu'il
a plu aux deux cours de les faire con
naître. Les ressorts restent toujours secrets
, et ces événemens particuliers qu
font connaître les hommes et les choses ,
ne sont point . sortis de leur obscurité 5
cent
85
I 5
202 MERCURE
Cette compilation peut cependant apprendre
encore beaucoup de choses , et
elle n'est pas à mépriser. On y entrevoit
toujours quelques traits du caractère des
peuples du Nord , et celui de Suwarow
se dessine quelquefois . Sans chercher
à lui donner des qualités que sa
conduite , en plusieurs circonstances , ne
peut supposer , il ne faut cependant pas
qu'un préjugé national nous empêche
de le regarder comme un grand homme
un véritable guerrier. Celui que Catherine
II distingua d'une manière si honorable
, ne devait pas être un homme
ordinaire . Quant à ce que fait Paul Ier,
c'est sans conséquence ; ses projets , ses
sottises , si utiles à d'autres qu'à lui , ne
peuvent le faire regarder que comme un
étourdi qui fera beaucoup de mal au
genre humain ; et les honneurs dont il
accable le vieux général russe , ajoutent
moins à la gloire de ce dernier , qu'ils
ne contribuent à confirmer au premier
le genre de réputation qu'il a déjà acquise
dans l'Europe .
Suwarow est certainement un grand
homme. Il a passé une partie de sa vie
à la guerre , et semble n'avoir jamais
desiré que cet état de malheur et de
destruction . Ordinairement en Russie
les jeunes gens de qualité sont inscrits
DE FRANCE. 203
de très -bonne heure , quelquefois même
dès leur naissance , dans un des régimens
des gardes . Ils entrent ensuite en
activité de service vers leur seizième
année , et souvent alors il sont déjà arrivés
, par ordre d'ancienneté , au grade
d'officier des gardes. Mais Suwarow
ayant été destiné à la robe , ne profita
; point , à cet égard , des avantages de sa
naissance ; et après avoir triomphé de
la volonté de son père , il eut encore à
surmonter tous les dégouts des derniers
grades . D'abord fusilier dans les gardes
de Seimonow ; ce n'est qu'en 1749 qu'il
fut nommé sous - officier , après avoir
été deux ans caporal , et ainsi de deux
ans en deux ans , il parvint à un nouveau
grade . Etant sergent , il fut employé,
comme courrier , en Pologne et
en Allemagne. Ses actions le firent distinguer
ensuite , et avancer rapidement.
La famille de Suwarow est d'origine
Suédoise . Elle s'établit en Russie il y a
environ 120 ans . Basile Suwarow , frère
du maréchal actuel était filleul de
Pierre Ier. Il jouissait des fonds de terres
accordés à ses aïeux en récompense des
victoires qu'ils remportèrent sur les Tartares
et sur les Polonais. Il mourut gé-
´néral et sénateur. Il laissa à son fils une
fortune considérable , que la générosité
I 6
204
MERCURE
de Catherine II a accrue , mais seulement
depuis qu'il a des enfans. En 1754 , il
épousa Barbe Isnowsna , princesse Prosorowka
, fille du général en chef Prosorowki
, dont il a deux enfans ; une
fille mariée au général comte de Nicolai
Zoubow , et un fils , lieutenant dans la
garde Bréobraschewski , auquel il a fait
donner l'éducation la plus recherchée ,
en homme qui en a senti le prix pour
lui-même. « La guerre et les lettres ,
» ajoute le traducteur dans son avant-
» propos , remplissent tous les momens
» du vieux maréchal. On pourrait lui
>> appliquer , continue -t-il , ce que dit
>> Plutarque , en parlant de Marcellus :
» quand il a les armes à la main , on
>> remarque une extrême fierté sur son
» visage , bien que par - tout ailleurs il
» soit le plus humain et le plus modeste
» des hommes. Dès sa plus tendre jeu-
» nesse ; il faisait ses délices de la vie
» des plus grands capitaines . Cornelius
Nepos devint bientôt son manuel. Mais
» il ne se borna pas à la seule étude
>> du métier de la guerre ainsi que
» Montecuculli , l'un de ses héros de
» prédilection , il prépara ses succès par
< «son attention à multiplier ses con-
» naissances , et particulièrement celles
» qui étendent la sphère des idées. Il
DE FRA N- C- E. 205
» étudia l'histoire dans Rollin , dans
>> Hubner ; la philosophie dans Wolf,
» dans Leibnitz , et s'appliqua aux lan-
» gues turque , polonaise , italienne , al-
>> lemande et française , sciences si utiles
» pour un militaire , si nécessaires pour
» un général ; et le comte de Suwarow
>> a tellement le don des langues , qu'il
>> entend encore celles de tous les peu-
» ples qu'il a vaincus. >>
L'éloge que le traducteur fait de Suwarow
, en son privé nom , et dans sa
préface , est beaucoup plus étendue que
le morceau que nous venons de citer.
Sans chercher à déprécier les qualités
d'un grand homme , ne pourrait-on pas
raisonnablement demander au traducteur
où il a appris tant de choses ? Et s'il
les a puisées dans des sources certaines
pour la satisfaction de son lecteur , ne
devait-il pas les citer ? En histoire , les
autorités ne sont jamais trop nombreuses .
En rappelant les deux guerres contre
la Pologne , où le général eut tant de
part , le traducteur ne manque pas de
louer son humanité , le soin qu'il prit
d'épargner le sang. Il saisit l'occasion
pour donner ses idées sur ces événemens ,
et quand il serait russe ou allemand , il
ne pourrait mieux faire en faveur du
fameux partage . Il en vient ensuite à
206 MERCURE
la guerre actuelle. « Le caractère na-
» tional , dit-il , est tout- à-fait métamor-
» phosé par l'effet d'une révolution qui
>> bouleverse tout , jusqu'aux mouvemens
» mécaniques de la machine humaine
» et par l'image répétée d'une mort cons
>> tamment menaçante. C'est ainsi que
> tant d'êtres paisibles , habitués à l'aisance
, se transforment en soldats in-
» trépides , capables des plus grandes
» fatigues , au fort des saisons les plus
> rigoureuses , pour fuir la mort d'un
côté , en courant au-devant d'elle de
» l'autre ; voilà comme une nation , na-
» turellement brave , devient prompte-
» ment redoutable à la guerre , même
» sans chefs expérimentés. Les voeux
» d'une grande partie de l'europe , et le
» salut des monarchies , appelaient à
>> leur secours l'expérience et le courage
» du général Suwarow. »
-
Après avoir parlé assez longuement
sur les affaires de Pologne , et avoir justifié
les co-partageans , il n'aurait sans
doute pas été hors de propos de déve
lopper les grands desseins de Paul Jer
de donner à sa sagesse le tribut d'éloge
qu'elle mérite , et sur - tout de montrer
quel avantage il peut raisonnablement
espérer de la guerre qu'il fait à la France.
Il n'y aurait peut - être pas eu de mal
DE FRANCE. 207
à lui rappeler la politique de Catherine ,
qui fut assez fine pour promettre toujours
, et pas assez folle pour envoyer des
troupes dans un pays où il n'y avait
rien à gagner pour elle ; et l'on eut pu
se dispenser de terminer une aussi longue
préface , en nous prophétisant que
le tems est peut- être venu où le Nord
doit envahir tout le Midi , et nous pré-
Senter , une seconde fois , le spectacle
des barbares , fondant sur les restes de
Rome. Espérons que cette prophétie
n'aura pas plus de succès que celle du
grand Frédéric , qui jugeait que les ré-*
publiques , en général , ne pouvaient
encore subsister long-tems , et qu'elles
allaient faire place à de nouvelles monarchies.
J.
AZALAÏS ET LE GENTIL AIMAR , Histoire provençale
, traduite d'un ancien manuscrit provençale.
Paris , chez Maradan , libraire , rue
Pavée André-des-Arcs , n. ° 16 , 3 vol. in- 12 ,
avec figures et musique , prix 5francs , et 6fr.
50 centimes , franc de port par la poste.
LE baron de Castellane , en disputant
contre Alphonse , comte de Provence ,
la souveraineté des terres de ses ayeux ,
சிஎ
208 MERCURE
succombe et perd la tête sur un échafaud ,
laissant un fils unique , âgé seulement de
dix -huit ans ; c'est Aimar. Un religieux
de ses parens , le sage Elias de Barjols ,
homme instruit , juste , sans préjugés
religieux , et qui avait autrefois fréquenté
les cours les plus polies de la Provence ,
le conduit dans son couvent de Saint-
Bénézet , à Avignon , et lui sert de père.
Sous les yeux d'un tel mentor , le jeune
Aimar fait de rapides progrès ; bientôt
il n'est plus connu que sous le nom du
gentil Aimar. Il fait , entre les mains de
son instituteur , le serment de venger
la
mort de son père et la honte de sa famille .
Les moines de Saint- Bénézet veulent
déterminer Aimar à rester parmi eux ;
Elias s'y oppose , et il devient leur victîme.
Aimar rejoint Arnaud de Comminge
qui défend le parti des Albigeois contre
les croisés , commandés par le roi de
France et Almaric de Montfort son
connétable. Aimar est blessé ; il est
porté dans le château du comte de Forcalquier.
Azalaïs , fille du baron d'Anduze
, le guérit de ses blessures , mais
elle l'enivre d'amour . Le gentil Aimar.
est aimé de la comtesse de Forcalquier,
d'Azalaïs et de sa belle suivante Alexide :
celle-ci devient la plus heureuse des trois;
DE FRANCE. 209
elle trouva le moyen de tenir Aimar
entre ses bras. Le couple est surpris par
Azalaïs elle-même ; désespoir de cette
belle . Aimar quitte alors le château ,
emportant une lettre qu'il ne doit ouvrir
qu'à Castellane , où elle lui ordonne
de se rendre.
Cependant Bernard d'Anduze , père
d'Azalaïs , veut la marier à Almaric ,
le connétable de France , et il arrive à cet
effet chez la comtesse de Forcalquier ;
il est touché des pleurs de sa fille , et il
consent à son évasion . Azalaïs s'échappe
du château la nuit suivante , sous la conduite
de son frère.
Aimar cependant arrive à Castellanne ,
où il apprend que , depuis la mort de son
père , le farouche Almaric de Montfort
s'est mis en possession de ses terres et
héritages. Il s'empresse de lire la lettre
d'Azalais . Cette tendre fille lui annonçait
le pardon de sa faute , et lui enjoignait
d'aller trouver le baron d'Anduze , son
père , et de lui montrer son anneau qu'elle
avait renfermé dans la lettre .
#
Aimar est reconnue par les anciens
vasseaux de son père , comme véritable
seigneur de Castellanne. Il choisit cent
jeunes gens parmi eux , qu'il arme ; mais
au lieu de les conduire sur - le- champ
à l'armée du comte de Toulouse , il les
Στο MERCURE
confie à celui qui commandait sous lui ,
et prend, pour obéir à la dame de ses
pensées , le chemin de la baronnie d'Anduse.
Il s'égare , et demande l'hospitalité
dans un château ; c'était un repaire de
brigands et de scélérats. Enfermé dans
une chambre , il entend un bruit de
chevaux , il regarde à travers les barreaux
de sa fenêtre , il apperçoit une
femme que le brigand Châtelain vient
d'enlever , c'est Azalaïs. Quelle situation
que celle d'Aimar en ce moment ! Sa
bonne mine a heureusement inspiré de
l'intérêt à une jeune fille qui sert dans
ce château , mais qui a la langue coupée ;
elle l'arme d'un poignard. Aimar tue le
Châtelain et délivre Azalaïs , qu'il
ramène à Anduze. Son rival Almaric s'y
trouvait. Azalais le lendemain est enlevée
; Aimar vole à sa recherche , et il
la retrouve au pouvoir d'Almaric , dans
un château escarpé , au sein d'un pays
désert. Défi entre Almaric et Aimar ;
Almaric perd la vie ; les amans sont
unis.
Aimar cependant avait aidé le comte
de Toulouse à remporter une victoire
contre le roi de France ; il est rétabli
dans la suzeraineté des terres de Castellanne
, et le comte y ajoint celles de Digne
et de Forcalquier.
DE FRANCE. 211
Cette production offre une marche
simple , et une intrigue peu compliquée ;
elle rappelle les anciens Romano - historiques....
L'Auteur d'Azalais a su
fondre , pour ainsi dire , dans son ou →
vrage , la peinture animée de ces tems
où l'enthousiasme chevaleresque fit faire
de si grandes choses.
On trouve dans Azalais beaucoup de
romances , dont quelques-unes en Provençal.
L'auteur les a mises lui-même
en musique , ces airs gravés sont placés
à la fin du dernier volume.
L. D. B.
SCELTA DELLE MIGLIORI COMEDIE del celebre
Carlo Goldoni , ad uso degli stranieri dilettanti
dell'italiana favella. Parigi , appresso
P'editore Andrea Mugnozzi , rue des vieux
Augustins , nº. 225 , près la rue Coquillière ;
J. Molini , libraire , rue Mignon Saint-Andrédes-
Arcs , et J. Baillot , imprimeur- libraire ,
place du Palais-Egalité , au coin de la rue
Fromenteau , n ° 1. ( CHOIX des meilleures
comédies du célèbre Charles Goldoni , à l'usage
des amateurs de la langue italienne , etc. ) un
vol. in- 12 de 394 pages ; prix 3 francs , et 4 fr
pour les départemens , franc de port.
Il suffira , pour faire connaître ce
recueil , de traduire ici l'avis de l'édi
teur Mugnozzi.
212 MERCURE
*
,
<< PARMI les ouvrages italiens qui ont
obtenus une grande reputation , non-seulement
dans le pays qui les a vus naître ,
mais encore dans toute l'Europe , on
distingue principalement le théâtre de
Charles Goldoni, qu'on pourrait appeller,
à juste titre , le Molière de l'Italie. Cependant
, malgré la célébrité de cet auteur
, les amateurs de la langue italienne ,
lisent rarement ses comédies , quoiqu'elles
pussent certainement contribuer à les
perfectionner dans l'étude et dans le
parler de cette langue. Cela vient , je
crois de deux causes , premièrement
l'étendue de ce théâtre , dont la dernière
édition qui en a été donnée , contient
quarante quatre volumes : secondement
l'attrait des Italiens , et surtout les Vénitiens
, pour les personnages à masques ,
a forcé Goldoni d'écrire en différens
jargons plusieurs rôles de ses pièces ,
tels que ceux d'Arlequin , de Pantalon
de Brighelle , etc. et ce mélange de
dialectes peu agréables , avec le langage
Romain , a dû rebuter beaucoup de
monde. J'ai donc cru bien faire , cher
lecteur , d'éloigner de vos yeux des
idiômes peu flatteurs , qui ne pourraient
que corrompre l'élégance Toscane , et
de vous présenter un choix des meilleures
comédies de ce célèbre auteur , écrites
DE FRANCE. 213
dans le style italien , le plus pur et le plus
poli , et où vous puiserez , comme à une
source nette et limpide , tous les agrémens ,
toutes les finesses et toutes les grâces de
cette langue , qui fait les délices de l'Europe
entière. »
Ce recueil contient cinq comédies .
Pamela , (Paméla , ) il vero amico
( le véritable ami ; ) l'Aventuriere ono-
Tato , ( l'Honnête Aventurier ; ) la dona
prudente , ( la Femme prudente ; ) la
Villegiatura , (la Maison de campagne; )
toutes ces comédies sont en trois actes .
André Mugnozzi , éditeur de ce
Choix, enseigne à Paris la langue ita-
Henne. Il est auteur de deux ouvrages :
1.º d'une Grammaire intitulée : les Élémens
de la langue italienne ; 2.º de la
traduction italienne du Poëme d'Abel
de Gesner. On trouve ces deux ouvrages
chez lui , et chez les libraires ci - dessus
indiqués.
L. D. B ,
214
MERCURE
Fabellæ et historiunculæ à nostratibus variis
scriptoribus diligenter adscito , in latinum
conversa , ad usum tyronum , cum notis gallicis
accomodatæ et in quatuor libros divisæ.
Par le citoyen Boinvilliers , Professeur de
belles-lettres à l'école centrale de l'Oise
menbre de la société libre des sciences ,. lettres
et arts de Paris , etc. , chez Cailleau , au
bureau général du Mercure de france
de la Harpe , et chez Barbou , rue des Ma
thurins. Prix , 1 franc 25 centimes : les deux
parties réunies , 2 francs 50 centimes.
"
Rien n'est plus difficile à composer
qu'un ouvrage élémentaire ; cette asser
tion est si vraie , que nous avons peu
de livres en ce genre , et qu'encore la
plûpart d'entr'eux sont à refaire . Que
les demi-savans ne portent qu'un regard
dédaigneux sur les ouvrages destinés à
enseigner les élémens d'un art , d'une
science quelconque , cela ne nous surprend
point ; mais l'homme véritablement
instruit , loin de mépriser ce genre
difficile de production , applaudit même
aux efforts de ceux qui ont le courage
d'y consacrer leurs veilles ; il sait que ,
pour faire un bon livre élémentaire , il
faut avoir soi-même beaucoup de conDE
FRA N C-E. 215
naissances . Ces réflexions nous ont parų
devoir précéder le compte que nous
avons à rendre de l'ouvrage du citoyen
Boinvilliers ( seconde partie ) , qui vient
de paraître sous le titre sus -énoncé. Déjà
l'on a fait connaître , dans un des précédens
numéros de ce journal , la première
partie , qui renferme des compositions
françaises , c'est-à- dire , des phrases
très-signifiantes et très-heureusement
combinées , que les élèves ont à traduire
en latin , aidés de la connaissance des
règles , développées avec méthode et
précision dans la grammaire élémentaire
latine du même auteur. Le cit.
Boinvilliers , à qui l'on est redevable de
plusieurs ouvrages en ce genre , tous
favorablement accueillis des corps littéraires
auxquels il appartient , a pensé
comme il le dit lui - même , qu'on ne
saurait mettre de trop bonne heure les
fables entre les mains des enfans . Ces
fictions agréables , loin de les ennuyer ,
piquent leur curiosité naturelle ; ils aiment
à entendre des animaux s'entretenir
à la manière des hommes : mais ce
qui ajoute encore au prix de la lecture
des fables , c'est qu'elles contiennent des
vérités morales , dont il importe à tous
les hommes de se pénétrer ; c'est pour216
MERCURE
quoi l'ouvrage que nous annonçons ici,
et qui est la seconde partie de son manuel
latin , se compose de fables et
d'historiettes ; celles-ci sont toujours ou
instructives ou amusantes ; un ton vrai ,
simple et morale , caractérise celles -là ;
la plupart sont empruntés de nos modernes
fabulistes ; le citoyen Boinvilliers
les a traduites , et son style , dont les
difficultés sont habilement graduées , est
par-tout d'une grande pureté. Il y a du
mérite sans doute , et plus qu'on ne pense ,
à réduire en prose classique des ouvrages
pleins de ces beautés qui appartiennent
à la poésie . L'auteur a parfaitement
réussi ; les fables , remplies d'intérêt ,
qu'il a mises au jour , ont été par lui
dépouillées , avec soin , des pompeux
ornemens dont elles étaient revêtus ; en
;
les traduisant , il leur a fait perdre ,
comme il le dit plaisamment , cet air
précieux de l'hélicon qu'elles avaient
pris. Une seule citation faite au hazard
justifiera ce que nous avançons.
LE TIGRE ET LES DEUX LIÈvres .
Quædam tygris quam tædebat inter
reges vivere ; decrevit aulam deserere
ad perlustrandum orbem. Oblita sui
generis.
r
DE FRANCE. 217
generis illustrissimi ( nam tygrides
sunt nobiles inter animalia ) societatem
iniit cum duobus leporibus qui
viventes in sylvis ignorabant aulicorum
artem , et felicem ideò agebant
vitam cui omnes invidebant. Amici ,
inquit tygris , mihi videtur amicitiam
veram vos conjungere ambos , et lætor
hác concordia. Agitedùm , recipi volo
in vestram amicitiam ; prandebimus ,
simulque pariter conabimus , modò ne
exuatis reverentiam mihi debitam ,
ego enim sum nobilis . Vix hæc protulit
, cùm lepores duo procidunt in
terram salutando illius gratiá : illa
nobilis est , inquiebant intrà se , et id
credimus , reverà non est vulgare animal.
Die quádam , cùm simul deambularent
, tygris dixit illis : volo vos
mecum sedere sub illá quercu , et
enim sum defessa. Lepores duo se invicem
respicienter dicebant secum :
fierine potest ut nobilis tam citò sit
defatigatus ? Alid die , lepores , cùm
convenissent suum hospitem , eum invenerunt
in lecto agrotantem et podagra
laborantem . Mirati sunt quòd
tygris ità se haberet . Quid ergo ! exclamavit
unus , nobilis es , attamen
ægrotas ! Postquam tres effluxerunt
menses , tygris mortua est. Si duos
Tome IX.
K
218 MERCURE
vidissetis lepores stupefactos et tremebundos
, illud spectaculum vobis
risuo movisset. Non ea intelligimus
quæ nobis contingit videre , aiebant ;
si nobiles sint, tam similes nostrî , si
nascantur tanquam nos ad moriendum
, quid sua illis prodest nobilitas ?
?
Que nos lecteurs comparent cette fable
latine , dont le style est si simple ,
dont le but est si philosophique , à la
même fable d'Imbert , poëte charmant
avec lequel le citoyen Boinvilliers paraît
avoir été lié ; ils verront que l'auteur a
dû apporter la plus scrupuleuse attention
pour ne pas s'égarer sur les pas
de son modèle en prenant un vol aussi
élevé que le sien. Les historiettes sont
toutes écrites du même ton ; elles honorent
à-la-fois l'esprit et le coeur de celui
qui a scu faire un si heureux choix d'opuscules
, propres à faire aimer la vertu.
Si les bornes de cette feuille nous le
permettaient , nous citerions encore bien
volontiers la fable du petit paysan bien
corrige , ( rusticulus ex malo bonus )
imitée de le Monnier ; elle nous a paru
narrée avec un charme indicible , mais
nous nous contenions d'y renvoyer nos
Jecteurs , et de conseiller l'adoption de
Fouvrage du citoyen Boinvilliers , ( lequel
est suivi de deux vocabulaires ) à tous
DE FRANCE 219
les professeurs et instituteurs , tant publics
que particuliers , qui n'en font pas
encore usage ; nous l'invitons lui-même
à faire jouir bientôt le public de la nouvelle
édition des Fables de Phèdre
qu'il nous promet pour le premier germinal
prochain , et dont nous desirons.
vivement que l'impression soit aussi soignée
que celle du Manuel latin.
M .....
INSTITUT NATIONAL.
Séance publique du 25 vendémiaire, an VIII ,
au palais national des Sciences et des Arts.
L'Institut national a regretté que le tableau
de Marcus Sextus , par le citoyen Guérin ,
élève du citoyen Regnault , n'eût pas été exposé
avant le premier vendémiaire an 8. Cette circonstance
a été la seule cause qui a empêché
que ce bel ouvrage n'ait été mis au nombre de "
ceux qui ont été proclamés au Champ-de-
Mars. L'Institut a arrêté de donner
sa séance publique , au citoyen Guérin , un tenoignage
éclatant de l'estime due à ses talens.
Il a reçu une couronne de laurier.
1
Noms des Artistes qui , au jugement de l'Institut&
national des Sciences et des Arts , ont remporté 3
des prix de peinture , sculpture et architecture,
en l'an 7 de la République,
K 2
220 MERCURE
PEINTURE.
Le sujet du concours était l'exemple de discipline
militaire donné par Manlius Torquatus.
Son fils , provoqué par l'un des chefs des
Latins , et n'écoutant que son courage , le combattit
au mépris de la loi qui défendait d'accepter
aucun défi de l'ennemi , et le vainquit. Son père ,
après avoir posé sur sa tête la couronne du
triomphe , le fait conduire an supplice.
Grands prix. 1, Augustin-Alphonse Gaudar,
natif de Bourges , département du Cher , élève
du citoyen Vincent.
2. Alexandre - Romain Honnet , de Paris ,
élève du citoyen Regnault.
Second Prix. Henri Mullard , de Paris , élève
du citoyen David ,
D
SCULPTURE.
«<
Sujet du concours : Anaxagoras , dans sa
» vieillesse , se voyant négligé par Périclès , se
>> cou re la tête de son manteau , résolu de se
» laisser mourir. Périclès , instruit de son désespoir
, accourt et le supplie de ne point
» renoncer à la vie et de lui conserver ses bons
» conseils pour le gouvernement de la répu
blique. Alors , Anaxagoras se découvrant ,
» lui dit : Périclès , ceux qui ont besoin de la
» lumière d'une lampe , ont soin d'y verser de
» l'huile. »
Grands Prix. 1. Louis-Marie-Charles-Henri
Dopaty, natif de Bordeaux , département de la
Gironde , élève du citoyen Lemot.
2. Antoine Mouton , dit Moutoni , natif de
Lyon , département du Rhône , élève du citoyen
Julien .
DE FRANCE. 221
Second Prix. Edme Gaulle , natif de Langres ,
département de la Haute-Marne, élève du citoyen
Moitte.
ARCHITECTURE.
Le sujet du concours était un Élysée ou un
Cimetière public.
Grands Prix. 1. Louis-Sylvestre Gasse , natif
de Naples , élève du citoyen Labarre.
2. Augustin - Henri - Victor Grandjean , de
Paris , élève du citoyen Percier.
Second Prix. Jean-Baptiste Guinet , de Versailles
, département de Seine - et- Oise , élève
des citoyens Heurtier et Percier.
Les élèves qui ont remporté les grands prix ,
seront envoyés en Italie , pour y continuer leurs
études aux frais de la République .
PRIX PROPOSÉS DANS LA MÊME SÉANCE.
Conditions générales à remplir par les aspirans
auxprix , quelque soit le sujet qu'ils traitent.
Les personnes de tous les pays , les membres
et associés de l'Institut exceptés , sont admises
à concourir.
Aucun ouvrage envoyé au concours ne doit
porter le nom de l'auteur , mais seulement une
sentence ou devise on pourra , si l'on veut , y
attacher un billet séparé ou cacheté , qui renfermera
, outre la sentence ou devise , le nom
et l'adresse de l'aspirant ; ce billet ne sera ouvert
par l'Institut que dans le cas où la pièce aurait
remporté le prix.
Les ouvrages destinés au concours peuvent
être envoyés à l'Institut sous le couvert du ministre
de l'intérieur , en affranchissant le paquet
K 3
222 MERCURE.
qui les contiendra ; on peut aussi les adresser ,
francs de port , à l'un des secrétaires de la classe
qui a proposé le prix , ou bien les lui faire remettre
dans ce dernier cas , le secrétaire en
donnera le récépissé.
Les concurrens sont avertis que l'Institut ne
peut rendre ni les mémoires , ni les dessins , ni
les machines qui auront été soumis au concours :
mais les auteurs seront toujours les maîtres de
tirer des copies des mémoires , des dessins , et
de retirer les modèles des machines , en remettant
des dessins conformes .
C'est la commission des fonds de l'Institut
qui délivrera la médaille d'or au porteur du récépissé
; et dans le cas où il n'y aurait point de
récépissé , la médaille ne sera remise qu'à l'auteur
même , ou au porteur de sa procuration,
་
Classe des Sciences Mathématiques et Physiques.
Sujet du prix de Chimie.
Indiquer les substances terreuses et les procédés
propres à fabriquer une poterie résistante
aux passages subits du chaud au froid , et qui
soit à la portée de tous les citoyens.
L'art de fabriquer les poteries précieuses ,
connues sous le nom de porcelaine , a reçu dans
la république française une perfection qui ne
laisse presque plus rien à desirer : mais il n'en
est pas de même des poteries communes qui
sont d'un usage journalier ; il s'en faut de beaucoup
que ce dernier art soit porté au degré
d'accroissement et de prospérité si desirable
>pour les besoins du plus grand nombre de citoyens
; tandis que quelques nations voisines ,
qui ne font pas d'aussi belles porcelaines , fabriquent
des poteries très-utiles dont les proDE
FRANCE. 223
priétés sont bien supérieures à celles que la
France fait elle-même. L'institut demande aux
concurrens l'examen de la composition de ces
bonnes poteries ; l'exposé des terres qui peuvent
servir à les former , ou celui des mélanges
artificiels susceptibles de les remplacer ;
manière dont on doit traiter ces terres , pour
leur donner les qualités qui leur sont nécessaires
; l'art de la cuisson ; le dégré de feu ; la
forme des fourneaux qui leur conviennent , et
sur-tout les procédés propres à faire des cou
vertes sans oxcides de métaux nuisibles .
Les concurrens feront remettre à l'Institut
des échantillons des terres employées à leurs
poteries , et des poteries elles -mêmes qu'ils en
auront fabriquées .
Tel est le programme que l'Institut proposa
dans sa séance publique du 15 germinal an VI.
N'ayant pas reçu les pièces pour concourir
à ce prix , qui devait être distribué dans cette
séance , l'Institut propose une seconde fois le
même sujet , en avertissant les concurrens qu'un
des principaux buts qu'ils doivent atteindre dans
ce travail , est l'analyse des terres appartenant
au sol français , comparée à celle des poteries
de la meilleure qualité , pour indiquer le choix
des terres propres à la fabrication des potèries
demandées , ou la nature des mélanges desti→
nés à cette fabrication. L'Institut ne fait pas
cependant de cette analyse une condition de
rigueur ; l'auteur qui enverrait une poterie d'excellente
qualité sans avoir donné une analyse
exacte des terres qui y ont servi , pourra obtenir
le prix.
Ce prix double , et de la valeur de deux kilogrammes
d'or , ( environ 6,800 francs ) sera
donné dans l'assemblée du 15 vendémiaire an X
K 4
224
MERCURE .
V
de la république . Les ouvrages ne seront reçus
que jusqu'au premier messidor an 9. Ce terine
est de rigueur.
Classe de Littérature et Beaux-Arts.
Prix d'antiquités.
Quelles sont les études qui forment , et les
connaissances qui caractérisent l'antiquaire ?
Quels avantages l'ordre social doit-il retirer de
ces connaissances ?
Le prix sera d'une médaille d'or , du poids de
cinq hectogrammes .
Il sera distribué dans la séance publique du
15 vendémiaire an X de la république.
Les ouvrages ne seront reçus que jusqu'au
premier messidor an IX. Ce terme est de
rigueur.
Classe des sciences morales et politiques.
Prix de science sociale et législation .
La classe des sciences morales et politiques
avait proposée pour sujet de l'un des prix que
l'Institut national devait décerner dans la séance
publique , du 15 vendémiaire an VIII , la
question auivante :
Quelles doivent être , dans une république
bien constituée , l'étendue et les limites du
pouvoir du père de famille ?
Les mémoires envoyés au concours n'ayant
pas rempli le but du programme , la classe
propose de nouveau le même sujet pour
l'an IX.
Le prix sera de cinq hectogrammes d'or ,
frappés en médaille . Il sera distribué dans la
séance publique du 15 nivôse de l'an IX de
la République
DE FRANCE. 225
Les ouvrages ne seront reçus que jusqu'au 15
vendémiaire an IX. Ce terme est de rigueur.
Prix d'analyse des sensations et des idées.
La même classe propose pour sujet d'un des
prix qu'elle doit décerner pour l'an IX , la
question suivante :
Déterminer l'influence de l'habitude sur la
faculté de penser , du , en d'autres termes , faire
voir les effets que produit sur chacune de nos
facultés intellectuelles la fréquente répétition
des mêmes opérations.
Le prix sera de cinq hectogrammes d'or ,
frappés en médaille . Il sera distribué dans la
séance publique du 15 germinal de l'an IX de
la République .
Les ouvrages ne seront reçus que jusqu'au
15 nivôse de la même année. Ce terme est de
rigueur.
Prix d'économie politique .
La même classe propose pour sujet d'un autre
prix , la question suivante :
Est-il vrai que , dans un pays agricole , toute
espèce de contribution retombe , en dernier ter
me, sur les propriétaires fonciers ; et si l'on se
décide pour l'affirmative , tes contributions indirectes
retombent-elles sur ces mêmes proprié→
taires avec une surcharge ?
Le prix sera de cinq hectogrammes d'or
frappés en médaille . Il sera distribué dans la
séance publique du 15 nivôse de l'an IX de la
République .
Les mémoires ne seront reçus que jusqu'au
15 vendémiaire de la même année. Ce terme
est de rigueur.
K 5
226
MERCURE
La même classe avait remis le prix suivant :
Pour quels objets et à quelles conditions
'convient-il à un état républicain d'emprunter ?
Elle publiera son jugement sur les mémoires
qu'elle a reçus , dans la séance publique du
15 nivôse prochain .
SPECTACLE S.
THEATRE DES TROUBADOURS ,
RUE DE LOUVO I S.
18 Vendémiaire.
CHRISTOPHE MORIN , OU AH ! QUE JE SUIS FACHÉ
D'ÊTRE RICHE ! Folie-Vaudeville en un acte.
Аn! que je suis fáché d'être riche ! s'écrie le
∙
AH
!
bon Chistophe Morin , obsédé par le grand
nombre de flatteurs qui l'entourent ! Combien
peu de gens seraient de son avis , si la fortune
feur souriait . Nous en appelons à vous , lecteur..
Eh bien ? le public , toujours vrai , n'a pas été
du nombre de ces astucieux complimenteurs ;
car ses murmures ont par fois accueilli notre
richard. Voilà comme tout n'est point heur en
cette vie.
Christophe Morin n'a pas acquis , avec l'immense
fortune dont il vient d'hériter , tous les soidisant
beaux airs du grand monde de notre siè
DE FRANCE. 227
cle. C'est toujours Christophe Morin , marchand
de chevaux. Depuis qu'il est riche , des intrigans
cherchent à s'emparer de son esprit simple
et facile , et l'un d'eux , nommé Dabville
est tellement parvenu à le maitriser , que le bon
Chistophe Morin devient , sans s'en appercevoir
, le premier esclave des moindres volontés
de ce fripon adroit , qui courtise Babet , la fille
de notre parvenu. Cette aimable personne a
déjà donné son coeur à Sirval , jeune homme
généralement estimé. Ces deux amans plaignent
Christophe Morin , que Dabville couvre chaque
jour d'un nouveau ridicule , tantôt en le forçant
à rassembler chez lui une société de gens à la
mode , devant lesquels il fait mille gaucheries ;
tantôt en l'excitant à danser une anglaise , lut
qui n'a jamais connu que les bourrées d'Auvergne
; enfin en le chargeant du rôle d'amoureux
dans un petit proverbe. Christophe Morin
s'apperçoit qu'il sert de risée à la société , et
qu'il est la dupe de la feinte amitié de notre
intrigant. Il profite du proverbe qu'il représente
pour unir sa fille avec Sirval. Grand
étonnement de Dabville. Christophe Morin le
congédie , et remercie ses enfans de l'avoir
détrompé sur le compte de ce faux ami.
Le principal caractère est par fois gai , par
fois trivial. Dans le commencement on a ri ,
sur la fin on s'est ennuyé. Il y a de charmans
couplets qui ont été répétés ; il y a des longueurs
qu'il est nécessaire d'élaguer , entr'autres
la scène du proverbe . Il faut trouver un autre
moyen pour amener le dénouement. Nous
avons aussi remarqué dans cette pièce , nombre
d'idées et de pensées connues depuis
tems . Nous conseillons donc aux aus
revoir leur ouvrage avec attention , et sup tent
K6
228 MERCURE
de couper dans le vif. Nous osons ensuite leur
promettre un succès mérité et durable .
Le citoyen Tiercelin a parfaitement saisi la
caricature de Christophe Morin , et a obtenu
les suffrages universels. Le citoyen Frédéric a
fort bien chanté ses couplets. Ces deux artistes
ont été , on ne peut mieux , secondés. par leurs
camarades chargés des autres rôles.
THEATRE DE L'OPÉRA - COMIQUE
NATIONAL , RUE FAVART.
19 Vendémiaire.
ARIODANT, Opéra en trois actes.
PERSONNAGES.
EDGARD ,
OTHON ,
ARIODANT ,
LURCAIN , frère d'Ariodant .
INA , fille d'Edgard ,
DARLINDE , Suivante d'Ina ,
Soldats .
Bardes.
Peuple .
ARTISTES.
Solié.
Philippe.
Gavaudan.
Chenard.
Ce. Armand,
Ce. Philis.
Un même épisode , dans. l'Arioste , a fourni
le sujet de deux opéras représentés sur ce théâtre
. Nous ne savons auquel donner la préférence.
Semblables , quant au fonds , differens ,
quant aux moyens et aux détails , tous les deux
renferment des beautés qui font honneur au
génie de leurs auteurs. Qui n'a pas admiré les
superbes situations de Montano ` et Stéphanie x
DE FRANCE. 223
du citoyen Dejaure , que les lettres ont perdu
à la fleur de son âge , et qui méritera longtems
les regrets de tous les amis de l'art dramatique?
Qui n'a pas applaudi avec enthousiasme
ce chef-d'oeuvre de musique du citoyen
Le Breton , dont l'harmonie mélodieuse fait si
bien ressortir les magnifiques effets du poëme.
Eh bien ? Ariodant offre une même richesse de
situations et d'harmonie aussi le public s'estil
empressé de décerner à ses auteurs une seconde
couronne due aux . vrais talens ; Dejaure
et Le Breton s'étaient déjà partagé la première .
:
Edgard n'a qu'une fille , dans laquelle il a
concentré toute sa tendresse ; Ina , très -jeune
encore , a promis sa main à Othon , souverain
d'une contrée voisine ; mais l'âge , amenant la
raison , a éclairé son coeur , et lui a fait bientôt
regretter une telle inconséquence . Le jeune et
brave Ariodant a paru à la cour d'Edgard , et
il n'a fallu qu'un coup d'oeil pour enflammer
notre héros , et pour faire repentir Ina de sa
trop grande précipitation . Cependant cette aimable
princesse ne peut maîtriser la passion qui
la domine , et bannit Othon de sa présence .
Cet amant furieux de voir ses feux rejettés au
moment où il en attendait la récompense , se
livre à la plus cruelle jalousie , et jure de se›
venger des mépris de l'inconstante Ina. Une
loi punit de mort la femme qui serait convainque
d'avoir , pendant la nuit , introduit chez
elle un séducteur. Othon ne l'ignore point , et
son projet est formé. Ariodant et lui se sont
donnés rendez - vous , au milieu de la nuit , pour
se disputer la possession d'Ina. Othon profite
de ce moment où il se trouve seul avec son
rival , pour lui dévoiler un important mystère.
Il lui apprend qu'Ina l'a déjà plusieurs
230 MERCURE
fois comblé de ses faveurs , qu'elle l'attend , et
qu'à un signal convenu , elle va l'introduire
dans son appartement. Ariodant refuse de le
croire. Othon , pour le convaincre , donne le
signal . Une femme , revêtue des mêmes habits.
que la princesse , paraît sur la terrasse , jette
une échelle , et Othon est bientôt dans le palais.
Ariodant , immobile de surprise , ne sait
que penser de la perfidie de son amante , et
sort désespéré , malgré les conseils de Lurcain ,
son frère , témoin , ainsi que plusieurs amis
qui l'accompagnent , de cet événement inattendu
. Lurcain , furieux , s'empresse d'aller dénoncer
la coupable . Othon a séduit la suivante
d'ina , et c'est par ce moyen qu'il a su tromper
jusqu'aux yeux même d'un amant . Il remet
cette jeune fille entre les mains de deux de ses
gens , pour protéger soi- disant sa retraite , et
quitte lui-même l'appartement d'Ina , après y
avoir laissé son casque et son armure pour déposer
contr'elle. Pientôt le crime dont on aceuse
Ina est connu. Edgard en est instruit ,
et se livre au désespoir. Les preuves sont produites
contre sa fille , et il est indispensable
que la justice prononce . Le moment fatal où
Ina doit subir son jugement n'est pas éloigné.
Othon se présente devant Edgard , et le prie
de lui accorder un entretien secret avec sa
fille. Edgard y consent . Othon propose à Ina
de lui rendre l'honneur et la vie , si elle veut
accepter sa main. Il est certain de réussir . Ina
refuse de l'entendre , et sort après l'avoir accablé
de tout son mépris. Le tribunal est assemblé.
Edgard le préside . On amène la coupable
voilée. Après les dépositions des témoins ,
sommée de répondre , elle refuse de se justifier
, et garde le silence le plus obstiné. Othon
DE FRANCE. 231
:
se présente , et reclame l'accusée comme étant
ni avec elle par des liens secrets. La coupable
, interrogée si elle est vraiment l'épouse
d'Othon , lève aussitôt son voile , et répond
avec fermeté : non . A ce mot , tous les assistans
jettent sur elle des regards étonnés mais.
quelle est leur surprise , de voir , au lieu d'Ina
sa trop crédule suivante. Othon prend la fuite,
La suivante déclare qu'au moment où elle
allait être assassinée par les ordres de ce
monstre , Ariodant est survenu à tems pour
lui sauver la vie ; elle demande , comme étant
La seule coupable , à subir la peine réservée
à l'innocente Ina. Ariodant reclame la
grace de cette jeune fille. Elle lui est accordée
ainsi que la main d'Ina : il veut mériter cette
dernière faveur en vengeant son amante de
l'outrage d'un perfide rival ; mais Lurcain a
déjà prévenu son dessein , et la mort du farouche
Othon a suivi de près l'attaque.
En assistant à la représentation de cet opéra ,
on ne peut s'empêcher de le comparer avec
Montano et Stéphanie , dont nous avons parlé
plus haut. Les situations sont peut-être plus
vraisemblables , plus dramatiques dans ce der
nier ouvrage ; nous citerons entr'autres celle
où Montano , trompé par un faux amni , voit
un prétendu rival s'introduire chez Stéphanie ,
par les soins mêmes de cette jeune personne .
La musique ajou e encore à l'effet de cette
belle situation ; et le citoyen Gavaudan y fait
preuve chaque fois d'un talent précieux mais,
la dernière scène du premier acte d'Ariodant ,
et sur-tout le dénouement du troisième acte ,
sont neufs et vraiment dramatiques . Quelques
lougueurs déparent seulement cet ouvrage , fait
pour attirer la foule. La musique , tout-à-la - fois
:
232 MERCURE
savante , mélodieuse , tendre , gracieuse , forte
et sublime , a obtena les suffrages universels .
L'exécution a répondu aussi à l'attente du
public et des auteurs. Tous les artistes se sont
surpassés , et ont été demandés généralement
après la représentation .
Le public a voulu connaître les auteurs de
cet opéra. On a nommé les citoyens Hoffman
et Maul : ce dernier seul a paru , le premier
étant retenu ehez lui par une maladie grave.
TIVOL I.
20 Vendémiaire.
Ascension à Ballon perdu , et descente en parachute
de la citoyenne LA BROSSE.
L'expérience tant de fois annoncée de l'ascension
à ballon perdu , et de la descente en
parachute de la citoyenne La Brosse , a enfin
eu lieu décadi dernier , et a réussi complettement.
L'heure incommode ( c'était celle du
dîner ) qui a été choisie , a empêché un grand
nombre de personnes de se transporter à Tivoli
; et nous sommes persuadés que beaucoup
d'estomachs n'ont point été satisfaits du retard
apporté encore à l'ascension. La cit . La Brosse
s'est élevée à cinq heures de l'après-midi. Le
vent était sud- ouest. Au bout de trois minutes
elle s'est séparée de son ballon , et , à l'aide de
son parachute , qui fut à- peu-près dix-huit secondes
à se déployer entièrement , elle est descendue
à un demi-myriamêtre de Paris . Le
vent , qui s'était engouffré dans le parachute
la traîna environ treize mètres sur la luzerne.
Flle se donna , en tombant , un coup sur la
nacelle , dont elle portera la marque pendant
"
DE FRANCE. 233
quelques jours. L'herbe sur laquelle elle avait
été trainée lui avait taché sa robe , et sa bouche
était pleine de poussière . Elle n'a ni froissure
ni contusion , ni bosse , comme on le prétend ;
et elle se prépare , dit-on , à faire encore une
nouvelle expérience ; mais nous l'invitons à ne
point l'indiquer pour la même heure . Le public
s'est tellement porté de ce côté , que toute
la route était encombrée de spectateurs. Le
cabriolet qui la ramena à Tivoli eut beaucoup
de peine à se faire jour à travers la foule.
VARIÉTÉ S.
Meaux , 16 Vendémiaire , an 8.
Au Rédacteur du Mercure de France.
Je vous adresse , citoyen , le programme de
la quatrième séance publique de la Société
d'Agriculture , Sciences et Arts , du départe
ment de Seine et Marne , formée à Meaux
il y a quinze mois environ , par les soins du
citoyen Carangeot , savant distingué et conservateur
du Musée de cette commune.
Un prix de la valeur de 144 francs , est
fondé , pour trois ans , par un anonyme , dans
cette Société , pour celui qui aura le mieux
traité un sujet , dont le programme est rédigé
par elle.
Le sujet du prix de l'an 7 a été publié dans
plusieurs Journaux , notamment dans la feuille
du Cultivateur ; je vous adresserai celui de
l'an 8 , en vous priant de le rendre public par
la voie du Mercure.
Puissent semblables Sociétés s'établir ainsi
dans toutes les Communes de la République ,
234
MERCURE
et bientôt nous aurons réparé le tems perdu
pour les Sciences et les Arts , pendant le régime
révolutionnaire. Qui pourra jamais nous
indemniser des talens qu'il a moissonné ?
Je vous salue cordialement ,
Un de vos Abonnés .
Quatrième Séance publique , du 15 Vendémiaire
an 8 , de la Société d'Agriculture , etc.
de Meaux.
La séance fut ouverte par une symphonie
de Stamits.
Le secrétaire lut l'analyse des travaux de
la Société , pendant le dernier trimestre .
Le citoyen Raoult un hymne sur les
charmes de l'Etude .
>
Le citoyen Lhoste , pour le citoyen Enguin ,
un mémoire sur les avantages des Fontaines
publiques , et un projet sur leur établissement
dans la commune de Meaux.
+ Une symphonie concertante , de Davaux.
fut exécutée par de jeunes élèves de cette
commune.
Le citoyen Carangeot, lut des réflexions
sur le fauchage et le javellage des avoines.
Le citoyen Préfontaine , un morceau de
poésie , intitulé : ma Journée Champêtre.
Le citoyen Chéchin , un moyen de détruire
les poux des volailles.
Le citoyen Carangeot , des observations sur
une nouvelle nomenclature en minéralogie.
La séance fut terminée par l'hymne , sur
les charmes de l'Etude , mis en musique par
le citoyen Boutroy , aussi membre de la So
ciété.
DE FRANCE. 235
MERCURE
DE FRANCE.
Du 25 Vendémiaire , an 8.
POLITIQUE.
NOUVELLES ÉTRANGÈRES
ARMÉE D'ORIENT.
Au quartier-général de Jaffa
le 8 prairial a 7-
2
Buonaparte , général en chef , au directoire
cxécutif.
Citoyens directeurs ,
Je vous ai fait connaître , par le courier que
je vous ai expédié le 4 floréal , les événemens
glorieux pour la république , qui se sont passés
depuis trois mois en Syrie , et la résolution
où j'étais de repasser promptement le désert ,
pour me retrouver en Egypte avant le mois
de juin.
Les batteries de mortiers et de 24 furent
établies , comme je vous l'ai annoncé , dans.
236 MERCURE
•
la journée du 23 floréal , pour raser la maison
de Dgezzar , et détruire les principaux
monumens d'Acre ; elles jouèrent pendant
soixante-douze heures , et remplirent l'effet
que je m'étais proposé : le feu fut constamment
dans la ville .
La garnison désespérée fit une sortie gé
nérale le 27 floréal . Le général de brigade
Verdier était de tranchée . Le combat dura 3
heures. Le reste des troupes arrivées , le 19 ,
de Constantinople , et exercées à l'européenne ,
débouchèrent sur nos tranchées en colonnes
serrées ; nous repliȧmes les postes que nous
occupions sur les remparts ; par-là , les batteries
des pièces de campagne purent tirer à:
mitraille , à 80 toises , sur les ennemis : alors
nos troupes battirent la charge dans les tranchées
; on les poursuivit jusques dans la ville
la bayonnette dans les reins ; on leur prit 18
drapeaux.
L'occasion paraissait favorable pour emporter
la ville ; mais nos espions , les déserteurs
et les prisonniers , s'accordaient tons dans le
rapport , que la peste faisait d'horribles ravages
dans la ville d'Acre ; que tous les jours
plus de soixante personnes mouraient ; que les
symptômes en étaient terribles ; qu'en trentesix
heures on était emporté au milieu de convulsions
pareilles à celles de la rage ..
Répandu dans la ville , il eût été impossible
d'empêcher le soldat de la piller : il aurait
rapporté le soir , dans le camp , les germes de
ce terrible fléau , plus à redouter que toutes
les armées du monde.
L'armée partit d'Acre le 2 prairial , et arriva
le soir à Teutoura .
Elle campa le 3 sur les ruines de Césarée ,
DE FRANCE. 237
au milieu des débris des colonnes de marbre
et de granit , qui annoncent ce que devait être
autrefois cette ville .
Nous sommes arrivés à Jaffa le 5 .
Depuis deux jours , des
des détachemens de
l'armée filent sur l'Egypte .
Je resterai encore quelques jours à Jaffa
pour en faire sauter les fortifications ; j'irai .
punir ensuite quelques cantons qui se sont mal
conduits , et dans quelques jours je passerai
le désert , en laissant une forte garnison à
Elarich . Ma première dépêche sera datée du
Caire.
Texte de la dépêche transmise par le général
Buonaparte au Directoire exécutif, et par le
Directoire exécutif au Corps législatif dans
la séance du 18..
Au quartier-général d'Alexandrie ,
le 17 thermidor an 7 .
Buonaparte , membre de l'Institut national ,
général en chef, au Directoire exécutif.
Citoyens directeurs , le 8 thermidor , je fis
sommer le château d'Aboukir de se rendre. Le
fils du Pacha , son kiaya et tous les officiers
voulaient capituler , mais ils n'étaient plus écoutés
des soldats .
Le 9 , on continua le bombardement. Le 10,
plusieurs batteries furent établies sur la droite de
l'isthme . Plusieurs chaloupes canonnières furent
coulées bas , une frégate fut démâtée et prit le
large.
Le 11 , l'ennemi commençant à manquer de
vivres , se faufila dans quelques maisons du
238 MERCURE
village qui touche le fort ; le général Lannes
y étant accouru , fut blessé à la jambe . Le général
Menou le remplaça dans le commandement
du siége. Le 12 , le général Davoust était
de tranchée , il s'empara de toutes les maisons
où était logé l'ennemi , et le jeta dans le fort ,
après lui avoir tué beaucoup de monde . La 22° .
d'infanterie légère' , et le chef de brigade Magne,
qui a été légèrement blessé , se sont parfaitement
conduits .
Le 15 , le général Robin était de tranchée ;
nos batteries étaient sur la contrescarpe , nos
mortiers faisaient un feu très - vif, le château
n'était plus qu'un monceau de pierres . L'ennemi
n'avait point de communication avec l'escadre ,
il mourait de soif et de fain , il prit le parti ,
non de capituler , ces gens-ci n'entendant pas
cela , mais de jeter ses armes et de venir en foule
embrasser les genoux du vainqueur. Le fils du
pacha , son kiaya et 2000 hommes ont été faits
prisonniers. On a trouvé dans le château 300
blessés et 1800 cadavres. Et il y a tel de nos
boulets qui a tué jusqu'à six hommes. Dans les
premières vingt-quatre heures de la sortie de la
garnison turque , il est mort plus de 400 prisonniers
pour avoir trop bu , et mangé avec trop
d'avidité .
Ainsi cette affaire d'Aboukir coûte à la Porte
18,000 hommes , et une grande quantité de
canons .
Pendant les quinze jours qu'a duré cette
expédition , j'ai été très- satisfait de l'esprit
des habitans d'Egypte. Personne n'a remué
et tout le monde a continué de vivre comme
à l'ordinaire .
Les officiers du génie , Bertrand et Liedot
DE FRANCE. 239
et le commandant de l'artillerie Faultrier , se
-sont comportés avec la plus grande distinction .
Salut et respect ,
Signé , BUONAParte.
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
PARIS.
Le général Buonaparte est arrivé le 17 de
ce mois à Fréjus , accompagné des généraux
Berthier , Lasne , Marmont , Murat et Andréosy
, et des citoyens Monge et Bertholet .
Il a laissé l'armée d'Egypte dans la position la
plus satisfaisante . C'est sous pavillon turc qu'il
elt arrivé sur nos côtes.
DIRECTOIRE EXÉCUTIF .
Message aux Conseils des cinq - cents et des
anciens , du 21 vendémiaire an 8.
Citoyens Représentans ,
Le Directoire exécutif vient d'apprendre , par
une dépêche du général Brune , que les pertes
des anglo-russes , dans l'affaire de Kastrikum ,
surpassent les premiers calculs qui avaient été
faits , et qu'elles n'ont pas été moins considé
rables qu'à la bataille de Be ghen . Elles sont surtout
sensibles à l'ennemi par la quantité de ses
officiers mis hors de combat.
Les suites de cette victoire sont telles , que le
16 de ce mois , l'ennemi battait en retraite,
240 MERCURE
肇
L'armée des Républicains les poursuivit , et
quoiqu'il eût sur elle trois heures d'avance , elle
lui blessa 600 hommes , et fit un pareil nombre
de prisonniers . La fuite de l'ennemi était tellement
précipitée , qu'il laissa derrière lui une
partie de ses bagages ; ainsi que des magasins
de munitions de guerre et de bouche , et d'effets
d'habillement ; il fut même obligé d'abandonner
un grand nombre de femmes et d'enfans débarqués
avec les Anglais , qui probablement se
regardaient déjà comme maitres de la Hollande.
Enfin , l'armée ennemie n'arrêta la poursuite des
Républicains , qu'en se couvrant d'une inondation.
Les Anglais , qui comptent plus sur la corruption
que sur leur courage , avaient envoyé le
général-major Douen , comme parlementaire ,
vers la divisiou du général Daendels . Sous ce
caractère respectable , Douen était secrètement
chargé de chercher à ébranler la fidélité des
Bataves. Le général Daendels le fit arrêter. Une
instruction du duc d'Yorck et une proclamation
du prince d'Orange , trouvées sur cet officier
découvrirent la perfidie dont il était l'agent.
Le Directoire vous annonce encore avec plaisir,
citoyens représentans , qu'il a aussi reçu des
nouvelles de l'armée d'Egypte. Le général Berthier
, débarqué le 17 de ce mois à Fréjus , avec
le général Buonaparte , les généraux , Lasne ,
Marmont , Murat et Andréosy , et les citoyens
Monge et Bertholet , mande qu'ils ont laissé
l'armée française dans la position la plus satisfaisante.
Signé GOHIER , président.
LAGARDE , secrétaire -général.
CAILLEAU , Éditeur-Propriétaire.
DE FRANCE ,
JOURNAL POLITIQUE ,
LITTÉRAIRE ET DRAMATIQUE ,
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES.
Diversité , c'est ma devise.
LAFONTAINE.
TOME NEUVIÈM E.
A PARIS ,
DE L'IMPRIMERIE DE CAILLEAU ,
Éditeur-Propriétaire du MERCURE DE FRANCE ,
rue de la Harpe , N.º 461 , en face de celle
des Cordeliers .
AN VIII.
MERCURE
DE FRANCE,
Du quintidi , 5 Vendémiaire , an 8.
POÉSIE S.
LA RIPOSTE DU COMMIS,
DEUX
ANECDOTE.
EUX Ecoliers , d'assez manvais renom ,
Etourdis ! ..... comme on l'est dans la fougue de l'âge ,
S'en allaient un jour en voyage ,
Lestement affourchés sur un gentil ânon.
Heureux et fiers d'un pareil équipage ,
Les voilà méditant un tour de leur façon.
( Des Ecoliers , dit- on ,
Ne restent jamais en arrière . )
En leur chemin se trouve une barrière ;
Où tout cavalier , riche ou non ,
Contre son gré , paie un droit nécessaire.
Nos Jouvenceaux , qui savaient bien
Ne devoir acquitter aucun droit de péage ,
S'avancent ; puis , d'un ton , voisin du persifflage :
« Çà , dites- nous , monsieur le citoyen ,
» De payer pour un âne est- il chez-vous d'usage ? »
Un vieux Commiş , plus fin que le couple Ecolier ,
Leur réplique en même langage :
« Çå passez , mes amis , avec votre équipage ,
» Les ânes n'ont rien à payer. >>
BOINVILLIERS , Professeur de Belles-Lettres ,
à l'Ecole Centrale de l'Oise.
A 2
MERCURE
MON PLAN DE VIE.
SI Dieu me permettait d'élire.
Entre tous les biens d'ici -bas ,
La splendeur , l'état d'un empire ,
A mes yeux seraient sans appas ;
A la grandeur , à l'opulence ,
Au faste , à la célébrité ;
Je préférerais le silence
D'une modeste obscurité.
.
JE n'irais point sous la bannière
Du terrible dieu des combats ,
Couvert de sang et de poussière ,
Chercher la gloire sur ses pas ;
Loin de moi , le laurier fétide ,
Cueilli par de sanglantes mains;
Loin de moi , le fer homicide ,
Arrosé du sang des humains .
JE n'irais point , avec bassesse ,
D'un Prince mendier l'appui ,
Ni le flatter avec adresse ,
Afin d'être tyran sous lui;
Il me faudrait , avec étude ,
Sur les siens composer mes yeux :
Ah je hais trop la servitude !
Qui n'est pas libre est malheureux !
DE FRANCE. 5
JE n'irais point vers ces retraites ,
Ces monumens de piété ,
Où d'impudents Anachoretes ,
Qui firent voeu de pauvreté ,
Trafiquant , avec indécence "
De l'aveuglément des mortels ,
Vivent , au sein de l'opulence ,
Du revenu de leurs autels.
J'IRAIS , loin du fracas des villes ,
Dans le silence des forêts ,
Couler des jours purs et tranquilles,
Au sein d'une profonde paix ;
Là , jouissant de la nature ,
Ignoré de tout l'Univers
Les bois , les ruisseaux , la verdure ,
Seraient seuls l'objet de mes vers.
AH ! si jamais je pouvais suivre
Un projet si cher à mon coeur !
Si jamais je puis aller vivre ,
Loin d'un monde injuste et trompeur ;
Riants vallons , sombres boccages ,
Asyles sacrés des amours ,
Sous vos délicieux ombrages ,
Je veux finir en paix mes jours.
MELY JANIN
A 3
MERCURE
A MA MAITRESSE VOLAGE.
QUAND , charmante Glicère ,
Je vous dis l'autre jour ,"
Que vous étiez l'Amour ,
Je ne me trompais guère ;
Je vois , sur vos attraits
Ses couleurs les plus belles ;
Vous avez tous ses traits ,.
Et par malheur ses aîles.
GERMAIN DAUBERJON , abonné.
A CÉCILE
Si ta beauté , Cécile , est périssable ,
D'un bien qui fuit, hite-toi de jouir :
Si ta beauté ne doit jamais périr ,
Prodigue alors un bien inépuisable .
AUGUSTE LABOUISSE.
Explication de la Charade , de l'Enigme et du
Logogriphe du numéro précédent.
Le mot de la Charade est Délire ; celui de
l'Enigme est Coche , et celui de Logogriphe
est Cor , qui , retourné , fait Roc , et la première
ôtée , donne Or.
DE FRANCE.
CHARADE.
MON premier quelquefois se présente à ta vue
En s'élevant jusqu'à la nue ;
Quelquefois , pour te divertir ,
Il échappe à tes yeux sous une main subtile .
Il te fait aller et venir,
A la campagne et dans la ville.
Mon second , cher lecteur , n'est pas moins singulier
Dans ta poche , il peut faire un peu plus d'une obole ,
Mais en le prononçant , on peut sur ta paroie ,
Te croire un fort gros financier ,
Un fermier du Pérou , le maître du Pactole.
Mon tout fut , pour certain auteur ,
Le fondement d'un grand systême ;
Mais sans résoudre ce problême ,
J te dirai , mon cher lecteur ,
Qu'il fait des choses surprenantes.
Entre celles qu'on peut citer ,
C'est par lui que nos élégantes ,
A Tivoli se laissent emporter.
Par le citoyen P ...... employé.
.
ÉNIGM E.
INSENSIBLE aux douleurs qu'une mère m'oppose
De ses enfans chéris ma cruauté dispose.
En tout pays , je suis avec même pouvoir ,
Je puis aller chez toi le matin ou le soir ;
Et tu peux te fermer à deux tours de serrure ,
Te mettre dans un fort , j'entrerai , je te jure.
Pistolets , ni fusils , n'arrêtent point mes pas ,
Je vais dans les palais hérissés de soldats ;
A 4
MERCURE
Si je commande aux rois de laisser leur couronne ,
Leurs arrêts , leurs faisceaux , de me suivre en personne,
Ils viennent à l'instant. Mes ordres absolus
N'ont jamais des mortels éprouvé les refus.
Maintenant , cher lecteur , tu me connais sans doute.
Tu peux me rencontrer , sans changement de route ;
Je t'assure , au surplus , que je te ferai peur ,
Si ce n'est mon pouvoir , ce sera ma laideur
Mais j'irai cependant te faire une visite :
Adieu , sois sans chagrin : l'époque est sans limite.
GERMAIN DAUBERJON , abonné.
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
JOURNAL DE L'ÉCOLE POLYTECHNIQUE , ou Bulletin
du travail fait à cette école , publié par
le conseil d'instruction et d'administration de
cet établissement. Sixième cahier. De l'imprimerie
de la République , et se trouve chez
Bernard , libraire , quai des Augustins , nº. 37.
Prix , 3francs. 50 centimes.
OICI le sixième cahier des travaux
de l'école polytechnique. Il n'est qu'une
nouvelle preuve des services essentiels
que cette école rend à l'instruction publique
, et du zèle que mettent les savans
professeurs à remplir la tâche aussi
utile qu'honorable qui leur est imposée.
En faisant imprimer le Journal de l'école
polytechnique , le gouvernement s'est.
DE FRANCE.
9
✓
proposé de faire connaître l'ensemble
et les objets de l'enseignement , les méthodes
employées par les instituteurs célèbres
qui y professent , et les variations
que la marche rapide des connaissances
y apporte , afin d'indiquer aux français
qui se dévouent à l'instruction de la
jeunesse dans les écoles centrales , le
point précis où ils doivent amener les
élèves , et établir entre eux un mode
uniforme d'enseignement public . Cette
attention était digne d'un gouvernement
qui ne néglige rien de ce qui peut être
utile , et doit assurer la marche des connaissances
; c'est un fanal propre à éclai
rer ceux qui suivent la carrière de l'ins
truction.
Les premières pages de ce cahier sont
occupées par les discours que les instituteurs
ont prononcés , le 7 pluviôse ,
an7 , dans la séance d'ouverture des cours,
présidée par le ministre de l'intérieur.
Le citoyen R. Prony , succédant au citoyen
Guyton , le directeur , a prononcé
un discours d'introduction au cours d'analyse
pure et d'analyse appliquée à la
mécanique ; le citoyen Fourcroy a parlé
ensuite sur les avantages de l'étude
de la chymie , et sur la manière dont
elle est enseignée à l'école polytechnique
; Lagrange s'est occupé de la théor
A 5.
10 MERCURE
rie des fractions analytiques ; Hassen-
· fratz a traité de la physique , et le citoyen
Neveu a ramené l'attention sur
l'étude du dessin .
Les articles qui composent ensuite le
corps du Journal sont : les solutions de
quelques problêmes relatifs aux triangles
sphériques , avec une analyse complette de
ces triangles , par J. L. Lagrange ; Théorie
du mouvement , autour d'une axe libre
de rotation , d'un corps de figure invariable
, sollicité par des puissances quelconques
, par R. Prony ; sur la Méchanique
, par Laplace ; des Courbes à double
courbure , par Monge ; Mémoire sur
les proportions à donner aux chaudières
, et sur la quantité d'eau évaporée ,
en raison de sa température , par J. H.
Hassenfratz ; de la Physique générale ,
par le même ; Lettre sur le serein et la
rosée , par C. A. Prieur ; du Dessin ,
par Neveu ; Description d'une pierre
appelée Sybérite , par Lermina ; etc.
Je terminerai cette notice en donnant
une idée de cette pierre , ainsi nommée
, parce qu'elle vient de la Sybérie.
C'est le citoyen Weyer qui l'a rappor
tée de la Russie . Elle fut trouvée en un
seul bloc dans le gouvernement de Perme
, près de Catherinbourg. On la cassa
en plusieurs morceaux . Le gouvernement
DE FRANCE. II
et plusieurs amateurs en ont depuis vainement
fait rechercher d'autres. Lesmorceaux
de cette pierre présentent un assemblage
de longues aiguilles agrégées ,
partant d'un ou plusieurs centres , et divergeantes
jusqu'à la superficie où elles
se terminent par des sommets à faces
planes.
Lorsque les aiguilles sont fines , la
masse ressemble , par sa disposition , à
certains morceaux d'asbete ; lorsqu'elles
sont plus grosses , la masse ressemble
parfaitement à celle de la thallite ou
schorl vert du Dauphiné.
1
Dans quelques parties , la masse aiguillée
est interrompue par des rognons
solides , noirs ou bruns , qui semblent
n'être que la même matière devenue
compacte , et sans aucune trace de crystallisation.
Quelques cavités ou interstices sont
remplies d'une matière terreuse jaune ,
dont la nature n'a pas été déterminée ,
La Sybérite est transparente , consi
dérée dans chacune de ses aiguilles où
crystaux particuliers : mais cette transparence
est altérée par l'intensité de la
couleur , par l'agrégation parallèle des
crystaux ou aiguilles qui se touchent
sans adhérer parfaitement , et par des
félures perpendiculaires.
A 6
12 MERCURE
Sa couleur est d'un lilas vineux trèsbrillant
; elle ne peut être mieux comparée
qu'aux fleurs de cobat lilas lorsque
celles- ci ont de la transparence.
On peut assimiler sa dureté au bérił
de Sybérie ; elle fait feu au briquet ,
raye fortement le verre , et attaque fai❤
blement le crystal de roche.
J.
JULIERI , ou le Triomphe de la Vérité sur
l'erreur. Paris , à la librairie , rue André- des-
Arts , nº. 46. Deux vol. in- 12 avec figures.
Prix , 3francs , et 4francs 25 centimes franc
de port par la poste.
CE roman est original français ; il est
divisé par lettres.
Julieri , âgé de dix-huit ans , fils d'un négociant
de Troies , que trop de bonté et de
confiance ont fait tomber dans le malheur,
est venu chercher , à Paris , un emploi ,
eapable de soulager les besoins de ses
parens. Il s'est séparé de Sophie de la
B*** qu'il devait épouser ; mais le père
de sa maîtresse , en apprenant les infor
tunes qui ont accablé la famille Juliéri
, ne veut plus consentir à leur union,
Julieri se place copiste chez un homme
de lettres , à raison de cinquante livres
DE FRANCE. 13
par mois. Il a pour camarade , dans cet
emploi , le jeune Lerval , de moeurs dissolues
et suspectes , qui l'entraîne dans
une infidélité envers Sophie. Cette rivale
de Sophie se nommemadame de Nancré.
Comme elle est riche , elle fait quitter
à Julieri son mince emploi , et pourvoit
་
à tous ses besoins.
Sophie est instruite de la conduite de
son amant , et lui en fait de tendres reproches
. Juliéri abandonne aussitôt Paris
, après avoir renvoyé à l'amoureuse de
Nancré tous ses dons . Sophie lui pardonne.
Reconcilié avec lui - même , Juliéri
retourne à la grande ville . Un soir qu'il
est entré dans un petit spectacle , une
femme , placée à côté de lui , l'accusé
de lui avoir volé sa bourse en lui coupant
le fond de sa poche. De légères
apparences sont contre lui ; il est conduit
au grand - Châtelet. La procédure
s'instruit à la hâte ; intervient un jugement
qui prononce contre l'accusé un
plus amplement informé de six mois ,
pendant lequel tems il gardera prison ..
Ce long séjour dans un lieu qui ren
fermait presque aussi souvent l'innocent
que le coupable , donne à Julieri connaissance
de plusieurs anecdotes de fa14
MERCURE
meux vols , dont il rend compte dans
ses lettres.
Appel de son jugement , et arrêt du
parlement qui condamne Julieri à servir
sur les galères pendant trois ans , avec
la flétrissure préalable.
La providence se réveille enfin : Julieri
obtient un sursis avec la faculté
de se pourvoir en révision . L'arrêt est
cassé Julieri est libre . Mais hélas ! ;
pendant sa longue et trop longue détention
, la B *** . , le père de Sophie ,
qui soupçonnait sa fille d'entretenir une
correspondance avec son amant emprisonné
, a quitté la ville de Troyes ,
après avoir vendu tout ce qu'il y pussédait
, et a emmené Sophie : on ignore
leur nouvelle habitation .
Julieri , sevoyant alors sans maîtresse ,
sans fortune , forme le projet d'aller
chercher des consolations et de l'emploi
auprès d'un ami établi à Saint -Domingue.
Un vieillard espagnol , nommé don
Calédo , que Julieri a connu en prison ,
victime comme lui des apparences , offre
à notre infortuné de l'emmener avec
lui dans cette colonie , où il a de riches
habitations. Ils arrivent à St-Domingue,
Par un de ces événemens qui appartiennent
plus exclusivement aux romans,
Julieri y retrouve Sophie . Elle n'est
DE FRANCE. 15
point la fille de la B*** . ; ce n'est plus
Sophie , c'est dona Ysaura , fille de don
Calédo . Il faut lire dans l'ouvrage même
l'histoire touchante de ce vieillard , ainsi
que les événemens qui ont amené à croire
que Sophie fut la fille de ce la B***.
Nous ne pourrions qu'affaiblir l'effet de
cet intéressant épisode , en essayant de
l'analyser. Faisons - en seulement connaître
ce qui est nécessaire pour donner
une idée du dénouement.
La B***. , jeune français , se trouvait
à Saint-Domingue en qualité de secrétaire
d'un riche espagnol ; il avait gagné
la confiance de Calédo . Un jour , il lui
propose une partie de plaisir avec toute
sa famille dans la forêt voisine ; elle est
acceptée. Là , dona Calédo est arrêtée
par des esclaves gagnés par l'espagnol ;
ce misérable , conduit par un ancien motif
de vengeance , veut la déshonorer
aux yeux même de son époux. Dona
Calédo n'échappe à l'infanie qu'en se
donnant la mort. L'espagnol accuse aussitôt
Calédo d'être le meurtrier de son
épouse ; cet infortuné est arrêté , et le
traître la. B*** . profite de sa détention
pour retourner en France , en lui enlevant
sa Sophie avec une partie de ses
richesses. Calédo a trouvé depuis les
moyens de se sauver et de s'embarquer
16 MERCURE
幛
:
•
aussi pour la France. Cependant la
beauté de Sophie , ou plutôt de doną.
Ysaura , avait , touché vivement le coeur
féroce de la B*** ., et cet homme n'avait
même quitté Troyes que pour soustraire
l'objet de sa passion à l'amour de
Julieri mais furieux de voir en ce moment
ses espérances trompées par la
réunion de nos deux amans , il s'introduit
de nuit dans la chambre de dona
Ysaura , et lui plonge un poignard dans
le sein . Ses cris sont entendus de Julieri
qui accourt , et percè le scélérat
la B***. de mille coups..
Dona Ysaura échappe heureusement
à une mort que long-temps on a cru
certaine Calédo l'unit à Julieri. Ils retournent
en France.
Au bagne de Brest , Julieri reconnaît
Lerval , son camarade d'écriture chez
l'homme de lettres . C'est ce misérable
qui a cherché a entraîner Julieri dans le
désordre avec cette malheureuse de Nancré
, femme riche en apparence , mais
qui ne vivait que d'escroqueries et de
vols ; c'est lui qui . devenu furieux des
suites de cette affaire , qui a tourné à
sa honte , avait imaginé le prétendu
vol de Juliéri , au spectacle des Variétés
. Il lui en fait l'humble aveu , et JuDE
FRANCE. 17
liéri a encore la générosité de lui donner
dix louis .
Cet ouvrage tend entièrement à prouver
que le hazard peut prêter souvent à
la vertu l'apparence du crime ; mais
que le terrible châtiment de la providence
, quoique tardif, fait toujours
triompher la vérité de l'erreur . Cette
morale consolatrice est bien faite sans
doute pour prévenir le découragement
dans mille circonstances de la vie. Les
récits de Julieri , dans la prison , faits
souvent dans un style brûlant , suivant
qu'il se voit plus ou moins prêt de l'instant
qui va flétrir le reste de sa vie du
sceau légal de l'ignominie , ne nous
donnent pas à regretter notre jurispru
dence criminelle d'autrefois ; ils dévoi
lent l'erreur trop souvent commune des
magistrats suprêmes , et la conduite insolente
et basse en même-tems des magistrats
subalternes , dans les tems où
il écrivait.
L. D. B.
18 MERCURE
ALMANACH DES RENTIERS , dédié aux affamés ,
pour leur servir de passe-tems , par un auteur
inscrit sur le grand livre , un vol in- 18 , avec
fig. Paris , chez Cailleau , éditeur-propriétaire
du Mercure de France , rue de la Harpe , n.º
461 , en face de celle des Cordeliers : prix : 75
centimes.
Il est bon d'amuser les rentiers puisqu'on
ne les paye pas . Voici un petit
almanach qu'un de leurs confrères leur
offre pour étrennes. C'est un recueil de
bons mots , de petites pièces de poésies ,
de jolies épigrammes , d'anecdotes piquantes
, et de faits intéressans ; le tout
peu ou point connu , et sur - tout bien
choisi. Si ce recueil curieux peut suspendre
, un moment , les cruelles inquiétudes
de quelques rentiers , je m'empresse
de le leur indiquer. Voici une des anecdotes
: « On dit que M. C.... , comédien ,
» a fait une fortune des plus considé-
» rables ; qu'il a sept personnes à son
>> service , et qu'il ne parlé plus que par
» les pronoms possesifs , mon , ma ,
» mes , etc .; mon château , ma ferme ,
» mes bois ... Un plaisant , à qui l'on fai-
>> sait cette remarque , demanda s'il di-
» sait aussi ma femme ».
DE FRANCE. 19
UNE É PIGRAM M E.
D'une satyre débonnaire ,
Champagne , trop cruel auteur ,
Fait mourir de faim son libraire ,
Et d'ennui son pauvre lecteur.
UNE AUTRE ANECDOTE.
« Un jeune homme , en tête -à- tête avec
» une beauté très -humaine , prenait des
» libertés décisives .
» dit- elle , vous me
» pour une autre.
» c'est pour moi ».
Monsieur , lui
prenez sûrement
Non , madame
L'ANNÉE THEATRALE ou ALMANACH DES SPEC
TACLES de Paris , pour l'an VIII , rédigé par
un observateur impartial, un vol. in-18. Prix :
75 centimes : Paris , chez Cailleau , éditeurpropriétaire
du Mercure de France , rue de la
Harpe , nº . 461 .
Cet almanach doit convenir à ceux qui
fréquentent les théâtres ; il peut être utile
aux directeurs , acteurs , etc .; et bien
certainement il ne plaira pas à tous les
auteurs.... mais c'est leur faute . Il contient
les lois , arrêtés , et actes du gouvernement
, relatifs aux théâtres ; des
notices nécrologiques sur les auteurs dra20
MERCURE
matiques , morts depuis peu ; la liste de
tous les théâtres de Paris ; les noms de
leurs administrateurs , directeurs , régisseurs
, acteurs , etc. , et enfin des notices
critiques sur toutes les pièces, qui ont
été jouées , l'année dernière , sur les différens
spectacles . Cette dernière partie
n'est pas la moins piquante. Il nous suffit
d'avoir indiqué le travail et le but du
rédacteur , pour faire sentir de quelle
espèce peuvent être l'intérêt et l'utilité
de cet almanach. L'éditeur se propose
de le faire paraître tous les ans. Ce recueil
pourrait devenir intéressant sous
le rapport de l'art ; mais il faudrait qu'il
ne sentit jamais , ni l'envie de plaire , ni
celle de nuire. La vérité seule , la vérité
décente cependant , devrait guider la
plume de l'observateur.
FANNY MORNA OU L'ÉCOSSAISE , Drame lyrique
en trois actes et en prose , par Ed. Favières
musique de Persuis. Paris , chez Cailleau ,
éditeur-propriétaire du Mercure de France
rue de la Harpe , n. ° 461 : prix un frane
vingt centimes.
Nous avons rendu un compte assez
étendu de ce drame , qui continue toùjours
de faire plaisir , pour nous dispenser
d'en parler encore. Nous nous conDE
FRA N CE. 21
tenterons de transcrire la romance suivante.
Fanny seule , au milieu du mélancolique
bosquet où elle se plaît , se
rappelle , avec amertume , les sermens
de l'ingrat qu'elle chérit toujours. Alors
il l'aimait , alors il lui disait :
Fanny , tu vois à tes genoux
L'amant qui t'aime , qui t'adore ;
Fanny , son plaisir le plus doux
Est de te répéter encore :
Je t'aimerai jusqu'au tombeau
Auprès de toi , toujours chérie ,
Le même jour verra s'éteindre le flambeau
De mon amour et de ma vie.
L
Constant , comme l'est dans son cours ,
Ce ruisseau dont l'onde est si pure,
Constant comme l'astre des jours ,
Fidèle amant de la nature ;
Je t'aimerai jusqu'au trépas ,
Je t'aimerai d'amour extrême ;
Je vivrai près de toi , je mourrai dans tes bras,
Et mon adieu sera : je t'aime,
*
Les directeurs de province doivent
s'empresser de monter cette pièce , trèsfacile
à établir , et dont l'intérêt touchant
émeut si délicieusement le coeur.
22 MERCURE
RÉPONSE AU MANIFESTE DE LOUIS XVIII , par
.... avec cette épigraphe :
L'honneur est comme une île escarpée et sans bords ,
On n'y peut plus rentrer dès qu'on en est dehors.
BOILEAU.
deux volumes in- 18 , avec fig. Paris , chez
Rochette , imprimeur , rue et maison de Sorbonne
, no. 382. i
•
« Le passage d'une révolution , dit
>> l'auteur dans sa préface , est toujours
>> funeste aux hommes probes qui exis-
>> tent pendant l'orage : là , l'intrigant se
» jette dans les rangs et parle haute-
>> ment de vertu ; la multitude , qui n'a
pas encore eu le tems de juger les
>> hommes par leurs actions , est faci-
» lement trompée par ces charlatans ,
» et ce sont eux qui obtiennent presque
» toutes les places. Qu'en résulte - t- il ?
» des forfaits . Le peuple oublie quel-
» quefois , pendant leur règne , les souf-
» frances de ses anciens tyrans , et se
» trouve disposé à s'abandonner à toute
» la vengeance du pouvoir , sans calcu-
» ler quelles en ont été dans tous les
» tems , et quelles en seraient encore
» les conséquences ».
Ces lignes , que je viens de transcrire
DE FRANCE. 23
annoncent l'intention de l'auteur ; elle
est excellente , mais il fallait une autre
plume que la sienne pour la remplir ; il
fallait aussi d'autres moyens. Ce passage
que nous avons choisi est peut - être.
le morceau écrit le plus purement de
tout l'ouvrage ; ce n'est pas donner une
idée bien avantageuse du reste . Les épithètes
infâme , horrible , sanglant ,
exécrable , à jamais execrable , y sont
entassés les unes sur les autres : il est
presque impossible de lire . C'est le style
des journaux de 93 ; c'en est aussi la
manière de voir. Le citoyen R..... est
persuadé qu'un roi doit être un scélérat.
En réfléchissant , on doit effectivement
croire qu'un homme qui jouit d'un pouvoir
absolu , et qui est entouré des préjugés
attachés à son rang , et des passions
de ceux qui l'approchent , doit nécessairement
trouver mille occasions d'agir
comme s'il était hors de la ligne commune
; mais , pour l'honneur de l'humanité
, croyons qu'il peut se trouver
un honnête homme sur le trône . Haïssons
la royauté , jurons en la haine ;
mais ne délirons pas , pour prouver que
le gouvernement républicain , par la
raison que personne ne peut s'y mettre
au dessus des lois est le meilleur
celui qui tient l'homme dans une situa-
-
24
MERCURE
tion plus libre et plus noble. République
sifinifie Vertu ; Monarchie , signifie
Crime , dit l'auteur. Voilà une plaisante
manière de raisonner . Il faut
laisser à ceux qui en sont capables , le
soin de défendre une telle cause : un
zèle que le talent ne seconde point ne
produit qu'une défense ridicule ; c'est
alors donner des armes contre soi.
Au surplus , le citoyen R..... qui n'a
cependant pas envie de plaisanter , ne
se donne pas tout - à - fait la peine de
cacher certains principes , qu'il sait bien
n'être pas très - propres à faire aimer le
gouvernement populaire , mêmes aux
sincères républicains . Il loue la fermeté
que l'on montra du tems de la Convention
; il attribue les excès révolutionnaires
au royalisme. Il suit , à ce
sujet , une logique toute particulière :
suivant lui , le régime de ce tems ne
peut que faire détester davantage la
royauté ; tous les députés envoyés en
mission avaient , chacun dans leurs
départemens , l'autorité des rois ; ils le
furent donc , et agirent en conséquence.
Le citoyen R..... raisonne à sa manière,
et ne raisonne pas , cependant , si mal
en cet endroit ; mais il fait rire , et ce
n'est pas sa faute . Son premier volume
est une analyse rapide de l'histoire de
la
DE FRANCE. 25
la Révolution ; on peut deviner comment
il juge. La seconde partie n'est
qu'un abrégé des crimes des rois , de
Lavicomterie.
L'auteur fait dans un endroit une
réflexion très-judicieuse , qu'on devrait ››
mettre plus souvent sous les yeux de
ces hommes qut ne jugent jamais que
par de fausses comparaisons. « La génération
qui commence , dit - il , ne
>> connait les . rois que de nom , et la
» vieillesse est assez injuste , pour com-
» parer aux regnes luxurieux , et en
» apparence paisibles , de Louis XV et
» de Louis XVI , les crimes , les dé-
» sastres et tous les malheurs qu'amène
>> inévitablement une révolution qui
>> froisse les intérêts ou les préjugés de
>> plusieurs millions d'hommes ..... Je ne
» souffrirai jamais , ajoute - t- il , qu'on
>> mette en parallèle une monarchie
» tranquille avec un pays en révolu-
» tion ; c'est vouloir comparer un corps .
>> en santé avec un corps malade. »
Un ouvrage dont le citoyen R ......
donna l'idée , serait certainement trèsutile
dans les circonstances présentes ;
mais pour qu'il atteignit autant que
possible , son but , il faudrait que
teur n'eût jamais été qu'un simp
toyen , ( on en sent la raison )
Tome IX. B
26 MERCURE
drait qu'à un civisme épuré de tous les
miasmes pestilentiels des partis , il joiguit
une philosophie éclairée , un grand
talent et la réputation d'un homme qui
n'a jamais cherché à s'élever. Il serait
écouté , Par
parce qu'on n'aurait pas le
droit de lui supposer un intérêt personnel.
J.
MEUR S.
LE BAL.
Il est certaines choses qui se passent journellement
sous nos yeux et auxquelles nous ne prenons
pas garde , parce que l'habitude de les voir
nous les a rendu familières ; cependant , lorsque
nous examinons plus attentivement ces mêmes
choses , lorsque nous nous appésantissons sur
elles , alors elles prennent un caractère tout
différent , elles sortent du cercle des choses ordinaires
où l'usage les avait placées , et ce
qu'hier nous regardions comme naturel nous
paraît aujourd'hui singulier et extravagant : telle
est la Danse .
Des hommes qui dansent , a dit je ne sais
quel auteur , ne different des fous qu'en ce que
leur folie dure moins longtems : en effet , qui ne
serait tenté de prendre pour autant d'insensés
tous ces êtres qui sautent , se démenent , vont
en ayant , en arrière , à droite , à gauche , et
tout cela d'un air aussi sérieux que s'il s'agissait
de la chose du monde la plus utile et la plus
essentielle ? mais vous avez tort , me dira- t -on ,
DE FRANCE. 27
T
de vouloir fronder un plaisir tout- à- fait innocent
et qui ne se prend aux dépens de personne...
fronder !... ah ! A Dieu ne plaise que je
veuille vous faire un crime d'un amusement !
ômes chers Concitoyens ! chantez , dansez
amusez-vous , alors vous ne vous occuperez pas
de questions politiques et la chose n'en ira que
mieux chantez , dansez , amusez -vous , et vous
verrez renaître l'âge d'or dont nous ne connaissons
plus que le nom : chantez.... mais je
m'égare. Revenons à nos moutons :
:
Je suis au bal , car vous saurez que moi , qui
fais ici le philosophe , j'y vais pourtant et que,
j'augmente quelquefois le nombre des fous ;
d'après cela , je puis parler savamment et personne
ne pourra se fâcher. Je suis donc au bal
mais aujourd'hui je suis raisonnable et je ne
danse pas ; je m'enterre dans un large fauteuil
et , la tête appuyée sur ma main , j'examine et je
réfléchis. Que vois -je ? ( remarquez bien ici que
mes idées se sont élevées par dégrés , que je ne
suis plus moi , et que je vois tout ce qui se passe
sous mes yeux , comme si j'arrivais du Congo. ) ,
Le premier coup d'archet est donné ; aussitôt :
une commotion générale se fait sentir dans la
salle , les uns vont à droite , les autres à gauche , ›
ceux-ci se pressent , ceux-là se heurtent , tout
est en mouvement : bientôt après j'apperçois.
distinctement plusieurs quadrilles composés
d'hommes et de femmes , ils sont droits comme
des piquets , les cavaliers mettent leurs gands
les dames retroussent l'énorme ampleur de leur
queue. La musique se fait entendre de rechef:
aussitôt un homme et une femme , qui ne se
sont jamais vûs , qui peut-être ne se reverront
jamais , s'avancent gravement vis -à- vis l'un de
l'autre , tournent dos à dos , font la poussette ,
B 2
28 MERCURE
le balancer , puis revenant à leurs places , prennent
leurs danseuses et les entrainent en leur
disant ; la queue du chat. La queue du chat ! ...
qui m'expliquera d'où vient cette expression
bisarre , eten quoi deux personnes qui marchent
côte à côte ressemblent à une queue de chat ? Si
l'ordonnateur du bal s'avisait de crier , la queue
du chien au lieu de la queue du chat , tout le
monde partirait par un grand éclat de rire ';
cependant pourquoi ne serait -ce pas aussi bien
une queue de chien que celle de tout autre
animal ? Voilà comme l'usage a consacré les
mots les plus extraordinaires . La contredanse
est terminée et l'on se repose : on en a besoin , je
vous assure , car chacun sue comme s'il venait
d'enfoncer des pilotis ; mais ce repos durera- tillongtems
? non à la danse , comme à la guerre,
nous sommes infatigables . Ce ne sont plus des
quadrilles maintenant , on est deux à deux , bras
dessus , bras dessous , comme si on s'était connu
toute la vie , on marche en procession : an
moins , dis-je , cette danse- la n'est pas fatiguanté,
chacun , en se promenant ainsi , va sans doute
entretenir sa danseuse de choses agréables : ce
n'est pas cela , beaucoup font très-bien un rigaudon
et ne savent pas dire deux mots de suite
chaque cavalier saisit sa Dame et les voilà qui
tournent comme des tontons , rien ne les arrê→
te , ils s'échappent , ils passent avec une vélocité
et une rapidité inconcevables , ils accro-, ›
chent les fauteuils , les musiciens , les quinquets
, c'est égal ; ils vont toujours leur train :
moi , qui crains d'être entrainé dans ce tourbillon
, je tente de in'esquiver , mais je suis arrêté
en chemin ; un peloton me choque , je tombe ,
et tous les tontons tombent sur moi. Je me
retire avec peine et tout froissé de ma chûte
DE FRANCE. 29
Je me dis en m'en allant : ó nations policées !
avez vous droit de trouver ridicules , les coutumes
des peuples barbares , puisque vous dansez ?
MELY JA NIN.
S-PE- C TACLE S.
THEATRE DES JEUNES ARTISTES ,
Rue de Bondi.
Troisième jour complémentaire.
CASSANDRE AVEUGLE , Vaudeville en un actes
LE
E jeune Notaire qui , dans la troupe des
Petits Artistes , remplit les rôles de Cassandre
et autres grimes , avec beaucoup de succès ,
a été aveugle pendant trois mois. Le
vaudeville de Cassandre aveugle a été fait
pour sa rentrée au théâtre cette pièce , fort
légère pour le fonds , a outre le mérite de
Fa-propos , celui d'être semée de très jolis
couplets. 19
9.
-
Le citoyen Désaugiers , connu par le Testament
de Carlin , et le citoyen Jacquelin
sont auteurs de cet im-promptu.
THEATRE DE L'AMBIGU- COMIQUE.
Cinquième jour complémentaire.
L'ACTEUR DANS SON MENAGE , Vaudeville ,
en un acte .
Aucun rapport avec le charmant opéra de
Auteur dans son Ménage , du citoyen Gosse
B 3.
30
MER CURE,
sujet imité d'une anecdote attribuée au citoyen
Saint-Phal , artiste distingué du théâtre français.
Du Dialogue, du sentiment , de la délicatesse.
Quelques longueurs , des enfans
raisonnant trop pour leur âge. - Succès.
Cette pièce est du citoyen Boullaut.
-
---
THEATRE DES VICTOIRES NATIONALES ,
RUE DU BACQ.
Premier Vendémiaire .
LES DANGERS DE L'AMBITION , Drame en cinq
actes et en prose. •
་་་
T
Encore un drame imité de l'allemand . Celuici
n'est pas de Kotzbüe ; mais il n'en a pas
eu moins de succès dans le vaste empire de la
Germanie , où il a été représenté sous le titre
du Joueur. Beaucoup de nos lecteurs vont croire
que nous allons établir une comparaison . Hélas !
cette pièce ne pourrait la supporter. Elle est trop
au-desous du Joueur de Regnard , et du Beverley,
de Saurin. Mais , nous dira-t - on, dans vos analyses
précédentes , vous vous êtes montré trèspartisans
de ces sortes de drames . Oui , dans
le principe , nous avons encouragé , avec tous
les amateurs de l'art dramatique , les gens de
lettres estimables qui travaillaient à enrichir notre
théâtre des chefs - d'oeuvres étrangers : mais la
plûpart , au lieu de profiter seulement du sujet ,
pour devenir ensuite créateurs , n'ont été que
des imitateurs serviles , sans goût et sans
moyens ; aussi les ouvrages de ces derniers
n'ont- ils parus un instant sur la scène française
que pour être ensuite ensevelis dans un oubli
éternel.
DE FRANCE. 31
Madame Pubertt, femme estimable et bonne
mère de famille , aimant trop le luxe et les dépenses
, a dissipé toute la fortune qu'e' elle avait
apporté en dot à son mari. Il faut absolument
se restraindre , et monsieur Rubertt signifie à
son épouse qu'il n'a plus d'autres moyens d'exis
tence que sa place de receveur des deniers publics
. Cependant l'intéressante Louise , fille de
Rubertt , a plu au jeune Charles , fils du contrôleur
des caisses publiques , homme riche et
d'un caractère à peu près semblable à celui du
Bourru bienfaisant. D'abord ce vieux financier
refuse de donner son consentement au mariage
des deux jeunes gens ; mais , toujours fidèle à
ses principes d'honneur , il ordonne bientôt à
- son fils de contracter cette union , dès qu'il
apprend que Charles a promis à Louise de
l'épouser. Le receveur Rubertt se consolerait
volontiers de la perte de sa fortune , si les
folles dissipations de son fils Édouard ne venaient
encore accroître ses chagrins . Ce jeune
étourdi est entraîné par de faux amis dans la
société d'une femme d'un très -haut ton , qui
l'a séduit par les dehors trompeurs d'un amour
invincible , et par une promesse solemnelle
mais feinte , de l'épouser ; et il devient chaque
jour la dupe des nombreux fripons qu'il y rencontre.
,
Ruberit veut absolument rendre son fils a
l'honneur et à la vertu. Edouard est impétueux ,
mais sensible. Il faut que la femme artificieuse
qui trouble sa raison , consente dans la journée
à lui donner sa main , ou il rompt à l'instant
tout commerce avec elle . Tel est le desir de
'M. Rubertt. Édouard retourne dans ce cercle
imposteur pour remplir les volontés de , son
père. Là , il se trouve en butte à de nouvelles
B 4
32 MERCURE
"
9
séductions . Les tables de jeu se dressent , on
le presse de s'y asseoir ; il ne peut résister à
cette passion fatale , qui le maîtrise , et il perd
tout ce qu'il possède , et cinq mille écus sur
sa parole d'honneur . On sait que ces sortes de
dettes , que la sottise humaine a rendu plus
sacrées que celles contractées même pour l'existence
, doivent s'acquitter dans les 24 heures .
Le créancier d'Edouard se présente chez lu
Notre infortuné , rongé par les remords , ne sait
plus quel parti prendre. Enfin il se décide
entre dans un cabinet voisin , et en sort bientôt
avec les cinq mille écus qu'on lui demande.
Comment le malheureux a-t - il pu se procurer ,
en aussi peu de tems , une somme aussi considérable
? Hélas , un faux honneur l'aveugle ,
et , pour se le conserver , il n'a pas craint de se
rendre coupable d'un crime infâme , et a soustrait
à la caisse publique les deniers confiés
à son père . Peu de tems après , le vieux contrôleur
vient recevoir le compte de caisse du
receveur Rubertt . Mais quel est le désespoir de
ce dernier , lorsqu'il trouve le déficit de la
somme soustraite . Il tombe sans connaissance ;
le contrôleur ne sait que penser , et accuse
madame Rubertt. Edouard , présent à cette
scène , ne peut taire davantage son secret , et
il's'avoue le seul coupable. Rubertt est rappelé
à la vie. Le contrôleur retire sur- le-champ son
consentement au mariage de Charles et de
Louise , et sort en menaçant d'aller tout déclarer
à la justice . Mais son bon coeur le ramène
bientôt auprès de cette famille malheureuse .
Il fait des reproches à Edouard, qui se repent
sincèrement , remet son porte -feuille entre les
mains de Louise , qu'il unit à son fils , et promet
, par ce mariage , de rétablir la fortune de
Phonnête Rubertt.
DE FRANCE. 33
"' Telle est , à-peu-près , l'analyse de ce drame,
dans lequel on rencontre de belles situations ;
mais qui n'est point arrangé pour la scène française.
Le traducteur n'a point su tirer parti de
son sujet. Cette pièce est un composé d'allées
et de venues éternelles . Il y a nombre de scènes
qui auraient dû faire un grand effet , si elles
avaient été développées. Le rôle principal ,
Edouard , est manqué , et ne produit pas l'intéret
dont il était susceptible . Cet ouvrage pêche
aussi par le style , qui n'est point en général
correct. Le titre des Dangers de l'ambition n'est
nullement motivé . Ce drame n'offre pas un
seul caractère ambitieux . Nous croyons que les
titres des Dangers de la séduction ou de la
coquetterie , ou celui de l'Ecole de lajeunesse ,
lui auraient convenu davantage . Quelques situations
de ce drame offrent des ressemblances frappantes
avec celles de l'Ecole des pères , du cit.
Peyre , ce qui nous ferait croire que ce littérateur
distingué a puisé son sujet dans la même source.
L'arrivée du médecin , au quatrième acte , quoique
très-vraisemblable , a paru ridicule . Le traducteur
aurait dû imaginer un autre moyen
pour, rappeler à la vie monsieur Rubertt ,
là étant trop allemand pour des français. Nous
ferons aussi quelques reproches aux acteurs qui
ont joué dans le second acte ; car il est de même
ridicule de les voir s'asseoir autour d'une table
et remplir leurs tasses de thé , pour.ne point le
prendre. Outre cela , la plupart ne savaient point
leurs rôles. Il vaut mieux retarder de quinze
jours la représentation d'une nouveauté , et la
jouer à la satisfaction générale . Les citoyens
Faur , Pompée, et le jeune acteur chargé du
rôle d'Edouard , ont été très - applaudis.
celni-
Ce drame a été imité de l'allemand d'Iffland,
B. 5
MERCURE T
par le citoyen Gamas , auteur de Michel Cer
vantes.
VARIÉTÉ S.
Tours , deuxième jour complémentaire ,
de l'an 7.
sur
UN professeur d'Ecole Centrale arrive à
Tours..... Il a perdu une petite somme
une voiture de foin ……... ( On sait que les gens
de lettres ne voyagent guères que sur la paille . )
Ge professeur arrive à Tours , s'adresse aut
Département ; l'Administration lui donne snrle-
champ une somme pour continuer sa route .
Le Professeur l'a acceptée à titre de prêt....
On observera qu'il avait prié les députés de
son département de lui avancer un peu d'argent
pour son voyage . L'argent lui a été , par
eux , nettement refusé.
Aux Rédacteurs du Mercure
Citoyens , n'en est-il pas de quelques ouvra
ges d'esprit comme de nombre d'hommes , qui ,
avec des talens et de la probité , restent dans
l'obscurité , et laissent à des sots et à des intrigans
la place qu'ils auraient dû occuper au
milieu de leurs semblables ? Ces jours passés , '
il m'est tombé entre les mains une petite brochure
, mal imprimée , sur vilain papier , traitée !
enfin comme ces rebuts de littérature , que l'avidité
, qui sait tirer parti de tout , trouve encore
, à l'aide d'un prix très-modique , le moyen
de faire circuler. J'avoue que , cette fois-ci , je
fus un peu comme les enfans , presque toutes les
DE FRANCE. 35
:
་
femmes , et tous les sots , je me laissai prévenir
par l'habit , et fus quelque tems sans daigner
ouvrir ma brochure de papier gris. Je m'en
répentis bien lorsque , lisant par hazard le titre ,
je vis qu'il s'agissait d'un ouvrage du célèbre
Wieland , le Voltaire de l'Allemagne. Je me
dis cet ouvrage-ci , fut-il d'un grand homme
ne peut être entièrement mauvais ; et , par une
autre prévention , avant d'avoir lu , je fis le
procès au barbare libraire qui avait assimil
production d'un homme de génie aux niaiseries
romanesques , qui vont continuellement
amuser les belles du jour et leurs soubrettes
en cela j'eus raison , Wieland qui , dans cet
ouvrage , a trop d'esprit pour amuser les lecteurs
à dix sous , n'êst pas vêtu d'une manière
assez décente , pour attirer le regard
difficile , des gens qui sont faits pour jouir de
sa conversation ; et voilà comment , lorsque le
physique n'est pas d'accord avec le moral , on
a tant de peine à se placer à son rang.
ก
J'en viens à ce livre , d'abord dédaigné , et
qui est maintenant mon favori. Il est intitulé
Pérégrinus protée ou les Dangers de l'enthou
siasme. L'idée de cet ouvrage vint à Wieland
en traduisant les oeuvres de Lucien . La diatribe
our cet auteur couvre de ridicule la vie et la
mort de Pérégriaus , ne lui plut point . Frappé ,
du caractère de cet homme singulier , il entre
prit de le venger , ou , pour parler plus sérieusement
, il résolut de s'en emparer , de le développer
, et de le présenter sous un jour propre
à échirer ses semblables . Pérégrinus , d'une
imagination vive , ardente , doué d'un coeur
sensible , et d'un esprit qui ne chérissait que
les illusions d'une vertu purement céleste ;
trompé d'ailleurs , dès le berceau , par une édu
B 6
36 MERCURE ·
cation superstitieuse , ne rêve que des choses
extraordinaires , et ne veut être heureux que
comme les esprits dégagés de la matière et
placés auprès des dieux ; on lui a sur- tout inspiré
un respect singulier pour la mémoire du
fameux Appollonius de Thyane. Il apprend
qu'une fille de ce second Pythagore se rend
célèbre dans le pays d'Halycarnasse , il quitte
aussitôt Parium , sa patrie , pour aller trouver
cette prophetesse , dont il est enchanté , et qui
l'initie aux mystères les plus secrets de Vénus-
Uranie , qui le fait même jouir du bonheur
d'Adonis . Jamais mortel n'avait été plus heureux';
le jeune enthousiaste n'imaginait pas un
sort plus doux pour les dieux eux-mêmes . Ce
ne fut cependant qu'une illusion ; une des.
Grâces qui entouraient Vénus , laissa échapper
un sourire ironique ; Pérégrinus y reconnut le
trait de l'humanité ; ses yeux se dessilèrent ,
et il ne vit plus , dans ses bras , qu'une des.
plus ardentes courtisanes qui ait été. Le voile
déchiré , il sut que sa prêtresse n'était qu'une
ancienne danseuse , qui jonait un rôle different ,
et que sa Vénus n'était qu'une riche et volup
tueuse romaine , à qui son mari avait laissé des
biens immenses . Il se crut alors même audessous
de l'humanité . Ce morceau , un des'
plus étonnans que l'on puisse lire , est plein'
de feu et de grâces , on ne peut s'en défendre ;
on est enthousiaste comme Pérégrinus , et
presqu'aussi heureux que lui.
Déchu du bonheur céleste , le jeune homme
fuit les lieux où on voulait le rendre heureux
encore . Bientôt il rencontre un prophête d'un
autre genre ; on le nommait Cérinthe . Il étonne
Pérégrinus , et le conduit dans une assemblée
mystérieuse , où il entend une morale qui le
DE FRANCE. 37
transporte de nouveau aux cieux . Le christianisme
commençait à se répandre , mais n'était
pas encore connu ; chacun en faisait des contes
à sa manière ; c'était dans une assemblée de
chrétiens que Cérinthe avait introduit Pérégrinus
. Celui-ci , entraîné encore une fois par
cette imagination , qui ne lui peignait rien que
sous une forme divine , se fit chrétien . Son père
venait de mourir ; il vendit son héritage , et .
en apporta le prix aux pieds de Cérinthe , qui
s'en empara sous le masque de la charité. Ön
l'initia aux nouveaux mystères , et il fut prêcher
l'évangile . Par suite d'événemens , il fut mis
en prison , et il s'applaudissait d'être sur le
point de jouir des palmes du martyr , lorsqu'une
femme entra dans sa prison , se dépouilla d'un
voile grossier , et lui laissa voir celle qu'il avait ,
cru la fille d'Apollonius , cette séduisante Théoclée
, avec laquelle il avait été presque aussi .
heureux qu'avec Venus- Uranie . Elle avait appris
son aventure , et venait le sauver. Une complaisance
de plus l'avait mise à même de disposer
de l'autorité du gouverneur , et elle avait
exigé la liberté de Pérégrinus. Cette fameuse.
prophetesse avait changé de métier ; elle était
alors chrétienne , mais avec les mêmes vues,
qu'elle avait été prêtresse de Vénus. Cérinthe,
était son frère ; elle apprit à Pérégrinus que
ce pontife , cet homme sublime qui lui paraissait
presqu'un dieu , n'était qu'un habile intrigant
, qui , profitant de la nouvelle superstition,
qui s'établissait , voulait sourdement se rendre
chef d'un empire qui , par la suite , devait être
aussi puissant que celui des rois mêmes ; depuis
peu elle était entrée dans les intérêts de
son frère , et elle invitait Pérégrinus à faire,
cause commune avec eux. Pérégrinus profita
38 MERCURE
et
de la liberté qu'elle lui rendait , mais encore
une fois éclairé sur la bassesse des vues humaines
, il ne voulut plus croire à la vertu ,
se fit cynique . Sous ce nouvel habit , il moralisa
les hommes , les gourmanda sur leurs vices ,
et ne réussit pas mieux que Diogènes , son .
modele. Enfin , las de la vie , il annonça solemnellement
, dans toute la Grèce , qu'il la quitterait
volontairement sur un bûcher qu'il allumerait
de sa propre main . I tint parole , au
milieu d'une multitude de monde accourue pour
voir ce spectacle d'un nouveau genre .
On sent qu'un cadre semblable ne peut être
rempli par une plume ordinaire . Wieland y
a aussi déployé un talent bien au-dessus du
commun. Il se montre , dans ce petit ouvrage ,
philosophe éclairé , et profond scrutateur du
eoeur humain. Quant à sa touche , elle est belle ,
large et pleine de noblesse. Je crois que cette
histoire de Pérégrinus se placera naturellement ,
par la suite , au nombre des bons ouvrages , et
ce nombre n'est pas très -grand.
J'avoue qu'après la lecture de ce livre , traduit
depuis cinq ans , et avec infiniment de
goût , par le citoyen Labaume , j'ai été étonné
de le voir aussi peu connu et aussi peu répandu
, malgré son prix plus que modique. Je
n'en vois que la raison que j'en ai donné. C'est
aux hommes éclairés et amis de la bonne littérature
, à venger Wieland de cette injure ,
que , dans tout autre tems , il n'eut pas reçu
dans notre patrie . Sous ce rapport , je crois
faire mon devoir , en le rappelant à la mémoire ,.
et je suis persuadé que les lecteurs de cette
feuille ne n'en sauront point mauvais gré. C'est
une nouvelle jouissance que j'indique à ceux
qui n'ont pas encore été à méme d'en profi
DE FRANCE. 39
ter ; c'est un hommage que je rends à un grand
bomme d'un autre pays .
Wieland doit être maintenant fort âgé. Ses
poésies font les délices de l'Allemagne . Au
milieu des préjugés , qui l'entourent , il sait se
montrer philosophe ; son Pérégrinus en est
une preuve. On nous a déjà fait connaître
de lui , Musarion où la Philosophie de Graces ,
poëme que les Grâces elles- mêmes semblent
avoir dicté ; PEpreuve d'Abraham ; poëme ,
inséré dans un recueil de poésies allemandes
composé par Huber , traducteur de Gessner ;
des Contes comiques , Agathon , Don Silviode-
Rosalva , Idris et Zenide , poëme ; Socrate
en Délire ; le Miroir d'Or ; l'Amour accusé
poëme ; les Abdérites , etc. Wieland , à qui
le travail est très - facile , et qui est obligé de
vivre du produit de ses ouvrages , a beaucoup
écrit ; il reste encore de lui nombre
d'ouvrages qui ne sont point traduits dans.
notre langue . Il a commencé en 1773 un
Mercure Allemand , dans l'espoir de donner ,
une bonne direction , à la littérature de
son pays , qui se sent encore d'une
taine grossièreté que les drames tudesques
nous ont mis à portée de counaitre . Il s'est
exercé dans plusieurs genres , et a vu ses
efforts couronnés par des succes flatteurs. 11
me suffit , en ce moment , de lui avoir rendu
justice en faveur d'un ouvrage qui est trop
bon pour avoir rien de commun avec ces
productions qui nous viennent du même pays ,,
et que nous accueillons si complaisamment.
cer-
PIERRE BLANCHARD .
40
MERCURE
MERCURE
DE FRANCE.
Du 5 Vendémiaire , an 8.
POLITIQUE.
NOUVELLES ÉTRANGÈRES.
LE
ALLEMAGNE.
Manheim , 28 fructidor.
E bombardement de Philipsbourg cessa
avant - hier dans la matinée , et on leva le
blocus.
Nota. La reprise de Manheim par les autrichiens
a été annoncée par le Télégraphe
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE .
PARIS .
MINISTÈRE DE LA GUERRE.
L'adjudant-général Dardenne , chef de l'étatmajor
de l'armée française en Batavie , écrit
du quartier-général d'Alkmaer , le troisième
jour complémentaire .
L'ennemi a attaqué ce matin , à quatreheures
, sur toute notre ligne : une colonne
russe , forte de six mille hommes , comman
DE FRANCE. 4r
s'est dirigée
dée par le général Hermann
sur l'avant-garde des troupes françaises , aux
ordres du général Vandamme ....... Le résultat
connu de cette mémorable journée , est que
l'ennemi a perdu deux mille hommes tués sur
le champ de bataille , huits cents blessés ,
dont la moitié le sont mortellement , quinze
cents prisonniers , parmi lesquels se trouvent
une quarantaine d'officiers de tout grade ; de
ce nombre est le général Hermann commandant
en chef les troupes de l'expédition russe ,
le colonel Stryk , blessé dangereusement ; on
leur a pris , en outre , cinq drapeaux et vingt,
pièces d'artillerie de divers calibres .
Nous avons eu trois cens hommes blessés ,
peu de tués.
La fête de la fondation de la République a
été célébrée au Champ de Mars. Le président
du Directoire a prononcé un discours dans
lequel il invitait tous les républicains à abjurer
de funestes divisions. Le ministre des Finances
a cité les départemens où l'emprunt forcé se
paye avec le plus de zèle. Celui de la Guerre ,
a lu les noms de ceux qui ont le plus contribué
à étouffer les troubles du Midi . Le
ministre de l'Intérieur a proclamé les belles
actions , et le président de l'Institut , les bons
ouvrages . Un bataillon de Conscrits a reçu
un drapeau .
Autant pour faire cesser les craintes que les
bons citoyens auraient pu concevoir , que pour
prévenir les trahisons , et apprendre à l'Europe
les véritables intentions des français , le
conseil des Cinq- Cents , sur la proposition de
Gareau , a adopté la résolution suivante :
42 MERCURE
.
Sont déclarés traitres à la patrie , et seront
punis de mort , tous négociateurs , généraux ,
ministres , directeurs , représentans du peuple
ou tels autres citoyens français qui proposeraient
, appuieraient ou accepteraient des conditions
de paix , tendantes à modifier , en tout
ou en partie , la constitution , ou à altérer l'intégralité
du territoire de la République , telle
qu'elle a été déterminée par la constitution ,
et par les lois qui ont prononcé des réunions..
FRAGMENT POLITIQUE.
Des sociétés populaires.
Fremier jour complémentaire.
:
On
EN 1792 les sociétés populaires sauvèrent la
liberté ; en 1793 elles la perdirent en l'an`7
de la république , la turbulence de ces mêmes
sociétés vient de forcer le gouvernement à
suspendre leur exercice . Aujourd'hui ,
en reclame la réorganisation comme moyen
de salut public. Pour obtenir cette réorganisation
, il faut donc qu'elles prouvent , et
l'avantage du droit , et celui du fait ; c'est-àdire
, qu'il soit démontré , non-seulement que
des citoyens quelconques peuvent légitimement
former une réunion politiqué , mais aussi que
cette réunion politique sera profitable à l'état.
Sur la première partie de cette question , l'acte
constitutionnel décide en faveur des réclamans.
La seconde trouve un appui dans mon opinion
particulière , mais avec des restrictions telles
que , désespérant de les voir jamais respectées ,
je concluerai bientôt moi -même à la clôture in
définie des sociétés populaires . B
DE FRANCE.
43
721
Oui , certes , ces réunions seraient d'un avantage
inappréciable à la république , si cenx qui
des composent , exempts de passions et de prétentions
, devenaient entre les gouvernans et les
gouvernés , des intermédiaires dont l'objet fut
de faciliter la confection et l'exécution des lois .
Lorsqu'une question serait agitée au corps
gislatif , par exemple , ils lui feraient connaitre
exactement les dispositions du peuple , ses
movens , ses facultés ; et le corps législatif ,
guilé dans son opération par ces avis précieux ,
décide it a question d'une manière d'autant
plus profitable à l'état , que les meilleures lois
sont celles qui s'accommodent davantage au caractère
et aux moyens des hommes qu'elles
doivent réir. Les sociétaires ensuite se présenteraient
devant le peuple , se serviraient de
leur influence sur lui pour assurer l'exécution
de l'acte législatif , en feraient ressortir adroitement
tout le mérite , et, par de sages commentaires
, lui rendraient chacun de ses détails
familiers . La législation d'un peuple qui posséderait
de tels amis , serait parfaite , et ses
actes ne trouveraient jamais aucune opposition.
Il existe toujours une espèce de défiance des
gouvernés contre les gouvernans , à laquelle
cette institution porterait remède . De même
que par un sentiment naturel qui n'échappera
à aucun de ceux qui voudront sonder leur propre
coeur , plus un homme a de droits sur nous
plus il lui est difficile de nous persuader ; tandis
qu'au contraire de la parité des conditions
naissent ordinairement la confiance et une prévention
favorable . Dans le cas particulier , d'ailleurs
, nous croirons d'autant plus facilement
celui qui nous vantera l'excellence d'une lor ,
que relativement son intérêt est même que le
nôtre .
C
£ 21
44
MERCURE
Mais pour que les sociétés populaires offrent
cet avantage à l'état , il faut deux conditions
indispensables : il faut qu'elles se bornent aux
fonctions d'un écho fidèle , et il faut que les
gouvernans du pays où elles siègent , se montrent
constamment justes et amis de la chose
publique . Si elles prétendent au droit de discuter
les lois , elles sont un foyer de guerre civile : si
elles demeu ent fidelles aubut de leur institution,
et que les gouvernans commettent des abus de
pouvoir , elles deviennent les instrumens de la
tyrannie. Sous un gouvernement dont les administrateurs
sont annuels ; il vaut cependant mieux
souffrir l'effet d'une mauvaise loi , qu'en prévenir
l'exécution par une guerre civile. Vous
savez combien de tenis , cette loi pésera suf
votre tête , et il ne tiendra qu'à vous ensuite de
l'abroger , pouvez vous de mênie calculer la
durée d'une guerre intestine , et jamais serez,
vous maître de mettre un terme à ses fureurs ?
Mais il n'est pas moins intéressant que cette
loi ne passe pas pour bonne dans l'opinion publique
; car alors ce mal , qu'on pouvait facilement
guérir , deviendrait incurable. Dans l'hypothèse
, la société populaire eut donc , par sa
résistance , excité la guerre civile , ou , en applaudissant
au législateur , perpétué le malheur
public . « Eh bien , me direz vous , il faut donc
» aussi enchaîner la main des écrivains . » Non
vraiment , vous répondrai-je , et je prétends au
contraire en faire une sauve-garde à la liberté.
Quel effet produit le journal ou la brochure
qui critique un acte législatif ? Il est , pour le
magistrat , un rappel à son devoir , et pour le
peuple , la dénonciation d'une mauvaise loi :
le législateur corrigera son ouvrage , ou , à la fin.
de l'année , par l'élection de magistrats imbus
de l'opinion générale , le peuple pourvoira à
DE FRANCE. 45
T'exclusion de cette mauvaise loi . « Mais , reprendrez
- vous peut - être , l'opposition de la société
populaire eut produit le même effet. »
Non , vous répondrai -je encore ; en pareil cas
l'effet d'un écrit est bien moins dangereux que
celui d'une discussion verbale. D'un côté , c'est
une protestation qui frappe įsölément chaque
citoyen ; de l'autre , c'est un examen qui a pour
témoin tons les citoyens à la fois , et dont le
résultat peut produire une révolte . Prouvez au
peuple assemblé qu'une loi est injuste , et il
refusera de lui obéir , et il voudra la combattre
à force ouverte ; administrez la même preuve
à chacun isolément ; chacun , par une défiance
salutaire des dispositions de son voisin , renfermera
soigneusement en lui- même son mécontement
, obéira provisoirement ; mais se
promettra bien , au terme des élections , de prendre
des mesures pour faire triompher son opi-"
nion particulière . Ce terme arrivé , chacun concourra
isolément à un effort général , et de
cette manière la justice reprendra bientôt ses
droits , sans que l'état ait souffert une secousse
violente. Cette observation devient encore plus
sensible , quand on songe que les meilleures
lois ne sont pas à l'abri de la censure ; et qu'on
se représente enfin combien les factieux sont
habiles à s'emparer des moindres circonstances
, pour semer le trouble et la division dans
l'état.
Les réunions politiques , repoussées par cette
discussion générale , perdent encore davantage ,
quand on regarde autour de soi , et qu'on exa-"
mine l'état de la République où on demande
leur formation . La République française , on ne
peut se le dissimuler , est dans un grand péril :
elle a presque entièrement perdue , en deux
46
MERCURE
ou trois mois , le fruit d'une longue guerre ,
faite avec succés , et , après une lutte aussi longue
que pénible , elle voit de nombreuses troupes,
ennemies la menacer de toutes parts. On
propose donc la réorganisation des sociétés po- ,
pulaires , et on prétend qu'elles seules peuvent
relever l'esprit public , et par contre coup sau➡
ver l'état. Je déclare franchement que je ne
partage pas cette opinion . Je pense , moi , qu'il
n'y a que l'union et une confiance entière au
gouvernement , qui puissent nous tirer de ce
mauvais pas. Si on entrave la marche des gou- :
vernans , ou qu'on les déconsidère , nous sommes
perdus , à jamais perdus. Je ne crois pas les
sociétés populaires propres à maintenir cette
union , et le caractère connu de ceux qui les ,
ont composées jusqu'à ce jour , et qui sans doute ,
en seraient encore les principaux personnages ,
ne me laisse non plus entrevoir rien de favorable
pour ce qui est de relatif à la confiance
constitutionnelle , mais entière , dont nous devons
environner , en ce moment , le pouvoir ,
exécuti . Allons plus loin , et disons que la situation
de certains esprits , relativement à plu- ,
sieurs membres de ce pouvoir exécutif , quel-i
ques phrases même échappées à ceux qui invoquent
la réorganisation des sociétés populaires ,
et leur agitation , en général , nous donnent la
mesure des maux que causerait bien certainement
l'admission de cette demande intempestive
. Depuis quelques jours , on entend circuler ,
des bruits injurieux au patriotisme d'hommes
qui furent cependant les fondateurs , et les
soutiens constans de notre République . Ces accusations
vagues et dénuées de toute vraisemblance
, ainsi répandues , sont peu dangereuses ,
parce qu'elles excitent le mépris de l'homme .
DE FRANCE.
47
éclairé , et qu'elles ne sont , pour la classe
moins instruite , qu'un vain propos sans appui
comme sans auteur connu ; mais si elles étaient
répétées au milieu d'une société , et par des
hommes revêtus d'un caractère públic , elles
acquéreraient alors de l'intérêt et déviendraient
pernicieuses : le peuple persuadé qu'il est effectivement
vendu à l'étranger par ses gouvernans
, opposerait encore plus de répugnance
aux sacrifices que les circonstances exigent de
lui , et le soldat , entendant sa tente retentir de
ces insinuations perfides , refuserait d'en ' sortir
pour combattre l'ennemi..
On parle de voleurs à poursuivre , d'abus à
dévoiler , de traitres puissans à démasquer.
J'aime bien qu'on poursuive les voleurs publics
; mais c'est quand on peut le faire , sans
alarmer le peuple par le spectacle trop nud
des plaies qu'ils ont faites à l'état . J'aime bien
qu'on dévoile les abus ou ceux qu'on croit
exister ; mais c'est quand on peut dévoiler les
abus , sans prêter des arines à la malveillance ;
mais c'est quand on peut se tromper sans'
danger pour la République. S'il existe des
traîtres , j'aime bien encore qu'on les démasque
; mais je n'aime point à voir le magistrat
chaque jour déconsidéré par des déclainations
virulentes , et la marche du gouvernement
ainsi entravéé , la sûreté de l'Etat ainsi compromise
par les visions d'un sot ou les
suppositions perfides d'un ennemi caché, Disous
encore que les recréations des sociétés
populaires , loin de porter le peuple à l'amour
de la République , est capable , par les allarmes
qu'elle inspirerait à une grande portion de
ce même peuple d'augmenter encore le
nombre des aspirans à la royauté . Un jour ,
1
48
MERCURE
peut-être , le français reconnaîtra qu'il ne doit
pas prescrire la chose à cause de son abus ;
mais il faut lui laisser le tems de réfléchir
et quand tous nos efforts doivent tendre à lui
fase envisager le gouvernement républicain ,
comme le meilleur gouvernement , ne point
proclamer une des ressources , ce qu'il appelle
un instrumeut de désordre et de tyrannie . Le
meilleur moyen de relever l'esprit public , est
de faire cesser l'état de crise et de gêne dans
lequel nous nous trouvons . Et certes , ce n'est
point en préparant de nouvelles scissions
parmi nous qu'on assurera la défaite de
l'ennemi ; ce n'est point en entravant par la
défiance les opérations des gouvernans , qu'on
accélèrera la paix .
Quand nos ennemis seront vaincus , quand
la paix sera faite , nous pourrons sans péril essayer
de le convaincre de son erreur. Les partisans
des réunions politiques proposeront alors
leurs moyens d'organisation , et nous verrons
si , formées sur ce modèle , elles offrent une
utilité réelle à l'état. Mais aujourd'hui il n'est
pas tems de faire cette épreuve dangereuse ,
il faut respecter l'opinion publique , et laisser
le pouvoir exécutif déjouer dans le calme et
le silence les efforts de la coalition , La constitution
lui a donné des surveillans , le corpslégislatif
le précède quelquefois , et l'accompagne
toujours dans la carrière politique ; il
sera notre sauve-garde.
HENRI LEMAIRE.
CAILLEAU , Éditeur-Propriétaire.
MERCURE
DE
FRANCE ,
Décadi , 10 Vendémiaire , an 8.
H.
POÉSIE S.
A LA VIOLETTE.
UMBLE fleur , hate-toi d'éclore ,
Zéphir est enfin de retour ;
N'es-tu pas pour la jeune Flore ,
Le premier fruit de son amour ;
Ta naissance est l'heureux présage
De la plus belle des saisons ;
L'hyver a quitté ce rivage ,
Quand tu renais sur les gazons.
Mais il semble que ta parure ,
Image des vives douleurs ,
Du trop long deuil de la nature
Conserve encore les couleurs.
Tels , à l'aurore de notre âge ,
Après les larmes , les soucis ,
Nos yeux , sont, d'un léger nuage
Quelque tems encor obscurcis,
Tome IX. C
50 MERCURE
DES pleurs du fils de Cythérée ,
Autrefois , dit- on , tu naquis ,
Sur la bouche décolorée
Du jeune et sensible Adonis ;
Non , d'Amour , tu n'es pas l'ouvrage :
Comment , depuis , unirais- tu
La timide pudeur du sage ,
Et le parfum de la vertu ?
QU'UNE autre , forçant la nature ,
Se plaise à transplanter des fleurs ,
Dont-il change , par la culture ,
Et le climat et les couleurs ;
Moi , sur le sol qui t'a vu naître ,
J'irai jouir de ta beauté ;
Dans un asyle moins champêtre ,
Tu perdrais ta simplicité.
H. M. SERIGNY.
Ci-devant au 20º. régiment de Cavalerie,
STANCES ANACREONTIQUES,
ASSIS sous un dais de verdure ,
Tapissé des fleurs du printems ;
J'ai vu , sous la simple parure ,
Des objets très intéressans.
J'AI vu , très-blonde chevelure ,
Flotter au gré du doux Zéphir ;
Sur un col de belle structure
J'ai vu, j'ai goûté ce plaisir,
DE FRANCE. 31
J'AI vu tête bien agréable ,
Offrir les traits de la douceur ;
J'ai vu femme la plus aimable ,
Sûre de conquérir un coeur.
J'AI vu , quelle volupté pure !
Pour un mot dit en badinant ,
La vive et prudente nature ,
Lui donner coloris charmant.
J'AI vu , sans crainte d'aucun blâme,
J'ai vu l'éclat de deux beaux yeux ,
Imprimer au fond de mon ame ,
Un sentiment délicieux.
SUR des lèvres couleur de rose ,
J'ai vu sourire gracieux ;
J'ai vu de mon bonheur la cause ,
Et le bon goût de mes ayeux.
SOUFFREZ que je vous remercie,
Grace à vos soins , j'ai bien tout vu j
J'ai vu votre charinante amie ,
Qui , foi d'honneur , m'a beaucoup plu.
Si ses yeux étaient de nature ,
A me voir ainsi que j'ai vu ;
Je rirais de mon aventure :
Mais je crois que c'est tems perdu.
LE BOURGEOIS.
C 2
52 MERCURE
IMITATION ( 1 ),
Du passage des Géorgiques de Virgile :
Qualis populeâ mærens . etc. lib. 4.
EN longs gémissemens exhalant sa douleur ,
Telle , sur un ormeau , Philomèle attendrie ,
Appelle ses petits , que , d'une main hardie ,
A ravis , de son nid , le cruel oiseleur ;
Chers petits , qui n'avaient déjà vu qu'une aurore ,
Et n'étaient revêtus d'aucune plume encore.
Sur sa branche , la nuit , et pleurant jusqu'au jour ,
Elle remplit de cris tous les bois d'alentour.
" GEOUFFRE -LAPRADELLE
( 1 ) Ayant vu six imitations du même morceau dans le journal
des Muses , et par des auteurs célèbres , il y a peut-être de la témérité
à paraître sur les rangs : je reconnais assurément mon infériorité.
Mais on ne blâmera pas les efforts que i'avais faits , il y a
plus de dix ans , pour exprimer , telle que je l'avais sentie , l'idée
du poëte latin.
Explication de la Charade , et de l'Énigme da
numéro précédent,
; Le mot de la Charade est Tourbillon ; celui
de l'Enigme est la Mort,
DE FRANCE. 53
ENIGM E.
JEUNE et piquante ,
Appétissante ,
Corsage rond ,
Et fort mignon ;
Fraîcheur charmante ,
Que l'onde augmente,
Teint blanc de lait ,
Carmin parfait ;
Aimant village ,
Et jardinage ;
Oh ! t'y voilà ?
Lecteur , hold !.
Voici la crise ,
Qui dépayse
.....
Ton esprit prompt :
Joins au crayon
Qui te dessine ,
Nymphe lutine ,
Des cheveux verts ,
Barbe à l'envers ,
Et fort prolixe ;
Puis , des yeux -,
Ce tableau mien ;
fixe ,
Que tiens-tu ? Rien:
J. C. F. C. de Péronne.
C 3
54
MERCURE
LOGO GRIPH E.
AUTOUR d'un tapis verd , souvent , ami lecteur ,
Je sers à tes plaisirs , et tu fais ma partie :
Mon héros est homme de coeur ;
Je lui crois cependant de la poltronnerie ,
Car il ne sort qu'en compagnie ,
Toujours une lance à main ,
Quand , pour courir la bête , il se met en chemia.
Il marche sur huit pieds que tu peux retourner ,
De diverses façons , pour mieux le deviner.
Cherche d'abord deux notes de musique ;
Le résultat heureux d'un talent méchanique ;
De la déesse des Amours ,
Les favoris , les chevaliers d'atours ,
Que j'ai , par fois , vu déserter Cythère
Pour folâtrer avec Glycère ;
Un reptile rongeur ; un vase transparent ,
Qui te charme , rempli d'un aï petillant ;
Pour tirer droit ', ce qu'il faut savoir faire ;
Ce qui , souvent , au milieu du sommeil ,
Nous plait , et disparaît à l'instant du réveil ;
Un titre qu'on donnait au roi dans les placets ;
Et qui toujours savait lui plaire ;
Ce que l'on craint dans ces cabriolets ,
Que l'on rencontre par douzaine ,
D'où l'on peut sans sortir , et même de plein- pić ,
Entrer à l'entre-sol , sans en avoir la clé ,
-
Ni se donner beaucoup de peine ;
Ce qu'avec fermeté nous devons supporter ,
Quand il plaît au destin de nous les envoyer.
Enfin , lecteur , ce que je viens d'écrire ,
Puisse- tu ne pas trop t'ennuyer à les lire.
G. M. de Meaux.
DE FRANCE. 55
MÉLANGES.
ARTUS ET MORGAN E.
CONTE.
ALLONS , mes enfans ,
approchezvous.
La veillée commence , et , dans les
longues soirées d'hyver , il faut , à la
campagne , trouver les moyens de s'amuser.
Que ferons -nous ? Les cartes vous
ennuyent et m'endorment
. Eh bien !
Causons , racontons des histoires ; je
vais vous donner l'exemple .... Ma
Julie , tu me succéderas ; ton frère
Auguste ensuite nous récitera quelquesunes
des fables que je lui traduis des
langues étrangères ; ainsi nous gagnerons
l'heure du souper. Mais quel sujet
choisir ? Je voudrais , s'il était possible
joindre dans mon conte l'agrément à
l'utilité ; car je me garderai bien d'effaroucher
votre imagination jeune encore
par des avantures à l'anglaise. Les spec
tres , les fantômes , les cachots , les sorciers
, les poignards , lugubre attirail des
romans diaboliques dont grâce au "
C 4
56 MERCURE "
mauvais goût , on nous régale depuis
quelques-temps ; tout cela fait frissonner
d'horreur.... Attendez ; je me ressouviens
d'avoir lû , l'autre jour , dans
un vieux chroniqueur ultramontain une
historiette qui pourra vous amuser. Je
vous ai parlé quelquefois de la chevallerie
. Ecoutez une aventure merveilleuse
qui arriva au fils de Pendragon , à ce
brave Artus , frère de la fée Morgane ,
à celui -là même qui institua l'ordre des
chevaliers de la table ronde qu'on montre
encore aujourd'hui au château de
Winchester.
9
Un jour Artus étant à la chasse s'égara
dans une antique forêt. La nuit
survint. Accablé de fatigue , il cher
chait , mais inutilement , un azile pour
y attendre le retour du soleil . Tout - àcoup
, s'offre à ses regards un cerf dont
le bois orné de perles brillantes répandait
au loin l'éclat de la plus vive lumiè
re. Artus étonné d'abord ' , suit bientôt
l'animal , dans l'espérance de le saisir,
Après avoir long-temps couru envain ,
il découvre sur sa droite une plaine
agréable et fertile . Au milieu , s'éleve
un petit mont pierreux , dans le flane
duquel est pratiquée l'ouverture d'une
caverne sombre . Un sentier tortueux
'étroit et difficile conduisait dans l'inté-
↓
DE FRANCE. 57
1
rieur. C'est-là que se précipite le cerf à
la ramure éclatante. Artus descend
aussitôt de son coursier qu'il attache à
l'entrée de la grotte , et suit avec peine
les traces de l'animal léger. A la clarté
de la lumière , il pénétre si avant , qu'il
croit descendre sur les rives infernales :
mais voilà qu'une Nymphe traverse ,
tout près de lui , un sentier pierreux.
Sa robe , couleur d'azur , était parsémée
d'éméraudes et de rubis étincelants .
A peine le cerf l'apperçut , qu'il vint
docilement se coucher à ses pieds. Artus
dit alors : ô toi qui nourris un animal
aussi précieux , aimable divinité !
sois moi propice. Daigne m'apprendre
où je suis , et si cette grotte s'enfonce
encore bien avant ; dis moi quels sont
les habitans de ces lieux ; car , puisque
je t'y vois , belle Nymphe , je ne dois
pas ailleurs les trouver déserts . Mais
toi , reprit-elle , qui es tu ? D'où vient
qu'abandonnant la surface émaillée de
la terre , tu as pénétré dans les abîmes
qui recèlent les secrets de la nature ? Il
faut qu'un courage , plus qu'ordinaire ,
t'enflamme ; il faut que tu sois un héros ;
autrement , mon cerf ne t'aurait pas
attiré dans ces lieux . Je suis , rondsimplement
Artus , le fils de Person
- Et la Nymphe aussitôt : stre, et
-
EP
58 MERCURE
vaillant chevalier , le voyage que tu entreprends
ne sera pas infructueux. Tu
vas voir Morgane ; mais en allant rejoindre
cette illustre Fée , tu connaîtras les
merveilles que la terre renferme dans
son sein ; tu connaîtras même encore
la structure de l'univers et la voûte merveilleuse
dont le divin architecte a couronné
son ouvrage ; si tu le désires , tu
monteras sur une montagne_dont_la
cîme touche au firmament. Là , sous
ses pieds , Morgane voit rouler le globe
terrestre . Je vais t'y conduire ; suis - moi.
A ces mots , elle se fit précéder de son
cerf dont le bois lumineux dissipait
l'horreur des ténébres et reflettait un
éclat éblouissant sur les objets renfermés
dans ces voûtes obscures .
Ils marchent . Sur la route s'offrent à
leur rencontre des Nymphes occupées
de travaux divers . Artus émerveillé s'arrête
et demande à sa conductrice :
Mais quel est le soleil qui dissipe l'épaisseur
de ces ténèbres ? D'où provient le
bruit qui frappe mes oreilles ? - Te
voilà , répond la Nymphe , bien plus
renfoncé que tu ne l'imagines , dans les
entrailles de la terre . Le soleil qui t'éclaire
là haut , ne peut ici trouver de
passage et ce jour est d'une autre nature.
Il jaillit des angles opposés de ces
DE FRANCE. 59
couches de diamans imprégnés de mille
et mille couleurs différentes. Ce que les
mortels prisent le plus , se forme dans
ces grottes mystérieuses . Tourne de ce
côté les regards ; tu verras dans leurs
atteliers les filles de la terre travailler
les matériaux bruts les pétrir , leur
imprimer les formes particulières sous
lesquelles chaque espèce doit paraître
au jour.
Et en effet , Artus est saisi d'étonnement
en parcourant des yeux cet immense
laboratoire d'où s'élève un murmure
sourd , pareil aux vents déchaînés
, quand ils s'engouffrent dans les
forêts. Nul silence ne l'interrompt , une
Nymphe épuisée de fatigue se reposet'elle
quelques instans ? Une autre aussitôt
lui succède et continue sa tâche.
Ainsi leur active industrie compose l'or ,
l'argent , les autres métaux les diamans
, le marbre , le porphire ; ainsi
d'autres remplissent sans cesse les inépuisables
réservoirs des lacs , des fleuves
et des fontaines. D'autres encore dirigent
vers la surface de la terre le souffre ,
le nître et les sels ; d'autres enfin préparent
, élaborent ces sucs végétatifs qui
nourrissent les herbes et les plantes . Le
héros voit aussi les sources bouillonnantes
des matières bitumineuses qui
C 6
MERCURE
s'élancent , à travers des torrens de fumée
, des cratères de l'Etna , du Vesuve
et des autres montagnes . Il découvre
l'origine des vapeurs dont le mêlange
hétérogène produit dans la plaine éthérée
ces feux , ces météores , ces éclairs
qui frappent de terreur les Nations tremblantes
.
9
Mais un mugissement horrible , semblable
à celui d'un taureau prêt à se
mésurer avec son rival , fixe tout -àcoup
son attention. Il en demande la
"cause. Dans ces cavernes obscures
répond la Nymphe , gissent les corps
monstrueux de ces Encelades qui , las
de rester emprisonnés , murmurent ,
éclatent , secouent , déchirent la terre.
Plus loin , entends le bruissement des
'mers. De leurs gouffres profonds elles.
précipitent leurs flots. Leurs flots de
nouveau s'abyment et sont de nouveau
revomis au jour . Mais nous approchons
de l'asyle heureux qu'habite la Fée qui
se dérobe avec soin aux regards du
vulgaire . Prends courage. Tu recevras.
un gage précieux de son amitié pour
toi peu de mortels , jusqu'à présent
ont obtenu la faveur de la voir. Quand
on y parvient , on ne la quitte jamais ,
sans être dédommagé de ses fatigues
avance donc ; elle prévoit ton arrivée .
Je te quitte.
DE FRANCE. 61
A ces mots , la Nymphe retourne
sur ses pas ; et le héros continue sa route,
toujours à la lueur de la brillante ramure
du cerf qui le précède. Enfin un jour
plus pur , une lumière plus vive que
celle du soleil , éclate à ses regards
éblouis et confondus .
( La suite au numéro prochain. )
NOUVELLES LITTERAIRES.
VOYAGE DANS LA HAUTE ET BASSE ÉGYPTE , fait
par ordre de l'ancien gouvernement , et contenant
des observations de tous genres , par
C. S. SONINI , ancien officier-ingénieur de la
marine française , et membre de plusieurs
sociétés savantes et littéraires , avec une collection
de 40 planches , gravées en tailledouce
, par J. B. Tardieu , contenant des portraits
, vues , plans , cartes géographiques ,
antiquités , plantes , animaux , etc. , dessinés
sur les lieux , sous les yeux de l'auteur ; trois
forts volumes in-8° , Prix , 21 francs , brochés,
et 26 francs par la poste , francs de port ; en
papier velin , 42 fr . , non compris le port ; en
papier ordinaire , avec planches enluminées ,
26 francs. Paris , chez F. Buisson , imprimeurlibraire
, rue Haute -feuille , n.º 20.
Le nom de Sonini , l'ami et le coopérateur
de Buffon , doit attirer l'attention
sur ce voyage ; les circonstances
62 MERCURE
"
doivent aussi ajouter à l'intérêt qu'il inspire
par lui- même. L'auteur ne s'est volontiers
décidé à le donner au public , en
ce moment , que par rapport à ces circonstances.
Il aurait eu tort cependant
de le laisser dans l'oubli ; il aurait privé
les sciences , sur- tout celles qui tiennent
à la physique et à l'histoire naturelle
d'une foule d'observations précieuses .
Un homme , tel que Sonini , ne peut que
voyager utilement pour ses semblables ;
il å senti , par la suite , que ce zèle qui
l'avait porté à faire tant de sacrifices
pour les sciences ne lui permettait
point de condamner à l'oubli le résultat
des travaux , entrepris uniquement dans
la vue de les faire tourner à l'avantage
de ces sciences , et , par suites naturelles ,
à celui de sa patrie. L'expédition de l'Egypte
a réveillé à ce sujet sa conscience.
Voici comment il s'en explique luimême
. « L'Egypte , dégradée de nos
» jours , et repaire de brigandage et de
» barbarie , peut espérer enfin de re-
» prendre l'éclat dont elle brilla jadis .
» Devenue la possession d'un peuple
>> non moins célèbre que celui dont l'antiquité
se glorifie ; cette contrée fameuse
que des siècles , écoulés pour
>> la destruction , avaient rendue mécon-
» naissable , remontera vers son antique
DE FRA N C E. 63
>> renommée . Les hommes , comme le
» territoire ; le pays , comme sa popu-
>> lation , vont prendre un nouvel as-
» pect , et bientôt l'Egypte ne sera plus
» ce qu'elle était naguères.
» Il ne pouvait donc être indifférent
>> de faire connaître l'Egypte telle que
>> les français l'auront trouvée ; de pein-
>> dre les moeurs des différens peuples qui
>> l'habitaient , et chez lesquels la civilisa-
» tion succédera à la grossière et féroce
» ignorance ; de décrire les débris des
» monumens augustes , épars sur un sol
> enorgueilli de leur hardiesse et de leur
» masse prodigieuse ; de dessiner quel-
» ques traits de la parure que la nature
» généreuse n'a pas cessé d'étaler aux
» hommes ingrats , qui ne cessaient à
>> leur tour de l'outrager ; enfin de tracer
l'esquisse de cette portion de l'A-
» frique , avant qu'elle n'eut changé de
>> face . >>
J'ai pris d'autant plus de plaisir à
transcrire ce passage , qu'il annonce le
but de l'auteur , et montre en même
tems son patriotisme , zèle éclairé qui
lui fait faire des voeux pour la gloire
de son pays , et le convainc de la pos-
´sibilité de vastes projets entrepris dans
cette intention .
Le citoyen Sonini a suivi , dans son
64 MERCURE
:
à
ouvrage , la forme de la relation ; c'est
la plus convenable aux voyages. L'on
aime à tenir la main du voyageur ,
l'accompagner dans ses courses , et à
partager ses fatigues et ses dangers
comme à jouir , avec lui , des succès qu'il
obtient dans ses recherches. Il ne faut
pas croire cependant que cet ouvrage
ait l'aridité d'un journal ou d'un itinéraire
des observations , des développemens
, des considérations générales , en
éloignent la fastidieuse monotonie. Les
dessins viennent à l'aide de la narration ,
et montrent aux yeux ce que l'auteur
n'a fait que décrire ; tous ont été pris
sur les lieux mêmes , et la plupart
représentent des objets peu connus.
L'on y remarque principalement les
singulières figures , découvertes dans le
temple d'Isis , à Dandera . L'auteur a
suivi le conseil du savant Caylus , qui
exhorte ceux qui rassemblent des monumens
d'antiquité , à les communiquer ;
parce que leur collection , quelque peu
nombreuse qu'elle soit , peut offrir des
singularités qu'on ne trouve pas dans
les plus amples cabinets .
Nous suivrons le voyageur , dans sa
route , autant que les limites de cette
feuille nous le permettront. C'est d'auprès
de Buffon qu'il part pour Toulon ,
DE FRANCE. 65
où il s'embarque. Avant de passer outre
je ne puis résister au désir de mettre
sous les yeux du lecteur le portrait qu'il
trace de l'immortel Pline francais.
Buffon , dit-il , n'était pas du nombre
» des gens de lettres qu'Erasme compa-
>> rait plaisamment aux tapisseries de
>> Flandres à grands personnages , qui
» ont besoin , pour produire leur effet ,
>> de n'être apperçus que de loin . Sa
>> conversation était aussi agréable qu'in-
» téressante , et il y mêlait une gaîté
>> franche., un ton de bonhommie qui
» mettait tout le monde à l'aise . A ces
» qualités sociales , il joignait les belles,
> formes du corps ; il était , comme Pla-
» ton , de la stature la plus brillante et
>> la plus robuste ; de larges épaules an-
>> nonçaient sa force ; son front était
» élevé et majestueux , et il se faisait
>> remarquer par la noblesse de son
>> maintien , et par la dignité de ses
» mouvemens. Mais il avait , de plus
» que la plupart des anciens , ce soin
» de soi-même , cette propreté élégante
>> dans les vêtemens , qui marquent l'at-
» tention et la déférence pour les au-
>> tres.n
Ce fut le 26 avril 1777 , que Sonini
sortit du port de Toulon , sur la frégate
l'Attalante. Nous ne nous arrêterons
66 MERCURE
*
sepoint
avec lui à Gênes , à Palerme , à
Malte , à Candie ; nous le prendrons à
son arrivée en Egypte même. Ce fut
à Alexandrie qu'il débarqua. Le port
neuf d'Alexandrie , qui est très-mauvais,
n'a que sa situation avantageuse au commerce
qui le fasse fréquenter ; le vieux
port , beaucoup plus commode , n'est
ouvert qu'aux musulmans. La ville n'est
qu'un bourg assez misérable , dont on
ne parlerait point s'il n'était bâti sur les
ruines d'une des villes les plus célèbres
de l'antiquité. Ses habitans , féroces ,
dissimulés , vindicatifs , et ignorans ,
raient très-propres à éloigner les étran
gers , si la cupidité n'attirait point les
hommes là où il y a de l'or à gagner. Le
voyageur entre dans de grands détails
sur les monumens de l'antique Alexandrie
, et sur-tout sur les deux obélisques
nommés Aiguilles de Cléopatre , et sur
celui appelé Colonne de Pompée. Il a
fait graver les dessins qu'il en a pris.
Comme son principal objet est l'histoire
naturelle , il saisit l'occasion de parler
des animaux peu connus qu'il rencontre.
Il donne une très-grande place à la Gerboise
, petit animal que Buffon n'a pu
décrire exactement , faute de renseignemens
, et que Bruce n'a fait connaitre
que quelque temps après Sonini.
DE FRANCE. 67
Le voyageur se rend ensuite , à travers
le désert , d'Alexandrie à Rossette ( 1 ).
Placée entre la méditerranée , d'un côté ,
et une mer de sable de l'autre , Alexandrie
est isolée , et ne semble tenir à
aucun pays. La scène change à Rossette.
Après avoir parcouru des plaines de
sable , que le soleil brûle sans cesse , et
où on n'apperçoit , de loin en loin , que
quelques palmiers qui interrompent cette
triste uniformité avec quelle volupté
ne doit-on pas contempler la culture animée
des environs de Rossette , et respirer
le frais sous les berceaux de verdure
qui ombragent les bords du Nil . Rossette
est une jolie ville , bien peuplée , simplement
bâtie. Elle est moderne , et si
elle ne contient point d'édifices imposans ,
du moins elle n'offre rien qui puisse exciter
les regrets. Le Nil baigne ses murs
du côté de l'orient. Un vastę terrein
cultivé , s'étend au nord de la ville ; l'on
en a formé des jardins . La froide main
de la symétrie ne les a point alignés ;
tout y semble jetté au hazard ; l'oranger
et le citronier entrelacent leurs rameaux ,
et la grenade pend à côté du corosol.
Le soleil peut à peine introduire ses
(1) Rossette et non Rosette , comme on
l'écrit communément.
68 MERCURE
rayons au travers de ces vergers touffus;
de petits ruisseaux y amènent , en serpentant
, la fraîcheur et l'aliment de la
végétation. C'est là , dit Sonini , que le
turc oisif , assis toute une journée , avec
une pipe et du café , semble méditer
profondément , et ne pense à rien. Les
tourterelles , que l'on n'inquiète jamais ,
sont accoutumées à la présence de
l'homme , et ne le fuient point.
:
Le voyageur établit une assez grande
différence entre le caractère des habitans
d'Alexandrie et ceux de Rossette . Ceuxci
sont plus doux , plus tolérans . Il croit
que le site plus agréable , et leurs occupations
plus rapprochées de la nature ,
en sont cause. Les meurs n'attirent point
également ses éloges. La culture du riz ,
la première richesse du lieu , occupe
une partie des habitans des environs.
L'auteur , qui ne perd jamais de vue tout
ce qui peut intéresser ou instruire , entre ,
à ce sujet , dans des détails très - curieux.
Voici le tableau qu'il fait des environs
'de Rossette ; ses couleurs sont aussi fraî
ches que celles de la nature : « Si l'on
» porte les yeux de l'autre côté du
» fleuve , on découvre une plaine qui
» n'a d'autre borne que l'horizon ; c'est
» le Delta. Sorti du sein des eaux , il
> conserve la fraîcheur de son origine :
DE FRANCE. 69
» à l'or des guerets , succède , dans la
>> même année , la verdure des prairies.
Des vergers , semblables à ceux qui
» sont auprès de Rossette ; des grouppes
d'arbres toujours verts , d'autres épars ;
> des troupeaux de toute espèce diver
>> sifient les points de vue , et animent
> cette riche et verdoyante partie de
» l'Egypte. Des bourgs , des villages
» nombreux , ajoutent à la beauté du
paysage : ici des villes montrent , par
» des échappées , leurs hauts et étroits
>> minarets ; là , sont des lacs et des ca-
» naux , source d'une fécondité inépui
» sable ; par - tout on reconnaît les signes
» d'une culture facile , d'un printems
» éternel , et d'une fertilité sans cesse
>> renaissante et toujours variée . »
La position de Rossette , ses agrémens,
sa culture , ses bosquets et ses richesses ,
lui ont fait donner le nom de Jardin
de l'Egypte.
*
par
Entraîné la beauté des lieux et
par son amour pour l'étude de la nature ,
le citoyen Sonini fit nombre d'excursions
dans les environs . Il eut grand soin
d'observer tous les animaux qu'il put découvrir.
Il les décrit exactement , peint
leurs moeurs , et exprime le plaisir qu'il
eut à suivre cette utile et agréable étude .
Cette partie de son ouvrage , écrite avec
༡༠ MERCURE
grâce et en habile naturaliste , jette un
certain charme sur tout le reste. Quoiqu'il
embrasse plusieurs objets , qu'il
traite d'une manière également satisfaisante
, il n'entre point dans ces détails.
puérils qui fatiguent dans les autres
voyageurs , qui ne font pas même grâce
de la peinture de la chambre où ils ont
couché , et du portrait de la servante
qu'ils ont trouvée à l'hôtellerie. L'étude
des antiques l'occupa aussi . Pendant son
séjour à Rossette , il fit un voyage à
Aboukir , pour visiter les ruines de l'ancienne
et voluptueuse Canope. Il en rap
porta une petite pyramide , qu'il eut bien
de la peine à arracher à la puissance de
l'Aga de Rossette , qui , dans sa stupidité ,
ne pouvait pas concevoir quel prix on
attachait à une pierre , et s'imaginait
qu'elle devait être remplie d'or pour
qu'on la recueillit si précieusement.
L'on sait que les juifs et les musulmans
sont circoncis , et l'on sait en quoi consiste
cette circoncision ; mais en Egypte
la circoncision n'est pas particulière
qu'aux hommes ; on la pratique aussi à
l'égard des femmes , et cette espèce de
circoncision ou plutôt cette d'excision ,
est peu connue dans son opération. L'on
savait bien que les Egyptiennes se faisaient
circoncire ; mais on n'était pas
DE FRANCE. 71
d'accord sur le motif de cette coutume .
Le plus grand nombre de ceux qui en
ont écrit l'on regardée comme le retranchement
d'une portion des nymphes
lesquelles croissent , dit- on , dans ces contrées
d'une manière extraordinaires ;
d'autres , parmi lesquels on distingue
P'illustre voyageur Bruce , ont pensé qu'il
ne s'agissait rien moins que de l'amputation
du clitoris , dont le prolongement
a , suivant les mêmes auteurs , quelque
chose de difforme et de dégoûtant. Sonini
voulut s'en instruire par lui-même.
Avec de l'argent , il parvint à engager
une des femmes qui font cette opération
, et qui vont dans les rues , en
criant : à la bonne circonciseuse , à circoncire
, dans sa chambre , une petite
fille de sept à huit ans , de race égyptienne.
Cette petite fille avait une excroissance
épaisse , flasque , charnue , et
recouverte de peau. Cette excroissance
prenait naissance au-dessus de la commissure
des grandes lèvres , et elle pendait
d'nn demi- pouce le long de cette
même commissure. Sonini la compare ,
pour la grosseur et la forme , à la caroncule
pendante , dont le bec du coqd'inde
est chargé. L'opératrice s'assit sur
le plancher , fit asseoir la petite devant
elle , et , sans aucune préparation , elle
2 MERCURE
!
se servit d'un mauvais rasoir pour couper
cette excroissance singulière. L'enfant
ne donna pas des marques d'une
grande douleur. Une pincée de cendres
fut le seul topique appliqué sur la plaie ,
quoiqu'elle ne laissât pas que de jetter
beaucoup de sang.
Telle est la circoncision des filles égyp
tiennes ; telle est la cause qui la néces
site . Il faut observer que cette espèce
de caroncule est particulière aux femmes
d'origine égyptienne , et qu'elle croîtrait
avec l'âge , au point de couvrir l'ouver
ture entière de la vulve. Les autres
femmes , quoique appartenant à des peuples
domiciliés et naturalisés en Egypte ,
sont exemptes de cette excroissance.
Sonini fut retenu à Rossette beaucoup
plus long-temps qu'il ne le désirait. Les
troubles qui régnaient alors dans l'Egypte
en furent cause. Comme il lui était impossible
de se rendre dans la haute-
Egypte , remplie de combattans sans
discipline , et de brigands sans frein , il
résolut de visiter , en attendant , cette
portion du désert de Lybie , que l'on
nomme désert de Nitrie ou de Saint-
Macaire . Le vif desir qu'il avait d'accroître
la somme des connaissances dont
il était déjà pourvu , et de remplir , autant
qu'il lui était possible , le but de son
voyage ,
DE FRANGE.
voyage , le fit passer par-dessus toutes
les considérations de prudence et d'amitié
qui auraient pu le retenir à Rossette .
Comme la médecine est très en honneur
chez les orientaux , et qu'elle est plus
puissante que toutes les recommandations
de l'autorité , il prit le titre de médecin
, sous le nom de Mallim Yousef
( maître Joseph ) ; dans d'autres circonstances
, il se revêtit de celui de
Kavouadji , marchand , ou de Sidi ,
monsieur. Son costume était celui d'un
Kiaschef, officier de mameloucks . Ses
trois compagnons , dont un était dessinateur
, portaient l'habit des soldats des
Beys. Il partit de Rossette le 29 décembre.
Nous le suivrons dans la suite de
ce voyage intéressant , ainsi que nous
l'avons fait jusqu'ici.
P. B**.
La suite au numéro prochain.
Tome IX. D
74
MERCURE
THEATRE DE L'HERMITAGE DE CATHERINE II ,
Impératrice de Russie ; composé par cette
princesse ; par L. P. Ségur l'aîné , alors
ambassadeur de France à St-Pétersbourg ';
par le comte de Cobentzel , ambassadeur de
Empereur ; le comte. Iwan Schwalof ; par
le comte de Strogonof ; par le Prince de
Ligue , général autrichien ; par le favori Momonof;
par d'Estat ; par mademoiselle Aufresne
, etc. Deux vol. in-8°. de 880 pages ,
imprimés sur carré fin , et caractère cicéro
Didot. Avec le portrait de Catherine II ,
gravé en taille douce . A Paris , chez F.
Buisson , imprim.-libraire , rue Hautefeuille ,
n°. 20.
-
+
Ces pièces ont été composées en langue
française , et représentées par des acteurs
"français , à Saint-Pétersbourg , en 87 et 88 ,
"devant Catherine II , sa société intime et ses
favoris , sur le théatre particulier de cette
princesse , appelé l'Hermitage .
<< CATHERINE II occupe une place
brillante parmi le petit nombre de femmes
célèbres qui se sont distinguées sur le
trône . Il est naturel de rechercher avec
curiosité les plus légers détails de la vie
des personnes qui ont fixé les regards
de leur siècle , les anecdotes qui peignent
leur caractère , et les discours et
les écrits qui donnent une idée de leur
gout , de leurs occupations , de leurs taleus
ou de leurs défauts. »
DE FRANCE.
75
Catherine , en revenant de la Crimée ,
en 1787 , voulut faire jouer chez elle , à
l'Hermitage ( 1 ) , des pièces et des proverbes
qui n'eussent été
représentées sur aucun
théâtre ; elle engagea plusieurs des personnes
qui l'avaient suivie en Tartarie , à
en composer , et , pour les encourager par
son exemple , elle écrivit elle-même rapidement
quelques proverbes. Ces pièces
ont été
composées en langue française,
et jouées par des acteurs français , à
Saint -
Pétersbourg , en 1787 et 1788 ,
devant un petit nombre
d'auditeurs
seuls admis à ces
représentations.
Le Théâtre de
l'Hermitage contient
dix -neuf ouvrages
dramatiques , savoir :
Le
Tracassier ,
proverbe , par l'impératrice
Catherine , il est bien écrit.
Crispinduègne , comédie en trois actes
et en prose , par L. P. Ségur , l'aîné ,
ministre de France à la cour de Saint-
Pétersbourg : il a donné depuis plusieurs
jolis ouvrages au théâtre du Vaudeville.
La Rage aux proverbes , par l'impératrice
.
Le jaloux de
Valence ,
proverbe en
(1)
L'Hermitage est une partie du palais de
l'impératrice à Pétersbourg , dans laquelle
sa galerie de tableaux , son cabinet ,
avait fait bâtir un théâtre.
76
MERCURE
deux actes , par M. d'Estat , français
attaché au cabinet de l'impératrice.
Le Flatteur et les Flattés , proverbe ,
par l'impératrice .
Gros- Jean ou la Régimanie , proverbe
composé par le comte de Cobent--
zel , ambassadeur de l'Empire , d'après
une anecdote fournie par l'impératrice.
Caius Marcius Coriolan , tragédie ,
en cinq actes et en vers , par L. P. Ségur.
On lit cette tragédie avec plaisir , même
après celle de Laharpe .
L'Insouciant , comédie en trois actes
et en prose , par Alex. Momonof , favori
de l'impératrice , faite d'après un
courtisan , original assez comique .
L'Amant ridicule , proverbe , par le
prince de Ligue .
Les Quiproquo , comédie - proverbe ,
par M. d'Estat .
the
Le Sourd et le Bègue , proverbe , par
L. P. Ségur.
Les Voyages de M. Bontems , proverbe
, par M. de Schwalof, grandchambellan.
Il n'y a point de mal sans bien ,
proverbe , par l'impératrice.
L'Enlèvement , comédie en un acte
Apar L. P. Ségur.
La matinée de l'Amateur , par le
comte de Strogonof.
DE FRANCE. 77
L'Officier suffisant , proverbe , par
mademoiselle Aufresne .
L'Homme inconsidéré, comédie , par
L. P. Ségur.
Et une Imitation de Shakespear , par
l'impératrice.
Plusieurs de ces sujets pourraient être
mis sur la scène française ; mais ce qui
étonne le plus dans ce théâtre , c'est de
voir des étrangers écrire avec autant de
pureté , dans une langue qui n'est pas la
leur.
L'ÉTÉ , poëme , par le citoyen Devineau ,
auteur du poëme du Printems . Paris , chez
l'auteur , rue du Four - Honoré , nº . 10 ,
Dentu , Palais-Egalité. Prix : 75 centimès.
ON se ressouvient , peut - être , que
nous avons , dans le tems , dit quelques
mots d'un poëme du Printems , par
le citoyen Devineau. Le , même auteur
nous donne aujourd'hui l'Été ; les autres
Saisons viendront , sans doute , ensuite ;
et ce poëte pourra mettre ses oeuvres à
côté de celles de Thompson et de Saint
Lambert. Comme il procure cependant
un plaisir tout particulier , et qui n'est
point du tout de l'espèce de celui que
donnent les deux poëtes que nous venons
de nommer , nous ne pouvons nous em-
D 3
78
MERCURE
pêcher de transcrire un morceau de
son poëme. Il a des beautés qui lui
appartiennent , et nos lecteurs ne seront
point fâchés d'en connaître quelque
chose pour faire comparaison . A la
suite d'une tirade sur les oiseaux , et où
il n'est point question du Coucou , dont
le citoyen Devineau a pris soin de
réhabiliter la réputation , le poëte parle
de la méchanceté des enfans , qui tourmentent
si cruellement ce peuple ailé ,
et vont détruire le plus tendre espoir de
l'amour. Ce passage est remarquable
par la grâce et la douceur que le moderne
Orphée a su y mettre ; c'est un
véritable chef-d'oeuvre qu'on distinguera
certainement des beaux traits de nos
meilleurs poëtes . Qu'on en juge . Il s'agit
des oiseaux .
PLUS heureux dans leur sort , si d'un pâtre
féroce ,
L'enfant ne faisait point , mille fois plus atroce ,
Plus méchant dans ses jeux , qu'innocent en ses
tours
Un plaisir destructeur d'eux et de leurs amours ,
Sans songer bien plutôt au soin qui le domine ,.
A punir , du moineau , la nuisible rapine ;
Lorsqu'il devrait bien mieux quand , ces tendres
oiseaux
Changent tout leur amour en de petits travaux ,
DE FRANCE. 79
Voir tous les soins , pour eux , que prend un
faible père ,
Qu'il a souvent privé d'une moitié bien chère ;
Qui nourrit , seul , pour lors , de petits orphelins >
Qui , sans lui , périraient à ces coups inhumains ,
Dont une main barbare autant que sanguinaire ,
Atroce par humeur comme par caractère ,
Joignant la frénésie à d'odieux penchans ,
Massacre , sans pitié , la mère et les enfans ,
Au moment qu'elle est vue avec délicatesse ,
Soigner si chèrement le fruit de sa tendresse.
Mais à ce doux tableau dont je suis agité ,
Je sens que je me suis un peu loin emporté ;
Parlant de barbarie en place d'innocence ,
Je me suis pénétré d'un peu trop d'apparence.
Ce morceau ne rappelle -t-il pas naturellement
les plaintes touchantes de
Philomèle , dans les Géorgiques ? La
longueur de la phrase , ou tant de belles
choses sont renfermées , n'est - elle pas
bien favorable à l'harmonie des vers
et à la lucidité des idées ? Je demande ,
sur-tout , s'il y a rien d'admirable comme
la transition par laquelle l'auteur nous
apprend qu'agité par le doux tableau
de la férocité des petits pátres , il
s'est pénétré d'un peu trop d'apparence.
Comme cela est beau ! bien dit! ·
bien sentimental ! l'apparence joue la
D 4
80 MERCURE
un rôle charmant. Voilà ce que c'est
que d'avoir un esprit aussi fin que délicat
on sait s'en servir.
f
Nous nous dispenserons de faire une
autre citation. Nos lecteurs doivent ,
par ce qu'ils connaissent maintenant , juger
de ce qu'ils n'ont pas encore le plaisir
de connaître. On ne dira point de notre
poëte ce qu'Horace a dit d'Homère :
Quandoque bonus dormitat Homerus;
il est par -tout le même et par- tout digne
de lui .
J.
SPECTACLE S.
THEATRE DU VAUDEVILLE.
4 Vendémiaire.
LA FILLE EN LOTERIE , Arlequinade , en un
acte , en Vaudevilles .
COUPLET D'ANNONCE.
AIR :
Le jour d'un ouvrage nouveau ,
On sait fort bien que , chez Thalie ,
On ne distribue au bureau
Que des billets de loterie..
avec cette différence , pourtant ,
DE FRANCE.
,
Qu'aux dépens des joueurs déçus ,
Ailleurs s'enrichit l'entreprise ,
Et qu'ici vos frais sont perdus ,
Lorsque vous perdez votre mise.
"
Cassandre est receveur d'un bureau de loterie.
Gille , qui est devenu agioteur , lui a prêté
douze mille francs , exigés par la loi comme
cautionnement. L'époque fixée pour le remboursement
de cette somme est arrivée ; et il
faut que Cassandre s'acquitte , dès le jour
même avec Gille , ou consente à lui céder
son bureau . Les fonds que Cassandre avait
disposés à cet effet viennent de lui être enlevés
par une banqueroute inattendue . Quel
parti va-t-il prendre ? Gille n'est pas homme
à lui accorder une seule minute de délai . Un
gascon , amoureux de la fille de Cassandre
lui propose de mettre Colombine en loterie.
Elle serait composée de quatre billets , chacun
de mille écus , et le premier numéro sortant
du tirage qui s'effectuera dans la matinée
serait le gagnant. Cassandre écoute volontiers
cet avis , et sort pour consulter sa fille Co-
Lombine . Cette dernière est très-attachée à
Arlequin , qui est crieur de billets de loterie ..
Elle lui fait part du projet de son père. Arlequin
a déposé chez un notaire une somme
d'environ mille écus qu'il complettera bientőt
par la vente des bijoux dont se dépouille avec
plaisir Colombine pour les lui donner . C'est le
fruit de ses épargnes. Il n'hésite pas , choisit.
d'abord ses numéros , et remet ensuite som
billet à Cassandre , en attendant qu'il lui apporte
les fonds . Mais quel malheur ! son empressement
à revenir auprès de Colombine lui
fait perdre son porte- feuille , contenant les mille
D 5
82 MERCURE
écus que le notaire lui a comptés en bons effets
de la caisse des comptes courans . Il se désole
et court à la recherche. Pendant ce tems
Gille vient trouver Cassandre , et ce dernier
le décide à prendre le billet d'Arlequin , sur le
retour duquel il ne compte plus. Gille le paye
en effets de la caisse des comptes courans. Les
numéros du tirage sont connus , et le billet
d'Arlequin est le gagnant. Gille ne peut contenir
sa joie ; mais an moment où il l'exprime
le plus fortement , Arlequin découvre que
Gille a trouvé son porte- feuille . C'est avec les
mille écus qu'il renfermait , que ce fripon a
payé son billet . Gille , confondu , avoue tout.
On le chasse honteusement , et Arlequin épouse
Colombine.
Si cette bluette n'avait point été soutenue
par de fort jolis couplets , certes son succès
eut été très-douteux. L'intrigue , qui n'est rien
en apparence , nous a paru tellement compliquée
, que nous avons eu peine à la saisir parfaitement.
Le plan , en général , est mal conçu .
Les scènes se succèdent avec tant de rapidité
qu'elles ne donnent lieu à aucun développement.
Malgré l'agrément de quelques détails , on n'y
rencontre aucune situation comique. Hélas !
quelle différence entre ce vaudeville et les autres
productions estimables des mêmes auteurs.
Le public , qui a fait répéter justement quelques
couplets bien faits , a voulu connaitre les
noms des aimables troubadours qui avaient eu
l'intention de charmer un instant ses loisirs .
Ce sont les citoyens Jouy et Longchamps .
DE FRANCE. 83
THEATRE DE LA CITÉ.
4 Vendémiaire.
PARIS EN MINIATURE , Bluette épisodique , en
huit actes , à spectacle.
ON ne pouvait guères représenter une pièce
en huit actes sans blesser les convenances théâtrales
; mais les auteurs de cette bluette doivent
trouver leur excuse dans la franchise de leur
aveu. Malgré les sifflets , en petit nombre à la
vérité qui se sont fait entendre à la fin
nous n'en avouerons pas moins que nous y
avons ri , et que par conséquent elle nous
fait plaisir. C'est absolument un tableau mouvant
des moeurs parisiennes .
و
"'
Un jeune époux , séduit par les plaisirs trompeurs
de la capitale , abandonne sa femme et
sa fille . Un de ses amis , jeune homme prudent
et estimable , veut absolument le rendre à sa famille,
en lui faisant voir le vice dans toute sa nudité.
Il le conduit d'abord au palais égalité , ensuite
chez des filles galantes . ( Nous invitons les
auteurs à retrancher cette scène trop contraire
aux bienséances sociales , et qui est un tableau
dangereux à placer sous les yeux d'une ardente
jeunesse. ) Ils vont successivement à la bourse ,
au faubourg Antoine , chez une bonne mère
de famille ; ( tableau touchant des moeurs simples
et domestiques . ) à la place de Grève
et enfin dans une maison de jeu , où le jeune
époux perd mille écus. Parfaitement corrigé
il retourne bientôt auprès de son épouse , et lužj
2
D. 6
84
MERCURE.
promet d'éviter désormais tous les plaisirs trom
peurs de Paris , pour ne se livrer qu'à ceux
d'un amour pur et durable.
Les auteurs sont les citoyens Bizet et Sauteret.
Ils auraient dû éviter de prendre , pour
refrain de leur vaudeville final , ces mots :
Paris en mi-ni- a-ture , dont le dernier offre à
l'oreille une consonnance fort désagréable .
THEATRE DE L'OPÉRA - COMIQUE
NATIONAL , RUE FAVART .
5 Vendémiaire ..
LAURE , OU L'ACTRICE CHEZ ELLE , Opéra , en:
un acte , avec des scènes épisodiques.
Cette pièce avait pour but de faire briller ,
dans un seul cadre , tous les talens et toutes .
les grâces dont la nature a pourvu si abondamment
l'inimitable actrice qui fait , depuis
plus de dix ans , les délices des amateurs de
ce théâtre. Les intentions de l'auteur ont été
parfaitement remplies de ce côté ; mais le défaut
d'intrigue l'ayant obligé à avoir recours
aux scènes épisodiques , plusieurs , véritablement
inutiles et faisant longueur , ont donné
lieu à quelques murmures. Il est cependant
aisé de reconnaitre la plume d'un homme de
lettres , estimable . A travers mille , détails char
mans , et qui ont échappé sans doute à beaude
spectateurs , on en rencontre d'autres.
un peu minutieux. En général , cet ouvrage
pêche sur - tout par un trop grand luxe d'es
coup
DE FRANCE. 85
prit. Hélas ! combien de gens sont affligés du
défaut contraire ! Au reste , il y a tout lieu
d'espérer qu'au moyen de coupures heureuses ,
ce petit opéra sera vu avec plaisir aux représentations
subséquentes , et que le public s'empressera
de rendre justice aux grâces enchanteresses
d'une actrice que depuis long- tems il
chérit justement , et aux talens connus des.
auteurs qui ont déjà su mériter plus d'une fois
ses nombreux suffrages .
L'ouverture a fait le plus grand plaisir , ainsi
que l'air chanté par la citoyenne Saint- Aubin ,
et où elle remplit trois roles différens , dont
elle a saisi les diverses nuances avec la dernière
perfection.
Quelques scènes de cet opéra offrent de légers
rapprochemens avec plusieurs de la Débutante
, opéra , de feu Chevrier , représenté ,
depuis peu , sous un autre nom d'auteur , sur
le théâtre des Jeunes Artistes.
7 Vendémiaire.
en-
La seconde représentation de cet opéra a
obtenu autant de succès que la première avait
éprouvé de défaveur. L'auteur à fait des coupures
heureuses dans son dialogue , et a
tièrement supprimé deux scènes , absolument
inutiles à l'action . Ce sont celles où paraissent
la marchande de modes , et l'infortuné débiteur
de Laure. La marche de cette pièce en
devient plus rapide , et il n'y a pas de doute
qu'elle n'ajoute encore à la réputation méritée
de ses auteurs , connus depuis long-tems
par des succès . Ils ont été demandés à grands
cris et nommés . Ce sont les citoyens Marsollier
et d'Aleyrac.
86 MERCURE
THEATRE DES TROUBADOURS ,
RUE DE LOUVOIS.
1
5 Vendémiaire .
LE PANORAMA , Vaudeville en un acte.
Tout le monde sait ce que c'est qu'une pièce à
tiroirs . Point de fonds , nulle intrigue , et dénouement
prévu . Des scènes bien dialoguées et
comiques , des détails agréables et saillans ,
voilà ce qui constitue une bonne comédie épisodique
. Celle dont nous nous occupons en ce
moment réunissait - elle tous ces avantages ?
Non. Plusieurs scènes ont paru froides et languisaantes
, et les auteurs ne doivent leur succès
qu'à une foule de très-jolis couplets dont beaucoup
ont été répétés .
Cécile est aimée par Bellevue , auteur du
Panorama ; mais elle a donné son coeur au
jeune Dercourt. Le père de Cécile écoute la
proposition que lui fait Bellevue d'épouser sa
fille , et lui promet d'y consentir , si les cinq
premières personnes qui vont venir , lui garantissent
le succès de son entreprise . Dercourt
forme le projet de jouer les cinq rôles , et
parait successivement sous les divers travestissemens
d'un peintre , d'un petit maître , d'un
niais , d'un philosophe et d'un poëte. Ainsi déguisé
, il assure que l'auteur du Panorama né
fera pas fortune , et que son tableau est manqué.
Bellevue est obligé de renoncer à Cécile.
Mais bientôt Dercourt reparaît , avoue sa ruse ,
DE FRANCE. 87
et obtient son pardon et la main de son amante.
Le citoyen Léger est fort bien dans le rôle de
Dercourt. Il a parfaitement saisi les caricatures
des cinq différens personnages qu'il était chargé
de représenter.
Les auteurs , sont les citoyens Armand
Gouffé et Duval , à qui le même théâtre est
redevable du charmant vaudeville du Val-de-
Vire. Ils ont été démandés et n'ont point
paru.
THEATRE DE LA GAITÉ,
BOULEVARD DU TEMPLE.
6 Vendémiaire.
LES AMANS VOLEURS Comédie , en trois
actes et en prose , mélée de danses et à
spectacle.
-
-
La Belle Arsène travestie . Point de style.
Des scènes froides et insignifiantes. - Un
rôle de valet assez comique et fort bien rendu
par le citoyen Blondin . Celui de madame
Hautaine , parfaitement parodié et joué. -
Nous n'en dirons pas autant du rôle de la
Peu de succès . Cette pièce ,
annoncée comme nouvelle , est connue depuis
près de trente ans.
fée . J
88
MERCURE
THÉATRE DU JARDIN ÉGALITÉ ,
CI - DEVANT MONTANSIE R.
7 Vendémiaire .
LES TROIS SOEURS DANS LEUR MÉNAGE ou La
SUITE DE ROBERT LE BOSSU , Vaudeville en
un acte.
L'expérience nous a toujours prouvé que la
suite d'une pièce , justement applaudie , obtenait
peu ou point de succès. Il semble que
l'auteur ait concentré toutes ses facultés comiques
et poëtiques dans l'oeuvre première de son
génie. Qui n'a pas réuni ses suffrages à ceux
d'un public connaisseur , en voyant le sentiment
, la douce morale , la franche gaîté répandus
dans le charmant vaudeville de Robert le
bossu ? Eh bien ! on ne peut s'imaginer que la
suite de cette jolie comédie soit sortie de la
même plume. Dans Robert aîné , point de couplets
qui ne soient dignes d'être répétés . Dans
Robert cadet , ils sont à peine ébauchés. Il s'en
trouve même plusieurs dont l'idée nous a paru
tellement entortillée , que nous croyons presque
que l'auteur lui - même n'a pas su ce qu'il
voulait écrire . Nullité de plan et d'intrigue.
Des scènes froides et monotones . Le Bossu
si aimable précédemment , n'est ici qu'un moraliste
ennuyeux. Chacune de ses paroles est
un sermon. Il met beaucoup d'importance dans
tout ce qu'il fait , et cependant rien de plus
simple ni de plus naturel. Il réunit Lucas et
Louise , qui ne demandent pas mieux ; il paye
DE FRANCE. 89
les dettes de Bastien , et appaise une dispute
que ce dernier s'était suscitée , par jalousie
contre la coquette Charlotte , sa femme ensuite
il finit par associer ses deux beaux-frères à sa
ferme. Voilà , en peu de mots , le sujet de
cette suite , qui n'a pas réussi. Ajoutez une
jeune femme qui trouve qu'il n'y a que son
mari qui a de l'esprit et des bonnes qualités ,
et nous le répète sans cesse ; puis un mari qui
dit , à chaque parole , que sa femme est tendre
, sensible , fraîche , jolie , etc. , et vous
aurez aussi une idée du ménage de Germainè ,
et de Robert le bossu.
Les acteurs ont employé tous leurs moyens ,
par la manière dont ils se sont acquittés de
leurs rôles , pour soutenir la pièce . Efforts inutiles
!.....
L'auteur n'a pas été demandé.
ERRATUM.
Au numéro précédent , article Variétés
page 35 , lignes 7 et 8 , au lieu de cet ouvrage ,
fut-il d'un grand homme , ne peut-être entièrement
mauvais ; lisez , fut-il indigne d'un grand
homme etc.
,
90
MERCURE
(
MERCURE
DE FRANCE.
Du 10 Vendémiaire , an 8.
POLITI Q U E.
NOUVELLES ÉTRANGÈRES.
ANGLETERRE.
盘
Londres , 30 Fructidor. Jov
Les nouvelles de la Sicile continuent toujours
de nous donner de nouveaux détails des massaeres
qui se commettent à Naples .
Quatre-vingt-cinq personnes , composées de
nobles , de moines de Mont- Olivetto , se sont
réfugiés dans le monastère de Santa -Pietra-à-
Majella , où ils se sont fortifiés , mais ils ont
tous été égorgés les uns sur les autres . Toutes
les maisons de ces quatre-vingt-cinq victimes
de la vengeance royale , furent saccagées et
brûlées ; beaucoup de négocians furent assommés
en masse. On cite , parmi la foule , les
signors Mamia , Coumo , Reccia , etc. Ils brûlèrent
40 hommes de loi , et 30 médecins qui
ont expiré sur des buchers. Un nombre considérable
de citoyens de toutes les classes sont
journellement étranglés , ou brûlés , ou pendus ,
DE FRANCE.
ou jettés tout vivans aux chiens affamés , pour
leur servir de pâture.
Les princes de Moliterni et de Rocca-Romana
, sont nommés généralissimes des armées
napolitaines.
L'évêque de Cambani a été pendu.
Les membres du nouveau gouvernement et
toutes leurs familles , qui forment une liste
très- étendue , ont aussi été sacrifiés avec tous
leurs amis , et ont péri dans des tourmens plus
cruels les uns que les autres. Naples présente
l'aspect d'un charnier ; le pavé des rues est
rouge de sang. Dans un quartier on entend
les rugissemens des bourreaux , se désignant
leurs victimes ; dans un autre , règne un morne
silence , que n'osent interrompre les soupirs
des malheureux voués à la mort.
Après ces sanglantes exécutions , les égorgeurs
royaux ont chanté un Te Deum , pour
remercier le Dieu de la clémence !!!
RÉPUBLIQUE HELVÉTIQUE
Lucerne , 28 fructidor.
Le 22 de ce mois , à une heure après midi ;
les russes qui campaient près de Vollishofen
et Laibach , ont été brusquement surpris par
les français . Ceux-ci , après avoir pénétré aussi
promptement que l'éclair , dans toutes les maisons
et les granges voisines , ont exterminé
l'ennemi. Sa déroute a été totale . Il ne s'est
pas fait entendre un seul coup de feu pendant
toute l'affaire . Le sabre et la bayonnette ont
été les seules armes dont les français se sont
servis. L'action a été extrêmement meurtrière ,
le carnage affreux. Les russes , outre plusieurs
prisonniers , ont perdu sept à huit cents
92 MERCURE
hommes , en tués et blessés , et les français
très-peu de monde. Tout ce qui a pu fuir a
été poursuivi la bayonnette aux reins , jusqu'à
une demi-lieue de Zurich.
L'ennemi a élevé plusieurs batteries sur la
route de Baden. Il a formé un nouveau camp
près Vipkinguen , entre Zurich et Hong , et
un autre , dit-on , près du couvent de Fahr.
Baden , 1er complémentaire.
Les nouvelles qui nous parviennent de la
partie de la Suisse , occupée par l'ennemi , font
frémir. Les russes surpassent en horreurs tout
ce qu'on attendait de ce peuple barbare. Tout
ce qu'il y avait dans les maisons et dans les
granges , est consumé . Les campagnes sont absolument
dévastées .... et la famine la plus
cruelle menace ces contrées , à la porte de
l'hiver. Les femmes sont traitées d'une manière
affreuse . L'une d'entr'elles , belle et jeune
encore , vient de fuir sur notre rive , échappant
à peine à la fureur de quelques soldats russes
qui la poursuivaient. Chaque jour nous voyons
les Suisses , sur la rive opposée , nous exprimer
leur désespoir par des signes..... hélas ! trop
impuissans .
ALLEMAGNE.
Vienne , 20 fructidor.
Malgré l'union qui paraît régner entre les
puissances alliées , notre cabinet , toujours surveillant
, a nommé M. le comte de Bellegarde
pour se rendre en Hollande , en qualité de commissaire
impérial près de l'armée combinée
russe et anglaise . Le cabinet de Londres a
donné l'exemple de ces précautions . Partout où
DE FRANCE. 93
sont les armées , il y a des commissaires anglais
qui assistent aux conseils de guerre , et auxquels
on doit communiquer tous les plans , les proclamations
et les traités .
On mande de Venise , en date du 16 fructidor
, que l'armée qui forme le siége d'Ancône
est maintenant forte de 22,000 hommes ,
tant autrichiens que russes , turcs , et insurgés.
Cette place , continuellement battue du côté
de la terre , par une artillerie formidable que
l'escadre russe-turque a débarquée , oppose une
résistance à laquelle on devait peu s'attendre.
La garnison n'est que de 6,000 hommes , dont
3,000 de troupes françaises .
Hambourg, premier jour complémentaire .
Voici l'acte par lequel S. M. l'empereur de
Russie a élevé le général Suwarow à la dignité
de Prince , en lui donnant le nom d'Italiski.
Ordre à notre Sénat.
Pour conserver jusques dans l'avenir le plus
éloigné le souvenir des grandes actions de notre
général feld-maréchal Suwarow Rymninski,
lequel , à la tête de notre armée victorieuse , et
de celle de l'empereur d'Allemagne , a délivré
toute l'Italie des impies qui s'en étaient rendus
maîtres , a rétablí dans ce pays les gouvernemens
monarchiques légitimes , nous lui
avons conféré la dignité de prince de l'empire
russe , avec le titre d'Italiski. Nous voulons
que cette dignité reste héréditaire pour tous
ses descendans des deux sexes , et ordonnons
qu'il soit signé : Le prince Italiski , comte Suwarow-
Rymniski.
Paulowick , le 8 août 1799 ,
PAUL,
94
MERCURE ·
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE.
PARIS.
LE conseil des Cinq- Cents , dans la séance
du 7 , a reçu une dépêche télégraphique , du
général Massena , ainsi conçue : « J'ai passé
la Limath , le 3 vendémiaire , et me suis
» avancé sous les murs de Zurick. Le 4 , l'ar-
» mée a attaqué et battu complettement l'enne-
» mi sur tous les points de la ligne . La troi-
» sième division a franchi la Linth , entre le
lac de Zurich et celui de Wellenstadt..
» L'ennemi est en pleine déroute : nous
sommes maîtres de Zurich . »
Tandis que nous remportons ces avantages
dans la Suisse on écrit de Genêve , en date ,
du cinquième jour complémentaire : un courier
extraordinaire , arrivé hier au soir , a apporté
à l'administration de notre département , la
nouvelle officielle , qu'au moment où Gênes
allait capituler , le général Moreau , par un
mouvement aussi rapide qu'imprévu , avait
réussi à couper une colonne de l'armée ennemie
, et qu'une perte de 4,800 russes -
la
retraite de l'armée ennemie en deça de Novi
et l'occupation de cette place par les troupes
françaises , avait été le fruit de cette importante
journée .
ARMÉE DU RHI N.
Extrait d'une dépêche du général Baraguayd'Hilliers
, chef de l'état-major-général.
Le deuxième jour complémentaire , à la
pointe du jour , l'armée autrichienne , forte de
DEFRANCE. 95
30,000 liomines , et commandée par le prince
Charles en personne , attaqua les troupes françaises
, qui ne consistaient qu'en 5,000 hommes
d'infanterie et 300 de cavalerie . Son attaque
commença par le village de Neckerreau , dé
fendu par le général de brigade Vandermarck,
Tout ce que pouvaient la bravoure , le sangfroid
, et l'habileté , a été déployé et exécuté
pendant six heures par les braves troupes sous
ses ordres ; trois fois le village a été pris et repris
à la bayonnette , mais l'ennemi ayant , à
raison de son grand nombre , pénétré par la
digue du Rhin , et tourné la droite des troupes
républicaines , il a fallu abandonner le champ
de bataille , et se retirer dans l'ouvrage à cornes
qui est placé en arrière , entre Neckereau et
Manheim. L'ennemi , en attaquant la droite ,
attaqua successivement le centre et la gauche
par deux colonnes et beaucoup d'artillerie , et
porta sur la rive droite une troisième colonne.
A la faveur de ces attaques , différens retranchemens
imparfaits furent emportés de vive
force , quoique défendus avec une résistance
opiniâtre par l'adjudant-général Lefal , qui commandait
la gauche.
Malgré la valeur des républicains ; malgré
celle du général de division Ney , qui arriva
avec un bataillon de la seizième de bataille , il
fallut céder à la supériorité du nombre et sortir
de Manheim , où l'ennemi avait pénétré de
toute part.
La retraite s'exécuta dans le meilleur ordre ,
et à l'exception de quelques pièces de canon
tombées au pouvoir de l'ennemi , l'artillerie et
les munitions ont été évacuées avec autant de
promptitude que de précision .
Le général Laroche , qui commandait à Man95
MERCURE '
heim ; le citoyen Prevot , son aide -de-camp
le citoyen Bermod , officier du génie , qui a eu
son cheval tué sous Ini , et le bras percé d'une
balle ; le général Ney , si sonnu par des actes de
bravoure , se sont surpassés en cette occasion.
On évalue la perte des républicains en tués ,
blessés et prisonniers , à mille 200 hommes
au plus celle de l'ennemi excède trois mille
hommes.
:
On doit des éloges aux habitans de Manheim ,
et plus encore à ceux de Neustadt , qui ont
accueilli et soigné nos blessés avec un zèle ,
une générosité et un dévouement qui , dans
tous les tems , doivent leur concilier l'estime
et la reconnaissance des français .
CAILLEAU , Éditeur-Propriétaire.
AVIS IMPORTANT.
D'après le desir d'un grand nombre de nos
Souscripteurs , cette feuille paraît deuxfois par
Decade , les Quintidis et les Décadis. Ce retour
plus fréquent nous occasionne quelques sacrifices;
mais nous n'avons en vue que l'intérét
et l'agrément de nos lecteurs , et , quoique
nous arons , en outre , à supporter une augmentation
dans le timbre du papier , le prix
de cet ouvrage est toujours le méme.
15
Les Souscripteurs dont l'abonnement expire le
30 vendémiaire, sont invités à le renouveller aussitot,
s'ils ne veulent point éprouver d'interruption .
Les Abonnés au Mercure Français recevront
gratuitement le premier mois de la reprise du
MERCURE DE FRANCE , au renouvellement de leur
abonnement.
MERCURE
DE FRANCE ;
Quintidi , 25 Vendémiaire , an E.
POÉSIE S.
LE PÈCHEUR ET LES DEUX POISSONS ,
SUR
FABLE.
les bords d'un lac transparent ,
Jean, le pêcheur , passant par aventure ,
Apperçut deux poissons jouant et folâtrant
A travers l'onde pure.
Oh! oh! dit-il , voici qui nous promet
Quelque bonne capture ;
Courons chercher notre filet.
Les Poissons ont l'oreille fine ;
A ces mots , comme on le devine ,
La reur ne tarda guere à venir s'emparer
De nos deux citoyens de l'élément liquide.
Que faire hélas ! comment parer
A ce terrible coup , et du filet avide
Eviter le vaste contour ?
L'un d'eux , poisson d'esprit , et sur-tout plein d'adresse ,
Pour se sauver , croit jouer un bon tour.
Il contrefait le mort , et doucement se laisse
Tome IX. .I
194
MERCURE
Aller sur l'eau sans aucun mouvement..
Le second , sans tant de finesse ,
Ayant fort peu d'esprit , mais un bon jugement ,
Vit bien que le plus court , en pareille détresse ,
Etait de décamper , et le plus promptement.
Le voi'à donc qui s'esquive au plus vite ,
Par un ruisseau qui , fort heureusement ,
Sortait du lac , et secondait sa fuite.
Le Pêcheur vient enfin , qui , voyant le faux mort,
Sans mouvement , flotter au gré de l'onde ,
Et le croyant parti pour l'autre monde ,
A tour-de-bras le jette sur le bord;
Puis se met à pêcher , croyant faire merveille .
Hélas ! ce fut du tems perdu ,
Et Jean s'en retourna comme il était venu.
A peine il est parti , notre mort se réveille ,
Et se trouvant fort mal sur le sable étendu ,
Le pauvre diable alors se trémousse et s'agite ,
Espérant gagner l'eau ; mais efforts superflus ;
Il ne trouva que celle du Cocyte.
A vouloir trop ruser voilà comme on se perd :
L'esprit dans le danger nuit bien plus qu'il ne sert.
GABRIEL M......
VERS.
QU'UN autre , moins timide et d'une voix plus fière,
Embouche des combats la trompette guerrière ;
Qu'il chante des héros les exploits éclatans ,
Et se couvre , avec eux , d'une noble poussière ,
Que sa muse sanglante , à la tête des camps ,
DE FRANCE. 195
Excite du soldat la valeur intrépide ,
Couvre les bords du Rhin de bataillons nombreux ,
Et préférant au luth le bouclier d'Alcide ,
Du laurier de la gloire orne son font poudreux :
Ce laurier flatte peu ma muse encor craintive ,
Elle fuit des combats le sinistre tableau ,
Et sur un simple chalumeau ,
Elle aime à soupirer quelque chanson naïve:
Elle se plaît sur les bords d'un ruisseau
Qui murmure sous la fougère
Et , loin des foudres de la guerre ,
Assise à l'ombre d'un ormeau,
Elle aime à rêver solitaire.
Peut-être elle pourrait , prenant un noble essor
Jusques aux cieux porter son vol sublime ,
Des noms pompeux d'Andromaque et d'Hector
Elle pourrait énorgueillir sa rime ,
Et du Parnasse escaladant la cîne ,
Crier , à tous , d'une voix de Stentor .
Ecoutez- moi dans l'ardeur qui m'anime ,
Je ne puis plus maîtriser mon transport ,
Je vais chanter : elle pourrait encor
6. 2)
Chaussant le tragique cothurne ,
Amener sur la scène un nouveau Fabius .
Et dans les roseaux de Minturne ,
S'enfoncer avec Marius ;
Ou bien , sur un ton moins sévère ,.
Montant son luth harmonieux ,
Sur une indigeste matière ,
Créer des vers mélodieux
Et de la Trinité plaisantant le mystère ,
Composer la Guerre des Dieux :
1
I 2
196
MERCURE
Elle pourrait aussi , d'un sel attique ,
Assaisonnant des vers très -innocens ,
Doucereuse et jamais caustique ,
A ses amis distribuer l'encens ,
Au beau sexe , adresser quelques quatrains galans ,
S'élever quelquefois à la hauteur comique ,
De nos auteurs censurer les talens ,
En bannissant une gêne importune ,
Tantôt analyser d'insipides romans ,
Tantôt dans ses sublimes chants
Redresser l'ode à la fortune ;
?
Mais elle aime bien mieux , sage dans ses accens .
Suivre une route plus commune ,
Et sauvant son vaisseau des fougues des autans
Se rire , dans le port , des fureurs de Neptune ,
Et de l'inconstance des vens.
Elle sait que la scène , en naufrages fertile ,
Fut fatale à plus d'un héros ,
Que la faveur d'un vulgaire imbécile ,
Est plus mobile que les flots ;
Et que, pour conquérir quelque laurier futile ,
On hazarde souvent sa vie et son repos ;
Elle n'ignore pas non plus que
Est un genre à tous odieux ,
la satyre ,
Que sur ce ton monter sa lyre ,
N'est pas d'un coeur très-généreux ;
Que , d'ailleurs c'est exciter l'ire
Des sots auteurs , peuple toujours nombreux ;
Aussi , se resserrant dans de justes limites ,
Elle a banni l'usage des sifflets ;
On ne la verra point , hardie en ses projets,
Franchissant les bornes prescrites .
DE FRANCE. 197
Aux Delangle , aux Fabien Pillet ,
Distribuer quelque petit soufflet ,
Ni jamais redouter la suite
D'une épigramme , ou d'un couplet ;
Elle a borné tout son mérite
Aux soupirs de son flageoler.
Par ce moyen , au temple de mémoire ,
Son nom ne sera point porté ;
Et dans les fastes de l'Histoire ,
On ne l'inscrira point avec célébrité ;
Mais son repos et sa sécurité
Consoleront sa vanité •
Des illusions de la gloire ,
Et des attraits de l'immortalité.
M. J.
IMPROMPTU
A TROIS DA ME S.
VENUS me disait l'autre jour :
Tout le monde quitte ma cour ;
Je voyois , jadis , sur mes traces ,
Les Grâces , les Ris et l'Amour :
Oh ! lui dis-je , pour les trois Grâces ⠀⠀⠀
Elles font ici leur séjour.
GERMAIN DAUBERJON , abonné.
I 3
798
MERCURE
Explication de l'Énigme et du Logogriphe du
numéro précédent,
Le mot de l'Enigme est Mercure ( dieu )
celui du Logogriphe est Mathieu , dans lequel
on trouve Aime , Hait , Ut , Mi , Mai , Mie
Mamie , Ami , Ah ! Eh ! Amit ; Mát ( de
Vaisseau ) , Mat ( aux Echecs ) , Thym , Ame ,
Etaim ( laine très-fine ) , Muet.
CHARADE I
PLUS que ton coeur , Iris , ton doigt est tendre :
Malgré cela , pour se défendre ,
Il ne prend pas un bien gros bouclier ,
Il n'a jamais que mon premier..
Ton coeur en á de toute espèce ;
Quand un amant , dans un délire entier ,
Plein de desir et de tendresse ,
Veut te donner et prendre mon dernier.
Voilà pourquoi , beauté cruelle,
De te toucher on ne vient pas à bout ;
On aurait beau rester tendre et fidèle ,
Que ta rigueur ferait sentir mon tout.
GERMAIN DAUBERJON ; abonné.
DE FRA N- CE. 199
123
ÉNIGME.
DE la boîte de Pandore ,
Nous sortimes beaucoup d'enfans ;
Je me trouve un des plus méchans ,
Et j'entraîne à ma suite encore
Les horreurs des ressentimens.
C'est dans les ames dépravées ,
Que mes armes sont conservées :
Par elles , les pauvres humains ,
Errans , poursuivis de mon ombre ,
Quand ils sont tombés sous mes mains
Descendent dans l'abîme sombre ,
Le front d'airain , l'oeil hagard , furieux ,
Je semble menacer les cieux .
Tout frémit , tremble à mon approche ;
Inaccessible au remords , au reproche ,
Les seuls arrêts de l'Eternel
Peuvent punis mon coeur implacable et cruel
Lecteur , de mon spectre terrible ,
Redoutez les noirs attentats ?
Mon aspect est toujours horrible ;
Et je suis de tous les états.
B. J. V. L. R......
I 4
200 MERCURE
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
HISTOIRE DES CAMPAGNES DU COMTE ALEXANDRE
SUWAROW RYMINIKSKI , général feld-maréchal
, au service de sa majesté l'empereur de
toutes les Russies , traduite de l'allemand et
du russe, avec portrait , 2 vol. in- 12 . Paris
chez Giguet et compagnie , imprimeurs- libraires
, maison des petits Pères , à côté de la
Bourse.
pres-
Les succès que les barbares du Nord
ont si facilement obtenu , en Italie , sur
notre armée désorganisée , ont attiré
l'attention sur eux , et principalement
sur leur général. Les français ont
que cru , un instant , qu'ils leurs étaient
supérieurs par la valeur ; et les sourds
ennemis que nous avons au milieu de
nous , n'ont point manqué d'exalter leurs
succès et de faire circuler que ces nouveaux
Vandales seraient nos sauveurs . A
les entendre , ces demi - sauvages étaient
la politesse et l'humanité même ; il ne
suffisait volontiers que de leur tendre les
bras pour trouver aussitôt le bonheur.
Depuis nos derniers avantages , vous
trouvez ou des incrédules qui font sem
blant de ne pas croire qu'un russe puisse
DE FRANCE. 201
être vaincu par un français , ou des hypocrites
qui assurent que nous ne pouvons
retourner à la félicité que par des
défaites. Voici un traducteur de russe et
d'allemand qui vient à leur secours . Non
content d'avoir traduit une lourde et
fastidieuse compilation des gazettes de
Vienne et de Pétersbourg , qu'il lui a
plu de qualifier du titre d'Histoire , il
a cru de son devoir d'élever jusqu'aux
nues , dans un avant- propos , les qualités
, les vertus , et même la douceur de
son héros . Je reviendrai sur cet avantpropos.
Disons auparavant un mot de
la Gazette historique ; ce sera bientôt,
fait. L'auteur ne montre Suwarow que
comme guerrier ; il n'a pas consacré
une page à l'homme. Son ouvrage n'offre
qu'une longue et fastidieuse suite de
batailles , où le héros eut plus ou moins
de part. Nous n'entrerons point dans des
détails qui nous meneraient beaucoup
trop loin . Cette histoire , d'ailleurs , est
aussi intéressante que est toute histoire
faite sur des gazettes . C'est le récit des
opérations militaires du tems , tel qu'il
a plu aux deux cours de les faire con
naître. Les ressorts restent toujours secrets
, et ces événemens particuliers qu
font connaître les hommes et les choses ,
ne sont point . sortis de leur obscurité 5
cent
85
I 5
202 MERCURE
Cette compilation peut cependant apprendre
encore beaucoup de choses , et
elle n'est pas à mépriser. On y entrevoit
toujours quelques traits du caractère des
peuples du Nord , et celui de Suwarow
se dessine quelquefois . Sans chercher
à lui donner des qualités que sa
conduite , en plusieurs circonstances , ne
peut supposer , il ne faut cependant pas
qu'un préjugé national nous empêche
de le regarder comme un grand homme
un véritable guerrier. Celui que Catherine
II distingua d'une manière si honorable
, ne devait pas être un homme
ordinaire . Quant à ce que fait Paul Ier,
c'est sans conséquence ; ses projets , ses
sottises , si utiles à d'autres qu'à lui , ne
peuvent le faire regarder que comme un
étourdi qui fera beaucoup de mal au
genre humain ; et les honneurs dont il
accable le vieux général russe , ajoutent
moins à la gloire de ce dernier , qu'ils
ne contribuent à confirmer au premier
le genre de réputation qu'il a déjà acquise
dans l'Europe .
Suwarow est certainement un grand
homme. Il a passé une partie de sa vie
à la guerre , et semble n'avoir jamais
desiré que cet état de malheur et de
destruction . Ordinairement en Russie
les jeunes gens de qualité sont inscrits
DE FRANCE. 203
de très -bonne heure , quelquefois même
dès leur naissance , dans un des régimens
des gardes . Ils entrent ensuite en
activité de service vers leur seizième
année , et souvent alors il sont déjà arrivés
, par ordre d'ancienneté , au grade
d'officier des gardes. Mais Suwarow
ayant été destiné à la robe , ne profita
; point , à cet égard , des avantages de sa
naissance ; et après avoir triomphé de
la volonté de son père , il eut encore à
surmonter tous les dégouts des derniers
grades . D'abord fusilier dans les gardes
de Seimonow ; ce n'est qu'en 1749 qu'il
fut nommé sous - officier , après avoir
été deux ans caporal , et ainsi de deux
ans en deux ans , il parvint à un nouveau
grade . Etant sergent , il fut employé,
comme courrier , en Pologne et
en Allemagne. Ses actions le firent distinguer
ensuite , et avancer rapidement.
La famille de Suwarow est d'origine
Suédoise . Elle s'établit en Russie il y a
environ 120 ans . Basile Suwarow , frère
du maréchal actuel était filleul de
Pierre Ier. Il jouissait des fonds de terres
accordés à ses aïeux en récompense des
victoires qu'ils remportèrent sur les Tartares
et sur les Polonais. Il mourut gé-
´néral et sénateur. Il laissa à son fils une
fortune considérable , que la générosité
I 6
204
MERCURE
de Catherine II a accrue , mais seulement
depuis qu'il a des enfans. En 1754 , il
épousa Barbe Isnowsna , princesse Prosorowka
, fille du général en chef Prosorowki
, dont il a deux enfans ; une
fille mariée au général comte de Nicolai
Zoubow , et un fils , lieutenant dans la
garde Bréobraschewski , auquel il a fait
donner l'éducation la plus recherchée ,
en homme qui en a senti le prix pour
lui-même. « La guerre et les lettres ,
» ajoute le traducteur dans son avant-
» propos , remplissent tous les momens
» du vieux maréchal. On pourrait lui
>> appliquer , continue -t-il , ce que dit
>> Plutarque , en parlant de Marcellus :
» quand il a les armes à la main , on
>> remarque une extrême fierté sur son
» visage , bien que par - tout ailleurs il
» soit le plus humain et le plus modeste
» des hommes. Dès sa plus tendre jeu-
» nesse ; il faisait ses délices de la vie
» des plus grands capitaines . Cornelius
Nepos devint bientôt son manuel. Mais
» il ne se borna pas à la seule étude
>> du métier de la guerre ainsi que
» Montecuculli , l'un de ses héros de
» prédilection , il prépara ses succès par
< «son attention à multiplier ses con-
» naissances , et particulièrement celles
» qui étendent la sphère des idées. Il
DE FRA N- C- E. 205
» étudia l'histoire dans Rollin , dans
>> Hubner ; la philosophie dans Wolf,
» dans Leibnitz , et s'appliqua aux lan-
» gues turque , polonaise , italienne , al-
>> lemande et française , sciences si utiles
» pour un militaire , si nécessaires pour
» un général ; et le comte de Suwarow
>> a tellement le don des langues , qu'il
>> entend encore celles de tous les peu-
» ples qu'il a vaincus. >>
L'éloge que le traducteur fait de Suwarow
, en son privé nom , et dans sa
préface , est beaucoup plus étendue que
le morceau que nous venons de citer.
Sans chercher à déprécier les qualités
d'un grand homme , ne pourrait-on pas
raisonnablement demander au traducteur
où il a appris tant de choses ? Et s'il
les a puisées dans des sources certaines
pour la satisfaction de son lecteur , ne
devait-il pas les citer ? En histoire , les
autorités ne sont jamais trop nombreuses .
En rappelant les deux guerres contre
la Pologne , où le général eut tant de
part , le traducteur ne manque pas de
louer son humanité , le soin qu'il prit
d'épargner le sang. Il saisit l'occasion
pour donner ses idées sur ces événemens ,
et quand il serait russe ou allemand , il
ne pourrait mieux faire en faveur du
fameux partage . Il en vient ensuite à
206 MERCURE
la guerre actuelle. « Le caractère na-
» tional , dit-il , est tout- à-fait métamor-
» phosé par l'effet d'une révolution qui
>> bouleverse tout , jusqu'aux mouvemens
» mécaniques de la machine humaine
» et par l'image répétée d'une mort cons
>> tamment menaçante. C'est ainsi que
> tant d'êtres paisibles , habitués à l'aisance
, se transforment en soldats in-
» trépides , capables des plus grandes
» fatigues , au fort des saisons les plus
> rigoureuses , pour fuir la mort d'un
côté , en courant au-devant d'elle de
» l'autre ; voilà comme une nation , na-
» turellement brave , devient prompte-
» ment redoutable à la guerre , même
» sans chefs expérimentés. Les voeux
» d'une grande partie de l'europe , et le
» salut des monarchies , appelaient à
>> leur secours l'expérience et le courage
» du général Suwarow. »
-
Après avoir parlé assez longuement
sur les affaires de Pologne , et avoir justifié
les co-partageans , il n'aurait sans
doute pas été hors de propos de déve
lopper les grands desseins de Paul Jer
de donner à sa sagesse le tribut d'éloge
qu'elle mérite , et sur - tout de montrer
quel avantage il peut raisonnablement
espérer de la guerre qu'il fait à la France.
Il n'y aurait peut - être pas eu de mal
DE FRANCE. 207
à lui rappeler la politique de Catherine ,
qui fut assez fine pour promettre toujours
, et pas assez folle pour envoyer des
troupes dans un pays où il n'y avait
rien à gagner pour elle ; et l'on eut pu
se dispenser de terminer une aussi longue
préface , en nous prophétisant que
le tems est peut- être venu où le Nord
doit envahir tout le Midi , et nous pré-
Senter , une seconde fois , le spectacle
des barbares , fondant sur les restes de
Rome. Espérons que cette prophétie
n'aura pas plus de succès que celle du
grand Frédéric , qui jugeait que les ré-*
publiques , en général , ne pouvaient
encore subsister long-tems , et qu'elles
allaient faire place à de nouvelles monarchies.
J.
AZALAÏS ET LE GENTIL AIMAR , Histoire provençale
, traduite d'un ancien manuscrit provençale.
Paris , chez Maradan , libraire , rue
Pavée André-des-Arcs , n. ° 16 , 3 vol. in- 12 ,
avec figures et musique , prix 5francs , et 6fr.
50 centimes , franc de port par la poste.
LE baron de Castellane , en disputant
contre Alphonse , comte de Provence ,
la souveraineté des terres de ses ayeux ,
சிஎ
208 MERCURE
succombe et perd la tête sur un échafaud ,
laissant un fils unique , âgé seulement de
dix -huit ans ; c'est Aimar. Un religieux
de ses parens , le sage Elias de Barjols ,
homme instruit , juste , sans préjugés
religieux , et qui avait autrefois fréquenté
les cours les plus polies de la Provence ,
le conduit dans son couvent de Saint-
Bénézet , à Avignon , et lui sert de père.
Sous les yeux d'un tel mentor , le jeune
Aimar fait de rapides progrès ; bientôt
il n'est plus connu que sous le nom du
gentil Aimar. Il fait , entre les mains de
son instituteur , le serment de venger
la
mort de son père et la honte de sa famille .
Les moines de Saint- Bénézet veulent
déterminer Aimar à rester parmi eux ;
Elias s'y oppose , et il devient leur victîme.
Aimar rejoint Arnaud de Comminge
qui défend le parti des Albigeois contre
les croisés , commandés par le roi de
France et Almaric de Montfort son
connétable. Aimar est blessé ; il est
porté dans le château du comte de Forcalquier.
Azalaïs , fille du baron d'Anduze
, le guérit de ses blessures , mais
elle l'enivre d'amour . Le gentil Aimar.
est aimé de la comtesse de Forcalquier,
d'Azalaïs et de sa belle suivante Alexide :
celle-ci devient la plus heureuse des trois;
DE FRANCE. 209
elle trouva le moyen de tenir Aimar
entre ses bras. Le couple est surpris par
Azalaïs elle-même ; désespoir de cette
belle . Aimar quitte alors le château ,
emportant une lettre qu'il ne doit ouvrir
qu'à Castellane , où elle lui ordonne
de se rendre.
Cependant Bernard d'Anduze , père
d'Azalaïs , veut la marier à Almaric ,
le connétable de France , et il arrive à cet
effet chez la comtesse de Forcalquier ;
il est touché des pleurs de sa fille , et il
consent à son évasion . Azalaïs s'échappe
du château la nuit suivante , sous la conduite
de son frère.
Aimar cependant arrive à Castellanne ,
où il apprend que , depuis la mort de son
père , le farouche Almaric de Montfort
s'est mis en possession de ses terres et
héritages. Il s'empresse de lire la lettre
d'Azalais . Cette tendre fille lui annonçait
le pardon de sa faute , et lui enjoignait
d'aller trouver le baron d'Anduze , son
père , et de lui montrer son anneau qu'elle
avait renfermé dans la lettre .
#
Aimar est reconnue par les anciens
vasseaux de son père , comme véritable
seigneur de Castellanne. Il choisit cent
jeunes gens parmi eux , qu'il arme ; mais
au lieu de les conduire sur - le- champ
à l'armée du comte de Toulouse , il les
Στο MERCURE
confie à celui qui commandait sous lui ,
et prend, pour obéir à la dame de ses
pensées , le chemin de la baronnie d'Anduse.
Il s'égare , et demande l'hospitalité
dans un château ; c'était un repaire de
brigands et de scélérats. Enfermé dans
une chambre , il entend un bruit de
chevaux , il regarde à travers les barreaux
de sa fenêtre , il apperçoit une
femme que le brigand Châtelain vient
d'enlever , c'est Azalaïs. Quelle situation
que celle d'Aimar en ce moment ! Sa
bonne mine a heureusement inspiré de
l'intérêt à une jeune fille qui sert dans
ce château , mais qui a la langue coupée ;
elle l'arme d'un poignard. Aimar tue le
Châtelain et délivre Azalaïs , qu'il
ramène à Anduze. Son rival Almaric s'y
trouvait. Azalais le lendemain est enlevée
; Aimar vole à sa recherche , et il
la retrouve au pouvoir d'Almaric , dans
un château escarpé , au sein d'un pays
désert. Défi entre Almaric et Aimar ;
Almaric perd la vie ; les amans sont
unis.
Aimar cependant avait aidé le comte
de Toulouse à remporter une victoire
contre le roi de France ; il est rétabli
dans la suzeraineté des terres de Castellanne
, et le comte y ajoint celles de Digne
et de Forcalquier.
DE FRANCE. 211
Cette production offre une marche
simple , et une intrigue peu compliquée ;
elle rappelle les anciens Romano - historiques....
L'Auteur d'Azalais a su
fondre , pour ainsi dire , dans son ou →
vrage , la peinture animée de ces tems
où l'enthousiasme chevaleresque fit faire
de si grandes choses.
On trouve dans Azalais beaucoup de
romances , dont quelques-unes en Provençal.
L'auteur les a mises lui-même
en musique , ces airs gravés sont placés
à la fin du dernier volume.
L. D. B.
SCELTA DELLE MIGLIORI COMEDIE del celebre
Carlo Goldoni , ad uso degli stranieri dilettanti
dell'italiana favella. Parigi , appresso
P'editore Andrea Mugnozzi , rue des vieux
Augustins , nº. 225 , près la rue Coquillière ;
J. Molini , libraire , rue Mignon Saint-Andrédes-
Arcs , et J. Baillot , imprimeur- libraire ,
place du Palais-Egalité , au coin de la rue
Fromenteau , n ° 1. ( CHOIX des meilleures
comédies du célèbre Charles Goldoni , à l'usage
des amateurs de la langue italienne , etc. ) un
vol. in- 12 de 394 pages ; prix 3 francs , et 4 fr
pour les départemens , franc de port.
Il suffira , pour faire connaître ce
recueil , de traduire ici l'avis de l'édi
teur Mugnozzi.
212 MERCURE
*
,
<< PARMI les ouvrages italiens qui ont
obtenus une grande reputation , non-seulement
dans le pays qui les a vus naître ,
mais encore dans toute l'Europe , on
distingue principalement le théâtre de
Charles Goldoni, qu'on pourrait appeller,
à juste titre , le Molière de l'Italie. Cependant
, malgré la célébrité de cet auteur
, les amateurs de la langue italienne ,
lisent rarement ses comédies , quoiqu'elles
pussent certainement contribuer à les
perfectionner dans l'étude et dans le
parler de cette langue. Cela vient , je
crois de deux causes , premièrement
l'étendue de ce théâtre , dont la dernière
édition qui en a été donnée , contient
quarante quatre volumes : secondement
l'attrait des Italiens , et surtout les Vénitiens
, pour les personnages à masques ,
a forcé Goldoni d'écrire en différens
jargons plusieurs rôles de ses pièces ,
tels que ceux d'Arlequin , de Pantalon
de Brighelle , etc. et ce mélange de
dialectes peu agréables , avec le langage
Romain , a dû rebuter beaucoup de
monde. J'ai donc cru bien faire , cher
lecteur , d'éloigner de vos yeux des
idiômes peu flatteurs , qui ne pourraient
que corrompre l'élégance Toscane , et
de vous présenter un choix des meilleures
comédies de ce célèbre auteur , écrites
DE FRANCE. 213
dans le style italien , le plus pur et le plus
poli , et où vous puiserez , comme à une
source nette et limpide , tous les agrémens ,
toutes les finesses et toutes les grâces de
cette langue , qui fait les délices de l'Europe
entière. »
Ce recueil contient cinq comédies .
Pamela , (Paméla , ) il vero amico
( le véritable ami ; ) l'Aventuriere ono-
Tato , ( l'Honnête Aventurier ; ) la dona
prudente , ( la Femme prudente ; ) la
Villegiatura , (la Maison de campagne; )
toutes ces comédies sont en trois actes .
André Mugnozzi , éditeur de ce
Choix, enseigne à Paris la langue ita-
Henne. Il est auteur de deux ouvrages :
1.º d'une Grammaire intitulée : les Élémens
de la langue italienne ; 2.º de la
traduction italienne du Poëme d'Abel
de Gesner. On trouve ces deux ouvrages
chez lui , et chez les libraires ci - dessus
indiqués.
L. D. B ,
214
MERCURE
Fabellæ et historiunculæ à nostratibus variis
scriptoribus diligenter adscito , in latinum
conversa , ad usum tyronum , cum notis gallicis
accomodatæ et in quatuor libros divisæ.
Par le citoyen Boinvilliers , Professeur de
belles-lettres à l'école centrale de l'Oise
menbre de la société libre des sciences ,. lettres
et arts de Paris , etc. , chez Cailleau , au
bureau général du Mercure de france
de la Harpe , et chez Barbou , rue des Ma
thurins. Prix , 1 franc 25 centimes : les deux
parties réunies , 2 francs 50 centimes.
"
Rien n'est plus difficile à composer
qu'un ouvrage élémentaire ; cette asser
tion est si vraie , que nous avons peu
de livres en ce genre , et qu'encore la
plûpart d'entr'eux sont à refaire . Que
les demi-savans ne portent qu'un regard
dédaigneux sur les ouvrages destinés à
enseigner les élémens d'un art , d'une
science quelconque , cela ne nous surprend
point ; mais l'homme véritablement
instruit , loin de mépriser ce genre
difficile de production , applaudit même
aux efforts de ceux qui ont le courage
d'y consacrer leurs veilles ; il sait que ,
pour faire un bon livre élémentaire , il
faut avoir soi-même beaucoup de conDE
FRA N C-E. 215
naissances . Ces réflexions nous ont parų
devoir précéder le compte que nous
avons à rendre de l'ouvrage du citoyen
Boinvilliers ( seconde partie ) , qui vient
de paraître sous le titre sus -énoncé. Déjà
l'on a fait connaître , dans un des précédens
numéros de ce journal , la première
partie , qui renferme des compositions
françaises , c'est-à- dire , des phrases
très-signifiantes et très-heureusement
combinées , que les élèves ont à traduire
en latin , aidés de la connaissance des
règles , développées avec méthode et
précision dans la grammaire élémentaire
latine du même auteur. Le cit.
Boinvilliers , à qui l'on est redevable de
plusieurs ouvrages en ce genre , tous
favorablement accueillis des corps littéraires
auxquels il appartient , a pensé
comme il le dit lui - même , qu'on ne
saurait mettre de trop bonne heure les
fables entre les mains des enfans . Ces
fictions agréables , loin de les ennuyer ,
piquent leur curiosité naturelle ; ils aiment
à entendre des animaux s'entretenir
à la manière des hommes : mais ce
qui ajoute encore au prix de la lecture
des fables , c'est qu'elles contiennent des
vérités morales , dont il importe à tous
les hommes de se pénétrer ; c'est pour216
MERCURE
quoi l'ouvrage que nous annonçons ici,
et qui est la seconde partie de son manuel
latin , se compose de fables et
d'historiettes ; celles-ci sont toujours ou
instructives ou amusantes ; un ton vrai ,
simple et morale , caractérise celles -là ;
la plupart sont empruntés de nos modernes
fabulistes ; le citoyen Boinvilliers
les a traduites , et son style , dont les
difficultés sont habilement graduées , est
par-tout d'une grande pureté. Il y a du
mérite sans doute , et plus qu'on ne pense ,
à réduire en prose classique des ouvrages
pleins de ces beautés qui appartiennent
à la poésie . L'auteur a parfaitement
réussi ; les fables , remplies d'intérêt ,
qu'il a mises au jour , ont été par lui
dépouillées , avec soin , des pompeux
ornemens dont elles étaient revêtus ; en
;
les traduisant , il leur a fait perdre ,
comme il le dit plaisamment , cet air
précieux de l'hélicon qu'elles avaient
pris. Une seule citation faite au hazard
justifiera ce que nous avançons.
LE TIGRE ET LES DEUX LIÈvres .
Quædam tygris quam tædebat inter
reges vivere ; decrevit aulam deserere
ad perlustrandum orbem. Oblita sui
generis.
r
DE FRANCE. 217
generis illustrissimi ( nam tygrides
sunt nobiles inter animalia ) societatem
iniit cum duobus leporibus qui
viventes in sylvis ignorabant aulicorum
artem , et felicem ideò agebant
vitam cui omnes invidebant. Amici ,
inquit tygris , mihi videtur amicitiam
veram vos conjungere ambos , et lætor
hác concordia. Agitedùm , recipi volo
in vestram amicitiam ; prandebimus ,
simulque pariter conabimus , modò ne
exuatis reverentiam mihi debitam ,
ego enim sum nobilis . Vix hæc protulit
, cùm lepores duo procidunt in
terram salutando illius gratiá : illa
nobilis est , inquiebant intrà se , et id
credimus , reverà non est vulgare animal.
Die quádam , cùm simul deambularent
, tygris dixit illis : volo vos
mecum sedere sub illá quercu , et
enim sum defessa. Lepores duo se invicem
respicienter dicebant secum :
fierine potest ut nobilis tam citò sit
defatigatus ? Alid die , lepores , cùm
convenissent suum hospitem , eum invenerunt
in lecto agrotantem et podagra
laborantem . Mirati sunt quòd
tygris ità se haberet . Quid ergo ! exclamavit
unus , nobilis es , attamen
ægrotas ! Postquam tres effluxerunt
menses , tygris mortua est. Si duos
Tome IX.
K
218 MERCURE
vidissetis lepores stupefactos et tremebundos
, illud spectaculum vobis
risuo movisset. Non ea intelligimus
quæ nobis contingit videre , aiebant ;
si nobiles sint, tam similes nostrî , si
nascantur tanquam nos ad moriendum
, quid sua illis prodest nobilitas ?
?
Que nos lecteurs comparent cette fable
latine , dont le style est si simple ,
dont le but est si philosophique , à la
même fable d'Imbert , poëte charmant
avec lequel le citoyen Boinvilliers paraît
avoir été lié ; ils verront que l'auteur a
dû apporter la plus scrupuleuse attention
pour ne pas s'égarer sur les pas
de son modèle en prenant un vol aussi
élevé que le sien. Les historiettes sont
toutes écrites du même ton ; elles honorent
à-la-fois l'esprit et le coeur de celui
qui a scu faire un si heureux choix d'opuscules
, propres à faire aimer la vertu.
Si les bornes de cette feuille nous le
permettaient , nous citerions encore bien
volontiers la fable du petit paysan bien
corrige , ( rusticulus ex malo bonus )
imitée de le Monnier ; elle nous a paru
narrée avec un charme indicible , mais
nous nous contenions d'y renvoyer nos
Jecteurs , et de conseiller l'adoption de
Fouvrage du citoyen Boinvilliers , ( lequel
est suivi de deux vocabulaires ) à tous
DE FRANCE 219
les professeurs et instituteurs , tant publics
que particuliers , qui n'en font pas
encore usage ; nous l'invitons lui-même
à faire jouir bientôt le public de la nouvelle
édition des Fables de Phèdre
qu'il nous promet pour le premier germinal
prochain , et dont nous desirons.
vivement que l'impression soit aussi soignée
que celle du Manuel latin.
M .....
INSTITUT NATIONAL.
Séance publique du 25 vendémiaire, an VIII ,
au palais national des Sciences et des Arts.
L'Institut national a regretté que le tableau
de Marcus Sextus , par le citoyen Guérin ,
élève du citoyen Regnault , n'eût pas été exposé
avant le premier vendémiaire an 8. Cette circonstance
a été la seule cause qui a empêché
que ce bel ouvrage n'ait été mis au nombre de "
ceux qui ont été proclamés au Champ-de-
Mars. L'Institut a arrêté de donner
sa séance publique , au citoyen Guérin , un tenoignage
éclatant de l'estime due à ses talens.
Il a reçu une couronne de laurier.
1
Noms des Artistes qui , au jugement de l'Institut&
national des Sciences et des Arts , ont remporté 3
des prix de peinture , sculpture et architecture,
en l'an 7 de la République,
K 2
220 MERCURE
PEINTURE.
Le sujet du concours était l'exemple de discipline
militaire donné par Manlius Torquatus.
Son fils , provoqué par l'un des chefs des
Latins , et n'écoutant que son courage , le combattit
au mépris de la loi qui défendait d'accepter
aucun défi de l'ennemi , et le vainquit. Son père ,
après avoir posé sur sa tête la couronne du
triomphe , le fait conduire an supplice.
Grands prix. 1, Augustin-Alphonse Gaudar,
natif de Bourges , département du Cher , élève
du citoyen Vincent.
2. Alexandre - Romain Honnet , de Paris ,
élève du citoyen Regnault.
Second Prix. Henri Mullard , de Paris , élève
du citoyen David ,
D
SCULPTURE.
«<
Sujet du concours : Anaxagoras , dans sa
» vieillesse , se voyant négligé par Périclès , se
>> cou re la tête de son manteau , résolu de se
» laisser mourir. Périclès , instruit de son désespoir
, accourt et le supplie de ne point
» renoncer à la vie et de lui conserver ses bons
» conseils pour le gouvernement de la répu
blique. Alors , Anaxagoras se découvrant ,
» lui dit : Périclès , ceux qui ont besoin de la
» lumière d'une lampe , ont soin d'y verser de
» l'huile. »
Grands Prix. 1. Louis-Marie-Charles-Henri
Dopaty, natif de Bordeaux , département de la
Gironde , élève du citoyen Lemot.
2. Antoine Mouton , dit Moutoni , natif de
Lyon , département du Rhône , élève du citoyen
Julien .
DE FRANCE. 221
Second Prix. Edme Gaulle , natif de Langres ,
département de la Haute-Marne, élève du citoyen
Moitte.
ARCHITECTURE.
Le sujet du concours était un Élysée ou un
Cimetière public.
Grands Prix. 1. Louis-Sylvestre Gasse , natif
de Naples , élève du citoyen Labarre.
2. Augustin - Henri - Victor Grandjean , de
Paris , élève du citoyen Percier.
Second Prix. Jean-Baptiste Guinet , de Versailles
, département de Seine - et- Oise , élève
des citoyens Heurtier et Percier.
Les élèves qui ont remporté les grands prix ,
seront envoyés en Italie , pour y continuer leurs
études aux frais de la République .
PRIX PROPOSÉS DANS LA MÊME SÉANCE.
Conditions générales à remplir par les aspirans
auxprix , quelque soit le sujet qu'ils traitent.
Les personnes de tous les pays , les membres
et associés de l'Institut exceptés , sont admises
à concourir.
Aucun ouvrage envoyé au concours ne doit
porter le nom de l'auteur , mais seulement une
sentence ou devise on pourra , si l'on veut , y
attacher un billet séparé ou cacheté , qui renfermera
, outre la sentence ou devise , le nom
et l'adresse de l'aspirant ; ce billet ne sera ouvert
par l'Institut que dans le cas où la pièce aurait
remporté le prix.
Les ouvrages destinés au concours peuvent
être envoyés à l'Institut sous le couvert du ministre
de l'intérieur , en affranchissant le paquet
K 3
222 MERCURE.
qui les contiendra ; on peut aussi les adresser ,
francs de port , à l'un des secrétaires de la classe
qui a proposé le prix , ou bien les lui faire remettre
dans ce dernier cas , le secrétaire en
donnera le récépissé.
Les concurrens sont avertis que l'Institut ne
peut rendre ni les mémoires , ni les dessins , ni
les machines qui auront été soumis au concours :
mais les auteurs seront toujours les maîtres de
tirer des copies des mémoires , des dessins , et
de retirer les modèles des machines , en remettant
des dessins conformes .
C'est la commission des fonds de l'Institut
qui délivrera la médaille d'or au porteur du récépissé
; et dans le cas où il n'y aurait point de
récépissé , la médaille ne sera remise qu'à l'auteur
même , ou au porteur de sa procuration,
་
Classe des Sciences Mathématiques et Physiques.
Sujet du prix de Chimie.
Indiquer les substances terreuses et les procédés
propres à fabriquer une poterie résistante
aux passages subits du chaud au froid , et qui
soit à la portée de tous les citoyens.
L'art de fabriquer les poteries précieuses ,
connues sous le nom de porcelaine , a reçu dans
la république française une perfection qui ne
laisse presque plus rien à desirer : mais il n'en
est pas de même des poteries communes qui
sont d'un usage journalier ; il s'en faut de beaucoup
que ce dernier art soit porté au degré
d'accroissement et de prospérité si desirable
>pour les besoins du plus grand nombre de citoyens
; tandis que quelques nations voisines ,
qui ne font pas d'aussi belles porcelaines , fabriquent
des poteries très-utiles dont les proDE
FRANCE. 223
priétés sont bien supérieures à celles que la
France fait elle-même. L'institut demande aux
concurrens l'examen de la composition de ces
bonnes poteries ; l'exposé des terres qui peuvent
servir à les former , ou celui des mélanges
artificiels susceptibles de les remplacer ;
manière dont on doit traiter ces terres , pour
leur donner les qualités qui leur sont nécessaires
; l'art de la cuisson ; le dégré de feu ; la
forme des fourneaux qui leur conviennent , et
sur-tout les procédés propres à faire des cou
vertes sans oxcides de métaux nuisibles .
Les concurrens feront remettre à l'Institut
des échantillons des terres employées à leurs
poteries , et des poteries elles -mêmes qu'ils en
auront fabriquées .
Tel est le programme que l'Institut proposa
dans sa séance publique du 15 germinal an VI.
N'ayant pas reçu les pièces pour concourir
à ce prix , qui devait être distribué dans cette
séance , l'Institut propose une seconde fois le
même sujet , en avertissant les concurrens qu'un
des principaux buts qu'ils doivent atteindre dans
ce travail , est l'analyse des terres appartenant
au sol français , comparée à celle des poteries
de la meilleure qualité , pour indiquer le choix
des terres propres à la fabrication des potèries
demandées , ou la nature des mélanges desti→
nés à cette fabrication. L'Institut ne fait pas
cependant de cette analyse une condition de
rigueur ; l'auteur qui enverrait une poterie d'excellente
qualité sans avoir donné une analyse
exacte des terres qui y ont servi , pourra obtenir
le prix.
Ce prix double , et de la valeur de deux kilogrammes
d'or , ( environ 6,800 francs ) sera
donné dans l'assemblée du 15 vendémiaire an X
K 4
224
MERCURE .
V
de la république . Les ouvrages ne seront reçus
que jusqu'au premier messidor an 9. Ce terine
est de rigueur.
Classe de Littérature et Beaux-Arts.
Prix d'antiquités.
Quelles sont les études qui forment , et les
connaissances qui caractérisent l'antiquaire ?
Quels avantages l'ordre social doit-il retirer de
ces connaissances ?
Le prix sera d'une médaille d'or , du poids de
cinq hectogrammes .
Il sera distribué dans la séance publique du
15 vendémiaire an X de la république.
Les ouvrages ne seront reçus que jusqu'au
premier messidor an IX. Ce terme est de
rigueur.
Classe des sciences morales et politiques.
Prix de science sociale et législation .
La classe des sciences morales et politiques
avait proposée pour sujet de l'un des prix que
l'Institut national devait décerner dans la séance
publique , du 15 vendémiaire an VIII , la
question auivante :
Quelles doivent être , dans une république
bien constituée , l'étendue et les limites du
pouvoir du père de famille ?
Les mémoires envoyés au concours n'ayant
pas rempli le but du programme , la classe
propose de nouveau le même sujet pour
l'an IX.
Le prix sera de cinq hectogrammes d'or ,
frappés en médaille . Il sera distribué dans la
séance publique du 15 nivôse de l'an IX de
la République
DE FRANCE. 225
Les ouvrages ne seront reçus que jusqu'au 15
vendémiaire an IX. Ce terme est de rigueur.
Prix d'analyse des sensations et des idées.
La même classe propose pour sujet d'un des
prix qu'elle doit décerner pour l'an IX , la
question suivante :
Déterminer l'influence de l'habitude sur la
faculté de penser , du , en d'autres termes , faire
voir les effets que produit sur chacune de nos
facultés intellectuelles la fréquente répétition
des mêmes opérations.
Le prix sera de cinq hectogrammes d'or ,
frappés en médaille . Il sera distribué dans la
séance publique du 15 germinal de l'an IX de
la République .
Les ouvrages ne seront reçus que jusqu'au
15 nivôse de la même année. Ce terme est de
rigueur.
Prix d'économie politique .
La même classe propose pour sujet d'un autre
prix , la question suivante :
Est-il vrai que , dans un pays agricole , toute
espèce de contribution retombe , en dernier ter
me, sur les propriétaires fonciers ; et si l'on se
décide pour l'affirmative , tes contributions indirectes
retombent-elles sur ces mêmes proprié→
taires avec une surcharge ?
Le prix sera de cinq hectogrammes d'or
frappés en médaille . Il sera distribué dans la
séance publique du 15 nivôse de l'an IX de la
République .
Les mémoires ne seront reçus que jusqu'au
15 vendémiaire de la même année. Ce terme
est de rigueur.
K 5
226
MERCURE
La même classe avait remis le prix suivant :
Pour quels objets et à quelles conditions
'convient-il à un état républicain d'emprunter ?
Elle publiera son jugement sur les mémoires
qu'elle a reçus , dans la séance publique du
15 nivôse prochain .
SPECTACLE S.
THEATRE DES TROUBADOURS ,
RUE DE LOUVO I S.
18 Vendémiaire.
CHRISTOPHE MORIN , OU AH ! QUE JE SUIS FACHÉ
D'ÊTRE RICHE ! Folie-Vaudeville en un acte.
Аn! que je suis fáché d'être riche ! s'écrie le
∙
AH
!
bon Chistophe Morin , obsédé par le grand
nombre de flatteurs qui l'entourent ! Combien
peu de gens seraient de son avis , si la fortune
feur souriait . Nous en appelons à vous , lecteur..
Eh bien ? le public , toujours vrai , n'a pas été
du nombre de ces astucieux complimenteurs ;
car ses murmures ont par fois accueilli notre
richard. Voilà comme tout n'est point heur en
cette vie.
Christophe Morin n'a pas acquis , avec l'immense
fortune dont il vient d'hériter , tous les soidisant
beaux airs du grand monde de notre siè
DE FRANCE. 227
cle. C'est toujours Christophe Morin , marchand
de chevaux. Depuis qu'il est riche , des intrigans
cherchent à s'emparer de son esprit simple
et facile , et l'un d'eux , nommé Dabville
est tellement parvenu à le maitriser , que le bon
Chistophe Morin devient , sans s'en appercevoir
, le premier esclave des moindres volontés
de ce fripon adroit , qui courtise Babet , la fille
de notre parvenu. Cette aimable personne a
déjà donné son coeur à Sirval , jeune homme
généralement estimé. Ces deux amans plaignent
Christophe Morin , que Dabville couvre chaque
jour d'un nouveau ridicule , tantôt en le forçant
à rassembler chez lui une société de gens à la
mode , devant lesquels il fait mille gaucheries ;
tantôt en l'excitant à danser une anglaise , lut
qui n'a jamais connu que les bourrées d'Auvergne
; enfin en le chargeant du rôle d'amoureux
dans un petit proverbe. Christophe Morin
s'apperçoit qu'il sert de risée à la société , et
qu'il est la dupe de la feinte amitié de notre
intrigant. Il profite du proverbe qu'il représente
pour unir sa fille avec Sirval. Grand
étonnement de Dabville. Christophe Morin le
congédie , et remercie ses enfans de l'avoir
détrompé sur le compte de ce faux ami.
Le principal caractère est par fois gai , par
fois trivial. Dans le commencement on a ri ,
sur la fin on s'est ennuyé. Il y a de charmans
couplets qui ont été répétés ; il y a des longueurs
qu'il est nécessaire d'élaguer , entr'autres
la scène du proverbe . Il faut trouver un autre
moyen pour amener le dénouement. Nous
avons aussi remarqué dans cette pièce , nombre
d'idées et de pensées connues depuis
tems . Nous conseillons donc aux aus
revoir leur ouvrage avec attention , et sup tent
K6
228 MERCURE
de couper dans le vif. Nous osons ensuite leur
promettre un succès mérité et durable .
Le citoyen Tiercelin a parfaitement saisi la
caricature de Christophe Morin , et a obtenu
les suffrages universels. Le citoyen Frédéric a
fort bien chanté ses couplets. Ces deux artistes
ont été , on ne peut mieux , secondés. par leurs
camarades chargés des autres rôles.
THEATRE DE L'OPÉRA - COMIQUE
NATIONAL , RUE FAVART.
19 Vendémiaire.
ARIODANT, Opéra en trois actes.
PERSONNAGES.
EDGARD ,
OTHON ,
ARIODANT ,
LURCAIN , frère d'Ariodant .
INA , fille d'Edgard ,
DARLINDE , Suivante d'Ina ,
Soldats .
Bardes.
Peuple .
ARTISTES.
Solié.
Philippe.
Gavaudan.
Chenard.
Ce. Armand,
Ce. Philis.
Un même épisode , dans. l'Arioste , a fourni
le sujet de deux opéras représentés sur ce théâtre
. Nous ne savons auquel donner la préférence.
Semblables , quant au fonds , differens ,
quant aux moyens et aux détails , tous les deux
renferment des beautés qui font honneur au
génie de leurs auteurs. Qui n'a pas admiré les
superbes situations de Montano ` et Stéphanie x
DE FRANCE. 223
du citoyen Dejaure , que les lettres ont perdu
à la fleur de son âge , et qui méritera longtems
les regrets de tous les amis de l'art dramatique?
Qui n'a pas applaudi avec enthousiasme
ce chef-d'oeuvre de musique du citoyen
Le Breton , dont l'harmonie mélodieuse fait si
bien ressortir les magnifiques effets du poëme.
Eh bien ? Ariodant offre une même richesse de
situations et d'harmonie aussi le public s'estil
empressé de décerner à ses auteurs une seconde
couronne due aux . vrais talens ; Dejaure
et Le Breton s'étaient déjà partagé la première .
:
Edgard n'a qu'une fille , dans laquelle il a
concentré toute sa tendresse ; Ina , très -jeune
encore , a promis sa main à Othon , souverain
d'une contrée voisine ; mais l'âge , amenant la
raison , a éclairé son coeur , et lui a fait bientôt
regretter une telle inconséquence . Le jeune et
brave Ariodant a paru à la cour d'Edgard , et
il n'a fallu qu'un coup d'oeil pour enflammer
notre héros , et pour faire repentir Ina de sa
trop grande précipitation . Cependant cette aimable
princesse ne peut maîtriser la passion qui
la domine , et bannit Othon de sa présence .
Cet amant furieux de voir ses feux rejettés au
moment où il en attendait la récompense , se
livre à la plus cruelle jalousie , et jure de se›
venger des mépris de l'inconstante Ina. Une
loi punit de mort la femme qui serait convainque
d'avoir , pendant la nuit , introduit chez
elle un séducteur. Othon ne l'ignore point , et
son projet est formé. Ariodant et lui se sont
donnés rendez - vous , au milieu de la nuit , pour
se disputer la possession d'Ina. Othon profite
de ce moment où il se trouve seul avec son
rival , pour lui dévoiler un important mystère.
Il lui apprend qu'Ina l'a déjà plusieurs
230 MERCURE
fois comblé de ses faveurs , qu'elle l'attend , et
qu'à un signal convenu , elle va l'introduire
dans son appartement. Ariodant refuse de le
croire. Othon , pour le convaincre , donne le
signal . Une femme , revêtue des mêmes habits.
que la princesse , paraît sur la terrasse , jette
une échelle , et Othon est bientôt dans le palais.
Ariodant , immobile de surprise , ne sait
que penser de la perfidie de son amante , et
sort désespéré , malgré les conseils de Lurcain ,
son frère , témoin , ainsi que plusieurs amis
qui l'accompagnent , de cet événement inattendu
. Lurcain , furieux , s'empresse d'aller dénoncer
la coupable . Othon a séduit la suivante
d'ina , et c'est par ce moyen qu'il a su tromper
jusqu'aux yeux même d'un amant . Il remet
cette jeune fille entre les mains de deux de ses
gens , pour protéger soi- disant sa retraite , et
quitte lui-même l'appartement d'Ina , après y
avoir laissé son casque et son armure pour déposer
contr'elle. Pientôt le crime dont on aceuse
Ina est connu. Edgard en est instruit ,
et se livre au désespoir. Les preuves sont produites
contre sa fille , et il est indispensable
que la justice prononce . Le moment fatal où
Ina doit subir son jugement n'est pas éloigné.
Othon se présente devant Edgard , et le prie
de lui accorder un entretien secret avec sa
fille. Edgard y consent . Othon propose à Ina
de lui rendre l'honneur et la vie , si elle veut
accepter sa main. Il est certain de réussir . Ina
refuse de l'entendre , et sort après l'avoir accablé
de tout son mépris. Le tribunal est assemblé.
Edgard le préside . On amène la coupable
voilée. Après les dépositions des témoins ,
sommée de répondre , elle refuse de se justifier
, et garde le silence le plus obstiné. Othon
DE FRANCE. 231
:
se présente , et reclame l'accusée comme étant
ni avec elle par des liens secrets. La coupable
, interrogée si elle est vraiment l'épouse
d'Othon , lève aussitôt son voile , et répond
avec fermeté : non . A ce mot , tous les assistans
jettent sur elle des regards étonnés mais.
quelle est leur surprise , de voir , au lieu d'Ina
sa trop crédule suivante. Othon prend la fuite,
La suivante déclare qu'au moment où elle
allait être assassinée par les ordres de ce
monstre , Ariodant est survenu à tems pour
lui sauver la vie ; elle demande , comme étant
La seule coupable , à subir la peine réservée
à l'innocente Ina. Ariodant reclame la
grace de cette jeune fille. Elle lui est accordée
ainsi que la main d'Ina : il veut mériter cette
dernière faveur en vengeant son amante de
l'outrage d'un perfide rival ; mais Lurcain a
déjà prévenu son dessein , et la mort du farouche
Othon a suivi de près l'attaque.
En assistant à la représentation de cet opéra ,
on ne peut s'empêcher de le comparer avec
Montano et Stéphanie , dont nous avons parlé
plus haut. Les situations sont peut-être plus
vraisemblables , plus dramatiques dans ce der
nier ouvrage ; nous citerons entr'autres celle
où Montano , trompé par un faux amni , voit
un prétendu rival s'introduire chez Stéphanie ,
par les soins mêmes de cette jeune personne .
La musique ajou e encore à l'effet de cette
belle situation ; et le citoyen Gavaudan y fait
preuve chaque fois d'un talent précieux mais,
la dernière scène du premier acte d'Ariodant ,
et sur-tout le dénouement du troisième acte ,
sont neufs et vraiment dramatiques . Quelques
lougueurs déparent seulement cet ouvrage , fait
pour attirer la foule. La musique , tout-à-la - fois
:
232 MERCURE
savante , mélodieuse , tendre , gracieuse , forte
et sublime , a obtena les suffrages universels .
L'exécution a répondu aussi à l'attente du
public et des auteurs. Tous les artistes se sont
surpassés , et ont été demandés généralement
après la représentation .
Le public a voulu connaître les auteurs de
cet opéra. On a nommé les citoyens Hoffman
et Maul : ce dernier seul a paru , le premier
étant retenu ehez lui par une maladie grave.
TIVOL I.
20 Vendémiaire.
Ascension à Ballon perdu , et descente en parachute
de la citoyenne LA BROSSE.
L'expérience tant de fois annoncée de l'ascension
à ballon perdu , et de la descente en
parachute de la citoyenne La Brosse , a enfin
eu lieu décadi dernier , et a réussi complettement.
L'heure incommode ( c'était celle du
dîner ) qui a été choisie , a empêché un grand
nombre de personnes de se transporter à Tivoli
; et nous sommes persuadés que beaucoup
d'estomachs n'ont point été satisfaits du retard
apporté encore à l'ascension. La cit . La Brosse
s'est élevée à cinq heures de l'après-midi. Le
vent était sud- ouest. Au bout de trois minutes
elle s'est séparée de son ballon , et , à l'aide de
son parachute , qui fut à- peu-près dix-huit secondes
à se déployer entièrement , elle est descendue
à un demi-myriamêtre de Paris . Le
vent , qui s'était engouffré dans le parachute
la traîna environ treize mètres sur la luzerne.
Flle se donna , en tombant , un coup sur la
nacelle , dont elle portera la marque pendant
"
DE FRANCE. 233
quelques jours. L'herbe sur laquelle elle avait
été trainée lui avait taché sa robe , et sa bouche
était pleine de poussière . Elle n'a ni froissure
ni contusion , ni bosse , comme on le prétend ;
et elle se prépare , dit-on , à faire encore une
nouvelle expérience ; mais nous l'invitons à ne
point l'indiquer pour la même heure . Le public
s'est tellement porté de ce côté , que toute
la route était encombrée de spectateurs. Le
cabriolet qui la ramena à Tivoli eut beaucoup
de peine à se faire jour à travers la foule.
VARIÉTÉ S.
Meaux , 16 Vendémiaire , an 8.
Au Rédacteur du Mercure de France.
Je vous adresse , citoyen , le programme de
la quatrième séance publique de la Société
d'Agriculture , Sciences et Arts , du départe
ment de Seine et Marne , formée à Meaux
il y a quinze mois environ , par les soins du
citoyen Carangeot , savant distingué et conservateur
du Musée de cette commune.
Un prix de la valeur de 144 francs , est
fondé , pour trois ans , par un anonyme , dans
cette Société , pour celui qui aura le mieux
traité un sujet , dont le programme est rédigé
par elle.
Le sujet du prix de l'an 7 a été publié dans
plusieurs Journaux , notamment dans la feuille
du Cultivateur ; je vous adresserai celui de
l'an 8 , en vous priant de le rendre public par
la voie du Mercure.
Puissent semblables Sociétés s'établir ainsi
dans toutes les Communes de la République ,
234
MERCURE
et bientôt nous aurons réparé le tems perdu
pour les Sciences et les Arts , pendant le régime
révolutionnaire. Qui pourra jamais nous
indemniser des talens qu'il a moissonné ?
Je vous salue cordialement ,
Un de vos Abonnés .
Quatrième Séance publique , du 15 Vendémiaire
an 8 , de la Société d'Agriculture , etc.
de Meaux.
La séance fut ouverte par une symphonie
de Stamits.
Le secrétaire lut l'analyse des travaux de
la Société , pendant le dernier trimestre .
Le citoyen Raoult un hymne sur les
charmes de l'Etude .
>
Le citoyen Lhoste , pour le citoyen Enguin ,
un mémoire sur les avantages des Fontaines
publiques , et un projet sur leur établissement
dans la commune de Meaux.
+ Une symphonie concertante , de Davaux.
fut exécutée par de jeunes élèves de cette
commune.
Le citoyen Carangeot, lut des réflexions
sur le fauchage et le javellage des avoines.
Le citoyen Préfontaine , un morceau de
poésie , intitulé : ma Journée Champêtre.
Le citoyen Chéchin , un moyen de détruire
les poux des volailles.
Le citoyen Carangeot , des observations sur
une nouvelle nomenclature en minéralogie.
La séance fut terminée par l'hymne , sur
les charmes de l'Etude , mis en musique par
le citoyen Boutroy , aussi membre de la So
ciété.
DE FRANCE. 235
MERCURE
DE FRANCE.
Du 25 Vendémiaire , an 8.
POLITIQUE.
NOUVELLES ÉTRANGÈRES
ARMÉE D'ORIENT.
Au quartier-général de Jaffa
le 8 prairial a 7-
2
Buonaparte , général en chef , au directoire
cxécutif.
Citoyens directeurs ,
Je vous ai fait connaître , par le courier que
je vous ai expédié le 4 floréal , les événemens
glorieux pour la république , qui se sont passés
depuis trois mois en Syrie , et la résolution
où j'étais de repasser promptement le désert ,
pour me retrouver en Egypte avant le mois
de juin.
Les batteries de mortiers et de 24 furent
établies , comme je vous l'ai annoncé , dans.
236 MERCURE
•
la journée du 23 floréal , pour raser la maison
de Dgezzar , et détruire les principaux
monumens d'Acre ; elles jouèrent pendant
soixante-douze heures , et remplirent l'effet
que je m'étais proposé : le feu fut constamment
dans la ville .
La garnison désespérée fit une sortie gé
nérale le 27 floréal . Le général de brigade
Verdier était de tranchée . Le combat dura 3
heures. Le reste des troupes arrivées , le 19 ,
de Constantinople , et exercées à l'européenne ,
débouchèrent sur nos tranchées en colonnes
serrées ; nous repliȧmes les postes que nous
occupions sur les remparts ; par-là , les batteries
des pièces de campagne purent tirer à:
mitraille , à 80 toises , sur les ennemis : alors
nos troupes battirent la charge dans les tranchées
; on les poursuivit jusques dans la ville
la bayonnette dans les reins ; on leur prit 18
drapeaux.
L'occasion paraissait favorable pour emporter
la ville ; mais nos espions , les déserteurs
et les prisonniers , s'accordaient tons dans le
rapport , que la peste faisait d'horribles ravages
dans la ville d'Acre ; que tous les jours
plus de soixante personnes mouraient ; que les
symptômes en étaient terribles ; qu'en trentesix
heures on était emporté au milieu de convulsions
pareilles à celles de la rage ..
Répandu dans la ville , il eût été impossible
d'empêcher le soldat de la piller : il aurait
rapporté le soir , dans le camp , les germes de
ce terrible fléau , plus à redouter que toutes
les armées du monde.
L'armée partit d'Acre le 2 prairial , et arriva
le soir à Teutoura .
Elle campa le 3 sur les ruines de Césarée ,
DE FRANCE. 237
au milieu des débris des colonnes de marbre
et de granit , qui annoncent ce que devait être
autrefois cette ville .
Nous sommes arrivés à Jaffa le 5 .
Depuis deux jours , des
des détachemens de
l'armée filent sur l'Egypte .
Je resterai encore quelques jours à Jaffa
pour en faire sauter les fortifications ; j'irai .
punir ensuite quelques cantons qui se sont mal
conduits , et dans quelques jours je passerai
le désert , en laissant une forte garnison à
Elarich . Ma première dépêche sera datée du
Caire.
Texte de la dépêche transmise par le général
Buonaparte au Directoire exécutif, et par le
Directoire exécutif au Corps législatif dans
la séance du 18..
Au quartier-général d'Alexandrie ,
le 17 thermidor an 7 .
Buonaparte , membre de l'Institut national ,
général en chef, au Directoire exécutif.
Citoyens directeurs , le 8 thermidor , je fis
sommer le château d'Aboukir de se rendre. Le
fils du Pacha , son kiaya et tous les officiers
voulaient capituler , mais ils n'étaient plus écoutés
des soldats .
Le 9 , on continua le bombardement. Le 10,
plusieurs batteries furent établies sur la droite de
l'isthme . Plusieurs chaloupes canonnières furent
coulées bas , une frégate fut démâtée et prit le
large.
Le 11 , l'ennemi commençant à manquer de
vivres , se faufila dans quelques maisons du
238 MERCURE
village qui touche le fort ; le général Lannes
y étant accouru , fut blessé à la jambe . Le général
Menou le remplaça dans le commandement
du siége. Le 12 , le général Davoust était
de tranchée , il s'empara de toutes les maisons
où était logé l'ennemi , et le jeta dans le fort ,
après lui avoir tué beaucoup de monde . La 22° .
d'infanterie légère' , et le chef de brigade Magne,
qui a été légèrement blessé , se sont parfaitement
conduits .
Le 15 , le général Robin était de tranchée ;
nos batteries étaient sur la contrescarpe , nos
mortiers faisaient un feu très - vif, le château
n'était plus qu'un monceau de pierres . L'ennemi
n'avait point de communication avec l'escadre ,
il mourait de soif et de fain , il prit le parti ,
non de capituler , ces gens-ci n'entendant pas
cela , mais de jeter ses armes et de venir en foule
embrasser les genoux du vainqueur. Le fils du
pacha , son kiaya et 2000 hommes ont été faits
prisonniers. On a trouvé dans le château 300
blessés et 1800 cadavres. Et il y a tel de nos
boulets qui a tué jusqu'à six hommes. Dans les
premières vingt-quatre heures de la sortie de la
garnison turque , il est mort plus de 400 prisonniers
pour avoir trop bu , et mangé avec trop
d'avidité .
Ainsi cette affaire d'Aboukir coûte à la Porte
18,000 hommes , et une grande quantité de
canons .
Pendant les quinze jours qu'a duré cette
expédition , j'ai été très- satisfait de l'esprit
des habitans d'Egypte. Personne n'a remué
et tout le monde a continué de vivre comme
à l'ordinaire .
Les officiers du génie , Bertrand et Liedot
DE FRANCE. 239
et le commandant de l'artillerie Faultrier , se
-sont comportés avec la plus grande distinction .
Salut et respect ,
Signé , BUONAParte.
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
PARIS.
Le général Buonaparte est arrivé le 17 de
ce mois à Fréjus , accompagné des généraux
Berthier , Lasne , Marmont , Murat et Andréosy
, et des citoyens Monge et Bertholet .
Il a laissé l'armée d'Egypte dans la position la
plus satisfaisante . C'est sous pavillon turc qu'il
elt arrivé sur nos côtes.
DIRECTOIRE EXÉCUTIF .
Message aux Conseils des cinq - cents et des
anciens , du 21 vendémiaire an 8.
Citoyens Représentans ,
Le Directoire exécutif vient d'apprendre , par
une dépêche du général Brune , que les pertes
des anglo-russes , dans l'affaire de Kastrikum ,
surpassent les premiers calculs qui avaient été
faits , et qu'elles n'ont pas été moins considé
rables qu'à la bataille de Be ghen . Elles sont surtout
sensibles à l'ennemi par la quantité de ses
officiers mis hors de combat.
Les suites de cette victoire sont telles , que le
16 de ce mois , l'ennemi battait en retraite,
240 MERCURE
肇
L'armée des Républicains les poursuivit , et
quoiqu'il eût sur elle trois heures d'avance , elle
lui blessa 600 hommes , et fit un pareil nombre
de prisonniers . La fuite de l'ennemi était tellement
précipitée , qu'il laissa derrière lui une
partie de ses bagages ; ainsi que des magasins
de munitions de guerre et de bouche , et d'effets
d'habillement ; il fut même obligé d'abandonner
un grand nombre de femmes et d'enfans débarqués
avec les Anglais , qui probablement se
regardaient déjà comme maitres de la Hollande.
Enfin , l'armée ennemie n'arrêta la poursuite des
Républicains , qu'en se couvrant d'une inondation.
Les Anglais , qui comptent plus sur la corruption
que sur leur courage , avaient envoyé le
général-major Douen , comme parlementaire ,
vers la divisiou du général Daendels . Sous ce
caractère respectable , Douen était secrètement
chargé de chercher à ébranler la fidélité des
Bataves. Le général Daendels le fit arrêter. Une
instruction du duc d'Yorck et une proclamation
du prince d'Orange , trouvées sur cet officier
découvrirent la perfidie dont il était l'agent.
Le Directoire vous annonce encore avec plaisir,
citoyens représentans , qu'il a aussi reçu des
nouvelles de l'armée d'Egypte. Le général Berthier
, débarqué le 17 de ce mois à Fréjus , avec
le général Buonaparte , les généraux , Lasne ,
Marmont , Murat et Andréosy , et les citoyens
Monge et Bertholet , mande qu'ils ont laissé
l'armée française dans la position la plus satisfaisante.
Signé GOHIER , président.
LAGARDE , secrétaire -général.
CAILLEAU , Éditeur-Propriétaire.
Qualité de la reconnaissance optique de caractères