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1796, 11-12, 1797, 01, t. 26, n. 7-12 (30 novembre, 10, 20, 30 décembre, 9, 19 janvier)
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20.20 Mo
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MERCURE
FRANÇAIS,
HISTORIQUE , POLITIQUE
ET LITTÉRAIRE
( No. 7 )
Décadi 10 Frimaire , l'ans .
Ce journal , composé de quarre feuilles in-8° .7
et quelquefois de cinq , paraît tous les
DÉCADIS. Il contient deux parties ; l'ures
consacrée aux SCIENCES , aux LETTRES et
aux ARTS ; l'autre à la POLITIQUE EXTÉ
RIEURE , aux séances du CORPS LÉGIS
LATIF , aux NOUVELLES de Paris er des
départemens , ainsi que des ARMÉES de la
République.
Le prix de l'abonnement de ce Journal est
en numéraire de g liv. pour trois mois , de
liv, pour six mois et de 30 liv. pour un an.
CALENDRIE
RÉPUBLICAIN.
FRIMAIRE.
La Lune du mois a 30 jours. Du premier au 3e les jours
décroiffent matin & foir d'une heure 37 min.
Ere
Ere Républicaine.
J.PHASES Teme more
Valgaire de de la
de de la midi vra
L.LUNE. H. M. S
primedi ire Décade : 21 June 11 20
2 duodi ..
3 tridi ...
4 quartidi ..
22 mardi
23 merc. 352
24 jeudi . 5 quincidi
.
6 fextidi
7 feptidit
25 vend.
D.Q.02
22
26 fame. 6
8 octidi ..
9 nonidi
.
10 Decadi..
28lundi .
27 Dim. 7h. 13 m,
29 mardi 7
¡du mat.
34
30 merc. 10
11 primedi ile Décade . jeudi . 11
N. L
12 duodi ..
13 tridi...
14 quartidi
.
43
2 vend. 12 le 2700 25
3 Sam. 13 h . 3 m.l
7
1 quintidi.
16 fextidi ..
17 feptidi
18 uctidi .
12
1 nonidi..
20 Decadi...
4 Dim. 14
6 mardi 16 P. Q.11 59 11
7merc . 17 le 17 à
8jeudi.18h
. 13 m. 11 58 32
31
vend. 19 du foir. 11 58 13
10 fame . 20
11.57 53
P. L.
Slunai. Is
11 59 49
11.59 /30
58 52
21 primedi Ille Décad . 11 Dim. 21
22 duodi ..
23 tridi
24 quartidi .
25 quintidi
26 fextidi.
27 fepridi.
28 odidi ..
29 nonidi..
of
Decadi ,
le 24à o
33
II 57
h. 46 m.
56 35 11 56 52
du ma
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12 undi. 22
|13|mardi |23|
14merc . 24
Isljeudi. [25
16 vend. 26
17 fame. 27
18 Dim . 28 le 30.
19:landi . [25
20 mardi.zel
D.
11 55.55
Q1 SS 44
Or SS 24
1544
$4.29
Ger. 135
MERCURE
FRANÇAIS ,
HISTORIQUE , POLITIQUE
ET LITTÉRAIRE ;
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES ,
Du décadi 10 Frimaire , an cinquieme
de la République Française.
(Mercredi 30 Novembre 1796,vieux style. )
TOME XXVI
MONADENSIS)
A
PARIS ,
Au bureau du Mercure , rue des Poitevins ,
n° . 18.
TABLE des Matieres Littéraires du Tome XXV.
OEUVRES mêlées d'Ed . Gibbon , publiées par lord Sheffield ,
son parent....
Extrait du Journal de Gottingue , annonces relatives
aux sciences ...
.... Page
3.
13.
14-93-284-366 .
Suite des réflexions sur Lycurgue et le gouvernemeut
de Sparte .....
Sixieme lettre sur l'origine des Cultes , du cit. Dupuis .... 31 .
Compte rendu aux deux Conseils , par l'Institut
rational.
Sur la derniere révolution de Pologne .....
Description géograph. , histor. et polit. de Maroc
45 .
81.
109.
113 .
119.
145 .
150.
153.
et de Fez , par G. Hoest , consul danois ....
Lettre au Rédacteur sur l'instruction publique ...
Lettre du prince Henri de Prusse à l'Institut nation .
De Salomon Gesner , par J. J. Hottinger .....
Observations introchirurgigiques , par J. Covillard .
La prononciation française déterminée par des
signes invariables , etc. par V. Domergue ......
Séance publique de l'Institut national , du 15 vendémiaire..
160-166-223—228–235 .
Discours en vers contre le célibat , par Ducis ....
Lettres contenant une esquisse des scenes qui ont eu
lieu en France , dans divers départeinens , sous la
tyrannie de Robespierre , par H. M. Williams ...
Rentrée des écoles centrales de Paris.....
Du cannibalisme , morceau trad . de l'anglais ..
Couplets à la citoyenne Lef...
...
Transactions philosophiques de la société royale
174.
209.
238.
242.
248.
de Londres , année 1795 .. 273,
Remarques sur une maladie des arbres , etc. par le
cit. Vauquelin ....
281 .
Hermès, ou Recherches philosophiques sur la grammeire
; trad. de l'anglais de J. Harris .. 299.
Emmanuel , anecdote .
303.
Le Bouclier, hymne amoureux et martial .
Essai sur la fievre maligne , etc. qui a regné dans l'isle
de Boulam , en 1793 et 1794 ; par Chisholm ....
Réflexions sur un ouvrage intitulé : Vues générales sur
l'Italie , Malthe , etc……….
Lettre au Rédacteur surJacques-le-Fataliste,par Diderot
....
312.
337.
$50.
373.
No. 7.
MERCURE FRANÇAIS .
DÉCADI 10 FRIMAIRE , l'an cinquieme de la République.
( Mercredi 30 Novembre 1796 , vieux style . )
LITTERATURE ÉTRANGERE.
Essai sur l'aliment des plantes et sur le renouvellement`du
sol qui les nourrit ; par M. INGENHOUL . A Londres.
L'INFATIGABLE
'INFATIGABLE et savant Ingenhouz dirige mainte
'nant ses recherches vers le perfectionnement du plus
utile de tous les arts. L'ouvrage que nous annonçons
semble destiné à constater et déterminer avec plus
d'exactitude qu'on ne l'a fait encore , les rapports de
la chymie et de l'agriculture ; de ces deux sciences
entre lesquelles on ne soupçonnait pas même autrefois
qu'il pât en exister de réels . Il montre évidem-.
ment combien les spéculations les plus étrangeres en
apparence , aux pratiques usuelles, peuvent čependant
contribuer à les étendre et les améliorer , quand le
génie y vient en faire une heureuse application ; et
il prouve le cas que méritent les clameurs de l'ignorance
et les arrêts magistraux du demi - savoir , quand
ils veulent proscrire tout ce dont on ne voit pas
l'application immédiate . Ne proscrivons rien , si ce
n'est le mauvais esprit et le charlatanisme ; encore
même peut-être vaut- il mieux le plus souvent , les
laisser user eux -mêmes leur empire éphémere ,
nous réservant seulement le droit de les mettre à leur
A &
ན
en
( 4)
place lorsqu'ils nous tombent sous la main . Leurs
attaques ont été beaucoup plus utiles qu'on ne pense
aux progrès de la raison et de la vérité.
Mais revenons à l'écrit d'Ingenhouz .
Puisque les plantes sont privées de la faculté loco.
motive , elles n'ont de contact naturel qu'avec la
terre et l'air c'est donc de ces deux substances
qu'elles doivent tirer leur aliment .
Quant à l'eau , l'auteur la regarde comme un simple
véhicule . Pour le prouver , il observe que certaines
plantes , fixées sur des rocs arides , et dans des climats
où il ne tombe ni pluie , ni rosée , n'en sont
cependant pas moins vigoureuses et pleines de suc.
Ainsi , la végétation paraît se faire sans le secours de
la terre et de l'eau : Ingenhouz en conclut que l'air
constitue l'aliment des plantes ; et cette conclusion
lui semble d'autant plus certaine , que le défaut d'air
les fait périr très -promptement dans la machine du
vide.
Ces observations et ces résultats ne sont pas entierement
neufs . Fabroni , Corniani , Lavoisier et tous
les chymistes de son école , ont établi des principes
analogues, Mais Ingenhouz paraît aller plus loin
qu'eux en assurant que la vie végétale est entierement
indépendante du regne animal ( 1 ) .
Le germe , dit- il , est toujours entouré d'une pulpe
dont la décomposition produit l'acide carbonique :
la premiere opération de la plante qui se développe
(1) C'est-à-dire qu'il ne regarde pas la décomposition des
matieres animales , ou les altérations que la présence des animaux
produit dans l'air , comme nécessaire à la végétation .
( 5 )
est de décomposer l'air ambiant , de changer
la partie d'oxygene en acide carbonique ; et peutêtre
absorbe - t - elle l'oxygene dans l'obscurité ,
et le carbone durant l'action de la lumière solaire :
cette derniere circonstance dégage l'oxygene de la
plante , et y fixe le carbone comme aliment. Les chy
mistes français avaient assuré déja que le carbone
constitue la principale nourriture des végétaux , et
Kirwan avait dit que l'air fixe est décomposé par la
végétation .
Tous les fumiers et tous les terreaux , poursuit
Ingenhouz , produisent une grande quantité d'air fixe ,
que les plantes absorbent pour retenir le carbone .
Les racines des plantes en absorbant l'humidité
pompent tout celui qui s'y trouve en dissolution
mais l'auteur pense , comme Fabroni , que leur nu.
trition s'accomplit principalement par l'absorbtion
que les feuilles operent.
Selon lui , la digestion des plantes s'effectue en
une demi-heure , puisqu'au bout de ce tems elles rejettent
dans un état d'altération considérable , l'air
qu'elles ont absorbé. Pendant la nuit , elles changent
en air fixe une plus grande dose d'air respirable
qu'elles n'en peuvent digérer ; elles le rejettent en
partie : et durant le jour elles absorbent avec l'air de
l'atmosphere , une si grande quantité de calorique
et de lumiere , que ne pouvant pas encore les digérer
, elles les rejettent également , mais combiné avec
l'oxygene , lequel prend ainsi le caractere de gaz ct.
constitue l'air vital.
L'auteur revient à sa conclusion , que le véritable
et principal aliment dès plantes est l'air respirable
A 3
( 6 )
décomposé ; c'est- à- dire , selon lui , l'air fixe et l'azote
dont les principes constituent dans les végétaux les
huiles et les sucs aqueux de tout genre . Mais en convenant
que l'azote , ou l'air nitrigene , ou oxygene ( 1 ),
comme on voudra l'appeller , entre dans le végétal ,'
il ne le croit pas absolument indispensable pour sa
nutrition,
L'utilité des fumiers est de fournir , en se putréfiant
, les principes gazeux nutritifs aux végétaux ; et
l'auteur assure que toute terre quelconque est sans
sesse occupée à attirer l'air fixe de l'atmosphere ,
pour le fournir ensuite aux plantes qui se développent
dans son sein.
On ne s'attendrait peut-être pas que les considérations
précédentes conduisissent Ingenhouz à conseiller
d'engraisser les terres avec de l'acide vitrios
lique , étendu dans l'eau et mêlé avec du sable : c'est
pourtant ce qu'il fait avec beaucoup de confiance .
Il serait assez curieux de voir l'effervescence, et le
bouillonnement excités par ce nouveau genre de
fumier sur une vaste plaine . Sa vapeur , c'est-à- dire
l'acide carbonique ou l'air fixe dégagé tout-à- coup de
la partie crayeuse ou calcaire du sol , tuerait assurément
tous les insectes , même les insectes volans ; mais
il ne laisserait pas de mettre en danger les animaux domestiques
et l'agriculteur lui-même . Ce qu'il y a de
plus clair, c'est que cette partie calcaire du terrein serait
convertie en gypse : or , l'on sait que le gypse est
an excellent engrais , sur-tout pour les terreins argil .
( 1 ) Ingenhouz ne se sert point ici de la langue , et ne paraît
pas adopter les principes des chymistes français.
2
( 7 )
leux : Pline l'avait déja noté de son tems ; et de nos
jours , l'usage en est commun dans différens pays,
Au reste , si la fertilisation du terrein par l'acide
vitriolique, est réelle , et si elle dépend du gypse qu'il
produit , on voit facilement qu'il serait beaucoup
plus économique et plus utile d'employer ce dernier
de préférence , dans la pratique de l'agriculture . Mais
malgré la juste autorité du nom d'Ingenhouz , nous
pensons qu'il ne faut pas entierement compter sur
des méthodes _qui n'ont pour fondement que de
simples vues théoriques . Ces vues peuvent indiquer
des essais mais il faut des expériences réitérées , il
faut même des expériences faites en grand et dans
différens pays , pour pouvoir adopter , avec quelque
confiance , de nouveaux moyens dans un art dont tant
de circonstances peuvent modifier les produits.
La place d'Ingenho uz est marquée parmi les premiers
physiciens de l'Europe . Nous ne dirons qu'un
mot de l'ouvrage que nous annonçons : c'est qu'il
ajoute encore à la gloire de l'auteur,
POLITIQUE RAISONNÉE.
Fin des Réflexions sur un ouvrage intitulé : Vues générales
sur l'Italie , Malte , etc., etc.
D'ABORD , 'ABORD, sous le rapport militaire , il est incontestable
que , quoique l'on finisse toujours par passer
une riviere quand on l'entreprend avec des forces
considérables , cependant c'est un obstacle qui n'est
pas à dédaigner ; et enfin , le Rhin est un fossé diffi
cile à franchir ; sur-tout , si , comme il le faut , on
A 4
( 8 )
1
débarrasse sa rive droite de toute forteresse , capable
de servir de point d'appui à l'ennemi . Secondement ;
comme l'a fort bien montré l'auteur des vues générales
, sa rive gauche est susceptible d'être très - bien
défendue par un petit nombre de places fortes ; de
plus , on peut aisement faire en arriere une seconde
ligne de défense très- bonne ; et son cours ainsi gardé
présente depuis Landau jusqu'à Cleves un front moins
étendu , et tout aussi respectable que notre ancienne
frontiere de Landau à Dunkerque qui avait un ou
deux points très - faibles . Enfin , en supposant que ces
nouvelles barrieres ne fussent pas inexpugnables ,
on ne peut nier que même après qu'elles seraient forcées
, l'ancienne France ne serait pas encore entamée ,
et retrouverait ses moyens de défense actuels . C'est
donc un grand surcroît de sûreté pour elle ; et tout le
tems employé par l'ennemi à surmonter ces nouveaux
obstacles est autant de gagné . Ce tems même ,
en supposant de grands revers , ne peut être moindre
qu'une campagne. Or , quand on voit que quinze ou
vingt jours de retard ont sauvé la Hollande en 1798 ,
que quelques semaines de résistance de la part de
Mantoue rendent encore problématiqué le sort de
l'Italie , et que l'on se rappelle mille autres exemples
pareils dans l'histoire , qui oserait évaluer l'énorme
avantage qu'il y a à pouvoir faire impunément une
campagne malheureuse dans l'état actuel des relations
politiques de l'Europe ?
Sous le rapport économique, il n'est pas bien difficile
de prouver que l'acquisition d'une population nombreuse
et industrieuse , et d'un pays très- fertile et très ,
abondant en matieres premieres de tout genre , est un
( و )
1
1
accroissement de puissance intéressant. Il n'est plus
nécessaire aujourd'hui de repousser l'objection usće ,
tirée de l'inconvénient d'une république trop étendue.
On sait de reste maintenant que le gouvernement
représentatif établi sur de bonnes bâses , est de tous
le plus capable de régir une grande étendue de
pays. Benjamin Constant et l'auteur allemand d'un
vuvrage intitulé de l'État politique et économique de la
France sous sa constitution de l'an III , ont mis cette
vérité hors de tout doute. On peut encore ajouter
que cette augmentation de bâse imposable rous est
nécessaire pour rétablir le niveau entre nos recettes
et nos dépenses annuelles , et que nous avons besoin
de cette masse considérable de biens nationaux pour
achever de payer les énormes dépenses de la guerre
et pour fournir aux récompenses de ceux des défenseurs
de la patrie qui n'ont de fortune que la reconnaissance
publique , et dont le licenciement devien
drait aussi dangereux que barbare sans cette ressource.
·
Sous le rapport commercial , il suffit de jetter un
coup d'oeil sur une carte , pour voir que toutes les
rivieres du nord de la France sont pour ainsi dire
obstruées tant que nous ne possédons pas les pays
qu'elles arrosent en coulant du sud au nord , jusqu'à
l'arrivée de leurs eaux dans la mer. Elles ressemblent
à des veines et des arterres tronqués qui ne peuvent
plus remplir leurs fonctions dans le systême de la
circulation . Toutes les grandes communications de
la navigation intérieure de la France actuelle , aboutissent
inévitablement à cette espece de cul- de-sac.
Ce n'est que lorsqu'il sera débouché , que l'on
( 10 )
pourra les établir suivant le plan vaste et sage , que
leur trace la nature elle -même . Il est impossible de
calculer le prodigieux accroissement qu'éprouveront
et les peuples de l'ancienne France , et ceux des
pays qu'on propose d'y réunir , quand le superflu des
productions naturelles et des ouvrages d'art qui
nous sont propres pourra s'écouler librement chez
eux par une pente si douce , et que les produits de
leur industrie et leurs matieres premieres indigenes
ou importées ,si nécessaires à nos fabriques , pourront
nous revenir avec la même facilité . On peut assurer
que se sera un bien notable pour l'humanité toute
entiere , que la correspondance de Marseille et
d'Amsterdam , et la communication rapide de la
Méditerranée avec la mer du Nord , par une navigation
douce et sûre à travers un pays immense , qui
sera en même tems le plus beau marché de l'univers .
Quant aux considérations politiques , il en est de
plus d'un genre qui toutes nous conduisent au même
résultat. Mais comme elles sont fort multipliées , il
faut les examiner séparément .
Premierement il faut se r: ppeller que si nous avons
besoin de nous donner toute l'étendue de puissance
que nous assigne la nature , il ne nous est pas moins
nécessaire de nous couvrir d'une barriere de corps
politiques sur les dispositions desquels nous puissions
compter ou du moins que nous n'ayons pas à redouter.
La république batave est la gauche de cette ligne dont
la république italique doit appuyer la droite. Cette
république batave est comme nous en butte à tous les
princes de l'Europe , par la nature du gouvernement
qu'elle s'est donné , et les principes qu'elle a adoptés .
1
( 11 )
Elle n'a par elle-même qu'une force médiocre et insuf-!
fisante à ca sûreté. Ainsi , il faut que nous puissions la
soutenir et lui donner la main en toute occasion . Il faut
que rien ne nous sépare d'elle . Il faut que nos frontieres
s'étendent jusqu'aux siennes , et par conséquent
que nous englobions tous les pays qui nous séparent .
Les adversaires de cette opinion disent souvent ,
comme une forte objection à ce projet , que les
habitans des pays dont il s'agit n'ont ni la même:
langue , ni les mêmes habitudes , que plusieurs sont
encore très -peu préparés au régime de la liberté , et
que par conséquent ils seront embarrassans pour
notre nouvelle république , et en compliqueront les
rouages dans les premiers momens. Je ne nie pas
que cette assertion a malheureusement quelque chose.
de vrai. Mais je maintiens que bien loin d'être une
objection , c'est justement ce qui démontre que le
parti que je propose n'est pas seulement utile , mais
est d'une nécessité absolue . En effet , si tous ces
peuples étaient liés entr'eux par les mêmes lois , les
mêmes moeurs , les mêmes usages , et sur-tout par le
desir et le besoin de la liberté , nous n'aurions certes.
rien de mieux à faire que d'unir par un lien fédéral
tous les pays qui existent entre le Rhin et la mer ,
la Hollande et la France , et les laisser prospérer à.
côté de nous à l'ombre de la liberté et de la philanthropie.
Cette république , mue par des principes libéraux
et raisonnables , laisserait à nos relations commerciales
la même étendue que si son territoire nous
appartenait. Dévouée comme nous et par les mêmes
causes à la haine des gouvernemens à préjugés , elle
serait indissoluble d'avec nous , elle nous unirait à
J
( 12 )
la Hollande au lieu de nous en séparer : et tranquille
sur nos intérêts commerciaux , et sur celui plus important
encore d'avoir une barriere assurée et pacifique,
je n'insisterais pas sur les avantages militaires
et économiques que je trouvé à posséder ce pays
en propre , et ne proposerais jamais de nous en
emparer. Mais c'est justement parce que ces peuples
livrés à eux-mêmes ne parviendraient pas à s'organi
ser; et après s'être déchirés , ne manqueraient pas de
retourner à leurs anciens souverains , c'est à- dire de
se jetter dans les bras de nos ennemis , c'est , dis-je ,
par ces raisons qu'il n'y a pas à balancer à nous les
incorporer. Et s'il se trouve des difficultés à les amálgamer
complettement avec nous , elles prouvent
seulement , comme nous l'avons déja dit , que c'est
une grande entreprise que d'établir quelque part un
ordre social raisonnable , au milieu de la déraison
universelle. Mais quand cette entreprise est entamée ,
il faut la mener complettement à fin , ou se résoudre
à la voir échouer en totalité . Au reste , c'est à notre
gouvernement à lever petit à petit ces obstacles par
une conduite sage et ferme . Dans le fait on est à la
longue très-sûr de se concilier l'affection des peuples
en les rendant heureux ; et le talent de l'administra
tion en fournit beaucoup de moyens .
Une seconde considération politique qui milite en
faveur du parti que je propose , est que son adoption
opere la destruction de cinq ou six souverainetés
ecclésiastiques : et quiconque a approfondi l'influence
des institutions politiques sur les idées des hommes,
trouvera sans doute que ce n'est pas un avantage
dédaigner dans la guerre de la raison contre les préjugés.
( 13 )
"
Enfin , le troisieme avantage politique que je trouve
àl'extension de notre frontiere jusqu'au Rhin , est que
cette mesure porte une atteinte si profonde à l'exis
tence de la corporation germanique , qu'elle ne saurait
plus subsister après ce démembrement . En effet,
après la suppression instantanée de trois électorats ,
il n'y a plus , à proprement parler , de constitution
germanique ; et ce n'est pas dans ce siecle- ci que
l'on reconstruit un pareil édifice sur un plan si gothique
. Je ne répéterai pas ici ce que j'ai dit ailleurs
du saint- empire romain , et les raisons par lesquelles
je crois avoir prouvé que sa dissolution nous est nécessaire
, et que les constitutions germanique et frate
çaise sont comme la statue du Dagon des Philistins
et l'arche des Juifs , qui ne pouvaient pas demeurer
debout à côté l'une de l'autre. Je me bornerai à répondre
à ceux qui me regrettent pas ce saint- empire
par préjugés , mais comme une masse molle , inter
posée entre les grandes puissances du continent , et
propre , par son peu de ressort , à amortir les coups
qu'elles se porteraient , et à adoucir les frottemens
qu'elles éprouveraient si elles se touchaient . Je ne
lui conteste pas une partie de ces avantages. Ils
résultent de ce que le corps germanique , quelque
absurde que soit sa composition , est cependant un
corps fédératif; et cela seul prouve combien ce gous
vernement est excellent pour procurer la tranquillité
des peuples , et qu'il serait sans comparaison préférable
à tout autre , s'il n'existait plus de ces puis
sances formidables et inquiettes , qui font à leurs
voisins une nécessité aussi pressante d'être forts que
d'être heureux. Aussi desirerais - je bien que toute
( 14)
notre frontiere pût être bordée d'Etats fédérés ,
comme les républiques italique , helvétique et batave.
Mais , comme enfin de toutes les fédérations ' , la fédération
germanique est la plus mauvaise , qu'efle
est notre ennemie née , qu'elle est presque subjuguée
de fait par les grandes puissances , et que son
existence empêche la possibilité de l'établissement
de meilleures corporations , je concluds toujours
que sa dissolution est indispensable ; et je pense
que ce qu'elle peut avoir d'utile pour nous sera
avantageusement remplacé par l'existence de quelques
souverainetés indépendantes et détachées , d'une
force suffisante pour se faire respecter, et trop bornée
pour se faire craindre .
Je pense , par ces réflexions , avoir prouvé que ,
sous les rapports militaires , économiques , commerciaux
et politiques , il est utile d'étendre notre frontiere
jusqu'au Rhin .
Je dis que cela est juste . En effet , de tous les
princes qui se trouveront dépossédés par cette réunion
, il n'y en a pas un qui ne se soit déclaré notre
ennemi sans provocation , qui n'ait pris part , suivant
ses forces , à la croisade universelle ; et cette guerre
dans laquelle ils se sont précipités de gaîté de coeur ,
n'était point comme les guerres ordinaires de l'Europe
, qui ressemblent à ces jeux d'esprit qu'on se
permet dans la société , et où il est convenu de net
pas outrepasser certaines limites . C'était une guerre
d'extermination et d'asservissement , et où tous les
moyens de désolation ont été prodigués. Ils ont
donc eux-mêmes prescrit les conditions , et c'est à
eux à subir le sort des armes . On pourrait dire , en
( 15 )
•
outre , que celui qui perd le plus de pays par ces
réunions , l'ancien souverain des provinces belgiques,
s'est plus qu'indemnisé d'avance par les énormes
acquisitions qu'il a faites aux dépens de la Pologne,
Mais nous reviendrons sur cet article , en prouvant
que le parti proposé n'est pas moins sage que juste
et utile.
La principale raison qu'on apporte ordinairement
pour prouver que l'entreprise d'étendre nos frontieres
jusqu'au Rhin est téméraire et imprudente ,
c'est de dire qu'une pareille préténtion annonce une
ambition qui doit effrayer toutes les puissances de
l'Europe , et qu'elles ne sauraient consentir à nous
accorder un tel accroissement de territoire. Il est
assez singulier qu'une telle objection soit faite sou
vent par les mêmes personnes qui soutiennent que
cet accroissement ne nous apporte aucune augmentation
de force réelle , et n'est propre , au contraire ,
qu'à perpétuer parmi nous les troubles et les discordes
intestines . Car s'il était vrai que cet avantage
fât si illusoire , il ne devrait guere exciter la jalousie
de nos rivaux . Le vrai est que notre prospérité en
sera singulierement augmentée et consolidée . Je l'ai
prouvé ci-dessus , et même avec plus de détail que
je n'aurais fait , si une vérité aussi évidente n'avait
pas été contestée . Mais je soutiens en même-tems
que le desir de cette acquisition ne porte aucun
caractere de l'esprit d'envahissement qui pourrait
alarmer nos voisins , et que tous les soupçons qu'on
pourrait affecter à cet égard ne sont que des inquiétudes
simulées . Il est évident aux moins clair- voyans,
pour peu qu'ils nous observent , que la tendance de
1
1
( 16 )
+
toutes nos institutions nouvelles est vers la paix , le
bonheur intérieur et la philantropie universelle , et
que le gouvernement que nous nous sommes donné
de choix et avec réflexion , est très - peu propre à
l'exécution des projets de conquête . De plus , qu'on
examine notre conduite . Nous avons fait trembler
l'Espagne nous n'avons pas exigé d'elle la cession
d'un pouce de terrein , parce que de ce côté la nature
elle -même avait posé nos limites. Le roi de
Sardaigne s'est rendu à nous à discrétion : nous n'avons
point cherché à envahir ses Etats , ni pour les
garder, ni pour en faire par la suite des objets de
compensation . Nous ne lui avons enlevé précisément
que ce que la nature nous destinait encore de tous
les tems , comme nous l'avions demandé dès le commencement
de la guerre . Il en est de même du côté
de l'Allemagne. Dana nos plus grands revers , nous
avons dit , le Rhin doit être notre barrière . Dans nos
plus grands succès , nous n'en avons pas prétendu
davantage ; et nos armées fussent- elles aux portes de
Vienne ou repoussées sous les murs de Lille , nous
ne changerions pas de langage . Certes , ce n'est pas
là la marche d'un peuple avide de conquêtes , mais
bien celle d'une nation sage qui sait , comme l'a
observé avec raison l'auteur des Fues générales , » que
les mauvaises distributions géographiques sont des.
sources éternelles de guerre , et qui veut les tarir pour
toujours , en se donnant une bonne fois ses limites.
naturelles de tous côtés . Personne , je le répete , ne
peut s'y tromper. Nos voisins , au contraire , devraient
être beaucoup plus inquiets de nos dispositions , s'ils
nous voyaient varier suivant les occasions , faire tantôt
( 17 )
tôt une demande , tantôt une autre , dans la seule
vue d'extorquer ce que nous pourrions obtenir , et
de nous ménager des prétextes de réclamations ultérieures
, d'après les circonstances , comme l'ont toujours
fait les diplomates européens . C'est là vraiment
le cachet de la rapacité ; mais ce n'est point le nôtre .
Au contraire , que demandons - nous à l'empereur ?
Les Pays - Bas et le Milanais , deux Etats qui ne lui
étaient qu'à charge , sur lesquels Joseph II comptait
si peu, qu'il en avait fait démanteler toutes les places ,
qui étaient pour leur souverain une occasion perpétuelle
d'inquiétude et de guerres ruineuses , et qui
ne lui procuraient d'autre avantage que de troubler
à son gré tantôt le nord tantôt le midi de l'Europe .
Serait- ce donc cette jouissance qu'il regretterait tant
de perdre ? Que de raisons de plus nous aurions de
la lui enlever ! Enfin , peut - il se plaindre de payer
d'un tel sacrifice notre consentement à l'accroissement
énorme de puissance réelle que lui apporte le
partage de la Pologne ? Car , s'il envoie ses armées
chez nous pour nous empêcher d'être libres et paisibles
, n'aurions -nous pas plus de droit et d'intérêt à
envoyer les nôtres chez lni , pour l'empêcher d'être
conquérant et oppresseur ? On voit que je ne fais pas
entrer en ligne de compte les justes indemnités que
nous pourrions prétendre pour l'horrible guerre.
qu'on nous a faite . Non , si les pays en question ne
nous étaient pas nécessaires , je ne voudrais pas que
nous prissions un pouce de terrein . Et si nous en
possédions au- delà de nos barrieres naturelles , je
serais d'avis que nous le rendions , comme nous
faisons en Italie et en Hollande . Cependant il est
Tome XXVI. B
( 18 )
:
sage aussi que nous augmentions nos forces , quand
les trois plus redoutables puissances de l'Europe
viennent d'accroître si prodigieusement les leurs.
Les puissances du second rang qui nous séparent
d'elles n'en sauraient prendre d'ombrage . Elles doivent
même se réjouir de nous voir en état d'être
leur appui ; car certes , ce sont bien la Russie , la
Prusse et l'Autriche qui ont manifesté l'esprit d'envahissement
de la maniere la moins équivoque , et
qui sont organisées favorablement pour suivre cette
impulsion. Quant aux petits princes victimes de cet
arrangement , ils doivent sans doute être très -mécontens
mais il est possible d'en dédommager quelques
- uns. Les autres étant totalement dépossédés ,
leur haine est impuissante , et personne ne s'intéresse
à leur querelle . Il en est même tel dont la chûte sera
agréable à toute l'Europe , le pape par exemple . Je
pose en fait qu'il n'y a pas un gouvernement catholique
qui , fatigué de ses prétentions , et incommodė
de son influence sourde , ne se réjouisse secrettement
de le voir effacé de la liste des souverains, Le plan
proposé n'allume donc contre nous aucune haine
redoutable , n'excite aucune véritable inquiétude ;
ainsi je n'y vois que sagesse et prudence . Je dis encore
qu'il n'éloigne pas d'un instant le retour de la
paix . Car les paix sent comme les constitutions : il
ne suffit pas qu'elles existent sur le papier. Nous
avons gémi sous le plus execrable despotisme avec
une constitution rédigée et jurée . Ce n'est donc pas
d'une paix signée dont nous avons besoin , mais d'une
paix existante en réalité , et pour ainsi dire enracinée .
Or je dis que , vu l'opposition de principes des gou(
ig )
vernemens actuels de l'Europe avec le nôtre , une
telle paix aura lieu non pas le jour où tous les souverains
l'auront jurée en conservant tous les moyens
de nous nuire , mais celui où ils se seront résolus à .
nous souffrir dans une position telle qu'ils n'auront
rien à craindre de nous , ni nous d'eux . Et j'ajoute
que , tant qu'ils se refusent à un tel arrangement ,
c'est une preuve que les passions qui ont causé la
guerre ne sont pas encore éteintes , et que si la
paix était signée , elle ne serait que simulée et pass
sagere .
saires ;
Maintenant il s'agit d'examiner les moyens de
parvenir au but que nous nous proposons . Il n'est
pas douteux qu'il ne faille prendre Mantoue , détrôner
le pape , organiser la république italique , n'entrer
dans aucune négociation avec l'Empire , ni avec
aucun des princes dont les Etats nous sont nécesmais
, autant que nous le pourrons , conclure.
avec les princes les plus puissans de l'Allemagne
des traités particuliers , comme nous en avons déja
avec le landgrave de Hesse et le duc de Wirtemberg
, et même leur faire , aux dépens des petits
princes , de la noblesse immédiate et des prêtres
souverains de leur voisinage , des avantages qui nous
les attachent , et qui enfin les amenent à nous aider
à leur assurer ces cessions . Quant aux opérations
militaires , nous devons nous borner en Italie à bien
garder les gorges du Tirol , et ne faire du côté de
l'Allemagne que les efforts nécessaires pour prendre
et raser les forteresses de la rive droite du Rhin ,
déterminer à la paix ceux de nos voisins qui seraient
encore indécis , et empêcher les Aut i hiens de por-
B 2
( 20 )
ter sur l'Italie des forces capables de troubler nos
alliés naissans . Mais , dit - on , un tel plan excede
nos moyens , et nous sommes absolument hors d'état
de faire encore une campagne . Nous n'avons ni
hommes ni argent . Je suis loin de nier notre détresse
actuelle . Cependant je vois beaucoup d'exagération
dans cette assertion ; et cette maniere outrée de
décrire nos embarras que l'on emploie si souvent ,
est beaucoup plus faite pour les augmenter que pour
les représenter fidelement.
D'abord , quant à l'argent , je n'ignore pas l'impuissance
absolue des malheureux rentiers , l'épuisement
des bons citoyens propriétaires de capitaux
et de mobiliers , qui se sont saignés pour secourir
l'Etat , et la surcharge accablante des propriétaires
-fonciers , sur qui porte actuellement tout le faix . Je
ne prétends pas atténuer ces maux , ni même m'en
rapporter absolument aux tableaux consolans de recettes
et de dépenses qui ont été présentés au Corps
législatif. Mais aussi il est certain que nous voilà
presqu'entierement purgés du papier-monnaie qui ,
empoisonnant tous les canaux de la circulation , paralisait
tous nos moyens de vie, et qu'il est maintenant
très - aisé de nous en délivrer tout- à-fait ; ce qui , joint à
l'énorme abondance des matieres premieresindigenes,
releverait promptement la plupart de nos fabriques et
sur- tout les plus nécessaires . Cette abondance des
matieres premieres n'est pas problématique , puisqu'il
est constant qu'au milieu même de nos désastres ,
notre agriculture a fait des progrès immenses , et
que la France n'a jamais eu tant de terres cultivées ,
ni tant de troupeaux qu'en ce moment. C'est un fait
( 21 )
1
1
F qui frappe l'oeil le moins attentif , et dont le penseur,
politique trouve aisément les causes dans les immenses
bienfaits de la premiere révolution , et même
dans quelques conséquences heureuses des fausses
mesures adoptées depuis . Car il n'y a pas un mal ,
quelqu'horrible qu'il soit , qui ne produise quelque
bien. L'aisance très- remarquable de la classe la plus
nombreuse et la moins fortunée de la nation est encore
un produit heureux des mêmes causes , et est un
fait non moins incontestable . L'accroissement énorme
de la consommation du peuple en est une preuve
manifeste et toujours renaissante et si cet accrois
sement est un de nos embarras du moment , il n'en
est pas moins une bonne preuve que nous sommes
loin d'un dépérissement funeste. J'en conclus qu'il
est impossible d'être sans ressources avec une masse,
aussi immense de matiere imposable et hypothéquable.
Nous en trouverions certainement encore
d'énormes dans le retranchement des dépenses inutiles
, dans l'amélioration de l'administration , et surtout
dans une détermination bien prononcée pour
le plan que je propose . Elle hausserait sur-le-champ
la valeur de nos biens nationaux de l'ancienne France
, et plus encore celle des pays réunis , lesquels ne
sauraient manquer d'acquereurs , dès qu'il sera certain
qu'ils ne retourneront pas à leurs anciens maîtres ,
et ne peuvent en trouver dans le cas contraire. J'ajou
terai qu'il y a peu de momens encore que nos armées
vivaient toutes aux dépens des pays étrangers ; que
celle d'Italie est toujours dans cette position , et que
celle d'Allemagne peut la reprendre d'un moment à
l'autre . Enfin je dirai qu'il est impossible que ce soit
1
B 3
( 22 )
faute de moyens pécuniaires , qu'un pays comme la
France échoue dans l'exécution d'un projet qu'elle
aura voulu d'une volonté forte .
A l'égard des hommes , je commencerai par observer
que nous sommes bien loin d'en avoir jamais
envoyé aux armées le nombre effroyable dont on
s'est plu à remplir les journaux , ni même peut-être
celui qui a malheureusement chargé les états de dépense
. De plus , nous ne sommes pas dans le cas des
nations qui s'épuisent régulierement chaque année
pour fournir de nouvelles recrues . Au contraire , nos
victoires ayant diminué graduellement le nombre de
nos ennemis , nous avons vu tous les ans une foule
immense de soldats revenir dans leurs foyers , les
uns par la permission expresse , les autres par la tolérance
tacite de leurs supérieurs. On n'a senti que
très -peu le besoin de les rappeller aux drapeaux .
Ainsi , contre l'usage ordinaire , ce sont les armées
qui ont repeuplé les villes et les campagnes , sans
cesser d'être suffisantes ; et , quoique nous n'ayons
malheureusement que trop perdu de nos braves défenseurs
, il n'en est pas moins vrai qu'il existe actuellement
en France beaucoup plus d'hommes qu'il n'en
restait après la requisition de 1792 et nous avons
de plus toute la nombreuse jeunesse qui s'est élevée
pendant ces quatre ans à l'ombre des lauriers de ses
feres . Aussi la cherté de la main-d'oeuvre tient beaucoup
plus à la plus grande liberté du peuple et à
d'autres causes qu'à la rareté des hommes . Nous pouyons
aujourd'hui compter sur plus de combattans
français qu'il n'en a fallu pour faire trembler 1 Eu-
Hope toute entiere , et nous n'avons plus d'ennemi
( 23 )
digne d'attention sur le continent que le roi de Bohême.
Ce ne seront donc pas les bras qui nous manqueront
pour soutenir nos destinées , si le découragement
et l'insouciance ne se sont pas emparés de
nos têtes . Comparons de sang- froid notre position
passée avec celle où nous sommes . Jettons un regard
sur tout ce que nous avons fait pendant le tems
même de nos plus grands désastres ; et nous jugerons
aisément que qui a pu ne pas désespérer de la
patrie en 1792 , 93 et 94 , ne peut pas même conserver
un doute sur ses moyens de défense actuels et
sa prospérité future.
Mais j'irai plus loin , et je dirai : S'il était vrai ,
comme tant de gens se plaisent à le publier , que
nous sommes dans l'impossibilité de faire une sixieme
campagne , ce ne serait pas encore une raison pour
nous désister de la liberté de l'Italie et de la barriere
du Rhin . Si telle était notre impuissance , elle ne
pourrait être ignorée de l'ennemi . Il ne manque
même pas de Français qui seraient empressés de l'en
instruire . Et dans ce cas il ne nous donnerait assurément
pas la paix , quelques cessions que nous lui
fissions ; ou s'il nous l'accordait , ce serait avec la
certitude que dans un an nous ne pourrions pas
davantage lui résister , et qu'il disposerait de notre
sort à son gré . Il vaudrait donc encore mieux périr
avec honneur que de montrer une faiblesse inutile
qui ne nous sauverait pas.
Enfin , si j'ai prouvé que, vu les dispositions nécessaires
des gouvernemens de l'Europe pour le nôtre ,
nous ne saurions être assurés de ne pas recevoir la
loi de l'étranger , que quand nous aurons le Rhin
B 4
( 24 )
pour frontiere , et la république italique pour avantgarde
; il s'ensuit que plus nous sommes épuisés ,
plus il faut aller promptement et directement à ce
but. Si de plus j'ai prouvé qu'aucun motif solide et
juste ne pouvait porter nos ennemis à nous refuser :
ces conditions , il est clair que s'ils s'y opposent ,
c'est qu'ils n'ont pas renoncé au projet de nous tourmenter
et de nous dominer : et s'ils nous réduisent à
faire encore une campagne , ce ne peut être que par
le desir toujours existant de nous subjuguer. Ainsi ,
dire que nous ne sommes pas en état de leur résister
pendant ce tems , c'est dire , en d'autres termes ,
que nous sommes hors d'état d'empêcher que dans
ce moment , ou dans un autre , la contre- révolution
ne soit opérée de vive force en France par les armes
de l'étranger , ou la guerre civile entretenue éternellement
parmi nous par ses secours , suivant qu'il .
préférera l'un ou l'autre ,
Ce qu'il y a de très - remarquable , c'est qu'un grand
nombre de personnes se permettent la premiere assertion
, tandis qu'aucune n'aurait risqué la seconde
qui lui est équivalente. Tant il est vrai que souvent .
les hommes rejettent sous une forme la même idée .
qu'ils adoptent sous une autre . Cependant il se pourrait
faire que dans quelques-uns de ceux que je '
refute , cette retenue ne fût pas uniquement l'effet .
de la méprise , et que ce ne soit pas sans motifs qu'ils
aient adopté cette version plus douce . Quand on dit
des hommes fatigués de grands efforts et de longues
souffrances vous êtes hors d'état de soutenir la
guerre plus long-tems, ils se le persuadent facilement ;
ils voient la paix quelconque comme un port ; ils s'y
( 25 )
laissent conduire volontiers , sans s'informer s'il est
ou non bien à l'abri des orages : et leur courage s'endort
sur l'oreiller de l'imprévoyance . Mais si on leur
disait vous avez bien combattu , bien souffert
f
et c'est pour cela même
que vous ne pouvez
mettre votre
entreprise
à fin , et assurer
le sort de votre
patrie , il faut y renoncer
; le souvenir
même
de leurs
maux ranimerait
leur ardeur. La violence
du déses- poir leur ferait sentir
leurs forces
, et il suffirait
tout
seul pour faire rejetter
le conseil
, et rendre
nulle la prédiction
. Ce n'est heureusement
pas de ce terrible élan dont nous avons besoin
. Il nous suffit de quelques mois encore
d'un peu de fermeté
. Sans nos derniers
revers
, nous étions
au terme
de nos travaux
. Il était impossible
que l'empereur
ne sentît
pas qu'il ne
pouvait
rentrer
ni en Italie ni en Flandre
, et ne renonçât
pas à ces phantômes
de puissance
qui lui
sont si chers comme
moyens
de nous tourmenter
, et qui , je le répete
, ne peuvent
lui être précieux
que
dans cette vue. Malheureuse
ment la fortune
a un moment
abandonné
nos drapeaux
en Allemagne
.
Mantoue
tient encore
. L'espérance
de notre ennemi
s'est ranimée
. D'ailleurs
, il sait bien que nous
ne lui ôterons
jamais
plus que le Milanais
et la Belgique Il est donc naturel
qu'il attende
pour nous les cédér
que nous en soyons
définitivement
et inébranlablement
les maîtres
. Mais qu'il nous voie pendant
l'hiver
présenter
un front redoutable
sur le Rhin et au Tirol ,
et à l'ombre
, de nos armes
, organiser
la république italique
, et franciser
les pays réunis
, il est plus que
douteux
qu'il nous oblige
encore
au printems
à employer
la force pour maintenir
des choses
faites ,
( 26 )
et qu'il ne pourra pls se flatter de détruire . Avec
du courage guidé par la prudence , il est donc
raisemblable que nous aurons une paix glorieuse
et inaltérable en moins de tems , que la faiblesse ne
nous aurait procuré une trêve courte et pernicieuse .
Telles sont les raisons qui ont déterminé mon opinion .
et que je soumets à tous les Républicains Français
vraiment dignes de ce nom. Jusqu'à Jusqu'à ce qu'on m'en
ait donné de contraires plus convainquantes , je
persiste à croire que le parti que je propose est
atile , sage , juste , et non - seulement possible , mais
le seul possible , à moins de consentir à l'asservissement
ou au déchirement de notre patrie . Je ne défie
personne , mais je pense fermement que la preuve
opposée sera très- difficile à faire ; et je verrai avec
plaisir qu'on l'essaie .
Maintenant je reviens à mon auteur , dont on trouvera
peut être que je me suis trop écarté . Son ouvrage
est composé de deux mémoires distincts et
séparés. L'un sur l'Italie , fait en floréal dernier , est
plein de vues ; mais il me paraît avoir l'inconvénient
de multiplier un peu les difficultés en voulant faire
plus qu'il n'est nécessaire ; par exemple , en faisant .
entrer dans la république italique celles de Gênes et
de Lucques , qui n'y sont peut- être pas disposées ,
et les états du duc de Farme , que le traite , qui:
a été conclu depuis , garantit de cette entreprise , etc.
Le second mémoire est relatif à la fixation de
nos limites du côté du Rhin . Il a été composé dès
le mois fructidor de l'an III ., et a remporté un des
prix proposés sur cette question par un négociant
patriote. Il se trouve , mais incomplet, dans le recueil
( 27 )
་
que le cit, Bohmer a publié de tous les mémoires
sur ce sujet qui ont été couronnés . Il est comme le
précédent , plein d'intérêt , et montre beaucoup de
connaissances et de patriotisme. On ne peut qu'en
recommander la lecture . J'y ai pris beaucoup d'idées ,
ainsi que dans celui du cit . Theremin , qui a remporté
le premier prix . Sur cette question , je me fais
gloire d'être entierement d'accord avec ces deux
patriotes éclairés ; mais j'ai cru qu'il était utile de
rassembler dans un même cadre toutes les parties
de notre politique continentale , parce qu'elles sont
étroitement liées entr'elles et ce rapprochement m'a
fourni de nouvelles vues et de nouveaux moyens de
démontrer la justesse du plan général . Si l'on trouve
que j'ai abusé de la liberté que prennent souvent les
commentateurs de mêler leurs idées à celles de l'au
teur , mon excuse est dans I importance du sujet qui
ne permet d'en négliger aucunes .
les
Je sens qu'ayant entrepris de tracer le tableau d'un
systême général de politique , je devrais , pour le
rendre complet , parler de la conduite à tenir à l'égard
de l'Angleterre . Mais il faudrait auparavant poser
bâses d'un systême commercial et colonial digne de
l'espritpacifique et philanthropique de la République
Française ; et cela demanderait un peu de développement.
Ce sera l'objet d'un autre article : celui-ci
n'est déja que trop long , et je n'ai pourtant pas
encore rendu assez de justice au mérite des ouvrages
qui y ont donné lieu .
A Paris , ce 15 brumaire an Ve.
( 28 )
LITTÉRATURE.
7
Observations du Rédacteur sur la Lettre de Jacques-le-
Fataliste , insérée dans le dernier numéro .
DANS la disette où nous sommes de bons livres
modernes , il est assez extraordinaire de voir l'accueil
peu favorable que l'on a fait à un ouvrage
posthume de Diderot , qui , s'il eût été publié de
son vivant , aurait pduit une sensation bien différente
, et aurait accru la réputation de ce philosophe
justement célebre . Sommes-nous devenus des juges
plus difficiles , ou bien la destinée de Jacques - le-
Fataliste tient- elle à un ensemble de causes étran
geres au mérite de cet ouvrage ? C'est ce qu'il n'est
peut-être pas inutile d'examiner , pour l'intérêt de
la justice et de l'impartialité .
(
D'abord les circonstances qui ont porté l'attention
publique sur cette production de Diderot , qui
n'était connue que d'un très - petit nombre de ses
amis , n'ont pas peu contribué à donner le change
à l'opinion . On sait que l'on est redevable de la
communication de ce manuscrit à un prince étranger
qui l'a offerte à l'institut . Cette offre , ainsi que
le titre du manuscrit , semblaient promettre un ou̟-
vrage d'un genre grave et philosophique , et l'on a
été tout étonné de ne trouver qu'un roman plein
de gaîté et souvent de folie . Rien ne dispose plus à
un sentiment involontaire de mauvaise humeur , que
1
( 29 )
cette méprise de l'espérance ; l'amour - propre trom.
pé , ne fût- ce que dans de simples conjectures , ne
sait point s'accommoder , même d'un dédommagement.
En second lieu , Diderot a appartenu , comme l'on
sait , à une société de philosophes , à laquelle beaucoup
de gens ne peuvent pardonner d'avoir préparé de
loin la révolution , en attaquant, de mille manieres , les
préjugés religieux et politiques . On est convenu de
déclamer aujourd'hui contre les philosophes , en haine
du bien qu'a fait la philosophie ; et ce qu'il y a de
piquant pour un observateur , c'est que cette philosophie
, devenue si coupable pour avoir produit la
liberté , a fait encore plus d'ingrats qu'elle n'a d'ennemis
. Nous sommes persuadés que si la plupart de
ceux qui ont critiqué si légerementJacques-le - Fataliste,
se rendaient compte de bonne-foi des motifs secrets
de leur jugement ; l'un ou l'autre de ceux que nous
venons d'indiquer, y serait entré pour quelque chose.
Nous sommes loin d'appliquer ces réflexions à
l'auteur de la lettre précédente. Ses principes de
philosophie et de liberté qui nous sont bien connus ,
le mettent à l'abri de ce genre de prévention , mai
il nous semble en même- tems qu'il n'a pas rendu à
cette production de Diderot toute la justice qu'elle
nous paraît mériter. L'épisode de madame de la Pommeraye
est sans contredit le plus intésessant et le
plus remarquable de ce roman ; mais ce n'est pas par
ce seul accessoire qu'il est remarquable .
es caracteres , ce roman
Sous le rapport du plan et
semble peu de chose . C'est un valet , moitié plaisant ,
moitié sérieux , qui raconte l'histoire de ses amours
( 30 )
à son maître , espece de grand seigneur , qui ne fait
que regarder l'heure qu'il est à sa montre , et prendre
une prise de tabac dans sa tabatiere ; l'histoire des
amours est sans cesse interrompue par une foule
d'incidens et d'anecdotes qui font oublier au maître
le récit du valet , récit toujours repris et toujours
suspendu , et qui est ainsi conduit jusqu'à la fin du
roman. Mais quelle richesse d'invention dans les
détails ! Quelle souplesse dans la narration ! Quel
art profond dans le désordre même qu'il y jette !
Quelle rapidité et quelle précision dans le dialogue !
Avec quelle habileté il sait animer toutes les scenes
qu'il raconte , et mettre tous ses personnages en
action , au lieu de les faire disserter ! Ce livre est toutà-
la-fois un roman par la diversité des aventures ,
une piece dramatique par le jeu des interlocuteurs .
On voit qu'il n'aurait tenu qu'à Diderot d'être un
des auteurs comiques les plus piquans , s'il eût voulu
se livrer exclusivement au talent qu'il avait pour la
scene .
et
Quoique son Jacques ait un peu la manie superstitieuse
de croire que tout est écrit là - haut , dans les
événemens de la vie , maxime qu'il tient de son capitaine
, l'un des maîtres qu'il avait anciennement
servi , il ne laisse pas que d'avoir beaucoup plus de
philosophie que ne comporte son métier , et tour
en répétant par habitude son adage favori , il le
combat involontairement d'une maniere fort plaisante
. On croirait que Beaumarchais a eu connaissance
du roman de Diderot , quand il a imaginé son
personnage de Figaro . Jacques a absolument le même
caractere , la même gaîté , la même adresse à mener
( 31 )
son maître . le même esprit de critique , excepté qu'il
est beaucoup moins intrigant que dissertateur , et
que sa philosophie , sans cesser d'être fine , est pourtant
celle d'un bonhomme .
Si l'on cherche dans ce roman le but moral , il
faut convenir qu'il n'en présente pas un bien déterminé
. Mais les romans de Voltaire , que l'on a relus
tant de fois , ont- ils plus de moralité ? Diderot a
voulu être gai , et il a su l'être ; mais que d'observations
philosophiques pe.cent au travers de cette
gaité ! On voit qu'il a voulu peindre les moeurs de
son siecle ; est - ce sa faute si ce tableau fait quelquefois
détourner les yeux. Qu'y a - t- il de plus moral
que l'histoire de madame de la Pommeraye ? C'est
la jalousie avec toutes ses combinaisons et tous les
rafinemens de sa vengeance . Mais quelle conduite.
que celle de la jeune fille que madame de la Pommeraye
fait épouser au marquis ! Comme elle sait
racheter les égaremens de sa jeunesse par un beau
caractere de dignité et de repentir ! La fille avilie devient
plus intéressante et plus respectable que la
femme honnête qui s'est vengée si cruellement , et
le marquis trouve en elle une femme plus vertueuse ,
que s'il l'eût choisie dans le monde où vivait madame
de la Pommeraye ?
On trouve à la vérité , dans ce roman , deux ou
trois anecdotes beaucoup trop licencieuses ; mais
n'y a - t-il pas de l'injustice à le mettre au - dessous de
Rabelais et du Moyen de parvenir ? On ne lit plus guere
aujourd'hui ni l'un ni l'autre ; et sûrement ce n'est
pas à cause de leurs obscénités . Mais Jacques - le - Fataliste
se fera lire long-tems , parce qu'il a un autre
( 32 )
mérite que celui de ses tableaux licencieux . On reproche
encore à Diderot d'avoir imité Sterne , et
d'être resté fort inférieur à son original . Sans vouloir
rien dérober au mérite de Sterne , qui a produit parmi
nous tant de froides et mauvaises copies , la maniere
de Diderot est différente. Ces deux auteurs , doués
chacun d'un talent très - original , n'ont pas suivi la
même route , et ils sont assez riches de leur propre
fonds , sans que ni l'un ni l'autre puissent rien perdre
à être comparés.
Nous croyons donc , en nous résumant , que , malgré
les imperfections que l'on peut reprocher à
Jacques - le- Fataliste , on y retrouve Diderot avec toute
la fougue de son imagination , et la vigueur de son
style et d'un talent dont il y a aujourd'hui trop peu
d'héritiers , pour qu'on ait acquis le droit de le juger
avec tant de sévérité . Au reste , l'édition de cet ouvrage
n'a point été publiée , d'après le manuscrit
envoyé par le prince Henry à l'institut national ; et
quoique quelques personnes aient cru que le citoyen
' Naigeon en était l'éditeur , nous sommes autorisés
par cet homme de lettres à déclarer qu'il n'a pris
aucune part à l'impression ni à la publicité de cet
ouvrage.
MÉLANGES.
LETTRE AU REDACTEUR.
CITOYEN ΟΥΕΝ ,
Vous avez inséré dans le deuxieme numéro de votre
journal , de l'année courante , l'extrait d'un écrit allemand
( 33 )
mand intitulé : Essai historique sur la derniere révolu
tion de Pologne. Cet ouvrage contient , relativement à
ma mission à Paris , une erreur grave , et qu'il est de
mon devoir de ne pas laisser subsister . « Le comité
de salut public , dit l'auteur , fit compter au négo-
" ciateur polonais Barss , une somme de trois millions
,, tournois environ 000 liv . Ce fait est absolument
faux . Le comité de salut public accueillit favorablement
toutes les propositions qui lui furent faites en faveur
des Polonais , et paraissait disposé à seconder leurs
efforts partout ce qui pouvait dépendre de lui ; mais
tout le monde sait , qu'à cette époque il manquait
de moyens , et sur-tout de moyens pécuniaires .
Il est d'autant plus essentiel que l'assertion de
l'écrivain allemand soit formellement démentie
qu'elle paraîtra plus probable , à mesure qu'on fera
plus d'attention à ce que la justice , la générosité ,
et si j'ose le dire , le véritable intérêt de la nation
française , exigaient d'elle en cette circonstance.
J'ajoute qu'elle reçoit un degré de force de plus en
passant dans votre journal , qui , par l'exactitude de
faits et la justesse des conjectures , sera considéré
sans doute , par les historiens à venir , comme l'une
des sources qu'il importera le plus de consulter.
C'est sur-tout par cette derniere considération , c'est
pour ne pas frustrer les Polonais de la gloire qui leur
est justement due , qu'il importe d'apprendre à
l'Europe entiere , que cette guerre soutenue pendant
huit mois , contre deux des plus formidables
puissances , l'a été totalement et uniquement par les ressources
et le courage des patriotes de l'intérieur de la
Pologne. Si leurs efforts ne furent point couronnés du
Tome XXVI.
C
( 34 )
succès , ce malheur ne doit être imputé qu'à la force
invincible des circonstances ; il n'y eut de leur part
ni négligence , ni faiblesse . En supposant qu'ils ont
reçu certains secours , on diminue d'autant le mérite
de leur courage , on nuit à leur intérêt , puisqu'on
affaiblit dans l'opinion générale l'estime à laquelle ils
ont des droits , on les prive du seul dédommagement
qui leur reste pour tant de pertes et de travaux .
FRANÇOIS BARSs.
Paris , ce 6 brumaire an V.
POÉSIE.
Extrait d'un Poëme intitulé les Vosges , par le cit . FRANÇOIS
( de Neufchâteau ) , de l'Institut national de France , ctc.
EH ! quoi ! de la nature éloquent interprête ,
Haller , homme d'état , philosophe et poëte ,
Aura chanté, ces monts de neige tout couverts ,
Ces antiques frimats , ce trône des hivers ,
Cet éternel rempart des peuples helvétiques !
Et de sa lyre d'or les sons patriotiques ,
Et la palme qui suit ses immortels travaux
De ses admirateurs n'ont pas fait ses rivaux !
Nous , que de leurs sommets les Vosges environnent ,
Sous l'abri toujours verd des pins qui les couronnent ,
Garderons-nous sans cesse , à des objets si grands ,
Des sens inanimés , des yeux indifférens ?
De la Moselle , ô vous , Nayades vagabondes !
Qui roulez au hasard le tribut de vos ondes ,
Rendez , comme vos flots , mes vers majestueux .
Donnez- moi , pour vous suivre , un style impétuéux.
Que ces monts , dont la tête est voisine des nues ,
Me laissent pénétrer sous leurs cimes chenues ,
Et qu'à des yeux mortels- il soit donné de voir
Des eaux que vous versez l'immense réservoir .
Filles de l'Océan , je verrai vos compagnes
( 35 )
S'élancer , comme vous , du sein de nos montagnes .
Et la Sarre , et la Meurthe , à mes yeux attentifs ,
Offriront le berceau de leurs flots fugitifs .
La Saône , plus tranquille et plus lente en sa course
Dispense à d'autres lieux les trésors de sa source ,
Et ses flots , retenus par un charme secret ,
Au Rhône impatient vont s'unir à regret.
Nayades de nos bords , vos ondes égarées
Courent vivifier de lointaines contrées .
Précipitez leurs cours. Mes regards empressés
S'arrêtent aux sommets des monts où vous naissez.
D'un spectacle si grand que ma vue est saisie !
Tous ces monts chevelus regnent sur l'Austrasie ,
Et de leurs noirs sapins la sombre majesté ,
Protége un peuple , heureux dans sa simplicité .
Le Rhin coule à leurs pies . Leur éternelle masse
Touche aux bords applanis de la fertile Alsace.
Je les vois , couronnant le Suisse belliqueux ,
S'atendre au mont Jura , qui s'allie avec eux.
Le Donnon , qui s'éleve au milieu de la chaîne
La domine , du tiers de sa tête hautaine ,
Et ,par un double rang de rochers entassés
,
?
Presse ces boulevards l'un sur l'autre exhaussés.
Que mes sens sont émus ! que d'augustes merveilles
Enchantent mes regards , ou frappent mes oreilles !
L'horison , devant moi , soudain s'est prolongé ,
J'ai fait un pas de plus , et le monde est changé.
O comment parcourir cette scene infinie ?
Ecoutez , écoutez l'effrayante harmonie
De ces torrens , grondans dans le creux des vallons ;
Et les mugissemens des bruyans aquilons .
Voyez ces pins altiers , dont les ruisseaux limpides
Retracent dans leurs flots les vertes pyramides.
Osez vous enfoncer dans ces vastes forêts ,
•
Dans ces grottes sans fonds , antres sourds et secrets ,
Dont jamais le soleil n'éclaira les mysteres.
Essayez de gravir sur ces rocs solitaires
Mines par les torrens , des feux du ciel frappés ,
A ces feux , aux torrens , aux siecles échappés.
Aigle fier et sanglani , ministre du tonnerre ,
C'est ici ta patrie , et je foule ton airè .
La foudre que tu tiens fait mugir , à mes piés ,
Le fracas des échos cent fois multipliés .
Admirez avec moi , sur ces roches pressées ,
C
( 36 )
Le reflet éclatant des neiges condensées .
Jamais l'astre du jour , échauffant nos climats ,
N'a , du haut de ces monts , détaché les frimats.
Leur cime , toutefois , teinte de sa lumiere ,
Des clartés du matin s'embellit la premiere ;
Et dans sa flamme encor leur sommet est noyé ,
Quand le voile des nuits est par-tout déploye .
Déserts , rochers , torrens , cavernes spacieuses ,
Lacs tranquilles et purs , forêts silencieuses ,
Solitudes , côteaux , vallons , prés verdoyans ,
Bois coupés de sentiers escarpés , tournoyans ;
Entonnoirs , où les eaux , avec fracas , descendent ;
Promontoirs aigus , auxquels les chevres pendent ;
Arbustes singuliers , à la plaine étrangers ;
Gouffres sans fonds , couverts de champs et de vergers
Mille aspects variés , mille effets pittoresques ,
Tableaux attendrissans , réguliers , ou grotesques ,.
Voilà des deux côtés ce qui frappe mes yeux ,
Dans les Alpes , en grand ; en petit , dans ces lieux.
·
Si l'aigle , si des airs ce monarque barbare
Dans les Alpes commun , dans la Vosge est plus rare
C'est un tyran de moins , et j'aime beaucoup mieux
Cet oiseau voyageur , qui va sous d'autres cieux
Chercher , pendant l'hiver , des plages tempérées ,
Mais qui par son instinct , revient dans nos contrées
Du printems , chaque année , annoncer le retour ;
Qui retrouve son nid sur une vieille tour
Dont la chasse et la pêche , également utiles ,
Purgent la terre et d'eau des serpens , des reptiles :
La cigogne , en un mot , symbole respecté
De ces soins caressans , de cette pitié ,
Réciproque lien des enfans et des peres .
Qu'à tous les coeurs bien nés ces images sont cheres !
Tuer ce bel oiseau fut un crime autrefois :
Il est sacré pour nous , sans le secours des lois .
• •
Ici , de tous les maux , Esculape est vainqueur .
Il vous montre du doigt la source salutaire
Que visita Montaigne et que chanta Voltaire .
Sur un lit de cailloux , qu'autrefois les Romains
Ont , dans un val étroit , cimenté de leurs mains ,
Entre deux monts cornus , au fond d'un précipice ,
( 37 )
D'un fauxbourg de Paris vous trouvez une esquisse :
C'est Plombieres . C'est là que vingt sources au moins
Préviennent , en été , vos voeux et vos besoins .
C'est- là qu'un air salubre et des vapeurs bouillantes
Raniment , par degrés , vos forces chancelantes ,
Rendent le mouvement à vos membres perclus ,
Et même l'appétit à ceux qui n'en ont plus.
Le poëte , après avoir rappellé quelques hommes
distingués par leurs vertus et leurs talens , et que les
Vosges s'honorent d'avoir produits , fait entendre les
accents de l'amitié la plus tendre , la plus éloquente
et la mieux méritée , en parlant de Bexon.
Pourrais -je t'oublier , homme aimable et profond ,
Ami de mon enfance , éleve de Buffon ,
Qui fus digne , sous lui , de peindre la nature ,
Qui voulus avec moi chanter l'agriculture.
Aux arts , à tes amis , à ta mere enlevé ,
Et de ta gloire , hélas ! avant le tems privé ?,
C'était toi , cher Bexon .... ! ô destin déplorable !
Pour les Vosges , sur- tout , & perte irréparable ! ....
Il eût peint son pays . Il l'aurait fait aimer....
Mais dois-je à mes regrets me laisser consumer?
Je crois de cet ami voir l'ombre vénérée
Qui cherche dans mes vers sa patrie adorée ,
Qui m'ordonne , en pleurant , d'achever mon projet.
Et fait grace à mon style , en faveur du sujet.
Eh bien , je t'obéis , ombre à jamais chérie .
Tu pouvais, mieux que moi , célébrer la patrie ;
Elle eût , sous ton pinceau , retrouvé ses couleurs.
Puissé-je , sur tes pas , y glaner quelques fleurs !
Avançons vers le sud , sa chaleur me captive .
Allons voir du Noirmont la belle perspective :
De Langres et de Vesoul on découvre les tours ;
L'oeil croit suivre , à Lyon , la Saône dans son cours.
Mais sur ces hauteurs même , au midi de la chaîne ,
Nous voyons des étangs de qui l'onde incertaine
Va
grossir la Moselle et la Saône à la fois ;
On peut dans les deux mers les verser , à son choix .
Atous les grands desseins Rome attachant sa gloire ,
Ici , d'un projet vaste , offre encor la mémoire.
Ces eaux dûrent jadis , par leur double penchant ,
Lier les mers du nord à celles du couchant.
'Ainai donc , l'Océan , la Méditerranée
C 3
( 38 )
3
1
Devaient s'unir , an pié de la Vosge étonnée .
O Lucius Vetus ( 1 ) quel honneur pour ton nom !
Tu conçus ce projet ; mais c'était sous Néron .
Ah ! l'on ne sait que trop que , sous la tyrannie ,
Il faut voiler son ame , étouffer son génie ,
Eteindre sa pensée , immoler à la peur
Jusques au bien pub , passion d'un grand coeur.
L'histoire t'a vengé. De ta belle entreprise
Le récit , dans Tacite , au moins t'immortalise.
Mais est- ce donc pour nous assez de t'admirer ?
Ce n'est qu'en t'imitant qu'on pourrait l'honorer.
La fortune à mes yeux ravit cet avantage.
Je ne reçus du ciel que ma iyre en partage ;-
on lit
' ג
( 1 ) Dans les Annales de Tacite , liv . XIII , nº. 53 ,
que tout était tranquille dans la Germanie , par les soins de
deux généraux , nommés Paullin Pompée et Lucius Vetus ,
qui avaient eu le bon esprit de croire qu'ils pouvaient s'illustrer
davantage en maintenant la paix , que par les honneurs
du triomphe , devenus trop communs . Cependant pour ne
pas laisser amollir le soldat , ils l'avaient occupé , savoir ,
Paullin Pompée à finir une digue que Drusus avait commencée
afin de contenir le Rhin ; Vetus se disposait à joindre la
Moselle et la Saône , par un canal creusé entre el
elles
, de inaniere
que les armées qui viendraient de Rome par eau, remontant
le Rhône et la Saône , pourraient passer par ce canal de
le Moselle sur le Rhin , de- là dans l'Océan , et, qu'écartant .
ainsi les difficultés des transports , une correspondance aisée
aurait rapproché les rivages des deux mers opposées . Ce
projet excita l'envie d'Elius Gracilis , legat de la Belgique . Il
fit craindre à Vetus de donner de l'ombrage au soupçonneux
Néron , sous prétexte que ce projet aurait l'air de vouloir porter
les légions qu'il conduisait , dans une province étrangere
à son commandement , et de cacher peut- être des vues ambitieuses
sur les régions de la Gaule. C'est par de telles
craintes , ajoute le profond Tacite , que les plus grandes entreprises
ont toujours échoué .
Lauteur d'un bon mémoire couronné à Châlons en 1783
parle ainsi de cette entreprise :
" Je ne lis jamais Tacite , qui nous a instruits de ce magri
fique projet , qu'avec le regret qu'il n'ait pas été exécuté , et
qu'avec le desir de le voir un jour revivre . Il est cependant
dune exécution très- facile . Cette communication , considérée
civilement et militairement , est une des plus importantes
( 39 )
"
Mais si mes faibles sons pouvaient être entendus ,
Tes soins pour mon pays ne seraient pas perdus.
·
La presse est l'instrument par qui tout se décele ,
Qui rend la vérité commune , universelle ,
Qui rapproche les tems , les hommes et les lieux ,
Et par degrés enfin dessille tous les yeux.
Il n'est plus de tyrans pour quiconque sait lire ?
De notre aveuglement l'erreur tint son empire ;
Mais les rayons du jour qui se leve et qui luit ,
Font pâlir aussi-tot les astres de la nuit .
Dans l'oubli de ses droits la France était plongée ;
Elle eut des écrivains : la raison fut vengée ,
qu'on puisse faire. Quels biens elle verserait dans vos campagnes
! Elle transporterait , commodément en tems de paix ,
et sans danger en tems de guerre , toutes les productions de
la terre et toutes les forces de l'Empire . "
On ne saurait se refuser le plaisir de transcrire le texte de
Tacite , dont on vient de rendre le sens .
Quiete ad id tempus res in Germania fuerant , ingenio Ducum ,
qui pervulgatis triumphi insignibus , majus ex eo decus sperabant,
si pacem continuavissent,
4
Paullinus Pompeius et Lucius Vetus eâ tempestate exercitui praerant.
Ne tamen segnem militem attinerent , ille inchoatum ante
tres et sexaginta annos à Druso aggerem coërcendo Rheno , absolvit.
Vetus Mosellam atque Ararim , factâ inter utrumque fossa .
connectere parabat , ut copia per mare , dein Rhodano et Arare
subjecta per eam fossam , mox fluvio Mosellâ in Rhenum , ex in
Oceanum decurrerent , sublatisque itinerum difficultatibus , navigabilia
inter se accidentis septentrionisque littora fierent . Invidit
operi lius Gracilis , Belgica legatus , deterrendo Veterem , ne
legiones alienæ provincia inferrel,, studiaque Galliarum adfectaret
formidotosum id Imperatori dictitans , quo plerumque cohibentur
conatus honesti .
Quel peintre que Tacite ! que de réflexions à faire sur ce
morceau de quelques lignes ! quelles leçons nous donnent
nos généraux romains ! quelle satyre amere du gouvernement
de Néron , que cette peur de l'offusquer , qui condamne un
projet sublime , etc. !
Ce morceau d'un grand homme sera le plus bel ornement
de ce petit poëme , et son plus beau succès serait de ramener
les voeux et les idées sur l'entreprise de Vetus . O UTINAM !
C4
( 40 )·
Et la philosophie , en ébranlant l'autel ,
Au trône qu'il fondait , porta le coup mortel.
On cria liberté . Les Vosges applaudirent.
Bientôt , de leurs sommets , en foule descendirent
Des soldats citoyens qu'on eut peine à compter ;
Nul tyran désormais ne pourra les dompter .
Ici , l'égalité , présent vraiment céleste ,
Ne fut que bienfaisante et ne fut point funeste .
Les peres vertueux de ces fils triomphans ,
Ont mérité l'honneur d'avoir de tels enfans .
Ils reviendront dans peu , ces fils de la victoire .
Ils reviendront , couverts des palmes de la gloire .
J'oserai les chanter . Heureux , si j'avais su
Célébrer leur pays , comme ils l'ont défendu !
PARMI
LOGO GRIPHE.
ARMI les nations qu'on connaît sur la terre ,
Le Français est celui qui me chérit le plus ;
Au bon sens chaque jour je déclare la guerre ;
La bonne-foi , l'honneur , sont des mots superflus .
Ne me voyez - vous pas agir en sens contraire
Ce que je fis hier , aujourd'hui le défaire .
N'ayant point d'autre but que mon ambition ;
Ne voulant écouter ni rime , ni raison .
Dans les plus grands malheurs je plonge la patrie 1
Car je suis en effet sa plus grande ennemie ;
Rien ne peut m'arrêter dans mes fougueux accès ;
Je me porte toujours jusqu'aux plus grands excès .
Avec la liberté , je puis tout entreprendre ;
De l'univers entier je saurai me défendre .
Dans mes cinq pieds , lecteur , tn vois mon existence ,
On y trouve ce dieu qui goaverne les vents ;
Ce qui refrene l'homme , ou punit la vengeance ,
Trop commune sur - tout chez les hommes puissans.
Ce que quand de nos jours , notre trame est ourdie
La Parque vient couper , met fin à notre vie,
Un oiseau dont la voix réveilla les Romains ;
Fit de leurs ennemis avorter les desseins .
Un viscere dans l'homme , ainsi que dans la bête ,
Que quelquefois l'on sert , lorsque l'on est en fête
Un reste de tonneau , dont on fait la liqueur ,
है
( 41 )
Qui souvent porte plus à la tête qu'au coeur.
C'en est assez , lecteur , dans toi je suis peut- être ,
Et tu dois maintenant savoir qui je peux être .
( Par le cit . DU T**. , de la ville de Caen , un de nos abonnés. )
ANNONCE S.
LITTÉRATURE ÉTRANGERE,
Les amis des sciences apprendront avec plaisir que l'université
d'Oxford vient de faire sortir de ses belles presses
de Clarendon , une édition de toutes les oeuvres connues
d'Archimede , avec les commentaires d'Eutocius. Cette édi
tion a été faite par le célebre J seph Torelli de Vérone , qui y a
joint une nouvelle version latine et de nouvelles leçons et
variantes , tirées des manuscrits de la bibliotheque de Médicis
et de celle de Paris . Cet ouvrage est magnifiquement imprimé
, et les directeurs de l'imprimerie de Clarendon n'ont
rien oublié , soit pour l'exactitude littéraire , soit pour sa
netteté , la beauté et la correction typographique , de tout ,
ce qui pouvait rendre cette édition digne d'être mise à côté
des belles éditions d'Euclide et d'Apollonius qu'ils ont don-.
nées précédemment. Il y a long- tems que l'université avait
traité avec Torelli pour cette édition ; mais il n'a jamais
voulu que cet ouvrage fût imprimé loin de lui , à Oxford.
Ce n'est qu'après sa mort que l'université a pu se procur
le beau travail de ce savant , qui lui a été envoyé par s
exécuteur testamentataire Albertini . L'ouvrage a été imprimé
exactement dans le même état où Torelli l'a laissé . On n'y
deux additions en forme d'appendix .
joint que
Cette édition est composée de treize écrits d'Archimede ,
d'une vie de Torelli , de la préface générale du livre par
ce savant , et d'un appendix renfermant le commentaire
d'Eustocius , et des variantes tirées des manuscrits de Paris
et de ceux de Florence .
a
•
Torelli a mis au bas des pages les changemens qu'il a cru devoir
faire dans le texte ; et les personnes qui ont été à portée .
d'examiner ce travail , assurent que ces changemens sont judicieux
, La yersion est fidelle et a autant d'élégance que le
permet la nature d'un tel ouvrage. Cette belle édition est infolio
, et coûte , en papier ordinaire , 1 l sterl . 8 schell . , et en
grand papier , 2 1. st . , broch. Elle se vend à Londres , chez
Elmoly.
( 42 )
NOUVELLES
ÉTRANGERES
ES
ALLEMAGNE.
De Hambourg , le 11 novembre 1796,
Les lettres de Constantinople nous apprennent que
le citoyen Aubert - Dubayet , ambassadeur de la République
Française , a reçu l'accueil le plus distingue
sur la frontiere ottomane . Dès le premier avis de son
arrivée , le pacha de Trawnick envoya au- devant de
lui un milmandar avec 300 hommes d'escorte. Le
pacha lui fit présent , à son départ , de deux chevaux
arabes , et en donna un à chacun des officiers de sa
suite.
Il y a déja long- tems que l'on annonce que la Porte
a senti la convenance et l'utilité de suivre les usages
diplomatiques des autres puissances de l'Europe , et
en conséquence d'entretenir auprès de chacune d'elles
les agens avoués . Elle vient d'arrêter définitivement
tablissement d'une ambassade permanente auprès
au Directoire exécutif de France . C'est Aly- Effendi
qui doit en être chargé . Il avait été nommé précédemment
pour se rendre à Berlin en qualité de ministre
plénipotentiaire . Il est remplacé , dans ce poste , par
Nahily Effendi .
Le pacha de Scutari , le fameux Mahmut , vient de
perdre la vie . Voici comme on raconte cet événement
qui délivre le grand- seigneur d'un ennemi extrêmement
dangereux.
Mahmut , ayant pris la résolution de soumettre les Monténégrins
, ( peuple belliqueux , de la religion grecque schismatique
, habitant les montagnes qui longent la mer
Adriatique dans la Dalmatie turque , jusque vers l'Albanie , )
mit sur pied une armée de 12,000 hommes , et , dans le
1
1
( 43 ) J
mois de septembre dernier , la dirigea vers Pipari et Palabari
, menaçant du fer et de la flamme tous ceux qui refu
seraient son joug terrible . A l'apparition de cette armée
dans leurs pays , les Monténégrins s'armerent en hâte , et ,
rassemblés au plus grand nombre possible , ils nommerent
pour général l'évêque de Monténégro , chrétien grec schismatique
, homme courageux , entreprenant , et qui connaît
l'art militaire , ayant servi , dans sa jeunesse , avec un grade
d'officier dans les troupes de l'impératrice de Russie.
Ce chef valeureux , à la tête des braves Monténégrins ,
marcha sur-le- champ contre l'armée de Mahmut : arrivé en
présence de l'ennemi , il s'avança seul à cheval , sabre à la
main , appellant Mamut à un combat singulier , avec la
condition que la victoire serait au parti de celui qui sur ivrait
au combat : il voulait épargner ainsi une grande effusion
de sang de part et d'autre .
Mahmut n'accepta point ce duel à l'arme blanche ; mais
il prit sa carabine et coucha en joue ; l'évêque en fit de
même ; tous deux tirerent , aucun ne fut frappe . Ce fut le
signal de la bataille . Le choc fut subit et décisif. Le pacha
fut mis en déroute ; 280 de ses plus braves soldats et plusieurs
officiers resterent sur le champ de bataille ; et les
Monténégrins emmenerent un grand nombre de prisonniers.
dée par lui - mê
corps
"
Contraint de retourner à Scutari , honteux de cette défaite
, Mahmut s'efforça d'en tirer une vengeance éclatante .
Il refit son armée et l'accrut . Il n'avait que 12,000 hommes.
avant sa défaite : il en rassembla 20,000 , la plupart Albanais
il divisa ce en cinq colonnes , l'une commanla
seconde par son frere , la troisieme
par son neveu , et les deux autres par deux de ses parens .
Le 4 octobre dernier , il fit marcher son armée sur Monténégro
, avec le dessein de saccager tout le pays . Arrivé
dans la plaine de Spasa , sous Pipari , il se mit à la tête
de ses troupes , et voulut leur faire passer l'étroit défilé
qui conduit à Pipari . L'évêque - général , connaissant tout
l'avantage de la position , fit choix de 500 braves Momenégrins
, et les ayant fait avancer au- delà du défilé , leur
donna ordre d'attaquer l'armée du pacha , et de simuler
bientôt après une fuite qui attirât l'ennemi dans cette gorge
escarpée ; lui-même se posta avec plusieurs milliers de Monténégrins
derriere les montagnes.
Les 500 hommes d'elite exécuterent ponctuellement les
ordres de leur chef ; Mahmut , trompé par leur fuite , se
( 44 )
J
1
*
mit à les poursuivre , et s'engagea fort avant dans le défilé .
Il fut alors attaqué et entouré par tout le corps des Monténégrins.
On fit des Tures un horrible carnage . Mahmut
périt , et l'on dit que ce fut de la main même de l'évêquegénéral.
Le cadavre du pacha a été soigneusement dépouillé ,
et la peau empaillée doit être transportée avec la tête à
Constantinople.
Le reste de l'armée de Mahmut , ayant appris sa mort
s'est dispersée du côté de Scutari . Cet évenement , qui rend
la tranquillité à tout le pays de Monténégro , depuis longtems
inquiété par le pacha , a délivré la Porte ottomane d'un
rebelle qu'elle n'avait jamais pu soumettre .
On assure que c'est le prince héréditaire de Saxe-
Gotha qui doit épouser la princesse de Mecklembourg
, à qui la main du roi de Suede avait été
promise.
Ratisbonne , le 15 novembre . L'espoir de la paix luit
de nouveau sur nos malheureuses contrées , déchirées ,
épuisées par tous les fléaux qui sont les suites inévitables
de la guerre . Il paraît que si nous ne jouissons
pas encore du repos , qui nous est si nécessaire , nous
ne devons pas en accuser nos ennemis . Des renseignemens
, qui méritent quelque confiance , annoncent
que dans plusieurs circonstances , et même lorsque
la victoire était le plus constamment fidele à leurs
drapeaux , ils ont fait des démarches conciliatoites ;
mais qu'ils ont trouvé de la part de la cour de Vienne
des obstacles qui étaient de nature à ne pas leur
permettre d'entamer la moindre négociation . En effet ,
on assure que l'empereur a refusé de reconnaître la
République Française , c'est- à-dire l'indépendance ,
la liberté d'une nation qui n'a pris les armes que pour
s'assurer l'une et l'autre . Mais ce prince , mieux informé,
éclairé par de nouvelles réflexions ne persiste
plus dans ce refus , que l'on ne sait comment qualiher;
il a senti que pour faire la paix il fallait d'abord
anéantir la cause de la guerre , et reconnaître en conséquence
l'existence politique que la France s'est
donnée . C'est du moins ce que l'on doit conjecturer
des nouvelles démarches que celle- ci vient de faire ,
en envoyant , comme nous l'apprenons , un négocia(
45 )
teur à Vienne , et de celles que l'on annonce devoir
être faites par l'empereur , qui , dit-on , a nommé
MM . de Lehrbach et de Colloredo pour se rendre à
Paris , afin d'agir dans des vues pacifiques , conjointement
au lord Malmesbury.
Au reste , on ne peut plus le dissimuler , ce parti
beaucoup trop tardif pour le bonheur et la prospérité
du corps germanique , est devenu d'une nécessité
absolue , malgré les derniers succès qui ont
réparé l'honneur des armes autrichiennes . Généraux,
officiers et soldats , tous sont las de la guerre . On a pu
en juger à l'allégresse qu'ils ont manifestée au seul
bruit qui s'était répandu d'un armistice . Il s'en faut
bien qu'ils soient un peu dédommagés de leurs périls
et de leurs fatigues , par une solde réguliere , et
proportionnée à leurs premiers besoins . Le papier ,
que la cour de Vienne a été obligée de mettre en
circulation , est tellement multiplié , qu'il perd jusqu'à
48 pour 100 ; et c'est avec cette monnaie , décriée,
avilie , qu'on les paie. Cette pénurie , cette détresse ,
loin de diminuer , doivent s'accroître chaque jour.
Le zèle , l'enthousiasme que l'on avait su exciter dans
les pays héréditaires avaient produit quelques ressources
, fort exagérées sans doute par ceux à qui des
vues personnelles rendaient la continuation de la
guerre intéressante , mais qui plus elles ont été abondantes
, moins elles doivent l'être maintenant . L'empereur
ne peut pas compter sur ses co - états. Plusieurs
ont fait leur paix particuliere ; le reste est épuisé . La
ville de Wetzlaar a fait déclarer à la diete qu'elle
était dans l'impossibilité de fournir son contingent ;
et l'on a publié une piece , que nous croyons devoir
rapporter , qui fait connaître les dispositions de l'électeur
d'Hanovre .
Déclaration remise , par le ministre d'Hanovre , à M. d'Hugel ,
con-commissaire impérial , en réponse au rescrit de l'empereur,
du 17 octobre 1796 .
S. M. I. a requis directement S. M. le roi de la Grande-
Bretagne , électeur de Hanovre , de fournir de nouveau une
preuve marquante de son attachement à la constitution germanique
, en donnant un grand exemple et en travaillant
( 46 )
efficacement à la diete de Ratisbonne , non seulement pour
qu'il soit fixé une quantité suffisante de mois romains , mais en
faisant acquitter tout de suite sa quote-part. Il a été déclaré
en même tems qu'il fallait que le nombre des mois romains
allât au-delà de cent . S. M. B. a répondu confidentiellement
à S. M. I. , qu'elle ne voulait ni ne pouvait anticiper sur les
résolutions de ses co- états , et qu'elle était elle -même , dans ce
moment- ci , dans des circonstances qui ne lui perettaient
pas de répondre à ce qu'on lui demandait ; que depuis qu'on
avait accordé les derniers mois romains , le systême de la
guerre était absolument changé ; ' que différens états marquans
de l'Empire avaient embrassé la neutralité pour protéger
leurs sujets , et que la prospérité dont ces derniers jouissent ,
prouvait qu'on avait atteint un but salutaire ; que toute la
face des affaires avait pris nn autre aspect , et que les rapports
de S. M. B. en sa qualité d'électeur et prince d'empire ,
étaient connus et s'opposaient aux demandes impériales ;
qu'on ne pouvait par conséquent point consentir à la nouvelle
prestation de nouveaux mois romains pour la continuation de
cette malheureuse guerre , beaucoup moins encore contribuer
directement , puisque les négociations entamées à Paris ,
dont on se promet une heureuse issue pour la tranquillité de
l'Europe , et qui sont connues de S. M. I. , obligeaient S. M. B.
de se dispenser de toute démarche qui pourrait jetter une
couleur défavorable sur son caractere personnel . "
Au surplus , quelque grand que soit le besoin de
la paix , quelque favorables que soient à cet égard les
dispositions du cabinet de Vienne , il n'en paraît pas
moins décidé à tenter les derniers efforts pour assurer
les avantages que l'archiduc Charles a obtenus en
Allemagne , et sur- tout pour en conquérir d'équivalens
en Italie . Il fait passer dans cette partie du
théâtre de la guerre , des forces considérables , dont
le commandement en chef est confié au général
Alvinzi . Ses premieres opérations doivent tendre à
débloquer Mantoue et à rentrer ensuite dans
le Milanais. Mais les armées ennemies , mais les
mesures politiques prises par les généraux et les commissaires
français , mais la révolution opérée dans
les principes et déja dans les moeurs et les habitudes
des peuples , font prévoir de grandes difficultès à
l'exécution de ce beau plan de campagne.
9
( 47 )
Y
Si la maison d'Autriche ne parvient pas à re
couv.er la Lombardie , il paraît qu'elle cherche à
s'assurer dès à présent un dédommagement en Allemagne
, et de cette province et de celles qu'elle possédait
dans les Pays - Bas . La Baviere , qui est si bien
à sa convenance , qui depuis si long-tems est l'objet
de ses voeux , et l'a été plusieurs fois de ses tentatives,
se remplit de ses troupes. Tous ceux qui s'intéressent
à la maison palatine ; et l'électeur lui-même , quoiqu'il
ne soit ni très- défiant , ni très - clairvoyant sur les
intentions de l'Autriche , qui , en mettant une jeune
archiducesse entre ses bras , a trouvé le moyen de
l'aveugler et de l'assoupir , commencent , dit - on, à
concevoir des inquiétudes .
ITALIE. De Modene , le 1. novembre.
Le comité de gouvernement a publié , au nom de la Répu
blique Fançaise , une proclamation qui abolit pour toujours
la noblesse dans cet état. Nul ne pourra porter aucun titre
de noblesse ; on ne pourra avoir que celui de citoyen ou
celui de sa charge ou de sa profession . Toutes les armoiries ,
livrées , et autres marques distinctives de noblesse , dis
paraîtront sous huit jours ; toute corporation exigeant preuve
de noblesse est abolie ; les contrevenans seront déclarés
ennemis de la constitution et de la patrie , et punis séverement
comme tels .
La junte de défense générale , établie par le congrès fédératif
, a adressé une proclamation aux gouvernemens provisoires
des quatre peuples , pour les inviter à presser la
levée des troupes : Déja , dit- elle , déja le feu guerrier est
allumé que les autorités constituées l'alimentent ; que vos
soins s'étendent sur les soldats , les spectacles militaires ,
les évolutions et les ornemens guerriers ; qu'il devienne
agréable et glorieux , le nom de défenseur de la liberté : ses
eufans les plus chéris seront ceux qui prendront les armes
pour l'établir et assurer son triomphe. Bientôt on exécutera
le plan que nous a donné le général Buonaparte , et qui devra
servir de regle générale . Conspirez pour la cause commune
de la liberté , en lui faisant de nombreux soldats , que par
tout on criè aux armes ; que les canons, les fusils , les cohortes,
les légions préparent de concert notre gloire, notre triomphe,
et la conservation de la liberté et de l'égalité ,
??
( 48 )
De Rome , le 30 octobre . Malgré les lettres de M. le
chevalier Azzara et celles reçues par l'agent français , peu
de personnes voulaient croire à la paix de Naples , à cause
des grandes espérances données par le ministre napolitain ;
mais lorsqu'on eut reçu plusieurs lettres officielles , on commença
à y croire. Le marquis del Vasto alla immédiatement
chez le saint- pere , soutint que la nouvelle n'était pas fondée
, et persuada sa sainteté Il fut cependant résolu d'envoyer
un courrier à Naples , et le pape voulut qu'on envoyât
au roi la lettre même du chevalier Azzara.
Plusieurs personnes exagérées prétendaient que le mínistre
espagnol s'était entendu avec les agens français pour
répandre cette nouvelle , et engager ainsi le pape à faire la
paix à tout prix. Ce bruit donna lieu à de nouvelles invec
tives contre le chevalier Azzara , qui publiera , à ce qu'on
croit , un manifeste pour justifier sa conduite , en prouvant
qu'il n'a donné à la cour de Rome que , des conseils salutaires
et conformes à ses instructions .
La nouvelle vient de se répandre que la cour de Naples
a ratifié , le 24 , le traité de paix avec la France . Il faudrait
entendre les invectives des Romains contre la cour de
Naples ; ils l'accusent de perfidie et de trahison ,
si elle n'avait pas prévenu le saint -pere qu'elle traitait avec
la France , et que la ligue n'aurait lieu qu'autant que la
paix ne serait pas conclue .
comme
Ils doivent accuser l'imprévoyance et l'impolitique de
leur gouvernement , qui , sans avoir la certitude de s'allier
avec Naples , a rompu toute négociation avec la France ,
et a commencé des armemens aussi dispendieux qu'inutiles .
Dans les circonstances actuelles , on regarde comme un
évenement heureux la commission donnée par le général
Buonaparte au cardinal Mattei , de porter des propositions
de paix . Le saint-pere a d'abord fort mal reçu ce cardinal ,
à cause de sa mission pacifique ; mais aujourd'hui les dispositions
sont changées , et l'on croit que les négociations
seront reprises sans délai .
On est persuadé ici que les Français veulent sincerement
accorder la paix au saint-pere . On en cite pour preuve
une lettre que le général Buonaparte a écrite au cardinal
Mattei , au moment de son départ pour Rome : il dit que
les Français ne prétendent pas faire de nouvelles conquêtes
dans l'Etat de l'Eglise ; qu'ils n'en ont pas besoin pour la
gloire de leurs armes , etc.
Ce qui contribuera aussi à disposer le pape à faire une
prompte
( 49 )
prompte paix , c'est la réponse du roi d'Espagne à la lettre
pressante pour laquelle S. S. sollicitait S. M. C. d'interposer
sa mediation d'une maniere efficace . Le roi d'Espagne
a répondu qu'il serait toujours attaché au saint - pere comme
chef de l'Eglise qu'il pouvait compter sur sa soumission
et son dévouément ; mais que quant aux affaires temporelles
et politiques , il était trop occupé de celles de son
royaume , pour pouvoir se charger des intérêts de S. S.;
qu'il lui conseillait de prendre le parti les prudent et
le plus sûr.
Cette réponse justifie les discours et la conduite du chevalier
Azzara , qu'on aurait dû écouter , au lieu de l'accabler
d'injures . Il était naturel de penser qu'il parlait et
qu'il agissait d'après les instructions de sa cour , et que
peut-être aussi ses opinions particulieres influaient sur les
déterminations de sa cour .
RÉPUBLIQUE BATA V E.
DE LA HAYE le 17 novembre. .
Le projet de constitution , présenté dans la séance du
10 à l'assemblée nationale , n'a été iu que dans celles du
14 et du 15. La discussion a commencé le 16. Van de
Kasteel , membre de la commission , et qui n'a pas donné
son assentiment au plan proposé , a e posé , dans un discours
qui a duré plus de deux heures , les motifs de son
opposition . Le representant Witbols , membre comme lui
de la minorité de la commission , a ensuite parlé dans le
même sens .
ANGLETERRE . De Londres , le 10 novembre.
Suivant l'état qu'on publie tous les mois de la marine anglaise
en activité , on comptait au 1er . novembre , 176 vaiśseaux
de guerre de toutes grandeurs , sans y comprendre les
bâtimens frêtés que le gouvernement a fait armer.
Sir Ralph Abercrombie vient de partir pour Portsmoutht ,
où il doit s'embarquer il va reprendre le commandement
des troupes dans les Indes occidentales .
M. Dundas , secrétaire de la guerre , a présenté à la chambre
des communes , formée en comité général , le rapport des
états estimatifs de l'armée . Toutes les forces de ce pays , divisées
suivant la distribution commune en gardes , garnisons ,
colonies et plantations , montent à 195,674 hommes , et la
Tome XXVI. D
V
( 301
dépense totale à cinq millions 190 mille 751 liv. st. : ce qui
fait 168 mille liv . st . de moins que l'année derniere .
L'armee de l'intérieur , consistant dans les garnisons d'Angleterre
, d'Ecossc , de Guernesey et Gersey , monte à
60,765 hommes .
M. Duudas a observé qu'il y a 42,219 hommes de plus
dans l'armée de l'intérieur , et 13,641 de moins dans celle
du dehors . Celle- ci est composée entierement de troupes
réglées , tandis que l'autre comprend les troupes réglées ,
la milice , les invalides et les volontaires . La milice est
à-peu-près sur le même pied que l'année derniere , sauf
l'augmentation des régimens de la cité . M. Hussey demanda
quel était le nombre effectif d'hommes , selon les
derniers états de revue le secrétaire de la guerre répondit
qu'il ne le savait pas . La chambre a voté les résolutions
suivantes :
-
-
Du 15. L'installation du nouveau lord maire s'est faite le
9 de ce mois avec l'appareil accoutumé . Le cortege se rendit
par eau de la cité à Westminster , et revint par les rues à
Guildhall , qui est la maison commune . Il y a eu un dîner
splendide , auquel se sont trouvés les ministres et les chefs
de l'opposition . Auprès de Saint- Paul , il y a eu un attroupement
considérable qui a commencé par huer et siter les
ministres . On s'est attaché sur- tout à jetter de la boue et même
des pierres sur le carosse de M. Pitt. D'un autre côte , on a
dételé les chevaux du carrosse de M. Fox ; des -hommes
du peuple se sont mis à leur place et ont traîné la voiture à
(Guildhall.
Le 9 on a publié la proclamation royale qui ordonne de
saisir les vaisseaux et les propriétés des Espagnols , et autorise
toutes hostilités et représailles contre eux , suivant les droits
de la guerre .
Le projet de bill pour l'augmentation de la milice cause
beaucoup de mécontentement et même excite quelque tumulte
dans quelques comtés . A Kettering , à Wettesboroug ,
Northampton , il y a eu des rassemblemens nombreux ,
le cri de raliment était : Point de nouvelle milice.,
dont
Le 10 il y eut du tumulte dans une taverne de cette ville ,
où s'étaient rendus une quarantaine d'individus , qui , malgré
la nouvelle loi qui défend les rassemblemens nocturnes audelà
d'un certain nombre , étaient restés rassemblés jusques
vers minuit. Les officiers de police ayant été avertis , s'y
( 51 )
guet
rendirent et voulurent arrêter les contrevenans à la loi . Ceuxci
étaient armés ; ils se défendirent ; plusieurs, ont été blessés
et pris ; mais plusieurs aussi des gens de la police et du
ont été dangereusement blessés . On ne connaît pas l'objet
de cette rénnion , où se trouvaient plusieurs Irlandais et d . ■
femmes de mauvaise vie .
Les dernieres séances du parlement ont été occupées par
quelques discussions sur les nouveaux bills , qui n'ont rien
offert d'intéressant . Les deux bills pour le supplément de
milice et la formation d'une cavalerie nationale pour la défense
du royaume , ont été envoyés à la chambre des pairs . Le bill
pour fonder les billets de marine a reçu la sanction royale.
Extrait d'une lettre de Londres du 15 novembre.
Les personnes initiées ici dans les secrets de la politique
paraissent craindre , depuis quelque jours , qu'il n'y ait
bientôt une négociation particuliere entre la France et l'Au
triche pour une suspension d'armes , et que cette suspension
, ou n'amene des conséquences semblables à celles qui
ont suivi l'armistice de Clairfayt , ou au moins ne retarde
le progrès des armées victorieuses de l'archiduc , et n'éloigne
ainsi l'espérance qu'a tout bon Anglais , de voir les
Pays-Bas évacués par les Frauçais . Cette évacuation volontaire
ou forcée est le grand objet de la politique de notre
gouvernement. Il veut absolument , dit - on , que ce pays
sorte , soit de la domination , soit de la dépendance de
la République Française ; et dans tous les cas , il est détermine
à faire des sacrifices proportionnés à l'importance
de cette barriere .
L'Angleterre attache plus de prix que l'empereur laiméme
à la restitution de cette ancienne partie de son domaine.
L'empereur ne voit et ne doit voir dans les Pays-
Bas qu'un Etat séparé du centre offensif et défensif de sa
puissance , qui , dans la situation sur tout où la réduit la
politique soupçonneuse et remuante de Joseph II , peut
chaque instant être attaqué et envahi par les Français , dont
les frais d'administration et de protection sont très - considé
rables , dont la tranquillité intérieure est sans cesse troublée
, dont la possession , si incertaine par les disposition
du dedans , est devenue plus précaire que jamais à l'extérieur
, par le changement de système qui a brisé les liens
de la France et de l'Autriche. Cette derniere circonstance
D. 2
( 52 )
•
est sans contredit la plus décisive de toutes les causes de
détermination en cette matiere .
Aussi a- t-on vu l'Autriche faire l'offre de ces Pays- Bas
à ceux qu'elle croyait pouvoir lui donner quelque chose en
échange . En 1748 , le comte , depuis prince de Kaunitz ,
proposa à Aix-la- Chapelle , à M. de Saint - Séverin , d'en
faire la cession à la France , si elle voulait seulement s'a'-
lier à l'Autriche , pour lui faire restituer la Silésie ; alliance
que le même ministre autrichien eut l'adresse d'obtenir
quelques années après , sur un plan plus étendu en dommages
d'un côté et en profits de l'autre , sans rien donner
au moins à l'Etat . On a vu depuis Joseph II , n'ayant pu
envahir la Baviere en 1778 , offrir , en 1785 , à l'électeur
Palatin , l'échange de cet électorat pour les Pays - Bas , qu'on
aurait érigé en royaume d'Austrasie , échange qui fut em .
pêché , comme on sait , par l'intervention armée du roi de
Prusse , et auquel ce prince opposa , pour l'avenir , la formation
de la confédération germanique .
Il est donc extrêmement probable que l'Autriche , si elle
était obligée de choisir entre la restitution du Milanais et
celle des Pays- Bas , n'optât sur-le - champ pour la premiere ,
sur-tout si on y joignait quelqu'autre possession d'Empire de
plus à sa couronne , pour prix de laquelle on céderait au propriétaire
et à l'héritier d'autres possessions d'Empire dont le
titre de propriété rendrait la transmission plus facile.
L'intérêt de l'Angleterre est , sur ce point , fort différent
de celui de l'empereur ; aussi est -ce sur ce point que nos
politiques craignent de les voir se séparer. L'Angleterre sa
regardé de tous tems d'un air d'inquiétude et de jalousie l'aggrandissement
de la France de ce côté , et lorsqu'on saura un
jour d'une maniere certaine de quelle nature étaient les engagemens
pris par notre cabinet avec celui de Vienne au c´mmencement
de la guerre , on verra jusqu'à quel point l'Angleterre
tenait à l'affaiblissement de la France dans cette
partie les craintes de l'Angleterre , à cet égard , paraissent
assez fondées ; d'abord c'est un accroissement de territoire ,
et sur-tout un prolongement de la ligne de ce côté de la
France . Ensuite ce pays sert de point de communication
entre la France et les Provinces-Unies ; et l'une des trois
ou quatre maximes qui renferment toute la politique anglaise ,
est que la richesse et la puissance de l'Angleterre tiennent en
grande partie à l'alliance des Provinces-Unies , et qu'Amsterdam
doit être , comme Lisbonne , la sujette de Londres . Cette
maxime est devenue aussi proverbiale dans les comptoirs de
( 53 )
la cité que dans les sallons de Westminster , dans les cabarets
a bierre que dans les deux chambres du parlement , dans le
parti de M. Fox que dans celui de M. Pitt. Il n'y a peutêtre
qu'une seule maxim: plus populaire que celle-là , plus
enracinée dans toutes les ames et dans toutes les têtes anglaises,
c'est qu'on ne peut faire le bien de l'Angleterre qu'en faisant
le plus de mal possible à toutes les nations commerçantes , et
sur-tout à la France , et qu'un bon Anglais doit , de sa nature ,
être l'éternel ennemi des Français .
Le gouvernement anglais sent parfaitement bien que la
France ne peut posséder les Pays - Bas , ou les former en
république ; ce qui est une autre maniere de les posséder ,
sans tenir dans son alliance , et suivant elle , dans sa dépendance
les Provinces -Unies , et il croit qu'une guerre entreprise
ou continuée pour empêcher une telle réunion , ne peus
manquer d'avoir beaucoup de popularité."
Il sent tout-à-la-fois et le bien qu'on lui ôte , et le mal qu'on
peut lui faire. Il croit que la France ayant à sa disposition la
côte-nord depuis Calais jusqu'au Zuidersée , et les bouches
de l'Escaut , de la Meuse et du Rhin , sera toujours là ,
menaçant les côtes sans défense d'Essex , de Suffolk , de
Norfolk , d'Yorkshire , et toute la côte jusqu'au nord de
l'Ecosse.
Aussi , dit- on déja en propres termes dans plusieurs papiers
ministériels , que la restitution des Pays -Bas est un
objet d'une aussi grande importance pour nous que la possession
même de nos comtés de Kent et de Sussex : on ajoute
que tant que les Français ne conserveront que leurs côtes du
canal , nous aurons toujours vis-à-vis des forces toutes prêtes
pour les repousser ; mais que si leurs côtes s'étendent dans la
mer du Nord , ils pourront sans cesse nous menacer , et profiter
, pour réussir , du moment où nos flottes seront désarmées
, et nos matelots dispersés sur l'Océan. Il faut une
bonne paix , continue-t- on ; mais pour qu'elle soit telle ,
faut que les Pays-Bas soient restitués , et que le cap de Bonne
Espérance , Sainte-Lucie et Tabago restent à l'Angleterre . Il
faut encore mieux faire une guerre maritime de deux ans ,
que conclure la paix en ce moment sans obtenir tout cela .
Les événemens montreront bientôt jusqu'à quel point ces
prétentions peuvent s'accorder avec les circonstances ,
les vrais intérêts de l'Autriche et les droits de la France et des
Provinces- Unies .
il
-
avec
D 3
( 54 )
7 REPUBLIQUE FRANÇAISE.
CORPS LÉGISLATIF.
Séances des deux Conseils , du 25 brumaire au 5 frimaire .
Laporte reproduit son projet de résolution relatif
aux enfans abandonnés . On l'adopte . Il porte en
substance , qu'ils seront reçus gratuitement dans
tous les hospices civils de la République . La maniere
dont ils seront élevés et instruits sera la matiere d'un
réglement à faire par le Directoire . Les présidens des.
administrations municipales seront leurs tuteurs jusqu'à
la majorité ; et les membres de ces administra
tions , les conseils de la tutele .
On reprend la discussion sur les transactions entre
particuliers. Accordéra- t on des termes de paiement
aux débiteurs qui ont contracté des obligations antérieures
au 1er juillet 1791. Telle ett la question que
l'ordre des séries adopté amenerait.
Eudes La réduction est une banqueroute partielle
au lieu que l'atermoiement est un moyen de
l'éviter. Au premier cas , c'est altérer l'essence du
contrat ; au second , ce n'est qu'user de précautions
sagement mesurées , pour en assurer davantage l'exécution
. La plus ancienne jurisprudence a consacré ,
dans des circonstances difficiles , l'usage des atermoiemens
; et celles où nous nous tro vons , le sont
assez pour avoir quelqu'égard à la situation des débiteurs
. Je considere d'ailleurs qu'il existe des débiteurs
de bonne foi qui n'ont pas profité du discrédit
du papier-monnaie pour frustrer les créanciers , et
qui méritent par conséquent qu'on leur accorde des
facilités pour se libérer . Ainsi , mon opinion est que
ces créances , maintenant exigibles , doivent être déclarées
payables en numéraire pour moitié de leur.
montant , et que l'autre moitié doit être acquittée
par tiers , dans les trois années subséquentes.
C.
( 53 )
Favard appuie le mode d'atermoiement proposé
par Eudes , avec cette modification , que le premier
paiement ne soit que du quart de la somme due .
Fermont fait sentir que toutes les propositions faites
ont des inconvéniens , et il en demandé le renvoi à
la commission ; ce qui est adopté .
La discussion s'ouvre , le 27 , sur le projet de Bion ,
tendant à annuller les élections de l'assemblée primaire
de Toulouse .
Pérès entre dans de longs détails pour refuter le
rapport de la commission , démontrer la validité des
élections , et justifier la conduite des membres qui
composent la municipalité de cette commune , et il
demande que le conseil passe à l'ordre du jour sur
le projet de la commission .
Mailne prétend , au contraire , que les élections s'y
sont faites sous l'influence de la terreur ; que les municipaux
nommés ont tous joué un rôle pendant son
regne , et que tous les excès commis à cette époqué
les ont eus pour chefs . Il appuie le projet de la commission.
D'une part , on demande qu'on mette aux
voix le projet de Riou de l'autre , on réclame
l'ordre du jour. Le président met aux voix l'ordre du
jour. Le bureau déclare qu'il y a du doute . On procede
à l'appel nominal . Déja il était avancé , lorsqu'une
erreur le fait annuller. Le conseil arrête qu'il
sera recommencé demain . Aujourd'hui 28 , il a été
procédé au scrutin , conformément à l'arrêté d'hier.
Le projet a été écarté par l'ordre du jour , à la majorité
de 207 voix contre 144 .
Le conseil a ordonné l'impression d'un projet de
résolution présenté par Isoard , et tendant à annuller
la nomination des députés au Corps législatif faite
par l'assemblée électorale de Cayenne .
Lafond-Ladebat a demandé le 26 , dans la séance
du conseil des Anciens , que la résolution qui exempte
de la saisie et confiscation les marchandises anglaises
qui arriveront dans nos ports jusqu'au 20 frimaire
prochain , soit sur-le - champ approuvée . Un bâtiment
danois , dit- il , qui avait chargé des sucres à Hambourg
pour Dunkerque , a été obligé , par une vio.
D
( 56 )
lente tempête et par une voie d'eau considérable , de
relâcher à Boulogne . Aussi - tôt la cargaison a été saisie
. La confisquera-t -on ? Le capitaine ne connaissait
pas la loi; il n'est entré dans le port qu'en relâche
forcée . Le conseil approuve la résolution .
La discussion s'ouvre , le 27 , sur la résolution du
3 brumaire. Dupont parle le premier. Le plus grand
intérêt de la France , dit - il , le salut public et le
nôtre , notre réputation et peut- être notre vie , me
paraissent dépendre de la sagesse avec laquelle nous
nous déterminerons . Notre position est neuve et singuliere
. Nous avons à prononcer sur deux projets
à - la- fois . D'un côté , la résolution qui modifie le
décret du 3 brumaire , et de l'autre , ce décret luimême
. Si nous rejettons l'une , nous paraissons avoir
approuvé l'autre . Dupont releve ensuite tous les vices
de cette loi , et il termine en demandant l'approba- ,
tion de la résolution . La discussion sera continuée .
Le conseil approuve la résolution qui détruit l'effet
rétroactif de la loi du 1er , brumaire an II , relative
aux stipulations sur la dime entre les propriétaires et
leurs fermiers.
Daunou fait , le 29 , au conseil des Cinq- cents un
rapport sur le renouvellement du Corps législatif. Il
divise son travail en trois parties .
Dans la premiere , il donne le tableau du nombre
des députés à élire en germinal , par chaque département.
La Belgique n'enverra que le tiers de sa députation
, au nombre de vingt- deux députés .
La seconde traite du tirage au sort entre les membres
actuels du Corps législatif qui ont siégé dans la
Convention nationale . Il se fera en masse dans chaque
conseil .
Il examine dans la troisieme , certaines questions
relatives aux assemblées primaires et électorales . Les
électeurs de l'année derniere ne pourront être réélus
électeurs cette année.
Ce rapport , dont la lecture a duré une heure et ,
demie , nous a frappé par la clarté , la précision et la
méthode qui caractérisent toutes les productions de
Daunou . Le conseil en a ordonné l'impression ; et la
( 57 )
discussion ne s'ouvrira sur le projet qu'après les trois
lectures constitutionnelles .
Comme ce travail est de la plus haute importance ,
et qu'il repose sur des calculs qui ne peuvent être
saisis à une simple lecture , nous en donnerons l'analyse
lorsqu'il sera imprimé.
Il ordonne , le 30 , l'impression de deux projets
de résolution , dont l'un tend à permettre l'exportation
de diverses marchandises , et l'autre est relatif
au paiement de l'emprunt forcé . Il adopte ensuite
en principe le projet de résolution , portant que les
propriétés françaises , prises par l'ennemi , et reprises
par des Français , seront restituées à leurs premiers
propriétaires.
Le président annonce qu'il a reçu des pieces de
nature à être lues en secret , et le conseil se forme
en comité général .
Celui des Anciens s'y est également assemblé le 29 .
Il approuve , le 30 , deux résolutions ; l'une qui proroge
jusqu'au 1er. nivôse le délai accordé au Directoire
, par la constitution , pour présenter au Corps
législatif l'état des dépenses publiques de l'année
échue ; la seconde , qui fixe la retenue sur la fabrication
des especes d'or à deux centimes de leur poids ;
et sur celles d'argent , à deux vingt cinquiemes .
et
Depuis quelque tems le conseil a souvent retenti
de plaintes au sujet des vols et des assassinats nombreux
qui se commettent. Richard , au nom de la
commission chargée de proposer des mesures contre
ces excès , expose qu'ii faut les attribuer principalement
à la désorganisation de la gendarmerie ,
aussi à ce qu'un grand nombre de citoyens ne font
plus le service de la garde nationale , et. négligent
ainsi eux - mêmes la sûreté de leurs personnes , de
leurs familles et de leurs propriétés. C'est donc là
qu'il faut chercher le remede à ce mal qui afflige
tous les bons citoyens et les hommes honn tes .
En attendant , et comme mesure provisoire , Richard
propose un projet de résolution dont le conseil
ordonne l'impression , et dont voici en substance les
dispositions :
Nul ne pourra porter des armes qu'il n'en ait reçu
1
( 58 )
de sa municipalité une autorisation , qui ne sera délivrée
que sur l'attestation de quatre citoyens domiciliés
de la commune , qu'il peut être armé sans
danget.
La gendarmerie nationale sera tenue d'arrêter les
voyageurs armés qui n'auront pas cette attestation .
Les déserteurs dans l'intérieur , trouvés avec des
armes , seront punis d'une peine double .
On procede au renouvellement du bureau . Quinette
est président ; les nouveaux sécrétaires sont
Hardy , Lecointe , Cales et Duhot.
Le conseil des Anciens a ratifié les traités de paix
conclus avec le roi de Naples et le duc de Parme .
La résolution relative aux délais pour se pourvoir
en apposition , et relever appel des jugemens
par défaut , a été rejettée , Lanjuinais , Liborel et Mollevaut
, ayant observé qu'elle prescrit des formalités
inutiles et embarrassantes , et que les délais fixés sont
trop courts .
La résolution qui admet le numéraire en concouss
avec les mandats au paiement des biens nationaux est
soumise à la discussion.
Lafond- Ladebat la combat comme injuste , impolitique
, et éloignant du but qu'on se propose d'at,
teindre .
Cretet répond que la commission a établi d'une
maniere péremptoire son rapport ; que le maximum
des mandats en circulation ne s'élevait qu'à un milliard,
qui , à 4 pour 100 , ne fait qu'nne somme de
40 millions valeur réelle ; il reste dû sur les cinq
sixiemes des biens nationaux soumissionnés environ
84 millions : ainsi , il y a impossibilité physique d'acquitter
84 millions avec 40. Il a donc fallu qu'on
admit le numéraire en concurrence avec le mandat
pour l'acquittement des biens nationaux. Cretet répond
à la crainte que Lecouteux a manifestée , que
cette mesure n'avilît tout - à- fait le mandat ; que cette
monnaie aura encore suffisamment d'écoulement par
la rentrée de ce qui reste dû sur l'emprunt force ;
rentrée que le conseil des Cinq - cents s'est proposé
d'activer par une résolution qui est maintenant à l'or-
7
( 59 )
dre du jour. L'impôt arriéré en fera rentrer encore
une grande quantité : enfin le paiement des domaines
nationaux en absorbera plus de 2 milliards . Cretet
ajoute qu'il est impossible d'émettre aucune cédule
avant l'extinction entiere des mandats . Il vote que
la résolution soit approuvée .
Le conseil l'approuve .
On procede au renouvellement du bureau . Bréard
est élu président : les secrétaires sont Giraud ( de l'Ain) ,
Fourcroy , Rouseau et Vigneron.
Baudin a fait , le 2 , son rapport sur la résolution
relative à la loi du 3 brumaire . Il pense que la Convention
a eu le droit de rendre cette loi , mais il ne
croit pas que le Corps législatif puisse en étendre
certaines dispositions et en modifier d'autres . Il conclut
pour le rejet.
Le conseil des Cinq - cents s'est occupé , dans ses
séances du 2 et du 3 , de la question de l'atermoiement
des créances , et il a décidé en principe
qu'il y en aurait un pour celles antérieures au
1er juillet 1791. Le mode sera déterminé dans la
séance suivante .
Le projet relatif au droit de passe sur les routes a
rempli une grande partie de la séance du 4. Quelques
articles ont été arrêtés .
Daunou a obtenu la parole , le 5 , au nom de la
commission chargée d'examiner le message du Directoire
contre les journaux . Que nul , dit- il , ne soit
empêché de dire , écrire , imprimer et publier sa pensée.
Que les écrits ne soient soumis à aucune censure
avant leur publication ; que dans les cas non prévus
par la loi , on ne puisse être responsable de ce que
l'on a dit , écrit , publié : telles sont les maximes
quí , sous le nom de liberté de la presse , ont été si
long-tems réclamées par la courageuse philosophie ,
et sont devenues pour elle une conquête que vous ne
pourriez plus lui iavir.
Il n'y a que le spectacle affligeant des excès impunis
, qui ait pu inspirer à des magistrats républi
cains le projet d'enchaîner , par des lois prohibitives ,
la publication des écrits . Voilà l'un des funestes effets
( 60 )
de la licence ; elle entraîne hors des voies constitutionnelles
, ceux que presse le besoin de la réprimer.
On consent à voiler pour quelques instans l'image
de la liberté , et on éleve à la dictature un trône ...
qui étend sur les actions le voile de la terreur et de
la mort. Laissons donc à la presse toute la liberté .
qui lui est assurée par la constitution ; mais n'accordons
pas la faveur , l'impunité à ceux qui en abusent.
Daunou présente trois projets . Le premier tend à
empêcher de crier dans les rues autre chose que le
titre du journal que l'on vend. Le deuxieme a pour
objet l'établissement d'un journal tachigraphique . Le
troisieme précise les cas où il y a licence de la presse ,
et propose les peines à infliger. Le conseil en a
ordonné l'impression .
Celui des Anciens a discuté , dans ses séances du
3 et du 4 , la résolution du 3 brumaire . Tronçon-
Ducoudray s'est déclaré contre elle , et a fait un discours
qui a rempli une partie des deux séances .
Plein de confiance dans les choix du peuple , il n'a
vu aucun danger qu'ils fussent illimités. Le conseil ,
après avoir entendu , le 5 , le rapport de le Breton
et l'opinion de Barbé-Marbois , a rejetté la résolution
qui augmente le prix des lettres et des journaux .
PARIS. Nonidi 9 Frimaire , l'an 5º . de la République.
Les négociations de Malmesbury sont toujours suspendues ,
mais les espérances n'en sont pas moins pour la paix . On croit
que l'envoyé Clarcke est chargé par le Directoire de faire à
T'empereur des ouvertures qui amèneront du moins un armistice
général , et peut- être des préliminaires de paix . On dit
qu'il est question de faciliter à l'empereur l'occupation de la
Baviere ; on dédommagerait sans doute la maison palatine
par d'autres possessions . Si l'on ajoute la Baviere autrichienne ,
il est probable que , pour mettre un contre-poids dans la
balance , on donnera quelque chose à la Prusse , et l'on parle
de l'électorat de Hanovre est également question d'apporter
quelque changement au sort de l'Italie . On sent que la complication
de tant d'intérêts divers doit rendre la négociation
( 61 )
d'une paix générale , nécessairement longue et difficile . En
attendant , tout est tranquille sur les bords du Rhin ; on y
regarde même la suspension d'armes comme une chose con
venue de part et d'autre . Ainsi , la fin de la guerre va dépendre
de nos succès ou de nos revers en Italie . Malgré les
inquiétudes que l'on a conçues , on compte beaucoup sur
l'activité , le génie et la fortune de Buonaparte .
Quoi qu'il en soit , voici la derniere note communiquée par
l'envoyé d'Angleterre , au ministre des relations extérieures .
Copie de la note du lord Malmesbury , en réponse à celle du ministre
des relations extérieures , du 23 brumaire.'
Le soussigné ne manquera pas de transmettre à sa cour , la
note qu'il vient de recevoir de la part du ministre des relations
extérieures. Il déclare également qu'il sera dans le cas d'expédier
des couriers à sa cour toutes les fois que les communications
officielles , qui lui seront faites , exigeront des insructions
spéciales .
Paris , ce 13 novembre 1796. Signé , MALMESBURY.
Le cit. Laharpe , que les évenemens de vendémiairs
avaient forcé à la retraite , vient de reparaître. Il laurait
pu beaucoup plutôt , si sa prudence lui eût permis de se
confier davantage à la pureté de son civisme et de ses intentions
, et à l'esprit qui anime le gouvernement. Les ama
teurs des lettres apprendront avec satisfaction qu'il va recommencer
son cours de littérature analysée . Ils n'avaient
pas vu sans regrets , que ses travaux politiques l'eussent
détourné de l'emploi si précieux de son goût , de ses talens
et de ses connaissances littéraires.
Antonelle , si connu parmi certains patriotes , et qui était
impliqué dans l'affaire de Baboeuf , a été reconnu par l'ua
des agens de la police , en sortant d'un spectacle ; il a été
arrêté et conduit à la police , et de- là transféré à Vendôme
pour être jugé par la haute- cour .
On a arrêté également l'abbé Salomon , conseiller- clere
au ci - devant parlement de Paris , homme fort connu par
ses intrigues , même dans l'ancien régime . On assure qu'il
était à Paris l'agent des ennemis de l'Etat , et que l'on a
surpris sa correspondance .
Un M. de Cussy , convaincu d'émigration , et qui avait
été arrêté depuis quelque tems , a été transféré de la Force
dans les prisons de la Conciergerie , jugé et condamné à la
peine portée par la loi.
( 62 )
L'escadre espagnole qui est entrée dans le port de Tou!
lon , est composée de 26 vaisseaux et 12 frégates . Parmi
les officiers descendus à terre , on a reconnu deux anciens
officiers de la marine française . Leur vue a produit un
mouvement de fermentation parmi le peuple ; mais l'amiral
espagnol les ayant réclamés comme faisant partie de son
escadre , ils ont été reconduits à bord. Les magistrats de
Toulon ont fait une proclamation pour indiquer la conduite
que l'on devait tenir dans cette circonstance ; et les
Français vivent de la meilleure intelligence avec les Es
pagnols.
Le ministre de la marine et des colonies , au président du Directoire
exécutif.
Citoyen président , la division composée des vaisseaux le
Duquesne , le Censeur , et la frégate la Friponne , qui avaient été
expédiés par le contre-amiral Richery pour remplir une
mission particuliere à la côte du Labrador , est arrivée à l'isle
de Groix , près la rade de l'Orient , le 20 de ce mois . Ces
bâtimens , commandés le chef de division Allemand , se
sont dérobés à la poursuite de deux escadres anglaises , dont
une les attendait à la hauteur de Rochefort et l'autre , aux
attérages de Brest .
par
Ce commandant me rend compte , au moment de son arrivée
, que sa mission a eu les plus grands succès , malgré
les rigueurs de la saison , les brumes et les bancs de glace qu'il
a rencontrés ; qu'il ne reste aucun vestige d'habitation dans la
baie des Châteaux ; que les forts et batteries ont été attaqués
et détruits par le feu de ses vaisseaux ; enfin , qu'il a pris la
rpajeure partie du convoi de Québec ; et quelques jours après ,
un navire qui avait des piastres à bord, indépendamment d'un
grand nombre d'autres bâtimens coulés bas ou brûlés . "
Il résulte , citoyen président , de ces opérations combinées
sur les côtes de Terre-neuve et du Labrador , que l'ennemi
a perdu plusieurs établissemens importans ; qu'il lui a été
fait beaucoup de prisonniers ; qu'environ cent navires ont été
pris , coulés bas ou brûlés , et que les bâtimens qui ont échappé
à la poursuite de nos vaisseaux , n'ont pu profiter de la
saison favorable pour faire la pêche . Il suffit de connaître
les bénéfices immenses que les Anglais retirent annuellement
de cette branche de commerce , pour apprécier le
préjudice que la présence de nos forces leur a causé .
Je m'empresserai de témoigner aux marins de cette expédition
la satisfaction du Directoire exécutif , aussi - tôt que
j'aurai reçu des détails sur les services que chacun d'eux
a rendus. Salut et respect. Signé , TRUGUET.
1
( 63 )
NOUVELLES OFFICIELLES.
ARMÉE D'ITALIE . Buonaparte , général en chef de l'armée d'Italie
, au Directoire exécutif. Au quartier-général de Véronne .
le 23 brumaire , an V.
Citoyens directeurs , je vous dois compte des opérations
qui ont eu lieu depuis le 12 .
30.
Je fus informé le 10 , qu'un corps autrichien s'avançait
et était déja campé sur la Piave : j'envoyai aussi - tôt le général
Massena , avec un corps d'observation , à Bassano , sur la
Brenta , avec ordie de se retirer sur Vicenze , du moment
que l'ennemi aurait passé la Piave ; j'ordonnai au général
Vaubois d'attaquer les postes ennemis dans le Trentin , et
sur-tout de le chasser de ses positions entre le Lavis et da
Brenta l'attaque eut lieu le 12 ; la résistance fut vive. Le
général Guieux emporta Saint-Michel , et brûla le pont des
ennemis ; mais ceux- ci rendirent nulle notre attaque sur
Segouzano , et la 85. demi-brigade y fut maltraitée , malgré
sa valeur. Nous avons fait 500 prisonniers et tué beaucoup de
monde à l'ennemi.
Le 13 , j'ordonnai que fon recommençat l'attaque sur
Segouzano qu'il fallait avoir , et en même-tems instruit que
l'ennemi a passe la Piave , je pars avec la division Angereau ;
nous nous joignons à Vicenze avec la division Massena , et
nous marchons , le 15 , au-devant de l ennemi qui avait passé
la Brenta il fallait étonner comme la foudre , et balayer ,
dès son premier pas , l'ennemi. La journée fut vive , chaude
et sanglante ; l'avantage fut à nous : l'ennemi repassa la
Brenda ; le champ de bataille nous resta ; nous fimes 500 prisonniers
, et tuâmes considérablement de monde ; nous
enlevâmes une piece de canon .
Le général Lanus a été blessé d'un coup de sabre . Toutes
les troupes se sont couvertes de gloire.
Cependant le 13 , l'ennemi avait attaqué le général Vaubois
sur plusieurs points , et menaçait de le tourner ; ce qui obligea
ce général à faire retraite sur la Pietra , sa droite adossée
à des montagnes , sa gauche à Mori.
Le 16 , l'equemi ne se présenta point ; mais le 17 , lẹ
combat fut des plus opiniâtres ; déja nous avions enlevé
deux pieces de canon et fait 1300 prisonniers , lorsque , à
l'entrée de la nuit , une terreur panique s'empara d'une
partie des troupes.
La division prend , le 18 , sa position à Rivoli et à la
( 64 )
Corona , par un pont que j'avais fait jetter exprès . La pert
dé l'ennemi doit avoir été considérable .
Ayant appris une partie de ce qui s'était passé dans le
Tirol , je m empressai de partir le 17 , à la pointe du jour ,
et nous arrivâmes le 18 à midi à Véronne .
nous
Le 21 , à trois heures après-midi , ayant appris que l'ennemi
était partid Montebello et avait campé à Villa-Nova ,
partîmes de Véionne ; nous rencontrâmes son avant- garde à
Saint- Martin ; Angereau l'attaqua , la mit en déroute , et la
poursuivit trois milles ; la nuit le sauva .
Le 22 , à la pointe du jour ; nous nous trouvâmes en
présence ; il fallait battre l'ennemi de suite ; nous l'attaquâmes
avec intelligence et bravoure . La division Massena attaqua la
gauche , le général Angereau la droite ; le succès était complet
; le géné a Angereau s'était emparé du village de Car
dera , et avait fait 200 prisonniers . Massena s'était emparé
de la hauteur qui tournait l'ennemi , et avait pris cinq pieces
de canon ; mais la pluie qui tombait à seaux , se change
brusquement en une petite grelasse froide , qu'un vent violent
portait au visage de nos soldats , et favorise l'ennemi ; ce
qui , joint à un corps de réserve qui ne s'était pas encore
battu , lui fait reprendre la hauteur. J'envoie la 75º . demibrigade
, qui était restée en réserve , et tout se maintint
jusqu'à la nuit. Les deux armées garderent leur position .
Le tems continue à être mauvais aujourd'hui , repos aux
troupes ; demain , selon les mouvemens de l'ennemi , nous
agirons. Signé , BUONAPARTE .
P. S. Une lettre du général Baraguey- d'Illiers , commandant
à Milan , annonce , comme officielle , la nouvelle d'une
Victoire importante remportée par le général Buonaparte , et
dans laquelle il a fait prisonniers dix mille Autrichiens qu'il
envoie en France sous l'escorte de la garde nationale lombarde
.
La garnison de Kelh a fait une sortie vigoureuse , et a emporté
la ligne de contrevallation de l'ennemi,pris ou encloué 20 pieces
de canon , et fait 600 prisonniers , parmi lesquels 20 officiers ,
dont un colonel et un major.
Malmesbury vient de reprendre les négociations . Le principe
des compensations est convenu .
ERRATUM . Dans le n ° . précédent , article de Hambourg , ont
lit que c'est le 11 du mois de novembre que le roi de Suede doit
sortir de tutelle . Lisez le premier . :
LENOIR -LAROCHE , Rédacteur.
Jer. 135.
No. 8.
MERCURE FRANÇAIS .
DÉCADI 20 FRIMAIRE , l'an cinquieme de la République.
( Samedi 10 décembre 1796 , vieux style . )
Explication du Logogriphe du Nº . 7 .
Le mot est Folie ; on y tronve éole , foi , fil , oie , foie , lie.
LITTÉRATURE ANCIENNE.
Idylles de THEOCRITE , traduites en français par J. B.
GAIL , professeur de littérature grecque au college de
France. Nouvelle édition , ornée de figures , d'après les
dessins de BARBIER et de BOICHOT. A Paris , de l'imprimerie
de BANDELST et EBERHART . Chez l'auteur , au
collège de France , place Cambrai.
S.
1 la sensibilité puérile aux censures est pour l'or
dinaire , une preuve d'impuissance de talent , la confiance
avec laquelle on les recherche annonce un
esprit sûr de lui-même et de ses moyens , et un ca→
ractere élevé que les petitesses de l'amour propre
n'atteignent pas.
+
M
Bien loin que lé cit . Gail ait été révolté des critiques
franches , peut- être même un peu séveres , que
nons avons faites de ses traductions en général , et
notamment de celle de Lucien , il desire que nous
rendions compte de cette nouvelle édition de son
Tome XXVI. E
t
\ ( 66 )
Theocrite , et il est venu lui-même nous la demander.
Cette maniere de sentir lui fait beaucoup d'honneur.
Elle prouve qu'il aime assez les avis pour ne pas
craindre ceux même qu'on lui donne en public , et
qu'il n'est effrayé,ni des nouveaux efforts qu'ils peuvent
l'engager à faire , ni de l'influence que cette publicité
peut avoir sur le succès de ses ouvrages .
Au reste , il a bien raison . Indépendamment de
ce qu'il y a d'estimable dans ce sentiment , rion ne
suppose mieux une saine appréciation de l'effet des
critiques. Au fond , les critiques n'ont jamais fait de
mal qu'aux ouvrages qui seraient tombés sans elles .
Lorsqu'elles sont justes , on peut en profiter : lors
qu'elles sont injustes et malveillantes , elles relevent
beaucoup les beautés qu'elles veulent obscurcir. Toute
cette horde hargneuse et méprisable qui s'est acharnée
contre Voltaire de son vivant , a-t- elle jamais
porté la moindre atteinte à sa gloire ? Les cris de
l'envie et les fureurs des charlatans qu'il démasquait
avec tant de courage , n'ont-ils pas au contraire relevé
singulierement l'éclat de ses succès ? En un mot ,
ee grand homme a dû peut-être autant à la rage de
ses ennemis , qu'à l'admiration et aux applaudissemens
des gens de lettres véritablement dignes de ce nom .
L'ouvrage que nous annonçons ici n'est pas seule.
ment une édition nouvelle ; c'est en quelque sorte
une autre traduction , dont la premiere n'est que la
bâse ou le canevas. Le cit . Gail y a fait un nombre
si considérable de corrections , qu'il nous serait impossible
de le suivre dans son travail , et de mettre
nos lecteurs en état d'en bien apprécier le mérite .
Nous le dirons cependant , avec notre franchise ordi(
67 )
naire , ces corrections ne nous ont pas paru tou
jours également heureuses ; et peut - être l'auteur aurait-
il bien fait quelquefois de s'en tenir à sa premiere
maniere : mais en général l'ouvrage a beaucoup gagné ;
et il prouve de plus plus en plus que pour bien faire , le
citoyen Gail n'a besoin que d'un peu moins de précipitation.
Entreprenant et laborieux , il faut qu'il devienne
patient , et même opiniâtre . Or , il paraît qu'il
en sent lui -même la nécesssté , et qu'il s'y décide
courageusement.
Les bornes de ce journal ne nous permettent pas
beaucoup de citations . Nous avons choisi les deux
morceaux suivans , parce qu'ils sont peu connus , et
qu'ils nous paraissent ne pas mériter cet oubli .
IDYLLE TROISIEME.
AMARYLLIS .ou LE CHEVRIER.
" Le Chevrier. Je cours chanter à la porte d'Amaryllis
, tandis que mes chevres paissent sur la montagne
et que Tityre les conduit . Tityre , mon bien
aimé , fais paître mes chevres ; conduis - les auprès
de cette source ; mais prends garde à ce bouc au
poil jaunissant.
,, Charmante Amaryllis , tu ne m'appelles plus en
baissant la tête à l'entrée de cette grotte . Tu ne me
dis plus viens , mon doux ami…………..
" Voici des pommes que je t'apporte . Je les ai
cueillies à l'arbre que tu m'as toi - même désigné .
Demain , je t'en offrirai d'autres .... Vois du moins
ma douleur....
Que ne suis- je l'abeille qui bourdonne ! que ne
E 2
( 68 )
puis-je pénétrer dans ta grotte , m'insinuer sous le
lierre et la fougere qui composent ta couche délicate
! ah ! c'est à présent que je connais l'amour ! l'impitoyable
dieu ! sans doute il a sucé le lait d'une
lionne ! c'est dans les forêts que sa mere l'a nourri ....
O toi ! dont le regard est si tendre et le coeur si dur ,
nymphe au noir sourcil , reçois ton chevrier dans
tes bras . Qu'il te donne un baiser : le baiser le plus
simple n'est pas sans douceurs .
,, Tu me forceras de mettre cette couronne en
pieces. Chere Amaryllis , je la réservais pour toi :
pour toi je l'ai entrelacée de lierre et de persil odorant
: ô ciel que faire ? que devenir , elle est sourde
à mes plaintes .....
!
" Dieux est - ce que je verrais Amaryllis ? .......
Asseyons -nous à l'ombre de ces pins , et chantons :
peut- être obtiendrai -je un regard ; son coeur n'est
pas de diamant. ,,
:
Il chante Hippomene voulait épouser la jeune
Atalante les mains pleines de pommes , il arrive
au bout de la carriere. Comme à leur aspect , comme
Atalante fut transportée de desirs ! comme son coeur
fut profondément blessé !
,, Des champs d'Othrys , le divin Mélampe amena
dans Pylos , les troupeaux d'Iphiclus ; et Bias serra
dans ses bras la belle Péro , la mere de la sage
Alphesibée .
› Adonis , berger de nos montagnes , n'inspira- t-il
pas à la belle Cypris un si violent amour , que même
privé de la vie , elle le tenait pressé sur son sein ?
" O Endymion ! qu'il est digne d'envie ce sommeil
éternel qui ferma tes paupieres !
( 69 )
Tendre Amaryllis , que j'envie le sort de l'heureux
Jasion !....
99
Je souffre , et tu ne songes pas seulement à ma
peine ...... C'en est fait , je ne chante plus ; je vais
rester étendu par terre ; sous tes yeux les loups me
dévoreront , et ma mort aura pour toi la douceur du
miel. "
F
Cette traduction est élégante et facile ; et les petites
taches qui s'y remarquent n'empêchent pas de
retrouver dans le français , le caractere et les impressions
de l'original C'est à présent que je connais
l'amour. En voyant ce trait , les lecteurs à qui Virgile
est familier , se seront sans doute souvenus de
nunc scio quid sit amor ! qui en effet est l'imitation ou
plutôt la traduction littérale de voy ya o igara. Le
mot grec a peut - être quelque chose de plus simple
et en même tems de plus vif , sur tout si l'on y
joint le trait suivant : Cmpus deo's › gravis Deus !
·
ως ίδον , ως εμάνη , ὡς ἐς βαθύν άλλετ ' ἔρωτα n'est sürement
pas rendu par cette phrase longue , traînante et fatiguée
: Comme à leur aspect , comme Atalante fut transportée
de desirs ! comme son coeur fut profondément blessé !
C'est encore ici que Virgile est le véritable traducteur.
Ut vidi , ut perii , ut me malus
Abstulit error !
Malus error nous paraît même préférablé à Caour
spare. Il représente l'amour comme une erreur fatale
qui nous entraîne ; et l'espece d'indétermination du
mot ajoute encore à l'impression que le poëte veut
laisser dans l'ame.
Tendre Amaryllis. Tendre est un contre-sens. Le
E 3
( 70 )
berger se plaint des rigueurs d'Amaryllis ; il ne doit
pas lui donner l'épithete de tendre . Dans l'original
il y a ¢ına yun , femme chérie . Les anciens ne faisaient
pas de ces méprises dans le dramatique , auquel ils
ont donné un caractere particulier de vérité .
Le second morceau que nous allons transcrire , en
y faisant quelques retranchemens , est un dialogue
ou plutôt une scene un peu vive entre un berger et
une bergere . Les anciens étaient souvent fort libres
dans leurs tableaux : ici , c'est de la naïveté plutôt
que de l'indécence ..
Le berger s'appelle Daphnis , et le cit . Gail donne
le nom de Naïs à la bergere .
Naïs . Hélene toute prudente qu'elle était fut
enlevée par un berger.
Daphnis. Et c'est parce que je suis berger que mon
Hélene m'embrasse .
N. Petit satyre ( 1 ) , ne te vante pas un baiser ,
dit-on , se donne sans conséquence..
D. Sans conséquence , soit ; mais non pas sans
plaisir.
N. Tiens , j'essuie mes levres ; je rejette ton
baiser.
D. Tu t'essuie les levies ! il faut donc que je t'en
donne un autre.... Viens sous ces oliviers sauvages ,
que je te conte quelque chose .
N. Non , non. Avec tes beaux discours tu m'as déja
trompée.......
( 1 ) C'est bien le mot à mot , de cajupions ; mais se n'en
est pas le sens à beaucoup près .
( 72)
I
D. Fi , fi donc , jeune bergere ... Crains le courroux
de Vénus .
N. Et que m'importe ta Vénus , pourvu que Diane
me défende ? ... Arrête , berger....
D. Nulle vierge n'échappe à l'amour : tu subiras
ses lois.
N. Non , j'en atteste le Dieu Pan ... Eh quoi , toujours
ta main soulevera ce voile ! ... Si je te dis oui ,
que me donneras-tu en présent de noces .
D. Tout mon troupeau , tous mes bois , tous mes
pâturages....
N. Tu me donneras une jolie chambre , une maison ,
une bergerie !
D. Oui , je te donnerai une jolie chambre ....
N. Montre-moi ton bocage ; fais -moi voir ta bergerie
.... Paissez , mes chevres , tandis que je vais considérer
les possessions de ce berger.
D. Mes taureaux , paissez , paissez à l'envi , tandis
que je vais montrer mes bois à ma bergere .
N. Petit satyre , que fais- tu ! que cherches- tu dans
mon sein ?
D. Des pommes revêtues du plus fin duvet.
N. Ciel , je suis toute tremblante... Encore une
fois, retire ta main... O ciel, ma ceinture est arrachée….
Que veux-tu donc ?
D. C'est ma premiere offrande à Vénus.
N. Arrête ! quelqu'un vient ! j'entends du bruit.
D. Ce sont ces Cyprès qui se content notre hymen.
N. Ah Daphnis ! tout mon voile est déchiré ....
D. Je t'en donnerai un plus beau ...
N. O Diane ! ne te fâche pas ! tu m'as abandonnée ;
je te suis infidele . »
4
( 72 )
: Tout ce morceau est plein de grace dans l'original .
Il y a sur-tout une vivacité piquante dans le dialogue ,
et une légere teinte de plaisanterie qui cache tourà
-tour , et montre les objets avec beaucoup d'art et
d'agrément,
Le cit. Gail a mis dans la bouche de Naïs , un
mon cher , qui est d'une gardeuse de vaches , et non
pas d'une bergere . " Il termine l'idylle par ces mots :
" Ainsi jasaient entre eux nos heureux amans . "
Il faut se souvenir que ce mot jasaient est dans la
bouche de l'auteur , c'est - à- dire de Théocrite . Nous
l'y croyons fort déplacé . Que devient d'ailleurs cette
expression charmante ἀλλήλοις ψ γύριζεν inter se susurrabant?
La traduction de la piece entiere est cependant
bonne en général .
A la tête du premier volume de cette édition , sont
deux dissertations assez étendues ; l'une servant de
discours préliminaire , sur la poésie pastorale en général
, et sur Théocrite en particulier ; l'autre en forme
de lettre au cit. Laharpe , sur l'impossibilité de traduire
les poëtes en vers , dont le cit . Gail paraît
convaincu comme d'une vérité constante , et qu'il
cherche à établir par le raisonnement et par les faits ,
La premiere dissertation est remplie d'idées justes
et vraies , quoique peut- être un peu communes ;
l'auteur qui sûrément est capable de creuser plus
avant les sujets de littérature , semble se contenter
ici de ce qu'ont dit ses prédécesseurs . Cependant
la matiere est bien riche , et l'on peut assurer que
les rhéteurs en ont à peine effleuré quelques parties.
Rien n'est souvent plus incomplet , plus vague et
même quelquefois plus faux que l'idée qu'ils donnent
( 73 )
de la maniere des anciens . Le cit . Gail , plein de
respect pour ces grands modeles , les oppose sans.
relâche aux modernes , d'une maniere trop générale
et trop indéterminée pour faire appercevoir nettement
cette supériorité qu'il attribue aux uns sur les autres .
Il la leur attribue également et dans la pratique des
arts et dans la morale ; c'est presque toujours sur la
parole de ces mêmes rétheurs , et sans énoncer avec
précision les motifs sur lesquels son opinion se
fonde .
Il y a sans doute beaucoup d'impressions agréables
à recueillir dans les chefs- d'oeuvre des Anciens . Il
y a de grandes leçons , et sur- tout de grands modeles
à chercher dans leur histoire . Mais quand on dit , par
exemple , que s'ils n'ont point mis la morale domestique
, l'amour filial , la tendresse maternelle , ' la
bienfaisance , en un mot , toutes les vertus privées
en action dans leurs pastorales , comme Gessner l'a fait
depuis avec tant de charmes , c'est parce qu'elles leur
étaient trop familieres , pour qu'ils jugeassent nécessaire
d'en parler , on montre , ce me semble , beaucoup
plus de zele pour la gloire de ces anciennes
époques que de connaissance approfondie de ce qui
s'y passait . Ceux des peuples modernes chez lesquels
le gouvernement a été tout- à-la - fois libre et stable ,
ont sûrement beaucoup plus de vraie morale que les
anciens : la raison en est simple ; le pauvre y est bien
plus indépendant du riche . C'est l'un des peuples les
plus simples et les plus vertueux peut- être qui aient
paru sur le globe , qui`a fourni de nos jours , ces tableaux
touchans qui porteront le nom de Gessner à la
dernière postérité,
( 74 )
Désormais quand on parlera des arts et du talent
des anciens , il ne faudra pas se contenter de louer
telle ou telle belle chose : il faudra , si l'on veut se
faire lire avec fruit , entrer dans le secret de leur
composition , montrer et ce qui les distingue des
esprits éminens nés dans les époques postérieures , et
ce qui les distingue ensuite particulierement entre
eux ; car les écrivains grecs et latins ont un caractere
général qu'on ne retrouve dans aucun de leurs imitateurs
les plus habiles et les plus attentifs . Les Latins
et les Grecs ne se ressemblent point ; les auteurs de
chacune de ces deux langues ont aussi leur couleur
et leur marque ; et quoique Théocrite , Moschus et
Bion aient écrit tous les trois dans le genre pastoral ,
il est impossible de confondre la maniere de l'un
avec celle de l'autre .
"
Ce n'est pas seulement pour satisfaire une curio .
sité, d'ailleurs raisonnable , ni même pour se borner
à reconnaître la source de nos impressions , qu'il est
nécessaire d'étudier les grands modeles avec cet esprit
d'analyse qui décompose les moyens et les procédés
de leur art . Dans tout ce que l'esprit humain exécute
, il y a beaucoup plus qu'on ne pense de pratiques
mécaniques en quelque sorte . Le génie de la
méthode consiste à les découvrir , à les réduire en
regles , à les rendre applicables à des objets du même
genre ou de genre différent , et à mettre des esprits
même médiocres en état de les employer. L'analyse
philosophique , ainsi que l'analyse mathématique ,
iend sans cesse au perfectionnement des formules :
l'objet de la méthode est de resserrer de plus en
plus l'empire exclusif de l'inspiration et du talent.
( 75 )
Pourquoi ne le ferait - elle pas dans les arts d'imagination
aussi bien que dans les sciences ? Et quoique
le génie doive occuper toujours une place distincte ;
quoique sa destinée soit de s'élever de plus en plus
à mesure que ce qui l'environne sort de la médiocrité,
les hommes qui connaissent bien tout le prix
des lumieres , doivent sentir combien il serait utile
de rendre plus facile et plus parfaite une certaine
instruction commune.
Nous avons dit que le cit . Gail avait adressé sa
dissertation sur l'impossibilité de traduire les poëtes
en vers , au cit. Laharpe , qui cependant a traduit de
cette maniere , avec beaucoup d'élégance , plusieurs
morceaux de la Pharsale et la tragédie toute entiere
de Philoctete. Pour réveiller plus fortement encore
les objections de fait , notre auteur cite , avec de
grands éloges , le nom de Delille , à qui nous devons
la plus belle traduction de notre langue , je
dirais même de toutes les langues connues , si l'Homere
de Pope n'emportait pas la balance par l'immensité
du travail .
Sans doute la difficulté des traductions en vers est
extrême , sur-tout dans le français dont le caractere
dédaigneux multiplie toutes les entraves poétiques ,
et toutes les difficultés qui sont particulieres à cette
langue,même dans la prose.Peut- être Racine etBoileau,
s'ils eussent poursuivi leur projet de mettre en vers Ho
mere, auraient- ils usé leur génie dans des efforts continuels,
et vraisemblablement aussi , quelquefois impuissans.
Mais cette même langue travaillée depuis , soit
par eux , soit par Voltaire , soit par nos grands prosateurs
, nous paraît avoir acquis une souplesse qu'elle
1
( 76 )
n'avait pas alors ; et quelques exemples de succès
doivent encourager les jeunes gens qui se dévouent
à cette pénible carriere .
Nous le sentons bien au reste , ce n'est que par
des exemples qu'on peut combattre d'une maniere
décisive l'opinion du cit . Gail . Firmin Didot , à qui
nous devons déja plusieurs chefs - d'oeuvre de gravure
typographique , et qui fait faire chaque jour de
nouveaux pas à son art , vient d'entreprendre une
traduction en vers de Théocrite ; mêlant ainsi aux
travaux qui , si jeune encore , rendent son nom cẻ-
lebre , la culture des lettres dans lesquelles il tiendra
sans doute quelque jour , un rang distingué . Il nous
a permis de transcrire quelques morceaux de sa traduction
: nous avons besoin qu'ils nous fassent
pardonner la longueur de cet extrait.
1
1
Nous allons commencer par le début de l'idylle IIº,
intitulée le Cyclope , laquelle a fourni plusieurs imitation's
à Ovide et à Virgile .
LE CYCLO PL.
Quand l'amour de ses feux nous brûle et nous dévore ,
En vain nous implorons l'art du Dieu d'Épidaure ;
Des nymphes d'Hélicon le commerce enchanteur
Peut seul , ô Nicias , calmer notre douleur.
Mais ce charme puissant , ignoré du vulgaire ,
Offre à peu de mortels son secours salutaire .
Tu dois , cher Nicias , en goûter les douceurs ;
Toi , l'ami d'Esculape , ainsi que des Neuf- soears.
Polyphême jadis en a connu l'usage .
Le duvet , fleurissant sur son mâle visage ,
Déja de son menton ombrageait le contour ,
Lorsque pour Galathée il fut épris d'amour,
( 77 )
1
Il dédaignait d'offrir ou des fleurs passageres ,
Ou ces fruits , vain présent des amans ordinaires :
Le malheureux ! en proie aux fureurs de Vénus ,
Il brûle et meurt d'amour ! rien ne le touche plus .
On vit plus d'une fois quittant l'herbe fleurie ,
Ses troupeaux sans pasteur gagner la bergerie.
Pour lui , pâle , et le front abattu de douleur ,
Saignant encor, du trait qui lui perçait le coeur ,
Il chantait dès l'aurore ; et la rive attristée
Sans cesse répétait le nom de Galathée.'
Assis sur un rocher , l'oeil fixé sur les mers
D'une voix amoureuse il soupirait ces vers :
?
Galathée , ah ! pourquoi fuir un amant qui t'aime?
O nymphe ! qui du lait surpasses la blancheur ,
Pourquoi , d'un tendre agneau retraçant la douceur ,
As-tu le naturel de la chevre volage ,
Et l'apreté du fruit de la vigne sauvage ?
Si je cede au sommeil tu voles vers ces lieux ;
Et quand mon oeil revoit la lumiere des cieux
Tu fuis , comme un chevreau fuit le loup sanguinaire.
Je commençai d'aimer le jour qu'avec ma mere ,
Je vins cueillir des fleurs sur ce côteau voisin :
Je marchais devant toi , te frayant le chemin :
Hélas ! depuis ce jour, qui vit naître ma flamme ,
Jamais le doux repos n'est entré dans mon ame.
Fille aimable , je sais pourquoi je te déplais ;
C'est que l'arc hérissé de mon sourcil épais
Ombrage sur mon front le seul oeil qui m'éclaire ;
Que mon nez applati couvre ma bouche entiere .
Mais aussi , sous mes lois , on voit mille brebis
Épancher en tout tems les flots d'un lait exquis ;
Et même quand l'hiver attriste ce rivage ,
Par-tout sur mes clayons s'épaissit le laitage .
1
( 78 )
Dans l'art de faire entendre un hautbois pastoral ,
Nul Cyclope en ces lieux n'ose être mon rival ;
Et pour chanter mes feux et ton indifférence ,
Ma voix des sombres nuits anime le silence ..
Le cit. Gail ne trouve - t-il pas dans cette traduction
beaucoup de fidélité et d'élégance ? Ne suitelle
pas presque par- tout l'original avec autant
d'exactitude que pourrait le faire la prose ? Et peut-on
nier que le tour vif et serré du vers , que l'harmonie
et les balancemens de la période poétique n'ajoutent
beaucoup à l'effet de images ou des sentimens ?
Voici maintenant quelques - uns de ces endroits -
que le cit . Gail a sans doute en vue lorsqu'il parle des
âpres bergeries de Théocrite , et à l'occasion desquels
Fontenelle s'exprime ainsi : " Quand on dit que
Vénus , les Grâces et les Amours ont composé les
Idylles de Théocrite , je ne crois pas qu'on prétende
qu'ils aient mis la main à ces endroits - là . ",,
66
On y verra comment Firmin Didot se tire des plus
grandes difficultés .
Dans la V. idylle , Comate , pour le prix du combat,
dépose un chevreau , et engage Lacon à déposer , de
son côté , un agneau ; Lacon lui répond :
Le rusé ! tu voudras bientôt que je préfere
Ce lait vil , dont le chien se nourrit sous sa mere ,
Au nectar que la chevre épanche en longs ruisseaux .
Qui pourrait estimer le poil de tes chevreaux
Autant qu'une toison plus blanche que l'ivoire ?
Et un peu plus bas , Lacon dit à Comate , qui lui
propose de venir se reposer près de lui :
Moi , sur tes peaux de bouc ! l'odeur qui s'en exhale
Au loin infectant l'air , a passé jusqu'à toi .
( 79 )
Viens dans ces prés fleuris , viens fouler avec moi
Les toisons de brebis , duvet plus doux encore
Que n'est le doux sommeil au lever de l'aurore.
Je veux offrir moi-même aux nymphes de ces lieux
Deux vases , l'un rempli d'un lait délicieux ;
L'autre , de la liqueur que nous donne l'olive.
Dans la VII . idylle , Theocrite peint , de la má- -
niere suivante , le costume d'un chevrier nommé
Lycidas.
Du chef de son troupeau la dépouille sauvage ,
Portant au loin l'odeur des laitages nouveaux ,
De longs poils jaunissans hérissait tout son dos
On voyait attaché sous sa large ceinture ,
Un manteau que des ans a fatigué l'injure ;
Et sa main s'appuyait , pour affermir ses pas ,
Sur un bâton , coupé de l'arbre de Pallas :
Enfin , tout annonçait un conducteur de chevres.´
Nous citerons encore deux couplets de la chanson
que Théocrite met dans la bouche des bergers de la
VIII . idylle , où il change de mesure , en introduisant
le vers pentametre .
MÉNALQUE.
•
Quand la belle Philis arrive dans nos champs ,
L'abondance par- tout regne avec le printems ;
Par-tout sur les côteaux fertiles ,
Ruisselle des brebis le nectar argenté :
A-t-elle disparu , le pasteur attristé
Ne voit plus que des champs stériles .
DAPHNI S.
Le vol précipité des vents impétueux ,
L'or, le sceptre des rois ne flattent point més veux.
( 80 )
Heureux , sous ce rocher tranquille ,
Si je puis dans tes bras , aimable Lycoris ,
Chanter , en contemplant nos troupeaux réunis ,
Au bord des mers de la Sicile .
Le morceau suivant est la fameuse peinture du
Pêcheur , qui se trouve dans la Iere . idylle .
Près d'eux , un vieux pêcheur , tout courbé sur l'arêne ,
·
Lance un vaste filet qu'il souleve avec peine :
L'âge a blanchi son front , sans affaiblir son corps ;
Ses jambes sous le poids fléchissent accablees ,
Et sur son tol nerveux ses veines sont gonflées ( 1 ) .
Enfin , nous terminerons par la fin de la seconde
idylle ou de l'Enchanterèsse , que nous regrettons de
ne pouvoir citer toute entiere . On sait que Racine
regardait cette idylle comme le plus beau morceau
de passion de l'antiquité . Les efforts qu'on a faits jusqu'ici
pour en faire passer les beautés dans le français
, n'ont pas été fort heureux : ceux de Firmin
Didot le seront davantage .
Une femme abandonnée de son amant , et dans
tout le délire de la passion , cherche à le rappeller
par l'effet des enchantemens et des philtres . En invoquant
la lune , qui préside aux redoutables mysteres
sous le nom d'Hécate , elle lui raconte l'histoire
de ses amours et sa premiere entrevue avec le perfide.
C'est lui qui parle ; il lui peint tous
transports.
Qui , le feu de Vulcain ceḍe au feu de l'amour.
ses
( 1 ) Nous engageons le cit. Gail à comparer cet endroit avec
sa propre traduction ; et nous lui demandons si les vers ne
sont pas véritablement aussi fideles que la prose .
Tout
( di81)
Tout fléchit sous le joug de l'enfant de Cythere :
Il arrache la vierge à son lit solitaire ;
Et l'épouse fuyant le lit de son époux ,
Court d'un pas adultere à des plaisirs plus doux .
Il dit . Je l'écoutais suspendue à sa bouche ;
Et je le crus ! …….. ma main l'inclina vers ma couche .
Mon visage enflammé bientôt toucha le sien :
Je sentis tout son corps brûler contre le mien :
Nous ne pouvions parler : nous ne pouvions- nous taire.
Que te dirai-je enfin , astre que je révere ?
Enivré , palpitant d'amour et de plaisir ,
Le perfide n'eut plus à former de desir .
Ces citations sont plus que suffisantes pour faire
apprécier les espérances que donne le travail de
Firmin Didot . Nous ne doutons pas qu'avec la constance
qui lui est propre , il ne vienne à bout d'enrichir
notre langue d'une bonne traduction en vers
de plus ; et nous sommes bien sûrs que le cit. Gail
se félicitera d'être réfuté par ce nouvel exemple , et
de voir reproduire , sous une autre forme , un des
écrivains auxquels il a consacré ses veilles .
Avant de clore cet article , nous ne devons pas
oublier de dire que la nouvelle édition de Théocrite
est très - belle et très - soignée . Le texte en est
extrêmement pur , et l'éditeur en a fait disparaître
ces ligatures qui gâtent toutes les éditions grecques
d'Angleterre , d'Italie et d'Allemagne le latin est
également très- correct : enfin le papier est très-beau ,
et les figures sont dignes des artistes célebres dont
elles portent le nom .
Tome XXVI.
B
( 82 )
ÉCONOMIE POLITIQUE.
Des prisons de Philadelphie ; par un Européen . A Philadelphie
. chez MOREAU DE St. -MERY. Un volume in-8° .
de 44 pages. 1796.
EH bien ! je ne serai donc plus traité de rêveur et
de fou ; comme je l'ai été si souvent , pour avoir
soutenu que les hommes sont plus faibles que
méchans . Je conviens que j'ai depuis sept années ,
mal choisi mon tems pour soutenir cette these . Les
victimes nécessaires de la révolution et les victimes
infiniment plus nombreuses que l'on a sacrifiées sous
le vain prétexte de cette crise politique , ont servi
de texte à mes adversaires triomphans. Cependant
je dirai que j'ai toute ma vie prêché cette doctrine ,
et que je la prêche encore . Un Français retiré à Philadelphie
( Liancourt ) me prête de nouvelles armes
dans son opuscule sur les prisons de cette ville .
Je vous avouerai que mon admiration pour le respectable
Howard , qui a passé sa vie à visiter les
prisons de tous les peuples d'Europe , avait pour
motif plutôt sa constante philantropie
, que la profondeur
de ses vues. Il m'avait toujours paru se
tromper lorsqu'il assurait que jamais le travail des
prisonniers ne pourrait satisfaire aux frais de leur
entretien ( vol. I , pag. 41 ) : et j'avais trouvé dangereuse
cette assertion ( vol . II , pag. 227 ) ; que les fers
et les coups étaient indispensables
pour les conte(
83 )
nir. Les Quakers , ces hommes dont les bennes oeuvres,
répétées continuellement ,font oublier les erreurs
de spéculation , viennent de prouver le contrai .
à Philadelphie . Chargés d'après leurs sollicitations
du soin des prisonniers depuis 1792 jusques et y
compris 1795 , ils ont combattu , par une expérience
de 4 ans , et sur 2go détenus , la double erreur du
respectable Horward .
L'état de Pensylvanie a restreint , en 1793 , la peine
de mort au meurtre prémédité ; et il a borné la punition
des autres crimes à une détention plus ou moins
longue , plus ou moins sévere , en laissant au gouverneur
la faculté d'en abréger la durée . Les prisonniers
détenus en conséquence d'un jugement , sont
connus sous le nom de convicts ; et c'est de ceux -là
dont l'auteur nous entretient.
La conduite des prisons de Philadelphie esa
fondée sur deux principes incontestables ; l'un , que
la punition doit avoir pour objet l'amendement
du coupable , et doit lui en fournir les moyens ;
l'autre , que cette punition ( ici la détention ) étant
une réparation faite à la société , elle ne doit pas
grever ses finances . D'où il résulte , 1 ° . que le régime
des prisons est dirigé de maniere à amener les détenus
à l'oubli de leurs anciennes habitudes , à la réflexion
sur eux-mêmes ; et par elle , à l'amendement . 2 ° . Que
l'injustice , l'arbitraire , les mauvais traitemens sont
bannis de cette maison , parce qu'ils révoltent l'ame
et la remplissent d'amertume , loin de la disposer au
repentir. 3º . Enfin , que les prisonniers sont constamment
employés à des travaux productifs , pour leur
faire gagner les frais de la prison , et pour leur pié
F. 2
( 84 )
parer quelque ressource au moment où finit leur
captivité.
Deux moyens principaux ont paru propres à opérer
ce bien . Le choix de la nourriture et la solitude forcée
désignée par les mots solitary confineméut. Le déjeûner
et le souper consistent en un pudding ( potage ) de farine
de maïs et de mélasse . A dîner , une demi -livre de pain,
des légumes et une demi -livre de viande . L'eau est
l'unique boisson ; jamais , jamais les prisonniers ne
boivent de liqueurs fermentées , pas même de la petite
bierre ; l'entrée en est séveremment proscrite , et
la proscription religieusement observée .
L'espece d'animation qu'en reçoit l'ouvrier n'est
qu'une vigueur factice et momentanée . Elle deviendrait
, pour le prisonnier , une irritation qui allumerait
son sang ; qui empêcherait , par conséquent , l'effet
du régime tempérant par lequel on s'efforce de l'adoucir
, d'en changer la nature . Il trouve sa force
dans la nourriture substantielle qu'il prend , et qui ,
par le même principe , doit être bornée au juste nécessaire
. La différence de ce régime diététique à
celui que lé détenu suivait avant son jugement , le
changement absolu de nourriture pour la qualité et
pour l'espece , renouvellant entierement son sang ,
l'adoucissant , le rafraîchissant , amollissent son ame
et la disposent à la douceur qui amene le repentir.
Les inspecteurs de cette prison ont une grande foi à la
sûreté de cette observation , et comptent le régime
des prisonniers au nombre des moyens qui aident le
plus efficacement à leur amendement , en changeant
leurs idées et leurs dispositions .
Les convicts forment deux classes : 1ere , ceux qui sont
t
( 85 )
sondamnés pour les crimes jadis capitaux , et leur
sentence ordonne toujours le solitary confinement pour
une partie du tems de la détention , à la volonté du
juge , mais que la loi fixe à la moitié au plus , et au
moins au douzieme ; l'autre classe est celle des détenus
condamnés pour de moindres délits , et dont
le jugement ne porte pas le solitary confinement.
Le criminel condamné à cette solitude est renfermé
dans une cellule de huit pieds sur six , et de neuf
d'élévation . Cette cellule , toujours au 1er. ou au ge .
étage d'un bâtiment voûté et isolé , est échauffée par
le pcële du corridor. Le prisonnier , séparé du corridor
par deux grilles de fer , reçoit la chaleur , sans
pouvoir nuire avec le feu . Les précautions pour la
salubrité sont entières ; ces cellules , ainsi que le
reste de la maison , sont blanchies deux fois par an .
Le prisonnier a un matelas et une couverture . Là ,
éloigné de tous les autres détenus , livré à la solitude ,
aux réflexions et aux remords , il n'a de communication
avec personne ; il ne voit même le porte - clé
qu'une fois par jour , quand il lui apporte son pudding
grossier de maïs et de mélasse . Ce n'est qu'après un
certain tems qu'il obtient la permission de lire , s'il la
demande , ou de travailler aux objets compatibles avec
son étroite réclusion . Jamais , hors le cas de maladie ,
il ne`sort , ne va pas même dans le corridor , tant
que dure cet emprisonnement . Les inspecteurs des
prisons ont la liberté d'en placer l'époque à leur
choix , pourvu que la proportion ordonnée par la
sentence ait lieu dans le cours du tems que doit durer
la détention. Ils en placent une grande partie à
l'arrivée du convict dans les prisons , parce que la
F 3
( 86 )
4
portion la plus rigoureuse de la sentence doit , selon
toute justice , en suivre immédiatement la proclamation
, et être par-là autant rapprochée que possible
du crime qui l'a méritée ; ensuite parce que la sévérité
de cette réclusion absolue serait plus horrible
encore pour lui , s'il avait déja joui de la liberté des
autres prisonniers ; parce qu'enfin , dans cet abandonnement
total de tout être vivant , il est disposé
à descendre en lui -même , et à réfléchir sur les fautes
dont il sent si amerement la peine .
Le travail est proportionné aux forces et à la capacité
des convicts . Il y a dans la maison des métiers de
tissérands , des établis et des outils de menuisiers , des
boutiques de cordonniers , de tailleurs . Les prisonsonniers
de ces professions peuvent s'y livrer , Les
autres sont employés à scier du marbre , à le polir ,
à faire des copeaux de bois de cedre , à broyer du
plâtre de Paris , à carder de la laine , à battre du
chanvre . Les inspecteurs viennent d'ajouter à ces
ateliers une manufacture de cloux . Les plus faibles ,
les plus maladroits des convicts épluchent de la laine ,
du crin et de l'étoupe . Chacun est payé à raison
de son travail . Le marché est fait entre le concierge.
et les différens entrepreneurs de la ville , pour chaque
sorte d'ouvrages , et en présence du convict . Celui- ci
doit payer sa nourriture , sa part de l'entretien de
la maison , de la location des outils . Ce prix , variable
comme le prix des denrées , est fixé par les inspecteurs
, quatre fois l'année . Il était en nivôse an IV
( janvier 1796 ) , de 15 pences de Philadelphie , ou
92 centimes de France ; et l'homme le plus vieux ,
ne travaillant qu'à éplucher des étoupes , peut gagner
87 )
21 ou 22 pences ( 1 franc 25 centimes ) . Il y a des hommes
qui gagnent plus d'un dollar ( 5 francs ) par jour. Il
en est qui , après une détention de six mois , sont
sortis avec 50 gourdes ( environ 260 francs ) . de gain
réel . Cependant , indépendamment de la pension
que le travail des convicts doit payer , la loi les condamne
à acquitter les frais de leurs procès , l'amende
composée d'une partie due à l'Etat , qui est souvent
remise , et d'une partie consacrée à la restitution
des effets volés , qui n'est jamais remise .
Le geolier n'est plus ici un exacteur qui met å
contribution la faiblesse , la captivité , la misere même
des prisonniers. Point de bien -venue , point de rétribution
pour les faveurs particulieres , point d'argent à
payer en sortant. Aucun prisonnier n'est mis aux
fers ; les coups , les mauvais traitemens , les menaces ,
les reproches , sont interdits à ceux qui les approchent
; le solitary confinement est la plus forte punition
; tout le régime de cette maison de répression
tend à en faire une maison d'amélioration . D'après
cela , la place de geolier ne répugne à personne . Les
appointemens en sont très - bons , et les gages de ses
quatre sous - ordres sont suffisans pour les faire vivre.
convenablement.
La nourriture est achetée par le geolier sous les
yeux des inspecteurs , et apprêtée par un convict ,
qui est payé par les autres pour cette fonction . Le
convict qui fait les fonctions de barbier est aussi payé
sur les frais de pension . De sorte que le geolier et
ses quatre sous - ordres , sans armes , sans chien , et
même sans baguette , gardent facilement 280 prisonniers.
F 4
( 88 )
Le matin , avant que de commencer le travail ,
les convicts sont obligés de se laver les mains et le
visage . En été , ils se baignent deux fois par mois
dans un bassin creusé au milieu de la cour. Ils sontrasés
deux fois par semaine,, et changent de linge
autant de fois .
Douze inspecteurs sont chargés de l'administration
et de la surveillance de la prison . Six sont remplacés
tous les six mois par le choix des inspecteurs
eux-mêmes , Ils peuvent être continués , s'ils y consentent.
Tel est le respectable Caleb - Lownes , qui n'a
cessé de l'être depuis les quatre ans que dure cette
admirable réforme , et à qui l'on en doit l'établisse -
ment, malgré des obstacles sans nombre.
Avant cette réforme , les mémoires du médecin
s'élevaient , par quartier , de 260 à 320 gourdes ( de
300 à 350 franes ) ; et aujourd'hui , dans le même intervalle
, ils ne passent pas 40 gourdes . Cette énorme
différence doit être attribuée au changement total
de régime .
Quant à la sûreté de la prison , il faut remarquer
que , pendant les quatre ans , aucune tentative
d'évasion n'a été faite par les prisonniers ; neuf
seulement , qu'un excès de confiance avait laissé travailler
hors de l'enceinte , se sont échappés , et quatre
d'entre eux ont été repris .
Voilà donc en quatre ans , rendues utiles à la société
au moins 200 personnes , qui , par l'ancien régime
et d'après le code pénal de presque tous les
Etats de l'Europe , eussent été destinées à en être le
fléau pendant toute leur vie , ou à en demeurer
( 89 )
"
constamment séparées , ou enfin à en être arrachées
par d'affreux supplices !
• •
Peuple heureux ! quand pourront les Français
Se donner comme vous entiers à ces emplois ?
· · Quand la paix viendra-t-elle
Nous rendre comme vous tout entiers aux beaux-arts ?
BEAUX ARTS.
Sur le Salon de l'an V ( 1796 ) .
PATIENCE.... à peine êtes - vous débotté ... vous le
---
verrez demain , après demain , et quelque tems encore
. ·Ah ! mon ami , vous savez que j'adore les arts ,
que j'en suis fou... J'accours pour voir le salon , et
vous me retardez ! . Partons ; puisque vous avez
fait dix-huit lieues pour le voir , il serait cruel de retarder
un plaisir que vous espérez sentir bien vivement.
Bien vivement , c'est le mot . Quelle bonne
idée d'ouvrir le salon tous les ans et à tous les artistes
! Vous êtes sûrement de cet avis . Pas toutà-
fait ; et je crois que la visite que nous, allons fui
rendre pourra bien vous faire changer de sentiment.
Nous en causerons au retour.
-
Nous y voilà .... Que de travaux ! Il a fallu employer
à leur exposition toutes les salles basses du Muséum !
Combien les arts ont gagné depuis l'année passée !
En surface ... Bon , vous frondez toujours ; vous
n'admirez rien . Montons au salon , et je vous prou
-
-
―
verai le contraire . - Soit. COM
Que dites- vous de ce
( go )
portrait ? C'est Isabey ; je le reconnais ; il est vivant,
-
Je suis de votre avis ; et le tableau est digne de
la réputation de Gérard . — Bon ; vous plaisantez
toujours. Point du tout ; ce serait un Vandick ,
sans ce maudit effet de lumiere qui fait trou dans le
tableau .... et puis la petite femme ! oh ! l'amateur ,
mettez la main sur la conscience ; vous savez assez de
perspective pour voir que la petite femme est trop
petite. Oh bien je boucherai le trou avec ma
main droite ; et je jouirai du reste sans distraction.
C'est le ben parti.
Mais comment ferez - vous pour borner votre vue en
regardant le Caton de Cacault , et pour n'y voir que le
beau?-Mafoi , je n'en sais rien.- Ni moi non plus.
-Polyscope , Duval n'en dit que du bien et beaucoup
de bien . Les autres , en plus grand nombre , le trouvent
gris , crud ; voient deux manequins dans les figures du
fond ; rient de la prude draperie qui voile le sexe
de Caton ; esperent cependant beaucoup de l'auteur
d'après ce premier tableau , quoiqu'il ne soit plus
dans la fleur de l'âge ... D'après cette discordance , il
m'est impossible d'avoir un avis arrêté ; j'attendrai un
second ouvrage du même artiste pour asseoir mon
jugement sur son talent.
-
-Vous n'attendrez pas si long-tems pour Belle . La
composition de son tableau d'Anaxagore et Périclès
est sage , les costumes sont vrais , les figures posées
avec tranquillité . Mais la couleur est faible ; et
puis ne faut- il pas un OEdipe pour expliquer le sujet
de la composition ; pour trouver quelque rapport
entre une lampe qui s'éteint , et les personnages du
tableau. Grave critique , vous en diriez sans doute
-
( 91 )
autant du testament d'Eudamidas : ce bel ouvrage
est cependant du Poussin . Oui , je blâme cé choix ;
et je n'ai voué à personne un respect ou une estime
aveugle . Le Poussin n'aurait-il pas pu placer dans
cette scene un Scribe venant de recueillir les dernieres
paroles d'Eudamidas , et tenant un rouleau
sur lequel on lirait des mots grecs qui voudraient
dire : Je legue ma femme et ma fille à ..... Paix donc ; les
enfans vous écoutent ; et vous parlez ainsi du Poussin....
le mot est lâché ; je ne me rétracterai pas.
-
N'en serait- il pas de même du Bélisaire de
Peyron. On admire la belle ordonnance , le bon
choix de têtes . Mais tous les personnages sont vêtus
comme des consulaires ; et malgré le casque placé
aux pieds de Bélisaire , rien n'indique l'apparition
de ce héros chez des paysans . Ne desireriez-vous
pas un ton plus chaud et plus d'ame dans les acteurs
de cette scene ?
-Cette jeune fille assise sur l'appui d'une fenêtre
est de Sérangely. Il aime les doubles effets de lumiere.
Sa Charité Romaine du dernier salon en offrait
aux spectateurs deux très-bons , très - décidés .
Aujourd'hui on ne sait si la lumiere qui vient du
dehors appartient au soleil ou à la lune . J'ajouterai
que la figure n'est pas dessinée , comme on doit
l'exiger d'un éleve de David.
-
Tenez , homme difficile , voyez une belle ordonnance
de Le Barbier , un beau groupe dans le
milieu , de riches fabriques et des marbres précieux
dans le fond : tout cela vit..... C'est ce que je
nie. C'est le château de la Belle -au - bois - dormant ;
tous les personnages sont en attitude d'agir , mais
-
5
( 92 )
ils attendent leur désenchantement. Je dirais de plus
que le stylè en est académique ; mais je craindrais de
répéter une des mille invectives que les jeunes auteurs
et les amateurs qui n'étaient pas membres des
acadèmies , ont écrites tant de fois depuis sept ans
contre ces sociétés . Vous êtes donc pour les académies
! ....... Elles ont cependant retenu dans leur
routine des talens que la nature avait destinés à
s'ouvrir de nouvelles routes .... En vous rappellant
Vien , le restaurateur de l'école française , j'aurai répondu
à cette supposition .
---
Passons en Sicile où Taillasson nous transporte.
Plât au ciel que le voisinage de l'Etna eût échauffé
sa verve ! La tête de Timoléon et celles de quelques
personnages secondaires sont bien étudiées ; mais le
ciel brûlant de la Sicile où est- il ? où sont les personnages
fiers et libres qui bénissaient chaque jour
Timoléon d'avoir brisé leurs fers ? Et les jambes du
héros , comment sont - elles dessinées ? Vous êtes
impitoyable , lorsqu'il s'agit d'incorrection de dessin .
N'ai je pas raison ? C'est la pureté de dessin qui
forme le caractere distinctif de notre nouvelle école .
Ainsi , point d'indulgence ..... Peut - être un jour aunous
de plus le droit rons - d'être sévere pour le
coloris.
-Je le souhaite...... Voyez déja les tableaux de
Sablet. Voilà de l'harmonie , un coloris frais , l'athmosphere
de l'Italie . Courage , Sablet ; un peu moins
d'abondance et quelques jambes mieux dessinées .
Toujours les jambes .... C'est que l'on pêche
si souvent par là . On est si long- tems à dessiner des
têtes , en comparaison du tems que l'on emploie à
-
( 93 )
"
dessiner la figure entiere , que l'on s'en ressent pen
dant toute sa vie .
·
A propos des jambes , le Milon de Meynier
m'en offre une que j'ai vue souvent à Versailles ,
celle du Milon du Puget . En vérité ce ressouvenir
de peintre est un peu trop précis. On en peut dire
autant du bras et de la main serrée dans l'arbre ; ne
sont- ce pas le bras et la main du sujet de réception
de Falconnet , de son Milon ? Il paraît que Meynier
a beaucoup modelé. Son tableau a l'air de présenter
un morceau de sculpture . Le travail et le choix
du sujet sont hardis pour un jeune homme. Je lui
demande cependant de réfléchir sur la pose du Milon ,
La main qui a fait effort est placée au niveau de la
tête. L'étude des lois de la méchanique Ini aurait
appris que nos forces deviennent presque nulles à
cette hauteur.
--
- Voici une bacchante du même peintre . Que sa
chair esr rose ; cet incarnat est trop vif : il n'y a pas
de belle peau colorée si vivement .
par
Voici des ruines de Robert , et même du neuf.
Du neuf? Oui , c'est une vue du Muséum éclairé
le haut. Bon cela. Je me rappelle seulement
qu'un architecte m'a dit que les arcs y
étaient trop
multipliés , et morcelaient ce beau local dont la
vaste étendue est le principal mérite .
Que ce défenseur de la patrie est reconnaissant
! Sicardy , voilà un sujet national bien choisi ,
bien exécuté . Si la tête de la jeune et sensible fille
était moins poupine ..... Toujours des si , des mais !
-Je vous répondrai ..... Toujours des hommes , toujours
des imperfections !
-
( 94 )
Les monumens et sites d'Italie de Dandrillon
sont d'une grande vérité , et l'on revoit avec plaisir
la galerie de Florence et le château Saint-Ange .
L'exactitude et la précision n'affaiblissent - elles pas
un peu dans ce peintre la chaleur et la touche ?
-Pénétré de ce principe , on ne craint point la mort,
dit , en lisant un traité de l'immortalité de l'ame ,
un pere à son fils . Voilà ce qu'annonce le livret ,
en expliquant le tableau de Suvée ; mais voilà ce
qu'un tableau ne saurait rendre . Mauvais choix , s'il
est libre . Trop de condescendance , si le sujet a été
donné . La teinte grise qui regne dans toute cette
composition n'était pas nécessaire pour indiquer une
prison . Le rouge , quoique moins éclairé , est tou
jours rouge , etc.
-
-De qui est cette jeune fille qui conduit sen pere
aveugle ? Mais avant que de vous répondre , que
dites -vous du tableau ? Qu'il est brillant , que la
fille est jolie ……….. - Oh oui ; jolie , comme un modele
pris dans les rues qui avoisinent le théâtre Italien ;
bien coloré , bien hardi , bien entraînant . Quel vieillard
quelle barbe ! quels cheveux ! Ils ont l'air
d'appartenir à un Triton. Et ces draperies , par combien
de vents contraires sont- elles agitées ! ..... Quel
est l'auteur ? ...... Rien n'annonce la connaissance du
beau idéal ..... - De grace , le nom du peintre ? .......
-Neveu , qui donne de si bonnes leçons de son art
à l'école polytechnique . Cela est - il possible ?
- Très- possible ; et tenez , regardez sous le nº . 396 ,
ce voyageur qui donne à manger à son cheval . Y
a- t- il de la vie dans ce portrait ? Il est encore d'un
peintre qui , dans la nouvelle encyclopédie , a écrit
( 95 )
pafitement sur les beaux-arts ! — C'est donc une
fatalité attachée aux peintres- écrivains ! — Non , mon
ami. Consolez - vous demain nous reviendrons ici ,
et la vue de la cene de Léonard de Vinci vous
rappellera un homme qui a manié , avec un égal
succès , la plume et le pinceau. A demain,
( La suite au prochain numéro. }
MÉLANGES.
Pensées et réflexions d'HELVETIUS ( 1).
Les hommes sont toujours contre la raison quand
la raison est contre eux .
Faire sa fortune n'est pas le synonyme de faire son
bonheur ; l'un peut cependant s'accroître avec l'autre.
Ceux qui sont accoutumés à disputer dans les lieux
publics, doivent plutôt savoir l'art de rendre des idées
que la maniere de trouver des vérités .
Rarement les ministres qui ont de l'esprit choisissent
des hommes supérieurs pour les mettre en
place ils les croient trop indociles , et pas assez
admirateurs.
Il n'y a qu'un imprudent qui risque d'avoir de
T'esprit devant les gens qu'il ne connaît pas.
On sacrifie souvent les plus grands plaisirs de la
vie à l'orgueil de les sacrifier.
On ne peut pas en compagnie juger de tout l'esprit
d'un homme on peut juger de la partie bonne
à la société , mais non pas de la profondeur des idées.
( 1 ) Extrait de l'édition complette des Enures d'Helvétius ,
imprimée chez Didot l'aîné .
( 96 )
Il serait aisé de faire un livre pour prouver qu'une
société de gens qui se conduiraient selon l'évangile
ne pourrait subsister .
La sottise veut toujours parler , et n'a jamais rien
à dire ; voilà pourquoi elle est tracassiere .
Le principe de notre estime ou de notre mépris
pour une chose , est le besoin ou l'inutilité dont elle
nous est.
La religion a fait de grands maux , et peu de petits
biens .
Les hommes laids , en général , ont plus d'esprit ,
parce qu'ils ont eu moins d'occasions de plaisirs et
plus de tems pour étudier.
On ne prendra jamais le mot homme pour cheval ;
mais on prendra réfléchir pour penser. Tout mot collectif
occasionne des disputes . Il n'y en a point aux
mots d'images .
Quand une science ne produit pas un bien trèsprès
de sa source , on la regarde comme inutile . C'est
un ruisseau qui semble se perdre dans la terre , et
qu'on ne voit point produire une autre source .
Dans un gouvernement , il arrive tous les jours
des malheurs auxquels on ne peut remédier , faute
de remonter à une source très-éloignée , que souvent
l'ignorance des ministres a fait tarir , tandis qu'on en
ouvre d'autres dont le cours inconnu va empoisonner
le bonheur public.
II y a des chiens bons à une chasse , d'autres à
d'autres chasses . Pourquoi ne prendrait-on pas des
amis dont on se servirait , des uns pour rire , d'autres
pour raisonner ; enfin , d'autres pour pleurer avec
nous ?
On est souvent trop sage pour être un grand
homme. Il faut un peu de fanatisme pour la gloire
et dans les lettres et dans les gens d'état .
La
( 97 )
La justice est un rapport des actions des particuliers
au bien public.
On tirerait des conséquences utiles de savoir que
la mémoire est la même chose que le jugement et
l'imagination . On pourrait déterminer quelles réflexions
ou jugemens fera un homme en conséquence
des faits qu'il a dans la mêmoire , et quelle sorte de
réflexions arrivera en conséquence d'une érudition
vaste et profonde .
L'histoire est le roman des faits ; et le roman , l'histoire
des sentimens . L'histoire apprend que la vertu
n'a rien à gagner avec les hommes ; que sur cent à
peine s'en trouve- t-il un vertueux par inclination ;
qu'ils sont tous faux , perfides , etc. Le roman nous
présente des modeles de fidélité , de droiture .
:
Le génie ressemble à ces terres vastes où il
y a des
endroits peu soignés et peu cultivés dans une si
grande étendue tout ne peut être peigné . Il n'y
que les petits esprits qui prennent garde à tout : c'est
un petit jardin qu'ils tiennent aisément peigné .
Pas plus de sûreté dans un dévot que dans un courtisan
; l'un abandonne son ami pour faire fortune
auprès de son roi ; l'autre , pour la faire auprès de son
-Dieu .
Les gens du monde aiment les gens qui ont plusieurs
sortes d'esprit , parce qu'ils croient avoir plus
d'analogie avec eux .
L'esprit ébauche le bonheur que la vertu acheve.
Pourquoi dit- on souvent que les gens d'imagination
font des projets fous ? C'est que , pour exécuter
leurs projets , il faudrait avoir autant d'esprit qu'eux ;
et ceux qui ne voient point de moyen de les exécuter
aiment mieux dire que le projet est inexécutable
, que d'avouer qu'ils n'auraient pas l'esprit de
l'exécuter. Ce raisonnement est confirmé par l'expérience.
Les grands hommes sont ceux qui iaventent
et exécutent des choses que les auties hommes
Tome XXVI. G
( 98 )
croyaient impossibles . Mais pour cela il faut que la
fortune mette les hommes dans une place où ils
puissent exécuter ce qu'ils ont inventé ; sans quoi ils
passent en général pour des rêveurs .
Dans les tems de malheur , on aime plus la vertu
que l'esprit , parce qu'on en a plus de besoin , et non
pas , comme on dit , parce qu'elle vaut mieux . C'est
toujours nos besoins qui nous font préférer une
chose à l'autre .
Ce qui fait le bonheur des hommes, c'est d'aimer à
faire ce qu'ils ont à faire. Cest un principe sur lequel
la société n'est pas fondée .
Un homme qui serait beaucoup au - dessus des autres
hommes n'en doit point être estimé
voit au- dessus d eux n'est point vu par eux.
ce qu'il
Un sage jouit des plaisirs , et s'en passe , comme
on fait des fruits en hiver .
L'envie dit souvent qu'un tel livre ne fait du bruit
que par sa hardiesse , pour dire hautement : « Je
passerais pour avoir autant d'esprit que cet homme-
,, là si j'étais aussi imprudent . Vérité hardie est
une vérité importante au grand nombre , et peut-être
nuisible à des hommes ou à des corps puissans . Celles
qui ne font point de bruit n'ont donc nulle importance
; les auteurs de ces vérités devraient donc moins
s'applaudir de leur prudence que rougir de l'inutilité
de leur esprit.
Lorsqu'il tombe une étincelle de l'amour dans un
coeur , elle l'anime ; mais si l'amour en approche son
flambeau , il le consume.
Il y a des gens qu'il faut étourdir pour les persuader.
La vérité est pour les sots un flambeau qui luit dans
le brouillard sans le dissiper .
La suite au numéro prochain.
.
( 99 )
VARIÉTÉ S.
Ouverture du Lycée républicain.
L'OUVERTURE de ce Lycée s'est faite le 11 de ce
mois . On sait que cet établissement , qu'il ne faut
point confondre avec le Lycée des arts , compte douze
années d'existence , et offre la réunion de beaucoup
d'objets d'instruction , à tout l'agrément que l'on
peut trouver dans les clubs . Différens cours de
sciences , de littérature et de langues ; les journaux
étrangers et français , une bibliotheque choisie , un
local vaste , commode et bien échauffé , sont les avan
tages dont peuvent jouir les étrangers , comme les
nationaux .
Le cit . Gautherot , chargé d'un cours d'arts et métiers
, lut un discours qui avait pour objet de montrer
le degré d'utilité et d'influence des sciences mathématiques
et naturelles sur le perfectionement des
arts. On a regretté que l'auteur eût fait un emploi
aussi fréquent de plusieurs expressions néologiques
et d'invention moderne , beaucoup moins convenables
à son sujet qu'à tout autre .
Après lui a parlé le cit. Dumoustier , connu par ses
lettres à Émilie sur la mythologie , de petits vers légers
, et quelques comédies , que l'on n'accusera
point d'être une imitation du genre de Moliere , de
Regnard , ni même de Destouches , mais où étincellent
les traits de l'esprit du jour et ces jolies finesses
de style que l'on est convenu d'applaudir sur la scene
moderne . Il professe au Lycée la morale . Il avait
choisi , pour sujet de son discours , les femmes . C'ètait
un sujet délicat à traiter comme moraliste ,
tout en présence d'un auditoire composé de femmes
et de jeunes gens . L'orateur s'en est tiré fort habilement
, en ne parlant point des devoirs , mais beau
coup de la maniere dont les femmes doivent embellir
et développer leurs vertus . Ç'a été la plus jolie ga
sur-
G 2
( 100 )
lanterie morale que l'on pût entendre. Il n'est pas
besoin de dire que ce discours fut très -applaudi .
Le cit . la Harpe , que l'on n'avait point entendu
depuis trois ans au Lycée , y a reparu avec un succès
auquel il est accoutumé. Dans un discours dont la
lecture a duré une heure et demie , il a fait un tableau
historique des progrès des lettres depuis le bas empire
jusqu'à nos jours ; on y a retrouvé le talent d'un
littérateur' familiarisé avec les leçons du goût , et auquel
la véhémence de l'action et le souvenir de ses
malheurs a ajouté un nouveau degré d'énergie ; son
discours a obtenu les applaudissemens des uns , et a
été écouté avec moins de bienveillance par les autres ;
effet inévitable du dissentiment des opinions , lorsqu'on
veut mêler des objets politiques à des objets de
pure littérature .
Voici la note complette des divers objets qui sont
arrivés en dernier lieu d'Italie.
Caisses destinées pour la Bibliotheque nationale.
Manuscrits et anciennes éditions provenant de la
bibliotheque ambroisienne et de celle de Brera à
Milan.
Livres provenant de la bibliotheque de l'Institut
de Bologne.
Anciennes éditions provenant de l'Abbaye de St.
Salvator de Bologne.
Idem..... de l'Institut de Bologne .
Manuscrits provenant de l'abbaye de St. Salvator
de Bologne .
Les donation faites à l'église de Ravenne sur Papyrus
en 490 et 491 , provenant de l'Institut de Belogne.
( 101 )
Le manuscrit des antiquités de Joseph , sur Papyrus.
Un Virgile manuscrit ayant appartenu à Pétrarque ,
avec des notes de sa main .
Le carton des ouvrages de Léonard de Vinci .
Le manuscrit sur l'histoire des papes .
Le manuscrit de la main de Gallilée sur les fortifications.
Un autre du même , sur le flux et le reflux de la
mer
Caisse destinée pour le Muséum d'histoire naturelle.
L'herbier de Haller , en 60 volumes , provenant de
l'université de Pavie .
Collection des substances volcaniques , faite par
Spalanzani , et extraite de l'université de Pavie .
Quatre volumes de Haller , et d'autres livres provenant
de l'université de Pavie .
Minéraux donnés par le P. Pini de Milan .
Deux aiguilles de crystal de roche , provenant de
la bibliotheque ambroisienne de Milan .
Deux cadres , renfermant des lamelles de différens
bois , provenant de la société de Milan .
Différentes graines de Milan .
Minéraux provenant de l'institut de Bologne .
L'herbier d'Aldrovande , en 16 volumes , provenant
du même Institut.
Grande pierre de Florence , provenant de la bibliotheque
ambroisienne de Milan .
Collections de marbres et pierres fines , provenant
de l'Institut de Bologne.
Figures manuscrites d'Aldrovande , en 17 volumes,.
provenant de l'Institut de Bologne .
Caisses destinées pour l'Institut national.
Ouvrages de divers savans d'Italie .
Ouvrages périodiques .
Douze petits manuscrits de Léonard de Vinci , sur
les sciences .
Les ouvrages de sciences imprimés à Pavie .
G 3
( 102 )
1
Le journal de physique ; idem ... de médecine . L'un
et l'autre de Brugnatelli.
Les tables anatomiques de Haller , avec des correc
tions et additions de sa main .
Envoi destiné pour l'École polytechnique .
Un microscope .
Idem..... Solaire , pour les objets opaques ,
Idem..... pour la nuit.
Une chambre obscure nécessaire à l'objet précédent
.
Quant aux tableaux et autres objets d'arts , choisis
et encaissés par un nommé Tinct , avant l'arrivée de
nos commissaires en Italie , à l'exception de cinq vases
erusques , qui sont , il est vrai , de la plus grande
beauté ; il n'y a rien qui fût digne d'être offert à la
République Française .
Le meilleur tableau est une Ste . Famille de Léonard
de Vinci , peinte sur bois , et portant environ
40 pouces de haut sur 36 de large . Sans être un des
plus beaux ouvrages de ce maître , il a cependant un
très-grand mérite ; mais il a souffert , et l'on y remarque
plusieurs repeints.
On distingue parmi les autres 2. 1º. un prétendu
orig nal de Rubens , et de Brenghel , dit de Velours ,
représentant la Vierge , tenant l'Enfant -Jésus , entourė
d'une guirlande de fleurs , de forme ovale . C'est une
copie .
2º. Un tableau sur bois , par Lacas , de Hollande ,
peinture gothique , représentant la Vierge , Ste . Catherine
, etc. , ayant d'anciennes fentes , des repeints
et des écailles .
3º. Deux tableaux médiocres , de Fra Bartolomeo ,
et de Jean- Marie , la Vierge , l'Ange Gabriel , deux
Chérubins , etc.
4°. Quatre petits tableaux , par Breghenl de Velours ;
les quatre élémens , avec les figures principales , par
van Balen , sur cuivre , bien conservés ; et un autre
tableau du même , représentant Daniel dans la fosse
aux lions , aussi bien conservé . Ne paraît- il pas extraor
dinaire que les contributions de l'Italie soient des
( 103 )
productions flamandes , et sur-tout d'un maître eru et
sec , tel que Prenghel ? On croit d'ailleurs que ceuxci
, dans le nétoyage deviendront bien bleux et bien
verds .
5º. Un petit St. Jean , sur bois , par Lomini , éleve
de Léonard de Vinci ; il a souffert , mais la tête est
d'un caractere agréable .
6. Les Anges en contemplation devant l'Enfaut-
Jésus , sur toile , 18 pouces sur 20 ; attribué au Guer
chin , copie moderne et médiocre.
7º. La Foi , l'Espérance et la Charité , sur cuivre ;
15 pouces sur 18 , à l'Albane ; copie très-molle et
très -mauvaise .
8. Autre copie d'après l'Albane , représentant le
Christ dans le désert servi par les Anges .
9. Un Christ apparaissant à la Vierge , forme ovale
en travers , sur cuivre , par l'Albane , mais du vieux
tems de ce maître .
10º. Une Ste . Famille de 5 figures , sur bois eintré
d'en haut , par un des premiers maîtres de l'Italie ,
( non pas des meilleurs , mais des plus anciens . )
11°. Un Ex voto où est représenté St. François , avec
cinq figures , copie de Seguidone .
12º . Une tête de Vierge , copie du Gui de.
Parmi les dessins , il y en a un de Jules Romain ,
deux de Léonard de Vinci , qui sont vraiment de ces
maîtres , mais deux ou trois attribués à Raphaël , de
Paul Veronese , et Adrien , dit Sarte , qui ne sont que
des copies.
En antiquités , outre les vases étrusques , un masque
en bronze , et deux pateres , objets précieux et intéressans.
Du reste , des vases , des coupes , et d'autres objets
fort médiocres , et qui ne sont précieux ni pour la
forme , ni pour la matiere .
ANNONCES.
Euvres complettes d'Helvétius ; quatorze volumes in- 18 , de
l'imprimerie de Pierre Didot l'aîné , rue Pavée - André - des-
Ares , nº. 28 ; se vendent chez Firmin Didot , libraire ,
GA
( 104 )
rue de Thionville , no . 116. Prix , 21 liv . Il y en a eu 200
exemplaires tires sur papier vélin . Prix , 72 liv ."
On trouve chez les mêmes , les OEuvres complettes de Montesquieu
, avec des notes d'Helvétius sur l'Esprit des Lois .
Douze volumes in- 18 , imprimés aussi par Didot l'aîné . Prix ,
18 liv. Il en a été tiré 200 exemplaires sur papier vélin .
Prix , 72 liv .
Traduction du premier livre complet des odes d'Horace , suivie
de quelques poésies diverses , par Pierre Didot l'aîné . Un
volume in-8 . avec le texte. A Paris , de l'imprimerie du
même. L'an Ve . ( 1796 ) .
De l'Influence des Passions sur le bonheur des individus et des
nations ; par madame la baronne Staël de Holstein . Un volume
¿R-8° . A Lausanne , et se trouve à Paris chez Fuschs , libraire ,
rue des Mathurins , maison de Cluny . 1796.
De l'Egalité , ou Principes généraux sur les Institutions civiles ,
politiques et religieuses , precéde de l'éloge de J. J. Roussseau ,
en forme d'introduction . Deux volumes in-8 ° . A Paris , chez
le même. 1796,
Mémoire sur les Argiles , ou recherches et expériences chy-"
miques et physiques sur la mature des terres les plus propres
à l'agriculture , et sur les moyens de fertiliser celles qui sont
stériles . Par M. Baumé , maître apothicaire de Paris , et démonstrateur
en chymie . Un volume in- 18 . Prix , 15 sols pour
Paris ; et 20 sols , franc de port , pour les départemens .
A Paris , chez Meurant , libraire , rue de Laharpe , vis-à-vis ia
rue Serpente , nº . 20. L'an V. 1796. ~
On croit rendre service aux amateurs des sciences , en
leur annonçaut que le célebre cabinet d'anatomie artificielle
de feue mademoiselle Biheron , à laquelle l'académie
des sciences avait accordé les plus grands éloges , d'après
le rapport du savant Vicq- d'Azir , sera vendu à Paris , en
l'étude du cit. Boulard , notaire , rue André - des- Arcs , le
23 frimaire an V , sur les cinq heures après - midi .
en
On peut voir dans la matinée ce cabinet à Paris ,
la demeure de la feue citoyenne Biheron , rue des Postes , à
l'Estrapade , la seconde porte cochere à gauche , en entrant
par la place de l'Estrapade .
( 105 )
NOUVELLES ÉTRANGERES.
ALLEMAGNE.
De Hambourg , le 22 novembre 1796 .
ON apprend de Constantinople que le capitanpacha
, revenu heureusement de l'Archipel avec son
escadre , a fait , le 12 du mois de septembre , son
entrée publique et solemnelle dans le port ; il est
entré au bruit de l'artillerie , avec tous les pavillons
déployés , et conduisant en triomphe deux corsaires
maltois qu'il avait pris dans l'Archipel. Le concours
du peuple à cette entrée fut immense , et le pacha
reçut des applaudissemens universels .
Dans l'équipage des vaisseaux maltois se trouvaient
deux chevaliers de cet ordre . Touché de leur sort ,
M. Bouliqui , chargé d'affaires de l'Espagne , est intervenu
ausssi -tôt pour les faire mettre en liberté.
Le 18 , les troupes turques ont fait , par ordre du
grand - seigneur , dans la grande place dite le Champdes-
Morts , les évolutions militaires , selon la nouvelle
méthode , à la maniere européenne . Les soldats ont
fait l'exercice du fusil et de l'artillerie en présence
du sultan , des ministres et d'un peuple immense .
Quoiqu'ils aient étudié l'exercice européen , cependant
ils ne sont point agiles dans ces évolutions , et
l'on croit que les troupes ottomanes ne pourront que
difficilement abandonner leur ancien systême..
est
C'est le 5 du mois dernier, à 9 heures du soir ,
que le général Aubert-Dubayet , ambassadeur de la
République Française près la Porte ottomane ,
arrivé incognito à Constantinople . L'entrée et le passage
de cet ambassadeur sur le territoire ottoman ,
'ont été marqués par des honneurs ipfinis et extraor-
2
( 106 )
dinaires de la part des gouvernemens , vaivodes et
autres chefs des villes. Hakki - Pacha s'est sur - tout
distingué . Le général Dubayet lui avait fait notifier
son arrivée par deux tartares. Aussitôt une garde
nombreuse fut rangée en deux haies sur le passage
de l'ambassadeur , depuis les portes de la ville jusqu'au
palais destiné à le recevoir. Hakki- Pacha lui
preparait dans son sérail une réception magnifique ,
digne du représentant d'une nation puissante et victorieuse
. Toute la grandeur et l'éclat de la pompe
orientale , joints aux procédés de l'hospitalité et de
la fraternité , ont été déployés pendant le séjour du
général Aubert- Dubayet à Philippopoli ; et le spectacle
d'une superbe fête militaire a été le complément
des honneurs inouis rendus par Hakki-Pacha à
l'ambassadeur de la République Française.
Dans les entretiens particuliers , ce visir a témoigné,
et au représentant de la nation française , et au général
Aubert- Dubayet , la confiance la plus grande et
les sentimens de la plus haute considération . La conversation
a souvent roulé sur l'ordre et la discipline
à établir parmi les troupes qui agissent contre les brigands.
Les plans adoptés par Hakki - Pacha se sont
tronvés conformes à ceux proposés par le général
Aubert Dubayet.
Seid - Ullah - Effendi Nichandgi , le même qui fut
envoyé , en qualité de ministre plénipotentiaire , au
congrès de Szistow , vient d'être exilé à Brousse .
--
Seïd - Ali , algérien , qui a été capitan - bey , au
vice- amiral , est envoyé en exil à Sinope.
Le roi de Suede ayant atteint , le 1er . de ce mois ,
sa 18 ° . année , a pris le même jour les rênes du gouvernement
.
La veille , un héraut- d'armes , accompagné du
maître des cérémonies Hausvolf , proclama , avec les
cérémonies usitées , « que le roi ferait , à la salle des
a états , la déclaration de sa majorité et prendrait
les rênes du gouvernement des mains du duc-
», régent , son tuteur. En conséquence , toute la
cour , les grands officiers de l'état , les membres des
différens colleges , l'ambassadeur de Russie et les
( 107 )
autres ministres étrangers furent invités à assister à
cette cérémonie ; elle a eu lieu aujourd'hui . La procession
s'étant solemnellement rendue à la salle des
Etats , le roi , assis sur le trône , a déclaré sa majorité
dans un discours adressé au duc- régent ; et ensuite
sa majesté a informé tous ceux qui étaient présens ,
que , parvenu à l'âge prescrit par le testament du
feu roi son pere , il allait prendre lui-même le timon
de l'Etat . Alors le duc-régent s'est levé , et a remis
au jeune monarque , son neveu , un rapport par écrit
de son administration , dont la lecture a été faite
par le secrétaire d'état Rosenblad . Sa majesté , à
la suite de cette lecture , a fait lire par le même
ministre l'acte de quittance , qu'elle a remis signé au
duc , son oncle : après quoi elle a donné l'assurance ,
fixée par les lois du royaume , et a prêté le serment ,
la main sur la bible : le sénéchal de la Suede , comte,
Wachtmeister , en a reçu l'acte . Enfin , le duc de
Sudermanic , actuellement déchargé de la régence ,
a adressé un discours d'adieu au roi ; et la solemnité
s'est terminée par le service divin célébré dans
la cathédrale de Stockholm , à laquelle le roi s'est
rendu en pompe avec toute sa suite , composée des
personnes de la cour, des grands officiers de l'Etat , des
sénateurs, et enfin des ducs de Sudermanie et d'Ostrogothie
, ses oncles , tous en habits de gala ou de cérémonie.
Sa majesté avait la couronne de prince-royal ;
celle de la royauté était portée par le sénéchal comte
Wachtmeister ; les clefs , par le baron d'Essen ; la
pomme, par le baron G. A. de Reuterholm ; le sceptre,
par le grand - chancelier baron de Sparre . L'évêque
Flodin a prononcé dans l'église des actions de graces
solemnelles au Tout-Puissant; et il y a eu une décharge
d'artillerie . Ensuite il y a eu cour ; le roi a dîné en
public avec sa famille ; le soir , il y a eu spectacle
graiis , et il a été exécuté un opéra nouveau .
Le lendemain , le roi reçut le serment de la garnison
de Stockholm . Le 3 , il donna audience aux députés
de la bourgeoisie et du magistrat de cette
ville , pour les remercier de leur empressement à
concourir à un établissement en faveur des invalides ,
IN
( 108 )
La bourgeoisie a donné 60,000 liv . tournois ; et le.
magistrat , 9,000 , tirées de la caisse de la ville . Ces
sommes sont celles que l'on se proposait d'employer
à des illuminations , ou à d'autres fêtes , et que le roi
avait desiré de voir appliquer au soulagement des
malheureux .
Le baron de Ruterholm , qui jouissait de la principale
confiance du régent , a reçu l'ordre de donner.
la démission de ses emplois. Il avait demandé que
pour récompense de ses services , ses appointemens
qui montaient à 3,000 rixdalers lui fussent conservés ,
Le roi lui a refusé cette grace , en lui observant que
l'Etat était si obéré , qu'il se contenterait pour luimême
des deux tiers de la pension qu'il sollicitait..
Ce jeune prince paraît déterminé à rétablir , à force
d'ordre et d'économie , les finances épuisées du
royaume. Il éloigne de lui les jeunes gens qui pourraient
l'entraîner à des dissipations coûteuses. Déja
il a fait supprimer l'opéra et les autres objets de luxe
et d'amusement. Au reste , toutes ses opérations
portent un caractere de sagesse et de réflexion qui
donne de son regne les plus flatteuses espérances .
Les membres du conseil de justice ont été étonnés
de l'attention , et du recueillement avec lesquels il a
entendu la discussion des affaires qui lui ont été
présentées , et de la justesse de ses jugemens .
On a été long-tems incertain sur ce qui s'était passe
entre Catherine II et le roi de Suede . Les rapports ne
sont pas uniformes sur quelques circonstances ; mais
tous s'accordent à dire que ni le traité d'alliance , ni le
contrat de mariage proposés par l'impératrice n'ont
été signés . Les uns veulent que le roi se soit excusé
sur sa minorité , et ajoutent qu'il a été convenu que
dans deux mois , à compter du jour où elle cessera ,
le roi de Suede enverra à Pétersbourg par un courier
extraordinaire , la ratification de ces deux actes , et
que si l'alliance n'est pas tout- à- fait conforme à ses
principes , il desire vivement que le mariage s'accomplisse
, parce que la jeune grande duchesse a fait sur
son coeur une profonde impression . D'après d'autres
renseignemens, il aurait fait naître lui-même les obsta(
109 )
cles qui doivent rompre , ou du moins différer ce
mariage . Il a déclaré , dit- on , à l'impératrice qu'il
ne pouvait accepter la main de sa petite- fille , si elle
n'abandonnait pas la religion dans laquelle elle a été
élevée , pour embrasser celle qui est professée en
Suede ; et que les lois de ce royaume ne lui permettaient
pas de se désister de cette condition . Catherine
se récria vivement contre cette prétention , y répondit
avec orgueil et aigreur ; mais elle ne put ébranler la
résolution du roi , qui , immédiatement après cette
explication , quitta Pétersbourg , laissant dans le coeur
de l'impératrice beaucoup de dépit et de mécontentement.
On assure qu'elle a manifesté sans retard ces
sentimens elle devait envoyer une ambassade brillante
à Stockholm ; elle est déterminée maintenant
à Y faire repasser le baron de Budberg , qui s'y est
précédemment rendu fort désagréable par le ton de
morgue et d'impertinence , qu'il avait cru devoir
prendre , pour remplir les intentions de sa souveraine
, ou qui n'est que l'expression naturelle de son
caractere personnel .
Quoi qu'il en soit , on peut présumer que le jeune
roi n'aurait pas la même patience qu'a montrée le régent
; si ce que nous avons déja annoncé , et ce dont
les observateurs se croient plus certains que jamais ,
l'ancien systême politique de la Suede et son systême
particulier , et qu'il n'attend que d'être délivré
des embarras sans nombre dans lesquels la présente
administration l'a placé , pour manifester ses principes
et ses sentimens . On remarque à l'appui de ces
conjectures , que dans le choix qu'il a fait de ses
ministres on ne trouve aucun des hommes , que la
Russie compte parmi ses créature La résolution surtout
, qu'il a prise de continuer M. de Staël dans les
fonctions de son ambassadeur en France , donne
aux partisans d'une alliance avec cette république ,
les plus justes espérances .
La fortune de Catherine II sur les frontieres de la
Perse ne s'est pas soutenue . Le général Zubow a été
complettement battu . Dans une seule action , les
Persans lui ont tué dix mille hommes . C'est par des
( 110 )
lettres de Pologne que nous avons appris cette nouvolle
, qui paraît certaine .
De Francfort - sur- le - Mein , le 19 Novembre.
Un de nos papiers vient de rendre publique la
piece suivante :
Sa majesté le roi de Prusse et la République Française
ayant jugé convenable de modifier , d'une maniere
conforme aux circonstances actuelles , les stipulations concernant
la neutralité du nord de l'Allemagne , convenue
par le traité de Bâle , du 5 avril 1795 , et par la convention
du 17 mai ejusdem , elles ont nommé pour se concerter
à ce sujet , savoir sa majesté prussienne , le sieur Chré
tien -Henri comte de Hatigwitz , son ministre d'Etat de guerre
et du cabinet ; et la République Française , le sieur Antoine-
Bernard Caillard , son ministre plénipotentiaire à Berlin
lesquels après avoir échangé leurs pleins pouvoirs respec .
tifs , sont convenus des articles suivans ;
?
99 Art. Ier. La République s'abstiendra de pousser les opérations
de la guerre ou de faire entrer ses troupes , soit par
terre , soit par mer , dans les pays et états compris dans
la ligne de démarcation suivante :
Cette ligne commencera depuis la partie du duché de
Holstein , situé sur la mer du Nord , s'étendant le long des
bords de cette mer du côté de l'Allemagne , et comprenant
lembouchure de l'Elbe , du Weser et de l'Ems , ainsi que
les isles situées dans ses passages jusqu'à Borcuim . De - là ,
elle suivra les frontieres de la Hollande jusqu'à Anhalt ,
passant Hecrenberg , et en comprenant les possessions prussiennes
, près de Sevenaer jusqu'à Baer sur l'Issel ; elle ira
ensuite le long de cette riviere jusqu'à son confluent avec
Je Rhin de- là , elle remontera ce dernier fleuve jusqu'à
Wesel et plus loin , jusqu'à l'endroit où la Roer s'y jette ;
elle longera ensuite la rive gauche de la Roer jusqu'à sa
source : de- là , laissant la ville de Medenbach à sa gauche ,
elle prendra sa direction avec la Fulde , et remontera enfin
cette riviere jusqu'à sa source .
» II . La République Française regardera comme pays et
états neutres , tous ceux qui sont situés derriere cette ligne ,
à condition qu'ils observeront , de leur côté , une étroite neutralité
, dont le premier point sera de ne plus jamais fournir,
pour la continuation de la guerre , aucunes contributions
( 111 )
pécuniaires , quelle qu'en soit la dénomination ; de rappeller
riment , s'ils ne l'ont déja fait , leur coutingent ,
et cela daus le acai de trois mois , à compter de la signature
du présent traité , et de ne contracter aucun nouvel
engagement qui puisse autoriser à fournir des troupes aux
puissances en guerre avec la France. Ceux qui ne rempliront
pas ces conditions , seront exclus du bénéfice de la
neutralité .
,, III . Quant à la partie du comté de la Marck qui , se
trouvant sur la rive gauche du Rhin , n'est pas comprise
dans la ligne gauche , elle n'en jouira pas moins d'une entiere
neutralité mais sa majesté prussienne consent à ce
que les troupes des puissances belligérantes puissent la traverser
, bien entendu qu'elles ne pourront y établir le théâtre
de la guerre , ni y prendre des dispositions retranchées .
IV. Sa majesté prussienne nommera des commissaires
qui , dans le cas du passage effectif des troupes françaises
par ladite partie du comté de la Marck , veilleront au maintien
du bon ordre , et auxquels les généraux et agens français
s'adresserent. La République promet et s'engage de faire
payer , au plutard dans trois mois , en especes sonnantes ,
tout ce qui y sera fourni et consommé pour le compte
l'armée française de procurer tous les dédommage mens
justes et raisonnables , et de faire observer une discipline
sévere .
de
V. Les principautés de sa majesté prussienne en Franconie
, ainsi que le comté de Sayn - Altenkirchen sur le
Westerwald , y compris le petit district de Bendorff audessous
de Coblentz , étant dans la possession de S. M.
le roi de Prusse , ils sont censés compris dans les stipulations
exprimées ci- dessus en faveur du comté de la Marck,
situé sur la rive gauche de la Roer. 1
VI. Sa majesté le roi de Prusse se charge de la garantie
qu'aucunes troupes des états compris dans la neutralité du
nord de l'Allemagne , ne sortent de la ligne indiquée à
F'art. Ier. , pour combattre les armées françaises , ni pour
exercer aucunes hostilités contre les Provinces Unies ;
pour cet effet , elle rassemblera un corps d'observation suffisant
, et se concertera à cet égard avec les princes et chefs
dont les pays sont renfermés dans la ligne de démarcation ,
afin qu'ils se joignent à elle pour concourir à ce but. L'unique
destination de ce rassemblement est de garantir le
nord de l'Allemagne corte tout ce qui porterait atteinte à
sa sûreté.
( 112 )
3 VII . La présente convention sera ratifiée par les parties
contractantes , et les ratifications en seront échangées dans
le terme d'un mois ou plutôt , à compter de la signature ;
en foi de quoi ladite convention a été signée et scellée par
les plénipotentiaires susnommés . " ,
Fait à Berlin , le 5 août 1796 ( vieux style ) ; et le 18 thermidor
, l'an IV . de la République Française .
Signés , CHRÉTIEN , comte de Haugwitz .
ANTOINE -BERNARD CAILLARD .
ITALIE. De Gênes , le 25 novembre.
On a reçu de Rome , par des lettres datées des premiers
jours de ce mois , les détails suivans :
On continue ici les armemens . Les ordres pour un eurôlement
forcé sont exécutés ; cependant il n'y a ui chefs , ni officiers
, ni chevaux , ni magasins , etc. Cet armement excite
aussi le mécontentement ; les honnêtes artisans sont fâchés
d'être confondus avec la plus vile canaille . Le grand moyen
d'exécution , c'est de menacer de la galere .
Le prince Colonne , qui avait promis un régiment , n'a
donné jusqu'à présent qu'une compagnie. Le banquier Turlonia
, de 80 chevaux qu'il avait promis , n'en a encore fourni
qu'un seul . Le trésorier , qui a la caisse générale pour l'armement
, ne décide jamais rien .
Le citoyen Cacault , agent de la République Française ,
a fait part , par un billet , au secrétaire d'etat de la paix
entre Naples et la France .
Les troupes arrivées de Rome dans la Romagne , et particulierement
à Imola , ont arrêté quelques personnes soupçonnées
de jacobinisme. Les gouverneurs ont ordre de
surveiller les gens de cette classe . Rome commence à craindre
la réunion de la Romagne à la ligue cispadane , et fait tous
ses efforts pour qu'elle s'y refuse de son propre mouvement ;
et cela d'autant plus que les résolutions prises par les villes
de Bologne et de Ferare , annoncent la ferme volonté de
ne plus reconnaître le pape .
Le succès de la mission du cardinal Mattei n'est
point encore connu . On présume que les nouvelles
victoires de Buonaparte , dont nous venons d'avoir
connaissance , applaniront beaucoup de difficultés ,
et dissiperont quelques - uns des scrupules du saintpere.
Au reste , il doit connaître le sort qui l'attend ,
s'il persiste dans sa résistance ; il lu est clairement
annoncé
( 113 )
annoncé dans la lettre suivante du général français au
cardinal Mattei :
Lettre du général Buonaparte au lord Mattei , archevêque de Ferrare
, traduite de l'italien ) . Du 30 vendémiaire " an V.
La cour de Rome a refusé d'accepter les conditions de paix
que lui a offertes le Directoire ; elle a rompu l'armistice
même ; elle arme ; elle veut la guerre , elle l'aura .
Mais avant de voir de sang-froid la ruine et la mort des
insensés, qui voudraient opposer des obstacles aux phalanges
républicaines , je dois à ma nation , à l'humanité , à moimême
de tenter un dernier effort pour ramener le pape à des
conditions plus modérées , et conformes à ses vrais intérêts ,
à son caractere et à sa raison . Vous connaissez , M. le cardinal
, les forces et le courage de l'armée que je commande .
Pour détruire la puissance temporelle du pape , je n'ai besoin
que de la volonté de le faire . Allez à Rome , voyez le saintpere
, éclairez - le sur son véritable intérêt ; délivrez - le des
intrigans qui l'assiegent , qui veulent sa perte et celle de la
ville de Rome. Le gouvernement français me permet encore
d'écouter des propositions de paix. Tout peut s'arranger. La
guerre , si cruelle pour les peuples , a des résultats terribles
pour les vaincus . Sauvez le pape des plus grands malheurs .
Vous savez combien je desire de terminer par la paix une
lutte qui serait pour moi sans gloire comme sans danger.
Je vous souhaite , M. le cardinal , dans votre mission ,
le succès que la pureté de vos intentions mérite .
Signé , BUONAPARTE .
RÉPUBLIQUE BATAVE,
DE LA HAYE , le 29 novembre.
Dans la séance du 21 , les représentans Vitringa , Vreede ,
Schimelpenninck ; dans celle du 22 , de vos van Steenwyk ,
de Mist , van Leueuw , Verooysen , Faret ; dans celle d'hier ,
de Rhoer , Floh, Ochuysen , Blok, Grommelin , Stoffenberg ,
Auffmorth , Gulje , Lansweerde , Bosch , de Leeuw , Ten
Berge , de Sitter , Albers , Colmschate et Quesnel , ont successivement
, et en sons très - divers , parlé sur cette intéressante
matiere . Les uns admettaient purement et simplement
la mise en délibération ; d'autres , ne l'admettaient que précédée
d'une déclaration solemnelle de quelques principes ,
spécialement de celui de l'unité ; d'autres , l'ont tout- à- fait
rejettée , sur-tout à raison des principes fédéralistes , qu'ils
Tome XXVI. H
( 114 )
prétendaient y découvrir. Ceux- ci ont assez ouvertement professé
un fédéralisme, au moins mitigė : ceux - là l'ont foudroyé
comme le plus épouvantable de tous les monstres , vamenant
infailliblement à la suite l'ancienne aristocratie , le stathoudérat,
etc . Mais c'est sur- tout l'amalgame ou le non amalgame
de la dette vationale et la répartition future des charges de
l'état qui ont sensiblement partagé les opinions . Un grand
nombre a pensé qu'il fallait nommer uue commission spéciale
pour peser , approfondir et ensuite rapporter cet important
objet. Plusieurs ont vu du danger à présenter à la nation
deux projets de constitution en concurrence l'un avec l'autre .
D'autres , faisant des voeux pour l'unité absolue , croyaient
qu'il serait imprudent de la brusquer , qu'il fallait l'acheminer
progressivement . On a voulu fermer la discussion de plus en
plus divergente ; mais il a été décidé qu'elle serait continuée
jusqu'à lundi 28 , et que le lendemain mardi enfin , on prononcera
sur la discussion détaillée ou le rejet .
Aujourd'hui , la grande question , si le projet de constitution
serait admis en délibératian ou rejetté , a été décidée
en faveur de l'adoption , et ce , à une majorité de 96 contre
52 voix . Elle eût été plus considérable , si l'on avait voulu
admettre une adoption conditionnelle ou restreinte . Beaucoup
de représentans qui avaient voté pour l'affirmative , sauf telle
ou telle clause , dont nous avons parlé , donnerent un avis
opposé , quand le président van Hamelsveud leur eut observé
qu'il fallait une déclaration pure et simple , et qu'il serait
impossible de recueillir autrement un résultat certain et de
prononcer avec confiance.
REPUBLIQUE FRANÇAISE.
ཚེ་ ན
GORPS LÉGISLATI F.
Séances des deux Conseils , du 5 au 15 frimaire,
Blutel expose que l'exécuteur-testamentaire qui ,
après l'an et jour de sa gestion , demeure saisi de
sommes ou de meubles appartenant à la succession
qu'il a gérée , devient dès-lors dépositaire de ces
mêmes objets , qu'il peut s'en servir ni en dis
poser , et doit être prêt à les remettre en même nat
( 115 )
tyre en toute requisition ; et qu'il est instant de dissiper
les doutes qui pourraient s'élever sur ce point
important de la législation . En conséquence , il propose
un projet de résolution portant que l'art . XI
de la loi du 15 germinal dernier , qui déclare que tout
dépôt sera rendu en nature , est applicable aux exéouteurs-
testamentaires qui , après l'an et jour de leur
gestion , sont restés saisis de sommes ou de meubles
appartenant à la succession qu'ils ont gérée . Adopté .
Crassous fait adopter quelques articles sur les transactions.
Ils portent en substance que les obligations
, à partir du 1er juillet 1791 , seront réduites
d'après une échelle de proportion , en laissant cependant
la faculté au créancier de ne pas recevoir
son remboursement , pourvu qu'il accorde un délai
de six ans à son débiteur.
Le Directoire envoie , le 7 , un message sur la situation
politique et commerciale des colonies .
Villers en demande le renvoi à une commission .
L'on observe qu'il en existe une , et qui est sur le
point de faire son rapport ; mais l'on jette des doutes
sur la légalité de sa nomination . Après quelques débats
, le conseil procede au scrutin pour la formation
d'une nouvelle commission . Ses membres sont Bergoing
, Villers , Marec , Garan-Coulon , Lecointe , Riou
ét Echasseriaux .
Le conseil des Anciens a employé les séances des
6 et 7 à la discussion snr la loi du 3 brumaire .
Giraud ( de l'Ain ) a parlé en faveur de la résolution.
Si elle est , a- t-il dit , inconstitutionnelle , son
rejet le serait encore plus , parce qu'on rendrait
la vie à la loi du 3 brumaire qui rétablit le régime
de Robespierre , et avilit le gouvernement.
Lacuée s'est prononcé contre la résolution . Il la
éroit inutile , parce qu'il ne doute pas que le conseil
des Cinq-cents ne se détermine au rapport de la loi
du 3 brumaire . A l'égard du Directoire , il épurera
sans doute ses agens . S'il mollit , il se déclarera l'ennemi
de la constitution ; si au contraire il montre de
la vigueur , les amis de l'ordre et des lois se feront
H. 2
( 116 )
un plaisir et un devoir de l'éclairer , de le soutenir
et de le défendre .
Réal donne , le 8 , au conseil des Cinq - cents , la
troisieme lecture de son projet sur les modifications
à apporter au code hypothécaire et sur le crédit cédulaire.
La discussion s'ouvrira incessamment .
Un autre membre lit , pour la premiere fois , un
très long projet de résolution sur le paiement des
fermages de l'an III . et de l'an IVe . Ajournement.
Un secrétaire annonce que le conseil des Anciens
a sanctionné la résolution portant une augmentation.
sur le prix des spectacles , en faveur des indigens .
Le conseil s'est ensuite formé en comité général . Il
s'agissait d'une dénonciation portée par le défenseur
officieux de Tort de la Sonde , acquitté par le
tribunal criminel du département de la Dyle , contre
le Directoire et le ministre de la justice . Le conseil
a passé à l'ordre du jour.
:
Crassous soumet , le 9 , à la discussion , la suite.
de son projet sur les transactions entre particuliers .
Il s'agissait de celles antérieures au 1er juillet 1791 .
Cambacérès Le point où s'est porté la discussion
sur les transactions a dû laisser à l'Assemblée des
idées assez lumineuses , pour qu'elle puisse enfin
s'entendre et prononcer. Je sais qu'il est difficile que
vous portiez à cet égard de bien bonnes lois , des
lois qui puissent convenir à tous ; mais portez - en du
moins de promptes et qui satisfassent à l'empressement
des citoyens.
Vous avez arrêté que vous n'admettiez point le
systême des réductions . Vous avez arrêté que vous
admettiez celui des attermoiemens ; ch bien il ne
s'agit que de faire en sorte de n'écraser , avec ce systême
, ni le créancier , ni le débiteur.
Ou le débiteur a des fonds pour payer , ou il a
du numéraire ou il n'a ni l'un ni l'autre. Dans ce
dernier cas , votre loi devient inutile ; mais pour le
premier et le second cas , il me semble qu'un an
d'attermoiement , et un tiers ou au moins un quart à
payer sur- le- champ , sont les bâses sur lesquelles
pourraient porter votre résolution.
On demande que la discussion soit fermée .
( 117 )
Chassey et Lecointre observent que la matière est
trop importante pour qu'on puisse prononcer dans
un moment où la discussion a fatigué les têtas , et
qu'il ne se trouve plus que très - peu de membres
dans la salle .
"
En conséquence , le conseil remet la discussion
et la décision de la question à demain une heure ,
et sans remise./
Pastoret fait un rapport tendant à accorder dès- àprésent
les droits de citoyen français aux descendans
des religionnaires ex- patries , par une suite de la
révocation de l'édit de Nantes. Le tableau rapide
et précis de ses suites funestes a été applaudi. La
question est ajournée .
Le Directoire fait connaître , le 10 , au conseil par
un message qu'il a reçu du général en chef de l'armée
d'Italie , les dépêches confirmatives des brillans succès
obtenus par elle , et annoncés par le commandant de
la place de Milan .
L'ennemi avait appellé du fond de l'Autriche tout
ce qu'il y avait de troupes disponibles , et elles
s'étaient rendues en poste dans les gorges du Tirol .
C'était une nouvelle armée que les Français avaient
à vaincre , et il ne fallait pas moins que le génie
du jeune guerrier qui les commande , des généraux
et des soldats qui marchent sous ses ordres , pour faire
triompher la République.
Le résultat des combats sanglans livrés à l'ennemi
pendant huit jours consécutifs , a été pour lui la
perte de plus de 12 mille hommes , tant tués que
blessés et pris ; de quatre drapeaux et 18 pieces de
canon.
Le Directoire ajoute que la position actuelle des
armées promet de nouveaux succès , et que la prise
de Mantoue décidera bientôt du sort de 1 Italie.
Jean-de- Brye : Croyez- en le génie de la liberté : la
République est impérissable . Honneur aux braves
guerriers qui l'ont raffermie sur sa bâse , et qui ont
accéléré pour nous le moment fortuné et tant desiré
de la paix ! Il est dans le message et dans les lettres
particulieres destraits que nous ne devons pas laisser
1
H 3
·( 118 )
échapper à la reconnaissance nationale. Toute la
France doit savoir que les généraux Buonaparte et
Augereau , voyant dans la chaleur du combat , les
troupes françaises balancer un moment , ont été en
avant de l'armée , planter chacun un drapeau au
milieu des bataillons ennemis , et ont décidé la victoire
par cet acte d'une intrépidité rare .
Je demande que vous ne vous lassiez pas d'honorer
la valeur , et que la brave armée d'Italie soit déclarée
de nouveau avoir bien mérité de la patrie ; que le
tableau des campagnes des Français soit exposé à tous
les regards dans cette enceinte ; et que , par un acte
solemnel et honorable tout-à - la- fois , le Corps légis
latif décerne , au nom de la nation et à titre de récom
pense nationale , aux généraux Buonaparte et Augereau
, les drapeaux qu'ils ont si glorieusement arborés
dans les plaines d'Italie , et qui ont fait triompher
T'armée française , électrisée par l'exemple de ses
chefs.
Ces trois propositions sont adoptées d'une voix
unanime.
Il est ensuite résolu , 1º . que les tribunaux ne connaîtront
point des questions relatives aux attermoiemens
; 2 ° . qu'un tiers des obligations exigibles avant
le 1er juillet 1791 sera payé sur- le - champ , et les
deux autres dans deux ans ; 3° . que le créancier
pourra user de la faculté de la saisie , un mois après
la publication de la loi , si le débiteur ne paie pas
le premier tiers .
"
On continue , le 8 , au conseil des Anciens , la discussion
sur la loi du 3 brumaire . Larmagnac vote pour
le rejet de la résolution qu'il soutient être inconsti
tutionnelle.
Durand -Maillane croit que , pour se rapprocher
davantage de la constitution , il faut adopter la résolution
, qui est toujours moins injuste et moins
inconstitutionnelle que la loi du 3 brumaire.
Dalphonse fait une critique sévere de cette loi ,
qu'il ne regarde point comme obligatoire pour le
peuple dont elle contrarie la volonté. Selon lui on ne
( 119 )
- ༔
peut approuver une résolution qui donne au réglement
du 3 brumaire un caractere de loi .
Vernier et Lebrun font approuver , le 9 , deux résolutions
interprétatives de la loi du 6 fructidor sur
les patentes .
L'ordre du jour appelle toujours la discussion
sur la loi du 3 brumaire . Deux orateurs sont entendus .
Ballieu parle en faveur de la résolution . Elle concilie
, dit- il , les mesures que la justice et la constitution
prescrivent ; mesures justes et indispensables.
Elle fait l'éloge du Corps législatif qui doit vouloir
qu'une caste ne soit pas plus privilégiée qu'une
autre.
Armand ( de la Meuse ) reproduit les argumens déja
faits contre la loi du 3 brumaire. Il pense que ce
serait ratifier deux inconstitutionnalités que d'approuver
la résolution .
La discussion s'ouvre , le 10 , sur la résolution qui
impose les tabacs étrangers à soixantes liv . le quintal
de droits d'entrées. Le conseil déclare qu'il ne peut
l'approuver.
Humbert a la parole sur l'ordre du jour , la loi
du 3 brumaire. Il se prononce en sa faveur . Portalis
développe fort au long une opinion contraire . Nous
en donnerons un apperçu .
Cambacérès , organe de la commission de la classification
des lois , obtient la parole dans la séance du
du conseil des Cinq-cents.
Il y a déja long tems , dit-il , que vous avez manifesté
le desir que la commission de la classification
des lois vous présentât le travail dont vous l'aviez
chargée par la réformation du code civil. Cette commission
ayant senti combien il était important que
vos vues à cet égard fussent remplies avant la fin de
la session de la législature actuelle , a cru devoir vous
proposer de procéder , par ordre , à l'examen et à la
discussion de son travail qui , comme vous le présumez
bien , est très - étendu . En conséquence , je
vous propose d'arrêter qu'à compter du 15 du mois
prochain , le conseil discutera , par ordre de matieres ,
les tridi , sextidi et nonidi de chaque décade , les
*
H 4
( 120 )
1
différentes lois appartenantes au code civil , à commencer
par l'état des personnes , les donations , les
successions, le mariage , le divorce, les testamens , etc ;
et que les projets sur chacun de ces objets seront
sujets aux trois lectures constitutionnelles . Adopté.
Philippe Delville : Sans moeurs , point de vertus ;
et sans vertus , point de république . Or , là où le
mariage est devenu un objet de dérision et où le
libertinage est consacré par la loi du divorce , peut- il
y avoir respect et pratique des vertus ? Vous aviez
tellement senti cette vérité , et Cambacérès l'a si
bien sentie lui-même , qu'il avait promis , il y a peu
de tems , que la question du divorce serait le premier
objet soumis à votre discussion . Il ne la range aujour-
'd'hui qu'au quatrieme des titres qui doivent vous
être soumis. Je demande qu'elle soit examinée la premiere.
Ordre du jour.
Siméon reproduit son projet de résolution sur la
question intentionnelle , dont nous avons fait connaître
les dispositions principales , lors de la premiere
lecture qui en fut faite . Il est mis aux voix , article
par article , et adopté.
On continue la discussion du projet de Crassous .
Celle sur les obligations stipulées en papier-monnaie
reprend le 12. La commission propose l'échelle
de proportion dressée à la trésorerie , concurremment
avec le cours de Basle . Après quelques débats , Cambacérès
propose que la dégradation soit combinée
sur cette échelle ; mais qu'il soit accordé au créancier
une prime d'élévation , car il le croit beaucoup plus
à plaindre que le débiteur. Cette proposition est
adoptée.
1 Chez les Anciens , la discussion sur la loi du 3 brumaire
a toujours lieu .
Portalis acheve , le 11 , son opinion . La résolution ,
selon lui , consacre les plus détestables principes et
les effets les plus funestes doivent en résulter. Elle
tend à attribuer au Corps législatif , 1º . le droit de
déroger à la constitution ; 2 °. le pouvoir de modifier ,
d'altérer , de suspendre les droits politiques des citoyens
; 30 , le droit de promulguer des réglemens en
( 121 )
matiere d'élections . Or , de telles usurpations sont
subversives du régime représentatif , et par conséquent
de la constitution .
Muraire combat Portalis , et en convenant avec lui
des principes , il en tire des conséquences opposées .
Ce dernier orateur , Roger Ducos et Regnier ont occupé
le reste de la séance du 11 et celle du 12 .
Goupil et Rabaut ont encore parlé le 13 en sa faveur.
Le 14 , la discussion a été fermée ; et l'épreuve étant
douteuse , l'on a procédé à l'appel nominal . 106 voix
ont été pour l'approbation de la résolution ; et 68 ,
contre .
Le président du conseil des Cinq - cents appelle ,
le 13 , à la tribune les orateurs inscrits , pour parler
sur les projets de Daunou .
Noailles Je m'étonne que les partisans du régime
prohibitif, après une défaite aussi honteuse que celle
qu'ils ont éprouvée nagueres , aient eu le courage de
reparaître sur la scene. L'homme social serait - il donc
destiné à être éternellement le jouet des passions et
des caprices de ses semblables ? Il faut rappeller des
principes trop méconnus par ceux qui vous proposent
de rétablir , dans toute leur laideur et leur difformité,
les anciennes gazettes privilégiées , le despotisme inquisitorial
des Sartine , des Lenoir . Vous avez juré de
proscrire tout principe contraire à la liberté de la
presse ; violerez-vous ce serment solemnel et sacré ?A
Il doit vous être démontré que ce sont les romanciers
immoraux et les poëtes calomniateurs de la gloire
des Racines et des Corneilles , qui , les premiers , se
sont affranchis du joug syndical , et qui , après avoir
brisé son idole , veulent aujourd'hui en ramasser les
débris pour la réformer et la remettre en honneur.
Quels peuvent donc être leurs motifs secrets? Veulent
ils , en comprimant l'essor de la pensée , nous ramener
les jours affreux du régime décemviral ? Somines - nous
arrivés à l'an V de la République , sans trouver le
moyen infaillible de connaître les travaux du Corps
législatif? Non , sans doute : mais c'est sous ce prétexte
qu'on veut fermer la bouche aux écrivains courageux.
Noailles demande l'ordre du jour sur les deux der
( 122 )
niers projets de Daunou , et l'adoption de celui de
Pastoret contre la calomnie.
Un autre membre partage l'avis de la commission
sur la création d'un journal tachigraphique ; mais
il s'oppose à la clôture des tribunes aux journalistes.
La discussion sera continuée . Le conseil s'est
formé , le 14 , en comité général pour entendre ` la
lecture des pieces envoyées par le Directoire , concernant
les isles de France et de la Réunion . Cẹ
comité a continué le 15 .
Richard , organe de la commission chargée de présenter
les moyens capables de réprimer le brigandage
, a proposé , comme une mesure propre à produire
cet heureux effet , la mise en activité des militaires
vétérans . Plusieurs de ceux qui ont reçu des
blessures honorables sont en état , dit- il , de faire un
service actif. Dans l'état actuel des choses , ils coûtent
beaucoup à la République , et coûteraient moins si
on utilisait leur tems . Il fait adopter, en conséquence,
la résolution suivante , 1º . le Directoire exécutif est
autorisé à former 200 nouvelles compagnies de vété
rans ; 2. pour y être admis , il faut avoir été blessé
à l'armée ou réunir les conditions prescrites par la
loi du 16 mai 1792 ; 3 ° . Tout individu pourra occuper
le même grade qu'il remplissait à l'armée ; 4º. le
Directoire placera ses compagnies dans les lieux les
plus convenables.
Le conseil des Anciens a ouvert , le 15 , la discussion
sur les cinq résolutions relatives au nouveau systême
monétaire. La commission en ayant proposé le rejet ,
Vernier parle dans le même sens . Il pense qu'en voulant
supprimer des abus , l'on en introduirait de plus
grands encore . La discussion sera continuée demain ,
PARIS . Nonidi 19 Frimaire , l'an 5º . de la République ."
L'adoption faite par le conseil des Anciens de la résolution
relative à la loi du 3: brumaire a paru satisfaire tous
Jes partis . Chacun n'y a vu que ce que perdait l'autre ; et
dans cette mutuelle compensation , tous ont trouvé des mo(
123 )
tifs de se consoler des rigueurs de la loi . Puissent les pas
sions s'éteindre insensiblement par les mesures fermes et
sages du Corps législatif !
Il ne paraît pas que le projet de la commission relatif
aux journaux passe au conseil des Cinq - cents . Il trouve
beaucoup de contradicteurs dans l'opinion. On sent les
inconvéniens d'un journal privilégié , comme on est également
révolté de la licence de certains écrivains . Mais on
ne pense pas que le plus sûr moyen de corriger la mauvaise
influence de ceux - ci , soit de porter atteinte à la
liberté de la presse.
Des lettres d'Huningue et de Strasboutg annoncent que
l'ennemi fait les plus grands efforts pour s'emparer de la
tête du pont de la premiere place , et du fort de Kelh en
avant de la seconde . Mais elles apprennent en même - tems
que les troupes républicaines font la plus vigoureuse résistance
, et sont parvenues jusqu'à présent à rendre les efforts
de l'en nemi impuissans .
Les succès de Buonaparte en Italie tiennent du prodige ;
mais ils coûtent cher à la valeur française . On en jugera
par le contenu des dépêches suivantes .
ARMÉE D'ITALIE . Buonaparte , général en chefde l'armée d'Italie.
au Directoire exécutif. Au quartier-général de Véronne , le
29 brumaire , an V.
Je suis si harassé de fatigue , citoyens directeurs , qu'il ne
m'est pas possible de vous faire connaître tous les mouvemens
militaires qui ont précédé la bataille d'Arcole , qui vient de
décider du sort de l'Italie.
Informé que le feld - maréchal Alvinzi , commandant l'armée
de l'empereur , s'approchait de Véronne , afin d'opérer sa
jonction avec les divisions de son armée qui sont dans le
Firol , jé filai le long de l'Adigé avec les divisions d'Augereau
et de Massena ; je fis jetter , pendant la nuit du 24 au 25 ,
un pont de bateaux à Ronco , où nous passâmes cette riviere.
J'espérais arriver dans la matinée à Villa-Nova , et par- là
enlever les parcs d'artillerie de l'ennemi , ses bagages , et
attaquer l'armée ennemie par le flanc et ses derrieres . Le
quartier-général du général Alvinzi était à Caldero . Cependant
l'ennemi qui avait eu avis de quelques mouvemens
avait envoyé un régiment de Croates et quelques régimens
hongrois dans le village d'Arcole , extrêmement fort par sa
position au milieu des marais et des canaux.
( 124 )
-Ce village arrêta l'avant - garde de l'armée pendant toute
la journée ce fut en vain que tous les généraux , ' sentant
l'importance du tems , se précipiterent à la tête , pour obliger
nos colonnes à passer le petit pont d'Arcole ; trop de courage
nuisit , ils furent presque tous blessés les généraux
Verdier , Bon , Verde , Lasne furent mis hors de combat .
Augereau empoignant un drapeau , le porta jusqu'à l'extrémité
du pont , il resta là plusieurs minutes sans produire aucun
effet. Cependant il. fallait passer ce pont , ou faire un détour
de plusieurs lieues , qui nous aurait fait manquer toute notre
opération ; je m'y portai moi-même . Je demandai aux soldats
s'ils étaient encore les vainqueurs de Lodi ; ma présence produisit
sur les troupes un mouvement qui me décida encore à
tenter le passage . Le général Lasné , blessé déja de deux coups
de feu , retourna et reçut une troisieme blessure plus dangereuse.
Le général Vignolle fut également blessé . Il fallut
renoncer à forcer le village de front et attendre qu'une
colonne commandée par le général Guieux , que j'avais envoyé
par Albaredo , fût arrivée ; il n'arriva qu'à la nuit , il s'empara
du village , prit quatre pieces de canon et fit quelques centaines
de prisonniers. Pendant ce tems- là le general Massena atttaquait
une division que l'ennemi faisait filer de son quartiergénéral
sur notre gauche ; il la culbuta et la mit dans une
déronte complette.
On avait jugé à propos , pendant la nuit , d'évacuer le village
d'Arcole , et nous nous attendions , à la pointe du jour ,
être attaqués par toute l'armée ennemie , qui se trouvait avoir
eu le tems de faire filer ses bagages , ses parcs d'artillerie ,
et de se porter en arriere pour nous recevoir.
offre
A la petite pointe du jour , le combat s'engagea par-tout
avec la plus grande vivacité . Massena , qui était sur la gauche ,
ait en déroute l'ennemi , et le poursuivit jusqu'aux portes de
Caldero . Le général Robert , qui était sur la chaussée du
centre avec la 75. , culbutta l'ennemi à la bayonnette , et
couvrit le champ de bataille de cadavres. J'ordonnai à l'adjudant-
général Vial de longer l'Adige , avec une demi-brigade ,
pour tourner toute la gauche de l'ennemi ; mais le pays
des obstacles invincibles : c'est en vain que ce brave adjudantgénéral
se précipita dans l'eau jusqu'au cou ; il ne put pas
faire une diversion conséquente . Je fis , pendant la nuit du
26 au 27 , jetter des ponts sur les canaux et les marais : le
général Augereau y passa avec sa' division . A dix heures du
matin nous fumes en présence : le général Massena à la
gauche , le général Robert au centre , le général Angereau à
( 125 )
la droite. L'ennemi attaqua vigoureusement le centre , qu '
fit plier. Je retirai alors la 32. de la gauche , je la plaçai en
embuscade , dans des bois , et à l'instant où l'ennemi ,
poussant le centre , était sur le point de tourner notre droite ,
le génétal Gardanne , à la tête de la 32. , sortit de son
embuscade , prit l'ennemi en flanc , et en fit un carnage
horrible. La gauche de l'ennemi était appuyée à des marais ,
et par la supériorité du nombre en imposait à notre droite .
Jordonnai au citoyen Hercule , officier de mes guides , de
choisir 25 hommes de sa compagnie , de longer l'Adige une
demi-lieue , de , tourner tous les marais qui appuyaient la
gauche des ennemis , et de tomber ensuite au grand galop ,
sur le dos de l'ennemi , en faisant sonner plusieurs trompettes
. Cette manoeuvre réussit parfaitement ; l'infanterie ennemie
se trouva ébranlée ; le général Augereau sut profiter
du moment. Cependant elle résiste encore , quoiqu'en battant
en retraite , lorsqu'une petite colonse de 8 à 900 hommes,
avec quatre pieces de canon que j'avais fait filer
Lignano pour prendre une position en arriere de l'ennemi ,
et lui tomber sur le dos pendant le combat , acheva de le
mettre en déroute. Le général Massena qui s'était reporté au
centre , marcha droit au village d'Arcole , dont il s'empara
et poursuivit l'ennemi jusqu'auprès du village de Saint - Bonifacio
; mais la nuit nous empêcha d'aller plus avant.
2 par
Porto
>
Le fruit de la bataille d'Arcole est 4 à 5 mille prisonniers ,
quatre drapeaux , dix - huit pieces de canon . L'ennemi a
perdu au moins 4 mille morts et autant de blessés . Outre les
généraux que j'ai nommés , les généraux Robert et Gardanne
ont été blessés. L'adjudant-général Vaudelin a été tué . J'ai eu
deux de mes aides - de-camp tués , les citoyens Elliot et Muiron ,
officiers de la plus grande distinction ; jeunes encore , ils
promettaient d'arriver un jour , avec gloire , aux premiers
postes militaires. Notre perte , quoique peu considérable ,
a été très - sensible , en ce que c'est presque tous officiers de
distinction .
Cependant le général Vaubois a été attaqué et forcé à Rivoli
, position importante qui mettait à découvert le blocus de
Mantone. Nous partîmes , à la pointe du jour , d'Arcole .J'envoyai
la cavalerie sur Vicenze , à la poursuite des ennemis ,
et je me rendis à Véronne , où j'avais laissé le général Kilmaine
avec trois mille hommes.
Dans ce moment- ci , j'ai rallié la division de Vaubois , je l'ai
renforcée , et elle est à Castelnovo . Augereau est à Véronne ,
Massena sur Villanova.
( 126 )
1
Demain , j'attaque la division qui a battu Vaubois. Je la
poursuis jusques dans le Tirol ; et j'attendrai alors la reddition
de Mantoue , qui ne doit pas tarder quinze jours. L'artillerie
sést.comblée de gloire.
Les généraux et officiers de l'état - major ont montré une
activité et une bravoure sans exemple . Douze ou quinze ont
été tués ; c'était vraiment un combat à mort ; pas un d'eux
qui n'ait ses habits criblés de balles .
Je vous enverrai les drapeaux pris sur l'ennemi.
Signé , BUONAPARTE .
Une lettre du général Berthier contient les mêmes details ,
mais elle en donne de très -intéressans sur la valeur de Buonaparte
, qui a décidé de la bataille d'Arcole . Voici le paragraphe
relatif à ce général :
Le général en chef se porta avec tout son état- major a
la tête de la division d'Angereau ; il rappella à nos freres
d'armes qu'ils étaient les mêmes qui avaient forcé le pont
de Lody. Il crut s'appercevoir d'un mouvement d'enthousiasme
et voulut en profiter . Il se jette à bas de son
cheval , saisit un drapeau , s'élance à la tête des grenadiers
et court sur le pont en criant : Suivez votre général . La colonne
s'ébranle un instant , et l'on était à trente pas du pont , lorsque
le feu terrible de l'ennemi frappa la colonne , la fit reculer au
moment même où l'ennemi allait prendre la fuite . C'est dans
cet instant que les généraux Vignolle et Lasne sont blessés ,
et que l'aide-de-camp du général en chef, Muiron , fut tué.
Le général en chef et son état-major sont culbutés ; le général
en chef lui - même est renversé avec son cheval dans un
marais , d'où , sous le feu de l'ennemi , il est retiré avec
peine : il remonte à cheval , la colonne se rallie , et l'ennemi
n'ose sortir de ses retranchemens , etc.
Extrait d'une lettre du général en chefBuonaparte , commandant
l'armée d'Italie , au citoyen Garnót , membre du Directoire
exécutif. -Au quartier - général de Véronne , le bru
29
maire , an V.
1
Les destinées de l'Italie commencent à s'éclaircir ; encore
une victoire demain , qui ne me semble pas douteuse , et j'espere
, avant dix jours , vous écrire du quartier-général de
Mantoue . Jamais champ de bataille n'a été aussi disputé que
celui d'Areole ; je n'ai presque plus de généraux ; leur dévoues
( 127 )
ment et leur courage sont sans exemple. Le général de brigad
Lasne est venu au champ de bataille , n'étant pas encore
guei de la blessure qu'il a reçue à Governolo . Il fut blessé
deux fois pendant la premiere journée de la bataille ; il était ,
à trois heures après-midi , étendu sur son lit et souffrant
lorsqu'il apprend que je me porte moi - même à la tête de la
colonne , il se jette à bas de son lit , monte à cheval et revient
me trouver. Comme il ne pouvait pas être à pied il fut obligé
de rester à cheval ; il reçut , à la tête du d'Arcole , pont
coup qui l'étendit sans connaissance . Je vous assure qu'il fallait
tout cela pour vaincre ; les ennemis étaient nombreux et
acharnés, les généraux à la tête ; nous en avons tué plusieurs .
Signé , BUONAPARTE ,
un
Copie de la lettre écrite au général Baraguey d Hillier , par le génėrai
de division Berthier, chef de l'état- major de l'armée d Italie.
Au quartier-général de Milan , le 3 frimaire , an V.
Je vous ai mandé par le dernier bulletin que je vous ai fait
passer , général , qu'après avoir battu les troupes commandées
par le général d'Alvinzi en personne , à Arcole , le
général en chef faisait ses dispositions pour attaquer la colonne
commandée par le général Davidowick , qui avait porté ses
avants-postes jusqu'à Castelnovo.
Le général en chef donna , le 1er , frimaire , l'ordre d'attaquer
l'ennemi , qui , repoussé de position en position , effectua
sa retraite avec précipitation. Son arriere-garde fut trèsmaltraitée
et en partie coupée sur les hauteurs de Rivoli , dont
nous sommes restés maîtres .
Différens corps détachés l'ont poursuivi , toute la nuit , audelà
de la Corona et le long de l'Adige .
Nous avons , dans cette journée , fait à l'ennemi onze cents
prisonniers , dont le colonel comte de Berbach , pris quatre
pieces de canon et six caissons .
Signé , BERTHIER.
Buonaparte , général en chef de l'armée d'Italie , au Directoire
exécutif. Au quartier-général de Véronne , le 4frimaire, an V.
Je vous ai instruits , citoyens directeurs , par ma derniere
lettre , que le général Vaubois avait été obligé d'abandonner
la position de Rivoli , et que l'ennemi était déja
arrivé à Castel -Novo ; je profitai de la déroute de l'ennemi
à Arcole , pour faire repasser sur - le - champ l'Adige à la
division du général Massena , qui opéra sa jonction à Villa(
128 )
Franca avec celle du général Vaubois , et réunies elles mar
cherent à Castel- Novo , le 1er. frimaire , tandis que la
division du général Augereau se portait sur les hauteurs
de Sainte -Anne , afin de couper la vallée de I Adige à Dolce ,
et par ce moyen couper la retraite à l'ennemi .
Le général Joubert , commandant l'avant-garde des divisions
Massena et Vaubois , réunies , atteignit l'ennemi sur les
hauteurs de Campara ; après un combat assez léger , nous
parvinmes à entourer un corps de l'arriere - garde ennemie , lui
faire douze cents prisonniers , parmi lesquels le colonel
du régiment de Berback. Un corps de trois à quatre cents
hommes ennemis , voulant se sauver, se noya dans l'Adige.
Nous ne nous contentâmes pas d'avoir repris la position
de Rivoli et la Corona , nous poursuivîmes l'ennemi jusqu'à
Preabano. Angereau , pendant ce tems -là , avait rencontré
un corps ennemi sur le , hauteurs de Sainte- Anne et l'avait
dispersé , lui avait fait trois cents prisonniers , était arrivé
à Dolce , avait brûlé deux équipages de pontons sur Laquata ,
et enlevé quelques bagages .
Le général Wurmser a fait une sortie de Mantoue hier 3 ,
à sept heures du matin ; la cannonade a duré toute la journée .
Le général Kilmaine l'a fait rentrer , comme à l'ordinaire ,
plus vite qu'il n était sorti , et lui a fait 200 prisonniers , pris
un obusier et deux pieces de canon . Wurmser était en personne
à cette sortie . Voilà la troisieme fois , m'écrit le général
Kilmaine , que Wurmser tente de faire des sorties , toutes
les fois avec aussi peu de succès . Wnrmser n'est heureux
que dans les journaux que les ennemis de la République
soldent à Paris . Signé , BUONAPARTE .
AVIS.
Les amateurs et les souscripteurs des Euvres cumplettes de
J.J. Rousseau , qui s'impriment à cent exemplaires chez
Pierre Didot , rue Pavée , sont prévenus que la premiere
livraison , composée de huit volumes , faisant le tiers de l'ouvrage
, paraîtra le 1er. nivôse , chez Boserian , quai des
Augustins , no. 33 , à Paris .
Cette éiion , corrigée avec soin sur celles données par
Rousseau , et d'après ses manuscrits déposés au comité d'instruction
publique , a le mérite supérieur de toutes les belles
éditions sorties des presses du cit . Didot l'aîné .
' LENOIR-LAROCHE , Rédacteur.
L
1
Jer . 135 .
MERCURE FRANÇAIS .
DÉCADI 30 FRIMAIRE , l'an cinquieme de la République.
( Mardi 20 Décembre 1796 , vieux style . )
POLITIQUE RAISONNÉE.
Lettre au Rédacteur , sur nos relations commerciales et sur
l'Angleterre.
CITOYEN ITOYEN , j'ai lu dans vos deux derniers numéros
des réflexions sur un ouvragé initulé : Vues générales
sur l'Italie , Malte , etc. etc. , dans leurs rapports politiques
avec la République Française. Ces réflexions sont
elles-mêmes un ouvrage , et un ouvrage important .
puisqu'elles renfermeut un plan complet de la conduite
que la France doit tenir dans ce moment , et.
à l'avenir , avec toutes les puissances du continent.
Ge plan m'a fait d'autant plus de plaisir , que l'au
teur , quoiqu'il paraisse un patriote très-zélé , ou plu
tôt parce qu'il est , patriote zélé et en même- tems
éclairé , ne desire point du tout que son pays devienne.
formidable à tous ses voisins . Le but de toute sa
politique n'est pas la puissance , mais le bonheur et
la tranquillité inaltérable . S'il nous conseille de nous
étendre jusqu'aux bords du Rhin , c'est pour que ces .
pays ne tombent pas entre les mains de souverains
inquiets et jaloux . Il gémit de cet aggrandissement ,
et regrette que ces peuples ne soient pas disposés.
à se donner un gouvernement qui soit pour nous
Tome XXVI. Ι
( 130 )
ཏི །
ún ami sûr et paisible . Il aimerait mieux leur liberté
que leur réunion . S'il veut que nous enlevions l'Italie
au pape et à l'empereur , il se félicite que nous
ne soyons pas obligés de nous en approprier la moindre
partie . Il n'est point jaloux de l'énorme augmentation
de territoire et de puissance que nos ennemis
se sont procurès aux dépens de la Pologne . Enfin ,
des limites naturelles , une barriere d'états paisibles ,
l'impossibilité de songer même à aucune acquisition ,
voilà ce qu'il souhaite à sa patrie , parce qu'il desire
pour elle une paix profonde ' , et non une trêve
orageuse ; le repos plutôt que l'éclat , le bonheur et
non pas la grandeur. Il est fâcheux qu'il n'ait pas
completté son ouvrage , en appliquant des principes
si réellement philosophiques à nos relations commerciales
, et spécialement à la conduite que nous devons
tenir avec l'Angleterre . En attendant qu'il remplisse
ses engagemens à cet égard , je vais risquer sur ce
sujet quelques idées qui , j'espere , rentreront dans
ses vues ; car je crois en être bien pénétré .
L'étendue du territoire ne constitue pas seule la
puissance d'une nation . L'étendue de son commerċe
en est encore un élément important , parce qu'elle
détermine le degré de sa population et de sa richesse ;
et ce second élément de puissance a comme l'autre
des limites naturelles qu'il doit atteindre , et ne doit
pas dépasser pour que le corps politique soit dans
un état vraiment calme. En- deçà et au- delà , il ne
trouve qu'orages et inquiétudes .
Les limites naturelles du territoire sont frappantes.
Ce sont les sommets des chaînes de montagnes , le
cours des fleuves , les mers , les déserts ; en un mot ,
( 131 )
4
ces grandes lignes de démarcation qui circonscrivent:
si puissamment les relations sociales , que l'on sent
qu'il ne peut y avoir aucun intérêt de convenance à
dépasser , et qu'on ne peut le desirer de part ni
d'autre , que dans des vues hostiles et ambitieuses .
Les limites naturelles du commerce ne tombent
pas de même sous les sens . Le commerce est l'ouvrage
des hommes ; et à parler exactement , il n'y a dans
les ouvrages des hommes rien que d'artificiel ; ou ;
si l'on veut , tout y est naturel , puisque tous sont
des résultats de notre nature . Cependant, en regardant
la justice et la paix comme l'ordre naturel des choses &
on peut et on doit diré que le commerce d'une nation
est renfermé dans ses limites naturelles , quand il a
toute l'étendue qu'il peut acquérir par des moyens
paisibles et justes , qu'il dépasse ces limites quand
son extension est fondée sur la violence , et a besoin
de la force pour se soutenir , et qu'il ne les atteint
pas quand il est restreint par la tyrannie de ses
voisins et que l'oppression seule s'oppose à son
accroissement.
Maintenant quels sont les moyens paisibles etjustes
par lesquels une nation peut faire fleurir son commerce
?
C'est , 1º. par l'industrie de ses cultivateurs qui lui
fournira une plus grande quantité de matieres premieres
, soit pour être consommées en nature dans
le pays , soit pour y être fabriquées , soit pour être
exportées . 12A
2º . Par l'habileté de ses fabriquans ; d'où il résultera
que leurs ouvrages étant de meilleure qualité , et
Comptant moins de travail, les consommateurs du pays
I
( 132 )
seront approvisionnés de denrées d'un meilleur usagé
pour un moindre prix , et que ces mêmes ouvrages
transportés chez l'étranger y auront la préférence , et
en rameneront en retour plus et de meilleures productions
, sur lesquelles les consommateurs trouveront
encore l'avantage de plus de jouissances pour de
moindres sacrifices ..
3º . Par l'étendue et la justesse des spéculations de
ses négocians , qui feront qu'allant toujours chercher
les marchandises étrangeres dans les contrées où elles.
sont le moins cheres , et envoyant celles des pays dans
les marchés où elles se vendent le mieux , ils pourront
livrer aux consommateurs au plus bas prix possible
les produits de leurs importations et les retours de
leurs exportations ,
4. Par l'économie et l'intelligence de ses navigateurs
qui , diminuant les frais de transports , seconderont
l'habileté des fabriquans.
5º . Enfin , en assurant à tous et à chacun de ses
membres l'exercice entier et illimité du droit inaliénable
d'acheter et de vendre de gré à gré tout ce qu'il
lui plaît , comme il lui plaît , quand il lui plaît , à
qui il lui plaît , et cela dans tous les pays de l'univers
: droit såeré et imprescriptible qui dérive de
celui qu'a tout homme de disposer de son individu ,
de son travail et du fruit de son travail , qui fait partie
essentielle de sa liberté individuelle , et sur lequel ni
ses compatriotes ni les nations étrangeres ne peuvent
attenter, sans causer de grands troubles dans l'ordre de
la société et sans s'écarter entierement de celui de la
nature ; droit en un mot qui ne peut être enlevé à un
citoyen par le gouvernement de son pays , sans vraie
( 133 )
y rannie , et par un gouvernement étranger sans veritable
hostilité .
1
,
3
Les moyens de faire fleurir le commerce , que nous
venons d'indiquer
, se réduisent
donc à développer
les talens et à protéger les droits résultans
les uns
et les autres de notre organisation
; et certes ces
moyens sont bien légitimes
: aussi produisent
-ils nécessairement
le maximum du bonheur que le commerce
peut procurer
aux hommes . Car leur bonheur
est
formé du nombre de leurs jouissances
. Or , quand
un peuple est habile à tirer parti de son sol , et à
en façonner
les produits , chacun des individus
qui
le composent
jouit le plus complettement
possible
des biens dont la nature a favorisé son pays ; et quand
il joint à cet avantage
la facilité d'acquérir
, par les
moyens les plus économiques
et sans aucune gêne ,
les objets que cette même nature accorde avec plus
de générosité
aux climats étrangers
, il est clair qu'il
réunit la plus grande somme de jouissances
que la
sociétépuisse procurer à ses membres . Ceci est encore
une nouvelle preuve que ce sont toujours les moyens
légitimes
, l'instruction
, la liberté , la justice et la
paix qui menent au maximum
du bonheur possible.
C'est une remarque que nous nous plaisons à faire ,
mais dont au reste s'embarrassent bien peu la plupart
des gouvernemens. N'ayantjamais pour objet le bonheur
, ne se proposant pour but que la puissance , ils
n'ont envisagé le commerce que sous ce point de vue ;
ils ne lui ont apperçu d'autre effet que celui d'augmenter
la population et la richesse de l'État. Aussi
ont-ils accordé leur intérêt presqu'exclusif au commerce
extérieur ; et ils n'ont fait cas du commerce
1
I 3
( 34 )
intérieur que comme d'un moyen de restreindre le
commerce des étrangers , et de leur nuire en s'eņ
passant. Ceci s'applique spécialement aux gouvernemens
européens modernes , Les anciens n'étaient
pas libéraux et philantropes par principes . Mais les
modernes ont systématisé la haine . Toujours envieux
dans leurs méditations , avides dans leurs spéculations,
et violens dans leurs procédés , ils n'ont pas plutôt
vu que l'extension du commerce extérieur dépendait
de pouvoir se procurer les denrées des autres pays
au meilleur prix possible , et d'être en état de leur
fournir les sommes pour un prix inférieur à celui
auquel les autres nations peuvent établir les pareilles
ils n'ont pas plutôt , dis-je , eu fait cette observation ,
qu'ils ont cherché , non à se concilier ces avantages
par les moyens légitimes que nous avons développés ,
mais à les ravir par la force ; et ç'a été la bâse de toute
leur politique. 45
Ainsi , lorsqu'ils ont rencontré des pays habités
par des nations civilisées qu'ils ne pouvaient complettement
asservir , ils ont tâché par tous moyens de
conclure avec elles des traités oppresseurs ou astucieux
, dont le résultat fût de les contraindre à leur
livrer privativement les marchandises dont ils avaient
besoin , en les refusant au même prix aux autres , et.
recevoir d'eux les produits de leurs fabriques , en
rejettant ceux des autres peuples industrieux . Pendant
ce tems ils se sont entourés eux-mêmes d'un
triple rang de barrieres , pour exclure de leurs pays
les productions étrangeres , suivant leurs fantaisies ,
aimant mieux souvent se priver de jouissances agréa,
bles et utiles , que de permettre que leurs voisins
trouvent dans ce débit la juste rétribution de leurs
( 135 )
avantages naturels ou artificiels . Il est vrai que ces
bons voisins en ont fait autant de leur côté . Et ainsi
dans les courts espaces où ces vertueuses sociétés
ont cessé de se déchirer les armes à la main , elles
ont travaillé sans relâche à leur misere réciproque ,
à force de douanes et de prohibitions . C'est là ce
qu'on appelle la paix sincere et la vraie science sociale
parmi la partie la plus perfectionnée de la
race humaine .
Quand ces sublimes politiques ont , dans leurs
longs voyages , découvert des pays déserts ou peu
habités , susceptibles de fournir des productions
précieuses , ils s'en sont emparés , et ils en ont pour
l'ordinaire exterminé les habitans , s'il y en avait,
Ensuite ils y ont établi une population tirée de leur
sein , non pas pour former dans ces riches contrées
un corps de peuple ami et allié , comme faisaient
les anciens , avec lequel on puisse jouir de tous les
avantages d'une union fraternelle et de tous ceux
que fournit toujours à deux nations florissantes l'échange
mutuel et libre de leurs besoins et de leurs
tréso.s , en animant leur industrie , étendant leurs
lumieres et multipliant leurs jouissances . Non , leur
premier soin a été de priver ces essaims de toute
communication avec le reste de l'univers. Et toute
leur sollicitude paternelle pour eux a consisté à arrêter
leur développement autant que possible , à les
concentrer dans leur enceinte comme des lapina
dans une garenne forcée , et à en faire une troupe
d'esclaves , servie le plus ordinairement par d'autres
esclaves , et condamnés à dépendre de la métropole
pour leurs besoins les plus argens , et à y verser tous
14
( 136 )
leurs trésors , le tout au prix 4 qu'elle veut bien
mettre . Ils appellent cela des colonies .
y
Dans les pays que les Européens n'ont pas pu ou
pas voulu occuper tout entiers , leurs établissemens
ont consisté à subjuguer et rançonner les naturels
du pays , et à s'en servir comme de bestiaux aratoires ,
ainsi que le font les Hollandais dans les isles Mofuques
et les isles de la Sonde , et les Anglais au-
Bengale ; ou bien , lorsque les habitans étaient presqu'entierement
sauvages , comme à la côte nord- ouest
de l'Amérique ou à la côte d'Afrique , on s'est borné
à occuper quelques points qui devinssent les centres
d'un commerce plus ou moins inique , plus ou moins
odicux . Mais dans tous les cas , on s'est toujours
conduit suivant les principes d'un monopole si féroce
, qu'on a été jusqu'à anéantir , quand on l'a pu ,
les productions les plus précieuses par-tout où il a
é é impossible de s'en assurer la possession exclusive.
C'est ce que les Hollandais ont fait pour les
épiceries .
Ainsi la guerre des prohibitions s'est étendue sur
toute la surface de la terre . Elle a donné lieu partout
à celle des versemens frauduleux , qui en est la
représaille et le palliatif : et la science de la contrebande
est devenue une partie importante et estimée.
de la politique des nations civilisées .
Il est impossible de nombrer tous les maux que
ce systême odieux et absurde a causé à l'humanité .
Le plus affreux , sans doute , après les dévastations
sanglantes dont il a été la source , c'est que cette
guerre sourde toujours subsistante éclate de tems
en tems avec fureur , et après de courts intervalles ,
( 137 )
है
produit ces orages périodiques pendant lesquels les
nations s'épuisent d'hommes et d'argent pour de vils
intérêts , et se trouvent ruinées par avidité , comme
cela arrive souvent aux particuliers . Mais après ce
fléau principal , le mépris des droits des hommes ,
les atteintes portées à leur liberté et à leurs propriétés
, la guerre intestine des douaniers et des contrebandiers
, les punitions des uns , les vexations des
autres , la corruption de tous et leur inutilité pour
la société , la suppression de professions utiles et
l'établissement d'industries stériles et déplacées , la
privation de beaucoup de jouissances ou leur prix
accru de tous les frais de garde et de tous ceux de
contrebande , la difficulté des subsistances , la variation
perpétuelle de leur valeur , souvent leur rareté
extrême , enfin la conservation et l'accroissement des
haines et des préjugés , et les retards apportés au
progrès des lumieres et à leur communication , tout
cela sont autant de calamités qui mériteraient bien
notre attention . Cependant , puisqu'on est convenu
de compter le bonheur pour rien , ne considérons
les effets de ce régime funeste - que sous le rapport
de l'extension ou du resserement du commerce de
chaque société politique , et cette extension ou ce
resserrement que sous le rapport de la puissance.
Toutes les fois qu'il se fait un échange , n'importe
où ni comment , d'une denrée surabondante dans un
lieu et nécessaire dans un autre , contre une denrée
superflue dans cette seconde place et utile dans la
premiere , il y a profit réel des deux côtés . Les consommateurs
des deux parts jouissent ; et leurs richesses
devenues le salaire des producteurs , fabrica(
138 )
1
-1.
teurs et entremetteurs , les font subsister , prospérer.
et multiplier. C'est là le commerce et son utilité .
Naturellement done chaque nation devrait avoir
pour débouché des produits de sa culture et de son
industrie , pour marché de ses approvisionnnemens
et pour théâtre libre de ses spéculations d'achats et
de ventes , la totalité de l'univers ou du moins le
territoire tout entier des autres nations civilisées
et de leurs colonies. L'épithete de barbares serait
justement réservée aux peuples assez sauvages pour
se refuser à ces relations animales et justes , et qui
sont toujours d'une utilité réciproque . Au lieu de
ce vaste champ , chacun de nos peuples européens
modernes est tristement confiné dans son propre
domaine , qu'il étend à la vérité par tous moyens ,
tant qu'il le peut , dans les quatre parties du monde ,
et dont il écarte avec jalousie tous les autres , à force
de peines et de dangers . Mais aussi , quand il se
présente sur leur terrein , il en est repoussé avec la
même fureur , ou du moins rançonné d'autant plus
impitoyablement que l'on redoute plus la supériorité
de ses talens . Alors son unique occupation est de
leur extorquer , par force ou par ruse , quelques
conditions plus favorables qui vont rarement jusqu'à
établir la liberté naturelle . Et il croit avoir tout
gagné , s'il parvient à leur faire recevoir chez lui un i
traitement moins avantageux , et sur- tout s'il peut les
amener à en faire un encore plus dur aux autres
nations commerçantes. Effectivement ces doubles
combinaisons peuvent , par leurs différens reflets ,
lui assurer sur ses rivaux une supériorité relative .
Mais il serait aisé de prouver que la nation la plus
( 139 )
heureuse , et la plus habile à forger ces entraves et
à serrer ces liens , n'en retire pas des avantages égaux
à ceux que lui procurerait le développement d'une
honnête industrie , favorisé par une liberté entiere ,
sans compter que cette prospérité factice , fût- elle
réelle , est toujours précaire et bien coûteuse , quand
la guerre s'en mêle , ce qui ne manque pas d'arriver
et, même très - souvent. Il est en outre évident que
tous les autres peuples , ou moins astucieux , ou moins
forts , sont absolument victimés par la nation dominante
en sorte qu'il demeure démontré que
le commerce
d'aucune société politique , une seule tout au
plus exceptée , et encore sous les réserves que nous
avons faites , n'atteint les limites que la nature lui
avait assignées . Toutes demeurent en- deçà ; seulement
les proportions sont changées . Les degrés de
supériorité sont ou peuvent être déplacés : mais , il
y a perte réelle et universelle pour la totalité de la
masse dans l'ordre de choses , ou plutôt dans le désordre
actuel .
Qu'il nous soit permis de terminer cet exposé par
une comparaison assez bizarre , mais très- propre à
rendre cette vérité plus sensible . Le commerce est
naturellement un jeu paisible , où tous les pontes
gagnent à proportion de leur mise et de leur habileté.
Les corps politiques sont les joueurs ; leurs
mises , ce sont les avantages de leurs territoires res
pectifs ; leur habileté consiste à cultiver , fabriquer
et négocier la nature fait les frais de la banque ,
dont chacun s'approprie une part plus ou moins
forte. Insensiblement, au lieu de suivre les regles du
jeu , les joueurs sont convenus d'y admettre l'escro(
140 )
querie et même le vol à force ouverte . Il en est résulté
quelques rapines momentanément utiles aux
plus fourbes et aux plus forts. Mais la gêne réciproque
qu'ils se sont causées , les a tous empêchés
d'employer tous leurs fonds , et de déployer leur
habileté toute entiere : et tous ont moins profité des
trésors du banquier généreux . Il s'en est de plus
suivi des querelles et des rixes interminables entr'eux
, dans lesquelles tous ont été blessés , appauvris
, démoralisés , et qui en ont forcé plusieurs à se
rendre esclaves pour subsister.
Maintenant appliquons ces réflexions à l'état actuel
des affaires , et voyons si elles pourront nous
conduire à trouver un dénouement heureux à la
guerre présente entre les principales puissances
maritimes et commerçantes du monde entier. Les
méditations philosophiques seraient bien inutiles
si elles ne devaient pas contribuer à diminuer les
maux de l'humanité ou à les faire cesser.
•
Quel' qu'ait été le premier motif de la guerre que
nous avons à soutenir du côté de la mer , il est évident
qu'elle ne peut maintenant pas plus que la
guerre de terre , avoir pour objet d'empêcher la
France de se donner la forme de gouvernement
qui lui plaît. Il ne s'agit donc que de fixer les bornes
de sa puissance , de celle de ses alliés , de celle
de ses ennemis .
Nous avons reconnu que la puissance d'une nation
se compose de deux élémens , de l'étendue de
son territoire , et de l'étendue de son commerce .
Dans la guerre de terre , l'étendue du territoire est
l'intérêt dominant et presqu'unique, parce que c'est lá
( 141 )
ོ་
métropole même qu'elle attaque , et dont elle étend
ou resserre les limites , affaiblit ou fortifie les frontieres
; et que l'accroissement du territoire de la
métropole fournit une plus grande population pour
sa défense , une plus large bâse pour les impôts
fonciers ou personnels , et souvent une plus grande
masse de biens nationaux , or , ce sont là trois
grandes sources de puissance . La guerre de mer au
contraire ne saurait entamer la métropole . Elle ne
peut que lui enlever ou lui donner des colonies lointaines
. Mais ce n'est sous aucun des aspects précédens
que nos colonies nous sont précieuses . Leur
population ne peut jamais être un moyen de défense
pour la mere-patrie , qu'elles ne font que rendre
plus vulnérable en présentant à l'ennemi des parties
faibles . Leurs impositions directes ne suffisent pas
à la dépense de leur administration , et leurs biens
nationaux sont à peu -près nuls. Ce n'est donc pas
comme territoire qu'elles sont intéressantes , mais
comme oyens de commerce . On peut donc dire
que dans la guerre de mer c'est la fixation de l'étendue
du commerce qui est le point capital ; et
que , cussions-nous acquis des colonies immenses
elles seraient mal terminées , si malgré cela , notre
commerce se trouvait plus, restreint , tandis qu'au
contraire , eussions- nous sacrifié toutes nos possessions
hors d'Europe , la paix serait bonne , si en
même-tems notre commerce était aggrandi , et affranchi
de toute entrave . C'est au reste une supposition
que je fais , non pas pour proposer, la cession
de nos colonies , mais pour bien fixer l'état de la
question , et montrer quel est notre véritable in-
25
( 142 ) *
1
1
térêt dans la negociation de la paix à traiter avè
l'Angleterre.
On me dira peut- être qu'alors cette supposition
est doublement inutile ; car les colonies étant déclarées
par la constitution parties intégrantes de la
République Française , nul pouvoir constitué ne
peut les aliéner. C'est effectivement une opinion
que j'ai vue établie dans beaucoup de têtes. Mais la
lecture attentive de la constitution m'a prouvé qu'elle
ne dit absolument rien de tel , et qu'elle se borne
à défendre toute cession de territoire par des articles
secrets . On me dira aussi que j'ai oublié de faire.
mention d'une des utilités des colonies , celle de
fournir une branche de revenu plus ou moins considérable
, par la levée des droits que l'on met sur
leurs productions à leur entrée dans la métropole ,
pour laquelle c'est certainement là un moyen de
puissance. A cet égard , je répondrai que c'est à dessein
, que je n'ai pas fait mention de cette source de
revenu . 1º . Je la regarde comme absolument tarie
par la constitution. En effet , si de ce que les colonies
sont déclarées parties intégrantes de la Répulique
Française , il ne s'ensuit pas qu'elles soient
plus incessibles que les autres portions de la République
, il s'ensuit au moins qu'elles doivent être
régies par les mêmes lois , et qu'elles ne peuvent
pas plus être privées de communiquer entre elles et
avec la métropole , que l'Alsace et la Flandres ne
pouvaient rester séparées de la Lorraine et de la
Picardie par une ligne de barrieres ; il s'ensuit que
leurs habitans sont citoyens et non pas sujets , et
que par conséquent on ne peut les rançonner ainsi ,
*
+
}
( 149 )
sans manquer à-la -fois à la justice et à la prudence .
2º. Dans ma maniere de voir , je souhaite à mon
pays non pas toute la puissance imaginable . mais
toute celle qui , dérivant de l'ordre naturel des choses ,
ne nécessite l'emploi d'aucun moyen de force , et
par-là est compatible avec une paix profonde . Or ,
toute douane quelconque étant une mesure hostile
à l'égard des étrangers et une violation des droits
des citoyens , il est manifeste que les principes de
notre constitution et ceux de ma politique me défendent
également de compter sur un tel revenu ,
fat-il aussi réel qu'il est aisé de prouver qu'il est
illusoire et funeste. Et cet accord entre nos lois
constitutives et les regles que j'ai établies , prouvent
bien que mon systême est parfaitement adapté à la
maniere d'être actuelle de la France , ét que l'un et
l'autre sont fondés sur des bâses d'éternelle vérité .
}
Maintenant je dis que , de même que l'auteur des
Reflexions , etc. , a prouvé que notre guerre conti-
Hentale actuelle ne sera terminée solidement et dé
finitivement , que quand notre territoire aura acquis
les limites que lui prescrit la nature sans les déa
passer de même notre guerre maritime ne sera finie
pour ne jamais renaître , qué lorsque notre commerce
n'aura d'autres bornes que celles que lui assigne
aussi la nature des choses , c'est- à- dire , aura
toute l'étendue que peuvent lui donner les avantages
de notre sol , et le développement de nos talens
accompagnés d'une liberté indéfinie .
( La suite au prochain numére. )
........
( 144 )
LITTÉRATURE.
Épître sur la Calomnie , par J. M. CHENIER , membre du
conseil des Cing- cents et de l'Institut national .
Semper ego auditor tantum numquam ne reponama
Vexatus toties ?
A Paris , de l'imprimerie de PIERRE DIDOT l'aîné.
LA calomnie est de tous les pays et de tous les
tems : mais elle paraît appartenir plus particulierement
aux peuples chez qui les institutions civiles , les
goûts , les habitudes ont exalté l'égoïsme et la petite
vanité personnelle , et aux époques des dissentions
politiques où l'esprit de parti donne à tous les sentimens
quelque chose de furieux et d'effrené .
L'on ne doit donc pas s'étonner qu'en France une
berté soudaine , imprévue , ait trouvé peu d'ames au
niveau des événemens qui la traînaient pour ainsi
dire à leur suite ; que les passions déchaînées par
les mouvemens révolutionnaires , et pour la premiere
fois exercées sur de grands intérêts , aient pris un
caractere inconnu de violence ; qu'enfin , le peuple ,
successivement jouet d'une longue suite de charlatans
, ait , dans ces secousses , donné d'éclatans exemples
de son engouement funeste et de ses caprices.
ingrats. Tout cela était dans l'ordre des choses , et
l'on devait s'y attendre.
Mais du moment où1 la constitution nouvelle ,
solemnellement acceptée par la nation , a été mise
en activité du moment où la république n'a plus
été
( 145 )
1
été un vain nom , où la sûreté , des personnes et des
biens , la liberté de la pensée et de l'industrie n'ont
plus dépendu des volontés arbitraires d'un tyran ,
ou des fansaisies frénétiques d'un démagogue ; l'on
a été en droit de penser , non- seulement que tous les
amis sinceres de la patrie , mais que tous les esprits
justes , tous les hommes qui avaient quelque chose
à perdre dans de nouvelles discordes , se rallieraient
franchemenr autour de la constitution . L'on devait
croire sur-tout que ceux qui semblaient avoir pris à
tâche de ramener sans cesse les imaginations effrayées
sur la peinture des tems révolutionnaires , sentiraient
dès -lors la nécessité d'assoupir et d'éteindre tous les
ressentimens , de verser sur des plaies si vives , un
baume salutaire , de donner à ce gouvernement naissant
, devenu notre seule garantie , une force , une
consistance qu'il ne peut tirer que de l'opinion .
Au lieu de cela qu'est- il arrivé ? Ces mêmes hommes ,
ces prédicateurs éternels de l'ordre,, de la paix , de
l'humanité , ne se sont occupés , même dès le premier
moment , qu'à répandre des semences de désorganisation
, de haine , de discorde et de vengeance . Ils
ont suivi , à l'égard de la constitution de l'an III ,
le
même systême que le château des Tuileries à l'égard
de celle de 1791. Ils ont cherché à la détruire par
elle - même . Ils ont fait les appels les plus astucieux
aux passions du moment. Ils ont flatté les préjugés et
les erreurs . Plusieurs d'entre eux , incapables de manier
des armes loyales , ont appellé à leur secours
l'arme du lâche , la flêche empoisonnée du sauvage ,
la calomnie . Ils ont calomnié les hommes et les
choses , les événemens et les lois elles -mêmes . En
Tome XXVI.
K
( 146 )
un mot , ils ont voulu corrompre l'opinion à sa
source , et frapper le gouvernement dans sa racine .
Telles sont les circonstances au milieu desquelles
paraît l'Épître de Chenier ; et tels sont aussi les principaux
motifs qui l'ont inspirée , motifs dont les amis
clairvoyans de la République sentiront tout le poids.
L'auteur avait , en outre , quelques querelles particulieres
à vider. Mais nous n'entrerons pont dans
cette guerre personnelle , livrée à beaucoup de noms ,
la plupart trop inconnus pour qu'on se donne la
peine d'avoir une opinion sur leur compte ; et nous
le laisserons , comme il a grande raison de le dire luimême
, disputer au néant ses plus chers favoris.
1
C'est donc la piece de vers , mais non la satyre ;
c'est le patriote indigné , mais non l'écrivain qui
s'arme pour attaquer ou se défendre , que nous considérons
dans l'annonce de l'Épître de la Calomnie : et
nous commençons par déclarer sans détour que c'est
l'ouvrage d'un beau talent , et le cri d'alarme d'un
excellent citoyen .
Chenier adresse son Epître à Philandre , c'est-à- dire
à un ami des hommes ,
Fléau de la licence et de la tyrannie :
Il lui peint la calomnie déshonorant la presse ; diffa
mant ce bel art de peindre la pensée ....
Un peu d'or fait couler des flots d'encre et d'injures.
Mais c'est surtout la liberté , ses principes , ses
succès que le monstre poursuit avec fureur.
Quand nos guerriers bravant et le glaive et l'airain ,
Étonnent l'Eridan , le Danube et le Rhin ,
Dans les murs de Paris l'Autriche a son armée ,
( 147 )
Qui , faisant , chaque jour , mentir la Renommée ,
De loin par des pamphlets signalant sa fureur ,
Poursuit sous des lauriers Buonaparte vainqueur ,
Et vantant des Germains la prudente retraite
Pour l'Aigle fugitive embouche la trompette.
Voilà de fort beaux vers.
Dans ce noble métier , doublement indigent ,
Nul n'a besoin d'honneur , tous ont besoin d'argent ,
Est d'un bon ton et d'un bon style .
Ils dînent du mensonge et soupent du scandale ,
Rappelle ;
Il dinait de l'autel et soupait du théâtre ,
Qui est plus plaisant.
Après avoir parlé des insectes éphémeres qui naissent à
la suite d'un long orage , nous croyons qu'il ne faudrait
point , quelque vers plus bas , parler de l'essaim bourdonnant
des stériles frélons : c'est , en d'autres termes ,
la même comparaison , et pour expliquer le même
objet .
Mais quoi , me dira - t -on , désormais prétends - tu
Donner l'esprit aux sots , aux fripons la vertu !
Veux-tu donc
Armé des fouets vengeurs d'Horace et de Boileau ,
Fesser le grand orgueil du petit Lacretelle ?
Non cela n'en vaut pas la peine ; d'autres s'en chargeront.
A propos de Morellet , on trouve ce vers heureux :
S'il sait l'art d'ennuyer , on sait bailler en France.
Mais Chenier a tort de l'appeller un sot ; c'est assurément
ce qu'il n'est pas.
Que Mercier livre encor cent combats renaissans
K 2
( 148 )
A Racine , à Voltaire , et sur-tout au bon sens ;
·
Que le cousin Beffroi reste au fond de la lune ;
Qu'au milieu du sénat , à la même tribune ,
Où la raison sublime allumait son flambeau ,
Où discutait Syeys , où tonnait Mirabeau ,
Où de Vergniaux souvent l'éloquence énergique
Vainquit de Dumolard le fatras lethargique ;
Plein d'orgueil et de mots , Dumolard aujourd'hui .
Distille en longs discours la sottise et l'ennui :
A tous ces beaux esprits il est permis d'écrire ,
Et j'attends qu'un décret me condamne à les lire .
Vainquit . etc. est faible : ce n'est pas un grand succès
que de vaincre le fatras léthargique .
Et j'attends qu'un décret me condamne à les lire
est plaisant. Ce vers en rappelle deux du Misanthrope :
mais ici le trait est plus vif.
Dans la suite de la tirade on remarquera un de ces
traits d'autant plus piquans , que la plaisanterie y tient
àla simplicité , et presqu'à la naïveté de l'expression.
Lemerer vous salue au nom de Démosthene.
Mais voici un long morceau, que nous ne pouvons
nous refuser au plaisir de citer tout entier.
Les calomniateurs , je le sais bien , Philandre ,
Ne manquent point d'amis ardens à les défendre :
Pour un esprit mal fait leur genre a des appas ;
Mentir est le talent de ceux qui n'en ont pas ;
Nuire est la liberté qui convient aux esclaves` :
Foulant aux pieds des moeurs les utiles entraves .
De libelles fameux les auteurs inconnus
Ont sur ce noble droit fondé leurs revenus .
Comme eux , nos décemvirs , ces tyrans du génie
Chérissaient , protégeaient , vantaient la tyrannie ;
( 149 )
Et du chêne civique ils couronnaient le front.
Qu'à Rome on eût flétri d'un solemnel affront.
Quel fut le résultat de cet affreux systême ?
Contemple nos débris , et prononce toi - même.
Vois dans ces premiers jours la République en deuil ,
L'élite des Français descendant au cercueil ,
Les impurs échafauds servant de mausolées ,
Les graces , les vertus d'un long crêpe voilées ,
Près d'elles , le génie éteignant son flambeau ,
Et les beaux arts pleurant sur un vaste tombeau .
Ces malheurs sont récens : quel monstre les fit naître !
Sa trace ensanglantée est facile à connaître ,
La calomuie , esclave , et docile aux tyrans ,
Dès qu'ils eurent parlé déchaîna ses torrens ,
Qui du Var à la Meuse étendant ses ravages
Ont séché les lauriers croissans sur nos rivages.
Elle ouvrit les prisons , dressa les échafauds ,
Et sur le tribunal fit siéger les bourreaux .
C'est-elle , tu le sais , qui dans Athenes ingrate.
Exilait Aristide , empoisonnait Soerate ;
Qui dans Rome opprimée égorgeait Cicéron ,
Ouvrait les flancs glacés du maître de Néron ;
Qui livrait dans Paris aux fureurs populaires
Du sage Lamoignon les vertus séculaires .
Ainsi tombaient Thouret , Barnave , Chapelier ,
L'ingénieux Bailly , le savant Lavoisier ,
Vergniaux , dont la tribune a gardé la mémoire ,.
Custine et Beauharnais , noms chers à la victoire .
Condorcet dans les bois traînant ses pas errans ,
Nous éclairait encor, de ses rayons mourans
Et des vainqueurs des rois les bourreaux despotiques ,
Ambitieux servis par des sots fanatiques ,
Souillant la liberté d'éloges imposteurs ,"
Immolaient en son nom ses premiers fondateurs.
K 3
( 150 )
1
Tout ce tableau est admirable . La calomnie esclave
et docile aux tyrans n'est peut-être pas bien correct : il
faudrait , esclave docile des tyrans ; on n'est pas docile à .
Des torrens qui sechent des lauriers ne paraît pas fort
exact on peut cependant répondre que c'est des torrens
de l'enfer qu'il s'agit.
Du sage Lamoignon les vertus séculaires .
Les vertus séculaires est une expression extrêmement
belle .
Condorcet dans les bois traînant ses pas errans ,
Nous éclairait encor de ses rayons mourans .
Cela est également bien beau. Le dernier ouvrage
de Condorcet et les circonstances dans lesquelles
il a été écrit , sont bien caractérisés. Le mot rayons
convient particulierement à ce grand homme qui fut
tout raison et philosophie.
Vergniaux , dont la tribune a gardé la mémoire
semble calqué sur ce vers connu :
Seul roi de qui le peuple ait gardé la mémoire :
Mais ce n'est qu'une ressemblance de mots .
Mentir est le talent de ceux qui n'en ont pas ;
Nuire est la liberté qui convient aux esclaves.
Ce sont là de ces vers qui paraissent nés plutôt que
faits qui deviennent proverbes en naissant , et qui
restent à jamais dans la mémoire.
Allons , plats écoliers , maîtres en l'art de nuire ,
Divisant pour régner , isolant pour détruire ,
Suivez encor d'Hébert les sanglantes leçons ,
Sur les bancs du sénat placez les noirs soupçons :
Qu'au milieu des journaux la loi naisse flétrie ;
Dans les pouvoirs du peuple insultez la patrie.
( 151 )
Toujours le même tour heureux , la même énergie
d'expression.
Qu'au milieu des journaux la loi naisse flétrie
Est un beau vers qui caractérise bien le moment :
Opposez aux vivans l'éloquence des tombes ,
Prêchez l'humanité , mais parlez d'hécatombes ;
Ceux- là caractérisent les hommes que Chénier a en
vue .
Le morceau dans lequel il repousse l'atroce accusation
d'avoir contribué à la mort de son frere , est
` plein d'élévation et de sensibilité .
Narcisse et Tigillin , bourreaux législateurs ,
De ces menteurs gagés se font les protecteurs .
•
J'entends crier encor le sang de leurs victimes ;
Je lis en traits d'airain la liste de leurs crimes .
Et c'est eux qu'aujourd'hui l'on voudrait excuser !
Qu'ai-je dit ? on les vante ? .. et l'on m'ose accuser !
Lorsque je les ai vus ivres de tyrannie ,
J'entendrais ces valets , rois par la calomnie ,
Me reprocher le sang d'un frere infortuné
Qu'avec la calomnie ils ont assassiné !
L'injustice aggrandit une ame libre et fiere :
Ces insectes hideux sifflant dans la poussiere ,
N'ont point semé la guerre entre son ombre et moi :
Le crime fut pour eux : c'est pour eux qu'est l'effroi .
Brigands , qui conduisiez la victime aux supplices ,
Mon coeur cherchait en vain le coeur de vos complices ;
Je priais , l'oeil en pleurs , le front humilié :
Mais ils vous ressemblaient , ils étaient sans pitié .
Si le jour où tomba leur puissance arbitraire ,
K 4
( 152 )
Des fers et de la mort je n'ai sauvé qu'un frere
Qu'au fond des noirs cachots Dumont avait plongé ,
Et qui deux jours plus- tard périssait égorgé.
Auprès d'André Chenier avant que de descendre ,
J'éleverai la tombe ... où manquera sa cendre ,
Mais où vivront du moins et son deux souvenir ,
Et sa gloire , et ses vers dictés pour l'avenir.
Là , quand de thermidor la septieme journée ,
Sous les feux du chevreau ramenera l'année ,
O mon frere je veux , relisant tes écrits ,
Chanter l'hymne funebre à tes mânes proscrits :
Là , souvent tu verras près de ton mausolée ,
Tes freres gémissans , ta mere désolée ,
Quelques amis des arts , de l'ombrage , des fleurs ;
Et ton jeune laurier grandira sous mes pleurs .
Toute la tirade est noble , pure , touchante .
N'ont point semé la guerre entre son ombre et moi ,
est aussi beau d'expression que de sentiment .
Mais Chénier ne se borne pas à repousser avec
force les attaques de ses ennemis , à ridiculiser la
sottise , à flétrir tout ce qu'il croit dangereux pour
la liberté : il défend les patriotes qu'il voit attaqués
injustement. Louvet , dit-il ,
Louvet bravant les fers , l'exil et le trépas ,
Accusa les tyrans , et ne les servit pas.
Chénier se glorifie encore avec raison d'avoir rendu
sa patrie un sincere ami de la liberté :
Talleyrand méconnu dans l'exil a gémi ;
Il était malheureux , je devins son ami ,
Un décret du sénat Le rendit à la France .
Enfin l'auteur fait en quelque sorte plus ; il aime
( 153 )
à payer un juste tribut d'éloge aux talens contemporains
; il ne veut point
De la gloire des morts accabler les vivans.
Nos illustres vivans seront des morts illustres :
A l'humaine injustice épargnons quelques lustres .
Au sein du présent même , écoutant l'avenir ,
1
Certain de ses décrets j'ose les prévenir.
Ma voix , pour décerner un hommage équitable
N'attend pas que le tems de sa faux redoutable
Ait réuni Saint - Pierre à son maître Platon ,
Garat à Condillac , et Lagrange à Newton.
J'aime à voir de Colin'la décente Thalie ,
Des humains en riant crayonner la folie ;
Parny dicter ses vers mollement soupirés ;
Dans ses malins écrits avec goût épurés ,
Palissot aiguiser le bon mot satyrique ,
Lebrun ravir la foudre à l'aigle pindarique ,
Delille nous rendant le cygne aimé des Dieux ,
Moduler avec art ses sons mélodieux ,
Et de l'Eschille anglais évoquant la grande ombre ,
Ducis tremper de pleurs son vers tragique et sombre.
En mêlant ainsi l'éloge à la satyre , on consacre
l'un par l'autre . Les derniers vers expriment bien le
caractere de chaque genre et de chaque écrivain .
Lebrun ravir la foudre à l'aigle pindarique
est de toute beauté .
Voici encore quelques vers de la même tirade :
Si même il fut un tems où Laharpe irrité ,
Voulut noircir mes jours d'un fiel peu mérité ;
Oubliant sa brochure , et non pas Mélanie ,
Quand les Goths menaçaient l'auteur de Virginie ,
( 154 ) .
N'ai je pas témoigné tout mon mépris pour eux
Et le respect qu'on doit au talent malheureux .
•
Il y a plus d'un genre de mérite dans ces vers .
Oubliant sa brochure , et non pas Mélanie ,
n'est pas seulement un vers très- heureux ; c'est l'expression
d'un sentiment plein de générosité . Il serait
à desirer pour la gloire même du cit. Laharpe , que
ce vers l'engageât à oublier son mandat d'arrêt , et
àse souvenir un peu plus de Voltaire et de ses autres
illustres amis .
S'il voulait revenir un peu sur les opinions qu'il
a lui - même énoncées soit avant , soit aux diverses
époques de la révolution , il verrait facilement qu'il
ne lui est plus permis de vouloir nous ramener au
quatorzieme siecle .
En tout cas , le vers fait beaucoup d'honneur à
l'ame de Chénier ; et il rappelle les deux suivans ,
qui sont du même esprit et du même ton :
Moi qui pour tout trésor ne voudrais obtenir
Que d'être aimé de ceux qu'aimera l'avenir .
De pareils traits font aimer un auteur , même de
ceux qui n'ont pas la prétention de vivre au-delà
du présent.
Nous nous sommes abandonnés au plaisir de relire
et de copier de beaux vers . Si nous avions recueilli
tous ceux qui nous ont semblé tels , nos citations
seraient encore plus nombreuses . Nous ne pensons
cependant point que l'Epître de Chénier soit exempte
de taches , ou n'offre que celles que nous avons relevées
. Le plan en est peut - être en général , un peu
confus ou faiblement tracé ; et la liaison des idées
( 135 )
est quelquefois plutôt dans le voisinage de certains
mots ou de certaines phrases , que dans le développement
naturel des choses ou dans un raisonnement
bien exposé et bien suivi , qui doit faire la bâse de
tout ouvrage soit de prose , soit de vers . On y trouve
peut-être encore un peu trop d'expressions , de traits ,
de formes générales de style , qui rappellent ou des
formes , ou des traits , ou des expressions connues .
Enfin , le crayon d'un censeur sévere rayerait quelques
vers comme inutiles , ou comme n'ayant pas un
sens bien déterminé .
Mais nous nous plaisons à le répéter , c'est , en
somme , un ouvrage qui porte l'empreinte du plus
rare talent. Nous aimions depuis long- tems dans les
écrits de Chenier , la souplesse , la fécondité , le ton
d'inspiration , une certaine maniere Cornélienne
de raisonner le dialogue de ses pieces de théâtre :
mais très- certainement il n'a rien écrit avec le même
soin que l'épître sur la calomnie ; il n'a mis nulle.
part eette précision , cette fermeté de style , cette
richesse de détails qui , lorsqu'elles sont unies à l'élégance
et au naturel , forment le dernier dégré de perfection
de la langue poétique.
BEAUX ARTS.
Fin du Salon de l'an V ( 1796 ) .
AUJOURD'HU
UJOURD'HUI honneur au beau-sexe . Je vois dans
le livret plusieurs de ses ouvrages , et vous ne m'en
avez point montré.
-Regardez cette Aspasie de la citoyenne Bouliar ,
1
( 156 )
ces portraits , ces têtes d'étude . Aspasie n'est pas son
meilleur ouvrage ; mais cette tête couverte d'un voile ,
c'est le fruit d'un pinceau suave , c'est un faire aimable.
Et cet homme appuyé sur un carton , dont
le visage est dans la demi - teinte que produit l'ombre
de son chapeau ; la couleur en est bonne , et le
ton vrai.
- Vous voyez ces petits tableaux d'histoire des numéros
9-12 ; ils sont l'ouvrage de la citoyenne Auzou .
Ils promettent beaucoup , si l'auteur travaille à se
perfectionner. Il y a de l'amabilité et du gracieux
dans les scenes tirées de Gessner. La jeune Philis
présentée au pere de Daphnis , est heureusement
pensée , gracieusement posée . Je voudrais pouvoir
en dire autant de son Alcibiade . Tous les peintres
osent le représenter cet Alcibiade , dont le caractere
simple et grand est un phénomene de l'antiquité !
-
-Ce jeune homme vêtu d'un habit à la mode ,
d'un pantalon , chaussé avec des bottes , qui regarde
attentivement une jeune femme couchée ; c'est
Sterne. Le pasteur Sterne ! .... je ne l'aurais jamais
cru ; j'ai vu des pasteurs , des éveques anglais ; mais
je ne retrouve point ici leurs grosses perruques , leurs
modestes habits , leur grave maintien . - Tanpis pour
la citoyenne Pietre, car elle a voulu représenter Sterne
contemplant l'infortunée Maria. Que dites - vous
de Maria ? Je reconnais ici une des figures de Michel-
Ange qui ornent le tombeau des Médicis . Quelle
différence entre le prétendu Sterne , et la pauvre
Maria . On les croirait de deux auteurs différens .
-
Fanny Ferrey a donné aux personnages de son
affreuse nouvelle ( la mort d'un mari ) des attitudes un
peu exagérées. Avec plus de simplicité et moins
( 157 )
d'efforts elle fera beaucoup mieux . Ses personnages
sont bien pensés .
-
Les portrais de la citoyenne Benoit ont de la
grace . Celui de la citoyenne Delêstre est blanc , trop
blanc : les deux enfans ne sont pas d'une belle
nature , et les draperies de la mere sentent trop le
manequin .
-
• Vous êtes sévere pour le beau sexe . Lui
témoignerai -je de l'estime , si je lui tenais sur ses
ouvrages le même langage de fadeur que les galans de
profession lui répetent tous les jours sur ses appas ,
sur ses charmes ? Vous savez qu'un peintre médiocre ,
de quelque sexe qu'il soit , ne peut être regardé que
comme un être inutile . Pourquoi donc vouer les
femmes à la médiocrité ? Mieux vaudrait les renvoyer
aux utiles fuseaux .
Ce n'est pas un talent médiocre qué celui de
Grobon.... Voilà comme il faut se montrer ! s'exercer
long-tems à l'ombre , travailler long- tems pour soi
et pour quelques amis ; ne paraître au grand jour
qu'alors qu'on est digne de fixer les regards des connaisseurs...
Quelle vérité dans ses tons , quelle légereté
dans ses touches ! ce très -petit tableau présente une
belle forêt , et une eau limpide qui baigne des caillous.
On se rappelle en voyant cette eau , le tableau de
Diogene du Poussin.
Grobon? Volontiers .
--
c'est son ouvrage .
--
-
Voulez - vous connaître
Son portrait est ici , et
Bon encore . Grobon , Grobon ;
tu as le mérite si rare de bien voir la nature , ne la
perds pas de vue un seul instant , et tu peux te
promettre des succès .
-Hue marche quelquefois sur les traces de Vernet .
( 158 )
1
Son clair- de - lune fait trop ressouvenir de ceux de
son maître . Mais les eaux de son rayon d'espoir sont
entierement de Vernet . Malheureusement les figures
de cette famille échouée sont trop grandes pour le
tableau , et le rocher est trop petit.
―
. La vente de tableaux et les suites d'un combat
méritent beaucoup . Taunay marche toujours ; il ne
laisse pas même soupçonner qu'il puisse jamais faire
moins bien.
----
Valenciennes a bien rendu le rêve de cet architecte
grec , qui voulait tailler en statue d'Alexandre
le mont Athos . Le paysage qui entoure ce colosse
est gracieux ; mais les figures du devant sont un peu
trop fortes. Son éleve Chauvin promet beaucoup ;
et l'on a goûté son paysage de décore. Bentin est aussi
son éleve ; sa couleur est harmonieuse , sa touche.
fine ; mais je l'invite à n'imiter que la nature , à fui
la maniere . Bidault , Thibault , Bruandet , rivalisent
Valenciennes ; mais Dunoui les suit tous de
trop loin.
-
-Ducreux peint par lui-même : dit le livret ; c'est
donc un bel homme , ou du moins il a une belle .
tête ; car on dit qu'il se place à tous les salons !
Regardez le ; c'est cette tête coëffée d'un bonnet ,
de fourure , ouvrant la bouche , montrant les dents ,
et grimaçant pour avoir l'air de rire . Mais cette
figure est ignoble ; elle ne rit point des yeux.,
Attendez ... Je cherche dans ma mémoire..... J'y,
suis... C'est bien là cette hideuse figure qui , au salon
de l'an IV , montrait le poing aux spectateurs ?.....
N'est- ce pas la même encore qui , au salon de l'an III,
bâillait à se fendre les joues jusqu'aux oreilles ?
( 159 )
}
Quelle mémoire !
-
Dites donc , quel mauvais,
goût de se présenter sans cesse au public , et de se
présenter toujours dans quelque attitude basse et
triviale !.... C'est donc le grimacier des boulevards .
-
-
Non ; c'est.... Ah de grace , n'en parlons plus !
· Voilà cependant Boissy- d'Anglas peint par lui...
Cieux quelle figuré ébahie ! quels yeux hagards !
de quel côté regarde-t-il ? Et ce geste de la main
gauche ? A combien de mauvaises plaisanteries il
donne occasion !
-
Vous ne voulez pas voir cet enlevement nocturne?-
Ah ! volontiers ; que je me repose les yeux...
Il y a de la science dans ce tableau ; on y reconnaît
l'étude de l'antique .... Mais la nature , où est-elle ?
Tout ici paraît de convention. Fleury , vous êtes
éleve de Regnault , vous appartenez à une bonne
école . Suivez donc , comme votre maître , la nature
seule.
-
-
-
――
Ce Bacchus est d'un éleve de David .... Figure
académique , bien dessinée , mais morte . Vous
verrez de lui un bien mauvais Marius à Minturne.
Où vont ces bonnes femmes ..... Venez voir la
Queue au lait. Allons y donc aussi .... C'est une jolie
esquisse de Boilly , ce peintre si fécond en petits
sujets . Celui - ci est agréable et vrai . Encore un
bon ouvrage de lui , l'Enfant dont on fait le por
trait . Oh qu'il est bien ennuyé ! il est parlant ; la couleur
en est charmante . Boilly s'est corrigé cette année
; ses figures sont moins poupines , et sa couleur
est plus naturelle . Bravo !
-
Joli sujet que le Robinson de Demarnes . Tous
les détails en plaisent et rappellent le premier livre
( 160 )
1
de notre enfance. Aussi a -t- il mérité des suffrages
de tous les spectateurs.
-Quel ton violet que celui de l'Orphée de Landon
! Sa touche est fine et spirituelle . Mais sa couleur....
sa couleur !.
―
Vous sortez , et ne dites rien de la mouillette
de Garnier ?... parce que le sujet est trop libre et trop
mal exécuté . La femme a l'air aussi effrayée , que si
on lui présentait subitement un pistolet..
--
-
-
Le voilà ce Léonard de Vinci , qui écrivait sur
son art avec autant d'énergie qu'il en déployait dans
son exercice. Je reconnais sa Cene de Milan . Que
Je dessinateur a bien rendu les airs variés des têtes ,
les détails des instrumens de table ! Dutertre a excellé.
Et ses Raphaëls ? - Je n'en suis pas aussi
content . Ils ont moins de force et moins d'originalité.
Duvivier a rendu service à notre école , en
dessinant de grandeur naturelle ces belles têtes de
Raphaël . Sans doute le gouvernement les fera graver
pour servir de modeles à nos commençans . Ne vaudrait-
il pas mieux leur donner pour premier modele
des ensembles de têtes , que des nez , des bouches ,
des oreilles isolés ? Quel triste spectable pour l'enfance
que ces parties mutilées ! C'est sans doute un
reste de l'éducation gothique ....
Que de dessins ! est- ce que notre école se serait
partagée en deux classes , les peintres et les dessinateurs
? Voilà le modele et peut - être celui qui
a mis à la mode les dessins au crayon noir. Je
reconnais les ouvrages d'Isabey....... Ce que vous
--
dites-là
( 161 ).
dites là m'explique les noms de crayon de ve
lours , de crayon d'Isabey , qui sont répétés chaque
jour cent fois dans les atteliers des maîtres.......
Voilà d'où vient leur cherté, .. Troupe de moutons !
achetez donc des couleurs de David , et vous croirez
faire son Bélisaire ! Et les arts sont sujets aux
modes ! .... Savez - vous que voilà une génération entiere
de graveurs . Où donc ? Dans ces dessinateurs
ils ne renoncent sans doute aux charmes
du coloris que par impuissance . Dès- lors la gravure,
les reclame.
―
Le portrait d'Augustin , peint par lui - même ,
est une belle , très - belle miniature , égale à celles.
d'Isabey . -Kanz fait des émaux sans avoir de rival
ni d'émule . Qu'il s'y livre entierement , et qu'il
abandonne la miniature .
-
Vous ne m'avez rien dit du dessinateur qui se.
qualifie modestement l'éleve de ta nature et de la méditation
? Une qualification si fastueuse promet les plus
grands succès , et cependant on desire , chez Baltard ,
moins d'égalité dans les effets , et une touche plus
variée . Ceci soit dit sans offenser l'éleve de la nature
et de la méditation .
-
Henry , Percier , Gérard .... que de bons dessins !
Moreau le jeune semble s'être surpassé cette année ...
Adieu , retiróns-nous ; tout est vu. Non pas , s'il
vous plaît. Nous n'avons rien dit des peintres de
fleurs . Ce sont toujours les deux Vanspaendonck, ..
C'est toujours la belle nature .... Et la corbeille de
Vandael , voilà une jolie scene ! l'entente est au
diseur.
-
Et les batailles de Swébach- Desfontaines ? Bon ,
Tome XXVI.
( 162 )
1
1
bon ; de l'harmonie , de l'effet , composition bien
entendue . Vernet s'est exercé avec succès dans le
même genre ; il a fait de bonnes études du cheval...
Adieu.
- -Na- Un mot encore sur l'Ariadne d'Harriet...
ture flamande , ombre des arbrisseaux qui sont placés
sur un plan trop reculé pour le corps sur lequel
elles portent . Voyez donc Menjaud , son Parricide.
--
Il est dur de ton ; la chevelure du cadavre est
violette ; mais il y a du courage , de la hardiesse
dans cette composition . D'ailleurs elle est morale ,
et cette bonne qualité couvre bien des défauts . J'aime
mieux son Virgile. Le poëte est vraiment inspiré ;
mais pourquoi est- il si vieux , lui qui mourut jeune .
Octavie est- elle morte , ou évanouie ? Auguste est- il
pétrifié , ou vivant ? L'idée de placer la statue de
Marcellus est heureuse . Avec du travail , Menjaud
deviendra un bon peintre .
-
Nous voilà donc sortis sans avoir parlé de l'intérieur
d'une forge , par Senave ! Tout ce que nous
en pourrions dire vaudrait-il l'accueil qu'il a reçu des
spectateurs . La foule s'y est toujours portée . Voilà ce
que l'on gagne à ne prendre pour guide que la nature
et la vérité ! ....
B
Je vous attendais à cet instant pour savoir s'il
faut ouvrir le salon tous les ans et à tous les artistes.
A présent que vous avez vu et parcouru tout avec
assez d'attention , dites- moi ce que vous pensez sur
ces deux questions ? La premiere , à mon avis ,
dépend de la seconde ; je vais donc commencer par
celle-ci. Je sais que le mérite d'un beau tableau ne
diminue pas par le voisinage de deux croutes . Mais
--
( 163 )
A
?
嘉
te contraste choque mes yeux , et je ne voudrais
côté des Horaces ou de l'éducation d'Achille , qu'un
bon morceau . Je crois donc qu'il faudrait créer , avant
l'ouverture du salon , un jury composé des artistes , membres
de l'institut et des membres du conservatoire du
Muséum , pour admettre ou rejetter ce qui leur
serait présenté. Le jury réglerait lui-même le mode
d'après lequel il opérerait ; il le suivrait exactement .
Après cela il se rirait des vaines réclamations da
l'impuissance irritée et de l'ignorance humiliée …..
3
J'approuve votre proposition . Mais qu'a - t - elle
de commun avec la premiere question ? Le voici
Ce serait le jury qui prononcerait chaque année ,
d'après la vue des tableaux , s'il y aurait de quoi
fournir à une exposition complette . On n'ouvrirait
le salon que dans le cas de l'affirmative .
L
Pour le coup , mon cher amateur , j'adopte vos
deux idées , et je souhaite de les voir réalisées . A
l'an prochain donc , si le jury nous poura croire asser
tiches et assez attrayans ,
7
POÉSIE.
A FRANÇOIS ( de Neufchâteau ) sur son poëme des Vosgese
DEPUIS EPUIS long-tems à l'humble prose
D'austeres devoirs m'ont réduit
Lire des vers ! ... hélas je n'ose ;
Par eux je crains d'être séduit .
Ma lyre , à regret suspendue ,
A ma voix ne vient plus s'unir
( 164 )
Mais elle n'est que détendue ;
Bientôt on l'entendrait gémir.
D'Homere oubliant les merveilles ,
Je suis une de ses leçons ;
Et je me bouche les oreilles ,
Pour fuir de trop dangereux sons.
Mais aux accens d'une Syrene
Aujourd'hui j'ai mal résisté ;
Et je sens bouillonner ma veine
Depuis que François a chanté.
Que j'aime sa douce harmonie ,
Son style pur , brillant et clair.... !
Ses chants illustrent sa patrie ;
Et les Vosges ont un Haller.
Il nous révele les délices
De ce pays trop peu vanté ,
Pauvre de trésors et de vices ,
Riche de moeurs , de liberté ;
Riche de sources salutaires ,
De fleuves , de lacs transparens ,
De neiges , de rocs solitaires ,
De précipices , de torrens.
Là , ( 1) Voltaire honora l'asyle
De plus d'un savant ignoré :
Là , ( 2 ) respira notre Virgile ,
Loin d'un peuple aux tyrans livré .
Ah ! reviens aimable poëte ;
Ne crains plus de tristes hasards :
Reviens ; ta place est toute prête
Dans le nouveau temple des Arts (3 ) .
(1 ) A Senones .
(2 ) A Saint -Diez.
(3) C'est par erreur , et contre l'intention de l'Institut na(
165 )
3
Que François ici te ramene :
Venez tous deux , par vos concerts
Réveiller , aux bords de la Seine ,
Le goût assoupi des beaux vers .
Chantre des Vosges ! que j'envie
L'essor que tu viens de tenter !
Comme toi , j'aime ma patrie ;
Que ne puis-je ainsi la chanter !
P. L. GINGUENE .
SPECTACLE S.
THEATRE DE LA REPUBLIQUE .
Nous avons cru devoir attendre la seconde représentation
de la comédie des Artistes pour en rendre compte . Il
n'était pas difficile de prévoir qu'au moyen de quelques retranchemens
et de quelques corrections , elle aurait le succès
le plus complet , et serait telle qu'on avait droit de l'attendre
de l'auteur de l'Inconstant , de l'Optimiste , du Vieux Gélibataire
, etc.
༄ ;
Notre espérance n'a point été trompée . L'auteur a réduit
sa piece à quatre actes , au lieu de cinq qu'elle avait d'abord' ;
l'action plus resserrée a marché plus rapidement ; et la langueur
qui s'y faisait sentir , a cessé de nuire à l'effet de tous
les beaux morceaux de détail dont l'ouvrage entier est enrichi
.
A
Le sujet en est fort simple . Un jeune peintre a deux
bons amis de son âge , l'un poëte , l'autre amateur de vers ,
:
tional tout entier , qu'on fit sur sa liste , à côté du nom de
DELILLE place vacante à cause de la non résidence . La classe
dont il est membre a pris à cet égard une délibération expressed
Elle devait à elle-même cette réparation .
se
L 3
( 166 )
f
de tableaux et sur-tout de musique , qu'il cultive particulie
rement. Ce dernier est plus favorisé que ses deux amis des
dons de la fortune. Les trois jeunes gens s'aiment entre
eux , aiment les arts , et s'encouragent à les cultiver . Leur
douce union , les bons avis qu'ils se donnent réciproquement
, le plaisir avec lequel ils jouissent des succès l'un de
l'autre , forment des tableaux touchans , et qui vont à l'ame .
Le peintre , qui est le principal personnage , aime une
jeune veuve , sa voisine ; mais il ne s'est pas encore fait
connaître dans la peinture ; il travaille en secret , et attend
pour paraître que son talent soit formé ; belle leçon à tant
d'écoliers , non pas en peinture , qui barbouillent des rapsodies
qu'ils nous donnent pour des livres et pour des
pieces de théâtre ! ..... Armand est modeste et timide . Cependant
un prix célebre a été proposé , et il a osé concourir
. Il attend , pour déclarer son amour , qu'il puisse
croire à son talent d'après l'évenement. De son côté , la
voisine l'aime aussi ; mais son amour n'est pas moins délicat
, moins discret . De - là naissent quelques incidens .
L'amateur a vu la jeune veuve et en est épris ; il lui offre
șa fortune et sa main ; il engage même son ami le peintre
1
à l'appuyer auprès d'elle. D'un autre côté , le pere du
peintre,, un bon cultivateur , vient chercher son fils qu'il
veut absolument remener dans sa ferme . Il n'aime point
à le voir courir une carriere plus honorable que lucrative ,
et dans laquelle son fils , après dix ans de travaux , paraît
si peu avancé.
My
Mais ce jour-là même , Armand remporte le prix pour
lequel il a concouru ; son ami découvre qu'il est aimé de
la voisine , et fait à son tour le sacrifice que le générenx
peintre avait voulu faire : Armand se trouve heureux d'être
inqueur, plus heureux d'être aimé et uni à celle qu'il aime .
Ce fonds est assurément peu de chose . Mais la maniere
dont il est traite , le releve et le rend précieux cette ma
ix
( 167 )
1
piere est celle de Collin , et n'appartient qu'à lui . Délicatesse
, sensibilité , douceur , font le charme de sa poésie ,
On voit que l'auteur était rempli du sentiment qu'il a prêté
à son héros , qu'il suppose occupé de composer un ta
bleau intitulé l'Artiste .
Mon dessein , lui fait-il dire ,
Est de faire sentir aux artistes mes freres
L'importance et le but de leurs nobles travaux ,
De leur faire chérir leur art et leurs rivaux..
Louable et pur motif , ( Répond le poëte )
dont l'artiste a d'avance
Dans le fond de son coeur reçu la récompense !
Cette comédie est en effet un véritable poëme dialogué ,
en l'honneur des arts et des artistes . Le sujet était beau ;
et il est traité comme il méritait de l'être .
Baptiste aîné , dans le rôle de peintre ; Talma , dans
celui du poête , et Damas qui joue l'amateur , ont montré
beaucoup de talens .
Cette piece , après la premiere représentation et avant
la seconde , a été fort critiquée ; elle pourrait l'être encore
un peu du côté du défaut d'intrigue , de la ressemblance
des caracteres , et de quelque monotonie dans le style ;
mais il reste toujours que c'est l'ouvrage d'un vrai poëte ,
et d'un poëte extrêmement aimable.
THEATRE DE LA RUE FAYDE A Ú.
On a donné à ce théâtre une comédie nouvelle ,
cinq actes et en vers , intitulée Etre el Paraître. Le sujet
en est moral ; il présente l'opposition d'un homme d'a
mérite réel avec le charlatan , qui ne veut que briller et
passer pour tout ce qu'il n'est pas. L'un est savant , riche ,
bienfaisant et heureux ; mais il aime à cacher sa vie . L'autre
ignorant , accablé de dettes , avare et fastueux , est rongé
L4
( 168 )
de chagrin , si ce nist de remords. Ce dernier rôle n'étai
pas sans comique , et il a souvent excité le rire ; à l'égard
du premier , il est difficile peut- être de rendre dramatique
le rôle sage et froid d'un philosophe , à moins de le mon
trer dans le malheur, L'intrigue de la piece n'était pas
conçue de maniere à faire ressortir l'intention qu'elle annonçait
; elle n'a pas eu de snécès , et l'auteur a cru devoir
la retirer après la premiere représentation .
THEATRE DU VAUDEVILLE.
C'était une entreprise hardie et qui exigeait beaucoup de
talens , que de faire au Vaudeville un ouvrage en 3 actes
avec trois acteurs et sans femme . Cette entreprise , le cit.
Piis l'a tentée avec succès dans la piece de Santeuil et Dominique,
On connaît la scene que Dominique fit un jour au
poëte de Saint-Victor , et au moyen de laquelle il lui arracha
, pour en faire sa devise , ces mots fameux , qui sont
depuis devenus la devise de la comédie , et qui devraient
être aussi celles de tous les auteurs qui travaillent pour.
le
théâtre Castigat ridendo mores ,
A cette anecdote , l'auteur de Santeuil en a joint beauconp
d'autres il importe peu qu'elles soient vraies ; on les conte
depuis long- tems et elles sont gaies , c'est ce qu'on exige
au théâtre,
Voici la fable de la piece.
vers
Dominique se présente à Santeuil sans en être connu , et
lui demande un vers pour mettre au bas de son portrait.
Santeuil qui , comme on sait , attachait un grand prix à ses
trouve la demande indiscrette . Et puis que peut offrir
de piquant le nom de Dominique ? D'ailleurs , le poëte est
de très mauvaise humeur ; il sort du sermon d'un de ses
amis , qui a manqué de mémoire dès l'exorde ; ce n'est pas
le sermon qu'il regrette , mais bien la collation qui devait
le suivre , s'il eût été achevé , Quand il apprend que De(
169 )
minique est comédien , c'est bien pis encore ; il entre en
fureur et le chasse , en lui reprochant la vie de ses pareils ;
il les accuse , d'aimer le jeu , la fillette et le carafon .
Dominique promet de se venger ; le portier du couvent ,
qui la veille Santeuil a fait un assez mauvais tour , s'engage
à le seconder. L'acteur se déguise en
jouer Santeuil , et lui gagne 600
voir pour le prix d'une hymne
teur italien , loue beaucoup le
l'enivre .
gascon , fait
liv . qu'il venait de receil
paraît ensuite en chanchanoine
, le fait boire et
Enfin , il se travestit en femme , et se montre au parloir
. Santeuil , oubliant qu'il n'a pas le caractere nécessaire
pour recevoir une confession , consent à l'écouter . Arlequin
le prie de l'interroger par où voulez - vous que je
commence , demande Santeuil . Eh répond la fausse
pénitente , par les sept péchés capitaux ; et voilà qu'elle
lui fait toute la confession d'Arlequin , qui ne laisse pas
de paraître étrange dans la bouche d'une femme ; Santeuil
lui saisit la main et la baise .
$
Elle se fâche , et le menace d'aller le dire au prieur ; faites
çela , lui répond-il , moi j'irai le dire à votre mari . Il rentre
dans sa chambre ; mais Arlequin y entre en même- tems par
la fenêtre ; cette fois il a son habit et son masque , Santeuil
le prend pour le diable , et l'exercise . On s'explique : Arlequin
rend à Santeuil sa leçon , et lui fait voir qu'un chanoine
peut aussi quelquefois être fragile et céder aux séductions du
jeu , du vin et d'une jolie pénitente .
Il obtient le vers qu'il demandait et mene Santeuil à la
comédie.
Voltaire a dit
que la vie des gens de lettres était dans leurs
´ouvrages ; il a voulu faire entendre par là qu'une fois morts ,
on devait oublier leurs faiblesses , pour ne voir
talens . Ceux de Santeuil sont trop oubliés dans la piece ; on
1
que
leurs
n'en dit rien que ce qu'il en dit lui-même , et ses hymnes
( 170 )
、
1
remplies de grandes beautés , et qui l'ont placé au premier
rang des poëtes latins , méritaient au moins un couplet.
Le second acte de cette piece languit peut-être un instant .
Du reste , elle fait le plus grand plaisir . Les situations sont
comiques ; le dialogue vif et gai et les couplets pleins d'esprit
et d'originalité . Elle est très -bien jouée par les citoyens
Rosiere , Carpentier et Laporte : ce dernier mérite d'autant´
plus d'éloges , qu'il ne paraît que dans une scene sous l'habit
d'Arlequin , et qu'il remplit d'abord 4 rôles à visage décou
vert après le talent qu'il y a montré et les applaudissemens
qu'ily a recueillis , nous oserons dire que le public ' a reconnus
quoiqu'il n'eût pas son masque .
1
1
ANNONCE S. 1
Les amateurs de l'Histoire naturelle sont prévenus que
les volumes VII , VIII , IX , X , XI et XII de l'Histoire
maturelle des Poissons ' , par M. Bloch , paraîtront vers la fin
du mois de nivôse. Ces six volumes qui complettent cet
excellent ouvrage , qui peut être mis au rang des meilleurs
ouvrages classiques , contiennent tous les poissons indiens
et autres jusqu'alors inconnus. La description et le dessin
sont aussi soignés que dans les six premiers volumes . Les
personnes qui desireront avoir des premieres épreuves ,
s'adresseront au cit . Fauvelet le jeune , rue Grenier - Lazarre
, nº . 33 , à Paris . On y trouvera aussi des exemplaires
complets . Le prix de cet ouvrage en douze volumes in -folio
sur beau papier d'Hollande , contenant 530 poissons differens
, dessinés et enluminés d'après nature , est de 720 liv.
en numéraire , et les six derniers volumes de 360 liv. It
y a aussi des exemplaires sur papier plus fin . Le prix est de
864 liv. franç de port pour les douze volumes , et de: 432 liv ,
pour les six derniers . On prie d'envoyer les lettres et
T'argent franc de port ,
-
Lettres d'Edmond Burke à un membre de la chambre des
Communes du parlement d'Angleterre , sur les négociations,
de paix ouvertes avec le Directoire ; traduites de l'anglais :
( 171 )
brochure in-8° . de 218 pages . A Paris , chez Pougin , impri
meur-libraire , rue des Peres , nos . 61 et 65.
On connaît les diatribes de Burke sur la révolution française
, Celle- ci , n'est pas moins violente ; c'est un plaidoyer.
fouguenx en faveur de la royante . L'auteur prétend que
l'Angleterre , toute monarchique qu'elle est , ne sera bientôt.
plus comptée entre les nations , et que la France républicaine ,
donnera des fers à l'Europe , et menace de changer le culte
de l'univers. Aussi ne trouve - t- il d'autre moyen , pour prévenir
ce malheur , que d'exterminer tous les Français . On
peut juger des accessoires de louvrage , par le but qu'il
se propose . Aussi ses folies cessent- elles d'être atroces , à
force d'être ridicules . Au milieu des exagérations les plus
outrées et des faits les plus dénués de vérité , on trouve
des idées importantes de la force et de la grandeur de la
République Française et l'on doit peu s'étonner que cet
ouvrage soit si mal accueilli des ennemis même de notre
gouvernement.
Cours élémentaire de Morale , ou le Pere instituteur de ses
enfans ; ouvrage propre à l'instruction publique ; par Maurice
Lévesque . Un volume in - 8° . Prix , 3 liv. 12 sous pour
Paris , et 4 liv . 14 sous , franc de port, pour les départemens .
A Paris , chez l'auteur , rue Saint- Benoît no . 764 , près la
rue Taranne ; Desenne , libraire , au Palais - Egalité, L'an V.
( 1796. )
Cet ouvrage mérite d'occuper une place distinguée parmi
les autres livres classiques .
Histoire naturelle et raisonnée de l'ame , par M. Rey Régis
Cazillac , docteur en médecine de la faculté de Montpellier .
Deux volumes in- 12 . Prix , 5 liv.; et 7 liv ,, franc de port ,
pour les départemens . A Paris , chez Morin , libraire , rue
de Savoie , nº . 21 ,
Fables d'Antoine Vitalis ; seconde édition revue et augmentée.
Un volume in -8° . A Paris , chez l'auteur , rue du Jardinet
, no. 2 ; et chez Dupont , imprimeur-libraire , rue de
la Loi , no, 1231. L'an V1796 ).
(172 )
NOUVELLES ÉTRANGERES.
ALLEMAGNE.
De Hambourg , le 1er décembre 1796.
Voici le discours que le roi de Suede prononça
pour déclarer sa majorité , le rer . du mois dernier.
pour
Le jour est venu où , conformément aux dernieres volontés
de mon pere , je dois me déclarer en âge de prendre les
rênes du gouvernement suédois . En requérant votre altesse
de les remettre en mes mains , mon coeur est vivement affecté
des impressions les plus profondes de reconnaissance et de.
vénération envers la providence qui a fait choix de moi
gouverner un peuple libre et indépendant : je suis pénétré
d'amour pour une nation distinguée dans tous les tems par
sa loyauté et sa valeur , et je sens la grandeur et l'étendue
des devoirs qui me sont imposés. Dans cette circonstance si
importante pour moi et pour nous tons , le souvenir de la
perte eruelle que nous avons faite , se réveille naturellement
au fond de nos coeurs : j'ai perdu un bon pere , et la Suede
un roi respecté et chéri . Les bénédictions et les hommages
qu'il mérite , ne seront jamais oubliés par un vrai Suédois
et il est bien doux pour moi , en payant ce tribut à sa mémoire
, d'être l'interprête du sentiment que je partage avee
mes sujets . Je me souviendrai toujours des tendresses qu'il
m'a prodiguées , et qu'il étendit au- delà même du tombeau ,
et vous confiant , mon cher oncle , l'administration du
royaume pendant ma minorité .
Votre altesse l'a remplace à -la-fois pour moi -même et pour
ce pays. Je n'ignore pas quels ont été vos soins et votre surveillance
, j'en conserverai une éternelle gratitude ; et quoique
le témoignage de votre conscience vous en offre le plus
digne salaire , je crois cependant que vous aurez quelque
plaisir à voir celui dont le jeune âge reçut vos soins , tenir le
sceptre avec honneur ; comptant sur l'assistance du tout(
173 )
puissant , je m'estime heureux de déclarer devant les grande
du royaume et devant vous tous , Suédois et mes chers sujets
assemblés ici , qu'en entrant dans mes fonctions , mon voeu
le plus cher est de les remplir pour le bien être et le bonheur ,
de nous tous. Mon principal objet sera de pratiquer la justice
et les lois , de maintenir chaque Suédois dans la jouissance
paisible des fruits de son travail , de protéger le royaume
et son indépendance , d'augmenter la masse de la prospérité
nationale et individuelle , de ménager les ressources de l'état
avec scrupule , et d'obtenir enfin le plus doux partage d'un
roi , celui d'être entouré de sujets heureux.
Jeune encore , et sans expérience , j'attends beaucoup de
mes conseils , mais sur- tout de l'amour de mes sujets , qui auront
à coeur de remplir leurs devoirs envers leur roi , comme
je m'efforcerai de remplir les miens envers eux . Les Suédois
se sont toujours distingués par la conduite et les sentimens
dont je parle ; pour moi , ma devise sera : Dieu et le peuple.
Ces mots me rappelleront sans cesse mon devoir , ma responsabilite
, et l'appui dans lequel je mets ma confiance . Je
suis convaincu que mes sujets ne dégénéreront pas de leurs
ancêtres , qui craignirent Dieu et aimerent leur roi , et ils
doivent être assurés que leur amour sera toujours l'objet de
mon orgueil et ma plus douce récompense.
Parmi les différens rapports qui nous sont parvenus
de Suede , les uns annoncent positivement la rupture
du mariage du jeune roi avec une princesse
russe ; d'autres affirment le contraire. Mais les premiers
nous paraissent mériter plus de confiance , parce
qu'ils nous viennent d'une main plus sûré , et qu'ils ;
se concilient mieux d'ailleurs avec l'opinion que les
uns et les autres s'accordent à donner au cabinet
actuel de Stockholm sur le systême politique qu'il·
lui convient d'embrasser. Il paraît hors de doute qu'il
ne veut entrer dans aucune des mesures qui ont
été proposées en dernier lieu à Pétersbourg ; qu'il
est disposé à rejetter constamment tout ce qui pour
rait tendre à développer les germes de mėsintelli-
1
( 174 )
gence que l'on avait commencé à semer entre le
gouvernement français et lui . Cependant il y a lieu
de présumer qu'il se croit encore obligé à quelques
ménagemens envers la Russie , si , comme quelques
correspondances l'annoncent , il envoie à Paris , au
licu de M. le baron de Staël , un simple chargé d'affaires
, que l'on dit être M. de Koning , ci - devant
secrétaire d'ambassade .
Parmi les conseillers dont le roi de Suede s'est
environné , on distingue le comte de Wachmeister et
Wils -Rosenstein. Le premier joint à une probité
éprouvée , et généralement avouée , la connaissane
la plus approfondie et la plus étendue des lois de
son pays . En 1789 , il déploya beaucoup de fermeté
contre Gustave III , et s'opposa constamment à ses
entreprises despotiques ; il en fut puni par une espece
d'exil en Pomeranie . Rosenstein , auteur d'un excellent
ouvrages sur les Préjugés , a , au suprême degré , le
talent de l'observation . On le regarde en Suede
comme l'homme de ce royaume qui pense le plus
profondément , et raisonne avec le plus de justesse ;
il était instituteur du roi. Il y a deux ans , le duc régent
voulut l'écarter ; mais il s'était dès - lors tellcment
acquis la confiance et l'amitié de son éleve
que celui- ci opposa aux volontés de son oncle la résistance
la plus ferme et la plus constante .
On présume que le baron de Celsing sera appellé
au miuistere . Les différentes missions politiques dont
il a été chargé lui ont donné l'expérience des affaires .
La concision de son style est remarquable , et lui a
valu l'honorable surnom de Tacite suédois . Il paraît.
que le baron de Ramel sera aussi employé dans l'ad(
175 )
ministration. Celui- ci est connu par le courage avec
lequel il s'est montré , dans plusieurs occasions , opposé
aux vues , aux opérations de Gustave III , et particulierement
lors de l'introduction du monopole
des eaux- de-vie .
སྲས་
Le ci-devant régent , duc de Sudermanie , était général
en chef de la premiere division de l'armée de
terre , grand amiral de toutes les forces navales de
la Suede , général en chef de l'artillerie , et directeur
de l'académie militaire de Carlsberg . Il a donné sa
démission de toutes ces charges importantes ; ce que
l'on ne peut attribuer qu'à un mécontentement par
ticulier , dont au surplus on ignore la cause . Ce que
Fon sait , c'est que le roi laisse voir dans son administration
, et particulierement dans celle de son intérieur
, à travers des formes douces et modestes ,
un caractere décidé , et des volontés très - fermes .
Des lettres de l'Ukraine confirment la destruction
de l'armée russe en Perse . Cette armée , commandée
par Valérien Subow , jeune homme d'environ 25 ans ,
qui eut une jambe emportée en Pologne , était d'environ
36 mille hommes ; elle est anéantie . Les Perses ,
en nombre infiniment supérieur , l'attaquerent près
de Derbent , et l'écraserent au point que le général
eut bien de la peine à gagner Astracan dans une
barque avec quatre ou cinq personnes . Cet événement
renverse le plus grand des projets conçus par
l'impératrice , celui de profiter des divisions de la
Perse pour s'assurer le commerce de la mer Caspienne
de s'ouvrir un chemin à celui des Indes ,
et de prendre la Turquie par des diversions loin
taines. Comme il est présumable que l'impératrice
( 176 )
voudra prendre sa revanche , il est bien à craindre
qu'elle ne puisse remplir les promesses qu'elle a
faites , et qu'elle paraissait disposée à tenir au moins
elle ne pourra pas donner les troupes aguerries que
commandait le général Suwarow , et qui , occupant
l'Ukraine , étaient plus à portée de se rendre promptement
en Allemagne.
C'est sans doute pour réparer cet échec que l'impératrice
a ordonné dans tous ses états la levée d'un
homme sur cent. C'est la maniere ordinaire dont
elle recrute ses armées . Elle l'a introduite dans les
provinces nouvellement réunies à son empire. L'on
apprend de Grodno , que le prince Repnin , gouverneur
général de la Lithuanie , vient de publier un
décret pour notifier et faire exécuter les volontés de
sa souveraine à cet égard .
Nous venons d'apprendre la mort de l'impératrice
de Russie . Quoique son successeur ait toujours vécu
éloigné des affaires , et dans une contrainte et une
défiance qui ne lui ont pas permis de manifester ses
opinions et ses vues , on présume , assez généralement,
que son avénement au trône apportera quelques
changemens au systême politique de la Russie .
1
De Ratisbonne , le 28 novembre.
Il paraît que l'empereur ne 'regarde point comme
légitimes les traités qui , sans son entremise , ont été
conclus , avec la République Française , par quelques
membres du corps germanique . L'archiduc Charles
a fait demander , conséquemment à cette opinion ,
au
( 177 )
a landgrave de Hesse - Cassel , au duc de Wurtem
berg et au margrave de Bade comment il devra les
considérer dorénavant , si ce sera comme amis , ou
comme ennemis ? Au reste , cette question , ou du
moins le principe qui y a donné lieu , est soumis à
la diete , à qui l'empereur a demandé une réponse
prompte et cathégorique . La diete se trouve dans un
grand embarras. Les princes et états , accusés auprès
d'elle par l'empereur d'avoir enfreint les lois consti-
`tutionnelles du corps germanique , ont , en quelque
sorté , pour garant de la légitimité de leurs démarches
, le roi de Prusse ; et un tel garant a droit à des
ménagemens . En attendant , l'empereur exige que
tous les états fassent rejoindre d'abord leur contin
gent , et que les fournitures pour l'entretien de l'armée
soient rassemblées par voie de requisition .
Voici quelques détails que nous avons reçus de
Vienne sur la diete de Hongrie. Les secouss - proposés
et promis par cette diete à l'empereur paraîtront
sans doute fort exagérés , à ceux -mêmes qui ont
la plus haute opinion et des ressources des Hongrois
, et de leur zele pour la maison d'Autriche.
Ce fut le 9 de novembre que s'ouvrit à Presbourg
à la diete de Hongrie , composée des magnats et des
députés des états qui s'assemblerent séparément . Le
magnat Joseph Nagy de Felsobuck fit un discours ,
auquel répondit le chanoine et député de Vancsay.
Le 10 , une députation nombreuse se rendit à Scholshoff
, pour inviter S. M. à honorer la diete de sa
présence . Le comte Ladislas de Kolonicz , archevêque
de Kolozi , prononça le discours d'invitation , auquel
S. M. daigna répondre , et elle assura la députation
Tome XXVI. M
( 178 )
qu'elle se rendrait le jour suivant , à la diete . Pareille
invitation fut faite à S. M. l'impératrice .
Le 11 , à cinq heures du soir , leurs M. I. arriverent
à Presbourg , au milieu des cris de joie d'un peuple
immense ; elles furent reçues solemnellement au
palais primatial par les magnats et les états. L. M.
se rendirent ensuite à la chapelle , où le clergé en
habits de choeur les reçut . Le Te Deum fut chanté .
Le 12 , on procéda à l'élection d'un palatin dans
une séance où les magnats et les députés se trouvaient
réunis . S. A. R. l'archiduc Joseph fut élu à l'unanimité
la plus absolue. Leurs majestés ayant été
informées par une députation que l'élection était
aussi heureusement consommée , se rendirent avec
l'archiduc dans la salle d'assemblée ; dès qu'elles
parurent un cri universel de vivat se fit entendre .
Leurs majestés , ainsi que S. A. R. l'archiduc , prirent
ensuite place et assisterent à la séance jusqu'à la fin .
Le comte Charles Palfy d'Ersodi adressa à cette
occasion un discours à l'assemblée , auquel sa majesté
répondit en latin ; le cardinal Primat , Joseph de
Bathiani, parla aussi . Ensuite S. A. R. l'archiduc prêta
le serment d'usage .
Le 13 , les magnats et les députés des états se
présenterent à leurs majestés pour leur baiser la
main.
Le 14, il y eut encore
une
séance
mêlée
, dans
laquelle
se fit l'installation
de S. A. R. l'archiduc
Palatin
. Ce prince
prononça
un discours
, ainsi
que
le cardinal
Primat
et le président
de la table
impériale
. Le soir , il y eut appartement
à la cour.
L'on apprend aujourd'hui que les états de Hongrie
( 179 )
ont prévenu les desirs de sa majesté , de la maniere
la plus propre à lui prouver leur amour et leur
dévoâmént. Quoique la résolution formelle n'ait point
encore été prise , l'on sait cependant pour certain
qu'il s'agit , et qu'il a été proposé de mettre en campagne
pour le mois de mars 1797 au plus tard , ung
armée de Bo mille hommes , tant infanterie que cava
lerie , qui sera entierement entretenue par la nation ;
de lever en outre et tenir dans le pays une armée
de réserve de 50 mille hommes , et enfin de fournir
4
millions de florins , la moitié en argent , et la
moitié en vivres . Comme aucune difficulté ne s'oppose
au réglement de cet objet , qu'au contraire le zele
le plus vif anime tous les membres , la diete será
terminée dans peu de jours .
ITALIE! De Gênes , le 30 novembre .
Le gouvernement de Gênes, pour payer les quatre niillions
qu'il a consenti de donner à la France , à décreté un emprunt
forcé , portant 2 pour cent d'intérêt. Pour que cette nouvelle
charge ne porte que sur les riches , on a pris pour bâse les
loyers des maisons: Ceux qui paient des loyers au- dessus de
400 livres , contribueront à l'emprunt selon des regles de
proportion . Plusieurs membres du petit conseil , pour éviter
de mettre cette nouvelle charge , ont proposé que le gouver
nement s'appropriât plusieurs couvens , aujourd'hui presque
déserts , et en consacrât le produit aux besoins publics .
Cette opération aurait eu aussi le grand avantage de procurer
de vastes habitations dans les plus beaux quartiers de la ville
dont la population est tellement augmentée que le peuple
y est entassé . On ne sait pourquoi le gouvernement n'a pas
adopté ce plan, proposé depuis plus de 30 ans , et dont l'utilité
☀st si évidenté . Serait- ce parce que les membres influans dit
M 1
( 180 )
gouvernement possedent des maisons , et que cette opération
ferait diminuer le prix des loyers ?
De Rome , le 28 novembre. Avant- hier la milice civique
a commencé son service . Quelques personnes demandent :
Qui nous gardera de vos gardes ? Quoiqu'elle ne soit composée
que d'honnêtes citoyens , on craint qu'ils ne troublent
bientôt l'ordre public qu'ils sont chargés de maintenir.
On continue les enrôlemens pour la troupe de ligne .
L'armée papale se rassemblera dans la Romagne , afin d'être
à portée d'envahir le Bolonais et le Ferrarais , dès que les
Français seront obligés dǝ se retirer de la Lombardie . On
ignore quel est le Sacrogordon qui doit commander cette
armée .
On continue avec la plus grande activité les préparatifs
militaires ; et pour les premiers jours du mois prochain ;
il y aura sur pied et prêts à marcher 6000 hommes d'infanterie
, 400 d'artillerie et 1000 de cavalerie. La jeunesse
accourt de tous les côtés s'enrôler pour la défense du
prince et de l'état. La place de Civita - Vecchia est déja
mise en état de défense du côté de terre , et de celui de
la mer , elle renferme dans ses fortifications 250 canons .
Près de Montalto et d'Aqua - Pendente sont deux postes
avancés de 1500 hommes chacun .
On fait maintenant de grands travaux dans la place d'An
cone et dans tous les autres forts de l'état , sa sainteté voulant
que l'on n'épargne ni soins , ni dépenses , pour mettre
ses domaines en bon état de défense . Le corps de cavalerie
des volontaires d'élite , qui est superbement monté ,
sera bientôt prêt à marcher à sa destination .
Quoique ces préparatifs et la confiance que l'empereur
cherche , dit- on , à inspirer au pape dans les secours qu'il
lui promet semblent devoir éloigner la paix , on en com
serve toujours l'espérance .
( 181 )
Il est certain que le cit . Cacault a reçu des pleins pouvoirs
du Directoire , pour traiter la paix avec Rome . Une lettre dų
général Buonaparte , en date du 28 , le confirme : ce général
assure que le traité n'aura pas pour bâse les articles
proposés à Florence . Dans cette lettre du général Bnonaparte
, on remarque les paroles suivantes : J'aime mieux être
le sauveur du chef de l'église et de ces belles contrées , que leur
destructeur. C'est le général Buonaparte et l'agent Cacault qui
ont engagé le Directoire à se désister des principes qu'il avait
adoptés en traitant avec le pape ; l'un , par la difficulté de sa
position , tant qu'il ne sera pas maître de Mantoue ; et l'autre,
par la grande connaissance qu'il a de l'Italie , ont senti mieux
que personne qu'on laissait échapper le moment favorable
pour faire une paix avantageuse ; qu'il était imprudent de
laisser armer le midi de l'Italie , et de perdre les avantages de
l'armistice .
ANGLETERRE. De Londres , le 3 décembre.
Avant-hier , les ministres étrangers se sont réunis chez
lord Grenville .
On apprend que sir John Jervis , avec sa flotte , est
arrivé sain et sauf à Gibraltar : cette flotte consiste en
treize vaisseaux de ligne elle doit être chargée de soutenir
ou de dégager l'escadre qui est à lisle d'Elbe ; et si
elle parvient à battre les Espagnols , on ne doute pas que l'influence
anglaise ne prenne une nouvelle activité près les
cabinets d'Italie .
Les lettres des Indes occidentales confirment les avantages
obtenus par les corsaires français de la Guadeloupe : depuis le
23 juin , jusqu'au 10 septembre ; ces corsaires ont capturé
plus de 66 bâtimens anglais .
S'il faut en croire un vaisseau américain qui vient du Cap
M 3
( 182 )
1.
Français , isle Saint-Domingue , les Noirs se sont déclarés
indépendans. La gazette de Philadelphie du 20 octobre , dit
que , par suite de cette insurrection , le général Lavaux et le
commissaire Santhonax ont été tués avec un grand nombre de
Blancs .
Des dépêches du gouverneur et du conseil de Madras
datées du 22 juin , contiennent la relation des succès du
contre-amiral Rainier dans les Indes orientales. Les troupes
britanniques se sont emparées ,des isles d'Amboine et de
Banda , et de leurs dépendances ; on sait que ces isles qui
font partie des Moluques , donnent abondamment le clou
de girofle et la muscade. Les Hollandais ne conservent
plus que Ternate , la principale des Moluques mais si l'on
en juge d'après la facilité qu'on a eue dans les autres isles १
celle- ci doit bientôt échapper à ses anciens maîtres . Amboine
et Banda se sont rendues , la premiere le 16 février , et la
seconde la 8 mars , par capitulations et sans que les troupes
anglaises aient éprouvé la moindre perte.
Les lettres d'Irlande du 22 novembre portent que les
troubles n'ont pas cessé dans cette isle : six paroisses du
comté de Down , et sept du comté d'Armagh , ont été ,
par proclamation du lord-lieutenant , soumises au bill d'insurrection
, et mises hors la paix du roi . D'après ce bill ,
les habitans ne peuvent être hors de chez eux après le
coucher , ni avant le lever du soleil , sous peine de déportation
ou de service de mer ceux qui peuvent donner caution
en sont quittes pour un emprisonnement . Les volontaires
de Dublin forment un total de 800 hommes d'infanterie
et 300 de cavalerie .
Le comte de Moyra est de retour d'Ecosse , où il a été
rendre visite au ci- devant comte d'Artois .
Le nouveau plan proposé par M. Pitt ? et adopté par la
( 183 )
banque , a été publié le premier décembre, Quatre heures
après la publication et l'ouverture , il y avait déja pour sept
millions de souscriptions : hier matin , on en reçut pour
deux millions ; dans l'après - midi , les souscriptions montaient
à dix millions . La banque a souscrit pour un million ; les
directeurs et administrateurs pour 500 mille livres ; Smith ,
pour 100 mille livres ; Boyd , idem ; Thelukon, pour 150 mille
livres ; le duc de Bridgewater, pour 100 mille , etc. On pense
que la souscription de la compagnie des Indes sera considérable
. Suivant la lettre du ministre au directeur de la banque
l'emprunt doit être de 18 millions .
REPUBLIQUE FRANÇAISE.
CORPS LÉGISLATIF.
Séances des deux Conseils , du 15 au 25 frimaire.
Richard soumet à la discussion le projet relatif à
la prohibition du port d'armes , sans une autorisation
des municipalités . Lecointe dit qu'il ressemble
beaucoup aux anciennes ordonnances qui défendaient
le port d'armes aux roturiers : il est écarté par l'ordre
du jour.
Mailhe : La police était bien faite au commmencement
de la révolution , et nous devions ce bienfait
à l'organisation de la garde nationale . Il importe
de la rétablir , telle qu'elle était . Je propose dans
cette vue un message au Directoire . Adopté.
Dumolard : La plupart des brigands qui désolent
les villes et les campagnes , sont des condamnés aux
fers qui se sont échappés des prisons qui les renferment.
Je demande la nomination d'une commission
pour s'occuper de cet objet. Adopté.
Le conseil se forme ensuite en comité général. Il
s'agit des colunies orientales.
M 4
( 184 )
La discussion sur les projets de Daunou occupe
les séances des 17 et 18. Jourdan n'y voit que des
mesures de police mal combinées , et il réclame lą
priorité en faveur du projet de Pastoret .
Tout acte limitatif de la libertê de la presse
est illégal , dit - il , et par conséquent nul ; c'est-là l'esprit
de la constitution . Respublica , c'est la publicité
des choses , le plus grand développement donné aux
facultés humaines : vous ne pouvez les restreindre ,
sous quelque prétexte que ce soit , d'après le gouvernement
que le peuple s'est donné , et que votre
mandat vous ordonne de maintenir . Toutes les juridictions
, tous les priviléges qui les entravent sont
anéantis , et il n'est pas en votre pouvoir de les rétablir
pour le peuple , la liberté de la presse est un
droit pour les magistrats , c'est un devoir.
La liberté de la presse est inviolable , elle est illimitée
; et ainsi , les effets et les prétendus délits résultant
des effets , sont presque toujours insaisissables
, impunissables : il y a mille moyens d'évasion.
Voilà où vous a menés la longue discussion qui
a ôté aux délits leur caractere positif, pour leur en
donner d'hypothétiques et d'indéterminés .
Dès que la liberté de la presse sera interdite au courage
des journalistes , la terreur planera de nouveau sur
la France un journal privilégie pourrait faire la
contre-révolution de la liberté de la presse .
Henri Lariviere : Pour parvenir à faire suspendre
la liberté de la presse , on vous a allégué les effets
du royalisme , on les allégue encore ; mais où est
le royaliste ? Est- il dans nos camps ? Sont- ils royalistes
ces braves défenseurs qui font chaque jour des nouvelles
conquêtes sur les rois ? Sont- ils royalistes cette
foule innombrable d'acquéreurs de domaines nationaux
, qui y ont mis ce qu'ils avaient de plus cher ,
pour le maintien de la liberté ? Sont-ils royalistes
ceux qui sans ressources et sans traitement , sacrifient
leur existence au service de la patrie ? Enfin , le
royaliste s'est- il réfugié dans les familles de vos défenseurs
? Ah gardez- vous de calomnier aussi gratuitement
des citoyens qui ont bien mérité de la patrie .
( 185 )
Sans doute , il y a des mécontens qui ent exprimé ,
qui expriment encore leur opinion d'une façon peu
mesurée. Mais n'est- il pas permis aux malheureux
de se plaindre ? Ne confondons pas l'accent de la
douleur avec le cri de la révolte , l'infortuné qui
souffre avec le scélérat qui conspire .
On vous propose d'établir un journal unique pour
la relation de vos opérations ; c'était aussi le projet
que Robespierre avait formé pour les jacobins . On
vous dit que c'est le seul moyen de donner au
peuple le tableau fidele de ce qui se passe dans
cette enceinte . Mais je ne crois pas du tout à l'impartialité
méchanique de l'agent - auditeur
ses passions individuelles , et ne pourra s'empêcher
d'en donner au moins une teinte aux opinions qu'il
transcrira . Je demande la question préalable sur les
projets de Daunou, et l'adoption du projet le Pastoret
il aura
L'ordre du jour appellant , le 16 , au conseil des
Anciens , la suite de la dsscussion sur les monnaies ,
Loysel et Marbois sont entendus . Ils entrent dans
des détails relatifs au titre des mounaïes , et concluent
comme ceux qui ont parlé avant eux , au
rejet de la résolution . Elle est rejectée .
Giraud ( de Nantes ) propose l'admission de la rẻ-
solution concernant les élections de la Guyane . Il
déclare qu'il n'y a point encore eu de division de
territoire dans cette colonie , et que conséquemment
il n'a pas pu se tenir d'assemblée primaire ni électorale
, et que dans le cas où elles auraient pu avoir
lieu , elles devaient se conformer aux lois des 13 et
25 fructidor sur les élections . Ajournement.
Ligeret fait approuver , le 17 , la résolution qui
fixe le mode de procéder au choix d'un tribunal
d'appel , lorsqu'il y a plus de deux parties dont les
intérêts sont opposés ,
Une congrégation séculiere de filles , connue dans
la Belgique sous le nom de Beguines , est - elle comprise
dans la loi de suppression des maisons religieuses
? Telle est la question que plusieurs corps
administratifs présentent à la décision des Conseils ,
( 186 )
et qui est renvoyée par celui des Cinq-cents à une
commission.
Crassous présente , le 19 , deux projets de résolution
; lun sur le mode de remboursement des
obligations contractées avant le 1er juillet 1791 ;
l'autre sur la fixation des intérêts . Il fait ensuite quelques
réflexions sur les bâses de l'échelle de proportion.
Il déclare que la derniere discussion n'ayant
présenté aucun résultat satisfaisant , et les bâses proposées
ne pouvant s'appliquer à tous les cas , il est
d'avis d'adopter le cours de la trésorerie dix jours
avant et dix jours après la stipulation .
La discussion a été entamée sur cet objet , sans
qu'il y ait eu rien de décidé. Elle a été reprise lẹ
lendemain 20 , et le conseil s'est prononcé en faveur
du projet de Crassous .
L'ordre du jour appellait la discussion sur les
projets de Daunou. Félix Faucon a parlé contre
l'établissement d'un journal tachigraphique , et le
projet de Pastoret lui a paru mériter la préférence ,
Un autre membre a voté pour ce journal , mais
avec cette modification , de ne point exclure des
tribunes les rédacteurs des autres journaux .
Lacuée propose , le 18 , au conseil des Anciens
d'approuver la résolution du 3 frimaire sur l'organi
sation des conseils d'administration des troupes de la
République . Impression du rapport et ajournement .
Servonac , organe de la commission ad hoc , propose
, le 19. le rejet de celle qui attribue aux seuls
juges de paix la nomination de leurs greffiers .
Le conseil approuve , le 20 , la résolution du 15
qui autorise le Directoire à former 200 nouvelles
compagnies de vétérans .
Pastoret fait , dans la séance du 21 , la seconde
lecture de son projet concernant les religionnaires
fugitifs . En voici les bâses ;
1º. Conformément à la loi du 9 décembre 1790 ,
tout individu qui , né en pays étranger , descend ,
en quelque degré que ce soit , d'un Français expatrié
pour cause de religion , est déclaré et reconnu naturel
Français.
( 187´ )
2º. Il jouirá de tous les droits de citoyen , pourvų
que rentrant en France , il se présente devant l'administration
municipale du canton qu'il aura choisi ,
qu'il y déclare son nom , sa famille , l'époque à
laquelle ses pere et mere ont quitté la France , le lieu
où ils s'étaient retirés , et l'intention formelle de fixer
son domicile en France .
3º. Il jouira au bout d'un an de tous les droits
de citoyen , pourvu qu'il paie une contribution
directe , foncière ou personnelle .
1
4°. Les religionnaires qui , en vertu de la loi du
9 décembre 1790 $ sont rentrés en France , ne sont
point soumis à ces formalités .
5º. Les dispositions de ce projet ne sont point
applicables à ceux des religionnaires ou de leurs
enfans qui n'auraient quitté la France que depuis
le 15 juillet 1789 .
Le conseil ordonne l'impression du discours et l'ajournement
du projet de la loi , après la distribution .
L'ordre du jour appellait la suite de la discussion
sur les moyens de réprimer la liberté de la presse ,
quand le conseil , consulté , a pris la résolution de
şe former en comité général .
La commune de Bapaume réclame des lois repressives
contre les devins , les enchanteurs , les sorciers
et les négromenciens qui se répandant dans les campagnes
, y font de nombreuses dupes . Dumolard
demande que les lois sur les escrocs soient appliquées
à ces prétendus sorciers , et soutient qu'une nouvelle
loi n'est pas nécessaire. L'ordre du jour a été
adopté.
Le conseil se forme de nouveau en comité général.
Les finances en sont l'objet.
Il paraît qu'il y a été arrêté qu'il sera nommé une
commission chargée de présenter un mode pour
accélérer la radiation de ceux qui ont été , par l'effet
de l'erreur , ou de la malveillance , portés sur des
listes d'émigrés , afin d'assurer par ce moyen la vente
des propriétés nationales provenant des émigrés véritables
. Demain 24 , les membres en seront nommés
au scrutin .
१
( 188 )
Deville profite de l'occasion pour dénoncer le
ministre des finances qu'il accuse d'avoir suspendu
l'effet de 150 mille soumissions . Après une légere
discussion , il est arrêté , 1 ° . qu'une commission de
cinq membres , nommée au scrutin , sera chargée de
présenter les moyens d'accélérer la vente des biens
nationaux ; 2 ° . qu'un message sera fait au Directoire
pour lui demander les motifs des suspensions prononcées
par le ministre ou les départemens . Le comité
général continue .
Pérès propose , le 21 , au conseil des Anciens , de
rejetter la résolution concernant l'exportation , attendu
qu'elle établit des droits excédans six ou sept
fois la valeur des objets sur lesquels ils peseraient .
Dupont : On vous propose d'établir des registres de
naissance et de sépulture des moutons . Qui tiendra
ces registres ? ce seront sans doute les loups . La résolution
est rejettée .
Bion reproduit à la discussion , le 24 , au conseil
des Cinq- cents , son projet de résolution sur la taxe
des ports de lettres , paquets , journaux , etc. Il est
adopté presque sans réclamations .
La taxe des journaux , prospectus et supplémens
est de 15 deniers par feuille d'impression : les demifeuilles
et quarts de feuilles seront taxés à
tion.
propor-
La taxe des lettres dans l'intérieur d'un même département
sera de 4 sous ; de 5 sous , pour le département
contigu ; de 6 , dans une distance de 30 lieues ,
et ainsi en augmentant d'un sou par 10 lieues ; de
15 sous dans une distance de 150 lieues et au- delà.
Les lettres adressées aux militaires sous les drapeaux
devront être affranchies , et ne paieront que 3 sous ,
quelque distance qu'elles parcourent .
Les membres de la commission sur la radiation
des émigrés sont Berlier , Chassey , Bézard , Mathieu ,
Treilhard . Ceux de la commission sur les domaines
nationaux sont Bailleul , Colombelle , Méaulle ,
Lamarque et Riou .
Le conseil des Anciens a approuvé , le 23 , la résolution
relative aux élections de la Guyane .
( 189 )
On a repris , le 25 , au conseil des Cinq - cents , la
discussion relative au droit de passe sur les grandes
routes. La question à résoudre était de savoir quelle
autorité serait chargée de la perception de cet impôt,
et si elle serait confiée à une régie intéressée . Les
avis long- tems partagés se sont réunis pour le systême
de la commission , qui tend à confier cette
perception aux administrations centrales de départemens
, sous la surveillance du ministre de l'intérieur.
Le Directoire exécutif a invité , par un message ,
le conseil à s'occuper , le plus promptement possi
ble , de la loi sur l'amélioration du code hypothẻ.
caire . Ce nouveau régime , dit- il , ne pourrait sans
danger souffrir de retard ; il se lie immédiatement à
toutes les mesures de finances , en même- tems qu'il
a pour but essentiel , le retour de la bonne-foi dans
les transactions , la baisse de l'intérêt de l'argent ,
et la hausse du prix des biens -fonds ..
La résolution concernant les nouveaux conseils.
d'administration des troupes de la République a été
rejettée , le 25 , par le conseil des Anciens.
PARIS. Nonidi 29 Frimaire , l'an 5º . de la République .
Le départ du ministre de la marine pour Brest a donné
lieu à beaucoup de conjectures . Les uns ont dit qu'il s'était
manifeste un mouvement seditieux parmi les équipages de
la flotte ; d'autres , qu'il s'était élevé un différend entre le
général Hoche et Morard de Gall commandant de la flotte . Le
Rédacteur a publié que le voyage de ce ministre avait pour
objet d'accélérer la sortie de l'escadre , et de prendre toutes
les dispositions nécessaires , tant pour le maintien de la discipline
, que pour le choix définitif des officiers , et le complettement
des approvisionnemens . Il y a à bord 22 mille
hommes de débarquement sous le commandement du général
Hoche.
On ignore absolument la destination de cet armement considérable
. On parle d'une descente en Írlande ; d'autres , d'une
expédition sur les côtes de Portugal ; d'autres , de la Jamaïque,
de Saint-Domingue , ou des isles orientales ; quoi qu'il en soit,
( 196 )
il est aisé de juger que les motifs du voyage du ministre de lå
marine sont de la plus grande importance . C'est le ministre
de l'intérieur qui a le porte- feuille en son absence .
1
Le général Canclaux qui a commandé à l'armée de l'Ouest,
a été nommé à l'ambassade de Naples ; le cit . Trouvé , rédaceur
du Moniteur , est secrétaire de légation . On assure que le
général Canclaux n'a point accepté , et qu'il est question d'envoyer
le général Pomereul , officier d'artillerie distingué , et
qui a déja rempli à Naples des fonctions importantes . On
ajoute que ce général , qui connaît parfaitement l'état politique
de l'Italie , serait très - agréable à la cour de Naples .
Les papiers annoncent que M. Ellis , que lord Mamelsbury
avait envoyé à Londres , est sur le point de revenir à Paris .
On espere qu'il apporte des instructions propres à applanir
beaucoup de difficultés pour les négociations de paix .
Quelques lettres de Londres parlent d'un corps de dix
mille hommes , composé d'émigrés ; qui doit s'embarquer
incessamment pour le Portugal , sous les ordres du général
Steward. Ces lettres ajoutent que la cour de Lisbonne a
invité le marquis de la Rosiere , officier français émigré , à
prendre le commandement de l'armée portugaise , et qu'il
s'est embarqué à cet effet à Porsmouth . Les émigrés ont- ils
oublié Quiberon ?
Le ministre des finances , Ramel , avait convoqué unè assemblée
des députés des négocians des principales places de
Ja République . Cette réunion s'est effectuée ; le ministre des
finances a prononcé dans cette assemblée un discours qui a
pour objet d'appeller l'attention des députés du commerce ,
sur les moyens de le régénérer , et principalement sur l'établissement
d'une banque , dont les billets de confiance augmenteraient
le signe des valeurs , et suppléeraient à l'absence
du numéraire . Il y a long-tems que cette mesure est sollicitée
par tous les gens éclairés qui la regardent , avec raison
comme une des plus salutaires dans les circonstances actuelles.
Les députés s'assemblent tous les jours depuis midi jusqu'à
quatre heures. On espere beaucoup de cette réunion .
Le cit. Myot , ministre de la République près le grand duc
de Toscane , doit passer à Turin en qualité d'ambassadeur.
Le cit. Cacault , qui est actuellement à Rome , le remplacera
à Florence:
( igi )
Quelques lettres particulieres d'au-delà du Rhiu annoni
cent que le général Clarke est arrivé à Vienne. On parle tou
jours d'une suspension d'armes .
Le Directoire exécutif a pris un arrêté par lequel il déclare
que toute relation entre le gouvernement de la Republique
celui des Etats - Unis d'Amérique , sera suspendue jusqu'
ce que les torts dont la République a droit de se plaindre
soient reparés ; en conséquence , M. Pinckéney , venu idi
pour remplacer M. Monroe qui a été rappellé , n'a point été
admis à présenter ses lettres de créance .
Les nouvelles des bords du Rhin sont peu importantes.
On est tranquille de part et d'autre sur toute la ligne , excepté
à Kell et à Huningue , où l'ennemi continue ses atta
ques , mais infructueusement. Le général Abatucci est mort
dès suites de la blessure qu'il avait reçue en défendant les
retranchemens d'Hnningue.
On apprend d'Italie que les Autrichiens se sont retirés
au- delà de la Brenta. Le général Buonaparte a reçu 12,000
hommes de l'armée des Alpes ; de nouveaux renforts doivent
encore lui arriver. Manteue est toujours dans un grand état
de détresse.
Le Directoire a reçu la nouvelle officielle de la mort de
l'impératrice de Russie . C'est le 17 novembre ( nouveau style )
que cette femme , qui , pendant si long-tems , a joué un si
grand rôle , a subi la loi commune . On n'est pas d'accord
sur l'époque de sa naissance. Les documens publics et avoués
la fixent à l'année 1729 ; mais quelques personnes prétendent
qu'ils ont été altérés lors du mariage de cette princesse avec
le grand duc de Russie , et voici la raison qu'elles en donnent.
L'église grecque exige , dans des mariages tels que celui- ci ,
que le mari soit plus âgé que la femme. Mais le grand duc
était né en 1728,; son âge était trop connu pour qu'on pût
le changer. On prit le parti de rajeunir de deux ans sa
future .
Ce fut au mois de février 1744 , qué sa mere ,
d'Anhalt- Zerbst la conduisit à Moscou . A leur arrivée , l'im- la princesse
pératrice Elisabeth leur conféra l'ordre de Sainte-Catherine.
Un
archimandrite instruisit la jeune princesse dans la religion
grecque ; elle en fit profession publique en langue russe daus
la chapelle de la cour ; elle y reçut l'onction sacrée des mains
( 192 )
de l'archevêque de Novogorod , et prit le nom de Catherine
Alexievna que l'impératrice lui donna le jour de la fête de saint
Pierre et de saint Paul ; elle portait aupavant les noms de
Sophie-Auguste. Le mariage fut célébré le 21 août de l'année
suivante . Il fut réglé qu'elle succéderait à la couronne , si
l'impératrice et le grand duc mouraient sans héritiers . On sait
comment a été respecté ce réglement. Même avant la mort
de son mari elle s'était emparée de la souveraine puissance ,
et depuis elle l'a exercée en son propre nom , quoiqu'elle eût
dû ne se considérer que comme régente pendant la minorité
de son fils .
Quelques formalités avaient légitimé , aux yeux du peuple
Russe , cette usurpation , et de rares talens et d'heureux événemens
l'ont maintenue " sans que personne ait cherché à la
combattre.
Catherine monta sur le trône en 1762. Elle y porta quelques
-uns des charmes de son sexe , beaucoup de ses défauts
aucune de ses vertus ; mais elle y développa plusieurs des
plus brillantes qualités qui ont fait donner le surnom de Grand
à quelques hommes chargés du gouvernement des peuples.
Cependant il est douteux que la postérité impartiale et sévere
lui donne ce surnom ; trop de cruautés , trop d'injustices ont
préparé son regne , et cn souillent les annates .
On ne peut prévoir quel sera le systême politique de son
successeur , Paul Petrowitz . Catherine l'a tenu constamment
éloigné des affaires ; et la crainte de déplaire à cette princesse ,
d'autant plus ombrageuse , qu'elle était plus coupable envers
lui , a dû lui faire une loi de la réserve et de la circonspection .
Cependant , si on le juge d'après la maniere dont il s'est
montré dans ses voyages , et particulierement en France , on
doit croire qu'il ne suivra pas les vues romanesquement ambitieuses
de sa mere , et que , content de regner sur la septieme
partie des terres connues , il ne cherchera pas à étendre cette
immense possession .
Des lettres postérieures apprennent que le lendemain de la
mort de limpératrice , le grand duc , devenu empereur , a
ordonné un service solemnel pour sa mere , et ce qui est trèsremarquable
, un autre pour son pere , l'infortuné Pierre III ,
qui avait été enterré sans aucune espece de cérémonie . L'empereur
a appellé auprès de lui le prince Repnin , à qui il paraît
avoir donné sa confiance . La mort de l'impératrice a intertompu
un traité de subsides au moment qu'il allait être conclu
avec les Anglais.
LENOIR-LAROCHE , Rédacteur.
Jer . 135 .
$
N. 10 .
MERCURE FRANÇAIS .
DECADI 10 NINOSE , l'an cinquième de la République.
( Vendredi 30 décembre 1796 , vieux style . )
LITTÉRATURE ÉTRANGERE.
Stockholm konig. sv . vetenskaps academ . nya handlingar, etc .
ou Mémoires de l'académie royale de Suede , tom . XIV;
pour l'année 1793.
M. JEAN JULIEN donne la description très -détaillée
d'une aurore boréale , observée à Uhleaborg le 4
avril 1791. Ce phénomene fut précédé et accompagné
de grandes variations dans l'état de la boussole.
Depuis six heures du matin , l'aiguille avait été
dans un continuel mouvement. Ce fut vers les huit
heures du soir , que l'aurore boréale parut . L'agitation
de l'aiguille dura jusqu'à une heure du lendemain
matin , moment où M. Julien cessa de l'observer.
Dans un mémoire très- étendu , M. Modeer propose
une nouvelle division des vers . Il divise les testacés
en deux classes , savoir ; ceux dont la coquille est
avec charniere , et ceux chez lesquels elle n'en a pas .
La premiere s'appelle cochlata , et la seconde acochlata .
Les subdivisions vasculosa et tubulata appartiennent à
la premiere ; les limaçons et les coquillages univalves
à la seconde .
Tome XXVI . N
( 194 )
Quant aux zoophytes , ils sont rangés sous les
titres génériques de cutacea , membranacea , cornea et
lapidea. Au premier , se rapportent les especes pennatula
et alcyonium ; au second , les vorticella tabularia ,
etc.; au troisieme , les éponges , les gorgones , etc .; au
quatrième , les madrépores , les millepores et les malarthrum.
M. Westring poursuit ses essais sur l'emploi des
lychens dans les teintures . Il examine spécialement
les couleurs qui peuvent en être tirées pour les étoffes
de laine et de soie ; et rend compte des expériences
qu'il a faites dans cette vue , sur le lychen désigné pa
l'épithete d'umbilicalis .
Le professeur Thunberg donne la description de
plusieurs plantes aquatiques du Japon , dont les especes
étaient inconnues jusqu'à ce jour.
Le mémoire de M. Biornlund sur l'extirpation d'un
squirrhe de la langue , mérite l'attention des gens de
l'art. Le sujet était une femme de 31 ans ; et la maladie
avait commencé depuis 2 ou 3. Durant cet intervallé
, la langue avait grossi par degrés , de ma
niere que lorsque M. Biornlund entreprit la cure ,
toute la partie squirrheuse pendait hors de la bouche .
Il se contenta de lier cette partie avec un fil qu'il
serrait chaque jour graduellement ; et la séparation
se fit ainsi de la maniere la plus simple , et sans
aucun accident remarquable .
On s'était déja servi de l'air fixe , ou gaz acide carbonique
, étendu dans l'eau , pour le traitement des
ulceres cancereux ou putrides : on avait même essayé
de l'appliquer à quelques maladies internes , notamment
à celles des reins et de la vessie . M. Kolpin
( 195 )
vient de réitérer ces derniers essais ; il expose leurs
résultats. Les affections du bas-ventre en général , et
des voies urinaires en particulier, sont celles où l'usage
de ce gaz lui a paru pouvoir produire le plus souvent
des effets avantageux . Cependant il n'a jamais obtenu ,
par ce moyen, dans le traitement de la pierre, que des
soulagemens passagers ; et dans les autres incommodités
, soit des reins , soit de la vessie , le succès ne
paraît avoir été quelquefois plus sensible , que par
l'association d'autres puissans rémedes .
M. Nicolas Nystrom croit avoir trouvé le moyen
d'enlever l'odeur empyreumatique et le mauvais
goût des eaux-de-vie de grain ; ce moyen est d'aiguiser
la bierre avec de l'acide vitriolique , en la
mettant dans les vaisseaux distillatoires . On sent
bien que la proportion de l'acide ne doit, pas être
assez considérable pour attaquer les vaisseaux de métal
qui servent d'ordinaire à ces distillations ; et que
si l'on était forcê de passer ce terme , il faudrait nëcessairement
employer d'autres vaisseaux , ou renoncer
à la méthode proposée par l'auteur .
Mémoires de la même Académie , pour l'année 1794-
Tome XV.
M. Zacharie Nordmarck leve une difficulté qui se
présente dans l'explication de la réfraction des rayons
lumineux , par la force attractive générale . Quand
on prend le rapport de la réfraction qui a lieu lors
du passage des rayons de l'eau dans l'air , avec celle
que produit leur passage de l'air dans le verre , la
N &
1
( 196 )
raison composée de ces deux réfractions , donne
celle de l'eau dans le verre , en supposant l'air placé
entre les deux milieux plus denses . Et lorsque ces
deux milieux se touchent , Newton ( 1 ) a trouvé par
ses expériences , que le rapport précédent s'y retrouvait
encore mais ni lui , ni personne depuis
n'a fait voir comment ce rapport pouvait se concilier
avec les lois de l'attraction ; et même la théorie
donne , entre les réfractions de l'eau et du verre , un
autre rapport qui , du moins au premier coup - d'oeil ,
est en contradiction avec celui dont nous venons de
parler. M. Nordmarck fait disparaître cette contradiction
apparente , et montre le parfait accord du
résultat des expériences avec les lois de la gravitation
.
· M. Bierkander a commencé une histoire philoso .
phique des oiseaux , des insectes et des plantes ,
sous le point de vue des variations qu'ils subissent
ou des apparences qu'ils offrent dans les diverses
saisons de l'année . Ce volume contient un mémoire
où il peint ces êtres sous leurs divers aspects durant
les mois de mars , avril et mai . Il y détermine l'époque
précise où les fruits et les semences que cette
premiere période fournit, paraissent dans plusieurs
especes différentes.
Continuation du travail de M. Westring , sur l'usage
des lychens dans la teinture . L'auteur trouve
dans le lychen d'Islande une grande vertu nutritive ;
et c'est à cela qu'il attribue ses heureux effets dans
la consomption , effets qu'il a plusieurs fois cons-
( 1 ) Lect. opt. , pag . 1 , § II .
( 197 ).
tatés par sa propre expérience . Les lychens ciliaris
et fraxineus se convertissent tout entiers en gelée ,
quand on les fait bouillir dans l'eau en conséquence
ils pourraient , ainsi que le calicaris , servir
d'aliment ; mais on n'en retire point de couleur ,
non plus que du sepincola. Le foliacé ( lychen foliaceus)
semble être l'objet particulier de ce mémoire .
Souvent , lorsque le mélange ordinairement employé
de chaux et de sel ammoniac ne retirait aucune
couleur des lychens mis en expérience , un
autre mélange , à parties égales , de nitre et de sel
` marin , avait plus de succès ; et les couleurs obtenues
par ce dernier moyen , étaient plus durables .
Par un second essai fait avec beaucoup de patience
et d'art , M. Hellenius est parvenu à faire
accoupler , d'une maniere féconde , une femelle de
chevreuil avec un bélier : de ce croisement , est provenu
un animal mitoyen entre les deux especes ;
mais plus ressemblant à la mere qu'au pére . L'accou- ,
plement d'une autre femelle de la même espece avec
un bouc , n'a pas moins bien réussi . L'auteur rend
compte de plusieurs autres tentatives du même
genre .
Dans un mémoire de M., Acharius , on trouve la
description et les dessins d'un nombre considérable
de lychens qui croissent en Suede , et qui étaient
inconnus jusqu'à ce jour.
Une pierre noire et pesante , tirée de la carriere
de Roslag près d'Yterby , forme le sujet de plusieurs
expériences très - bien faites par M. J. Gadolin . Sur
cent parties , il en a trouvé trente de terre siliceuse ,
dix- neuf de terre d'alun , douze de chaux de fer , et
N 3
( 198 )
trente-huit d'une terre non métallique , encore inconnue
, qui tient le milieu entre l'alumineuse et
celle de la chaux ,
M. J. L. Qdhelins a vu un cancer du nez , qui
avait été long- tems rebelle à tous les remedes , céder
à l'usage externe , sagement dirigé , d'une solution
d'arsenic dans l'eau. Dans un second mémoire , il
établit sur des observations qui paraissent concluantes ,
l'utilité des lotions journalieres de l'oeil , à la suite
de l'opération de la cataracte
M. Modeer continue ses recherches sur les vers ,
et s'efforce d'en perfectionner de plus en plus la
classification,
Le professeur Thumberg donne la desciptiou de
quelques plantes qui croissent sur les montagnes du
cap de Bonne-Espérance , notamment du genre cyanella
: il en examine en détail les trois especes ; il
donne des dessins soignés de deux .
Différens mémoires de MM . Falbery et Regius , sur
la botanique , et Tengmalm et Ædman sur l'ornithologie
, terminent cet intéressant et savant recueil .
POLITIQUE RAISONNÉE.
Fin de la lettre au Rédacteur , sur nos relations commerciales
et sur l'Angleterre.
CEE serait sans doute un bien beau traité que celui
par lequel toutes les nations européennes conviendraient
de s'accorder réciproquement la liberté indéfinie
du commerce dans toutes leurs possessions
( 199 )
respectives , en quelques parties du monde qu'elles
soient situées ; et proclameraient solemnellement
qu'une barriere quelconque posée à la frontiere d'un
Étas , sera regardé par tous comme une démarche
hostile contre tous les autres . Il n'est pas douteux ,
comme nous l'avons dit , qu'il n'y a aucun ou presqu'aucun
peuple dont le commerce n'acquît par cette
mesure une augmentation réelle , quoique quelquesuns
pussent éprouver une diminution relative . Cependant
quand même une foule énorme de préjugés
, l'esprit tracassier de la plupart des gouvernemens
, et une multitude d'intérêts locaux , bien ou
mal vus , ne s'opposeraient pas à cetté pacification
universelle , il serait encore inutile de s'en occuper
ici , puisqu'il ne s'agit pas dans ce moment de régler
le sort du monde , mais de concilier les intérêts des
puissances actuellement belligérantes . Mais puisque
la guerre est allumée entre la France , la Hollande
et l'Espagne d'un côté , l'Angleterre et le Portugal
de l'autre , examinons quel serait l'effet d'une pareille
convention faite entre les cinq puissances les plus
remarquables par l'importance de leurs colonies , et
dont quatre se partagent si complettement l'empire
des mers qu'elles font nécessairement la loi à tous
les autres navigateurs. Il est bien entendu qu'en
même tems elles se rendraient respectivement toutes
les possessions dont elles jouissaient avant la guerre ,
poseraient les armes , jureraient de ne les reprendre
que contre la premiere qui entraverait la liberté
d'une des quatre autres , et qu'elles laisseraient maîtres
d'entrer dans la même association en accordant et
recevant les mêmes conditions, tous les autres peuples
NA
( 200 )
esquels évidemment n'auraient rien de mieux à
f
aire .
A cette proposition , j'entends les Anglais jetter
les hauts cris , et dire qu'ils ne peuvent souscrire à
un tel arrangement . , qui leur enleveraït tout d'un
coup tout le revenu de leurs douanes sur lequel est
fondé le paiement de l'intérêt de leur dette publique ,
qu'ils seraient obligés de partager avec les étrangers
tous les trésors de l'Inde , qu'ils perdraient le fruit
de leur fameux acte de navigation et de tous leurs
savans traités de commerce ; enfin , qu'ils seraient
anéantis .
Nos Français , de leur côté , et sur- tout les fabricans
, s'écrieraient qu'ils sont perdus , que la France
ve être inondée du produit de toutes les manufactures
anglaises et indiennes , qu'elle va perdre le débouché
et les riches retours de ses isles à sucre , et
qu'enfin elle ne peut supporter une telle concurrence.
Les Espagnols redouteront avec plus de fondement
l'industrie anglaise et française , et croiront qu'elle
va leur enlever , plus que jamais , tout le produit des
mines du nouveau monde en l'approvisionnant directement.
Les Hollandais , à leur tour , diront avec encore
plus de raison que , vu le peu d'étendue de leur territoire
et le petit nombre de ses productions , quelques
priviléges pour leur navigation et la propriété
exclusive des épiceries font toute leur existence , et
qu'ils seraient accablés sous cette perte .
Le Portugal sera sans doute celui qui se plaindra
le moins , car ses avantages sont plus évidens ; cepen(
201 )
dant il regrettera aussi sûrement beaucoup d'être
obligé d'ouvrir les portes du Bresil .
:
Voilà donc un arrangement bien mauvais , puisqu'il
déplaît à tous les intéressés . Cependant c'est
précisément ce qui me persuade sa bonté ; car enfin
nul ne peut faire un sacrifice que les autres n'en profitent
et il y a , comme nous l'avons vu , dans cet
ordre de choses une masse énorme de bénéfices qui
ne sont faits aux dépens de personne . Tel est le gain
de tous les frais de garde et de contrebande , de
tous ceux des circuits inutiles que font les marchandises
pour arriver au consommateur , des avaries
qu'elles éprouvent , de la cherté des fabrications qui
se trouvent forcément placées dans le terrein qui ne
leur convient pas , et des cultures enlevées au sol
qui leur est propre , et enfin de tous les frais de
guerre qu'il ne faut jamais oublier dans les articles
de dépenses , et moins encore dans le nombre des
calamités . Voilà donc bien de la marge pour que
chacun soit plus qu'indemnisé de ses sacrifices .
En effet , qu'arrive - t-il dans cet ordre de chose ?
L'Angleterre reste avec un territoire étendu et fertile
, les revenus territoriaux du Bengale , la supėriorité
actuelle dans l'art de la plupart des fabriques ,
une grande connaissance des mers , et la possibilité
d'employer ses nombreux capitaux à des spéculations
commerciales dans les plus riches parties du
monde , qui jusqu'à présent lui sont fermées.´
La France conserve l'avantage imperdable d'un
territoire immense et d'une population très-nombreuse
, très - active , et dont l'industrie , sous le régime
de la liberté , peut promptement égaler celle
( 208 )
·
des nations les plus avancées à cet égard , et aura le
monde entier pour le débouché de ses productions .
L'Espagne a un sol presqu'aussi vaste , un climat
encore plus heureux , les trésors de ses mines du
nouveau monde , qui sont des propriétés nationales ,
et la même possibilité de perfectionner sa culture et
ses fabriques , et d'en débiter les produits .
La Hollande a pour elle de grands capitaux , une
grande intelligence pour beaucoup de manufactures,
l'avantage d'être bien située pour être l'entrepôt de
toute l'Europe , une grande économie dans sa navigation
. qui devra à la liberté générale de nouvelles
occasions de se déployer , et les précieuses propriétés
de sa compagnie des Indes que je regarde comme
nationale à cause de la liaison intime de cette société
avec le gouvernement,
Enfin , le Portugal a de plus qu'aujourd'hui la faculté
de disposer librement et avantageusement des
produits de son sol , et d'acheter par-tout , et au
meilleur prix , les objets qui lui manquent.
Ce tableau est sans doute trop racourci pour présenter
toutes les conséquences et les rejets d'un si
grand changement ; mais aussi souvent les détails
égarent plus qu'ils n'éclairent , et font perdre de
vue l'ensemble des grands effets. Toutefois de même.
qu'il est démontré qu'un tel arrangement convenu
entre ces cinq puissances augmenterait la richesse
et la prospérité réelles de chacune , on peut
affirmer , autant qu'une pareille chose peut se prévoir
, qu'il dérangerait extrêmement peu les proportions
actuelles de leur puissance relative . Je sais que
cette assertion sera contredite par beaucoup de po(
203 )
Mtiques qui se croient très- forts de leurs connais
sances positives dans ces matieres . Mais je les pric
de se rappeller qu'ils avaient tous prédit que la
liberté de l'Amérique serait le tombeau de la pros
périté de l'Angleterre , et qui jamais n'a été si florissante
que depuis cette époque . D'ailleurs , on peut
dire avec raison , que si l'une de ces nations éprouvait
dans le premier moment un embarras sensible ,
ce serait une preuve qu'elle faisait des profits réellement
démesurés aux dépens de ses voisins .
On peut remarquer que dans cet arrangement la
propriété des colonies lointaines cesse d'être importante
comme moyen de commerce , et qu'elle n'est
plus précieuse que sous le rapport des impôts directs
qu'elles peuvent produire , et des propriétés
nationales qu'elles renferment. Leur émancipation ,
suite nécessaire de leur prospérité , peut et doit
effectivement à la longue priver leurs métropoles de
ces avantages . Mais ce sont des événemens inévi
tables en eux -mêmes dans toutes suppositions , plus
imminens dans l'état actnel de jalousie où les Colons
peuvent être incités et aidés par une nation rivale ,
plus éloignés par leur nature dans l'état de paix , et
qui encore peuvent être retardés par la sagesse et la
modération des métropoles . Par dessus tout , il ne
faut pas oublier que ces événemens arrivant ne seront
pas plus fâcheux qu'un pareil n'a été pour l'Angleterre
,
Quant aux changemens successifs qui pourraient
s'opérer dans les proportions des puissances relatives
de ces cinq nations , par l'accroissement graduel de l'in -
dustrie dans les pays où elle est en retard , ces chan(
204 )
gemens seraient lents , paisibles , et par conséquent
sans souffrances . Leur dernier résultat serait de proportionner
les forces aux avantages du climat et du
sol , au progrès des lumieres , et à la bonté des gouvernemens
. Ainsi , nul ami de l'humanité , et en particulier
, nul Français ne pourrait s'en affliger . Je dis
plus ; nul politique ne pourrait s'en effrayer pour sa
patrie ; car la force individuelle d'une société politique
cesserait d'être pour elle un point si essentiel
, puisqu'il n'y aurait plus ni sujets de guerre , ni
crainte d'oppression possible , tous étant réunis par
un intérêt puissant à empêcher la moindre lésion d'un
seul . Cette derniere considération acheve de prouver
que la signature d'un pareil traité serait celle de la
paix universelle et imperturbable . Ainsi , certainement
son utilité est bien démontrée .
•
Quant à sa possibilité , elle ne me paraît pas plus
douteuse ; car si quatre des puissances que j'ai nommées
se réunissaient pour un tel dessein , il est certain
qu ' lles y forceraient aisément la cinquieme . Ou
plutôt pour écarter le Portugal dont les forces sont
peu de choses et avec lequel nous sommes , dit - on ,
au moment de faire la paix , si la France , l'Espagne
et la Hollande actuellement alliées se fixaient à un
pareil projet , en faisaient la proposition franche à
l'Angleterre , et lui déclaraient solemnellement que
dès ce moment elles sont prêtes à ouvrir à ses vais
seaux l'entrée libre de tous leurs ports , qu'elles
veullent la réciprocité entiere dans tous les siens ,
avec la restitution à chacun de toutes ses posses .
sions , et qu'elles ne poseront les armes qu'à ces
conditions ; elles embarrasseraient certainement beau(
205 )
coup son gouvernement . Il paraît même impossible.
que l'Angleterre ne se rendît pas d'elle- même à ces
propositions , ou que les alliés ne parvinssent pas
bientôt à l'y contraindre par la force et la lassitude ;
et que les Etats-Unis , la Suede et peut - être même
le Dannemarck ne se joignissent pas à eux pour les
y aider , afin d'être admis à partager les mêmes conditions.
Et il y a cela de remarquable que , quand un
tel ordre de choses serait une fois établi , il n'y aurait
plus moyen de s'en dédire ; il serait inébranlable .
Voilà ce que j'appelle la véritable constitution du
commerce . Tant qu'elle ne sera pas faite , il offrira
le triste spectacle de troubles et de désolations perpétuelles
, comme un corps politique dont les pouvoirs
ne sont pas distribués par la loi.
Si j'ai beaucoup insisté sur la possibilité et l'utilité
du projet de traité que je propose , ce n'est pas
que je me flatte de le voir adopter par les puissances.
belligérantes. Le tems , il est vrai , n'est pas loin où
les vérités philosophiques cesseront d'être regardées
comme des rêves , et passeront rapidement de la
théorie à la pratique . Nous en avons déja quelques
exemples importans . Néanmoins je suis loin d'espérer
que la guerre actuelle se termine d'une maniere
aussi simple et aussi définitive . Trop de préjugés et
de passions s'y opposent ; et les nôtres et ceux de
nos alliés y apportent peut - être plus d'obstacles en- '
core que ceux de nos ennemis . Ce n'est que quand
un art a fait de grands progrès que sa méthode se
simplifie , et que ses regles se généralisent. Mais tant
qu'il est dans l'état d'imperfection où la politique
commerciale est restée jusqu'à nos jours , il est sur(
206 )
chargé d'une infinité de recettes , de procédés , de
tours de main qui en embarrassent la marche , et en
font manquer le but. Cependant ces demi - connaissances
, la plupart fausses , et nuisant par conséquent
aux véritables , sont pénibles à acquérir. Elles sont
la propriété et constituent le talent de ceux qui s'y
sont appliqués ; et ces hommes les défendent avec
fureur. Quel moyen , par exemple , de persuader à
des hommes qui ont étudié les élémens de balances
de commerce souvent illusoires , qui ont médité sur
les effets partiels de tel traité ou de tel acte de navigation
, qui ont approfondi les influences directes
ou réfléchies de telle prohibition sur telle place de
commerce , et qui ont construit des spéculations en
conséquence de ces recherches pénibles , quel moyen,
dis-je , de persuader à ces hommes , ou du moins à
la plupart d'entre eux , que toutes leur combinaisons
, pleines souvent d'une vraie finesse et d'une
sorte de science , ne peuvent jamais aussi bien diriger
le commerce d'un pays que ce seul mot , Liberté !,
Cela est pourtant rigoureusement vrai , mais peu importe
qu'une chose soit vraie , si elle n'est pas crue
telle et ce n'est jamais qu'à la longue qu'on arrive
aux moyens simples . et par une sorte de lassitude ,
quand on a essayé tous les autres .
Il ne faut donc pas nous flatter que notre premier
traité de paix maritime soit encore parfaitement conforme
à la nature et à la raison , ou , en d'autres
que notre guerre de mer actuelle soit la
derniere . Mais si nous ne pouvons atteindre le but
de cette fois-ci , nous pouvons du moins en approcher
, et nous devons éviter tout ce qui nous en
termes ,
( 207 )
écarterait. C'est dans cet esprit que je desirerais que
la négociation fût conduite ..
Ainsi , par exemple , si le systême de compensation
s'établit , je pense que nous devrions plutôt sacri
fier toutes nos possessions lointaines que de renoncer
à l'accroissement de rerritoire continental auquel
nous prétendons et ma raison est non- seulement
qu'il est nécessaire à notre tranquillité , mais encore
que nous devons sur- tout nous attacher à acquérir les
avantages qui sont indestructibles par leur nature ,
et qui subsisteront après que le régime des monopoles
sera passé .
Par le même motif , dans le choix des colonies
que nous nous déterminerions à abandonner , nous
devons céder celles qui ne peuvent nous être utiles
qu'au moyen de prohibitions gênantes , plutôt que
celles qui ont , pour ainsi dire , une valeur intrinseque
; et sur- tout ne jamais nous détacher de celles
qui sont utiles pour la contrebande , ou de celles
dont la possession dunnerait à nos ennemis le moyen
d'établir quelque nouveau monopole , ou d'en consolider
quelqu'ancien .
A l'égard des colonies de nos alliés , je pense qu'il
est essentiel à notre réputation , et par conséquent
à notre intérêt bien entendu , qu'elles leur soient
toutes rendues. Mais par les difficultés même que
nous trouverons à y parvenir , nous devons sentir
qu'il est desirable qu'elles ne leur soient plus aussi
nécessaires comme moyen de commerce , dans le
sens que je l'ai expliqué ci-dessus. Nous ne devons
pas plus favoriser les monopoles chez eux que chez
nos ennemis , ou chez nous . Ainsi , en leur faisant
1
1
( 208 )
rendre le territoire , nous devons les engager à ne
pas en interdire l'entrée aux étrangers , pourvu que
l'on récompense cette facilité par d'autres avantages .
De même , toutes les fois qu'il leur sera proposé , ou
à nous , la destruction d'une prohibition en échange
de la destruction d'une autre prohibition à- peu-près
équivalente , nous ne devons pas hésiter à l'accepter
: nous devons même la provoquer , et en amener
adroitement la nécessité . Et enfin , si nous avons pour
nos alliés , ou pour nous , quelque cession gratuite à
faire , nous devons nous décider , suivant les mêmes
regles , dans le choix de l'une plutôt que de l'autre .
+
Je ne puis ni ne dois spécifier ici les cessions à
faire , ni les échanges à offrir . Les déterminations
positives appartiennent aux gouvernemens , qui sont
plus instruits que les particuliers des faits matériels ,
et qui seuls connaissent à fond leurs forces , leurs
dangers et leurs ressources . Les écrivains politiques
ne peuvent , à mon sens , qu'indiquer l'esprit suivant.
lequel ils desirent que la négociation soit conduite .
Il en est cependant un grand nombre dans tous les
pays , qui ne cessent de publier que les gouvernemens
ne veulent pas la paix , et ne font pas ce qu'il
faut pour y parvenir. Ceux-là , ce me semble , s'im
posent le devoir de dire nettement quels sont les
sacrifices auxquels ils pensent qu'on doit souscrire ,
afin que la nation juge leurs projets , et puisse voir
si les plénipotentiaires tireront des circonstances un
meilleur parti que n'avaient osé l'espérer leurs critiques.
Ils feraient encore une chose très - utile à
leur pays et à leur réputation , en indiquant quelques-
uns des objets à demander et à offrir , qu'ils
regardent
20g )
regardent comme équivalens . Car souvent dans une
négociation , on échoue dans une demande qui paraît
simple ; et par un revirement de partie , on
réussit dans une autre qui semblait plus difficile .
De semblables indications fourniraient des moyens
aux négociateurs , et prouveraient les connaissances
des frondeurs . Au lieu que se borner à répéter con
tinuellement qu'il faut reprendre son ancien territoire
tel qu'il était , sans s'expliquer sur les conventions
commerciales à faire , montre seulement qu'on
n'a aucune connaissance et aucune vue que celle de
blâmer , puisqu'il est constant que par l'issue d'une
guerre , et sur- tout d'une guerre de mer , on peut
être très - lézé dans ses véritables intérêts , sans avoir
perdu un pouce de terrein , et au contraire avoir
beaucoup augmenté ses forces réelles , malgré la
cession d'un grand territoire .
Pour moi , je me résume , et je dis que si dans
les conditions du traité à conclure avec l'Angleterre ,
nous ne pouvons pas réussir à établir la liberté indéfinie
des mers , et l'anéantissement de toute prohibition
et de toute douane , nous devons du moins
diriger toutes nos démarches de maniere à rapprocher
le plus possible de ce but.
1º. Parce que ce systême est le seul vrai et le seul
qui conduise à une paix inaltérable . Ainsi il est utile
à l'humanité toute entiere .
2º. Parce qu'il est particulierement convenable
aux intérêts d'une nation qui possede un territoire
comme la France , puisqu'en définitif il proportionne
la puissance aux avantages du sol .
3. Parce qu'il nous est commandé par l'état actuel
Tome XXVI .
( 210 )
et futur de nos colonies , dont le commerce exclusif
ne peut nous procurer que de faibles avantages , et
qui , vu les lois de la métropole et la tournure
des évenemens , ne peuvent se relever de leurs désastres
que par le secours d'une liberté indéfinie .
4. Parce qu'il est spécialement adapté à l'esprit
de notre constitution , qui est ennemie pár essence
de toute gêne , et qui nous obligera un jour ou
l'autre à renoncer à toutes douanes , quand même
les étrangers ne nous rendraient pas la pareille. Ils
le voient si bien , que je ne doute pas qu'ils ne s'en
prévalent ; et que leurs négociateurs ne reçoivent
très-froidement aujourd'hui des offres d'exemptions
de droits qu'ils n'eussent pas osé espérer autrefois .
parce qu'actuellement ils se regardent comme sûrs
de les obtenir du tems.
5. Parce qu'il est singulierement conforme à la
direction actuelle de l'esprit humain , qui marche à
grands pas vers les principes en tout genre ; et qu'en
établissant sa politique sur des idées prêtes à devenir
dominantes , on est sûr de la rendre prépondérante
en peu d'années.
6º . Parce qu'il est diametralement opposé , si-non
aux vrais intérêts de l'Angleterre , du moins à soe
maniere d'être actuelle et aux opinions qui y prévalent
, puisqu'une grande partie de ses revenus est
fondée sur les douanes , et que toutes ses spécula
tions sont tournées vers les priviléges exclusifs de
commerce .
7º . Enfin , parce qu'il assure à la longué une supériorité
décidée à nos négociations sur celles de cette
puissance rivale , puisque nous nous présenterions
1 J
chez toutes les autres nations , ne demandant que la
réciprocité des avantages que nous leur accorderions
chez nous , tandis que l'Angleterre se trouverait toujours
obligée d'en exiger des concessions sans retour,
ce qui la mettrait nécessairement dans une mauvaise
position.
Nous pouvons singulierement accélérer ce bon
effet de notre systême , en nous hâtant de négocier
avec toutes les puissances neutres ou alliées , des
traités de commerce , dont la bâse générale serait
de leur offrir chez nous de grandes exemptions de
droits , ou même la liberté entiere , en leur demandant
chez elles la même liberté , ou du moins un
traitement égal à celui de la nation qu'elles youdraient
le plus favoriser . Par cela seul , il ne reste
plus même place aux priviléges prétendus par l'Angleterre
. J'ai puisé cette derniere idée vraiment
grande et belle , dans un mémoire que je voudrais
pouvoir citer. N'étant pas autorisé à en nommer l'auteur
, je me plais à lui rendre hommage ausant que
je le puis
1
Je dois observer , en finissant , que l'Angleterre
n'est notre ennemie nécessaire , que parce qu'elle
est l'appui des préjugés commerciaux , comme le
pape celui des préjugés religieux , l'Empire et Malte
ceux des préjugés féodaux et nobiliaires . Personne
n'est notre ennemi naturel ; car heureusement on
n'a point d'ennemi naturel , quand on ne veut que
la justice et la paix.
Telles sont , citoyens , les réflexions que m'ont
suggerèes celles que j'ai lues dans votre journal sur
la guerre continentale . Je desire que celles - ci soient
Q :
}
( 212 )
1
1
conformes aux opinions de cet auteur. Car je pense
absolument comme lui sur le sujet qu'il a traitė :
et ce sont les mêmes principes qui m'ont guidė
dans la discussion de celui - ci .
Comme toutes les méditations des citoyens appartiennent
à sa patrie , je vous envoie le résultat
des miennes , pour que vous en fassiez usage , si
vous jugez que la publication en puisse être de
quelqu'utilité.
A Paris , ce 15 frimaire an V.
MORALE.
Deuxieme lettre d'un Souscripteur au Rédacteur du
Mercure , sur la Religieuse de DIDEROT.
VOUS
ous avez trouvé , citoyen rédacteur , mon jugement
sur Jacques - le-Fataliste , bien sévere et bien rigoureux.
Je vous ferai observer d'abord que je l'at
porté après la lecture d'un manuscrit de cet ou
vrage . J'ai appris qu'à l'impression on avait adouci
quelques traits plus que graveleux . Ensuite , je vous
demanderai où est le but moral d'un écrivain qui
nous représente le valet Jacques voyant constamment
écrits dans le ciel les événemens d'ici - bas , et par
conséquent ne faisant rien pour les préparer ou les
diriger.
C'est un véritable Turc , ou un fataliste convaincu
son maître , un idiot .... La véritable philosophie n'est
pas de croire à un destin sourd et aveugle ; mais à
des lois éternelles et immuables par lesquelles le
( 213 )
monde est régi , et de se placer à l'aide du travail ,
de la prudence et de la sobriété , en des positions
telles que le cours ordinaire de ces lois nous soit
vantageux ...... Mais je m'apperçois que cette lecture
commence sur un ton très- différent de celui de
ma premiere . Eu voici la raison : Je suis rempli
pénétré de la Religieuse du même auteur , que je
quitte , et dont je vous entretiendrai aujourd'hui . La
teinte sombre de ce roman a déja rembruni mes
teintes .
Oh ! combien le portrait de cette infortunée eût été
utile à produire au grand jour , lorsque les prisons
éternelles , appellées couvents , subsistaient encore sur
les bords du Rhône , de la Loire et de la Seine !
combien de victimes n'aurait-il pas empêché de précipiter
dans les cloîtres ! Diderot aurait montré alors
un véritable courage , et aurait payé un noble tribut
་
la philosophie , s'il eût publié sa Religieuse. Les
moyens de le faire , sans cesser d'être anonyme , në
manquaient pas à l'ami de l'écrivain , qui sut alors
faire imprimer son Systême de la Nature..... Mais de
quelle utilité sera aujourd'hui la publication de cet.
écrit chez un peuple qui n'a ni moines , ni religieuses
?
Quoi qu'il en soit , si vous êtes affligé en le lisant
de voir Diderot tracer avec tant d'énergie les fureurs
des modernes Lesbiennes , vous vous reposerez avec
plaisir sur deux caracteres que l'auteur semble avoir
tracés con- amore. Je veux parler de celui de la soeur
Moni , cette supérieure de Longchamp qui faisait du
bonheur de ses religieuses son unique étude . Cette
femme , née avec un coeur droit et une imagination
0 $
( 214 )
ardente , aurait été un instrument précieux entre les
mains d'un chef de secte . Elle s'était exaltée les facultés
intellectuelles à force de méditations et d'exhortations
, au point de croire lire dans un monde
surnaturel ce que la chaleur de son ame produisait
dans ses pieux discours. Que lui manquait il pour
être une prophêtesse ? Ce n'était pas la sainteté des
moars , ni l'extérieur naturellement composé , ni la
vue fixe qui semble distinguer à- la- fois , au -delà de
ce qu'on lui présente , et en- deçà de l'espace qu'elle
occupe , ni l'habitude acquise de ce style oriental
que l'abondance et la hardiesse des métaphores font
paraître surnaturel ... C'était l'occasion ... Disens mieux ,
la réalité ; car j'oubliais que je parlais d'un roman.
Cette soeur Moni console et soutient la Religieuse
qui avait déja protesté publiquement contre les voeux
au moment de les prononcer dans un premier couvent
, et que cependant l'on forçait à se lier à jamnis
dans celui de Longchamp . La mere de cette infortunée
Suzanne , eut , après la naissance de deux filles,
une faiblesse qui lui donna la vie. Les remords succéderent
à la passion dans le coeur de cette mere qui
ne fut coupable qu'une fois . Pour ne pas faire partager
au fruit de son crime le bien que la paternité
légitime n'accordait alors qu'aux deux filles aînées
elle voua Suzanne au célibat et à la retraite . Mais
l'esprit de cette cadette était ennemi du joug et de
la contrainte . Il se trouvait uni à un caractere ferme ,
prononcé , et tenace , lorsqu'il avait mûrement conçu
un projet . De - là vinrent ses protestations à Sainte
Marie , ses demandes en cassation de voeux à Longchamp
, le plaidoyer du digne et compâtissant Ma-
་
( 215 ¹)
noury , l'intérêt soutenu de ce bon avocat , malgré la
sentence qui confirmait de si horribles voeux , les
persécutions atroces souffertes pendant le cours de
ce fatal jugement , la translation , après la cruelle
sentence , au couvent d'Arpajon , la fuite de ce nouveau
couvent , enfin la retraite chez une blanchis
seuse , où Susanne écrit ses mémoires pour toucher
M. de Croismare et l'intéresser à son sort.
2
En traçant cette rapide esquisse , j'ai oublié que
je devais vous parler d'un second caractere , tracé
avec un art divin . C'est celui de la supérieure d'Arpajon.
Diderot semble y avoir employé toute la
connaissance du coeur humain , qu'il possédait si
bien. Cette femme annonce , dès la premiere entrevue
, ses goûts impudiques , soit par l'agitation perpétuelle
qui la fait tressaillir sans cesse , soit par les
caresses excessives qu'elle prodigue à Susanne , dont
la beauté et la retenue devaient allumet cette imagination
corrompue , soit par l'oubli et la négligence
avec lesquels elle accueille ses anciennes favorites ,
pour ne plus vivre , ne plus respirer que pour le
nouvel objet de sa flamme ..... Mais quel affreux retour
! cette femme devient dévote ..... scrupuleuse.
Sês gémissemens , ses macérations , ses aveux tantôt
libres , tantôt involontaires , la rendent la fable de
la maison. Elle devient folle de honte , de repentir ,
de chagrin , de désespoir , et elle meurt sans coniolation.
Le style de ce roman differe beaucoup de celui
de Jacques celui- ci est plein , varié , correct , abondant.
Les détails sont vrais , attachans... C'est Diderot
lui-même. Tous les vices , les replis du coeur hu-
04
-216-)
main , et sur- tout du coeur des femmes dépravées
par la contrainte , la servitude et la superstition , y
sont énergiquement développés .
Puisse cet écrit être lu sur les bords du Tage , de'
l'Ebre et du Tibre ! L'heureuse France n'en a plus
besoin , et elle l'a rendu inutile pour la Belgique et
la Savoie. Deux horribles servitudes pesaient sur le
genre humain , l'esclavage et la vie cénobitique . Nou '
venons de nous en affranchir. Ah ! avouons-le pour
notre consolation , ces deux importans services ren
dus à l'humanité , absoudront la révolution française
des horreurs passageres qui l'ont souillée , lorsque
la distance des tems et des lieux ne laisseront plus
présens au souvenir que les biens durables et réels ,
dont la philosophie lui est à jamais redevable .
Mais l'histoire du pere Bouin ? .... Il y a si longtems
qu'elle a été publiée , que la plupart de vos
lecteurs s'y intéresseront comme à une nouveauté.
D'ailleurs on assure que c'est une véritable histoire .
Le curé d'un village situé auprès de Langres se
mourait. Il envoia demander le pere Bouin , prêtre
d'une vie exemplaire et d'une sagacité reconnue .
Dans le dernier des entretiens que le mourant eut
avec lui , il parla d'un testament olographe qu'il
avait fait , depuis quelques années , en faveur d'un
neveu , riche libraire de Paris. Mais il ajouta que le
ressouvenir de ses parens , pauvres habitans du hameau
voisin , l'avait porté à déchirer ce testament.
Il croyait l'avoir anéanti .... Cette phrase fut interrompue
par son dernier soupir . Le pere Bouin appelle
les parens pour procéder au partage ; c'était la
misere la plus profonde , la pauvreté la plus com-
1
( 217 )
plette ! Jugez de la joie de ces infortunés à la vue
d'un riche mobilier et de granges bien rempliés ,
dont le pere Bouin leur assurait la possession . Pendant
qu'ils parcouraient la maison et les granges , le
bon prêtre feuilletait seul les papiers du défunt ,
pour en faire un triage conforme à ses dernieres
intentions . Quelle surprise ! le testament froissé ,
mais non déchiré , se retrouve dans un serre- papier
écarté .
Le pere Bouin lit , relit cette fatale charte que
l'on croyait brûlée .... Le spectacle de la misere où
cette découverte va plonger les héritiers ; la joie
courte et trompeuse dont ils ont été enivrés ; la der
niere volonté du testateur , connue du pere Bouin ;
l'ignorance où toute la terre , lui seul excepté , se
trouvait sur l'existence du testament ; l'injustice apparente
d'enrichir encore un neveu déja opulent ,
-au préjudice de parens misérables ; le silence que
tout devait garder sur cette affaire... Tels furent les
divers pensers qui agiterent l'ame de ce pere pendant
un quart- d'heure ; la fievre même le saisit ....
Quel fut le résultat de ce colloque intérieur ? Que
fit - il ? .... Mais qu'auriez-vous fait vous-même ? Quel
parti aurais -je pris ? .... Un torrent de larmes s'écoula
des yeux du pere Bouin ; il s'écria .... Pere Bouin ,
pere Bouin , qui êtes- vous pour juger les lois des
testamens , pour vous élever au - dessus d'elles ! Il
fit connaitre le terrible testament , etc. etc.... C'est
ainsi qu'i ! faut écrire des traités de morale ; et c'est
ainsi que l'on est toujours Diderot , malgré Jacques
et la Religieuse.
( 318 )
LITTÉRATURE.
Les Soirées littéraires , ou Mélanges de traductions nouvelles
des plus beaux morceaux de l'antiquité ; de pieces
instructives et amusantes , françaises et étrangeres , qui
sont tombées dans l'oubli ; de productions , seit en vers ,
soit en prose , qui paraissent pour la premiere fois en
public ; d'anecdotes sur les auteurs et sur leurs écrits ,
etc. etc. , tom. III et IV. Prix , 3 liv . le volume brocké.
4 Paris, de l'imprimerie de HONNERT , rue du Colombier
, no . 1160. An IV de la République . ( 1796. ) .
NOUS
ous avons rendu compte dans le nº. 35 de
l'an IV , des deux premiers volumes de cet ouvrage ,
qui se distribue aussi tous les quinze jours par livraison
de trois feuilles in 8° . chacune . Les auteurs suivent
exactement leur plan , qui consiste à offrir au public
différens morceaux sur la littérature ancienne , sur
colle du moyen âge , et sur la littérature moderne,
Le tome III commence par la traduction du Bouclier
d'Hercule, de la Théogonie , et des Fragmens d'Hésiode.
Suivant une remarque judicieuse du traducteur
, l'on ne trouve dans le Bouclier d'Hesiode , non
plus que dans celui d'Homere , que des peintures
naturelles et la poésie la plus touchante. Virgile
' est écarté de leur simplicité en décrivant le Bouslier
d'Énée. Ha voulu plaire aux Romains , et flatter
Auguste ; de cette maniere il est plus piquant que
ses maîtres , mais il n'est pas plus grand poëte.
Hésiode est suivi des moralistes grecs , à la tête
(( 219 )
desquels paraît Théognis , dont les sentences étaient
citées comme les oracles d'Apollon , Le Poëme moral
de Procylide vient ensuite . C'est un recueil de principes
sur les bonnes moeurs et sur la maniere de se
conduire honnêtement dans le monde . Ainsi , la poé
sie , qui fut destinée d'abord à graver dans la mémoire
des hommes les événemens remarquables
servit aussi à imprimer dans leurs coeurs les maximes
de la morale. Il y a une grande différence entre
Théognis et Procylide . Le premier , contemporain
d'Anacréon , avait le même goût pour la volupté qui
dès-lors entraînait toute la Grece , et finit par la
perdre. Le second , ami de Pythagore , était comme
lui l'interprête de la vertu , et l'oracle de la sagesse ,
A l'occasion de ce poëme , le traducteur demande
si nos ouvrages modernes sur la morale , nous ap
prennent quelque chose qui ne se trouve pas dans
les anciens. Pourquoi ne pas convenir que les modernes
ont réduit la morale en traité , et qu'ils en
ont fait un systême fondé sur des principes évidens ,
dont toutes les parties dérivent avec ordre , enchaî
nement, et qui produit des résultats aussi utiles à
chaque individu en particulier, qu'à tous les hommes
en général ? Cette vérité se fait sentir en lisant la
Morale universelle du baron d'Holbach , le Traité élémentaire
de Morale et du Bonheur par Raymondis , les
Principes de Morale par Mably , etc.
Les modernes ont donc l'avantage d'avoir formé
une chaîne admirable des anneaux que les anciens
leur ont fournis.
Nos auteurs font connaitre ensuite les Poésies
Pythagore , Solon , Tyrtée et Simonide,
( 280 )
1
Voici un des poëmes de Tyrtée sur la Vertu guerriere
:
On n'a pas de mérite à mes yeux pour être agile
à la course , ou pour se distinguer à la lutte ; et je n'estime
pas un homme parce qu'il a la taille et la force
d'un Cyclope . En vain , il surpasserait en vîtesse l'Aquilon
de la Thrace ; en beauté , le brillant Titon ; en
richesses , Midas ou Cynire ; en puissance , l'heureux
Pélops , en éloquence , le doux Adraste je ne fais
nul cas de tant de gloire , si la vertu guerriere ne l'ac
compagne. On n'a point cette grande qualité qui fait
les héros , quand on n'a pas le coeur de soutenir la vue
du caruage , et qu'on ne desire pas de se voir aux
prises avec son ennemi .
99 Cette vertu est à mes yeux le plus précieux avantage
de l'humanité , c'est le plus bel ornement dont
un jeune homme puisse se parer . La gloire en rejaillit
sur toute une ville , sur tout un peuple . C'est un
triomphe public de voir-marcher fierement un de ses
concitoyens à la premiere ligne , s'y maintenir constamment
, mettre en oubli la fuite et son opprobre ,
exposer d'un air intrépide sa vie et son ame à la mort ,
inspirer sans sourciller la même ardeur à ses com³
pagnons d'armes . Tel est l'homme que j'estime , tel
est mon héros . Bientôt vous le verrez mettre en déroute
les plus belliqueuses phalanges des ennemis , et
régir d'un coup - d'oeil les flots des combattans . Renversé
lui-même aux premiers rangs qu'il n'a pas quittés
, il perd sa vie précieuse ; mais il a laissé un éclat
éternel à sa cité , à son peuple , à son pere . Sa poitrine
est criblée de blessures , toute la rondeur de son
bouclier est hérissée de traits ; il a reçu le coup fatal
( 221 )
au milieu de sa poitrine , à travers sa cuirasse : mais
on le pleure maintenant ; les jeunes gens , les vieillards
gémissent , tous les citoyens áttendris suivent
ses funérailles . La reconnaissance publique lui érige
un tombeau ; ses enfans deviennent illustres entre
tous les hommes ; son éclat se perpétue dans ses petitsfils
, dans sa postérité sa gloire ne se flétrit pas , son
nom reste fameux , et quoique déja descendu chez les
mânes , il demeure immortel . Le Dieu Mars l'a renversé
; mais il est mort avec courage , sans reproche .
en combattant pour sa patrie , pour ses enfans .
" O ciel ! s'il a le bonheur d'échapper à cette mort,
funeste qui nous jette dans l'éternel sommeil , s'ilpeut
survivre à sa victoire , et recevoir la palme due à sa
' valeur , il devient le plus cher objet de l'amour des
jeunes gens et des vieillards , et il ne descend dans la
tombe que couvert de l'estime générale . Dans sa vieillesse
, il est toujours le premier de sa cité . Personne
n'oserait le choquer , ni lui manquer de respect. Les
jeunes gens , ses contemporains , les vieillards euxmêmes
lui cedent toujours la place d'honneur . Efforcons-
nous donc, pour arriver à ce comble de gloire ,
de braver tous les hasards de la guerre.
Avec quel art le poëte intéresse toute l'humanité
au sort de celui qui succombe dans les combats ? A
combien de héros ne devons- nous pas déjales mêmes
regrets , la même estime et la même reconnaissance ?
La littérature du moyen âge présente des articles
pleins d'intérêt ; nos auteurs passent en revue Sado- .
let , Molza , Novagėrius , Ronsard , Campanus , Bembo,
Casanve , Graovina , Aulugelle , Macrobe , Alexander
ab Alexandro , Crinitus et Louis le Bermen , sieur de
la Martiniere , auteur du Bouclier des Dames , ouvrage
imprimé à Rouen en 1621.1
La traduction élégante d'une Sylve de Stace par
G. J. Latour , est précédée d'une Dissertation assez
curieuse sur les Sylves en général , et sur Stace en par
ticulier , qui était contemporain de Juvenal et de
Martial . Juvenal parle avec éloge de Stace , mais
Martial n'en dit pas un mot. Stace lui -même n'articule
pas une fois le nom de Martial , quoiqu'ils aient
travaillé sur les mêmes sujets . Car il y a une grande
analogie entre la sylve et l'épigramme , du moins sous
le rapport dont les Romains concevaient ces deux
genres . Mais les sylves sont susceptibles de plus de
graces , de richesses et d'ornemens . Sylve vient du
mot latin sylva , forêt , parce que cette sorte de composition
est formée de vers sur différens sujets , commé
une forêt est formée de l'assemblage de plusieurs
especes d'arbres , Ces poésies, ordinairement courtes ,
sont le fruit de l'enthousiasme du moment , d'une
heureuse boutade , d'une sorte de fureur poétique.
Plusieurs auteurs , à la renaissance des lettres , ont
aussi composé des sylves , mais la plupart ont déna
turé ce genre en l'étendant ou en le resserrant. Ils
confondent les sylves avec les impromptus , ou les
regardent comme de simples mélanges.
Les ouvrages d'Aulugelle , Macrobe et Alexander
ab Alexandro , éclaircissent beaucoup de points intéressans
de l'antiquité ; un des plus beaux morceaux
des Nuits altiques , est sans contredit le discours dans
lequel le philosophe Favorin représente aux femmes ,
avec autant d'éloquence que de vérité , la nécessité
où elles sont d'allaiter leurs enfans . Nos auteurs ont
( 223 )
1
traduit ce morceau en entier. Ils observent que le
chancelier de l'Hôpital , en France , rappella aussi
les femmes à cet important devoir de la nature. Mais,
ajoutent- ils , ces deux grands hommes ne furent pas
écoutés . Enfin , J. J. vint , et quoiqu'il ne fût pas
" plus éloquent , quoiqu'il ne redît que les mêmes
" choses, il ramena les meres à leur premier devoir.
" Pourquoi cette singularité ? C'est qu'Aulu - Gelle
" et l'Hôpital n'avaient donné que des conseils , et
que Jean-Jacques donna des ordres. Les femmes nè
se rendent gueres aux leçons ; il faut leur laisser
,, entrevoir l'autorité . Elles méprisent la sagesse da
» Favorin , et sont ramenées par les injures du cit.
› de Geneve ; en un mot , elles ont plus besoin de
" maîtres qui leur plaisent , que de conseillers pour
" qui elles n'aient que du respect. Si quelqu'une
trouvait ce jugement trop rigoureux , nous lui di-
,, rons qu'il est de M. de Buffon ; et nous convien-
,, drons nous- mêmes que la galanterie de ce philosophe
est ici en défaut. Cette derniere assertion
nous paraît un peu hasardée . On disait un jour à M.
de Buffon : Vous aviez prouvé avant J. J. Rousseau , que
les meres doivent nourrir leurs enfans . Oui , répondit l'illustre
naturaliste , nous l'avions tous dit , mais M. Rousseau
seul le commande , et se fait obéir. Au lieu d'être un
défaut de galanterie , ces paroles ne seraient- elles pas
une félicitation sur le bonheur qu'a eu le philosophe
de Geneve , de gagner une cause plaidée éloquemment
avant lui par plusieurs auteurs .
Revenons à Favorin. La lecture de son excellent
discours nous a valu , de là part du cit . Gaudin- Lagrange
, la traduction en vers français d'une anec
( 224 )
dote touchante , concernant Eurydice d'Hyerapolis ( 1 )
qui , pour ne pas voir dérober à ses soins maternels
les enfans qu'elle avait allaités , apprit , quoique
déja fort avancée en âge , toutes les sciences qu'on
apprenait alors aux enfans bien nés ; elle témoignait
aux muses ses regrets de ne pas avoir puisé les règles
de la morale dans les ouvrages des philosophes ; une
voix lui dit :
Pourquoi perdre courage ?
Tu veux montrer , apprends ; le sage en ses écrits
N'a lui-même enseigné qu'après avoir appris.
Le début des Saturnales de Macrobe est d'une
sublime philosophie : « C'est l'humanité qui établit
cette fête touchante . L'an 474 de Rome , un certain
Atronius avait cruellement frappé un de ses ésclaves .
Jupiter indigné de cette brutalité ordonna dans un
songe au sénateur Annius de la déclarer au sénat ,
et d'en demander vengeance . Annius ayant négligé
cette inspiration divine , en fut aussi-tôt puni par la
mort subite de son fils unique ; et le sénateur per
sistant toujours dans sa négligence , fut atteint luimême
, quoique jeune encore , d'une paralysie soudaine
. Il se fit porter au sénat dans une litiere par
le conseil de ses amis , révéla alors son songe à cette
auguste assemblée , et recouvra la santé à l'instant.
On institua donc les saturnales , ou plutôt on en fit
une fête solemnelle ; car il paraît qu'on les célébrait
auparavant , mais avec beaucoup moins de régularité
. Les Romains savaient que les esclaves étaient
égaux à leurs maîtres aux yeux des immortels . Com-
( 1 ) Plutarque , Euvres morales .
ment
( 225 )
ment mépriserait-on cette classe d'infortunés , quand
on sait que la reine Hécube , le roi Crésus , la mere
de Darius , le philosophe Diogene , le divin Platon
ont langui dans l'esclavage ? Ne sont-ils pas sortis
de la même origine que nous , ne jouissent- ils pas du
même ciel , ne vivent-ils pas et ne meurent-ils pas
comme nous ? Combien d'entre eux , sous les fers qui
les outragent , conservent une ame plus libre que
nous ? Ils sont esclaves par l'irrésistible empire de la
nécessité ; trop souvent nous sommes esclaves de nos
passions , de l'amour , de l'avarice , de l'ambition ,
dë
l'espérance , de la crainte . Nous sommes esclaves de
notre volonté , le pire de tous les esclavages . Eh
quoi ! parce que la fortune les tient enchaînés à son
joug cruel , faut-il que nous les foulions aux pieds ,
nous mille fois moins estimables qu'eux ? Vous trouverez
dans cet état que vous dédaignez , des hommes
incorruptibles , plus forts que l'argent ; et souvent
leurs maîtres orgueilleux iront leur baiser les mains
dans la vue du plus sordide intérêt. Ce n'est point
sur la fortune , c'est sur les moeurs qu'il faut juger
les hommes . Ah ! ne cherchons pas nos amis dans le
sénat et dans les assembléès brillantes ; sans sortir de
nos maisons nous en trouverons souvent de plus fideles
sous la bure . Traitez donc bien vos esclaves ,
admettez-les dans vos entretiens , dans votre intimité
même ; imitez nos ancêtres qui eurent la générosité
de retrancher ce que l'autorité de maître avait de
trop odieux , afin de se rapprocher de leurs esclaves ,
et qui ne les appellaient que leur famille . Au lieu
de vous faire craindre des vôtres , faites - vous en chérir.
On me dira peut-être qu'en les élevant ainsijusqu'à
Tome XXVI. Р
( 226 )
nous , c'est nous dégrader. Tenir ce langage , ce serait
vouloir exercer un droit que les Dieux , protecteurs
éternels de ces infortunés , n'exercent pas . Je le répete
. contentez -vous de vous en faire aimer : le véritable
amour ne va jamais sans une crainte sensible
et respectueuse . Loin de moi cette maxime impie que
nos plus grands ennemis sont nos esclaves . C'est de
nous que leur vient cette inimitié , quand elle entre
dans leur sein. C'est notre orgueil , notre cruauté ,
notre injustice , qui en sont les véritables causes . Nous
ne sommes que trop enclins à voler des délices à l'emportement
et à la fureur . Nous devenons tyrans dans
notre intérieur ; et ce n'est pas sur le droit naturel
que nous mesurons notre empire , c'est d'après toute
l'étendue de nos caprices que nous régnons . Jusques
dans l'extrême licence de nos repas nous ne voulons
pas que nos esclaves remuent les levres . La verge im-,
pitoyable nous venge de leur moindre murmure ; les
fautes les plus involontaires sont suivies de peines
déchirantes ; s'ils toussent , s'ils éternuent , s'ils soupirent
, ils sont accablés de coups . Après tant de brutalités
, comment ne se permettraient- ils pas quelques
plaintes contre des maîtres si tyranniques? Et cependant
ces hommes tourmentés à cet excès sont prêts
encore à mourir pour sauver leurs bourreaux . Voulez-
vous que vous retrace une nuée d'esclaves fideles
qui se sont dévoués pour eux ; celui d'Urbinus ,
celui de Démosthenes , ceux de Labiénus , de Restion ,
du plus jeunes des Gracques , de Scipion , du roi Séleucus
, de César , d'Auguste ; ceux d'une foule da
Romains , de Grecs , de Barbares ? Toutes les histoires
sont remplies de la fidélité de ces hommes qui gé(
227 )
missent sous vos coups . Or , ce fut pour consoler
l'humanité souffrante , continue Macrobe , que nos an
cêtres out imaginé les saturnales dans ce siecle de
fer , ils ont voulu nous donner une idée de l'âge
´d'or. "
Il est à regretter que Macrobe n'ait pas été traduit
en français.
Les personnes qui aiment la gaîté et la philosophie
liront avec plaisir , dans les articles de littérature
moderne , le petit roman intitulé : Aventures
d'Antonio Moricelli , de Bergame . C'est l'histoire d'un
jeune fou , à qui il prend envie de se ranger à côté
du Dante , de l'Arioste et du Tasse ; il quitte son
pays , compose des poëmes plus extravagans les uns
que les autres , et est enfin ramené à la raison par
une femme aimable , avec laquelle il revient se marier
à Bergame , à la satisfaction des vertueux parens que
la fougue de la jeunesse lui avait fait abandonner .
L'annonce de l'année 1796 du Journal littéraire
de Lausanne , contient une critique fort piquante
de l'opéra comique de Guillaume Tell , que notre
concitoyen Sedaine fit représenter sur le théâtre
Italien , le 9 avril 1791. Nous étions plus occupés
alors à défendre notre liberté contre les perfidies.
d'une cour corrompue , qu'à découvrir les anachronismes
contenus dans une piece de théâtre . Mais
nous applaudissons à la bonne leçon donnée , par
un étranger , en la personne du cit . Sedaine , à nos
Jeunes auteurs qui desirent mettre sur la scene les
moeurs et les habitudes des autres nations.
Dans un essai sur quelques protecteurs de la littérature
qui ont fondé ou enrichi des bibliotheques ;
P 2
I
( 228 )
se trouve une prétendue traduction ' de la lettre
qu'écrivit , en 1469 , le cardinal Bessarion au doge
et au sénat de Venise , en léguant à cette ville ses
livres grecs et latins , qu'on y conserve encore . Cette
lettre contient le plus bel éloge des livres en général
. Elle respire une vive passion pour le progrès
des connaissances humaines , et peut être comparée
à la belle dédicace que J. J. Rousseau fit à la république
de Geneve , de son discours sur l'inégalité ,
etc. L'illustre protecteur des lettres voulait être
utile , même après sa mort , aux hommes de tous les
pays , et particulierement à ses infortunés compatriotes .
Venise , sa patrie adoptive , lui parut , par la douceur
de son gouvernement , propre à remplir son
but , et il la fit dépositaire des richesses littéraires
qu'il avait ramassées à grands frais et encore avec
plus de peine. Le philosophe de Geneve , passionné
pour les droits naturels de l'homme , desirait dédier
le fruit de son travail sur cet important objet , à des
hommes dignes de l'entendre , et il eut le bonheur
de trouver ces hommes dans les magistrats de sa
patrie. Les opuscules où ces deux amis de l'humanité
ont déposé leurs sentimens , sont des modeles
d'une éloquence noble et touchante . La lettre de
Bessarion a été imprimée , pour la premiere fois ,
en 1610 , dans le recueil intitulé : Philologicarum
Epistolarum centuria una ...... ex bibliothecâ et recensione
Goldasti. in- 8°. Je regrette que la traduction soit trèsinférieure
à l'original latin . Bessarion commence sa
lettre par déclarer qu'il a aimé les livres presqu'en
naissant :
7 Equidem semper à tenerâ ferè puerilique ætate
( 229 )
, omnem meum laborem omnemque operam,stulium ,
,, curamque adhibui , ut quoscumque possem, libros .
,, in omni disciplinarum genere compararem. Propter
" quod non modò plerosque et puer et adolescens
,, manu meâ conscripsi , sed quidquid pecuniola
seponere interim parca frugalitas potuit , in his
coemendis absumpsi , "
On pourrait rendre ainsi ce morceau : " Je me suis
" constamment occupé , presque dès ma plus tendre
" enfance , à acquérir les livres de toute espece de
,, science que je pouvais me procurer : c'est ce qui
" fait que non - seulement j'en ai copié beaucoup.
,, dẹ ma main , dans ma jeunesse et dans mon ado-
› lescence , mais encore que j'ai consacré à leur
,, achat toutes les petites épargnes que je pouvais
,, faire . "
Voici comment notre auteur l'a traduit : « Dès
,, ma plus tendre enfance , j'ai fait des recherches
qui tenaient de la passion , pour me procurer les
meilleurs livres dans tous les genres de sciences
" et de littérature ; et comme je naquis avant la belle
9 découverte de l'imprimerie , plusieurs de ces livres
" sont écrits de ma main . Je me privais de tout
? pour satisfaire ce goût impérieux , et l'amour do
,, la science absorbait tous mes revenus . 19
Le traducteur s'est permis les mêmes libertés dans
la suite de la lettre . Il a pris à tâche , pour ainsi
dire , de faire disparaître le sentiment et la délica .
tesse que Bessarion y avait mis .
Pour mettre de la variété dans leurs livraisons ,
nos auteurs donnent la solution de plusieurs questions
de littérature et de morale , telles que celles - ci
P 3
( 230 )
Qui est- ce qui forme l'homme de génie ? Quelle est
la plus utile de toutes les sciences ? Qu'est - ce que
le sentiment ? Quel est le plus efficace et le plus
sûr moyen de s'instruire ? Quel est le vice le plus
odieux dans la société ? Trois anecdotes , racontées
dans la solution de la premiere question , augmentent
la liste des grands hommes à qui la nature
montra elle -même le genre auquel elle les destinait :
ng
Le génie , dit notre auteur , se développe , s'ag-'
grandit , s'enflamme tout seul ; mille exemples pourraient
vous le prouver , mais je me contenterai de
vous en rapporter deux qui jetteront une lumiere victorieuse
sur la question qui nous occupe . Premierement
, j'ai beaucoup connu l'abbé de Lacaille , le
plus grand astronome de l'Europe , et l'homme le plus
modeste de la Francè . C'est de lui - même que je tiens
ce que je vais vous apprendre . Il était fils d'un maître
d'école d'un très- petit village du diocese de Laon . A
l'âge de dix ans son pere l'envoyait tous les soirs sonner
l'angelus. L'enfant tardait toujours à rentrer , et son
perele gronda d'abord fort durement . Sa colere n'empêchant
pas son malheureux fils de s'amuser tous les
soirs , il le battit , et finit par le fonetter cruellement ,
comme un vrai maître d'école , comme l'Orbilius
d'Horace . Le jeune Lacaille se laissait battre , estropier
, sans pouvoir se corriger . Son pere enfin soupçonna
quelque mystere dans une conduite si étrange ,
Il guetta un soir l'enfant , et il le vit monter au clocher
, après avoir sonné l'angelus , Au bout d'une heure
le petit malheureux descendit , et son pere se prégenta
à lui au bas du clocher : il lui demanda dure -
ment ce qu'il venait d'y faire . Le pauvre Lacaille se
( 231 )
jetta à genoux , et se voyant pris en flagrant délit', il
avoua qu'il venait de regarder les étoiles , comme il
aurait avoué un péché mortel à son curé . Le maître
d'école , fort éloigné d'être né astronome comme son
fils , le fouetta plus brutalement que jamais , et le regarda
de ce moment comme un mauvais sujet . Par
hasard un bénédictin de Laon passa dans le village le
lendemain de cette aventure , et trouva le jeune infortuné
en larmes dans les rues . Il lui demande la cause
de sa tristesse . Lacaille lui en fait part avec beaucoup
de peine . Le bénédictin qui crut remarquer le cachet
de la nature dans cette passion d'un enfant de dix ans ,
pour aller comtempler les étoiles toutes les nuits , malgré
les mauvais traitemens qu'il était sûr de recevoir
en satisfaisant cette curiosité'invincible , demanda le
jeune Lacaille à son pere , et le conduisit à Laon . On
lui trouva les dispositions les plus heureuses , il apprit
le latin avec une extrême facilité, on lui permettait de
contempler les astres tant qu'il voulait , et il les comtempla
si bien , si fructueusement , qu'il devint tout
seul un phénomene , que l'académie des sciences se
hâta de l'adopter , et que les plus grands astronomes
de l'Europe finirent par le regarder comme leur maî
tre . Je lui ai entendu raconter cette histoire à luimême
, en présence du peintre Latour , son compatriote
. Celui - ci encore enfant , annonçait un peintre
fameux , comme Lacaille à dix ans annonçait l'astronome
. On conservait aux arquebusiers de S. int- Quentin
sapatrie , un plan de cette ville , qu'il avait levé
dessiné lui -même , sans avoir encore rien appris de
tout cela . Je ne sais ce qu'est devenu ce dessin .
" Mon second exemple ne prouve pas moins,sije ne me
20
(
P4
( 232 )
T
1
trompe , la vérité de l'opinion que j'ai adoptée , Le fils
d'un jardinier d'Angleterre , qui ne savait pas lire , et
qui n'entendait pas un mot de français, trouva un jour ,
par hasard , un feuillet détaché de la géométrie du marquis
de l'Hôpital , et à l'instant les figures géométriques
qu'il y vit tracées frapperent fortement ce jeune
génie ; il devina , il comprit , il surpassa un maître si
habile par l'analogie seule . Or , je vous demande
maintenant quels furent les maîtres de ces trois enfans
sublimes. Je vous demande encore quelle nécessité
força l'un d'être astronome ; le second , peintre ; le
troisieme , géometre . La nécessité n'entra certainement
pour rien dans leurs goûts vainqueurs ,
autre guide que la nature les porta au- dessus de tous
leurs rivaux . Je crois donc que la nature est la seule
cause efficiente du génię .
99
et nul
On sait aujourd'hui que le principal auteur des
Soirées littéraires est le cit. Coupé , ancien professeur
de l'université , qui a fait paraître , en 1778 , chez
Moutard , des essais de traductions des Epîtres du
chancelier de l'Hospital ; qui a travaillé à la Bibliotheque
universelle des Romans et à celle des Théâtres ; qui ,
l'année derniere , a enrichi notre littérature d'une
traduction complette du Théâtre de Seneque , et qui
vient de publier une traduction libre de l'Eloge de
l'Ane , par Daniel Heinsius .
Les Soirées littéraires jouissent d'un succès mérité .
Puissent- elles ranimer parmi nous le goût de bons
modeles !
ANNONCE S.
Camilla , ou la Peinture de la Jeunesse ; par Miss Burney
auteur de Cécilia et d'Evelina . A Paris , chez Maladan
( 233 )
libraire , rue du Cimetiere - André- des - Arcs , no . 9. 5 vol.
in- 12 , Prix , brochés , 10 liv . , et 14 liv . francs de port
par la poste , pour les départemens . On affranchit l'argent
e la lettre d'avis .
Cette derniere production de Miss Burney est au moins
égale en mérite aux deux autres . On y trouve par- tout une
certaine finesse de style , une gaîté douce et feminire , qui
excite dix fois le sourire dans une page , et vous fait quelquefois
éclater ; d'autres passa es vous attendrissent. Point
de noirceurs , point de situations forcées . Un but moral
bien marqué , des évenemens fort ordinaires ; tout l'intérêt
des détails consiste dans des développemens de caracteres.
L'auteur s'est principalement appliqué à suivre les plus légers
mouvemens du coeur dans les personnages qu'il a mis
en scene .
Le sujet est simple deux jeunes gens s'aiment depuis,
l'enfance ; Camilla , vive , gaie , mais douce et sensible ;
Edgar , plus froid et plus réservé . Dès l'instant que leur
amitié se fut changée en amour , ils pouvaient être heureux ;
mais Camilla se trouve jettée dans le tourbillon du monde ,
et conduite , par la seule force des circonstances , et par
l'effet de quelques, imprudences , à une situation désespérante
. Enfin , ses maux cessent ; elle renonce à la vie mondaine
. Edgar abjure sa réserve , et toute la famille avec
eux retrouve le bonheur.
L'auteur a réuni dans ce cadre une foule de caracteres
très- comiques , d'autres très-aimables . Un oncle , vieillard ,
faible , bon , sensible , amoureux , fort ignorant de la science ,
et qui , à 50 ans , se met en tête de commencer par le
rudiment. Un docteur pédant , qui , chargé de courir après
une jeune fille dont on craint l'évasion , prend le tems
d'emporter avec lui toute sa bibliotheque. Une gouvernante ,
vieille fille de condition qui se fait la bête noire de toute
la maison. Une belle personne qui n'est que belle . Une
petite boiteuse , charmante par les qualités de l'esprit et du
coeur. Un frere , frivole , prodigue , mais fort gai , et une
foule d'autres caracteres accessoires , ingénieusement groupés
et mis en action .
Le Monthly - Review , qui a rendu compte du roman de
Camilla , n'a point hésité à reconnaître que Miss Burney
est , après Fielding , le peintre le plus fidele des moeurs,
Il a recommandé son ouvrage aux jeunes personnes comme
un guide pour elles dans les situations les plus difficiles
de leur vie.
( 234 )
NOUVELLES ÉTRANGERES.
ALLEMAGNE.
De Hambourg , le 11 décembre 1796.
L'ARRIVÉE
7 ' ARRIVÉE du général Aubert- Dubayet à Constantinople
, en qualité d'ambassadeur de la République
Française , met fin à la mission de M. Verninac. Aussi
a-t-il déja pris congé des ministres turcs, et des ministres
étrangers. La Porte lui a fait présent d'une pelisse de
martrezibeline ; elle y a ajouté un cheval richement
caparaçonné ; c'est ce que nous apprennent nos lettres
de Constantinople du 25 octobre. Les mêmes lettres
annoncent que le géneral Aubert- Dubayet a commencé
son ambassade par de longues et fréquentes conférences
avec le Reis- Effendi . On n'en connaît pas précisément
l'objet ; mais on conjecture qu'il n'est autre
que la situation politique du Nord .
Cependant on est instruit de quelques demandes
du nouvel ambassadeur. On assure que la premiere
est l'éloignement immédiat de tous les royalistes français
, et sur- tout de M. Chalgrin , qui jusqu'ici se disait
chargé d'affaires de Louis XVI , quoique la Porte
ne l'ait pas reconnu ; la seconde , le firman pour le
consul de France , qui devait partir pour les deux
principautés de Moldavie et de Valachie .
Il n'a point encore été fait de réponse à la premiere
de ces demandes .
Quant au firman , il a été nettement refusé ; on a
apporté pour raison , qu'on ne voulait point reconnaître
pour consul et agent général dans les principautés
susdites , une personne qui est du choix de la
République Française, d'autant plus que cette personne
est née sujet de la Porte . L'ambassadeur a dû céder ,
( 235 )
4
et il a envoyé provisoirement son premier secrétaire
d'ambassade , le général Saint- Cyr, en Moldavie ; mais
l'on assure qu'il insiste formellement sur le renvoi
des royalistes .
La Porte a conçu de très -vives inquiétudes sur les
liaisons que l'on suppose que la Suede a formées avec
la Russie. M. d'Hosson travaille de tout son pouvoir à
les dissiper. Il paraît qu'à la date où nos dernieres lettres
de Constantinople ont été écrites , ses efforts
avaient été inutiles ; que les préventions subsistaient
toujours , et qu'elles étaient fortifiées et soutenues par
l'ambassadeur français . Mais les événemens importans
survenus depuis , et qui , selon toutes les apparences
doivent apporter quelques changemens dans
les relations politiques de plusieurs puissances , peu
vent faire penser qu'il sera plus facile de rassurer le
divan . Avant la mort même de Catherine II , le roi
de Suede avait annoncé l'intention formelle de n'entrer
dans aucun des projets de l'ambition ou des ressentimens
de cette princesse . En supposant que son
successeur voulût les suivre , supposition très - opposée
à l'idée que l'on a généralement de son caractere
, il est présumable que Gustave IV ne se dépar
tirait pas en sa faveur d'un systême auquel il doit
tenir d'autant plus fortement , qu'il paraît ne l'avoir
embrassé qu'après avoir reconnu qu'il était le seul
qui convint à sa position et aux véritables intérêts
de son royaume , D'ailleurs , il montre , depuis qu'il a
pris les rênes du gouvernement , un caractere trèsferme
qui doit être le garant de ses résolutions . Toutes
les lettres de Suede sont pleines des espérances que
donnent les commencemens de son regne . On n'y
parle que de son amour de l'ordre , de la justice , de
son application au travail , qu'il commence dès six
heures du matin . On cite plusieurs faits qui prouvent
qu'il ne veut être étranger à aucun des moindres détails
de l'administration . Il ne consulte plus le duc
de Sudermanie . Il paraît qu'il s'en est éloigné sans
retour. Cette mésintelligence a éclaté , non- seulement
par la dêmission que l'ex-régent a donnée de
toutes ses charges , mais aussi par des scenes intė(
236 )
1
rieures , dont quelques courtisans ont été témoins , et
dans lesquelles on assure que le jeune monarque a
montré plus que de l'humeur.
On attribue son extrême mécontentement à l'extrême
désordre des finances. Il y a deux millions
d'écus dont l'ex-régent ne peut rendre aucun compte .
Le deuil de Gustave III n'est pas encore payé ; et
l'on s'est vu exposé à ne pouvoir porter celui de la
reine de Dannemarck , les , marchands ne voulant
point fournir les étoffes , et les ouvriers leur industrie
et leur tems à une cour , dont les ressources paraissent
si complettement épuisées .
Il avait été question de Mac- Lan pour le ministere
de la guerre ; c'est un homme de mérite , partisan
déclaré de la République Française . Mais il
paraît que le général Tell lui sera préféré . Celui - ci
rendit beaucoup de services , dans la révolution de
1772 , à Gustave III , dont il s'était acquis par - là la
confiance et l'amitié. Après la mort de ce prince ,
il fut envoyé à Varsovie . Il se trouva impliqué dans
l'affaire de Darmfeld . Des ordres avaient été donnés
pour l'arrêter ; il ne les attendit point , et revint de
son propre mouvement pour se justifier. Il fut relégué
à Wismar . Il a , dit- on , beaucoup d'esprit et
de grands talens militaires.
le
Les lettres de Pétersbourg nous annoncent que
successeur de Catherine II est monté paisiblement
sur le trône . On n'a remarqué aucun désordre , aucun
mouvement irrégulier. Les troupes ont prêté le
serment , et cette cérémonie s'est faite sans tumulte .
L'empereur a fait publier une proclamation pour
annoncer son avenement . Cette piece n'a rien de
remarquable que son extrême concision . Elle renferme
au reste , comme toutes celles de ce genre ,
des promesses capables de ranimer l'espérance d'un
heureux avenir dans le coeur des peuples. Paul Ier . ,
c'est le nom du nouveau souverain , a confirmé luimême
ces promesses . Il a parcouru tous les quartiers
de Pétersbourg . Il a promis la paix à ses sujets. Il
leur a déclaré qu'il voulait consacrer tous ses soins,
à ramener l'abondance , et à faire fleurir le com(
237 )
merce . On voit que les principes de sa mere ne sont
pas les siens ; mais ses discours ne sont pas les seules
preuves de ses dispositions à suivre d'autres exemples
que ceux qu'elle lui a laissés ; on peut y joindre
déja quelques faits . L'Angleterre avait négocié avec
Catherine II un traité de subsides , par lequel cette
princesse s'engageait à faire marcher au secours de
l'empereur une armée de 80,000 hommes . L'Angleterre
devait payer 150,000 liv . st . pour mettre cette
armée en mouvement , autant pour son retour , et
100,000 liv . st . par mois pour son entretien , pendant
toute la durée de la guerre . On a trouvé ce
traité sur la table de l'impératrice ; et il paraît que
c'est au moment même où elle allait le signer que
la mort l'a frappée . On assure que l'empereur l'a
déchiré , en déclarant qu'il ne voulait en aucune
maniere se mêler des affaires de la coalition . L'armée
de Condé était , depuis plusieurs mois , payée par la
Russie . Aussi - tôt que l'empereur en a été informé , il
a donné des ordres pour faire cesser sur le - champ
ce subside onéreux .
Le prince Repnin a été rappellé de Grodno . II
paraît qu'il remplacera M. de Marcoff , qui a été renvoyé
immédiatement après la mort de limpératrice ,
et sur les papiers duquel les scellés ont été mis . M.
de Besborodko est encore aux affaires étrangeres
mais on doute qu'il y soit maintenu .
Il paraît que le favori Subow avait eu le bon esprit
de n'être pas tellement ébloui du présent qu'il
oubliât l'avenir ; et que pendant sa prospérité , il a
employé les ménagemens . les égards qui pouvaient
la lui faire pardonner . On assure que l'empereur lui
a dit Vous étiez l'ami de ma mere ; vous serez le
mien. Si ce compliment a été fait ; s'il est sincere ,
Subow pourra se consoler d'autant plus facilement ,
que le poste de favori devait avoir perdu beaucoup
de ses charmės .
De Ratisbonne , le 15 décembre . Il est un objet qui absorbe
aujourd'hui l'attention particuliere des états d'Allemagne ,
c'est la plainte portée devant la diete par l'ambassadeur du
chef de l'Empire , relative aux paix particulieres conclues
1.
( 239 )
1
contre l'esprit et le voeu de la constitution germanique
entre quelques états d'Allemagne et la République Française .
L'Allemagne est inondée d'écrits sur cet objet , qui donnent
des notions particulieres sur les modifications apportees
, par la succession des tems , dans le droit public d'Allemagne
, qui , de l'aveu de tous les politiques , est le plus
compliqué de tous.
1
Mais il est encore une autre particularité qui les distingue
davantage . Malgré l'esprit de parti qui , plus ou moins , les;
a dictés , on y remarque un ton et des principes nouveaux ,
qu'on n'aurait osé professer en Allemagne , ni même en
France , il y a sept ans . Dans les écrits ministériels comme
dans les écrits anti-ministériels , dans les opinions émises
par les partisans de la maison d'Autriche , ainsi que dans
les réponses justificatives , on trouve l'hommage rendu à la
souveraineté du peuple.
Mais quel bien le ministere autrichien peut- il donc attendre
d'une démarche qui , quelle que soit son issue , doit
lui susciter des ennemis dans ceux qui en étaient l'objet?
Eh ! que pouvaient , contre une force majeure , de petits
princes d'Allemagne qui , au moment de l'entrée victorieuse
des Français dans leur pays , se voyaient entourés d'ennemis
puissans , abandonnés des armées autrichiennes , livrés à leur
propre nullité , et ayant devant les yeux l'exemple de la
Prusse et du landgrave de Hesse - Cassel ?
Avant de conclure des paix séparées , n'avaient - ils point
fait en faveur de cette guerre , et cela conformément à la
constitution fondamentale de l'état , tous les sacrifices que
leur position physique ou morale leur permettait de faire?
Que pouvait- on exiger davantage de la part de ces états ?
La cour de Vienne pouvait- elle prétendre qu'ils sacrifiassent
jusqu'à leur existence politique ? Mais de quels secours lui
eussent- ils été à l'avenir?
Il est enfin une derniere considération qui , par șa nature ,
devrait engager la maison d'Autriche à se désister d'une pareille
poursuite .
En invoquant l'opinion de la diete sur ces paix particulieres
, l'empereur ne fait pas seulement le procès aux petits
princes d'Allemagne , mais il déclaré encore la guerre
au roi de Prusse , qui en a donné l'exemple , ainsi qu'à
l'électeur de Saxe , au sujet de sa neutralité armée .
Quels succès espérer d'une démarche qu'aucune puissance
physique ou morale n'appuie ? Malheur au gouvernement
qui se permet des coups d'autorité , sans avoir les moyens
de les faire respecter,
( 238 )
Au surplus , il n'est point douteux que le cabinet de
Vienne n'abandonne l'espece d'acte d'accusation qu'il a faite
porter à la diete , aussi- tôt qu'il aura, connaissance de la déclaration
que le roi de Prusse vient de publier, et par laquelle
il annouce qu'il accordera sa protection spéciale à ceux de
ses co - états qui , inquiétés par une puisssance quelconque
imploreraient son appui.
Les états de Hongrie firent , le 7 de ce mois , la clôture
de leur assemblée . Ils ont décrété , en faveur de l'empereur
, les 63 articles qu'ils décréterent , en 1741 , en faveur
de Marie-Thérese , lorsqu'environnée des Palatins et leur
montrant son fils , elle implorait leur secours comme la
derniere ressource qui pût la sauver. La cour rentra le 8 å
Vienne ; elle doit y passer l'hiver .
SUISSE. De Basle , le 14 décembre.
Les plaintes portées par les généraux français devant le
magistrat de Basle , contre les officiers suisses qui , par leur
faiblesse ou une négligence coupable , out laissé violer le
territoire neutre par les Autrichiens , déterminerent ce canton
à faire des démarches qui ne laissassent aucun doute sur la
sincérité de ses sentimens , ainsi que sur son inébranlable
attachement à observer un systême de neutralité adopté depuis
le commencement de la guerre , par l'universalité des cantons
suisses , et si conforme aux véritables intérêts de cette république.
Après de longues consultations , l'Etat de Basle a
condamné au carcan les deux officiers accusés d'avoir laissé
violer le territoire suisse . Leurs biens ont été confisqués . La
sentence n'a pu être mise à exécution sur leurs personnes ,
attendu qu'avant même de connaître le résultat des délibérations
du conseil d'Etat , ils s'étaient enfuis du territoire de
Basle . Les Suisses ont établi , le long de la lisiere allemande
, depuis le petit Huningue jusqu'à Riechen , un cordon
considérable de troupes . Le commandement en a été
confié au colonel Scheuchzer , envoyé par le canton de Zurich
, et connu par l'étendue de ses connaissances militaires ,
ainsi que par l'intégrité de sa conduite politique. Il a donné
les ordres les plus séveres pour faire observer la neutralité
suisse . Pour convaincre les Français et les Autrichiens que
ses dispositions ne sont point de vaines grimaces , il a fait
conduire le long de la frontiere de l'Etat de Basle , un large
fossé défendu par des batteries placées à distance les unes des
autres . C'est ainsi que l'approche du territoire suisse ne saurait
être effectuée , sans exposer à une perte certaine ceux qui en
tenteraient la violation.
---
( 240 )
REPUBLIQUE
-
BATAVE.
De la Haye , le 8 décembre. Dans la séance de la convention
nationale du 5 de ce mois , les citoyens Vande - Kasteele , Vosvan-
Steenwyk , Hartoch . de Beveren , Schimmelpenninck ,
Vreede et Siderius ont été nommés pour former la commission
qui doit , selon le décret du 2 , présenter les moyens d'amalgamer
les 'dettes . Sur la motion des représentans Hoof
et Nohout-van-der-Veen , il a été décidé que ces membres
continueront leurs travaux satis interruption , et seront dispensés
d'assister , pendant le tems de leur durée , aux séances
de la convention nationale . Dans la séance du 6 , le représentant
Bosch a fait la motion suivante : Nous avons décrété
que la bâse fondamentale sur laquelle doit porter notre édifice
politique , que le premier principe du projet de constitution
que nous avons à offrir au peuple , seraient l'unité et l'indivisibilité
. Dans peu, nos délibérations sur le projet présenté
par la commission vont commencer , et nous osons , d'après
les sentimens exprimés par le plus grand nombre des mémbres
de cette assemblée , préjuger avec confiance , qu'il aura
besoin de changemens considérables , pour ne pas dire d'une
réforme totale . Je propose , en conséquence , que l assemblée
ǹomme une commission qui serve à l'éclairer d'avance , en
traçant une esquisse d'après laquelle elle puisse discuter, d'une
maniere prompte , sûre et heureuse , les articles du projet . ,,
Cette motion ayant été ajournée au lendemain , elle a amené
hier , après quelques discussions , un décret important , dont
voici la teneur : La convention nationale nommera demain
une commission de sept membres , qui sera chargée , 1º . de
modifier les articles du projet de constitution , dont le décret
du 2 décembre nécessite le changement ; 20. d'y faire telles
additions qu'elle jugera convenables ; 3 ° . de faire un nouveau
projet si elle le croit nécessaire . " ,
Dans la séance de ce jour , les citoyens Hahn , van Hooff ,
Bosch , Floh , de Leeuw, van Zonsbeck et Kempenaar ont été
nommés membres de cette commission .
ANGLETERRE . De Londres , le 15 décembre.
L'état des dépenses pour l'année qui vient d'expirer , présenté
dans la séance des communes du 7 , offre un total de
27,647,000 liv . sterl . , ou 700,000,000 liv . tournois , parmi
lesquels se trouvent 4,572,000 liv . sterl . , pour remplacer le
deficit de quelques taxes , dont le produit est inférieur à leur
évaluation . Quant aux ressources qui doivent subvenir à ces
dépenses , il n'y en a que la plus faible partie de fondées sur
les
( 241 )
les revenus effectifs de l'Etat . Le reste se compose du produit,
non encore liquidé , d'un emprunt de 18 millions sterl . , et
d'une émission de billets de l'échiquier , pour 5,5000,000
M. Pitt passa à l'article le plus difficile du budget , le
moyen de lever sur le peuple un impôt annuel de 2,222,000
liv. pour payer l'intérêt du nouvel emprunt de 18 millions
de l'excédent de la dette de la marine pour l'année derniere ,
montant à 425,000 liv . ; de celui qui doit probablement avoir
lieu pour l'année courante , et que M. Pitt estime à 3 millions ;
des 5 millions de billets de l'échiquier , du vote de crédit de
4 millions , et de quelques autres objets moins importans .
M. Pitt propose donc de trouver cet intérêt dans une augmentation
de divers impôts indirects déja excessifs . Le comité
doit desirer la paix , a - t- il dit le peuple doit la des
sirer , et je porte avec anxiété mes regards vers l'instant
heureux qui nous rendra la paix avec tous ses bienfaits ;
mais , en même tems , l'on doit se pénétrer de ce principe ,
que la paix ne peut contribuer à augmenter notre prospé
rité , à moins qu'elle n'assure notre indépendance au - dedans
, et qu'elle ne nous fasse respecter au- dehors ; et s'il
est impossible de nous procurer une paix comme celle-là ,
je prefere la guerre , et j'espere qu'avec les moyens nous
aurons aussi la volonté de la continuer. Oui , je le répete ,
à moins d'une paix solide et honorable , je suis fermement
décidé à continuer la guerre , à ne jamais embrasser un
fantôme pour la réalité , l'ombre d'une paix pour la subs
tance. "
M. Fox , après avoir rélevé plusieurs inexactitudes dans les
calculs de M. Pitt , tourna en ridicule le prétendu désintéressement
des souscripteurs de l'emprunt , en disant qu'il
n'était point étonné que les capitalistes eussent saisi aveć
autant d'empressement une occasion de placer leur argent
avec autant d'avantage ; que s'il en avait , il n'aurait pas
manqué de faire comme les autres , et qu'il ne detait pas
que les membres qui siégeaient de l'autre côté , celui du
ministre , et qui doivent en avoir beaucoup , n'eussent été
des premiers à le prêter à 11 pour cent d'intérêt.
M. Fox parle ensuite du prêt de 1,200,000 liv . fait à
l'empereur. Cette mesure , dit- il , viole si ouvertement
et dépasse de si loin les bornes posées par la constitution
pour la conservation des propriétés et de la liberté publi
que , que l'idée seule le faisait frémir . Par cette mesure
l'honorable membre s'était déclaré le souverain des représentans
du peuple et de la chambre des communes , dans
Tome XXVI.
T
( 242 )
laquelle seule réside le droit de disposer de l'argent du
peuple . Je déclare devant Dieu , s'est écrié l'orateur , que
SI cette conduite reste impunie , le peu qui reste de la
constitution ne vaut pas la peine que l'on fasse aucun effort
pour sa défense . ,,
Il ne me paraît pas , ajoute-t-il , que la solvabilité de l'empereur
, malgré les succès dont on parle , soit meilleure
aujourd'hui qu'elle ne l'était au commencement de la campagne
; et à la fin de celle - ci , il se trouve dans une situation
pire que celle où il était lorsqu'elle a commencé , puisque
les Français possedent encore , de l'autre côté du Rhin ,
la tête du pont d'Huningue , le fort de Kell et Neuwied ,
et presque toute l'Italie . Mais je suppose que le ministre
vint nous demander l'autorisation de prêter une somme
d'argent à la République Française , il aurait grand soin ,
sans doute , de vous dire qu'il a pris les précautions suffisantes
et des cautions solides et matérielles pour la rentrée
de cette somme , et cependant les Français ont bien autant
et plus de droit que l'empereur , d'emprunter sur leur bravoure
et leurs actions d'éclat . " ,
La chambre s'étant formée en séance publique , les différentes
propositions furent mises aux voix et adoptées .
Le roi d'Angleterre a envoyé au parlement , le 12 détembre
, le message suivant sur la déclaration de guerre de
f'Espagne.
Sa majesté apprend avec douleur à la chambre des
communes , que ses efforts pour conserver la paix avec
l'Espagne , et régler tous les sujets de contestations avee
cette cour par une négociation amicale , sont devenus sans
effet par la guerre que le roi catholique vient de lui déclarer
brusquement et sans provocation . Sa majesté , tout
en déplorant sincerement ce fatal surcroît aux calamités de
la guerre , qui déja s'étendent sur une si grande partie de
l'Europe , a la satisfaction de penser qu'elle n'a négligé ,
de son côté , aucun des moyens propres à maintenir la
paix à des conditions qui pussent se concilier avec l'honneur
de sa couronne et l'intérêt de ses états ; et elle a la
ferme confiance qu'avec la protection de la divine providence
, la fermeté et la sagesse du parlement , elle sera
capable de repousser avec succès cette aggression non
provoquée et de donner à l'Europe une nouvelle
preuve de l'énergie et des ressources de la nation anglaise.
>
( 243 )
2
REPUBLIQUE FRANÇAISE.
CORPS LÉGISLATIF.
Séances des deux Conseils , du 25 frimaire au 5 nivôse .
·
Camus propose au conseil des Cinq cents les
sommes à accorder , pendant l'an V , tant pour les
dépenses du Corps législatif que pour celles du Directoire
exécutif. Voici le projet de résolution :
Art. Ier. L'indemnité de 750 membres du Corps
législatif reste fixée à la valeur de 459,990 quintaux
de froment , ou 2,250,000 myriagrammes , conformément
à l'art . LXVIII de la constitution .
II. Les frais de voyage de chacun des 250 membres
venant chaque année prendre place au Corps
législatif , et de pareil nombre sortant , seront déterminés
à raison de 6 francs par poste pour l'an V.
III. Les lois des 26 frimaire et er. nivôse de l'an IV,
relatives au traitement des secrétaires - rédacteurs ,
messagers d'état et des huissiers près le Corps législatif
, sont rapportées .
IV. Le traitement de chacun des secrétaires rédacteurs
des procès verbaux des deux conseils sera de
4500 francs ; celui de chacun des messagers d'état sera
de 2000 francs ; celui de chacun ; des huissiers sera de
1500 francs .
V. Toutes les dépenses du Corps législatif , ainsi
qu'elles sont détaillées au paragraphe Ier , du ch . Ier .
de l'état général , et sans y comprendre l'indemnité
des représentans , sont déterminées , pour l'an V,
la somme de 642,290 francs .
à
VI. Les dépenses des archives , du bureau topographique
et de la bibliotheque du Corps législatif,
articulées au parag. II du ch. Iex. , sont fixées , pour
l'an V , à la somme de 50,000 francs.
VII. Les dépenses des archives domaniales et judiciaires
, et du bureau du triage et du classement
des titres , mis sous la surveillance et la direction
de l'archiviste du Corps législatif , par les lois des
12 brumaire an II et 7 messidor an III . sont fixées ,
pour ladite année , à la somme de 50,000 francs .
( 244 )
VIII. La trésorerie nationale tiendra à la disposi
tion des inspecteurs des deux conseils :
1. La somme nécessaire à l'acquittement de l'indemnité
des représentans , qui reste déterminée
d'après la valeur courante du quintal de froment ;
2º. Celle de 649,290 francs pour toutes les autres
dépenses des deux conseils .
IV. La trésorerie nationale tiendra également à la
disposition de l'archiviste , la somme de 100,000 fr.;
savoir : 50,000 francs pour les dépenses des archives du
bureau topographique et de la bibliotheque du
Corps législatif;
Et pareille somme de 50,000 francs pour les dépenses
des archives domaniales et judiciaires , et du
bureau du triage et du classement des titres .
Quant au Directoire exécutif , la commission lui
communiqua , le 29 fructidor dernier, le résultat de
son travail. I
Par sa réponse du 8 vendémiaire , le Directoire
annonce qu'il a examiné ce projet avec soin , et
qu'il a cherché tous les moyens d'économie que
l'état des choses peut présenter ; qu'une réforme
était possible dans le nombre de ses employés et
dans celui des employés de l'administration intérieure
de sa maison .
9, D'un autre côté , quelques articles ne lui ont
pas paru susceptibles des réductions que proposait
la commission .
" Mais en combinant le tout , en conciliant les
regles de l'économie avec la décence et la dignité
qui convient au gouvernement français , le Directoire
estimait que la somme à laquelle on pouvait
prévoir que ses dépenses s'éleveraient , pouvait se
réduire à 1,500,000 francs . "
La commission , dont le travail avait été excessivement
rigoureux , et qui n'avait attribué aucune
somme pour les dépenses extraordinaires et imprévues
qui pouvaient survenir au Directoire , est d'avis
que c'est concilier les regles d'une sage économie
avec la décence et la dignité qui convient au gouvernement
d'un grand peuple , que de fixer à un
million 500,000 francs la dépense générale à faire par
le Directoire pour l'an V.
( 245 )
La commission propose d'accorder cette somme.
Ces projets seront soumis aux trois lectures .
Malès demande , le 17 , d'autoriser le Directoire
à permettre au gouvernement batave d'exporter des
bois de construction tirés des départemens réunis.
L'on renvoie à la commission des finances , l'examen
de la question : Si les reconnaissances de l'emprunt
forcé pourront , pour ceux qui ont payé en
mandats , être données en acquittement des impo-.
sitions ; ou si ces bons seront réduits à la somme ,
en valeur métallique , que ces mandats représentaient.
Crassous soumet ensuite à la discussion la rédaction
de la résolution sur les transactions . Nous en
donnerons le texte , lorsqu'il aura été définitivement
arrêté .
}
Camus fait adopter , le 28 , le projet suivant de
résolution : 1º. Les lois des 6 messidor an IV et 4 bru
maire dernier , relatives au paiement des fonctionnaires
publics et employés , sont rapportées . 2 °. A
partir du er. nivôse , la totalité de leur traitement.
sera payée en valeur métallique . 3º . La bâse en sera
réglée sur le rapport de la commission des dépenses .
Pastoret rouvre la discussion sur les projets de la
commission relatifs à la liberté de la presse . Le premier
projet tendant à empêcher les cris de sommaires
lui paraît sans inconvénient. Il s'attache à combattre
et à pulvériser le second , portant qu'il sera établi un
journal tachigraphique privilégié. Il en démontre
avec beaucoup de force les dangers , l'inconstitutionnalité
, l'inutilité et même l'impossibilité . It prouve
que ce serait une dépense annuelle de 1,600,000 liv. ,
faite en pure perte dans un tems où nos défenseurs ,
où les fonctionnaires , les rentiers et tous les créanciers
de l'état meurent de faim , ce serait un nouvel
instrument créé au profit des factions , et contre le
peuple qu'il servirait à tromper. Il développe ces
idées avec autant de logique que d'éloquence , et
conclut à la question préalable sur ce projet.
Mathieu partage l'opinion de Treilhard. La magistrature
des journalistes , dit- il , est la seule qui
ait pas ses limites : il faut enfin les lui assigner.
Quoique leur exclusion du lieu de vos séances ne
૨૩
f246 )
"1
pût être combattue par des dispositions tirées de
l'acte constitutionnel , je ne crois pas cependant
que vous deviez l'adopter. Mais le journal qu'on
vous propose est indispensable ; et il est absurde de
dire que ce sera créer un privilége , et qu'il peut
devenir l'instrument d'une faction ; car tous les autres
journalistes seront présens à vos séances , et pourront
rétablir la vérité s'il l'altere .
On demande la clôture de la discussion .
Doulcet combat cette motion . Si elle est appuyée ,
dit- il , c'est qu'on se lasse de voir divaguer les opinions
. Il faudrait préciser la discussion , et la faire
porter successivement sur chacun des projets de la
commission. Le conseil adopte cette proposition .
Couchery pense que l'éditeur du journal privilėgié
deviendra un fonctionnaire public du premier
ordre , et qu'on ne peut créer des fonctions qui
n'ont point été précisées par la constitution . Ne
croyez pas , dit - il , qu'on ait beaucoup de confiance
dans ce journal ; on lira au contraire avec beaucoup
plus d'avidité les récits nécessairement infideles des
autres journaux , puisqu'on vous propose de les exclure
de votre enceinte..
?
Si le journal tachigraphique est toujours fidele ,
yous propagerez dans toute la France les semences
de divisions qu'on jette quelquefois ici ; s'il ne l'est
pas , vous compromettez le sort de la législature , actuelle
, et vous aliénez de lui l'opinion qu'il est si
important de lui concilier. Ne vous jouez pas à le
puissance de la pensée . Je demande la question préa¬
lable sur le second projet de la commission .
Lamarque opine dans le sens de Treilhard et de
Mathieu : il vote pour l'établissement dujournal tachigraphique;
mais il ne veut pas qu'on exclue les autres
journalistes. La discussion sera continuée à demain ,
Le conseil des Anciens a approuvé , le 27 , la résolution
sur les enfans abandonnés ; et , le 28 , celle sur
les greffiers des juges de paix.
La discussion s'ouvre , le 29 , au conseil des Cinqcents
sur les projets de Daunou ; le premier est adopté
sans difficulté ; le second , concernant l'établissement
du journal tachigraphique , est vivement combattu et
appuyé. Trocielle : Le peuple croira- t- il à l'infaillibi-
1
( 247 )
lité du Rédacteur ? et s'il en imposait sur nos séances ,
quel moyen aurait le peuple de rectifier son erreur ?
Après le mal qu'a fait le journal de Marat , il se défiera
toujours d'un journal privilégié , payé par le gouvernement
pour n'avoir jamais tort . Viltard répond à ces
objections : S'il est dangereux , dit il , de laisser dans
les mains du gouvernement l'influence qui peut résulter
d'un journal exclusif , s'ensuit- il qu'il faille abandonner
la direction de l'esprit public à une foule de
journaux contradictoires , et qui ne s'accordent que
dans un seul point , celui de renverser la liberté . La
suite de la discussion est ajournée au lendemain . Dumolard
s'oppose à la création de ce journal . Il y voit
une dépense inutile , une surcharge de plus , une di
lapidation des revenus de l'Etat d'autant plus révol
tante , que les créanciers de l'Etat ne sont pas payés.
Doulcet, en votant pour son admission , s'oppose à
l'exclusion des journalistes des tribunes . Les débats
deviennent vifs ; cependant la proposition de Doulcet ,
mise aux voix , est adoptée . Le mode d'exécution sera
déterminé un autre jour. Le conseil des Anciens a
entendu , le 29 , un rapport sur la résolution relative
aux canaux d'Orléans et de Loing . La discussion s'y
est ouverte , le 30 , sur celle interprétative de la loi
du 9 décembre 1790 , concernant la restitution des
biens des religionnaires fugitifs , concédés à leurs parens.
Lanjuinais y voit une interprétation juste et nécessaire
de cette loi . Regnier la regarde comme superflue.
La discussion est ajournée . On a procédé , le ier .
nivôse , au renouvellement du bureau. Paradis est appellé
au fauteuil . Les secrétaires sont, Loysel , Dorasey,
Gumeau et de Comberousse.
1
On a procédé , le i . nivôse , au renouvellement du
bureau dans le conseil des Cinq- cents . Jean-de- Bry
est président. Les nouveaux secrétaires sont, Gauthier,
Réal , Villers et Roger Martin .
Gossuin fait un rapport sur un message du Direc
toire , qui réclame une loi contre les porteurs de faux
congés , ou certificats faux . Le rapporteur fait sentir
la nécessité d'une mesure prompte et sévere . Il annonce
que le Directoire a instruit la commission qu'il
se fabrique en Angleterre beaucoup de ces faux cer-
Q 4
( 248 )
--
tificats , au moyen desquels plusieurs émigrés rentrent
sur le territoire de la République . Il présente en conséquence
un projet tendant à obliger tout individu qui
a quitré le service depuis 1799 , au moyen d'un congé
absolu , d'en déposer une copie à l'administration municipale
où il réside , et une autre copie à l'administr
tion du canton où il est né . Le Directoire fera
passer a ces mêmes administrations la liste des individus
à qui il aura été accordé des congés . Tout individu
qui serait porteur , ou qui serait convaincu d'avoir
fabriqué , colporté ou vendu un faux congé , serait puni
de huit années de fers . Celui qui prendrait le congé
d'un autre , serait également puni de cinq années de
fers . Deux années de pareille peine seraient le châ
timent de celui qui serait trouvé avec un faux billet de
route , ou un faux certificat de maladie . Le conseil ordonne
l'impression et l'ajournement de ce projet de loi ,
ན
--
Daunou soumet à la discussion le projet qui trace
le mode du renouvellement du Corps législatif. Ce
projet , qui entraîne des débats , contient 17 articles ,
en deux titres , dont le premier indique la voie du
sort pour le tirage des 250 députés sortans ; et le second
, le nombre de ceux à élire par les assemblées
électorales . Ce projet est adopté. Pastoret a fait
adopter qu'il serait fait incessamment un rapport sur
le mode de sortie d'un membre du Directoire exécutif.
Le Directoire par un message annonce qu'il
n'a pas reçu de nouvelles officielles des colonies d'occident
; mais que les événemens désastreux , dont
quelques journaux ont parlé , sont démentis par unẹ
lettre écrite de la Nouvelle- Angleterre , par un ex-or
donnateur de Saint- Domingue , parti de cette isle un
mois après l'époque où l'on suppose que ces événemens
ont eu lieu .
-
Desmolins fait , le 2 , un rapport sur les baux à culture
perpétuelle . Il propose de les déclarer non susceptibles
de achat , et de rapporter en conséquence
le décret du 2 prairial an II . La discussion se rétablit
sur les derniers articles relatifs aux transactions,
présentés par Crassous , Ils sont adoptés en partie
sauf rédaction.
L'ordre du jour appellait , le 3 , le projet annoncé
par Camus , au nom de la commission des dépenses . Le
( 249 )
rapporteur monte à la tribune , et dit ; Il est un objet
qui a déja attiré votre attention , et qui est bien propre à
exciter toute votre sensibilité . C'est celui qui est relatif
aux rentiers et pensionnaires de la République . On ne
peut se dissimuler que ce serait se rendre coupable, que
de retarder plus long - tems le paiement de ce qui leur
est dû , puisqu'ils ont une véritable hypotheque sur
toutes les contributions dont le montant se verse dans
le trésor public . Une résolution du 5e . jour complé
mentaire , portait formellement qu'ils seraient payés en
numéraire , sinon de la totalité , du moins d'une partie
de ce qui leur était dû , dans une proportion graduelle ,
jusqu'à l'heureux moment où ils pourraient être payés
en entier. Cette résolution fut rejettée par les Anciens ,
et , le 14 vendémiaire , vous prites une seconde résolution
qui fut adoptée , et par laquelle les pensionnaires
et rentiers de la République devaient être , dans le cours
de trois mois , payés du quart du dernier semestre échu,
Pour l'exécution de cette loi , vous aviez arrêté que
le sixieme des contributions ordinaires de l'an IV
serait distrait à fur et mesure de leur rentrée , et affecté
spécialement à ce paiement exclusivement à tout autre .
Cependant , si l'on eût réfléchi que ce qui appartient
bien légitimement à l'un , ne doit jamais être destiné
préférablement à l'autre , on aurait évité cette mesure
injuste. Mais on ne peut se dissimuler que la loi n'a
point eu son exécution , et que les rentiers et pensionnaires
sont restés dans l'état de détresse qui avait
excité l'attention du conseil.
Camus présente un projet de résolution qui est
adopté , et qui porte en substance que les rentiers et
pensionnaires seront exactement payés du quart de
ce qui leur est dû le sixieme des contributions y
est affecté . Ils porteront à la trésorerie les avertissemens
qui leur seront donnés pour payer leurs impositions
; elle leur délivrera des bons à valoir sur ce
qu'on leur doit , et que les receveurs prendront pour
comptant.
Sur le rapport de Johannot , le conseil des Anciens
a approuvé , le 2 , la résolution relative au traitement
des fonctionnaires publics et employés .
Lebreton a ensuite occupé le conseil de celle concernant
les ports de lettres et journaux . Les disposi,
( 250 )
tions relatives aux ports de lettres ont paru justes à
la commission ; mais elle a regardé l'augmentation du
port des journaux comme un impôt odieux et attentatoire
à la liberté de la presse . Elle vote pour le
rejet . Barbé - Marbois , Lanjuinais et Detorcy l'ayant
combattue , elle a été rejettée à la presqu'unanimité .
On a repris , le 3 , la discussion qui a pour objet la
restitution des biens des religionnaires fugitifs.
Roger Ducos a défendu la résolution , et Liborel l'a
combattue.
-
La séance du 4 du conseil des Cinq - cents a été remplie
par la discussion et l'adoption de quelques articles
des projets de Crassous sur les transactions entre
particuliers. Sur la motion de Favart , le conseil a
arrêté , le 25 , qu'une commission lui ferait un rapport
sur la question de savoir s'il ne convient pas de suspendre
l'effet des demandes en divorce pour cause
d'incompatibilité d'humeur . Une assez longue discussion
s'engage sur un projet de Pérès , tendant à renvoyer
au Directoire exécutif la connaissance des réclamations
des corporations séculieres de Béguines ,
Alexiens et autres , contre leur suppression . Il est
renvoyé à un nouvel examen de la commission . Le
conseil a néanmoins arrêté que la suppression ne portait
dans les neuf départemens réunis que sur les chanoinesses
régulieres .
PARIS: Nonidi g Nivôse , l'an 5. de la République.. 9
-
Deux événemens ont occupé et occupent encore l'attention
publique ; l'un est le départ de lord Malmesbury ; et l'autre , la
sortie de notre escadre de Brest. M. Ellis, envoyé à Londres
par lord Malmesbury a apporté le mémoire du cabinet de Londres
, contenant l'indication des objets susceptibles de rétrocession
, et les conditions proposées par l'Angleterre. Lord
Malmesbury s'est hâté de l'adresser au ministre des relations
extérieures qui l'a fait passer au Directoire . C'est à la suite de
cette communication , et après quelques notes respectives ,
que ce négociateur a reçu ordre du Directoire de quitter
le territoire de la République . Lord Malmesbury est en effet
parti primedi dernier , et il est probable qu'en ce moment il
est arrivé à Londres. Ce départ devait - produire et a pro(
251 )
-
duit une grande sensation . Les journaux les plus opposés au
gouvernement ont manifesté d'abord leur indignation contre
la politique astucieuse et les prétentions immodérées du cabinet
de Londres. Mais cette indignation , comme il était aisé đe
le prévoir , n'a pas été de longue durée ; le lendemain , ils ont
tenu un autre langage , et ont accusé le gouvernement français
d'avoir rompu trop brusquement sur un mémoire qui n'était
point l'ultimatum des propositions de l'Angleterre ; ils en
ont conclu que le Directoire ne voulait pas mieux la paix que
le gouvernement anglais , mais que la paix se ferait malgré
tous les gouvernemens , par le besoin qu'en ont les gouvernés .
Ils n'ont pas même déguisé le systême de restitution à -peuprès
complette qu'ils ont toujours professé. Il y a longtems
que l'on accuse certains écrivains politiques de se mon
trer plus anglais et plus autrichiens que ne le sont nos propres
ennemis . Mais ceux qui sont pénétrés de l'intérêt national , et
qui ont observé les lenteurs et le peu de bonne - foi des négociations
de l'Angleterre , sont moins prompts à accuser le
gouvernement français . Ceux sur-tout qui auront lu avec quelqu'attention
l'article inséré dans ce nº . et dans le précédent ,
sur nos relations commerciales et sur nos rapports avec l'Angleterre
, se seront convaincus que le véritable but de la
guerre maritime est l'indépendance des mers , intérêt que
doivent partager toutes les puissances maritimes de l'Europe
et sur-tout nos alliés . Il n'en est aucune qui n'ait à se plaindre
du des tisme et de l'insolence du gouvernement de la
Grande-Bretagne . C'est une guerre de droit naturel que toutes
font aux Anglais ; et certes , il n'est pas d'intérêt plus pressant
ni de cause plus juste .
1
Notre flotre composée de 21 vaisseaux de ligne , de 12 frégates
et 150 bâtimens de transport , portant 25,000 hommes
de troupes de débarquement , est sortie de Brest le 26 frimaire
. En prenant la route à gauche qui est la plus périlleuse .
elle a évité l'escadre anglaise qui croisait à Ouessan , et qui
s'est montrée devant Brest 48 heures après la sortie ; mais le
Séduisant s'est brisé contre les barrieres ; on assure que l'équi
pige a été sauvé. Deux autres vaisseaux ont été endommagés
en se heurtant au milieu de la brume . On ignore encore la
destination positive de l'expédition . Ce qui fait présumer
qu'elle n'est pas pour des pays lointains , c'est que les troupes
n'ont des vivres que pour 15 jours et les équipages pour six
semaines . On a dit d'abord qu'un aviso avait annoncé qu'elle
était aux atterragés de l'Irlande ; bientôt après , qu'elle était
sur les côtes de Portugal . Des nouvelles positives ne tarderont
pas à fixer toutes les incertitudes .
( 252 )
Note du lord Malmesbury , remise au ministre des relations
extérieures . Paris - , le 17 décembre 1796.
Le soussigné est charge de remettre au ministre des relations
extérieures le mémoire confidentiel ci -joint , contenant
les propositions de sa cour , sur l'application du prin
cipe général déja établi pour bâse de la négociation paci
fque. Il s'empressera d'entrer avec ce ministre dans toutes
les explications que l'état et le progrès de la négociation
pourront admettre ; et il ne manquera pas d'apporter à la
discussion de ces propositions , ou de tel contre - projet qui
pourrait lui être remis de la part du Directoire exécutif ,
cette franchise et cet esprit de conciliation qui répondent
anx sentimens justes et pacifiques de sa cour.
·
Signé , MALMESBURY .
Mémoire confidentiel sur les objets principaux de restitution , de
compensation et d'arrangement réciproque.
Le principe actuellement établi pour bâse de la négociation
, par le consentement des deux gouvernemens ,
porte sur des restitutions à faire par sa majesté britannique
à la France , en compensation des arrangemens auxquels
cette puissance consentirait , pour satisfaire aux justes prétentions
des alliés du roi , et pour conserver la balance
politique de l'Europe .
Pour remplir ces objets de la maniere la plus complette,
et pour offrir une nouvelle preuve de la sincérité de ses
vaux pour le rétablissement de la tranquillité générale , sa
majeste proposerait qu'il soit donné à ce principe , de part
et d'autre , toute l'étendue dont il paraît susceptible.
Elle demande donc :
1º . La restitution à sa majesté l'empereur et roi , de tous
ses Etats- sur le pied de possession avant la guerre.
2. Le rétablissement de la paix entre l'Empire germaique
et la France , par un arrangement convenable et
conforme aux intérêts respectifs , aussi bien qu'à la sûreté
générale de l'Europe . Cet arrangement serait traité avec sa
majesté impériale comme chef constitutionnel de l'Empire
, soit par l'intervention du roi , soit directement , selon
que sa majesté impériale le desirera .
3. L'évacuation de l'Italie par les troupes françaises ,
avec l'engagement de ne pas intervenir dans les affaires intérieures
de ce pays , qui serait reinis , en autant que pos
sible , sur le pied du status antè bellum.
Dans le cours de la négociation , l'on pourrait discuter
( 853 )
plus en détail les mesures ultérieures que l'on pourrait
adopter sur les objets de ces trois articles , pour pourvoir
plus efficacement à la sûreté future des limites et possessions
respectives , et au maintien de la tranquillité géné
rale.
20. Quant à ce qui regarde les autres alliés de sa majesté
britannique , elle demande qu'il soit réservé à la cour.
de Saint-Pétersbourg la faculté , pleine et illimitée , d'intervenir
à cette négociation , dès qu'elle le jugera à propos ,
ou bien d'accéder au traité définitif , et de rentrer par- là
dans un état de paix avec la France .
3. Sa majesté demande pareillement que ' sa majesté trèsfidelle
puisse aussi être comprise dans la négociation , et
rentrer en paix avec la France , sans qu'il soit question
d'aucune cession ou condition onéreuse de part ou d'autre.
4º . A ces conditions , sa majesté offre à la France la restitutiou
entiere , et sans réserve , de tout ce qu'elle a conquis
sur cette puissance dans les deux Indes , en lui pro- ;
posant toutefois de s'entendre mutuellement sur les moyens
d'assurer , pour lavenir , la tranquilité des deux nations ,
et de consolider , autant que possible , les avantages de leurs
possessions respectives . Elle offre pareillement la restitution
des isles de Saint-Pierre et Miquelon , et de la pêche
de Terre-Neuve sur le pied du status antè bellum.
Mais si elle devait , en outre , se départir da droit que
lui donnent les stipulations expresses du traité d'Utrecht ,
de s'opposer à ce que la partie espagnole de Saint- Domingue
puisse être cédée à la France , elle demanderait alors , en
retour de cette concession , une compensation qui pourrait
assurer , au moins en partie , le maintien de la balance des
possessions respectives dans cette partie du monde .
5º . Dans tous les cas des cessions ou des restitutions dont
il pourrait être question dans cette négociation , on accorderait
de part et d'autre , la faculté la plus illimitée à tous les
particuliers de se retirer , avec leurs familles et leurs effets ,
et de vendre leurs terres et autres biens immeubles ; et on
prendrait pareillement , dans le cours de la négociation , des
arrangemens convenables pour la levée des séquestrations ,
et pour satisfaire aux justes réclamations que des individus
de part et d'autre , pourraient avoir à faire sur les gouverne
mens respectifs. ( Sans signature. ).
Mémoire confidentiel sur la paix avec l'Espagne et la Hellande.
Les allies de la France n'ayant témoigué jusqu'ici aucun
desir ni disposition pour traiter avec le roi , sa majesté aurait
pa se dispenser d'entrer dans aucun détail à leur égard. Mais ,
( 254 )
pour éviter des délais nuisibles au grand objet que le roi se
propose , et pour accélérer l'oeuvre de la paix générale , sa
majesté ne refusera pas de s'expliquer d'avance sur ce qui
regarde ces puissances .
Si donc le roi catholique desirait d'être compris dans la
négociation , ou de pouvoir accéder au traité définitif , sa
majesté britannique ne s'y refuserait pas. Aucune conquête
n'ayant été faite jusqu'ici par l'un de ces deux souverains sur
l'autre , il ne serait question , dans ce moment , que
de
rétablir la paix simplement et sans restitution ou compensation
quelconque , excepté ce qui pourrait peut-être résulter
de l'application du principe énoncé sur la fin de l'article 4 du
mémoire déja remis au ministre des relations extérieures .
Mais si , pendant la négociation l'état des choses , à cet égard ,
venait à changer , on devra alors convenir des restitutions et
compensations à faire de part et d'autre .
Pour ce qui regarde la république des Provinces-Unies ,
sa majesté britannique et ses alliés se trouvent trop directement
autéressés à la situation politique de ces provinces , pour
pouvoir consentir à rétablir à leur égard le status anté bellum
territorial , à moins que la France ne pût également les
remettre , à tous égards , dans la même position politique
où elles se trouvaient avant la guerre . Si on pouvait , au
moins , rétablir dans ces provinces , conformément à ce que
l'on croit être le voeu de la grande majorité des habitans , leur
ancienne constitution , et forme de gouvernement , sa majesté
britannique serait disposée à se relâcher alors , en leur faveur ,
sur une partie très- considérable des conditions sur lesquelles
l'état actuel des choses lui impose la nécessité d insister . Mais
si , au contraire , c'est avec la république hollandaise , dans
son état actuel , que leurs majestés britannique et imperiale
auront à traiter , elles se verront obligées de chercher dans
des acquisitions territoriales , la compensation et la sûreté que
cet état des choses leur rendrait indispensables.
Des restitutions , quelconques , en faveur de la Hollande ,
ne pourraient alors avoir lieu , qu'autant qu'elles seraient compensées
par des arrangemens propres à contribuer à la sûreté
des Pays-Bas autrichiens.
Les moyens de remplir ces objet , se trouvent dans les
cessions que la France a exigées dans son traité de paix avec
la Hollande , et dont la possession , par cette puissance ,
serait , en tous cas , absolument incompatible avec la sûreté
des Pays-Bas autrichiens entre les mains de sa majesté impériale.
C'est donc sur ces principes que sa majesté britannique
( 255 )
serait prête à traiter pour le rétablissement de la paix avec la
republique hollandaise , dans son état actuel . Les détails d'une
pareille discussion ameneraient nécessairement la considération
de ce qui serait dû aux intérêts et aux droits de la
maison d'Orange. ( Sans signature. )
Extrait des registres des délibérations du Directoire exécutif ,
du 28 frimaire , an V.
Le Directoire exécutif , après avoir entendu la lecture de
la note officielle signée du lord Malmesbury , et des deux
mémoires confidentiels non signés qui y étaient joints , et ont
été par lui remis au ministre des relations extérieures ,
Arrête ce qui suit :
Le ministre des relations extérieures est chargé de déclarer
au lord Malmesbury , que le Directoire ne peut écouter aucune
note confidentielle non signée , et qu'il est requis de
donner officiellement , dans les vingt- quatre heures , son
ultimatum signé de lui .
2
Le ministre des relations extérieures est chargé de l'exécution
du présent arrêté .
Réponse du lord Malmesbury à la lettre du ministre des relations
extérieures , écrite en vertu de l'arrêté ci - dessus.`
Le lord Malmesbury , en réponse à la lettre que le ministre
des relations extérieures a bien voulu lui faire pesser bier ,
par les mains de son secrétaire - général de son département ,
doit remarquer qu'en signant la note officielle qu'il a remise
à ce ministre par ordre de sa cour , il a eru satisfaire à toutes
les formalités d'usage , et donner l'authenticité nécessaire aux
deux mémoires confidentiels qui y étaient joints ; cependant ,
pour applanir toutes les difficultés , en autant que cela dépend
de lui , il adopte volontiers les formes qui sont indiquées
par l'arrêté du Directoire exécutif, et s'empresse d'envoyer
au ministre des relations extérieures les deux mémoires
signés de sa main .
Quant à la demande positive d'un ultimatum , le lord Malmesbury
observe que c'est vouloir fermer la porte à toute
négociation , que d insister là-dessus d'une maniere aussi péremptoire
, avant que les deux puissances se soient communiquées
leurs prétentions respectives , et que les articles du
traité futur aient été soumis aux discussions que demandent
necessairement les intérêts qu'il s'agit de concilier . Il ne peut
donc rien ajouter aux assurances qu'il a déja données au ministre
des relations extérieures , tant de vive : voix que dans
sa note officielle , et il réitere « qu'il est prêt à entrer , avec
ee ministre , dans toutes les explications que l'état et le prc-
1
7
( 256 )
grès de la négociation pourront admettre , et qu'il ne manquera
pas d'apporter à la discussion des propositions de sa
cour , ou de tel contre-projet qui pourrail lui ètre remis de la part
du Directoire exécutif , cette franchise et cet esprit de conciliation
qui répondent aux sentimens justes et pacifiques de sa
Cour. 99
Le lord Malmesbury prie le ministre des relations extérieures
d'agréer les assurances de sa haute considération.-
Paris , ce 19 décembre 1796. Signé , MALMESBURY .
( A ce mémoire étaient jointes les deux notes signées . Y
Réponse du ministre des relations extérieures , aux notes du lord
Malmesbury , des 27 et 29 frimaire .
Le soussigné ministre des relations extérieures est chargé ,
par le Directoire exécutif , de répondre aux notes du lord
Malmesbury des 27 et 29 frimaire , ( 17 et 19 décembre v . s . ) ,
que le Directoire exécutif n'écoutera aucunes propositions
contraires à la constitution , aux lois et aux traités qui lient la
République . Et attendu que le lord Malmesbury annonce ,
chaque communication , qu'il a besoin d'un avis de sa cour ,
d'où il résulte qu'il rempiit un rôle purement passif dans la
négociation , ce qui rend sa présence à Paris inutile et inconvenante
; le soussigné est en outre chargé de lui notifier de se
retirer de Paris , dans deux fois 24 heures , avec toutes les
personnes qui l'ont accompagné et suivi , et de quitter , de
suite avec elles , le territoire de la République , Le soussigné
déclare , au surplus , au nom du Directoire exécutif , que si
le cabinet britannique desire la paix , le Directoise exécutif
est prêt à suivre les négociations d'après les bâses posées dans
la présente note , par envoi réciproque de couriers .
Signé , CH. DELACROIX .
Approuvé par le Directoire exécutif , à Paris , le 29 frimaire
, an V.
Pour expédition conforme , signé , P. BARRAS , président.
Par le Directoire exécutif, signé , LACARDE , secrétaire-gén.
Réponse du lord Malmesbury à la note du ministre des relations
extérieures , du 29 frimaire.
Le lord Malmesbury s'empresse d'accuser la réception de
la note du ministre des relations extérieures , en date d'hier.
Il se dispose à quitter Paris dès demain , et demande , en
conséquence , les passe -ports nécessaires pour lui et sa suite .
Il prie le ministre des relations extérieures d'agréer les
ássurances de sa plus haute considération . MALMESBURY .
Paris , ce go décembre 1796.
LENOIR -LAROCHE , Rédacteur.
No. 1 .
Jer . 135.
MERCURE
FRANÇAIS .
DÉCADI 20 NIVOSE , l'an cinquieme de la République.
( Lundi 9 Janvier 1797 , vieux style . )
DI 2001.
CHYMIE SCIENCE SI
900
( 2
Elémens de Chymie de J. A. CHAPTAL , professeur de
Chymie à l'école de santé de Montpellier , associé à l'Institul
national , etc. Troisieme édition revue et dugmentée.
Trois volumes in- 8 ° . Prix , 12 francs ; et 15 francs
de port par la poste. AParis, chez DETERVILLE , libraire,
rue du Battoir , nº . 16 , prés la rue de l'Éperon . An IV.
DEPUIS le bon Bernard Palissy , qui
enseignaitl'histoire
naturelle , synonyme alors de la chymie , auprès
de ses fours de potier, aucun
chymiste
enseignant n'a
élevé ou conduit
habituellement
des atteliers . Le
cit. Chaptal fait pour notre âge une exception
remarquable.
Intéressé dans plusieurs
entreprises , dont les
procédés
chymiques sont la bâse , et chargé par les
Etats de Languedoc
d'en diriger un grand nombre
d'autres ; il a étudié
particulierement
la chymie
usuelle. Tandis que les chymistes de Paris et de
Dijon
fondaient la nouvelle
théorie , Chaptal l'appliquait
aux arts , aux
manufactures. Il fallait , pour
cette application , un esprit observateur, capable luimême
de travailler aux nouvelles
découvertes ; car
c'est le défaut d'esprits de cette nature qui a mis
Tome XXVI.
br
R
( 258 )
1
souvent un long intervalle entre les découvertes et
leur utilité évidente .)
I
Ce chymiste a déja publié deux éditions de ses
élémens de Chymie. Elles ont été enlevées rapidement ,
et traduites en plusieurs langues . On en desirait une
nouvelle . Elle paraît aujourd'hui , et pour en donner
d'abord une idée succincte , nous faisserons parler
l'éditeur .... ", L'auteur a cru ne pouvoir mieux ré-
" pondre à l'accueil que le public accorde à cette
production , qu'en l'enrichissant de nouveaux faits ,
" et sur- tout de nouvelles applications aux arts et
,, aux phénomenes que la nature nous présente dans
91 ses opérations .
"9
نامال
,, Dans ces momens de crise . où la France , bloquée
de toutes parts , n'avait plus de relations de
,, commerce avec les nations voisines , et se voyait
,, réduite aux seules ressources de son sol et de son
" industrie , on a vu naître presqu'à la fois l'art d'ex-
" traire la soude du sel marin , les moyens de fa
19
briquer le savon par-tout et avec économie , des
procédés simples pour tanner les cuirs en quel .
" ques jours . des méthodes faciles pour récolter dans
" nos forêts toute la résine que réclament les besoins
de la marine , etc. Teus ces prodiges de l'industrie
" française sont décrits dans cette troisieme édition..
Appellé par le gouvernement pour concourir à
imprimer et diriger le mouvement révolutionnaire
dans la partie des salpêtres et poudres , l'auteur a
” vu s'opérer des prodiges les plus étonnans de la
" révolution , aussi nous a -t-il fourni un article trèsdétaillé
sur cet objet , et des observations précieuses
sur les nitrieres artificielles .
99
( 259 )
15 Mais indépendamment de ces divers objets , le
" lecteur trouvera dans cette édition trois ou quatre
nouveaux chapitres ajoutés à l'analyse des subs-
* tances animales , une nouvelle distribution dans
» l'analyse végétale , plusieurs articles présentés avec
plus de détails , etc .....
Ces élémens tiennent le juste milieu entre les no
menclatures et les élémens volumineux de chymie¸¸¸
dans lesquels on a fait entrer tout ce qui peut former
un naturaliste. Cette abondance , utile aalthomme qui
veut posséder beaucoup de science dans un petie
nombre de livres , effraie et intimide le jeune élève .
3.On y voit avec plaisir la nouvelle théorie thymique
développée avec précision , et appliquée par
tout aux procédés et aux travaux des arts . Nisi uțile
est quod facimus , bana est glorias Mais on desirerait que
l'auteur n'eût pas substitue partout le nom de nitrogéne
à celui d'azote. Cette substance est à la vérité un
des principes de l'acide nitreux et nitrique et c'est
pour cela sans doute que le cit . Chaptal l'appelle
Aitrogene mais elle est aussi un des principes de l'am
montaque et elle se trouve abondamment dans les
substances animales . De- là vient peut- être qu'au lieu
de lui donner une dénomination qui annonçat quelqu'une
de ses facultés productives on l'a désignée
par une propriété négative ( s'il est permis de s'exprimer
ainsi en chymie ) , célie de ne pouvoir pas entretenir
la vie par la respiration . L'auteur est trop
judicieux pour s'obstiner à employer seul le mot nitrogene
; tandis que toute l'école , donnil est un des
meilleurs soutiens , a adopté celui d'azote. L'utilité
et l'usage très-répandu de ses élémens forcent à in-
R 1
( 260 )
sister sur ce point ; de même, que sur quelques locu.
tions propres à nos départemens méridionaux qui s'y
trouvent éparses . Lavoisier , Berthollet , Guyton de
Motveau , Fourcroi , ont prouvé, par la pureté de leur
diction et le dernier entre autres par l'élégance de
la sienne , que l'austérité des matieres dont on traite
dans les livres de chymie , ne peut dispenser du tespect
dû à la plus bellé des langues.
1
Ges légers défauts ne se feraient pas remarquer dans
une compilation des principes de chymie , dans un
Ouvrage insignifiant et sans couleur , tels que l'on en
publie tous les jours sous le nom d'Élémens. Mais
celui- ci est fait par sa nature pour devenir un livre
classique , soit par la belle exposition des principes
chymiques , soit par leur coordination avec les principes
d'histoire naturalle dans les trois grandes divisions
de toutes les substances , appellées si improprement
Regnes.
Une introduction qui renfermé une courte histoire
de la chymie , Et de l'alchymie sa mere , ouvre
la premiere partie des Élémens de Chaptal. Viennent
ensuite les lois de l'attraction entre les molécules de
matiere qui se touchent ou se penetrent , appellée
Affinité par les chymistes ; la direction générale (des
travaux du chymiste ; les notions sur les substances
simples , que l'on peut appeller provisoirement Élémentaires
; sur les gaz , sur leur nature , leurs mélanges,
leurs combinaisons , notamment celle de l'azote qui
forme les alkalis ; enfin , les combinaisons de l'oxigene
qui forment les divers acides . L'article du nitrate
de potasse , appellé jadis salpêtre , nitre , etc.
amene les développemens des nitrieres artificielles .
( 161 )
1
de l'art du salpétrier , du raffinage du salpêtre et de
son usage pour la fabrication de la poudre .
Après cette espece de prolegomenes qui forment
la premiere partie , l'auteur traite de la lithologie , ou
des substances pierreuses. Il ne les considere pas en
naturaliste , c'est -à - dire , d'après leurs caracteres ex-
*térieurs ; mais en chymiste , c'est-à- dire , d'après leurs
principes constituans , les caractereess et propriétés des
principales terres primitives , leurs combinaisons avec
les acides , leurs combinaisons entre elles , ou mélanges
terreux , les mélanges des pierres entre elles .
Dans les produits volcaniques , l'auteur parle des bouteilles
de lave qu'il a faites , et du parti qu'on peut
tirer du basalte dans les verreries.
La troisieme partie est consacrée aux substances
métalliques. On y trouve les procédés usités pour
faire l'essai des mines , pour les exploiter , et pour
en obtenir les métaux , sans lesquels il n'y a point
d'arts , ni d'industrie. C'est là qu'est développée la
théorie de l'oxidation des métaux , phénomene dont
l'explication est une des grandes bâses de la nouvelle
chymie. L'article destiné à chaque métal renferme
l'étude de ses caracteres , ses combinaisons avec les
diverses substances , les procédés pour l'obtenir des
mines, et ses usages les plus ordinaires . Les chapitres.
dù Platine , du Tungsten et du Wolfram , du Molybdene
et du Nickel , contiennent des détails intéressans.
et peu connus .
Après avoir consacré les deux premiers volumes
de ses Élémens aux généralités de la chymie et à
l'étude des substances insensibles et inertes , appellées
Minéraux , l'auteur emploie le troisieme et dernier
A
R 3
( 262 )
à l'examen des substances sensibles , ou animées ,
plantes et animaux . C'est avec regret que l'on voit
encore cette étonnante disproportion entre l'étendue
qu occupent dans les ouvrages chymiques les minéraux
, et le peu d'espace rempli par les animaux et
les végétaux ; cette différence est presque de 2 à 1 ,
Les dernieres substances sont cependant celles dont
l'étude doit nous intéresser davantage ; car nous
sommes des animaux , et nous vivons en grande par.
tie de végétaux . On peut attribuer cette préférence ,
donnée aux minéraux jusques vers le milieu de notrę
siecle , à la recherche de la pierre philosophale ,
à l'envie de créer de l'or , et à la manie dont les ançiens
médecins étaient travaillés , celle de chercher ,
dans ce qu'ils appellaient le regne minéral , des remedes
à tous les maux. Mais grace aux nouveaux chymistes,
l'infortuné Lavoisier , Berthollet, Fourcroy , Vauquelip
et notre auteur , l'analyse des substances végétales et
animales s'aggrandit journellement , et dans quelques
années elle occupera une étendue proportionnée à
son importance .
Les caracteres distinctifs du végétal , les vices des
méthodes employées jusqu'ici à son analyse , un meilleur
plan d'analyse et une distribution plus méthodique
de ses divers principes , commencent la quatrieme
partie . Suivent les considérations sur la structure
, les principes nutritifs , le résultat de cette nutrition
ou les principes du végétal , les substances qui
s'échappent par sa transpiration et les altérations qu'il
éprouve après sa mort. On trouve à l'article des
huiles une instruction pour ceux qui voudront faire
eux-mêmes le savon dont ils auront besoin ,
( 963 )
Les substances animales remplissent la cinquieme
partie. L'auteur y traite des abus que l'on a fait des
applications de l'ancienne chymie à la médecine ; des
moyens de les rectifier , des lumieres que la chymic
actuelle peut nous donner sur nos diverses fonctions ,
et des avantages et de la nécessité de ces applica- ~
tions dans l'état de santé et dans l'état de maladie .
Les caracteres distinctifs de l'animal , ses fonctions , telle
que la digestion , et ses produits généraux , tels que le
lait , le sang , la graisse , la bile , les parties molles et
blanches avec les muscles qui fournissent les colles ,
l'urine, le calcul de la vessie , le phosphore , le sperme,
les larmes et le mucus des narines , la synovie , quelques
substances particulieres que l'on retire des quadrupedes
, des poissons , des oiseaux , des insectes ,
quelques autres acides extraits du regne animal , les
nouveaux procédés du tannage exécutés par Seguin ;
et enfin la putréfaction .... Telles sont les principales
divisions de la derniere partie des Élémens de chymie du
citoyen Chaptal .
R 4
( 404 )
+
VOYAGE.
Second Voyage dans l'intérieur de l'Afrique , par le cap de
Bonne- Espérance , dans les années 1783 , 84 et 85 ; par
F. LEVAILLANT. Trois volumes in-8° . A Paris , ches
H. J. JANSEN et compagnie , imprimeurs , place du
Musaum, An IV. de la République.
LE
nom de Levaillant
était déja célebre dans les
sciences naturelles (1) : le premier voyage en Afrique
l'a rendu plus célebre encore . Il n'est sans doute,
aucun de nos lecteurs à qui ce voyage ne soit connu .
La description
en parut en 1790 ; et celle du second ,
de celui que nous annonçons
ici , devait paraître immédiatement
après . L'auteur se plaint amerement
des
obstacles
qui ont retardé sa publication
. Vraisemblablement
ils étaient liés à l'état général des choses ,
à la situation où se trouvait la France : car on ne peut
pas supposer
qu'ils aient dépendu
de persécutions
particulieres
, encore moins de l'indifférence
des entrepreneurs
qui devaient
être sûrs d'avance
du succès
de tout ce qui portait le nom de Levaillant
. Quoi
qu'il en soit au reste , l'auteur
est venu à bout de
vaincre tous les obstacles
; et le public lui en doit
beaucoup
de reconnaissance
: la perte de ce second
voyage serait encore , à notre avis , plus regrettable
que celle du premier , bien que les lecteurs français
ne lui aient pas fait à beaucoup
près le même accueil ,
(1) Deux botanistes l'avaient illustré,
( 265 )
On sait que le premier voyage était dirigé vers le
nord , en partant du cap de Bonne- Espérance , et traversant
le pays habité par les Hottentots et les Caffres
pays qu'on connaissait déja jusqu'à un certain point ,
ainsi que les peuplades qui s'y trouvent répandues ,
par les récits de quelques autres voyageurs . Dans son
second voyage , l'auteur a pris une route qu'on ne
connaissait pas encore , ou du moins qu'on n'avait
pas décrite avant lui . Il a laissé la Caffrerie à l'est
et à sa droite , et il a longé la côte occidentale ,
mais à une distance assez considérable de la mer.
Son plan , comme il le répete plusieurs fois , était
de traverser toute l'Afrique du sud au nord ,
et dė
revenir en Europe par l'Égypte . La partie de ce
plan qu'il a mise en exécution est peu de chose
si l'on veut la comparer au tout : il n'a point passé
le tropique du Capricorne t et cependant aucun obstacle
insurmontable ne paraît l'avoir forcé d'arrêter
sa marche ; il avait , au contraire , poussé jusques
chez des peuples , dont il dit lui - même qu'on peut
se faire facilement des conducteurs pour aller plus
avant , les Huzuanas . Son attachement à ses collections
d'histoire naturelle , qu'il avait laissées à moitié
chemin , fut le seul motif qui le fit revenir sur ses
pas.
Avant d'entreprendre ce grand voyage , Levaillant
voulut y préluder en quelque soite , en parcourant
les divers cantons de la colonie ; ce qui lui fut d'autant
plus facile , qu'il était déja personnellement
connu de plusieurs des principaux habitans. Il divise
les colons en trois classes : la premiere composée
de ceux dont les établissemens sont dans le
( 266 )
voisinage du cap , ou du moins ne sont éloignés
que de quelques lieues de la ville ; la seconde , de
ceux qui forment l'extrême frontiere ; la troisieme
enfin , d'une espece d'aventuriers hardis , qui la franchissent
sans crainte , et vont vivre au milieu des
Hottentots.
Les moeurs de ces trois classes sont absolument
différentes. Les colons de la premiere , qui sont tous
des propriétaires considérables , se distinguent par
leurs habitudes d'aisance et par leur luxe , mais en
même-tems par un orgueil et une hauteur ridicules ,
Souples et rampans , quand ils ont affaire aux principaux
agens de la compagnie hollandaise des Indes ,
ils se rengorgent et se gonflent à propoftion , avec
toute personne dont ils n'esperent ou ne craignent
rien. Un d'entre eux qui , dans la maison du gouverneur,
avait engagé Levaillant , avec les instances.
les plus humbles , à le visiter dans sa maison , eut
à peine l'air de le reconnaître en l'y recevant. C'é
tait un gros vigneron du fameux canton de Constance
, dont l'établissement et le séjour ressemblaient
aux propriétés d'un souverain . Parmi ses esclaves ,
il avait un nombre considérable de musiciens , qui
lui formaient un orchestre complet : chaque jour ,
il se faisait éveiller par eux , au son des instrumens ,
Les colons de la seconde classe sont moins riches :
ils ont des moeurs d'autant plus pures ; c'est chez
eux qu'on trouve la véritable hospitalité,
Ceux de la derniere classe sont de vrais nomades ,
Sans propriété territoriale , ils trainent avec eux
leurs troupeaux ; et ils transportent leurs huttes çà
et là , au gré de leurs caprices , ou suivant le besoin
( 267 )
de leurs bêtes . Ne se regardant point comme de
vrais propriétaires , ils respectent peu la propriété
d'autrui . Ce sont les voleurs les plus audacieux et
les plus redoutés. Ils fournissent une preuve vivantę
que l'homme dont la demeure est déja fixe , devient
plus facilement nomade , que l'homme nomade ne
s'enchaîne à une demeure toujours la même et aux
habitudes régulieres , de l'homme civilisé .
Les colons du cap vivent tous , sans exception ,
presque uniquement de nourriture animale : ils ont
peu de légumes et de fruits ; et ce n'est pas pour
leur propre usage qu'ils les recueillent . Chez les
riches , les plats de viande sont servis si abondamment
et dans une si grande variété , qu'un repas servi
pour trois personnes , semble avoir été préparé pour
vingt et cependant il n'y a pas de race plus saine
et plus robuste que celle des colons du cap : nulle
part on ne voit des femmes et des filles plus propres
à rappeller ces anciennes amazones , si redoutables
T'arc e l'épée à la main . L'auteur a connu une jeune
fille qui , armée de son fusil , conduisait toute seule
ses troupeaux dans les bois et dans les vallons les
plus écartés , et savait au besoin , combattre les lions.
et les brigands connus sous le nom de Boschjesmanns
(1).
De tous les cantons de la colonie , il n'en est point
dont la fertilité se compare à celle du vallon des
vingt - quatre Rivieres , ainsi nommé à cause du grand
nombre de petits ruisseaux qui l'arrosent. On ne
rencontre point ailleurs des prairies si vertes et si
ه ل ا
(1 ) Hommes des buissons ou des broussailles,
( 68 )
fraiches. Le voyageur s'y promene dans des bois
d'orangers et de citronniers , dont la bonne odeur
se répand au loin de rians côteaux qui vont se terminer
dans un lointain bleuâtre , en des montagnes
dont la cîme touche les cieux , attirent les regards
sur les scenes les plus variées , et forment le cadre
de la plus riche perspective . Si l'accroissement de
la population engage à bâtir une seconde ville
plus avant dans les terres , c'est ici que sa place
semble marquée d'avance par la nature .
A son retour au cap , l'auteur fit tous les préparatifs
de son grand voyage et le 15 juin 1783 , il
partit de l'habitation de son ami Slaber , lieu de
rendez-vous de toute sa suite . La caravanne était
composée de vingt personnes , lui compris : tous ses
gens étaient des Hottentots : parmi eux se trouvaient
Klaas et Swanepoel , déja connus par le premier
voyage , La femme de Klaas le suivait fidellement.
Une petite meute de treize chiens bien dressés , un
bouc avec dix chevres , trois vaches laitieres , trentesix
boeufs pour l'attelage des trois charriets , dix-sept
autres pour des relais , et deux pour le bagage des
Hottentots , n'étaient pas les personnages les moins
importans de la caravanne : enfin une autre ancienne
connaissance , le singe Kees , dont les talens avaient
joint plusieurs fois l'utile à l'agréable ; un coq avec
une poule , que Levaillant avait jugé convenable de
lui donner pour charmer l'ennui de la route : tel est
l'attirail avec lequel fut entrepris un voyage , dont
le succès eût exigé l'équipage le plus leste et la suite
la moins nombreuse possible . On voit sur-tout que
ces boeufs si pesans , et ces charriots, si difficiles à
1
( 269 )
"
faire marcher à travers les marais et les bois , et par
des chemins qu'il faut s'ouvrir à chaque instant de
vive orce , devaient embarrasser et retarder beaucoup
notre voyageur : c'est là dessus , et non sur je
ne sais quel augure , tirés du versement d'un de ses
charriots au sortir du cap , qu'on pouvait lui prédire
avec assurance beaucoup d'inquiétudes ; beaucoup
de peines , beaucoup de malheurs .
Quand Levaillant eut traversé toute la colonie , ik
dirigea sa route au nord-ouest , vers la rivière des
Eléphans , qui va se décharger à la côte occidentale ,
dans la grande mer Atlantique. Jusques - là , l'on
trouve encore des habitations de colons européens ?
l'auteur les visita pour la plupartt , et les renseignemens
qu'il y recueillit sur le reste de son voyage ,
ne furent pas très-favorables . Quoiqu'on fát alors au
milieu de l'hiver du pays , il regnait une telle secheresse
, que les cantons les plus fertiles manquaient
absolument d'herbages et de plantes nourricières .
Le grand nombre de bêtes de somme dont la caravanne
était embarrassée , devint le sujet de vivės
inquiétudes iqui ne furent malheureusement que
trop justifiées par la suite. L'auteur passa la rivière
des Eléphans dans un endroit et dans un moment
où elle était guéable : le jour suivant , elle grossit
tout à coup d'une maniere si prodigieuse , qu'il- aurait
absolument été forcé d'avoir recours à des rap
deaux , moyen de passage qui n'est pas sans inconvéniens
dans les cas ordinaires , et qui en aurait eu
de beaucoup plus grands dans cette occasion . Rien
n'est moins rare en Afrique que ces crues subites des
fleuves et des rivieres ; et c'est une précaution né(
270 )
cessaire de ne pas camper trop près de leurs rives:
On voit par là que leurs eaux viennent directement
des montagnes voisines , où les nuages en crvanty
les grossissent ainsi d'un moment à l'autre . Les arbres
et les buissons qui bordent leur cours , fournissent
aux voyageurs des indications assez sûres , touchant
les endroits où l'on peut camper avec sécurité ils
conservent encore les traces des débordemens précédens
; et la hauteur à laquelle se sont élevés la
vase , les herbes et les bois chariés par le fleuve,
indiquent jusqu'où l'on peut se rapprocher du bord,
sans crainte d'être englouti par les flots , en cas d'unė
nouvelle inondation. Les petites rivieres ne sont
courantes que dans la saison pluvieuse de l'an'
née.
د م ح م
*
En-deçà de la riviere des Eléphans , Levaillant
rencontra le rocher des Chauvesouris . Les feux qu'on ·
avait allumés pour la nuit dans sa cavités, réveil
lerent des quantités si considérables de ces bêtes ,
que leur vol et leurs cris devinrent bientôt égale
ment insupportables aux hommes et aux animaux
de la suite , et les forcerent de céder le champ de
bataille à ses anciens occupans .
De son nouveau camp , l'auteur fit une excursion
jusqu'à la mer. Il fit sur le rivage la rencontre d'une
baleine , de l'espece appellée Cachalot d'environ
quarante ou cinquante pieds de longueur L'effort
des vagues l'avait jettée bien ayant sur des sables
qu'elles n'atteignaient plus , même dans les plus grandes
tourmentes . Des troupes de corbeaux , de fouines
ou de putois et des scarabées de différentes especes ;
étaient occupées à la dévorer. Un grand nombre de
( 271 )
ces derniers enrichirent la collection de l'auteur (1),
tandis que les Hottentots rassemblaient avec le plus "
grand empressement l'huile que la chaleur avait fait
couler de cette masse colossale .
tons
Dans l'espoir de tuer des éléphans sur l'autre rive ,
Levaillant repasse le fleuve de la maniere la plus
hasardeusé ; il le repasse encore une seconde fois
pour rejoindre ses gens , et il reprend sa route . II
se flattait de rencontrer , en tournant au nord - ouest
et s'enfonçant davantage dans les terres , des canplus
fertiles et plus de ressources , soit pour la
nourriture de ses bêtes , soit pour ses chasses. If
changea donc un peu sa première direction . Mais
ses espérances furent trompées . Plus il s'éloignait de
la mer , et plus le terrein devenait aride : ce n'était
que des déserts dépouillés , sans fe moindre brin
d'herbes , sans la moindre source d'eau fraîche . Les
boeufs ne pouvaient plus
望
pourtant enfin quelque
peu d'eau saumâtre , bourbeuse et corrompue , mais
point de fourage ; et l'on fut obligé de laisser en
arriere un charriot : le jour suivant il fallut en laisser
encore un autre ; car de 54 boeufs , il n'en restait
plus que 23. A mesure qu'on avançait , le terrein
devenait de plus en plus infertile . Les oiseaux de
proie ne paraissaient en l'air qu'à la plus grande
élévation , preuve certaine qu'il n'y avait au loin
pas la moindre goutte d'eau . Enfin , les voyageurs
après les autres . L'on
tro:
ils
mouraient les uns
( 1) Il trouva , dans la suite , chez les Namaquois , une autre
espece de grand scarabée qui lancé une liqueur âcre et caustique
, et paraît analogue au bupreste
( 272 )
1
furent éveillés la nuit par un coup de tonnerre les
nuages se rassemblaient de tous les bouts de l'ho .
rison , et s'entasseaient en tumulte : la terre , les
hommes , les animaux , tout haletait après la pluie.
Mais un vent impétueux vient , au milieu de cette
douce attente , dissiper les nuages ; il les pousse de
toutes parts au-delà de l'horison , et le ciel reprend
sa funeste serénité.
JJ
La caravanne rencontra cependant quelques huttes,
de Hottentots : mais elles étaient désertés ; plus de
traces d'hommes . On atteignit enfin à la chaîne de
montagnes qu'on avait apperçue de loin vers le
nord : et ce qu'on avait espéré depuis si long-tems en
vain , arriva dans cet endroit ; il y eut un orage. La
pluie tombait par torrent . Les hommes et les animaux
la recevaient avec l'avidité d'une soif qui se
faisait sentir à tous les pores . Rien ne les eût ranimés
si puissamment. Les boeufs se pressaient les uns
contre les autres pour mieux recueillir cette pluie
salutaire , pour s'en mieux pénétrer ; et les hommes
ne quitterent point leurs habits , afin de se tremper
d'une manière plus durable . Le matin , un des Hottentots
fut assez heureux pour appercevoir un troupeau
conduit par deux bergers. Ce troupeau appartenait
aux deux freres Baster , mulâtres nomades ,
pour lesquels Gordon , commandant du cap , avait
donné des lettres de recommandation à Levaillant.
Les deux freres parlaient très - bien le hollandais : ils
recurent notre voyageur avec la cordialité la plus
franche et la plus hospitaliere . Pendant le séjour
qu'il fut obligé de faire dans leur kraal, pour attendre
ses bagages restés en arriere , il fit plusieurs chasses ,
dans
J
( '273%)
dans l'une desquelles il tua un éléphant de l'espece
appellée par les Hollandais poëskop , c'est- à- dire tête
camuse. On lui donne ce nom parce qu'il n'a point
de défenses . Ce n'est cependant pas une espece parriculiere
; c'est , comme l'auteur le remarque avec
raison , un simple jeu de la nature. Mais ce qu'il
ajoute , que les éléphans de Ceylan offrent presque
tous la même singularité , paraît dépourvu de fondement.
Tous les voyageurs disent le contraire ; et
les dents des éléphans de Ceylan étaient déja celebres
dans la plus haute, antiquité.
Par les soins des freres Bastér , les charriots que
Levaillant avait laissés avec tant de chagrin , derriere
lui , sont amenés au kraal ; il continue son voyage ,
accompagné de ses hôtes obligeans. La montagne
sur laquelle était maintenant la caravanne se nomme
Namero. On avait devant soi la chaîne des montagnes
'du Camis . L'auteur avait emprunté quelques boeufs
d'attelage dans le troupeau des Baster : mais il fut.
très-difficile de les assujettir au joug , et de les employer.
On lui dit que sur les montagnes du Camis
il trouverait du bétail en abondance . Son desir était
d'aller chez les Namaquois : il fut assez heureux pour
engager un des Baster , qui leur était fort connu ,
les y suivre .
Sur le chemin , il fit la rencontre d'un autre voyageur
, parti comme lui du cap , d'un certain Pinard ,
aventurier et chasseur fameux , dont il eut bien de
la peine à se débarrasser , et qui , tout le tems qu'il·
resta dans la caravanne , lui causa beaucoup d'incom
modités et de soucis. Cet homme appartenait à une
certaine classe de contrebandiers du cap . Comme la
Tome XXVI. $
2
( 274 )
compagnie s'est réservé le commerce exclusif des
bestiaux avec les sauvages du pays , il Y a des hommes
qui rodent dans les cantons les plus éloignés , où les
lois ont moins de force , pour faire ce commerce prohibé.
Ils se servent pour cela du prétexte de la
chasse ; et trop souvent ce sont de vrais voleurs qui
forcent les malheureux Africains à leur livrer leurs
bêtes au prix qu'ils veulent bien leur en offrir.
Pinard fit tout au monde pour débaucher les Hottentots
de Levaillant ; il les régalait sur- tout d'eaude-
vie , genre de séduction auquel les plus fideles ne
pouvaient gueres résister.
Sur les montagnes du Camis , l'auteur trouva la
facilité de faire une emplette avantageuse de boeufs
de trait. Ce fut une grande ressource pour lui . Cette
chaîne de montagnes est une des plus hautes du sud
de l'Afrique . La neige y tombait en grande abondance
, et le froid était très- perçant. La glace avait ,
dans certains endroits , deux pouces d'épaisseur .
Après avoir franchi le sommet des montagnes dụ
Camis, Leva illant descendit dans une vallée , où coule
la riviere Verte , et où le climat changea tout- à coup .
Il eut le bonheur d'y prendre un zebre vivant. C'était
une femelle . Il essaya de l'apprivoiser, et il parvint
, sans beaucoup de peine , à s'en servir pour
monture. Mais comme l'animal avait été blessé par
ses chiens , il ne put pas s'en servir long- tems . L'Afrique
contient un grand nombre d'autres quadrapedes
qui pourraient devenir des animaux domestiques
fort utiles .
Les bords de la riviere Verte offrent les plus beaux
paysages ils sont couverts de fleurs , de riches he- :
( 275 ) "
bages et de bosquets . Mais le doux printems , dont
ils semblent être l'éternel séjour , abandonna bientôt
notre voyageur. L'hiver le saisit de nouveau sur une
autre chaîne de montagnes qu'il fut obligé de gravir ,
pour continuer sa route ; de sorte que dans une
traversée de huit heures , il éprouva deux fois le
froid le plus rigoureux , et la plus aimable température
:
La plaine où serpente le petit fleuve Kaussy , dans
laquelle l'auteur descendit en quittant les montagnes
dont nous venons de parler , était couverte d'épaisses
touffes ou buissons d'euphorbe , plante âcre et vénéneuse
, dont le suc sert aux Hottentots pour empoisonner
leurs flêches (1 ) . Levaillant voulut en mettre
une goutte sur sa langue ; elle lui causa la plus viver
douleur. Il présenta une rouelle de la planté à son
singe mais l'animal recula vivement , avec tous les
( 1 ) Les Sauvages trouvent encore dans une chenille velue
, et dans diverses especes de serpens , des sucs véné
neux très - actifs , qui leur servent au même usage . La chenille
êcrasée , se réduit en bouillie par une sorte de fermentation.
C'est dans cet état que le poison a toute son activitė ;
c'est alors qu'on y trempe les flèches . Mais il paraît que cette
qualité vénéneuse de la chenille dépend d'une plante dont '
elle se nourrit.
On a dit que pour exprimer le venin des serpens , les Sau- ›
vages les coupent par tronçons , et les pilent. Le fait n'est
pas exact. Ils tirent le venin directement du follécule qui les
contient , et qui est attaché à la mâchoire . Ils mangent d'ail
leurs sans crainte , la chair de tous les serpens : c'est même un
grand régal pour eux.
( 276 )
signes de la répugnance et de l'effroi. Les Sauvages
emploient aussi d'euphorbe pour empoisonner les
fontaines , et prendre par ce moyen le gibier qu'ils
ne peuvent atteindre mais l'instinct des animaux
sauvages est si fin , qu'il n'y en a jamais qu'un petit
nombre qui boivent à ces fontaines. Levaillant en fit
l'épreuve . Il avait altéré une source suivant la méthode
des Sauvages. Dans un seul jour , il y vint
plus de quatre mille gazelles ; mais trois seulement
avec une hyenne s'étaient laissées séduire par cette
boisson mortelle elles gissaient étendues tout
auprès.
Cependant l'auteur était parvenu au pays des petits:
Namaquois . Il rencontra sur sa route un kraal de ce
peuple , composé d'une vingtaine de huttes. Les petits
Namaquois ont leur langage particulier : de toute
la suite de Levaillant , il n'y avait que Klaas et Baster
qui l'entendissent. C'est pourtant une espece de
dialecte du Hottentot ; et comme celui - ci , il a le
triple clappement dont il est question dans le premier
voyage : les tons en sont âpres , et tirés du fond
du gosier. Ces peuples eurent beaucoup de plaisir
à voir Levaillant faire des efforts pour parler leur
langue ; et ils reprenaient chaque fois ce qu'il venait
de dire , pour le lui mieux apprendre . Leur habille
ment est le même que celui des Hottentots de l'est ,-
et leurs moeurs ne different pas de celles de leurs
voisins . Comme eux , ils aiment la danse , et ils ont.
une espece de fiûte avec laquelle on imite les effets
de l'écho . Leur pays est tout-à -fait stérile ; il est désolé
par une multitude de mouches et de moucherons .
Ils avaient entendu parler de l'effet des armes à
( 277 )
feu mais quand ils virent tirer un pistolet , ils ne
pouvaient concevoir comment la petite machine
était aussi méchante que la grande . Le coq et la poule
leur causerent peut- être encore plus d'étonnement.
Des oiseaux domestiques étaient un spectacle entie .
rement´ nouveau pour eux ; et de plus , il leur était
impossible de comprendre à quoi de si petites bêtes
étaient utiles.
Levaillant trouva chez ce peuple un matelot déserteur
, nommé Schoenmaker , qui s'était éloigné
de la colonie depuis douze ans , et qui , de crainte
d'être rattrapé , avait fixé sa demeure dans ce quar
tier lointain , où il avait pris plusieurs, femmes et
fais un grand nombre d'enfans .
Le pays des petits Namaquois s'étend de l'est à
l'ouest , depuis les montagnes du Camis jusqu'à la
mer occidentale , et dans la direction du nord au
sud,, depuis Namero jusqu'à la grande riviere , autrement
dite d'Orange . Kolbe rapporte que ce peuple
pratique la circoncision , et qu'il est dans l'usage
de retrancher un testicule aux enfans . Ce récit est
entierement dépourvu de vérité , comme beancoup
d'autres du même voyageur. Kolbe a confondu les
Namaquois avec les Geissiquois , nation de la race
des Hottentots , chez laquelle en effet ce dernier
usage est établi , L'auteur eut à son retour , l'occasion
de l'observer.
S
On croit généralement au cap qu'il se trouve des
mines d'or dans le pays des Namaquois . Il n'y en a
point ; mais le cuivre y est assez commun. Ils savent
le, travailler , et ils s'en font des ornemens pour les
quels ils sont fort passionnés,
( 878 )
Accompagné de Schoenmaker , l'auteur poursuivait
maintenant sa route au nord- ouest vers les montagnes
dites de Cuivre . Les mines qu'elles contiennent
de ce métal ne paraissent cependant pas bien
riches. L'aloës dichostome ( 1 ) ou l'arbre à carquois y
croît en abondance . Ses tiges les plus fortes et les
plus hautes sont soutenues par de si faibles racines ,
qu'on les renverse facilement avec le pied. Dans
certains endroits , elles couvrent de grands espaces , et
sont extrêmement épaisses ; de sorte qu'on est obligė
de s'y tracer une foute par ce moyen . Plusieurs de
ces tiges n'ont gueres moins de neuf pieds huit
pouces de circonférence , et leurs rameaux couvrent
une place de plus de cent pieds de diamêtre .
J
Il fallut alors , pendant plusieurs jours , traverser
des déserts sablonneux ; on n'y rencontra ni eau , ni
plantes. A chaque moment , on ' s'attendait à découvrir
les bords de la grande riviere : mais cette espérance
s'éloignait de plus en plus . La soif commençait
à menacer la vie des hommes et des animaux ;
quand enfin , tout-à- coup on entendit le bruit des
flots du côté du nord-ouest . Tout , jusqu'aux chiens
et au singe , se mit à courir pour s'y précipiter' : la
ร
( 1 ) Un joli oiseau , appellé le Républicain à cause de ses
habitudes sociales , fait son nid dans les alces . Il s'y réunit
par troupes et les demeures de la nation entiere n'y forment
qu'un seul bâtiment, comme celles des guêpes et des abeilles ,
Ces oiseaux sont dans une guerre continuelle avec une espece
de petits perroquets qui cherchent à s'emparer de leurs habitations
, et qui parviennent souvent à chasser les construc
teurs , et par conséquent les vrais propriétaires de la vifte, “
( 279 )
caravanne entiere se plongea dans l'eau , avec une
ardeur et des transports de joie impossibles à dé ,
crire.
•
La rivière était bordée de beaux et grands arbres :
mais les prairies et les fourages , dont on avait dit à
l'auteur ses rives entourées , ne s'offraient point aux
regards : la sécheresse avait détruit toutes les plantes .
Il y avait un grand nombre d'hippopotames . Levaillant
vint à bout d'en tuer un , au moment où il
s'élevait au- dessus des eaux pour respirer."
La suite au prochain numéro. )
LITTÉRATURE.
T
Traduction du premier livre des Odes d'HORAGE ; par le:
cit. PIERRE DIDOT l'aîné. A Paris , de l'imprimeric de
l'auteur.
TANE
ANDIS que le cit . Firmin Didot prépare la tra-
NDIS
duction de Théocrite que nous avons annoncée , le
cit. Pierre Didot , son frere , vient de donner aupublic
celle du 1er livre d'Horace .
Jusqu'ici la perfection de l'art typographique n'a
peut-être pas été moins rare que la perfection de
l'art des vers ; et il semble que ce serait trop de les
réunir toutes les deux au même degré . Mais les vrais
amateurs , qui savent combien les divers genres” one
entre eux de rapports immédiats , et combien de
lumieres la culture des lettres peut répandre sur les
autres hranches de l'industrie humaine , se réjouiront
de voir encore un célebre artiste únir à ses travaux
$ 4
( 280 )
1
journaliers , l'étude des grands écrivains dont il em
bellit et consacre les chef- d'oeuvres dans ses magnifiques
éditions .
1
Les beaux vers ne sont pas des productions instan
tanées du talent : il y fant le talent d'abord ; mais il
Y
faut aussi le tems. C'est sur-tout pour transporter
les beautés d'une langue dans une autre , que le tems
est nécessaire . Les bonnes traductions en vers sont
toujours les enfans de la patience . Il y aurait donc
peut- être une sorte d'injustice à juger trop séverement
celle du cit , Pierre Didot , qui paraît avoir été
faite avec un peu de précipitation . Il l'a comencée ,
dit-il , sans en avoir formé le projet , et presqu'au
hasard c'est un simple essai dont l'axécution lui
parait au- dessus de ses forces ; et il la regarde seulement
comme un hommage à son poëte chéri , dont
il va nous donner bientôt une édition correcte et
soignée .
Il est certain que cette traduction présente des
taches. Mais notre intention n'est pas de l'examiner
piece à piece , vers à vers , le crayon de la critique
à la main. Nous nous contenterons d
d'observer que
la recherche et la gêne nous paraissent en être le
défaut dominant. Horace , comme dit Montagne ,
crochete et furete tous les recoins de la langue ,
pour rendre sa pensée plus piquante et plus neuve ;
mais il est toujours libre et naturel. C'est ce qu'un
ancien appelle verborum curiosa felicitas ; or , sans une
allure facile , sans aisance , on ne traduit point ce
bonheur d'expression .
Du reste , nous aimons mieux citer les morceaux
qui prouvent que le cit. Didot sent vivement les
( 281 )
beautés de son original , et dans lesquels il nous
paraît l'avoir suivi de plus prés que les traducteurs
connus jusqu'à ce jour. Ces morceaux l'engageront
sans doute à revenir sur le tout , pour le rendre digne
de son talent.
Voici quelques strophes de l'ode à la Fortune.
Déesse qu'Antium encense ,
Et qui te plais sur ses autels ,
Fortune , dont la main dispense
Les biens et les maux des mortels
Toi qui , riante et secourable ,
Peux sur nn être misérable
Étendre ton bras protecteur ,
Et tout-à-coup d'un front sévére
Changer en un char funéraire
Le char du fier triomphateur.
C'est toi que sans cesse importune
Le cultivateur malheureux ;
Le mortel qui brave Neptune
A toi seule adresse ses voeux :
A tes pieds le scythe sauvage ,
Le Dace avide de carnage
Se prosternent pleins de ferveur ;
Les Latins respirant la guerre ,
Et tous les peuples de la terre.
En foule implorent ta faveur.Lap zon
Hérissé de clous formidables ,
Devant toi marche le destin :
Chargé d'instrumens effroyables
Il tient levé son bras d'airain.
D'une modeste contenance
Vient ensuite avec l'espérange
( 288 )
La trop rare fidélité ,
En vain dans ton humeur mobile
D'un grand tu désertes l'asyle ;
Elle se fixe à son côté.
Mais la courtisane parjure
Et l'ingrat vulgaire s'enfuit :
Démasqués dans leur imposture
Les amis s'échappent sans bruit :
Sous les lambris de la richesse
Ils ont tari dans l'allégresse
Le vin de la prospérité ;
Et cette cohorte avilie
Au malheureux laisse la lie
Et le poids de l'adversité.
!
33
}
La derniere strophe sur- tout est très - belle .
Diffugiunt cadis
Cum face siccatis amici ,
nous paraît rendu fort heureusement.
Une des odes les plus intraduisibles d'Horace est
sans doute celle qui commence par ces mots : Quem
virum aut heroa, etc. Le cit. Didot a vaincu, du moins
en partie , les difficultés du début ,
Animant sous tes doigts ou la flûte ou la lyre ,
9 Quel homme , quel héros muse , vas-tu chanter ?
Quel est le nom du Dien dent la gloire t'inspire 2
Quel écho va le répéter !
Choisis-tu l'Hélicon ? les ombres du Parnasse ?
Ces frimats éternels qui couronnent l'Hémus ,
Où , par les plus doux sons , le chantre de la Thrace
Attirait les rochers émus ?
( 283 )
Instruit par Calliope , il eut l'art de suspendre
Et la chûte du fleuve et la course des vents :
Les bois autour de lui se pressant pour l'entendre ,
Prêtaient l'oreille à ses accens .
Mon premier voeu t'est dû , Pere de la nature ,
Roi des hommes , des Dieux et de l'immensité
A toi dont la sagesse et dispense et mesure
Des saisons le cours limité.
;
Rien de plus grand que toi de ton sein ne peut naître ;
Rien n'est semblable à toi , rien ne peut t'égaler.
etc. etc. etck
Nous avons remarqué les vers suivans dans l'ode
sur la mort de Cléopatre,
Du capitole en feu la ruine insensée
Flattait l'ambition de ses projets trompeurs :
César en foudroyant sa flotte dispersée
Des vins, qui l'enivraient dissipa les vapeurs i
a Et la précipitant loin des bords d'Italie
De Qu'osait menacer sa fureur , a
cette ame étonnée et non point avilie ,
bazz .
Il sut inspirer la terreur.enler sitoq u5 if di A
Tel l'épervier poursuit la colombe timide ;
Ainsi le chasseur presse un chevreuil bondissant. voule
, etc. etc. 15
Mentemque lymphatam marcotico nous semble bien
traduit..
Les lecteurs retrouveront aussi l'empreinte de l'original
, dans cette strophe tirée de l'ode à Tindaride.
La colere a produit tous les maux du Thyeste :
Les plus fieres cités croulerent dans ses feux ;
Et sur lears murs détruits sa vengeance funeste
Dirigea du vainqueur le sol injurieux .
( 284 )
7
Enfin, pour citer des vers d'un autre ton et d'ün
autre genre , nous transcrirons la petite ode à Chloë ;
la traduction en est libre et facile .
Tu me fuis , Chloé , plus légere
Qu'un faon qui sur les monts errant
Au moindre souffle qu'il entend ,
Éponvanté cherche sa mere.
Dans les buissons qu'un verd lézard
Se glisse en secret sous l'ombrage ;
Que zéphire agite un feuillage ;
Il se dresse , il fremit , il part.
D'un lion ai- je la colere ?
D'un tigre ai-je reçu le jour ?
Cesse enfin de suivre ta mere ;
Il est tems de suivre l'amour.
•
1. 2007
Le cit. Didot n'a pas craint de mettre le texte d'Horace
à côté de sa traduction. Ge dangereux voisinage
rend, en général, le lecteur plus difficile sur les ver
français ; mais il en fait souvent aussi mieux sentir le
mérite.
A la fin du petit volume que forme de tecueil, dont
la typographie est extrêmement soignée , se trouvent
plusieurs fables et quelques autres pieces, de vers
parmi lesquelles deux Épîtres au cit. Prud'hon dessinateur
d'un talent et d'une perfection rares , et une
autre Epitre au cit. Gerard , ce jeune Raphaël de la
France, méritent particulierement d'être remarquées.
42
( 285 )
MÉLANGES.
Suite des Pensées et Réflexions d'HELVÉTIES.
QUEULELQQUUEE tems après qu'une erreur a disparu , les
hommes ne conçoivent pas comment on l'a pu croire.
On se moque aujourd'hui des Égyptiens qui adoraient
leurs dieux sous la figure d'un oignon ; on rit de
la sottise de ces moines qui se disputaient entre eux
sur la propriété et l'usufruit de la soupe qu'ils mangeaient
: nous apprenons à rire à nos neveux sur bien
d'autres absurdités pour le moins aussi ridicules . Cependant
il vient à la tête de peu de gens sensés de
se demander : Que croyons -nous donc de plus raisonnable
que les Egyptiens ou les nations les plus
barbares ?
L'humanité est un sentiment réfléchi ; l'éducation
seule le développe et le fortifie .
Je sais , disait une dame malade , d'ailleurs assez
heureuse , je sais que je suis heureuse , mais je ne le
sens pas. Différence entre le sentiment et la réflexion .
On pourrait calculer la bonté d'un homme par son
bonheur. J'entends par bonheur , non celui qu'on
attribue à la fortune , mais celui qui naît d'une bonne
santé , de la satisfaction ou du moins de la modéra
tion de ses desirs .
à
Ceux-là seuls sont propres à écrire de la morale
qui n'ont pas besoin d'attribuer leurs actions
d'autres causes qu'à celles qui les leur ont fait faire ,
et qui n'ont pas besoin de s'attraper eux -mêmes sur
les motifs qui les font agir , crainte de se trouver trop
méprisables à leurs propres yeux . Il n'y a que celui ,
par exemple , à qui l'envie n'aura fait commettre
aucune mauvaise action qui avouera qu'il a eu de
-l'envie.
( 186 )
L'intérêt donne toujours de l'esprit. Mes fermiers
m'ont toujours attrapé quand ils ont voulu , pour
deux raisons : la premiere , parce qu'ils connaissaient
mieux que moi la matiere dont il s'agissait , et que
cette connaissance est la bâse de l'esprit ; la seconde ,
parce qu'ils avaient plus d'intérêt à m'attraper que
je n'en avais à ne l'être pas , vu qu'ils étaient gueux,
et moi riche.
L'édit qui établit les notaires insulte plus les
hommes que le livre de l'Esprit. L'un dit que les
hommes sont fripons ; l'autre dit seulement que les
hommes n'agissent qu'en vue de l'intérêt personnel .
Lorsque l'on combat les principés d'un homme ;
on peut montrer les conséquences qui en suivent
mais ne pas assurer qu'illes ait eues en vue , et attendre
ce qu'il répondra.
Annibal était borgne. Il se moqua du peintre qui
le peignit avec deux yeux , et récompensa celui qui
le peignit de profil. On ne veut pas être loué trop
fadement ; mais on est bien aise qu'on dissimule nos
défauts .
C'est le lot des esprits rares d'allier la justesse avec
l'imagination.
On n'a point à craindre que la secte académique
s'accrédite jamais . La vanité humaine n'aime point
à suspendre son jugement ; la paresse encore s'y oppose
car pour suspendre son jugement il faudrait
réfléchir , et en général l'homme est ennemi de là
réflexion , qui fatigue toujours .
Le principe des moeurs des hommes n'est point
dans leurs principes spéculatifs , mais dans leurs goûts
et leurs sentimens . Il y a tant de croyans qui agissent
mal , et tant d'athées qui agissent bien ?
Les personnes dévotes sont naturellement crédules
et soupçonneuses ; elles doivent donc admettre légerement
tout ce qu'on dit des personnes d'une opinion
ou d'une secte différente de la leur.
( 284 )
On ne cesse point de croire une absurdité , parče
que de bons esprits la démontrent telle ; mais on la
croit , parce qu'un petit nombre de sots et de fripons
Ta disent vraie.
Il y a des gens qui se croient de grands raisonneurs
, parce qu'ils sont pesans dans la conversation ,
comme des bossus qui se croient de l'esprit parce
qu'ils sont mal faits.
Faire beaucoup de rentiers dans un état , c'est lier
l'intérêt du roi à l'intérêt d'un grand nombre d'hommes
, ennemis naturels des propriétaires .
Quiconque est perpétuellement en garde contre
lui-même se rend toujours malheureux de peur : de
l'être quelquefois.
La physique et la morale sont comme deux colonnes
isolées éloignées l'une de l'autre , mais qu'un
jour un même chapiteau rejoindra.
Il faut être plus lent à condamner l'opinion d'un
grand homme que celle d'un peuple entier.
Un homme d'esprit passe souvent pour un fou
devant celui qui l'écoute ; car celui qui écoute n'a
que l'alternative de se croire sot , ou l'homme d'esprit
fou il est bien plus court de prendre le dernier
parti.
Les petites fautes dans un grand ouvrage sont les
miettes qu'on jette à l'envie .
Les rois et les prêtres aiment les contradictions
dans les lois . Ils s'en servent tour-à-tour au gré de
leurs intérêts . L'utilité publique qu'on poserait pour
regle et pour mesure des actions des hommes serait
une bâse de morale qui leur déplairait fort .
Une nation soumise au despotisme connaît rarement
un peuple libre . Très - peu de Français connaissent
les Anglais. Aussi y a- t- il une maniere trèsdifférente
de négocier avec les républicains ou avêc
( 288 )
les despotes. Les uns suivent leur intérêt ; les autres ,
leurs caprices.
C'est un grand tort à un écrivain d'être ennuyeux.
On ennuie dans un ouvrage de morale ou de raisonnement
toutes les fois qu'on ne réveille pas l'esprit
par des idées neuves. Dans les histoires et les
romans , les faits tiennent lieu de pensées et d'esprit.
Raisonner , pour la plupart des hommes , c'est le
péché contre nature .
Les hommes passionnés pour les femmes , la considération
, ou les honneurs , les obtiendront par des
crimes ou des vertus , selon le siecle ou la nation où
ils vivront.
Dans les cours , le déshonneur est comme la fumée,
qui se blanchit en s'étendant au large .
Si la voix du sang parlait , il n'y a point de jour
où il ne se fît dans une rue de Paris plus de reconnaissance
qu'en dix ans sur le théâtre français.
On voit se soutenir la vertu persécutée et honorée
, mais rarement la vertu persécutée et méprisée .
Si les hommes ne croient pas aux contes des fées
et des génies , ce n'est pas leur absurdité qui les
retient et les en empêche , c'est qu'on ne leur a pas
dit d'y croire.
Une des choses qui nous donnent le plus de fausses
idées du bonheur , c'est l'exagération des poëtes qui
nous peignent , par exemple , les transports momentanés
de l'amour comme une durée , et nous font .
par-là concevoir une idée de bonheur qui ne peut
exister. Voilà le fantôme qui séduit la plupart des
hommes , et sur-tout des jeunes gens.
Le clergé est une compagnie qui a le privilége
exclusif de voler par séduction.
La suite au numéro prochain.
VARIÉTÉ .
( 989 )
VARIÉTÉ
. Mbank quasi¿qué
7 Asil abingd
Sur les Lettres manuscrites du P. D. HURT fuique,
d'Avranches.
Le conseil de conservation des objets de sciences
⚫t d'arts vient de découvrir , dans la bibliotheque
d'un ex -jésuite émigré , entr'autres manuscrits précieux
, trois cents lettres environ du célebre évêque
d'Avranches , formant deux volumes in 49. Plusieurs
sont écrites de sa main. Il a revu et corrigé les
autres.
.
L'abbé d'Olivet , dans l'éloge de Huet, compte .
parmi les manuscrits de son illustre ami dont il a
connaissance , cinq à six cents lettrestant latines
que françaises , écrites à des savansovio, a sql9raadā,
Les lettres ci-dessus mentionnées étant toutes Дatines
, ne forment donc que la moitié de celles dont
parle l'abbé d'Olivet.
3
D'Alembert à fait aussi un éloge de Huet! Ilavait
eu communication d'un volume de lettres françaises
et manuscrites de notre savant académicien , adressées
la plupart au P. Martin , cordelier à Caen. O
Il paraît que ce volume forme la seconde partie
des lettres qu'indiquait l'abbé d'Olivet. Il est entre
les mains d'un savant qui est digne de le posséder .
Les cinquante- huit lettres latines de Huct , qui ont
été publiées en 1712 par l'abbé Zilladel , dans le
tome II des Dissertations sur diverses matieres de religion
et de philologie , font partie des trois cents récemment
Tome XXVI. T
{ /290-}\
a
trouvées. Plusieurs autres de ces dernieres ont été
aussi imprimées à différentes époques . On en trouve
dans le Supplément de Chauffepié au Dictionnaire de Bayle,
à l'article Huet. Voyez le même article dans le Moreri
en dia volumes.
soning ab u - j
#mpsijoiidid bi
T.
POESTE.
HYMNEA LA BEAUTÉ.
Fragment d'un Poëme sur l'Imagination.
怎么
01 que l'antiquité fit éclore dés ondes ,
Qui descendis du ciel , et regnes sur les mondes
L Toi qu'après la bonté l'homme chérit le mieux 3
Toi qui naquis un jour du sourire des Dieux ,
Beauté ! je te salue. Hélas d'épais nuages.
A mesyeux presque éteints dérobent res ouvrages.
Voilà que le printems reverdit les coteaux ,
Des chaînes de l'hiver dégage les ruisseaux
Rend leur feuillage aux bois , ses rayons à l'aurore
Tout renaît : pour moi seul , rien ne renaît encore ;
Et mes yeux , à travers de confuses vapeurs ,
Ont à peine entrevu ces tableaux enchanteurs .
Plus aveugle que moi , Milton fut moins à plaindre ;
Ne pouvant plus te voir , il sut au moins te peindre.
Et lorsque par leurs chants préparant ses transports
Ses filles avaient fait entendre leurs accords ,
Aussi- tôt des objets les images pressées
va
En foule s'éveillaient dans ses vastes pensées :
J Il chantait ! et tes dons , tes chef- d'oeuvres divers ,
** Eclipsés à ses yeux , revivaient dans des vers.
}
( ågi )
Hélas ! je ne puis pas égaler son hommage
Mais dans mes souvenirs j'aime encor ton image.
Source de volupté , de délices , d'attraits ,
Sur trois regnes divers tu répands tés bienfaits .
Tantôt , loin de nos yeux , dans les flanès de la terre
En rubis enflammés tu transformes la pierre ;
Tu donnes en secret leurs couleurs aux métaux ,
Au diamant ses feux , et leur lustre aux érystaux .
Au sein d'Antiparos tu filtres goutte å göutte
Tous ces glaçons d'albâtre , ornement de sa voûte
Edifice brillant qui , dans ce noir séjour ,
Attend que son éclat brille à l'éclat du jour.
Tantôt nous étalant ta pompe éblouissante ,
Pour colorer l'arbuste , et la fleur , et la plante ,
D'or , de pourpre et d'azur , tu trempes tes pinceaux:
C'est toi qui dessinas ces jeunes arbrisseaux ,
Ces élégans tilleuls et ces platanes sombres ,
Qu'habitent la fraîcheur , le silence et les ombres ...
Dans le monde animé , qui ne sent tes faveurs !
L'insecte , dans la farge , est fier de ses couleurs .
Ta main du paon superbe étoila le plumage ;
D'un souffle , tu créas le papillon volage.
Toi-même , au tigre horrible , au lion indompté ,
Donnás leur menaçante et sombre majesté .
Tu départis aux cerfs la souplesse et la grace.
Tu te plus à parer ce coursier plein d'audace ,
Qui , relevant sa tête et cadençant ses pas ,
Vole et cherche les prés , l'amour et les combats.
A l'aigle , au moucheron , tu donnas feur parure :
Mais tu traitas en roi le roi de la nature .
L'homme seul eut de toi ce front majestueux ,
Ce regard tendre et fier , noble , voluptueux ,
Du sourire et des pleurs l'intéressant langage ,
Et sa compagne enfin fut ton plus bel ouvrage.
T #
( 292 )
T
Pour elle , tu choisis les trésors les plus doux
Cette aimable pudeur qui les embellit tous
Tout ce qui porte au coeur ,
l'attendrit et l'enflamme ;
Et les graces du corps , et la douceur de l'ame.
L'homme seul contemplait ces globes radieux :
Sa compagne parut , elle éclipsa les cieux .
Toi-même t'applaudis en la voyant éclore ;
Dans le reste on t'admire , et dans elle on t'adore .
Que dis-je ? cet éclat , des formes , des couleurs ,
O Beauté ! ne sont pas tes plus nobles faveurs.
Non , ton chef-d'oeuvre auguste est une ame sublime ;
C'est l'Hôpital si pur dans le regne du crime ;
C'est Molé , du coup- d'oeil de l'homme vertueux ,
Calmant d'un peuple éma les flots impétueux ;
C'est Bayard , dans les bras d'une mere plaintive
Sans tache et sans rançon remettant sa captive ;
C'es Crillon , c'est Sully , c'est toi , divin Caton
Tenant entre les mains un poignard et Platon ,
Parlant , et combattaut , et mourant en grand homme .
Et seul resté debout sur les débris de Rome .
9
Par le cit. DELILLE.
J
LOGO GRIPHE.
E sais par mes discours me rendre intéressant ,
Plaire à mon auditeur qui , quoiqu'indifférent ,
M'écoute avec plaisir , et vient me rendre hommage ;
Surtout lui racontant les fruits de mon voyage .
C'est parmi les Français que je prends mes leçons ,
Que je puise à souhait toutes combinaisons .
Quand dans bien des journaux j'établis ma puissance ,
Le lecteur a pour moi beaucoup de complaisance ;
Dirigeant à mon gré le destin des combats ,
Je le persuade , il croit souvent ce qui n'est pas ; 1
+
( 293 )
Car sans être rhéteur , je fais des hyperboles ,
En ce genre versé , je sais jouer mes rôles ;
En guerre et en amour je fais beaucoup d'éclat ;
Mais quand on me connaît , ma fierté se rabat .*
Dans sept lettres , lecteur , on voit mon existence ,
Ce qui n'est pas passé toujours a l'échéance ;
Ce qui de mon voisin le sépare de moi ;
S'il survient un discord , on invoque la loi .
Deux plantes dont souvent on use en médecine ;
Un mal qui des oiseaux procure la ruine ;
Un fruit dont le renard se nourrit fréquemment ;
Ce qu'une femme enceinte aspire très - souvent ;
Un mot qui dans les fiefs était fort en usage ,
Et qui des grands seigneurs augmentait l'appanage ;
Gertain coup de trictrac , dont deux dés ne font qu'un ;
Quelquefois dans ce jeu un tiers est importun ;
Ce qui dans un danseur fait admirer la grace ;
Qu'un maître dans ce genre artistement lui trace ;
Ce qu'on dit de celui qui ne veut être rien ;
C'est par-là que je vais finir mon entretien .
SPECTACLES.
THEATRE DE LA REPUBLIQUE.
Ceux qui ont lu la Vie privée du maréchal de Richelieu ,
en trois volumes , publiée en 1791 ; ou les piquans extraits
que feu Chamfort en donna dans le Mercure de la même
année , n'ont pas oublié l'aventure de madame Michelin ,
racontée par Richelieu lui - même , écrite de sa main ; le
trait n'est pas seulement d'uu libertin dehonté , il est d'une
ame atroce .
C'est ce trait qui a fourni le sujet de la piece nouvelle. ,
T 3
( 294 )
en cinq actes et en prose , intitulée le Lovelace Français.
Les deux auteurs de cette piece ont jugé à propos de
changer le nom de Richelieu en celni du duc de Senanges,
Senanges donc a eu la fantaisie d'avoir madame Michelin,
femme jolie et vertueuse dont le mari est un honnête
artisan , un tapissier de la rue Saint-Antoine
" .
il s'est in
troduit dans la maison sous le nom de Lafosse , valet -dechambre
du duc de Senanges , et sous le prétexte de fourniture
d'ameublemens à faire à ce seigneur ; il a trompé le.
mari et séduit la femme ; puis il l'a laissée en proie aux
remords , et est parti pour l'armée où il a fait une campagnę
très -brillante.
"
A son retour , il lui prend envie de revoir sa conquête.
bourgeoise ; il envoie un billet par son valet-de- chambre .
Madame Michelin , dévorée de chagrin , mourante de regrets
, fait une réponse qui contient un refus formel ; maię
le duc revient lui - même sous le nom de Lafosse , et se ,
fait inviter à souper par le mari. Afin de ne pas se trouver
avec le dục , sa malheureuse victime veut aller souper chez
une parente ; elle prend une voiture de place , mais le
cocher est gagné ; il conduit madame Michelin dans la
petite maison du duc de Senanges ; là se trouve le perfide ,
qui lui fait les sermens les plus pathétiques , se jette à seș
pieds , et finit par l'attendrir. Au milieu de cette scene
touchante , arrive tout d'un coup une jeune veuve , voisine
et amie de madame Michelin , que le duc de Senanges a
mise aussi sur sa liste ; il avait ces deux femmes en les
trompant toutes deux , et il a trouvé plaisant de les réunir
, et de les mettre en face l'une de l'autre . Cette scene
le divertit beaucoup ; madame Renaud ( c'est le nom de
Ja voisine ) est surprise et indignée ; mais la vertueuse
madame Michelin est désespérée ; son déshonneur est divulgué
par le scélérat même qui en est l'auteur ; pour
comble de désespoir , elle est rencontrée reconnue dans
(bag54)
J
cette petite maison par un ami intime de son mari , secrè̟-
taire du duc de Senanges , et qui , plein d'estime et de
respect pour madame Michelin , ne peut revenir de son
étonnement.c
Il la ramene chez elle malgré elle ; mais le coup est
porté la malheureuse femme ne peut survivre à tant de
douleurs réunies. Le duc de Senanges a encore la froide
cruauté de se présenter à souper chez Michelin , sous le
nom de Lafosse ; il semble qu'il veuille voir expirer sa
victime. Madame Michelin meurt , en avouant à son mar;
tout ce qui s'est passé ; celui - ci saisit un pistolet comme
pour se venger ; le duc sort après un mouvement de repentir
,, que les auteurs lui ont prêté sans doute pour
adoucir l'atrocité de son rôle ..
•
Sous le point de vue moral , on ne peut qu'approuver
les intentions des auteurs ; d'un côté , une pareille piece
peut servir à prémunir les femmes contre les dangers do
la séduction , en leur en montrant les suites cruelles ; de
T'autre , il est bon de se rappeller de tems en tems les
horreurs et les abus de l'ancien régime . On pourrait dire
de la piece , ce que Chamfort a dit de la Vie privée de
Richelieu :` 66 Qu'elle présente , dans la vie d'un seul homme,
le tableau de tous les abus , de tous les vices moraux et
politiques qui , en conduisant la nation au dernier terme
du malheur et de l'avilissement , l'ont placée dans l'alternative
de périr , ou de changer entierement les bâses de l'édifice
social, "
Nous avons entendu des gens , irrités contre cet ou
vrage , prétendre qu'il était révolutionnaire , que les auteurs.
avaient forcé les traits et chargé les couleurs ; c'est tout
le contraire Richelieu , tel qu'il était , tel qu'il s'est peint
lui-même , n'eût pas été supportable au théâtre. Un des
endroits de la piece qui a le plus révolté ces messieurs ”,
c'est lorsque le due dit que ce qui lui a fait de la peine .
I 4
( 296 )
K
le lendemain de la bataille , ç'a été de voir les corps des
"gens de son espece mêlés et aonfondus sans ménagement avec
ceux des simples soldats . Il est vrai que le mot est d'un
orgueil fort bête ; mais ce n'est pas la faute des auteurs ;
le mot est vrai ; il a été dit et écrit par lui-même ; et
est assez de caractere , il est assez curieux , pour valoir la
peine d'être conservé .
f
Sous le point de vue dramatique et littéraire , les trois
premiers actes ont un peu langui ; l'exposition sur- tout est
froide , parce qu'elle n'est point motivée , et qu'on ne sait
aquel propos madame Michelin s'avise un beau matin de.
-se confier à sa servante . Les deux derniers , le quatrieme
surtout , sont du plus grand effet ; seulement le petit acte
de contrition que Senanges fait à la fin de la piece , a été désapprouvé
, parce qu'il est contraire au caractere du personnage.
3
On a blamé aussi quelques fautes contre le costume !;
par exemple le duc tutoie son secrétaire ; ce n'était point
du tout l'usage ; les gens de qualité , peut- être par un rafinement
de vanité , tutoyaient rarement leurs inférieurs ,
même leurs laquais.
Cette faute est d'autant plus sensible , que le secrétaire ,
dont le rôle est fort beau , est présenté comme un homme
fier et indépendant , et peu fait pour souffrir cette familiarités
choquante ..
Peut-être les auteurs , non contens d'avoir inventé des
ressorts attachans , et donné à leur piece une marche dramatique
et intéressante , auraient-ils dû soutenir le dialogue
par des mots heureux , par des détails tantôt plaisans ,
tantôt énergiques , suivant les scenes où ils seraient placés.
Ce sont les détails , c'est le style qui fait vivre les our
viages , et c'est aussi la partie la plus difficile ,
La piece est très -bien jouée . Elle est des cit . Duval at
Monvel , tous deux acteurs à ce théâtre , tous deux connus
par d'autres succès dans la carriere , dramatique..
( 297 )
2
ANNONCES.
Le Courier des Enfans , rédigé par L. F. Jauffret . Seconde
année. La réputation du Courier des Enfans est faite . Il y
a un an que cet utile journal existe , et qu'il fait les délices
de l'âge intéressant auquel il est consacré . Les enfans
apprendront avec joie qu'il se continue , et qu'il . paraîtra
toujours avec la même exactitude . L'auteur est avantageusement
connu, Ami des , enfans , comme l'était Berquin ,
il est aimé d'eux , comme Berquin le fut. C'est par goût
qu'il travaille pour l'enfance , et son style a toute la naïveté
de cet âge aimable .
Le Courier des Enfans paraît périodiquement tous les
15 jours , depuis le 1er janvier 1796 , par cahiers de 72
pages in- 18 chacun , sans compter la couverture. Prix de
l'abonnement , 12 liv . par an 4 liv. pour 4 mois .
"
Toutes les lettres de demande doivent être adressées ,
franches de port , à L. F. Jauffret , rue de Vaugirard , nos . 110
et 1195 , maison des voitures d'Orléans , à Paris . Il n'y a
plus de bureau intermédiaire .
Ceux qui voudront recevoir les 24 cahiers de l'année
1796 , ajouteront 12 liv. à leur abonnement.
On peut aussi s'adresser à L. F. Jauffret , pour les Charmes
de l'Enfance , et les Plaisirs de l'Amour maternel ; ouvrage
də sa composition : deux volumes in- 18 , de l'imprimerie
de Didot jeune , 1796 ; cinquieme édition , ornée de superbes
figures . Prix , 5 liv . , francs de port.
Psyché et Cupidon , épisode traduit d'Apulée , dédié aux artistes
; par J. F. C. Blanvillain . Grand in - 18 . Prix , 25 sols ;
et 35 sols , franc de port , pour les départemens . A Paris ,
chez Plassan , rue du Cimetiere- Saint- André-des -Arcs , nº . 10.
L'an V ( 1797 ) ..
{ ( 298 )
?
NOUVELLES ÉTRANGERES.
ON₂
ALLEMAGNE
De Hambourg , le 20 décembre 1796.
Na reçu de Constantinople , sous la date du 10
du mois dernier , les détails suivans :
La Porte vient de rappeller son ambassadeur à
Londres ; elle a nommé pour le remplacer Ismaïl
Aga, qui jusqu'ici n'a été connu que pour avoir été
surintendant des magasins de bled .
Il est encore arrivé cette semaine une compagnie
entiere d'artilleurs français , qui ont été logés dans
notre arsenal ; ils sont maintenant occupés à diriger
les travaux d'une nouvelle fonderie de canons ; les
pieces que l'on va couler seront absolument différ
rentes de celles dont les Ottomans se sont servis,
jusqu'à ce moment. Les artistes et autres ouvriers que
l'on a fait venir de France , ont aussi établi des fabriques
de fusils , d'armes et d'attirails militaires de
toute espece. ;
La Porte a aussi fixé son attention d'une maniere
particulier sur le commerce . Il a déja été dit qu'elle
avait favorisé la marine marchande par des exemptions
, et fait construire un grand nombre de bâti
mens pour éviter les frais du cabotage étranger. On
commence déja à éprouver les heureux effets de cette
disposition ; les marchandises affluent de tous côtés ,
et nos ports en sont remplis.
Les lettres de Smyrne portent entr'autres qu'il y
est arrivé récemment un consul espagnol et des négocians
qui avaient à bord d'un seul bâtiment une
cargaison et des capitaux qu'on peut évaluer à deux
millions et demi de piastres . On attend sous peu un
( 299 )
consul-général de sa majesté catholique , qui fixera
sa résidence à Constantinople , pour protéger le com
merce des sujets espagnols .
La Porte , animée par les exemples qu'elle a sous
les yeux , se propose d'établir incessamment une
compagnie ou chambre d'assurance ; d'ériger des fabriques
de toutes sortes de draps , de papiers , etc. ,
à-peu-près sur le même pied que celles qui furent
établies jadis en Valachie , et qui ne tomberent que
par l'insatiable avidité des vaivodes de ce pays .
Sur les vives instances de l'ambassadeur de France ,
la Porte a fait intimer au sieur Chalgrin , émigré
français , qui résidait en cette capitale depuis le commencement
de la révolution , qu'il eût à quitter son
jannissaire , la cocarde blanche et les autres signes
caractéristiques du royalisme ,
L'église et le couvent sis à Galata de Constantinople
, connus sous le nom de Saint- Benoît , et
possédés par la France depuis le regne du sultan
Soliman II , de glorieuse mémoire , étaient devenus
T'objet d'une contestation que le gouvernement
Ottoman avait provisoirement terminée , en donnant
l'inspection des biens du couvent au vaivode de
Galata , et la direction spirituelle à un ex-jésuite ,
originairement sujet du grand - seigneur. Ces deux
propriétés nationales viennent d'être remises définitivement
à la disposition du représentant de la République
Française , qui a pris déja des mesures pour
leur administration temporelle.
Le citoyen Verninac a pris , le 1er . de ce mois ,
son audience de congé du grand-visir , avec un trèsnombreux
cortege composé de personnes de sa nation .
Le tchaouxbachi ( le troisieme des ministres d'état ) , lui
envoya son bateau à sept paires de rames , à Top-
Hana , pour le passer à Constantinople , où lui-même
l'attendait dans un kiosk sur la marine , pour le conduire
à la Porte. C'est pour la premiere fois que ces
honneurs , réservés aux audiences de réception , ont
été accordés pour une audience de congé.
M. Verninac partira scus trois jours pour retourner
en France , en vertu de la permission qu'il en a reçue
•
( 300 )
7.
du Directoire exécutif. Il est chargé de présenter au
Directoire le pavillon ottoman que la Porte lui envoie
en signe d'amitié .
Les lettres de Suede nous apprennent que le roi
a nommé le conseiller Riselle à la charge éminente
de vice -président du département des mines ; et le
conseiller Kling , à celle de président du conseil de
commerce. Ces deux promotions sont les premieres
qu'ait faites le jeune monarque ; et son choix , qui
est fort applaudi , est tombé sur deux hommes dorigine
bourgeoise , et d'un mérite généralement reconnu.
Ce prince ,, en qui les Suédois croient voir
revivre Gustave III , est chéri de tous les ordres du
royaume. La noblesse seule , regrettant le pouvoir
dont elle fut privée sous le regne précédent , et dont
elle avait fait si long tems un honteux usage , paraît
craindre en Gustave IV le fils de celui qui sut la rẻ-
primer. Plusieurs membres de cet ordre viennent de
publier une protestation contre la maniere dont le
roi a pris les rênes du gouvernement.
Nous avons annoncé précédemment que ce jeune
prince avait établi , dès les premiers jours de son avénement
au trône une commission pour examiner
la situation des finances , et en former un tableau
qu'il se proposait de mettre sous les yeux de la nation
lorsqu'il jugerait à propos d'en assembler les
représentans . Il a cru ne pouvoir différer plus longtems
cette mesure ; les embarras pécuniaires dans
lesquelles il se trouve l'ont rendue d'une nécessité
urgente ; et les états viennent d'être convoqués.
Le nord offre dans ce moment un vaste champ à
la curiosité , aux spéculations et aux conjecture des
politiques. Les deux principales nations de cette contrée
viennent de voir passer leur gouvernement dans
d'autres mains . On cherche à deviner par les premiers
actes des nouveaux souverains quelles sont
leurs dispositions , leurs maxiines , et quelle sera leur
conduite envers les autres puissances. L'un de ces
souverains est à peine sorti de l'enfance ; mais la
raison parait avoir en lui devancé les années ; et il a
deja développé des qualités et des intentions qui ,
( 301 )
pour ses sujets et les peuples ses amis les plus natu
rels , sont du plus favorable augure . L'autre , parvenu
à toute la maturité de l'âge , s'est trouvé jusqu'alors
dans des circonstances qui ne lui ont permis de développer
que des vertus purement domestiques , er
telles qu'elles ne pussent donner aucune prise aux
inquiétudes , aux soupçons , à la jalousie de l'usurpas
trice qui portait le sceptre qui lui appartenait . Pendant
sa longue minorité , carc'est ainsi qu'on peut appeller
l'espece d'existence dont il a joui sous le regne
de Catherine II , il a dû s'abstenir sur- tout de tout ce
qui pouvait faire croire qu il prévoyait le moment où
il succéderait à cette mere impérieuse , et qu'il s'oc
cupait de cet événement ; en conséquence , ses opinions
politiques , ses affections , ses études même
ont du ctre renfermées dans le secret le plus profond
. Nous l'avons déja dit , et des renseignemens
postérieurs le confirment : sa conduite , depuis qu'il
est monté sur le trone , fait penser qu'il est fort
éloigné du systême turbulent et envahisseur de
Catherine II ; systême au reste qu'on pourrait croire
que cette princesse n'avait adopté que par le besoin
de s'étourdir sur le souvenir du passé , et de l'effacer
en quelque sorte aux yeux des contemporains par
l'éclat du présent . Catherine II avait voulu faire oublier
l'épouse de Pierre III.
Depuis notre dernier rapport , nous avons connaissance
de plusieurs faits , qui , réunis à ceux que
nous avons déja allégués , semblent devoir ne laisser
aucune incertitude sur la modération que tous les
apis de la paix et de l'humanité doivent se plaire à
trouver dans le nouveau souverain de la Russie.
Quelque tems avant sa mort , l'imperatrice avait
ordonné une levée de 130,000 homines dans ses
Etats . Paul Ier, a non - seulement révoqué l'ukase qui
prescrivait cette opération , mais il a déclaré que
tout recrutement était suspendu pour trois ans . On
assure qu'il a envoyé des ordres pour faire cesser
les hostilités sur les frontieres de la Perse . Il a rendu
la liberté aux prisonniers polonais , chefs ou subał
ternes ; et Kosciuszko n'a point été excepte. Quelque
( 302 )
décisifs que soient ces faits , et sur- tout le premier ,
des nouvellistes ; pour qui il semble que de toutes
les chances , que peut amener le changement d'ac
teurs dans les grands rôles de la scene politique , la
moins probable doive être celle qui ferait jouir
l'Europe des bienfaits de la paix , annoncent que ,
malgré ses démonstrations extérieures , Paul Ier . n'en
est pas moins déterminé à suivre les erremens de sa
mere ; et ils ajoutent qu'il a même déja confirmé
tous les engagemens qu'elle avait pris avec les An
glais.
C'est sur la connaissance qu'ils prétendent avoir
des intérêts de ce prince , qu'ils fondent leurs sinistres
assertions . Nous croyons nous , qu'une connaissance
réelle de ces mêmes intérêts donnerait lieu à des asser
tions absolument contraires . Il ne serait pas difficile
de prouver que la Russie n'a rien à gagner , et á
beaucoup à perdre , en prenant une past activé aus
démélés actuels des autres puissances de l'Europe ;
que c'est en s'occupant uniquement de relations commerciales
et de l'administration intérieuré que son
maître houveau peut l'élever au degré de prospérité
et de gloire que la nature lui a marqué.
3
Les lettres de Vienne nous apprennent que le général
Clarck y est arrivé . On attend avec beaucoup
d'impatience le résultat de la mission dont on suppose
qu'il est chargé. Malgré les immenses préparatifs
que l'on voit faire , malgré les ressources que
l'empereur peut espérer de trouver dans le zele de
ses sujets d'après les magnifiques promesses dés
Etats de Hongrie ; malgré les suggestions de l'Angleterre
, on espere que le négociateur français trou
vera dans le cabinet impérial quelques dispositions
à la paix.
ITALIE. De Naples , le 1er décembre.
Ön ne doute pas ici que le traité de paix conclu avec la
France n'ait plusieurs articles secrets. On croit que c'est en
vertu de ces articles que le gouvernement a permis à tous les
étrangers d'exporter des denrées , excepté les Anglais , et
( 303 )
qu'il se fait des préparatifs à Messine pour y recevoir uns
flotte.
Le ci-devant vice-roi de Corse , M. Elliot , qui est ici avee
quatre vaisseaux de guerre , partira incessamment.
Le parti espagnol se flatte que la flotte combinée arrivera
bientôt dans le port de Naples , et que sa présence favorisera
quelque grand changement dans le ministere , ou du moins
diminuera l'influence du parti autrichien qui a été si funeste au
royaume. PELO OSLO J A
La ville de Naples , autrefois si florissante , présente aujourd'hui
de speclacle de la plus grande misere. Tous les
impôts, toutes les taxes sont plus que doublés . Le numéraire,
autrefois si abondant , a presque disparu , et l'on est inondé
de papier-monnaie. Les propriétaires fonciers , la classe la
plus riche de l'Etat , ne peuvent plus supporter les charges,
publiques. La classe commerçante est totalement ruinée
moins par les effets de la guerre , que par les contributions
excessives qu'elle a dû payer , et par les persécutions qu'elle
aessuyées.Vans MP
Les gens de robe , qui formant une classe très -nombreuse
† de 30 à 40 mille ) , sont aujourd'hui aux armées comme vos
lontaires , et y trouvent leur subsistance. Mais en revenant à
la ville , ils seront dans la détresse parce qu'ils n'auront pas
d'occupation. Les procès sont en quelque sorte un objet de
luxe , et tel est aujourd'hui l'état de la capitale et des pros
vinces , que tout le monde évitera de plaider.
Le petit peuple de Naples , connu sous le nom de lazzas
roni , présente aussi un spectacle nouveau ; autrefois on les
voyait toujours gais et contens ; jamais lazzarone n'avait songé
au lendemain ; un travail très-modéré leur procurait une
subsistance facile ; et grsce
au climat , ils étaient heureux.
Aujourd'hui ils sont tristes, sombres et inquiets ; ils ne trous
vent pas à employer leurs bras , et n'ont plus les moyens d'as
cheter les denrées de premiere nécessité , dont le prix est
excessif ; ils vivent d'aumônes qu'ils vont souvent deman
der aux couvens et aux palais , de maniere à n'être pas refusés.
d
La cour , par les secours qu'elle a distribués , et par
l'influence des moines , a su contenir jusqu'ici cette classe
si nombreuse et si propre à devenir l'instrument d'une révolution
; mais bientôt le geuvernement sera forcé de sup
primer une partie des impôts ; il perdra ses ressources ,
et se trouvera accablé d'une dette énorme . Le mécontentement
du peuple augmente avec sa misere. S'il n'y avait
( 304 ))
pas dans la foule quelque "Masanielle qui l'engageât se
lever , il se trouverait plus d'un chef parmi les nombreuses
victimes du despotisme ministériel . Tout antioncé que le
gouvernement est menacé de quelque secousse violente , si
on n'en écarte ceux que les Napolitains regardent comme
les auteurs de leurs maux.
Depuis , quelque tems la reine sort rarement. On a remarqué
que le jour de la Saint- Charles , le roi a été seul
au théâtre . Le peuple le voit encore avec plaisir ; mais il
n'accueille pas la reine avec les mêmes acclamations : il
commence à dire que si l'argent est si rare à Naples , ' c'est
qu'elle en a envoyé beaucoup en Allemagne . 5
De Rome , le 10 décembre . Avant-hier un courier napoli
tain , de retour de Paris , et chargé de la ratification du
traité de paix entre Naples et la République Française
remit au marquis del Vasto des dépêches qu'on dit trèsimportantes.
Cet ambassadeur eut une longue conférence.
avec le secrétaire d'Etat , et le soir on remarqua que nonseulement
la secrétairerie , mais encore tous ceux qui ont
la confiance du saint-pere ; étaient fort tristes , comme s'ils
avaient reçu de mauvaises nouvelles . On prétend , en effet ,
que le Directoire n'a pas accepté la médiation de S. M. S.
entre la France et la cour de Rome , et il ne pouvait l'accepter
, après avoir admis celle de la cour de Madrid . '
Tout annonce que S. M. catholique veut une satisfaction
éclatante des insultes faites par les Romains à son
ministre , le chevalier Azzara , et aux Espagnols en général.
Il parait que la cour de Madrid veut interrompre
toute communication avec Rome , jusqu'à ce qu'elle ait
obtenu les réparations demandées . Outre l'ordre donné
aux auditeurs de Rote espagnols de suspendre leurs fonctions
, elle a ordonné à ses couriers ordinaires de ne plus
arriver jusqu'à Rome , et de s'arrêter à Parme ensorte
qu'ils ne portent pas les lettres d'Espagne à Naples .
La mésintelligence et la division qui regnent entre les
cours de Naples et de Madrid , paraissent augmenter tous .
les jours. Il y en a même qui prétendent qu'elles finiront
par une rupture ouverte. Cette division est d'autant plus
difficile à faire cesser , qu'elle naît de l'inimitié des deux
reines . Celle de Naples , pour regner d'une maniere plus
absolue , veut détruire à Naples tante influence espagnole ,
et y établir celle de sa maison . La reine d'Espagne est
fâchée non-seulement de voir la mésintelligence , établie et
maintenue
1
( 305 )
maintenue entre ces deux freres par l'ascendant de la reine
de Naples , mais on prétend qu'elle veut faire valoir les
droits incontestables que son frere , le duc de Parme , a
sur le royaume de Naples . On sait que don Philippe et
ses enfans étaient appellés à la couronue des Deux - Siciles
dans le cas que Charles succédât à celle d'Espagne.
De Bologue , le 11 décembre. Je vous ai annoncé que la
constitution a été acceptée presqu'à l'unanimité . Vous ne
serez pas fâché de savoir quelques détails de cet important
événement , qui fait honneur à la sagesse et au patriotisme
des Bolonais . A 12 heures d'Italie ) les représentans du
peuple se rassemblerent dans l'église de St. Petrone . Le cit.
Joseph Gualordi , en vertu du réglement , fit les fonctions de
président comme le plus âgé de l'assemblée , et choisit pour
secrétaires les citoyens Pistorini , avocat , et Brunetti , senateur
; et pour secrétaires suppléans , les citoyens Cechelli
sénateur, et Naguoni, avocat. Lorsqu'on eut fait l'appel nomimal
et vérifié les pouvoirs des représentans , on ferma les portes
de l'église et la séance fut commencée. Un représentant demanda
la parole pour savoir si le veeu de l'assemblée étaitd'élire
un président par scrutin ou par acclamation ; ce dernier mode
fut préféré , et le citoyen Aldini , avocat , fut aussi - tôt acclamé
président. Il confirma les choix des quatre secrétaires nommés
par le citoyen Gualordi , et en choisit deux autres ; les
citoyens Joseph Carboneri , ex-noble , Gambori , avocat .
Il nomma aussi quatre vérificateurs , les citoyens Charles
Fabri , curé de saint Isaie , Pierre Padorani , Jacques Greppi ,
et Maure Gandolfi . Le président se fit ensuite apporter les
clefs de l'église ; et voulant implorer les lumieres du Trèshaut
, entonna I hymne Veni Greator Spiritus , qui fut chanté
par tous les représentans . On procéda ensuite aux scrutins .
Sur le bureau autour duquel était assis le président , les secré
taires et les vérificateurs , étaient deux urnes , l'une appellée
délibérative et l'autre d'écart . On fit ensuite l'appel nominal
de tous les représentans , en commençant par ceux de la ville ,
et à mesure qu'ils s'approchaient du bureau , deux aides
nonimés par le président remettaient à chaque représentant
une boule rouge et une boule noire , qu'ils mettaient dans les
urnes selon son vou . Lorsque tous les représentans eurent
voté , on viďa l'urne délibérative , et l'on trouva que la constitution
avait été acceptée par 454 voix contre 30. Le nombre
des votans étant de 484 , le président déclara alors que la
constitution avait été acceptée , et entonna ensuite l'hymne
Tome XXVI. V
( 306 )
}
7
ambroisien , qui fut chanté avec allégresse par tous les réprés sentans. Les cloches de saint Petrone annoncerent en mêmetems
au peuple qui remplissait la place et les rues , et on entendit de tous côtés les cris vive la constitution ! vive la liberté !
L'assemblée procéda ensuite à l'élection des 36 membres qui
doivent aller à Reggio , le 27 , pour y traiter avec les représentans
de Modene , de Reggio et de Ferrare des intérêts de
la confédération cispadane , et cette élection fut achevée le
lendemain . Je vous tendrai compte du résultat des différentes
séances . Contre les espérances des malveillans , la constitution
a été acceptée à une très -grande majorité , et les représentans
du peuple ont paru presque tous animés du même esprit
Le lendemain de l'acceptation on rendit des actions de grace
à l'Etre suprême dans l'église de saint Petrone ; la pompe de
la fête et le concours qu'elle a attiré ont été les mêmes que
pendant les trois jours qui ont précédé l'acceptation . Les jours
suivans se sont passés en fêtes et en réjouissances , dans
lesquels l'ordre , la paix et l'harmonie ont regné constamment.
REPUBLIQUE
BATAVE.
De la Haye , le 14 décembre . Hier , le conseil de marine a
fait part
à la convention nationale d'une lettre écrite de
Portsmouth , 29 novembre , par le lieutenant Metman . Get officier se dit chargé par le contre -amiral Lucas de notifier la prise de l'escadre qu'il a eu le malheur de commander , et le de détails où il entre tendent manifestement
à prouver
que c'est l'insubordination
et le mauvais esprit des équi- pages qui ont nécessité la fatale capitulation dont on a conpeu
naissance . Arrivés , dit-il , dans la baie de Saldanha le 6 août , nous
nous étions occupés d'abord de rafraîchir notre provision d'eau , quand nous vimes arriver , le 15 , du côté de la terre , une armée anglaise de quatre à cinq mille hommes , sur laquelle la Bellone fit un feu non interrompu depuis 11 heures jusqu'à 4. Alors une flotte anglaise , forte de huit vaisseaux de ligne , de six frégates et moindres bâtimens , jetta l'ancre à l'entrée de la baie . Sitôt que nos équipages eurent reconnu
orange
que c'était des Anglais , ils arborerent la cocarde cleverent des cris forcenés : vive Orange ! Ils menacerent de massacrer les officiers , pillerent l'eau-de-vie et le genievre , et , à l'exception d'un petit nombre , s'enivrerent completie- ment . Tous les canonniers déserterent leurs pieces , et il fut impossible aux officiers de se faire obéir ; sur quoi le
ét
(( 307 )
contre-amiral se décida à capituler , et nous nous sommes
rendus le 16. "
Parti de la baie de Saldanha le 20 août le lieutenant
Metman est arrivé à Portsmouth le 2 novembre . Il avait
déja deux fois écrit à Londres pour être autorisé pår l'amirauté
à aller remettre en Hollande les dépêches dont il est
chargé mais il n'avait pas encore obtenu de réponse .
" Du 24. Dans la séance du 21 décembre , le comité de marine
donna communication d'une lettre , en date du mois
de septembre , qu'il venait de recevoir du capitaine Wierts ,
commandant la fregate la Medea , en station dans la rade de
Curaçao , qui lui rend compte de ce qui s'est passé tant à
Curaçao que sur les deux frégates qu'il a sous ses ordres , relativement
à la prestation du nouveau serment de fidelité et d'obéissance
à la république . Ce commandantse trouva à cette occasion
dans la situation la plus critique . La plupart des officiers,
tant civils que militaires , attachés au gouvernement de l'isle ,
refuserent, ainsi que toute la garnison de Curaçao , de prêter
le serment. Tous les équipages des deux frégates le refuserent
également , à la réserve de presque tous les officiers , alléguant
pour motif , qu'étant dégagés de tout serment , ils n'en voulaient
point faire un nouveau avant d'avoir reçu tout ce qui
leur était dû pour leur paye , qu'ils ne touchaient point depuis
long-tems ; et qu'au reste , lorsqu'elle leur aurait été accordée ,
ils verraient ce qu'ils auraient à faire . Tous les efforts que
fit le capitane Wierts pour les ramener à l'obeissance , furent
d'abord inutiles . Les circonstances étaient urgentes . La garnison
excitée par ses officiers , menaçait de se livrer aux plus
grands excès . Ce commandant se détermina en conséquence
à accorder aux équipages l'argent qu'ils demandaient , et tout
rentra dans l'ordre. Il parvint ensuite à détacher la garnison
de ses officiers . Cette soumission lui ayant assuré les moyens
de destituer tous les officiers ou agens du gouvernement qui
refuseraient de prêter le serment , ceux qui persisterent dans
leur refus furent en conséquence destitues ; et sur leur
demande , le commandant Wierts leur accorda la permission
de quitter l'isle , où la tranquillité est maintenant complette
ment rétablie der
Cette lettre a été renvoyée à une commission .
ANGLETERRE. De Londres , le 16 décembre .
La séance du parlement d'hier a été cousacrée , presqu'en
entier , au malheureux Lafayette . Le général Fizpatrick , après
( 308 )
î
un discours fort éloquent , fit la motion d'une adresse an
roi , dans laquelle le parlement représenterait que la détention
de M. de Lafayette déshonore la causé commune , et
supplierait S. M. d'aviser , dans sa sagesse , aux moyens
d'obtenir la délivrance de ce prisonnier. La motion fut appuyée
par M. Sheridan . M. Pitt sy opposa , en se fondant sur
l'indépendance mutuelle des souverains , qui ne permet pas
à l'un de s'immiscer dans l'administration de l'autre . M. Fox ,
´en admettant le principe , souint néanmoins qu'il était
susceptible d'exceptions . Il rappella l'intercession de notre
ambassadeur à Paris , en faveur de l'infortuné roi de France .
Il cita l'exemple du gouvernement français , qui avait
intercédé en faveur du capitaine Asgill . Enfin , il observa
que M. de Lafayette devait être regardé comme un prisonnier
de guerre , et que si on traite avec ses ennemis du sort
des prisonniers , à plus forte raison , il doit être permis de
s'intéresser pour un captif auprès d'un allié .
M. Windham réfuta ces argumens dans un discours trèsétendu
, dans lequel il parle avec beaucoup de violence
contre l'infortuné Lafayette. M. Fex reprit la parole pour
combattre le préopinant, On alla aux voix , et la motion.
fut rejettée par 132 voix contre 50 .
Du 23. Le secrétaire d'Etat , M. Dundas , a remis à la
chambre des communes un état détaillé des revenus , des
produits du commerce , des dettes , etc. de la compagnie
des Indes orientales , par lequel il paraît que les affaires
de cette compagnie sont dans un état plus florissant et plus
profitable au gouvernement qu'elles ne l'ont jamais été.
On attend avec impatience le résultat des propositions
que le lord Malmesbury a dû faire au gouvernement de
France , d'après les dépêches que lui a portées M. Ellis .
Mais la mort de limpératrice de Russie , dit le Morning-
Chronicle , peut faire un très - grand changement dans l'état
de la négociation ; et M. Pitt , qui en tout se conduit plutôt
par expédiens que par principes , aura peut-être besoin de
faire ponr les propositions de paix , comme il fait pour
tous ses actes de parlement , d'en faire de nouvelles pour
expliquer ou amender les premieres.
( 30g )
REPUBLIQUE FRANÇAISE.
CORPS LÉGISLATIF.
1
Séances des deux Conseils , du 5 au 15 nivôse .
tap
Rousseau a fait , au conseil des Anciens , le
port relatif à la résolution sur les colporteurs de
journaux . Il a dit que la commission , après un mâr
examen , n'a point trouvé qu'elle ôtât directement
ou indirectement la liberté de parler ou d'imprimer ,
mais qu'elle prévenait les nombreux abus qu'a produits
la licence des publications . Ainsi , bien loin
d'y voir rien dont la liberté civile et politique puisse
concevoir la moindre alarme , elle n'y a reconnu que
mesures sages et efficaces pour assurer l'ordre
public , et elle propose de l'approuver. Le conseil
l'adopte.
Il approuve ensuite celle sur le nouveau tarif des
postes seulement .
Le 7 , Goupilleau fait rejetter la résolution relative
aux actes passés pendant la rébellion dans les
départemens de l'Ouest , comme contenant des dispositions
inutiles et même vicieuses .
Thibaudeau expose , le 6 , au conseil des Cinqcents
, que la législation sur les biens des communes
et l'acquit de leurs dettes , est devenue incertaine
par les difficultés que présente l'exécution de la loi
du 24 août 1793 , et il fait arrêter que les communes
dont l'actif excede le passif, rentreront en jouissance
de leurs biens , de même que celles qui justifieraient
n'avoir pas de dettes .
Siméon soumet à la discussion son projet de résolution
sur la successibilité des enfans naturels. I
s'agit de rapporter, comme injuste et contraire aux
principes , l'art. IV de la loi du 15 thermidor , qui
exclut les fils légitimes des enfans naturels , lorsque
venant par représentation de leur pere à la succession
V 3
( 310 )
de leur ayeul , conjointement avec leurs oncles ou
tantes , leur pere est mort avant le 4 juin 1793 , c'està-
dire avant la publication de la loi qui a appellé les
enfans naturels à la succession des ascendans avec les
légitimes , Il n'y a rien eu de décidé .
Camus propose , le 8 , de faire payer les rentiers et
pensionnaires de l'âge de 65 ans , et au- dessus , de
la totalité de leurs rentes ou pensions .
Monnot y voit un privilége ; Dubois Crancé , l'impossibilité
d'effectuer ces paiemens , et il demande
la préférence pour les défenseurs de la patrie que
leur âge ou leurs blessures mettent hors d'état de
travailler. La question est ajournée .
Daunou présente la rédaction de la résolution sur
l'établissement du journal tachigraphique , dans la-,
quelle sont fondus les amendemens adoptés dans les
séances précédentes. Il en résulte qu'il n'y aura point
d'agent rédacteur . que le journal sera envoyé aux
administrations municipales , mais en payant les frais
de papier et de tirage , qu'on recevra des abonnemens
pour les seuls frais , sans aucun bénéfice .
Doucet et Borne combattent ce nouveau projet ;
Quirot et Lecointe l'appuient. Après quelques débats
, il est adopté.. Desita
Jard Panvilliers propose , le 8 , au nom d'une commission
spéciale , de déclarer les presbyteres alienables
, comme tous les domaines nationaux . Impres
sion , ajournement.
La discussion s'ouvre sur le troisieme projet de
Dauaou , relatif à la licence de la presse.
Dumolard : Le projet de Pastoret a deux grands
mérites ; la concision et la clarté , Celui de Daunou ,
qui a lair d'en être le développement , offre bien à
la vérité quelques - unes de ses nuances , mais il
contient aussi des dispositions caractérisées et fondamentales
. En démontrer les vices , ce sera motiver
la priorité que je réclame pour le projet de Pastoret ,
Il vous parle beaucoup de l'honneur des citoyens
dans une République , j'en couviens , l'honneur est
la plus chere propriété de l'honnête homme ; mais
attaquer celui d'un fripon , c'est le dépouiller avec
( 311 )
justice d'un bien qu'il a ravi. Le repporteur veut bien
permettre aux écrivains de discuter la justice d'une
loi rendue ; mais pourquoi leur refuserait-il la permission
de censurer les mauvaises lois ? Si un parti
venait à dominer la France , les écrivains seraient
donc réduits à la triste faculté de discuter la justice
des lois atroces qu'il pourrait porter ? Que la calomnie
soit punie ; qu'elle le roit sans distinction d'individus
et d'une maniere égale pour tous : je suis las
pour ma part , de l'inexactitude infamante de l'impunité.
"
La licence de la calomnie est un signe de dépravation
dans un Etat. Sylla lui assura l'impunité ; et les
empereurs , des récompenses : vous ne ferez ni l'un ni
l'autre. Mais aussi , vous ne réprimerez pas à la fois.
la vérité et la calomnie . Cependant le projet de la
commission paraît n'avoir d'autre but que d'arrêter
les développemens de la premiere . La vérité peut
bien être comprimée quelques instans ; mais son
ressort ne se brise jamais. Je demande la priorité, pour
le projet de Pastoret.
Lamarque : Il vous faut des lois de police séveres
contre les calomniateurs ; le projet de Pastoret peche
par un excès d'indulgence . Il est d'ailleurs incom
plet je demande la priorité pour le projet de
Daunou .
Réal parle dans le même sens . La discussion sera
continuée .
Les Anciens ont approuvé la résolution portant
que les exécuteurs testamentaires se libéreront dans
les mêmes valeurs qu'ils auront reçues .
La discussion s'est engagée , le 9 , au conseil des
Cinq- cents , sur le 1er . article du projet de Daunou.
Jard- Panvilliers a proposé quelques amendemens. Il
demandait qu'il ne fût accorde aucun délai pour
fournir les preuves matérielles d'une calomnie ; trois
jours pour fournir les preuves testimoniales , et que
les représentans du peuple fussent tenus de faire
signer leurs journaux par quelqu'un qui serait res .
ponsable .
Divers autres amendemens sont successivement
1
F
V 4
( 31 )
proposés et la plupart adoptés par Daunou ; mais
quand il relit la rédaction des deux premiers articles ,
une foule de réclamations s'élevent .
Il s'agissait de comprendre dans ces articles les
inculpations sur les moeurs , la moralité , l'honneur
des citoyens. Divers membres soutiennent que ces
définitions sont trop vagues . Le projet de Pastoret
est bien plus précis et plus clair , dit Thibaudeau.
Pourquoi d'ailleurs exiger dans de certains cas
des preuves matérielles ? Pourquoi dans d'autres des
preuves testimoniales ? Pourquoi n'accorder que trois
jours pour ces dernieres ? Un citoyen n'aurait- il
le droit d'administrer telles preuves qu'il voudra.
Vous briserez la plume dans la main des écrivains
courageux . Personne n'osera plus dénoncer une cons
piration .
Lecointe pense qu'on peut aussi calomnier verbalement
dans un grand cercle , dans un lieu public ,
par un placard manuscrit.
Tant d'amendemens et de débats font que bientôt
le conseil ne s'entend plus ; on demande le renvoi
à la commission ; il est rejetté , et Jard-Panvilliers
propose de comprendre dans la résolution les cà-
Jomnies imprimées et manuscrites ,
Cambacérès réclame avee force contre cette proposition.
Quoi ! s'écrie- t -il , on pourra me faire un
crime de ce que j'aurai écrit à un homme dans le
secret de l'amitié ! Ah ! que la lassitude ne nous
arrache pas de pareilles lois . Je demande de nouveau
le renvoi.
Le renvoi est ordonné ,
Un secrétaire donne , le ro , la lecture de la derniere
résolution relative à la conservation , dans la
Belgique , des corporations séculieres . Elle donne
lieu à de vifs débats . Les uns demandent la suppression
des chapitres nobles d'hommes et de femmes ;
les autres , de tous les chapitres , et qu'on ne conserve
que les curés et vicaires. Plusieurs faisant un
retour sur ce qui s'est passé en France , et les inconvéniens
qui en sont résultés , pensent qu'une semblable
mesure doit être mûrie , et réclament l'ajour
( 313 )
nement. Après une assez longue discussion , la question
est renvoyée , à la commission qui examinera
quelle extension il convient de donner à la loi du
15 fructidor sur la suppression du clergé régulier
dans la Belgique.
On reprend la discussion du troisieme projet de
Daunon , sur les délits de la presse. Elle a roulé
presqu'entierement sur la définition de la calomnie .
Le premier article du projet amendé , a été arrêté.
Les autres renvoyés , pour la rédaction , à la commission
.
Le conseil ajourne un projet de Villers, dont voici
les dispositions principales :
1º. La circulation des grains est entierement libre .
2. Toute personne qui cherchera à l'entraver sera
non seulement condamnée à la restitution de la
quantité de grains qu'elle aurà arrêtés , mais encore
à une amende égale à la moitié de la valeur desdits
grains .
30. La défense d'exporter des grains et farines de
toute espece est maintenue,
4º. Toute voiture qui serait arrêtée à lieues des
frontieres de la République , sera confisquée . 1
5º. Les propriétaires et conducteurs seront condamnés
à une amende de 10 francs par quintal .
Boyer fait adopter un projet de tarif des droits de
sortie auxquels sont assujettis la résine ,la térébenthine,
le goudron et autres marchandises dont l'exportation
a été permise.
Aubry soumet au conseil son projet sur la nou ,
velle organisation des conseils de guerre , qui doivent
juger les officiers généraux et commissaires des
guerres .
Savary le combat , et le fait renvoyer à un nouvel
examen de la commission .
Le conseil des Anciens ne s'est occupé ces derniers
jours que d'objets d'intérêts particuliers .
On ouvre , le 1er . nivôse , au conseil des Cinq- cents
la discussion sur le projet du code hypothécaire , et
de crédit cédulaire.
Jourdan : Le projet de code hypothécaire présenté
si souvent au Corps législatif , n'est que le prélude
( 314 )
d'une banque territoriale . Il présume le danger d'une
prompte expropriation forcée de la masse générale
des propriétés . Dans le code hypothécaire , toutes
les créances seront encadastrées dans des registres par
canton . D'après ce mode , le propriétaire pourra
convertir les trois - quarts de sa fortune en cédules
hypothécaires . Mais on ne dit pas que , pour ce
service , il faut une banque territoriale : il n'est plus
tems de le dissimuler , et les auteurs des écrits аро-
logétiques du projet en sont même convenus . Mais
un tel établissement aura une influence qui peut
devenir dangereuse à la constitution. Il est à craindre
que la dette de l'Etat se convertisse en cédules , et
qu'un jour ces cédules s'agglomeront autour de la
dette nationale .
盘
La loi du 3 brumaire avait de moindres dangers
que celle du 9 messidor , qui organisa un bureau de
la conservation générale des hypotheques . C'est corrompre
la moralité de la loi que d'assimiler la législation
avec la fiscalité . Il y a une contradiction bien
frappante entre le systême hypothécaire et le systême
cédulaire l'un tend à assurer les propriétés ; l'autre
tend à les détruire : c'est une véritable émission d'asè
signats.Lorsqu'on's'occupera de Forganisation du code
civil , sans doute la législation des hypotheques y
trouvera sa place ; mais alors on le dégagera de ce
qui tient aux finances . L'impôt indirect est plus favorable
à la société ; la propriété est , dans ce cas , à
l'abri de toute injustice. La révolution touche à son
terme. On a tout fait pour rétablir la circulation et
donner une nouvelle vie à toutes les transactions .
Je suis loin de penser que tout le bien que nous avons
a espérer puisse se réaliser en un instant. Mais
j'ai lieu de m'étonner que , dans un tel moment on
convoque nne assemblée de négocians , si illégale ,
si inconstitutionnelle . Il me semble entendre dire
aux partisans de la banque : la guerre toujours la !
guerre confusion sur confusion ! Le peuple Français
desire la paix , et les législateurs ne doivent pas , par
de fausses mesures , en éloigner le terme. Je demande
la question préalable sur la partie du projet relative
au crédit cédulaire , et le renvoi de la partie civile
à la commission de la classification des lois .
( 315 )
Réal , rapporteur , consent à une discussion séparée
des deux projets ; mais il s'oppose à leur renvoi à la
commission de la classification des lois .
Dubreuil demande la question préalable sur celui
relatif au crédit cédulaire.
Woussen pense que le Corps législatif ne peut pas
balancer à reconnaître le principe de l'utilité d'un
régime hypothécaire . La discussion sera continuée ..
Baraillon , dans la séance du 12 : Vous sentez le
ridicule d'emprunter le costume des Anciens , et vous
savez que nous devons être Français par nos habits
comme par nos moeurs. La commission , dont je suis
L'organe , vous propose de déterminer un costume
français pour tous les fonctionnaires publics , et voici
quel serait celui des représentans du peuple :
"
Pour le conseil des Cinq- cents : Chapeau noir de
velours à haute forme ; redingotte de drap bleu clair
avec revers en soie , broderie en argent ; ceinture tricolore
; et pour chaussure , des bottines de cuir noir.
Le costume des membres du conseil des Anciens
sera le même , à l'exception que les broderies et les
franges seront en or.
- Desmolins , organe de la commission chargée du
rapport sur la question de savoir si les baux à culture
perpétuelle , à la moitié , au tiers , et autre quotité
de fruits , sont soumis au rachat . La propriété ,
dit- il , est un des premiers droits de l'homme en société
et ce droit serait illusoire , s'il ne pouvait en
user à son gré. Ainsi , en regle générale , tout citoyen
qui n'a disposé de son fonds que sous la réserve d'une
rente pour le prix de l'objet aliéné , ne doit pas être
forcé à voir changer sans son consentement les stipulations
qu'il a faites ; cependant il semble qu'une
rente perpétuelle nuit trop à l'égalité , en tenant le .
débiteur comme dans une espece de servitude envers
son créancier . C'est d'après ce motif que les lois
ont permis le rachat des rentes foncieres perpétuelles
, et ont déterminé le mode de rembourse
ment ; mais le partage annuel que fait le cultiva
teur avec le propriétaire des fruits qui se récoltent
sur le fonds de celui ci , doit être regardé comme
une vente ? n'est - ce pas une prétention injnste que
celle de vouloir être admis au rachat de ces pars
་
( 316 )
tages ? Un seul principe la renverse ; c'est qu'il n'y a
que celui qui a acheté , et qui n'ayant pas payé s'est
soumis à la prestation d'une rente, qui doive être reçu
au rachat .
Desmolins propose un projet de résolution d'après
cette base . Aujourd'hui , 13 , un citoyen ayant demandé
à donner des renseignemens sur les colonies ,
une vive discussion a eu lieu , dans laquelle plusieurs
membres ont dénoncé les commissaires aux isles et
les bureaux de la marine . Il sera fait à ce sujet un
message au Directoire exécutif.
Camus a reproduit son projet sur les rentiers et
pensionnaires âgés de 65 ans et plus . Il a été renvoyé
à la commission pour la rédaction. On a repris la discussion
sur le code hypothécaire .
Legrand fait , le 11 , au conseil des Anciens , le
rapport de la résolution qui exempte du droit de
patente les peintres , sculpteurs , archivistes , et il
dit qu'on ne peut pas plus assujettir le peintre à la
patente que le poëte , ou l'orateur , ou le philosophie .
Lecouteux s'élevé contre la distinction établie
entre les professions . Elles sont toutes égales devant
la loi ; il y aurait d'ailleurs une difficulté insurmontable
à tracer la ligne de démarcation entre l'artiste
qui se livre seulement à son génie , et celui qui
fait le commerce de son talent et de celui des autres .
La résolution est rejettée .
Giroud fait aussi rejetter , le 12 , celle relative aux
rentiers et pensionnaires , comme superflue , et ac-
´cordant des avantages à ceux , d'entr'eux qui n'ont
pas payé leurs contributions . Le conseil s'est occupé,
les 13 et 14 , de la discussion sur la résolution rela--
tive aux canaux d'Orléans et de Loing.
Rioux est appellé , le 15 , à la tribune du conseil
des Cinq-cents pour la discussion sur le code hypothécaire
. Les vingt- quatre premiers articles du projet
de Réal sont adoptés . Ils traitent des principes sur
les hypotheques , des biens qui en sont susceptibles ,
des personnes sur lesquelles on peut les acquérir , et
des différentes especes d'hypotheques ,
Le projet de Jard- Panvilliers , tendant à l'aliénation
de tous les presbyteres , est renvoyé , sur le rapport
de Daunou , à la commission de l'instruction pu(
317 )
( blique , pour y faire les exceptions que nécessitent
certains instituteurs des écoles primaires.
Richard a ensuite fait lecture de son projet sur la
réorganisation de la gendarmerie nationale .
PARIS Nonidi 19 Nivose , l'an 5º . de la République .
Le Directoire a donné , décadi dernier , une audience aux
ambassadeurs . Mehemed Coggea , envoyé du bey de Tunis,
présenté par le ministre des relations extérieures , a remis au
président du Directoire une lettre du bey , contenant les assu
rances de son dévouement aux intérêts de la République Française
, ainsi que le desir d'effacer les sujets de plainte qu'ont
pu faire naître quelques circonstances désagréables , et de cultiver
l'ancienne amitié et la confiance qui lient les deux Etats .
Le ministre des relations extérieures a présenté également
au Directoire M. le marquis del Campo , ambassadeur d'Espagne
, choisi par son A. R. l'infant duc de Parme , pour le
représenter en qualité de son envoyé auprès de la République
Française.
M. le comte Balbe , ambassadeur de Sardaigne , a notifié au
Directoire , de la part du roi son maître , la naissance d'un fils
de son A. R. le duc d'Aoste .
Le citoyen Monroë , ministre plénipotentiaire des Etats-
Unis d'Amérique , a remis au président les lettres de rappel
qu'il a reçues récemment , et a prononcé un discours plein
des expressions de la plus vive sensibilite . « Le sort a voulu ,
a-t-il dit , que j'arrivasse parmi vous , lorsque des orages amoncelés
menaçaient la République au-dedans et au-dehors . Quelle
satisfaction ne dois - je pas éprouver en prenant congé de
vous , citoyens directeurs , de voir la victoire couronner les
efforts de vos braves concitoyens armés , et l'aurore de la
prospérité intérieure annoncer ces beaux jours que prometune
constitution sage , et réaliser les hautes espérances pour
lesquelles dans le cabinet comme sur le champ de bataille ,
Vous avez combattu si long-tems et avec tant de gloire !
Croyez , citoyens directeurs , que mes concitoyens en apprenant
par moi cet heureux état de choses , partageront la joie
qu'il m'inspire , et la sollicitude que j'éprouve pour sa continuation
. Il a terminé son discours par les expressions particulieres
de sa reconnaissance pour les égards et la confiance
dont le Directoire l'a honoré .
La réponse du président contient les sentimens les plus
flatteurs pour la personne du ministre plénipotentiaire . Mais
il n'a pas dissimulé le mécontentement du Directoire relativement
aux suites de la condescendance du gonvernement
américain pour les suggestions du cabinet de Londres.
}
( 318 )
Le Directoire a passé ensuite , accompagné de ses ministres
et du corps diplomatique , dans la salle de ses audiences
publiques. Le citoyen Lemarois , chef de bataillon et aide de
camp du général en chefBuonaparte , a présenté au Directoire
les drapeaux autrichiens pris par l'armée d'Italie à la bataille
d'Arcole , et a prononce un discours analogue à cette circonstance.
Le président lui a répondu , et a donné l'accolade
au jeune guerrier , et lui a fait don , au nom de la Rép
blique , d'une paire de pistolets de la manufacture nationale
de Versailles .
Le ministre de la guerre a présenté pareillement au Directoire
le citoyen Ramel , commandant en chef des grenadiers
composant la garde de la représentation nationale . Il a assuré
le Directoire de son inviolable fidélité , et de celle des
guerriers qu il commande à la constitution de 95. Cette séance
a été très-majestueuse et digne en tout du gouvernement d'une
grande République.
L'escadre de Toulon , commandée par le contre - amiral
Villeneuve , est entrée le 3 de ce mois dans la rade de
l'Orient ; elle était partie de Toulon le 11 frimaire , et sa
traversée a été des plus heureuse ; elle a passé devant Gi
braltar le huitieme jour de son départ , et elle a su échapper
à la surveillance de la flotte anglaise qui y était mouillées
Elle s'est présentée , le 30 frimaire , devant Brest , dont
elle a trouvé l'entrée bloquée par 21 vaisseaux de ligne
anglais qui l'ont poursuivie pendant trois jours . Le contreamiral
Villeneuve a su éviter cette force supérieure par
d'habiles manoeuvres , et il est ainsi parvenu dans la rade
de l'Orient , d'où il doit se rendre à Brest. Il paraît , d'après
cet évenement , que les Anglais n'ont pas été plus heureux
pour intercepter cette escadre , qu'ils ne l'ont été
pour empêcher notre armée navale de sortir .
Extrait d'une lettre officielle écrite de Cadix , le 26 frimaire ,
au ministre de la marine et des colonies .
La frégate de la République , la Vestale , de 26 canons
de 12 , faisant partie de la division du contre - amiral Villeneuve
, ayant cassé son mât de beaupré dans un coup de
vent , reçut l'ordre de venir se réparer ici ; elle se rendait
dans ce port , lorsqu'elle fut attaquée par la frégate anglaise
la Therpsicore , de 46 canons et 8 obus . Après un combat
d'une heure trois quarts , pendant lequel elle fut entierement
démâtée et eut le malheur de perdre son commandant
, le C. Foucault , elle se vit obligée de céder à la
supériorité de force ; mais je vous apprendrai qu'hier , se
trouvant mouillée près de Cadix , avec la frégate anglaise ,
( 319 )
et celle-ci ayant repris la mer , la laissant à l'ancre , son
équipage a arboré pavillon français , après avoir contraint
les Anglais qui se trouvaient à bord de se rendre . Je viens
de faire remorquer cette frégate par quatre chaloupes , et
elle est entrée en baie ce soir , rase comme un ponton.
Je vais faire tout mon possibie pour la mettre dans le
cas de reprendre la mer dans une quinzaine de jours.
La division aux ordres du contre -amiral Villeneuve , venant
de Toulon , a rencontré par le travers du cap la Roque , un
bâtiment portugais qu'il a coulé bas , après en avoir retiré
l'équipage composé de onze homines , et environ 3000 piastres
formant tout son chargement.
Le corsaire le Victorieux , commandé par le cit . Teragno,
et armé à Dunkerque par le cit. Hochard , a emmené a
Furhsund un bâtiment anglais à trois mâts , venant de Pétersbourg
, chargé de planches et de fer .
Un corsaire de Bayonne , commandé par le cit. Dihyns ,
a fait une prise chargée de sardines , qu'il a envoyée à
Rochefort. Il paraît qu'il en a expédié une seconde pour
l'Espagne , richement chargée .
Le corsaire les Amis , de Bordeaux , capitaine Patrouilleaud
, a pris et conduit à la Rochelle le senaut anglais
le James Williams . capitaine Cornelius Dewar , allant de
Lisbonne à Cork , chargé de 620 balies de coton .
•
Le ministre de la marine apprend , dans le moment
par des lettres officielles de Brest , que l'escadre de Toulon
y est entrée le g de ce mois .
Des nouvelles fâcheuses se répandent en ce moment sur le
mauvais succès de l'expédition de Brest . On assure que l'avant-
garde de notre escadre , aux ordres du contre -amiral
Bouvet , vient de rentrer dans ce port. Elle a été , dit - on ,
séparée du reste de la flotte , par la tempête , peu de jours
après sa sortie ; cette division s'est rendue néanmoins sur les
côtes d'Irlande. Le général Grouchy , qui commandait les
troupes de débarquement , a voulu l'effectuer. Mais après
quelques débats avec le contre-amiral Bouvet , un coup de
vent a forcé la division à prendre le large . On ne sait point
encore ce qu'est devenu le reste de la flotte ; ce qui occa
sionne les plus vives inquiétudes . Nous desirons , avec tous
les bons citoyens , que cette nouvelle soit fausse , ou exagé
rée . Les ennemis du gouvernement , si elle est malheureusemert
vraie , vont avoir un beau texte pour leurs odieusess
déclamations . Ils auraient tenu un autre langage , si le succes
eût couronné l'entreprise , ou plutôt si les vents ne l'eussent
contrariés.
f
( 310 )
Extrait d'une lettre du général Buonaparte , au Directoire exécutif.
Au quartier - général de Milan , le 8 nivôse , an V.
L'armée du général Alvinzi est sur la Brenta et dans le
Tyrol ; l'armée de la République est le long de l'Adige
et occupe la ligne de Montebaldo , Corona , Rivoli . Nous
avons une avant-garde en avant de Véronne , et une autre
en avant de Porto - Legnago.
Mantoue est cernée avec le plus grand soin ; d'après
une lettre de l'empereur à Wurmser , qui a été interceptée ,
cette place doit être à toute extrémité : la garnison ne se
nouriit que de viande de cheval .
Je vous le répete avec une vive satisfaction , la République
n'a point d'armée qui desire , plus que celle d'Italie
, le maintien de la constitution sacrée de 1795 , seul
refuge de la liberté et du Peuple Français . L'on hait ici et
l'on est prêt à combattre les nouveaux révolutionnaires
quel que soit leur but. Plus de révolution , c'est l'espoir
le plus cher du soldat. Il ne demande pas la paix qu'il
desire intérieurement , parce qu'il sait que c'est le seul moyen
de ne la pas obtenir , et que ceux qui ne la desirent pas ,
F'appellent bien haut pour qu'elle n'arrive point ; mais il
se prépare à de nouvelles batailles pour la conquérir plus
sûrement. Signé , BUONAPARTE .
Extrait d'une lettre du général Buonaparte , au Directoire exécutif.
Au quartier-général de Bergame , le 5 nivôse , an V.
J
Citoyens directeurs , les Vénitiens ayant accablé de soins.
l'armée du général Alvinzi , j'ai cru devoir prendre de nou
velles précautions , celle de m'emparer du château de Bergame
, qui domine la ville de ce nom , afin dempêcher
les partisans ennemis de venir gêner nos communications
de l'Adda à l'Adige. Cette province de l'état de Venise est
mal intentionnée à notre égard . Il y avait dans la ville de
Bergame un comité chargé de répandre les nouvelles les plus
ridicules sur le compte de l'armée ; c'est sur le territoire de
cette province qu'on a le plus assassiné de nos soldats ,
c'est de là que l'on favorisait la désertion des prisonniers autrichiens
. Quoique l'occupation de la citadelle de Bergame ne
soit pas une opération militaire , il n'en a pas moins fallu du
talent et de la fermeté pour l'obtenir. Le général Baragueyd'Hilliers
que j'en avais chargé , s'est , dans cette occasion $
parfaitement conduit. Je vais lui donner le commandement
d'une brigade , et j'espere qu'aux premieres affaires , il
méritera , sur le champ de bataille le grade de général de
division . Signé , BUONAPARTE .
LENOIR-LAROCHE , Rédacteur.
et
144. 135 .
No. 12 .
MERCURE FRANÇAIS .
DECADI 30 NIVÔSE , l'an cinquieme de la République.
(Jeudi 19 janvier 1797 , vieux style. )
Explication du Logogriphe du No. 11.
Le mot est Menteur ; on y trouve rente , mur , meule et ruë?
mue , meure , terme , tenure , terne , menuet , neutre.
LITTÉRATURE ÉTRANGERE,
蒙
Stockholm . Mémoires de l'Académie royale des Sciences.
tom. XVI ; pour l'année 1795 .
Les mémoires compris sous le titre de mathématiques
et histoire naturelle générale , sont : 1º , celui
de Gustave - Adolphe Leijonmack , sur la maniere
de trouver les fracteurs quarrés et cubiques , dans
les équations du cinquieme degré ; 2º . celui de Clas
Bierkander , qui donne la description d'une nouvelle
espece de papillon de nuit , phalana tinea ekebladella
; 3. celui de Pierre Osbuck , sur une maiche
particuliere des nuages , observée le 4 septemb
1793 , dans la paroisse de Hafslofs .
Erik Acharius et Jean-Pierre Westring ont enrichi
la partie du recueil , relative à la botanique , de recherches
curieuses sur les diverses especes de lychens .
Acharius a fait des additions et des corrections im-
Tome XXVI, X
( 322 )
portantes à ses précédens travaux sur ce sujet. Mais
Westring , en rendant compte de ses expériences sur
la nature et l'usage des couleurs que fournissent
certains lychens , notamment les coriacés , paraît avoir
oublié , ou peut être n'avoir pas connu les mémoires
couronnés en 1786 par l'académie des sciences ,
belles - lettres et arts de Lyon , sur l'utilité des lychens
dans la médecine et dans les arts .
Les ouvrages ci- dessus forment la premiere partie
de ces mémoires .
Dans la seconde , on ne trouve qu'un seul mémoire
qui la remplit en entier : il est intitulé , Expériences
sur la résistance qu'éprouve le mouvement des corps
plongés verticalement dans l'eau : par Frédéric- Henri
de Chapman , vice-amiral. Ces expériences ont été
faites durant les mois de juin , juillet et août 1794 ,
dans un bassin de soixante-huit pieds delongueur , sur
quinze de largeur et quatre de profondeur. Elles ont
fourni immédiatement et sans hypothese , le rapport
direct entre la pression des corps relativement à leur
volume , à leur forme , à leur poids , à la somme de
leur mouvement , et la résistance que leur oppose
la cohésion de l'eau . L'auteur en déduit une formule
géométrique générale , avec une table de différences
appropriées aux diverses formes et proportions dest
corps.
1.
Au commencement de ce siecle , Pierre Wieder-"
leiner construisit à Ostende une frégate qui marchait
extraordinairement bien , et dont le vice -amiral Chapman
avait déja donné la description dans son ouvrage
sur l'Architecture navale il vient d'en examiner
de nouveau le dessin ; il l'a trouvé conforme en tout
:
( 323 )
à ce que ses expériences indiquent pour la meilleure
construction des vaisseaux . C'est une autre expérience
plus en grand , dont la théorie tire beaucoup
de poids et de solidité .
Padoue. Saggi scientifii e letterarii d'ell' academia
Padova , tom. III ; 1794 ,
UNI partie considérable de ces mémoires est consacrée
à des objets de mathématiques et de physique
générale , dont beaucoup d'hommes de talent
s'occupent , avec un zele particulier , en Italie , et
sur lesquels on leur doit d'importantes découvertes
et beaucoup de recherches précieuses .
Jean-Baptiste Mazari décrit un orage qui eut lieu
dans le district de Castel - Franco , territoire de Trivigi,
le 27 avril 1786. Cet orage , remarquable par plusieurs
phénomenes singuliers , et par les désastres qui
l'accompagnerent , a déterminé le magistrat de santé
à faire placer des para-tonnerre sur tous les clochers
de ce district ; et bientôt l'ordre s'est étendu à toutes
les provinces de l'état de Venise . Voilà donc une
partie assez considérable de l'Italie jouissant des
fruits d'une découverte qui n'avait paru d'abord
qu'un objet de théorie purement curieux .
A
Joseph Toaldo a joint à ce 1er . mémoire , des détails
sur la mort ou le retour à la vie des personnes frappées
de la foudre . Ses remarques astronomiques sont
en quelque sorte confondues avec celles de Vincent
Chiminelli . Ils paraissent avoir fait en commun leurs
observations sur les taches de la lune et sur les va-
X 2
( 324 )
iations météorologiques de l'atmosphere . Mais Chiminelli
donne en particulier quelques vues sur la
théorie de la planette d'Herscheld , et Toaldo , un
essai en latin sur la thaleur de plusieurs endroits de
l'Italie .
Le mémoire de Simon Stratico , sur les embouchures
des rivieres , contient beaucoup de faits bien
choisis , et quelques rapprochemens curieux . -
3
La physiologie , la pathologie , l'anatomie , la zoologie
, la botanique , la chymie et la minéralogie ont
fourni beaucoup d'articles intéressans . De ce nombre
sont les observations microscopiques de Cadlani sur
la forme des particules rouges du sang. Il les a faites
avec l'instrument décrit par Lupieri de Vicence .
Comme Torre , il a remarqué dans ces particules une
espece d'anneau , avec un point transparent dans le
milieu ; mais il prouve , par une suite d'expériences
bien faites , que c'est une pure illusion d'optique ,
laquelle du reste est absolument inévitable dans
l'emploi des verres qui grossissent considérablement.
Caldani rapporte encore , à la même cause , ces petits
trous que Herwson dit avoir observés dans les
globules du sang.
Un sujet bien important dans l'histoire des corps
organisés , est la formation et la reproduction des
boutures , soit dans les plantes , soit dans les animaux
. Alexandre Calza l'a traité d'une maniere piquante
, quoique les découvertes faites depuis l'époque
où il écrivait , fassent aujourd'hui desirer plusieurs
choses dans son ouvrage .
On trouve dans un petit mémoire de Fiorati , la
description du coeur d'un homme mort subitement :
( 325 )
1 l'observation est assez remarquable . Non- seulement
ce coeur présentait trois arteres coronaires , mais à
la partie supérieure de la crosse de l'aorte , il y avait
deux trous qui communiquaient dans une cavité par
ticuliere , et une fente à la substance même du coeur ,
par laquelle le sang s'était épánché dans le péricarde .
Des figures exécutées avec soin font entendre plus
clairement cette extraordinaire conformation .
:
Les observations lithologiques de l'abbé Fortis ,
sur les isles deVentotienne et de Ponza , ne doivent pas
être passées sous silence. Il les a faites sur les lieux
même elles ne se bornent point aux pierres que
le sol de ces deux isles contient ; elles s'étendent à
tous les objets de physique , aux antiquités , aux
moeurs , aux maladies , à l'agriculture . Ce sól , comme
celui de la petite isle Saint-Étienne , porte l'empreinte
évidente de son origine volcanique . A l'endroit
appellé Cala d'elle Carozze , dans cette derniere isle ,
on trouve de la très-belle pierre ponce. Dans l'isle
Ponza , sont les bains dits de Pilate ; et c'est de leurs
fours à chaux que viennent ces gros morceaux de
verre noir et bleu qui se rencontrent par-tout dans
la Lombardie vénitienne . A Fariglioni della Madona,
lieu situé dans l'isle de Ponza , la lave' est coulée en
colonnes. L'auteur conjecture que cette lave a été
d'abord réduite en poussiere , et vomie dans cet état ;
mais qu'ensuite l'action du volcan l'a fondue une
seconde fois . Il s'étonne que l'hypothese de la formation
des basaltés sous les eaux , ait encore des
défenseurs .
X S
( 326 )
2
Sienne . Atti dell' Academia delle scienze di Siena , detta
de' fisico - critici. Tom. VII . pour 1794.
41
}
L'abbé Léonard Ximenès , Stanislas Canovai , Urbans
Lampredi , Jérôme Saladini , Dominique Bartoloni
et Vincent Brunacci ont fourni à ce recueil
tout ce qui regarde les mathématiques et la physique
générale . Le mémoire de Ximenès sur les
changemens que peut éprouver la marche des eaux
dans un fleuve dont le lit reçoit des corps étran
gers de divers volumes , et qui se fixeut au sol , paraît
en quelque sorte épuiser toutes les suppositions
possibles sur cet objet . Canovai a fait des recherches
, tout- à- la-fois d'érudition et de physique , sur la
fabrication des tuiles creuses . On sait que les Italiens
se servent beaucoup de cette espece de tuiles
dans leurs bâtimens , et sur-tout dans la construction
de leurs voûtes . Elle était en usage chez les
anciens . L'auteur en trouve des traces dans Strabon ,
dans Pline et dans Vitruve . Le commentaire de
Perotti , qui vivait dans le 16. siecle , lui fournit
l'occasion de faire , dans les manuscrits de ces deux
derniers , un changement auquel il paraît attacher
assez d'importance . Au lieu de Pitane , qui est le
nom de ces tuiles , il lit Pitacna ; et il dérive ce
dernier mot du grec to qui signifie proprement
un baril. Quoi qu'il en soit , l'ouvrage de Canovai
est savant et intéressant.
F
Le mémoire d'Urbano Lampredi , professeur de
wathématiques et de philosophie au collège de
Sienne, a pour objet une nouvelle espece de conchoïdes
oniques. Il est suivi de celui de Saladini , dont le
I
( 327 )
titre est de meridionali gravium libere descendentium
declinatione ; c'est - à - dire , de la déclinaison méridionale
des graves dont la chûte ne rencontre aucun obstacle.
Ce mémoire est le résultat de beaucoup d'expériences
ramenées au calcul .
La description détaillée que donne Bartoloni d'un
orage terrible , dans lequel la foudre tomba sur une
chapelle garnie d'un para - tonnerre , sans y causer
le moindre dégât , confirme de plus en plus l'utilitề
de cette belle invention .
- tout un
Mais la chymie , l'histoire naturelle et l'économie
rurale , sont les parties les plus riches du recueil .
Le professeur Battini , dans plusieurs mémoires trèsdétaillés
, a voulu traiter à fond l'analyse des eaux
minérales ; et comme il s'occupait particulierement
des eaux sulphureuses , il a cherché sur
moyen simple , facile et sûr de constater la présence
du gaz hépatique ( ou gaz hydrogene sulphuré ,
suivant la nouvelle, nomenclature ) . Ce gaz se trouve
en abondance dans les marais de Travalle , dans
les bains de Rapolano , d'Armajolo , de Chianciano ,
et dans plusieurs autres sources des environs . Pendant
les chaleurs de l'été , leurs exhalaisons devien
nent fort dangereuses ; et le danger est en raison
directe de la chaleur. D'après des essais faits avec
soin , Battini trouve que le gaz hépatique n'y est
pas seulement mélangé de gaz inflammable ( 1 ) , mais
aussi d'acide aërien , ou gaz acide carbonique : ce
dernier s'y rencontre même en si grande abondance ,
qu'il en détruit l'inflammabilité ; et les croûtes sulphureuses
qui se forment à Rapolano et Armajolo ,
( 1 ) Sans la théorie des Français , il en est la bâse.
1 X 4
( 328 )
le fournissent directement et dans un état libre.
Parmi les acides simples qui peuvent servir à la
précipitation des eaux sulphureuses , Battini met en
premiere ligne , l'esprit de soufre et l'esprit de nitre
fumant , lesquels fournissent , selon lui , le moyen
le plus sûr pour cette opération . La dissolution
d'argent et les autres acides en général ne font pas
toujours reconnaître la présence du foye de soufre,
Le même chymiste a fait une analyse très-exacte
des eaux chaudes de Montalceto et de celles de
Steagnès Chianciano ; il déduit leurs vertus médicales
et de cette analyse , et de l'expérience .
Dans la Romagne toscane , le sol brûle en différens
endroits , notamment à Portico. L'abbé Soldani
prouve que les feux y sont entretenus par le petrole
dont la terre se trouve baignée jusqu'à de grandes
profondeurs. Léandre Alberti avait déja fait l'histoire
de ces foyers souterreins en 1550. Celui de
Pietramala est plus généralement connu : la flamme
s'en fait remarquer même en plein jour. Tassinari
a joint quelques observations sur le même sujet à
celles de Soldani : il donne en même - tems des dé ,
tails curieux sur l'air inflammable qui s'éleve des
bains de Bagno .
Les expériences de Marabelli sur les différens états
de l'urine dans plusieurs maladies courantes méritent
aussi d'être connues . Elles confirment , à beaucoup
d'égards , les regles établies par les anciens
sur la nature du dépôt de l'urine , dans les fievres
intermittentes et dyssenteriques , et sur la maniere
d'y reconnaître la présence de la bile , dans les cas
de jaunisses invétérées . L'urine , dans les fievres in(
329 )
termittentes et dyssenteriques , a fourni constamment
un dépôt briqueté ; elle précipite la dissolution d'argent
en rose . Celle des ictériques a toujours teint le
linge en jaune ; et cette couleur se dissout de nouveau
dans l'esprit de vin. Marabelli prétend que le
sédiment briqueté n'est que de la bile ; il y trouve le
plus grand rapport avec les concrétions pierreuses
qui se forment sur les articulations dans la goutte
chronique . L'esprit de vin retire aussi de ces concrétions,
une couleur rougeâtre .
1
Ser. Volta a fait et consigné dans un mémoire
très-savant des recherches sur l'origine , la disposi
tion interne et les révolutions de la montagne de
Baldo près Véronne. Il en décrit les fossiles , d'après
la méthode de Wallerius et de Cronsted . Son opinion
est que les montagnes calcaires , de la même
nature que celle de Baldo , sont plus anciennes que
celles de granit. Il n'a trouvé de débris d'animaux
marins , que dans les couches supérieures , et nul vestige
n'indique que le feu ait eu quelque part à la
formation de la montagne. La vallée delle Rive contient
beaucoup de charbon de terre . La terre verte
de Véronne doit sa couleur à la présence du cuivre .
Toti donne quelques observations sur une araignée
vénimeuse , dont , selon lui , la morsure produit des
accidens assez graves. Il paraît qu'elle n'est dange
reuse qu'en été . L'auteur rapporte l'histoire de plusieurs
personnes mordues par cette araignée , et de
grand nombre d'essais faits sur des animaux , qui
semblent prouver en effet que cette morsure peut
devenir mortelle .
Différens mémoires de Bartolini sur la culture de
( 330 )
la garance , du ricin , du saffranum , de la rhubarbe ,
du cornouiller sauvage et de l'euphorbium lathyris ,
présentent plusieurs objets d'utilité pour la médecine
, le commerce et les arts. Le ricin et l'euphorbium
lathyris peuvent fournir des huiles abondantes
et faciles à conserver ; la teinture que la garance et
le saffranum ou carthame donnent en Italie , est de la
plus grande beauté ; et la rhubarbe qu'on y cultive
avec soin , ne differe point de celle de Chine pour
la couleur , l'odeur , le goût et les vertus médicales .
VOYAGE.
Fin dn second Voyage dans l'intérieur de l'Afrique, par le cap
de Bonne- Espérance , dans les années 1783 , 84 et 85 ; par
F. LEVAILLANT, Trois volumes in-8° , A Paris , chez
H. J. JANSEN et compagnie , imprimeurs , place du
Musæum . An IV. de la République.
APRÈS
14 PRÈS avoir gagné la rive nord de la grande
riviere ) , la caravanne se trouva dans le pays des
grands Namaquois , et ce qui sans doute était bien
plus intéressant pour Levaillant , dans le pays des giraffes
, dont la chasse était l'objet principal de son
voyage. Après plusieurs tentatives inutiles , il eut le
bonheur de tuer enfin un de ces animaux , que leur
caractere eutrêmement sauvage et leur grande vîtesse
rendent très-difficile d'approcher ; il a depuis transporté
sa peau , bien conservée , en France ; et l'on
l'on nous assure que le gouvernement avait voulu
l'acheter de lui , avant que la giraffe des Pays - Bas dût
venir à Paris.
P
( 331 ) !
Son ravissement fut extrême après cette expédition.
Dans son ivresse , il n'entendait pas les cris de douleur
que poussait un de ses Hottentots qui s'était
blessé en courant ; et il lui fallut quelques heures
pour se rasseoir. Il décrit tout cela d'une maniere
naïve et comique .
L'animal n'avait pas moins de quinze pieds de hauteur.
Levaillant combat l'opinion commune des naturalistes
qui donne à la giraffe des pieds de derriere
plus courts que ceux de devant ; il affirme que
c'est une erreur ; et il établit qu'à cet égard , les autres
quadrupedes présentent les mêmes variétés que celui-
ci car suivant son opinion , il y en a d'assez
grandes , non-seulement entre les divers animaux ,
mais encore entre ceux de la même espece ; et par
exemple , ajoute- t-il , personne n'ignore que les jumens
sont plus basses du devant , que les chevaux
entiers .
Ce fut ici , c'est- à- dire sur les bords de la grande
riviere , que l'auteur changea le plan de son voyage..
Dans l'impossibilité de traîner avec lui toute sa caravanne
, et principalement ses charriots , il prit, le
parti de laisser ces derniers , avec la moitié de son
monde , sous la surveillance de Swanepoel , dans le
camp où il s'était établi : suivi du reste de ses compagnons
, il poursuit sa route , avec ses boeufs de
transport seulement.
Swanepoel et sa troupe avaient reçu l'ordre de
l'attendre quatre ou cinq mois : ainsi , le projet de
traverser toute l'Afrique était déja considérablement
ébranlé.
Notre auteur marchait toujours au nord vers la
7
( 332 )
riviere des Lions. La chaleur était insupportable .
L'herbe des Boschjesmans ( 1) , qui n'est pas des meilleures
, et à laquelle les bêtes étaient réduites depuis
quelque tems , ne se montrait que par intervalles ;
encore ne la rencontrait -on qu'éparse çà et là , croissant
comme au hasard , sans former de véritables
prairies . Mais bientôt le pays changea de face . Après
quatre jours de route , on atteignit un endroit dont
la fraîcheur et les ombres réjouirent nos voyageurs
harrassés. On ne voyait de toutes parts que vertes
prairies , clairs ruisseaux ; et dans le lointain , des
troupes de gazelles , de giraffes , et d'autres animaux
encore inconnus .
Une horde de grands Namaquois vint au- devant
de notre voyageur. Les hommes étaient tous d'environ
cinq pieds de haut : leur physionomie avait une
expression froide et phlegmatique. Ce caractere ne
se montre pas seulement dans tous les mouvemens
de leur corps , mais aussi dans leur maniere de parler.
Quand on leur fait une question , ils ne répondent
jamais sur- le-champ : ils réfléchissent d'abord ; et ils
parlent ensuite avec beaucoup de poids et dẹ tranquillité
. On ne retrouve pas chez les femmes la plus
légere trace de ce calme et de cette réserve : elles
sont au contraire les plus grandes bavardės , les plus
grandes rieuses , et font des avances à presque tout
homme indistinctement. Ce dernier point cependant
n'est vrai que pour les filles ; les femmes mariées ont
· ( 1 ) Cette herbe est une espece de gramen à racines courtes
et faibles . Ses graines servent souvent de nourriture aux
Boschjesmans ; c'est de là qu'elle tire son nom.
H
( 333 )
au contraire beaucoup de retenue . Ces peuples montraient
une grande passion pour le tabac à fumer.
Levaillant ayant rempli la pipe de leur chef, celui- ci
la fit circuler dans toute la horde , et ceux qui ne
pouvaient fumer eux-mêmes , respiraient du moins la
fumée qui s'exhaleit dans l'air.
Après cette rencontre , la caravanne se dirigea vers
l'est , à travers une vaste plaine stérile , que ceignent
de hautes montagnes . De leur pied , sortent beaucoup
de fontaines et de ruisseaux : les buffles et les éléphans
qui les peuplent y marchent en troupes , et
ils paraissent si peu craintifs et si peu réservés , qu'on
peut juger qu'ils ne connaissent pas encore les
hommes.
# Levaillant rencontra bientôt une seconde horde
fort nombreuse de grands Namaquois : ils ignoraient
absolument l'effet des armes à feu on peut imagi
ner quel fut leur étonnement en voyant tirer un coup
de fusil . Mais ce qui les étonna bien plus encore ,
ce fut la lunette d'approche de Levaillant , au moyen
de laquelle il fit voir à l'un d'eux leur kraal , comme
s'il avait été au bout de l'instrument . allen fut-du
bon Hottentot comme de l'aveugle-né qui tout-àcoup
acquit la faculté de voir , sous l'aiguille à cataracte
de Cheseldew : il cherchait de la main sa hutte
au devant du verre , et il ne doutait pas que l'étranger
n'eût l'art de l'y transporter par sortilege . Du
reste , ils aimaient beaucoup la parure , et les femmes
étaient chargées de verroteries , qu'ils achetent des
hordes voisines , et qui , suivant l'opinion de Levaillant
, viennent des établissemens portugais dans le
Mozambique.
i
( 334 )
:
De là tournant au nord -ouest , il se rend chez les
Koraquois . Une de leurs hordes ayant appris la nouvelle
de son arrivée , vient au- devant de lui ; car plus
on s'éloigne de la colonie pour s'enfoncer dans l'intérieur
des terres , et plus le caractere des Sauvages
est ouvert et confiant , du moins à ce que Levaillant
assure . La horde avait perdu son chef , et de grands
débats s'étaient élevés sur le choix de son successeur.
On confia cet emploi , l'on ne conçoit pas trop
comment , à notre voyageur , qui le refusa , comme
de raison , et le fit passer à l'un d'entre eux . L'installation
du nouveau chef se fit avec beaucoup de solemnité
.
Pendant son séjour dans cette horde , Levaillant ,
toujours occupé de sa passion favorite , entreprit une
grande chasse , qui fut arrangée à la maniere du pays.
On le plaça dans un endroit de passage avec Haripa
le nouveau chef, dont les gens faisaient la battue , en
rabattant le gibier vers ce point . En peu de tems
on vit s'élever sur les montagnes voisines un tourbillon
de poussiere ; et le défilé fut rempli pendant
plus de trois quarts d'heures d'une longue file de
gazelles ( 1 ) qui se pressaient en foule à son embou-
I
( 1 ) Ces gazelles ( spring - bock ou pronck-bock ) ont la faculté
de blanchir leur croupe en sautant , c'est- à -dire , que
de rousse qu'elle est dans l'état paturel , elle devient tout - àcoup
d'un blanc de neige . Cet éffet est produit par certaines
fibres musculaires , placées dans le tissu même de la peau , et
que l'animal gouverne à son gré. Leur action replie latéralement
les poils supérieurs qui sont roux , et ne laisse redresque
les inférieurs qui sont blancs .
sés
( 335 )
chure. On en tua sans peine autant qu'on voulut.
14
Après avoir vu le pays des Koraquois , Levaillant,
voulut aller voir celui des Houzouanas. Tout , sans
aucune exception , tremblait au nom de ces guerriers
, dont la supériorité était généralement reconnue
. Ce fut dans ce voyage , et sous le 25. degré
de latitude sud , que l'auteur 'vit pour la premiere
fois le kwegga ou l'âne blanc, comme il avait vu, pour
la premiere fois aussi , la giraffe sous le vingt- huitieme
. On a cru que le kwegga n'était qu'un mulet
engendré par le mélange du cheval sauvage et du
zebre ; mais Levaillant pense que c'est une espece
particuliere ; il ajoute que le mélange des diverses
especes d'animaux est un effet de leur esclavage , et
que dans l'état de liberté , suivant avec plus de force
et de rectitude les impulsions de l'instinct , ils ne
s'allient jamais aux races étrangeres. Cette derniere
assertion ne paraît guere pouvoir être admise , du
moins dans toute son étendue et dans toute sa
rigueur.
71+
Vers le même tems , Levaillant tua un rhinocéros.
On avait apperçu deux de ces bêtes monstrueuses
dans une plaine éloignée . Un des Hottentots se traîna
tout autour sur le ventre, pour en approcher : il vint à
bout de tirer le plus gros qui avait deux cornes , comme
généralement tous les individus de cette espece , dans
la partie sud de l'Afrique . L'animal fut achevé par
Levaillant et deux autres chasseurs qui le viserent et
lâcherent leur coup tous les trois en même tems . Sa
hauteur était de sept pieds six pouces ; sa longueur,"
d'onze pieds six pouces.
Au milieu de ces deserts , et sur le bord de la
( 336 )
Tiviere des Poissons , l'auteur vit un lys de sept pieds
de haut qui répandait au loin son doux parfum ( 1) .
Il acheta dans une horde de Kabobiquois un boeuf
de guerre , dont ces peuples se servent dans les
combats , comme on le sait déja par les récits de
Kolbe (2).
*
Plus il approchait des Houzouanas , et plus ses
compagnons sentaient redoubler leur frayeur. Ils ne
le suivaient plus que par nécessité , et parce qu'ils
ne pouvaient revenir seuls sur leurs pas . En même
tems , toutes les difficultés se multipliaient . A mesure
qu'on approchait du tropique , le terrein et les eaux
devenaient de plus en plus salés . On sait que la
nature a placé dans la partie du nord de l'Afrique
correspondante, d'immenses magasins de sel fossile ;
et c'est une remarque singuliere de Levaillant , qu'on
trouve la plus parfaite analogie entre les deux mcitiés
nord et sud de cette grande portion du globe ,
en prenant l'équateur pour point de départ commun ,
1
( 1 ) Le bulbe , avait treize pouces de diametre. L'auteur ,
après l'avoir enlevé soigneusement , avait trouvé le moyen
de le conserver ; il se proposait de le déposer au jardin
des Plantes de Paris , où sans doute les soins des habiles
botanistes et cultivateurs qui dirigent ce jardin , l'auraient
fait fructifier. Mais toutes les graines recueillies par l'auteur
ont été perdues ; et malheureusement le bulbe en question a
eu le même sort .
3
(2 ) C'est-là qu'il vit un Sauvage à qui , dans une maladie ,
on avait coupé plusieurs doigts de la main, comme on applique
le moxa aux Indes , orientales , et parmi nous le cautere
actuel ou les vessicatoires .
3
2
( 337 )
3 et son éloignement des deux points opposés qu'on
veut comparer , pour la mesure ou la bâse des autres
rapports.
La plaine que la caravanne traversait maintenant ,
était tellement impregnee de sel , qu'il en résulta les
effets les plus extraordinaites. Non - seulement les
saignemens de nez se renouvellaient à chaque instant,
et les levres se déchiraient à chaque fois qu'on ouvrait
la bouche pour prononcer un mot ; mais les
organes de la vue en furent tellement affectés , qu'on
se croyait au milieu d'images fantastiques : les
formes des objets n'étaient plus qu'illusion ; et les
Hottentots ne doutaient point que la troupe ne fût
le jouet de quelque maligne et cruelle sorcellerie.
Cependant on découvre au haut des montagnes
les feux de garde des Houzouanas , dont ils savent
se servir avec beaucoup d'art comme de signaux :
on se rend à leur camp . Levaillant gagna leur confiance
par un petit présent fait à propos ; et dans
les rapports qu'il eut avec eux , il apprit à les connaître
sous des côtés beaucoup plus favorables que
ceux sous lesquels on les lui avait peints. C'est le
peuple le plus actif et le plus industrieux de l'A
frique. Il est vrai qu'il se précipite quelquefois da
haut de ses montagnes , pour exercer des rapines :
mais le besoin l'y force , et il ne devient jamais voleur
que par nécessité . Ces hommes sent d'une petite
taille ; les plus grands n'ont pas plus de cinq
pieds ; mais ils sont d'une agilité singuliere . Leur
tête a le même caractere que celle des Hottentots ;
leurs cheveux sont plus crépus , leur couleur un peu
moins noire , leur nez plus écrasé ; de sorte qu'on
Tome XXVI.
Y
( 338 )
n'y voit gueres que les deux trous des narines . Ils
vont tout nuds , sauf un petit tablier qui couvre les
parties de la génération . Leurs huttes ne sont pas
construites comme celles des Hottentots : elles sont
coupées verticalement par le milieu.
Il est impossible d'avoir une vue plus perçante
et plus parfaite. Aussi sont - ils les meilleurs chasseurs
du monde cependant ils n'ont pour toute arme
que l'arc et la flêche.
La contrée qu'ils habitent est très -vaste : elle commence
du côté de l'ouest , au pays des grands Namaquois
, et se prolonge vers l'est , jusqu'à la Caffrerie.
On ne connaît pas son étendue du sud am
nord.
Plus l'auteur faisait durer son séjour auprès d'eux ,
et plus il avait lieu d'en être satisfait . Ils étaient
aussi fideles que diligens . Il paraît que c'est le peuple
dont on pourrait tirer le plus de secours pour pénétrer
dans l'intérieur de l'Afrique et sans la passion
dominante de Levaillant pour ses collections , l'on
ne voit pas ce qui le forçait à rebrousser ch emin.
Ce : fut cependant le dernier peuple qu'il visita
il touchait alors au tropique du sud . Les Houzouanas
l'accompagnerent jusqu'à son camp , sur la riviere
d'Orange , qu'il ne rejoignit qu'avec beaucoup de
difficultés , après une absence de quatre mois . Pendans
ce tems , le pays avait tellement changé de face
qu'on ne le reconnaissait plus . Tout était couvert
de verdure et de fleurs ; et dans ces mêmes lieux où
l'on n'avait vu auparavant qu'un désert aride , la
nature étalait maintenant tout son luxe et toute sa
fertilité. Notre voyageur trouva ses affaires en bon
( 339 )
état , et le retour au cap se fit sans grandes aventures
.
C'est plutôt , comme on voit , ane analyse qu'un
extrait que nousons cru devoir donner ici . Nos
lecteurs y remarqueront mieux les objets intéressans
qu'ils voudront éclaircir et suivre plus en détail
dans l'ouvrage même. Nous ajouterons seulement
quelques observations générales .
A l'apparition du premier voyage de Levaillant ,
la fidélité de ses récits fut mise en doute ; et tout
ce qu'on disait alors , pourrait s'appliquer à sa seconde
relation. Il faudrait connaître personnelle
ment l'auteur , pour savoir s'il a lui-même écrit ses
voyages , ou s'il est vrai , comme on l'a soutenu ,
qu'un rédacteur étranger les ait tirés , d'un bout à
l'autre , de quelques notes informes fournies par le
voyageur. Mais quoique le style du second ne soit
pas aussi soigné que celui du premier ; et quoique
les défauts particuliers à la maniere de leur auteur ,
s'étant prononcés davantage , il ait cette fois éprouvé
moins d'indulgence de la part du public, il nous paraît
qu'on ne peut gueres douter que les deux ouvrages
ne soient de la même main et nous les prendrons
pour ce que Levaillant les donne , pour les siens
propres , tant que le contraire ne nous sera point
démontré . Au reste , quand on attaque la fidélité
de ses relations , l'on ne prétend pas , sans doute ,
que tout ce qu'il raconte ne soit qu'un tissu de
fables . Tant de personnes qu'il nomme , et qui sont
encore vivantes ; les connaissances réelles qu'il ne
peut avoir acquises que sur les lieux ; la concor- .
dance d'une grande partie de ses récits ate : ceux
Y 2
( 340 )
de plusieurs autres voyageurs , la maniere dont il
combat et réfute ces derniers , enfin. les riches collections
qu'il a rapportées avec lui , sont autant de
témoins de la vérité du fond . La question peut donc
être seulement de savoir s'il race te avec exactitude .
Il est facile de juger que Levaillant est un homme
d'une imagination extrêmement vive ; d'une imagination
qui sans créer les objets , les orne et les embellit.
Les traces de cette tournure particuliere se montrent
à chaque page ; et nous sommes très -persuadés que ses
compagnons ont vu les choses tout autrement que
lui. Nous ne conclurons pas de là qu'il les décrit
autrement qu'il les a vues ; bien au contraire . Il
existe une classe heureuse d'hommes qui ne considerent
jamais les objets extérieurs que du beau côté ,
du côté romanesque , et qui se peignent l'univers
sous les plus riantes , ou du moins sous les plus frappantes
couleurs . Levaillant paraît , à plusieurs égards ,
appartenir à cette classe . On est pourtant forcé de
convenir que plusieurs de ses petites historiettes ( 1 )
ont un peu trop l'air de contes faits à plaisir , et
semblent avoir été arrangées pour les lecteurs pari-
( 1 ) Il raconte qu'il a vu un oiseau et une souris fascinés
par le regard d'un serpent , mourir dans les convulsions . Il
l'a vu ... Nous n'avons rien à répondre ... Un officier l'a
assuré qu'il s'était un jour senti attirer vers des broussailles :
un affreux serpent y était tapi , et ses yeux étincelaient . Mais
l'officier en lui tirant un coup de fusil détruisit le charme ...
On avait attribué la même vertu au serpent à sonnettes. Barton
vient de prouver que tout ce qu'on avait dit là - dessus était
bien peu digne de foi.
( 341 )
*
siens de l'ancien régime . Il fallait flatter leur goût
malade ; il fallait amuser ces enfans ennuyés et dédaigneux
; il fallait les tirer de cet état paralytique de
l'ame , où les tenait plongés la satiété des jouissances .
D'ailleurs , un savant , un philosophe , un homme qui
doit avant tout la vérité , qui la doit pure et sans mélange
, porte tôt ou tard la peine de l'avoir embellie
hors de propos . Si Levaillant avait écrit son premier
voyage du ton grave et simple qui convient à Pinterprête
de la nature , il aurait eu peut- être moins de
succès d'abord ; mais ce succès eût été plus durable :"
à chaque ouvrage nouveau sorti de sa plume on ne
se serait pas mis en gards contre ses récits , comme
contre des fables ; en un mot , ce qui l'a fait réussir
beaucoup la premiere fois, nous paraît être cela même
qui l'a fait tomber la seconde ; et peut- être ses écrits
les plus exacts auront-ils bien de la peine à ne pas¹
se ressentir de cette défavorable prevention .
Les naturalistes peuvent en outre se plaindre de
ce qu'il a passé si rapidement sur les minéraux et les
plantes les matériaux qui forment le sol sont le plus
souvent à peine mentionnés , presque jamais décrits'
avec quelque soin . Et quant aux plantes , l'auteur'
se contente de dire , de tems en tems , qu'il a dessiné
les plus belles . Peut- être même pourra- t- on étendre'
un peu cette plainte à la maniere dont il parle des
quadrupedes , des oiseaux et des insectes qu'il cherchait
et rassemblait avec tant d'ardeur.
Mais les savans qui sont en droit de lui faire le
plus de reproches , sont peut- être les géographes .
Quoique pourvu des instrumens nécessaires pour les
observations , il ne rend jamais compte de celles
Y 3
( 342 )
qu'il a faites une ou deux fois seulement, il en cite,
comme par parenthese , les résultats ; et l'on ne peutgueres
s'empêcher d'avoir quelques doutes touchant
certaines latitudes et certaines élévations du terrein
au-dessus du niveau de la mer , qui paraissent mal
s'accorder avec l'ensemble de son récit.
Quoi qu'il en soit cependant , nous le répétons
avec la reconnaissance du plaisir que nous a fait sa
lecture , cet ouvrage était digne d'un autre accueil : il
est impossible d'en méconnaître le mérite scientifique
et descriptif. Les sciences ont déja recueilli les fruits
précieux des recherches et des travaux de l'auteur ;
car enfin son premier voyage n'était cependant pas
un pur roman. Celui- ci contient des tableaux d'un
grand maître ; et sûrement il enrichira l'histoire naturelle
, et contribuera à perfectionner la description
du globe et des peuples qui le couvrent . L'espace
compris entre le cap et le tropique , dont nous
lui devons la connaissance ( 1 ) , est sans doute une
portion bien peu considérable de l'Afrique mais
cette connaissance fournit de grands moyens pour
parvenir à celle du reste . Quand on marche pru
demment de peuple à peuple , en les gagnant les
uns après les autres par quelques présens , on voit
que les difficultés ne sont pas insurmontables. Le
peu de succès des voyageurs jusqu'à ce jour , tient
évidemment à leur maniere de voyager. C'est une
bien mauvaise pratique que d'entreprendre
courses avec des charriots , et beaucoup de bagage ,
ces
( 1 ) Sparmann et Paterson n'ont pas poussé si loin que
Jai.
( 343 )
:
comme l'ont fait tous ceux dont nous avons les descriptions.
Avec combien plus de facilité Levaillant
ne marchait-il pas lorsqu'il eut laissé là ses attelages .
et se fut contenté de prendre quelques boeufs de
transport pour ses paquets et pourtant son voyage,
même nous apprend encorefque cet animal n'est pas ,
à beaucoup près , le plus convenable pour un pareil
'service. Il ne porte que de faibles fardeaux ; il est
lourd , peu souple , peu susceptible d'éducation , et il
ne peut soutenir long- tems ni la faim , ni la soif. Que
celui qui semble fait exprès pour ce climat et pour ce
genre d'entreprises , que le chameau soit transplanté
de l'Asie et du nord de l'Afrique , dans la colonie du,
cap ( or, c'est une opération bien simple, qu'on peut
attendre facilement de la Hollande républicaine ,
quand elle sera rentrée dans ses possessions ) : alors
toutes les grandes difficultés disparaissent ; et l'on,
ne voit pas ce qui pourrait empêcher un voyageur
entreprenant de pénétrer dans l'intérieur , aussi avant
qu'il en aura le desir. Il paraît que dans la partie
sud de l'Afrique , on ne trouve point ces immenses
déserts sablonneux qui rendent la partie nord si difficile
à parcourir ; et le caractere doux et pacifique ,
des habitans fournirait encore beaucoup d'autres facilités
au voyageur . Peut-être l'âge présent , qui a vu
déja s'exécuter tant de choses extraordinaires , verra-
t-il bientôt s'accomplir le voeu que nous formons ,
peut-être verra-t- il sortir enfin de l'obscurité qui la
couvre , toute cette partie interne de l'Afrique dont
la fécondité s'épuise dans la production des lions et
des tigres , des crocodiles et des serpens.
En terminant cet article sur Levaillant , nous
Y 4
( 344 )
•
devoir annoncer la premiere partie de son
crorelle des
oiseaux
d'Afrique
.
C'est
un
histoire
précieux résultat , et c'est même en quelque sorte
une pièce justificative de ses voyages . Le premier
cahier contient six planches enluminées , et qui , du
côté du dessin et de la gravute , méritent toute l'attention
des amateurs . On y voit représentées six
especes d'aigle , que Levaillant décrit dans le texte ,
sans s'assujettir à la langue des systèmes .
•
# 11945
Le griffard , de la grosseur de notre grand
aigle du aigle - royal , se foge , avec sa compagne ,
sur le sommet des arbres les plus hauts , où dans le
creux des rocs les plus escarpés et les plus inacces ,
sibles . H chasse les petites gazelles et les lièvres . On
le trouve principalement dans le pays des grands
Namaquois . Il se distingue par la huppe courte et
cependant tombante . qui lui couvre le dertiere de
la tête par les plumes de sa queue , qui sont d'une
égale longueur , et par ses pattes bottées ou garnies
d'un épais duvet jusqu'aux ongles .
go. Le huppart , de la grosseur du buzard , d'ailleurs
semblable au précédent , même par sa huppe
qui devient plus remarquable à cause du moindre
volume de l'oiseau , et parce qu'elle est un peu plus
longue et d'un brun plus sombre. Il se tient dans
le pays des Caffres et dans celui des Hauténiquois :
il vit de lievres et d'autres oiseaux plus faibles
lui..
que
30. Le blanchard , ainsi hommé de la couleur dominante
de la plus grande partie de son plumage.
Il a aussi une huppe , mais eburte . Sa demeure la
plus ordinaire est dans les bois . H se nourrit de ga(
345 )
zelles , de ramiers et d'autres especes de petits qua
drupedes ou oiseaux : Son vol est plus léger et plus
prompt que celui des autres aigles ; il est plus pêtiè
qu'eux ; mais sa queue est plus longue .
14. Le vocifer il est blanc antérieurement et sur
le côté inférieur, de la queue , relevée en cercle ;
est roux sur tous les autres endroits . Ses cris sont
perçans et continuels . Il se tient aux embouchures
des rivieres , principalement sur la côte occidentale
de l'Afrique , et vit de poissons .
D
5. Le blagre il paraît se rapporter au balbusard
des Français , que Buffon ne regarde pas comme
une espece , mais comme un accident . Il est blanc
antérieurement et supérieurement ; presque par tāus
d'ailleurs , d'un gros brun.
6°. Le caffre : c'est l'intermédiaire entre l'aigle et
le vautour. Il a la tête emplumée de l'un , les ongles
et le bec de l'autre . Sa grosseur est celle de notre
aigle il est presque entierement noir.
[て]]]
5.1.0
1 21
INSTITUT NATIONAL
DES SCIENCES ET ARTS.
L'INSTITUT NATIONAL a tenu , le 15 nivôse , sa séance
publique. Voici l'ordre des lectures :
C. Monger,
T
19. Notice des travaux de las
III . Classe.
C. Lasepede, Prony, 2. Notice des travaux de la
Tere. Classe .
( 346 )
C. Taleyran-Périgord. 3° . Notice des travaux de la
C. Seguin.
C.Laromiguiere .
C. Desfontaines.
C. Lebrun.
C. Sélis .
C. Dupont.
C. Fontanes.
C. Langlès.
C. Andrieux,
II . Classe.
Mémoire sur le tannage des
cuirs.
50. Mémoire sur les opérations
de l'entendement humain , ou
de ce qu'on peut entendre par
* le mot idées.
60. Mémoire sur la culture des
épiceries à la Guyane française .
7º . L'Épisode d'Aristée .
8°. Notions sur l'Éloquence. ,
9. De la sociabilité et de la morale
des chiens , des renards et
des loups.
100. Fragment du poëme de la
Grece sauvée.
105012
11. Traductions
orientaux .
d'écrivains
12º. Premier acte de la tragédie
de Junius Brutus.
Notice des travaux de la classe de littérature et beauxarts
, pendant le premier trimestre de l'an Y.
LE ministre de l'intérieur avait fait l'an passé un
appel aux artistes , et les avait invités à présenter
des projets d'embellissement pour les principales
places de cette vaste commune. Les projets mis au
concours ont été exposés dans la salle du Laocoon.
( 347 )
Au commencement de cette année , le ministre a invité
la classe de littérature et beaux-arts à juger ce
concours ; et il a adopté ses décisions . Aucun des
projets n'a paru digne d'être exécuté ; mais plusieurs
ont mérité des encouragemens . Leurs auteurs sont
les cit. Balzac , Faivre , Stouf, Dardel , le Vasseur ,
le Mercier et Tardieu ..
Associé de la classe de littérature , le cit . Guys a
envoyé , d'Itharque , où le retient son amour pour
la Grece , l'éloge historique de l'Anglais Sibthorp.
Ce botaniste a employé plusieurs années à recueillir
les plantes de la Grece . Son travail répandra un
grand jour sur les écrivains de cette belle contrée ,
écrivains dont les longs travaux du cit . Guys semblent
l'avoir rendu comtemporain.
1
ཨ་ར
Chargé de rendre un compte verbal de la traduction
de l'Hermès d'Harris , à la classe à laquelle le
cit . Thurot l'avait adressée , le cit . Sicard en a composé
un extrait raisonné et étendu . Il a lutté avec
avantage contre le grammairien anglais , l'a réfuté
souvent , et l'a toujours éclairci .
Voué par goût et s'il est permis de s'exprimer
ainsi ,, par instinct , à la littérature orientale , le cit.
Langlès extrait chaque jour de cette mine , négligée
trop long - tems , des contes moraux et philosophiques
. Il en lira quelques - uns dans cette séance .
Le cit. François ( de Neufchâteau ) , associé de la
section de poésie , a chanté les Vosges , comme
Haller a célébré les Alpes , et comme Ramond eût
chanté les Pyrénées , si sa brillante imagination se
fût asservie aux lois séveres du mètre et de la rîme.
Il n'est point d'écrivain qui ne soit choqué de la
( 348 )
discordance qui regue entre la langue française écrite
et la même langue prononcée . Les enfans et les
étrangers qu'il faut ranger dans la même classe sous
ce point de vue , éprouvent de grandes difficultés à
classer dans leur mémoire des anomalies si fréquentes.
Après soixante ans de travaux consacrés
à l'enseignement de la grammaire , le cit . Noël de
Wailly veut encore être utile dans ce genre d'étude .
Il desirerait que notre orthographe fût réformée en
partie , et établie sur des principes uniformes , invariables
. Vou de tous les bons esprits mais qui ne
pourrait s'accomplir en entier qu'à l'époque de la
formation d'une langue . Cependant le tems qui dé
truit tout , détruit aussi les incorrections des langues ;
et c'est de lui seul , de son travail continuel , mais
insensible , qu'il faut attendre cette utile réforme .
Pour
la préparer et la diriger , notre grammairien
propose un meilleur usage des accents ; le rappel
de certaines lettres à leur destination primitive ; la
distinction à établir par des signes convenus entre
les consonnes qui s'articulent différemment ; la sur
pression des voyelles et des consonnes qui ne :e
prononcent point dans le corps des mots ; et enfin ,
dans les consonnes doubles qui ne sont prononcées
que simples , la suppression de l'une d'elles .
Le cit . Gossec , qui possede aussi bien l'histoire
de la musique , que la théorie et la pratique de ce
bel art , a fait connaître à la classe un instrument
à vent , de terre cuite , employé par les Chinois , et
connu sous le nom d'hyven . Ils en ont de deux sortes ;
le grand , de la grosseur d'un oeuf d'oie ; et le petit
egal seulement à l'oeuf de la poule . L'hyven donne
( 349 )
J
avec six trous , et avec le son naturel de l'instrument
lorsque les trous sont bouchés , les sept tons plus
l'octave du son grave : ce qui constitue une gamme
entiere et un systême complet. Mais ce n'est là qu'un
extrait du grand systême de musique introduit à la
Chine par Fou-hy , 2737 ans avant l'ère vulgaire , admis
chez les Égyptiens , les, Arabes , et dénaturé par
les Grecs. Ce grand systême guida le législateur
Rameau dans l'établissement de la basse fondamentale
, et reçut sous la plume de Dalembert le plus
grand degré de précision et de clarté.
Nismes possédait entre autres monumens antiques ,
une porte de ville , que l'inscription annonçait avoir
été bâtie par Auguste . De jeunes artistes français
qui voyagent en France et en Espagne , pour la recherche
des antiquités , ont été témoins de la destruction
d'une partie de cette porte , dont on destinait
les matériaux à la construction d'une Poissonnerie.
Ils ont fait connaître cet attentat à la classe , qui
a invité , à faire réparer cet outrage , le ministre de
l'intérieur. La classe attend de son invitation le plus
heureux succès .
Cher à Thalie , le cit . Andrieux a essayé d'obtenir
aussi quelques faveurs de Melpomene . Les auditeurs
vont être les témoins de ses efforts , en l'entendant
réciter le premier acte de sa tragédie de Junius
Brutus.
Ils entendront aussi le cit . Fontanes chanter la
Grece sauvée ; poëme épique , auquel il consacre les
momens de loisir que lui laisse l'enseignement des
belles-lettres et de l'éloquence , afin de joindre les
beaux exemples aux bons préceptes .
( 350 )
Le cit . Sélis a lu des Notions sur la Littérature , et en
particulier sur l'Eloquence . Un extrait de ce mémoire
occupéra une partie de la séance .
Un très - petit nombre d'écrivains ont entrepris de
traduire en vers toute l'Iliade ; le succès n'a pas cou
ronné leurs efforts. Plus heureux ' , parce qu'ils ont
été plus réservés , quelques poëles en ont choisi ,
pour les traduire , des morceaux détachés ; et leur
travail a été loué . Le cit. Villars est de ce nombre.
Il à lu la traduction en vers d'une partie du XVI .
livre , celle où le poëte grec a chanté le combat de
Patrocle contre les Troyens.
Long-tems avant la traduction des Géorgiques du
cit. Delille , le poëte Lebrun avait imité l'Épisode
d'Aristée. Il en avait enrichi son poëme intitulé la
Veillée du Parnasse , qui n'a point été publié . Nous l'er -
tendrons aujourd'hui chanter encore les erreurs du fils
de la belle Cyrene , le sort cruel d'Eurydice , les
regrets tant célebrés de son époux , et la mort tragique
du chantre de la Thrace .
Le cit . Schweighauser , professeur de langues anciennes
à Strasbourg , et associé de l'Institut , prépare
depuis long- tems une édition d'Arrien , qui
comprendra le Manuel d'Epictete , et entre autres
fragmens d'ouvrages philosophiques , une paraphrase
de ceManuel par Simplicius, philosophe qui vivait dans
le 5. siecle , et qui a aussi commenté Aristote . Dans
cette paraphrase , on trouve un passage relatif à Xénophon,
qui est contraire à tout ce que l'antiquité nous a
laissé sur ce grand capitaine . Notre associé , en faisant
dans les anciens manuscrits des recherches.pour
rétablir ce passage , a découvert un fragment pré(
351 )
cieux du texte de Simplicius , qui avait été omis
par tous les autres copistes , et dont l'omission avait
rendu défectueux le passage relatif à Xénophon.
Quoique ce fragment de texte soit un peu long
pour une séance publique , l'intérêt qu'il inspire le
fera sans doute paraître court. Simplicius ayant dit
du véritable sage , du philosophe...... Il est bon
" conseiller d'Etat et même bon général d'armée ,
" s'il s'est appliqué à l'étude de la tactique ......
" ajoute .... C'est ainsi que Xénophon créé général ,
, sauva les dix mille , et les ramena en Grece
‚ à travers de tant de peuples , et d'une distance
" aussi considérable. Le même sera juge integre ,
" ambassadeur habile , et dépositaire fidele de tout
J
ce que l'on confiera à sa garde . Un tel homme
" trouve beaucoup d'emplois à remplir dans un état
bien administré ; mais dans un gouvernement
›› corrompu , il s'abstiendra des affaires publiques.
" Car il n'est point fait pour plaire à de mauvais
citoyens , et il ne peut lui -même se plaire avec
,, eux , ni seconder ceux qui regnent , sans compro
mettre sa probité et son honneur . Alors , ne se
" proposant point des choses impossibles , il se
" transportera , s'il le peut , dans un autre Etat.
" C'est ainsi qu'Epictete , voyant la tyrannie de
,, Domitien , quitta Rome pour se rendre à Nicopolis.
Si la retraite lui est interdite , il se choisira
» un asyle écarté , évitera la foule , bornera tous
ses soins à diriger vers la vertu et ses propres
actions , et celles des hommes sur lesquels il peut
" avoir de l'influence . Nuit et jour , en tout lieu ,
il épiera l'occasion de coopérer , si l'on a besoin
( 354 )
D
39
2 de lui , à quelque bonne action , dans sa famille ,
dans sa société , dans l'Etat. Car plusieurs Etats se
trouvent par leur nature avoir besoin , soit de
conseil , soit de concours actif, soit d'intérêt réel ,
soit de consolation , soit même d'appui dans les
2 dangers auxquels le devoir exige que l'on s'expose
,, dans certaines conjonctures. Si les affaires pren
", nent pour le philosophe un cours prospere , il
rendra grace au ciel d'avoir joui du calme au sein
de la tempête . Mais si , par l'effet de la guerre
éternelle des hommes qui ont abandonné la nature
, contre ceux qui en suivent les principes ; de
la guerre des hommes aveuglés par les passions ,
contre ceux que guide la raison ; les circonstances
deviennent difficiles alors tous ceux qui céderaient
à la peur et abandonneraient les principes ,
prouveraient qu'ils sont faits pour vivre sous un
mauvais gouvernement , et qu'à tort ils affectaient
de s'en plaindre. Mais ceux qui ne voient dans
" ces malheurs qu'une grande école et qui ,
dans ce gymnase , combattent plus volontiers les
adversaires les plus redoutables , qui même ren-
" dent grace de ces épreuves à l'ordonnateur de
" l'univers , ceux - là , dis - je , tels que les vainqueurs
", aux jeux olympiques , obtiendront la couronne ,
", non celle qui est faite d'une branche d'olivier ,
mais celle que méritent la franchise et la ve ta
❞ parfaite .
" Toutefois dans de semblables gouvernemens , où
l'envie se déchaîne ordinairement contre l'homme
qui s'attache aux regles de la nature , il est bon
" de se montrer modéré , de ne point chercher à
primer ,
( 353 )
6
» primer , et sur- tout de ne point se prévaloir des
› dignités ni des avantages extérieurs ; afin que , s'il
" est possible , l'envie se modere également. Ce
" n'est pas , j'en conviens , que la modération elle-
» même ne soit souvent exposée aux plus vives attaa,
ques ; mais il est sage dans ces circonstances de
" s'interdire à l'avance , et tout ce qui peut com-
» promettre vis - à-vis des hommes puissans , et tous
>> les propos peu mesurés . Par ce moyen , s'il arrive
", quelque disgrace , on n'accuse point l'homme juste
,, de l'avoir méritée en réveillant la fureur des
, monstres assoupis , mais on la rejette entierement
sur la rage et la déraison de ceux - ci . D'un autre
" côté , s'il est prudent de les adoucir , je ne veux
point que l'on se dégrade soi -même , en leur
vendant sa liberté , ou en s'enrôlant au nombre
de leurs flatteurs , soit par des actions , soit même
par des paroles . Car celui qui emploie de tels
" moyens , dément ses principes , et renonce au prix
que l'on obtient dans le stade olympique.
27
Tome XXVI.
( 354 )
FORMATION DES LANGUE S.
Origines gauloises , celles des plus anciens Peuples de
l'Europe , puisées dans leur vraie source , ou Recherches
sur la Langue , l'Origine et les Antiquités des Celto-
Bretons de l'Armorique , etc. Par LATOUR- D'Auvergnés
CORRET. Un volume in-8° . A Paris , chez QUILLAU , rue
du Fouare. An V.
La longueur de ce titre nous dispensera de pré-
A
senter le tableau général de cet ouvrage , rempli de
recherches pénibles et curieuses . L'auteur , après
s'être distingué dans l'armée des Pyrénées', a combittu
dans une autre armée . Là il a été fait prisonnier
par les Anglais , et transporté dans la province
de Cornouailles . Il a profité des loisirs que. Mars lui
a laissés pour étudier la langue , des Basques et celle
des Gallois , Anglais voisins de la province de Cornouailles
. Né dans la Basse - Bretagne , le cit. Latourd'Auvergne
a été à même de comparer l'idiôme basbreton
, que le cit. le Brigant assure être la langue
celtique , avec ceux des Basques et des Gallois . Le
résultat de ses recherches l'a conduit à admettre l'identité
pour la langue des Gallois ; mais à la rejetter
pour celle des Basques .
L'auteur détermine d'abord quels ont été les peuples
que les Romains désignaient sous le nom de Gaulois ,
et les contrées qu'ils habitaient . Ce furent , selon lui ,
les Celtes , les Scythes-Européens et Asiatiques , et
( 355 )
les Celto - Scythes. Il traite ensuite de l'origine des
Gaulois , des Druides qui exerçaient chez eux les
fonctions de prêtres , et des Bardes qui animaient par
leurs chants les guerriers au combat. ,
love Après ce chapitre , qui est la véritable introduction
de l'ouvrage , on en trouve un sur les moeurs , les
usages , et la langue des Bretons , et sur leurs rapports
avec ceux des Gaulois et des Scythes. Les dix
autres renferment des recherches sur l'analogie qui
regne entre la langue des Bretons et les débris de
celle des Gaulois , conservés dans César, dans Strabon
et quelques autres écrivains romains.
།
Th
Platon convient que les Grecs , comparés aux
Scythes , étaient un peuple nouveau , et que leur
langue avait beaucoup emprunté de celle des Bar ,
bares . Étayé sur cet aveu , l'auteur cherche à rétrouver
des rapports entre le scytho - breton et le
grec . Il passe de-là en Asie , trouve de semblables
analogies avec l'hébreu . Ensuite , il fait subir le même
examen à la langue allemande , à celle des Irlandais
des Écossais- montagnards . Il est plus heureux pour
la langue vulgaire des Gallois ; en effet , ces insulaires
se servent de mots absolument identiques.
La langue des Bretons lui sert à expliquer les noms
des divinités de la mythologie, ceux des planetes , les
noms de premiere origine des élémens , les dénominations
des nations scythiques répandues en Europe
et en Asie, celles des montagnes , des promontoires
des caps, des rivieres, des fleuves , des villes anciennes
de l'Europe et de l'Asie .
Le chapitre douzieme renferme unes dissertation
historique sur le cheval , appellé , en breton , marc'h,
Z 2
( 356 )
et jadis márka en langue celtique , de l'aveu de Pausanias
Phocic . cap . 19 ) , et sur les noms de maréchal,
de marquis , de margraff , etc.
D'ouvrage est terminé par la lettre A d'un glos
saire polyglotte , ou tableau comparatif de la descendance
des langues. Ce Glossaire , dont l'auteur
promet la suite , présente la comparaison de chaqué
mot breton avec ceux qui lui sont identiques , ou au
moins ressemblans, dans trente-huit langnes, idiômes ,
ou jargons .
Les hommes instruits sont pour la plupart tourmentés
par la manie de généraliser. Cette opération
de l'esprit est très-favorable à la paresse ; car elle dispense
de demeurer en suspens. Or , on sait combien
de réflexion et de travail demande le doute métho
dique. C'est dans cette manie qu'ont pris leur source
les recherches innombrables faites jusqu'à ce jour
pour trouver un premier homme , un premier peuple ,
une premiere langue . Quels fruits solides ose-t- on s'en
promettre ? s'aimera-t- on davantage , lorsqu'on nous
aura démontré que nous sommes tous cousins ? seraron
plus portés à s'obliger les uns les autres , quand
nous serons tous reconnus compatriotes ? aurons- nous
assez de pouvoir pour retrancher toutes les nuances
qui différencient les langues modernes , lorsque nous
les reconnaîtrons pour des germaines ?
La réponse à ces questions ne peut être que négative.
Louons cependant le courage des écrivains
qui entreprennent des travaux si ingrats et si difficiles
. Mais rappellons -leur , 1 ° . qu'il est facile de
trouver des analogies entre les idiômes dans lesquels
abondent les monosyllabes ; 2 ° , que l'abondance des
( 357 )
monosyllabes n'est pas une marque infaillible de l'ant
cienneté des idiômes ; car on en trouve beaucoup
dans les divers idiomes des hommes qui habitent les
isles de la mer du Sud , et dont les émigrations ne
paraissent pas toutes dater d'une même époque , ni
d'une époque aussi ancienne que les émigrations des
Gaulois ; 3º . enfin , que la plupart des étymologies
ne sont fondées que sur des racines monosyllabiques.
Nous savons que le problême se complique , si l'on
exige des rapports directs entre des mots composés
de plus d'une syllabe ; mais dans une recherche où
l'espoir de trouver l'evidence est interdit, on a droit
d'exiger de nombreuses probabilités ,
VARIÉTÉ.
1 50
Lettre au Rédacteur du Mercure , sur le jugement que
Auteur des Soirées Littéraires a porté du Philosophs
Favorin et de J. J. Rousseau. Ta
J'ai lu avec étonnement dans votre Na . xo , le jugement
de l'auteur des Soirées Littéraires sur J. J. Rousseau
comparé avec le philosophe Favorin , auteur
d'un beau discours sur la nécessité où sont les meres
de nourrir leurs enfans , discours dont Aulu - Gelle
nous a conservés les principaux traits , et qui me
paraît aussi remarquable par la force du raisonne
ment que par la délicatesse des pensées. Je ne vois
pas pourquoi l'auteur des Soirées Littéraires , en op .
posant J. J. Rousseau à Favorin , représente celui- ci
somme ayant donné des conseils aux femmes, et J. J.
Z 3
( 358 )
*
Rousseau comme leur ayant donné des ordres . A l'en
croire , les femmes méprisent la sagesse de Favorin ,
et sont ramenées par les injures du philosophe de
Geneve . Peut- on regarder comme injurieuse la mamiere
éloquente dont J. J. Rousseau a tracé aux
femmes le plus important de leurs devoirs ? peut- on
dire que les femmes méprisent la sagesse de Favorin ?
Celles qui sont dignes de ce nom , lisent avec attendrissement
son discours traduit par Querlon dans les
avis aux› meres qui veulent nourrir leurs enfans , par madame
le Rebours , dont la troisieme édition a paru
en 1783 , chez Théophile Barrois . L'abbé de Verteuil
ayant donné en 1776 la traduction complette d'Aulu-
Gelle, ç'a été une nouvelle occasion aux femmes , qui
ne sont pas étrangeres aux lettres , de se pénétrer des
principes de Favorin. M. de Landine a inséré dans
le Conservateur , qu'il publia en 1787 , le discours de
Favorin traduit par l'abbé de Verteuil . Querlon avait
fait paraître sa traduction en 1769 , dans les Affiches.
de Province. Cette publicité n'est- elle pas suffisante
pour faire voir que notre siecle a senti le mérite du
discours de Favorin , et que ce philosophe doit partager
avec J. J. Rousseau la gloire d'avoir ramené leş
femmes au plus doux de leurs devoirs ?
086 Kisaba
›
03
( 359 )
POESIE .
Premier chant d'un poëme intitulé la Veillée du Parnasse .
Qu
Il commence par l'Episode d'Aristée .
UAND Borée aux Zéphirs vient déclarer la guerre ,
Et ramene en grondant les frimats sur la terre ;
Quant la nuit , prolongeant sa course dans les cieux ,
Semble usurper du jour l'empire radieux ,
Il est sur l'Hélicon de charmantes veillées .
Là , sous l'abri secret des grottes reculées ,
Les muses , tour-à-tour , d'un récit enchanteur
Trompent des longues nuits l'importune lenteur,
Une nuit que Phébus , jaloux de les entendre ,
A l'insçu de Thétis , près d'elles vint se rendre ,
La sensible Erato.voulut chanter l'amour ;
Pour la tendre amitié Calliope eut son tour ;
Et la vive Thalie au folâtre sourire ,
Joignit son luth badin à leur touchante lyre ;
Permesse , impatient d'écouter leurs concerts
S'arrête ; et l'Aquilon n'ose troubler les airs .
Mes soeurs, dit Erato , si je romps le silence ,
C'est Amour qui le veut ; tout lui doit la naissance
,
Vous-mêmes lui devez la lumiere des cieux ,
Les Dieux ont fait le monde ; Amour a fait les Dieux .
Parmi vous cependant
sa flamme est condamnée
;
Mais craignez -vous l'Amour conduit par l'hymenée
?
Pour deux tendres époux je demande vos pleurs .
Hélas , peindre l'amour c'est peindre des malheurs
!
Orphée en est la preuve ; et mon récit l'expose.
Mais je dois de ses maux vous retracer la cause .
O mes soeurs ! gardons- nous d'offenser
les amans ;
Il est , il est des Dieux qui vengent leurs tourmens
.
Dans ces riants vallons où le fleuve Penée
Promene entre des fleurs son onde fortunée ,
Poursuivi du destin , un berger demi-Dieu
Avait dit à ces bords un éternel adieu :
Aristée est son nom : loin de ce doux rivage ,
Pleurant ses doux essaims que la parque ravage ,
ر
74
( 360 )
1
Aristée égarait ses pas et ses douleurs .
Aux sources du Penée il accourt tout en pleurs ;
Et là , tendant les mains vers ces grottes profondes :
" O Cyrene ! ô ma mere ! ô reine de ces ondes !
Du brillant Apollon si j'ai reçu le jour ,
Si vous
"
le votre amour ?
Eh ! que m'importe hélas ! cette illustre origine ,
Si les destins jaloux ont juré ma ruine ?
Est-ce là ce bonheur que vous m'aviez promis ?
Cet Olympe où les Dieux attendaient votre fils ?
Un seul bien ici bas , mes abeilles si cheres !
Eût de mes jours mortels adouci les miseres ,
C'était les plus doux fruits de mes soins assidus
Et vous êtes ma mere ! et je les ai perdus !
Cruelle de mes pleurs ne soyez point ávare ;
Au sein de mes agneaux plongez un fer barbare ;
Et que mes jeunes ceps expirent sous vos coups
Si le bonheur d'un fils arme votre corroux. 19
Cirene , assise au fond de sa grotte azurée ,
Entend le bruit confus d'une plainte égarée .
Ses nymphes l'entouraient sur leurs fuseaux légers
Brille un lin de Milet teint de l'azur des mers.
Là sont en foule Opis , Glaucé , Pyrrha , Néere ,
Cydippe , vierge encor , Lycoris déja mere ( 1 ) ,
Nesé , Spio , Thalie , et Driope et Naïs ,
Leurs blonds cheveux flottaient autour d'un sein de lis ;
Xanthe , Ephir , jeunes soeurs , filles du vieux Nérée ,
Ceinte d'or l'une et l'autre , et d'hermine parée ,
Et l'agile Arethuse abjurant le carquois ,
Et la jeune Climene à la brillante voix.
Pour charmer leurs loisirs , Climene au milieu d'elles ,
Leur chantait de Vénus les amours infidelles ,
Les doux larcins de Mars , les fureurs de Vulcain ,
Et ses réseaux tissus d'un invisible airain .
Les Nymphes , en filant , écoutaient ces merveilles ;
Quand un lugubre cri frappe encor leurs oreilles.
Cyrene en pälissant tremble à ce cri fatal.
•
(1 ) Un auteur cornu emprunta ce vers tout entier , et en
imita plusieurs autres de cet épisode , encore manuscrit , et
composé plus de dix ans avant la traduction imprimée . Voyez
les justes réclamations de Clément en 1771 , dans le premier
volume de ses observations critiques . ( Note de l'auteur. )
( 361 )
Chaque Nymphe se trouble en son lit de cristal ;
Toutes avec effroi , gardent un long silence .
Plus prompte que ses soeurs Arethuse s'élance ,
Et jettant ses regards sur la face des eaux ,
Leve sa tête humide et ceinte de roseaux ;
Et de loin : O Cyrene ! ô mere infortunée !
Ton fils ... il est en pleurs aux sources du Penée ;
Il te nomme barbare ! A ces tristes récits ,
Va , cours , vole , Arethuse ; amene- moi mon fils ;
Il a droit de descendre en nos grottes sacrées .
Elle dit : A sa voix les ondes séparées ,
Se courbant , tout-à-coup , en mobiles vallons ,
Reçoivent Aristée en leurs gouffres profonds.
Il s'avance étonné sous ces voûtes liquides ;
Admire avec effroi ces royaumes humides ,
Tous ces fleuves grondans sous leurs vastes rochers ,
Et la source du Nil inconnue aux Nochers ,
Et l'Hèbre , et le Caïque , et le Phase et le Tibre
Orgueilleux d'arroser les champs d'un peuple libre ,
L'Hyppanis à grand bruit sur des rocs écumans
Et le mol Anio s'écoulant lentement ,
7
Et l'Eridan fougueux , qui dans les mers profondes
Précipite en grondant le tribut de ses ondes .
Quand il a pénétré ce liquide palais ,
Cyrene en l'embrassant calme ses vains regrets.
Chaque Nymphe à l'envi sert le jeune Aristée ,
Les unes sur ses mains versaient l'onde argentée ;
Un lin blanc les essuie et d'autres à ses yeux
Offraient les coupes d'or , les mets délicieux .
Mais Cyrene : O mon fils ! que cette liqueur pure
Coule pour l'Océan ,, pere de la nature ,
Pour les Nymphes des bois , des fleuves et des mers.
Elle dit : Lencens fume , et les voeux sont offerts .
Trois fois le vin se mêle aux flammes odorantes ;
Trois fois la flamme vole aux voûtes transparentes,
O mon fi's ! dit Cyrene à ce présage heureux ,
Non loin des flots d'Egée est un devin fameux ;
C'est l'antique Protée aux regards infaillibles .
Sur des coursiers marins il fend les meis paisibles .
Il court vers l'Emathie ; et côtoyant nos ports ,
De Pallène déja son char touche les bords ,
C'est l'oracle des mers . Les Dieux lui font connaître
Et tout ce qui n'est plus ét tout ce qui doit être.
Ainsi le veut Neptune ; et lui seul sous les eaux 9
(-362 )
Fait paître de ce Dieu les immenses troupeaux,
Il sait de vos malheurs la source et le remede ;
Mais par de longs soupirs c'est en vain qu'on l'obsede,
Son oracle est le prix de qui l'ose dompter ;
C'est lui que votre audace enfin doit consulter.
Moi-même , dès que l'astre embrâsant l'hémisphere ,
Aux troupeaux altérés rendra l'ombre plus chere ,
Je veux guider vos pas vers l'antre où le vieillard ,
Loin du jour et des mers , se repose à l'écart.
C'est là que le sommeil invite à le surprendre ,
Chargez - le de liens ; mais , prompt à se défendre ,
A vos yeux , sous vos mains , ils se roule en torrent
Gronde en tigre irrité , glisse et siffle en serpent ,
Dresse en lion fougueux sa criniere sanglante ,
Et tout-à -coup échappe en flamme pétillante .
Mais plus le Dieu mobile est prompt à s'échapper ,
Plus de vos noeuds pressans il faut l'envelopper :
Vaincu , chargé de fers , qu'il vous rende Protée .
D'ambroisie , à ces mots , parfumant Aristée ,
Cyrene lui souffla l'espoir d'être vainqueur :
Ses membres respiraient l'audace et la vigueur.
་
Dans les flancs caverneux d'un roc battu de l'onde
S'ouvre un antre à ses pieds le flot bouillone et gronde ,
Mais il creuse à l'entour deux golphes dont les eaux ,
Loin des vents orageux accueillent les vaisseaux .
Le vieillard de ce toc aime le frais et l'ombre.
Cyrene y met son fils vers le flanc le plus sombre ,
Et se dérobe au fond de son nuage épais .
Déja l'astre du jour enflammant tous ses traits ,
Des fleuves bouillonnans tarit l'urne profonde ,
Et du haut de sa course il embrâse le monde ,
Des feux du Sirius tout l'air est allumé .
Protée alors , nageant vers l'antre accoutumé ,
Voit ses monstres , autour de sa grotte sauvage ,
D'une rosée amere inonder le rivage ;
Et dans sa grotte assis , loin des feux du Soleil ,
Compte ses lourds troupeaux que presse un lourd sommeil.
A peine il s'endormait , que le fils de Cyrene
S'élance , jette un cri , le saisit et l'enchaîne .
Protée , en s'éveillant , s'agite dans ses fers ;
Et surpris des liens dont ses bras sont couverts
Tout- à-coup de son art déployant le prestige ,
Fleuve , serpent , oiseau , coule , rampe , voltige ,
Vains efforts ! Et cédant au bras victorieux ,
( 363 )
A lui-même rendu , sa voix l'annonce aux yeux.
Que me veut ton audace , ô jeune téméraire !
Et qui te fait tenter ma grotte solitaire !
-Divin pasteur des eaux , tu le sais mieux que moi ;
Mes revers et les Dieux guident mes pas vers toi :
Parle ; j'attends mon sort de ta bouche sacrée .
Protée alors frémit ; sa prunelle égarée:
Roule un bleuâtre éclat dans ses yeux menaçans ,
Et sa bouche au destin prête ces fiers accens :
Les Dieux sont irrités ; leur courroux légitime
N'égale point encor tes revers à ton crime.
Du sein des morts , Orphée arme ces Dieux vengeurs ,
Malheureux ! tu ravis Euridice à ses pleurs ."
in121 6.)
,, La Nymphe , un jour , fuyant ta poursuite enflammée ,
Pressa d'un hydre affreux , la tête envenimée ;
Il l'atteint ; elle expire ! ô douleurs ! ô regrets !
Ses compagnes en pleurs font gémir les forêts,;
Du Rodope attendri les rochers soupirerent ;
Dans leurs antres sanglants les tigres la pleurerent .
Mais lui , belle Euridice , en des bords reculés ,
Seul , et sa lyre en main , plaint ses feux désolés .
C'est toi , quand le jour naît , toi , quand le jour expire
Toi , qu'appellent ses cris , toi que pleure sa lyre !
Mais que ne peut l'amour ! Orphée aux sombres bords
Osa tenter vivant la retraite des morts ,
2
Ces bois noirs d'épouvante , et ces Dieux effroyables ,
Aux larmes des humains toujours impitoyables .
Il chante tout s'émeut ; et du fond des enfers
Les mânes accouraient au bruit de ses concerts.
Tels , quand un soir obscur fait gronder les orages
D'innombrables oiseaux volent sous les feuillages ;
Telles autour d'Orphée erraient de toutes parts
Les ombres des héros , des enfans , des vieillards ,
Et ces fils qu'au bâcher redemandent leurs meres
Et ces jeunes beautés , à leurs amans si cheres ;
Peuple léger et vain , que de ses bras hideux
Presse neuf fois le Styx qui mugit autour d'eux.
De l'Erebe à sa voix les gouffres tressaillirent ;
Sur leur trône de fer les Parques s'attendrirent ;
L'Euménide cessa d'irriter ses serpens ;
Et Cerbere retint ses triples hurlemens.
"
Déja l'heureux Orphée est vainqueur du Ténare ;
Il ramene Euridice échappée au Tartare ;
( 364 )
Euridice le suit ; car un ordre jaloux
Défend encor sa vie aux yeux de son époux .
Mais , ô d'un jeune amant trop aveugle imprudence !
Si l'enfer pardonnait , ô pardonnable offense !
Orphée impatient , troublé , vaincu d'amour ,
S'arrête , la regarde et la perd sans retour.
Plus de trêve : Pluton redemande sa proie .
Trois fois le Styx avare en murmure de joie.
Mais elle : Ah ! cher amant ! qu'as -tu fait ? quel transport
Et nous trahit tous deux , et me rend à la mort ?
Déja le noir sommeil flotte sur ma paupiere ;
Déja je ne vois plus tes yeux ni la lumiere ;
Orphée ! un Dieu jaloux m'entraîne malgré moi ;
Et je te rends ces mains qui ne sont plus à toi !
Adieu ! L'ombre s'exhale. Orphée au noir rivage ,
Poursuit , embrasse en vain la fugitive image .
Mais comment repasser le biûlant Phlegeton !
Comment fléchir deux fois l'inflexible Pluton !
Quels pleurs ou quels accens lui rendraient son épouse?
L'Ombre pâle est déja dans la barque jalouse.
,, Sur les bords du Strymon , déplorant ses revers
Orphée erra sept mois sur des rochers déserts ,
Aux tigres , aux forêts il conta ses disgraces ;:
Les tigres , les forêts gémirent sur ses traces...
Telle , pleurant la nuit , sur un triste rameau ,
Ses fils , sans plume encor , ravis dans leur berceau
Philomele , au milieu des forêts attentives ,
Traîne ses longs regrets en cadences plaintives .
" Ah ! depuis qu'Euridice est ravie à ses feux ,
Nul amour, nul hymen ne flatte plus ses voeux ,
Son désespoir l'égare ; il franchit dans sa course ,
Ces monts affreux où luit le clac glacé de l'ourse ;
Il pleurait ses amours , hélas ! deux fois trahis ;
Quand tout- à-coup , ô rage ! ô forfaits inouis !
Les Bacchantes en foule , assiégeant le Riphée ,
De leurs jalouses mains déchirerent Orphée ,
Lui percerent le coeur de leurs thyrses sanglans ,
Et semerent au loin ses membres palpitans.
Dans l'Hebre impétueux sa tête fut jettée.
Mais tandis qu elle errait sur la vague agitée ,
Ses levres qu'Euridice animait autrefois ,
Et sa langue glacée et sa mourante voix ,
Sa voix disait encore , ô ma chere Euridice
( 365 )
Et tout le fleuve au loin répétait : Euridice . "
A ces mots , tout-à- coup élancé dans les mers ,
Protée a disparu sous les flots entr'ouverts .
LE BRUN
ANNONCES.
Manuel de l'Enfance , contenant des élémens de lecture et
des dialogues instructifs et moraux , dédié aux meres , et å
toutes les personnes chargées de l'éducation de la premiere
enfance ; par Roch-Ambroise Sicard , instituteur des soudsmuets
, et membre de l'Institut national . Un volume in- 12 .
Prix , 30 sous ; et 48 sols , franc de port. An V. ( 1797. )
La Sphere , poëme en huit chants, qui contient les élémens
de la sphere célesté et terrestre , avec des principes d'astronomie
physique ; accompagné de notes , et suivi d'une notice
des poemes grecs , latius et français qui traitent de quelques
parties de l'astronomie ; par Dominique Ricard , traducteur
des Euvres morales de Plutarque. In - 8° . Prix , 4 liv.; et
5 liv . 10 sous , franc de port. A Paris , chez Leclerc , imprimeur-
libraire , rue Martin , vis-à-vis celle aux Ours , nos . 234
et 89. An V. ( 1796. ) ·
Introduction à l'analyse infinitesimale , par Léonard Eulers ,
traduite du latin en français , avec des notes et des éclaircissemens
par J. B. Labey , professeur de mathématiques
aux écoles centrales du département de la Seine. Deux volumes
in- 4° . avec planches . Prix , 20 francs brochés . A
Paris , chez Barrois l'ainé , libraire , quai des Augustins ,
n°. 19 ; et en germinal prochain , rue de Savoie , nº . 23 .
Le tome premier est en vente ; le second , dans lequel
se trouvent les planches , paraîtra en messidor an Ve.
On paie 15 francs en prenant le premier volume , et on
ne paiera que 5 francs en retirant le second.
Dictionnaire raisonné des Lois de la République Française ;
ouvrage de plusieurs jurisconsultes , mis en ordre , et publié
par le cit. Guyot , ancien juge du tribunal de cassation . In-8° .
tom . II et III . A Paris , chez Couret- Villeneuve , libraire , rue
des Peres , nº . 1234 ; et chez l'auteur , rue Honoré , nº . 121,
pres la rue de l'Echelle .
La suite de cette utile collection paraîtra incessamment ; et
nous la ferons connaître plus particulierement ,
( 366 )
NOUVELLES ÉTRANGERES.
4
ALLEMAGNE.
De Hambourg , le 5 janvier 1797.
Nous avons annoncé dans notre dernier rapport
l'arrivée du général Clarck à Vienne . Les avis les plus
récens ne confirment point cette annonce . Nous
ignorons au reste quels sont les motifs qui ont ar
rété le négociateur français dans sa route . Faut- il
attribuer ce retard aux dispositions nouvelles de la
cour impériale , ou à de nouvelies vues du Directoite
exécutif ? La premiere conjecture nous paraî
trait la plus vraisemblable . Le systême assez constamment
suivi dans toutes les guerres par la maison d'Autriche
, est de n'entrer en accommodement avec l'en
nemi que lorsque toutes ses ressources sont épuisées,
lorsque l'espoir l'a abandonné ; et son orgueil en
entretient long- tems les illusions . Mais , d'un côté ,
si le nouveau souverain de la Russie refuse d'entrer
dans sa querelle , et se renferme dans une sage neutralité
; si , d'un autre côté , la Porte , éveillée de son
long assoupissement , songe à venger ses anciennes
injures , on peut espérer de voir cet orgueil fléchir
enfin , et aux calamites qui désolent la plus grande
et la plus belle partie de l'Europe , succeder bientôt
les douceurs de la paix . Or , il paraît hors de doute ,
nous devons le répéter , parce que dans quelques
papiers on a répété le contraire , qué Paul Ier , a abandonné
les projets hostiles de sa mere contre la France.
Cette armée , tantôt de quarante , tantôt de soixante
inille Russes , qué les gazettes ont si souvent rassem
blée , et si souvent mise en marche , mais qui , selon
toutes les apparicuces , aurait cessé de n'ère qu'un
( 367 )
vain épouvantail si les jours de Catherine II eussent
été prolongés , ne sortira pas de la Russie . Ce n'est
pas seulement dans les voeux que nous dicte
notre amour de la paix , ou notre intérêt pour la
Frarance , que nous puisons nos conjectures à cet
égard , c'est dans des avis multipliés qui méritent
toute notre confiance . Les dispositions hostiles du
grand-seigneur contre l'Autriche ne paraissent pas
moins certaines que les dispositions pacifiques de
Paul Ier. envers la République Française . Déja l'on
avait dit que la guerre était commencée , et que Bel
grade était assiégée . Cette nouvelle est contestée ;
mais ceux même qui la révoquent en doute , ne la
regardent que comme prématurés .
Il semble que Paul Ier. ait hérité du penchant de
son pere pour la Prusse . Il donne continuellement
des preuves de prédilection pour cette puissance ; il
paraît disposé à en introduire les usages dans l'organi
sation de ses troupes , dont il s'occupe beaucoup
quoique rien n'annonce en lui les goûts querriers .
Mais dans un pays tel que le sien , où toute la puissance
du trône repose sur la leur , ainsi que la sûreté
de celui qui l'occupe ; il est d'une sage politique
de rechercher leur affection . En général , on voit
dans toutes ses démarches qu'il cherche plus à se
faire aimer qu'à se faire craindre ; un seul courtisan ,
le prince Bariatinsky , a éprouvé une disgrace mar
quée ; il a ménagé tous les autres , ceux même dont
il pouvait avoir le plus à se plaindre. Nul Polonais
p'a été excepté dans l'acte par lequel il rappelle à la
liberté , et dans leurs foyers , les victimes des ten
gcances de Catherine II , qui traînaient dans les déserts
de la Sibérie leur pénible existence . On en
porte le nombre à plus de douze mille . La reconnaissance
de ces hommes , sortis par ses ordres du plus
affreux exil , sera partagé par tous leurs amis , pas
tous leurs parens , par tous leurs compatriotes . C'est
sans doute le plus sûr moyen qu'il ait pu employer
pour faire oublier aux provinces polonaises a quel
titre elles sont sujettes , et pour lui en assurer la tranquille
possession . Au reste , ce n'est pas par ce stuk
( 368 )
étaacte
de bienveillance et de justice qu'il leur a an
noncé son regne. Sa mere les avait imposées à une
prestation très -considérable en grains ; il les en a dis
pensées , en même tems qu'il a révoqué l'ukase qui
ordonnait un recrutement extraordinaire . S'il у
blit , comme on l'espere , un régime modéré , la Prusse,
qui jusqu'à présent a conservé dans les siennes un
régime purement militaire , suivra sans doute cet
exemple , qui n'est pas moins une leçon de saine politique
, que de justice et d'humanité .
La mort de Catherine II n'apportera aucun changement
aux arrangemens que le roi de Suede avait
pris pendant son séjour en Russie. On croit même
qu'elle en accélérera l'accomplissement , et que le
mariage projetté s'effectuera dans peu. On y trouve
maintenant beaucoup moins d'inconvéniens , et ceux
qui y étaient le plus opposés , cessent de le craindre ,
et le verront sans peine. Au reste , peut- être eût- il
été impossible de l'empêcher , eût-on osé le tenter.
L'amour aurait fait faire au jeune Gustave ce que la
politique lui aurait déconseillé , car on le dit fort
épris de la princesse qui lui est destinée , et l'on
assure qu'il entretient avec elle une correspondance
suivie.
L'intention que ce monarque manifeste de se
conduire d'après les regles de la justice , et d'une
sévere économie , a dû déplaire à beaucoup de gens ,
et lui faire des ennemis parmi les courtisans . Aussi .
son austérité , l'appellent- ils despotisme . Ils disent
qu'il a fait placer dans son cabinet le portrait de
Charles XI , le plus absolu de ses prédécesseurs ,
parce que c'est ce prince qu'il s'est proposé pour
modele. Il a , ajoutent-ils , déja formé des plans ,
dont l'amour de la liberté le plus modéré et le moins
ombrageux doit s'alarmer. On pourrait apprécier
ces imputations d'après le caractere et les motifs de
ceux qui les répandent, Gependant s'il est dans la
nature des courtisans de calomnier les rois , ennemis
des abus , il est aussi dans la nature des rois de
chercher à reculer les bornes de leur pouvoir. C'est
au tems à justifier Gustave , ou ses courtisans.
Si
( 369 )
Si ce jeune prince ne trahit pas ses premieres
vertus , s'il reste fidele à la justice , à la sagesse qui
ont jusqu'à présent dirigé sa marche , la Suede , tombée
par les fautes des regnes précédens , dans l'abaissement
et la nullité , peut se relever. Alors son alliance,
qui, dans ces derniers tems, ne fut qu'onéreuse
à la France , offrirait à cette république de très -grands
avantages . On pourrait espérer de voir s'établir ce
systême de neutralité armée qui peut seule assurer
aux puissances commerçantes la sûreté de la naviga .
tion des mers du Nord.
De Francfort-sur- le- Mein , le 8 Janvier.
Le roi de Prusse a fait adresser à la régence et à
la chambre des domaines des pays prussiens situés
sur la rive gauche du Rhin un rescrit , par lequel il
ordonne à ces deux colléges supérieurs de déclarer ;
publiquement , et en son nom , que son intention n'a
jamais été que d'accorder aux Français une occupation
purement militaire de ses provinces sur la rive
gauche du Rhin jusqu'à la paix avec l'Empire , ainsi
qu'il est expressément énoncé par l'article V du traité
de Basle . Sa majesté se regarde , en conséquence ,
comme assurée que le gouvernement français , n'in- ,
sistera plus sur la séquestration des biens du clergé ,
sur la vente projettée des bois domaniaux et autres ,
et qu'il renoncera à la contribution énorme de trois
millions de livres , imposée sur lesdites contrées . Le
roi firit par exhorter ses fideles sujets de ces provinces.
de se tenir assurés de sa protection ultérieure et efficace
, et d'attendre avec confiance le retour tant desiré
de l'ancien ordre de choses .
On apprend de Berlin que le prince Louis , second
fils du roi , y est mort le 29 du mois dernier , âgé de
23 ans . Il laisse trois enfans , dont le dernier n'a que
quelques mois . Sa veuve file , ainsi que la princesse
royale du duc de Mechle bourg Strelitz , n'a que
19 ans . Cette perte jette la cour de Berlin dans une
affliction profonde . Le prince Louis était fort aimé
Tome XXVI.
Aa
( 370 )
de tous ceux qui le connaissaient . Les militaires esti
maient ses talens et ses connaissances ,
ITALIE. De Génes , le 1er. Janvier 1797-
Nous apprenons de Rome que le traité de paix
de la cour de Naples avec la République Française ,
que l'on n'a connu officiellement que le 15 du mois
dernier, y a excité un grand mécontentement . On a
vu avec surprise que , malgré les promesses du marquis
Del Vasto , il
v était point question de l'Etat
ecclésiastique. Aussi cet ambassadeur a- t-il perdu à
la cour pontificale , la considération et la confiance
dont il jouissait. Il ne reçoit , de la part même de
ses partisans les plus déclarés , qu'un accueil extrêmement
froid. On présume que ce désagréable changement
dans sa position lui fera accélérer son départ.
Abandonné par le roi de Naples , le pape s'était
flatté de recevoir de puissans secours de la part de
l'empereur. Mais il est encore trompé dans cet espoir.
Son nonce extraordinaire près la cour de
Vienne lui a mandé que sa majesté impériale ne
consentirait à le délivrer des Français , qu'à condition
qu'il céderaitt les légations de Bologne et de Ferrare,
une partie de la Romagne. Il est probable que le
pape qui voit que , quoi qu'il arrive , ces pays seront
détachés du patrimoine de St. Pierre , ne s'exposera
pas inutilement aux dangers de la guerre , et qu'il
se hâtera de faire la paix avec la République Fran-.
çaise .
Le traité de paix a excité autant de joie à Naples
que de consternation à Rome. Il y a eu à ce sujet
des fêtes religieuses auxquelles la cour a assisté . En
effet , les Napolitains ont lieu de s'applaudir ; et ils
ont été traités beaucoup plus favorablement qu'ils
ne le méritaient. Le gouvernement français a usé
envers eux de beaucoup d'indulgence, Les gens
sages qui croient avec raison que les traités sont
d'autant plus durables que les conditions en sont
( 391 )
plus égales , applaudissent à sa modération . Ils regrettent
cependant qu'il ait oublié les Napolitains proscrits
pour opinion politique , et qu'il n'ait exigé
aucune stipulation en leur faveur.
Le gouvernement français , nous mande-t-on de Milan ,
est généralement aimé et respecté dans l'armée d'Italie . Ses.
partisans augmentent très-sensiblement parmi les Italiens
même ; et si une fois Mantoue était au pouvoir des Français ,
l'Italie se déclarerait bientôt en leur faveur contre leurs
communs ennemis .
Il me semble que cette ville , pressée de toutes parts et
n'ayant plus qu'une faible armée pour la défendre , ne doit
pas tarder à devenir le prix des efforts de nos troupes. Leur
position s'améliore chaque jour , et celle des Autrichiens au
contraire devient de plus en plus critique . Nous recevons
des renforts considérables de l'intérieur . Nos malades et nos
blessés sortent des hôpitaux pour grossir nos armées ; et le
général Buonaparte a su créer ici des ressources qui lui répondent
du succès de ses opérations , et lui ménagent , dans
le cas d'un revers inattendu , des retraités sûres , des alliés
puissans et des renforts très- prochains .
3
Les Français répandus sur la surface de l'Italie , s'y
trouvent actuellement aussi tranquilles et aussi sûrement qu'en
France. Ils ont des points de ralliement et des places fortes
défendues par des peuples qui se sont compromis de telle
maniere avec l'Autriche , qu'ils ont plus d'intérêt que les Français
mêmes à empêcher le retour de cette domination étrans
gere . Non-seulement leur existence politique en dépend ,
mais leur fortune et leur vie ne peuvent être assurées qu'autant
que l'Empire n'aura aucune influence sur toute la Lombardie
les Etats de Modene , de Reggio , dé Bologne et de Ferrate
sont dans ce cas . Ils ont tiré l'épée contre leurs dominateurs ,
et ont jetté le foureau loin d'eux , au moyen de quoi leur
cause est commune avec la nôtre , et ils ont de plus le risque
d'être hounis et massacrés par les Impériaux , ‚ si djamais ils
retombaient sous leur joug.
i
ANGLETERRE De Londres , le 4 janvier.
Dans la séance de la chambre des communes , du 26 decembre
dernier , le secrétaire d'Etat , M. Dundas , a donné
lecture d'un message par lequel le roi annoncé la rupt
des négociations avec la France.
IT
148 ancient
A a s
•
( 372 )
Dans la séance du 30 , la discussion sur ce messagè s'est
établie .
M. Pitt a proposé une adresse au roi en réponse au
'message ; adresse qui d'ordinaire n'est qu'une répétition du
message lui-même . Il a parlé sur ce sujet pendant trois
heures. Il a communiqué à la chambre tous les détails déja
connus de la négociation du lord Malmesbury avec le gou
vernement français , et les circonstances de sa rupture . Il
a declaré entre autres choses que lord Malmesbury avait
dit verbalement au ministre Lacroix , que l'article des Pays-
Bas ne pourrait être l'objet d'aucune espece de modifica
tion dans le cours de la négociation ; que la détermination
précise et irrévocable de sa majeste était de ne jamais consentir
à la possessión de la Belgique par la France.
M. Fox , dans sa réponse à M. Pitt , a dit que d'après
cette déclaration précise du' lord Malmesbury , qui équivalait
à un ultimatum , la France , déterminée de son côté ài
ne pas céder les Pays -Bas , avait dû supposer que la paix
ne pouvait être faité entre les deux puissances.... Lesine
qua non par rapport à la Belgique , est évidemment la cause
de la rupture de la négociation actuelle , et toute l'Europe
en jugera bientôt ainsi....... L'honorable membre , a-t-il
ajouté , a voulu jetter tout le blâme et l'odieux de la rupture
de la négociation sur le gouvernement français ; tandis
qu'il résulte des papiers mis sur la table de la chambre ,
et de la propre lettre du lord Malmesbury , que la Belgique
était devenue le sine qua non de la négociation. Dans
mon opinion , a ajouté M. Fox , la conduite du Directoire
a été bonne et conforme à la politique . Pouvait - il faire
autre chose que ce qu'il a fait ? Le ministre a beaucoup
parlé de la base de la négociation ; mais cette bâse n'étaitelle
pas entierement détruite par le sine quâ non ? ..... Je
ne suis pas de ceux qui attachent peu d'importance à la
Belgique mais je demanderai d'abord si elle vaut le sang
et les trésors que l'on prodigue pour elle : ensuite si nous
sommes bien sûrs de la reconquérir à l'Autriche , au prix
de tant de sacrifices ? Il faut qu'on me prouver d'abord
qu'il est très - utile , à cet égard , de détruire encore cent
mille hommes , et de perdre encore une centaine de millions
, et ensuite qu'après tout cela nous serons plus près
de l'objet de nos yeux. Il faut qu'on me prouve que
T'empereur , qui est aujourd hui notre ami , ne deviendra
pas notre ennemi , etc..... Après beaucoup d'autres considérations
sur ce sujet , M. Fox s'opposa à l'adresse télté
qu'elle était présentée , parce qu'elle tendait , ajoutait-il
à faire croire an public que la chambre s'engageait à ne
pas faire la paix jusqu'à ce que la Belgique fût abandonnée
par la France il proposa en conséquence un amendement ,
mais qui changeait totalement le fond de l'adresse , et qui
en faisait un acte d'improbation très - sévere de la chambre
contre les ministres.
- -
M. Dundas répondit à M. Fox. M. Grey lui répliqua .
La chambre s'étant divisée , il y eut pour l'amendement
de M. Fox 37 voix , et contre , 212 .
Le roi a fait publier une déclaration , qui est une espece
de manifeste contre la France. Voici ce que dit de cette
piece un de nos journaux , The Courier :
Il n'y a peut-être jamais eu de piece où moins d'idées aient
été délayées en plus de mots , que dans le singulier mani- >
feste contre la France , que vient de publier le gouverment.
A travert toutes ces longueurs , on n'apperçoit pas un seul
fait précis , si ce n'est que la négociation a été rompue par
l'ordre qu'a intimé le Directoire au lord Malmesbury de
quitter la France . Cette piece est , en un mot , le plus parfait
modele que nous ayons jamais , vu , de prolixité sans raison ,
de, déclamation sans éloquence ; elle est aussi insignifiante
pour la forme , que pour le fond. Le thême d'un écolier.
renfermerait plus d'idées , et aurait moins d'affectation et de
bouffissure.
On ne peut s'empêcher de remarquer un fait assez curieux
dans cette piece extraordinaire . Le Directoire français , dit - on
dans cette piece , en demandant un ultimatum , c'est - à - dire
le dernier mot de l'Angleterre dès le commencement de la
négociation , prouve incontestablement qu'il ne veut pas la
paix . C'est comme si l'on disait que , lorsqu'un homme
entre dans une boutique , et demande au marchand son
dernier mot c'est un signe certain qu'il ne veut pas
acheter.c
•
Les hommes de sens ont lu ici cette production avec
la plus grande défiance. Ils n'y ont vu qu'une piece fabriquée.
pour tromper le public , et cacher les véritables intentions
de ceux qui l'ont faite ; mais analheureusement pour eux ils
ont manqué d'art et d'habileté dans les moyens qu'ils ont
pris pour tromper . Semblables à ces escammotteurs vulgaires ,
dont la main mal-adroite laisse voir tous les mouvemens des
gobelets es des balles .
Dans les séances du 30 et du 31 , les deux chambres du
parlement se sont ajournées au 14 février.
I
A a 3
( 374 )
"
REPUBLIQUE FRANÇAISE.
CORPS LEGISLATIF.
Séances des deux Conseils , du 15 au 25 nivôse."
·
"
De nouvelles plaintes étant parvenues au conseil
des Cinq cents , sur le nombre des délits qui se
commettent dans certains départemens , et la facilité
avec laquelle les condamnés aux fers échappent à
cette peine , un membre en prend occasion de faire.
connaître l'insuffisance du code pénal et la ténuité
des peines qu'il prononce . Ses observations sont
renvoyées à la commission ad hoc , avec injonction
de faire son rapport sous cinq jours .
Le président annonce deux messages du Direc
toire , de nature à être lus en comité secret . La séance
cesse en conséquence d'être publique .
Pérès ramene , le 17 , l'attention du conseil sur
cette foule de maisons de jeux , où vont s'engloutir
les fortunes de milliers de citoyens , poussés ensuite
au crime par le désespoir. II demande que la commission
chargée de cet objet fasse son rapport dans
trois jours , ou qu'elle soit changée . Adopté......
-Guyomard : Lorsque nos ancêtres étaient courbés
sous le joug du despotisme , ils célébraient aujourd'hui
une fête que je ne veux pas nommer. Ce jour
me rappelle que nous approchons d'une fameuse
époque dans les annales de la République ( le x1'jinvier
v. s. ) , qui vit tomber sous le glaive de la loi
la tête de Capet.
<
L'orateur propose qu'en exécution des lois rendues
à ce sujet , la Commémoration en soit faite.
Adopté.
Engerrand fait ensuite prendre la resolution por
tant que les notaires qui ont accepté des places
administratives ou judiciaires , pourront reprendre
( 375 )
leurs fonctions de notaires , si les places dont il s'agit
ont été supprimées.
Camus rend compte , le 18 , des contraventions
faites à la loi qui ordonne le paiement en numéraire
, ou en mandats au cours , du 4. quart des
biens nationaux .
Le même membre expose combien il est indispensable
d'assurer , par tous les moyens possibles
f'exactitude du service de la trésorerie , et la connaissance
journaliere de la situation des caisses des
départemens. Il fait adopter , en conséquence , une
résolution qui en détermine les moyens..
Pastoret fait la 3e . lecture du projet relatif aux
religionnaires fugitifs .
1
b
Berlier , en applaudissant aux motifs d'humanité
qui l'ont dicté , ne le croit pas admissible , comme
contraire à l'article de la constitution qui exige sept
années de résidence d'un étranger , pour jouir des
droits de citoyen en France.
Le conseil des Anciens s'est forme , les 16 et 17,
en comité général . Il a néanmoins approuvé plusieurs
résolutions sur des objets d'intérêt particulier.
Le 18 , il a entendu le rapport fait par Lebrun
sur la résolution concernant le paiement des rentes
Cell
appor
et pensions de particulier à particulier . Le
teur en ayant trouvé plusieurs bases fausses , a conclu
au rejet. La discussion a été ajournée.
Il a ensuite adopté celle relative à l'anniversaire
du 21 janvier.
**
Baudin a fait , le 20 , le rapport sur celle concernant
le renouvellement du tiers du Corps législatif.
Il dit que le repos et l'obscurité d'une vie privée
sont des récompenses et non des peines , ponr
l'homme de bien qui a servi sa patrie , et que le
renouvellement d'un tiers du Corps législatif va
affermir la République . Il ajoute qu'il est conforme
aux principes que les départemens réunis n'envoient
a la législature qu'un tiers des membres qu'ils sont
dans le cas de fournir.
La résolution est' approuvée .
Cardonnet , dans la séance du ig du conseil des
a
( 376 )
1
19
€
Cinq - cents : Des hommes sans moyens , sans moralité
, sont devenus , par leur ignorance , les destructeurs
des fortunes
particulieres dont ils devraient
être les soutiens : je veux parler des notaires publics
qui , dénués de toute espece de
connaissances , ont
embrassé une profession qui en demande beaucoup ,
ainsi qu'une probité reconnue, D'après une loi révolutionnaire
qui n'est point encore rapportée , les
administrations ont confié les fonctions du notariat
à des hommes qui ne savent ni lire ni écrire . Vous
avez deja nomme une commissiou pour s'occuper
de cet objet. Je demande qu'il lui soit enjoint de
présenter son rapport dans la déçade . Adopté.
160 200
rad
2
B
Perrin ( des Vosges ) : Vous avez déja reçu plusieurs
me
messages du Directoire , relatifs aux prêtres
insermentes qui troublent les
départemens. Le desordre
est tel dans quelques -uns , que l'on
voir une nouvelle Vendée s'y former . Je demande
craint de
que , dans le même délai , votre commission spéciale
vous présente
le rane
dont elle est chargée,
Dubruel Il faut observer qu'il y a dans des maisons
de réclusion , un grand nombre de prêtres âgés ,
infirmes , incapables de troubler la tranquillité des
communes , et il faut se garder de les confondre
avec les prêtres insoumis .
Lamarque : On sent bien que ce ne sont ni les
vieillards , ni les infirmes , qui troublent les départemens.
Mais cela n'empêche pas que l'inexécution
de la loi contre les prêtres insoumis n'ait donné lieu
à l'abus dont on se plaint.
+
Cette loi youlait que les prêtres réfractaires fussent
déportés dans les 24 heures , et punissait de deux
années de détention les administrateurs qui l'enfreindraient.
Sa rigueur l'a fait tomber en une désuétude
qui a été diversement interprétée dans les départemens.
Les uns prétendaient que c'était sur la depor
tation dans les 24 heures que les autorités devaient
se relâcher ; d'autres que c'était sur la peine portée
contre les administrateurs qui ne la faisaient pas
exécuter. Il en résulte qu'elle ne fut exécutée dans
aucun point. Depuis long- tems une commission est
( 377 )
chargée de vous présenter ses vues sur la loi qui
condamne les prêtres à la déportation . Je demande
qu'elle fasse son rapport dans cinq jours. Adopté.
Deville demande que dans cinq jours aussi , la
commission spéciale présente son rapport sur l'émigration
ou la non- émigration des freres servans de
l'ordre de Malte , et généralement sur les réclamations
de tous ceux qui étaient attachés à cet ordre,
Adopté.
Siméon reproduit à la discussion son projet de
résolution sur les droits de successibilité des enfans
naturels.
Thibaudeau , Dumolard , Bordas , Arnaud et plusieurs
autres l'ont combattu comme contenant des
dispositions rétroactives Il a été renvoyé à la com
mission .
།
Daunou donne , le 20 , les renseignemens demandés
par le conseil sur la population de S. Domingue .
1I1l en résulte qu'elle n'est que d'environ 600,000
ames , et que cette isle ne doit par conséquent nommer
que 13 députés au lieu de 20. Il ajoute qu'en
fixant ce nombre , l'on ne se propose pas de faire
procéder les habitans à aucune élection , ni dans le
moment actuel , ni dans le mois de germinal prochain
; personne n'ignorant que l'état présent de
ette colonie ne permet pas d'y tenir des assemblées
primaires , communales et électorales .
;
Favard , au nom d'une commission spéciale , propose
de suspendre , à compter de ce jour , et jusqu'après
l'adoption du code civil , toute demande
en divorce fondée sur l'allégation d'incompatibilité
d'humeurs et de caracteres , et non encore intentée
les femmes ne seraient point admises à faire pro
noncer le divorce pendant l'absence de leurs maris ,
employés au service de la République , et toute demande
à cet égard serait suspendue , à moins que le
mari n'ait reno
par écrit , à la suspension .
Entr'autres contenus au rapport , il en est un
qui présente un abus d'un genre singulier c'est
celui d'un jeune homme qui , marié à une femme
de 19 ans , et ayant une grande-tante de 82 ans ,
1
(,378,)
mais riche et dont il envie la succession sans par
tage , divorce avec sa femme , épouse sa grande-tante
qui lui donne tout son bien par contrat de mariage ,
et après la mort de celle ci , se remarie avec sa pre
miere , femme.
Mailhe voulait que le projet fût adopté sur-lechamp;
il a déclaré que la commission l'avait arrêté
à l'unanimité , et qu'en cela elle avait rempli le voeu
de la France entiere.
W : Lecointre La loi dont on vous demande la suspension
a été l'objet des méditations de l'Assemblée
constituante . Elle n'a pas vu de moyen plus moral ,
plus conforme à l'honnêteté publique , pour empê
cher les époux de révéler des secrets honteux , et
de se déshonorer publiquement. Je sais qu'il en est
résulté de grands abus ; mais envisagée sous ce rapport
, quelle institution humaine pourrait résister ?
Il ne faudrait pas alors se borner à une suspension
provisoire ; il faudrait déclarer que les demandes en
divorce pour incompatibilité d'humeur ne seront
plus admises. Je demande l'impression du rapport
et du projet, et l'ajournement de la discussion trois
jours après la distribution . Adopté,
Camus fait adopter , le 21 , la rédaction définitive
de la résolution , portant qu'à compter du 1. pluviôse
les militaires blessés , ainsi que les pensionnaires
de la République âgés de 70 ans , seront payés
antérieurement aux autres créanciers .
Bion présente un projet de résolution qui tend à
confier l'administration des postes à une régie intéressée
.
༞ སྙ ༈ ་ *
Villers objecte au rapporteur qu'il n'a pas discuté
assez profondément les avantages et les inconvéniens
de la régie et de la ferme , et demande l'ajournement.
Garnier observe qu'il est urgent de s'occuper de
T'organisation définitive de cette branche de revenu
national , et que le service est sur le point de manquer,
par une suite de l'instabilité des plans success
sivement adoptés ou rejettés .
Dumolard dit que la régie intéressée a paru au
Directoire , au ministre des finances et à la commis
1
( 379 )
sion , le seul mode convenable . L'impression du rapport
est ordonnée.
La discussion aura lieu trois jours après sa distribution.
On reprend celle sur le code hypothécaire . Après
que Réal , rapporteur , a été entendu , Cambacérès
obtient la parole. Il fait au projet le reproche de
compromettre les droits et la fortune des débiteurs
et de les exposer à des expropriations injustes , et il .
a indiqué divers amendemens .
Réal les a combattus . La publicité des hypotheques
lui paraît le seul moyen de maintenir la foi publique,
et d'assurer l'exécution des contrats , de relever le
crédit national , comme le crédit particulier. "
Eudes , qui à parlé ensuite , a contracté l'engagement
de prouver que ce nouveau code hypothécaire.
est inexécutable...
Philippe Delleville , dans la séance du 22 : Le , serment
décrété pour l'anniversaire du 21 janvier , de ,
lère vulgaire , n'offre qu'une idée imparfaite des
sentimens du peuple français . Il faut fermer les portes
de Rome aux Tarquins ; mais il ne faut laisser aucun
espoir aux Catilinas ; ou , pour parler sans figures , il
faut vouer une haine égale aux royalistes et aux anarchistes
de toutes les couleurs. Se contenter du serment
de haine à la royauté , c'est ne faire que ce que
Marat , Robespierre et leurs acolytes faisaient volontiers
et ce que feront encore leurs amis , qui ne
veulentimitépublique , ni royauté , et dont l'anarchie,
est l'unique élément . Il ne peut y avoir de partisans
de la royauté en France , que des révoltés ou des
fous. Je demande que le serment qui sera prêté soit
conçu en ces termes : Je jure haine à la royauté et
à l'anarchie , attachement et fidélité à la République
et à la constitution de l'an III. Adopté .
Defermont trace le tableau de tous les maux auxquels
les départemens de l'Ouest ont été long-tems
en proie , et il propose un projet de résolution portant
décharge des contributions arriérées .
Plusieurs membres s'y opposent. Ils disent qu'il
faut accorder des dégrêvemens à ceux qui ont fait
( 380 ,
des pertes , et non pas une exemption générale de
contributions . La question est ajournée .
Le conseil a ensuite adopté une résolution sur la
régie des poudres et salpêtres , et s'est occupé des
moyens de simplifier la comptabilité nationale .
La résolution relative à la déclaration opposée de
deux jurys de jugement sur le même fait a été
rejettée , le 21 , par le conseil des Anciens , comme
obscure et incomplette . Sur le rapport de Lecoulteux,
il a approuvé , le 22 , celle qui ouvre au ministre de
l'intérieur un crédit de 375 mille liv. pour les dépenses
du Directoire . Le 23 , le rejet de celle concernant
le placement des tribunaux de commerce dans
les divers départemens , a été proposé et adopté.
Richard a fait adopter , le 24 , par le conseil des
Cinq cents , son projet d'organisation de la gendarmerie
. En voici les dispositions principales :
1º . Le nouveau corps de la gendarmerie sera compose
ainsi qu'il suit ; pro
25 chefs de division , inspecteurs et ayant le rang
de chef de brigade.
So chefs d'escadron .
100 capitaines.
200 Lieutenans .
100 maréchaux - des- logis en chef , à pied .
500 maréchaux- des - logis .
1500 brigadiers , vi
6500 gendarmes , dont 6000 montés et 500 à pied .
La gendarmerie nationale sera organisée en
45 divisions , formant ensemble 1500 brigades et
too compagnies. oh o
i In ou
39. Chaque division fera le service de quatre dé--
partemens à raison d'une compagnie par département,
cà l'exception de la Corse , qui formera seule
une division de 2 compagnies ; et du département
de la Seine . qui aura 8 compagnies formant division
avec celles des trois départemens limitrophes .
14 ° . Chaque division sera formée de a escadrons ,
chaque escadron de 2 compagnies , chaque compagnie
de 12 brigades au moins et de 18 au plus chaque
brigade de 5 gendarmes montés , ou de gendarmes,
dont 2 à pied.
( 381 )
30. Chaque division sera commandée par un chef
de division ayant rang de chef de brigade , chaque
escadron par un chef d'escadron , chaque compagnie
par un capitaine et un , deux ou trois lieutenans ;
les brigades , un tiers par un maréchal - des - logis , et
les autres tiers par un brigadier.
6. Les places de chef de division , d'escadron ,
de capitaine et de lieutenant , seront toutes à la
nomination du Directoire , pour cette fois seulement.
Le projet de résolution concernant l'actif et le
passif des communes , présenté par Thibaudeau , a
ensuite été adopté .
Le conseil s'est formé , le 25 , en comité général
secret.
PARISA Nonidi 29 Nivôse , l'an 5º . de la République.
On n'a toujours aucune nouvelle positive du reste de la
flotte de Brest . A-t - elle opéré son débarquement sur les côtes
d'Irlande ? erre-t-elle sur les mers , battue par les tempêtes ?
a - t- elle été attaquée par les escadres combinées de l'Angleterre
? Cette incertitude partage les esprits entre la crainte et
l'espérance , et chaque jour prolonge ce sentiment pénible.
Quelques journaux avaient annoncé que le cit , Kervélégan ,
membre du Corps législatif , avait reçu une lettre particuliere
par laquelle on lui mandait qu'une corvette arrivée dans la
baie d'Audierne , avait apporté la nouvelle que Hoche avait
débarqué 13 mille hommes sur les côtes nord - ouest de l'Irlande
, et que ce général demandait des renforts au gouvernement.
Mais rien ne paraît confirmer cette nouvelle qui circule
depuis trois ou quatre jours . Le gouvernement n'a encore
rien publié d'officiel à cet égard . Cepeddant il est à croire que
les deux divisions de la flotte seraient déja rentrées , si elles
avaient renoncé au projet de leur expédition , d'autant plus
que divers bâtimens , qui sont rentres depuis peu dans nos
ports , ont déclaré qu'ils n'avaient rencontré aucune escadre
ennemie .
En attendant , le général Chérin a fait une proclamation
adressée aux troupes qui sont revenues à Brest ,
pour leur
annoncer que si les vents avaient trahi leurs espérances , ils
retourneraient bientôt , avec des forces supérieures , attaquer
T'Angleterre jusques dans ses propres foyers.
Le Directoire exécutif prêtera et récevra , le 2 pluviose
( 382 )
le serment de haine à la royauté et à l'anarchie. Cette éérémonie
aura lieu dans l'église ci-devant Notre-Dame .
Plusieurs journaux ont présenté un tableau des compensations
que le cabinet de St. James a offertes à la France
daus la derniere négociation Ce tableau justifie , plus que
tous les raisonnemens , la conduite du gouvernement français
dans cette circonstance. Le voici :
Restitution de l'Angleterre.
-
Pondichéri , dont le territoire est moins grand que le
plus petit canton de France. La Martinique . Ce que
les Anglais possedent à Saint- Domingue , qui peut être évalué
au dixieme environ de la partie française. Enfin , ce
qu'ils possedent à Sainte - Lucie , sous la condition de la
reprendre en entier par le même traité .
-
Restitution de la France à l'Empire , Lempereur et ses ayant-
La Belgique.
causes.
--
-
Le duché de Luxembourg, Le duché
de Limbourg. Le comté de Falkeinstein et ses dépendances
. L'electorat de Cologne . Le duché de Bouillon.
L'évêché de Liége. L'électorat de Trêves . - Le
duché de Deux - Ponts . La principauté de Mon beillard .
Le Palatinat .. Portion du duché de Cleves .
seigneurie de Revenstein . Le Milanais . La Lombardie.
Le duché de Mantoue . Le duché de Modene .
-
-
-
Les fiefs impériaux dépendans de Gênes .
- Au pape. Reggio . Ferrare .
-La
Bologne , etc.
Partie du
A Espagne La partie espagnole de Saint-Domingue .
Aux Hollandais . La Flandre Hollandaise .
marquisat de Berg- op - Zoom.
B
Maestreicht. La communauté
de Flessingue et de la rade de Ramekens .
Ensuite la France eût fait présent aux Anglais de Sainte
Lucie , pour qu'ils lui permissent de rendre aux Espagnols
la moitié de Saint - Domingue .
Et enfin , elle aurait consenti à ce que les Anglais dépouillassent
ses alliés , les Hollandais , du cap de Bonne-
Espérance , de Trinquemalle et de quelques autres de leurs
colonies , condition qu'ils obtiendraient , en échange ,
le rétablissement du stadthouder.
On apprend d'Itali
•
que le bombardement de Mantoue a
commencé.clubakre soo f
#
Après la plus vigoureuse et la plus étonnante défense , le
fort de Kehl a été évacué par nos troupes, Voici les détails
( 383 )
officiels de ce siége , qui a plus coûté à l'ennemi que la perte
de plusieurs batailles .
Toutes les opérations de l'armée de Rhin et Moselle
pendant cette campagne , ont un caractere de grandeur
et un degré d'importance également remarquables . Après
avoir remporté les plus brillantes victoires , elle s'est montrée
supérieure à la fortune , dans la défensive glorieuse
qu'elle a soutenue . Forcée , par des circonstances qui lui
sont étrangeres , à se replier des bords du Danube , elle
l'a fait avec une lenteur savante et fiere , dont elle a créé
l'exemple , et qui présageait la résistance mémorable de
Kehl . On reconnaît en effet dans ce siège un autré exemple ,
unique de la défense des places .
1
Des ouvrages construits à la hâte , et non revêtus , ont
paru plus redoutables aux Autrichiens , que Maestricht et
Luxembourg ne l'ont été pour les Français . Les premiers
se sont consumés devant cette tête de pont pendant près
de deux mois de tranchée ouverte ; ils y ont développé
des travaux immenses et ridicules aux yeux de l'art , par
la timidité qui les a tracés ; et enfin , pour prix des pertes
les plus sens bles , ils possedent aujourd'hui un fort dont
la prise ne nous a coûté , au commencement de la campagne
, qu'un coup de main .
de
Il est dû à la brave armée et aux habiles chefs qui ont
fait une si heureuse application des regles du génie militaire
dans cette circonstance , ou plutôt qui se sont élevés
au-dessus de ces mêmes regles avec tant de succès ,
publier les détails suivans , extraits des lettres officielles.
Ils seront accueillis avec un vif intérêt par les amis de la
patrie et de la gloire nationale.
Le prince Charles , après avoir réuni toutes ses forces
dans les premiers jours de brumaire , devant Kehl , profita
de l'imperfection des ouvrages avancés de ce fort , et
de la nature des localités , pour établir des batteries de
mortier à une portée favorable . Il commença le bombar
dement le 8 ; un des ponts qui servaient à la communi
cation fut rompu par l'effet des bombes , etfut réparé de suite .
Pendant l'intervalle du 8 au 20 brumaire , l'ennemi s'attacha
à perfectionner sa ligne de circonvallation qui embrassait un
terrein immense ; de notre côté , on travailla sans relâche
pour contre - balancer les avantages que la baisse du Rhin lui
donnait , en lui facilitant les moyens de s'établir dans les isles
du Rhin , d'où il pouvait prendre nos ponts
Le 22 , les postes ennemis , qui nous gênaient par leur pro- ,
ximité , furent enlevés avec beaucoup de vivacité. On ramena
une centaine de prisonniers.
å revers.
( 384 )
4
Dans la nuit du 4 au 5 frimaire , l'ennemi ouvrit la tranchée
à une distance triple de celle qui est ordinairement observée :
annonça , dès ce moment , T'oubli des regles les plus communes
de l'attaque des places , et une timidité excessive .
il
Le 8 , son artillerie commença à jouer , et continua jusque
au 21 , sans interruption . Pendant cet intervalle , il voulut
avancer ses ouvrages dans le village du vieux Kehl , et emporter
l'isle d'Herlen-Rhin , que la baisse des eaux avait jointe
à la terre ferme ; mais il fut repoussé avec perte . La bonne
conduite et la vigueur des 76. et 100. demi-brigades , se
firent remarquer dans cette occasion .
!
Il ne se passa rien d'intéressant jusqu'à la fin de frimaire.
Le feu continuait néanmoins avec vivacité de part et d'autre .
Les premiers jours de nivôse , la tranchée fut ouverte devant
le camp retranché . Cet ouvrage , qui offrait peu de
moyens de résistance , parut toutefois assez imposant à l'ennemi
, pour l'engager à user des plus grandes précautions .
Le 5 , le grand pont fut . encore rompu par le feu des
bombes ; les bateaux étaient tellement endommagés qu'il fut
impossible dǝ le rétablir . La défense de Kehl devint alors
-plus pénible , n'ayant qu'une seule communication .
Le 6 , la seconde parallele fut achevée ; I ennemi travailla
jusqu'au 9 à son armement ; il cheminait à la sappe , quoiqu'à
la distance de 150 toises , tant sa circonspection était grande.
Les jours suivans furent employés par les Français à des
sorties fréquentes pour retarder la sappe . Le 5 , bataillon de
Ja 62. demi-brigade se distingua en détruisant une partie des
ouvrages de l'ennemi .
Le 12 , il attaqua la redoute des Trous - de-loups et l'isle
d'Herlen - Rhin . Ce premier poste ne put tenir ; mais l'ennemi
fut moins heureux à l'autre attaque . Le général Lecourbe
voyant nos troupes céder au nombre , prit le parti de
renvoyer sur la rive gauche le pont volant , se saisit d'un drapeau
, rallia nos bataillons , marcha à leur tête , et chassa
l'ennemi de l'isle d'Hèrlen-Rhin , après lui avoir fait éprouver
une perte considérable .
La nuit du 18 , l'ennemi attaqua la redoute du Cimetiere
et l'ouvrage à corne du Haut-Rhin ; mais les 10. , 62. et'
103 , demi-brigades parvinrent à le repousser.
Malgré ce succès , le terme de la défense de Kehl , prolongee
au-delà de tou e espérance , s'approchait ; resserré ot vu
de revers par les batteries de l'ennemi , ses communications "
rendues impraticables , il devait enfin succomber . Il a été
évacué le 21 nivôse , après avoir coûté à l'empereur 15,000
hommes de ses meilleures troupes et 50 millions .
し
LENOIR-LAROCHE , Rédacteur.
TABLE
Des matieres contenues dans le N°. 7.
LITTERATURE ÉTRANGERE.
ESSAT
SSAI sur l'aliment des plantes , et sur le
renouvellement du sol qui les
nou
POLITIQUE RISONNÉE.
Fin des Réflexions sur un ouvrage intitulé :
Vues générales sur l'italie , Malte , etc.
LITTERATURE.
7
Observations du Rédacteur sur la Lettre de
Jacques-le-Fataliste.
MELANGES .
Lettre au Rédacteur.
POÉSIE.
Extrait d'un Poëme intitulé les Vosges.
ANNONCES. Litterature étraagere..
NOUVELLES ETRANGERES.
28
32
34
41
ALLEMAGNE. De Hambourg.
De Ratisbonne.
44
ITALIE. De Modene 47
RÉPUBLIQUE BATAVE. La Haye.
49 ANGLETERRE. De Londres. ib.
Corps Législatif.
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE.
Paris. Nouvelles.
54
FRANÇAIS,
HISTORIQUE , POLITIQUE
ET LITTÉRAIRE
( No. 7 )
Décadi 10 Frimaire , l'ans .
Ce journal , composé de quarre feuilles in-8° .7
et quelquefois de cinq , paraît tous les
DÉCADIS. Il contient deux parties ; l'ures
consacrée aux SCIENCES , aux LETTRES et
aux ARTS ; l'autre à la POLITIQUE EXTÉ
RIEURE , aux séances du CORPS LÉGIS
LATIF , aux NOUVELLES de Paris er des
départemens , ainsi que des ARMÉES de la
République.
Le prix de l'abonnement de ce Journal est
en numéraire de g liv. pour trois mois , de
liv, pour six mois et de 30 liv. pour un an.
CALENDRIE
RÉPUBLICAIN.
FRIMAIRE.
La Lune du mois a 30 jours. Du premier au 3e les jours
décroiffent matin & foir d'une heure 37 min.
Ere
Ere Républicaine.
J.PHASES Teme more
Valgaire de de la
de de la midi vra
L.LUNE. H. M. S
primedi ire Décade : 21 June 11 20
2 duodi ..
3 tridi ...
4 quartidi ..
22 mardi
23 merc. 352
24 jeudi . 5 quincidi
.
6 fextidi
7 feptidit
25 vend.
D.Q.02
22
26 fame. 6
8 octidi ..
9 nonidi
.
10 Decadi..
28lundi .
27 Dim. 7h. 13 m,
29 mardi 7
¡du mat.
34
30 merc. 10
11 primedi ile Décade . jeudi . 11
N. L
12 duodi ..
13 tridi...
14 quartidi
.
43
2 vend. 12 le 2700 25
3 Sam. 13 h . 3 m.l
7
1 quintidi.
16 fextidi ..
17 feptidi
18 uctidi .
12
1 nonidi..
20 Decadi...
4 Dim. 14
6 mardi 16 P. Q.11 59 11
7merc . 17 le 17 à
8jeudi.18h
. 13 m. 11 58 32
31
vend. 19 du foir. 11 58 13
10 fame . 20
11.57 53
P. L.
Slunai. Is
11 59 49
11.59 /30
58 52
21 primedi Ille Décad . 11 Dim. 21
22 duodi ..
23 tridi
24 quartidi .
25 quintidi
26 fextidi.
27 fepridi.
28 odidi ..
29 nonidi..
of
Decadi ,
le 24à o
33
II 57
h. 46 m.
56 35 11 56 52
du ma
tir 56 is
12 undi. 22
|13|mardi |23|
14merc . 24
Isljeudi. [25
16 vend. 26
17 fame. 27
18 Dim . 28 le 30.
19:landi . [25
20 mardi.zel
D.
11 55.55
Q1 SS 44
Or SS 24
1544
$4.29
Ger. 135
MERCURE
FRANÇAIS ,
HISTORIQUE , POLITIQUE
ET LITTÉRAIRE ;
PAR UNE SOCIÉTÉ DE GENS DE LETTRES ,
Du décadi 10 Frimaire , an cinquieme
de la République Française.
(Mercredi 30 Novembre 1796,vieux style. )
TOME XXVI
MONADENSIS)
A
PARIS ,
Au bureau du Mercure , rue des Poitevins ,
n° . 18.
TABLE des Matieres Littéraires du Tome XXV.
OEUVRES mêlées d'Ed . Gibbon , publiées par lord Sheffield ,
son parent....
Extrait du Journal de Gottingue , annonces relatives
aux sciences ...
.... Page
3.
13.
14-93-284-366 .
Suite des réflexions sur Lycurgue et le gouvernemeut
de Sparte .....
Sixieme lettre sur l'origine des Cultes , du cit. Dupuis .... 31 .
Compte rendu aux deux Conseils , par l'Institut
rational.
Sur la derniere révolution de Pologne .....
Description géograph. , histor. et polit. de Maroc
45 .
81.
109.
113 .
119.
145 .
150.
153.
et de Fez , par G. Hoest , consul danois ....
Lettre au Rédacteur sur l'instruction publique ...
Lettre du prince Henri de Prusse à l'Institut nation .
De Salomon Gesner , par J. J. Hottinger .....
Observations introchirurgigiques , par J. Covillard .
La prononciation française déterminée par des
signes invariables , etc. par V. Domergue ......
Séance publique de l'Institut national , du 15 vendémiaire..
160-166-223—228–235 .
Discours en vers contre le célibat , par Ducis ....
Lettres contenant une esquisse des scenes qui ont eu
lieu en France , dans divers départeinens , sous la
tyrannie de Robespierre , par H. M. Williams ...
Rentrée des écoles centrales de Paris.....
Du cannibalisme , morceau trad . de l'anglais ..
Couplets à la citoyenne Lef...
...
Transactions philosophiques de la société royale
174.
209.
238.
242.
248.
de Londres , année 1795 .. 273,
Remarques sur une maladie des arbres , etc. par le
cit. Vauquelin ....
281 .
Hermès, ou Recherches philosophiques sur la grammeire
; trad. de l'anglais de J. Harris .. 299.
Emmanuel , anecdote .
303.
Le Bouclier, hymne amoureux et martial .
Essai sur la fievre maligne , etc. qui a regné dans l'isle
de Boulam , en 1793 et 1794 ; par Chisholm ....
Réflexions sur un ouvrage intitulé : Vues générales sur
l'Italie , Malthe , etc……….
Lettre au Rédacteur surJacques-le-Fataliste,par Diderot
....
312.
337.
$50.
373.
No. 7.
MERCURE FRANÇAIS .
DÉCADI 10 FRIMAIRE , l'an cinquieme de la République.
( Mercredi 30 Novembre 1796 , vieux style . )
LITTERATURE ÉTRANGERE.
Essai sur l'aliment des plantes et sur le renouvellement`du
sol qui les nourrit ; par M. INGENHOUL . A Londres.
L'INFATIGABLE
'INFATIGABLE et savant Ingenhouz dirige mainte
'nant ses recherches vers le perfectionnement du plus
utile de tous les arts. L'ouvrage que nous annonçons
semble destiné à constater et déterminer avec plus
d'exactitude qu'on ne l'a fait encore , les rapports de
la chymie et de l'agriculture ; de ces deux sciences
entre lesquelles on ne soupçonnait pas même autrefois
qu'il pât en exister de réels . Il montre évidem-.
ment combien les spéculations les plus étrangeres en
apparence , aux pratiques usuelles, peuvent čependant
contribuer à les étendre et les améliorer , quand le
génie y vient en faire une heureuse application ; et
il prouve le cas que méritent les clameurs de l'ignorance
et les arrêts magistraux du demi - savoir , quand
ils veulent proscrire tout ce dont on ne voit pas
l'application immédiate . Ne proscrivons rien , si ce
n'est le mauvais esprit et le charlatanisme ; encore
même peut-être vaut- il mieux le plus souvent , les
laisser user eux -mêmes leur empire éphémere ,
nous réservant seulement le droit de les mettre à leur
A &
ན
en
( 4)
place lorsqu'ils nous tombent sous la main . Leurs
attaques ont été beaucoup plus utiles qu'on ne pense
aux progrès de la raison et de la vérité.
Mais revenons à l'écrit d'Ingenhouz .
Puisque les plantes sont privées de la faculté loco.
motive , elles n'ont de contact naturel qu'avec la
terre et l'air c'est donc de ces deux substances
qu'elles doivent tirer leur aliment .
Quant à l'eau , l'auteur la regarde comme un simple
véhicule . Pour le prouver , il observe que certaines
plantes , fixées sur des rocs arides , et dans des climats
où il ne tombe ni pluie , ni rosée , n'en sont
cependant pas moins vigoureuses et pleines de suc.
Ainsi , la végétation paraît se faire sans le secours de
la terre et de l'eau : Ingenhouz en conclut que l'air
constitue l'aliment des plantes ; et cette conclusion
lui semble d'autant plus certaine , que le défaut d'air
les fait périr très -promptement dans la machine du
vide.
Ces observations et ces résultats ne sont pas entierement
neufs . Fabroni , Corniani , Lavoisier et tous
les chymistes de son école , ont établi des principes
analogues, Mais Ingenhouz paraît aller plus loin
qu'eux en assurant que la vie végétale est entierement
indépendante du regne animal ( 1 ) .
Le germe , dit- il , est toujours entouré d'une pulpe
dont la décomposition produit l'acide carbonique :
la premiere opération de la plante qui se développe
(1) C'est-à-dire qu'il ne regarde pas la décomposition des
matieres animales , ou les altérations que la présence des animaux
produit dans l'air , comme nécessaire à la végétation .
( 5 )
est de décomposer l'air ambiant , de changer
la partie d'oxygene en acide carbonique ; et peutêtre
absorbe - t - elle l'oxygene dans l'obscurité ,
et le carbone durant l'action de la lumière solaire :
cette derniere circonstance dégage l'oxygene de la
plante , et y fixe le carbone comme aliment. Les chy
mistes français avaient assuré déja que le carbone
constitue la principale nourriture des végétaux , et
Kirwan avait dit que l'air fixe est décomposé par la
végétation .
Tous les fumiers et tous les terreaux , poursuit
Ingenhouz , produisent une grande quantité d'air fixe ,
que les plantes absorbent pour retenir le carbone .
Les racines des plantes en absorbant l'humidité
pompent tout celui qui s'y trouve en dissolution
mais l'auteur pense , comme Fabroni , que leur nu.
trition s'accomplit principalement par l'absorbtion
que les feuilles operent.
Selon lui , la digestion des plantes s'effectue en
une demi-heure , puisqu'au bout de ce tems elles rejettent
dans un état d'altération considérable , l'air
qu'elles ont absorbé. Pendant la nuit , elles changent
en air fixe une plus grande dose d'air respirable
qu'elles n'en peuvent digérer ; elles le rejettent en
partie : et durant le jour elles absorbent avec l'air de
l'atmosphere , une si grande quantité de calorique
et de lumiere , que ne pouvant pas encore les digérer
, elles les rejettent également , mais combiné avec
l'oxygene , lequel prend ainsi le caractere de gaz ct.
constitue l'air vital.
L'auteur revient à sa conclusion , que le véritable
et principal aliment dès plantes est l'air respirable
A 3
( 6 )
décomposé ; c'est- à- dire , selon lui , l'air fixe et l'azote
dont les principes constituent dans les végétaux les
huiles et les sucs aqueux de tout genre . Mais en convenant
que l'azote , ou l'air nitrigene , ou oxygene ( 1 ),
comme on voudra l'appeller , entre dans le végétal ,'
il ne le croit pas absolument indispensable pour sa
nutrition,
L'utilité des fumiers est de fournir , en se putréfiant
, les principes gazeux nutritifs aux végétaux ; et
l'auteur assure que toute terre quelconque est sans
sesse occupée à attirer l'air fixe de l'atmosphere ,
pour le fournir ensuite aux plantes qui se développent
dans son sein.
On ne s'attendrait peut-être pas que les considérations
précédentes conduisissent Ingenhouz à conseiller
d'engraisser les terres avec de l'acide vitrios
lique , étendu dans l'eau et mêlé avec du sable : c'est
pourtant ce qu'il fait avec beaucoup de confiance .
Il serait assez curieux de voir l'effervescence, et le
bouillonnement excités par ce nouveau genre de
fumier sur une vaste plaine . Sa vapeur , c'est-à- dire
l'acide carbonique ou l'air fixe dégagé tout-à- coup de
la partie crayeuse ou calcaire du sol , tuerait assurément
tous les insectes , même les insectes volans ; mais
il ne laisserait pas de mettre en danger les animaux domestiques
et l'agriculteur lui-même . Ce qu'il y a de
plus clair, c'est que cette partie calcaire du terrein serait
convertie en gypse : or , l'on sait que le gypse est
an excellent engrais , sur-tout pour les terreins argil .
( 1 ) Ingenhouz ne se sert point ici de la langue , et ne paraît
pas adopter les principes des chymistes français.
2
( 7 )
leux : Pline l'avait déja noté de son tems ; et de nos
jours , l'usage en est commun dans différens pays,
Au reste , si la fertilisation du terrein par l'acide
vitriolique, est réelle , et si elle dépend du gypse qu'il
produit , on voit facilement qu'il serait beaucoup
plus économique et plus utile d'employer ce dernier
de préférence , dans la pratique de l'agriculture . Mais
malgré la juste autorité du nom d'Ingenhouz , nous
pensons qu'il ne faut pas entierement compter sur
des méthodes _qui n'ont pour fondement que de
simples vues théoriques . Ces vues peuvent indiquer
des essais mais il faut des expériences réitérées , il
faut même des expériences faites en grand et dans
différens pays , pour pouvoir adopter , avec quelque
confiance , de nouveaux moyens dans un art dont tant
de circonstances peuvent modifier les produits.
La place d'Ingenho uz est marquée parmi les premiers
physiciens de l'Europe . Nous ne dirons qu'un
mot de l'ouvrage que nous annonçons : c'est qu'il
ajoute encore à la gloire de l'auteur,
POLITIQUE RAISONNÉE.
Fin des Réflexions sur un ouvrage intitulé : Vues générales
sur l'Italie , Malte , etc., etc.
D'ABORD , 'ABORD, sous le rapport militaire , il est incontestable
que , quoique l'on finisse toujours par passer
une riviere quand on l'entreprend avec des forces
considérables , cependant c'est un obstacle qui n'est
pas à dédaigner ; et enfin , le Rhin est un fossé diffi
cile à franchir ; sur-tout , si , comme il le faut , on
A 4
( 8 )
1
débarrasse sa rive droite de toute forteresse , capable
de servir de point d'appui à l'ennemi . Secondement ;
comme l'a fort bien montré l'auteur des vues générales
, sa rive gauche est susceptible d'être très - bien
défendue par un petit nombre de places fortes ; de
plus , on peut aisement faire en arriere une seconde
ligne de défense très- bonne ; et son cours ainsi gardé
présente depuis Landau jusqu'à Cleves un front moins
étendu , et tout aussi respectable que notre ancienne
frontiere de Landau à Dunkerque qui avait un ou
deux points très - faibles . Enfin , en supposant que ces
nouvelles barrieres ne fussent pas inexpugnables ,
on ne peut nier que même après qu'elles seraient forcées
, l'ancienne France ne serait pas encore entamée ,
et retrouverait ses moyens de défense actuels . C'est
donc un grand surcroît de sûreté pour elle ; et tout le
tems employé par l'ennemi à surmonter ces nouveaux
obstacles est autant de gagné . Ce tems même ,
en supposant de grands revers , ne peut être moindre
qu'une campagne. Or , quand on voit que quinze ou
vingt jours de retard ont sauvé la Hollande en 1798 ,
que quelques semaines de résistance de la part de
Mantoue rendent encore problématiqué le sort de
l'Italie , et que l'on se rappelle mille autres exemples
pareils dans l'histoire , qui oserait évaluer l'énorme
avantage qu'il y a à pouvoir faire impunément une
campagne malheureuse dans l'état actuel des relations
politiques de l'Europe ?
Sous le rapport économique, il n'est pas bien difficile
de prouver que l'acquisition d'une population nombreuse
et industrieuse , et d'un pays très- fertile et très ,
abondant en matieres premieres de tout genre , est un
( و )
1
1
accroissement de puissance intéressant. Il n'est plus
nécessaire aujourd'hui de repousser l'objection usće ,
tirée de l'inconvénient d'une république trop étendue.
On sait de reste maintenant que le gouvernement
représentatif établi sur de bonnes bâses , est de tous
le plus capable de régir une grande étendue de
pays. Benjamin Constant et l'auteur allemand d'un
vuvrage intitulé de l'État politique et économique de la
France sous sa constitution de l'an III , ont mis cette
vérité hors de tout doute. On peut encore ajouter
que cette augmentation de bâse imposable rous est
nécessaire pour rétablir le niveau entre nos recettes
et nos dépenses annuelles , et que nous avons besoin
de cette masse considérable de biens nationaux pour
achever de payer les énormes dépenses de la guerre
et pour fournir aux récompenses de ceux des défenseurs
de la patrie qui n'ont de fortune que la reconnaissance
publique , et dont le licenciement devien
drait aussi dangereux que barbare sans cette ressource.
·
Sous le rapport commercial , il suffit de jetter un
coup d'oeil sur une carte , pour voir que toutes les
rivieres du nord de la France sont pour ainsi dire
obstruées tant que nous ne possédons pas les pays
qu'elles arrosent en coulant du sud au nord , jusqu'à
l'arrivée de leurs eaux dans la mer. Elles ressemblent
à des veines et des arterres tronqués qui ne peuvent
plus remplir leurs fonctions dans le systême de la
circulation . Toutes les grandes communications de
la navigation intérieure de la France actuelle , aboutissent
inévitablement à cette espece de cul- de-sac.
Ce n'est que lorsqu'il sera débouché , que l'on
( 10 )
pourra les établir suivant le plan vaste et sage , que
leur trace la nature elle -même . Il est impossible de
calculer le prodigieux accroissement qu'éprouveront
et les peuples de l'ancienne France , et ceux des
pays qu'on propose d'y réunir , quand le superflu des
productions naturelles et des ouvrages d'art qui
nous sont propres pourra s'écouler librement chez
eux par une pente si douce , et que les produits de
leur industrie et leurs matieres premieres indigenes
ou importées ,si nécessaires à nos fabriques , pourront
nous revenir avec la même facilité . On peut assurer
que se sera un bien notable pour l'humanité toute
entiere , que la correspondance de Marseille et
d'Amsterdam , et la communication rapide de la
Méditerranée avec la mer du Nord , par une navigation
douce et sûre à travers un pays immense , qui
sera en même tems le plus beau marché de l'univers .
Quant aux considérations politiques , il en est de
plus d'un genre qui toutes nous conduisent au même
résultat. Mais comme elles sont fort multipliées , il
faut les examiner séparément .
Premierement il faut se r: ppeller que si nous avons
besoin de nous donner toute l'étendue de puissance
que nous assigne la nature , il ne nous est pas moins
nécessaire de nous couvrir d'une barriere de corps
politiques sur les dispositions desquels nous puissions
compter ou du moins que nous n'ayons pas à redouter.
La république batave est la gauche de cette ligne dont
la république italique doit appuyer la droite. Cette
république batave est comme nous en butte à tous les
princes de l'Europe , par la nature du gouvernement
qu'elle s'est donné , et les principes qu'elle a adoptés .
1
( 11 )
Elle n'a par elle-même qu'une force médiocre et insuf-!
fisante à ca sûreté. Ainsi , il faut que nous puissions la
soutenir et lui donner la main en toute occasion . Il faut
que rien ne nous sépare d'elle . Il faut que nos frontieres
s'étendent jusqu'aux siennes , et par conséquent
que nous englobions tous les pays qui nous séparent .
Les adversaires de cette opinion disent souvent ,
comme une forte objection à ce projet , que les
habitans des pays dont il s'agit n'ont ni la même:
langue , ni les mêmes habitudes , que plusieurs sont
encore très -peu préparés au régime de la liberté , et
que par conséquent ils seront embarrassans pour
notre nouvelle république , et en compliqueront les
rouages dans les premiers momens. Je ne nie pas
que cette assertion a malheureusement quelque chose.
de vrai. Mais je maintiens que bien loin d'être une
objection , c'est justement ce qui démontre que le
parti que je propose n'est pas seulement utile , mais
est d'une nécessité absolue . En effet , si tous ces
peuples étaient liés entr'eux par les mêmes lois , les
mêmes moeurs , les mêmes usages , et sur-tout par le
desir et le besoin de la liberté , nous n'aurions certes.
rien de mieux à faire que d'unir par un lien fédéral
tous les pays qui existent entre le Rhin et la mer ,
la Hollande et la France , et les laisser prospérer à.
côté de nous à l'ombre de la liberté et de la philanthropie.
Cette république , mue par des principes libéraux
et raisonnables , laisserait à nos relations commerciales
la même étendue que si son territoire nous
appartenait. Dévouée comme nous et par les mêmes
causes à la haine des gouvernemens à préjugés , elle
serait indissoluble d'avec nous , elle nous unirait à
J
( 12 )
la Hollande au lieu de nous en séparer : et tranquille
sur nos intérêts commerciaux , et sur celui plus important
encore d'avoir une barriere assurée et pacifique,
je n'insisterais pas sur les avantages militaires
et économiques que je trouvé à posséder ce pays
en propre , et ne proposerais jamais de nous en
emparer. Mais c'est justement parce que ces peuples
livrés à eux-mêmes ne parviendraient pas à s'organi
ser; et après s'être déchirés , ne manqueraient pas de
retourner à leurs anciens souverains , c'est à- dire de
se jetter dans les bras de nos ennemis , c'est , dis-je ,
par ces raisons qu'il n'y a pas à balancer à nous les
incorporer. Et s'il se trouve des difficultés à les amálgamer
complettement avec nous , elles prouvent
seulement , comme nous l'avons déja dit , que c'est
une grande entreprise que d'établir quelque part un
ordre social raisonnable , au milieu de la déraison
universelle. Mais quand cette entreprise est entamée ,
il faut la mener complettement à fin , ou se résoudre
à la voir échouer en totalité . Au reste , c'est à notre
gouvernement à lever petit à petit ces obstacles par
une conduite sage et ferme . Dans le fait on est à la
longue très-sûr de se concilier l'affection des peuples
en les rendant heureux ; et le talent de l'administra
tion en fournit beaucoup de moyens .
Une seconde considération politique qui milite en
faveur du parti que je propose , est que son adoption
opere la destruction de cinq ou six souverainetés
ecclésiastiques : et quiconque a approfondi l'influence
des institutions politiques sur les idées des hommes,
trouvera sans doute que ce n'est pas un avantage
dédaigner dans la guerre de la raison contre les préjugés.
( 13 )
"
Enfin , le troisieme avantage politique que je trouve
àl'extension de notre frontiere jusqu'au Rhin , est que
cette mesure porte une atteinte si profonde à l'exis
tence de la corporation germanique , qu'elle ne saurait
plus subsister après ce démembrement . En effet,
après la suppression instantanée de trois électorats ,
il n'y a plus , à proprement parler , de constitution
germanique ; et ce n'est pas dans ce siecle- ci que
l'on reconstruit un pareil édifice sur un plan si gothique
. Je ne répéterai pas ici ce que j'ai dit ailleurs
du saint- empire romain , et les raisons par lesquelles
je crois avoir prouvé que sa dissolution nous est nécessaire
, et que les constitutions germanique et frate
çaise sont comme la statue du Dagon des Philistins
et l'arche des Juifs , qui ne pouvaient pas demeurer
debout à côté l'une de l'autre. Je me bornerai à répondre
à ceux qui me regrettent pas ce saint- empire
par préjugés , mais comme une masse molle , inter
posée entre les grandes puissances du continent , et
propre , par son peu de ressort , à amortir les coups
qu'elles se porteraient , et à adoucir les frottemens
qu'elles éprouveraient si elles se touchaient . Je ne
lui conteste pas une partie de ces avantages. Ils
résultent de ce que le corps germanique , quelque
absurde que soit sa composition , est cependant un
corps fédératif; et cela seul prouve combien ce gous
vernement est excellent pour procurer la tranquillité
des peuples , et qu'il serait sans comparaison préférable
à tout autre , s'il n'existait plus de ces puis
sances formidables et inquiettes , qui font à leurs
voisins une nécessité aussi pressante d'être forts que
d'être heureux. Aussi desirerais - je bien que toute
( 14)
notre frontiere pût être bordée d'Etats fédérés ,
comme les républiques italique , helvétique et batave.
Mais , comme enfin de toutes les fédérations ' , la fédération
germanique est la plus mauvaise , qu'efle
est notre ennemie née , qu'elle est presque subjuguée
de fait par les grandes puissances , et que son
existence empêche la possibilité de l'établissement
de meilleures corporations , je concluds toujours
que sa dissolution est indispensable ; et je pense
que ce qu'elle peut avoir d'utile pour nous sera
avantageusement remplacé par l'existence de quelques
souverainetés indépendantes et détachées , d'une
force suffisante pour se faire respecter, et trop bornée
pour se faire craindre .
Je pense , par ces réflexions , avoir prouvé que ,
sous les rapports militaires , économiques , commerciaux
et politiques , il est utile d'étendre notre frontiere
jusqu'au Rhin .
Je dis que cela est juste . En effet , de tous les
princes qui se trouveront dépossédés par cette réunion
, il n'y en a pas un qui ne se soit déclaré notre
ennemi sans provocation , qui n'ait pris part , suivant
ses forces , à la croisade universelle ; et cette guerre
dans laquelle ils se sont précipités de gaîté de coeur ,
n'était point comme les guerres ordinaires de l'Europe
, qui ressemblent à ces jeux d'esprit qu'on se
permet dans la société , et où il est convenu de net
pas outrepasser certaines limites . C'était une guerre
d'extermination et d'asservissement , et où tous les
moyens de désolation ont été prodigués. Ils ont
donc eux-mêmes prescrit les conditions , et c'est à
eux à subir le sort des armes . On pourrait dire , en
( 15 )
•
outre , que celui qui perd le plus de pays par ces
réunions , l'ancien souverain des provinces belgiques,
s'est plus qu'indemnisé d'avance par les énormes
acquisitions qu'il a faites aux dépens de la Pologne,
Mais nous reviendrons sur cet article , en prouvant
que le parti proposé n'est pas moins sage que juste
et utile.
La principale raison qu'on apporte ordinairement
pour prouver que l'entreprise d'étendre nos frontieres
jusqu'au Rhin est téméraire et imprudente ,
c'est de dire qu'une pareille préténtion annonce une
ambition qui doit effrayer toutes les puissances de
l'Europe , et qu'elles ne sauraient consentir à nous
accorder un tel accroissement de territoire. Il est
assez singulier qu'une telle objection soit faite sou
vent par les mêmes personnes qui soutiennent que
cet accroissement ne nous apporte aucune augmentation
de force réelle , et n'est propre , au contraire ,
qu'à perpétuer parmi nous les troubles et les discordes
intestines . Car s'il était vrai que cet avantage
fât si illusoire , il ne devrait guere exciter la jalousie
de nos rivaux . Le vrai est que notre prospérité en
sera singulierement augmentée et consolidée . Je l'ai
prouvé ci-dessus , et même avec plus de détail que
je n'aurais fait , si une vérité aussi évidente n'avait
pas été contestée . Mais je soutiens en même-tems
que le desir de cette acquisition ne porte aucun
caractere de l'esprit d'envahissement qui pourrait
alarmer nos voisins , et que tous les soupçons qu'on
pourrait affecter à cet égard ne sont que des inquiétudes
simulées . Il est évident aux moins clair- voyans,
pour peu qu'ils nous observent , que la tendance de
1
1
( 16 )
+
toutes nos institutions nouvelles est vers la paix , le
bonheur intérieur et la philantropie universelle , et
que le gouvernement que nous nous sommes donné
de choix et avec réflexion , est très - peu propre à
l'exécution des projets de conquête . De plus , qu'on
examine notre conduite . Nous avons fait trembler
l'Espagne nous n'avons pas exigé d'elle la cession
d'un pouce de terrein , parce que de ce côté la nature
elle -même avait posé nos limites. Le roi de
Sardaigne s'est rendu à nous à discrétion : nous n'avons
point cherché à envahir ses Etats , ni pour les
garder, ni pour en faire par la suite des objets de
compensation . Nous ne lui avons enlevé précisément
que ce que la nature nous destinait encore de tous
les tems , comme nous l'avions demandé dès le commencement
de la guerre . Il en est de même du côté
de l'Allemagne. Dana nos plus grands revers , nous
avons dit , le Rhin doit être notre barrière . Dans nos
plus grands succès , nous n'en avons pas prétendu
davantage ; et nos armées fussent- elles aux portes de
Vienne ou repoussées sous les murs de Lille , nous
ne changerions pas de langage . Certes , ce n'est pas
là la marche d'un peuple avide de conquêtes , mais
bien celle d'une nation sage qui sait , comme l'a
observé avec raison l'auteur des Fues générales , » que
les mauvaises distributions géographiques sont des.
sources éternelles de guerre , et qui veut les tarir pour
toujours , en se donnant une bonne fois ses limites.
naturelles de tous côtés . Personne , je le répete , ne
peut s'y tromper. Nos voisins , au contraire , devraient
être beaucoup plus inquiets de nos dispositions , s'ils
nous voyaient varier suivant les occasions , faire tantôt
( 17 )
tôt une demande , tantôt une autre , dans la seule
vue d'extorquer ce que nous pourrions obtenir , et
de nous ménager des prétextes de réclamations ultérieures
, d'après les circonstances , comme l'ont toujours
fait les diplomates européens . C'est là vraiment
le cachet de la rapacité ; mais ce n'est point le nôtre .
Au contraire , que demandons - nous à l'empereur ?
Les Pays - Bas et le Milanais , deux Etats qui ne lui
étaient qu'à charge , sur lesquels Joseph II comptait
si peu, qu'il en avait fait démanteler toutes les places ,
qui étaient pour leur souverain une occasion perpétuelle
d'inquiétude et de guerres ruineuses , et qui
ne lui procuraient d'autre avantage que de troubler
à son gré tantôt le nord tantôt le midi de l'Europe .
Serait- ce donc cette jouissance qu'il regretterait tant
de perdre ? Que de raisons de plus nous aurions de
la lui enlever ! Enfin , peut - il se plaindre de payer
d'un tel sacrifice notre consentement à l'accroissement
énorme de puissance réelle que lui apporte le
partage de la Pologne ? Car , s'il envoie ses armées
chez nous pour nous empêcher d'être libres et paisibles
, n'aurions -nous pas plus de droit et d'intérêt à
envoyer les nôtres chez lni , pour l'empêcher d'être
conquérant et oppresseur ? On voit que je ne fais pas
entrer en ligne de compte les justes indemnités que
nous pourrions prétendre pour l'horrible guerre.
qu'on nous a faite . Non , si les pays en question ne
nous étaient pas nécessaires , je ne voudrais pas que
nous prissions un pouce de terrein . Et si nous en
possédions au- delà de nos barrieres naturelles , je
serais d'avis que nous le rendions , comme nous
faisons en Italie et en Hollande . Cependant il est
Tome XXVI. B
( 18 )
:
sage aussi que nous augmentions nos forces , quand
les trois plus redoutables puissances de l'Europe
viennent d'accroître si prodigieusement les leurs.
Les puissances du second rang qui nous séparent
d'elles n'en sauraient prendre d'ombrage . Elles doivent
même se réjouir de nous voir en état d'être
leur appui ; car certes , ce sont bien la Russie , la
Prusse et l'Autriche qui ont manifesté l'esprit d'envahissement
de la maniere la moins équivoque , et
qui sont organisées favorablement pour suivre cette
impulsion. Quant aux petits princes victimes de cet
arrangement , ils doivent sans doute être très -mécontens
mais il est possible d'en dédommager quelques
- uns. Les autres étant totalement dépossédés ,
leur haine est impuissante , et personne ne s'intéresse
à leur querelle . Il en est même tel dont la chûte sera
agréable à toute l'Europe , le pape par exemple . Je
pose en fait qu'il n'y a pas un gouvernement catholique
qui , fatigué de ses prétentions , et incommodė
de son influence sourde , ne se réjouisse secrettement
de le voir effacé de la liste des souverains, Le plan
proposé n'allume donc contre nous aucune haine
redoutable , n'excite aucune véritable inquiétude ;
ainsi je n'y vois que sagesse et prudence . Je dis encore
qu'il n'éloigne pas d'un instant le retour de la
paix . Car les paix sent comme les constitutions : il
ne suffit pas qu'elles existent sur le papier. Nous
avons gémi sous le plus execrable despotisme avec
une constitution rédigée et jurée . Ce n'est donc pas
d'une paix signée dont nous avons besoin , mais d'une
paix existante en réalité , et pour ainsi dire enracinée .
Or je dis que , vu l'opposition de principes des gou(
ig )
vernemens actuels de l'Europe avec le nôtre , une
telle paix aura lieu non pas le jour où tous les souverains
l'auront jurée en conservant tous les moyens
de nous nuire , mais celui où ils se seront résolus à .
nous souffrir dans une position telle qu'ils n'auront
rien à craindre de nous , ni nous d'eux . Et j'ajoute
que , tant qu'ils se refusent à un tel arrangement ,
c'est une preuve que les passions qui ont causé la
guerre ne sont pas encore éteintes , et que si la
paix était signée , elle ne serait que simulée et pass
sagere .
saires ;
Maintenant il s'agit d'examiner les moyens de
parvenir au but que nous nous proposons . Il n'est
pas douteux qu'il ne faille prendre Mantoue , détrôner
le pape , organiser la république italique , n'entrer
dans aucune négociation avec l'Empire , ni avec
aucun des princes dont les Etats nous sont nécesmais
, autant que nous le pourrons , conclure.
avec les princes les plus puissans de l'Allemagne
des traités particuliers , comme nous en avons déja
avec le landgrave de Hesse et le duc de Wirtemberg
, et même leur faire , aux dépens des petits
princes , de la noblesse immédiate et des prêtres
souverains de leur voisinage , des avantages qui nous
les attachent , et qui enfin les amenent à nous aider
à leur assurer ces cessions . Quant aux opérations
militaires , nous devons nous borner en Italie à bien
garder les gorges du Tirol , et ne faire du côté de
l'Allemagne que les efforts nécessaires pour prendre
et raser les forteresses de la rive droite du Rhin ,
déterminer à la paix ceux de nos voisins qui seraient
encore indécis , et empêcher les Aut i hiens de por-
B 2
( 20 )
ter sur l'Italie des forces capables de troubler nos
alliés naissans . Mais , dit - on , un tel plan excede
nos moyens , et nous sommes absolument hors d'état
de faire encore une campagne . Nous n'avons ni
hommes ni argent . Je suis loin de nier notre détresse
actuelle . Cependant je vois beaucoup d'exagération
dans cette assertion ; et cette maniere outrée de
décrire nos embarras que l'on emploie si souvent ,
est beaucoup plus faite pour les augmenter que pour
les représenter fidelement.
D'abord , quant à l'argent , je n'ignore pas l'impuissance
absolue des malheureux rentiers , l'épuisement
des bons citoyens propriétaires de capitaux
et de mobiliers , qui se sont saignés pour secourir
l'Etat , et la surcharge accablante des propriétaires
-fonciers , sur qui porte actuellement tout le faix . Je
ne prétends pas atténuer ces maux , ni même m'en
rapporter absolument aux tableaux consolans de recettes
et de dépenses qui ont été présentés au Corps
législatif. Mais aussi il est certain que nous voilà
presqu'entierement purgés du papier-monnaie qui ,
empoisonnant tous les canaux de la circulation , paralisait
tous nos moyens de vie, et qu'il est maintenant
très - aisé de nous en délivrer tout- à-fait ; ce qui , joint à
l'énorme abondance des matieres premieresindigenes,
releverait promptement la plupart de nos fabriques et
sur- tout les plus nécessaires . Cette abondance des
matieres premieres n'est pas problématique , puisqu'il
est constant qu'au milieu même de nos désastres ,
notre agriculture a fait des progrès immenses , et
que la France n'a jamais eu tant de terres cultivées ,
ni tant de troupeaux qu'en ce moment. C'est un fait
( 21 )
1
1
F qui frappe l'oeil le moins attentif , et dont le penseur,
politique trouve aisément les causes dans les immenses
bienfaits de la premiere révolution , et même
dans quelques conséquences heureuses des fausses
mesures adoptées depuis . Car il n'y a pas un mal ,
quelqu'horrible qu'il soit , qui ne produise quelque
bien. L'aisance très- remarquable de la classe la plus
nombreuse et la moins fortunée de la nation est encore
un produit heureux des mêmes causes , et est un
fait non moins incontestable . L'accroissement énorme
de la consommation du peuple en est une preuve
manifeste et toujours renaissante et si cet accrois
sement est un de nos embarras du moment , il n'en
est pas moins une bonne preuve que nous sommes
loin d'un dépérissement funeste. J'en conclus qu'il
est impossible d'être sans ressources avec une masse,
aussi immense de matiere imposable et hypothéquable.
Nous en trouverions certainement encore
d'énormes dans le retranchement des dépenses inutiles
, dans l'amélioration de l'administration , et surtout
dans une détermination bien prononcée pour
le plan que je propose . Elle hausserait sur-le-champ
la valeur de nos biens nationaux de l'ancienne France
, et plus encore celle des pays réunis , lesquels ne
sauraient manquer d'acquereurs , dès qu'il sera certain
qu'ils ne retourneront pas à leurs anciens maîtres ,
et ne peuvent en trouver dans le cas contraire. J'ajou
terai qu'il y a peu de momens encore que nos armées
vivaient toutes aux dépens des pays étrangers ; que
celle d'Italie est toujours dans cette position , et que
celle d'Allemagne peut la reprendre d'un moment à
l'autre . Enfin je dirai qu'il est impossible que ce soit
1
B 3
( 22 )
faute de moyens pécuniaires , qu'un pays comme la
France échoue dans l'exécution d'un projet qu'elle
aura voulu d'une volonté forte .
A l'égard des hommes , je commencerai par observer
que nous sommes bien loin d'en avoir jamais
envoyé aux armées le nombre effroyable dont on
s'est plu à remplir les journaux , ni même peut-être
celui qui a malheureusement chargé les états de dépense
. De plus , nous ne sommes pas dans le cas des
nations qui s'épuisent régulierement chaque année
pour fournir de nouvelles recrues . Au contraire , nos
victoires ayant diminué graduellement le nombre de
nos ennemis , nous avons vu tous les ans une foule
immense de soldats revenir dans leurs foyers , les
uns par la permission expresse , les autres par la tolérance
tacite de leurs supérieurs. On n'a senti que
très -peu le besoin de les rappeller aux drapeaux .
Ainsi , contre l'usage ordinaire , ce sont les armées
qui ont repeuplé les villes et les campagnes , sans
cesser d'être suffisantes ; et , quoique nous n'ayons
malheureusement que trop perdu de nos braves défenseurs
, il n'en est pas moins vrai qu'il existe actuellement
en France beaucoup plus d'hommes qu'il n'en
restait après la requisition de 1792 et nous avons
de plus toute la nombreuse jeunesse qui s'est élevée
pendant ces quatre ans à l'ombre des lauriers de ses
feres . Aussi la cherté de la main-d'oeuvre tient beaucoup
plus à la plus grande liberté du peuple et à
d'autres causes qu'à la rareté des hommes . Nous pouyons
aujourd'hui compter sur plus de combattans
français qu'il n'en a fallu pour faire trembler 1 Eu-
Hope toute entiere , et nous n'avons plus d'ennemi
( 23 )
digne d'attention sur le continent que le roi de Bohême.
Ce ne seront donc pas les bras qui nous manqueront
pour soutenir nos destinées , si le découragement
et l'insouciance ne se sont pas emparés de
nos têtes . Comparons de sang- froid notre position
passée avec celle où nous sommes . Jettons un regard
sur tout ce que nous avons fait pendant le tems
même de nos plus grands désastres ; et nous jugerons
aisément que qui a pu ne pas désespérer de la
patrie en 1792 , 93 et 94 , ne peut pas même conserver
un doute sur ses moyens de défense actuels et
sa prospérité future.
Mais j'irai plus loin , et je dirai : S'il était vrai ,
comme tant de gens se plaisent à le publier , que
nous sommes dans l'impossibilité de faire une sixieme
campagne , ce ne serait pas encore une raison pour
nous désister de la liberté de l'Italie et de la barriere
du Rhin . Si telle était notre impuissance , elle ne
pourrait être ignorée de l'ennemi . Il ne manque
même pas de Français qui seraient empressés de l'en
instruire . Et dans ce cas il ne nous donnerait assurément
pas la paix , quelques cessions que nous lui
fissions ; ou s'il nous l'accordait , ce serait avec la
certitude que dans un an nous ne pourrions pas
davantage lui résister , et qu'il disposerait de notre
sort à son gré . Il vaudrait donc encore mieux périr
avec honneur que de montrer une faiblesse inutile
qui ne nous sauverait pas.
Enfin , si j'ai prouvé que, vu les dispositions nécessaires
des gouvernemens de l'Europe pour le nôtre ,
nous ne saurions être assurés de ne pas recevoir la
loi de l'étranger , que quand nous aurons le Rhin
B 4
( 24 )
pour frontiere , et la république italique pour avantgarde
; il s'ensuit que plus nous sommes épuisés ,
plus il faut aller promptement et directement à ce
but. Si de plus j'ai prouvé qu'aucun motif solide et
juste ne pouvait porter nos ennemis à nous refuser :
ces conditions , il est clair que s'ils s'y opposent ,
c'est qu'ils n'ont pas renoncé au projet de nous tourmenter
et de nous dominer : et s'ils nous réduisent à
faire encore une campagne , ce ne peut être que par
le desir toujours existant de nous subjuguer. Ainsi ,
dire que nous ne sommes pas en état de leur résister
pendant ce tems , c'est dire , en d'autres termes ,
que nous sommes hors d'état d'empêcher que dans
ce moment , ou dans un autre , la contre- révolution
ne soit opérée de vive force en France par les armes
de l'étranger , ou la guerre civile entretenue éternellement
parmi nous par ses secours , suivant qu'il .
préférera l'un ou l'autre ,
Ce qu'il y a de très - remarquable , c'est qu'un grand
nombre de personnes se permettent la premiere assertion
, tandis qu'aucune n'aurait risqué la seconde
qui lui est équivalente. Tant il est vrai que souvent .
les hommes rejettent sous une forme la même idée .
qu'ils adoptent sous une autre . Cependant il se pourrait
faire que dans quelques-uns de ceux que je '
refute , cette retenue ne fût pas uniquement l'effet .
de la méprise , et que ce ne soit pas sans motifs qu'ils
aient adopté cette version plus douce . Quand on dit
des hommes fatigués de grands efforts et de longues
souffrances vous êtes hors d'état de soutenir la
guerre plus long-tems, ils se le persuadent facilement ;
ils voient la paix quelconque comme un port ; ils s'y
( 25 )
laissent conduire volontiers , sans s'informer s'il est
ou non bien à l'abri des orages : et leur courage s'endort
sur l'oreiller de l'imprévoyance . Mais si on leur
disait vous avez bien combattu , bien souffert
f
et c'est pour cela même
que vous ne pouvez
mettre votre
entreprise
à fin , et assurer
le sort de votre
patrie , il faut y renoncer
; le souvenir
même
de leurs
maux ranimerait
leur ardeur. La violence
du déses- poir leur ferait sentir
leurs forces
, et il suffirait
tout
seul pour faire rejetter
le conseil
, et rendre
nulle la prédiction
. Ce n'est heureusement
pas de ce terrible élan dont nous avons besoin
. Il nous suffit de quelques mois encore
d'un peu de fermeté
. Sans nos derniers
revers
, nous étions
au terme
de nos travaux
. Il était impossible
que l'empereur
ne sentît
pas qu'il ne
pouvait
rentrer
ni en Italie ni en Flandre
, et ne renonçât
pas à ces phantômes
de puissance
qui lui
sont si chers comme
moyens
de nous tourmenter
, et qui , je le répete
, ne peuvent
lui être précieux
que
dans cette vue. Malheureuse
ment la fortune
a un moment
abandonné
nos drapeaux
en Allemagne
.
Mantoue
tient encore
. L'espérance
de notre ennemi
s'est ranimée
. D'ailleurs
, il sait bien que nous
ne lui ôterons
jamais
plus que le Milanais
et la Belgique Il est donc naturel
qu'il attende
pour nous les cédér
que nous en soyons
définitivement
et inébranlablement
les maîtres
. Mais qu'il nous voie pendant
l'hiver
présenter
un front redoutable
sur le Rhin et au Tirol ,
et à l'ombre
, de nos armes
, organiser
la république italique
, et franciser
les pays réunis
, il est plus que
douteux
qu'il nous oblige
encore
au printems
à employer
la force pour maintenir
des choses
faites ,
( 26 )
et qu'il ne pourra pls se flatter de détruire . Avec
du courage guidé par la prudence , il est donc
raisemblable que nous aurons une paix glorieuse
et inaltérable en moins de tems , que la faiblesse ne
nous aurait procuré une trêve courte et pernicieuse .
Telles sont les raisons qui ont déterminé mon opinion .
et que je soumets à tous les Républicains Français
vraiment dignes de ce nom. Jusqu'à Jusqu'à ce qu'on m'en
ait donné de contraires plus convainquantes , je
persiste à croire que le parti que je propose est
atile , sage , juste , et non - seulement possible , mais
le seul possible , à moins de consentir à l'asservissement
ou au déchirement de notre patrie . Je ne défie
personne , mais je pense fermement que la preuve
opposée sera très- difficile à faire ; et je verrai avec
plaisir qu'on l'essaie .
Maintenant je reviens à mon auteur , dont on trouvera
peut être que je me suis trop écarté . Son ouvrage
est composé de deux mémoires distincts et
séparés. L'un sur l'Italie , fait en floréal dernier , est
plein de vues ; mais il me paraît avoir l'inconvénient
de multiplier un peu les difficultés en voulant faire
plus qu'il n'est nécessaire ; par exemple , en faisant .
entrer dans la république italique celles de Gênes et
de Lucques , qui n'y sont peut- être pas disposées ,
et les états du duc de Farme , que le traite , qui:
a été conclu depuis , garantit de cette entreprise , etc.
Le second mémoire est relatif à la fixation de
nos limites du côté du Rhin . Il a été composé dès
le mois fructidor de l'an III ., et a remporté un des
prix proposés sur cette question par un négociant
patriote. Il se trouve , mais incomplet, dans le recueil
( 27 )
་
que le cit, Bohmer a publié de tous les mémoires
sur ce sujet qui ont été couronnés . Il est comme le
précédent , plein d'intérêt , et montre beaucoup de
connaissances et de patriotisme. On ne peut qu'en
recommander la lecture . J'y ai pris beaucoup d'idées ,
ainsi que dans celui du cit . Theremin , qui a remporté
le premier prix . Sur cette question , je me fais
gloire d'être entierement d'accord avec ces deux
patriotes éclairés ; mais j'ai cru qu'il était utile de
rassembler dans un même cadre toutes les parties
de notre politique continentale , parce qu'elles sont
étroitement liées entr'elles et ce rapprochement m'a
fourni de nouvelles vues et de nouveaux moyens de
démontrer la justesse du plan général . Si l'on trouve
que j'ai abusé de la liberté que prennent souvent les
commentateurs de mêler leurs idées à celles de l'au
teur , mon excuse est dans I importance du sujet qui
ne permet d'en négliger aucunes .
les
Je sens qu'ayant entrepris de tracer le tableau d'un
systême général de politique , je devrais , pour le
rendre complet , parler de la conduite à tenir à l'égard
de l'Angleterre . Mais il faudrait auparavant poser
bâses d'un systême commercial et colonial digne de
l'espritpacifique et philanthropique de la République
Française ; et cela demanderait un peu de développement.
Ce sera l'objet d'un autre article : celui-ci
n'est déja que trop long , et je n'ai pourtant pas
encore rendu assez de justice au mérite des ouvrages
qui y ont donné lieu .
A Paris , ce 15 brumaire an Ve.
( 28 )
LITTÉRATURE.
7
Observations du Rédacteur sur la Lettre de Jacques-le-
Fataliste , insérée dans le dernier numéro .
DANS la disette où nous sommes de bons livres
modernes , il est assez extraordinaire de voir l'accueil
peu favorable que l'on a fait à un ouvrage
posthume de Diderot , qui , s'il eût été publié de
son vivant , aurait pduit une sensation bien différente
, et aurait accru la réputation de ce philosophe
justement célebre . Sommes-nous devenus des juges
plus difficiles , ou bien la destinée de Jacques - le-
Fataliste tient- elle à un ensemble de causes étran
geres au mérite de cet ouvrage ? C'est ce qu'il n'est
peut-être pas inutile d'examiner , pour l'intérêt de
la justice et de l'impartialité .
(
D'abord les circonstances qui ont porté l'attention
publique sur cette production de Diderot , qui
n'était connue que d'un très - petit nombre de ses
amis , n'ont pas peu contribué à donner le change
à l'opinion . On sait que l'on est redevable de la
communication de ce manuscrit à un prince étranger
qui l'a offerte à l'institut . Cette offre , ainsi que
le titre du manuscrit , semblaient promettre un ou̟-
vrage d'un genre grave et philosophique , et l'on a
été tout étonné de ne trouver qu'un roman plein
de gaîté et souvent de folie . Rien ne dispose plus à
un sentiment involontaire de mauvaise humeur , que
1
( 29 )
cette méprise de l'espérance ; l'amour - propre trom.
pé , ne fût- ce que dans de simples conjectures , ne
sait point s'accommoder , même d'un dédommagement.
En second lieu , Diderot a appartenu , comme l'on
sait , à une société de philosophes , à laquelle beaucoup
de gens ne peuvent pardonner d'avoir préparé de
loin la révolution , en attaquant, de mille manieres , les
préjugés religieux et politiques . On est convenu de
déclamer aujourd'hui contre les philosophes , en haine
du bien qu'a fait la philosophie ; et ce qu'il y a de
piquant pour un observateur , c'est que cette philosophie
, devenue si coupable pour avoir produit la
liberté , a fait encore plus d'ingrats qu'elle n'a d'ennemis
. Nous sommes persuadés que si la plupart de
ceux qui ont critiqué si légerementJacques-le - Fataliste,
se rendaient compte de bonne-foi des motifs secrets
de leur jugement ; l'un ou l'autre de ceux que nous
venons d'indiquer, y serait entré pour quelque chose.
Nous sommes loin d'appliquer ces réflexions à
l'auteur de la lettre précédente. Ses principes de
philosophie et de liberté qui nous sont bien connus ,
le mettent à l'abri de ce genre de prévention , mai
il nous semble en même- tems qu'il n'a pas rendu à
cette production de Diderot toute la justice qu'elle
nous paraît mériter. L'épisode de madame de la Pommeraye
est sans contredit le plus intésessant et le
plus remarquable de ce roman ; mais ce n'est pas par
ce seul accessoire qu'il est remarquable .
es caracteres , ce roman
Sous le rapport du plan et
semble peu de chose . C'est un valet , moitié plaisant ,
moitié sérieux , qui raconte l'histoire de ses amours
( 30 )
à son maître , espece de grand seigneur , qui ne fait
que regarder l'heure qu'il est à sa montre , et prendre
une prise de tabac dans sa tabatiere ; l'histoire des
amours est sans cesse interrompue par une foule
d'incidens et d'anecdotes qui font oublier au maître
le récit du valet , récit toujours repris et toujours
suspendu , et qui est ainsi conduit jusqu'à la fin du
roman. Mais quelle richesse d'invention dans les
détails ! Quelle souplesse dans la narration ! Quel
art profond dans le désordre même qu'il y jette !
Quelle rapidité et quelle précision dans le dialogue !
Avec quelle habileté il sait animer toutes les scenes
qu'il raconte , et mettre tous ses personnages en
action , au lieu de les faire disserter ! Ce livre est toutà-
la-fois un roman par la diversité des aventures ,
une piece dramatique par le jeu des interlocuteurs .
On voit qu'il n'aurait tenu qu'à Diderot d'être un
des auteurs comiques les plus piquans , s'il eût voulu
se livrer exclusivement au talent qu'il avait pour la
scene .
et
Quoique son Jacques ait un peu la manie superstitieuse
de croire que tout est écrit là - haut , dans les
événemens de la vie , maxime qu'il tient de son capitaine
, l'un des maîtres qu'il avait anciennement
servi , il ne laisse pas que d'avoir beaucoup plus de
philosophie que ne comporte son métier , et tour
en répétant par habitude son adage favori , il le
combat involontairement d'une maniere fort plaisante
. On croirait que Beaumarchais a eu connaissance
du roman de Diderot , quand il a imaginé son
personnage de Figaro . Jacques a absolument le même
caractere , la même gaîté , la même adresse à mener
( 31 )
son maître . le même esprit de critique , excepté qu'il
est beaucoup moins intrigant que dissertateur , et
que sa philosophie , sans cesser d'être fine , est pourtant
celle d'un bonhomme .
Si l'on cherche dans ce roman le but moral , il
faut convenir qu'il n'en présente pas un bien déterminé
. Mais les romans de Voltaire , que l'on a relus
tant de fois , ont- ils plus de moralité ? Diderot a
voulu être gai , et il a su l'être ; mais que d'observations
philosophiques pe.cent au travers de cette
gaité ! On voit qu'il a voulu peindre les moeurs de
son siecle ; est - ce sa faute si ce tableau fait quelquefois
détourner les yeux. Qu'y a - t- il de plus moral
que l'histoire de madame de la Pommeraye ? C'est
la jalousie avec toutes ses combinaisons et tous les
rafinemens de sa vengeance . Mais quelle conduite.
que celle de la jeune fille que madame de la Pommeraye
fait épouser au marquis ! Comme elle sait
racheter les égaremens de sa jeunesse par un beau
caractere de dignité et de repentir ! La fille avilie devient
plus intéressante et plus respectable que la
femme honnête qui s'est vengée si cruellement , et
le marquis trouve en elle une femme plus vertueuse ,
que s'il l'eût choisie dans le monde où vivait madame
de la Pommeraye ?
On trouve à la vérité , dans ce roman , deux ou
trois anecdotes beaucoup trop licencieuses ; mais
n'y a - t-il pas de l'injustice à le mettre au - dessous de
Rabelais et du Moyen de parvenir ? On ne lit plus guere
aujourd'hui ni l'un ni l'autre ; et sûrement ce n'est
pas à cause de leurs obscénités . Mais Jacques - le - Fataliste
se fera lire long-tems , parce qu'il a un autre
( 32 )
mérite que celui de ses tableaux licencieux . On reproche
encore à Diderot d'avoir imité Sterne , et
d'être resté fort inférieur à son original . Sans vouloir
rien dérober au mérite de Sterne , qui a produit parmi
nous tant de froides et mauvaises copies , la maniere
de Diderot est différente. Ces deux auteurs , doués
chacun d'un talent très - original , n'ont pas suivi la
même route , et ils sont assez riches de leur propre
fonds , sans que ni l'un ni l'autre puissent rien perdre
à être comparés.
Nous croyons donc , en nous résumant , que , malgré
les imperfections que l'on peut reprocher à
Jacques - le- Fataliste , on y retrouve Diderot avec toute
la fougue de son imagination , et la vigueur de son
style et d'un talent dont il y a aujourd'hui trop peu
d'héritiers , pour qu'on ait acquis le droit de le juger
avec tant de sévérité . Au reste , l'édition de cet ouvrage
n'a point été publiée , d'après le manuscrit
envoyé par le prince Henry à l'institut national ; et
quoique quelques personnes aient cru que le citoyen
' Naigeon en était l'éditeur , nous sommes autorisés
par cet homme de lettres à déclarer qu'il n'a pris
aucune part à l'impression ni à la publicité de cet
ouvrage.
MÉLANGES.
LETTRE AU REDACTEUR.
CITOYEN ΟΥΕΝ ,
Vous avez inséré dans le deuxieme numéro de votre
journal , de l'année courante , l'extrait d'un écrit allemand
( 33 )
mand intitulé : Essai historique sur la derniere révolu
tion de Pologne. Cet ouvrage contient , relativement à
ma mission à Paris , une erreur grave , et qu'il est de
mon devoir de ne pas laisser subsister . « Le comité
de salut public , dit l'auteur , fit compter au négo-
" ciateur polonais Barss , une somme de trois millions
,, tournois environ 000 liv . Ce fait est absolument
faux . Le comité de salut public accueillit favorablement
toutes les propositions qui lui furent faites en faveur
des Polonais , et paraissait disposé à seconder leurs
efforts partout ce qui pouvait dépendre de lui ; mais
tout le monde sait , qu'à cette époque il manquait
de moyens , et sur-tout de moyens pécuniaires .
Il est d'autant plus essentiel que l'assertion de
l'écrivain allemand soit formellement démentie
qu'elle paraîtra plus probable , à mesure qu'on fera
plus d'attention à ce que la justice , la générosité ,
et si j'ose le dire , le véritable intérêt de la nation
française , exigaient d'elle en cette circonstance.
J'ajoute qu'elle reçoit un degré de force de plus en
passant dans votre journal , qui , par l'exactitude de
faits et la justesse des conjectures , sera considéré
sans doute , par les historiens à venir , comme l'une
des sources qu'il importera le plus de consulter.
C'est sur-tout par cette derniere considération , c'est
pour ne pas frustrer les Polonais de la gloire qui leur
est justement due , qu'il importe d'apprendre à
l'Europe entiere , que cette guerre soutenue pendant
huit mois , contre deux des plus formidables
puissances , l'a été totalement et uniquement par les ressources
et le courage des patriotes de l'intérieur de la
Pologne. Si leurs efforts ne furent point couronnés du
Tome XXVI.
C
( 34 )
succès , ce malheur ne doit être imputé qu'à la force
invincible des circonstances ; il n'y eut de leur part
ni négligence , ni faiblesse . En supposant qu'ils ont
reçu certains secours , on diminue d'autant le mérite
de leur courage , on nuit à leur intérêt , puisqu'on
affaiblit dans l'opinion générale l'estime à laquelle ils
ont des droits , on les prive du seul dédommagement
qui leur reste pour tant de pertes et de travaux .
FRANÇOIS BARSs.
Paris , ce 6 brumaire an V.
POÉSIE.
Extrait d'un Poëme intitulé les Vosges , par le cit . FRANÇOIS
( de Neufchâteau ) , de l'Institut national de France , ctc.
EH ! quoi ! de la nature éloquent interprête ,
Haller , homme d'état , philosophe et poëte ,
Aura chanté, ces monts de neige tout couverts ,
Ces antiques frimats , ce trône des hivers ,
Cet éternel rempart des peuples helvétiques !
Et de sa lyre d'or les sons patriotiques ,
Et la palme qui suit ses immortels travaux
De ses admirateurs n'ont pas fait ses rivaux !
Nous , que de leurs sommets les Vosges environnent ,
Sous l'abri toujours verd des pins qui les couronnent ,
Garderons-nous sans cesse , à des objets si grands ,
Des sens inanimés , des yeux indifférens ?
De la Moselle , ô vous , Nayades vagabondes !
Qui roulez au hasard le tribut de vos ondes ,
Rendez , comme vos flots , mes vers majestueux .
Donnez- moi , pour vous suivre , un style impétuéux.
Que ces monts , dont la tête est voisine des nues ,
Me laissent pénétrer sous leurs cimes chenues ,
Et qu'à des yeux mortels- il soit donné de voir
Des eaux que vous versez l'immense réservoir .
Filles de l'Océan , je verrai vos compagnes
( 35 )
S'élancer , comme vous , du sein de nos montagnes .
Et la Sarre , et la Meurthe , à mes yeux attentifs ,
Offriront le berceau de leurs flots fugitifs .
La Saône , plus tranquille et plus lente en sa course
Dispense à d'autres lieux les trésors de sa source ,
Et ses flots , retenus par un charme secret ,
Au Rhône impatient vont s'unir à regret.
Nayades de nos bords , vos ondes égarées
Courent vivifier de lointaines contrées .
Précipitez leurs cours. Mes regards empressés
S'arrêtent aux sommets des monts où vous naissez.
D'un spectacle si grand que ma vue est saisie !
Tous ces monts chevelus regnent sur l'Austrasie ,
Et de leurs noirs sapins la sombre majesté ,
Protége un peuple , heureux dans sa simplicité .
Le Rhin coule à leurs pies . Leur éternelle masse
Touche aux bords applanis de la fertile Alsace.
Je les vois , couronnant le Suisse belliqueux ,
S'atendre au mont Jura , qui s'allie avec eux.
Le Donnon , qui s'éleve au milieu de la chaîne
La domine , du tiers de sa tête hautaine ,
Et ,par un double rang de rochers entassés
,
?
Presse ces boulevards l'un sur l'autre exhaussés.
Que mes sens sont émus ! que d'augustes merveilles
Enchantent mes regards , ou frappent mes oreilles !
L'horison , devant moi , soudain s'est prolongé ,
J'ai fait un pas de plus , et le monde est changé.
O comment parcourir cette scene infinie ?
Ecoutez , écoutez l'effrayante harmonie
De ces torrens , grondans dans le creux des vallons ;
Et les mugissemens des bruyans aquilons .
Voyez ces pins altiers , dont les ruisseaux limpides
Retracent dans leurs flots les vertes pyramides.
Osez vous enfoncer dans ces vastes forêts ,
•
Dans ces grottes sans fonds , antres sourds et secrets ,
Dont jamais le soleil n'éclaira les mysteres.
Essayez de gravir sur ces rocs solitaires
Mines par les torrens , des feux du ciel frappés ,
A ces feux , aux torrens , aux siecles échappés.
Aigle fier et sanglani , ministre du tonnerre ,
C'est ici ta patrie , et je foule ton airè .
La foudre que tu tiens fait mugir , à mes piés ,
Le fracas des échos cent fois multipliés .
Admirez avec moi , sur ces roches pressées ,
C
( 36 )
Le reflet éclatant des neiges condensées .
Jamais l'astre du jour , échauffant nos climats ,
N'a , du haut de ces monts , détaché les frimats.
Leur cime , toutefois , teinte de sa lumiere ,
Des clartés du matin s'embellit la premiere ;
Et dans sa flamme encor leur sommet est noyé ,
Quand le voile des nuits est par-tout déploye .
Déserts , rochers , torrens , cavernes spacieuses ,
Lacs tranquilles et purs , forêts silencieuses ,
Solitudes , côteaux , vallons , prés verdoyans ,
Bois coupés de sentiers escarpés , tournoyans ;
Entonnoirs , où les eaux , avec fracas , descendent ;
Promontoirs aigus , auxquels les chevres pendent ;
Arbustes singuliers , à la plaine étrangers ;
Gouffres sans fonds , couverts de champs et de vergers
Mille aspects variés , mille effets pittoresques ,
Tableaux attendrissans , réguliers , ou grotesques ,.
Voilà des deux côtés ce qui frappe mes yeux ,
Dans les Alpes , en grand ; en petit , dans ces lieux.
·
Si l'aigle , si des airs ce monarque barbare
Dans les Alpes commun , dans la Vosge est plus rare
C'est un tyran de moins , et j'aime beaucoup mieux
Cet oiseau voyageur , qui va sous d'autres cieux
Chercher , pendant l'hiver , des plages tempérées ,
Mais qui par son instinct , revient dans nos contrées
Du printems , chaque année , annoncer le retour ;
Qui retrouve son nid sur une vieille tour
Dont la chasse et la pêche , également utiles ,
Purgent la terre et d'eau des serpens , des reptiles :
La cigogne , en un mot , symbole respecté
De ces soins caressans , de cette pitié ,
Réciproque lien des enfans et des peres .
Qu'à tous les coeurs bien nés ces images sont cheres !
Tuer ce bel oiseau fut un crime autrefois :
Il est sacré pour nous , sans le secours des lois .
• •
Ici , de tous les maux , Esculape est vainqueur .
Il vous montre du doigt la source salutaire
Que visita Montaigne et que chanta Voltaire .
Sur un lit de cailloux , qu'autrefois les Romains
Ont , dans un val étroit , cimenté de leurs mains ,
Entre deux monts cornus , au fond d'un précipice ,
( 37 )
D'un fauxbourg de Paris vous trouvez une esquisse :
C'est Plombieres . C'est là que vingt sources au moins
Préviennent , en été , vos voeux et vos besoins .
C'est- là qu'un air salubre et des vapeurs bouillantes
Raniment , par degrés , vos forces chancelantes ,
Rendent le mouvement à vos membres perclus ,
Et même l'appétit à ceux qui n'en ont plus.
Le poëte , après avoir rappellé quelques hommes
distingués par leurs vertus et leurs talens , et que les
Vosges s'honorent d'avoir produits , fait entendre les
accents de l'amitié la plus tendre , la plus éloquente
et la mieux méritée , en parlant de Bexon.
Pourrais -je t'oublier , homme aimable et profond ,
Ami de mon enfance , éleve de Buffon ,
Qui fus digne , sous lui , de peindre la nature ,
Qui voulus avec moi chanter l'agriculture.
Aux arts , à tes amis , à ta mere enlevé ,
Et de ta gloire , hélas ! avant le tems privé ?,
C'était toi , cher Bexon .... ! ô destin déplorable !
Pour les Vosges , sur- tout , & perte irréparable ! ....
Il eût peint son pays . Il l'aurait fait aimer....
Mais dois-je à mes regrets me laisser consumer?
Je crois de cet ami voir l'ombre vénérée
Qui cherche dans mes vers sa patrie adorée ,
Qui m'ordonne , en pleurant , d'achever mon projet.
Et fait grace à mon style , en faveur du sujet.
Eh bien , je t'obéis , ombre à jamais chérie .
Tu pouvais, mieux que moi , célébrer la patrie ;
Elle eût , sous ton pinceau , retrouvé ses couleurs.
Puissé-je , sur tes pas , y glaner quelques fleurs !
Avançons vers le sud , sa chaleur me captive .
Allons voir du Noirmont la belle perspective :
De Langres et de Vesoul on découvre les tours ;
L'oeil croit suivre , à Lyon , la Saône dans son cours.
Mais sur ces hauteurs même , au midi de la chaîne ,
Nous voyons des étangs de qui l'onde incertaine
Va
grossir la Moselle et la Saône à la fois ;
On peut dans les deux mers les verser , à son choix .
Atous les grands desseins Rome attachant sa gloire ,
Ici , d'un projet vaste , offre encor la mémoire.
Ces eaux dûrent jadis , par leur double penchant ,
Lier les mers du nord à celles du couchant.
'Ainai donc , l'Océan , la Méditerranée
C 3
( 38 )
3
1
Devaient s'unir , an pié de la Vosge étonnée .
O Lucius Vetus ( 1 ) quel honneur pour ton nom !
Tu conçus ce projet ; mais c'était sous Néron .
Ah ! l'on ne sait que trop que , sous la tyrannie ,
Il faut voiler son ame , étouffer son génie ,
Eteindre sa pensée , immoler à la peur
Jusques au bien pub , passion d'un grand coeur.
L'histoire t'a vengé. De ta belle entreprise
Le récit , dans Tacite , au moins t'immortalise.
Mais est- ce donc pour nous assez de t'admirer ?
Ce n'est qu'en t'imitant qu'on pourrait l'honorer.
La fortune à mes yeux ravit cet avantage.
Je ne reçus du ciel que ma iyre en partage ;-
on lit
' ג
( 1 ) Dans les Annales de Tacite , liv . XIII , nº. 53 ,
que tout était tranquille dans la Germanie , par les soins de
deux généraux , nommés Paullin Pompée et Lucius Vetus ,
qui avaient eu le bon esprit de croire qu'ils pouvaient s'illustrer
davantage en maintenant la paix , que par les honneurs
du triomphe , devenus trop communs . Cependant pour ne
pas laisser amollir le soldat , ils l'avaient occupé , savoir ,
Paullin Pompée à finir une digue que Drusus avait commencée
afin de contenir le Rhin ; Vetus se disposait à joindre la
Moselle et la Saône , par un canal creusé entre el
elles
, de inaniere
que les armées qui viendraient de Rome par eau, remontant
le Rhône et la Saône , pourraient passer par ce canal de
le Moselle sur le Rhin , de- là dans l'Océan , et, qu'écartant .
ainsi les difficultés des transports , une correspondance aisée
aurait rapproché les rivages des deux mers opposées . Ce
projet excita l'envie d'Elius Gracilis , legat de la Belgique . Il
fit craindre à Vetus de donner de l'ombrage au soupçonneux
Néron , sous prétexte que ce projet aurait l'air de vouloir porter
les légions qu'il conduisait , dans une province étrangere
à son commandement , et de cacher peut- être des vues ambitieuses
sur les régions de la Gaule. C'est par de telles
craintes , ajoute le profond Tacite , que les plus grandes entreprises
ont toujours échoué .
Lauteur d'un bon mémoire couronné à Châlons en 1783
parle ainsi de cette entreprise :
" Je ne lis jamais Tacite , qui nous a instruits de ce magri
fique projet , qu'avec le regret qu'il n'ait pas été exécuté , et
qu'avec le desir de le voir un jour revivre . Il est cependant
dune exécution très- facile . Cette communication , considérée
civilement et militairement , est une des plus importantes
( 39 )
"
Mais si mes faibles sons pouvaient être entendus ,
Tes soins pour mon pays ne seraient pas perdus.
·
La presse est l'instrument par qui tout se décele ,
Qui rend la vérité commune , universelle ,
Qui rapproche les tems , les hommes et les lieux ,
Et par degrés enfin dessille tous les yeux.
Il n'est plus de tyrans pour quiconque sait lire ?
De notre aveuglement l'erreur tint son empire ;
Mais les rayons du jour qui se leve et qui luit ,
Font pâlir aussi-tot les astres de la nuit .
Dans l'oubli de ses droits la France était plongée ;
Elle eut des écrivains : la raison fut vengée ,
qu'on puisse faire. Quels biens elle verserait dans vos campagnes
! Elle transporterait , commodément en tems de paix ,
et sans danger en tems de guerre , toutes les productions de
la terre et toutes les forces de l'Empire . "
On ne saurait se refuser le plaisir de transcrire le texte de
Tacite , dont on vient de rendre le sens .
Quiete ad id tempus res in Germania fuerant , ingenio Ducum ,
qui pervulgatis triumphi insignibus , majus ex eo decus sperabant,
si pacem continuavissent,
4
Paullinus Pompeius et Lucius Vetus eâ tempestate exercitui praerant.
Ne tamen segnem militem attinerent , ille inchoatum ante
tres et sexaginta annos à Druso aggerem coërcendo Rheno , absolvit.
Vetus Mosellam atque Ararim , factâ inter utrumque fossa .
connectere parabat , ut copia per mare , dein Rhodano et Arare
subjecta per eam fossam , mox fluvio Mosellâ in Rhenum , ex in
Oceanum decurrerent , sublatisque itinerum difficultatibus , navigabilia
inter se accidentis septentrionisque littora fierent . Invidit
operi lius Gracilis , Belgica legatus , deterrendo Veterem , ne
legiones alienæ provincia inferrel,, studiaque Galliarum adfectaret
formidotosum id Imperatori dictitans , quo plerumque cohibentur
conatus honesti .
Quel peintre que Tacite ! que de réflexions à faire sur ce
morceau de quelques lignes ! quelles leçons nous donnent
nos généraux romains ! quelle satyre amere du gouvernement
de Néron , que cette peur de l'offusquer , qui condamne un
projet sublime , etc. !
Ce morceau d'un grand homme sera le plus bel ornement
de ce petit poëme , et son plus beau succès serait de ramener
les voeux et les idées sur l'entreprise de Vetus . O UTINAM !
C4
( 40 )·
Et la philosophie , en ébranlant l'autel ,
Au trône qu'il fondait , porta le coup mortel.
On cria liberté . Les Vosges applaudirent.
Bientôt , de leurs sommets , en foule descendirent
Des soldats citoyens qu'on eut peine à compter ;
Nul tyran désormais ne pourra les dompter .
Ici , l'égalité , présent vraiment céleste ,
Ne fut que bienfaisante et ne fut point funeste .
Les peres vertueux de ces fils triomphans ,
Ont mérité l'honneur d'avoir de tels enfans .
Ils reviendront dans peu , ces fils de la victoire .
Ils reviendront , couverts des palmes de la gloire .
J'oserai les chanter . Heureux , si j'avais su
Célébrer leur pays , comme ils l'ont défendu !
PARMI
LOGO GRIPHE.
ARMI les nations qu'on connaît sur la terre ,
Le Français est celui qui me chérit le plus ;
Au bon sens chaque jour je déclare la guerre ;
La bonne-foi , l'honneur , sont des mots superflus .
Ne me voyez - vous pas agir en sens contraire
Ce que je fis hier , aujourd'hui le défaire .
N'ayant point d'autre but que mon ambition ;
Ne voulant écouter ni rime , ni raison .
Dans les plus grands malheurs je plonge la patrie 1
Car je suis en effet sa plus grande ennemie ;
Rien ne peut m'arrêter dans mes fougueux accès ;
Je me porte toujours jusqu'aux plus grands excès .
Avec la liberté , je puis tout entreprendre ;
De l'univers entier je saurai me défendre .
Dans mes cinq pieds , lecteur , tn vois mon existence ,
On y trouve ce dieu qui goaverne les vents ;
Ce qui refrene l'homme , ou punit la vengeance ,
Trop commune sur - tout chez les hommes puissans.
Ce que quand de nos jours , notre trame est ourdie
La Parque vient couper , met fin à notre vie,
Un oiseau dont la voix réveilla les Romains ;
Fit de leurs ennemis avorter les desseins .
Un viscere dans l'homme , ainsi que dans la bête ,
Que quelquefois l'on sert , lorsque l'on est en fête
Un reste de tonneau , dont on fait la liqueur ,
है
( 41 )
Qui souvent porte plus à la tête qu'au coeur.
C'en est assez , lecteur , dans toi je suis peut- être ,
Et tu dois maintenant savoir qui je peux être .
( Par le cit . DU T**. , de la ville de Caen , un de nos abonnés. )
ANNONCE S.
LITTÉRATURE ÉTRANGERE,
Les amis des sciences apprendront avec plaisir que l'université
d'Oxford vient de faire sortir de ses belles presses
de Clarendon , une édition de toutes les oeuvres connues
d'Archimede , avec les commentaires d'Eutocius. Cette édi
tion a été faite par le célebre J seph Torelli de Vérone , qui y a
joint une nouvelle version latine et de nouvelles leçons et
variantes , tirées des manuscrits de la bibliotheque de Médicis
et de celle de Paris . Cet ouvrage est magnifiquement imprimé
, et les directeurs de l'imprimerie de Clarendon n'ont
rien oublié , soit pour l'exactitude littéraire , soit pour sa
netteté , la beauté et la correction typographique , de tout ,
ce qui pouvait rendre cette édition digne d'être mise à côté
des belles éditions d'Euclide et d'Apollonius qu'ils ont don-.
nées précédemment. Il y a long- tems que l'université avait
traité avec Torelli pour cette édition ; mais il n'a jamais
voulu que cet ouvrage fût imprimé loin de lui , à Oxford.
Ce n'est qu'après sa mort que l'université a pu se procur
le beau travail de ce savant , qui lui a été envoyé par s
exécuteur testamentataire Albertini . L'ouvrage a été imprimé
exactement dans le même état où Torelli l'a laissé . On n'y
deux additions en forme d'appendix .
joint que
Cette édition est composée de treize écrits d'Archimede ,
d'une vie de Torelli , de la préface générale du livre par
ce savant , et d'un appendix renfermant le commentaire
d'Eustocius , et des variantes tirées des manuscrits de Paris
et de ceux de Florence .
a
•
Torelli a mis au bas des pages les changemens qu'il a cru devoir
faire dans le texte ; et les personnes qui ont été à portée .
d'examiner ce travail , assurent que ces changemens sont judicieux
, La yersion est fidelle et a autant d'élégance que le
permet la nature d'un tel ouvrage. Cette belle édition est infolio
, et coûte , en papier ordinaire , 1 l sterl . 8 schell . , et en
grand papier , 2 1. st . , broch. Elle se vend à Londres , chez
Elmoly.
( 42 )
NOUVELLES
ÉTRANGERES
ES
ALLEMAGNE.
De Hambourg , le 11 novembre 1796,
Les lettres de Constantinople nous apprennent que
le citoyen Aubert - Dubayet , ambassadeur de la République
Française , a reçu l'accueil le plus distingue
sur la frontiere ottomane . Dès le premier avis de son
arrivée , le pacha de Trawnick envoya au- devant de
lui un milmandar avec 300 hommes d'escorte. Le
pacha lui fit présent , à son départ , de deux chevaux
arabes , et en donna un à chacun des officiers de sa
suite.
Il y a déja long- tems que l'on annonce que la Porte
a senti la convenance et l'utilité de suivre les usages
diplomatiques des autres puissances de l'Europe , et
en conséquence d'entretenir auprès de chacune d'elles
les agens avoués . Elle vient d'arrêter définitivement
tablissement d'une ambassade permanente auprès
au Directoire exécutif de France . C'est Aly- Effendi
qui doit en être chargé . Il avait été nommé précédemment
pour se rendre à Berlin en qualité de ministre
plénipotentiaire . Il est remplacé , dans ce poste , par
Nahily Effendi .
Le pacha de Scutari , le fameux Mahmut , vient de
perdre la vie . Voici comme on raconte cet événement
qui délivre le grand- seigneur d'un ennemi extrêmement
dangereux.
Mahmut , ayant pris la résolution de soumettre les Monténégrins
, ( peuple belliqueux , de la religion grecque schismatique
, habitant les montagnes qui longent la mer
Adriatique dans la Dalmatie turque , jusque vers l'Albanie , )
mit sur pied une armée de 12,000 hommes , et , dans le
1
1
( 43 ) J
mois de septembre dernier , la dirigea vers Pipari et Palabari
, menaçant du fer et de la flamme tous ceux qui refu
seraient son joug terrible . A l'apparition de cette armée
dans leurs pays , les Monténégrins s'armerent en hâte , et ,
rassemblés au plus grand nombre possible , ils nommerent
pour général l'évêque de Monténégro , chrétien grec schismatique
, homme courageux , entreprenant , et qui connaît
l'art militaire , ayant servi , dans sa jeunesse , avec un grade
d'officier dans les troupes de l'impératrice de Russie.
Ce chef valeureux , à la tête des braves Monténégrins ,
marcha sur-le- champ contre l'armée de Mahmut : arrivé en
présence de l'ennemi , il s'avança seul à cheval , sabre à la
main , appellant Mamut à un combat singulier , avec la
condition que la victoire serait au parti de celui qui sur ivrait
au combat : il voulait épargner ainsi une grande effusion
de sang de part et d'autre .
Mahmut n'accepta point ce duel à l'arme blanche ; mais
il prit sa carabine et coucha en joue ; l'évêque en fit de
même ; tous deux tirerent , aucun ne fut frappe . Ce fut le
signal de la bataille . Le choc fut subit et décisif. Le pacha
fut mis en déroute ; 280 de ses plus braves soldats et plusieurs
officiers resterent sur le champ de bataille ; et les
Monténégrins emmenerent un grand nombre de prisonniers.
dée par lui - mê
corps
"
Contraint de retourner à Scutari , honteux de cette défaite
, Mahmut s'efforça d'en tirer une vengeance éclatante .
Il refit son armée et l'accrut . Il n'avait que 12,000 hommes.
avant sa défaite : il en rassembla 20,000 , la plupart Albanais
il divisa ce en cinq colonnes , l'une commanla
seconde par son frere , la troisieme
par son neveu , et les deux autres par deux de ses parens .
Le 4 octobre dernier , il fit marcher son armée sur Monténégro
, avec le dessein de saccager tout le pays . Arrivé
dans la plaine de Spasa , sous Pipari , il se mit à la tête
de ses troupes , et voulut leur faire passer l'étroit défilé
qui conduit à Pipari . L'évêque - général , connaissant tout
l'avantage de la position , fit choix de 500 braves Momenégrins
, et les ayant fait avancer au- delà du défilé , leur
donna ordre d'attaquer l'armée du pacha , et de simuler
bientôt après une fuite qui attirât l'ennemi dans cette gorge
escarpée ; lui-même se posta avec plusieurs milliers de Monténégrins
derriere les montagnes.
Les 500 hommes d'elite exécuterent ponctuellement les
ordres de leur chef ; Mahmut , trompé par leur fuite , se
( 44 )
J
1
*
mit à les poursuivre , et s'engagea fort avant dans le défilé .
Il fut alors attaqué et entouré par tout le corps des Monténégrins.
On fit des Tures un horrible carnage . Mahmut
périt , et l'on dit que ce fut de la main même de l'évêquegénéral.
Le cadavre du pacha a été soigneusement dépouillé ,
et la peau empaillée doit être transportée avec la tête à
Constantinople.
Le reste de l'armée de Mahmut , ayant appris sa mort
s'est dispersée du côté de Scutari . Cet évenement , qui rend
la tranquillité à tout le pays de Monténégro , depuis longtems
inquiété par le pacha , a délivré la Porte ottomane d'un
rebelle qu'elle n'avait jamais pu soumettre .
On assure que c'est le prince héréditaire de Saxe-
Gotha qui doit épouser la princesse de Mecklembourg
, à qui la main du roi de Suede avait été
promise.
Ratisbonne , le 15 novembre . L'espoir de la paix luit
de nouveau sur nos malheureuses contrées , déchirées ,
épuisées par tous les fléaux qui sont les suites inévitables
de la guerre . Il paraît que si nous ne jouissons
pas encore du repos , qui nous est si nécessaire , nous
ne devons pas en accuser nos ennemis . Des renseignemens
, qui méritent quelque confiance , annoncent
que dans plusieurs circonstances , et même lorsque
la victoire était le plus constamment fidele à leurs
drapeaux , ils ont fait des démarches conciliatoites ;
mais qu'ils ont trouvé de la part de la cour de Vienne
des obstacles qui étaient de nature à ne pas leur
permettre d'entamer la moindre négociation . En effet ,
on assure que l'empereur a refusé de reconnaître la
République Française , c'est- à-dire l'indépendance ,
la liberté d'une nation qui n'a pris les armes que pour
s'assurer l'une et l'autre . Mais ce prince , mieux informé,
éclairé par de nouvelles réflexions ne persiste
plus dans ce refus , que l'on ne sait comment qualiher;
il a senti que pour faire la paix il fallait d'abord
anéantir la cause de la guerre , et reconnaître en conséquence
l'existence politique que la France s'est
donnée . C'est du moins ce que l'on doit conjecturer
des nouvelles démarches que celle- ci vient de faire ,
en envoyant , comme nous l'apprenons , un négocia(
45 )
teur à Vienne , et de celles que l'on annonce devoir
être faites par l'empereur , qui , dit-on , a nommé
MM . de Lehrbach et de Colloredo pour se rendre à
Paris , afin d'agir dans des vues pacifiques , conjointement
au lord Malmesbury.
Au reste , on ne peut plus le dissimuler , ce parti
beaucoup trop tardif pour le bonheur et la prospérité
du corps germanique , est devenu d'une nécessité
absolue , malgré les derniers succès qui ont
réparé l'honneur des armes autrichiennes . Généraux,
officiers et soldats , tous sont las de la guerre . On a pu
en juger à l'allégresse qu'ils ont manifestée au seul
bruit qui s'était répandu d'un armistice . Il s'en faut
bien qu'ils soient un peu dédommagés de leurs périls
et de leurs fatigues , par une solde réguliere , et
proportionnée à leurs premiers besoins . Le papier ,
que la cour de Vienne a été obligée de mettre en
circulation , est tellement multiplié , qu'il perd jusqu'à
48 pour 100 ; et c'est avec cette monnaie , décriée,
avilie , qu'on les paie. Cette pénurie , cette détresse ,
loin de diminuer , doivent s'accroître chaque jour.
Le zèle , l'enthousiasme que l'on avait su exciter dans
les pays héréditaires avaient produit quelques ressources
, fort exagérées sans doute par ceux à qui des
vues personnelles rendaient la continuation de la
guerre intéressante , mais qui plus elles ont été abondantes
, moins elles doivent l'être maintenant . L'empereur
ne peut pas compter sur ses co - états. Plusieurs
ont fait leur paix particuliere ; le reste est épuisé . La
ville de Wetzlaar a fait déclarer à la diete qu'elle
était dans l'impossibilité de fournir son contingent ;
et l'on a publié une piece , que nous croyons devoir
rapporter , qui fait connaître les dispositions de l'électeur
d'Hanovre .
Déclaration remise , par le ministre d'Hanovre , à M. d'Hugel ,
con-commissaire impérial , en réponse au rescrit de l'empereur,
du 17 octobre 1796 .
S. M. I. a requis directement S. M. le roi de la Grande-
Bretagne , électeur de Hanovre , de fournir de nouveau une
preuve marquante de son attachement à la constitution germanique
, en donnant un grand exemple et en travaillant
( 46 )
efficacement à la diete de Ratisbonne , non seulement pour
qu'il soit fixé une quantité suffisante de mois romains , mais en
faisant acquitter tout de suite sa quote-part. Il a été déclaré
en même tems qu'il fallait que le nombre des mois romains
allât au-delà de cent . S. M. B. a répondu confidentiellement
à S. M. I. , qu'elle ne voulait ni ne pouvait anticiper sur les
résolutions de ses co- états , et qu'elle était elle -même , dans ce
moment- ci , dans des circonstances qui ne lui perettaient
pas de répondre à ce qu'on lui demandait ; que depuis qu'on
avait accordé les derniers mois romains , le systême de la
guerre était absolument changé ; ' que différens états marquans
de l'Empire avaient embrassé la neutralité pour protéger
leurs sujets , et que la prospérité dont ces derniers jouissent ,
prouvait qu'on avait atteint un but salutaire ; que toute la
face des affaires avait pris nn autre aspect , et que les rapports
de S. M. B. en sa qualité d'électeur et prince d'empire ,
étaient connus et s'opposaient aux demandes impériales ;
qu'on ne pouvait par conséquent point consentir à la nouvelle
prestation de nouveaux mois romains pour la continuation de
cette malheureuse guerre , beaucoup moins encore contribuer
directement , puisque les négociations entamées à Paris ,
dont on se promet une heureuse issue pour la tranquillité de
l'Europe , et qui sont connues de S. M. I. , obligeaient S. M. B.
de se dispenser de toute démarche qui pourrait jetter une
couleur défavorable sur son caractere personnel . "
Au surplus , quelque grand que soit le besoin de
la paix , quelque favorables que soient à cet égard les
dispositions du cabinet de Vienne , il n'en paraît pas
moins décidé à tenter les derniers efforts pour assurer
les avantages que l'archiduc Charles a obtenus en
Allemagne , et sur- tout pour en conquérir d'équivalens
en Italie . Il fait passer dans cette partie du
théâtre de la guerre , des forces considérables , dont
le commandement en chef est confié au général
Alvinzi . Ses premieres opérations doivent tendre à
débloquer Mantoue et à rentrer ensuite dans
le Milanais. Mais les armées ennemies , mais les
mesures politiques prises par les généraux et les commissaires
français , mais la révolution opérée dans
les principes et déja dans les moeurs et les habitudes
des peuples , font prévoir de grandes difficultès à
l'exécution de ce beau plan de campagne.
9
( 47 )
Y
Si la maison d'Autriche ne parvient pas à re
couv.er la Lombardie , il paraît qu'elle cherche à
s'assurer dès à présent un dédommagement en Allemagne
, et de cette province et de celles qu'elle possédait
dans les Pays - Bas . La Baviere , qui est si bien
à sa convenance , qui depuis si long-tems est l'objet
de ses voeux , et l'a été plusieurs fois de ses tentatives,
se remplit de ses troupes. Tous ceux qui s'intéressent
à la maison palatine ; et l'électeur lui-même , quoiqu'il
ne soit ni très- défiant , ni très - clairvoyant sur les
intentions de l'Autriche , qui , en mettant une jeune
archiducesse entre ses bras , a trouvé le moyen de
l'aveugler et de l'assoupir , commencent , dit - on, à
concevoir des inquiétudes .
ITALIE. De Modene , le 1. novembre.
Le comité de gouvernement a publié , au nom de la Répu
blique Fançaise , une proclamation qui abolit pour toujours
la noblesse dans cet état. Nul ne pourra porter aucun titre
de noblesse ; on ne pourra avoir que celui de citoyen ou
celui de sa charge ou de sa profession . Toutes les armoiries ,
livrées , et autres marques distinctives de noblesse , dis
paraîtront sous huit jours ; toute corporation exigeant preuve
de noblesse est abolie ; les contrevenans seront déclarés
ennemis de la constitution et de la patrie , et punis séverement
comme tels .
La junte de défense générale , établie par le congrès fédératif
, a adressé une proclamation aux gouvernemens provisoires
des quatre peuples , pour les inviter à presser la
levée des troupes : Déja , dit- elle , déja le feu guerrier est
allumé que les autorités constituées l'alimentent ; que vos
soins s'étendent sur les soldats , les spectacles militaires ,
les évolutions et les ornemens guerriers ; qu'il devienne
agréable et glorieux , le nom de défenseur de la liberté : ses
eufans les plus chéris seront ceux qui prendront les armes
pour l'établir et assurer son triomphe. Bientôt on exécutera
le plan que nous a donné le général Buonaparte , et qui devra
servir de regle générale . Conspirez pour la cause commune
de la liberté , en lui faisant de nombreux soldats , que par
tout on criè aux armes ; que les canons, les fusils , les cohortes,
les légions préparent de concert notre gloire, notre triomphe,
et la conservation de la liberté et de l'égalité ,
??
( 48 )
De Rome , le 30 octobre . Malgré les lettres de M. le
chevalier Azzara et celles reçues par l'agent français , peu
de personnes voulaient croire à la paix de Naples , à cause
des grandes espérances données par le ministre napolitain ;
mais lorsqu'on eut reçu plusieurs lettres officielles , on commença
à y croire. Le marquis del Vasto alla immédiatement
chez le saint- pere , soutint que la nouvelle n'était pas fondée
, et persuada sa sainteté Il fut cependant résolu d'envoyer
un courrier à Naples , et le pape voulut qu'on envoyât
au roi la lettre même du chevalier Azzara.
Plusieurs personnes exagérées prétendaient que le mínistre
espagnol s'était entendu avec les agens français pour
répandre cette nouvelle , et engager ainsi le pape à faire la
paix à tout prix. Ce bruit donna lieu à de nouvelles invec
tives contre le chevalier Azzara , qui publiera , à ce qu'on
croit , un manifeste pour justifier sa conduite , en prouvant
qu'il n'a donné à la cour de Rome que , des conseils salutaires
et conformes à ses instructions .
La nouvelle vient de se répandre que la cour de Naples
a ratifié , le 24 , le traité de paix avec la France . Il faudrait
entendre les invectives des Romains contre la cour de
Naples ; ils l'accusent de perfidie et de trahison ,
si elle n'avait pas prévenu le saint -pere qu'elle traitait avec
la France , et que la ligue n'aurait lieu qu'autant que la
paix ne serait pas conclue .
comme
Ils doivent accuser l'imprévoyance et l'impolitique de
leur gouvernement , qui , sans avoir la certitude de s'allier
avec Naples , a rompu toute négociation avec la France ,
et a commencé des armemens aussi dispendieux qu'inutiles .
Dans les circonstances actuelles , on regarde comme un
évenement heureux la commission donnée par le général
Buonaparte au cardinal Mattei , de porter des propositions
de paix . Le saint-pere a d'abord fort mal reçu ce cardinal ,
à cause de sa mission pacifique ; mais aujourd'hui les dispositions
sont changées , et l'on croit que les négociations
seront reprises sans délai .
On est persuadé ici que les Français veulent sincerement
accorder la paix au saint-pere . On en cite pour preuve
une lettre que le général Buonaparte a écrite au cardinal
Mattei , au moment de son départ pour Rome : il dit que
les Français ne prétendent pas faire de nouvelles conquêtes
dans l'Etat de l'Eglise ; qu'ils n'en ont pas besoin pour la
gloire de leurs armes , etc.
Ce qui contribuera aussi à disposer le pape à faire une
prompte
( 49 )
prompte paix , c'est la réponse du roi d'Espagne à la lettre
pressante pour laquelle S. S. sollicitait S. M. C. d'interposer
sa mediation d'une maniere efficace . Le roi d'Espagne
a répondu qu'il serait toujours attaché au saint - pere comme
chef de l'Eglise qu'il pouvait compter sur sa soumission
et son dévouément ; mais que quant aux affaires temporelles
et politiques , il était trop occupé de celles de son
royaume , pour pouvoir se charger des intérêts de S. S.;
qu'il lui conseillait de prendre le parti les prudent et
le plus sûr.
Cette réponse justifie les discours et la conduite du chevalier
Azzara , qu'on aurait dû écouter , au lieu de l'accabler
d'injures . Il était naturel de penser qu'il parlait et
qu'il agissait d'après les instructions de sa cour , et que
peut-être aussi ses opinions particulieres influaient sur les
déterminations de sa cour .
RÉPUBLIQUE BATA V E.
DE LA HAYE le 17 novembre. .
Le projet de constitution , présenté dans la séance du
10 à l'assemblée nationale , n'a été iu que dans celles du
14 et du 15. La discussion a commencé le 16. Van de
Kasteel , membre de la commission , et qui n'a pas donné
son assentiment au plan proposé , a e posé , dans un discours
qui a duré plus de deux heures , les motifs de son
opposition . Le representant Witbols , membre comme lui
de la minorité de la commission , a ensuite parlé dans le
même sens .
ANGLETERRE . De Londres , le 10 novembre.
Suivant l'état qu'on publie tous les mois de la marine anglaise
en activité , on comptait au 1er . novembre , 176 vaiśseaux
de guerre de toutes grandeurs , sans y comprendre les
bâtimens frêtés que le gouvernement a fait armer.
Sir Ralph Abercrombie vient de partir pour Portsmoutht ,
où il doit s'embarquer il va reprendre le commandement
des troupes dans les Indes occidentales .
M. Dundas , secrétaire de la guerre , a présenté à la chambre
des communes , formée en comité général , le rapport des
états estimatifs de l'armée . Toutes les forces de ce pays , divisées
suivant la distribution commune en gardes , garnisons ,
colonies et plantations , montent à 195,674 hommes , et la
Tome XXVI. D
V
( 301
dépense totale à cinq millions 190 mille 751 liv. st. : ce qui
fait 168 mille liv . st . de moins que l'année derniere .
L'armee de l'intérieur , consistant dans les garnisons d'Angleterre
, d'Ecossc , de Guernesey et Gersey , monte à
60,765 hommes .
M. Duudas a observé qu'il y a 42,219 hommes de plus
dans l'armée de l'intérieur , et 13,641 de moins dans celle
du dehors . Celle- ci est composée entierement de troupes
réglées , tandis que l'autre comprend les troupes réglées ,
la milice , les invalides et les volontaires . La milice est
à-peu-près sur le même pied que l'année derniere , sauf
l'augmentation des régimens de la cité . M. Hussey demanda
quel était le nombre effectif d'hommes , selon les
derniers états de revue le secrétaire de la guerre répondit
qu'il ne le savait pas . La chambre a voté les résolutions
suivantes :
-
-
Du 15. L'installation du nouveau lord maire s'est faite le
9 de ce mois avec l'appareil accoutumé . Le cortege se rendit
par eau de la cité à Westminster , et revint par les rues à
Guildhall , qui est la maison commune . Il y a eu un dîner
splendide , auquel se sont trouvés les ministres et les chefs
de l'opposition . Auprès de Saint- Paul , il y a eu un attroupement
considérable qui a commencé par huer et siter les
ministres . On s'est attaché sur- tout à jetter de la boue et même
des pierres sur le carosse de M. Pitt. D'un autre côte , on a
dételé les chevaux du carrosse de M. Fox ; des -hommes
du peuple se sont mis à leur place et ont traîné la voiture à
(Guildhall.
Le 9 on a publié la proclamation royale qui ordonne de
saisir les vaisseaux et les propriétés des Espagnols , et autorise
toutes hostilités et représailles contre eux , suivant les droits
de la guerre .
Le projet de bill pour l'augmentation de la milice cause
beaucoup de mécontentement et même excite quelque tumulte
dans quelques comtés . A Kettering , à Wettesboroug ,
Northampton , il y a eu des rassemblemens nombreux ,
le cri de raliment était : Point de nouvelle milice.,
dont
Le 10 il y eut du tumulte dans une taverne de cette ville ,
où s'étaient rendus une quarantaine d'individus , qui , malgré
la nouvelle loi qui défend les rassemblemens nocturnes audelà
d'un certain nombre , étaient restés rassemblés jusques
vers minuit. Les officiers de police ayant été avertis , s'y
( 51 )
guet
rendirent et voulurent arrêter les contrevenans à la loi . Ceuxci
étaient armés ; ils se défendirent ; plusieurs, ont été blessés
et pris ; mais plusieurs aussi des gens de la police et du
ont été dangereusement blessés . On ne connaît pas l'objet
de cette rénnion , où se trouvaient plusieurs Irlandais et d . ■
femmes de mauvaise vie .
Les dernieres séances du parlement ont été occupées par
quelques discussions sur les nouveaux bills , qui n'ont rien
offert d'intéressant . Les deux bills pour le supplément de
milice et la formation d'une cavalerie nationale pour la défense
du royaume , ont été envoyés à la chambre des pairs . Le bill
pour fonder les billets de marine a reçu la sanction royale.
Extrait d'une lettre de Londres du 15 novembre.
Les personnes initiées ici dans les secrets de la politique
paraissent craindre , depuis quelque jours , qu'il n'y ait
bientôt une négociation particuliere entre la France et l'Au
triche pour une suspension d'armes , et que cette suspension
, ou n'amene des conséquences semblables à celles qui
ont suivi l'armistice de Clairfayt , ou au moins ne retarde
le progrès des armées victorieuses de l'archiduc , et n'éloigne
ainsi l'espérance qu'a tout bon Anglais , de voir les
Pays-Bas évacués par les Frauçais . Cette évacuation volontaire
ou forcée est le grand objet de la politique de notre
gouvernement. Il veut absolument , dit - on , que ce pays
sorte , soit de la domination , soit de la dépendance de
la République Française ; et dans tous les cas , il est détermine
à faire des sacrifices proportionnés à l'importance
de cette barriere .
L'Angleterre attache plus de prix que l'empereur laiméme
à la restitution de cette ancienne partie de son domaine.
L'empereur ne voit et ne doit voir dans les Pays-
Bas qu'un Etat séparé du centre offensif et défensif de sa
puissance , qui , dans la situation sur tout où la réduit la
politique soupçonneuse et remuante de Joseph II , peut
chaque instant être attaqué et envahi par les Français , dont
les frais d'administration et de protection sont très - considé
rables , dont la tranquillité intérieure est sans cesse troublée
, dont la possession , si incertaine par les disposition
du dedans , est devenue plus précaire que jamais à l'extérieur
, par le changement de système qui a brisé les liens
de la France et de l'Autriche. Cette derniere circonstance
D. 2
( 52 )
•
est sans contredit la plus décisive de toutes les causes de
détermination en cette matiere .
Aussi a- t-on vu l'Autriche faire l'offre de ces Pays- Bas
à ceux qu'elle croyait pouvoir lui donner quelque chose en
échange . En 1748 , le comte , depuis prince de Kaunitz ,
proposa à Aix-la- Chapelle , à M. de Saint - Séverin , d'en
faire la cession à la France , si elle voulait seulement s'a'-
lier à l'Autriche , pour lui faire restituer la Silésie ; alliance
que le même ministre autrichien eut l'adresse d'obtenir
quelques années après , sur un plan plus étendu en dommages
d'un côté et en profits de l'autre , sans rien donner
au moins à l'Etat . On a vu depuis Joseph II , n'ayant pu
envahir la Baviere en 1778 , offrir , en 1785 , à l'électeur
Palatin , l'échange de cet électorat pour les Pays - Bas , qu'on
aurait érigé en royaume d'Austrasie , échange qui fut em .
pêché , comme on sait , par l'intervention armée du roi de
Prusse , et auquel ce prince opposa , pour l'avenir , la formation
de la confédération germanique .
Il est donc extrêmement probable que l'Autriche , si elle
était obligée de choisir entre la restitution du Milanais et
celle des Pays- Bas , n'optât sur-le - champ pour la premiere ,
sur-tout si on y joignait quelqu'autre possession d'Empire de
plus à sa couronne , pour prix de laquelle on céderait au propriétaire
et à l'héritier d'autres possessions d'Empire dont le
titre de propriété rendrait la transmission plus facile.
L'intérêt de l'Angleterre est , sur ce point , fort différent
de celui de l'empereur ; aussi est -ce sur ce point que nos
politiques craignent de les voir se séparer. L'Angleterre sa
regardé de tous tems d'un air d'inquiétude et de jalousie l'aggrandissement
de la France de ce côté , et lorsqu'on saura un
jour d'une maniere certaine de quelle nature étaient les engagemens
pris par notre cabinet avec celui de Vienne au c´mmencement
de la guerre , on verra jusqu'à quel point l'Angleterre
tenait à l'affaiblissement de la France dans cette
partie les craintes de l'Angleterre , à cet égard , paraissent
assez fondées ; d'abord c'est un accroissement de territoire ,
et sur-tout un prolongement de la ligne de ce côté de la
France . Ensuite ce pays sert de point de communication
entre la France et les Provinces-Unies ; et l'une des trois
ou quatre maximes qui renferment toute la politique anglaise ,
est que la richesse et la puissance de l'Angleterre tiennent en
grande partie à l'alliance des Provinces-Unies , et qu'Amsterdam
doit être , comme Lisbonne , la sujette de Londres . Cette
maxime est devenue aussi proverbiale dans les comptoirs de
( 53 )
la cité que dans les sallons de Westminster , dans les cabarets
a bierre que dans les deux chambres du parlement , dans le
parti de M. Fox que dans celui de M. Pitt. Il n'y a peutêtre
qu'une seule maxim: plus populaire que celle-là , plus
enracinée dans toutes les ames et dans toutes les têtes anglaises,
c'est qu'on ne peut faire le bien de l'Angleterre qu'en faisant
le plus de mal possible à toutes les nations commerçantes , et
sur-tout à la France , et qu'un bon Anglais doit , de sa nature ,
être l'éternel ennemi des Français .
Le gouvernement anglais sent parfaitement bien que la
France ne peut posséder les Pays - Bas , ou les former en
république ; ce qui est une autre maniere de les posséder ,
sans tenir dans son alliance , et suivant elle , dans sa dépendance
les Provinces -Unies , et il croit qu'une guerre entreprise
ou continuée pour empêcher une telle réunion , ne peus
manquer d'avoir beaucoup de popularité."
Il sent tout-à-la-fois et le bien qu'on lui ôte , et le mal qu'on
peut lui faire. Il croit que la France ayant à sa disposition la
côte-nord depuis Calais jusqu'au Zuidersée , et les bouches
de l'Escaut , de la Meuse et du Rhin , sera toujours là ,
menaçant les côtes sans défense d'Essex , de Suffolk , de
Norfolk , d'Yorkshire , et toute la côte jusqu'au nord de
l'Ecosse.
Aussi , dit- on déja en propres termes dans plusieurs papiers
ministériels , que la restitution des Pays -Bas est un
objet d'une aussi grande importance pour nous que la possession
même de nos comtés de Kent et de Sussex : on ajoute
que tant que les Français ne conserveront que leurs côtes du
canal , nous aurons toujours vis-à-vis des forces toutes prêtes
pour les repousser ; mais que si leurs côtes s'étendent dans la
mer du Nord , ils pourront sans cesse nous menacer , et profiter
, pour réussir , du moment où nos flottes seront désarmées
, et nos matelots dispersés sur l'Océan. Il faut une
bonne paix , continue-t- on ; mais pour qu'elle soit telle ,
faut que les Pays-Bas soient restitués , et que le cap de Bonne
Espérance , Sainte-Lucie et Tabago restent à l'Angleterre . Il
faut encore mieux faire une guerre maritime de deux ans ,
que conclure la paix en ce moment sans obtenir tout cela .
Les événemens montreront bientôt jusqu'à quel point ces
prétentions peuvent s'accorder avec les circonstances ,
les vrais intérêts de l'Autriche et les droits de la France et des
Provinces- Unies .
il
-
avec
D 3
( 54 )
7 REPUBLIQUE FRANÇAISE.
CORPS LÉGISLATIF.
Séances des deux Conseils , du 25 brumaire au 5 frimaire .
Laporte reproduit son projet de résolution relatif
aux enfans abandonnés . On l'adopte . Il porte en
substance , qu'ils seront reçus gratuitement dans
tous les hospices civils de la République . La maniere
dont ils seront élevés et instruits sera la matiere d'un
réglement à faire par le Directoire . Les présidens des.
administrations municipales seront leurs tuteurs jusqu'à
la majorité ; et les membres de ces administra
tions , les conseils de la tutele .
On reprend la discussion sur les transactions entre
particuliers. Accordéra- t on des termes de paiement
aux débiteurs qui ont contracté des obligations antérieures
au 1er juillet 1791. Telle ett la question que
l'ordre des séries adopté amenerait.
Eudes La réduction est une banqueroute partielle
au lieu que l'atermoiement est un moyen de
l'éviter. Au premier cas , c'est altérer l'essence du
contrat ; au second , ce n'est qu'user de précautions
sagement mesurées , pour en assurer davantage l'exécution
. La plus ancienne jurisprudence a consacré ,
dans des circonstances difficiles , l'usage des atermoiemens
; et celles où nous nous tro vons , le sont
assez pour avoir quelqu'égard à la situation des débiteurs
. Je considere d'ailleurs qu'il existe des débiteurs
de bonne foi qui n'ont pas profité du discrédit
du papier-monnaie pour frustrer les créanciers , et
qui méritent par conséquent qu'on leur accorde des
facilités pour se libérer . Ainsi , mon opinion est que
ces créances , maintenant exigibles , doivent être déclarées
payables en numéraire pour moitié de leur.
montant , et que l'autre moitié doit être acquittée
par tiers , dans les trois années subséquentes.
C.
( 53 )
Favard appuie le mode d'atermoiement proposé
par Eudes , avec cette modification , que le premier
paiement ne soit que du quart de la somme due .
Fermont fait sentir que toutes les propositions faites
ont des inconvéniens , et il en demandé le renvoi à
la commission ; ce qui est adopté .
La discussion s'ouvre , le 27 , sur le projet de Bion ,
tendant à annuller les élections de l'assemblée primaire
de Toulouse .
Pérès entre dans de longs détails pour refuter le
rapport de la commission , démontrer la validité des
élections , et justifier la conduite des membres qui
composent la municipalité de cette commune , et il
demande que le conseil passe à l'ordre du jour sur
le projet de la commission .
Mailne prétend , au contraire , que les élections s'y
sont faites sous l'influence de la terreur ; que les municipaux
nommés ont tous joué un rôle pendant son
regne , et que tous les excès commis à cette époqué
les ont eus pour chefs . Il appuie le projet de la commission.
D'une part , on demande qu'on mette aux
voix le projet de Riou de l'autre , on réclame
l'ordre du jour. Le président met aux voix l'ordre du
jour. Le bureau déclare qu'il y a du doute . On procede
à l'appel nominal . Déja il était avancé , lorsqu'une
erreur le fait annuller. Le conseil arrête qu'il
sera recommencé demain . Aujourd'hui 28 , il a été
procédé au scrutin , conformément à l'arrêté d'hier.
Le projet a été écarté par l'ordre du jour , à la majorité
de 207 voix contre 144 .
Le conseil a ordonné l'impression d'un projet de
résolution présenté par Isoard , et tendant à annuller
la nomination des députés au Corps législatif faite
par l'assemblée électorale de Cayenne .
Lafond-Ladebat a demandé le 26 , dans la séance
du conseil des Anciens , que la résolution qui exempte
de la saisie et confiscation les marchandises anglaises
qui arriveront dans nos ports jusqu'au 20 frimaire
prochain , soit sur-le - champ approuvée . Un bâtiment
danois , dit- il , qui avait chargé des sucres à Hambourg
pour Dunkerque , a été obligé , par une vio.
D
( 56 )
lente tempête et par une voie d'eau considérable , de
relâcher à Boulogne . Aussi - tôt la cargaison a été saisie
. La confisquera-t -on ? Le capitaine ne connaissait
pas la loi; il n'est entré dans le port qu'en relâche
forcée . Le conseil approuve la résolution .
La discussion s'ouvre , le 27 , sur la résolution du
3 brumaire. Dupont parle le premier. Le plus grand
intérêt de la France , dit - il , le salut public et le
nôtre , notre réputation et peut- être notre vie , me
paraissent dépendre de la sagesse avec laquelle nous
nous déterminerons . Notre position est neuve et singuliere
. Nous avons à prononcer sur deux projets
à - la- fois . D'un côté , la résolution qui modifie le
décret du 3 brumaire , et de l'autre , ce décret luimême
. Si nous rejettons l'une , nous paraissons avoir
approuvé l'autre . Dupont releve ensuite tous les vices
de cette loi , et il termine en demandant l'approba- ,
tion de la résolution . La discussion sera continuée .
Le conseil approuve la résolution qui détruit l'effet
rétroactif de la loi du 1er , brumaire an II , relative
aux stipulations sur la dime entre les propriétaires et
leurs fermiers.
Daunou fait , le 29 , au conseil des Cinq- cents un
rapport sur le renouvellement du Corps législatif. Il
divise son travail en trois parties .
Dans la premiere , il donne le tableau du nombre
des députés à élire en germinal , par chaque département.
La Belgique n'enverra que le tiers de sa députation
, au nombre de vingt- deux députés .
La seconde traite du tirage au sort entre les membres
actuels du Corps législatif qui ont siégé dans la
Convention nationale . Il se fera en masse dans chaque
conseil .
Il examine dans la troisieme , certaines questions
relatives aux assemblées primaires et électorales . Les
électeurs de l'année derniere ne pourront être réélus
électeurs cette année.
Ce rapport , dont la lecture a duré une heure et ,
demie , nous a frappé par la clarté , la précision et la
méthode qui caractérisent toutes les productions de
Daunou . Le conseil en a ordonné l'impression ; et la
( 57 )
discussion ne s'ouvrira sur le projet qu'après les trois
lectures constitutionnelles .
Comme ce travail est de la plus haute importance ,
et qu'il repose sur des calculs qui ne peuvent être
saisis à une simple lecture , nous en donnerons l'analyse
lorsqu'il sera imprimé.
Il ordonne , le 30 , l'impression de deux projets
de résolution , dont l'un tend à permettre l'exportation
de diverses marchandises , et l'autre est relatif
au paiement de l'emprunt forcé . Il adopte ensuite
en principe le projet de résolution , portant que les
propriétés françaises , prises par l'ennemi , et reprises
par des Français , seront restituées à leurs premiers
propriétaires.
Le président annonce qu'il a reçu des pieces de
nature à être lues en secret , et le conseil se forme
en comité général .
Celui des Anciens s'y est également assemblé le 29 .
Il approuve , le 30 , deux résolutions ; l'une qui proroge
jusqu'au 1er. nivôse le délai accordé au Directoire
, par la constitution , pour présenter au Corps
législatif l'état des dépenses publiques de l'année
échue ; la seconde , qui fixe la retenue sur la fabrication
des especes d'or à deux centimes de leur poids ;
et sur celles d'argent , à deux vingt cinquiemes .
et
Depuis quelque tems le conseil a souvent retenti
de plaintes au sujet des vols et des assassinats nombreux
qui se commettent. Richard , au nom de la
commission chargée de proposer des mesures contre
ces excès , expose qu'ii faut les attribuer principalement
à la désorganisation de la gendarmerie ,
aussi à ce qu'un grand nombre de citoyens ne font
plus le service de la garde nationale , et. négligent
ainsi eux - mêmes la sûreté de leurs personnes , de
leurs familles et de leurs propriétés. C'est donc là
qu'il faut chercher le remede à ce mal qui afflige
tous les bons citoyens et les hommes honn tes .
En attendant , et comme mesure provisoire , Richard
propose un projet de résolution dont le conseil
ordonne l'impression , et dont voici en substance les
dispositions :
Nul ne pourra porter des armes qu'il n'en ait reçu
1
( 58 )
de sa municipalité une autorisation , qui ne sera délivrée
que sur l'attestation de quatre citoyens domiciliés
de la commune , qu'il peut être armé sans
danget.
La gendarmerie nationale sera tenue d'arrêter les
voyageurs armés qui n'auront pas cette attestation .
Les déserteurs dans l'intérieur , trouvés avec des
armes , seront punis d'une peine double .
On procede au renouvellement du bureau . Quinette
est président ; les nouveaux sécrétaires sont
Hardy , Lecointe , Cales et Duhot.
Le conseil des Anciens a ratifié les traités de paix
conclus avec le roi de Naples et le duc de Parme .
La résolution relative aux délais pour se pourvoir
en apposition , et relever appel des jugemens
par défaut , a été rejettée , Lanjuinais , Liborel et Mollevaut
, ayant observé qu'elle prescrit des formalités
inutiles et embarrassantes , et que les délais fixés sont
trop courts .
La résolution qui admet le numéraire en concouss
avec les mandats au paiement des biens nationaux est
soumise à la discussion.
Lafond- Ladebat la combat comme injuste , impolitique
, et éloignant du but qu'on se propose d'at,
teindre .
Cretet répond que la commission a établi d'une
maniere péremptoire son rapport ; que le maximum
des mandats en circulation ne s'élevait qu'à un milliard,
qui , à 4 pour 100 , ne fait qu'nne somme de
40 millions valeur réelle ; il reste dû sur les cinq
sixiemes des biens nationaux soumissionnés environ
84 millions : ainsi , il y a impossibilité physique d'acquitter
84 millions avec 40. Il a donc fallu qu'on
admit le numéraire en concurrence avec le mandat
pour l'acquittement des biens nationaux. Cretet répond
à la crainte que Lecouteux a manifestée , que
cette mesure n'avilît tout - à- fait le mandat ; que cette
monnaie aura encore suffisamment d'écoulement par
la rentrée de ce qui reste dû sur l'emprunt force ;
rentrée que le conseil des Cinq - cents s'est proposé
d'activer par une résolution qui est maintenant à l'or-
7
( 59 )
dre du jour. L'impôt arriéré en fera rentrer encore
une grande quantité : enfin le paiement des domaines
nationaux en absorbera plus de 2 milliards . Cretet
ajoute qu'il est impossible d'émettre aucune cédule
avant l'extinction entiere des mandats . Il vote que
la résolution soit approuvée .
Le conseil l'approuve .
On procede au renouvellement du bureau . Bréard
est élu président : les secrétaires sont Giraud ( de l'Ain) ,
Fourcroy , Rouseau et Vigneron.
Baudin a fait , le 2 , son rapport sur la résolution
relative à la loi du 3 brumaire . Il pense que la Convention
a eu le droit de rendre cette loi , mais il ne
croit pas que le Corps législatif puisse en étendre
certaines dispositions et en modifier d'autres . Il conclut
pour le rejet.
Le conseil des Cinq - cents s'est occupé , dans ses
séances du 2 et du 3 , de la question de l'atermoiement
des créances , et il a décidé en principe
qu'il y en aurait un pour celles antérieures au
1er juillet 1791. Le mode sera déterminé dans la
séance suivante .
Le projet relatif au droit de passe sur les routes a
rempli une grande partie de la séance du 4. Quelques
articles ont été arrêtés .
Daunou a obtenu la parole , le 5 , au nom de la
commission chargée d'examiner le message du Directoire
contre les journaux . Que nul , dit- il , ne soit
empêché de dire , écrire , imprimer et publier sa pensée.
Que les écrits ne soient soumis à aucune censure
avant leur publication ; que dans les cas non prévus
par la loi , on ne puisse être responsable de ce que
l'on a dit , écrit , publié : telles sont les maximes
quí , sous le nom de liberté de la presse , ont été si
long-tems réclamées par la courageuse philosophie ,
et sont devenues pour elle une conquête que vous ne
pourriez plus lui iavir.
Il n'y a que le spectacle affligeant des excès impunis
, qui ait pu inspirer à des magistrats républi
cains le projet d'enchaîner , par des lois prohibitives ,
la publication des écrits . Voilà l'un des funestes effets
( 60 )
de la licence ; elle entraîne hors des voies constitutionnelles
, ceux que presse le besoin de la réprimer.
On consent à voiler pour quelques instans l'image
de la liberté , et on éleve à la dictature un trône ...
qui étend sur les actions le voile de la terreur et de
la mort. Laissons donc à la presse toute la liberté .
qui lui est assurée par la constitution ; mais n'accordons
pas la faveur , l'impunité à ceux qui en abusent.
Daunou présente trois projets . Le premier tend à
empêcher de crier dans les rues autre chose que le
titre du journal que l'on vend. Le deuxieme a pour
objet l'établissement d'un journal tachigraphique . Le
troisieme précise les cas où il y a licence de la presse ,
et propose les peines à infliger. Le conseil en a
ordonné l'impression .
Celui des Anciens a discuté , dans ses séances du
3 et du 4 , la résolution du 3 brumaire . Tronçon-
Ducoudray s'est déclaré contre elle , et a fait un discours
qui a rempli une partie des deux séances .
Plein de confiance dans les choix du peuple , il n'a
vu aucun danger qu'ils fussent illimités. Le conseil ,
après avoir entendu , le 5 , le rapport de le Breton
et l'opinion de Barbé-Marbois , a rejetté la résolution
qui augmente le prix des lettres et des journaux .
PARIS. Nonidi 9 Frimaire , l'an 5º . de la République.
Les négociations de Malmesbury sont toujours suspendues ,
mais les espérances n'en sont pas moins pour la paix . On croit
que l'envoyé Clarcke est chargé par le Directoire de faire à
T'empereur des ouvertures qui amèneront du moins un armistice
général , et peut- être des préliminaires de paix . On dit
qu'il est question de faciliter à l'empereur l'occupation de la
Baviere ; on dédommagerait sans doute la maison palatine
par d'autres possessions . Si l'on ajoute la Baviere autrichienne ,
il est probable que , pour mettre un contre-poids dans la
balance , on donnera quelque chose à la Prusse , et l'on parle
de l'électorat de Hanovre est également question d'apporter
quelque changement au sort de l'Italie . On sent que la complication
de tant d'intérêts divers doit rendre la négociation
( 61 )
d'une paix générale , nécessairement longue et difficile . En
attendant , tout est tranquille sur les bords du Rhin ; on y
regarde même la suspension d'armes comme une chose con
venue de part et d'autre . Ainsi , la fin de la guerre va dépendre
de nos succès ou de nos revers en Italie . Malgré les
inquiétudes que l'on a conçues , on compte beaucoup sur
l'activité , le génie et la fortune de Buonaparte .
Quoi qu'il en soit , voici la derniere note communiquée par
l'envoyé d'Angleterre , au ministre des relations extérieures .
Copie de la note du lord Malmesbury , en réponse à celle du ministre
des relations extérieures , du 23 brumaire.'
Le soussigné ne manquera pas de transmettre à sa cour , la
note qu'il vient de recevoir de la part du ministre des relations
extérieures. Il déclare également qu'il sera dans le cas d'expédier
des couriers à sa cour toutes les fois que les communications
officielles , qui lui seront faites , exigeront des insructions
spéciales .
Paris , ce 13 novembre 1796. Signé , MALMESBURY.
Le cit. Laharpe , que les évenemens de vendémiairs
avaient forcé à la retraite , vient de reparaître. Il laurait
pu beaucoup plutôt , si sa prudence lui eût permis de se
confier davantage à la pureté de son civisme et de ses intentions
, et à l'esprit qui anime le gouvernement. Les ama
teurs des lettres apprendront avec satisfaction qu'il va recommencer
son cours de littérature analysée . Ils n'avaient
pas vu sans regrets , que ses travaux politiques l'eussent
détourné de l'emploi si précieux de son goût , de ses talens
et de ses connaissances littéraires.
Antonelle , si connu parmi certains patriotes , et qui était
impliqué dans l'affaire de Baboeuf , a été reconnu par l'ua
des agens de la police , en sortant d'un spectacle ; il a été
arrêté et conduit à la police , et de- là transféré à Vendôme
pour être jugé par la haute- cour .
On a arrêté également l'abbé Salomon , conseiller- clere
au ci - devant parlement de Paris , homme fort connu par
ses intrigues , même dans l'ancien régime . On assure qu'il
était à Paris l'agent des ennemis de l'Etat , et que l'on a
surpris sa correspondance .
Un M. de Cussy , convaincu d'émigration , et qui avait
été arrêté depuis quelque tems , a été transféré de la Force
dans les prisons de la Conciergerie , jugé et condamné à la
peine portée par la loi.
( 62 )
L'escadre espagnole qui est entrée dans le port de Tou!
lon , est composée de 26 vaisseaux et 12 frégates . Parmi
les officiers descendus à terre , on a reconnu deux anciens
officiers de la marine française . Leur vue a produit un
mouvement de fermentation parmi le peuple ; mais l'amiral
espagnol les ayant réclamés comme faisant partie de son
escadre , ils ont été reconduits à bord. Les magistrats de
Toulon ont fait une proclamation pour indiquer la conduite
que l'on devait tenir dans cette circonstance ; et les
Français vivent de la meilleure intelligence avec les Es
pagnols.
Le ministre de la marine et des colonies , au président du Directoire
exécutif.
Citoyen président , la division composée des vaisseaux le
Duquesne , le Censeur , et la frégate la Friponne , qui avaient été
expédiés par le contre-amiral Richery pour remplir une
mission particuliere à la côte du Labrador , est arrivée à l'isle
de Groix , près la rade de l'Orient , le 20 de ce mois . Ces
bâtimens , commandés le chef de division Allemand , se
sont dérobés à la poursuite de deux escadres anglaises , dont
une les attendait à la hauteur de Rochefort et l'autre , aux
attérages de Brest .
par
Ce commandant me rend compte , au moment de son arrivée
, que sa mission a eu les plus grands succès , malgré
les rigueurs de la saison , les brumes et les bancs de glace qu'il
a rencontrés ; qu'il ne reste aucun vestige d'habitation dans la
baie des Châteaux ; que les forts et batteries ont été attaqués
et détruits par le feu de ses vaisseaux ; enfin , qu'il a pris la
rpajeure partie du convoi de Québec ; et quelques jours après ,
un navire qui avait des piastres à bord, indépendamment d'un
grand nombre d'autres bâtimens coulés bas ou brûlés . "
Il résulte , citoyen président , de ces opérations combinées
sur les côtes de Terre-neuve et du Labrador , que l'ennemi
a perdu plusieurs établissemens importans ; qu'il lui a été
fait beaucoup de prisonniers ; qu'environ cent navires ont été
pris , coulés bas ou brûlés , et que les bâtimens qui ont échappé
à la poursuite de nos vaisseaux , n'ont pu profiter de la
saison favorable pour faire la pêche . Il suffit de connaître
les bénéfices immenses que les Anglais retirent annuellement
de cette branche de commerce , pour apprécier le
préjudice que la présence de nos forces leur a causé .
Je m'empresserai de témoigner aux marins de cette expédition
la satisfaction du Directoire exécutif , aussi - tôt que
j'aurai reçu des détails sur les services que chacun d'eux
a rendus. Salut et respect. Signé , TRUGUET.
1
( 63 )
NOUVELLES OFFICIELLES.
ARMÉE D'ITALIE . Buonaparte , général en chef de l'armée d'Italie
, au Directoire exécutif. Au quartier-général de Véronne .
le 23 brumaire , an V.
Citoyens directeurs , je vous dois compte des opérations
qui ont eu lieu depuis le 12 .
30.
Je fus informé le 10 , qu'un corps autrichien s'avançait
et était déja campé sur la Piave : j'envoyai aussi - tôt le général
Massena , avec un corps d'observation , à Bassano , sur la
Brenta , avec ordie de se retirer sur Vicenze , du moment
que l'ennemi aurait passé la Piave ; j'ordonnai au général
Vaubois d'attaquer les postes ennemis dans le Trentin , et
sur-tout de le chasser de ses positions entre le Lavis et da
Brenta l'attaque eut lieu le 12 ; la résistance fut vive. Le
général Guieux emporta Saint-Michel , et brûla le pont des
ennemis ; mais ceux- ci rendirent nulle notre attaque sur
Segouzano , et la 85. demi-brigade y fut maltraitée , malgré
sa valeur. Nous avons fait 500 prisonniers et tué beaucoup de
monde à l'ennemi.
Le 13 , j'ordonnai que fon recommençat l'attaque sur
Segouzano qu'il fallait avoir , et en même-tems instruit que
l'ennemi a passe la Piave , je pars avec la division Angereau ;
nous nous joignons à Vicenze avec la division Massena , et
nous marchons , le 15 , au-devant de l ennemi qui avait passé
la Brenta il fallait étonner comme la foudre , et balayer ,
dès son premier pas , l'ennemi. La journée fut vive , chaude
et sanglante ; l'avantage fut à nous : l'ennemi repassa la
Brenda ; le champ de bataille nous resta ; nous fimes 500 prisonniers
, et tuâmes considérablement de monde ; nous
enlevâmes une piece de canon .
Le général Lanus a été blessé d'un coup de sabre . Toutes
les troupes se sont couvertes de gloire.
Cependant le 13 , l'ennemi avait attaqué le général Vaubois
sur plusieurs points , et menaçait de le tourner ; ce qui obligea
ce général à faire retraite sur la Pietra , sa droite adossée
à des montagnes , sa gauche à Mori.
Le 16 , l'equemi ne se présenta point ; mais le 17 , lẹ
combat fut des plus opiniâtres ; déja nous avions enlevé
deux pieces de canon et fait 1300 prisonniers , lorsque , à
l'entrée de la nuit , une terreur panique s'empara d'une
partie des troupes.
La division prend , le 18 , sa position à Rivoli et à la
( 64 )
Corona , par un pont que j'avais fait jetter exprès . La pert
dé l'ennemi doit avoir été considérable .
Ayant appris une partie de ce qui s'était passé dans le
Tirol , je m empressai de partir le 17 , à la pointe du jour ,
et nous arrivâmes le 18 à midi à Véronne .
nous
Le 21 , à trois heures après-midi , ayant appris que l'ennemi
était partid Montebello et avait campé à Villa-Nova ,
partîmes de Véionne ; nous rencontrâmes son avant- garde à
Saint- Martin ; Angereau l'attaqua , la mit en déroute , et la
poursuivit trois milles ; la nuit le sauva .
Le 22 , à la pointe du jour ; nous nous trouvâmes en
présence ; il fallait battre l'ennemi de suite ; nous l'attaquâmes
avec intelligence et bravoure . La division Massena attaqua la
gauche , le général Angereau la droite ; le succès était complet
; le géné a Angereau s'était emparé du village de Car
dera , et avait fait 200 prisonniers . Massena s'était emparé
de la hauteur qui tournait l'ennemi , et avait pris cinq pieces
de canon ; mais la pluie qui tombait à seaux , se change
brusquement en une petite grelasse froide , qu'un vent violent
portait au visage de nos soldats , et favorise l'ennemi ; ce
qui , joint à un corps de réserve qui ne s'était pas encore
battu , lui fait reprendre la hauteur. J'envoie la 75º . demibrigade
, qui était restée en réserve , et tout se maintint
jusqu'à la nuit. Les deux armées garderent leur position .
Le tems continue à être mauvais aujourd'hui , repos aux
troupes ; demain , selon les mouvemens de l'ennemi , nous
agirons. Signé , BUONAPARTE .
P. S. Une lettre du général Baraguey- d'Illiers , commandant
à Milan , annonce , comme officielle , la nouvelle d'une
Victoire importante remportée par le général Buonaparte , et
dans laquelle il a fait prisonniers dix mille Autrichiens qu'il
envoie en France sous l'escorte de la garde nationale lombarde
.
La garnison de Kelh a fait une sortie vigoureuse , et a emporté
la ligne de contrevallation de l'ennemi,pris ou encloué 20 pieces
de canon , et fait 600 prisonniers , parmi lesquels 20 officiers ,
dont un colonel et un major.
Malmesbury vient de reprendre les négociations . Le principe
des compensations est convenu .
ERRATUM . Dans le n ° . précédent , article de Hambourg , ont
lit que c'est le 11 du mois de novembre que le roi de Suede doit
sortir de tutelle . Lisez le premier . :
LENOIR -LAROCHE , Rédacteur.
Jer. 135.
No. 8.
MERCURE FRANÇAIS .
DÉCADI 20 FRIMAIRE , l'an cinquieme de la République.
( Samedi 10 décembre 1796 , vieux style . )
Explication du Logogriphe du Nº . 7 .
Le mot est Folie ; on y tronve éole , foi , fil , oie , foie , lie.
LITTÉRATURE ANCIENNE.
Idylles de THEOCRITE , traduites en français par J. B.
GAIL , professeur de littérature grecque au college de
France. Nouvelle édition , ornée de figures , d'après les
dessins de BARBIER et de BOICHOT. A Paris , de l'imprimerie
de BANDELST et EBERHART . Chez l'auteur , au
collège de France , place Cambrai.
S.
1 la sensibilité puérile aux censures est pour l'or
dinaire , une preuve d'impuissance de talent , la confiance
avec laquelle on les recherche annonce un
esprit sûr de lui-même et de ses moyens , et un ca→
ractere élevé que les petitesses de l'amour propre
n'atteignent pas.
+
M
Bien loin que lé cit . Gail ait été révolté des critiques
franches , peut- être même un peu séveres , que
nons avons faites de ses traductions en général , et
notamment de celle de Lucien , il desire que nous
rendions compte de cette nouvelle édition de son
Tome XXVI. E
t
\ ( 66 )
Theocrite , et il est venu lui-même nous la demander.
Cette maniere de sentir lui fait beaucoup d'honneur.
Elle prouve qu'il aime assez les avis pour ne pas
craindre ceux même qu'on lui donne en public , et
qu'il n'est effrayé,ni des nouveaux efforts qu'ils peuvent
l'engager à faire , ni de l'influence que cette publicité
peut avoir sur le succès de ses ouvrages .
Au reste , il a bien raison . Indépendamment de
ce qu'il y a d'estimable dans ce sentiment , rion ne
suppose mieux une saine appréciation de l'effet des
critiques. Au fond , les critiques n'ont jamais fait de
mal qu'aux ouvrages qui seraient tombés sans elles .
Lorsqu'elles sont justes , on peut en profiter : lors
qu'elles sont injustes et malveillantes , elles relevent
beaucoup les beautés qu'elles veulent obscurcir. Toute
cette horde hargneuse et méprisable qui s'est acharnée
contre Voltaire de son vivant , a-t- elle jamais
porté la moindre atteinte à sa gloire ? Les cris de
l'envie et les fureurs des charlatans qu'il démasquait
avec tant de courage , n'ont-ils pas au contraire relevé
singulierement l'éclat de ses succès ? En un mot ,
ee grand homme a dû peut-être autant à la rage de
ses ennemis , qu'à l'admiration et aux applaudissemens
des gens de lettres véritablement dignes de ce nom .
L'ouvrage que nous annonçons ici n'est pas seule.
ment une édition nouvelle ; c'est en quelque sorte
une autre traduction , dont la premiere n'est que la
bâse ou le canevas. Le cit . Gail y a fait un nombre
si considérable de corrections , qu'il nous serait impossible
de le suivre dans son travail , et de mettre
nos lecteurs en état d'en bien apprécier le mérite .
Nous le dirons cependant , avec notre franchise ordi(
67 )
naire , ces corrections ne nous ont pas paru tou
jours également heureuses ; et peut - être l'auteur aurait-
il bien fait quelquefois de s'en tenir à sa premiere
maniere : mais en général l'ouvrage a beaucoup gagné ;
et il prouve de plus plus en plus que pour bien faire , le
citoyen Gail n'a besoin que d'un peu moins de précipitation.
Entreprenant et laborieux , il faut qu'il devienne
patient , et même opiniâtre . Or , il paraît qu'il
en sent lui -même la nécesssté , et qu'il s'y décide
courageusement.
Les bornes de ce journal ne nous permettent pas
beaucoup de citations . Nous avons choisi les deux
morceaux suivans , parce qu'ils sont peu connus , et
qu'ils nous paraissent ne pas mériter cet oubli .
IDYLLE TROISIEME.
AMARYLLIS .ou LE CHEVRIER.
" Le Chevrier. Je cours chanter à la porte d'Amaryllis
, tandis que mes chevres paissent sur la montagne
et que Tityre les conduit . Tityre , mon bien
aimé , fais paître mes chevres ; conduis - les auprès
de cette source ; mais prends garde à ce bouc au
poil jaunissant.
,, Charmante Amaryllis , tu ne m'appelles plus en
baissant la tête à l'entrée de cette grotte . Tu ne me
dis plus viens , mon doux ami…………..
" Voici des pommes que je t'apporte . Je les ai
cueillies à l'arbre que tu m'as toi - même désigné .
Demain , je t'en offrirai d'autres .... Vois du moins
ma douleur....
Que ne suis- je l'abeille qui bourdonne ! que ne
E 2
( 68 )
puis-je pénétrer dans ta grotte , m'insinuer sous le
lierre et la fougere qui composent ta couche délicate
! ah ! c'est à présent que je connais l'amour ! l'impitoyable
dieu ! sans doute il a sucé le lait d'une
lionne ! c'est dans les forêts que sa mere l'a nourri ....
O toi ! dont le regard est si tendre et le coeur si dur ,
nymphe au noir sourcil , reçois ton chevrier dans
tes bras . Qu'il te donne un baiser : le baiser le plus
simple n'est pas sans douceurs .
,, Tu me forceras de mettre cette couronne en
pieces. Chere Amaryllis , je la réservais pour toi :
pour toi je l'ai entrelacée de lierre et de persil odorant
: ô ciel que faire ? que devenir , elle est sourde
à mes plaintes .....
!
" Dieux est - ce que je verrais Amaryllis ? .......
Asseyons -nous à l'ombre de ces pins , et chantons :
peut- être obtiendrai -je un regard ; son coeur n'est
pas de diamant. ,,
:
Il chante Hippomene voulait épouser la jeune
Atalante les mains pleines de pommes , il arrive
au bout de la carriere. Comme à leur aspect , comme
Atalante fut transportée de desirs ! comme son coeur
fut profondément blessé !
,, Des champs d'Othrys , le divin Mélampe amena
dans Pylos , les troupeaux d'Iphiclus ; et Bias serra
dans ses bras la belle Péro , la mere de la sage
Alphesibée .
› Adonis , berger de nos montagnes , n'inspira- t-il
pas à la belle Cypris un si violent amour , que même
privé de la vie , elle le tenait pressé sur son sein ?
" O Endymion ! qu'il est digne d'envie ce sommeil
éternel qui ferma tes paupieres !
( 69 )
Tendre Amaryllis , que j'envie le sort de l'heureux
Jasion !....
99
Je souffre , et tu ne songes pas seulement à ma
peine ...... C'en est fait , je ne chante plus ; je vais
rester étendu par terre ; sous tes yeux les loups me
dévoreront , et ma mort aura pour toi la douceur du
miel. "
F
Cette traduction est élégante et facile ; et les petites
taches qui s'y remarquent n'empêchent pas de
retrouver dans le français , le caractere et les impressions
de l'original C'est à présent que je connais
l'amour. En voyant ce trait , les lecteurs à qui Virgile
est familier , se seront sans doute souvenus de
nunc scio quid sit amor ! qui en effet est l'imitation ou
plutôt la traduction littérale de voy ya o igara. Le
mot grec a peut - être quelque chose de plus simple
et en même tems de plus vif , sur tout si l'on y
joint le trait suivant : Cmpus deo's › gravis Deus !
·
ως ίδον , ως εμάνη , ὡς ἐς βαθύν άλλετ ' ἔρωτα n'est sürement
pas rendu par cette phrase longue , traînante et fatiguée
: Comme à leur aspect , comme Atalante fut transportée
de desirs ! comme son coeur fut profondément blessé !
C'est encore ici que Virgile est le véritable traducteur.
Ut vidi , ut perii , ut me malus
Abstulit error !
Malus error nous paraît même préférablé à Caour
spare. Il représente l'amour comme une erreur fatale
qui nous entraîne ; et l'espece d'indétermination du
mot ajoute encore à l'impression que le poëte veut
laisser dans l'ame.
Tendre Amaryllis. Tendre est un contre-sens. Le
E 3
( 70 )
berger se plaint des rigueurs d'Amaryllis ; il ne doit
pas lui donner l'épithete de tendre . Dans l'original
il y a ¢ına yun , femme chérie . Les anciens ne faisaient
pas de ces méprises dans le dramatique , auquel ils
ont donné un caractere particulier de vérité .
Le second morceau que nous allons transcrire , en
y faisant quelques retranchemens , est un dialogue
ou plutôt une scene un peu vive entre un berger et
une bergere . Les anciens étaient souvent fort libres
dans leurs tableaux : ici , c'est de la naïveté plutôt
que de l'indécence ..
Le berger s'appelle Daphnis , et le cit . Gail donne
le nom de Naïs à la bergere .
Naïs . Hélene toute prudente qu'elle était fut
enlevée par un berger.
Daphnis. Et c'est parce que je suis berger que mon
Hélene m'embrasse .
N. Petit satyre ( 1 ) , ne te vante pas un baiser ,
dit-on , se donne sans conséquence..
D. Sans conséquence , soit ; mais non pas sans
plaisir.
N. Tiens , j'essuie mes levres ; je rejette ton
baiser.
D. Tu t'essuie les levies ! il faut donc que je t'en
donne un autre.... Viens sous ces oliviers sauvages ,
que je te conte quelque chose .
N. Non , non. Avec tes beaux discours tu m'as déja
trompée.......
( 1 ) C'est bien le mot à mot , de cajupions ; mais se n'en
est pas le sens à beaucoup près .
( 72)
I
D. Fi , fi donc , jeune bergere ... Crains le courroux
de Vénus .
N. Et que m'importe ta Vénus , pourvu que Diane
me défende ? ... Arrête , berger....
D. Nulle vierge n'échappe à l'amour : tu subiras
ses lois.
N. Non , j'en atteste le Dieu Pan ... Eh quoi , toujours
ta main soulevera ce voile ! ... Si je te dis oui ,
que me donneras-tu en présent de noces .
D. Tout mon troupeau , tous mes bois , tous mes
pâturages....
N. Tu me donneras une jolie chambre , une maison ,
une bergerie !
D. Oui , je te donnerai une jolie chambre ....
N. Montre-moi ton bocage ; fais -moi voir ta bergerie
.... Paissez , mes chevres , tandis que je vais considérer
les possessions de ce berger.
D. Mes taureaux , paissez , paissez à l'envi , tandis
que je vais montrer mes bois à ma bergere .
N. Petit satyre , que fais- tu ! que cherches- tu dans
mon sein ?
D. Des pommes revêtues du plus fin duvet.
N. Ciel , je suis toute tremblante... Encore une
fois, retire ta main... O ciel, ma ceinture est arrachée….
Que veux-tu donc ?
D. C'est ma premiere offrande à Vénus.
N. Arrête ! quelqu'un vient ! j'entends du bruit.
D. Ce sont ces Cyprès qui se content notre hymen.
N. Ah Daphnis ! tout mon voile est déchiré ....
D. Je t'en donnerai un plus beau ...
N. O Diane ! ne te fâche pas ! tu m'as abandonnée ;
je te suis infidele . »
4
( 72 )
: Tout ce morceau est plein de grace dans l'original .
Il y a sur-tout une vivacité piquante dans le dialogue ,
et une légere teinte de plaisanterie qui cache tourà
-tour , et montre les objets avec beaucoup d'art et
d'agrément,
Le cit. Gail a mis dans la bouche de Naïs , un
mon cher , qui est d'une gardeuse de vaches , et non
pas d'une bergere . " Il termine l'idylle par ces mots :
" Ainsi jasaient entre eux nos heureux amans . "
Il faut se souvenir que ce mot jasaient est dans la
bouche de l'auteur , c'est - à- dire de Théocrite . Nous
l'y croyons fort déplacé . Que devient d'ailleurs cette
expression charmante ἀλλήλοις ψ γύριζεν inter se susurrabant?
La traduction de la piece entiere est cependant
bonne en général .
A la tête du premier volume de cette édition , sont
deux dissertations assez étendues ; l'une servant de
discours préliminaire , sur la poésie pastorale en général
, et sur Théocrite en particulier ; l'autre en forme
de lettre au cit. Laharpe , sur l'impossibilité de traduire
les poëtes en vers , dont le cit . Gail paraît
convaincu comme d'une vérité constante , et qu'il
cherche à établir par le raisonnement et par les faits ,
La premiere dissertation est remplie d'idées justes
et vraies , quoique peut- être un peu communes ;
l'auteur qui sûrément est capable de creuser plus
avant les sujets de littérature , semble se contenter
ici de ce qu'ont dit ses prédécesseurs . Cependant
la matiere est bien riche , et l'on peut assurer que
les rhéteurs en ont à peine effleuré quelques parties.
Rien n'est souvent plus incomplet , plus vague et
même quelquefois plus faux que l'idée qu'ils donnent
( 73 )
de la maniere des anciens . Le cit . Gail , plein de
respect pour ces grands modeles , les oppose sans.
relâche aux modernes , d'une maniere trop générale
et trop indéterminée pour faire appercevoir nettement
cette supériorité qu'il attribue aux uns sur les autres .
Il la leur attribue également et dans la pratique des
arts et dans la morale ; c'est presque toujours sur la
parole de ces mêmes rétheurs , et sans énoncer avec
précision les motifs sur lesquels son opinion se
fonde .
Il y a sans doute beaucoup d'impressions agréables
à recueillir dans les chefs- d'oeuvre des Anciens . Il
y a de grandes leçons , et sur- tout de grands modeles
à chercher dans leur histoire . Mais quand on dit , par
exemple , que s'ils n'ont point mis la morale domestique
, l'amour filial , la tendresse maternelle , ' la
bienfaisance , en un mot , toutes les vertus privées
en action dans leurs pastorales , comme Gessner l'a fait
depuis avec tant de charmes , c'est parce qu'elles leur
étaient trop familieres , pour qu'ils jugeassent nécessaire
d'en parler , on montre , ce me semble , beaucoup
plus de zele pour la gloire de ces anciennes
époques que de connaissance approfondie de ce qui
s'y passait . Ceux des peuples modernes chez lesquels
le gouvernement a été tout- à-la - fois libre et stable ,
ont sûrement beaucoup plus de vraie morale que les
anciens : la raison en est simple ; le pauvre y est bien
plus indépendant du riche . C'est l'un des peuples les
plus simples et les plus vertueux peut- être qui aient
paru sur le globe , qui`a fourni de nos jours , ces tableaux
touchans qui porteront le nom de Gessner à la
dernière postérité,
( 74 )
Désormais quand on parlera des arts et du talent
des anciens , il ne faudra pas se contenter de louer
telle ou telle belle chose : il faudra , si l'on veut se
faire lire avec fruit , entrer dans le secret de leur
composition , montrer et ce qui les distingue des
esprits éminens nés dans les époques postérieures , et
ce qui les distingue ensuite particulierement entre
eux ; car les écrivains grecs et latins ont un caractere
général qu'on ne retrouve dans aucun de leurs imitateurs
les plus habiles et les plus attentifs . Les Latins
et les Grecs ne se ressemblent point ; les auteurs de
chacune de ces deux langues ont aussi leur couleur
et leur marque ; et quoique Théocrite , Moschus et
Bion aient écrit tous les trois dans le genre pastoral ,
il est impossible de confondre la maniere de l'un
avec celle de l'autre .
"
Ce n'est pas seulement pour satisfaire une curio .
sité, d'ailleurs raisonnable , ni même pour se borner
à reconnaître la source de nos impressions , qu'il est
nécessaire d'étudier les grands modeles avec cet esprit
d'analyse qui décompose les moyens et les procédés
de leur art . Dans tout ce que l'esprit humain exécute
, il y a beaucoup plus qu'on ne pense de pratiques
mécaniques en quelque sorte . Le génie de la
méthode consiste à les découvrir , à les réduire en
regles , à les rendre applicables à des objets du même
genre ou de genre différent , et à mettre des esprits
même médiocres en état de les employer. L'analyse
philosophique , ainsi que l'analyse mathématique ,
iend sans cesse au perfectionnement des formules :
l'objet de la méthode est de resserrer de plus en
plus l'empire exclusif de l'inspiration et du talent.
( 75 )
Pourquoi ne le ferait - elle pas dans les arts d'imagination
aussi bien que dans les sciences ? Et quoique
le génie doive occuper toujours une place distincte ;
quoique sa destinée soit de s'élever de plus en plus
à mesure que ce qui l'environne sort de la médiocrité,
les hommes qui connaissent bien tout le prix
des lumieres , doivent sentir combien il serait utile
de rendre plus facile et plus parfaite une certaine
instruction commune.
Nous avons dit que le cit . Gail avait adressé sa
dissertation sur l'impossibilité de traduire les poëtes
en vers , au cit. Laharpe , qui cependant a traduit de
cette maniere , avec beaucoup d'élégance , plusieurs
morceaux de la Pharsale et la tragédie toute entiere
de Philoctete. Pour réveiller plus fortement encore
les objections de fait , notre auteur cite , avec de
grands éloges , le nom de Delille , à qui nous devons
la plus belle traduction de notre langue , je
dirais même de toutes les langues connues , si l'Homere
de Pope n'emportait pas la balance par l'immensité
du travail .
Sans doute la difficulté des traductions en vers est
extrême , sur-tout dans le français dont le caractere
dédaigneux multiplie toutes les entraves poétiques ,
et toutes les difficultés qui sont particulieres à cette
langue,même dans la prose.Peut- être Racine etBoileau,
s'ils eussent poursuivi leur projet de mettre en vers Ho
mere, auraient- ils usé leur génie dans des efforts continuels,
et vraisemblablement aussi , quelquefois impuissans.
Mais cette même langue travaillée depuis , soit
par eux , soit par Voltaire , soit par nos grands prosateurs
, nous paraît avoir acquis une souplesse qu'elle
1
( 76 )
n'avait pas alors ; et quelques exemples de succès
doivent encourager les jeunes gens qui se dévouent
à cette pénible carriere .
Nous le sentons bien au reste , ce n'est que par
des exemples qu'on peut combattre d'une maniere
décisive l'opinion du cit . Gail . Firmin Didot , à qui
nous devons déja plusieurs chefs - d'oeuvre de gravure
typographique , et qui fait faire chaque jour de
nouveaux pas à son art , vient d'entreprendre une
traduction en vers de Théocrite ; mêlant ainsi aux
travaux qui , si jeune encore , rendent son nom cẻ-
lebre , la culture des lettres dans lesquelles il tiendra
sans doute quelque jour , un rang distingué . Il nous
a permis de transcrire quelques morceaux de sa traduction
: nous avons besoin qu'ils nous fassent
pardonner la longueur de cet extrait.
1
1
Nous allons commencer par le début de l'idylle IIº,
intitulée le Cyclope , laquelle a fourni plusieurs imitation's
à Ovide et à Virgile .
LE CYCLO PL.
Quand l'amour de ses feux nous brûle et nous dévore ,
En vain nous implorons l'art du Dieu d'Épidaure ;
Des nymphes d'Hélicon le commerce enchanteur
Peut seul , ô Nicias , calmer notre douleur.
Mais ce charme puissant , ignoré du vulgaire ,
Offre à peu de mortels son secours salutaire .
Tu dois , cher Nicias , en goûter les douceurs ;
Toi , l'ami d'Esculape , ainsi que des Neuf- soears.
Polyphême jadis en a connu l'usage .
Le duvet , fleurissant sur son mâle visage ,
Déja de son menton ombrageait le contour ,
Lorsque pour Galathée il fut épris d'amour,
( 77 )
1
Il dédaignait d'offrir ou des fleurs passageres ,
Ou ces fruits , vain présent des amans ordinaires :
Le malheureux ! en proie aux fureurs de Vénus ,
Il brûle et meurt d'amour ! rien ne le touche plus .
On vit plus d'une fois quittant l'herbe fleurie ,
Ses troupeaux sans pasteur gagner la bergerie.
Pour lui , pâle , et le front abattu de douleur ,
Saignant encor, du trait qui lui perçait le coeur ,
Il chantait dès l'aurore ; et la rive attristée
Sans cesse répétait le nom de Galathée.'
Assis sur un rocher , l'oeil fixé sur les mers
D'une voix amoureuse il soupirait ces vers :
?
Galathée , ah ! pourquoi fuir un amant qui t'aime?
O nymphe ! qui du lait surpasses la blancheur ,
Pourquoi , d'un tendre agneau retraçant la douceur ,
As-tu le naturel de la chevre volage ,
Et l'apreté du fruit de la vigne sauvage ?
Si je cede au sommeil tu voles vers ces lieux ;
Et quand mon oeil revoit la lumiere des cieux
Tu fuis , comme un chevreau fuit le loup sanguinaire.
Je commençai d'aimer le jour qu'avec ma mere ,
Je vins cueillir des fleurs sur ce côteau voisin :
Je marchais devant toi , te frayant le chemin :
Hélas ! depuis ce jour, qui vit naître ma flamme ,
Jamais le doux repos n'est entré dans mon ame.
Fille aimable , je sais pourquoi je te déplais ;
C'est que l'arc hérissé de mon sourcil épais
Ombrage sur mon front le seul oeil qui m'éclaire ;
Que mon nez applati couvre ma bouche entiere .
Mais aussi , sous mes lois , on voit mille brebis
Épancher en tout tems les flots d'un lait exquis ;
Et même quand l'hiver attriste ce rivage ,
Par-tout sur mes clayons s'épaissit le laitage .
1
( 78 )
Dans l'art de faire entendre un hautbois pastoral ,
Nul Cyclope en ces lieux n'ose être mon rival ;
Et pour chanter mes feux et ton indifférence ,
Ma voix des sombres nuits anime le silence ..
Le cit. Gail ne trouve - t-il pas dans cette traduction
beaucoup de fidélité et d'élégance ? Ne suitelle
pas presque par- tout l'original avec autant
d'exactitude que pourrait le faire la prose ? Et peut-on
nier que le tour vif et serré du vers , que l'harmonie
et les balancemens de la période poétique n'ajoutent
beaucoup à l'effet de images ou des sentimens ?
Voici maintenant quelques - uns de ces endroits -
que le cit . Gail a sans doute en vue lorsqu'il parle des
âpres bergeries de Théocrite , et à l'occasion desquels
Fontenelle s'exprime ainsi : " Quand on dit que
Vénus , les Grâces et les Amours ont composé les
Idylles de Théocrite , je ne crois pas qu'on prétende
qu'ils aient mis la main à ces endroits - là . ",,
66
On y verra comment Firmin Didot se tire des plus
grandes difficultés .
Dans la V. idylle , Comate , pour le prix du combat,
dépose un chevreau , et engage Lacon à déposer , de
son côté , un agneau ; Lacon lui répond :
Le rusé ! tu voudras bientôt que je préfere
Ce lait vil , dont le chien se nourrit sous sa mere ,
Au nectar que la chevre épanche en longs ruisseaux .
Qui pourrait estimer le poil de tes chevreaux
Autant qu'une toison plus blanche que l'ivoire ?
Et un peu plus bas , Lacon dit à Comate , qui lui
propose de venir se reposer près de lui :
Moi , sur tes peaux de bouc ! l'odeur qui s'en exhale
Au loin infectant l'air , a passé jusqu'à toi .
( 79 )
Viens dans ces prés fleuris , viens fouler avec moi
Les toisons de brebis , duvet plus doux encore
Que n'est le doux sommeil au lever de l'aurore.
Je veux offrir moi-même aux nymphes de ces lieux
Deux vases , l'un rempli d'un lait délicieux ;
L'autre , de la liqueur que nous donne l'olive.
Dans la VII . idylle , Theocrite peint , de la má- -
niere suivante , le costume d'un chevrier nommé
Lycidas.
Du chef de son troupeau la dépouille sauvage ,
Portant au loin l'odeur des laitages nouveaux ,
De longs poils jaunissans hérissait tout son dos
On voyait attaché sous sa large ceinture ,
Un manteau que des ans a fatigué l'injure ;
Et sa main s'appuyait , pour affermir ses pas ,
Sur un bâton , coupé de l'arbre de Pallas :
Enfin , tout annonçait un conducteur de chevres.´
Nous citerons encore deux couplets de la chanson
que Théocrite met dans la bouche des bergers de la
VIII . idylle , où il change de mesure , en introduisant
le vers pentametre .
MÉNALQUE.
•
Quand la belle Philis arrive dans nos champs ,
L'abondance par- tout regne avec le printems ;
Par-tout sur les côteaux fertiles ,
Ruisselle des brebis le nectar argenté :
A-t-elle disparu , le pasteur attristé
Ne voit plus que des champs stériles .
DAPHNI S.
Le vol précipité des vents impétueux ,
L'or, le sceptre des rois ne flattent point més veux.
( 80 )
Heureux , sous ce rocher tranquille ,
Si je puis dans tes bras , aimable Lycoris ,
Chanter , en contemplant nos troupeaux réunis ,
Au bord des mers de la Sicile .
Le morceau suivant est la fameuse peinture du
Pêcheur , qui se trouve dans la Iere . idylle .
Près d'eux , un vieux pêcheur , tout courbé sur l'arêne ,
·
Lance un vaste filet qu'il souleve avec peine :
L'âge a blanchi son front , sans affaiblir son corps ;
Ses jambes sous le poids fléchissent accablees ,
Et sur son tol nerveux ses veines sont gonflées ( 1 ) .
Enfin , nous terminerons par la fin de la seconde
idylle ou de l'Enchanterèsse , que nous regrettons de
ne pouvoir citer toute entiere . On sait que Racine
regardait cette idylle comme le plus beau morceau
de passion de l'antiquité . Les efforts qu'on a faits jusqu'ici
pour en faire passer les beautés dans le français
, n'ont pas été fort heureux : ceux de Firmin
Didot le seront davantage .
Une femme abandonnée de son amant , et dans
tout le délire de la passion , cherche à le rappeller
par l'effet des enchantemens et des philtres . En invoquant
la lune , qui préside aux redoutables mysteres
sous le nom d'Hécate , elle lui raconte l'histoire
de ses amours et sa premiere entrevue avec le perfide.
C'est lui qui parle ; il lui peint tous
transports.
Qui , le feu de Vulcain ceḍe au feu de l'amour.
ses
( 1 ) Nous engageons le cit. Gail à comparer cet endroit avec
sa propre traduction ; et nous lui demandons si les vers ne
sont pas véritablement aussi fideles que la prose .
Tout
( di81)
Tout fléchit sous le joug de l'enfant de Cythere :
Il arrache la vierge à son lit solitaire ;
Et l'épouse fuyant le lit de son époux ,
Court d'un pas adultere à des plaisirs plus doux .
Il dit . Je l'écoutais suspendue à sa bouche ;
Et je le crus ! …….. ma main l'inclina vers ma couche .
Mon visage enflammé bientôt toucha le sien :
Je sentis tout son corps brûler contre le mien :
Nous ne pouvions parler : nous ne pouvions- nous taire.
Que te dirai-je enfin , astre que je révere ?
Enivré , palpitant d'amour et de plaisir ,
Le perfide n'eut plus à former de desir .
Ces citations sont plus que suffisantes pour faire
apprécier les espérances que donne le travail de
Firmin Didot . Nous ne doutons pas qu'avec la constance
qui lui est propre , il ne vienne à bout d'enrichir
notre langue d'une bonne traduction en vers
de plus ; et nous sommes bien sûrs que le cit. Gail
se félicitera d'être réfuté par ce nouvel exemple , et
de voir reproduire , sous une autre forme , un des
écrivains auxquels il a consacré ses veilles .
Avant de clore cet article , nous ne devons pas
oublier de dire que la nouvelle édition de Théocrite
est très - belle et très - soignée . Le texte en est
extrêmement pur , et l'éditeur en a fait disparaître
ces ligatures qui gâtent toutes les éditions grecques
d'Angleterre , d'Italie et d'Allemagne le latin est
également très- correct : enfin le papier est très-beau ,
et les figures sont dignes des artistes célebres dont
elles portent le nom .
Tome XXVI.
B
( 82 )
ÉCONOMIE POLITIQUE.
Des prisons de Philadelphie ; par un Européen . A Philadelphie
. chez MOREAU DE St. -MERY. Un volume in-8° .
de 44 pages. 1796.
EH bien ! je ne serai donc plus traité de rêveur et
de fou ; comme je l'ai été si souvent , pour avoir
soutenu que les hommes sont plus faibles que
méchans . Je conviens que j'ai depuis sept années ,
mal choisi mon tems pour soutenir cette these . Les
victimes nécessaires de la révolution et les victimes
infiniment plus nombreuses que l'on a sacrifiées sous
le vain prétexte de cette crise politique , ont servi
de texte à mes adversaires triomphans. Cependant
je dirai que j'ai toute ma vie prêché cette doctrine ,
et que je la prêche encore . Un Français retiré à Philadelphie
( Liancourt ) me prête de nouvelles armes
dans son opuscule sur les prisons de cette ville .
Je vous avouerai que mon admiration pour le respectable
Howard , qui a passé sa vie à visiter les
prisons de tous les peuples d'Europe , avait pour
motif plutôt sa constante philantropie
, que la profondeur
de ses vues. Il m'avait toujours paru se
tromper lorsqu'il assurait que jamais le travail des
prisonniers ne pourrait satisfaire aux frais de leur
entretien ( vol. I , pag. 41 ) : et j'avais trouvé dangereuse
cette assertion ( vol . II , pag. 227 ) ; que les fers
et les coups étaient indispensables
pour les conte(
83 )
nir. Les Quakers , ces hommes dont les bennes oeuvres,
répétées continuellement ,font oublier les erreurs
de spéculation , viennent de prouver le contrai .
à Philadelphie . Chargés d'après leurs sollicitations
du soin des prisonniers depuis 1792 jusques et y
compris 1795 , ils ont combattu , par une expérience
de 4 ans , et sur 2go détenus , la double erreur du
respectable Horward .
L'état de Pensylvanie a restreint , en 1793 , la peine
de mort au meurtre prémédité ; et il a borné la punition
des autres crimes à une détention plus ou moins
longue , plus ou moins sévere , en laissant au gouverneur
la faculté d'en abréger la durée . Les prisonniers
détenus en conséquence d'un jugement , sont
connus sous le nom de convicts ; et c'est de ceux -là
dont l'auteur nous entretient.
La conduite des prisons de Philadelphie esa
fondée sur deux principes incontestables ; l'un , que
la punition doit avoir pour objet l'amendement
du coupable , et doit lui en fournir les moyens ;
l'autre , que cette punition ( ici la détention ) étant
une réparation faite à la société , elle ne doit pas
grever ses finances . D'où il résulte , 1 ° . que le régime
des prisons est dirigé de maniere à amener les détenus
à l'oubli de leurs anciennes habitudes , à la réflexion
sur eux-mêmes ; et par elle , à l'amendement . 2 ° . Que
l'injustice , l'arbitraire , les mauvais traitemens sont
bannis de cette maison , parce qu'ils révoltent l'ame
et la remplissent d'amertume , loin de la disposer au
repentir. 3º . Enfin , que les prisonniers sont constamment
employés à des travaux productifs , pour leur
faire gagner les frais de la prison , et pour leur pié
F. 2
( 84 )
parer quelque ressource au moment où finit leur
captivité.
Deux moyens principaux ont paru propres à opérer
ce bien . Le choix de la nourriture et la solitude forcée
désignée par les mots solitary confineméut. Le déjeûner
et le souper consistent en un pudding ( potage ) de farine
de maïs et de mélasse . A dîner , une demi -livre de pain,
des légumes et une demi -livre de viande . L'eau est
l'unique boisson ; jamais , jamais les prisonniers ne
boivent de liqueurs fermentées , pas même de la petite
bierre ; l'entrée en est séveremment proscrite , et
la proscription religieusement observée .
L'espece d'animation qu'en reçoit l'ouvrier n'est
qu'une vigueur factice et momentanée . Elle deviendrait
, pour le prisonnier , une irritation qui allumerait
son sang ; qui empêcherait , par conséquent , l'effet
du régime tempérant par lequel on s'efforce de l'adoucir
, d'en changer la nature . Il trouve sa force
dans la nourriture substantielle qu'il prend , et qui ,
par le même principe , doit être bornée au juste nécessaire
. La différence de ce régime diététique à
celui que lé détenu suivait avant son jugement , le
changement absolu de nourriture pour la qualité et
pour l'espece , renouvellant entierement son sang ,
l'adoucissant , le rafraîchissant , amollissent son ame
et la disposent à la douceur qui amene le repentir.
Les inspecteurs de cette prison ont une grande foi à la
sûreté de cette observation , et comptent le régime
des prisonniers au nombre des moyens qui aident le
plus efficacement à leur amendement , en changeant
leurs idées et leurs dispositions .
Les convicts forment deux classes : 1ere , ceux qui sont
t
( 85 )
sondamnés pour les crimes jadis capitaux , et leur
sentence ordonne toujours le solitary confinement pour
une partie du tems de la détention , à la volonté du
juge , mais que la loi fixe à la moitié au plus , et au
moins au douzieme ; l'autre classe est celle des détenus
condamnés pour de moindres délits , et dont
le jugement ne porte pas le solitary confinement.
Le criminel condamné à cette solitude est renfermé
dans une cellule de huit pieds sur six , et de neuf
d'élévation . Cette cellule , toujours au 1er. ou au ge .
étage d'un bâtiment voûté et isolé , est échauffée par
le pcële du corridor. Le prisonnier , séparé du corridor
par deux grilles de fer , reçoit la chaleur , sans
pouvoir nuire avec le feu . Les précautions pour la
salubrité sont entières ; ces cellules , ainsi que le
reste de la maison , sont blanchies deux fois par an .
Le prisonnier a un matelas et une couverture . Là ,
éloigné de tous les autres détenus , livré à la solitude ,
aux réflexions et aux remords , il n'a de communication
avec personne ; il ne voit même le porte - clé
qu'une fois par jour , quand il lui apporte son pudding
grossier de maïs et de mélasse . Ce n'est qu'après un
certain tems qu'il obtient la permission de lire , s'il la
demande , ou de travailler aux objets compatibles avec
son étroite réclusion . Jamais , hors le cas de maladie ,
il ne`sort , ne va pas même dans le corridor , tant
que dure cet emprisonnement . Les inspecteurs des
prisons ont la liberté d'en placer l'époque à leur
choix , pourvu que la proportion ordonnée par la
sentence ait lieu dans le cours du tems que doit durer
la détention. Ils en placent une grande partie à
l'arrivée du convict dans les prisons , parce que la
F 3
( 86 )
4
portion la plus rigoureuse de la sentence doit , selon
toute justice , en suivre immédiatement la proclamation
, et être par-là autant rapprochée que possible
du crime qui l'a méritée ; ensuite parce que la sévérité
de cette réclusion absolue serait plus horrible
encore pour lui , s'il avait déja joui de la liberté des
autres prisonniers ; parce qu'enfin , dans cet abandonnement
total de tout être vivant , il est disposé
à descendre en lui -même , et à réfléchir sur les fautes
dont il sent si amerement la peine .
Le travail est proportionné aux forces et à la capacité
des convicts . Il y a dans la maison des métiers de
tissérands , des établis et des outils de menuisiers , des
boutiques de cordonniers , de tailleurs . Les prisonsonniers
de ces professions peuvent s'y livrer , Les
autres sont employés à scier du marbre , à le polir ,
à faire des copeaux de bois de cedre , à broyer du
plâtre de Paris , à carder de la laine , à battre du
chanvre . Les inspecteurs viennent d'ajouter à ces
ateliers une manufacture de cloux . Les plus faibles ,
les plus maladroits des convicts épluchent de la laine ,
du crin et de l'étoupe . Chacun est payé à raison
de son travail . Le marché est fait entre le concierge.
et les différens entrepreneurs de la ville , pour chaque
sorte d'ouvrages , et en présence du convict . Celui- ci
doit payer sa nourriture , sa part de l'entretien de
la maison , de la location des outils . Ce prix , variable
comme le prix des denrées , est fixé par les inspecteurs
, quatre fois l'année . Il était en nivôse an IV
( janvier 1796 ) , de 15 pences de Philadelphie , ou
92 centimes de France ; et l'homme le plus vieux ,
ne travaillant qu'à éplucher des étoupes , peut gagner
87 )
21 ou 22 pences ( 1 franc 25 centimes ) . Il y a des hommes
qui gagnent plus d'un dollar ( 5 francs ) par jour. Il
en est qui , après une détention de six mois , sont
sortis avec 50 gourdes ( environ 260 francs ) . de gain
réel . Cependant , indépendamment de la pension
que le travail des convicts doit payer , la loi les condamne
à acquitter les frais de leurs procès , l'amende
composée d'une partie due à l'Etat , qui est souvent
remise , et d'une partie consacrée à la restitution
des effets volés , qui n'est jamais remise .
Le geolier n'est plus ici un exacteur qui met å
contribution la faiblesse , la captivité , la misere même
des prisonniers. Point de bien -venue , point de rétribution
pour les faveurs particulieres , point d'argent à
payer en sortant. Aucun prisonnier n'est mis aux
fers ; les coups , les mauvais traitemens , les menaces ,
les reproches , sont interdits à ceux qui les approchent
; le solitary confinement est la plus forte punition
; tout le régime de cette maison de répression
tend à en faire une maison d'amélioration . D'après
cela , la place de geolier ne répugne à personne . Les
appointemens en sont très - bons , et les gages de ses
quatre sous - ordres sont suffisans pour les faire vivre.
convenablement.
La nourriture est achetée par le geolier sous les
yeux des inspecteurs , et apprêtée par un convict ,
qui est payé par les autres pour cette fonction . Le
convict qui fait les fonctions de barbier est aussi payé
sur les frais de pension . De sorte que le geolier et
ses quatre sous - ordres , sans armes , sans chien , et
même sans baguette , gardent facilement 280 prisonniers.
F 4
( 88 )
Le matin , avant que de commencer le travail ,
les convicts sont obligés de se laver les mains et le
visage . En été , ils se baignent deux fois par mois
dans un bassin creusé au milieu de la cour. Ils sontrasés
deux fois par semaine,, et changent de linge
autant de fois .
Douze inspecteurs sont chargés de l'administration
et de la surveillance de la prison . Six sont remplacés
tous les six mois par le choix des inspecteurs
eux-mêmes , Ils peuvent être continués , s'ils y consentent.
Tel est le respectable Caleb - Lownes , qui n'a
cessé de l'être depuis les quatre ans que dure cette
admirable réforme , et à qui l'on en doit l'établisse -
ment, malgré des obstacles sans nombre.
Avant cette réforme , les mémoires du médecin
s'élevaient , par quartier , de 260 à 320 gourdes ( de
300 à 350 franes ) ; et aujourd'hui , dans le même intervalle
, ils ne passent pas 40 gourdes . Cette énorme
différence doit être attribuée au changement total
de régime .
Quant à la sûreté de la prison , il faut remarquer
que , pendant les quatre ans , aucune tentative
d'évasion n'a été faite par les prisonniers ; neuf
seulement , qu'un excès de confiance avait laissé travailler
hors de l'enceinte , se sont échappés , et quatre
d'entre eux ont été repris .
Voilà donc en quatre ans , rendues utiles à la société
au moins 200 personnes , qui , par l'ancien régime
et d'après le code pénal de presque tous les
Etats de l'Europe , eussent été destinées à en être le
fléau pendant toute leur vie , ou à en demeurer
( 89 )
"
constamment séparées , ou enfin à en être arrachées
par d'affreux supplices !
• •
Peuple heureux ! quand pourront les Français
Se donner comme vous entiers à ces emplois ?
· · Quand la paix viendra-t-elle
Nous rendre comme vous tout entiers aux beaux-arts ?
BEAUX ARTS.
Sur le Salon de l'an V ( 1796 ) .
PATIENCE.... à peine êtes - vous débotté ... vous le
---
verrez demain , après demain , et quelque tems encore
. ·Ah ! mon ami , vous savez que j'adore les arts ,
que j'en suis fou... J'accours pour voir le salon , et
vous me retardez ! . Partons ; puisque vous avez
fait dix-huit lieues pour le voir , il serait cruel de retarder
un plaisir que vous espérez sentir bien vivement.
Bien vivement , c'est le mot . Quelle bonne
idée d'ouvrir le salon tous les ans et à tous les artistes
! Vous êtes sûrement de cet avis . Pas toutà-
fait ; et je crois que la visite que nous, allons fui
rendre pourra bien vous faire changer de sentiment.
Nous en causerons au retour.
-
Nous y voilà .... Que de travaux ! Il a fallu employer
à leur exposition toutes les salles basses du Muséum !
Combien les arts ont gagné depuis l'année passée !
En surface ... Bon , vous frondez toujours ; vous
n'admirez rien . Montons au salon , et je vous prou
-
-
―
verai le contraire . - Soit. COM
Que dites- vous de ce
( go )
portrait ? C'est Isabey ; je le reconnais ; il est vivant,
-
Je suis de votre avis ; et le tableau est digne de
la réputation de Gérard . — Bon ; vous plaisantez
toujours. Point du tout ; ce serait un Vandick ,
sans ce maudit effet de lumiere qui fait trou dans le
tableau .... et puis la petite femme ! oh ! l'amateur ,
mettez la main sur la conscience ; vous savez assez de
perspective pour voir que la petite femme est trop
petite. Oh bien je boucherai le trou avec ma
main droite ; et je jouirai du reste sans distraction.
C'est le ben parti.
Mais comment ferez - vous pour borner votre vue en
regardant le Caton de Cacault , et pour n'y voir que le
beau?-Mafoi , je n'en sais rien.- Ni moi non plus.
-Polyscope , Duval n'en dit que du bien et beaucoup
de bien . Les autres , en plus grand nombre , le trouvent
gris , crud ; voient deux manequins dans les figures du
fond ; rient de la prude draperie qui voile le sexe
de Caton ; esperent cependant beaucoup de l'auteur
d'après ce premier tableau , quoiqu'il ne soit plus
dans la fleur de l'âge ... D'après cette discordance , il
m'est impossible d'avoir un avis arrêté ; j'attendrai un
second ouvrage du même artiste pour asseoir mon
jugement sur son talent.
-
-Vous n'attendrez pas si long-tems pour Belle . La
composition de son tableau d'Anaxagore et Périclès
est sage , les costumes sont vrais , les figures posées
avec tranquillité . Mais la couleur est faible ; et
puis ne faut- il pas un OEdipe pour expliquer le sujet
de la composition ; pour trouver quelque rapport
entre une lampe qui s'éteint , et les personnages du
tableau. Grave critique , vous en diriez sans doute
-
( 91 )
autant du testament d'Eudamidas : ce bel ouvrage
est cependant du Poussin . Oui , je blâme cé choix ;
et je n'ai voué à personne un respect ou une estime
aveugle . Le Poussin n'aurait-il pas pu placer dans
cette scene un Scribe venant de recueillir les dernieres
paroles d'Eudamidas , et tenant un rouleau
sur lequel on lirait des mots grecs qui voudraient
dire : Je legue ma femme et ma fille à ..... Paix donc ; les
enfans vous écoutent ; et vous parlez ainsi du Poussin....
le mot est lâché ; je ne me rétracterai pas.
-
N'en serait- il pas de même du Bélisaire de
Peyron. On admire la belle ordonnance , le bon
choix de têtes . Mais tous les personnages sont vêtus
comme des consulaires ; et malgré le casque placé
aux pieds de Bélisaire , rien n'indique l'apparition
de ce héros chez des paysans . Ne desireriez-vous
pas un ton plus chaud et plus d'ame dans les acteurs
de cette scene ?
-Cette jeune fille assise sur l'appui d'une fenêtre
est de Sérangely. Il aime les doubles effets de lumiere.
Sa Charité Romaine du dernier salon en offrait
aux spectateurs deux très-bons , très - décidés .
Aujourd'hui on ne sait si la lumiere qui vient du
dehors appartient au soleil ou à la lune . J'ajouterai
que la figure n'est pas dessinée , comme on doit
l'exiger d'un éleve de David.
-
Tenez , homme difficile , voyez une belle ordonnance
de Le Barbier , un beau groupe dans le
milieu , de riches fabriques et des marbres précieux
dans le fond : tout cela vit..... C'est ce que je
nie. C'est le château de la Belle -au - bois - dormant ;
tous les personnages sont en attitude d'agir , mais
-
5
( 92 )
ils attendent leur désenchantement. Je dirais de plus
que le stylè en est académique ; mais je craindrais de
répéter une des mille invectives que les jeunes auteurs
et les amateurs qui n'étaient pas membres des
acadèmies , ont écrites tant de fois depuis sept ans
contre ces sociétés . Vous êtes donc pour les académies
! ....... Elles ont cependant retenu dans leur
routine des talens que la nature avait destinés à
s'ouvrir de nouvelles routes .... En vous rappellant
Vien , le restaurateur de l'école française , j'aurai répondu
à cette supposition .
---
Passons en Sicile où Taillasson nous transporte.
Plât au ciel que le voisinage de l'Etna eût échauffé
sa verve ! La tête de Timoléon et celles de quelques
personnages secondaires sont bien étudiées ; mais le
ciel brûlant de la Sicile où est- il ? où sont les personnages
fiers et libres qui bénissaient chaque jour
Timoléon d'avoir brisé leurs fers ? Et les jambes du
héros , comment sont - elles dessinées ? Vous êtes
impitoyable , lorsqu'il s'agit d'incorrection de dessin .
N'ai je pas raison ? C'est la pureté de dessin qui
forme le caractere distinctif de notre nouvelle école .
Ainsi , point d'indulgence ..... Peut - être un jour aunous
de plus le droit rons - d'être sévere pour le
coloris.
-Je le souhaite...... Voyez déja les tableaux de
Sablet. Voilà de l'harmonie , un coloris frais , l'athmosphere
de l'Italie . Courage , Sablet ; un peu moins
d'abondance et quelques jambes mieux dessinées .
Toujours les jambes .... C'est que l'on pêche
si souvent par là . On est si long- tems à dessiner des
têtes , en comparaison du tems que l'on emploie à
-
( 93 )
"
dessiner la figure entiere , que l'on s'en ressent pen
dant toute sa vie .
·
A propos des jambes , le Milon de Meynier
m'en offre une que j'ai vue souvent à Versailles ,
celle du Milon du Puget . En vérité ce ressouvenir
de peintre est un peu trop précis. On en peut dire
autant du bras et de la main serrée dans l'arbre ; ne
sont- ce pas le bras et la main du sujet de réception
de Falconnet , de son Milon ? Il paraît que Meynier
a beaucoup modelé. Son tableau a l'air de présenter
un morceau de sculpture . Le travail et le choix
du sujet sont hardis pour un jeune homme. Je lui
demande cependant de réfléchir sur la pose du Milon ,
La main qui a fait effort est placée au niveau de la
tête. L'étude des lois de la méchanique Ini aurait
appris que nos forces deviennent presque nulles à
cette hauteur.
--
- Voici une bacchante du même peintre . Que sa
chair esr rose ; cet incarnat est trop vif : il n'y a pas
de belle peau colorée si vivement .
par
Voici des ruines de Robert , et même du neuf.
Du neuf? Oui , c'est une vue du Muséum éclairé
le haut. Bon cela. Je me rappelle seulement
qu'un architecte m'a dit que les arcs y
étaient trop
multipliés , et morcelaient ce beau local dont la
vaste étendue est le principal mérite .
Que ce défenseur de la patrie est reconnaissant
! Sicardy , voilà un sujet national bien choisi ,
bien exécuté . Si la tête de la jeune et sensible fille
était moins poupine ..... Toujours des si , des mais !
-Je vous répondrai ..... Toujours des hommes , toujours
des imperfections !
-
( 94 )
Les monumens et sites d'Italie de Dandrillon
sont d'une grande vérité , et l'on revoit avec plaisir
la galerie de Florence et le château Saint-Ange .
L'exactitude et la précision n'affaiblissent - elles pas
un peu dans ce peintre la chaleur et la touche ?
-Pénétré de ce principe , on ne craint point la mort,
dit , en lisant un traité de l'immortalité de l'ame ,
un pere à son fils . Voilà ce qu'annonce le livret ,
en expliquant le tableau de Suvée ; mais voilà ce
qu'un tableau ne saurait rendre . Mauvais choix , s'il
est libre . Trop de condescendance , si le sujet a été
donné . La teinte grise qui regne dans toute cette
composition n'était pas nécessaire pour indiquer une
prison . Le rouge , quoique moins éclairé , est tou
jours rouge , etc.
-
-De qui est cette jeune fille qui conduit sen pere
aveugle ? Mais avant que de vous répondre , que
dites -vous du tableau ? Qu'il est brillant , que la
fille est jolie ……….. - Oh oui ; jolie , comme un modele
pris dans les rues qui avoisinent le théâtre Italien ;
bien coloré , bien hardi , bien entraînant . Quel vieillard
quelle barbe ! quels cheveux ! Ils ont l'air
d'appartenir à un Triton. Et ces draperies , par combien
de vents contraires sont- elles agitées ! ..... Quel
est l'auteur ? ...... Rien n'annonce la connaissance du
beau idéal ..... - De grace , le nom du peintre ? .......
-Neveu , qui donne de si bonnes leçons de son art
à l'école polytechnique . Cela est - il possible ?
- Très- possible ; et tenez , regardez sous le nº . 396 ,
ce voyageur qui donne à manger à son cheval . Y
a- t- il de la vie dans ce portrait ? Il est encore d'un
peintre qui , dans la nouvelle encyclopédie , a écrit
( 95 )
pafitement sur les beaux-arts ! — C'est donc une
fatalité attachée aux peintres- écrivains ! — Non , mon
ami. Consolez - vous demain nous reviendrons ici ,
et la vue de la cene de Léonard de Vinci vous
rappellera un homme qui a manié , avec un égal
succès , la plume et le pinceau. A demain,
( La suite au prochain numéro. }
MÉLANGES.
Pensées et réflexions d'HELVETIUS ( 1).
Les hommes sont toujours contre la raison quand
la raison est contre eux .
Faire sa fortune n'est pas le synonyme de faire son
bonheur ; l'un peut cependant s'accroître avec l'autre.
Ceux qui sont accoutumés à disputer dans les lieux
publics, doivent plutôt savoir l'art de rendre des idées
que la maniere de trouver des vérités .
Rarement les ministres qui ont de l'esprit choisissent
des hommes supérieurs pour les mettre en
place ils les croient trop indociles , et pas assez
admirateurs.
Il n'y a qu'un imprudent qui risque d'avoir de
T'esprit devant les gens qu'il ne connaît pas.
On sacrifie souvent les plus grands plaisirs de la
vie à l'orgueil de les sacrifier.
On ne peut pas en compagnie juger de tout l'esprit
d'un homme on peut juger de la partie bonne
à la société , mais non pas de la profondeur des idées.
( 1 ) Extrait de l'édition complette des Enures d'Helvétius ,
imprimée chez Didot l'aîné .
( 96 )
Il serait aisé de faire un livre pour prouver qu'une
société de gens qui se conduiraient selon l'évangile
ne pourrait subsister .
La sottise veut toujours parler , et n'a jamais rien
à dire ; voilà pourquoi elle est tracassiere .
Le principe de notre estime ou de notre mépris
pour une chose , est le besoin ou l'inutilité dont elle
nous est.
La religion a fait de grands maux , et peu de petits
biens .
Les hommes laids , en général , ont plus d'esprit ,
parce qu'ils ont eu moins d'occasions de plaisirs et
plus de tems pour étudier.
On ne prendra jamais le mot homme pour cheval ;
mais on prendra réfléchir pour penser. Tout mot collectif
occasionne des disputes . Il n'y en a point aux
mots d'images .
Quand une science ne produit pas un bien trèsprès
de sa source , on la regarde comme inutile . C'est
un ruisseau qui semble se perdre dans la terre , et
qu'on ne voit point produire une autre source .
Dans un gouvernement , il arrive tous les jours
des malheurs auxquels on ne peut remédier , faute
de remonter à une source très-éloignée , que souvent
l'ignorance des ministres a fait tarir , tandis qu'on en
ouvre d'autres dont le cours inconnu va empoisonner
le bonheur public.
II y a des chiens bons à une chasse , d'autres à
d'autres chasses . Pourquoi ne prendrait-on pas des
amis dont on se servirait , des uns pour rire , d'autres
pour raisonner ; enfin , d'autres pour pleurer avec
nous ?
On est souvent trop sage pour être un grand
homme. Il faut un peu de fanatisme pour la gloire
et dans les lettres et dans les gens d'état .
La
( 97 )
La justice est un rapport des actions des particuliers
au bien public.
On tirerait des conséquences utiles de savoir que
la mémoire est la même chose que le jugement et
l'imagination . On pourrait déterminer quelles réflexions
ou jugemens fera un homme en conséquence
des faits qu'il a dans la mêmoire , et quelle sorte de
réflexions arrivera en conséquence d'une érudition
vaste et profonde .
L'histoire est le roman des faits ; et le roman , l'histoire
des sentimens . L'histoire apprend que la vertu
n'a rien à gagner avec les hommes ; que sur cent à
peine s'en trouve- t-il un vertueux par inclination ;
qu'ils sont tous faux , perfides , etc. Le roman nous
présente des modeles de fidélité , de droiture .
:
Le génie ressemble à ces terres vastes où il
y a des
endroits peu soignés et peu cultivés dans une si
grande étendue tout ne peut être peigné . Il n'y
que les petits esprits qui prennent garde à tout : c'est
un petit jardin qu'ils tiennent aisément peigné .
Pas plus de sûreté dans un dévot que dans un courtisan
; l'un abandonne son ami pour faire fortune
auprès de son roi ; l'autre , pour la faire auprès de son
-Dieu .
Les gens du monde aiment les gens qui ont plusieurs
sortes d'esprit , parce qu'ils croient avoir plus
d'analogie avec eux .
L'esprit ébauche le bonheur que la vertu acheve.
Pourquoi dit- on souvent que les gens d'imagination
font des projets fous ? C'est que , pour exécuter
leurs projets , il faudrait avoir autant d'esprit qu'eux ;
et ceux qui ne voient point de moyen de les exécuter
aiment mieux dire que le projet est inexécutable
, que d'avouer qu'ils n'auraient pas l'esprit de
l'exécuter. Ce raisonnement est confirmé par l'expérience.
Les grands hommes sont ceux qui iaventent
et exécutent des choses que les auties hommes
Tome XXVI. G
( 98 )
croyaient impossibles . Mais pour cela il faut que la
fortune mette les hommes dans une place où ils
puissent exécuter ce qu'ils ont inventé ; sans quoi ils
passent en général pour des rêveurs .
Dans les tems de malheur , on aime plus la vertu
que l'esprit , parce qu'on en a plus de besoin , et non
pas , comme on dit , parce qu'elle vaut mieux . C'est
toujours nos besoins qui nous font préférer une
chose à l'autre .
Ce qui fait le bonheur des hommes, c'est d'aimer à
faire ce qu'ils ont à faire. Cest un principe sur lequel
la société n'est pas fondée .
Un homme qui serait beaucoup au - dessus des autres
hommes n'en doit point être estimé
voit au- dessus d eux n'est point vu par eux.
ce qu'il
Un sage jouit des plaisirs , et s'en passe , comme
on fait des fruits en hiver .
L'envie dit souvent qu'un tel livre ne fait du bruit
que par sa hardiesse , pour dire hautement : « Je
passerais pour avoir autant d'esprit que cet homme-
,, là si j'étais aussi imprudent . Vérité hardie est
une vérité importante au grand nombre , et peut-être
nuisible à des hommes ou à des corps puissans . Celles
qui ne font point de bruit n'ont donc nulle importance
; les auteurs de ces vérités devraient donc moins
s'applaudir de leur prudence que rougir de l'inutilité
de leur esprit.
Lorsqu'il tombe une étincelle de l'amour dans un
coeur , elle l'anime ; mais si l'amour en approche son
flambeau , il le consume.
Il y a des gens qu'il faut étourdir pour les persuader.
La vérité est pour les sots un flambeau qui luit dans
le brouillard sans le dissiper .
La suite au numéro prochain.
.
( 99 )
VARIÉTÉ S.
Ouverture du Lycée républicain.
L'OUVERTURE de ce Lycée s'est faite le 11 de ce
mois . On sait que cet établissement , qu'il ne faut
point confondre avec le Lycée des arts , compte douze
années d'existence , et offre la réunion de beaucoup
d'objets d'instruction , à tout l'agrément que l'on
peut trouver dans les clubs . Différens cours de
sciences , de littérature et de langues ; les journaux
étrangers et français , une bibliotheque choisie , un
local vaste , commode et bien échauffé , sont les avan
tages dont peuvent jouir les étrangers , comme les
nationaux .
Le cit . Gautherot , chargé d'un cours d'arts et métiers
, lut un discours qui avait pour objet de montrer
le degré d'utilité et d'influence des sciences mathématiques
et naturelles sur le perfectionement des
arts. On a regretté que l'auteur eût fait un emploi
aussi fréquent de plusieurs expressions néologiques
et d'invention moderne , beaucoup moins convenables
à son sujet qu'à tout autre .
Après lui a parlé le cit. Dumoustier , connu par ses
lettres à Émilie sur la mythologie , de petits vers légers
, et quelques comédies , que l'on n'accusera
point d'être une imitation du genre de Moliere , de
Regnard , ni même de Destouches , mais où étincellent
les traits de l'esprit du jour et ces jolies finesses
de style que l'on est convenu d'applaudir sur la scene
moderne . Il professe au Lycée la morale . Il avait
choisi , pour sujet de son discours , les femmes . C'ètait
un sujet délicat à traiter comme moraliste ,
tout en présence d'un auditoire composé de femmes
et de jeunes gens . L'orateur s'en est tiré fort habilement
, en ne parlant point des devoirs , mais beau
coup de la maniere dont les femmes doivent embellir
et développer leurs vertus . Ç'a été la plus jolie ga
sur-
G 2
( 100 )
lanterie morale que l'on pût entendre. Il n'est pas
besoin de dire que ce discours fut très -applaudi .
Le cit . la Harpe , que l'on n'avait point entendu
depuis trois ans au Lycée , y a reparu avec un succès
auquel il est accoutumé. Dans un discours dont la
lecture a duré une heure et demie , il a fait un tableau
historique des progrès des lettres depuis le bas empire
jusqu'à nos jours ; on y a retrouvé le talent d'un
littérateur' familiarisé avec les leçons du goût , et auquel
la véhémence de l'action et le souvenir de ses
malheurs a ajouté un nouveau degré d'énergie ; son
discours a obtenu les applaudissemens des uns , et a
été écouté avec moins de bienveillance par les autres ;
effet inévitable du dissentiment des opinions , lorsqu'on
veut mêler des objets politiques à des objets de
pure littérature .
Voici la note complette des divers objets qui sont
arrivés en dernier lieu d'Italie.
Caisses destinées pour la Bibliotheque nationale.
Manuscrits et anciennes éditions provenant de la
bibliotheque ambroisienne et de celle de Brera à
Milan.
Livres provenant de la bibliotheque de l'Institut
de Bologne.
Anciennes éditions provenant de l'Abbaye de St.
Salvator de Bologne.
Idem..... de l'Institut de Bologne .
Manuscrits provenant de l'abbaye de St. Salvator
de Bologne .
Les donation faites à l'église de Ravenne sur Papyrus
en 490 et 491 , provenant de l'Institut de Belogne.
( 101 )
Le manuscrit des antiquités de Joseph , sur Papyrus.
Un Virgile manuscrit ayant appartenu à Pétrarque ,
avec des notes de sa main .
Le carton des ouvrages de Léonard de Vinci .
Le manuscrit sur l'histoire des papes .
Le manuscrit de la main de Gallilée sur les fortifications.
Un autre du même , sur le flux et le reflux de la
mer
Caisse destinée pour le Muséum d'histoire naturelle.
L'herbier de Haller , en 60 volumes , provenant de
l'université de Pavie .
Collection des substances volcaniques , faite par
Spalanzani , et extraite de l'université de Pavie .
Quatre volumes de Haller , et d'autres livres provenant
de l'université de Pavie .
Minéraux donnés par le P. Pini de Milan .
Deux aiguilles de crystal de roche , provenant de
la bibliotheque ambroisienne de Milan .
Deux cadres , renfermant des lamelles de différens
bois , provenant de la société de Milan .
Différentes graines de Milan .
Minéraux provenant de l'institut de Bologne .
L'herbier d'Aldrovande , en 16 volumes , provenant
du même Institut.
Grande pierre de Florence , provenant de la bibliotheque
ambroisienne de Milan .
Collections de marbres et pierres fines , provenant
de l'Institut de Bologne.
Figures manuscrites d'Aldrovande , en 17 volumes,.
provenant de l'Institut de Bologne .
Caisses destinées pour l'Institut national.
Ouvrages de divers savans d'Italie .
Ouvrages périodiques .
Douze petits manuscrits de Léonard de Vinci , sur
les sciences .
Les ouvrages de sciences imprimés à Pavie .
G 3
( 102 )
1
Le journal de physique ; idem ... de médecine . L'un
et l'autre de Brugnatelli.
Les tables anatomiques de Haller , avec des correc
tions et additions de sa main .
Envoi destiné pour l'École polytechnique .
Un microscope .
Idem..... Solaire , pour les objets opaques ,
Idem..... pour la nuit.
Une chambre obscure nécessaire à l'objet précédent
.
Quant aux tableaux et autres objets d'arts , choisis
et encaissés par un nommé Tinct , avant l'arrivée de
nos commissaires en Italie , à l'exception de cinq vases
erusques , qui sont , il est vrai , de la plus grande
beauté ; il n'y a rien qui fût digne d'être offert à la
République Française .
Le meilleur tableau est une Ste . Famille de Léonard
de Vinci , peinte sur bois , et portant environ
40 pouces de haut sur 36 de large . Sans être un des
plus beaux ouvrages de ce maître , il a cependant un
très-grand mérite ; mais il a souffert , et l'on y remarque
plusieurs repeints.
On distingue parmi les autres 2. 1º. un prétendu
orig nal de Rubens , et de Brenghel , dit de Velours ,
représentant la Vierge , tenant l'Enfant -Jésus , entourė
d'une guirlande de fleurs , de forme ovale . C'est une
copie .
2º. Un tableau sur bois , par Lacas , de Hollande ,
peinture gothique , représentant la Vierge , Ste . Catherine
, etc. , ayant d'anciennes fentes , des repeints
et des écailles .
3º. Deux tableaux médiocres , de Fra Bartolomeo ,
et de Jean- Marie , la Vierge , l'Ange Gabriel , deux
Chérubins , etc.
4°. Quatre petits tableaux , par Breghenl de Velours ;
les quatre élémens , avec les figures principales , par
van Balen , sur cuivre , bien conservés ; et un autre
tableau du même , représentant Daniel dans la fosse
aux lions , aussi bien conservé . Ne paraît- il pas extraor
dinaire que les contributions de l'Italie soient des
( 103 )
productions flamandes , et sur-tout d'un maître eru et
sec , tel que Prenghel ? On croit d'ailleurs que ceuxci
, dans le nétoyage deviendront bien bleux et bien
verds .
5º. Un petit St. Jean , sur bois , par Lomini , éleve
de Léonard de Vinci ; il a souffert , mais la tête est
d'un caractere agréable .
6. Les Anges en contemplation devant l'Enfaut-
Jésus , sur toile , 18 pouces sur 20 ; attribué au Guer
chin , copie moderne et médiocre.
7º. La Foi , l'Espérance et la Charité , sur cuivre ;
15 pouces sur 18 , à l'Albane ; copie très-molle et
très -mauvaise .
8. Autre copie d'après l'Albane , représentant le
Christ dans le désert servi par les Anges .
9. Un Christ apparaissant à la Vierge , forme ovale
en travers , sur cuivre , par l'Albane , mais du vieux
tems de ce maître .
10º. Une Ste . Famille de 5 figures , sur bois eintré
d'en haut , par un des premiers maîtres de l'Italie ,
( non pas des meilleurs , mais des plus anciens . )
11°. Un Ex voto où est représenté St. François , avec
cinq figures , copie de Seguidone .
12º . Une tête de Vierge , copie du Gui de.
Parmi les dessins , il y en a un de Jules Romain ,
deux de Léonard de Vinci , qui sont vraiment de ces
maîtres , mais deux ou trois attribués à Raphaël , de
Paul Veronese , et Adrien , dit Sarte , qui ne sont que
des copies.
En antiquités , outre les vases étrusques , un masque
en bronze , et deux pateres , objets précieux et intéressans.
Du reste , des vases , des coupes , et d'autres objets
fort médiocres , et qui ne sont précieux ni pour la
forme , ni pour la matiere .
ANNONCES.
Euvres complettes d'Helvétius ; quatorze volumes in- 18 , de
l'imprimerie de Pierre Didot l'aîné , rue Pavée - André - des-
Ares , nº. 28 ; se vendent chez Firmin Didot , libraire ,
GA
( 104 )
rue de Thionville , no . 116. Prix , 21 liv . Il y en a eu 200
exemplaires tires sur papier vélin . Prix , 72 liv ."
On trouve chez les mêmes , les OEuvres complettes de Montesquieu
, avec des notes d'Helvétius sur l'Esprit des Lois .
Douze volumes in- 18 , imprimés aussi par Didot l'aîné . Prix ,
18 liv. Il en a été tiré 200 exemplaires sur papier vélin .
Prix , 72 liv .
Traduction du premier livre complet des odes d'Horace , suivie
de quelques poésies diverses , par Pierre Didot l'aîné . Un
volume in-8 . avec le texte. A Paris , de l'imprimerie du
même. L'an Ve . ( 1796 ) .
De l'Influence des Passions sur le bonheur des individus et des
nations ; par madame la baronne Staël de Holstein . Un volume
¿R-8° . A Lausanne , et se trouve à Paris chez Fuschs , libraire ,
rue des Mathurins , maison de Cluny . 1796.
De l'Egalité , ou Principes généraux sur les Institutions civiles ,
politiques et religieuses , precéde de l'éloge de J. J. Roussseau ,
en forme d'introduction . Deux volumes in-8 ° . A Paris , chez
le même. 1796,
Mémoire sur les Argiles , ou recherches et expériences chy-"
miques et physiques sur la mature des terres les plus propres
à l'agriculture , et sur les moyens de fertiliser celles qui sont
stériles . Par M. Baumé , maître apothicaire de Paris , et démonstrateur
en chymie . Un volume in- 18 . Prix , 15 sols pour
Paris ; et 20 sols , franc de port , pour les départemens .
A Paris , chez Meurant , libraire , rue de Laharpe , vis-à-vis ia
rue Serpente , nº . 20. L'an V. 1796. ~
On croit rendre service aux amateurs des sciences , en
leur annonçaut que le célebre cabinet d'anatomie artificielle
de feue mademoiselle Biheron , à laquelle l'académie
des sciences avait accordé les plus grands éloges , d'après
le rapport du savant Vicq- d'Azir , sera vendu à Paris , en
l'étude du cit. Boulard , notaire , rue André - des- Arcs , le
23 frimaire an V , sur les cinq heures après - midi .
en
On peut voir dans la matinée ce cabinet à Paris ,
la demeure de la feue citoyenne Biheron , rue des Postes , à
l'Estrapade , la seconde porte cochere à gauche , en entrant
par la place de l'Estrapade .
( 105 )
NOUVELLES ÉTRANGERES.
ALLEMAGNE.
De Hambourg , le 22 novembre 1796 .
ON apprend de Constantinople que le capitanpacha
, revenu heureusement de l'Archipel avec son
escadre , a fait , le 12 du mois de septembre , son
entrée publique et solemnelle dans le port ; il est
entré au bruit de l'artillerie , avec tous les pavillons
déployés , et conduisant en triomphe deux corsaires
maltois qu'il avait pris dans l'Archipel. Le concours
du peuple à cette entrée fut immense , et le pacha
reçut des applaudissemens universels .
Dans l'équipage des vaisseaux maltois se trouvaient
deux chevaliers de cet ordre . Touché de leur sort ,
M. Bouliqui , chargé d'affaires de l'Espagne , est intervenu
ausssi -tôt pour les faire mettre en liberté.
Le 18 , les troupes turques ont fait , par ordre du
grand - seigneur , dans la grande place dite le Champdes-
Morts , les évolutions militaires , selon la nouvelle
méthode , à la maniere européenne . Les soldats ont
fait l'exercice du fusil et de l'artillerie en présence
du sultan , des ministres et d'un peuple immense .
Quoiqu'ils aient étudié l'exercice européen , cependant
ils ne sont point agiles dans ces évolutions , et
l'on croit que les troupes ottomanes ne pourront que
difficilement abandonner leur ancien systême..
est
C'est le 5 du mois dernier, à 9 heures du soir ,
que le général Aubert-Dubayet , ambassadeur de la
République Française près la Porte ottomane ,
arrivé incognito à Constantinople . L'entrée et le passage
de cet ambassadeur sur le territoire ottoman ,
'ont été marqués par des honneurs ipfinis et extraor-
2
( 106 )
dinaires de la part des gouvernemens , vaivodes et
autres chefs des villes. Hakki - Pacha s'est sur - tout
distingué . Le général Dubayet lui avait fait notifier
son arrivée par deux tartares. Aussitôt une garde
nombreuse fut rangée en deux haies sur le passage
de l'ambassadeur , depuis les portes de la ville jusqu'au
palais destiné à le recevoir. Hakki- Pacha lui
preparait dans son sérail une réception magnifique ,
digne du représentant d'une nation puissante et victorieuse
. Toute la grandeur et l'éclat de la pompe
orientale , joints aux procédés de l'hospitalité et de
la fraternité , ont été déployés pendant le séjour du
général Aubert- Dubayet à Philippopoli ; et le spectacle
d'une superbe fête militaire a été le complément
des honneurs inouis rendus par Hakki-Pacha à
l'ambassadeur de la République Française.
Dans les entretiens particuliers , ce visir a témoigné,
et au représentant de la nation française , et au général
Aubert- Dubayet , la confiance la plus grande et
les sentimens de la plus haute considération . La conversation
a souvent roulé sur l'ordre et la discipline
à établir parmi les troupes qui agissent contre les brigands.
Les plans adoptés par Hakki - Pacha se sont
tronvés conformes à ceux proposés par le général
Aubert Dubayet.
Seid - Ullah - Effendi Nichandgi , le même qui fut
envoyé , en qualité de ministre plénipotentiaire , au
congrès de Szistow , vient d'être exilé à Brousse .
--
Seïd - Ali , algérien , qui a été capitan - bey , au
vice- amiral , est envoyé en exil à Sinope.
Le roi de Suede ayant atteint , le 1er . de ce mois ,
sa 18 ° . année , a pris le même jour les rênes du gouvernement
.
La veille , un héraut- d'armes , accompagné du
maître des cérémonies Hausvolf , proclama , avec les
cérémonies usitées , « que le roi ferait , à la salle des
a états , la déclaration de sa majorité et prendrait
les rênes du gouvernement des mains du duc-
», régent , son tuteur. En conséquence , toute la
cour , les grands officiers de l'état , les membres des
différens colleges , l'ambassadeur de Russie et les
( 107 )
autres ministres étrangers furent invités à assister à
cette cérémonie ; elle a eu lieu aujourd'hui . La procession
s'étant solemnellement rendue à la salle des
Etats , le roi , assis sur le trône , a déclaré sa majorité
dans un discours adressé au duc- régent ; et ensuite
sa majesté a informé tous ceux qui étaient présens ,
que , parvenu à l'âge prescrit par le testament du
feu roi son pere , il allait prendre lui-même le timon
de l'Etat . Alors le duc-régent s'est levé , et a remis
au jeune monarque , son neveu , un rapport par écrit
de son administration , dont la lecture a été faite
par le secrétaire d'état Rosenblad . Sa majesté , à
la suite de cette lecture , a fait lire par le même
ministre l'acte de quittance , qu'elle a remis signé au
duc , son oncle : après quoi elle a donné l'assurance ,
fixée par les lois du royaume , et a prêté le serment ,
la main sur la bible : le sénéchal de la Suede , comte,
Wachtmeister , en a reçu l'acte . Enfin , le duc de
Sudermanic , actuellement déchargé de la régence ,
a adressé un discours d'adieu au roi ; et la solemnité
s'est terminée par le service divin célébré dans
la cathédrale de Stockholm , à laquelle le roi s'est
rendu en pompe avec toute sa suite , composée des
personnes de la cour, des grands officiers de l'Etat , des
sénateurs, et enfin des ducs de Sudermanie et d'Ostrogothie
, ses oncles , tous en habits de gala ou de cérémonie.
Sa majesté avait la couronne de prince-royal ;
celle de la royauté était portée par le sénéchal comte
Wachtmeister ; les clefs , par le baron d'Essen ; la
pomme, par le baron G. A. de Reuterholm ; le sceptre,
par le grand - chancelier baron de Sparre . L'évêque
Flodin a prononcé dans l'église des actions de graces
solemnelles au Tout-Puissant; et il y a eu une décharge
d'artillerie . Ensuite il y a eu cour ; le roi a dîné en
public avec sa famille ; le soir , il y a eu spectacle
graiis , et il a été exécuté un opéra nouveau .
Le lendemain , le roi reçut le serment de la garnison
de Stockholm . Le 3 , il donna audience aux députés
de la bourgeoisie et du magistrat de cette
ville , pour les remercier de leur empressement à
concourir à un établissement en faveur des invalides ,
IN
( 108 )
La bourgeoisie a donné 60,000 liv . tournois ; et le.
magistrat , 9,000 , tirées de la caisse de la ville . Ces
sommes sont celles que l'on se proposait d'employer
à des illuminations , ou à d'autres fêtes , et que le roi
avait desiré de voir appliquer au soulagement des
malheureux .
Le baron de Ruterholm , qui jouissait de la principale
confiance du régent , a reçu l'ordre de donner.
la démission de ses emplois. Il avait demandé que
pour récompense de ses services , ses appointemens
qui montaient à 3,000 rixdalers lui fussent conservés ,
Le roi lui a refusé cette grace , en lui observant que
l'Etat était si obéré , qu'il se contenterait pour luimême
des deux tiers de la pension qu'il sollicitait..
Ce jeune prince paraît déterminé à rétablir , à force
d'ordre et d'économie , les finances épuisées du
royaume. Il éloigne de lui les jeunes gens qui pourraient
l'entraîner à des dissipations coûteuses. Déja
il a fait supprimer l'opéra et les autres objets de luxe
et d'amusement. Au reste , toutes ses opérations
portent un caractere de sagesse et de réflexion qui
donne de son regne les plus flatteuses espérances .
Les membres du conseil de justice ont été étonnés
de l'attention , et du recueillement avec lesquels il a
entendu la discussion des affaires qui lui ont été
présentées , et de la justesse de ses jugemens .
On a été long-tems incertain sur ce qui s'était passe
entre Catherine II et le roi de Suede . Les rapports ne
sont pas uniformes sur quelques circonstances ; mais
tous s'accordent à dire que ni le traité d'alliance , ni le
contrat de mariage proposés par l'impératrice n'ont
été signés . Les uns veulent que le roi se soit excusé
sur sa minorité , et ajoutent qu'il a été convenu que
dans deux mois , à compter du jour où elle cessera ,
le roi de Suede enverra à Pétersbourg par un courier
extraordinaire , la ratification de ces deux actes , et
que si l'alliance n'est pas tout- à- fait conforme à ses
principes , il desire vivement que le mariage s'accomplisse
, parce que la jeune grande duchesse a fait sur
son coeur une profonde impression . D'après d'autres
renseignemens, il aurait fait naître lui-même les obsta(
109 )
cles qui doivent rompre , ou du moins différer ce
mariage . Il a déclaré , dit- on , à l'impératrice qu'il
ne pouvait accepter la main de sa petite- fille , si elle
n'abandonnait pas la religion dans laquelle elle a été
élevée , pour embrasser celle qui est professée en
Suede ; et que les lois de ce royaume ne lui permettaient
pas de se désister de cette condition . Catherine
se récria vivement contre cette prétention , y répondit
avec orgueil et aigreur ; mais elle ne put ébranler la
résolution du roi , qui , immédiatement après cette
explication , quitta Pétersbourg , laissant dans le coeur
de l'impératrice beaucoup de dépit et de mécontentement.
On assure qu'elle a manifesté sans retard ces
sentimens elle devait envoyer une ambassade brillante
à Stockholm ; elle est déterminée maintenant
à Y faire repasser le baron de Budberg , qui s'y est
précédemment rendu fort désagréable par le ton de
morgue et d'impertinence , qu'il avait cru devoir
prendre , pour remplir les intentions de sa souveraine
, ou qui n'est que l'expression naturelle de son
caractere personnel .
Quoi qu'il en soit , on peut présumer que le jeune
roi n'aurait pas la même patience qu'a montrée le régent
; si ce que nous avons déja annoncé , et ce dont
les observateurs se croient plus certains que jamais ,
l'ancien systême politique de la Suede et son systême
particulier , et qu'il n'attend que d'être délivré
des embarras sans nombre dans lesquels la présente
administration l'a placé , pour manifester ses principes
et ses sentimens . On remarque à l'appui de ces
conjectures , que dans le choix qu'il a fait de ses
ministres on ne trouve aucun des hommes , que la
Russie compte parmi ses créature La résolution surtout
, qu'il a prise de continuer M. de Staël dans les
fonctions de son ambassadeur en France , donne
aux partisans d'une alliance avec cette république ,
les plus justes espérances .
La fortune de Catherine II sur les frontieres de la
Perse ne s'est pas soutenue . Le général Zubow a été
complettement battu . Dans une seule action , les
Persans lui ont tué dix mille hommes . C'est par des
( 110 )
lettres de Pologne que nous avons appris cette nouvolle
, qui paraît certaine .
De Francfort - sur- le - Mein , le 19 Novembre.
Un de nos papiers vient de rendre publique la
piece suivante :
Sa majesté le roi de Prusse et la République Française
ayant jugé convenable de modifier , d'une maniere
conforme aux circonstances actuelles , les stipulations concernant
la neutralité du nord de l'Allemagne , convenue
par le traité de Bâle , du 5 avril 1795 , et par la convention
du 17 mai ejusdem , elles ont nommé pour se concerter
à ce sujet , savoir sa majesté prussienne , le sieur Chré
tien -Henri comte de Hatigwitz , son ministre d'Etat de guerre
et du cabinet ; et la République Française , le sieur Antoine-
Bernard Caillard , son ministre plénipotentiaire à Berlin
lesquels après avoir échangé leurs pleins pouvoirs respec .
tifs , sont convenus des articles suivans ;
?
99 Art. Ier. La République s'abstiendra de pousser les opérations
de la guerre ou de faire entrer ses troupes , soit par
terre , soit par mer , dans les pays et états compris dans
la ligne de démarcation suivante :
Cette ligne commencera depuis la partie du duché de
Holstein , situé sur la mer du Nord , s'étendant le long des
bords de cette mer du côté de l'Allemagne , et comprenant
lembouchure de l'Elbe , du Weser et de l'Ems , ainsi que
les isles situées dans ses passages jusqu'à Borcuim . De - là ,
elle suivra les frontieres de la Hollande jusqu'à Anhalt ,
passant Hecrenberg , et en comprenant les possessions prussiennes
, près de Sevenaer jusqu'à Baer sur l'Issel ; elle ira
ensuite le long de cette riviere jusqu'à son confluent avec
Je Rhin de- là , elle remontera ce dernier fleuve jusqu'à
Wesel et plus loin , jusqu'à l'endroit où la Roer s'y jette ;
elle longera ensuite la rive gauche de la Roer jusqu'à sa
source : de- là , laissant la ville de Medenbach à sa gauche ,
elle prendra sa direction avec la Fulde , et remontera enfin
cette riviere jusqu'à sa source .
» II . La République Française regardera comme pays et
états neutres , tous ceux qui sont situés derriere cette ligne ,
à condition qu'ils observeront , de leur côté , une étroite neutralité
, dont le premier point sera de ne plus jamais fournir,
pour la continuation de la guerre , aucunes contributions
( 111 )
pécuniaires , quelle qu'en soit la dénomination ; de rappeller
riment , s'ils ne l'ont déja fait , leur coutingent ,
et cela daus le acai de trois mois , à compter de la signature
du présent traité , et de ne contracter aucun nouvel
engagement qui puisse autoriser à fournir des troupes aux
puissances en guerre avec la France. Ceux qui ne rempliront
pas ces conditions , seront exclus du bénéfice de la
neutralité .
,, III . Quant à la partie du comté de la Marck qui , se
trouvant sur la rive gauche du Rhin , n'est pas comprise
dans la ligne gauche , elle n'en jouira pas moins d'une entiere
neutralité mais sa majesté prussienne consent à ce
que les troupes des puissances belligérantes puissent la traverser
, bien entendu qu'elles ne pourront y établir le théâtre
de la guerre , ni y prendre des dispositions retranchées .
IV. Sa majesté prussienne nommera des commissaires
qui , dans le cas du passage effectif des troupes françaises
par ladite partie du comté de la Marck , veilleront au maintien
du bon ordre , et auxquels les généraux et agens français
s'adresserent. La République promet et s'engage de faire
payer , au plutard dans trois mois , en especes sonnantes ,
tout ce qui y sera fourni et consommé pour le compte
l'armée française de procurer tous les dédommage mens
justes et raisonnables , et de faire observer une discipline
sévere .
de
V. Les principautés de sa majesté prussienne en Franconie
, ainsi que le comté de Sayn - Altenkirchen sur le
Westerwald , y compris le petit district de Bendorff audessous
de Coblentz , étant dans la possession de S. M.
le roi de Prusse , ils sont censés compris dans les stipulations
exprimées ci- dessus en faveur du comté de la Marck,
situé sur la rive gauche de la Roer. 1
VI. Sa majesté le roi de Prusse se charge de la garantie
qu'aucunes troupes des états compris dans la neutralité du
nord de l'Allemagne , ne sortent de la ligne indiquée à
F'art. Ier. , pour combattre les armées françaises , ni pour
exercer aucunes hostilités contre les Provinces Unies ;
pour cet effet , elle rassemblera un corps d'observation suffisant
, et se concertera à cet égard avec les princes et chefs
dont les pays sont renfermés dans la ligne de démarcation ,
afin qu'ils se joignent à elle pour concourir à ce but. L'unique
destination de ce rassemblement est de garantir le
nord de l'Allemagne corte tout ce qui porterait atteinte à
sa sûreté.
( 112 )
3 VII . La présente convention sera ratifiée par les parties
contractantes , et les ratifications en seront échangées dans
le terme d'un mois ou plutôt , à compter de la signature ;
en foi de quoi ladite convention a été signée et scellée par
les plénipotentiaires susnommés . " ,
Fait à Berlin , le 5 août 1796 ( vieux style ) ; et le 18 thermidor
, l'an IV . de la République Française .
Signés , CHRÉTIEN , comte de Haugwitz .
ANTOINE -BERNARD CAILLARD .
ITALIE. De Gênes , le 25 novembre.
On a reçu de Rome , par des lettres datées des premiers
jours de ce mois , les détails suivans :
On continue ici les armemens . Les ordres pour un eurôlement
forcé sont exécutés ; cependant il n'y a ui chefs , ni officiers
, ni chevaux , ni magasins , etc. Cet armement excite
aussi le mécontentement ; les honnêtes artisans sont fâchés
d'être confondus avec la plus vile canaille . Le grand moyen
d'exécution , c'est de menacer de la galere .
Le prince Colonne , qui avait promis un régiment , n'a
donné jusqu'à présent qu'une compagnie. Le banquier Turlonia
, de 80 chevaux qu'il avait promis , n'en a encore fourni
qu'un seul . Le trésorier , qui a la caisse générale pour l'armement
, ne décide jamais rien .
Le citoyen Cacault , agent de la République Française ,
a fait part , par un billet , au secrétaire d'etat de la paix
entre Naples et la France .
Les troupes arrivées de Rome dans la Romagne , et particulierement
à Imola , ont arrêté quelques personnes soupçonnées
de jacobinisme. Les gouverneurs ont ordre de
surveiller les gens de cette classe . Rome commence à craindre
la réunion de la Romagne à la ligue cispadane , et fait tous
ses efforts pour qu'elle s'y refuse de son propre mouvement ;
et cela d'autant plus que les résolutions prises par les villes
de Bologne et de Ferare , annoncent la ferme volonté de
ne plus reconnaître le pape .
Le succès de la mission du cardinal Mattei n'est
point encore connu . On présume que les nouvelles
victoires de Buonaparte , dont nous venons d'avoir
connaissance , applaniront beaucoup de difficultés ,
et dissiperont quelques - uns des scrupules du saintpere.
Au reste , il doit connaître le sort qui l'attend ,
s'il persiste dans sa résistance ; il lu est clairement
annoncé
( 113 )
annoncé dans la lettre suivante du général français au
cardinal Mattei :
Lettre du général Buonaparte au lord Mattei , archevêque de Ferrare
, traduite de l'italien ) . Du 30 vendémiaire " an V.
La cour de Rome a refusé d'accepter les conditions de paix
que lui a offertes le Directoire ; elle a rompu l'armistice
même ; elle arme ; elle veut la guerre , elle l'aura .
Mais avant de voir de sang-froid la ruine et la mort des
insensés, qui voudraient opposer des obstacles aux phalanges
républicaines , je dois à ma nation , à l'humanité , à moimême
de tenter un dernier effort pour ramener le pape à des
conditions plus modérées , et conformes à ses vrais intérêts ,
à son caractere et à sa raison . Vous connaissez , M. le cardinal
, les forces et le courage de l'armée que je commande .
Pour détruire la puissance temporelle du pape , je n'ai besoin
que de la volonté de le faire . Allez à Rome , voyez le saintpere
, éclairez - le sur son véritable intérêt ; délivrez - le des
intrigans qui l'assiegent , qui veulent sa perte et celle de la
ville de Rome. Le gouvernement français me permet encore
d'écouter des propositions de paix. Tout peut s'arranger. La
guerre , si cruelle pour les peuples , a des résultats terribles
pour les vaincus . Sauvez le pape des plus grands malheurs .
Vous savez combien je desire de terminer par la paix une
lutte qui serait pour moi sans gloire comme sans danger.
Je vous souhaite , M. le cardinal , dans votre mission ,
le succès que la pureté de vos intentions mérite .
Signé , BUONAPARTE .
RÉPUBLIQUE BATAVE,
DE LA HAYE , le 29 novembre.
Dans la séance du 21 , les représentans Vitringa , Vreede ,
Schimelpenninck ; dans celle du 22 , de vos van Steenwyk ,
de Mist , van Leueuw , Verooysen , Faret ; dans celle d'hier ,
de Rhoer , Floh, Ochuysen , Blok, Grommelin , Stoffenberg ,
Auffmorth , Gulje , Lansweerde , Bosch , de Leeuw , Ten
Berge , de Sitter , Albers , Colmschate et Quesnel , ont successivement
, et en sons très - divers , parlé sur cette intéressante
matiere . Les uns admettaient purement et simplement
la mise en délibération ; d'autres , ne l'admettaient que précédée
d'une déclaration solemnelle de quelques principes ,
spécialement de celui de l'unité ; d'autres , l'ont tout- à- fait
rejettée , sur-tout à raison des principes fédéralistes , qu'ils
Tome XXVI. H
( 114 )
prétendaient y découvrir. Ceux- ci ont assez ouvertement professé
un fédéralisme, au moins mitigė : ceux - là l'ont foudroyé
comme le plus épouvantable de tous les monstres , vamenant
infailliblement à la suite l'ancienne aristocratie , le stathoudérat,
etc . Mais c'est sur- tout l'amalgame ou le non amalgame
de la dette vationale et la répartition future des charges de
l'état qui ont sensiblement partagé les opinions . Un grand
nombre a pensé qu'il fallait nommer uue commission spéciale
pour peser , approfondir et ensuite rapporter cet important
objet. Plusieurs ont vu du danger à présenter à la nation
deux projets de constitution en concurrence l'un avec l'autre .
D'autres , faisant des voeux pour l'unité absolue , croyaient
qu'il serait imprudent de la brusquer , qu'il fallait l'acheminer
progressivement . On a voulu fermer la discussion de plus en
plus divergente ; mais il a été décidé qu'elle serait continuée
jusqu'à lundi 28 , et que le lendemain mardi enfin , on prononcera
sur la discussion détaillée ou le rejet .
Aujourd'hui , la grande question , si le projet de constitution
serait admis en délibératian ou rejetté , a été décidée
en faveur de l'adoption , et ce , à une majorité de 96 contre
52 voix . Elle eût été plus considérable , si l'on avait voulu
admettre une adoption conditionnelle ou restreinte . Beaucoup
de représentans qui avaient voté pour l'affirmative , sauf telle
ou telle clause , dont nous avons parlé , donnerent un avis
opposé , quand le président van Hamelsveud leur eut observé
qu'il fallait une déclaration pure et simple , et qu'il serait
impossible de recueillir autrement un résultat certain et de
prononcer avec confiance.
REPUBLIQUE FRANÇAISE.
ཚེ་ ན
GORPS LÉGISLATI F.
Séances des deux Conseils , du 5 au 15 frimaire,
Blutel expose que l'exécuteur-testamentaire qui ,
après l'an et jour de sa gestion , demeure saisi de
sommes ou de meubles appartenant à la succession
qu'il a gérée , devient dès-lors dépositaire de ces
mêmes objets , qu'il peut s'en servir ni en dis
poser , et doit être prêt à les remettre en même nat
( 115 )
tyre en toute requisition ; et qu'il est instant de dissiper
les doutes qui pourraient s'élever sur ce point
important de la législation . En conséquence , il propose
un projet de résolution portant que l'art . XI
de la loi du 15 germinal dernier , qui déclare que tout
dépôt sera rendu en nature , est applicable aux exéouteurs-
testamentaires qui , après l'an et jour de leur
gestion , sont restés saisis de sommes ou de meubles
appartenant à la succession qu'ils ont gérée . Adopté .
Crassous fait adopter quelques articles sur les transactions.
Ils portent en substance que les obligations
, à partir du 1er juillet 1791 , seront réduites
d'après une échelle de proportion , en laissant cependant
la faculté au créancier de ne pas recevoir
son remboursement , pourvu qu'il accorde un délai
de six ans à son débiteur.
Le Directoire envoie , le 7 , un message sur la situation
politique et commerciale des colonies .
Villers en demande le renvoi à une commission .
L'on observe qu'il en existe une , et qui est sur le
point de faire son rapport ; mais l'on jette des doutes
sur la légalité de sa nomination . Après quelques débats
, le conseil procede au scrutin pour la formation
d'une nouvelle commission . Ses membres sont Bergoing
, Villers , Marec , Garan-Coulon , Lecointe , Riou
ét Echasseriaux .
Le conseil des Anciens a employé les séances des
6 et 7 à la discussion snr la loi du 3 brumaire .
Giraud ( de l'Ain ) a parlé en faveur de la résolution.
Si elle est , a- t-il dit , inconstitutionnelle , son
rejet le serait encore plus , parce qu'on rendrait
la vie à la loi du 3 brumaire qui rétablit le régime
de Robespierre , et avilit le gouvernement.
Lacuée s'est prononcé contre la résolution . Il la
éroit inutile , parce qu'il ne doute pas que le conseil
des Cinq-cents ne se détermine au rapport de la loi
du 3 brumaire . A l'égard du Directoire , il épurera
sans doute ses agens . S'il mollit , il se déclarera l'ennemi
de la constitution ; si au contraire il montre de
la vigueur , les amis de l'ordre et des lois se feront
H. 2
( 116 )
un plaisir et un devoir de l'éclairer , de le soutenir
et de le défendre .
Réal donne , le 8 , au conseil des Cinq - cents , la
troisieme lecture de son projet sur les modifications
à apporter au code hypothécaire et sur le crédit cédulaire.
La discussion s'ouvrira incessamment .
Un autre membre lit , pour la premiere fois , un
très long projet de résolution sur le paiement des
fermages de l'an III . et de l'an IVe . Ajournement.
Un secrétaire annonce que le conseil des Anciens
a sanctionné la résolution portant une augmentation.
sur le prix des spectacles , en faveur des indigens .
Le conseil s'est ensuite formé en comité général . Il
s'agissait d'une dénonciation portée par le défenseur
officieux de Tort de la Sonde , acquitté par le
tribunal criminel du département de la Dyle , contre
le Directoire et le ministre de la justice . Le conseil
a passé à l'ordre du jour.
:
Crassous soumet , le 9 , à la discussion , la suite.
de son projet sur les transactions entre particuliers .
Il s'agissait de celles antérieures au 1er juillet 1791 .
Cambacérès Le point où s'est porté la discussion
sur les transactions a dû laisser à l'Assemblée des
idées assez lumineuses , pour qu'elle puisse enfin
s'entendre et prononcer. Je sais qu'il est difficile que
vous portiez à cet égard de bien bonnes lois , des
lois qui puissent convenir à tous ; mais portez - en du
moins de promptes et qui satisfassent à l'empressement
des citoyens.
Vous avez arrêté que vous n'admettiez point le
systême des réductions . Vous avez arrêté que vous
admettiez celui des attermoiemens ; ch bien il ne
s'agit que de faire en sorte de n'écraser , avec ce systême
, ni le créancier , ni le débiteur.
Ou le débiteur a des fonds pour payer , ou il a
du numéraire ou il n'a ni l'un ni l'autre. Dans ce
dernier cas , votre loi devient inutile ; mais pour le
premier et le second cas , il me semble qu'un an
d'attermoiement , et un tiers ou au moins un quart à
payer sur- le- champ , sont les bâses sur lesquelles
pourraient porter votre résolution.
On demande que la discussion soit fermée .
( 117 )
Chassey et Lecointre observent que la matière est
trop importante pour qu'on puisse prononcer dans
un moment où la discussion a fatigué les têtas , et
qu'il ne se trouve plus que très - peu de membres
dans la salle .
"
En conséquence , le conseil remet la discussion
et la décision de la question à demain une heure ,
et sans remise./
Pastoret fait un rapport tendant à accorder dès- àprésent
les droits de citoyen français aux descendans
des religionnaires ex- patries , par une suite de la
révocation de l'édit de Nantes. Le tableau rapide
et précis de ses suites funestes a été applaudi. La
question est ajournée .
Le Directoire fait connaître , le 10 , au conseil par
un message qu'il a reçu du général en chef de l'armée
d'Italie , les dépêches confirmatives des brillans succès
obtenus par elle , et annoncés par le commandant de
la place de Milan .
L'ennemi avait appellé du fond de l'Autriche tout
ce qu'il y avait de troupes disponibles , et elles
s'étaient rendues en poste dans les gorges du Tirol .
C'était une nouvelle armée que les Français avaient
à vaincre , et il ne fallait pas moins que le génie
du jeune guerrier qui les commande , des généraux
et des soldats qui marchent sous ses ordres , pour faire
triompher la République.
Le résultat des combats sanglans livrés à l'ennemi
pendant huit jours consécutifs , a été pour lui la
perte de plus de 12 mille hommes , tant tués que
blessés et pris ; de quatre drapeaux et 18 pieces de
canon.
Le Directoire ajoute que la position actuelle des
armées promet de nouveaux succès , et que la prise
de Mantoue décidera bientôt du sort de 1 Italie.
Jean-de- Brye : Croyez- en le génie de la liberté : la
République est impérissable . Honneur aux braves
guerriers qui l'ont raffermie sur sa bâse , et qui ont
accéléré pour nous le moment fortuné et tant desiré
de la paix ! Il est dans le message et dans les lettres
particulieres destraits que nous ne devons pas laisser
1
H 3
·( 118 )
échapper à la reconnaissance nationale. Toute la
France doit savoir que les généraux Buonaparte et
Augereau , voyant dans la chaleur du combat , les
troupes françaises balancer un moment , ont été en
avant de l'armée , planter chacun un drapeau au
milieu des bataillons ennemis , et ont décidé la victoire
par cet acte d'une intrépidité rare .
Je demande que vous ne vous lassiez pas d'honorer
la valeur , et que la brave armée d'Italie soit déclarée
de nouveau avoir bien mérité de la patrie ; que le
tableau des campagnes des Français soit exposé à tous
les regards dans cette enceinte ; et que , par un acte
solemnel et honorable tout-à - la- fois , le Corps légis
latif décerne , au nom de la nation et à titre de récom
pense nationale , aux généraux Buonaparte et Augereau
, les drapeaux qu'ils ont si glorieusement arborés
dans les plaines d'Italie , et qui ont fait triompher
T'armée française , électrisée par l'exemple de ses
chefs.
Ces trois propositions sont adoptées d'une voix
unanime.
Il est ensuite résolu , 1º . que les tribunaux ne connaîtront
point des questions relatives aux attermoiemens
; 2 ° . qu'un tiers des obligations exigibles avant
le 1er juillet 1791 sera payé sur- le - champ , et les
deux autres dans deux ans ; 3° . que le créancier
pourra user de la faculté de la saisie , un mois après
la publication de la loi , si le débiteur ne paie pas
le premier tiers .
"
On continue , le 8 , au conseil des Anciens , la discussion
sur la loi du 3 brumaire . Larmagnac vote pour
le rejet de la résolution qu'il soutient être inconsti
tutionnelle.
Durand -Maillane croit que , pour se rapprocher
davantage de la constitution , il faut adopter la résolution
, qui est toujours moins injuste et moins
inconstitutionnelle que la loi du 3 brumaire.
Dalphonse fait une critique sévere de cette loi ,
qu'il ne regarde point comme obligatoire pour le
peuple dont elle contrarie la volonté. Selon lui on ne
( 119 )
- ༔
peut approuver une résolution qui donne au réglement
du 3 brumaire un caractere de loi .
Vernier et Lebrun font approuver , le 9 , deux résolutions
interprétatives de la loi du 6 fructidor sur
les patentes .
L'ordre du jour appelle toujours la discussion
sur la loi du 3 brumaire . Deux orateurs sont entendus .
Ballieu parle en faveur de la résolution . Elle concilie
, dit- il , les mesures que la justice et la constitution
prescrivent ; mesures justes et indispensables.
Elle fait l'éloge du Corps législatif qui doit vouloir
qu'une caste ne soit pas plus privilégiée qu'une
autre.
Armand ( de la Meuse ) reproduit les argumens déja
faits contre la loi du 3 brumaire. Il pense que ce
serait ratifier deux inconstitutionnalités que d'approuver
la résolution .
La discussion s'ouvre , le 10 , sur la résolution qui
impose les tabacs étrangers à soixantes liv . le quintal
de droits d'entrées. Le conseil déclare qu'il ne peut
l'approuver.
Humbert a la parole sur l'ordre du jour , la loi
du 3 brumaire. Il se prononce en sa faveur . Portalis
développe fort au long une opinion contraire . Nous
en donnerons un apperçu .
Cambacérès , organe de la commission de la classification
des lois , obtient la parole dans la séance du
du conseil des Cinq-cents.
Il y a déja long tems , dit-il , que vous avez manifesté
le desir que la commission de la classification
des lois vous présentât le travail dont vous l'aviez
chargée par la réformation du code civil. Cette commission
ayant senti combien il était important que
vos vues à cet égard fussent remplies avant la fin de
la session de la législature actuelle , a cru devoir vous
proposer de procéder , par ordre , à l'examen et à la
discussion de son travail qui , comme vous le présumez
bien , est très - étendu . En conséquence , je
vous propose d'arrêter qu'à compter du 15 du mois
prochain , le conseil discutera , par ordre de matieres ,
les tridi , sextidi et nonidi de chaque décade , les
*
H 4
( 120 )
1
différentes lois appartenantes au code civil , à commencer
par l'état des personnes , les donations , les
successions, le mariage , le divorce, les testamens , etc ;
et que les projets sur chacun de ces objets seront
sujets aux trois lectures constitutionnelles . Adopté.
Philippe Delville : Sans moeurs , point de vertus ;
et sans vertus , point de république . Or , là où le
mariage est devenu un objet de dérision et où le
libertinage est consacré par la loi du divorce , peut- il
y avoir respect et pratique des vertus ? Vous aviez
tellement senti cette vérité , et Cambacérès l'a si
bien sentie lui-même , qu'il avait promis , il y a peu
de tems , que la question du divorce serait le premier
objet soumis à votre discussion . Il ne la range aujour-
'd'hui qu'au quatrieme des titres qui doivent vous
être soumis. Je demande qu'elle soit examinée la premiere.
Ordre du jour.
Siméon reproduit son projet de résolution sur la
question intentionnelle , dont nous avons fait connaître
les dispositions principales , lors de la premiere
lecture qui en fut faite . Il est mis aux voix , article
par article , et adopté.
On continue la discussion du projet de Crassous .
Celle sur les obligations stipulées en papier-monnaie
reprend le 12. La commission propose l'échelle
de proportion dressée à la trésorerie , concurremment
avec le cours de Basle . Après quelques débats , Cambacérès
propose que la dégradation soit combinée
sur cette échelle ; mais qu'il soit accordé au créancier
une prime d'élévation , car il le croit beaucoup plus
à plaindre que le débiteur. Cette proposition est
adoptée.
1 Chez les Anciens , la discussion sur la loi du 3 brumaire
a toujours lieu .
Portalis acheve , le 11 , son opinion . La résolution ,
selon lui , consacre les plus détestables principes et
les effets les plus funestes doivent en résulter. Elle
tend à attribuer au Corps législatif , 1º . le droit de
déroger à la constitution ; 2 °. le pouvoir de modifier ,
d'altérer , de suspendre les droits politiques des citoyens
; 30 , le droit de promulguer des réglemens en
( 121 )
matiere d'élections . Or , de telles usurpations sont
subversives du régime représentatif , et par conséquent
de la constitution .
Muraire combat Portalis , et en convenant avec lui
des principes , il en tire des conséquences opposées .
Ce dernier orateur , Roger Ducos et Regnier ont occupé
le reste de la séance du 11 et celle du 12 .
Goupil et Rabaut ont encore parlé le 13 en sa faveur.
Le 14 , la discussion a été fermée ; et l'épreuve étant
douteuse , l'on a procédé à l'appel nominal . 106 voix
ont été pour l'approbation de la résolution ; et 68 ,
contre .
Le président du conseil des Cinq - cents appelle ,
le 13 , à la tribune les orateurs inscrits , pour parler
sur les projets de Daunou .
Noailles Je m'étonne que les partisans du régime
prohibitif, après une défaite aussi honteuse que celle
qu'ils ont éprouvée nagueres , aient eu le courage de
reparaître sur la scene. L'homme social serait - il donc
destiné à être éternellement le jouet des passions et
des caprices de ses semblables ? Il faut rappeller des
principes trop méconnus par ceux qui vous proposent
de rétablir , dans toute leur laideur et leur difformité,
les anciennes gazettes privilégiées , le despotisme inquisitorial
des Sartine , des Lenoir . Vous avez juré de
proscrire tout principe contraire à la liberté de la
presse ; violerez-vous ce serment solemnel et sacré ?A
Il doit vous être démontré que ce sont les romanciers
immoraux et les poëtes calomniateurs de la gloire
des Racines et des Corneilles , qui , les premiers , se
sont affranchis du joug syndical , et qui , après avoir
brisé son idole , veulent aujourd'hui en ramasser les
débris pour la réformer et la remettre en honneur.
Quels peuvent donc être leurs motifs secrets? Veulent
ils , en comprimant l'essor de la pensée , nous ramener
les jours affreux du régime décemviral ? Somines - nous
arrivés à l'an V de la République , sans trouver le
moyen infaillible de connaître les travaux du Corps
législatif? Non , sans doute : mais c'est sous ce prétexte
qu'on veut fermer la bouche aux écrivains courageux.
Noailles demande l'ordre du jour sur les deux der
( 122 )
niers projets de Daunou , et l'adoption de celui de
Pastoret contre la calomnie.
Un autre membre partage l'avis de la commission
sur la création d'un journal tachigraphique ; mais
il s'oppose à la clôture des tribunes aux journalistes.
La discussion sera continuée . Le conseil s'est
formé , le 14 , en comité général pour entendre ` la
lecture des pieces envoyées par le Directoire , concernant
les isles de France et de la Réunion . Cẹ
comité a continué le 15 .
Richard , organe de la commission chargée de présenter
les moyens capables de réprimer le brigandage
, a proposé , comme une mesure propre à produire
cet heureux effet , la mise en activité des militaires
vétérans . Plusieurs de ceux qui ont reçu des
blessures honorables sont en état , dit- il , de faire un
service actif. Dans l'état actuel des choses , ils coûtent
beaucoup à la République , et coûteraient moins si
on utilisait leur tems . Il fait adopter, en conséquence,
la résolution suivante , 1º . le Directoire exécutif est
autorisé à former 200 nouvelles compagnies de vété
rans ; 2. pour y être admis , il faut avoir été blessé
à l'armée ou réunir les conditions prescrites par la
loi du 16 mai 1792 ; 3 ° . Tout individu pourra occuper
le même grade qu'il remplissait à l'armée ; 4º. le
Directoire placera ses compagnies dans les lieux les
plus convenables.
Le conseil des Anciens a ouvert , le 15 , la discussion
sur les cinq résolutions relatives au nouveau systême
monétaire. La commission en ayant proposé le rejet ,
Vernier parle dans le même sens . Il pense qu'en voulant
supprimer des abus , l'on en introduirait de plus
grands encore . La discussion sera continuée demain ,
PARIS . Nonidi 19 Frimaire , l'an 5º . de la République ."
L'adoption faite par le conseil des Anciens de la résolution
relative à la loi du 3: brumaire a paru satisfaire tous
Jes partis . Chacun n'y a vu que ce que perdait l'autre ; et
dans cette mutuelle compensation , tous ont trouvé des mo(
123 )
tifs de se consoler des rigueurs de la loi . Puissent les pas
sions s'éteindre insensiblement par les mesures fermes et
sages du Corps législatif !
Il ne paraît pas que le projet de la commission relatif
aux journaux passe au conseil des Cinq - cents . Il trouve
beaucoup de contradicteurs dans l'opinion. On sent les
inconvéniens d'un journal privilégié , comme on est également
révolté de la licence de certains écrivains . Mais on
ne pense pas que le plus sûr moyen de corriger la mauvaise
influence de ceux - ci , soit de porter atteinte à la
liberté de la presse.
Des lettres d'Huningue et de Strasboutg annoncent que
l'ennemi fait les plus grands efforts pour s'emparer de la
tête du pont de la premiere place , et du fort de Kelh en
avant de la seconde . Mais elles apprennent en même - tems
que les troupes républicaines font la plus vigoureuse résistance
, et sont parvenues jusqu'à présent à rendre les efforts
de l'en nemi impuissans .
Les succès de Buonaparte en Italie tiennent du prodige ;
mais ils coûtent cher à la valeur française . On en jugera
par le contenu des dépêches suivantes .
ARMÉE D'ITALIE . Buonaparte , général en chefde l'armée d'Italie.
au Directoire exécutif. Au quartier-général de Véronne , le
29 brumaire , an V.
Je suis si harassé de fatigue , citoyens directeurs , qu'il ne
m'est pas possible de vous faire connaître tous les mouvemens
militaires qui ont précédé la bataille d'Arcole , qui vient de
décider du sort de l'Italie.
Informé que le feld - maréchal Alvinzi , commandant l'armée
de l'empereur , s'approchait de Véronne , afin d'opérer sa
jonction avec les divisions de son armée qui sont dans le
Firol , jé filai le long de l'Adigé avec les divisions d'Augereau
et de Massena ; je fis jetter , pendant la nuit du 24 au 25 ,
un pont de bateaux à Ronco , où nous passâmes cette riviere.
J'espérais arriver dans la matinée à Villa-Nova , et par- là
enlever les parcs d'artillerie de l'ennemi , ses bagages , et
attaquer l'armée ennemie par le flanc et ses derrieres . Le
quartier-général du général Alvinzi était à Caldero . Cependant
l'ennemi qui avait eu avis de quelques mouvemens
avait envoyé un régiment de Croates et quelques régimens
hongrois dans le village d'Arcole , extrêmement fort par sa
position au milieu des marais et des canaux.
( 124 )
-Ce village arrêta l'avant - garde de l'armée pendant toute
la journée ce fut en vain que tous les généraux , ' sentant
l'importance du tems , se précipiterent à la tête , pour obliger
nos colonnes à passer le petit pont d'Arcole ; trop de courage
nuisit , ils furent presque tous blessés les généraux
Verdier , Bon , Verde , Lasne furent mis hors de combat .
Augereau empoignant un drapeau , le porta jusqu'à l'extrémité
du pont , il resta là plusieurs minutes sans produire aucun
effet. Cependant il. fallait passer ce pont , ou faire un détour
de plusieurs lieues , qui nous aurait fait manquer toute notre
opération ; je m'y portai moi-même . Je demandai aux soldats
s'ils étaient encore les vainqueurs de Lodi ; ma présence produisit
sur les troupes un mouvement qui me décida encore à
tenter le passage . Le général Lasné , blessé déja de deux coups
de feu , retourna et reçut une troisieme blessure plus dangereuse.
Le général Vignolle fut également blessé . Il fallut
renoncer à forcer le village de front et attendre qu'une
colonne commandée par le général Guieux , que j'avais envoyé
par Albaredo , fût arrivée ; il n'arriva qu'à la nuit , il s'empara
du village , prit quatre pieces de canon et fit quelques centaines
de prisonniers. Pendant ce tems- là le general Massena atttaquait
une division que l'ennemi faisait filer de son quartiergénéral
sur notre gauche ; il la culbuta et la mit dans une
déronte complette.
On avait jugé à propos , pendant la nuit , d'évacuer le village
d'Arcole , et nous nous attendions , à la pointe du jour ,
être attaqués par toute l'armée ennemie , qui se trouvait avoir
eu le tems de faire filer ses bagages , ses parcs d'artillerie ,
et de se porter en arriere pour nous recevoir.
offre
A la petite pointe du jour , le combat s'engagea par-tout
avec la plus grande vivacité . Massena , qui était sur la gauche ,
ait en déroute l'ennemi , et le poursuivit jusqu'aux portes de
Caldero . Le général Robert , qui était sur la chaussée du
centre avec la 75. , culbutta l'ennemi à la bayonnette , et
couvrit le champ de bataille de cadavres. J'ordonnai à l'adjudant-
général Vial de longer l'Adige , avec une demi-brigade ,
pour tourner toute la gauche de l'ennemi ; mais le pays
des obstacles invincibles : c'est en vain que ce brave adjudantgénéral
se précipita dans l'eau jusqu'au cou ; il ne put pas
faire une diversion conséquente . Je fis , pendant la nuit du
26 au 27 , jetter des ponts sur les canaux et les marais : le
général Augereau y passa avec sa' division . A dix heures du
matin nous fumes en présence : le général Massena à la
gauche , le général Robert au centre , le général Angereau à
( 125 )
la droite. L'ennemi attaqua vigoureusement le centre , qu '
fit plier. Je retirai alors la 32. de la gauche , je la plaçai en
embuscade , dans des bois , et à l'instant où l'ennemi ,
poussant le centre , était sur le point de tourner notre droite ,
le génétal Gardanne , à la tête de la 32. , sortit de son
embuscade , prit l'ennemi en flanc , et en fit un carnage
horrible. La gauche de l'ennemi était appuyée à des marais ,
et par la supériorité du nombre en imposait à notre droite .
Jordonnai au citoyen Hercule , officier de mes guides , de
choisir 25 hommes de sa compagnie , de longer l'Adige une
demi-lieue , de , tourner tous les marais qui appuyaient la
gauche des ennemis , et de tomber ensuite au grand galop ,
sur le dos de l'ennemi , en faisant sonner plusieurs trompettes
. Cette manoeuvre réussit parfaitement ; l'infanterie ennemie
se trouva ébranlée ; le général Augereau sut profiter
du moment. Cependant elle résiste encore , quoiqu'en battant
en retraite , lorsqu'une petite colonse de 8 à 900 hommes,
avec quatre pieces de canon que j'avais fait filer
Lignano pour prendre une position en arriere de l'ennemi ,
et lui tomber sur le dos pendant le combat , acheva de le
mettre en déroute. Le général Massena qui s'était reporté au
centre , marcha droit au village d'Arcole , dont il s'empara
et poursuivit l'ennemi jusqu'auprès du village de Saint - Bonifacio
; mais la nuit nous empêcha d'aller plus avant.
2 par
Porto
>
Le fruit de la bataille d'Arcole est 4 à 5 mille prisonniers ,
quatre drapeaux , dix - huit pieces de canon . L'ennemi a
perdu au moins 4 mille morts et autant de blessés . Outre les
généraux que j'ai nommés , les généraux Robert et Gardanne
ont été blessés. L'adjudant-général Vaudelin a été tué . J'ai eu
deux de mes aides - de-camp tués , les citoyens Elliot et Muiron ,
officiers de la plus grande distinction ; jeunes encore , ils
promettaient d'arriver un jour , avec gloire , aux premiers
postes militaires. Notre perte , quoique peu considérable ,
a été très - sensible , en ce que c'est presque tous officiers de
distinction .
Cependant le général Vaubois a été attaqué et forcé à Rivoli
, position importante qui mettait à découvert le blocus de
Mantone. Nous partîmes , à la pointe du jour , d'Arcole .J'envoyai
la cavalerie sur Vicenze , à la poursuite des ennemis ,
et je me rendis à Véronne , où j'avais laissé le général Kilmaine
avec trois mille hommes.
Dans ce moment- ci , j'ai rallié la division de Vaubois , je l'ai
renforcée , et elle est à Castelnovo . Augereau est à Véronne ,
Massena sur Villanova.
( 126 )
1
Demain , j'attaque la division qui a battu Vaubois. Je la
poursuis jusques dans le Tirol ; et j'attendrai alors la reddition
de Mantoue , qui ne doit pas tarder quinze jours. L'artillerie
sést.comblée de gloire.
Les généraux et officiers de l'état - major ont montré une
activité et une bravoure sans exemple . Douze ou quinze ont
été tués ; c'était vraiment un combat à mort ; pas un d'eux
qui n'ait ses habits criblés de balles .
Je vous enverrai les drapeaux pris sur l'ennemi.
Signé , BUONAPARTE .
Une lettre du général Berthier contient les mêmes details ,
mais elle en donne de très -intéressans sur la valeur de Buonaparte
, qui a décidé de la bataille d'Arcole . Voici le paragraphe
relatif à ce général :
Le général en chef se porta avec tout son état- major a
la tête de la division d'Angereau ; il rappella à nos freres
d'armes qu'ils étaient les mêmes qui avaient forcé le pont
de Lody. Il crut s'appercevoir d'un mouvement d'enthousiasme
et voulut en profiter . Il se jette à bas de son
cheval , saisit un drapeau , s'élance à la tête des grenadiers
et court sur le pont en criant : Suivez votre général . La colonne
s'ébranle un instant , et l'on était à trente pas du pont , lorsque
le feu terrible de l'ennemi frappa la colonne , la fit reculer au
moment même où l'ennemi allait prendre la fuite . C'est dans
cet instant que les généraux Vignolle et Lasne sont blessés ,
et que l'aide-de-camp du général en chef, Muiron , fut tué.
Le général en chef et son état-major sont culbutés ; le général
en chef lui - même est renversé avec son cheval dans un
marais , d'où , sous le feu de l'ennemi , il est retiré avec
peine : il remonte à cheval , la colonne se rallie , et l'ennemi
n'ose sortir de ses retranchemens , etc.
Extrait d'une lettre du général en chefBuonaparte , commandant
l'armée d'Italie , au citoyen Garnót , membre du Directoire
exécutif. -Au quartier - général de Véronne , le bru
29
maire , an V.
1
Les destinées de l'Italie commencent à s'éclaircir ; encore
une victoire demain , qui ne me semble pas douteuse , et j'espere
, avant dix jours , vous écrire du quartier-général de
Mantoue . Jamais champ de bataille n'a été aussi disputé que
celui d'Areole ; je n'ai presque plus de généraux ; leur dévoues
( 127 )
ment et leur courage sont sans exemple. Le général de brigad
Lasne est venu au champ de bataille , n'étant pas encore
guei de la blessure qu'il a reçue à Governolo . Il fut blessé
deux fois pendant la premiere journée de la bataille ; il était ,
à trois heures après-midi , étendu sur son lit et souffrant
lorsqu'il apprend que je me porte moi - même à la tête de la
colonne , il se jette à bas de son lit , monte à cheval et revient
me trouver. Comme il ne pouvait pas être à pied il fut obligé
de rester à cheval ; il reçut , à la tête du d'Arcole , pont
coup qui l'étendit sans connaissance . Je vous assure qu'il fallait
tout cela pour vaincre ; les ennemis étaient nombreux et
acharnés, les généraux à la tête ; nous en avons tué plusieurs .
Signé , BUONAPARTE ,
un
Copie de la lettre écrite au général Baraguey d Hillier , par le génėrai
de division Berthier, chef de l'état- major de l'armée d Italie.
Au quartier-général de Milan , le 3 frimaire , an V.
Je vous ai mandé par le dernier bulletin que je vous ai fait
passer , général , qu'après avoir battu les troupes commandées
par le général d'Alvinzi en personne , à Arcole , le
général en chef faisait ses dispositions pour attaquer la colonne
commandée par le général Davidowick , qui avait porté ses
avants-postes jusqu'à Castelnovo.
Le général en chef donna , le 1er , frimaire , l'ordre d'attaquer
l'ennemi , qui , repoussé de position en position , effectua
sa retraite avec précipitation. Son arriere-garde fut trèsmaltraitée
et en partie coupée sur les hauteurs de Rivoli , dont
nous sommes restés maîtres .
Différens corps détachés l'ont poursuivi , toute la nuit , audelà
de la Corona et le long de l'Adige .
Nous avons , dans cette journée , fait à l'ennemi onze cents
prisonniers , dont le colonel comte de Berbach , pris quatre
pieces de canon et six caissons .
Signé , BERTHIER.
Buonaparte , général en chef de l'armée d'Italie , au Directoire
exécutif. Au quartier-général de Véronne , le 4frimaire, an V.
Je vous ai instruits , citoyens directeurs , par ma derniere
lettre , que le général Vaubois avait été obligé d'abandonner
la position de Rivoli , et que l'ennemi était déja
arrivé à Castel -Novo ; je profitai de la déroute de l'ennemi
à Arcole , pour faire repasser sur - le - champ l'Adige à la
division du général Massena , qui opéra sa jonction à Villa(
128 )
Franca avec celle du général Vaubois , et réunies elles mar
cherent à Castel- Novo , le 1er. frimaire , tandis que la
division du général Augereau se portait sur les hauteurs
de Sainte -Anne , afin de couper la vallée de I Adige à Dolce ,
et par ce moyen couper la retraite à l'ennemi .
Le général Joubert , commandant l'avant-garde des divisions
Massena et Vaubois , réunies , atteignit l'ennemi sur les
hauteurs de Campara ; après un combat assez léger , nous
parvinmes à entourer un corps de l'arriere - garde ennemie , lui
faire douze cents prisonniers , parmi lesquels le colonel
du régiment de Berback. Un corps de trois à quatre cents
hommes ennemis , voulant se sauver, se noya dans l'Adige.
Nous ne nous contentâmes pas d'avoir repris la position
de Rivoli et la Corona , nous poursuivîmes l'ennemi jusqu'à
Preabano. Angereau , pendant ce tems -là , avait rencontré
un corps ennemi sur le , hauteurs de Sainte- Anne et l'avait
dispersé , lui avait fait trois cents prisonniers , était arrivé
à Dolce , avait brûlé deux équipages de pontons sur Laquata ,
et enlevé quelques bagages .
Le général Wurmser a fait une sortie de Mantoue hier 3 ,
à sept heures du matin ; la cannonade a duré toute la journée .
Le général Kilmaine l'a fait rentrer , comme à l'ordinaire ,
plus vite qu'il n était sorti , et lui a fait 200 prisonniers , pris
un obusier et deux pieces de canon . Wurmser était en personne
à cette sortie . Voilà la troisieme fois , m'écrit le général
Kilmaine , que Wurmser tente de faire des sorties , toutes
les fois avec aussi peu de succès . Wnrmser n'est heureux
que dans les journaux que les ennemis de la République
soldent à Paris . Signé , BUONAPARTE .
AVIS.
Les amateurs et les souscripteurs des Euvres cumplettes de
J.J. Rousseau , qui s'impriment à cent exemplaires chez
Pierre Didot , rue Pavée , sont prévenus que la premiere
livraison , composée de huit volumes , faisant le tiers de l'ouvrage
, paraîtra le 1er. nivôse , chez Boserian , quai des
Augustins , no. 33 , à Paris .
Cette éiion , corrigée avec soin sur celles données par
Rousseau , et d'après ses manuscrits déposés au comité d'instruction
publique , a le mérite supérieur de toutes les belles
éditions sorties des presses du cit . Didot l'aîné .
' LENOIR-LAROCHE , Rédacteur.
L
1
Jer . 135 .
MERCURE FRANÇAIS .
DÉCADI 30 FRIMAIRE , l'an cinquieme de la République.
( Mardi 20 Décembre 1796 , vieux style . )
POLITIQUE RAISONNÉE.
Lettre au Rédacteur , sur nos relations commerciales et sur
l'Angleterre.
CITOYEN ITOYEN , j'ai lu dans vos deux derniers numéros
des réflexions sur un ouvragé initulé : Vues générales
sur l'Italie , Malte , etc. etc. , dans leurs rapports politiques
avec la République Française. Ces réflexions sont
elles-mêmes un ouvrage , et un ouvrage important .
puisqu'elles renfermeut un plan complet de la conduite
que la France doit tenir dans ce moment , et.
à l'avenir , avec toutes les puissances du continent.
Ge plan m'a fait d'autant plus de plaisir , que l'au
teur , quoiqu'il paraisse un patriote très-zélé , ou plu
tôt parce qu'il est , patriote zélé et en même- tems
éclairé , ne desire point du tout que son pays devienne.
formidable à tous ses voisins . Le but de toute sa
politique n'est pas la puissance , mais le bonheur et
la tranquillité inaltérable . S'il nous conseille de nous
étendre jusqu'aux bords du Rhin , c'est pour que ces .
pays ne tombent pas entre les mains de souverains
inquiets et jaloux . Il gémit de cet aggrandissement ,
et regrette que ces peuples ne soient pas disposés.
à se donner un gouvernement qui soit pour nous
Tome XXVI. Ι
( 130 )
ཏི །
ún ami sûr et paisible . Il aimerait mieux leur liberté
que leur réunion . S'il veut que nous enlevions l'Italie
au pape et à l'empereur , il se félicite que nous
ne soyons pas obligés de nous en approprier la moindre
partie . Il n'est point jaloux de l'énorme augmentation
de territoire et de puissance que nos ennemis
se sont procurès aux dépens de la Pologne . Enfin ,
des limites naturelles , une barriere d'états paisibles ,
l'impossibilité de songer même à aucune acquisition ,
voilà ce qu'il souhaite à sa patrie , parce qu'il desire
pour elle une paix profonde ' , et non une trêve
orageuse ; le repos plutôt que l'éclat , le bonheur et
non pas la grandeur. Il est fâcheux qu'il n'ait pas
completté son ouvrage , en appliquant des principes
si réellement philosophiques à nos relations commerciales
, et spécialement à la conduite que nous devons
tenir avec l'Angleterre . En attendant qu'il remplisse
ses engagemens à cet égard , je vais risquer sur ce
sujet quelques idées qui , j'espere , rentreront dans
ses vues ; car je crois en être bien pénétré .
L'étendue du territoire ne constitue pas seule la
puissance d'une nation . L'étendue de son commerċe
en est encore un élément important , parce qu'elle
détermine le degré de sa population et de sa richesse ;
et ce second élément de puissance a comme l'autre
des limites naturelles qu'il doit atteindre , et ne doit
pas dépasser pour que le corps politique soit dans
un état vraiment calme. En- deçà et au- delà , il ne
trouve qu'orages et inquiétudes .
Les limites naturelles du territoire sont frappantes.
Ce sont les sommets des chaînes de montagnes , le
cours des fleuves , les mers , les déserts ; en un mot ,
( 131 )
4
ces grandes lignes de démarcation qui circonscrivent:
si puissamment les relations sociales , que l'on sent
qu'il ne peut y avoir aucun intérêt de convenance à
dépasser , et qu'on ne peut le desirer de part ni
d'autre , que dans des vues hostiles et ambitieuses .
Les limites naturelles du commerce ne tombent
pas de même sous les sens . Le commerce est l'ouvrage
des hommes ; et à parler exactement , il n'y a dans
les ouvrages des hommes rien que d'artificiel ; ou ;
si l'on veut , tout y est naturel , puisque tous sont
des résultats de notre nature . Cependant, en regardant
la justice et la paix comme l'ordre naturel des choses &
on peut et on doit diré que le commerce d'une nation
est renfermé dans ses limites naturelles , quand il a
toute l'étendue qu'il peut acquérir par des moyens
paisibles et justes , qu'il dépasse ces limites quand
son extension est fondée sur la violence , et a besoin
de la force pour se soutenir , et qu'il ne les atteint
pas quand il est restreint par la tyrannie de ses
voisins et que l'oppression seule s'oppose à son
accroissement.
Maintenant quels sont les moyens paisibles etjustes
par lesquels une nation peut faire fleurir son commerce
?
C'est , 1º. par l'industrie de ses cultivateurs qui lui
fournira une plus grande quantité de matieres premieres
, soit pour être consommées en nature dans
le pays , soit pour y être fabriquées , soit pour être
exportées . 12A
2º . Par l'habileté de ses fabriquans ; d'où il résultera
que leurs ouvrages étant de meilleure qualité , et
Comptant moins de travail, les consommateurs du pays
I
( 132 )
seront approvisionnés de denrées d'un meilleur usagé
pour un moindre prix , et que ces mêmes ouvrages
transportés chez l'étranger y auront la préférence , et
en rameneront en retour plus et de meilleures productions
, sur lesquelles les consommateurs trouveront
encore l'avantage de plus de jouissances pour de
moindres sacrifices ..
3º . Par l'étendue et la justesse des spéculations de
ses négocians , qui feront qu'allant toujours chercher
les marchandises étrangeres dans les contrées où elles.
sont le moins cheres , et envoyant celles des pays dans
les marchés où elles se vendent le mieux , ils pourront
livrer aux consommateurs au plus bas prix possible
les produits de leurs importations et les retours de
leurs exportations ,
4. Par l'économie et l'intelligence de ses navigateurs
qui , diminuant les frais de transports , seconderont
l'habileté des fabriquans.
5º . Enfin , en assurant à tous et à chacun de ses
membres l'exercice entier et illimité du droit inaliénable
d'acheter et de vendre de gré à gré tout ce qu'il
lui plaît , comme il lui plaît , quand il lui plaît , à
qui il lui plaît , et cela dans tous les pays de l'univers
: droit såeré et imprescriptible qui dérive de
celui qu'a tout homme de disposer de son individu ,
de son travail et du fruit de son travail , qui fait partie
essentielle de sa liberté individuelle , et sur lequel ni
ses compatriotes ni les nations étrangeres ne peuvent
attenter, sans causer de grands troubles dans l'ordre de
la société et sans s'écarter entierement de celui de la
nature ; droit en un mot qui ne peut être enlevé à un
citoyen par le gouvernement de son pays , sans vraie
( 133 )
y rannie , et par un gouvernement étranger sans veritable
hostilité .
1
,
3
Les moyens de faire fleurir le commerce , que nous
venons d'indiquer
, se réduisent
donc à développer
les talens et à protéger les droits résultans
les uns
et les autres de notre organisation
; et certes ces
moyens sont bien légitimes
: aussi produisent
-ils nécessairement
le maximum du bonheur que le commerce
peut procurer
aux hommes . Car leur bonheur
est
formé du nombre de leurs jouissances
. Or , quand
un peuple est habile à tirer parti de son sol , et à
en façonner
les produits , chacun des individus
qui
le composent
jouit le plus complettement
possible
des biens dont la nature a favorisé son pays ; et quand
il joint à cet avantage
la facilité d'acquérir
, par les
moyens les plus économiques
et sans aucune gêne ,
les objets que cette même nature accorde avec plus
de générosité
aux climats étrangers
, il est clair qu'il
réunit la plus grande somme de jouissances
que la
sociétépuisse procurer à ses membres . Ceci est encore
une nouvelle preuve que ce sont toujours les moyens
légitimes
, l'instruction
, la liberté , la justice et la
paix qui menent au maximum
du bonheur possible.
C'est une remarque que nous nous plaisons à faire ,
mais dont au reste s'embarrassent bien peu la plupart
des gouvernemens. N'ayantjamais pour objet le bonheur
, ne se proposant pour but que la puissance , ils
n'ont envisagé le commerce que sous ce point de vue ;
ils ne lui ont apperçu d'autre effet que celui d'augmenter
la population et la richesse de l'État. Aussi
ont-ils accordé leur intérêt presqu'exclusif au commerce
extérieur ; et ils n'ont fait cas du commerce
1
I 3
( 34 )
intérieur que comme d'un moyen de restreindre le
commerce des étrangers , et de leur nuire en s'eņ
passant. Ceci s'applique spécialement aux gouvernemens
européens modernes , Les anciens n'étaient
pas libéraux et philantropes par principes . Mais les
modernes ont systématisé la haine . Toujours envieux
dans leurs méditations , avides dans leurs spéculations,
et violens dans leurs procédés , ils n'ont pas plutôt
vu que l'extension du commerce extérieur dépendait
de pouvoir se procurer les denrées des autres pays
au meilleur prix possible , et d'être en état de leur
fournir les sommes pour un prix inférieur à celui
auquel les autres nations peuvent établir les pareilles
ils n'ont pas plutôt , dis-je , eu fait cette observation ,
qu'ils ont cherché , non à se concilier ces avantages
par les moyens légitimes que nous avons développés ,
mais à les ravir par la force ; et ç'a été la bâse de toute
leur politique. 45
Ainsi , lorsqu'ils ont rencontré des pays habités
par des nations civilisées qu'ils ne pouvaient complettement
asservir , ils ont tâché par tous moyens de
conclure avec elles des traités oppresseurs ou astucieux
, dont le résultat fût de les contraindre à leur
livrer privativement les marchandises dont ils avaient
besoin , en les refusant au même prix aux autres , et.
recevoir d'eux les produits de leurs fabriques , en
rejettant ceux des autres peuples industrieux . Pendant
ce tems ils se sont entourés eux-mêmes d'un
triple rang de barrieres , pour exclure de leurs pays
les productions étrangeres , suivant leurs fantaisies ,
aimant mieux souvent se priver de jouissances agréa,
bles et utiles , que de permettre que leurs voisins
trouvent dans ce débit la juste rétribution de leurs
( 135 )
avantages naturels ou artificiels . Il est vrai que ces
bons voisins en ont fait autant de leur côté . Et ainsi
dans les courts espaces où ces vertueuses sociétés
ont cessé de se déchirer les armes à la main , elles
ont travaillé sans relâche à leur misere réciproque ,
à force de douanes et de prohibitions . C'est là ce
qu'on appelle la paix sincere et la vraie science sociale
parmi la partie la plus perfectionnée de la
race humaine .
Quand ces sublimes politiques ont , dans leurs
longs voyages , découvert des pays déserts ou peu
habités , susceptibles de fournir des productions
précieuses , ils s'en sont emparés , et ils en ont pour
l'ordinaire exterminé les habitans , s'il y en avait,
Ensuite ils y ont établi une population tirée de leur
sein , non pas pour former dans ces riches contrées
un corps de peuple ami et allié , comme faisaient
les anciens , avec lequel on puisse jouir de tous les
avantages d'une union fraternelle et de tous ceux
que fournit toujours à deux nations florissantes l'échange
mutuel et libre de leurs besoins et de leurs
tréso.s , en animant leur industrie , étendant leurs
lumieres et multipliant leurs jouissances . Non , leur
premier soin a été de priver ces essaims de toute
communication avec le reste de l'univers. Et toute
leur sollicitude paternelle pour eux a consisté à arrêter
leur développement autant que possible , à les
concentrer dans leur enceinte comme des lapina
dans une garenne forcée , et à en faire une troupe
d'esclaves , servie le plus ordinairement par d'autres
esclaves , et condamnés à dépendre de la métropole
pour leurs besoins les plus argens , et à y verser tous
14
( 136 )
leurs trésors , le tout au prix 4 qu'elle veut bien
mettre . Ils appellent cela des colonies .
y
Dans les pays que les Européens n'ont pas pu ou
pas voulu occuper tout entiers , leurs établissemens
ont consisté à subjuguer et rançonner les naturels
du pays , et à s'en servir comme de bestiaux aratoires ,
ainsi que le font les Hollandais dans les isles Mofuques
et les isles de la Sonde , et les Anglais au-
Bengale ; ou bien , lorsque les habitans étaient presqu'entierement
sauvages , comme à la côte nord- ouest
de l'Amérique ou à la côte d'Afrique , on s'est borné
à occuper quelques points qui devinssent les centres
d'un commerce plus ou moins inique , plus ou moins
odicux . Mais dans tous les cas , on s'est toujours
conduit suivant les principes d'un monopole si féroce
, qu'on a été jusqu'à anéantir , quand on l'a pu ,
les productions les plus précieuses par-tout où il a
é é impossible de s'en assurer la possession exclusive.
C'est ce que les Hollandais ont fait pour les
épiceries .
Ainsi la guerre des prohibitions s'est étendue sur
toute la surface de la terre . Elle a donné lieu partout
à celle des versemens frauduleux , qui en est la
représaille et le palliatif : et la science de la contrebande
est devenue une partie importante et estimée.
de la politique des nations civilisées .
Il est impossible de nombrer tous les maux que
ce systême odieux et absurde a causé à l'humanité .
Le plus affreux , sans doute , après les dévastations
sanglantes dont il a été la source , c'est que cette
guerre sourde toujours subsistante éclate de tems
en tems avec fureur , et après de courts intervalles ,
( 137 )
है
produit ces orages périodiques pendant lesquels les
nations s'épuisent d'hommes et d'argent pour de vils
intérêts , et se trouvent ruinées par avidité , comme
cela arrive souvent aux particuliers . Mais après ce
fléau principal , le mépris des droits des hommes ,
les atteintes portées à leur liberté et à leurs propriétés
, la guerre intestine des douaniers et des contrebandiers
, les punitions des uns , les vexations des
autres , la corruption de tous et leur inutilité pour
la société , la suppression de professions utiles et
l'établissement d'industries stériles et déplacées , la
privation de beaucoup de jouissances ou leur prix
accru de tous les frais de garde et de tous ceux de
contrebande , la difficulté des subsistances , la variation
perpétuelle de leur valeur , souvent leur rareté
extrême , enfin la conservation et l'accroissement des
haines et des préjugés , et les retards apportés au
progrès des lumieres et à leur communication , tout
cela sont autant de calamités qui mériteraient bien
notre attention . Cependant , puisqu'on est convenu
de compter le bonheur pour rien , ne considérons
les effets de ce régime funeste - que sous le rapport
de l'extension ou du resserement du commerce de
chaque société politique , et cette extension ou ce
resserrement que sous le rapport de la puissance.
Toutes les fois qu'il se fait un échange , n'importe
où ni comment , d'une denrée surabondante dans un
lieu et nécessaire dans un autre , contre une denrée
superflue dans cette seconde place et utile dans la
premiere , il y a profit réel des deux côtés . Les consommateurs
des deux parts jouissent ; et leurs richesses
devenues le salaire des producteurs , fabrica(
138 )
1
-1.
teurs et entremetteurs , les font subsister , prospérer.
et multiplier. C'est là le commerce et son utilité .
Naturellement done chaque nation devrait avoir
pour débouché des produits de sa culture et de son
industrie , pour marché de ses approvisionnnemens
et pour théâtre libre de ses spéculations d'achats et
de ventes , la totalité de l'univers ou du moins le
territoire tout entier des autres nations civilisées
et de leurs colonies. L'épithete de barbares serait
justement réservée aux peuples assez sauvages pour
se refuser à ces relations animales et justes , et qui
sont toujours d'une utilité réciproque . Au lieu de
ce vaste champ , chacun de nos peuples européens
modernes est tristement confiné dans son propre
domaine , qu'il étend à la vérité par tous moyens ,
tant qu'il le peut , dans les quatre parties du monde ,
et dont il écarte avec jalousie tous les autres , à force
de peines et de dangers . Mais aussi , quand il se
présente sur leur terrein , il en est repoussé avec la
même fureur , ou du moins rançonné d'autant plus
impitoyablement que l'on redoute plus la supériorité
de ses talens . Alors son unique occupation est de
leur extorquer , par force ou par ruse , quelques
conditions plus favorables qui vont rarement jusqu'à
établir la liberté naturelle . Et il croit avoir tout
gagné , s'il parvient à leur faire recevoir chez lui un i
traitement moins avantageux , et sur- tout s'il peut les
amener à en faire un encore plus dur aux autres
nations commerçantes. Effectivement ces doubles
combinaisons peuvent , par leurs différens reflets ,
lui assurer sur ses rivaux une supériorité relative .
Mais il serait aisé de prouver que la nation la plus
( 139 )
heureuse , et la plus habile à forger ces entraves et
à serrer ces liens , n'en retire pas des avantages égaux
à ceux que lui procurerait le développement d'une
honnête industrie , favorisé par une liberté entiere ,
sans compter que cette prospérité factice , fût- elle
réelle , est toujours précaire et bien coûteuse , quand
la guerre s'en mêle , ce qui ne manque pas d'arriver
et, même très - souvent. Il est en outre évident que
tous les autres peuples , ou moins astucieux , ou moins
forts , sont absolument victimés par la nation dominante
en sorte qu'il demeure démontré que
le commerce
d'aucune société politique , une seule tout au
plus exceptée , et encore sous les réserves que nous
avons faites , n'atteint les limites que la nature lui
avait assignées . Toutes demeurent en- deçà ; seulement
les proportions sont changées . Les degrés de
supériorité sont ou peuvent être déplacés : mais , il
y a perte réelle et universelle pour la totalité de la
masse dans l'ordre de choses , ou plutôt dans le désordre
actuel .
Qu'il nous soit permis de terminer cet exposé par
une comparaison assez bizarre , mais très- propre à
rendre cette vérité plus sensible . Le commerce est
naturellement un jeu paisible , où tous les pontes
gagnent à proportion de leur mise et de leur habileté.
Les corps politiques sont les joueurs ; leurs
mises , ce sont les avantages de leurs territoires res
pectifs ; leur habileté consiste à cultiver , fabriquer
et négocier la nature fait les frais de la banque ,
dont chacun s'approprie une part plus ou moins
forte. Insensiblement, au lieu de suivre les regles du
jeu , les joueurs sont convenus d'y admettre l'escro(
140 )
querie et même le vol à force ouverte . Il en est résulté
quelques rapines momentanément utiles aux
plus fourbes et aux plus forts. Mais la gêne réciproque
qu'ils se sont causées , les a tous empêchés
d'employer tous leurs fonds , et de déployer leur
habileté toute entiere : et tous ont moins profité des
trésors du banquier généreux . Il s'en est de plus
suivi des querelles et des rixes interminables entr'eux
, dans lesquelles tous ont été blessés , appauvris
, démoralisés , et qui en ont forcé plusieurs à se
rendre esclaves pour subsister.
Maintenant appliquons ces réflexions à l'état actuel
des affaires , et voyons si elles pourront nous
conduire à trouver un dénouement heureux à la
guerre présente entre les principales puissances
maritimes et commerçantes du monde entier. Les
méditations philosophiques seraient bien inutiles
si elles ne devaient pas contribuer à diminuer les
maux de l'humanité ou à les faire cesser.
•
Quel' qu'ait été le premier motif de la guerre que
nous avons à soutenir du côté de la mer , il est évident
qu'elle ne peut maintenant pas plus que la
guerre de terre , avoir pour objet d'empêcher la
France de se donner la forme de gouvernement
qui lui plaît. Il ne s'agit donc que de fixer les bornes
de sa puissance , de celle de ses alliés , de celle
de ses ennemis .
Nous avons reconnu que la puissance d'une nation
se compose de deux élémens , de l'étendue de
son territoire , et de l'étendue de son commerce .
Dans la guerre de terre , l'étendue du territoire est
l'intérêt dominant et presqu'unique, parce que c'est lá
( 141 )
ོ་
métropole même qu'elle attaque , et dont elle étend
ou resserre les limites , affaiblit ou fortifie les frontieres
; et que l'accroissement du territoire de la
métropole fournit une plus grande population pour
sa défense , une plus large bâse pour les impôts
fonciers ou personnels , et souvent une plus grande
masse de biens nationaux , or , ce sont là trois
grandes sources de puissance . La guerre de mer au
contraire ne saurait entamer la métropole . Elle ne
peut que lui enlever ou lui donner des colonies lointaines
. Mais ce n'est sous aucun des aspects précédens
que nos colonies nous sont précieuses . Leur
population ne peut jamais être un moyen de défense
pour la mere-patrie , qu'elles ne font que rendre
plus vulnérable en présentant à l'ennemi des parties
faibles . Leurs impositions directes ne suffisent pas
à la dépense de leur administration , et leurs biens
nationaux sont à peu -près nuls. Ce n'est donc pas
comme territoire qu'elles sont intéressantes , mais
comme oyens de commerce . On peut donc dire
que dans la guerre de mer c'est la fixation de l'étendue
du commerce qui est le point capital ; et
que , cussions-nous acquis des colonies immenses
elles seraient mal terminées , si malgré cela , notre
commerce se trouvait plus, restreint , tandis qu'au
contraire , eussions- nous sacrifié toutes nos possessions
hors d'Europe , la paix serait bonne , si en
même-tems notre commerce était aggrandi , et affranchi
de toute entrave . C'est au reste une supposition
que je fais , non pas pour proposer, la cession
de nos colonies , mais pour bien fixer l'état de la
question , et montrer quel est notre véritable in-
25
( 142 ) *
1
1
térêt dans la negociation de la paix à traiter avè
l'Angleterre.
On me dira peut- être qu'alors cette supposition
est doublement inutile ; car les colonies étant déclarées
par la constitution parties intégrantes de la
République Française , nul pouvoir constitué ne
peut les aliéner. C'est effectivement une opinion
que j'ai vue établie dans beaucoup de têtes. Mais la
lecture attentive de la constitution m'a prouvé qu'elle
ne dit absolument rien de tel , et qu'elle se borne
à défendre toute cession de territoire par des articles
secrets . On me dira aussi que j'ai oublié de faire.
mention d'une des utilités des colonies , celle de
fournir une branche de revenu plus ou moins considérable
, par la levée des droits que l'on met sur
leurs productions à leur entrée dans la métropole ,
pour laquelle c'est certainement là un moyen de
puissance. A cet égard , je répondrai que c'est à dessein
, que je n'ai pas fait mention de cette source de
revenu . 1º . Je la regarde comme absolument tarie
par la constitution. En effet , si de ce que les colonies
sont déclarées parties intégrantes de la Répulique
Française , il ne s'ensuit pas qu'elles soient
plus incessibles que les autres portions de la République
, il s'ensuit au moins qu'elles doivent être
régies par les mêmes lois , et qu'elles ne peuvent
pas plus être privées de communiquer entre elles et
avec la métropole , que l'Alsace et la Flandres ne
pouvaient rester séparées de la Lorraine et de la
Picardie par une ligne de barrieres ; il s'ensuit que
leurs habitans sont citoyens et non pas sujets , et
que par conséquent on ne peut les rançonner ainsi ,
*
+
}
( 149 )
sans manquer à-la -fois à la justice et à la prudence .
2º. Dans ma maniere de voir , je souhaite à mon
pays non pas toute la puissance imaginable . mais
toute celle qui , dérivant de l'ordre naturel des choses ,
ne nécessite l'emploi d'aucun moyen de force , et
par-là est compatible avec une paix profonde . Or ,
toute douane quelconque étant une mesure hostile
à l'égard des étrangers et une violation des droits
des citoyens , il est manifeste que les principes de
notre constitution et ceux de ma politique me défendent
également de compter sur un tel revenu ,
fat-il aussi réel qu'il est aisé de prouver qu'il est
illusoire et funeste. Et cet accord entre nos lois
constitutives et les regles que j'ai établies , prouvent
bien que mon systême est parfaitement adapté à la
maniere d'être actuelle de la France , ét que l'un et
l'autre sont fondés sur des bâses d'éternelle vérité .
}
Maintenant je dis que , de même que l'auteur des
Reflexions , etc. , a prouvé que notre guerre conti-
Hentale actuelle ne sera terminée solidement et dé
finitivement , que quand notre territoire aura acquis
les limites que lui prescrit la nature sans les déa
passer de même notre guerre maritime ne sera finie
pour ne jamais renaître , qué lorsque notre commerce
n'aura d'autres bornes que celles que lui assigne
aussi la nature des choses , c'est- à- dire , aura
toute l'étendue que peuvent lui donner les avantages
de notre sol , et le développement de nos talens
accompagnés d'une liberté indéfinie .
( La suite au prochain numére. )
........
( 144 )
LITTÉRATURE.
Épître sur la Calomnie , par J. M. CHENIER , membre du
conseil des Cing- cents et de l'Institut national .
Semper ego auditor tantum numquam ne reponama
Vexatus toties ?
A Paris , de l'imprimerie de PIERRE DIDOT l'aîné.
LA calomnie est de tous les pays et de tous les
tems : mais elle paraît appartenir plus particulierement
aux peuples chez qui les institutions civiles , les
goûts , les habitudes ont exalté l'égoïsme et la petite
vanité personnelle , et aux époques des dissentions
politiques où l'esprit de parti donne à tous les sentimens
quelque chose de furieux et d'effrené .
L'on ne doit donc pas s'étonner qu'en France une
berté soudaine , imprévue , ait trouvé peu d'ames au
niveau des événemens qui la traînaient pour ainsi
dire à leur suite ; que les passions déchaînées par
les mouvemens révolutionnaires , et pour la premiere
fois exercées sur de grands intérêts , aient pris un
caractere inconnu de violence ; qu'enfin , le peuple ,
successivement jouet d'une longue suite de charlatans
, ait , dans ces secousses , donné d'éclatans exemples
de son engouement funeste et de ses caprices.
ingrats. Tout cela était dans l'ordre des choses , et
l'on devait s'y attendre.
Mais du moment où1 la constitution nouvelle ,
solemnellement acceptée par la nation , a été mise
en activité du moment où la république n'a plus
été
( 145 )
1
été un vain nom , où la sûreté , des personnes et des
biens , la liberté de la pensée et de l'industrie n'ont
plus dépendu des volontés arbitraires d'un tyran ,
ou des fansaisies frénétiques d'un démagogue ; l'on
a été en droit de penser , non- seulement que tous les
amis sinceres de la patrie , mais que tous les esprits
justes , tous les hommes qui avaient quelque chose
à perdre dans de nouvelles discordes , se rallieraient
franchemenr autour de la constitution . L'on devait
croire sur-tout que ceux qui semblaient avoir pris à
tâche de ramener sans cesse les imaginations effrayées
sur la peinture des tems révolutionnaires , sentiraient
dès -lors la nécessité d'assoupir et d'éteindre tous les
ressentimens , de verser sur des plaies si vives , un
baume salutaire , de donner à ce gouvernement naissant
, devenu notre seule garantie , une force , une
consistance qu'il ne peut tirer que de l'opinion .
Au lieu de cela qu'est- il arrivé ? Ces mêmes hommes ,
ces prédicateurs éternels de l'ordre,, de la paix , de
l'humanité , ne se sont occupés , même dès le premier
moment , qu'à répandre des semences de désorganisation
, de haine , de discorde et de vengeance . Ils
ont suivi , à l'égard de la constitution de l'an III ,
le
même systême que le château des Tuileries à l'égard
de celle de 1791. Ils ont cherché à la détruire par
elle - même . Ils ont fait les appels les plus astucieux
aux passions du moment. Ils ont flatté les préjugés et
les erreurs . Plusieurs d'entre eux , incapables de manier
des armes loyales , ont appellé à leur secours
l'arme du lâche , la flêche empoisonnée du sauvage ,
la calomnie . Ils ont calomnié les hommes et les
choses , les événemens et les lois elles -mêmes . En
Tome XXVI.
K
( 146 )
un mot , ils ont voulu corrompre l'opinion à sa
source , et frapper le gouvernement dans sa racine .
Telles sont les circonstances au milieu desquelles
paraît l'Épître de Chenier ; et tels sont aussi les principaux
motifs qui l'ont inspirée , motifs dont les amis
clairvoyans de la République sentiront tout le poids.
L'auteur avait , en outre , quelques querelles particulieres
à vider. Mais nous n'entrerons pont dans
cette guerre personnelle , livrée à beaucoup de noms ,
la plupart trop inconnus pour qu'on se donne la
peine d'avoir une opinion sur leur compte ; et nous
le laisserons , comme il a grande raison de le dire luimême
, disputer au néant ses plus chers favoris.
1
C'est donc la piece de vers , mais non la satyre ;
c'est le patriote indigné , mais non l'écrivain qui
s'arme pour attaquer ou se défendre , que nous considérons
dans l'annonce de l'Épître de la Calomnie : et
nous commençons par déclarer sans détour que c'est
l'ouvrage d'un beau talent , et le cri d'alarme d'un
excellent citoyen .
Chenier adresse son Epître à Philandre , c'est-à- dire
à un ami des hommes ,
Fléau de la licence et de la tyrannie :
Il lui peint la calomnie déshonorant la presse ; diffa
mant ce bel art de peindre la pensée ....
Un peu d'or fait couler des flots d'encre et d'injures.
Mais c'est surtout la liberté , ses principes , ses
succès que le monstre poursuit avec fureur.
Quand nos guerriers bravant et le glaive et l'airain ,
Étonnent l'Eridan , le Danube et le Rhin ,
Dans les murs de Paris l'Autriche a son armée ,
( 147 )
Qui , faisant , chaque jour , mentir la Renommée ,
De loin par des pamphlets signalant sa fureur ,
Poursuit sous des lauriers Buonaparte vainqueur ,
Et vantant des Germains la prudente retraite
Pour l'Aigle fugitive embouche la trompette.
Voilà de fort beaux vers.
Dans ce noble métier , doublement indigent ,
Nul n'a besoin d'honneur , tous ont besoin d'argent ,
Est d'un bon ton et d'un bon style .
Ils dînent du mensonge et soupent du scandale ,
Rappelle ;
Il dinait de l'autel et soupait du théâtre ,
Qui est plus plaisant.
Après avoir parlé des insectes éphémeres qui naissent à
la suite d'un long orage , nous croyons qu'il ne faudrait
point , quelque vers plus bas , parler de l'essaim bourdonnant
des stériles frélons : c'est , en d'autres termes ,
la même comparaison , et pour expliquer le même
objet .
Mais quoi , me dira - t -on , désormais prétends - tu
Donner l'esprit aux sots , aux fripons la vertu !
Veux-tu donc
Armé des fouets vengeurs d'Horace et de Boileau ,
Fesser le grand orgueil du petit Lacretelle ?
Non cela n'en vaut pas la peine ; d'autres s'en chargeront.
A propos de Morellet , on trouve ce vers heureux :
S'il sait l'art d'ennuyer , on sait bailler en France.
Mais Chenier a tort de l'appeller un sot ; c'est assurément
ce qu'il n'est pas.
Que Mercier livre encor cent combats renaissans
K 2
( 148 )
A Racine , à Voltaire , et sur-tout au bon sens ;
·
Que le cousin Beffroi reste au fond de la lune ;
Qu'au milieu du sénat , à la même tribune ,
Où la raison sublime allumait son flambeau ,
Où discutait Syeys , où tonnait Mirabeau ,
Où de Vergniaux souvent l'éloquence énergique
Vainquit de Dumolard le fatras lethargique ;
Plein d'orgueil et de mots , Dumolard aujourd'hui .
Distille en longs discours la sottise et l'ennui :
A tous ces beaux esprits il est permis d'écrire ,
Et j'attends qu'un décret me condamne à les lire .
Vainquit . etc. est faible : ce n'est pas un grand succès
que de vaincre le fatras léthargique .
Et j'attends qu'un décret me condamne à les lire
est plaisant. Ce vers en rappelle deux du Misanthrope :
mais ici le trait est plus vif.
Dans la suite de la tirade on remarquera un de ces
traits d'autant plus piquans , que la plaisanterie y tient
àla simplicité , et presqu'à la naïveté de l'expression.
Lemerer vous salue au nom de Démosthene.
Mais voici un long morceau, que nous ne pouvons
nous refuser au plaisir de citer tout entier.
Les calomniateurs , je le sais bien , Philandre ,
Ne manquent point d'amis ardens à les défendre :
Pour un esprit mal fait leur genre a des appas ;
Mentir est le talent de ceux qui n'en ont pas ;
Nuire est la liberté qui convient aux esclaves` :
Foulant aux pieds des moeurs les utiles entraves .
De libelles fameux les auteurs inconnus
Ont sur ce noble droit fondé leurs revenus .
Comme eux , nos décemvirs , ces tyrans du génie
Chérissaient , protégeaient , vantaient la tyrannie ;
( 149 )
Et du chêne civique ils couronnaient le front.
Qu'à Rome on eût flétri d'un solemnel affront.
Quel fut le résultat de cet affreux systême ?
Contemple nos débris , et prononce toi - même.
Vois dans ces premiers jours la République en deuil ,
L'élite des Français descendant au cercueil ,
Les impurs échafauds servant de mausolées ,
Les graces , les vertus d'un long crêpe voilées ,
Près d'elles , le génie éteignant son flambeau ,
Et les beaux arts pleurant sur un vaste tombeau .
Ces malheurs sont récens : quel monstre les fit naître !
Sa trace ensanglantée est facile à connaître ,
La calomuie , esclave , et docile aux tyrans ,
Dès qu'ils eurent parlé déchaîna ses torrens ,
Qui du Var à la Meuse étendant ses ravages
Ont séché les lauriers croissans sur nos rivages.
Elle ouvrit les prisons , dressa les échafauds ,
Et sur le tribunal fit siéger les bourreaux .
C'est-elle , tu le sais , qui dans Athenes ingrate.
Exilait Aristide , empoisonnait Soerate ;
Qui dans Rome opprimée égorgeait Cicéron ,
Ouvrait les flancs glacés du maître de Néron ;
Qui livrait dans Paris aux fureurs populaires
Du sage Lamoignon les vertus séculaires .
Ainsi tombaient Thouret , Barnave , Chapelier ,
L'ingénieux Bailly , le savant Lavoisier ,
Vergniaux , dont la tribune a gardé la mémoire ,.
Custine et Beauharnais , noms chers à la victoire .
Condorcet dans les bois traînant ses pas errans ,
Nous éclairait encor, de ses rayons mourans
Et des vainqueurs des rois les bourreaux despotiques ,
Ambitieux servis par des sots fanatiques ,
Souillant la liberté d'éloges imposteurs ,"
Immolaient en son nom ses premiers fondateurs.
K 3
( 150 )
1
Tout ce tableau est admirable . La calomnie esclave
et docile aux tyrans n'est peut-être pas bien correct : il
faudrait , esclave docile des tyrans ; on n'est pas docile à .
Des torrens qui sechent des lauriers ne paraît pas fort
exact on peut cependant répondre que c'est des torrens
de l'enfer qu'il s'agit.
Du sage Lamoignon les vertus séculaires .
Les vertus séculaires est une expression extrêmement
belle .
Condorcet dans les bois traînant ses pas errans ,
Nous éclairait encor de ses rayons mourans .
Cela est également bien beau. Le dernier ouvrage
de Condorcet et les circonstances dans lesquelles
il a été écrit , sont bien caractérisés. Le mot rayons
convient particulierement à ce grand homme qui fut
tout raison et philosophie.
Vergniaux , dont la tribune a gardé la mémoire
semble calqué sur ce vers connu :
Seul roi de qui le peuple ait gardé la mémoire :
Mais ce n'est qu'une ressemblance de mots .
Mentir est le talent de ceux qui n'en ont pas ;
Nuire est la liberté qui convient aux esclaves.
Ce sont là de ces vers qui paraissent nés plutôt que
faits qui deviennent proverbes en naissant , et qui
restent à jamais dans la mémoire.
Allons , plats écoliers , maîtres en l'art de nuire ,
Divisant pour régner , isolant pour détruire ,
Suivez encor d'Hébert les sanglantes leçons ,
Sur les bancs du sénat placez les noirs soupçons :
Qu'au milieu des journaux la loi naisse flétrie ;
Dans les pouvoirs du peuple insultez la patrie.
( 151 )
Toujours le même tour heureux , la même énergie
d'expression.
Qu'au milieu des journaux la loi naisse flétrie
Est un beau vers qui caractérise bien le moment :
Opposez aux vivans l'éloquence des tombes ,
Prêchez l'humanité , mais parlez d'hécatombes ;
Ceux- là caractérisent les hommes que Chénier a en
vue .
Le morceau dans lequel il repousse l'atroce accusation
d'avoir contribué à la mort de son frere , est
` plein d'élévation et de sensibilité .
Narcisse et Tigillin , bourreaux législateurs ,
De ces menteurs gagés se font les protecteurs .
•
J'entends crier encor le sang de leurs victimes ;
Je lis en traits d'airain la liste de leurs crimes .
Et c'est eux qu'aujourd'hui l'on voudrait excuser !
Qu'ai-je dit ? on les vante ? .. et l'on m'ose accuser !
Lorsque je les ai vus ivres de tyrannie ,
J'entendrais ces valets , rois par la calomnie ,
Me reprocher le sang d'un frere infortuné
Qu'avec la calomnie ils ont assassiné !
L'injustice aggrandit une ame libre et fiere :
Ces insectes hideux sifflant dans la poussiere ,
N'ont point semé la guerre entre son ombre et moi :
Le crime fut pour eux : c'est pour eux qu'est l'effroi .
Brigands , qui conduisiez la victime aux supplices ,
Mon coeur cherchait en vain le coeur de vos complices ;
Je priais , l'oeil en pleurs , le front humilié :
Mais ils vous ressemblaient , ils étaient sans pitié .
Si le jour où tomba leur puissance arbitraire ,
K 4
( 152 )
Des fers et de la mort je n'ai sauvé qu'un frere
Qu'au fond des noirs cachots Dumont avait plongé ,
Et qui deux jours plus- tard périssait égorgé.
Auprès d'André Chenier avant que de descendre ,
J'éleverai la tombe ... où manquera sa cendre ,
Mais où vivront du moins et son deux souvenir ,
Et sa gloire , et ses vers dictés pour l'avenir.
Là , quand de thermidor la septieme journée ,
Sous les feux du chevreau ramenera l'année ,
O mon frere je veux , relisant tes écrits ,
Chanter l'hymne funebre à tes mânes proscrits :
Là , souvent tu verras près de ton mausolée ,
Tes freres gémissans , ta mere désolée ,
Quelques amis des arts , de l'ombrage , des fleurs ;
Et ton jeune laurier grandira sous mes pleurs .
Toute la tirade est noble , pure , touchante .
N'ont point semé la guerre entre son ombre et moi ,
est aussi beau d'expression que de sentiment .
Mais Chénier ne se borne pas à repousser avec
force les attaques de ses ennemis , à ridiculiser la
sottise , à flétrir tout ce qu'il croit dangereux pour
la liberté : il défend les patriotes qu'il voit attaqués
injustement. Louvet , dit-il ,
Louvet bravant les fers , l'exil et le trépas ,
Accusa les tyrans , et ne les servit pas.
Chénier se glorifie encore avec raison d'avoir rendu
sa patrie un sincere ami de la liberté :
Talleyrand méconnu dans l'exil a gémi ;
Il était malheureux , je devins son ami ,
Un décret du sénat Le rendit à la France .
Enfin l'auteur fait en quelque sorte plus ; il aime
( 153 )
à payer un juste tribut d'éloge aux talens contemporains
; il ne veut point
De la gloire des morts accabler les vivans.
Nos illustres vivans seront des morts illustres :
A l'humaine injustice épargnons quelques lustres .
Au sein du présent même , écoutant l'avenir ,
1
Certain de ses décrets j'ose les prévenir.
Ma voix , pour décerner un hommage équitable
N'attend pas que le tems de sa faux redoutable
Ait réuni Saint - Pierre à son maître Platon ,
Garat à Condillac , et Lagrange à Newton.
J'aime à voir de Colin'la décente Thalie ,
Des humains en riant crayonner la folie ;
Parny dicter ses vers mollement soupirés ;
Dans ses malins écrits avec goût épurés ,
Palissot aiguiser le bon mot satyrique ,
Lebrun ravir la foudre à l'aigle pindarique ,
Delille nous rendant le cygne aimé des Dieux ,
Moduler avec art ses sons mélodieux ,
Et de l'Eschille anglais évoquant la grande ombre ,
Ducis tremper de pleurs son vers tragique et sombre.
En mêlant ainsi l'éloge à la satyre , on consacre
l'un par l'autre . Les derniers vers expriment bien le
caractere de chaque genre et de chaque écrivain .
Lebrun ravir la foudre à l'aigle pindarique
est de toute beauté .
Voici encore quelques vers de la même tirade :
Si même il fut un tems où Laharpe irrité ,
Voulut noircir mes jours d'un fiel peu mérité ;
Oubliant sa brochure , et non pas Mélanie ,
Quand les Goths menaçaient l'auteur de Virginie ,
( 154 ) .
N'ai je pas témoigné tout mon mépris pour eux
Et le respect qu'on doit au talent malheureux .
•
Il y a plus d'un genre de mérite dans ces vers .
Oubliant sa brochure , et non pas Mélanie ,
n'est pas seulement un vers très- heureux ; c'est l'expression
d'un sentiment plein de générosité . Il serait
à desirer pour la gloire même du cit. Laharpe , que
ce vers l'engageât à oublier son mandat d'arrêt , et
àse souvenir un peu plus de Voltaire et de ses autres
illustres amis .
S'il voulait revenir un peu sur les opinions qu'il
a lui - même énoncées soit avant , soit aux diverses
époques de la révolution , il verrait facilement qu'il
ne lui est plus permis de vouloir nous ramener au
quatorzieme siecle .
En tout cas , le vers fait beaucoup d'honneur à
l'ame de Chénier ; et il rappelle les deux suivans ,
qui sont du même esprit et du même ton :
Moi qui pour tout trésor ne voudrais obtenir
Que d'être aimé de ceux qu'aimera l'avenir .
De pareils traits font aimer un auteur , même de
ceux qui n'ont pas la prétention de vivre au-delà
du présent.
Nous nous sommes abandonnés au plaisir de relire
et de copier de beaux vers . Si nous avions recueilli
tous ceux qui nous ont semblé tels , nos citations
seraient encore plus nombreuses . Nous ne pensons
cependant point que l'Epître de Chénier soit exempte
de taches , ou n'offre que celles que nous avons relevées
. Le plan en est peut - être en général , un peu
confus ou faiblement tracé ; et la liaison des idées
( 135 )
est quelquefois plutôt dans le voisinage de certains
mots ou de certaines phrases , que dans le développement
naturel des choses ou dans un raisonnement
bien exposé et bien suivi , qui doit faire la bâse de
tout ouvrage soit de prose , soit de vers . On y trouve
peut-être encore un peu trop d'expressions , de traits ,
de formes générales de style , qui rappellent ou des
formes , ou des traits , ou des expressions connues .
Enfin , le crayon d'un censeur sévere rayerait quelques
vers comme inutiles , ou comme n'ayant pas un
sens bien déterminé .
Mais nous nous plaisons à le répéter , c'est , en
somme , un ouvrage qui porte l'empreinte du plus
rare talent. Nous aimions depuis long- tems dans les
écrits de Chenier , la souplesse , la fécondité , le ton
d'inspiration , une certaine maniere Cornélienne
de raisonner le dialogue de ses pieces de théâtre :
mais très- certainement il n'a rien écrit avec le même
soin que l'épître sur la calomnie ; il n'a mis nulle.
part eette précision , cette fermeté de style , cette
richesse de détails qui , lorsqu'elles sont unies à l'élégance
et au naturel , forment le dernier dégré de perfection
de la langue poétique.
BEAUX ARTS.
Fin du Salon de l'an V ( 1796 ) .
AUJOURD'HU
UJOURD'HUI honneur au beau-sexe . Je vois dans
le livret plusieurs de ses ouvrages , et vous ne m'en
avez point montré.
-Regardez cette Aspasie de la citoyenne Bouliar ,
1
( 156 )
ces portraits , ces têtes d'étude . Aspasie n'est pas son
meilleur ouvrage ; mais cette tête couverte d'un voile ,
c'est le fruit d'un pinceau suave , c'est un faire aimable.
Et cet homme appuyé sur un carton , dont
le visage est dans la demi - teinte que produit l'ombre
de son chapeau ; la couleur en est bonne , et le
ton vrai.
- Vous voyez ces petits tableaux d'histoire des numéros
9-12 ; ils sont l'ouvrage de la citoyenne Auzou .
Ils promettent beaucoup , si l'auteur travaille à se
perfectionner. Il y a de l'amabilité et du gracieux
dans les scenes tirées de Gessner. La jeune Philis
présentée au pere de Daphnis , est heureusement
pensée , gracieusement posée . Je voudrais pouvoir
en dire autant de son Alcibiade . Tous les peintres
osent le représenter cet Alcibiade , dont le caractere
simple et grand est un phénomene de l'antiquité !
-
-Ce jeune homme vêtu d'un habit à la mode ,
d'un pantalon , chaussé avec des bottes , qui regarde
attentivement une jeune femme couchée ; c'est
Sterne. Le pasteur Sterne ! .... je ne l'aurais jamais
cru ; j'ai vu des pasteurs , des éveques anglais ; mais
je ne retrouve point ici leurs grosses perruques , leurs
modestes habits , leur grave maintien . - Tanpis pour
la citoyenne Pietre, car elle a voulu représenter Sterne
contemplant l'infortunée Maria. Que dites - vous
de Maria ? Je reconnais ici une des figures de Michel-
Ange qui ornent le tombeau des Médicis . Quelle
différence entre le prétendu Sterne , et la pauvre
Maria . On les croirait de deux auteurs différens .
-
Fanny Ferrey a donné aux personnages de son
affreuse nouvelle ( la mort d'un mari ) des attitudes un
peu exagérées. Avec plus de simplicité et moins
( 157 )
d'efforts elle fera beaucoup mieux . Ses personnages
sont bien pensés .
-
Les portrais de la citoyenne Benoit ont de la
grace . Celui de la citoyenne Delêstre est blanc , trop
blanc : les deux enfans ne sont pas d'une belle
nature , et les draperies de la mere sentent trop le
manequin .
-
• Vous êtes sévere pour le beau sexe . Lui
témoignerai -je de l'estime , si je lui tenais sur ses
ouvrages le même langage de fadeur que les galans de
profession lui répetent tous les jours sur ses appas ,
sur ses charmes ? Vous savez qu'un peintre médiocre ,
de quelque sexe qu'il soit , ne peut être regardé que
comme un être inutile . Pourquoi donc vouer les
femmes à la médiocrité ? Mieux vaudrait les renvoyer
aux utiles fuseaux .
Ce n'est pas un talent médiocre qué celui de
Grobon.... Voilà comme il faut se montrer ! s'exercer
long-tems à l'ombre , travailler long- tems pour soi
et pour quelques amis ; ne paraître au grand jour
qu'alors qu'on est digne de fixer les regards des connaisseurs...
Quelle vérité dans ses tons , quelle légereté
dans ses touches ! ce très -petit tableau présente une
belle forêt , et une eau limpide qui baigne des caillous.
On se rappelle en voyant cette eau , le tableau de
Diogene du Poussin.
Grobon? Volontiers .
--
c'est son ouvrage .
--
-
Voulez - vous connaître
Son portrait est ici , et
Bon encore . Grobon , Grobon ;
tu as le mérite si rare de bien voir la nature , ne la
perds pas de vue un seul instant , et tu peux te
promettre des succès .
-Hue marche quelquefois sur les traces de Vernet .
( 158 )
1
Son clair- de - lune fait trop ressouvenir de ceux de
son maître . Mais les eaux de son rayon d'espoir sont
entierement de Vernet . Malheureusement les figures
de cette famille échouée sont trop grandes pour le
tableau , et le rocher est trop petit.
―
. La vente de tableaux et les suites d'un combat
méritent beaucoup . Taunay marche toujours ; il ne
laisse pas même soupçonner qu'il puisse jamais faire
moins bien.
----
Valenciennes a bien rendu le rêve de cet architecte
grec , qui voulait tailler en statue d'Alexandre
le mont Athos . Le paysage qui entoure ce colosse
est gracieux ; mais les figures du devant sont un peu
trop fortes. Son éleve Chauvin promet beaucoup ;
et l'on a goûté son paysage de décore. Bentin est aussi
son éleve ; sa couleur est harmonieuse , sa touche.
fine ; mais je l'invite à n'imiter que la nature , à fui
la maniere . Bidault , Thibault , Bruandet , rivalisent
Valenciennes ; mais Dunoui les suit tous de
trop loin.
-
-Ducreux peint par lui-même : dit le livret ; c'est
donc un bel homme , ou du moins il a une belle .
tête ; car on dit qu'il se place à tous les salons !
Regardez le ; c'est cette tête coëffée d'un bonnet ,
de fourure , ouvrant la bouche , montrant les dents ,
et grimaçant pour avoir l'air de rire . Mais cette
figure est ignoble ; elle ne rit point des yeux.,
Attendez ... Je cherche dans ma mémoire..... J'y,
suis... C'est bien là cette hideuse figure qui , au salon
de l'an IV , montrait le poing aux spectateurs ?.....
N'est- ce pas la même encore qui , au salon de l'an III,
bâillait à se fendre les joues jusqu'aux oreilles ?
( 159 )
}
Quelle mémoire !
-
Dites donc , quel mauvais,
goût de se présenter sans cesse au public , et de se
présenter toujours dans quelque attitude basse et
triviale !.... C'est donc le grimacier des boulevards .
-
-
Non ; c'est.... Ah de grace , n'en parlons plus !
· Voilà cependant Boissy- d'Anglas peint par lui...
Cieux quelle figuré ébahie ! quels yeux hagards !
de quel côté regarde-t-il ? Et ce geste de la main
gauche ? A combien de mauvaises plaisanteries il
donne occasion !
-
Vous ne voulez pas voir cet enlevement nocturne?-
Ah ! volontiers ; que je me repose les yeux...
Il y a de la science dans ce tableau ; on y reconnaît
l'étude de l'antique .... Mais la nature , où est-elle ?
Tout ici paraît de convention. Fleury , vous êtes
éleve de Regnault , vous appartenez à une bonne
école . Suivez donc , comme votre maître , la nature
seule.
-
-
-
――
Ce Bacchus est d'un éleve de David .... Figure
académique , bien dessinée , mais morte . Vous
verrez de lui un bien mauvais Marius à Minturne.
Où vont ces bonnes femmes ..... Venez voir la
Queue au lait. Allons y donc aussi .... C'est une jolie
esquisse de Boilly , ce peintre si fécond en petits
sujets . Celui - ci est agréable et vrai . Encore un
bon ouvrage de lui , l'Enfant dont on fait le por
trait . Oh qu'il est bien ennuyé ! il est parlant ; la couleur
en est charmante . Boilly s'est corrigé cette année
; ses figures sont moins poupines , et sa couleur
est plus naturelle . Bravo !
-
Joli sujet que le Robinson de Demarnes . Tous
les détails en plaisent et rappellent le premier livre
( 160 )
1
de notre enfance. Aussi a -t- il mérité des suffrages
de tous les spectateurs.
-Quel ton violet que celui de l'Orphée de Landon
! Sa touche est fine et spirituelle . Mais sa couleur....
sa couleur !.
―
Vous sortez , et ne dites rien de la mouillette
de Garnier ?... parce que le sujet est trop libre et trop
mal exécuté . La femme a l'air aussi effrayée , que si
on lui présentait subitement un pistolet..
--
-
-
Le voilà ce Léonard de Vinci , qui écrivait sur
son art avec autant d'énergie qu'il en déployait dans
son exercice. Je reconnais sa Cene de Milan . Que
Je dessinateur a bien rendu les airs variés des têtes ,
les détails des instrumens de table ! Dutertre a excellé.
Et ses Raphaëls ? - Je n'en suis pas aussi
content . Ils ont moins de force et moins d'originalité.
Duvivier a rendu service à notre école , en
dessinant de grandeur naturelle ces belles têtes de
Raphaël . Sans doute le gouvernement les fera graver
pour servir de modeles à nos commençans . Ne vaudrait-
il pas mieux leur donner pour premier modele
des ensembles de têtes , que des nez , des bouches ,
des oreilles isolés ? Quel triste spectable pour l'enfance
que ces parties mutilées ! C'est sans doute un
reste de l'éducation gothique ....
Que de dessins ! est- ce que notre école se serait
partagée en deux classes , les peintres et les dessinateurs
? Voilà le modele et peut - être celui qui
a mis à la mode les dessins au crayon noir. Je
reconnais les ouvrages d'Isabey....... Ce que vous
--
dites-là
( 161 ).
dites là m'explique les noms de crayon de ve
lours , de crayon d'Isabey , qui sont répétés chaque
jour cent fois dans les atteliers des maîtres.......
Voilà d'où vient leur cherté, .. Troupe de moutons !
achetez donc des couleurs de David , et vous croirez
faire son Bélisaire ! Et les arts sont sujets aux
modes ! .... Savez - vous que voilà une génération entiere
de graveurs . Où donc ? Dans ces dessinateurs
ils ne renoncent sans doute aux charmes
du coloris que par impuissance . Dès- lors la gravure,
les reclame.
―
Le portrait d'Augustin , peint par lui - même ,
est une belle , très - belle miniature , égale à celles.
d'Isabey . -Kanz fait des émaux sans avoir de rival
ni d'émule . Qu'il s'y livre entierement , et qu'il
abandonne la miniature .
-
Vous ne m'avez rien dit du dessinateur qui se.
qualifie modestement l'éleve de ta nature et de la méditation
? Une qualification si fastueuse promet les plus
grands succès , et cependant on desire , chez Baltard ,
moins d'égalité dans les effets , et une touche plus
variée . Ceci soit dit sans offenser l'éleve de la nature
et de la méditation .
-
Henry , Percier , Gérard .... que de bons dessins !
Moreau le jeune semble s'être surpassé cette année ...
Adieu , retiróns-nous ; tout est vu. Non pas , s'il
vous plaît. Nous n'avons rien dit des peintres de
fleurs . Ce sont toujours les deux Vanspaendonck, ..
C'est toujours la belle nature .... Et la corbeille de
Vandael , voilà une jolie scene ! l'entente est au
diseur.
-
Et les batailles de Swébach- Desfontaines ? Bon ,
Tome XXVI.
( 162 )
1
1
bon ; de l'harmonie , de l'effet , composition bien
entendue . Vernet s'est exercé avec succès dans le
même genre ; il a fait de bonnes études du cheval...
Adieu.
- -Na- Un mot encore sur l'Ariadne d'Harriet...
ture flamande , ombre des arbrisseaux qui sont placés
sur un plan trop reculé pour le corps sur lequel
elles portent . Voyez donc Menjaud , son Parricide.
--
Il est dur de ton ; la chevelure du cadavre est
violette ; mais il y a du courage , de la hardiesse
dans cette composition . D'ailleurs elle est morale ,
et cette bonne qualité couvre bien des défauts . J'aime
mieux son Virgile. Le poëte est vraiment inspiré ;
mais pourquoi est- il si vieux , lui qui mourut jeune .
Octavie est- elle morte , ou évanouie ? Auguste est- il
pétrifié , ou vivant ? L'idée de placer la statue de
Marcellus est heureuse . Avec du travail , Menjaud
deviendra un bon peintre .
-
Nous voilà donc sortis sans avoir parlé de l'intérieur
d'une forge , par Senave ! Tout ce que nous
en pourrions dire vaudrait-il l'accueil qu'il a reçu des
spectateurs . La foule s'y est toujours portée . Voilà ce
que l'on gagne à ne prendre pour guide que la nature
et la vérité ! ....
B
Je vous attendais à cet instant pour savoir s'il
faut ouvrir le salon tous les ans et à tous les artistes.
A présent que vous avez vu et parcouru tout avec
assez d'attention , dites- moi ce que vous pensez sur
ces deux questions ? La premiere , à mon avis ,
dépend de la seconde ; je vais donc commencer par
celle-ci. Je sais que le mérite d'un beau tableau ne
diminue pas par le voisinage de deux croutes . Mais
--
( 163 )
A
?
嘉
te contraste choque mes yeux , et je ne voudrais
côté des Horaces ou de l'éducation d'Achille , qu'un
bon morceau . Je crois donc qu'il faudrait créer , avant
l'ouverture du salon , un jury composé des artistes , membres
de l'institut et des membres du conservatoire du
Muséum , pour admettre ou rejetter ce qui leur
serait présenté. Le jury réglerait lui-même le mode
d'après lequel il opérerait ; il le suivrait exactement .
Après cela il se rirait des vaines réclamations da
l'impuissance irritée et de l'ignorance humiliée …..
3
J'approuve votre proposition . Mais qu'a - t - elle
de commun avec la premiere question ? Le voici
Ce serait le jury qui prononcerait chaque année ,
d'après la vue des tableaux , s'il y aurait de quoi
fournir à une exposition complette . On n'ouvrirait
le salon que dans le cas de l'affirmative .
L
Pour le coup , mon cher amateur , j'adopte vos
deux idées , et je souhaite de les voir réalisées . A
l'an prochain donc , si le jury nous poura croire asser
tiches et assez attrayans ,
7
POÉSIE.
A FRANÇOIS ( de Neufchâteau ) sur son poëme des Vosgese
DEPUIS EPUIS long-tems à l'humble prose
D'austeres devoirs m'ont réduit
Lire des vers ! ... hélas je n'ose ;
Par eux je crains d'être séduit .
Ma lyre , à regret suspendue ,
A ma voix ne vient plus s'unir
( 164 )
Mais elle n'est que détendue ;
Bientôt on l'entendrait gémir.
D'Homere oubliant les merveilles ,
Je suis une de ses leçons ;
Et je me bouche les oreilles ,
Pour fuir de trop dangereux sons.
Mais aux accens d'une Syrene
Aujourd'hui j'ai mal résisté ;
Et je sens bouillonner ma veine
Depuis que François a chanté.
Que j'aime sa douce harmonie ,
Son style pur , brillant et clair.... !
Ses chants illustrent sa patrie ;
Et les Vosges ont un Haller.
Il nous révele les délices
De ce pays trop peu vanté ,
Pauvre de trésors et de vices ,
Riche de moeurs , de liberté ;
Riche de sources salutaires ,
De fleuves , de lacs transparens ,
De neiges , de rocs solitaires ,
De précipices , de torrens.
Là , ( 1) Voltaire honora l'asyle
De plus d'un savant ignoré :
Là , ( 2 ) respira notre Virgile ,
Loin d'un peuple aux tyrans livré .
Ah ! reviens aimable poëte ;
Ne crains plus de tristes hasards :
Reviens ; ta place est toute prête
Dans le nouveau temple des Arts (3 ) .
(1 ) A Senones .
(2 ) A Saint -Diez.
(3) C'est par erreur , et contre l'intention de l'Institut na(
165 )
3
Que François ici te ramene :
Venez tous deux , par vos concerts
Réveiller , aux bords de la Seine ,
Le goût assoupi des beaux vers .
Chantre des Vosges ! que j'envie
L'essor que tu viens de tenter !
Comme toi , j'aime ma patrie ;
Que ne puis-je ainsi la chanter !
P. L. GINGUENE .
SPECTACLE S.
THEATRE DE LA REPUBLIQUE .
Nous avons cru devoir attendre la seconde représentation
de la comédie des Artistes pour en rendre compte . Il
n'était pas difficile de prévoir qu'au moyen de quelques retranchemens
et de quelques corrections , elle aurait le succès
le plus complet , et serait telle qu'on avait droit de l'attendre
de l'auteur de l'Inconstant , de l'Optimiste , du Vieux Gélibataire
, etc.
༄ ;
Notre espérance n'a point été trompée . L'auteur a réduit
sa piece à quatre actes , au lieu de cinq qu'elle avait d'abord' ;
l'action plus resserrée a marché plus rapidement ; et la langueur
qui s'y faisait sentir , a cessé de nuire à l'effet de tous
les beaux morceaux de détail dont l'ouvrage entier est enrichi
.
A
Le sujet en est fort simple . Un jeune peintre a deux
bons amis de son âge , l'un poëte , l'autre amateur de vers ,
:
tional tout entier , qu'on fit sur sa liste , à côté du nom de
DELILLE place vacante à cause de la non résidence . La classe
dont il est membre a pris à cet égard une délibération expressed
Elle devait à elle-même cette réparation .
se
L 3
( 166 )
f
de tableaux et sur-tout de musique , qu'il cultive particulie
rement. Ce dernier est plus favorisé que ses deux amis des
dons de la fortune. Les trois jeunes gens s'aiment entre
eux , aiment les arts , et s'encouragent à les cultiver . Leur
douce union , les bons avis qu'ils se donnent réciproquement
, le plaisir avec lequel ils jouissent des succès l'un de
l'autre , forment des tableaux touchans , et qui vont à l'ame .
Le peintre , qui est le principal personnage , aime une
jeune veuve , sa voisine ; mais il ne s'est pas encore fait
connaître dans la peinture ; il travaille en secret , et attend
pour paraître que son talent soit formé ; belle leçon à tant
d'écoliers , non pas en peinture , qui barbouillent des rapsodies
qu'ils nous donnent pour des livres et pour des
pieces de théâtre ! ..... Armand est modeste et timide . Cependant
un prix célebre a été proposé , et il a osé concourir
. Il attend , pour déclarer son amour , qu'il puisse
croire à son talent d'après l'évenement. De son côté , la
voisine l'aime aussi ; mais son amour n'est pas moins délicat
, moins discret . De - là naissent quelques incidens .
L'amateur a vu la jeune veuve et en est épris ; il lui offre
șa fortune et sa main ; il engage même son ami le peintre
1
à l'appuyer auprès d'elle. D'un autre côté , le pere du
peintre,, un bon cultivateur , vient chercher son fils qu'il
veut absolument remener dans sa ferme . Il n'aime point
à le voir courir une carriere plus honorable que lucrative ,
et dans laquelle son fils , après dix ans de travaux , paraît
si peu avancé.
My
Mais ce jour-là même , Armand remporte le prix pour
lequel il a concouru ; son ami découvre qu'il est aimé de
la voisine , et fait à son tour le sacrifice que le générenx
peintre avait voulu faire : Armand se trouve heureux d'être
inqueur, plus heureux d'être aimé et uni à celle qu'il aime .
Ce fonds est assurément peu de chose . Mais la maniere
dont il est traite , le releve et le rend précieux cette ma
ix
( 167 )
1
piere est celle de Collin , et n'appartient qu'à lui . Délicatesse
, sensibilité , douceur , font le charme de sa poésie ,
On voit que l'auteur était rempli du sentiment qu'il a prêté
à son héros , qu'il suppose occupé de composer un ta
bleau intitulé l'Artiste .
Mon dessein , lui fait-il dire ,
Est de faire sentir aux artistes mes freres
L'importance et le but de leurs nobles travaux ,
De leur faire chérir leur art et leurs rivaux..
Louable et pur motif , ( Répond le poëte )
dont l'artiste a d'avance
Dans le fond de son coeur reçu la récompense !
Cette comédie est en effet un véritable poëme dialogué ,
en l'honneur des arts et des artistes . Le sujet était beau ;
et il est traité comme il méritait de l'être .
Baptiste aîné , dans le rôle de peintre ; Talma , dans
celui du poête , et Damas qui joue l'amateur , ont montré
beaucoup de talens .
Cette piece , après la premiere représentation et avant
la seconde , a été fort critiquée ; elle pourrait l'être encore
un peu du côté du défaut d'intrigue , de la ressemblance
des caracteres , et de quelque monotonie dans le style ;
mais il reste toujours que c'est l'ouvrage d'un vrai poëte ,
et d'un poëte extrêmement aimable.
THEATRE DE LA RUE FAYDE A Ú.
On a donné à ce théâtre une comédie nouvelle ,
cinq actes et en vers , intitulée Etre el Paraître. Le sujet
en est moral ; il présente l'opposition d'un homme d'a
mérite réel avec le charlatan , qui ne veut que briller et
passer pour tout ce qu'il n'est pas. L'un est savant , riche ,
bienfaisant et heureux ; mais il aime à cacher sa vie . L'autre
ignorant , accablé de dettes , avare et fastueux , est rongé
L4
( 168 )
de chagrin , si ce nist de remords. Ce dernier rôle n'étai
pas sans comique , et il a souvent excité le rire ; à l'égard
du premier , il est difficile peut- être de rendre dramatique
le rôle sage et froid d'un philosophe , à moins de le mon
trer dans le malheur, L'intrigue de la piece n'était pas
conçue de maniere à faire ressortir l'intention qu'elle annonçait
; elle n'a pas eu de snécès , et l'auteur a cru devoir
la retirer après la premiere représentation .
THEATRE DU VAUDEVILLE.
C'était une entreprise hardie et qui exigeait beaucoup de
talens , que de faire au Vaudeville un ouvrage en 3 actes
avec trois acteurs et sans femme . Cette entreprise , le cit.
Piis l'a tentée avec succès dans la piece de Santeuil et Dominique,
On connaît la scene que Dominique fit un jour au
poëte de Saint-Victor , et au moyen de laquelle il lui arracha
, pour en faire sa devise , ces mots fameux , qui sont
depuis devenus la devise de la comédie , et qui devraient
être aussi celles de tous les auteurs qui travaillent pour.
le
théâtre Castigat ridendo mores ,
A cette anecdote , l'auteur de Santeuil en a joint beauconp
d'autres il importe peu qu'elles soient vraies ; on les conte
depuis long- tems et elles sont gaies , c'est ce qu'on exige
au théâtre,
Voici la fable de la piece.
vers
Dominique se présente à Santeuil sans en être connu , et
lui demande un vers pour mettre au bas de son portrait.
Santeuil qui , comme on sait , attachait un grand prix à ses
trouve la demande indiscrette . Et puis que peut offrir
de piquant le nom de Dominique ? D'ailleurs , le poëte est
de très mauvaise humeur ; il sort du sermon d'un de ses
amis , qui a manqué de mémoire dès l'exorde ; ce n'est pas
le sermon qu'il regrette , mais bien la collation qui devait
le suivre , s'il eût été achevé , Quand il apprend que De(
169 )
minique est comédien , c'est bien pis encore ; il entre en
fureur et le chasse , en lui reprochant la vie de ses pareils ;
il les accuse , d'aimer le jeu , la fillette et le carafon .
Dominique promet de se venger ; le portier du couvent ,
qui la veille Santeuil a fait un assez mauvais tour , s'engage
à le seconder. L'acteur se déguise en
jouer Santeuil , et lui gagne 600
voir pour le prix d'une hymne
teur italien , loue beaucoup le
l'enivre .
gascon , fait
liv . qu'il venait de receil
paraît ensuite en chanchanoine
, le fait boire et
Enfin , il se travestit en femme , et se montre au parloir
. Santeuil , oubliant qu'il n'a pas le caractere nécessaire
pour recevoir une confession , consent à l'écouter . Arlequin
le prie de l'interroger par où voulez - vous que je
commence , demande Santeuil . Eh répond la fausse
pénitente , par les sept péchés capitaux ; et voilà qu'elle
lui fait toute la confession d'Arlequin , qui ne laisse pas
de paraître étrange dans la bouche d'une femme ; Santeuil
lui saisit la main et la baise .
$
Elle se fâche , et le menace d'aller le dire au prieur ; faites
çela , lui répond-il , moi j'irai le dire à votre mari . Il rentre
dans sa chambre ; mais Arlequin y entre en même- tems par
la fenêtre ; cette fois il a son habit et son masque , Santeuil
le prend pour le diable , et l'exercise . On s'explique : Arlequin
rend à Santeuil sa leçon , et lui fait voir qu'un chanoine
peut aussi quelquefois être fragile et céder aux séductions du
jeu , du vin et d'une jolie pénitente .
Il obtient le vers qu'il demandait et mene Santeuil à la
comédie.
Voltaire a dit
que la vie des gens de lettres était dans leurs
´ouvrages ; il a voulu faire entendre par là qu'une fois morts ,
on devait oublier leurs faiblesses , pour ne voir
talens . Ceux de Santeuil sont trop oubliés dans la piece ; on
1
que
leurs
n'en dit rien que ce qu'il en dit lui-même , et ses hymnes
( 170 )
、
1
remplies de grandes beautés , et qui l'ont placé au premier
rang des poëtes latins , méritaient au moins un couplet.
Le second acte de cette piece languit peut-être un instant .
Du reste , elle fait le plus grand plaisir . Les situations sont
comiques ; le dialogue vif et gai et les couplets pleins d'esprit
et d'originalité . Elle est très -bien jouée par les citoyens
Rosiere , Carpentier et Laporte : ce dernier mérite d'autant´
plus d'éloges , qu'il ne paraît que dans une scene sous l'habit
d'Arlequin , et qu'il remplit d'abord 4 rôles à visage décou
vert après le talent qu'il y a montré et les applaudissemens
qu'ily a recueillis , nous oserons dire que le public ' a reconnus
quoiqu'il n'eût pas son masque .
1
1
ANNONCE S. 1
Les amateurs de l'Histoire naturelle sont prévenus que
les volumes VII , VIII , IX , X , XI et XII de l'Histoire
maturelle des Poissons ' , par M. Bloch , paraîtront vers la fin
du mois de nivôse. Ces six volumes qui complettent cet
excellent ouvrage , qui peut être mis au rang des meilleurs
ouvrages classiques , contiennent tous les poissons indiens
et autres jusqu'alors inconnus. La description et le dessin
sont aussi soignés que dans les six premiers volumes . Les
personnes qui desireront avoir des premieres épreuves ,
s'adresseront au cit . Fauvelet le jeune , rue Grenier - Lazarre
, nº . 33 , à Paris . On y trouvera aussi des exemplaires
complets . Le prix de cet ouvrage en douze volumes in -folio
sur beau papier d'Hollande , contenant 530 poissons differens
, dessinés et enluminés d'après nature , est de 720 liv.
en numéraire , et les six derniers volumes de 360 liv. It
y a aussi des exemplaires sur papier plus fin . Le prix est de
864 liv. franç de port pour les douze volumes , et de: 432 liv ,
pour les six derniers . On prie d'envoyer les lettres et
T'argent franc de port ,
-
Lettres d'Edmond Burke à un membre de la chambre des
Communes du parlement d'Angleterre , sur les négociations,
de paix ouvertes avec le Directoire ; traduites de l'anglais :
( 171 )
brochure in-8° . de 218 pages . A Paris , chez Pougin , impri
meur-libraire , rue des Peres , nos . 61 et 65.
On connaît les diatribes de Burke sur la révolution française
, Celle- ci , n'est pas moins violente ; c'est un plaidoyer.
fouguenx en faveur de la royante . L'auteur prétend que
l'Angleterre , toute monarchique qu'elle est , ne sera bientôt.
plus comptée entre les nations , et que la France républicaine ,
donnera des fers à l'Europe , et menace de changer le culte
de l'univers. Aussi ne trouve - t- il d'autre moyen , pour prévenir
ce malheur , que d'exterminer tous les Français . On
peut juger des accessoires de louvrage , par le but qu'il
se propose . Aussi ses folies cessent- elles d'être atroces , à
force d'être ridicules . Au milieu des exagérations les plus
outrées et des faits les plus dénués de vérité , on trouve
des idées importantes de la force et de la grandeur de la
République Française et l'on doit peu s'étonner que cet
ouvrage soit si mal accueilli des ennemis même de notre
gouvernement.
Cours élémentaire de Morale , ou le Pere instituteur de ses
enfans ; ouvrage propre à l'instruction publique ; par Maurice
Lévesque . Un volume in - 8° . Prix , 3 liv. 12 sous pour
Paris , et 4 liv . 14 sous , franc de port, pour les départemens .
A Paris , chez l'auteur , rue Saint- Benoît no . 764 , près la
rue Taranne ; Desenne , libraire , au Palais - Egalité, L'an V.
( 1796. )
Cet ouvrage mérite d'occuper une place distinguée parmi
les autres livres classiques .
Histoire naturelle et raisonnée de l'ame , par M. Rey Régis
Cazillac , docteur en médecine de la faculté de Montpellier .
Deux volumes in- 12 . Prix , 5 liv.; et 7 liv ,, franc de port ,
pour les départemens . A Paris , chez Morin , libraire , rue
de Savoie , nº . 21 ,
Fables d'Antoine Vitalis ; seconde édition revue et augmentée.
Un volume in -8° . A Paris , chez l'auteur , rue du Jardinet
, no. 2 ; et chez Dupont , imprimeur-libraire , rue de
la Loi , no, 1231. L'an V1796 ).
(172 )
NOUVELLES ÉTRANGERES.
ALLEMAGNE.
De Hambourg , le 1er décembre 1796.
Voici le discours que le roi de Suede prononça
pour déclarer sa majorité , le rer . du mois dernier.
pour
Le jour est venu où , conformément aux dernieres volontés
de mon pere , je dois me déclarer en âge de prendre les
rênes du gouvernement suédois . En requérant votre altesse
de les remettre en mes mains , mon coeur est vivement affecté
des impressions les plus profondes de reconnaissance et de.
vénération envers la providence qui a fait choix de moi
gouverner un peuple libre et indépendant : je suis pénétré
d'amour pour une nation distinguée dans tous les tems par
sa loyauté et sa valeur , et je sens la grandeur et l'étendue
des devoirs qui me sont imposés. Dans cette circonstance si
importante pour moi et pour nous tons , le souvenir de la
perte eruelle que nous avons faite , se réveille naturellement
au fond de nos coeurs : j'ai perdu un bon pere , et la Suede
un roi respecté et chéri . Les bénédictions et les hommages
qu'il mérite , ne seront jamais oubliés par un vrai Suédois
et il est bien doux pour moi , en payant ce tribut à sa mémoire
, d'être l'interprête du sentiment que je partage avee
mes sujets . Je me souviendrai toujours des tendresses qu'il
m'a prodiguées , et qu'il étendit au- delà même du tombeau ,
et vous confiant , mon cher oncle , l'administration du
royaume pendant ma minorité .
Votre altesse l'a remplace à -la-fois pour moi -même et pour
ce pays. Je n'ignore pas quels ont été vos soins et votre surveillance
, j'en conserverai une éternelle gratitude ; et quoique
le témoignage de votre conscience vous en offre le plus
digne salaire , je crois cependant que vous aurez quelque
plaisir à voir celui dont le jeune âge reçut vos soins , tenir le
sceptre avec honneur ; comptant sur l'assistance du tout(
173 )
puissant , je m'estime heureux de déclarer devant les grande
du royaume et devant vous tous , Suédois et mes chers sujets
assemblés ici , qu'en entrant dans mes fonctions , mon voeu
le plus cher est de les remplir pour le bien être et le bonheur ,
de nous tous. Mon principal objet sera de pratiquer la justice
et les lois , de maintenir chaque Suédois dans la jouissance
paisible des fruits de son travail , de protéger le royaume
et son indépendance , d'augmenter la masse de la prospérité
nationale et individuelle , de ménager les ressources de l'état
avec scrupule , et d'obtenir enfin le plus doux partage d'un
roi , celui d'être entouré de sujets heureux.
Jeune encore , et sans expérience , j'attends beaucoup de
mes conseils , mais sur- tout de l'amour de mes sujets , qui auront
à coeur de remplir leurs devoirs envers leur roi , comme
je m'efforcerai de remplir les miens envers eux . Les Suédois
se sont toujours distingués par la conduite et les sentimens
dont je parle ; pour moi , ma devise sera : Dieu et le peuple.
Ces mots me rappelleront sans cesse mon devoir , ma responsabilite
, et l'appui dans lequel je mets ma confiance . Je
suis convaincu que mes sujets ne dégénéreront pas de leurs
ancêtres , qui craignirent Dieu et aimerent leur roi , et ils
doivent être assurés que leur amour sera toujours l'objet de
mon orgueil et ma plus douce récompense.
Parmi les différens rapports qui nous sont parvenus
de Suede , les uns annoncent positivement la rupture
du mariage du jeune roi avec une princesse
russe ; d'autres affirment le contraire. Mais les premiers
nous paraissent mériter plus de confiance , parce
qu'ils nous viennent d'une main plus sûré , et qu'ils ;
se concilient mieux d'ailleurs avec l'opinion que les
uns et les autres s'accordent à donner au cabinet
actuel de Stockholm sur le systême politique qu'il·
lui convient d'embrasser. Il paraît hors de doute qu'il
ne veut entrer dans aucune des mesures qui ont
été proposées en dernier lieu à Pétersbourg ; qu'il
est disposé à rejetter constamment tout ce qui pour
rait tendre à développer les germes de mėsintelli-
1
( 174 )
gence que l'on avait commencé à semer entre le
gouvernement français et lui . Cependant il y a lieu
de présumer qu'il se croit encore obligé à quelques
ménagemens envers la Russie , si , comme quelques
correspondances l'annoncent , il envoie à Paris , au
licu de M. le baron de Staël , un simple chargé d'affaires
, que l'on dit être M. de Koning , ci - devant
secrétaire d'ambassade .
Parmi les conseillers dont le roi de Suede s'est
environné , on distingue le comte de Wachmeister et
Wils -Rosenstein. Le premier joint à une probité
éprouvée , et généralement avouée , la connaissane
la plus approfondie et la plus étendue des lois de
son pays . En 1789 , il déploya beaucoup de fermeté
contre Gustave III , et s'opposa constamment à ses
entreprises despotiques ; il en fut puni par une espece
d'exil en Pomeranie . Rosenstein , auteur d'un excellent
ouvrages sur les Préjugés , a , au suprême degré , le
talent de l'observation . On le regarde en Suede
comme l'homme de ce royaume qui pense le plus
profondément , et raisonne avec le plus de justesse ;
il était instituteur du roi. Il y a deux ans , le duc régent
voulut l'écarter ; mais il s'était dès - lors tellcment
acquis la confiance et l'amitié de son éleve
que celui- ci opposa aux volontés de son oncle la résistance
la plus ferme et la plus constante .
On présume que le baron de Celsing sera appellé
au miuistere . Les différentes missions politiques dont
il a été chargé lui ont donné l'expérience des affaires .
La concision de son style est remarquable , et lui a
valu l'honorable surnom de Tacite suédois . Il paraît.
que le baron de Ramel sera aussi employé dans l'ad(
175 )
ministration. Celui- ci est connu par le courage avec
lequel il s'est montré , dans plusieurs occasions , opposé
aux vues , aux opérations de Gustave III , et particulierement
lors de l'introduction du monopole
des eaux- de-vie .
སྲས་
Le ci-devant régent , duc de Sudermanie , était général
en chef de la premiere division de l'armée de
terre , grand amiral de toutes les forces navales de
la Suede , général en chef de l'artillerie , et directeur
de l'académie militaire de Carlsberg . Il a donné sa
démission de toutes ces charges importantes ; ce que
l'on ne peut attribuer qu'à un mécontentement par
ticulier , dont au surplus on ignore la cause . Ce que
Fon sait , c'est que le roi laisse voir dans son administration
, et particulierement dans celle de son intérieur
, à travers des formes douces et modestes ,
un caractere décidé , et des volontés très - fermes .
Des lettres de l'Ukraine confirment la destruction
de l'armée russe en Perse . Cette armée , commandée
par Valérien Subow , jeune homme d'environ 25 ans ,
qui eut une jambe emportée en Pologne , était d'environ
36 mille hommes ; elle est anéantie . Les Perses ,
en nombre infiniment supérieur , l'attaquerent près
de Derbent , et l'écraserent au point que le général
eut bien de la peine à gagner Astracan dans une
barque avec quatre ou cinq personnes . Cet événement
renverse le plus grand des projets conçus par
l'impératrice , celui de profiter des divisions de la
Perse pour s'assurer le commerce de la mer Caspienne
de s'ouvrir un chemin à celui des Indes ,
et de prendre la Turquie par des diversions loin
taines. Comme il est présumable que l'impératrice
( 176 )
voudra prendre sa revanche , il est bien à craindre
qu'elle ne puisse remplir les promesses qu'elle a
faites , et qu'elle paraissait disposée à tenir au moins
elle ne pourra pas donner les troupes aguerries que
commandait le général Suwarow , et qui , occupant
l'Ukraine , étaient plus à portée de se rendre promptement
en Allemagne.
C'est sans doute pour réparer cet échec que l'impératrice
a ordonné dans tous ses états la levée d'un
homme sur cent. C'est la maniere ordinaire dont
elle recrute ses armées . Elle l'a introduite dans les
provinces nouvellement réunies à son empire. L'on
apprend de Grodno , que le prince Repnin , gouverneur
général de la Lithuanie , vient de publier un
décret pour notifier et faire exécuter les volontés de
sa souveraine à cet égard .
Nous venons d'apprendre la mort de l'impératrice
de Russie . Quoique son successeur ait toujours vécu
éloigné des affaires , et dans une contrainte et une
défiance qui ne lui ont pas permis de manifester ses
opinions et ses vues , on présume , assez généralement,
que son avénement au trône apportera quelques
changemens au systême politique de la Russie .
1
De Ratisbonne , le 28 novembre.
Il paraît que l'empereur ne 'regarde point comme
légitimes les traités qui , sans son entremise , ont été
conclus , avec la République Française , par quelques
membres du corps germanique . L'archiduc Charles
a fait demander , conséquemment à cette opinion ,
au
( 177 )
a landgrave de Hesse - Cassel , au duc de Wurtem
berg et au margrave de Bade comment il devra les
considérer dorénavant , si ce sera comme amis , ou
comme ennemis ? Au reste , cette question , ou du
moins le principe qui y a donné lieu , est soumis à
la diete , à qui l'empereur a demandé une réponse
prompte et cathégorique . La diete se trouve dans un
grand embarras. Les princes et états , accusés auprès
d'elle par l'empereur d'avoir enfreint les lois consti-
`tutionnelles du corps germanique , ont , en quelque
sorté , pour garant de la légitimité de leurs démarches
, le roi de Prusse ; et un tel garant a droit à des
ménagemens . En attendant , l'empereur exige que
tous les états fassent rejoindre d'abord leur contin
gent , et que les fournitures pour l'entretien de l'armée
soient rassemblées par voie de requisition .
Voici quelques détails que nous avons reçus de
Vienne sur la diete de Hongrie. Les secouss - proposés
et promis par cette diete à l'empereur paraîtront
sans doute fort exagérés , à ceux -mêmes qui ont
la plus haute opinion et des ressources des Hongrois
, et de leur zele pour la maison d'Autriche.
Ce fut le 9 de novembre que s'ouvrit à Presbourg
à la diete de Hongrie , composée des magnats et des
députés des états qui s'assemblerent séparément . Le
magnat Joseph Nagy de Felsobuck fit un discours ,
auquel répondit le chanoine et député de Vancsay.
Le 10 , une députation nombreuse se rendit à Scholshoff
, pour inviter S. M. à honorer la diete de sa
présence . Le comte Ladislas de Kolonicz , archevêque
de Kolozi , prononça le discours d'invitation , auquel
S. M. daigna répondre , et elle assura la députation
Tome XXVI. M
( 178 )
qu'elle se rendrait le jour suivant , à la diete . Pareille
invitation fut faite à S. M. l'impératrice .
Le 11 , à cinq heures du soir , leurs M. I. arriverent
à Presbourg , au milieu des cris de joie d'un peuple
immense ; elles furent reçues solemnellement au
palais primatial par les magnats et les états. L. M.
se rendirent ensuite à la chapelle , où le clergé en
habits de choeur les reçut . Le Te Deum fut chanté .
Le 12 , on procéda à l'élection d'un palatin dans
une séance où les magnats et les députés se trouvaient
réunis . S. A. R. l'archiduc Joseph fut élu à l'unanimité
la plus absolue. Leurs majestés ayant été
informées par une députation que l'élection était
aussi heureusement consommée , se rendirent avec
l'archiduc dans la salle d'assemblée ; dès qu'elles
parurent un cri universel de vivat se fit entendre .
Leurs majestés , ainsi que S. A. R. l'archiduc , prirent
ensuite place et assisterent à la séance jusqu'à la fin .
Le comte Charles Palfy d'Ersodi adressa à cette
occasion un discours à l'assemblée , auquel sa majesté
répondit en latin ; le cardinal Primat , Joseph de
Bathiani, parla aussi . Ensuite S. A. R. l'archiduc prêta
le serment d'usage .
Le 13 , les magnats et les députés des états se
présenterent à leurs majestés pour leur baiser la
main.
Le 14, il y eut encore
une
séance
mêlée
, dans
laquelle
se fit l'installation
de S. A. R. l'archiduc
Palatin
. Ce prince
prononça
un discours
, ainsi
que
le cardinal
Primat
et le président
de la table
impériale
. Le soir , il y eut appartement
à la cour.
L'on apprend aujourd'hui que les états de Hongrie
( 179 )
ont prévenu les desirs de sa majesté , de la maniere
la plus propre à lui prouver leur amour et leur
dévoâmént. Quoique la résolution formelle n'ait point
encore été prise , l'on sait cependant pour certain
qu'il s'agit , et qu'il a été proposé de mettre en campagne
pour le mois de mars 1797 au plus tard , ung
armée de Bo mille hommes , tant infanterie que cava
lerie , qui sera entierement entretenue par la nation ;
de lever en outre et tenir dans le pays une armée
de réserve de 50 mille hommes , et enfin de fournir
4
millions de florins , la moitié en argent , et la
moitié en vivres . Comme aucune difficulté ne s'oppose
au réglement de cet objet , qu'au contraire le zele
le plus vif anime tous les membres , la diete será
terminée dans peu de jours .
ITALIE! De Gênes , le 30 novembre .
Le gouvernement de Gênes, pour payer les quatre niillions
qu'il a consenti de donner à la France , à décreté un emprunt
forcé , portant 2 pour cent d'intérêt. Pour que cette nouvelle
charge ne porte que sur les riches , on a pris pour bâse les
loyers des maisons: Ceux qui paient des loyers au- dessus de
400 livres , contribueront à l'emprunt selon des regles de
proportion . Plusieurs membres du petit conseil , pour éviter
de mettre cette nouvelle charge , ont proposé que le gouver
nement s'appropriât plusieurs couvens , aujourd'hui presque
déserts , et en consacrât le produit aux besoins publics .
Cette opération aurait eu aussi le grand avantage de procurer
de vastes habitations dans les plus beaux quartiers de la ville
dont la population est tellement augmentée que le peuple
y est entassé . On ne sait pourquoi le gouvernement n'a pas
adopté ce plan, proposé depuis plus de 30 ans , et dont l'utilité
☀st si évidenté . Serait- ce parce que les membres influans dit
M 1
( 180 )
gouvernement possedent des maisons , et que cette opération
ferait diminuer le prix des loyers ?
De Rome , le 28 novembre. Avant- hier la milice civique
a commencé son service . Quelques personnes demandent :
Qui nous gardera de vos gardes ? Quoiqu'elle ne soit composée
que d'honnêtes citoyens , on craint qu'ils ne troublent
bientôt l'ordre public qu'ils sont chargés de maintenir.
On continue les enrôlemens pour la troupe de ligne .
L'armée papale se rassemblera dans la Romagne , afin d'être
à portée d'envahir le Bolonais et le Ferrarais , dès que les
Français seront obligés dǝ se retirer de la Lombardie . On
ignore quel est le Sacrogordon qui doit commander cette
armée .
On continue avec la plus grande activité les préparatifs
militaires ; et pour les premiers jours du mois prochain ;
il y aura sur pied et prêts à marcher 6000 hommes d'infanterie
, 400 d'artillerie et 1000 de cavalerie. La jeunesse
accourt de tous les côtés s'enrôler pour la défense du
prince et de l'état. La place de Civita - Vecchia est déja
mise en état de défense du côté de terre , et de celui de
la mer , elle renferme dans ses fortifications 250 canons .
Près de Montalto et d'Aqua - Pendente sont deux postes
avancés de 1500 hommes chacun .
On fait maintenant de grands travaux dans la place d'An
cone et dans tous les autres forts de l'état , sa sainteté voulant
que l'on n'épargne ni soins , ni dépenses , pour mettre
ses domaines en bon état de défense . Le corps de cavalerie
des volontaires d'élite , qui est superbement monté ,
sera bientôt prêt à marcher à sa destination .
Quoique ces préparatifs et la confiance que l'empereur
cherche , dit- on , à inspirer au pape dans les secours qu'il
lui promet semblent devoir éloigner la paix , on en com
serve toujours l'espérance .
( 181 )
Il est certain que le cit . Cacault a reçu des pleins pouvoirs
du Directoire , pour traiter la paix avec Rome . Une lettre dų
général Buonaparte , en date du 28 , le confirme : ce général
assure que le traité n'aura pas pour bâse les articles
proposés à Florence . Dans cette lettre du général Bnonaparte
, on remarque les paroles suivantes : J'aime mieux être
le sauveur du chef de l'église et de ces belles contrées , que leur
destructeur. C'est le général Buonaparte et l'agent Cacault qui
ont engagé le Directoire à se désister des principes qu'il avait
adoptés en traitant avec le pape ; l'un , par la difficulté de sa
position , tant qu'il ne sera pas maître de Mantoue ; et l'autre,
par la grande connaissance qu'il a de l'Italie , ont senti mieux
que personne qu'on laissait échapper le moment favorable
pour faire une paix avantageuse ; qu'il était imprudent de
laisser armer le midi de l'Italie , et de perdre les avantages de
l'armistice .
ANGLETERRE. De Londres , le 3 décembre.
Avant-hier , les ministres étrangers se sont réunis chez
lord Grenville .
On apprend que sir John Jervis , avec sa flotte , est
arrivé sain et sauf à Gibraltar : cette flotte consiste en
treize vaisseaux de ligne elle doit être chargée de soutenir
ou de dégager l'escadre qui est à lisle d'Elbe ; et si
elle parvient à battre les Espagnols , on ne doute pas que l'influence
anglaise ne prenne une nouvelle activité près les
cabinets d'Italie .
Les lettres des Indes occidentales confirment les avantages
obtenus par les corsaires français de la Guadeloupe : depuis le
23 juin , jusqu'au 10 septembre ; ces corsaires ont capturé
plus de 66 bâtimens anglais .
S'il faut en croire un vaisseau américain qui vient du Cap
M 3
( 182 )
1.
Français , isle Saint-Domingue , les Noirs se sont déclarés
indépendans. La gazette de Philadelphie du 20 octobre , dit
que , par suite de cette insurrection , le général Lavaux et le
commissaire Santhonax ont été tués avec un grand nombre de
Blancs .
Des dépêches du gouverneur et du conseil de Madras
datées du 22 juin , contiennent la relation des succès du
contre-amiral Rainier dans les Indes orientales. Les troupes
britanniques se sont emparées ,des isles d'Amboine et de
Banda , et de leurs dépendances ; on sait que ces isles qui
font partie des Moluques , donnent abondamment le clou
de girofle et la muscade. Les Hollandais ne conservent
plus que Ternate , la principale des Moluques mais si l'on
en juge d'après la facilité qu'on a eue dans les autres isles १
celle- ci doit bientôt échapper à ses anciens maîtres . Amboine
et Banda se sont rendues , la premiere le 16 février , et la
seconde la 8 mars , par capitulations et sans que les troupes
anglaises aient éprouvé la moindre perte.
Les lettres d'Irlande du 22 novembre portent que les
troubles n'ont pas cessé dans cette isle : six paroisses du
comté de Down , et sept du comté d'Armagh , ont été ,
par proclamation du lord-lieutenant , soumises au bill d'insurrection
, et mises hors la paix du roi . D'après ce bill ,
les habitans ne peuvent être hors de chez eux après le
coucher , ni avant le lever du soleil , sous peine de déportation
ou de service de mer ceux qui peuvent donner caution
en sont quittes pour un emprisonnement . Les volontaires
de Dublin forment un total de 800 hommes d'infanterie
et 300 de cavalerie .
Le comte de Moyra est de retour d'Ecosse , où il a été
rendre visite au ci- devant comte d'Artois .
Le nouveau plan proposé par M. Pitt ? et adopté par la
( 183 )
banque , a été publié le premier décembre, Quatre heures
après la publication et l'ouverture , il y avait déja pour sept
millions de souscriptions : hier matin , on en reçut pour
deux millions ; dans l'après - midi , les souscriptions montaient
à dix millions . La banque a souscrit pour un million ; les
directeurs et administrateurs pour 500 mille livres ; Smith ,
pour 100 mille livres ; Boyd , idem ; Thelukon, pour 150 mille
livres ; le duc de Bridgewater, pour 100 mille , etc. On pense
que la souscription de la compagnie des Indes sera considérable
. Suivant la lettre du ministre au directeur de la banque
l'emprunt doit être de 18 millions .
REPUBLIQUE FRANÇAISE.
CORPS LÉGISLATIF.
Séances des deux Conseils , du 15 au 25 frimaire.
Richard soumet à la discussion le projet relatif à
la prohibition du port d'armes , sans une autorisation
des municipalités . Lecointe dit qu'il ressemble
beaucoup aux anciennes ordonnances qui défendaient
le port d'armes aux roturiers : il est écarté par l'ordre
du jour.
Mailhe : La police était bien faite au commmencement
de la révolution , et nous devions ce bienfait
à l'organisation de la garde nationale . Il importe
de la rétablir , telle qu'elle était . Je propose dans
cette vue un message au Directoire . Adopté.
Dumolard : La plupart des brigands qui désolent
les villes et les campagnes , sont des condamnés aux
fers qui se sont échappés des prisons qui les renferment.
Je demande la nomination d'une commission
pour s'occuper de cet objet. Adopté.
Le conseil se forme ensuite en comité général. Il
s'agit des colunies orientales.
M 4
( 184 )
La discussion sur les projets de Daunou occupe
les séances des 17 et 18. Jourdan n'y voit que des
mesures de police mal combinées , et il réclame lą
priorité en faveur du projet de Pastoret .
Tout acte limitatif de la libertê de la presse
est illégal , dit - il , et par conséquent nul ; c'est-là l'esprit
de la constitution . Respublica , c'est la publicité
des choses , le plus grand développement donné aux
facultés humaines : vous ne pouvez les restreindre ,
sous quelque prétexte que ce soit , d'après le gouvernement
que le peuple s'est donné , et que votre
mandat vous ordonne de maintenir . Toutes les juridictions
, tous les priviléges qui les entravent sont
anéantis , et il n'est pas en votre pouvoir de les rétablir
pour le peuple , la liberté de la presse est un
droit pour les magistrats , c'est un devoir.
La liberté de la presse est inviolable , elle est illimitée
; et ainsi , les effets et les prétendus délits résultant
des effets , sont presque toujours insaisissables
, impunissables : il y a mille moyens d'évasion.
Voilà où vous a menés la longue discussion qui
a ôté aux délits leur caractere positif, pour leur en
donner d'hypothétiques et d'indéterminés .
Dès que la liberté de la presse sera interdite au courage
des journalistes , la terreur planera de nouveau sur
la France un journal privilégie pourrait faire la
contre-révolution de la liberté de la presse .
Henri Lariviere : Pour parvenir à faire suspendre
la liberté de la presse , on vous a allégué les effets
du royalisme , on les allégue encore ; mais où est
le royaliste ? Est- il dans nos camps ? Sont- ils royalistes
ces braves défenseurs qui font chaque jour des nouvelles
conquêtes sur les rois ? Sont- ils royalistes cette
foule innombrable d'acquéreurs de domaines nationaux
, qui y ont mis ce qu'ils avaient de plus cher ,
pour le maintien de la liberté ? Sont-ils royalistes
ceux qui sans ressources et sans traitement , sacrifient
leur existence au service de la patrie ? Enfin , le
royaliste s'est- il réfugié dans les familles de vos défenseurs
? Ah gardez- vous de calomnier aussi gratuitement
des citoyens qui ont bien mérité de la patrie .
( 185 )
Sans doute , il y a des mécontens qui ent exprimé ,
qui expriment encore leur opinion d'une façon peu
mesurée. Mais n'est- il pas permis aux malheureux
de se plaindre ? Ne confondons pas l'accent de la
douleur avec le cri de la révolte , l'infortuné qui
souffre avec le scélérat qui conspire .
On vous propose d'établir un journal unique pour
la relation de vos opérations ; c'était aussi le projet
que Robespierre avait formé pour les jacobins . On
vous dit que c'est le seul moyen de donner au
peuple le tableau fidele de ce qui se passe dans
cette enceinte . Mais je ne crois pas du tout à l'impartialité
méchanique de l'agent - auditeur
ses passions individuelles , et ne pourra s'empêcher
d'en donner au moins une teinte aux opinions qu'il
transcrira . Je demande la question préalable sur les
projets de Daunou, et l'adoption du projet le Pastoret
il aura
L'ordre du jour appellant , le 16 , au conseil des
Anciens , la suite de la dsscussion sur les monnaies ,
Loysel et Marbois sont entendus . Ils entrent dans
des détails relatifs au titre des mounaïes , et concluent
comme ceux qui ont parlé avant eux , au
rejet de la résolution . Elle est rejectée .
Giraud ( de Nantes ) propose l'admission de la rẻ-
solution concernant les élections de la Guyane . Il
déclare qu'il n'y a point encore eu de division de
territoire dans cette colonie , et que conséquemment
il n'a pas pu se tenir d'assemblée primaire ni électorale
, et que dans le cas où elles auraient pu avoir
lieu , elles devaient se conformer aux lois des 13 et
25 fructidor sur les élections . Ajournement.
Ligeret fait approuver , le 17 , la résolution qui
fixe le mode de procéder au choix d'un tribunal
d'appel , lorsqu'il y a plus de deux parties dont les
intérêts sont opposés ,
Une congrégation séculiere de filles , connue dans
la Belgique sous le nom de Beguines , est - elle comprise
dans la loi de suppression des maisons religieuses
? Telle est la question que plusieurs corps
administratifs présentent à la décision des Conseils ,
( 186 )
et qui est renvoyée par celui des Cinq-cents à une
commission.
Crassous présente , le 19 , deux projets de résolution
; lun sur le mode de remboursement des
obligations contractées avant le 1er juillet 1791 ;
l'autre sur la fixation des intérêts . Il fait ensuite quelques
réflexions sur les bâses de l'échelle de proportion.
Il déclare que la derniere discussion n'ayant
présenté aucun résultat satisfaisant , et les bâses proposées
ne pouvant s'appliquer à tous les cas , il est
d'avis d'adopter le cours de la trésorerie dix jours
avant et dix jours après la stipulation .
La discussion a été entamée sur cet objet , sans
qu'il y ait eu rien de décidé. Elle a été reprise lẹ
lendemain 20 , et le conseil s'est prononcé en faveur
du projet de Crassous .
L'ordre du jour appellait la discussion sur les
projets de Daunou. Félix Faucon a parlé contre
l'établissement d'un journal tachigraphique , et le
projet de Pastoret lui a paru mériter la préférence ,
Un autre membre a voté pour ce journal , mais
avec cette modification , de ne point exclure des
tribunes les rédacteurs des autres journaux .
Lacuée propose , le 18 , au conseil des Anciens
d'approuver la résolution du 3 frimaire sur l'organi
sation des conseils d'administration des troupes de la
République . Impression du rapport et ajournement .
Servonac , organe de la commission ad hoc , propose
, le 19. le rejet de celle qui attribue aux seuls
juges de paix la nomination de leurs greffiers .
Le conseil approuve , le 20 , la résolution du 15
qui autorise le Directoire à former 200 nouvelles
compagnies de vétérans .
Pastoret fait , dans la séance du 21 , la seconde
lecture de son projet concernant les religionnaires
fugitifs . En voici les bâses ;
1º. Conformément à la loi du 9 décembre 1790 ,
tout individu qui , né en pays étranger , descend ,
en quelque degré que ce soit , d'un Français expatrié
pour cause de religion , est déclaré et reconnu naturel
Français.
( 187´ )
2º. Il jouirá de tous les droits de citoyen , pourvų
que rentrant en France , il se présente devant l'administration
municipale du canton qu'il aura choisi ,
qu'il y déclare son nom , sa famille , l'époque à
laquelle ses pere et mere ont quitté la France , le lieu
où ils s'étaient retirés , et l'intention formelle de fixer
son domicile en France .
3º. Il jouira au bout d'un an de tous les droits
de citoyen , pourvu qu'il paie une contribution
directe , foncière ou personnelle .
1
4°. Les religionnaires qui , en vertu de la loi du
9 décembre 1790 $ sont rentrés en France , ne sont
point soumis à ces formalités .
5º. Les dispositions de ce projet ne sont point
applicables à ceux des religionnaires ou de leurs
enfans qui n'auraient quitté la France que depuis
le 15 juillet 1789 .
Le conseil ordonne l'impression du discours et l'ajournement
du projet de la loi , après la distribution .
L'ordre du jour appellait la suite de la discussion
sur les moyens de réprimer la liberté de la presse ,
quand le conseil , consulté , a pris la résolution de
şe former en comité général .
La commune de Bapaume réclame des lois repressives
contre les devins , les enchanteurs , les sorciers
et les négromenciens qui se répandant dans les campagnes
, y font de nombreuses dupes . Dumolard
demande que les lois sur les escrocs soient appliquées
à ces prétendus sorciers , et soutient qu'une nouvelle
loi n'est pas nécessaire. L'ordre du jour a été
adopté.
Le conseil se forme de nouveau en comité général.
Les finances en sont l'objet.
Il paraît qu'il y a été arrêté qu'il sera nommé une
commission chargée de présenter un mode pour
accélérer la radiation de ceux qui ont été , par l'effet
de l'erreur , ou de la malveillance , portés sur des
listes d'émigrés , afin d'assurer par ce moyen la vente
des propriétés nationales provenant des émigrés véritables
. Demain 24 , les membres en seront nommés
au scrutin .
१
( 188 )
Deville profite de l'occasion pour dénoncer le
ministre des finances qu'il accuse d'avoir suspendu
l'effet de 150 mille soumissions . Après une légere
discussion , il est arrêté , 1 ° . qu'une commission de
cinq membres , nommée au scrutin , sera chargée de
présenter les moyens d'accélérer la vente des biens
nationaux ; 2 ° . qu'un message sera fait au Directoire
pour lui demander les motifs des suspensions prononcées
par le ministre ou les départemens . Le comité
général continue .
Pérès propose , le 21 , au conseil des Anciens , de
rejetter la résolution concernant l'exportation , attendu
qu'elle établit des droits excédans six ou sept
fois la valeur des objets sur lesquels ils peseraient .
Dupont : On vous propose d'établir des registres de
naissance et de sépulture des moutons . Qui tiendra
ces registres ? ce seront sans doute les loups . La résolution
est rejettée .
Bion reproduit à la discussion , le 24 , au conseil
des Cinq- cents , son projet de résolution sur la taxe
des ports de lettres , paquets , journaux , etc. Il est
adopté presque sans réclamations .
La taxe des journaux , prospectus et supplémens
est de 15 deniers par feuille d'impression : les demifeuilles
et quarts de feuilles seront taxés à
tion.
propor-
La taxe des lettres dans l'intérieur d'un même département
sera de 4 sous ; de 5 sous , pour le département
contigu ; de 6 , dans une distance de 30 lieues ,
et ainsi en augmentant d'un sou par 10 lieues ; de
15 sous dans une distance de 150 lieues et au- delà.
Les lettres adressées aux militaires sous les drapeaux
devront être affranchies , et ne paieront que 3 sous ,
quelque distance qu'elles parcourent .
Les membres de la commission sur la radiation
des émigrés sont Berlier , Chassey , Bézard , Mathieu ,
Treilhard . Ceux de la commission sur les domaines
nationaux sont Bailleul , Colombelle , Méaulle ,
Lamarque et Riou .
Le conseil des Anciens a approuvé , le 23 , la résolution
relative aux élections de la Guyane .
( 189 )
On a repris , le 25 , au conseil des Cinq - cents , la
discussion relative au droit de passe sur les grandes
routes. La question à résoudre était de savoir quelle
autorité serait chargée de la perception de cet impôt,
et si elle serait confiée à une régie intéressée . Les
avis long- tems partagés se sont réunis pour le systême
de la commission , qui tend à confier cette
perception aux administrations centrales de départemens
, sous la surveillance du ministre de l'intérieur.
Le Directoire exécutif a invité , par un message ,
le conseil à s'occuper , le plus promptement possi
ble , de la loi sur l'amélioration du code hypothẻ.
caire . Ce nouveau régime , dit- il , ne pourrait sans
danger souffrir de retard ; il se lie immédiatement à
toutes les mesures de finances , en même- tems qu'il
a pour but essentiel , le retour de la bonne-foi dans
les transactions , la baisse de l'intérêt de l'argent ,
et la hausse du prix des biens -fonds ..
La résolution concernant les nouveaux conseils.
d'administration des troupes de la République a été
rejettée , le 25 , par le conseil des Anciens.
PARIS. Nonidi 29 Frimaire , l'an 5º . de la République .
Le départ du ministre de la marine pour Brest a donné
lieu à beaucoup de conjectures . Les uns ont dit qu'il s'était
manifeste un mouvement seditieux parmi les équipages de
la flotte ; d'autres , qu'il s'était élevé un différend entre le
général Hoche et Morard de Gall commandant de la flotte . Le
Rédacteur a publié que le voyage de ce ministre avait pour
objet d'accélérer la sortie de l'escadre , et de prendre toutes
les dispositions nécessaires , tant pour le maintien de la discipline
, que pour le choix définitif des officiers , et le complettement
des approvisionnemens . Il y a à bord 22 mille
hommes de débarquement sous le commandement du général
Hoche.
On ignore absolument la destination de cet armement considérable
. On parle d'une descente en Írlande ; d'autres , d'une
expédition sur les côtes de Portugal ; d'autres , de la Jamaïque,
de Saint-Domingue , ou des isles orientales ; quoi qu'il en soit,
( 196 )
il est aisé de juger que les motifs du voyage du ministre de lå
marine sont de la plus grande importance . C'est le ministre
de l'intérieur qui a le porte- feuille en son absence .
1
Le général Canclaux qui a commandé à l'armée de l'Ouest,
a été nommé à l'ambassade de Naples ; le cit . Trouvé , rédaceur
du Moniteur , est secrétaire de légation . On assure que le
général Canclaux n'a point accepté , et qu'il est question d'envoyer
le général Pomereul , officier d'artillerie distingué , et
qui a déja rempli à Naples des fonctions importantes . On
ajoute que ce général , qui connaît parfaitement l'état politique
de l'Italie , serait très - agréable à la cour de Naples .
Les papiers annoncent que M. Ellis , que lord Mamelsbury
avait envoyé à Londres , est sur le point de revenir à Paris .
On espere qu'il apporte des instructions propres à applanir
beaucoup de difficultés pour les négociations de paix .
Quelques lettres de Londres parlent d'un corps de dix
mille hommes , composé d'émigrés ; qui doit s'embarquer
incessamment pour le Portugal , sous les ordres du général
Steward. Ces lettres ajoutent que la cour de Lisbonne a
invité le marquis de la Rosiere , officier français émigré , à
prendre le commandement de l'armée portugaise , et qu'il
s'est embarqué à cet effet à Porsmouth . Les émigrés ont- ils
oublié Quiberon ?
Le ministre des finances , Ramel , avait convoqué unè assemblée
des députés des négocians des principales places de
Ja République . Cette réunion s'est effectuée ; le ministre des
finances a prononcé dans cette assemblée un discours qui a
pour objet d'appeller l'attention des députés du commerce ,
sur les moyens de le régénérer , et principalement sur l'établissement
d'une banque , dont les billets de confiance augmenteraient
le signe des valeurs , et suppléeraient à l'absence
du numéraire . Il y a long-tems que cette mesure est sollicitée
par tous les gens éclairés qui la regardent , avec raison
comme une des plus salutaires dans les circonstances actuelles.
Les députés s'assemblent tous les jours depuis midi jusqu'à
quatre heures. On espere beaucoup de cette réunion .
Le cit. Myot , ministre de la République près le grand duc
de Toscane , doit passer à Turin en qualité d'ambassadeur.
Le cit. Cacault , qui est actuellement à Rome , le remplacera
à Florence:
( igi )
Quelques lettres particulieres d'au-delà du Rhiu annoni
cent que le général Clarke est arrivé à Vienne. On parle tou
jours d'une suspension d'armes .
Le Directoire exécutif a pris un arrêté par lequel il déclare
que toute relation entre le gouvernement de la Republique
celui des Etats - Unis d'Amérique , sera suspendue jusqu'
ce que les torts dont la République a droit de se plaindre
soient reparés ; en conséquence , M. Pinckéney , venu idi
pour remplacer M. Monroe qui a été rappellé , n'a point été
admis à présenter ses lettres de créance .
Les nouvelles des bords du Rhin sont peu importantes.
On est tranquille de part et d'autre sur toute la ligne , excepté
à Kell et à Huningue , où l'ennemi continue ses atta
ques , mais infructueusement. Le général Abatucci est mort
dès suites de la blessure qu'il avait reçue en défendant les
retranchemens d'Hnningue.
On apprend d'Italie que les Autrichiens se sont retirés
au- delà de la Brenta. Le général Buonaparte a reçu 12,000
hommes de l'armée des Alpes ; de nouveaux renforts doivent
encore lui arriver. Manteue est toujours dans un grand état
de détresse.
Le Directoire a reçu la nouvelle officielle de la mort de
l'impératrice de Russie . C'est le 17 novembre ( nouveau style )
que cette femme , qui , pendant si long-tems , a joué un si
grand rôle , a subi la loi commune . On n'est pas d'accord
sur l'époque de sa naissance. Les documens publics et avoués
la fixent à l'année 1729 ; mais quelques personnes prétendent
qu'ils ont été altérés lors du mariage de cette princesse avec
le grand duc de Russie , et voici la raison qu'elles en donnent.
L'église grecque exige , dans des mariages tels que celui- ci ,
que le mari soit plus âgé que la femme. Mais le grand duc
était né en 1728,; son âge était trop connu pour qu'on pût
le changer. On prit le parti de rajeunir de deux ans sa
future .
Ce fut au mois de février 1744 , qué sa mere ,
d'Anhalt- Zerbst la conduisit à Moscou . A leur arrivée , l'im- la princesse
pératrice Elisabeth leur conféra l'ordre de Sainte-Catherine.
Un
archimandrite instruisit la jeune princesse dans la religion
grecque ; elle en fit profession publique en langue russe daus
la chapelle de la cour ; elle y reçut l'onction sacrée des mains
( 192 )
de l'archevêque de Novogorod , et prit le nom de Catherine
Alexievna que l'impératrice lui donna le jour de la fête de saint
Pierre et de saint Paul ; elle portait aupavant les noms de
Sophie-Auguste. Le mariage fut célébré le 21 août de l'année
suivante . Il fut réglé qu'elle succéderait à la couronne , si
l'impératrice et le grand duc mouraient sans héritiers . On sait
comment a été respecté ce réglement. Même avant la mort
de son mari elle s'était emparée de la souveraine puissance ,
et depuis elle l'a exercée en son propre nom , quoiqu'elle eût
dû ne se considérer que comme régente pendant la minorité
de son fils .
Quelques formalités avaient légitimé , aux yeux du peuple
Russe , cette usurpation , et de rares talens et d'heureux événemens
l'ont maintenue " sans que personne ait cherché à la
combattre.
Catherine monta sur le trône en 1762. Elle y porta quelques
-uns des charmes de son sexe , beaucoup de ses défauts
aucune de ses vertus ; mais elle y développa plusieurs des
plus brillantes qualités qui ont fait donner le surnom de Grand
à quelques hommes chargés du gouvernement des peuples.
Cependant il est douteux que la postérité impartiale et sévere
lui donne ce surnom ; trop de cruautés , trop d'injustices ont
préparé son regne , et cn souillent les annates .
On ne peut prévoir quel sera le systême politique de son
successeur , Paul Petrowitz . Catherine l'a tenu constamment
éloigné des affaires ; et la crainte de déplaire à cette princesse ,
d'autant plus ombrageuse , qu'elle était plus coupable envers
lui , a dû lui faire une loi de la réserve et de la circonspection .
Cependant , si on le juge d'après la maniere dont il s'est
montré dans ses voyages , et particulierement en France , on
doit croire qu'il ne suivra pas les vues romanesquement ambitieuses
de sa mere , et que , content de regner sur la septieme
partie des terres connues , il ne cherchera pas à étendre cette
immense possession .
Des lettres postérieures apprennent que le lendemain de la
mort de limpératrice , le grand duc , devenu empereur , a
ordonné un service solemnel pour sa mere , et ce qui est trèsremarquable
, un autre pour son pere , l'infortuné Pierre III ,
qui avait été enterré sans aucune espece de cérémonie . L'empereur
a appellé auprès de lui le prince Repnin , à qui il paraît
avoir donné sa confiance . La mort de l'impératrice a intertompu
un traité de subsides au moment qu'il allait être conclu
avec les Anglais.
LENOIR-LAROCHE , Rédacteur.
Jer . 135 .
$
N. 10 .
MERCURE FRANÇAIS .
DECADI 10 NINOSE , l'an cinquième de la République.
( Vendredi 30 décembre 1796 , vieux style . )
LITTÉRATURE ÉTRANGERE.
Stockholm konig. sv . vetenskaps academ . nya handlingar, etc .
ou Mémoires de l'académie royale de Suede , tom . XIV;
pour l'année 1793.
M. JEAN JULIEN donne la description très -détaillée
d'une aurore boréale , observée à Uhleaborg le 4
avril 1791. Ce phénomene fut précédé et accompagné
de grandes variations dans l'état de la boussole.
Depuis six heures du matin , l'aiguille avait été
dans un continuel mouvement. Ce fut vers les huit
heures du soir , que l'aurore boréale parut . L'agitation
de l'aiguille dura jusqu'à une heure du lendemain
matin , moment où M. Julien cessa de l'observer.
Dans un mémoire très- étendu , M. Modeer propose
une nouvelle division des vers . Il divise les testacés
en deux classes , savoir ; ceux dont la coquille est
avec charniere , et ceux chez lesquels elle n'en a pas .
La premiere s'appelle cochlata , et la seconde acochlata .
Les subdivisions vasculosa et tubulata appartiennent à
la premiere ; les limaçons et les coquillages univalves
à la seconde .
Tome XXVI . N
( 194 )
Quant aux zoophytes , ils sont rangés sous les
titres génériques de cutacea , membranacea , cornea et
lapidea. Au premier , se rapportent les especes pennatula
et alcyonium ; au second , les vorticella tabularia ,
etc.; au troisieme , les éponges , les gorgones , etc .; au
quatrième , les madrépores , les millepores et les malarthrum.
M. Westring poursuit ses essais sur l'emploi des
lychens dans les teintures . Il examine spécialement
les couleurs qui peuvent en être tirées pour les étoffes
de laine et de soie ; et rend compte des expériences
qu'il a faites dans cette vue , sur le lychen désigné pa
l'épithete d'umbilicalis .
Le professeur Thunberg donne la description de
plusieurs plantes aquatiques du Japon , dont les especes
étaient inconnues jusqu'à ce jour.
Le mémoire de M. Biornlund sur l'extirpation d'un
squirrhe de la langue , mérite l'attention des gens de
l'art. Le sujet était une femme de 31 ans ; et la maladie
avait commencé depuis 2 ou 3. Durant cet intervallé
, la langue avait grossi par degrés , de ma
niere que lorsque M. Biornlund entreprit la cure ,
toute la partie squirrheuse pendait hors de la bouche .
Il se contenta de lier cette partie avec un fil qu'il
serrait chaque jour graduellement ; et la séparation
se fit ainsi de la maniere la plus simple , et sans
aucun accident remarquable .
On s'était déja servi de l'air fixe , ou gaz acide carbonique
, étendu dans l'eau , pour le traitement des
ulceres cancereux ou putrides : on avait même essayé
de l'appliquer à quelques maladies internes , notamment
à celles des reins et de la vessie . M. Kolpin
( 195 )
vient de réitérer ces derniers essais ; il expose leurs
résultats. Les affections du bas-ventre en général , et
des voies urinaires en particulier, sont celles où l'usage
de ce gaz lui a paru pouvoir produire le plus souvent
des effets avantageux . Cependant il n'a jamais obtenu ,
par ce moyen, dans le traitement de la pierre, que des
soulagemens passagers ; et dans les autres incommodités
, soit des reins , soit de la vessie , le succès ne
paraît avoir été quelquefois plus sensible , que par
l'association d'autres puissans rémedes .
M. Nicolas Nystrom croit avoir trouvé le moyen
d'enlever l'odeur empyreumatique et le mauvais
goût des eaux-de-vie de grain ; ce moyen est d'aiguiser
la bierre avec de l'acide vitriolique , en la
mettant dans les vaisseaux distillatoires . On sent
bien que la proportion de l'acide ne doit, pas être
assez considérable pour attaquer les vaisseaux de métal
qui servent d'ordinaire à ces distillations ; et que
si l'on était forcê de passer ce terme , il faudrait nëcessairement
employer d'autres vaisseaux , ou renoncer
à la méthode proposée par l'auteur .
Mémoires de la même Académie , pour l'année 1794-
Tome XV.
M. Zacharie Nordmarck leve une difficulté qui se
présente dans l'explication de la réfraction des rayons
lumineux , par la force attractive générale . Quand
on prend le rapport de la réfraction qui a lieu lors
du passage des rayons de l'eau dans l'air , avec celle
que produit leur passage de l'air dans le verre , la
N &
1
( 196 )
raison composée de ces deux réfractions , donne
celle de l'eau dans le verre , en supposant l'air placé
entre les deux milieux plus denses . Et lorsque ces
deux milieux se touchent , Newton ( 1 ) a trouvé par
ses expériences , que le rapport précédent s'y retrouvait
encore mais ni lui , ni personne depuis
n'a fait voir comment ce rapport pouvait se concilier
avec les lois de l'attraction ; et même la théorie
donne , entre les réfractions de l'eau et du verre , un
autre rapport qui , du moins au premier coup - d'oeil ,
est en contradiction avec celui dont nous venons de
parler. M. Nordmarck fait disparaître cette contradiction
apparente , et montre le parfait accord du
résultat des expériences avec les lois de la gravitation
.
· M. Bierkander a commencé une histoire philoso .
phique des oiseaux , des insectes et des plantes ,
sous le point de vue des variations qu'ils subissent
ou des apparences qu'ils offrent dans les diverses
saisons de l'année . Ce volume contient un mémoire
où il peint ces êtres sous leurs divers aspects durant
les mois de mars , avril et mai . Il y détermine l'époque
précise où les fruits et les semences que cette
premiere période fournit, paraissent dans plusieurs
especes différentes.
Continuation du travail de M. Westring , sur l'usage
des lychens dans la teinture . L'auteur trouve
dans le lychen d'Islande une grande vertu nutritive ;
et c'est à cela qu'il attribue ses heureux effets dans
la consomption , effets qu'il a plusieurs fois cons-
( 1 ) Lect. opt. , pag . 1 , § II .
( 197 ).
tatés par sa propre expérience . Les lychens ciliaris
et fraxineus se convertissent tout entiers en gelée ,
quand on les fait bouillir dans l'eau en conséquence
ils pourraient , ainsi que le calicaris , servir
d'aliment ; mais on n'en retire point de couleur ,
non plus que du sepincola. Le foliacé ( lychen foliaceus)
semble être l'objet particulier de ce mémoire .
Souvent , lorsque le mélange ordinairement employé
de chaux et de sel ammoniac ne retirait aucune
couleur des lychens mis en expérience , un
autre mélange , à parties égales , de nitre et de sel
` marin , avait plus de succès ; et les couleurs obtenues
par ce dernier moyen , étaient plus durables .
Par un second essai fait avec beaucoup de patience
et d'art , M. Hellenius est parvenu à faire
accoupler , d'une maniere féconde , une femelle de
chevreuil avec un bélier : de ce croisement , est provenu
un animal mitoyen entre les deux especes ;
mais plus ressemblant à la mere qu'au pére . L'accou- ,
plement d'une autre femelle de la même espece avec
un bouc , n'a pas moins bien réussi . L'auteur rend
compte de plusieurs autres tentatives du même
genre .
Dans un mémoire de M., Acharius , on trouve la
description et les dessins d'un nombre considérable
de lychens qui croissent en Suede , et qui étaient
inconnus jusqu'à ce jour.
Une pierre noire et pesante , tirée de la carriere
de Roslag près d'Yterby , forme le sujet de plusieurs
expériences très - bien faites par M. J. Gadolin . Sur
cent parties , il en a trouvé trente de terre siliceuse ,
dix- neuf de terre d'alun , douze de chaux de fer , et
N 3
( 198 )
trente-huit d'une terre non métallique , encore inconnue
, qui tient le milieu entre l'alumineuse et
celle de la chaux ,
M. J. L. Qdhelins a vu un cancer du nez , qui
avait été long- tems rebelle à tous les remedes , céder
à l'usage externe , sagement dirigé , d'une solution
d'arsenic dans l'eau. Dans un second mémoire , il
établit sur des observations qui paraissent concluantes ,
l'utilité des lotions journalieres de l'oeil , à la suite
de l'opération de la cataracte
M. Modeer continue ses recherches sur les vers ,
et s'efforce d'en perfectionner de plus en plus la
classification,
Le professeur Thumberg donne la desciptiou de
quelques plantes qui croissent sur les montagnes du
cap de Bonne-Espérance , notamment du genre cyanella
: il en examine en détail les trois especes ; il
donne des dessins soignés de deux .
Différens mémoires de MM . Falbery et Regius , sur
la botanique , et Tengmalm et Ædman sur l'ornithologie
, terminent cet intéressant et savant recueil .
POLITIQUE RAISONNÉE.
Fin de la lettre au Rédacteur , sur nos relations commerciales
et sur l'Angleterre.
CEE serait sans doute un bien beau traité que celui
par lequel toutes les nations européennes conviendraient
de s'accorder réciproquement la liberté indéfinie
du commerce dans toutes leurs possessions
( 199 )
respectives , en quelques parties du monde qu'elles
soient situées ; et proclameraient solemnellement
qu'une barriere quelconque posée à la frontiere d'un
Étas , sera regardé par tous comme une démarche
hostile contre tous les autres . Il n'est pas douteux ,
comme nous l'avons dit , qu'il n'y a aucun ou presqu'aucun
peuple dont le commerce n'acquît par cette
mesure une augmentation réelle , quoique quelquesuns
pussent éprouver une diminution relative . Cependant
quand même une foule énorme de préjugés
, l'esprit tracassier de la plupart des gouvernemens
, et une multitude d'intérêts locaux , bien ou
mal vus , ne s'opposeraient pas à cetté pacification
universelle , il serait encore inutile de s'en occuper
ici , puisqu'il ne s'agit pas dans ce moment de régler
le sort du monde , mais de concilier les intérêts des
puissances actuellement belligérantes . Mais puisque
la guerre est allumée entre la France , la Hollande
et l'Espagne d'un côté , l'Angleterre et le Portugal
de l'autre , examinons quel serait l'effet d'une pareille
convention faite entre les cinq puissances les plus
remarquables par l'importance de leurs colonies , et
dont quatre se partagent si complettement l'empire
des mers qu'elles font nécessairement la loi à tous
les autres navigateurs. Il est bien entendu qu'en
même tems elles se rendraient respectivement toutes
les possessions dont elles jouissaient avant la guerre ,
poseraient les armes , jureraient de ne les reprendre
que contre la premiere qui entraverait la liberté
d'une des quatre autres , et qu'elles laisseraient maîtres
d'entrer dans la même association en accordant et
recevant les mêmes conditions, tous les autres peuples
NA
( 200 )
esquels évidemment n'auraient rien de mieux à
f
aire .
A cette proposition , j'entends les Anglais jetter
les hauts cris , et dire qu'ils ne peuvent souscrire à
un tel arrangement . , qui leur enleveraït tout d'un
coup tout le revenu de leurs douanes sur lequel est
fondé le paiement de l'intérêt de leur dette publique ,
qu'ils seraient obligés de partager avec les étrangers
tous les trésors de l'Inde , qu'ils perdraient le fruit
de leur fameux acte de navigation et de tous leurs
savans traités de commerce ; enfin , qu'ils seraient
anéantis .
Nos Français , de leur côté , et sur- tout les fabricans
, s'écrieraient qu'ils sont perdus , que la France
ve être inondée du produit de toutes les manufactures
anglaises et indiennes , qu'elle va perdre le débouché
et les riches retours de ses isles à sucre , et
qu'enfin elle ne peut supporter une telle concurrence.
Les Espagnols redouteront avec plus de fondement
l'industrie anglaise et française , et croiront qu'elle
va leur enlever , plus que jamais , tout le produit des
mines du nouveau monde en l'approvisionnant directement.
Les Hollandais , à leur tour , diront avec encore
plus de raison que , vu le peu d'étendue de leur territoire
et le petit nombre de ses productions , quelques
priviléges pour leur navigation et la propriété
exclusive des épiceries font toute leur existence , et
qu'ils seraient accablés sous cette perte .
Le Portugal sera sans doute celui qui se plaindra
le moins , car ses avantages sont plus évidens ; cepen(
201 )
dant il regrettera aussi sûrement beaucoup d'être
obligé d'ouvrir les portes du Bresil .
:
Voilà donc un arrangement bien mauvais , puisqu'il
déplaît à tous les intéressés . Cependant c'est
précisément ce qui me persuade sa bonté ; car enfin
nul ne peut faire un sacrifice que les autres n'en profitent
et il y a , comme nous l'avons vu , dans cet
ordre de choses une masse énorme de bénéfices qui
ne sont faits aux dépens de personne . Tel est le gain
de tous les frais de garde et de contrebande , de
tous ceux des circuits inutiles que font les marchandises
pour arriver au consommateur , des avaries
qu'elles éprouvent , de la cherté des fabrications qui
se trouvent forcément placées dans le terrein qui ne
leur convient pas , et des cultures enlevées au sol
qui leur est propre , et enfin de tous les frais de
guerre qu'il ne faut jamais oublier dans les articles
de dépenses , et moins encore dans le nombre des
calamités . Voilà donc bien de la marge pour que
chacun soit plus qu'indemnisé de ses sacrifices .
En effet , qu'arrive - t-il dans cet ordre de chose ?
L'Angleterre reste avec un territoire étendu et fertile
, les revenus territoriaux du Bengale , la supėriorité
actuelle dans l'art de la plupart des fabriques ,
une grande connaissance des mers , et la possibilité
d'employer ses nombreux capitaux à des spéculations
commerciales dans les plus riches parties du
monde , qui jusqu'à présent lui sont fermées.´
La France conserve l'avantage imperdable d'un
territoire immense et d'une population très-nombreuse
, très - active , et dont l'industrie , sous le régime
de la liberté , peut promptement égaler celle
( 208 )
·
des nations les plus avancées à cet égard , et aura le
monde entier pour le débouché de ses productions .
L'Espagne a un sol presqu'aussi vaste , un climat
encore plus heureux , les trésors de ses mines du
nouveau monde , qui sont des propriétés nationales ,
et la même possibilité de perfectionner sa culture et
ses fabriques , et d'en débiter les produits .
La Hollande a pour elle de grands capitaux , une
grande intelligence pour beaucoup de manufactures,
l'avantage d'être bien située pour être l'entrepôt de
toute l'Europe , une grande économie dans sa navigation
. qui devra à la liberté générale de nouvelles
occasions de se déployer , et les précieuses propriétés
de sa compagnie des Indes que je regarde comme
nationale à cause de la liaison intime de cette société
avec le gouvernement,
Enfin , le Portugal a de plus qu'aujourd'hui la faculté
de disposer librement et avantageusement des
produits de son sol , et d'acheter par-tout , et au
meilleur prix , les objets qui lui manquent.
Ce tableau est sans doute trop racourci pour présenter
toutes les conséquences et les rejets d'un si
grand changement ; mais aussi souvent les détails
égarent plus qu'ils n'éclairent , et font perdre de
vue l'ensemble des grands effets. Toutefois de même.
qu'il est démontré qu'un tel arrangement convenu
entre ces cinq puissances augmenterait la richesse
et la prospérité réelles de chacune , on peut
affirmer , autant qu'une pareille chose peut se prévoir
, qu'il dérangerait extrêmement peu les proportions
actuelles de leur puissance relative . Je sais que
cette assertion sera contredite par beaucoup de po(
203 )
Mtiques qui se croient très- forts de leurs connais
sances positives dans ces matieres . Mais je les pric
de se rappeller qu'ils avaient tous prédit que la
liberté de l'Amérique serait le tombeau de la pros
périté de l'Angleterre , et qui jamais n'a été si florissante
que depuis cette époque . D'ailleurs , on peut
dire avec raison , que si l'une de ces nations éprouvait
dans le premier moment un embarras sensible ,
ce serait une preuve qu'elle faisait des profits réellement
démesurés aux dépens de ses voisins .
On peut remarquer que dans cet arrangement la
propriété des colonies lointaines cesse d'être importante
comme moyen de commerce , et qu'elle n'est
plus précieuse que sous le rapport des impôts directs
qu'elles peuvent produire , et des propriétés
nationales qu'elles renferment. Leur émancipation ,
suite nécessaire de leur prospérité , peut et doit
effectivement à la longue priver leurs métropoles de
ces avantages . Mais ce sont des événemens inévi
tables en eux -mêmes dans toutes suppositions , plus
imminens dans l'état actnel de jalousie où les Colons
peuvent être incités et aidés par une nation rivale ,
plus éloignés par leur nature dans l'état de paix , et
qui encore peuvent être retardés par la sagesse et la
modération des métropoles . Par dessus tout , il ne
faut pas oublier que ces événemens arrivant ne seront
pas plus fâcheux qu'un pareil n'a été pour l'Angleterre
,
Quant aux changemens successifs qui pourraient
s'opérer dans les proportions des puissances relatives
de ces cinq nations , par l'accroissement graduel de l'in -
dustrie dans les pays où elle est en retard , ces chan(
204 )
gemens seraient lents , paisibles , et par conséquent
sans souffrances . Leur dernier résultat serait de proportionner
les forces aux avantages du climat et du
sol , au progrès des lumieres , et à la bonté des gouvernemens
. Ainsi , nul ami de l'humanité , et en particulier
, nul Français ne pourrait s'en affliger . Je dis
plus ; nul politique ne pourrait s'en effrayer pour sa
patrie ; car la force individuelle d'une société politique
cesserait d'être pour elle un point si essentiel
, puisqu'il n'y aurait plus ni sujets de guerre , ni
crainte d'oppression possible , tous étant réunis par
un intérêt puissant à empêcher la moindre lésion d'un
seul . Cette derniere considération acheve de prouver
que la signature d'un pareil traité serait celle de la
paix universelle et imperturbable . Ainsi , certainement
son utilité est bien démontrée .
•
Quant à sa possibilité , elle ne me paraît pas plus
douteuse ; car si quatre des puissances que j'ai nommées
se réunissaient pour un tel dessein , il est certain
qu ' lles y forceraient aisément la cinquieme . Ou
plutôt pour écarter le Portugal dont les forces sont
peu de choses et avec lequel nous sommes , dit - on ,
au moment de faire la paix , si la France , l'Espagne
et la Hollande actuellement alliées se fixaient à un
pareil projet , en faisaient la proposition franche à
l'Angleterre , et lui déclaraient solemnellement que
dès ce moment elles sont prêtes à ouvrir à ses vais
seaux l'entrée libre de tous leurs ports , qu'elles
veullent la réciprocité entiere dans tous les siens ,
avec la restitution à chacun de toutes ses posses .
sions , et qu'elles ne poseront les armes qu'à ces
conditions ; elles embarrasseraient certainement beau(
205 )
coup son gouvernement . Il paraît même impossible.
que l'Angleterre ne se rendît pas d'elle- même à ces
propositions , ou que les alliés ne parvinssent pas
bientôt à l'y contraindre par la force et la lassitude ;
et que les Etats-Unis , la Suede et peut - être même
le Dannemarck ne se joignissent pas à eux pour les
y aider , afin d'être admis à partager les mêmes conditions.
Et il y a cela de remarquable que , quand un
tel ordre de choses serait une fois établi , il n'y aurait
plus moyen de s'en dédire ; il serait inébranlable .
Voilà ce que j'appelle la véritable constitution du
commerce . Tant qu'elle ne sera pas faite , il offrira
le triste spectacle de troubles et de désolations perpétuelles
, comme un corps politique dont les pouvoirs
ne sont pas distribués par la loi.
Si j'ai beaucoup insisté sur la possibilité et l'utilité
du projet de traité que je propose , ce n'est pas
que je me flatte de le voir adopter par les puissances.
belligérantes. Le tems , il est vrai , n'est pas loin où
les vérités philosophiques cesseront d'être regardées
comme des rêves , et passeront rapidement de la
théorie à la pratique . Nous en avons déja quelques
exemples importans . Néanmoins je suis loin d'espérer
que la guerre actuelle se termine d'une maniere
aussi simple et aussi définitive . Trop de préjugés et
de passions s'y opposent ; et les nôtres et ceux de
nos alliés y apportent peut - être plus d'obstacles en- '
core que ceux de nos ennemis . Ce n'est que quand
un art a fait de grands progrès que sa méthode se
simplifie , et que ses regles se généralisent. Mais tant
qu'il est dans l'état d'imperfection où la politique
commerciale est restée jusqu'à nos jours , il est sur(
206 )
chargé d'une infinité de recettes , de procédés , de
tours de main qui en embarrassent la marche , et en
font manquer le but. Cependant ces demi - connaissances
, la plupart fausses , et nuisant par conséquent
aux véritables , sont pénibles à acquérir. Elles sont
la propriété et constituent le talent de ceux qui s'y
sont appliqués ; et ces hommes les défendent avec
fureur. Quel moyen , par exemple , de persuader à
des hommes qui ont étudié les élémens de balances
de commerce souvent illusoires , qui ont médité sur
les effets partiels de tel traité ou de tel acte de navigation
, qui ont approfondi les influences directes
ou réfléchies de telle prohibition sur telle place de
commerce , et qui ont construit des spéculations en
conséquence de ces recherches pénibles , quel moyen,
dis-je , de persuader à ces hommes , ou du moins à
la plupart d'entre eux , que toutes leur combinaisons
, pleines souvent d'une vraie finesse et d'une
sorte de science , ne peuvent jamais aussi bien diriger
le commerce d'un pays que ce seul mot , Liberté !,
Cela est pourtant rigoureusement vrai , mais peu importe
qu'une chose soit vraie , si elle n'est pas crue
telle et ce n'est jamais qu'à la longue qu'on arrive
aux moyens simples . et par une sorte de lassitude ,
quand on a essayé tous les autres .
Il ne faut donc pas nous flatter que notre premier
traité de paix maritime soit encore parfaitement conforme
à la nature et à la raison , ou , en d'autres
que notre guerre de mer actuelle soit la
derniere . Mais si nous ne pouvons atteindre le but
de cette fois-ci , nous pouvons du moins en approcher
, et nous devons éviter tout ce qui nous en
termes ,
( 207 )
écarterait. C'est dans cet esprit que je desirerais que
la négociation fût conduite ..
Ainsi , par exemple , si le systême de compensation
s'établit , je pense que nous devrions plutôt sacri
fier toutes nos possessions lointaines que de renoncer
à l'accroissement de rerritoire continental auquel
nous prétendons et ma raison est non- seulement
qu'il est nécessaire à notre tranquillité , mais encore
que nous devons sur- tout nous attacher à acquérir les
avantages qui sont indestructibles par leur nature ,
et qui subsisteront après que le régime des monopoles
sera passé .
Par le même motif , dans le choix des colonies
que nous nous déterminerions à abandonner , nous
devons céder celles qui ne peuvent nous être utiles
qu'au moyen de prohibitions gênantes , plutôt que
celles qui ont , pour ainsi dire , une valeur intrinseque
; et sur- tout ne jamais nous détacher de celles
qui sont utiles pour la contrebande , ou de celles
dont la possession dunnerait à nos ennemis le moyen
d'établir quelque nouveau monopole , ou d'en consolider
quelqu'ancien .
A l'égard des colonies de nos alliés , je pense qu'il
est essentiel à notre réputation , et par conséquent
à notre intérêt bien entendu , qu'elles leur soient
toutes rendues. Mais par les difficultés même que
nous trouverons à y parvenir , nous devons sentir
qu'il est desirable qu'elles ne leur soient plus aussi
nécessaires comme moyen de commerce , dans le
sens que je l'ai expliqué ci-dessus. Nous ne devons
pas plus favoriser les monopoles chez eux que chez
nos ennemis , ou chez nous . Ainsi , en leur faisant
1
1
( 208 )
rendre le territoire , nous devons les engager à ne
pas en interdire l'entrée aux étrangers , pourvu que
l'on récompense cette facilité par d'autres avantages .
De même , toutes les fois qu'il leur sera proposé , ou
à nous , la destruction d'une prohibition en échange
de la destruction d'une autre prohibition à- peu-près
équivalente , nous ne devons pas hésiter à l'accepter
: nous devons même la provoquer , et en amener
adroitement la nécessité . Et enfin , si nous avons pour
nos alliés , ou pour nous , quelque cession gratuite à
faire , nous devons nous décider , suivant les mêmes
regles , dans le choix de l'une plutôt que de l'autre .
+
Je ne puis ni ne dois spécifier ici les cessions à
faire , ni les échanges à offrir . Les déterminations
positives appartiennent aux gouvernemens , qui sont
plus instruits que les particuliers des faits matériels ,
et qui seuls connaissent à fond leurs forces , leurs
dangers et leurs ressources . Les écrivains politiques
ne peuvent , à mon sens , qu'indiquer l'esprit suivant.
lequel ils desirent que la négociation soit conduite .
Il en est cependant un grand nombre dans tous les
pays , qui ne cessent de publier que les gouvernemens
ne veulent pas la paix , et ne font pas ce qu'il
faut pour y parvenir. Ceux-là , ce me semble , s'im
posent le devoir de dire nettement quels sont les
sacrifices auxquels ils pensent qu'on doit souscrire ,
afin que la nation juge leurs projets , et puisse voir
si les plénipotentiaires tireront des circonstances un
meilleur parti que n'avaient osé l'espérer leurs critiques.
Ils feraient encore une chose très - utile à
leur pays et à leur réputation , en indiquant quelques-
uns des objets à demander et à offrir , qu'ils
regardent
20g )
regardent comme équivalens . Car souvent dans une
négociation , on échoue dans une demande qui paraît
simple ; et par un revirement de partie , on
réussit dans une autre qui semblait plus difficile .
De semblables indications fourniraient des moyens
aux négociateurs , et prouveraient les connaissances
des frondeurs . Au lieu que se borner à répéter con
tinuellement qu'il faut reprendre son ancien territoire
tel qu'il était , sans s'expliquer sur les conventions
commerciales à faire , montre seulement qu'on
n'a aucune connaissance et aucune vue que celle de
blâmer , puisqu'il est constant que par l'issue d'une
guerre , et sur- tout d'une guerre de mer , on peut
être très - lézé dans ses véritables intérêts , sans avoir
perdu un pouce de terrein , et au contraire avoir
beaucoup augmenté ses forces réelles , malgré la
cession d'un grand territoire .
Pour moi , je me résume , et je dis que si dans
les conditions du traité à conclure avec l'Angleterre ,
nous ne pouvons pas réussir à établir la liberté indéfinie
des mers , et l'anéantissement de toute prohibition
et de toute douane , nous devons du moins
diriger toutes nos démarches de maniere à rapprocher
le plus possible de ce but.
1º. Parce que ce systême est le seul vrai et le seul
qui conduise à une paix inaltérable . Ainsi il est utile
à l'humanité toute entiere .
2º. Parce qu'il est particulierement convenable
aux intérêts d'une nation qui possede un territoire
comme la France , puisqu'en définitif il proportionne
la puissance aux avantages du sol .
3. Parce qu'il nous est commandé par l'état actuel
Tome XXVI .
( 210 )
et futur de nos colonies , dont le commerce exclusif
ne peut nous procurer que de faibles avantages , et
qui , vu les lois de la métropole et la tournure
des évenemens , ne peuvent se relever de leurs désastres
que par le secours d'une liberté indéfinie .
4. Parce qu'il est spécialement adapté à l'esprit
de notre constitution , qui est ennemie pár essence
de toute gêne , et qui nous obligera un jour ou
l'autre à renoncer à toutes douanes , quand même
les étrangers ne nous rendraient pas la pareille. Ils
le voient si bien , que je ne doute pas qu'ils ne s'en
prévalent ; et que leurs négociateurs ne reçoivent
très-froidement aujourd'hui des offres d'exemptions
de droits qu'ils n'eussent pas osé espérer autrefois .
parce qu'actuellement ils se regardent comme sûrs
de les obtenir du tems.
5. Parce qu'il est singulierement conforme à la
direction actuelle de l'esprit humain , qui marche à
grands pas vers les principes en tout genre ; et qu'en
établissant sa politique sur des idées prêtes à devenir
dominantes , on est sûr de la rendre prépondérante
en peu d'années.
6º . Parce qu'il est diametralement opposé , si-non
aux vrais intérêts de l'Angleterre , du moins à soe
maniere d'être actuelle et aux opinions qui y prévalent
, puisqu'une grande partie de ses revenus est
fondée sur les douanes , et que toutes ses spécula
tions sont tournées vers les priviléges exclusifs de
commerce .
7º . Enfin , parce qu'il assure à la longué une supériorité
décidée à nos négociations sur celles de cette
puissance rivale , puisque nous nous présenterions
1 J
chez toutes les autres nations , ne demandant que la
réciprocité des avantages que nous leur accorderions
chez nous , tandis que l'Angleterre se trouverait toujours
obligée d'en exiger des concessions sans retour,
ce qui la mettrait nécessairement dans une mauvaise
position.
Nous pouvons singulierement accélérer ce bon
effet de notre systême , en nous hâtant de négocier
avec toutes les puissances neutres ou alliées , des
traités de commerce , dont la bâse générale serait
de leur offrir chez nous de grandes exemptions de
droits , ou même la liberté entiere , en leur demandant
chez elles la même liberté , ou du moins un
traitement égal à celui de la nation qu'elles youdraient
le plus favoriser . Par cela seul , il ne reste
plus même place aux priviléges prétendus par l'Angleterre
. J'ai puisé cette derniere idée vraiment
grande et belle , dans un mémoire que je voudrais
pouvoir citer. N'étant pas autorisé à en nommer l'auteur
, je me plais à lui rendre hommage ausant que
je le puis
1
Je dois observer , en finissant , que l'Angleterre
n'est notre ennemie nécessaire , que parce qu'elle
est l'appui des préjugés commerciaux , comme le
pape celui des préjugés religieux , l'Empire et Malte
ceux des préjugés féodaux et nobiliaires . Personne
n'est notre ennemi naturel ; car heureusement on
n'a point d'ennemi naturel , quand on ne veut que
la justice et la paix.
Telles sont , citoyens , les réflexions que m'ont
suggerèes celles que j'ai lues dans votre journal sur
la guerre continentale . Je desire que celles - ci soient
Q :
}
( 212 )
1
1
conformes aux opinions de cet auteur. Car je pense
absolument comme lui sur le sujet qu'il a traitė :
et ce sont les mêmes principes qui m'ont guidė
dans la discussion de celui - ci .
Comme toutes les méditations des citoyens appartiennent
à sa patrie , je vous envoie le résultat
des miennes , pour que vous en fassiez usage , si
vous jugez que la publication en puisse être de
quelqu'utilité.
A Paris , ce 15 frimaire an V.
MORALE.
Deuxieme lettre d'un Souscripteur au Rédacteur du
Mercure , sur la Religieuse de DIDEROT.
VOUS
ous avez trouvé , citoyen rédacteur , mon jugement
sur Jacques - le-Fataliste , bien sévere et bien rigoureux.
Je vous ferai observer d'abord que je l'at
porté après la lecture d'un manuscrit de cet ou
vrage . J'ai appris qu'à l'impression on avait adouci
quelques traits plus que graveleux . Ensuite , je vous
demanderai où est le but moral d'un écrivain qui
nous représente le valet Jacques voyant constamment
écrits dans le ciel les événemens d'ici - bas , et par
conséquent ne faisant rien pour les préparer ou les
diriger.
C'est un véritable Turc , ou un fataliste convaincu
son maître , un idiot .... La véritable philosophie n'est
pas de croire à un destin sourd et aveugle ; mais à
des lois éternelles et immuables par lesquelles le
( 213 )
monde est régi , et de se placer à l'aide du travail ,
de la prudence et de la sobriété , en des positions
telles que le cours ordinaire de ces lois nous soit
vantageux ...... Mais je m'apperçois que cette lecture
commence sur un ton très- différent de celui de
ma premiere . Eu voici la raison : Je suis rempli
pénétré de la Religieuse du même auteur , que je
quitte , et dont je vous entretiendrai aujourd'hui . La
teinte sombre de ce roman a déja rembruni mes
teintes .
Oh ! combien le portrait de cette infortunée eût été
utile à produire au grand jour , lorsque les prisons
éternelles , appellées couvents , subsistaient encore sur
les bords du Rhône , de la Loire et de la Seine !
combien de victimes n'aurait-il pas empêché de précipiter
dans les cloîtres ! Diderot aurait montré alors
un véritable courage , et aurait payé un noble tribut
་
la philosophie , s'il eût publié sa Religieuse. Les
moyens de le faire , sans cesser d'être anonyme , në
manquaient pas à l'ami de l'écrivain , qui sut alors
faire imprimer son Systême de la Nature..... Mais de
quelle utilité sera aujourd'hui la publication de cet.
écrit chez un peuple qui n'a ni moines , ni religieuses
?
Quoi qu'il en soit , si vous êtes affligé en le lisant
de voir Diderot tracer avec tant d'énergie les fureurs
des modernes Lesbiennes , vous vous reposerez avec
plaisir sur deux caracteres que l'auteur semble avoir
tracés con- amore. Je veux parler de celui de la soeur
Moni , cette supérieure de Longchamp qui faisait du
bonheur de ses religieuses son unique étude . Cette
femme , née avec un coeur droit et une imagination
0 $
( 214 )
ardente , aurait été un instrument précieux entre les
mains d'un chef de secte . Elle s'était exaltée les facultés
intellectuelles à force de méditations et d'exhortations
, au point de croire lire dans un monde
surnaturel ce que la chaleur de son ame produisait
dans ses pieux discours. Que lui manquait il pour
être une prophêtesse ? Ce n'était pas la sainteté des
moars , ni l'extérieur naturellement composé , ni la
vue fixe qui semble distinguer à- la- fois , au -delà de
ce qu'on lui présente , et en- deçà de l'espace qu'elle
occupe , ni l'habitude acquise de ce style oriental
que l'abondance et la hardiesse des métaphores font
paraître surnaturel ... C'était l'occasion ... Disens mieux ,
la réalité ; car j'oubliais que je parlais d'un roman.
Cette soeur Moni console et soutient la Religieuse
qui avait déja protesté publiquement contre les voeux
au moment de les prononcer dans un premier couvent
, et que cependant l'on forçait à se lier à jamnis
dans celui de Longchamp . La mere de cette infortunée
Suzanne , eut , après la naissance de deux filles,
une faiblesse qui lui donna la vie. Les remords succéderent
à la passion dans le coeur de cette mere qui
ne fut coupable qu'une fois . Pour ne pas faire partager
au fruit de son crime le bien que la paternité
légitime n'accordait alors qu'aux deux filles aînées
elle voua Suzanne au célibat et à la retraite . Mais
l'esprit de cette cadette était ennemi du joug et de
la contrainte . Il se trouvait uni à un caractere ferme ,
prononcé , et tenace , lorsqu'il avait mûrement conçu
un projet . De - là vinrent ses protestations à Sainte
Marie , ses demandes en cassation de voeux à Longchamp
, le plaidoyer du digne et compâtissant Ma-
་
( 215 ¹)
noury , l'intérêt soutenu de ce bon avocat , malgré la
sentence qui confirmait de si horribles voeux , les
persécutions atroces souffertes pendant le cours de
ce fatal jugement , la translation , après la cruelle
sentence , au couvent d'Arpajon , la fuite de ce nouveau
couvent , enfin la retraite chez une blanchis
seuse , où Susanne écrit ses mémoires pour toucher
M. de Croismare et l'intéresser à son sort.
2
En traçant cette rapide esquisse , j'ai oublié que
je devais vous parler d'un second caractere , tracé
avec un art divin . C'est celui de la supérieure d'Arpajon.
Diderot semble y avoir employé toute la
connaissance du coeur humain , qu'il possédait si
bien. Cette femme annonce , dès la premiere entrevue
, ses goûts impudiques , soit par l'agitation perpétuelle
qui la fait tressaillir sans cesse , soit par les
caresses excessives qu'elle prodigue à Susanne , dont
la beauté et la retenue devaient allumet cette imagination
corrompue , soit par l'oubli et la négligence
avec lesquels elle accueille ses anciennes favorites ,
pour ne plus vivre , ne plus respirer que pour le
nouvel objet de sa flamme ..... Mais quel affreux retour
! cette femme devient dévote ..... scrupuleuse.
Sês gémissemens , ses macérations , ses aveux tantôt
libres , tantôt involontaires , la rendent la fable de
la maison. Elle devient folle de honte , de repentir ,
de chagrin , de désespoir , et elle meurt sans coniolation.
Le style de ce roman differe beaucoup de celui
de Jacques celui- ci est plein , varié , correct , abondant.
Les détails sont vrais , attachans... C'est Diderot
lui-même. Tous les vices , les replis du coeur hu-
04
-216-)
main , et sur- tout du coeur des femmes dépravées
par la contrainte , la servitude et la superstition , y
sont énergiquement développés .
Puisse cet écrit être lu sur les bords du Tage , de'
l'Ebre et du Tibre ! L'heureuse France n'en a plus
besoin , et elle l'a rendu inutile pour la Belgique et
la Savoie. Deux horribles servitudes pesaient sur le
genre humain , l'esclavage et la vie cénobitique . Nou '
venons de nous en affranchir. Ah ! avouons-le pour
notre consolation , ces deux importans services ren
dus à l'humanité , absoudront la révolution française
des horreurs passageres qui l'ont souillée , lorsque
la distance des tems et des lieux ne laisseront plus
présens au souvenir que les biens durables et réels ,
dont la philosophie lui est à jamais redevable .
Mais l'histoire du pere Bouin ? .... Il y a si longtems
qu'elle a été publiée , que la plupart de vos
lecteurs s'y intéresseront comme à une nouveauté.
D'ailleurs on assure que c'est une véritable histoire .
Le curé d'un village situé auprès de Langres se
mourait. Il envoia demander le pere Bouin , prêtre
d'une vie exemplaire et d'une sagacité reconnue .
Dans le dernier des entretiens que le mourant eut
avec lui , il parla d'un testament olographe qu'il
avait fait , depuis quelques années , en faveur d'un
neveu , riche libraire de Paris. Mais il ajouta que le
ressouvenir de ses parens , pauvres habitans du hameau
voisin , l'avait porté à déchirer ce testament.
Il croyait l'avoir anéanti .... Cette phrase fut interrompue
par son dernier soupir . Le pere Bouin appelle
les parens pour procéder au partage ; c'était la
misere la plus profonde , la pauvreté la plus com-
1
( 217 )
plette ! Jugez de la joie de ces infortunés à la vue
d'un riche mobilier et de granges bien rempliés ,
dont le pere Bouin leur assurait la possession . Pendant
qu'ils parcouraient la maison et les granges , le
bon prêtre feuilletait seul les papiers du défunt ,
pour en faire un triage conforme à ses dernieres
intentions . Quelle surprise ! le testament froissé ,
mais non déchiré , se retrouve dans un serre- papier
écarté .
Le pere Bouin lit , relit cette fatale charte que
l'on croyait brûlée .... Le spectacle de la misere où
cette découverte va plonger les héritiers ; la joie
courte et trompeuse dont ils ont été enivrés ; la der
niere volonté du testateur , connue du pere Bouin ;
l'ignorance où toute la terre , lui seul excepté , se
trouvait sur l'existence du testament ; l'injustice apparente
d'enrichir encore un neveu déja opulent ,
-au préjudice de parens misérables ; le silence que
tout devait garder sur cette affaire... Tels furent les
divers pensers qui agiterent l'ame de ce pere pendant
un quart- d'heure ; la fievre même le saisit ....
Quel fut le résultat de ce colloque intérieur ? Que
fit - il ? .... Mais qu'auriez-vous fait vous-même ? Quel
parti aurais -je pris ? .... Un torrent de larmes s'écoula
des yeux du pere Bouin ; il s'écria .... Pere Bouin ,
pere Bouin , qui êtes- vous pour juger les lois des
testamens , pour vous élever au - dessus d'elles ! Il
fit connaitre le terrible testament , etc. etc.... C'est
ainsi qu'i ! faut écrire des traités de morale ; et c'est
ainsi que l'on est toujours Diderot , malgré Jacques
et la Religieuse.
( 318 )
LITTÉRATURE.
Les Soirées littéraires , ou Mélanges de traductions nouvelles
des plus beaux morceaux de l'antiquité ; de pieces
instructives et amusantes , françaises et étrangeres , qui
sont tombées dans l'oubli ; de productions , seit en vers ,
soit en prose , qui paraissent pour la premiere fois en
public ; d'anecdotes sur les auteurs et sur leurs écrits ,
etc. etc. , tom. III et IV. Prix , 3 liv . le volume brocké.
4 Paris, de l'imprimerie de HONNERT , rue du Colombier
, no . 1160. An IV de la République . ( 1796. ) .
NOUS
ous avons rendu compte dans le nº. 35 de
l'an IV , des deux premiers volumes de cet ouvrage ,
qui se distribue aussi tous les quinze jours par livraison
de trois feuilles in 8° . chacune . Les auteurs suivent
exactement leur plan , qui consiste à offrir au public
différens morceaux sur la littérature ancienne , sur
colle du moyen âge , et sur la littérature moderne,
Le tome III commence par la traduction du Bouclier
d'Hercule, de la Théogonie , et des Fragmens d'Hésiode.
Suivant une remarque judicieuse du traducteur
, l'on ne trouve dans le Bouclier d'Hesiode , non
plus que dans celui d'Homere , que des peintures
naturelles et la poésie la plus touchante. Virgile
' est écarté de leur simplicité en décrivant le Bouslier
d'Énée. Ha voulu plaire aux Romains , et flatter
Auguste ; de cette maniere il est plus piquant que
ses maîtres , mais il n'est pas plus grand poëte.
Hésiode est suivi des moralistes grecs , à la tête
(( 219 )
desquels paraît Théognis , dont les sentences étaient
citées comme les oracles d'Apollon , Le Poëme moral
de Procylide vient ensuite . C'est un recueil de principes
sur les bonnes moeurs et sur la maniere de se
conduire honnêtement dans le monde . Ainsi , la poé
sie , qui fut destinée d'abord à graver dans la mémoire
des hommes les événemens remarquables
servit aussi à imprimer dans leurs coeurs les maximes
de la morale. Il y a une grande différence entre
Théognis et Procylide . Le premier , contemporain
d'Anacréon , avait le même goût pour la volupté qui
dès-lors entraînait toute la Grece , et finit par la
perdre. Le second , ami de Pythagore , était comme
lui l'interprête de la vertu , et l'oracle de la sagesse ,
A l'occasion de ce poëme , le traducteur demande
si nos ouvrages modernes sur la morale , nous ap
prennent quelque chose qui ne se trouve pas dans
les anciens. Pourquoi ne pas convenir que les modernes
ont réduit la morale en traité , et qu'ils en
ont fait un systême fondé sur des principes évidens ,
dont toutes les parties dérivent avec ordre , enchaî
nement, et qui produit des résultats aussi utiles à
chaque individu en particulier, qu'à tous les hommes
en général ? Cette vérité se fait sentir en lisant la
Morale universelle du baron d'Holbach , le Traité élémentaire
de Morale et du Bonheur par Raymondis , les
Principes de Morale par Mably , etc.
Les modernes ont donc l'avantage d'avoir formé
une chaîne admirable des anneaux que les anciens
leur ont fournis.
Nos auteurs font connaitre ensuite les Poésies
Pythagore , Solon , Tyrtée et Simonide,
( 280 )
1
Voici un des poëmes de Tyrtée sur la Vertu guerriere
:
On n'a pas de mérite à mes yeux pour être agile
à la course , ou pour se distinguer à la lutte ; et je n'estime
pas un homme parce qu'il a la taille et la force
d'un Cyclope . En vain , il surpasserait en vîtesse l'Aquilon
de la Thrace ; en beauté , le brillant Titon ; en
richesses , Midas ou Cynire ; en puissance , l'heureux
Pélops , en éloquence , le doux Adraste je ne fais
nul cas de tant de gloire , si la vertu guerriere ne l'ac
compagne. On n'a point cette grande qualité qui fait
les héros , quand on n'a pas le coeur de soutenir la vue
du caruage , et qu'on ne desire pas de se voir aux
prises avec son ennemi .
99 Cette vertu est à mes yeux le plus précieux avantage
de l'humanité , c'est le plus bel ornement dont
un jeune homme puisse se parer . La gloire en rejaillit
sur toute une ville , sur tout un peuple . C'est un
triomphe public de voir-marcher fierement un de ses
concitoyens à la premiere ligne , s'y maintenir constamment
, mettre en oubli la fuite et son opprobre ,
exposer d'un air intrépide sa vie et son ame à la mort ,
inspirer sans sourciller la même ardeur à ses com³
pagnons d'armes . Tel est l'homme que j'estime , tel
est mon héros . Bientôt vous le verrez mettre en déroute
les plus belliqueuses phalanges des ennemis , et
régir d'un coup - d'oeil les flots des combattans . Renversé
lui-même aux premiers rangs qu'il n'a pas quittés
, il perd sa vie précieuse ; mais il a laissé un éclat
éternel à sa cité , à son peuple , à son pere . Sa poitrine
est criblée de blessures , toute la rondeur de son
bouclier est hérissée de traits ; il a reçu le coup fatal
( 221 )
au milieu de sa poitrine , à travers sa cuirasse : mais
on le pleure maintenant ; les jeunes gens , les vieillards
gémissent , tous les citoyens áttendris suivent
ses funérailles . La reconnaissance publique lui érige
un tombeau ; ses enfans deviennent illustres entre
tous les hommes ; son éclat se perpétue dans ses petitsfils
, dans sa postérité sa gloire ne se flétrit pas , son
nom reste fameux , et quoique déja descendu chez les
mânes , il demeure immortel . Le Dieu Mars l'a renversé
; mais il est mort avec courage , sans reproche .
en combattant pour sa patrie , pour ses enfans .
" O ciel ! s'il a le bonheur d'échapper à cette mort,
funeste qui nous jette dans l'éternel sommeil , s'ilpeut
survivre à sa victoire , et recevoir la palme due à sa
' valeur , il devient le plus cher objet de l'amour des
jeunes gens et des vieillards , et il ne descend dans la
tombe que couvert de l'estime générale . Dans sa vieillesse
, il est toujours le premier de sa cité . Personne
n'oserait le choquer , ni lui manquer de respect. Les
jeunes gens , ses contemporains , les vieillards euxmêmes
lui cedent toujours la place d'honneur . Efforcons-
nous donc, pour arriver à ce comble de gloire ,
de braver tous les hasards de la guerre.
Avec quel art le poëte intéresse toute l'humanité
au sort de celui qui succombe dans les combats ? A
combien de héros ne devons- nous pas déjales mêmes
regrets , la même estime et la même reconnaissance ?
La littérature du moyen âge présente des articles
pleins d'intérêt ; nos auteurs passent en revue Sado- .
let , Molza , Novagėrius , Ronsard , Campanus , Bembo,
Casanve , Graovina , Aulugelle , Macrobe , Alexander
ab Alexandro , Crinitus et Louis le Bermen , sieur de
la Martiniere , auteur du Bouclier des Dames , ouvrage
imprimé à Rouen en 1621.1
La traduction élégante d'une Sylve de Stace par
G. J. Latour , est précédée d'une Dissertation assez
curieuse sur les Sylves en général , et sur Stace en par
ticulier , qui était contemporain de Juvenal et de
Martial . Juvenal parle avec éloge de Stace , mais
Martial n'en dit pas un mot. Stace lui -même n'articule
pas une fois le nom de Martial , quoiqu'ils aient
travaillé sur les mêmes sujets . Car il y a une grande
analogie entre la sylve et l'épigramme , du moins sous
le rapport dont les Romains concevaient ces deux
genres . Mais les sylves sont susceptibles de plus de
graces , de richesses et d'ornemens . Sylve vient du
mot latin sylva , forêt , parce que cette sorte de composition
est formée de vers sur différens sujets , commé
une forêt est formée de l'assemblage de plusieurs
especes d'arbres , Ces poésies, ordinairement courtes ,
sont le fruit de l'enthousiasme du moment , d'une
heureuse boutade , d'une sorte de fureur poétique.
Plusieurs auteurs , à la renaissance des lettres , ont
aussi composé des sylves , mais la plupart ont déna
turé ce genre en l'étendant ou en le resserrant. Ils
confondent les sylves avec les impromptus , ou les
regardent comme de simples mélanges.
Les ouvrages d'Aulugelle , Macrobe et Alexander
ab Alexandro , éclaircissent beaucoup de points intéressans
de l'antiquité ; un des plus beaux morceaux
des Nuits altiques , est sans contredit le discours dans
lequel le philosophe Favorin représente aux femmes ,
avec autant d'éloquence que de vérité , la nécessité
où elles sont d'allaiter leurs enfans . Nos auteurs ont
( 223 )
1
traduit ce morceau en entier. Ils observent que le
chancelier de l'Hôpital , en France , rappella aussi
les femmes à cet important devoir de la nature. Mais,
ajoutent- ils , ces deux grands hommes ne furent pas
écoutés . Enfin , J. J. vint , et quoiqu'il ne fût pas
" plus éloquent , quoiqu'il ne redît que les mêmes
" choses, il ramena les meres à leur premier devoir.
" Pourquoi cette singularité ? C'est qu'Aulu - Gelle
" et l'Hôpital n'avaient donné que des conseils , et
que Jean-Jacques donna des ordres. Les femmes nè
se rendent gueres aux leçons ; il faut leur laisser
,, entrevoir l'autorité . Elles méprisent la sagesse da
» Favorin , et sont ramenées par les injures du cit.
› de Geneve ; en un mot , elles ont plus besoin de
" maîtres qui leur plaisent , que de conseillers pour
" qui elles n'aient que du respect. Si quelqu'une
trouvait ce jugement trop rigoureux , nous lui di-
,, rons qu'il est de M. de Buffon ; et nous convien-
,, drons nous- mêmes que la galanterie de ce philosophe
est ici en défaut. Cette derniere assertion
nous paraît un peu hasardée . On disait un jour à M.
de Buffon : Vous aviez prouvé avant J. J. Rousseau , que
les meres doivent nourrir leurs enfans . Oui , répondit l'illustre
naturaliste , nous l'avions tous dit , mais M. Rousseau
seul le commande , et se fait obéir. Au lieu d'être un
défaut de galanterie , ces paroles ne seraient- elles pas
une félicitation sur le bonheur qu'a eu le philosophe
de Geneve , de gagner une cause plaidée éloquemment
avant lui par plusieurs auteurs .
Revenons à Favorin. La lecture de son excellent
discours nous a valu , de là part du cit . Gaudin- Lagrange
, la traduction en vers français d'une anec
( 224 )
dote touchante , concernant Eurydice d'Hyerapolis ( 1 )
qui , pour ne pas voir dérober à ses soins maternels
les enfans qu'elle avait allaités , apprit , quoique
déja fort avancée en âge , toutes les sciences qu'on
apprenait alors aux enfans bien nés ; elle témoignait
aux muses ses regrets de ne pas avoir puisé les règles
de la morale dans les ouvrages des philosophes ; une
voix lui dit :
Pourquoi perdre courage ?
Tu veux montrer , apprends ; le sage en ses écrits
N'a lui-même enseigné qu'après avoir appris.
Le début des Saturnales de Macrobe est d'une
sublime philosophie : « C'est l'humanité qui établit
cette fête touchante . L'an 474 de Rome , un certain
Atronius avait cruellement frappé un de ses ésclaves .
Jupiter indigné de cette brutalité ordonna dans un
songe au sénateur Annius de la déclarer au sénat ,
et d'en demander vengeance . Annius ayant négligé
cette inspiration divine , en fut aussi-tôt puni par la
mort subite de son fils unique ; et le sénateur per
sistant toujours dans sa négligence , fut atteint luimême
, quoique jeune encore , d'une paralysie soudaine
. Il se fit porter au sénat dans une litiere par
le conseil de ses amis , révéla alors son songe à cette
auguste assemblée , et recouvra la santé à l'instant.
On institua donc les saturnales , ou plutôt on en fit
une fête solemnelle ; car il paraît qu'on les célébrait
auparavant , mais avec beaucoup moins de régularité
. Les Romains savaient que les esclaves étaient
égaux à leurs maîtres aux yeux des immortels . Com-
( 1 ) Plutarque , Euvres morales .
ment
( 225 )
ment mépriserait-on cette classe d'infortunés , quand
on sait que la reine Hécube , le roi Crésus , la mere
de Darius , le philosophe Diogene , le divin Platon
ont langui dans l'esclavage ? Ne sont-ils pas sortis
de la même origine que nous , ne jouissent- ils pas du
même ciel , ne vivent-ils pas et ne meurent-ils pas
comme nous ? Combien d'entre eux , sous les fers qui
les outragent , conservent une ame plus libre que
nous ? Ils sont esclaves par l'irrésistible empire de la
nécessité ; trop souvent nous sommes esclaves de nos
passions , de l'amour , de l'avarice , de l'ambition ,
dë
l'espérance , de la crainte . Nous sommes esclaves de
notre volonté , le pire de tous les esclavages . Eh
quoi ! parce que la fortune les tient enchaînés à son
joug cruel , faut-il que nous les foulions aux pieds ,
nous mille fois moins estimables qu'eux ? Vous trouverez
dans cet état que vous dédaignez , des hommes
incorruptibles , plus forts que l'argent ; et souvent
leurs maîtres orgueilleux iront leur baiser les mains
dans la vue du plus sordide intérêt. Ce n'est point
sur la fortune , c'est sur les moeurs qu'il faut juger
les hommes . Ah ! ne cherchons pas nos amis dans le
sénat et dans les assembléès brillantes ; sans sortir de
nos maisons nous en trouverons souvent de plus fideles
sous la bure . Traitez donc bien vos esclaves ,
admettez-les dans vos entretiens , dans votre intimité
même ; imitez nos ancêtres qui eurent la générosité
de retrancher ce que l'autorité de maître avait de
trop odieux , afin de se rapprocher de leurs esclaves ,
et qui ne les appellaient que leur famille . Au lieu
de vous faire craindre des vôtres , faites - vous en chérir.
On me dira peut-être qu'en les élevant ainsijusqu'à
Tome XXVI. Р
( 226 )
nous , c'est nous dégrader. Tenir ce langage , ce serait
vouloir exercer un droit que les Dieux , protecteurs
éternels de ces infortunés , n'exercent pas . Je le répete
. contentez -vous de vous en faire aimer : le véritable
amour ne va jamais sans une crainte sensible
et respectueuse . Loin de moi cette maxime impie que
nos plus grands ennemis sont nos esclaves . C'est de
nous que leur vient cette inimitié , quand elle entre
dans leur sein. C'est notre orgueil , notre cruauté ,
notre injustice , qui en sont les véritables causes . Nous
ne sommes que trop enclins à voler des délices à l'emportement
et à la fureur . Nous devenons tyrans dans
notre intérieur ; et ce n'est pas sur le droit naturel
que nous mesurons notre empire , c'est d'après toute
l'étendue de nos caprices que nous régnons . Jusques
dans l'extrême licence de nos repas nous ne voulons
pas que nos esclaves remuent les levres . La verge im-,
pitoyable nous venge de leur moindre murmure ; les
fautes les plus involontaires sont suivies de peines
déchirantes ; s'ils toussent , s'ils éternuent , s'ils soupirent
, ils sont accablés de coups . Après tant de brutalités
, comment ne se permettraient- ils pas quelques
plaintes contre des maîtres si tyranniques? Et cependant
ces hommes tourmentés à cet excès sont prêts
encore à mourir pour sauver leurs bourreaux . Voulez-
vous que vous retrace une nuée d'esclaves fideles
qui se sont dévoués pour eux ; celui d'Urbinus ,
celui de Démosthenes , ceux de Labiénus , de Restion ,
du plus jeunes des Gracques , de Scipion , du roi Séleucus
, de César , d'Auguste ; ceux d'une foule da
Romains , de Grecs , de Barbares ? Toutes les histoires
sont remplies de la fidélité de ces hommes qui gé(
227 )
missent sous vos coups . Or , ce fut pour consoler
l'humanité souffrante , continue Macrobe , que nos an
cêtres out imaginé les saturnales dans ce siecle de
fer , ils ont voulu nous donner une idée de l'âge
´d'or. "
Il est à regretter que Macrobe n'ait pas été traduit
en français.
Les personnes qui aiment la gaîté et la philosophie
liront avec plaisir , dans les articles de littérature
moderne , le petit roman intitulé : Aventures
d'Antonio Moricelli , de Bergame . C'est l'histoire d'un
jeune fou , à qui il prend envie de se ranger à côté
du Dante , de l'Arioste et du Tasse ; il quitte son
pays , compose des poëmes plus extravagans les uns
que les autres , et est enfin ramené à la raison par
une femme aimable , avec laquelle il revient se marier
à Bergame , à la satisfaction des vertueux parens que
la fougue de la jeunesse lui avait fait abandonner .
L'annonce de l'année 1796 du Journal littéraire
de Lausanne , contient une critique fort piquante
de l'opéra comique de Guillaume Tell , que notre
concitoyen Sedaine fit représenter sur le théâtre
Italien , le 9 avril 1791. Nous étions plus occupés
alors à défendre notre liberté contre les perfidies.
d'une cour corrompue , qu'à découvrir les anachronismes
contenus dans une piece de théâtre . Mais
nous applaudissons à la bonne leçon donnée , par
un étranger , en la personne du cit . Sedaine , à nos
Jeunes auteurs qui desirent mettre sur la scene les
moeurs et les habitudes des autres nations.
Dans un essai sur quelques protecteurs de la littérature
qui ont fondé ou enrichi des bibliotheques ;
P 2
I
( 228 )
se trouve une prétendue traduction ' de la lettre
qu'écrivit , en 1469 , le cardinal Bessarion au doge
et au sénat de Venise , en léguant à cette ville ses
livres grecs et latins , qu'on y conserve encore . Cette
lettre contient le plus bel éloge des livres en général
. Elle respire une vive passion pour le progrès
des connaissances humaines , et peut être comparée
à la belle dédicace que J. J. Rousseau fit à la république
de Geneve , de son discours sur l'inégalité ,
etc. L'illustre protecteur des lettres voulait être
utile , même après sa mort , aux hommes de tous les
pays , et particulierement à ses infortunés compatriotes .
Venise , sa patrie adoptive , lui parut , par la douceur
de son gouvernement , propre à remplir son
but , et il la fit dépositaire des richesses littéraires
qu'il avait ramassées à grands frais et encore avec
plus de peine. Le philosophe de Geneve , passionné
pour les droits naturels de l'homme , desirait dédier
le fruit de son travail sur cet important objet , à des
hommes dignes de l'entendre , et il eut le bonheur
de trouver ces hommes dans les magistrats de sa
patrie. Les opuscules où ces deux amis de l'humanité
ont déposé leurs sentimens , sont des modeles
d'une éloquence noble et touchante . La lettre de
Bessarion a été imprimée , pour la premiere fois ,
en 1610 , dans le recueil intitulé : Philologicarum
Epistolarum centuria una ...... ex bibliothecâ et recensione
Goldasti. in- 8°. Je regrette que la traduction soit trèsinférieure
à l'original latin . Bessarion commence sa
lettre par déclarer qu'il a aimé les livres presqu'en
naissant :
7 Equidem semper à tenerâ ferè puerilique ætate
( 229 )
, omnem meum laborem omnemque operam,stulium ,
,, curamque adhibui , ut quoscumque possem, libros .
,, in omni disciplinarum genere compararem. Propter
" quod non modò plerosque et puer et adolescens
,, manu meâ conscripsi , sed quidquid pecuniola
seponere interim parca frugalitas potuit , in his
coemendis absumpsi , "
On pourrait rendre ainsi ce morceau : " Je me suis
" constamment occupé , presque dès ma plus tendre
" enfance , à acquérir les livres de toute espece de
,, science que je pouvais me procurer : c'est ce qui
" fait que non - seulement j'en ai copié beaucoup.
,, dẹ ma main , dans ma jeunesse et dans mon ado-
› lescence , mais encore que j'ai consacré à leur
,, achat toutes les petites épargnes que je pouvais
,, faire . "
Voici comment notre auteur l'a traduit : « Dès
,, ma plus tendre enfance , j'ai fait des recherches
qui tenaient de la passion , pour me procurer les
meilleurs livres dans tous les genres de sciences
" et de littérature ; et comme je naquis avant la belle
9 découverte de l'imprimerie , plusieurs de ces livres
" sont écrits de ma main . Je me privais de tout
? pour satisfaire ce goût impérieux , et l'amour do
,, la science absorbait tous mes revenus . 19
Le traducteur s'est permis les mêmes libertés dans
la suite de la lettre . Il a pris à tâche , pour ainsi
dire , de faire disparaître le sentiment et la délica .
tesse que Bessarion y avait mis .
Pour mettre de la variété dans leurs livraisons ,
nos auteurs donnent la solution de plusieurs questions
de littérature et de morale , telles que celles - ci
P 3
( 230 )
Qui est- ce qui forme l'homme de génie ? Quelle est
la plus utile de toutes les sciences ? Qu'est - ce que
le sentiment ? Quel est le plus efficace et le plus
sûr moyen de s'instruire ? Quel est le vice le plus
odieux dans la société ? Trois anecdotes , racontées
dans la solution de la premiere question , augmentent
la liste des grands hommes à qui la nature
montra elle -même le genre auquel elle les destinait :
ng
Le génie , dit notre auteur , se développe , s'ag-'
grandit , s'enflamme tout seul ; mille exemples pourraient
vous le prouver , mais je me contenterai de
vous en rapporter deux qui jetteront une lumiere victorieuse
sur la question qui nous occupe . Premierement
, j'ai beaucoup connu l'abbé de Lacaille , le
plus grand astronome de l'Europe , et l'homme le plus
modeste de la Francè . C'est de lui - même que je tiens
ce que je vais vous apprendre . Il était fils d'un maître
d'école d'un très- petit village du diocese de Laon . A
l'âge de dix ans son pere l'envoyait tous les soirs sonner
l'angelus. L'enfant tardait toujours à rentrer , et son
perele gronda d'abord fort durement . Sa colere n'empêchant
pas son malheureux fils de s'amuser tous les
soirs , il le battit , et finit par le fonetter cruellement ,
comme un vrai maître d'école , comme l'Orbilius
d'Horace . Le jeune Lacaille se laissait battre , estropier
, sans pouvoir se corriger . Son pere enfin soupçonna
quelque mystere dans une conduite si étrange ,
Il guetta un soir l'enfant , et il le vit monter au clocher
, après avoir sonné l'angelus , Au bout d'une heure
le petit malheureux descendit , et son pere se prégenta
à lui au bas du clocher : il lui demanda dure -
ment ce qu'il venait d'y faire . Le pauvre Lacaille se
( 231 )
jetta à genoux , et se voyant pris en flagrant délit', il
avoua qu'il venait de regarder les étoiles , comme il
aurait avoué un péché mortel à son curé . Le maître
d'école , fort éloigné d'être né astronome comme son
fils , le fouetta plus brutalement que jamais , et le regarda
de ce moment comme un mauvais sujet . Par
hasard un bénédictin de Laon passa dans le village le
lendemain de cette aventure , et trouva le jeune infortuné
en larmes dans les rues . Il lui demande la cause
de sa tristesse . Lacaille lui en fait part avec beaucoup
de peine . Le bénédictin qui crut remarquer le cachet
de la nature dans cette passion d'un enfant de dix ans ,
pour aller comtempler les étoiles toutes les nuits , malgré
les mauvais traitemens qu'il était sûr de recevoir
en satisfaisant cette curiosité'invincible , demanda le
jeune Lacaille à son pere , et le conduisit à Laon . On
lui trouva les dispositions les plus heureuses , il apprit
le latin avec une extrême facilité, on lui permettait de
contempler les astres tant qu'il voulait , et il les comtempla
si bien , si fructueusement , qu'il devint tout
seul un phénomene , que l'académie des sciences se
hâta de l'adopter , et que les plus grands astronomes
de l'Europe finirent par le regarder comme leur maî
tre . Je lui ai entendu raconter cette histoire à luimême
, en présence du peintre Latour , son compatriote
. Celui - ci encore enfant , annonçait un peintre
fameux , comme Lacaille à dix ans annonçait l'astronome
. On conservait aux arquebusiers de S. int- Quentin
sapatrie , un plan de cette ville , qu'il avait levé
dessiné lui -même , sans avoir encore rien appris de
tout cela . Je ne sais ce qu'est devenu ce dessin .
" Mon second exemple ne prouve pas moins,sije ne me
20
(
P4
( 232 )
T
1
trompe , la vérité de l'opinion que j'ai adoptée , Le fils
d'un jardinier d'Angleterre , qui ne savait pas lire , et
qui n'entendait pas un mot de français, trouva un jour ,
par hasard , un feuillet détaché de la géométrie du marquis
de l'Hôpital , et à l'instant les figures géométriques
qu'il y vit tracées frapperent fortement ce jeune
génie ; il devina , il comprit , il surpassa un maître si
habile par l'analogie seule . Or , je vous demande
maintenant quels furent les maîtres de ces trois enfans
sublimes. Je vous demande encore quelle nécessité
força l'un d'être astronome ; le second , peintre ; le
troisieme , géometre . La nécessité n'entra certainement
pour rien dans leurs goûts vainqueurs ,
autre guide que la nature les porta au- dessus de tous
leurs rivaux . Je crois donc que la nature est la seule
cause efficiente du génię .
99
et nul
On sait aujourd'hui que le principal auteur des
Soirées littéraires est le cit. Coupé , ancien professeur
de l'université , qui a fait paraître , en 1778 , chez
Moutard , des essais de traductions des Epîtres du
chancelier de l'Hospital ; qui a travaillé à la Bibliotheque
universelle des Romans et à celle des Théâtres ; qui ,
l'année derniere , a enrichi notre littérature d'une
traduction complette du Théâtre de Seneque , et qui
vient de publier une traduction libre de l'Eloge de
l'Ane , par Daniel Heinsius .
Les Soirées littéraires jouissent d'un succès mérité .
Puissent- elles ranimer parmi nous le goût de bons
modeles !
ANNONCE S.
Camilla , ou la Peinture de la Jeunesse ; par Miss Burney
auteur de Cécilia et d'Evelina . A Paris , chez Maladan
( 233 )
libraire , rue du Cimetiere - André- des - Arcs , no . 9. 5 vol.
in- 12 , Prix , brochés , 10 liv . , et 14 liv . francs de port
par la poste , pour les départemens . On affranchit l'argent
e la lettre d'avis .
Cette derniere production de Miss Burney est au moins
égale en mérite aux deux autres . On y trouve par- tout une
certaine finesse de style , une gaîté douce et feminire , qui
excite dix fois le sourire dans une page , et vous fait quelquefois
éclater ; d'autres passa es vous attendrissent. Point
de noirceurs , point de situations forcées . Un but moral
bien marqué , des évenemens fort ordinaires ; tout l'intérêt
des détails consiste dans des développemens de caracteres.
L'auteur s'est principalement appliqué à suivre les plus légers
mouvemens du coeur dans les personnages qu'il a mis
en scene .
Le sujet est simple deux jeunes gens s'aiment depuis,
l'enfance ; Camilla , vive , gaie , mais douce et sensible ;
Edgar , plus froid et plus réservé . Dès l'instant que leur
amitié se fut changée en amour , ils pouvaient être heureux ;
mais Camilla se trouve jettée dans le tourbillon du monde ,
et conduite , par la seule force des circonstances , et par
l'effet de quelques, imprudences , à une situation désespérante
. Enfin , ses maux cessent ; elle renonce à la vie mondaine
. Edgar abjure sa réserve , et toute la famille avec
eux retrouve le bonheur.
L'auteur a réuni dans ce cadre une foule de caracteres
très- comiques , d'autres très-aimables . Un oncle , vieillard ,
faible , bon , sensible , amoureux , fort ignorant de la science ,
et qui , à 50 ans , se met en tête de commencer par le
rudiment. Un docteur pédant , qui , chargé de courir après
une jeune fille dont on craint l'évasion , prend le tems
d'emporter avec lui toute sa bibliotheque. Une gouvernante ,
vieille fille de condition qui se fait la bête noire de toute
la maison. Une belle personne qui n'est que belle . Une
petite boiteuse , charmante par les qualités de l'esprit et du
coeur. Un frere , frivole , prodigue , mais fort gai , et une
foule d'autres caracteres accessoires , ingénieusement groupés
et mis en action .
Le Monthly - Review , qui a rendu compte du roman de
Camilla , n'a point hésité à reconnaître que Miss Burney
est , après Fielding , le peintre le plus fidele des moeurs,
Il a recommandé son ouvrage aux jeunes personnes comme
un guide pour elles dans les situations les plus difficiles
de leur vie.
( 234 )
NOUVELLES ÉTRANGERES.
ALLEMAGNE.
De Hambourg , le 11 décembre 1796.
L'ARRIVÉE
7 ' ARRIVÉE du général Aubert- Dubayet à Constantinople
, en qualité d'ambassadeur de la République
Française , met fin à la mission de M. Verninac. Aussi
a-t-il déja pris congé des ministres turcs, et des ministres
étrangers. La Porte lui a fait présent d'une pelisse de
martrezibeline ; elle y a ajouté un cheval richement
caparaçonné ; c'est ce que nous apprennent nos lettres
de Constantinople du 25 octobre. Les mêmes lettres
annoncent que le géneral Aubert- Dubayet a commencé
son ambassade par de longues et fréquentes conférences
avec le Reis- Effendi . On n'en connaît pas précisément
l'objet ; mais on conjecture qu'il n'est autre
que la situation politique du Nord .
Cependant on est instruit de quelques demandes
du nouvel ambassadeur. On assure que la premiere
est l'éloignement immédiat de tous les royalistes français
, et sur- tout de M. Chalgrin , qui jusqu'ici se disait
chargé d'affaires de Louis XVI , quoique la Porte
ne l'ait pas reconnu ; la seconde , le firman pour le
consul de France , qui devait partir pour les deux
principautés de Moldavie et de Valachie .
Il n'a point encore été fait de réponse à la premiere
de ces demandes .
Quant au firman , il a été nettement refusé ; on a
apporté pour raison , qu'on ne voulait point reconnaître
pour consul et agent général dans les principautés
susdites , une personne qui est du choix de la
République Française, d'autant plus que cette personne
est née sujet de la Porte . L'ambassadeur a dû céder ,
( 235 )
4
et il a envoyé provisoirement son premier secrétaire
d'ambassade , le général Saint- Cyr, en Moldavie ; mais
l'on assure qu'il insiste formellement sur le renvoi
des royalistes .
La Porte a conçu de très -vives inquiétudes sur les
liaisons que l'on suppose que la Suede a formées avec
la Russie. M. d'Hosson travaille de tout son pouvoir à
les dissiper. Il paraît qu'à la date où nos dernieres lettres
de Constantinople ont été écrites , ses efforts
avaient été inutiles ; que les préventions subsistaient
toujours , et qu'elles étaient fortifiées et soutenues par
l'ambassadeur français . Mais les événemens importans
survenus depuis , et qui , selon toutes les apparences
doivent apporter quelques changemens dans
les relations politiques de plusieurs puissances , peu
vent faire penser qu'il sera plus facile de rassurer le
divan . Avant la mort même de Catherine II , le roi
de Suede avait annoncé l'intention formelle de n'entrer
dans aucun des projets de l'ambition ou des ressentimens
de cette princesse . En supposant que son
successeur voulût les suivre , supposition très - opposée
à l'idée que l'on a généralement de son caractere
, il est présumable que Gustave IV ne se dépar
tirait pas en sa faveur d'un systême auquel il doit
tenir d'autant plus fortement , qu'il paraît ne l'avoir
embrassé qu'après avoir reconnu qu'il était le seul
qui convint à sa position et aux véritables intérêts
de son royaume , D'ailleurs , il montre , depuis qu'il a
pris les rênes du gouvernement , un caractere trèsferme
qui doit être le garant de ses résolutions . Toutes
les lettres de Suede sont pleines des espérances que
donnent les commencemens de son regne . On n'y
parle que de son amour de l'ordre , de la justice , de
son application au travail , qu'il commence dès six
heures du matin . On cite plusieurs faits qui prouvent
qu'il ne veut être étranger à aucun des moindres détails
de l'administration . Il ne consulte plus le duc
de Sudermanie . Il paraît qu'il s'en est éloigné sans
retour. Cette mésintelligence a éclaté , non- seulement
par la dêmission que l'ex-régent a donnée de
toutes ses charges , mais aussi par des scenes intė(
236 )
1
rieures , dont quelques courtisans ont été témoins , et
dans lesquelles on assure que le jeune monarque a
montré plus que de l'humeur.
On attribue son extrême mécontentement à l'extrême
désordre des finances. Il y a deux millions
d'écus dont l'ex-régent ne peut rendre aucun compte .
Le deuil de Gustave III n'est pas encore payé ; et
l'on s'est vu exposé à ne pouvoir porter celui de la
reine de Dannemarck , les , marchands ne voulant
point fournir les étoffes , et les ouvriers leur industrie
et leur tems à une cour , dont les ressources paraissent
si complettement épuisées .
Il avait été question de Mac- Lan pour le ministere
de la guerre ; c'est un homme de mérite , partisan
déclaré de la République Française . Mais il
paraît que le général Tell lui sera préféré . Celui - ci
rendit beaucoup de services , dans la révolution de
1772 , à Gustave III , dont il s'était acquis par - là la
confiance et l'amitié. Après la mort de ce prince ,
il fut envoyé à Varsovie . Il se trouva impliqué dans
l'affaire de Darmfeld . Des ordres avaient été donnés
pour l'arrêter ; il ne les attendit point , et revint de
son propre mouvement pour se justifier. Il fut relégué
à Wismar . Il a , dit- on , beaucoup d'esprit et
de grands talens militaires.
le
Les lettres de Pétersbourg nous annoncent que
successeur de Catherine II est monté paisiblement
sur le trône . On n'a remarqué aucun désordre , aucun
mouvement irrégulier. Les troupes ont prêté le
serment , et cette cérémonie s'est faite sans tumulte .
L'empereur a fait publier une proclamation pour
annoncer son avenement . Cette piece n'a rien de
remarquable que son extrême concision . Elle renferme
au reste , comme toutes celles de ce genre ,
des promesses capables de ranimer l'espérance d'un
heureux avenir dans le coeur des peuples. Paul Ier . ,
c'est le nom du nouveau souverain , a confirmé luimême
ces promesses . Il a parcouru tous les quartiers
de Pétersbourg . Il a promis la paix à ses sujets. Il
leur a déclaré qu'il voulait consacrer tous ses soins,
à ramener l'abondance , et à faire fleurir le com(
237 )
merce . On voit que les principes de sa mere ne sont
pas les siens ; mais ses discours ne sont pas les seules
preuves de ses dispositions à suivre d'autres exemples
que ceux qu'elle lui a laissés ; on peut y joindre
déja quelques faits . L'Angleterre avait négocié avec
Catherine II un traité de subsides , par lequel cette
princesse s'engageait à faire marcher au secours de
l'empereur une armée de 80,000 hommes . L'Angleterre
devait payer 150,000 liv . st . pour mettre cette
armée en mouvement , autant pour son retour , et
100,000 liv . st . par mois pour son entretien , pendant
toute la durée de la guerre . On a trouvé ce
traité sur la table de l'impératrice ; et il paraît que
c'est au moment même où elle allait le signer que
la mort l'a frappée . On assure que l'empereur l'a
déchiré , en déclarant qu'il ne voulait en aucune
maniere se mêler des affaires de la coalition . L'armée
de Condé était , depuis plusieurs mois , payée par la
Russie . Aussi - tôt que l'empereur en a été informé , il
a donné des ordres pour faire cesser sur le - champ
ce subside onéreux .
Le prince Repnin a été rappellé de Grodno . II
paraît qu'il remplacera M. de Marcoff , qui a été renvoyé
immédiatement après la mort de limpératrice ,
et sur les papiers duquel les scellés ont été mis . M.
de Besborodko est encore aux affaires étrangeres
mais on doute qu'il y soit maintenu .
Il paraît que le favori Subow avait eu le bon esprit
de n'être pas tellement ébloui du présent qu'il
oubliât l'avenir ; et que pendant sa prospérité , il a
employé les ménagemens . les égards qui pouvaient
la lui faire pardonner . On assure que l'empereur lui
a dit Vous étiez l'ami de ma mere ; vous serez le
mien. Si ce compliment a été fait ; s'il est sincere ,
Subow pourra se consoler d'autant plus facilement ,
que le poste de favori devait avoir perdu beaucoup
de ses charmės .
De Ratisbonne , le 15 décembre . Il est un objet qui absorbe
aujourd'hui l'attention particuliere des états d'Allemagne ,
c'est la plainte portée devant la diete par l'ambassadeur du
chef de l'Empire , relative aux paix particulieres conclues
1.
( 239 )
1
contre l'esprit et le voeu de la constitution germanique
entre quelques états d'Allemagne et la République Française .
L'Allemagne est inondée d'écrits sur cet objet , qui donnent
des notions particulieres sur les modifications apportees
, par la succession des tems , dans le droit public d'Allemagne
, qui , de l'aveu de tous les politiques , est le plus
compliqué de tous.
1
Mais il est encore une autre particularité qui les distingue
davantage . Malgré l'esprit de parti qui , plus ou moins , les;
a dictés , on y remarque un ton et des principes nouveaux ,
qu'on n'aurait osé professer en Allemagne , ni même en
France , il y a sept ans . Dans les écrits ministériels comme
dans les écrits anti-ministériels , dans les opinions émises
par les partisans de la maison d'Autriche , ainsi que dans
les réponses justificatives , on trouve l'hommage rendu à la
souveraineté du peuple.
Mais quel bien le ministere autrichien peut- il donc attendre
d'une démarche qui , quelle que soit son issue , doit
lui susciter des ennemis dans ceux qui en étaient l'objet?
Eh ! que pouvaient , contre une force majeure , de petits
princes d'Allemagne qui , au moment de l'entrée victorieuse
des Français dans leur pays , se voyaient entourés d'ennemis
puissans , abandonnés des armées autrichiennes , livrés à leur
propre nullité , et ayant devant les yeux l'exemple de la
Prusse et du landgrave de Hesse - Cassel ?
Avant de conclure des paix séparées , n'avaient - ils point
fait en faveur de cette guerre , et cela conformément à la
constitution fondamentale de l'état , tous les sacrifices que
leur position physique ou morale leur permettait de faire?
Que pouvait- on exiger davantage de la part de ces états ?
La cour de Vienne pouvait- elle prétendre qu'ils sacrifiassent
jusqu'à leur existence politique ? Mais de quels secours lui
eussent- ils été à l'avenir?
Il est enfin une derniere considération qui , par șa nature ,
devrait engager la maison d'Autriche à se désister d'une pareille
poursuite .
En invoquant l'opinion de la diete sur ces paix particulieres
, l'empereur ne fait pas seulement le procès aux petits
princes d'Allemagne , mais il déclaré encore la guerre
au roi de Prusse , qui en a donné l'exemple , ainsi qu'à
l'électeur de Saxe , au sujet de sa neutralité armée .
Quels succès espérer d'une démarche qu'aucune puissance
physique ou morale n'appuie ? Malheur au gouvernement
qui se permet des coups d'autorité , sans avoir les moyens
de les faire respecter,
( 238 )
Au surplus , il n'est point douteux que le cabinet de
Vienne n'abandonne l'espece d'acte d'accusation qu'il a faite
porter à la diete , aussi- tôt qu'il aura, connaissance de la déclaration
que le roi de Prusse vient de publier, et par laquelle
il annouce qu'il accordera sa protection spéciale à ceux de
ses co - états qui , inquiétés par une puisssance quelconque
imploreraient son appui.
Les états de Hongrie firent , le 7 de ce mois , la clôture
de leur assemblée . Ils ont décrété , en faveur de l'empereur
, les 63 articles qu'ils décréterent , en 1741 , en faveur
de Marie-Thérese , lorsqu'environnée des Palatins et leur
montrant son fils , elle implorait leur secours comme la
derniere ressource qui pût la sauver. La cour rentra le 8 å
Vienne ; elle doit y passer l'hiver .
SUISSE. De Basle , le 14 décembre.
Les plaintes portées par les généraux français devant le
magistrat de Basle , contre les officiers suisses qui , par leur
faiblesse ou une négligence coupable , out laissé violer le
territoire neutre par les Autrichiens , déterminerent ce canton
à faire des démarches qui ne laissassent aucun doute sur la
sincérité de ses sentimens , ainsi que sur son inébranlable
attachement à observer un systême de neutralité adopté depuis
le commencement de la guerre , par l'universalité des cantons
suisses , et si conforme aux véritables intérêts de cette république.
Après de longues consultations , l'Etat de Basle a
condamné au carcan les deux officiers accusés d'avoir laissé
violer le territoire suisse . Leurs biens ont été confisqués . La
sentence n'a pu être mise à exécution sur leurs personnes ,
attendu qu'avant même de connaître le résultat des délibérations
du conseil d'Etat , ils s'étaient enfuis du territoire de
Basle . Les Suisses ont établi , le long de la lisiere allemande
, depuis le petit Huningue jusqu'à Riechen , un cordon
considérable de troupes . Le commandement en a été
confié au colonel Scheuchzer , envoyé par le canton de Zurich
, et connu par l'étendue de ses connaissances militaires ,
ainsi que par l'intégrité de sa conduite politique. Il a donné
les ordres les plus séveres pour faire observer la neutralité
suisse . Pour convaincre les Français et les Autrichiens que
ses dispositions ne sont point de vaines grimaces , il a fait
conduire le long de la frontiere de l'Etat de Basle , un large
fossé défendu par des batteries placées à distance les unes des
autres . C'est ainsi que l'approche du territoire suisse ne saurait
être effectuée , sans exposer à une perte certaine ceux qui en
tenteraient la violation.
---
( 240 )
REPUBLIQUE
-
BATAVE.
De la Haye , le 8 décembre. Dans la séance de la convention
nationale du 5 de ce mois , les citoyens Vande - Kasteele , Vosvan-
Steenwyk , Hartoch . de Beveren , Schimmelpenninck ,
Vreede et Siderius ont été nommés pour former la commission
qui doit , selon le décret du 2 , présenter les moyens d'amalgamer
les 'dettes . Sur la motion des représentans Hoof
et Nohout-van-der-Veen , il a été décidé que ces membres
continueront leurs travaux satis interruption , et seront dispensés
d'assister , pendant le tems de leur durée , aux séances
de la convention nationale . Dans la séance du 6 , le représentant
Bosch a fait la motion suivante : Nous avons décrété
que la bâse fondamentale sur laquelle doit porter notre édifice
politique , que le premier principe du projet de constitution
que nous avons à offrir au peuple , seraient l'unité et l'indivisibilité
. Dans peu, nos délibérations sur le projet présenté
par la commission vont commencer , et nous osons , d'après
les sentimens exprimés par le plus grand nombre des mémbres
de cette assemblée , préjuger avec confiance , qu'il aura
besoin de changemens considérables , pour ne pas dire d'une
réforme totale . Je propose , en conséquence , que l assemblée
ǹomme une commission qui serve à l'éclairer d'avance , en
traçant une esquisse d'après laquelle elle puisse discuter, d'une
maniere prompte , sûre et heureuse , les articles du projet . ,,
Cette motion ayant été ajournée au lendemain , elle a amené
hier , après quelques discussions , un décret important , dont
voici la teneur : La convention nationale nommera demain
une commission de sept membres , qui sera chargée , 1º . de
modifier les articles du projet de constitution , dont le décret
du 2 décembre nécessite le changement ; 20. d'y faire telles
additions qu'elle jugera convenables ; 3 ° . de faire un nouveau
projet si elle le croit nécessaire . " ,
Dans la séance de ce jour , les citoyens Hahn , van Hooff ,
Bosch , Floh , de Leeuw, van Zonsbeck et Kempenaar ont été
nommés membres de cette commission .
ANGLETERRE . De Londres , le 15 décembre.
L'état des dépenses pour l'année qui vient d'expirer , présenté
dans la séance des communes du 7 , offre un total de
27,647,000 liv . sterl . , ou 700,000,000 liv . tournois , parmi
lesquels se trouvent 4,572,000 liv . sterl . , pour remplacer le
deficit de quelques taxes , dont le produit est inférieur à leur
évaluation . Quant aux ressources qui doivent subvenir à ces
dépenses , il n'y en a que la plus faible partie de fondées sur
les
( 241 )
les revenus effectifs de l'Etat . Le reste se compose du produit,
non encore liquidé , d'un emprunt de 18 millions sterl . , et
d'une émission de billets de l'échiquier , pour 5,5000,000
M. Pitt passa à l'article le plus difficile du budget , le
moyen de lever sur le peuple un impôt annuel de 2,222,000
liv. pour payer l'intérêt du nouvel emprunt de 18 millions
de l'excédent de la dette de la marine pour l'année derniere ,
montant à 425,000 liv . ; de celui qui doit probablement avoir
lieu pour l'année courante , et que M. Pitt estime à 3 millions ;
des 5 millions de billets de l'échiquier , du vote de crédit de
4 millions , et de quelques autres objets moins importans .
M. Pitt propose donc de trouver cet intérêt dans une augmentation
de divers impôts indirects déja excessifs . Le comité
doit desirer la paix , a - t- il dit le peuple doit la des
sirer , et je porte avec anxiété mes regards vers l'instant
heureux qui nous rendra la paix avec tous ses bienfaits ;
mais , en même tems , l'on doit se pénétrer de ce principe ,
que la paix ne peut contribuer à augmenter notre prospé
rité , à moins qu'elle n'assure notre indépendance au - dedans
, et qu'elle ne nous fasse respecter au- dehors ; et s'il
est impossible de nous procurer une paix comme celle-là ,
je prefere la guerre , et j'espere qu'avec les moyens nous
aurons aussi la volonté de la continuer. Oui , je le répete ,
à moins d'une paix solide et honorable , je suis fermement
décidé à continuer la guerre , à ne jamais embrasser un
fantôme pour la réalité , l'ombre d'une paix pour la subs
tance. "
M. Fox , après avoir rélevé plusieurs inexactitudes dans les
calculs de M. Pitt , tourna en ridicule le prétendu désintéressement
des souscripteurs de l'emprunt , en disant qu'il
n'était point étonné que les capitalistes eussent saisi aveć
autant d'empressement une occasion de placer leur argent
avec autant d'avantage ; que s'il en avait , il n'aurait pas
manqué de faire comme les autres , et qu'il ne detait pas
que les membres qui siégeaient de l'autre côté , celui du
ministre , et qui doivent en avoir beaucoup , n'eussent été
des premiers à le prêter à 11 pour cent d'intérêt.
M. Fox parle ensuite du prêt de 1,200,000 liv . fait à
l'empereur. Cette mesure , dit- il , viole si ouvertement
et dépasse de si loin les bornes posées par la constitution
pour la conservation des propriétés et de la liberté publi
que , que l'idée seule le faisait frémir . Par cette mesure
l'honorable membre s'était déclaré le souverain des représentans
du peuple et de la chambre des communes , dans
Tome XXVI.
T
( 242 )
laquelle seule réside le droit de disposer de l'argent du
peuple . Je déclare devant Dieu , s'est écrié l'orateur , que
SI cette conduite reste impunie , le peu qui reste de la
constitution ne vaut pas la peine que l'on fasse aucun effort
pour sa défense . ,,
Il ne me paraît pas , ajoute-t-il , que la solvabilité de l'empereur
, malgré les succès dont on parle , soit meilleure
aujourd'hui qu'elle ne l'était au commencement de la campagne
; et à la fin de celle - ci , il se trouve dans une situation
pire que celle où il était lorsqu'elle a commencé , puisque
les Français possedent encore , de l'autre côté du Rhin ,
la tête du pont d'Huningue , le fort de Kell et Neuwied ,
et presque toute l'Italie . Mais je suppose que le ministre
vint nous demander l'autorisation de prêter une somme
d'argent à la République Française , il aurait grand soin ,
sans doute , de vous dire qu'il a pris les précautions suffisantes
et des cautions solides et matérielles pour la rentrée
de cette somme , et cependant les Français ont bien autant
et plus de droit que l'empereur , d'emprunter sur leur bravoure
et leurs actions d'éclat . " ,
La chambre s'étant formée en séance publique , les différentes
propositions furent mises aux voix et adoptées .
Le roi d'Angleterre a envoyé au parlement , le 12 détembre
, le message suivant sur la déclaration de guerre de
f'Espagne.
Sa majesté apprend avec douleur à la chambre des
communes , que ses efforts pour conserver la paix avec
l'Espagne , et régler tous les sujets de contestations avee
cette cour par une négociation amicale , sont devenus sans
effet par la guerre que le roi catholique vient de lui déclarer
brusquement et sans provocation . Sa majesté , tout
en déplorant sincerement ce fatal surcroît aux calamités de
la guerre , qui déja s'étendent sur une si grande partie de
l'Europe , a la satisfaction de penser qu'elle n'a négligé ,
de son côté , aucun des moyens propres à maintenir la
paix à des conditions qui pussent se concilier avec l'honneur
de sa couronne et l'intérêt de ses états ; et elle a la
ferme confiance qu'avec la protection de la divine providence
, la fermeté et la sagesse du parlement , elle sera
capable de repousser avec succès cette aggression non
provoquée et de donner à l'Europe une nouvelle
preuve de l'énergie et des ressources de la nation anglaise.
>
( 243 )
2
REPUBLIQUE FRANÇAISE.
CORPS LÉGISLATIF.
Séances des deux Conseils , du 25 frimaire au 5 nivôse .
·
Camus propose au conseil des Cinq cents les
sommes à accorder , pendant l'an V , tant pour les
dépenses du Corps législatif que pour celles du Directoire
exécutif. Voici le projet de résolution :
Art. Ier. L'indemnité de 750 membres du Corps
législatif reste fixée à la valeur de 459,990 quintaux
de froment , ou 2,250,000 myriagrammes , conformément
à l'art . LXVIII de la constitution .
II. Les frais de voyage de chacun des 250 membres
venant chaque année prendre place au Corps
législatif , et de pareil nombre sortant , seront déterminés
à raison de 6 francs par poste pour l'an V.
III. Les lois des 26 frimaire et er. nivôse de l'an IV,
relatives au traitement des secrétaires - rédacteurs ,
messagers d'état et des huissiers près le Corps législatif
, sont rapportées .
IV. Le traitement de chacun des secrétaires rédacteurs
des procès verbaux des deux conseils sera de
4500 francs ; celui de chacun des messagers d'état sera
de 2000 francs ; celui de chacun ; des huissiers sera de
1500 francs .
V. Toutes les dépenses du Corps législatif , ainsi
qu'elles sont détaillées au paragraphe Ier , du ch . Ier .
de l'état général , et sans y comprendre l'indemnité
des représentans , sont déterminées , pour l'an V,
la somme de 642,290 francs .
à
VI. Les dépenses des archives , du bureau topographique
et de la bibliotheque du Corps législatif,
articulées au parag. II du ch. Iex. , sont fixées , pour
l'an V , à la somme de 50,000 francs.
VII. Les dépenses des archives domaniales et judiciaires
, et du bureau du triage et du classement
des titres , mis sous la surveillance et la direction
de l'archiviste du Corps législatif , par les lois des
12 brumaire an II et 7 messidor an III . sont fixées ,
pour ladite année , à la somme de 50,000 francs .
( 244 )
VIII. La trésorerie nationale tiendra à la disposi
tion des inspecteurs des deux conseils :
1. La somme nécessaire à l'acquittement de l'indemnité
des représentans , qui reste déterminée
d'après la valeur courante du quintal de froment ;
2º. Celle de 649,290 francs pour toutes les autres
dépenses des deux conseils .
IV. La trésorerie nationale tiendra également à la
disposition de l'archiviste , la somme de 100,000 fr.;
savoir : 50,000 francs pour les dépenses des archives du
bureau topographique et de la bibliotheque du
Corps législatif;
Et pareille somme de 50,000 francs pour les dépenses
des archives domaniales et judiciaires , et du
bureau du triage et du classement des titres .
Quant au Directoire exécutif , la commission lui
communiqua , le 29 fructidor dernier, le résultat de
son travail. I
Par sa réponse du 8 vendémiaire , le Directoire
annonce qu'il a examiné ce projet avec soin , et
qu'il a cherché tous les moyens d'économie que
l'état des choses peut présenter ; qu'une réforme
était possible dans le nombre de ses employés et
dans celui des employés de l'administration intérieure
de sa maison .
9, D'un autre côté , quelques articles ne lui ont
pas paru susceptibles des réductions que proposait
la commission .
" Mais en combinant le tout , en conciliant les
regles de l'économie avec la décence et la dignité
qui convient au gouvernement français , le Directoire
estimait que la somme à laquelle on pouvait
prévoir que ses dépenses s'éleveraient , pouvait se
réduire à 1,500,000 francs . "
La commission , dont le travail avait été excessivement
rigoureux , et qui n'avait attribué aucune
somme pour les dépenses extraordinaires et imprévues
qui pouvaient survenir au Directoire , est d'avis
que c'est concilier les regles d'une sage économie
avec la décence et la dignité qui convient au gouvernement
d'un grand peuple , que de fixer à un
million 500,000 francs la dépense générale à faire par
le Directoire pour l'an V.
( 245 )
La commission propose d'accorder cette somme.
Ces projets seront soumis aux trois lectures .
Malès demande , le 17 , d'autoriser le Directoire
à permettre au gouvernement batave d'exporter des
bois de construction tirés des départemens réunis.
L'on renvoie à la commission des finances , l'examen
de la question : Si les reconnaissances de l'emprunt
forcé pourront , pour ceux qui ont payé en
mandats , être données en acquittement des impo-.
sitions ; ou si ces bons seront réduits à la somme ,
en valeur métallique , que ces mandats représentaient.
Crassous soumet ensuite à la discussion la rédaction
de la résolution sur les transactions . Nous en
donnerons le texte , lorsqu'il aura été définitivement
arrêté .
}
Camus fait adopter , le 28 , le projet suivant de
résolution : 1º. Les lois des 6 messidor an IV et 4 bru
maire dernier , relatives au paiement des fonctionnaires
publics et employés , sont rapportées . 2 °. A
partir du er. nivôse , la totalité de leur traitement.
sera payée en valeur métallique . 3º . La bâse en sera
réglée sur le rapport de la commission des dépenses .
Pastoret rouvre la discussion sur les projets de la
commission relatifs à la liberté de la presse . Le premier
projet tendant à empêcher les cris de sommaires
lui paraît sans inconvénient. Il s'attache à combattre
et à pulvériser le second , portant qu'il sera établi un
journal tachigraphique privilégié. Il en démontre
avec beaucoup de force les dangers , l'inconstitutionnalité
, l'inutilité et même l'impossibilité . It prouve
que ce serait une dépense annuelle de 1,600,000 liv. ,
faite en pure perte dans un tems où nos défenseurs ,
où les fonctionnaires , les rentiers et tous les créanciers
de l'état meurent de faim , ce serait un nouvel
instrument créé au profit des factions , et contre le
peuple qu'il servirait à tromper. Il développe ces
idées avec autant de logique que d'éloquence , et
conclut à la question préalable sur ce projet.
Mathieu partage l'opinion de Treilhard. La magistrature
des journalistes , dit- il , est la seule qui
ait pas ses limites : il faut enfin les lui assigner.
Quoique leur exclusion du lieu de vos séances ne
૨૩
f246 )
"1
pût être combattue par des dispositions tirées de
l'acte constitutionnel , je ne crois pas cependant
que vous deviez l'adopter. Mais le journal qu'on
vous propose est indispensable ; et il est absurde de
dire que ce sera créer un privilége , et qu'il peut
devenir l'instrument d'une faction ; car tous les autres
journalistes seront présens à vos séances , et pourront
rétablir la vérité s'il l'altere .
On demande la clôture de la discussion .
Doulcet combat cette motion . Si elle est appuyée ,
dit- il , c'est qu'on se lasse de voir divaguer les opinions
. Il faudrait préciser la discussion , et la faire
porter successivement sur chacun des projets de la
commission. Le conseil adopte cette proposition .
Couchery pense que l'éditeur du journal privilėgié
deviendra un fonctionnaire public du premier
ordre , et qu'on ne peut créer des fonctions qui
n'ont point été précisées par la constitution . Ne
croyez pas , dit - il , qu'on ait beaucoup de confiance
dans ce journal ; on lira au contraire avec beaucoup
plus d'avidité les récits nécessairement infideles des
autres journaux , puisqu'on vous propose de les exclure
de votre enceinte..
?
Si le journal tachigraphique est toujours fidele ,
yous propagerez dans toute la France les semences
de divisions qu'on jette quelquefois ici ; s'il ne l'est
pas , vous compromettez le sort de la législature , actuelle
, et vous aliénez de lui l'opinion qu'il est si
important de lui concilier. Ne vous jouez pas à le
puissance de la pensée . Je demande la question préa¬
lable sur le second projet de la commission .
Lamarque opine dans le sens de Treilhard et de
Mathieu : il vote pour l'établissement dujournal tachigraphique;
mais il ne veut pas qu'on exclue les autres
journalistes. La discussion sera continuée à demain ,
Le conseil des Anciens a approuvé , le 27 , la résolution
sur les enfans abandonnés ; et , le 28 , celle sur
les greffiers des juges de paix.
La discussion s'ouvre , le 29 , au conseil des Cinqcents
sur les projets de Daunou ; le premier est adopté
sans difficulté ; le second , concernant l'établissement
du journal tachigraphique , est vivement combattu et
appuyé. Trocielle : Le peuple croira- t- il à l'infaillibi-
1
( 247 )
lité du Rédacteur ? et s'il en imposait sur nos séances ,
quel moyen aurait le peuple de rectifier son erreur ?
Après le mal qu'a fait le journal de Marat , il se défiera
toujours d'un journal privilégié , payé par le gouvernement
pour n'avoir jamais tort . Viltard répond à ces
objections : S'il est dangereux , dit il , de laisser dans
les mains du gouvernement l'influence qui peut résulter
d'un journal exclusif , s'ensuit- il qu'il faille abandonner
la direction de l'esprit public à une foule de
journaux contradictoires , et qui ne s'accordent que
dans un seul point , celui de renverser la liberté . La
suite de la discussion est ajournée au lendemain . Dumolard
s'oppose à la création de ce journal . Il y voit
une dépense inutile , une surcharge de plus , une di
lapidation des revenus de l'Etat d'autant plus révol
tante , que les créanciers de l'Etat ne sont pas payés.
Doulcet, en votant pour son admission , s'oppose à
l'exclusion des journalistes des tribunes . Les débats
deviennent vifs ; cependant la proposition de Doulcet ,
mise aux voix , est adoptée . Le mode d'exécution sera
déterminé un autre jour. Le conseil des Anciens a
entendu , le 29 , un rapport sur la résolution relative
aux canaux d'Orléans et de Loing . La discussion s'y
est ouverte , le 30 , sur celle interprétative de la loi
du 9 décembre 1790 , concernant la restitution des
biens des religionnaires fugitifs , concédés à leurs parens.
Lanjuinais y voit une interprétation juste et nécessaire
de cette loi . Regnier la regarde comme superflue.
La discussion est ajournée . On a procédé , le ier .
nivôse , au renouvellement du bureau. Paradis est appellé
au fauteuil . Les secrétaires sont, Loysel , Dorasey,
Gumeau et de Comberousse.
1
On a procédé , le i . nivôse , au renouvellement du
bureau dans le conseil des Cinq- cents . Jean-de- Bry
est président. Les nouveaux secrétaires sont, Gauthier,
Réal , Villers et Roger Martin .
Gossuin fait un rapport sur un message du Direc
toire , qui réclame une loi contre les porteurs de faux
congés , ou certificats faux . Le rapporteur fait sentir
la nécessité d'une mesure prompte et sévere . Il annonce
que le Directoire a instruit la commission qu'il
se fabrique en Angleterre beaucoup de ces faux cer-
Q 4
( 248 )
--
tificats , au moyen desquels plusieurs émigrés rentrent
sur le territoire de la République . Il présente en conséquence
un projet tendant à obliger tout individu qui
a quitré le service depuis 1799 , au moyen d'un congé
absolu , d'en déposer une copie à l'administration municipale
où il réside , et une autre copie à l'administr
tion du canton où il est né . Le Directoire fera
passer a ces mêmes administrations la liste des individus
à qui il aura été accordé des congés . Tout individu
qui serait porteur , ou qui serait convaincu d'avoir
fabriqué , colporté ou vendu un faux congé , serait puni
de huit années de fers . Celui qui prendrait le congé
d'un autre , serait également puni de cinq années de
fers . Deux années de pareille peine seraient le châ
timent de celui qui serait trouvé avec un faux billet de
route , ou un faux certificat de maladie . Le conseil ordonne
l'impression et l'ajournement de ce projet de loi ,
ན
--
Daunou soumet à la discussion le projet qui trace
le mode du renouvellement du Corps législatif. Ce
projet , qui entraîne des débats , contient 17 articles ,
en deux titres , dont le premier indique la voie du
sort pour le tirage des 250 députés sortans ; et le second
, le nombre de ceux à élire par les assemblées
électorales . Ce projet est adopté. Pastoret a fait
adopter qu'il serait fait incessamment un rapport sur
le mode de sortie d'un membre du Directoire exécutif.
Le Directoire par un message annonce qu'il
n'a pas reçu de nouvelles officielles des colonies d'occident
; mais que les événemens désastreux , dont
quelques journaux ont parlé , sont démentis par unẹ
lettre écrite de la Nouvelle- Angleterre , par un ex-or
donnateur de Saint- Domingue , parti de cette isle un
mois après l'époque où l'on suppose que ces événemens
ont eu lieu .
-
Desmolins fait , le 2 , un rapport sur les baux à culture
perpétuelle . Il propose de les déclarer non susceptibles
de achat , et de rapporter en conséquence
le décret du 2 prairial an II . La discussion se rétablit
sur les derniers articles relatifs aux transactions,
présentés par Crassous , Ils sont adoptés en partie
sauf rédaction.
L'ordre du jour appellait , le 3 , le projet annoncé
par Camus , au nom de la commission des dépenses . Le
( 249 )
rapporteur monte à la tribune , et dit ; Il est un objet
qui a déja attiré votre attention , et qui est bien propre à
exciter toute votre sensibilité . C'est celui qui est relatif
aux rentiers et pensionnaires de la République . On ne
peut se dissimuler que ce serait se rendre coupable, que
de retarder plus long - tems le paiement de ce qui leur
est dû , puisqu'ils ont une véritable hypotheque sur
toutes les contributions dont le montant se verse dans
le trésor public . Une résolution du 5e . jour complé
mentaire , portait formellement qu'ils seraient payés en
numéraire , sinon de la totalité , du moins d'une partie
de ce qui leur était dû , dans une proportion graduelle ,
jusqu'à l'heureux moment où ils pourraient être payés
en entier. Cette résolution fut rejettée par les Anciens ,
et , le 14 vendémiaire , vous prites une seconde résolution
qui fut adoptée , et par laquelle les pensionnaires
et rentiers de la République devaient être , dans le cours
de trois mois , payés du quart du dernier semestre échu,
Pour l'exécution de cette loi , vous aviez arrêté que
le sixieme des contributions ordinaires de l'an IV
serait distrait à fur et mesure de leur rentrée , et affecté
spécialement à ce paiement exclusivement à tout autre .
Cependant , si l'on eût réfléchi que ce qui appartient
bien légitimement à l'un , ne doit jamais être destiné
préférablement à l'autre , on aurait évité cette mesure
injuste. Mais on ne peut se dissimuler que la loi n'a
point eu son exécution , et que les rentiers et pensionnaires
sont restés dans l'état de détresse qui avait
excité l'attention du conseil.
Camus présente un projet de résolution qui est
adopté , et qui porte en substance que les rentiers et
pensionnaires seront exactement payés du quart de
ce qui leur est dû le sixieme des contributions y
est affecté . Ils porteront à la trésorerie les avertissemens
qui leur seront donnés pour payer leurs impositions
; elle leur délivrera des bons à valoir sur ce
qu'on leur doit , et que les receveurs prendront pour
comptant.
Sur le rapport de Johannot , le conseil des Anciens
a approuvé , le 2 , la résolution relative au traitement
des fonctionnaires publics et employés .
Lebreton a ensuite occupé le conseil de celle concernant
les ports de lettres et journaux . Les disposi,
( 250 )
tions relatives aux ports de lettres ont paru justes à
la commission ; mais elle a regardé l'augmentation du
port des journaux comme un impôt odieux et attentatoire
à la liberté de la presse . Elle vote pour le
rejet . Barbé - Marbois , Lanjuinais et Detorcy l'ayant
combattue , elle a été rejettée à la presqu'unanimité .
On a repris , le 3 , la discussion qui a pour objet la
restitution des biens des religionnaires fugitifs.
Roger Ducos a défendu la résolution , et Liborel l'a
combattue.
-
La séance du 4 du conseil des Cinq - cents a été remplie
par la discussion et l'adoption de quelques articles
des projets de Crassous sur les transactions entre
particuliers. Sur la motion de Favart , le conseil a
arrêté , le 25 , qu'une commission lui ferait un rapport
sur la question de savoir s'il ne convient pas de suspendre
l'effet des demandes en divorce pour cause
d'incompatibilité d'humeur . Une assez longue discussion
s'engage sur un projet de Pérès , tendant à renvoyer
au Directoire exécutif la connaissance des réclamations
des corporations séculieres de Béguines ,
Alexiens et autres , contre leur suppression . Il est
renvoyé à un nouvel examen de la commission . Le
conseil a néanmoins arrêté que la suppression ne portait
dans les neuf départemens réunis que sur les chanoinesses
régulieres .
PARIS: Nonidi g Nivôse , l'an 5. de la République.. 9
-
Deux événemens ont occupé et occupent encore l'attention
publique ; l'un est le départ de lord Malmesbury ; et l'autre , la
sortie de notre escadre de Brest. M. Ellis, envoyé à Londres
par lord Malmesbury a apporté le mémoire du cabinet de Londres
, contenant l'indication des objets susceptibles de rétrocession
, et les conditions proposées par l'Angleterre. Lord
Malmesbury s'est hâté de l'adresser au ministre des relations
extérieures qui l'a fait passer au Directoire . C'est à la suite de
cette communication , et après quelques notes respectives ,
que ce négociateur a reçu ordre du Directoire de quitter
le territoire de la République . Lord Malmesbury est en effet
parti primedi dernier , et il est probable qu'en ce moment il
est arrivé à Londres. Ce départ devait - produire et a pro(
251 )
-
duit une grande sensation . Les journaux les plus opposés au
gouvernement ont manifesté d'abord leur indignation contre
la politique astucieuse et les prétentions immodérées du cabinet
de Londres. Mais cette indignation , comme il était aisé đe
le prévoir , n'a pas été de longue durée ; le lendemain , ils ont
tenu un autre langage , et ont accusé le gouvernement français
d'avoir rompu trop brusquement sur un mémoire qui n'était
point l'ultimatum des propositions de l'Angleterre ; ils en
ont conclu que le Directoire ne voulait pas mieux la paix que
le gouvernement anglais , mais que la paix se ferait malgré
tous les gouvernemens , par le besoin qu'en ont les gouvernés .
Ils n'ont pas même déguisé le systême de restitution à -peuprès
complette qu'ils ont toujours professé. Il y a longtems
que l'on accuse certains écrivains politiques de se mon
trer plus anglais et plus autrichiens que ne le sont nos propres
ennemis . Mais ceux qui sont pénétrés de l'intérêt national , et
qui ont observé les lenteurs et le peu de bonne - foi des négociations
de l'Angleterre , sont moins prompts à accuser le
gouvernement français . Ceux sur-tout qui auront lu avec quelqu'attention
l'article inséré dans ce nº . et dans le précédent ,
sur nos relations commerciales et sur nos rapports avec l'Angleterre
, se seront convaincus que le véritable but de la
guerre maritime est l'indépendance des mers , intérêt que
doivent partager toutes les puissances maritimes de l'Europe
et sur-tout nos alliés . Il n'en est aucune qui n'ait à se plaindre
du des tisme et de l'insolence du gouvernement de la
Grande-Bretagne . C'est une guerre de droit naturel que toutes
font aux Anglais ; et certes , il n'est pas d'intérêt plus pressant
ni de cause plus juste .
1
Notre flotre composée de 21 vaisseaux de ligne , de 12 frégates
et 150 bâtimens de transport , portant 25,000 hommes
de troupes de débarquement , est sortie de Brest le 26 frimaire
. En prenant la route à gauche qui est la plus périlleuse .
elle a évité l'escadre anglaise qui croisait à Ouessan , et qui
s'est montrée devant Brest 48 heures après la sortie ; mais le
Séduisant s'est brisé contre les barrieres ; on assure que l'équi
pige a été sauvé. Deux autres vaisseaux ont été endommagés
en se heurtant au milieu de la brume . On ignore encore la
destination positive de l'expédition . Ce qui fait présumer
qu'elle n'est pas pour des pays lointains , c'est que les troupes
n'ont des vivres que pour 15 jours et les équipages pour six
semaines . On a dit d'abord qu'un aviso avait annoncé qu'elle
était aux atterragés de l'Irlande ; bientôt après , qu'elle était
sur les côtes de Portugal . Des nouvelles positives ne tarderont
pas à fixer toutes les incertitudes .
( 252 )
Note du lord Malmesbury , remise au ministre des relations
extérieures . Paris - , le 17 décembre 1796.
Le soussigné est charge de remettre au ministre des relations
extérieures le mémoire confidentiel ci -joint , contenant
les propositions de sa cour , sur l'application du prin
cipe général déja établi pour bâse de la négociation paci
fque. Il s'empressera d'entrer avec ce ministre dans toutes
les explications que l'état et le progrès de la négociation
pourront admettre ; et il ne manquera pas d'apporter à la
discussion de ces propositions , ou de tel contre - projet qui
pourrait lui être remis de la part du Directoire exécutif ,
cette franchise et cet esprit de conciliation qui répondent
anx sentimens justes et pacifiques de sa cour.
·
Signé , MALMESBURY .
Mémoire confidentiel sur les objets principaux de restitution , de
compensation et d'arrangement réciproque.
Le principe actuellement établi pour bâse de la négociation
, par le consentement des deux gouvernemens ,
porte sur des restitutions à faire par sa majesté britannique
à la France , en compensation des arrangemens auxquels
cette puissance consentirait , pour satisfaire aux justes prétentions
des alliés du roi , et pour conserver la balance
politique de l'Europe .
Pour remplir ces objets de la maniere la plus complette,
et pour offrir une nouvelle preuve de la sincérité de ses
vaux pour le rétablissement de la tranquillité générale , sa
majeste proposerait qu'il soit donné à ce principe , de part
et d'autre , toute l'étendue dont il paraît susceptible.
Elle demande donc :
1º . La restitution à sa majesté l'empereur et roi , de tous
ses Etats- sur le pied de possession avant la guerre.
2. Le rétablissement de la paix entre l'Empire germaique
et la France , par un arrangement convenable et
conforme aux intérêts respectifs , aussi bien qu'à la sûreté
générale de l'Europe . Cet arrangement serait traité avec sa
majesté impériale comme chef constitutionnel de l'Empire
, soit par l'intervention du roi , soit directement , selon
que sa majesté impériale le desirera .
3. L'évacuation de l'Italie par les troupes françaises ,
avec l'engagement de ne pas intervenir dans les affaires intérieures
de ce pays , qui serait reinis , en autant que pos
sible , sur le pied du status antè bellum.
Dans le cours de la négociation , l'on pourrait discuter
( 853 )
plus en détail les mesures ultérieures que l'on pourrait
adopter sur les objets de ces trois articles , pour pourvoir
plus efficacement à la sûreté future des limites et possessions
respectives , et au maintien de la tranquillité géné
rale.
20. Quant à ce qui regarde les autres alliés de sa majesté
britannique , elle demande qu'il soit réservé à la cour.
de Saint-Pétersbourg la faculté , pleine et illimitée , d'intervenir
à cette négociation , dès qu'elle le jugera à propos ,
ou bien d'accéder au traité définitif , et de rentrer par- là
dans un état de paix avec la France .
3. Sa majesté demande pareillement que ' sa majesté trèsfidelle
puisse aussi être comprise dans la négociation , et
rentrer en paix avec la France , sans qu'il soit question
d'aucune cession ou condition onéreuse de part ou d'autre.
4º . A ces conditions , sa majesté offre à la France la restitutiou
entiere , et sans réserve , de tout ce qu'elle a conquis
sur cette puissance dans les deux Indes , en lui pro- ;
posant toutefois de s'entendre mutuellement sur les moyens
d'assurer , pour lavenir , la tranquilité des deux nations ,
et de consolider , autant que possible , les avantages de leurs
possessions respectives . Elle offre pareillement la restitution
des isles de Saint-Pierre et Miquelon , et de la pêche
de Terre-Neuve sur le pied du status antè bellum.
Mais si elle devait , en outre , se départir da droit que
lui donnent les stipulations expresses du traité d'Utrecht ,
de s'opposer à ce que la partie espagnole de Saint- Domingue
puisse être cédée à la France , elle demanderait alors , en
retour de cette concession , une compensation qui pourrait
assurer , au moins en partie , le maintien de la balance des
possessions respectives dans cette partie du monde .
5º . Dans tous les cas des cessions ou des restitutions dont
il pourrait être question dans cette négociation , on accorderait
de part et d'autre , la faculté la plus illimitée à tous les
particuliers de se retirer , avec leurs familles et leurs effets ,
et de vendre leurs terres et autres biens immeubles ; et on
prendrait pareillement , dans le cours de la négociation , des
arrangemens convenables pour la levée des séquestrations ,
et pour satisfaire aux justes réclamations que des individus
de part et d'autre , pourraient avoir à faire sur les gouverne
mens respectifs. ( Sans signature. ).
Mémoire confidentiel sur la paix avec l'Espagne et la Hellande.
Les allies de la France n'ayant témoigué jusqu'ici aucun
desir ni disposition pour traiter avec le roi , sa majesté aurait
pa se dispenser d'entrer dans aucun détail à leur égard. Mais ,
( 254 )
pour éviter des délais nuisibles au grand objet que le roi se
propose , et pour accélérer l'oeuvre de la paix générale , sa
majesté ne refusera pas de s'expliquer d'avance sur ce qui
regarde ces puissances .
Si donc le roi catholique desirait d'être compris dans la
négociation , ou de pouvoir accéder au traité définitif , sa
majesté britannique ne s'y refuserait pas. Aucune conquête
n'ayant été faite jusqu'ici par l'un de ces deux souverains sur
l'autre , il ne serait question , dans ce moment , que
de
rétablir la paix simplement et sans restitution ou compensation
quelconque , excepté ce qui pourrait peut-être résulter
de l'application du principe énoncé sur la fin de l'article 4 du
mémoire déja remis au ministre des relations extérieures .
Mais si , pendant la négociation l'état des choses , à cet égard ,
venait à changer , on devra alors convenir des restitutions et
compensations à faire de part et d'autre .
Pour ce qui regarde la république des Provinces-Unies ,
sa majesté britannique et ses alliés se trouvent trop directement
autéressés à la situation politique de ces provinces , pour
pouvoir consentir à rétablir à leur égard le status anté bellum
territorial , à moins que la France ne pût également les
remettre , à tous égards , dans la même position politique
où elles se trouvaient avant la guerre . Si on pouvait , au
moins , rétablir dans ces provinces , conformément à ce que
l'on croit être le voeu de la grande majorité des habitans , leur
ancienne constitution , et forme de gouvernement , sa majesté
britannique serait disposée à se relâcher alors , en leur faveur ,
sur une partie très- considérable des conditions sur lesquelles
l'état actuel des choses lui impose la nécessité d insister . Mais
si , au contraire , c'est avec la république hollandaise , dans
son état actuel , que leurs majestés britannique et imperiale
auront à traiter , elles se verront obligées de chercher dans
des acquisitions territoriales , la compensation et la sûreté que
cet état des choses leur rendrait indispensables.
Des restitutions , quelconques , en faveur de la Hollande ,
ne pourraient alors avoir lieu , qu'autant qu'elles seraient compensées
par des arrangemens propres à contribuer à la sûreté
des Pays-Bas autrichiens.
Les moyens de remplir ces objet , se trouvent dans les
cessions que la France a exigées dans son traité de paix avec
la Hollande , et dont la possession , par cette puissance ,
serait , en tous cas , absolument incompatible avec la sûreté
des Pays-Bas autrichiens entre les mains de sa majesté impériale.
C'est donc sur ces principes que sa majesté britannique
( 255 )
serait prête à traiter pour le rétablissement de la paix avec la
republique hollandaise , dans son état actuel . Les détails d'une
pareille discussion ameneraient nécessairement la considération
de ce qui serait dû aux intérêts et aux droits de la
maison d'Orange. ( Sans signature. )
Extrait des registres des délibérations du Directoire exécutif ,
du 28 frimaire , an V.
Le Directoire exécutif , après avoir entendu la lecture de
la note officielle signée du lord Malmesbury , et des deux
mémoires confidentiels non signés qui y étaient joints , et ont
été par lui remis au ministre des relations extérieures ,
Arrête ce qui suit :
Le ministre des relations extérieures est chargé de déclarer
au lord Malmesbury , que le Directoire ne peut écouter aucune
note confidentielle non signée , et qu'il est requis de
donner officiellement , dans les vingt- quatre heures , son
ultimatum signé de lui .
2
Le ministre des relations extérieures est chargé de l'exécution
du présent arrêté .
Réponse du lord Malmesbury à la lettre du ministre des relations
extérieures , écrite en vertu de l'arrêté ci - dessus.`
Le lord Malmesbury , en réponse à la lettre que le ministre
des relations extérieures a bien voulu lui faire pesser bier ,
par les mains de son secrétaire - général de son département ,
doit remarquer qu'en signant la note officielle qu'il a remise
à ce ministre par ordre de sa cour , il a eru satisfaire à toutes
les formalités d'usage , et donner l'authenticité nécessaire aux
deux mémoires confidentiels qui y étaient joints ; cependant ,
pour applanir toutes les difficultés , en autant que cela dépend
de lui , il adopte volontiers les formes qui sont indiquées
par l'arrêté du Directoire exécutif, et s'empresse d'envoyer
au ministre des relations extérieures les deux mémoires
signés de sa main .
Quant à la demande positive d'un ultimatum , le lord Malmesbury
observe que c'est vouloir fermer la porte à toute
négociation , que d insister là-dessus d'une maniere aussi péremptoire
, avant que les deux puissances se soient communiquées
leurs prétentions respectives , et que les articles du
traité futur aient été soumis aux discussions que demandent
necessairement les intérêts qu'il s'agit de concilier . Il ne peut
donc rien ajouter aux assurances qu'il a déja données au ministre
des relations extérieures , tant de vive : voix que dans
sa note officielle , et il réitere « qu'il est prêt à entrer , avec
ee ministre , dans toutes les explications que l'état et le prc-
1
7
( 256 )
grès de la négociation pourront admettre , et qu'il ne manquera
pas d'apporter à la discussion des propositions de sa
cour , ou de tel contre-projet qui pourrail lui ètre remis de la part
du Directoire exécutif , cette franchise et cet esprit de conciliation
qui répondent aux sentimens justes et pacifiques de sa
Cour. 99
Le lord Malmesbury prie le ministre des relations extérieures
d'agréer les assurances de sa haute considération.-
Paris , ce 19 décembre 1796. Signé , MALMESBURY .
( A ce mémoire étaient jointes les deux notes signées . Y
Réponse du ministre des relations extérieures , aux notes du lord
Malmesbury , des 27 et 29 frimaire .
Le soussigné ministre des relations extérieures est chargé ,
par le Directoire exécutif , de répondre aux notes du lord
Malmesbury des 27 et 29 frimaire , ( 17 et 19 décembre v . s . ) ,
que le Directoire exécutif n'écoutera aucunes propositions
contraires à la constitution , aux lois et aux traités qui lient la
République . Et attendu que le lord Malmesbury annonce ,
chaque communication , qu'il a besoin d'un avis de sa cour ,
d'où il résulte qu'il rempiit un rôle purement passif dans la
négociation , ce qui rend sa présence à Paris inutile et inconvenante
; le soussigné est en outre chargé de lui notifier de se
retirer de Paris , dans deux fois 24 heures , avec toutes les
personnes qui l'ont accompagné et suivi , et de quitter , de
suite avec elles , le territoire de la République , Le soussigné
déclare , au surplus , au nom du Directoire exécutif , que si
le cabinet britannique desire la paix , le Directoise exécutif
est prêt à suivre les négociations d'après les bâses posées dans
la présente note , par envoi réciproque de couriers .
Signé , CH. DELACROIX .
Approuvé par le Directoire exécutif , à Paris , le 29 frimaire
, an V.
Pour expédition conforme , signé , P. BARRAS , président.
Par le Directoire exécutif, signé , LACARDE , secrétaire-gén.
Réponse du lord Malmesbury à la note du ministre des relations
extérieures , du 29 frimaire.
Le lord Malmesbury s'empresse d'accuser la réception de
la note du ministre des relations extérieures , en date d'hier.
Il se dispose à quitter Paris dès demain , et demande , en
conséquence , les passe -ports nécessaires pour lui et sa suite .
Il prie le ministre des relations extérieures d'agréer les
ássurances de sa plus haute considération . MALMESBURY .
Paris , ce go décembre 1796.
LENOIR -LAROCHE , Rédacteur.
No. 1 .
Jer . 135.
MERCURE
FRANÇAIS .
DÉCADI 20 NIVOSE , l'an cinquieme de la République.
( Lundi 9 Janvier 1797 , vieux style . )
DI 2001.
CHYMIE SCIENCE SI
900
( 2
Elémens de Chymie de J. A. CHAPTAL , professeur de
Chymie à l'école de santé de Montpellier , associé à l'Institul
national , etc. Troisieme édition revue et dugmentée.
Trois volumes in- 8 ° . Prix , 12 francs ; et 15 francs
de port par la poste. AParis, chez DETERVILLE , libraire,
rue du Battoir , nº . 16 , prés la rue de l'Éperon . An IV.
DEPUIS le bon Bernard Palissy , qui
enseignaitl'histoire
naturelle , synonyme alors de la chymie , auprès
de ses fours de potier, aucun
chymiste
enseignant n'a
élevé ou conduit
habituellement
des atteliers . Le
cit. Chaptal fait pour notre âge une exception
remarquable.
Intéressé dans plusieurs
entreprises , dont les
procédés
chymiques sont la bâse , et chargé par les
Etats de Languedoc
d'en diriger un grand nombre
d'autres ; il a étudié
particulierement
la chymie
usuelle. Tandis que les chymistes de Paris et de
Dijon
fondaient la nouvelle
théorie , Chaptal l'appliquait
aux arts , aux
manufactures. Il fallait , pour
cette application , un esprit observateur, capable luimême
de travailler aux nouvelles
découvertes ; car
c'est le défaut d'esprits de cette nature qui a mis
Tome XXVI.
br
R
( 258 )
1
souvent un long intervalle entre les découvertes et
leur utilité évidente .)
I
Ce chymiste a déja publié deux éditions de ses
élémens de Chymie. Elles ont été enlevées rapidement ,
et traduites en plusieurs langues . On en desirait une
nouvelle . Elle paraît aujourd'hui , et pour en donner
d'abord une idée succincte , nous faisserons parler
l'éditeur .... ", L'auteur a cru ne pouvoir mieux ré-
" pondre à l'accueil que le public accorde à cette
production , qu'en l'enrichissant de nouveaux faits ,
" et sur- tout de nouvelles applications aux arts et
,, aux phénomenes que la nature nous présente dans
91 ses opérations .
"9
نامال
,, Dans ces momens de crise . où la France , bloquée
de toutes parts , n'avait plus de relations de
,, commerce avec les nations voisines , et se voyait
,, réduite aux seules ressources de son sol et de son
" industrie , on a vu naître presqu'à la fois l'art d'ex-
" traire la soude du sel marin , les moyens de fa
19
briquer le savon par-tout et avec économie , des
procédés simples pour tanner les cuirs en quel .
" ques jours . des méthodes faciles pour récolter dans
" nos forêts toute la résine que réclament les besoins
de la marine , etc. Teus ces prodiges de l'industrie
" française sont décrits dans cette troisieme édition..
Appellé par le gouvernement pour concourir à
imprimer et diriger le mouvement révolutionnaire
dans la partie des salpêtres et poudres , l'auteur a
” vu s'opérer des prodiges les plus étonnans de la
" révolution , aussi nous a -t-il fourni un article trèsdétaillé
sur cet objet , et des observations précieuses
sur les nitrieres artificielles .
99
( 259 )
15 Mais indépendamment de ces divers objets , le
" lecteur trouvera dans cette édition trois ou quatre
nouveaux chapitres ajoutés à l'analyse des subs-
* tances animales , une nouvelle distribution dans
» l'analyse végétale , plusieurs articles présentés avec
plus de détails , etc .....
Ces élémens tiennent le juste milieu entre les no
menclatures et les élémens volumineux de chymie¸¸¸
dans lesquels on a fait entrer tout ce qui peut former
un naturaliste. Cette abondance , utile aalthomme qui
veut posséder beaucoup de science dans un petie
nombre de livres , effraie et intimide le jeune élève .
3.On y voit avec plaisir la nouvelle théorie thymique
développée avec précision , et appliquée par
tout aux procédés et aux travaux des arts . Nisi uțile
est quod facimus , bana est glorias Mais on desirerait que
l'auteur n'eût pas substitue partout le nom de nitrogéne
à celui d'azote. Cette substance est à la vérité un
des principes de l'acide nitreux et nitrique et c'est
pour cela sans doute que le cit . Chaptal l'appelle
Aitrogene mais elle est aussi un des principes de l'am
montaque et elle se trouve abondamment dans les
substances animales . De- là vient peut- être qu'au lieu
de lui donner une dénomination qui annonçat quelqu'une
de ses facultés productives on l'a désignée
par une propriété négative ( s'il est permis de s'exprimer
ainsi en chymie ) , célie de ne pouvoir pas entretenir
la vie par la respiration . L'auteur est trop
judicieux pour s'obstiner à employer seul le mot nitrogene
; tandis que toute l'école , donnil est un des
meilleurs soutiens , a adopté celui d'azote. L'utilité
et l'usage très-répandu de ses élémens forcent à in-
R 1
( 260 )
sister sur ce point ; de même, que sur quelques locu.
tions propres à nos départemens méridionaux qui s'y
trouvent éparses . Lavoisier , Berthollet , Guyton de
Motveau , Fourcroi , ont prouvé, par la pureté de leur
diction et le dernier entre autres par l'élégance de
la sienne , que l'austérité des matieres dont on traite
dans les livres de chymie , ne peut dispenser du tespect
dû à la plus bellé des langues.
1
Ges légers défauts ne se feraient pas remarquer dans
une compilation des principes de chymie , dans un
Ouvrage insignifiant et sans couleur , tels que l'on en
publie tous les jours sous le nom d'Élémens. Mais
celui- ci est fait par sa nature pour devenir un livre
classique , soit par la belle exposition des principes
chymiques , soit par leur coordination avec les principes
d'histoire naturalle dans les trois grandes divisions
de toutes les substances , appellées si improprement
Regnes.
Une introduction qui renfermé une courte histoire
de la chymie , Et de l'alchymie sa mere , ouvre
la premiere partie des Élémens de Chaptal. Viennent
ensuite les lois de l'attraction entre les molécules de
matiere qui se touchent ou se penetrent , appellée
Affinité par les chymistes ; la direction générale (des
travaux du chymiste ; les notions sur les substances
simples , que l'on peut appeller provisoirement Élémentaires
; sur les gaz , sur leur nature , leurs mélanges,
leurs combinaisons , notamment celle de l'azote qui
forme les alkalis ; enfin , les combinaisons de l'oxigene
qui forment les divers acides . L'article du nitrate
de potasse , appellé jadis salpêtre , nitre , etc.
amene les développemens des nitrieres artificielles .
( 161 )
1
de l'art du salpétrier , du raffinage du salpêtre et de
son usage pour la fabrication de la poudre .
Après cette espece de prolegomenes qui forment
la premiere partie , l'auteur traite de la lithologie , ou
des substances pierreuses. Il ne les considere pas en
naturaliste , c'est -à - dire , d'après leurs caracteres ex-
*térieurs ; mais en chymiste , c'est-à- dire , d'après leurs
principes constituans , les caractereess et propriétés des
principales terres primitives , leurs combinaisons avec
les acides , leurs combinaisons entre elles , ou mélanges
terreux , les mélanges des pierres entre elles .
Dans les produits volcaniques , l'auteur parle des bouteilles
de lave qu'il a faites , et du parti qu'on peut
tirer du basalte dans les verreries.
La troisieme partie est consacrée aux substances
métalliques. On y trouve les procédés usités pour
faire l'essai des mines , pour les exploiter , et pour
en obtenir les métaux , sans lesquels il n'y a point
d'arts , ni d'industrie. C'est là qu'est développée la
théorie de l'oxidation des métaux , phénomene dont
l'explication est une des grandes bâses de la nouvelle
chymie. L'article destiné à chaque métal renferme
l'étude de ses caracteres , ses combinaisons avec les
diverses substances , les procédés pour l'obtenir des
mines, et ses usages les plus ordinaires . Les chapitres.
dù Platine , du Tungsten et du Wolfram , du Molybdene
et du Nickel , contiennent des détails intéressans.
et peu connus .
Après avoir consacré les deux premiers volumes
de ses Élémens aux généralités de la chymie et à
l'étude des substances insensibles et inertes , appellées
Minéraux , l'auteur emploie le troisieme et dernier
A
R 3
( 262 )
à l'examen des substances sensibles , ou animées ,
plantes et animaux . C'est avec regret que l'on voit
encore cette étonnante disproportion entre l'étendue
qu occupent dans les ouvrages chymiques les minéraux
, et le peu d'espace rempli par les animaux et
les végétaux ; cette différence est presque de 2 à 1 ,
Les dernieres substances sont cependant celles dont
l'étude doit nous intéresser davantage ; car nous
sommes des animaux , et nous vivons en grande par.
tie de végétaux . On peut attribuer cette préférence ,
donnée aux minéraux jusques vers le milieu de notrę
siecle , à la recherche de la pierre philosophale ,
à l'envie de créer de l'or , et à la manie dont les ançiens
médecins étaient travaillés , celle de chercher ,
dans ce qu'ils appellaient le regne minéral , des remedes
à tous les maux. Mais grace aux nouveaux chymistes,
l'infortuné Lavoisier , Berthollet, Fourcroy , Vauquelip
et notre auteur , l'analyse des substances végétales et
animales s'aggrandit journellement , et dans quelques
années elle occupera une étendue proportionnée à
son importance .
Les caracteres distinctifs du végétal , les vices des
méthodes employées jusqu'ici à son analyse , un meilleur
plan d'analyse et une distribution plus méthodique
de ses divers principes , commencent la quatrieme
partie . Suivent les considérations sur la structure
, les principes nutritifs , le résultat de cette nutrition
ou les principes du végétal , les substances qui
s'échappent par sa transpiration et les altérations qu'il
éprouve après sa mort. On trouve à l'article des
huiles une instruction pour ceux qui voudront faire
eux-mêmes le savon dont ils auront besoin ,
( 963 )
Les substances animales remplissent la cinquieme
partie. L'auteur y traite des abus que l'on a fait des
applications de l'ancienne chymie à la médecine ; des
moyens de les rectifier , des lumieres que la chymic
actuelle peut nous donner sur nos diverses fonctions ,
et des avantages et de la nécessité de ces applica- ~
tions dans l'état de santé et dans l'état de maladie .
Les caracteres distinctifs de l'animal , ses fonctions , telle
que la digestion , et ses produits généraux , tels que le
lait , le sang , la graisse , la bile , les parties molles et
blanches avec les muscles qui fournissent les colles ,
l'urine, le calcul de la vessie , le phosphore , le sperme,
les larmes et le mucus des narines , la synovie , quelques
substances particulieres que l'on retire des quadrupedes
, des poissons , des oiseaux , des insectes ,
quelques autres acides extraits du regne animal , les
nouveaux procédés du tannage exécutés par Seguin ;
et enfin la putréfaction .... Telles sont les principales
divisions de la derniere partie des Élémens de chymie du
citoyen Chaptal .
R 4
( 404 )
+
VOYAGE.
Second Voyage dans l'intérieur de l'Afrique , par le cap de
Bonne- Espérance , dans les années 1783 , 84 et 85 ; par
F. LEVAILLANT. Trois volumes in-8° . A Paris , ches
H. J. JANSEN et compagnie , imprimeurs , place du
Musaum, An IV. de la République.
LE
nom de Levaillant
était déja célebre dans les
sciences naturelles (1) : le premier voyage en Afrique
l'a rendu plus célebre encore . Il n'est sans doute,
aucun de nos lecteurs à qui ce voyage ne soit connu .
La description
en parut en 1790 ; et celle du second ,
de celui que nous annonçons
ici , devait paraître immédiatement
après . L'auteur se plaint amerement
des
obstacles
qui ont retardé sa publication
. Vraisemblablement
ils étaient liés à l'état général des choses ,
à la situation où se trouvait la France : car on ne peut
pas supposer
qu'ils aient dépendu
de persécutions
particulieres
, encore moins de l'indifférence
des entrepreneurs
qui devaient
être sûrs d'avance
du succès
de tout ce qui portait le nom de Levaillant
. Quoi
qu'il en soit au reste , l'auteur
est venu à bout de
vaincre tous les obstacles
; et le public lui en doit
beaucoup
de reconnaissance
: la perte de ce second
voyage serait encore , à notre avis , plus regrettable
que celle du premier , bien que les lecteurs français
ne lui aient pas fait à beaucoup
près le même accueil ,
(1) Deux botanistes l'avaient illustré,
( 265 )
On sait que le premier voyage était dirigé vers le
nord , en partant du cap de Bonne- Espérance , et traversant
le pays habité par les Hottentots et les Caffres
pays qu'on connaissait déja jusqu'à un certain point ,
ainsi que les peuplades qui s'y trouvent répandues ,
par les récits de quelques autres voyageurs . Dans son
second voyage , l'auteur a pris une route qu'on ne
connaissait pas encore , ou du moins qu'on n'avait
pas décrite avant lui . Il a laissé la Caffrerie à l'est
et à sa droite , et il a longé la côte occidentale ,
mais à une distance assez considérable de la mer.
Son plan , comme il le répete plusieurs fois , était
de traverser toute l'Afrique du sud au nord ,
et dė
revenir en Europe par l'Égypte . La partie de ce
plan qu'il a mise en exécution est peu de chose
si l'on veut la comparer au tout : il n'a point passé
le tropique du Capricorne t et cependant aucun obstacle
insurmontable ne paraît l'avoir forcé d'arrêter
sa marche ; il avait , au contraire , poussé jusques
chez des peuples , dont il dit lui - même qu'on peut
se faire facilement des conducteurs pour aller plus
avant , les Huzuanas . Son attachement à ses collections
d'histoire naturelle , qu'il avait laissées à moitié
chemin , fut le seul motif qui le fit revenir sur ses
pas.
Avant d'entreprendre ce grand voyage , Levaillant
voulut y préluder en quelque soite , en parcourant
les divers cantons de la colonie ; ce qui lui fut d'autant
plus facile , qu'il était déja personnellement
connu de plusieurs des principaux habitans. Il divise
les colons en trois classes : la premiere composée
de ceux dont les établissemens sont dans le
( 266 )
voisinage du cap , ou du moins ne sont éloignés
que de quelques lieues de la ville ; la seconde , de
ceux qui forment l'extrême frontiere ; la troisieme
enfin , d'une espece d'aventuriers hardis , qui la franchissent
sans crainte , et vont vivre au milieu des
Hottentots.
Les moeurs de ces trois classes sont absolument
différentes. Les colons de la premiere , qui sont tous
des propriétaires considérables , se distinguent par
leurs habitudes d'aisance et par leur luxe , mais en
même-tems par un orgueil et une hauteur ridicules ,
Souples et rampans , quand ils ont affaire aux principaux
agens de la compagnie hollandaise des Indes ,
ils se rengorgent et se gonflent à propoftion , avec
toute personne dont ils n'esperent ou ne craignent
rien. Un d'entre eux qui , dans la maison du gouverneur,
avait engagé Levaillant , avec les instances.
les plus humbles , à le visiter dans sa maison , eut
à peine l'air de le reconnaître en l'y recevant. C'é
tait un gros vigneron du fameux canton de Constance
, dont l'établissement et le séjour ressemblaient
aux propriétés d'un souverain . Parmi ses esclaves ,
il avait un nombre considérable de musiciens , qui
lui formaient un orchestre complet : chaque jour ,
il se faisait éveiller par eux , au son des instrumens ,
Les colons de la seconde classe sont moins riches :
ils ont des moeurs d'autant plus pures ; c'est chez
eux qu'on trouve la véritable hospitalité,
Ceux de la derniere classe sont de vrais nomades ,
Sans propriété territoriale , ils trainent avec eux
leurs troupeaux ; et ils transportent leurs huttes çà
et là , au gré de leurs caprices , ou suivant le besoin
( 267 )
de leurs bêtes . Ne se regardant point comme de
vrais propriétaires , ils respectent peu la propriété
d'autrui . Ce sont les voleurs les plus audacieux et
les plus redoutés. Ils fournissent une preuve vivantę
que l'homme dont la demeure est déja fixe , devient
plus facilement nomade , que l'homme nomade ne
s'enchaîne à une demeure toujours la même et aux
habitudes régulieres , de l'homme civilisé .
Les colons du cap vivent tous , sans exception ,
presque uniquement de nourriture animale : ils ont
peu de légumes et de fruits ; et ce n'est pas pour
leur propre usage qu'ils les recueillent . Chez les
riches , les plats de viande sont servis si abondamment
et dans une si grande variété , qu'un repas servi
pour trois personnes , semble avoir été préparé pour
vingt et cependant il n'y a pas de race plus saine
et plus robuste que celle des colons du cap : nulle
part on ne voit des femmes et des filles plus propres
à rappeller ces anciennes amazones , si redoutables
T'arc e l'épée à la main . L'auteur a connu une jeune
fille qui , armée de son fusil , conduisait toute seule
ses troupeaux dans les bois et dans les vallons les
plus écartés , et savait au besoin , combattre les lions.
et les brigands connus sous le nom de Boschjesmanns
(1).
De tous les cantons de la colonie , il n'en est point
dont la fertilité se compare à celle du vallon des
vingt - quatre Rivieres , ainsi nommé à cause du grand
nombre de petits ruisseaux qui l'arrosent. On ne
rencontre point ailleurs des prairies si vertes et si
ه ل ا
(1 ) Hommes des buissons ou des broussailles,
( 68 )
fraiches. Le voyageur s'y promene dans des bois
d'orangers et de citronniers , dont la bonne odeur
se répand au loin de rians côteaux qui vont se terminer
dans un lointain bleuâtre , en des montagnes
dont la cîme touche les cieux , attirent les regards
sur les scenes les plus variées , et forment le cadre
de la plus riche perspective . Si l'accroissement de
la population engage à bâtir une seconde ville
plus avant dans les terres , c'est ici que sa place
semble marquée d'avance par la nature .
A son retour au cap , l'auteur fit tous les préparatifs
de son grand voyage et le 15 juin 1783 , il
partit de l'habitation de son ami Slaber , lieu de
rendez-vous de toute sa suite . La caravanne était
composée de vingt personnes , lui compris : tous ses
gens étaient des Hottentots : parmi eux se trouvaient
Klaas et Swanepoel , déja connus par le premier
voyage , La femme de Klaas le suivait fidellement.
Une petite meute de treize chiens bien dressés , un
bouc avec dix chevres , trois vaches laitieres , trentesix
boeufs pour l'attelage des trois charriets , dix-sept
autres pour des relais , et deux pour le bagage des
Hottentots , n'étaient pas les personnages les moins
importans de la caravanne : enfin une autre ancienne
connaissance , le singe Kees , dont les talens avaient
joint plusieurs fois l'utile à l'agréable ; un coq avec
une poule , que Levaillant avait jugé convenable de
lui donner pour charmer l'ennui de la route : tel est
l'attirail avec lequel fut entrepris un voyage , dont
le succès eût exigé l'équipage le plus leste et la suite
la moins nombreuse possible . On voit sur-tout que
ces boeufs si pesans , et ces charriots, si difficiles à
1
( 269 )
"
faire marcher à travers les marais et les bois , et par
des chemins qu'il faut s'ouvrir à chaque instant de
vive orce , devaient embarrasser et retarder beaucoup
notre voyageur : c'est là dessus , et non sur je
ne sais quel augure , tirés du versement d'un de ses
charriots au sortir du cap , qu'on pouvait lui prédire
avec assurance beaucoup d'inquiétudes ; beaucoup
de peines , beaucoup de malheurs .
Quand Levaillant eut traversé toute la colonie , ik
dirigea sa route au nord-ouest , vers la rivière des
Eléphans , qui va se décharger à la côte occidentale ,
dans la grande mer Atlantique. Jusques - là , l'on
trouve encore des habitations de colons européens ?
l'auteur les visita pour la plupartt , et les renseignemens
qu'il y recueillit sur le reste de son voyage ,
ne furent pas très-favorables . Quoiqu'on fát alors au
milieu de l'hiver du pays , il regnait une telle secheresse
, que les cantons les plus fertiles manquaient
absolument d'herbages et de plantes nourricières .
Le grand nombre de bêtes de somme dont la caravanne
était embarrassée , devint le sujet de vivės
inquiétudes iqui ne furent malheureusement que
trop justifiées par la suite. L'auteur passa la rivière
des Eléphans dans un endroit et dans un moment
où elle était guéable : le jour suivant , elle grossit
tout à coup d'une maniere si prodigieuse , qu'il- aurait
absolument été forcé d'avoir recours à des rap
deaux , moyen de passage qui n'est pas sans inconvéniens
dans les cas ordinaires , et qui en aurait eu
de beaucoup plus grands dans cette occasion . Rien
n'est moins rare en Afrique que ces crues subites des
fleuves et des rivieres ; et c'est une précaution né(
270 )
cessaire de ne pas camper trop près de leurs rives:
On voit par là que leurs eaux viennent directement
des montagnes voisines , où les nuages en crvanty
les grossissent ainsi d'un moment à l'autre . Les arbres
et les buissons qui bordent leur cours , fournissent
aux voyageurs des indications assez sûres , touchant
les endroits où l'on peut camper avec sécurité ils
conservent encore les traces des débordemens précédens
; et la hauteur à laquelle se sont élevés la
vase , les herbes et les bois chariés par le fleuve,
indiquent jusqu'où l'on peut se rapprocher du bord,
sans crainte d'être englouti par les flots , en cas d'unė
nouvelle inondation. Les petites rivieres ne sont
courantes que dans la saison pluvieuse de l'an'
née.
د م ح م
*
En-deçà de la riviere des Eléphans , Levaillant
rencontra le rocher des Chauvesouris . Les feux qu'on ·
avait allumés pour la nuit dans sa cavités, réveil
lerent des quantités si considérables de ces bêtes ,
que leur vol et leurs cris devinrent bientôt égale
ment insupportables aux hommes et aux animaux
de la suite , et les forcerent de céder le champ de
bataille à ses anciens occupans .
De son nouveau camp , l'auteur fit une excursion
jusqu'à la mer. Il fit sur le rivage la rencontre d'une
baleine , de l'espece appellée Cachalot d'environ
quarante ou cinquante pieds de longueur L'effort
des vagues l'avait jettée bien ayant sur des sables
qu'elles n'atteignaient plus , même dans les plus grandes
tourmentes . Des troupes de corbeaux , de fouines
ou de putois et des scarabées de différentes especes ;
étaient occupées à la dévorer. Un grand nombre de
( 271 )
ces derniers enrichirent la collection de l'auteur (1),
tandis que les Hottentots rassemblaient avec le plus "
grand empressement l'huile que la chaleur avait fait
couler de cette masse colossale .
tons
Dans l'espoir de tuer des éléphans sur l'autre rive ,
Levaillant repasse le fleuve de la maniere la plus
hasardeusé ; il le repasse encore une seconde fois
pour rejoindre ses gens , et il reprend sa route . II
se flattait de rencontrer , en tournant au nord - ouest
et s'enfonçant davantage dans les terres , des canplus
fertiles et plus de ressources , soit pour la
nourriture de ses bêtes , soit pour ses chasses. If
changea donc un peu sa première direction . Mais
ses espérances furent trompées . Plus il s'éloignait de
la mer , et plus le terrein devenait aride : ce n'était
que des déserts dépouillés , sans fe moindre brin
d'herbes , sans la moindre source d'eau fraîche . Les
boeufs ne pouvaient plus
望
pourtant enfin quelque
peu d'eau saumâtre , bourbeuse et corrompue , mais
point de fourage ; et l'on fut obligé de laisser en
arriere un charriot : le jour suivant il fallut en laisser
encore un autre ; car de 54 boeufs , il n'en restait
plus que 23. A mesure qu'on avançait , le terrein
devenait de plus en plus infertile . Les oiseaux de
proie ne paraissaient en l'air qu'à la plus grande
élévation , preuve certaine qu'il n'y avait au loin
pas la moindre goutte d'eau . Enfin , les voyageurs
après les autres . L'on
tro:
ils
mouraient les uns
( 1) Il trouva , dans la suite , chez les Namaquois , une autre
espece de grand scarabée qui lancé une liqueur âcre et caustique
, et paraît analogue au bupreste
( 272 )
1
furent éveillés la nuit par un coup de tonnerre les
nuages se rassemblaient de tous les bouts de l'ho .
rison , et s'entasseaient en tumulte : la terre , les
hommes , les animaux , tout haletait après la pluie.
Mais un vent impétueux vient , au milieu de cette
douce attente , dissiper les nuages ; il les pousse de
toutes parts au-delà de l'horison , et le ciel reprend
sa funeste serénité.
JJ
La caravanne rencontra cependant quelques huttes,
de Hottentots : mais elles étaient désertés ; plus de
traces d'hommes . On atteignit enfin à la chaîne de
montagnes qu'on avait apperçue de loin vers le
nord : et ce qu'on avait espéré depuis si long-tems en
vain , arriva dans cet endroit ; il y eut un orage. La
pluie tombait par torrent . Les hommes et les animaux
la recevaient avec l'avidité d'une soif qui se
faisait sentir à tous les pores . Rien ne les eût ranimés
si puissamment. Les boeufs se pressaient les uns
contre les autres pour mieux recueillir cette pluie
salutaire , pour s'en mieux pénétrer ; et les hommes
ne quitterent point leurs habits , afin de se tremper
d'une manière plus durable . Le matin , un des Hottentots
fut assez heureux pour appercevoir un troupeau
conduit par deux bergers. Ce troupeau appartenait
aux deux freres Baster , mulâtres nomades ,
pour lesquels Gordon , commandant du cap , avait
donné des lettres de recommandation à Levaillant.
Les deux freres parlaient très - bien le hollandais : ils
recurent notre voyageur avec la cordialité la plus
franche et la plus hospitaliere . Pendant le séjour
qu'il fut obligé de faire dans leur kraal, pour attendre
ses bagages restés en arriere , il fit plusieurs chasses ,
dans
J
( '273%)
dans l'une desquelles il tua un éléphant de l'espece
appellée par les Hollandais poëskop , c'est- à- dire tête
camuse. On lui donne ce nom parce qu'il n'a point
de défenses . Ce n'est cependant pas une espece parriculiere
; c'est , comme l'auteur le remarque avec
raison , un simple jeu de la nature. Mais ce qu'il
ajoute , que les éléphans de Ceylan offrent presque
tous la même singularité , paraît dépourvu de fondement.
Tous les voyageurs disent le contraire ; et
les dents des éléphans de Ceylan étaient déja celebres
dans la plus haute, antiquité.
Par les soins des freres Bastér , les charriots que
Levaillant avait laissés avec tant de chagrin , derriere
lui , sont amenés au kraal ; il continue son voyage ,
accompagné de ses hôtes obligeans. La montagne
sur laquelle était maintenant la caravanne se nomme
Namero. On avait devant soi la chaîne des montagnes
'du Camis . L'auteur avait emprunté quelques boeufs
d'attelage dans le troupeau des Baster : mais il fut.
très-difficile de les assujettir au joug , et de les employer.
On lui dit que sur les montagnes du Camis
il trouverait du bétail en abondance . Son desir était
d'aller chez les Namaquois : il fut assez heureux pour
engager un des Baster , qui leur était fort connu ,
les y suivre .
Sur le chemin , il fit la rencontre d'un autre voyageur
, parti comme lui du cap , d'un certain Pinard ,
aventurier et chasseur fameux , dont il eut bien de
la peine à se débarrasser , et qui , tout le tems qu'il·
resta dans la caravanne , lui causa beaucoup d'incom
modités et de soucis. Cet homme appartenait à une
certaine classe de contrebandiers du cap . Comme la
Tome XXVI. $
2
( 274 )
compagnie s'est réservé le commerce exclusif des
bestiaux avec les sauvages du pays , il Y a des hommes
qui rodent dans les cantons les plus éloignés , où les
lois ont moins de force , pour faire ce commerce prohibé.
Ils se servent pour cela du prétexte de la
chasse ; et trop souvent ce sont de vrais voleurs qui
forcent les malheureux Africains à leur livrer leurs
bêtes au prix qu'ils veulent bien leur en offrir.
Pinard fit tout au monde pour débaucher les Hottentots
de Levaillant ; il les régalait sur- tout d'eaude-
vie , genre de séduction auquel les plus fideles ne
pouvaient gueres résister.
Sur les montagnes du Camis , l'auteur trouva la
facilité de faire une emplette avantageuse de boeufs
de trait. Ce fut une grande ressource pour lui . Cette
chaîne de montagnes est une des plus hautes du sud
de l'Afrique . La neige y tombait en grande abondance
, et le froid était très- perçant. La glace avait ,
dans certains endroits , deux pouces d'épaisseur .
Après avoir franchi le sommet des montagnes dụ
Camis, Leva illant descendit dans une vallée , où coule
la riviere Verte , et où le climat changea tout- à coup .
Il eut le bonheur d'y prendre un zebre vivant. C'était
une femelle . Il essaya de l'apprivoiser, et il parvint
, sans beaucoup de peine , à s'en servir pour
monture. Mais comme l'animal avait été blessé par
ses chiens , il ne put pas s'en servir long- tems . L'Afrique
contient un grand nombre d'autres quadrapedes
qui pourraient devenir des animaux domestiques
fort utiles .
Les bords de la riviere Verte offrent les plus beaux
paysages ils sont couverts de fleurs , de riches he- :
( 275 ) "
bages et de bosquets . Mais le doux printems , dont
ils semblent être l'éternel séjour , abandonna bientôt
notre voyageur. L'hiver le saisit de nouveau sur une
autre chaîne de montagnes qu'il fut obligé de gravir ,
pour continuer sa route ; de sorte que dans une
traversée de huit heures , il éprouva deux fois le
froid le plus rigoureux , et la plus aimable température
:
La plaine où serpente le petit fleuve Kaussy , dans
laquelle l'auteur descendit en quittant les montagnes
dont nous venons de parler , était couverte d'épaisses
touffes ou buissons d'euphorbe , plante âcre et vénéneuse
, dont le suc sert aux Hottentots pour empoisonner
leurs flêches (1 ) . Levaillant voulut en mettre
une goutte sur sa langue ; elle lui causa la plus viver
douleur. Il présenta une rouelle de la planté à son
singe mais l'animal recula vivement , avec tous les
( 1 ) Les Sauvages trouvent encore dans une chenille velue
, et dans diverses especes de serpens , des sucs véné
neux très - actifs , qui leur servent au même usage . La chenille
êcrasée , se réduit en bouillie par une sorte de fermentation.
C'est dans cet état que le poison a toute son activitė ;
c'est alors qu'on y trempe les flèches . Mais il paraît que cette
qualité vénéneuse de la chenille dépend d'une plante dont '
elle se nourrit.
On a dit que pour exprimer le venin des serpens , les Sau- ›
vages les coupent par tronçons , et les pilent. Le fait n'est
pas exact. Ils tirent le venin directement du follécule qui les
contient , et qui est attaché à la mâchoire . Ils mangent d'ail
leurs sans crainte , la chair de tous les serpens : c'est même un
grand régal pour eux.
( 276 )
signes de la répugnance et de l'effroi. Les Sauvages
emploient aussi d'euphorbe pour empoisonner les
fontaines , et prendre par ce moyen le gibier qu'ils
ne peuvent atteindre mais l'instinct des animaux
sauvages est si fin , qu'il n'y en a jamais qu'un petit
nombre qui boivent à ces fontaines. Levaillant en fit
l'épreuve . Il avait altéré une source suivant la méthode
des Sauvages. Dans un seul jour , il y vint
plus de quatre mille gazelles ; mais trois seulement
avec une hyenne s'étaient laissées séduire par cette
boisson mortelle elles gissaient étendues tout
auprès.
Cependant l'auteur était parvenu au pays des petits:
Namaquois . Il rencontra sur sa route un kraal de ce
peuple , composé d'une vingtaine de huttes. Les petits
Namaquois ont leur langage particulier : de toute
la suite de Levaillant , il n'y avait que Klaas et Baster
qui l'entendissent. C'est pourtant une espece de
dialecte du Hottentot ; et comme celui - ci , il a le
triple clappement dont il est question dans le premier
voyage : les tons en sont âpres , et tirés du fond
du gosier. Ces peuples eurent beaucoup de plaisir
à voir Levaillant faire des efforts pour parler leur
langue ; et ils reprenaient chaque fois ce qu'il venait
de dire , pour le lui mieux apprendre . Leur habille
ment est le même que celui des Hottentots de l'est ,-
et leurs moeurs ne different pas de celles de leurs
voisins . Comme eux , ils aiment la danse , et ils ont.
une espece de fiûte avec laquelle on imite les effets
de l'écho . Leur pays est tout-à -fait stérile ; il est désolé
par une multitude de mouches et de moucherons .
Ils avaient entendu parler de l'effet des armes à
( 277 )
feu mais quand ils virent tirer un pistolet , ils ne
pouvaient concevoir comment la petite machine
était aussi méchante que la grande . Le coq et la poule
leur causerent peut- être encore plus d'étonnement.
Des oiseaux domestiques étaient un spectacle entie .
rement´ nouveau pour eux ; et de plus , il leur était
impossible de comprendre à quoi de si petites bêtes
étaient utiles.
Levaillant trouva chez ce peuple un matelot déserteur
, nommé Schoenmaker , qui s'était éloigné
de la colonie depuis douze ans , et qui , de crainte
d'être rattrapé , avait fixé sa demeure dans ce quar
tier lointain , où il avait pris plusieurs, femmes et
fais un grand nombre d'enfans .
Le pays des petits Namaquois s'étend de l'est à
l'ouest , depuis les montagnes du Camis jusqu'à la
mer occidentale , et dans la direction du nord au
sud,, depuis Namero jusqu'à la grande riviere , autrement
dite d'Orange . Kolbe rapporte que ce peuple
pratique la circoncision , et qu'il est dans l'usage
de retrancher un testicule aux enfans . Ce récit est
entierement dépourvu de vérité , comme beancoup
d'autres du même voyageur. Kolbe a confondu les
Namaquois avec les Geissiquois , nation de la race
des Hottentots , chez laquelle en effet ce dernier
usage est établi , L'auteur eut à son retour , l'occasion
de l'observer.
S
On croit généralement au cap qu'il se trouve des
mines d'or dans le pays des Namaquois . Il n'y en a
point ; mais le cuivre y est assez commun. Ils savent
le, travailler , et ils s'en font des ornemens pour les
quels ils sont fort passionnés,
( 878 )
Accompagné de Schoenmaker , l'auteur poursuivait
maintenant sa route au nord- ouest vers les montagnes
dites de Cuivre . Les mines qu'elles contiennent
de ce métal ne paraissent cependant pas bien
riches. L'aloës dichostome ( 1 ) ou l'arbre à carquois y
croît en abondance . Ses tiges les plus fortes et les
plus hautes sont soutenues par de si faibles racines ,
qu'on les renverse facilement avec le pied. Dans
certains endroits , elles couvrent de grands espaces , et
sont extrêmement épaisses ; de sorte qu'on est obligė
de s'y tracer une foute par ce moyen . Plusieurs de
ces tiges n'ont gueres moins de neuf pieds huit
pouces de circonférence , et leurs rameaux couvrent
une place de plus de cent pieds de diamêtre .
J
Il fallut alors , pendant plusieurs jours , traverser
des déserts sablonneux ; on n'y rencontra ni eau , ni
plantes. A chaque moment , on ' s'attendait à découvrir
les bords de la grande riviere : mais cette espérance
s'éloignait de plus en plus . La soif commençait
à menacer la vie des hommes et des animaux ;
quand enfin , tout-à- coup on entendit le bruit des
flots du côté du nord-ouest . Tout , jusqu'aux chiens
et au singe , se mit à courir pour s'y précipiter' : la
ร
( 1 ) Un joli oiseau , appellé le Républicain à cause de ses
habitudes sociales , fait son nid dans les alces . Il s'y réunit
par troupes et les demeures de la nation entiere n'y forment
qu'un seul bâtiment, comme celles des guêpes et des abeilles ,
Ces oiseaux sont dans une guerre continuelle avec une espece
de petits perroquets qui cherchent à s'emparer de leurs habitations
, et qui parviennent souvent à chasser les construc
teurs , et par conséquent les vrais propriétaires de la vifte, “
( 279 )
caravanne entiere se plongea dans l'eau , avec une
ardeur et des transports de joie impossibles à dé ,
crire.
•
La rivière était bordée de beaux et grands arbres :
mais les prairies et les fourages , dont on avait dit à
l'auteur ses rives entourées , ne s'offraient point aux
regards : la sécheresse avait détruit toutes les plantes .
Il y avait un grand nombre d'hippopotames . Levaillant
vint à bout d'en tuer un , au moment où il
s'élevait au- dessus des eaux pour respirer."
La suite au prochain numéro. )
LITTÉRATURE.
T
Traduction du premier livre des Odes d'HORAGE ; par le:
cit. PIERRE DIDOT l'aîné. A Paris , de l'imprimeric de
l'auteur.
TANE
ANDIS que le cit . Firmin Didot prépare la tra-
NDIS
duction de Théocrite que nous avons annoncée , le
cit. Pierre Didot , son frere , vient de donner aupublic
celle du 1er livre d'Horace .
Jusqu'ici la perfection de l'art typographique n'a
peut-être pas été moins rare que la perfection de
l'art des vers ; et il semble que ce serait trop de les
réunir toutes les deux au même degré . Mais les vrais
amateurs , qui savent combien les divers genres” one
entre eux de rapports immédiats , et combien de
lumieres la culture des lettres peut répandre sur les
autres hranches de l'industrie humaine , se réjouiront
de voir encore un célebre artiste únir à ses travaux
$ 4
( 280 )
1
journaliers , l'étude des grands écrivains dont il em
bellit et consacre les chef- d'oeuvres dans ses magnifiques
éditions .
1
Les beaux vers ne sont pas des productions instan
tanées du talent : il y fant le talent d'abord ; mais il
Y
faut aussi le tems. C'est sur-tout pour transporter
les beautés d'une langue dans une autre , que le tems
est nécessaire . Les bonnes traductions en vers sont
toujours les enfans de la patience . Il y aurait donc
peut- être une sorte d'injustice à juger trop séverement
celle du cit , Pierre Didot , qui paraît avoir été
faite avec un peu de précipitation . Il l'a comencée ,
dit-il , sans en avoir formé le projet , et presqu'au
hasard c'est un simple essai dont l'axécution lui
parait au- dessus de ses forces ; et il la regarde seulement
comme un hommage à son poëte chéri , dont
il va nous donner bientôt une édition correcte et
soignée .
Il est certain que cette traduction présente des
taches. Mais notre intention n'est pas de l'examiner
piece à piece , vers à vers , le crayon de la critique
à la main. Nous nous contenterons d
d'observer que
la recherche et la gêne nous paraissent en être le
défaut dominant. Horace , comme dit Montagne ,
crochete et furete tous les recoins de la langue ,
pour rendre sa pensée plus piquante et plus neuve ;
mais il est toujours libre et naturel. C'est ce qu'un
ancien appelle verborum curiosa felicitas ; or , sans une
allure facile , sans aisance , on ne traduit point ce
bonheur d'expression .
Du reste , nous aimons mieux citer les morceaux
qui prouvent que le cit. Didot sent vivement les
( 281 )
beautés de son original , et dans lesquels il nous
paraît l'avoir suivi de plus prés que les traducteurs
connus jusqu'à ce jour. Ces morceaux l'engageront
sans doute à revenir sur le tout , pour le rendre digne
de son talent.
Voici quelques strophes de l'ode à la Fortune.
Déesse qu'Antium encense ,
Et qui te plais sur ses autels ,
Fortune , dont la main dispense
Les biens et les maux des mortels
Toi qui , riante et secourable ,
Peux sur nn être misérable
Étendre ton bras protecteur ,
Et tout-à-coup d'un front sévére
Changer en un char funéraire
Le char du fier triomphateur.
C'est toi que sans cesse importune
Le cultivateur malheureux ;
Le mortel qui brave Neptune
A toi seule adresse ses voeux :
A tes pieds le scythe sauvage ,
Le Dace avide de carnage
Se prosternent pleins de ferveur ;
Les Latins respirant la guerre ,
Et tous les peuples de la terre.
En foule implorent ta faveur.Lap zon
Hérissé de clous formidables ,
Devant toi marche le destin :
Chargé d'instrumens effroyables
Il tient levé son bras d'airain.
D'une modeste contenance
Vient ensuite avec l'espérange
( 288 )
La trop rare fidélité ,
En vain dans ton humeur mobile
D'un grand tu désertes l'asyle ;
Elle se fixe à son côté.
Mais la courtisane parjure
Et l'ingrat vulgaire s'enfuit :
Démasqués dans leur imposture
Les amis s'échappent sans bruit :
Sous les lambris de la richesse
Ils ont tari dans l'allégresse
Le vin de la prospérité ;
Et cette cohorte avilie
Au malheureux laisse la lie
Et le poids de l'adversité.
!
33
}
La derniere strophe sur- tout est très - belle .
Diffugiunt cadis
Cum face siccatis amici ,
nous paraît rendu fort heureusement.
Une des odes les plus intraduisibles d'Horace est
sans doute celle qui commence par ces mots : Quem
virum aut heroa, etc. Le cit. Didot a vaincu, du moins
en partie , les difficultés du début ,
Animant sous tes doigts ou la flûte ou la lyre ,
9 Quel homme , quel héros muse , vas-tu chanter ?
Quel est le nom du Dien dent la gloire t'inspire 2
Quel écho va le répéter !
Choisis-tu l'Hélicon ? les ombres du Parnasse ?
Ces frimats éternels qui couronnent l'Hémus ,
Où , par les plus doux sons , le chantre de la Thrace
Attirait les rochers émus ?
( 283 )
Instruit par Calliope , il eut l'art de suspendre
Et la chûte du fleuve et la course des vents :
Les bois autour de lui se pressant pour l'entendre ,
Prêtaient l'oreille à ses accens .
Mon premier voeu t'est dû , Pere de la nature ,
Roi des hommes , des Dieux et de l'immensité
A toi dont la sagesse et dispense et mesure
Des saisons le cours limité.
;
Rien de plus grand que toi de ton sein ne peut naître ;
Rien n'est semblable à toi , rien ne peut t'égaler.
etc. etc. etck
Nous avons remarqué les vers suivans dans l'ode
sur la mort de Cléopatre,
Du capitole en feu la ruine insensée
Flattait l'ambition de ses projets trompeurs :
César en foudroyant sa flotte dispersée
Des vins, qui l'enivraient dissipa les vapeurs i
a Et la précipitant loin des bords d'Italie
De Qu'osait menacer sa fureur , a
cette ame étonnée et non point avilie ,
bazz .
Il sut inspirer la terreur.enler sitoq u5 if di A
Tel l'épervier poursuit la colombe timide ;
Ainsi le chasseur presse un chevreuil bondissant. voule
, etc. etc. 15
Mentemque lymphatam marcotico nous semble bien
traduit..
Les lecteurs retrouveront aussi l'empreinte de l'original
, dans cette strophe tirée de l'ode à Tindaride.
La colere a produit tous les maux du Thyeste :
Les plus fieres cités croulerent dans ses feux ;
Et sur lears murs détruits sa vengeance funeste
Dirigea du vainqueur le sol injurieux .
( 284 )
7
Enfin, pour citer des vers d'un autre ton et d'ün
autre genre , nous transcrirons la petite ode à Chloë ;
la traduction en est libre et facile .
Tu me fuis , Chloé , plus légere
Qu'un faon qui sur les monts errant
Au moindre souffle qu'il entend ,
Éponvanté cherche sa mere.
Dans les buissons qu'un verd lézard
Se glisse en secret sous l'ombrage ;
Que zéphire agite un feuillage ;
Il se dresse , il fremit , il part.
D'un lion ai- je la colere ?
D'un tigre ai-je reçu le jour ?
Cesse enfin de suivre ta mere ;
Il est tems de suivre l'amour.
•
1. 2007
Le cit. Didot n'a pas craint de mettre le texte d'Horace
à côté de sa traduction. Ge dangereux voisinage
rend, en général, le lecteur plus difficile sur les ver
français ; mais il en fait souvent aussi mieux sentir le
mérite.
A la fin du petit volume que forme de tecueil, dont
la typographie est extrêmement soignée , se trouvent
plusieurs fables et quelques autres pieces, de vers
parmi lesquelles deux Épîtres au cit. Prud'hon dessinateur
d'un talent et d'une perfection rares , et une
autre Epitre au cit. Gerard , ce jeune Raphaël de la
France, méritent particulierement d'être remarquées.
42
( 285 )
MÉLANGES.
Suite des Pensées et Réflexions d'HELVÉTIES.
QUEULELQQUUEE tems après qu'une erreur a disparu , les
hommes ne conçoivent pas comment on l'a pu croire.
On se moque aujourd'hui des Égyptiens qui adoraient
leurs dieux sous la figure d'un oignon ; on rit de
la sottise de ces moines qui se disputaient entre eux
sur la propriété et l'usufruit de la soupe qu'ils mangeaient
: nous apprenons à rire à nos neveux sur bien
d'autres absurdités pour le moins aussi ridicules . Cependant
il vient à la tête de peu de gens sensés de
se demander : Que croyons -nous donc de plus raisonnable
que les Egyptiens ou les nations les plus
barbares ?
L'humanité est un sentiment réfléchi ; l'éducation
seule le développe et le fortifie .
Je sais , disait une dame malade , d'ailleurs assez
heureuse , je sais que je suis heureuse , mais je ne le
sens pas. Différence entre le sentiment et la réflexion .
On pourrait calculer la bonté d'un homme par son
bonheur. J'entends par bonheur , non celui qu'on
attribue à la fortune , mais celui qui naît d'une bonne
santé , de la satisfaction ou du moins de la modéra
tion de ses desirs .
à
Ceux-là seuls sont propres à écrire de la morale
qui n'ont pas besoin d'attribuer leurs actions
d'autres causes qu'à celles qui les leur ont fait faire ,
et qui n'ont pas besoin de s'attraper eux -mêmes sur
les motifs qui les font agir , crainte de se trouver trop
méprisables à leurs propres yeux . Il n'y a que celui ,
par exemple , à qui l'envie n'aura fait commettre
aucune mauvaise action qui avouera qu'il a eu de
-l'envie.
( 186 )
L'intérêt donne toujours de l'esprit. Mes fermiers
m'ont toujours attrapé quand ils ont voulu , pour
deux raisons : la premiere , parce qu'ils connaissaient
mieux que moi la matiere dont il s'agissait , et que
cette connaissance est la bâse de l'esprit ; la seconde ,
parce qu'ils avaient plus d'intérêt à m'attraper que
je n'en avais à ne l'être pas , vu qu'ils étaient gueux,
et moi riche.
L'édit qui établit les notaires insulte plus les
hommes que le livre de l'Esprit. L'un dit que les
hommes sont fripons ; l'autre dit seulement que les
hommes n'agissent qu'en vue de l'intérêt personnel .
Lorsque l'on combat les principés d'un homme ;
on peut montrer les conséquences qui en suivent
mais ne pas assurer qu'illes ait eues en vue , et attendre
ce qu'il répondra.
Annibal était borgne. Il se moqua du peintre qui
le peignit avec deux yeux , et récompensa celui qui
le peignit de profil. On ne veut pas être loué trop
fadement ; mais on est bien aise qu'on dissimule nos
défauts .
C'est le lot des esprits rares d'allier la justesse avec
l'imagination.
On n'a point à craindre que la secte académique
s'accrédite jamais . La vanité humaine n'aime point
à suspendre son jugement ; la paresse encore s'y oppose
car pour suspendre son jugement il faudrait
réfléchir , et en général l'homme est ennemi de là
réflexion , qui fatigue toujours .
Le principe des moeurs des hommes n'est point
dans leurs principes spéculatifs , mais dans leurs goûts
et leurs sentimens . Il y a tant de croyans qui agissent
mal , et tant d'athées qui agissent bien ?
Les personnes dévotes sont naturellement crédules
et soupçonneuses ; elles doivent donc admettre légerement
tout ce qu'on dit des personnes d'une opinion
ou d'une secte différente de la leur.
( 284 )
On ne cesse point de croire une absurdité , parče
que de bons esprits la démontrent telle ; mais on la
croit , parce qu'un petit nombre de sots et de fripons
Ta disent vraie.
Il y a des gens qui se croient de grands raisonneurs
, parce qu'ils sont pesans dans la conversation ,
comme des bossus qui se croient de l'esprit parce
qu'ils sont mal faits.
Faire beaucoup de rentiers dans un état , c'est lier
l'intérêt du roi à l'intérêt d'un grand nombre d'hommes
, ennemis naturels des propriétaires .
Quiconque est perpétuellement en garde contre
lui-même se rend toujours malheureux de peur : de
l'être quelquefois.
La physique et la morale sont comme deux colonnes
isolées éloignées l'une de l'autre , mais qu'un
jour un même chapiteau rejoindra.
Il faut être plus lent à condamner l'opinion d'un
grand homme que celle d'un peuple entier.
Un homme d'esprit passe souvent pour un fou
devant celui qui l'écoute ; car celui qui écoute n'a
que l'alternative de se croire sot , ou l'homme d'esprit
fou il est bien plus court de prendre le dernier
parti.
Les petites fautes dans un grand ouvrage sont les
miettes qu'on jette à l'envie .
Les rois et les prêtres aiment les contradictions
dans les lois . Ils s'en servent tour-à-tour au gré de
leurs intérêts . L'utilité publique qu'on poserait pour
regle et pour mesure des actions des hommes serait
une bâse de morale qui leur déplairait fort .
Une nation soumise au despotisme connaît rarement
un peuple libre . Très - peu de Français connaissent
les Anglais. Aussi y a- t- il une maniere trèsdifférente
de négocier avec les républicains ou avêc
( 288 )
les despotes. Les uns suivent leur intérêt ; les autres ,
leurs caprices.
C'est un grand tort à un écrivain d'être ennuyeux.
On ennuie dans un ouvrage de morale ou de raisonnement
toutes les fois qu'on ne réveille pas l'esprit
par des idées neuves. Dans les histoires et les
romans , les faits tiennent lieu de pensées et d'esprit.
Raisonner , pour la plupart des hommes , c'est le
péché contre nature .
Les hommes passionnés pour les femmes , la considération
, ou les honneurs , les obtiendront par des
crimes ou des vertus , selon le siecle ou la nation où
ils vivront.
Dans les cours , le déshonneur est comme la fumée,
qui se blanchit en s'étendant au large .
Si la voix du sang parlait , il n'y a point de jour
où il ne se fît dans une rue de Paris plus de reconnaissance
qu'en dix ans sur le théâtre français.
On voit se soutenir la vertu persécutée et honorée
, mais rarement la vertu persécutée et méprisée .
Si les hommes ne croient pas aux contes des fées
et des génies , ce n'est pas leur absurdité qui les
retient et les en empêche , c'est qu'on ne leur a pas
dit d'y croire.
Une des choses qui nous donnent le plus de fausses
idées du bonheur , c'est l'exagération des poëtes qui
nous peignent , par exemple , les transports momentanés
de l'amour comme une durée , et nous font .
par-là concevoir une idée de bonheur qui ne peut
exister. Voilà le fantôme qui séduit la plupart des
hommes , et sur-tout des jeunes gens.
Le clergé est une compagnie qui a le privilége
exclusif de voler par séduction.
La suite au numéro prochain.
VARIÉTÉ .
( 989 )
VARIÉTÉ
. Mbank quasi¿qué
7 Asil abingd
Sur les Lettres manuscrites du P. D. HURT fuique,
d'Avranches.
Le conseil de conservation des objets de sciences
⚫t d'arts vient de découvrir , dans la bibliotheque
d'un ex -jésuite émigré , entr'autres manuscrits précieux
, trois cents lettres environ du célebre évêque
d'Avranches , formant deux volumes in 49. Plusieurs
sont écrites de sa main. Il a revu et corrigé les
autres.
.
L'abbé d'Olivet , dans l'éloge de Huet, compte .
parmi les manuscrits de son illustre ami dont il a
connaissance , cinq à six cents lettrestant latines
que françaises , écrites à des savansovio, a sql9raadā,
Les lettres ci-dessus mentionnées étant toutes Дatines
, ne forment donc que la moitié de celles dont
parle l'abbé d'Olivet.
3
D'Alembert à fait aussi un éloge de Huet! Ilavait
eu communication d'un volume de lettres françaises
et manuscrites de notre savant académicien , adressées
la plupart au P. Martin , cordelier à Caen. O
Il paraît que ce volume forme la seconde partie
des lettres qu'indiquait l'abbé d'Olivet. Il est entre
les mains d'un savant qui est digne de le posséder .
Les cinquante- huit lettres latines de Huct , qui ont
été publiées en 1712 par l'abbé Zilladel , dans le
tome II des Dissertations sur diverses matieres de religion
et de philologie , font partie des trois cents récemment
Tome XXVI. T
{ /290-}\
a
trouvées. Plusieurs autres de ces dernieres ont été
aussi imprimées à différentes époques . On en trouve
dans le Supplément de Chauffepié au Dictionnaire de Bayle,
à l'article Huet. Voyez le même article dans le Moreri
en dia volumes.
soning ab u - j
#mpsijoiidid bi
T.
POESTE.
HYMNEA LA BEAUTÉ.
Fragment d'un Poëme sur l'Imagination.
怎么
01 que l'antiquité fit éclore dés ondes ,
Qui descendis du ciel , et regnes sur les mondes
L Toi qu'après la bonté l'homme chérit le mieux 3
Toi qui naquis un jour du sourire des Dieux ,
Beauté ! je te salue. Hélas d'épais nuages.
A mesyeux presque éteints dérobent res ouvrages.
Voilà que le printems reverdit les coteaux ,
Des chaînes de l'hiver dégage les ruisseaux
Rend leur feuillage aux bois , ses rayons à l'aurore
Tout renaît : pour moi seul , rien ne renaît encore ;
Et mes yeux , à travers de confuses vapeurs ,
Ont à peine entrevu ces tableaux enchanteurs .
Plus aveugle que moi , Milton fut moins à plaindre ;
Ne pouvant plus te voir , il sut au moins te peindre.
Et lorsque par leurs chants préparant ses transports
Ses filles avaient fait entendre leurs accords ,
Aussi- tôt des objets les images pressées
va
En foule s'éveillaient dans ses vastes pensées :
J Il chantait ! et tes dons , tes chef- d'oeuvres divers ,
** Eclipsés à ses yeux , revivaient dans des vers.
}
( ågi )
Hélas ! je ne puis pas égaler son hommage
Mais dans mes souvenirs j'aime encor ton image.
Source de volupté , de délices , d'attraits ,
Sur trois regnes divers tu répands tés bienfaits .
Tantôt , loin de nos yeux , dans les flanès de la terre
En rubis enflammés tu transformes la pierre ;
Tu donnes en secret leurs couleurs aux métaux ,
Au diamant ses feux , et leur lustre aux érystaux .
Au sein d'Antiparos tu filtres goutte å göutte
Tous ces glaçons d'albâtre , ornement de sa voûte
Edifice brillant qui , dans ce noir séjour ,
Attend que son éclat brille à l'éclat du jour.
Tantôt nous étalant ta pompe éblouissante ,
Pour colorer l'arbuste , et la fleur , et la plante ,
D'or , de pourpre et d'azur , tu trempes tes pinceaux:
C'est toi qui dessinas ces jeunes arbrisseaux ,
Ces élégans tilleuls et ces platanes sombres ,
Qu'habitent la fraîcheur , le silence et les ombres ...
Dans le monde animé , qui ne sent tes faveurs !
L'insecte , dans la farge , est fier de ses couleurs .
Ta main du paon superbe étoila le plumage ;
D'un souffle , tu créas le papillon volage.
Toi-même , au tigre horrible , au lion indompté ,
Donnás leur menaçante et sombre majesté .
Tu départis aux cerfs la souplesse et la grace.
Tu te plus à parer ce coursier plein d'audace ,
Qui , relevant sa tête et cadençant ses pas ,
Vole et cherche les prés , l'amour et les combats.
A l'aigle , au moucheron , tu donnas feur parure :
Mais tu traitas en roi le roi de la nature .
L'homme seul eut de toi ce front majestueux ,
Ce regard tendre et fier , noble , voluptueux ,
Du sourire et des pleurs l'intéressant langage ,
Et sa compagne enfin fut ton plus bel ouvrage.
T #
( 292 )
T
Pour elle , tu choisis les trésors les plus doux
Cette aimable pudeur qui les embellit tous
Tout ce qui porte au coeur ,
l'attendrit et l'enflamme ;
Et les graces du corps , et la douceur de l'ame.
L'homme seul contemplait ces globes radieux :
Sa compagne parut , elle éclipsa les cieux .
Toi-même t'applaudis en la voyant éclore ;
Dans le reste on t'admire , et dans elle on t'adore .
Que dis-je ? cet éclat , des formes , des couleurs ,
O Beauté ! ne sont pas tes plus nobles faveurs.
Non , ton chef-d'oeuvre auguste est une ame sublime ;
C'est l'Hôpital si pur dans le regne du crime ;
C'est Molé , du coup- d'oeil de l'homme vertueux ,
Calmant d'un peuple éma les flots impétueux ;
C'est Bayard , dans les bras d'une mere plaintive
Sans tache et sans rançon remettant sa captive ;
C'es Crillon , c'est Sully , c'est toi , divin Caton
Tenant entre les mains un poignard et Platon ,
Parlant , et combattaut , et mourant en grand homme .
Et seul resté debout sur les débris de Rome .
9
Par le cit. DELILLE.
J
LOGO GRIPHE.
E sais par mes discours me rendre intéressant ,
Plaire à mon auditeur qui , quoiqu'indifférent ,
M'écoute avec plaisir , et vient me rendre hommage ;
Surtout lui racontant les fruits de mon voyage .
C'est parmi les Français que je prends mes leçons ,
Que je puise à souhait toutes combinaisons .
Quand dans bien des journaux j'établis ma puissance ,
Le lecteur a pour moi beaucoup de complaisance ;
Dirigeant à mon gré le destin des combats ,
Je le persuade , il croit souvent ce qui n'est pas ; 1
+
( 293 )
Car sans être rhéteur , je fais des hyperboles ,
En ce genre versé , je sais jouer mes rôles ;
En guerre et en amour je fais beaucoup d'éclat ;
Mais quand on me connaît , ma fierté se rabat .*
Dans sept lettres , lecteur , on voit mon existence ,
Ce qui n'est pas passé toujours a l'échéance ;
Ce qui de mon voisin le sépare de moi ;
S'il survient un discord , on invoque la loi .
Deux plantes dont souvent on use en médecine ;
Un mal qui des oiseaux procure la ruine ;
Un fruit dont le renard se nourrit fréquemment ;
Ce qu'une femme enceinte aspire très - souvent ;
Un mot qui dans les fiefs était fort en usage ,
Et qui des grands seigneurs augmentait l'appanage ;
Gertain coup de trictrac , dont deux dés ne font qu'un ;
Quelquefois dans ce jeu un tiers est importun ;
Ce qui dans un danseur fait admirer la grace ;
Qu'un maître dans ce genre artistement lui trace ;
Ce qu'on dit de celui qui ne veut être rien ;
C'est par-là que je vais finir mon entretien .
SPECTACLES.
THEATRE DE LA REPUBLIQUE.
Ceux qui ont lu la Vie privée du maréchal de Richelieu ,
en trois volumes , publiée en 1791 ; ou les piquans extraits
que feu Chamfort en donna dans le Mercure de la même
année , n'ont pas oublié l'aventure de madame Michelin ,
racontée par Richelieu lui - même , écrite de sa main ; le
trait n'est pas seulement d'uu libertin dehonté , il est d'une
ame atroce .
C'est ce trait qui a fourni le sujet de la piece nouvelle. ,
T 3
( 294 )
en cinq actes et en prose , intitulée le Lovelace Français.
Les deux auteurs de cette piece ont jugé à propos de
changer le nom de Richelieu en celni du duc de Senanges,
Senanges donc a eu la fantaisie d'avoir madame Michelin,
femme jolie et vertueuse dont le mari est un honnête
artisan , un tapissier de la rue Saint-Antoine
" .
il s'est in
troduit dans la maison sous le nom de Lafosse , valet -dechambre
du duc de Senanges , et sous le prétexte de fourniture
d'ameublemens à faire à ce seigneur ; il a trompé le.
mari et séduit la femme ; puis il l'a laissée en proie aux
remords , et est parti pour l'armée où il a fait une campagnę
très -brillante.
"
A son retour , il lui prend envie de revoir sa conquête.
bourgeoise ; il envoie un billet par son valet-de- chambre .
Madame Michelin , dévorée de chagrin , mourante de regrets
, fait une réponse qui contient un refus formel ; maię
le duc revient lui - même sous le nom de Lafosse , et se ,
fait inviter à souper par le mari. Afin de ne pas se trouver
avec le dục , sa malheureuse victime veut aller souper chez
une parente ; elle prend une voiture de place , mais le
cocher est gagné ; il conduit madame Michelin dans la
petite maison du duc de Senanges ; là se trouve le perfide ,
qui lui fait les sermens les plus pathétiques , se jette à seș
pieds , et finit par l'attendrir. Au milieu de cette scene
touchante , arrive tout d'un coup une jeune veuve , voisine
et amie de madame Michelin , que le duc de Senanges a
mise aussi sur sa liste ; il avait ces deux femmes en les
trompant toutes deux , et il a trouvé plaisant de les réunir
, et de les mettre en face l'une de l'autre . Cette scene
le divertit beaucoup ; madame Renaud ( c'est le nom de
Ja voisine ) est surprise et indignée ; mais la vertueuse
madame Michelin est désespérée ; son déshonneur est divulgué
par le scélérat même qui en est l'auteur ; pour
comble de désespoir , elle est rencontrée reconnue dans
(bag54)
J
cette petite maison par un ami intime de son mari , secrè̟-
taire du duc de Senanges , et qui , plein d'estime et de
respect pour madame Michelin , ne peut revenir de son
étonnement.c
Il la ramene chez elle malgré elle ; mais le coup est
porté la malheureuse femme ne peut survivre à tant de
douleurs réunies. Le duc de Senanges a encore la froide
cruauté de se présenter à souper chez Michelin , sous le
nom de Lafosse ; il semble qu'il veuille voir expirer sa
victime. Madame Michelin meurt , en avouant à son mar;
tout ce qui s'est passé ; celui - ci saisit un pistolet comme
pour se venger ; le duc sort après un mouvement de repentir
,, que les auteurs lui ont prêté sans doute pour
adoucir l'atrocité de son rôle ..
•
Sous le point de vue moral , on ne peut qu'approuver
les intentions des auteurs ; d'un côté , une pareille piece
peut servir à prémunir les femmes contre les dangers do
la séduction , en leur en montrant les suites cruelles ; de
T'autre , il est bon de se rappeller de tems en tems les
horreurs et les abus de l'ancien régime . On pourrait dire
de la piece , ce que Chamfort a dit de la Vie privée de
Richelieu :` 66 Qu'elle présente , dans la vie d'un seul homme,
le tableau de tous les abus , de tous les vices moraux et
politiques qui , en conduisant la nation au dernier terme
du malheur et de l'avilissement , l'ont placée dans l'alternative
de périr , ou de changer entierement les bâses de l'édifice
social, "
Nous avons entendu des gens , irrités contre cet ou
vrage , prétendre qu'il était révolutionnaire , que les auteurs.
avaient forcé les traits et chargé les couleurs ; c'est tout
le contraire Richelieu , tel qu'il était , tel qu'il s'est peint
lui-même , n'eût pas été supportable au théâtre. Un des
endroits de la piece qui a le plus révolté ces messieurs ”,
c'est lorsque le due dit que ce qui lui a fait de la peine .
I 4
( 296 )
K
le lendemain de la bataille , ç'a été de voir les corps des
"gens de son espece mêlés et aonfondus sans ménagement avec
ceux des simples soldats . Il est vrai que le mot est d'un
orgueil fort bête ; mais ce n'est pas la faute des auteurs ;
le mot est vrai ; il a été dit et écrit par lui-même ; et
est assez de caractere , il est assez curieux , pour valoir la
peine d'être conservé .
f
Sous le point de vue dramatique et littéraire , les trois
premiers actes ont un peu langui ; l'exposition sur- tout est
froide , parce qu'elle n'est point motivée , et qu'on ne sait
aquel propos madame Michelin s'avise un beau matin de.
-se confier à sa servante . Les deux derniers , le quatrieme
surtout , sont du plus grand effet ; seulement le petit acte
de contrition que Senanges fait à la fin de la piece , a été désapprouvé
, parce qu'il est contraire au caractere du personnage.
3
On a blamé aussi quelques fautes contre le costume !;
par exemple le duc tutoie son secrétaire ; ce n'était point
du tout l'usage ; les gens de qualité , peut- être par un rafinement
de vanité , tutoyaient rarement leurs inférieurs ,
même leurs laquais.
Cette faute est d'autant plus sensible , que le secrétaire ,
dont le rôle est fort beau , est présenté comme un homme
fier et indépendant , et peu fait pour souffrir cette familiarités
choquante ..
Peut-être les auteurs , non contens d'avoir inventé des
ressorts attachans , et donné à leur piece une marche dramatique
et intéressante , auraient-ils dû soutenir le dialogue
par des mots heureux , par des détails tantôt plaisans ,
tantôt énergiques , suivant les scenes où ils seraient placés.
Ce sont les détails , c'est le style qui fait vivre les our
viages , et c'est aussi la partie la plus difficile ,
La piece est très -bien jouée . Elle est des cit . Duval at
Monvel , tous deux acteurs à ce théâtre , tous deux connus
par d'autres succès dans la carriere , dramatique..
( 297 )
2
ANNONCES.
Le Courier des Enfans , rédigé par L. F. Jauffret . Seconde
année. La réputation du Courier des Enfans est faite . Il y
a un an que cet utile journal existe , et qu'il fait les délices
de l'âge intéressant auquel il est consacré . Les enfans
apprendront avec joie qu'il se continue , et qu'il . paraîtra
toujours avec la même exactitude . L'auteur est avantageusement
connu, Ami des , enfans , comme l'était Berquin ,
il est aimé d'eux , comme Berquin le fut. C'est par goût
qu'il travaille pour l'enfance , et son style a toute la naïveté
de cet âge aimable .
Le Courier des Enfans paraît périodiquement tous les
15 jours , depuis le 1er janvier 1796 , par cahiers de 72
pages in- 18 chacun , sans compter la couverture. Prix de
l'abonnement , 12 liv . par an 4 liv. pour 4 mois .
"
Toutes les lettres de demande doivent être adressées ,
franches de port , à L. F. Jauffret , rue de Vaugirard , nos . 110
et 1195 , maison des voitures d'Orléans , à Paris . Il n'y a
plus de bureau intermédiaire .
Ceux qui voudront recevoir les 24 cahiers de l'année
1796 , ajouteront 12 liv. à leur abonnement.
On peut aussi s'adresser à L. F. Jauffret , pour les Charmes
de l'Enfance , et les Plaisirs de l'Amour maternel ; ouvrage
də sa composition : deux volumes in- 18 , de l'imprimerie
de Didot jeune , 1796 ; cinquieme édition , ornée de superbes
figures . Prix , 5 liv . , francs de port.
Psyché et Cupidon , épisode traduit d'Apulée , dédié aux artistes
; par J. F. C. Blanvillain . Grand in - 18 . Prix , 25 sols ;
et 35 sols , franc de port , pour les départemens . A Paris ,
chez Plassan , rue du Cimetiere- Saint- André-des -Arcs , nº . 10.
L'an V ( 1797 ) ..
{ ( 298 )
?
NOUVELLES ÉTRANGERES.
ON₂
ALLEMAGNE
De Hambourg , le 20 décembre 1796.
Na reçu de Constantinople , sous la date du 10
du mois dernier , les détails suivans :
La Porte vient de rappeller son ambassadeur à
Londres ; elle a nommé pour le remplacer Ismaïl
Aga, qui jusqu'ici n'a été connu que pour avoir été
surintendant des magasins de bled .
Il est encore arrivé cette semaine une compagnie
entiere d'artilleurs français , qui ont été logés dans
notre arsenal ; ils sont maintenant occupés à diriger
les travaux d'une nouvelle fonderie de canons ; les
pieces que l'on va couler seront absolument différ
rentes de celles dont les Ottomans se sont servis,
jusqu'à ce moment. Les artistes et autres ouvriers que
l'on a fait venir de France , ont aussi établi des fabriques
de fusils , d'armes et d'attirails militaires de
toute espece. ;
La Porte a aussi fixé son attention d'une maniere
particulier sur le commerce . Il a déja été dit qu'elle
avait favorisé la marine marchande par des exemptions
, et fait construire un grand nombre de bâti
mens pour éviter les frais du cabotage étranger. On
commence déja à éprouver les heureux effets de cette
disposition ; les marchandises affluent de tous côtés ,
et nos ports en sont remplis.
Les lettres de Smyrne portent entr'autres qu'il y
est arrivé récemment un consul espagnol et des négocians
qui avaient à bord d'un seul bâtiment une
cargaison et des capitaux qu'on peut évaluer à deux
millions et demi de piastres . On attend sous peu un
( 299 )
consul-général de sa majesté catholique , qui fixera
sa résidence à Constantinople , pour protéger le com
merce des sujets espagnols .
La Porte , animée par les exemples qu'elle a sous
les yeux , se propose d'établir incessamment une
compagnie ou chambre d'assurance ; d'ériger des fabriques
de toutes sortes de draps , de papiers , etc. ,
à-peu-près sur le même pied que celles qui furent
établies jadis en Valachie , et qui ne tomberent que
par l'insatiable avidité des vaivodes de ce pays .
Sur les vives instances de l'ambassadeur de France ,
la Porte a fait intimer au sieur Chalgrin , émigré
français , qui résidait en cette capitale depuis le commencement
de la révolution , qu'il eût à quitter son
jannissaire , la cocarde blanche et les autres signes
caractéristiques du royalisme ,
L'église et le couvent sis à Galata de Constantinople
, connus sous le nom de Saint- Benoît , et
possédés par la France depuis le regne du sultan
Soliman II , de glorieuse mémoire , étaient devenus
T'objet d'une contestation que le gouvernement
Ottoman avait provisoirement terminée , en donnant
l'inspection des biens du couvent au vaivode de
Galata , et la direction spirituelle à un ex-jésuite ,
originairement sujet du grand - seigneur. Ces deux
propriétés nationales viennent d'être remises définitivement
à la disposition du représentant de la République
Française , qui a pris déja des mesures pour
leur administration temporelle.
Le citoyen Verninac a pris , le 1er . de ce mois ,
son audience de congé du grand-visir , avec un trèsnombreux
cortege composé de personnes de sa nation .
Le tchaouxbachi ( le troisieme des ministres d'état ) , lui
envoya son bateau à sept paires de rames , à Top-
Hana , pour le passer à Constantinople , où lui-même
l'attendait dans un kiosk sur la marine , pour le conduire
à la Porte. C'est pour la premiere fois que ces
honneurs , réservés aux audiences de réception , ont
été accordés pour une audience de congé.
M. Verninac partira scus trois jours pour retourner
en France , en vertu de la permission qu'il en a reçue
•
( 300 )
7.
du Directoire exécutif. Il est chargé de présenter au
Directoire le pavillon ottoman que la Porte lui envoie
en signe d'amitié .
Les lettres de Suede nous apprennent que le roi
a nommé le conseiller Riselle à la charge éminente
de vice -président du département des mines ; et le
conseiller Kling , à celle de président du conseil de
commerce. Ces deux promotions sont les premieres
qu'ait faites le jeune monarque ; et son choix , qui
est fort applaudi , est tombé sur deux hommes dorigine
bourgeoise , et d'un mérite généralement reconnu.
Ce prince ,, en qui les Suédois croient voir
revivre Gustave III , est chéri de tous les ordres du
royaume. La noblesse seule , regrettant le pouvoir
dont elle fut privée sous le regne précédent , et dont
elle avait fait si long tems un honteux usage , paraît
craindre en Gustave IV le fils de celui qui sut la rẻ-
primer. Plusieurs membres de cet ordre viennent de
publier une protestation contre la maniere dont le
roi a pris les rênes du gouvernement.
Nous avons annoncé précédemment que ce jeune
prince avait établi , dès les premiers jours de son avénement
au trône une commission pour examiner
la situation des finances , et en former un tableau
qu'il se proposait de mettre sous les yeux de la nation
lorsqu'il jugerait à propos d'en assembler les
représentans . Il a cru ne pouvoir différer plus longtems
cette mesure ; les embarras pécuniaires dans
lesquelles il se trouve l'ont rendue d'une nécessité
urgente ; et les états viennent d'être convoqués.
Le nord offre dans ce moment un vaste champ à
la curiosité , aux spéculations et aux conjecture des
politiques. Les deux principales nations de cette contrée
viennent de voir passer leur gouvernement dans
d'autres mains . On cherche à deviner par les premiers
actes des nouveaux souverains quelles sont
leurs dispositions , leurs maxiines , et quelle sera leur
conduite envers les autres puissances. L'un de ces
souverains est à peine sorti de l'enfance ; mais la
raison parait avoir en lui devancé les années ; et il a
deja développé des qualités et des intentions qui ,
( 301 )
pour ses sujets et les peuples ses amis les plus natu
rels , sont du plus favorable augure . L'autre , parvenu
à toute la maturité de l'âge , s'est trouvé jusqu'alors
dans des circonstances qui ne lui ont permis de développer
que des vertus purement domestiques , er
telles qu'elles ne pussent donner aucune prise aux
inquiétudes , aux soupçons , à la jalousie de l'usurpas
trice qui portait le sceptre qui lui appartenait . Pendant
sa longue minorité , carc'est ainsi qu'on peut appeller
l'espece d'existence dont il a joui sous le regne
de Catherine II , il a dû s'abstenir sur- tout de tout ce
qui pouvait faire croire qu il prévoyait le moment où
il succéderait à cette mere impérieuse , et qu'il s'oc
cupait de cet événement ; en conséquence , ses opinions
politiques , ses affections , ses études même
ont du ctre renfermées dans le secret le plus profond
. Nous l'avons déja dit , et des renseignemens
postérieurs le confirment : sa conduite , depuis qu'il
est monté sur le trone , fait penser qu'il est fort
éloigné du systême turbulent et envahisseur de
Catherine II ; systême au reste qu'on pourrait croire
que cette princesse n'avait adopté que par le besoin
de s'étourdir sur le souvenir du passé , et de l'effacer
en quelque sorte aux yeux des contemporains par
l'éclat du présent . Catherine II avait voulu faire oublier
l'épouse de Pierre III.
Depuis notre dernier rapport , nous avons connaissance
de plusieurs faits , qui , réunis à ceux que
nous avons déja allégués , semblent devoir ne laisser
aucune incertitude sur la modération que tous les
apis de la paix et de l'humanité doivent se plaire à
trouver dans le nouveau souverain de la Russie.
Quelque tems avant sa mort , l'imperatrice avait
ordonné une levée de 130,000 homines dans ses
Etats . Paul Ier, a non - seulement révoqué l'ukase qui
prescrivait cette opération , mais il a déclaré que
tout recrutement était suspendu pour trois ans . On
assure qu'il a envoyé des ordres pour faire cesser
les hostilités sur les frontieres de la Perse . Il a rendu
la liberté aux prisonniers polonais , chefs ou subał
ternes ; et Kosciuszko n'a point été excepte. Quelque
( 302 )
décisifs que soient ces faits , et sur- tout le premier ,
des nouvellistes ; pour qui il semble que de toutes
les chances , que peut amener le changement d'ac
teurs dans les grands rôles de la scene politique , la
moins probable doive être celle qui ferait jouir
l'Europe des bienfaits de la paix , annoncent que ,
malgré ses démonstrations extérieures , Paul Ier . n'en
est pas moins déterminé à suivre les erremens de sa
mere ; et ils ajoutent qu'il a même déja confirmé
tous les engagemens qu'elle avait pris avec les An
glais.
C'est sur la connaissance qu'ils prétendent avoir
des intérêts de ce prince , qu'ils fondent leurs sinistres
assertions . Nous croyons nous , qu'une connaissance
réelle de ces mêmes intérêts donnerait lieu à des asser
tions absolument contraires . Il ne serait pas difficile
de prouver que la Russie n'a rien à gagner , et á
beaucoup à perdre , en prenant une past activé aus
démélés actuels des autres puissances de l'Europe ;
que c'est en s'occupant uniquement de relations commerciales
et de l'administration intérieuré que son
maître houveau peut l'élever au degré de prospérité
et de gloire que la nature lui a marqué.
3
Les lettres de Vienne nous apprennent que le général
Clarck y est arrivé . On attend avec beaucoup
d'impatience le résultat de la mission dont on suppose
qu'il est chargé. Malgré les immenses préparatifs
que l'on voit faire , malgré les ressources que
l'empereur peut espérer de trouver dans le zele de
ses sujets d'après les magnifiques promesses dés
Etats de Hongrie ; malgré les suggestions de l'Angleterre
, on espere que le négociateur français trou
vera dans le cabinet impérial quelques dispositions
à la paix.
ITALIE. De Naples , le 1er décembre.
Ön ne doute pas ici que le traité de paix conclu avec la
France n'ait plusieurs articles secrets. On croit que c'est en
vertu de ces articles que le gouvernement a permis à tous les
étrangers d'exporter des denrées , excepté les Anglais , et
( 303 )
qu'il se fait des préparatifs à Messine pour y recevoir uns
flotte.
Le ci-devant vice-roi de Corse , M. Elliot , qui est ici avee
quatre vaisseaux de guerre , partira incessamment.
Le parti espagnol se flatte que la flotte combinée arrivera
bientôt dans le port de Naples , et que sa présence favorisera
quelque grand changement dans le ministere , ou du moins
diminuera l'influence du parti autrichien qui a été si funeste au
royaume. PELO OSLO J A
La ville de Naples , autrefois si florissante , présente aujourd'hui
de speclacle de la plus grande misere. Tous les
impôts, toutes les taxes sont plus que doublés . Le numéraire,
autrefois si abondant , a presque disparu , et l'on est inondé
de papier-monnaie. Les propriétaires fonciers , la classe la
plus riche de l'Etat , ne peuvent plus supporter les charges,
publiques. La classe commerçante est totalement ruinée
moins par les effets de la guerre , que par les contributions
excessives qu'elle a dû payer , et par les persécutions qu'elle
aessuyées.Vans MP
Les gens de robe , qui formant une classe très -nombreuse
† de 30 à 40 mille ) , sont aujourd'hui aux armées comme vos
lontaires , et y trouvent leur subsistance. Mais en revenant à
la ville , ils seront dans la détresse parce qu'ils n'auront pas
d'occupation. Les procès sont en quelque sorte un objet de
luxe , et tel est aujourd'hui l'état de la capitale et des pros
vinces , que tout le monde évitera de plaider.
Le petit peuple de Naples , connu sous le nom de lazzas
roni , présente aussi un spectacle nouveau ; autrefois on les
voyait toujours gais et contens ; jamais lazzarone n'avait songé
au lendemain ; un travail très-modéré leur procurait une
subsistance facile ; et grsce
au climat , ils étaient heureux.
Aujourd'hui ils sont tristes, sombres et inquiets ; ils ne trous
vent pas à employer leurs bras , et n'ont plus les moyens d'as
cheter les denrées de premiere nécessité , dont le prix est
excessif ; ils vivent d'aumônes qu'ils vont souvent deman
der aux couvens et aux palais , de maniere à n'être pas refusés.
d
La cour , par les secours qu'elle a distribués , et par
l'influence des moines , a su contenir jusqu'ici cette classe
si nombreuse et si propre à devenir l'instrument d'une révolution
; mais bientôt le geuvernement sera forcé de sup
primer une partie des impôts ; il perdra ses ressources ,
et se trouvera accablé d'une dette énorme . Le mécontentement
du peuple augmente avec sa misere. S'il n'y avait
( 304 ))
pas dans la foule quelque "Masanielle qui l'engageât se
lever , il se trouverait plus d'un chef parmi les nombreuses
victimes du despotisme ministériel . Tout antioncé que le
gouvernement est menacé de quelque secousse violente , si
on n'en écarte ceux que les Napolitains regardent comme
les auteurs de leurs maux.
Depuis , quelque tems la reine sort rarement. On a remarqué
que le jour de la Saint- Charles , le roi a été seul
au théâtre . Le peuple le voit encore avec plaisir ; mais il
n'accueille pas la reine avec les mêmes acclamations : il
commence à dire que si l'argent est si rare à Naples , ' c'est
qu'elle en a envoyé beaucoup en Allemagne . 5
De Rome , le 10 décembre . Avant-hier un courier napoli
tain , de retour de Paris , et chargé de la ratification du
traité de paix entre Naples et la République Française
remit au marquis del Vasto des dépêches qu'on dit trèsimportantes.
Cet ambassadeur eut une longue conférence.
avec le secrétaire d'Etat , et le soir on remarqua que nonseulement
la secrétairerie , mais encore tous ceux qui ont
la confiance du saint-pere ; étaient fort tristes , comme s'ils
avaient reçu de mauvaises nouvelles . On prétend , en effet ,
que le Directoire n'a pas accepté la médiation de S. M. S.
entre la France et la cour de Rome , et il ne pouvait l'accepter
, après avoir admis celle de la cour de Madrid . '
Tout annonce que S. M. catholique veut une satisfaction
éclatante des insultes faites par les Romains à son
ministre , le chevalier Azzara , et aux Espagnols en général.
Il parait que la cour de Madrid veut interrompre
toute communication avec Rome , jusqu'à ce qu'elle ait
obtenu les réparations demandées . Outre l'ordre donné
aux auditeurs de Rote espagnols de suspendre leurs fonctions
, elle a ordonné à ses couriers ordinaires de ne plus
arriver jusqu'à Rome , et de s'arrêter à Parme ensorte
qu'ils ne portent pas les lettres d'Espagne à Naples .
La mésintelligence et la division qui regnent entre les
cours de Naples et de Madrid , paraissent augmenter tous .
les jours. Il y en a même qui prétendent qu'elles finiront
par une rupture ouverte. Cette division est d'autant plus
difficile à faire cesser , qu'elle naît de l'inimitié des deux
reines . Celle de Naples , pour regner d'une maniere plus
absolue , veut détruire à Naples tante influence espagnole ,
et y établir celle de sa maison . La reine d'Espagne est
fâchée non-seulement de voir la mésintelligence , établie et
maintenue
1
( 305 )
maintenue entre ces deux freres par l'ascendant de la reine
de Naples , mais on prétend qu'elle veut faire valoir les
droits incontestables que son frere , le duc de Parme , a
sur le royaume de Naples . On sait que don Philippe et
ses enfans étaient appellés à la couronue des Deux - Siciles
dans le cas que Charles succédât à celle d'Espagne.
De Bologue , le 11 décembre. Je vous ai annoncé que la
constitution a été acceptée presqu'à l'unanimité . Vous ne
serez pas fâché de savoir quelques détails de cet important
événement , qui fait honneur à la sagesse et au patriotisme
des Bolonais . A 12 heures d'Italie ) les représentans du
peuple se rassemblerent dans l'église de St. Petrone . Le cit.
Joseph Gualordi , en vertu du réglement , fit les fonctions de
président comme le plus âgé de l'assemblée , et choisit pour
secrétaires les citoyens Pistorini , avocat , et Brunetti , senateur
; et pour secrétaires suppléans , les citoyens Cechelli
sénateur, et Naguoni, avocat. Lorsqu'on eut fait l'appel nomimal
et vérifié les pouvoirs des représentans , on ferma les portes
de l'église et la séance fut commencée. Un représentant demanda
la parole pour savoir si le veeu de l'assemblée étaitd'élire
un président par scrutin ou par acclamation ; ce dernier mode
fut préféré , et le citoyen Aldini , avocat , fut aussi - tôt acclamé
président. Il confirma les choix des quatre secrétaires nommés
par le citoyen Gualordi , et en choisit deux autres ; les
citoyens Joseph Carboneri , ex-noble , Gambori , avocat .
Il nomma aussi quatre vérificateurs , les citoyens Charles
Fabri , curé de saint Isaie , Pierre Padorani , Jacques Greppi ,
et Maure Gandolfi . Le président se fit ensuite apporter les
clefs de l'église ; et voulant implorer les lumieres du Trèshaut
, entonna I hymne Veni Greator Spiritus , qui fut chanté
par tous les représentans . On procéda ensuite aux scrutins .
Sur le bureau autour duquel était assis le président , les secré
taires et les vérificateurs , étaient deux urnes , l'une appellée
délibérative et l'autre d'écart . On fit ensuite l'appel nominal
de tous les représentans , en commençant par ceux de la ville ,
et à mesure qu'ils s'approchaient du bureau , deux aides
nonimés par le président remettaient à chaque représentant
une boule rouge et une boule noire , qu'ils mettaient dans les
urnes selon son vou . Lorsque tous les représentans eurent
voté , on viďa l'urne délibérative , et l'on trouva que la constitution
avait été acceptée par 454 voix contre 30. Le nombre
des votans étant de 484 , le président déclara alors que la
constitution avait été acceptée , et entonna ensuite l'hymne
Tome XXVI. V
( 306 )
}
7
ambroisien , qui fut chanté avec allégresse par tous les réprés sentans. Les cloches de saint Petrone annoncerent en mêmetems
au peuple qui remplissait la place et les rues , et on entendit de tous côtés les cris vive la constitution ! vive la liberté !
L'assemblée procéda ensuite à l'élection des 36 membres qui
doivent aller à Reggio , le 27 , pour y traiter avec les représentans
de Modene , de Reggio et de Ferrare des intérêts de
la confédération cispadane , et cette élection fut achevée le
lendemain . Je vous tendrai compte du résultat des différentes
séances . Contre les espérances des malveillans , la constitution
a été acceptée à une très -grande majorité , et les représentans
du peuple ont paru presque tous animés du même esprit
Le lendemain de l'acceptation on rendit des actions de grace
à l'Etre suprême dans l'église de saint Petrone ; la pompe de
la fête et le concours qu'elle a attiré ont été les mêmes que
pendant les trois jours qui ont précédé l'acceptation . Les jours
suivans se sont passés en fêtes et en réjouissances , dans
lesquels l'ordre , la paix et l'harmonie ont regné constamment.
REPUBLIQUE
BATAVE.
De la Haye , le 14 décembre . Hier , le conseil de marine a
fait part
à la convention nationale d'une lettre écrite de
Portsmouth , 29 novembre , par le lieutenant Metman . Get officier se dit chargé par le contre -amiral Lucas de notifier la prise de l'escadre qu'il a eu le malheur de commander , et le de détails où il entre tendent manifestement
à prouver
que c'est l'insubordination
et le mauvais esprit des équi- pages qui ont nécessité la fatale capitulation dont on a conpeu
naissance . Arrivés , dit-il , dans la baie de Saldanha le 6 août , nous
nous étions occupés d'abord de rafraîchir notre provision d'eau , quand nous vimes arriver , le 15 , du côté de la terre , une armée anglaise de quatre à cinq mille hommes , sur laquelle la Bellone fit un feu non interrompu depuis 11 heures jusqu'à 4. Alors une flotte anglaise , forte de huit vaisseaux de ligne , de six frégates et moindres bâtimens , jetta l'ancre à l'entrée de la baie . Sitôt que nos équipages eurent reconnu
orange
que c'était des Anglais , ils arborerent la cocarde cleverent des cris forcenés : vive Orange ! Ils menacerent de massacrer les officiers , pillerent l'eau-de-vie et le genievre , et , à l'exception d'un petit nombre , s'enivrerent completie- ment . Tous les canonniers déserterent leurs pieces , et il fut impossible aux officiers de se faire obéir ; sur quoi le
ét
(( 307 )
contre-amiral se décida à capituler , et nous nous sommes
rendus le 16. "
Parti de la baie de Saldanha le 20 août le lieutenant
Metman est arrivé à Portsmouth le 2 novembre . Il avait
déja deux fois écrit à Londres pour être autorisé pår l'amirauté
à aller remettre en Hollande les dépêches dont il est
chargé mais il n'avait pas encore obtenu de réponse .
" Du 24. Dans la séance du 21 décembre , le comité de marine
donna communication d'une lettre , en date du mois
de septembre , qu'il venait de recevoir du capitaine Wierts ,
commandant la fregate la Medea , en station dans la rade de
Curaçao , qui lui rend compte de ce qui s'est passé tant à
Curaçao que sur les deux frégates qu'il a sous ses ordres , relativement
à la prestation du nouveau serment de fidelité et d'obéissance
à la république . Ce commandantse trouva à cette occasion
dans la situation la plus critique . La plupart des officiers,
tant civils que militaires , attachés au gouvernement de l'isle ,
refuserent, ainsi que toute la garnison de Curaçao , de prêter
le serment. Tous les équipages des deux frégates le refuserent
également , à la réserve de presque tous les officiers , alléguant
pour motif , qu'étant dégagés de tout serment , ils n'en voulaient
point faire un nouveau avant d'avoir reçu tout ce qui
leur était dû pour leur paye , qu'ils ne touchaient point depuis
long-tems ; et qu'au reste , lorsqu'elle leur aurait été accordée ,
ils verraient ce qu'ils auraient à faire . Tous les efforts que
fit le capitane Wierts pour les ramener à l'obeissance , furent
d'abord inutiles . Les circonstances étaient urgentes . La garnison
excitée par ses officiers , menaçait de se livrer aux plus
grands excès . Ce commandant se détermina en conséquence
à accorder aux équipages l'argent qu'ils demandaient , et tout
rentra dans l'ordre. Il parvint ensuite à détacher la garnison
de ses officiers . Cette soumission lui ayant assuré les moyens
de destituer tous les officiers ou agens du gouvernement qui
refuseraient de prêter le serment , ceux qui persisterent dans
leur refus furent en conséquence destitues ; et sur leur
demande , le commandant Wierts leur accorda la permission
de quitter l'isle , où la tranquillité est maintenant complette
ment rétablie der
Cette lettre a été renvoyée à une commission .
ANGLETERRE. De Londres , le 16 décembre .
La séance du parlement d'hier a été cousacrée , presqu'en
entier , au malheureux Lafayette . Le général Fizpatrick , après
( 308 )
î
un discours fort éloquent , fit la motion d'une adresse an
roi , dans laquelle le parlement représenterait que la détention
de M. de Lafayette déshonore la causé commune , et
supplierait S. M. d'aviser , dans sa sagesse , aux moyens
d'obtenir la délivrance de ce prisonnier. La motion fut appuyée
par M. Sheridan . M. Pitt sy opposa , en se fondant sur
l'indépendance mutuelle des souverains , qui ne permet pas
à l'un de s'immiscer dans l'administration de l'autre . M. Fox ,
´en admettant le principe , souint néanmoins qu'il était
susceptible d'exceptions . Il rappella l'intercession de notre
ambassadeur à Paris , en faveur de l'infortuné roi de France .
Il cita l'exemple du gouvernement français , qui avait
intercédé en faveur du capitaine Asgill . Enfin , il observa
que M. de Lafayette devait être regardé comme un prisonnier
de guerre , et que si on traite avec ses ennemis du sort
des prisonniers , à plus forte raison , il doit être permis de
s'intéresser pour un captif auprès d'un allié .
M. Windham réfuta ces argumens dans un discours trèsétendu
, dans lequel il parle avec beaucoup de violence
contre l'infortuné Lafayette. M. Fex reprit la parole pour
combattre le préopinant, On alla aux voix , et la motion.
fut rejettée par 132 voix contre 50 .
Du 23. Le secrétaire d'Etat , M. Dundas , a remis à la
chambre des communes un état détaillé des revenus , des
produits du commerce , des dettes , etc. de la compagnie
des Indes orientales , par lequel il paraît que les affaires
de cette compagnie sont dans un état plus florissant et plus
profitable au gouvernement qu'elles ne l'ont jamais été.
On attend avec impatience le résultat des propositions
que le lord Malmesbury a dû faire au gouvernement de
France , d'après les dépêches que lui a portées M. Ellis .
Mais la mort de limpératrice de Russie , dit le Morning-
Chronicle , peut faire un très - grand changement dans l'état
de la négociation ; et M. Pitt , qui en tout se conduit plutôt
par expédiens que par principes , aura peut-être besoin de
faire ponr les propositions de paix , comme il fait pour
tous ses actes de parlement , d'en faire de nouvelles pour
expliquer ou amender les premieres.
( 30g )
REPUBLIQUE FRANÇAISE.
CORPS LÉGISLATIF.
1
Séances des deux Conseils , du 5 au 15 nivôse .
tap
Rousseau a fait , au conseil des Anciens , le
port relatif à la résolution sur les colporteurs de
journaux . Il a dit que la commission , après un mâr
examen , n'a point trouvé qu'elle ôtât directement
ou indirectement la liberté de parler ou d'imprimer ,
mais qu'elle prévenait les nombreux abus qu'a produits
la licence des publications . Ainsi , bien loin
d'y voir rien dont la liberté civile et politique puisse
concevoir la moindre alarme , elle n'y a reconnu que
mesures sages et efficaces pour assurer l'ordre
public , et elle propose de l'approuver. Le conseil
l'adopte.
Il approuve ensuite celle sur le nouveau tarif des
postes seulement .
Le 7 , Goupilleau fait rejetter la résolution relative
aux actes passés pendant la rébellion dans les
départemens de l'Ouest , comme contenant des dispositions
inutiles et même vicieuses .
Thibaudeau expose , le 6 , au conseil des Cinqcents
, que la législation sur les biens des communes
et l'acquit de leurs dettes , est devenue incertaine
par les difficultés que présente l'exécution de la loi
du 24 août 1793 , et il fait arrêter que les communes
dont l'actif excede le passif, rentreront en jouissance
de leurs biens , de même que celles qui justifieraient
n'avoir pas de dettes .
Siméon soumet à la discussion son projet de résolution
sur la successibilité des enfans naturels. I
s'agit de rapporter, comme injuste et contraire aux
principes , l'art. IV de la loi du 15 thermidor , qui
exclut les fils légitimes des enfans naturels , lorsque
venant par représentation de leur pere à la succession
V 3
( 310 )
de leur ayeul , conjointement avec leurs oncles ou
tantes , leur pere est mort avant le 4 juin 1793 , c'està-
dire avant la publication de la loi qui a appellé les
enfans naturels à la succession des ascendans avec les
légitimes , Il n'y a rien eu de décidé .
Camus propose , le 8 , de faire payer les rentiers et
pensionnaires de l'âge de 65 ans , et au- dessus , de
la totalité de leurs rentes ou pensions .
Monnot y voit un privilége ; Dubois Crancé , l'impossibilité
d'effectuer ces paiemens , et il demande
la préférence pour les défenseurs de la patrie que
leur âge ou leurs blessures mettent hors d'état de
travailler. La question est ajournée .
Daunou présente la rédaction de la résolution sur
l'établissement du journal tachigraphique , dans la-,
quelle sont fondus les amendemens adoptés dans les
séances précédentes. Il en résulte qu'il n'y aura point
d'agent rédacteur . que le journal sera envoyé aux
administrations municipales , mais en payant les frais
de papier et de tirage , qu'on recevra des abonnemens
pour les seuls frais , sans aucun bénéfice .
Doucet et Borne combattent ce nouveau projet ;
Quirot et Lecointe l'appuient. Après quelques débats
, il est adopté.. Desita
Jard Panvilliers propose , le 8 , au nom d'une commission
spéciale , de déclarer les presbyteres alienables
, comme tous les domaines nationaux . Impres
sion , ajournement.
La discussion s'ouvre sur le troisieme projet de
Dauaou , relatif à la licence de la presse.
Dumolard : Le projet de Pastoret a deux grands
mérites ; la concision et la clarté , Celui de Daunou ,
qui a lair d'en être le développement , offre bien à
la vérité quelques - unes de ses nuances , mais il
contient aussi des dispositions caractérisées et fondamentales
. En démontrer les vices , ce sera motiver
la priorité que je réclame pour le projet de Pastoret ,
Il vous parle beaucoup de l'honneur des citoyens
dans une République , j'en couviens , l'honneur est
la plus chere propriété de l'honnête homme ; mais
attaquer celui d'un fripon , c'est le dépouiller avec
( 311 )
justice d'un bien qu'il a ravi. Le repporteur veut bien
permettre aux écrivains de discuter la justice d'une
loi rendue ; mais pourquoi leur refuserait-il la permission
de censurer les mauvaises lois ? Si un parti
venait à dominer la France , les écrivains seraient
donc réduits à la triste faculté de discuter la justice
des lois atroces qu'il pourrait porter ? Que la calomnie
soit punie ; qu'elle le roit sans distinction d'individus
et d'une maniere égale pour tous : je suis las
pour ma part , de l'inexactitude infamante de l'impunité.
"
La licence de la calomnie est un signe de dépravation
dans un Etat. Sylla lui assura l'impunité ; et les
empereurs , des récompenses : vous ne ferez ni l'un ni
l'autre. Mais aussi , vous ne réprimerez pas à la fois.
la vérité et la calomnie . Cependant le projet de la
commission paraît n'avoir d'autre but que d'arrêter
les développemens de la premiere . La vérité peut
bien être comprimée quelques instans ; mais son
ressort ne se brise jamais. Je demande la priorité, pour
le projet de Pastoret.
Lamarque : Il vous faut des lois de police séveres
contre les calomniateurs ; le projet de Pastoret peche
par un excès d'indulgence . Il est d'ailleurs incom
plet je demande la priorité pour le projet de
Daunou .
Réal parle dans le même sens . La discussion sera
continuée .
Les Anciens ont approuvé la résolution portant
que les exécuteurs testamentaires se libéreront dans
les mêmes valeurs qu'ils auront reçues .
La discussion s'est engagée , le 9 , au conseil des
Cinq- cents , sur le 1er . article du projet de Daunou.
Jard- Panvilliers a proposé quelques amendemens. Il
demandait qu'il ne fût accorde aucun délai pour
fournir les preuves matérielles d'une calomnie ; trois
jours pour fournir les preuves testimoniales , et que
les représentans du peuple fussent tenus de faire
signer leurs journaux par quelqu'un qui serait res .
ponsable .
Divers autres amendemens sont successivement
1
F
V 4
( 31 )
proposés et la plupart adoptés par Daunou ; mais
quand il relit la rédaction des deux premiers articles ,
une foule de réclamations s'élevent .
Il s'agissait de comprendre dans ces articles les
inculpations sur les moeurs , la moralité , l'honneur
des citoyens. Divers membres soutiennent que ces
définitions sont trop vagues . Le projet de Pastoret
est bien plus précis et plus clair , dit Thibaudeau.
Pourquoi d'ailleurs exiger dans de certains cas
des preuves matérielles ? Pourquoi dans d'autres des
preuves testimoniales ? Pourquoi n'accorder que trois
jours pour ces dernieres ? Un citoyen n'aurait- il
le droit d'administrer telles preuves qu'il voudra.
Vous briserez la plume dans la main des écrivains
courageux . Personne n'osera plus dénoncer une cons
piration .
Lecointe pense qu'on peut aussi calomnier verbalement
dans un grand cercle , dans un lieu public ,
par un placard manuscrit.
Tant d'amendemens et de débats font que bientôt
le conseil ne s'entend plus ; on demande le renvoi
à la commission ; il est rejetté , et Jard-Panvilliers
propose de comprendre dans la résolution les cà-
Jomnies imprimées et manuscrites ,
Cambacérès réclame avee force contre cette proposition.
Quoi ! s'écrie- t -il , on pourra me faire un
crime de ce que j'aurai écrit à un homme dans le
secret de l'amitié ! Ah ! que la lassitude ne nous
arrache pas de pareilles lois . Je demande de nouveau
le renvoi.
Le renvoi est ordonné ,
Un secrétaire donne , le ro , la lecture de la derniere
résolution relative à la conservation , dans la
Belgique , des corporations séculieres . Elle donne
lieu à de vifs débats . Les uns demandent la suppression
des chapitres nobles d'hommes et de femmes ;
les autres , de tous les chapitres , et qu'on ne conserve
que les curés et vicaires. Plusieurs faisant un
retour sur ce qui s'est passé en France , et les inconvéniens
qui en sont résultés , pensent qu'une semblable
mesure doit être mûrie , et réclament l'ajour
( 313 )
nement. Après une assez longue discussion , la question
est renvoyée , à la commission qui examinera
quelle extension il convient de donner à la loi du
15 fructidor sur la suppression du clergé régulier
dans la Belgique.
On reprend la discussion du troisieme projet de
Daunon , sur les délits de la presse. Elle a roulé
presqu'entierement sur la définition de la calomnie .
Le premier article du projet amendé , a été arrêté.
Les autres renvoyés , pour la rédaction , à la commission
.
Le conseil ajourne un projet de Villers, dont voici
les dispositions principales :
1º. La circulation des grains est entierement libre .
2. Toute personne qui cherchera à l'entraver sera
non seulement condamnée à la restitution de la
quantité de grains qu'elle aurà arrêtés , mais encore
à une amende égale à la moitié de la valeur desdits
grains .
30. La défense d'exporter des grains et farines de
toute espece est maintenue,
4º. Toute voiture qui serait arrêtée à lieues des
frontieres de la République , sera confisquée . 1
5º. Les propriétaires et conducteurs seront condamnés
à une amende de 10 francs par quintal .
Boyer fait adopter un projet de tarif des droits de
sortie auxquels sont assujettis la résine ,la térébenthine,
le goudron et autres marchandises dont l'exportation
a été permise.
Aubry soumet au conseil son projet sur la nou ,
velle organisation des conseils de guerre , qui doivent
juger les officiers généraux et commissaires des
guerres .
Savary le combat , et le fait renvoyer à un nouvel
examen de la commission .
Le conseil des Anciens ne s'est occupé ces derniers
jours que d'objets d'intérêts particuliers .
On ouvre , le 1er . nivôse , au conseil des Cinq- cents
la discussion sur le projet du code hypothécaire , et
de crédit cédulaire.
Jourdan : Le projet de code hypothécaire présenté
si souvent au Corps législatif , n'est que le prélude
( 314 )
d'une banque territoriale . Il présume le danger d'une
prompte expropriation forcée de la masse générale
des propriétés . Dans le code hypothécaire , toutes
les créances seront encadastrées dans des registres par
canton . D'après ce mode , le propriétaire pourra
convertir les trois - quarts de sa fortune en cédules
hypothécaires . Mais on ne dit pas que , pour ce
service , il faut une banque territoriale : il n'est plus
tems de le dissimuler , et les auteurs des écrits аро-
logétiques du projet en sont même convenus . Mais
un tel établissement aura une influence qui peut
devenir dangereuse à la constitution. Il est à craindre
que la dette de l'Etat se convertisse en cédules , et
qu'un jour ces cédules s'agglomeront autour de la
dette nationale .
盘
La loi du 3 brumaire avait de moindres dangers
que celle du 9 messidor , qui organisa un bureau de
la conservation générale des hypotheques . C'est corrompre
la moralité de la loi que d'assimiler la législation
avec la fiscalité . Il y a une contradiction bien
frappante entre le systême hypothécaire et le systême
cédulaire l'un tend à assurer les propriétés ; l'autre
tend à les détruire : c'est une véritable émission d'asè
signats.Lorsqu'on's'occupera de Forganisation du code
civil , sans doute la législation des hypotheques y
trouvera sa place ; mais alors on le dégagera de ce
qui tient aux finances . L'impôt indirect est plus favorable
à la société ; la propriété est , dans ce cas , à
l'abri de toute injustice. La révolution touche à son
terme. On a tout fait pour rétablir la circulation et
donner une nouvelle vie à toutes les transactions .
Je suis loin de penser que tout le bien que nous avons
a espérer puisse se réaliser en un instant. Mais
j'ai lieu de m'étonner que , dans un tel moment on
convoque nne assemblée de négocians , si illégale ,
si inconstitutionnelle . Il me semble entendre dire
aux partisans de la banque : la guerre toujours la !
guerre confusion sur confusion ! Le peuple Français
desire la paix , et les législateurs ne doivent pas , par
de fausses mesures , en éloigner le terme. Je demande
la question préalable sur la partie du projet relative
au crédit cédulaire , et le renvoi de la partie civile
à la commission de la classification des lois .
( 315 )
Réal , rapporteur , consent à une discussion séparée
des deux projets ; mais il s'oppose à leur renvoi à la
commission de la classification des lois .
Dubreuil demande la question préalable sur celui
relatif au crédit cédulaire.
Woussen pense que le Corps législatif ne peut pas
balancer à reconnaître le principe de l'utilité d'un
régime hypothécaire . La discussion sera continuée ..
Baraillon , dans la séance du 12 : Vous sentez le
ridicule d'emprunter le costume des Anciens , et vous
savez que nous devons être Français par nos habits
comme par nos moeurs. La commission , dont je suis
L'organe , vous propose de déterminer un costume
français pour tous les fonctionnaires publics , et voici
quel serait celui des représentans du peuple :
"
Pour le conseil des Cinq- cents : Chapeau noir de
velours à haute forme ; redingotte de drap bleu clair
avec revers en soie , broderie en argent ; ceinture tricolore
; et pour chaussure , des bottines de cuir noir.
Le costume des membres du conseil des Anciens
sera le même , à l'exception que les broderies et les
franges seront en or.
- Desmolins , organe de la commission chargée du
rapport sur la question de savoir si les baux à culture
perpétuelle , à la moitié , au tiers , et autre quotité
de fruits , sont soumis au rachat . La propriété ,
dit- il , est un des premiers droits de l'homme en société
et ce droit serait illusoire , s'il ne pouvait en
user à son gré. Ainsi , en regle générale , tout citoyen
qui n'a disposé de son fonds que sous la réserve d'une
rente pour le prix de l'objet aliéné , ne doit pas être
forcé à voir changer sans son consentement les stipulations
qu'il a faites ; cependant il semble qu'une
rente perpétuelle nuit trop à l'égalité , en tenant le .
débiteur comme dans une espece de servitude envers
son créancier . C'est d'après ce motif que les lois
ont permis le rachat des rentes foncieres perpétuelles
, et ont déterminé le mode de rembourse
ment ; mais le partage annuel que fait le cultiva
teur avec le propriétaire des fruits qui se récoltent
sur le fonds de celui ci , doit être regardé comme
une vente ? n'est - ce pas une prétention injnste que
celle de vouloir être admis au rachat de ces pars
་
( 316 )
tages ? Un seul principe la renverse ; c'est qu'il n'y a
que celui qui a acheté , et qui n'ayant pas payé s'est
soumis à la prestation d'une rente, qui doive être reçu
au rachat .
Desmolins propose un projet de résolution d'après
cette base . Aujourd'hui , 13 , un citoyen ayant demandé
à donner des renseignemens sur les colonies ,
une vive discussion a eu lieu , dans laquelle plusieurs
membres ont dénoncé les commissaires aux isles et
les bureaux de la marine . Il sera fait à ce sujet un
message au Directoire exécutif.
Camus a reproduit son projet sur les rentiers et
pensionnaires âgés de 65 ans et plus . Il a été renvoyé
à la commission pour la rédaction. On a repris la discussion
sur le code hypothécaire .
Legrand fait , le 11 , au conseil des Anciens , le
rapport de la résolution qui exempte du droit de
patente les peintres , sculpteurs , archivistes , et il
dit qu'on ne peut pas plus assujettir le peintre à la
patente que le poëte , ou l'orateur , ou le philosophie .
Lecouteux s'élevé contre la distinction établie
entre les professions . Elles sont toutes égales devant
la loi ; il y aurait d'ailleurs une difficulté insurmontable
à tracer la ligne de démarcation entre l'artiste
qui se livre seulement à son génie , et celui qui
fait le commerce de son talent et de celui des autres .
La résolution est rejettée .
Giroud fait aussi rejetter , le 12 , celle relative aux
rentiers et pensionnaires , comme superflue , et ac-
´cordant des avantages à ceux , d'entr'eux qui n'ont
pas payé leurs contributions . Le conseil s'est occupé,
les 13 et 14 , de la discussion sur la résolution rela--
tive aux canaux d'Orléans et de Loing.
Rioux est appellé , le 15 , à la tribune du conseil
des Cinq-cents pour la discussion sur le code hypothécaire
. Les vingt- quatre premiers articles du projet
de Réal sont adoptés . Ils traitent des principes sur
les hypotheques , des biens qui en sont susceptibles ,
des personnes sur lesquelles on peut les acquérir , et
des différentes especes d'hypotheques ,
Le projet de Jard- Panvilliers , tendant à l'aliénation
de tous les presbyteres , est renvoyé , sur le rapport
de Daunou , à la commission de l'instruction pu(
317 )
( blique , pour y faire les exceptions que nécessitent
certains instituteurs des écoles primaires.
Richard a ensuite fait lecture de son projet sur la
réorganisation de la gendarmerie nationale .
PARIS Nonidi 19 Nivose , l'an 5º . de la République .
Le Directoire a donné , décadi dernier , une audience aux
ambassadeurs . Mehemed Coggea , envoyé du bey de Tunis,
présenté par le ministre des relations extérieures , a remis au
président du Directoire une lettre du bey , contenant les assu
rances de son dévouement aux intérêts de la République Française
, ainsi que le desir d'effacer les sujets de plainte qu'ont
pu faire naître quelques circonstances désagréables , et de cultiver
l'ancienne amitié et la confiance qui lient les deux Etats .
Le ministre des relations extérieures a présenté également
au Directoire M. le marquis del Campo , ambassadeur d'Espagne
, choisi par son A. R. l'infant duc de Parme , pour le
représenter en qualité de son envoyé auprès de la République
Française.
M. le comte Balbe , ambassadeur de Sardaigne , a notifié au
Directoire , de la part du roi son maître , la naissance d'un fils
de son A. R. le duc d'Aoste .
Le citoyen Monroë , ministre plénipotentiaire des Etats-
Unis d'Amérique , a remis au président les lettres de rappel
qu'il a reçues récemment , et a prononcé un discours plein
des expressions de la plus vive sensibilite . « Le sort a voulu ,
a-t-il dit , que j'arrivasse parmi vous , lorsque des orages amoncelés
menaçaient la République au-dedans et au-dehors . Quelle
satisfaction ne dois - je pas éprouver en prenant congé de
vous , citoyens directeurs , de voir la victoire couronner les
efforts de vos braves concitoyens armés , et l'aurore de la
prospérité intérieure annoncer ces beaux jours que prometune
constitution sage , et réaliser les hautes espérances pour
lesquelles dans le cabinet comme sur le champ de bataille ,
Vous avez combattu si long-tems et avec tant de gloire !
Croyez , citoyens directeurs , que mes concitoyens en apprenant
par moi cet heureux état de choses , partageront la joie
qu'il m'inspire , et la sollicitude que j'éprouve pour sa continuation
. Il a terminé son discours par les expressions particulieres
de sa reconnaissance pour les égards et la confiance
dont le Directoire l'a honoré .
La réponse du président contient les sentimens les plus
flatteurs pour la personne du ministre plénipotentiaire . Mais
il n'a pas dissimulé le mécontentement du Directoire relativement
aux suites de la condescendance du gonvernement
américain pour les suggestions du cabinet de Londres.
}
( 318 )
Le Directoire a passé ensuite , accompagné de ses ministres
et du corps diplomatique , dans la salle de ses audiences
publiques. Le citoyen Lemarois , chef de bataillon et aide de
camp du général en chefBuonaparte , a présenté au Directoire
les drapeaux autrichiens pris par l'armée d'Italie à la bataille
d'Arcole , et a prononce un discours analogue à cette circonstance.
Le président lui a répondu , et a donné l'accolade
au jeune guerrier , et lui a fait don , au nom de la Rép
blique , d'une paire de pistolets de la manufacture nationale
de Versailles .
Le ministre de la guerre a présenté pareillement au Directoire
le citoyen Ramel , commandant en chef des grenadiers
composant la garde de la représentation nationale . Il a assuré
le Directoire de son inviolable fidélité , et de celle des
guerriers qu il commande à la constitution de 95. Cette séance
a été très-majestueuse et digne en tout du gouvernement d'une
grande République.
L'escadre de Toulon , commandée par le contre - amiral
Villeneuve , est entrée le 3 de ce mois dans la rade de
l'Orient ; elle était partie de Toulon le 11 frimaire , et sa
traversée a été des plus heureuse ; elle a passé devant Gi
braltar le huitieme jour de son départ , et elle a su échapper
à la surveillance de la flotte anglaise qui y était mouillées
Elle s'est présentée , le 30 frimaire , devant Brest , dont
elle a trouvé l'entrée bloquée par 21 vaisseaux de ligne
anglais qui l'ont poursuivie pendant trois jours . Le contreamiral
Villeneuve a su éviter cette force supérieure par
d'habiles manoeuvres , et il est ainsi parvenu dans la rade
de l'Orient , d'où il doit se rendre à Brest. Il paraît , d'après
cet évenement , que les Anglais n'ont pas été plus heureux
pour intercepter cette escadre , qu'ils ne l'ont été
pour empêcher notre armée navale de sortir .
Extrait d'une lettre officielle écrite de Cadix , le 26 frimaire ,
au ministre de la marine et des colonies .
La frégate de la République , la Vestale , de 26 canons
de 12 , faisant partie de la division du contre - amiral Villeneuve
, ayant cassé son mât de beaupré dans un coup de
vent , reçut l'ordre de venir se réparer ici ; elle se rendait
dans ce port , lorsqu'elle fut attaquée par la frégate anglaise
la Therpsicore , de 46 canons et 8 obus . Après un combat
d'une heure trois quarts , pendant lequel elle fut entierement
démâtée et eut le malheur de perdre son commandant
, le C. Foucault , elle se vit obligée de céder à la
supériorité de force ; mais je vous apprendrai qu'hier , se
trouvant mouillée près de Cadix , avec la frégate anglaise ,
( 319 )
et celle-ci ayant repris la mer , la laissant à l'ancre , son
équipage a arboré pavillon français , après avoir contraint
les Anglais qui se trouvaient à bord de se rendre . Je viens
de faire remorquer cette frégate par quatre chaloupes , et
elle est entrée en baie ce soir , rase comme un ponton.
Je vais faire tout mon possibie pour la mettre dans le
cas de reprendre la mer dans une quinzaine de jours.
La division aux ordres du contre -amiral Villeneuve , venant
de Toulon , a rencontré par le travers du cap la Roque , un
bâtiment portugais qu'il a coulé bas , après en avoir retiré
l'équipage composé de onze homines , et environ 3000 piastres
formant tout son chargement.
Le corsaire le Victorieux , commandé par le cit . Teragno,
et armé à Dunkerque par le cit. Hochard , a emmené a
Furhsund un bâtiment anglais à trois mâts , venant de Pétersbourg
, chargé de planches et de fer .
Un corsaire de Bayonne , commandé par le cit. Dihyns ,
a fait une prise chargée de sardines , qu'il a envoyée à
Rochefort. Il paraît qu'il en a expédié une seconde pour
l'Espagne , richement chargée .
Le corsaire les Amis , de Bordeaux , capitaine Patrouilleaud
, a pris et conduit à la Rochelle le senaut anglais
le James Williams . capitaine Cornelius Dewar , allant de
Lisbonne à Cork , chargé de 620 balies de coton .
•
Le ministre de la marine apprend , dans le moment
par des lettres officielles de Brest , que l'escadre de Toulon
y est entrée le g de ce mois .
Des nouvelles fâcheuses se répandent en ce moment sur le
mauvais succès de l'expédition de Brest . On assure que l'avant-
garde de notre escadre , aux ordres du contre -amiral
Bouvet , vient de rentrer dans ce port. Elle a été , dit - on ,
séparée du reste de la flotte , par la tempête , peu de jours
après sa sortie ; cette division s'est rendue néanmoins sur les
côtes d'Irlande. Le général Grouchy , qui commandait les
troupes de débarquement , a voulu l'effectuer. Mais après
quelques débats avec le contre-amiral Bouvet , un coup de
vent a forcé la division à prendre le large . On ne sait point
encore ce qu'est devenu le reste de la flotte ; ce qui occa
sionne les plus vives inquiétudes . Nous desirons , avec tous
les bons citoyens , que cette nouvelle soit fausse , ou exagé
rée . Les ennemis du gouvernement , si elle est malheureusemert
vraie , vont avoir un beau texte pour leurs odieusess
déclamations . Ils auraient tenu un autre langage , si le succes
eût couronné l'entreprise , ou plutôt si les vents ne l'eussent
contrariés.
f
( 310 )
Extrait d'une lettre du général Buonaparte , au Directoire exécutif.
Au quartier - général de Milan , le 8 nivôse , an V.
L'armée du général Alvinzi est sur la Brenta et dans le
Tyrol ; l'armée de la République est le long de l'Adige
et occupe la ligne de Montebaldo , Corona , Rivoli . Nous
avons une avant-garde en avant de Véronne , et une autre
en avant de Porto - Legnago.
Mantoue est cernée avec le plus grand soin ; d'après
une lettre de l'empereur à Wurmser , qui a été interceptée ,
cette place doit être à toute extrémité : la garnison ne se
nouriit que de viande de cheval .
Je vous le répete avec une vive satisfaction , la République
n'a point d'armée qui desire , plus que celle d'Italie
, le maintien de la constitution sacrée de 1795 , seul
refuge de la liberté et du Peuple Français . L'on hait ici et
l'on est prêt à combattre les nouveaux révolutionnaires
quel que soit leur but. Plus de révolution , c'est l'espoir
le plus cher du soldat. Il ne demande pas la paix qu'il
desire intérieurement , parce qu'il sait que c'est le seul moyen
de ne la pas obtenir , et que ceux qui ne la desirent pas ,
F'appellent bien haut pour qu'elle n'arrive point ; mais il
se prépare à de nouvelles batailles pour la conquérir plus
sûrement. Signé , BUONAPARTE .
Extrait d'une lettre du général Buonaparte , au Directoire exécutif.
Au quartier-général de Bergame , le 5 nivôse , an V.
J
Citoyens directeurs , les Vénitiens ayant accablé de soins.
l'armée du général Alvinzi , j'ai cru devoir prendre de nou
velles précautions , celle de m'emparer du château de Bergame
, qui domine la ville de ce nom , afin dempêcher
les partisans ennemis de venir gêner nos communications
de l'Adda à l'Adige. Cette province de l'état de Venise est
mal intentionnée à notre égard . Il y avait dans la ville de
Bergame un comité chargé de répandre les nouvelles les plus
ridicules sur le compte de l'armée ; c'est sur le territoire de
cette province qu'on a le plus assassiné de nos soldats ,
c'est de là que l'on favorisait la désertion des prisonniers autrichiens
. Quoique l'occupation de la citadelle de Bergame ne
soit pas une opération militaire , il n'en a pas moins fallu du
talent et de la fermeté pour l'obtenir. Le général Baragueyd'Hilliers
que j'en avais chargé , s'est , dans cette occasion $
parfaitement conduit. Je vais lui donner le commandement
d'une brigade , et j'espere qu'aux premieres affaires , il
méritera , sur le champ de bataille le grade de général de
division . Signé , BUONAPARTE .
LENOIR-LAROCHE , Rédacteur.
et
144. 135 .
No. 12 .
MERCURE FRANÇAIS .
DECADI 30 NIVÔSE , l'an cinquieme de la République.
(Jeudi 19 janvier 1797 , vieux style. )
Explication du Logogriphe du No. 11.
Le mot est Menteur ; on y trouve rente , mur , meule et ruë?
mue , meure , terme , tenure , terne , menuet , neutre.
LITTÉRATURE ÉTRANGERE,
蒙
Stockholm . Mémoires de l'Académie royale des Sciences.
tom. XVI ; pour l'année 1795 .
Les mémoires compris sous le titre de mathématiques
et histoire naturelle générale , sont : 1º , celui
de Gustave - Adolphe Leijonmack , sur la maniere
de trouver les fracteurs quarrés et cubiques , dans
les équations du cinquieme degré ; 2º . celui de Clas
Bierkander , qui donne la description d'une nouvelle
espece de papillon de nuit , phalana tinea ekebladella
; 3. celui de Pierre Osbuck , sur une maiche
particuliere des nuages , observée le 4 septemb
1793 , dans la paroisse de Hafslofs .
Erik Acharius et Jean-Pierre Westring ont enrichi
la partie du recueil , relative à la botanique , de recherches
curieuses sur les diverses especes de lychens .
Acharius a fait des additions et des corrections im-
Tome XXVI, X
( 322 )
portantes à ses précédens travaux sur ce sujet. Mais
Westring , en rendant compte de ses expériences sur
la nature et l'usage des couleurs que fournissent
certains lychens , notamment les coriacés , paraît avoir
oublié , ou peut être n'avoir pas connu les mémoires
couronnés en 1786 par l'académie des sciences ,
belles - lettres et arts de Lyon , sur l'utilité des lychens
dans la médecine et dans les arts .
Les ouvrages ci- dessus forment la premiere partie
de ces mémoires .
Dans la seconde , on ne trouve qu'un seul mémoire
qui la remplit en entier : il est intitulé , Expériences
sur la résistance qu'éprouve le mouvement des corps
plongés verticalement dans l'eau : par Frédéric- Henri
de Chapman , vice-amiral. Ces expériences ont été
faites durant les mois de juin , juillet et août 1794 ,
dans un bassin de soixante-huit pieds delongueur , sur
quinze de largeur et quatre de profondeur. Elles ont
fourni immédiatement et sans hypothese , le rapport
direct entre la pression des corps relativement à leur
volume , à leur forme , à leur poids , à la somme de
leur mouvement , et la résistance que leur oppose
la cohésion de l'eau . L'auteur en déduit une formule
géométrique générale , avec une table de différences
appropriées aux diverses formes et proportions dest
corps.
1.
Au commencement de ce siecle , Pierre Wieder-"
leiner construisit à Ostende une frégate qui marchait
extraordinairement bien , et dont le vice -amiral Chapman
avait déja donné la description dans son ouvrage
sur l'Architecture navale il vient d'en examiner
de nouveau le dessin ; il l'a trouvé conforme en tout
:
( 323 )
à ce que ses expériences indiquent pour la meilleure
construction des vaisseaux . C'est une autre expérience
plus en grand , dont la théorie tire beaucoup
de poids et de solidité .
Padoue. Saggi scientifii e letterarii d'ell' academia
Padova , tom. III ; 1794 ,
UNI partie considérable de ces mémoires est consacrée
à des objets de mathématiques et de physique
générale , dont beaucoup d'hommes de talent
s'occupent , avec un zele particulier , en Italie , et
sur lesquels on leur doit d'importantes découvertes
et beaucoup de recherches précieuses .
Jean-Baptiste Mazari décrit un orage qui eut lieu
dans le district de Castel - Franco , territoire de Trivigi,
le 27 avril 1786. Cet orage , remarquable par plusieurs
phénomenes singuliers , et par les désastres qui
l'accompagnerent , a déterminé le magistrat de santé
à faire placer des para-tonnerre sur tous les clochers
de ce district ; et bientôt l'ordre s'est étendu à toutes
les provinces de l'état de Venise . Voilà donc une
partie assez considérable de l'Italie jouissant des
fruits d'une découverte qui n'avait paru d'abord
qu'un objet de théorie purement curieux .
A
Joseph Toaldo a joint à ce 1er . mémoire , des détails
sur la mort ou le retour à la vie des personnes frappées
de la foudre . Ses remarques astronomiques sont
en quelque sorte confondues avec celles de Vincent
Chiminelli . Ils paraissent avoir fait en commun leurs
observations sur les taches de la lune et sur les va-
X 2
( 324 )
iations météorologiques de l'atmosphere . Mais Chiminelli
donne en particulier quelques vues sur la
théorie de la planette d'Herscheld , et Toaldo , un
essai en latin sur la thaleur de plusieurs endroits de
l'Italie .
Le mémoire de Simon Stratico , sur les embouchures
des rivieres , contient beaucoup de faits bien
choisis , et quelques rapprochemens curieux . -
3
La physiologie , la pathologie , l'anatomie , la zoologie
, la botanique , la chymie et la minéralogie ont
fourni beaucoup d'articles intéressans . De ce nombre
sont les observations microscopiques de Cadlani sur
la forme des particules rouges du sang. Il les a faites
avec l'instrument décrit par Lupieri de Vicence .
Comme Torre , il a remarqué dans ces particules une
espece d'anneau , avec un point transparent dans le
milieu ; mais il prouve , par une suite d'expériences
bien faites , que c'est une pure illusion d'optique ,
laquelle du reste est absolument inévitable dans
l'emploi des verres qui grossissent considérablement.
Caldani rapporte encore , à la même cause , ces petits
trous que Herwson dit avoir observés dans les
globules du sang.
Un sujet bien important dans l'histoire des corps
organisés , est la formation et la reproduction des
boutures , soit dans les plantes , soit dans les animaux
. Alexandre Calza l'a traité d'une maniere piquante
, quoique les découvertes faites depuis l'époque
où il écrivait , fassent aujourd'hui desirer plusieurs
choses dans son ouvrage .
On trouve dans un petit mémoire de Fiorati , la
description du coeur d'un homme mort subitement :
( 325 )
1 l'observation est assez remarquable . Non- seulement
ce coeur présentait trois arteres coronaires , mais à
la partie supérieure de la crosse de l'aorte , il y avait
deux trous qui communiquaient dans une cavité par
ticuliere , et une fente à la substance même du coeur ,
par laquelle le sang s'était épánché dans le péricarde .
Des figures exécutées avec soin font entendre plus
clairement cette extraordinaire conformation .
:
Les observations lithologiques de l'abbé Fortis ,
sur les isles deVentotienne et de Ponza , ne doivent pas
être passées sous silence. Il les a faites sur les lieux
même elles ne se bornent point aux pierres que
le sol de ces deux isles contient ; elles s'étendent à
tous les objets de physique , aux antiquités , aux
moeurs , aux maladies , à l'agriculture . Ce sól , comme
celui de la petite isle Saint-Étienne , porte l'empreinte
évidente de son origine volcanique . A l'endroit
appellé Cala d'elle Carozze , dans cette derniere isle ,
on trouve de la très-belle pierre ponce. Dans l'isle
Ponza , sont les bains dits de Pilate ; et c'est de leurs
fours à chaux que viennent ces gros morceaux de
verre noir et bleu qui se rencontrent par-tout dans
la Lombardie vénitienne . A Fariglioni della Madona,
lieu situé dans l'isle de Ponza , la lave' est coulée en
colonnes. L'auteur conjecture que cette lave a été
d'abord réduite en poussiere , et vomie dans cet état ;
mais qu'ensuite l'action du volcan l'a fondue une
seconde fois . Il s'étonne que l'hypothese de la formation
des basaltés sous les eaux , ait encore des
défenseurs .
X S
( 326 )
2
Sienne . Atti dell' Academia delle scienze di Siena , detta
de' fisico - critici. Tom. VII . pour 1794.
41
}
L'abbé Léonard Ximenès , Stanislas Canovai , Urbans
Lampredi , Jérôme Saladini , Dominique Bartoloni
et Vincent Brunacci ont fourni à ce recueil
tout ce qui regarde les mathématiques et la physique
générale . Le mémoire de Ximenès sur les
changemens que peut éprouver la marche des eaux
dans un fleuve dont le lit reçoit des corps étran
gers de divers volumes , et qui se fixeut au sol , paraît
en quelque sorte épuiser toutes les suppositions
possibles sur cet objet . Canovai a fait des recherches
, tout- à- la-fois d'érudition et de physique , sur la
fabrication des tuiles creuses . On sait que les Italiens
se servent beaucoup de cette espece de tuiles
dans leurs bâtimens , et sur-tout dans la construction
de leurs voûtes . Elle était en usage chez les
anciens . L'auteur en trouve des traces dans Strabon ,
dans Pline et dans Vitruve . Le commentaire de
Perotti , qui vivait dans le 16. siecle , lui fournit
l'occasion de faire , dans les manuscrits de ces deux
derniers , un changement auquel il paraît attacher
assez d'importance . Au lieu de Pitane , qui est le
nom de ces tuiles , il lit Pitacna ; et il dérive ce
dernier mot du grec to qui signifie proprement
un baril. Quoi qu'il en soit , l'ouvrage de Canovai
est savant et intéressant.
F
Le mémoire d'Urbano Lampredi , professeur de
wathématiques et de philosophie au collège de
Sienne, a pour objet une nouvelle espece de conchoïdes
oniques. Il est suivi de celui de Saladini , dont le
I
( 327 )
titre est de meridionali gravium libere descendentium
declinatione ; c'est - à - dire , de la déclinaison méridionale
des graves dont la chûte ne rencontre aucun obstacle.
Ce mémoire est le résultat de beaucoup d'expériences
ramenées au calcul .
La description détaillée que donne Bartoloni d'un
orage terrible , dans lequel la foudre tomba sur une
chapelle garnie d'un para - tonnerre , sans y causer
le moindre dégât , confirme de plus en plus l'utilitề
de cette belle invention .
- tout un
Mais la chymie , l'histoire naturelle et l'économie
rurale , sont les parties les plus riches du recueil .
Le professeur Battini , dans plusieurs mémoires trèsdétaillés
, a voulu traiter à fond l'analyse des eaux
minérales ; et comme il s'occupait particulierement
des eaux sulphureuses , il a cherché sur
moyen simple , facile et sûr de constater la présence
du gaz hépatique ( ou gaz hydrogene sulphuré ,
suivant la nouvelle, nomenclature ) . Ce gaz se trouve
en abondance dans les marais de Travalle , dans
les bains de Rapolano , d'Armajolo , de Chianciano ,
et dans plusieurs autres sources des environs . Pendant
les chaleurs de l'été , leurs exhalaisons devien
nent fort dangereuses ; et le danger est en raison
directe de la chaleur. D'après des essais faits avec
soin , Battini trouve que le gaz hépatique n'y est
pas seulement mélangé de gaz inflammable ( 1 ) , mais
aussi d'acide aërien , ou gaz acide carbonique : ce
dernier s'y rencontre même en si grande abondance ,
qu'il en détruit l'inflammabilité ; et les croûtes sulphureuses
qui se forment à Rapolano et Armajolo ,
( 1 ) Sans la théorie des Français , il en est la bâse.
1 X 4
( 328 )
le fournissent directement et dans un état libre.
Parmi les acides simples qui peuvent servir à la
précipitation des eaux sulphureuses , Battini met en
premiere ligne , l'esprit de soufre et l'esprit de nitre
fumant , lesquels fournissent , selon lui , le moyen
le plus sûr pour cette opération . La dissolution
d'argent et les autres acides en général ne font pas
toujours reconnaître la présence du foye de soufre,
Le même chymiste a fait une analyse très-exacte
des eaux chaudes de Montalceto et de celles de
Steagnès Chianciano ; il déduit leurs vertus médicales
et de cette analyse , et de l'expérience .
Dans la Romagne toscane , le sol brûle en différens
endroits , notamment à Portico. L'abbé Soldani
prouve que les feux y sont entretenus par le petrole
dont la terre se trouve baignée jusqu'à de grandes
profondeurs. Léandre Alberti avait déja fait l'histoire
de ces foyers souterreins en 1550. Celui de
Pietramala est plus généralement connu : la flamme
s'en fait remarquer même en plein jour. Tassinari
a joint quelques observations sur le même sujet à
celles de Soldani : il donne en même - tems des dé ,
tails curieux sur l'air inflammable qui s'éleve des
bains de Bagno .
Les expériences de Marabelli sur les différens états
de l'urine dans plusieurs maladies courantes méritent
aussi d'être connues . Elles confirment , à beaucoup
d'égards , les regles établies par les anciens
sur la nature du dépôt de l'urine , dans les fievres
intermittentes et dyssenteriques , et sur la maniere
d'y reconnaître la présence de la bile , dans les cas
de jaunisses invétérées . L'urine , dans les fievres in(
329 )
termittentes et dyssenteriques , a fourni constamment
un dépôt briqueté ; elle précipite la dissolution d'argent
en rose . Celle des ictériques a toujours teint le
linge en jaune ; et cette couleur se dissout de nouveau
dans l'esprit de vin. Marabelli prétend que le
sédiment briqueté n'est que de la bile ; il y trouve le
plus grand rapport avec les concrétions pierreuses
qui se forment sur les articulations dans la goutte
chronique . L'esprit de vin retire aussi de ces concrétions,
une couleur rougeâtre .
1
Ser. Volta a fait et consigné dans un mémoire
très-savant des recherches sur l'origine , la disposi
tion interne et les révolutions de la montagne de
Baldo près Véronne. Il en décrit les fossiles , d'après
la méthode de Wallerius et de Cronsted . Son opinion
est que les montagnes calcaires , de la même
nature que celle de Baldo , sont plus anciennes que
celles de granit. Il n'a trouvé de débris d'animaux
marins , que dans les couches supérieures , et nul vestige
n'indique que le feu ait eu quelque part à la
formation de la montagne. La vallée delle Rive contient
beaucoup de charbon de terre . La terre verte
de Véronne doit sa couleur à la présence du cuivre .
Toti donne quelques observations sur une araignée
vénimeuse , dont , selon lui , la morsure produit des
accidens assez graves. Il paraît qu'elle n'est dange
reuse qu'en été . L'auteur rapporte l'histoire de plusieurs
personnes mordues par cette araignée , et de
grand nombre d'essais faits sur des animaux , qui
semblent prouver en effet que cette morsure peut
devenir mortelle .
Différens mémoires de Bartolini sur la culture de
( 330 )
la garance , du ricin , du saffranum , de la rhubarbe ,
du cornouiller sauvage et de l'euphorbium lathyris ,
présentent plusieurs objets d'utilité pour la médecine
, le commerce et les arts. Le ricin et l'euphorbium
lathyris peuvent fournir des huiles abondantes
et faciles à conserver ; la teinture que la garance et
le saffranum ou carthame donnent en Italie , est de la
plus grande beauté ; et la rhubarbe qu'on y cultive
avec soin , ne differe point de celle de Chine pour
la couleur , l'odeur , le goût et les vertus médicales .
VOYAGE.
Fin dn second Voyage dans l'intérieur de l'Afrique, par le cap
de Bonne- Espérance , dans les années 1783 , 84 et 85 ; par
F. LEVAILLANT, Trois volumes in-8° , A Paris , chez
H. J. JANSEN et compagnie , imprimeurs , place du
Musæum . An IV. de la République.
APRÈS
14 PRÈS avoir gagné la rive nord de la grande
riviere ) , la caravanne se trouva dans le pays des
grands Namaquois , et ce qui sans doute était bien
plus intéressant pour Levaillant , dans le pays des giraffes
, dont la chasse était l'objet principal de son
voyage. Après plusieurs tentatives inutiles , il eut le
bonheur de tuer enfin un de ces animaux , que leur
caractere eutrêmement sauvage et leur grande vîtesse
rendent très-difficile d'approcher ; il a depuis transporté
sa peau , bien conservée , en France ; et l'on
l'on nous assure que le gouvernement avait voulu
l'acheter de lui , avant que la giraffe des Pays - Bas dût
venir à Paris.
P
( 331 ) !
Son ravissement fut extrême après cette expédition.
Dans son ivresse , il n'entendait pas les cris de douleur
que poussait un de ses Hottentots qui s'était
blessé en courant ; et il lui fallut quelques heures
pour se rasseoir. Il décrit tout cela d'une maniere
naïve et comique .
L'animal n'avait pas moins de quinze pieds de hauteur.
Levaillant combat l'opinion commune des naturalistes
qui donne à la giraffe des pieds de derriere
plus courts que ceux de devant ; il affirme que
c'est une erreur ; et il établit qu'à cet égard , les autres
quadrupedes présentent les mêmes variétés que celui-
ci car suivant son opinion , il y en a d'assez
grandes , non-seulement entre les divers animaux ,
mais encore entre ceux de la même espece ; et par
exemple , ajoute- t-il , personne n'ignore que les jumens
sont plus basses du devant , que les chevaux
entiers .
Ce fut ici , c'est- à- dire sur les bords de la grande
riviere , que l'auteur changea le plan de son voyage..
Dans l'impossibilité de traîner avec lui toute sa caravanne
, et principalement ses charriots , il prit, le
parti de laisser ces derniers , avec la moitié de son
monde , sous la surveillance de Swanepoel , dans le
camp où il s'était établi : suivi du reste de ses compagnons
, il poursuit sa route , avec ses boeufs de
transport seulement.
Swanepoel et sa troupe avaient reçu l'ordre de
l'attendre quatre ou cinq mois : ainsi , le projet de
traverser toute l'Afrique était déja considérablement
ébranlé.
Notre auteur marchait toujours au nord vers la
7
( 332 )
riviere des Lions. La chaleur était insupportable .
L'herbe des Boschjesmans ( 1) , qui n'est pas des meilleures
, et à laquelle les bêtes étaient réduites depuis
quelque tems , ne se montrait que par intervalles ;
encore ne la rencontrait -on qu'éparse çà et là , croissant
comme au hasard , sans former de véritables
prairies . Mais bientôt le pays changea de face . Après
quatre jours de route , on atteignit un endroit dont
la fraîcheur et les ombres réjouirent nos voyageurs
harrassés. On ne voyait de toutes parts que vertes
prairies , clairs ruisseaux ; et dans le lointain , des
troupes de gazelles , de giraffes , et d'autres animaux
encore inconnus .
Une horde de grands Namaquois vint au- devant
de notre voyageur. Les hommes étaient tous d'environ
cinq pieds de haut : leur physionomie avait une
expression froide et phlegmatique. Ce caractere ne
se montre pas seulement dans tous les mouvemens
de leur corps , mais aussi dans leur maniere de parler.
Quand on leur fait une question , ils ne répondent
jamais sur- le-champ : ils réfléchissent d'abord ; et ils
parlent ensuite avec beaucoup de poids et dẹ tranquillité
. On ne retrouve pas chez les femmes la plus
légere trace de ce calme et de cette réserve : elles
sont au contraire les plus grandes bavardės , les plus
grandes rieuses , et font des avances à presque tout
homme indistinctement. Ce dernier point cependant
n'est vrai que pour les filles ; les femmes mariées ont
· ( 1 ) Cette herbe est une espece de gramen à racines courtes
et faibles . Ses graines servent souvent de nourriture aux
Boschjesmans ; c'est de là qu'elle tire son nom.
H
( 333 )
au contraire beaucoup de retenue . Ces peuples montraient
une grande passion pour le tabac à fumer.
Levaillant ayant rempli la pipe de leur chef, celui- ci
la fit circuler dans toute la horde , et ceux qui ne
pouvaient fumer eux-mêmes , respiraient du moins la
fumée qui s'exhaleit dans l'air.
Après cette rencontre , la caravanne se dirigea vers
l'est , à travers une vaste plaine stérile , que ceignent
de hautes montagnes . De leur pied , sortent beaucoup
de fontaines et de ruisseaux : les buffles et les éléphans
qui les peuplent y marchent en troupes , et
ils paraissent si peu craintifs et si peu réservés , qu'on
peut juger qu'ils ne connaissent pas encore les
hommes.
# Levaillant rencontra bientôt une seconde horde
fort nombreuse de grands Namaquois : ils ignoraient
absolument l'effet des armes à feu on peut imagi
ner quel fut leur étonnement en voyant tirer un coup
de fusil . Mais ce qui les étonna bien plus encore ,
ce fut la lunette d'approche de Levaillant , au moyen
de laquelle il fit voir à l'un d'eux leur kraal , comme
s'il avait été au bout de l'instrument . allen fut-du
bon Hottentot comme de l'aveugle-né qui tout-àcoup
acquit la faculté de voir , sous l'aiguille à cataracte
de Cheseldew : il cherchait de la main sa hutte
au devant du verre , et il ne doutait pas que l'étranger
n'eût l'art de l'y transporter par sortilege . Du
reste , ils aimaient beaucoup la parure , et les femmes
étaient chargées de verroteries , qu'ils achetent des
hordes voisines , et qui , suivant l'opinion de Levaillant
, viennent des établissemens portugais dans le
Mozambique.
i
( 334 )
:
De là tournant au nord -ouest , il se rend chez les
Koraquois . Une de leurs hordes ayant appris la nouvelle
de son arrivée , vient au- devant de lui ; car plus
on s'éloigne de la colonie pour s'enfoncer dans l'intérieur
des terres , et plus le caractere des Sauvages
est ouvert et confiant , du moins à ce que Levaillant
assure . La horde avait perdu son chef , et de grands
débats s'étaient élevés sur le choix de son successeur.
On confia cet emploi , l'on ne conçoit pas trop
comment , à notre voyageur , qui le refusa , comme
de raison , et le fit passer à l'un d'entre eux . L'installation
du nouveau chef se fit avec beaucoup de solemnité
.
Pendant son séjour dans cette horde , Levaillant ,
toujours occupé de sa passion favorite , entreprit une
grande chasse , qui fut arrangée à la maniere du pays.
On le plaça dans un endroit de passage avec Haripa
le nouveau chef, dont les gens faisaient la battue , en
rabattant le gibier vers ce point . En peu de tems
on vit s'élever sur les montagnes voisines un tourbillon
de poussiere ; et le défilé fut rempli pendant
plus de trois quarts d'heures d'une longue file de
gazelles ( 1 ) qui se pressaient en foule à son embou-
I
( 1 ) Ces gazelles ( spring - bock ou pronck-bock ) ont la faculté
de blanchir leur croupe en sautant , c'est- à -dire , que
de rousse qu'elle est dans l'état paturel , elle devient tout - àcoup
d'un blanc de neige . Cet éffet est produit par certaines
fibres musculaires , placées dans le tissu même de la peau , et
que l'animal gouverne à son gré. Leur action replie latéralement
les poils supérieurs qui sont roux , et ne laisse redresque
les inférieurs qui sont blancs .
sés
( 335 )
chure. On en tua sans peine autant qu'on voulut.
14
Après avoir vu le pays des Koraquois , Levaillant,
voulut aller voir celui des Houzouanas. Tout , sans
aucune exception , tremblait au nom de ces guerriers
, dont la supériorité était généralement reconnue
. Ce fut dans ce voyage , et sous le 25. degré
de latitude sud , que l'auteur 'vit pour la premiere
fois le kwegga ou l'âne blanc, comme il avait vu, pour
la premiere fois aussi , la giraffe sous le vingt- huitieme
. On a cru que le kwegga n'était qu'un mulet
engendré par le mélange du cheval sauvage et du
zebre ; mais Levaillant pense que c'est une espece
particuliere ; il ajoute que le mélange des diverses
especes d'animaux est un effet de leur esclavage , et
que dans l'état de liberté , suivant avec plus de force
et de rectitude les impulsions de l'instinct , ils ne
s'allient jamais aux races étrangeres. Cette derniere
assertion ne paraît guere pouvoir être admise , du
moins dans toute son étendue et dans toute sa
rigueur.
71+
Vers le même tems , Levaillant tua un rhinocéros.
On avait apperçu deux de ces bêtes monstrueuses
dans une plaine éloignée . Un des Hottentots se traîna
tout autour sur le ventre, pour en approcher : il vint à
bout de tirer le plus gros qui avait deux cornes , comme
généralement tous les individus de cette espece , dans
la partie sud de l'Afrique . L'animal fut achevé par
Levaillant et deux autres chasseurs qui le viserent et
lâcherent leur coup tous les trois en même tems . Sa
hauteur était de sept pieds six pouces ; sa longueur,"
d'onze pieds six pouces.
Au milieu de ces deserts , et sur le bord de la
( 336 )
Tiviere des Poissons , l'auteur vit un lys de sept pieds
de haut qui répandait au loin son doux parfum ( 1) .
Il acheta dans une horde de Kabobiquois un boeuf
de guerre , dont ces peuples se servent dans les
combats , comme on le sait déja par les récits de
Kolbe (2).
*
Plus il approchait des Houzouanas , et plus ses
compagnons sentaient redoubler leur frayeur. Ils ne
le suivaient plus que par nécessité , et parce qu'ils
ne pouvaient revenir seuls sur leurs pas . En même
tems , toutes les difficultés se multipliaient . A mesure
qu'on approchait du tropique , le terrein et les eaux
devenaient de plus en plus salés . On sait que la
nature a placé dans la partie du nord de l'Afrique
correspondante, d'immenses magasins de sel fossile ;
et c'est une remarque singuliere de Levaillant , qu'on
trouve la plus parfaite analogie entre les deux mcitiés
nord et sud de cette grande portion du globe ,
en prenant l'équateur pour point de départ commun ,
1
( 1 ) Le bulbe , avait treize pouces de diametre. L'auteur ,
après l'avoir enlevé soigneusement , avait trouvé le moyen
de le conserver ; il se proposait de le déposer au jardin
des Plantes de Paris , où sans doute les soins des habiles
botanistes et cultivateurs qui dirigent ce jardin , l'auraient
fait fructifier. Mais toutes les graines recueillies par l'auteur
ont été perdues ; et malheureusement le bulbe en question a
eu le même sort .
3
(2 ) C'est-là qu'il vit un Sauvage à qui , dans une maladie ,
on avait coupé plusieurs doigts de la main, comme on applique
le moxa aux Indes , orientales , et parmi nous le cautere
actuel ou les vessicatoires .
3
2
( 337 )
3 et son éloignement des deux points opposés qu'on
veut comparer , pour la mesure ou la bâse des autres
rapports.
La plaine que la caravanne traversait maintenant ,
était tellement impregnee de sel , qu'il en résulta les
effets les plus extraordinaites. Non - seulement les
saignemens de nez se renouvellaient à chaque instant,
et les levres se déchiraient à chaque fois qu'on ouvrait
la bouche pour prononcer un mot ; mais les
organes de la vue en furent tellement affectés , qu'on
se croyait au milieu d'images fantastiques : les
formes des objets n'étaient plus qu'illusion ; et les
Hottentots ne doutaient point que la troupe ne fût
le jouet de quelque maligne et cruelle sorcellerie.
Cependant on découvre au haut des montagnes
les feux de garde des Houzouanas , dont ils savent
se servir avec beaucoup d'art comme de signaux :
on se rend à leur camp . Levaillant gagna leur confiance
par un petit présent fait à propos ; et dans
les rapports qu'il eut avec eux , il apprit à les connaître
sous des côtés beaucoup plus favorables que
ceux sous lesquels on les lui avait peints. C'est le
peuple le plus actif et le plus industrieux de l'A
frique. Il est vrai qu'il se précipite quelquefois da
haut de ses montagnes , pour exercer des rapines :
mais le besoin l'y force , et il ne devient jamais voleur
que par nécessité . Ces hommes sent d'une petite
taille ; les plus grands n'ont pas plus de cinq
pieds ; mais ils sont d'une agilité singuliere . Leur
tête a le même caractere que celle des Hottentots ;
leurs cheveux sont plus crépus , leur couleur un peu
moins noire , leur nez plus écrasé ; de sorte qu'on
Tome XXVI.
Y
( 338 )
n'y voit gueres que les deux trous des narines . Ils
vont tout nuds , sauf un petit tablier qui couvre les
parties de la génération . Leurs huttes ne sont pas
construites comme celles des Hottentots : elles sont
coupées verticalement par le milieu.
Il est impossible d'avoir une vue plus perçante
et plus parfaite. Aussi sont - ils les meilleurs chasseurs
du monde cependant ils n'ont pour toute arme
que l'arc et la flêche.
La contrée qu'ils habitent est très -vaste : elle commence
du côté de l'ouest , au pays des grands Namaquois
, et se prolonge vers l'est , jusqu'à la Caffrerie.
On ne connaît pas son étendue du sud am
nord.
Plus l'auteur faisait durer son séjour auprès d'eux ,
et plus il avait lieu d'en être satisfait . Ils étaient
aussi fideles que diligens . Il paraît que c'est le peuple
dont on pourrait tirer le plus de secours pour pénétrer
dans l'intérieur de l'Afrique et sans la passion
dominante de Levaillant pour ses collections , l'on
ne voit pas ce qui le forçait à rebrousser ch emin.
Ce : fut cependant le dernier peuple qu'il visita
il touchait alors au tropique du sud . Les Houzouanas
l'accompagnerent jusqu'à son camp , sur la riviere
d'Orange , qu'il ne rejoignit qu'avec beaucoup de
difficultés , après une absence de quatre mois . Pendans
ce tems , le pays avait tellement changé de face
qu'on ne le reconnaissait plus . Tout était couvert
de verdure et de fleurs ; et dans ces mêmes lieux où
l'on n'avait vu auparavant qu'un désert aride , la
nature étalait maintenant tout son luxe et toute sa
fertilité. Notre voyageur trouva ses affaires en bon
( 339 )
état , et le retour au cap se fit sans grandes aventures
.
C'est plutôt , comme on voit , ane analyse qu'un
extrait que nousons cru devoir donner ici . Nos
lecteurs y remarqueront mieux les objets intéressans
qu'ils voudront éclaircir et suivre plus en détail
dans l'ouvrage même. Nous ajouterons seulement
quelques observations générales .
A l'apparition du premier voyage de Levaillant ,
la fidélité de ses récits fut mise en doute ; et tout
ce qu'on disait alors , pourrait s'appliquer à sa seconde
relation. Il faudrait connaître personnelle
ment l'auteur , pour savoir s'il a lui-même écrit ses
voyages , ou s'il est vrai , comme on l'a soutenu ,
qu'un rédacteur étranger les ait tirés , d'un bout à
l'autre , de quelques notes informes fournies par le
voyageur. Mais quoique le style du second ne soit
pas aussi soigné que celui du premier ; et quoique
les défauts particuliers à la maniere de leur auteur ,
s'étant prononcés davantage , il ait cette fois éprouvé
moins d'indulgence de la part du public, il nous paraît
qu'on ne peut gueres douter que les deux ouvrages
ne soient de la même main et nous les prendrons
pour ce que Levaillant les donne , pour les siens
propres , tant que le contraire ne nous sera point
démontré . Au reste , quand on attaque la fidélité
de ses relations , l'on ne prétend pas , sans doute ,
que tout ce qu'il raconte ne soit qu'un tissu de
fables . Tant de personnes qu'il nomme , et qui sont
encore vivantes ; les connaissances réelles qu'il ne
peut avoir acquises que sur les lieux ; la concor- .
dance d'une grande partie de ses récits ate : ceux
Y 2
( 340 )
de plusieurs autres voyageurs , la maniere dont il
combat et réfute ces derniers , enfin. les riches collections
qu'il a rapportées avec lui , sont autant de
témoins de la vérité du fond . La question peut donc
être seulement de savoir s'il race te avec exactitude .
Il est facile de juger que Levaillant est un homme
d'une imagination extrêmement vive ; d'une imagination
qui sans créer les objets , les orne et les embellit.
Les traces de cette tournure particuliere se montrent
à chaque page ; et nous sommes très -persuadés que ses
compagnons ont vu les choses tout autrement que
lui. Nous ne conclurons pas de là qu'il les décrit
autrement qu'il les a vues ; bien au contraire . Il
existe une classe heureuse d'hommes qui ne considerent
jamais les objets extérieurs que du beau côté ,
du côté romanesque , et qui se peignent l'univers
sous les plus riantes , ou du moins sous les plus frappantes
couleurs . Levaillant paraît , à plusieurs égards ,
appartenir à cette classe . On est pourtant forcé de
convenir que plusieurs de ses petites historiettes ( 1 )
ont un peu trop l'air de contes faits à plaisir , et
semblent avoir été arrangées pour les lecteurs pari-
( 1 ) Il raconte qu'il a vu un oiseau et une souris fascinés
par le regard d'un serpent , mourir dans les convulsions . Il
l'a vu ... Nous n'avons rien à répondre ... Un officier l'a
assuré qu'il s'était un jour senti attirer vers des broussailles :
un affreux serpent y était tapi , et ses yeux étincelaient . Mais
l'officier en lui tirant un coup de fusil détruisit le charme ...
On avait attribué la même vertu au serpent à sonnettes. Barton
vient de prouver que tout ce qu'on avait dit là - dessus était
bien peu digne de foi.
( 341 )
*
siens de l'ancien régime . Il fallait flatter leur goût
malade ; il fallait amuser ces enfans ennuyés et dédaigneux
; il fallait les tirer de cet état paralytique de
l'ame , où les tenait plongés la satiété des jouissances .
D'ailleurs , un savant , un philosophe , un homme qui
doit avant tout la vérité , qui la doit pure et sans mélange
, porte tôt ou tard la peine de l'avoir embellie
hors de propos . Si Levaillant avait écrit son premier
voyage du ton grave et simple qui convient à Pinterprête
de la nature , il aurait eu peut- être moins de
succès d'abord ; mais ce succès eût été plus durable :"
à chaque ouvrage nouveau sorti de sa plume on ne
se serait pas mis en gards contre ses récits , comme
contre des fables ; en un mot , ce qui l'a fait réussir
beaucoup la premiere fois, nous paraît être cela même
qui l'a fait tomber la seconde ; et peut- être ses écrits
les plus exacts auront-ils bien de la peine à ne pas¹
se ressentir de cette défavorable prevention .
Les naturalistes peuvent en outre se plaindre de
ce qu'il a passé si rapidement sur les minéraux et les
plantes les matériaux qui forment le sol sont le plus
souvent à peine mentionnés , presque jamais décrits'
avec quelque soin . Et quant aux plantes , l'auteur'
se contente de dire , de tems en tems , qu'il a dessiné
les plus belles . Peut- être même pourra- t- on étendre'
un peu cette plainte à la maniere dont il parle des
quadrupedes , des oiseaux et des insectes qu'il cherchait
et rassemblait avec tant d'ardeur.
Mais les savans qui sont en droit de lui faire le
plus de reproches , sont peut- être les géographes .
Quoique pourvu des instrumens nécessaires pour les
observations , il ne rend jamais compte de celles
Y 3
( 342 )
qu'il a faites une ou deux fois seulement, il en cite,
comme par parenthese , les résultats ; et l'on ne peutgueres
s'empêcher d'avoir quelques doutes touchant
certaines latitudes et certaines élévations du terrein
au-dessus du niveau de la mer , qui paraissent mal
s'accorder avec l'ensemble de son récit.
Quoi qu'il en soit cependant , nous le répétons
avec la reconnaissance du plaisir que nous a fait sa
lecture , cet ouvrage était digne d'un autre accueil : il
est impossible d'en méconnaître le mérite scientifique
et descriptif. Les sciences ont déja recueilli les fruits
précieux des recherches et des travaux de l'auteur ;
car enfin son premier voyage n'était cependant pas
un pur roman. Celui- ci contient des tableaux d'un
grand maître ; et sûrement il enrichira l'histoire naturelle
, et contribuera à perfectionner la description
du globe et des peuples qui le couvrent . L'espace
compris entre le cap et le tropique , dont nous
lui devons la connaissance ( 1 ) , est sans doute une
portion bien peu considérable de l'Afrique mais
cette connaissance fournit de grands moyens pour
parvenir à celle du reste . Quand on marche pru
demment de peuple à peuple , en les gagnant les
uns après les autres par quelques présens , on voit
que les difficultés ne sont pas insurmontables. Le
peu de succès des voyageurs jusqu'à ce jour , tient
évidemment à leur maniere de voyager. C'est une
bien mauvaise pratique que d'entreprendre
courses avec des charriots , et beaucoup de bagage ,
ces
( 1 ) Sparmann et Paterson n'ont pas poussé si loin que
Jai.
( 343 )
:
comme l'ont fait tous ceux dont nous avons les descriptions.
Avec combien plus de facilité Levaillant
ne marchait-il pas lorsqu'il eut laissé là ses attelages .
et se fut contenté de prendre quelques boeufs de
transport pour ses paquets et pourtant son voyage,
même nous apprend encorefque cet animal n'est pas ,
à beaucoup près , le plus convenable pour un pareil
'service. Il ne porte que de faibles fardeaux ; il est
lourd , peu souple , peu susceptible d'éducation , et il
ne peut soutenir long- tems ni la faim , ni la soif. Que
celui qui semble fait exprès pour ce climat et pour ce
genre d'entreprises , que le chameau soit transplanté
de l'Asie et du nord de l'Afrique , dans la colonie du,
cap ( or, c'est une opération bien simple, qu'on peut
attendre facilement de la Hollande républicaine ,
quand elle sera rentrée dans ses possessions ) : alors
toutes les grandes difficultés disparaissent ; et l'on,
ne voit pas ce qui pourrait empêcher un voyageur
entreprenant de pénétrer dans l'intérieur , aussi avant
qu'il en aura le desir. Il paraît que dans la partie
sud de l'Afrique , on ne trouve point ces immenses
déserts sablonneux qui rendent la partie nord si difficile
à parcourir ; et le caractere doux et pacifique ,
des habitans fournirait encore beaucoup d'autres facilités
au voyageur . Peut-être l'âge présent , qui a vu
déja s'exécuter tant de choses extraordinaires , verra-
t-il bientôt s'accomplir le voeu que nous formons ,
peut-être verra-t- il sortir enfin de l'obscurité qui la
couvre , toute cette partie interne de l'Afrique dont
la fécondité s'épuise dans la production des lions et
des tigres , des crocodiles et des serpens.
En terminant cet article sur Levaillant , nous
Y 4
( 344 )
•
devoir annoncer la premiere partie de son
crorelle des
oiseaux
d'Afrique
.
C'est
un
histoire
précieux résultat , et c'est même en quelque sorte
une pièce justificative de ses voyages . Le premier
cahier contient six planches enluminées , et qui , du
côté du dessin et de la gravute , méritent toute l'attention
des amateurs . On y voit représentées six
especes d'aigle , que Levaillant décrit dans le texte ,
sans s'assujettir à la langue des systèmes .
•
# 11945
Le griffard , de la grosseur de notre grand
aigle du aigle - royal , se foge , avec sa compagne ,
sur le sommet des arbres les plus hauts , où dans le
creux des rocs les plus escarpés et les plus inacces ,
sibles . H chasse les petites gazelles et les lièvres . On
le trouve principalement dans le pays des grands
Namaquois . Il se distingue par la huppe courte et
cependant tombante . qui lui couvre le dertiere de
la tête par les plumes de sa queue , qui sont d'une
égale longueur , et par ses pattes bottées ou garnies
d'un épais duvet jusqu'aux ongles .
go. Le huppart , de la grosseur du buzard , d'ailleurs
semblable au précédent , même par sa huppe
qui devient plus remarquable à cause du moindre
volume de l'oiseau , et parce qu'elle est un peu plus
longue et d'un brun plus sombre. Il se tient dans
le pays des Caffres et dans celui des Hauténiquois :
il vit de lievres et d'autres oiseaux plus faibles
lui..
que
30. Le blanchard , ainsi hommé de la couleur dominante
de la plus grande partie de son plumage.
Il a aussi une huppe , mais eburte . Sa demeure la
plus ordinaire est dans les bois . H se nourrit de ga(
345 )
zelles , de ramiers et d'autres especes de petits qua
drupedes ou oiseaux : Son vol est plus léger et plus
prompt que celui des autres aigles ; il est plus pêtiè
qu'eux ; mais sa queue est plus longue .
14. Le vocifer il est blanc antérieurement et sur
le côté inférieur, de la queue , relevée en cercle ;
est roux sur tous les autres endroits . Ses cris sont
perçans et continuels . Il se tient aux embouchures
des rivieres , principalement sur la côte occidentale
de l'Afrique , et vit de poissons .
D
5. Le blagre il paraît se rapporter au balbusard
des Français , que Buffon ne regarde pas comme
une espece , mais comme un accident . Il est blanc
antérieurement et supérieurement ; presque par tāus
d'ailleurs , d'un gros brun.
6°. Le caffre : c'est l'intermédiaire entre l'aigle et
le vautour. Il a la tête emplumée de l'un , les ongles
et le bec de l'autre . Sa grosseur est celle de notre
aigle il est presque entierement noir.
[て]]]
5.1.0
1 21
INSTITUT NATIONAL
DES SCIENCES ET ARTS.
L'INSTITUT NATIONAL a tenu , le 15 nivôse , sa séance
publique. Voici l'ordre des lectures :
C. Monger,
T
19. Notice des travaux de las
III . Classe.
C. Lasepede, Prony, 2. Notice des travaux de la
Tere. Classe .
( 346 )
C. Taleyran-Périgord. 3° . Notice des travaux de la
C. Seguin.
C.Laromiguiere .
C. Desfontaines.
C. Lebrun.
C. Sélis .
C. Dupont.
C. Fontanes.
C. Langlès.
C. Andrieux,
II . Classe.
Mémoire sur le tannage des
cuirs.
50. Mémoire sur les opérations
de l'entendement humain , ou
de ce qu'on peut entendre par
* le mot idées.
60. Mémoire sur la culture des
épiceries à la Guyane française .
7º . L'Épisode d'Aristée .
8°. Notions sur l'Éloquence. ,
9. De la sociabilité et de la morale
des chiens , des renards et
des loups.
100. Fragment du poëme de la
Grece sauvée.
105012
11. Traductions
orientaux .
d'écrivains
12º. Premier acte de la tragédie
de Junius Brutus.
Notice des travaux de la classe de littérature et beauxarts
, pendant le premier trimestre de l'an Y.
LE ministre de l'intérieur avait fait l'an passé un
appel aux artistes , et les avait invités à présenter
des projets d'embellissement pour les principales
places de cette vaste commune. Les projets mis au
concours ont été exposés dans la salle du Laocoon.
( 347 )
Au commencement de cette année , le ministre a invité
la classe de littérature et beaux-arts à juger ce
concours ; et il a adopté ses décisions . Aucun des
projets n'a paru digne d'être exécuté ; mais plusieurs
ont mérité des encouragemens . Leurs auteurs sont
les cit. Balzac , Faivre , Stouf, Dardel , le Vasseur ,
le Mercier et Tardieu ..
Associé de la classe de littérature , le cit . Guys a
envoyé , d'Itharque , où le retient son amour pour
la Grece , l'éloge historique de l'Anglais Sibthorp.
Ce botaniste a employé plusieurs années à recueillir
les plantes de la Grece . Son travail répandra un
grand jour sur les écrivains de cette belle contrée ,
écrivains dont les longs travaux du cit . Guys semblent
l'avoir rendu comtemporain.
1
ཨ་ར
Chargé de rendre un compte verbal de la traduction
de l'Hermès d'Harris , à la classe à laquelle le
cit . Thurot l'avait adressée , le cit . Sicard en a composé
un extrait raisonné et étendu . Il a lutté avec
avantage contre le grammairien anglais , l'a réfuté
souvent , et l'a toujours éclairci .
Voué par goût et s'il est permis de s'exprimer
ainsi ,, par instinct , à la littérature orientale , le cit.
Langlès extrait chaque jour de cette mine , négligée
trop long - tems , des contes moraux et philosophiques
. Il en lira quelques - uns dans cette séance .
Le cit. François ( de Neufchâteau ) , associé de la
section de poésie , a chanté les Vosges , comme
Haller a célébré les Alpes , et comme Ramond eût
chanté les Pyrénées , si sa brillante imagination se
fût asservie aux lois séveres du mètre et de la rîme.
Il n'est point d'écrivain qui ne soit choqué de la
( 348 )
discordance qui regue entre la langue française écrite
et la même langue prononcée . Les enfans et les
étrangers qu'il faut ranger dans la même classe sous
ce point de vue , éprouvent de grandes difficultés à
classer dans leur mémoire des anomalies si fréquentes.
Après soixante ans de travaux consacrés
à l'enseignement de la grammaire , le cit . Noël de
Wailly veut encore être utile dans ce genre d'étude .
Il desirerait que notre orthographe fût réformée en
partie , et établie sur des principes uniformes , invariables
. Vou de tous les bons esprits mais qui ne
pourrait s'accomplir en entier qu'à l'époque de la
formation d'une langue . Cependant le tems qui dé
truit tout , détruit aussi les incorrections des langues ;
et c'est de lui seul , de son travail continuel , mais
insensible , qu'il faut attendre cette utile réforme .
Pour
la préparer et la diriger , notre grammairien
propose un meilleur usage des accents ; le rappel
de certaines lettres à leur destination primitive ; la
distinction à établir par des signes convenus entre
les consonnes qui s'articulent différemment ; la sur
pression des voyelles et des consonnes qui ne :e
prononcent point dans le corps des mots ; et enfin ,
dans les consonnes doubles qui ne sont prononcées
que simples , la suppression de l'une d'elles .
Le cit . Gossec , qui possede aussi bien l'histoire
de la musique , que la théorie et la pratique de ce
bel art , a fait connaître à la classe un instrument
à vent , de terre cuite , employé par les Chinois , et
connu sous le nom d'hyven . Ils en ont de deux sortes ;
le grand , de la grosseur d'un oeuf d'oie ; et le petit
egal seulement à l'oeuf de la poule . L'hyven donne
( 349 )
J
avec six trous , et avec le son naturel de l'instrument
lorsque les trous sont bouchés , les sept tons plus
l'octave du son grave : ce qui constitue une gamme
entiere et un systême complet. Mais ce n'est là qu'un
extrait du grand systême de musique introduit à la
Chine par Fou-hy , 2737 ans avant l'ère vulgaire , admis
chez les Égyptiens , les, Arabes , et dénaturé par
les Grecs. Ce grand systême guida le législateur
Rameau dans l'établissement de la basse fondamentale
, et reçut sous la plume de Dalembert le plus
grand degré de précision et de clarté.
Nismes possédait entre autres monumens antiques ,
une porte de ville , que l'inscription annonçait avoir
été bâtie par Auguste . De jeunes artistes français
qui voyagent en France et en Espagne , pour la recherche
des antiquités , ont été témoins de la destruction
d'une partie de cette porte , dont on destinait
les matériaux à la construction d'une Poissonnerie.
Ils ont fait connaître cet attentat à la classe , qui
a invité , à faire réparer cet outrage , le ministre de
l'intérieur. La classe attend de son invitation le plus
heureux succès .
Cher à Thalie , le cit . Andrieux a essayé d'obtenir
aussi quelques faveurs de Melpomene . Les auditeurs
vont être les témoins de ses efforts , en l'entendant
réciter le premier acte de sa tragédie de Junius
Brutus.
Ils entendront aussi le cit . Fontanes chanter la
Grece sauvée ; poëme épique , auquel il consacre les
momens de loisir que lui laisse l'enseignement des
belles-lettres et de l'éloquence , afin de joindre les
beaux exemples aux bons préceptes .
( 350 )
Le cit . Sélis a lu des Notions sur la Littérature , et en
particulier sur l'Eloquence . Un extrait de ce mémoire
occupéra une partie de la séance .
Un très - petit nombre d'écrivains ont entrepris de
traduire en vers toute l'Iliade ; le succès n'a pas cou
ronné leurs efforts. Plus heureux ' , parce qu'ils ont
été plus réservés , quelques poëles en ont choisi ,
pour les traduire , des morceaux détachés ; et leur
travail a été loué . Le cit. Villars est de ce nombre.
Il à lu la traduction en vers d'une partie du XVI .
livre , celle où le poëte grec a chanté le combat de
Patrocle contre les Troyens.
Long-tems avant la traduction des Géorgiques du
cit. Delille , le poëte Lebrun avait imité l'Épisode
d'Aristée. Il en avait enrichi son poëme intitulé la
Veillée du Parnasse , qui n'a point été publié . Nous l'er -
tendrons aujourd'hui chanter encore les erreurs du fils
de la belle Cyrene , le sort cruel d'Eurydice , les
regrets tant célebrés de son époux , et la mort tragique
du chantre de la Thrace .
Le cit . Schweighauser , professeur de langues anciennes
à Strasbourg , et associé de l'Institut , prépare
depuis long- tems une édition d'Arrien , qui
comprendra le Manuel d'Epictete , et entre autres
fragmens d'ouvrages philosophiques , une paraphrase
de ceManuel par Simplicius, philosophe qui vivait dans
le 5. siecle , et qui a aussi commenté Aristote . Dans
cette paraphrase , on trouve un passage relatif à Xénophon,
qui est contraire à tout ce que l'antiquité nous a
laissé sur ce grand capitaine . Notre associé , en faisant
dans les anciens manuscrits des recherches.pour
rétablir ce passage , a découvert un fragment pré(
351 )
cieux du texte de Simplicius , qui avait été omis
par tous les autres copistes , et dont l'omission avait
rendu défectueux le passage relatif à Xénophon.
Quoique ce fragment de texte soit un peu long
pour une séance publique , l'intérêt qu'il inspire le
fera sans doute paraître court. Simplicius ayant dit
du véritable sage , du philosophe...... Il est bon
" conseiller d'Etat et même bon général d'armée ,
" s'il s'est appliqué à l'étude de la tactique ......
" ajoute .... C'est ainsi que Xénophon créé général ,
, sauva les dix mille , et les ramena en Grece
‚ à travers de tant de peuples , et d'une distance
" aussi considérable. Le même sera juge integre ,
" ambassadeur habile , et dépositaire fidele de tout
J
ce que l'on confiera à sa garde . Un tel homme
" trouve beaucoup d'emplois à remplir dans un état
bien administré ; mais dans un gouvernement
›› corrompu , il s'abstiendra des affaires publiques.
" Car il n'est point fait pour plaire à de mauvais
citoyens , et il ne peut lui -même se plaire avec
,, eux , ni seconder ceux qui regnent , sans compro
mettre sa probité et son honneur . Alors , ne se
" proposant point des choses impossibles , il se
" transportera , s'il le peut , dans un autre Etat.
" C'est ainsi qu'Epictete , voyant la tyrannie de
,, Domitien , quitta Rome pour se rendre à Nicopolis.
Si la retraite lui est interdite , il se choisira
» un asyle écarté , évitera la foule , bornera tous
ses soins à diriger vers la vertu et ses propres
actions , et celles des hommes sur lesquels il peut
" avoir de l'influence . Nuit et jour , en tout lieu ,
il épiera l'occasion de coopérer , si l'on a besoin
( 354 )
D
39
2 de lui , à quelque bonne action , dans sa famille ,
dans sa société , dans l'Etat. Car plusieurs Etats se
trouvent par leur nature avoir besoin , soit de
conseil , soit de concours actif, soit d'intérêt réel ,
soit de consolation , soit même d'appui dans les
2 dangers auxquels le devoir exige que l'on s'expose
,, dans certaines conjonctures. Si les affaires pren
", nent pour le philosophe un cours prospere , il
rendra grace au ciel d'avoir joui du calme au sein
de la tempête . Mais si , par l'effet de la guerre
éternelle des hommes qui ont abandonné la nature
, contre ceux qui en suivent les principes ; de
la guerre des hommes aveuglés par les passions ,
contre ceux que guide la raison ; les circonstances
deviennent difficiles alors tous ceux qui céderaient
à la peur et abandonneraient les principes ,
prouveraient qu'ils sont faits pour vivre sous un
mauvais gouvernement , et qu'à tort ils affectaient
de s'en plaindre. Mais ceux qui ne voient dans
" ces malheurs qu'une grande école et qui ,
dans ce gymnase , combattent plus volontiers les
adversaires les plus redoutables , qui même ren-
" dent grace de ces épreuves à l'ordonnateur de
" l'univers , ceux - là , dis - je , tels que les vainqueurs
", aux jeux olympiques , obtiendront la couronne ,
", non celle qui est faite d'une branche d'olivier ,
mais celle que méritent la franchise et la ve ta
❞ parfaite .
" Toutefois dans de semblables gouvernemens , où
l'envie se déchaîne ordinairement contre l'homme
qui s'attache aux regles de la nature , il est bon
" de se montrer modéré , de ne point chercher à
primer ,
( 353 )
6
» primer , et sur- tout de ne point se prévaloir des
› dignités ni des avantages extérieurs ; afin que , s'il
" est possible , l'envie se modere également. Ce
" n'est pas , j'en conviens , que la modération elle-
» même ne soit souvent exposée aux plus vives attaa,
ques ; mais il est sage dans ces circonstances de
" s'interdire à l'avance , et tout ce qui peut com-
» promettre vis - à-vis des hommes puissans , et tous
>> les propos peu mesurés . Par ce moyen , s'il arrive
", quelque disgrace , on n'accuse point l'homme juste
,, de l'avoir méritée en réveillant la fureur des
, monstres assoupis , mais on la rejette entierement
sur la rage et la déraison de ceux - ci . D'un autre
" côté , s'il est prudent de les adoucir , je ne veux
point que l'on se dégrade soi -même , en leur
vendant sa liberté , ou en s'enrôlant au nombre
de leurs flatteurs , soit par des actions , soit même
par des paroles . Car celui qui emploie de tels
" moyens , dément ses principes , et renonce au prix
que l'on obtient dans le stade olympique.
27
Tome XXVI.
( 354 )
FORMATION DES LANGUE S.
Origines gauloises , celles des plus anciens Peuples de
l'Europe , puisées dans leur vraie source , ou Recherches
sur la Langue , l'Origine et les Antiquités des Celto-
Bretons de l'Armorique , etc. Par LATOUR- D'Auvergnés
CORRET. Un volume in-8° . A Paris , chez QUILLAU , rue
du Fouare. An V.
La longueur de ce titre nous dispensera de pré-
A
senter le tableau général de cet ouvrage , rempli de
recherches pénibles et curieuses . L'auteur , après
s'être distingué dans l'armée des Pyrénées', a combittu
dans une autre armée . Là il a été fait prisonnier
par les Anglais , et transporté dans la province
de Cornouailles . Il a profité des loisirs que. Mars lui
a laissés pour étudier la langue , des Basques et celle
des Gallois , Anglais voisins de la province de Cornouailles
. Né dans la Basse - Bretagne , le cit. Latourd'Auvergne
a été à même de comparer l'idiôme basbreton
, que le cit. le Brigant assure être la langue
celtique , avec ceux des Basques et des Gallois . Le
résultat de ses recherches l'a conduit à admettre l'identité
pour la langue des Gallois ; mais à la rejetter
pour celle des Basques .
L'auteur détermine d'abord quels ont été les peuples
que les Romains désignaient sous le nom de Gaulois ,
et les contrées qu'ils habitaient . Ce furent , selon lui ,
les Celtes , les Scythes-Européens et Asiatiques , et
( 355 )
les Celto - Scythes. Il traite ensuite de l'origine des
Gaulois , des Druides qui exerçaient chez eux les
fonctions de prêtres , et des Bardes qui animaient par
leurs chants les guerriers au combat. ,
love Après ce chapitre , qui est la véritable introduction
de l'ouvrage , on en trouve un sur les moeurs , les
usages , et la langue des Bretons , et sur leurs rapports
avec ceux des Gaulois et des Scythes. Les dix
autres renferment des recherches sur l'analogie qui
regne entre la langue des Bretons et les débris de
celle des Gaulois , conservés dans César, dans Strabon
et quelques autres écrivains romains.
།
Th
Platon convient que les Grecs , comparés aux
Scythes , étaient un peuple nouveau , et que leur
langue avait beaucoup emprunté de celle des Bar ,
bares . Étayé sur cet aveu , l'auteur cherche à rétrouver
des rapports entre le scytho - breton et le
grec . Il passe de-là en Asie , trouve de semblables
analogies avec l'hébreu . Ensuite , il fait subir le même
examen à la langue allemande , à celle des Irlandais
des Écossais- montagnards . Il est plus heureux pour
la langue vulgaire des Gallois ; en effet , ces insulaires
se servent de mots absolument identiques.
La langue des Bretons lui sert à expliquer les noms
des divinités de la mythologie, ceux des planetes , les
noms de premiere origine des élémens , les dénominations
des nations scythiques répandues en Europe
et en Asie, celles des montagnes , des promontoires
des caps, des rivieres, des fleuves , des villes anciennes
de l'Europe et de l'Asie .
Le chapitre douzieme renferme unes dissertation
historique sur le cheval , appellé , en breton , marc'h,
Z 2
( 356 )
et jadis márka en langue celtique , de l'aveu de Pausanias
Phocic . cap . 19 ) , et sur les noms de maréchal,
de marquis , de margraff , etc.
D'ouvrage est terminé par la lettre A d'un glos
saire polyglotte , ou tableau comparatif de la descendance
des langues. Ce Glossaire , dont l'auteur
promet la suite , présente la comparaison de chaqué
mot breton avec ceux qui lui sont identiques , ou au
moins ressemblans, dans trente-huit langnes, idiômes ,
ou jargons .
Les hommes instruits sont pour la plupart tourmentés
par la manie de généraliser. Cette opération
de l'esprit est très-favorable à la paresse ; car elle dispense
de demeurer en suspens. Or , on sait combien
de réflexion et de travail demande le doute métho
dique. C'est dans cette manie qu'ont pris leur source
les recherches innombrables faites jusqu'à ce jour
pour trouver un premier homme , un premier peuple ,
une premiere langue . Quels fruits solides ose-t- on s'en
promettre ? s'aimera-t- on davantage , lorsqu'on nous
aura démontré que nous sommes tous cousins ? seraron
plus portés à s'obliger les uns les autres , quand
nous serons tous reconnus compatriotes ? aurons- nous
assez de pouvoir pour retrancher toutes les nuances
qui différencient les langues modernes , lorsque nous
les reconnaîtrons pour des germaines ?
La réponse à ces questions ne peut être que négative.
Louons cependant le courage des écrivains
qui entreprennent des travaux si ingrats et si difficiles
. Mais rappellons -leur , 1 ° . qu'il est facile de
trouver des analogies entre les idiômes dans lesquels
abondent les monosyllabes ; 2 ° , que l'abondance des
( 357 )
monosyllabes n'est pas une marque infaillible de l'ant
cienneté des idiômes ; car on en trouve beaucoup
dans les divers idiomes des hommes qui habitent les
isles de la mer du Sud , et dont les émigrations ne
paraissent pas toutes dater d'une même époque , ni
d'une époque aussi ancienne que les émigrations des
Gaulois ; 3º . enfin , que la plupart des étymologies
ne sont fondées que sur des racines monosyllabiques.
Nous savons que le problême se complique , si l'on
exige des rapports directs entre des mots composés
de plus d'une syllabe ; mais dans une recherche où
l'espoir de trouver l'evidence est interdit, on a droit
d'exiger de nombreuses probabilités ,
VARIÉTÉ.
1 50
Lettre au Rédacteur du Mercure , sur le jugement que
Auteur des Soirées Littéraires a porté du Philosophs
Favorin et de J. J. Rousseau. Ta
J'ai lu avec étonnement dans votre Na . xo , le jugement
de l'auteur des Soirées Littéraires sur J. J. Rousseau
comparé avec le philosophe Favorin , auteur
d'un beau discours sur la nécessité où sont les meres
de nourrir leurs enfans , discours dont Aulu - Gelle
nous a conservés les principaux traits , et qui me
paraît aussi remarquable par la force du raisonne
ment que par la délicatesse des pensées. Je ne vois
pas pourquoi l'auteur des Soirées Littéraires , en op .
posant J. J. Rousseau à Favorin , représente celui- ci
somme ayant donné des conseils aux femmes, et J. J.
Z 3
( 358 )
*
Rousseau comme leur ayant donné des ordres . A l'en
croire , les femmes méprisent la sagesse de Favorin ,
et sont ramenées par les injures du philosophe de
Geneve . Peut- on regarder comme injurieuse la mamiere
éloquente dont J. J. Rousseau a tracé aux
femmes le plus important de leurs devoirs ? peut- on
dire que les femmes méprisent la sagesse de Favorin ?
Celles qui sont dignes de ce nom , lisent avec attendrissement
son discours traduit par Querlon dans les
avis aux› meres qui veulent nourrir leurs enfans , par madame
le Rebours , dont la troisieme édition a paru
en 1783 , chez Théophile Barrois . L'abbé de Verteuil
ayant donné en 1776 la traduction complette d'Aulu-
Gelle, ç'a été une nouvelle occasion aux femmes , qui
ne sont pas étrangeres aux lettres , de se pénétrer des
principes de Favorin. M. de Landine a inséré dans
le Conservateur , qu'il publia en 1787 , le discours de
Favorin traduit par l'abbé de Verteuil . Querlon avait
fait paraître sa traduction en 1769 , dans les Affiches.
de Province. Cette publicité n'est- elle pas suffisante
pour faire voir que notre siecle a senti le mérite du
discours de Favorin , et que ce philosophe doit partager
avec J. J. Rousseau la gloire d'avoir ramené leş
femmes au plus doux de leurs devoirs ?
086 Kisaba
›
03
( 359 )
POESIE .
Premier chant d'un poëme intitulé la Veillée du Parnasse .
Qu
Il commence par l'Episode d'Aristée .
UAND Borée aux Zéphirs vient déclarer la guerre ,
Et ramene en grondant les frimats sur la terre ;
Quant la nuit , prolongeant sa course dans les cieux ,
Semble usurper du jour l'empire radieux ,
Il est sur l'Hélicon de charmantes veillées .
Là , sous l'abri secret des grottes reculées ,
Les muses , tour-à-tour , d'un récit enchanteur
Trompent des longues nuits l'importune lenteur,
Une nuit que Phébus , jaloux de les entendre ,
A l'insçu de Thétis , près d'elles vint se rendre ,
La sensible Erato.voulut chanter l'amour ;
Pour la tendre amitié Calliope eut son tour ;
Et la vive Thalie au folâtre sourire ,
Joignit son luth badin à leur touchante lyre ;
Permesse , impatient d'écouter leurs concerts
S'arrête ; et l'Aquilon n'ose troubler les airs .
Mes soeurs, dit Erato , si je romps le silence ,
C'est Amour qui le veut ; tout lui doit la naissance
,
Vous-mêmes lui devez la lumiere des cieux ,
Les Dieux ont fait le monde ; Amour a fait les Dieux .
Parmi vous cependant
sa flamme est condamnée
;
Mais craignez -vous l'Amour conduit par l'hymenée
?
Pour deux tendres époux je demande vos pleurs .
Hélas , peindre l'amour c'est peindre des malheurs
!
Orphée en est la preuve ; et mon récit l'expose.
Mais je dois de ses maux vous retracer la cause .
O mes soeurs ! gardons- nous d'offenser
les amans ;
Il est , il est des Dieux qui vengent leurs tourmens
.
Dans ces riants vallons où le fleuve Penée
Promene entre des fleurs son onde fortunée ,
Poursuivi du destin , un berger demi-Dieu
Avait dit à ces bords un éternel adieu :
Aristée est son nom : loin de ce doux rivage ,
Pleurant ses doux essaims que la parque ravage ,
ر
74
( 360 )
1
Aristée égarait ses pas et ses douleurs .
Aux sources du Penée il accourt tout en pleurs ;
Et là , tendant les mains vers ces grottes profondes :
" O Cyrene ! ô ma mere ! ô reine de ces ondes !
Du brillant Apollon si j'ai reçu le jour ,
Si vous
"
le votre amour ?
Eh ! que m'importe hélas ! cette illustre origine ,
Si les destins jaloux ont juré ma ruine ?
Est-ce là ce bonheur que vous m'aviez promis ?
Cet Olympe où les Dieux attendaient votre fils ?
Un seul bien ici bas , mes abeilles si cheres !
Eût de mes jours mortels adouci les miseres ,
C'était les plus doux fruits de mes soins assidus
Et vous êtes ma mere ! et je les ai perdus !
Cruelle de mes pleurs ne soyez point ávare ;
Au sein de mes agneaux plongez un fer barbare ;
Et que mes jeunes ceps expirent sous vos coups
Si le bonheur d'un fils arme votre corroux. 19
Cirene , assise au fond de sa grotte azurée ,
Entend le bruit confus d'une plainte égarée .
Ses nymphes l'entouraient sur leurs fuseaux légers
Brille un lin de Milet teint de l'azur des mers.
Là sont en foule Opis , Glaucé , Pyrrha , Néere ,
Cydippe , vierge encor , Lycoris déja mere ( 1 ) ,
Nesé , Spio , Thalie , et Driope et Naïs ,
Leurs blonds cheveux flottaient autour d'un sein de lis ;
Xanthe , Ephir , jeunes soeurs , filles du vieux Nérée ,
Ceinte d'or l'une et l'autre , et d'hermine parée ,
Et l'agile Arethuse abjurant le carquois ,
Et la jeune Climene à la brillante voix.
Pour charmer leurs loisirs , Climene au milieu d'elles ,
Leur chantait de Vénus les amours infidelles ,
Les doux larcins de Mars , les fureurs de Vulcain ,
Et ses réseaux tissus d'un invisible airain .
Les Nymphes , en filant , écoutaient ces merveilles ;
Quand un lugubre cri frappe encor leurs oreilles.
Cyrene en pälissant tremble à ce cri fatal.
•
(1 ) Un auteur cornu emprunta ce vers tout entier , et en
imita plusieurs autres de cet épisode , encore manuscrit , et
composé plus de dix ans avant la traduction imprimée . Voyez
les justes réclamations de Clément en 1771 , dans le premier
volume de ses observations critiques . ( Note de l'auteur. )
( 361 )
Chaque Nymphe se trouble en son lit de cristal ;
Toutes avec effroi , gardent un long silence .
Plus prompte que ses soeurs Arethuse s'élance ,
Et jettant ses regards sur la face des eaux ,
Leve sa tête humide et ceinte de roseaux ;
Et de loin : O Cyrene ! ô mere infortunée !
Ton fils ... il est en pleurs aux sources du Penée ;
Il te nomme barbare ! A ces tristes récits ,
Va , cours , vole , Arethuse ; amene- moi mon fils ;
Il a droit de descendre en nos grottes sacrées .
Elle dit : A sa voix les ondes séparées ,
Se courbant , tout-à-coup , en mobiles vallons ,
Reçoivent Aristée en leurs gouffres profonds.
Il s'avance étonné sous ces voûtes liquides ;
Admire avec effroi ces royaumes humides ,
Tous ces fleuves grondans sous leurs vastes rochers ,
Et la source du Nil inconnue aux Nochers ,
Et l'Hèbre , et le Caïque , et le Phase et le Tibre
Orgueilleux d'arroser les champs d'un peuple libre ,
L'Hyppanis à grand bruit sur des rocs écumans
Et le mol Anio s'écoulant lentement ,
7
Et l'Eridan fougueux , qui dans les mers profondes
Précipite en grondant le tribut de ses ondes .
Quand il a pénétré ce liquide palais ,
Cyrene en l'embrassant calme ses vains regrets.
Chaque Nymphe à l'envi sert le jeune Aristée ,
Les unes sur ses mains versaient l'onde argentée ;
Un lin blanc les essuie et d'autres à ses yeux
Offraient les coupes d'or , les mets délicieux .
Mais Cyrene : O mon fils ! que cette liqueur pure
Coule pour l'Océan ,, pere de la nature ,
Pour les Nymphes des bois , des fleuves et des mers.
Elle dit : Lencens fume , et les voeux sont offerts .
Trois fois le vin se mêle aux flammes odorantes ;
Trois fois la flamme vole aux voûtes transparentes,
O mon fi's ! dit Cyrene à ce présage heureux ,
Non loin des flots d'Egée est un devin fameux ;
C'est l'antique Protée aux regards infaillibles .
Sur des coursiers marins il fend les meis paisibles .
Il court vers l'Emathie ; et côtoyant nos ports ,
De Pallène déja son char touche les bords ,
C'est l'oracle des mers . Les Dieux lui font connaître
Et tout ce qui n'est plus ét tout ce qui doit être.
Ainsi le veut Neptune ; et lui seul sous les eaux 9
(-362 )
Fait paître de ce Dieu les immenses troupeaux,
Il sait de vos malheurs la source et le remede ;
Mais par de longs soupirs c'est en vain qu'on l'obsede,
Son oracle est le prix de qui l'ose dompter ;
C'est lui que votre audace enfin doit consulter.
Moi-même , dès que l'astre embrâsant l'hémisphere ,
Aux troupeaux altérés rendra l'ombre plus chere ,
Je veux guider vos pas vers l'antre où le vieillard ,
Loin du jour et des mers , se repose à l'écart.
C'est là que le sommeil invite à le surprendre ,
Chargez - le de liens ; mais , prompt à se défendre ,
A vos yeux , sous vos mains , ils se roule en torrent
Gronde en tigre irrité , glisse et siffle en serpent ,
Dresse en lion fougueux sa criniere sanglante ,
Et tout-à -coup échappe en flamme pétillante .
Mais plus le Dieu mobile est prompt à s'échapper ,
Plus de vos noeuds pressans il faut l'envelopper :
Vaincu , chargé de fers , qu'il vous rende Protée .
D'ambroisie , à ces mots , parfumant Aristée ,
Cyrene lui souffla l'espoir d'être vainqueur :
Ses membres respiraient l'audace et la vigueur.
་
Dans les flancs caverneux d'un roc battu de l'onde
S'ouvre un antre à ses pieds le flot bouillone et gronde ,
Mais il creuse à l'entour deux golphes dont les eaux ,
Loin des vents orageux accueillent les vaisseaux .
Le vieillard de ce toc aime le frais et l'ombre.
Cyrene y met son fils vers le flanc le plus sombre ,
Et se dérobe au fond de son nuage épais .
Déja l'astre du jour enflammant tous ses traits ,
Des fleuves bouillonnans tarit l'urne profonde ,
Et du haut de sa course il embrâse le monde ,
Des feux du Sirius tout l'air est allumé .
Protée alors , nageant vers l'antre accoutumé ,
Voit ses monstres , autour de sa grotte sauvage ,
D'une rosée amere inonder le rivage ;
Et dans sa grotte assis , loin des feux du Soleil ,
Compte ses lourds troupeaux que presse un lourd sommeil.
A peine il s'endormait , que le fils de Cyrene
S'élance , jette un cri , le saisit et l'enchaîne .
Protée , en s'éveillant , s'agite dans ses fers ;
Et surpris des liens dont ses bras sont couverts
Tout- à-coup de son art déployant le prestige ,
Fleuve , serpent , oiseau , coule , rampe , voltige ,
Vains efforts ! Et cédant au bras victorieux ,
( 363 )
A lui-même rendu , sa voix l'annonce aux yeux.
Que me veut ton audace , ô jeune téméraire !
Et qui te fait tenter ma grotte solitaire !
-Divin pasteur des eaux , tu le sais mieux que moi ;
Mes revers et les Dieux guident mes pas vers toi :
Parle ; j'attends mon sort de ta bouche sacrée .
Protée alors frémit ; sa prunelle égarée:
Roule un bleuâtre éclat dans ses yeux menaçans ,
Et sa bouche au destin prête ces fiers accens :
Les Dieux sont irrités ; leur courroux légitime
N'égale point encor tes revers à ton crime.
Du sein des morts , Orphée arme ces Dieux vengeurs ,
Malheureux ! tu ravis Euridice à ses pleurs ."
in121 6.)
,, La Nymphe , un jour , fuyant ta poursuite enflammée ,
Pressa d'un hydre affreux , la tête envenimée ;
Il l'atteint ; elle expire ! ô douleurs ! ô regrets !
Ses compagnes en pleurs font gémir les forêts,;
Du Rodope attendri les rochers soupirerent ;
Dans leurs antres sanglants les tigres la pleurerent .
Mais lui , belle Euridice , en des bords reculés ,
Seul , et sa lyre en main , plaint ses feux désolés .
C'est toi , quand le jour naît , toi , quand le jour expire
Toi , qu'appellent ses cris , toi que pleure sa lyre !
Mais que ne peut l'amour ! Orphée aux sombres bords
Osa tenter vivant la retraite des morts ,
2
Ces bois noirs d'épouvante , et ces Dieux effroyables ,
Aux larmes des humains toujours impitoyables .
Il chante tout s'émeut ; et du fond des enfers
Les mânes accouraient au bruit de ses concerts.
Tels , quand un soir obscur fait gronder les orages
D'innombrables oiseaux volent sous les feuillages ;
Telles autour d'Orphée erraient de toutes parts
Les ombres des héros , des enfans , des vieillards ,
Et ces fils qu'au bâcher redemandent leurs meres
Et ces jeunes beautés , à leurs amans si cheres ;
Peuple léger et vain , que de ses bras hideux
Presse neuf fois le Styx qui mugit autour d'eux.
De l'Erebe à sa voix les gouffres tressaillirent ;
Sur leur trône de fer les Parques s'attendrirent ;
L'Euménide cessa d'irriter ses serpens ;
Et Cerbere retint ses triples hurlemens.
"
Déja l'heureux Orphée est vainqueur du Ténare ;
Il ramene Euridice échappée au Tartare ;
( 364 )
Euridice le suit ; car un ordre jaloux
Défend encor sa vie aux yeux de son époux .
Mais , ô d'un jeune amant trop aveugle imprudence !
Si l'enfer pardonnait , ô pardonnable offense !
Orphée impatient , troublé , vaincu d'amour ,
S'arrête , la regarde et la perd sans retour.
Plus de trêve : Pluton redemande sa proie .
Trois fois le Styx avare en murmure de joie.
Mais elle : Ah ! cher amant ! qu'as -tu fait ? quel transport
Et nous trahit tous deux , et me rend à la mort ?
Déja le noir sommeil flotte sur ma paupiere ;
Déja je ne vois plus tes yeux ni la lumiere ;
Orphée ! un Dieu jaloux m'entraîne malgré moi ;
Et je te rends ces mains qui ne sont plus à toi !
Adieu ! L'ombre s'exhale. Orphée au noir rivage ,
Poursuit , embrasse en vain la fugitive image .
Mais comment repasser le biûlant Phlegeton !
Comment fléchir deux fois l'inflexible Pluton !
Quels pleurs ou quels accens lui rendraient son épouse?
L'Ombre pâle est déja dans la barque jalouse.
,, Sur les bords du Strymon , déplorant ses revers
Orphée erra sept mois sur des rochers déserts ,
Aux tigres , aux forêts il conta ses disgraces ;:
Les tigres , les forêts gémirent sur ses traces...
Telle , pleurant la nuit , sur un triste rameau ,
Ses fils , sans plume encor , ravis dans leur berceau
Philomele , au milieu des forêts attentives ,
Traîne ses longs regrets en cadences plaintives .
" Ah ! depuis qu'Euridice est ravie à ses feux ,
Nul amour, nul hymen ne flatte plus ses voeux ,
Son désespoir l'égare ; il franchit dans sa course ,
Ces monts affreux où luit le clac glacé de l'ourse ;
Il pleurait ses amours , hélas ! deux fois trahis ;
Quand tout- à-coup , ô rage ! ô forfaits inouis !
Les Bacchantes en foule , assiégeant le Riphée ,
De leurs jalouses mains déchirerent Orphée ,
Lui percerent le coeur de leurs thyrses sanglans ,
Et semerent au loin ses membres palpitans.
Dans l'Hebre impétueux sa tête fut jettée.
Mais tandis qu elle errait sur la vague agitée ,
Ses levres qu'Euridice animait autrefois ,
Et sa langue glacée et sa mourante voix ,
Sa voix disait encore , ô ma chere Euridice
( 365 )
Et tout le fleuve au loin répétait : Euridice . "
A ces mots , tout-à- coup élancé dans les mers ,
Protée a disparu sous les flots entr'ouverts .
LE BRUN
ANNONCES.
Manuel de l'Enfance , contenant des élémens de lecture et
des dialogues instructifs et moraux , dédié aux meres , et å
toutes les personnes chargées de l'éducation de la premiere
enfance ; par Roch-Ambroise Sicard , instituteur des soudsmuets
, et membre de l'Institut national . Un volume in- 12 .
Prix , 30 sous ; et 48 sols , franc de port. An V. ( 1797. )
La Sphere , poëme en huit chants, qui contient les élémens
de la sphere célesté et terrestre , avec des principes d'astronomie
physique ; accompagné de notes , et suivi d'une notice
des poemes grecs , latius et français qui traitent de quelques
parties de l'astronomie ; par Dominique Ricard , traducteur
des Euvres morales de Plutarque. In - 8° . Prix , 4 liv.; et
5 liv . 10 sous , franc de port. A Paris , chez Leclerc , imprimeur-
libraire , rue Martin , vis-à-vis celle aux Ours , nos . 234
et 89. An V. ( 1796. ) ·
Introduction à l'analyse infinitesimale , par Léonard Eulers ,
traduite du latin en français , avec des notes et des éclaircissemens
par J. B. Labey , professeur de mathématiques
aux écoles centrales du département de la Seine. Deux volumes
in- 4° . avec planches . Prix , 20 francs brochés . A
Paris , chez Barrois l'ainé , libraire , quai des Augustins ,
n°. 19 ; et en germinal prochain , rue de Savoie , nº . 23 .
Le tome premier est en vente ; le second , dans lequel
se trouvent les planches , paraîtra en messidor an Ve.
On paie 15 francs en prenant le premier volume , et on
ne paiera que 5 francs en retirant le second.
Dictionnaire raisonné des Lois de la République Française ;
ouvrage de plusieurs jurisconsultes , mis en ordre , et publié
par le cit. Guyot , ancien juge du tribunal de cassation . In-8° .
tom . II et III . A Paris , chez Couret- Villeneuve , libraire , rue
des Peres , nº . 1234 ; et chez l'auteur , rue Honoré , nº . 121,
pres la rue de l'Echelle .
La suite de cette utile collection paraîtra incessamment ; et
nous la ferons connaître plus particulierement ,
( 366 )
NOUVELLES ÉTRANGERES.
4
ALLEMAGNE.
De Hambourg , le 5 janvier 1797.
Nous avons annoncé dans notre dernier rapport
l'arrivée du général Clarck à Vienne . Les avis les plus
récens ne confirment point cette annonce . Nous
ignorons au reste quels sont les motifs qui ont ar
rété le négociateur français dans sa route . Faut- il
attribuer ce retard aux dispositions nouvelles de la
cour impériale , ou à de nouvelies vues du Directoite
exécutif ? La premiere conjecture nous paraî
trait la plus vraisemblable . Le systême assez constamment
suivi dans toutes les guerres par la maison d'Autriche
, est de n'entrer en accommodement avec l'en
nemi que lorsque toutes ses ressources sont épuisées,
lorsque l'espoir l'a abandonné ; et son orgueil en
entretient long- tems les illusions . Mais , d'un côté ,
si le nouveau souverain de la Russie refuse d'entrer
dans sa querelle , et se renferme dans une sage neutralité
; si , d'un autre côté , la Porte , éveillée de son
long assoupissement , songe à venger ses anciennes
injures , on peut espérer de voir cet orgueil fléchir
enfin , et aux calamites qui désolent la plus grande
et la plus belle partie de l'Europe , succeder bientôt
les douceurs de la paix . Or , il paraît hors de doute ,
nous devons le répéter , parce que dans quelques
papiers on a répété le contraire , qué Paul Ier , a abandonné
les projets hostiles de sa mere contre la France.
Cette armée , tantôt de quarante , tantôt de soixante
inille Russes , qué les gazettes ont si souvent rassem
blée , et si souvent mise en marche , mais qui , selon
toutes les apparicuces , aurait cessé de n'ère qu'un
( 367 )
vain épouvantail si les jours de Catherine II eussent
été prolongés , ne sortira pas de la Russie . Ce n'est
pas seulement dans les voeux que nous dicte
notre amour de la paix , ou notre intérêt pour la
Frarance , que nous puisons nos conjectures à cet
égard , c'est dans des avis multipliés qui méritent
toute notre confiance . Les dispositions hostiles du
grand-seigneur contre l'Autriche ne paraissent pas
moins certaines que les dispositions pacifiques de
Paul Ier. envers la République Française . Déja l'on
avait dit que la guerre était commencée , et que Bel
grade était assiégée . Cette nouvelle est contestée ;
mais ceux même qui la révoquent en doute , ne la
regardent que comme prématurés .
Il semble que Paul Ier. ait hérité du penchant de
son pere pour la Prusse . Il donne continuellement
des preuves de prédilection pour cette puissance ; il
paraît disposé à en introduire les usages dans l'organi
sation de ses troupes , dont il s'occupe beaucoup
quoique rien n'annonce en lui les goûts querriers .
Mais dans un pays tel que le sien , où toute la puissance
du trône repose sur la leur , ainsi que la sûreté
de celui qui l'occupe ; il est d'une sage politique
de rechercher leur affection . En général , on voit
dans toutes ses démarches qu'il cherche plus à se
faire aimer qu'à se faire craindre ; un seul courtisan ,
le prince Bariatinsky , a éprouvé une disgrace mar
quée ; il a ménagé tous les autres , ceux même dont
il pouvait avoir le plus à se plaindre. Nul Polonais
p'a été excepté dans l'acte par lequel il rappelle à la
liberté , et dans leurs foyers , les victimes des ten
gcances de Catherine II , qui traînaient dans les déserts
de la Sibérie leur pénible existence . On en
porte le nombre à plus de douze mille . La reconnaissance
de ces hommes , sortis par ses ordres du plus
affreux exil , sera partagé par tous leurs amis , pas
tous leurs parens , par tous leurs compatriotes . C'est
sans doute le plus sûr moyen qu'il ait pu employer
pour faire oublier aux provinces polonaises a quel
titre elles sont sujettes , et pour lui en assurer la tranquille
possession . Au reste , ce n'est pas par ce stuk
( 368 )
étaacte
de bienveillance et de justice qu'il leur a an
noncé son regne. Sa mere les avait imposées à une
prestation très -considérable en grains ; il les en a dis
pensées , en même tems qu'il a révoqué l'ukase qui
ordonnait un recrutement extraordinaire . S'il у
blit , comme on l'espere , un régime modéré , la Prusse,
qui jusqu'à présent a conservé dans les siennes un
régime purement militaire , suivra sans doute cet
exemple , qui n'est pas moins une leçon de saine politique
, que de justice et d'humanité .
La mort de Catherine II n'apportera aucun changement
aux arrangemens que le roi de Suede avait
pris pendant son séjour en Russie. On croit même
qu'elle en accélérera l'accomplissement , et que le
mariage projetté s'effectuera dans peu. On y trouve
maintenant beaucoup moins d'inconvéniens , et ceux
qui y étaient le plus opposés , cessent de le craindre ,
et le verront sans peine. Au reste , peut- être eût- il
été impossible de l'empêcher , eût-on osé le tenter.
L'amour aurait fait faire au jeune Gustave ce que la
politique lui aurait déconseillé , car on le dit fort
épris de la princesse qui lui est destinée , et l'on
assure qu'il entretient avec elle une correspondance
suivie.
L'intention que ce monarque manifeste de se
conduire d'après les regles de la justice , et d'une
sévere économie , a dû déplaire à beaucoup de gens ,
et lui faire des ennemis parmi les courtisans . Aussi .
son austérité , l'appellent- ils despotisme . Ils disent
qu'il a fait placer dans son cabinet le portrait de
Charles XI , le plus absolu de ses prédécesseurs ,
parce que c'est ce prince qu'il s'est proposé pour
modele. Il a , ajoutent-ils , déja formé des plans ,
dont l'amour de la liberté le plus modéré et le moins
ombrageux doit s'alarmer. On pourrait apprécier
ces imputations d'après le caractere et les motifs de
ceux qui les répandent, Gependant s'il est dans la
nature des courtisans de calomnier les rois , ennemis
des abus , il est aussi dans la nature des rois de
chercher à reculer les bornes de leur pouvoir. C'est
au tems à justifier Gustave , ou ses courtisans.
Si
( 369 )
Si ce jeune prince ne trahit pas ses premieres
vertus , s'il reste fidele à la justice , à la sagesse qui
ont jusqu'à présent dirigé sa marche , la Suede , tombée
par les fautes des regnes précédens , dans l'abaissement
et la nullité , peut se relever. Alors son alliance,
qui, dans ces derniers tems, ne fut qu'onéreuse
à la France , offrirait à cette république de très -grands
avantages . On pourrait espérer de voir s'établir ce
systême de neutralité armée qui peut seule assurer
aux puissances commerçantes la sûreté de la naviga .
tion des mers du Nord.
De Francfort-sur- le- Mein , le 8 Janvier.
Le roi de Prusse a fait adresser à la régence et à
la chambre des domaines des pays prussiens situés
sur la rive gauche du Rhin un rescrit , par lequel il
ordonne à ces deux colléges supérieurs de déclarer ;
publiquement , et en son nom , que son intention n'a
jamais été que d'accorder aux Français une occupation
purement militaire de ses provinces sur la rive
gauche du Rhin jusqu'à la paix avec l'Empire , ainsi
qu'il est expressément énoncé par l'article V du traité
de Basle . Sa majesté se regarde , en conséquence ,
comme assurée que le gouvernement français , n'in- ,
sistera plus sur la séquestration des biens du clergé ,
sur la vente projettée des bois domaniaux et autres ,
et qu'il renoncera à la contribution énorme de trois
millions de livres , imposée sur lesdites contrées . Le
roi firit par exhorter ses fideles sujets de ces provinces.
de se tenir assurés de sa protection ultérieure et efficace
, et d'attendre avec confiance le retour tant desiré
de l'ancien ordre de choses .
On apprend de Berlin que le prince Louis , second
fils du roi , y est mort le 29 du mois dernier , âgé de
23 ans . Il laisse trois enfans , dont le dernier n'a que
quelques mois . Sa veuve file , ainsi que la princesse
royale du duc de Mechle bourg Strelitz , n'a que
19 ans . Cette perte jette la cour de Berlin dans une
affliction profonde . Le prince Louis était fort aimé
Tome XXVI.
Aa
( 370 )
de tous ceux qui le connaissaient . Les militaires esti
maient ses talens et ses connaissances ,
ITALIE. De Génes , le 1er. Janvier 1797-
Nous apprenons de Rome que le traité de paix
de la cour de Naples avec la République Française ,
que l'on n'a connu officiellement que le 15 du mois
dernier, y a excité un grand mécontentement . On a
vu avec surprise que , malgré les promesses du marquis
Del Vasto , il
v était point question de l'Etat
ecclésiastique. Aussi cet ambassadeur a- t-il perdu à
la cour pontificale , la considération et la confiance
dont il jouissait. Il ne reçoit , de la part même de
ses partisans les plus déclarés , qu'un accueil extrêmement
froid. On présume que ce désagréable changement
dans sa position lui fera accélérer son départ.
Abandonné par le roi de Naples , le pape s'était
flatté de recevoir de puissans secours de la part de
l'empereur. Mais il est encore trompé dans cet espoir.
Son nonce extraordinaire près la cour de
Vienne lui a mandé que sa majesté impériale ne
consentirait à le délivrer des Français , qu'à condition
qu'il céderaitt les légations de Bologne et de Ferrare,
une partie de la Romagne. Il est probable que le
pape qui voit que , quoi qu'il arrive , ces pays seront
détachés du patrimoine de St. Pierre , ne s'exposera
pas inutilement aux dangers de la guerre , et qu'il
se hâtera de faire la paix avec la République Fran-.
çaise .
Le traité de paix a excité autant de joie à Naples
que de consternation à Rome. Il y a eu à ce sujet
des fêtes religieuses auxquelles la cour a assisté . En
effet , les Napolitains ont lieu de s'applaudir ; et ils
ont été traités beaucoup plus favorablement qu'ils
ne le méritaient. Le gouvernement français a usé
envers eux de beaucoup d'indulgence, Les gens
sages qui croient avec raison que les traités sont
d'autant plus durables que les conditions en sont
( 391 )
plus égales , applaudissent à sa modération . Ils regrettent
cependant qu'il ait oublié les Napolitains proscrits
pour opinion politique , et qu'il n'ait exigé
aucune stipulation en leur faveur.
Le gouvernement français , nous mande-t-on de Milan ,
est généralement aimé et respecté dans l'armée d'Italie . Ses.
partisans augmentent très-sensiblement parmi les Italiens
même ; et si une fois Mantoue était au pouvoir des Français ,
l'Italie se déclarerait bientôt en leur faveur contre leurs
communs ennemis .
Il me semble que cette ville , pressée de toutes parts et
n'ayant plus qu'une faible armée pour la défendre , ne doit
pas tarder à devenir le prix des efforts de nos troupes. Leur
position s'améliore chaque jour , et celle des Autrichiens au
contraire devient de plus en plus critique . Nous recevons
des renforts considérables de l'intérieur . Nos malades et nos
blessés sortent des hôpitaux pour grossir nos armées ; et le
général Buonaparte a su créer ici des ressources qui lui répondent
du succès de ses opérations , et lui ménagent , dans
le cas d'un revers inattendu , des retraités sûres , des alliés
puissans et des renforts très- prochains .
3
Les Français répandus sur la surface de l'Italie , s'y
trouvent actuellement aussi tranquilles et aussi sûrement qu'en
France. Ils ont des points de ralliement et des places fortes
défendues par des peuples qui se sont compromis de telle
maniere avec l'Autriche , qu'ils ont plus d'intérêt que les Français
mêmes à empêcher le retour de cette domination étrans
gere . Non-seulement leur existence politique en dépend ,
mais leur fortune et leur vie ne peuvent être assurées qu'autant
que l'Empire n'aura aucune influence sur toute la Lombardie
les Etats de Modene , de Reggio , dé Bologne et de Ferrate
sont dans ce cas . Ils ont tiré l'épée contre leurs dominateurs ,
et ont jetté le foureau loin d'eux , au moyen de quoi leur
cause est commune avec la nôtre , et ils ont de plus le risque
d'être hounis et massacrés par les Impériaux , ‚ si djamais ils
retombaient sous leur joug.
i
ANGLETERRE De Londres , le 4 janvier.
Dans la séance de la chambre des communes , du 26 decembre
dernier , le secrétaire d'Etat , M. Dundas , a donné
lecture d'un message par lequel le roi annoncé la rupt
des négociations avec la France.
IT
148 ancient
A a s
•
( 372 )
Dans la séance du 30 , la discussion sur ce messagè s'est
établie .
M. Pitt a proposé une adresse au roi en réponse au
'message ; adresse qui d'ordinaire n'est qu'une répétition du
message lui-même . Il a parlé sur ce sujet pendant trois
heures. Il a communiqué à la chambre tous les détails déja
connus de la négociation du lord Malmesbury avec le gou
vernement français , et les circonstances de sa rupture . Il
a declaré entre autres choses que lord Malmesbury avait
dit verbalement au ministre Lacroix , que l'article des Pays-
Bas ne pourrait être l'objet d'aucune espece de modifica
tion dans le cours de la négociation ; que la détermination
précise et irrévocable de sa majeste était de ne jamais consentir
à la possessión de la Belgique par la France.
M. Fox , dans sa réponse à M. Pitt , a dit que d'après
cette déclaration précise du' lord Malmesbury , qui équivalait
à un ultimatum , la France , déterminée de son côté ài
ne pas céder les Pays -Bas , avait dû supposer que la paix
ne pouvait être faité entre les deux puissances.... Lesine
qua non par rapport à la Belgique , est évidemment la cause
de la rupture de la négociation actuelle , et toute l'Europe
en jugera bientôt ainsi....... L'honorable membre , a-t-il
ajouté , a voulu jetter tout le blâme et l'odieux de la rupture
de la négociation sur le gouvernement français ; tandis
qu'il résulte des papiers mis sur la table de la chambre ,
et de la propre lettre du lord Malmesbury , que la Belgique
était devenue le sine qua non de la négociation. Dans
mon opinion , a ajouté M. Fox , la conduite du Directoire
a été bonne et conforme à la politique . Pouvait - il faire
autre chose que ce qu'il a fait ? Le ministre a beaucoup
parlé de la base de la négociation ; mais cette bâse n'étaitelle
pas entierement détruite par le sine quâ non ? ..... Je
ne suis pas de ceux qui attachent peu d'importance à la
Belgique mais je demanderai d'abord si elle vaut le sang
et les trésors que l'on prodigue pour elle : ensuite si nous
sommes bien sûrs de la reconquérir à l'Autriche , au prix
de tant de sacrifices ? Il faut qu'on me prouver d'abord
qu'il est très - utile , à cet égard , de détruire encore cent
mille hommes , et de perdre encore une centaine de millions
, et ensuite qu'après tout cela nous serons plus près
de l'objet de nos yeux. Il faut qu'on me prouve que
T'empereur , qui est aujourd hui notre ami , ne deviendra
pas notre ennemi , etc..... Après beaucoup d'autres considérations
sur ce sujet , M. Fox s'opposa à l'adresse télté
qu'elle était présentée , parce qu'elle tendait , ajoutait-il
à faire croire an public que la chambre s'engageait à ne
pas faire la paix jusqu'à ce que la Belgique fût abandonnée
par la France il proposa en conséquence un amendement ,
mais qui changeait totalement le fond de l'adresse , et qui
en faisait un acte d'improbation très - sévere de la chambre
contre les ministres.
- -
M. Dundas répondit à M. Fox. M. Grey lui répliqua .
La chambre s'étant divisée , il y eut pour l'amendement
de M. Fox 37 voix , et contre , 212 .
Le roi a fait publier une déclaration , qui est une espece
de manifeste contre la France. Voici ce que dit de cette
piece un de nos journaux , The Courier :
Il n'y a peut-être jamais eu de piece où moins d'idées aient
été délayées en plus de mots , que dans le singulier mani- >
feste contre la France , que vient de publier le gouverment.
A travert toutes ces longueurs , on n'apperçoit pas un seul
fait précis , si ce n'est que la négociation a été rompue par
l'ordre qu'a intimé le Directoire au lord Malmesbury de
quitter la France . Cette piece est , en un mot , le plus parfait
modele que nous ayons jamais , vu , de prolixité sans raison ,
de, déclamation sans éloquence ; elle est aussi insignifiante
pour la forme , que pour le fond. Le thême d'un écolier.
renfermerait plus d'idées , et aurait moins d'affectation et de
bouffissure.
On ne peut s'empêcher de remarquer un fait assez curieux
dans cette piece extraordinaire . Le Directoire français , dit - on
dans cette piece , en demandant un ultimatum , c'est - à - dire
le dernier mot de l'Angleterre dès le commencement de la
négociation , prouve incontestablement qu'il ne veut pas la
paix . C'est comme si l'on disait que , lorsqu'un homme
entre dans une boutique , et demande au marchand son
dernier mot c'est un signe certain qu'il ne veut pas
acheter.c
•
Les hommes de sens ont lu ici cette production avec
la plus grande défiance. Ils n'y ont vu qu'une piece fabriquée.
pour tromper le public , et cacher les véritables intentions
de ceux qui l'ont faite ; mais analheureusement pour eux ils
ont manqué d'art et d'habileté dans les moyens qu'ils ont
pris pour tromper . Semblables à ces escammotteurs vulgaires ,
dont la main mal-adroite laisse voir tous les mouvemens des
gobelets es des balles .
Dans les séances du 30 et du 31 , les deux chambres du
parlement se sont ajournées au 14 février.
I
A a 3
( 374 )
"
REPUBLIQUE FRANÇAISE.
CORPS LEGISLATIF.
Séances des deux Conseils , du 15 au 25 nivôse."
·
"
De nouvelles plaintes étant parvenues au conseil
des Cinq cents , sur le nombre des délits qui se
commettent dans certains départemens , et la facilité
avec laquelle les condamnés aux fers échappent à
cette peine , un membre en prend occasion de faire.
connaître l'insuffisance du code pénal et la ténuité
des peines qu'il prononce . Ses observations sont
renvoyées à la commission ad hoc , avec injonction
de faire son rapport sous cinq jours .
Le président annonce deux messages du Direc
toire , de nature à être lus en comité secret . La séance
cesse en conséquence d'être publique .
Pérès ramene , le 17 , l'attention du conseil sur
cette foule de maisons de jeux , où vont s'engloutir
les fortunes de milliers de citoyens , poussés ensuite
au crime par le désespoir. II demande que la commission
chargée de cet objet fasse son rapport dans
trois jours , ou qu'elle soit changée . Adopté......
-Guyomard : Lorsque nos ancêtres étaient courbés
sous le joug du despotisme , ils célébraient aujourd'hui
une fête que je ne veux pas nommer. Ce jour
me rappelle que nous approchons d'une fameuse
époque dans les annales de la République ( le x1'jinvier
v. s. ) , qui vit tomber sous le glaive de la loi
la tête de Capet.
<
L'orateur propose qu'en exécution des lois rendues
à ce sujet , la Commémoration en soit faite.
Adopté.
Engerrand fait ensuite prendre la resolution por
tant que les notaires qui ont accepté des places
administratives ou judiciaires , pourront reprendre
( 375 )
leurs fonctions de notaires , si les places dont il s'agit
ont été supprimées.
Camus rend compte , le 18 , des contraventions
faites à la loi qui ordonne le paiement en numéraire
, ou en mandats au cours , du 4. quart des
biens nationaux .
Le même membre expose combien il est indispensable
d'assurer , par tous les moyens possibles
f'exactitude du service de la trésorerie , et la connaissance
journaliere de la situation des caisses des
départemens. Il fait adopter , en conséquence , une
résolution qui en détermine les moyens..
Pastoret fait la 3e . lecture du projet relatif aux
religionnaires fugitifs .
1
b
Berlier , en applaudissant aux motifs d'humanité
qui l'ont dicté , ne le croit pas admissible , comme
contraire à l'article de la constitution qui exige sept
années de résidence d'un étranger , pour jouir des
droits de citoyen en France.
Le conseil des Anciens s'est forme , les 16 et 17,
en comité général . Il a néanmoins approuvé plusieurs
résolutions sur des objets d'intérêt particulier.
Le 18 , il a entendu le rapport fait par Lebrun
sur la résolution concernant le paiement des rentes
Cell
appor
et pensions de particulier à particulier . Le
teur en ayant trouvé plusieurs bases fausses , a conclu
au rejet. La discussion a été ajournée.
Il a ensuite adopté celle relative à l'anniversaire
du 21 janvier.
**
Baudin a fait , le 20 , le rapport sur celle concernant
le renouvellement du tiers du Corps législatif.
Il dit que le repos et l'obscurité d'une vie privée
sont des récompenses et non des peines , ponr
l'homme de bien qui a servi sa patrie , et que le
renouvellement d'un tiers du Corps législatif va
affermir la République . Il ajoute qu'il est conforme
aux principes que les départemens réunis n'envoient
a la législature qu'un tiers des membres qu'ils sont
dans le cas de fournir.
La résolution est' approuvée .
Cardonnet , dans la séance du ig du conseil des
a
( 376 )
1
19
€
Cinq - cents : Des hommes sans moyens , sans moralité
, sont devenus , par leur ignorance , les destructeurs
des fortunes
particulieres dont ils devraient
être les soutiens : je veux parler des notaires publics
qui , dénués de toute espece de
connaissances , ont
embrassé une profession qui en demande beaucoup ,
ainsi qu'une probité reconnue, D'après une loi révolutionnaire
qui n'est point encore rapportée , les
administrations ont confié les fonctions du notariat
à des hommes qui ne savent ni lire ni écrire . Vous
avez deja nomme une commissiou pour s'occuper
de cet objet. Je demande qu'il lui soit enjoint de
présenter son rapport dans la déçade . Adopté.
160 200
rad
2
B
Perrin ( des Vosges ) : Vous avez déja reçu plusieurs
me
messages du Directoire , relatifs aux prêtres
insermentes qui troublent les
départemens. Le desordre
est tel dans quelques -uns , que l'on
voir une nouvelle Vendée s'y former . Je demande
craint de
que , dans le même délai , votre commission spéciale
vous présente
le rane
dont elle est chargée,
Dubruel Il faut observer qu'il y a dans des maisons
de réclusion , un grand nombre de prêtres âgés ,
infirmes , incapables de troubler la tranquillité des
communes , et il faut se garder de les confondre
avec les prêtres insoumis .
Lamarque : On sent bien que ce ne sont ni les
vieillards , ni les infirmes , qui troublent les départemens.
Mais cela n'empêche pas que l'inexécution
de la loi contre les prêtres insoumis n'ait donné lieu
à l'abus dont on se plaint.
+
Cette loi youlait que les prêtres réfractaires fussent
déportés dans les 24 heures , et punissait de deux
années de détention les administrateurs qui l'enfreindraient.
Sa rigueur l'a fait tomber en une désuétude
qui a été diversement interprétée dans les départemens.
Les uns prétendaient que c'était sur la depor
tation dans les 24 heures que les autorités devaient
se relâcher ; d'autres que c'était sur la peine portée
contre les administrateurs qui ne la faisaient pas
exécuter. Il en résulte qu'elle ne fut exécutée dans
aucun point. Depuis long- tems une commission est
( 377 )
chargée de vous présenter ses vues sur la loi qui
condamne les prêtres à la déportation . Je demande
qu'elle fasse son rapport dans cinq jours. Adopté.
Deville demande que dans cinq jours aussi , la
commission spéciale présente son rapport sur l'émigration
ou la non- émigration des freres servans de
l'ordre de Malte , et généralement sur les réclamations
de tous ceux qui étaient attachés à cet ordre,
Adopté.
Siméon reproduit à la discussion son projet de
résolution sur les droits de successibilité des enfans
naturels.
Thibaudeau , Dumolard , Bordas , Arnaud et plusieurs
autres l'ont combattu comme contenant des
dispositions rétroactives Il a été renvoyé à la com
mission .
།
Daunou donne , le 20 , les renseignemens demandés
par le conseil sur la population de S. Domingue .
1I1l en résulte qu'elle n'est que d'environ 600,000
ames , et que cette isle ne doit par conséquent nommer
que 13 députés au lieu de 20. Il ajoute qu'en
fixant ce nombre , l'on ne se propose pas de faire
procéder les habitans à aucune élection , ni dans le
moment actuel , ni dans le mois de germinal prochain
; personne n'ignorant que l'état présent de
ette colonie ne permet pas d'y tenir des assemblées
primaires , communales et électorales .
;
Favard , au nom d'une commission spéciale , propose
de suspendre , à compter de ce jour , et jusqu'après
l'adoption du code civil , toute demande
en divorce fondée sur l'allégation d'incompatibilité
d'humeurs et de caracteres , et non encore intentée
les femmes ne seraient point admises à faire pro
noncer le divorce pendant l'absence de leurs maris ,
employés au service de la République , et toute demande
à cet égard serait suspendue , à moins que le
mari n'ait reno
par écrit , à la suspension .
Entr'autres contenus au rapport , il en est un
qui présente un abus d'un genre singulier c'est
celui d'un jeune homme qui , marié à une femme
de 19 ans , et ayant une grande-tante de 82 ans ,
1
(,378,)
mais riche et dont il envie la succession sans par
tage , divorce avec sa femme , épouse sa grande-tante
qui lui donne tout son bien par contrat de mariage ,
et après la mort de celle ci , se remarie avec sa pre
miere , femme.
Mailhe voulait que le projet fût adopté sur-lechamp;
il a déclaré que la commission l'avait arrêté
à l'unanimité , et qu'en cela elle avait rempli le voeu
de la France entiere.
W : Lecointre La loi dont on vous demande la suspension
a été l'objet des méditations de l'Assemblée
constituante . Elle n'a pas vu de moyen plus moral ,
plus conforme à l'honnêteté publique , pour empê
cher les époux de révéler des secrets honteux , et
de se déshonorer publiquement. Je sais qu'il en est
résulté de grands abus ; mais envisagée sous ce rapport
, quelle institution humaine pourrait résister ?
Il ne faudrait pas alors se borner à une suspension
provisoire ; il faudrait déclarer que les demandes en
divorce pour incompatibilité d'humeur ne seront
plus admises. Je demande l'impression du rapport
et du projet, et l'ajournement de la discussion trois
jours après la distribution . Adopté,
Camus fait adopter , le 21 , la rédaction définitive
de la résolution , portant qu'à compter du 1. pluviôse
les militaires blessés , ainsi que les pensionnaires
de la République âgés de 70 ans , seront payés
antérieurement aux autres créanciers .
Bion présente un projet de résolution qui tend à
confier l'administration des postes à une régie intéressée
.
༞ སྙ ༈ ་ *
Villers objecte au rapporteur qu'il n'a pas discuté
assez profondément les avantages et les inconvéniens
de la régie et de la ferme , et demande l'ajournement.
Garnier observe qu'il est urgent de s'occuper de
T'organisation définitive de cette branche de revenu
national , et que le service est sur le point de manquer,
par une suite de l'instabilité des plans success
sivement adoptés ou rejettés .
Dumolard dit que la régie intéressée a paru au
Directoire , au ministre des finances et à la commis
1
( 379 )
sion , le seul mode convenable . L'impression du rapport
est ordonnée.
La discussion aura lieu trois jours après sa distribution.
On reprend celle sur le code hypothécaire . Après
que Réal , rapporteur , a été entendu , Cambacérès
obtient la parole. Il fait au projet le reproche de
compromettre les droits et la fortune des débiteurs
et de les exposer à des expropriations injustes , et il .
a indiqué divers amendemens .
Réal les a combattus . La publicité des hypotheques
lui paraît le seul moyen de maintenir la foi publique,
et d'assurer l'exécution des contrats , de relever le
crédit national , comme le crédit particulier. "
Eudes , qui à parlé ensuite , a contracté l'engagement
de prouver que ce nouveau code hypothécaire.
est inexécutable...
Philippe Delleville , dans la séance du 22 : Le , serment
décrété pour l'anniversaire du 21 janvier , de ,
lère vulgaire , n'offre qu'une idée imparfaite des
sentimens du peuple français . Il faut fermer les portes
de Rome aux Tarquins ; mais il ne faut laisser aucun
espoir aux Catilinas ; ou , pour parler sans figures , il
faut vouer une haine égale aux royalistes et aux anarchistes
de toutes les couleurs. Se contenter du serment
de haine à la royauté , c'est ne faire que ce que
Marat , Robespierre et leurs acolytes faisaient volontiers
et ce que feront encore leurs amis , qui ne
veulentimitépublique , ni royauté , et dont l'anarchie,
est l'unique élément . Il ne peut y avoir de partisans
de la royauté en France , que des révoltés ou des
fous. Je demande que le serment qui sera prêté soit
conçu en ces termes : Je jure haine à la royauté et
à l'anarchie , attachement et fidélité à la République
et à la constitution de l'an III. Adopté .
Defermont trace le tableau de tous les maux auxquels
les départemens de l'Ouest ont été long-tems
en proie , et il propose un projet de résolution portant
décharge des contributions arriérées .
Plusieurs membres s'y opposent. Ils disent qu'il
faut accorder des dégrêvemens à ceux qui ont fait
( 380 ,
des pertes , et non pas une exemption générale de
contributions . La question est ajournée .
Le conseil a ensuite adopté une résolution sur la
régie des poudres et salpêtres , et s'est occupé des
moyens de simplifier la comptabilité nationale .
La résolution relative à la déclaration opposée de
deux jurys de jugement sur le même fait a été
rejettée , le 21 , par le conseil des Anciens , comme
obscure et incomplette . Sur le rapport de Lecoulteux,
il a approuvé , le 22 , celle qui ouvre au ministre de
l'intérieur un crédit de 375 mille liv. pour les dépenses
du Directoire . Le 23 , le rejet de celle concernant
le placement des tribunaux de commerce dans
les divers départemens , a été proposé et adopté.
Richard a fait adopter , le 24 , par le conseil des
Cinq cents , son projet d'organisation de la gendarmerie
. En voici les dispositions principales :
1º . Le nouveau corps de la gendarmerie sera compose
ainsi qu'il suit ; pro
25 chefs de division , inspecteurs et ayant le rang
de chef de brigade.
So chefs d'escadron .
100 capitaines.
200 Lieutenans .
100 maréchaux - des- logis en chef , à pied .
500 maréchaux- des - logis .
1500 brigadiers , vi
6500 gendarmes , dont 6000 montés et 500 à pied .
La gendarmerie nationale sera organisée en
45 divisions , formant ensemble 1500 brigades et
too compagnies. oh o
i In ou
39. Chaque division fera le service de quatre dé--
partemens à raison d'une compagnie par département,
cà l'exception de la Corse , qui formera seule
une division de 2 compagnies ; et du département
de la Seine . qui aura 8 compagnies formant division
avec celles des trois départemens limitrophes .
14 ° . Chaque division sera formée de a escadrons ,
chaque escadron de 2 compagnies , chaque compagnie
de 12 brigades au moins et de 18 au plus chaque
brigade de 5 gendarmes montés , ou de gendarmes,
dont 2 à pied.
( 381 )
30. Chaque division sera commandée par un chef
de division ayant rang de chef de brigade , chaque
escadron par un chef d'escadron , chaque compagnie
par un capitaine et un , deux ou trois lieutenans ;
les brigades , un tiers par un maréchal - des - logis , et
les autres tiers par un brigadier.
6. Les places de chef de division , d'escadron ,
de capitaine et de lieutenant , seront toutes à la
nomination du Directoire , pour cette fois seulement.
Le projet de résolution concernant l'actif et le
passif des communes , présenté par Thibaudeau , a
ensuite été adopté .
Le conseil s'est formé , le 25 , en comité général
secret.
PARISA Nonidi 29 Nivôse , l'an 5º . de la République.
On n'a toujours aucune nouvelle positive du reste de la
flotte de Brest . A-t - elle opéré son débarquement sur les côtes
d'Irlande ? erre-t-elle sur les mers , battue par les tempêtes ?
a - t- elle été attaquée par les escadres combinées de l'Angleterre
? Cette incertitude partage les esprits entre la crainte et
l'espérance , et chaque jour prolonge ce sentiment pénible.
Quelques journaux avaient annoncé que le cit , Kervélégan ,
membre du Corps législatif , avait reçu une lettre particuliere
par laquelle on lui mandait qu'une corvette arrivée dans la
baie d'Audierne , avait apporté la nouvelle que Hoche avait
débarqué 13 mille hommes sur les côtes nord - ouest de l'Irlande
, et que ce général demandait des renforts au gouvernement.
Mais rien ne paraît confirmer cette nouvelle qui circule
depuis trois ou quatre jours . Le gouvernement n'a encore
rien publié d'officiel à cet égard . Cepeddant il est à croire que
les deux divisions de la flotte seraient déja rentrées , si elles
avaient renoncé au projet de leur expédition , d'autant plus
que divers bâtimens , qui sont rentres depuis peu dans nos
ports , ont déclaré qu'ils n'avaient rencontré aucune escadre
ennemie .
En attendant , le général Chérin a fait une proclamation
adressée aux troupes qui sont revenues à Brest ,
pour leur
annoncer que si les vents avaient trahi leurs espérances , ils
retourneraient bientôt , avec des forces supérieures , attaquer
T'Angleterre jusques dans ses propres foyers.
Le Directoire exécutif prêtera et récevra , le 2 pluviose
( 382 )
le serment de haine à la royauté et à l'anarchie. Cette éérémonie
aura lieu dans l'église ci-devant Notre-Dame .
Plusieurs journaux ont présenté un tableau des compensations
que le cabinet de St. James a offertes à la France
daus la derniere négociation Ce tableau justifie , plus que
tous les raisonnemens , la conduite du gouvernement français
dans cette circonstance. Le voici :
Restitution de l'Angleterre.
-
Pondichéri , dont le territoire est moins grand que le
plus petit canton de France. La Martinique . Ce que
les Anglais possedent à Saint- Domingue , qui peut être évalué
au dixieme environ de la partie française. Enfin , ce
qu'ils possedent à Sainte - Lucie , sous la condition de la
reprendre en entier par le même traité .
-
Restitution de la France à l'Empire , Lempereur et ses ayant-
La Belgique.
causes.
--
-
Le duché de Luxembourg, Le duché
de Limbourg. Le comté de Falkeinstein et ses dépendances
. L'electorat de Cologne . Le duché de Bouillon.
L'évêché de Liége. L'électorat de Trêves . - Le
duché de Deux - Ponts . La principauté de Mon beillard .
Le Palatinat .. Portion du duché de Cleves .
seigneurie de Revenstein . Le Milanais . La Lombardie.
Le duché de Mantoue . Le duché de Modene .
-
-
-
Les fiefs impériaux dépendans de Gênes .
- Au pape. Reggio . Ferrare .
-La
Bologne , etc.
Partie du
A Espagne La partie espagnole de Saint-Domingue .
Aux Hollandais . La Flandre Hollandaise .
marquisat de Berg- op - Zoom.
B
Maestreicht. La communauté
de Flessingue et de la rade de Ramekens .
Ensuite la France eût fait présent aux Anglais de Sainte
Lucie , pour qu'ils lui permissent de rendre aux Espagnols
la moitié de Saint - Domingue .
Et enfin , elle aurait consenti à ce que les Anglais dépouillassent
ses alliés , les Hollandais , du cap de Bonne-
Espérance , de Trinquemalle et de quelques autres de leurs
colonies , condition qu'ils obtiendraient , en échange ,
le rétablissement du stadthouder.
On apprend d'Itali
•
que le bombardement de Mantoue a
commencé.clubakre soo f
#
Après la plus vigoureuse et la plus étonnante défense , le
fort de Kehl a été évacué par nos troupes, Voici les détails
( 383 )
officiels de ce siége , qui a plus coûté à l'ennemi que la perte
de plusieurs batailles .
Toutes les opérations de l'armée de Rhin et Moselle
pendant cette campagne , ont un caractere de grandeur
et un degré d'importance également remarquables . Après
avoir remporté les plus brillantes victoires , elle s'est montrée
supérieure à la fortune , dans la défensive glorieuse
qu'elle a soutenue . Forcée , par des circonstances qui lui
sont étrangeres , à se replier des bords du Danube , elle
l'a fait avec une lenteur savante et fiere , dont elle a créé
l'exemple , et qui présageait la résistance mémorable de
Kehl . On reconnaît en effet dans ce siège un autré exemple ,
unique de la défense des places .
1
Des ouvrages construits à la hâte , et non revêtus , ont
paru plus redoutables aux Autrichiens , que Maestricht et
Luxembourg ne l'ont été pour les Français . Les premiers
se sont consumés devant cette tête de pont pendant près
de deux mois de tranchée ouverte ; ils y ont développé
des travaux immenses et ridicules aux yeux de l'art , par
la timidité qui les a tracés ; et enfin , pour prix des pertes
les plus sens bles , ils possedent aujourd'hui un fort dont
la prise ne nous a coûté , au commencement de la campagne
, qu'un coup de main .
de
Il est dû à la brave armée et aux habiles chefs qui ont
fait une si heureuse application des regles du génie militaire
dans cette circonstance , ou plutôt qui se sont élevés
au-dessus de ces mêmes regles avec tant de succès ,
publier les détails suivans , extraits des lettres officielles.
Ils seront accueillis avec un vif intérêt par les amis de la
patrie et de la gloire nationale.
Le prince Charles , après avoir réuni toutes ses forces
dans les premiers jours de brumaire , devant Kehl , profita
de l'imperfection des ouvrages avancés de ce fort , et
de la nature des localités , pour établir des batteries de
mortier à une portée favorable . Il commença le bombar
dement le 8 ; un des ponts qui servaient à la communi
cation fut rompu par l'effet des bombes , etfut réparé de suite .
Pendant l'intervalle du 8 au 20 brumaire , l'ennemi s'attacha
à perfectionner sa ligne de circonvallation qui embrassait un
terrein immense ; de notre côté , on travailla sans relâche
pour contre - balancer les avantages que la baisse du Rhin lui
donnait , en lui facilitant les moyens de s'établir dans les isles
du Rhin , d'où il pouvait prendre nos ponts
Le 22 , les postes ennemis , qui nous gênaient par leur pro- ,
ximité , furent enlevés avec beaucoup de vivacité. On ramena
une centaine de prisonniers.
å revers.
( 384 )
4
Dans la nuit du 4 au 5 frimaire , l'ennemi ouvrit la tranchée
à une distance triple de celle qui est ordinairement observée :
annonça , dès ce moment , T'oubli des regles les plus communes
de l'attaque des places , et une timidité excessive .
il
Le 8 , son artillerie commença à jouer , et continua jusque
au 21 , sans interruption . Pendant cet intervalle , il voulut
avancer ses ouvrages dans le village du vieux Kehl , et emporter
l'isle d'Herlen-Rhin , que la baisse des eaux avait jointe
à la terre ferme ; mais il fut repoussé avec perte . La bonne
conduite et la vigueur des 76. et 100. demi-brigades , se
firent remarquer dans cette occasion .
!
Il ne se passa rien d'intéressant jusqu'à la fin de frimaire.
Le feu continuait néanmoins avec vivacité de part et d'autre .
Les premiers jours de nivôse , la tranchée fut ouverte devant
le camp retranché . Cet ouvrage , qui offrait peu de
moyens de résistance , parut toutefois assez imposant à l'ennemi
, pour l'engager à user des plus grandes précautions .
Le 5 , le grand pont fut . encore rompu par le feu des
bombes ; les bateaux étaient tellement endommagés qu'il fut
impossible dǝ le rétablir . La défense de Kehl devint alors
-plus pénible , n'ayant qu'une seule communication .
Le 6 , la seconde parallele fut achevée ; I ennemi travailla
jusqu'au 9 à son armement ; il cheminait à la sappe , quoiqu'à
la distance de 150 toises , tant sa circonspection était grande.
Les jours suivans furent employés par les Français à des
sorties fréquentes pour retarder la sappe . Le 5 , bataillon de
Ja 62. demi-brigade se distingua en détruisant une partie des
ouvrages de l'ennemi .
Le 12 , il attaqua la redoute des Trous - de-loups et l'isle
d'Herlen - Rhin . Ce premier poste ne put tenir ; mais l'ennemi
fut moins heureux à l'autre attaque . Le général Lecourbe
voyant nos troupes céder au nombre , prit le parti de
renvoyer sur la rive gauche le pont volant , se saisit d'un drapeau
, rallia nos bataillons , marcha à leur tête , et chassa
l'ennemi de l'isle d'Hèrlen-Rhin , après lui avoir fait éprouver
une perte considérable .
La nuit du 18 , l'ennemi attaqua la redoute du Cimetiere
et l'ouvrage à corne du Haut-Rhin ; mais les 10. , 62. et'
103 , demi-brigades parvinrent à le repousser.
Malgré ce succès , le terme de la défense de Kehl , prolongee
au-delà de tou e espérance , s'approchait ; resserré ot vu
de revers par les batteries de l'ennemi , ses communications "
rendues impraticables , il devait enfin succomber . Il a été
évacué le 21 nivôse , après avoir coûté à l'empereur 15,000
hommes de ses meilleures troupes et 50 millions .
し
LENOIR-LAROCHE , Rédacteur.
TABLE
Des matieres contenues dans le N°. 7.
LITTERATURE ÉTRANGERE.
ESSAT
SSAI sur l'aliment des plantes , et sur le
renouvellement du sol qui les
nou
POLITIQUE RISONNÉE.
Fin des Réflexions sur un ouvrage intitulé :
Vues générales sur l'italie , Malte , etc.
LITTERATURE.
7
Observations du Rédacteur sur la Lettre de
Jacques-le-Fataliste.
MELANGES .
Lettre au Rédacteur.
POÉSIE.
Extrait d'un Poëme intitulé les Vosges.
ANNONCES. Litterature étraagere..
NOUVELLES ETRANGERES.
28
32
34
41
ALLEMAGNE. De Hambourg.
De Ratisbonne.
44
ITALIE. De Modene 47
RÉPUBLIQUE BATAVE. La Haye.
49 ANGLETERRE. De Londres. ib.
Corps Législatif.
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE.
Paris. Nouvelles.
54
Qualité de la reconnaissance optique de caractères